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Diitcmii : Arthur In Borderla Sicituui DE Lài RtDitTioH : Emll* Orlmand

TnENTIÈIIB ANNÉE SIXIÈME SÉRIE. TOME X

(TOm LX DB U COU.8CT10R> AIMÉE 1886. DECXIËHE SEMESTilE.

NANTES

BOBEADX DE RËDACTIOH ET D'ABONnEKEflT, PLAGE DU COHHEBCE, 4

ÉLOGE HISTORIQUE

DE DOM LOBINEAU

Prononcé it Saint-Jaoat le 3 mai 1886.

Monseigneur s Messieurs^

Il y a aujourd'hui cent cinquanle-neuf ans, presque jour pour jour, mourait à SaintJacut un grand serviteur de la Bretagne.

Alors, sur cette tie rocheuse battue des vents et des flots, s'éle- vait entre mer et ciel une vénérable abbaye, dont Torigine remon- tait aux premiers temps de la nation bretonne armoricaine, et qui avait pour parure une belle église gothique. Sous les voûtes de ce vieux sanctuaire, le grand serviteur de la Bretagne mort à Saint- Jacut en 1727 vint élire son dernier domicile, dormir son dernier sommeil, et pendant plus de soixante ans son nom, inscrit sur une des dalles de ce temple, y reçut Thommage des Bretons.

Puis un jour, l'asile qui abritait cette tombe, Tantique monastère qui depuis douze siècles soutenait sans fléchir Tassant des tempêtes marines, tomba sous une tempête d'un autre genre. La Révolution de 1793 supprima Tabbaye, rasa l'église, viola les sépultureS| brisa les dalles tumulaires, jeta aux chiens les os des morts.

Les restes du grand serviieuç.de la Bretagne couché sous l'une de ces dalles, qu'en fit celte tempête 7 On l'ignora longtemps. EnGn, il y a une vingtaine d'années, dans le sol du jardin qui occupe au-

I. Mr Bouché, évéque de Saint-Brietic et Trégaier.

6 ÉLOGE HISTORIQUE DE DOM LOBINEÀU

jourd'hui la place de Téglise abbatiale, grâce h un hasard, on les retrouva avec un fragment de cercueil portant le nom du person- nage auquel ils avaient appartenu. Un second hasard aussi dé- plorable que le premier était heureux '— les fit disparaître presque immédiatement et de telle sorte qu'il est maintenant à tout jamais iropoSâible de les reconnaître. On sait seulement que, tirés de leurptace primitive, ils furent transportés et inhumés dans la partie du cimetière paroissial de Saint-Jacut s'élève le monument de- vant lequel nous sommes rassemblés.

Pendant que l'on avait perdu la trace de la dépouille mortelle de ce grand serviteur de la Bretagne, sa dépouille intellectuelle, si l'on peut ainsi parler, c'est-à-dire son nom et son œuvre subissait une fortune analogue. Car il n^avait pas seulement élevé en l'honneur de sa race un monument grandiose ; il avait déterré, préparé, amené à pied d'œuvre d'immenses matériaux, pour le continuer^ l'achever, le perfeclionnen

Lui mort, un homme vint qui s'empara de ces matériaux^ les employa ou les empila tellement quellement, badigeonna en teinte fijrise l'édiûce historique construit par son devancier, y plaqua en tète, en queue, deux nouveaux pavillons dont le premier d'un goût atroce, et inscrivit bravement son nom seul au fronton du monu-^ ment. Quand on demandait: De qui est la ffratide Histoire de Bretagne, ce vaste et précieux dépôt des annales et des archives bretonnes édifié par les doctes fils de saint Benoît? C'est l'His* toire de dom itorice I Telle était naguère, vous le savez, Messieurs, l'invariable réponse*

Depuis une vingtaine d'années, grâce aux recherches, aux discusr sions de l'Association Bretonne, grâce aussi un peu permettez- moi de le croire, Messieurs, grâce aux réclamations pressantes, incessantes, de celui qui a l'honneur de parler devant vous, dom Morice a été tout doucement remis à sa place, qui n'est même pas la seconde, et la première a été rendue au légitime propriétaire, à ce grand serviteur de la Bretagne qui dort depuis plus d'un siècle et demi dans la terre sablonneuse de Sainl^JacUt.

ÉL06B HîSTORtQUE DE DOM LOBIMEAD T

Mais eelte réparation, pour être complète, il fallait la consacrer par on monument public, qui fit luire au grand jour, aux yeux de tous, ce nom trop longtemps laissé dans l'ombre et le vengeât avec éclat d'un injuste oubli.

Ce monument, que j'ai longtemps appelé de mes vœux, de mes trop faibles efforts, le voici enfin^ Messieurs. Nous le devons au cœur généreux, si élevé et si breton, de Tévèque qui porte digne- ment aujourd'hui la double houlette des Tudual et des Brieuc, dont il étend les bienfaits sur les beaux et pittoresques rivages de la baie de PArguenon. Ce monument, il est digne de son objet, il n'est pas banal. Son double caractère éclate à la pre- mière vue : il est celtique et il est chrétien. Menhir crucifère, rap- pelant aussi les lec'hs ou stèles funéraires des anciens Bretons du YP au IX* siècle, son inscription dit à tous, dira toujours le nom de notre grand historien : c'est la Croix de Dom Lobineau !

Appelé par la bienveillance de Monseigneur TEvèque de Saint- Brieuc à m'associer à cette œuvre de réparation, je n'ai pu, mal- gré mon insuifisance, résister à cet appel. Toutefois je ne retrace- rai pas ici. Messieurs, la biographie de dom Lobineau, ce serait un peu lon<;. Je me bornerai à mettre en relief le caractère de son œuvre, la nature et l'importance du service rendu par lui à notre mère la Bretagne.

I

Je ne sais trop dans quelle mesure peut être vrai ce dicton ba* na), souvent répété, passé presque en proverbe: « Heureux les peuples qui n'ont point d'histoire. » S'il s'agissait seulement d'his- toire militaire, soit : la guerre a beau être glorieuse, elle est, même pour les vainqueurs, un tel fléau que, si la chose était possible, tout le monde s'en passerait de grand cœur. Mais dans la vie d'une nation, dans l'histoire par conséquent, il y a, grâce à Dieu, autre chose que la guerre : il y a la religion, les lois, les lettres, les arts.

8 ÉLOGE HISTORIQUE DE DOM LOBUTEÀU

les sciences, l'industrie, l'agricultare, le commerce, la navigation, etc. Un peuple qui n'aurait ni histoire religieuse ou judiciaire, ni histoire littéraire et artistique, ni histoire industrielle, etc.« sérail donc ou un peuple sans religion et sans lois, sans lettres ni arts, sans sciences, sans industrie, etc., ou un peuple si peu soucieux de son passé que chaque génération vivrait exclusivement pour elle-même, au jour le jour, sans garder nulle trace de l'existence, de l'expérience des générations antérieures ; ou enfin ce ne pourrait être qu'une nation fraîche éclose sans aucun passé : en tout cas, triste nation.

Car la valeur, la grandeur de l'homme sur terre dans l'ordre na- turel, c'est que chaque individu, si faible, si frêle, si caduc, si passager qu'il soit, est cependant autre chose qu'un grain de poussière, jouet méprisable des vents ; c'est un anneau dans une chaîne, dans la famille, dans la tribu, dans la province, dans la race. Il est et il se sent solidaire non pas seulement de ses con- temporains, mais de ses devanciers et aussi de ses descendants et successeurs. Par cette solidarité il jouit, dans tous les ordres de l'activité humaine, du patrimoine commun de la race; il a sa part dans toutes les tristesses, mais aussi dans toutes les joies et dans toutes les gloires de la nation. Le sentiment de cette solidarité, ce n'est antre chose que le sentiment national, véritable générateur du patriotisme. Plus le sentiment national est fort, plus le patrio- tisme est vif, c'est-à-dire plus puissant est l'amour de la patrie, plus généreux le dévouement de chacun de ses fils.

Mais ce sentiment de la solidarité nationale ne peut naître et se fortifier que par la connaissance de la nation et de son existence antérieure, de son passé et de son présent^ de sa tradition et de sa destinée ; il se développe d'autant plus que cette connaissance est plus complète et que la génération présente peut mieux apprécier la gloire, la vertu, la grandeur de celles qui l'ont précédée.

£t qui lui apprendra cela? L*hisloire, l'histoire seule ! L'histoire est donc, à la lettre, la science patriotique par excellence.

Aussi, quoi qu'on en puisse dire, ces peuples heureux qui n'ont

ÉLOGE HISTORIQUE DE DOM LOBINBÀU 9

point d'bisloire sont, je crois, encore à nattre. Aux époques pri- mitives de la civilisation, quand on manque de moyens ou d*atlen- lion suffisante pour recueillir les éléments de l'histoire, les peuples qui n'en ont point s'en donnent une par Timaginalion ; autour de quelques noms douteux, de quelques faits mal connus dont le sou- venir a surnagé par hasarda l'état rudimentaire, on brode des fables, des aventures merveilleuses. Les bardes les mettent en vers, les chantent sur la harpe ou sur la rote, ils sont alors les seuls histo- riens : et même lorsque leur harpe s'est tue, quand on met leurs chants en prose, longtemps encore l'histoire qu'ils ont inventée reste en possession de la croyance générale de la nation.

Enfin, avec les progrès de la science et de la civilisation arrive l'âge de la critique historique, c'est-à-dire, dujugementj du raison- nement, de la recherche rationnelle du vrai appliquée à This- toire, par l'examen des témoignages, des actes, des documents au- thentiques qui gardentfidèlementempreinte l'image et la mémoire du passé. Il est rared^ailleurs que la vérité, quand on veut bien la cher- cher avec persévérance et prendre la peine de la scruter, de la fouil- ler, de la dégager sous toutes ses faces, il est rare que la vérité his- torique ne soit pas plus curieuse, plus originale, plus pittoresque, plus intéressante que toutes les fables ; en tout cas de beaucoup est-elle et plus honorable et plus glorieuse, puisque c'est la vé- rité I

Il est évident aussi. Messieurs, que Thomme ou les hommes qui vouent leur vie, qui dépensent leur existence, leur force, leur âme, â rechercher péniblement, un à un, les linéaments delà physionomie nationale, puis à les rapprocher, à les replacer dans l'ordre vrai et réel ils se sont développés successivement^ de façon à restituer, dans sa vérité sévère et sainte, l'image sacrée de la patrie, n'est-il pas évident que. ces hommes rendent à leurs compatriotes, à leur pays, un service de premier ordre, et que leurs noms doivent être immédiatement au-dessous de ceux des héros et des saints inscrits sur le livre d'or, sur le grand livre de la dette nationale, mais de celle-là qui n'est jamais acquittée et que chacune des générations successives doit payer avec le cœur?

iO ' ÉLOGE HISTORIQUE DE DOM LOBINEÂU

bien, Messieurs, c'est celte image qu'ont présentée aux Bretons, c*esl ce service de premier ordre que leur ont rendu dom Lobineaa et les moines bénédictins ses confrères, associés à sa grande en- treprise.

Il

L^hisloire bardique, Thistoire légendaire, merveilleuse et fabu- leuse, avait pendant bien longtemps bercé la race bretonne. Aap- pelons seulement les noms de ceux qui la prirent flottante dans la tradition orale, dans les poèmes et dans les contes populaires, pour la fixer parécrit : Nenniusau ix° siècle, Geofroide Honmouth au xii^, sans parler de quelques intermédiaires moins saisissables. Et dans celle histoire bardique, TArmorique avait sa large part : vous connaissez tous, Messieurs, notre Pharamond de Bretagne, prétendu fondateur du royaume brilo-armoricain, le terrible Conan Hériadec et son interminable dynastie, dont nos annales, il y a un de- mi-siècle, n'étaient pas encore débarrassées, et à laquelle, mieux qu'à celle du roi de Mycènes, pourrait s'appliquer l'imprécation du poète SQlirique :

Race de Mériadec^ qui ne finit jamais !

De très bonne heure cependant (dès 1394) se produisit un pre- mier essai d'histoire de Bretagne; il eut pour auteur un clerc, probablement un chanoine de Saint-Brieuc: c'est un amalgame étrange de fables légendaires et de documents authentiques; c'est plus qu'une simple compilation, il y a déjà des observations, des remarques, des essais de conciliation entre les témoignages discor- dants ; en un mot, l'intention bien évidente de tirer de tout cela un corps d'annales suivies, embrassant Thislolre entière des Bretons d'Armorique.

En 1480, un autre chanoine, Pierre Le Baud, trésorier de la

ÉLOGfi ttStORIQUË t>Ë DOM LOBINËÀU 11

collégiale de Vitré, présente au sire de Ghâteaugiron la première rédaction (encore inédite) de son Histoire de Bretagne : œuvre très pittoresque, très soignée au point de vue de U fornae littéraire. Une quintaine d'années plus lard, sur la demande d*Anne de Breta« gne, Le Baud a le courage de refondre son œuvre ; ici la forme le préoccupe moins que le fond, il recherche avec plus de soin les do- cuments, il indique partout les sources ; s*il n'expulse pas entière- ment les notions fabuleuses, il en réduit de beaucoup la place et l'importance, et donne le pas très visiblement aux témoignages au- thentiques. On a remarqué qu'il est le premier chroniqueur citant comme autorité les mémoires de Joinville^ En un mot, pour son époque, il montre un sens critique très notable.

Avec Alain Bouchart (1514), qui suit Le Baud de très près, nous retombons lourdement dans la légende. Bouchart, qui était légiste, secrétaire du Duc, adore les fables et les prend de toutes mains *, mais que ne lui passerait-on j)as pour sa langue naïve, vibre vi- goureusement le sentiment breton ?

Bertrand d'Ârgentré (1582), le sénéchal de Rennes, le grand jurisconsulte, est un écrivain de race, d*un style nerveux, puissant, qui burine fortement sa pensée. Il a beaucoup des parties d'un vrai critique, mais sa critique est encore un peu sans règle et sans mé- thode, elle va par sauts et par bonds, souvent elle dort et a de sin- gulières lacunes. Ainsi , par exemple, de son autorité privée, l'il- lustre sénéchal transforme complètement le caractère légendaire de Gonan Mériadec : d'un conquérant farouche, barbare, extermi- nateur, il en fait un roi organisateur, législateur, créateur d'ins- titutions civiles et religieuses, géniâ politique et homme d'Elat; Gonan n'en est pas moins fabuleux, au contraire. Et l'œuvre de d'Argentré, monument littéraire et historique des plus remarqua- bles, est cependant loin encore de nous offrir l'histoire vraie, l'image exacte et complète de la patrie bretonne.

1. La remarque esl du très savant M. Nalalis de Wailiy dans sa belle édition de Joinviiie (Didol, 1874), Introd., p. xv.

12 ÉLOGE HISTORIQUE DE DOM LOBINEAU

A ces quatre grands chroniqueurs, dont le dernier est déjà un his- torien, joignons le seul écrivain, qui, avant Tentreprise bénédictine, ait produit une œuvre d'ensemble sur l'histoire religieuse de la Bretagne, l'aimable et naïf Albert Legrand (en 1637), le poète des Saints de Bretagne, qu'on a surnommé aussi très justement le La Fontaine de la Jégende. Il a un charme attrayant, une grâce originale. Tout le monde sait que ce n'est pas un critique.

Cependant le xvii^ siècle s'avance: Sirmond et les Bollandistes, Mabillon, d'Achéry et leurs confrères les doctes Bénédictins de Saint-Maur établissent les règles de la critique^ fondent la science diplomatique, publient des collections d'actes, de chroniques, de documents de toute sorte, révisent les annales de France, et de toutes parts, dans Tordre historique, s'élève un CTiiPlus defabksf la vérité! la vérité entière/ rien que la vérité t

C'est alors que se produisit l'entreprise scientifique, patriotique, qui aboutit à deux œuvres magistrales, la grande Histoire de Bre- tagne, la grande Vie des Saints de Bretagne, toutes deux signées du nom de Lobineau.

Il n'en fut pas le seul auleur.

Ils étaient cinq, cinq religieux de la congrégation de Saint- Maur. En 1689, ils entamèrent leur vaillante campagne. Lobineau ne faisait pas encore partie de ce bataillon sacré. Le chef, c'était le prieur de Redon, dom Maur Audren de Kerdrel, à Landunvez (diocèse de Léon), ^ Tun des esprits les mieux faits qu'on pût sou- haiter, » disent les contemporains, «aussi propre à former de beaux desseins qu'à en diriger l'exécution. » Il fut l'âme de l'entreprise, jusqu'au moment dom Lobineau en demeura seul chargé. Pour auxiliaires, pour ouvriers, on les appelait couramment les ouvriers de V Histoire de Bretagne il avait sous ses ordres dom Veissière de la Croze, à Nantes, dom Denys Briant, à Pleudihen, dom Rongier, Breton auesi, mais dont on ignore le lieu de naissance, et dom Antoine Le Gallois, à Vire, qui par un long séjour en Bre- tagne, par son intimité avec dom Audren, était devenu Breton de cœur et d'esprit. En 1693, dom Veissière ayant quitté la Bretagne,

ÉLOGE HISTORIQUE DE DOM LO0INEAU 13

pour aller à Paris s'occuper d'autres travaux, dom Lobineau prit sa place parmi les ouvriers de dom Âudren.

III

La tâche de ces ouvriers comprenait deux parties fort distinctes :

La recherche des documents, Texploration des archives, la lecture, la transcription et la collation des actes, des titres, des chroniques, de tous les matériaux qui devaient fournir la base et la substance de l'Histoire ;

2o La construction de rédifice en vue duquel ces matériaux étaient amassés, c'est-à-dire leur réduction, leur transformalion en corps d'annales claires et régulières, la rédaction de VHistoire de Bretagne proprement dite.

La première partie de celte tâche l'exploration des archives et l'amas des matériaux historiques dura sept années (de 1689 à 1696), employant constamment cinq religieux (dont nous venons de rappeler les noms), c'est-à-dire qu'elle représente trente-ciaq ans de la vie d'un homme, trente-cinq ans d'un labeur constant et obstiné, car ces moines étaient infatigables.

Nous ne donnerons pas ici (ce serait trop long) le détail de leurs travaux, de leurs voyages et de leurs explorations scientifiques Mais chacun peut de ses yeux en voir le résultat et même le toucher de ses mains, en se faisant représenter, à la Bibliothèque Nationale, les cinquante in-folio manuscrits relatifs à la Bretagne, de la collection des Blancs-Manteaux.

La seconde partie de la tâche des Bénédictins la rédaction de VHistoire de Bretagne employa comme la première sept années, de 1696 à 1703. Mais, de sa nature, celte portion de l^œuvre devait être conçue et exécutée par un seul homme, auquel il ap- partenait de dégager la doctrine incluse dans cette masse de maté- riaux, c'est-à-dire, la série claire et nette des annales bretonnes,

U âioos BisTomQUfB m dou lobineàu

ea un mot, de tailler dans CQ bloc la grande, la vraie, la glorieuse figure de la Bretagne.

A Lobineau revint cette honneur.

Ce dernier venu des ouvriers de l'Histoire de Bretagne en était aussi le plus jeune. à Rennes, en 1667 S d'une vieille famille d'hommes de loi, la plupart procureurs au Parlement, il avait l'es- prit critique, disculeur et frondeur de la basoche^ avec l'attache- ment profond aux libertés do la province qui distinguait en Bre- tagne les gens de palais. Très dégagé de tous préjugés, mais fer- mement attaché, en histoire comme en religion, à la vérité pure ; intelligence étendue, jugement solide, avec une forte pointe d'ironie et même de gaieté, c'était l'homme qu'il fallait pour tirer, de l'im- mense amas de chartes, de chroniques, de dissertations, de ma- tériaux de toute sorte entassé» pendant sept ans par cinq opiniâtres travailleurs, un corps d'annales en bon ordre, clair, lisible, et présen- table au public. Deux raisons^ dit-il lui-même, lui firent accepter cette lourde tâche : « f honneur de la province qui lui avoit donné (< U jour y et ce qu'il devoit au R. P. Audren qui l'avoit élevé dans <c la vie religieuse, » et pour qui il professait un respectueux dé- vouement.

Après sept années consécutives d'un travail incessant d'examen et de critique, de composition et de rédaction, travail acharné quoique souvent interrompu par la nécessité de nouvelles fouilles dans les archives de la province, -* au commencement de 1 703, Lobineau avait achevé d'écrire son Histoire. Il consacra les huit ou neuf premiers mois de cette année à la polir, à la réviser, avec l'aide des plus illustres savants de la Congrégation de Saint-Haur qu'il alla consulter à Paris. Au mois d'octobre, il présenta aux Etats de Bretagne le manuscrit complet de l'ouvrage comprenant deux gros volumes in-folio : un volume d'Histoire rédigée en oorps d'annales ; un volume d'actes, titres, dissertations et extraits de

t. Et aon en 1666, comme on V% dit partout jusqu'ici. On trouTera le texte de son acte de baptême à la suite de ce discours

1

ÉLOGE HISTORIQUE DE DOM LOBIKEAU 15

chroniques formant les prenves de celte Histoire. En même temps, il demanda aux Etats le vote d'un secours pécuniaire indispensable pour rimpression. Cette demande fut très vivement soutenue par Us Commissaires du roi, c'est-à-dire par les hauts personnages chargés de représenter la royauté dans l'Assemblée de la province; car bien qu'on en ait dit, dom Lobineau n'éprouva jamais aucune opposition, aucune vexation de la part du pouvoir royal, qui lui prêta au contraire en plus d'une circonstance un appui efficace.

IV

L'opposition vint d'ailleurs. Elle vint d'une maison illustre en Bretagne, de la maison de Rohan. Encore y-a-t-il Rohan et Rohan. La branche des Rohan-Chabot, qui aujourd'hui habite la Bretagne, qui a restauré avec tant d'intelligence l'admirable château de Jos- selin, cette branche fut très favorable à Tœuvre de Lobineau ; le duc de Rohan-Chabot, président de la noblesse aux Etats de 1703, soutint énergiquement la demande de subvention.

Hais il y avait les Rohan-Guémené et les Rohan-Soubise, qui se disaient orgueilleusement Rohan-Rohan^ qui prétendaient avoir à la cour les honneurs exceptionnels de princes étrangers^ et cela comme descendants d'une maison souveraine ayant régné sur une nation autre que la nation française. Cette maison souveraine, c'é- tait la prétendue dynastie royale bretonne de Conan Mériadec. Or l'Histoire de Lobineau rasait par le pied Conan et sa dynastie. Grave humiliation pour les Rohan-Rohaa, si fiers de cette origine fabuleuse ; grave péril pour leur principauté étrangère. Aussi vouèrent-ils à Lobineau et à son œuvre une haine implacable nous dirions aujourd'hui une haine corse^ *- qui commença à se montrer aux Etats de 1703^ mais qui ne put alors, malgré sa rage^ empêcher le vote d'une subvention de 20,000 livres pour l'impres- sion de l'Histoire de Bretagne.

Ce n'était que le commencement. L'année suivante, Lobineau vit

16 ÉLOGE mSTORIQUE DE DOM LOBINEAU

de nouveau celte haine se dresser devant lui, lui barrer le passage, il dut livrer un nouveau combat; avec des circonstances si curieuses, si honorables pour lui, que je ne puis me dispenser de les rappeler.

Muni du vote favorable des Etals de Bretagne, il était allé à Paris (mai 1704) traiter de l'impression avec les libraires. Pour imprimer il fallait un privilège. Le Chancelier le refusa. Pourquoi?

Il y avait une dame qui s'y opposait Madame de Soubise. Saint- Simon en a assez parlé, dès lors tout le monde la connaît. Elle était Rohan de tous les côtés, par son mari, par eile-mème, et Roban jusqu'aux moelles. Par la constante et intime faveur du roi, elle était bien plus ; elle avait pu faire son mari prince, se bâtir au mi- lieu de Paris un hôtel, un palais digne d'une reine; aussi entendait- elle bien être de race royale et sortir du plus vieux roi qui eût régné en Gaule, c'est-à-dire de Conan Mériadec, Quand on lui dit qu'un petit moine, chassant de l'hisloire Conan et sa race, la privait de celte illustre origine, elle alla en grand courroux porter plainte au Chancelier, « qui dit à dom Lobineau qu'il ne luy accorde- « roit point de privilège pour son Histoire, à moins que Madame de Soubise n'en fût satisfaite *. »

Le soin de s'aboucher avec Lobineau fut remis par cette haute ^l puissant'^ dame à son fils, Armand-Gaston de Rohan-Soubise, évêque de Strasbourg, l'un des plus beaux prélats de France et des plus intelligents. Lobineau comparut donc devant lui, assisté d'un membre de l'Académie française, Tabbé de Cauraarlin, plus tard évêque de Vannes, qui perlait grand intérêt à l'Histoire deBretagne. Après plusieurs conférences sur Conan, l'évèque, t comme il avoit « beaucoup de capacité, » dit un contemporain, fut obligé de « reconnaître que c'étoil une fable. »

Mais l'honneur du nom de Rohan voulant qu'elle fût maintenue, il déclara exiger, au nom de sa maison, l'insertion dans l'Histoire

i. Ce soDt les termes mêmes d'un coolemporain (te P. Léonard de Sainte-Calhe- rme) qui nolait ces circonsUnces jour par jour. Voir p. 91 et 113 de la Correspim- dance historique des Bénédictins Bretons (Paris, Cliampion, 1880, in-a*).

£lo6E historique de dom lobineau 17

de Bretagne d'un mémoire toutes les prétentions rohanesques s'étalaient avec tous leurs arguments. Le privilège était à ce prix.

Lobineau trouva ce mémoire plein de faussetés, il refusa. Les chefs de la congrégation de Saint -Maur, cr:iignant le courroux de H>°o de Soubise, le pressaient de céder ; les plus illustres savants de Tordre, dom Ruinart, le grand Habillon lui-même, insistaient dans le même sens. Bien plus : Tévèque de Strasbourg, humiliant rimmense orgueil de sa race, vint en personne « trouver deux ou trois fois » le petit moine « pour conférer avec luy et le prier « de ne pas faire cette difficulté. »Toul fut vain. Lobineau ne recula pas d'une semelle ^ Voilà un Breton I Et, chose merveil- leuse, il l'emporta.

Sans doute le Chancelier, qui avait été longlemps président du Parlement de Bretagne, ne voulut pas s'engager dans une sotte querelle contre les Etats et le public de cette province. Toujours est-il que, sans insérer le mémoire, sans faire aucune concession^ Lobineau eut le privilège.

UHistoire de Bretagne parut en 1707. Â peine parue, elle fut (et elle l'est encore) tenue pour le modèle des grandes histoires provinciales fondées sur les titres authentiques et rédigées en forme d'annales, comme on les voulait alors. Voici l'appréciation portée sur cette œuvre, en 1708, par un juge impartial et autorisé :

(1 Dom Gui-Alexis Lobineau, après avoir partagé avec ses con- « frères la fatigue des recherches, a eu seul le soin de réduire et « d'arranger les parties de ce curieux ouvrage et toute la peine de la « composition. On ne peut lui refuser la gloire que mérite un critique, « juste et délicat, qui, fidèle à ne pas aller au-delà de ses preuves

l.Tout ce récit est lire presque liuéralement des Notes du P. Léonard, dani Toa- vragc déjà cité, p. 113-114.

TOMft hX (X DE LA SÉRIE) 2

18 ÉLOGE HISTORIQUE DE DOH LOBINEâU

« n'impose jamais au leclear par des airs de conûance et par des « décisions présomptueuses ; qui préfère une sage incertitude à des « conjectures hardies ; qui propose avec netteté les raisons de se « déterminer, mais qui ne cache pas les raisons de douter. On ne « lui refusera pas non plus la gloire d'avoir le style net, ferme et f coulant, sans affectation et sans rud esse.

« L'auteur s'est interdit tous ces ornements que l'imagination aime à prêter aux narrations pour les embellir. Il a conservé aux « personnes, aux dignités, aux habillements, aux armes, aux céré- monies les noms anciens. Voilà sa méthode^ qui consiste dans « un attachement scrupnleuûû à la vérité.

(c On doit être aussi content de l'imprimeur que de l'auteur.

« L'édition répond à la magnificence des Etais de Bretagne qui, « dans des temps difficiles, ont fait éclater une libéralité, qu^on ne « saurait trop proposer pour exemple aux autres provinces du « royaume et même aux autres Etals de l'Europe ^ »

Et en effet, en cette même année 1708, les Etats de Languedoc, ayant résolu de faire écrire l'histoire de leur province, voulurent confier ce travail à Lobineau '. Celui-ci, qui ne songeait qu'à con- tinuer l'Histoire de Bretagne, refusa : les Languedociens alors s'adressèrent au supérieur général de la Congrégation de Saint-Maur pour obtenir de lui deux de ses religieux qui travailleraient suivant les principes de l'historien de Bretagne, et le supérieur, avant toute chose, pria ce dernier de tracer la voie à ses confrères en leur fai- sant part de sa méthode. On a la réponse de notre auteur, qui est fort intéressante et suffirait à prouver le grand succès de son œuvre 3.

1. Méraoires poar servir à Thisfoire des sciences et des arts, recueillis par ordre de S. A. S. M" le prince souverain de Dombe (dits Mémoires de Trévoux), Avril 1708, p. 549-551.

2. Correspondance des Bénédictins Bretons, p. 141, S2, 24 juin 1708.

3. Lettre de dom G.-A. Lobineau à dom Simon Bougis, supérieur général de la Congrégation de Saint -Maur^ du 3 octobre 1708 (publiée en 1825 pour la Société des Bibliophiles François^ et devenue extrêmement rare.)

ÉL0G8 HISVORlQOfi 08 DOM LOBINBAU 19

Ge succès ne désarma point la haine des Rohan, d'autant que it zèle deLobîneau à poursuirre son ouvrage ne les rassurait nulle- ment* Dès la fin de 1707, il présentait aux Etats le manuscrit prêt à imprimer d*un troisième volume, volume de preuves, chro- niques^ actes divers. On disait môme qu'il pourrait bien s'y glisser une démolition en règle de Gonan Mériadec. ^ Le clan des Rohan dans toutes ses subiivisions (sauf les Rohan-Ghabqt) était terrifié. Rohan-Guémené, Rohan -Soubise^ Rohan-Pouldu, tous se coalisèrent ; avec 4'énergie du désespoir iU firent Jouer toutes les batteries, toutes les ressources et tous les genres d'influence que leur pouvaient donner leur immense fortune et leur haute positioq* Ils parvinrent à dominer les Etats, à les empêcher de voter la sub- vention demandée par Lobineau pour i'impressioa de ce troisième volume.

L'historien ne se découragea pas, il s'acharna à la besogne, et mit sur pied le manuscrit d^un quatrième tome. Il écrivit de plus un Traité très étendu des Barons de Bretagne.rempVi de curieuses recherches sur les institutions féodales bretonnes et sur le gouver- nement ancien du duché. Ces efforts, ces travaux furent inutiles, du moins pour leur auteur car plus tard D. Morice en profila* Les Rohan-Rohan étaient maîtres de la place, ils firent écarter par les Etals toutes les requèles, toutes les propositions de Lobineau sans préjudice des peliles vexations qu'ils lui valurent, dans le détail desquels je ne puis entrer.

Telle fut la générosité de celle illustre maison. Ainsi vengea- t-elle, au détriment de la Bretagne et de son historien, les malheurs du grand Gonan Mériadec, ou plulôt car c'est le vrai les blessures faites par la vérité historique à son implacable vanité.

VI

Elle ne put cependant empêcher dom Lobineau de rendre à sa patrie un nouveau service non moins important que le premier

20 ÉLOGE HISTORIQUE DB BOM LOBINEAU

en publiant, deux années seuiemenl avant sa mort (en '1725), la grande Vie des Saints de Bretagne : publicalion à laquelle (on a regret de le dire) les Etals de Bretagne restèrent étrangers et qui fut f^ite tout entière aux frais des libraires associés de la ville de Rennes. Œuvre magistrale -- un volume in-folio qui a fixé dans lous ses traiis principaux la vérité de Thistoire religieuse de notre province, comme Tin-folio de 1707 l'avait fait pour notre histoire civile, politique et militaire ^

Cependant, la Vie des Saints de Bretagne de Lobineau a été Tobjet de nombreuses critiques, ou plutôt d'une seule critique fré- quemment répétée : on lui a roproché, on lui reproche encore souvent ya ^eplicisme qui rejette les miracles, qui élimine de l'his- toire religieuse le surnaturel. Reproche complètement injuste. Pour l'articuler il faut n'avoir lu ni Tœuvre de Lobineau ni même sa pré- face, où il expose la règle suivie par lui et qui se résume en deux mots : créance complète aux miracles attestés par des témoins oculaires, par des contemporains dignes de foi et bien informés ; liberté entière vis -à-vis de ceux qui ont pour uniques garants des écrivains de beaucoup postérieurs à l'événement, condamnés dès lors à reproduire la tradition orale, si sujette aux exagérations, aux inventions, aux erreurs de toute sorte, et qui ne peut en aucun cas^ surtout en telle matière, passer pour un témoignage irrécusable.

Ainsi, par exemple, Lobineau admet de grand cœur tous les miracles de saint Yves ; mais il rejette ceux de sainte Haude, sœur de saint Tangui, une sainte du VP siècle qui, selon sa légende rédigée au Xy% serait entrée un jour chez son père, dans la salle du château de Trémazan, en tenant sa tête entre ses mains,

1. Avis indispensable. La prélendue nouvelle édition de la Vie des Saints de Bretagne de Lobineau, donnée en 1836 par M. Tabbé Tresvanx, reproduit d'une façon très inexacte le texte du grand Bénédictin. Quelquefois elle le complète, plus SDuven^ elle Taltère. En ce qui concerne ks premiers siècles, Tabbé Tresvaux défigure abso- lument son auteur, en lui imposant, par voie d'interpolation, Tabsurde système de Conan Blériadec et de la dynastie conanienne, que Lobineau, on l'a vu, repoussait énergiquement C'est pis qu'une exactitude, c'est une falsiticaUon.

£l06E historique de DOM LOBINEA0 21

et aurait ordonné à sa marâtre, coupable de sa mort, de vuider sur le champ ses entraides, ce que celle-ci se hâta de faire immé- diatement jusqu'à mort et extinction définitive.

Dom Lobineau, de ce chef, est-il bien coupable ?

Prenons garde. Messieurs : la plupart du temps, ceux qui en telle matière disent : a Tout ou rien, tout est à prendre ou tout à laisser ; si vous croyez aux miracles de saint Yves, vous ne pouvez rejeter ceux de sainte Haude, > prenons garde que ceux-là, leur principe admis, se réservent bien souvent de conclure que, les miracles de sainte Haude ne pouvant sérieusement être imposés à la croyance d*un homme raisonnable, ils les rejettent et avec eux par conséquent tous les autres.

Il me semble inutile d'insister.

Le plus grand tort de Lobineau en cette matière voulez-vous le savoir ?

C'est d'avoir traité beaucoup trop durement son devancier, le bon Père Albert Legrand, dont il a quelque part appelé le livre « un tissu de fables, plus propre à réjouir les libertins (c'est-à-dire tt les incrédules) qu'à édifier les fidèles. »

Sans doute, au temps de la Régence, dans certaines classes de la société^ l'incrédulité qui déjà ricanait et levait la tête, trouva en plus d'un récit du mW légendaire un texte de méchantes plaisante- ries. C'est ce qui explique le mol de Lobineau, sans le jus- lifier. Car, à mon sens, dans la masse de la nation bretonne, le livre du P. Albert Legrand, très attrayant de forme et par consé- quent très lu, eut un effet tout autre : il contribua (croyons-nous) beaucoup à y maintenir vivants, et dans une alliance intime, le sentiment chrétien et le sentiment breton.

Aujourd'hui il est facile d'être juste tout à la fois pour les deux œuvres si dissemblables, mais si remarquables par des qualités diverses, de Lobineau et d'Albert Legrand.

Celui-ci, sans la moindre prétention liiléraire, a fait un livre dontle style, la couleur, le mouvement, sont le principal mérite. Il a un peu travesti ses personnages ; à tous, de quelque siècle qu'ils

29 ÉLOGE niSTORIQUE DE DOM LOBIMEAU

soient, il donne les sentiments, le langage, jusqu'au costume de son temps, non peut-être du règne de Louis XIII, mais plutôt de la Ligue, l'époque de sa jeunesse, époque ardente, énergique, vivante, agissante : aussi toutes ces figures sont-elles pleines de vie et de verve; si ce n*est pas une résurrection, au moins c'est un drame.

La Vie des Saints de Bretagne de Lobineau n'offre rien de pareil. C'est une longue, une imposante galerie de statues taillées dans le granit breton ; les draperies sont sobres, un peu rigides, les lignes simples et sévères, tout ornement superflu soigneusement écarté ; mais au point de vue de la vérité des figures et de l'exactitude des proportions, le travail est exécuté avec un suin tel et avec une telle conscience qu'il n*y a, pour ainsi dire, rien à reprendre.

En ce qui touche surtout les temps anciens, la Vie des Saints de Bretagne est le complément indispensable de VHistoire de Bre^ tagnede Lobineau. Dans ces deux ouvrages il a fixé la vraie théo- rie de nos origines, spécialement de nos origines religieuses^ qu'il rapporte très justement aux moines, aux missionnaires venus de la Grande-Bretagne en Ârmorique avec les émigrés bretons chassés de l'tle, aux Y* et Vl« siècles, par l'invasion saxonne. Si ce n'est pas ces missionaires qui ont pour la première fois porté la parole évangélique dans la péninsule armoricaine, c'est eux qui l'ont fécondée, eux qui ont converti la plus grande partie des indi- gènes restés pblens jusque-là, eux qui ont fondé les évêohés, les églises, les monastères, en un mot toute Torganisalion ecclésias- tique telle qu'elle a persisté jusqu'au dernier siècle. En eux donc nous devons saluer les véritables apôtres de notre province, et ces apôtres —grâce à Dieu sont des Bretons. Voilà ce que Lobineau a établi le premier sur des monuments et des preuves irrécu- sables.

VII

Ainsi, Messieurs, malgré les contradictions, les persécutions semées sur sa route et dont je n'ai pu ici rappeler qu'une partie.

ÉLOGE HISTORIQUE DE DOM LOBINBÀU 23

ce vaillant moine vint à bout d'achever toute la partie essentielle de son œuvre, œuvre gigantesque, d'un labeur et d'un prix inesti- mable, — puisque c'est Thistoire entière de notre chère Bretagne, dans Tordre religieux et Tordre civil, son histoire vraie, que nous n'avions pas avant lui, qu'il nous a donnée, et que nous lui devons !

Pour dom Morice (car il en faut dire un mot), venu quarante ans après Lobineau, il a vécu de ses miettes. Tout ce qu'il y a de nouveau, d'original dans son œuvre, c'est le rétablissement en tète de son Histoire, et par ordre des Rohan, de la fable de Conan Mériadec, c'est-à-dire une souillure au fronton du monument élevé par son devancier.

Quant à ce dernier Lobineau, avais-je tort en commen- çant de l'appeler un grand serviteur de la Bretagne, lui qui con- suma sa vie, sa vie entière, qui subit et qui brava mainte épreuve pour retrouver trait à trait et pour faire revivre avec une fidélité par- faite, dans une image digne d'elle, le glorieux passé de notre chère province ?

Est-ce un service ? Et pour qui Ta reçu, ce service, est-ce une dette ?

Les Bretons n'ont jamais été taxés d'ingratitude. Pourtant depuis un siècle et demi celle dette restait en souffrance. Pas le plus modesle monument, pas la plus brève inscription, pas le moindre signe extérieur ne rappelait même le nom de Lobineau. Cette ingratitude, ou du moins celle apparence d'ingratitude, ainsi pro- longée, tournait au scandale.

Monseigneur,

Grâce à vous ce scandale a cessé. Puisque la ville de Rennes semble oublier celui qui a été Tun de ses plus glorieux enfants, vous, Monseigneur, dont le diocèse garde la dépouille du grand historien, vous avez voulu honorer son nom, payer autant qu'il était en vous la dette de la Bretagne.

24 ÉLOGE HISTORIQUE DE DOM LOBINBAU

I' Permettez-moi, Monseigneur, de voUs en remercier au nom de

tous les Bretons,

En leur nom permettez-moi aussi, Monseigneur, de tous remer- cier de Tardenle et énergique sympathie que vous montrez en toute occasion pour les souvenirs, les traditions, les illustrations de la patrie bretonne. Dans quelques jours, vous allez bénir la première pierre du nouveau etsplendide tombeau restitué, par vos efforis et sur votre initiative, au grand thaumaturge, au plus illustre des saints bretons, qui résume dans les merveilles de son austérité, de sa cha- rité incomparables, les vertus et les merveilles de tous ses devan- ciers, à saint Yves. C'est encore une dette de la Bretagne que vous aurez l'honneur d'acquitter.

Merci enfin. Monseigneur, de voire respect pour nos vieux

monuments, nos vieilles églises. Vous comprenez admirablement

f que les pierres qui les composent, consacrées par l'art antique, par

les innombrables prières des générations anciennes dont elles sont comme imprégnées, établissent, entre ces générations passées et la présente, un lien sacré qui ne permet point à celle-ci de dégé- nérer de la foi de ses ancètres;

Heureuse d'ailleurs la province de Bretagne la province ecclésiastique de Rennes, dont le vénérable métropolitain s'est empressé de témoigner ses sympathies bretonnes en faisant rétablir les vieux titres épiscopaux de saint Malo et de saint Samson, et qui voit maintenant sur trois de ses sièges trois vrais Bretons atta- chés de cœur aux souvenirs, aux traditions, aux vieilles mœurs [: de la Bretagne, parce qu'ils savent qu'entre le sentiment chrétien

[ et le sentiment breton il y a une alliance intime, naturelle, indis-

soluble. !^ Honneur donc, honneur aux évèques bretons !

r Nous aussi, Messieurs, à leur exemple, chrétiens et Bretons que

% nous sommes, efforçons-nous d'entretenir et de promouvoir autour

de nous, partout, sous toutes les formes, ce double sentiment, dont [c- l'union intime a toujours été en ArmoriqueTun des traits les plus

Et saillants du caractère national, depuis Tâge antique de nos apôtres,

ilOaZ HIST0RIQU8 DB DOM LOBINKAU 25

ies Brieuc, les Tudual, les Samson, les Coreniin, les Gildas, jusqu*à nos héros et nos poètes de Tâge moderne : Chateaubriand, Bri* zeux, Lamoriciëre.

Et ce double sentiment, cette union intime du génie celtique et de ridée chrétienne, la trouver mieux réalisée qu'en Thomme dont nous honorons ici la mémoire, Gui-Alexis Lobineau ?

Le Christ ! toute sa vie il l'a servi sous Tauslëre observance de saint Benoit.

La Bretagne ! toute sa vie il Ta aimée, étudiée, glorifiée, et glorifiée comme elle le mérite, par la vérité seule : de cet or pur et sans alliage il a fait la couronne de la Bretagne.

La Vérité! cette vérité cherchée par lui avec tant J*ardeur, scrutée avec tant de patience, extraite avec tant de fatigue des limbes du passé, une fois conquise, il n'est pas resté devant elle froid et inerte. 11 l'a prochmée, maintenue, avec 1 obstination passionnée d'un Celle. Il Ta bravement défendue contre toute attaque avec la virile liberté des vieux saints de notre race, qui comptaient, qui pratiquaient comme une éminenle vertu ce que leurs biographes appellent liberlas vods erga terrenas potestates \ la liberté de la parole envers les puiâsants de la terre.

Oui, c'était un vrai chrétien et un vrai Breton, une vaillante intelligence, un fort caractère, ce moine qui usa sa vie à servir, à glorifier, à défendre le Christ, la Bretagne^ la Vérité !

Arthur de la Borderie.

1 . Voir VU. S. Winwaloei, lib. 11. cap. 2, dans le Carlulaire de Landcvenec, p. ôO.

).

AGTB DE BAPTÊME ET DE NAISSANCE

DB

GUI-ALEXIS LOBINEAU

C9 octobre 1667 J

a Gui-Alexis Lobineau, fils de mattre Pierre Lobineau el de damoiselle Anne Hunauld sa compaigne, a eslé ce jour tenu sur les fons par noble homme Gui Cordonnier, huissier en la Cour, et damoiselle Suzanne Jandron, compaigne de noble homme Jacques Pigeaut, sieur de Pomelin : ledit enfant ce neuffiesme octobre 1667.

« (Signé) Cordonnier. Susanne Gendron Le Paige. Pigeaut. A. Lobineau. Catherine PigeauL - Petitjan. - P. de Lorgeril. P. Lobineau. »

La dernière signature est celle du père, ravant-dernière celle du rec- teur de Saint-Étienne de Rennes; Tacte est inscrit aux registres baptis- maux de cette paroisse^ année 1667, fol. 89 verso. La copie nous en a été fournie par M. Pdul de la Bigne- Villeneuve, membre de la Société Archéologique d'Ille-et- Vilaine. Jusqu'ici tous les auteurs ont mis, à tort, la naissance de Lobineau en 1666, sans en indiquer le jour.

MISANTHROPE

I

Lequel a raison, de Pbiliale ou d'Alceste? Tûus les deux, ou plulôt ni l'un ni l'autre. L'art suprême de Molière est de faire dis- courir ses personnages avec tant de naturel que chacun d'eux semble avoir raison quand il parle. J*ai beaucoup lu et relu Molière, j'y ai pris un plaisir toujours renouvelé. Le dialogue est vif el charmant, la versification merveilleuse, l'observation de la nature extrêmement fine, mais elle s'arrête à la finesse et n'atteint jamais ni l'élévation ni la profondeur.

On a écrit bien des volumes sur Molière. Je ne sais si l'on a fait la remarque que voici : aucun de ses personnages n'a un caractère véritablement élevé ; aucun non plus un caractère véritablement odieux et bas. Sous ce dernier rapport, on m'objectera aussitôt Tar- lufTe, sans m'embarrasser. Tartuffe est un fieffé eoquin^ dont la place serait au bagne. Il veut escroquer la fortune d'un bourgeois dévot dont la sottise est par trop voisine de l'ineptie, et, pour duper cet imbécile, il prend le masque de la dévotion. Il m'est impossible de voir des caractères dramatiques. Orgon devrait être interdit par les tribunaux à la requête de son fils. Tartuffe, ce fourbe re- nommé^ qui a fait mille autres friponneries el n*a échappé qu'en changeant de nom aux recherches de la police, est à bon droit, dès qu'il est reconnu, ramassé par elle au dénouement. Il a jadis tricher m jeu les fils de famille, ou voler les bijoutiers, en se faisant passer pour marquis. Voler Orgon, en se faisant passer pour dévot, est une habileté de main du même genre et n'a rien de plus profond.

On a peine à comprendre à la lecture, et l'on ne comprend que par

28 MISANTHBOPE

reflet à la scène de quelques tirades, dont Tintenlion semble perfide^ malgré les dénégations et les protestations de l'auteur, tout le bruit que les passions irreligieuses ont fait 'depuis deux siècles autour de cette figure patibulaire de Tartuffe. Les passions politiques sont, certes aussi, bien ardentes. Il y a de vénérables douairières qui, dans la sincérité de leur culte pour leurs traditions de famille^ ne sont pas plus dii&cites à duper que Mi°« Pernelle. Elles sont exposées à l'ac- cident d'avoir des fils qui n'aient pas plus de discernement qu'Or- gon. Je suppose qu'on imagine de mettre au théâtre un intérieur respectable de manoir aux vieilles mœurs, et d'y introduire un fourbe de chevalerie, se parant d'un faux nom et d'un faux titre, se disant, suivant l'époque de l'action, blessé des guerres de la Vendéei de la Navarre ou de Castelûdardo, et cherchant, sous ces déguise- ments, à escroquer la fortune de H. le marquis en épousant sa fille ; je suppose qu'au moment de réussir, il soit découvert pour ce qu'il est, pour un repris de justice et un filou, appréhendé au corps et, pour dénouement de la comédie, reconduit en prison entre deux gendarmes : quelque talent qu'on y mette, je défie qu'on parvienne à faire de cela une pièce supportable. Des gens bornés et crédules trompés par un fripon, Tartuffe n'est pas autre chose. Il y a des scènes élincelantes d'esprit, il n'y a pas un caractère.

Je ferais une remarque analogue sur toutes les autres pièces de Molière, et les meilleures. Rien d'élevé, rien de grand, rien non plus de proprement odieux. Dans les Femmes savantes, la plus amusante et la plus parfaite à mon gré, tous les premiers rôles ont simplement des travers ridicules. Trissotin est un sot vaniteux et Vadius un cuistre. Le Bourgeois^ gentilhomme n'est aussi qu'une charge bouffonne d'un travers de vanité : le bon M. Jourdain n'a rien de l'insolent et profond orgueil du parvenu. Harpagon lui- même est un avare pour rire. Ses mesquines manies de lésine ne l'empêchent pas de se faire traîner dans un carrosse, d'avoir des laquais et une servante. Combien il est loin des passions si drama- tiques qui ravagent le cœur du père d'Eugénie Grandet ! Il y a deux très jolies comédies, dont les titres semblent indiquer une

MISANTHROPE 29

intention sérieuse, l* École des maris et P École des femmes. Le beau rôle, dans la première^ est pour Arisle. On chercherait cependant bien en vain quelque chose d'élevé dans le caractère de ce débon- naire vieillard qui

Gâche ses cheveux blancs d'une perruque noire,

et réussit, à force de complaisances, à se faire agréer d*une jeune fille, malgré la disproportion des âges. L'enseignement consiste, pour les maris^ à laisser la plus entière liberté aux femmes, à les encourager à voir

les belles compagnies,

Les divertissements^ les bals, les comédies,

toutes celles de Molière, sans doute, qui ajoute :

Ce sont choses, pour moi, que je tiens de tout temps Fort propres à former l'esprit des jeuoes gens.

Plus vainement peut-être encore chercherait-on dans l'Ecole des femmes^ dont une sale équivoque, reproduite avec insistance dans la Criiiquej fait le principal succès d'éclat de rire à la représenta- tion, une élévation quelconque de sentiment ou de pensée.

C'est que Molière lui-même manquait absolument d'élévation. Homme d'infiniment d'esprit et de talent, doué, je le veux bien, d'un rare bon sens et d'une rectitude naturelle de jugemenl, point méchant, assez honnête d'instincts, et assez exempt de passions, il se ressentit toujours des influences de sa vie de bohème, il de- meura, par le cœur, médiocre et vulgaire. II voit les ridicules de la société qui l'entoure, il les raille pour amuser le public, y prenant le premier un plaisir persgnnel ; mais son observation reste super- ficielle et s^arrête aux manifestations extérieures des caractères ; elle ne pénètre jamais au fond. J'ouvre au hasard le livre d'un contemporain bien moins lu, et dont l'illùstralion est fort infé- rieure à celle de Molière, de La Bruyère, et suis aussitôt frappé du contraste. Je renconlre^ je constate à chaque page ce qui manque à Molière : Télévation de l'âme, la profondeur de l'observation.

30 MtstAfrrHRot>e

J'accorde donc à Molière tin talent inimitable, mais quand ses admi^ i'aleurs enthousiastes essaient de le représenter comme un philo- sophe et un grand moraliste, je proteste contre Thyperbole et ne sais pas d'éloges moins justifiés.

Je reviens au Misanthrope. Fera-t-il exception à ma remarque? En aucune façon. Âlcesle est morose, il est bourtu ; tranchons le mot, il est grognon. Il a au moins deux raisons pour cela. Il a un procès qui l'inquiète, il est amoureux, et amoureux jaloux, d*une coquette qui se moque de lui. Ce n'est pas pour rendre Thumeur joviale, et un seul de ces soucis suffit amplement à expliquer sa morosité. On comprend qu'il supporte impatiemment les empres- sements importuns d'Oronte, qui veut, à toute force, lui faire goûter le? beautés de son sonnet et qui est un rival. Essayez de réciter les plus beaux sonnets du monde à un plaideur tremblant pour sa fortune ou à un amoureux tourmenté par la jalousie, je gage que vous ne serez pas mieux reçu qu'Oronte, sans que cela prouve au- cunement que vous ayez eu affaire à un misanthrope. Il y a donc ici une faute contre Tart, non pas certes dans l'exécution, qui est brillante, mais dans la conception du caractère. Molière a écrit, en se jouant^ une scène ravissante. Il ne s'est pas apperçu qu'en donnant à Alceste des motifs actuels et personnels de chagrin, il effaçait, il éteignait le caractère. Philinte lui-même, aux prises avec ces chagrins, eût été peut-être' aussi maussade. Qui n'a pas eu ses jours d'agacement, d'acrimonie ? une souffrance physique que l'on cache, une migraine on un mal de dent6, il n'en faut souvent pas davantage. Il y aurait donc eu plus d'art h montrer Alceste gagnant sa cause auprès des tribunaux et aimé de Géli* mène, et restant morose.

Pendant tout le cours de la pièce, la mauvaise hutneur d'Alcesle roule sur ces deux pivots, son procès et sa jalousie. Au cinquième acte, il apprend presqu'à la fois que son procès est perdu et que Célimène s'est moquée de lui. Alors il éclate en imprécations contre le genre humain et jure de le fuir. C'est de l'emportement, et rien de plus : il n'est qu'au commencement des vingt-quatre

%:,.

MISANTHROPE 31

heures données à lout plaideur malheureux pour maudire ses juges. Demain il pourra bien interjeter appel de la sentence, et porter à une autre belle son cœur^ qui s'était déjà précautionné d'Eliante. Non, le sens des mots a bien changé, ou je ne puis pas voir en lui un misanthrope. Si Molière avait intitulé sa comédie, avec plus de justesse, la Coquette, Âlceste figurerait dans la gale- rie des rivaux, peint en quelques traits de plume par la lettre de Célimène : « Pour Thomme aux rubans verls^ il me divertit quel- quefois avec ses brusqueries et son chagrin bourru, mais il est cent moments je le trouve le plus fâcheux du monde. » Voilà le portrait ressemblant^ Alceste ne mériterait pas autre chose, et Ton ne se douterait pas que Molière eût voulu tracer le caractère d'un misanthrope.

Que représente donc ce vilain mot? Ah ! je comprends plu- sieurs manières de dramatiser le caractère, de le soumettre à une analyse profonde, de l'éprouver par des péripéties plus sérieuses que la lecture d'un mauvais sonnet et les agaceries de Célimène. Haïr les hommes, triste prédisposition de la nature, ou triste résul- tat de l'expérience d'une vie prolongée. Mais je ne voudrais pas que le caractère allât jusqu'à la vérité de Tétymologie. Il serait trop haïssable lui-même, et le misanthrope devrait commencer ou finir par être l'objet -de sa propre aversion. S'il a commencé par là, c'est un infirme et un monstre solitaire. Il est en dehors des conditions de l'humanité et conséquemment de celles du drame, qui ne doit s'exercer que sur des choses vraiment humaines. S^il finit par là, le drame peut s'emparer de lui et l'éteindre jusqu'à ce terme final, cette humiliation, cette expiation vengeresse de l'orgueil qui de la haine des hommes arrive fatalement à la haine de l'homme, du mépris d'autrui au mépris de soi-même. Ce drame serait sombre et risquerait d'être amer, mais il serait susceptible d'une haute moralité. Combien nous voici loin des brusques boutades et des bruyantes colères de l'amoureux aux rubans verts !

Il y a un autre misanthrope d'un caractère bien plus élevé, c*est

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celui qui a aimé les liomiDes, et qui, désabusé, voudrait les aimer encore et agit envers eux comme s'il les aimait. En avançant dans la vie, nous avons tous passé par des déceptions pareilles : les plus poignantes ont été pour ceux qui se sont efforcés de faire le plus de bien à leurs semblables. Ils ont nécessairement rencontré l'ingratitude, comme les âmes qui ont faim et soif de la justice ont Rencontré l'injustice. L'homme est injuste, ingrat et envieux. Pbi- linte lui-même en convient, et ne conteste rien des sévères appréciations de son ami. Quand celui-ci lui dit :

Aurez-vous bien le front de me vouloir, en face. Excuser les horreurs de tout ce qui se passe?

Il répond :

Non, je tombe d'accord de tout ce qui vous plaît. Tout marche par cabale et par pur intérêt. Ce n' est plus que la ruse aujourd'hui qui l'emporte, Et les hommes devraient être faits d'autre sorte.

C'est faiblesse d'esprit que de s'emporter comme Alceste. C'est légèreté d'esprit, et peut-être sécheresse de cœur, que de se con- soler à la façon de Philinle. Tous deux sont petits. La grandeur, quand on a observé ce qu'ils ont observé, quand on en a cruelle- ment souffert, est de réagir contrôla souffrance, de la dompter par un généreux effort^ d'apaiser son Ame^ et de garder encore de la bienveillance pour les hommes, après qu'on a cessé de les estimer.

L'antiquité a connu celte grandeur. Assurément Aristide banni, Socrale buvant la ciguë ne pouvaient pas estimer les hommes. Ils demeuraient grands par l'indulgence et par la sérénité, mille fois plus grands que le sauvage Timon et le larmoyeur Heraclite. Hais c'est le Chrislianisme qui a porté celte grandeur aux degrés les plus élevés du sublime, et l'exemple est venu du passage sur la terre de son divin fondateur.

MISAIÏTHROPE 33

II

Je supplie qu'on ne m'accuse pas d'irrévérence dans les rappro- chements qui se présentent malgré moi à ma pensée. J'ai souvent été frappé d'une remarque, à la lecture de l'Évangile. Les ensei- gnements de notre éducation^ le milieu chrétien dans lequel nous avons vécu depuis notre enfance, et je n'excepte pas les incroyants, font obstacle à ce que nous puissions admirer suffisamment en soi la sublimité d'un livre aussi extraordinaire. Que le Fils de l'homme y apparaisse avec un caractère surhumain, on s'y attend, on n'en est pas étonné. Soit que l'on adore, soit que l'on refuse son adoration, on a d'avance la conception d'une grandeur morale tout à fait exceptionnelle.

Je suppose qu'il soit possible de s'abstraire assez complètement de sa foi ou des habitudes de son éducation pour lire l'Evangile comme une histoire ou comme un drame : on saluera dans le Fils de l'homme le plus grand personnage historique, le plus haut ca^ ractère dramatique qui ait jamais paru sur la scène du monde.

Quant à l'histoire, cela n'est pas douteux. Cet humble artisan^ de parents obscurs, dans un pays asservi, obscur lui-même toute sa jeunesse, qui n'a jamais porté une épée ni exercé une ma- gistrature, qui n'a rempli aucune fonction publique, qui n'a oc^ cupé aucune chaire, qui n'est rien, absolument rien, ni dans le sacerdoce, ni dans la philosophie, ni dans la cité ; qui a parcouru les bourgades de la Judée, suivi de quelques pauvres femmes, de quelques pêcheurs, de quelques agents détestés du fisc ; qui, lorsque les puissants se sont déclarés contre lui, n'a essayé de leur opposer aucune résistance ; qui n'a pas eu un parti, que dis- je ? pas un ami pour le défendre ; qui est mort conspué, entre ' deux malfaiteurs sans nom, d'un supplice infamant ; voici qu'il a effacé la gloire de tous les Cyrus, les Alexandre et les César ; voici qu'il partage en deux ères les annales du genre humain. El ce ne sont pas ses écrits, à défaut d'actes, qui lui ont fait cette gloire posthume. Il n'a jamais écrit une ligne, on n'a de lui aucun monu-^

TOME LX (X DE LA SÉRIE). 3

3i MISANTHROPE

ment quelconque, rien aulre chose que des paroles confiées à la mémoire de disciples ignorants et grossiers. Qu'on veuille bien y 4réfléchir. C*est un prodige historique, un prodige unique, et tel qu*aucune histoire ne peut lui être comparée.

Hais jo voulais considérer le caractère dramatique plutôt que le personnage historique, et Tétonnement redouble encore. Ici, nulle œuvre de génie pour poétiser et célébrer le caractère, point de Pin- dare, de Sophocle ni d'Homère, aucune des passions nationales qui exaltent les cœurs et dont s'empare la poésie, quelques simples biographies sans ari,sans lyrisme, comme sans chronologie, pleines de lacunes, écrites par des hommes qui n'ont aucune culture d*esprit. Et cependant, quel caractère prodigieusement grandiose ! Le Fils de Thomme a passé sur la terre en faisant le bien, té- moignant ses préférences aux petits, aux faibles, aux humiliés, n'excitant pourtant aucune révolte contre les puissants. Il a proté' la femme adultère, il a touché les lépreux, il a demandé à boire à la Samaritaine. Il a scandalisé les bourgeois et les lettrés de son temps par la société dont il s'entourait. Il a montré pour tous les maux de l'humanité une compatiàsance générale et une active charité. En cela déjà, il manifeste un caractère qui le distingue de tout ce qui a précédé. L'antiquité a eu des vertus morales, des héros, de grands citoyens, des âmes généreuses et magnanimes. Elle n'a pas connu celte tendresse habituelle et profonde pour les hommes^ dirigeant tous les actes de la vie.

Ce nlesl rien encore. Le drame de la Passion va se précipiter. Si horribles et barbares qu'en soient les détails, ils ne sauraient nous frapper d'aucun élonnement : ils sont, hélas ! d'une désolante rraisemb'ance.La populace soulevée est encore capable des mêmes ingratitudes, des mêmes cruautés, des mêmes outrages pour une victime innocente. Nous l'avons vu avec épouvante, dans notre or- gueilleuse capitale, livrée aux flammes. Les scènes de la rue Haxo valent celles du Prétoire et du Calvaire. Nous connaissons ces en- vieux sectaires, ces faux témoins appelés pour tromper la foule crédule, ces scribes propageant la calomnie dont on a besoin afin

Misanthrope 35

de rendre la vieiime odieuse, ces disciples timides qui fuieut et se cachent. Nous avons rencontré ce fonctionnaire correct, troublé, qui craint de se compromettre^ qui se lave' les mains et laisse faire les atrocités qu'il désapprouve. Ainsi s'e^t réalisée sous nos yeux la prédiction évangélique : c Vous serez livrés à la persécu- « tion, on vous fera mourir, et vous serez hais du peuple à cause e de mon nom. » Les hommes n'ont pas changé depuis dix-neuf siëcle>, et si quelque chose étonne, c'est de constater à de telles distances, à travers des civilisations si différentes, l'effrayante iden- tité du caraclère des émotions populaires. Le récit de la Passion n'a donc rien, dans les fails douloureux qu'il relate, dans les rôles des personnages secondaires du drame, qui soit en dehors de la plus stricte vraisemblance et puisse même paraître une exagération.

Hais je m'arrête sur la figure principale, sur celle de la vic- time, et ici encore la grandeur du caractère est incommensurable. Le juste est entré humblement, tristement, dans Jérusalem. Une de ces explosions de reconnaissance dont le peuple est capable, par rares intervalles, lui a fait un jour de triomphe. Cette ovation même a excité l'envie des sectaires, irrités de ce qu'on les délaisse pour le suivre. Ils réemploient déjà sa perte. Lui, pendant plusieurs jours, ne craint pas de se rendre au temple et d'y discourir publi- quement. Il répond aux questions captieuses des émissaires que lui envoient ses ennemis ; le soir, il se relire avec ses disciples; il a réservé pour eux ses plus tendres enseignements. « Mes petits enfants, » leur dit-il, « pour peu de temps je suis encore avec vous, je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour. Personne ne peut avoir un plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Quand le traître s'approche pour le livrer, il l'appelle encore « mon ami », il ne repousse pas son baiser. Na-t-il pas dit anlérieurement : Aimez vos ennemis?

Je ne retrace pas les scènes de la Passion, elles sont présentes à toutes 1^ i mémoires, pas assez à tous les esprits méditatifs. Le

1^

36 BUSANTHROPE

point sur lequel jUnsisle encore est la prodigieuse beauté de ce caractère sans précédent, élevant à une hauteur surhumaine tout ce que Tâme humaine peut contenir de mansuétude, d'amour et de bonté. Aucune tension orgueilleuse de constance sloique, aucune exaltation, aucun enthousiasme d'héroïsme, aucune parole d'amer- tume, aucun geste de dédain. Â travers tant d'ingratitudes, de ca- lomnies, de trahisons, de lâches abandons, jamais Texpression du mépris n'a contracté la lèvre du Fils de Thomme, et il projette en- core un long regard de bonté sur Pierre, qui vient de le renier. Et cependant, dès avant les tortures physiques, il avait souffert une véritable torture morale au jardin des Olives, jusqu'à en répandre une sueur de sang. Il avait dit : « Mon père, s*il est possible, éloi- gnez de moi ce calice, » sur la croix il s'est écrié : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? » Hais à ces gémis- sements de la douleur et de la détresse, il ajoutait d*uue part : « Que votre volonté soit faite et non pas la mienne » ; de l'autre : « Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. »

Qu'on veuille bien supposer l'imagination des plus grands génies de l'antiquité s'exerçant sur un pareil sujet, j'afQrme que jamais elle n'eût atteint la conception d'un caractère d'une telle sublimité dans lequel tant de raisons de mépriser l'homme n'ébranlent pas, n'efileurerit pas un instant l'amour tendre et profond de l'homme.

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Je redescends de ces hauteurs. J'étais loin de penser, en pre- nant la plume, que je serais conduit à y toucher. Que vous semble en ce moment de la vertu morale d'Âlceste, de son procès, de ses colères et de ses dépits d'amour?

Je me proposais seulement moi-même d'esquisser un caractère plus grave et plus élevé que le sien. Je bannirais, tout d'abord, l'hu- meur grondeuse, qui est un défaut insupportable, qui ne vaut qu'à l'état d'association bizarre et d'antithèse, comme chez le bourru bienfaisant. C'est une autre antithèse que j'ai en vue. Philanthrope,

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MISANTHROPE 37

misanthrope, ai-je écril. Je crains qu'aimer les hommes ne soit apprendre à les mépriser. L'expérience de la vie doit désabaser successivement de toutes ses illusions Tami des hommes et lui donner la tentation de les ha!r, à proportion de Tamour qu'il leur a porté.

Ariste, pour parler comme La Bruyère, est avec une nature expansive et bienveillante. Tout lui sourit et il sourit à tout. Il est si loyal qu'il a pleine confiance en la loyauté d'autrui. Dans les affaires qu'il traite, il accepte sans les vérifier les déclarations de la partie adverse. Il laisse chez lui, quand il sort, ses tiroirs ou- verts, et même la clef à son secrétaire. C'est son systènile, et ses gens sont trop sûrs pour qu'il craigne de s'en repentir. Il est riche et généreux. Sa bourse est toujours à la disposition d'un ami dans la gène, toujours prête à secourir les infortunes qu'on lui signale. A la campagne^ Arisle ne veut pas augmenter les prix de ses fer^ mages ; il permet à chacun de ramasser des fagots dans ses bois^ et son garde a ordre de fermer les yeux sur les délits. Il a bâti de ses deniers une école de petites filles, il entretient des sœurs; il a fondé un hospice; il a réparé et orné l'église du vil- lage. Il a dans son château une pharmacie approvisionnée, et il paie des honoraires annuels à un médecin pour que celui-ci soigne gratuitement les pauvre?. Arisle est heureux de faire du bien, heureux d*èlre aimé. Prenons garde, sera-l-il heureux, sera l-il aimé longtemps ?

Voici qu'il reçoit, h sa grande surprise, une assignation mena- çante d*un inconnu ; il a un procès, comnie Alcesle,et un mauvais procès; dans un acte qu'il avait passé, on lui avait fait de fausses déclarations, on avait caché une servitude ou une hypothèque. Il court chez son homme d'affaires^ qui vient de s'enfuir, après avoir abusé de sa confiance. Il rentre chez lui chagrin, s'avise de compter ce qui lui reste dans son secrétaire, et s'aperçoit, à n'en pas douter, qu'il a été volé. A court d'argent, il ose s'adresser timidement aux amis qui lui en doivent. Les amis ne répondent pas et cessent de le voir. Arisle a encore des ressources ; il met de son mieux ordre

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88 MISANTHROPE

à ses affaires; il congédie tout doucement et sans accuser personne les domestiques qu'il soupçonne. Il apprendra plus lard qu'il a gardé le vrai coupable. Il se réfugie à la campagne; là, du moins, il espère se consoler de ses disgrâces, au milieu d'une population qu'il s'est affectionnée. Il trouve ses bois dévastés, son gibier dé- truit par les collets et les panneaux, tandis que d'autres assigna<- tions pleuvent sur lui pour les prétendus dommages qu'ont causés les lapins de ses garennes, tandis que tous ses fournisseurs l'assiègent à la fois. Le bruit des pertes qu^il a éprouvées à Paris s'est répandu, grossi par la renommée et la malveillance, car il rencontre aussi la malveillance. Une cabale a été montée contre lui en son absence, en vue de je ne sais quelles élections prochaines. Le meneur est un ambitieux et un envieux, à qui Ariste a rendu autrefois degrandsservices.il considère maintenant Ariste comme un obstacle à briser, et il^n'y néglige rien. Il rédige le petit jour-^ nal de la ville voisine; chaque numéro contient une insinuation venimeuse, sinon une injure à l'adresse d'Arisle, dont tous les bienfaits sont représentés comme des moyens de corruption et d'asservissement.

Ariste reconnaît avec épouvante la vérité du mot de Descartes auque;! il ne voulait pas croire : la haine pour ceux qui vous ont fait du bien. Les bonnes sœurs de Técole et de la pharmacie sont elles-mêmes outragées, le médecin, qui craint de n'être plus payé, est entraîné par la cabale et se retourne contre Ariste...

Je m'arrête, je ne veux pas aller jusqu'à la tragédie. Ce serait trop facile. Qu'une révolution éclate, Ariste courra grand risque d'être fusillé sur les ruines de son château. Le petit journaliste sera devenu préfet. S'il est foncièrement méchant ou fanatique, il ordonnera lui-même l'exécution. S'il n'est qu'ambitieux, il déplorera ces excès et se lavera les mains. Mais encore une fois, je désire ne pas franchir le seuil de la tragédie. La situation telle qu'elle vient d'être décrite suffit au développement d'un carac- tère. C'est l'épreuve de celui d'Ariste.

Plusieurs chemins s'ouvrent devant lui. Lequel choisira-t-il ?

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Va*t-ily comme Alcesle, el cerles avec beaucoup plus de raisons, s'emporler en imprécations contre le genre humain, rudoyer, in- sulter un seul ami resté fidèle?

Ce serait petit. Ou bien, dans la profondeur de son chagrin, mé- prisant les hommes autant qu*il les a aimés, les méprisant assez pour ne pas leur dire ses mépris, sombre, amer, insociable, dé- sertant toute lutte, ira^t*il enfouir dans la solitude sa noire mé- lancolie, en écrivant l'histoire de ses déceptions ? Ce pourrait être trop excusable, trop naturel. Ce serait une véritable figure de misan- thrope. Elle ne manquerait pas d'une certaine grandeur, elle manquerait de grandeur d*âme.

Si l'âme d'Arisle est vraiment grande^ il souffrira, il saignera de ses blessures^ sans que la perte de son sang» répandu goutte à goutte, l'épuisé ni dessèche ce qui en reste. Ariste ne connaîtra cette tentation que pour réagir généreusement contre elle en la repoussant. Prenant en pilié les misères morales de Thumanité comme il avait pris en pitié les autres misères, il continuera de vouloir et de faire du bien aux hommes. Il les aimera d'un amour d'autant plus élevé qu'il n'attendra d'eux aucune réciprocité. H aura l'indulgence de sourire à l'ingratitude. La mère, malgré la vive douleur qu'elle éprouve, sourit aux morsures du pauvre enfant in- grat qui lui déchire le sein.

Ariste, dans la société chrétienne qui se modèle sur la victime du Calvaire, n'est point un caractère imaginaire. Aucun poète ne l'a célébré. Ariste existe, humble et caché, au fjnd de plus d'une ' cellule, d'une école ou d'une infirmerie. Tandis qu'Alceste s'exas- père et que Philinte se console des vices de l'humanité, tous deux avec autant de petitesse d'esprit Tun que l'autre, Ariste est là, dé-* sabusé, jamais aigri, pansant toutes les plaies, prodiguant obscure* ment des trésors de dévouement à des hommes qui Toutragent, qu'il semble avoir le droit de haïr, et qu'il ne cesse pas d'aimer.

ALFRED DE COCBCY.

LETTRES DE PAUL BAUDRY"

XII. A M. Gauja.

Rome, le 3 mars 1855, Mon cher Monsieur Gauja,

Voici enfin une lettre de votre jeune ami Paul Baudry, dont je ne ne vous dirai aucun mal, mais qui s'italianise terrible- ment et reçoit plus que personne Imfluence berceuse, noncha- lante et indolente du pays. Il vous donne assez rarement de ses nouvelles, parce qu'il a presque oublié le moyen de prendre une plume et Tart de s'en servir ; mais votre souvenir lui est toujours doux au cœur et profondément enraciné. Ne craignez donc rien de lui, il vous aime et vous aimera toujours.

Depuis votre dernière lettre, qui était une réponse à mon heureux calcul de commerce (peu réussi), j'ai passé mon temps à copier une immense fresque de Raphaël (c'est mon envoi obligé de cette année) ; et voyez comme j'ai le génie des utilités et des combinaisons quand je m'y mets : j'étais libre de choisir parmi les tableaux de Ronje un sujet de trois figures seule- ment ; ce travail appartient au gouvernement, qui a l'idée paternelle de nous donner une indemnité de 125 francs pour la toile et les pinceaux ; mais je calcule si heureusement, que j'ai pris une toile de 5 mètres, se trouvent 7 figures. J'ai passé l'hiver sur un échafaudage immense, à copier cette peinture dans un plafond, dans une salle froide et obscure

* Voir la livraison de juin 1886, pp. 414-432.

LETTRES DE PAUL BAUDRY 41

j'ai attrappé pas mal de rhumes et une très jolie grippe. Je ne parle pas des 400 francs que j'y ai dépensés et que je ne rattra- perai plus. Mais Raphaël me rendra, je l'espère, avec usure le prix de toutes ces peines. C'est une affaire entre lui et son fidèle serviteur. Le public n'aime pas asse2r Raphaël et ne con- naît pas assez ses admirables peintures pour m'en savoir gré. Dans les entretiens secrets que nous avons eus ensemble, il m'a appris le secret de sa grâce et de son style admirable ; mais j'ai eu si souvent froid sur ce grand diable d'échafaud, que Raphaël me trouvait souvent bien paresseux et bien engourdi. Ma pensée était quelquefois bien loin de mes yeux, qui semblaient le regarder, et elle errait souvent en Vendée, dans ses sentiers familiers et regrettés, et souvent aussi elle rôdait vers le passage Sainte-Marie, qui lui est complètement inconnu, mais elle sait qu'existent des amis qu'elle chérit.

Voilà toutes mes occupations de l'hiver, avec deux petits tableaux que je fais en vue de l'avenir: car j'ai suivi votre conseil et je suis devenu un terrible homme d'affaires. L'horizon s'éclaircit cependant de ce côté ; car, si je n'ai rien vendu, au moins, on a voulu tout m'acheter, jusqu'à ma copie, qu'un de mes originaux d'alliés avait la fantaisie de vouloir prendre, un petit tableau de 5 mètres!! J'ai tout refusé, royalement, par la bonne raison que la copie est à l'État, le tableau promis à M"® Ghampy, et que le plus petit n'était pas alors satisfaisant pour moi. De tout cela je n'ai pris qu'un portrait, que je tire (vieux style) d'après un référendaire de la Cour des Comptes. J'ai commencé mon référendaire hier.

M°i« Benoit m'a écrit, il y a quelques jours, pour m'apprendre son retour à Paris '^ je lui réponds aujourd'hui, sur son désir de voir mon envoi de l'année dernière, qu'elle ne connaît pas encore. Si, par hasard, vous aviez la même envie, je vous donne l'adresse de Guitton, qui le possède en ce moment :

Guiiton, sculpteur, rue de l'Ouest^ 36,

42 LETTRES DE PAUL BAUDRT

Gonnaissez-voùs M. et M«« Gheuvreux, de Paris, et M«« Guil- lemin^ leur fille? Je les vois très souvent à Rome. Je les aime beaucoup et ils me le rendent, je crois. G'est M"»« Gheuvreux qui voulait à toute force le tableau de M°>^Ghampy;je le lui al refusé trois fois, et elle a eu la gentillesse de m*en commander un autre, 1,200 à 1,500 francs. G'est une belle affaire 1 Elle veut un sujet qui puisse servir de pendant à ce tableau ; mais qui sait quand je le ferai maintenant! Mon dernier envoi, mon très sérieux travail, approche, et je n*ai presque plus. aucun moment.

Savez-vous qu'une princesse Galitzin, qui m*est complète- ment inconnue, ma recommandé de Saint-Pétersbourg deux dames de ses amies? N'êtes- vous pas satisfait de voir votre jeune Vendéen aussi répandu? Que dites-vous de cela? Mais croiriez-vous aussi que je deviens presque chauvin? Quand je rencontre des Gosaques chez ces dames, je leur montre quasi les dents.

Rien de bien nouveau à Rome, tout est antique, môme notre expédition. On parle cependant de diminuer énormément la garnison au printemps,

Vous me répondrez, n'est-ce pas, mon cher Monsieur Gauja, et vous me parlerez un peu de vous, de votre chère famille, de votre jeune Gaston, que je connaîtrai plus tard. Faites-moi aussi la grâee de présenter tous mes compliments affectueux à M™« Ghampy, et croyez, cher Monsieur, à toute la vivacité de mon affection pour vous.

J'ai envoyé et donné à Napoléon- Vendée le Jacob et VAnge. Je n'en ai encore aucune nouvelle.

XIII. Au même.

Rome, le 30 juin 1853.

Mon cher Monsieur Gauja,

J'ai eu grand tort de ne pas vous écrire plus tôt, car je ne sais maintenant cette lettre vous trouvera. Je la ferai très

LETTRES D6 PAUL BAUDRY 43

brève, car elle se perdra peut-ôlre, et puis vous savez, cher Monsieur^ que je suis en ce moment très préoccupé de mon dernier tableau, le dernier, celui qui me fera riche ou pauvre pendant quelques années. Ce n*est pas une petite affaire que de fixer d'une manière irrévocable ces mille fantômes qui m'encombrent la tête. Tout cela ne sort pas aussi bien équipé que la Minerve du cerveau de son père, et il faut y employer souvent le marteau de Yulcain.

Je laisse cela et vous en parle fort peu, car ce sont des faits qu'il faut maintenant. Je vous remercie, cher Monsieur, de m avoir donné des nouvelles de Gaston et de vous-même. Je souhaite bien, comme vous le pensez, et tous les jours, que vous ayez le bonheur dont vous êtes si digne.

Si cette lettre vous trouve, vous me répondrez, cher Monsieur Gauja, et vous me direz vous êtes et quelle ville vous habitez. Si c'était à Nantes, quel bonheur j'aurais à aller vous y retrouver et passer quelques jours avec vous 1

Vous savez que ces Athéniens de Nantais ont fait fi de Jacob, et que ce patriarche se dirige vers ma ville natale; je l'ai donné en garde à mes compatriotes et aussi en toute propriété. Je n*en ai pas encore de nouvelles.

M«« Champy a reçu son petit tableau et m'a fait écrire qu'elle en était contente. Peut-être étiez-vous à Paris et l'avez- vous vu? Je ti'ai pas voulu envoyer l'original, celui qui a été exposé au palais des Beaux-Arts, à la grande exposition. Je n'aime pas les expositions, et puis je suis trop jeune et pas assez appuyé pour espérer avoir une place convenable pour mettre ce tableau ; on me l'aurait mis dans les corniches, il aurait été complètement perdu : mais pazienza et coraggio, comme on dit ici. Il ne faut désespérer de rien.

J'ai fait aussi, puisque je vous fais mes éphémérides, les portraits (payés 500 francs) de deux jeunes gens de Paris, M. le baron Panvilliers, référendaire à la Cour des Comptes, dont vous avez peut-être connu le père ; il a épousé M"« Henzi,

44 LETTRES DE PAUI BAUDRY

fille d'un ancien consul de Naples, je crois. Et puis encore celui de M. le comte Foucher de Careil, qui est un charmant garçon et que je suis très heureux d'avoir connu.

Cela est venu bien à point, comme vous le pensez ; et le tailleur^ et le marchand de couleurs, ont dévoré avec délices les deux portraits à Thuile, qui ne les ont pas encore assouvis, malheureusement ; mais j'arriverai à les combler de bienfaits.

Écrivez-moi, cher Monsieur Gauja, et je me recommande à vous pour faire tous mes compliments très affectueux à votre chère famille et à M«« Ghampy. Je vous embrasse de cœur.

xrv. M. Ghaston G-anja.

Paris, le 21 jaUlet 1856.

Mon cher Gauja,

Il faut pardonner à un négligent de ma sorte ce retard et cette absence de toutes nouvelles. J'oserai même vous avouer que je n'en suis guère plus embarrassé vis-à-vis de vous, tellement je suis certain de vous donner mieux que cette lettre et celles qui suivront : la sincère affection que vous m'avez inspirée, l'estime que j'ai de votre esprit, sont choses durables et bien au-dessus de ces négligences épistolaires. Vous en aurez peut- être encore à me reprocher ; mais, songez-y, je viens de tirer pour vous la vérité du fond de son puits.

Après vous avoir quitté, blotti dans mon impériale, j'ai pensé longtemps à vous et> jusqu'à Paris, la fumée de vos petits ci- gares m'a aidé à bâtir mes projets d'avenir. Sur cette base lé- gère, j'ai établi deux ou trois combinaisons qui ont parfaite- ment réussi, et je suis déjà à la tête d'une décoration de salon pour un banquier de la chaussée d'Antin, et de quelques autres menus propos, des balivernes, que j'exécuterai d'ici le mois de janvier^ et en attendant cette Vestale, qui doit ou me tuer ou me faire vivre.

LETTRES DE PAUL BAUDRY 45

J'ai un commencement d'installation et un bel atelier, rue des Beaux- Arts, 8. Voici à peu près tout ce que j*ai à vous apprendre d'intéressant et de neuf sur mon compte. Mainte- nant, parlons de vous. et de votre chère famille. Je suis encore plein de bons souvenirs de mon passage et de mon court sé- jour àJNantes. Vous savez, mon cher ami, quelle aCTection j'ai pour voire père et comment je la lui ai exprimée, souvent ingénument, et quelquefois maladroitement, comme toutes les idées qui jaillissent du cœur. Votre excellent père ne m'en aime que plus, et j'ai été accueilli chez vous avec toute la grâce charmante et affectueuse que vous pouviez désirer pour votre ami. Quelques jours plus tard, j'ai reçu M. Gauja à Paris et, presque tous les matins, je passais une heure avec lui, l'heure de la barbe, des cigarettes et des bonnes causeries à bâtons rompus...

Mon retour à Paris a été, vous le savez déjà, attristé par la mort de cette bonne M"»» Champy * : elle a été si excellente, si délicate pour moi ! Il ne me restera d'elle que deux ou trois charmantes lettres qu'elle m'a adressées autrefois à Rome. Huit ou dix jours avant, j'avais fait quelques démarches pour arriver jusqu'à elle, mais elle était trop souffrante et ne re- cevait plus. Votre père est arrivé à Paris juste au moment de sa fin. La vente de sa galerie sera bientôt faite, je pense. Votre père m'a dit, ce qui m'a fait grand plaisir, qu'il avait rintention de prendre pour lui mon tableau de la Fortune, qui est une copie de celui que j'ai maintenant dans mon atelier.

Je pense bien souvent à la charmante famille du Beux *. C'est un de mes bons souvenirs que cette soirée passée à Aix,

1. La baronne Champy, fille de Monge, belle-mère de M. Benoit-Cham- py, mort président du tribunal civil de la Seine, dont le salon a été, pen- dant trente on quarante ans, traversé par toutes les illustrations scienti* fiques et artistiques de Paris.

2. M. du Beux était alors procureur général à Aix, et M. Gaston Gauja était attaché à son parquet*

46 LETTRES DE PAUL BAUDRY

à côté de vous^ sous les tilleuls (sont-ce des tilleuls ?) et la galerie des glaces. Oserai-je vous prier de me rappeler au sou- venir de M"» du Beux et de l'assurer de mes hommages res- pectueux? Quanta vous, cher ami, vous savez ce que je vous suis, un ami très afieclueux et que vous conserverez... s'il vous a plu.

Tout à vous de cœur.

Bonjour à Lacour *,

Je n'ai pas vu à..., X. Il était en Espagne ; mais Z., que je connais à peine, m'a reçu. Je dois dire que, dans cette courte entrevue, il a été parfait. Il m*a fait des offres de services... de plume, que j'ai acceptées, moitié riant, moitié sérieuse- ment, comme un £scobar que je suis : « L'amitié d'un feuille- ton est un présent des Dieux, »ai-je dit. 11 ma dit devoir venir à Paris avec toutes- ses plumes acérées. Si j'avais l'honneur d'avoir la bêtise de mon ami M. Sauzet, je dirais à serrer.

Adieu, c'est tout.

XV. ▲. M. Gauja.

Paris^ le 19 octobre 1856.

Mon cher Monsieur Gauja^

Je viens d'être frappé bien tristement par la mort de ce pauvre et excellent M. Sartoris. Vous savez quelle profonde affection nous avions l'un pour l'autre, et comment il m'avait enseigné, élevé et aimé.

Vous me connaissez assez pour savoir ce que j'éprouve. Ma première pensée, au milieu de mon profond chagrin, a été de venir en aide à ses enfants, autant que je le puis dans mes faibles efforts. Abel Sartoris, son fils aîné, demande depuis longtemps à entrer dans l'administration des postes. Pourriez- vous, cher Monsieur Gauja, l'y faire entrer comme surnumé-

1. Un VeDdéen, professeur à l'École des Arts pt Métiers d'Aix.

LETTRES PAUL BAUDRY 47

raire ? C'est le but infructueux des efforts de son père depuis six mois. Si vous réussissiez, je croirais avoir fait quelque chose pour sa chère mémoire. Si cela offre ft*op de difficultés, cherchez autour de vous. Vous pouvez penser avec quelle recon- naissance une position quelconque, quelque petite quelle soit, sera acceptée. J'étais, l'autre soir, sur le boulevard, avec Gaston et M. Renard, et je parlais de M. Sartoris, au moment même la mort me l'enlevait.

Je pense avec une amère tristesse à tous les malheurs dont ma vie est déjà remplie, et je suis sans force contre ceux-là. Le jour le pauvre M. Sartows mourait, l'ordre d'acquisition de mon tableau était signé par le ministre d'État. Voilà les coups de la Fortune : elle me frappe cruellement et me tend la main !

Adieu, cher Monsieur Gauja, pensez à moi ; vous pouvez atténuer, pardon: je suis un égoïste de vous faire entrer ainsi dans mes chagrins.

XVI. -^ Au même.

Mercredi, juillet 1858.

Mon cher Monsieur Gauja,

Je me trouve momentanément embarrassé dans mes petites affaires...

Je travaille beaucoup : je peins d'abord 14 tableaux pour le salon du Ministre, puis je fais les portraits de M"«« de Labé- doyère et de Brigode.

J'ai terminé ma Madeleine et j'ai l'intention de faire deux autres tableaux pour l'exposition prochaine.

Tout cela me laisse fort peu de loisir et m'éveille souvent à quatre heures du matin. J'espère, grâce à cette belle assiduité, pouvoir prendre quatre ou cinq jours en septembre et aller vous serrer la main.

48 LETTEIES DE PAUL BAUDRY

La Madeleine plaît à M. de Morny ; mais nous ne nous sommes pas encore entendus sur la question del denaro.

Je vous remercie* d'avoir laissé exposer la petite Fortune: ç*a été pour moi une heureuse satisfaction d*amour-propre de peintre, et, ce qui vaut mieux, une bonne occasion d'apprendre aux Nantais que vous m'avez ouvert la carrière je courrai le mieux que je pourrai.

Ne viendrez-vous pas, un de ces jours, à Paris ? J'aurais bien du plaisir à vous voir!

Adieu, cher Monsieur Gauja, je vous embrasse de cœur.

xvn. Au môme.

Paris, 3 juillet 186! .

Cher ami.

Je suis nommé chevalier de la Légion d'honneur. J'ai voulu vous l'annoncer le premier. J'ai eu un grand succès, cette année, mais le tableau de Charlotte Corday ne me sera pas acheté par l'Etat. Waleski s'y est refusé, à cause du sujet (où diable va-t-on fourrer la politique?) J'enverrai donc ce tableau à l'exposition de Nantes, et puis après, en Angleterre, ou en Russie, ou à Anvers, on me l'a demandé.

Les départements de l'Ouest devraient me Tacheter par sous- cription. Lancez donc cette idée à Nantes; cela deviendra ce que cela pourra.

J'ai eu de la gloire, mais pas un sou, et si on me donnait une vingtaine de mille francs de ce tableau, qu'un marchand vendrait quarante, je serais bien content.

J'irai vous voir bientôt à Nantes; j'attends l'accouchement de ma sœur aînée. Je serai parrain encore une fois. Gela de- vient mon titre perpétuel dans la famille.

Je vous embrasse de cœur.

LETTRES DE PAUL BAUDRT 49

Veuillez me rappeler au bon souvenir de M"* Gauja et de vos enfants.

La princesse Mathilde me donne une petite croix princière. Je vais ce soir à Saint-Gratien.

r

XVni. A Mme Gauja.

Paris, 1861.

Chère Madame,

Je suis bien heureux d'avoir de vos nouvelles et je vous re- mercie d'avoir pris la peine de m'en donner vous-même.

Je suis bien touché de la bienveillance que les Nantais montrent pour mes ouvrages, et j'en, jouis doublement, en vous reportant, à vous et à M. Gauja, tous les témoignages que j'en reçois.

Je suis, depuis mon retour, très occupé à la décoration Gai- liera dont je vous ai parlé, et d'ici le mois de janvier je ne prévois pas un moment de loisir.

Si la Yille de Nantes achetait pour son musée la Charlotte eit si le roi des Belges ou quelque amateur de ce pays relevaient mes affaires qui sont, comme le sait M. Gauja mieux que per- sonne, toujours assez médiocres, j'aurais à cette époque un moment de repos. Avant le voyage d'Italie et d'Afrique, que je ferais dans ce cas la même année, ce serait le seul moyen, puisque vous m'en demandez un, d'aller passer quelques se- maines près de vous et pendant lesquelles je pourrais faire ce portrait mystérieux dont vous ne me nommez pas l'original, et que je ferais d'autant plus volontiers que je le suppose nan- tais et une des illustrations nantaises. J'aurais une bonne occasion de remercier la Ville d'avoir aidé à ma fortune, à la fortune d'un peintre qu'elle peut dire des siens, puisque vous y êtes. Voilà le moyen, chère Madame ; je prie la Providence et

TOME LX (X DE LA SERIE). 4

"*::;^*^

50 LETTRES DE PAUL BAUDRY

M. le Maire, ou plutôt que la Providence l'inspire à M. le Maire ; et c'est bien irrévérencieux, et j'ai peur qu'elle m'en punisse en le faisant pas réussir.

Ce à quoi elle ne changera rien« parce que c'est son décret, c'est l'affection profonde et constante que j'ai toujours pour vous, chère Madame, et pour mon bon ami M. Gauja.

Veuillez me rappeler aux bons souvenirs de vos enfants et de M. et M™« Deshorties.

XIX. M. Qaisja.

Paris, 87 mai 1867.

Cher Monsieur Gauja,

J'ai été appelé en Vendée par un triste événement de fa- mille : j'ai perdu mon pauvre père le 15 mai.

Je reviens à Paris ce matin. J'ai tâché de consoler les autres, ayant moi-même au fond du cœur un mortel chagrin.

J'ai vu M. Merland, qui m'a parlé de vous. II vous conserve un affectueux souvenir, ainsi que tous ceux qui vous ont connu et qui vous aiment.

Veuillez présenter à M™*» Gauja mes bien respectueux hom- mages, et croire à mes sentiments de sincère affection.

XX« ÂM même.

Paris, 6 mai 1869.

Cher Monsieur Gauja,

Je viens d'être frappé d'un deuil cruel : ma pauvre mère est morte le l®r niai. Je sais l'affectueux intérêt que vous avez toujours eu pour nous et la part que vous prendrez à notre douleur.

Je n'ai pu voir M. et M»»® Deshorties pendant leur dernier séjour à Paris. Je n'ai pas osé m'arrèter aux Rosiers dans une

LETTRES Dfi PAUL BAUDKY Si

aussi triste circonstance. Je suis de retour à Paris ce matin^ et je vais essayer de demander au travail^ non Toubli, mais un allégement à mon chagrin.

Je me recommande aux bons souvenirs de Mme Gauja, de vos enfants^ et vous embrasse de cœur.

XXI. Au xaéme.

Paris, samedi 14 août 1869. Cher Monsieur Gauja,

Je suis arrivé, l'autre matin, chez vous, vingt minutes après votre départ. Je suis désolé de cette série de contre-temps» J'aurais désiré si vivement vous voir!

Je vous envoie aujourd'hui une nouvelle qui m'eût fait autrefois un grand plaisir, quand mon père vivait : j'ai reçu hier la croix d'officier. Vous êtes, M. Merland et vous, les deux amis de mon enfance que cela peut intéresser maintenant.

Je sais toujours attelé à mon Opéra; la besogne s'accroît, à mesure que j'avance. Après les tableaux des voussures, ce sont maintenant les plafonds que je vais peindre, et cela sans aucune certitude de rémunération en espèces sonnantes ; il n'y a aucuns fonds votés et il est difficile de demander quelque chose de ce genre pour TOpéra, qui n'est pas précisément en faveur.

Soyez assez bon pour me donner de vos nouvelles, de vous et de votre chère famille.

Mes amitiés à Gaston, dans votre première lettre.

Je vous embrasse,

Votre Paul Baudrt«

'Tf»-<

5J LETTRES DB PAUL BAUDRY

XXII. Au même.

Rome, 27 mai 1870.

Cher Monsieur Gauja, Vous aurez su avant ma lettre ma nomination à l'Institut ; mais je viens néanmoins vous annoncer moi-même la nouvelle. Je ne me suis pas présenté ; j'étais ici, non prévenu de Tépoque fixée pour Téleclion, lorsque j'ai reçu un télégramme qui m'apprenait ma candidature d'office. J'ai accepté, et me voilà dans la noble compagnie, sans avoir fait ni demande, ni dé- marches, ni visites.

Je suis venu à Rome pour retrouver la chère solitude néces- saire à mes travaux. J'ai été déçu dans mes espérances. J'y mène une vie agitée, inquiète; la présence inattendue d'un de mes amis malade, gravement malade, renverse tous mes pro- jets. Je l'accompagne partout. Nous allons aller à Venise qu'il veut à toute force revoir, malgré l'avis des médecins. Je vais à la grâce de Dieu.

Vous aurez peut-être su que mon jeune frère a eu. Tannée dernière, le plus éclatant succès pour un projet d'hôtel de ville- à Vienne (en Autriche). S'il n'avait été Français, il emportait d'emblée la construction de l'édifice (une dépense de 20 à 30 millions). II vient d'obtenir la première des récompenses décernées à l'architecture au salon de 1870, pour un nouveau travail, une restauration d'ensemble du forum romain.

J'espère qu^on le fera chevalier au mois d'août. Il l'aura parfaitement mérité.

Soyez assez bon, cher Monsieur Gauja, pour m'envoyer un mot de vos nouvelles. Vous savez combien je vous suis fidèle. Je pense quelquefois, dans mes jours de vanité, à la réception si noble et si digne de vous que vous fites au petit Baudry et à sa mère lorsque j'allai vous exposer mon plan de cam-

LETTRES DE PAUL BAUBRY t3

pagne. C'est, aujourd'hui, le membre de l'Institut qui remercie encore Monsieur le Préfet et mon cher ami M. Gauja.

Je vous embrasse de cosur, et me recommande aux bons souvenirs de tous les vôtres.

XXIII. Au même.

Paris, mardi, octobre 1872. Cher Monsieur Gauja,

J'ai eu, ce matin seulement, la certitude de la perte doulou- reuse que vous venez de faire.

Vous avez penser, et il est bien inutile que je vous le dise, à la profonde douleur qu'elle m'a causée. Votre chère femme était, avec vous, ma plus chère et une de mes pre mières affections. J'avais eu l'intention, cet été, d'aller en Vendée vous voir, ainsi que mon pauvre ami de Rochebrune, qui vient aussi d'être cruellement frappé ' !

J'hésite maintenant à faire ce voyage, que je lui avais pro mis : je suis si triste, si abattu sous le poids de toutes ces afflic- tions, ajouté à toutes les douleurs que nous subissons depuis deux ans, que je me sens bien impuissant à alléger les cha- grins de mes plus chers amis.

Je vous embrasse, cher Monsieur Gauja, dans toute la tris- tesse de mon cœur, et vous prie de penser quelquefois à la bien profonde affection que je vous ai vouée.

Mes souvenirs à M™» Deshorlies et à Gaston.

XXIV. A M. Emile arixaaud.

Paris, le 20 octobre 1874.

Mon cher Grimaud,

Je regrette beaucoup votre absence (pour moi) ; car le motif est la bonne fortune de Dieu, dont je vous félicite.

1. Par la mort de M"' de Rocbebrune, née du Fougeroux.

b L.

54 UTTBBS m PAUL BAUDRT

Je regretle de ne vous avoir pas rencontré, cette année, chez Rocbebnine.

J'avais l'intention d'aller le revoir quelques jours, et les soins que j'ai donner à ma petite maison de la Roche, que j'ai meublée pour mes séjours en Vendée, m*en ont empêché.

Maintenant j'ai venir rapidement à Paris, pour surveiller mes peintures que l'on cloue au plafond de l'Opéra. Je crois qu'elles auront un bon maintien devant les milliers de becs de gaz qui leur sont destinés ; mais cela durera pas longtemps !

Je serai charmé que vous fassiez connaître à nos compa- triotes ma petite notice sur Schnetz, et je ne puis qu'être flatté que vous veuilliez bien la réimprimer dans votre Bévue ^, ainsi que vos impressions sur mes toiles de TOpéra. Vous en trou- verez la description la plus exacte :

Dans le Catalogue d*£dmond About, qui était ven,du au public pendant l'exposition ' ;

Puis dans le Correspondant, dans un article de M. Arthur Duparc ;

Puis encore dans la Gazette des Beaux-Arts, dans les articles de M. René Menant. (Il y en a cinq, je crois.) Après eux, Charles Blanc y a consacré un travail très bien fait, mais peut- être un peu didactique et esthétique.

Le reste, dans la presse, sont des impressions multicolores, il n'y a rien à pécher, sauf quelques exceptions : celui-ci voit le réalisme ; celui-là le catholicisme ; les autres, leurs co- teries variées. C'est le miroir à facettes qu'on nomme l'opinion pubhque, mais qui ne réfléchit rien de durable et de vrai.

Veuillez agréer, cher ami Grimaud, mes cordiales amitiés.

Paul Baudrt,

Hôtel da LouTre.

t . C'est dans la liyraison de janvier 1875 que nons avons reproduit la Soiiee sur la vie et les cntvres de Schnets, auquel Paul Bandry avait sac- cédé comme membre de TlnsUtut, notice qull avait lue à rAcadémie des Beaux-Arts, dans la séance du 22 août précédent.

2. A l'Ecole des Beaux-Arts.

LETTRES DE PAUL BAUDRY 55

Si VOUS avez le temps de m*écrire ou si vous voulez bien m'envoyer un numéro de votre Revue, adressez toujours Nou- vel Opéra, Agence des travaux.

XXV. -- A Mme Deshorties.

Décembre 1875.

Chère Madame Deshorties,

Ne lisant jamais les journaux, je n'ai su que bien tard la perte cruelle que nous avions faite ^.•.

About, à qui Gaston avait écrit, ne me Ta apprise que le jour même j'ai écrit à Gaston un mot, qu'il n'aura peut-être pas reçu, car l'adresse était imparfaite. Je tiens à vous redire encore combien je sens vivement la dure séparation, et com- bien je prends une vive part à votre douleur ! Je ne sais cette lettre vous retrouvera, mais je désire que vous ne dou- tiez jamais des sentiments que j'ai pour votre chère famille.

Agréez, chère Madame Deshorties, l'expression de mes sen- timents de respect.

Paul Baudry. i. En la peraonne de M. Gauja.

L'ÉGLISE DE TRÉGUIER'

Notre diocèse possédait^ avant 1789, un grand nombre de cou*- vents, tant d'hommes que de femmes, qui répandaient autour d'eux l'exercice de la bienfaisance^, du soin des malades, de l'instruction populaire. Citons seulement :

COUVENTS d'hommes.

Les Dominicains de Horlaix, (1235) établis 14 ans après la mort du saint fondateur de l'ordre. Cette résidence fut illus- trée par Yves Bégaignon, devenu évêque de Tréguier en 1362 et cardinal en 1371 ; par Hugues Lestoquer, évêque de Tréguier en 1403 ; par le P. Albert Le Grand, dit aussi Albert de Horlaix, mort en 1640.

Les Dominicains de Guingamp, dont le premier couvent dans celte ville fut fondé en 1284, sur l'emplacement de Hontbareil, occupé aujourd'hui par les Filles de la Croix. Alain de Bruc, évê- que de Tréguier, officia, au nom du pape Martin V, le jour de la prise de possession du monastère par les religieux. En 1636, les Dominicains, appelés aussi Jacobins, furent transférés à Sainte- Anne de Guingamp.

Les Augustins de Lannion (1394) fournirent plusieurs de leurs sujets à révêché de Tréguier. De ce nombre furent Christophe de Hauterive (1408-1417) et Mathias du Cozker (1417-1422) appelé par quelques-uns Mathieu Rocdere.

Les cordeliers de Tréguier et de Morlaix, venus des Sept-lles en

' Voir la livraisen de join 1886, pp. 405-413.

>

l'église db tréguier 57

i4S3, sur rappel de François II, dernier duc de Bretagne. Le cou- vent de Tréguier fut établi à Plouguiel, près la passerelle Saint- François, au bord du Guindy, sur un terrain donné par Jean de Bizien, sieur de Kérousy.

Les Cordeliers de Guingamp furent fondés longtemps aupara- vaut, le i octobre 1283, 57 ans seulement après la mort du sera* phique Patriarche d'Assise, par Guy de Bretagne et Jeanne d'Âvau<^ gour, sa femme. Leur premier établissement se trouvait à l'en- droit appelé aujourd'hui « Terre Sainte » . Plus tard, en 1591, à la suite du sac et de Tincendie de leur maison pendant les trou- bles de la Ligue, les pauvres QIs de saint François allèrent deman- der asile à René Chomard, gouverneur de N.-D. de Grâces, qui se démit en leur faveur de sa chapellenie. Les nouveaux religieux bénéficièrent dans la suite des libéralités de la duchesse de Har- tigues et de Marie de Beaucaire, sa fille, du seigneur de Kerduel, et enfin du duc d'Aiguillon, gouverneur de Bretagne, célèbre par la légende du moulin de Sainl-Gast (1758) et par ses différends avec le procureur général de la Chalotais. La chapelle de N.-D. de Grâces, que nous admirons encore, est antérieure à l'arrivée des Franciscains. Elle fut bâlie de 1507 à 1509 par ordre de la bonne duchesseAnne. Ce sanctuaire, de style ogival, bien décrit par H. Gaultier du MoUay, est aujourd'hui une église paroissiale, et con- serve les restes de Charles de Chàtillon, dit de Blois, l'illustre pè- lerin de Saint-Yves, tué à la bataille d Auray, le 29 septembre 1364. Le tombeau de ce prétendant au duché de Bretagne et à Thonneur delà canonisation n'existe plus. Il fut élevé, le premier août 1752, par un des descendants du héros breton Alexis-Hagdelaine Rosa- lie, duc de Chàtillon, alors lieutenant général du roi Louis XV dans la haute et basse Bretagne. Les « patriotes > de la Révolution ont détruit ce précieux monument ; et, en 1874, les reliques de Charles de Blois ont été posées dans une nouvelle châsse de bois sculpté donnée par Msi* David, évë que de Saint-Brieuc et Tréguier.

Guingamp eut aussi, en 1615, des Franciscains réformés nonH> mes Capucins. Ils habitaient la vieille maison et les dépendances

î

58 l'égùsc db TRÉomim

actaellds de rinstilolion Notre-Dame. La fondation fut conKeatie le 23 juin 1615, par Guillaume de Goatrieux. C'est aussi à cette époque, sous l'épiscopat de Guy Champion, que les Capucins s'éta- blirent à Lannion, dans le beau local occupé aujourd'hui par le collège et la prison.

Outre ces couvents, il faut rappeler Texistence, dans notre dio- ^cèse, de nombreux prieurés de moines. Ainsi, de 1047 à 1049, dans un acte non daté, Eudes, tuteur du jeune Conan II, duc de Bretagne, signe comme témoin une charte par laquelle sa sœur Adèle, première abbesse de Saint*Georges de Renues (103â-i06^), institue un prévôt à Pleubihan. L'endroit do celte fondation est encore désigné aujourd'hui dans le cadastre et par tout le peuple c le prieuré » et la tradition constante et unanime appelle les premiers pasteurs de la paroisse « les moines de Saint-Georges. » De aussi sans doute l'origine d'une foire trëi ancienne établie dans le bourg sous le nom de « foire Saint- Geor<;es » . Avant la manie prise après le Révolution de donner aux paroisses ayant la lettre P pour initiale saint Pierre pour patron obligé, saint Georges était bien le palron de Pleubihan, en souvenir des moines préposés par Tabbaye de Saint-Georges de Rennes au service pa- roissial. Ces prêtres, comme les religieuses de Saint- Georges, de Rennes, devaient suivre la règle de saint Benoît*

COUVENTS DE FEMMES.

Les couvents de femmes furent encore plus nombreux dans le diocèse de Trégoier, quoique fondés plus tard. Citons :

Les Religieuses Hospitalières de Tréguier, venues de Quimper, s'établirent, en septembre 1654, à Tréguier, sous Tépisopat fécond de }lsr Balthazar Grangier. Elles eurent pour fondateurs le sei- gneur de Kergomanton et sa femme, et pour premiers bienfai- teurs insignes les sieurs Cludon de Tlsle, de Leslec'h, de Kerébo et le chanoine Thépaut duQluroelin. _ Les Religieuses Hospitalières de Lanoion vinrent aussi de Quim-

X'itGLISE DE TRÉGUIER 59

per^ eo 1667, au nombre de cinq. La première supérieure était parente de Messire Josep-hCorentin de Kerméno, seigneur de Pli'- vern^ prêtre du diocèse de Léon, premier supérieur et fondateur du couvent Sainte-Anne, il vécut près de 45 ans et mourut en odeur de sainteté^ le 18 avril 1716, à Tâge de 72 ans.

Les Religieuses Hospitalières de Guingamp. iilv Grangier envoya dans celte ville, le 14 août 1676, quatre religieuses augus- tinés de Tréguier pour fonder une nouvelle maison de charité, dont le terrain fut donné par le duc de Vendôme.

Les Ursulines vinrent de Dinan à Tréguier, le 20 janvier 1635, .sous répiscopet de Msr Guy Champion de Cicé, et s'établirent dans un couvent doté par Hathurin Lhostis, chanoine de Tréguier, le seigneur du Rumain et Michel Thépaut du Rumelin, que l'on ren- contre à la tête de toutes les bonnes œuvres. La maison de Tréguier établit bientôt des fondations à Morlaix ; à Guingamp (4 août 1654) leur maison, chapelle et dépendances, données par Pierre Le Bricquier, un des vicaires, servent actuellement de caserne, de grenier à foin et de parc à la remonte de cavalerie ; el à Lannion (1660), mourut la première supérieure de Tré- guier, venue de Dinan, l'infatigable mère Louise Gays. Partout ici nous trouvons la main bienfaitrice et intelligente de Balthazar Grangier, un des saints évêques de Tréguier.

Les Religieuses de la Charité du Refuge occupèrent é Guingamp, en 1676, l'ancien couvent des Jacobine, dit Hontbareil, sont aujourd'hui les Filles la Croix.

Les Calvairiennes vinrent à Morlaix en 1625, sous l'épiscopatde Guy Champion de Cicé.

Les Filles de la Croix. Mk^ Grangier appela de Saint-Flour en Auvergne les Filles de la Croix, qui arrivèrent à Tréguier Je 29 mars 1667. Quelques membres du chapitre et quelques seigneurs de la contrée se cotisèrent pour acquérir un terrain et bâtir une maison aux nouvelles religieuses. La chapelle de cet établissement fut construite plus tard et bénite le 3 mai 1700, fêle de l'exaltation de la sainte Croix, par Olivier Jégou de Kerlivio^ évêque du dio- cèse.

60 L'ÉGLISB DB TRÉGUiER

Les Paulines ou Filles de Sainl-Paul furent établies à Tréguter en 1679 par H»* de Lézerdrot, sous Tépiscopat de }h^ de Ba- glion de Saillant, mais ce fut Mf' Olivier Jégou de Kerlivio quiap- prouva leurs constitutions, statuts et règlements, le 23 juin 1727. Sous l'administration de ce dernier évëque, trop favorable au parti janséniste, les Paulines fondèrent des maisons d*éducation à Pontrieux et à Pédernec.

Les Carmélites. La ville de Guingamp donna, le 22 juin 1625, une maison et la chapelle Saint-Yves, alors situées dans la rue actuelle de ce nom, aux Carmélites de la réforme de sainte Thé* rèse. Daifs cette chapelle furent enfermés, pendant la Terreur, les prêtres réfractaires destinés aux pontons ou à Téchafaud de la Révolution.

SÉHIEIAIRES

Parmi les établissements religieux et charitables de notre ancien diocèse, mentionnons encore le grand séminaire, qui eut Finsigne honneur d'être fondé par saint Vincent de Paul. C'était en 1654, sous l'épiscopat de Ms' Grangier.Un chanoine, H. Thépaut du Ru- melin, et sa sœur, H^e de Trézel, avaient donné le terrain nécessaire pour bâtir. Les constructions de l'ancien séminaire sont de 165^, 1658 et 1734. La chapelle date de 1685 et renferme, sous une simple pierre tombale confondue avec le pavé, près de la porte d*entrée destinée au public^ les restes de ses nobles bienfaiteurs. La congrégation de Saint-Lazare adirigé le grand séminairedeTré- guier jusqu'en 1791. Les bâtiments et dépendances de l'ancien séminaire sont dignement occupés aujourd'hui par la direction du petit séminaire de Tréguier. A côté du grand séminaire, nous avions encore, dans la ville épiscopale, avant la Révolution, une école d'instruction secondaire, sorte de collège ecclésiastique ou de petit séminaire, qui inscrit avec gloire notre Le Gonidec parmi ses meilleurs élèves. Les anciens évêques comtes de Tréguier, pour favoriser le développement* des études, se prêtaient volontiers à

l'églisb de tréguibr 61

présider en personne les exercices publics, dont plusieurs program- mes exislentencore. Celte maison sert actuellement d*écoIe primaire et de pensionnai, sous la direction des Frères de l'Instruction chré- tienne dits de Lamennais.

PAROISSES

Nous n'avons ni la compétence, ni le loisir, ni les documents nécessaires pour donner dans cet article peine ébauché) une notice même succincte sur Turigine des paroisses, leurs églises, leurs patrons cl leurs seigneurs temporels. C'est une étude très in- téressante à faire, et qui appartient de droit à ceux que la provi- dence a pliicés dans chaque localité. A cet égard, le diocèse de Rennes est plus favorisé. H. de la Borderie a public les (c Origines paroissiaks », et H. Tabbé Guillotin de Corson vient d'achever le « Fouillé historique de Parchevéché de Rennes. » La Société archéolo- giiiue et historique des Côtes-du-Nord, dans sa séance du 9 décembre 1885, annonce de savantes recherches sur le c Fouillé historique de Saint" Brieuc. > Nous espérons bien que fauteur comprendra dans son œuvre le diocèse annexé de Tréguier. La Société d'Emulation des Côtes-duNord entreprend la publication des « Trésors archéo- logiques de PArmorique occidentale », dont plusieurs pièces inté- ressent la région trécorroise. Un érudit, H. J. Gaultier du Hottay a beaucoup travaillé cette partie des. études bretonnes, et « son Ré- pertoire archéologique des Côtes du -Nord > est un inventaire com- plet, par cantons cl par paroisses, de nos richesses et de nos gloires nationales; c'est un bulletin monumental de Part celtique et chrétien dans le diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier ; et si nos vieilles églises tendent à disparaître, elles survivront toujours, comme nos menhirs et nos dolmens, aux yeux de la postérité, dans le savant recueil du regretté H. Joachim Gaultier du Hotlay. H. René Kerviler a fait revivre dans son bel ouvrage « la Bretagne à P Académie » les illustrations les plus pures de notre province, et prépare en ce moment, dans son < Essai de Bio^BiUiographie

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63 l'église de treguier

bretonne », la résurrection de beaucoup de vieux noms oubliés, titres de noblesse pour ceux qui ont l'honneur de les porter encore.

ÉVÊQUES

Plusieurs auteurs, après les doctes Bénédictins bretons du X\lh siècle, DD. Lobineau, Denys Briant, Haur Audren, Morice et Tail- landier, ont entrepris de dresser le catalogue historique des évèques de Tréguier, et on peut consulter avec fruit et intérêt ces compila- tions spéciales, reproduites par M. Tresvaux dans son ouvrage inti- tulé « V Eglise de Bretagne, » Six évèques élus de Tréguier eurent l'honneur d'être promus au cardinalat : Yves Bégaignon (1371);*— Hugues de Goatrédrez (1465), qui ne siégea point;— Raphaël, dit le cardinal de Saint- Georges (1480) ;— Robert Guibé (1513), inhumé à Saint-Yves des Bretons à Rome ; Louis de Bourbon (1531) ;— Hippolyle d'Est, dit le cardinal de Ferrare (1543).

Rappelons seulement pour mémoire Etienne, qui ratifia la fonda- tion faite en 1235 aux Dominicains de Morlaix ; Alain de Bruc, qui rappela saint Yves dans son diocèse, le nomma son officiai et lui donna la cure de Trédrez ;GeuffroiTouraemine, qui désigna saintYves à la cure de Louannec et vit mourir le saint à Kermartin. Yves de Boisboêssel introduisit la cause de la canonisation de saint Yves en 1330, etsous Richard du Poirier, auquel appartient Thonneurdela construction de la cathédrale actuelle, cette canonisation futsolen«- nellement proclamée,, le 19 mai 1347, par Clément VI, pape d'Avignon. Robert Painel et Yves Bégaignon reçurent Charles de Blois en pèlerinage au tombeau du saint prêtre. En 1420, Mathieu, Rocdere ou du Cozker reçut la fondation de Jean V; et, en 1451 Jean de Plouec fit transférer à Tréguier le corps du bon duc, en- terré à Nantes depuis 1442. Ce prince avait fait ériger dans la ca- thédrale de Tréguier, de 1420 à 1428, sous la direction de « Maistre Jacques de Hongrie, scolastiquede Tréguier », un monument digne de la Bretagne et de son grand saint Yves. Les dépenses de Jean V

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LEGU8B DE TBEGinER 63

pour ce tombeau, dit H. de la Borderie, représenleni, d*après les calculs les plus modérés, plus de 160,000 francs d'aujourd'hui. Eu 1444, Mathieu du Cozker avait établi la psallette de Tréguier, ap- prouvée par une bulle du pape Nicolas V, en 1449, et par son suc* cesseur, Calixte III, en 1456. Pierre Prédou ou Piédru bâtit, en 1430, le manoir épiscopal de Keroffret à Tréguier^ détruit en 1594 sous la Ligue et Tèpiscopat de Guillaume du Halegoét, et rebâti en 1608 par Adrien d'Amboise. Tréguier, pour être fidèle à la cause d'Henri IV, fut saccagé en 1589, 1590 et 1591 par les Ligueurs bretons et, en 1592, par les Espagnols conduits par le duc de Hercœur. Le trésor de la cathédrale fut pillé, le tombeau de saint Yves dépouillé de ses ornements d'or et d'argent, et l'évêque obligé de chercher un re- fuge dans sa terre de Kergresk, en Plougrescant, il mourut !e 29 octobre 1602. Raoul Rofland, Antoine du Orignaux et Guillaume du Ilalegoêt, se firent remarquer par leur dévotion à saint Gonéri et leurs ordonnances re alives à son culte. Les statuts synodaux de l'évêque Rolland forment un recueil précieux connu sous le nom de c Raouiin n.Guingamp est redevable à l'évêque du Halegoét du ' beau porche Notre-Dame, appelé aussi porche du Halegoét. Jean de Goétquis posa la première pierre du Cloître (1461), terminé sous Ghislophe du Ghâtel en 1479. En 1484, fut bâtie la tour de Saint- Michel, une des églises de la ville épiscopale.

Après le traité d'union (1532), nos évêques furent attirés à la cour de France^ et le siège de Tréguier ne fut plus considéré que comme un marchepied pour parvenir à un poste plus important. Les revenusdel'évèque n'étaient pas des plus considérables (40.000 livres de rente), mais le chapitre possédait de grands biens et de nombreux droits féodaux de péage, de four, de pèche, de chasse, etc. Notons en passant que ce sont les saints évêques qui meurent à Tréguier en refusant les faveurs du monarque. Nous avons vu Guy Champion de Cicé établir dans son diocèse bon nombre de familles religieuses. Ce prélat autorisa le P.Albert Le Grand à rechercher dans les archives de l'Ëvèché et des paroisses du diocèse les élé- ments nécessaires pour composer la Vie des Saints de. Bretagne... A

64 l'église de tréguier

Plougrescant et à Tréguier, le pieux Dominicain trouva les anciens légendaires de saint Gonéri conservé^ à Paris ( n<>* 1148, fol. 60^ et 22.321, fol. 745 de la Bibliothèque nationale). Les Bollandistes, pour avoir ignoré Texistence de ces offices, frustra legendam lalinam exêpectârunt majores nostri, frustra ego ipsam sperem hodie, accu- sent le ?• Albert de les avoir fabriqués dans son imagination : Quanwis autem sancti gesta et œtas penitus ignorenturj nihilo ta- men minus more suo legendam ipsiad IV aprilis aptavil Albert us Le Grand de Monte relaxo, collectam asserens ex veteribus Legen- dariis mss. ecclesiœ cathedralis trecorensis... atque ex vetusto Le- gendario mss» quod exsiat in ecclesia parochiali de Plougres- cant, (AA. SS., t. IV., jul, p. 422). Sous Tépisçopa! de Guy Champion advint en partie la perte du trésor de la cathédrale, causée par Tincendie de la sacristie, dans la nuit du 6 septembre 1632. Ua inventaire, dressé en 1626, fait mention de nombreuses pièces d'ar- genterie, de tapisseries, de livres et d^ornements données par les évëques de Tréguier et portant les armoiries de Jean de Plouee et de Goêtquis, de Christophe du Châtel, de Jean Calloet, d'Antoine du Grignaux, d^Adrien d'Amboise, le plus généreux des donateurs. Noël Deslandes, dominicain^ qui a laissé une grande réputation d'élo- quence et de saintelé, prononça, n'étant que simple religieux, Té- loge funèbre de Henri IV à Sainl-Merry (1610); et, comme visiteur du couvent de Morlaix, donna l'ordre au P. Le Grand de publier les Vies des Saints^e Bretagne, ouvrage qui parut sous son épiscopat en 1637. (Nantes, 1 vol. in-4°, chez Pierre Doriou.) Evêque de Tréguier de 1635 à 1645, Noël Deslandes combattit vigoureusement les protestants, visitait souvent les couvents de son Ordre à Guin- gamp et à Morlaix, et fut un ardent zélateur de la dévotion et de la confrérie du Rosaire. II eut un digne successeur en Balthazar Grangier, dont nous avons énuméré les œuvres et les fondations pieuses. François-Ignace de Baglion de Saillant fut un des signa- taires des quatre fameux articles de 1682. Olivier Jégou de Ker- livio favorisa le jansénisme et se vit excepté, lui, son clergé et son diocèse, da la grâce du Jubilé accordé à tout le monde catholique,

l'église de tréguier 65

en i725, par Benott XIII. François-H;acintbe de la Fruglaie de Kerver publia dans notre diocèse la bulle UnigeniiuSy que son prédécesseur de Kerlivio ne recul même pas avecle'respecl àrautorité du saint-siège. Jean-Marc de Rojère établit, le 26 avril 1768, la dévotion au sacré Cœur de Jésus et fit iitiprimer à Morlaix, en 1770, un Propre de son diocèse. Jean-Bapliste-Joseph de Lubersac fut le protecteur de l'indigne Sieyès, qu'il fit chanoine de sa cathé- drale. Augtislin-René'Louis Le Mintier de Saint-André fut le der- nier évëque de Tréguier. li construisit l'aqueduc et la flèche de la cathédrale, de 1785 à 1787, favorisa l'instruction populaire à tous les degrés, et publia un catéchisme breton à l'usage de son diocèse. Depuis le mois d'avril 1791, Tréguier pleure son évèque et compte sur la bienveillance des évèques de Saint-Brieuc. Celte bien- veillance s'est manifestée le jour Ks^Le Mée prit pour lui*mëme et ses successeurs le litre « d'évèque de Saint-Brieuc et Tréguier », par la translation solennelle des restes de Me' Le Mintier à Tréguier^ par ordre de Mer David, le 8 juillet 1868; et se continue aujour- d'hui par l'œuvre do réédificalion du tombeau de saint Yves, entre- prise par. Me' Bouché, avec les bénédictions et la souscription de S. S. Léon XIII, et sous la direction de M. Arthur de la Borderie.

Abbé Yves- Marie Lucas.

TOUS IX (X DE LA 6^ SÉRIÉE

JEiM D'ARC A DOnM '

M. Luce avait son nom attaché à celui de du Guesclin ; le voilà désormais inséparable d'un nom plus illustre encore. C'est véri- tablement de la chance historique ! Il appartenait du reste au plrofesseur de l'Ecole des chartes qui est chargé de rechercher les sources de l'histoire de France de trouver les origines de laPucelle, comme il a trouvé les origines du grand Connétable. Mais on ne pourra plus dire que la Jeunesse de Bertrand Q^i un ouvrage in- comparable : l'héroïne de l'auteur Ta encore mieux inspiré que son héros; quoi d'étonnant 7 n'est-ce pas une martyre, une sainte peut*étre ? il est question de la déclarer telle, et le vœu de M. Jules Quicherat pourra être exaucé. Tout libre penseur qu'il était, il s'indignait de ce que l'Église ne l'eût pas encore canonisée ; son sens critique se révoltait, assurait-il, contre ce qu'il appelait « une iniquité catholique ». Que dirait-il s'il revenait au monde et apprenait que Léon XIII, ce grand justicier, se propose préci- sément de réparer, s'il y a lieu, Viniquité et même qu'un arche- vêque anglais est en train de poursuivre, par son ordre, la cause de béatification ?

Le livre de H. Siméon Luce arrive tout à fait à propos : il vient compléter l'œuvre de son maître à l'Ecole des chartes, le meil- leur historien et célébrateur de Jeanne d'Arc, » comme l'a qua- lifié Sainte-Beuve; «le collecteur définitif de tout le dossier res-

* JeawM d^Are à Domrémy, recherches critiques sur les origines de la mission de la Pacelie, accompagnées de pièces jastificatives, par M. Siméon Luge» membre de rinstitut. Un vol.in-8% de cccx et 316 p. Paris^ Gtiampion, 15, quai Malaquais^ 1886*

L

jfiAima d'ajig a domémy 67

tant, et le grefBer le pl«is Hd^le de tous les actes et témoignages. > (Lundi 10 novembre 186^.)

Au Journal des actions connues de Théroïque Jeune (Ille, M. Luce joint des documents nouveaux désormais insépaiables des pièces mêmes de son procès, et qui achèveront de cou- ronner humainement celte que TEglise doii proposer à l'in\oca- tion universelle. C'est Jeanne inconnue, Jeanne surtout avant sa mission, qu'il s'est efforcé de découvrir. Ai-je besoin d^ajouter qu'il porte, en ces matières délicates, avec la liberté qui est de droit, la critique la plus pénétrante et le respect le plus profond?

Nous sommes en l'année 14211. Dans le village de Domrémy, sous l'invocation du saint qui sacra Ctovis et qu'on n'oublie pas au bord de la Meuse, habite une famille de pasteurs dont le nom semble lui venir du village d'Arc, en Barrois. Elle se compose du pare, de la mère, et de plusieurs flls et filles; Tune d'elles a de douze à treize ans: on l'appelle Jeannette. La dame du château est Jeanne de Joinville-Bourlemont, jeune encore, veuve d'Henri d'Ogéviller, descendante du bon sénéchal de Champagne, l'ami de saint Louis; elle est réfutée fidèle à toutes les traditions des siens et passe pour la providence du pays. Qu'elle ait remarqué Jeannette, quoi d'étonnant ? L'enfant est si belle, si bonne, si mo- deste et si pieuse ! Elle doit la regarder souvent, le dimanche, à la messe; et le dimanche de la Mi- Carême, qui est le jour de la fête du pays, dames et paysans dansent ensemble sous le grand hêtre des fées, elle doit la chercher parmi celles qui cueil- lent des fleurs dans la vallée de la Meuse.

Jeannette n'ignore pas combien la famille qui s'associe aux joies du pauvre peuple lui vient en aide aux mauvais jours ; c'est dans la maison forte de nie de Domrémy, appartenant à cette famille, que les gens du canton ont coutume de mettre en sûreté leurs personnes et leurs troupeaux toutes les fols qu'une attaque soudaine des ennemis ne les prend pas à l'improviste.

Précisément, au milieu de cette année 1418, le canton a été envahi par un chef de bandes anglo-bourguignonnes, et tout le

JEANHE d'arc k ItOHRÙtT

il de la vallée Jeannette garde ses vachee, dans les prai- ,avec ses compagnes, a été enlevé; mais, grâce â Dieu et aux ardie&de la bonne dannc Dumrémy, près de son cousin jmte Vaudemont, Anloine de Lorraine, le bétail al res- !. Pour fêler le retour au bercail des troupeaux enlevés, tout sys est en liesse, et Jeannette prend part à la Tcle comme à :connaissance de ses compatrioles.

n dit même qu'elle est E>i animée ce jour-la, qu'en la voyant :ir on croit qu'allé a des ailes ; on ajoute que, de retour à la wn, et seule, clic entend pour la première luis des voix nges qui lui annoncent sa mission. Sont- ce des vois du^

ou de la conscience 7 La voix de la pairie lui parle non moins iment, sans doute, par la bouche de la j^une dame qui doit er le n genlii Daupliin «, comme son aïeul Juinville aimait le

roi saint Louis; qui sait ce qui se passe en France, et ira pas été sans apprendre i la petite bergère que ce n'est seulement à Domrémy qu'on vole et pille le pauvre monde.

La pitié qui est au royaume de France « fait pleurer Jeanne:

priera l'archange saint Michel qui vient de lionuer, aux con-

de la Bretagne, la victoire aux Français sur les oppresseurs la France : c'est lui qui comballra pour elle.

Prière et amour, Jeanne d'Arc tient tout entière dans ces X mots, a dit son historien : elle aime Dieu, ou plutôt en Dieu, latrie et sa famille. Au fond, son patriotisme lui-même est I forme de sapiélé... et si, après plusieurs années d'hésitation, : trouve la force de s'arracher à son foyer pour se dévouer au ut de son pays malheureux et asservi, ce n'est point parce I la pitié pour la France et pour son roi a étoufTé dans son elesaffectionsprivées, mais uniquement parce que, placée entre is devoirs, elle se croit tenue d'accomplir d'abord le plus et le plus impérieux. »

îaîDt Michel, son ange gaTilien, son directeur, dont elle dit : '.queê ne lui faillis; comment me faudrait-il? elle l'a vu de

yeux, tt en la forme d'un très vrai prud'homme, » lorsqu'elle

JEANNE d'arc A DOXRÉMT 69

était âgée d'environ treize ans ; c'est la première en date de ses apparitions.

Leur réalité, elle l'afflrme sans cesse avec un accent de sin- cérité qui porterait la conviction^ remarque H. Luce, dans les esprits les plus prévenus. M. Henri Wallon, un des meilleurs his- toriens de Jeanne d'Arc, ne croit, il est vrai, qu' « à des voix accompagnées de lumière » ; mais il est impossible de partager son opinion, car Jeanne a déclaré positivement avoir baisé la terre, à chacune des apparitions de Tarchange, à Tendroit même elle Va vu poser le pied. Il faut s'en tenir au témoignage formel de celle qui n'a jamais menti. Mais pourquoi saint Michel plutôt que tout autre saint? Sans doute à cause de la victoire mémorable du mont Saint- Michel, répondrai -je après M. Luce. Selon le très judicieux historien, cette victoire expliquerait jus- qu'à un certain point, jointe à l'invasion des Anglais dans le Barrois, et à l'incursion des Ang*o-Bourguignons, rendue inutile par la bonne dame de Domrémy, l'intervention du chef de la milice céleste.

Une autre influence, moins directe, dont il faut tenir compte, et qui n'avait pas été remarquée avant M. Luce, est celle de rOrdre de Saint-François, dont Jeanne portait les couleurs et la couronne à Chinon ; nous l'apprenons d'un témoin oculaire.

Comme les Franciscains gallois, les Franciscains, ses frères en religion, tonnaient contre les Anglais, ses ennemis ; et leur élo- quence enflammée produisait chez nous les niémes effets que dans le pays de Galles, ils marchaient, la croix à la main, à l'avant-garde de l'armée nationale. Le sermon de frère Richard : < Semez des fèves ! Semez des fèves eut mieux que du re- tentissement, car les fameuses fèves, semées en abondance, d'après ses conseils, nourrirent les soldats de Jeanne. Seulement £lle ne s'agenouille qu'une fois devant lu\ Sa parfaite droiture répugnait à ce qui n'était pas le vrai tout simple.

M. Luce raconte à ce sujet, de la manière la plus amusante, l'incident tout à fait comique qui marque la seconde entrevue du

10 JUNHB d'âHO à. DOUHÉHT

prédicateur et da rbéroiae : it avait préteDdu qu'elle était bien

iiapabie, si elle le voulait, de s'élever dans les airs pour s'inlro-

duirû dans les places ; et il semblait appréhender son approche

sreprocbes: « Approchez hardimenl, lui dii-elle avec malice,

3cbez, Je ne m'envoler&i pas.

ère Richard ne fut pas le seul franciscain à qui leanoe ait une sympathie enthousiaste: nous voyons à ses côlés, sur lura de Compièf^ne, « un cordelier nommé Noîroufle, grand ne noir avec un laid meurtrier visage, et une Telle vue, et [rand long nez, portant rude grosse faconde et semblant vantable. » Fràre Noiroufle se vantait, assure-t-on, d'avoir I lui tout seul trois cents Anglais, et il en riait et s'en tenait ■ré et joyeux.

. figure admirable de ^ainte Colette de Corbie, nile plus e de saint François, contraste avec ce portrait burlesque. Je commande aux prédicateurs qui feront désormais, à Orléans, négyrigue de la libératrice do la ville. Le parallèle entre l'hë- 1 et la sainte a inspiré à M. Luce des pages dignes d'Oza- et de Uontalembert : elles ont réchauffé lu vieux cœur d'un de l'un et de l'autre.

n tableau du grand jubilé du Puy cl6t splendidement ses srcbes. Arrêtons-nous, en nniâsanl, devant cette ceuvie tna- aie, ou, pour mieux dire, ce chef-d'œuvre d'intuition histo-

jubilé ou pèlerinage en question n'était autre chose que ce X appelle en Basse-Bretagne, comme en Italie, un Pardon. quel pardon ! Il avait liau le 13 marâ, Jourde l'Aunoiiciatioa sainte Vierge, patronne de saint François et de son ordre, les membres, comme ou le sait, fêtent particulièrement irition de l'Ange annonçant à Marie sa mission divine. Tou- I, pour qu'il y eût pardon général, c'est-à-dire indulgence hre, il (allait que la féie de j'Aunonciution lombàl le ven- saint : l'Bgliie exigeait celte coïntiJenca entre l'annonce luveuretsamort. On conçoit l'tmpresstment des (Idcles à

JBAITNB d'arc a BOMllÉMy Tl

se rendre au pardon du Puy pour gagner les faveurs promises. Ils furent si nombreux, en 1407^ que deux eents périrent étouffés.

En 1418, malgré toutes les précautions, il en périt encore trente- trois. Indépendamment des indulgences à gagner, on afBrmait^et nous avons là-dessus le témoignage d^un des docteurs les plus considérables du temps, qu*il .arrivait, lors du Pardoli, < des événements extraordinaires. »

En 1429, le S5 mars. Jour l'Annonciation tomba encore un vendredi saint, Taffluence fût plus nombreuse et plus fervente que jamais : la France était alors entre la vie et la mort ; les Anglais campaient devant Orléans. Dés les premiers jours de février 14i9, Jeanne avait jeté ce cri d'inexprimable angoisse : Le temps me pèse comme à une femme qui va être mère !

Comme on le pense bien, elle n'était pas au Pardon ; elle n*y pouvait être ; tout entière i sa mission, elle dévorait du regard le camp des Anglais, dont les cercles formidables étreignaient de plus en plus la ville d'Orléans, ce dernier boulevard de la France. Hais son cœur était sur la montagne sainte : et même on voyait, frémissants, aux pieds de Notre-Dame, des pèlerins envoyés par elle et pour elle qui suppliaient la mère du Sauveur et les Anges et les Saints de France de sauver la patrie. « Je m'y trouvais moi- même, dit l'un d'eux, Jean Pasquerel, son propre chapelain; la mère de Jeanne y était aussi, avec quelques-uns qui avaient con- duit sa nile a-i roi. » Que le secours lui vînt de la montagne vers laquelle toute la France avait les yeux levés, comment en douter ? % Ah! ne doutez pas ! disait-elle ; c'est Dieu qui fait Vheure ; travaillez, et il travaillera f » N'entendait-elle pas sa Voix qui lui criait : « Va, va, ma fille ; je serai à ton aide; val i^

Trois Jours avant le grand vendredi, le Vi mars 1429, elle sommait les Anglais, « au nom du Roi du Ciel, fils de sainte Marie, » de vider le royaume qui appartenait au roi Jésus ; et trois mois après, lo siège d'Orléans était levé et la France sauvée (8 mdi 14%9).

L'humble Tille de saint François avait mis son œuvre « sous

'

72 JEÀNRB d'arc DOMRÉMT

les auspices de la solennité doublement sacrée reposait alors respoirnational ». Il faut lire toute la page qu*inspîre à l'historien une flamme de patriotisme que la critique n*a fait que rendre plus ardente.

Sous Timpression moi-même d'une lecture qui ne laissera froid aucun Français, aucun catholique, je ne me sens pas le courage de le chicaner sur quelques détails. Le livre est de main d'ouvrier^ dirait La Bruyère, et ce n'est pas vive /a^^ur/ qu'il devrait avoir pour devise, mais « glorieux labeur ! »

Sans amoindrir la grandeur du plus merveilleux épisode de notre histoire, H. Luce en a éclairé les sommets comme les profondeurs d'une lumière vraiment électrique : les origines humaines comme les origines célestes de l'envoyée d'en haut, sont scrutées, les unes et les autres, avec une probité rare; s'il trouve des lec* teurs sceptiques, sa critique ne paraîtra telle à personne ; pour lui, la mission que Jeanne d'Arc a reçue du Ciel ne fait pas un doute; et il adopte et donne comme conclusion de ses admirables recherches ces fortes paroles d'Etienne Pasquier : « Je réputé l'histoire de la Pucelle un vrai miracle de Dieu. »

HeRSART de la VlLLEMAftQUÉ.

CHRONIQUE

X«e Congrès Arobéologiqae de France

CINQUANTE-TROISIÈME SESSION

La Société française d' Archéologie, fondée par rillustre M. de Gaumont, ▼ient de tenir à Nantes sa cinquante-troisième session. Nous ne saurions, dans un recueil aussi peu étendu que la Revue de Bretagne et de Vendée, donner un compte rendu complet des excursions du Congrès, non plus que des mémoires curieux qui ont élé lus aux séances. Cependant nous devons à nos lecteurs de les tenir au courant de tout ce qui tient à rhistoire de notre contrée et nous manquerions à notre devoir si nous ne donnions au moins un aperçu sommaire des principaux travaux du Congrès. Cet éiënement, auquel la foule n'a attaché qu'une importance relative, était décidé depuis trois ans ; il Tavail été sur les instances de M. l'Ins- pecteur de la Société française d^Afcbéolegie dans le département ; et, quoiqu'un grand nombre de personnes Toublient ou Tigoorent, c'est au Congrès que nous sommes redevables de l'exposition elle-même ; car c'ett à son occasion que Tidée d'une exposition d'art ancien, puis d'une expo- sition de géographie, est venue aux organisateurs.

Quoi quHl en soit, c'est le jeudi U^ juillet, à une heure de l'api es- midi, qu'a eu lieu la séance d'ouverture, sous la présidence de M. le comte de Marsy, Directeur de la Société française d'Archéologie. M. Labbé, adjoint, au nom de M. le Maire de Nantes, prit le premier la parole et souhaita la bienvenue aux Membres du Congrès; M. de Granges de Sur- gères, au nom de M. le Président de la Société Archéologique indisposé, lut un discours plein d'à-propos. M. de Marsy répondit, en termes élogieux pour la Bretagne et la ville de Nantes. Ensuite, M. de la Viili^marqué donna communication d'un mémoire plein d'érudition dans lequel il fit connaître quelle grande part les Nantais prirent, au VI1I« siècle, sous la direction de saint Emilien, à la lutte que livra la France aux Musulmans, aux environs delà ville d'Autun. M. l'abbé Cabour, répondant à M. de la Villemarqué, vint confirmer ses paroles, déclarant partager complètement son avis sur cette intéressante question.

Ala même séance, M. le comte de Marsy annonça solennellement au Con- grèsque le savant M. de Laurière, secrétaire-général de la Société française

74 CHRONIQUE

d'Archéologie, venait d*être décoré de Tordre de Saint-Grégoire-le-Grand, par le Souverain Pontife.

Nous n'essaierons pas de donner une analyse, même abrégée, des diverses questions qui ont été traitées aux séances du Congrès. Mentionnons cepen- dant le mémoire bien écrit et bien coordonné de M. Chaillou, membre de la Société Ârcbéologique de la Loire-Inférieure, sur les jolies découvertes gallo-romaines qu'il a faites dans sa propriété des Giéons, commune de la Haye-Fouacière ; celui de M. Maître sur les fouilles de Petit-Mars et de Mauves ; celui de M. de Kersa'ison sur le château de Ranrouet, situé commune d'Herbignac, et sur les seigneurs d'Assérac ; celui de M. Alcide Leroux sur les fosses et les buttes de Noz^ay et d'Abbaretz, que M. Kerviler coosîdère comme des exploitations minières et des mardelles gauloises.

Diverses autres questions ont été traitées. M. Garon a fait une commu- nication des plus curieuses sur umi mosquée de Constantinople, perdue dans un -quartier presque inabordable pour les chrétiens. 11 y a relevé diverses inscriptions du plus haut intérêt ; l'orateur a été fort applaudi. M. le docteur Plicque, Américain, mais Français d'origine, a lu une notice fort intéressante sur des poteries découvertes à Lezou, en Auvergne. M. le docteur Plicque a relevé des milliers de noms de potiers et d'ioscriptions, les unes en latin, les autres dans la langue des popu- lations gauloises de Tépoque de la conquête romaine. Ace sujet, M. delà Villemarqué, toujours à la recherche de nouveaux éléments de discussion pour l'étude de la langue celtique, invite les archéologues, M. Plicque en particulier, à recueillir le plus d'inscriptions possible, véritables textes sur lesquels les linguistes pourront raisonner à l'avenir et s'appuyer pour arriver à découvrir de nouveaux horizons.

On nous pardonnera de ne pas suivre l'ordre chronologique. Le mercredi 7 juillet, M. Palustre a fait une communication dans laquelle il a comparé Téglise de Fontevrault et certaines églises d'Angers, au point de vue de la méthode suivie pour la construction. Il ajoute même que, pour l'église de SaintnVlarc de Venise, on a buivi un procédé analogue \ c'est après coup que la coupole a été construite ou au moins voûtée.

M. de Farcy lit une étude comparée de la cathédrale de Vannes et de l'église de Saint-Maurice d'Angers. A Vannes, le travail est plus lourd, mais on a procédé de la même manière qu'à Angers.

M. de la Nicoliière-Teijeiro appelle l'attention du Gongrès sur le tombeau actuellement visible dans la chapelle Saint-Clair, à la cathédrale de Nantes. Ce tombeau n'est point celui de Guillaume Guéguen, comme on le croyait, mais celui de François Hamou ; en tout cas, c'est une œuvre digne d'être visitée. M. Palustre demande qu'il soit fait des démarches auprès de Monseigneur Lecoq pour que ce monument soit débarrassé entièrement

CHRONIQUE 75

des boiseries qui en gônenl encore la vue. M. le curé de la Cathédrale dit quUl se fera auprès de Monseigneur l'interprète des sentiments du Congrès. Un jour peut-être^ comme M. de la Nicollière en a exprimé Id désir, on restituera à la chapelle Saint-Clair le vocable de sainte Madeleine, sous le patronage de laquelle cette chapelle avait d'abord été placée.

M'oublions pas une communication de M. de Laurière sur une jolie église romane en ruines, découverte par lui et remplie de riches sculp- tures ; une étude fort savante au point de vue liturgique de Uf Barbier de Montault, sur les égards qui sont dus aux objets do culte et princi- palement aux pierres consacrées, quand elles sont devenues impropres aux usages religieux. Mgr Barbier de Montault ajoute que la science archéo- logique doit à chaque instant être consultée dans ces circonstances, sous peine de voir commettre des erreurs irréparables.

Mentionnons encore une intéressante comisunication de M. de la Guère sur Geoffroy Pantin, évêque de Nantes au Xil» siècle^ et une autre de H. P. Sébillot sur les traditions populaires de la Bretagne.

M. le Président ajoute que plusieurs travaux inscrits, entre autres une étude de M. le comte de l'Estourbeillon sur les véritables limites du Pays de la Mée^ et un mémoire de M. Alcide Leroux sur les tombeaux en calcaire coquillier découverts à Nort, qui ne pourront être lus, l'ordre du jour se trouvant trop chargé, seront insérés quand même dans le volume des comptes rendus du Congrès.

Ce serait le moment de parler des excursions qui ont été faites par le Congrès dans les différents quartiers de la ville de Nantes, et en particulier des visites au Château, au Musée de peinture et au Musée archéolo- gique. Partout les archéologues, venus de tous les points de la France, et môme de l'Europe et de TAmérique, ont trouvé à admirer. Au Musée archéologique, le reliquaire fut renfermé le cœur de la duchesse Anne, et qui est d'ordinaire déposé à la Mairie, a attiré l'attention de •plusieurs membres du Congrès ; ils ont exprimé le vœu que ce souvenir précieux soit laissé à demeure au Musée archéologique.

Les manuscrits du XY^ siècle ont été très remarqués.

La visite à la Cathédrale» au tombeau de François II et à la crypte eut lieu dès le premier jour. A plusieurs reprises, il fut question de la crypte et des moyens de la conserver. M. Montfnrt montra le plan des fouilles dressé par lui en 1884 et prédenté à la Sorbonne, en même temps que son mémoire, rédigé avec beaucoup de clarté. Sur la crypte elle-même disons, tout d'abord, qu'elle fut jugée digne d'intérêt par son ancienneté et sa forme particulière. M. Palustre pense que le monument n'a pas tout entier été construit à la même époque. Suivant lui, la crypte pro- prement dite, ou église intérieure, serait de la fin du siècle. Quant au

"16 CHRONIQUE

déambulatoire, il serait de la fin du XI<» ; en tout caB^l se serait écoulé au moins un siècle entre la construclion des deux parties. Quant à la-statue â*évéque trouvée dans la chapelle latérale de la crypte, elle remonterait au commencement du XII» siècle.

Parmi les ouvrages qui ont été offerts au Congrès par des membres de la Société archéologique de la- Loire-Inférieure, citons le bel ouvrage de M. le comte de rEstourbeillon sur les Familles françaises à Jersey pendant la Révolution, une brochure de M. Kerviler sur les pro- jectiles cylindro-coniques à l'époque gauloise, une autre de M. Orieux, intitulée César chez les Venètes^ une étude de M. Alcide Leroux sur la Marche du patois actuel dans Vancien pays de la Mée^ la notice publiée récemment par M. Chaiilou sur les découvertes celtiques et gallo-romaines qu'il a faites aux Cléons, commune de Haute- Goulaine, et de nombreuses publications offertes par MM. de la Nicollière, P. de Lisle, Claude de Monti, de Kersauson, Kerviler, A. du Bois de la Villerabel, René Valette, Trévédy, Montfort, abbé Guillotin de Corson, Bélisaire Ledain, ThioUiêr, de Surgères, de Poli, etc., etc.

II nous reste à parler des quatre excursions qui étaient annoncées au programme et qui, malgréla chaleur excessive des premiers jours de juillet, ont été effectuées à la satisfaction des archéologues nantais, comme des archéologues étrangers au département.

Le samedi matin, 3 juillet, les membres du Congrès partaient au nombre de 60 environ par le train de six heures «pour l'excursion de la Bretesche et de Guéraode. Arrivés à sept heures à Pontchâteau, ils se rendaient en voiture à la Bretesche et étaient reçus avec une grâce et une bienveil- lance parfaites par Mme de Montaigu, venue le matin même de Paris tout exprès pour la circonstance. Le château de la Bretesche, jolie habitation moderne bâtie dans le style du XV» siècle, à demi entourée de son large étang, fut loué sans réserve par les excursionnistes, qui n'eurent qu'un regret, celui d'être obligés de repartir trop tôt. Mais la route à parcourir était longue et les instants étaient calculés.

Vers dix heures, les voitures s'arrêtèrent devant le château de Ranrouët, manoir du moyen âge actuellement en ruines, mais imposant encore et digne d'être étudié.

Le déjeuner eut lieu à Herbignac, dans la salle de la Mairie, et, quoiqu'il fût servi en maigre à cause de la solennité du lendemain, il fut trouvé excellent; on n'y fît aucune observation. Décidément les archéologues ont du bon . Je ne sais dans quel autre genre de sociétés savantes on rencontrerait autant d'hommes absolument respectueux des vieux ensei- gnements de TËglise. Il pourrait bien se faire que Tamour des monu- ments du passé, des traditions et des principes, prît sa source dans ce

CHRONIQUE 77

▼a3te sentiment qui s'appelle le respect de Dieu, et des ancêtres qui nous rattachent à Dieu.

 Vcois heures de Taprès-midi, le Congrès arrivait à Guérande. Une séance devait avoir Heu à quatre heures ; niais les voyageurs n'eurent que le temps de visiter rapidement les curiosités de la ville, et elles sont nombreuses : l'église avec ses vitranx et sa chaire extérieure (c'est Tan- cienne collégiale de Guérande, bâtie au IX» siècle par le roi Salomon) ^ le tombeau de Jean de Carné, seigneur de Crémeur, renfermé dans réglise^ la chapelle de N.-D. la Blanche, fut signé le traité de Gué- rande en 1381; enfin les remparts de la ville construits par le duc Jean lY en 1460.

C'est le lundi 7 qu'eut lieu la magnifique excursion de Mauves et de Ghamptoceaux. On s'embarqua à sept heures et on remonta lentement le cours du grand fleuve en paissant sous les arches monumentales des nou- veaux ponts, entre les rives toutes velues de longues haies d'osiers et de rideaux de hauts peupliers, ces palmiers des prairies qu'inonde la Loire. On voguait en causant doucement, en regardant s'éloigner les massifs des maisons de Nantes, les tours de la cathédrale et du château, enfin les longues flèches d'églises plongeant dans le ciel. Un voile de vapeur tendre couvrait cet immense tableau qui paraissait flotter dansTatmosphère tiède et d'un calme indescriptible.

Avant neuf heures, nous étions h Mauves; nous visitions dans la pro- priété de Vieille-Cour les ruines romaines déjà connues ou devinées depuis plusieurs années, mais que M. Alaitre, sur les indications premières de M. de TEstourbeilloo, a eu le mérite de mettre au jour et de décrire. 11 fut reconnu que ces ruines sontintéressantes et que si elles ne 6ont pas les restes d'uQ temple, elles sont au njoios les restes d'un important établissement gallo-romain. Il faut avouer que la situation pour un temple serait magni- Oque. Le coteau de Yieille-Gour fait songer au cap Sunium, â son temple de Minerve et à ses roses, chantées par Byron.

H était plus de onze heures quand le bateau reprit sa marche en se di- rigeant vers Ghamptoceaux, but du voyage. Nous aperçûmes, en passant, les élégants pavillons du château de Clermont perdus au milieu des mas- sifs et des bosquets, et la jolie habitation rose de M. le baron des Jamon- nières, qui s'avance jusqu'au bord du coteau abrupt; de elle sembla sourire au fleuve ou regarder comme une curieuse, mais comme une curieuse aux goûts fins et élevés.

Déjb, nous arrivions à cet endroit la Loire s'élargit et forme comme un lac superbe, quand aucune tempête, aucune crue na trouble ses eaux, A gauche, au niveau des prairies^ se dressait la Tour d'Oudon, avec ses lignes pures et ses arêtes d'une netteté saisissante. A droite, au milieu

78 CHRONIQUE

des arbres yerts, apparaissait le château de H. de la Tousche, bâti au sommet du coteau, sur les ruines de Fancien castel la fière Marguerite de Penthièvre fit enfermer Jean V. Ce sont ces belles ruines que nous visitâmes dans l'après-midi, conduits par le châtelain, qui, archéologue lui-même, accueille les amis de l'antiquité a?ec une bienveillance toute particulière.

La position est merveilleusement favorable. De ce point, la Loire apparidt au spectateur dans toute sa magnificence. Le regard embrasse quinze à vingt lieues de pays, en suivant une ligne dirigée de Test à l'ouest. C'est de qu'il faut voir notre grand fleuve, pour l'aimer comme il doit être aimé. 11 y est plus beau qu'à Orléans^ à Amboise et même à Saint'Florent. Tout Français qui a vu la Loire, des hauteurs de Champ- toeeaux, ne la changerait pour aucun fleuve du monde.

Quant aux ruines de l'ancien castel, elles sont imposantes encore malgré racharnement que les vainqueurs ont mettre à détruire cette forteresse redoutable. Certaines parties du prieuré sont reconnaissables ; l»>s murs de l'église sont encore debout et l'on voit dans un ravin un bloc de inaçonnerie de plus de vingt mètres cubes qui est tombé sans se briser lors de la destruction d'une des grandes tours.

Au reste^ ce coteau ne rappelle pas seulement des souvenirs du moyen âge ; quand on remue la terre cultivée, on y trouve des débris de constructions romaines. Une cité a existé là, à l'époque de l'occupation, avant la construction féodale.

Le lendemain, mardi, le Congrès se rendit en voiture à Clisson, en passant par Saint-Fiacre. Le voyage, comme on le sait, est des plus intéressants ; les points de vue les plus pittoresques sont semés sur le parcours. Le château de Clisson, avec sa masse imposante et ses sou- venirs, la Sèvre, avec ses rifes enchantées, arrêtèrent longtemps les excursionnistes ; si bien qu'ils n'arrivèrent que vers quatre heures aux Gléons. Là, le charmant musée formé par M. Chaillou avec ses seules trouvailles, fut visité avec un soin tout particulier, et c^était justice ; pointes de flèches gauloises, poteries et mosaïques romaines, tout a été disposé avec tant de gsût ! M. le Président félicita chaleureusement flf. Chaillou, puis il donna le signal du départ pour le château de Haute- Goulaine.

Cette antiquité est un b^jou parmi les monuments que notre départe- ment a le bonheur de posséder. Aussi, le Congrès en examina atten- tivement les différentes parties, tout en exprimant le désir que le propriétaire prenne de promptes mesures pour sauver ce qui reste de cette élégante construction.

Après la Sèvre, l'Ërdre; nous voulons dire dans l'ordre les deux

CHRONIQUE 79

rivières furent visitées; car nous ne saurions mettre l'Ërdre an second rang, sous le rapport du pittoresque et de la beauté. Et puis pourquoi discuter ? pourquoi vouloir toujours comparer? Elles diffèrent tantTune de l'autre, ces deux rivières, qu'elles n'ont même pas ce caractère de ressemblance, qualem decei esse sororum, qui eiistait entre les filles de Doris. Mais peu importe ; les archéologues, saus s'évertuer h trancher la question de priorité, firent l'éloge de l'Ërdre, comme ils avaient fait l'éloge de la Sèvre; et nous n'en sonunes point surpris, car elle a sa physionomie si particulière, cette belle indolente, avec ses coteaux qui forment une ceinture si bien proportionnée k sa taille, avec ses mule détours, ses obstacles imprévus, qui lui donnent à chaque instant un air de lac de montagne et qui font croire que le voyage est terminé, puisqu'une colline charmante mais infranchissable semble barrer la route.

La plaine de Mazerolles, entourée de ses vastes marais, creusés, dit la légende, par suite d'un effondrement du sol, mais qui pourraient bien devoir leur origine tout simplement au barrage établi à Barbin dès le temps de saint Félix, la plaine de Mazerolles fut bientôt traversée, et nous arri- vâmes, à travers champs et prairies humides, sur l'emplacement du théâtre de Goussol. Les ruines consistent en fondations de murs rasés à fleur de terre. Il ne peut donc y avoir rien de bien intéressant à visiter, au point de Tue de l'art; mais ce qui reste du monument est suffisant pour en faire connaître la nature et l'importance. C'est beaucoup^ au poiut de vue de l'architecture et de l'histoire.

Le déjeuner eut lieu au château du Pont-Hus, la famille de Gharette se multiplia pour être agréable aux membres du Congrès.

Nous passâmes à Nort, sans avoir le temps de visiter le quartier l'on retrouve les anciennes sépultures en calcaire coquillier ; puis nous partîmes pour Châteaubriant.

A deux heures, le Congrès faisait son entrée dans la grande cour du château. Conduits par M. Magouêt de la Magouêrie, qui voulut bien servir de guide aux archéologues dans la circonstance, ceux-ci visitèrent les différentes parties de l'ancienne demeure féodale et en particulier le donjon, dont la masse imposante leur parut digne d'être restaurée. Que ne prend-on déjà des mesures préparatoii'es pour arriver à une restau- ration, et préalablement pour faire disparaître tant de constructions in- signifiantes et disgracieuses qui ont été semées sans précaution dans la cour et le long des remparts 1

 la séance de clôture, la Société française d'Archéologie a accordé, entre autres récompenses .* une grande médaille d'honneur de vermeil à M.RenéKerviler; de grandes médailles de vermeil à M. Fabbé Guillotin de Gorson, à M. de Lisle du Dreneuc, à M. Léon Maître, à M. Ghaillou j enfin,

80

CHRONIQUE

une médaille d'argent grand module a M. le comte B. de l'Ëstourbeillon et une médaille de bronze à M. Tabbé Lange vie, curé de Missitlac,

 la même séance, M. le Président a donné rendez- vous aux membres de la Société française d'Archéologie à Soissons pour l'année 1887.

Rappelons aussi que^ le dimanche soir, eut lieu, dans la grande salle du Sport, un banquet, auquel près de 80 personnes prirent part. Différents toasts furent portés à la Société archéologique, à la Société française d'Archéologie, à la Bretagne, etc. Enûa, le jeudi soir, un punch d'adieu réunissait chez M. de Bremood d'Ârs, préiident de la Société archéologique, les membres du Congrès. La soirée fut charmante. On se sépara en se disant : An revoir ! A Soissons!

Algide Leroux.

Mgr Richard, archevêque de Paris.

La Bretagne ressent très vivement Thonneur qui lui est fait dans la personne du digne successeur de l'illustre cardinal Guibert, S. G. Mgr François-Marie- Benjamin Richard, à Nantes le 1er mars 1819, et que notre ville a eu longtemps le bonheur de voir exercer les fonctions de vicaire général, sous Tépiscopat de Mgr Jaquemet.

A la suite des funérailles de Mgr Guibert et à la fm du repas oii se trou- vaif'nt réunis, dans le réfectoire du séminaire de Saint-Sutpice, les évêques et les dignitaires ecclésiastiques délégués par les diocèses, Ms^ Richard, au milieu de Tattendrissemcnt général, a demandé à ses vénérés collègues de reporter sur lui les sympathies qu'ils portaient à son illustre prédéceS' seur. S. Ë. le cardinal Desprez, archevêque de Toulouse, prit la parole et fît ressortir la grande douleur éprouvée par le clergé français à la nou- velle de la mo!t de Mgr Guibert, « son guide et son modèle. » a Mais, a-t-il dit pour fînir^ lorsque le prophète Eiie quitta la terre pour monter au ciel, Elisée vint, qui continua le saint enseignement. . Mgr Guibert, comme Ëlie, a pris la route du ciel ; mais, nouvel Elisée, Mgr Richard continuera son ministère chrétien. »

Pour nous, c'est un saint qui succède à un saint.

L. DE K.

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SOUVENIRS DE GUERRE CIVILE

GUILLEMOT

PREMIÈRE PARTIE

LA RÉPUBLIQUE

SoiHiAUK. Le roi de Bignan. Ses débuts. Le collège de Vannes. L'in- surrecUon morbihannaise. Divers combats. ^ Qaiberon. •— La division de Bignan. ~ Proclamation de Louis XVIIL— Suspension d'armes..— Les colonnes mobiles. Terreur et représailles. Campagne de 1799. Prise de Locmiué par Gnillemot. Combat de Vacbegare. Bataille de Pont-de -Loc. Exil et proscription. Retour de Guillemot en Bretagne- Sa mort.

l

Le 8 octobre 1793, un détachement de bleus, sorti de Josselin, fie présenta au presbytère de Saiot-Jean-Brévelaye, pour arrêter le curé de la paroisse, Tabbé Le Clerc, coupable d*avoir refusé ie serment schismatique, qu'une loi tyrannique de TÂssemblée consti- tuante imposait à la conscience du clergé français. Fait prisonnier, le vénérable pasteur fut dirigé vers la ville Téchafaud devait le punir de son dévouement à l'Église et de sa fidélité à Dieu. Hélait accompagné d'une escorte de quatre-vingts soldats. A la hauteur du bois de Colledo^ trente hommes paraissent, se précipitent sur la troupe républicaine, la mettent en fuite et délivrent le prêtre. Rassemblés à la hâte et armés de quelques mauvais fusils, ils étaient commandés par Pierre Guillemot, dont ce coup d'audace révéla le caractère et l'esprit de décision.

Guillemot^ à cette date, avait trente-trois ans. Marié et père de

TOMK LX (x DE LA SÉRIE). 6

82 GUILLEMOT

famille, il cultivait, au villagede Kerdell-en-Bignan, un petit domaine dont il était propriétaire. C*était un homme de force et de courage^ d'une piété éclairée, qui avait reçu de solides principes au collège de Vannes, il avait poursuivi jusqu'en quatrième ses éludes classiques.

Disons-le en passant, c'est au même foyer que s'est embrasée l'ardeur de tous ceux qui, sortis des classes rurales, ont figuré dans la lutte armée du Morbihan contre la Révolution.

Le collège de Vannes, fondé et dirigé par les jésuites jusqu'en- 1762, était passé, après la dispersion de leur compagnie, entre les mains de prêtres du diocèse et de quelques laïques pieux et ins- truits. Il vit sur ses bancs presque tous les chefs de la chouannerie morbihannaise : Georges y terminait ses éludes en 1791 ; Jean Jan, Le Thieis, Kohu, Jacques et Grégoire Evéno, Ezanno, Joseph Le Crom, et cent autres, qui ont pris une part plus ou moins active à l'organisation de la résistance catholique et royaliste, s'y trouvaient à la veille ou au moment de quatre-vingt-neuf.

L^ascendant qu'ils devaient à leurs études non moins qu'à la position aisée de leurs familles en fît les chefs naturels d'un mou- vement populaire, qu'ils suivirent sur quelques points, qu'ils orga^- nisèrent sur beaucoup d*autres. La plupart se destinaient au ser- vice des autels. Ils étaient l'espoir du clergé breton ; ils en devin- rent les défenseurs. La persécution religieuse les arracha au sanc- tuaire pour les jeler dans les camps.

Pierre Guillemot, chargé de famille, n^hésita pas un moment à sacrifîer ses plus chers intérêts à une cause sacrée. Après le coup de main du bois de Colledo^ il n*y avait plus pour lui de li- berté possible que dans la guerre de fossés et de broussailles, il s'y voua corps et âme. Sun bien fut pillé, puis saisi au nom de la République et vendu. Sa femme et ses enfants se virent réduits à errer à travers tes champs et de chaumière en chaumière. Quant à lui, il ne laissait guère passer de jours sans attaquer les dét^tche- ments républicains. Malheur aux garnisons des villes ou des hourgs qui se hasardaient en pleine campagne ! Les chouans du canton de

GUILLEMOT 83

Bignan , de plus en plus aguerris sous la sévère discipline de leur chef, les avaient bientôt décimées et reroulées dans leurs can- tonnements.

De nombreux faits d'armes^ survenus dans le courant de Tannée i794, établirent bientôt la renommée des soldats de Guillemot.

Au mois d'avril, les bleus s'étant portés en force au bourg de Guéhenno, mirent le feu à Téglise, brisèrent le calvaire et s*empa-- rèrent d'objets précieux. Ils se disposaient à emporter triomphale- ment le produit de leurs vols, lorsque parurent les hommes du Bignan et de PieugrifTet, ceux des paroisses de Bilio et de CrugueU Attaquer les pillards qui osaient porter une main sacrilège sur la maison de Dieu, en tuer une partie, dissiper le reste, fut pour ces braves l'affaire d'un instant.

A quelque jours d'intervalle, de nouveaux engagements, toujours heureux pour les chouans, avaient lieu au Resto, au bourg même de Bignan, à Golpo, etc., etc.

Dans toutes ces affaires, Guillemot faisait preuve d'un rare cou- rage et d'un remarquable sang-froid. Les républicains, qui avaient mainteâ fois éprouvé les effets de sa puissance, n'en parlaient qu''avec une terreur respectueuse. D'une voix unanime^ ils l'appe- lèrent le roi de Bignan.

II

Dans le même temps, l'insurrection, ouvertement encouragée par le clergé fidèle, c'est-à-dire, par la presque unanimité des prêtres du diocèse, s'étendait avec rapidité sur tous les points du Horbi- ben. Chaque jour surgissaient de nouvelles bandes, qui se groupaient autour d'un chef, sans autre but que de défendre contre le pillage leurs églises et leurs chaumières ou d'arracher des proscrits aux bourreaux. Revenu sain ejt sauf de la Vendée dont il avait partagé la gloire et les revers, et sorti des cachots de Brest, Georges orga- nisait Vannes^ Auray, la côte, et formait ces vaillants bataillons de marins qui portèrent si haut la renommée de sa division. Jean Jan

L J

84 GUILLEMOT

commandait à Baud et Herland ;; du Chélas et Debar à Gourin. A la Trinité- Porhoêt^ plusieurs paroisses s'étaienl ralliées autour de Troussier et de Gaudin. César et Louis Bouays avaient formé la division de Ploêrmel. Rochefort et Ifaleslroit obéissaient à M. de Silz, Sarzeau au comte de Francheville. Enfin les paroisses situées le long de la Vilaine, depuis Redon jusqu'à la mer, reconnaissaient pour chefs le chevalier de Caqueraj et Desolde Grisolles.

Mal armés pour la plupart^ pauvrement vêtus, brandissant leurs pen-bas, et rejetant leurs longs cheveux en arrière, ces premiers insurgés morbibannais rappelaient, à dix-huit siècles dMnlervalle, ces terribles Celtes, leurs ancèlres, dont Suidas a dit: Hi sunt illi qui terri ben (casse sa tôle] vocem vobis in prœlio emittunt... et comas jactant. « Voilà ceux qui, dans la mêlée, vocifèrent le mot et terri ben^ et secouent leurs chevelures ! »

III

Certes, il y avait tous les éléments d'une véritable armée^ capable de. tenir tête à des forces considérables, de vaincre les ennemis du dedans et du dehors et de soustraire tout un pays au joug de la Révolution. Mais la plupart des divisions, livrées à elles- mêmes, combattaient isolément, sans plan général et sans méthode de guerre. L'unité d'impulsion et d'action leur manquait. En vain La Rouarie et, après lui, Puisaye essayèrent-ils de réunir toutes ces forces éparses, de les soumettre à un chef et à une direction d'en- semble. Leurs efforts vinrent échouer devant l'esprit de clan, qui est, par essence, Tesprit de la race bretonne et qui se retrouve à toutes les dates de son histoire, depuis les invasions des cinquième et sixième siècles jusqu'aux guerres de la chouannerie.

Toutefois et en attendant l'apparition. d'un chef reconnu de tous et sorti des entrailles mêmes du pays, un conseil local remédia tout d'abord aux dangers de cet éparpillement. Présidé par l'abbé de Bou* touillic, vicaire général du diocèse, il comptait plusieurs ecclésias'^

GUILLEMOT 85

Uques elles principaux chefs de division, parmi lesquels Georges et Guillemot.

Je reviens à ce dernier. Ha pensée n*est point, je le repaie, de retracer ici Thisloire des luttes morbihannaises, mais d*esquisser quelques traits d'une physionomie.

Confirmé par le conseil dans la position qu'il s'était acquise, Guillemot réunit à son canton de Bignan celui de Seront elceluide Pleugriffet. Bientôt il se voit à la tète de vingt-quatre paroisses et d'un effectif de cinq à six mille hommes. Il signe en qualité de chef de division la proclamation de Puisaye, en date du 26 juillet 1794, et la déclaration du 20 août de la même année, pièces impor- tantes qu'il faut connaître, si l'on veut se faire une idée exacte de rinsurrection bretonne et de sesmobiles.Enmème temps, il pour- suit le cours de ses succès contre les bleus.

En janvier 1795, il apprend que les soldats de la garnison de Vannes, sortis en force pour s'approvistonner de grains, pillaient les environs de Honterblanc. Guillemot rassemble à la hâte quel- ques compagnies, traverse Plaudren au pas de course, rejoint les bleus, enlève leur bulin^ les met en fuite et les poursuit, baïonnettes aux reins Jusqu'aux portes de Vannes. La République, secondée par les clubisles des villes et des gros bourgs, avait beau faire, les chouans étaient maîtres absolus des campagnes.

Désespérant de soumettre par la force des armes des ennemis qui se multipliaient sans cesse cl qui trouvaient dans la configura- tion même du sol des remparts pour ainsi dire inexpugnables. Hoche se décide à négocier, et, secondé par Tinlrigant Cormalin, il ouvre les conférences de la Prévalais et de la Habitais. Guillemot s'y rend, ainsi que la plupart des chefs morbihannais. Mais, à leur exemple, il refuse sa signature à un traité qui offrait de trop grands avantages aux insurgés pour n'être pas une perfidie. Il rentre dans ses cantons et continue h se battre. Le 20 mai 1795, il prend part au conseil des chefs du Morbihan réunis à Grand-Champ sous les ordres du général de Silz, et à la suite duquel des émis- saires furent envoyés en Angleterre el en Vendée pour demander

86 GUILLEHOT

des secours et faire connnaltre les forces insurrectionnelles du Morbihan.

Tout se préparait en vue de l'expédition de Quiberon. Le roi de Bignan y avait sa place marquée, et peut-ëlre eût^il pu jouer un rôle décisif dans celte grande entreprise qui mit la République à ,^ux doigts de sa perte. Malheureusement, un accident terrible vint - clouer sur un lit de douleur et paralyser ses efforts au moment ils auraient pu être si utiles à la cause catholique et royale.

Il était un jour occupé, en compagnie de son lieutenant Le Tbieis, à faire sécher, près d'un foyer allumé, une quantité consi- dérable de poudre. Au bas de la pièce ils se tenaient, vingt-deux hommes, entourés de barils remplis de matières fulminantes, con- fectionnaient des cartouches. Tout à coup une étincelle part, met le feu aux poudres ; la maison saute et retombe en débris. On re- tira vingt-deux cadavres des décombres. Mais Guillemot et Le Thieis furent retrouvés à peu près vivants et transportés dans des réduits souterrains établis, à une courte distance du lieu de l'accident, dans les marais de Kerguennec.

A la nouvelle d'un désastre qui mettait leur chef hors d'état de les commander, au moins pendant quelques mois, les hommes de Bignan se licencièrent et rentrèrent dans leurs foyers. Il en fut de même de ceux de Ploërmel, de la Trinité et des paroisses des en- virons d'Elven. Exemple remarquable de cet esprit de clan que j'ai déjà signalé et dont l'intelligence éclaire bien des points obscurs ou délicats de Thisloire de la chouannerie.

V

La catastrophe de Quiberon avait, pour un moment, dispersé toutes les forces insurrectionnelles du Morbihan. Le découragement était général, les cœurs ulcérés, les esprits profondément divisés.

Un chef parut qui releva les courages et fit partout renaître la confiance et l'espoir. Doué de toutes les qualités qui prédestinent

GUnLEXOT

8d un homme à Tadoralion des masses, Georges avait yu saDcliv^p^^.

iù^

par raulorité royale le pouvoir qu*il tenait de la reconnaisse. ^.^ populaire et de Félection des autres chefs de division. Bienlo:^ grâce à son impulsion, les paroisses s'agitent de nouveau, le con- seil central se reconstitue, les cadres se reforment, les divisions se réorganisent et s'établissent sur un pied de guerre réellement redoutable.

Guillemot, guéri ses blessures, reparaît à la tète de sa belle et vaillante division de Bignan, renforcée de nouvelles paroisses. Le 30 octobre 1795, il réunit ses 'cantons à Saint-Jean-Brevelaye, leur donne connaissance des événements accomplis, de la mort de Louis XYII, d'un manifeste de son successeur, de divers ordres du jour du général Georges. Ces communications faites, une messe solennelle est célébrée en pleins champs, à la suite de laquelle toutes les troupes proclament Louis XVIII et jurent de ne jamais poser les armes av^nt que la religion ne soit libre et le roi sur son trône. Un immense crie de: Vive le Roi! et le chant du Domine, salvum fac Regem couronnent cette imposante solennité.

Une manifestation analogue avait déjà eu lieu dans la plupart des divisions de la Bretagne, dans la Vendée, dans le Maine et dans la Normandie. Le vieux cri de France : Le Roi est mort ! vive le Roi! qui ne retentissait plus sous les voûtes de Saint-Denis, trouvait encore dans le cœur des paysans chrétiens un puissant et fidèle écho. Magnifique protestation du droit traditionnel en pré- sence du fait révolutionnaire! En célébrant, au milieu de tant d'épreuves, la transmission de la couronne qui passait du front de la jeune victime du Temple sur le front d*un prince errant et réduit au pain de Texil, le peuple breton et vendéen proclamait à la face du ciel son mépris pour les triomphes brutaux de la force, son attachement aux libertés nationales, sa foi invincible dans ce grand principe, sauvegarde éternelle de la justice publique et pri- vée : Il n'y a pas de droit contre le droit I

D^ nouveaux combats et de nouveaux sacrifices allaient bientôt prouver qu'un pareil serment n'était pas un vain mot.

ê-

g^ GUILLEMOT

« jiques jours après la solennité du 20 octobre, les garnisons w^aud et de Locminé se mettent à la poursuite de Guillemot, ^^ui-ci marche à leur rencontre et range ses soldats en bataille sur la lande de Poublaye. Après quelques heures de lutte, les bleus, complètement battus, se débandent et rentrent en désordre dans Locminé, poursuivis par les chouans.

Des armes, des munitions, des gibernes et plusieurs prisonniers restent aux mains des vainqueurs. Le lendemain, une nouvelle sor- tie éprouva le même sort. A tout instant, quelque alerte^ quelque vive escarmouche venait tenir en haleine les soldats royalistes. Mais derrière le rempart de leurs baïonnettes, les prêtres fidèles exer- çaient avec sécurité leur ministère, et les populations vaquaient à leurs travaux en attendant des jours meilleurs.

Malheureusement, ces jours meilleurs ne vinrent pas, et le Mor- bihan fut contraint d'accepter la paix que le général Iloche lui offrait au nom de la République. Hoche^ qui avait deviné avec une grande sagacité les principaux mobiles de Tinsurrection, s'empressa d'accorder aux chouans une grande partie des libertés pour les- quelles ils avaient combattu. Les réfractaires étaient amnistiés, et les jeunes gens de la réquisition devaient rester chez eux pour la culture des terres. En outre, la pleine liberté du culte était accor- dée pour tous les prêtres qui n'avaient pas quitté le territoire de la République. C'était beaucoup sans doute ; ce n'étai pas assez, puis- que le roi, qui avait reçu le serment des insurgés, ne devait pas remonter sur son trône. Aussi la soumission ne pouvait-elle être bien sincère. La paix fut mal assise et la feinte dans tous les cœurs.

Pour sauver les apparences, le général Georges avait fait livrer quelques pièces de canon dont on ne pouvait se servir, des fusils de chasse en mauvais état, une certaine quantité de barils de pou- dre et de cartouches avariées. L'artillerie, les munitions et les armes propres au service, soigneusement enfouies dans des souterrains^ dans les granges, sous des amas de fagots et d'ajoncs, restaient à la disposition des insurgés.

GUILLEMOT 89

En attendant ie signal de nouveaux combats, ceux-ci retournè- rent à leurs champs, mais avec armes et'bagages. Les campagnes du Morbihan eurent bientôt l'aspect d'une véritable colonie mili- taire peuplée de soldats-laboureurs qui, dans l'intervalle de leurs travaux, se livraient à l'exercice et prenaient soin de leurs fusils. Hoche ne fut pas dupe de la feinte soumission des chouans. Sur son avis, l'administration départementale, espérant obtenir, par l'appât du gain, ce que la force des armes n'avait pu réaliser, annonce qu'on remettra 30 francs par fusil à ceux qui en dépose- raient entre les mains des autorités républicaines. Les chouans étaient bien pauvres. Hais, chose remarquable! ce moyenne fit pas perdre une seule arme à l'insurrection ! Celle-ci couvait comme un feu caché sous la cendre. Partout, républicains et roya^ listes se mesuraient du regard. Sur les places publiques, on ré- pétait hautement ce refrain d'ane chanson populaire :

Les vaincus reviennent encore,

Les morts, seuls, ne reviennent plus !

De leur côté^ les hommes de la Révolution violaient chaque jour et de la manière la plus odieuse les conditions du traité de paix. La liberté accordée au culte n'était qu'une grande imposture. Les prêtres, toujours réduits à exercer dans l'ombre leur saint minis- tère, malgré l'engagement formel des autorités républicaines, célé- braient la messe dans des granges ou au fond des bois, recevaient au coind'unchampraveu des fautes, prodiguaient à tous, mais en secret, les consolations de la religion. Des colonnes mobiles, composées de gendarmes et d'individus recrutés dans la lie des bourgs et des villes, parcouraient nuit et jour les campagnes, pillaient Thabitant, massacraient indignement les prêtres fidèles, les chouans désarmés et tous les gens qualifiés de suspects. Dans la langue officielle, de pareils exploits s'appelaient des exécutions el les représailles royalistes des assassinats.

Ces colonnes, secrètement dirigées par le général Michaud^ qui

90 OUILLEMOT

ne faisait du reste que suivre les instructions du ministre de la police Sotin i, avaient surtout pour mission d'anéantir les oiticîers chouans^ tous ceux qui étaient Tâme d'une insurrection, que la Rér publique redouta toujours plus qu'une guerre étrangère. Aidés de quelques dénonciateurs, pris surtout parmi les vagabonds et les mendiants, elles découvrirent la retraite deplusieurs chefs, auxquels elles firent parfois expier dans d'atroces supplices le crime de leur fidélité. Ainsi périrent pendant la pacification de 1791 Jean Jan, le valeureux chef de Baud et de Helrand, André Guillem.ot dit Sans-Pouce, officier distingué de la légion de Vannes ; Joseph Gambert, chef du canton d'Elven ; Le Bail de Gourin ; Bonfils de Saint-Loup ; Le Bodic et Morand, ofiiciers d'Auray; Guyol, notaire àBignan, et cent autres que je ne puis citer, mais dont les paroisses morbihannaises ont gardé le souvenir.

VIII

A la terreur révolutionnaire les Chouans opposèrent la terreur des représailles. On pillait leurs récolles, on incendiait leurs chau- mières; ils firent main -basse sur les caisses publiques et mirent à contribution les acquéreurs de biens nationaux. On égorgeait les prêtres fidèles, ils fusillèrent des ministres prévaricateurs. Au mé- pris de la foi jurée, on tuait les chefs royalistes, ils tuèrent les au-

1. Voici le texte de ces instractions adressées^ à la date du 17 octobre 1796, à l'adminislration do Morbihan :

I Vous connaissez mes instructions, citoyens administrateurs^ vous n^'gnorez pas < à quels ennemis vous avez affaire. Il faut les mitrailler sans scrupule, les arrêter

> an premier soupçon que vous concevrez et les faire disparaître, si bon vous « semble.

« Le pouvoir exécutif s'en rapporte là-dessus à votre discrétion. Tenez la main « surtout à ce que la chouannerie ne relève pas la tête. Si elle reparaissait aujourd'hui,

> elle tuerait la République.

« Ayez donc une activité digne de votre patriotisme. « Veillez et ne craignez pas de faire des arrestations. c Quelques honnêtes gens arrêtés effraient les méchants.

GUILLEMOT 91

torités jacobines. On les dénonçait, on les trahissait; ils mirent à mort les dénonciateurs et les traîtres !

Et encore, combien de fois ceax-ci ne trouvèrent-ils pas grâce devant les chefs qui disposaient de leur sort ! La peine de mort ne s'appliquait guère qu'aux seuls récidivistes ou en face d'un fla- grant délit. Et quand le prêtre qui venait ofl^rir aux condamnés les consolations de Theure suprême, implorait pour son pénitent la grâce de la vie, elle ne lui était jamais refusée.

Tels furent ce que les historiens de Técole révolutionnaire ont nommé les excès » et les « crimes » des chouans. A Texception de vengeances individuelles ou d'attentats commis dans un intérêt privé par quelques misérables dont les chefs du parti royaliste fi- rent, quand ils le purent, sévère et prompte justice, les rigueurs exercées contre les hommes de la Révolution eurent pour cause une loi fatale et inexorable, la loi des représailles. Et Dieu sait si elles atteignirent jamais aux formidables proportions des vengean- ces républicaines I Pour un « patriote > misa mort parles chouans, il y avait cent victimes égorgées par les bleus. II est vrai d*ajouter que dans les combats la proportion était toute différente. Les balles des royalistes, dirigées d'une main ferme et sûre par des soldats souvent embusqués derrière des haies et des remparts de fossés, occasionnaient de terribles ravages dans les rangs de leurs en- nemis. Vingt bleus étaient couchés à côté d'un seul royaliste sur les champs de bataille du Morbihan.

Redisons-le donc avec un historien peu suspect de partialité envers la résistance catholique et monarchique, et dont toutes les sympa- thies sont au contraire acquises à la cause de la Révolution : « Faut- « il s^étonner qu'après de telles mesures, après tant de vexations, « il y ait eu des hommes qui, au lieu de se laisser traîner au pied a de la guillotine ou sur le seuil de leur porte pour y être égorgés, « se soient rués avec colère contre tous ceux qu'ils supposèrent « rangés pardevoir ou par inclination sousia bannière républicaine ?

a Quand le crime et le forfait devinrent l'un des

« moyens de la force armée et des gouvernants, il n'est pas diflî-

92 * GUILLEMOT

« cile de comprendre jusqu'où ces excès et les soupçons qui leur « servirent de prétexte purent être portés ... Il y eut donc guerre, « guerre atroce et sanglante ; et aujourd'hui que tout désinté- « ressèment à la querelle nous laisse libres, nous pouvons bien ce nous écrier, avec les représentants Faure et Tréhouart^ comme ils « le firent dans un rapport secret au comité du Salut public, que « la guerre de la chouanerie fut due au pillage, aux assassinats, à « la profanation des temples, aux impositions arbitraires et à tous « les excès que commirent, dans nos départements, les hommes « de la Terreur i. »

IX

De pareils procédés ne pouvaient qu'affermir les chefs supérieurs dans leurs pensées de méfiance et de résistance. Aussi n'eurent-ils garde de profiter des dispositions du traité de paix qui les ren- daient 5 leurs foyers. Pendant que Georges, réfugié dans la po- sition presque inaccessible que lui offrait la presqu'île de Locoal, se tenait sur ses gardes entouré d'un nombreux état-major et de soldats vigilants, Guiltemot était presque toujours fugitif. Il s'était ménagé de nombreux asiles. Le jour, il vivait sous terre ; la nuii, il parcourait ses paroisses^ visitait ses ofliciers, ranimait leur ar- deur et préparait tout pour le jour d'une nouvelle insurrection.

Ce jour tant désiré se leva enfin.

 son retour des conférences tenues au château de la Jonchère (septembre 1799), Georges rassemble les principaux chefs du Mor- bihan et leur donne ses ordres. Bientôt toutes les légions sont sur pied. Le général en chef occupe personnellement une multitude de bourgs, prend la ville de Sarzeau, défendue par une artillerie con- sidérable, menace Vannes, détruit plusieurs colonnes républicaine3, s'empare des bouches de la Vilaine, et protège, sur la côte d'Ambon

1. à. du ChâteUier. Bisloire de la Bévolulion dans hs iéparlements de Vancienne Bretagne, tome IV, p, 219, 223 et 225.

GUILLEMOT 93

el de Muzillac, des débarquements d'armes, de munitions et d'argent. Pendant ce temps, ses officiers étendent l'insurrection vers les Côtes-du-Nord, le Finistère et la Loire-Inférieure. Desol de Gri-- solles force Redon à capituler, traverse la Vilaine, tombe comme la foudre sur la Roche-Bernard ei Guérande et pousse son avant- garde jusqu'à Pontchâteau. Debar soulève plusieurs cantons dans les montagnes du Finistère. Mercier pénètre dans Saint-Brieuc, surprend la ville défendue par une forte garnison sous les ordres du général Casabianca, délivre trois cents prisonniers royalistes et s'empare de soixante chevaux.

Le pays de Bignan reste toujours le théâtre des exploits de Tin- vincible Guillemot.

Le 26 octobre, celui-ci se porte sur Locminé, point stratégique important dont la garde était confiée à des troupes de ligne ap- puyées de colonnes mobiles. Ses bataillons pénétrèrent dans la ville par les routes de Baud, de Ponlivy et de Vannes. Les bleus s'étaient retranchés dans les halles et les maisons voisines. Le bataillon de Pluméliau, commandé par Mathurin Le Sergent, ouvre le feu ; mais aussitôt un mulâtre d'une taille gigantesque, portant les galons de sous-officier, se présente sur la place et porte un défi à la baïonnette au plus brave des chouans. Â l'instant le feu cesse, le silence règne dans les rangs, et Mathurin Le Sergent, saisissant un fusil, croise la baïonnette, s'élance au-devant du Goliath provo- cateur, l'élend mort à ses pieds et crie : En avant !

Le combat fut long et acharné. Les hommes de Bignan et de Pluméliau s'emparent du champ de foiré et attaquent les halles. La garnison est forcée de plier et de battre en retraite. Elle veut se retirer en bon ordre par la route de Vannes. Mais elle se heurte à deux nouveaux bataillons de Guillemot. Elle se débande, et les bleus, jetant leurs armes^ se sauvent à travers champs dans la di- rection de Baud. Les chouans étaient maîtres de la ville.

Une centaine de prisonniers restaient aux mains du vainqueur. Guillemot en fît deux parts. Il renvoya sains et saufs les soldats de la ligne, après leur avoir fait jurer de ne plus servir contre les

94 GUILLEMOT

troupes royales. Il fusilla ceux quiappartenaienl aux troupes mobiles, véritables scélérats qui, pendant la pacification, s'étaient souillés de tous les crimes et avaient porté la terreur jusqu'au fond des cam- pagnes.

A la nouvelle de ce succès, qui assurait aux populations royalistes un centre important d'opérations militaires, le colonnel Bonté, chef de la 81^ demi- brigade, quitta Lorient avec aulant de forces qu'il en put rassembler, traversa Baud, il se renforça de nou- velles troupes, et marcha sur Locminé. Il rencontra Guillemot sur la lande de Vachegare, vaste plaine d'une lieue de longueur, située paroisse de Buléon, entre Josselin et Locminé. Ce terrain était propice à des évolutions régulières. Certain du succès, Bonli range ses troupes en bataille et commence un feu de deux rangs. Le centre de Guillemot marche droit à l'ennemi et le charge à la baïonnette, pendant qu'un de ses bataillons, détaché en tirailleur, tourne la position des bleus, du côté de Josselin, et parvient à cou- per leur ligne de bataille. Plusieurs compagnies républicaines se précipitent dans une large douve creusée au bord de la route et prennent la fuite. Bonté fut contraint d'opérer sa retraite. Il centra le lendemain à Lorient avec sa troupe diminuée et démoralisée, et après avoir acquis la certitude que les chouans ne redoutaient pas plus de rencontrer l'ennemi en rase campagne que de lutter contre hii, abrités derrière leurs fossés.

X

Le i8 brumaire vint arrêter le cours des succès, pour ainsi dire sans revers^ que les insurgés morbihannais obtinrent pendant cette glorieuse campagne de 1799, qui raffermit toutes leurs espé- rances et frappa de stupeur leurs ennemis. Une suspension d'armes avait été arrêtée entre Hédouville et les chefs de la rive gauche de la Loire. Ce fut un coup de foudre pour le chef du Morbihan, qui avait en son pouvoir toutes les campagnes et une grande partie des côtes. On sait que Georges, uni à Frotté et à Bourmont, empêcha

GUILLEMOT 05

le parli de la paix de l'emporter aux conférences de Pouancé et qu^il sauva Thonneur de ses armes en^ livrant aux lieutenants du nouveau César la dernière bataille rangée de la chouannerie^ la ba- taille de Pont-de-Loc.

Dans cette journée, Guillemot et ses soldats firent vaillamment leur devoir. Après avoir débusqué divers postes établis au village de Kercadio en Grand-Champ^ ils prirent position en face de Ten- nemi, qui s'était déployé dans la lande du Morboulo. Les républi- cains, commandés par le général Harty, exécutèrent contre eux une charge, pendant laquelle le chapeau et le manteau de Guillemot furent percés de balles. Mais cettexharge, vigoureusement repous- sée, n'obtint aucun résultat et, en rentrant dans ses premières po- sitions, Harty se trouva en face de deux nouveaux bataillons de la légion de Bignan, commandés par Gomez. Ceux-ci dirigèrent un feu terrible contre les bleus, dont un rang entier tomba sous leurs balles dès la première décharge. L'ennemi prit la fuite vers Loc- maria, poursuivi par toute la légion de Bignan jusqu'au delà de Loqueltas. Il laissa cent cinquante morts sur le champ de bataille et quatre-vingt-quatorze prisonniers aux mains de Guillemot.

Ce ne fut là, du reste, qu'un épisode de cette journée, dont la fin ne répondit pas au début. Nul doute qu'un grand succès n'eût couronné les efforts et justifié les dispositions très habilement con- çues du général en chef, si l'indiscipline et une sorte de fatalité n'étaient venues paralyser d'autres légions de son armée. Tout, d'ail- leurs, devait finir par céder au génie et à la puissance de Bonaparte. Georges signa la paix. Guillemot refusa de se soumettre et il donna même, deux jours après la bataille de Pont-de-Loc, une preuve ter- rible de sa persistance à continuer la lutte et à espérer contre toute espérance.

Suivant sa coutume en pareil cas, il opéra un triage entre ses prisonniers, fit mettre en liberté les soldats de la ligne et ordonna à son lieutenant Gomez de faire fusiller les volontaires et ceux qui appartenaient aux colonnes mobiles. Les condamnés, au nombre de trente-deux, furent conduits au lever du jour sur la lande de

96 GUILLEMOT

Burgaud. Trenle*deux chouans armés de pistolets se placèrent en face d'eux. Au moment du signal, un des prisonniers s'écria :

N'esl-il pas cruel de fusiller des prisonniers de guerre ?

Oui, répondit Guillemot^ il est bien dur d'en venir à cette extrémité. Hais qu^avez-vous fait des seize hommes que vous m'avez pris avant-hier ?

C'est vrai I répondit un autre soldat ; ils ont été tués.

Vous les avez massacrés ! s'écria le roi de Bignan d'une voix terrible.

Le signal de mort fut donné*. Un canon de pistolet s'abaissa sur le front de chaque prisonnier, el, quelques instants après, une fosse, creusée d'avance, reçut les trenle-deux cadavres sanglants et défigurés. .

Le roi de Bignan reprit sa douloureuse existence de proscrit. Errant d'asile en asile, traqué comme un loup par les limiers delà police, la gendarmerie et les soldats, il donna pour ainsi dire à chaque heure de nouvelles preuves d'audace el d'intrépidité.

11 se trouvait un jour dans une maison du village du Cosquer en Plaudren, occupé à écrire sur une petite table faisant face à la porte d'entrée. Tout à coup plusieurs soldats armés paraissent. L'un d'eux, le couchant en joue et lui plaçant le canon de son fusil jusque dans la poitrine, crie :

~ (( Rends-toi, Guillemot, ou tu es mort I »

Prompt comme l'éclair, Guillemot détourne l'arme d'une main ; de l'autre, il renverse le soldat et lui fend le crâne avec une hache. À la porte il reçoit sur la tète un coup de crosse de fusil, évite un coup de baïonnette, et, saisissant son nouvel adversaire, il le précipite dans une douve pratiquée le long de la maison pour Técou- lementdes eaux. Une barrière s'offre au fugitif, seul passage qui lui reste pour gagner les champs. Mais une sentinelle le garde. Elle tire sur Guilemot à bout portant, le manque, et le roi de Bignan reprend sa course au milieu d'une grêle de balles et poursuivi par une douzaine de soldats. L'un d'eux, plus alerte que ses com-

GUILLEMOT 97

pagnons, est sur le point de l'atteindre. Guillemot se retourne, Tattend de pied ferme et, d'une main vigoureuse, il l'écrase sur le sol. Continuant à fuir, il rencontre une rivière, la Claye, la traverse à la nage, et, gagnant un bois voisin, il se voit enfin à Tabri des poursuites et des coups de fusil.

Voilà comment le roi de Bignan fuyait devant l'ennemi.

Les bleus ne purent s'empêcher d'admirer tant de force, d'ener^ gie et de sang-froid. Hais il leur fallait des victimes. Deux com- pagnons de Guillemot, Jacques de Pluvigner el Bertrand Le Foss, qui se trouvaient en observation prés du Cosquer, tombent entre leurs mains. Ils sont lâchement assassinés à coups de crosse. Le fu« sil du roi de Bignan, son habit, son portefeuille, furent envoyés au général Gouvion Saint -C;r qui commandait à Ponlivy.^On trouva dans le portefeuille la nomination de Guillemot, signée de Georges, au grade d'adjudant général du Morbihan, et plusieurs pièces com- promettantes prouvant que l'insurrection n'attendait qu'une occa- sion favorable pour éclater de nouveau.

Alors une main de fer s'étendit sur les campagnes du Morbihan. Bernadotte avait succédé à Brune dans le commandement de l'ar- mée de l'Ouest, et sa mission était d'en finir à tout prix avec les restes de la guerre civile, de n'épargner aucun des chefs, de les exterminer sans pitié, de tuer tous ceux qui lui tomberaient entre les mains. Cette sauvage mission ne. fut que trop bien remplie par le futur roi de Suède. Près de cent officiers royalistes succombèrent en pleine pacification, de 1800 à 1802, sous les coups de ces sol- dats, non point à lutte ouverte^ non point à armes loyales, mais dans de véritables guet-apens.

Ainsi périrent Videlo, dit Tancrède^ Gomez, lieutenant-colonel de la légion de Bignan, Siméon, Duval, Bonnard, Jaffré de Cléguer, Lecrom de Caujdan, Le Poul de la Nouée, Julien Cadoudal, frère de Georges, Mercier-la-Vendée, son second et son ami, etc., etc.

Ils furent, non pas exécutés, mais véritablement assassinés par- tout où on les trouvait, dans des maisons isolées, au coin des bois, sur le bord des grandes routes.

TOME LX (X DE LA 6e SÉRIE). 7

98 GtJILLBllOT

' Et pourtant cela ne suffisait point à la rage de destruction qui 8*était emparée du gouvernement consulaire (en présence de pareils fiiits nepourrait-ônpas dire proconsulaire?) auquel le coup d*Etat de brumaire avait livré les destinées de la France. Les colonnes invisibles de la police se firent les auxiliaires des colonnes mobiles qui sillonnaient les campagnes du Morbihan. Fouché vint en aide à Bernadette. Il ianca contre les royalistes des seîdes munis de poison et de poignards. Plusieurs tombèrent sous les balles des chouans. Mais les contributions énormes dont on frappa les com- munes où ces guerriers occultes avaient trouvé le terme de leurs exploits devinrentbientôt leur sauvegarde. Les chefs royalistesdurent céder devant la perspeclive de voir leur pays livré à toutes les horreurs des exécutions militaires.

La lutte, d'ailleurs, n'était plus possible dans le Morbihan épuisé. Elle venait de perdre, par l'adoption du Concordat, son ressort le plus énergique^ celui de la persécution religieuse qui, en s'atta- quent au for même de la conscience, avait fait de la résistance bretonne le plus sacré des devoirs. De toutes parts, les faibles, les courtisans et les serviles accouraient se précipiter aux genoux du nouveau César. Il ne restait plus aux fidèles du vieux droit qu'à choisir entre les douleurs de l'exil et la honte d'une soumission. Mais il étaient de ceux qui ne savent courber la tète que sur un échafaud. Ils préférèrent l'exil. Jersey leur offrait un lieu de refuge. Le 2 mai 1802, Guillemot, accompagné d'une centaine d'officiers,, s'embarqua pour cette ile, qu'il quitta bientôt pour se rendre à Rumsey, près Southampton. Il passa deux ans dans cette nouvelle résidence, douloureusement inactif, aspirant sans cesse à recom- mencer les rudes assauts des landes bretonnes, et rongeant son frein comme un lion enchaîné*

Georges de Cadoudâl. ( La mite prochainement)

LETTRES INÉDITES

DB

LA TOUR D'AUVERGNE

Les trois lettres du Premier grenadier de France imprimées ci-des- sous, et que nous avoDS tout ]ieu de croire ÎDédites, nous ont été gra- cieusement communiquées en septembre 1884, aTec autorisation do les publier^ par M, Le Taillandier, maire de Lannion, propriétaire des originaux.

La date de ces lettres suffirait à les rendre intéressantes : elles appar- tiennent aux quatre derniers mois de la vie du béros.

Les deux premières nous le montrent toujours passionné pour les questions d'origines gauloises, celtiques, armoricaines, qui à ses yeux étaient autant, plus peut- être, affaire de patriotisme que de science et d'érudition. Malheureusement, à en juger par sa première lettre, ses com- patriotes bretons ne se sondaient guère alors de telles études. Leur indif- férence, que les étrangers ne partageaient point, ne le décourageait pas. En Bretagne même, il trouvait des esprits pour le comprendre, entre autres, son correspondant, Baudouin de Maison- Blanche % connu pour son excellent traité des Institutions convenancières, et qui venait de lancer le prospectus d'un « savant et très intéressant ouvrage hur Les Armoricains anciens et modernes », auquel Corret s*empressa d'envoyer sa souscrip- tion, et qui B^a jamais paru. Cependant Baudouin en avait composé beaucoup de chapitres, dont le manuscrit autographe est conservé, avec le prospectus de l'ouvrage, par notre excellent ami, M. Uuon de Penans^ ter, sénateur des Gôles-du-Nord.

1. Snr Kaudouio ëe Maison- Blanche voir la biographie 6 reionn«, et nne excellente notice de M. Kerviler, publiée, il y a peu de temps, dans la Bévue historique de POuest imprimée à Nantes.

« - -

s

100 LETTRES INÉDITES DE LA TOUR D^AUVERGNB

La troisième lettre est la plus intéressante. Le caractère de La Tour d'Auvergne s'y montre tout entier: dans la première phrase éclate sa virile indépendance, dans la dernière ce grand et généreux cri de patriotisme :

c Je pars pour joindre l'armée du Rhin, pour y servir comme simple « volontaire. Le gouvernement vient de me faire passer ses ordres, et ce comme je ne fus jamais sourd à la voix de ma patrie, ne consultant ni c< mes infirmités ni mon âge, ma détermination a été bientôt prise. »

Vingt-trois jours plus tard (le 27 juin 1800), celui qui avait écrit ces lignes était tué d'un coup de lance au cœur par un halan, en ce lieu, depuis lors célèbre, d'Oberhausen, dont un poèie breton a dit :

Au sommet désert de l*Ober-HauseQ S^élève an tombeon rongé de lichen : L'asire des combats chaque soir y luit. L'ombre d*ua guerrier s'y montre à minuit.

C'est, on le sait, la première strophe, traduite en français, d*uoe pièce de poésie bretonoe devenue fort rare, qui fut chantée en 1841, à Garhaix, lors de Tinauguration de la statue de La Tour d'Auvergne, et qui est intitulée : Kanaouen enn enor d'ann aotrou Malo Korret {egallek La Tour d'Auvergne) savet é bresonek hag é galteh^ gant Th. Hersaet

DE LA VlLLEMARQUÉ.

A. DE LA B.

I

Ah citoyen Baudouin père ^ homme de lettres et de loi^ demeurant à S^'Brieuc^ département des Côtes- du- Nord, A S^-Brieux.

Passy, le 15 ventôse, an 8* de la H*. (6 mars 1800.)

Citoyen,

Le suffrage que vous voulez bien accorder à mes Origines Gau- loises m'honore et me flatte infiniment. Je ne pensais pas que cet ouvra;;e dût jamais me valoir l'approbation de mes compatriotes, et encore moins celle d'un littérateur éclairé tel que vous. J'envoyai, il y a deux ou trois ans, 60 exemplaires à un libraire de Morlaix ; on m'a mandé qu'il était parvenu avec beaucoup de peine à en vendre un ou deux. J'écrivis dans le même temps à tous les

LETTRES INÉDITES DE LA TOUR d'AUYERGNB 101

libraires des grandes villes de la Brelagne, pour leur proposer un envoi à mes frais de quelques exemplaires seulement; pas un ne m'a répondu. Je n'ai pas été arrêté par ces contradictions un peu humiliantes; toute l'édition ayant été enlevée par l'étranger, j'en avais préparé une nouvelle que je comptais faire imprimer ici, en y joignant un second volume, destiné uniquement au rappro- chement d'un grand nombre de langues de l'Europe et de l'Asie, comparées au bas-breton, leur source incontestable. Hais l'excès du travail après ma dernière campagne contre les Russes et les suites cruelles d'une chute de cheval, que je fis il y a cinq à six semaines, m'ont réduit à un tel état de langueur et d'anéantisse- ment, qu'il m'est aujourd'hui impossible de me livrer à aucun genre d'occupation. Je me suis même vu forcé de remettre à répondra à une foule de lettres amicales qui m'ont été adressées des armées, à l'occasion d'une place à laquelle j'avais été nommé et que je me suis excusé d'accepter, celle de législateur. Je pro- fiterai vraisemblablement des premiers beaux jours pour me rendre en Bretagne, si mon état me le permet. Je sens bien que l'air natal . peut seul désormais contribuer a me rendre une partie de ma santé, entièrement épuisée. J'aurai l'honneur de vous voir à mon pas- sage à Saint-Brieuc ; je m'y arrêterai un jour ou deux pour profiter des ressources que je trouverai dans voire amitié éclairée ; j'y ferai mes effors, citoyen, pour me concilier vos bontés , mais vous devez être bien certain que je n'aurai pas besoin d'en faire pour les sentir. Salut et estime.

Le ciT«n La Tour d'Auvergne Corret, 0/^»®' réformé d'infanterie^ retraité à Passy -sur-Seine.

Je ne puis qu'être très touché de la manière obligeante avec laquelle le cil«" Coroller fils vous a parlé de moi. Souffrez qu'il trouve ici les assurances de iria reconnaissance et de mon amitié. Je me rappelle encore avec plaisir, en retour, les momens que nous avons passés ensemble et la distinction avec laquelle il a servi. Je

102 LETTRES INEDITES DE LA TOUR Il'Air?ER6HE

serais aussi bien flatté que vous veuilliez bien me rappeler au soo* venir des cil«°* Gourlai frères, s'ils sont à Saint-Brieuc.

Au même *.

Passy, le 24 floréal an 8* de la Bép* f". (14 mai 1800.)

Citoyen,

Ha position est telle que je ne puis répondre aux expressions flatteuses de votre amitié que pour vous remercier du souvenir dont vous voulez bien m'honorer, ainsi que du prospectus qu'il vous a plu de m'adresser du savant et très-intéressant ouvrage que vous vous proposez de faire paraître sur les Armoricains anciens et modernes. Tout ce qui a rapport au pays qui m*a vu natlre est trop cher à mon cœur pour que je ne désire pas faire partie de vos sous- cripteurs. Dans cette vue je viens de remettre à la poste la somme de 6 livres, dont je joins ici le reçu. Je prendrai la liberté de vous indiquer dans quelques jours le lieu je me propose de me retirer, avec ma prière de ro*y adresser votre ouvrage aussitôt qn*ii aura paru. Je ne«vous fais pas mon compliment sur la place de conseiller de préfecture, à laquelle vous venez d^être nommé à Saint-Brieuc. Il n'est aucune place que vous ne méritiez, et il n'en est aucune que vous n'honoriez.

Votre sincère et bien aflectionné compatriote ,

La Tour d'Auvergne Corret.

Qand vous verrez le cit«° Gourlai Kervésien, je vous prierai de vouloir bien me rappeller à son souvenir, et de lui témoigner ma joie sur Tévénement de sa nomination à la place de conseiller de préfecture à Porl-Brieuc, et de vous avoir pour collègue.

1 . L'enveloppe portant l'adresse manque, mais nul donte aor le desUnataire,

LBTTfffis mÉoiTBS DB Toim dUuvbhoub 403

m

Au citoyen Baudouin père, demeurant à Port-Brieuc, déparlement des Cdtes-du-Nord.

A Port Brieuc.

Passy, le 15 prairial an 8* de Rép* f". (4 Juin 1800.)

Je reçois, mon cher concitoyen, votre lettre en datte du8«, et j*y réponds sans perdre un seul instant. Ma recommandation en Faveur du jeune Duhil ne serait rien, n'approchant jamais des personnes en place et ne leur ayanl jamais rien demandé, dans la crainte de tomber dans leur dépendance.

Si j'avais eu quelque crédit auprès de ceux-ci, il n'aurait pu servir de long temps à votre jeune pupille, puisque, d'après les loix militaires qui nous régissent aujourd'hui, nul n'est éligible A une place d'officier sans prouver au moins trois campagnes dans une armée active. Je ne connais d'exemple de l'infraction de cette loi que pour un nouveau corps de houzards ou de chasseurs à che- val qui se lève actuellement à Paris, et dont l'organisation a été laissée entièrement par le gouvernement à. la disposition des chefs qui doivent lever et commander ce corps. Hais, indépen- damment des puissantes protections qu'il faudrait se ménager auprès d'eux, je sais de bonne pari qu'ils n'accordent aucune sous-lieutenance, sans, au préalable, que les parensn'ayent déposé à la caisse une somme équivalente à ce que peut coûter l'équi- pement complet de 12 hommes. Le cit«°Bonami, ex-député, notre compatriote, a cependant obtenu par grâce spéciale qu'on n'exi- gerait d'un sujet qu'il a présenté (le fils aîné de ii^^ de Boisgelin Kersé de Goinguamp) que l'habillement et Téquipemenl de 7 recrues pour ce nouveau corps.

Tels sont les renseignemens que je crois devoir vous trans- mettre pour fixer votre détermination sur l'objet dont vous me

104 LETTRES INÉDITES DE LA TOUR D'AUYERGNE

parlez. Je vous prie d*agréer avec bonlé Texpression de mes regrets si, dans la vue de vous èlre agréable, je me trouve dans Timpos- sibilité de vous servir comme j'aurais ambitionné de le faire, si la chose avait été en mon pouvoir.

Je parts le 18 pour joindre Tarmée du Rhin, pour y servir comme simple volontaire. Le gouvernement vient de me faire passer ses ordres, et comme je ne fus jamais sourd à la voix de ma patrie, ne consultant ni mes infirmités ni mon âge, ma détermi- nation a été bientôt prise.

Salut, estime et amitié.

Le cit«>> La Tour d'âutergne Corret

YoUmtaire à Varméedu Rhin.

Comme vous ne me parlez pas de la réception du prix de Tabon- nement de votre ouvrage, que je chargeai ici au bureau de la poste (e 24 floréal avec une lettre pour vous^ je crains que le tout n'ait été égaré. Je joins ici la note du chargement de la somme de 6 ^, tous frais payés, el que vous êtes fondé à réclamer du directeur de la poste de Passy.

L

A BATONS ROMPUS

I

Mon royaume est borné, au nord, par un mur recouvert de plâtre blanc ; à l'est, par une vieille boiserie en grisaille, sur laquelle se détache une porte; au sud, par un autre mur blanc, frère du premier ; à l'ouest, par Thorizon. J'entends ici par horizon les toits et le petit coin gazonné qu^on aperçoit à travers la porte vitrée qui ouvre sur la terrasse du jardin. Voilà pour les frontières. Le territoire, que j'ai mesuré ce malin, avec une longue ficelle, est assez étendu, sans excéder cependant les limites d*un appartement ordinaire. Les productions du pays sont nombreuses : on y cultive toutes les variétés connues de papier timbré, dans Tarmoire adossée à la boiserie, et diverses taxes d'espèces éprouvées, sur la table du milieu et sur les deux bureaux qui se regardent, chacun en face de son mur. La récolte se fait tous les jours, de huit heures à quatre heures : elle consiste en objets plats et ronds, de tailles, de cou- leurs et de poids divers, et en papiers bordés de vignettes bleues, représentant des personnages habillés à l'antique avec des petits génies entrelacés et des articles du Code civil par intervalle. Le grand tiroir du bureau qui me fait vis-à-vis sert de grenier à four- rage pour la moisson. En ce moment, le Roi est absent de son territoire ; je l'entends qui taille ses arbres dans le jardin. Quand le Roi n'est pas là, je le remplace : je suis son premier ministre un ministre sans portefeuille, qui forme conseil à lui tout seul, vu qu'il n^a pas de collègues, et à qui l'on ne pose jamais la ques- tion de cabinet.^ Nos sujets^ je peux dire nos sujets, car nn

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premier minisire est bien près d'être Roi, nos sujets sont assez nombreux ; nous en découvrons même, chaque jour, de nouveaux. Il y a d'abord les gens de loi du pays ; des notaires de tous les modèles, les uns, ventrus et cravatés de blanc, avec de grosses chaînes d'or et des breloques h leurs gilets ; les autres, jeunes, minces, faisant la roue, pleins d'une recherche et d'une coquelle- rie étudiées ; des avoués au masque de Janus et à l'air malin ; le greffier du tribunal, qui, outre qu'il est seul de son espèce, tient à la magistrature et n'en est pas peu fier; des huissiers enfin, sen- tant Teau-de «vie et ressemblant à des oiseaux de proie. Après, vient le gros du public : les propriélaires, les négociants, les bou- tiquiers, les paysans, les nomades. Le Roi donne audience à tout ce monde avec une majesté qui fait ma gloire et rejaillit sur la per- sonne de son ministre ; il reçoit les sous des marchands de tabac avec autant de dignité qu'il touche les rouleaux d'or et les billets de banque des hommes d'affaires. Moi, je le regarde et je l'admire quand son chien Clown ne me donne pas des distractions. Restez tranquille, Clown, je vous défends d'aboyer : je vais faire le portrait du Roi votre mattre, celui de la princesse Pauletle, et même le vôtre, si vous êtes sage.

Le Roi est un homme de grande taille, avec une figure comme celle de tout le monde et une barbe qui le ferait prendre pour un descendant de Charlemagne : au surplus, il est receveur de l'enre* gislrement par état et jardinier par vocation. Encore, jardinier n'est- il pas le mot propre ; jardinier me paraît trop général. H. Augeret n'entend soigner ses plantes qu'un sécateur à la main, comme ces chirurgiens qui amputent les membres au lieu de les guérir. Après tout, libre à lui de mettre son plaisir il veut. Pour que le Roi soit content, il faut qu'il coupe, qu'il émonde, qu'il taille, qu'il tranche, qu'il rogne et qu'il retaille. J'ai le cœur ému de pitié pour ses pauvres arbustes, quand je les vois tout laids et tout grêles, avec leurs pauvres petits moignons de branches qu'ils semblent tendre comme autant de mains suppliantes vers le maître inexo- rable. Hais rien ne le touche ; chaque soir il s'endort, croyant avoir

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assez coupé; chaque malin il se réveille et recommence de plus belle. Le bruit sec et répété de son sécateur suffit à m'avertir de sa présence au jardin. Ma conviction intime, c'est qn'il n'achète des plantes chez Thorticultenr que pour avoir ensuite le plaisir de les rogner. Je crois que son idéal est un tuteur ou un échalas : à ce compte- là, que ne plante-t-il des brins de fagots dans ses plates- bandes 7 L^efTet serait le même au point de vue de Tornement, et mieux vaudrait s'acharner après du bois mort qu'après des rejetons pleins de sève et de vie.

Depuis surtout que M"^^ Augeret, avec sa Aile Paulette, a quilté la ville pour aller passer les vacances dans sa famille, la manie favorite du Roi semble avoir dégénéré en folie furieuse. Il se lève, le matin, deux heures plulôl que d'habitude et commence à jardi- ner de la façon que vous savez. L'autre jour, le sécateur s'est tu pendant un inslant -, je me demandais à quelle cause attribuer ce silence, quand j'ai aperçu la figure radieuse de M. Augeret h trar vers la por(e vitrée de la terrasse :

Venez, m'a-t-il crié d'une voix de triomphateur, venez voir mon travail d'aujourd'hui !

Je Tai suivi et il m'a promené pendant un quart d'heure au milieu de ses piquets. A la fin, j'ai hasardé timidement une obser- vation et j'ai parlé des fleurs qui égaient les parterres et qu'on ne coupe pas, si ce n'est pour en faire des bouquets. Le Roi m'a fou- droyé du regard.

Des fleurs ! a-t-il dit avec un accent dédaigneux. Puis il a ajouté en faisant claquer son sécateur à vide :

La taille des arbres, Monsieur, la taille, tout est là.

Je suis parti sans attendre le reste, entraînant Clown dans ma déroute.

Clown est ma ressource dans les cas extrêmes^ Je le regarde, quand je ne sais plus mettre mes yeux, et lui fixe les siens sur moi avec un air de compatissance qui me remue profondément le cœur. Nous avons ensemble de longues conversations. Ses yeux brillants et pleins d'expression ; sa queue qui tour à tour frétille.

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joyeuse, ou se ramasse piteusement entre ses jambes ; ses aboie- ments qui marquent la joie ou la colère ; le grondement, signe de la défiance ; enfin leç mouvements vifs, ondulés et gracieux de son petit corps : tout parle en lui, sauf la langue. Est-ce parce que je lui sers d'interprète que je me flatte de posséder le meilleur de ses affections? Peut-être. J'ai pénétré son cœur, il m'a fait des confidences. Ainsi, chose terrible I Clown, si heureux en apparence, a, comme nous tous, sa plaie secrète : une ombre obscurcit sa vie, son sommeil est hanté par des fantômes contre lesquels 11 aboie dans ses rêves. Pensez-y donc, Clown était pour terrer des renards ou des blaireaux, et Clown n'a jamais rien terré, pas même un chat ! Clown a manqué sa vocation. Non pas qu'il appar- tienne à la race de ces affreux bulls anglais, h la tête de vipère, aux crocs saillants, à l'air hargneux, à la queue coupée, aux oreilles pointues, qui en veulent sans cesse aux mollets des gens paisibles et qui passent leur vie à se battre comme des portefaix. Non, Clown est un beau petit terreur, blanc et jaune, un peu bas sur pattes, toujours gai, bon enfant et d'humeur accommodante. Il a des dents, je le sais, ^ le ciel en préserve le bas de mes pantalons pour lequel ce charmant animal semble avoir un faible ! Hais quand on a des dents c'est pour s'en servir, après tout, et je n'ai pas le cœur de le gronder quand il transforme mon linge en char- pie. Ce n'est pas avec M. Augeret que Clown prendrait des libertés semblables. H. Augeret n'a qu'à lui montrer son sécateur, et Clown s'enfuit, tremblant d'instinct pour sa queue et ses oreilles. N'aie pas peur. Clown, je suis pour te proléger ; et, du reste, on sait bien que Paulette jetterait les hauts cris s'il manquait quelque chose à son chien.

Réjouis-toi plutôt, Paulette et sa mère reviennent demain ; les vacances sont finies et les pigeons rentrent au colombier. Chacun ici se prépare, à sa manière, à fêter le retour des voyageurs. H. Augeret a ratissé son jardin. Clown fait maintenant le mort à ravir ; quant à moi, je tiens en réserve, au fond d'une boîte rem- plie de sable, des fourmis-lions que j'apprivoise depuis deux mois,

A BATONS ROMPUS 109

en vue du grand jour. Ah ! Pauletle, si lu savais comme on t'aime, tu ne quitterais jamais la maison I Chez moi, d'abord, il y a plus que de Taffection pour elle ; il y a de la reconnaissance. Il faut vous dire que je suis resté orphelin de bonne heure, et que mon tuteur un vieux garçon fort égoïste pour se débarrasser de moi dès ma sortie du collège, m^a fourré dans une adminislration et m'a fait nommer surnuméraire à deux cents lieues de chez lui. Dieu bénisse le brave homme ! Ce n*est pas lui que je regrette; mais quand, à dix- neuf ans, on quitte ses camarades, le pensionnat est presque une famille pour ceux qui n'en ont pas et qu'on est lancé, seul, à travers le vaste monde, le courage tombe vite, et l'abattement, qui vient, est un mauvais conseiller. Moi surtout, qui suis peu hardi de ma nature, j'ai senti, plus que d'autres peut-être, l'isolement et le manque d'affection, mais Pauletle a fait fuir ma tristesse, comme le soleil du malin chasse le brouillard de la nuit. Aussi, je ne chan- gerais pas ma chaîne pour beaucoup, et j'aime Pauletle comme je n'ai jamais aimé personne.

II

J'ai, sur les enfants, une théorie à moi, qui me ferait lapider par les mères^ si j'avais le front de Texprimer. Je ne les admets guère que passé quatre ans. Jusqu'à deux ans d'abord, tous se ressem- blent: ce sont de petits animaux rouges, sales, grognons et maus- sades, donl les efforts pour vivre mellenl sur les dents leur entou- rage et qui ne sont beaux qu'aux yeux de ceux qui les ont faits. Autant de mots, aulant d'hérésies ! Je continue. De deux à trois ans, l'enfant se transforme, les traits se dessinent, l'animal fait place à l'homme: aux vagissements plaintifs des premiers jours et aux hurlements sauvages qui les ont suivis quand la force est venue, succèdent des bégaiements coiufus el inarticulés dans lesquels les mères, par grâce spéciale, découvrent des discours admirables. Vers trois ans les profanes eux-mêmes commencent à y démêler quelque chose. De trois à quatre ans, les progrès s'accentuent,

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rintelligence natt, à mesure que la parole s'affermit. A quatre ans, la métamorphose est complète. La sensation domine encore, mais le sentiment s*y joint; Tesprit s'éveille et demande â être formé : Tenfant devient un être adorable. A six ans, c'est un dieu, - ou un monstre. Quelle singulière petite machine que la sienne et comment avec de si faibles leviers peut-il soulever des poids aussi lourds! Voilà un être fragile qui n'a pour lui que son inno- cence el sa grâce : il rit à la vie qu'il ne connaît pas et vous riez avec lui ; il sent vivement et pour peu de temps, mais ses premiers sentiments sont empreints d'une fraîcheur qui rappelle ces perles humides de rosée, brillant au milieu des fleurs à peine entrou- vertes. Il faut que les fronts se dérident et que les soucis s'envolent, Tenfant est qui l'ordonne. Petits tyrans ! tyrans charmants, qui cassez la tête avec vos questions toujours les mêmes, frappez Tes- prit par votre terrible logique et bercez l'oreille de vos doux gazouillements ! Tout cela pour dire que Paulelte a six ans. Comment se fait-il que tout le monde n'ait pas six ans ? Ah ! si Ton pouvait jamais n'avoir que six ans !

m

Elle est arrivée hier dans la soirée. Ce malin, j*élais au bureau â huit heures précises, et quand H. Augeret a ouvert la porte, je me suis précipité vers lui, pour avoir des nouvelles de sa femme et de sa fille. Il semblait heureux lui-même ; je m'aperçois que le culte du sécateur n'a pas tout détruit chez cet homme. Comme il était en train de me répondre, j'ai entendu dans l'escalier toute une dégringolade, on eût dit qu'un ouragan balayait les marches. Une impatiente petite main fait jouer la serrure : j'aperçois confu- sément des cheveux blonds ébouriffés, de grands yeux bleus qui me dévorent, un nez retroussé, une bouche mutine, un teint nacré, bref, un démon qui me prend d'assaut avant que j'aie pu taire un mouvement.

Bonjour, Charles !

A DATONS ROMPUS 111

Bonjour, Paulelle !

Et la voilà dans mes bras. M. Âugeret grogne. . .— Et moi ? dit-il d'un ton jaloux.

Au diable l'égoïste ! Elle l'embrasse à son tour, en lui faisant observer qu'il a eu sa part de baisers hier au soir, tandis que moi, on ne m'a pas vu depuis deux longs mois. Là-dessus, nous nous réfugions dans un coin : Paulette s'asseoit sur mes genoux et nous commençons à bavarder. Dieu 1 que de choses on peut se dire en deux heures ! Elle me raconte ses vacances presque jour par jour ; et moi, je lui explique comment ma vie s'est écoulée bien triste, pendant son absence. Quand elle a fini, j'appelle Clown pour faire admirer la docilité de mon élève. Peine perdue ! Clown est comme fou ce malin, il ne cesse de sauter et de gambader autour de sa roatlresse, pour lui témoigner sa joie de la revoir. J'ai beau le me- nacer du gesle^ il ne me regarde même pas et ne veut plus en- tendre parler de faire le mort. Je me rabats sur mes fourmis- lions : déception nouvelle ! Aussi, quelle idéeai-je eue de ramasser de vilains insectes pour une petite fille de six ans. H. Âugeret m'avait déjà déclaré, lors de ma première trouvaille de ce genre, que je n'avais découvert rien de bien rare, qu'il y avait une foule de bêles comme celles*là dans le vieux mur du fond du jardin, et qu'elles lui dévoraient tous ses fraisiers. L'ignorant, qui confond mes féroces et ingénieux insectes avec de vils mangeurs de feuilles ! Enûn, Paulette ne les a même pas regardés. J'ai mis de côté, en soupirant, la boite qui sert de logis à mes élèves, et pour essayer de reconquérir mon prestige, j'ai commencé à raconter des histoires à ma petite amie. J'en étais à celle d'un gresset, d'un amour de grenouille verte avec une belle livrée d'émeraude, une voix perçante et des yeux bordés de cercles d'or, quand Paulette a tourné la tête du côté de la porte vitrée. Il était bien joli pour- tant, mon gresset, et il avait passé, le jour je l'avais pris, par une série d'aventures telles que jamais gresset n'a eu sans doute une existence aussi romanesque. Tout à coup, Paulette m'interrom- pit d'un geste qui voulait dire :

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Ecoutez.

J'entendis, en effet, vaguement quelque chose qui ressemblait au cri rauque d'un canard. Paulette avait aussitôt quitté mes genoux, et, me prenant la main :

Avez vous vu Armand ? Allons voir Armand ! cria-t-elle. Je la regardai d'un air stupéfait.

Eh oui ! continua-t-elle sans faire cas de mon étonnement, Armand..., c'est mon canard. N'est-ce pas un joli nom qu^Arraand ?

La peste soit des petites filles pour avoir de ces idées baroques ! Peut-être ma mauvaise humeur tenait-elle à ce que mon amour-propre de conteur venait d'être froissé. Quoi qu'il en fût Je suivis Paulette à contre-cœur, et je m'apprêtai à n'affronter la vue d'Armand, puisque le canard portait ce nom ridicule, qu'avec une indifférence mêlée de mépris. -^ Un instant après, il faut l'avouer, toutes mes préventions étaient à vau-l'eau.

Savez- vous ce que c'est qu'un canard? J'entends bien, vous allez me dire, comme le premier passant, que c'est un animal disgra- cieux, à la démarche de déhanché, au cri monotone et désagréable, aux goûts grossiers, à l'air bêle. Halle*là ! je vous arrête, les pas- sants se trompent et vous aussi. Je voudrais bien savoir, critique à courte vue, si vous avez l'air élégant dans l'eau et si les canards qui vous verraient vous y débattre auraient vite fait des gorges chaudes de votre mine piteuse et mouillée. Vous vous moquez de leur voix. Eh Psans doute, ils ne parlent pas la même langue que vous ; mais c'est juslemetU merveille qu'avec si peu de moyens, ils puissent rendre des sentiments si divers. Est-ce que leur cri est^ le même quand ils font l'amour, quand ils se défient, quand ils sont effrayés, quand ils sentent, prophètes infaillibles, la pluie qui va tomber? Des goûts grossiers I M'aimez-vous pas le gibier faisandé, et l'intérieur d'une bécasse ne passc-t-il pas pour un mets déli- cieux ? Enfin, on prétend que les canards ont Tair bête. Les chas- seurs, qui les connaissent, vous diraient que ce sont les plus mé- fiants des oiseaux.

Je ne sais si toutes ces réflexions me vinrent à l'esprit, quand

A BÂTONS ROMPUS 113

Paulette me présenla, pour la première fois, Armand. A dire le vrai, je crois que non ; c'est dans le commerce répélé de cet intel- ligent volatile, que je les ai puisées Tune après l'autre. Armand ne laissa pas cependant de produire sur moi, dès Tabord, une impres- sion indéCnissable.Non qu'il fût revêtu, commeles mâles des canards sauvages, d'une parure éblouissante ; c'était un canard de basse- cour, au bec déteint, au plumage terne, un peu trop fort d'encolure pour une proportion parfaite. Hais quand j'arrivai, il me regarda^ en tournant la tèle de côté, tout le monde sait qu'un canard ne voit pas ce qui lui fait face, il me regarda d'un œil si grand, si noir, si profond, si brillant, que toutes mes idées préconçues en furent chassées pour ne plus revenir. Ce canard avait l'œil d'un sage et d'un philosophe. Pour un peu plus, il m'aurait converti à la métempsycose, et j'aurais cru découvrir en lui, par suite d'une transmigration mystérieuse, Timage d'un Socrate ou d'un Platon.

Gouin ! fit Armand en battant des ailes.

L'entendez-vous ? cria Paulette d'un ton triomphant. Il dit qu'il vous trouve à son goût.

Je me sentais en moi-même fort honoré de cette appréciation, bien que ne l'ayant pas saisie avec la même promptitude que Pau- lette : celle-ci, d'ailleurs, connaissait Armand depuis plus long- temps que moi. Nous allâmes incontinent chercher du grain à la basse-cour^ et le canard fit ce matin ^là en mon honneur, ainsi que l'observa ma petite amie, un festin des plus délicats.

Je n'étais pas au bout des présentations. En remontant au bu- reau, j'aperçus un vieux monsieur, la tête couverte d'un bonnet de soie noire, comme on en portait autrefois. Il était assis à côté de H. Augeret, avec lequel il causait familièrement. Tous deux offraient au physique un contraste singulier : M. Augeret, grande large d'épauleSi bien pris de corps, l'air franc et bon, malgré une pointe de sécateur sortant de la poche de son paletot ; l'autre, petit, rata- tiné et ridé comme une vieille pomme de reinette, enfoui dans des vêtements trop larges pour sa personne exiguë. Il avait une voix perçaqte et louchait d'une façon abominable, en me transperçant

TOME LX (X DE LA SÉRIE). 8

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de ses yeux de vrille, les lunelles relevées et collées à son fronl : avec ceia^ ne pouvant tenir en place et accompagnant chacun de ses mots de gestes d*une vivacité incroyable. J*appris plus tard qu^il se nommait Savinien Noirot, que H™« Âugeret était sa nièce, et qu'il avait été proresseur de rhétorique dans un collège. On me nomma quand j'entrai : il me salua d*un signe de tète, sans cesser de causer avec H. Augeret ; puis ils sortirent, emmenant Paulette, et je restai seul à songer aux nouveaux venus.

IV

C*est un drôle d'homme que le père Noirot ! Je crois, Dieu me pardonne ! qu'il a entrepris de me faire recommencer ma rhéto- rique ! Il prétend qn'on ne sent réellement les beautés classiques que quand on a Oni ses classes et qu'on se remet librement à l'étude des auteurs anciens. Là-dessus, il se répand en tirades à perdre haleine et commence, à déclamer des centaines de vers grecs ou latins, entrecoupés d'exclamations admiratives. S*il trouve que mon enthousiasme n'alleint pas au niveau du sien, il frappe de grands coups de poing sur la table ou s'interrompt brusque- ment, et je l'entends qui m armure entre ses dents :

Béotien !

Hier, il a passé plus d'une heure à commenter un demi-vers de Virgile:

Arma virumque cano...

#

Non, quand on n'a pas connu M. Noirot, il est impossible de se figurer exactement tout ce qu'il y a dans ces trois mots. M. Noirot y voit toute ïEnéidey y compris l'épisode de Nisus et d'Ëuryale et tes lutteurs du quatrième chant. Malgré ses lunettes, je ne puis, en pareil cas, faire moins que de le comparer au divin Galchas, ce qui ne manquerait pas sans doute, si je lui faisais part de mon idée, de flatter singulièrement son amour-propre.

Heureusement, Paulette est !à, qui a ses licences et assez d*au-

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dace pour m'arracher aux griffes de son oncle. Cette petite fille a trouvé le secret de le mener, comme elle le fait de tout le monde, par le bout du nez. Il a fallu d'abord que M. Noirot fit la connais- sance d^Arroand.

Quid ! a dit dédaigneusement le professeur, quand on le lui a présenté : est-ce un nom de canard ?

A propos, Paulette m'a expliqué pourquoi elle avait appelé le canard Armand. Elle m'avait fait écrire par sa mère, pendant les vacances, pour me demander quels étaient, à mon goût, les plus jolis noms imaginables. Je lui en adressai des quantités, croyant qu'il s'agissait d'un poupard à baptiser et non d'un animal : Georges, Henri, Charles, Jules, Guy, René, Armand, etc. Armand avait plu à Paulette ; et voilà comment je me suis trouvé, sans le savoir, le parrain d'un canard.

Donc, chaque malin, Paulette, M. Noirot et moi, nous allons en procession assister au petit lever d'Armand et lui apporter son premier déjeûner. Ce canard philosophe semble destiné à mourir d'indigestion. En attendant, Armand donne de jour en jour des preuves d'une intelligence vraiment remarquable : il nous connaît parfaitement tous trois, et, du plus loin qu'il nous aperçoit, salue notre arrivée par une fanfare retentissante. Il nous suit dans le jardin ; il arrive à l'appel de son nom ; il a, pour annoncer les étrangers, un cri perçant à rendre jaloux un chien de garde. Telles, dit M. Noirot, les oies du Capitoie sauvèrent Rome aux temps antiques ! Paulette s'attache à son canard, et je crois qu'elle fera une maladie quand il mourra; elle lui a acheté un compagnon, pour lui servir de domestique, car on ne trouverait pas tous les jours un second Armand. Moi, j'hésite entre lui et mes fourmis^ liions. Quant au professeur, il est encore plus en admiration devant Armand que Paulette. Qnand Tare est trop tendu, il se brise ou perd tout ressort ; d'ailleurs, saint Jean TËvangéliste ne se délas- sait-il pas de ses travaux apostoliques en jouant avec une perdrix, et Mérimée lui-même, l'homme correct par excellence, n*appréciait« il point les ébats de son chat Matifas ? Le professeur détend son

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arc en compagnie d*Ârmand : i! le prend pour confident, il lui fait un cours de rhétorique, et vous n'avez jamais rien vu de sem- blable au spectacle que donne M. Noirot, se promenant dans le jardin comme les péripatéticiens sous le portique d'Académus et récitant VEnéide au canard.

Clown est devenu jaloux d'Armand à faire frémir : j'imagine, à voir la façon dont il le regarde^ qu'il doit machiner contre soa rival quelque plan diabolique. Avoir élè si longtemps le favori de la maison pour se voir sans motif réléguer au second rang, c'est dur ! et la philosophie seule peut aider à supporter de pareils coups. Or il n'a jamais été grand philosophe, si ce n'est peut-être de la secte d'Epicure. Je le'console de mon mieux, mais en vain : c'est l'amour de Paulelte qu'il veut, et le cœur de Paulette est ailleurs.

Encore, si Tinfortuné avait la lillérature pour lui venir à l'aide I Ah ! la littérature, les belles* lettres ! comme dit le professeur... Figurez-vous que cet olibrius s'est mis en tête de faire revivre au- jourd'hui la fameuse querelle des beaux esprits du siècle de Louis XIY sur les mérites comparés des anciens et des modernes. M. Noirot tient pour les anciens avec M.^^ Dacier. Pourtant il est un moderne un moderne d'il y a deux cents ans, qu'il met au-dessus de tous les autres : c'est Pascal. Il ne tarit pas quand il parle des Provinciales, de Nicole et du grand Arnaud ; je le soup- çonne même véhémentement de mêler à son culte pour la mère Angélique un peu de ce sentiment qui faisait dire de Victor Cousin qu'il était l'amant de tl^^ de Longueville. J'ai insinué, avec toute la délicatesse possible, celte pensée à M. Noirot, lequel en a rougi jusqu'aux oreilles. A ce moment, on a frappé à ta porte du bureau. Le professeur, éprouvant le besoin de faire diversion, s'est préci- pité vers l'homme qui entrait.

Eles-vous janséniste ? s'est écrié W. Noirot d'une voix per- çante.

Non, m'sieu, a répondu l'autre, complètement ahuri, en tirant un papier de dessous sa blouse, je suis-t-hériticr !

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Je ne sais comment ce Béotien a pu supporter le regard fou- droyant que lui. a lancé H. Noirot.

Nous voilà au dix-neuf octobre, jour de la fête du professeur. On la lui a souhaitée suivant toutes les règles ; et M. Noirol, qui, comme les vieilles gens, tient quelque peu à l'étiquette, a se sentir dans son for intérieur flatté et touché à la fois des attentions dont on Ta entouré, à celte occasion. Le matin, tout le monde Ta embrassé, et Pauletle, tenant à la main un énorme bouquet, lui a récité solennellement un compliment en vers français dans le style du XIX^ siècle, s'il vous plaît I et de la façon de votre très humble serviteur. Grand succès pour l'auteur et pour l'interprète ! H. Noirot nous a remerciés dans un petit discours fort bien tourné, ma foi, mais qui avait été évidemment préparé de longue date, car il était divisé en trois parties et n'a pas duré moins de dix minutes. C'était cela sans doute et non V Enéide que le professeur débitait au canard dans le jardin !

Lesoir,festindonnéparH.etM[°^<)Augeret, toujours en l'honneur de leur oncle. Tous les notables de la ville, y compris le proviseur du lycée, avaient été invités. Au centre de la table était un grand nou- gat, surmonté d'un saint Savinien en sucre filé, d'un effet superbe. M. Noirot avait remplacé son bonnet de soie noire par une calotte de velours de même couleur ; il était en habit, avec une chemise brodée, un gilet coupé en cœur et des lunettes d'or. Paulelte ei moi, nous nous trouvions placés l'un près de Taulre et nous avons bien ri de toutes les drôleries qu'on a dites pendant le repas. Le dessert, surtout au moment des toasts, a été réussi. Chacun a porté le sien, nous deux comme les autres ; mais le plus remarqué a été sans contredit celui du professeur. Il a bu, comme un païen, au vin et à la fraternité du verre. On a beaucoup applaudi, et le proviseur a demandé à M. Noirot de vouloir bien lui remettre, le lendemain, la copie du susdit toast pour le montrer à ses écoliers, comme

iiff A BATOHS ROMPUS

modèle de composition dans le genre bachique. Bref, Timpression la plus nette que j'ai conservée de ce dîner, outre une vague idée d'un potage à la bisque, d'un canard aux olives dont la délicatesse de chair sembla particulièrement exqaise, d'une diode truffée et du fameux nougat avec sa statue, c'est le souvenir du professeur et de la belle figure qu'il y fit. Nous étions tous heureux et gais, ce soir- lâ, ne prévoyant guère les tristesses du lendemain.... Est-il donc vrai, comme le disent les sages, que rien, dans rencbalneroent des choses humaines, ne soit si près de la joie que le malheur ?

N'allez pas croire, pourtant, que j'aie à vous annoncer la mort de H. Noiroty celle de Paulette ou la mienne. Le coup, grâce à Dieu, ne porta pas si haut. Je vais, du reste, raconter l'événement tel qu'il arriva.

C'était le lendemain de la Saint-Savinien. On s'était levé tard, à cause du dtner de la veille; il était neuf heures sonnées quand je frappai à la porte do bureau.

Paulette y était déjà qui m'attendait.

Et Armand^ me dit-elle d'un ton de reproche, vous l'avez oublié, vilain égoïste ! Moi, je me suis souvenue de lui. Voyez plutôt (et elle me montrait ses mains pleines de reliefs du dessert et de frian- dises de toute sorte). Allons lui porter à déjeûner, son heure est passée.

H. Noirot vint nous renforcer sur ces entrefaites; il goûta fort notre entreprise et nous nous mîmes en marche tous trois, jouis- sant à l'avance de Taccueil que le canard allait faire aux provisions de sa maîtresse.

Chose étrange ! Nous approchons du chalet en miniature qui sert de logis à notre camarade et rien, de sa part, n'annonce notre venue. Qu'a*t-il fait de ce cri de triomphe dont il nous réjouit d'ha- bitude Toreille, comme d'un bonjour amical ? Ou plutôt, est-il ? Pas dans le chalet, à coup sûr. Voilà bien l'autre canard, roulant ses gros yeux avec un air effaré, comme sUl se demandait, dans son épaisse cervelle, pourquoi nous sommes là, groupés autour de lui, fouillant du regard chaque recoin de la cabane.

A BATONS ROMPUS 149

^ Armand ! Armand 1 crie Paulelte d'une voix désolée.

Et le professeur répète et je répète : . Armand ! Armand !

Mais est«ii donc, encore une fois, lui si exact, si (idèle, si tendre, si empressé, jadis ? Clown accourt ; ce n'est pas Clown qu^on appelle.

Armand 1 Armand l

Et nous parcourons le jardin en tous sens ; et nous revenons au chalel. Tout à coup je me retourne. Clown est là, jouant avec un objet qu'il tient dans sa gueule et qu'il jette en l'air, pour le res- saisir, dès qu'il retombe à terre et le mordiller avec fureur. Hachi- nalemenl, mes yeux se portent sur cet objet, débris informe cou* vert de poussière et de sang. Je m'approche et soudain la réalité funeste me traverse l'esprit comme un éclair ! Ab ! Clown, impi- toyable ennemi, n'as-tu pas honte de profaner ainsi tout ce qui reste d'un cadavre ! Hélas ! Et nous, qu'avons-nous fait I nous avons mangé noire ami, comme ces cannibales qui engraissent leur<ï prisonniers et les entourent de soins jusqu'à ce qu'ils les tuent. Du doigt, j'ai montré à mes compagnons la tête ensanglantée qui gisait à terre et dont les yeux atones nous poursuivaient comme un remords. Us ont compris aussi : H. Noirot a levé les bras au ciel ; Paulelte a failli se trouver mal et s'est jetée, en sanglotant, dans mes bras....

Les destinées des animaux, comme celles des hommes, sont soumises aux caprices du hasard. Tout est prévu, tout est réglé, tout est calculé, tout est ordonné ; la Fortune passe et, du bout de son doigt, dérange l'harmonie de l'ensemble, renverse l'édiGce la* borieusement construit, replonge le triomphateur dans l'obscurité d'où elle l'avait tiré, et enlève brutalement aux uns ce qu'elle jette aux autres avec profusion. Dieu est Lieu, disent les Arabes, et Mahomet est son prophète !

Il n'est pas besoin d'ajouter que ces réflexions philosophiques eurent pour auteur H. Noirot. Alors que Paulelte était encore plon- gée dans sa douleur, lui avait repris toute son assurance. Il retra-

420 A BÂTONS IIOMPtJâ

çait ce qu*avait élé la vie d'Armand, il énumérait ses quaiilés, il dépeignait sa morf, il le monlrail, vicliaie d'une déplorable erreur, entre les mains d'une cuisinière barbare qui, ayant reçu l'ordre d'égorger l'autre canard, avait jeté son dévolu sur Armand, séduite, comme tout le monde, par sa bonne mine. Ici le billot fatal appa- raissait, la hache faisait son office ; et, tandis que le corps allait figurer avec pompe sur la table d'un festin somptueui, on jetait aux gémonies la tète qui avait servi de siège à tant d'intelligence ! Ce fut un discours complet, marqué çà et par des morceaux d'éloquence de l'ordre le plus noble; et, grâce au professeur, Armand eut ainsi son oraison funèbre, ni plus ni moins qu'Hen- riette d'Angleterre ou le grand Condé.

Pauletle pleura beaucoup son canard. Elle aurait pris le deuil, si Urne Augeret n'avait mis bon ordre à cet excès de désespoir. Deux jours après l'événement, je me promenais seul dans le jardin. Le coin réservé àPaulelte se distinguait par un léger renflement pareil à celui d'une tombe. C'était une tombe, en effet, bordée de coquilles blanchâtres, régulièrement disposées, avec une petite croix faite de deux laites plaquées l'une sur l'autre, au pied de laquelle on avait rois, dans un vase plein d'eau, un bouquet de fleurs de la saison. Sur la croix une main malhabile avait écrit :

CI-GIT ARMAND

PLEURÉ PAR SES AMIS.

Pendant bien des jours, Paulette ne manqua pas d'aller, chaque roatin, cueillir des fleurs fraîches, pour remplacer celles de la veille, et réciter sa prière à genoux sur la tombe. Elle devenait triste*

Pour un canard ? direz-vous.

Qu'importe, si elle l'aimait! M. Noirot, qui était oncle après tout, et qui avait la vue bonne malgré ses lunettes, lui fit alors ca- deau de deux tourterelles blanches apprivoisées. Au bout de peu de temps, les gentils oiseaux la prirent en affection : ils la suivaient

J

Ttr::

A BATONS ROMPUS 121

partout, se posant sans crainte sur ses épaules et lui becquetant familièrement les lèvres et les joues. La gatté disparue revint peu à peu. Un mois ne s'était pas écoulé depuis la mort do canard ; ridée me vint d'aller visiter sa tombe. La bise froide de novembre avait dérangé les coquillages et jonché la terre de feuilles mortes; la croix penchait à demi déracinée; dans le vase plein d'une eau jaunâtre, il n'y avait plus que deux ou trois liges mortes, sur- montées de fleurs aux pétales décolorées et flétries. Je regardai tout cela, quand je sentis sur mon bras la main du professeur. Il vit la tombe abandonnée... Ainsi va le monde ! dit-il, après un moment de silence.

Henri Finistère.

LA RETRAITE ET SES FONDATEURS"

Galherine de Francheville el Jeanne du Houx ne manquèrent pas d'enlrelenir, dans Tâme'de Marguerite, ce feu sacré qui s'allume d'une manière si intense dans les cœurs vierges. Sœur Jeanne en était à peu près consumée; ses forces ne répondaient plus à Tar- deur de sa flamme et s'épuisaient à vue d'œil. Une maladie grave lui imposa enfin le repos qu'elle refusait de prendre (1676) : elle fut alitée pendant quarante jours. Elle se remit ensuite au travail, avec le même zèle, affrontant de nouvelles fatigues, traînant son corps usé aux exercices quotidiens et animant la foule du souffle que lui laissait un reste de vie ; mais ses supérieures crai- gnirent de la perdre et la rappelèrent au Colombier. Elle se rendit à Rennes vers la fin de septembre, mais, à son arrivée, elle tomba de faiblesse et il fallut la porter dans son lit. L'épouse de la Croix allait achever sur la croix une vie agonisante qui était pire que la mort.

Ses infirmités redoublèrent et un cortège de douleurs fondit sur elle. C'étaient des maux de tète insupportables, des éloufi'ements cruels, un feu qui la brûlait en dedans, un froid qui la glaçait au dehors, une faim insatiable, une fièvre persistante, des insomnies continuelles, des fluxions de toutes sortes, tantôt aux yeux, tantôt à la gorge et tantôt à la poitrine, enfin cette humeur ma-

* Voir la livraison d'avril 1886, pp. 284-289.

^.

i

I

RETRAITE ET SES FONDATEURS 139

ligne aux genoux qu'il fallut encore ouvrir et qui lui causait des convulsions fréquentes. Des peines intérieures s'ajoutaient â ses souffrances, et Jeanne aurait pu s'appliquer les lamentations du Psalmiste : Ma vie a défailli dans la douleur. Toute ma force s'est desséchée comme de la terre cuite. Mon cœur est devenu semblable à une drequi se fond, au milieu demes entrailles. Il n'est rien res-^ de sain dans ma chair et il n'y a plus aucune paix dans mes os. Mon esprit est rempli de trouble.et des maux incomparables m'ont environné. (Ps. xxi-xxx-xxxvii-xxxix, passim.) Hais elle, se taisait comme Jésus en croix et s'offrait tout eh-

0

tiëre en holocauste â Tamour de son Dieu.

Pendant six mois, elle endura ce terrible martyre. Le méde- cin qui la visitait ne comprenait pas que, malgré son épuisement, elle pût résister si longtemps à plusieurs maladies jnortelles. ^Le mercredi saint (1677), elle éprouva un surcroît de fièvre et on la Iransporla dans une infirmerie qui avait servi de chapelle, et personne n^avait encore couché. Ce .fut pour elle une vraie conso- lalion d'achever le sacrifice de sa vie dans un lieu son divin Afaître avait offert tant de fois le sien ; mais elle devait languir avant de recevoir le dernier coup. Il lui. fut révélé qu'elle souffrirait encore beaucoup, que son âme serait plongée dans un océan de dou- leurs et qu'elle ue mourrait pas sans avoir bu le calice du Sauveur jusqu'à la lie. Elle accepta comme un honneur dont elle était indi- gne celle suprême épreuve. Lagangrènese mit dans plusieurs en- droits de son corps et on lui fil des incisions très douloureuses. Sœur Jeanne supporta tout avec une résignation inexprimable. Le bon- heur de souffrir pour Dieu était le sujet habituel de ses entretiens. De son lit, nous allions dire de sa croix, elle prêchait ses pieuses compagnes mieux qu'elle n'avait jamais fait. Elle répétait souvent comme un refrain aimé ces vers naïfs du P. Huby, qui expriment des choses sublimes :

Plus désormais, ni nuit, nijour.

Que croix, que mort, que Dieu, qu'amour 1

m LA RETRAITE ET SES FONDATEURS

Elle tenait presque toujours son crucifix entre les u^ains et le baisait de temps en temps : « Dieu seul est ma force, disait-elle. Dieu seul est mon refuge ; ou souffrir ou mourir, j'en laisse le choix à mon Dieu. »

Le 2 septembre» anniversaire de sa naissance, ses tourments re- doublèrent. On demandait à la malade si elle désirait voir Dieu bientôt : c Mon désir, répondit-elle, est de le voir, quand il lui plaira ; toute mon affaire est de l'aimer et de souffrir. » Mais elle voulait auparavant s'unir à Lui dans les mystiques fiançailles du clotlre. Quoiqu'elle eût été, en effet, le modèle des religieuses, pendant plus de irente ans, elle n'avait pas fait profession. Sa mau- vaise santé ou plutôt son humilité Tavait retenue à l'entrée du sanctuaire. Sur le point de mourir, elle se décida enfin à solli- citer la faveur de prononcer publiquement ses voeux. On le lui ac- corda.

Le vendredi 24 septembre, à dix heures du matin, la commu- nauté s'assembla dans Tinfirmerie redevenue chapelle. La cérémo- nie si touchante de la profession empruntait quelque chose de plus attendrissant encore aux circonstances exceptionelles elle se produisait. Cette mourante qui prenait le voile, ces serments pour la vie sur le seuil de l'é terni lé, cette croix, emblème de souffrance, passée au cou de l'héroïque malade, les renoncements volontaires de cette mort spirituelle mêlés aux brisements inévitables de la mort naturelle, la pensée du Divin époux qui frappait à la porte et venait chercher la fiancée, tout était de nature à impressionner l'assistance ; mais l'émotion fut au comble lorsque la supérieure, Madame de la Bintinaye, lui posa sur la tële une couronne de fleurs, comme c'est l'usage à la Visitation, car on se souvint alors de la prédiction qu'elle avait faite, à ce sujet : « Mère Marle-tsa« belle me couronnera et on pensait aussi à la couronne de gloire que les Anges tenaient suspendue, au-dessus de sa couche.

Cependant une couronne d^épines ceignait toujours son front douloureux, des souffrances aiguës traversaient tous ses membres ; les ardeurs de la fièvre dévoraient lentement le reste de sa vie;

LA lŒTRAITE ET SES FONDATEURS 125

son corps épuisé se desséchait, et Vépouse de la croix était vrai- ment crucifiée, attendant le coup de grâce. Hais, plus sensible aux touches de Tamour divin qu'aux tourments de i*épreuve fi- nale, sœur Jeanne-Marie exultait au Heu de gémir: < Oh ! que les miséricordes de Dieu sont grandes ! s'écriait-elle ; oh ! que les peines que j'endure sont aimables, par les effets que votre amour, ô mon Dieu^ produit dans mon cœur f 0 Jésus, ô mon tout, donnez- moi votre amour. Yengez-vous de moi, Seigneur, vengez-vous de moi présentement ; mais pardonnez-moi pour l'éternité ! »

Le lendemain de sa profession (25 septembre), elle parut si anéantie qu'on s'empressa de lui donner l'Extrëme-Onction : elle le reçut avec \\ne piété qui arracha des larmes à toutes les religieuses présentes. On lui proposa ensuite de venir la communier à minuit: « Je neveux point, répondit-elle, incommoder personne ; j'espère que Dieu me soutiendra jusqu'à demain. » Le dimanche matin, elle fit dévotement celte dernière communion ; à midi, elle appela son directeur, le P. Yalentin : « Je me meurs, je n'en puis plus, j'entre dans Pagonie ; donnez-moi, s'il vous platt, mon Père, la dernière absolution et faites-moi gagner l'indulgence. »

Les religieuses furent aussitôt réunies, pour réciter en chœur, autour d'elle, les prières des agonisants. Comme elles finissaient, la mourante se tourna vers son confesseur : Mon Père, dit-elle d'une voix faible Je n'ai plus qu'un petit soufSe de vie ; je ne pui3 plus rien, mais agissez pour moi auprès de Dieu. » Peu de temps après, elle prononça distinctement ces mots Mort, silence à toutes choses ! » Vers trois heures de l'après-midi, elle fit signe qu'on al- lumât le cierge bjénit et qu'on rappelât la communauté. Elle avait dit à quelques-unes de ses sœurs que, quand son cœur serait atta- qué, il n'y aurait plus de vie pour elle. Celles-ci ne furent pas plu- tôt rassemblées qu'elle éprouva un tressaillement soudain et jeta un cri : «c Mon cœur est blessé ! » C'était le coup mystérieux qu'elle avait annoncé, elle murmura encore les saints noms de Jé- sus, Marie, Joseph, et elle expira doucement, après trois heures d'agonie, à la même heure Notre-Seigneur était mort.

126 RETRAITE ET SES FONDATEURS

Ainsi, jusqu'au dernier soupir, la vénérable sœur Jeanne-Marie du Houx justifia le glorieux surnom d'épouse de la croix qu'elle s'étaildonné : image vivante du Christ souffrant, eilele suivit jusqu'au calvaire, comme autrefois les saintes femmes ; elle embrassa étroi- . tement sa croix, elle en fil son lit nuptial, elle y reçut au cœur celte blessure qui semble avoir été ouverte par un Irait divin, elle par- tagea enfin les souffrances et les gloires du crucifix.

Après sa mort, son visage parut si beau que les reli|;ieuses et les pensu)nnaires ne se lassaient point de le regarder. C'était à qui s'en approcherait de plus près et rendrait la première ses hommages au corps de la sainte : les unes lui baisaient les mains, les autres les pieds, les autres la figure : toutes voulaient avoir de sps reliques ; mais, quand elle fut exposée, à la chapelle, avant d'être inhumée, une foule de personnes pieuses accoururent pour vénérer ses restes, et il fallut charger une religieuse de faire toucher au corps les médailles ei les chapelets qu'on présentait à chaque instant. Jeanne de Forsans du Houx fut enterrée au milieu du chœur, vis-à*vis de la grande grille. On ferait un volume entier des témoignages que ren- dirent à sa vertu les plus notables de ceux qui la connurent et s'aidèrent de ses conseils, mais une voix domina toutes les autres, ce fut celle de Hk' Balthazar Grangier, évèque de Tréguier. Il pu- blia une lettre épiscopale il proclama ses mérites, « sa dévotion « élevée et solide tout ensemble, son esprit éclairé qui semblait « pénétrer dans le fond des consciences, sa conversation édifiante c qui portait les personnes vertueuses à s'avancer de plus en plus à « la perfection, safidélité à corespondre aux inspirationsintérieures « et aux conseils, sa vie toujours uniforme et égale » enfin la part qu'elle a eue à la réforme des maisons religieuses de son diocèse, elle demeura près de deux ans « et parulcomme un exemplaire c de toutes les vertus chrétiennes. » (6 février 1678.)

Les autres évèques brelons auraient pu confirmer ce magnifique éloge, car Jeanne du Houx avait parcouru également leurs diocèses, ramenant la paix et faisant refleurir la règle dans les communautés elle passait. Le monde, qui avait eu les prémisses de sa vertu.

k-

RETRAITE ET SES FONDATEURS 127

comme fille, comme épouse et comme veuve, s*unit à ce concert de louanges qui étouffait la rumeur, lointaine déjà, des calomnies et des jugements téméraires, et dans les murs de la Retraite, témoins de ses derniers travaux, son souvenir laissa un parfum de sainteté qui embaume encore la maison^

V*« HiPPOLYTE Le Gouvello.

{La suite prochainement . )

i. Après diverses vicisâitades, l'ancien séminaire de Vannes est redevcna anjour- d'hni une maison de la Retraite.

POÉSIE

LE CONSCRIT 1

 M. Edmond Biré.

Il est parti bien loin, et pour la grande guerre,

Le petit conscrit bas~breton. II a derrière lui laissé sa vieille mère

Et les varechs de son canton,

Son clocher et son champ, enfin tout ce qu'il aime.

Il est parti sans murmurer. Tous les autres chantaient. Il a chanté de même,

En se retenant de pleurer. I

Il s'est très bien battu sur la terre africaine,

Il est prêt à se battre encor : Il a déjà conquis les deux galons de laine

Qui précèdent les galons d'or.

Il s'est très bien battu : tous les Bretons sont braves.

Il est fier de ses deux galons. Ses gattés il en a font rire les plus graves ;

Pourtant les jours lui semblent longs.

Il est saisi souvent d'une mélancolie

Toujours plus sombre chaque fois ; On lui répète en vain que c'est une folie, |

Et qu'il est porté pour la croix. (

4

Il est las du soleil, des bois de laurier-roses,

De l'aloès^ de l'oranger ; Las des horizons bleus qui lui semblent moroses,

Il ne peut dormir ni manger.

/

vv •!. ;..» .■>^"-- .-

LE CONSCRIT 129

Il vit comme en rêvant. La ûèvre le consume,

Il n'a plus souci de renom ; Dans son œil à présent nul éclair ne s'allume,

Même au bruit soudain du canon.

Mais un jour qu'il errait dans le Jardin des Plantes

D'Alger en son ennui profond, Un sourire passa sur ses lèvres tremblantes

Devant une touffe d'ajonc.

Quant il dut s'éloigner, essuyant sa prunelle,

Furtivement il détacha, Touchant voleur, un brin de la fleur fraternelle

Que sous sa capote il cacha.

Un autre jour encor qu'une soudaine trombe

Fondait sur le camp effrayé. Devant le ciel de plomb d'où la pluie à flots tombe,

Son regard morne avait brillé.

C'était le ciel d'hiver de sa chère Bretagne

Qui la lui rendait un moment. C'était l'agreste ajonc qui dore la campagne

Dont il rêvait incessamment.

II se mourait du mal que la Bretagne laisse,

Dès qu'ils l'ont quittée, à ses fils, Le mal doux et cruel qui lentement progresse,

Qu'on nomme le mal du pays.

De son lit d'hôpital dans la fosse enfin prête

Lorsque le soldat fut couché. Sous l'oreiller funèbre reposait sa tête

On retrouva l'ajonc séché.

M>*« Sophie Hue*

TOME LX (X DE LA SÂRIB). 9

TOUJOURS VENDÉEN!

A MON AMI M. G. MOLLAT

« Toujours Vendéen I » voilà ma devise. La Vendée ! est-il un pays plus beau, Aimant mieux le Roi, Dieu, la sainte Eglise?.. « Toujours Vendéen ! » dira mon tombeau.

Lorsque du néant fut tiré mon être,

Si le ciel m'avait admis à choisir.

Ce n'est pas ailleurs qu'il m'eût plu de naître :

Le ciel indulgent prévint mon désir.

N'as-tu point pour toi, terre vénérée, Tout ce qui ravit et l'âme et les yeux? Des plus doux attraits n'es-tu point parée ? Et tes fils ! Sont-ils assez glorieux. I...

En mon lieu natal la nature est triste : Ton sol est bien nu, mon pauvre Luçon ! Qu'as-tu pour former une âme d'artiste ? De Toiseau chez toi triste est la chanson.

* L'auteur de ces vers possède un bel ex-lihris, composé tout exprès pour lui par son compatriote, M. Octave de Rochebrune. « Quelle légende graver, demanda le maître, sur la banderolle liant les deux branches de lys? »> « Toujours Vendéen 1 » lui fut-il répondu.

TOUJOURS YENIHKBN ! <31

Si j'étais resté captif en ta cage Et n'avais connu que ton horizon, J'eusse été muet... Mais en toi, BogagBi Je suivais, enfant, la belle saison.

Comme une alouette au ciel élancée^ Dans un coin perdu que toujours je vois, En toi s'éveilla ma jeune pensée ; Là, pour chanter Dieu, j'essayai ma voix.

Quand blanchissait l'aube, à mon gré trop lente, J'allais admirer l'astre se levant, Et sur quelque fleur la goutte tremblante, Perle destinée à l'aile du vent.

, Oh I les purs matins, les heures bénies, je tressaillais d'un profond émoi! Lumière, couleurs, parfums, harmonies, Vous pénétriez à grands flots en moi F

De tant de beautés je me sentais ivre. Et j'aurais voulu folle ambition ! Faire étinceler aux pages d'un livre Ta splendeur divine, ô création î

Ainsi s'enchanta ma rêveuse enfance ; Puis un jour j'avais compté dix-huit ans J'ouvris, rougissant de mon ignorance. L'histoire de ceux qu'on nomma brigands.

Je lus leurs exploits d'un regard rapide : Ils me révélaient un monde plus beau !... « Salut, m'écriai-je, ô race intrépide 1 « Je suis avec vous, et jusqu'au tombeau !

188 TOtIJOOHa VETOÉEld

a Ma lyre s'attache à votre épopée, « 0 mes fiers vaincus 1 6 peuple immortel 1 H Q\iB du moins mon vers, comme votre épée, « Défende sans peur le trône et Vautel ! »

Poursuivons-le donc, leur stoïque' rôle, Et, n'en doutons pas, nous serons vainqueurs. Héritons du Roi la haute parole : « Les cœurs vendéens, ce sont de grands cœurs ! Nantes, 28 juin IS86.

INSCRIPTION

Faisant jusqu'en sa mort trembler la République, Charette vers ton seuil s'avança sans eïfroi, ^

Porte avec lui frappée, ô pieuse relique. Et sa grande âme à Dieu remonta devant toil

PENSÉES

Nous faisons trop souvent comme le papillon qu'attire la lueur du flambeau. En restant à distance, nous eussions pu jouir longtemps; mais, fascinés par Tobjet aimé, nous nous jetons au centre de sa vie et nous trouvons le feu qui brûle ou la glace qui tuejplus lentement et plus cruellement;

Fleurs qui s'effeuillent au fond des bois, sympathies sans réponse et sans retour, trésors perdus...

Que Thomme devient petit dès qu'il se croit grand I

Ceux qui resteraient des jours entiers dans la contemplation de la nature n'ont pas de peine à croire qu'on reste l'éternité dans la contemplation de Dieu.

Quand je vois ce que l'homme a su faire pour Dieu, je com- prends ce que Dieu a voulu faire pour l'homme.

Je plains ceux qui se lassent de ce qu'ils voient chaque jour; c'est à la longue que l'âme se pénètre de la poésie intime des choses.

enviez pas la parfaite tranquillité de la vie ; il faut plaindre : dont personne n'a jamais besoin.

trtaJns esprits, plus orgueilleux qu'élevés, s'oDusquent de royance des simples et de leurs humbles pratiques ; sou- ms-nous que le mystère de la croix était un scandale pour luifs, et qu'ils jugeaient indigne de Dieu ce qui ravit les a depuis dix-huit siècles.

i

VOUS qui priez Dieu parmi les parfums et les fleurs, souve- Tous de ceux qui le servent dans les cachots et dans le

n est ai occupé de ses propres sentiments qu'on froisse 9 y penser ceux des autres et qu'on devient innocemment el.

y a en amitié des blessures inguérissables ; on croit tout iré, on se le dit, mais ce n'est que replâtrage; tout s'écroule dessous.

ne goutte d'amertume suffit à empoisonner un océan de beur.

oèles, il faut souffrir ! Ces cris éloquents, c'est le sang de &mes qui ne sort que par leurs blessures.

PENSEES 135

Ce qui chante en nous, c'est quelque chose de plus haut que nous, un souffle d'en haut qui passe, le reflet d'une beauté qui n'est pas la nôtre.

i

Qu'il est beau le chant des âmes qui se dégage de la pous*- sière des siècles, qui plane sur les ruines et qui monte, qui monte à travers les générations : plaintes, aspirations, rôves célestes, lueurs du génie, passion divine... Qu'il est beau le chant des âmes !

Marie Jbnna.

V.

GALERIE DES POËTES BRETONS

M. RABUAN DU COUDRAY

Il y a quelques années, lorsque je publiai, dans celle Revue, les biographies d'Emile Langlois de Kcranobrun, de Louis de Léon, je m'adressai, pour avoir des renseignements, à H.RabuanduCoudray, conseiller à la cour d^appel de Rennes, qui, je le savais, avail vécu dans ri9limité de ces poètes et avait même collaboré avec eux au journal le Foyer.

H. Rabuan du Goudray fut avec moi, qu'il ne connaissait pas^ ce qu'il était toujours, d'une amabilité parfaite et d'une complaisance extrême. Il me fit, avec infiniment d'esprit, le portrait de chacun de ses anciens amis^ et me communiqua la collection complète introuvable aujourd'hui —de ce spirituel petit journal feFoy^, contenant des articles pétillants de verve et d*en train et des poésies charmantes.

Aujourd'hui que H. Rabuan est allé rejoindre ces chers morts, qu'il nous soit permis d'apporter notre tribut d'hommage à sa mémoire et de citer quelques strophes des jolis vers éclos jadis sous sa plume.

M. Paul- Jean-Marie Rabuan du Goudray, fils de Paul-Harie-Louis et de dame Angélique-Jeanne- Marie Roumain de la Rallaye, naquit à Rennes, le 6 janvier 1813. Il fit ses études au lycée et s'engagea, à dix-huit ans, dans l'armée d'Afrique. Après quatre années passées en Algérie, une fièvre pernicieuse le décida à demander son renvoi en France et à prendre son congés à l'expiration de son engage- ment.

Entré, le premier décembre 1835, dans les bureaux de la pré- fecture de Rennes, deux de ses amis, MM. de Ghevremont et du

M, RABUAN DU GOUDRAT 438

Margat, Tavaient précédé, il eut rautorisation de suivre les cours de la faculté de droit, afin d'obtenir son diplôme de licencié.

Ce fut à celte époque que le Foyer vit le jour et que parurent, dans les colonnes de ce journal, les élucubralions de toute la jeu- nesse intelligente de Rennes.

Nous y trouvons plusieurs poésies de H. Rabuan, et entre autres les suivantes : Dernière lueur (25 mars 1838), Retour aux mêmes lieux (4 novembre 1838), Mère un seul jour (23 décembre 1838).

Deux de ces pièces sont navrantes de tristesse et se ressentent du moment elles ont été écrites. Alfred de Musset venait de

publier son premier volume de vers, et les cris de doulenr de ce poète retentissaient dans toutes les jeunes imaginations. Convenons cependant que la tristesse de M. Rabuan semble sincère, puisqu'elle est dégagée de loule amertume.

Dernière lueur

Une jeune fille phtisique sentant sa fin approcher s'écrie, en songeant au fiancé qu'elle aime :

Naguère encor j'étais heureuse Dans ma jeunesse et ma gatté, Quand le mal de sa main hideuse Est venu flétrir ma beauté. La douleur m*a jeté son yoile Plus pâle que la pâle étoile Qui luit en un ciel gris d*hiyer ; Et dans ma poitrine amaigrie, J'ai senti l'âpre maladie Enfoncer son ongle de fer.

J'ai cru que l'heure était yenue ; Et mon cœur a frémi d'effroi, A l'aspect de la tombe nue. Toute béante devant moi. Mourir, quand on est jeune et belle ! Mourir, quand, à Taube nouyelle,

439 M: RABUAN DU GODDRAT

Un beau fiancé doit ?eDir I Mourir, quand son regard de flamme Vient me crier, au fond de Tâme, Que si je meurs, il veut mourir !...

Si je pouvais être jolie, Demain quand il arrivera ! S'il me retrouvait embellie, Quand ma .bouche lui sourira ! Je l'aime ! sa voix est si tendre ; J'ai tant de bonheur à l'entendre, Et ses regards sont si brillans ! Reine de la sainte patrie, Protège-le, vierge Marie, Et fais qu'il m'aime bien longtemps !

Nous ne pouvons résister au désir de donner en entier cette pièce de vers, empreinte d'une douce mélancolie, intitulée :

Retour aux mêmes lieux

Rien n'est changé : l'aube est vermeille. Les raisins fatiguent la treille ; Les gazons sont frais et touffus ; L'oiseau chante dans la vallée. Et les roses bordent l'allée, Mais Glaire ne les cueille plus.

Je reviens seul sur cette pierre.

Dont elle détache le lierre

En murmurant ces mots confus :

«( Prends ; c'est l'emblème de ma vie,

« Je sais mourir je me lie. i>

Ma Glaire ne me le dit plus.

Dans le bois j'ai revu le hêtre ma main, tremblante peut-être. Grava nos chiffres confondus. Sa lettre et la mienne enlacées, D'un baiser je les ai pressées ; Mais Glaire ne me sourit plus.

^SH

M. RABUAN D0 GOUDRAT iiO

Voilà cette longue avenue Que nous parcourions Tâme émue, Cachant nos pleurs mal retenus ; Mais aujourd'hui son humble mousse A mes pieds n*est plus assez douce : Ma Glaire ne la foule plus.

Ne viens pas, gentille fermière, Me montrer, si vive et si fîêre, Tes fruits aux branches suspendus ; De ce lait qui mousse et qui fume, La coupe n'aurait qu^amertume : Glaire ne la partage plus.

Rien n'est changé ; rien...« que mon âme, Dont le mal s'irrite et s'enflamme ; Rien.... que mes vœux trop tôt déçus. Dix mois ont passé sur ma vie ; Ils en ont brisé l'harmonie : Ma Glaire près de moi n'est plus !

Mére un seul jour.

A Edouard Tubquett

Hélas ! comme la pauvre mère mourante doit souffrir, en effet, en songeant que son cher petit enfant, âgé seulement d'un jour, va être seul au monde, abandonné à des mains mercenaires !

En vain j'ai dans mon sein des trésors de tendresse ; . Je meurs sans recevoir ta première caresse, Une autre mère, hélas ! quand je serai là-haut, Pour tes plaintes n'aura qu'une tardive oreille, Et verra sans plaisir, sur ta bouche vermeille, £clor& un premier mot.

Qui voudra t'enseigner, malgré le rire impie, . Â bégayer les noms de la Vierge Marie

Et de l'Enfant Jésus, faible et nu comme toi ?

141 M. RABUAN DU GOUDRAT

Et qoand Tiendront les jours de répreuve et da doute, Qui donc affermira ton ftmo dans la roule De notre antique foi ?....

Son droit terminé^ M. Rabuan quitta Tadminislration départe- mentale (31 décembre 1839), pour entrer au barreau de Rennes. Ses débuts furent un véritable succès ; aussi ne tarda-t-il pas à être placé au premier rang des avocats bretons. Son talent oratoire et la sympathie qu'il sut inspirer à tous ses concitoyens, le firent choisir, en 1848, comme représentant du peuple. Il fut à la Chambre Tun des plus jeunes députés.

Délaissant prompteroent la politique, pour laquelle il n'avait aucun goût, il entra dans la magistrature en 1850. Tout lui faisait présager un brillant avenir, puisqu'il était nommé conseiller à la Cour d'appel de Rennes en 1858 ; mais la maladie, la terrible maladie, vint de nouveau briser sa carrière en le forçant, quoique bien jeune encore, à prendre sa retraite.

Sa vie s'écoula désormais à faire le bien, l'hiver à Rennes, et Tété à sa propriété du Val, commune de la Fontenelle près Ântrain.

Causeur agréable, travailleur vaillant, H. Rabuan s'occupait, aussitôt que la souffrance lui laissait un instant de répit, d'études savantes sur des sujets divers qui donnaient encore un charme de plus à sa conversation.

Homme de bien par-dessus tout, franc, loyal, instruit, M. Rabuan sut se concilier l'estime de tous ceux qui l'approchèrent, et il laisse, à l'heure présente, de vifs regrets dans le cœur de ses amis. Il s'est éteint à Rennes, le 29 décembre 1884, à l'âge de 72 ans.

Adolphe Orain.

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NOTICES ET COMPTES RENDUS

RÉPERTOIRE GÉNÉRAL DE BIO-BIBLIOGRAPHIE BRETONNE, par M. René Kerviler, bibliophile breton, avec le concours de MM. A. Apuril, Gh. Berger, A. du Bois de la Vilierabel; A. Galibourg^ P. Hémon, Fr. Jégou, Alb. Macé, A. Menard, M. Nicol, R. Oheix, P. Paris-Jallobert, J. Plihon, F. Saulnier,G. Sommervogei, H. Soulas« etc., etc. Livre pre- mier, Les Bretons. i«r fascicule *• Aa-An. Rennes, librairie générale de J. Plihon et L. Hervé, 1886. In-8o de vin-t60p. —Prix : 5 fr.

M. Kerviler expose, dans sa Préface, que, s'occupant depuis vingt ans de travaux sur la biographie bretonne, il a été souvent arrêté par Tabsence d'indications qui lui permissent de pousser ses re- cherches dans une direction déterminée ; que les recueils de bio- graphie générale ou locale se sont bornés à quelques personnages principaux et ont passé sous silence une foule de noms qui méri* taient autant et plus d^attention que ceux qui y recevaient asile ; que, tout en notant les documents nécessaires à la biographie des Bretons qui étaient Tobjet spécial de ses études, il relevait en même temps toutes les pièces qui pouvaient concerner des Bretons quelconques, dans Tespoir d'éviter plus tard de nouvelles re- cherches ; que de celte façon il a réuni un nombre très respec- table de milliers de fiches et qu'il a résolu d'en faire profiter ses compatriotes pour épargner aux travailleurs toute la peine prise par lui-même. Voici le programme adopté par H. Kerviler : Étant donné le nom d^un Breton ou d'une famille bretonne, on doit trou* ver dans mon répertoire l'indication de toutes les publications qui ont parlé de lui ou d'elle : et si ce Breton a écrit quoi que ce soit, on doit de plus trouver la bibliographie aussi complète que pos- sible de tous ses écrits. H. Kerviler, dont Pintrépidité est presque

143 NOTICES ET COMPTES RENDUS

incomparable *, a cru devoir ajouter à ce programme, déjà si vaste, l'indicalion des ouvrages anonymes ou collectifs sur la Bretagne. Félicitons-nous-en, car il ne manquera rien au Répertoire général dont, avant la fin du siècle, nous verrons paraître le dernier fas- cicule.

Ce recueil sera divisé en deux parties : « La première, sous le [lire lès Bretons^ comprendra, par ordre alphabétique, les noms et les articles concernant les Bretons qui ont écrit ou dont on a écrit. Cela est net et clair. La seconde, sous le litre la Bretagne, com- prendra, par ordre matières, la bibliographie de tous les ou- vrages écrits sur la Bretagne, soit par des Bretons (rappel de ceux de la première partie en autre ordre), soit par des auteurs non Bretons, soit sous le couvert de Tanonymat. »

Le premier fascicule ne mérite que des éloges, soit au point de vue biographique, soit au point de vue bibliographique. Partout on y trouve à la fois l'abondance et l'exactitude. Entre tous les ar- ticles on remarque l'article Abélard, qui se développe en seize pages. J'ai d'autant plus été frappé de la richesse des indications fournies sur l'illustre philosophe, que j'avais autrefois essayé de donner, dans le Polybiblion, la liste des travaux relatifi^ à l'infor- tuné mari d'Héloïse. M. Kerviler a tellement dépassé son humble de- tancier, qu'il existe entre son article et ma note la même diffé- rence qu'entre un tableau achevé et une simple esquisse. La série d'articles sur les rois, ducs, comtes et princes de la maison de Bretagne du nom d'Alain, est aussi fort digne d'attention. Quelques

1. M. Kerviler parJe avec une noble assurance de son œuvre et de lui-même (p. vu) : QaeJques-nns ont été effrayés de Tampleur de l'enlreprise, du nombre des volumes et du temps qu'il faudra pour les publier. Si Ton s'effrayait ainsi, on n'en- treprendrait jamais rien. Je suis de race bretonne et la ténacité fait parlie de notre caractère nalional. Je marche donc en avant, parce que je vois clair devant moi et parce que les éditeurs et rimprimeur, dont je ne saurais trop mettre en relief ici le patriotique déFooemeat, parUgent ma confiance.» La préface se termine par ceUe l^rase, qui a quelque chose de la sonorité du clairon annonçant la victoire : « El maintenant, Je vous remercie d'avoir répondu à mon appel et je vous j«lle le cri au marin qui va commencer sa manœuvre : A Dieii m

ICOTICBS BT COUPTSS BINDU8 144

paragraphes ne manquent pas d'une piquante saveur et appar- tiennent à ce qu'on peut appeler Térudition attrayante. Clomme spécimen du genre je reproduis une demi - page consacrée au P. Albert le Orand : « Nom du célèbre carme à qui -l'on doit la Vie des saints de Bretagtie. Daru a cru que c'était un simple nom de religion emprunté au savant dominicain du XIII» siècle, et fannotateur de Quérard l'a admis aux Supercheries littéraires dé- voilées, en faisant observer (I, col. 238) qu'il n'avait pas trouvé, à son grand étonnement^ d'article sur le P. Albert le Grand dans la très estimable Biographie bretonne de Levot : puis, après avoir dit que le P. Albert le Grand s'appelait en réalité de Ketigouëly il déclare que niKerdanel ni Le Jean n'ont connu son véritable nom. Rare- ment tant d'erreurs ont été accumulées en si peu de lignes. En pre- mier lieu h Biographie bretonne de Levot contient un excellent ar- ticle sur le P. Albert : seulement il fallait se donner la peine de le chercher à Tordre alphabétique Le Grand. ei non pas seulement à la lettre A. En second lieu, si Kerdanet n'a pas parlé du véritable nom dans les Notices chronologiques en 1817, il s'est livré à une dissertation complète dans la notice qui précède la dernière édir tion A*Albert le Grand en 1837, pour démontrer que le nom de famille du célèbre carme était Le Grand de Kerigoal ou mieux de Kerigowal^ tiré d'un manoir situé près de Lesneven qui se pro- nonce aujourd'hui Kericvoal et non Kerigouël. n'

Cela s'appelle remettre crânement les gens à leur place. Au milieu de ces 400 articles qui composent ce premier fascicule, articles dont quelques-uns comprennent plus de 100 numéros, je ne puis apercevoir, avec la loupe la plus grossissante, qu'une seule lacune. Il a oublié l'abbé Aillery^ l'auteur du Pouillé de Luçon, qu'if a cru sans doute Vendéen, mais qui est à Nantes de famille pontivyenne et dont la biographie par M. Fillon (autre motif pour le croire Vendéen) se trouve quelque part dans le recueil de la Société académique de Nantes, Ce sera pour le volume de supplé- ment, car &I. Kerviler n'a pas la prétention d'avoir atteint du premier coup le dernier degré de l'exactitude : il annonce dès l'abord ce

r'

HOTIOB BT COHPTIS «BHOUS

!l fait appel sur la couverlure à toutes les bonnes volontés apporter des additions et des rectifications. Je sais hen- )ouToirIui apporter ici mon obole el je souhaite ardent- g les fascicules de la Bio-bibliogr<^hie bretonne se suc- ins retard.

TAMIZEt DE LARROQUE.

ION LOCALE DES CLÉONS , HAUTE-GOULAIHE , PRËS S. Rapport sur la découverle de cette station arcbëoloeique et lion raisonnée des objets qui en proTiennent, par Félix uhaillou. , Vincent Forest et Emile Hrimeud, 1886, in-S', 47 pp. d pi.

:%anle petite brochure, tennni, au contraire de bien beaucoup plus que son litre ne semble promettre; et la 'est qu'elle est déjà parvenue en Belgique et en Angleterre, u loin un nom hier pour ainsi dire inconnu des Nantais ra sans doute, un jour, appelé à une grande notoriété. it due à un archéologue fervent, passionné pour ses décou- . qui a su non seulement les étudier avec frnJt, mais encore ressortir foule l'importance scientifique et la valeur hislo-

sée des Cléons, uniquement composé d'objets trouvés sur e propriété, est un modèle dans son genre ; modèle de our reconstituer les débris exhumés; d'ordre, pour les d'élégance, pour les présenter sous leur véritable jour; œuvre de patience, entreprise avec intelligence, et conli- c persévérance, disons mieux : con amore. lorsque, le 6 juillet dernier, le Congrès de la Société fran- rchéologie ûl une visite aus Cléons, dont l'heureux pro- a si bien su meltre en pratique le Querite et invenietis, es membres de cette réunion d'érudîls ne pouvait s'arra- juuissances qu'il goûtait en présence de cette collection, i son auteur la grande médaille de vermeil, l'une des plus icompeases du Congrès.

NOTICES ET COMPTES RENDUS U5

Claire et instructive, malgré sa concision, la brochure expose en peu de mots, pour l'époque gallo-romaine, les constructions, pierres et matériaux, terres cuites, tuiles, briques et carreaux, enduits, corniches et clayonnages, mortiers, ciments, bétons, céramique, armes, outils et métaux, épigraphie et numismatique, objets divers, qui, sucesssivement sortis des fouilles,.sont venus prendre place sur les étagères ou dans les vitrines.

Les planches reproduisent une intéressante mosaïque; un système de couverture (tuiles k rebords, tuiles creuses) peu connu dans nos contrées ; un beau fragment d'enduit peint, trouvé en place et garnis- sant le côté d'une pièce de 3 m. 90 de longueur; un intéressant ^ra/*- fito de sept lignes d'écriture cursive, tracées à la pointe sur un enduit; enfîn, une flûte champêtre, attribution un peu contestée peut-être par quelques membres du Congrès, dont les observations cependant n'ont pu ébranler la conviction bien assise de ceux qui consi- dèrent cet objet primitif comme servant aux bergers de Té- poque pour s'appeler entre eox. »

Nos félicitations les plus sincères à H. Chaillou. Nous espérons bien que notre patient et laborieux confrère nous réserve de nou- velles et curieuses surprises pour ses fouilles de 1886-i887.

H. de Harsy, l'éminent président, et ses dévoués assesseurs se plaisaient à dire que leur visite aux Cléons était, en raison de ce qu'ils avaient pu y voir, l'une de celles dont ils aimeraient à con- server un agréable et profitable souvenir.

S. DE Nigolliére-Teijeiro.

ESSAIS DE CRITIQUE, par M. Charles Fuster. Vn vol. in-18, Paris,

£. Giraud, 1886.

L'opinion voit dans le critique un homme mûr, un peu désabusé, ayant gardé de son passage à travers la vie ce qu'il faut de sévé- rité pour juger les hommes et de philosophie pour les excuser, appliquant à la littérature, suivant la pente de son esprit ou les exi- gences de son tempérament, les résultats d'une expérience sou- riante ou chagrine. Malgré l'éveil précoce de la vocation d'un

TOME LX (X DE LA SÉRIE) 10

146 NOTIGBS BT COMPTAS REMOUS

Sainle-Bduve et d'un Janin, et rappélit d'analyse morose qui a mis trop vile une sourdine à la lyre de M. Paul Bourget, on se figure malaisément le critique jeune, ne prenant pas, pour cacher son âge, ces airs prématurément blasés qui sont commja les rides de ^intelligence, mais gardant et affichant toute l'ardeur de passion, tous les enthousiasmes, toutes les haines généreuses de cet âge. Pour être inattendu, cet aspect nouveau du critique n'en sera que plus intéressant et plus aimable ; craignez-vous quUl ne soit un peu novice, que, dans son délicat métier de psychologue, les points de repère et les termes de comparaison lui fassent parfois défaut ? Il vous répondra qu'il a suppléé par la lectnre et la réflexion à une expérience qui conduit trop souvent au découragement morbide ou à la défiance exagérée de soi-même, et vous vous direz que, comme accessoires d'une observation forcément indécise, il n'a pas eu tort de compter sur son intuition et son honnêteté native. Il aura plus de peine i se défendre du reproche d'injustice ; il sera sévère, im- pitoyable à ses ennemis, mais il voudra ignorer la {méchanceté sournoise et la guerre à coups d'épingle. Brusquement aussi (c'est le dernier, et ce n'est pas le moins curieux trait de sa séduisante physionomie), il fera un retour attristé sur cette époque dont il ne veut pas désespérer quand même. Lui qui exalte et commente sans cesse le sursùm coria^ il sera au moment d'appliquer à son pays, à son temps, l'adieu navré deKosciuszko à )a Pologne ; il ne reniera pas, encore moins brisera-t-il, ses dieux, mais il gémira de voir leurs autels renversés, leurs temples déserts ; écœuré par le choix des sujets et l'impuissance à les traiter, il pleurera sur toutes les décadences, celle du roman, celle du théâtre, celle de la critique elle-même (ici notoirement partial, méconnaissant l'école d'inves- tigation synthétique dont Taine est le glorieux chef, et les pré- cieuses conquêtes dont cette fin de siècle aura enrichi l'histoire littéraire). Je m'empresse d'ajouter qu'il n'y a dans ce tableau, ici vrai, poussé au noir, qu'un accès passager de découragement, presque une boutade : c'est de la misanthropie, mais je crois qu'elle n'a pas été sans repentir.

NOTICES BT COMPTES RBNDUS 147

Voyez dans ce qui précède un caractère au sens Tenten- dait La Bruyère -— et mettez vite au-dessous de cette ébauche de portrait le nom déjà connu du modèle , M. Charles Fuster. M. Fuster a révélé de prime abord la haute portée de son esprit méditatif: à l'âge Ton est niaisement ou follement amoureux^ il s'était attentivement replié sur lui-même et, dans un volume de vers que H. H<ppo)yte lihwr a présenté aux lecteurs de cette Revue, ^ V âme pensive ^^ il cherchait, comme le plongeur de Schiller, la perle enfouie au plus profond de Tâme humaine. Plus Lard, il écrivit des Contes touchants sanspréleniion et moraux sans fadeur. Fondateur et directeur d'un des organes les plus accrédités de la presse périodique, la Revue littéraire et artistique de Bor- deaux, il y inséra des morceaux de critique idéaliste fort remarqués chaque mois, et qu'il a eu la bonne pensée de réunir dans le présent volume. Une modestie, qui paraîtra excessive, lui fait donner à ses Essais le sens primilifet grammatical de ce mol; ce sont le plus souvent, quoi que prétende sa préface, des essais comme l'enîendaient Montaigne et aussi Cnarles Lamb, le Nodier d'cutre-Manche, cnrils décèlent une personnalité intense, font une part très large à la morale sociale ou individuelle, et, afiirmant nettement les principes de l'auleur, peuvent passer pour ses pro- fessions de foi. Avant tout, le trait dominant de ce livre, celui qu'il importe de signaler et de proclamer, c'est la poursuite de l'idéal, partant la réaction passionnée contre ce qui est vulgaire, rampant. A l'heure la marée du naturalisme gagne de proche en proche, les plus illustres cèdent à la tentation de déchoir, de telles protestations sont mieux encore que généreuses, elles sont utiles et, dussent elles èire vaines, je ne sais pas de plus beau spectacle que celui d'un jeune homme remontant le courant boueux et te- nant d'une main ferme, comme Camoêns le manuscrit de ses Lu* siades, le livre il a mis le meilleur de son âme.

Je parcours la galerie de M. Fuster^ avec le regret de ne pouvoir ro'arrèter devant chacun des portraits qui la décorent. Est-ce en guise de Cerbère qu'il a mis à l'entrée Jules Vallès, personnage

148 NOTICES ET COMPTES RENDUS

haineux, écrivain déclamatoire ? A celle place, on dirailun « phan- thome à estonner les gens ^, pour parler avec Montaigne. Combien préférons-nous Taimable Genevois Marc Monnier, qui se délassait à tirer les fils des marionnettes ou à rechercher la généalogie de Figaro, nous rendait un humoriste aussi délicat et plus soucieux du style que Tauleur de la Bibliothèque de mon oncle, mais aurait répudié toute parenté avec un autre de ses compatriotes, pris de la malsaine fantaisie de transporter dans le roman, en lui laissant presque son titre, mais en l'assombrissant encore^ la désolante Course à Vabime de Berlioz ! Fort heureusement pour lui et pour nous, M. Fuster n*a pas usé toutes ses couleurs sur les figures maussades, vieillottes ou fanées de Vallès, d'Âmiel, de M*. Edouard Rod. Un de ses plus chauds, de ses plus vibrants articles, a été écrit à la mort de Victor Hugo, et il y envisage le grand poète, dont le clavier sonore a exprimé toutes les sensations, sinon tous les sentiments de Thumanité, comme Tincomparable interprèle de la vie éparse en l'univers entier. L'immortelle ivresse de vivre (je lui emprunte celle belle expression), il la retrouve à un degré moins étendu, mais plus nettement définie, avec une plus pure sobriété de contours, chez cet Athénien de Paris, M. Théodore de Banville. Il n'est pas étourdi par le gong de M. Richepin. Il démasque les im- passibles qui, imbus de Toslliélique de Gœlhe, peuvent se donner, comme M. Renan, les dehors de l'émotion, mais se préoccupent d'abord, comme Gustave Flaubert, de balancer leurs périodes ou, comme M. Leconte de Lisle^ de ciseler leurs alexandrins. Comme contraste aux demi-teintes se plaît le dileltantisme affiné de M. Paul Bourget, à ses Aveux effleurés et discrets, il fait ressortir Taveu vif et franc, la flamme amoureuse et poétique de M^^e Louisa Siafert, uneSapho stoïcienne, qu'il eût pu comparer aussi à Louise Labbé plus retenue. L'œuvre si intéressante et, malgré les réserves qu'il lui applique, bien personnelle de M. Pierre Loti, lui inspire un fin chapitre de psychologie littéraire ; ici plus qu'ailleurs, j'au- frais plaisira le suivre et à le discuter, car les écrivains bretons doivent mieux qu'un hommage banal à celui qui peint au vif les

NOTICES ET COMPTES BEND^S 14d

hommes el les siles de la Bretagne, qui retrace en pages inou- bliables le tranquille héroïsme de Mon Frère Yves et les souf- frances ignorées des Pécheurs d'Islande.

Je ne fermerai pas les Essais de M. Fuster sans insister sur ce que la critique, ainsi comprise, a de vaste et de lumineux : elle en- seigne et prêche d'exemple ; elle ne décompose pas, elle reconsti- tue; elle ne se borne pas à indiquer les écueils, elle montre et fraie la bonne voie. Pour rendre de belles et fortes idées, les mots lui viennent avec une heureuse abondance, et, pareille à un fleuve qui descend des hautes cimes, sa parole se déverse à flots pressés. Un peu d'exubérance ou de pétulance ne lui messied pas plus qu'à un cheval de race, impatient du frein. Celle critique est toute neuve d'origine : Yillemain ne l'avait pas plus pressentie que Boileau ou Voltaire, et Sainte-Beuve, si grand par d'autres côtés, lui était demeuré étranger. Elle a jailli, presque armée de toutes pièces, du cerveau de Paul de Saint-Victor, et je ne vois pas un écrivain delà jeune école qui soit plus digne que M. Charles Fuster de recueillir ce glorieux héritage de Tauleur d'Hommes et dieux. Celui qui a fait un plaidoyer admirable (le mot y est el je le maintiens) en fa- veur de la littérature depassion, celui qui, interrogeant les poètes^ à propos d'amour, a réhabilité le sentiment que tant d'autres dégradent, s'inscrit aujourd'hui parmi les maîlres de sa génération; il a la foi robuste, le feu sacré el, par surcroît, l'éloquence qui vient

du cœur.

Olivier de Gourcofp.

LES FAMILLES FRANÇAISES A JERSEY PERDANT LA RÉVOLUTION^ par le comte Régis de rEstourbeilIon, inspecteur de la Société fran- çaise d^archéologie, secrétaire de la Hevue historique de l'Ouest et de la Société des Bioliophiles Bretons, membre honoraire du Conseil hé- raldique de France. Gr. io-S*», viii-680 p. Nantes, imp. Vincent Forest et Ennile Grimaud.

En attendant que nous rendions compte de cette importante publica- tion, nous détachons de la préface les pages Fauteur expose par quel hasard il fut conduit à Pentreprendre :

L'une des plus grandes jouissances que puisse épouver Thislorien

160 NOTICES ET COMPTES BINDDS

on l'archéologae voyi^eant à l'étranger, est à coup sâr l'émotion qu'il ressent lorsqu'il vient 6 rencontrer quelques documents con- cernant la patrie. Le souvenir du foyer natal <\ni se présente à lui, au cours d'une excursion lointaine, rajeunit en quelque sorte son âme et lui rappelle qu'il doit demeurer toujours le gardien et le constervateur fidèle des traditions nationales, de même que l'homme de guerre doit en rester le défenseur.

Au mois de juillet 1883, nous trouvant & Jersey, aui réunions du Congrès de la Société française d'Archéologie, qui célébrait, celte année-là, A Gaen et dans les ties anglo-normandes, le cin- quantième anniversaire de sa fondation par l'illustre de CaumonI, unheureus hasard nous lit faire bientôt une heureuse trouvaille. Guidé par notre pieuse affection pour un aïeul, A Salnl-Helier en 1194', pendant l'émigration française, et espérant y retrouver quelques traces de son passage, nous avions déjà fait d'infruc- tueuses recherches, lorsque nous découvrîmes, chez le Recteur delà mission catholique de Saint- Thomas de Jersey, une grande partie des cahiers sur lesquels les ecclésiastiques émigrés avaient inscrit en secret tous les actes de l'état civil des familles réTugiées ji Jersey pendant la Révolution. Bien que plusieurs d'entre eux, mutilés peu à peu, eussent déjà perdu un certain nombre de leurs feuilles, nous filmes ravi cependant de cette précieuse rencontre qui nous mettait en présence de trente cahiers in-folio, contenant près de 400 actes et intéressant plus de 1200 familles. Grâce à 1 obligeance du R. P. Bourde, directeur de la mission catholique, nous pûmes les emporter à litre de prêt, bien résolu à en opérer le dépouillement et à en faire l'objet d'un sérieux examen. Or c'est le résultat de cet examen que nous venons exposer aujour- d'hui. Notre travail n'offre point au lecteur une œuvre de longue haleine, mais au chercheur un ensemble de documents nouveaux, de matériaux complètement inédits...

Si leur authenticité est indiscutable," leur origine, qui date de 17^2, n'est pas moins facile â connaître. A cette époque, quelques- uns des nombreux ecclésiastiques émigrés demandèrent aux

NOnCBS ET GOXPTES RENDUS 451

évèques de Bayeux et de Tréguier, également réfugiés à Jersey, Tau- lorisalion d'ouvrir un registre pour Tinscriplion des baptêmes, ma- riages et décès, qui devenaient incessants. Ces prélals s'empressèrent aussitôt de satisfaire à leur demande, et ce que nous appellerons les premiers registres paroissiaux catholiques de Jersey s'ouvrent tous par une suscription de ce genre : « Nous, Augustin Le Hintier, évëque de Tréguier, réfugié en Tisle de Jersey, à raison des troubles et calamités qu'éprouve TÉglise gallicane, fondé de pou- voirs de Mffr révêqu'e de .Goutances, approuvons et permettons au sieur Le Saoul, chanoine de Téglise cathédrale de Saint-Malo el curé de ladite ville, d'ouvrir deux registres en papier simple, va le non-usage du papier de contrôle à Jersey, contenant chacon douze feuillets, pour y rapporter en double les actes de baptêmes, mariages et sépultures, pour lesquels il serait requis, et que nous consentons et permettons qu'il fasse, pendant son exil en ladite isie de Jersey, à charge toutefois audit sieur Le Saout de remettra entre nos mains l'un de ces registres, lors de leur clôture, et de présenter Tautre, resté en sa possession, pour être reconnu légal el authentique en France, aussitôt que les circonstances pourront le lui permettre.

« A Saint-Hélier, en l'isle de Jersey, sous le sceau de nos armes, le 3 février 1794. f Augustih, évèque de Tréguier. »

Il est probable que les circonstances ne permirent point à ces ecclésiastiques de rapporter sur le sol natal les doubles de ces re- gistres, plusieurs d'entre eux se trouvant au nombre de ceux qui nous ont été confiés. C'est donc pour nous une grande joie de faire amplement connaître aujourd'hui ces documents demeurés à l'étranger et qui constituent le véritable état civil des familles fran- çaises réfugiées à Jersey pendant la Révolution. Ajoutons que leur nature et les circonstances qui ont entouré leur origine nous ont fait, de plus, considérer comme un devoir de piété filiale la publi" caiion de ces textes.

C^« DE l'Estoitrbbillon.

iSS NOTICES ET COMPTES RENDUS

Mffi* du Fongerais.

Li Revue a oublié, dans son précédent semestre, de consacrer quelques lignes à la mémoire de Hi' du Foagerais, directeur gé- néral de TŒuvre de la Sainte-Enfance, décédé à Paris, au mois de janvier dernier, et qui appartient à la Bretagne par son berceau, par quelques-unes de ses fructueuses années, par son affection et par sa tombe,

Henrl-Harie-Alfred de la Douêpe du Fougerais naquit à Vitré, le 13 septembre 1821. Son père, M. Edouard de la Douêpe, baron du Fougerais, sous-préfet de Vitré de 1816 à 1823, puis de Mayenne de 1823 à 1830, était originaire de Seine-et Oise ; dame MarieRenée Després, sa mère, descendait des familles Bongrain de la Boinelle et Guitet de la Rançonnerie, de la paroisse du Perire. Le jeune du Fougerais commença ses études au collège de Mayenne, les termina brillamment au petit séminaire de Nantes, et se fît inscrire à PÉcole de droit de Paris. Au bout d'une année, sur les conseils de Tabbé de Conrson, qui de Nantes était passé à la direction du sé- minaire de Saint-Sulpice, M. du Fougerais, indécis jusque-là sur sa vocation, entra dans cette dernière maison, y reçut le sous-diaconat en 1843, alla se préparer au sacerdoce à Saint-Louis-des-Français, à Rome, et fut ordonné prêtre à Saint-Jean-de-Latran. Rentré dans le diocèse de Rennes, Hk^ Saint-Marc, après lui avoir confié les chaires de philosophie et d'Ecriture sainte, au grand séminaire, qu'il occupa de 1845 à 1852, voulut le fixer à Tévèché et l'attacher à sa personne, mais le savant et aimable professeur alla frapper à la porte de l'Oratoire que le R. P. Petétot venait de restaurer en France. Le R, P. du Fougerais fut envoyé successivement à Lis- bonne, comme aumônier de la légation française, puis, comme su- périeur, au petit séminaire de Saint-Lô et au collège de Juilly. Dans ces différents postes, il laissa, a dit l'un de ses biographes, le souvenir et les traces de son zèle et de sa piété^ de la douceur et de Vaménité de son caractère.

Vers 1870, M. du Fougerais crut devoir donner une autre direc-

NOTICES ET COMPTES RENDUS 153

lion à son activité et à son zèle : il se livra d'abord à la prédication et prêcha le carême dans les cathédrales de Luçon et de Rennes, dont il devint chanoine honoraire ; puis, s'étant lié, à Paris, avec Ms^ de Ségur et Mfi^r de Girardin, il s'occupa des œuvres de charité, fit entendre sa parole dans les congrès catholiques, et devint pré- sident de l'œuvre des Orphelinats agricoles de France, et vice-pré- sident de l'œuvre du bureau central de l'Union des associations ouvrières calholiques.

En 1878, M?' de Girardin, ayant résigné les fonctions de direc- teur général de la Sainte-Enfance, désigna M. du Fougerais comme, son successeur, et ce dernier fut installé dans celte charge le 6 janvier 1879. Apôtre, et apôtre infatigable, de la Sainte-Enfance, en récompense de son zèle, il reçut, en 1882, les honneurs de la pré- lature romaine, et fut nommé camérier secret de Sa Sainteté Léon XIII.

Le 8 janvier dernier, M«f du Fougerais, rentré à Paris depuis peu de jours, après un long voyage entrepris, en Belgique, en Hol- lande et en Allemagne, pour les besoins de l'Œuvre de la Sainte- Enfance, a succombé à une congestion pulmonaire, dans une voi- ture qui le conduisait à Montrougél Les obsèques ont eu lieu à Saint-François-Xavier, sa paroisse, en présence de M. l'abbé Garon, archidiacre de Notre-Dame, qui représentait le cardinal Guibert, de M8f Gay, ancien coadjuteur de M?' Pie, du R. P. Emile du Fou- gerais, frère du défunt, de M. de Sallier-Dupin, son beau-frère, et d'une assistance choisie. Quelques semaines après, sa dépouille mortelle, rapportée en Bretagne, a été inhumée dans le cimetière de la paroisse du Pertre.

L'abbé Paul Paris-Jallobert.

CHRONIQUE

ScMMAiBE. M. René Kerviler et le Canal des Deux -Mers. Oraison fanébre de Mgr de Laval par Mgr Bécel. Le pardoa de Sainte-Anne. Le pèlerinage eucharistiqae de Vertoa. Le prix Montyon de la Sœur Saint-Gantier. ^ Nécro- logie: M. Léon de Cussé; M. Eugène de Fontaines ; Mgr Dupont des Loges. La baignoire de Marat.

On lisait dans le Courrier de Saint-Nazaire, da 27 juillet 1886: c Nous apprenons avec une vive et patriotique satisfaction que M. l ené Kerviler, ingénieur en chef de notre port, à qui la Société française d'Archéologie vient de décerner sa grande médaille d*bonneur dans la dernière séance du Congrès tenu à Nantes, a été récemment auto];|8é, par M. le ministre des travaux publics, à défendre, devant les commis- sions spéciales d*examens instituées au miDistère, le projet du grand canal maritime entre Bordeaux et Narbonne, dit Canal des Deux-Mers, auquel il avait précédemment collaboré. C'est un grand honneur pour notre port que Fauteur des ouvrages qui ont établi la réputation de Saint-Nazaire ait été choisi pour être l'avocat de ce travail gigantesque qui est appelé ë transformer complètement la marine de notre pays. Quand les paquebots et les cuirassés franchiront le col qui sépare Tou- louse de Carcassonne ; quand Toulouse sera devenue un Liverpool com- mercial et un arsenal maritime de guerre inattaquable, nous nous sou- viendrons avec orgueil qu'ici, dans nos murs, fiit préparé ce grand évé- nement, dont nous bénéficierons largement k notre tour. >9

C'est Mer gécel, évêque de Vannes, qui a été chargé de prononcer l'oraison funèbre de Mgr Le Hardy du Marais, évêque de Laval. Nous regrettons que le défaut d'espace ne nous permette pas de donner quel- ques extraits de ce remarquable discours.

Les (êtes du pardon de sainfe Anne, le 86 juillet, ont été extrême- ment brillantes, malgré Tinclémence du temps. La présence de S. E. le cardinal Place y avait attiré on concours plus nombreux que jamais. Du haut de la Scala sancta, Mffr Germain, évêque de Goutances, a fait une allocution des plus émouvantes. Le directeur de la Semaine religieuse, M. l'abbé Max. Nicol, avait composé, pour le second cardinal de Bretagne,

CHRONIQUE 155

un très beau poème, qu'il a lu au repas donné dans le réfectoire du petit séminaire. En voici le début :

Ils disent que la foi se meart dans notre France, Que le Christ n'a plus rien ^ pas même Tespérance, Que son trône brisé fera place demain An temple du Progrès, élevé par leur main. Non ! le progrès, c'est Lui ! sa parole féconde Avec le sang divin a transformé le monde : S'il triomphait hier et s'il souffre aujourd'hui» Qu'importe ? Nous l'aimons, et la France est k lui. N'n-t-il pas, dans sa maiu, béni la noble épée Qui grave, en tout climat, notre fîére épopée? Quel peuple, comme nous, pourrait dire: < En tout lieu Les exploits de mes fils sont les Gestes de Dieu ? » Aussi son Cœur palpite au cœur de la patrie, Qui lui donna toujours, triomphante ou meurtrie, Pour défendre sa cause et garder son autel. Des hommes sur la terre et des saints dans le ciel.

Le dimanche 8 août, un pèlerinage eucharistique, présidé par Mgr Le Coq, réunissait, aux environs de Nantes, dans la paroisse de Vertou, une foule immense, que l'on peut évaluer à 30,000 personnes^ au moins. De la gare au bourg, de Téglise à la prairie, bordant la Sèvre, était établi le reposoir, ce n'était que mâts pavoises, guirlandes, arcs de triomphe, sur une longueur de quatre kilomètres. Ce fut une fête vraiment magnifique : il était impossible de rendre de plus grands honneurs au Dieu de TËucharistie, proscrit des rues de notre ville.

Mercredi 18 août, à une heure de l'après-midi, le Conseil général de la Vendée s'est transporté à l'hôpital départemental de la Roche-sur- Yon pour remettre à la vaillante sœur Saint-Gautier, de la Congrégation des Filles de la Sagesse, la médaille et la somme de 1,500 francs consti- tuant le prix Montyon, qui lui a été décerné par l'Académie française, au mois de juillet dernier*

M. le directeur a introduit MM. les conseillers généraux dans le grand salon de réception. La supérieure et les sœurs desservant Thépital dépar- temental y sont entrées à leur tour entourant la récipiendaire.

M. le sénateur Gaudineau, président du Conseil général, s'est alors avancé et a prononcé Tallocution suivante, qui a été fort applaudie :

Ma chère sœur.

Je viens remettre entre vos mains la récompense que rAcadéroie française vous a décernée à raison de votre long et admirable dévouement.

i56 CHRONIQUE

Je viens en outre vous adresser mes félicilations et celles de mes collègues du Conseil générai de la Vendée. Tons, on vous Ta peut-être dit, nous avons servi de. témoins lors de la répartition des prix Montyon.

Ce mot de félicitations ^ je m'en aperçois de suite, n'est pas celui que j'aurais employer. Il convient bien mieux de parler ici de remerciements.

Oui, nous vous remercions de tout cœur, parce que, durant trente années, sans interruption, vous avez consacré chacune de vos nuiis au soulagement des malades de notre hôpital départemental, parce que vous ^les demeurée près de leur chevet, vous appliquant à leur donner non pas seulement les soins délicats et quasi mater- nels dont^ vous et vos sœurs, vous avez seules le secret, mais aussi et surtout ce cou- rage, cette force morale dout le pauvre patient a tant besoin I

Rassurez-vous, ma chère sœur. Mes paroles ne blesseront pas votre humilité si connue. En même temps qu'à fous, elles s'adressent, en effet,- à toutes celles qui font partie de l'ordre des religieuses de la Sagesse, à toutes celles qui, en Vendée et dans les contrées les plus reculées, sont vos émules quand il s'agit de sacrifices.

A elles toutes, je dis : merci. Toutes vous prouvez que, malgré les défaillances des temps actuels, c'est encore en France qu'il faut venir pour découvrir les modèles les plus achevés d'abnégation et de charité chrétiennes.

M. le directeur a adressé, lui aussi, quelques mots de remercieaieot au Conseil général et de félicitation à la sœur Saint-Gautier.

M. le président a ensuite remis la médaiHe et la somme constituant le prix, en assurant la chère sœur Saint-Gautier que ce jour était l'un des plus beaux de son administration.

Le samedi 24 juillet, ont eu lieu, en Téglise cathédrale de Vannes, les funérailles de M. Antoine-Léon Davy de Gussé, officier d'académie, ancien président de la Société polymathique du Morbihan, dont le talent commme archéologue et comme dessinateur était depuis longues années connu et hautement apprécié. Les cordons^ du poêle étaient tenus par MM. le comte de Limur^ l'intendant Galles, Jacquelot du Boisrouvray et Guyot de Salins, père.

M. Davy de Cussé a succombé aux suites d'une longue et douloureuse maladie : il était âgé de 64 ans.

Un grand concours d'amis de M. Eugène de Fontaines, ancien dé- puté de la Vendée, venus de tous les points de la contrée, et la population tout entière de Poussais et des environs se pressaient, le 31 juillet, dans la vieille église paroissiale, autour de la famille de l'homme de bien qui venait d'être si cruellement enlevé. Le deuil était conduit par les enfants de M. de Fontaines et par ses frères. Les cordons du poêle étaient tenus par un agriculteur de la commune et par MM. de Rochebrune« Daniel- Lacombe et Gaston Sabouraud, député de la Vendée.

Toute l'assistance était recueillie et vivement émue, et Tattitude de la

CHRONIQUE 157

foule était le plus éloquent témoignage du respect et des sympathies qui entouraient Thonorable défunt.

Au cimetière, après les dernières prières, M. Gaston Sabouraud s'est fait, avec une émotion universellement partagée, l'interprète des senti- ments de l'assistance en rendant un légitime hommage à la mémoire du distingué citoyen que vient de perdre la Vendée.

Nous apprenons une douloureuse nouvelle, disait le Journal de Rennes^ du 19 août : Mcf Dupont des Loges est mon hier matin, à deux heures, à Metz.

C'est une grande perte pour TËgli^se de France, perte qui sera parti- culièrement ressentie dans notre ville, l'évoque de Metz était né, il y a 82 ans.

Jusqu'à la guerre de 1870, Mgr Dupont des Loges, tout entier aui de- voirs de sa charge, s'était fait remarquer par la sagesse de son jugement, la rectitude et la modération de ses idées.

Après l'annexion, il refusa de -quitter sa chère Lorraine, devenue sa patrie d'adoplioo, et lui fit le plus grand sacrifice qu'il pouvait lui faire: celui de sa nationalité. Mais c'est de lui plus que de tout autre que l'on pouvait dire qu'il était resté Français par le cœur. Bien plus, il s'était ac- quis une situation si haute et si respectée qu'il était devenu, si l'on peut dire, l'incarnation de la patrie française au delà de cette frontière que nos malheurs ont rapprochée et en quelque sorte le symbole vivant du pa- triotisme.

L'amour que les Messins professaient pour leur vieil évêque n'avait d'égal que le respect dont les Allemands eux-mêmes l'entouraient.

La Bretagne s'unit à la Lorraine pour saluer en Ms' Dupont des Loges un patriote et un saint; la ville de Rennes, qui perd en lui un de ses plus dignes enfants, dépose sur son cercueil ses regrets et ses plus respectueux hommages.

à Rennes, le 11 r.ovembre 1804, Me^ Dupont des Loges avait été nonmié évêque de Metz en 1843. 11 prit, aussitôt après la capitulation de Metz, un rôle patriotique qui le plaça à la tête du parti protestataire de la Lorraine annexée. En 1874, il fut nommé représentant de Metz au Reichstag : il céda sa place, en 1877, à M. Paul Rezanson, pour se con- sacrer tout entier aux trax aux de son diocèse.

Jusqu'à la fin, le vénérable prélat n'a cessé de combattre les préten- tions allemandes. Il est mort, on peut le dire, sur la brèche.

Le 2 septembre, les Alsaciens-Lorrains présents à Paris feront dire une messe, à Notre-Dame, pour l'àme du regretté évêque de Metz. Mgr Richard, archevêque de Paris , dira la messe, et Mfir>^ Freppel,

158 CHRONIQUE

évêque d'Angers, au nom des Alsaciens-Lorrains, prononcera l'oraison funèbre.

-- On vient, dit le Mondes de retrouver la baigooiro dans laquelle Marat a été assassiné par Charlotte Corday. On dit qu'elle était la propriété d'un ecclésiastique du diocèse de Vannes, qui vient de la céder à un éta- blissement qui ne serait autre, prétend-on, que le musée Grévin, pour une somme de 5^000 francs.

Ce prêtre aurait eu la bonne pensée de consacrer cette somme à la fon- dation d'une école libre. L'impie et sectaire Marat contribuant indirecte- ment à la fondation d'une école congréganisie, voilà cerles une chose à laquelle on ne s'attendait guère !

Lotis DE Kerjean.

ASSJGIilT.ON BRErONNE

CLASSE D*ABCBÉ0L0G1E

Programme des questions à traiter dans le XXIX« congrès

breton

Qui s*ouvrira à Pontivy, le 6 septembre i886.

\. - Archéologie.

1 . Monuments préhistoriques du département du Morbihan : statistique et description ; moyens employés pour assurer leur conser- vation.

%, Monuments de l'époque romaine, en particulier aux environs de Pontivy (Gastennee, Quinipili, etc.).

3. Monuments du vi^ au xe siècle (époques mérovingienne et carlo- vingienne).

4. Faire connaître les principaux documents, imprimés ou inédits, relatifs à l'histoire de l'Architecture militaire en Bretagne, du xi» au xvi« siècle,

5. Dénoncer les actes de vandalisme (dans Tordi e artistique, archéo- logique et historique), commis en Bretagne, notamment dans le départe- ment du Morbihan ; bignaler les monuments restaurés et le système suivi dans les restaurations.

6. Signaler et décrire les monuments historiques, religieux, civils et militaires, de la région centrale de la Bretagne (arrondissements de Pon- tivy, Ploërmel et Ijoudéac), qui n'auraient pas été jusqu'ici suffisamment étudiés.

.>

li

CHRomouE 159

IL Histoire.

7. Origines de Tëvôché de Vannes; actes et légendes des saints;

liturgie ancienne^ abbayes et monastères; organisation reli- gieuse jusqu'en 1 790.

8. Sur quelles preuves peutH>n s'appuyer pour établir l'identité du saint Clair honoré à Réguini avec le premier évêque de Nantes du même nom?

9. —-Saint Gildas; son oratoire sur le Blavet; ses missions dans la Gornouaille et dans Tintérieur de FArmorique.

10. Saint Mériadec \ son époque; sa légende latine; son Hfystère en vers comiques.

11. Forêt centrale de la péninsule armoricaine depuis l'époque cel- tique Jusqu'au siècle.

12. Région centrale de la péninsule armoricaine depuis le %i^ siècle.

Le Porhoèt; la vicomte de Rohon, etc.

13. Histoire de Pontivy.

U. Guerre de la Succession de Bretagne au xivo siècle. Princi- paux documents à consulter. Autorité de Froissart.

15. Episodes de la guerre de Succession spéciaux au pays de Vannes (élude critique). «- Siège d'Hennebont. Combat des Trente. -> Bataille de Mauron. Bataille d'Auray.

16. Tentatives des Anglais contre la Bretagne au xvaie siècle. Attaque contre Lorient en 17i6, d'après les documents publiés en Angle- terre.

17. Etude historique et littéraire sur les Joculatores bretons à l'époque carlovingienne.

18« Littérature populaire (contes, chansons, proverbes); usages et mœurs de la Basse-Bretagne : leurs origines; causes de leur dispa- rition.

19. Même question pour la Haule-firelague.

En dehors de ce programme^ toute question d'histoire ou d'archéologie relative à la Bretagne peut être traitée au Congrès, avec l'assentimefU préalable du bureau.

Conformément à Tarticle 7 des Statuts de l'Association bretonne, toute discusion sur la religion ou la politique est interdite dans les a réunions de l'Association.»

Une des journées du Congrès sera consacrée à une excursion archéo- logique.

BIBLIOGRAPHIE BRETONNE ET VENDÉENNE

Allocutions de MM. A. de Brbmond d*Arset de Granges db Surgères, président et yice -président de la Société archéologique de Nantes, à ia séance d'ouverture, le 1er juillet {^86^ du Congrès archéologique de Nantes. In-S», 16 p. Nantes, imp. Bourgeois.

Extrait de VEspérance du Peuple,

Bulletin mensuel de l'Association amicale des anciens élèves des Frères DU pensionnat Saint-Joseph de Nantes. 1. l^r août 1886. ln-8®, 8 p. Nantes, imp. Vincent Forest et Emile Grimaud.

Chants de la vie, suivis de Corentine, récit du littoral, par Pudl Kerlor.

1 vol. pet. in-lâ, 120 p. Rennes, H. Cailiière, éditeur.

Familles (les) françaises a Jersey pendant la Hévolutk^, par le comte Régis de rËstourbeilion, inspecteur de la Société française d'ar- chéologie, etc. Un vol. gr. irl-8^ vni-680 p. Nantes, imp. Vincent Foflest et Emile Grimaud. L'ex. sur papier teinté, 20 fr.^ sur papier mécanique, 15 fr.

Frange (la) artistique et pittoresque. Bretagne, par Henri du Gleuziou. T. I, Le pays de Léon, Ir» partie. Illustrations d&^^h. Busnel.

Un vol. in-8o cavalier, xii-99 p. Paris, Ed. Monnier, éditeur, 7, rue de rOdéon. Le volume. 5/r.

Guide du voyageur a Noirmoutier, par le Dr Viaud-Grand-Harais. -^ ln-12, 160 p. 2o éd. afec carte et gravure Nantes, L. MelliiiPt,.. 3fr.

Lettres de Paul Baudry, publiées par Emile Grimaud. in-8o, 51 p. avec portrait. Nantes, imp. Vincent Forest et Emile Grimaud.

Extrait de la Revue de Bretagne el de Vendée. Tiré à 300 ex. : 250 pap. mé- caoïque^ 1 fr. 50; 50 papier vergé, 2 fr. 50.

MOREAU, MAÎTRE EN FAIT D' ARMES, A LA JEUNESSE NANTAISE. Réimpres- sion de la brochure originale, augmentée d*une préface, des états de service de Joseph Moreau et d'un portrait d'après un dessin du temps.

Pet. in-4°, 24 p. Nantes, Vier 1 fr. 60

Nantes illustré. Guide pittoresque et artistique. Pet. in-8o, iM20 p. Nantes, Vier, libr.-édit., passage Pommeraye 1 fr. 25

Pages (les) des Ëcuries du Roi. L*école des pages, par Gaston de Carné. Pet. in-8o,xu-209 p., gravure, titre rouge et noir. Nantes, imp. Vincent Forest et Emile Grimaud. L*6x. papier vergé 4 fr. 50 franco. Papier du Japon, 12 fr. 50 franco.

Pabamé et ses excursions. Guide du touriste à Paramé, Saint-Maio, Saint- Servan, Dinard, Saiut-Ënogat, Saint- Lunaire, Dinan^ Jersey, Dol, Mont-Saint-Michel, etc., par Jean du Guildo. Illustrations par Th. busnel, Gambard, Legrdndet Roy. In-12, 107 p. Paris, Ed. Monnier et GS 7, rue de rOdéon.

Pardon de saint Yves a Tréguier, par P. F. In-8<>, 16 p. Nantes, imp. Vincent Forest et Emile Grimaud.

Extrait de la Revue de Bretagne el de Vendée. Tiré à 200 ex.

CROQUIS MARITIMES

LA COURSE ET LES CORSAIRES

INTRODUCTION

Romanciers et feuilletonnistes ont, à Tenvi les uns des autres, créé ou choisi des types factices, pour exciter Vavide curiosité des lecteurs auxquels ils désiraient parler de nos corsaires. La vérité est cependant assez belle pour ne pas la défigurer. Mais les faits les plus excen- triques, souvent inventés, parfois exagérés, empruntés à de nombreux personnages et attribués à un seul, ont pro- duit des figures légendaires impossibles. De sorte qu'au- jourd'hui, même dans nos ports de mer, corsaires, pirates, flibustiers, forbans, voleurs, bandits, brigands, sont des termes parfaitement appropriés aux mêmes hommes, à la même profession. Chacun généralement se représente un équipage de corsaire comme composé du rebut des marins, formé de gens de sac et de corde, commandé par des chefs dignes en tout de semblables sacripants.

Soiis cette réprobation aussi injuste que mal fondée, s'éclipse totalement le souvenir des immenses services rendus à la France, des pertes énormes infligées à l'en- nemi, de l'anéantissement presque complet du commerce anglais, et de la famine ravageant les Iles Britanniques. A ces intrépides et utiles auxiliaires revient la gloire, chèrement achetée, d'avoir contrebalancé les terribles

TOMB LX (X DE LA 6e SERIE). il

162 LA COURSE HT LES CORSAIRES

échecs éprouvés par notre marine militaire, et Thonneur d'avoir servi d'école à quantité d'officiers généraux et supérieurs. Quelles illustrations que celles des Ango de Dieppe , des Jean-Bart de Dunkerque , des Malouins Duguay-Trouin etSurcouf, du Nantais Cassard, etc., qui contribuèrent si vaillamment à la défense du pays, et dont les noms sont devenus immortels dans les annales de la marine française *.

Le principe même de la course, admise jusqu'à la fin du premier empire sans conteste et toujours pratiquée entre les nations maritimes belligérantes, n'est que la mise en action de cette maxime politique, si célèbre de nos jours, la force prime le droit. Sa portée morale semble presque une monstruosité pour nos mœurs policées et notre civilisation avancée. Au point de vue de la guerre, elle en est une des conséquences inévitables. Si, à quel- ques égards, les corsaires pouvaient être considérés comme les hulans de la mer, du moins ils ont eu leurs faits de vaillance, de génie, d'héroïsme, leurs gloires, leurs mar- tyrs. Sans hésitation, au contraire^ il faut flétrir les pirates, les écumeurs de mer, qui, en lutte ouverte avec les lois.

1. C'est sur la Constitution, un corsaire de Dunkerque, que le brave amiral L'Hermitte, alors enseigne de vaisseau» préludait aux exploits de la frégate la Preneuse,

Avec une simple barque indienne, Pierre Bouvet, depuis amiral, prit un brig ; avec le brig, des corvettes, des frégates et des vaisseaux. Dans l'année 1809, il enleva à Tennemi 26 navires, contenant eu espèces plus de 300,000 piastres. Dans doux ans et demi, il combattit six frégates anglaises, força trois d'entre elles à amener pavillon, deux autres à s'échouer ou à se brûler, et la dernière ne lui échappa qu'en fuyant le lieu du combat à toutes voiles. Sortant de l'Ile de France, sur un petit brig récemment armé, il dressait son équipage et faisait l'exercice (selon son expression) en atta- quant deux corvettes, sur lesquelles il essayait l'effet de ses caoons. {Précis des campagnes de l'amiral Pierre Bouvet.)

j

LA COURSE ET LES CORSAIRES i 63

se dissimulant dans les criques ou les anfractuosités du rivage, s'élançaient à Timproviste sur les pauvres pêcheurs, les inoffensifs caboteurs, à Texemplc du vautour sur la timide gazelle, de Tépervier sur la tremblante colombe.

La piraterie, à la fin du XVIP et au commencement du XVIII® siècle, fut une des plaies les plus terribles qu'eut à éprouver le commerce. Jadis, tous nos navires marchands portaient de Tartillerie, et de très forts équipages ; mais cela ne les empêchait pas de tomber aux mains des flibus- tiers et des pirates qui les guettaient aux attérages des colonies. Les officiers étaient d'autant plus malheureux dans ces rencontres, que les forbans n'en voulant qu'au vaisseau et à la cargaison, relâchaient immédiatement les matelots qui n'opposaient aucune résistance, et dont sou- vent un certain nombre s'enrôlaient avec eux, tandis qu'ils massacraient impitoyablement tous ceux qui cherchaient à lutter et à défendre les intérêts de l'armateur.

Un exemple entre mille.

h(5 Saint-Michel de Nantes, de iSO tonneaux, 12 canons, 40 hommes d'équipage, 28 passagers, capitaine le sieur Jean du Jonchery-Dubois, fit voile, à destination du Cap, le 18 août 1717.

Le 20 octobre, à 5 ou 6 lieues N. E. de la Grange, M. Dubois eut la connaissance de deux forbans qui lui appuyèrent la chasse et le joignirent vers midi à portée de canon. Le plus gros arbora pavillon anglais en l'assurant d'un coup à boulet. Les Nantais, qui s'étaient préparés au combat, hissèrent leur couleur, àl'aspect de laquelle l'agres- seur tira cinq à six boulets et remplaça son pavillon par un second, « noir, ayant une esquellette, au milieu , tenant dune main un dard, et de Vautre une horloge. »

i6i LA COURSE ET LES CORSAtRËS

La vue de cette enseigne, et la force des assaillants, l'un armé de 12 canons, l'autre de 14, firent « changer la dispo- sition où étoient les passagers de se défendre, disant hau- tement que, ne pouvant espérer de n'être point pris par les forbans, ils ne leur feroient aucun quartier s'ils se battoient, ce qui désarma aussi l'équipage et obligea le sieur Dubois de se rendre. »

Ce dernier, conduit à bord du grand forban, reconnut que son équipage comptait au moins 140 hommes, presque tous Anglais. Le chef lui apprit qu'il avait h la côte de Saint-Domingue des intelligences avec les habitants, et que leur association comprenait 4,300 hommes armés.

Le 2S, à l'aube, l'équipage et les passagers du Sainte Michely préalablement fouillés et dépouillés, descendirent à terre. Peu après, les forbans aperçurent deux voiles, qu'ils ne tardèrent pas à atteindre et à prendre. C'était le Saint-Jacques^ de Bordeaux, capitaine Bergeron, le Charles, de la Rochelle, capitaine Hautebert. Sur les deux heures, un nouveau navire parut au vent à eux, ils l'amarinèrent à 8 heures du soir ; c'était la Gracieuse^ de Nantes, capi- taine François Le Barbier.

Quelques jours après, ils expédièrent leurs prisonniers pour le Cap, gardant, outre les volontaires, Charles Andreau, Anglais contre-maître ; Michel Perlan, du Croisic ; Noël Le Riche, de Nantes ; Guillaume Blanchard, d'Angers, armurier, tous du Saint-Michel ; Julien Rondeau du Mi- gron, de la Gracieuse, et retenant de force le chirurgien du Saint-Jacques^.

1. Registre des déclarations des capitaines de bâtiments entrés dans ce port, de 1716 à 172t, fol. 75-77. Administ. de la Marine de Nantes ; Inscrip- tion.

Le rapport du capitaine Girard de la Marie de Nantes, dul" septembre 1721,

LA COURSE ET LES CORSAIRES i6S

Il ne s'agit pas ici de ces indignes maraudeurs, mis au ban du pays et de l'humanité, mais de ces hommes intré- pides qui, au mépris de la mort et des douleurs inouïes de Tatroce captivité des pontons, couraient sus aux enne- mis de rÉtat, protégés par la légalité et l'autorisation de leur gouvernement.

Telles sont les considérations que nous voulons effleurer rapidement, en essayant de rendre aux corsaires la jus- tice qui leur est due, la place qu'ils méritent dans l'histoire, et de dissiper les fâcheuses préventions qui s'attachent à ce mot corsaire, trop mal défini, trop mal compris.

Qu'est-ce donc qu'un corsaire ?..,

Le Dictionnaire de l'Académie répond : « bâtiment armé en course par des particuliers^ avec l'autorisation du gou- vernement ; » mais il ajoute : « se dit aussi des pirates. » En nous reportant à cette dernière expression, nous lisons: Pirate, écumeur de mer, celui qui n'a commission d'aucune puissance et qui court les mers pour voler, pour piller.

M. Littré, quoique donnant, également bien à tort, pirate comme synonyme de corsaire, fait cependant par- faitement ressortir la différence :

« Le corsaire est muni de lettres par son gouvernement, et armé seulement en temps de guerre ; pris, il est traité comme prisonnier de guerre.

« Le pirate n'a point de lettres de marque et attaque même en temps de paix; pris, il est traité comme voleur et pendu. »

dit qu'un forban français de 16 canons et 200 hommes d'équipage, croisant sur le banc de Terre-Neuve, a pris 17 bâtiments pêcheurs et a enlevé son navire ainsi que \di Sainte^Anne de Nantes, tous deux armés par M. Joubert.

166 LA COURSE ET LES CORSAIRES

Il existe donc une complète divergence entre ces deux mots considérés commme synonymes, employés comme ayant la même acception et presque toujours confondus. En effet, la distance qui sépare Thonnête homme du voleur se retrouve intégralement entre le corsaire et le pirate ; dès lors, la synonymie des deux locutions devient non seule- ment une erreur, mais une faute.

Corsaire, dérivé de l'espagnol corsear, aller en course, et de ritalien corsari^ corsa, course, était surtout usité dans le Midi et la Méditerranée, l'expression de corsaires harbaresques désignait les bâtiments d'Alger, de Salé et de toute la côte d'Afrique, tandis que celle de pirates semblait réservée aux forbans des îles de la Grèce et de la Turquie. En Europe, par opposition, on nommait arma- teur, celui qui avait une « commission du prince pour courir sur les ennemis ; pirates et corsaires sont des écu- meurs de mer. » Cette locution è! armateur , parfaitement exacte et coupant court à toute équivoque, disparut mal- heureusement vers le milieu du XYIIP siècle ; et celle de corsaire prévalut, en jetant, par suite de sa triste origine, une sorte de défaveur sur nos hardis marins.

Des lois sévères, tout un code même, réglementaient la course, et établissaient l'intéressante législation du droit de prise *.

« Quelque ancienne et autorisée, dit Valin, que soit « cette manière de faire la guerre, il est néanmoins des « prétendus philosophes qui la désapprouvent. Selon eux, « ce n'est pas ainsi qu'il faut servir l'État et le prince ; et

1. Voir, entre autres, le Traité des prises maritimes y dans lequel on a refondu en partie le traité de Valin, par MM. A. de Pistoye et Ch. Duverdy. Paris, 1853, 2 vol. in-S».

LA COURSE ET LES CORSAIRES 167

« le profit qui en peut revenir aux particuliers est illicite « ou du moins honteux. Mais ce n*est qu'un langage « des mauvais citoyens, qui, sous le masque imposant « d'une fausse sagesse et d'une conscience artificieusement « délicate, cherchent à donner le change, en voilant le « motif secret que cause leur indifférence pour le bien et « l'avantage de l'État. Autant ceux-ci sont blâmables, « autant méritent d'éloges ceux qui généreusement expo- ce sent leurs biens et leurs vies aux dangers de la course *. »

La délivrance des letti^es de marque est donc uiïe me- sure constamment employée. Les corsaires sont de fait et de droit de véritables bâtiments de guerre montés par des volontaires, auxquels le souverain abandonne les prises dont ils se rendent maîtres. Louis XIV prêta même des navires pour faire la course, se réservant le tiers des prises, tiers réduit à un cinquième, auquel il renonça définitive- ment en 1709. Diverses ordonnances fixèrent les conditions auxquels le roi cédait momentanément ses vaisseaux, que les corsaires devaient rendre en bon état, quoique, « en cas de perte par suite de combats ou de fortune de mer, Tadministration de la marine ne pût exercer aucun recours contre les armateurs. »

Citons encore le Nouveau Commentaire sur l'ordonnance de la Marine du mois d'août 1681 * : « Il est du droit de la guerre d'affaiblir son ennemi autant qu'il se peut, en le troublant dans ses possessions et dans son commerce. De l'usage reçu de tout temps chez les nations, en temps de guerre, d'armer des vaisseaux pour s'emparer de ceux

1. Valin, Commentaires sur V ordonnance de 468^ tit. IX, Prsemiuin.

2. René-Jo8ué Valin, la Rochelle, 1776.

168 lA COURSE ET LES CORSAIRES

de ses ennemis, ou pour enlever leurs effets en faisant des descentes sur les côtes. »

C'est à la course qu^l faut attribuer rétablissement fixe de la charge d'amiral, dont le plus ancien en France re- monte au roi saint Louis, L'État, avec le secours indis- pensable de ses alliés, ne mettait de flotte en mer que dans les circonstances extraordinaires, en dehors desquelles il ne comptait que quelques vaisseaux équipés par l'amiral ou armés en guerre par les particuliers. Mais souvent la soif du gain portait à négliger la sûreté des armements, exposait le pavillon national à des défaites, à des insultes, et entretenait l'ardeur du pillage, même en pleine paix, aussi bien contre les alliés que contre les sujets du Roi. Celui-ci, dans le but de réprimer ces désordres, détermina les fonctions de l'amiral, lui attribua l'inspection de tous les navires armés, et obligea, sous peine de confiscation, les armateurs des navires expédiés en guerre ou marchan- dises, à prendre un congé ou une commission avant de mettre à la voile.

François 1*^', voulant empêcher les Anglais de se forti- fier dans Boulogne, n'avait pas un navire. Il s'adressa au fameux Ango de Dieppe, qui bientôt eut armé une flotte puissante et considérable. Le quatrain suivant composé par un poète Dieppois, en a conservé le souvenir :

c( Ce fust luy, luy seul qui fîst armer

La grande flotte expresse irise en mer,

Pour faire voir à Torgueuil d'Angleterre

Que Françoys es toit Roy et sur mer et sur terre *. »

Le roi Henry II, mécontent de la conduite d'Edouard VI

1. Histoire de Dieppe, par Vitet, p. 454.

LA COURSE ET LES GOnSÀÎRES 169

et de ses sujets, accorda aux Malouins la permission <f à ce qu au plustôt ils s'équipent, se jettent à la mer, courent sus et fassent du pis qu'ils pourront aux Anglois. » Promettant « qu'ils ne seront tenus rendre prinses qu'ils feront, ne d'en poyer aucune dixme, ne autre droit. » Cette pièce estdatée du 31 mars 1547. Les Malouins répondirent à rappel du Roi avec leur zèle- habituel, mirent en mer plusieurs bâtiments légers et ne cessèrent leurs courses qu'à, la paix de 1550 *. Enfin, la réputation des marins de ce port était telle, qu'en 1665, Louis XIV voulut que les Malouins, « selon la coustume, formassent seuls l'équi- page du vaisseau-amiral de la Flotte. »

En moins de 40 ans de guerre *, les corsaires de Dun- kerque firent 34 750 prisonniers, prirent, détruisirent ou coulèrent à fond 4 344 navires, et leurs prises produisirent 458 175 276 livres.

A ce produit énorme il faut ajouter celui des rançons que procuraient les prises qui ne pouvaient être emmenées à Dunkerque. Ces rançons, dans la seule guerre d'Amé- rique, se sont élevées à la somme de 315 820 guinées, soit 7 579 680 livres. De sorte qu'en admettant, suivant l'ex- pérence, que la vente d'une prise ne produise jamais que la moitié de ce qu'elle a coûté à ses armateurs, il s'ensuit qu'en 40 ans, les seuls Dunkerquois ont causé à leurs ennemis un dommage de plus de trois cent cinquante mil- lions. Aucune nation maritime ancienne ou moderne ne

1. Saini-Malo illustré par ses marins, par Ch. Cunat.

2. 1655-1658 ; 1666-1667 ; ligue d'Augsbourg, 1688-1697 ; succession d'Es- pagne, 1702-1713 , 1744-1748 ; de Sept- Ans, 1755-1763; Indépendance, 1778- 1783 ; Histoire de Jean-Bart, par Vanderest, Paris 1841, p. XXUI.

!

i70 LA COURSE ET LES CORSAIRES

peut fournir un aussi colossal exemple de valeur et d'in- trépidité.

Aussi à la paix d'Utrecht, signée le H avril 1713, le port de Dunkerque fut-il comblé, les écluses ruinées^ les i jetées démolies jusqu'à la base, la destruction des travaux

! de terre et de mer complète ; et la reine Anne, rendant

I compte de cette exécution au Parlement britannique, s'écria

triomphante : « Je n'ai pas de conquêtes à vous annoncer, mais le port de Bunker que est écrasé^ ! »

La machine infernale dirigée en 1693 contre Saint- Malo par les Anglais, leurs tentatives contre cette ville, les bombardements du Havre en 1694 et 17S9, le pillage de Cherbourg en 17S8, les descentes en Bretagne, 1746, 17S8, etc., disent assez l'irritation et le désespoir que pro- duisaient chez nos ennemis les exploits et les succès fa- meux des corsaires.

Pendant la guerre de la République, les corsaires de Dunkerque suivirent avec succès les traces de leurs de- vanciers, témoin le Prodige. Le 10 messidor an V (28 juin 1797), ce navire, armé seulement de 14 canons de 4 et monté de 80 hommes d'équipage, aperçut neuf lettres de marque naviguant de conserve, et présentant plus de 40 bouches à feu de 4, 6, et caronades de 18. Après un combat de 6 heures, danslequel il tira 560 coups de canon, il força, quoique désemparé, deux des ennemis à amener pavillon vers huit heures du soir. La nuit fut employée à se réparer de part et d'autre, il faisait calme plat. Le 11, à huit heures du matin, une brise légère se leva, le Pro- dige chassa les sept autres bâtiments qu'il atteignit à deux

i. Abrégé de V histoire de DunkerqiLe, par L. de Rycker et P. Garât, p. 88.

LA COURSE ET LES CORSAIRES 171

heures. Le combat recommença temble et acharné jusqu'à six heures du soir, que trois autres s'avouèrent vaincus ; s'il avait eu du monde, il eûtamariné les neuf *.

Les gazettes d'Angleterre font monter le nombre des vaisseaux pris par les Français, du 29 octobre 1757 au 10 janvier 1758, à 152, non compris plusieurs chaloupes et bâtiments légers, tandis qu'ils n'accusent que cent prises faites sur nous, soit une différence d'environ 60 à notre avantage'.

Londres, mars 1760. Les derniers avis venus de nos îles portent que les corsaires de la Martinique se sont tel- lement multipliés, qu'ils nuisent beaucoup à notre com- merce. Ils ont fait 157 prises en moins de quatre mois. Ils convoient de petites ilottes marchandes, qui, sous leur pro- tection, font un commerce libre entre la Martinique et les îJes appartenant aux puissances neutres '.

Dans le mois de juillet, même année, le brave capitaine Mares, de Bordeaux, commandant un corsaire de la Mar- tinique, de 12 canons, enleva, à lui seul, un senau anglais de 14 pièces. Au moment de l'abordage, il sauta sur le pont ennemi et s'y trouva seul. Sans perdre courage, il tue le capitaine et un autre homme, puis, l'épée à la main, se précipite en criant sur l'équipage, qui, le croyant suivi d'une troupe nombreuse, s'enfuit par les écoutilles. Il les ferme aussitôt et, secouru par les siens, conduit sa prise à la Martinique, elle produisit plus de 300,000 livres *.

Si l'énergie et la résolution étaient les qualités distinc-

1 Feuille Nantaise, 28 messidor an V.

2. Journal historique sur les matières du temps, avril 1758, p. 312.

3. Ibidem f p. 224.

4: Ibidem. Juillet 1760, p. 77.

172 LA COURSE ET LES CORSAIRES

tives de nos corsaires, ils aimaient aussi à se divertir aux dépens de l'ennemi. Voici, entre beaucoup d'autres, une expédition des plus audacieuses, qui ne manque pas d'un certain cachet de bonne et franche gaîté.

Black, de Cherbourg, se délassait un soir de ses fatigues. Il sirotait amicalement, avec des confrères, un large bol de punch et pratiquait adroitement le carambolage. Au milieu des joyeux propos, des francs éclats de rire qu'exci- taient les récits des bons tours joués aux enfants d'Albion, une partie s'engage, et l'enjeu doit être un prisonnier anglais fait dans les 48 heures. Longue fut la partie, car les adversaires jouaient plutôt à qui perd gagne. Enfin, Black a perdu. A demain, dit-il tranquillement, et il sort.

Après avoir obtenu la permission d'appareiller, il se dirige, malgré un temps horrible, vers l'île d'x\.urigny, possession anglaise dans les eaux de la France. Il débarque inaperçu et guide ses matelots, sous une pluie battante, vers une guérite qu'il entrevoit au milieu des ombres delà nuit.

Le factionnaire, transi de froid, grelottait dans son abri, attendant impatiemment l'heure de la pose, ou rêvant mé- lancoliquement aux douceurs du bon lit de la famille. Tout à coup il se sent renversé et hermétiquement emprisonné par sa maison de bois sur le sol humide. Ebahi de ce curieux effet de tremblement de terre, il met l'œil au vasistas de droite, puis à celui de gauche. Le froid d'un canon de pistolet sur ses tempes l'avertit de se tenir coi et immobile.

Les marins passent des planches sous la guérite, les amarrent solidement; et, le matin, au point du jour, ils rentrent triomphalement à Cherbourg, portant €iu café le

LA COURSE ET LES CORSAIRES 173

soldat anglais enfermé dans sa guérite comme une tortue dans son écaille, un limaçon dans sa coquille. Le malheu- reux ne fut délivré qu'en présence des parieurs, et, pour le consoler de son emprisonnement forcé, il eut sa bonne part du punch offert à Black, qui venait d'acquitter sa dette avec usure; car, outre le prisonnier, il rapportait ses armes^ ses bagages et sa guérite *.

En 1761, les journaux de Londres laissent échapper les aveux qui suivent: « Quoique nos frégates aient pris depuis quelque temps plusieurs armateurs français, ces succès n'empêchent pas que notre commerce ne souffre infiniment des prises qu'ils font sur nous. Outre un grand nombre de bâtiments capturés et rançonnés, la seule quantité de tabac que les Français ont trouvée Sur les bâtiments du Maryland et de la Virginie, monte à plus de sept mille tonneaux, 27 février. '

« Les corsaires de la Martinique désolent notre com- merce. On peut évaluer à des sommes immenses les prises faites sur nous dans le courant du mois de mars. Mai.

« Depuis le commencement de l'année jusqu'à la fin de septembre dernier, les Français nous ont enlevé ou ran- çonné plus de 684 navires, bâtiments marchands, qui valent ensemble au moins six cent mille livres sterlings^ soit quinze millions. 18 décembre*. »

Un état, fourni par une compagnie d'assurances an- glaise, fait connaître le chiffre des bâtiments pris, pen-

i. Les Corsaires français sous la République et l'Empire, par N. Gallois, t. II, Cherbourg, p. 256.

2. Annonce^ a f fiches ^ nouvelles et avis divers pour la Ville de Nantes, 1761-1764.

174 LA COURSE ET LES CORSAIRES

dant Tannée 1781 (Guerre de riiîdépendancc d'Amé- rique) :

Sur les Anglais

Par les Anglais

Par les Français...

Espagnols. .

Américains.

Hollandais .

305 42

151 21

Sur les Français

Espagnols

Américains. . . .

Hollandais ....

192 33 55

254

519

534

Les bâtiments pris ou coulés dans la baie de la Chesa- peach, parles Français, ne sont pas compris dans ce relevé. Des SOS prises, 118 ont été rançonnées *.

Le Moniteur du 15 brumaire an VII ^S novembre 1798) donne un relevé des vaisseaux de l'Etat, français, espa- gnols et hollandais, pris ou détruits pendant la guerre :

Français

Pris 191, dont 26 de 74

et au-dessus.

Détruits 45, dont 15 de 74

et au-dessus.

Perdus 14, dont 9 de 74

et au-dessus.

EsPAGxNOLS

18, dont 5 de 74 et au-dessus.

5, dont 3 de 74 et au-dessus.

Hollandais

47, dont 15 de 54 et au-dessus.

»

»

))

»

»

»

Les pertes de la marine anglaise sont infiniment moin- dres. Les bâtiments de guerre pris par les Français sont au nombre de 23, dont 3 seulement de 74; 37, dont 6 de 74 et au-dessus, se sont perdus ; 7, tous au-dessous de 36, ont été détruits.

Mais, dans ce compte, il n'est question que -des bâti- ments de guerre, et il ne faut pas omettre les navires mar-

1. Journal politique de 1782, I, p. 131.

LA COURSE ET LES CORSAIRES 175

chands. Or voici Tétat comparatif des prises respectives faites depuis le commencement des hostilités jusqu'à la fin de 1797, reproduit d'après les listes affichés dans le café de L'ioyd.

Les Anglais ont perdu :

Les Français ont perdu :

1793 261

63

1794 527

88

1795 502

47

1796 414

64

1797 562

114

2 266 376

Balance au préjudice de TAngleterre 1890.

« Tu ne peux Vimaginer, lisons-nous dans une lettre de Porto-Rico, du 19 germinal an VI, (reproduite par la Feuille nantaise du 19 messidor an VI, 7 juillet 1798), la quantité prodigieuse de prises anglaises ou américaines, chargées pour des établissements anglais que nos corsaires amènent tous les jours dans les divers ports de la Guade- loupe, Porto-Rico Saint-Domingue, Cayenne, Curaçao, Saint-Eustache, etc.. Il en est entré plus de 600 de toutes les grandeurs à la Guadeloupe, ces cinq derniers mois-ci, et Porto-Rico ne lui cède guère. Il y a 120 corsaires à la Guadeloupe et tous ont fait une multitude de prises. Pour nous, nous en avons fait 8 en soixante-six jours de croi- sière, sur une goélette de six canons.

0 Relevé fait du nombre de corsaires armés à Nantes, depuis la reprise de la course, il se trouve qu'il s'en est armé dans ce port 74, et qu'ils ont introduit 67 prises, dont la valeur se monte au moins à 30 millions.

176 Lk GOURSB ET LES CORSAIRES

a Des efforts si considérables pour une place de com* merce ruinée de toutes les manières, par suite de la Ré- volution, méritent sans doute une place dans l'histoire ; ils méritent que le gouvernement ne la perde pas un instant de vue et lui donne toute la protection qui peut s'accorder avec Téquité et l'intérêt général.

« Si tous les ports de mer avaient armé dans la même proportion, chacun suivant ses moyens ; si leurs succès eussent été proportionnés, peut-être l'orgueilleuse Albion aurait-elle déjà diminué ses prétentions extravagantes ; peut-être aurait-elle été forcée par ses pertes innombrables, non pas à accepter, mais à demander sincèrement la paix.

« La place de Nantes sera donc célèbre dans cette guerre par la multiplicité des corsaires qu'elle a armés, par le grand nombre de leurs riches prises, et par la bra- voure des marins qui y sont employés *... »

L'appréciation du digne historien nantais a bien sa va- leur ; cependant les chiffres qu'il accuse nous paraissent devoir être rectifiés. L'état général du montant des prises vendues par le juge de paix du sixième arrondissement de Nantes pendant les années V, VI et VU, mentionne 73 prises faites par 3o corsaires. Elles atteignent le respectable totalde25,03o,693^9'i0'.Surcettesomme,8,S22,646i7'10*, appartiennent à 'M. Cossin ; 6,344,268^ ll'H*, à M. Des- saulx ; 3,3S4,327U*9*, à M. Savary ; 2,662,463» 4*8% à M. F. Richer^.,

1. La Commune et la Milice de Nantes, par Mellinet, t. X, p. 203.

2. Administration de la Marine du port de Nantes, Archives du secréta- riat. — Ajoutons, pour mcmoire, que le produit des prises faites par les bâtiments de la RépuLlique et vendues à Nantes depuis 1793 jusqu'à la paix d'Amiens, donne le total, en assignais, de 24,000,027%.

LA COURSE £T LES GORSAIQES 177

Remarque as toutefois que dans cette évaluation ne figurent pas les navires dirigés sur les ports voisins ou coulés en mer, et ceux dont la capture donnait lieu h des débats judiciaires.

Ces magnifiques résultats se reproduisaient alors dans tous nos ports de France. Aussi l'Angleterre, reconnais- sant son impuissance, eut recours à la ruse, et masqua ses navires sous les pavillons neutres. De nombreux procès surgirent entre les armateurs et les capturés. Les tribunaux, souvent fort embarrassés, ne pesèrent paâ assez les res- sources éhontées de l'astuce et de la fourberie des ennemis, placées en regard de la loyauté française. De prétendus neutres furent trop facilement relâchés, des indemnités trop légèrement accordées, et le découragement s'empara des capitaines et des équipages qui se voyaient dépouiller du fruit légitime de leurs travaux.

Dans la séance du Conseil des Cinq-Cents, 6 jQoréal an VII, Boulay-Paty, jurisconsulte éminent, député de la Loire-Inférieure, appela l'attention du Conseil sur les réclamations des armateurs en course. Il expose que les tribunaux sont dans une incertitude funeste pour le juge- ment des prises, parce qu'ils ne savent s'i^s doivent juger administrativement ou diplomatiquement, ou s'ils s'en tiendront strictement à la loi, comme la Constitution le leur prescrit.

Il demande si les Anglais n-ont pas donné depuis long- temps l'ordre précis de saisir tous les neutres ; d'arrêter tout chargement de propriété française ; si nos armateurs seront regardés comme pirates, eux qui ont sacrifié leurs talents, leur argent, leur vie même, afin de porter les coups les plus funestes au commerce de la Grande-Bre-

TOME LX (X DE LA 8ÉBIE). 12

*»^

178 tK COURSE BT L£S dORSAlHBS

tagne ; si ces prétendus neutres, qui tous ont des lettres de marque de leur gouvernement et souvent même montent des vaisseaux armés en croisière contre nos co- lonies, doivent être longtemps comptés parmi les enfants chéris de la République ?... ; et il propose, en terminant sa chaleureuse improvisation, d'arrêter que les projets pré- sentés au nom de la commission de la marine soient dis- cutés dans la décade prochaine, ce qui est adopté.

Ce discours eut un grand retentissement près * de nos populations maritimes anxieuses et si fort éprouvées. Les armateurs et marins de la commune de Nantes adres- sèrent, dans les termes suivants, Texpression de leur gra- titude à Vhonorable député :

Nantes, 14 floréal an VU.

« Citoyen Représentant,

« Recevez les nouveaux témoignages de reconnaissance que nous vous présentons en ce moment. Notre cause n'est donc pas encore désespérée, puisque vous ne craignez pas d'élever la voix en sa faveur, au milieu des calomnies qu'une tourbe d'intrigants, vendus à l'influence de l'étranger, déverse sur nous.

« Non, certes, et vous l'avez dit avec raison, les arma^ teurs et marins de la République ne sont pas des pirates. Us ont toujours été, ils seront toujours, les défenseurs de leur pays, les religieux observateurs des droits des nations ; mais aussi, ils ont juré haine éternelle aux Anglais, quel que soit le masque dont ils se couvrent.

« La course était trop utile à la France, pour ne pas fixer les efforts de nos ennemis. Aussi, depuis plus d'un an,, ont-ils tout fait pour l'anéantir. Les effets de la ca-

LA COURSE ET LES CORSAïRES^ 179

lomnie sont lents mais infaillibles ; ils ont donc calomnié les armateurs et les marins ; et, le gouvernement, abusé par ceux-mémes dont la mission était de l'éclairer, oubliant l'expérience de six années, a été entraîné dans l'en'eur fatale qu'on lui présentait.

« Pour vous, citoyen représentant, qui, avant de rem- plir les augustes fonctions auxquelles les suffrages de vos concitoyens vous ont porté, avez acquis la certitude des manœu\Tes de nos ennemis et de la complicité des neu- tres, continuez à défendre contre eux les intérêts de votre pays ; accélérez la confection des nouvelles lois maritimes, promises depuis si longtemps, et qui doivent fixer l'opinion trop dangereusement incertaine des tribunaux ; dédaignez les calomnies qui s'attachent toujours aux bonnes actions, et les viles passions qui s'agitent autour de vous. Déjà l'opinion publique répète vos courageuses paroles, et applaudit à vos efforts, malheureusement plus admirés qu'imités par vos collègues. Et si, par une fatalité dont nous aimons à repousser jusqu'à l'idée, les intrigues de nos ennemis devaient l'emporter sur votre courage, la sa- tisfaction d'avoir bien fait, et la reconnaissance de vos concitoyens seront votre récompense.

« Suivent les signatures *. »

Tel est le langage de nos Corsaires ; ces hommes ter- ribles dans le combat^ humains et généreux dans la vic- toire, qui prélevaient noblement sur leur part de prises l'aumône du pauvre, la principale ressource, dans ces temps malheureux, de nos hôpitaux honteusement expro- priés ! . . .

1. Feuille Nantaise, 21 floréal an VIL

IgO LA COURSE ET LES CORSAIRES

La paix signée à Amiens le 25 mars 4802 mit un terme à la course, désormais peu fructueuse pour Nantes. La belle époque était passée.

Mais ce ne fut qu'une trêve. Le 8 mars 1803, M. Adding- ton lut à la Chambre des Communes le fameux message du roi Georges, dans lequel ce monarque se plaignait des armements maritimes de la France, et insistait sur la nécessité de prendre « les mesures que les circonstances pourront exiger, pour maintenir l'honneur de sa couronne et les intérêts essentiels de son peuple. »

Le 12 mai, l'ambassadeur anglais quittait Paris, et trouvait à Calais, le 16, l'ambassadeur français parti le matin de Londres. Ce même jour, 16 mai, lord Hawkes- bury, ministre des affaires étrangères, déclarait que « déjà des lettres de marque avaient été délivrées » ; et, trois jours après , deux barques françaises chargées de sel étaient amarinées par une frégate dans la baie d'Audierne.

Enfin, le 17 mai, le gouvernement britannique avait fait mettre l'embargo sur tous les navires français ou bataves ancrés dans ses ports ; et, indépendamment des nombreux marins arrêtés, confisquer les marchandises, estimées à une somme considérable. C'est ainsi que la surprise, la perfidie et l'oubli de toutes les formes usitées entre nations civili- sées, présidèrent à la reprise des hostilités.

Le souvenir des pertes causées au commerce anglais par la marine nantaise dans la guerre précédente, porta l'Angleterre à bloquer étroitement l'embouchure de la Loire. Les frégates et corvettes de guerre, constamment en croisière, avaient adopté pour mouillage les îles d'floedic et de Houat, dont les habitants, ce qui est triste à dire, les renseignaient sur les mouvements des ports voisins, en

LA COURSE ET LES CORSAIRES 184

échange de la faculté de pouvoir paisiblement se livrer à la pêche.

Aussi, pendant toilte la période de FEmpire, n'avons- nous à citer que peu de noms, derniers rayons de gloire, dernières étincelles de la brillante auréole .qui plane sur la réputation justement célèbre de nos corsaires.

Cependant Taclivité la plus énergique se réveillait de toutes parts. A la séance du 4 février 1805, Regnault, de'Saint-Jean-d'Angely, pouvait dire à la tribune du Sénat : « L'Angleterre a saisi, sans péril, dans les trois premiers mois de l'an XI, sur nos vaisseaux sans défense, qua- rante ou cinquante millions enlevés à notre commerce !... Mais à la Martinique, à la Guadeloupe, à l'Ile-de-France, chaque jour voit nos corsaires faire entrer des prises ; et déjà la balance est à notre avantage, dans les calculs de nos finances, comme dans la comparaison de notre gloire. »

En janvier 1808, le journaux de Londres avouent que les corsaires français sont plus hardis que jamais, et font continuellement des prises dans le canal de Saint-Georges.

De son côté, la feuille du Havre, 26 mars 1808, nous apprend que l'armement des corsaires se poursuit avec d'autant plus de zèle dans les ports des départements du Pas-de-Calais, delà Lys, de l'Escaut que les produits pour les premiers armateurs ont été plus considérables. Le commerce de Paris prend part aujourd'hui à ces spécula- tions, ce qui arrivait rarement autrefois. Les nouvelles reçues de Nantes, de Bordeaux et des ports de l'Océan sont conformes à ces renseignements avantageux. Déjà aussi , plusieurs maisons de commerce de Belgique engagent une partie de leurs capitaux dans les armements en course.

U COURSE ET LES CORSAIHES

1 iSli, les Anglais considéraient les dangers de la cation dans la Manche comme tellement grands,

était presque impossible de faire assurer un navire, ne les armateurs « ne sont pas en état de payer les nés demvidées pour dédommager les assureurs. » 1 The Star, du iO décembre 1811, écrivait ; L'audace corsaires français, malgré la grande supériorité de forces navales, est vraiment surprenante. Trois d'entre ont été pendant toute la journée de dimanche dernier j Plymouth et Edystone. On les apercevait distincte- l de Maker-Heighta, et l'un de ces corsaires amarina àtiment sous nos yeux. »

la chute du premier Empire, dans Thistoire duquel inscrivit des pages magniliques, la course prît fin. Le nd Empire l'abrogea.

ais en présence des faits éloquents, des chiffres indis- bles que nous venons de produire, que devient la dé- ition inconsciente du 16 avril 1836 : « la course est îe. »

a ignorait, dit M. Carron, député d'Ille-et- Vilaine, i son remarquable article, que le département de la ine, surpris par l'événement, avait fait à l'Empereur représentations tardives et malheureusement inutiles.

hommes émiuents qui le dirigeaient, ne pouvaient levoir cette courte vue, cette légèreté, ce dédain de e précaution, et cette préoccupation plus grande des rêtshumaniLairesque des intérêts fiançais. L'abolition 1 course tendait-elle à diminuer les maux de la guerre, humanité devait-elle bénéficier de ce que perdait la ice ? On ne le croyait pas au ministère de la marine, ijoutait, tout bas, que la déclaration était bien impru-

LA COURSE ET LES CORSAIRES 183

dente, et qu'il était h craindre que nous fussions dépassés dans la voie que nous paraissions vouloir tracer aux autres ^

Avant M. Carron, M. Urquhart, publiciste distingué *, avait le premier divulgué le motif, jusque-là inexpliqué, de l'inutilité, en 1870, de notre flotte armée et entretenue à si grands frais, et dont cet acte de politique déloyale, tant du côté du gouvernement français que du gouverne- ment anglais, nous a fait subir les tristes résultats.

Depuis cette date néfaste de 1856, la guerre de la Séces- sion d'Amérique est venue démontrer de la façon Ja plus évidente comment la course peut annihiler le commerce de Tennemi. Quelques petits navires, employés avec intel- ligence par la confédération du Sud, dont tous les ports étaient cependant étroitement bloqués, firent disparaître de rOcéan le pavillon semé d'étoiles '. Qui ne connaît les

1. La Course maritime^ extrait du jooraal le Monde, Paris, Arthur Bertrand, 1875, in-12, 83 pp.

« Trop souvent la France écrit, en terminant son travail, M. Emile Garron se laisse aller à ses impressions généreuses sans raisonner. Quelques faux frères, des amis maladroits, des conseillers rêveurs, un gouvernement imprudent, lui ont persuadé que les corsaires, ses héroïques serviteurs, étaient le fléau de Thumanité. Et, sur ce dire, sans discuter, sans réfléchir, sans même faire comparaître devant elle pour les juger les actes des corsaires, elle les a condamnés. Bien plus, on lui répète tous les jours qu'elle ne doit pas s'arrôter en si bon chemin et qu'elle a le de- voir de compléter l'abolition de la course en neutralisant la propriété flot- tante. La conséquence immédiate d'une pareille doctrine seredt que la denrée ordinaire aurait un prix plus haut que la vie humaine, et que, pour sauvegarder la marchandise, de part et d'autre, en guerre, on se tuerait plus de monde. »

2. La force navale supprimée par les puissances maritimes, guerre de Grimée. Grenoble, 1873, in-8o de 48 pp.

3. Le Yacht des pavillons américains porte trente-sept étoiles, par allu- sion aux trente-sept États de l'Union.

164 LA COURSE ET LES CORSAIRES

noms da Shénendoach, de la Florida, du Tallahassée, de la Georgia et surtout de TAlabama. Ce dernier fit pour 6,S44,S09 dollars de prises ; et nous ne pouvons que rap- peler sa lutte suprême avec le Eerseage, non loin de Cherbourg, ainsi que les complications soulevées par son armement, entre l'Angleterre et les États-Unis.

Jusqu'au mois de mai 1864, la valeur des navires et des cargaisons brûlés en mer, depuis le commencement de k guerre, s'élevait à plus.de quinze millions de dollars, et le chiffre des bâtiments détruits, à 239, jaugeant 104,600 ton- neaux.

Ecoutons, en terminant, un homme du métier, M. le capitaine de vaisseau Th. Aube, et laissons à ce juge compétent le soin de nous faire connaître la note de Topi- nion de l'Angleterre au sujet de l'abolition de la course, et de nous donner sa propre appréciation sur ce moyen puissant, cette arme redoutable dans les maius de nos dévoués marias *.

« .,. En renonçant à la course, le moyen le plus assuré a qu'elle eût de combattre l'Angleterre, la France aban- «f donnait un avantage positif, tandis que sa rivale renon- « çait simplement à des prétentions désormais chimé- n riques, impossibles à maintenir. C'est ce que lord « Clarendon n'hésitait pas à proclamer à la tribune. « Nous avons obtenu de la France, disait-il à la Chambre « des Lords, en matière des lettres de marque, la consé- « cration d'un principe qui sera très avantageux pour une

1. Un nouveau droit maritime international, par M. Th. Aube, capitaine de yaisseau, extrait delà Reviie maritime et coloniale, F ariSf 1875, in-S», 24 p. M. Aube est aujourd'hui, 1886, Tice-amiral et ministre de la marine.

fe - /

LA COURSE ET LES CORSAIRES 18â

« nation commerçante, pour TAngleterre. L'abolition des « lettres de marque est plus que r équivalent de r abandon « d*un droit que je sais qu'il est impossible de soutenir.

« Appréciant ensuite avec une admirable sûreté de coup « d'oeil les changements déjà accomplis, ceux plus grands « encore que devait réaliser un prochain avenir, il ajoutait : « Cette abolition est plus importante aujourd'hui « qu'elle ne l'a jamais été à aucune autre époque. Lorsque « le bâtiment marchand et le corsaire attendaient tous « deux du vent leur puissance motrice, ils étaient compa- « rativement sur le pied d'égalité, et c'était le plus fin « voilier qui prenait l'avance ; mais la majeure partie de « notre commerce, se faisant encore sur des bâtiments à c< voiles, serait absolument à la merci d'un corsaire, quel- « que petit qu'il fût, faisant la course à la vapeur. En « conséquence, je regarde l'abolition des lettres de marque « comme étant du plus grand avantage pour un peuple « aussi commerçant que le peuple anglais. Déjà, du « reste, dans la séance des Communes du 6 mai 1836, « lord Palmerston avait dit: C'est Jious qui avons le « plus gagné à ce changement, par suite duquel, pendant a toute cette dernière guerre, nos relations commerciales « n'ont pas souffert.

« Les Etats-Unis se rendirent bien mieux compte

« des concessions faites par la France à l'Angleterre, en 0 répondant à la demande d'accession au traité, par une « contre-proposition, qui était une fin de non-recevoir...

« La création d'une marine cuirassée n'est qu'une

« question d'argent. La course, au contraire, sans imposer a des sacrifices matériels que le patriotisme des peuples « les plus faibles ne puisse accepter, exige, ce qui ne

186 LA COURSE ET LES CORSAIRES

a s'improvise pas, les qualités les plus rares de Thomme « de mer : la science, Texpérience, Taudace et le calme, la a persévérance et la rapidité des conceptions. Mais quel- « ques corsaires commandés par des Semmes, des Wadel, « des Surcouf, des Bouvet, des Jean-Bart, suffisent pour « frapper au cœuf le commerce des plus riches et des plus (( puissantes nations. »

La course, cependant, telle qu'elle a existé jusqu'en 1815, n'est plus possible. Elle appartient désormais au domaine de l'histoire. La transformation radicale opérée dans le matériel naval, navires de guerre, navires de commerce, paquebots transatlantiques, nous semble rendre impossible l'armement de ces derniers en corsaires. Les croiseurs ne i sont plus que des bâtiments de l'État. Jadis nous avions des manœuvriers intrépides, habiles, audacieux; bientôt nous n'aurons plus que des machinistes. Les droît3 de l'hu- manité, de la justice, semblent en quelque sorte réclamer, à notre époque, Tabolition de la course comme peu conforme à nos mœurs, à nos relations internationales. Mais les considérations d'honneur national devaient-elles l'empor- ter sur celles de l'intérêt de la France ?...

La France, parmi ses corsaires, compte incontestable- ment des hommes illustres, de grands hommes même. A cette école se formèrent de vaillants officiers, de braves marins. Loin donc de flétrir la course, de parti pris et sans la connaître, il faut tenir compte des considérations essentielles et spéciales qui militent en sa faveur. Si en principe elle paraît défectueuse et blâmable^ il faut se reporter aux époques qui la virent universellement prati- quée, et la juger non pas seulement au point de vue des abus qu'elle entraînait, mais aussi sous le rapport des services utiles et souvent glorieux qu'elle rendit.

LA COURSE ET LES CORSAIRES 187

Terminons par un fait qui, nous Favons déjà dit, a bien sa valeur et est tout àThonneur des corsaires et des arma- teurs, dont beaucoup figurent parmi les bienfaiteurs des hospices de Nantes *. C'est principalement à leurs largesses, à leurs dons, que ces établissements durent en grande partie de pouvoir traverser la période si critique de la fin du siècle dernier.

De Fan V à Tan IX (1796-1801), les négociants accor- dèrent bénévolement un pour mille, sur le montant des prises, pour l'entretien des hospices civils et du Bureau de Bienfaisance,

Le maire de Nantes, Daniel de Kervegan, de sympathique mémoire, provoqua cette généreuse et charitable mesure.

« Nantes, 4 prairial an V (23 mai 1797).

« Daniel de Kervegan, Présidqnt de l'Administration municipale, au Président du Tribunal de commerce, à Nantes.

« Citoven,

<r Dans presque toutes les places de commerce de la République, il est accordé un pour mille sur le produit des ventes de prises, au bénéfice des indigents. Nous sommes dans l'intention de proposer cet établissement à tous les négociants qui seront chargés de ces ventes, les invitant, avant d'en faire l'ouverture, à en faire la propo^ sition aux acheteurs, persuadés que la modicité de cette rétribution et les vues d'humanité qui la motivent, la

i. Les Bridon, Cossin, Couëron, DessauU, d'Havelose, MétoisetLechantre, Richer, Van Neunen, etc.. Tableau des bienfaiteurs des hospices de Nantes, Compte rendu des hospices, exercice 1882.

188 LA COURSE ET LES CORSAIRES

feront adopter, sans réclamation, surtout si vous voulez bien concourir avec nous à démontrer l'avantage qui en résultera pour les pauvres de la Commune. Personne ne sera foulé d'un don aussi faible, et l'indigent sera sou- lagé dans sa misère. Si vous daignez vous employer à cet établissement, je ne douterai pas de la réussite.

« Salut et fraternité ». »

M. Dubern, délégué par l'Administration pour percevoir ce droit, versa au receveur des hospices :

En l'an V, 3,183^ 6* 9*, dans lesquels la Reine de Londres, prise du Chéri, entre pour 863^ 2^, et la Bénéficence pour 893ï,U8.

En l'an VI, 5,194' 14» 11^, dans lesquels le Tarleton, prise de VActéon, entre pour 524^ 18« H*; le Thomas, pour 855» 17» 6^.

En l'an VII, 13,671* 2*, dans lesquels le Bornholm, prise du Nantais, iigure pour 3,326' 35c; jo Bernstoff, pour 2,681* 35<?, et la Juliana-Maria, prise de la Confiance^ pour 3.336* 65®. En la même année, un second versement de 2,0401 40 centimes, porte le total à 15,711*.

En Tan IX, le versement n'est plus que de 421* 69«. Le Bureau de Bienfaisance touchait le tiers de ces sommes.

S. de LA Nicollière-Teijeiro^ (Za suite prochainement,)

i, Arch. municip , postérieures à 1790; carton. Bureau de Bicufaisance, n* 1, dossier : Droit des pauvres. Le Bureau de Bienfaisance fut organisé par la loi du 7 frimaire an V (27 novembre 1796).

SOUVENIRS DE GUERRE CIVILE

GUILLEMOT

XII

Gependanl les événements marchaient sans apporter aucun adou- cissement i\ la situation des réfugiés. Le parti royaliste militant, submergé sous le (lut toujours grandissant de la prodigieuse for- tune de Bonaparte, tenta un supri^me effort. La guerre lui écha|()- pait, il ne lui restait plus que la ressource des complots. Il orga-< nisa contre le gouvernement consulaire une vaste conjuration dans laquelle des généraux républicains figuraient à côté des chefs bre- tons et vendéens. Le lôle de Guillemot était de faire appel aux forces insurrectionnelles de la Bretagne au moment la chute de Bonaparte serait consommée à Pans. La découverte de la conspi- ration, farreslation des principaux chefs, la mort de Georges et de ses compagnons, rendirent sa mission inutile.

Aussitôt que son arrivée en Bretagne fut connue, Guillemot se vit poursuivi à outrance par le gouvernement, alarmé de finfluence qu'allait prendre Ihomme le plus propre à succéder à celui qui Venait de mourir, en place de Grève, pour la cause de la vieille monarchie.

Sa présence était, pour le moment, sans objet en Bretagne, elle pouvait attirer sur sa famille et son pays d'inutiles rigueurs. Guilitiinot le comprit. Il résolut de s'expatrier encore el de

* Ytir la livraison d'août 1886, pp. 81-98.

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1 90 GUILLEMOT

reprendre le chemin de TAnglelerre. Mais ses jours élaienl comp- tés et la trahison, qui veillait sur ses pas, devait en finir avec Thé- roïque partisan que dix années de guerre et de périls de toute sorte avaient épargné 1

Le 20 novembre 4804, entre qualreetcinq heures du matin, une double chaloupe (la Vicloire), aux ordres du capitaine Jean-Fran- çois Le Louel, de Tlsle aux-Hoines, se dirigeait vers Tembouchure de la rivière d'Auray. Elle portait à son bord^ outre le patron et trois hommes d'équipage. Le Thieis, Mârtin(de Plaudreii), Jean- Louis Poulchasse, de Bar, Pierre et François Guillemot et Joseph Cadoudal, père de celui qui écrit ces lignes. Ils se rendirent à nie d'Houat, dans fespoir d'y rencontrer un bâtiment qui devait les transporter en Angleterre. Mais leur attente fut trompée ; le na- vire anglais ne parut pas et ils durent prolonger leur séjour sur le rocher d'Houat, qui avait toujours été si hospitalier aux royalistes pendant la tempête révolutionnaire.

Le 25 novembre, un gendarme de la marine, nommé Loréal, à la recherche de matelots déserteurs, se présenta à bord de la cha- loupe et demanda au patron de lui présenter son rôle ; il insis- ta pour voir les passeports des passagers. Repoussé vivement par ceux-ci, il dut rentrer à Belle Isie, il fit part de celte aventure au maire de Palais, qui s'empressa d'en référer aux autorités com- pétentes. Les parages d'Houat devenaient peu sûrs ; le capitaine mit aussitôt à la voile pour Guernesey. Mais la mer était houleuse, les vents contraires ; aucune voile amie ne paraissait à l'horizon ; Guillemot, souffrant du mal de mer, donna ordre de débarquer dans la baie de Concarneau. C'était le pays du général de Bar. Les fugi- tifs y trouvèrent pendant quelques jours tous les soins désirables et une sûre hospitalité. Puis ils rentrèrent dans le Morbihan, se confiant chacun à leur bonne étoile et au dévouement si souvent éprouvé des habitants des campagnes.

Cependant l'éveil avait été donné. Le général Chambarihac, qui commandait la 13^® division militaire, en annonçant au préfet du Morbihan la présence à Houat du roi de Bignaa et de ses corn-

ir

GUILLEMOT 191

pagaons, lui avail recommandé de faire comprendre aux habitants de l'île « le mauvais cas ils s'étaient mis en recevant des hommes qu'ils auraient arrêter et faire conduire sur le continent. »

Dès ce moment, on mit sur pied tous les limiers de la police ; des battues générales eurent lieu dans les campagnes ; on dressa tous les pièges, on employa toutes les ruses pour s'emparer du chouan dont le nom était à la fois une puissance et une terreur.

-XIII

En ce moment, vivait au village de Kerdréan, en Plougoumelen, un chef de bataillon de la légion de Vannes, nommé Marc Le Gué- nédal. Beau-frère du patron Le Louêt, c'était lui qui avait frété la chaloupe la Victoire ei tout préparé (our le départ de Guillemot et de ses compagnons. A la nouvelle des incidents de Ttle d'Houat, il se croit perdu, ainsi que son beau-frère. Une proclamation du préfet du Morbihan annonçant qu*on punirait de mort quiconque donnerait asile au redoutable chef ou faciliterait sor évasion aug- mente ses terreurs. Pour se sauver, Le Guénédal prèle Toreille aux offres de la police ; il consent à devenir traître et à se faire es- pion. Mis en rapport avec le général Boyer, commandant à Vannes, il lui révèle le secret de divers dépôts d'armes et de munitions et s'engage' à livrer Guillemot.

Celui-ci s'était réfugié au village de Berluhern, près Elven, il se trouvait avec un de ses fils (François) et Martin de Plaudren. Le 15 décembre, à cinq heures du malin, un courrier de. Guille- mot, Louis Rio, gagné par Le Guénédal, frappe à la porte de l'asile se cachaient les proscrits. Sur l'ordre de son chef, Martin se lève, ouvre la porte et la referme vivement sous une pluie de balles. La maison était cernée par un détachement de hussards.

Guillemot voit qu'il est trahi. Saisissant son arme et comptant sur une de ces inspirations soudaines auxquelles il fut si souvent redevable de son salut, il s'élance à demi vêtu au milieu de ses

V.

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1 92 GtJItLEMOr

ennemis. Il tire et blesse le hussard Laurent Houtier. Les autres s'écartent respectueusement et le laissent passer. Malheureusement, le chemin qu*il a pris le conduit à un préau, se trouve un second détachement de soldats. Il veut de nouveau faire usage de son arme : le coup rate. II reçoit sur les yeux un terrible coup de sabre qui lui est asséné par le maréchal des logis Bachelet. Vingt hommes s'acharnent après lui. Seul contre tous, le chouan se défend en tenant par le canon son fusil, dont il se sert comme les cheva- liers se servaient de leur masse d'armes. La lutte fut longue : elle dura une demi-heure, pendant laquelle Théroïque « brigand > fil des prodiges de courage et d'adresse. Il diMribua autour de lui de nombreux horions et fit plus d*une blessure. Il en reçut vingt- trois, dont quatre d'une extrême gravité. li succomba enQn, mais à la manière des anciens preux, à bout de forces et de sang, et sous la fatalité du nombre. Transféré le même jour à Vannes, deux chirurgiens pansèrent ses blessures, on hâta son procès dans la crainte que la mort, qui le tenait déjà, n'accomplit son office sans le secours du bourreau.

Une dépêche télégniphique arriva de Paris, portant ces seuls mots : « Qu'il soit jugé et fusillé sur-le-champ ! >

Telle était la justice sommaire de cette époque.

XIV

On permit^ toutefois, au prisonnier de voir sa fille et son jeune fils François.

« Soyez exacts dans vos prières, leur dit-il ; pratiquez constam- ment NOS devoirs religieux; soyez toujours fidèles à Dieu et au Roi!»

Il termina ce court entretien avec ses enfants en leur recomman- dant dédire à sesamisel, en particulier, à son lieutenant Le Thieis de ne lien tenter pour sa délivrance. Il sentait que son heure était venue.

Le trois janvier 1805, le chef breton parut devant la commis-

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GUILLEMOT 103

sion spéciale établie par le général Gbambarlhac pour le juger. Celte commission était présidée par M. Husson^ major au 37* de ligne.

L*accusé prit la parole après son avocat. Sa haute stature, son rude visage tout sillonné de traces de poudre, sa voix énergique, sa mâle et inculte éloquence et, plus que tout cela, le souvenir de ses exploits, de son courage, de sa persévérance, de sa fidélité à Dieu, de son dévouement à la plus ancienne et à la plus auguste race du monde, causèrent, dit-on, une vive impression à ses juges, dont plusieurs avaient été ses adversaires sur les champs de bataille du Morbihan. Mais le maître avait parlé. Il fallait une nouvelle viclime.Le général Guillemot fut condamné à la peine de mort^ à runanimité des voix.

Le lendemain, loules les troupes de la ville se réunirent sur la Garenne, lieu fatal avait déjà coulé un sang héroïque, celui de Sombreuil, de Soulanges, de Tévëque de Dol et de nombreux émi-^ grés pris à Quiberon.

Le condamné, auquel ses blessures ne permettaient ni de marcher ^ni de se soutenir, y fut porté sur une civière, et, pour le tuer décem- ment, on dut le placer sur un fauteuil.

On voulait lui bander les yeux comme à un condamné vulgaire afin de lui dérober les préparatifs de morU

« Gela n*est point nécessaire, dit-il, en repoussant une assis- tance indigne de lui.

Songez, lui dit le prêtre qui l'accompagnait, aux humiliations de Notre-Seigneur !

Gela est vrai, répondit le soldat chrétien, qui allait mourir, faites ce qu'il vous plaira. »

El le prêtre lui abattit sur les yeux le bandeau qu'il avait sur le front.

Deux décharges se firent entendre. La première fit incliner vers la terre le front du supplicié. La seconde le délivra de ses souffrances et de la vie.

Telle fut la dernière heure du roi de Bignan.

TOME LX (X DE LA SÉRIE) 13

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194 GUILLEMOT

SECONDE PARTIE

l'empire et U RESTAUlUnON

SoHKAiBi. Les enranU de Guillemot. Jolien. Premières impressions.

LesÎDâorgés royalistes en Angleterre. TenlaliTes malheureuses d insurreclion.

Chute de FEmpire. Les Cenl-Jours. L'insorreciion de 1815. Julien Guillemot; chef de la division de Meirand. Occupation de Ponti?y. Courage et humanité. Les fédérés. Joseph Cadoudal. Réorganisation de Tarmée française. -- Julien GniUemot chef de bataillon.

I

Guillemot laissait derrière lui quatre enfants : trois Bis et une fille. Au moment de i'ezploston insurrectionnelle de 1793, l'atoé, Julien, entrait à peine dans sa septième année, et le dernier n'avait pas encore vu le jour. Toute la famille du chef royaliste^ chassée de son foyer, fut réduite à errer et à chercher des refuges de chau- mière en chaumière. Ces refuges ne leur étaient jamais refusés, et toutes les portes s'ouvraient devant les proscrits, bien qu'en pénétrant sous un loit ils y perlaient toutes les chances du pillage, de rincendie et des massacres.

Les jeunes enfants grandissaient au milieu de la persécution révoluliunnaire el au sein de Tinsurrection royaliste. Ils s'habituèrent de bonne heure à Todcur de la poudre et au bruit des balles. Julien, maigre son père, accompagnait souventla division de Bignan dans ses expéditions et la suivait au plus fort du danger. A peine âgé de quatorze ans, il fut témoin de Taffaire du Pont-de-Loc.Iieut sa part de toutes les émotions, de toutes les douleurs, de toutes les angoisses de celle époque héroïque et funèbre, une journée commencée par une victoire se terminait souvent par une défaite.

Dans l'inlei va1!e de ses combats et de ses travaux, le chef roya- liste consacrait parfois de courts instants à sa famille. Il ap|Mrit à

GUILLÊHOT 195

lire à Julien et lui enseigna les premiers éléments de la religion. De saints prêtres, proscrits par la Terreur, poursuivirent son œuvre, et le fils dîné du roi de Bignan fut bientôt en état de s'agenouiller â la sainte Table et de recevoir le pain des forts. Les circonstances au milieu desquelles il accomplit ce grand acte, la persécution qui grondait sur sa têie pendant que Dieu se révélait à lui pour la première fois, les leçons, les récits et les exemples de ses pieux insti- tuteurs ne sortirent jamais de son souvenir. Sun enfance connut des impressions semblablesà celles que durent éprouver, au fond des catacombes, les chrétiens de la primitive Eglise. Les mêmes voix qui lui enseignèrent à bénir Dieu au milieu des plus cruelles épreuves, lui apprirent à aimer le Roi dans toutes les fortunes et à travers toutes les vicissitudes de la vie. Il confondit dans un même culte les objets sacrés que la Révolution réunissait dans la même haine et dont les noms étaient inscrits en lettres d'or sur les drapeaux des armées catholiques et royales.

En 1798, Julien Guillemot recueillit le dernier soupir de sa mère. La pauvre femme, épuisée de forces et de douleurs, mourut âgée de 32 ans, peu de semaines après avoir donné la vie à son dernier enfant.

En 1802, Julien suivit son père en Angleterre, il fut confié aux soins de Pabbé Carron, prêtre du diocèse de Rennes, dont le nom est devenu une des gloires deTÉglise de France.

Déporté à Jersey en 1792 pour avoir refusé le serment exigé par la Constitution civile du clergé, l'abbé Carron s'était rendu à Londres sa charité sacerdotale n'avait pas lardé à se signaler par la fondation de plusieurs bonnes œuvres en faveur des proscrits et des émigrés. Grâce à ses soins et à la protection du gouvernement britannique, on vit s'établir dans la capitale de l'anglicanisme deux chapelles catholiques, deux hospices, l'un pour les prêtres infir- mes, l'autre pour les femmes malades, un séminaire de vingt-cinq élèves qui a donné plusieurs prêtres à l'Église, deux pensionnats, dans l'un desquels furent élevés quatre- vingts jeunes gens et dans l'autre soixante jeunes personnes.

196 CDILLEMOT

Julien Guillemot commença ses éludes sous la conduite Je ce di- gne prëire. C'est dans sa maison que lui parvint la nouvelle del'ar- rcstalion et de la mort de l'homme héroïque au(]uel il devait la vie. Celle nouvelle le frappa rudement nu cœur et dès lors le (ils du roi de Gignan n'eut qu'un dc^ir : rentrer en Bretagne et venger la mort de son père.

II

Il ne larda p^s à être rejoint par son frère François, que nous avons vu recueillir les dernières paroles dR Pierre Guillemot. C'était un jeune homme d'une intelligence vive et éveillée et d'une telle arileur à s'instruire qu'il fut bienidl en étal de donner en an- glais des leçons de français, d'italien et d'espagnol.Cetle ressource, jointe aux secours que le gouvernement britannique accordait d'une main généreuse aux émigrés royalistes, eût permis aux deux frères de mener une vie paisible et heureuse, s'il était possible de trouver le bonheur loin de Sun pays. Leur courage, ainsi que celui .de la colonie bretonne au milieu de laquelle ils vivaient, était soutenu et sans cesse ranimé par l'espérance d'une nouvelle prise d'armes bien que les événements qui se déroulaient sur le continent ne lais- sassent guère de place à la pensée d'une insurrection royaliste.

Toutefois, plusieurs projets furent mis à l'éude par te conseil du Roi. Enl809, un prêtre du diocèse de Vannes, l'abbé Guillevic,fu( chai^é'par Louis XVIII de lui rendre compte de la situation de l'es- prit public en Bretagne. Après avoir parcouru le Morbihan et les Càtes-du-Nord.il réponditqueu les populations étaient prêtes à re- iveler leur héroïsme s , mais que c l'heure n'était point encore lue n d'attaquer le colosse aux pieds d'arj:,ile ». En 1812^ le gé- al Debar, accompagné de HM. Droz et Leguern, fit une tentative ir rentrer en Bretagne. Il débarqua à Houat, espérant gagner la emorbibannaise. Un espion signala sa présence, et, le lendemain, ! chaloupe transporta dans l'Ile un détachement de soldats qui ssacrèrent les trois officiers.

GUILLEMOT 197

III

Cependant les événements se précipitaient sur le continent. Les royalistes réfugiés en Angleterre les suivaient d'un œil curieux, brûlant du désir de se jeter eh Brelagne, en Normandie, dans le Maine, en Vendée, pour y soulever les populations contre un des- potisme qui devenait de jour en jour plus intolérable. La tyrannie de la conscription, l'aggravation des impôts, la pénurie du com- merce, Tavilissement de toutes les denrées par suite du blocus con- tinental, Taffreuse situation des familles dont les enfants se sous- trayaient par la fuite au service militaire et contre lesquelles on renouvelait journellement toutes les rigueurs de la loi des suspects: les saisies, les ventes à Tencan, les contraintes par voie de garni- son, les arrestations arbitraires, etc. ; d'une autre part, la persécu* lion religieuse, qui s'était déjà manifestée par le dépouillement et l'arrestation du souverain Pontife, par l'emprisonnement de prêtres, d'évêques et de cardinaux ; tous ces motifs ti bien d'autres avaient porté au comble en Bretagne comme ailleurs et plus qu*ailleurs l'exécration du régime impérial. Vers la fin de 1813, on peut dire que le pays tout entier était mûr pour une nouvelle insurrection.

Elle fut inutile. Dieu toucha du doigt le colosse et il tomba en poussière. Quand les proscrits rentrèrent en France, après dix an- nées d'exil, le drapeau blanc flottait sur tous les clochers: l'Empire avait succombé sous le poids de ses fautes et de ses crimes.

Pour la plupart, ils trouvèrent leurs foyers éteints et déserts. Le bien-être qu'ils obtinrent dans leur patrie fut inférieur à celui que leur avait fait l'hospitalité de TAnglelerre. Le roi était pauvre et ne pouvait rien pour eux. Mais qu'importe ! ils assistaient nu triomphe de la cause sacrée pour laquelle ils avaient si longtemps combattu et soufl'ert ; ils revoyaient les landes bretonnes, ils respi- raient l'air natal, cet air vivifiant qui leur était si nécessaire, que beaucoup d'entre eux, atteints de nostalgie, étaient morts pour en avoir été trop longtemps privés. S'ils se trouvaient péniblement affectés de l'abandon les reléguaient forcément des circons- tances politiques d'une complication et d'une difficulté extrêmes,

iW GDUXEMOT

leur fidélilé n*en recul pas la plus légère atteinte. Aussi, lorsque la révolution du20 mars vint de nouveau livrer la France à Thomme du 18 brumaire, se retrouvèrent-ils tous à leur poste, prêts encore à combattre et à mourir.

IV

Jusqu'ici, les historiens de la Restauration et de l'Empire n'ont pas donné à l'insurrection morbibann.aise de 1815 la place qui lui appartient. Ils entrent dans de minutieux détails sur les divisions intestines et les intrigues de police qui, à cette époque, firent avor- ter le mouvement vendéen et paralysèrent le dévouement et la va- leur des vieux soldats de Bonchamps et de Gharette. Hais ils sem- blent ignorer que, derrière la Vilaine, tout un peuple se souleva aux cris de Vive le Roi f et que, pendant toute la durée des Cent-Jours, ce peuple fit flotter le drapeau blanc et le maintint avec énergie en face du drapeau de l'usurpation bonapartiste. Cependant l'ar- mée royale du Morbihan, parfaitement organisée, ne s^éleva pas à moins de seize mille hommes, et elle eût été facilement doublée sans le défau-l d'armes et de munitions. Elle fit la guerre avec au- tant d'humanité que de courage. Ses succès forent dégagés de tout excès et de toutes représailles, même légitimes. Elle sut à la fois se tenir en garde contre les intrigues de Fouché et déjouer les conseils d'une lâche prudence, conjurer dans son sein toute rivalité jalouse et toute désunion, et préserver son pays de la souillure de rélranger. Lors de l'invasion, pas une semelle prussienne ne foula, grâce à elle, le sol du Morbihan. Les alliés s'arrêtèrent avec res- pect au seuil même du sanctuaire de la fidélité royaliste.

Une plume émue et éloquente, celle de H. Rio, a raconté This- toire de cette courte campagne à laquelle prirent glorieusement part les écoliers du collège de Vannes ^ M. Tabbé Bainvel, depuis curé de Sèvres, et qui figurait, comme H. Rio, au nombre des offi- ciers de cette compagnie d'enfants, a aussi rappelé les principaux

I. La Petite c/iouannerte, ou Histoire d'an collège breton sons Tempire, par A. -F. Rio. Paris, 1842^ in-8o.

GUILLEMOT 199

détails derhérolque épisode de 1815, que Brizeux et Wordswortb ont chanté et qu'a célébré la plume de Chateaubriand '. Qu'on Use leurs récits, si Ton veul se faire une juSile idée des sentiments qui, à celte date^ faisaient batlre le cœur des jeunes kloêrs morbihannais !

Le caraclère tout biographique de ce travail ne nous permet pas ds retracer ici Thistoire de celle rapide campagne, qui ne laissa derrière elle que des souvenirs sans remords et qui se termina sur la Rabine de Vannes par une messe solennelle à laquelle assis* tërent, confondus dans les mêmes rangs, les soldats de TËmpire et de laRoyaulé. Julien Guillemot et ses frères y prirent une part digne du sang qui coulait dans leurs veines. Le Tbieis vivait encore : il eut le commandement de Pancienne division de Bignan ; François Guillemot y servit en qualité de chef de bataillon, et il eut sous ses ordres son jeune frère Jean-Harie, qui, à peine âgé de dix-sept ans, avait voulu prendre le fusil du volontaire. Quant à Julien, on le chargea de réorganiser le pays de Baud et de Melrand, qui formait, dans les anciennes guerres, la division du brave et du malheureux Jean Jan. Secondé par M. de Launay, ancien officier de l'armée de Condé, par Dagorn, de Bieusy, Yves Le Dain, de Noyal-Ponlivy^ et Louis Guillemot de Langonnet, il fut bientôt à la tète d'une légion parfaitement organisée.

Cette légion eut peu d'occasions de rencontrer l'ennemi^ ayant été surtout employée à propager l'insurrection dans le Finistère et à tenir en respect la garnison de Ponlivy, qui ne sortit guère de ses retranchements pendant toute la durée de la campagne. Julien Guillemot occupa personnellemenlGuémené, Gourin, Plouay^ Rostrenen, Carhaix. Mais il éprouva devant Châteauneuf-du-Faou, occupé par une assez forte garnison, une résistance qui lui coûta plusieurs hommes et l'obligea à se retirer.

Le 6 août, il fit son entrée à Pontivy. La garnison de celte ville, composée d'un escadron de cavalerie, d'un fort détachement de ma- rins, de gendarmes et de gardes nationaux, n'était rien moins que

1. Souvenirs d*un écoliery par P. -M, Bainvel. Paris, i846, in-18.

SOO GUILLEMOT

sympathique à Tarmée royale. De leur côté, les chouans élaienl dans une exaspération extrême, particulièrement contre la gendarme- rie. A tout instant on pouvait craindre de voir éclater quelque sanglant conflit. Un jour, une troupe nombreuse et irritée se masse devant la caserne des gendarmes, dans l'intention mani- feste de l'assaillir. Guillemot accourt avec une centaine d'hommes, les range en bataille devant la caserne, préserve les gendarmes d'une mort certaine, et les fait conduire sous bonne escorte dans un lien sûr, situé à quelque distance de la ville.

Peu de temps auparavant, cantonné avec une partie de sa légion au bourg de Noyal-Pontivy, il avait fait scrupuleusement respecter la demeure et les propriétés du contre-amiral Coudé. Celui-ci était député au Corps législatif., Lorsqu'il rentra dans ses foyers, il les trouva gardés par des chouans qui, sous l'ordre de Guillemot, lui rendirent les honneurs militaires. Le chef royaliste voulut ainsi té- moigner son estime pour la haute valeur dont avait fait preuve cet officier général en combattant sous les drapeaux de la République et de l'Empire.

Ces manières d'agir, si peu conformes aux traditions des guerres civiles, et qui, du reste, furent celles de tous les officiers de l'armée royale pendant les Cent Jours, avaient bien vite acquis à Julien Guil- lemot la sympathie de ses adversaires politiques. Le sous-préfet de Pontivy, H. Le Bare, le reçut dans sa propre demeure et ne cessa de le combler d'égards. Il fit soigner avec beaucoup d'humanité le Jeune frère du chef royaliste, Jean-Marie, qui avait été grièvement blessé, quelques jours auparavant, à l'attaque de Redon.

Pour comprendre toute la significatton de semblables procédés, il faut se reporter à cette fatale époque des Cent-Jours, les ari- mosités politiques ne connaissaient pas de bornes, les rancunes, les rivalités jalouses et toutes les passions haineuses, déchaînées de toutes parts, étaient surexcitées jusqu'au délire. Tandis qu'ailleurs l'exaspération des partis se traduisait en scènes furieuses et en mas- sacres, le Morbihan, les opinions royalistes étaient si tranchées, la persécution révolutionnaire avait été si cruelle, et le régime

GUILLEMOT 201

impérial si acerbe et si dur, ne connut pas Tombre d'une réaction. Aussitôt que les chefs des deux partis eurent arrêté les principaux articles de la pacification, les soldats des deux armées fraternisè- rent à Tenvi. On les vit s'asseoir aux mêmes tables et trinquer cor- dialement en se racontant les divers épisodes de la campagne qui venait de finir. Les idées de rapprochement et de concorde furent même portées si loin que, pendant quelque temps, les chouans et leurs chefs se virent placés sous les ordres du général qui avait di- rigé conlre eux les forces impérialistes. « Il semblait, a écrit M. Rio, qu*on se fui entendu de part et d'autre pour donner un éclatant dé- menti à tous les enseignements de Thisloire sur les horreurs qu'en- traînent inévitablement les guerres civiles. »

He sera-t-il permis de rappeler qu'un pareil résultat fut dû, en grande partie, aux sentiments que sut inspirer, dès l'ouverture de la campagne, celui qui eut l'honneur de recevoir et de porter les premiers coups?

Aussitôt qu'on eut appris qu'une division de l'armée royale, pla- cée sous le commandement de Joseph Cadoudal, avait levé^ dans les environs d'Âaray, le drapeau de la résistance, une colonne de fédérés, fortifiée d'un détachement de canonniers de marine, sortit des murs de Lorient avec l'intention de la combattre. Celte colonne traversa Âuray en poussant des cris de: Mort aux chouans t et en jurant qu'elle rentrerait le lendemain portant au bout du fusil la tête de son chef qui avait pris Tinitiative de l'insurrection. En outre, les fédérés témoignaient à haute voix leur résolution de ne point faire de prisonniers et de fusiller sur-le-champ tous ceux qui tom- beraient entre leurs mains. C'est dans ces dispositions qu'ils arri- vèrent à Sainte-Anne, une faible partie de l'armée royale les at- tendait de pied ferme.

Les fédérés étaient en force, abondamment fournis d'armes et de munitions, et ils comptaient parmi eux des soldats vieillis dans les camps de la République et de TEmpire. Ainsi pensaient-ils bien avoir facilement raison d'un rassemblement d'insurgés à peine ar mes et presque dépourvus de cartouches. « Ce fut tout le con-

1

202 GUILLEMOT

traire qui arriva, dit un témoin. Renverser les bleus, les disperser, fut l'affaire d'un moment. Joseph Cadoudal, à la lète de ses braves marins d'Aaray^ s'élait précipité comme un torrent sur celte mal- heureuse colonne, dont à peine cinquante hommes purent se sau^ ver... t »

Une trentaine de prisonniers resta aux mains du vainqueur. Parmi eux se trouvait le commandant de l'exoédilion, qui, la veille même de la prise d'armes, avait entretenu des intelligences avec le chef royaliste en lui faisant des avances et des promesses « dont la perfidie, ainsi que le remarque H. Rio, ne pouvait plus èlre mise en doute. » Il avait été blessé dans l'action. Mis en présence de Joseph Gadoudal, il balbutia quelques excuses, et, après avoirparlé de sa femme et de ses enfants en bas âge, il demanda ce qu'on al- lait faire de lui et de ses compagnons.

Les royalistes ne font pas la guerre aux prisonniers, lui ré- pondit Cadoudal. Asseyez-vous à ma table et buvez à la santé du roi : je vous rends à tous la liberté en son nom. Hais, dites-moi fran- chement, si vous aviez vaincu, nous auriez- vous traités de même?

« C'était mcn intention, dit le chef des fédérés en baissant les yeux, mais je n'ose pas affirmer que c'eût été en mon pouvoir ^ »

L'auteur de la Petite Chouannerie ajoute :

<t Après ce court dialogue, qu'il eût été peu généreux de prolon- ger davantage, le pauvre commandant fut dirigé avec ses compa- gnons vers le bourg de Sainte-Anne, le premier appareil fut mis sur sa blessure par le chevalier de Hargadel, Vendéen par le cœur autant que par le caractère, et auquel un acte d'humanité ne coûtait pas plus qu'un acte de bravoure. »

Les fédérés, blessés ou prisonniers, traités avec des soins et des égards pour ainsi dire fraternels, furent renvoyés sains et saufs. Pour toute rançon, on leur demanda de rendre compte à leurs amis

1. Souvenirs d'un écolier, par Tabbé Baiovel, page 31.

2. La Petite chouannerie, p. 202.— Précis delà Campagne Mie en 1815 par Tar- mée royale da Morbihan, elc, etc., p. 5. —Les Phalanges royales en 1815, par De- landine de Saint-Esprit, t. II, p. 154.

I

GunuoioT 203

des procédés dont « les brigands t avaient usé à leur égard. lis le promirent et tinrent parole. Grâce à ces débuis, toute la campagne eut un caractère d'humanité et de modération, malheureusement bien rare dans les guerres civiles. Mais on devine !rop ce qui fût advenu si, au lieu de remporter une victoire, les royalistes eussent eu à subir une défaite. Les intentions manifestées la veille par leurs ennemis étaient évidentes. Si elles se fussent réalisées, les chefs les plus humains n^eussent-ils pas été forcés de recourir, comme dans les anciennes guerres, à Timpitoyable Justice des re- présailles?

V

Après la seconde Restauration, on sait qu'une ordonnance royale licencia les armées insurrectionnelles de l'Ouest en même temps que l'armée de la Loire. Une haule sagesse présida, à celt*" époque, à la réorganisation des forces militaires de la France ':ui formè- rent bientôt une armée véritablement nationale, trouvèrent place, à la fois, les vieux serviteurs de la royauté et les anciens soldats de la République et de TEmpire.

Julien Guillemot fut nommé chef de bataillon dans la légion du Pas-de-Calais. Il passa successivement avec le même grade dans le 44® et dans le 2^ régiment de ligne.

Nous n'avons pas à suivre sa carrière pendant les quinze années qu*il demeura sous les drapeaux. Les régiments dans lesquels il servit n'eurent point la fortune de faire partie des glorieuses expé- dilions de la Restauration. A son grand regret, le commandant Guillemot ne put avoir part aux campagnes d'Espagne, deMorée et d*Alger. Il dut se borner à mettre en pratique ses études spéciales dans les camps de manœuvres et dans les villes de garnison. Disons seulement que ses chefs furent unanimes à constater ses connaissances et ses qualités militaires, et que ses adversaires politiques étaient les premiers à rendre hommage à l'intégrité de son caractère et à la noblesse de ses convictions.

Georges de Cadoudâl.

POfiSIE

UNE PROMESSE

A Denys Cochix.

Quelle bonne et douce journée Mon âme vous a due hier ! Par vous elle était ramenée Vers un passé dont je suis fier ;

Vers ce temps Thomme admirable Dont vous portez le nom si bien, Me faisait asseoir à sa table, Moi chétif, moi qui ne suis rien !

Je vaiS; d'un élan invincible, Vers les tenants du Bien, du Beau, Gomme le plomb vole à la cible, Gomme la phalène au flambeau.

Ainsi j'allai vers votre père.

Il m'aimait. Pourquoi? Je raimais!...

Épi mûr, il tomba sur Taire...

Je ne le reverrai jamais !

Jamais? Oh ! si ! mais dans la gloire, Dans la lumière, Dieu Ta mis, Dans ce beau ciel, j ose croire Que j'embrasserai mes amis !

UNE PROMESSE 205

Pendant que mon humain voyage Se poursuit, offrez à mes yeux Ce buste, cette noble image Promise à mon culte pieux.

Je la placerai près de celle De mon Laprade, à sa hauteur!... Heureux mon toit, s'il vous recèle. Grand poète I grand orateur !

EMILE Grimaud.

TOUS m mmm étaient-ils nobles î

NON

Les lecteurs de la Revue des Deux Mondes onl accueilli avec une faveur méritée des articles historiques signés de M. Lavisse, mailre de conférences à l'Ecole normale. Le même auteur a publié, ces der- nières années, deux petits volumes, intitulés, l'un, h Première année, l'autre, la Seconde année de rhistoire de France à Vusage des écoles primaires et des classes élémentaires des Lycées et Collèges. Le premier de ces volumes est à sa 11^ édition (1886). Le second est à sa 28® édition (1885). Le premier est inscrit sur la liste des ouvrages fournis gratuitement par la Ville de Paris à ses écoles communales. Le second jouit de la même faveur ; de plus, il est adopté par le Ministère de l'Instruction publique pour les biblio- thèques scolaires.

C'est un succès que personne ne contestera. Ce succès est-il mé- rité? C'est une autre question.

Dernièrement un recueil mensuel publié à Quimper, le Bulletin de l'Enseignement chrétien^ s'est mis à étudier de près cette histoire de M. Lavisse. L'auteur de cette étude garde l'anonyme, et c'est modestie de sa part.

La somme des critiques fondées qu'il adresse au livre de H. La- visse est déjà considérable^ et plusieurs se demandent non sans étonnement: « Comment Thabile et savant écrivain de laRevu^e des Deux UondeSydiA'il, pu commettre tant d'erreurs, d'inexactitudes, de' contradictions dans les courtes pages de sa petite histoire? »

L'étonnement croîtra à mesure que le critique continuera son œuvre ; car, il faut l'espérer, il la mènera à fin.

TOUS LES SBIGMEiniS iTAIBIfr-IL8 NOBLES? NON 90)

Pour moi, je me borne à étudier cette unique phrase do livret de H. Lavisse : Tous les seigneurs étaient nobles.

Je dois des remerciements à H. Lavisse. S'il n'avait pas écrit celle phrase, je n'aurais pas étudié à fond ce point de droit féodal; je n'aurais pas eu Foccasion d^apprendre beaucoup de choses qui, je Tavoue, m'ont été une surprise, et dont le simple exposé sera peul-ëlre un étonnement pour plus d'un lecteur.

Je prie seulement de ne pas oublier que j'écris à Qoimper et de m'excuser si je me place surtout au point de vue breton.

I

On Ht dans la Première année de l'histoire de France, par M. La- visse (2« édition, p. 20, 84) :

c Tous les seigneurs étaient nobles; tous ceux qui n'étaient pas seigneurs étaient des roturiers. »

Il faut nous mettre d'accord sur le sens de ces trois mots : nobles, roturier», seigneurs.

Qu'esl-ce qu'un noble ? t C'est, dit Perrière, une personne dislin* guée ou par la verlu de ses ancêtres ou par la faveur du prince. Les premiers sont les nobles de race, et les autres sont ceux à qui le Roi a par grâce spéciale accordé des lellres de noblesse, ou qui possèdent des charges qui anoblissent. » Ainsi (rois sortes de nobles : les nobles de race, les nobles de naissance, fils d'ano- blis, les nobles d'offices devenus nobles par leur nomination à des offices qui anoblissent S

Comme nous le verrons, il ; a eu, au moins pendant un temps, une autre manière d'acquérir la noblesse: vivre noblement.

I. Fkkriârb SDX mois Noble et Anoblissement» V. aossi Dbrisakt »di mots AoMo

Noblesse.

208 TOUS LES SEIGNEURS ÉTAIEMT-ILS NOBLES? NON

Qu'est-ce qu'un roturier? C'est celui qui n'est pas noble, en Quelque degré d'honneur, de dignité et de richesse qu'il soit par- venu. C'est la seule déûnilion S

Qu'est-ce qu'un seigneur? » C'est \e propriétaire d'un fief ou d* une terre*. Sur ce point aucun doute possible. C'est donc comme si H. Lavisse avait écrit : a Tous les propriétaires de fiefs ou de c< terres étaient nobles; lôus ceux qui n^étaient pas propriétaires de a fiefs ou de (erres étuienl des roturiers, » c'est-à-dire n'élaienl pas nobles. En d'autres termes, la noblesse tient à la propriété du fief ou de la terre.

C'est ce qu'il faut voir.

Ne sortons pas de notre province. Toutes les familles nobles de Bretagne n'avaient pas le domaine presque royal des Rohan, ni même les vastes possessions des sires de Rosmadec ou des barons de Pont (l'Abbé). Eh bien ! supposez (ce qui est ordinaire) de nom- breux enfants dont le père est seigneur (propriétaire) d'une seule et mince seigneurie : les cadets n'auront pas un pouce déterre, ils ne seront pas seigneurs ; donc, d'après M. Lavisse, ils seront roturiers.

Faut-il un exemple?— Bertrand du Guesclin! On a dit qu'il n'emporta du pauvre manoir de son père que sa noblesse et son épée. Erreur! Il n'avait que son épée, parce qu'il n'était pas sei-

1. Ferriére, Denisart, etc. C'est le seul sens du mot. Depuis (et bien tardivement puisqu'on n'en trouve aucune trace dans le diclionnaire de Trévoux) on a pris abusi- vement roturier dans le sens de grossier, air roturier, mine roturière. Mais ce sens a vile vieilli. Littré, \^ Roturier.

2. Ferriére, Dict. du Droit, V* Seigneur,

« Quoique le nom de seigneur convienne à tous ceux qui sont propriétaires des héritages, puisqu'il ne signifie autre chose que maître^ on ne donne cependant la qualité de seigneur qu'à ceux qui possèdent des flefs ou des justices. » Deni- SART, V' Seigneur, i\

M. Lavisse dit: t Un homme qui possédait des châteaux et des terres, > Définition que le pluriel rend inexacte (!' année, p. 19). Mais deux pages plusloin, M. Lavisse oublie cette délinition, comme nous allons le voir.'

\

TOUS LES SEIGNEURS £TAIEIfT-ILS NOBLES? NON 209

gneur; et la main glorieuse qui tiendra plus tard Tépée de conné* table fut celle d*un roturier.

Passons ! Il est clair que H. Lavisse n*a pas voulu dire ce qu'il a dit.*. Ne faudrait-il pas substituer dans la seconde proposition le root noble au mot seigneur î Nous aurions alors : « Tous ceux qui n'étaient pas nobles étaient des rotarters. » -^ Nous voilà d'accord»

A ceux que scandaliserait cette rectification, je répondrai : M. Lavisse a pris soin de me fournir lui-même à la page suivante (p. 21) la preuve de la confusion qu'il fait entre les mots s^i^n^uf et noble. 11 écrit 88): « Lorsqu'un jeune seigneur prenait les u armes pour la première fois, elle (l'Église) faisait une cérémonie « religieuse pour bénir ses armes. Le jeune seigneur devenail « alors chevalier. >

Il est clair que dans ces deux phrases le mot noble est à substi- tuer au root seigneur. Il n'était pas nécessaire d'être seigneur ou propriétaire d'une terre pour être armé chevalier ; mais il fallait être noble S

Ainsi pour H. Lavisse, mais pour lui seul, ces deux mots noble et seigneur sont synonymes et peuvent être employés indifféremment l'un pour Faulre. La preuve, c'est que l'auteur les emploie dans la même phrase dans l'un et l'autre sens !

Car la substitution que je viens de proposer pour le second membre de la phrase ne peut êlre faite au premier : « Tous les seigneurs étaient nobles. » H. Lavisse n'a pas pu vouloir écrire : « Tous les nobles étaient nobles.» Ici il faut de toute nécessité prendre le mot seigneur dans le sens de possesseur d'une terre.

Mais si j'ouvre la Deuxième année d'histoire de France de H. Lavisse (28« édition), voici un bien autre sujet d'élonnement! L'auteur emploie le mot seigneur dam le sens de chevalier. Il écrit, (p. 47, U^ récit, Armement d'un chevalier) : « Il (le jeune noble

l.«A(r moins au débat. LeUre de Philippe le Hardi, 1270. Isambbrt II, p. 643. Aucun doute que plus tard un roturier n'ait pu être fait chevalier, par exemple après une action d'éclat sur le champ de bataille.

TOME LX (X DB LA SÉRIE). li

210 tons LES SEIGNEims ÉTAIENt-ÎLS NOfiLES? INON

« et nota plus le jeune seigneur ; donnons acte de celle corrèc- « tion) (le jeune noble qu'on armail chevalier) allait s'agenouil- « ier devant son parrain, c'esl*à-dire devant le seigneur qui devait « l'armer chevalier. Le seigneur lui demandait, etc. ^

Il est clair que M. La visse prend ici seigneur jfovLX chevalier. Le duc de Bretagne, si grand seigneur pourtant, n'aurait pas pu, s'il n'avait pas été chevalier, en armer un autre; réciproquement, un chevalier, même non seigneur, pouvait être parrain du nouveau chevalier. Comme on le voit, le mot seigneur doit fatalement dans ce récit être rem{^acé par le mot chevalier.

Ce mot seigneur est-il donc tellement élastique qu^il veuille dire, selon le caprice de l'auteur, possesseur de terre^ noble et cheva- lier ?

La phrase malheureuse: « Tous les seigneurs étaient nobles >, etc., ne se trouve plus dans ce second volume : et j'en suis fort aise; mais elle est remplacée par une autre phrase... qui ne vaut pas mieux.

La voici, p. 42^ § 40. La Féodalité. N"» 3 : . « Dans ces temps-là, quiconque avait une terre était seigneur ; « ceux qui n'en avaient pas étaient sujets. »

Comment M. Lavisse entend-il ici le mot seigneur: est-ce pro- priétaire, noble, chevalier ? Mystère I

Dans le langage juridique la phrase n'a qu'un sens : Quicon- que avait une terre était propriétaire de cette terre. » C'était bien inutile^ dire, et ce n'est pas celte naîteté que H. LavLsse a voulu exprimer. Il n'as|)as voulu dire non plus : 5 Quiconque avait une terre était chevalier. » Erreur si évideute qu'elle est inutile à dé- montrer. — Je soupçonne que, revenant à la pensée du premier vo- lume, il a voulu dire: « Quiconque avait une terre était noble. > C*est une seconde forme de l'axiome : « Tous les seigneurs étaient « nobles,

M. Lavisse se flatte, dans son a/ois pour ia 25* édition % « d'avoir

1. Voir au bas de la page 2. Deuxième année.

TOITS LES SEIGNEURS ÉTAIENT-ILS NOBLES? NON 211

effacé toutes les expressions difficiles à comprendre. » J'ai le regret de confesser que, pour moi, la seconde proposition de cette phrase est une énigme : « Ceux qui n'en avaient pas (de terre) étaient sujets.» Le mot sujet est opposé au mot seigneur du premier membre de la phrase.

Qu'est-ce que ces mots peuvent bien vouloir dire ? Le mot su- jet amène tout naturellement l'idée de roi^ et le premier sens qui se présentera à l'esprit des milliers d*enfantsqui ont ce livre en mains est celui -ci : « Celui qui possède une terre est seigneur ; celui quif n'est pas seigneur est sujet ; » donc, à contrario, celui qui est sei- gneur n'est pas sujet.

Comment I les seigneurs ne sont pas sujets ! Mais, dans le para- graphe précédent, l'auteur vient de dire tout le contraire ! Il expose la hiérarchie de la féodalité, et il la résume ainsi : « Les seigneurs « comme.... le comte de Toulouse, étaient en même temps vassaux

*

ce du roi et suzerains des seigneurs qui dépendaient d'eux. Le roi « était au-dessus de tous S »

Hais si le roi était au-dessus de tous, y compris le comte de Toulouse, apparemment aussi que tous, y compris le comte de Tou* louse, étaient au-dessous du roi. Voilà la vérité.

11 est clair que la phrase présente une idée absolument fausse, si elle nous apprend que les possesseurs de terre n*étaient pas su- jets du roi.

H. Lavisse aurait-il voulu parler des sujets des seigneurs ? Auquel cas, la phrase voudrait dire : « Ceux qui n'avaient pas de terre étaient sujets des seigneurs qui avaient la terre* ^ Encore une idée fausse!... Mais une courte explication est ici nécessaire.

Il y avait dans l'étendue de U seigneurie, au point de vue de la prolMrîéié, trois classes d'habitants:

1* Ceux qui ne possèdent pas d'immeubles, ceux qui n'ont pas de terre, comme dit M. Lavisse ;

Ceux qui sont propriétaires de biens roturiers qu'ils tiennent

1. Théoriquement bien entenda.

212 TOUS LEâ SEIGNEURS éTAlENT-ILS NOBLES? NON

des seigneurs à charge de redevances annuelles nommées souvent cens : ils sont dits tenanciers ou censitaires* M. Lavisse les nomme imprudemment vilains ou manants (p. 43 et 44, année) K

Z^ Enfin ceux qui sont propriétaires de fiefs è condition de foi et hommage ; ceux*-là se nomment vassatAX.

Dans ces trois catégories d'habitants, trouver les sujets ? Ce sont seulement, dit M. Lavisse, ceux qui n'ont pas de terre.... Er- reur !

« Les sujets, dit Claude Perrière, sont ceux qui demeurent dans « retendue de la seigneurie d'un seigneur ayant justice. Ainsi les « justiciables d'un seigneur sont appelés sujets du seigneur, » qu'ils aient on non de la terre roturière payant un cens.

Hais, s'ils ont un fief (3« catégorie), ils ne sont pas sujets, ils ^oiaimssaux. «Il fallait, dit encore Ferrière, un nom duquel les sei- « gneurs pussent se servir pour dénoter ceux qui dépendaient de

1. M. Lavisse fail de ces deux mois deux syoonymcs (Glossaire, 2* année). < Nom que l'on donnait autrefois aux habitants de la campagne, aux paysans. »

Déiinition que M. Lavisse a par avance rendue inacceptable. En effet, il écrit au § 43 du même volume : < Au-dessus des serfs, il y avait les vilains ou manants. Ils c devaient an seigneur une rente annuelle. Ils étaient maîtres de leurs biens, « qu'ils pouvaient transmettre. > D'après cela, les vilains ou manants sont, pour M. Lavisse, les unanàers (2* catégorie). La définition du vilain par le mot paysan est donc trop générale : le mot paysan ■:omprend ceux qui ne possèdent rien aussi bien que les tenanciers.

D'autre part^ elle est trop restreinte. Gomment M. Lavisse traduisant vUain par paysan nommera-t-il les roturiers qui habitaient les villes et faubourgs ils exer- çaient un métier ou possédaient des biens ?

Ne sont-ils pas aussi vUainsl M. Lavisse n'est pas, sur ce point, d'accord avec Pasqaier. Celui-ci dit que clés nobles appelèrent villains, ceux qui habitaient molle- ment dans les villes au lieu de s'endurcir comme eux au travail de la terre> pour être propres è la fatigue des armes. » (Trévoux).

La vérité est que dans l'ancien langage du droit vilain voulait dire roturier de la ville ou de la campagne. Nous en avons la preuve dans l'article 155 de notre très ancienne Coutume de Bretagne (1330 à 1340); « Nul vilain ne peut être cru.... » traduit ainsi dans l'article CL1I de l'ancienne Coutume (1539) : c Nul roturier ne doit être reçu en témoignage... »

De même le mot manant ne se dit pas seulement du paysan ; autrement, comment trouverait-on ce mot accolé à chaque instant dans les textes an mot bourgeois en parlant des habitants des villes ?

E_..

TOUS LES SEIGNEURS ÉTAIENT-ILS NOBLES ? NON 213

« leurs seigneuries, celui de vassal ne signifiant que ceux qui pos- c sëdent des fiefs : on a adoplé le nom de sujets. it El il ajoute : « Appeler vassaux les justiciables des seigneurs ce serait tout con* « fondre, puisque les vassaux ne peuvent ëlre sans fiefs . »

Comme on le voit, le vieux jurisconsulte, qui parle, dit-il, « comme les rois, les cours et tous les Etats, » parle tout autre- ment que M. Lavisse. Qui a raison des deux ? Ce n*est pas assuré- ment notre contemporain, et si Perrière lisait ses définitions et voyait remploi qu'il fait des termes seigneur, noble, sujet, manants, ne dirait*il pas que « c'est tout confondre 7 >

Mais passons ! Âi-je bien deviné, après une longue réflexion, le sens de la phrase que j'étudie ? Je n'ose m'en flatter.

Il y aura bientôt cinquante ans, quand j'entrais à l'école, si on m'avait donné celte phrase après les phrases qui précèdent, curieux comme je l'étais, à combien de questions aurais-je soumis mon pauvre maître! Il n'est pas possible que des milliers d^enfants n'aient pas posé des questions analogues, et que l'écho n'en soit pas revenu à H. Lavisse. Peut-être voudra-t-il bien nous donner le mol de l'énigme?

J'attends, comme une espérance, la 29« édition de son histoire. Hais, en attendant, je me demande: N'y aurait-il pas intérêt à par- ler à des enfants un langage un peu plus précis, et à leur épar- gner des énigmes qu'ils ne peuvent deviner.*, ni les instituteurs non plus ?

Je demande pardon de la sécheresse de ces observations dont je n'ai pas cru pouvoir me dispenser. Après avoir montré comment H. Lavisse écrit la langue du droit

1. Ferriérb. V* Sujets,

C'est pourquoi la détiniUon du moi sujet donuée par M. Lavisse est fautive au poin de vue du droit féodal. « Sujet... Celui qui est soumis à l'autorité d'un souverain...» Or le vassal doit foi et obéissance à son suzerain ; mais il n'est pas son sujet dans, la langue du droit féodal. M. Lavisse définit le vassal : « Seigneur dépendant d'un autre, * § 39, p. 41 , 2* année. Oui, & la condition de ne pas dire que le sei- gneur est nécessairement noble.

314 TOUS LES SEIGNEURS ETAIENT-ILS NOBLES? NON

féodal, voyons comment il Tentend au fond ; abordons la question : a Tous les seigneurs étaienl-ils nobles et examinons-la en droit et en fait.

II

Notre très ancienne Coutume et nos vieux feudisles distinguent entre les fiefs nobles et les fiefs roturiers. C'est le régime auquel est soumis chacun d'eux qui détermine sa qualité ^

Les premiers, destinés originairement aux nobles, ne furent chargés que de services nobles, c services de guerre et de plaids ^. > On les nomma francs-fiefs, dit un vieil auteur, parce que, selon les lois, ordonnances et statuts du royaume, ces fiefs ne doivent être tenus que par hommes francs, libres et exempts de payes, tailles aides, subsides et autres charges ^

Les seconds, destinés à ceux dont la qualité ne répugnait pas aux services roturiers, furent chargés de ces devoirs \ et ils payaient toutes impositions roturières, notamment les fouages '.

De ce qui précède il résulte qu'à l'origine les nobles seuls purent posséder les fiefs nobles ; et que, réciproquement, les fiefs rotu- riers furent aux mains des roturiers exclusivement. Hais, avant longtemps, les nobles possédèrent des fiefs roturiers '• Au com-

i. Les terres ont autrefois prescrit la noblesse comme les- personnes elles-mêmes. Nous verrons cela plus loin.

2. Hévin« Questions féodalef, p. 126. Il se moque de Bougis, qui niait, Texistence de Ûefs roturiers; et il dit que les trois quarts des terres de Bretagne sont tenues à ce titre, p. 127. Belordeau cite ce mot de Ûefs roluriers ou plébéient. ôt^n» les cou- tumes de Nivernais, Orléans, Blois, Tours, Lodunois, Anjou, Auvergne, Angouléme, etc. Coutumes générales de Bretagne, p. 514.

3. Bacquet, cité, dans le Dictionnaire raisonné des Domaines (1792), p. 429.

4. Hévin, toc, cit.

5. Le fouage est une imposition qui se payait par feu. Son origine n*est pas très ancienne. 11 était d*abord temporaire. Hévin, Questions; p. 184. C'est le sort de beaucoup d'impôts établis en vue d'un besoin présent, et qui, le besoin passé, semblent bons à garder. Les contriboables s'habituent à tout.

6 Et ils les tinrent comme exempts de fouages. Du Parc Pouuain, Coutumes

TOUS LES SEIGNEURS ÉTÂIENT-ILS NOBLES? NON 215

mencemeDl; du XVI® siècle, les fiefs roturiers possédés par les nobles étaient assez nombreux pour que notre ancienne Coutume en ré^ glât le partage (1539) *.

La réciproque fut-elle vraie, et des roturiers possédèrent-ils des fiefs nobles ?

Au premier abord, il semble naturel de répondre négativement. c Du droit des fiefs, dit Dumoulin, les roturiers sont incapables de « posséder des fiefs et terres nobles ^ » ; et pourquoi ? parce que les roturiers sont incapables de remplir les devoirs de fiefs nobles, le devoir de guerre '.

Un bourgeois vieilli dans le commerce qui Ta enrichi devient ac- quéreur d'un fief noble; il ne va pas monter à cheval et chevaucher la lance à la main avec les chevaliers. Que fera-t-il ? 11 se rédi- mera du service personnel, en payant une taxe, comme les gentils- hommes invalides ou les veuves de nobles, ou bien il fournira comme suppléant son fils ou son serviteur qui aura aussi* peu d'expérience que lui au fait de la guerre \

L'inconvénient est sérieux, il faut le reconnaître ; et, cependant^ cette grave dérogation au droit commun passa de bonne heure dans les mœurs et plus tard dans les lois. Voici comment :

Les seigneurs se ruinaient dans la guerre et le luxe ; les roturiers, les bourgeois des villes surtout, s'enrichissaient par le travail, le né- goce, l'économie. L'argent était entre leurs mains ^. Les fiefs nobles sont entrés dans le commerce dès qu'ils sont devenus héréditaires

générales du pays el duché de Bretagne, Notes de Pierre Hévm, etc., (t. l, p. 351 et 353, d'après d'Ârgentré). Je ne citerai qae cet ouvrage de du Parc Poullain.

1. Art. 560 devenu (pour le sens, sinon identiquement pour les termes,) Tarlicle 608 de la nouvelle Coutume.

2. Sur la Coutume de Paris, § 9, au titre des fiefs.

3. Do Parc Poullain, 1. 11, p. 619.

4. Préambule de la déclaration de Louis XIII (1645) supprimant le ban etrarriére- ban.

5. Du Parc Poullain, II, 619.— a Le trafic des roturiers peut augmenter leurs biens au contraire, ceux des nobles sont diminués par le plaisir, par le jeu et le contente- ment où le plus souvent sont portés les nobles, désirant toujours paraître selon leur qualité, et sans Tappréhension de leur grande dépense. > Belordeau, p. 595.

216 TOUS LES SDGREtmS ÉTAIENT-ILS NOBLES? NON

(877). II est clair que la vente s'en fera mal si les rolariers ne peuvent les acheter. Les nobles tiennent donc à avoir ceux-ci pour acquéreurs^ mais nos ducs tiennent au contraire à ce que les rotu- riers n'acquièrent pas de fiefs nobles.

Pourquoi? Par la raison que j'ai indiquée plus haut, parce qu'ils ne rendront par le service de guerre en personne.

Ce point de vue différent des nobles el des ducs va amener entre eux une lutte curieuse qui survivra à l'autonomie bretonne, bien qu'elle ait commencé dès le XIII« siècle.

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Je ne m'explique pas, je l'avoue, que Lobineau ait pu écrire : « Les fiefs étaient si appropriés aux nobles que c'a été une chose c< inouïe en Bretagne pendant plus de 800 ans, qu'un roturier osât « acquérir des terres nobles ^ »

C'est justement cet historien qui nous fournit, sinon la preuve certaine, du moins l'indice le plus grave de ventes de cette espèce faites très anciennement ^. En un endroit, il nous montre un sei- gneur vendant à un autre noble (il est vrai) mais posant en prin- cipe « que d'après la loi un no))le peut faire ce qu'il veut de son fief aussi bien que de son patrimoine». Faire tout ce qu'il veut, c'est-à-dire apparemment le vendre à un roturier^ si celui-ci en offre un meil- leur prix que le noble. Et cet acte curieux est de 871, antérieur à l'édit de Klersy-sur-Oise. Si telles étaient, en 871, les prétentions de possesseurs de fiefs nobles, ne peut-on pas conclure que la mul- plicité de ces ventes a donné lieu à la constitution de Jean II, que nous rappelle Lobineau?

En 1294, le duc Jean II Interdit aux roturiers l'acquisition des fiefs nobles ^. Quelle était la sanction de celte prohibition ? C'est

1. LoBiNBAU p. 75, ch. 157.

2. Idem, Preuves, col, &7, c Cum legaliter liceat unicaiqae nobili Um de sua alode quam de sua hereditate qnidquid Toluil facere.

3. Lobineau, p. 850.

TOUS LES SEIGNEURS ÉTAIENT- ILS NOBLES? NON 217

ce que l'hislorien ne nous apprend pas. Quoi qu'il en soit, elle a été inefficace, et les nobles ont continué à vendre leurs terres nobles ; et les roturiers à les acheter. La preuve, c'est que, moins d'un demi- siècle plus tard, notre très ancienne Coutume, rédigée en 1330i, va reconnaître expressément la faculté du roturier : « Et aussi nul roturier ne se peut accroître en fief noble sans poîer rachat.» Chap. 262.

Payer le rachat, c'est une nouveauté en Bretagne, c'est une im-* portation française. En efi'et, dès avant la Constitution de Jean II, les acquisitions de fiefs nobles par des roturiers étaient d'usage en France. Cela résulte du texte même d'une ordonnance de Phi- lippe le Hardi vérifiée au parlement de Toussaint ou de Noël 1275.

L'art. 6 porte : « Les non-nobles qui auront acquis des fiefs no- bles à la charge de les desservir ne seront pas inquiétés; » et l'ar- ticle 7 : « Au cas que les roturiers aient fait semblable acquisition ils seront contraints de les mettre hors leurs mains ( de les aban- donner) ou de payer la valeur des fruits de deux années ; mais seu lement, si, entre les rois et celui qui a fait l'aliénation, il ne se trouve pas trois seigneurs, et si les fiefs acquis sont possédés avec abrègement de services (c'est-à-dire avec exemption illicite des ser- vices dus au roi *). >

Qu^est-ce à dire ? sinon que toutes les aliénations antérieures de fiefs nobles faites au profit de roturiers, dans des conditions qui ne sont pas défavorables au roi, seront reconnues valides. Bien plus, réviction prononcée par l'article 7 n'est qu'une menace ; et le roturier acquéreur pourra éviter la dépossession en payant deux fois la valeur du revenu annuel '.

1 . HÉviN. Arrêts du parlement, p. 350. Ânx Questions féodales, p. 245, il dit : Vers 1340.

2. L'ordonnance est écrite en latin, et j'empranle les sommaires français de l'éditeur M. Isambert, II, p. 657 et sulv.

3. On voit qu'il est inexact de rendre ainsi l'article 7 de l'ordonnance r < Le roi se réserve d'évincer les roturiers ayant acquis fiefs nobles dans ses domaines, s'il juge que ces acquisitions portent atteinte à son droit de suzerain. » M. P. YiouEf Précis de VlUsloire du droit français, 1886.

us TOUS LES SEIGNEURS JTAIENT-ILS NOBLES? NON

L'ordonnance de 1275 est le plus ancien monument qui nous reste de Tacquisition roturière des fiefs nobles. A-t-elle créé la faculté d'acquérir ou bien a-t-elle sanctionné une révolution juri- dique déjà accomplie ? En d'autres termes et plus simplement, les acquisitions de terres nobles par des roturiers existaient-elles en fait et étaient-elles licites avant l'ordonnance de 1275 ?

Quant au fait aucun doute possible ! l'ordonnance l'ai&rme. Le droit a été contesté ^ Il semble pourtant bien établi, si l'on s'en rapporte au préambule de l'ordonnance de 1656 sur le droit de franc-fief. Le roi rappelle les anciennes ordonnances interdi- sant les acquisitions roturières de fiefs nobles ; et il ajoute : « Hais l'occasion des guerres saintes et les voyages entrepris contre les in- fidèles ayant fait relâcher de la sévérité des anciennes ordonnan- ces, aucuns roturiers eurent la permission d'acquérir des seigneurs et gentilshommes qui se croisaient partie de leurs fiefs et seigneu- ries. i>Âinsi l'ordonnance de 1656 fait remonter aux croisades l'ori- gine juridique des acquisitions de fiefs par les roturiers \

Je n'insiste pas sur ce point. De Taveu de tous, ces acquisitions se faisaient avant 1275 ; de l'aveu de tous , elles ont été licites en principe, à partir de cette date, et cela suffit à ma thèse '. Pour- suivons.

Nous venons de voir l'ordonnance fixer l'imposition que paiera Tacquéreur roturier. Cette imposition se nommera plus tard droit de franC'fief. Quel est son véritable caractère? Est-ce simplement, comme on Ta dit, une imposition purement fiscale imaginée par des Rois « à sec de finances et grands inventeurs de subsi-

i. Notamment par Denisabt. V*. Nobles, p. 276.

2. Préambule de FordonDance. Isambert.

Au dernier siècle, on discutait sur la question de savoir s'il fallait remonter jusqu'à )al" croisade (Philippe i"t096) ou si l'on devait s'arrêtera la 3* (Philippe- Auguste, 1189). DiCT. DES DOMAINES. V* FranC'fUf, p. 429.

L'ordonnance dit que « la permission fut accordée primitivement à peu de per- sonnes. >

8. donc intercaler les 800 ans dont nous parle Lobineau ?

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TOUS LES SEIGNEURS ÉTAIENT*ILS NOBLES? NON 319

des* » ? Assurément, le profit du irésor ne fut pas étranger à Téta- biissement du droit.

Mais cette imposition avait un fondement juridique qui manque à plus d'une de nos dispositions fiscales. Le préambule de l'ordon- nance de 1656, après avoir mentionné l'autorisation don née au temps des croisades de vendre et acquérir les fiefs nobles, ajoute que «pour réfréner aux acquisitions devenues trop nombreuses > lés or- donnances € firent payer aux roturiers possesseurs de biens « nobles une finance qui fut nommée droit de francs- fiefs^ et qui « étdit comme un rachat de la peine qu'ils avaient encourue pour la « jouissance desdils biens contre les prohibitions des ordonnances « qui les en rendaient incapables, etc. »

Mauvaise raison ! En eflet, l'incapacité native avait été levée par les ordonnances qui avaient autorisé ces acquisitions.

J'aime mieux le motif donné par un jurisconsulte^: <c Le droit de « franc-fief était une sorte d'indemnité à raison du devoir de « guerre » que l'acquéreur roturier ne rendait pas en personne.

Enfin, un autre jurisconsulte signale une autre utilité du droit de franc- fief II s'agit d'un tout autre point de vue. « Suivant Tan- cien droit, dit Lauriëre ', les fiefs nobles communiquaient leur no- blesse aux roturiers qui les possédaient. Nos rois n'approuvèrent par ces usurpations de noblesse ^; et, pour distinguer, à l'avenir, les nobles des roturiers possesseurs de fiefs, ils ordonnèrent que ceux-ci seraient obligés de leur payer de temps en temps une cer- taine finance pour interrompre la prescription de noblesse. »

Ce nom de droit de franc-fief était très naturellement et très

1 . Expressions de Hévin parlant du duc Jean Y. Questions féodales.

2. Dict. DES Domaines. V,. franc-fief ip. 428: < Finance que l'on ferail payer pour tenir lieu d'indemnité de ce qu'il y aurait moins de vassaux capables de suivre le prince en guerre. >

3. Lauriére, préface du ïïecueil des Ordonnances»

4. Le mot usurpation est impropre, puisque la communication de la noblesse avait lieu suivant le droit : il fallait, semble-l-il dire extension.

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iiO TOUS LES SEIGNEURS ÉTAIENT-ILS NOBLES? NON

bien trouvé, puisque cette imposition est la « finance » payée pour avoir le droit de posséder un franc-fief. Cependant le nom de rachat^ que nous venons de lire dans l'ordonnance de 1656, prévalut longtemps en Bretagne, et c'est sous ce nom que le droit de franc- fief a fait son apparition dans notre très ancienne coutume '.

J. Tréyédt,

Ancien président do tribunal de Qaimper, Tice-président de la Société archéologique da Finistère.

{La suite prochainement.)

!. Il ne faut pas que le no)n de rachat amène une confusion. On appelle aussi rachat une sorte de droit de mutation qui» après le décès du seigneur, est seulement par ses héritiers collatéraux. I^ nom de franc'fief usité en France a (lui par pré- valoir même en Bretagne (Du Pabc Podllain, art. 192. Du (ranc-^ef). Le rachat ou franc-fief était ordinairement d'une année du revenu de la terre acquise. Fbkriére, y* Rachai on Mief. Lobinbau semble confondre les lods et ventes avec le rachat (p. 71).L'erreur est certaine. Les lods et venles sont < le droit que le seigneur peut exiger de ceux qui acquièrent des héritages roturiers mouvans de loi. > (Dbnisart, lois et ventes, p. 69.)

'1.

LA MARQUISE

NOUVELLE

Lorsque je vins à Paris pour faire mon droit, mon vieil oncle le procureur me donna une lettre d'introduction près de la marquise do Remaincourt, sans me faire connaître Porigine de Tancienne amitié qui les unissait. Environ un mois après mon arrivée dans la capitale, sur les cinq heures, je m'acheminai vers Tbôtel qu'elle habitait au faubourg Saint-Germain, dans la très noble et non moins laide rue Saint-Guillaume. Un domestique à cheveux blancs vint m'ouvrir-; pendant qu'il faisait passer ma carte avec la lettre de mon oncle à madame la marquise, je restai seul dans un petit salon haut de plafond et boisé en chêne^ tendu de velours cra- moisi, où je pus savourer tout à loisir le bon parfum d'antiquité qui se dégageait de partout. Quoique bien jeune, j'avais déjà une vénération, presque un culte, pour les vieilles personnes et les vieilles choses, et c'est avec un réel sentiment de respect que je passai la revue de tout ce qui m'entourait : la pendule en marbre noir, surmontée d'une statue en pied du cardinal de Richelieu et accompagnée des bustes en bronze de Corneille et de Racine ; le meuble Louis XV et les portraits d'ancêtres, qui souriaient digne- ment, avec leurs grands airs, dans les cadres dorés. Il y avait de quoi reconstituer l'histoire des mœurs de plusieurs siècles : Robert de Remaincourt, tout bardé de fer, qui s'était distingué eu Terre- Sainte ; Guillaume, gentilhomme de la chambre du roi sous Henri IV ; et la belle Marguerite, qui fut dame d'honneur de la princesse Anne de Gonzague, et des cardinaux, et des conseillers au parle-

{

\ \

222 LA HARQUISfi

ment, et des académiciens, et des généraux. Je me promettais en moi-même de me faire conter, quelque jour, en détail, l'histoire de tous ces personnages, y compris le dernier descendant de l'il- ^

lustre maison qui avait épousé sa cousine de la branche aînée, en j

héritant du titre de marquis.

Au milieu de mes réflexions généalogiques, la marquise de Re- \

maincourt entra. Il me sembla voir un de ces portraits que je con- templais tout à l'heure, qui, pris soudain d*une étrange envie de vivre pendant une heure au milieu de nous, serait descendu de son cadre, et se serait misa marcher. De taille moyenne^ encore svelle et mince, le visage encadré de papillotes blanches, et sur la tête une coiffure de fine dentelle, elle s'avançait lentement vers moi : elle me tendit sa main petite et mignonne, et sur le bout des ongles roses, je déposai un timide et respectueux baiser. Tétais subjugué par tant de dignité et tant de grâce : je me voyais tout à coup transporté au milieu de la société d'un autre temps ; pour un peu, J'aurais rajusté la perruque que je ne portais pas, ou caressé avec complaisance un jabot imaginaire. Elle me fit asseoir en face d'elle, et nous commençâmes une longue conversation, ou, pour mieux dire, je fus de sa part l'objet d'un interrogatoire en règle qui dura près d'une heure. Elle mettait dans toutes ses questions tant d'affec- tueux intérêt, de tact et de délicatesse, que pas un instant elles me semblèrent importunes. Au contraire, lorsqu'elle eut appris de moi tout ce qu'elle voulait savoir, je ne trouvais point lui en avoir assez dit.

Nous nous entretînmes ensuite de mon oncle, et quelques mots surpris çâ et dans la conversation me laissaient penser qu'il existait entre eux plus que de l'amitié. Ma curiosité était piquée au vif: M"^ de Remaincourt s'en aperçut et elle me pressa très fort de partager son repas. J'acceptai. Nous passâmes dans une im- j

mense salle à manger, au milieu de laquelle étaient dressés sur ^

une table de chêne, avec une parfaite symétrie, quelques mets servis dans de la vaisselle plate armoriée. Le dtner fut presque si** lencieux : j^états intimidé par tout cet apparat et aussi par ia pré*

i

LA MARQUISE fii

sence de deux domestiques en grande livrée qui se tenaient derrière nous, Constamment attentifs à ne nous laisser manquer de rien. De temps en temps, lorsqu'il m'arrivait de lever la tête, je voyais Tœil encore vif et scrutateur de la marquise fixé sur moi avec persis* tance. Comme je la reconduisais dans le petit salon, elle me dit avec une certaine émotion : « Vous lui ressemblez étrangement. » Je ne lui demandai point de qui elle entendait parler *. on me disait souvent chez mes parents que j'étais le vrai portrait de mon oncle à vingt ans.

Nous nous assîmes de nouveau au coin du feu et elle voulut bien commencer le récit tant désiré : « Je vois, me dit-elle, que vous tenez à connaître Torigine de mes relations avec le procu- reur. Vous m'avez plu beaucoup, je puis vous le dire, et je consens à rompre en votre faveur un silence de quarante années, sur Pun des événements mémorables de mon existence. Le baron Jacques Myrrhes, votre oncle, était de son temps le plus beau ca- valier de Paris : je l'avais souvent vu dans le monde, il m'avait été présenté, et bien des fois nous dansâmes ensemble. Il achevait alors ses études pour le doctorat en droit. Une année, pendant les vacances, quelques mois après mon union avec le marquis, nous nous rencontrâmes en Bretagne, au château d'un de nos amis com- muns. Parties de mer, parties de forêt, c'étaient tous les jours de nouvelles fêtes se voyait la fleur de l'aristocratie bretonne. Nous avions projeté une excursion à Bréhal : le marquis n'avait pa ce jour-là nous accompagner. Aux abords de cette île presque sau- vage, la mer est souvent inclémente ; mais, lorsqu'on est jeune, le danger attire. La première traversée s'opéra sans encombres et nous passâmes une journée bien joyeuse. Au retour, le ciel s'était assombri : on riait encore, mais surtout pour se rassurer soi- même. A vrai dire, la mer était très forte et notre petit yacht était terriblement secoué par les vagues. Depuis deux heures déjà, nous avions quitté Bréhat et nous n'étions pas encore sur le continent. La nuit était tout à fait venue et nos marins, épuisés^ dirigeaient à grand'peine. Enfin, après des efforts redoublés, nous arrivons. Le

I

au Lk MARQUISE

danger est passé : chacun débarque joyeux ; la gatlé si longtemps contenue &it explosion. Je m'apprèle à mon tour à prendre terre, votre oncle me suit, nous sommes les derniers. Soudain, un violen t coup de vent imprime au bateau une rude secousse, l'amarre se rompt, et le yacht qui n'est plus retenu est entraîné à la dérive. Le , vertige me prend, la raison m'abandonne, et, affolée, je me pré- cipite à la mer. Le baron, qui n'a pu m'arrèter à temps, s'élance après moi. Il engage contre les flots une lutte terrible, parvient à me maintenir au-dessus des vagues, puis, saisissant le cordage qu'on lui a lancé du bord, il me remet aux bras de nos amis. J'avais perdu connaissance. On me transporte dans une cabane de pécheurs, et, peu à peu, les tendres soins dont je suis entourée me font revenir à la vie. L'émotion étouffait alors ma voix, et j'eusse voulu dire à votre oncle tout ce que je sentais dans mon cœur.... Il ne le sut jamais, jamais il ne le saura. Hais tout ce que mon devoir m'autorisait à lui vouer de profonde affection, ne lui a, depuis, jamais fait défaut. La marquise ajouta : « Vous serez ici comme dans votre famille et vous me permettrez d*avoir pour vous la tendresse d'une parente. »

H™<» de Remaincourt était très émue. Au bout de quelques ins* lants, je pris respectueusement congé.

Je Tallai voir très souvent et très régulièrement ; et lorsque, voilà trois ans, elle quitta doucement ce monde, je lui fermai les yeux et je la pleurai comme on pleure une mère.

J.-6. ROPÂRTZ.

MOTICES ET COMPTES REMDUS

LA FRANCE ARTISTIQUE ET PITTORESQUE. - I. La Bretagne, --Le Pays de Léon (I'«parlia), par H. duCteuziou; illustratioasdeth. Bus- nel. -- Paris, B 1. Monnier, de Bruahoff et Gie, éditeurs, 1886 ; un ▼olume ia 80 cavalier de xii -97 pages sar papier telolé. Prii : 5 francs.

Vous est-il arrivé de croiser dans la rue une de ces vieilles co- quettes qui, suivant la locution populaire, v font encore de Tcffet à quinze pas»? De loin, sa taille eroprifonnée dans un corset à postiches et son costume aux couleurs voyantes donnent te mirage d'une Tratcheur factice et d'une élégance tant soit*peu tapageuse. Mais de près» quel retour, quel revers, quelle désillusion, quelle chute, quel effondrement, quelle ruine ! Elle est fmée, elle a du rouge, elle a du fard sous lequel on devine des rides ; une odeur quelconque, décorée d'une étiquette exotique par un parfumeur à court de réclame, laisse derrière elle un sillage nauséabond ; sa tète frisée ressemble à celle des poupées dont le buste parade à la devanture des coiffeurs. La jeunesse, la grâce, le charme, elle les remplace par la prétention. Son costume lui-même, si on l'examine en détail, sent le clinquant plutôt que celte richesse, discrète e( simple, chère aux femmes de goût : ce qu'on prenait pour l'œuvre d*une bonne faiseuse est un complet du Louvre ou du Bon Marché... On détourne la tête et l'on passe.

Le Pays de Léon, que M. H. du Cleuziou a récemment publié sous le patronage de l'éditeur Monn'er, m'a laissé 1 impression de la vieille coquette et de son costume. Le costume, c'est le livre considéré au point de vue typographique. L'impression est bonne, à la vérité, et les encadrements des chapitres ont été empruntés h des manuscrits de valeur-, mais pour les dessins, surtout pour ces espèces de lavis en photogravures dont les plaques grisâtres et les linéaments sans consistance ni fondu affligent de temps à autre les yeux du lecteur, quelle médiocrité de reproduction 1 Le calvaire de

TOME LX (X DE LA 6e SÉRIE). 15

226 NOTICES ET COMPTES BBNDUS

La Harlyre, à ne citer qu'un exemple % témoigne du sans-gène avee lequel cette partie si importante dans une publication soi- disant artistique a été traitée. Quelques vues de Landerneau et de Morlaix ont seules été tirées avec le soin convenable, et M. Th. Busnely dont la plume fidèle et le talent original méritaient certes mieux, a dû, en recevant le livre, gémir de se voir si effrontément négligé.

Pour ea revenir à ma vieille coquette, il est donc entendu que l'éditeur Honnier en représente le dehors ; mais le reste, le dedans, le texte, pour parler net, c'est Tauteur qui en est responsable. Or savez-vous ce qu'a fait M. du Cleuziou ? Il a tout simplement dé- couvert la Bretagne. Pas possible? C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire. Il a même Tatiention délicate de préciser le lieu il a réalisé cette intéressante découverte. « La vraie Bretagne, ce la noire, déciare-t-il solennellement, c'est celle qui nous apparut « au détour de l'anse de Landévénec dans une splendeur qui im- « posa silence aux hobereaux orgueilleux, aux satisfaits égoïstes, « à tous les vendeurs du temple'. »

Heureusement, ta splendeur de cette Bretagne celle de M. du Cleuziou n'a pas encore, que je sache, « imposé silence» à la critique. Quant à moi l'auteur du Pays de Léon dirait nous, car, en parlant de soi, il emploie indifféremment l'une ou l'autre expression avec une aimable désinvolture j'avais la naïveté de croire que, il y a environ cinquante ans, la Bretagne des poètes avait été découverte par Brizeux, la Bretagne des bardes par M. de la Villemarqué, et la Bretagne de tout le monde par Souvestre. Il faut s'entendre : la Bretagne de H. du Cleuziou serait-elle une Bretagne de fantaisie à l'usage des touristes qui, munis de billets circulaires et désireux de rapporter de leur voyage viator cum libro* un souvenir « couleur locale», achètent volontiers, à dé- faut d'un bahut suspect, un volume dans les prix doux, pour peu

1. Page 63.

2. Page XI.

3. C'est l'épigraphe inscrite par l'éditeur en tète de la collection*

NOTICES Et COMPTES RENDUS 3S7

q.u'il ait sur ia couverlare un menhir surmonté d*une croix et un joueur de biniou à cheval sur la galerie d'un clocher à joiA* 1

Savez-Tous, en effet, ce qu'a découvert H. du Gleuziou ? Il a dé- couvert que le culte des fontaines et les feux de la Saint-Jean sont d*origine païenne ; il a découvert que les bois et les pierres, si mer* veilleusement ciselés dans les églises du pays breton, font été par des artistes du cru ; il a découvert, à deux pages dlolervalle \ que jamais Breton n'a fait trahison, et que le lieutenant Latricle, gou- verneur du château de Morlaix, livra, en 1522, la ville aux Anglais; il a découvert que « Souveslre, le grand penseur du Philosophe « sous les toits, et Horeau, l'infortuné rival de Bonaparte, étaient « nés dans ses murs ' » ; il a découvert que Morlaix venait de Mor-lae (haut de la marée) ; il a découvert que la lune de Lander- neau avait été introduite dans la circulation sous Louis XIV par un gentilhomme chauvin ; il a découvert que « les premiers habitants « de la terre furent les Guicaznou et les Kerret'. »

Gesse de découvrir ou je cesse d'écrire.

Il a découvert bien d^aulres choses encore qui avaient été déjà découvertes au moins une demi-douzaine de fois auparavant ; ses découvertes^ il les a assaisonnées de proverbes du Furnez Breiz, de dissertations sur le soleil, « Helios, que le Breton prononce Heol, » de citations du Véda et d'incantations sur les autels du dieu Renan et du dieu Hugo ; il les a panachées de Rivodius, de Kol- tjanus, d'Iuocus, de Drennalus, de Tintdorus et de Berox d'Angle- terre ; il a brassé à la vapeur cette salade russe, et quand tous les ingrédients ont été confondus dans un effroyable gâchis, la pre- mière partie du Pays de Léon a paru^.

!. Pages 33 et 35.

2. Page 44.

3. Page 39.

4. Diaprés une note inscrite au dos du volome, le texte des autres parties de la Bretagne artistique serait conQé à MM. de la Borderie, Keryller, Decombe et Moo- selet Voilà des nains pleins de promesses ; mais il faudra beaucoup, en vérité, pour faire oublier un début aussi malbenreu que le Paye de Léon,

228 NOTICES ET COMPTES RENDUS

Ayant lu cette première partie, le diable m'emporte si je me laisserai prendre à la seconde. En fait de littérature, et particuliè- rement de littérature bretonne, le sang me monte à la tète quand on se moque de moi, et je n*aime pas les mauvaises plaisanteries. J*ai donc jeté avec colère le livre dd H. du Cleuziou dans le recoin le plus obscur de ma bibliolhè^iue ; et pour calmer à fois mon indignalion et ma migraine, j'ai ouvert un volume d'Emile Sou- vestre et je me suis mis à relire I admirable préface des Derniers

Bretons.

Henri Finistère.

LÉPOPÉE BIBLIQUE, décrite par les poètes sacrés, chrétiens et pro- fanes, les historiens anciens et les archéologues modernes, par Atha- nase Oliivier, vicaire à Sainte-Croix de Nantes. 2 volumes in -80.

Etudier la Bible, non pas au point de vue théologique, maïs au point de vue spécial de la grande Epopée que renferment ses par- ties historiques, la présenter au lecteur environnée de Tinnombra- ble pléiade de ses commentateurs littéraires, prusaleui^s et poètes, comme un astre au divin éclat entouré de satellites qui en réflé- chissent les rayons, tel a été le but de fauteur des deux in- 80 compacts imprimés avec tout le luxe typographique des anciennes éditions, que nous avons sous le$ veux et auxquels nous désirons vivement intéresser le public.

Quelle sommede persévérantes éludes et de patientes recherches représentent ces deux volumes ! Ne roppellenl-ils pas tout natu- rellement à la mémoire les livres précieux sortis de la plume de ces fils de saint Benoît, dont la vaste érudition et la consciencieuse minutie, soit scientifique, soit historique, sont demeurées jusqu'à nos jours proverbiales.

Eux, du moins^ ces infatigables bénédictins, ils composaient leurs volumineux ouvrages dans le calme du clotire, si favorable à l'inspiration et au travail de Tinlelligence. Mais, son Épopée bibli- que^ M. l'abbé Ollivier l'a écrite fragment à fragment, dans les rares et courts loisirs que laissent au prêtre le professoral dans un

NOTICES ET COMPTES RENDUS 2S9

important collège, le ministère absorbant d'une grande paroisse au cœur même d'une grande ville.

L'entreprise était hardie ; elle eût effrayé un courage ordinaire. Etudier la Bible, comme la voulait étudier notre auteur, c'était vouloir envisager le sublime et vivre des années entières dans sa contemplation. L'homme du monde, mal préparé à ces rayonne-^ ment9,en est viteéblouiets'y fatigue. Le prêtre, accoutumé par l'habi- tude de la prière à des rapports intimes avec Dieu et les choses de Dieu, peut mieux en soutenir réclal, en comprendre les harmonies, les faire admirer aux hommes qui cherchent à se baigner dans les irradiations du beau divin.

Cette œuvre réellement sacerdotale, l'auteur Fa accomplie sans défaillance. A un tact littéraire des plus délicats et des plus sûrs, s'est trouvé joint eu lui Tespril de vive foi, l'onction de solide piété, qui pénètrent l'âme du lecteur et lui font voir Dieu derrière tous les voiles symboliques qui cachent ses perfections et déguisent ses desseins aux regards des profanes.

Combien seront saisis d'étonnement ù la lecture de ces pages qui leur ouvrent des horizons dont ils ne soupçonnaient pas les merveilleuses profondeurs ! Que sont, en effet, tout les événements humains, plus ou moins frivoles, dont se nourrit l'Épopée païenne, . comparés aux gestes de Dieu ? Telle est la sainte Bible : une Épopée dont Dieu est le héros, et que des hommes choisis par lui ont ccriie sous sa dictée.

Le merveilleux de la Bible, le merveilleux dans le vrai, n'est-il pas aussi élevé au-dessus des fictions de la fable que le ciel Test au-dessus de la terre ?

A exprimer cette quintessence poétique des Livres Saints, M. l'abbé Ollivier a consacré tous ses efforts, mais il n'a pas négligé pour cela les préocoupaiions de la science historique, de l'exégèse an- cienne et moderne, de l'archéologie orientaliste. Il possède tout son sujet ; il le montre sous toutes ses faces.

Il a recherché dans la poussière des bibliothèques tous les au- teurs, même les plus oubliés, qui ont emprunté un rayon à Tastre

280 NOTICES ET COMPTES RENDUS

biblique, pour en vivifier leurs conceptions. Que de fois, dans les pages de ces oubliés, n'a-t-ii pas trouvé des vers que ne renie- raient pas les poètes les plus en renom de nos jours ?

De même, il a étudié avec soin les travaux des anciens commentateurs et interprètes du texte sacré, comme aussi ceux qui, plus récents et bénéficiant des découvertes modernes, ont jeté tant de lumière sur les temps bibliques, ont corroboré avec tant de force l'autorité historique des Saints Livres. Les Champollion, les Lenormant, les de Rougé, les Vigoureux, ont fourni à l'auteur des dissertations pleines d'intérêt. Plus d'une fois, il en a appelé au témoignage des vojageurs qui, comme Dumas et de Géramb, nous ont laissé la relation détaillée de leur visite au théâtre de la grande Épopée biblique.

Le style de l'écrivain est assurément à la hauteur de son sujet. Il sait envelopper d*nn manteau plein de noblesse et brillant de coloris littéraire, Pérudilion et la piété qui forment le fond de son œuvre. L'auteur sait citer, mais aussi il sait écrire.

C'est avec entière confiance que nous invitons le lecteur à juger par lui-même cet important et utile travail, sûr que son jugement ratifiera le nôtre, et que ses félicitations se joindront à celles que l'auteur a reçues de haut et déjà de loin.

Puisse Tœuvre de M. l'abbé Ollivier, appréciée à sa valeur et répandue comme elle le mérite, produire, par son heureuse in- fluence, de nombreuses conversions littéraires parmi les esprits droits et cultivés qui, par le malheur de leur éducation trop con- forme aux préjugés de leur époque, ignorent les merveilles poétiques renfermées dans la Bible: merveilles qui sont en même temps des trésors de science, de sagesse et des leçons de la plus haute vertu.

Dùce ubi sit Bapienlia^ ubi sU virtuSj ubi sil intelkctus K

Abbé J. Dominique.

1. Barach, JII, 14.

CHRONIQUE

Le Congrès de Pontlvy.

Suivant une tradition constante, Touverture du Congrès Breton à Pon- tivy, le lundi 6 septembre^ a été accompagnée d'une messe célébrée à l'église paroissiale. Mgr révoque de Vannes^ que TÂssociation Bretonne s'honore de compter au nombre de ses meoibres fondateurs, a célébré le Saint-Sacrifice ; puis Sa Grandeur a adressé aux membres du Congrès un éloquent discours. Nous nous faisons un devoir de publier in extenso cette chaleureuse allocution qui a profondément ému les assistants :

c Messieurs,

« Votre éminent directeur général a bien voulu me faire savoir que vous attendiez de moi, ce matin, quelques mots d'édiûcation et d'encou- ragement. Je me reprocherais de ne pas me i)rêter à d'aussi religieuses dispositions.

« Laissez-moi d'abord vous remercier sincèrement du bon exemple que vous donnez, avec la dignité qui est le propre des hommes intelligents et chrétiens.

« Messieurs, vous n'êtes pas de ceux qui, par respect humain, par in- dififérence, par je ne sais quel égarement, affectent de se passer de Dieu dans leurs entreprises, si même ils ne poussent pas la haine ou l'aveugle- ment jusqu'à nier son existence. Et, comme Vimpiété s*est toujours menti à elle-même, ces prétendus esprits forts se contredisent aussitôt, en pro- férant d'odieux blasphèmes.

« Vous, messieurs, fidèles aux vieilles traditions de notre catholique Bretagne, vous éprouvez le besoin d'appeler les bénédictions du Ciel sur vos travaux. Honneur à vous ! Dirigez toujours vos esprits et vos cœurs vers le foyer divin d'où jaillit la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, £n m'invitant à ouvrir votre congrès dans la maison de Dieu^ vous rendez un éloquent hommage au Maître des sciences. Non content de vous en féliciter, je voudrais, s'il est possible, stimuler votre ardeur. Vous n'appartenez pas à cette école pleine de suffisance qui a la présomption de tout expliquer scientifiquement. Uais vous entendez mettre la science et ses progrès au service de la vérité. Votre amour pour la

232 CHRONIQUE

Bretagne vous rend ingénieux et tous poi te à fouiller son sol, à compulser ses archives, à proclamer tous ses titres de gloire. Courage ! messieurs. Vos efforts persévérants vous ont déjà conduits à des découvertes merveil- leuses. Il ne s*agit pas entre vous d'une vaine cuiiosité inleliectuelle, d'une satisfaction d'érudit. Selon votre louable habitude, vous êtes ici pour étudier le passé et le reconstituer, eo quelque sorte, par l'examen attentif et le rapprochement des débris échappés aux injures du temps et aux outragos des hommes. Noble et intéressant labeur, qui exige autant de patience que de savoir, une grande perspicacité el un sage discer* nement !

« M'inspirant de votre programme, je dois ajouter que vous a\ez aussi l'espoir d'améliorer, dans Taveoir, le sort de vos .semblables, ca leur in- diquant les moyens de fertiliser la terre et de ne pas y répandre inutile- ment leurs sueurs.

c Polssiei-vous, mes^ieurs, par vos exhortations, vos exemples, les témoignages de votre fraternelle sympathie, votre haute protection, faire comprendre aux bons habitants de nos campagnes que le poète latin avait cent fois raison de s'écrier :

0 fortunatoBnimitmt sue si bona norini^ Agrieolas /...

« N'étes-vous pas attristés, effrayés même, de voir l'agriculture bban- donnée et si peu soutenue? Quelle lamentable chose que l'émigration qui dépeuple les champs et encombre les villes, surtout les grandes cités, la misère el le vice se disputent leurs infortunées victimes, cons- pirent l'incrédulité, l'impiété, le socialisme, menaçant aujourd'hui et qui, demain peut-être, passant de ses creuses théories à ses brutales pratiques, mettra tout à feu et à sang, accumulant les ruines matérielles et morales dans des luttes fratricides dont les conséquences sont incalculables.

« 11 est temps, mesi^ieurs, de refréner tous ces appétits insatiables et de tarir la source de ce torrent dévastateur. Gomment s'y prendre? A ce point de vue, j'oserai rappeler ici cette provocation du Sauveur : c Que telui qui est sans péché lui jette la première pierre ! t

« Oui, messieurs, si quelqu'un n'a pas contribué, au moins indirecte- ment, par son insouciance, ses habitudes, son égoisme et ses consé- quences, b la désorganisation sociale qui nous désole et nous épouvante, qu'il se lève ! qu'il accuse sans remords les travailleurs d'aspirer, par de criminelles insurrections, à un état social impossible ! Grand Dieu ! qui les arrêtera dans cette voie du désordre et de l'iniquité, ils obéissent aveuglément à des chefs audacieux et irréconciliables, qui leur crient :

-!.

'Ji

\.

CHRONIQUE 233.

Ni Dieu, ni maîtres ! Les classes appelées dirigeantes ont-elles toujours donné l'exemple du respect d'elles-mêmes, du dévouement , de la bien* faisance, drs vertus naturelles, sinon chrëtiennest Les riches n'ont-ils point déserté quelquefois le poste q>ie la Providence leur avait confié pour protéger et assister les pauvres? Faut-il donc s'étonner que leur place ait été usurpée par d'autres, plus entreprenants, qui paient le peuple de belles paroles^ l'excitent à l'orgueil, à la débauche tt à la ven« geance, et se font de lui un marchepied pour arriver lapidement à la do- mination et à la fortune ?

ce Messieurs, je m'arrête. Ces graves considérations nous conduiraient trop loin. De grâce, usez de tout vo'tre crédit pour que les grands et les petits se fassent une idée plus juste et plus salutaire de leurs droits et de leurs devoirs, pour que l'équilibre se rétablisse au sein de notre malheu- reuse société et que les enfants du même Père, qui est aux cieux, ne se disputent pas sans justice, sans charité, sans résignatiou, sans espérance, la terre et ses productions. Sursum corda !

« Votre association, messieurs, peut contribuer h ces élévations, ë celle entente fraternelle, au sauvetage d'une génération qui court aux abîmes parce qu'elle refuse de comprendre ses vraia intérêts, oubliant que l*union fait la force et que, si Dieu ne garde une nation, tuus les eifurls de ses gardiens et de ses gouvernants seront vains.

« Continuez,^ messieurs, avec émulation et confiance, vos pacifiques expéditions dans le vaste domaine de !a nature et de nos annales.

« Pontivy et ses ait- ntours offrent un large champ à vos investigations. Vous ne manquerez pas de faire un pèlerinage à la grotte de saint Gildas, sur les bords du Blavet, tout près d'ici, dans un désert qui a ses charmes et qui rappelle de si gritnds souvenirs. Combien je vous siurais gré, Mes- sieurs,'de donner le braule à un mouvemfnl de pieuse restauration que j'appelle de tout mes vœux !

c L'un de vous, autorisé, par ses longues et heureuses recherches, à déplorer hautement le vandalisme qui a découronné, sinon ruiné, tant de monuments anciens, visitait un jour l'agreste retraite ou le saint abbé, surnommé {Historien des Bretons, cacha longtemps ses vertus héroïques. A la vue de cette grolte obstruée par une maçoonerie grossière, le sa- vant archéologue s'écria : Voilà comme on traite maintenant ce curieux, cet antique sanctuaire, qui devrait être pour lous les Bretons l'objet d'une vénération exceptionnelle! Négligence navrante, ingrate, impardonnable. Me^ l'évêque de Vannes, s'il en avait connaissance, tiendrait à honneur, nous en sonimes sûr, de la faire et sser. 9 Hélas ! pourquoi cherche- rais-je à dissimuler mes torts? Je piéiere demander humblement pardon à saint tiitdas d'avoir fait si peu pour rehausser son culte. Qu'il me soit

tu CHRONIQUE

permis de plaider les circonstances atténuantes de cette omission ! De- puis vingt ans, j'ai remué des montagnes de granit, avec le concours du clergé et des fidèles de ce diocèse, sans parler de nos bienfaiteurs plas ou moins rapprochés de nous.

« L'heure est peut-être venue de payer à la mémoire de saint Gildas un tribut d'honneur extraordinaire, mérité par tant de bienfaits. Qui sait! La Providence ne vous a-telle point conduits ici, messieurs, pour com- mencer a déblayer un terrain béni, la nature s'est chargée de poser les premières assises d'un sanctuaire que nojs vénérons avec la ferveur de nos pères t Hommes de foi, de goût et de bonnes œuvres, vous serez nos conseillers, nos soutiens et nos maîtres.

c Vous n'ignorez pas, messieurs, que d'importants travaux s'exécutent depuis plusieurs années dans la vieille église nous conservons le tom- beau de saint Gildas et de plusieurs autres saints bretons. Il n'a pas dé- pendu de moi de les mener très promptOinent à bonne fin. aussi des vandales ont passé, en multipliant les profanations et les ruines. Une belle croix de granit, plantée depuis dix ans sur le Grant-Mont, en face de l'Océan et de Ttle mourut l'apôtre de ce pays, me parait faire le pendant du menhir colossal, surmonté du signe notre rédemption, que vous éleviez naguère sur un autre rivage, comme pour venger Dom Lobineau de l'oubli et de l'ingratitude des hommes.

c N'êtos-vous pas d'avis, messieurs, de poursuivre ce travail de répa- ration et de secouer la poussière qui rerouvre tant de beaux restes d'un autre âge, trop dédaignés de nos jours? Colligite fragmenta, nepereanit Ce sera faire œuvre de science et de religion. A ces fins, le clergé rivali- sera avec vous de zèle et de générosité.

« Mais, messieurs, il est un monument que notre religion et notre pa- triotisme réclament de concert. Des chroniqueurs naïfs, des annalistes sé- rieux et instruits, des écrivains vulgarisateurs ont mis la main, avec des. aptitudes et des méthodes diff'érenles, à Thistoire de notre Bretagne. Leurs travaux ont besoin d'être revus, refondus, corrigés, complétés. N*y a-t-il pas parmi vous dds chercheurs intrépides, des ouvriers infatigables capables d'assembler, après les avoir polis, ciselés, ornés, les nombreux et riches matériaux qu'ils ont amassés au prix de toutes sortes de sacrifices ? Réunis dans une autre enceinte, vous acclameriez à l'envi le Bénédictin laïque qui déchiffre tant de vieux papiers, d'où il extrait lentement mais sûrement, à la loupe d'une critique, qu'il ne faudrait pas exagérer, les éléments de notre histoire nationale. Si Tillustre auteur des Etudes his- toriques bretonnes ne se décidait pas enfin à produire de pareils trésors, aurions-nous trop mauvaise grâce ' à nous écrier après lui: « Voilà comme vous traitez maintenant et depuis trop longues années cette curieuse^ cette

CHRONIQUE 235

antique collection de nos chartes, de toutes les pièces jastificatives des faits et gestes de nos aïeux, de nos grands hommes et des saints qtri ont ëvangélisé et civilisé notre Ârmorique ! INégligence regrettahle... £t révoque de Vannes, qui en a connaissance, tiendrait à honneur de la faire cesser.

(t A l'œuvre donc, messieurs, pour Dieu et pour la Bretagne ! Je bénis dès aujourd'hui ce projet, qui eiciterait dans notre province un si légi- time enthousiasme. Lorque Thahile écrivain qui en a plus d'une fois in- diqué les grandes lignes dans la Revue de Bretagne et de Vendée en aurait arrêté le plan, nous ne négligerions rien pour hâter Tachèvement de cette histoire nationale, qui intéresserait, au delà des limites de notre contrée, tous les amis des sciences, des lettres et des arts. Quel hymne de reconnaissance el d'admiration nous chant<'rions à la gloire du nouvel Historien des Bretons / Ce serait une helle fête pour la vieille et noble famille bretonne. Nos arrière-neveux en seraient, comme nous, heureux et fi<*rs. Ils béniraient celui qui leur aurait procuré les moyens de mieux connaître leurs ancêtres et de se montrer les héritiers de leurs croyances et de leurs vertus. »

Après la messe, les membres de l'Association Bretonne ont procédé à rélection du bureau général du Congrès et des bureaux de sections. Ont été élus :

Président général : M. Charles de la Monneraye, sénateur, président du Conseil général. Présidents d'honneur : Mgr Bécel, évêque de Vannes ; M. Rostaiog, sous-préfet de Pontivy ; M. le comte de Lanjuinais, député ; M. Robo, président de la Société d'Agriculture de l'arrondissement de Pontivy.

Section D'AGRicuLTune. Président : M. le comte Paul de Champa- gny. Vice- Présidents M. Carron, député d'ille-ei- Vilaine ; M. de laMor- vonnais, M. Le Fioch, du Minimur, en Vannes, M. Derras, ancien professeur d'agriculture. Secrétaires .* M. Bahezre de Lanlay, M. de Kerizouet, M. Guillemot, M. Chevalier, professeur départemental d'agriculture.

Section d'Archéologie. Président .* M. Àudren de Kerdrel, séna- teur. Président d'honneur : M. l'abbé Kerdaffret, curé-doyen de Pontivy. Vice- Présidents : M. Robiou, professeur à la Faculté des Lettres de Reunes ; M. Le Meigneo, vice-président de la Société de^ Bibliophiles bretons ; M. l'abbé Euzenot, recteur de Rumengol; M. le D' de Ciosma- deuc. Al. de Keranflec'h. Secrétaires : M. le comte Régis de l'Estour- beillon, M. Alcide Leroux, M. Adrien Oudin, M. J. Le Brigant, numismate.

La reproduction du discours de Me' Tévêque de Vannes ayant pris à peu près tout l'espace que nous devions consacrer au compte rendu des

236 CHRONIQUE

séances du Googrès, nous nous voyons à regret contraints d*en résumer brièvement les travaux, à Taide des relalioûs publiées par les divers jour* naux de Bretagne.

Séance du lundi soir 7 septembre^ que préside M. de Kerdrel, sénateur du Morbihan. M. l'abbé Euzenot a la parole. 11 fait 1 histoire de Pontivy. Selon l'orateur, Pontivy a une origine religieuse ; c'est un monastère qui lui a donné naissance. Fondation de la ville, «on rôle pendant la guerre de succesiiion de Bretagne, cHablissements pieux, libéralités des Rohan, Tabbé Euzenot passe tout en revue d'une manié le fort intéressante.

M. le président fait Téloge de l'abbé Euzenot, Tun des fidèles de 1* As- sociation Bretonne; c'est un travailleur infatigable.

A rencontre de M. Euzenot, M. l'abbé Kerdifffret pense que Pontivy a une oiigioe militaire. Sa situation en est une preuve. L'existence d'un monastère est problématique ; l'existence du château des Rohan est certaine.

M. de la Yillemarqué parle des jocufatores bretons. Il cite les chansons de geste relatives a saint Ëmllien voyageant en Bourgogne

M. de la Borderie raconte, avec sa science et son esprit bubituels, la descente des Anglais en Bretagne en 1746. le siège de Lorient. Les An- glais levèrent le siège au moment les Lorieatais allaient se rendre. D'après Hunse, secrétaire du général anglais Saint-Clair, les Anglais au raient levé le siège à cause du nombre des défenseurs de Lorient.

Séance du mardi mr 7 septembre» M. Fabbé Bossard parle des lé^^ondes et traditions relatives aux monuments mégalithiques. Les grandes piern s ont-elles été élevées par les Celtes ou d'autres populations? M. Tabbé Bossard croit qu'il faut les attribuer à des peuplades antérieures. L'année dernière, au Congrès de Saint-Malo, il s'e&t efforcé de le prouver par les textes ; cette année, il va montrer les mêmes traditions dans tous les pays se trouvent des monuments de pierre et les Celtes n'ont jamais résidé, par exemple : en Suède, en Sibérie, en Chine et dans Tlnde.

'M. l'abbé Bossard cite des légendes sur des pierres considérées comme pouvant garantir de la foudi*e, comme ayant des vertus guérissantes: les unes, portées par des fées, vont se baigner dans la rivière voisine ; les autres recèleut des secrets que les jeunes filles vont découvrir afin de pouvoir se marier dans l'année, etc.

Le public, que les légendes ont beaucoup amusé, applaudit chaleureu- sement Torateur.

M. de la Borderie vient ensuite ; son arrivée est saluée par une salve d'applaudissements. 11 parle du centre de la Bretagne ancienne divisée en deux parties : les côtes cultivées et nommées Armor; le centre, occupé par une immense forêt, Er Coat.

i

CHRONIQUE 237

Les Romains occupèrent Gastennec, excellente position pour surveiller le passage du Blavet. Saint Ivi vint ensuite s'établir à l'endroit se trouve aujourd'hui Ponlivy ; il y construisit un pont sur le Blavet, ce qui attira à cet endroit tout le commerce qui se faisait à Gasteonec. Les Rohan y bâtirent ensuite un château qui existe encore.

M. de le Borderie raconte l'histoire d'un combat qui eut lieu pendant in L^'gue prés de la chapdl i de la Houssaye.

La troisième séance du matin s'est ouverte par une intéressante com- munication de M. Bonnœuvre sur les bijoux populaires. M. de la Ville- marque a analysé ensuite le curieux mystère de la viedesaîol Mériadeck récemment publiée. En terminant, M. de la Villemarqùé prie M. delà Borderie de communiquer à TAssociation les détails qu'il peut fournir sur la date probable de la vie de saint Mériadtck, évêque de Vannes. M. de la Borderie s'empresse de déférer à ce désir et il établît que ce saint vivait dhns la seconde partie du siècle. Enfin, avec une très grande compétence, M. de Keranfl» c'h cherche à retrouver le sujet d'un litige signalé dans le Cartulaire de Bedon,

Ln jeudi soir, la séance a été consacrée aux chants et légendes popu» laires de la Bretagne. Avec un ton charmant, en termes émus et poé- tiques, M. Adrien Oudin a raconté, tout d'abord, les débuts littéraires d'Emile Souvestre, puis, M. le comte Régis de l'Ëstourbeillon expose, aux applaudissements de l'assemblée, un grand nombre de légendes du pays Gallo, conservant encore presque toutes de nombreuses traces des pra- tiques et usages de l'antiquité païenne. Après lui, pendant plus d'une heure, M. de la Villemarqùé a examiné toutes les traditions relatives au chemin de Saint-Jacques de Compostelle (voie lactée), en tenant son au- dito're sous le charme de sa parole, à la fuis si savakile et si passionnée.

Le même soir, la municipalité de Pontivy a oflert au Congrès une ma- gnifique fête vénitienne sur le Blavet. La caserne était décorée avec des transparents. L"s bar.jues et les pontons, brillamment illuminés, étaient montés par la fanfare du chasseurs, la musique municipale et les joueurs de biniou, qui faisaient alternativement entendre leurs morceaux et leurs airs.

Dans sa séance du matin, le vendiedi 10 septembn', l'Association Bre- tonne a entendu et applaudi un rapport de M. Albert Macé, rédacteur en chef du Peiit Breton^ de Vannes, sur la conservation des monuments mégalithiques du Morbihan.

M. de la Borderie fait une communication du plus vif intérêt sur les monuments de l'architeclure militaire en Bretagne et sur les moyens de reconnaître la date de ces édifices. D'une part, nous avons les pièces de la Chambre des comptes de Bretagne, de l'autre, les renseignements fournis

238 GHftONlQOfi

par rhistoiro de l'art mililaire. La cooitructioa des forteresses se modifie suivant les projets des moyens d'attaques. Ainsi, il est évident que la tour d*£lven ne peut avoir été construite en 1490 : le maréchal de Rieux était trop habile, trop expérimenté pour faire construire un monument impuis- sant contre Tartillerie. Dans les fortifications de Dinan on constate nette- ment trois époques: les tours bâties sur le château, 1380, les tours formant éperon avec arc ogival à 2 faces, en lin les bastions â arêtes vives.

M. Robert Obeix dépouille la correspondance, rious remarquons, au passage, un mémoire de M. Pitre de Lisie du Dreneuc, conservateur du Musée d'archéologie de I^ Loire-Inférieure, sur le lieu du combat des Venétes et de l'armée de César ; M. Pilre de Liste croit pouvoir le placer dans la baie d*Âudierne; --un mémoire de M. de Brehier sur les marches de Bretagne; une note de Dom Plaine sur Tautorité de Froissart en ma- tière historique; deux mémoires sur Trévé ; un mémoire de M. Trévédy sur le groupe équestre de Guélen.

M. Alcide Leroux lit un curieux travail sur les monuments de terre de la Loire-Iofërieure, constatés dans les communes de Vay, Nozay, Abba- retz et considérés comme œuvre de Fépoque gauloise. M. René Kerviler y voyait des exploitations minières, traosformëes en mardelles. M. Alcide Leroux conteste le système de M. Kerviler.

Le même jour, la séance du soir a été absorbée tout entière par la question du vandalisme contemporain, pour laquelle la parole avait éié donnée à M. Robert Oheix.

Après lui, M. Henri Lemeignen est venu entretenir l'assemblée de la crypte de la cathédrale de Nantes.

La séance fut close par le récit fort piquant, fait par M. de la Borderie, de la démolition si regrettable d'une des plus curieuses portes de la ville de Dinan.

Le samedi. Il septembre, avait lieu, en présence d'un public nombreux, la séance définitive de clôture.

Après une intéressante communication de M. de la Borderie sur le Combat des Trente, et la lecture d'un charmant rapport de M. Anthime Menard sur les excursions du Congrès, M. le prébident de Kerdrel cons- tata, une fois de plus, 1 utilité incontestable des Congrès de i' Associa- tion Bretonne, terrain toujours commun toutes les bonnes volontés se retrouvent et peuvent converger sans distinction de parti, lorsqu'il s'agit du bien et de l'intérêt du pays. Puis, ayant remercié chaleureusement les habitants de Pontivy de leur aimable accueil et de leur assiduité aux séances, il prononça la clôture du Congrès de 1886, en donnant rendes- vous aux membres de TAssociatlon dans la ville du Groisic, pour le Gongiés de 1887.

CHRONIQUE 239

Les fêtes du 14 septembre à Sainte-Axme-d'Auray.

La solennité de la plantation de la croix du pèlerinage de Terre-Sainte a eu lieu le mardi, 14 septembre, près de la basilique de Sainte-Anne^ devant plusieurs milliers de fidèles accourus de tous les points de la Bre- tagne, on pourrait même dire de toute la France.

On se rappelle que les pèlerins de Terre-Sainte, au moment de partir, résolurent d'emporter une croix de bois bretonne. Le signe delà Rédemp- tion figura toujours en tête du pieux corlège pendant tout le voyage, puis, BU retour des Lieux-Saints, les voyageurs décidèrent d'aller la plan- ter à Sainte-Anne.

Quatre évêques assistaient à cette touchante cérémonie : rSN. SS. Bécel, évêque de Vannes; Trégaro, cvêque de Séez; Laborde, évêque deBlois; Coullier, évêque d'Orléans.

M. Tabbé Bourdon, curé de Saint-Malo, a prononcé une magnifique allocutioD. Il a montré le grand rêle de la Croix dans Thisloire et son in- fluence salutaire sur les peuples. « Elle revient du Golgotha, portant dix- neuf siècles de gloire ! Ses bras s'appuient à Lourdes et à la Salette \ son pied est à Sainte -Anne-d' A uray. ))

Après une messe célébrée à la Scala, la procession s'est dirigée vers la basilique, près de laquelle a été plantée la croix, qui était portée par des Bretons en costumes du pays.

h

BIBLIOGRAPHIE BRETONNE ET VENDÉENNE

Association amicale des anciens élèves du pensionnat Saint -Joseph DE Nantes. Assemblée générale teone le U juin 1886. Gr. iQ-8<>, 67 p. NaDteSy imp. ViDcent Forest et Emile Griaiaud.

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Extrait de la Bévue historique de l'OuesL

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Extrait de la Bévue de la Béoolulion. Tiré à 200 ex.

Excursion pittoresque et archéologique a la baie de Boubgneuf. V Sainte-Marie de Pornic ; son histoire, son église^ sa Vierge-tabernacle.

ln-1?, 70 p., 3 photographies. Mantes, imp. Bourgeois, -- Se vend au profit de Téglise de Suinte-Marie de Pornic 1 f r

Grandes (les) chroniques db Bretagne, composées en l'an 15U, par Maistre Alain Bouchart. Nouvelle édition, publiée, sous les auspices de la Sociélé des Bibliophiles Bretons et de l'histoire de Bietagne, par H. !.. Meignen, Ton des Vice- Présidents, membre du Comité ccotral de la So- ciété Archéologique de Nantes. Tome l*"', viu-156 pages. Titre rouge e; noir. Tiré à 360 ex. in-d** vergé teinté pour les membres de la Société des Bibliophiles Bretons, et à 240 ex. in-4o vergé ordinaire pour être rois en lente. Nantes, Société des Bibliophiles Bretons et de l'histoire de Bre- tagne. MDCCCLXXXVf.

Inauguration du monument élevé a la mémoire de Dom Lobineau, 3 MA1 1886. Relation de la cérémonie. Eloge historique de Dom Lobi- neau, par A. de la Borderie. Banquet. Discours. Documents int^dits sur Dom Lobineau. In-4« ver^é, 122 p. Titre rouge et noir. Tiré à 500 ex. pour les membres de la Société des Bibliophiles Bretons. Nantes, So- ciété des Bibliopbilei Bretons et de Thistoire de Bietagne. mdccclxxxvi.

Marchb du patois actuel dans l'ancien pays de la Mée (Hautb- Bretagne), par Alcide Leroux, membre de l'Association bretonne et de la Société française d'Archéologie. Gr. in-8o, 66 p. Saint Brieuc, imp. L. Prud'homme.

Exurait du Bulletin de l*Association bretonne,

Maufras du CHATELLfER, biographie, par L de la Sicotiére. Gr. in-So, 12 p. Nantes, imp. Vincent Forest et Emile Grimaud. Extrait de la Revue de la Révolution,

^

LES DATES DE LA VIE

DE

SAINT YVES

L'importante publication des MonumenU originaux de l'histoire de saint Yves, dont nous avons plus d*une fois entretenu nos lecteurs, est en ce moment fort avancée et sera, avant la fin de Tannée, livrée au public. Une gracieuse communication de Tëditeur > nous permet de faire connaître dès maintenant à nos lecteurs la première partie de ï Introduction^ dans laquelle les dates des principales circonstances de la vie de saint Yves sont discutées et établies exclusivement au moyen de TËnquête de cano- nisation et de la Vie originale de l'Office primitif.

Voici ce travail, que nos lecteurs apprécieront s.

La Bretagne, si riche en saints, n'en a pas de plus illustre que saint Yves.

Saint Yves, dans Tordre des temps, n'est pas grâce à Dieu le dernier saint de la Bretagne ; mais, dans cet ordre, il est le dernier de l'époque héroïque de l'hagiographie bretonne.

Epoque les vieux patrons de notre race se dressent devant nous dans leurs nimbes d'or avec an rayonnement de force et de

1. M. Ludovic Prud'homme, à Sùnt-Brieuc.

2. Tous les renvois contenus dans les pages ci-dessous se rapportent nécessaire- ment aux pages de la publication des Monuments originaux de l^histoire de saint Yves, en tète desquels figurera celte IntroducHon, Nous indiquons cet ouvrage par Tabré- viation: Monum,

TOME LX (X DE LA SÉRIE). 16

242 LES DATES DS LA. TIE DE SUHT IVES

vertu grandiose, supérieurs aux proportions de la nature humaine ; avec un rMe national si important, si actif, si essentiel, que sans eus, sans leur histoire, dans ce lointain des âges l'histoire de la nation n'exislerail point ou serait incompréhensible.

Essayez de retracer l'histoire de Bretagne, du T' siècle au IX^

sans tenir compte des saint HelaineeisaînlFélix, des saints Brieuc,

Corentin, Tudual, Paul Aurélîen, Samson, Halo, Gildas, Gwtinnolé,

ivoion, etc., on «erra A quelles erreurs, à quels résultats ri-

les vous aboutirez.

)e même, si vous ignorez, si vous omettez saint Yves, sa vie et i rôle, vous ne connaîtrez guère mieux le XIII' siècle breton, jar saint Yves n'est pas, comme parfois un se l'imagine, un saint nme pieusement retiré en un coin, s'; sanctifiant à loisir à ce de dévotions, de roortiûcalions et d'auménes, pour son profit sonnet et celui de son petit entourage. iaintYves est tout autre chose. D'abord c'est un savant et un Iré '. Il dounedouze ans de sa vïeà l'étude des lettres, du droit, la théologie, dans les célèbres universités de Paris et d'Orléans, rës quoi il passe vingt ans dans les grandes magistratures ecclé- stiques, et pendant tout ce temps, comme l'usage d'alors t'y lorise, il ne cesse de plaider avec éclat devant tous les tribu- iix autres que le sien pour les pauvres et gratis, sans doute, lis il n'en a que plus de clients. Il ne cesse point non plus, ndant tout ce temps, d'éclaircir, d'approfondir la science du ait, prenant même la nuit pour oreiller ses livres de jurispru- nce (ci-dessous, p. 46). Comme avocat et comme officiai il vu ivre ses causes et ses sentences aux juridictions d'appel, à Tours à Parb. Aussi son action, sa renommée de grand jurisconsulte se borne poini à la Bretagne, elle court toute la France. Pendant treize ans les derniers de sa vie il prêche. Il

1. Kullaro uj^DS «l liuratiu dit l'EaquSle de cananiiatioa (voir Uonuni. 30, 311, i3S, hrniDe, i' et 5' itrophes. Sapient, wraal, tapimUM, ra«ece lUt que eages&e] dans le Itiiu du mayïD-àge.

I

LES DATES DE VIE DE SAINT YVES 243

parcourt, il remue toute la Bretagne ^ Les foules assiègent sa chaire, vingt fois, trente fois plus nombreuses pour lui que pour tout autre orateur, « fût-ce un évêque, » et si charmées de sa parole qu'elles le suivent de paroisse en paroisse, partout il lui plaît de la porter *.

Et bientôt, quand on voit ce prêcheur si éloquent, ce juriscon- sulte si savant promener dans les campagnes son grand manteau de bure blanche, symbole de sa vie ascétique, arboré par lui exprès « pour ramener plus facilement les brebis du Seigneur à < Tamour du Christ ; » quand on sait que sa science, son éloquence ne sont rien, pour ainsi dire, aux prix des merveilles incomparables de son austérité et de sa charité, alors l'admiration est sans bornes, et Ton voit tous les Bretons, « nobles et roturiers, riches « et pauvres, honorer Yves comme leur père et, partout il « parait, se lever devant lui par respect ^ »

Et lui mort, ce n'est pas seulement la Bretagne, c'est le roi et la reine de France, l'université de Paris, nombre d'évèques et ar- chevêques, la France entière, à bien dire, qui prie, qui presse le Saint-Père de mettre Yves sur les autels. Son culte en un clin d'œil se répand dans toute la chrétienté, et partout il symbolise la Justice et la Bretagne : partout on le couvre d'hermines ; partout on reconnatt en lui la personnification la plus illustre et la plus achevée de la race bretonne.

1. L'Enquête de canonisation constate les nombreuses prédications de saint Yves dans les diocèses de Trégaer, de Saint-Brieuc, de Léon et de Coruouaille ; il n'est pas douteux qu'il ait prêché par toute la Bretagne ; mais les témoins de l'En- quête étaient tous de l'un ou de l'antre de ces quatre diocèses, et chacoa ne parle que de ce qu'il a yu chez lui.

2. « Pro uno qui ibat ad audiendum sermones alicujus alterius, etiam episcopi, ibant XX vel XXX ad sermonem domini Yvonis. » « Et crant ila grate prediea- ciones sue gentibus, quod> ipso présente et Tidente qui loquitur, da parochia in parochiam populus eu m sequebatur. » (Monum, p. 51, 118; cf. p. 32, 79, 110,

114.)

8. t Nobiles, divites et pauperes homines habebant eum in reverentiam, et reverebantar eam tanquam paireqi, et assurgebant sibi. > (Enquête, Monum. p. 61.)

244 LES DATES DE LA VIE DE SAINT YVES

Voilà dans Thistoire, la place, le rôle, la grandeur de saint Yves. Étonnez*vous, après cela, que les amis des gloires chrétiennes et des gloires bretonnes aient pour la sienne un culte spécial ; que les cœurs élevés, vraiment patriotes, qui voient dans l'alliance intime du sentiment breton et du sentiment chrétien la meilleure sauvegarde de la Bretagne, de ses traditions, de son antique vertu et de son esprit national -, étonnez -vous qu'ils s'efforcent par tous moyens d'exalter le nom béni de saint Yves, de redoubler sur ses autels les hommages concordants de la piété chrétienne . et du patriotisme breton !

Mi^i* Bouché, évêque de Saint-Brieuc et Tréguer, a eu l'honneur il y a quelques années, de prendre l'initiative^ en se mettant à la tête d'une croisade ayant pour but de rendre au saint un nouveau tombeau, dont la première pierre a été posée le 19 mai dernier (19 mai 1886.)

A son exemple, avec ses encouragements, quelques Bretons ont pensé qu'à côté de ce monument de pierre il serait bon d'en élever un autre en papier, contenant les documents originaux, authen* tiques, de l'histoire du saint, savoir : 1"* L'Enquête de sa canonisation, dans son texte intégral; ifi Le Rapport sur cette enquête, présenté au Consistoire par trois Cardinaux, et qui détermina le jugement de la cause ;

30 L'Office primitif de la fête de saint Yves, composé lors de la canonisation et comprenant une Vie détaillée du bienheureux, ré- digée à la fois sur l'Enquête et sur les souvenirs encore vivants de ses contemporains.

Hais pour publier ces documents il fallait d'abord les découvrir; à ce moment (1884), on ne les avait signalés nulle part. Ils se sont retrouvés, puisque nous les publions ; on verra plus loin d'où ils viennent.

11 ne faut point se méprendre sur le but, l'objet, le contenu du présent volume.

Ce n'est point une Vie de saint Yves ; ce n'est point un recueil complet de documents, liturgiques ou autres, plus ou moins an-

LES DATES DE LA VIE DE SAINT YVES 245

ciens, relatifs à ce saint ou à son culte ; ce n'est point une biblio- graphie des ouvrages imprimés ou manuscrits, auxquels son his- toire a donné lieu. On n'y trouvera rien de cela. C'est exacte- ment, comme le titre l'indique, le texte fidèle et complet des Mo- numents ORIGINAUX DE l'histoire DE SAINT YvES, c'est-à-diro, de l'Enquête de canonisation, du Rapport des Cardinaux, de rOffice primitif et de la Bulle de canonisation rien de plus, rien de moins, le tout jusqu'à présent inédit dans son ensemble, et constituant désormais la base nécessaire, la seule source sérieuse, pour tous les travaux qui seront entrepris ultérieurement sur saint Yves, son rôle, son caractère, encore si imparfaitement connus, et aussi sur son époque, dont la vie réelle, la physionomie origi- nale se révèlent dans ces documents par nombre de traits curieux, pris sur le vif.

Quant à l'Introduction, elle comprend quatre parties :

io Dates de la vie de saint Yves, discutées et établies unique- ment avec les témoignages de l'Enquête et les leçons de TOffice primitif; ou y a joint Texamen de quelques questions difficiles ou controversées, touchant à Thistoire du saint ;

Les monuments originaux de Vhistoire de saint Yves : pro- venance, authenticité des documents publiés ci-dessous, descrip- tion des manuscrits qui les contiennent;

S^) Mode de publication : méthode suivie dans celte édition pour reproduire le texte des manuscrits ; indication des personnes qui ont transcrit, révisé les diverses parties du recueil ;

4^ Illustration du volume : explication des chromolithographies, des planches dans le texte et hors texte^ des fleurons typographiques qui ornent ce volume, avec quelques observations sur l'iconogra- phie de saint Yves.

Première partie, Dates de la vie de saint Yves.

I

Dans celte vie illustre la première date à fixer est celle de la mort.

S4& LIS DATES LA THE SB SAIKT TTE9

Plusieurs témoins de l'Enqude de canonisation signalent, comme 6lanl le Tingt-septiëme anniversaire de la mort de saint Yves, le aanche après « la dernière fËte de l'Ascension *, c'est-à-dire ■es l'Ascension de l'an 1330. L'Ascension en 1330 tombant le mai, le dimanche suivant était le 20. Hais les témoins n'enten- ent pas se référer au quantième du mois, ils tenaient compte ilement du jour de la fête el de celui de la semaine i ils vou- ent dire, en un mol, que, vingt-sept années avant l'an 1330 produisaient leurs témoignages, c'est-à-dire en 1303, le di- inche après la fêle de l'Ascension, Yves élaît mort. L'Ascension 1303 tombant le 16 mai, ce dimanche était le 19. Tout cela résulte clairement de diverses dépositions de l'Enquête. Sibitle, veuve de Baimond de Gressilb, de la Rocbe-Derien, dé- ire « qu'ayant entendu parler de la maladie de monsieur Yves qui était son conTesseur, elle alla, il y a de cela vingt-sept ans, le trouver à Kermartin le mercredi avant l'Ascension, afin qu'il la confessât. Elle le rencontra dans sa chapelle, qui venait de dire la messe et se dépouillait de ses vêlements sacerdotaux, mais si faible et si malade qu'il avait peine à se soutenir, ou plutAl il était soutenu par l'abbé de Beauport et par dom Alain de Bnic, archidiacre de Tréguer. Ayant dépouillé ses ornements, ii dit à la déposante : « Que voulez-vous, madame 7 » « Mon- sieur, j'ai enlendu dire que vous étiez malade, el je voudrais me confesser. * Alors monsieur Yves s'assit, entendit sa confes- sion, et le dimavche suivant, de grand matin, comme il fut dit au témoin, il expira. » (Déposition ui, Monum. p. 121-122.) En eiïet, dans la déposition d'Annicie, fille de Panlhoada et du ngieur Rîvallon, on lit : <i Le samedi de la semaine mourut monsieur Yves, le soir bien lard, dom Hamon Gorec, prêtre, ad- ministra audit monsieur Yves le sacrement de l'Exlrême- Onclion ; monsieur Yves répondait ait): oraisons; étaient pré- sents nnuttre Yves Le Coniac, alors officiai de Tréguer, Geofroi de l'Abbiiye, Alain Salomon, prêtres, et plusieurs autres. Ayant reçu l'Ëxtréme-Onction, monsieur Yves perdit la parole ; il resta

LES DATES DE LA VIE DE SAINT YVES %47

« les yeux Ozés sur une croix placée devant lui^ les mains jointes, « se signant de temps en temps, et quand vint le lendemain qui « était dimanche^ à Taurore, il rendit Tâme : on eût dit qu'il 8*en- « dormait. » (Déposition xi, ibid. p. 101).

L'Enquête établit donc que saint Yves mourut le 19 mai 1303. Un témoin déclare qu'il était alors âgé de cinquante ans, ce qui re-^ porte sa naissance à l'an 1253 (déposition XVII, ibid. p. 50). Aussi sa Vie, composée immédiatement après les premières procédures de ca» nonisation et insérée dans le légendaire de Tréguer, dit nettement : In aurora dominicœ infra octavam Ascensionis Domini^ vitœ anno quinquagesimo , if» Domino féliciter ohdarmivit . (Monum. p. 464.)

Quelques auteurs modernes, dont Albert Legrand semble être le plus ancien, indiquent comme jour natal de notre saint le 17 oc- tobre — on ne sait sur quel fondement. Les Bollandisles et Lobi- neau \ venus depuis Albert, ne mentionnent pas cette date du jour ; on doit jusqu'à nouvel ordre la tenir pour douteuse et se borner à dire qu'Yves Haelori naquit en 1253, à Kermartin, le ma- noir de sa famille, situé à une demi-lieue de Tréguer.

II

Yves passa son enfance el les premières années de sa jeu- nesse ; un clerc de Pleubihan non un prêtre, car il se maria plus tard Jean de Kerhoz, en 1240, lui enseigna la lecture et les premiers éléments de la grammaire. Puis, sous la conduite de ce clerc, il alla à Paris suivre les enseignements de l'université ; il y devint mailre-ès-arts, étudia ensuite la théologie et le droit canon, et de passa à l'université d'Orléans pour apprendre le droit civil ; après quoi il revint en Bretagne.

i. Le vrai LobiDeau, Tédition in-fjlio de ses Vies des SainU de Bretagne. Tres- V8nx« au contraire, dans son édition de Lobineaa interpolée, reproduit U date dou- teuse fournie par Albert Legrand.

248 hK3 DATES DE LA VIE DE SAINT YVES

Yves Suet, l'un des condisciples d'Yves Haelori, dépose qu'ils logèrent ensemble à Paris dans la même chambre pendant un an, qu'ils suivaient ensemble les cours de logique, et que saint Yves avait alors quatorze ans. (Déposition III, Monum. p. 15.)

Guillaume Pierre, un autre des témoins de l'Enquête, déclare de son côté qu'il vécut pendant deux ans à l'université d'Orléans avec saint Yves, qui avait alors vingt-quatre ans. (Déposition XYIII, ibid.

p. 52.)

Ainsi saint Yves alla à Tuniversité de Paris à l'âge de quatorze ans, c'est-à-dire en 1267 ; à celle d'Orléans à vingt-quatre ans, c'est-à-dire en 1277, et il y resta deux ans, de 1277 à 1279. Puis il revint en Bretagne en 1280.

A peine de retour, son mérite fut reconnu par Maurice, sf^hi- diacre de Rennes, qui en fit son officiai. De ces fonctions il passa immédiatement à celles d'official de l'évëque et du diocèse de Tréguer S charge qu'il exerça, nous le verrons, jusqu'à une époque peu éloignée de sa mort.

Combien de temps resla-t-il officiai de Tarchidiacre de Rennes ? Ni l'Enquête ni aucun autre document contemporain ne nous le fait connaître directement ; par voie indirecte on arrive à fixer ce point.

m

Saint Yves fut pourvu de l'officialité de Tréguer par Tévêque Alain de Bruc, qui lui donna en même temps, comme c'était l'u- sage alors, une cure de son diocèse, celle de Tredrez, d'où le saint officiai passa plus tard à celle de Louanec, qu'il garda jusqu'à sa mort. L'Enquête nous dit combien de temps il gouverna chacune de ces paroisses.

Geofroi Jupiter, l'un des témoins, dépose « avoir été au service

1. Voir Enquête, déposition xvii, Momm. p. 51 ; et Office, 3* jour dans l'octave de la fête, leçon 2*, ci-dessous p. 448-449.

LES DATES DE LA VIE DE SAINT YVES 249

« de monsieur Yves Haelori pendant quinze années^ d*abord, dans « l'église deTredrez, dont ledit monsieur Yves fut recteur ;7^dan( « Am(aiis^ puis à son manoir deKermartin.»(Déposilionxxx,Jlfont<m. p. 75.) Maingui Yvon, paroissien de Louanec, rapporte ensuite « avoir vu monsieur Yves dans la paroisse de Louanec pendant dix « ans environ avant sa mort. » (Déposition xxxv,ibid. p. 87.)— Un autre paroissien de Louanec, Jaquet^ fils de Rivallon, qui était le tailleur de saint Yves, k (^mo. ipse qui loquitur vestes suas faciebat et eumdem (dominum Yvonem) videbat eas portantem^ » ce Jaquel déclare « qu'il a vu et connu monsieur Yves depuis le temps « il fut recteur de Louanec. En quel temps fut-il recteur ? lui « demande-t-on.— ' Pendant onze ans environ et jmqu*à sa mort, » féf^rîd Jacquet, (Déposition xliii, ibid. p. 104.)

Ainsi saint xves, mort recteur de Louanec en 1303, avait occupé cette cure dix à onze ans, et celle de Tredrez huit ans. Il entra donc dans celle-ci en 1284, immédiatement après avoir quitté Rennes, dans celle-là en 1292. Pour l'exercice de son officialité à Rennes il ne reste de disponible que l'intervalle entre son retour en Bretagne, 1280, et son entrée dans la cure de Tredrez, 1284. C'est durant ces quatre années qu'il fut officiai de Tarchidiacre Maurice. Ainsi :

1253. Naissance de saint Yves.

1277. Il va étudier à l'université de Paris.

1277-1279. Il étudie le droit civil à Orléans.

1280. Retour en Bretagne après ses études.

1280 à 1284. Il réside à Rennes comme officiai de Tarcbidiacre Maurice.

1284« Il quitte Rennes, devient officiai de l'évêque de Tréguer et recteur de Tredrez.

1292. Il laisse la cure de Tredrez ponr celle de Louanec, qu'il occupe jusqu'à sa mort.

1303, 19 mai. Mort de saint Yves.

Telles sont les principales dates qui jalonnent la carrière du grand thaumaturge de Kermartin. Reste encore, sur plus d'un point

250 LES DATES DE LA VIB DE SilHT TTBS

imporlanl, des incertitudes, des dilTicultés et des problèmes que nous ne pouions nous dispenser d'aborder.

, d'abord, quelle cause doil-on assigner ^son Jéparl de Rennes son retour dan» le pays de Tréguer? itle question a été controversée. Quelques auteurs ont cru n passant de l'oCDcialité de Rennes, grande ville, diocèse im- }nt, â celle de Tréj^uer, petite ville et diocèse moindre, saint ! avait déchu en quelque sorte, ou du moins était tombé dans situation plus modeste. C'est une erreur. Sai^s entrer dans toire des officlalités. ce qui nous mènerait fort loin, il sufOt de ippeler qu'à Renne» Tves était officiai, non de l'évSque, mais un des archidiacres, ce diocèse étant partage à peu près éga- >nt en deux archidiacoiiés, celui de Rennes et celui du Déserr, orle que la juridiction de chacun d'eux et celle de son officiai 'étendait qu'à la moitié du diocèse; de plus, l'offlcial d'un ar- iacre avait au-dessus de lui celui de l'évêque. Tréguer, au contraire, Yves était le délégué direct de l'évêque, uridiction embrassait le diocèse entier et, dans l'ordre ecclé- iqae, n'avait en ce diocèse, rien au-dessus d'elle. Yves occupait ;, de toute façon, â Tréguer une silualion plus importante Bennes. Mais l'ambilion n'ayant sur lui aucune prise, ce n'est cet accroissement d'importance qui avait pu le déterminer, ïlon Alain Bouchart qui en sa qualité d'avocat s'occupe ■coup de saint Yves celui-ci quitta Rennes c pour ee qu'il initie peuple de cette ville moult brigueux, litigieux et plein i subtiles tromperies, habitué à toutes déceptions et nouvelles uteltes deplaidoyeries '. » Opinion peu flatteuse pour les Ben-

GrUTKlïs Croniques de Bretagne, éi'n. àt 1S(1, f. IJG v

LES DATES DE LA VIE DE SAINT TVfiS 251

nais, mais dont il n'y a trace ni dans l'Enquête ni dans la Vie de saint Yves tirée de TOflSce primitif.

Un bréviaire manuscrit du diocèse de Tréguer, conservé actuel- lement au petit séminaire de cette ville, ne s'en prend pas aux Rennais, mais à l'archidiacre de Rennes. Ce dignitaire, ayant en- tendu vanter les talents d'Yves, l'appela près de lui, dit ce bréviaire, pour en faire son porle-scel (sigillifer)^ « persuadé que, grâce à c son habileté, le profit du droit de scellage afférent à l'archidiacre H croîtrait beaucoup ^ » Mais Yves, sans s'inquiéter du gain tem- porel, n'eut en vue dans l'exercice de sa charge que le bien spiri- tuel de lui-même et de l'archidiacre qui, mécontent de cette mé- thode, car il était « avare et cupide » {utpoie avarus et cupidus)^ renvoya Yves et prit un autre porte-scel, plus disposé à servir sa convoitise *.

Cette historiette est racontée dans les leçons iv, v, vi de l'office de la translation de saint Yves (29 octobre). Le manuscrit elle se trouve, et que j'ai examiné, est certainement postérieur au siv*" siècle et semble du milieu du xy<»

3

On voit et c'est curieux comme la tradition orale avait altéré les choses, un siècle et demi après l'événement II n*y a pas, dans cette anecdote, un mot de vrai. La légende, c'est-à-dire la Vie de saint Yves formant les leçons de l'Ollîce primitif, qui a, on le sait, la valeur d'un document contemporain, affirme au contraire que « Maurice, archidiacre de Rennes, homme de bonne mémoire « {digne memorie), après avoir institué saint Yves dans son offi-

1. < Rhedonensis arcbidiaconas eum ad se vocavit ut esset suus sigillifer, credens quod ejns fideli diligeotia emolumentum sui sigiili reciperet cuiu augmeuto.-» (Mé- niùires de la Société archéologique de$ Côles-du-Nord, 2" série, l. Il, p. 71.) Le moi sigillifer, pour désigner rofHcial d'un archidiacre, est insolite; mais il est vrai que rofticial scellait les actes émanés de la juridiction de Tarchidiacre.

2. « Archidiaconus non approbans, utpote avarus et cupidus, ipsum amovit a dicto ofticio, ei allntn magis cooformem suo animo substituii loco ejus. > {Ibid,, p. 71.)

3. Lo texte de.9 leçons de cet cfînce a été publié par M. Tabbé France, curé de Lannion.

S52 LES DATES DB LA VIE DB SAlEIT YVES

K cialiLé, se répuia furL heureux d'avoir sous lui un délègue si il- « lustre el dans sa juridiclion un magislrat si inlelligent el si > savant'. » Aussi quand Yves le quitta pour aller â Tréguer, l'arcbîiJiacre ne put lui dire adieu sans pleurer'. C'est précisé- ment Ift contraire du récit du bréviaire du xV siècle, si malveillant pour l'archidiacre de Rennes. Entre tes deux il n'y a pas à hésiter.

Après avoir consacré deux legons à peindre la belle conduite d'Yves dans l'orficialilé archidiaconale de Rennes, la légende de l'OrTice primitif explique comme suii pourquoi ilquilta celte charije:

H Son renom de science et de vertu se répandant de toute part, « son pays natal se prit i désirer de le revoir. Sa patrie avait en u effet grand besoin de lui, et l'évèque d'alors, Alain de Bruc, « d'heureuse mémoire, voyant comme il importait à son tribunal a de posséder un homme de celle valeur, prenait tous les moyens « de l'acquérir. Le saint, de sou cdié, pensant avec Cicéron qu'on « ne doit pour aucun motif renier sa patrie, s'ingéniait pour y ren~ «c trer. Sous l'influence de ce Iriplc motif il quitta lesRennais et rega- a gnason pnys. L'archidiacre pleure son départ, mais l'évèque l'ac- cueille avec grande joie et fait de lui son officja) '. >

Les motifs assignés ici au retour de saint Yves à Tréguer sont si naturels qu'il n'y a aucune raison de les contester.

La légende de l'Ordce primitif détruit une autre invention du bréviaire manuscrit du XV° siècle, lequel, dans ta 3* leçon de la fête de saint Yves (19 mai), prétend qu'avant d'être oliûcial de Rennes il avait exercé le minisière d'avocat près la cour épiscopale de Tréguer *. L'Office primitif au contraire, après avoir raconté sa

t. t'ipsum (t'vopem} suum ofâcialeoi ÎDsliluil, bcalum sane se repotans dum et sibi de lam incllto offîclali el sne jurisdiclioni de lam iDilastriD et suflicienti minis- ira provIdLSïict. > (jUonunt. p. JIS.)

2. Ardiidlaconus dvOet raledicentem. (Ibid., p. Ji9.)

3. Ibid., 44S-1J9.

i. < Postquam advocationis miaisterium exercuerat In curia Trewrensi, Un-

deoi in curia arcUidiDConi RhedoDensisprimoni, ac deindcia dicta curia Trecorensi Fuit otficialis. » (Jtémoires de la Soeiélé Archéologique des Côtc^du-Nord, 2* série, t. Il, p. 69.)

LES DATES DE LA VIE DE SAINT YVES 253

vie aux universités de Paris et d'Orléans, et sans dire qu'il fût re- tourné à Tréguer, ajoute : « Sur sa répulation de science et de « piété, Maurice, archidiacre de Rennes, le noanda de suite près de « lui, et quand il fut arrivé, le gagna par ses très instantes prières ( et le nomma son officiai \ » Impossible, d'après cela, que le saint avant d'occuper cette charge ait plaidé à Tréguer. Dans l'En- quête non plus nulle trace de ce fait.

A quel âge, à quelle époque saint ïves reçut-il la prêtrise ?

Selon le P. Albert Legrand, ce fut à Rennes, dès qu'il revint d'Orléans et devint officiai de l'archidiacre, n l'âge de vingt-six à vingt-sept ans. Dom Lobineau met le fait quatre années plus tard, quand Yves vint de Rennes à Tréguer pour y tenir l'officialité diocésaine ; comme il fut alors pourvu de la cure de Tredrez;pour remplir les obligations de ce bénéfice la prèlrise lui était indispen- sable.— X Les actes delà canonisation, dit M. Ropariz, sont absolu- (( ment muets sur celle circonstance delà vie de notre saint ; mais « il semble résulter de^la comparaison des dates et de quelques « circonstances apprises par l'Enquête, que l'opinion de Lobineau « est la moins fondée. » {Histoire de saint Yves, p. 28-29.) ^ M. Roparlz n'indique point ces circonstances, et nous n'avons pu les découvrir. En revanche, la Vie de saint Yves composée lors de la canonisation et dont on a fait les leçons de l'Office primitif, porte ce qui suit :

Non seulenfvent Yves était (par ses vertus) participant au a royaume et au sacerdoce du Christ, mais il mérita de devenir lui- « même l'un des ministres de ce royal sacerdoce. C'est ce que « comprit très bien messire Alain de Bruc, prélat de sainte mé-

i. c Ipsum (Yvonem) coDtinqo accersiit, et accersitnm, instantissimis precibns iodaclum, suum ofQcialem instituit. » (itfonum., p. 448.)

254 LES DATB DB LA TDK DB SA0T TYES

c moire, qai donna à Yies, malgré tontes ses résistances, Féglise m de Tredrex à gou? emer, et powr oecufer ce MÉ^be, qo!! régît c pendant huit ans, Fécêfuê le fU frétr$ malgré loi. » (Jfomm. p. 452.)

Ce texte résont le problème en fiifeor de Lobinean. Car après l*Enqnète de canonisation, il n'y a pas sur rUstoire de saint Ttos de document plus autorisé que cette Yie.

VI

Autre question. Pendant combien de temps saint Tfes exerca- t-il les fonctions d'officiel de Tréguer ? U s'en démit certainement afant sa mort, car outre l'official Yfes Le Coniac, présent k Ker«- martin quand on administra au saint l'Extrème-Onction (ifonimi. p. yi), on trouve dans l'Enquête, aiaot Le Goniac, un autre officiai de Tréguer appelé Yfes Casin (ibid. p. 53). Selon certains auteurs, saint Yves aurait résigné l'officialité dès 1288 ; il Taurail donc exercée à peine quatre ans. Opinion inacceptable, car, d'après les déclarations concordantes de plusieurs témoins de l'Enquête, il fut officiai, non pas seulement sous l'épiscopat d'Alain de Broc, mais aussi sous celui de son successeur Geofroi de Tour* nemine (Dépositions yiu, x, xn, xyi, ifonum. p. 32, 36, 41, 48). Geofroi de Tournemine étant monté sur le siège de Tréguer en 1296, Yves dut rester officiai jusqu'aux toutes dernières années du Xni<» siècle et ne résigna ces fonctions que peu de temps (trois ou quatre ans tout au plus) avant sa morL Voici, entre autres, deux dépositions qui ne permettent pas d'en douter.

Guillaume Roland, Cordelier de Guingamp, n'avait connu Yves que trente-deux ans avant répoque de l'Enquête % donc pas avant

1. « CognoTÎt diclom Domioam hooem tac »unt triginta duo aimt. » Test. XIV, Mimum» p. 45. L^EaqoéU) caaoaÏMUon est de 1330.

LES DATES DE VIE DE SAINT YVES 255

1298. Cependant il Tavail vu dans ses fondions d'oilQcial, rendant à tous bonne Justice ; il ajoute même ce détail, qu'an ne trouve que dans cette déposition et qui dénote bien le juge en exercice, c'est qu^Yves, qui couchait toujours tout chaussé, tout vêtu, sur un peu de paille, plaçait alors sous sa tête, pour oreiller, le livre des Décrets et la Table de ce livre : libro mo Decreiorvm cum Tabula ad caput apposito pro pulvinarï ^ : sans doute, le célèbre recueil de droit canon dit Décret de Gratien^ avec uu copieux index et de vastes commentaires, manuscrit in-folio sur parchemin dont ou voit encore des exemplaires dans nos bibliothèques, gros billot bien assez dur pour remplacer convenablement de temps à autre le quartier de granit sur lequel d'habitude Yves s'endormait.

C'est même à cette fin du }tIII<> siècle que doit se rapporter un épisode «— très souvent cité de la carrière judiciaire de notre saint. Geofroi de l'isle, paroissien de Plougasnou, marié à une veuve, plaidait, de concert avec sa femme, contre deux fils du premier lit de cette femme. Un malin, dans la cathédrale de Tré- guer, Yves rencontre les quatre plaideurs, qui sans doute allaient ouïr messe avant de reprendre leurs débats ; il les presse avec instance de transiger, il s'offre pour arbitre. Les deux jeunes gens se laissent toucher, Geofroi et sa femme sont intraitables : « Attendez (c au moins que je dise ma messe, je vais demander pour vous « l'esprit de paix, » fait l'ofûcial. Sa messe dite, Geofroi et sa femme lui crient : « Réglez notre procès comme vous voudrez ! Dans l'Enquête de 1330 on entendit Geofroi de l'isle et l'un de ses beaux-fils, Raoul Portier ; celui-ci dépose qu'il a vu monsieur Yves oiBcial de Tréguer au temps de l'évêque Geofroi de Tournemine, « il y a bien trente ans et plus ', » et immédiatement après, il raconte son procès avec son beau-père. « Trente ans et plus » c'est-à-dire

1. Monum., p. 46, 1. ï, et 10-12.

2. c Radalphus Porlarii... dixit quod bene sunt triçinta anni et amplius quod ipse vidit domiaum Yvoaem oflicialem Trecorensem tempore domini Gaufridi de Tornamiaa, episcopi'Trecor«Dsis. (Test. XU, Monum, p. 41.)

256 LES DATBS DE YIE DE SAIKT WES

trente à Irenle-deux ans avant 1330, cela mène, comme tout à l'heure, à 1208. Yves, k celle date, était encora oriîcial.

En ce qui touche la succession des deux évêques sous lesquels il exerça cette charge, on opposera sans doute aux dates ci-dessus indiquées l'opinion de quelques auteurs (Albert Legrand, l'abbé Tresraux, Ropariz) qui placent la mort d'Alain de Bruc en 1285, l'avènement de son successeur l'année suivante.

Tresvaux ici est le principal coupable. Dans le tome VI de ses Vies des Saints de Bretagne, publié en 1839 avec ce litre spécial : L'Eglise de Bretagne depuis ses commencements jusqu'à nos jours (p. 355), non-seulement il ressuscite, sur la. mort d'Alain de Bruc, l'erreur d'Alben Legrand, déjà repoussée par dom Morice dans son Catalogue des évëques de Bretagne {Histoire de Bretagne, t. Il, p. Lxxiv); il affirme en outre que Geofroî de Tournemine fui élu évèque en avril 1286, et au bas de la page il cite, en preuve de celle date, « Marlène, Anecdotes, III, p. 910. » Quand on vérifie celte citation, on trouve au lieu indiqué une lettre du chapitre de Tréguer adressée i l'archevêque de Tours, lui demandant de ra- tifier l'éleclion récemment faite par les chanoines de Geofroi de Tournemine, un de leurs confrères, à l'évëché de Tréguer. Seulement celle lettre, reproduite par dom Horîce dans les Preuves de l'Histoire de Bretagne (1, col. 1117-1118), est datée, non point de 1SS6, mais de dix ans plus tard, du 26 avril ' 1296. Celle date est inconleslable, el même le Galiia Christiana (lome X(V, col. 1124), incline à relarder l'avënemenlde Geofroi de Tournemine jus- qu'en 1297. Ne voulant pas compliquer cette discussion, nous nous tiendrons ici à la date du document invoqué par Tresvaux lui- même, mais à la date véritable, 1296.

1. Le jeudi Bprts U Kte de seinl Marc 1296 - 26 avril 1296.

LES DATES DE LA VIE DE SAINT YVES 257

L'erreur chronologiqae vraiment inexplicable de l'abbé Tresvaux sur la mort d'Alain de Bruc a nécessairement troublé en plus d'un point la biographie de saint Yves. Elle a eu surtout de fâcheuses conséquences pour le seul acte authentique émané per- sonnellement de notre saint et venu jusqu'à nous, connu sous le nom de Testament de saint Yves^ et qui est en réalité la fondation de la chapelle et chapellenie de Notre-Dame de Kermarlin, au- jourd'hui église du Minihi^Tréguer. Ce n'est même, à vrai dire, qu'une confirmation d'acles antérieurs, car ce litre, du i août 1:297 ', dénonce la fondation première comme faite en 1293 sous l'autorité d'Alain de Bruc, évêque de Tréguer. Quand on fait mourir cet évèque en 1285, la date de 1293 est. inadmissible. Aussî, bien que attestée par deux transcriptions de cet acte d'origine di- verse *^ on s'est permis de la changer arbitrairement en 1283, et aujourd'hui, sur la foi de ceux qui ont de leur chef commis cette altération (entre autres Tresvaux etRoparIz '), on prend couram- ment cette date comme certaine, incontestable ^, tandis qu'elle est non seulement inventée et fausse, mais même en contradiction avec des circonstances très bien établies de la vie de saint Yves. Ainsi Yves très certainement ne fonda celte chapelle qu'après son retour au pays de Tréguer, môme après le décès de ses parents, puisque l'acte de 1297 la déclare bâtie sur des terrains provenant de la succession de ses père et mère : or, en 1283, prétendue date de celte fondation selon Tresvaux, saint Yves, nous l'avons vu (ci- dessus, § III), était encore oflicial de l'archidiacre de Rennes. Nous reviendrons d'ailleurs plus loin sur ce « testament. »

VIII Une date fort importante à fixer pour la vie de saint Yves, c'est

1. Le vendredi après saint Pierre-és-Lie*ns = 2 août 1297,

2. L'une publiée par les Bollandistes, Mail VU, Append., p. 803 (édit. de Pans); Taulre par D. Morice, Preuves del'Histoire de Bretagne^ I, col. 1108-1109.

3. Histoire de saint Yves (1856), p. 175.

4. Société archéologique des Côtes-du-Nord, séance du 11 juin 1886, p. m, note ^.

TOME LX (X DE LA SERIE), *7

ISS LM DiTBS DB LA yn M SlUn TTB6

«Ile <le son changement de vie et de costame, ue que le Rapport I ccrdioaus appelle Mttlatio habitu$ et veitmtntorum {Momum. 322). Avant ceLte réforme, la vie d'Yves avait été de tout npi très pieoM, très moriiAée et très charitable i maU à partir ce moment, il «olra dans une carrière d'austérité surbuoiaine et cbarilé incomparable qui, par la voie d'uu ascélisme iranscen- il, releva dès cette vie so-dessas de la condition mortelle, jos- à l'heure on aa grande &me, parvenue au point de la perfection, iDt par sa volonté pnitsante annihilé la matière on elle était at- bée, devenue dès lors libre de Ioub liens, remonta d'unvol nalarel is sa patrie. Presque tous les témoins, enquis sur la vie de saint », s'accordent h mentionner cette réforme comme une époque >itale daus son eiistence ; mais tons ne s'accordent point sur la

Suillaume Pierre, vicaire perpétael de la cathédrale de Tré^-ner, 1 le commencement de celle réforme seixe aaaées avant la mort saint (déposition xTiu, Momum. p. 53) ; P ierre, abbé de Bét;sr, dit inaeans au lîou de seize (déposition xix, ibid. p. 56). Au ceo- ire. Constance, femme d'Imbert de Tréguer, qui vit Yves dîslri- er les diverses pièces de son costume d' officiai aux pauvres de lie villa avant d'aller revêtir son costume d'ascète, Constance met ErîI bnit ans senlemeni avantl903 (déposilion xlv, ibid. p. lli). Entre ces opinions extrêmes les autres tiennent le milieu ei indent aux dix ou douie dernières années de la vie du saint cette riode d'ascétisme, Yves Suet, l'un de ses condisciples, Alain de ranrais qui le fréquenta longtemps, très amicalement, et Alain Roche-Huon se prononcent pour dix ans (dépositions m, Monum. 16;xxxii, 96; xvii, 51); Derien du Boissaliou, pour dix ou Bie (déposition xux, ibid. p. 108).

Tous les témoins nommés jusqu'ici ne parlent, les uns et les 1res, que par approximation ; au chiffre d'années qu'ils indiquent 18 ajoutent vel ampliitt, vel circa, ou quelque autre formule de genre marquant qu'ils n'alLachenl point â leur chiffre uneeerli- le ni une précision complète. En voici un qui n'a point de telles

liÈS DATES DE LA VIE ÎJË SAINT TYES

hésitations, el (]Ui articule nettement, positif emiint un chiffre précis : « Pendant les douze années immédiatement antérieures à sa mort, k dit-il, Yves porta ce costume humble et grossiefr. > ^ HabitK i)ili et humili utebatur per duodecim annos ante mortem smm (voir déposition i, Monièmi p. 9). Celui qui parle ainsi est Thomme qui a le mieux èonnu saint Yves, le témoin le plus constant de sa vie entière, qui ne cessa d'être en relation avec lui et lui porter la plus fidèle, la plus profonde affection^ faite de respect et de ten- dresse ; c*est son vieux maître Jean de Kerhoz. Et le chiffre dohné par KerhoZ s^accorde avec le témoignage d'Yves Auspice, un pieux rédus, longtemps le serviteur de saint Yves, et qui, parlant des grandes austérités^ des jeûnes extraordinaires de soh maître^ leur donne aussi pour durée les douze dernières de sa vie terrestre. (Déposition xi, ibid. p. 38).

Au chiffre de Jean de Kerhoz, selon nous, on doit se tenir, et placer les commencements du haut ascétisme de saint Yves en 1291. Le témoignage du saiiit lui-même va tout à l'heure, croyons-nous, ccfnfirmer cette date.

IX

Un jour, le frère Guiomar Morel, Gordelier de Guingamp, « pen-

«c dant qu'il était malade à Kermartin, la maison de monsieur

« Yves, se trouva seul avec celui-ci et le pressa de lui dire com-

« ment il en était venu à embrasser cette vie austère et sainte,

tt Yves fit de grandes difficultés pour répondre ; enfin il conta

(c que quand il était officiai de Tarchidiacre de Rennes, il allait au

flc couvent des Frères Mineurs entendre expliquer le Quart livre

« des Sentences* et la Sainte Ecriture. C'est alors, sous l'influence

K des divines paroles recueillies en ce lieu, qu'il commença d'as-

« pirer aux biens célestes et de mépriser le monde. Longtemps il

1. Du célèbre Pierre Lombard, évôqae de Paris en 1159.

260 LES DATES DE LA VIE DE SAINT YVES

ce senlk 6n lui, entre la raison el la sensualité,- une terrible que- c< relie. Cette querelle ou plutôt ce combat dura huit ans. Au cours du neuvième, la raison finit par dominer la sensualité ; c'est « alors qu'Yves commença ses prédications, sans toutefois quitter c encore ses habits mondains. Mais, dans la dixième année, la pure « raison s'élant rendue tout à fait maîtresse, Yves donna [aux ce pauvres] ses bons habits pour l'amour de Dieu et prit des habits « grossiers^ savoir une cotte à manches longues et larges sans (c boutons, et sur celle cotte une housse, ces deux vêlements traî- « hauts, d'une tournure très grave, taillés dans un gros drap de c bureau blanc : et il adopta ce costume pour ramener plus faci- « lement les brebis du Seigneur à l'amour du Christ. » C'est le frère Guiomar Morel qui fait lui-même ce récil dans TEnquète de canonisation (déposition xxix, Monum. p. 73).

Si saint Yves eût réformé sa vie et son costume quinze ou seize ans avant sa mort, c'est-à-dire en 1287 ou 1288 comme le croyaient l'abbé de Bégar et le vicaire de Tréguer, la période décennale immédiatement antérieure à celte réforme» eût corn-* mencé dès 1277 ou 1278. A ce moment Yves était à Orléans, et cependant nous venons de le voir, lui même l'avait affirmé au frère Morel, c'est à Rennes, au couvent des Cordeliers, pendant qu'il était officiai de Tarchidiacre, c'est que tomba dans son âme le premier germe de celle généreuse résolution, combattue pen- dant dix ans, enfin triomphante, qui devait le conduire aux cimes de la perfection chrétienne.

Il faut donc nécessairement retarder de quelques années le dé- but de celle grande réforme, par conséquent adopter la date four- nie par le plus autorisé des témoins de la vie de saint Yves (Jean de Kerhoz), c'est-à-dire 1291. La période décennale, antérieure à cette date, commençant en 1281, Yves en effet, cette année là, était à Rennes, officiai de l'archidiacre, fort à portée de recueillir l'en- seignement théologique des Cordeliers de celle ville.

LES DATES DE LA VIE DE SAINT TVE3 261

X

Voici donc la chronologie de la vie de saint Yves, aussi com- plète que nous pouvons l'élablir :

1253. Naissance de saint Yves.

1267. Il va étudier à l'université de Paris.

1277 1279. Il éiudie le droit à Orléans.

1280. Retour d'Yves en Bretagne après ses éludes.

1280 à 1284. Séjour d'Yves à Rennes comme officiai de l'ar- chidiacre Maurice.

1281. Il suit l'enseignement théologique des Cordeliers de Rennes et conçoit le premier dessein de sa vie ascétique.

1284. Il quitte Rennes, devient officiai de t'évèque de Tré- guer, et en même temps prêtre et recteur deTredrez.

-^ 1290. Il commence ses prédications.

1291. Il adopte son costume de bure blanche et embrasse les hautes pratiques de l'ascétisme.

1292. Il quitte la cure de Tredrez pour celle de Louanec, qu'il occupe jusqu'à sa mort.

1293. Il fonde la chapelle de Notre-Dame de Kermartin, aujourd'hui Saint-Yves du Minihi.

1297. Il conGrme et complète cette fondation.

1298 à 1300. Il résigne les fonctions d'official de l'évèque de Tréguer.

1305, 19 mai. Mort de saint Yves.

Arthur de la Borderie. {La suite prochainement,)

TOUS LES mmm etam-m hoees î

NON'

IV

Le rachat est une charge pour l'acquéreur roturier. Saqs doute \ iiw pourtant celui-ci n'a pas trop à se plaindre. Acquérant pour la même somme d'argent un héritage roturier, il aurait eu à payer les impositions annuelles qui pësenl sur ces biep?» Et puis l'acquisition du fi^f noble, outre la franchise, procure au roturier ou lui permet d'espérer un avantage que nous verrons plus tard. Aus3i les roturiers en prennent- ils leur parti, et il vont acquérir des fiefs nobles.

E!t cependant quel n'est pas le danger de ces acquisitions ! En France^ nous avons vu Philippe-le-Hardi marquer peu de faveur pour les acquéreurs roturiers. En Bretagne, Jean V, abandonnant le Duché, a fui en Angleterre (1374-78). Le roi de France eat maître de presque toute le Bretagne: il confisque tous les biens nobles qui sont aux mains des roturiers, pour les donner à des Français nobles, qui lui ferontle service de guerre et dont il sera sûr. Ce qu'apprenant, le duc Jean fiait saisir à son tour les mêmes biens, pour les empê- cher, dit-il, de passser aux Français. En ISSl, la paix se fait, 10 roi et le duc renoncent à leurs saisies ; mais on peut se figurer les in- quiétudes des roturiers possesseurs de fiefs nobles «.

* Voir la livraisen de septembre 1886, pp. 206-220.

i. LoBiNEAu, p. 850. Le Duc était furt intéressé à cet arrangemeDt. 11 avait fait

TOUS LBS tnCMBURB ÉTAIENT* ILS MOBLBB? NON 263

Revenus de leur émut, les roturiers n'ont rien de plus pressé que d^acquérir des terres nobles sur la toi de la Coutume ^ Tout A coup en 1451, une constitution de Pierre II interdit ces acquisi- tions sous peine de confiscation^. Mais ce genre d*acquAts a de si profondes racines dans la province, que la constitution va demeurer lettre morte. Après un an, le Duc lui-même la retire: il permet les acquisitions ; mais il les grève du doubk rachat '.

Si le Duc a cru qu'il allait ainsi empêcher les roturiers d^acquérir les fiefs nobles^ il s'est mépris. Ils se soumettront à ce double impôt de deux années de jouissance payées d'avance ; mais ils ac-' querront encore.

En 4492, le roi Charles VIII vient à Rennes. Les bourgeois de la ville ont montré â la Reine Anne une courageuse fidéliié. Le Roi veut leur témoigner sa gratitude ; que fait-il ? Il accorde aux bour* geois acquéreurs de fiefs nobles la dispense derarrière-ban. Quelle meilleure preuve que ces acquéreurs sont nombreux parmi les bourgeois de Rennes*?... Le roi Charles VIII approuve ainsi et en* courage les acquisitions de fiefs nobles par des roturiers; et en effet, elles se font en toute liberté jusqu'à 1510.

Cette année, les lois de Bretagne sont mises sous les yeux de Louis XII pour qu'il jure leur exécution. Il remarque la constitution de Pierre II ; et il prescrit de l'exécuter rigoureusement '^. Aussitôt

assez de méconteots pour désirer n'eo pas faire d^aaU-es. Voyez les précantions qn'il prend pour ra&surer les Barons, à propos de cette saisie. Preuves. Cot. 1636.

1. LoBiNEiu, écrivant au dernier siècle mais se référant à 1451, dit. page 850: Ces acquisitions étaient fondées sur rarticle 343 de V Ancienne Coutume, C'est une inexac- titude. Il a Toulu dire sur Tart. 262 de la très ancienne Coutume qui était en vigueur en 1451. Cet article a passé à peu prés dans Tarticle 343 de Tancienne coutume ré- digée en 1539.

2. Sous peine de commise. Belordeau, p. 14. C'est la confiscation du fief du vas- sal au profit du seigneur suzerain. Denisart, V. Commise.

3< Comme en Dauphiné. Lobineau, p. 850. Du Parc-Pouluin. Belordbau» p. 514.

4. LoBiNEAU, I. p. 818. Ce privilège a été confirmé pat François I*% Henri H, François II, Charles IX et Henri IV. Louis XIII flnit par supprimer le ban et Tarrière-ban moyennant finance (1641).

5. Du Parc-Poullain, t. I, p. 312. dit que Louis XII abolit la Constitution de Pierre II ; se corrigeant, t. II, p. 619, il dit que le roi ordonna rezécnlioDf de la

264 TOUS LES SEIGNEURS ÉTAIENT-ILS NOBLES? NON

les Etals de Bretagne de demander avec instance l'abrogation défi- nitJYe de cette constitution contraire à la vieille coutume. En 1535, le roi François !«' fait semblant de Texécuter ; nouvelle réclama- tion des Etats ; enfin 1539 arrive, et la très ancienne coutume va 6lre réformée pour être mise (c*est la pensée du roi) à la mode française.

Que va-t-on écrire dans cette rédaction rajeunie et que l'on doit croire définitive ? Sera-ce la faculté, sera-ce la prohibition aux ro- turiers d'acquérir fiefs nobles ? Le Procureur général du Roi insiste pour la prohibition, et comme sanction, la confiscation : c'est-à-dire le retour à la constitution de Pierre II. Les députés des trois ordres « ayant reconnu combien cela importait au public \ » réclament l'autorisation, à la condition de payer le rachat, c'est-à- dire qu'ils demandent le maintien de la coutume '. Les commis- saires réformateurs n'osent pas se prononcer ; et, « par tempéra- ment, « on écrit l'ancien article « non comme disposition, mais his- toriquement » et il est ainsi rédigé : « Par coutume, anciennement, homme roturier ne se pouvait accroilre en fief noble sans en paîer rachat. » Art. 343 '•

Singuliers législateurs qui font de Tbistoire au lieu de décider un point de droit intéressant tonte une province ! Seigneurs et roturiers vont interpréter la loi selon leurs communs désirs ; ils suppriment de leur autorité la constitution de Pierre II, pour s'en tenir à la Coutume... Et l'événement va leur donner raison ; la constitution demeurera hors de tout effet ^. »

Hais ce que nos réformateurs n'ont pas osé faire pour la Breta- gne en 1539, l'ordonnance deBlois va le faire pour la France en- liëre en 1579. On y lit (article 258) :

ConstitutioD. H est ici d'accord avec Lobineau, I, p. 850, et avec Belordead, \u 514. Il faat donc s*en tenir à cette variante.

1. Belobdeau, p. 514.

2. V. Procès- verbal, p. XLII. Du Parc^Poullain, t. I.

3. Du Parc-Poullain« 11, p. 619, dit que les Commissaires ont ainsi rédigé Tar- ticle. D'après le procés«verbal, ils ont renvoyé l'article au roi et son conseil. (P. V p. LV») et c'est le conseil du roi qui a fait cette belle besogne.

4. Du Pabc-Poullàin, I, p. 313.

TOUS LES SEIGNEURS ÉTAIENT-ILS NOBLES ? NON S65

« Les roturiers et non nobles achetanlfiefs nobles ne seront pour ce anoblis de quelque reveau et valeur que soient les fiefs par eux acquis ^ »

Qu'est-ce à dire? Sinon que racquisilion des fiefs nobles par les roturiers est reconnue licite, en droit ; et que, eu fait, parmi les fiefs nobles qui ont passé aux mains des roturiers, beaucoup ont une grande importance.

Voilà donc le droit établi pour toute la France ; que vont faire les réformateurs de notre coutume, en 1580 ?

La discussion s'engage sur Tarlicle 343 : » Par coutume... etc. » Les députés des trois États s*exclament, et demandent la radiation pure et simple, « disant qu*oncques les Ducs (ni Rois depuis l'u- nion de ce duché à la Couronne) n'ont pris droit de rachat des ro- turiers pour leurs fiefs nobles... L'article présuppose ce qui jamais ne fut pratiqué en ce pays. » Le Procureur Général demande le maintien de l'article ; les commissaires l'ordonnent ; et l'article his- torique 343 devient Tarlicle 357 de la nouvelle coutume.

Or, mesurez le chemin parcouru depuis 1539. Cette année, les députés des trois Etats demandaient pour le Tiers l'autorisation d'acquérir sous condition de rachat. En 1580, ils oublient leurs an* ciennes conclusions ; bien plus ! ils les rejettent puisqu'ils rejet- tent cette condition de rachat. N'est-ce pas trop demander?...

Les États auront beau faire: à mesure que s'organisera l'ad- ministration financière, le droit de rachat sera payé sous le nom de franC'fief.

Mais ce qui importe, c'est que le droit pour les roturiers d'acqué- rir des fiefs nobles est maintenant hors de contestation. Les rotu- riers usent de la faculté, et si bien que les ordonnances sont pleines de dispositions qui supposent la possession roturière de nombreux

ISAHBERT, XV| p. 439.

966 TOUS LE$ SBIGNBURjS t^TMENT-lLS NOBLES? HOH

fipfs nobles. Je n'en cite que degx exemples, mais ils sont probants.

J*ai dit plus haut que Louis XlII^par déclaralion du 29 novembre 1641, avait déchargé les fiefs nobles possédés par de« roturiers du service du ban et de l'arrière-ban. Le motif principal de Tordon- nance est instructif : « La plus grande partie des francs-fiefs sont tombés aux mains des ecclésiastiques, communauté» et roturiers, e€ qui les a obligés de se trouver à la convocation du ban etde l'arrière- ban ; c'q été en se rencontre qu'à cause du peu d'expérience qu'ils ont au fait de la guerre, il a fallu que les uns aient été taxés, comme étaient anciennement les gentils-hommes invalides et les veuves des nobles, pour se racheter de ce service ; et les autres ont proposé leurs enfants ou domesiiques pour tenir leur place à la guerre, en sorte que les convocations dernières du ban et arrière-ban ont été presque inutiles. »

D'autre part, on lit dans l'ordonnance dite des Eaux et forêtSy litre des chasses (août 1669) « Défense est faite à tous roturiers de quelque état et qualité qu'ils soient non possédant fiefs, seigneu- ries et hautes justices, de chasser sous peine, etc..» Il y avait donc, en 1669, dés roturiers seigneurs et hauts justiciers, et assez nom- breux pour que la loi, qui ne statue pas sur les faits exception- nels, eût réglé leur situation ^

I.On a beancoDp déraisonné à propos de chasse sous l'ancien régime. Il y a des geps qui s'imaginent encore aujourd'hui qu'un noble avait le droit de chasser sur toutes les terres roturières qu'il voulait ! Pas le moins du monde ! Un seigneur pouvait chasser sur les terres roturières de son fief. Pourquoi ? Parce que la chasse était considérée comme on droit domanial au môme titre que le droit à^épave^ céÏQÏàe déshérence, etc., en vertu desquels le seigneur s'empare des choses sans maître. Mais la chasse était un droit personnel au seigneur ; et il a été jugé que même les fiis du haut justicier ne pouvaient chasser sur les liefs relevant de leur père.

Ce n'est donc pas comme noble, c'est comme seigneur qu'on exerce le droit de chasse, et le roturier haut justicier l'exercera au même titre que le haut justicier noble.

- Le seigneur de la paroisse on du bourg a de même le droit de chasse sur son fief. La Fontaine, dans sa fable du Jardinier et son seigneur, introduit le seigneur du bourg chassant chez le jardinier. L. 18, fable IV. Mais l'exercice du droit avait amené de criants abus. V. M. Taine. Ancien régime, p. 71 et suiv.

TOUS tMU ssnsmnms iTAiENT-iLs nobles? non 20T

Voilà^ Je erois, ma démonslration faite : en droit, raoquisitiort des fiefs nobles était permise aux roturiers. En fait, la plus grande partie des fiefs nobles «étaient aux mains des ecclésiastiques, communautés et roturiers, en 1641 ; et, en 1669, des roturiers pos- sédaient même des hautes justices en assez grand nombre pour qu'une ordonnance vise ce fait juridique.

Je pourrais m'arrèter iet : mais il m'a paru qu'il m'était permis d'insister sur un point qui se lie intimement à l'objet de cette étude.

Hélas ! je n'ai pas su promener mes lecteurs par des sentiers fleuris ; et plusieurs sans douta m'ont abandonné. Si quelques-uns me suivent encore, peut être le chemin qui nous reste à parcourir leur mànage-t-i), comme à moi, quelque surprise !

Peut-être se demandera-t-on pourquoi, avant l'ordonnance de 1275, les roturiers se risquaient à acquérir des fiefs nobles : pourquoi, depuis, ils s'y sont obstinés, avant l'ordonnance de 1579, malgré les dangers que ces acquisitions pouvaient présenter. Voici le motif de cette imprudence. C'est que la noblesse offre trop d'a- vantages pour que ceux qui ont la fortune n'ambitionnent pas la noblesse sinon pour eux-mêmes, au moins pour leurs enfants.

Un savant auteur a remarqué que, jusqu'au commencement du XlIP siècle, la noblesse formait une classe à pan sans douie, mais non encore fermée ; et que les honimes libres pouvaient y entrer asses facilement - . L^auteur ne parle que pour la France ; mais il aurait pu faire la même remarque pour la Bretagne. Nul doute que, sous l'empire de notre T. A. Coutume, la possession d'un fief noble ne fût un moyen d'acquérir la noblesse. 11 semble même qu'en France la noblesse suivait immédiatement Tacquêti

1. M. P. VioLLST, Précii deFbittoiie da droit frinçais. 1886.

268 TOUS LES SEIGNEURS ÉTAIENT-ILS NOBLES? NON

L'auteur que je viens de citer invoque sur ce point Tautorilé de Pierre Desfootaines, le rédacteur des Etablissements de saint Louis K Loysel aflirme celle conséquence de Tacquisition du fief noble (1536-1617) \ Laurière aussi (1659-1728) ^

D*Ârgentré sous notre Ancienne Coutume semble encore énon- cer celte conséquence de semblables possessions *. Et ceux qui s'étonneront de cet effet de Tacquisition des fiefs nobles, ne seront pas peu surpris d'apprendre qu'en Béarn cet effet s'est pro« duit jusqu'en 1789*.

Remarquons-le, d'ailleurs, celte conséquence qui nous semble extraordinaire aujourd'hui était logique au point de vue de l'ancien droit. Rappelons-nous le principe ancien : « D'après la loi, le fief noble, le franc-fief ne peut être tenu que par homme franc, libre de toute charge... » Donc, le fief noble fera de son possesseur un homme franc, libre et exempt de charge, nn noble.

' Ce qui, au point de vue de l'ancien droit, est bien autrement sur- prenant, c'est ce qui suit :

En Bretagne, originairement, tous sont présumés nobles jusqu'à preuve contraire : la très ancienne coutume le dit expressément : ce Et comme l'on doit présumer que chacun soit bon tant qu'il aparège du contraire, aussi doit-on présumer la noblesse des gens selon l'état d'eux tant qu'il soit apparu du contraire.» (Chap. 156). Et l'article énumëre les étals qui prouvent l'infamie, à plus forte raison la roture*. Â ces états il faut ajouter la classe très nombreuse

i. M. VioLLET, id., p. 220-221.

2. Loysel. Institutions eoutumières, Liv. s. Tit.l. Règle9: t Nobles étaient jadis non- seulement les extraits de noble race en mariage, ou qui avaient été anoblis par lettres du Roi ou pourvus d*ofrices nobles, mais aussi ceux qui tenaient ficfs et faisaient profession des armes. >

3. Lauriére. Préface du recueil des ordonnances : 4 Les tiefs nobles communi- qaaient leur franchise ou noblesse aux roturiers qui les possédaient... >

4. Du Parc-Poullain. I. P. 480.

5. M. VioLLET, p. 220. 221.

6. L'énuméralion est curieuse ; elle comprend treize états, au nombre desquels les

TOUS LES SEIGNEURS ÉTAIENT- ILS NOBLES? NON 269

de ceux qui paient la iaille au Seigneur, el les propriélaires fon- ciers des domaines qui paienl la taille ^

L'ancienne coutume (i539) va se montrer un peu plus ligou-- reuse ; mais elle maintient la présomption de noblesse. En même temps qu'elle proclame pour les roturiers la faculté d'acquérir terres nobles, elle a un article ainsi conçu : « (155) Ceux qui portent élat de noblesse et se gouvernent comme nobles sont pré- sumés nobles jusqu'à ce que le contraire soit vérifié. » Eh bien! cet article reste comme un appât pour le bourgeois enrichi.

Voyez par exemple ce bourgeois de Rennes. Il a dans un hon- nête commerce gagné beaucoup d'argent, et en même temps l'es- time de ses concitoyens. Il a un fils dans « la robe », un. autre qui vil en noble : « 1] est bien vêtu ; il a des chiens et des chevaux >, » il est de toutes les parties des jeunes gentilshommes. Ce bourgeois a marié sa fille aînée a un noble; la sœur cadette vient de refuser

menestriers et vendeurs de vent, et les faiseurs de clochers et couvreurs de pierres.,. Du Parc-Poullain, I, p. 460.

Le vendeur de vent : c*esl le chanteur ambulant, depuis Taveugle qui chante un cantique monotone jusqu'au vieil Homère, s'il revenait en ce monde !

Les faiseurs de clochers et couvreurs en pierres. Eh quoi ! ceux qui ont élevé les beaux clochers dont la Bretagne est si justement ficre étaient infâmes? t- Oui, et à raison même de leur art. Ils bâtissent trop haut ; ils risquent à chaque instant de se rompre le cou : sa vie pour un modique salaire c'est en faire trop peu de cas. C'est la raison qui rend leur métier infâme ; et celle raison, nous dit Hévin, est empruntée à Âristote ! (Livre IV, Ethique, chap. I.) Sont infâmes pour la même raison tes couvreurs en pierres qui couvrent le toit élevé de la cathédrale ou la tour du château. Mais le couvreur en chaume n'est pas infâme : couvrant moins haut, il court moins de risques pour sa vie. Le chapitre de la T. Â. Coutume vaut une étude parliculière que je ferai un jour.

1. Consl. Jean II de 1301, an. XXV. « Celui est appelé vilain, roturier, qui demeure sous la taille d*uQ seigneur ou qui a convenant en ceux pour la taille poier. Art XXVI... « Posons qu'un homme soit issu de noble sang.. .et il est mis sous la taille d'aucun, doit- il être témoing ?. . . Nenni, s'il a demeuré sons la taille cinq ans, car partant il a renoncé à la noblesse... >

Hkvin. Qucslions, p. 5 après la table.

2. Dh Parc-Poullain, I, p. 479 et 480. Il ajoute : « Il jure, ce qu'on croyait au- trefois un vice attaché à la noblesse. Tout cela a été malheureusement imité par les roturiers. »

270 TOUS LES SEIDMEDnfl ÉTlIBn-lLS IKIM£S7 HOR

un avocat; elle veut se mariercommesaEceur, dût-elle être épousée un peu pour sa dol. Si ce père pouiait acheminer ses euranis, siuoD lui-même, vers la noblesse!... Comment faire? Il faut de- mander avis. Il a justement pour voisin un homme un peu fantas- que el bourru ; mais obligeant et accessible ; le meilleur et le plus savant conseil : le sénéchal de Rennes, Bertrand d'ArgenIré. Le bourgeois va le trouver: d'Argentré écoule sa confession, et loi répond en français ce que je lis dans son latin barbare :

« Une terre exempte de fouage qui soit soumise an serfice de l'arriëre-ban, qui soit inscrite au râle des terres nobles, et qui an- ciennement ait été comprise à des partages nobles... voilà ce qu'il vous faut ! Si elle a une justice, surtout une mojeone, ou, s'il se peut, une haute, ce sera pour le mie&x. Voilà les vrais caractères de la noblesse sur lesquels tant de gens déraisonnent *. Trouvez- moi celte terre et achetes-la, N'ayei pas penr du service de l'arriëre-ban, vous y serez tenu , mais vous ne le ferez pas, puisque le roi Charles VIII vous en a d'avance exempté. Vous aurez le profit de ce service sans en avoù* les ennuis, comme la&t d'autres autour de nous *.

a Portez, comme vous faites déjà, état de noblesse, gonvenies-Tons comme noble: ainsi plus de marcAandise / bien que la marchan- dise vous ait enrichi... C'est bizarre... direz-vous. Soit; mais c'est ainsi : la marchandise vous permet d'acquérir la terre noble dont la possession va vous acheminer à la noblesse; mais la marchan- dise est premièrement exclue du gouvernement noble*; et, si vous la pratiquez de iiouvenu, elle vous empêchera d'arriver à la noblesse.

« Quand vous aurez celle terre et que vous vivrez en noble, il fau- drait être bien osé, bien malintentionné, ou bien maladroit pour venir vous contester la présomption de l'article 155. Hais hftlez- tous, car, à la prochaîne réformation de la Coutume, cet article sera abrogé ! >

1. D'AiGENTiA dans Du Pmc-Pouluin, I. Hl, p. M0-51t. Pitc-PouLLiiH, 111, p. 530, Bote 4. im., I. p. 480.

TOUS LES SEIGNEURS ÉTAlEIft-ILS NOBLES ?KON 271

Le bourgeois rapporie chez lui ce(te consultation C elle est ac- cueillie comme une bonne nouvelle... et la terre noble sera bien- Idl trouvée, acquise et payée à beaux deniers comptants !

Nul doute qu'en Bretagne comme en France, beaucoup n'aient acquis la noblesse par ce moyen ; il se peut même que ce mode de s'anoblir ait précédé TaHobli^sement concédé par le Prince. En effetj nous l'avons vu admis par Pierre Desfonlaines, contemporain de saint Louis, et le premier anoblissement connu est, dit-on, celui de Raoul l'orfèvre par Phitippe-le-Hardi, en 1270 *.

On devine bien que les possesseurs de terres ne se faisaient pas faute d'essayer de transformer leurs terres de roturières en nobles. Un jurisconsulte du commencement du XVII^ siècle a pu écrire : « Tous se disent nobles, et souvent plusieurs ne le sont que par « la conformité du cognom qu'ils peuvent avoir usurpé ; » et se transportant par la pensée un siècle plus haut, il ajoute : < Plusieurs « prétendaient la noblesse de leurs terres, pour les exempter des X contributions roturières auxquelles par raison ils étaient sujets'.»

Par exemple ils soutenaient que leurs terres ne payaient pas de fouages, étaient partagées noblement, en d'autres termes avaient le gouvernement noble.

Les choses en vinrent au point qu'en 1513 il failut en Bretagne une réformation générale. La province était encore sous l'empire de la Très Ancienne Coutume ; et la longue prescription n'était que de 60 ans. Rigoureusement la noblesse de la terre n'aurait ré- sulter que de 60 ans de gouvernement noble bien établi. Mais les com- missaires ne se montrèrent pas si difficiles ; c^ et pour les terres ro- ot turières annexées aux nobles depuis les 60 ans, quand les témoins « ne pouvaient coter le temps, les Commissaires ne les remettaient c pas aux fouages '. »

1 . ISAHBERT, II, p. 645.

2. Belordeau sur fatt. 542, p. 756.

3. Hévin, dans du Parc-Poullain, t. III, p. 489. Siogalière jarisprudence l Si on témoin dit : c Le gcavernemeiit noble date de 50 ans seulement, >— la terre sera remise an fonage. Mais si à cette question : « Qaand a commencé le gouvernement noble 1 > Le témoin répond : « Je n'en sais rien... » La preuve est censée faite !..•

Je sais bien qu'il ne s'agit que de la terre annexée à une terre noble ; mais

iTi TOUS LES SEIGNEURS liTAIENT-lLS NOBLES? NON

La noblesse de la lerre ainsi démontrée servail à prouver la no- blesse personnelle. Rien ne prouve mieux combien, jusqo^au commencement du XV^ siècle, Tacquisition de la noblesse était facile.

 la fin de ce siècle, on posait encore la question de savoir si Tacquisilion du ûef noble soumis aux devoirs nobles et déchargé de toutes obligations roturières ne devait pas suffire à produire la no- blesse : autrement pourquoi Tordonnance de Blois (art. 258) s'exprimerait-elle en ces termes que nous avons déjà rappelés : « Les roturiers... achetant biens nobles ne seront pour ce anoblis \..» Pour ce, c'est-à-dire pour le fait même de Tacquisition ; mais celte acquisition sera cependant un acheminement à la noblesse. Voici comment :

La nouvelle Coutume supprime la présomption de noblesse écrite dans l'article 155 de l'ancienne coutume ; mais elle établit incidemment (au profit des acquéreurs roturiers) « une manière de présomption par cent ans de gouvernement noble. » Art. 541 '•

Que nous sommes loin de l'article de l'ancienne coutume ! Selon cet article, un homme se gouvernant noblement est présumé noble, et la preuve contraire doit être faite contre lui. Selon Tordonnance de 1579, combinée avec la nouvelle coutume, il pourra vivant noblement réclamer la noblesse ; mais il devra prouver qu'il l'a acquise par cent ans de gouvernement noble.

supposez que ceue terre récemment devenue noble soit de nouveau détachée, elle demeurera noble : et son acquisition acheminera à la noblesse.

1. « L'ordonnance t considère que la principale force de la couronne est dans la « noblesse en la diminution de laquelle est Taflaiblissement de TÉtal. Le roi « entend qu'elle soit mainlenue et conservée en ses anciens honneurs.! (art. 256.) A cette fin, il rappelle l'ordonnance d'Orléans contre Tusurpalion de titres, d'armoi- ries... Art. 257. et veut t que les roturiers achetant fiefs nobles ne deviennent pas nobles pour ce (art. 258.)» C'est dire assez clairement qu'auparavant racquisilion produisait immédialetnent la noblesse.

2. Du Parc-Poullun, 1. p. 479. Cent ans, c'est bien long I Les édits pour les ré- formations ont admis une moins longue possession, mais le principe est resté : plus de présomption de noblesse.

TOUS LES SEIGNEURS ÉTAIENT- ILS NOBLES? MON 273

Dans le premier système, il n'avait aucune preuve à faire ; dans le second, la charge de la preuve pèse sur lui: (oui homme est censé roturier s'il ne prouve pas la noblesse ^

Et cette preuve ne sera pas aisée ! Le possesseur roturier sera tenu, en effet, de venir lui-même^ chaque fois que roi l'ordon- nera, fournir une déclaration de roture, c'est-â dire interrompre sa prescription commencée^ Voici comment :

Le devoir de guerre a cessé pour les seigneurs depuis l'établis- sement des troupes régulières. Il s'en suit que le fief noble affran- chi de ce devoir n'est plus soumis à aucune imposition. Mais le fisc intervient! C'est assez que les nobles restent en possession de? « francs fiefs ; tiiais les roturiers qui les ont acquis paieront «une sommé ou finance nommée droit de franc fief. » Ce n'est pas une imposition mise sur la terre qui, étant noble, n'en peut être chargée ; mais cette finance tiendra lieu d'imposition. La terre res- tera noble et son seigneur roturier restera roturier.

De temps à autre et d'ordinaire tous les vingt ans, le roi rend une ordonnance de francs fiefs ; et chaque possesseur non noble de terre noble doit passer une déclaration. Pas de fraude ! La con- fiscation des biens en serait le châtiment. Pas d'omission I Le receveur des francs fiefs provoquerait au besoin une enquête dont les frais très onéreux et la honte retomberaient sur les récalcitrants >. Comme on le voit, le droit de franc fief n'est pas seulement une mesure fiscale^; il assure l'exécution de l'ordonnance de Blois.

Vuilà, si je ne me trompe, l'acquisition des terres nobles par des , roturiers établie très anciennement en Bretagne, et certainement avant 1294. Il ne faut pas voir dans Tarlicle de la très ancienne cou- tume rédigée en 1330 l'introduction en Bretagne d'un droit nouveau. La date de 1330 ne marque pas un point de déparL La coutume a

1. Idem. I, p. 471».

2. Ferriére. V^ francs liefs. 8. V. ci-dessus, § III.

TOME ix (X DE LA 6^ SÉRIE) l8

314 Toy« w iiiaBfflURS ktausmî^uj mbum? nom

été oadifiée oeUe année, soil ! mais elle exi»lait auparavant el déjà écrite probablement K

Quoi qu'il en soit (et c'est le seul point qui nous importe ici) elle n*a pas innové ; elle a constaté ce qui existail, statuant eomme d'ordinaire, exfo qw>d fit plârumqm. Nous pouvons donc dire sans témérité que longtemps avant la rédaction de notre très aneienne coutume, des roturiers possédaient dfs terres nobles.

VI

Je me demande d'où a pu vçnir cette présomption générale de noblesse écrite dans la coutume, combattue par les Rois d9 France, et repoqssée comme antipathique à la réalité par les jurisconsultes du dernier siècle ^. Cette présomption ne serait*elle pas uu sou- venir lointain de Tétat de la propriété et des personnes libres chez les Francs à leur entrée en Gaule ?

Je n'entends pas dire, comme quelques-uns semblent disposés à le professer aujourd'hui, que la possession de la terre ait été l'unique fondement de lii noblesse ; je rappelle seulement qu'en Gaqle, sous la dominpition romaine et sous la domination franque, la propriété de la terre, quelque petite qu'on la suppose^ suilisail pour établir la qualité d'homme libre '.

Quand on pénétre dans ^organisation très rudimenlaire des Francs, on ; reconnaît deux classes : les ingénus ou libres et les autres, esclaves ou demi-esclaves.

Les ingénus sont guerriers et possèdent la terre. Yoilà leurs marques distinctlves. Les autres exercent des travaux manuels dont

i. Coinio» e^yitait TAs^lse 4a comte Geffro| ((181), ot d'autres monumeiita 16^- gislatifs qui nous restent encore. L'ordonnance du duc Jean 11, en interprétation de l'Assise du comte Geffroy, est datée de 1301 ; elle débute ainsi : (art. 1";. t Par la Coutume de Bretaigoe autrefois ordonnée en Parlement... Comment douter dés lors que la Coutume ne fût écrite ?

2. Du Parg-Poullain. 1, p. 479.

3. Ingenui et possessionem quamdam possidentes. GRÉaoïag h^ Touas cité par Le HuÉRou. Insu Caroling., p. 447.

.A^r rr,—.

TOUS LES SBIGMBUilS ÉTAIENT-ILi KOBtES? MON 975

le& ingénus rougiraient. On le voit, l'ingénuité est déjà comme une première noblesse.

Tous les ingénus sont égaux en droits ; mais il est clair qu'ils ne sont pas égaux en valeur militaire et en richesse. Ces inégalités inévitables vont créer entre eux, comme partout et toujours, des inégalités sociales. .

Qu'un guerrier ae signale par une série d'actions d'éclat, qu'il conquière la renommée, il sera entouré de clients fiers de s'atta- cher à un chef illustre, et dont le nombre et les exploits ajoute- ront encore à l'illustration du chef libremeot choisi. Qu'un autre ingénu augmente sa terre, qu'il acquière la richesse, qu'il en use généreusement, qu'il répande autour de loi le travail, l'aisance, les bienfaits ; il acquierra tout naturellement l'iniTuence que donne partout la richesse, Et il est clair que l'illustration at la richesse se trouveront souvent réunies en la même personne.

Les ingénus ainsi distingués par la valeur et la fortune sont nombreux parmi les Francs à leur entrée en Gaule ; mais la eon^ quête même va les multiplier.

Ein Gaule, les envahisseurs trouvent U noblesse impériale dont les cadres ont résisté mieux que l'Empire même au choc des in- vasions. Cette noblesse se compose de deux milices^ deux armées de fonctionnaires militaires et civils \ armées qui se distinguent net- tement de la foule des plébéiens. Ces officiers militaires, ces admi- nistrateurs civils vont entrer dans Fermée, dans Tadministration franque ; ces nobiles de l'empire vont naturellement se rapprocher des plus élevés en dignité parmi leurs vainqueurs ; et les deux aristocraties n*en formeront bientôt plus qu'une.

Tous ces hommes ayant l'illustration à divers titres et à divers degrés forment un premier ordre dans la classe des ingénus. Ils ne sont pas supérieurs en droit ; mais ils ont m fait une situation plus élevée dans l'opinion : ils priment la foule, dont ils attirent inattention ; ils sont les pnmierê parmi leurs égaux en droits.

Or ils ont tous uq intérêt commun : se maintenir dans cette si-

•taas LES SEIGNEURS jEtaieht-ils nobles? don ioD privilégiée et la garder ponr eux seuls. La conquête .et ;Dienlatioa même du nombre des hommes libres vont aider à résultai. Voyez plutôt 1 Au début du gouvernemeut des Héro- iens tous tes guerriers (exerciloa), c'est-à-dire la partie armée 1 nation, les ingénue, sont convoiués h l'assemblée du Cbamp- lars, se décident les grandes affaires. Charlemagne n'y illera plus que les majores, les boni-baronet, c'esl-à-dire les distingués entre les ingénus, ceux que Ëginbard, dès le IX» e, nomme souvent nobitUai, la noblesse. }ilà donc les hommes libres de premier ordre ayant déjà une ogalive que n'a plus la foule des ingénus devenue trop aotn- ise. C'est un acheminempiiL vers les autres privilèges, ïutefois cette prérogative n'est pas encore héréditaire, et ce recommande certaines familles au respect, c'est l'illustration le des aïeux, et dont le temps augmente le lustre, ais ces liommes puissants, nombreux, qui entourent le chefso- ne, Roi ou Empereur, comme conseils, convives, comtes, iers de toute sorte, ils vont s'entendre sur ne point : rendre s privilèges héréditaires, comme l'étail déjà l'itlustralion de i familles. C'était fatal ; et le jour viendra ils exerceront droits que n'auront plus les autres ingénus, libres pourtant au le litre. :s premiers seront les nobles ;' les autres seront les roturiers*.

ais auprès de ces nobles, leurs égaux en droit d'hier, que de- nent les roturiers? Leur situatiun n'a pas changé, au moinsà 9 considérer qu'en elle-même ; ils ont gardé leur liberté ; ei lossëdent la terre comme auparavant. Mais eux-mêmes vontes- r de suivre l'exemple des nobles, de gravir l'échelon qui les re aujourd'hui de la noblesse, et de rétablir ainsi les choses en premier état *.

V. sat ce point Ls HuÉeou. fait. CanlinsitiHut, et le Phêsiobht IlfnABLT.

liehroiml. de t'HUtoire de Franc*. 11 dilà propos da l'anoblisseioeai :

>Ue iDtroduclion nouvelle, par Uquolle ou rapprocliiit tes roturiers des aoUes,

TOUS LES SEIGNEimS ÉTÀlENT-lLS NOBLES? NON 277

Comme nous l'avons vu, pendant que les nobles s'appauvrissent, le travail et le négoce enrichissent les roturiers. La terre noble est à vendre, ils rachètent. L'ancienne coutume en attachant la pré- somption de la noblesse au gouvernement noble de la terre incite les roturiers à ces acquisitions. Le mouvement encouragé par les nobles eux-mêmes ne s'arrêtera plus. Rien n'y fera, ni les consti- tutions de nos ducs, ni les ordonnances de nos rois.

Pour nous résumer, que résulte-t-il de ce qui précède ? Qu'on ne voit pas commencer l'acquisition des fiefs nobles par les rotu- riers ; qu'elle est assurément antérieure à 1330, 1294, 1275 ; qu'on peut se demander si elle n'est pas .contemporaine de l'hérédité des fiefs, et si elle n'est pas née le jour les fiefs sont entrés dans le commerce.

Je cherche l'époque de notre histoire bretonne pour laquelle il a pu être vrai de dire avec M. Lavissse : « Tous les seigneurs étaient nobles, » et je ne la trouve pas.

VII

Résumons-nous.

Il est, je crois, démontré en fait et en droit que beaucoup de seigneurs n'étaient pas nobles.

Quelle était la proportion entre les seigneurs nobles et les sei- gneurs roturiers ? G'est-ce que je ne puis essayer de dire. Hévin nous dit bien qu'en Bretagne les trois quarts des fiefs étaient ro- turiers, mais nous ne pouvons rien conclure de relativement au nombre des seigneurs roturiers, puisque ^ombre de terre roturiè- res étaient possédées par des nobles, et réciproquement des terres nobles par des roturiers.

M. Guizot regrette quelque part qu'on n'ait pas dressé une carte

et qui fat appelée aDoblissement, ne faisait que rétablir les choses dans le premier état. Les citoyens de France, même depuis Clovis, sous la première et la deuxième race, étaient tous d'une condition égale... >

Tons LES anottEOM ÉTIIKKT-ILS NOBLBS? MOH efi de France, â diverses époques de notre histoire. Un outre il eeratt A Taire, pas plus difricile et 1res InsIrucUr. Il s'agirait 'esser en regard deux listes, l'une des ûeTs nobles possédés es nobles, l'autre des flefa nobles possédés par des roturiers, reille de 1789.

ns la première liste figureraient nombre de nobles de fraîche que vienl d'anoblir l'acquisition d'un de ces ofQces nommés gflusemenl savonnsltes à vilain. Leur présence Bllongernil no- Dent celle première liste. N'importe ! La liste des seigneurs iera serait encore assez longue pour surprendre H. Lavisse us qui croient sur sa parole que « Tous les seigneurs étaient

!S. »

I m'assure que H. Lavisse recommande aux jeunes professeurs le des archives et des documents locaux.!^ conseil estexcel- , et je désire le voir suivi par des hommes jeunes, actifs, s de bons yeui et n'ayant d'autre parti pris que celui de la i. Je ne suis pas de ceux auxquels s'adresse M. Lavisse : je un vieux magistral, admis à une retraite prématurée. Un vieil devenu Garde des Sceaux, m'a donné le repos. Ja ne veux le son présent I et je travaille. Je suis resté à Quîmper ; et

commencé des Études sur Quimper et la Cornouaille que i cœur de continuer. Je ne suis encore qu'au début ; toutefois,

me préoccuper de la question que soulève l'affirmation de .«visse, j'ai compulsé les titres de six seigneuries comprises

le rayon if une tieue ancienne autour de la ville de Quimper. s seigneuries se nomment Le Parc, Les Salles, Troheir,Pralan- , le Ptessix Ergué et Pratanras.

s trois premières étaient peu importantes mais nobles ponr- depuis plusieurs siècles ; en 1661, 1708, 1775, elles sont pas- en mains roturières.

nianroux avait plus d'importance : et ses aveux réclament la ; justice ; en 1 775, cette terre est acquise ea même temps que eir, par un roturier.

rùXJÈ Lis SÉIÛNGItmS ÉtAIENf^lLS NÔfiLRS? NôN 2ld

L6 Pléssix-^Efgué est un flef Comprenant la plus grande partie de la paraisse d'Ergué Armel avec haute justice exercée à Quimper, patibulaires, auxquelles la Reine Anne a permis, en 1505, d^ajouier un quatrième poteau ; et prééminences en nombre d*égihe!i, notam- ment à la cathédrale de Quimper. Un roturier, receveur desfouages en révêché de Quimper, acquiert cette seigneurie en 1760; et Tannée suivante, (tti jour tfti âà(r^ il use du droit concédé à ses nobles prédécesseurs m de Taire porter par un gentilhomme une bannière à la procession de Quimper avant toutes les croix, c'est- à-dire après celle delà cathédrale. »

Enfln, le fief de Pratanras, auquel éUiit annexé, depuis 1542, le flef de Goatfao avec sa haute justice, avait haute justice, patibu- laires, et prééminences en nombre d'églises. Les deux fiefs réunis comprenaient loixanie villages ou manoirs répartis sur 22 paroisses distribuées entre cinq de nos cantons actuels. En 1779, ce fief appartient à W^^ de La ma rck^ duchesse d*Arenberg ; il esta vendre. Un Quimpérois, M. Madec, illustré dans le Bengale, rentre en France et va acquérir Pratanras et CoatfdO. H. Hadec est roturier; mais, sur les entrefaites, te Roi lui accorde la noblesse qu'il a si bien méritée, e^ il est noble quand il signe le contrat, en 1781.

Ainsi sur six terres anciennement nobles prises au hasard autour de Quimper^ cinq éiaient possédées avant 1789 par des sei> gneurs roturiers, et la sixième, la plus importante, allait avoir le même sort, quand le Roi a anobli son glorieux acquéreur.

L'étude des documents locaux est, comme on le voit, fort ins- tructive; M. Lavisse a bien raison de la recommander. Mais c'est, je crois, beaucoup d'abnégation de sa part. Je me persuade que cette étude amènera partout un résultat analogue à celui que je signale, et fournira une série de démentis à l'affimnation de M. Lavisse.

Ici un an)i m'arrête et me dit: c A quoi bon ce travail ? Avez- vous la prétention d'empêcher les éditions de M. Lavisse de se multiplier Non.., je suis plus modeste. Je n'ai même pas l'ambi- tion de faire corriger cette malencontreuse phrase : « Tous les sei-

TOUS LES SKIGMKimS ÉTilEHT-ILS NOBLES? HOK rs étaient nobles ; et des milliers d'instituteurs vont conli- à renseigner à des milliers d'enfants comme une vérité abso- ml certaine.

li nommé les instituteurs... Voili une classe de lecteurs à la- ie cet opuscule est interdit. Qu'adviendrait-il s'ils allaient ■e avec moi, et s'ils osaient dire que M. Lavisse a tort d'em- er comme synonymes les mois tetgneur, noble et chevalier; de }ndre tenancier ou censitaire avec vilain et manant? Qu'ad- drait'il s'ils se permettaient de douter que tous les seigneurs ml nobles?

. Lavisse, maître de Conréreaces à l'École normale, l'arUrme. Il tl Cette proposition doit-ëlre une vérité... dans les écoles pu-

J. TnÉvÉpY,

Aocien prée^ldent du tribunal de ljuiin|tcr, tIN' président de In Sociélê arch£nliigli|iiL-

llll FilILSltTC.

POÉSIE

ULTIMA VERBA

A MA MUSE

Muse, je te Tai dit cent fois : De rimer en vain tu me presses ; Je me dérobe à tes caresses, Et je reste sourd à ta voix. N'as-tu pas vu, sur mon visage. Ces sillons de triste présage Que le soc de Tâge a creusés ? Quand mon corps cède à sa faiblesse, Quand tous ses ressorts sont usés. N'as-tu pas vu de ma vieillesse Les signes trop bien accusés ? Et rien de cela ne te touche, 0 cruelle fille des dieux ! Et, toujours, le front radieux. Toujours, le sourire à la bouche, Tu viens, sur des modes divers, Comme si j'étais un Horace, Me demander encor des vers : Mes soixante quatorze hivers Devant toi n'ont pas trouvé grâce !

^

Ah I tu n'ignores pas pourtant Que ma verve, autrefois féconde.

282 ULTMA T8RBÀ

Gomme toute chose en ce monde Dont on abuse à chaque instant, Ma verve, par un jet constant, De jour en jour plus appauvrie. Dans mon vieux cerveau s'est tarie. Eh I bien, voyant cela, pourquoi T'obstines-tu, Muse insensée, A vouloir attiser en moi Le foyer naît la pensée. Quand de mort tu le sais atteint 7 Jamais» malgré ses fortes ailes, Le vent, d'un feu de braise éteint N'a fait jaillir des étincelles I

Du ill, si fragile el si fin,

Que pour moi la Parque dévide,

Le peloton tire à sa fin ;

Bientôt le fuseau sera vide.

Et, tandis qu'à mes doigts tremblants

La lyre échappe, et que Tidée,

De mon front ceint de cheveux blancs

Ne sort plus que pâle et ridée.

C'est le moment que tu choisis,

Muse, pour qu'en vers je m'exprime,

Et que je ressoude une rime

A des alexandrins moisis t

Vraiment c'est à ne pas y croire,

Et ton caprice est surprenant :

Jeune, et poète à tout venant.

Quand je n'ai rien fait pour ta gloire

Qu'attends^tu de moi maintenant ?

Mais dans Un accès de délire, Si j'allais, sans plus différer, A ta requête Obtempérer, Quelle est la corde de ma lyre Que je pourais faire vibrer ?

V Idylle n*est pas de mon âge ;

De mes soupirs comme on rirait,

Et comme à bon droit on dirait :

« Barbon, ta tète déménage.

« L'Amour se plaît à voltiger,

« Il lui faut dôg servants ingambes ;

« Tu veux, toi, qui n'as plus de Jambes,

<K Courir après ce dieu léger ?

« Tircis à la voix chevrotante, '

« Du ridicule qui te tente

« N'affronte pas les aiguillons ;

« Que chez toi le bon sens renaisse :

« Laissons l'Amour à la jeunesse,

« Et les roses aux papillons ! »

Avec la plaintive Elégie, Dois-je chanter de longs malheurs, Et, sous ma paupière rougie, Loger une source de pleurs ? Dois-je, perdu dans les ténèbres, La nuit, interrogeant les morts, Exhumer des couches funèbres Le désespoir ou le remords ? Non ! Je n'ai pas la moindre envie D'aller gémir sur un tombeau,

384 UtTDf A VERBA

Tant que du jour et de la vie Pour moi brillera le flambeau ! Non ! Je n*ai nulle fantaisie D'évoquer, même en poésie, La faucheuse du .genre humain : Je sais trop, sans; que je l'appelle, Que je vais, peut-être demain, La rencontrant sur mon chemin, Me voir face à face avec elle I

*

DonCf point de larmes I A mes vers La Satire ouvre un champ immense. de notre siècle en démence Germent les vices, les travers, Les hontes, les penchants pervers. Et la trop fertile semence De tous les esprits à l'envers ! Siècle d'ambition vulgaire. D'intérêt vil, d'instinct brutal. Toujours prêts à se mettre en guerre Contre l'ordre et le capital ; Siècle sans pudeur, sans mémoire, tout a le droit de cité. L'injustice la plus notoire, L'ingratitude la plus noire. Et jusqu'au mensonge effronté. Tout... hors le courage et la gloire ! Siècle athée, où, renier Dieu, C'est avoir un titre en haut lieu A la faveur officielle ; Où, fouler aux pieds tout devoir, C'est rendre la chance fidèle :

ULTIMA VERS A 285

l'impunité sert d'échelle Pour escalader le pouvoir !

Ah ! Ton en ferait maint volume !...

Ëst-il meilleure occasion

Pour que Talexandrin s*allume,

Et pour que l'indignation

Du cœur passe au bout de la plume ?

A moi le fouet de Juvénal,

Qui marque l'infâme à la joue ;

A moi le trait du vers final

Qui..* Mais voilà que je m'enroue...

C'en est fait^ Muse, tu le vois,

Tout me quitte, même la voix !

Invalide de la Satire,

Ce que, prompt à me courroucer,

Jadis, tout haut, j'aurais pu dire,

Je suis réduit à le penser !

t

Des atteintes de l'âge sombre, Pour conclure, il n'est pas besoin De pousser la preuve plus loin* Quand le ciel s'est revêtu d*ombre, Les oiseaux^ au temps des glaçons^ Font-ils éclater leurs chansons ? C'est le sort de ton vieux poète ; Muse, tu dois l'avoir compris. Depuis que Thi ver Ta surpris. Et qu'il a neigé sur sa tête. Tout est triste et muet en lui ;

28d ULTIMA VmBA

A peine peut-il, aujourd'hui,

De son cœur ému faire éclore

Un lambeau de strophe incolore,

Péniblement psalmodié,

Et; si bas, qu'il faut, pour Tentendre,

Une attention vive et tendre,

Et Foreille de Tamitié !

L'heure du divoroe est v«nu6 : Muse, c'est l'heure des adieux. Bien jeune eneor. Je t'ai connue ; Et toi, me voyant soucieux, Rêveur, au ciel levant les yeux. Et, dans mon ardeur ingénue. Harcelant Pégase rétif. Poursuivre jusque dans la nue Un hémistiche fugitif. Alors, dupe de l'apparence. Tu pouvais peut-être espérer Que^ sous ta divine influence. J'allais grandir et m'illustrer... Mais j'ai trahi ta confiance : Muse imprudente, tu semais Sur un sol qui, pour milld eausts» Ne devait produire jamais Que des pavots au lieu de ros«s i

L'expérience ait faite... Allons } Pars sans regret, viei^ge immortelle ; Reprends, plus sereine et plus belle»

ULTIMA YERBA 287

Le chemin des sâcrés vallons. Va de quelque mâle génie Enflammer le vaste cerveau ; St que des bosquets d'Aonie S'élaace un Homère nouveau. Tuisse-t-il bientôt apparaître ; Puissé-je, heureux de Tapplaudir, Voir, entre ses mains, resplendir Le laurier qui signale un maître, QuOj devant moi, tu faisais nattre, Et que je n'ai pas su cueillir !

HippoLYTB Minier, 9 août 1886.

LE LEGS DE CHANTILLY

A MONSEIGNEUR LE DUC B*AUMALE

MEMBRE DE L INSTITUT

Quelque drapeau qu'on aîme, il faut vous admirer, Prince, qui méritez le, nom de Magnifique : Ce legs *— après l'exil ! est un acte héroïque, Dont notre grand Corneille eût voulu s'inspirer.

Emile Grimaud.

^t^

DE MARSEILLE AU HAVRE

Par le chemin des écoliers.

Essais du Transatlantique la Gascogne,

Dimanche, 29 août 1886.

J'ai lu, il y a quelques jours, dans le Journal des Débats (je lis quelquefois le /otiftial des Débats, quand le sommeil se fait attendre), l'enlrefilet suivant : « M. le Ministre des postes et télégraphes, dési* rani se rendre compte par lui-même de la vitesse des nouveaux bateaux postaux, doit s'embarquer avec sa suite, le samedi, 28 août, à Marseille, sur la Gascogne, qui ira au Havre, en touchant à Al- ger, Tanger et Lisbonne. »

Cette lecture m'a rendu rêveur, et, faute d'un interlocuteur, j'çn suis réduit à me faire à moi-même la conversation, en procédant par arguments et objections : quelque chose comme les dialogues de Tartarin-Quichotle et TartarinPança.

Taratata! le ministre va se promener à Fœil^ et voilà tout! /

Pas du tout ! Le ministre se rend compte par lui-même^ entends- tu bien? par lui-même^ de la vitesse de la Gascogne. Il aura le mal de mer, mais il se dévoue. Il emmène avec lui sa

, femme et ses fils, son médecin, (ce qui prouve surabondamment qu'il s'attend à quelque chose de désagréable), et son chef de ca- binet. Tu vois que ce n'est pas une partie de plaisir ! Tu parles de voyager gratuitement, et tu le lui reproches ; mais, malheureux! à sa place, moi je demanderais une indemnité de déplacement et des frais de. route considérables !

TOME LX CX DE LA 6e SÉRIE). 19

390 DE MARSEILLE AU HAVRE

Tout cela, c'est de la frime ! Des faits ! Des faits !... Ecoute. Je vais te faire inviter, et, toi aussi, tuferas le voyage d'essai de la Gascogue. Seulement tu épieras le miDistre, tu le rendras compte par toi-même de tout ce dont il ae rendra compte, et tu consigne- ras le tout sur un journal, qui restera aux archives de la ville et servira aux élèves de TEcole des Chartes de l'an 2001 à élucider ce point délicat de l'histoire contemporaine.

Tope 1 répondis-je. Alors ne perdons point de temps, allons salamalecker tout ce que nous avons d'amis !

C'est ainsi que quelques jours après, le 29 août de l'an de grâce 1886, le voyage ministériel ayant été retardé de vingt*quatre heu> res, je mets le pied sur la Gascogne à onze heures précises, en rade de Marseille. Ce magnifique transport est commandé par M. SantelK.

A midi, M. le Ministre arrive avec sa suite. L'apostrophe d'Herna* ni me remonte aux lèvres :

Oui, roi! de ta auite^ j*eA sois !

Que de gros légumes à bord ! Le préfet, le général, le comman- dant de port, le capitaine du l*' pompiers ! J'en passe et des meiU leurs.

Force salutations, force adiem, en agite des mouchoirs, les cha* loupes s'éloignent du bord. Le quai est couvert de spectateurs. Je remarque la silhouette élégante d'une femme, qui, debout dans sa voiture, soulève son ombrelle rouge. Cela n'est pas pour moi, mais je réponds à tout hasard» et par une lumière éblouissante nous avançons avec lenteur et majesté sur une mer d'huile.

On débute par le déjeuner, qui est sans cérémonie, et pendant que nous défilons le long de la côte, avec une vitesse de dix-huit nœuds, M. le Ministre constate par M-méfÊM l'habileté du chef cuistuier. H. le Ministre est en tenue simple, mais de bon goât ; è ses côtés, les invités, au nombre d'une cinqaaataino. Au bout de quelque temps, en résumant les renseignements recueillis à droite et à gauche, j*arrive à en connaître au moins les noms. Consignons,

OfS MARSEILLB AU HAVRB 291

pour mémoire : Paimable jeune femme du commandant Sanlellî, le docteur et madame Fauvel, M. Daymard,ingénieur enchef de la Compagnie transatlantique, le capitaine de vaisseau Boulineau, M. Valin, chef du service technique de Marseille, M. Duporlal, directeur des postes, et sa famille, Tinlendant général Legros, l'in- tendanl Bocquet, l'ingénieur des ponts et chaussées Violette de Noircarme, le colonel Lichteinstein, le colonel Clapeyron, M. Ri- chaud, gouverneur de la Réunion (six pieds de haut), H. Guillaume, ingénieur de la Marine, MM. 6asc, Dréolle, Ghabrier, administra- teurs de la Compagnie transatlantique, etc. Je termine par le bouquet : M. le Ministre des postes, sa suite et sa famille.

J*oubliais encore que nous avons à bord le grand compositeur HéhuI (qu'on croyait mort, mais c'est une erreur,) Tauteur de Jcmë-- phine vendue par ses sœurSy un des derniers succès des Bouffes parisiens.

Cependant le déjeuner touche à son terme. JNouis inaugurons la vi# debord ; ici commencent dans le cercle des dames les jeux de so- ciété ; on lit, on fume ; au salon quelqu'un tourmente le piano, d'autres sacrifient au démon du jeu, les philosophes écrivent, les jeunes filles rêvent et les ingénieurs se chauffent dans la machine, tandis que, do bossoir au gouvernail, j'inspecte le bateau.

La Gascogne est l'un des quatre grands paquebots destinés à faire le service postal du Havre à New-York. La convention entre la Compagnie transatlantique et le Ministère des postes a été com- plètement modifiée ; et c'est pour répondre aux exigences du récent contrat que la Compagnie a créé ce nouveau type de pa- quebots.

Avec l'ancienne convention, les paquebotsr devaient, à chaque voyage, donner une vitesse moyenne de onze nœuds ; de la durée du voyage on déduisait les arrêts que pouvaient occasionner les accidents de mer, arrêts qui étaient constatés par un procès-verbal de l'agent des postes h bord commissaire du gouvernement. Pbur fournir cette vitesse moyenne de onze nœuds, les bateaux devaient donner de treize à quatorze nœuds aux essais. Avec la

292 DE MARSEILLE AU HAVRE

convention, la vitesse n'est plus mesurée à chaque voyage, mais on prend la moyenne des vitesses à la fin de l*année, on ne tient plus compte des accidents de mer, et la moyenne doit atteindre quinzenœuds. Aux essais, les paquebots doivent fournir une vitesse de dix-sept noeuds et demi, d*abordsur des bases mesurées, ensuite pendant un trajet de plusieurs heures.

La Gasœgne a été construite à la Seyne, par la Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée ; les essais de livraison, après les- quels elle a été acceptée par la Compagnie transatlantique, ont eu lieu aux lies d'Hyères. La plus grande vitesse fournie dans cet essai a été de dix-neuf nœuds vingt centièmes. La Convention postale accorde à la Compagnie une subvention de cinquante mille francs par chaque nœud fourni, en plus de la vitesse réglementaire de^ quinze nœuds.

Pour donner celle vitesse considérable, il faut une machine d'une grande puissance ; celle de la Gascogne est de huit mille cbevatix, et aux essais des Iles d^Hyères on a atteint une force d'environ neuf mille chevaux.

C'est une machine Woolf à trois doubles cylindres, dont les bielles sont attelées sur le même arbre de couche ; les tourillons, en acier comme tout l'arbre, ont soixante-dix centimètres de dia- mètre. En mer calme^ chaque tour d'hélice fait avancer le bateau de neuf mètres quarante. La machine est imposante, elle mesure dix-huit mètres de palier inférieur à la partie supérieure du dernier graisseur.

La Gascogne mesure cent cinquante cinq mètres de long, quinze mètres de large et cale à peu près huit mèlres. Elle a de nombreux étages, le pont supérieur, ou deuxième pont, ne contient que la cabine du commandant et la partie supérieure de la machine complètement masquée ; il s'étend d'une extrémité à l'autre du navire. Le pre- mier pont contient le salon de musique, le fumoir, les chambres des officiers et les cuisines. A l'étage au-dessous, se trouvent la .salle à manger et les cabines.

La Gascogne est aménagée d*après le nouveau systèn^e, les pre-

DE MARSEILLE AU HAVRE 293

miëres sont à Tavant de la machine : ceci présente de nombreux avantages. En temps de marche ordinaire, on n*est pas sous la fumée, on ne sent point les trépidations de Thélice, et, comme on se trouve dans le voisinage du centre de gravité, le roulis et le tangage y sont beaucoup moins accentués que partout ailleurs.

La salle à manger peut contenir deux cents couverts; elle est décorée avec beaucoup de luxe : chaque hublot est encadré avec des colonnes d'onyx, et une immense cheminée fait face au grand mftt. Au milieu du plafond se trouve une grande ouverture qui donne dans le salon de musique placé au-dessus, et est couronnée par un dôme vitré, le tout d'un joli aspect. Le fumoir est décoré avec goût : boiseries, peintures, divans, fout est bien assorti.

Le grand escalier est d'un fort bel effet. La cage a onze mètres de large, dimension rare, même dans un hôlel en terre ferme, les rampes sont massives et belles ; on ne se croirait jamais dans un navire. Des cabines je ne dirai rien : elles sont installées avec tout le confortable voulu.

Cette ville flottante est édairée uniquement à Téiectricité. Six cents lampes Eddison s'y trouvent placées. Il faut une force de soixante dix chevaux pour les maintenir toutes allumées. Différentes rami- fications de fils électriques divisent les lampes en différentes caté- gories qui s'éteignent à des heures déterminées. Celles des cabines peuvent aller jusqu'à cinq heures du matin.

Il m'a paru intéressant de savoir ce qu'il fallait de provisions pour un voyage à New-York. Voici quelques chiffres que j'ai pu recueillir. On consomme en moyenne cent soixante tonnes de charbon par jour. Les provisions de bouche, pour un voyage d'aller et retour, comprennent trente mille kilos de viandes, cinq cents poulets, soixante dindes et dindons, quarante mille kilos de farine, cinq mille kilos de légumes frais, cinq mille kilos de légumes secs, six mille bouteilles de vin de table, trois mille bouteilles de vins fins, cinq mille bouteilles de bière, cinq cents bouteilles de cognac, cinq mille bouteilles de Saint- Galmier, cinq cents bouteilles de Cham- pagne, vermouth, amer et vins d'Espagne^ cinq cents petits fro-

294 DB MARSBILLB AU HATBE

mages, deux mille kiiolfi de gros fromages, et Irente barils de fin ordinaire pour Téquipage. Cel équipage, chauffeurs et roécani^ ciens compris» est formé de deux cents hommes. Le bateau est aménagé pour deux cents passagers de première classe, soixante de seconde, neuf cents de troisième et deux mille tonnes de mar* cbandises.

J*ai pu, k Tarrivée au Havre, comparer la Gascogne avec la Bre- tagne, bateau du même type, construit à Saint-Nazaire. La coque est exactement la même ; la machine de la Bretagne est d'un système nouveau, c'est une Compound à triple expansion ; elle doit donner certainement une économie sur celle à double expan* sion, type Gascogne.

L'aménagement du navire est le même ; la décoration varie ; celle de la Gascogne est plus luxueuse, celle de la Bretagne plus artistique.

Mais remontons à bord de la Gascogne»

A l'avant du bateau, j'aperçois un instrument en bronxe de forme bizarre ; je vais demander son nom, lorsqu'un son plus que guttural m'apprend que c'est la Sirène, Le progrès est une belle chose, mais, je ne puis m'empècher toutefois de regretter le vieux temps l'on entendait les Sirènes de moins loin, mais où, paraît^ il, on les suivait encore de trop près.

Sept heures. Premier coup de cloche. On rectifie sa toilette et on passe à la salle à manger. Deux tables, dont l'une officielle ; la première est présidée par le Ministre^ qui de nouveau constate par lui-même... (vous connaissez le reste). Nous constatons, pendant le dtner, que le siège de H. le Ministre parait plus élevé que les autres. Renseignements pris, il est assis sur son portefeuille. La mer est unie comme un lac : pas de défections à table. C^est le cas de répéter le mot remarquable du Petit Marseillais dans son compte rendu des essais de la Bourgogne: « Le ciel luttait d*a- c mabilité avec les employés de la Compagnie. »

La soirée se passe au salon ; on y fait de la musique. Le célèbre MéhuI est au piano et exécute ses dernières compositions*

DE lUIlSKILtB AU HAVRE

Les chœurs de Joséphine vendue par se$ eœurs sont enlevés avec maestria. La commandante nous apporte une batterie d'instruments* Un serpent d*église échoit à H. le Ministre ; des canards variés ei des. tambours sont distribués aux musiciens et... attention ! une mesure paurerien... En avant I

Concert remarquable et charivaresque. La Moiuan^ de Flégier, fort bien chantée, et la Cavaline de Raff, viennent détonner ; mait les instruments à vent reprennent vite le dessus. En avant I

Funiculi, funicula, llontons Jusque-là !...

A une heure du matin... funiculi, funicula^ nous descendons, chacun chez soi.

La chaleur est extrême. H. le ministre constate par lui-même que les matelas sont excellents.

Lundi, 30 août.

Un gai soleil vient me réveiller : nous roulons légèrement. Je monte sur le pont; la chaleur promet d'èlre accablante. Je m'ins- talle à lire; tout à coup un bruit étrange me fait dresser l'oreille:

Hi ! Han ! Hi ! Han !

Tiens ! nous avons un âne à bord ! -— Je dégringole et trouve sur le pont un délicieux fine d'Afrique qu'un mousse promène aussi gravement que s'il était chargé de reliques. C'est la propriété de la commandante. On me présente à Yaouled. J'obtiens l'auto- risation de faire son portrait et de l'offrir à M^e Santelli. Quel- qu'un enfourche le bidet et une cavalcade commence sur le pont. Le cavalier en descendant déclare que

Il fait aujourd'hui le plus beau temps du monde, Pour aller à cheval sur la terre et sur l'onde.

Nous continuons à rouler ; il y a des malades. La casquette de mon voisin, si brillante hier, prend successivement des positions

395 DE VinSBlLLE AU HAVRE

plus modesles. A ce moment, j'aperçois H. le Ninislre. Ua bon point pour lui. Il est en bourgeron bleu el vient de se rendre compte par lui-même de l'état de la machine. Le fumoir, malgré l'heure matinale, présente une certaine animation : on y discute les propriétés remarquables du mal de mer.

Il j a deux manières d'avoir le mal de mer, déclare un orateur fantaisiste ; une qui ne dépend que du corps, et l'autre qui dépend de l'Jtme. La première est presque inconsciente, la seconde arrive à la suite de réflexions amères ; elle est l'apanage des gens qui ont abandonné le chemin vicinal de la vertu pour la route départemen- tale du vice.

- La phrase parait nébuleuse ei le mot plus que cherché, mais je ne suis qu'historien et j'inscris.

Charles Dothei.. {la fin proehainmieni.)

CROQUIS MARITIMES

LA COURSE ET LES CORSAIRES

XV« ET XVP SIÈCLE

Au XV® siècle, l'intéressante série, malheureusement fort incomplète, des registres de la Chancellerie de Bretagne fournit quelques noms de marins qui se signalèrent contre les ennemis de leur pays. Les Jouhan, Pierre Groy, Guillot le Ca- pitaine, le Gruier, JLean Helon, Jean Jegou, François du Que- lenec, dit le seigneur de Bienassis, lequel plus d'une fois eut affaire à la justice, Pierre le Comte, Jean de Belouard, Jean Riou, etc., etc., presque tous du Croisic ou de Guérande.

Mais les troubles causés par les guerres de religion, qui agi- tèrent surtout la seconde partie du siècle suivant, rendent la disette encore plus grande, et n'ont rien laissé parvenir jus- qu'à nous.

Au XVP siècle la piraterie était, pour ainsi dire, en perma- nence sur les côtes voisines de l'embouchure de la Loire, se donnaient rendez-vous Français, Espagnols et protestants. Ainsi, le 29 avril 1557, les habitants du Croisic écrivirent au duc d'Etampes, gouverneur, qu'ils avaient chassé les Espa- gnols de Belle-Isle et pris une de leurs barques *.

Le mois suivant, c'est-à-dire en mai, une flotille de cette nation, composée d'une douzaine d'embarcations légères,

* Voir la livraison de septembre 1886, pp. 161-188. 1. D. Morice, Histoire de Bretagne, Pr.,in, col. 1187.

(

298 LA COURSE BT lES CORSAIRES

aborda à la pointe de Ghemoulin, se livra au pillage, et brûla trois maisons. Pierre Godelin, S' de Chavagnes, sénéchal de Guérande, accourut à la tête d'un certain nombre d'hommes armés et les força à se rembarquer après en avoir tué plu- sieurs.

Une lettre de l'amiral de Coligny, en date du 7 novembre 1571, demande aux juges-consuls et aux négociants nantais un mémoire détaillé, afin « d'aviser au moyen de rendre le , traffic et commerce qui se fait par la mer, libre et asseuré, et empescher les pirateries et larrecins qui sy commettent contre les subjects du Roy *. » Assassiné, neuf mois après, le jour de la Saint-Barthélémy, l'amiral ne put mettre à exécution ses vues raisonnables. Les galères du roi vinrent occuper la Loire au-dessous de Nantes, et ce remède fut pire que le mal, comme nous rapprennent les plaintes et les requêtes formulées de toutes parts contre les chefs avides et les matelots indiscipli- nés.

En 1586, les choses avaient peu changé. Le duc de Mercœur, gouverneur, informe les habitants de Nanles, que pour tenir « la mer libre et en sûreté, principalement de ce pais, et re- médier aux pirateries.et déprédations ;

« Sa Majesté^ a résolu et ordonné, qu'en cette province il fera armer quatre ou cinq vaisseaulx de 200 à 150 tonneaux, tellement qu'ils puissent faire en tout le port de 800 tonneaux, et huit ou dix pataches. Davantage, que sur iceulx il sera mis quatre cens soldais et aultant de mariniers, qui seront avic- tualiez pour six mois, bien armez et muniz de toutes munitions de guerre, et commandés par le sieur de Tournabon. Il sera fait quelque imposition par tonneau, sur les marchandises, et une avance de 25,000 escus, qui se prendront à intérêt des plus notables marchands des villes ; et qu'après l'expédition, la dépense cesse et soit faite par ceux que les communautés des

1. Àrch. municip., série £E, marine, piraterie.

lA CôtJttSE RT Les corsaires 299

villea voudront nommer ; et que la moitié des prinses tourne au profflt des capitaines et équippaiges, et l'autre moitié soit vendue au plus offirant, pour les deniers estre employés sur et tout moins de la dépense de l'armement, le dixième de M. Tamiral, préalablement pris sur le tout.

« Davantage, affln que vous puissiez avoir plus grande sûreté que ceulx de cet armement ne feront aulcunes pilleries, il vous sera permis de nommer les capitaines et officiers desdits navires et mesmes d'armer les vaisseaux si le voulez *. »

Ce mandement, daté de Rennes le 14 mars 1386, était ardem- ment demandé et imploré non seulement par les Bretons et Nantais, mais aussi par « ceux dès provinces de Normandie^ Picardie et Guyenne, « ce qui prouve que le commerce était alors dans un état de malaise général.

XYII® SIÈCLE

Le cardinal de Richelieu, l'année même il établit l'Aca- démie française (1635), s'unit aux Hollandais pour conquérir les Pays-Bas, ce qui causa entre la France et l'Espagne la longue guerre, dite de Trente ans, terminée par le mariage de Louis XIV avec l'infante Marie-Thérèse (1660). r

Le 12 mai 1635, les négociants de Nantes étaient informés que tout commerce avec les Étals du roi catholique était pro- hibé, et qu'aucun navire ne pouvait sortir sans être armé. Bientôt, en effet, de petits corsaires espagnols, de légères pi- nasses, des chaloupes vinrent impunément exploiter les côtes et enlever les caboteurs de la Loire.

En 1637, le baron de Marcé, gouverneur du Croisic, résolut d'armer « ung vaisseau à la cosle de ceste province, pour em- pescher les courses et déprédations que les ennemys font jour- nellement sur les marchands de ce pays. » Il s'adressa à la

. t. Kvch*. municip., série EE, marine, piraterie.

300 LA COURSE ET LES CORSAIREf;

Mairie nantaise, afin d'obtenir les munitions nécessaires. Par délibération du 25 juin, le Bureau accorda 120 livres de poudre, avec promesse de s aultres cent livres lorsqu'il aura rendu tes- moignage des effects d'empescher les courses et déprédations desdits ennemys *. »

L'expédition dut avoir de très bons résultats, si nous en croyons un reçu du baron^ qui, sachant mieux se battre que mettre l'orthographe,» confesse, le dernier jour douct J637, avoir resu de messieur de la ville de Nanle huit sans livre de bisquit et un san de poudre suivant leur ordonnance *. »

Sous l'impulsion intelligente du cardinal, la marine militaire se formait, et les flottes françaises avaient déjà infligé des dé- faites aux escadres espagnoles. Le 23 décembre 1641, Louis XIII

1. Arch. municip., série BB. reg. des délib. n*» 38, fol. 213.

2. Id., série EE, carton artillerie.

Ce baron de Marcé doit être Claude-Charles Goyon, chevalier, baron de Marcé, fils de Jacques Goyon, baron de Marcé, et d'Elisabeth Dumas.

Voici quelques détails sur m les provisions de bouche de la frégate de M. de Marcé, pour la liberté du traffic », fournies par la ville de Nantes :

« Au sieur de Saint-Mirel, 80 livres en vertu de l'ordonnance de ladite ville du 30 août 1637, pour ayder aux frais de la nourriture et conduite des prisonniers espagnols, pris par M. le baron de Marcé et sa frégate, et menés à la Rochelle 80 1.

« Au sieur EveiUard, pareille somme de 80 livres en vertu de l'or- donnance du 30 août 1637, pour huit cents de biscuits, fournis audit sieur baron de Marcé, pour ravitaillement de sa frégate, afin d'aider à la nourriture des prisonniers espagnols qu'il auroit pris et conduits à la Rochelle, pour exempter et descharger ladite ville de la garde et despense d'iceulx, et le convier à rendre service au Roy et au publicq, pour la liberté du commerce de cette province, à raison de 6 livres, 4 sous le cent 80 I.

<c Aussy faict despanse de sept vingt six livres qu'il a payé pour l'achat d'aultres provisions de bouche, tant de biscuitz, bœufs que vin, ordonné par ladite ville du 6 juing 1638, délivrer au sieur de Marcé, pour ayder à l'avituaillementde sa frégate par luy entretenue sur mer pour la seureté du trafficq et deffance des vaisseaux y allant de cette rivière et venant de la mer 146 1.

Total 306 1.

LA COURSE ET LES CORSAIRES 301

fit « deffance à tous capitaines, maîtres, patrons de navires et autres personnes, de mettre hors des ports de ce Royaulme aucuns vaisseaux, et aux mariniers canonniers et mathelots de sy embarquer qu'au préallable les vaisseaux de S. M. ne soient fournis d'hommes requis pour leurs esquipages, sur peyne de la vye. Et enjoint très expressément Sadite Majesté à tous Maires, Eschevins, Gonsulz et Communautés des villes, sizes le long des côtes de la mer de faire recherche des mathelots et canonniers de vaisseaux, qui sontdans l'estandue desdits lieux, et en déli- vrer et mettre es mains des procureurs de S. M. les noms, sur- noms et demeures *....»

« En 1642,lecapitàineRégnier,autrementdit« la Vaillance,» (un nom qui rappelle, au moins, quelques belles actions), prit en mer, près de la rivière de Redon, une pinasse espagnole, dont il amena à Nantes Téquipage, composé de 28 hommes. Ces prisonniers de guerre, internés dans le logement de la santé (Sanitat), étaient nourris aux dépens de la ville. Mais l'administration finit par trouver la charge et la responsabilité peu de son goût et chercha bientôt à s'en affranchir '.

Cependant, malgré les édits et les déclarations du roi, les levées de matelots offraient de grandes difficultés. Ainsi en 1648, le chevalier du Parc, capitaine du Mazarin, de 800 ton- neaux, ayant besoin de 400 hommes, envoya à Saint-Nazaire son lieutenant Alain de Mescant. Ce dernier se rendit au Groisic, et, en dépit de ses ordres précis, ne put parvenir à re- cruter aucun homme, « tous les vaisseaux du havre du Groisic étant partis en voyage '.

En effet, ce petit port expédiait sans cesse de nombreux na- vires, témoins de l'activité de ses négociants adonnés surtout à la pêche de la morue et à l'exploitation du sel. Aussi, lorsque

1. Id., série BB, reg. des délib. no 40, fol. 32.

2i Âreh., municip. série BB. reg. des délib. no 40, fol. 48.

3. Arch. départ., dérie £, Amirauté de Guérande.

302 l'A COVmm BT LES CORSAIRES

pour Nantes nous sommes réduit à de trop rares document», le lecteur voudra bien excuser la reproduction d'une pièce, of- frant d'assez piquants détails sur les habitudes et les fâcheuses tendances des matelots croisicais de l'époque, partagées cer- tainement par leurs contemporains.

G est une requête adressée, en 1655, au parlement de Rennes par Pierre Le Gruyer, sieur de Gouhourdez ; Jean Hadec, du Poulducq ; Jean Durand, de CoUetdan, Jean Verdier ; Jean Guilloré, S' de Kerlan ; Michel Lequerré ; Paul Maillard, des Forges ; Bené Maillard, S' des GroUières ; Julien Lepor- ceau, S' de Lénic ; Paul de Gennes, S' de la Gointerie ; Jeftn Tanguy et Louis Lefauche, S^ de Gadouzan, bourgeois et habi- tants de la ville de Groisic.

« .., Us ont achepté, et cy devant fait construire, en consor- tiété> jusques au nombre de neuf à dix navires, dont le moindre est du port de 200 tonneaux, et les autres de 900 ou plus. Les^ quels i)» ont amunitionné, comme 8*ils eussent voulu plutôt les mettre en guerre que les employer au commerce, pour lequel néanmoins ils ont composé cette petite flotte, munis non seulement à dessein d'entretenir et faire le négoce dans Içs pays estrangers, et pour aller à la pescherye des morues aux Terres neuf ves, mais encorre pour employer, comme ils font tous les ans, plus de douze à quinze cents matelots, qui gaignent de quoy se subvenir et leur famille, ce qu'ils ne pour- roient autrement* Àins au contraire, ce négoce cessant, ils seroint incontinant réduits à la mandicité, et demeureroient comme on a cy devant veu, depuis quelques années^ à la charge et à l'oppression du public.

« De sorte que ceste société avait jusques icy, par la bonne intelligence des uns et des autres, assez bien reussy. Mais la maladie des matelots est venue aune si grande extrémité, qu'au lieu de recongnoistre, par leur obéissance et fidélité, la bonté des bourgeois qui risquent de si grands biens pour leur donner les moyens de vivre, ils ont causé, par l-^ur laschoté, la perte

LA COURSE ET LAS CORSAIRES 303

de trôys des plus grands et meilleurs vaisseaux de ladite flotle, qui furent pris au moys de septembre dernier par des frégatles espagnoles bien moins fortes d'armée et d'hommes que lesdîts troys vaisseaux.

« La cause de ce mal» et d'une perte si notable, s* estant des^ couverte par la bouche de quelques-uns des matelots desdits vaisseaux, qui ont déclaré que les canonniers et les plus consi- dérables compagnons d'entre eux avoient fait reffus de rendre combat et de se defiendre, disants qu'ils eussent estes bien fols et insansés de risquer leur vye et de se faire estroppyer pour conserver le bien de ces gros bourgeoys qui dormoient trop à leur aise dans leurs lits ; et que pour eux ils estoient contents et qu'ils ne perdoient rien^ d'autant qu'ils avoient prins de l'argent à la risque et cambye autant et plus que leurs lots ne pouvoient valoir si les vaisseaux se rendoient à bon port.

« La Cour voit donc que ce sont les grandes avances que donnent les propriétaires des vaisseaux aux matelots, pour faire leurs préparatifs, dont les uns ne veullent pas faire voyage à moins de 75 à 80 livres, et les autres à moins de cent livres de pot de vin, et avance, outre leurs dits lots au retour ; et, que ce sont les trop grandes sommes d'argent qu'ils prennent à la risque et cambye, au-delà de la valeur de leurs dits lots qui les rend ainsi lascbes et poltrons. De manière que tel dé- sordre, provenant d'unet si grande malice, causerait en breff la perte du négoce d'un des principauj^ havres de cette province, et la ruine totalle des habitants d'icelluy, si la Gour n'y ap- portoit par sa prudence et bonté l'ordre requis *. »

En conséquence les requérants supplient donc, très humble- ment, Nosseigneurs du Pariement de faire déSendre aux mate- lots de prendre désormais, en avance, plus du tiers de la valeur de leur lot, soit cinquante livres, et de les obliger A l'obéissance envers leur commandant « sur peyne de la vye. »

1. Arch. départ., série £^ Anurauté de GuérAnde^

304 LA COURSE ET LES CORSAIRES

La haute Cour renvoya l'instruction aux juges de Guérande dont ressortait le Groisic, et tout porte à croire que les justes réclamations des armateurs furent satisfaites.

En 1667, des pinasses et des frégates espagnoles parurent en- core à l'entrée de la Loire et enlevèrent plusieurs bâtiments. L'administration municipale, se borna à en aviser M. Golbert . du Perron, intendant de la marine, le priant de « moyenner l'expédition de quelques frégates armées en guerre pour chasser lesdits Biscayens et protéger la coste et embouchure de la ri- vière de Nantes *. »

Peu de faits à signaler jusqu'à la reprise des hostilités avec la Hollande vers la fin de 1688. Les 29 et 30 mai 1692, avait lieu la désastreuse bataille de la Hougue, à laquelle assistait un jeune novice nantais, Vie, qui bientôt allait devenir célèbre. Un Groisicais s'y distinguait aussi, d'une façon toute spéciale. Le pilote Hervé Riel faisait entrer dans la rade de Saint-Malo, par une passe connue de lui seul, 20 ou 22 vaisseaux français qu'on avait résolu de jeter à la côte et de brûler pour les sous- traire au danger inévitable dans lequel ils se trouvaient, de tomber entre les mains de l'ennemi. En récompense de cet éclatant service, l'intelligent marin, bien loin de suivre les traces de ses compatriotes, dont il est question plus haut, de- manda simplement la permission de retourner auprès de sa femme, qu'il nommait la Belle-Aurore.

La même année, MM. Joseph Levesque, René Bouteiller. François Bouchaud, Mathurin Joubert, Joseph Thérisse, Nico- las Guinebaud, Sébastien Périssel, N. Garreau, Jacques Souchay et Pierre Le Jeune, avaient armé en course V Aigle de Nantes, pour croiser sur les ennemis de l'État. Ce navire rentra le 18 septembre 1692, à Paimbœuf, escortant une prise anglaise nommée le Prince de Galles, dont on s'occupa immédiatement de retirer la cargaison.

1. Arch. Oiunicip., série BB, registre des délibérations, n^ 50, fol. 112.

LA COURSE ET LES CORSAIRES 305

Malheureusement, « deux à trois jours après, le feu prit à ce vaisseau, par le moyen des poudres qui n*en avoient pas été otées, de sorte qu'ayant d'ailleurs beaucoup souffert dans le combat, lorsqu'il fut abordé, il coula bas. »

Cette prise n'est pas assurément la première faite par un corsaire nantais ; mais elle est du moins la plus ancienne que nous puissions citer, parce qu'elle donna lieu à un procès entre la communauté de ville et les armateurs. Ceux-ci furent condamnés par sentence de l'Amirauté, du 24 juillet 1693, à placer et entretenir « à leurs frais une balize sur l'endroit l'Anglais est submergé, sy mieux ils n'ayment le faire enlever et tirer de l'eau. » M. de Pontchartrain, ministre de la marine, confirma le jugement, et les intéressés ayant mis en

0

cause le Maire et les Echevins durent en fin de compte s'exé- cuter et solder en plus les frais de dame Justice *.

Les registres des rôles des navires conservés à l'administra- lion du port de Nantes, ne remontent pas au delà de 1694. Le plus ancien porte le 2 et mentionne comme corsaires :

Notre-Dame-de-Bon-SecourSy barque longue de six tonneaux, 2 pierriers, 21 hommes, armateur Jean Drouard, le beau-frère de Gassard, capitaine René Arnaud, de Nantes, expédiée le 21 mai.

La FortmiBy huit tonneaux, 4 pierriers, 24 fusils, 26 hommes, capitaine Jean René, de Bordeaux, expédiée le 6 juin.

La Friponne, trente tonneaux, 7 canons, 8 pierriers, 48 hommes, capitaine Johannis Detcheverry, de Bidard, expédiée le 2 juillet.

V Aigle-de-Nantes, dont nous venons de parler, frégate de cent quatre-vingts tonneaux, 24 canons, 6 pierriers, 1 10 hommes, capitaine Ledel, de Saint-Malo, parti le 9 juillet.

La Ville-de-Namur j cent-soixante tonneaux , 24 canons ,

1. Arcli. mimicip., série ££, Amirauté.

TOME LX (X DE 6^ SÉRIE). 20

306 LA. COURSE BT LES CORSAIRES

6pierrier!3, 151 hommes^ capitaine François Sabatier, du Groisic, sorti en septembre.

De cette nomenclature, très incomplète, ressortent la fai- blesse du tonnage des bâtiments, et surtout la nationalité des capitaines, dont quatre sur cinq sont étrangers. Cependant lors de la guerre de 1702, le fait contraire se présente, et les officiers du port de Nantes exercent presque seuls les commandements.

L'année suivante, nous pouvons indiquer comme armés en course : !• la Ville-de-IVantes, cent trente tonneaux ; 2* le Don- de-Dieu, dix tonneaux ; 3^ Y Espérance, dix-huit tonneaux ; 4* X^Sainte-'Anne, 35 tonneaux ; 5* Y Aigle, nouvelle croisière ; le Valvneourtj chaloupe ; la Proserpine ; 8* la Royale, qui prit TEspÉRANGE, de Londres, confisquée au profit du roi, par jugement du 6 octobre 1695 ; 9* le Saint-Philippe ; 10* et 11« le Saint-Esprit et le François d* Assise, qui, de juin à août, firent de concert amener pavillon au Viollet^ à la Marie, de Londres, à la Gongori^e, de Flessingue, à la Sagrada-Faiblia^ Nuestra-Sbnora-dbl-Rosario, las Almas de-San-Sébastian, et à plusieurs autres navires; 12'* la VUle-de-Namur, déjàcitée^ qui, le 14 janvier 1695, amarina dans les parages du cap Finistère la Rbgouvrance, de Bristol, anglais chargé de merceries, conduit à Nantes ^ ; et enfin la Courageuse.

Ge dernier, de 50 tonneaux, 8 canons, 4 pierriers et 43 hommes, commandés par le sieur de la Rochaudière Ernaud, prit la fiûte TAigle-Bleu, d'Amsterdam, de six cents tonneaux. Le total de la vente du bâtiment et de la cargaison, composée de salpêtre, nitre, lin, filasse, fromages, suif, mâts du Nord, produisit 77,840» 2*.

Les dépenses s'élevèrent à 6,258« 10> »

Les frais de justice à 1,893 14 6<i

Le 1/10* de r amiral » à 7,071 » 11 16,094« 4^.

1. Archives nationales^ jugements du Conseil des prises, G. 479.

2. Archives nationales, jugements du Conseil des prises, G. 436 et 479.

3. L'Amiral n'entrait pas pour son dixième dans les frais de justice.

LA COURSE BT LES CORSAIRES 307

Le liard pour livre, ou 3* pour les captifs d'Afrique, à 871 i il

Reste à partager 61,745*» 13» 8*, Dont les 2/3 à l'armateur : 41,163» 15» 10^. le i/3 à réquipage : 20,581 17 10*.

L'année 1696 ne fut pas heureuse: sur sept corsaires expédiés, trois, le Duc-d'Anjou^ quarante-cinq tonneaux, la Marie de Pontcharirain, cinquante tonneaux , le Valincourty quatre- vingts tonneaux, tombèrent au pouvoir de l'ennemi ; et le Vaui^an, de cent trente tonneaux, périt corps et biens à la côte d'Irlande *.

Depuis la guerre de 1688, lisons-nous dans un mémoire rédigé en 1720, le commerce de Nantes a bien changé de face. Les prises faites sur les ennemis de l'Ëtat, ont fourni des lumières ^ aux négociants, parmi lesquels il s'en est trouvé qui ont eu de l'é- mulation, et ont poussé les entreprises plus loin qu'on n'avait coutume de le faire. De sorte que le commerce s'est beaucoup augmenté et qu'il s'étend à toutes choses *.

Cette considération, d'un ordre élevé, constate les impor- tants résultats de la course à Nantes. Elle a bien son poids contre ceux qui, ne la trouvant plus en rapport avec nos mœurs modernes, la flétrissent sans cependant se donner la peine de l'étudier dans son but et ses conséquences.

Pendant la guerre de 1688 à 1697, un marin se distingua tout particulièrement par son courage et les nombreux bâti- ments qu'il enleva à l'ennemi. Gomme témoignage de haute satisfaction, le roi Louis XIV accorda à Mathurin Joubert

1. Arch. de la Chambre de commerce; carton Course.

3. Admiiiistratioii de la mariae ; rôles des bâtiments, reg. 2 et 3.

Ces registres ne fournissent que des indications très sommaires. Nous n'avons pas cru devoir nous astreindre à dépouiller les 23 volumes de la collection.

•1 Au lieu de lumières, il y avait le mot lauriers^ biffé sur l'original.

4. Arch, de la Chambre de Commerce de Nantes.

308. LA COURSE ET LES COHSAIBES

une épée d'honneur, qui lui fut solennellement remise par le duc de Ghaulnes, gouverneur de Bretagne.

Nos archives maritimes sont tellement pauvres que, malgré les plus actives recherches, nous n'avons pu retrouver aucune mention des faits accomplis par le capitaine Joubert. Vépée du roi était une distinction fort enviée et très considérée, dont

«

nous n'avons que trois ou quatre exemples à Nantes, tandis qu'à Dunkerque, par exemple, elle fut souvent accordée. ' Mathurin Joubert, marchand à la Fosse, c'est-à-dire armateur, oncle de Léonard Joubert du Collet, maire de Nantes de 1762 à 1766, fut lui-même échevin de 1711 à 1714. C'est à peu près tout ce que nous savons de lui.

S. DE LA NiCOLLIÈRE-TeIJEIRO.

NOTICES ET COMPTES RE^fDUS

LES FAMILLES FRANÇAISES A JERSEY, PENDANT LA RÉVOLUTION; par le C*« Régis de l'Eslourbeillon. Un fort vol. gr. in-8«. Nanles^ Vincent Forest et Emile Grimaud, éditeurs.

S'il est un pays la piété filiale soit inébranlable, c'est bien dans celle noble terre de Bretagne, si fidèle aux traditions de la famille et au souvenir du passé. Voici un véritable monument; érigé par un de ses enfants à la mémoire des victimes de la Ter-" reur rejetées par la tourmente révolutionnaire sur la terre l'exil.

Dans une excursion à Jersey, M. le C*® de TEstourbeillon à eu la bonne fortune de découvrir une précieuse collection de registres de l'état civil contenant près de 400 actes sont consignés les noms des gentilshommes et des prêtres émigrés.

En 1792, Ms>^ Le Minlier, évêque de Tréguier, autorisa les ecclé-» siastiques réfugiés comme lui dans l'île de Jersey à ouvrir des registres pour l'inscription des baptêmes, mariages et décès des émigrés. Ces actes sont contenus dans trente cahiers que le R. P. Bourde, directeur de la mission catholique, voulut bien confier à H. de TEslourbeillon. « Ce n'est pas sans une émotion profonde, dit celui*-ci, que depuis quelques mois nous avons feuilleté et relu . toutes ces pages, derniers témoins de Texistence et de la misère de*^ nos pères sur la terre d^exit, et plus d'une fois notre cœur a^ battu bien fort en transcrivant les noms de tous ces vaillants ofli-'' ciers, survivants de Fonlenoy ou de Rosbach, ou de ces magistrats intègres, derniers et intrépides défenseurs des privilèges de nos provinces. Il n'est guère de familles delà noblesse française qui'; ne puissent parmi eux compter quelques représentants, et Ton peut dire que toute la noblesse des provinces de l'Ouest est venue s'y faire inscrire tour h tour. »

3iO N0TICB8 KT C01IPTI8 RUIDUS

Parmi les nombreuses signatures qui accompagnent ces actes, beaucoup ont maintenant pour nous Tattrait de véritables autogra- phes. Pois des détails particuliers ou intimes rehaussent parfois rintérêt de ces registres. c Ici, c*est le curieux acte de mariage de Messire Charles de Honmonnier, capitaine au régiment de Royal-Daupbin, avec Mademoiselle Marie Baudré de la Tousche, qui, mineure et ayant perdu ses parents depuis Témigration, réu- nit sur l'avis de Mf de Talaru, évêque de Coutances, les douze plus anciens gentilshommes réfugiés dana Ttle, et demande à ce sénat d*un nouveau genre l'autorisation nécessaire pour son ma- riage. Chacun d'eux prononce que, vu la difficulté des temps^ les convenances de cette union et l'affection réciproque des deux fiancés, il n'y a pas lieu de surseoir à ce mariage, et apposent leurs signatures au bas de cet acte qu'ils veulent sanction- ner * . »

Rien de plus précieux pour l'étude des familles à la fin du XVIII* siècle que ce complément de nos archives communales si triste- ment rédigées par les officiers improvisés de l'état civil. Il y a en effet dans les 1200 noms relevés par l'auteur de quoi combler bien des lacunes dans les généalogies des maisons nobles de nos con- trées de POuest. Parmi les émigrés un bon nombre mariés à l'é- tranger ont formé de nouvelles familles^ inconnues bien souvent de leur souche française.

, fin dehors même de cet attachement si réel du lien du sang, il y aurait un véritable intérêt à connaître ces parentés, ne fût-ce que pour ne point laisser aux mains des étrangers des successions parfois considérables. A ce double point de vue, nous ne saurions trop appeler sur l'ouvrage de M. de l'Estourbeillon l'at- tention des familles inscrites dans ses consciencieuses recherches. Voici une liste, malheureusement très abrégée, des noms indi- qués à la table de cet ouvrage :

D'Ândigné de Maineuf, Avril.

1. Voir la préface des Familles Françaises à Jersey, p. 6.

IfOTICM IT CQMfTn MNOVS 811

Du BahunOf Barin de la Galissonniëre, de la Barre, de Beaure- gardy Bedeau de TEcochère, de Begaignoo, de la Bellière, de Bejarry, de la Bintinaye, de Biré, de la Bouessiére ou Boueiière^ du BoiS'Baudry, du Bois-Guéhenneuc, du Bois-Péan, le Borgne, du Bol^ de Bouille, de Boussineau, Boux de Casson, du Breii de Pont* briant, de Bruc, de BusneL

De Gaqueray, de Cadaran, Cadoudal, de Caslelian, de Caalel, de Chabot, de Chappolin, de ChareUe, de Ghasteîgoer, du Ghaslel, de Cheffonlaines, de Ghevigné, Gbomart de Kerdavy, Gillarl de la ViU leneuve, de Coêlaudon, Gofispel, de Couêlus, de Gourson.

Du Dresnay, Dorforl de Lorges.

Ertaud de Boismellel, Espivent de la Villeboisnei.

Le Febvre, de la F«rrounays,deFleuriot, de Foucault, de Ferroo, de France.

Le Gac de Lansalut, Geslin de Bourgogne, Girard de la Goudray, Le GoDîdec, Gontard de Launay, GogueldeBoishéraud^de Goulaioe^ le Gouvello, de la Porte, de Gôyon de Harcé, Le Gualës de Mezobrao, de Gueheneuc, de Gueriff, de la Guerrande, Guillon, du Guiny, Guyotde Salins.

Hallouin de la Pénissière.

Hay des Néturoières, de la Haye, Hersarl du Baron, de la HouS" saye, Huchet de Gintré.

Jegou de Kervilio, de Kergariou, Le Ghauf de Kerguenec, de Kerhoênt, de Kerpezdron. '

De Lambilly, de la Lande, de Landemont, Langloia, du Largez* de Legge, de Léoo^ de Lescouêt, de Lezardière, de Lisle, de Lorgeril, le Long de Dreneuc, de Lusançay.

Le Haignan, Marot de la Garays, de Henou, Milon, de Hontger- mont, de Monlsorbier, de Houssac, de la Moussaye, Le Moyne de Talhouët.

Le Page, de Perrien, Perrin de la Gourbejollière, du Plessis de Grenedan, du Pontavice, Poullain de la Vincendière.

De Quelen, Quimper de Lanascol.

De Régnon, de Remond, de Rochefort, de la Rocbennacé, de la Roche-Saint-Ândré, de Roban, de Rougé, de la Ruée.

31 s NOTICES ET G0VPTR8 RENDUS

De Serrant.

Urvoy de Glosmadeuc. De Villebois-Mareuil, de Yisdelou.

Quelque vif que soit Tintérèt présenté par tant d*actes concer- nant de si nombreuses familles, un fait d'une importance capitale ressort, avant tout, de celte étude : le rétablissement du catholt- . cisme à Jersey par les émigrés français.

Depuis 1565, aucune cérémonie du culte catholique n'avait été célébrée dans le pays. « Mais, à l'arrivée des émigrés, dit H. de l'Estourbeiilon, cet état de choses changea peu ù peu. Un grand nombre d'ecclésiastiques, désireux de célébrer le saint sacrifice de la messe, s'effurcërent d'abord de transformer en un petit oratoire leur humble chambre ou leur pauvre mansarde. Bientôt, plusieurs membres de la noblesse émigrée auxquels leurs ressources suffi- santes permettaient de donner asile à des prêtres réfugiés, s'em pressèrent d'imiter cet exemple et eurent dès tors chez eux une petite chapelle privée servant à leurs exercices religieux person- nels, avec Tautorisalion des évèques émigrés dans Ttle. » Peu h peu cette bonne semence porla ses fruits, et les catholiques qui ne comptaient pas un membre à Jersey en 1785 atteignent main- tenant le chiffre de 9000. Tels ont été les résultats de Tinfluence française à Jersey.

L'éniigration est généralement blâmée, surtout par les partisans du système gouvernemental qui l'avait provoquée. Nos historiens, si chauds patriotes au coin de leur feu, n'ont pas assez d'injures à jeter sur ces malheureuses familles et ces prêtres persécutés fuyant la mort en quittant la mère-patrie.

Sans chercher jusqu'à quel point une mère, lorsqu'elle égorge ses enfants, mérite tant d'égards, disons que leurs imprécations nous rappellent un peu trop la colère du braconnier qui voit sa proie lui échapper au moment il la couchait en joue. Dieu veuille que les événements ne nous fassent point apprécier bientôt celle suprême ressource des persécutés ! L'ouvrage de M. de TEstourbeillon, plein de documents précieux

NOTICES ET COMPTES RENDUS 34 S

et de recherches failes avec sagacité, est appelé à jeter une vive lumière sur la siluation des émigrés français pendant la Révolution.

René de la Ferté.-

EXCURSION PITTORESQUE ET ARCHÉOLOGIQUE A LA MIE DE BOURGNEUF. SAINTE-MARIE DE PORNIO. Son Histoire, son Église, sa Vierge-Tabernacle. C^'aûtes, imp. Bourgeois, 1886.

On voyage beaucoup à notre époque ; une littérature spéciale, celle des guides, est née de ces perpétuels déplacements. Qu'on fasse le tour du monde ou une excursion de quelques lieues, on veut être renseigné sur l'histoire des pays elles habitudes des in- digènes. Pas de table d'hôtel, pas de wagon, n'apparaisse un de ces manuels du touriste à la tranche rouge ou jaspée. La postérité de Jeanne, de Conty et du lourd Baedecker est infinie ; les com- pagnies de chemin de fer ont d'utiles auxiliaires dans ces géo- graphes de' rencontre et ces archéologues d'occasion, qui res- semblent aux ciceroni houspillés par Musset, et sont en train de mettre en coupe réglée chacune de nos provinces, comme s'il s'agis*- sait de la Suisse ou de l'Italie. Ce déluge (nous avions un autre mot au bout de la plume) submerge les vitrines des librnires ; le cartonnage voyant, la couverture bariolée empêchent de découvrir la brochure grise qui se blottit tout auprès. Et pourtant cette mo- deste enveloppe est la préférée du vrai savant, de l'antiquaire digne de ce nom. Nous en avons une preuve nouvelle dans le petit vo- lume qui est sous nos yeux : un coin de notre Bretagne, de notre département, y est fouillé, décrit avec le soin consciencieux d'une érudition sans pédantisme.

Avant d explorer la côte qui s'étend de Pornic à Sainte-Marie, l'auteur anonyme (une modestie de plus) s'arrête aux Gouëls, à Bouguenais, au lac de Grand-Lieu, tombeau de la légendaire Her- badilla, ù la Bernerie, ce Pouliguen de la baie de Bourgneuf; mais, soit qu'il discute le passage de Lobineau relatif à la fondation de l'abbaye de Sainte-Marie, soit qu'il nous raconte les épreuves

3i4 NOTIGM IT OOMPTM 1IIIIDV8

de la paroisse pendant la période révolutionnaire, il puise aux meilleures sources et instruit avec agrément. Une liste des curés de 1569 à 1886, la liste, revue et complétée, que dom Morice avait donnée des abbés de Sainte-Marie, plairont aux amateurs de pièces justificatives.

Le but de l'auteur, but avant tout charitable, est de faire aimer et connaître Téglise Sainte-Marie dePornic, ce pieux penchant, il le fait partager à tous seslecleurs.Visitant cetteannée même lessplen- dides sanctuaires que Rome a élevés à la mère du Christ, Sainte- Marie-Majeure, Sainte-Marie du Transtévère et cent autres, nous pensions à ceux, plus humbles mais nombreux aussi, que la foi nantaise a semés autour de nous, aux images vénérées et si bien nommées de Notre-Dame-de-Bon-Secours, de Notre-Dame-de- Toutes-Âides. Nous aurions pu nous souvenir aussi de la belle église de Pornic et de l'antique statue qui en est le plus intéres- sant ornement. Une particularité recommande cette statue à notre attention : au centre de la poitrine est pratiquée une cavité circu- laire, destinée autrefois, selon toutes apparences, à recevoir le Saint-Sacrement. On appuie cette opinion sur des textes anciens et sur ce que la statue remonte à une époque les autels ne sup- portaient pas encore de tabernacles. Rien de plus conforme, au surplus, à la foi familière et nafve du Moyen Age ; il y a dans les œuvres des peintres primitifs de Tltalie et de la Flandre, dans les fresques de Fra Ângelico et les madones du Pérugin, un réalisme touchant qui explique et commente à merveille Texistence d'une Vierge-tabernacle.

Et maintenant que nous avons fait ressortir de notre mieux le mérite et le charme du petit livre (et nous n'avons pas mentionoé les photographies qu^il renferme), disons que le produit de la vente est affecté à l'embellissement de Péglise Sainte-Marie de Pornic. Les acheteurs s'associeront à une bonne œuvre.

OLfVIER DE GOURCOFF.

CHRONIQUE

Fête de la Translation des reliques de saint Filbert à Noirmoutier (19 septembre 4886.)

«

L'aonoDce d'une belle fête religieuse à Noirmoutier, et les facilités ac- cordées pour le transport par mer par la Compagnie des Abeilles et celle de M. Flomoy, m'ont engagé, dimanche, 19 septembre, à m'embarquer sur le Paul'Boyton pour assister à cette cérémonie.

Je ne décrirai pas ici Pornic. Tous les lecteurs de la Revue connaissent ce nid d'alcyon, comme l'appelle avec tant de justesse M. Paul Eudet, et ont va ses maisons qui se tiennent les unes sur les autres, comme des curieux sur la pointe des pieds pour mieux voir la foule.

L'eau était basse dans le port. Il a fallu noua embarquer à Noe- Veillard dans un canot secoué par le ressac.

Nous voici à bord de Texcellent petit vapeur de M. OrioUe. Les terres du pays de Retz disparaissent derrière nous, tandis que devant nous s'estompent les rivages de Noirmoutier, de plus en plus distincts.

La mer est douce 1 1 personne ne parait troublé par les mouvements réguliers du navire. Il glisse sur Teau sans tangage ni roulis sensibles.

Le capitaine et l'équipage sont complaisants pour les passagers. A l'ap- proche d'un rocher surmonté d'une t^ur et qu'on appelle l'ierre-MoinCy le chauffeur nous offre des Guides de NovmouUer et des photographies des sites les plus intéressants de l'Ile.

Le Guide nous apprend ce qu'était saint Filbert ou saint Filibert. An- cien page du roi Dagobert, il avait quitté de bonne heure la cour, était entre dans la vie religieuse et avait créé une règle monastique tirée de celles de saint Golombao et de saint Benoît. Sa première fondation fut l'abbaye de Jumièges, près Rouen. Forcé de quitter la Neustrie pour fuir la colère d*un Ëbroio, le terrible maire du palais, il vint se réfugier à Noir- moutier, alors sauvage et couvert de boii. Il en évangéiisa les habitants, les civilisa, et leur apprit à conquérir des terres fertiles sur la mer et à établir des salines.

Une heure et quart passe vite sur l'eau, quand on n'est pas impressionné par ce milieu mobile. La côte de Tlle se déroule sous nos yeux avec ses pins, ses chênes verts et la masise rocheuse du bois de la Gbaise-Dieu. Cette arrivée est féerique, et l'on se croirait en face d'une île méditerra-

316 CHRONIQUE

néenne : même aiur du ciel et même limpidité de Tonde ; l'illusion est complète.

La plage est à peu près déserte ; tout le monde, nous dit-on, est en Tille pour la fêle et pour assister à la messe de Monseigneur Gatteau, éfêque de Luçon.

Couleur locale : à la descente du bateau une femme nous offre des images et des litanies de saint Filbert. La lithographie est faite d'après un dessin d'Eiie Delaunay, une de nos gloires nantaises. La vendeuse nous offre aussi pour 15 centimes un opuscule sur le séjour de saint Filbert dans rtle. Nous y apprenons que le saint est mort à Noirmoutier le 20 août 684, et que ses moines, après avoir construit le château pour résis- ter aui Normands, avaient été obligés de quitter Tlle en 836 emportant avec eux les reliques de leur fondateur.

Ils se rendirent d'abord à Saint-PbilbPrt-de-Grand-Lîeu,oû les reliques restèrent vingt ans dans la crypte de Tancienne église. Pourquoi n'établit-on pas une chapelle dans un pareil lieu ? Ce ne serait pas les Noirmoutrins qui abandonneraient à des usages profanes un endroit ain^i sanctifié et qui, d'après Ermentaire, fut témoin de nombreux miracles.

En nous rendant en ville à pied, nous admirons en passant des chalets coquettement construits dans le bois par des entrepreneurs nantais, le Pélavé avec ses chênes verts et ses rochers sauvages, puis une grande et belle croix. Nous cherchons un hôtel, craignant, au milieu de l'afBuence énorme qu'on nous avait annoncée, de ne pas trouver à manger. Nous trouvons bon d< jeûner el bonne figure d'hôte. Nous avions longé pour gagner l'hôtel le château avec ses tourelles et ses poivrières, donnant à la ville un aspect moyen âge, et Téglise au massif clocher romao. Dans la grande rue nous avions passé sous des arcs de triomphe et au milieu de maisons pavoisées. Sur un des arcs se lisait la devise : // a passé en faisant le bien.

Solidement réconforté, nous sommes allé visiter l'église. Elle est bien tenue, décorée avec gof\t et les reCaibles des autels latéraux sont remar- quables. Les soleils et les roses formant guirlandes au-dessus de celui de la Vierge indiquent à quelle époque remontent ces ornements. La statue de cet autel est très belle et rappelle le type des Viergps bavaroises.

Nous nous faisons indiquer la crypte, située sous le maître- autel. Deux escaliers y conduisent. Quel curieux type de construction mérovingienne ! Non moins curieux est l'antique tombeau du Saint.

La chapelle souterraine est éclairée par de nombreuses bougies et décorée de branches (rormeaux ne \oilant aucun détail de son archi- tecture. Une femme que nous dérangeons de sa prière nous dit que cette décoration charmante est l'œuvre d'un horticulteur du pays, M. Raymond. Qu'il reçoive tontes nos félicitations.

CHRONIQUE 317

Il est une heure^ nous revenons sur la grande place fut fusillé d'Etbée. Derrièie nous est le château, avec son air féodal ; à droite et à gauche, des malsons assez belles, dont une porte le nom d'Hôtel Ja- cobsen ; en face, des marais avec* des muions de sel, puis des dunes enca- drant des villages. est donc la tempête annoncée du 17 au 19 et qui a empêché plusieurs de nos amis de nous suivre ?

Sur une longue ligoe serpentent, au milieu des salini?s, des files de pèlerins avec leurs bannières et leurs oriflammes; tout cela flotte au vent et brille au soleil. On distingue des jeunes filles en blanc et des enfants habillés de rouge et de violet:. ces teintes vives s'harmonisent avec celles du paysage.

JLes paroii^ses rurales arrivent une à une ; la population tout entière de nie va se trouver réunie.

Chaque groupe vient occuper dans Téglise la place qui lui a été dési- gnée. Nous ne croyons pas être au-dessous de la vérité en portant la foule au chiûrc de cinq à six mille personnes. Des pèlerins sont venus de Beauvoir par le Gois; les bateaux de M. Fiornoy et les Abeilles ont amené de Poroic et du Pouliguen des voyageurs qui, comme nouS/ tiennent tous à assister à la fête.

Les cloches sonnent à toutes volées ; on trouve dans ce pays perdu un carillon que plusieurs de nos églises nantaises seraient heureuses de posséder. L'hôtel-de-ville est un monument qui pourrait servir de mo- dèle à ceux des petites villes de notre département.

Pendant les vêpres, et aux chants des psaumes, celte masse buniaine s'ébranle avec ordre et recueillenaent, paroisse par paroisse ; d'at ( rd des jeunes filles en blanc avec écharpe bleue, puis les femmes, les enfants, et en dernier lieu les hommes. Que de croix, de bannières, de statues de la Mère de Dieu, parcourant les rues pavoisées d'oriflammes ! Un navire est porté par des marins, une statue de saint Filbert reposant sur un monceau de roses, par des enfapts.

Voici la fanfare deChalIans, conduite- par un ecclésiastique ; elle est excellente, et nous ne sommes pas étonné des nombreuses médailles dont est ornée sa bannière.

La châsse contenant les reliques du Saint est un don généreux ; quatre prêtres en chasuble paraissent a4bir peine à soutenir ce précieux mais lourd fardeau.

Derrière les reliques, marche Monseigneur l'Ëvêque de Luçon, accom- pagné d'un de ses grands vicaires, de Monsieur le curé de Noirmoutier et d'un nombreux clergé.

De retour à l'église, la procession, au lieu d'y entrer directement, pé- nètre dans une enceinte entourée d'une grille. est dressé un reposoir ;

SIS G&BOmQtE

des voix d'une grande beauté se font entendre et la bénédietion se demie en plein air à la foale heureuse et recueillie.

Les reliques soni ensuite déposées sous Tautel de la chapelle souter- raine.

Mais déjë le jour baisse; rejoint par nos compagnons du matin, nous revenoos au Bois de la Chaise. Le Boyton est à reztrémité de l'estacade, et sous pression.

Nous montons à bord, regrettant de ne pas Toir rilluminfttion qui doit terminer la soirée ; nous jouissons de celle du ciel et de la mer, car le soleil se couche pour nous au milieu des flots. La mer est un peu dure, et les conversations se ralentissent. Il fait nuit quand nons débarquons dans le port de Pomic, eu nous arrivons asses h temps pour prendre le dernier train de Nantes. J. D.

L'EXPOSITION DE NANTES

I. Art rétrospectii

L'Exposition des Beaux- Arts, ouverte le tO octobre courant, présente dans son ensemble un aspect des plus attrayants, qui lui assigne une place à part parmi ces exhibitions de province devenues fort à la mode aa- jourd^bui.

Les salles de tableaux, supérieurement agencées par M. Philibert Doré, qui, une fois de plus, a affirmé sa haute compétence, à laquelle chacaa aime à rendre hoaimage, coutiaunent des oeuvres d*un mérite indiscutable; et la galerie la photographie montre ce que Ton est en droit d'attendre de cette industrie, rivale dti la peinture.

L'Art rétrospectif, installé dans la off de gauche, considérée d'abord comme trop étendue et devenue réellement insuffisante, prouve ce qu'il est possible de faire en peu d^ temps à Nantes, avec de rinlelligence, de la persévérance et du travail. La grande drfficiHté, il faut 1h dire, était de réunir, au moment des vacances, lorsque chacun est absent, les éléments nécessaires pour meubler, décorer et remplir dix sections d'une aussi belle contenance. MM. Perthuis-Laurant, Huette et Bastard oot accompli un v#ltable tour de force, étant donnés le peu de temps et les circonstances défavorables qu^ils avaient devant eux. Citons M. P. Ëudel, notre vieil ami, dont le concours, ainsi que celui de M. Pillet, le commissaire- priseur de Paris, si connu des collec- tionneurs, ont été des plus précieux.

Gela ditf passons, au pas de course, une revue sommaire des compar- timents qui étalent leurs richesses nombreuses et variées à Tœit curieux et satisfait des visiteurs. L'espace restreint qui nous est accordé ne nous

CHRONIQUE 819

permet pas, à notre grand regret^ de nous étendre, coaime )e sujet le mérite et le comporte.

I. Dans ie salon des vieilles peintures, les toiles hors ligne <)e M. le baron de la Tour du Pin, œuvres exceptionnelles, acquises j»dis par M. Baibler, l'un de nos édiles, dans les mêmes cooditioas que le sénateur Gaeault, son ami, avait su saisir pour former son Musée, aujourd'hui celui de la ville de Nantes. Un autre panneau contient Texposition de M. Gon- dar ; dans les deux autres se trouvent les collections de M. Huette et de plusieurs amateurs.

IL La salle des gravures, entre lesquelles ressortent avec leur mé- rite incontesté les beaux spécimens de MM. Gustave Bourcard, baron des Jainonières, Lemeignen, etc . Sur la cimaise, et trop dissimulé dans l'ombre, Toriginâl du premier bombardement de Saint -Malo, le 26 no- vembre 1693, récemment publié par la Société des Bibliophiles Bretons

A ce sujet, qu'on nous permette une critique, celle d*avoir complè- tement négligé les gravures bretonnes et les graveurs bretons, les gra- vures nantaises et les graveurs nantais, et de n'avoir pas cherché à for- mer une série de ces ouvrages.

III. Les collections Seidltr et Kerviler, du Musée archéologique, magnifique exhibition d'objets préhistoriques et gaulois àa toutes sortes, la pierre et le bronze offrent les plus rares comme les plus beaux échantillons de ces époques reculées. On reconnaît Tordre, le classe- ment, rmtelligence des groupes et Thabileté à faire valoir chaque chose qui distingue notre dévoué conservateur, et que malheureusement on ne retrouve pas toujours dans les divisions qui suivent.

IV. Vieilles pièces d'ariillerie; croix d'églises, objets ayant servi au culte; les deux bassins de Bouée, si bien décrits par le regretté P. Pa- renteau, dont nous saluons la mémoire. No 380, fragment de la chasuble (or et soie) de Raoul de Beaumont, évêque d'Angers (1177-1197), trouvé dans la tombe de ce prélat, lorsqu'elle fut ouverte, il y a une vingtaine d'années environ. Dans une vitrine, la perle de la Bibliothèque de Nantes, l'inappréciable manuscrit de la Cité de Dieu^ entouré d'assez jolis volumes qui disparaissent côté de cette écrasante supériorité. Fort belles tapisseries.

V. Bahuts, meubles, vitraux ; monnaies de MM. X. le Lièvre de la Touche et Bastard ^ armes choisies de M. G. Lafond ; émaux, ivoires ; le dais du Musée; le reliquaire du cœor de la reine Anne, donné au Musée par délibération du Conseil municipal du 15 octobre dernier, puis des tapis-> séries; toujours des tapisseries, et des mifux choisies.

VL Bahuts; trophées d'armes, épées remarquables; coffre fort; glaces; au pied d'une console deux bassinoires à côté d'un po/, sorte de casque fort usité poar l'infanterie pendant la seconde moitié du XVi» siècle.

320 CHRONIQUE

d*une destination cependant bien différente et singulièrement appareillés sous les numéros 570, 577, 578^ en face, deux autres bassinoires, 629,630.

VII. Les meubles du salon de Goulaioe; trois fragments de tapisse- ries de haute lisse de ce cbâleau bislorique, el trois portraits de mêfoe provenance. Des échantillons d'ouvrage de serrurerie, deux à M. le baron des Jamonière», du milieu du XVI II^^ siècle, deux à M. Lévy. Trois chaises à porteurs, dont une de la famille de la Tullaye, repeioie à la fin du siècle dernier, puisqu'elle porte Técusson de Aladame Siméone-Stylite Moulin de Che?iré, accolé à celai de son époux, Ucnri-Anne-Siméon delaTuUaye, marquis do Magnane, procureur général de la Chambre des Comptes, en

1764.

VIII. Le salon des faïences. Superbes vitrines ; au premier plan, le plat de Bernard Palissy, conservé dans la famille de M. de Bremon<I d'Ars, président de la Société orchéologique. Dans la vitrine faisant pendant, la belle foottiine du baron des Jamonières, son plat aux armes des vis; puis une quantité d'assiettes, pots, objets de tous genres et de toutes destinations, sortis des fabriques les plus diverses, françaises et étrangères. Au milieu, un somptueux couvert, appartenant à M. U. Le- meignvn. Dans le pourtour, des commodes, des crédences, des pendules.

IX. Tapisseries, broderies ; verroterie?, éventails, jetons, miniatures, médailles, cuivres, collection de fort jolis bijoux Louis XV] et Empire ; meubles; riche caparaçon et armes arabes, à côté de la représentation de la Bastille, en fer blanc, des Archives municipales, sur laquelle est dépo- sé le cuivre du portrait de Charetle, N<> 523 ; harpe du général Hellinel et instruments de musique.

X. -- Dans la section consacrée au vieux riantes, sont les nombreuses vues, si patiemment réunies par M. A. Laurant, qui, non content de re- chercher avec un zèle infatigable ce qui a été dessiné, grave ou peint sur notre ville, a étudié, avec une patience de bénédictin, les différentes phases de son existence, depuis Tépoq le préhistorique jusqu'à notre époque. De cette étude sont nés six tableaux ou plans, dont l'ensemble constitue l'un des plus intéressants travaux exécutés depuis longtemps sur l'antique métropole de l'Ouest.

La vitrine de M. Dugast-Matifenx, avec son joli coffret de Marie- Antoi- nette ; celle de M. Barbier de Montault, avec sa série de médailles des papes, qui devrait être à la 5"^ division.

Quelques desiderata ont. été malheureusement laissés de côté, dans cette section. M. Charavay, le sympathique amateur d'autographes, a en- voyé quelques pièces assez rares, qui ouvraient la voie à une suite sérieuse et bien plus€omplète de documents sur les Nantais célèbres ou marquants, si facile à former avtc les ressources des différentes Archives et de la Bibliothèque. Cette intention n'a pas été comprise.,. Nous le regrettons,

MMhftMM

CimOMlQUB 321

car il y avait un élément de lucc^s tH ée iégitkoe «urioslAé. (a èibMo- gr#pl^9 jnaataise fiA également itefyrésentée ë'une fa|ea Min élémentaire et qui laisse à désirer.

N'fuj^lidus pas la c gr<;at attractioa, » le dm^ polirrionft-neiis id»e, de l'exposition de T^t rétrospectif: les superbes et merveilleuses tapissorifs de MN* de Farcy, Pennanecb, Gustave Massion, etc. Cette série, 4ies ^lus intéressantes, Attire les regards des amateurs, par sa beauté, l'adooi- ration des dames, par la finesse 4\x travail, et l'attention de tmis les visi«> teurs, par les scènes qui s*y déroulent et le prix de ees magnifiques pan- neaiff

Le Cataloguey souvent demandé, semble bien ifin retard, lorsque celui des Beaux-Art^ est distribué depuis plus de buît jours.

Quoi qu'il en soit, et malgré ces légères critiques, qui démontrent par leur peu d'ûoportance la valeur de Tiuposition, oeUe<Ksi aura pour Namea^ nous l'espérons, des résultats heureux. Signalons, tout d'abord, la fonda- tioa d*uoe Société des amis des Arts, votée par acclamation, sur la pro- position de M. P. Eudel^ au banquet offeRt aux membres de la Comuâsaon, le Bçir même de l'ouverture de l'Exposition.

20 octobre 1886. S. de la Nigollière-Teiieiro.

n. -- Beaux-Arts.

En deux heures, il serait téméraire d'entreprendre même unp sèche nomenclature des merveilles qu'une visite à l'Exposition de Nantes vous permettra d'admirer.

Fervents de l'art, épris de l'opulence des formes ou de la magie dps couleurs, tenants de l'harmonie antique ou des audaces modernes, cba- cun trouvera dans ces vastes salles la formule de ses rêves et les objets de ^on culte.

Allons dxoit au sanctuaire du temple.

Tous les maîtres n'ont pas trouvé place dans cet espace restreint ; nombre d'œuvres remarquables ornent les murs des autres galeries ; mais si quelques erreurs ou quelques faiblesses existent, c'est là-bas qu'elles se sont glissées. Ici, rien de médiocre ou de contesté.

Chauvinisme, si vous voulez,. mais c'est avec un mouvemeat d'orgueil que nous rencontrons «n tête du cortège toute une ipléiade de peintras nantais.

Ypici D^i^iJNAY, le vigoureux coloriste, dont lesJlnu'geSiCOM^^s d^iPtn- ceau jettent à volonté sur la toile les fictions légères de dit labl^iQU las réalité ppiglMPtp^ de l'bjs^re^.Nom dégà consftcE^ j^arjle h»fiMm« aca- démique; .procédés pleins de liwohise et d'ampleur.

TCHIE hX (X DB LA 6e SÉRIE). 21

3^2 ORRONIQOE

Delaunay nous offire trois portraits :

Le général Meilinet* Masqae énergîqae de Tieox brave, creusé d'une magnifique cicatrice, comme s'il portait sur la joue sa croix d'honneur.

Madame Viau, Une bonne vieille femme, aux traits calmes et fins ; opposition frappante, à côté de la rudesse militaire du général.

Madame Toulmwicke, La femme en pkine possession de sa grâce et de sa beauté. Pour nous apprendre qu'après les couleurs puissantes, l'artiste n'est point en peine de demander à sa palette les tons roses et les touches délicates.

ToULMOUCHE. Le peintre des femmes, qui a plus de jolis yeux dans sa collection qu'un monarque d'Asie dans son harem.

Nul mieux que lui n'attrape et ne ûxe cette libellule qu'on nomme une Parisienne. En profond observateur, il a compris que cette quin- tessence de l'être féminin n'était que nuauces et détails, et comme on connaît l'homme à son style, il devine la femme à ses chiffons.

Le boudoir est sans mystères pour lui. Il n'ignore aucun secret fami- lier de la toilette. 11 sait la place chaque objet doit être. Un bijou, des gants, une fleur prennent sous ses doigts exercés une importance capitale.

Et le menreiileux de ce talent, fait de délicatesses et de mignardises, c'est qu'à travers le marivaudage des étoffes et des bibelots, l'artiste ne perd jamais de vue son sujet : la tête, centre vital de sa toile.

Pour elle ses soins les plus minutieux. Son pinceau subtil met une pensée dans la fossette du menton, une intention dans le pli du sourire. Il traduit à livre ouvert le poème des regards ; il saisit la minute rapide l'âme des femmes s'y reflète et apparaît.

Le jury a fait preuve dégoût en désignant pour la tombola [a Toilette, un des trois ouvrages qu'expose ce maîire-peintre, dont Nantes est fîére, et qu'elle cite comme un des plus beaux fleurons de sa couronne artistique-

BÂbrson. L'auteur de la Fuite en Egypte, cette page de poésie bi- blique, rendue populaire par la gravure et immortelle désormais.

Aujourd'hui, c'est Saint François d'Assise prêchant aux poissons.

Un souffle religieux traverse cette toile. Le visage du saint resplendit d'une lumière surnaturelle ; le lieu même de la scène, d'une simplicité sauvage, a quelque chose de mystique qui prête à l'étrangeté du miracle.

Belle composition, qui, sans faire oublier le sommeil de la vierge aux pieds du sphinx, arrête et retient longtemps l'âme et les yeux du vi* siteur.

Angelo pittorey endormi sur son échafaudage, pendant que les anges peignent à sa place.

Si M. Merson fât passé par là, il eût épargné aux anges cette peine.

LuMiNAis nous ramène aux temps mérovingiens. Il est vrai qu'il plante

CHRONIQUE 323

à merveille ces hommes aux larges reins, aux visages farouches, qui furent nos pères.

Son Ghilpéric I^r, emporté mort aux bras de l'évêque de Senlis, donne bien Timpression du meurtre accompli. Cet homme, en costume épisco- pal, qui tient un cadavre, est d'un e£Pet imprévu et saisissant. Les traits du prélat ont la gravité qui convient à son funèbre ministère.

Malgré les qualités de ce tableau, je lui préfère Un ami blessé. L'ami c'est le cheval, compagnon fidèle du guerrier. Gelui-cî, à genoux près d'une source, puise dans son casque l'eau qui va rafraîchir le sabot meurtri, tandis qu'une jeune Gauloise flatte et caresse la grosse tète triste du bon serviteur.

Le Roux. Deux bords de Loire, peints d'après la méthode ample des Flandrin et des Rousseau, impossible de mieur comprendre l'étrange nature luxuriante et sévère, plane cette rêverie des choses, qu'un poète déliquescent pourrait appeler mélancolie verte,

M. Le Roux suit, dans ses moindres caprices, Tatmosphère de nos con- trées, fantasque comme une jolie femme. Il a vu la variété infinie des ciels et leurs assemblages bizarres de nuages. Pas un jeu de rayons ne lui échappe, pas un frisson d'herbes ne le déconcerte. Il peint large et juste.

De Wismes. Un jeune, arrivé déjà, et qu'une mort prématurée sup- prime en pleine vie, en plein espoir; un convaincu, que la politique avait pris et qui, malgré vent et marée, resta tourné vers l'art, comme un nau- fragé vers l'étoile.

On apporte au cardinal la tète d'un brigand italien, atteint et tué dans la montagne. Décor somptueux, physionomies vivantes, groupement ha- bite^ tout concourt à faire de cette scène un ensemble intéressant, d'une allure sobre et ferme. La figure effrayée du jeune secrétafre fait une an- tithèse très curieuse avec le flegme du vieux domestique impassible, qui en a vu bien d'autres !

Deux petites scènes de genre, très finement conçues, très habilement exprimées, prouvent la souplesse àô ce pinceau si vite brisé, qui comptait au nombre des bons et fût promptement monté au rang des meilleurs.

Berteaux. Un curieux, qui veut surprendre la nature dans toutes ses métamorphoses et y réussit ; un chercheur d'idées et d'effets. 11 attire, il étonne, finalement il charme.

Berteaux se plaît à l'heure indécise ce n'est plus le jour et pas en- core la nuit. Il excelle à rendre les brouillards cotonneux venus du sol, les vapeurs flottantes échappées des nuées; il rend visible ce phénomène des soirs tombants qu'exprime Victor Hugo dans ce vers admirable :

La brame des coteaux fait tremper le contour.

3S4 cMomaoE

Mais Bertetiui ne se ceBtefite pas de Mdaire la nature telle qa^H la comprend et que nous raimons. Dans ses champs créposeulairea, sor ms chemins nocturnes il met des personnages. A ces êtres il prête des fièn- timents \ il sons remplît de lenr calme, il nous secoue de leurs émo^M. loi, c*est un épisode de la déroute de Savenay.

Le 3 nivôse en II, par une nuit menaçante d'hiver, des femines^ dos vieillards, des enfcNsts, pris de panique, se sauvent dans la campagne, emportant sur leur dos le peu qu'ils possèdent.

Les lénébtes, à peine entr'ouvertes par les premiers feux d'un orage ^i s'amottcâte, estompent rudement les formes comrbées et fuyantes.

Une terreur instinctive pèse sur ce groupe. Le danger n'est visible mille part, on le redoute partout. Les vieux marchent, la tête hàÊaêi en se hâtant. Un enfant se i*etoume et montre du doigt Fhorizon noir et rouge d*où vient le péril pressenti. Et instinctivement Fœil du spectateur soit la direction indiquée, s'attendent à voir au tournani de la route le peloton sinistre des bleus.

Après la journée. - L'ombre gagne, les travaux cessent. Une petite benne, son tricot à la main, vient s'asseoir devant le château, près de la ferme.

Les moutons rentrent; la bergère, presque une enfant, les conduit. Et les deux jeunes filles se regardent d*un air songeur. L'une, qui regl^ette la mde liberté des diampi ; l'autre, déjà hantée par le fantôme séducteor de la ville. Contraste finement observé, poétiquement rendu.

Ghantron. Talent souple, apte aux genres les plus variés. Sa Tête d'ouvrier est d'une belle expression calme. C'est bien l'honnête travail- leur qui se repose après la tâche accomplie.

Fleurs bien gardées. En effet, le boll a une mine rébarbative faite pour éloigner les voleurs*

Votis me faites rire est un essai réaliste de fiirtation villageoise, d'une amusante fantaisie.

Si les Nantais font bonne figure, il est juste de remarquer que leur mé- rite n'est pas mioce, puisque, à côté de nos compatriotes, l'élite même des peintres de France s'est donnée rendez-vous.

Et si l'on en doute, qu^il me suffise de citer ces quelqiles-uns: Géioie, Henner, Duitt, GiRARDET, J.-P. Laurens, Bonnat, Carolus Duran, Ben- jamin Constant, J. Duprez, et tels autres, dont les noms sont dans toutes les mëflQoires et l'éloge dans toiiles les bouches.

Parmi les œuvres admises à l'honneur du grand salon, plusieurs m'oot surtout eharmé.

Trois FwmUles de chats, par l'inimitable Lambert^ qui en remontrerait ji Buffon sur les mœurs des félins.

V% eoit^d0 ngm, de D#bat^P<Nisa«f un élèvt d/9, Cabaeel, cQuûQr iglm mroehe Bastien-Lepage qu^ Treoilb^t ne TeAt de Corot*

Fouace, un débuUBt tardif» qui comioeace par des eoupt^ da inal;lr9. Un ivrogne ne- verrait pas, sans émotion, ea bouteille de vin blanc Ut- versée d'im rayon de soleiU

LijiSTEn nous d^oule, dans trois tableaui, Glisson, la jolie viVe^ rieuse parmi le» ruines palpite le souvenir d^g héros vendéens, coquette avec ses ombrages, témoins des amours immortelles d'Héloî^e et d'Aboi- lard.

Tout cela est frais et gracieux comme une églogue en trois ebunia^

Paswi, dans une fuite endiablée de cavaliers syriens, nous aveqgte de rétincellement des armes, de l'éclaides uniformes^ du galop des chevaux, à moitié disparus sous les volutes de poussière lumineuse.

Pensez à moi«s4 une tête douloureuse de CbrisW entourée d'une cot^ Fonne de pensées* L'idée est belle et bien dite ; l'auteur : Eugène Pidan, un compatriote de Paul Baudry,

La Marée basse, de Léon Flahaut» résout le difficile problème de nous intéresser avec de la terre nue et de l'eau tranquille. Un coin de plage d'où le flot s^est retiré et, là-bas, rejoignant la ligne du ciel, le refloi qui s'éloigne^ De vie, pas l'ombre. Et pourtant yous restez là, les yeux fixes, à Contempler cette bande de rochers et ce morceau de mer, étonné d'y voir tant de choses.

La matière est toujours bonne ; mais il faut savoir l'employer.

Une longue station devant cette page émouvante : Le paysan hUssi. Ouvrage d'un jeune, que plus d'un ancien signerait avec orgueil.

M. Brouillet a mis dans ce cadre une observation savante de la vie rustique, une conMtissance exacte l'homme des champs.

Pour peu que vous habitiez la campagne, vous avez rencontré tous les acteurs du drame ; peut* être même avez-vous assisté à l'un du ces aoci- dents terribles, si fréqueàts pendant la Moisaon.

Gardons-nous de passer vite sous la sombre toile de H. Marée : Un Umiemain de paieé

Tout à l'heure c'était un récit champêtre, voici un poème des vîtles; et des plus dramatiques! Un sujet à tenter la plume d'un Goppée on d'un Richepin.

La pauvre femme, accablée, les regards secs à force de pleurer, assise sur un lambeau de paillasse^ tient entre ses bras PenCant qu elle nourri!* Il fait nuit« pas de lumière ; il fait froid, pas de feu ; elle a faim , pas de pain.

L'homme rentre, pris de vin, à ce point l'ivresse devient méchante, et dans sa rage il casse les vitres et brise la dernière chaise restée debout.

Ce n'est pas plus compliqué que cela. Sh bien, il y a dans cet intérieur

336 GHAoïftQtm

délabré toute la vision de la misère née du vice ; on lit sur ce visage navré de femme toate Thistoire des mauvais ménages d'ouvriers et sans doute le mot de plus d'une énigme cherchée derrière les vitrines de la Morgue.

Les tableaux de MM. Brouillet et Marec sont acquis par FEtat.

Le jour tombe ; il faut s'en aller. Mais voici sur ma route la magni- fique collectiou des arts rétrospectifs ; je cède au plaisir d'y jeter un ra- pide coup d'œil.

Tapisseries ornées de raides personnages, de verdures profondes ou d'architectures fantastiques; meubles chaque époque imprima son caractère ; contours majestueux de Louis XIV, courbe frivole de Louis XV, ligne droite de Louis XVI ; armes de pierre, de fer ou d'acier, suivant les âges : la hache du Gaulois, l'épée du chevalier, le fleuret du duelliste,— Vercingétorix, Bayard, Boutteville ; •— monnaies à toutes les effi- gies, plus rares à mesure qu'on remonte vers les siècles d'enfance et d'honnêteté; médailles gravées avec art, coffîrets curieusement ciselés, statuettes pieuses ou profanes ; bas-reliefs grotesques ; bibelots rares, riens inappréciables, reliques des temps écoulés et des hommes disparus.

Voici les incunables, ancêtres de nos livres, chefs-d^œuvre d'érudition, d'habileté et de patience, - se sont dépensées des existences humaines, -> dans lesquels l'admirable netteté des caractères gothiques le dispute à l'exquise finesse des enluminures.

Trois curieux spécimens de chaises-à -porteurs, ces coupés d'autrefois les marquises poudrées, allant aux fêles de la cour, engouffraient leurs coiffures pyramidales et leurs volumineux paniers.

Saluons en passant lee maîtres anciens, réunis dans une petite salle, sorte de chapelle latérale, désertée de la foule, mais les dévots de l'art se recueillent et méditent.

Si vite que vous marchiez, vous n'éviterez pas le regard circulaire d'une délicieuse madone qu'eût avouée Raphaël, s'il n'en est lui-même le père.

Près d'elle, un Christ, signé Van Dyck, détache sur un fond sombre l'anatomie scrupuleuse de ses muscles et l'expression navrante de sa face.

La nuit vient tout-à-fait et nous quittons à regret, mais non sans esprit de retour, ces féeriques galeries, rendant grâces aux hommes intelligents dont le zèle nous permet de contempler à la fois tant de splendeurs.

Louis LE Lasseur de Bânzay.

MÉLANGES

Inauguration du monument d'Edouard Turquety. « Le vendredi 15 octobre, h deux heures de raprès-midi, dit YJEclaireur de Rennes, une foule recueillie assistait, au cimetière, à l'inauguration du monument, élevé à la mémoire du poète breton Turquety.

Le tombeau du poète est aujourd'hui, grâce à de généreuses sous- criptions, un mausolée en marbre blanc, dominé d'un buste de bronze ; un cartouche, composé d'une lyre et d'une plume^ et Finscription t f  Edouard Turquety, arrêtent le passant et lui rappellent celui qui est une des gloires de notre Bretagne moderne.

Deux allocutions ont été prononcées, l'une par M. le conseiller Saulnier, et l'autre par M. l'abbé de la Villeaucomte.

Le monument est un mausolée, en marbre blanc, à l'habile ciseau de M. Léofanti, artiste rennais.

Rappelons qu'Ëdou^d-Marie- Louis-Casimir Turquety, à Rennes le 21 mai 1807, est mort à Paris (Passy), le 18 novembre 1867. »

Nous regrettons vivement que le défaut d'espace ne nous permette pas de reproduire les éloquents discours de MM. Saulnier et de la Villeau- comte.

Une scène musicale de M, Bourgault-Dugoudray. Le jeudi U oc- tobre, rOdéou donnait avec beaucoup d'éclat la première représentation d'un drame en cinq actes, en vers, de Mi^<> Simone Arnaud, les Fils de Jahel, autrement dit, les Macchabées. Kous n'avons point à étudier cette pièce, qui a, du reste, été très bien accueillie ; ce que nous tenons, par exemple, à faire remarquer, c'est qu'elle renferme une scène musicale de notre compatriote M. Albert Bourgault-Ducoudray, < scène absolument réussie, > a dit le National ,- et que M. Francisque Sarcey juge ainsi dans le Temps .- « Elle est pleine de couleur et scoute beaucoup à l'impression du drame. »

La Bretagne ne saurait être indifférente à ce succès d'un de ses fils.

Poitou et Vendée. -- La belle publication entreprise par MM. Fillon et de Rochebrune sous le titre de Poitou et Vendée, qui avait été interrom- pue d'abord par les événements de 1870, puis par la mort de M. Fillon, vient de se terminer, grâce aux notes qui se trouvaient dans les papiers laissés par M. Fillon. D'ici peu, l'ouvrage paraîtra. Les personnes qui dans le te.iips avaient eu les premières livraisons, n'auront qu'à s'adres- ser à la librairie Glouzot, à Niort, pour avoir la fin de ce remarquable travail.

BIBUOGRAPfflE BRET(M£ ET VENDÉENNE

Allocutions de MM. k. ois Baemord d'ârs et DB Gbanges db Surgères, ptlsidenl et ticè-pré^ident de la Société archéok^qué de \h Loire-In- létftecm, à la séawfee d>M»rertQro, le 1er iaillet iSSo, 4a Congrès arcbéo- logique de Nantes. ~ Pet. io^^^'t 16 p,. Naales^ mp. Bourgeois.

€amdé Mtcnlr s? MODBniWt par PeFroanGelineau. ^ |ii"8o, S74 p.» aiec 3 ^aockeSi Nantes, iiqp. Vincent Fiurest lat Emile Grimaud.

DlSGOimS D'^MJVBIVrdRS Mf CONORBS MUVÀOLOCJOOE DB NANTBS, («r le

comte de Many. In-8<^, t2 p. Paris, H. Champion.

Extrait da BuUelin fnonumental fKmr U couMnMéon ëes mwmmenU htsUniques. DoCmtBNTg âtStORIOUES 60ti LBS ANCHSIfS CHEVALIERS DB BROTEBICTS, QOE

L'ON RENCONTRE EN PoiTOU, DE 1^0 A 1361, RTec lesvmoiries qui lear soni «ttrilMiées, par R. 4e.Saittt-Abre. Gr« îa^^ Nantes, ioi^ Vinceot Forest et Emile urimaud. Tiré à iOO ex.

EslTMl de la He9ue kUtoriqw de VOuesL

Église (l') de TaÉiïfTiER, par l'abbé Y.-ft. Lucas, vicaire à Plouézec. In^o,f 4 p. NmteSyimp. Vincent Forest et Bmile Griaavd. Tiré 4 100 ex.

'ËiOràit de la Retfûe de Bretagne et de Vendée.

Famille (une) de paysans sous la terreur, par l'abbé E. R. Gr, in-^S 22 p. Nantes, imp. Vineetit fbwftt et Enfile «riauMKl.

Extrait de la Revue historique de f Ouest,

Nouvelles douanières. Scènes de la vie de# contrebandiers, par Eu- gène Roulleaux. Pet. in-8o, xiii-264 p. Paris^ Denlu 3 fr. 50

Pervenches, par J. A***, poésies. Io-i8, Ii-128 p. Piris, Victor Palmé.

RÈVBURf (les), ode, par Zagène Roulleaux. ln-8o, 8 p. Fontenay. le-Gomte, imp. Gouraud.

Extrait de la Vendée,

Revue d'armes au XVe siècle, par le baron Hnlot de CoUard, membre de la Société (rviçaise d'Archéologie, du Conseil làéraldique de France et de la Société archéologique de la Loire-Inférieure. Gr. in-8o, 13 p. Nantes, imp. Vroceiit Forest et Emile Grimaud.

Extrait de la Kevue historique te l'Ouest.

Villes (les) .disparues de la Loire-Inférieure (Ir* livraison), par Léon Maître. - Gr. in-8o, 28 p. et plan. Tiré à 100 ex. Nantes, imp« Vhicent Forest et Emile GHmatid.

Extrait da Bulletin de la Société archéologique de Nantes,

i

LES DATES DE LA VIE

DE

SAINT YVES

XI

Ces dates ainsi établies, reste à examiner quelques questions qui, sans être proprement chronologiques, se relient aux recherches qui précèdent et servent à en éclairer les résultats.

Première question : la famille de saint Yves, et d'abord ses ascendants. Nous ne connaissons que les deux degrés immédiate- ment au-dessus de lui, son père et son aïeul. Tous deux possédaient la terre de Kermartin, Taïeul avait de plus le titre et la dignité de chevalier (miles) ; le seul titre du père était celui de damoiseau (domicellus), qni marquait simplement la noblesse et la possession d'un fief plus ou moins important. Quoique la chevalerie fût une distinction personnelle, indépendante de la richesse, elle impliquait d'habitude une situation sociale notable et considérée, dont la fortune était un des éléments. De ce que la chevalerie deFaïeul ne passa pas au père de saint Yves, on peut être tenté de conclure à quelque amoindrissement dans Tétat et la richesse de la fa- mille ^

* Voir la livraison d*octobre 1886, pp. 241-261.

1. c( pnre forme on à peu près pour les princes du sang et les grands fonda* taires, le titre de chevalier était an contraire fort difficile à obtenir pour les nobles d'nn rang inférienr, surtont qnand ils étaient peu favorisés de la fortune. Pour en être revêtu il ne suffisait pas de faire preuve de bravoure, de mérite personnel ; il

TOME LX (X DE LA Q^ SÉRIE). 22

330 LES DATES DE LA VIE DE SAINT YVES

Le fait serait fort explicable. L'aïeul de saint Yves, qui vivait au commencement du XIII» siècle, sous le règne agité de Pierre Hau- clerc, duc de Bretagne, se trouva forcément mêlé aux guerres trop nombreuses de ce prince contre ses barons. Pierre poursuivit, on le sait, d'une haine toute particulière la maison de Penlhièvre-Goêllo^ dont les gentilshommes du pays de Tréguer étaient de fidèles sou- liens. Mauclerc dépouilla presque entièrement les Penthièvre et mal- traila fort leurs partisans.SiTaîeulde saint Yves était du nombre, comme on n'en peut guère douter, il dut subir de ce chef quelque disgrâce, qui diminua la fortune de sa famille.

Hais comment s'appelait cet aïeul ? La réponse n'est pas facile, non parce qu'il n'a pas de nom dans Thistoire, mais parce qu'il en a trop. Son nom pourtant n'est venu jusqu'à nous que par la VIiI(> déposition de l'Enquête de canonisation, un brave Trégorois, Hamon Nicolas, pour prouver la patience de saint Yves devant les injures, nous le montre un certain jour souriant et impassible, alors que « Guillaume deTournemine, trésorier du chapitre de Tréguer, « et maître Jean Guérin, bourgeois de cette ville, l'accablaient de « reproches et l'appelaient rustre, coquin, truandj, gueux, encore « bien (dit le témoin) qu'il fût de race noble, fils d'un damoiseau « appelé Haelori, fils lui-même du seigneur Ga$iaret de Kermarlin, « chevalier. » (Déposition viii, Monuments de l'hisL de S. Yves^ p. 33.)

Ganaret que nous lisons dans le seul manuscrit de l'Enquête aujourd'hui connu, bon manuscrit du xiv® siècle, mais non l'original, Ganaret n'est guère ua nom breton ni même d'aucune nation. Il y a sans doute une faute du copiste. D'autant que le Rapport des cardinaux, dans l'extrait de cette déposition, écrit Tranœeti* au

fallait encore mener un certain train de vie et être assuré de ce qu'on appellerait aujourd'hui une situation honorable. » (Luce, La Jeunesse de Bertrand du Guesctiu, p. 128.)

1. Voir 3/onum., p. 309, ligne 14, l'on a imprimé Traacreli, Dans le manuscrit, la dixième tetlre de ce mot est surchargée^ ce qui rend également possibles les trois

LES DATES DE LA VIE DE SAINT YVES 881

lieu de Ganareli. La copie partielle de l'Enquèle, envoyée de Tré-* ^'uer aux Bollandistes en 4665, portait Savaiei; Surius a imprimé Candeti*. M. Roparlz propose de corriger cette dernière leçon en Tancreti, et Savaiei en Tanoici, qui seraient, selon lui, la forme latine des noms Tanoic ou Tancrède *.

Tancrède est normand et non breton, Tanoic une pure hypothèse; Candeti, Savaià, GanareU, d'évidentes fautes de copistes. Mais Trath coët que porte le manuscrit encore existant du Rapport des car- dinaux — est au contraire, comme forme bretonne, très acceptable ; de toutes les leçons c'est la meilleure, il faut s^y tenir.

Quant au nom de la famille, avant la génération dont saint Yves fait partie, il semble que ce fut simplement celui de la terre, c'est- à-dire Kermartin. L'aïeul est dit dominus Ganaretus (lisez Tran- coeius) de Villa Martini (p. 33). Le père devait s'appeler aussi Haelori de Kermartin ; mais après lui, ou même de son vivant, son nom personnel est devenu le nom patronymique de la famille : cela résulte de la façon dont ce nom est employé dans toute l'En- quête, où on trouve, entre autres, une sœur de saint Yves appelée Catherine Haelori {Monum.y p. 192, 193), pendant que Tréguer, en ce temps même (1330-1338), avait pour évèque un cousin dit Alain Haelori,

On a parfois voulu voir dans ce nom le génitif d'I/o^Ior ou il A^for latinisé en Haelorm; il n'en est rien. Il n'y a point de désinence latine ; c'est un nom purement breton: Haeluuobri^ au IX^ siècle, dans le Cartulaire de Redon (p. 10) ; Haelori au XIIP siècle ; Helori au XV° ; et depuis le XYI«, Héloury '.

La mère de saint Yves est nommée dans l'Enquête Azo ou Azou (voir p. 12), et dans l'Office primitif Hadou (p. 488 et 441) : d'où

lectures Trancrelit Trancoeli, Tranceeii. Mais Tranceet ne semble guère breton ; Tran- crei esl imprononçable. La lecture TrancoeU doit donc être la bonne.

1. Botl. Mali IV, p. 547 D (édit. de Paris).

% Histoire de tainl Yves, p. 4.

3. Voir Éludes brelonnes de M. Ernaalt, Tan de nos meilleurs celiistes, dans la Revue Celtique, t. VII, p. 309 (Mai 1886).

332 LES DATES DE LA VIE DE SALNT YVES

il faut conclure qu'on prononçait indifféremment des deux façoos. « Selon Albert Legrand, cette Âzou aurait été une fille de la maison « deKencquis (en français le Piessix), de la paroisse de Peumeril- ce Jaudy » Hypothèse ou invention sans fondement, dont le seul prétexte est la mention d'une terre du Quenquis dans l'acte de fondation de la chapelle Notre-Dame de Kermartin (Monum., p. 488), mais sans indication d'un rapport quelconque entre cette terre et la mère de notre saiut.

XII

Venons maintenant à la génération des Haelori-Kermartin dont saint Yves faisait partie.

M. Roparlz a relevé, dans TEnquête de canonisation, la men- tion de trois sœurs et d'un frère de notre saint. « Hais, ajoute-t-il, « il n^est pas douteux qu^Yves n'ait été Taîné des garçons du sei- « gneur de Kermartin, puisqu'il posséda ce fief :&{, disent nos < vieilles Coutumes, aura Vaisné noble le chasteau ou principal « manotr, avec le pourpris *. » On a cependant voulu, et encore tout récemment, enlever à Yves son droit de primogéniture, sur la foi d'un aveu de la terre de Kermartin rendu en 1609, dont le ré- dacteur s'est avisé, sans citer aucune source ni aucune autorité, de faire saint Yves ajuveigneur de la maison de Kermartin » et d'aiBr- mer qu'il n'eût pu fonder sa chapelle de Notre-Dame (aujourd'hui église du Mioihi-Tréguer) « sinon du consentement de son aisné^ fi lors seigneur de Kermartin ^ » L'Enquête de canonisation dé- truit entièrement ces inventions. Â chaque page Kermartin y est appelé « la maison, Thôlel, le manoir de saint Yves » [domm

1. Albert Legrand, Vies des Saints de BrelaynCt 3' édition, p. t56,

2. Histoire de S, Yves, p. 8 ; Coutume de Bret., art. 541 ; Ancienne Coatume, art. 543 (coté parfois 544 et 547), Très Ancienne Coutume, art. 209 ;, et Hévio sur Frain (édit. 1684), p. 568.

3. Société Archéologique des CôteS'du^Nord. Séance du 11 juin 1886, p. IV.

LES DATES DE LA VIE DE SAINT YVES 333

hospicmnif manerium domini Yvonis) ; à chaque page on trouve la preuve que, depuis la mort du damoiseau Haelori jusqu'au 19 mai 1303, Kermarlin n'a eu d'autre possesseur ni d'autre proprié- taire que notre saint. Il y agit absolument en maître, remplit toute la maison de pauvres jusqu'à yen loger chaque nuit une vingtaine (déposition X, Monum, p. 37). Bien, mieux, il fait construire une maison tout exprès pour les recevoir, et ? Un témoin notTs le dit : dans son manoir patrimonial de Kermartin : a Apud Villam Martiniy manerium ipsius domini Yvonis,... apud Villam Martini^ in manerio paterne, fecit quamdam domum fieri pro pauperibus^ et ibidem pauperes recipiebat^ et eos de bonis suis sibi a Deo colla- lis rcficiebat » (ibid. p. 74, 75). Donc Yves était bien seigneur de Kermartin, propriétaire de la terre, du manoir principal de la famille, donc il était l'aîné.

Quant à Tacte de fondation de la chapelle Notre-Dame de Ker- martin, invoqué à l'appui des inventions de l'aveu de 1609, je ne vois pas ce qu'on en peut tirer en ce sens. D'après cet acte, celte fondation avait été faite avec les ressources particulières du saint (depeculio meo quasi castrensej provenant sans doute de son bénéfice et de son offlce ecclésiastique * ; mais les constructions étaient dressées sur un fonds à lui advenu, partie de la succession de son père, partie de celle de sa mère fin porlione mea he- reditaria attingente mihi ex successione Helorii palris mei, una cum porlione mea in heredilate materna eidem adjacente J Tel est le vrai sens de ces expressions ^ ; et quant à la clause finale, Yves déclare ne préjudicier eu rien, par cette fondation, aux droits de ses héritiers, elle signifie simplement qu'il avait trouvé moyen de leur remplacer les deux pièces de terre patrimoniale occupées par sa chapelle. Comment cela prouve- 1- il qu'il fût puîné' ?

!.. La cure de Tredrez et TofficiaUlé épiscopale de Trégner.

2. M. Ropartz ne l^entend pas aulrement, voir Histoire de saint Yves^ p. 171-

172.

3. Diaprés un mémoire de Pierre HéviD, de l*an 1683, prélenlioa de réduire saint Yves à Tétat de juveigneur était articulée, non seulement dans Taveo de Ker-

334 LSS DATES DE LA VIE DE SAINT YVES

XIII

Il était certainement Talné. Qaant h son frère^ TEnquèle ne le nomme pas ; mais elle nous apprend que la femme de ce frère la- vait parfois de ses propres mains la chemise de notre saint, et même la lavait si bien, la lui rendait si blanche, si douce au toucher, que, craignant de s*j trouver trop bien, Yves s'empressait de FoiTrir à un pauvre (déposition XI^ Monum., p. 89).

Si le frère ne nous est connu que pai* sa femme, deux des sœurs ne le sont que par leurs maris. Un jour, la « maison » d*Yves Haelori, à Kermartin, était en grand émoi. Devinez ce que c'était que celle < maison » : une famille de nomades ayant pour chef un poète de grand chemin, chanteur ambulant, courant de bourg en ville et de foire en château débiter ses mélodies rehaussées des sons d'une viole, c'est-à-dire de quelque crincrin poudreux ; on l'appelait Rivallon le jon^feur, nous dirions aujourd'hui le méné- trier. Parti de Prisiac au pays de Vannes, sa patrie, if errait à tra- vers la Bretagne, traînant avec lui de ci et de là, outre ses chan- sons, une femme, Panlhoada *, deux (illes, Amicie et An Quoânt (la Jolie), et deux fils dont l'un se nommait Geofroi. Un soir de 1292, cette tribu en quêle d'un gile s'abattit sur Kermartin. Yves eut pour eux ces bontés, ces caresses, prodiguées par lui à tous les pauvres, à tous les malheureux que Dieu lui envoyait. Si bien

martin de l'an 1609, mais dans deax antres aveux de la môme terre, Tnn de 1550 et le dernier de 1638. Voici comment ce grand jarisconsnlte, le premier et le plus savant des feudistes bretons, juge cette opinion : « Toutes les suppositions de la qua- lité de jwfeigneur en snint Yves, de partage à tenir en Ûef eotnme juteignvur d'aîné et de la prohibition de donner an préjudice des coUaléranx, dont parlent ces aveux, sont (dit-il) pures rêveries avancées par des gens qui n'y connaissent rien, (Archives départementales des Côtes-du-Nord, fonds de Tévéché de Tréguer).

2. Ou Panthonada ; mais jene pois adopter l'orthographe Panthonada suivie dans le texte des Monum., car la leçon Panlhoada qu'on y trouve p. 99, prouve clairement que Tu, placé au milien de ce mot (entre Vo et Va) dans les manuscrits de TEnquète et dn Rapport des cardinaux, ne représente en réalité ni v ni n, mais doit rester tt comme il est écrit.

LES DATES DE LA VIE DE SAINT YVES 335

reçue, la tribu resta quelques jours pour se refaire. Le père mou- rut, la iribu resta de plus en plus... elle était encore en 1303. Mais elle paya en soins assidus, en affection tendre et pieuse, l^iné- puisable hospitalité du saint. Un jour donc, Talarme était grande dans la tribu. Une semaine auparavant, Yves s*était comme d'habi- tude relire dans sa chambre pour prier et étudier, depuis lorsl il n'avait pas reparu ; n'ayant rien pour boire ou manger, ir devait être mort d'inanition. ËQ vain contre la porte fermée on appelait, on heurtait : nulle réponse. Âmicie etPanthoada coururent à Tréguer chercher révêque,qui vint avec quelques chanoines et n'obtint rien. On recourut alors à l'un des beaux«frères du saint, appelé Yves Conan *. Ne pouvant forcer la porte, Conan dresse une échelle contre la fenêtre, brise le châssis et tombe par dans la chambre, il trouve le saint en bon état, frais et dispos, mais fort mécon- tent de se voir ainsi arraché à sa. prière ou plutôt à son extase. Aussi dit-il à son beau-frère fort doucement (il parlait toujours avec douceur) ce seul mot : « Plût à Dieu qu'en cette rencontre tu< eusses été malade ! » L'Enquête n'a pas conservé la réponse du beau-frère.

XIV

Deuxième beau-frère. « Certain été, par un^temps de grande < cherté, monsieur Yves n'avait plus rien à donner aux pauvres ; « il ne lui restait absolument qu'un cheval employé à la culture de <c ses terres. Il vint de Kermartin à Tréguer trouver un bourgeois « appelé Rivallon Traquin(ou Tranquie), qui avait éponsé sa sœur, ce II dit à Traquin : « Achetez mon cheval. > Ce bourgeois se mo- c< qua de lui : « Êtes-vous fou, s'écria-t-il, de vouloir vendre votre

1 . « Tune Yvo Conan, sororias ipsius domini Yvonis, fregit fenestram ipsios ca- mere^ > elc. (BolL Mail JV, p. 550, F, édit. de Paris). Dans les Monum, orig* de Vhist, de S. Yves, ce passage de la déposition XLI est donné comme suit : c Tune, Yvonis cameram [adiens], sororias ipsius domini Yvonis fregit fenestram ^sius camere » etc. {Monum., p. 100). La leçon dos Bollandistés nous semble meilleure.

336 LES DATES DE LA VIE DE SAINT YVES

« cheval pour donner aux pauvres ! » Peu ému de ces railleries^ « monsieur Yves insista, le bourgeois acheta le cheval cinquante « sols ^ Aussitôt le prix convenu ou compté, monsieur Yves revint t chez lui en toute bâte, après avoir prescrit à sa sœur de lui en- «L voyer pour dix sols * de pain à distribuer aux pauvres, car les « pauvres en foule le suivaient partout. » Ce récit fut fait à TEnquëte par Denys Jameraî, confrère de Traquin, c'est-à-dire bourgeois de Tréguer (déposition xxxii, Monum.j p. 83-84).

La dernière sœur dont il nous reste à parler, Catherine Haelori, était peut-être l'atnée de la famille et certainement celle du saint, âgée de quatre-vingts ans lors de l'Enquête, donc née en 1250. En 1330 elle habitait la paroisse de Hengoat, près de la Roche- Derien, et avait un mari nommé Yves Alain, à qui l'on ne donne dans l'Enquête nul titre, nulle qualification, pas noble par conséquent ou d'une noblesse très médiocre. Elle conservait, avec un soin et un respect religieux, le chaperon de son illustre frère. Un jour , Alice Billon, de la paroisse de PloêzaI, vint chez Yves Alain. Huit jours plus tôt^ elle avait été, la nuit, mordue au cou par un rep- tile venimeux, sans doute une vipère : elle était enflée de partout, souffrait cruellement, se sentait tout près de mourir. A sa prière, « Yves Alain dit à sa femme : c Apportez le chaperon de monsieur Yves. > On le posa sur Alice^ ses douleurs diminuèrent sur-le- champ, le lendemain malin elle était guérie. En déposant de ce fait dans l'Enquête, Catherine Haelori ajoute que pareille chose est arrivée à plusieurs autres malades, sur lesquels elle avait posé le chaperon de son frère (dépositions cxxvi, cxxvii, Monum., p. 192, 193).

Des trois beaux-frères d'Yves aucun n'est qualifié noble. Yves Conan habile Tréguer et doit avoir été^ comme Traquin, bourgeois de celte ville.. Yves Alain ressemble bien à un marchand enrichi de la Roche-Derien, retiré sur ses vieux jours dans un manoir

1. Valeur correspondante^ 250 francs environ au pouvoir actuel de Targenl.

2. Environ 50 francs^ valeur actuelle.

LES DATES DE LA VIE DE SAINT YVES 337

champêtre. Pour la belle-sœur, comme elle ne semble point avoir lavé les chemises du saint par piété, mais plutôt par complaisance, il y a lieu de croire que ni elle ni son mari ne tenaient grand état. Bref, la condition, le train de vie des frères et sœurs dii grand Yves parait avoir été fort modeste : ce qui nous confirme dans Tidée que la fortune de la famille Tétait de même.

XV

Cependant, beaucoup des témoins de TEnquêle, après avoir rap- porté les prodigieuses austérités d'Yves, se plaisent h ajouter que cette vie misérable était de sa part absolument volontaire, vu qu'il avait de bons biens et de beaux revenus, assez pour vivre grasse- ment, délicatement, et que, s'il l'avait voulu, il eût pu se gorger à souhait de vin et de viande, au lieu de ronger son pain bis trempé d'eau claire ; se couvrir d'habits somptueux, au lieu de son gros drap de bureau; se pavaner auprès de l'évèque sur un beau cheval, au lieu de piétiner péniblement avec les valets ; se coucher molle- ment dans un lit de plumes, au lieu de se meurtrir les côtes sur sa claie, sa paille et ses copeaux i. Cela suppose aux mains de saint Yves une large fortune : mais de quelle source?

Tous les témoins qui entrent à cet égard dans quelque détail en marquent deux : ses revenus ecclésiastiques, ses deniers patrimo- niaux (reddtlu«ecdma«(tco5 et patrimoniales^ déposition i, ifontim., p. 10), ou, comme disent d'autres, une bonne cure et un bon pa- trimoine {bonam ecclesiam et bonum patrimonium^ déposition vi, p. 26). Aucun n'a distinctement évalué le patrimoine. Quant à la cure, qui est celle de Louanec, un témoin (Pierre Ârnou, vicaire de la cathédrale de Tréguer) dit qu'elle valait « 50 livres de ferme et

t . Voir, entre autres, déposUioos l, Monum., p. 10 ; VI. 26 ; VII, 29 ; VIII, 31 ; XVI, 47 ; XX, 60; XXVII 71 ; XXX, 76 ; XXXÎ, 79; L, 120.

338, LBS DATES DE LA VIE DE SAUfT YVES

plus ^ » ; on autre (Hamon Nicolas) qa'avec son revenu « on pouvait faire « une dépense de 100 livres par an*. » Ces deux évaluations ne sont contradictoires qu'en apparence. La seconde parie du rêve - nu total et complet, du revenu brut, sans tenir compte des chargées frais de culte, pensions, fondations, réparations, etc. qui dans une paroisse de cette importance étaient considérables. La première, au contraire, parle du revenu net, restant toutes charges dé« duites à la libre disposition du titulaire. De ce chef donc Yves aurait eu un revenu annuel de 50 livres^ soit en valeur acluel/e environ 5,000 francs. Un autre témoin, Jean Aiitret, recteur do Faouet près Pontiieux, qui vil souvent le saint aux dernières années de sa vie, lui attribue un revenu total de 80 livres (8,000 fr.) en deniers patrimoniaux et biens ecclésiastiques, moitié d'une sorte, moitié de Tautre '. Cette évaluation s'éloigne peu delà pré- cédente, elle porte à 40 livres (4,000 fr.) le revenu annuel des biens recueillis par Yves dans la succession de ses père et mère, ce qui, avec la part échue aux puînés, n'eût fait encore, comme nous Tavons dit, aux mains du père commun, Haetori, qu'une mo- deste fortune.

Dans le même sens citons ici un curieux incident de la vie de notre saint. Le roi de France (Philippe le Bel) avait envoyé à Tréguer des gens et des sergents pour lever sur la mense épisco- pale certaines taxes, extorsion absolument inique, qui violait

«

1. tt Bonam ecclesiam vocatam Lobanec, valentem L libras de tirmaetuUra > (Tesl. vu, ibid, p. 29.)

2. c Bonam ecclesiam vocalam Lohanec, que valet bene ad faciendom expensam centdm libras. » (Test. VIII, ibid, p. 31 .)

3. « Cum baberet, tam in bonis palrimonialibus quam ecclesiaslicis, qoalaor viginli libras in reddilibas » (Itapporl des cardinaux^ Monum., p. 335, 1. 31-32). Dans TEnquéle, la dépusition de eu émoin, comme nous Tavons actuellement, porte : « Cum haberet, tam in bonis palrimonialibus quam ccclesiasticis quadra- ginta librarum in redditibus... » {ibii. p. 120,1. 10). Les Cardinaux ont compris, comme nous Tentendons, ce passage^ qui était peut-être plus clair d^ibos le manus- crit original de l'Enquôle. Puisque la cure de Louanec, seule, valait déjà environ 50 livres de renie, le revenu total d'Yves, y compris ses biens palrimoninnx, ne pou- vait être réduit à 40.

LES DATES DE LA VIE DE SACNT YVES 339

lout à la fois le droit de l'Église et Tindépendance de la Bretagne. Yves, comme officiai, résisiail à celle enlreprise vigou^ reusemenl^ même par les voies de fait. Tous^ parmi les gens d'Eglise, n'approuvaient pas cette résistance, plusieurs redoutaient les menaces et la vengeance du roi de France, qui avait même quelques partisans cachés, plus ou moins intéressés. Â la tête de ces trembleurs était le trésorier du chapitre, Guillaume de Tour- nemine, qui un jour, au plus vif de ces débals, rencontrant notre

saint, se mit à lui chauler pouille et lui lança cette apostrophe : « Coquin, coquin, vous nous mettez en danger de perdre tous nos « biens ; vous ne vous en inquiétez pas, vous n'avez rien â perdre ! ' » Sans doute à ce moment Haelori de Kermartin et Hadou sa femme vivaient encore ; mais si leur aîné eût eu à attendre d'eux une grosse succession, Tournemine n'eût pas parlé de la sorte.

Pour saint Yves, personnellement, outre les 80 livres de rente ci^dessus spécifiées, tant qu'il resla officiai, il avait de plus le profit de sa charge, dont les témoins cités plus haut ne tiennent pas compte, parce qu'ils parlent seulement de revenus certains et que c'était un casuel, mais casuel infaillible et d'une valeur nullement négligeable, consistant dans le tiers du droit de sceau pour tous les actes scellés par Tofficialité diocésaine >. La juridic- tion ecclésiaslique avait, à celle époque, une si large compétence' que ces actes se comptaient par milliers ; en admettant que ce droit valût à Yves pour sa part 60 à 70 livres par an (6 à 7,000 £r. va- leur actuelle), on est certes plutôt au-dessous qu'au-dessus de la vérité.

Bref, tout bien compté, le saint officiai devait toucher, bon an mal au, environ 150 livres (une quinzaine de mille francs), que les pauvres, bien entendu, mangeaient jusqu'au dernier sol, sou-

1 . « Coquine^ coquine 1 vos posuistis nos in periculo perdendi omni§ qusehabemus, cl hoc facilis quia niiiil babelis ad perdeaduai! » (Test. XLVll, Monum. p. 118;.

2. Voir déposilions ii, xviu, xxx, ibid, p. 11, 14, 53, 77; cf, p. 342.

3. Voir Hopartz, Histoire de saint Yves, p. 32-40.

340 LES DATES DE LA VIE DE SAINT YVES

vent au delà, car quand il n'avait plus rien, il quêtait ou il emprun- tait pour eux.

XVI

Un dernier mot sur un point assez vivement agité par certains auteurs.

Saint Yves a -t-il faitparlidu tiers-ordre de saint François ?

Je n'hésite pas à répondre : Non.

La preuve, c'est que, dans ce long défilé de deux à trois cents témoignages qui constituent l'Enquête, pas l'ombre d*allusion à ce fait. Pourtant parmi ces témoins il y a deux Cordeliers du couvent de Guingamp, Yves, dit-on, eût « prins l'habit du tiers-ordre » (Albert Legrand et autres), tous deux très amis du saint, mais l'un d'eux surtout intimement lié avec lui pendant plus de vingt ans. C'est ce frère Guiomar Morel dont on a déjà parlé (ci-dessus § IX). Yves allait souvent le voir dans son couvent ; un jour ce frère Morel s'étant blessé à la jambe, il l'emmena â Kermarlin, l'y garda trois semaines pour le guérir, le soignant, causant souvent avec lui, lui révélant (on l'a vu) les secrets les plus intimes de son âme, l'his- toire de sa conscience, que le moine fit connaître dans l'Enquête. Horel avait été gardien du couvent de Guingamp : il raconte, non sans plaisir, qu'Yves y venait et y couchait fréquemment*. Mais sur l'entrée prétendue de notre saint dans le tiers -ordre, sur sa pré- tendue qualité de tierçaire, néant.

L'autre Gordelier, frère Guillaume Roland, avait éié enfanté à la vie spirituelle par notre saint ; sur ses conseils, ou plutôt sur ses instances, il était entré dans l'ordre de saint François; il parle d'Yves avec tendresse, et quoiqu'il ne l'eût connu que dans les cinq der-

1. « Dixit qaod sepius vidit ipsam (dominum YvoDem) jacenlem supra lerram in donio sua Fratrum Minoram de Guingampo» etquamvis pararenl sibibonum lecluin, solummodo appodiabat se eidem. » (Test, xxix^ Monum., p. 73).

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LES DATES DE LA VIE DE SAINT YVES 341

nières années de sa vie, il relève certaines particularités caractéris- tiques échappées à tous les autres témoins (voir ci-dessus §¥1). Hais pas un mot d'où Ton puisse, de près ou de loin, induire le pré- tendu tierçage du fils d'Haelori.

Si Yves avait été tierçaire^ ce silence des deux Cordeliers était impossible. Quant au costume de notre saint, que le P. Albert Le- grand veut ramener, bon gré mal gré, au costume franciscain, il n'eut jamais avec ce dernier aucun rapport '.

Ce qui est vrai, c'est qu'Yves en toute circonstance montra une grande affection pour Tordre de saint François. A Rennes il en fré- quentait le couvent ; c'est Tenseignementdece couvent, c'est à-dire renseignement franciscain, qui remua son âme dans ses profon- deurs et la jeta avec une force sans pareille dans la voie de la per- fection. De Kermartin il se plaisait à hanter les Cordeliers de Guingamp, et quand une âme éprise de la vie spirituelle se met- tait sous sa conduite, c'est vers ce cloître qu'il ta dirigeait.

L'ordre de saint François doit donc, de toute justice, garder dans son bréviaire la fête de saint Yves, comme celle d'un de ses plus grands et de ses plus illustres amis. Mais, pour autant que valent l'histoire et la vérité, il ferait bien de ne plus donner à cet ami la qualité de tierçaire, à laquelle il n'a pas droit et qui n'a pas droit sur lui.

Arthur de la Borderie.

1. Cf. Bol). Mai» IV p. 539 BC (édiU de Paris),

DE MARSEILLE AU HAVRE

Par le chemin des écoliers'

Ofize heures, Le déjeuner. Que de vides ! surloul parmi les dames. Un grand nombre esl allé jusqu'au vrai mal de mer indu* sivement exclusivement serait plutôt le mol exact.

Toula coup la commandante annonce : Une bande de mar- souins à bâbord el des mouettes à tribord I

On grimpe sur le ponl, des fusils paraissent» et il s'ensuit une pétarade plus bruyante que dangereuse.

Nous voyons la côte poindre à Thorizon. Notre-Dame d'Afrique se profile au loin. Nous ralentissons; on sonde.

Alger lâ-bas s'allonge nonchalamment sur le coteau.

La ville européenne élégamment élagée offre à l'œil son en- semble habituel de façades grises cl de toits de couleurs variées. La première ligne de maisons, régulière comme la rue de Rivoli, bâtie sur une deuxième rangée inférieure d^arcades, n'est inter- rompue que par une place plantée d'arbres. Au-dessus de la ville européenne se trouve la ville arabe, qni tranche par sa couleur blauche éclatante. A la voir du bord on la croirait d^une propreté remarquable ; mais si la tète est blanche, les pieds sont noirs, el il ne faut pas descendre à terre pour garder sa première illusion.

Nous embarquons le pilote et nous entrons dans le port. Le Transatlantique qui s'y trouve esl pavoisé el nous salue d'un coup

* Voir la livraison d'oclotre 1886, pp. 289-296.

DE MARSEILLE AU HAVRE 343

de canon ; noire sirène lui répond. Une embarcation tranchant sur le bleu de Teau, avec sa coque blanche et ses douze rameurs en blanc, accoste à tribord. Elle vient chercher le ministre. On se groupe suivant sa fantaisie, et nous sautons dans une barque maniée par deux Arabes.

A rentrée de la ville, nous grimpons un escalier monumental et nous voici rue de Rivoli, je veux dire rue de la République. Comme tout bon croyant doit faire, nous nous empressons d^aller saluer Allah. La mosquée de la place du gouvernement est de moyenne taille, sombre et fraîche : quelques détails méritent Tatten- tion. Après les préambules d'usage, nous nous avançons sur les nattes, au milieu des Musulmans proslerués.

En sortant de la mosquée, nous cherchons des véhicules. Ce sont généralement des paniers d'un jaune plus ou moins cru (plu- tôt plus que moins) et attelés de deux petits chevaux ornés parfois de queues d'un chauve à faire rêver. Nous partons cahin-caha pour le Jardin d'Essais. La physionomie des faubourgs est curieuse, avec ses Arabes à moitié nus, ses nègres aux figures reluisantes et ses femmes voilées. Un factionnaire zouave sous son abri nous frappe par sa mine crâne. Au Jardin d'Essais, une légère désillusion nous attend. Ce jardin si vanté se compose uniquement de quatre grandes allées se coupant de façon à englober un carré, deux d'entre elles vont jusqu'à la mer ; une seule, celle des bambous, est jolie et ombreuse; les autres sont en mauvais état.

Nous partons pour Birmandraïs, petit village tranquille l'on nous sert de la chicorée sous le nom de café, puis nous visitons le ravin de la Femme sauvage, La route longe et domine ce ravin, qu'on devine plutôt qu'on ne le vuil ; ensuite, elle se déroule en ruban sur le flanc de la colline, et l'on y jouit d'une température tout à fait algérienne.

Retour par Mustapha, nous avons la faveur de visiter le palais d'été du gouverneur. C'est un bijou. Les pièces sont dallées en faïences émaillées, qui couvrent aussi la plus grande partie des mu- railles. Chaque chambre a sou pelil salon, éclairé par des fenêtres

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mauresques, plein de divans bas et de bibelots divers. Nous ad- mirons le patio avec sa double galerie, les terrasses et les salons de réception^ d*un effet très réussi. Âo grand étonnementdu cicérone, M. D*** s'installe au piano, et nous faisons un tour de valse : his- toire de dire que nous avons dansé à Mustapha, chose rare et enviée.

Un détail, que Thistoire me saura gré de lui avoir révélé : H. Tirman, gouverneur de l'Algérie, a dans sa chambre une petite bascule Quintenz, miniature, en acajou ; et il se pèse tous les jours, pour voir s'il engraisse ou s'il maigrit. Nous avons examiné cette pièce curieuse, chapeau bas et avec une respectueuse attention.

La voiture nous ramène à la Casbah, la citadelle indigène, et nous redescendons à pied à travers la ville arabe, par la rue de la Casbah, plutôt un escalier qu'une rue. Grande quantité d'Arabes, assis près de leurs portes sur des nattes, se livrent à leurs occu- pations habituelles : boire du café et jouer aux cartes. Le coup d'oeil est curieux ; l'originalité et la couleur locale abondent, les odeurs aussi.

Cependant nous continuons à descendre. De petites ruelles, vé- ritables casse-cous, croisent la grande artère. Quelques maisons et quelques cafés borgnes accrochent l'œil par leurs murailles, ba- digeonnées en bleu cru. Est-ce une tendance ? J'ai déjà noté à Marseille, quai de Rive Neuve, une guinguette ainsi peinte en bleu, avec cette inscription :

Hier ist das hihhels bleue !

(Ici le ciel est bleu.)

Traduction plus large : « Ici l'on voit tout eu rose quand on est gris ! >

Huit heures. Nous sommes de retour à bord. Diner charmant. Soirée calme.

Onze heures. Une barque, chargée de musiciens couleur de

DE MARSEILLE AU HAVRE 345

cuivre, armés d'instruments du même mêlai, nous donne une séré- nade.

Minuit. ■— Sous prétexte du centenaire de M. Glievreul, nous yidons quelques flacons de Champagne, à la santé de cet illustre savant.

Deux heures duinalin. Tout est caimo à bord. Alger s'éloigne dans la nuit.

Mardi, 30 août.

Ce matin, à huit heures, remue-ménage inusité : la machine est arrêtée, on lime, on démonte, on remonte, on attend. Un charbon- nier anglais, le Nigdall, de Glascow, nous offre la remorque ; il est hué !

On annonce une modification à Tilinéraire : nous allons à Orao, avant de toucher Tanger.

Pour faire oublier le temps, des jeux de société, si judicieuse- ment appelés jeux d'esprit, s'organisent de nouveau sur le pont. Les jeunes filles sont chargées du soin délicat d'enfermer dans une bouteille un document humanitaire, il est question de la Gas- cogne^ du radeau de la Méduse^ du Musée du Louvre, et de di- verses autres choses. Le document dans sa bouteille est livré à la mer.

Trois heures. On lime toujours, on démonte, on remonte. Enfin, la machine est en état, la Gascogne reprend sa marche, et H. le Ministre son whist.

Âpres le dîner, une sauterie s'organise, d'abord dans le Salon ; puis sur le pont, à la lueur d'une lampe Ëddison. Beaucoup de gaieté et d'entrain. M. le ministre et sa suite s'amusent comme de simples mortels. A litre -d'intermèdes, voici les luttes romaines et les tableaux plastiques. Le dernier tableau représentant Abel (M. le B...) blessé, pendant que Gain (M. Dr..,) s'enfuil, soulève une salve d'applaudissements.

A minuit le combat cesse faute de combattants.

TOME LX (x DE LA 6e SÉRIE). 23

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Mercredi, 1" septembre.

Celte nuit, à Irois heures, nous avons jeté Tancre i Merz-eU Kébir, le port d^Oran.

La baie est commandée par un fort, situé à son extrémité ouest: la côte est très aride. A neuf heures^ nous descendons à terre. En attendant les calèches que la Compagnie nous a fait demander, je puis croquer un escalier très pittoresque.

La route de Merz-el-Kébir à Oran a huit kilomètres de longueur : elle est analogue à la Corniche de Marseille comme position, mais non comme entretien. La ville européenne n'a rien de remarquable. Nous déjeunons au restaurant de l'Ëlang, sur la promenade à cent- cinquante mètres au-dessus de la mer, par une température déli- cieuse. Après déjeuner, en route pour la ville nègre. Elle est plus curieuse que la ville arabe d'Alger, car elle offre des types plus variés.

On parle beaucoup espagnol. La plupart des femmes sont her- métiquement voilées ; parmi celles qui sont visibles, quelques jo- lis minois.

Entre temps, un marchand ambulant nous interpelle; un plateau en cuivre repoussé et ciselé attire mes yeux !

•-* Combien ton plateau ?

Quarante francs

Je t'en donne six francs.

Ce n'est pas possible 1 Comment voulez-vous que... Va te promener !

Mon marchand y va, revient et demande trente francs; il est aussi mal reçu. Au bout de quatre promenades, j'ai mon plateau pour six francs.

De mème^ pour un encrier arabe, qui de vingt francs descend â sept. Ainsi va le commerce des curiosités locales à Oran.

Nous repartons en voilure, par une poussière épouvantable, et nous arrivons a bord, après avoir été quelque peu secoués en canot.

DE MARSEILLE AU HAVRE 347

Le transallanlique Charks-Quint^ pavoisé, passe à quelques enca- blures, nous salue el pointe sur Marseille. Il emporte déjà quelques- uns de nos compagnons de voyage.

Six heures, ^ Nous levons i*ancre et partons pour Tanger.

Soirée musicale fantastique : quatuors de Brahms, quatrième acte des Huguenots^ duo et chœur de Philémon^ quatuor de Faust, barcarolle des Contes d'Hoffmann, etc.

Minuit, *- Grog final. Bonsoir.

Jeadi; 2 septembre.

L itinéraire est changé, nous allons à Gibraltar. Le temps est toujours au beau. A midi, Gibraltar est à notre droite, tout près, tandis que les côtes d*Âfrique sont encore en vue à gauche. Le ro- cher est fantastique^ mais, quoi qu'on en ail dit, ne ressemble que de très loin à un lion couché, A son pied la ville anglaise. De tous côtés, des trous que la lorgnette révèle : ce sont les meurtrières des galeries souterraines qui font de ce rocher le fort réputé tort) le plus inexpugnable qui soit au monde. La baie dans laquelle nous entrons est merveilleuse : à droite, Gibraltar -, dans le fond, deux villages espagnols, la Linéa et San-Felipe ; à gauche Algésiras.

En approchant de terre, nous remarquons des colonnes de grande hauteur qui émergent contre la montagne. Ce s^rii, nous expliquent les bateliers, les cheminées de ventilation d(;s galeries souterraines.

Après les formalités d'usage, (car il faut un permis pour entrer à Gibraltar, sous peine d'une amende d'une livre sterling par tète,) nous prenons un guide et des voitures. Ce chemin vers la pointe de l'Europe est féerique, plus beau certainement que celui de Mo- naco à MentoUw On domine toute la rade, dont la vue est superbe. Les ravins succèdent à des cottages qui rappellent ceux de Jersey. Il n'y a à gâter le paysage que les casernes, les gymnases et les habits rouges.

Retour par TAlameda, s'élève le monument de Wellington. Il est composé d'on buste sur une colonne, de deux obusiers à

348 DE MARSEILLE AU HAVRE

droite et à gauche, el d'un canon en avant. Un bouclier en bronze porte, en substance et en latin, Tinscription suivante :

(c Wellesley, duc de Wellington, fameux général, libéra le soi de « TEspagne, en en chassant les Français; les battit de nouveau en « Belgique et délivra le monde, à Waterloo, du tyran qui l'oppri- « mait. Lui et les armes anglaises ont bien mérité du genre hu- « main. »

Inscription bien prétentieuse pour un monument aussi mesquin! D'ailleurs, si les Anglais ont voulu élever un monument au libéra- teur de TËspagne, la pudeur leur demandait de ne pas le faire a Gibraltar. Aoh ! Yes !

En rentrant, nous croisons les voitures du gouverneur, mises à la disposition du Ministre et de sa suite, qui constate par lui- même Télat des galeries souterraines que, faute de temps, nous ne pouvons visiter. D'après les dires unanimes de nos camarades de voyage, parmi ^lesquels de nombreux ingénieurs, les galeries ne paurraient pas résistera l'ébranlement des détonations. Les Anglais le savent bien et ne tirent jamais, sous aucun prétexte, même à poudre. Ce rocher, formidable en apparence, n'est donc qu'un beau décor de théâtre.

Il y a à Gibraltar des provisions de bouche pour sept ans, six mille soldats et cinq cents bouches à feu, étonne tirera jamais un seul coup de canon.

Du centre même de Gibraltar, il faui un quart d'heure pour ar- river à la frontière espagnole. Les sentinelles des deux nations sont à deux cents mètres les unes des autres, et séparées par une langue de terre plate sans culture, aussi large que longue.

La Linéa est un village espagnol, sale et tranquille comme tous les villages espagnols.

Rentrés à Gibraltar, nous y prenons des glaces parfumées au persil.

Le général gouverneur (aoh 1 yes !) et sa maison, sont invités à luncher à bord : ils arrivent à neuf heures. Tout le monde est en habit. Deux officier5 (aoh ! yes !) assez jolis garçons, suivent le gé- néral, ainsi que ses trois filles. (Aoh ! yes !) Champagne, gâteaux, musique variée, shake hands, aoh ! yes ! Bonsôar I

DE MARSEILLE AU HAVRE 349

Vendredi, 3 septembre.

A six heures du matin, nous jetons l'ancre à Tanger. La côle est ornée de dunes peu élevées à Test, un promontoire la termine à Touesl. La ville, qui est en face, n'a rien de remarquable.

H. Féraud, noire ambassadeur, et le personnel de Tambassade arrivent à bord en grand uniforme. Peu de temps après, descendus à terre, nous pataugeons dans le pittoresque et la malpropreté. Une rue très accidentée nous mène à la casbah ; nous montons en corps, ministre et ambassadeur en tête, et précédés d*un des soldats at- tachés à l'ambassade, qui écarte les gamins à grands coups de bâton. En roule, rencontre d'un vieux nègre, qui fait concurrence à M. Che- vreul : il a cent cinq ans^ et son âge lui vaut une ample moisson de sous et de piécettes.

Nous arrivons au palais du pacha, que nous avons la faveur rare de visiter. A l'entrée, après quelques arches, on aperçoit une saillie de pierres élevée d^un mètre et recouverte de nattes et de coussins. C'est l'endroit Ton rend la justice. Nous pénétrons dans les ap- partements du pacha : les murailles sont, en grande partie, ouvra- gées comme de la dentelle ; malheureusement pour Tart, depuis quelques années on les badigeonne à la chaux. Les plafonds, aussi mal entretenus, sont des merveilles de marqueterie.

Le pacha, grand vieillard aux manières affables et majestueuses, nous n çoit fort bien. La veille avait eu lieu le mariage de son fils, mariage précédé de grandes fêtes qui ont duré trois jours, et dans lesquelles ont figuré dix mille cavaliers.

Nous redescendons par la prison des femmes dont nous forçons la consigne.

Elle est gardée à l'extérieur par deux ou trois hommes et à Tin- lérieur par une vieille négresse, qui n'a pas l'air enchanté de nous voir. Cette prison se compose d'une cour, sur laquelle donnent par des baiessansfermeturedescases, grandes comme des cabines de navire ; quelques cases contiennent deux ou trois prisonnières ; d'autres sont vides. Dans l'une d'elles, une prisonnière isolée est assise

350 DE MARSEILLE A0 HAVRE

tristement sur sa natte; auprès d'elle, à terre, ses babouches et une tasse de café. Je lui parle en espagnol, mais n'en puis rien tirer; H^^ Santelli Tinterroge en français que la prisonnière comprend encore moins, mais elle lui parle si aimablement, que la pauvre fille se met à pleurer. Elle est délicieusement jolie.

En sortant, nous nous renseignons sur elle près d'un vieux qui parle notre langue.

Elle a fait quelque chose de pas bien.

Quoi donc ?

Elle a volé du varech.

Pour combien de temps en a-t-elle ?

Pour trois jours.

Pauvre femme, elle pleure !

Oh ! répond le vieux, philosophiquement, j'ai été en France et j'ai vu aussi des prisonniers qui pleuraient.

Somme toute, régime assez maternel.

Pendant ce temps, une autre partie de la caravane visitait la prison des hommes. On y entre par une salle trois ou quatre gardiens sans armes jouent sur des nattes. Les prisonniers sont ensemble, dans une grande salle qui prend le jour et l'air par le mi- lieu du toit. Pas de porte d'entrée, mais une fenêtre cintrée qu'on fait sauter au prisonnier. Les détenus portent des fers ; deux an- ciens ferraient un nouvel arrivé, qui les aidait lui-même, et cela sans qu'aucun gardien assistât au travail. Au Maroc, la plus grande durée de l'emprisonnement est de cinq ans.

Gomme nourriture^ ils ont des farines et du riz, mais, en fait d'eau, ils ont juste une gargoulette par jour et par tète. C'est dire que les ablutions y sont chose inconnue.

Régime, somme toute, assez paternel.

Le porteur d'eau est un des types les plus curieux de Tanger. Ce sont, d'ordinaire, de grands nègres robustes, vêtus très sommai- rement^ portant, comme une gibecière, une peau de cochon pleine d'eau et une sonnette pour signal.

Notons que Tanger possède un réseau téléphonique assez déve- loppé et qu'il n'y a pas de télégraphe.

DE MARSEILLE AU HAVRE 351

Réception fort aimable à Fambtfdsade, dont M,^^ et If^^^ Féraod nous font gracieusement les honneurs. Tout le personnel vient dé- jeuner à bord. Au fumoir se passe une scène touchante. H.Féraud reconnaît dans le colonel Glapeyron un officier qui, en 1859, Ta soigné et sauvé d'une insolation dans le désert. Il Tembrasse et envoie sa fille Tembrasser. Nous applaudissons.

Maintenant dit le colonel je suis payé !

La sirène jette sa noie stridente dans Tair et la barque qui porte l'ambassade s'éloigne du bord.

Trois heures, Voici le champ de bataille de Trafalgar. Le ciel est clair, la mer unie, la brise légère... Quels rapprochements Ton pourrait faire s'ils n'avaient été faits si souvent !

Soirée musico -littéraire.

Samedi, i^eptembre.

A neuf heures du matin la côte de Portugal est en -vue : nous sommes enfin dans le Tage. La couleur des eaux est la seule chose qui nous l'indique ; on se croirait dans une immense baie. En avançant, nous laissons d'un côté le barrage et de l'autre la merveilleuse tour gothique de Bélem. Lisbonne offre, à notre gauche, un panorama magnifique ; le fleuve élargi nous donne une rade de douze kilomètres: c'est une des plus belles qu'il j ait au monde; il n'y manque que l'animation.

Les Messageries maritimes nous facilitent les moyens de visiter la ville et mettent leurs vapeurs à notre disposition, avec une ama- bilité patriotique.

Mous voici à terre. La ville est très propre et bien bâtie ; mais, de même que sa rade, elle manque d'animation. Nous montons l'avenue de la Liberté, qui a la prétention de faire pins tard, beaucoup plus tard, concurrence aux Champs-Elysées. Puis nous visitons l'église Saint-Roch. Une des chapelles de cette église est une pure merveille. Elle a été faite à Rome et finie en l'an 1744. On y trouve trois belles copiea de mosaïques de Saint-Pierre : le Baptétne de saint Jean, de Guido Réni ; V Annonciation, de Michel-

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Ange, et la Descente du Saint-Esprity de Raphaël. L'autel est en pierre précieuses: lapis-lazuli, onyx, agate ; les colonnes en la- pis-lazuli. La chapelle a été montée à Rome, bénite par le pape, qui y a dit la messe, puis elle a été démontée et apportée à Lisbonne

Le reste de l'église Saint-Roch est ua chef-d'œuvre de mauvais goût.

Le fameux réservoir Mai d'Agoa que l'on nous fait visiter a^ comme principal et unique mérite, d'avoir résisté au tremblement de terre du siècle dernier.

En nous rendant à Bélem, nous rencontrons un enterrement. Les carrosses, de tout point pareils à ceux du siècle dernier, sont dorés, décorés de sujets mortuaires, et traînés par deux, quatre ou six mules couvertes de pompons et de filets noirs.

Les porteuses représentent le seul type original qu'il y ait à Lis* bonne. Elles portent sur la tète d'assez fortes charges, leur costume est curieux et leur démarche est loin de manquer de grâce.

Une affiche annonce une course de taureaux, pour demain di- manche, à quatre heures et demie; mais malheureusement nous par- tons à cinq, il n'y faut pas songer.

Nous arrivons à Bélem. C'est un faubourg de Lisbonne, avec la tour gothique dominant le fleuve, et, non loin, le cou- vent des Hiéronymes. La porte latérale de l'église de ce couvent nous donne un avant-goût des beautés qui nous attendent dans l'in- térieur. Du vestibule obscur nous passons au cloître, largement éclairé. L'effet est féerique. Un cri d'admiration s'échappe de nos poitrines. Je n'ai rien vu d'approchant, ni à Pise, ni à Florence, ni à Rome. Qu'on se figure une immense cour, pleine de verdure et entourée d'un cloître dont les piliers ^ont délicieusement œu- vres; les arcades d'une courbe gracieuse et les voûtes s^entrecoupent dans tous les sens. Au-dessus un second étage de cloître, plus fin et plus délicat encore, dont chaque arcade est divisée en deux par une petite colonne reposant sur la clef de voûte inférieure. Le tout est travaillé avec goût et richesse, mais sans profusion. La pierre doit à la nature et au temps une teinte chaude et rosée que je n'ai vue

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nulle part, et qui aide a faire de cet ensemble une des choses les plus parfaites qu'il soit donné d'admirer. Le cloître a été nouvel- lement restauré : ce travail de restauration fait le plus grand hon- neur à son auteur, qui a agi avec intelligence, science et discrétion. Le style est un mélange de gothique et de mauresque.

L'église est belle, mais nous restons sous l'impression duclottre. Cet ancien couvent sert actuellement d'orphelinat. C'est la Real Ca* sa Pia,

De retour à bord, nous y trouvons le ministre des affaires étran- gères de Portugal, fortement décoré, et le personnel de l'ambas- sade. Dîner officiel.

Nous débarquons demain le ministre des postes, qui a constaté tout le temps par hii-mâme surtout la bonne humeur générale et s'en déclare satisfait. Il en fera l'objet d'un rapport au prochaitf* conseil de TÉlysée.

Un ministre perdu, un de retrouvé. Nous ramenons en France M. Billot, noire ambassadeur à Lisbonne ; lêlefioe et distinguée de diplomate.

Dernières nouvelles : nous ne partirons demain que dans la soi- rée et nous pourrons voir la course de taureaux. Hip ! Hurrah !

Dimanche, 5 septembre.

Notre matinée se passe à courir d'église en église. Après déjeu- ner, nous visitons le jardin d'acclimatation, qui est assez joli. J'aurais bien voulu constater si, en Portugal comme en France, le militaire est le complément indispensable de la bonne d'enfants ; rheure n'est malheureusement pas propice à cette étude, qui res- te encore à faire. Notons la grande ressemblance qui existe entre les uniformes de l'armée portugaise et ceux de l'armée prussienne.

Nous voici au cirque. Les courses de taureaux en Portugal ne sont que le prélude des courses espagnoles. On pique le taureau de banderillas, et on le renvoie d'une manière assez curieuse: six bœufs, ayant au cou de grandes cloches sourdes, sont amenés

354 DE MARSEILLE AU HAVRE

dans Tarène. Ils connaissent lear métier, courent se placer à droite et i ganche du taureau, et des valets en gilet rouge et bonnet vert ramènent le tout au toril.

Une seule course a été vraiment palpitante ;elle a été fournie par un amateur, Excellentissimo Sinor Don Luis do Vego, qui, à cheval et en habit de ville, est venu planter des banderillas dans le cou d'un taureau. Son cheval, bëte superbe, augmentait les diffi- cultés, par de vigoureuses défenses. À un moment, cris d'effroi : le cheval tombe sur le côté, mais il est magistralement relevé par Texcellentissimo Sénor. Applaudissements frénétiques. On lui jette des fleurs, des éventails et des chapeaux qu'il rend par honnêteté.

Il paraît qu'en Espagne on jette aux toreros des bijoux précieux; îciy les Portugais (toujours gais), sont plus modérés : ils jettent des allumettes, des cigares, quelquefois des bonbons. Il faut dire aussi que les courses d*ici sont jeux d*enfanls, comparées aux courses espagnoles.

A bord, dtner d^adieu au Ministre des postes. Au moment du Champagne, M. Chabrier, au nom de la Compagnie transatlantique, remercie le Ministre d'avoir bien voulu constater par lui-même tout ce que raconte ce journal. Dans une réponse spirituelle, le Ministre, renversant les rôles, remercie la Compagnie, ses agents et même la machine de la Gascogne^ qui, par ses légers caprices, nous a permis de faire plus d'escales que nous n'en pouvions espé- rer.

Nous perdons, en même temps que le Ministre, les intendants, Legros et Bocquet, et l'ingénieur Noircarme ; ce qui augmente nos regrets. Adieu donc !

L'intendant Bocquet nous répond : « Messieurs, ne dites jamais adieu^ mais au revoir. A Reischoffen, j'ai eu la hanche brisée j^ar une balle et je suis resté étendu sur un talus, pendant quo les troupes passaient. Un de mes amis est venu me serrer la main et m'a dit : « Adieu ! >^ Je me suis cru perdu, alors, mais alors seule- ment. Une fois guéri, j'ai revu cet ami et lui ai^ amicalement, mais toujours, reproché son adieu. »

DE MARSEILLE AU HAVRE 355

Nous retenons la leçon e( l*anecciote. Au revoir donc, et bon voyage !

Lundi, 6 septembre.

La brume a retardé notre départ, qui avait été fixé en dernier lieu à cinq heures du matin. A neuf heures, nous levons l'ancre et sa- luons au passage VOrénoque, venant de Buenos-Ayres.

La brise est insensible^ la mer est calme ; nous avançons dans la brume avec un coup de sirène par minute.

Deux heures, La brume est dissipée, le vent est frais, nous marchons à seize nœuds. Un bateau anglais de la Peninsuktr C^ est battu à plates coutures. Vive la France !

Nous passons au milieu des îles Berlingas. La commission des essais prend des repères. Nous partons à toute vitesse ; le véritable essai commence.

M. Spencer, ingénieur de la Compagnie, un de nos compagnons de voyage, nous fait entendre quelques mélodies de sa composi- tion.

Sept heures. Les nouveaux points de repère sont pris par la commission. D'après les calculs, nous avons fait, avec vent .debout, i8 milles 25 par heure ; résultat plus que satisfaisant.

Mardis 7 septembre.

La mer est houleuse ! Nous sommes dans le Golfe de Gascogne. Que d'accidents !... On quitte la table au milieu du déjeuner, sous les prétextes les plus variés, les plus futiles, et même les plus fal- lacieux.

M. Billot, dont la conversation est aussi charmante que la phy- sionomie, nous donne quelques renseignements rétrospectifs sur Lisbonne. Les voitures d'enterrements, dont j'ai déjà parlé, appar- tiennent à des compagnies de pompes funèbres et servent aux en- terrements même les plus modestes. Les personnes riches sont por- tées dans leur propre voiture, suivie des carrosses des pompes. On laisse les deux portières ouvertes, la bière est mise en travers^ et

356 DE MARSEILLE AU HAVRE

le cortège parcourt les rues au trot, sans que personne se dé- couvre.

Mercredi, 8 septembre.

Nousroulons un peu, mais la mer est calme et le temps superbe. On espère arriver au Havre pour la marée de ce soir. A midi, Guer- nesey est visible A tribord ; nous prenons le pilote par le travers d'Aurigny.

Un lunch est sorsi h cinq heures.

Toasts d'adieu.

Nous voici à la Gn du voyage, trop (ôl venu ù mon gré. En si aimable compagnie, on ferait te tour du monde, même en plus de quatre-vingts jours. Le Champagne noie nos regrets, mais nous emportons bon souvenir de Tamabilité de nos compagnons et de Phospitalité princière de la Compagnie transatlantique.

Sept heures. La jetée du Havre est devant nous, couverte de

monde. Dans un moment, nous aurons mis pied à terre. C'est l'heure

des adieux. Ici je ferme mon journal, qui n'est pas une histoire ; car

ce voyage, comme toutes les choses heureuses, n'en a pas.

Charles Dotnel.

:..:. ■^:w^i. »i.«w v.-v.^asy.st.-ta..»«iB3Li^-rL.

CROQUIS MARITIMES

LA COURSE ET LES CORSAIRES

Raoul BERTHELOT. - Jean LEFAUHÉ.

(1636.)

Le dimanche 20 juillet 1636, vers midi, les habitants du Pou- liguen, et la population des environs, semblaient s'être donné rendez-vous sur le caiL La mer azurée, calme et limpide, ca- ressait légèrement de ses ondes à peine mobiles le sable éblouis- sant de la plage. Sur ce miroir éclatant et poli, dont quelques rides à peine altéraient la surface, le soleil versait à flots ses rayons irisés. Au loin les roches des Evens, plus près celles des Impairs, montrant leurs tètes couronnées de goémons verts, faisaient seules ombre dans le tableau. Tout invitait au bain rafraîchissant que l'hygiène de l'époque n'avait pas encore in- troduit dans les mœurs, comme une obligation de la mode ou du plaisir.

Aussi tel n'était point le but de nos promeneurs endimanchés qu'attirait une légitime curiosité, et le désir bien naturel de connaître les circonstances d'un combat soutenu contre des Espagnols, avec lesquels commençait la longue guerre dite de Trente ans.

* Voir la livraison d'octohre 1886, pp. 297-308.

LA COURSE ET LES CORSAIRES

iux-ci venaient audacieusement sur les côtes, que ne pro- ait aucune dérense, enlever les embarcations de pécbe ;s petits caboteurs faisant le commerce du sel et du vin de i. Un succès qui pouvait diminuer la téméraire confiance de nemi avait donc, pour ces pauvres gens, le double attrait i avantage remporté par des parents, dos amis,' puis l'espé- :e prochaine de pouvoir bientôt jeter sans craintes leurs s et gagner le pain de la famille.

u fond de la jolie Baie-Blanche, traduction du breton ll-guen, dont le village de ce nom forme presque le contre, oyait n ung long batteau, en forme de double chalouppe, :q deux petitz mastz à chacun desquels il y avoit une en- :ne de taffetar bleuf avec des croix de taCTelar blanc, apposez r marque de la victoire sur les ennemys du Roy. » La eha- [>e mesurait vingt sept pieds de longueur sur six et demi de ;eur.

es groupes examinaient cette pinasse : les hommes avec un .ain sentiment d'orgueil , les femmes avec une pitié mélangée terreur, car les nombreuses taches de sang, les éclats de ! produits par les balles ou les piques, les débris de véte- its attestaient la vigueur de l'attaque. Raoul Berlhelot, n Lefauhé, « bourgeois du Polligain, » et leurs compagnons,

entourés, cela va sans dire, racontaient, pour la dixième

peut-être, les péripéties de la lutte dans laquelle chacun it bravement accompli sa tâche.

'rite de la prise d'une de ses barques, du port de trente ton- ux, chargée de diverses marchandises, Berthelot, aidé de

ami Lefauhé, équipa deux chaloupes montées par quinze seize hommes, « bien armez, munîtîonnez de mousquelz, jues, demyes-picques, lances, rondaches et autres armes.»

l'aurore ils poussèrent au large, tirent à la rame douze ou nze lieues sans rien rencontrer, et revinrent à la pointe de château débarquer une partie de l'équipage. Là, ils appri- t que deux autres embarcations espagnoles croisaient à

LA COURSE ET LES CORSAIRES 359

Tile Dumet, à une lieue du Pouliguen, et résolurent de les attaquer le lendemain.

Le dimanche matin, Berthelot partit avec une chaloupe, ayant soin de faire cacher la majeure partie de son monde, et de ne laisser voir que les hommes nécessaires à la manœuvre. Les Espagnols, prenant la chaloupe pour un simple marchand, la laissèrent approcher, croyant s'en emparer sans coup férir. Mais au commandement de Berthelot « d'admener la voile de par le Roy, » ils tirèrent plusieurs coups de mousquet, aux- quels Berthelot répondit vertement en ordonnant Tabordage. « Et ont estoppé ladite chaloupe espagnolle, ou il y a eu un grand combat entre eux, tant de picques, lances, qu*espées, coutelatz ; et ont fait en sorte qu'ils se sont rendus les maîtres de ladite chalouppe, quelque résistance qu'ont fait les Espagnols, la pluspart desquels estoient blessez et renversez, ayant tousj ours l'espée à la main. Et ont, lesdits Berthelot et son équipage, veu, l'autre chalouppe espagnole, de la compagnie d'icelle par eulx prise, à distance d'environ la portée d'un canon moyen, qui a mis à la voile et a fait contenance de venir secourir l'autre qui avoit rendu combat. Mais comme ils ont veu qu'elle estoit prise, ils ont fait large et pris la mer, sans qu'ils aient pu la suivre parce qu'elle alloit à force de rames*. »

Berthelot, qui parmi ses hommes comptait cinq blessés, avait seize prisonniers, dont six étaient grièvement atteints. En signant son procès-verbal, il a dit à M. le procureur du roi qu'il « prétend droit de représailles sur ladite patache par luy prise. »

Encouragés par un aussi heureux début, nos deux capitaines,

prenant goût à ces aventureuses expéditions, demandèrent au

cardinal de Richelieu, intendant général de la marine, une

lettre de marque, qu'il leur accorda sans difficultés.

Le 29 août suivant, deux chaloupes sortaient encore du

1. Arch. départ, série E. Registre de l'amirauté de Guérande.

jT"

360 LA COURSE ET LES CORSAIRES

port du PouDiguen. Bertbelot, à la tète de dix-huil hommes, conduisait l'une; Lefaubé, avec onze hommes, dirigeait l'autre. Au bout de quelques heures ils aperçurent deux pinasses escortant une barque en leur pouvoir. Ils rejoignirent près de Belle-Isie un des corsaires et le contraignirent à en venir aux mains. Le combat fut long et acharné. Berthelot, morlellement frappé au bas-ventre, tomba à la renverse, « et ne scait dît-il dans sa déposition du lendemain 30 ce qui est depuis arrivé audit combat, sinon qu'il a appris que le capitaine espaignol estoit mort et que son corps avoit esté porté au bourg de Batz, il fut enterré. »

Le 30 septembre Jean Lefauhé, comparaissait seul devant le sénéchal de Nantes (grave présomption pour le décès de Berthelot), déclarant avoir « fait prinse, en mer, d'une pinace de 48 thonneaux, conduite par nombre d'Espaignols ennemys de cest estât, en laquelle y avoit deux perriers, ung petit fau- conneau de fer couHé qui porte boullet de la grosseur d'un œuf d'oye, dix picques, et huict mousquets, dix avyrons et une bannière espaignolle.

Il De tout quoy auroit esté fait estimation devant nous à la somme de deux cents livres, suivant notre procès verbal du premier jour de ce moys (!•' septembre) depuis lequel ladite prinse auroj"! esté jugée bonne au conseil de son Eminence, comme il nous ont fait apparoir par lettres du sieur Murlin, secrétaire d'icelle, du 20 de cedit moys.

« Et au moyen de ce nous a requis, que ladite pinace, armes et ce qui estoit en icelle soient vandus et les deniers de ladite vante délivrez et partis entre eulx à ceux de leurs équipages suivant l'uzemenl de l'admiraullé pour subvenir tant au paye- ment des médicaments et traictementz fournis à leurs mariniers oldats hlécez qu'à parlir des frais de leur armement. » ur la modique somme de deux cents francs, il fallait d'abord ever les frais de justice, ceux du chirurgien et des médi- ents, puis le dixième remis au receveur de S. E. Un quart

LA COURSE ET LES CORSAIRES 361

du surplus appartenait aux propriétaires des chaloupes, unh moitié des trois quarts « à ceulx qui avoient fourny à lavictuail- lement desdites deux chaloupes, et Tautre moityé desparty égallement entre les capytaines soldars et mariniers d'icelles * . »

La part de chaque combattant était assurément des plus minces, aussi l'Administration municipale de Nantes, désireuse de reconnaître les services de Berthelot et Lefauhé, afin qu'ils eussent des imitateurs, leur fit présent décent livres de poudre pour continuer la course. Elle prit à sa charge la nourriture des prisonniers, au sujet desquels les mesures suivantes furent arrêtées dans la séance du 19 octobre 1636 ^

« Sur ce qui a été représenté au Bureau, par* M. le Procureur syndic, que cy devant Monsieur le Maire et aucuns de Messieurs auraient advisé de fournir la nourriture de certains prisonniers espagnols, étant au nombre de douze, qui avoient esté prins sur mer par les sieurs Lefauhé et Berthelot, capitaines de bar- ques du Pouliguen, et ce pour invjter les marchands et capi- taines de barques à armer plus volontires pour chasser lesdits Espagnols des environs de ceste coste et rendre le commerce libre; en considération mesme que la prinse n'estoit d'aucun^e valleur, et que lesdits prisonniers estoient la pluspart pes- cheurs et gens de néant, dont ceulx qui avoient prins ne pouvoient espérer aucune ranczon, laquelle despence il est à propos d'arrester, et est requis de commettre l'un de Messieurs du Bureau pour arrester la despepce de ladite nourriture. Sur quoy, d'un commun advis du Bureau, a esté commis et député Monsieur du Housseau Poulain, conseiller eschevin, pour veoir et arrester ladite despence qui sera payée pay ordonnance du Bureau. »

Mellinet, (t. IV, p. 227) raconte en peu de mots cet épisode dont les archives- de l'Amirauté de Guérande nous ont fourni

1. Arch. départ, série £. Amirauté de Guérande, registre et dossiers.

2. Arch. municip., série SB, reg. 43, fol. 141, 300,etc.

TOUB^X (X DE LA G** SÉRIB). 24

382 LA COURSE ET LES COlRSÂlRES

les détails. En 1698, le navire le Pêcheur, de Nantes, avait pour capitaine Guillaume Lefauhé, fils de Jacques, du Croisic. Il montait en 1702 le Saint-Pierrey de 206 tonneaux, armé en guerre et marchandises pour la Martinique. En 1704, nous le retrouvons commandant le corsaire de Nantes, le Surprenant, armé de 16 canons et 94 hommes d'équipage *.

Quant à Berthelot, tout nous porte à croire qu'il comptait parmi les ascendants du capitaine Berthelot, commandant en 1788 la Rosalie^ joli brig du Pouliguen, qui fit naufrage en novembre de cette même année. Dans la vieille chapelle de Penchâteau, en face Tautel de sainte Anne, est un petit tableau représentant un navire sous voiles que les flots engloutissent. Sur le devant la chaloupe ballottée par la mer, sert de refuge à 1 équipage dont Tun des hommes est placé en travers. Au haut, sainte Anne et la Vierge immaculée, sa fille, dominent les nuages amoncelés. Au bas se lit la légende : La Rosalie perdue, novembre 1788, capitaine Berthelot. Dans cette dernière extré- mité le capitaine du Pouliguen avait faitun vœuà la patronne de Bretagne, protectrice des marins, qui sauva le petit esquif lorsque le bâtiment avait sombré, et il fit exécuter cet ex-voto, qu'il déposa dans la chapelle de sainte Anne de Penchâteau à son retour.

Pierre VALTBAU. (f641.)

Le jeudi, 3 octobre 1641, Sylvestre Legof, -Yves Leglaz, Michel Mahinet, Jean Légal, Guillaume Perrin, Julien Bouvier, Thomas Brêtel et Julien Galvon, « bons mariniers et maîtres tie chaloupes » devisaient amicalement sur le quai du Croisic,

1. Adm. de la Marine de Nantes ; Rôles d'armements.

1

COURSE ET LES CORSAIRES 363

Les incidents de la pêche au banc de Terre-Neuve, les péri- péties émouvantes de la dernière poursuite des baleines, l'au- dace des corsaires espagnols, venant, avec leurs légères pi- nasses, arrêter nos bâtiments jusqu'à l'embouchure de la Loire, servaient de thème à la conversation, fort animée d'abord, et qui de plus en plus languissait entre les interlocuteurs.

« Le vent estant au su-suroit, (sud-sud-ouest), tourmentant en mer, » soulevait par rafales la houle creuse et écumante, tandis que des nuages sombres et bas couraient rapidement vers la terre. Les bâtiments, à l'ancre, raidissaient par instant violemment leurs câbles, et les grincements de la membrure se mêlaient aux sifflements aigus de la brise dans les cordages,

11 était environ deux heures de laprès-midi: toute l'attention de nos causeurs s 7 portait sur« un vaisseau, à eux incogneu pour l'espace qu'il y avoit, » lequel, étant à la cape, avec une seule voile à mi-mât, avait rangé la pointe du Croisic sans pouvoir la doubler, et se trouvait ainsi porté vers la côte, dans l'anse de Piriac, ne gouvernant plus.

Emus de pitié, à la pensée du naufrage inévitable qui attend le navire, ainsi que l'équipage, les braves marins n'hésitent pas. Us s'embarquent promptement, dans la chaloupe d'Yves Leglaz, a au hazard de leur vie s'exposent à la mercy des ondes, » et, à force de rames, paiTiennent à atteindre le navire en perdition.

Au moment ils accostent, un singulier spectacle frappe leurs yeux. Ils reconnaissent la Renée, du port du Croisic, et aperçoivent le maître du navire, Pierre Valteau, qui, perché dans les haubans, « crioit Miséricorde ! » Deux Espagnols étaient amarrés contre les bittes, et deux autres, des haches d'abordage à la main, s'enfuient à leur approche, pendant que Yves Tar- touezy matelot de la Renée, reprenant un peu courage, se jette sur la barre du gouvernail.

Toutes les voiles sont déployées ; le navire, que deux à trois encablures à peine séparaient des brisants du rivage^ échappe

364 LA COURSE ET LES œRSAIRES

au péril, et va mouiller dans la Vilaine, près de la Roche, dé- sormais en sûreté, à l'abri du danger.

Le lendemain , deux cadavres espagnols sortaient de la Renée, pour être inhumés au cimelière ; et le soir, une autre fosse recouvrait les restes d'un troisième Espagnol. Une action sanglante, mais de vaillante énergie, s'était passée à bord. Si l'étrange position du capitaine Valteau semble quelque peu équivoque après le récit de son sauvetage, écoutons sa dépo- sition, faite le cinq octobre devant messire René Spadinc, écuyer, sieur de la Landière, conseiller du Roi, sénéchal et lieutenant-général de l'amirauté au terrouer de Guérande *.

Le 15 avril 1641, la Renée, montée par dix hommes, quittait le port du Groisic, pour se rendre au banc de Terre-Neuve, elle arrivait le 29 juin, fête de saint Pierre. Après une pèche heureuse, elle mit à la voile le 8 septembre alin d'effectuer son retour, pendant lequel l'équipage aperçut sept ou huit navires et une barque qu'il « recogneut estre de sainct Gilles, par le signal qu'ils s'entrefirent. »

Le 30 septembre, arrivés à deux lieues de Belle-Isle dans l'est-sud-est, le capitaine Valteau fut abordé à 11 heures du matin, par une patache espagnole, de Saint-Sébastien, Nuestra- Senora-del-Rosario, montée par 45 hommes, armée de 3 canons, 3 pierriers, dfx-huit à dix-neuf piques, onze mousquets, trois arquebuses, deux douzaines de pots à feu et deux douzaines de grenades.

1. Registre des causes et des aJBfaires, de la Marine et du Commerce, à Guérande, 30 juillet 1632. Arch. départ, de la Loire-Inférieure. Amirauté, pp. 46-57.

Citons seulement quelgues lignes du journal de bord delà iîenée, journal des plus sommaires du reste, sur lequel la hauteur est très rarement in- diquée : « Le dimanche 14 juillet, pris 400 moullucs. Le jeudi 25, avons rien prins. Nativité de N.-D., le dimanche 8 septembre, avons prins 40 moullues. -— Le lundi 9, avons débanqué à 10 heures du matin. Le mardi 10, avons filé à est-su-est 40 lieues. Le mercredi 25, veu un na- vire au vent, je prins un héron. Le lundi 30, il était prins lui-même. Le 2 octobre, « mercredy, la nuit, avons défet les Espaignols, »

LA COURSE ET LES CORSAIRES 36o

Le capitaine fit aux Français « commandement, de la part du Roy d'Espagne, d'amener, autrement il les coulleroit à fonds. » Sans canon, sans munitions, sans armes, et vu leur petit nombre ceux-ci baissèrent la voile.

Pierre Valteau monta dans la patache, et fut chargé par le capitaine capteur de condiA*e la Benée, à bord de laquelle il retourna avec un seul de ses matelots, Yves'Tartouez, trois soldats et quatre matelots espagnols. La patache, ayant vu un navire au nord-est, se dirigea sur lui ; la Renée prit la route d'Espagne au sud-sud-est.

Du lundi au mercredi dans la nuit, ils avaient fait 25 à 30 lieues, et se trouvaient entre Tîle d'Yeu et Belle-Ile, lorsque « ledit Valteau et ledit Tartouez prirent résolution de se rendre les maistres dudit vaisseau, ou de mourir ; et après avoir complotté ensemble, ils prirent l'occasion que la plus part desdits Espagnols dormoient dans les chambres. »

La conversation tenue par les Français devait-être assez dif- ficile. Ils étaient, en effet, couchés sur les bords d'une paillasse, au milieu de laquelle reposait un des corsaires qui pouvait les entendre ou s'éveiller au moindre mouvement. A force de pré- cautions et d'adresse, Tartouez parvient à saisir une hache et en frappe l'Espagnol qui pousse un cri, appelant ses compagnons à l'aide. Les complices se précipitent hors de la chambre, mais Valteau saisi par deux hommes est jeté à terre. Il n'avait qu'un mauvais couteau dont il s'escrime si bien qu'il fait lâcher prise à ses ennemis , s'empare d'une hache et blesse gravement l'un de ses adversaires. Il monte sur le pont, « Tartouez l'appelloit et estoit en peine de luy. » Les Espagnols le suivent ; le courageux capitaine s'arme d'une pièce d'enseigne ferrée, et atteint par deux fois les assaillants ; malheureusement son pied glisse, il tombe et de nouveau est terrassé. En se débattant sa main rencontre la hache^ un des Espagnols est tué, les autres « demandèrent quartier et libreté. »

Sur sept hommes, cinq étaient à peu près hors de combat.

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366 LA COURSE ET LES CORSAIRES

Nos Groisicaîs vainqueurs attachent un corsaire au mât, l'autre aux bittes, et ferment les écoulilles afin d'empêcher ceux qui sont sous le pont de monter. Aux premières lueurs de Taurore ils mettent le cap sur « le havre de Croisicq, » à portée de canon duquel ils arrivèrent, vers les deux heures de l'après-midi.

Occupés de la manœuvre nécessitée par le vent contraire et la tempête, Valteau et Tartouez oublient un instant la surveil- lance de leurs prisonniers. Ceux-ci, profitant de cette négligence arrivent armés sur le pont, et les forcent à abandonner la direction du gouvernail et des voiles pour se défendre ; ce qui allait causer la perte du navire, sans la généreuse intervention des c< bons mariniers et maistres de chaloupe. »

La conduite du capitaine Valteau est assurément digne d'éloge, son énergie et sa résolution prouvent haulement en sa faveur. Tel ne fut pas cependant l'avis des armateurs de la RenéBy maître Jean Gentilhomme, sieur de l'Espine, et René Maillard, qui l'accusèrent injustement, et avec violence, allant jusqu'à dire qu'il avait « mis à terre et chassé tout l'équipage; qu'il ne fait point véoir que les Espagnols ayent pris le vaisseau ; et que si tant est qu'il ayt faict quelque chose de sa vaillance, il n'a fait que ce qu'il devoit faire... ! »

Il est bon d'ajouter que, par son courage, Valteau était de- venu légitime propriétaire du navire et de la-cargaison au dé- triment des armateurs, ce qui explique l'animosité de ceux-ci sans l'excuser.

L'Ordonnance de la Marine de 1681, Titre IX, des Prises- Art. VIII, dit textuellement : «Si aucun navire de nos sujets est requis sur nos ennemis, après qu'il aura demeuré entre leurs mains pendant vingt-quatre heures, la prise en sera bonne... » Ce délai de vingt-quatre heures, dit le commenta- teur, adopté par l'ordonnance de 1584, et par celle-ci, passé lequel la prise par recousse est bonne, et exclut la réclamation du propriétaire du vaisseau pris et repris, doit être regardé comme un sage règlement, puisqu'il est du droit de l'Europe,

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LA COURSE ET l^S CORSAIRÇS 367

et l'usage observé en France, en Espagne, en HoUande, et chez les autres nations commerçantes *.

Or le capitaine Valteau avait eu soin de prendre ses précau- tions. Les dépositions des quatre Espagnols survivants furent faites en règle ; et, observateur de sa parole, il obtint leur mise immédiate en liberté. Espérons donc que, çonforméoieiit h la loi, IdL Renée resta à son conquérant. Celui-ci dut en ren^ettre un tiers à ses sauveteurs, et accorder une large part à son ma- telot Tartouez. Il offrit aussi, n'en doutons pas, un joli bijou ou une élégante toilette à Marguerite Denyé, sa feinme, qui, peu de jours après, comparut devant M. le lieutenant général de TAmirauté, au lieu et place de son mari, occupé sans doute à soigner les plaies et bosses attrapées dans la bagarre.

La Fontaine '(T Or.

Parfois les armements en course, loin de rapporter un bé- néfice à l'armateur, devenaient une cause de ruine, lorsque la déveine ou la fatalité s'attachait au navire pendant sa croisière. Si nous avons les Surcouf, les barons de Bucaille, et tant d'autres, heureux à chaque sortie, il est aussi des capitaines, ne manquant ni d'énergie, ni d'habileté, ni desavoir, auxquels la fortune fut constamment contraire.

C'est évidemment une fâcheuse destinée de ce genre qui s'acharna sur le beau navire nantais la Fontaine d'Ovy com- mandé par Charles-François d'Angennes, dernier marquis de Maintenon; terre qu'il vendit à Françoise d'Aubigné, veuve Scarron, devenue si célèbre sous le nom de marquise de Main- tenon. C'est aussi un détail inédit de la vie de ce gentilhomme, gouverneur de Marie-Galande, du 24 avril 1679 au 4*^ jan- vier 1686, mort avant le 2 avril 1694, date à laquelle sa veuve était tutrice de ces quatre enfants mineurs.

1. Nouveau commentaire ^ sur l'Ordonnance de la Marine, du mois d'août 1681, par M. René-Josué Yalio, à la Rochelle, 1776, t. U, p. 255,

368 LA COURSE ET LES CORSAIRES

Les dépositions des marins revenus en France nous apprennent que cette « frégate, armée de vingt-quatre canons, sortit de la rivière de Nantes le 27 octobre 1675, pour faire négoce et la course vers les Indes du Pérou. Ayant couru en plusieurs lieux, depuis leur sortie sans rien faire, pour n'avoir fait aucune bonn% rencontre, » ils revinrent à la côte de Tîle de Saint-Domingue, le marquis de Maintenon, « ennuyé de n'avoir rien fait, résolut de mettre à fret sa dite frégate pour porter des tabacs en France. » Un radoub était indispensable, car « elle étoit sale des excréments de la mer ; » et lorsque l'opération fut termi- née, on commença l'arrimage de la cargaison. Mais, le 27 mai 1677, « parut une frégate hollandaise de 32 pièces de canon, ce qui obligea le second et l'équipage à se défendre le plus bravement possible, environ trois heures de temps, en espé- rance que les habitants les auroient secourus, il arriva cinq autres grands vaisseaux hollandais qui les voulurent environ- ner. Et voyant ledit équipage qu'il n'y avoit plus de remède, et qu'il ne leur arrivoit aucun secours, ils tirent une traînée de poudre sur le pont pour brusler ladite frégate, et pendant ce moment ils se sauvèrent dans leur chaloupe, et l'équipage chercha party selon son intention... »

Colbert, si connu pour la belle organisation qu'il sut donner à notre marine, et dont l'intelligence embrassait tous les détails, écrivait, le 25 février 1678, aux « juges des causes maritimes de Nantes, » pour demander l'état des bâtiments tombés au pouvoir de l'ennemi, pendant l'année 1678. Pour répondre, M. Louis Gharelte, sénéchal de la Cour de Présidial de Nantes, juge de l'amirauté, fut obligé, afin de remplir les intentions du ministre, « de mander les plus notables mar- chands de cette ville, pour nous en informer, lesdits marchands, maîtres de barques et autres, ayant jusqu'à présent négligé d'en faire déclaration au Greffier. » L'état rédigé d'après leurs dires porte huit navires, y compris la Fontaine-tï Ch% dont il vient d'être question.

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COURSE ET LES CORSAIRES 369

Perte du navire le Saint-François-de-Paule*

Ce titre si simple semble indiquer à première vue un de ces événements, trop nombreux, hélas I auxquels sont exposés nos braves marins qui passent lenr vie à lutter contre Torage et la tempête. Toutefois le document que nous avons retrouvé dans les liasses poudreuses du greffe, contient la relation d*un acte de vaillance qui mérite d'être tiré de Toubli.

L'équipage du Saint-François-de-Paule, parti de Nantes, comptait 26 marins et 17 passagers, en tout 43 hommes. At- taqué pas un corsaire hollandais de beaucoup supérieur, il lutte énergiquement pendant une heure et demie et « des 97 hom- mes qull avait à combattre il n en restait pas trente, tant bles- sés que non blessés. » Dans ce combat inégal, le capitaine avait été tué, ainsi qu'une douzaine de ses compagnons ; et '''lorsque le bâtiment, dévorépar l'incendie, sombre sous les va- gues, son pavillon battant à la corne pour attester qu'il ne s'est pas rendu, dix-sept hommes seulement échappaient à ce dé- sastre honorable en devenant prisonniers.

La déclaration que firent, le 3 avril 1678, plusieurs des survi- vants devant le sénéchal de Nantes, Louis Gharette', écuyer, sei- gneur de la Gascherie, juge de l'amirauté, nous apprend que ce navire de Galais a estoit commandé par Adrien Leblanc^ capi- taine de Dieppe, et veinrent en cette rivière pour prendre leur charge ; et ayant esté chargé de marchandises pour les Isles de TAniérique, cosle de Saint-Domingue, armé de douze pièces de cannon, et quatre pierriers, vingt-cinq mousquets et douze armes bocanières, quatre pistolets, six coutelas, douze picques et autres armes^ deux douzaines de grenades, avec quantité de poudre et balles, et autres ustencilles nécessaires pour la défense du navire équipé de vingt-cinq homme d'équipage, un garçon et dix-sept passagers et engagés. Ils sortirent de cette rivière le lundi vingt unième février dernier, en compagnie d'autres navires, qu'ils perdirent de vue le jeudi vingt qua-

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370 LA COURSE ET LES COBSAIRES

Irième à cinquante lieues ou environ hors des caps ; et furent rencontrés le vendredi vingt cinquièofie par une frégate ennemie, qui les chassa tout le jour et la nuit du vendredi au samedi, jusqu*à mydi dudit jour samedi que ladite frégatte. commença à tirer sur eux. Et s'estant mis en deffense tirèrent de leur part, ce qui ne peut empescher que ladite frégate ne fust venue à Tabordage, ils se combattirent pendant une heure ou une heure et demye ; pendant lequel temps, le capitaine Leblanc, et dix ou douze hommes de son équipage et passagers furent tués, blessés et mis hors de combat. Et cependant le feu prit aux poudres dudit navire Saint-François-de-Paule, qui en em- porta tout Tarrière et qui fit périr tout l'équipage et passagers, à la réserve de dix-sept ou dix-huit qui furent sauvés par l'équi- page de la frégate, qu'ils reconnurent estre de Flessingue, montée de quatorze pièces de cannon et quatre pierriers ou experts de fonte, commandée par un capitaine dont ils ne scavent le nom, ny celuy de ladite frégate. Et apprirent qu'elle estoit équipée de quatre vingt dix sept hommes, desquels il n'en restait pas trente tant blessés que non blessés, le surplus ayant élé tué dans le combat. Et trouvèrent dans la /régate le capitaine Maximilien Le Breton, et partie de son équipage, en- fermés dans les fonds de cale comme prisonniers. Lequel ca- pitaine Le Breton leur dit avoir esté pris deux jours aupara- vant, et veirent que leur navire coula bas, quelque temps après qu'ils en furent sortis, et furent toutes les marchandises perdues sans que la frégate en ait profité, fors d'une vergue de misenne de derrière qu'ils sauvèrent et s'en firent un mat de devant en ladite frégate, et les conduisirent à la Goroigne, pays d'Espagne, ils restèrent quatre jours prisonniers, puis les mirent en liberté...

S. DE LA NlCOLLIÈRE-TEtJElRO.

(La stiiie prochainewent.)

1. ArcU. du greffe du Tribunal civil de Nantes,

POÉSIE

LES REVENANTS

Connaissez-vous, mystérieux, Dans le val qui sourit aux deux, Un manoir perdu sous les arbres, parfois la lune, à travers Les feuilles, met des rayons verts Dans l'ombre neigeuse des marbres?

Par les nuits blondes, quand Tété Promène son doigt argenté Le long des toitures, des vitres, Avez-vous vu, sur les perrons, Errer des vilains, des barons, Et des moines coiffés de mitres ?

Chevaliers, moines et manants, D'où venez-vous, les revenants, Tout couverts d'oripeaux revôches. Pâles, ainsi qu'un vieux portrait. Si vagues, si doux, qu'on croirait Voir un bouquet de roses sèches ?

De piques et de croix suivis. Vous franchissez les ponts-levis. Et vous engouffrez sous les porches. Vos yeux sont ternes; vos doigts blancs Dans la nuit des piliers branlants Font danser le reflet des torches,

M^ii

■B^"" "•"«"i.u.

372 LA BRETAGNE

0 les fantômes d'autrefois, Mièvres, sans regards et sans voix. D'où venez-vous, frêles figures, Qui, vous éparpillant sans bruit, Comme un essaim d*oiseaux de nuil, Disparaissez sous les ramures ?...

Charles Bourgault-Ducoudray.

LA BRETAGNE

Vous, peuples étrangers, qui m'appelez stérile, Vous dites : « Tes coteaux ne savent rien mûrir ; Tu gardes du blé noir la culture facile, Et ne prend9 nul souci, même pour te nourrir.

<c Tes dolmens, tes menhirs, qu'on nous vante sans cesse, Semblent les os flétris des siècles entassés. Paves-en tes chemins ; secouant ta paresse. Change ton sol inculte en des sillons pressés. »

Pourquoi me blâmez-vous, nations étrangères ? Pour vous comme pour moi le temps doit s'écouler. Mes coutumes^ mes lois me restent toujours chères. Vers quel but courez-vous? voulez-vous aller?

Nous tous accomplissons le terrestre voyage. Qu'importe si je dors? Dieu me réveillera. Nul ne peut aborder sans son ordre au rivage ; A son heure, à son temps, chacun arrivera.

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LE CHANT DES BRETONS 373

S

Dans mes latides en fleur égrenant son rosaire, La Bretonne ici-bas ne cherche pas le miel ; Elle écoute les flots ou Toiseau solitaire, En berçant longuement ses doux rêves du ciel.

Parfois des pèlerins pour allumer les cierges, Sur le seuil des lieux saints elle attend tout le jour, Et, le soir, à la source on voit mes lentes vierges Portant la buire antique et puisant à leur tour.

Le savoir du Breton ne comprend que son culte ; Il sait diviniser tout, jusques à ses maux. Comme le chêne est roi dans TArmoriquo inculte. L'esprit croît libre et fier dans le corps en repos.

Les genêts orangés, la bruyère écarlate, Sur mon sol dénudé jettent la pourpre et l'or. La grâce du Seigneur en tous ces dons éclate ; Que puis-je demander ou désirer encor?

0 nations sans foi, sans passé, sans prière. Croyez-en mes tombeaux et mon sol tourmenté, J*ai lutté ! Dans le port j'arrive la première ; Laissez-moi dans ma paix jusqu'à Téternilé !

C*« DE Saînt-Jean.

LE CHANT DES BRETONS

Nous sommes les enfants de la lande fleurie, Les enfants du pays d'Armor ;

Nous avons, au milieu de la grande Patrie, La nôtre, à nous, vivante encor î

374 LE CHANT DES BHETOIIS

Notre Bretagne^ à nous, n'est pas terre conquise

Sur des ancêtres avilis : L'hermine immaculée en sa blancheur exquise

S'est unie à la fleur de lis.

Nous nous sommes donnés librement, tête haute,

Ainsi qu'il sied à des vaillants, Non comme des vaincus, épaves à la côte.

Qui lèvent des bras suppliants.

Les deux fiers étendards étaient fiers l'un de l'autre,

Quand ils ont tout mis en commun ; Le grand cœur de la France est vibrant dans le nôtre.

Et les deux cœurs ne sont plus qu'un.

A l'heure du danger, quand la Pairie appelle.

Et que tous doivent accourir, Nous réclamons l'honneur, s'il faut mourir pour elle,

D'être les premiers à mourir.

Le Passé ne fait pas au Présent concurrence,

En nous demeurant cher encor : Nous sommes à la fois les Bretons de la France,

Les Français du pays d'Armor !

SopmE Hue.

VOTICES ET COMPTES IIEVDUS

PROMENADE DANS QUIMPER, par M. Trévédy, ancien présilent du tri- bunal de Quimper. Quimper, chez Jacob, libraire, 1885, in-8n

Si Ton avait proposé à La Fontaine une promenade à Quimper, nul doute qu'il n'eût refusé, en s'écriant avec mauvaise humeur :

On sait assez que le destin Adresse h les gens quan J il veut qa*on enrage: Dieu nous préserve du voyage !

Mîiis si sous prétexte de le mener à Château-Thierry ;• on fût parvenu à ^entraîner aux bords de l'Odei, ce qui n'aurait p-leu être pas été bien difficile, quel changement au retour! quel enthou- siasme du bonhomme! Comme pour Baruch, il n'eût pas manqué de crier à tout venant Connaissez-vous Q.iimper? Savez vous que c'est un lieu charmant !. J'ai été un imbécile d'en médire dans mon Chartier embourbé *, que j'ôterai de mes Fables h la prochaine édition ! » Pour compléter l'amende honorable, il eût bien été ca- pable de mettre quelque part dans cette nouvelle édition une belle vue de la cité cornouaillaise, ceci par exemple ou quelque chose d^approchant :

Allez, allez donc voir la ville de Quimper, Assise au confluent de i'Odet et du Ster ! Gomme sa cathédrale, aux deux tours dentelées, S'élève noblement du milieu des vallées ! 0 perle de TOdet, fille du roi Grallon, Qui de saint Gorentin portes aussi le nom. Réjouis-toi, Quimper, dans tes vieilles murailles !

1. C'est l'orthographe de La Footaine et de toasles dictionnaires de son temps. Le 9* vers de la fable porte :

« Pour venir du chartier embourbé dans ces lienx. »

I

*4

376 NOTICBS BT COMPTES RENDUS

A défaut du tonAomma, à qui les circonstances ne permirent pas de visiter cette ville et de réparer son injustice, c'est un autre grand poète, Brîzeux, qui a Tait ces vers ; c'est lui aussi qui an jour, « en passant à Quimper, » a arraché du nnilieu A^^FabU% ce méchant Chartier embourbé et Ta sans miséricorde noyé dans

Le double flot coulant, sonore et clair, Au confluent de TOdet et du Ster*.

Aussi aujourd'hui chacun acceptera de grand cœur Taimable in- vitation de H. Trévédy et s'empressera de faire avec lui une Prome- nade dans Qnimper.

Tous ceux qui le suivront s'en trouveront bien, surtout les amis de notre vieille et curieuse histoire bretonne : car c'est d^une pro- menade liistorique qu'il s'agit ici. M. Trévédy parcourt successive- ment les divers quartiers de Quimper, le faubourg et la rue Neuve, la Terrc-au-Duc, Kernisy, Bourlibou, les bords de l'Odet, Locmaria avec sa ville romaine et son antique prieuré ; puis l'ancienne en- ceinte murale, la ville close avec ses rues ou places aux noms si originaux: Cozti,Viniou, Themer^Keréon,Poulpezron, Toul-al-Ler, Hesgloaguen, etc. Et sur chacune de ces rues, places et faubourgs, parfois sur chacune des maisons qui les composent, interrogeant les annales de la cité, feuilletant surtout nombre d'actes inédits, M. Trévédy en lire une foule de renseignements sur l'histoire et sur les mœurs locales, tous des plus intéressants. Citons seulement, à titre d'exemple, ce qu'il dit de Quelques droits seigneuriaux exercés en ville (p. 137) :

« Le seigneur de Coetfao avait une maison en ville, pour laquelle « il devait à l'évèque de Quimper une rente de 4 deniers. Il réclamait « le droit de sonner de la corne en la ville et église cathédrale de Quimper les jeudis, vendredis et samedis saints, » le droit « de lever, le mardi de Pâques, par les hommes qui avoient corné « la semaine précédente, deux 06ufs de chaque maison il y a

1. Brizeux, /e« Bretons, chaol XIX ; et la Fleur d*or, livre IX.

NOTICES BT GOMPTBS RENDUS 377

(( gens mariés, et tin omf de chaque maison il y a veuf ou f veuve, et, comme sanction, c le droite faute de paiement, « d'enlever les serrures avec tenailles et marteaux. »

« Voici comment se faisaient, au milieu du siècle dernier, la sonnerie (ou plutôt la comerié) et la cueillette des œufs.

« Les jours saints, à Toffice de Ténèbres, quatre vassaux de GoetfaOy « munis de cors ou cornes en terre, entraient au chœur de la cathédrale ; à un moment donné ils se levaient brusquement, « faisoient le tour de l'église en comaillanl comme des fous, » puis parcouraient les rues de la ville close et des faubourgs, sauf la Terre-au-Duc. Tous les « polissons » de la ville leur faisaient cortège.

« Le mardi de Pâques, les quatre vassaux revenaient. Deux por« talent des paniers, deux étaient armés de marteaux, de pinces et de tenailles. Ils allaient ainsi partout, c de porle.en porte, » ré- clamant partout deux œufs mais se contentant de deux liards. Nul ne s'inquiétait de savoir si le droit était régulièrement perçu : la re- devance était si minime, et puis les cornenrs avaient tant amusé les enfants ! On riait et on payait, trop heureux de racheter sa ser- rure à si bon compte. » (P. 127, 128).

Ten passe et des meilleurs I Car il y a bien d'autres détails de ce genre. Allez les lire dans le livre de M. Trévédy.

Je ne ferai à Tauteur qu'une légère critique, ou plutôt une simple observation.

Il me semble un peu trop enclin à contester, à rejeter même complètement le témoignage des anciens chroniqueurs, en s'armant contre eux de quelques actes rigoureusement interprétés, parfois de simples raisonnements hypothétiques. Cette tendance est dange- reuse. L'hypdircritique et la négation gratuite ne sont pas plus de la critique que la crédulité niaise qui reçoit tout. Nos vieux chroniqueurs ont besoin d'être contrôlés ; n'étant pas des critiques, ils se trompent souvent sur les circonstances, sur les dates précises ; mais comme ils sont toujours de bonne foi (sauf excep- tion très rare), les événements qu'ils rapportent, quant au fond,

TOME LX (X DE U 6^ SÉRIE) 25

978 Npyici^ irr COMPTAS mmnv^

-• ...

^mint à la physionomie génér^ljB qu'||g leur dUriby^^t, «doivent être vrais ; sous ce rapport il ne faul, en bonn0 critique, févorjuer en doute leur témoignage que sur des preuvi^^ très fortes e^ 1res directes.

Ainsi je ne veu^ pas {revenir sur la prise de Quimper p^f fJi^rles ^e Blois en 1344. dont j*ai parlé ailleurs, tfais, si j*en avais le tempSy je montrerais, je crois, aisémeut qu^n ce qu| touche l'at- taque de Foptenjelle contre Quimper au mois de m^i }597, les erreurs imputées au chanoine Horeau se rjéduisent à bien peu. Dans son étude si intéressante sur las comptes: des miseurs de Quimper, H. le major Faty a rectifié le chanoine suf deux pcnnt^ mal coimus de celui-ci : la date précise de l'attaque (5 mai au Ii0u de 30 mai), et la* véritable cause de la venue h Quimper, ce jour- là, du sieut de Kerollain S auquel Moreau attribue le principal rôle dans l'échec infligé à Fontenelle. A |iart ces deux circons- tances, je ne vois rien absolument qui infirme son récit, pour peu que l'on n'oublie pas rimportaoce donnée par lui, dans le résultat final, à {^'intervention du capitaine Magence '.

Tout ceci est pour prouver que j'ai lu le livre (ie M. TrévéJy ïivee ie soin qu'il mérite, et pour montrer i'eslime que j'en f >is voici ce qui me reste à dire.

Puisqu'une spoliation inique et odieuse a faU à H. Trévédy des loisirs, je le supplie de les occuper à nous donner, non plus seu- lement de€ études fatstoriques très intéressantes, mais fragmen- taires, sur Quimper et la Gornouaille. Il peut, il doit faire mieux que cela. Les excellents travaux de MM. Aymar de Blôis, Le Men^ Falf^ Trévédy lui-même, ont préparé le terrain : ir s'agit, en les e^ofd^fifi^Qt et i(Bs complétant, d'édifier une œuvre grande et du- rable : rhistoire de Quimper et de la dornouailfe.

IMNia la ^oéélé «rçhéologiqiie iu finktére, Urne Sil (4e85X P- i^,

2. Horeau, Histoire des guerres de la Ligue en Bretagf^ et particulièrement «ji €^mowiUe,^Aà\ii(m{iBS^)ijf. 847 à856,et spéeiàleméiit 351 â 353a355-356;

Cette œi^yre, M. TrévéJy a tout cp qu'il f^ut pour la fjffener à bi«n, et noi^s ne pouvons douter qu'il ne le fiasse. Il aura ainsi rendu un grand service à l'histoire de Bretagne et crié entp^ Iqi et le généreux pays de Cornouaille un lien indestructible.

Arthur de la Borderie.

L'INDIÂNA, suite à* Une Femme apôtre^ par le mi^n^e auteur. In-18,

Paris, V. Lecoffre.

Tous peux ils sont nombreux qui ont lu je volume jciy dessus mentionné, savent qu'il contient Phistoire, aussi éjdifiantj^ qi^'intéressanle, d'Irma Le Fer de la Hotte, en religion sœujr François- Xavier. Celui-ci, qui li|i fait suite, jsstponsiacré en gfande partie à conserver la mémoire d'une autre religieuse, d'une a.utre apôtre, qui fut à double titre la sœur d'Irma, et par les liens du s^ng et par la communauté d'ujne vie consacrée à Dieu. Elvire Li^: Fer de la Motte, membre de U congrégation de la Providence dei. Ruillé-sur-Loir, après avoir, comme sa sœur, été la Joie de sa fa- mille, se ût comme elle et avep elle missionnaire dévouée dai^s les diocèses nouveaux de l'Amérique du Nord. C'est une trpisiëipe sœur qui, dans iii^e pieuse pensée d'affection fraternelle, s'est pi)a à recueillir ces souveni)r3 et à leur donner une fojrme l^ttérairp. U^ rédacteur de f Univers^ l'un des auteurs de vies de saints les plus remarquables et les plus appréciés de notre époque, H. Léon Âu- bineau, a donné à ceç pages une valeur nouve)|e par la part qu'iji a prise à leur piiblication.

pe même quç le précédent volume, celui-ci intéressera vive-, ment tous ceux qui en feront la lectjire. ()a y verra ce que la fo^ produit dans les âmes dont ell^ est vraiment la maltresse ; pn admi- rera ce quf^ peuvent doni^er 4es facultés nature^es peu commu^je^ jointes à l'esprit de religion e| dp dévouement porté au plus l^au^ degré. De ielj^s l.çpiures sont faites pour consoler. Au milieu de toutes les tristesses die notre époque^ en présence de ces âmes in-

V V

3^0 NOTICES ET COMITES RENDUS

nombrables que le scepticisme énerve ou que la lâchelé diminue, ou est heureux de voir qu'il en est d'autres tout opposées. La géné- rosité de ces âmes fait espérer de l'avenir. Le grain de sénevé finit par devenir un grand arbre. Dieu ne permettra-t-il pas (nfia que le monde soit régénéré grftce aux semences de vie et de saiaielé qui se cachent encore dans son sein.

Comme son titre le fait aisément supposer, Vlndiam ne contient pas un simple récit biographique. La première partie raconte la fondation et les développements du diocèse de Vincennes, qui fut le premier établi dans cette vaste région. Deux Bretons, Mgr Brute et Hgr de la Hailandière, en furent les premiers évoques. C'est un nouveau titre pour cet ouvrage à la faveur des Bretons. Un appen- dice, fort intéressant également, contient des détails qu'il est bon de connaître sur l'ami intime de Hgr Brute, l'abbé Jean de Lamennais, et sur la congrégation de Frères dont celui-ci a été le fondateur.

La différence de caractère qui existait entre les deux soeurs donne un attrait de plus à celte lecture. On y voit comment Dieu, pour arriver aux mêmes fins, varie à l'infini les instruments dont il se sert. Il laisse à chacun sa liberté, son action propre, ses vertus particulières ; il se contente de tout diriger selon les vues de la Providence et d'une manière aussi touchante qu'elle est admirable. Ce qu'est la famille chrétienne, ce qu'est la vie religieuse, se trouve dans cette vie comme dans l'autre, celle d'Irma, tout naturellement résumé. Exemples fortifiants pour ceux qui croient^ en même temps que réponses victorieuses faites à ceux qui attaquent TEglise sans la connaître, tout se trouve ici réuni. Il n'est pas permis de douter que ce livre ait le même succès que son aîné. Egalement intéres- sant par le fond, il ne lui cède en rien au point de vue de la forme. Heureuses les familles qui ont pu compter dans leur sein deux chrétiennes d'une semblable valeur ; heureuses les sœurs qui peuvent se consoler du départ de leurs aînées en les faisant ainsi revivre pour l'édification d'un grand nombre !

Abbé Teulé.

FTOTICBS liT COMPTES RENDUS 38t

LES AGES PRÉHISTORIQUES DE L'ESPAGNE ET DD PORTUGAL, par M. E. Garlailhac, préface par M. Â. de Quatrefages, de llDStitut. Gr. in-So de 388 pages, 4 pi. phototypies et 4w gravures dans le texte.— Paris, Reinwald, 1886.

Tel est le titre du livre que nous demandons la permission de présenter aux lecteurs de la Revue de Bretagne et de Vendée. Édité avec grand luxe, il est le compte rendu des travaux et des recherches de M. Gartailhac, durant la mission qu'il reçut du ministère de Tinstruction publique pour étudier les collections et les monuments de TEspagne et du Portugal.

H. de Quatrefàges, en 36 pages de préface, présente le livre au public et résume magistralement les travaux de Fauteur sur les principales questions d'Anthropologie exposées dans ce volume, faisant en même temps connaitre son opinion personnelle sur la plupart des découvertes récentes.

Quant au livre de M. Gartailhac, Téminent et infatigable travailleur que connaissent tous ceux qui s'intéressent à l'Anthro- pologie prétiistorique et à l'étude des civilisations primitives, il est l'exposé impartial d'observations bien faites.

Tout d'abord, l'auteur déclare qu'il croit que, pour lui, les traces du travail de l'homme tertiaire ou de son précurseur sur les silex de Thenay, du Puy-Gourny et d'Otta, n'offrent aucune certitude et qu'il n'est pas prouvé qu'avec des causes purement naturelles on n'obtiendrait pas les mêmes résultats.

Il observe la même prudence, lorsqu'il nous dit, en parlant des instruments recueillis dans des terrains quaternaires : « Pour ce qui est d'évaluer en années ou même en siècles l'âge auquel remonte la race inconnue dont ces pierres seules nous parlent un peu, l'esprit se perd aisément dans de semblables calculs. » Faisant comme lui, ne nous jetons pas inconsidérément, à la suite d'esprits plus aventureux que sagaces, dans cet inconnu l'on s'égare si facilement.

H. Gartailhac étudie successivement, dans les premiers cha- pitres de sa belle publication, tous les gisements de l'Espagne et

^2 Noi'ibÈâ ki GOÉPTÈS îàmvs

du Portugal, les kjoekenmœddings de la vallée du Tage, qu^il compare à eeux des autres régions du monde entier, les sé|iul'- tures de Ffigë de la pierre polie et leurs curieux mobiliers, se demandant si, comme le font encore de nos jours certaines peuplades sauvages, nos ancêtres de cette époque reculée n'exposaient pas leurs morts aux agents atmosphériques'jusqu^à la disparition des chairs, pour ensuite en recueillir les ossements dans des sépultures définitives.

Dans les chapitres suivants, il traite de Tépoque des métaux, continuant à mettre sous les yeux du lecteur de beaux dessins, qui ajoutent un intérêt considérable au texte, étudiant les mines de cuivre et d'étain de la presqu'île Ibérique» les sépultures, les trésors découverts, etc.

Il nous montre, enfin, le Portugal et l'Espagne renfermant des nécropoles analogues à celles de Hallstatt, et étudie en un dernier chapitre l'ethnologie de ces deux pays.

En résumé, le livre de M. Gartailhac, dont nous venons de tracer les divisions à grands traits, est d'une lecture facile et, aujourd'hui personne ne Saurait rester étranger aux questions d'archéologie primitive, chacun voudra faire entrer dans sa bibliothèque ce beau volume, recommandable à tant de titres^. .

P. DU CâAtBLLIER.

STATISTIQUE HISTORIQUE ET MONUMENTALE L'ARRONDISSE- MENT DE REDON (u.le-et-viuinb) par M. l'abbé auiitotîn de Gorson, chan. hoQ« In 80, 525 pp. Plihon, rue Motte-Fablet, Rennes.

A la séance tenue par la Société Archéologique de Nantes, le 2^ novembre i886, un des membres, pariaiit des travaux utiles à entreprendre, cita comme exemple et comme modèle la Statisiique dont nous venons dire aujourd'hui deux mots à nos lecteurs.

Gel ouvrage, qui n*est point dans le commerce, du moins quant au tirage à part, est extrait de» Mémoires de In Société ArchéolO' gique de Rennes. Gomme tout qui sort la plume du sympa-^

thique et éradit auteur, il eât surtout pàrfaitemenl étudié^ au point de vue historique, et sous le rapporl des seigneuries et terres nobles, à Taide des archives locales, consultées avec la pfitience et )e goûl que Ton connaît. Cette œuvre d'ensemble sur les cantons de Redôh, Bain, le Grand-Fougeray, Giiislien, Maure, Pipriac et le Sel, for- mant iVrondissemetit de Aedon, mérite, en effet, d'être signalée aux travailleurs. Indépendamment des registres de Pétat civil, qui renferment tant de documents précieux, il est pour les locatistes des sources souvent ignorées, que parfois les habitants eux-mêmes ne connaissent pas^ Sauvés de Toubli et de la poussière elles sont enfouies et perdues, elles apportent leur contingent à Thistoire nationale, qui s'écrira un jour au moyen de tous ces détails ; grains de sable modestes, mais qui contribueront à la grande épo- pée de la nation française, dont le génie, l'esprit; la gldire, les pro- grès, ne peuvent que gagner â être mieux connus et mis éii lu- mière pai* ces nombreuses études locales.

S. DE LA NlGOLLIÈRC-tEIJEIRO.

NOUVELLES DOUANIÈRES. Scènes de la vie des cOnthebandiErs^

par M. Eugène Roulleaux. Paris, Dentu.

Quel est celui, à moins qu*il ne soit incorrigible fraudeur,-^ qui n'ait, un jour ou l'autre, compati au sort du douanier, quand, par une triste nuit d'hiver, il lui faut affronter ou la tempête oti la neige pour surveiller l'espace commis à sa Vigilance ? Le veiit souffle fort, la pluie tombe à torrents; n'importé, il faut qull s6it au poàle, empaqueté tant bien ti<ie mal datis sa capote ei soii manteau, et rêchauffaiit à peine par Une tnarche précipitée ses membres engourdis.

Vraiment, t^h compretld tout de suite que les hommes voués ce rude métier doivent avoir eu dans leur vie quelques intéres- santes histoires. C'est la lutte pour la vie. Le douanier guette le fraudeur ; le fraudeur essaie d'échapper au douanier. Qui l'em-

384 NOTICES ET COMPTES RENDUS

portera ? G*est la lutte de rintelUgence contre rmteUigence, de la force contre la force. Souvent ce sera le hasard qui, entre les deux adversaires, égaux de tous points, déterminera le vainqueur.

Le livre que nous annonçons, nous fait assister à quelques- unes de ces scènes dramatiques. Il comprend deux récits, em- pruntés, Tun aux douaniers qui gardent les côtes ; l'autre, à ceux qui surveillent les frontières de terre. Dans le premier, il s*agit de deux Jeunes gens, de la fille d*un douanier et du fils d'un firau- deur, dont les pères empêchent Tunion ; dans le second, Ton raconte les aventures d'un oflQcier de marine, jeté, presque sans s'en douter, dans une bande dont il devient le chef, et à la tète de laquelle il déploie les ressources merveilleuses d'un esprit digne d'une destinée plus haute et d'une vie plus honorable. L'un et l'autre récit sont écrits d'une plume habile, qui, mariant les descriptions et les dialogues, dessinant les portraits, unis- sant avec art les scènes variées, charme le lecteur en l'impres- sionnant vivement.

L'auteur est du métier. Pendant de longues années, il a lui- même travaillé à la répression de la fraude. Il le dit, dans une préface faite en forme de dédicace à l'un de ses anciens chefs, et dans laquelle il ne craint pas de signaler quelques-uns des abus dont le corps des douaniers est victime. Hélas ! faut-il donc que tout nous ramène à cette proposition fatale que le régime libéral de la République est celui dans lequel la liberté trouve le moins facilement sa place ? Ici encore nous en trouvons la dé- monstration péremptoire.

Nous ajouterons, car dans notre siècle de naturalisme, c'est une chose qu'il faut noter, que ces pages, intéressantes au point de vue littéraire, sont de celles que tout le monde peut lire sans défiance»

Louis DE Kerjean.

I

NOTICES ET COMPTES RENDUS 385

BRETAGNE ET BRETONS, par Robert Oheix. ire série. Saint- Brieuc, librairie Prud'bomme, 1886. In-iS de XXI et 367 pages.

Ce volume qui se présente bien, avec un titre de bonne mine sur une jolie couverture, est un recueil d*études diverses sur plu* sieurs points de Thistoire de Bretagne et sur plusieurs écrivains bretons ou tenant de très près à notre province.

Il y a une préface humoristique qui prévient en faveur de Tau- teur. On voit tout de suite que s'il traite volontiers des sujets graves, il ne se refuse pas de les égayer dans la forme quand Toc- casion s'en oiTre : ce n'est pas « un monsieur qui ne rit jamais. » Or y a-t-il rien d'assommant comme le « monsieur qui ne rit jamais, » qui pose à perpétuité pour le sérieux et le solennel, pose dont souvent le but unique est de masquer un abîme de niah- série ou un cloaque de bêtise.

Je ne sais trop pourquoi, par exemple, dans cette préface, H. Obeix se décerne non sans quelque complaisance le titre de « premier mnat^ri^ du Pape. > Son livre justifie mal cette prétention. Non qu^on n'y voie suinter çà et quelques filets de vinaigre, mais il y coule aussi des ruisseaux de miel. Ce qu^on y trouve surtout et partout, c'est du sel à pleines poignées, du piquant, de l'imprévu, de l'original, et de l'ennuyeux nulle part.

hauteur paraît attiré d'une façon particulière vers l'histoire des saints de Bretagne ; trois de ses études sont consacrées à saint CaraieCi à saint Paul de Léan^ aux Saints bretons inconntis. Dans une autre, des plus intéressantes, il trace une excellente théorie des Légendes Armoricaines^ avec nombreux exemples à l'appui. Les articles : Bonrepos et Merléae^ Trois vœux du Con- grès de Châteaubriant, décrivent des sites et des monuments fort originaux de notre vieille province.

En ce qui touche les écrivains, H. Oheix consacre une étude très bien faite et très complète aux Ouvriers de Vhistoire de Bre- tagne^ c'est-à-dire à dom Lobineau, dom Audren et leurs confrères Bénédictins (Le Gallois, Briant et Rougier), qui ont véritablement

386 NOTICES ET COfil^TÉâ RENDUS

fondé, par leurs découvertes et leurs travaux, Tbistoire de notre province, ne laissant à don» Moriceque le maigre bonnedr de vivre de leurs noieltes et de restaurer : sur commande la iàble ,de Conan Mériadec.

Parmi les auteurs contemporains, M. Obeix étudie avec unegrande flnesse d'analyse les charmants contiss bretons de M. du Lau- rens de la Barre : les travaux historiques de H. A. de la Borderie, tous relatifs à la Bretagne ; ceux de H. Edmond Biré sur la^Réyb- lution ; de M. François Joûon sur je âaint-Sépulcre ; et il couronne celte série par une étude magistrale sur « le comte de Falloux. » L'auteur avait déclaré clans sa préface exclure strictement de son recueil les articles politiques qu^il avait pu « commeiire. «Son portrait de M. de Falloux ne contredit point cette déclaration. Rien là, en effet, des passions ni des trivialités de|a polémique courante: par la largeur du Irait, la grandeur des lignes, la hauteur des idées, c'est une véritable peinture d'histoire, revit admirablement la, physionomie de cet homme supérieur, qui fut à la fois uii grand homme d'Etat et au témoignage de S. S. Léon XIII -r < un bon, un grand serviteur de r Eglise / »

On le voit à ce bref énoncé : Tiniérêt, la variété ne manquent pas dans ce volume. Pour vafièr moi-même ce compte rendu, je vais faire à Tauteur quelques chicanes.

filles porteront sur Pune des études qui ont plus de prix. à rrïes yeux, celle consacrée aux Saints bretons inconnus. L'idée en est excellente, le plan des recherches et des IrdVaux à exéculéf très bien tonçu. Pour les saints qui n^ont point d'histoire écrite (ils sont nombreux en Bretagne), rien de plus Ulile^ de plus méri- toire, qUé de chercher et de recueillir soigneusement toutes les traces de leur nom, tous les souvenirs de leur existence, Cônservéà^ soit dans les monuments de la sculpture, de la peinture et dii dessin, soit dans la topographie locale, et surtout dans la tradition populaire. Mais quïïind il s'agit de saints ayant une histoire écrite de daté ancienne, la IradilioH orale il faut y prendre garde *— h'a de valeur que si élié concorde avec cette histoire;

NOTICES BT COMPTES RENDUS 387

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Ainsi, je trouve dans le livre de M. Oheix (p. 33, 34) une légendçi populaire recueillie à Sainl-Hervé, près Uzel, par feu M. Xiaullier du Hottay^ et qui trâosporld dans celte commune bit Irait de rtiis- toire du saint patron, raconté parla vieille Vie latine de saint Hervé comme è'étant passé à LanboùameaUj c'est-à-dire h plus de quà-' rante lieues d'tJizel, et qui même, d'après cette Vie, n'a pas pu se passer ailleurs. La tradition de Saint-Hervé près Uzel n'a. donc d'autre mérite que de fausser la vérité, et de la fausser toême (comme toutes leg contrefaçons) asse2 maladroitement, car le récit écrit la Vie latine é?t beaucoup plus curit^Ux iqiie Ver-, sibn oraltî recueillie par M; du Moltay. Ceci prouve qu*il faut^ user dans ces recherches de grandes précautions, surtout pour, apprécier exactement Forigine, la nature^ la valeur réelle des tr^-^' ditions populaires relatives à nos vieux saints. ^' ' -

De même en doit-il être avec les noms de lieux. Tracer Tiliaé- raire d'uh apôti*e du b^ ou même du IV* siècle de l'ère chrétienne d'après le vocable de quatre ou cinq petites chapelles (peut-être fort modernes) qui portent son nom, me paraît très hasardé : si c'était du moins d'anciennes paroisses... Mais ce qui me semble' absolument abusif, c'est devoir, par exemple, dans le nom de Ker- belecÇfiWage du prêtre) une preuve que saint Clair, premier évêque de Nantes, aurait habité le lieu ainsi nommé, alors que ce nom dé- note tout au plus la résidence d'un prêtre quelconque en ce village, ou peut-être TafTectation ancienne de ce domaine à la dotation du clergé de Id paroisse (voir p. 84, 29, 30).

Arrêtons ici ce filet de vinaigre, et, pour bien finir, détachons de l'œuvre de M. Oheix et présentons au lecteur un grand et beau paysage supérieurement peint, l'abbaye de Bonrepos, ia vallée et sa montagne :

Ënfia on atteint Bonrepos. Quel site admirable autrefois, avant

que les grandes routes, le télégraphe, la hache de» marchands de bois et le reste, eussent enlevé à cette solitude quelque chose de sa grand&ur et de àa l^aiivagerie ! Le Blavet, non edcore asservi aux ingénieurs, faisait uii croehel et enlaçait 6ur trois faces les bâtiments de Tabbaje; de l'autre'^

888 NOTICES ET COVPTBS RENDUS

côté àê la rivière te dresse k pic la montagne de Gwéiipd, jadis couverte de bois... Après une demi-heure de Tasceosion la plus rude, nous arri- vons au sommet

« Quelle vue ! Les étangs des Salles dorment à nos pieds, entre les replis de la forêt de Quénécan, enserrés de collines alternativement vertes et rocheuses. Plus loin, si loin que le regard peut s*étendre, c'est une suc- cession de vallées bleuâtres, de croupes dénudées, de clochers à peine entrevus, et tout va se fondre peu à peu en une brume grisâtre, qui pour nous autres Bretons a encore son charme, la brume qui enve- loppe tous nos horizons, comme elle enveloppe nos légendes. An nord, spectacle tout différent. Ce ne sont plus les mystérieuses profondeurs de la forêt enchantée. Au delà de l'entonnoir formé par la vallée du Blavet, le plateau de Laniscat et de Gorlay' monte, se développe, en plans successifs, en pentes variées, et déroule à perte de vue, en un réseau pit- toresque, ses routes, ses landes, ses prés, ses villages et ses manoirs, comme sur une carte géographique dressée à vol d*oiseau« » (75-76) 79-«0).

Quiconque a pu contempler ce site inoubliable, le revoit ici tout entier.

H. Obeix promet de nous donner bientôt un second volume et de continuer longtemps cette série. Nous prenons acte de la promesse en souhaitant prompte réalisation.

DIEU ET LB BOI, poésies, par Emile Grimaud. Un vol. in-18 jésus, titre rouge et noir, de220 p. Pari«, librairie académîaae Didier, Per- rin et Gie, successeurs, quai des Grands-Augastins, 35. Nantes, Vincent Forest et Emile Grimaud. Prix : 3 fr.50. 25 ex. ont été tirés sur papier vergé, i^rix : 6 fr.

£tt attendant le compte rendu qui en sera donné dans notre prochdne livraison, nous reproduisons la dédicace de ce recueil, qui va paraître ces jours-ci:

AU GÉNÉRAL DE CHARETTE

En vous félicitant des Noces d*argent du régiment des Zouaves pontificaux que vous vous prépariez à célébrer, je vous avais dit

NOTICES ET COMPTES RENDUS 389

tout mon regrei de n'avoir pas le droit de prendre part à une telle fête, puisque je n-avais pas eu le bonheur d'être un de vos soldats. Vous me répondîtes aussitôt avec trop de bienveillance assu- rément :

«c Et pourquoi, je vous prie, ne nous feriez-vous pas le très grand plaisir d'assister à nos Noces d'argent ?

« Que vous manquet-il pour être Zouave ?

<f Catholique, Vendéen, vous Têtes au premier chef!

a Hais c'est notre grande gloire, à nous, Zouaves, que d'avoir dans le cœur ces deux mots :

(c Dieu, le Roi !

ce Vous voyez donc bien que votre muse est Zouave ! »

J'assistai à cette admirable journée du 28 juillet 1885, et c'est pour en marquer le souvenir que j'aime à dédier au héros dePatay un recueil dont le titre est fait pour lui plaire et plus d'un sym- pathique hommage est rendu à son nom deux fois illustre.

Emile Grimaud. Nantes, f 0 movembre 1886.

Le volume de Dieu et le Boiu^ vendra au profit de l'Œuvre des Frérei^ dei Écoles ebrétiennei.

CHRONIQUE

Les BeaiuL**Art8 à rô:^08ition de Nantes.

» t.

Le mois dernier, en visitant le salon central, nous n'avions guère qa'à

admirer. C'était la serre le jardinier n'admet qu'uo choix de plantes

rares.

Il s'agit maintenant d'entrer en plein maquis, en pleine jungte.

Une végétation touffue, polychrome, nous enveloppe ; éclatante ou paie, gaie ou sévère, mais d'où, par endroits, quelques pousses vigoureuses surgissent. A nous de les découvrir et de les montrer. Plusieurs nous échapperont dans le nombre. Un plus perspicace leur donnera l'éloge qu'elles méritent.

La première pièce nous pénétrons forme une sorte de large vesti- bule. Dès le seuil, le regard est pris violemment par deux toiles énormes, couvrant presque les parois de gauche et de droite.

Dans Tune, consacrée aux Noyades de liantes^ M. Aubert évoque un des plus hideux ëouvenirs de 93. Carrier, en bottes molles et culotte de peau, costume authentique, préside aux mariages républicains, c On attachait un vieillard à une jeune femme, un jeune homoieà une jeune fille, on les dépouillait de leurs vêtements, et on les précipitait dans la Loire. » Le peintre s'est inspiré de cette phrase, écrite au Bulletin du tvibi^Ml févelutiQnnaire, - proeè$ de Carrier, Pjoard et Grandmaispn, Il en a fait un tableau truculent, devant lequel le visiteur s'arrête avec surprise, Térudit constate la recherche de couleur locale qu'on aime dans une page historique. Les premiers plans ne sont pas heureux. Ces bras et ces jambes convulsés, aperçus au fond des barques, déplacent l'attention, sans rien ajouter à Thorreur du spectacle.

En face, le Travail, de M. Roll, déploie la vision pacifique d'un chan- tier de construction en activité. Tout ce monde remue et vit. Certainement, ni Roche^ ni Duc-Quercy n'ont passé par là. Aucun de ces rudes travail- leurs ne songe h la grève. Scieurs, manœuvres, gâcheurs de plaire, tail- leurs de pierre, tous ont le cœur à la besogne et c'est un argent bien gagné qu'ils rapporteront samedi à la maison.

Un vice inhérent au sujet : un ton de grisaille uniforme attriste ce ta- bleau. L'œil n'a pas un point dans cette brume, pas une lueur dans cette

pénpmbre, 8erepp3er. Dies moellon^ blaachàtires il tpp^be^px ouvriers |)runâtres, pour glisser au sol grisâire. te riemède eût pejit-Stre été de choisir un autre corps d'état. La pierre à bâtir, le tuffeau surtout, avec j^es fadeurs poussiéreuses, oe prêtent guère au jeu des couleurs, et la difficulté de les rendre est upi écuei{ o4 le pinceau d'un médipjcre se fût brisé. Pire que If. Çoll| —malgré le défaut signalé, s'en est tiré à son honneur, es^ la meilleure louange et la plus juste qu'on puisse lui

V Enfant aux jouets^ une amusante fantaisie de M. L. Garrier-Belljeuse^ La petite iille, en extase devant les jpuets, n'est que pour la mise en scène. Tout rintérêt se concentre sur l'attirail . des pots. Il y en a de toutes les nuances, de toutes les formes. Des majestueux à la panse re- bondie, des élégants à la taille mince, des coquets aux anses maniérées, des gais à l'encolure drôle. Le soleil accroche en passant son point lu- mineux aux contours vernissés. Et l'on reste une bonne minute à re- garder ces petites choses de grèf, qu'on dirait vivantes, avec leurs physionomies falotes de bonshommes.

UÉcuélle cassée. Si vous passez par Vannes, allez à deux kilo- mètres au hasard dans la campagne, poussez la première porte de ferme rencontrée \ vous retrouverez en pâture le tableau de M. Chaillou : le lit- armoire, la table en chêne, noircie par l'usage, le sol inégal de terre battue. La Bretonne n'aura pas peut-être le plastron de drap à boulons de cuivre serré sur la poitrine; mais elle le mettra dimanche pour la grand^messe. Le gars ma|adroit, ^ui pleuré son écuellée de soupe ré^ pandue, peut se serrer le ventre. On devine à la figure énergique de la^ mère qu'il jeûner^ jusqu'au souper. Bien heureux s'il ne paie pa$ i^ casse à coups de trique !

Eltiballéi^ par M. G. 3ussbn. Nous avions vu déjà au salon de Paris 09 mail-coach emporté à travers les rues d'un village. Le monsieur correct qui conduit ne perd pas la tête, mais son cheval de volée perd sa têtièr^ et le sportman se demande, comme nous, d'où peut venir pareille mésa- venturiË!. 0|i les harnais de rélégant attelage sont en bien mauvais état, ou le cocher remplit bi^n mal ses fonctions. Une petite l^arisienne fait un geste effrayé," d'où peur du danger n'exclut pas le soin do la pose. La bionJe impassible, assise derrière elie, ne peut être qu* Anglaise. Eqi somme, pour des jg;ens. qui risquent leur peau, tous ces personnages sont bien calmes.

11 7 aurait encore ici beaucoup à voir et souvent à louer, mais le temp9 nous presse: Entrons à gauche^ dans cet^e longue galerie, pleine <j[e proT àaessrè^, (ju'elle Va tenir si j'en juge par : V^uve^ une jeune femme e^ grand detiil, travaiHant' auprès d'u4 berceau. Mitè Burgkan à trouvé ]^

392 CHRONIQUE

▼raie émotioB dans ce simple groupe, image d'une douleur nlencieuse ▼aiHamment acceptée. Il y a tout un récit poignant en ce pro6i grare de veuve et celte frêle esqubse d*enfant endormi. L'ouvrière reste seule, sans ressources, en perdant l'homme qu'elle aimait Le bébé a quelques mois à peine : il faut l'élever et se nourrir. Elle est belle et pourrait en trafi- quer; mais elle lest honnête et pense au mort. Toutes ces réflenoos viennent à l'esprit devant cette triste et chaste figure, penchée sur Fou- vrage et dont aucune révolte n'assombrit les traits résignés. Le dessin ferme accuserait une main plus virile.

Un paysage d'hiver observé aux bords de la Seine par H. P. Brandi, s'appelle i Effet de neige à Saint-Denis* L'impression de la neige est exacte. C'est bien le panorama uniforme de la campagne blanche oû^ seules, les traces légères des pas marquent la place des chemins. Le fleuve, nulle barque ne s'aventure, roule sans bruit et les arbres nus ont des aspects lugubres de choses mortes.

J. Valadon : A l'église» Jeune fille à genoux, bien prise dans sa robe ajustée. Le peu qu'on voit de son visage donne envie de lui dire : « Maïs retournez vous doue I » C'est l'avis d'un vieil habitué placé der- rière elle, auquel ce voisinage donne des distractions ; mais elle prie si bien, qu'on préfère encore à la grâce de ses belles formes la pudeur de ses mains jointes et de ses yeux baissés.

Les joyeux buveurs, de M. Garnier, nous transportent dans un autre milieu et à une autre époque. Préciser la date certaine des costumes serait difficile ; mais n'est pas l'intérêt. La bande des francs compères en justaucorps et hauts-de-chausses ne songe qu'à passer le temps gaiement Le vin est frais, sans mélange de fuschine, et nos drilles s'en donnent à cœur joie. Los faces épanouies rient largement, la vie éclate en chansons à boire et en propos grivois. Tout cela résonne, cir- cule, vaut mieux que l'immobile distribution des drapeaux qui vous ^Bice, en passant dans je ne sais quelle salle.

Avec Fleurs et bijoux^ nous retrouvons M. Bidau, déjà vu au salon principal. Cette fusion de la nature et de l'art est du plus agréable effet. Les perles chatoient mieux, l'or reluit plus, à côté des teintes douces qu'ont les fleurs. L'artiste nous semble ici s'être rapproché plus encore qu'ailleurs de la perfection.

Pris par un coup de mer, de G. fiaquette. Un grain surprend la chaloupe au large. Des lames courtes, un peu trop courtes peut-être, déferlent contre l'embarcation, qui s'efforce de leur présenter l'avant. Il y a dedans deux ou trois types réussis de loups de mer, souquant sur les avirons ; de ces faces basanées qu'on voit, le brûle-gueule aux lèvres, le long des ports. Les vagues gris-ardoise ne remuent pas assez.

CHRONIQUE 393

Tartufe, au tnomeDit le tratire démasque ses batteries et fait à Ëlmire la célèbre déclaration. M. G. Loyaux met dans son travail une minutie extrême, un éclat superbe de coloris. La physionomie de Thypocrite marque bien la minute brûlante la femme d Orgon va se voir forcée d'appeler. Un salon luxueux s*accommoderait à merveille de cette intéres- sante peinture.

Une métairie à Soulliers contient, comme les autres ouvrages de M. Le Roux, une connaissance approfondie du plein air. 11 y a surtout ici une fine étude de plantes aquatiques reflétées dans une mare. La transparence glauque de l'eau dormante est rendue visible. Le vert un peu violent des arbres s'explique, en songeant qu'une végétation si luxu- riante flamboie aux jours torrides de l'été.

Le Loup et V Agneau, c'est-à-dire un vieux soudard entrain déplumer^ aux cartes, un jeune conscrit. Le pauvre diable, à peine sorti de son village, ne quitte pas du regard son jeu, les atouts sont rares. Sa- bour8e de cuir, couchée sur la table, s'aplatit à chaque coup et la pile de monnaie entassée près du routit^r indique quel chemin prennent les pièces* La fille d'auberge appuyée contre une porte, derrière l'agneau, cligne de l'œil au loup. Tous deux sont d'intelligence pour enlever le magot, qu'ils croqueront ensemble sans autre forme de procès. L'auteur : M. Gide.

Une salle parallèle à celle que nous quittons s'étend à droite. Nous y remarquons:

Fleurs de Nice. Un joli portrait de J. Saintin. Jeune femme en toi- lette montante, noire. Un bouquet bleu et blanc sur le bureau en marque- terie. Intérieur élégant; détails se brement choisis ; exécution irrépro- chable.

Une charmante strophe explicative de Jacques Normand accompagne ce tableau de gourmet.

Le Pesage à Longchamps^ courses d^aufomne, de J. Lewis Brown, offre plus d'un inlérôt. Il a d'abord l'attrait d'une peinture soignée ; puis les personnages connus qu'il nous présente dans leur pose et leur tenue habituelles. L éternel Mackensie-Grieves, raide en sa redingote bouton- née^ le mouchoir dépassant la poche de trois centimètres et demi ; le prince de Sagan, correct et distingué; M. Lindemann^ mince et long... toute la liste des poteaux d'hippodrome qu'on lorgne à Longchamps ou à Auteuil.

Portrait de M'^^ ^., signé Machard. Tête expressive, dessin habile, couleurs franches. Ce qu'on appelle un beau portrait.

Les Derniers rayons. M. P. Péraire doit aimer Lamarlme. Son mai*ais de Ballancoarti vu au soir tombant; rappelle les rêveries harmonieuses

TOMB IX Oc nS U 6e SÉRIE). 26

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des Méditatiani». L'ample traînée de lumière miroite entre les sombres ▼ordures des joncs et Ton voit

Le roi puissant da jour, se couchant dans sa gloire. Descendre avec lenteur de son char de Ticloire.

Femme au piano prouve que M°^e Lemaire n'est pas uniquement un délicieux peintre de fleurs ; mais, comme on ne renonce jamais à une passion favorite, un joli bouquet mêle ses nusDces tranquilles aux rayures éclatantes de la robe.

Le Jury de peinture. M. Genrex détaille un coin humoristique de l'opération du triage, avant Touverfure du salon. On voit surtout des dos, des chapeaux et des cannes ; mais ces dos ont une physionomie, ces cha- peaux une allure et ces cannes sont éloquentes.

Equipage de bœufs charriant des engrais. Personne, même le plus pro- fiine, ne passe indifférent devant ce paisible incident de vie cham- pêtre. C'est, avec un réalisme de bon aloi, la nature prise sur le fait. La froide journée de fin d*automne commence à peine. Les vapeurs du matin estompent, par endroits, le sol bleuâlre. Des tombereaux, chargés ayant fanbe, quittent la ferme. Un paysan, les mains dans les poches, sifflant un air, précède ses grands bœufs blancs marqués de roux. Les engrais chauds dégagent une buée grise, lentement répandue dans Tatmosphère lourde. Il faut avoir assisté au réveil de la campagne pour comprendre avec quel scrupule M. Prince teau a étudié les objets qu'il nous montre et les impressions qu'il nous communique.

Fas-tu t'nallaiê ! Encore un qui connaît à menreille les choses qu'il raconte. Pour être à Dour en Belgique, M. Ë. Bahieu n'en ignore rien des mœurs de Lisieux, en Normandie. Cette ruelle aux antiques maisons penchées l'une vers l'autre comme pour s'embrasser, ces parés inégaux, celte teinte indéfinissable des murs centenaires... tout y est, avec un parfom de terroir qui vous apprend de suite le lieu tous êtes. £t si ia première vue du décor vous laissait un doute^ la vieille Normande «n bonnet de eoton, frappante de Tértté, dans son apostrophe au moutard ré- calcHrant, vous orienterait vite. Le martinet qu'elle tient sent un peu Tapprêt. J'aimerais mieux un simple bâton ou un vulgaire balai, pris der- nire la porte. L'enfilade de la rue, vue en perspective, procure la sensa- tion juste de la distance.

Première leeon. Bonne élude, d^im Nantais, M. Cb. Jonsset. Un vieux maria donne une leçon de rames à une jeune fille. L'élève s'y prend gau- chement, comme une d^Mitante qn^elle est; le professeur ta regarde néanmoins d'un mr satbfiût, peu habitué à navigtter en si gradeta têle- k-tète.

GaROKiauE 895

L'arrivée sw le champ de foire. M. Brunet-Houard étudie avec cons- cience les chevaux qu'il expose et les paysans qu'il présente. La foule des gens de foire grouille convenablement dans les foods; les maisons de la petite ville s'alignent correctement autour. Tout est fait d'après les règles, suivant les formes, comme enseigne l'école. Ou aimerait à trouver quelques défauts dans les détails, pour un peu d'originalité dans l'en- semble.

M. Deneux, dans ses Sphinx y est lui-même assez éuigmatique. J'entre- vois une intention rapprochement entre les femmes et l'être mysté- rieux de la fable ; mais il faudrait nous faire plus clairement l'allusion. Beaucoup de gens ne voient que trois jolies promeneuses visitant un musée. Cette chicane n'attaque en- rien l'exécution, très bonne, si l'idée est un peu confuse.

Le portrait de M"^^ £., par M. Serenne, a l'énorme qualité d'être sin- cère. Un rude masque de paysanne, carrément posé de face; 'les mains Calleuses croisées sur la poitrine, le costume sombre, la coiffe blanche, le teint hâlé. Pas d'enjolivements, ni de subterfuges.

M. Â. Bellet a vu certainement ces deux villageois, jeune homme et jeune fille, en conversation pour le bon motif. Le colloque manque d'en- train ; on n'est pas Heruani et Dona Sol. La seule chose à savoir est dite. La couturière n'en perd pas un coup d'aiguille ; le journalier ne s'est pas même assis. Quelques phrases sur l'ouvrage, sur les voisins, et c'est tout. Ce sera pour la semaine prochaine, à l'église de Ghâteaubriant.

Une grève entre deux falaises et plus loin un grand paysage de pleine terre témoignent que M. Le Roiix fils a fait honneur aux leçons de son père. Gela se nomme Préfailles, et Les Environs du Pasquiau. Deux savoureux paniers de fruits, signés Marie Toulmouche, donnent à croire que le talent est contagieux.

Une toute petite salle, à droite du vestibule, contient quelques œuvres originales*

Dans l'ane, sous ce titre : Ma Femme et mon Singe^ M. L. Chalon abuse d'un grand talent pour étaler une affectation de bizarrerie et d'in- décence. Dans un intérieur fantasque, une femme nue et plâtrée, aux re- flets d'une lumière crue, émerge d'un flot de broderies tombantes. Le singe fait une tache noire, accroupi sur un oreiller. On regrette qu'un peintre, capable de faire un chef-d'œuvre, n'ait extrait de sa palette qu'un habile tire-l'œil.

M. Léon Tanii nous conduit chez la Couturière et nous fait assiste]^ à l'essayage d'une robe. C'est un souvenir du palais de rindustrie, tout le monde a remarqué cet épisode très étudié des mœurs parisiennes. Pour peu que vous fréquentiez le Bois, Vous rencontrez jofîe cfiéflite dont les traits s'encadrent dans la glace.

396 CHRONIQUE

Flirtation, Thèbes, KFIU* dynastie. Il nous serait aussi difficile qu'à M. Rocbegrosse lui-même de dire si le flirt se pratiquait de la sorte à Thèbes sous la XVIII* dynastie. Ce qui nous importe et ce qui nous charme, c'est la manière surprenante dont l'artiste a interprété ce songe d'une nuit agitée. Voilà du neuf. On peut en blâmer la conception étrange; on doit s'incliner devant l'adresse merveilleuse de l'ouvrier.

La moitié à peine de notre tâche accomplie, l'espace va nous manquer. Rien que chez les peintres, une longue roule nous resterait à parcourir. 11 faudrait citer cent aquarelles, signées de noms connus ou dignes de l'être. £tla sculpture^ largement représentée, malgré la difficulté des transports ! Et les gravures, exquises de finesse et d'exactitude ! Et la série magni- fique des photographies, arrivées au dernier mot de la perfection ! Et le cabinet trop étroit des architectes !

Les quelques feuilles d'un article de revue ne peuvent suffire ; il fau- drait un livre, chaque branche de l'art aurait son chapitre.

Avant de quitter le lecteur, nous prendrons seulement, à la fleur de chaque panier, un ou deux spécimens, en disant avec Virgile : Ab uno disce omnes,

Aux aquarellistes, il faut nommer d'abord ]M1 mes Lemaire, mère et fille.

M'»^' Madeleine Lemaire se platt aux obstacles, qu'elle surmonte toujours. Quel tableau, peint à l'huile, donnerait une symphonie éclatante de cou- leurs, comparable à cette grappe de gibier, faisan, merle, grive ? Et pour augmenter la difficulté, une orange ouverte, traduite jusqu'aux moindres fibrilles.

Miio Suzette Lemaire incruste dans la soie de gracieuses fleurs des champs^ plus fraîches que nature. <- Une enfant qui promet de devenir aussi grande que sa mère.

£n Vabsence du maiCre, le modèle de M. P. Garrier*Belleiise profite d'un instant [de solitude, pour essayer son talent, au détriment de l'é- bauche commencée, et nous montrer son dos, d'une ligne irréprochable.

Le panier de fleurs de M. Rivoire pousse Titlusion du vrai jusqu'à ses dernières limites.

Les Forgerons de Rafaelli trinquent avec une conviction amusante. Les deux bras tendus, d'un même geste, les yeux gravement fixés sur leur verre, comme s'ils accomplissaient un devoir, on les entend se dire : « A la vôtre ! » du ton pénétré qui convient.

Deux ou trois fines aquarelles rappellent le beau talent de Mme N. de Rothschild. 11 faudrait citer tous les Détaille, si étonnants de ressemblance et d'à-propos, qu'on dirait dçjs vues instantanées, prises aux quatre coins du quartier.

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CHRONIQUE 397

Une foule d'ouvrages excellents, quelques-uns très remarquables, ont pour auleursdes Nantais, artistes ou amateurs. Ke pouvant, faute d*espace, en faire la description et en rechercher les qualités, mieux vaut renvoyer au catalogue, pour le nom des peintres et le litre des œuvres.

Peu nombri'ux, les sculpteurs tiennent dignement leur place. La lon- gueur du voyage n'a pas effrayé un superbe Gaulois et sa famille, dus, je CI ois, au ciseau de M. Pierre Ogé (de Saint-Brieuc). Ce groupe s'appelle : baptême gaulois, La femme tient entre ses bras Tenfant auquel elle fait baiser le glaive paternel. Le guerrier, carrément planti^ sur ses jambes musculeuses, est d'une allure martiale : puissante étude d'anatomie, en<- cadraot un beau souvenir des temps héroïques.

A l'autre bout de la salle, se dresse la stature plus moderne du maré- chal Ney. C'est l'instant de l'exécution, le héros découvre sa poitrine^ avant de commander lui-même le feu. Le geste simple rend plus saisis* santé la grandeur de l'action.

Au milieu, la silhouette monumentale du comte de Ghambord. Il est à regretter que les dimensions restreintes du local n'aient pas permis de mettre cette statue à la distance que sa taille exige. Le spectateur debout à côté d'un pied gigantesque, ne peut embrasser dans son ensemble l'énorme monument. Juger à dis pas le travail de M. Garavanniez serait aussi illusoire qu'examiner à cinquante mètres les Joueurs de boule de Meissonnier. Malgré l'écueil de cette position désastreuse, la tête du prince se dégage, fière et sereine, du monceau lourd des étoffes, et on a lieu d'attendre un effet grandiose, quand son profil de bronze montera daus le ciel sévère de la Bretag)ie, dominant ces qiiatre gardestdu- corps t sainte Geneviève^ Jeanne d'Arc, Bayard et du Guesclin. Du même sculp* leur, citons pour mémoire les statuettes, déjà célèbres, de Gathelineau et de Charette à Patay.

Parmi ks choses gracieuses, il faut mettre au premier rang ia Tzigane de M. Le Bourg. La danse harmonieuse de cette belle fille met en relief les lignes sveltes de son corps, et e'est un des rares mérites du sculpteur d'avoir su allier la grâce irréprochable des formes à la sincérité parfaite du mouvement.

Un médaillon, du même, reproduit, avec un art achevé, les û*aits du général Mellinet. Plus loin, le buste de marbre de M. V. Cessé.

Fleur de mai^ un poétique envoi de M. Marquet de Vasselot, fait dé- sirer davantage, ne pouvant demander mieux.

Un bronze bien original, arrivé sur le tard et dont l'auteur m'échappe, représente un marchand de masques. Outre les qualités principales d'une conception ingénieuse et d'une exécution savante, on trouve un intérêt piquant à reconnaître les tètes illustres de ce temps qui composent la marchandise du jeune vendeur.

308 CHRONIQUE

M. J. Vallet, dans la Madeleine à gefMUX^ a fort bien renda l'expres- sion d'une immense douleur.

Le buste de l'amiral de Gornutier, notre regretté compatriote, est l'œuvre distinguée de M. L. Potet. Celui de M. Mérot du Barré est à un amateur devenu plus fort qu'un maître, M. 6. de Ghemellier.

Après une bonne station devant la jeune fille à la moucbe, cette bai- gneuse qu'on a vue partout et qu'on reverrait volontiers encwe, nous voici devant la vitrine des gravures.

M. Octave de Rocbebrune, (grand diplôme de l'exposition de géogra- phie) : Le Palais de justice de Roven. Ce monument merveilleux conserve, en passant par ses mains, la majesté imposante de sa masse et l'infinie délicatesse de ses mille dentelures. Avec un tact parfait, M. de Roche- brune évite le double écueil du trop noir et du trop clair. La netteté extrême du dessin égale sa complète exactitude. Une belle photographie n'est pas plus vraie, un beau tableau n'est pas plus artistique.

A cèté, le baron de Wismes, Tarchéologiie éminent, Tiotrépide fouil- leurdetumulus, pour lequel l'antiquité gauloise n'a pas de mystères. Le dessin n'est qu'une des manifestatioas multiples de ce fin talent au ser- vice d'un grand esprit. Outre une facture très habile, les eaux-fortes de M. de Wismes ont cette rareté de donner la juste impression des êtres et des temps qu'elles évoquent. L'enfance de la Viei^ge s'enveloppe du voile d'ombre mystérieuse, à travers lequel nous apparaissent les choses di- vines. Le Petit Poucet, perdu dans la nuit noire, rappelle les terreurs enfantines d'autrefois au récit terrible de Perrault. Cette maison de l'ogre donne la chair de poule ; les arbres mêmes ont des aspects sinistres arboribus suus horror inest. Et Ton tremble pour les pauvres petits près de se jeter dans la gueule du loup.

Les traits de Paul Baudry, le grand peintre vendéen, revivent sous le burin consciencieux de M. Alassonnière.

Lanjuinais à la tribune, gravé par M. Do vivier d'après Témou vante peinture de MuUer. Du même, les jolies illustrations, composées par J. Danton, pour le roman de Zola : Une Page d'amour. Le crayon de M. Merson traduit aux yeux, dans un style digue du livre, les belles pages de Léon Gautier sur la chevalerie.

Les photographes ont droit à une meotion spéciale. Leur exposition démontre, par d'intéressantes preuves, les services qu'on peut attendre de cet ai t mathématique. 11 y a toute une série de planches très regardées, qui contiennent les curieux résultats des procédés insiantaDés : le vol des oiseaux, fixé dans ses mouvements les plus inappréciables à l'œil; les diverses positions du corps humain pendant la marche, le saut ou la course; la décomposition du pas, du trot et du galop d'un cheval;

CHBOMIQUE 899

plus loin, des vues panoramiques de la terre, prises en ballon, à des altitudes variées; des reproductions, plusieurs mille fois g'^ossies, d'in- sectes minuscules; des maladies eacbées rendues visibles; des germes invisibles devenus palpables.

Près df^s photographes-savants, les photographes-artistes .* Nadar et sa collection unique de personnages célèbres ; L. Martin, son-rival nantais, habik à discerner la seconde précise oh le sujet apparaîtra dans sa pos- ture la plus naturelle et la plus avantageuse, ^'ul n'atteint mieux que lui ce degré de perfection qui sépare l'œuvre d'art de la copie vulgaire.

Le groupe des architectes s'avance en bon ordre. Plans grandioses de basiliques, élévations pittoresques de châteaux, projets ingénieux de villas, tout ce que la pensée humaine peut faire avec de la pierre ou du marbre, est consigné sur le papier, en quelques traits rapides.

Ici, le château de Keifily, par M. J. Montfort, hanté du souvenir des vieilles architectures nationales; là, par M. Gautier, l'intérieur àp Sainte- Sophie, Téglise-mosquée, corps chrétien s'agite une âme turque ; partout une foule de croquis la beauté des contours s'allie aux exigences de la vie moderne.

Quitterons-nous le cours Saint-André sans dire un mot des împressio- nistes, ces envolés vers des régions inhabitables pour avoir trop jeté de lest ? Gardons-nous, comme la plupart, de traverser l'obscure chambre qu'ils occupent en levant les épaules et détournant la tête. Rien ne serait plus injuste qu'envelopper dans un mépris général ces excessifs, dont plu- sieurs sont des croyants, sincères dans leur foi.

Le principe de peindre ce qu'on voit et non ce qui existe, est fondé sur l'observation raisonnée de nos organes. Les lois de la perspective ne sont pas appuyées sur autre chose. Si cette théorie a servi d'excuse aux mé- diocres pour traduire les rêves de leur esprit c()nfus ou impuissant, la faute n'incombe point aux chercheurs convaincus qui luttent pour le triomphe de leur idée.

Regardez, par exemple, à droite en venant du vestibule, cette Hérodiade vautrée sur un lit de repos, immobile dans la contemplation du chef de Jean-Bapliste^ roulé à terre. Dans un mouvement désordonné de sa joie, elle a culbuté le plat pantelait la tête hagarde, aux yeux mal fermés. Il y H certainement de la pensée en ce colloque muet de l'assassin et de la victime, de la vigueur dans ces taches virulentes du sang écarlate et des draperies pourpre.

Ne détournez pas l'œil avec dégoût, pas plus que vous n'écarteriez l'oreille, en écoutant la Chanson de la glu, de Richepin. La nature est belle, même dans son horreur, et ce sont des privilégiés de naissance

400 CHBOiiioinE

ceux qui ont le secret, n'importe par quel moyen, de souleTer on coin de ses voiles.

Louis le Lasseur de Ranzat.

Le Congrès des Gatholiq[iie8 de TOoest

Du mardi 16 au dimanche 21 novembre, ont eu lieu à Nantes les réu- nions du premier Congrès des cathoHques de l'Ouest, Lorsque les asseiu- blées de ce genre se muiliplient sur tous les points de la France, il n'é- tait pas possible que des provinces la foi est demeurée hi ferme et la charité si généreuse ne vissent pas les chrétiens les plus intelligeots et les plus dévoués se grouper pour se mieux connaître et pour unir leurs forces. Tout récemment à Angers, ces jours-ci à Nantes, ils ont montré une ^jis de plus que leur foi n'est point une foi morte, et qu'au service de leurs convictions, ils peuvent, avec le dévouement qui ne marchande pas mettre un talent dont il laut tenir compte.

Tout congrès comprend deux choses : des séances de commission et des séances publiques. Les premières, qui occupent presque tous les instants de la journée, sont consacrées exclusivement aux discussions sur les projets mis à l'ordre du jour; les secondes ont un caractère spécial de solennité. Les commissions se réunissaient à la Maison de la Retraite, tout avait été parfaitement aménagé pour permettre à plusieurs de tra- vailler à la fois sans aucun embarras. Ces commissions étaient au nombre de six : Œuvres de foi et de prière, président M. Tabbé Giihier, supé- rieur des missionnaires diocésains: œuvres sociales, président M. du Sel des Monts, magistrat mis de côté par les fameuses épuration^ ; presse et propagande, président M. Mollat, directeur du journal VEspérance du Peuple; enseignement, présidents MM. delà Tour du Pin et Reneaume; art religieux, président BI. l'abbé Gaborit, curé de la Cathédrale ; œuvres charitables, président M. le comte Le Maigoan de la Verrie. Le peu d'étendue de l'espace qui nous est accordé nous empêche de parler plus longuement de ces commissions, qui rivalisèrent d'entrain et d'énergie pour venir à bout de la tâche considérable qu'elles s'étaient imposée.

La chapelle de la Retraite fut, pendant tous ces jours, le lieu de la prière, que nous pourrions appeler officielle. Les membres du congrès y venaient le matin entendre la sainte messe, le soir, recevoir la bénédic- tion du T. S. Sacrement ; pendant la journée, devant THostie sainte per- pétuellement exposée, de nombreux adorateurs fidèles, surtout des adora- trices, femmes ou filles des congressistes, priaient pour ceux qui travail- laient.

CHRONIQUE 401

Les séances publiques avaient lieu dans la salle des fêtes de FEsterBat des Enfants Nantais. Cette salle, dont la disposition hHbile et dont la dé- coration à la fois gracieuse et sobre fait le pins grand honneur à l'archi- tecte, M. Bougouïo, se prête merveilleusement à des réunions semblables. Cependant, quelque vastes qu'en soient les proportions, elle était encore trop étroite, tant était grand le nombre de ceux qui auraient voulu prendre leur part à ce qu'on a si bien appelé un fortifiant banquet.

Le Congrès s'ouvrit, le mardi 16, par un salut solennel, donné dans la basilique de Saint-Nicolas. Avant le salut, Monseigneur Le Coq, évêque de Nantes, dans une remarquable allocution, montra l'Eglise souveraine do- minatrice des intelligences, sauvant ceux qui lui obtMssent entièrement des erreurs et des déceptions qui sont la part des rebelles et des incré- dules; puis M. Roy, curé-doyen de la Basilique, le courageux et infatigable organisateur du Congrès, ajouta quelques paroUs pour faire ressortir le caractère pieux avant tout de cette assemblée, qui doit être une œuvre de prière, encore plus que de travail et d'étude.

Le mercredi soir, eut lieu la première réunion générale. Sur l'estrade, à droite de Mgr l'Evèque, président d'honneur, preod place le sympathique député de la Loi^e-Iuféri^ure, M. de Gazenove de Pradioe, président ( ffeclif. Autour d'eux, se rangent les membres les plus importants de l'assemblée ; M. Catta, magiiitrat démissionnaire h l'époque des décrets, remplit les fonctions de secrétaire général.

Après la prière, dite par Monseigneur, la séance est ouverte par le vote d'une adresse au Souverain-Poolife; puis M. de Cazenove prend la parole pour dire quel sera l'esprit du Congrès et quelles questions seront principahment traitées. Il faudrait pouvoir reproduire tout ce discours, presque continuellenient interrompu par les applaudissements les plus chaleureux. « Nous sommes des proscrits, des hors la loi; mais nous ne serons pas des proscrits phiio«^ophes qui se résignent à leur sort sans essayer de le changer ; on peut être vaincu, on peut être renversé, mais on n'a pas le droit de fléchir. » M. de Launay lit ensuite un rapport fort intéressant sur l'église du Vœu national : puis M. l'abbé Max. Nicol, si bien connu des lecteurs de la lievue, est invité à donner lecture d'une pièce de vers. Ede est intitulée la France chrétienne. Il est difficile da rendre l'aspect de la salle pendant cette lecture. Tous étaient transportés en entendant ces vers, û nobles de pensée, si jtiunes d allure, débités d'un ton qui faisait passer dans l'âme des auditeurs toutes les imf ressions du poète :

Non. malgré les forfails et malgré les blasphèmes, Sombres avant-coureurs des chàlimeuls suprêmes,

408 cwKniiQUB

Li Franeede Clo?is se movrra pas encor... En mooraot pour le Christ qui brisera dos chtines. Nous garderons l'espoir des rictoires prochaines, Sûrs qne demain sera le Teogeor d'anjourd'hai, Et iiers d'avoir lotte pour la France et poor loi.

M. Gavouyère, doyen de la faciiUé de droit aux grandes Ecoles d'Angers, donne ensuite lecture de conclusions d*un magnifique rapport, lu déjà par lui dans la Commission d'enseignement, et Monseigneur termine la séance par une cbaude et vibrante allocution, qui résume d'une manière admi- rable les impressions de tous.

Le jeudi 18, a lieu la seconde séance générale. Au débnt, connaissance est donnée par Monseigneur de la réponse envoyée télégrapbiquement par le cardinal Jacobiai, à l'adresse des Gatboliques de TOuest. Cette com- munication est écoutée par Tassistance, qui se tient respectueusement debout et est suivie d'applaudissemeuts et des acclamations répétées de: c Vive Léon Xlll ! Vive TÉglise ! » M. le cbanoine Séjourné, d'Orléans, lit un rapport sur les démarches faites pour obtenir la béatification de Jeanne d*Arc. La nature du sujet, la manière dont il est traité, ne pou> \ aient manquer de produire une vive adhésion, dont le président se fait admirablement l'interprète. M. i'abbé Gabier lit un rapport sur les Missions et les Retraites, puis la parole est donnée â M. Hervé- Baân. Celui-ci est connu depuis longtemps. Sa parole éloquente s'est fait en- tendre dans bien des réunions, et partout elle a conquis des sympathies à l'œuvre éminemmeirt sociale qu'elle veut faire triompher. C'est sur le retour à l'Église des classes ouvrières par la corporation que parle l'ora- teur. 11 dit ce qu'il faut faire, ei, pour rendre son exposition plus con- vaincante, il montre ce qui a pu être obtenu déjh par l'intelligence et le dévouement. Quand il montre les nouvelles corporations d'Angers dé- ployant leurs bannières dans la procession solennelle qui termine le Con- grès des cercles ouvriers, il fait entrevoir ce que sera l'avenir, lorsque la France sera redevenue chrétienne. Après ce magnifique discours, fré- quemment applaudi, on entend un spirituel curé du diocèse de Langres, M. Demay, qui, sous les apparences de la simplicité la plus naïve, excite la plus joyeuse hilarité, en parlant très finement de l'œuvre des vieux papiers, cette collection de chiffons^ qu'il réunit avec soin pour indem> niser le pape de la perte de son pouvoir temporel. Les détails qu'il donne montrent que son œuvre réussit très bien, et c'est à peine s'il peut achever son discours, interrompu qu'il est presque à chaque phrase par les applaudissements les mieux mérités.

Les heures s'écoulent rapidement sous le charme de ces paroles élo- quentes ou gracieuses. Il faut songer à lever la séance. On entend encore

(mowiQjm 408

la lecture d'un rapport de Bf, de la Cbesnaie sur les Cercles ouvriers, puis. Monseigneur, après quelques bonnes paroles, dit la prière d'usage. La troisième réunion,le 19 novembre, ne le cédaen rien aux deux autres. Il était facile de voir que Fintérêt produit par le Congrès allait en augmentant, car, cbaque soir, la salle paraissait de plus en plus étroite, et des auditeurs, arrivés tardivement, devaient se résigner éprendre place sur lesmarcbes d'un escalier, s'ils voulaient ne pas s'en retourner saos avoir rien entendu. Cette séauce commença par la lecture de deux fort intéressants rapports de M. Rémond sur les travaux des commissions dans les deux journées du jeudi et du vendredi ; celui des travaux du mercredi avait été fait le soir même de ce jour, d'une manière également remarquable, par M. Pierre Pichelin* Le premier rapport d'œuvre fut celui du P. Adolpbe, {rardien des Capucins de liantes, sur le Tiers-Ordre de Saini-François d'Assise. W. Reneaume lut également celui qu'il avait déjà communiqué en commission sur le Comité catholique de Nantes, appelé à recevoir du Congrès, dont il sera comme le mandataire, uue impulsion féconde» Deux jeunes gens, l'un de Nantes, l'autre de Rennes, appartenant tous deux à cette phtilaoge qui, dans l'âge de l'enthousiasme, a su placer bien haut les inspirations de son cœur et qui fournira à la génération future ceux qui seront les chefs de la lutte, et, tout donne lieu de l'espérer, les heureux, au jour dn triomphe^ ont fait des rapports sur des sujets du plus haut intérêt. Le premier, M. G. Renou, a parlé des pèlerinages k Jérusalem; le second, M. Brunégat, a décrit Torganisation et les œuvres de la merveilleuse conférence de Saint-Yves, qui, ayant à Rennes son centre^ sait trouver le moyen de s'occuper de tout dans la ville et de rayonner au loin pour servir partout les intérêts de Dieu et des âmest C'est h M. de la Marzelle qu'était réservé le triomphe le plus comple. de cette soirée mémorable. Il a dit ne s'être jamais trouvé en face d'une assemblée qui l'excitait davantage ; jamais auditeurs n'ont trouvé dans un orateur quelqu'un qui les comprit plus complètement et sût mieux trouver les mots capables de faire vibrer leurs cœurs. Analyser ce dis- cours est chose impossible. Qu'il nous suffise, pour faire comprendre l'émo- tion profonde que produisaient ces paroles, de dire que les applaudisse^ ments succédaient aux applaudissements. Lorsque, à la fin de son discours, rappelant des paroles de Napoléon Ut, lejeune député fit l'éloge des régi- ments écrasés, et que, se tournant vers M. de Cazenove, le mutilé de Patay^ le gendre et le beau-frère des deux Rouillé, morts pour défendre la France sous le drapeau du Sacré-Cœur, il fit entendre ces paroles : « Les héroïques vaincus sauvent quelquefois plus Vhonneur que les régiments victorieux. Il en reste toujours assez pour relever les dra- peaux immortalisés par leur héroïsme* Qu'ep pensez- vous, mon cher Cazenove 7 » un nnthousiasme ùMlescriptible s'empara de tous et des

404 CHROmQUE

laWes d^applaudissements qae rien n'aarait pu arrêter, dirent à Toratenr qn'il a? ait bien parlé. Sous le coup de réoDotion qu'il ressentait en son âme, Monseigneur se fit Tioterprcle dts seniiments de tous. Il était heureux et fier d'être évoque i)e Nantis; heureux de redire aux jeunes gens : c Ne restez pas chez ?ous: on fous appelle, allez au cooibat ! »>

Le samedi 20 fut occupé uniquement par les travaux des commissîons. Le dimanche matin, les meiiibrrs du Congrès se réunirent & la cathé- drale. Monseigneur cc.èhra la sainte messe, leur fit entendre quelques nouvelles paroles toutes pieuses et fortifiantes et leur distribua la sainte communion.

La séance de clôture a été des plus brillantes. Bien avant qa^elle commençât, toutes les pinces étaient prises. Monseigneur fnit son entrée, accompagné de plusieurs sénateurs et députés : BL Guibourd, sénateor, MM. de la Biliais, de la Ferronnays,, Le Cour, députés de la Loire-Infé- rieure, Emmanuel Halgan, sénateur, de la Bassetière, député, de la Vendée, des principaux membres du Congrès, des chanoines, de ses vicaires généraux, des curés d^la ville, de nombreux ecclésiastiques et des laïques qui sont à la tête des principales œuvres. Bf. Catta lit le compte rendu général du Congrès. Négligeant à dessein les détails, qui auraient néces- sairement amené des redite?, il s'est contenté de vues d'ensemble, qui, exposées avec un grand talent, ont fait de son rapport un discours, ac- cueilli avec la plus grande faveur.

Présenté par son ancien collègue de l'Assemblée de 1871, M. le séna- teur Chesnelong se lève et adresse à l'Assemblée des paroles impatîem- ment attendues et aviiement écoutées. C'est bien la personnification de l'orateur, chez lequel tout concourt à l'action. La voix, le geste, les mouvements, tout se réunit pour rendre plus saisissants encore les fins aperçus, les pensées profondes, les touchantes éndotions, les protestations indignées, qui se succèdent, exprimées dans un merveilleux langage. C'est la nécessité de la lutte qui est la pensée fondamentale de ce discours. Mais, pour que la lutte soit plus énergique et plus sûre, il faut que le péril soit montré. Ce péril, c«3 n'est ni le péril financier, ni le péril ma- tériel, quelque terrible que soit la situation à ce double point de vue, c'est le péril social, venant de l'exclusion volontaire de la pensée chré- tienne dans la direction de la société. L'origine et les développements de ce péril depuis les absurdes utopies de l'Assemblée Constituante jus- qu'à nos derniers temps ; les manifestations de cette exclusion dans la confiscation faite depuis sept ans des libertés les plus précieuses et les plus sacrées, voilà^ ce qui, pendant plus d'une heure, a tenu frémissante

une assemblée, saisie tout entière dés le premier moment. Lorsque le bruit des applaudissements eut cessé, Monseigneur, invité

par M. de Cazenove, remercia avec émotion Téminent orateur; puis,

CHRONIQUE 405

s'adressant à rassemblée, il lui donna comme dernier conseil, et, on peut dire, comme mot d'ordre, ces deux mots : « Prière et travail ». Cette allocution chaleureuse terminée, tous les assistauls se sont agenouillés, et la bénédiction épiscopale est descendue sur les léles prosternées. Ainsi, par un nouvel acte de foi, s'affirmait le caractère profondément catholique de cette réunion, qui laissera de profondes traces dans la mé- moire de ceux qui en furent les témoins.

C'est au pied des autels que le Congrès devait cependant finir ses assises, comme il les avait commencées. A sept heures et demie, une foule nombreuse remplissait la cathédrale, pour assister h la dernière réunion. M. l'abbé Peigeline, chanoine, supt^rieur de TExlernat des Enfants Nantais, a prononcé le sermon de clôture. S'inspirant de la vieille légende de saint Christophe, qu'il a merveilleusemenl commentée, il a montré la France séparée de l'Église, sa mère, par le torrent trouble et impétueux de la Révolution. C'est aux catholiques de la prendre sur leurs épaules, comme le géant prenait les voyageurs sur les siennes, de s'en- gager résolument dans les eaux profondes et de la porter sur lautre rive. Qu'ils ne s'effraient pas des obstacles. La difficulté est grande, les ennemis sont nombreux, c'est vrai, mais pour assurer leur marche, ils peuvent s'appuyer sur la Croix, ils ont avec eux la Vierge Marie.

Le respect au lieu saint a contraint plus d*une fois les auditeurs à contenir dans leurs âmes l'admiration qu'excitaient ces paroles si dignes de terminer cette série de remarquables discours.

Un salut solennel, pendant lequel s'est faite la procession du T. S. Sa- crement, a suivi le sermon. C'était une démonstration splendide de foi. Derrière la sainte Hostie que portait Monseigneur, marchaient trois ou quatre cents hommes tenant des cierges allumés, et ayant à leur tête plusieurs sénateurs et députés. Lorsque, avant la bénédiction, le TeDcîim retentit sous les voûtes saintes, ce fut vraiment l'hymne de la reconnais- sance et de l'amour. Chacun remerciait Dieu d*avo.r fait réussir l'œuvre entreprise pour sa gloire et renouvelait la promesse de rester fidèle et de se dévouer sans réserve.

Nous ne ferons, en terminant ce compte rendu^ qu'une réflexion. Les catholiques ne sont pas seuls à se réunir en congrès. D'autres qu'eux le faisaient à Lyon, il y aqut-lques joirs. Pourquoi, ici, cette paix, ce calme, cette étude tranquille des questions les plus graves; pourquoi, bas, au contraire, ces récriminatious, ces appels à la révolte, ces excitations à la guerre des classes les unes contre les autres ? La réponse est bien simple : la vérité et la justice sont seules maîtresses d'elles- mêmes ; car, seules, elles s'appuient sur Dieu.

Abbé P. Teulé.

MÉLANGES

ToMBCAu d'Edouard Turwktt. Nous refenow sur ane foucbaDte eérémonie dont nous n'avons pu, le mois dernier^ donner qn'on compte rendu sommaire et nous profitons de eette occasioD pour reetifier des dé- tails inexacts empruntés à une feuille rennaîse.

Nos lecteurs savent qu'en 1884 une souscription a été ouverte pour élever au poète breton un monument digne de lui dans le cimetière de Rennes. Le chiffre modique des offrandes recueillies et les modestes ressoorces de M»» Turquety n'eussent pas permis de réaliser compléte- meot ce projet, si M. Léofanlî, sculpteur d'un graod talent, déjë connu par des œuvres importantes, n'avait nâs gratuitement à la disposition du Comité son temps, son inspiration et ses soins. Grâce à lui, l'auteur d'Amotir et Foi repose enfin sous un tombeau qui fait honneur à l'ar- tiste et en même temps est un bel hommage à la mémoire du poète. 11 a été inauguré le vendredi 15 octobre dernier, à deux heures de l'après- midi.

La nombreuse assistance appelée au cimetière par la sympathie ou la curiosité a beaucoup admiré le monument: il se compose d'un sarcophage en granit surmonté d'une stèle de même matière, le tout d'an dessia pur et élégant. Sur un socle accolé à la stèle, s'élève le buste en bronze d'E- douard Turquety, reproduisant très fidèlement les traits du poète : il est plus ressemblant que cefui de Barré, quoique M. Léofonti n'ait eu pour se guider qu'un portrait à l'huile, une photographie et les indications de M»e Turquety. Au-dessous se détachent des ornements allégoriques en bronze (une lyre, une palme et une couronne) d'une exécution parfaite. Tout cet ensemble, selon l'expression de M. Saulnier^ charme les yeux et fait rêver de poésie.

Au fronton e^ gravée cette seule inscription :

A EDOUARD Turquety

Et au-dessous : Rennes, 1807. Paris^ 1867.

Sur les faces latérales, on a rappelé les titres des recueil» de Turquety. Amour et Foi^ 1833. Poé9ie eatholiquef 1836r Hy/mnes sacrées, 1839. Primavera, 1840. Fleurs à Marie, 1845. Un acte de Foi^ 1868.

Les discours prononcés en face du monument par M. Saulnier, président du comité, et M. l'abbé de la Ville-au-Gomte, vicaire à Saint-Aubin, initia- teur de la souscription, ont trouvé de l'écho dans tous les cœurs : les honneurs de la jonrnée ont été pour Edouard Turquety et pour l'artiste qd a si bien compris le désir et la pensée des amis du poète.

MÉLànQis 4D7

En ce temps l'on prodigue le marbre et le bronze à des célébrités d'un aloi douteux, bous sommes beureux que justice ait enfin été rendue à un écrivain breton qui ne comptera pas parmi les plus illustres, mais qui mérite de revivre dans le souvenir de ses compatriotes. Disons avec M. de la Ville-au-Gomte :

« 0 cher et vénéré poète, vous dont la chaste muse chanta le Chris et sa mère, permettez à un ministre de leurs autels d*applaudir au spec* tacle qu'il a sous les yeux. De nobles cœurs battent à votre seul nom et, je l'espère, Venflammeront encore à vos accents pour célébrer ces grandes choses qui furent le triple objet de votre magnanime passion : la Religion ! la Patrie ! la Famille !

« Oui, non plus que votre cendre, votre souvenir ne sera exilé du sol des ancêtres. Il vivra comme vit la mémoire du juste : In memoriaœterna eritjustus ! »

M. HiPPOLYTE DU Gleuziou. Nous lisons dans ri/id^p^ntfanca Bretonne : < L'honorable famille du Gleuziou, si terriblement éprouvée depuis quelques semaines, vient encore d'être on ne peut plus douloureusement frappée dans la personne de son chef respecté.

u Nous avons, en effet, le douloureux regret d'enregistrer la mort de M. Hippolyte Raison du Gleuziou père, décédé hier matin, à six heures, à son hôtel, h Saint-Brieue, à Tâge de 67 ans, suivant de quelques jours dans la tombe son fils bien-aimé, dont la mort lui avait été des plus sensibles.

ce M. du Gleuziou souffrait depuis longtemps; mais, chrétien dans toute la noble acception du mot, il supportait courageusement ses souffrances et, réconforté par les sacrements de l'Ëglise^ il a vu venir la mort avec calme et sérénité.

u Catholique et royaliste, il n'a jamais séparé dans son cœur l'amour de l'Église et l'amour de sa patrie. »

M. Hippolyte du Gleuziou, ancien directeur de la Foi BreUmne, était un des vieux et fidèles amis de la Reime de Bretagne et de Vendée, à la- quelle il avait collaboré, au début. Nous nous associons avec une doolou^ reuse sympathie aux regrets de sa famille et de ses nombreux amis.

Séângb annuelle de la Société académique de Nantes. La So- ciété académique de Nantes a tenu sa séance annuelle, le dimanche soir, 21 novembre, dans la salle du cercle des Reaux-Ârts, sous la présidence de M. Eugène Orieux, qui a lu un remarquable discours sur \ Imagina- <ton. L'auteur de ce délicat recueil de vers, L'heure du rêve^ était bien dans son élément, et si nous avons un regret, c'est que la longueur inaccoutumée de notre chronique ne nous permette pas d'analyser ces pages élégantes etd'ea citer quelques fragments.

408 BIBLIOGRAPHIE BRETONNE ET VENDEENNE

Voici la liste des récompenses décernées par la Société académique : Rappel de médaille d'ur, à M. Kerviier, ingénieur en chef à Saint-Na- zaire, pour deux ouvragps : Etudes histori^utsel biographiques . Médaille d'or, à M. Rouaud) rue Mondésir prolongée, à Nantes, pour des poéïies. Médaille de vermeil, graud module, à Jean Ploarech. (Pseudonyme de M''^ Biou, fille de Thonorable et sympathique juge de paix du tei* can- ton de Nantes, ancien président de la Société académique). MéduiJe de bronze, à M. Rouaud^ commis d'économat à l'Hospice Général de Nantes, pour des poésies. Une mention honorable à M. Achille Miliien, de la ^ièvre, pour des poésies.

Noire ami M. J.-G. Roparlz vient de terminer un Kyrie solentiel^ pour quatP) voix soli, et chœurs à quatre voix. Le Saint-Père, qui a daigné en accepter ia dédicace, a adressé au jeune compositeur sa Bénédiction Apostolique pour lui et les siens.

BIBLIOGRAPHIE BRETONNE ET VENDÉENNE

^ De Marseille au Havre par le chemin des écolikrs. Essais du traa- satianiiqne la Gascogne, par Chailes Doyuel. lu 8"*, ^6 p. Nantes, imp. Vincent Fortst et Emile Grimaud. Tiré à 100 ex.

Extrait de la Revue de Bretagne el de Vendée.

Dieu et le Roi, {.oésies, par Emile Grimaud. In-t8 jésus, de 220 p., titre ro«'ge et noir. Nantes, imp. Viment Forest et Emile G'imauf. Pdris, lib. académique Didier, Perrin el Ci», suce, 35, quai des Grands- Âugustins. N.intes, Lauoë et Métayer, rue Saint-Pierre, 2, M^^^ Thouroude, Hdule-Grande-Rue, 25 3 fr. 50

25 ex. sur papier vergé 6 fr.

Cet ouvrage se vend au profil de l'œuvre des Frères des Écoles tliréliennes.

Etat (l') des Personnes en Frange avant 1789, par H. Casiounel des Fosses, membre de la Société de G»^ograptiie. ln-8o, 117 p. Nantes, imp. Viixent Forest et Emi!e Grimaud 2 tr.

Héiutilr (un) de Brizeux. Poésies de M. Joseph Rousse, par M. Ju- lien Duchesue. Gr. iu-8", 36 p. Rennes, Oberlhur. Esirait des Annales de lirelayn^.

Imagination (l'). Discours prononcé dans la séance du 2t novembre 1886, par M. i'J. Urieux, piésident de la Société académique de la Loire- Inférieure. Nuntt's, imp. L. .^iCUiaet.

Notre-Dame du Roncier, par Rlax. Nicol, chanoiue honoraire. Pet. in-8o, 135 p. avec pi. Se vend au profit de Péglise. Vannes, libr. Eug. Lafolye.

LES SÊVtCjNÊ ÔIJBLîÈâ

SOUVENIRS DU IVn* SIÈCLE

IV'

LES MALHEURS D'UN MONTMORON

Le lundi 9 avril iQ74> ^i*ois Sévigné se Irouvaienl réunis dans la chapelle des fonts baptismaux de Téglise Saint-Paul de Paris.

Charles, le brave et trop galant guidon des gendarmes du Dau- phin, chef de la branche aînée, s'étail arraché à ses mille et une conquêtes pour venir nommer un jeune cousin, fils unique d'un autre Charles, comte de Hontmoron, chef de la branche cadette, con- seiller de grand*chambre au parlement de Bretagne : il avait pour commère Marguerite Bodinet, femme de Thomas Dreux, seigneur de Brézé, conseiller au parlement de Paris, beau-frère du magis- trat breton >.

L'enfant, jusqu'alors anonyme, qui signait pour la première fois Charles de Sévigné^ touchait à sa onzième année K Tout semblait lui préparer une brillante destinée. Ne devait-il pas un jour s'as- seoir sur les fleurs de lys, comme son père, son aïeul, son bisaïeul? '. Son nom, l'antiquité de sa race, ses attaches de parenté

* Voir la livraison de jain 1885. pp. 427-446.

i. Lfis iucendies de 1871 ont déiroit les registres paroissiaux de Sainl-Paul : Tacle de baptême du 9 avril 1674 avait été heureusement relevé avant 1870 par M. Jal qai en a donné un entrait dans son Dictionnaire critique et historiqu-e (2* édi* Uoo. p. 1132.)

2. L'acte constate quâ l'enfant est le 12 mai 1663.

3. Son biseienl, Gilles de Sévigné, est entré au parlement de Bretagne en 1587, son grand-pére, Rcnaad» en 1616. Nous verrons plus loin que son père y a été reçu en 1659.

TOME LX (X DE LA 6* SÉBIB). 27

410 LBS XÀLHEtms d'un xontmoron

ne lai assuraient-ils pas un rang élevé dans l'ordre privilégié anquel il appartenait et le droit de jouer un rôle utile dans les affaires de sa province? Quelques-uns des assistants, officiers de Téglise et passants amenés par la curiosité, jalousaient peut-être ce petit seigneur pour qui la vie s'ouvrait si belle et si facile.

Trompeuses apparences! En réalité, cet avenir envié était gros de difficultés. Qui le savait mieux que M. de Montmoron?

Nous nous imaginons volontiers qu'en ce jour de fête et d*intime réqnion, sous le masque du gentilhomme lettré, aimable, enjoué, spirituel, un peu fin et paradoxal, un observateur attentif eût surpris des mouvements involontaires plis de la bouche ou froncement des sourcils, indices d'une constante et douloureuse inquiétude. Le comte ployait sous le poids des soucis! Resté veuf, vers 1667, avec son fils et une fille de quatre ans plus jeune, il se voyait accablé de procès et d'affaires qui, selon l'expression d*un de ses hommes de loi, lui causaient des chagrins intolérables. Depuis plus de seize ans, des adversaires acharnés, créanciers plus ou moins légitimes, lui disputaient la succession bénéficiaire de son père, qui était elle-même sa débitrice. Le plus clair de ses ressources fondait en frais de procédures et de voyages.

La dot de leur mère mettait ses enfants au-dessus du besoin; mais, lui, laisserait-il de son chef à l'héritier de son nom un pa- trimoine incontesté, assez considérable pour qu'il pût soutenir l'é- clat de^on rang? S*il fallait au contraire entrevoir la déchéance prochaine de sa maison, quelle éventualité que celle qui froissait également les fibres de son cœur paternel et l'orgueil de l'atné des Montmoron!

Chaque fois que ses regards se posaient sur son fils, le redou- table problème dont la solution ne dépendait qu'à moitié de son intelligence et de son énergie se présentait à sa pensée sans aucun doute**, et son visage, si maître qu'il fût de ses im- pressions, pouvait difficilement ne pas refléter quelque chose de ses tristes préoccupations. Ilélas t ses prévisions les plus sombres furent dépassées^ comme on le verra par l'histoire que nous allons raconter.

LES MALHEURS d'uN XORTMOROir 411

Les malheurs du jeune Charles de Sé?igné sont nés de lo siiua*^ tioQ embarrassée que son père avait subir. Nous sommes done enlratoé, pour ëlre inlelligible, à remonter aux origines et à bire un peu la biographie du comte de MontmoroD, au risqua de re- prendre quelques détails déjà connus de nos lecteurs. C'est une partie nécessaire de notre récit.

I

Le conseiller breton avait vu le jour sous une plus heureuse éloile; car, à Tépoque de sa naissance, son père, Renaud de Sévi- gné, entré au parlement de Rennes plusieurs années auparavant, allié par son mariage à une riche famille du pays nantais, était en droit de concevoir pour lui de brillantes espérances S Elles se fussent réalisées, si, vers 1626 ou 1627, l'enfant n'avait perdu sa mère remplacée peu après par Gabdelle du Bellay *•

H°^<» de Monlmoron, seconde du nom, de 1629 à 1646, donna à son mari une fille qui mourut en bas âge et sept garçons dont cinq survécurent à leurs parents. Le fils aîné do premier lit et sa sœur

1. Charles de SétigDè, à la flo de novembre i62â, ondoyé mois snitant, fat nommé à la cathédrale de Rennes, le 23 Janfier 1623» par son oncle à la mode de Bretagne, Charles de Sévigné, baron da Rocher et d'Oliret, et par Renée Thon, femme da premier président, Jean de Boargneaf. (Registres de bapléme de la cathé- drale. — Ârehifes du greffe du tribunal civUdê Renneë,)

U rendit pins tard le même office, noas en sommes eotftaincfi, air fils uolqoé de U marqaise de Sévigné, qot^ à son todr, ne pot refasér de tenir itftf his fonts de Saint- Paal Tenfant de son parrain.

2. Renaud de Sérigné, accordé par contrat do dimaoelte 7 noteffibre 1627, épon sa le lendemain, en la chïipeHe dn château de Coudra} (par. de S'^Oeofs au Maine), (^abrielle du Bellay, lîlle de feo Charles da Betltrf, seignetfr de la Fétrittéé, et de Radegonde des Rotoars. le comte de Beaoche^ne, qui nous a grâdeasMr* ment adressé nue copie de cet act« et d'autres doeameofs pf édent coneemafft !a famille do Bellaf, n'a pu décoofrir l'acte de baptême de M"* de Montmofon, fiée éifire 1603 et 1608. Son corps, d'apré* le registre de sépoltore, a été amené de Bre^ ugne, iraaiporlé aa cbateau du Coadray ei lahiffflé, le 7 jtntler M$, ûâûê Testas SaiswDcDys.

4it hE8 iîALHEtJRS D^UfC iiONtiiOROK

Anne ne purent avoir qu'une part bien mince de soins et de (eh- dresse, celle qu'on leur devait» Disons, pour être exact, qu'il n'y a pas trace dans nos pièces d'une seule plainte formulée par ceux- ci contre leur belle-mère.

Grâce à ses relations, M. de Hontmoron obtint des provisions ponti- ficales en vertu desquelles Charles, au cours de sa seizième année, fut admis, par procuralion, le 16 août 1638, au chapitre de la ca- thédrale de Rennes, en qualité de chanoine '. Il n'avait pas sollicité cette prébende pour enterrer son fils dans un canonicat,car la démis- sion suivit de près. Ne voyons qu'une ingénieuse combinaison ^pour arriver à retenir une pension de deux ou trois cents livres, de quoi payer les frais d'étude du jeune garçon destiné d'ores et déji^ à la magistrature. Les mœurs du temps autorisaient ces arran- gements de famille.

Rappelons que Charles de Sévigné, alors seigneur de la Boue- xière 3, siégea pendant quelque temps au parlement de Rouen il fut reçu le 10 février 1648 '. Il n'en faisait plus partie que no-

1. Registres des actes capitulaires, {Archives d'Ille-^t-Ytlaine,^ G ^^) Antoine Desclaux, prêtre, docteur en théologie, a été mis le A octobre 1638 en possession du canonicat de Charles de Sévigné.

2. La terre et seigneurie de la Bouexiére. située dans la paroisse de Saint-Dona- tien (de Nantes), provenait de la première femme de Renaud de Sévigné, Bonaven ture Bernard, fille de Pierre Bernard, s' de la Turmélière, président à la chambre des comptes de Bretagne, ancien maire de Nantes, et de Bonaventure de la Boue- xiére.

3. Documents manuscrits du fonds Martinville {Bibliolhique publique de Rouen) -^ Stéphane de Merval. Catalogue et armoriai des présidents el conseillers au Parlement de Rouen, Evreux, 1867, in 4*, p. 76. L'abbé Farin, Histoire de la viUe de Rouen,

'3* édition, 1738, in A\ 2* partie.

Le parlement de Normandie, à la suite de la révolte dite des Ntks-pieds^ avait été interdit, puis remplacé par une commission, puis rétabli et rendu semestriel, avec une augmentation de soixante membres. Ce fut un de ces offices nouvellement créés que Jean-Bapliste Peschard, baron de Beaumanoir, acquit, & bas prix sans doute, et revendit à Charles de Sévigné. Celui-ci eu jouit peu de temps : une déclaration du roi, de mars 1649, à la demande des anciens magistrats du parlement» supprima les charges récentes, sauf seize dont les titulaires durent rembourser le piixdes autres Qffices non maintenus, parmi lesquels celui que possédait M. de Sévigné. On voit dans V Histoire du parlement de Normandie de M. Floquet (tome V) que pendant les.

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'•J.

LES MALHEURS VVH MONTMORON 413

minalemént, lorsque son père mourut en septembre 1657, dans sa soixante-sixième année «•

Le vieux magistrat^ doyen de la grand- chambre, créé comte neuf mois avant sa mort, disparut au moment opportun. On lui rendit tous les honneurs dus à sa haute position. La cour, le cha- pitre de la Cathédrale, assistèrent à ses obsèques dans l'église des religieux de Saint-Dominique * ; mais sa tombée peine fermée; son fils alnéy héritier principal et noble, eut à faire face aux plus sé- rieuses difficultés.

Nous avons vu ailleurs que Renaud de Sévigné laissait un patri- moine chargé de dettes, des enfants de deux lits et une jeune femme >. Après dix*huit mois de second veuvage, il avait convolé en troisièmes noces avec Renée du Breil de Rais, veuve elle-même de Charles Visdelou deBienassis, compliquant ainsi pour Tavenir une silualion déjà bien assez embarrassée.

Sa succession fut acceptée sous bénéfice d'inventaire, et tout aussitôt les procès commencèrent. H°^« de Montmoron demandait son douaire et les autres avantages stipulés dans son contrat de mariage. vigilants créanciers produisaient leurs prétentions et pour plus de sûreté mettaient arrêt sur les revenus entre les mains des fermiers. Charles de Sévigné réclamait comme héritier de sa mèie

troubles la FronJe^ les magistrals de créatio» nouvelle se raagëreni du parii de la cour et se réuairentà Vernon, tandis que les antres accueillireot en sauveur le duc de Longucville. Charles de Sévigné se trouva donc dans un camp politique op- posé à celui de ses cousins de la branche aînée.

1. Renaud de Sévigné était à Rennes et avait été baptisé en Saint-Sauveur le 7 novembre 1592.

2. Registres secrets du Parlement. CCIX, f* 10 s* (Archives de la Cour d'Appel), Registres capitulaires, d'après un extrait déposé au GreQe du tribunal civil de Rennes.

Les Sévigné-Montmoron avaient un enfeu dans la chape.le du couvent de Notre- Dame de Bonne-Nouvelle; Gilles de Sévigné et Charlotte de Montmoron^ sa femme, s'y étaient fait inhumer. Leur fils Renaud acquit une place de pierre tombale pour lui et ses successeurs» par acte de fondation du 12 juillet 1622. {Archives d*Ille-el Vilainey fonds des Jacobins, no 146, liasse 23.)

3. Voir notre deuxième étude {Revue de Brelagne et de Vendée, juin 1885, p. 435, note 2 et p. 440.)

414 UM muauiui p'dii monihoron

et comme pupille le reliquat da compte dont soo père était resté débiteur vis-à-vis de sa sœur et de lui, Lesenfauts du second lit entendaient de leur côté être colloques pour ce qui leur était du chef de Gabrielle du Bellay et comme légataires particuliers de Renaud.

Le comte de Jlonlmoron avait donc A lutter contre de nombreux adversaires dont Tun lui ménageait une surprise^ Au moment }\ était en instance pour se faire pourvoir delà charge de conseiller originaire au parlement de Rennes, vacante par le décès de Renaud ^ charge qui lui appartenait par privilège d'atnesse, il apprit, à son grand étonnement, que l'atnéde ses frères consanguins, René* François, sollicitait loi«m6me des lettres de provision;, en vertu d*un acte de démission et d'un traité de cession datant de 1654.

Le coup venait de deux côtés, car Vt^^ de Montmoron n'y était pas étrangère. Son beau^fils avait vu de mauvais œil le deuxième convoi du vieux magistrat. Un vieillard de soixante-deux ans, chargé de famille, épouser une jeune veuvci mère de trois enfants I D'une part, aveuglement et folie ; de l'autre, séduction et calculs intéressés! Au tort inexpiable que Charles eut peut-être d'apprécier trop librement la conduite de son père et surtout les manœuvres de René du Breil, il en ajouta un autre en insistant pour une red- dition de compte. C'en fut assez pour lui aliéner les bonnes grâces des deux époux, pendant que les plus proches parents de Gabrielle du Bellay, mus par un intérêt de famille, s'attachaient au conlraircf à les gagner V

H.etM"^" de Halnoë tramèrent au profit de leur neveu un véritable complot auquel s'associa certainement la troisième femme. Le con- seiller, cajolé, circonvenu, caplé, se prêta à ce qu'on voulut. Six semaines après avoir épousé M°^« de Bienassis, appelé en Basse- Bretagne par une commission de justice, il fut attiré à Hennebont : là, sous la couleuvrine du Fort-Louis dont son beau-frère était

1. Nous renvoyons à notre précédente étude noas avons donné des détails biographiques sur Éléonor du Bellay, sœur de M** de Montmoron, et sur Jacques de Maiffoé, son mari. (Revue de Bretagne et de Vendée, décembre 1885, p. 420.)

LES jNAiiHisims d'un moshioron 415

commandant milUaire» il comparut le 30 août i654 devant deux nolaires du lieu, Marquer et Bourgeois, et déclara se démettre de son office, à charge de survivance, en faveur de son fils polné, René-FrançQis de Sévigné, seigneur de Cheméré. Le lendemain, il la lui vendit au prix de cinquante mille livres •— elle en valait plus de cent mille ! et stipula toutefois qu'en cas de sarvenanee d*enfants de sa récente union, le cessionnairé verserait vue somme de douze mille livres payable à leur majorité, avee intérêts du jour de la mort du cédant K

En souscrivant i ces conditions exorbitantes, le vieillard n'avait pu obéir qu'à des suggestions étrangères» Il ne fut pas difficile à l'héritier lésé de nommer les instigateurs de cette collusion et d'ob-^ tenir delà justice la reconnaissance formelle de ses droits méconnus. En moins de deux ans, il fit prononcer par le parlementât par le conseil du Roi la nullité des actes de 1654 : le 16 novembre 1659, la cour l'admit à prendre possession du siège qu'il devait occuper vingt-cinq ans \

Il fut moins heureux vis^'à-vis de M"'* de Montmorèn. Après avoir plaidé contre elle en termes très vifs, il s'était vu obligé, dès 1658^ d'accepter une transaction onéreuse : plus tard, deux arrêts du par- lement le forcèrent à supporter la charge de son douaire qu'il lui disputait.

Entre temps, il s'allia à une riche famille, alors assez obscure quoique noble, appelée à briller bientôt dans les charges de Cour. Marie Dreux, sa femme, qu'il perdit malheureusement après quel- ques années de mariage, était fille d'un ancien collègue de Renaud de Sévigné. La dot qu'elle lui apporta * cent trente cinq mille livres releva sa situation, isans toutefois le mettre à l'abri de nouveaux soucis '.

1. Ces renseignements sont enoprnntés au factum jndiciaire que Charles de Sévi- gné a servi au parlement de Bretagne et dans lequel il a reproduit teitoellement {es actes attaqués (Bibliothèque publique de Bennes, 176 E ^.)

2. Lettres de provision du 20 septembre 1659. (Registres d'enreglstrement> XV, 60 Archives de la Cour d'Appel),

3. Contrat de mariage du 22 août 1660 (Bertelotet Bobuon. notaires i Rennes -*

416 us ukuûum D*im uomiÊxmo^

Ijonqo'ene mourut, bien jeune encore, vers 1667, la sœur ger- maine de son mari, Anne de Sévigné, était mariée depuis Faonée précédente *• A i'ftge de quarante-deux ans, elle avait épousé, pro* bablement contre le gré Je son frère, Thomme qnt devait Mre pendant plus de trente ans Tadversaire obstiné et impitoyable de ses plus proches parents.

Louis*Francois Le Febvre de Gaumartin, de la branche des mar- quis deCailly (en Normandie *), fils alnéd*un ancien magistrat devenu ambassadeur en Suisse et conseiller d'État^ avait pour mère Gene- viève de la Barre ^ cette bonne femme Saint-Polà qui ses enfants hisaient des procès qu'elle perdait, à leur grande joie ^ On peut juger par s*il hésita à partir en guerre contre son beau-frère, pour peu qu*il y eût entre eux le moindre désaccord d'intérêt

Quel ftit le canêê MM f II porta sur le partage des biens mi^er- nels et naquit à Toccasion de la succession bénéficiaire du père. Aucune pièce ne nous permet de fournir là-dessus des détails ab- solument précis i au surplus, que nous importe ? C'est assea pour nous de savoir que M»« de Cailly se prétendait créancière de son frère at que ses prétentions Airent admises, en tout ou en partie,

ÂrdAtu la Conr (Tappil)* M"* Dreux y stipule qo'aa cas hribt JuuiiS^fga tttte» à titr« tant d'avancement d'hoirie sur m successloc que de parUge de celle de son tnari, eicederait la part de celle-ci, elle lai fait donation de Tescédeni^^^br de mobilier permis aox personnes noble?.

Tfacmas Dreux, frère de Madame de Montmoron, acheta la terre de Brézé par con- trat du premier juillet 1667 et obtint en août 1685 des feltres de nouvelle érection de cette seigneurie en marquisat* Ce fut son Ois, Thomas, qui commença la série des marquis de Dreux-Brézé, grands maiires des cérémonies de France : il y en avait encore un en 1830, dont le père, Henri-Evrard, décédé en 1829, était en fonctions en 1789. On sait en quels termes Mirabeau apostropha ce dernier après la séance royale du 23 juin.

1. Voir, pour Tétat-civil d'Anne de Sévigné« noire troisième étude, (fieoue de Bre- tagne et de VendcCf décerabre 1885, p. 420, note 2.)

2. Voir sur la famille Le Febvre de Gaumartin le grand ouvrage généalogique du P. Anselme, VI, p. 547, et le Diclionnaire de la Noblesse de la Chesnaye des Boi» (édition de 1865), VII, col. 989.

3. M"* de Sévigné rappelle ce délai! en annonçant à sa fille la mort de M"* de Gailly mère, dans une lettre du 5 février 1693 {édilion dtée, X, p. 104.)

LES MALflfitRS D'uN MOHTlIORON 417

m

par un certain nombre de décisions judiciaires passées ou non en force de ciiose jugée S

Ualheureusemenly sa mort sans enfants ne mit pas fln à la lutte. Le marquis de Cailly, soit comme donataire en vertu du con- trat de mariage, soit comme légataire de sa femme, resta investi des droits mobiliers de celle-ci et continua à les revendiquer avec , d'autant plus d'ftpreté quUI n^avait pas de ménagements à garder '•

Les relations entre les deux beaux-frères prirent d'ailleurs dès le début le caractère d'hostilités ouvertes. Ils devinrent fort anitnés Tun contre Tautre, et toute rencontre provoqua d*aigres discùs- sionS) bien près de dégénérer en voies de fait.

Un jour, le SSaoùt i671, Charles de Sévigné se rendit au bureau du contrôle à Rennes, avec deux notaires, pour faire constater de graves irrégularités commises au cours d*une procédure. Le Febvre de Caumartin survint et chercha à deviner ce qui amenait son adversaire. Celui*ci se garda bien de Ten instruire, et comme Tautre Tinterrogeait à ce sujet :

«- Ne pénétres pas dans mes secrets, lui dit-il : je ne veux pas pénétrer dans les vôtres.

Le marquis de CaiHji irrité de cette résistance, se jeta sur le procès-verbal que rédigeaient lei notaires et voulut Tarracher de leurs mains. Sévigné n^évila une collision qu^en se hâtant de sortir. Au mois d^oclobre suivant, une scène plus violente avec un de ses frères faillit transformer un des prétoires de la ville en arène ensan- glantée '.

1. Anne de Sévigné avail reça de son frère à titre de partage provisoire la terre de la Bouexière qu'elle lai restitua en vertu d'un partage définitif du 28 octobre 1664 qui fixa ses droits. Plus tard son mari réclama à sou beau-frére, en se fondant sur ce dernier acte, des sommes montant au total à environ cinquante mille livres.

2. Devenu veuf en 1675, il convola en 1681 avec Françoise-Elisabeth de Brion dont il eut plusieurs enfants et en 1694 avec Marie-Marguerite Baron de Cotlainville qui mourut eu 1715 sans postérité. Nous ignorons la date de la mort du marquis de Cailly : son fils unique, officier de cavalerie, fut tué devant Turin le 6 septembre 1706 : les biens de sa branche passèrent à sa fille, mariée en 1710 à Pierre Delpecb, avocat-général à la cour des aides.

3. Voir le récit de cet incident dans Le fiUeul de la MarquisBt {Revue de Bretagne et

418 LU HALHEime d'oh wHmioaoïi

Dans ces conditioDs, on ne poawil gnère espérer une innsaclUMi éqailable entre les parties. Chacun restait sur le leirain de ce qu'il soutenait Cire son droit et s'j cantonnait ûèremenU Gel» menaçai! de s'élerniBer. Il était difficile, an XVI!* siècle, d'obtenir noe déci- àon définitive et à l'abri de tout recours, pins diffiùle encore de la r^ire exécuter. On admettait, en principe, que la loi donnait aux créanciers pour garantie les biens de leurs débiteurs ; mais si ces derniers appelaient à leur aide toutes les ressources de la e*"- cane, on n'arrivait h la réalisation dn gage qu'après de coûteuses et interminables procédures.

Le marquis de Cailtj aiait entrepris de faire vendre judiciaire- ment la terre de Hontmoron. Son beau-frère entendait la conser- ver : il en porUil ienom, et la lui arracher, c'élait le priver du plus beau fleuron de sa couronne. Comment parvint-il à la sauver des poursuites de H. de Canmartin 7 Evidemment en usant des armes que lui fournissait la législation d'alors. lUutta sans trêve et se voua, pour défendre sa forlnoe territoriale, à l'eiistence fiévreuse et pénible des plaideurs. Sans cesse sur la route de Paris, et à par tir de 1675, sur cellede Vannes siégeaitle parlement de Breta- gne eiilé, le conseiller, comme nombre de ses collègues, passa sa vie 8 juger et â être jugé.

Il ï gagna de tenir en échec le marquis de Gaillj, de pouvoir mourir à Monlinoron, sous le toit seigneurial de ses ancêtres et de maintenir intactes jusque- ces apparences qai trop souvenlsauve- gardent le présent aux dépens de t'avenir.

Si des documents authentiques ne nous avaient initié à ses affai- res, ce n'est pas dans les lettres de M"»» de Sévigné que nous aurions puisé le moindre indice. La marquise faisait grand cas de son cousin qu'elle accueillaii aimablement' : et celui-ci ne deman-

437). U scène du 25 aoAi, comme celle da 8 odobn, erbal àa notaire Gohier (Arebiies de Ii canr d'ippel

LES MALHEURS P'CTN MONTUORON 419

dait peut-ëlre qu'à s*élourdîr ; la mère de M"^« de Grignan n'é- tait pas femme à provoquer des confidences qui Teussenl obligée à compatira d'autres misères qu'aux embarras d'argent et aux trou- bles de la santé de sa fille. Elle savait bon gré à ses visiteurs d'ou- blier ou de paraître oublier chez elle leurs peines secrètes et d'être tout entiers au devoir de la distraire.

Le comte de Honlmoron y réussit pleinement. Aussi, lorsqu'elle parle de lui cinq ou six fois de 1671 à 1684 est elle sous la vive impression du plaisir qu'elle a eu à le voir. Qu'il a de mérites à ses yeux ! c'est un habile homme à composer des devises K Puis « il a bien de Tesprit », il lui dit de ses vers, il sait et goûte toutes les bonnes choses : ils relisent ensemble la mort de Glo- rinde ^

Et plus tard, elle revient sur un éloge qui, sous sa plume de juge compétent, n'a rien de banal : « H. de Montmoron arriva, écrit-elle, vous savez qu'il a bien de Tesprit. > C'est dans cette lellre qu*elle le met en scène avec son fils et un père Damaye dans une dispute sur Turigine des idées : « Ce n'est pas Irop de trois « contre Montmoron : il disait que nous ne pouvions avoir d'idées « que ce qui a passé par nos sens ; mon fils disait que nous pensons « indépendamment de nos sens... Gela se poussa fort loin et fort c< agréablement : ils me réjouissaient beaucoup '. »

Au moment il dissertait ainsi pour la satisfaction de son illustre cousine^ ses affaires, sans être réglées ni près de Tètre, lui causaient peut-êlre moins de tourments. Dans ces longues suites de procès, il y avait des périodes d'accalmie ~ d'armistice, pourrait-on dire. Les plaideurs ne désarmaient pas: ils se repo- saient et se ravitaillaient pour mieux reprendre la lutte.

Au fond, la situation du conseiller s'était un peu améliorée par Texlinction du douaire de Renée du Breil, troisième femme de son

1. LeUres da 2 et 6 décembre 1671 {Ed. cit. II, p. 423 et s.)

2. Lettre da 17 novembre 1675. (id, IV, p. 239),

3. Lettre da 15 septembre 16S0 ^ii. VU, p. 73),

420 LBfl MALatOBS D*tN MOMTMOROIf

pèrt I. Les in^meubles de la successioo avatenl été mis en bail Judiciaire * ; mais la propriété reposait osteasiblement sur la tète de M. de Sévigné.En fait« sons le nom de Labbé du Hino, l'un de ses familiersi adIJudicataire des baui, il administrait lui-même son patrimoine immobilier et continuait à habiter son bétel de la rue Saint-Sauveur ainsi que sa terre de Montmoron bonnes condi- lions pour goûter ce repos relatif et se préparer à la reprise des hostilités»

8*il s'eflirayait des éventualités de Tavenir, ce devait être surtout pour sa illle qu*il pouvait laisser orpheline sans l'appui d'une pro- tection affectueuse et désintéressée. Le mariage de M^^« de Sévigné lui enleva cette Inquiétude >. Le 11 mai 1684# six semaines avant

i. U eoffllflêie doDstrIére à» Moatmoron s mourir vers 168S. DIiodi en psiMDt qu'eUtt s^rt il mal la tolatle de lei «ofanti du premier lit qu'elle reiulenr débllrlM —CD partie lnaohable,^d'nBe aomme de 174|030 livrea, alnai qu'il réaulie d'ttBO lealenoe du i9 Juillet 1688.

9. Ou a'éuit ooBforfflé à rarllole 575 de la coutume de Bretagao. Pour reiter malUm de l'admlaiiUvtlon de leurs bleaa, lea béritiera bénéQoialrea ae faiaaient fréquemment a^uger lea baux JudUlalrea aoua le nom d^un de leurs bommea d*afililrea. Eu t67Si Cbarlea de UYlgné STait été obligé d'abandonner aon bôiel et de louer un appartement à l'angle dea ruea Baudrairte et d'Orléana, au pris de quaure oenta lima par an ; mata il revint ehea lui peu d'annéea apréa, alnai que le oonauttnt son aveu rendu au domaine du Roi te 10 novembre 1677 {Archkê» naiionakt P. 170â) f' S4?) et leâ meatiooB du contrat de mariage de sa fille.

.^. MdHe-kebée de Sévigné, née à Bennes^ en Saint-Élienne, le 22 mai 1667, â élé baptisée à l*église paroissiale de Toussainls (même ville) le 29 mai 1673. Elle est décédée au ciiàleaa de Monlmuron en Romazy le 12 janvier 1735 *.

Le contrat de mariage a élé passé devant Brelin et Bertelol, notaires à Rennes, le 27 avril 1684 (Archives de la Cour d'appel de Bennes). On y voit que son père ne lui a rien donné de son chef et qu'il lui a attribué à titre de partage de la suc- cession de Marie Dreux, sa mère, une valeur de 80,000 livres, dont la raoilicen con. trats et l'autre moitié représentée par la terre de la Bouexiére.

* Le registre ce décès était inscrit a été détruit avec tout Tétat civil de cette paroisse en 1850 et le greife du tribunal civil de Rennes n'en possède pas de double. L'incendie qui a ravagé Romazy nous a privé d'un grand nombre de documents utiles et notamment de celui-là. Heureusement que M. le marquis du Hallay-Goetquen, arrière-petit-fils deM"« de Sévigné, s'en est fait délivrer une expédition en 1821. Grâce à l'obligeance de M»« la baronne de Poilly, sa petite-fille, qui conserve cette pièce dans ses belles archives du château da Folembray, nous avons pu fixer avec préci- sion cette date, intéressante pour l'historiographe des Sévigné.

Les Mâlëëuàs d^un monïhorojî iii

d^accomplir sa dix-seplième année, Marie-Reaée épousa un jeune seigneur de 23 ans, Emmanuel du Hallay, qui appartenait à une des riches et anciennes maisons de la Bretagne S

Quelques mois après cet heureux événement, le 28 septembre 1684| le comte de Montmoron, terrassé par une attaque d'apo- plexie, mourait en six heures à son château, c C'est une belle « âme devant Dieu, écrivit H^^ de Sévigné le 4 octobre suivant, « cependant il ne faut pas juger '• »

Ainsi se termina brusquement cette carrière de soixante et un ans, et brusquement aussi le fardeau de soucis et de procès, qui pesait si lourdement au magistrat vieilli dans l'étude des lois et la pratique des affaires, tomba de tout son poids sur les épaules du jeune Charles de Sévigné.

Triste héritage !

F. Sâulnier.

(La suite prochainement)

1 . Le mariage fol célébré en l'église SaiDl-ËtienDe de Rennes (registres parois- siaux — Archives de la mairie.')

Emmanuel du Hallay, seigneur de Kergouanton, fils de Jean du Hallay, chevalier, sire de Rélhiers, la Borderie, etc., et de Marguerite Hux, au château de la Bor- derie eu Rhétiers, le 18 novembre 16^0, et baptisé le 24 du même mois, y mourut le ^5 décembre 1723 et fut inhumé le 27 dans l'église paroissiale sa famille avait un enfeu (registres paroissiaux).

De son mariage avec Marie-Renée de Séfigné sont nés plusieurs enfants : nous consacrerons dans notre appendice une note spéciale à leur descendance.

Les du Hallay portaient: d'argent fretté de gueules de six pièces. Après la mort de M"* de Duras, née de Coetquen, décédée le 7 janvier 1802, ils ont ajouté à leor nom celui de Coetquen et pris les armes de ceUe maison, et ce en vertu d'un con- trat de mariage du 26 octobre 1576 entre Etienne du Hallay et Gillonne de Goelqneil»

2. D'après cette lettre la mort du comte de Montmoron remontait à quatre jours, soit au 1*' octobre, soit au 30 septembre. A défaut de l'acte d'inhumation qui n'existe plus, nous avons préféré à celle vague indication de M"' de Sévigné la date officielle mentionnée dans les lettres de provision du 7 janvier 1687 délivrées au successeur du conseiller, sur le vu d'un extrait mortuaire.

CROQUIS MARITUIBS

LA COURSE ET LES CORSAIRES

XVIII* SIÈCLE. 1702-1712.

La guerre, dite de la succession, a pour origine facccpta- tion de la couronne d'Espagne faite par Louis XIV, au nom de son petit-fils le duc d'Anjou, que le roi Charles 11 avait dési- gné dans son testament comme devant lui succéder.

C'est surtout à partir de cette époque que le port de Nantes prend rang parmi les villes qui se firent remarquer par leurs corsaires. Jusque-là nous n'avons que des données assez va- gues, des noms pour ainsi dire isolés. Malheureusement une triste fatalité a fait disparaître presque tous les registres des rôles d'armements qui embrassaient la période de celte guerre. En vain avons-nous cherché sur les trop rares épaves qui ont pu échapper à la morsure du temps, ou au martelage du pilon, la mention de nos braves capitaines, de leurs riches et nom- breuses prises, de leurs glorieux combats !... Les archives de la Marine de Nantes sont restées muettes, car elles sont veuves de leurs plus beaux titres.

Au commencement du XVIII* siècle, le commerce semblait en général peu prospère ; aussi le grand roi, renouvelant un édit de 1669, avait-il permis, en décembre 1701, aux gentilshommes de se livrer au négoce en gros sans déroger. Du 3 janvier

* Voir la livraison de novembre 1886, pp. 337-370.

LA COURSE ET LES CORSAIRES 423

1702 au 12 septembre 1703, sur 121 bâtiments expédiés de la rivière pour le long-cours, 23 avaient été pris par Tennemi, 2 avaient fait naufrage. Néanmoins plusieurs maisons retirèrent dlmmenses avantages de la course. Citons le peu qu'il nous a été donné de recueillir.

Le 2 juin 1702, la Biche^ petite frégate de 60 tonneaux, 10 canons, 6 pierriers, 67 hommes, mettait à la voile, commandée par Jean Saupin, ayant comme second René d'Arquistade, futur maire de Nantes en 1735 et 1740. Le 23 août, elle prenait la Marianne de Bristol, dont la vente produisit 16,084 <* 13» 2*.

Nous avons retrouvé * l'engagement de Féquipage de la Biche, passé par devant notaire, la 2 juin 1702.

Il y est dit que les « engagés s'emploieront avec toute la valeur et le courage possibles, pour attaquer, combattre et pren- dre, si faire se peut, les navires et bien des ennemis de cet état, et les conduire dans les ports et havres qu'il appartiendra, pour les faire adjuger de bonne prise...» Le tiers du produit est dévolu àTéquipage, les deux autres tiers à l'armateur qui, pour faciliter l'embarquement, s'engage à payer la veille du départ, « les sommes qui seront cy après déclarées, suivant le dernier règlement du Roi ; desquelles sommes ils auront déduction au retour de la dite frégate, sur leurs parts ; et en cas qu'elles ne seroient à tant valant, les armateurs n'en pourront néanmoins prétendre remboursement ni répétition vers lesdits engagés, pour l'excédant, en façon quelconque.

« Louis Lamandé, de Nantes, enseigne, 100 francs d'avance, quatre parts.

« Les matelots, 80«,72tt, 55«:.

« Un quartier-maître 60 ^^

« Dn volontaire reçoit 19 sols de denier-à-Dieu.

« Un volontaire à 14 «, par mois sans part de prise.

« Un pilote et maître de prise, 100 ♦*.

1. Administration de la Marine de Nantes.

424 U COtJRSË ET L˧ CORSAIRES

« Un qUartier-iiiaitré 78 ^ et une part 1/2.

(c Un patron de chaloupe 66'^ et une part 1/2. »

Le 7 juin 1702, Jacques Hays, commandant la frégate le Valincourt^ prend le hollandais TUnion-d'Amsterdam, avec sa riche cargaison de cacao, bois de Brésil et de campêche, jus de citron, tabac, 1800 piastres, 50 doublons d'or, 3 ou 4 onces de poudre d*or^ etc., et le conduit à Nantes ainsi que le vaisseau le MouT, chargé de vins, huile, liège, sumac, suif, oranges et ci- trons, qu'il avait amariné sept jours plus tard. Le 18 juillet, à hauteur du cap Gléar, la Tourterelle de Philadelphie, chargée de campêche, tabac et pelleteries, est forcée de suivre le cor- saire •.

Le 27 août, M. de Kersauson, capitaine du Saint-Jean-Bap- liste, reprend sur un flessinguois le Saint-Pierre, de Nantes, qu'il expédie pour son port d'armement *.

Le 20 juillet, le Saint-Pierre de 200 tonneaux, 20 canons, 51 hommes, prenait la mer sous les ordres de Guillaume Fauhé, du Groisic, très probablement fils ou petit-fils de Jean Lefauhé dont nous avons parlé en 1640.

La Bonne-Nouvelle, au sortir de la Loire, tombait au pou- voir des Anglais, le 12 septembre 1702, après un combat qui lui coûtait un lieutenant, un enseigne, deux hommes tués, sans compter les blessés.

En 1703 et 1704, le Diligent, 200 tonneaux, 26 canons, 101 hommes, armateur de Hontaudouin, capitaine Pierre Voisin-La- vigne de Saint-Malo, accomplissait deux fructueuses croisières.

En 1704 le Surprenant de 80 tonneaux, 16 canons, avait pour capitaine Guillaume Fâuhé, auquel succédait en 1705 Jean Saupin, qui parmi ses enseignes avait embarqué Joseph Libault, parent de Gratien et François Libault, maires de Nantes en 1671 et 1766.

i. Le Fo/tncow*^ était une frégate de 80 tonneaux et de 95 hommes d'équi- page. 2. Ârch. nationales, registre des prises G. 473.

LA COURSE ET LES CORSAIRES 425

UHocquart, 200 tonneaux, 26 canons, 189 hommes, armateur Gauvain, capitaine Noël François, de Montoir, second Bernard Tréhouard, fils de Thomas, de Saint-Malo, Tun des ancêtres de Tamiral de ce nom, qui prit une flûte anglaise chargée de sucre et de coton •.

1705 nous offre le Duc-de-Breiagne ', frégate de 350 ton- neaux, 38 canons, 265 hommes, armateur René de Mon- taudoin, capitaine Pierre Voisin-Lavigne ; prit I'Élisabeth de Cork, la Junon ; le Salaberry ; le Patriarche, 220 tonneaux, 24 canons, armateur Descazeaux, second René Darquistade, qui fit une riche prise, la Béguine, de Boston, conduite au Gap ; la frégate la Canadienne, capitaine le sieur Tanquerel, qui prit un anglais chargé de vins et autres marchandises.

En 1706, c'est le tour de la Joye, petit navire de 45 tonneaux, 8 canons du plus mince calibre, qui pourtant amarina plusieurs ennemis, entre autres la Digne et la Vigne-detChester ; la Rolland de 300 tonneaux, 243 hommes ; le Soleil-de-Nantes ; \b. Mutine ; le Lusançay '.

Mais les affaires et les armements en guerre ne préoccupaient pas d'une façon exclusive les négociants nantais. Nous en avons la preuve dans l'expédition, le 7 avril de cette même année, du François de 300 tonneaux, 30 canons, armateur M. Descazeaux, capitaine le s' de la FoUiette Descazeaux, parti « pour aller aux

1. Gazette de France, 60,576. M. Hocquart, (Jean-Hyacinthe) chevalier, seigneur de SeuUes, conseiller du Roi, était alors commissaire de la marine à Nantes. 11 fut intendant de la marine à Toulon, puis au Havre.

2. Ce corsaire avait été ainsi nommé en l'honneur du fils du duc et de la duchesse de Bourgogne, dont la naissance^ 8 janvier 1704^ et surtout le titre^ avalent été acclamés avec enthousiasme par la ville de Nantes. Ce prince mourut le 13 avril 1705. En 1731, la veuve de M. Montaudoin^ « a payé au Roy, 588» 10* que son mari devait depuis 1708 et 1709 pour les trois deniers pour livre de deux prises faites par son navire le Dtic de Breta* gne, » Administration de la marine de Nantes ; Correspondance Dodnisté- riclle, 1731.

3 . Le Lusançay avait été monté par Vie.

TOME LX (X DE LA 6^ SÉRIE). 28

426 LA COURSE RT LES CORSAIRES

nouvelles découvertes » et revenu à PortrLouis, le 23 mars 1709*.

De 1706 à la fini de la guerre, c'est-à-dire pendant six années, existe une lacune que, malgré tous nos efforts, il a été impos- sible de combler. Cependant il dut alors se passer de beaux traits, s'accomplir des actes de valeur et de bravoure dignes d'être conservés, ainsi que les deux faits suivants en fournis- sent le témoignage.

Au mois d'août 1711, dit Mellinet' « la population alla re- cevoir avec enthousiasme quatre bâtiments qui arrivèrent dans le port avec six prises hollandaises par des corsaires nantais, et qu'on n'évaluait pas à moins de 1,200,000 livres.

« On sut en outre qu'un corsaire nantais avait pris un vais- seau anglais à l'abordage ».

A ces six lignes se borne tout ce que le digne historien a cru devoir dire de nos marins, au sujet de la guerre de la suc- cession ; et nous en sommes réduits à regretter son laconisdie.

Toutefois les Archives de la Chambre de Commerce (Carton Corsaires), renferment un « Extrait de la sentence donnée le 3 novembre 1711, par feu M. Jacques Danguy, lieutenant par- ticulier de l'Amirauté de Nantes, portant liquidation du pro- duit des prises faites par trois frégates armées en course, et partagé entre elles à proportion du nombre d'hommes de leur équipage, du nombre et calibre de leurs canons. » Ce document est intéressant en ce qu'il nous donne le nom des capteurs et un aperçu du mode de répartition alors en usage.

ff Après les déductions faites ci-dessus (frais divers, dont le détail ni le chiffre ne sont indiqués), il ne reste de net du prix

1. Adm" de la Marine de Nantes, rôles d'armements, Reg. 10.

2. Hist, de la Commune et de la Milice de Nantes, U IV, p. 383. <— L'abor- dage indiqué par Meliinet, n'aurait-11 pas quelque rapport avec cette men- tion de la Gazette de France, 1705, 60,576 : « On écrit de Morlaix le 7 décembre qu'un armateur de Nantes avait pris un brûlot, à dix lieues de Plymoutb, au milieu de la flotte qui revenait de Barcelone. »

LA COURSE ET LES CORSAIRES 427

principal à partager entre les dites frégates preneuses que la somme de ': l,298,007tt 18» 6d.

« Et procédant au partage de la susdite somme avons trouvé que la frégate

Le Jupiter, équipée comme suit, d'après Taveu de tous les armateurs présents :

259 hommes, tant officiers que matelots et vo- lontaires 259 parts.

12 mousses, de deux à la part 6

16 canons de 8* déballes, faisant 128^ à 2** par

part 64

20 canons de 6*t de balles, 1201* 60

Le Jupiter se trouve fondé dans les prises pour 389 parts.

La Mutine, équipée comme suit de Taveu de tous les arma- teurs :

170 hommes, tant officiers que matelots et vo- lontaires 170 parts.

18 mousses, de deux à la part; 9

20 canons de 6 livras de balles faisant 120** à

deux par part 60

8 canons de 4ft » » 32 16 —•

La Mutine se trouve fondée dans les prises pour 255 parts.

La Fidèle, équipée comme suit de Taveu de tous les arma- teurs :

t59 hommes, tant officiers que matelots et vo- lontaires ...... 159 parts.

9 mousses, de deux à la part ^ V*

6 canons de 6^ de balles faisant 36^ à deux à

la part 18 •—

19 canons de 4 » 76., 38

428 LA COUHSK ET LKS COKSA!RES

1 canon de 8 » 8 4

La Fidèle se trouve fondée dans les prises pour 233. */'

Partant il revient :

Au Jupiter, pour ses 389 parts 582,046^t 6^ 6^. A la Mutine^ pour ses 255 » 381,546, 18, 9. À la Fidèle, pour ses 223 7^^ » 334,414, 13, 3.

867 l,298,007*t 18, 6.

La frégate le Hardy-Guépin, de 140 tonneaux, 26 pièces de canon, « et autres menues armes, » capitaine en chef Jean Tanquerel, armateur en société avec M. Jean-Baptiste Le Masne, prit le Conquérant de Guernesey *.

Le Maréchal'd\Estrées, commandé parle capitaine Baugrand, prit, vers le 1" janvier 1712, le Tigre de Dublin, chargé de blés, qu'il conduisit à Morlaix. Le 25 février, en compagnie des frégates la Mutine de Dunkerque, le Comte-de-Gérardin de Saint- Malo, il amarinait la Marie, expédiéelà Bordeaux* Le 9 mars, c'était le Saint-Antoine, qui venait débarquer sa cargaison à Morlaix. Le 13 avril, le Saint-Joseph de Corck abaissait son pavillon devant lui. Le 21 mai, laREiNE de Corck entrait à Saint- Malo ; et le surlendemain 23 une autre prise mouillait à Brest.

En juillet, le François de Londonderry et la Katherine de Wexfort apportaient de ses nouvelles à Morlaix ; et dès le 1" de ce mois le Saint-Nicolas était arrivé à Brest. Le 22 août, le Hampton-Galley de Bristol précédait à Nantes le Maréchal- d'Estrées quile suivit un jour après, s'étant un peu attardé aux environs du Pilier ponr capturer TAnnibal, qui se racheta en payant une rançon de 400 livres sterlings, soit 10,000 livres

1. Adm" de la Marine de Nantes, vqq^. 9,

LA C^^RSE KT LES CORSAIRES 429

françaises qu'on no pouvait guère négliger de cueillir en pas- sant *.

Greslan, auteur de l'article Nantes, Dictionnaire géogra- phique, historique et politique des Gaules et de la France, après avoir cité un certain nombre d'hommes illustres, nés dans cette ville, dit : « Cassard et Vie, fameux hommes de mer, auxquels on peut ajouter un autre célèbre capitaine de navires nommé Bouck, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, et également de Nantes comme les deux pré- cédents. «

Je n'ai pu trouver, sur ce dernier, que cette mention beaucoup trop laconique : « La Marie de Bon-Secours, capitaine le sieur Edmond Bourck, expédié pour Saint-Domingue le 22 mars 1728. Ce vaisseau a péri le 9 juin 1728, sur l'île de Lamgade, allant au Cap Saint-Domingue. L'équipage revenu en France sur divers '. »

N.ous pouvons aussi ajouter un nom, aux trois qui précèdent, que nous fait connaître le document suivant :

(' A Marly, le 9 octobre 1731.

« Sur le compte que j'ai rendu au Roy, du combat rendu par le sieur Darembourg, capitaine du navire le Charlemagne de Nantes, contre un bateau forban, Sa Majesté a bien voulu lui donner une épée que je vous envoyeray par la première occasion. J'ai contribué avec plaisir à lui procurer cet honneur afin d'exciter les autres capitaines à se comporter avec valeur et résolution dans les rencontres qu'ils pourront faire.

« Maurepas '. »

Godefroy d'Harembourg ou d'Arambourg, le 31 juillet 1685, fils de Gratien, marchand, et de Perrine Leclerc, reçut

1. Arcb. Nationales, Jag3iuents des prises, G. 513 et iiU, année 1712.

2. Adtn" de la Marine de Nantes, correspondance ministérielle, 1731.

3. Adnio" de la Marine de Nantes, correspondance ministérielle, 173!.

430 LA COURSE ET LES GORMIRES

le baptême à Saint-Nicolas le lendemain de sa naissance. Son aïeul était originaire de Bayonne. Il fut reçu capitaine à l'ami- rauté de Nantes, le 14 décembre 1714, et mourut à Sucé en 1743. Le Ckarlemagne, qu'il commandait encore en 1734, était un bâtiment de deux cents tonneaux, percé pour 20 canons, et en portant 13.

Jean GRAB08SE 1694-1705.

Ce nom, qui, par son étrange consonnance, fera probable- ment la joie de Técrivain en quête d'une appellation bizarre pour un traître de mélodrame ou un bouffon de comédie, est celui d*un capitaine armateur, aussi inconnu, jusqu'à présent, que son patronymique vocable.

Jean Grabo$se« qui signait aussi de Grabosse, et probablement en avait le droit, originaire du « diocèse de Saint-Médard, en Ghalo$se« Gascongne« » devint tout à fait Nantais^ par son ma- riage avec Benée Peignon, paroissienne de Saint>Nicolas, en 1691, et les divers commandements qu'il obtint. Il mourut le 3 juillet 1705, âgé de 40 ans, par suite des fatigues de ses rades croisières, au moment il pouvait espérer encore de brillants succès.

Le 8 juillet 1694, il mettait en mer avec le Saint-Philippe, frégate de soixante tonneaux, canons, et 74 hommes d'éqnî- pago. parmi lesquels se trouvaient dix flibustiers, année par le sieur Guinobaud *• Le Saxs-Pareu^ de Bristol, L'Espéraxce, et la Friih^xxk *, bientôt exp«Niiés pour France, venaient y déposer les marchandises anglaises entassées dans leur cale et prouver

K Atim. «io U Mânne de Nantes : Rv'>!es d'armem^Dts. Les reeîfire« 1M vx^mvMiUal |va$ «o d^là de cette date, dou^ ne pooroiis ooaaaiti>F le? e.x|[H»>dilit>n$ 4i»t«*^ne\ir«$ du c^pît^ne CrAl>ok<se.

LA COURSE ET LES CORSAIRES 431

que le corsaire ne perdait pas son temps à jeter sa poudre aux moineaux.

Le 19 mai 1696, Grabosse repartait avec le Duc^de-Bourgogne, frégate de cinquante tonneaux et 8 canons, armateur M. Meslier et consors, et rentrait le 6 novembre^ pour repartir le 3 août 1697. Nous n*âvons aucun détail sur ces deux campagnes, dont la dernière dut être fort courte, la paix ayant été signée le 21 septembre de la même année.

Le 4 mai 1702, l'Angleterre et l'Allemagne déclaraient la guerre à la France, et le Duc-de-Bourgogne, très bon marcheur, « basty à Nantes, » jaugeant cent trente tonneaux, armé de 16 canons, 4 pierriers, 80 mousquets, et 128 hommes, qui, pendant la paix, avait accompli plusieurs voyages fructueux aux colonies, notamment en 1700 et 1701, aux Iles Canaries, fut Tun des premiers à sortir de notre port ; car, le 13 juillet^ il levait Tancre, « pour faire la course sur les ennemis de l'Etat, en vertu d'une commission en guerre de S. A. S. M«' le comte de Toulouse. »

Le corsaire rentrait en octobre. Le 29 août, à la suite d'un sérieux engagement, il se rendit maître la corvette du roi d'Angleterre la Vitesse, capitaine Jean Bouck, sur laquelle se trouvait comme otage, en garantie du payement de la rançon, le maître du navire le Pierre-Michel y de Nantes, récemment amariné par l'Anglais. Cette corvette fut reprise le 1«' septembre. Le 23, I'Industrie, autre anglais, amenait pour le Duc-de-Bour" gogne et était introduit au Passage, après avoir laissé au capteur diverses marchandises et deux pièces de canon avec afiût. En plus, le Conseil des prises lui adjujgeait la somme de 297 livres sterlings, montant de l'acte de rançon du Pierre -Michel K

Le 21 juillet 1703, le Duc-de-Bourgogne faisait voile de la rade de Bonne-Anse, rivière de Nantes. Peu de jours après il coulait un petit navire chargé de sel, repris sur les Flessinguois.

1. Arch. Nationales ; Jugements du Conseil des prises, G. 493, 1702.

432 LA COURSE ET LES CORSAIRES

Le 9 août> par le travers de Londonderry, il amarinait la Marie de Bedfort, anglais de 100 tonneaux chai^ de tabac, venant de la Virginie. Après avoir mouillé aux îles Daron, côtes dlrlande, afin de réparer son navire, Crabosse repartit le 4 septembre. Le 13, il rencontra les frégates de Nantes, la Dryade, capitaine Graton, la Nymphe, capitaine du Goujon. Celle-ci fit, en vue du Duc-de-Bourgogne, la prise d*un bâtiment de 60 ton- neaux, qu'elle brûla après en avoir toutefois partagé la cargai- son avec ce dernier.

Le 17 août, notre corsaire tomba au beau milieu d'une flotte de onze navires anglais. Il parvint a se tirer de cette position difficile et dangereuse; puis, à Taidede diverses manœuvres, attira bors de la vue des autres un des bâtiments qui le chas- sait.

Le surlendemain, 19, vers sept heures du matin, le capitaine nantais, prêt à livrer combat, enjoignit à son adversaire, bien plus fort que lui, d'amener ses couleurs. Sur le refus, énergi- quement formulé, il le canonna de très près, et à la suite de plusieurs décharges d artillerie et de mousqueterie, fit jeter les grappins d'abordage. Alors le sieur de la Foucaudière, lieu- tenant en second, sauta à bord avec sept hommes seulement, et par des prodiges de valeur contraignit les Anglais à aban- donner leur pont. Mais la mer était houleuse, par suite d'un violent roulis, les grappins cassèrent et les navires furent sé- parés.

Crabosse, manœuvrant habilement, effectua bientôt un nou- vel abordage, et envoya des secours à ses intrépides marins qui, dans cet instant critique, n'avaient pas cessé de se battre avec vigueur et acharnement. Enfin, la lutte des plus vives et des plus émouvantes durait depuis plus de trois heures, lorsque les Nantais eurent la satisfaction de voir le pavillon de la Grande-Bretagne s'abaisser en signe de défaite.

C'était l'EspÉRANCE, de Londres, armée de 20 pièces de canon, capitaine Everden, chargée de mâtures, pour la reine. Le Duc-

LA COURSE ET LES CORSAIRES 433

de-Bourgogne compta six hommes tués, dont l'écrivain du bord. Parmi les blessés assez nombreux, se trouvaient le brave de la Foucaudière, et Nicolas Viau, du Glion, premier pilote, qui eut la main coupée par une grenade. La prise, conduite au port de More, en Espagne, fut vendue ii,000 piastres.

Les affaires terminées, l'actif capitaine reprenait sa course le 28 octobre. Le lendemain il amarinait la Sainte-Elisabeth, de Gènes, abandonnée par son équipage, qui, croyant être atta- qué par des Turcs, se sauva au plus vite dans la chaloupe. Le navire, conduit à Pontevedra, dut compter 400 piastres à Jean Crabosse, considéré comme sauveteur. Le 8 novembre il pre- nait l'AvENTURE, petite caiche anglaise de 25 à 30 tonneaux chargée de morues, et le douze la Concorde, autre anglais venant de Terreneuve. Le 25, le brigantin le Retour-de-Baton, de Londres, également chargé de morues, mouillait à Pontevedra, sa cargaison vendue, comme celles des deux précédents, produisait un total assez rond, dont les piastres et les pecetas prenaient la route de Nantes.

Le 25 novembre, pendant un fort ouragan de S. S. 0., le Duc'de-Bourgogne se trouva en perdition, et ne dut son salut qu'au sang-froid et à Texpérience de son capitaine, qui réussit à grand'peine à l'entrer à Vigo le 30, tout désemparé. La tem- pête avait brisé le beaupré, le mât de misaine, le grand perro- quet ; un coup de mer avait enlevé deux matelots et une pièce d'artillerie.

Sortis de Yigo le 16 décembre, les Nantais prenaient le 25, à la suite d'une chasse de deux heures, le Saint-Antoine, de Londres, puis après relâche à Bilbao, Alden? etc..^ amarinaient le 12 février, à 15 lieues 0. du Gap Finistère, la Gatherine- BucK, d'Amsterdam, capitaine Petersen, chargée de ballots de draps, lil d'archal, acier, et quincaillerie. Non loin du Pilier, un petit navire portugais faisait la onzième prise de la croi- sière, et le DuC'de-Bourgogne mouillait heureusement à Paim- bœuf, le 4 avril 1704 *.

i. Arch. départ.; série E dossier de l'Amirauté de Nantes.

AU U OHltSe ET LSS aMOAtRES

Un oioisitiE Yx l'a5 1707. Le César,

Par aoe belle journée de joillel 1708, la fr^le-corsaire « le Coezard, » de 150 toDoeaox, SS canons, l»4 hommes, anna- lenr La Brooillère, était ancrée en grande rade de Paimbœof '.

D y a loin de l'aspect que présentait alors ce petit port ra- senx, avec celai qoe nous offre le chef-lieo d'arrondissement aetael. L'église, grand bâtiment sans caractère, llidpilal très modeste, qoelqoes maisons basses, d'immenses magasins, de Tastes bangars en bois pins ou moins alignés sur la rive. formaient on ensemble assez triste, beauconp pins animé ce- pendant qoe ne le sont les larges qnais et les mes de la ville actuelle.

Parmi les nombreux bâtiments qni encombraient la rade, si le Céiar ne se distinguait pas par la force de son tonnage, du moins son accastillagp soigné, ses peintures fraîches, sa mâture en partie neuve, le faisaient facilement ressortir aux yeox des gens de mer. Le temps était chaud, aucune brise n'agitait les pavillons tombant immobiles le long des drisses ondes mâts; et comme bien d'autres, il attendait un vent favorable pour déployer ses voiles et reprendre sa conrse contre les ennemis de l'État.

Le capitaine David Cazala, de Bayonne, se promenait d'nn air légèrement préoccupé sur le gaillard d'arrière, jetant

1. Adm" de la Marine de Naales, Reg. 8. 1703-1708. Un membre de cette Cimille, le Bl« vrai lemblable méat de l'armatem- da Cétar, H* Marc de la BrouIllËre, avocat au Parleiuent, couaeiller du roi, jage maître particulier des eaux et rorêla du comté de Nanlea, fut échevin en 1734, puis aoas-maire en 1756, Saos le procès-verbal de la rèrolte de i'équipige, précédé dn récit de la croisière, déposé par le second i I'.\miraaté de Nantes, Arcb.

.urioDt trouvé que le nom de ce navire et le rôle de eon

mposé ; ofSciers major

iers, 4 ; soldats 32; i

LA COURSE ET LES CORSAIRES 435

parfois un regard soucieux sur divers groupes de marins de Téquipage entre lesquels semblait régner une certaine anima- lion, que trahissaient des gestes violents à demi réprimés, ou des éclats de voix mal contenus.

Tout à coup, Jacques Boissé, canonnier, fort affairé, en appa- rence, à assujettir une des deux pièces de retraite de la fré- gate, fait un signe à l'un des groupes, et profitant d'un instant le capitaine a le dos tourné, le saisit à la gorge, le terrasse, laccable de coups de poings, de coups de pieds, soutenu dans sa révolte par plusieurs soldats qui accourent et se joignent à lui, tandis qu'offîciers-mariniers et matelots se précipitent au secours de leur chef.

Le moment était bien choisi, la plupart des officiers se trou* vant en permission. Le second, Charles Briand, occupé dans la cale, attiré par le bruit et les cris, mettait le pied sur le pont, quand il aperçoit « Paulus Thiercelen, soldat de nation an- glaise », levant sa hache d'abordage pour fendre la tête du capitaine. Soudain, du milieu des forcenés, surgit uiî homme vêtu d'un long vêtement blanc, à la figure austère, à la barbe légèrement grisonnante, et le fer homicide est adroitement détourné par le bras vigoureux du R. P. Jean Le Roy, reli- gieux dominicain, aumônier du bord, qui écarte les meurtriers et leur arrache le corps inanimé de leur victime.

Dirigés par le second, les matelots eurent bien vite raison des soldats révoltés, mis immédiatement aux fers, et bientôt après punis suivant la rigoureuse mais juste sévérité des lois maritimes. Néanmoins le sang avait coulé ; avec le capitaine des plus maltraités, une douzaine d'hommes entrèrent à Thôpital, sans préjudice des écorchures, horions et égratignures portés aux profils et pertes. Une enquête s'ouvrit sur cet acte de mutinerie ayant pour mobile le refus de Boissé, Thierce- len et consorts, de servir pendant le mois qu'ils devaient encore pour compléter le temps de leur engagement.

La croisière en effet avait été longue ; cependant les résul-

436 LA COURSE ET LES CORSAIRES

iats en étaient assez satisfaisants. En voici Thistorique d'après le rapport rédigé par le second, à défaut du capitaine Cazala, a détenu au lit en raison des sévices exercés contre lui. »

Le César quittait la rade de Mindin le 29 novembre 1706, allant croiser sur les côtes d'Irlande. Le 9 décembre, il prenait TÉlisabetu de Londres, assez richement chargée de bois de Gayac, sucre et gingembre, puis venait relâcher au Morbihan pour se ravitailler, en escortant la Catiierlne de Londres, dont le beurre et le bœuf salé furent vendus aux Bretons brelon- nants.

Reparti le 7 février 1707, le César amarinait peu de jours après un petit pingre anglais, dont les belles oranges, les fins citrons et les fruits confits, destinés aux gourmels de la Grande- Bretagne, furent servis à ceux delà Petile *.

Huit jours après, par un temps à grains, la mer grosse et houleuse, les Nantais firent rencontre d'un fort galion espagnol, arrivant de la Havane chargé de tabac et de sucre, mais dé- mâté de^on grand mât, dont la chute avait grièvement blessé plusieurs hommes, et qu'une voie d'eau, que Téquipage exténué ne pouvait franchir, mettait dans un danger prochain de couler bas. La moitié des corsaires passa sur le marchand, que lo César escorta jusqu'à Cadix , l'armateur reconnaissant offrit 14,000 piastres, plus de 70,000 francs au capitaine Gazàla. pour son dévouement et le sauvetage de son navire.

Une sortie de quinze jours en avril leur fournit l'occasion de s'emparer d un cotre, sous pavillon génois, chargé do ballots de draps et de saumons salés, ainsi que d'un petit bâtiment anglais porteur de sel, vins et jarres d*huile.

1. On nommait pingre un navire à fond plat, ass3z large, de 200 à 300 tonneaux de port; ayant trois mâts à voiles latines ; une poupe qui ?o prolonge par deux ailes que réunissent quelques planches ou une plate- forme à claire-voie, et à l'avant un long bec composé comme celui da 1 :i tartane d'un éperon appuyé par deux cuisses latérales fixées aux joues. Jal.

LA COURSE ET LES GOHSAIRES 437

Le corsaire nantais, après avoir essuyé plusieurs chasses do la part de bâtiments de guerre anglais, dut rentrer à Cadix pour subir certaines réparations aussi urgentes que nécessaires. Aux premiers jours de juin, il était prêt à lever Tancre, lors- que le gouvernement de Philippe V mit embargo sur le na- vire, et envoya officiers et matelots renforcer la garnison des forts de Cadix, menacés par les Anglais déjà maîtres de Gibral- tar.

C'était assurément un fâcheux contre-temps que ce caserne- ment forcé, pour nos marins, si jaloux de leur liberté, et réduits tout-à-coup au monotone exercice du maniement d'armes, ou à faire les cents pas, le mousquet au bras, sur les chemins de ronde de la citadelle, tandis que leurs regards embrassaient au loin le vaste horizon de lamer azurée, sillonnée d'embarcations dont ils suivaient en soupirant le rapide sillage. Enfin après cinq mois d'épreuves, marqués du reste par de nombreuses désertions, ils purent disposer de leurs personnes.

Le capitaine Cazala compléta son équipage, et le 3 novembre mit le cap vers la rivière de Nantes, dont il était sorti depuis un an. Chacun avait le plus vif désir de réparer le temps perdu, en trouvant d'heureuses circonstances pour remplir la bourse, que la campagne de Cadix, le vin d'Espagne, et aussi peut-être les beaux yeux des Andalouses, laissaient tout à fait à sec malgré les avances reçues. Aussi le chemin des écoliers, c'est- à-dire le plus long, fut adopté à l'unanimité.

Le César établit sa croisière sur les côtes de Portugal. Le 14 novembre 1707, il amarinait la Julienne d'Amsterdam, hol- landais de 80 tonneaux chargé de marchandises sèches, con- duit à Vigo. Quelques jours après, il enlevait la Femme-de-Lon- DRES, anglais de 50 tonneaux, à la cale garnie de morues sèches, et lui donnait comme compagnon un autre anglais porteur d'une cargaison semblable. Le mauvais temps le con- traignit à se réfugier, ainsi que ses prises, dans la rivière de Pontevedra, la tourmente lui causa diverses avaries, et le

438 LA COURSE ET LES CORSAIRES

mit un instant en perdition, de sorte qu'il ne put reprendre le large que le 20 février 1708.

Ce même j^mij^vers les huit heures du matin, le pingre anglais la Qj^'herinë-de-Londres^ de 100 tonneaux, bourré de from^lt, apprenait à ses dépens qu'il n'était pas toujours agré- able ^5; se trouver sur la route du César, Le lendemain, un second ^anglais chargé de morues sèches faisait la même expé- rience Le maître de ce navire proposa au capitaine Gazala une rançd^Lde 4,000 piastres (20,000*^), que celui-ci accepta en re- tenant r^fils du maître comme otage.

Daj^fi4és premiers jours de mars, le Derby, de Dublin, son bVQrre, son bœuf, ses harengs et son cuir tanné, devenaient propriété du César. Le 29, le Saint-Paul, hollandais de 90 ton- neaux, chargé de sel et huile, éprouvait le même sort. Le 31, pour commencer la journée le Gherchel-Guelly, de Jersey, de / 80 tonneaux et 2 canons, pesamment chargé de blé, amenait ^ pavillon ; et le soir la Suzanne-de- Londres, portant une belle

cargaison de fer, acier et merrains, se rangeait sous le canon du César. Le 1^' avril, chemin faisant, un petit brigantin anglais prenait, avec ses caisses de beurre, Jard, viande salée et chan- / délie, la route de Pontevedra, le corsaire touchait ainsi

que toutes ses prises.

Neuf bâtiments en cinq mois dédommageaient amplement nos engagés involontaires de la fâcheuse campagne de Gadix. Les affaires en partie terminées et remises pour le reste entre bonnes mains, le corsaire revint explorer les côtes de Portugal. Le 16 mai, il se trouvait à 13 lieues au large, par le travers de Viane, petit port de France, lorsque sur les H heures du matin, la vigie signala deux voiles au vent, courant sur la fré- gate, qui les attendit. Mais reconnaissant bientôt deux navires de guerre anglais, elle prit chasse jusqu'à la nuit. Alors Tobs- curité la déroba un instant à la vue de l'ennemi.

Le 17, au point du jour, non seulement les deux chasseurs suivaient sur la bonne piste, mais ils avaient beaucoup gagné ; lun

LA COURSE ET LES CORSAIRES 439

d'eux était même à moins de deux lieues des Nantais. Le César, fin voilier, se couvrit de toile. L'anglais, un vaisseau de 60 canons, loin de perdre sa distance, gagnait peu à peu. Gazala, excellent marin, se surpassa. Toutefois, convaincu de Tinutilité de ses manœuvres, il assembla le conseil et se décida à alléger sa frégate. Huit canons passent par-dessus le bord, l'anglais avance toujours. Onze autres disparaissent dans les profondeurs de la mer, la poupe du César fend Tonde écumante qui par moment rejaillit jusque sur le pont; l'anglais approche encore. Deux mâts de hune, les ancres, quatorze avirons, douze barri- ques rompues à coup de pinces, la cuisine, les choses les plus lourdes sont jetées à Teau, et le César, ainsi soulagé, s éloigne sensiblement de son adversaire, qui, à six heures du soir, lève la chasse, renonçant à l'atteindre.

C'est bien là, penseront quelques lecteurs, le fait de pirates et de voleurs, sans pitié pour l'inoffensif marchand, sans cou- rage devant h plus fort, s'éclipsant au moindre danger!...

Le métier de corsaire, dit Gabriel de la Landelle *, « ne con- siste pas à livrer des combats chevaleresques pour l'honneur du pavillon. Au point de vue général, en détruisant la marine marchande de l'ennemi, les bâtiments de course, véritables gué- rillas de la mer, paralysent souvent ses opérations militaires, jettent le trouble dans ses finances, le privent de marins sus- ceptibles de monter ses flottes et contribuent ainsi puissamment aux succès maritimes de leur propre nation. Au point de vue de leur intérêt particulier, les corsaires doivent éviter, autant quepossible, tout combat quin'âuraitpointpour résultat quelque riche capture. Les armateurs qui aventurent leurs capitaux sur un bâtiment de course, se soucient médiocrement d'une gloire qui ne se traduit qu'en un compte de réparations d'avaries. Les instructions données aux capitaines leur défendent conséquem- ment de se mesurer avec un navire de guerre, à moins qu'ils n'espèrent en retirer des avantages lucratifs.

1. Quatrièmes quarts de nuit; Perrine Cadoret, p. â07-208.

440 LA COURSE ET LES CORSAIRES

« Et voilà pourquoi, malgré les exploits si souvent merveil- leux des corsaires, une sorte de défaveur philosophique plane sur eux, tandis que le vulgaire ]es confond niaisement avec les pirates. La philosophie plaide contre remploi des corsaires; qu'elle plaide contre le fléau de la guerre, rien de mieux; mais du moment qu'il y a guerre, qui veut la un doit accepter les moyens.

« Réflexions inutiles. Les noms sans tache de Jean-Bart, Duguay-Trouin et Surcouf, valent mieux que les meilleurs ar- guments. »

VIE. 1677-1718.

Vie n'est guère connu que par les quelques lignes que lui consacre Greslan, dans l'article Nantes du Dictionnaire des Gaules. M. P. Levot, Biographie bretonne, a le recopier. Plus heureux que ce dernier, nos recherches nous permettent d'ajouter certains détails inédits au travail de Greslan, et de présenter, non pas une étude complète, digne du sujet, comme nous l'eussions désiré, mais une notice plus développée qui met mieux en relief la valeur et le souvenir de cet intrépide Nantais, trop oublié peut-être.

Enfant du peuple, de même que la plupart de ceux dont il est question dans cet ouvrage, Vie sut, par son intelligence, sa bravoure, son énergique volonté, percer l'obscurité de sa modesle origine, et conquérir une des premières places dans l'histoire des braves marins dont s'honore sa ville natale.

Vie (Jean), fils aîné de Georges Vie, tailleur, et de Roberte Sauzais, sa femme, naquit le 28 avril 1677, et non vers 1672, comme l'indique Greslan, ou 1692, date évidemment fautive, donnée par Guimard, puisque c'est celle de la bataille de la Ha^ue, à laquelle il assista, *, âgé alors de quinze ans.

1. Voici son acte de baptême, qui ue donne pas une hante idée de la rédaction en usage à Notre-Dame de Nantes. Il se trouve d'accord avec

LA COURSE KT LES CORSAIRES 441

Suivant son biographe, il commença dès 1688 à naviguer en qualité de volontaire, ou, disons mieux, de mousse sur des navires armés en guerre et marchandises. En 1692, par con- séquent à quinze ans, il était pilote sur le vaisseau du roi le Brave^ de 58 canons, commandé par le chevalier de Ghalais, et assista au combat de la Hague, si brillant dans cette première journée du 30 mai, la flotte française, de 45 vaisseaux, lut- ta contre 97 anglais et hollandais, et 37 frégates ou brûlots, et si désastreux le lendemain par la défaite de la Hougue, qui fut la perte, Tanéantissement et la dispersion de cette vaillante armée *.

La paix signée en 1697 et qui dura jusqu'en 1702 permit à Yié de s'engager au service de la Compagnie des Indes et de faire, en Perse, à la côte de Goromandel, en Chine, aux Iles Philippines et dans la mer du Sud, des voyages fructueux pour son instruction et le développement de ses qualités d*excellent marin. Aussitôt la reprise des hostilités, il s'embarqua comme second sur le corsaire de Nantes le Saint-Esprit, qu'il quitta

les états de service enregistrés à Saint-Malo> Vie est porté comme Agé de

27 ans en 1705, et nous fournit le moyen de lui restituer son prénom jus- qu'ici ignoré : u Le vingt huitiesme d'avril, mil six cent soixante et dix sept, a esté baptisé par moi soubsigné, Jean fils de Georges Biiié {sic) et de Roberde Sauzais sa femme. A esté parrain escuier Jean Le Moine, sieur des Ormeaux, 'et marraine damoiselle Olive Jouin. Signé Jean Le Moine ; Olive Jouin; F. Le Vasseur sacriste. » Arch. municip., série GG., registre de N.-D.

Si^ par suitejde l'orthographe défectueuse du nom de famille, il pouvait s'élever un doiite, il disparaîtrait devant la signature de « Georges Vie »> apposée au bas de l'acte de baptême de « Joseph fils Georges Biguié » le

28 juin 1678 et « Julienne fille George Vinie » le 14 octobre 1679. Mais en marge le nom Vie est bien écrit, de même que dans les actes suivants. En 1685, Georges Vie était établi rue des Carmes, paroisse de Saint-Saturnin, comme « maistre tailleur d'habits », et avait à cette époque au moins dix enfants.

1. Le grade de pilote était alors fort important. Très souvent les bâti- ments de commerce, même d'assez fort tonnage, expédiés au long cours, n'avaient que deux officiers, le capitaine et le pilote.

TOME LX {JL DE LA SÉRIE). 29

442 LA COURSE ET LES CORSAIRES

j^ur le Royal-Jacques et le Comte de Revel, de Saint-Malo, 1703. Mais assez promptement considéré comme un brave, parmi ces braves Malouins, il obtient un commandement.

En 1704^ avec un seul navire, monté par cinquante hommes d'équipage^ et armé de 8 pièces de canon, il enleva la frégate anglaise le Loup, de 14 canons et 75 hommes, servant d'escorte à un convoi de bâtiments marchands, Tun desquels tomba en outre en son pouvoir. Il prit une frégate et une flûte anglaise de 16 canons montées par cent hommes chacune. A la suite de deux courses, signalées^ la première par quatorze prises, la seconde par vingt, il convoya seul, jusque dans la rivière de Nantes, une flotte marchande qu'il préserva des atteintes des corsaires de Jersey et Guernesey. Enfin montant un bâti- ment de 26 canons, il se rendit maître de celui sur lequel avait pris passage lord Hamilton, gouverneur des Iles Anglaises du vent et sous le vent, qu^escortaient deux navires, Tun de 24, l'autre de 18 canons.

Un rapport très succinct, du 3 août 1704, nous révèle le nom du navire que Vie illustra par ses brillants exploits. « Le sieur Viel, (sic) commandant la frégate le Beaulieu, a rançon- né, le 15 juin, le Thomas-et-Suzanne de Yarmouth pour 25 livres sterlings » *.

De plus l'extrait du rôle d'équipage du Beaulieu, que nous devons à l'obligeance de M. le Commissaire de Tlnscription maritime de Saint-Malo, complète en ces termes le signalement de ce corsaire ; « 1705. Jean Vie, de Nantes, âgé de 27 ans, capitaine en pied de la corvette le Beaulieu, de cinquante ton- neaux, 8 canons et six pierrîers, à M. Louis Maugeis et con- sors, armé pour la course à Saint-Malo le 28 mars 1705. Après combat, il a pris le Buyam de Londres, amené le 22 août à Saint-Malo et vendu 27,331^ 12 sols » *.

1. Archives Nationales, Registre des prises, G. 497, 1704, demi an- née.

2. Archives de la marine du quartier de Saint-Malo. C'est cet extrait qui

LA COURSE ET LES CORSAIRES 443

Le 4 juin, la Marie de Claveley rachetait sa liberté. Le 30 du même mois, en compagnie de la frégate LandivUiau, le Beaulieu rançonnait la Fortune des Barbades et TAmitié de Gorck, pour 60 livres et 310 livres sterlings *.

A la fin de cette année 1705, le brave capitaine prend le commandement du corsaire de Saint-Malo, le Cheval-Marin, Le 25 février 1706, il envoie à Brest rHoMME-DE-RoTTERDAM, hollandais, bourré de beurre, suif et autres marchandises.. Le 16 mars, il oblige le Daniel-Elisabeth, anglais,à lui compter 1,800 livres, monnaie de France.

Le 21 juin, il reprend sur un corsaire de Guernesey la fré- gate la Marie de Riberou, qu'il expédie à Morlaix ; et la môme semaine « flessinguois le Renard de Middlebourg, chargé de planches, chanvres, cordages et autres marchandises^ » prend le chemin de Brest ^.

L'intrépide Nantais passe successivement sur le Cygne et le DamaS'Tkianges, avec lesquels il dut certainement infliger de rudes pertes au commerce britannique. C'est pendant une de ces croisières qu'il s'empara de plusieurs galères qui firent tomber entre ses mains des officiers de distinction attachés à l'Archiduc d'Autriche, et se rendant en Espagne.

En 1709 et i 710, Vie revint à son port natal. Avec le Lusan- çay de Nantes, il accomplit trois campagnes très glorieuses qui coûtèrent à l'ennemi quarante-cinq navires. Le 30 mai 1710, à hauteur des Glénans, il reprit la Marie de Nantes, chargée de fer, lattes et charbon de bois, capturée cinq jours avant par les Hollandais, et l'envoya à Paimbœuf •.

nous a procuré la bonne fortune de retrouver l'acte de Dcûssance de Vie, ea faisant connaître son nom de baptême.

1. Arcb. nationales, registre des prises, G. 498, 1" année.

2. Arch. nationales, registres des prises, G. 501, et 5Q2.

3. Arch. nationales, registres des prises, G. 507, 508, 510, 513^ 514.

Le Lusançay, de 200 tonneaux, 22 canops et 233 hommes d'équipage, déjà armé en course en 1706, appartenait au Sieur Claude Thiercelin. Les registres contenant les rôles d'armements de 1707 à 1712, manquent aux archives de l'Inscription maritime de Nantes»

444 LA COURSE ET LES CORSAIRES

Choisi cette môme année 1710, par le ministre de la marine pour commander la frégate Vlllustre, il reçut la mission de purger les côtes de Bretagne des corsaires de Jersey et Guer- nesey qui les désolaient, et s'acquitta supérieurement de cette tâche difficile, à la grande satisfaction des pécheurs et des ca- boteurs qui n'osaient quitter leur mouillage.

En 171 1 , le Lusançay envoie à Tlle de Batz le Charles-Elisabeth .de Bristol, et le Jean-Jacques de Coork ; le 11 janvier 1712, TAventurier de Lisbonne est expédié à Roscoffet périt en arrivant au port ; le 7 février il envoie à Brest, après combat, e Greenborough, dont la cale était bondée devins d'Espagne; le 18 du même mois, le Dragon de Jersey prenait, malgré lui, la route du même port, sa cargaison destinée aux Anglais était vendue aux négociants bretons*.

Dans les nombreux combats qu'il livra, toujours avec des forces inférieures à celles de l'ennemi, il ne fut pris qu'une fois sur le Damas-Thianges, par deux corsaires de Plessingue, l'nn de 36 et l'autre de 28 canons ; et bien que le Damas- Thianges ne portât que 26 pièces, il ne se rendit qu'après une lutte acharnée et sanglante qui dura cinq heures.

Sa réputation de capacité et de bravoure le fit appeler à Gênes, puis entrer au service de la République de Venise. Il fut emporté, disent les dernières lignes de sa biographie, par un boulet de canon, à bord de VAmiral-de- Venise y dans un combat contre les Turcs^ pendant la guerre que termina la paix de Passarowitz.

Cette fin semble laisser à désirer et nous allons essayer de suppléer un peu à son laconisme.

La paix de Passarowitz, la plus glorieuse et la plus avan- tageuse, sans contredit, que TAutriçhe ait jamais conclue avec Tempire ottoman, déterminée surtout par la fameuse victoire remportée par le prince Eugène de Savoie, sous les

i. Arch. nationales, registres des prises, G. 513 et 514.

LA COURSE ET LES CORSAIRES 445

murs de Belgrade, le 16 août 1717, fut signée le 21 juillet 1718. Complètement vaincus sur terre, les Turcs Tavaient déjà été sur mer dans trois combats successifs, livrés en vue des Dar- danelles, à la hauteur de Lemnos et de Ténédos, les 12, 13 et 16 juin 1717, par la flotte vénitienne à la flotte du capitan- pacha Ibrahim.

L'engagement du 16 surtout fut terrible. Il coûta la vie au chef de Tarmée navale vénitienne, et tout porte à croire que c'est le même jour, peut-être au même instant, que tomba notre valeureux compatriote qui commandait le vaisseau ami- ral, et non pas le vaisseau nommé YAmi7'al-de-Venise,

Une lettre, imprimée dans une publication périodique du temps, fournit des renseignements qui, à défaut de détails plus précis, trouvent ici leur place :

Malgré l'infériorité de ses forces, M^Flangini aborda l'en- nemi « avec tant de valeur et de conduite qu'il remporta une « très grande victoire sur les Turcs, auxquels on a coulé trois « sultaïies de second rang, une brûlée, ainsi qu'un brûlot, « neuf démâtées et mises hors d'état de servir cette campagne. « Ces avantages auraient été poussés plus loin, sans le fatal « accident de la blessure mortelle de M. Flangini dont la c< perte cause un regret universel. Nous avons, outre cela « perdu 1,400 hommes, tant officiers que soldats et matelots. « La perte des ennemis doit ^tre beaucoup plus considérable, « car dans les trois actions, on a vu ruisseler le sang des « Turcs par les ouvertures de leurs sultanes *. »

La République de Venise eût pu se montrer reconnaissante envers le Nantais qui sacrifia son sang et sa vie pour elle. Le grade qu'il occupait nous avait fait penser que la ville des Dgges, dans sa bibliothèque ou ses archives, lui aurait au moins consacré une page, une ligne, un mot. Vie est complètement inconnu là-bas, ainsi que l'atteste une lettre de M. le chevalier,

1. Mercure J.istonque et politique, août 1717, pp. 142, 143, 144.

446 lA COURSE ET LES OORSAOUBS

Nigra, ambassadeur d'Italie, à robligeance duquel nous avons eu recours en 1874, et qui nous a répondu que les recherches sérieuses, entreprises sur sa demande, n'ont abouti à aucun résultat 1...

A la ville de Nantes.donc de se souvenir de son enfant, glorieu- sement tombé, en défendant l'Europe contre l'invasion musul- mane. Elle aies quais Gassard et Moncousu, les rues de la Galis- sonnière et Surcouf. Yié attend depuis de longues années un pareil hommage. En adressant ce vœu aux membres du Con- seil municipal, qu'il nous soit permis d'employer la vieille formule terminant jadis les requêtes présentées aux hautes Cours : Ce faisant y Messieurs^ ferez justice.

1744-1747.

a Les combats de l'année 1747 avaient anéanti la marine de l'État ; mais de simples particuliers, des armateurs s'étaient immortalisés par des efforts plus puissants que ceux du gou- vernement, et les prises nombreuses qu'ils avaient amenées dans les ports étaient une compensation aux pertes éprouvées par la marine royale. Le traité d'Aix-la-Chapelle mit fin à cette guerre de corsaires qui avait été si dommageable au commerce anglais. »

Ainsi s'exprime M. Troude * ; et nous pouvons ajouter que le poit de Nantes eut une assez belle part dans ces armements en course, si justement appréciés par un officier distingué et compétent.

Le nombre des navires de commerce anglais, enlevés par les Français et les Espagnols, s'élève, d'après le relevé d'Ha- mécourt, au chiffre de sept cent soixante-cinq pour la seule

*. Batailles navales de la France; T. 1, p. 320.

lA COURSE £T LES GORSAIBES 447

année 1745, ce qui exaspéra la cité de Londres et les villes commerçantes du Royaume-Uni *.

Indépendamment du Mars et de la Bellonef qui ont droit à des mentions spéciales, pour les magnifiques campagnes acçom^ plies sous les Thiercelin, les Rouillé, les Lory, nous avons pu retrouver les noms de quelques-uns de nos corsaires.

VHermine, capitaine Fouquet, de Saint-Malo, enlevait en 1745, avec l'assistance du corsaire le Cerf, de ce dernier port, la Plantation d'Antigue, gros navire bondé de sucre, coton, tafia, bois de gayac, bois de teinture et autres marchandises. Au mois de novembre, même année, cette frégate de 200 tonneaux, 18 canons, 10 pierriers, 198 hommes, armateur Leray de la Glartais, capitaine Joseph-Isaac Faugas, reprenait la mer. Elle envoyait au Port-Louis le Lion, de 300 t., ran- çonnait, pour 1990 livres steriings, le Charles, et amarinait deux autres anglais ^.

Faugas repartait le 28 janvier 1746, sur le Schoram, de 300 tonneaux, 22 canons, 274 hommes, armateur Patrice Walsh. Il était pris le 9 novembre suivant, non sans avoir bu- tiné un certain nombre de bâtiments, parmi lesquels se trou- vait le Roi-de-Sardaigne, introduit à Brest.

La petite frégate la Valeur^ sous Hiron, de Frossay, ne se . montrait point indigne de son nom.

Le garde-côte le Soleil, de 200 tonneaux, armé par les juge.s- cpnsuls et négociants, placé sous les ordres de Claude Durbé, aux appointements de 400 livres par mois, remplissait coura- geusement sa mission de défenseur des rivages voisins de Tembouchure de la Loire, et de protecteur du petit cabotage et de la pêche. Dans les guerres de Sept ans et de Tlndépen- dance, les populations riveraines et le gouvernement lui même invitèrent vainement le commerce de Nantes à renouveler cette louable et heureuse entreprise.

1. Histoire maritime de France, par Léon Guérin, T. IV, p. 267.

2. Parchemin, Chambre de Commerce.

44d LA COURSE ET LES CORSAIRES

u Louis Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre, de Cha- teauvillain et de Rambouillet, gouverneur et lieutenant général pour le Roy, en sa province de Bretagne, Amiral de France, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. Le Roy ayant déclaré la guerre à TAngleterre pour les raisons contenues dans la déclaration que Sa Majesté a fait publier dans toute rétendue de son Royaume, pays, terres et seigneuries de son obéissance, et Sa Majesté nous ayant commandé de tenir la main à l'observation de ladite déclaration, en ce qui dépend du pouvoir et autorité qu'il a plû à sa Majesté attribuer à notre dite charge d'Amiral, avons donné congé, pouvoir, et permis- sion à Claude Diirbé de faire armer et équiper en guerre un navire, nommé \q Soleil de Nantes^ du port de cent quatre vingt dix tonneaux ou environ, qui est à présent au port de Paim- bœuff arrondissement de Nantes, avec tel nombre d'hommes, canons, boulets, poudres, plombs, et autres munitions de guerre et vivres qui y sont nécessaires pour le mettre en mer en estât de naviguer et courre sus aux pirates, fourbans et gens sans aveu, mesme aux sujets du roy d'Angleterre et autres ennemis de l'État, en quelques lieux qu'il les pourra rencon- trer, soit aux costes de leurs pays, dans leurs ports, ou sur leurs rivières, mesme sur terre aux endroits ou ledit Claude Durbé jugevù, à propos de faire des descentes pour nuire aux- dits ennemis, et y exercer toutes les voyes et actes permis et usités par les loix de la guerre, les prendre et amener prison- niers avec leurs navires, armes et autres choses dont ils seront saisis ; à la charge par ledit Claude Durbé de garder et faire garder par ceux de son équipage les ordonnances de la marine, porter pendant son voyage le pavillon et enseigne des armes du Roy et les nostres; faire enregistrer le présent congé au greffe de l'Amirauté le plus proche du lieu il fera son armement ; y mettre un rôle signé et certifié de lui, contenant les noms et surnoms, la naissance et demeure des hommes de son équipage ; faire son retour audit lieu, ou autre port

LA COURSE ET LES CORSAIRES 440

de France ; y faire son rapport par devant les officiers de l'Amirauté, et non d'autres, ce qui se sera passé durant son voyage, nous en donner avis, et envoyer au secrétaire gé- néral de la marine sondit rapport avec les pièces justificatives d'icelui, pour être sur le tout par nous ordonné ce que de rai- son. Prions et requérons tous Rois, Princes, Potentats, Sei- gneuries, Estais, Républiques, amis et alliés de cette couronne, et tous autres qu'il appartiendra, de donner audit Claude Durbé toute faveur, aide, assistance et retraite en leurs ports, avec sondit vaisseau, équipage, et tout ce qu'il aura pu conquérir pen- dant son voyage, sans lui donner, ni souffrir qu'il lui soit fait ou donné aucun trouble ni empeschement, offrant de faire le semblable lorsque nous en serons par eux requis. Mandons et ordonnons à tous officiers de'marine, et autres qu'il appartien- dra, de le laisser sûrement et librement passer avec sondit vaisseau, armes et équipages, et les prises qu'il aura pu faire, sans aucun empeschement ; mais au contraire lui donner tout le secours et assistance dont il aura besoin, ces présentes non va- lables après un an dujourde ladatede l'enregistrement d'icelles. En témoin de quoy nous les avons signées et icelles fait scel- ler du sceau de nos armes, et contre signer par le secrétaire général de la marine.

c< A Versailles, le cinquième iouT du mois de juin, mil sept cent quarante-quatre.

« L.-J.-M. DE Bourbon.

« Par son Altesse Sérénissime : Re

« Délivré par nous, receveur général des droits de Son Al- tesse Sérénissime, Monseigneur l'Amiral, reçu soixante-six livres. Signé illisiblement.

Au dos est écrit : « Soit enregistré à Nantes, le 5 juin 1744. Signé : Roger. »

« La présente commission a esté enregistrée au greffe de l'Amirauté de Nantes, le treize du mois de jum 1744, de l'or-

480 COnilSB ET USS GraSAIRBS

donnaoeede monsieiirle lieutenant-général dodit siège, rendue da eonsentement du procureur du Roy, pour le cu^ûtaine y dénommé jouir de Teflët et du contenu en icelle, ayant à cette fin donné cauption suivant l'ordonnance.

m Reçu pour tous droits d'enregistrement et de cauptionne- ment, quatorze livres 13 sols, et 3 sols pour dépôt du rôle. Lekorxand, greffier.

« Rapporté au grefle de l'Amirauté de Nantes, en déclaration de relâche, le 14 août 1744, pour cause de mauvais temps et voye d'eau a payé 4 1. 4 s. 5 d.

Signé: LeKOiaiAXD. »

S. DE LA NiCOLUÈRB-TeIJEOIO.

POËSIE

LE NOM DE LA « BONNE DUCHESSE »

A M. Alfred Gavâvanniez.

Je Tai trouvé partout et rayonnant sans cesse, Même sur la ruine s'engouffre le vent. ^ Le nom pur et béni de la « bonne Duchesse » En Bretagne est toujours vivant.

Le gardeur de troupeaux, la vieille paysanne, Montrant à Tétranger un reste de manoir, Disent naïvement : c Château de la reine Anne, > D'instinct et sans en rien savoir.

Elle plane au-dessus du sombre moyen âge. Avec un charme exquis de grâce et de bonté. C'est la a bonne Duchesse ! Et ce louchant hommage, Quatre siècles l'ont répété.

En sa fleur de jeunesse âme forte et sereine, Au plus grand, au plus digne ayant donné sa foi, Le jour qu'elle régna la fit doublement reine Et de la France et de son Roi.

Pour sa chère Armorique à lutter toujours prête, Elle était le secours et l'espoir assuré. Il ne refusait rien à sa « petite Brette, > L'époux royal énamouré.

452 LE NOM DE LA « BONNE DDGHESSK »

Unissanl les vertus d'une sainle et d*un sage, Du droit de ses Bretons son cœur restait jaloux. Humble devant son Dieu, de son pays sauvage Elle était fiëre devant tous.

La tombe Teadormit avec un front sans rides, Encor jeune, encor belle, alors qu'elle laissait Tous les cœurs attristés et tous les yeux humides, Et que sa moisson commençait.

La légende et Thisloire aiment à parler d'ello. Le peuple, déJaigneux de gloire et de hauts faits, Dans sa grande mémoire a retenu, fidèle. Le souvenir de ses bienfaits.

Le Lélhé de Toubli, flot à l'œuvre sans cesse. Ne l'a pas entraînée en son gouifre mouvant ; Le nom pur et béni de la « bonne Duchesse » En Bretagne est toujours vivant.

Sophie Hhf:.

AUX MISSIONNAIRES

Vous passerez sans joie et sans gloire ici-bas, Pour un dogme taxé d'absurdes rêveries. Le monde poursuivra de triples railleries Vos haillons, vos genoux ployés, vos célibats.

Vous aurez faim et soif. Sur d*humides grabats, Un lourd sommeil clora vos paupières meurtries ; Sans amis, sans parents, sans foyers, sans patries. Personne ne verra vos pleurs, ni vos combats.

En vos membres qu'on broie, en vos chairs qu'on écorche, Vous sentirez, tordus sous la pince ou la torche, L'angoisse de souffrir et de mourir tout seuls ;

Et quand l'âme aura fui le corps las de tortures, Sur la neige ou le sable, héroïques linceuls, Les fauves rongeront vos os sans sépultures.

Louis le Lasseur de Ranzay.

VANDALISME MUNICIPAL

ET

ANTI- VANDALISME

Uo illustre écrivaû), voila plus d'un demi -siècle, di^aii :

c II n'y a que la France le yandalistne règne seul et saus frein. On tremble b la seule pensée de ce que chaque jour il mine, balaie ou défigure. Le vieux sol de la patrie, surchargé comme il l'était des créa- tions merveilleuses de l'imagiuation et de la foi, devient chaque jour plus ou, plus uniforme, plus pelé. On n'épargne rien; la hache dévastatrice atteint également les forêts et les églises, les hôtels-de- ville et les châ- teaux \ on dirait une terre conquise, d'où les envahisseurs barbares veulent effacée jusqu'aux dernières traces des générations qui l'ont ha- bitée. On durait qu'ils veulent se persuader que le monde est d'hier et qu'il doit finir demain, tant ils ont hâte d'anéantir tout ce qui semble dé- passer une vie d'homme * t »

Depuis le jour ces éloquentes protestations étaient jetées devant l'opinion et la conscience de la France, plus de cinquante ans ont passé, le fléau qu'elles dénonçaient a été de temps à autre enrayé, jamais arrêté, jamais vaincu. Quand certaines idées, plus ou moins pareilles à celles qui régnent aujourd'hui, viennent à prévaloir dans le gouvernement de la chose publique, il y a un redoublement du fléau, c'est une sorte de folie contagieuse, aux atteintes de laquelle peu de gens ont la force de résister.

Affligeons-oous donc, mais ne nous étonnons point de %oir depuis quel- ques années cette tempête sévir sur la Bretagne^ étonnons-nous moins ^ncore de voir, dans cette campagne auti-patrioiique, les municipalités patriotes, du moins, plusieurs d'entre elles, jouer un rôle très éiuioenl.

Deux villes, deux nobles villes de Bretagne, Dinan et Vannes, se sont vues depuis quelques années dépouillées, par leurs soi-disant repré- sentants, c'est-â-dire, par leurs municipalités, de monuments précieux, importants et pittoresques, liés aux plus glorieux souvenirs de leur his- toire : à Dinan, c'est la belle porte de firest^ aux deux grosses tours

1 . MoDlalembert» Dvk vandQ,im\6 et du catholicisme dans fart, 1" édit., p. 7.

VÀNOAUSME MUNICIPAL ET AlfTI-VAMIlAUSlfE 455

m

noassives et formidables, chef-d'œuvre de Tart militaire du XV« siècle; à Yanoes, la porte Saiot-Paterne ou Porte-Prisoo, plus ancienne et plus élégante encore, pleine de la force et de la grâce que le XlVe siècle sa- vait mettre dans toutes ses créations.

L'attentat du vandalisme dinanais a été dénoncé, dûment flagellé en septembre dernier au Congrès breton de Pontivi. Et à ce moment même, à quelques lieues de là, dans le même département, la municipalité ^an- netaise machinait le sien.

Gi'tte municipalité, qui a bâti à Vannes le plus prétentieux mais aussi le plus ridicule des hôtels-de-ville, prétendait n'avoir plus le sou pour sauver cette vieille et précieuse relique de la Porte-Prison. Mais si elle avait voulu, dés qa*ello y fut conviée par le ministre^ (vers la Un d*août dernier), si elle avait voulu, avec Taide de la Société Polymatbique de Vannes qui lui offrait son concours, ouvrir une souscription, malgré cette prétendue débine municipale, elle eût facilement trouvé de quoi sauver ce noble monument.

Mais sauver un monument construit par un duc de Bretagne, Som- breuil a été prisonnier y songez-vous ! La municipalité vannetaise est bien trop patriote pour cela^

Malgré les appels redoublés de la Société Polymatbique, les cris de l'opinion publique, M. le Maire de Vannes a fait le mort, jusqu'à Tinstant il a été trop tard pour réussir ; alors au dernier moment, on a fait mine, pendant une minute, de vouloir peut-être faire quelque chose oh I pas beaucoup ! Puis on a dit que le moment était passé, qu'il n'y avait plus rien à faire et le tour a été joué.

De passage à Vannes au moment de cette répugnante comédie, je n'ai pu résister à la tentation de dire ce que j*en pensais à l'un de nos excellents collaborateurs de la Revue de Bretagne, M. Albert Macé, ré- dacteur du PetU Breton qui se publie à Vannes, et je lui ai adressé la lettre suivante :

A Monsieur le rédacteur du Petit Breton* Monsieur le Rédacteur,

Avec tous les hommes de goût et de cœur, avec tous les Bretons, qui gardent encore dans Tâme une lueur de sentiment national, artistique^ patriotique, je tiens à honneur de protester contre Tacte d*udieux vandalisme et de barbarie stupide qui est en train de s'accomplir à Vannes, la destruction de la Porte-Prison,

Ces deux tours à la silhouette héroïque, avec la bel appareil de

456 VANDALISME MUMiaPAL C.T AKTl-VANDALI^IE *

leurs murailles, la sombre arcade ogivale qui les sépare^ le fier diadème de mâchicoulis qui les couronne, M. le minisire de rinstrnction publique les a supérieuremenl qualifiées en les appe- lant « des restes précieux, Fun des principaux ornements de la VILLE. > Hais il n'a pas assez dit : car ces deux (ours, savez-vous ce qu'elles représentent et ce qu'elles symbolisent ?

Tout simplement, l'époque la plus illustre de Tbistoire de Vannes depuis César, celle qui pendant le moyen-âge a ?alo à celle ville une importance toute particulière et le rang de capitale de Bretagne, au même titre que Nantes et Rennes.

Les souverains bretons des XI* et XII* siècles avaient exclu- sivement résidé dans ces deux dernières villes. Ceux du XIII* et du commencement du XIY* étaient venus de temps en temps à Sucinio goûter les enchantements de la presqu'île de Ruis, toute parée alors d'arbres splendides baignant leurs pieds dans les flots du Morbihan. Hais avant Jean IV de Hontfort, qui conquit la cou- ronne de Bretagne à la bataille d'Aurai en 1364^ aucun de nos ducs bretons n'avait en sa résidence à Vannes. Jean IV y prit la sienne, et pourquoi ?

Parce que, dans cette grande guerre de la succession de Bre- tagne entre Blois etHontfort, tandis que Nantes et Rennes avaient constamment suivi le parti de Blois, Vannes, au contraire, pendant plus de vingt ans (de 13i3 à 1364), s'était obstinément attaché à la cause de Honlforl. Il avait aussi élé le refuge et le rempart de la mère du duc Jean IV, cette grande Jeanne de Flandre que nos chants populaires nomment Jeanne la Flamme^ l'admirable héroïne du

r

siège d'IIennebont, la « femme au courage d'homme et au cœur de lion t célébrée par Froissart, dont la gloire radieuse porta dans l'Europe entière le renom du pays vannetais.

Voilà pourquoi le duc Jeau IV choisit Vannes pour résiden ce, combla de faveurs cette ville, reconstruisit en grande partie son enceinte murale, y fit élever pour sa demeure le château de THer- mine «t, donnant le rang de capitale à la cité vannetaise, lui ren- dit une importance, une prospérité, qu'elle ne connaissait plus depuis longtemps.

1

YÂNDALISME MUNICIPAL ET ANTI -VANDALISME 457

Or, de cetle époque si féconde et si glorieuse pour Vannes, du vaillant duc son généreux bienfaileur, quelles Iraces, quels monu- menls garde le sol vannetais ?

Deux, sans plus, la tour du Connétable, la Porte-Prison, tous deux fortement marqués du style du duc Jean IV, plus encore peut-être le second que le premier.

Dès lors, n*est-ce pas pour la ville de Vannes un devoir étroit d'honneur et de conscience, de reconnaissance et de patriotisme, de conserver à tout prix, avec un soin jaloux, ces deux monuments, alors surtout qu'ils sont l'un et Tautre, comme Ta si bien dit M. le ministre, « les principaux ornements de la Ville ? »

Et cependant, depuis quinze jours, nous entendons répéter par toute la Bretagne cette étonnante nouvelle : que les hommes qui se disent les représentants de la ville de Vannes maire, adjoints conseil municipal -r- se disposent à assister tranquillement à la démolition de la Porte-Prison, sans avoir tenté un seul effort pour empêcher c^ crime de lèse-patrie^ qui entache (on vient de le voir) rhonneur de Vannes.

Est-ce possible? est7ce vraisemblable?

Non certes, ce n'est pas vraisemblable, mais c'est vrai.

C'est vrai, mais c'est hideux.

On a trouvé de l'argent pour toutes les folies, pour tous ces coli- fichets d'architecture prétentieuse qni ressemblent comme deux gouttes d'eau au palais de dame Tartine bâti en sucre candi ; qui, dans cette ville de Vannes sombre et sévère, si grande par ses souvenirs historiques, produisent Tagréable effet d'un faux nez plaqué au milieu de la face d'une statue antique. On a trouvé, on trouvera de l'argent pour tous les gaspillages et toutes les sottises.

Mais quand il s'agit de sauver un noble monument, «{'tfndesprtficî- paux ornements de la vUle, » consacrant le souvenir d'une époque glorieuse et prospère, la mémoire d'un des plus grands bienfaiteurs de Vannes on ne peut plus trouver un sou, on fait misérablement banqueroute à l'honneur de la cité, aux plus grands souvenirs de la Bretagne !

TOME LX (X DE LA SÉRIE). 30

458 VAlfDALIâME MUNICIPAL ET ÂNTI-VANDÂLISME

El comme on entend gronder la réprobation de la conscience publique, comme on ploie sous une responsabilité accablante, on invente, pour tâcher de s'y soustraire, les plus piteux subterfuges, y compris des facéties drolatiques dignes des comédies de Labiche ; on fait les derniers efforts pour rejeter sur autrui le poids écrasant de cette responsabilité.

C'est le conseil municipal de 1829, qui a fail tout le mal, en laissant aliéner la Porte-Prison.

A cette époque, malheureusement, la valeur artistique, patrio- tique, de nos vieux monuments, était peu appréciée. Si on lui avait crié casse-cou à ce conseil municipal de 1829, sans doute il n'eût pas laissé vendre la Porte-Prison à un particulier ; il n'en commit pas moins une épaisse bêtise. Hais comment cet acte pourrait- il innocenter, excuser, ou seulement atténuer la coupable défail- lance d*aujourd'hui ?

Aujourd'hui on sait très bien ce que Ton fait, car on a assez crié casse-cou! Il ne s'agit plus d'un béotisme naïf, ni d'un vandalisme inconscient, comme en 1829. Le conseil municipal de Vannes est parfaitement fixé sur la laideur morale et intellectuelle de l'action, ou plutôt de l'inaction, voulue et délibérée, dans laquelle il se ren- ferme.

Aussi en veut-il rejeter la faute, tantôt sur le Conseil général «i qui, dit-on, ne s'est pas rendu compte de la situation », tantôt ^ principalement sur la Société Polymathique du Morbihan « qui n a pas fait son devoirl »

On croit sans doute parler à des niais 1...

Tout le monde ici il faut le dire bien haut ^ tout le monde a fait son devoir excepté ceux qui auraient être les premiers n le faire«

Le devoir de la Société Poiyrnathique était de sonner la cloche d'alarme ; elle s'en est si vaillamment acquittée que les pires sourds --ceux qui se bouchaient les oreilles pour ne pas entendre en ont aujourd'hui la lèle cassée.

Le Conseil général,qui n'a pas en garde l'honneur de la ville de

VANDALISME MUNICIPAL ET ANTI-VANDALISME 459

Vannes, qui représente le département entier, a voté ferme une somme dont le chiffre témoigne l'intérêt sérieux pris par lui dans la question, et qui eûtdû être, pour le conseil communal, un stimulant actif.

Le préfet, le ministre onl^ de leur côté, stimulé ce conseil de tout leur pouvoir, promettant leur appui et leur concours.

Mais pour que toutes ces bonnes volontés auxiliaires et latérales pussent être efficaces, il fallait nécessairement que le premier in- téressé, — la ville de Vannes par Torgane de ses conseillers mu- nicipaux — se mît en marche et prit la tèie du mouvement.

Mais en vain préfet, ministre. Conseil général, Société Poiyma- Ihique, par-dessus tout l'opinion publique émue et indignée, ont piqué, pressé, poussé les soi-disants repiésentants de Vannes pour les faire partir ; ceux-ci, au lieu de partir, ont reculé, et se sont enfin dérobés misérablement, absolument...

Au point qu'un d'entre eux, (digne d'être distingué du reste) ayant proposé de voter ferme 20,000 fr. pour une souscription pu- blique qu'on aurait ouverte afin de racheter la Porte-Prison, tous ses collègues, avec un touchant ensemble, ont répondu par un refus, en y ajoutant la comédie d'une offre de concours problématique sous des conditions connues d'avance comme irréalisables I

Est-il possible^ après cela, de voir dans ce sanhédrin municipal autre chose qu'une collection choisie de béotiens et de vandales, étrangers à tout sentiment artistique et patriotique, incapables de comprendre les obligations d'honneur qu'impose à une noble ville un passé glorieux ?

Aussi espérons-nous bien qu'un jour Vannes, rendu à lui-même, érigera sur l'emplacement de la Porte-Prison une colonne (je ne dis pas un poteau), dont le socle portera cette inscription :

Ici s'élevait naguère la Porte-Prison^ l'un des principaux orne- ments DE LA VILLE, l'un des derniers monuments rappelant la mé- moire du duc Jean /F, le grand bienfaiteur de Vannes. En 1886^ les soi'disants représentants de Vannes ont laissé démolir ce mo- nument sans lever un doigt pour le sauver. Vannes^ honteux d'une

460 VANDALISME MUNÏCrPAL ET ANTI- VANDALISME

telle conduite f tient à honneur de la désavouer solennellement. Amen ! Veuillez agréer, Monsieur le Rédacleur, etc.

ARTHUR DE LA BORDERIE.

Rennes, novembre 1886.

L'atlenlal est aujourd'hui consommé, la Porte- Prison fui.

Mais lous les Conseils, grâce à Dieu, ne comprennent pas le patriotisme comme Messieurs les municipaux de Vannes. Pendant que ceux-ci mettent le leur à favoriser la destruction « des prin- cipaux ornements de leur ville > (c'est M. Goblel qui le dil), le Conseil général de la Loire-Inférieure fait consister le sien, tout au contraire (et il a bien raison), à restaurer les monuments his- toriques de ce département, ainsi que le prouve la note suivante, publiée par la plupart des journaux de Bretagne,.comme un parfait contraste, juste dans le temps de la destruction de la Porte-Prison :

La commission des travaux publics du Goaseii général de la Loire- In- férieure n*ayant pu se rendre à Ghâteaubriant pendant la session d*août, une délégation spéciale a été donnée à la commission départementale pour visiter le château.

Le président s'est transporté sur les lieux avec ses collègues, et de graves déterminations ont été prises, de concert avec l'architecte du dé- partement.

M. le comte de Pontbriand a rendu compte de cette excursion dans un rapport dont les passages les plus importants seront lus avec grand inté- rêt :

« Je n'ai point à faire, ici, l'histoire du château de Ghâteaubriant^ un des plus curieux monuments du département. Son importance, comme souvenir de Thistoire bretonne, est connue de tous^ et elle se recommande d'une manière toute particulière h la sollicitude du Conseil général.

t Permettez-moi seulemeat d'exprimer, à celte occasion, le regret que ce vieux château n'ait pas encore été classé comme monument historique, conformément au vœu qui a été renouvelé tant fois par Tunanimité de nos collègues.

« Dans sa séance du S2 août dernier, le Conseil général a mis à la disposition de sa commission départementale une somme de 15,000 fv. pour faire exécu- terles travaux les plus urgents de conservation et d'entretien. CetteAssem-

VANDALISME MUNICIPAL ET ANTI- VANDALISME 461

blée aurait voulu pouvoir disposer d'une somme plus importante; mais, avare des deniers des contribuables, elle n'a pas cru devoir faire davantage, dans un rroraent Tagriculture est en détresse, Tindustrie aux abois et la prospérité nationale elle-même gravement compromise.

« Limitée par ce chiffre, votre commission, après une étude très sérieuse, a rhonneur de vous proposer d'autoriser lexécution des travaux ci- après :

« {0 La tour du Musée. —La ville de Cbâteaubriant possède un Musée remarquable, donné en grand partie par M. Tabbé Goudé et par M. Lecot.

u II y a urgence de faire les travaux ci-après dans l'intérêt de la con- servation des collections les plus précieuses :

Remplacement des pierres de la corniche (moulures comprises) ; ré- paration de la charpente et réfection de la couverture.

La dépense prévue est de 2.217 francs.

u 2o jRéparation des ruines. Cette partie du château, la plus ancienne, démolie en partie vers 1488, après un siège malheureux soutenu contre le duc de laTrémoille, demande à être consolidée pour éviter des acci- dents. Une vieille tour, en effet, flanquée, de deux portes, conduit aux écuries de la sous-préfercture et aux logements des gendarmes k pied. Le garnissage des murs> exécuté avec soin et la consolidation de rarca*Je entre les deux toars, coûteront 968 francs.

3o L'escalier du tribunal. Enfin, Messieurs,j'arrive à la partie prin- cipale des réparations projetées : Un magnifique plafond à caissons at- teste le soin avec lequel Jean de Laval avait fait construire, en 1538, cet escalier, destiné à une demeure princière. Il dessert aujourd'hui les locaux occupés par le tribunal, et il est devenu indispensable d'y faire des travaux considérables : des arcades, des moulures et des chapiteaux à réparer, des caissons à remplacer et des piliers à reprendre, une cor- niche et un chapiteau à sculpter. Ces réparations néceisiteront l'emploi d'une somme de 7,684 fr., y compris le dallage en asphalte de la tourelle et l'établissement de portes cintrées pour empêclîer la pluie de tomber sur le palier du premier élnge.

« La dépense prévue par M. Cht nantais ne dépa^tscra pas le crédit voté par le Conseil général dans sa séance du 4 août 1886. Ces réparations consolideront et conserveront noire vieux château historique, et elles donneront du travail aux ouvriers du pays dans un moment où, malheu- reusement, ïh sont peu occupés.

« Comte de Pontbriand. »

UNE LETTRE INÉDITE DE PAUL BAUDRY

Un arti&te de talent, M. Âlasonière, dont on voit à rExposition de Nantes an remarquable portrait gravé de Paul Baudry, m'avait eiprimé le regret de n'avoir pas su plus tôt que je publiais un certain nombre de lettres du mattre peintre vendéen, et cela, parce qu'il m'en eût com- muniqué une qu'il croyait intéressante. Je me hâtai de la lui demander. C'est de grand cœur, me répondit aussitôt M. Alasonière, qae je vous remets une copie de la lettre inédite de Baudry que je vous ai annoncée, écrite en 1883, alors que ses moindres fibres étaient arrivées à un point de sensibilité extrême, perçant dans le ton général de cette théorie sar l'éducation des enfants. C'est précisément à cette époque que, habitant près de lui, rue Notre-Dame-des-Gbamps, je le voyais le plus souvent, rece- vant ses précieux conseils, écoutant ses récits d'études et ses impressions de voyage, feuilletant avec lui les admirables carions de sa Jeanne d'Arc^ et assistant à Tachévement de sa Glori/ication de la Loi. Cette lettre, adressée à une de mes parentes, Mme J. F., qui, comme moi, tenait Paul Baudry en haute admiration, a été, vous le pensez, conservée comme une relique. »

Et c'est justice, car nos lecteurs vont le voir cette page ne dépa- rerait pas le livre d'un écrivain de profession.

Emile Grimaud.

Madame,

Votre question est intéressante.

Je suis très heureux d'y répondre et aussi de vous remercier de Taimable sympathie dont vous voulez bien m'adresser les très gra- cieuses expressions.

Le don de compréhension du Beau est bien secret, comme l'ori- gine de toutes choses morales. Il est refusé souvent à des êtres très intelligents, accordé à d'autres par une loi obscure que nos an-

«:..

UNE LETTRE INÉDITE DE PAUL BAUDRT 463

cètresles Grecs, très subtils en toutes choses, représentaient sous la figure idéale d'une jeune fille (la Huse).

J'ai connu beaucoup d'artistes et d'écrivains, et je dois avouer que je blâmais, ou du moins que je m'étonnais parfois de voir la Huse se plaire en certaine compagnie ; mais elle en savait certai- nement plus long que moi.

Vous voyez, Madame, que je ne crois pas beaucoup à la cul- ture.

Les sentiments du Beau sont des présents de Dieu. Il les répand il lui platt, et fait, s'il le veut, épanouir les splendeurs d'une orchidée dans le fond d'une forêt obscure, nul œil humain ne la verra.

Hais, Madame, je dois avouer que je crois absolument à la con- nexion de tout ce qui est beau, lumineux et idéal. Ainsi loutes les hautes vertus : la Bonté, la Charité, la Grâce, le Courage, sont fleurs du même jardin ; l'amour in Beau est le lien du bouquet.

Je crois aussi beaucoup à l'hérédité morale.

Si ces questions vous intéressent, il y a mille chances pour que vos enfants aient, à leur insu, leç mêmes intuitions que leur mère^ et c'est elle qui, de don instinctif, est la meilleure éducalrice.

Croyez, Madame, à mes sentiments de respect.

Paul Baudrt.

Taris, 5 Juin 1883.

TDRCARET ET U FMHCE JDIÏÏ

Qui ne connaît Turcaret,^ ce type du traitant enrichi, ce « vil laquais tombé de la misère dansTinfamie d'une honteuse opulence», selon le mot de Malilourne * ? Qui n'a gardé le souvenir de cette laideur morale si bien mise en relief par Le Sage ?... Ainsi que Tartufe, dont il est presque le pendant, Turcaret est un person- nage inoubliable *, qui l'a vu une fois^ le reconnaîtra partout et toujours.

D'ailleurs son règne n'a point fini lorsque celui de Frontin a commencé ; Turcaret a fait souche et souche nombreuse ; ses descendants sont même plus puissants qu'il ne le fut lui-même, et par leur ostentation, leurs prodigalités, leurs folies et leurs dé- bauches, ils ont encore renchéri sur son insolence. C'est un fait d'histoire contemporaine, on ne saurait le discuter, encore moins le nier: l'auteur de La France Juive, qui ne cesse de prêcher la croisade contre la race de Sem, signale des Turcarets à tous les degrés de la hiérarchie sémitique, des Turcarets aioant la lettre dans l'échope du marchand de lorgnettes et des Turcarets arrivés sur les ronds de cuir moelleux de la haute banque et dans les salons les plus somptueux du noble faubourg à Paris.

Turcaret, mon ami, il faut en prendre votre parti, tel que vous enfanta le cerveau puissant de Le Sage, vous n'avez rien de commun avec TArien, vous êtes de la tribu d'Israël !

J'ignore absolument si c'est à cetle affinité entre le héros de Le Sage et la race sémitique qu'est due la réimpression de cette petite pièce de théâlres', je serais même tenté jde croire qu'il n'en est rien et

i. Éloge de Le Sage. Discours qui. a partagé le prix d'éloquence, décerné par rAcadéroie française, dans sa séance du 24 aoûl 1822» par M. Malilourne. Paris, Didot, 1822. In 4o, p. 9.

2. Le Sage. Turcaret.^ Cinq dessins de Vallon, gravés par Gaujeau. Paris, maison Quanlin, S. d. (1886) In-i2 de 172 p.

TURGARET ET LA FRANCE JUIVE 465

que réditeur Quantin, en faisant celle publication, n'a point songé au regain d'aclualilé d*une élude de mœurs datant de bientôt deux siècles ^ Il est toutefois curieux de constater que celle réimpression parait juste au moment La France juioe^ arrivée au lll^" mille, ^augmente d'un troisième volume, non moins à Temporle-piëce que ses deux aînés, que Von s'arrache déjà el qui, huit jours après sa mise en vente, était tiré à cinq mille exennpiaires'.

A Dieu ne plaise d'ailleurs que j'établisse une comparaison entre la pièce de Le Sage et l'œuvre du virulent auteur moderne !... Et cependant, ce ne serait pas sans plaisir que je constaterais l'analogie qui existe entre les caractères des deux auteurs : même indépen- dance, même crânerie, même enlètement, égal mépris pour le Veau d'or !

Par goût de gustibus non est disputandum j'aime les hommes tout d'une pièce, francs d'allure, carrés d'attitude ; si, en faveur de leur habileté, j'ai en quelque estime les modérés, les philosophes, je suis invinciblement porté de sympathie pour les convaincus, les ardents ; et, lorsque je vois un homme se jeter vaillamment dans l'arène, tout seul, pour combatlre, au nom d'une cause juste, une corporation puissante, riche et nombreuse, lors- que je le vois faire û des colères qui grondent, se moquer des haines qui s'amoncèlent, je le dis sans détour, mon premier sen- timent est l'admiration et, même après les critiques de détail, même après la pari faite à certaines généralisations outrées, je crie encore : Bravo, Le Sage ! Bravo, Drumont !

Non cependanl que la pièce de Le Sage, celle satire à la Juvénal, soil d'une moralité générale bien puissante. Pour que le specta- teur soit incité à la haine du vice et à l'amour de la vertu, il ne saurait) ^n effet, lui suflire de voir défiler toute une légion de coquins, de fourbes et de corrompus, se dupant el se dépouillant les uns les autres. Ne faut-il pas encore et surtout que la vue d'un homme

i. La 1'' édition de Turcaret est de 1709.

2. La France Juive devant Vopinion. Paris, 1886. ïn-18.

466 TUBGARBT ET LA FRANGE JUIVE

firanchemeot hoqnftte le repose et le console de toutes ces tarpilades accumulées et qu'eoGn, dans un milieu dépravé, la vertu triom- phante brille de tout son éclat 7...

Au surplus, Le Sage a fait une peinture de mœurs vraie, spi- rituelle et courageuse ; et, s'il ne s'est proposé que de uous mon-* trer la bassesse et la corruption des traitants parvenus, il faut reconnaître qu'il a pleinement réussi.

Voilà pourquoi nous eussions désiré pour notre auteur une réim- pression plus sérieuse, moins négligée que celle qui nous occupe. Le texte seul de la pièce, privée des deux critiques par le Diable boiteux, qu'on ne manque jamais de placer au commencement et à la fin, dépourvue même oubli impardonnable de la liste des acteurs, ne saurait, malgré les cinq dessins de Vallon très fine- ment gravés par Gaujeau, constituer une édition de bibliophile.

Enfin, tout en reconnaissant qtie le volume est bien imprimé, qu'il est édité avec goût ce qui n'est point chose nouvelle pour la maison Quantin, ajoutons qu*il lui manque encore une Pré- face^ cette préface, si courte fût-elle, que les amateurs et les éru- dits sont habitués à trouver en tète des réimpressions modernes.

Je sais bien que Maître Prohgvts^ avec son col empesé, n'est pas toujours un monsieur bien divertissant et que souvent, trop souvent, on est tenté de l'envoyer au diable avec ses rengaines et ses lieux communs ; cependant, lorsqu'il s'appelle le baron de Harescot, comme le fin lettré qui signa V Avant-propos de la jolie édition de Turcaret^ publiée en 1872 par la Librairie des Biblio- philes, il se fait'toujours lire avec plaisir.

Quand les éditeurs de l'avenir feroi^t de La France Juive des réimpressions copieusement illustrées, gageons qu'ils n'oublieront point de les faire précéder de longues préfaces par dès critiques bien en vue, et ce, non pas précisément pour la plus grande joie des princes d'Israël, mais pour Vesbattemênt de nos nepveux les bi- bliophiles et non aultres,

W* DE Granges de Surgèbes.

UN SAINT BRETON ET VENDÉEN

21 septembre dernier, Mf r l'Evèque de Luçon adressait au clergé de soD diocèse une lettre-circulaire ainsi conçue :

« Messieurs et chers Goopérateurs^

« Nous recevons de Rome l'heureuse nouvelleque rien ne s'oppose désormais à la solennité de la Béatification du Vénérable Père de Monlforl.

« Celte déclaration avait reçu l'unanime assentiment des Cardi- naux et des Consulteurs de la Foi dans la congrégation du 35 mai dernier et aujourd'hui, en la fête de la Présentation de la Très Sainte Vierge, le Souverain-Pontife lui a donné une sanction défi* nitive.

« Ainsi se trouve terminé, au gré de nos plus ardents désirs, un long et difficile procès et nous saluons avec une entière certitude le jour prochain il nous sera permis de décerner à notre glO'- rieux apôtre les hommages d'un cuite public. Dieu ne pouvait accor- der h notre Diocèse une bénédiction plus précieuse ni ouvrir à notre région de l'Ouest une source plus abondante de faveurs cé- lestes... »

Le Gaulois publie l'intéressant article qui suit sur le Bienheureux Grignion de Montfort :

Louis Grignion de la Bachéleraie fut un athlétique Breton, du dix-septième siècle. L'originalité de son énergique nature et les voies singulières de son apostolat surprennent notre époque attié- die ; elles étonnèrent même en son temps la noblesse et parfois le clergé. Il fut l'homme des foules.

Tout est étrange en lui

Il était à Montfort, dont il a retenu le nom. Après ses éludes, faites au collège des Jésuites de Rennes, qui comptait alors deux mille élèves, il arrive à pied au séminaire de Paris. Les sulpiciens admirent ses vertus, mais ils tentent en vain d'amortir dans le

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468 UN SAINT BRETON ET VENDÉEN

moule commun Tenlhousiaste exubérance de celle jeune el rude énergie. Diacre, Honlfort aide H. de Fiamanville à catéchiser, dans Saint-Sulpice, les laquais du quartier ; ils en réunissent jus- qu'à mille. Prêtre, il se voue aux paysans. H™« de Hontespan, convertie el pénitente, protège ses débuts. Il parcourt la Bretagne el la Vendée, le bâton à la main et les souliers percés, vivant d'au- mônes et couchant sur la paille, évangélisant les pauvres dans les chaires, dans les salles d'hôpital, dans les granges, sous les halles, dans les carrefours, quelquefois dans les cabarets, dans les.bals publics et jusque dans les maisons mal famées.

Les évoques s'eiTraient d'abord de ce zèle qui trouble ; ils lui ferment successivement les diocèses de Poitiers, de Saint-Halo, de Nantes, d'Avranches et de Coutances : il s'incline sans murmurer et va prêcher ailleurs. Mais les petits s^abandonnent au puissant entraînement de celte parole apostolique, brûlante et imagée. Elle a porté ses fruits dans le peuple vendéen, qu'elle a laissé si ferme dans la foi : c'est elle qui, cent ans à l'avance^ a préparé la guerre des Géants et l'holocauste héroïque de tous ces laboureurs martyrs, enfouis par la Révolution sous leurs sillons ensanglantés**

i. Dans ia Grotle sainte, pièce qui termiDe ses Chants du Bocage, M. Emile Grimaiid avait exprinoé la môme idée. Mais, disail-il au P. de Monifort,

Mais, repoussant le joug, vois, pieux cénobite,

« Vois ces durs entants des sillons, Issus do sol choisi que ton corps même habile,

« Braver l'assaut des bataillons. Ecoute -leSy Montfort: ils chantent tes^ cantiques,

En se rendant au bon combat ; Et c'est toi qui versas à nos héros antiques

> Cette vertu que rien n*abat. Noyés, broyés, chassés des chaumières en flammes,

« Par des Turreau, par des Carrier, S'ils n'ont jamais soumis leurs invincibles âmes,

c Cliréliens. c'est qu'ils savaient prier! Quand Dieu rivait ton zèle à leur mâle contrée,

I Tu les armais pour l'avenir : S'ils Turent aussi grands que leur cause sacrée,

Apôtre I ils doivent t'en bénir !... >

UN SAINT BRETON ET VENDÉEN 469

Ses procédés de prédication visaient les simples. Un jour, au lieu de parler, il se contente de montrer pathétiquement le crucifix ; ailleurs, il peint au vif les épouvantemenls de la mort et figure les scènes de Tagonie. A Saint-Lô, il invite ses auditeurs à un débat public et contradictoire ; partout il fait chanter des cantiques popu- laires de sa composition.

Aussi son ascendant sur les masses fut -il vraiment prodigieux. On voyait ses auditeurs apporter en tas les livres obscènes et les tableaux lubriques devant la porte de Téglise pour les réduire en cendres.

Les femmes sacrifiaieni leurs parures. Un jour, sur la lande de Pont-Château, les paysans, à sa voix, élevèrent, pour y planter un calvaire gigantesque, une montagne arlilicielle, haute de cinquante pieds, large de cent trente- trois. II fallut extraire 8,000 mètres cubes déterre ou de grès, transporter, au panier ou à la hotte, deux millions quatre cent mille kilogrammes de déblais. En quinze mois des bataillons successifs de trois cents, cinq cents Bretons, réalisant environ soixante mille journées de travail, sans recevoir un sou ni un verre de cidre, exécutèrent, d'enthousiasme, celte pieuse repro* duction de la montagne de la Rédemption.

Il advint même que cette œuvre colossale effraya Tautorilé. Le gouverneur de Bretagne voulut y voir un fort. On en ordonna la des truction. Cinq cents ouvriers réquisitionnés par force, et aiguillon- nés par les baïonnettes d'une compagnie, mirent trois mois à truire une petite partie du grand ouvrage. En 1821, ces dégâts furent réparés, et eu 1873, on vit, à Pont-Château, cinquante mille pèlerins autour de Msf Fournier, alors ôvêque de Nantes.

Le P. de ATontfort s'éteignait à quarante-trois ans, usé par l'apos- tolat populaire. Il laissait, pour continuer son œuvre, deux familles, religieuses, dont le centre est à Saint-Laurent, en Vendée. Ses filles, dites Sœurs de la Sagesse, soignent les malades et font l'école aux enfants.

Leur congrégation fut durement éprouvée par la Révolution. Le

470 UN SAINT BRETON ET VENDÉEN

pardon au cœur et le chant sur les lèvres, elle a baigné de son sang les guillotines de Nantes. Aujourd'hui, elle compte deux cent soixante maisons, trois mille religieuses et deux cents novices. Ses filSy les missionnaires de la Compagnie de Marie, continuent son apostolat. Ils ont, eux aussi, payé leur tribut aux échafauds répu- blicains, notamment à la Rochelle. Leur institut, loué par Léon XII, approuvé formellement par Pie IX, compte environ deux cents Pères ou Frères, répandus dans les missions de France et des pays étrangers, notamment à Haïti.

C'est en 1829 que l'évêque de Luçon, alors M«' Soyer, intro- duisit la cause de béatification du père Grignion de Monlfort ; Tar- cbevëque de Paris et vingt autres prélats joignirent leurs suffrages au sien. En 1838, Grégoire XVI déclara vénérable l'illustre mis- sionnaire. Puis un cardinal français, Mei* Yiliecourt, fut nommé rapporteur de la cause. Le cardinal Paraccioni lui succéda; et le 29 septembre 1869, Pie IX proclama par décret les vertus du P. de Monlfort.

Depuis ce temps, le tribunal compétent a étudié la question des miracles attribués à l'intercession du vaillant Breton. L'un d'eux, la guérison d'un aveugle, eut lieu dans la chapelle de VL^^ de Mon* tespan. Mais les dépositions ont été entendues et examinées, surtout les faits récents constatés en 1869, 1870 et 1873.

Le tribunal a enfin rendu son jugement favorable; le décret du Sainl-Père se prépare, et déjà le diocèse de Luçon chante le Te Deum pour la bénédiction de son mâle et ardent apôtre popu- laire.

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NOTICES ET COMPTES RENDUS

DIEU ET LE ROI, poésies, par ÉrDile Grimaud. Ua toI. ia-lS Jésus. Paris, librairie académique Didier, Perrin et Gi«, successeurs. Nantes, Lanoë et Métayer ; Niie Thouroode. Prix : 3 fir. 50.

Ceci n'est pas une recommandation l'ouvrage n'en a pas besoin, -- mais un hommage sympathique que nous sommes heureux d'adresser à un homme d'esprit et de cœur.

Le vrai poète dédaigne les habiletés de la diplomatie et se peint dans son œuvre, avec ses croyances, ses affections, ses antipathies exprimées sans crainte comime sans détours.

Tel est M. Emile Grimaud. Aussi bien que le poète breton, ce Vendéen peut dire :

Nous avons un cœur franc pour détester les traîtres ; Nous adorons Jésus, le Dieu de nos aoeêtres.

Voilà sa force. Tout ce qui est beau l'attire, tout ce qui est gracieux le charme, tout ce qui souffre Témeut. Aussi dans ses vers joyeux ou tristes écrits, au jour le jour, sous Timpres- sion d'une grande joie ou d'une grande douleur, on sent toujours l'âme qui vibre, parce qu'elle est profondément touchée.

Dans sa jeunesse il aimait à recueillir les épisodes, lugubres ou glorieux, de la guerre des Géants. Il y revient aujourd'hui avec le même talent et aveu le même amour. C'est toujours le poète, vraiment patriote, dont on disait naguère :

Il chante en ses odes viriles

Les Vendéens: Il eût chanté les Thermopyles,

Aux temps anciens ^

1. Max. Nicol, Une voix de Bretagne^ p. 112.

472 KOTICES KT COMPTES ItËNDUS

Lisez dans son nouvel ouvrage : Vivre et mourir, le prélre fidèle répond si fièrement au jureur:

Gomment, mon pauvre abbé, ferez-vous donc pour vivre ?

Et vous, Monsieur, comment ferez-vous pour mourir ?

Un hussard, brave cœur égaré au milieu des Bleus ; le Cri, éclate rhéroïsme sauvage d'une mère vendéenne ; Ma Rue, qui rappelle un sanglant souvenir; et surtout ces poèmes d*un intérêt poignant : Le Signe de la Croix, La Miséricorde, Une Cocarde, Le Sursis, le vers sonore et ferme répond si bien à la noble simplicité du récit. On dirait les fragments d'une magnifique épopée ; et vraiment, c'en est une que nos pères ont écrite avec leur foi et leur sang.

Mais le poète ne s'absorbe pas dans les souvenirs du passé, quelque attachants qu*ils soient : le présent n'a-t-il pas ses gloires, ses douleurs et ses hontes? Son vers exalte le bieà, flagelle le vice, et chante les victimes en flétrissant les persécuteurs. Ainsi il consacre tout un poème Le Siège du couvent à la pros- cription des capucins, et il termine par un chant de triomphe Gloria viciis! la série des chants pleins de cœur qu'il dédie aux admirables Frères des Écoles chrétiennes :

L'Enfer, en déchaînant contre vous ses démons, A vos fronts de martyrs allume une auréole : Plus on vous persécute et plus nous vous aimons !

Que voulez-vous? il y a des âmes, tendres et fortes, qui subissent comme naturellement Taltrait du malheur : elles vont à la souf- france pour la consoler, à la vertu pour lui rendre hommage, à rinjuslice pour la flétrir.

H. Emile Grimaud est de ces âmes-là.

Mais si l'indignation anime ses vers énergiques, il garde au cœur une invincible espérance, et burine, en regardant l'avenir, des vers que le grand Laprade aurait signés.

C'est au comte de Paris qu*il s'adresse :

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NOTICES ET COMPTES RENDUS 473

On ne fait rien de grand sans souffrir, c'est la loi; Souffrez ! mais dans l'exil emportez l'espérance. Le Christ aura pitié de son peuple de France : Vous partez en proscrit, vous rentrerez en roi !

El ces pensées reviennent souvent, mêlées à des exhortations puissantes, toujours noblement exprimées.

Je parlais de Laprade; son souvenir emplit un grand nombre de ces pages, el il y a des vers charmants ; mais rien n'est plus émouvant que la scène intitulée Bénédiction. Il faudrait la citer tout entière.

L'illustre poète se mourait dans un hôtel de Cannes.

Soudain un visiteur qu'en s'inclinant on nomme, Entre avec un enfant et dit : Voilà mon fils !

Le vieillard demande à bénir Tenfant:

Et le duc d'Orléans s'approche du poète; Attendri, sous ses mains il abaisse le front. Tandis que le mourant, levant sa noble tête, Aux cieux fait un appel que les deux entendront :

( Prince, je vous bénis!... Notre France succombe Aux étreintes du Haï, dont nul ne la défend; Seigneur, il est grand temps, elle touche à la totnbe. Donnez lui pour sauveurs ce père et cet enfant ! »

On le voit, ce volume poétique justiGe bien son titre : Dieu et le Roi.

Il faut nous borner, car on s'attarderait sans peine au milieu de toutes ces fleurs. Elles sont nombreuses et variées. Qu'on ne craigne donc pas de trouver monotone ce beau recueil, dont les poésies, courtes pour la plupart, valent souvent un long poèmet

L'auteur a eu soin de mêler habilement les genres utile dulci^ et, quand il descend des hauteurs pour redire, non sans charme, les incidents de la vie ordinaire, les fleurettes qu'il cueille méritent de trouver place dans son harmonieux bouquet. Lisez

TOME LX (X DE LA SÉRIE). 31

474 NOTIGBS KT COMPTBS RENDUS

Mon Arme, Us Gakts de Bretagne, Le Bouton de rœe, et bien d'autres il faudrait tout citer, vous serez de mou «vis. Je lui lerai cependant un reproche. Pourquoi dit-il tristement :

Je dois répondre : Non I quand la Muse me tente. Jlmpriuie ceux d'autrui*.. je ne fiais plus do vers !

Non, poète, vous n'avez pas le droit de vous reposer. Avec les vers d'aulrui, que vous imprimez parfaiiement je le sais, continuez d'imprimer les vôtres^ et ne dites plus :

C'est aux jeunes qu'il faut demander les beaux vert.

En vain répondez-vous :

La Musa à qui vieillit cosse d*étre indulgente ;

un cœur comme le vôtre ne vieillit pas.

Je n'ajoute plus qu'un mots cet excellent volume se vend au profit des Écoles chrétiennes de Nantes ; ses lecteurs et ils seront nombreux, je Tespère se donneront donc, en même temps qu'une vraie jouissance littéraire, le plaisir de faire une bonne action.

A. Ds Kermaikgdy.

LA CONSERVATION DES MONUMENTS MÉGALITHIQUES DANS LE MORBIHAN. Notes et documents, par Albert Macé, rédacteur en chef du Petit Breton, membre de ^Association bretonne. Vannes, Lafolye, 1886. in-8% 90 p.

M. Hacé, inierrompant pour quelques jours ses intéressantes études sur la période révolutionnaire dans le Morbihan, nous ap- porte aujourd'hui une curieuse élude sur les mesures adminis- tratives qui ont été prises depuis le gouvernement de la restauration, pour parvenir à conserver les monuments mégalithiques si nom- breux dans le pays de Vannes, en particulier dans la région de Carnac. M. le comte de Cbaselles, préfet du Morbihan de 1818 à 1830, a été le premier qui ait songé à faire des efforts sérieux

NOTICES ET COHPTES RENDUS 475

pour sauver de la destruction ces antiques témoins de civilisations disparues. Les entrepreneurs des monuments de la Chartreuse et du grand phare de Belle-Ile avaient trouvé naturel d'exploiter comme carrière de pierres de taille les magnifiques alignements de Carnac, qui depuis un siècle ont diminué de plus de moitié sous la pioche des nouveaux Vandales. Sur la sollicitation du chanoine Hahé, à qui l'archéologie morbihannaise est redevable à tant de titres, H. de Chaselles adressa des instructions à tous les maires du département pour interdire de mutiler ou de s'emparer des mo- numents celtiques qui pouvaient exister dans leurs communes, et par arrêté du 14 novembre 1828, Auguste Romieu, de réjouissante mémoire, fut nommé « commissaire-conservateur des monuments d'antiquité, qui existent sur le sol morbihannais. » Le nom de Romieu, déjà connu à cette époque par ses gais vaudevilles, pourrait laisser croire que cette nomination n'avait rien de sérieux, mais les documents publiés par M. Macé prouvent que le célèbre mysti- ficateur s'occupa de sa lâche en participant lui-même à des fouilles archéologiques. Le gouvernement de Juillet continua l'œuvre com- mencée, M. le préfet Lorois appela de nouveau en 1833 l'attention des maires sur ce sujet et fit rédiger par H. Viltemain, sous-préfet de Lorient, un minutieux rapport sur les monuments de cette région. L'œuvre a été poursuivie plus effectivement depuis par la commission centrale des monuments historiques et l'on sait que l'Etat a récemment acheté à grand'peine, une partie des vénérables débris de Carnac et de Locmariaker. Malheureusement, dés sanc- tions sérieuses ont toujours manqué aux mesures prises, et nous assistons en ce moment, le cœur navré, à la démolition des tours de la Porte-Prison, le joyau des vieux remparts de Vannes, pour la conservation desquelles les édiles vannetais ne peuvent trouver quelques mille francs, quand ils dépensent un million pour la construction d'un véritable palais municipal. Toutes les commis- sions platouicfues n'aboutiront à aucun résultat sérieux tant qu'on n'aura pas inculqué dans la masse un respect filial pour les choses du passé. C'est affaire d'éducation et nous en sommes loin. Nous

476 NOTICES ET COHPTES RENDUS

devons féliciler sincèrement M. Macé d'avoir montré à côté ce qui a été fait, ce qui reste à faire. Souhaitons que la voix des archéo- logues ne soit point la vox clamam in déserta, et demandons grâce à grands cris pour les souvenirs de nos aïeux.

Larvorre de Kerpénig.

L'ABBESSE DE iOCÂRRE, par M. Ernest Renan. Drame en cinq actes

et en prose. 1886.

En ce temps d'opportunisme, les opinions successives de M. Renan le désignent pour la place de philosophe officiel. L'admi- nistrateur du Collège de France n'aura qu'un pas à faire pour aller s'asseoir au fauteuil qui lui est dans la Sorbonne reconstruite. Foin des penseurs d'anlan ! Le pic des démolisseurs a enseveli sous les décombres jusqu'au souvenir des génies qui firent la gloire de l'antique Faculté. Place aux esprits indépendants qui, « lors même qu'ils pourraient réformer te monde, s'en garde- raient bien, le trouvant trop curieux, tel qu'il est *. » Place aux sceptiques qui ne voient dans nos misères qu'un prétexte à para- doxes. Place aux rhéteurs qui ne laissent même pas aux honnêtes gens cette consolation qu'en faisant le bien, « ils ne sont pas dupes '. »

Tandis que nous nous débattons dans l'impasse nous accule le flot montant des revendications sociales, tandis que nous luttons contre l'envahissement de doctrines qui confondent et méconnais- sent le juste et l'injuste, H. Renan constate la persistance du c culte idéal. » « Le danger pour lui ne commencerait que le jour les femmes cesseraient d'être belles, les fleurs de s'épanouir voluptueusement, les oiseaux de chanter. » -^ « Or, conclut-il, dans nos terres clémentes, et, avec nos races amies du plaisir, ce danger-

i. Eiudet d^hisMre religieuse, 2. U prêire de Némi.

NOTICES ET GOHPTES RENDUS 477

là, grâce à Dieu, parait fort éloigné S » On le voit| le pyrrhonisme du plus bourgeois des philosophes s^accentue, à mesure que la mise en pratique de ce far-niente moral accumule les ruines dans noire société minée et pourrie.

VAbbesse de Jouarre ne dépare pas l'œuvre de ce sophiste, qui compte ses succès par ses inconséquences et ses contradictions. Aussi bien, puisque H. Renan est Breton et qu'il convient de tirer de son prétendu drame certains enseignements, les lecteurs de la Revue noiis permettront de nous y arrêter un instant, quelque ré- pugnant qu'il soit.

L'auteur nous fait assister aux amours in extremis de sou hé- roïne (!!), la soi-disant abbesse de Jouarre, et du marquis d'Arcy, condamnés à mort le matin par le tribunal révolutionnaire et qui doivent être guillotinés le lendemain. Comme vous le voyez, on n'est pas plus facétieux. Cette abbesse d'ailleurs n'est point une abbesse ordinaire. Supérieure d'un couvent orgueilleux, « elle a depuis longtemps cessé de prier, laissant aux simples les sacre- ments et les pratiques que l'Église a établis pour tous. » Le mar- quis, de son côté, est un de ces « gentilshommes libéraux, > qui furent emportés parle mouvement dont ils avaient été les promo- teurs. A sa phraséologie spécieuse et vague, on le reconnaît faci- lement pour un ancêtre de H. Renan. C^est un adepte de cette école philosophique qui se consume en aspirations stériles vers l'inconnu, l'idéal, Pau delà, et s'égare à plaisir autour de la vérité Abbesse et marquis appartiennent l'un et l'autre 2iux parties cul- tivées de rhumanité, dans lesquelles l'auteur de la Vie de Jésus range les intelligences supérieures, sorties des limbes religieux.

Quoi qu'il en soit, l'éloquence du marquis a facilement raison des scrupules de la recluse. Et, à ce propos, je me permets de remarquer que des genssimpfo^,et vulgaires comme nous, n'eussent point accepté comme argent comptant des aphorismes du genre de ceux-ci : « La vertu altière est chez la femme un vice ; quelque

1. Préface de I^Ahbeste de JwMrre,

478 NOTIGBS BT COMPTES BSNDUS

chose xpus manquera éternellement. Élemellement vous pleuferes votre virginité. Respectable est la pauvre fille que la fataliié a condamnée à une vie incomplète. Hais vous, le don suprême s'est présenté à vous dans des circonstances uniques, et vous l'avez repoussé. L'ami parfait {sic) que le Ciel vous avait accordé, vous l'avez renvoyé à ses' pleurs... La vrai^ grandeur de la femme vous manquera. Le vrai Dieu vous en voudra, si le Dieu des moines est content. » N'allez pas croire que l'abbesse. convaincue va succom- ber en gémissant. « Que je voudrais, s'écrie-t-elle, être de ces femmes qui, pressées, ont une réponse : Ayez des égards pour ma faiblesse. Ce serait une hypocrisie de ma part. Je ne suis pas faible. Mais... j'ai mon orgueil ; voulez- vous que je me présente devant la mort amoindrie à mes propres yeux 0 privilège magique des régions éthérées s'agitent, discutent et finalement succombent les parties cultivées de l'humanité ! Tout y est digne, correct, noble, héroïque, même la chute, même la faute. On fait fi du qu'en dira- t-on. On afiiche la prétention de ne relever que de soi-même. On se croit assez fort pour résister à la passion, d'où qu'elle vienne. On se laisse circonvenir par elle, et quand déjà elle donne Tassaul, on se retranche derrière son orgueil comme derrière un rempart inaccessible. Mais l'orgueil perd plus qu'il ne sauve. Assurément, si l'abbesse eût cru, comme les simples religieuses, que le Dieu des moines fût le vrai Dieu, elle eût eu la force de repousser le marquis d'Arcy.

Mais poursuivons : d'Arcy meurt seul. Quant à Julie, (c'est le nom de l'abbesse de Jouarre), un jeune officier qui Ta aperçue devant le tribunal révolutionnaire, en est devenu éperdûment amou- reux. Il l'arrache au bourreau, quelque effort qu'elle fasse pour repousser ce bienfait pire que la mort. Condamnée à vivre, Julie tratne dans le dénûment ses jours misérables. Elle accouche dans une mansarde de la rue Saint- Jacques, et, pour nourrir cet en- fant—né d*un dernier soupir, ellese fait la commissionnaire des petits marchands du Luxembourg. Le reste est une berquinade. Son sauveur revient à Paris, la voit, l'épouse. Il y a gros à parier

NOTICBS ET COMPTES RBItDUS 479

qn*iU firent heureux, mais de ce bonheur nuageux qui rè^nesous le toit des parties culUvées. L'entrée en ménage, au reste, est ado- rable de solennité : « Puisons dans notre hauteur morale, déclame Julie^^t dans notre mépris de la vulgarité, la force de vivre encore et d'aller au-devant des incertitudes de Tavenir. »

Tout ceci n*est que hors d'œuvre et sert simplement à encadrer une funèbre apothéose de* l'amour. M. Renan s'en explique lui- mftme dans sa préface. On nous introduit dans une prison , non pour retremper nos courages dans les entretiens héroïques de la veillée de réchafaud, mais pour échauffer nos sens au spectacle malsain d'invraisemblables amours. Rien de plos répugnant que ces pensées voluptueuses à un pareil moment et que ces fleurs jetées sur les embrassements d'une nuit macabre, t sous prétexte que ce que Ton fait en présence de la mort échappe aux règles ordinaires. »

Rien de plus faux que ce thème, développé à satiété t « Tout dans la nature nous dit : aimez-vous. Qui le dit plus étoquemment que la mort? (jsic)! Supposez le monde à la veille de finir, je dis que Tamour devrait régner sans loi, sans limites, puisque ce qui limite et règle l'amour, le droit sacré de l'être qui en sort, n'aurait plus aucun sens. >

Non, la terreur involontaire qui saisit les plus forts aux approches de la mort n'est point compagne de l'amour. A-t-on jamais parlé des bacchanales de l'an mil ? Si le monde devait finir demain, ce sont les églises qui seraient pleines.

A l'appui de sa thèse, M. Renan évoque le dix-huitième siècle, mais il le travestit. L'histoire ne rapporte pas que marquis poudrés et duchesses libertines, réveillés en sursaut parle tocsin de i793, aient cherché dans une dernière orgie le courage de bien moif- rir.

Hais H. Renan fait bon marché de la vérité historique ou philo- sophique, quand il s^ai^it d'émettre un paradoxe. La mode est au sensualisme le plus honteux, il suit la mode. Car et ce reproche lui sera sensible il n'a même pas le mérite de l'originalité. Avant lui, dans la Faute de Vabbé Mauret, H. Zola a tenté de

480 NOTICES ET COMPTES RENDUS

nous représenter la nature conviant Phomme aux jouissances ma* térielles et physiques. Mais le romancier avait sur le philosophe l'avanlage d'une vraisemblance relative. Puisque la coutume est aujourd'hui de donner un langage aux choses, on conviendra que les jardins fleuris du Paradan parlent autrement que Tanti- chambre de la guillotine.

Ainsi) Tauteur de la Vie de Jésus en est réduit à emboîter le pas de H. Zola. Qu'il se <c divertisse » dans son égoîsme d*homme heu- reux. Les gens sensés ne sauraient désormais le prendre au sérieux. C'est en voilant leur face pharisienne que ses amis essaient d'étayer le piédestal croulant de sa renommée. Qui vivra verra. J*augure mal, quant à moi, de l'avenir de ce sceptique. Vous souvient-il de ces apostats perdant en pleine vie toute conscience et toute digoilé et mourant dans l'ordure? Ce spectacle pourrait bien encor&nous être donné. C'est qu'en effet tout se tient : après avoir sacrifié les croyances, on se débarrasse de la morale.

Tel est le eeul enseignement à tirer de ce livre malsain, mal- honnête, et, par surcroît, ennuyeux.

ANATOLE BiRÉ.

PENSÉES D'UNE CROYANTE, par Marie Jeona. - Un vol. petit in-16.

Paris, Poussielgue.

Voici, non pas un livre, mais un opuscule de 120 pages, qui ne se recommande, à première vue, que par son joli format et sa couleur azurée, presque printanière. Mais il est signé : Marie Jenna^ et porte un titre qui, à lui seul, la trahirait : Pensées d'une Croyante, Cest dire que ce recueil renferme autant de beautés neuves qu'il y a de merveilles dans une petite fleur, et qu'il ne trompe point comme les Paroles, restées célèbres, d'un Croyant^ qui ne Pétait déjà plus, de cœur du moins, car il commençait à parler le lan« gage de la haine. On peut se fier aux promesses de la Muse des Élévations^ qui poursuit, sans défaillance, la campagne qu'elle a

NOTICES ET COMPTES RENDUS 481

entreprise pour le salut des âmes et qui, après le charme de ses mélodies chantées, leur apporte aujourd'hui le fortifiant de sa pa- role avec la sève vitale de sa belle intelligence de chrétienne.

Le bienfaisant et modeste ouvrage quelle vient nous offrir pour étrennes, est en réalité le journal d'un esprit qui parle, parce qu'il croit, et d'une âme qui est une lumière, parce qu'elle aime.

Bien que ces Pensées aient été écrites d'élan et saisies au pas* sage de l'inspiration, il y a de la liaison et de Tharmonie entre elles, comme entre toutes les perles roulées par le même ruisseau ; et l'auteur a pu les ranger dans une sorte de classification qui les précise, en indiquant le but elles tendent avec la source d'où çlles ont jailli. Ainsi^ il y a les Pensées dans la joie, les Pensées dans la tristesse, les Pensées dans le calme, et celles émanées plus directement de TÉvangile. C'est, comme on le voit, un cadre à peu près aussi vaste que celui des diverses situations de l'âme et de la vie, et ce. qui étonne, quand on l'a parcouru, c'est l'exiguité du volume comparée aux richesses qu'il contient. En voyant se dérou> 1er cette série de Pensées^ tour à tour ingénieuses et pénétrantes, comme celles de Joubert, imprévues et lumineuses, comme l'un des éclairs sortis de la chaire de Bossuet, parfois même délicieuses et simples, comme un verset de l'Evangile, on conclut avec bon- heur à l'éternelle supériorité dn Christianisme pratique, aussi bien sur le Spiritualisme humain, qni nous élève à des sphères supérieures mais indéterminées, que sur le Naturalisme contem- porain, s'efTorcant d'emprisonner dans l'étroit horizon des choses visibles ce regard de l'âme, qui ne peut être rassasié que par la contemplation de l'Infini. L'humilité n'est pas toujours la vertu des adeptes de cette doctrine du moment, et pourtant qu'ils sont à plaindre * !

< Qaand on a aimé la nature avec Tâme d'un chrétien, on plaint ceux qui l'ont aimée seulement en rêveurs, en artistes, sans y trouver le Dieu vivant. Si leur pensée s'élève, comment ne serait-elle pas troublée par un

1. Pensées d'une Croyante, pages 5 et 9.

4K MTfOHi wt oMimi Bmoi

mfimqueriMn^édtini? Etee pkn bonhevr de m mtir aimé de ealoi qo'oa adare,d6 tAToir que cette leuroe de vie qui coule eo nous codera éteraeilemeDt, commeot réproavendeol-ils ? >

La sincérité da Natoralisle ne peut se concevoir qu'en supposant quelque chose d^incumplet dans Torganisation de ses facullés in- tellecluelles ou moralesê Noire Croyante le dit admirablenienl :

# 11 est des hommes qui ne feulent pas de Dieu ; cette triste découTorte, en effrayant mon cœur, a cependant affirmé mafoL Jem'étonnab de ce que la vérité ne fftt pas visible à tous comme le soleil. J'ai compris que ce n'est pas le rayon qui manque, mais le regard M

Ecoutez maintenant comme elle plaint les infortunés qui n*en- vient rien aux croyants :

tt Je comprends qu'on n'ait pas la foi; je comprends que Tintelligenee hésite devant Tinfinie profondeur de nos dogmes; mais qu'on ne la dé- sire pas^ f oilà ce qui étonne, ce qui navre, ce qui confond ! Oh I que j'ai été longtemps à le croire, à croire qu'un cœur d'homme pouvait entrevoir sans tressaillir les merveilles de l'amour divin ! Dans la naïveté de mon enthousiasme^ je pensais que le ré^e leur paraissait trop beau pour être vraL Mon Dieu I lorsqu'il me fallut comprendre qu'ils ne trouvaient rien à nous envier, qu^iJs étaient joyeux ainsi dans leur vie sans espérancei dans leur temps sans éternité; quand je vis qu'ils s'irritaient comme d'une offense de ce zélé, le plus beau rayon de l'amour, ohl alors, quelque chose se brisa en moi, je ne sais quelle corde qui ne vibrera plus, la plus belle peut-être >. »

Mais ce qui est le mot de ce petit livre, ce qui vit et palpite dans toutes ces pages, ce qui en fait un baume en même temps qu'une lumière, c'est l'amour de Jésus- Christ, exprimé dans un langage à la mesure de ce divin sujet. Les Pensées d'une Croyante sont comme le vol perpétuel d'une âme éprise autour du Dieu fait homme, que rien ne peut remplacer, quand on l'a seulement en- trevu et à qui Ton veut tout donner dès qu'on lui a donné quelque chose.

1. Peniées <fuM Croyante, page 52.

2. Ibidem, page 25.

NOTIGKS BT COMPTES RINDUS 488

ce L'âme créée si grande, arbitre de son propre sort, appelée à par- tager la vie même de son créateur si elle n'efface pas en elle sa divine res- semblance *> rbumanité rachetée par un acte plus merveilleux que celui de sa création, rinilni de la puissance, de la sainteté, de Pamour incarné dans un homme qui s'est fait notre frère et notre rançon, c*est si beau, si pleinement ineffable qu'après qu^on a écrit des milliers do volumes, chanté sur tous les tons de la lyre chrétienne, il faat écrire et chanter encore ^ »

Ailleurs elle s'écrie, dans un transport d'amour :

« 0 Jésus, s'il pouvait m'ètre prouvé que vous n*étes pas mon Dieu, je voudrais continuer à vous aimer tt à vous obéir. Si votre pensée n'était plus qu'un rêve, c'est de ce rêve que je voudrais vivre : j'aimerais mieux votre ombre que toutes les réalités '. »

c Le voir enûo, Lui ! l'ami divin, le sauveur Jésus ! celui qui nous con- solait si délicieusement aux heures de tristesse^ celui qui rayonnait à travers les âmes et les faisait si belles, celui qu'il suffit d'aimer pour être digne d'amour ! »

L'amour divin est si bien le foyer s'est allumée cette âme exquise que la vue du seul lieu de la création elle ne saurait le rencontrer, lui inspire un tableau qui rappelle ceux des saints Pro- phètes et qui glace l'âme d'un effroi surnaturel:

GOMVB UN SONGE.

«Dieu me montra de loin la sombre demeure de ceux qui sont condamnés pour toujours, et mon âme, encore imprégnée des joies du ciel, frémit en même tempt» d'une indicible pitié ; et je dis à Dieu : Seigneur, vous qui êtes le Dieu des miséricordes, n'aurez-vous point pourtux uàe misé- ricorde ! Et mi prière était comri-e leur peine, immense en son intcn* site. Alors Dieu me dit : c Va leur offrir ma mi«éricorde« »|

« Et je passai par ces cheminot que nul homme vivant n'a traversés; « j'entendais une rumetir confuse, épouvantable, mêlée de crisetde gémis- sement4S : je frappai à la porte du sombre abîme et je m'écriai : Pouvez- vous aimer?....

1. Pensées y pages 11 et 12.

2. Ibidemy p. 31.

484 ^ HoncES n coêutes bbidos

4 11 f6 lift m profinid sSœa, et eafoile me grade daaeor iofée de toutef les Toii : Non, nous ne poof oos pas aimer !

m Je restai suffoquée par Fangoisseet la crainte, ne sacbaat que fûne de la misériconle de BHUi INeo ; puis je rassemblai toutes les farces demoa tee et je m*écriai : Youles-vous aimer ?....

« Vm sileoce plus loog répondit, puis une autre clameur : Non, nous ne Toukms pas aimer!

o Alors f adorai la justice de mon Dieu, et je compris que sa miséricorde ne pouvait plus descendre dans le royaume de la haine éternelle «. i

Ce morceau est choisi parmi les fragments si remarquables qui terminent le volume et dont le dernier est VEtat de grâee^ déjà connu des lecteurs de la Bévue de Bretagne et de Vendée^ qui en ont eu la primeur, il y a bientôt deux ans.

Ce que nous venons de dire, quoique bien incomplet, suffira, nous l'espérons, pour donner une idée de ce pieux et substantiel écrit que Ton croirait tombé de la plume séraphiqne de saint François â*Assise ou de sainte Thérèse. Il apporte un exemple de plus à l'appui d'une sympathique idée que nous ne sommes pas les premiers à exprimer et qui consiste à croire que, si le divin Ifaitre dut confier exclusivement à ses disciples le soin d'écrire son Évangile et de prêcher sa doctrine, ce fut aux filles de ses consola- trices du Calvaire qu'il réserva la douce mission de la faire aimer.

Ce petit ouvrage est, en effet, un livre de piété suave, illuminée par de fréquents éclairs descendus des hautes régions de Tonlo- logie chrétienne^ et l'on peut, sans crainte de l'appauvrir, y puiser à toute heure, comme dans Técrin d'une âme. Ce sont de tendres effusions d'esprit et de cœur, que l'on peut porter avec soi, comme un vade mecUm, en voyage, en promenade, au milieu des magni- ficences de la nature, qui souvent les firent naître, et à l'église même. Après s'être rafraîchi dans cette lecture, on éprouve de l'apaisement et du soulagement intérieur; on respire à l'aise et avec joie, sous un ciel étoile de pensées si pures et si fortifiantes

1 . Pensées d'une Croyante, pages 106 et 107.

NOTICES ET COMPTES RENDUS .485

contre la (rislesse, contre la souffrance, contre la mort même, qui, suivant la remarque si juste de Marie Jenna, épouvantait nos ancêtres païens comme un saut dans Vonibre et qui devrait sourire aux frères mortels de Jésus comme un élan dam la lumière.

Merci donc à la vdillante muse des Elévations, toujours si douce ment inspir ée, de nous avoir montré cette fois les Clefs du ciel, comme pour compléter le présent que sa digne sœur atnée nous faisait, Tannée dernière, à pareille date, en nous donnant pour étrennes les Clefs du Purgatoire,

F. DU Breil de Harzan.

LES CHRONIQUES DE BAS-POITOU (t886), par M. René de Thiverçay. 1 vol. in-l2 de 2 k 300 pages, tiré à z50 exemplaires. Edition sur vélin, 3 fr; sur papier de Hollande, 6 fr. Les non -souscripteurs paieront Touvrage 1 fr. en plus *,

Outre les Chroniques parues, cette année, dans la Vendée, de Fontenay-le-Comte, ce volume contiendra un grand nombre d'ar- ticles qui, pour divers motifs, n'ont pu trouver place dans le jour- nal, et qui auront, par suite, tout Tintérèt de Tinédit.

De ce nombre sont : Le Baptême du chroniqueur, Nos députés en robe de chambre^ M. Marchegay et son œuvre, les Confidences d'un pan de mur. Un Ignorantin, le Premier Congrès Rabelaisien^ Sac au doSy Y Archevêque de Paris en Vendée^ les Premiers Steeple de Talmoni^ les Vendéens aux prisons de Brouage en 1793, etc., etc.

1. Ea souscription chez M. Goaraad» imprimeur-éditear à Footenay-le>Comte.

MÉLAN&ES

La Bretagne à l'Académie.

Dans le rapport que M. Camille Doucel lisait récemment sur les prix décernés par TÂcadémie française^ nous avons eu le plaisir de trouver les noms de quatre de nos collaborateurs : des men- tions honorables ont été décernées à M. Edmond Biré {Victor de Lapradêj sa vie et ses œuvres)^ 8 H. F. Saulnier {Vie d'Edouard Turquety)^ à M. René Kerviler (La Bretagne à l'Académie au XVIIfi siècle); puis un prix a été attribué à M. Barthélémy Poc- quet pour ses Origines de la Révolution en Bretagne.

M. Jules Rieffel.

Nous avons à annoncer la mort de M. Jules Rieffiel, célèbre agi onome, dont le nom est Intimement associé à la prospérité agricole de la Bretagne.

Elève de Mathieu de Dombasle, M. Rieffel vint s^établir dans les environs de Nozay.^ il y a plus de cinquante ans, et défricha plus de 500 hectares de laudes. Le gouvernement seconda ses efforts en fondant Técole d*agrtcullure de Grand-Jouan, dont il devine directeur en 1835.

H. Rieffel était ofOcier de la Légion d'honneur^ membre de plusieurs sociétés» savaLles. Il avait été très longtemps directeur général de PAssociation bretonne. II est décédé à i'âge de quatre- vingt-dix ans et repose dans une chapelle de famille, sur le point culminant de son domaine de Rieffelande.

idunoKS 487

La Société archéologique de Nantes.

La Société archéologique de Nantes et de la Loire-Inférieure a procédé, le 14 décembre, au renouvellement de son bureau pour une période triennale ; ont été élus : Président : H. Henri Lemeignen ; Vice-présidents : MH. des Jamonières et Bertrand^Geslin; Secré- taires-généraux : MM* de TEstourbeillon et Alcide Leroux; Secrétaires du Comité : MH. du Gbamp-Renou et Espitalié^Lapeyrade; Tréso- rier : H. Riardant; Archivistes : HM. Blanchard et X. Le Lièvre de la Touche; Membres du Comité: MM. de la Laurencie et René Kerviler.

Deux livres nouveaux.

Nous regrettons que l'espace nous manque pour pouvoir ana- lyser deux livrer que viennent de publier des prêtres de notre ville, dont Tun est depuis longtemps notre collaborateur. Nous voulons, tout au moins, en donner ici les titres.

L'un se nomme : Dieu et la Providence. Démonstfatiom philo^ sophiques et religieu$e$, par Tabbé A. Foulon, prêtre, chan. de la Basilique de Saint-Nicolas de Nantes, Bel in-i^ de XXXii-250 p., en vente dans les librairies catholiques. Prix ; 5 fr.

L'autre volume est de M. Tabbé J. Dominique : c'esl Un Njobk Cœufy suivi delà Barque maudite, dont la Revue a récemment eu la primeur. Ce grand in S», de 237 pages, orné de planches, est édité par M. Alfred Cattier à Tours. Avis aux parents en quête de bons livres à donner en cadeaux de premier de Tan.

AVIS IMPORTANT

A NOS LECTEURS.

La Mevue de Bretagne et de Vendée porte à la connais- sance de ses lecteurs que M. Emile Grim^ud ne pouvant, à son très grand regret et au nôtre, continuer de lui prêter son concours, ainsi qu'il Fa fait depuis près de trente ans avec un zèle qui ne s'est jamais démenti, la Direction de la Revue a choisi, pour le remplacer, comme Secrétaire de la Rédaction, Fun des membres les plus distingués de F Association Bretonne, M. F. Le BmAN.

Par suite de ce changement, la Revue de Bretagne et de Vendée^ à partir de la livraison de janvier i887 (formant le premier numéro de sa trente-unième année), sera im- primée chez M. Ludovic Prud'homme à Saint-Brieuc, place de la Préfecture, 1. aussi sont transportés dès main- tenant les bureaux de rédaction et d'abonnement de la Revue. Tout ce qui concerne la rédaction devra être adressé à M. F, Le Bihan, et ce qui regarde Fadmi- nistration à M. L. Prud'homme.

Rien de changé d'ailleurs dans le titre, dans Fesprit, dans la direction de la Revue. Elle conserve ses anciens collaborateurs ; elle est assurée dès à présent d'en acquérir de nouveaux.

Enfin, elle inaugurera cette nouvelle période par deux améliorations typographiques : agrandissement de format et caractères neufs.

Le Directeur de la Revu^ de Bretagne et de Vendée^ Arthur de la Borderie.

TitU «Hllttr RI m iOflMMl

ÂNNÉB 1889 ^ KCmi »ElflSf Mft^

JUILLfifP

Efoge historique de Dbm Lobineau, pronoDcé"^ à âtint-jfacut le Siïiî

1886, par M. ir/^ur de la Borderie. . . . , 5

Biisanthrope, par M. Alfred de Ct^^èf/. . .,. 87

Lettres de Paul Baudry, publiées par M. Emile Grimaud (fin). ... iQ

L'église dô^ Tré^ui^l» (flti) , pai^ IVT. Hhi^ Y-if: lutd$\ ............ S*

Jeanne d'Arc à Domrémy, par M. le vicomte de lu Ftltemarqué., . 66 Chronique. Le Congre^ archéologique de fiiim, pâi^ tf'. lUÙtif

Leroux - 75

ln$r Richard, archeTèqné dé^ raris^. . . . •> w

AWT

Souvenlie de g^rre' ciinleé Guillemot,* peâr M. G^or§^ de Oaddth

dal •*.... c .. 81

Lettres inédites de la Tour-d'Auyergiie^eotDmunî<|kiées par Ih Arthur

de la Bofdefk *. . .v 99

A bâtODs Tompusr^ par Afr. Henri Finistère.. *. .*. ...... , . . . 105

La Retraite et ses fondateurs (suite), par M. le vicomte ffippolpê& £&

Gouvello ......' 122

Poésie; ' Le conscrit, par Mme Sophie Hue. .. ^ .............. . 128

Toujours Tendéen ! Une iuscriptiOD/ par M. ÉmJHe Mmaud.. .\ 130

Pensées* par MiPrie Jenna., .* 133

Galerie des poètes bretons. M. Rabuan^du^Goudray, par lïi Mo^he

Orain ÏOT

Molices et comptes rendus. Répertoire général de bkhbibUMrar- phie bretonne, de M. René Kerviler, par M. Tamizey de iar- roque. Collection locale , des Ciéo/ns, Haute-Goulaine, près NanteSj de M. Félix Chatïlou, pàf'M. S. de la Nicollière-Tei- jeira, r- Essais de critique, de M. Charles Fuster^ par M. 0/t-. vier de Gôurcuff, les famille^ françaises a Jersey pendant la Révolution^ par M. le ^ comte R. de, , VEstoùrhéiUon, -^ W^t

. du Fougerais, par M. Tablié Pâris-JàlToherU il2

CKronique, par M. Louis de K^ryean. 164

Programme dii XXDte Congrès de rAsbociation liretonne^. .' fSS

Bibuographie bretonne et vendéenne. . « » 160

SBPTtmBRB

Groqute ifiiBlttaiést -^ La^eoimte^' les-cordidiwftlifMdaetîotfî^ par

Mk Si dé'kPN^lîière^Te^à... . . . .•. . . . .•. v. , .\\>v.\\\ .^ 161 SouvMht de gueri^' dvilë. -^GtiittbaM {tir)| [ffii* K 6f0or^9 di»

6iÊê»mtU . *v . v. . .'.'.V-. . . . .'. . . •.'.... .'. . .s».v.vv#w. V /.'. 189

TOMB LX (X DB LA SÉIilB). 32

490 TABLE GiHÉmLS

Poéne* Um promesse, par U, Emile Grimami, 904

Tous les leigiieuriétaîeiit'iJs nobles? Nod, par M. /. Tréfféégj waâem

présideot do tribanal de Qaimper. 906

La marquise, Douvelle par M. J,-G. Bapariz. 991

notices et comptes rendus. La France artistique ef piH&retqme^

I. La Bretagne : Le mys de Léon^ de M. E. dm Cteuziouj par M. Henn EmiUère. U Épopée biblique, de M. l'abbé A. OlUvur,

par M. Tabbé /. Dominique 9S5

Cbromqae. Le Congrès de Pontifj 93l

Bibfiograpbie bretonne et ? endéenne. 940

OCTOBRE

Les dates de la ne de saint Ttos, par M. Arthur de la Borde-

rie 941

Tous les seigneurs étaient-ils nobles? Non (fin) par M. J, Trévédy,

ancien président du tribunal de Quimper 969

Poésie. ÛUima verba^ par M. Hippolyte Minier 98t

Le legs de Chantilly, par M. Emile Grimaud 988

De Marseille au Haire par le chemin des écoliers, par M. Charles

Doynel 989

La course et les corsaires (suite), par M. 8. de la NicoUière-Tei-

jeiro 997

Notices et comptes rendus. Les FamiUes françaises à Jersey,

pendant la Bévoluiion, de M. le comte A. de VEsUmrbeUlon,

Ï»ar Bené de la Perte. Excursion pittoresque et archéo- ogique à la baie de Bourgneuf: Sainte-Marie de PomiCy de

M^*% par M. Olivier de Gourcuff 309

Chronique. La fête de la trauslatioa des reliques de saint Filbert, à Noirmoutier, par M. /. D. —■ L'Exposition de Nantes : Art ré- trospeclif, par VL. S. de la Nicollière-Teijeiro ,- Beaux-arts,

par M. Louis le Lasseur de Ranzay 3l5

Mélanges 327

Bibliographie bretonne et vendéenne... 398

NOVEMBRE

Les dates de la yie de saint Yves (fin), par M. Arthur de la Bor- derie 399

De Marseille au Havre par le chemin des écoliers (fin) par M. Charles

Doynel .- .*. 349

Croquis maritimes. La course et les t^orsaires (suite), par M. S.

de la NicoUtère-Teijeiro 357

Poésie. -^ Les revenants, par M. Charles Bourgault-Dueoudray. La Bretagne, par M. le comte de Saint- Jean. Le chant desBretons, parM"« SophieHiie 371

Notices et comptes rendus. Promenades dans Quimper^ de M. 2V^i;^(l2^,jparM. Arthur de la Borderie. —Llndianay de l'au- teur d'une Femme apôtret par M. l'abbé P. Teuié, Les Ages préhistoriques de V Espagne et du Portugal^ de M. E. CartaU-

TABLE GÉNÉRALE 491

hae, par M. Paul du ChatelUer. Statistique historique et monumentale de V arrondissement de Redon {Ille-et-Ftlaine)^ de M. Tabbé Guillotin de Corson^ par M. ^. de la NiceUière- Teijeiro, Nouvelles douanières, de M. Eugène RouUeaux ; Bretagne et Bretons, de M. Robert OheiXj par M. Louis de Kerjean. —• Dieu et le Âot, pof^sies, par M. Emile Grimaud. . . . 375 Chronique. L'Exposition des Beaux-arts à Nantes (fin), par M. Louis le Lasseur de Ranzay. Le Congrès des catholiques

de l'Ouest, par M. Tabbé P. Teulé 390

Mélanges 406

Bibliographie bretonne et vendéenne. 408

DÉCEMBRE.

Les Sé?igQé oubliés. Souvenirs du XVIle siècle. IV, Les mal- heurs d'un Montmoron, par M. F. Saulnier 409

Croquis marilimes. La Course et les Corsaires (suite), par M.

S, de l'i Nicollière'Teijeiro 422

Poésie. Le oom de la c bonne Duchesse, » par M^e Sophie Hue, 451 Aux Missionnaires, par M. Louis le Lasseur de Ranzay 453

Vandalisme municipal et anti-vandalisme, par M. Arthur de la

Borderie 454

Une lettre inédite de Paul Baudry, publiée par M. Emile Grimaud, 462

Tur caret et la France Juive ^ par le marquis de Granges de Sur- gères 464

Un Saint breton et vendéen 467

Notices et comptes rendus. Dieu et le Roi, poésies, de M. Emile Grima ud, par M. i. (|6 Kermainguy. La Conservation des Monuments mégalithiques dans le Morbihan^ de M. Albert Macé, par M. Larvorre de. Kerpénic. VAbbesse de Jouarre, drame, de M. Ernest Renan, par M. Anatole Biré, Pensées d'une Croyante, de Marie Jenna,par M. F. duBreil de Marzan, -— Chroniques de Bas-Poitou^ par M. René de Thiverçay.., . 470

Mélanges . 486

A nos lecteurs. Avis important, par M. Arthur de la Borderie,

directeur de la Revue 488

.«•

/

l

PAR OilDftJS DE HATIÊRS&

REU6I0N ET MORALE

L'Eglise de Tréguier (fia), par M. l'abbé Y,-M. Lucas, 56-65. Msrr Richard, arcbevêque de Paris, 80, La Retraite et ses fondateurs (suite), par M. le vicomte Hipp, Le Gouvtllo, fSS-127. La fête de la transla- tioo des reliques de saint Filbert à Noirmoutier, par M. J.-D,, 3ii- 318.— Gb saifit breton et vendéen, 467-470.

ËTUDBS BT DOCUMENTS HiSTORiQDES. Ëloge bîstorîque de Oeni Lobi- neau, f>roBaiicé à Saint-lacut, le 3 mai 1886, par M. Arthur de te ^or- derie, 5-26. Jeanne d'Arc à Domrémy, par 11. le vkomie B. delà Vil- iemar&ué, 66-79. Guillemot, par M. Georges de Cadoudal, 81 -9&, 4^-203. Lettres iaéditee de la Tour d*AuTergne, communicjuées par M. Afihwr ée la Borderie, 99-104. La Course et les Corsaires, par %.S, de la mcollière'Jeijeiro, 16M88, 297-308, 357-370, 422-450.

Toffs les seigneurs étaient- ils nobl^ t Non, par M. /. Trévédy, 206- 220, 262-280. -^ Les dates de la vie de saint V?es, par M. Arthur de la Bprderie, 241-261, 329-341. -- Les Sé?igné oubliés. Les nalheurs ë'«in Montmoroo, par M. F, Saulnier^ 409-421.

BiOGRATHiE. Mgr àfk Fovgerais, par M. l'abbé Paid Péris- Jatlê- bert, 152-153. M. Léon de Gussé, 15. M. Eugène de Fo&taines, 156- 157. Mfr Dupont des Loges, é^êque de Metz, 157-158. M. Hippolyte du Gleuzim], 407. M. Jules Rîefirel,486.

GRrriouB fliSTORioos. Répertoire général de bid-bibliographie bre- /ptin^, de M. René Kerviler, par M. Tamizey de Larrôtffte^ 142*145. La France ixrlistique et fnUoresque. 1. La Bretagne : le fiams de Léon, de M. fi. du Gleuziou, par If. Henri Finistère, 225-228. -- Les familles francakes à Jersey pendant la Révolution, de M, le comte R. de l'Et- leurbeillon, par M. René de la Ferté, 309-313. Le% âges préhisto- riques de VEspagne et du Portugal, de M. E. Gartailhac, par M. Paul du Chatellier^ 381-382. Statistioue historique et monumentale de l^ ar- rondissement de Redon, de M. l'abbé Guillotin de Gorson, par M. S. de la Nicollière-Teijeiro, 382-383. Bretagne et Bretons, de M. Robert Oheix. par M. Louis de Kerjean^ 385-388.

Faits contemporains. Chronique de juillet (le Congrès archéologique de France), par M. Alcide Leroux, 73-79; d'aoûl, par M. Louis de Keriean, 154-157; de septembre (le Congrès de Pontivy), 231-238;

d'octobre (rEsposition de Nantes : Art rétrospectif, par M. 5. de la Nieolliére-Te^eiro^ 318-321 ; Beaux-Art5,par M. Zouts le Lasseurde Ranzay), 321-326; de novembre (FExposition des Beaux- Arts à Nantes (fin), par M. Louis le Lasseur de Ranzay ,* le Congrès des Ga- tboliques dfe rOuest, par M. Vabbé P. Teulé), 390-405. I^ograimne du nsLOLfi congrès de TAssociation bretonne, 158-159.

TABLE DES ARTICLES PAR ORDRE DE MATIÈRES 493

LITTÉRATURE.

RÉCITS ET NOUVELLE». -^ llv£tfithFû|^, w lH Alfred de Courcy^ 27- 39.— Lettres de Paul Rsmdif , publiées p»r H. Bmie Grimaud, 40-55, 462- 463. - Â bâtons rompus, par M. Henri Finistère, 105-121. Pen- sées, par Marte Jenna^ ^33^196. -^ La If JU^i|uisA,piKr M. /.-6r. Raparti, 221-224. De Marseille au Havre par le chemm des écoliers, par M. Charles Doynel, 289-296, 342-356.

Etudes littéraires. Galerie des poètes bretons : M. Rabuan du Goudray, par M. Adolphe Orain^ 137-141. Les Sé?igné oubliés. Sonvttiirs ^ KYtt» sièejk tV^.ii^ malliwuii 4'an Monimpvon^ par IL JV Saulnier, 409-421 .

Critiqua I^ittéraibe. Essais de &pitique^ de M. Charles Fuster^ par il. Olivier ie Gourcuff, 145-149, L'Epooée biblique, de M. Tabljé A. OlUvier, pa^ M. Vabbé J, Dominique^ 228-230. 'Excursion piitoresqua $t archéolo^ûue à la baie de Bourgneuf: Sainte- Mdrie de Pomic, de M***, par M. Olivier de Gourcuffy 3lâ-314. Promenades dans Quim- per^ de M. J. Trévédy, par M, Arthur de la Borderie, 375-379. l'In- diana^ de l'auteur a Une Femme apôtre, par JA. Vabbé P. Tenlé^ 379- 380. ^ Nouvelles douanières, de M. Eugène Aoulteaxix, par M. Zmis êe Kerjean, 383-384. DieuM h Roi^ poésies, de Jlf . fioùle GrioaaMdy par W. A. d$ Kermainguy^ 471-474.

POËSiS.

Le Conscrit, par M™« Sophie ffûe, 128-129. Toujours Vendéen; Une inscription, par M. Emile Grimattd^ 130-132. une promesse, pur fA. Emile Grimaud, 204-205. Ultimaverba» par M. Mippoly te Minier, 881-287. -^ Le Legs Gbaoiilly, par M. Emile Grimaud, S88. ^ Les Revenants, par M. Charles Bourgault^Ducoudray, 371-372. La Breiagne, ps^ M. le comte de Saint-Jean, 372-373. Le Chant des Bretons, par Mme Sophie Ifûe, 373-374. le Nom àe la u bonne Du- chesse », par Mme Sophie Hiie, 451-452. Aux missionnaires, par M. Louis it Lasseurdê Hanzay^ 453.

SCIENCES ET BEâUX^RTS.

Le Congrès archéologique de France, par H. Alcide Leroux, 13-79. CllecUenloeale des Ctéons, J^auîe-^oulaine, prés NtanteS, de M. F4lix Oh8illou,faf U. S, de la NiooUière^Teiieiro, 145-146. ^ L'Exposition de Nantes : Art rétrospectif, par M. S. de ia Nioolli^re^Teiéeiro, 318- 321 ; ^ Beftux-^Axto, par M. Louis le Lasseur de RanMy, 3Sl<d26. ^ le vandalisme municipal et l'anti-vandalisme, par M. Artmrdela Bor- 4^,454-461.

BIftLiOfiRAPflI&

'•4^

Bibliographie bjpali^nw et ve^déenna, l60, 240«^« 408^.

;

t

TABLE DES ARTICLES

PAR NOMS D'AUTEURS

BiRÉ (Anatole). VAbbesse de Jouarre, drame, par Ernest Renan, 476- 4S0.

Db la Borderie (Arthur). Eloge historioae de Dom Lobineau, pro- noncé & Saint-Jacut, le 3 mai 1886, 5-2d. Lettres inédites de la Tour-d* Auvergne, 99-104. Les dates de la vie de saint Yves, S41- 261, 329-341. Promenades dans Quimper^ par M. J. Trévédy, 375-379. Le vandalisme municipal et Tanti-vandalisme, 454-461 . A nos lecteurs. Avis important, 488.

BoDRGÀULT-DucoDDRAT (Charles). L^^s revenants, poésie, 371-372.

De Gadoudal (Georges). Guillemot,(81-98,^l 89-203.

Du Ghatbllier (Paul) . Les âges préhistoriques de FEtpagne et du Portugal par M. Ë. Gartailhac, 381-382.

De Gourgt (Alfred). Misanthrope/^27-39.

D. (J). La fête de la translation des reliques de saint Filbert a Noir- moutier, 314-318.

Dominique (abbé J.). L* Épopée biblique, ^ht M. l'abbé A. Ollivier, 228- 230.

DoTNEL (Charles). ■— De Marseille au Havre par le chemin des écoliers, 289 296, 342-356.

De la Ferté (René).'— Les Familles françaises à Jersey pendant la Ré- volutùm, par M. le comte R. de rËstourbeillon, 309-313.

Finistère (Henri). A bâtons rompus, 105-121.— La France artistique et pittoresque : Le pays de Léon, par M. H. du Cleuziou,. 225-228.

De Gourguff (Olivier). - Essais de critique, par M. Charles Fuster, 145- 149. Excursion pittoresque et archéologiqiLe à la baie de Sour- neuf: Sainte-Marie\delPQrniCt par M***, 313-314.

Le Gouyello (vicomte Hippoly ], La Retraite et ses fondateurs (suite), 122-127.

De Granges de ScH.i«ARf^/K,Ni<V- '^^et^carMei /a2/Vance2Jmt^, 464-466.

Grimaud (Emile). ->litareb de Paul Raudry, 40-55, 462-463. Poésie : . Venàéen! 130-132%— Une inscription, 132; Une vromesse, 204-205 ; Le Legs de Chantilly, 288.

IBUB (M*»* Sophie). Le Conscrit, 128^129. Le Chant des Bretons, 373-374. Le nom de la « bonne Duchesse, » poésie, 451-452«

TABLE DES ARTICLES PAR NOMS d'AUTEURS 495

De Kbrjban (Louis). Ghronioue d'août, 154-157. Nouvelles doua- niéres^ par M. Eugène Roulleaux, 383-384. Bretagne et Bretons, par M. Robert Oheix, 385-388.

DeKermaingut(A). Dieu et le Roi^ poésies, par M. Emile Grimaad, 471-474.

Lb Lasseur de Ramzat (Louis). Les Beaux-Arts à l'Expositioa de Nantes. (Chronique d'octobre et de novembre). 321-326, 390-400.

Aux missionnaires, sonnet, 453.

Leroux (Alcide). Le Congrès archéologique de France (chronique de juillet), 73-79.

Lucas (Âbbé Yves-Marie). L'église de Tréguier, (fin), 56-65.

Marie Jenna. Pensées, 133-136.

Minier (Hippolyte, Ultima verba, poésie, 281-287.

Delà Nicollièrb-Teueiro (Stéphane.) Collection locale des Cléons, ffaute-GoulainOy près Nantes, par M. Félix Chaillou, 145-146. La Course et les Corsaires, 161-188,297-308, 357-370, 422-450. -L'Art' rétrospectif à l'Exposition de Nantes, (chronique d'octobre), 318-321.

Statistique historique et monumentale de l'arrondissement de Redon, par M. l'abbé Guillotin de Corson, 382-383.

Orain (Adolphe). Galerie des poètes bretons : M. Rabuaa du Coudray, 137-141.

Paris-Jallobert (Abbé Paul). M«r du Fougeiais, 152-153.

RoPARTZ (J.-G). ~ La marquise, nouvelle, 221-224.

De Saint-Jean (comte). La Bretagne, poésie, 372-373.

Saulnier (Frédéric). Les Sévigné oubliés. Souvenirs du XVlh siècle.

IV. Les iualheurs d'un Montmoron, 409-421 .

Tamizby de Larroque. Ré^eitoire général de Ino-bibliographie bre- tonne, par M. René Kerviler, 142-145.

Tbulé (abbé P.). Vlndiana^ par routeur d'Une femme apôtre, 379- 380. Le Congrès des catholiques (<e l'Ouest, 390-405.

Trévédt (J). Tous les seigneurs étaient-ils nobles t Non, 206-220, 262-282.

De la Villemarqué (Vicomte H.). ~ Jeanne d'Arc à Domrémy, 66-72.

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TABLE ALPHÂBÉW& DES mM&

APPRÉCIÉS OU MENT^MNÉ» MM m fOUWB'

Ahhesu (f) J<marre, drame en cinqt titU^, en proW, par EhtëSt ffëtfôïî,

476-480.

Jkm^iUi) prékiskiriques^ de VEspa^im ^ ê» Pa^lngat, par R^ Ctriailluitt,

»reâagni9 al ^e(oiè#> p«r Rbb«rt Oheix, 38&-388.

CSf ontgtitff éfe ffas-Poitou, par de ThSterçay, 488;

Collection focale ée» QUofU, Jffaute-Goidaine^ frè$ J^antes^^ par Félix Chaillou, 145-146;

Éteu et le Roi, poésies, par Emife Grimaud, 471-^4.

Epopée (V) bibli^^ par Tabbé A. Ollivier, 228-2da

Essais de critique, par Charles Fuster, 145-149.

Excursion pittoresque et archéologique à la baie de Bourgheuf: Sainte^' Marie de Fortifie, par M. **% 313-314.

VamHl^ Uks) fremcaises à Jersey pendant ta Rëvolulikm, ptar Ib oéitatë IL de rÈstourbeillan, 309-^13;

FMncâ {la^ arMipêê ei ptMvres^tie.* L^pays de Lècm, par ft» dit Gtou^ zioa, 225-228.

J^Vtinoe iia) judoe^ par Idouard Druttaot>^464^466;

Jndiana (}'), pttr l^auteur dtUnUf Fémm (»pôtre\%1^^^%S6k

,muriMBS dmanièn», par Bufiéne HonUeaiiix, 383-384i

Promenade dans Quimper^ par J. Trévédy, 375-379.

Éépmoifê fémral dtf b^-biblêm9*aphi& l^tmne,pàr WêùfitfU^ef^-i^

145.

St ' ' lue historique et monumcjiUale de Varrondissement de Redon, par . J j Guillotin de Corson, 382-383.

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FIN DU TOME SOIXANTIÈME.

RutM. lav^nMat pofwt «1 aaM Arlani, plM« d>

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