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REVUE DE LINGUISTIQUE

DE PHILOLOGIE COMPAREE

TOME XVII

mp. axoBGXs jacob , o&LiAxs.

REVUE

LINGUISTIQUE

ET DE

PHILOLOGIE COMPARÉE

RECUEIL TRIMESTRIEL

PUBLIE PAR

GIRARD DE RIALLE

CONSERVATEUR DES ARCHIVES AU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

ET

JULIEN VINSON

PROFESSEUR A l'ÉCOLE DES LANGUES ORIENTALES

Avec la collaboration de divers savants français et étrangers

TOME DIX-SEPTIÈME

PARIS

MAISONNEUVE FRÈRES & CH. LECLERC, ÉDITEUR3

2*5, Q.UAI VOLTAIRE, $, Q.UAI MALAaUAIS 1884

-*».

UNE LÉGENDE CïVAISTE

d'après une version de l'inde méridionale.

M. Gérard Devèze, qui a traduit du tamoul la légende ci-après, me demande d'y mettre quelques mots d'introduction, ou plutôt, comme disent les Anglais, de ïintroduire lui-même, de le présenter aux lecteurs de la Revue. J'accède avec d'autant plus de plaisir à sa prière, ([uoicjue une pareille sorte d'avant propos soit sans-doute superflue, que M. Devèze est un des auditeurs que je suis le plus heureux d'avoir pu réunir autour de moi. M. Devèze est d'ailleurs un sanskritisto des plus habiles; profondément versé dans la con- naissance de rinde classique, il est déjà très compétent en matière de tamoul, bien qu'il ait suivi mes seules leçons.

La littérature tamoule, secondaire sans doute et relativement inférieure, est fort importante pourtant. Ses principaux chefs-d'œuvre appartiennent à des auteurs jâinas ou çivaïstes. Le poème, d'où est extrait le fragment qu'on va lire, est çivaiste et nous pensons que les Mythologues, si ce mot nous est permis, ne le liront pas sans intérêt, malgré l'exagération rbétoricale et les périphrases excessives de certaines strophes.

Paris, 20 décembre 1883.

Julien ViNSON.

LEGENDE DE LA MONTAGNE ROUGE (i).

ÇIVAMAYAM.

i. (Mârkândêya dit à Nandikêçvara :) « 0 nôtre Père ! ô gracieux Seigneur ! ô toi qui es plein de mi- séricorde pour ceux qui sont à tes pieds I je me suis réjoui dans ma pensée de la magnificence d'Arunâ (2); (raconte-moi) comment, à l'endroit même de cette grande station, Çiva a pris la forme d'une colonne de feu, et comment celle-ci s'est ensuite transformée en mon- tagne.

2. « Dis-moi la douleur que ressentirent Brahmâ et Visnu de ne pouvoir connaître la tête et les pieds de cette montagne brillante, et la grâce que voulut bien leur accorder Çiva, ô bienheureux qu'on adore sur la mon- tagne superbe du Kâilâsa, orné d'éléphants pleins d'ardeur aux trompes pareilles à des montagnes ! » Il dit, et le Sei- gneur parla en ces termes :

3. Voici ce que nous apprend la sainte Écriture : « Si une personne pensait en esprit à commettre les cinq grands péchés (3) sur cette montagne^ le fait seul d'avoir une pareille pensée ferait parvenir cette personne à la

(1) Premier chant de VArunâsalapurâna tamoul, extrait déve- loppé du Skandapurâi^a {Rudrasamhita, 2^ partie, VIII).

(2) La Montagne rouge.

(3) Homicide, colère, luxure, vol, ivresse; M. Vinson les a

3

béatitude finale qui est le bien suprême ». Quant a ceux qui y prieraient avec de belles paroles, il est difficile de dire l'immense profit qu'ils en retireraient.

4. Parler de cette montagne sera donc une cause de prospérité non-seulement pour vous, mais encore pour nous-même. Je vais dire un peu comment celui qui a détruit en lui-même les voluptés et les douleurs s'est déve- loppé jusqu'à atteindre les limites de l'espace, réside sa splendeur immense; je vais dire ce qui arriva à Brahmâ et à Visnu, lorsqu'ils eurent invoqué le lingam bienheureux.

5. Aux jours tout était inerte, Brahmâ, Visnu, Rudra^ Mahêça, le grand Sadâçiva, le principe producteur (Vindu), le principe dominateur (Nâtha), et le principe de force (Çakti) étaient contenus, dans cet ordre, dans le grand Çiva neutre. Ce grand Çiva neutre se tenait, absorbé dans ses pensées, à l'extrémité des tatvas (1) qui domi- naient tout.

comparés, dans la strophe taraoule suivante, aux cinq natures de ter- rains admises par les classiques dravidiens :

Ar'aviyamanattarâgi arunkoleikkur'mdjitandiit tur'aviyaf- poï-'umeittêrmêl togusinappâleinîndip pur'aviyat'kâniamullei kalavénumarudam pôgi mara'viyam neidal vaigâ varagadik' ka4alutsêrvâm>

« Devenus des hommes à l'esprit vertueux, nous franchirons les montagnes du meurtre pénible; nous nous éloignerons, sur le char de la patience propre à la pénitence, des déserts de la colère amassée ; nous fuirons les bois de l'amour dont la nature est extérieure et les champs cultivés du vol ; et, sans nous arrêter aux rivages désolés de l'oubli (ivresse), nous arriverons dans l'océan du but suprême ».

(1) Tatva, essence suprême.

_ 4 -

6. Les cinq princes aimés, épanouis du tatva su- prême, qu'avait produits l'effusion de la Çakli développée du grand Ci va neutre, apparurent successivement. Puis, le fils de Hari (Brahmâ) pensa dans son esprit à créer et à produire tous les êtres.

7. Alors les quatre prêtres, Marîci, Angira, Puiastya et Puhala, ainsi que Krtu, Atri et Janapati poussèrent tous les sept. Ensuite, le bon Daksa naquit de l'orteil du pied droit de Brahmâ, Bhrgu sortit de sa poitrine, et la Déesse du devoir sortit de sa bouche.

8. Parmi les cinq fils qu'il avait produits, de Ma- rîci naquit Kâçyapa; le bon Daksa créa cinquante femmes, dont ce Kâçyapa eut treize enfants; d'Aditi, l'aînée de ces treize entants, sortirent les dieux toujours en éveil.

9. La sœur cadette, qui se nommait Diti, douée de beauté, enfanta consciemment Hiranya et Hiranyâksa, qui furent grands; parmi ces fils illustres, Hiranya eut cinq enfants précieux, y compris Prahlâdana. Parmi ces cinq enfants.

10. Prahlâdana obtint trois fils par ses austérités; et, parmi ces fils de la grâce, Virôcana fut le père de Mahâbali ; Mahâbali enfanta le nommé Vânâçura ; celui-ci, ayant vénéré Hara, demeura à adorer Arya.

11. Un autre, qui avait la force d'une montagne, fut le père des dix Dânavas, dont le premier fut Sambara; (parmi eux) la belle Sinhikâ mit au monde quatre enfants, dont le premier était le triste Râhu, et s;a sœur cadette fut la mère de trois Asuras ;

12. Râla engendra les six Kalakêya; Vinadâ fut mère de quatre fils, sans compter Aruna et Garuda aux longues

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ailes; Kadru, aux yeux- semblables b du poison^ engendra tous les nâgas.

13. De Harsâ naquit le groupe de filles, dont Rambâ est la première ; Ilâ, grâce à la pénitence que daigna faire un muni^ mit au monde les Gandharva, au nombre de deux fois huit; et de Kapilâ, dont les yeux roulent sem- blables à des glaives^ naquirent dix enfants.

14. Angira et Janapati engendrèrent les Gandharva; la belle Atri engendra le Soleil et la Lune ; ceux de la race de Pulastya eurent les Kinnara, les Vânara et les Râksasa orgueilleux ; Pulaha fit venir au monde les animaux, après avoir eu les excellents Kimpurusa.

15. Janapati eut pour fils les vertueux Vasu; Bhj-gu eut pour fils Kavi et Javana ; puis, outre ces deux enfants, il engendra la belle Laksmî; parmi ces jeunes gens, Kavi fut le père de Sukra.

16. Au moment le Soleil, changé en un beau coursier mâle, jeta sa semence dans les deux naseaux de sa femme aux grandes qualités, les deux Açvins vinrent au jour; puis, de diverses manières, les choses animées et inanimées surgirent en longues séries.

17. (Autre mesure.) Le dieu qui habite sur le lotus, à celle vue, plein d'orgueil, s'écria : « Tous les mondes sont soumis à mes lois I » et, s' élançant dans la demeure du puissant Visnu, il se présenta devant lui, et, provo- quant sa haine, jeta ces paroles insultantes à l'auteur des illusions, qui porte une guirlande de tulasî (1) bour- donnent les abeilles:

(1) Tula$%, basilic.

6 48, « J'ai fait successivement les sept montagnes, principes des sept mers, les sept nuages, les sept cavernes, les sept mondes ; puis, j'ai créé les hommes en commen- çant par Marîci, qui a été la puissance génératrice ; et par un acte de ma large volonté j'ai préparé tout ce qui vit florissant.

19. a- Les fils de mes fils^ les habitants du ciel et les gurus, ceux qui ont été les grands Dânavas, à commencer par la Lune, les princes de la musique : Gândharvas, Kimpurusa, Siddha, et tous ceux qui existent aux huit points cardinaux, à commencer par Indra !

20. « Cesse de te dire prince sans qui tout suc- combe; oublie de m' appeler ton enfant prince du lotus; si, tremblant, j'avais failli à tout créer, comment conserverais- tu quelque chose ? Peut-il exister une peinture sans une surface pour la recevoir ?

21. « Si tu ne bannis pas de ton cœur l'orgueil de tout proléger, je vais ordonner de l'en arracher à quel- qu'un que je vais créer ! Plonge dans le sein de la mer fraîche (la mer de lait), afin de t'y cacher, avant que la foule des Suras ne vienne t'exterminer !

22. « Grâce à la colère du muni Bhrgu, plein de sagesse, tu as obtenu tes dix incarnations; tu n'aurais pas seul su les distinguer; c'est en voyant la manière dont je l'ai créé en dix corps que tu peux réfléchir sur la puis- sance infinie de mes mains.

23. « Ne me lance pas cet affront de dire que je suis la fleur de ton nombril. Tu es sorti anciennement d'iine colonne : eh bien ! dis-moi, peut-on dire que cette

7 -

colonne est ton père ? ou peut-on dire qu'elle est ta mère ? Ne sais-tu pas que la tige du bambou est dévorée par le feu qui est en elle '

24. Ces paroles, dites par le dieu du Vêda, exci- tèrent la haine de Viçnu ; irrité, comme si un incendie avait pénétré dans ses oreilles, il se leva avec fureur, et, avec un sourire accompagné de fumée, le prince de la fortune répondit en ces termes au provocateur :

25. 4 Tu ne te souviens pas de la manière dont tu es venu au monde ; tu ne comprends pas que tu dois dire à mon nombril : « ma mère ! » Tu viens de lancer ces pa- roles, en te disant : « Les pères n'admettent pas les fautes de leurs petits enfants » ; mais je ne supporterai pas que tu me méprises.

26. « J'ai avalé la vie de cet animal, Kâitabha, et de Madhu, bien qu'ils fussent de ma race, parce qu'ils m'avaient méprisé. Y a-t-il lieu de s'occuper de son degré de parenté, quand quelqu'un vous fait un mal certain ? Et qui n'arracherait pas le mal, en le coupant tout de suite ?

27. « Lorsque notre ancêtre (Çiva) en fureur te dé- pouilla de ta tête en te l'arrachant, n'as-tu pas eu la chance de la faire refaire^ cette tête, grâce à moi que tu avais chargé de ce soin? Avec cette vanité de te dire le chef de toute chose, est-ce toi qui as créé la terre, que tient la couronne du serpent à la tête verte (Çêsa)?

28. « Ayant pris la forme d'un poisson, j'ai donné au monde la collection des Védas; j'ai vaincu les Dânavas,

qui usaient de sortilèges, et j'ai bu leur vie Mais il

m'est pénible de te tuer, et je crains, de même que l'on

8 - respecte l'arbre qu'on a planté^ quelque vénéneux qu'il soit ».

29. Et, après avoir ainsi vomi l'un contre l'autre tant d'injures, ils furent remplis d'irritation : dressés, ils battaient leurs épaules de la paume de leurs mains; ils frappaient du pied le monde, se baissaient, se redres- saient, et se lançaient des regards courroucés de leurs yeux d'où sortaient sans relâche les étincelles d'un feu abondant.

30. Alors, les montagnes se pulvérisèrent ; la grande chaudière (la voûte céleste) se fendit; l'astre aux rayons brûlants avec l'astre aux rayons frais (le soleil et la lune) se cachèrent; le serpent (Çêsa) s'affaissa, ne pou- vant plus supporter le fardeau de sa tête; et les dieux re- muèrent les yeux (pour la première fois), pensant que c'était la fin des Kalpas.

31 . La foule des étoiles et la foule des nuées tom- bèrent ; tous les mondes succombèrent dans la souffrance ; il s'éleva des nuages de poussière; toutes les rivières, en commençant par la Bhâgîrathî (le Gange), disparurent; et les huit éléphants des points cardinaux mugirent avec des tressaillements d'effroi.

32. Les deux adversaires se jetaient l'un contre l'autre, se repoussaient, tombaient, couraient avec préci- pitation, se tordaient; puis ils se placèrent vis-à-vis l'un de l'autre, en se disant : « frappe »; et, se heurtant, se frappant à coups redoublés, ils tournèrent pareils à un tourbillon. Alors, comme si la nuit et l'obscurité étaient venues tout à coup,

33. Les choses qui marchent dans l'air se mirent

9 à ramper et à sauter, et celles qui se tiennent droites, im- mobiles, se mirent à tournoyer et à marcher; les essences précieuses des arbres sacrés furent anéanties ; les ténèbres s'étendirent partout, et le mont Mêru (1) détruit tomba dans les sept mers devenues de la boue.

34. Ceux qui ne dorment pas, croyant arrivé le moment suprême, furent saisis de crainte et allèrent trou- ver Indra. Celui-ci, avant qu'ils eussent fait le récit de ce qui était arrivé, leur fit part de toutes les douleurs qu'il ressentait lui-même; puis il leur demanda pourquoi ils étaient venus.

35. « Les deux seigneurs, le prince des Vêdas et Nârâyana ont engagé un grand combat sur la terre. Pour tous il n'existe point d'autre moyen convenable de salut que d'adorer la cause suprême : voilà l'affaire qui nous amène auprès de vous », dirent (les dieux à Indra).

36. Indra acquiesça; et les habitants du monde des nâgas vinrent adorer les pieds (de Çiva) semblables à des fleurs sans tâche, et lui parlèrent en ces termes : « 0 Dieu moitié-femme ! mets un terme à la douleur que nous causent Visnu et Brahmâ affolés. Y a-t-il pour les enfants sur la terre une autre assistance que celle de leur mère?

37. « Nous sommes venus chercher un refuge^ en nous rafraîchissant dans l'incommensurable Océan de ta grâce, en entrant à ton service pour obtenir le bonheur suprême, sans éprouver la naissance et la mort qui se répandent obscures sur le monde semblablement à une roue qui tourne sans cesse.

(1) L'Himalaya.

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38. « 0 Dieu, qui nous fais la faveur de la science capable de détruire l'affection pleine de vilenie, qui ne peut cesser de supporter la charge du corps creusé par les vers ! nous sommes venus chercher auprès de toi un refuge capable de détruire l'impureté et la saleté, qui ne pourraient se guérir, même si pendant un jour entier on prenait un bain en pleine mer ;

39. « Il n'y a pas pour nous d'autre espérance : Fais- nous cette grâce » Avant même que les habitants du

ciel lui eussent parlé pour lui apprendre toutes ces choses, celui qui a un œil au milieu du front (Çiva) avait tout compris; car celui qui pénètre au milieu des innom- brables êtres, comme l'huile de sésame, pouvait-il ignorer cela?

40. (Autre mesure.) Désireux d'éloigner la crainte du cœur de tous les immortels et de tous les muni qui tremblaient; désireux de terminer la haine qui divisait Brahmâ, le Dieu qui demeure sur le nénuphar, et l'heu- reux VisçLU qui aime sa couche sur le serpent (Çêsa); et voulant aussi accorder sa grâce, pour que l'arrangement de tous les mondes demeurât le même sans être détruit, (le grand Çiva), par une transformation de son corps, devint une colonne de feu d'une grandeur impossible à déterminer : elle devait frapper Brahmâ et Visnu de stupeur.

41. (Autre mesure.) La colonne grandit sur la terre et s'étendit au-dessous du pâtâla (1), les serpents de- meurent semblables à de grosses racines; elle s'épanouit

(1) Monde inférieur. '

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dans tous les mondes des dieux qui ne dorment pas; elle rompit le sommet de la station céleste, réside le Dieu du lotus en fleurs (Brahmâ), traversa toute la large chau- dière (du ciel) et s'accrut comme si un Mêru de feu s'était formé dans l'immense espace qui est au-dessus des vastes régions éthérées.

42. Cette splendeur éclatante parcourut le monde entier avec une rapidité que n'atteignent pas les coursiers du soleil; son éclat était pareil à celui d'une lampe, que l'on dresse pour chasser les ténèbres, qui sont comme une masse de perles noires : on aurait dit que le feu sous- marin, qu'aucun arpenteur ne peut mesurer, s'était étendu sur toutes les mers; celles-ci parurent être cou- leur de sang, et toutes les sept montagnes immenses devinrent rouges, comme si de petites étincelles y étaient tombées en se détachant de la colonne.

43. (Autre mesure.) Celui qui est sur le nénu- phar et le chanteur noir, voyant tout en feu dnns le ciel, eurent peur et se séparèrent; ils n'aperçurent pas le rivage du salut et pensèrent : « Notre Seigneur est-il compatissant pour les pécheurs aux yeux vils, lui que peuvent voir seulement les gens aux yeux sages ? »

44. (Autre mesure.) Devant cette splendeur, que l'œil n'aurait pu que difficilement mesurer, tous deux furent pleins d'angoisse; ils réfléchirent et se dirent : « Ils seront au premier rang, ceux qui connaîtront la tête et le pied de cette colonne ». Alors, celui qui dort cons- tamment sur le grand serpent (Visnu) se mit à dire : « Je connaîtrai le pied de cette colonne dans la terre », et il devint sangher. Quant à Brahmâ, il se hâta de prendre la

12 forme d'un cygne, et s'enfuit en disant : « Je connaîtrai le sommet de cette colonne dans le ciel ».

45. Brahmâ se hâta de s'envoler : il parcourait mille kâdams dans un demi-ksana (1); Visnu s'en alla dans les profondeurs de la terre, supportée par les ser- pents tachetés : il y creusait mille kadam dans un ksana. Pour bien décrire ce qui se passa, on pourrait dire : la colonne ressemblait à une longue guirlande de pierres précieuses et d'or, et (sur ses flancs) on croyait voir aller deux vases, l'un de pierres précieuses et de saphir, l'autre d'or et de perles blanches.

46. Visnu s'éloigna du monde terrestre et pénétra dans les mondes inférieurs, l'un après l'autre; il dépassa même la ville appelée Bhôgavatî qui appartient à Mahâ- bali, qui en a la garde; vénérant de la main et de la tête la puissance suprême qui s'arme de la suprême lumière, qu'adorent et qu'aiment les Dévas, lui, qui d'abord avait mesuré trois mondes, ne put voir la fin de cette colonne, après les avoir mesurés tous les sept.

47. Il allait en s'affaiblissant de plus en plus, comme le croissant de la lune, qui, dans sa période de diminu- tion, ressemble à des branches d'arbre fatiguées, après qu'elles ont poussé comme le croissant qui grandit; il allait en ralentissant de plus en plus sa marche, de même que diminuait son désir de chercher l'extrémité de la tête et jusqu'aux ongles des pieds ; il tomba dans une peine immense; mais au bout de cent ans, louant Hara, il

(1) Kgav^ « clin d'ceil » ; kàdam, distance d'environ dix-huit ki- lomètres.

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franchit l'océan de raffliction et les sept stations, débar- rassé de la douleur et de la fatigue.

48. Il revint à la station, où, pour mettre fin à leurs combats, s'était élevé l'immense colonne de feu, et, après avoir dissipé ses perplexités en se disant: « Le dieu de la belle fleur (Brahmâ) ne pourra pas connaître, lui non plus, le sommet de cette colonne ! » il s'humilia plu- sieurs fois devant celui qui s'orne de la fraîche fleur qui est le regard de son œil unique, devant celui dont la cou- leur est rouge, devant celui qui est inaccessible à ses fidèles, et, après l'avoir adoré, il s'éloigna.

4-9. (Autre mesure). Pendant que Visnu agissait ainsi, celui qui s'était envolé sous la forme d'un cygne (Brahmâ), pour atteindre le sommet de la colonne de feu, franchissait un millier de kâdams dans un demi-ksmm.

50. Il fendit le globe de l'air, le laissa au-dessous de lui et s'éleva pendant cent mille années: mais la co- lonne de feu demeura toujours sans fin, même après que cent fois cent mille kâdams eurent été parcourus.

51. Toutes ses plumes tombèrent, les articulations de ses membres se brisèrent et l'immense fatigue de son corps lui enleva le souffle. Comme la solitude s'agrandis- sait et augmentait ainsi sa mauvaise fortune, le dieu du Vêda pensa en lui-même :

52. « L'illustre Visnu reviendra-t-il, après avoir connu le pied de cette colonne? ou bien s'en retournera- t-il sans avoir pu s'approcher de cette connaissance? » et, ses pensées se dissolvant, comme la cire qui s'ap- proche du feu, Brahmâ s'agita dans les airs, en proie à une douleur difficile à surmonter :

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53. « Je n'ai pas pensé, se dit-il, que cela était Çiva, et je n'ai pas tenu compte de ma parenté avec Hari (Visnu); si jusqu'à ce jour je suis resté plongé dans cette affliction, est-ce le résultat de mon ignorance? est-ce la conséquence de mes mauvaises actions passées ?

54. « Quand même je voudrais dire un men- songe, en soutenant que j'ai réussi à atteindre et à connaître le sommet de la colonne, je n'aurais aucun témoin pour confirmer ma parole ». Et, parlant ainsi, il se désolait. Alors, il vit venir un rameau de Panda- nus (1).

55. Avant que Brahmâ eût pu dire : « Ce ra- meau qui s'avance, d'où vient-il le rameau arriva à sa portée; il le prit; mais comme c'était un frag- ment tombé de la couronne du Seigneur, le rameau poussa un soupir et s'écria : « Laissez-moi ».

56. «0 Pandanus superbe, quelle est la raison pour laquelle tu viens ici? » lui dit le prince du lotus. « Je suis tombé, répondit le rameau, de la couronne su- prême ornée d'une guirlande, que n'ont pu mesurer ni le prince des Vêdas, ni Nârâyana,

57. « Après ma chute de la couronne ornée d'une guirlande, d'où j'avais glissé, j'ai marché pendant qua- rante mille années ; laisse-moi donc faire ce qui est conve- nable ■». A ces mots, Brahmâ, redoutant la vue de notre père, parla ainsi :

58. « 0 Pandanus, qui viens de t' approcher de

(1) Tarn, kaidei, tàrei. Portugais, cardeira; Linn. Pandanus odoratissima.

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moi, accorde-moi ton assistance ; pour chasser le tour- ment qui me brise et n'être plus ballotté par la douleur, je n'ai pas d'autre secours à attendre que de toi. Je ne suis pas un être vil, et je ne suis pas un cygne.

59. « Quel est mon nom ? Le dieu aux quatre vi- sages! Visnu et moi, nous étions en lutte, mais nous avons pensé à mesurer cette colonne. Il est descendu, lui, sous la terre; moi, dont l'esprit est entaché de mal, j'ai cherché longtemps la tête sacrée sans avoir pu par- venir à l'apercevoir.

60. « Le pied vient à la tête; c'est le profit que peut m'amener ton heureuse venue, il faut que tu dises à celui qui a mesuré le monde : « Celui qui a pris la forme d'un oiseau a connu la tête (de la colonne). »

61. « Ne refuse pas, en disant : « C'est une mau- « vaise action ». On peut dire même un gros mensonge, s'il sert à soulager ceux qui ont souffert et à sauvegarder leur vie : ce n'est point une parole qu'il ne convienne pas de dire ou que l'on redoute de dire ; ceux qui ont besoin de leurs amis en acceptent avec empressement du poison pour nourriture (sic).

62. « 0 Pandanus! toi qui as eu le bonheur de vivre sur la tête du Dieu à l'œil au milieu du front, ne cherche pas une autre pensée ». Il dit, et le Pandanus consentit. Alors, le prince des Vêdas (Brahmâ) descendit du ciel en toute hâte, et vint trouver Viççu qui avait me- suré la terre.

63. « Écoute, ô Çrîdhara ! lui dit-il, le résultat de mon voyage. Après avoir franchi dans un ksana cent

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mille kâdam, je me suis enfin approché de l'Être suprême, et j'ai reconnu sa tête » ; et le Pandanus dit : « Gela est vrai ».

64. (Autre mesure.) A l'instant même, la colonne de feu tonna; les Râksas et ceux qui ne dorment pas, en en- tendant ce bruit terrible, furent remplis d'épouvante; les éléphants des points cardinaux vomirent des flots rouges, comme s'ils avaient avalé les soleils fondus ; et le Seigneur aux trois yeux se manifesta dans ce coup de tonnerre, sous la forme brillante d'une lumière rouge, à côté de laquelle est obscur l'éclat du soleil et paraît noire la fleur de Véry- thrina; sur son visage était le sourire qui détruisit les trois cités.

65. Et (Çiva) dit, avec son sourire : « Tu viens de bien dire des paroles de jactance A ces mots, les uni- vers et les cieux tremblèrent et se resserrèrent ; tous les astres allèrent se cacher, ainsi que les nuages; les choses qui sont éminentes et brillantes se mirent à s'affaisser, à diminuer et à se dissiper ; les huit points cardinaux im- menses tourbillonnèrent ; et les arbres épanouis, s'étant enflammés, grillèrent et se consumèrent.

66. (Autre mesure.) Les immortels eurent peur, et pensèrent: « Brahmâ est perdu». Et ils jetèrent des fleurs si abondamment qu'on aurait pu croire la terre affaissée sous le poids. Alors la joie fleurit sur le visage de celui qui est long (Visnu), et l'obscurité de la douleur se dis- sipa sur le front de celui qui réside sur la fleur.

67. Visnu, à l'œil rouge, qui voyait se dissiper son doute sur Çiva, s'écria : « J'ai obtenu toute bénédiction, car je me suis uni au principe incommensurable ! » Et il

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chantait, louait Dieu, dansait au bruit de ces louanges et courait enivré.

08. Voyant l'affection de ce Hari, dont le cœur se fondait d'amour, Iça lui accorda avec bonheur un grand nombre de grâces. « Quant à toi, dit-il au dieu de la fleur parfumée (Brahmâ), tu n'auras plus sur la terre de sacrifices ni de temples.

69. « Nous ne voulons pas toucher à toi, ô Panda- nus, pour te punir des paroles trompeuses que tu viens de dire avec Brahmâ ». Çiva, ayant ainsi parlée renvoya le Pandanus. Le Dieu aux quatre visages (Brahmâ), plein de remords, voyant la colère qui s'était emparée de Çiva, approcha son corps de la terre, tomba aux pieds du Dieu et l'adora en ces termes :

70. « Moi qui suis petit, et qui m'agitais pour dis- simuler la croissance de la souillure causée par la vilenie de mon orgueil, comme le feu qu'on cache sous la cendre, suis-je quelque chose? Toi qui es la forme, toi qui es l'immense espace, toi qui es les quatre Vêdas, toi qui es la fin des quatre Vêdas, toi qui es l'unique premier, ne te fâche pas contre moi, ne te fâche pas contre moi !

71. « Si toutes les eaux et toutes les sept mers, dé- bordées et n'en faisant plus qu'une, devenaient de l'eau chaude, trouverait-on de l'eau froide pour les rafraîchir en l'y mélangeant? Si l'on dit que la colère est ta nature, comment vivront les êtres du monde? 0 loi qui as avalé le poison de l'Océan, ne te fâche pas contre moi, ne te fâche pas contre moi !

72. « 0 croissant de la lune ! ô pleine lune ! ô toi qui es homme et femme ! ô toi qui es les montagnes aux

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18 grandes cimes, aussi diverses que le parfum et la fleur parfumée ! ô toi qui es la grâce sainte ! ô toi qui es le nuage qui verse la pluie ! ô toi qui es la parole qu'on préfère ! ù toi qui es la loi et les divers ordres, ne le fâche pas contre moi, ne te fâche pas contre moi !

73. « Il n'y a pas ici le corps de Kâma, dont les flèches sont des fleurs ardentes; il n'y a pas d'éléphants en colère, qui se lèvent avec des ruisseaux de sueur dé- gouttant de leurs grosses têtes; il n'y a pas de feu ar- dent; il n'y a pas Yama qui accomplit des meurtres; il n'y a pas de triple ville ! 0 toi qui es la substance unique, ne te fâche pas contre moi, ne te fâche pas contre moi !

74-. « A mesure que je me disais : « Je connaîtrai « la tête suprême qui est difficile à connaître », je prenais la forme d'un oiseau. A l'avenir éprouverai-je de l'affliction? Accorde-moi ta grâce, à moi qui souffre la petitesse ! > A ces paroles de Brahmâ, Çiva, semblable à un feu qu'on rafraîchit en l'éventant, fut satisfait et parla en ces termes :

75. « 0 Dieu du nénuphar ! n'aie plus peur : l'hom- mage rendu aux brahmanes du séjour terrestre sera un hommage pour toi ; conserve les sept mondes, dont le support naturel est la montagne d'or (le mont Mêru). » Après ces paroles, Çiva lui fit grâce. Celui qui a bu le poison de la mer, séjour des coquilles, devint une mer de grâce bienveillante :

76. (Autre mesure.) « Par la grâce qui vous a été accordée ici à tous deux, que cette station brille jusqu'à une distance de trois yôjanas, comme une station sainte

io- de purification absolue I Puisse cette colonne lumineuse devenue une montagne de petite forme, prodiguer tous) ses faveurs ! Elle donnera infailliblement le plaisir suprême de la délivrance parfaite. On lui donnera le nom d'Arunâ-Puri.

77. « Nous venons de mettre fin à l'affliction d'In- dra et des immortels, accablés de souffrance, parce qu'ils nous invoquaient. Aussi, à l'avenir, chasserons-nous de même la douleur de la naissance loin de ceux qui vou- dront invoquer cette station. Cette montagne, cette sta- tion, ayant le beau privilège de ne pouvoir être détruite même dans un pralaya , fera obtenir la délivrance suprême à toutes les choses, animées et inanimées, qui se trouvent à tous les points cardinaux balayés par les vents toujours en marche.

78. « Voulant octroyer la délivrance agréable à ceux qui auront fait une pénitence pénible sur la terre, nous leur accordons la faveur de nous incarner dans cette sainte ville rouge. Un seul présent qu'on fera à cette sta- tion, pour obtenir la vérité, croîtra et sera l'équivalent de mille; le péché qu'on fera à cette station sera comme s'il n'avait jamais existé. A ceux qui exprimeront le moindre doute là-dessus, le but suprême échappera. Telle est notre volonté ! »

79. Pendant que le Seigneur parlait ainsi, Arya et l'heureux Visnu virent la colonne de feu briller en s' épa- nouissant dans un éclat immense, et se réduire en une montagne; alors ils se mirent en adoration et dirent : « Nous et les habitants du ciel, nous ne pouvons ouvrir les yeux, quand nous regardons en face la lumière de

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cette montagne; aussi désirons- nous qu'elle soit une montagne qui cache dans ses flancs ces innombrables rayons ».

80. Celui qui va sur un cygne (Brahmâ) et celui qui va sur Garuda (Visnu) ayant dit : « Que ce soit comme une autre montagne, après qu'elle aura caché sa lumière qui est celle de la pure essence », le Seigneur exauça leurs vœux. Ils demandèrent ensuite : « Témoigne-nous ta faveur par une lumière qui brille tous les jours sur son sommet ! » Et le prince, ayant égard aux vœux de ses serviteurs ainsi exprimés, parla en ces termes :

81. « Dans le mois de Kârtiikâ (le huitième mois), le jour de Kârttikâ (la troisième constellation), nous montrerons une lumière à l'extrémité de cette montagne : on prospérera dans le monde sans être tourmenté de la faim et de la maladie, quand on verra cette lumière pure ; le mal, qui sera près des maîtres de la terre (des rois) et des sages, s'enfuira aussitôt; et, dans la famille de ceux qui verront et adoreront cette station sainte, nous accor- dons la faveur de la délivrance jusqu'à concurrence de vingt-et-une têtes.

82. « Cette montagne, qui sera une bonne médecine pour la mort et la naissance, portera le nom de montagne- remède; comme elle est d'une couleur rouge, on la nom- mera la montagne-rouge; ceux qui, sur la terre, auront prononcé une seule fois l'un de ces noms, obtiendront la même faveur que s'ils avaient articulé trente millions de fois les cinq lettres sacrées {na, ma, ci, va, y a) (1) y>.

(1) Nama[Çivâya « gloire à Çiva » M. F. W, Ellis, l'un des plus

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Après avoir entendu ces paroles du prince au cou duquel est répandue l'obscurité, Brahmâ et Visnu s'inclinèrent avec joie devant lui, en disant :

83. « 0 Dieu qui es venu, Seigneur de la montagne rouge ! Quelle eau jetteront les dévots dans tes sacrifices, si ce n'est de l'eau de pluie ? Quelle guirlande de pierres précieuses mettront-ils sur ta tête sainte, si ce n'est la masse des étoiles ? Quel flambeau te montreront-ils, si ce n'est le soleil ? 0 toi dont le cou porte la marque du poi- son^ daigne nous faire la faveur de prendre la forme d'un lingam sous cette montagne, pour que l'on puisse y accomplir tes offices ! »

84. Çiva leur dit : « La chose est accomplie comme vous le demandez ; vous deux , adorez-moi dans votre désir. » Et il entra dans la montagne; et il apparut une forme visible de Çiva, afin que toutes les terres pussent le louer. Brahmâ et Visnu l'ayant vue, l'ayant adorée et vénérée, furent remplis d'allégresse, répandirent

habiles tamulistes qui aient existé après Beschi, a composé une pièce de vers en cinq strophes, qui est absolument païenne et çivaïste, quoi qu'on en ait dit. Chaque strophe se termine par l'invo- cation nama çivâya. Voici la première :

Nari'd'iyumaleiyillâ nanmaniyârpêrkadalâ yen'dureippâr- nambuvarê ivarukkuntandjamundu nin'n'iramadinmalamda- nir'amalarêyén'utséjippa mund'éyvamvitién'ben mur'eiyon'd'ûy namaçivûya !

« Ceux qui ont la foi disent : ô vaste mer, pleine de perles su- perbes, où n'existent pas les vagues du bien et du mal ! et pour ceux-là mêmes le salut est assuré ; la fleur aux riches couleurs, épanouie sous la rosée de tes grâces, s'est ouverte en moi, et, quit- tant mon ancienne divinité, je dis, d'une seule et unique pensée : Gloire à Çiva J. V.

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une pluie de fleurs, dansèrent, el, ayant appelé Maya (1), firent construire un mur de pierres précieuses, un por- tique et une pyramide sans égale.

(S5. Ayant vu la cité forte et les trois cent soixante étangs, ils firent la station belle. Le fleuve divin aux eaux éternelles, les arbres sacrés, les réservoirs et les bos- quets se produisirent. Ceux qui ne dorment pas et les Rsis pour ne pas en sortir, y apparurent sous la forme hu- maine; et les apsarâs y vinrent, sous la figure de baya- dères dont les regards lancent un poison mortel.

86. (Visnu et Brahmâ) se baignaient le matin, re- vêtaient des habits d'écorce, rattachaient leurs chevelures rougies, se couvraient le corps de cendre sacrée et met- taient le collier sacré. Par un tel culte, par l'offrande de beaucoup de sandal, par l'usage des guirlandes, ils accomplissaient les offices de Çiva et louaient ardemment la montagne rouge; après avoir passé ainsi quatorze mille années, ils devinrent princes.

87. Après la construction de cette montagne rouge désirable, l'aspiration au kâilâça n'exista plus; et^ même pour Iça, que pouvait être désormais la montagne d'ar- gent, puisqu'il y avait une montagne d'or ? Les sept su- perbes stations que l'on célèbre et dont la première est Kâci (Bénarès), ainsi que le royaume d'or, perdirent tout leur éclat comme la foule des étoiles lorsque apparaît l'astre sans tache rayonnant.

88. Bien qu'on trouve difficile de raconter l'histoire

(1) Maya, asura célèbre par son talent d'enchanteur, charpentier el constructeur des dieux.

Sa- de la montagne incommensurable à Hari et à Arya, je l'ai racontée un peu pour ton instruction. Que veux-tu que je te dise maintenant? Il dit et le muni Mârkân- dêya, digne de récompenses, l'adora, plein de joie ; puis il reprit : « Daigne raconter l'histoire de l'apparition d'Umâ sur la montagne et de son union avec Çiva ». 11 dit et le Seigneur commença

Paris, ler décembre 1883.

Gérard Devez e.

LA LANGUE KHASIA^^^

La science du langage devient à notre époque d'une importance de plus en plus grande. On est arrivé à pen- ser, avec raison, que de toutes les études, de toutes les recherches du domaine des activités de l'intelligence, c'est encore la « Glossologie » qui doit nous fournir le plus de matériaux positifs et nécessaires à la constitu- tion d'une psychologie expérimentale.

C'est en effet dans le langage et au moyen du langage que nos investigations dans cette voie peuvent être plus fécondes, parce que l'étude du langage est en même temps l'étude des idées, l'étude de la pensée humaine à travers les âges.

L'étude du langage peut et doit nous montrer, non seulement ce que nous sommes intellectuellement à l'heure présente, mais aussi ce que nous avons été précédem- ment, les différentes étapes, les différents degrés de notre avenir psychologique.

Pourtant, la science du langage est encore loin d'être une science complète dans toutes ses parties. La plupart

(4) Abel HovELACQUE. La langue khasia, étudiée sous le rapport de l'évolution des formes. Paris, 188 , Maisonneuve et C'e. (Ex- trait de la Revue de Linguistique).

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des travaux contemporains s'attachent plus particulière- ment à l'une seule de ses branches. Ce sont les éludes morphologiques qui forment principalement le sujet de nos recherches actuelles.

Avant -d'établir des théories générales, des synthèses prématurées, ou qui ne sauraient être en tout cas que provisoires, l'esprit scientifique moderne se porte de préfé- rence vers l'étude patiente et minutieuse de l'analyse des formes.

Deux faits, d'un ordre différent, sont venus aussi accé- lérer les progrès de nos connaissances dans ce domaine : l'application de la méthode comparative, et la philoso- phie des sciences naturelles appliquée aussi à l'étude des phénomènes qui ne relevaient, jusqu'à présent, que des soi-disant sciences historiques, distinction que nous ne devons accepter que sous toutes réserves.

Une attention plus soutenue et un examen plus mé- thodique nous ont démontré, au contraire, que la science du langage relève plutôt des sciences biologiques et qu'elle doit être traitée et étudiée, en conséquence, comme une science expérimentale. Mais, nous le répé- tons, la plupart des travaux contemporains se bornent plus spécialement aux recherches morphologiques et com- paratives.

L'examen comparé de formes linguistiques nous a appris déjà que toutes les langues ont passer né- cessairement par diverses périodes évolutives, caracté- risées par des procédés différents dans leur construction mécanique.

Toutes les langues connues peuvent être, en effet, ramenées à trois groupes morphologiques essentiels : le

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monosyllabisme, V agglomération ou agglutination, et la flexion.

Il y a dans le mot deux parties : une partie substan- tielle ou radicale et une autre partie qu'on appelle for- melle. La première exprime ou représente une idée, la seconde détermine cette idée; l'une représente la chose, l'autre détermine les rapports. Et cette distinction entre l'élément radical et le déterminant a permis par les rap- ports de ces deux éléments entre eux, qu'on peut con- cevoir de trois manières différentes, d'établir logique- ment trois classes morphologiques de langues.

La première, soit le monosyllabisme, est la forme la plus simple. C'est la racine invariable et inflexible. L'unité du mot est très simple. Les racines viennent se placer les unes à la suite des autres, et c'est par la place que le mot occupe dans la phrase qu'on distingue souvent la va- leur et qu'on détermine sa qualité de sujet et de régime, d'adjectif ou de substantif, de nom ou de verbe.

Dans la seconde classe morphologique, l'agglutination, sont comprises les langues dont le besoin de détermi- nation a fait déjà nécessaires dans le mot les éléments de relation qui prennent place avant ou après la racine principale ; c'est-à-dire : dans cette période du développe ment, certaines racines, décomposées par la corruption phonique, viennent prendre le rôle d'une détermination comme simples affixes, et ne servent plus qu'à exprimer les relations actives ou passives des racines qui sont res- tées invariables.

Dans la troisième classe sont les langues à flexion, ca- ractérisées par ce fait que la racine primordiale elle- même peut, en se modifiant, exprimer aussi les rapports.

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La modification phonique s'opère, dans les langues à flexion, aussi bien sur la partie substantielle du mot que sur sa partie dite formelle.

Mais cette classification ne doit pas être considérée comme absolue. Il n'y a pas de langue qui soit exclusive- ment isolante, agglutinante ou à flexion. Au contraire, chacun des états morphologiques conserve des restes de la structure antérieure, de même que dans chaque langue monosyllabique ou agglutinante on peut cons- tater la tendance générale à s'élever à un état supérieur d'organisation, c'est-à-dire que toute langue monosylla- bique tend à devenir agglulinative, comme toute langue agglutinative à devenir flexionnelle.

La comparaison ingénieuse qu'établit M. Max Mùller (1) entre les différentes étapes du développement du langage et l'évolution de la croûte terrestre, trouve une applica- tion parfaitement exacte. En effet, de même qu'on ne saurait établir une Ugne de démarcation bien nette entre les différentes couches géologiques , ce qui a conduit Lyell à inventer des noms élastiques comme Eocéne , Miocène, Pliocène, pour indiquer l'aîtrore, la 77ioi7is grande quantité et la prédominance des formations nouvelles ; de même dans le langage on ne saurait non plus établir une ligne de démarcation absolue entre les différents états morphologiques, et nous acceptons ces termes pour indi- quer seulement que telle langue donnée, suivant le carac- tère qui prédomine dans ses formations , est isolante , agglutinante ou flexionnelle.

(1) La stratification du langage. Bibliothèque des Hautes-Études. Paris, Franck, 1869.

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Évolution et transformation toujours incessantes, né- cessaires, suivant de près le développement intellectuel.

C'est cette évolution que M. Abel Hovelacque étudie dans le savant travail sur la langue khasia, dont nous voulons parler et dans lequel l'auteur, avec cette pénétra- tion d'esprit, cette clarté et celte précision que nous lui connaissons, nous montre la transition ou le passage d'une langue monosyllabique à la période de l'agglutina- tion.

Mais pour mieux faire comprendre l'importance de ces savantes recherches , nous voulons donner quelques exemples des phénomènes linguistiques que nous venons d'esquisser.

Si nous prenons une langue monosyllabique, comme le chinois, par exemple, qui nous représente l'état morpho- logique inférieur du langage, nous voyons qu'à ce stade du développement tout mot ou racine a encore sa valeur propre, sa valeur significative. 11 n'y a en chinois ni suffixes, ni préfixes, faisant dériver un mot d'un autre, ni désinences casuelles marquant une relation entre deux mots. C'est la position dans la phrase, comme nous l'avons déjà dit, qui seule indiquera les rapports ou la relation. « père », tzé « fils », peuvent former /«^ tzé et tzé fû, fils du père et père du fils. Pour indiquer plus nettement que le mot est au génitif, on emploie souvent le mot tchi, ancien pronom relatif, et on dit fu tchi tzé ou tzé tchi fie et ainsi de suite (aujourd'hui ti en langue manda- rine).

Des adjectifs, comme par exemple visible et invisible, dérivés dans nos langues d'un verbe videre « voir », ne s'expriment en chinois que par des procédés aussi rudi-

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mentaires. Le Chinois dit : kan-pu-kien, littéralement : « regarder-pas-voir », qui veut dire invisible.

Des dérivés tels que : forgeron, agriculteur, papetier, cafetier, journaliste, écrivain, etc., etc., ne peuvent exis- ter en chinois ; l'idée est rendue encore par des procédés fort simples. Ainsi de shi « flèche » et giii « homme », pour dire fléchier, on dit shi-gin « un homme à flèches ». Kin signifiant « or » et tsiang « faiseur », on a king- tsiang « orfèvre ». Shou voulant dire « livre », sheu « main », on a shou-sheu « écrivain», littéralement «main à livres ». De « père » et mu « mère », on formera fé-mu « parents »; de yuan « éloigné » et kin « près », yuan-kin « distance ».

Dans ces composés, chaque mot-racine conserve encore, comme nous voyons, sa valeur significative entière, sans que le premier dépende du second, ni le second du pre- mier, comme c'est le cas dans les véritables composés.

Mais il est aisé de comprendre que par la suite des temps ces agrégats phonologiques s'altéreront pour cons- tituer dans le mol une unité plus intime. Le rôle de la signification persistant et devenant prépondérant sur l'idée de relation, la corruption phonétique, suivant la loi générale de la tendance au moindre effort, se portera, nécessairement, tout d'abord sur les racines dérivatives, secondaires, subordonnées, déjà réduites en quelque sorte au rôle d'enclitiques, qui s'altéreront nécessairement dans leurs formes par cela même qu'elles perdent de plus en plus leur rôle significatif.

Que le mot sheu, signifiant « main », comme le dit M. MûUef, soit remplacé, par exemple, dans le langage ordinaire, par un autre mot dans le sens de « main »,

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shou'sheu persistant dans sa signification « d'auteur », « écrivain », sheu sera alors conservé comme un simple dérivatif, et l'on oubliera bientôt sa signification primi- tive. C'est ce qui est arrivé pour bien des vieux mots restés dans les composés, mais qui ont perdu leur signification originelle. Par exemple : 7*;' eu « bouche » a été rem- placé dans l'usage familier par Usiii, mais a encore un emploi très étendu dans les termes composés et dans des sens dérivés. Ainsi k' wai' 'keu « un parleur rapide », men 'k'eu « porte », kwan-k'eu « douane. t> De même aussi muh, le mot primitif, pour « œil », a cédé la place à 'yen, tsin(/ ou 'yen tout seul. On l'emploie pourtant avec d'autres mots dans des sens dérivés : Exemple : miih hia' à présent », muh luh « table des matières » (1). . Tout le secret de l'évolution du langage nous est donné par cette distinction subtile, quoique enfantine, que font les grammairiens chinois, entre les mots-racines toujours significatifs et ceux qui commencent à perdre leur signi- fication première ou prennent un rôle secondaire de déri- vation ou de relation.

Ainsi, si un mot est employé avec sa véritable signifi- cation de verbe ou de nom, le grammairien chinois l'ap- pelle mot « plein » shi-tsé; s'il est employé comme par- ticule ou comme signe purement déterminatif et formel, il l'appelle mot ^ vide » hin-tsé. Mais aucune différence morphologique, aucun signe extérieur ne distingue en chinois encore les mots « pleins » des mots « vides » ; tous conservent l'intégrité de leurs termes.

(1) Edkins, Grammar of the Chinese colloquial language. édit., 1864, p. 100. Cité par M. Mûll«r.

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Seulement, les mots « vides », c'est-à-dire obsolètes, peuvent perdre leur sens primitif, et, par cela même, se trouver exposés plus particulièrement à l'altération phoné- tique. Aussi, en chinois, de gin « homme > et tu t. nom- bre », on forme gin-iu « nombre d'hommes, multi- tude », etc. En birman, le pluriel est marqué par to, mais en finnois, en mordvine et en ostiak déjà par un simple t. C'est-à-dire que to^ ayant cessé d'être employé comme mot indépendant avec le sens de nombre, devient « vide » et ne sert plus qu'à déterminer la pluralité; puis la corruption phonétique le réduit à une seule lettre, qui est alors appelée la désinence du pluriel.

L'agglutination ou agglomération commence donc lorsque les éléments dérivatifs ou secondaires (les mots vides) perdent leur structure phonétique, ainsi que leur signification originelle.

Mais nous ne saurions trop le répéter, une ligne de démarcation bien nette, entre ces deux états morpholo- giques, est impossible. On pourrait plutôt dire, au con- traire, que la période pliocène du monosyllabisme dans ses couches supérieures nous montre déjà en même temps le commencement ou les couches premières de la période éocène de l'agglutination.

C'est ce que fait ressortir le travail de M. A. ïlove- lacque, sur une langue isolante ou monosyllabique, la langue khasia.

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II

La langue khasia est parlée par deux cent mille indi- vidus environ dans le pays montagneux qui sépare la vallée du Brahmapoutra (au nord) du Bengale oriental (au sud); elle comprend jusqu'à six variétés dialectales, plus ou moins différentes les unes des autres, mais parmi lesquelles il est difficile de reconnaître la variété qui peut être regardée comme type. Celte langue se trouve enfer- mée entre deux idiomes aryens de l'Inde, Vassami au nord, le bengali au sud. A l'est et à l'ouest se trouvent d'autres idiomes qui ne sont point parents des dialectes aryens, mais avec lesquels la langue khasia n'a non plus aucun lien de parenté.

Cette langue est parlée par des individus relativement assez civilises, si on les compare à nombre d'autres populations du sud du Thibet et du nord de la Birmanie, mais elle n'a aucune littérature propre, aucun système graphique. Les documents recueillis, soit des récits popu- laires, soit des traductions de livres chrétiens, sont transcrits en caractères bengalis ou en caractères euro- péens. L'ouvrage le plus important est la grammaire du Rév. W. Pryse : An introduction ta the khasia language, comprising a granimar, sélections for reading, and a vocalnUari/ {CaXculla, 1855).

Le matériel phonétique du khasia est fort simple : voyelles a, i, u et leurs longues «, î, û (pr. ow), e et c, mais toujours ouvertes comme dans « sec, net » et « fête.

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bête »; Vo est toujours bref comme dans « mort, sort » Le khasia n'a point d' « ô > long. Une dixième voyelle que Pryse rend par « y et qu'il compare à «u » anglais^ « pun, fun, sun». Hovelacque la représente par œ tout en faisant remarquer que cette voyelle est brève. La demi-voyelle iv a le son du w » anglais. A la fin des mots, ce ic s'affaiblit beaucoup.

Pour les consonnes, le khasia n'a point de difficulté dans les explosives ordinaires : k, t^ p, et g, dj b {g se prononce toujours devant i, e, ce comme devant a, o, u). Toules ces consonnes explosives, sauf le rf, peuvent être aspirées : khla « tigre k, thaw « faire », phêr « diffé- rence », etc. Le kh vaut k + h, le gh vaut ^ + ^i et ainsi de suite. Le ph, dans certaines localités, devient /"; mais, en principe, il vaut p + h,' c'est-à-dire l'explosive suivie de l'aspiration.

Aucune difficulté non plus pour les nasales m et n, pour les roulantes r et l. Le ,; (jan « prés », jêr « nom- mer », jiw « d'habitude >■>) vaut le <r dj » français de « ad- joint, adjuger ». Deux sifflantes, ayant la valeur de la sifflante de « suspensif, dessein », et ceUe de « sh » an- glais, «s» croate, « ch » de «chiche, chercher». L'aspi- rée h est émise^ selon les localités, avec plus ou moins d'intensité.

On trouve en khasia quelques cas de polysynthétisme ou composition syncopée, ce qui avait été donné par certains linguistes comme une catéristique des langues américaines et qu'on a trouvé avoir, comme dans bien des idiomes, ap- partenu à la classe morphologique de l'agglutination, c'est-a-dire : deux mots, servant à rendre une idée plus ou moins unique, sont accolés l'un à l'autre (composition),

3

- 34 - et, subissant une mutilation (syncope), arrivent à former un tout indivisible. Exemple :

Bam, point cela == ba, cela, + œm, non; um, il ne w, il + œm, non ; ngan, je (au futur) = nga + c^n, un, il (au futur) u-\-œn; kin, ils (,au futur) ki + ««,. On transcrit ces formules avec une apostrophe : ha'm, u'm, ki'n, etc.

Ces exemples de polysynthétisme ne sont pas les seuls phénomènes appartenant aux langues agglutinantes qu'on peut remarquer dans le khasia. Ces phénomènes sont nombreux, et l'on peut dire que, de toutes les langues monosyllabiques, c'est la langue khasia qui nous montre le mieux cette transformation et cette évolution morpholo- giques d'un état linguistique à un autre.

« Le khasia, dit M. Hovelacque, par sa structure, ne peut être rangé ni parmi les idiomes isolants appartenant à la première phase morphologique du langage, ni parmi les idiomes agglutinants appartenant à la seconde phase. H offre un exemple très frappant de l'évolution linguis- tique, et nous permet de prendre sur le fait la trans- formation d'une langue isolante en langue aggluti- nante. »

Ainsi, en khasia, comme dans toute langue monosylla- bique, le mot, quel que soit le genre et le nombre, reste généralement invariable. On a recours, pour exprimer le genre ou la pluralité, à un procédé accessoire. On fait précéder tout simplement le nom soit du mot u qui signifie il », soit du mot ka qui signifie « elle », soit du mot ki pour le pluriel qui signifie « ils » et « elles > en même temps. Exemple : u briw a l'homme », ka briw « la femme », ki briw « les hommes ou les femmes »,

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u kun « le fils i, ka kun a la fille », ki kun « les fils et les filles ». Cette confusion du genre dans le pluriel, lorsque la phrase ne tranche pas elle-même la difficulté, est évitée, en plaçant après le mot dont le genre demande à être déterminé, soit le mot signifiant « mâle », soit le mot signifiant « femelle ».

On dit ainsi : u sim « l'oiseau mâle », ka sim « l'oiseau femelle». Ce procédé est de la plus grande simplicité, et on le retrouve dans les langues les plus rudimentaires comme dans les idiomes les plus développés. Le japonais dit ; 0 néko « le matou », néko « la chatte »; o usi « le taureau », usi « la vache ». Le latin dit : masca- ras, femina canis « un chien, une chienne ».

Ces .pronoms démonstratifs, qui servent d'articles devant le nom [u hriw « l'homme », ka briw « la femme ») servent aussi d'éléments indicatifs de la troisième personne devant le verbe; exemple: u ioh « il a », ka ioh «elle a », ki ioh « ils ou elles ont ». Le pluriel est ainsi com- mun aux deux genres.

Les pronoms personnels sont les suivants : nga « je »

(pour les deux genres), me « tu » (toi homme tu ),

fha « tu » (toi femme tu ), u « il », ka « elle », ngi

« nous » (pour les deux genres), phi « vous » (pour les deux genres), ki « eux, elles ».

M. Hovelacque voit dans la formation de ces pluriels fjni, -phi et ki, un véritable fait de flexion, phénomène curieux dans une langue qui se dégage à peine du mono- syllabisme pour entrer dans la période de l'agglutination ; il y a, en effet, dans le changement de a en i, gna, gni pha, phi et ka, ki, une variation phonétique accompagnée d'une modification de sens.

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Le khasia contient un grand nombre de mois qui sont de vraies racines monosyllabiques; mais il est un certain nombre d'autres mots qui sont constitués de l'aggloméra- tion de plusieurs syllabes, et qui appartiennent ainsi h la période de l'agglutination. M. Hovelacque les classe en deux groupes distincts : mots composés^ mots dérivés.

Les premiers sont formés de deux ou plusieurs racines monosyllabiques qui s'agglomèrent ensemble , gardant chacune leur sens plein et entier, mais donnant naissance par leur réunion même à une conception plus géné- rale. Nous avons cité le chinois où, par exemple, de fit « père » et « mère » on forme le composé fù-mù « parents ».

En khasia, on peut citer entre autres, parmi les com- posés, ceux dans lesquels entre le mot kren « parler ip, krenbein a reprocher », krenset a parler indistinctement », krensaî «parler distinctement», krendaw «critiquer». Ceux dans lesquels entre le mot leh « faire », tels que lehhein « persécuter, mépriser ». De uwei « un » et pal « de nouveau », on forme uwei-pat « un autre, encore un »; de kiivei, pluriel du précédent, et du même pat : kiwei-kiiveûpat. c d'autres encore ».

Mais les mots dérivés sont beaucoup plus intéressants que les précédents. Ici, on en trouve tout à fait dans la seconde période morphologique, c'est-à-dire qu'on a affaire à une langue dont les formes sont agglutinées.

Nous avons dit plus haut qu'en chinois il n'y a point de dérivation. Le mot invisible^ par exemple, est exprimé par une formule équivalant à « regarder pas voir », /Ze- chier par « homme à flèches », orfèvre par « faiseur d'or », auteur o\x écrivain par « mains à livres », et ainsi de suite.

■— 37

En kliasia, dans nombre de mots, la racine pu mot vide s'est intimement soudée déjà, pour mieux la déri- ver, à la racine pleine qui a conservé intacte et pleine sa signification originelle. Ainsi, dans les mots latins paler^ mater, frater, par exemple, pa, ma, fra sont les racines pleines qui ont conservé et qui portent toujours l'idée principale, tandis que l'élément dérivatif ter est une an- cienne racine pleine devenue vide, qui vient seulement jouer un rôle secondaire dans le mot.

Ces éléments dérivatifs reçoivent généralem'ent les noms à'af/ixes; préfixes s'ils se trouvent placés avant la racine substantielle; suffixes s'ils sont après. Certaines langues agglutinantes ne connaissent qu'un de ces modes de déri- vation; d'autres les emploient simultanément. Le khasia est dans ce dernier cas.

La dérivation par préfixes est cependant la plus fré- quente dans celte langue. On retrouve parfois, avec son sens de racine « pleine », la racine qui, devenue « vide », sert d'élément dérivatif. Tel est, par exemple, nong, qui forme nombre de mots appelés « noms d'agents ». Voici, quelques racines dérivées par cet élément: âp « veiller », nongâp « veilleur »; bûd « suivre », nongbûd « suivant », ban «presser», nongban «oppresseur»; dih «boire», nongdih « buveur »; kam « travailler », nongkam « tra- vailleur » ; pen « envier » , nongpen « envieux » ; pra <i transgresser », nongpra « transgresseur »; phla « con- fesser », nongphla « confesseur »; sâd « danser », nongsad « danseur»; thaiv « créer », nonglhaw «créateur »; thoh « écrire », nong thoh « écrivain »; tuh « voler », nongtuh « voleur ».

Le mot jing « chose » a parfois aussi sa valeur pleine

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et entière. C'est un préfixe souvent employé : thimg «planter >, jingthimg « plantation»; sum « baigner », jingsum « bain »; bani « manger », jingbam « aliment »; duh i ôéirmve », jingdiih «dissolution »; ham « travail- ler », jingkam « ouvrage »; mon « souhaiter », jingmon a souhait »; 07ig « dire », jingong <.< un on-dit »; thaw a créer », jingthaw « créature »; mut « penser », jing- mut « pensée »; dum « obscur », jingdiim « obscurité »; hoh «juste », jmghok « justice ».

L'élément ta indique la mutualité, la concomitance, l'association. On dit : dait « mordre », iadait « mordre mutuellement »; dili « boire », iadih « boire ensemble »; kren « raconter», iakrc7i « converser», etc., etc.

L'élément pœn indique la causalité : ap « attendre », pœnap « faire attendre »; dih « boire », pœndih « faire boire »; Hm « prendre », pœnUm « faire prendre », etc.

Au moyen de l'élément ha, préfixé, on forme les mots ayant la valeur d'épithètes : lih, halih « blanc»; iong, ba- iong « noir »; bha, babha « bon ».

La dérivation peut encore avoir lieu par deux préfixes, c'est-à-dire qu'une racine peut être dérivée d'abord par l'élément de réciprocité {ia), puis par l'élément de cau- salité (pœn). Ainsi kren « raconter », iakren « converser », pœniakren « faire converser»; sem a trouver >, iasem «se rencontrer », pœniascm « faire se rencontrer ».

La dérivation par suffixes est beaucoup moins impor- tante, mais elle est employée aussi. Les dérivés par le suffixe ba se présentent fréquemment : tiba « lequel », kaba « laquelle », kiba « lesquels, lesquelles ».

Le suffixe dérivatif la: uta, kata, kita, pronom démons- tratif; suffixe da : lada « si ^; suffixe «o; uno, kano, ki'no

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« quel »; suffixe ne : une, kane, kine, démonstratif; suffixe de : lade, même « ipse »; suffixe to : kato « cette », kilo « ces »; suffixe sîn, formant les adjectifs tirés des noms de nombre : sisin « premier d, arsin « deuxième >, Sipeiv- sin « dixième », arpetvsîn « vingtième j>, Hspahsîn c cen- tième ».

Le comparatif est formé par un préfixe , l'élément kham « plus, davantage », adjoint immédiatement à la racine, et placé par conséquent entre cette racine et le préfixe ba qui caractérise les adjectifs: bakhraw «grand», bakhamkhraw « plus grand », barit « petit », bakhamrit <r plus petit ».

Nous croyons inutile de suivre plus loin M. Abel Hove- lacque dans son intéressant travail. Cette remarquable étude démontre, en effet, comme se le proposait l'auteur, le passage d'une langue monosyllabique à la forme agglu- tinative ou agglomérante, tout en restant fidèle à la pre- mière de ces deux classes morphologiques. L'évolution est ici d'une évidence incontestable.

Mais il est aussi d'un grand intérêt pour le linguiste de surprendre, dans cette évolution, les procédés rudi- menlaires et les créations enfantines, à l'aide desquels s'est formée et lissée la trame du langage.

Certes, lorsque nous étudions la complication de la grammaire grecque et sanscrite, nous ne nous doutons guère de quelles inventions naïves, de quels etîorls in- conscients, à la portée intellectuelle de la première en- fance, elles tirent leur source. Et en examinant l'évolution des langues plus rudimentaires, en étudiant les différentes couches du langage superposées les unes aux autres dans ce continuel recueil de l'intelligence humaine, nous nous

40

rendons compte, en effet, de la simplicité enfantine des moyens employés à l'origine.

Les travaux dans le genre de celui dont nous venons de parler sont appelés à rendre les plus grands services au progrès de notre science.

A. de la Galle.

BIBLIOGRAPHIE

DU FOLK-LORE BASQUE

(Suite et fin)

LES CHANTS HISTORIQUES NATIONAUX.

Les prétendus chants historiques nationaux basques qui rentreraient incontestablement clans le domaine du Folk-lore s'ils étaient authentiques sont au nombre de quatre : l"* une chanson qui aurait été composée en ItaUe par un soldat basque, amené des Pyrénées par An- nibal ; un chant sur la mort d'un certain Lelo, mari gênant, tué par un Égisthe basque au siècle d'Auguste ; 30 une lettre d'un seigneur de Belzunce au roi de Na- varre dom Sanche Abarca; le chant d'AUabizcar, relatif à l'épisode historique qui a donné naissance à la chanson Roland.

I. Le Chant d'Annibal n'est qu'une fantaisie de Chaho [Ariel^ numéro du 5 janvier 1845 ; Histoire primitive des Euscariens basques ^ Paris, 1847, t. I, p. 17-19). Le brillant écrivain basque a ramassé deux couplets popu- laires dans les montagnes et y a intercalé six strophes de sa fabrication en prose française. Ce morceau n'a été pris au sérieux que par M. Mary Lafon {Histoire du Midi de

42

la France, Paris, 1847, in-S», t. I, p. 85-87). Mais M. Mary Lafon n'est pas le principal coupable, car, à la suite de sa citation, on lit ce qui suit (p. 87, noie) : « Le texte, dont nous ne donnons que le premier et le dernier couplet^ a été copiée le 7 octobre 1821, dans la biblio- thèque du couvent des capucins de Fontarabie. La tradi- tion en a conservé les principaux passages qu'on chante dans les montagnes. » (Extrait d'une Histoire inédite des établissements des Basques sur les deux versants des Pyrénées.) A qui M. Mary Lafont a-t-il emprunté ce renseignement ? Evidemment à M. Garay de Monglave, qui envoyait au Ministre de l'instruction publique, le 11 décembre 1852, une notice sur les Chants nationaux basques, l'on peut lire ce qui suit : « Nous allons re- produire maintenant la première et la dernière stance du Chant d'Annibal, dont l'ensemble a été copié par nous, le 7 octobre 1821, dans la bibliothèque du couvent des ca- pucins de Fontarabie. La tradition en a conservé les prin- cipaux passages qu'on chante dans les montagnes; » sui- vant les deux couplets basques et les huit paragraphes français. On ne relèverait entre cette traduction et celle publiée par M. Mary Lafon que des différences de pure forme ; cependant le texte basque de M. Garay de Monglave est plus correct que l'autre, mais on y remarque l'ab- sence caractéristique du dernier mot de la première strophe. Le premier « amateur > qui a copié Chaho a omis ce mol que ne pouvaient rétablir les copistes posté- rieurs. La strophe se terminait ainsi :

Ez orenic ez mementic

ez diat igaraiten

non ehitzaitan orhitzen.

43

« Je ne passe, ô rossignol (mâle), ni une heure, ni un moment, que je ne me souvienne de toi. > Sans orhilzen, ces trois vers n'ont plus de sens.

C'est donc à M. Garay de Monglave qu'il faut imputer l'erreur commise par M. Mary Lafon. Je démontrerai tout à l'heure que M. Garay |de Monglave ne savait pas le basque, et qu'il n'avait pas, littérairement parlant, beau- coup de scrupules.

II. Le Chant de Lelo ne m'arrêtera pas longtemps. Je me borne à renvoyer le lecteur aux p. 174-186 du vo- lume que j'ai publié avec MM. Hovelacque et Picot {Mé- langes de linguistique et d'anthropologie, Paris, E. Le- roux, 1880), et à un article intitulé « Excentricités eusca- riennes », dans la Bévue de linguistique (t. XVI, 1883, p. 72-76) : j'y parlai de deux textes basques dont la fabri- calion grossière suffisait pour mettre en éveil toutes les suspicions.

III. Le Chant d'Abarca a été publié par M. Francisque Michel, dans le Gentleman's Magazine (oct. 1858, p. 382, col. -1-2) ; le savant professeur disait qu'il devait celte précieuse pièce à M. l'abbé Inchauspe, lequel « does not liesilate to pronounce it genuine », et il ajoutait : ce In the face of such an aulhority, I cannot but say ihat it is old ; but I would not undertake to say that it was not composed wilh a view of testifying to the anliquity of the Belzunce family, allhough Ihey had no occasion for it. d M. F. Michel doutait d'ailleurs que la chanson fut contem- poraine de la bataille qu'elle raconte et qui aurait eu lieu au X* siècle.

M. Ant. d'Abbadie a répondu (mars 1859, p. 226, col. 1-2), en racontant ainsi qu'il suit l'histoire du chant

u

d'Âbarca : « In August last, we received, as usual, Ihe prize compositions limiled to songs under fifty lines of verse, and amongst them was the identical Abarca's song, which I still préserve in manuscript. I sent thèse papers to Iwo judges chosen by miself, and vvho, at my request, agreed in naming the Ihird judge. One of thèse umpires, a Basque seholar of course (1), is now in London. He affirms the veracity of thèse very récent facts, and in point of lime, looks on Ihe Abarca's song as a suckh'ng babe Iwo years old, the said ballad having been composed by a living author, for anolher and previous occasion. This is far from its being the Methuselah-like production which your oclober Magazine recommends to its readers. In the absence of my friand Inchauspe, the learned Bayonne canon, 1 do affirm Ihat he never dreamed of giving even a ten-year antiquity to the aforesaid song, which he received first at my request, and to which, with bis two colleagues, he did not award our yearly price. »

Je citerai plus loin (p. 70) la déclaration par la- quelle M. Francisque Michel a reconnu formellement son erreur (août 1859, p. 338, col. 1); il ajoutait cependant que M. Inchauspe lui avait réellement donné le chant d'Abarca comme une ancienne poésie basque qui ne pouvait être le produit de l'imagination d'aucun auteur encore vivant.

IV. J'arrive enfin au fameux Chant d' Altabiscar ou

(1) Il s'agit probablement de M. J. Duvoisin qui a habité Londres pendant qu'il traduisait la Bible en basque labourdin, à la prière du prince L.-L. Bonaparte.

45 plutôt à'Altabiçar, comme l'a toujours écrit son auteur, persévérant ainsi dans un simple lapsus calami de la pre- mière heure.

Voici comment M.. Eugène Garay de Monglave annon- çait, dans le Journal de r Institut historique (t. I^^, pre- mière année, 1834-, gr. in-S», p. 174-179), la découverte de ce chant. Après une dissertation sur les Basques, sur l'antiquité et l'excellence de leur langue, il ajoutait (p. 176, 1.2):

« Parmi les poésies qui se sont ainsi conservées de génération en génération, on cite un poème assez étendu sur la religion des Cantabres, des. chants guerriers et allégoriques, quelques chansonnettes supérieures peut- être en naïveté à celles de Métastase, et des romances populaires qui datent, d'après M. Humboldt, de l'invasion des Romains, et qui ne sont pas inférieures aux plus beaux chants nationaux des Grecs modernes. Viendra peut- être un Mac-Pherson qui les recueillera. Le souvenir des preux de Charlemagne est présent à l'imagination des bergers pyrénéens ; toutes les ballades du pays sont em- preintes de leurs vaillants exploits: on montre ici au voyageur les jardins enchantés d'Armide, là, plus de vingt rochers que le fabuleux Roland a fendus de sa durandal ; et pourtant, personne dans ces vallées n'a lu ni le faux archevêque Turpin, ni Boyardo, ni Arioste, dont on ignore même les noms.

« Parmi ces romances chevaleresques des Escualdunacs, une des plus connues est celle qui a pour titre le Chant d'Altabiçar, Altahiçaren cantua. C'est la fameuse bataille de Roncevaux, racontée par les descendants des vain- queurs. Tout le monde sait que Charlemagne, étant allé

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guerroyer par delà les Navarres (on ignore si c'était pour les Mores ou pour les Chrétiens), rentrait vainqueur en France, lorsque les Sarrasins, selon les uns, les Escualdu- nacs ou les Vascons, selon les autres, et peut-être les trois peuples à la fois, parurent au sommet des montagnes, lirent rouler sur les troupes des fragments de rochers, obscurcirent l'air de leurs flèches, et, malgré les prouesses des paladins, mirent de toutes parts les Francs en dé- sordre et en firent un épouvantable carnage.

« Ce chant, comme tout ce qui n'est pas écrit, a sans doute changé en passant de bouche en bouche, et je l'ai retrouvé, avec de nombreuses variantes, sur plusieurs points des deux versants. Un des rédacteurs du Diction- naire de la conservation (sîc) et de la lecture, M. G. OUivier, en parle dans un article fort curieux sur les chants popu- laires des différents peuples (t. XUI, p. 25). Malheureu- sement, il paraît n'avoir connu que la fin des troisième et septième versets, c'est-à-dire les noms de nombre dé- clinés depuis un jusqu'à vingt, et puis en sens inverse. Cherchant quel sens caché pouvait couver sous ce titre bizarre, il y a vu, dit-il, les Escualdunacs (qu'il nomme à tort Vasco7is), désignant par leur simple dénomination numérique les dures années de l'exil, et appelant ensuite une à une, par une sorte de progression décroissante, celle de la vengeance, chant cabalistique, ajoute-t-il, qui n'est plus maintenant qu'une musique dénuée de signifi- cation.

(P. 177) « Si M. OUivier eût connu la romance entière, il ne serait pas tombé dans cette spirituelle erreur ; tout s'explique naturellement dès qu'on rétablit les huit versets. La progression ascendante, c'est la marche d'une armée

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qui s'avance ; la progression descendante, c'est la fuite de cette armée vaincue.

« J'ai vu autrefois une copie du chant d'Altabiçar chez M. le comte Garât, ancien ministre, ancien sénateur et membre de l'Institut de France, un des philosophes les plus célèbres de notre pays, un des hommes dont le talent honore le plus les Escualdunacs, ses compatriotes. Il la tenait du fameux La Tour-d'Auvergne, le premier grenadier de France, lequel, pendant les guerres de la République, se délassait de ses fatigues en travaillant à un glossaire en quarante-cinq langues. La Tour-d'Auvergne avait été chargé de traiter de la capitulation de Saint-Sébastien, le 5 août 1794-, et c'était au prieur d'un des couvents de la ville qu'il était redevable de ce précieux document, écrit en deux co- lonnes sur parchemin, et dont les caractères peuvent re- monter à la fin du X1I« ou au XIII^ siècle, date évidemment postérieure de beaucoup à celle de ce chant populaire.

« Le texte que je donne ici n'est pas exactement le même que celui qu'on a trouver dans les papiers de M. le comte Garât. Il se compose du rapprochement des diverses variantes que j'ai pu recueillir. Ces différences sont, du reste, purement grammaticales ; elles n'affectent en rien le sens des mots ni des phrases.

« Puisse cette exhumation honorable ne pas déplaire aux lecteurs du Journal de V Institut historique ! »

Aux pages 175 et 476, on trouve de nombreuses notes contenant des étymologies plus ou moins extravagantes ; je citerai par exemple les suivantes :

« Irrintcina^ de irri et incitna « soupir. »

« Jaungoïcoa, litt. « le seigneur d'en haut >; d'après la construction ordinaire goïco-jauna,

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a. Gaba (la nuit) « absence » ; gabe « sans ».

« Eguskia, et souvent iguskia par abus, vient de eguna « jour », qui lui-même tire son origine d'egina « t'ait (participe)». Ainsi eguskia signitie proprement « fai- seur, créateur ».

« Uhargia « lune », mot composé A'argia i lumière », hila « pâle, mort ». Vh qui devrait figurer à la tête du mot a été transposée par l'usage à la suite de 17.

« Par un déplacement tout opposé, dans heriolza « mort », mot composé à'eri « malade » et holza « froid », 17^ se trouve en tête quand sa place naturelle devrait être entre Xi et l'o.

« Ces aspirations, qui varient aujourd'hui avec les lieux, ont pu varier avec le temps » .

Et M. de Monglave ajoutait :

« Ces notes nous ont été communiquées par M. Duhalde, jeune philologue escualdunac, aussi modeste que savant. Nous lui devons, en grande partie, le rapprochement des diverses variantes du texte du chant à'Altabizar »

Je ne sais ce qu'était M. Duhalde; mais dans l'article de M. de Monglave, il est parlé de « M^ie Duhalde, femme d'un notaire de Saint-Pé [sic) », qui « a traduit en basque les fables de Lafonlaine ».

A la page 178 se lit le texte que je reproduis tout à fait exactement, puisque c'est la forme originale, l'édition princeps :

Oiubal aïtuia içanda \ Escualdtmen mendiien artctic. \ Eta etcheco-jauna, hère atiaren aitcinian chulic, \ Idekitu beharriiac, eta errandu : nor da hor ? Cer nahi dautet ? j Eta chacurra bere nausiaren oinetan lo çaguena \ Allcha- tuda, eta carasiz Altabiçaren inguniiac bete ditu.

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Ibanetaren lephiian harahoslbat agertœnda ; \ BitrhiU cenda, arrhohac ezker eta escuin iolccndituielaric. \ Horida îirrundic helduden armadabaten burruma. \ Mendiien cape- tetaric guriec erepuesta emandiote. \ Bere tmiten seinuia adiaaçiute. | Eta etcheco-jaunac bere dardac chorroch- tentii.

Heldudira ! heldiidira ! Cer lantzazco sasia ! \ Nola cer- nalii colorezco banderac hoïen erdian agertcendiren! \ Cer simistac atheratcendir en hoïen armetaric! \ Cenbat dira? Haura, condaïtçac ongi! \ Bat, biia, hirur, lau, bortz, sei, zatzpi, zortzi, bederatzï, hamar, hameca, hamabi, \ Hama- hirur, hamalau, hamabortz^ hamasei, hamazazpi^ heme- çortzi, hemeretzi, hogoï.

Hogoï eta milaco oraïno! \ Hoïen condatciadenboragaltcia litake. \ Hurbildetçagun gure beso çaïlac, errhotic athera- detçagim arrocahoriec, \ Bethadetçagun mendiaren petharra behera \ Hoïen buruen gaïneraino. \ Leherdetçagim, he- riioaz iodetçagen .

Cer nahiçuten giire mendietaric norteco giçon horiec ? | Certaco iendira gure baakiaren naasterat ? | laûngoïcoa mendiac enditiiieman, nahi içandu hec giçonec ez pasat- çia. I Bainan arrhocac biribilcoïlca eroztendira tropac lehertcandituzte. \ Odola currutan badoha, haragi puscac dardaran dande. \ Oh! cembat heçur carrascathuac ! cer odolesco itsasua!

Escapa, escapa, indar eta zaldi ditucuïenac. | Escapa hadi, Carlomano errege, hire luma bellcekin eta mpa goriarekin. \ Ire iloba maïtia Rolan çangarrha hantchet hila dago. | Bere cangarthasima ieretaco ez tiiiçan. \ Eta h^raï, Escualdunac^ ulzdiçagun arrhoca horiec. | lausgi- ten fite igordelçagim gure dardac cscapalcendiren conloa.

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50

Badtiaci! badtmci! Nunda hada lantzazco sasi hura f \ Nun dira hoïen erdian agericiren cernahi colorezco ban- dera hec 9 \ Ella gihiiago simislaric atheralcen holen arma odolez bethetaric. \ Cembaldira? Haura, condaïlçac ongi! 1 Hogoi , hemeretzif hemeçorlzi, hamazazpi, hamasei, hamabortz, hamalaû, hamahirur, \ Hamabi, hameca, ha- mar, bederatci, zortzi, zatzpi, sei, bortz, laû, hirur, bim, bat.

Bat ! Ezta bihiric ageri gihiiago. J Akhaboda! Etcheco- jauna, iuaïten ahaltcia cure chamrrarekin, \ Cure cmaztinrcn, eta cure haurren besarcaicerat, \ Cure darden rfarbitcerat, eta alchatcerat cure tuutekin, eta gero heiien gaïnian etçatçat eta locïteat. | Gahaz arrhanuac ienendira haragi pusca lehertu horien iaterat, | Eta heçiir horiec oro çuritucodira eternilatean.

A la page 179 est la traduction dont je n'ai pas à m'oc- cuper ici.

M. Garay de Monglave, dix-neuf ans après, persistait dans ses affirmations premières. On lit en effet, dans le Courrier de Bayonne du 13 mars 1853, les lignes sui- vantes, signées de lui:

« Alin de constater en notre faveur la priorité de ce chant et de sa traduction, en évitant toutefois de leur donner une publicité trop grande (1), nous les fîmes insé- rer, en novembre 1834, dans un recueil scientitique peu répandu. Quand, plus tard, M. Francisque Michel fît pa- raître son curieux recueil des Ballades de Boncevaux, il y comprit la romance à' Altabiçar ; mais il eut la loyauté d'en indiquer la source, et nous l'en remercions, ainsi que

(i) Pourquoi? (J. V.)*

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M. Ph. Lebas, de l'Inslitut, dans sa belle Enajclopédie de l'Histoire de France, article Ronœvaux.

« Malheureusement, leur exemple ne trouva pas d'imi- tateurs. L'auteur d'une bonne Histoire d'Espagne fut le premier à insérer notre traduction sans en indiquer la source, et dans le Journal des Débats du 26 juillet 1838, un honorable critique, M. Cuvillier-Fleury, en rapporta, à son insu, tout l'honneur à cet écrivain (4); mais, sur notre observation, il répara son erreur involontaire, dès le numéro du 28, avec un empressement et une grâce que nous n'oublierons jamais. Nous voudrions avoir les mômes éloges a donner à l'auteur d'une HistoirCy heu- reusement moins connue, du Midi de la France, publiée en 1842 et qui nous a emprunté non seulement le texte et la traduction du Cliaiit d'Altabiçar, et daignant à peine glisser les initiales de notre nom dans une note imper- ceptible de son ouvrage (2). Nous ne croyons pouvoir mieux terminer ce travail que par un extrait de la lettre que nous écrivit M. Cuvillier-Fleury :

(1) M. Cuvillier-Fleury dit seulement, en rendant compte de VHistoire d'Espagne de M. Rosseuw Saint-Hilaire : « II existe un chant basque qui prouve aussi à quel- point le grand roi s'était mépris sur les dispositions des peuples des Pyrénées qu'il avait la prétention d'affranchir. Je le cite en entier, car je ne connais rien de plus original à la fois et de plus sublime dans les poésies de cette époque, rien qui jette plus de jour sur cette mystérieuse épo- l)ée du huitième siècle. (Suivent les huit strophes françaises de M. Garay de Monglave.) Tel fut le jugement des Montagnards sur la croisade de 778. »

(2) M. de Monglave est bien dur pour Mary Lafon, son ancien collègue de l'Institut historique.

52

« Aux Tuileries, 17 juillet 1838.

« Monsieur,

« Votre réclamation est de toute justice. Je suis désolé d'y avoir donné lieu. Mais ce n'est pas ma faute. Saint- Hilaire ne cite que Francisque Michel. Ce dernier vous cite, il est vrai; mais sa note m'avait échappé, parce que, ayant trouvé le chant basque dans l'Histoire d Espagne, je ne l'avais pas cherché à la suite de la Chanson de Roland. J'envoie une note au Journal des Débals. Vous verrez que je vous rends complète justice. Mais comment m'y refuserais- je ? Vos travaux ne sont-ils pas de ceux qui éclairent et honorent notre pays ? La trouvaille, que vous avez faite, vaut de l'or; votre traduction est excel- lente; je ne la juge que par le style, et, puisque vous y cherchez encore des contre-sens, cela prouve la rigueur avec laquelle vous avez sacrifié à l'exactitude. De tout cela, monsieur, je vous félicite sans arrière-pensée, quoique non sans jalousie, car vos éludes sont faites pour inspirer le désir de vous suivre et de vous imiter.

« Veuillez agréer l'assurance, etc.

Voici maintenant Ie^ rectification du Journal des Dé- bats (samedi 28 juillet 1838) :

< Le Chant d'Altabicar, que nous avons cité d'après M. Rosseuw Saint-Hilaire, est aux recherches et aux travaux de M. Eugène Garay de Monglave, qui rassemble, avec un zèle tout à fait digne d'éloge, les matériaux d'une Histoire des populations basques. La traduction de ce chant, remarquable par son élégance et son exactitude, appartient également à M. de Monglave, à qui MM. Fran-

_ 53 cisque Michel, Rosseuw Saint-Hilaire et d'autres l'ont empruntée (1). »

Le 11 décembre 1853, M. de Monglave adressait au Ministre de prétendus « chants nationaux basques » ; il y joignait une longue notice oîi il réédite l'histoire du ma- nuscrit découvert par La Tour-d'Auvergne. J'y relève les lignes suivantes :

« Chargé par M. Villemain, ministre de l'Instruction publique, d'aller recenser sur les lieux les archives des Euskariens, nous avons, entre autres richesses, rapporté de- notre excursion dix-neuf (2) chants nationaux, parmi lesquels nous en traduisons trois, le Chant de Lelo...f le Chant d'Annibal... et le Chant d'Allabiçar...

« Le texte du chant de Lelo ou de Lecobidi nous a été conservé dans le Prufûng par le savant Guillaume de Hum- boldt, dont on connaît le long séjour parmi les Eusca- riens. Nous ne le reproduisons point ici. Nous en avons seulement revu la traduction avec soin sur de nombreuses variantes recueillies par nous sur divers points de la chaîne pyrénaïque. »

Le second paragraphe donne la mesure de la véracité de M. de Monglave. Il est absolument faux qu'il ait re-

(1) M. de Monglave ne cite pas exactement. II a omis, avant les mots « est aux », plus d'une ligne et demie que voici : « dans notre numéro du 26 juillet, avait été déjà publié dans le Journal de l'Institut historique, et il est aux recherches et aux travaux de M. Eugène de Monglave (non Garay) qui rassemble en ce moment, avec » etc. Plus loin, il y a d'autres inexactitudes : « La traduction du chant d'Altabiçar, si remarquable », etc., « à M. de Monglave, auquel M. Francisque Michel et M. liosseuw Saint-Hilai re (il n'y a point : et d'autres) l'ont empruntée ».

(2) Le nombre dix-neuf est surchargé sur un grattage.

54

cueilli des variantes du Chant de Lelo dans le pays, car ce chant y est je l'affirme tout aussi inconnu que le Chant d'AUabizcar. Mais que dire de la citation de llum- boldt ? Tout le monde sait que le chant de Lelo n'a pas été puhlié, pour la première fois, dans la « Priifung » (1821), mais aux p. 86-89 des Berichiigungen au Mithri- dale d'Adelung (1817).

Ce qui est connu dans le pays, M. Bladé l'a déjà fait remarquer, c'est une sorte de récitatif sur les noms de nombre, de un à vingt et de vingt à un. .le l'ai entendu chantonner plusieurs fois dans diverses parties du La- bourd; d'autres l'ont entendu en Basse-Navarre et en Soûle. Ce récitatif, cet air, cette mélopée si l'on veut, n'a rien de bien remarquable, et l'on ne comprend guère l'enthousiasme de M. G. Ollivier, dans l'article cité par M. Garay de Mongiave et dont nous reproduisons ci-après la partie relative aux Basques {Dict. de la Conversation, Ire édit., 1834, t. XIII, p. 25, col. 2):

(Dans le Jura) « A la vérité, la poésie n'est encore que dans les paroles, mais dans les Pyrénées, au contraire, c'est dans la musique qu'elle se déploie. Que dirais-je des chants basques, par exemple, et d'où vient à ces tribus exilées entre le ciel et la terre une telle franchise de rhythme et d'intonation ? Tout ce que je connais d'airs basques est d'un ton grandiose et décidé; mais aucun n'est plus frappant sous ce rapport que le chant national des EscuaUIunacs, comme ils se nomment eux-mcmes dans leur idiome. Ce beau chant, cependant, n'a pour paroles que les noms des nombres cardinaux déclinés dans le preinier couplet depuis un jusqu'à vingt, et, dans ^e second^ répété dans l'ordre in\erse. Souvent, en écou-

55

lant cet air d'une si pure et si iranclie mélodie, je me suis demandé quel sens caché pouvait couver sous ce texte bizarre : d'hypothèses en hypothèses, je suis re- monté jusqu'aux souvenirs héréditaires du temps les races vascones, acculées au pied des Pyrénées par l'inva- sion celtique, durent chercher sur leur sommet un refuge infranchissable aux dévastations de celte marée. Alors il s'offrit à ma pensée que, sans doute, ce chant avait retenti dès ces premiers âges comme une ode guerrière, les aïeux, après avoir désigné par leur simple dénomination numérique les dures années de l'exil, appelaient une à une, par une sorte de symbolique progression décroissante, celles de la vengeance. Hélas! lorsque le cycle de ces nombres eut accompli sa révolution, près d'un demi- siècle avait consacré l'usurpation. La génération nouvelle des Basques, fière de ses asiles escarpés, regardait en mépris le colon des Basses-Terres, et le chant cabalis- tique de la vengeance n'était plus qu'une musique dé- nuée de signification. »

La fraude, toute grossière qu'elle fût, réussit pleine- ment. Le Chant d' AUabizcar , ou mieux -biçar, fut ac- cepté par tous les critiques, par tous les historiens, par des savants expérimentés. 11 est intéressant de donner quelques extraits caractéristiques.

Rosseuw Saint-Hilaire en parle en ces termes dans son Histoire d' Espagne {no\i\e\\eédiùon, Paris, 1844 (1), in-S», t. Il, p. 209-213) : « Un admirable chant national basque, tout palpitant des émotions de- la victoire, nous a con- servé, mieux que la prose d'Eginhart, la physionomie

(1) La première édition est de 1836.

56 naïve et passionnée' de celte mémorable bataille... La poésie a payé la dette de l'histoire... Nous disons la poésie, et nous ne dirons pas le poète : car il n'y a jamais de noms propres à attacher à ces admirables chants nationaux qni traduisent en rimes spontanées la pensée de tout un peuple, et l'auteur disparaît sous les sympathies qu'il éveille. L'hymne de victoire qu'entonne une armée sur le champ de bataille est tou- jours anonyme, et quand le peuple inspire des vers, c'est le peuple qui les a faits.

« Un cri s'est élevé « Du milieu des montagnes des Escualdunacs,

< Et l'EtCheco-Iauna (etc.)

< Et tous ces os blanchiront dans l'éternité.

(Cité par Francisque Michel, Chanson de Roland, p. 22G.)

A cette dernière ligne est mise la note suivante : « Sans établir complètement l'authenticité de ce chant na- tional, il me semble empreint d'un bout à l'autre d'une vérité de détails trop saisissante, pour que je puisse le considérer comme une pure invention de poète. Si l'on n'y retrouve pas la concision et la rudesse primitives du Chant des Cantabres (voyez t. I, p. 454), il renferme cependant de ces traits de nature qui n'appartiennent qu'aux peuples jeunes , car les Basques , séparés du monde dans leurs profondes vallées, n'avaient guère vieiUi depuis Auguste jusqu'à Charlemagne. Telle est, par exemple, cette phrase si vraie dans la bouche d'un Basque : « Quand Dieu fait les montagnes, c'est pour que les hommes ne les franchissent pas », et ce calcul dé-

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croissant de l'enfant et du peuple, enfant comme lui, qui sait à peine compter jusqu'à vingt, et qui, de ces milliers d'ennemis, finit par n'en avoir plus qu'un^ et pas même un à compter ! s>

On voit que Rosseuw Saint-Hilaire croyait aussi au Chant de Lelo. Il en dit, en effet (même ouvrage, t. I, p. 459) :

« On remarquera l'énergie et l'âprelé toutes primitives du rhylhme, l'extrême concision et la simplicité de l'expression, enfin l'absence de liaisons artificielles entre les phrases et môme entre les idées, indices certains de la haute antiquité de ce fragment. Il semble qu'on res- pire dans cette sauvage poésie quelque chose de la rude indépendance des Cantabres et de l'âpre brise de leurs montagnes. »

M. BV. Michel, à qui Rosseuw Saint-Hilaire avait em- prunté le morceau, avait été l'un des premiers à le mettre en vogue. Il le reproduisait, dès 1837, dans les notes de sa Chanson de Roland (p. 225-227), sans faire aucune réserve, sans exprimer aucun doute. Vingt ans plus tard, en 1857, il en parle ainsi dans son Pays Basque (p. 234-235) :

< Les Basques n'hésitent pas à présenter comme con- temporain à la déroute de Roncevaux le chant d'Altabis- car, destiné à célébrer la victoire de leurs ancêtres. A ce sujet, je ne sais trop ce qu'il faut croire des assertions de M. Garay, qui parle d'un ancien manuscrit le fa- meux La Tour-d'Auvergne aurait rencontré ce morceau à Saint-Sébastien, en 1794; mais je sais bien qu'a\ant le XIIl* siècle, on confiait rarement à l'écriture les poésies composées en langue vulgaire, et ce n'est sûrement pas

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dans les Pyrénées que l'on aurait dérogé à l'usage, surtout en faveur du basque, qui n'a jamais été considéré que comme une langue courante, sans emploi pour les choses dont on voulait conserver un souvenir durable.

« Je crois pourtant à l'antiquité du chant d'Allabiscar, mais en me fondant sur le sentiment général de la poésie, que distingue entre toutes sa double énumération de guerriers, si originale et d'un puissant effet. Il est encore un point sur lequel s'appuie ma croyance : c'est le nom de Carlomano donné au roi franc. Tout porte à croire que s'il était, ou peut s'en faut, celui par lequel on désignait de son vivant Charlemagne, qui n'a été ap- pelé tout d'abord Carolus Magnus que par une traduction matérielle du nom de Carloman. Ce point a été, il est vrai, suffisamment démontré par J. Grimm el par M. Mi- chelet avant la publication du chant d'Allabiscar; mais il est peu probable que l'éditeur, ou tout autre, ait puisé dans leurs ouvrages l'idée d'ajouter à l'air d'antiquité de cette pièce en donnant au grand empereur un autre nom qne celui sous lequel il est généralement connu.

a 11 est encore moins vraisemblable que l'auteur du chant d'Allabiscar ait lu un petit poème bohémien de la fin du XVe siècle, qui offre plus d'un trait de ressem- blance avec le chant basque

« Comme dans le poème bohémien, on voit dans le chant basque l'ennemi écrasé sous des rochers lancés du haut des montagnes; mais l'auteur nous montre encore ses compatriotes armés d'arcs et de flèches; or, nous sa- vons que les montagnards de la Navarre étaient autrefois de grands chasseurs »

La ressemblance du chant basque avec le poème bohé-

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mien est d'autant moins étonnante que l'auteur a pu lire et rechercher tout ce qui avait été publié dans le genre voulu. Car, ainsi qu'on le verra tout à l'heure, le chant basque a été composé à Paris, en iSS^. Mais je reviens à mes citations.

RI. Mary-Lafon reproduit le texte du journal de V Insti- tut historique dans son Histoire du Midi de la France (Paris, 1847, in-8°, p. 395-399), en l'accompagnant d'une IraJuction assez fantaisiste, dans laquelle il intercale des passages de la Chanson de Roland (édition de Francisque Michel). Il ajoute : « La Tour-d'Auvergne trouva ce chant, le 5 août 1794, dans un des couvents de Fontarabie. Il en existe plusieurs versions conservées traditionnellement sur la montagne. Le texte qu'on vient de lire, formé des meilleures variantes par M. Duhalde , a été traduit en 1834 par M. G. de M. » Pourquoi ces simples ini- tiales? Je l'ignore.

Tout le monde ne s'y laissa pourtant pas prendre. Dans son édition de VHistoire du Languedoc de dom de Vie et dom Vaissette, du Mège s'exprimait ainsi (Toulouse, 1840, t. I, p. 647) :

« Depuis quelques années, des recherches approfondies ont éclairci beaucoup de particularités de l'histoire an- cienne et de celles du moyen-âge, et ajouté même un grand nombre de faits importants aux faits déjà recueillis et publiés; mais il faut se tenir en garde contre l'enivre- ment que causent des découvertes de ce genre. La con- fiance des écrivains a été trop souvent trompée par des faussaires, pour que l'on n'accueille pas avec quelque dé- fiance les documents qui avaient jusqu'à présent échappé à des investigations constantes, »

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Il donne pourtant, sur l'autorité de Humboldt et de Fauriel, le Chant de Lelo qui, dit-il, « de même que ceux d'Ossian, pourrait bien ne pas avoir toute l'ancien- neté que les érudits basques lui attribuent ».

Quant au Chant d'AUahiçar, il dit (t. II, iS^O, notes, p. 34) : « Parmi les autres monuments qui rappellent les exploits et la mort du neveu de Charlemagne, il faut dis- tinguer, surtout, le chant d'Altabiçar (altabiçaren cantua), poème en langue escnara, et qui aurait conservé, chez les Escualdunacs, le souvenir de la bataille de Roncevaux. Mais ce chant est-il ancien? ou plutôt ne serait-il pas l'œuvre d'un homme d'esprit qui n'aurait pas été fâché de faire croire à la haute antiquité de ce morceau, et qui, à dessein, y aurait multiplié les archaïsmes, les façons de parler inusitées aujourd'hui? »

Plus tard, le même écrivain, signant « A. du Mége (de la Haye) »,dit, dans son Archéologie pyrénéenne (Tou- louse, 1858, t. I, !•■« partie, prolégomènes, in-8°, p. 383): « La langue basque... eut peut-être, autrefois, une litté- rature; mais tout ce qui peut l'attester a disparu, car il ne faut pas croire à l'ancienne existence de ces chants, découverts depuis quelques temps », et aux pages 4'03-'404: « On a beaucoup varié sur les circonstances qui ont servi à retirer de l'oubli cette composition vraiment remar- quable, mais où, bien loin d'y découvrir des archaïsmes et des formes classiques, on retrouve toute la liberté, toute la fougue d'une œuvre romantique et originale. On a dit qu'alors que l'armée républicaine s'empara de Saint-Sébastien (en l'an ii), le gardien du couvent des Capucins de celte ville remit ce chant inconnu à La Tour d'Auvergne, guerrier aussi redoutable que profond éru-

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dit. Nous avons objecté contre celte origine 'qu'il n'y avait pas alors de capucins à Saint-Sébastien (1) et que cet ordre n'avait de monastère dans cette province qu'à Fontarabie et à Renteria. On ajoutait, car les sceptiques en histoire sont, comme on le sait, des gens assez dif- ficiles, que La Tour d'Auvergne, ce vrai|Breton, Got callet densan armorie, qui aimait les Basques, et pour leurs mœurs, si dignes d'estime, et pour leur antiquité, sur- tout pour leur bravoure, n'avait point parlé de ce poème dans ses Origines gauloises, il s'est cependant occupé des Ibères, qu'il considérait comme les pères de l'Hi- bernie ou de l'Irlande, et que son ami et continuateur, le savant étymologiste Eloi Johanneau, n'en avait jamais parlé. Mais un autre récit est venu infirmer le premier. Vers la fin du dix-huitième siècle, un Basque, établi à Paris, obtint, comme écrivain, des succès académiques

(1) Voici le certificat que publie du Mège ; les premières lignes sont certainement incorrectes :

« Don Tadeo Ruiz de Ogarrio, alcalde . constitucional de esta ciudad de San-Sebastian : habiendos esse pechado (?) un documente que acrcdite, quien era el prior del convento de capuchinos de esta ciudad en los f.fios de 4794 y 1795; certifico que .nunca ha existido, en esta ciudad, convento alguno de capuchinos, y que en el distrito de la mismo, no ha habido mas que dos, uno en la villa de Ren- teria, y otro en la ciudad de Fuenterrabia, y para que conste, firme» En San-Sebaslian, â diez y siete de abril de mil ochocientos y cin- cuenta y seis.

« Tadeo Ruiz de Ogarrio. »

Cette signature est légalisée par le consul de France.

Du Mège cite d'ailleurs inexactement le Journal de V Institut histo- rique; il intercale dans le récit cette phrase de lui relative aux capu- cins : « Plus tard, on nous a dit que ce fut le prieur des capucins de Saint-Sébastien ». Cet on serait-il Garay de Monglave lui-même?

62 justement mérités; la révolte de la capitale, en 1789, le compta au nombre de ceux qui furent désignés alors sous le nom de patriotes. Dans la suite, il devint mi- nistre de la justice, et eut le triste courage d'entrer dans la Tour du Temple, et de lire au vertueux Louis XVI le décret qui le condamnait à mort !!! Plus tard, alors que le gouvernement voulut grouper près de lui toutes les illustrations, tous les talents, M. Garât devint séna- teur et comte de l'empire, et ce serait lui qui aurait livré à l'histoire VAlta Biçar, ce poème qui nous paraît appartenir à l'école littéraire que l'on a nommée Roman- tique. Beaucoup d'écrivains ont cru ou croient encore que celte composition date réellement du huitième siècle. Mais rien n'indique cette origine fabuleuse , et les hommes sérieux qui habitent le pays basque ne croient, pas plus que nous, à l'ancienneté de cette pièce. »

J'ai cité textuellement, sans même omettre les apprécia- tions politiques et les points d'exclamation; mais il est facile de voir que, comme beaucoup de travailleurs, du Mège écrit sans avoir les documents sous les yeux, et sans se préoccuper de la précision des faits et de l'exactitude des détails. Ses critiques n'en sont pas moins justes, d'ailleurs. Plus loin, il revient (p. 459-465) sur « V Altabiçareii (sic). .que des touristes ont colporté dans toute l'Europe, en affectant d'y reconnaître un morceau épique, daté du VIII® siècle ». « Nous cherchions, il y a vingt-cinq ans », ajoute t-il, « les souvenirs des paladins de France, à Roncevaux même, et là, nul ne nous parla de VAltabiça- ren.., qui... nous paraît avoir une origine suspecte. C'est, sans aucun doute, l'ouvrage d'un homme d'es- prit; mais ce n'est pas, nous le croyons dumoins, l'un

63 des monuments de la vieille \dir\%\ie des Esc\ial'dunacs... Rien n'atteste l'aulhenlicité de cette composition, d'ail- leurs très-remarquable, composition dont la forme étrange nous paraît déceler cette école qui, de nos jours, semblait se substituer à notre école classique, cet illustre et dernier reflet des exemples laissés par la savante anti- quité «.

L'opinion de du Mége est adoptée par l'auteur de l'ou- vrage suivant: « La chanson de Roncevaiix, fragments d'anciennes rédactions thioises, avec une introduction et des remarques, par M. G. -H. Bormans (mémoire présenté à l'Académie royale de Belgique, le 9 novembre 1867), in-8» de 223 pages î, on lit, pages 29-30 : « Il me reste encore à mentionner... !<>..., 2°..., 3°..., 4»..., 5" enfin, un chant en langue basque, également publié par M. Fran- cisque Michel, avec traduction. Cette pièce, assez courte, a peu de rapports avec la grande chanson, et considère du reste, comme on s'en doute bien, la défaite de Roncevaux à un tout autre point de vue : c'est un chant de triomphe », et en note : « Celte petite pièce, que quelques-uns ont voulu faire remonter au V1II« siècle, pourrait bien n'être qu'une composition fort moderne et une supercherie d'un homme d'esprit et de talent, y o'irV Archéologie pyrénéenne, par Alex, du Mége, t. I, prolégom., p. 460 et suiv. ».

Des critiques plus autorisés entraient d'ailleurs en scène. Je commence par M. Gaston Paris {Histoire poétique de Char- lemagne, Paris, 1865, in-8o, p. 285, note) : « M. Fran- cisque Michel a publié {Chanson de Roland, p. 226) un chant populaire basque, sur la déroute de Roncevaux. Il n'y a en réalité de populaire, dans ce chant, que la fin du troisième et du septième couplet, les noms de nombre

64 récités d'abord depuis un jusqu'à vingt, puis en sens in- verse. Tout porte à croire que le premier éditeur de ce chant, M. Eugène de Monglave, en est aussi l'auteur ; on sait que c'était un homme d'esprit, qui, après avoir relu Ossian, et en s'appuyaut sur l'histoire réelle, a fabriqué ce petit poème fort bien réussi. La mention du roi Char- lemagne et de son neveu chéri Roland suffit pour éveiller les doutes ; ils se confirment par le ton général de la chanson et par l'emploi d'expressions comme lantzazco « de lances », colorezco banderac « les bannières co- lorées », escapa « fuis », eternitatean « éternité ». D'ailleurs^ sauf les quatre vers désignés ci-dessus, qui sont peut-être quelque ancienne formule magique, les Basques ne connaissent rien de cette chanson ».

En 1866, M. J.-F. Bladé publia une Dissertation sur les Chants héroïques des Basques (Paris, 1866, in-8° de 60 p.) ; à côté de quelques erreurs de détail, provenant surtout du peu de connaissance qu'il avait de la langue, M. Bladé fait une excellente critique des pastiches mé- diocres que des « farceurs » ont trop longtemps voulu im- poser au monde savant. M. Paris rendit compte de cette brochure dans la Revue critique (1866, p. 217-222). Il s'y référa l'année suivante, lorsqu'il eut à parler, dans la même Revue (numéro du 14 décembre 1869, art. 237, p. 275), du livre de M. Cénac-Moncaut, Histoire du caractère et de l'esprit français : « M. Cénac-Moncaut reproduit, à la page 38, le fameux « Chant d'Altabiçar », fabriqué par Garay de Monglave : on peut s'étonner qu'il ne connaisse pas le travail son compatriote M. Bladé a démontré la fausseté de cette pièce (voy. Revue crit., 1866, art. 199) ».

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«

M. Cénac-Moncaut (lellres à MM. Gaston Paris et Darry, sur les Celtes et les Germains, les chants historiques has- ques, etc., Paris, 18(39, in-S» de (ij)-56 p.) a voulu ré- pondre à M. Gaston Paris et s'est posé en défenseur con- vaincu du Chant cV Altahizcar . Je ne saurai le suivre dans sa dissertation un peu confuse, il cite pêle-mêle Abel Rémusat, Henri Martin, Orphée, Hésiode, Homère, Musée, Saint Basile, Longus, François I^"", M. de Courson, Rabe- lais, etc., etc.; mais il convient de copier sa conclusion vraiment bizarre : « les deux couplets de l'énumération des guerriers, et quelques autres passages, se seront con- servés dans les souvenirs des bergers des vais de Ronce- vaux et de Sainl-Jean-Pied-de-Port Ce point est si

positif que M. G. OUivier parlait du chant national des Basques, dès 1834, dans \e Dictionnaire de la conversation, et signalait le caractère étrange de la musique sur lequel il était chanté. Or, Garay de Monglave ne publia le texte de V Altahizcar qu'en 1835, et sans en donner la musique. Il est donc inexact d'attribuer à ce littérateur la première découverte de V Altahizcar. Des voyageurs, des curieux en avaient connaissance ; ils l'avaient signalé à M. OUivier.

« Les faits sont ici d'une telle évidence, que M. Bladé est bien obligé de reconnaître (p. 101 et 109) qu'il a lui- même entendu chanter les couplets de la numération ascendante et descendante dans les environs de Saint-.Iean- Pied-de-Port; seulement, au Ueu de faire de celle preuve fondamentale le point de départ de cette dissertation, il l'ensevelit dans une phrase de deux lignes, perdue au milieu d'une réfutation de soixante pages.

« Comment cette chanson basque nous est-elle restée si

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- GG -

longtemps inconnue?... La chose est facile à comprendre : pendant le moyen-âge, nul homme lettré ne s'est occupé de basque ; durant le XVI^ et le XYll" siècle, à l'époque de la brillante et sévère domination de la littérature clas- sique, qui donc se serait inquiété d'un chant popu- laire (1) ? A la fin duXVIlle siècle, les goûts s'étaient mo- difiés ; le chant des bergers de Roncevaux et Dengui frappa par son caractère tout héroïque un Basque épris des traditions historiques : le grenadier Latour-d'Au- vergne, un poète souletain, si l'on aime mieux, nous ne tenons pas au nom propre. Cet homme littéraire trans- crivit le chant à'Allabiscar, et comme on aimait alors les restaurations, les arrangements, il dut compléter la com- plainte des paysans basques (car ÏAUabiscar se chante sur un ton mélancolique et plaintif), en ajoutant quelques cou- plets sur les principaux épisodes de la bataille. Telle est la version que je suis disposé à adopter et qui satisfait mon esprit. Mais il m'est impossible de croire à la faus- seté complète du chant à'AUabiscar, à sa composition en- tière par un Basque de nos jours.

« Le cœur humain ne se prête pas aussi facilement que l'on suppose à des faussetés de cette nature, surtout lorsque le coupable ne doit en retirer aucun profit. Ce chant renferme, à côté d'effets poétiques assez ordinaires dans quelques-uns de ses couplets, des beautés de premier ordre, des détails de la vie héroïque, qu'un obscur litté- rateur est incapable d'inventer. Il n'y a pas jusqu'à l'ab-

(1) Et Molière ?

Et je prise bien moins tout ce que l'on admire (,)irune vieille chniison (jue je m'en vnis vous dire.

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sence (Je rhylhme, de versification, qui ne soit une preuve frappante de son authenticité. Le vers est un élément si essentiel de toute poésie moderne; qu'un écrivain du dix-huitième siècle, dans quelle situation qu'il se fût trouvé, n'aurait pu concevoir l'idée d'écrire un chant privé de cet agent fondamental. Ce chant en prose, contraire- ment à l'argument de M. Bladé (p. 417), n'a donc pu être conçu, exécuté, que par un peuple primitif, sans littéra- ture, à une époque la liturgie avait mis à la mode ces magnifiques proses, dont les paroles éloquentes, la mu- sique majestueuse et sévère, sont encore une des beautés des cérémonies catholiques. La musique du Chant cVAlta- hiscar se marie admirablement à cette prose patriotique, et les plaisantei'ics de M. Bladé n'enlèvent rien à la justesse des observations de M. G. Ollivier, bien que son style prête le flanc à la critique.

« Nous connaissons, nous aussi, pour l'avoir entendu chanter, ce thème simple, grandiose et d'une mélancolie funèbre : son caractère étrange, diamétralement opposé à toutes les règles, à toutes les habitudes musicales mo- dernes est pour nous une des preuves les plus concluantes de l'ancienneté de V Altabiscar cardua, dans ses parties essentielles. Les trois quarts de ses couplets^ pour le moins, oflrent tous les témoignages d'authenticité que peuvent nous présenter les recueils de chants, de contes, de légendes populaires, grecs^ slaves, allemands, arabes, norvégiens, gallois, bretons, espagnols, provençaux et gascons, publiés de nos jours... (p. 25-27) ».

D'ailleurs M. Cénac-Moncaut, qui, par parenthèse, oppose avec conviction l'autorité de M.M.de Courson, Fau- riel, de la Villemarqué, Francis Riaux, Francisque Mi-

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chel, etc., à celle de MM. Paul Mayer et Gaston Paris, in- voque des arguments vraiment singuliers. 11 dit^ par exemple : « M. Bladé a trop radicalement contesté, non seu\eïneni Y Altabiscar canlua (sic), mais le Chant de Lelo, publié sous le patronage de M. de ïlumboldt et deM. Fau- riel, pour que je ne me sois pas tenu en garde contre sa facile méthode de tout nier, à l'aide de ces querelles de mots, de ces dissections de syllabes qui servent à battre en brèche tout ce qu'on désire ne pas laisser debout ». Et il ajoute : « J'ai fait ma contre-enquête aussi, et je possède des jalons qui me permettent de justifier, dans les termes les plus affirmatifs, M. Garay de Monglave de l'accusation de faux qu'on a portée contre lui... je liens des personnes les plus honorables, de celles dont le nom et la position sociale commandent le plus de respect, que, il y a plus de soixante ans, elles furent bercées par leur nourrice au son de V Altabiscar canlua, au son de la fameuse énumération ascendante et descendante du moins... Je tiens aussi de M. Bordachar, chef d'institution à Mauléon, que, si Y Alta- biscar n'est pas tout entier d'une haute antiquité, il remon- terait du moins, tel nous l'avons aujourd'hui, à une centaine d'années, époque il aurait été arrangé^ un peu gâté, si vous aimez mieux, par un poète gentilhomme du pays de Soûle. Mes investigations n'ont pas jusqu'à ce jour, remonté au delà »

Hélas ! que valent à cette heure les indications de ces personnes honorables et respectables, prêtres ou laïques, et les hypothèses de M. Bordachar? Ce dernier a eu sans doute en vue un certain Belzunce, poète basque un peu fantastique, auquel on a attribué beaucoup de chansons populaires. Lamazou, par exemple, ne «connaît que deux

co- auteurs basques, Garât et Delzunce. On voit ce que pèsent ces témoignages, même appuyés de ceux de Chaho, de M. Francisque Michel et de Henri Martin, qu'on ne s'at- tendait guère à rencontrer ici. Mais quoi? Le défaut de tous ces gens est, au fond, de ne pas savoir le basque, les uns, quoique Basques de naissance, parce qu'ils ne l'ont jamais étudié, les autres parce qu'ils ont cru suffisant de jeter les yeux sur certains rudiments plus ou moins bien faits et de compulser, pour y chercher des étymologies, certains vocabulaires passablement indigestes. Le vrai mot a été dit par M. Barry, cité par M. Génac-Moncaut: « Quelle portée peuvent avoir de pareilles discussions tant qu'elles seront débattues entre personnes qui ne savent pas le pre- mier mot de la langue sur laquelle elles dissertent? » Ceci s'appliquait à la « théorie ibérienne ».

Or, si la dissertation de M. Bladé est de 1866, si les réfutations de M. Génac-Moncaut sont de 1867, il y avait sept à huit ans déjà que la vérité était connue. M. Francisque Michel avait dit, dans le Gentleman' s Magazine (oct. 1858, p. 381, col. 2), que \e Altabiscarraco cantua était « now universally acknowledged as a gem of ancient popular poetry » (lettre datée de Bordeaux, 21 sep. 1858). Dans le numéro de mars 1859 du môme Magazine (p. 226, col. 1-2), M. Antoine d'Abbadie (lettre datée de Londres, 31 janv. 1859) répondit à cette assertion par l'affirmation suivante : « I am sorry Ihat the Altabiscarraco cantua men- lioned in your same number, is acknowledged as a gem of ancient popular poetry. ïruth compels me to deny that it is universally admilted as such, for one of my basque neighbours bas often named the person who, about twenly four years ago, composed it in French, and

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ihe olher person who translatée! it into modem but indif- fèrent Basque. The lalter idiom, on purely philological ground, stands peerless among the most ancient languages in Europe, and 1 hâve felt it my duty to disclaiin unfoun- ded pretensions of which it has no need. » Par une nou- velle lettre de Bordeaux (122, rue de la Trésorerie, 122, mars 1859) publiée en avril (p. 338. col, 2), M. Fr. Michel fait amende honorable en ces termes : « That M. d'Abbadie, being Basque, knows thèse things belter than I do, l feel by no means reluclant to confess, and henceforth I will believe that the songs called Abarcaren cantua and Allabiscarraco cantua are forgeries ».

Le voisin basque dont M. d'Abbadie invoquait le témoi- gnage était probablement M. J. Duvoisin, qui, il y a huit mois, écrivait et signait la note suivante :

« Les jeunes Basques et notamment les élèves des uni- versités, les étudiants en droit et en médecine, faisant leurs cours à Paris, aimaient à chanter en chœur, pour le plaisir de former des accords, un air accommodé sur les noms de nombre basque, un, deux, trois, etc., jusqu'à vingt, et rebroussant de vingt à un (1).

« M. Garay de Monglave fréquentait ses compatriotes. Il était Bayonnais. Cet air, ce souvenir attrayant du pays, lui inspira l'idée du chant d'Altabiscar. Il le composa en français. Un de mes cousins, M. Louis Duhalde, d'Espe- lette, qui donnait des répétitions aux jeunes gens étudiant à Paris pour entrer à l'Ecole polytechnique, traduisit en

(1) Il y aurait à présenter ici une petite observation. Ce n'est point à Paris qu'on mit en musique les noms de nombre basque. Ils se chantent réellement, populairement, folk-loriquement, dans le pays.

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basque l'œuvre de M. de Monglave, Louis Duhalde ne s'était jamais occupé de sa langue maternelle; il n'en savait que ce qu'il avait appris dans l'enfance : aussi sa version trahit-elle une main inexperte. Il a traduit simplement en prose, sans mesure et sans rime ; le morceau ne peut être que récité ; on chante seulement la nomenclature un, deux, trois, etc., sur un air qui n'a certes rien de guerrier. Ai-je besoin d'ajouter que les prétendues copies à variantes, conservées dans la montagne, n'ont jamais existé ?

« Une simple réflexion aurait ôà faire comprendre à la foule que, si un chant peut se conserver par tradition orale, un récitatif inchantable n'aurait pas eu de lendemain. M. Duhalde a bien ri avec moi de la méprise de tant d'é- crivains ».

Celte note a été adressée à M. d'Abbadie, par M. Du- voisin, dans une lettre datée de Ciboure (près Saint-Jean- de-Luz), le 10 mai 1883. M. d'Abbadie, autorisé à la publier, l'a communiquée à M. W. Webster, qui l'a insérée dans VAcademy de Londres (numéro 23 du juin 1883, p. A^9-bA0), dans V Euskalherria de Saint-Sébastien (nu- méro du 20 août 1883, p. 129-136) et dans le Bolelin de la rcal Academia de la Hisioria (t. 111, livr., sept. 1883, p. 148-149, article s\xt ï Allahiscarco cantua) .

Pour en finir, une fois pour toutes, avec une mauvaise plaisanterie beaucoup trop prolongée, je demande la per- mission de montrer, ce qui confirmera les affirmations de M. Duvoisin, que l'auteur du Chant d'Altabiscar parlait le basque, mais ne savait pas l'écrire ; qu'il a fait d'autres œuvres dans le même style ; que M. Garay de Monglave ne savait pas un mot de basque ; enfin, qu'il était peu scrupuleux et d'une probité lillérairo fort douteuse.

7^2

A. Le chant en question, qui est en prose, est au point de vue de la langue basque, d'une incorrection rare, bien que du Mége dise (1858, p. 465) que « la langue de VAllabi- çaren « est châtiée » (1). On vient de voir que M. Duvoisin qualitîe la main de l'auteur d' « inexperte ». Mais ce point a été mis tout à fait hors de doute par mon ami regretté A. Dihinx, dans une note que j'ai publiée en 1873 [Im- partial des Pyrénées, 10 à 12 sept.) et que j'ai reproduite plus tard dans des Mélanges de linguistique et d'anthropo- logie (Paris, 1880, p. 467-173). M. Dihinx, qui ne con- naissait point la lettre du Gentleman's Magazine, condndMy avec une rare sagacité: que la chanson porte partout en elle-même la preuve qu'elle a été traduite du français ; que le traducteur était jeune; qu'il était originaire des environs d'Ustaritz ; ^"^ que ce n'était pas un paysan et qu'il avait reçu une éducation littéraire ; enfin, qu'il avait appris le basque en le parlant dans son enfance, mais qu'il ne l'avait jamais étudié.

B. M. Garay de Monglave avait envoyé au Ministre, le 9 mai 1853, la traduction d'un chant « national » basque, la complainte de Domingo, dont on lui demanda le texte le l*"" août suivant. H adressa ce texte le 12 août 1853 {Bih. Nat., Mss., fonds français, nouv. acq. ; 3340, poésies populaires delà France, t. III, p. 127-130); je le reproduis ci-après avec ses coquilles et sa ponctuation ir- réguliére, et j'y joins une traduction littérale; les mois soulignés dans ma traduction sont ceux du texte français

(1) Pour prouver que du Mège ignorait lui-même le basque, il suffit de citer Tétymologie qu'il donne (1858, p. 461) du mot etcheco yauna « le maître de la maison » : il y voit un composé de etchola « cabane, maison » et launa « maître »,

73 -

de M. de Monglavô qui a évidemment servi de prototype à l'auteur :

Nor dtty norc yo egiiiten du horren goïçic \ Iholdico azkenkeo etchean? J Etcheco-jaimac, nausiac. \ Espania guçia corrilu ondoan, | Maytiaren sorprenitcerat hel- diida.

Alba izarrac ez du oraino harguilçen, \ Icequia, chakur etche guardariac | Eçagutu du aberiaren pausua. \ Hirur hilahetez eskasçen. \ Eta Icequiac ez du sangatu.

Domingo, servitçari fidelac, \ Eçagutu du, horrec ère, aberiaren pausiia, \ Eta yalgui da bortaren gainerai. | Gabazco diceac arguia itchten du. \ Coin itcha den, Do- mingo !

Etcheco-jauna laguntçendu aberearen gainetic yausten \ Hz bat erran gahe \ Ceren Domingoc badu çoubat erran-. guia. I Icequiac Domingo baino alleguerago \ Milliçat- çendu haçi duen eskua.

Etcheco-janna, hunadurac haurdikia da. \ Lasterrago helzeco bortchadu aberiaren pausua. | Etcheco-jauna gaïchoa! \ Mundu guçiacmaïte etahalchatcen duena ! | Cer gatic hola pressa ?

Bainan yin nabidu laster bessarkatçerat | Maytena, bere bihotzeco adichkidea ! \ Gueldi hor l erraten do Do- mingoc. I Dembora berean haiçiac çabaltçen du borta. \ Eta eracustendio Maytena assassinatua.

eue Jaincoa! eue Jaincoa ! Etcheco-jaun gaï- choa ! I Hilçaba ? Ni ! Tristea ! Ez,ez! | Baina hura ? Bai. Partalera ? Cure aneia. | Guero ? Biac assassinatiiac. Nortaz ? Nitaz. | Mila esker, Domingo l Ongui da !

Eta etcheco-jaunac, çutic bortaren gaïnean, \ Chucatu-

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çuen askeneco nigar lodi bat, \ Su emançion etcheari; \ Bessarkatu çuen Domingo; ferekatu çuen Icequia. \ Eta hirurac yoan ciren aberearekin ela ez ciren gueiago agueriu.

« Qui est (là), qui frappe si malin dans la dernière maison de Iholdi? VelrÀeco-yauna, le maîlre ! Après avoir couru foute l'Espagne, il est arrivé pour sur- prendre la bien-aimée.

4 L'étoile de l'aube n'éclaire pas encore, Icequia, le petit chien gardien domestique a reconnu le pas du cheval. Il a manqué trois mois et Icequia n'a pas aboyé.

« Domingo, serviteur fidèle, a reconnu, lui aussi, le pas du cheval (1) et est sorti sur la porte. Le vent de la nuit agile la lumière : qu'il est pâle, Do- mingo !

« Il aide Vetcheco-yauna à descendre de dessus le che- val — sans dire un mot, car le front de Domingo est soucieux (2). Icequia, plus joyeux que Domingo, se met à lécher la main qui l'a nourri.

« Velcheco-yauna est accablé de fatigues, il a forcé (S) le pas du cheval pour arriver plus vile, le pauvre el- checo-yauna (4) que tout le monde aime et exalte ! Pourquoi ainsi te presser?

« Mais il veut venir pour embrasser vile la plus aimée, l'amie de son cœur ! « Arrête ! » lui dit

(1) Aberia, ce n'est pas proprement t le clieval », mais « le bé- tail », « l'animal de bétail j>.

(2) Litt. : car Domingo a quelque souci.

(3) Litt. : force (subst.\

(4) Il fallait yaun sans article, car gaichoa avait l'arlicle.

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Domingo; en même temps, le vent élargit la* porte et lui montre la plus aimée assassinée.

« Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! pauvre etclieco-yauna ! Le meurtrier? Moi! Misérable! (1) Non! non! Mais celui-là? Oui. L'amant? (2) Votre frère ! Ensuite? Les deux assassinés ! Par qui ? Par moi! Mille giâces, Domingo! C'est bien!

« Et Vetcheco-yaunay debout sur la porto, essuya une grosse et dernière larme ; il mit le feu à la m'ai- son; il embrassa Domingo; il caressa Icequia; et les trois s'en allèrent avec le cheval et ne parurent plus ensuite. »

L'excès en tout est un défaut. Celte pièce est de la même main, du même style, de la même conception, de la même langue que le chant d'AUabiscar; elle trahit la même inexpérience. Je laisse au lecteur le soin de con- clure.

m. En adressant au ministre ce texte basque (lettre du 12 août 1853, reçue le 7 novembre), M. de Monglave l'accompagne de doléances assez vives.. Il avait lu, dans le Sémaphore de Marseille que M. Mary Lafon venait d'être chargé de publier un supplément à Haynouard, « tandis », dit-il au minisire, « que, faute de fonds, di- sait-elle, V. K. refusait de faire paraître quelques-unes de mes recherches sur l'histoire, la langue et la littérature des Euscariens, travail bien plus neuf, bien plus original, bien plus important, sur un peuple dont la France ne sait à peu près rien, l'œuvre intéressante de mon savant

(1) Lilf. : triste !

(2) Litt. : le partner, l'associt', etc.

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prédécesseur, feu Guillaume de Humboldt, écrite en alle- mand, n'ayant pas encore obtenu chez nous les honneurs d'une traduction. » Voilà ce qu'on peut appeler un rare aplomb ! Car, hélas ! M. de Monglave, malgré les compli- pliments de du Mège (1), ne savait pas un mot de basque.

La preuve en est très facile à faire. Il n'y a d'abord qu'à citer l'article Basques du Dict. de la Conversation (1« édit, t. IV, 1835, p. 423, col. 1, p. 425, col. 2) on Ht des choses comme les suivantes (t. IV, 1833, p. 423, col, i à p. 425, col. 2) : « Cantabre, kanta her, chanteur excellent; Esm aide dnnac, main favorable, adroite, - ceux qui ont, Navarre, en basque Nafar- rua, pays de vignoble. Les provinces basques-fran- çaises sont au nombre de quatre. 1. Labourt, Lap/mr- duy, solitude, terrain en friche; 2. Basse-Navarre, en basque Guraii, pays de fontaines minérales; 3. Le bois

(1) « M. de Monglave, qui connaît mieux peut-être que tout autre homme de lettres de notre époque la langue des Escualdunacs, ses compatriotes » (Hist. Lang., add., p. 34.) a Un autre savant basque (M. Garay de Monglave) » {Arch. pyr., I, p. 337.) Dans le dernier ouvrage, le même du Mège indique pour l'étude du basque les œuvres de Harriet, Lécluse, a d'Arrigol », d'Abbadie et Chaho ; il regrette de ne point posséder les recherches de M. Eugène de Monglave « couronnées par l'Institut ». Il s'agit probablement de l'Institut « historique », dans le Journal duquel j'ai trouvé la note suivante (1834, p. 120) :

t Le lundi ler septembre (1834), la première classe s'est assem- blée sous la présidence de M. Alex. Lenoir. Lecture d'un mé- moire de M. Eug. de Monglave, sur le géographie, le gouvernement, les lois, les assemblées populaires, la religion, les mœurs, la langue la poésie, l'histoire, la biographie et la bibliographie des Basques, anciens et modernes. » Excusez du peu ! comme dirait Rossini.

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de Mixe, Amicuze\ ^. La Soûle, Zuberna. » Mais il faut citer intégralement la fin (p. 425, col. 1-2) : « Les Bas- ques ont peu écrit : ils ne se nourrissent presque que de traditions verbales. Parmi les poésies qui se sont ainsi conservées de génération en génération, on cite un poème assez étendu sur la religion des Canlabres, des chants guerriers et allégoriques, quelques chansonnettes et des romans populaires, qui datent, d'après M. Hum- holdt, de l'invasion des Romains, et ne sont pas infé- rieurs aux plus beaux chants nationaux des Grecs mo- dernes. — Parmi les ouvrages en vers imprimés, ou cite : Les Méditations religieuses du docteur Juan de Elchelerri, Salamanque, 1708 ; les Noels du même au- teur, 1706; les Hymnes du frère Juan Aramburu, Bil- bao, 1780; les Poésies nationales du père Larramendi, Burgos, 1729. Les ouvrages en prose se réduisent à quelques livres de prières, quelques abécédaires, quelques catéchismes, un petit nombre de vies de saints, et le Hvre intitulé Atchular, du nom de son auteur. Celte production, devenue fort rare, n'est pas sans mérite; elle cache sous une enveloppe Ihéologique une philoso- phie mondaine que Montaigne n'eût peut-être pas désa- vouée. » Et cela est signé : « Eugène Garay de Mon- glave ».

Il est impossible d'accumuler un plus grand nombre d'erreurs en un si petit nombre de lignes.

H y a mieux encore. Même en 1853, M. de Monglave n'était pas capable de copier correctement une ligne de basque. Je n'en veux d'autre preuve que la première strophe suivante, écrite de sa main, d'une des chansons qui font partie du grand recueil de la Bibliothèque nationale :

Ghori ererossigïwla Otcli eraac emeki Maitiarcn etcheso Biac elharki Gero declaraizar Bat: ez tiareki Haren adisld déliât Badela biieki.

M. de Monglave traduit: « oiseau jnélodieux comme le rossignol à la maison de la bien-aimée, viens avec moi. Ne nous séparons plus, dis-lui d'une voix douce qu'un de ses adorateurs est avec loi. »

Aucune personne ayant la moindre notion de la langue liasque n'hésitera à déclarer cette traduction et inexacte ce texte criblé de « coquilles ». Il faut corriger :

Chori crresùjiiola, Ots emak eneki Maitiaren elchera Biak elgarreki ; Gero declai-a izac, Botz e: tiareki, Haren adiskide bat Badela hireki.

Ce qu'on peut traduire : « Oiseau rossignol, allons, (viens) avec moi à la maison de la bien-aimée, tous deux ensemble ; ensuite, déclare, avec la voix douce, qu'un ami d'elle est avec toi ».

On dirait presque que M. de Monglave a copié ce cou- plet sur un texte imprimé les compositeurs, bien excu- sables du reste en ce cas, l'auraient arrangé à leur façon.

79 IV. Au surplus, M. de Monglave a-t-il pris les textes qu'il a adressés au ministère et qui figurent dans le recueil de la Bibliothèque? A l'en croire, il les aurait tous rapportés lui-même du pays, sauf cinq {Nafarlarren arraza, Chori erresignola, Amodio crudel, Trislecia crudelic, et le chant d'Annibal) : ces chansons lui auraient été données par M. Polydore de la Badie (i), qui les aurait écrites dans le pays sous la dictée de M, de Belzunce. Or, à part ces cinq pièces et les chants de Lelo et d'Alta bizcar, à part la complainte de Domingo, M. de Monglave a communiqué cinq autres pièces dont voici les premiers mots :

1. Vrac harria bolatcen (4 couplets).

2. Amodioac bainerabila (4 couplets).

3. Izaf batec cerutic (6 couplets).

4. Choritua norat hua (3 couplets).

5. Btthn eta Mana, dialogue (8 couplets).

Eh bien ! le 2 a été copié sur VAlbitm pyrénéen (l. II, \^A\, p. 10); les nos \ et 3 sur les Souvenirs ôe M. E.-B. (* Boucher de Crèvecœur), 1817-20, p. 60 et p. 58; le no 4 est emprunté à Chaho ; le 5 vient encore de V Album pyrénéen (t. II, 1841, p. 343-3M).

Les prouesses de M. de Monglave ne s'arrêtent pas : il a envoyé la musique notée d'un air de danse, un saut basque, auquel il a donné pour titre Gueroco guero. Ce titre a excité ma curiosité, car c'est celui du livre bien connu d'Axular, écrivain labourdin du XYII^ siècle

(1) M. de la Badie a publié, en 1841, dans V Album Pyrénéen un Hiticlc sur les Canfahres{\. II, p. 468-471).

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partir de la seconde édition, car la première était inti- tulée simplement Gvero). Or, ce saut basque est tout sim- plement celui qui figure dans V Album pyrénéen {L 1, 1840, p. 466) sous cette rubrique : « Un saut basque, arrangé pour le piano, et dédié à M"i<= Nelly Beausse, par L. Delahaye ». 11 figure, exactement copié, dans le vol. 111 des Poésies populaires de la France (Bibl. nat., mss. fonds français, nouv. acq., 3340, p. 128-129).

M. Eugène Garay de Monglave n'était donc, au point de vue scientifique, qu'un vulgaire... Jacolliot.

Que conclure de tout ce qui précède ? Simplement que, plus les études basques progressent, plus se confirme l'hypothèse du peu d'originalité des Basques modernes. Ils n'ont à eux, en propre, que leur langue ; mais à part cet élément, de premier ordre d'ailleurs, il n'est rien chez eux qu'on ne retrouve chez leurs voisins de langue ro- mane : mœurs, coutumes, vêtements, folk-lore, fueros, rien de tout cela n'est basque.

Je sais bien qu'en parlant ainsi, je choque des préjugés « nationaux », des tendances politiques locales, des illu- sions chères même à beaucoup de libéraux du Guipuzcoa, de la Biscaye ou de la Navarre ; mais, au point de vue je me place, il m'importe peu d'encourir le méconten- tement ou d'affronter la mauvaise humeur des euskarislcs à outrance. Il y a, dans « les Provinces », nombre de bons et généreux esprits, qui écriraient volontiers sur leurs portes, comme on le fit naguère à Barcelone : aqui se hahla espanol, et qui rêvent une république fédérative basque avec les fueros pour constitution, le chant d'Alta- biscar pour hymne national, et un labarum catholique

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pour drapeau. Gel idéal n'est pas le mien : je ne cherche pas dans les formules du passé la solution des prohlèmes de l'avenir. Je crois à la nécessité des transitions, à la loi de l'évolution régulière et progressive. Entre l'athéisme inconscient du nègre ou du néo-calédonien et l'état d'es- prit d'un Diderot, se placent fatalement les aberrations reli- gieuses de milliers de siècles ; entre les sociétés aryennes primitives et l'idée républicaine moderne, se succèdent inévitablement les préjugés monarchiques et autoritaires. Aucun édifice ne peut se fonder sur une base en décom- position, avec des matériaux décrépits, tant que des élé- ments nouveaux n'en sont pas venus assurer la durée.

La vraie conception sociale est bien celle qui a créé chez les Hindous le culte de Çiva, le dieu qui détruit pour renouveler. C'est du moins l'espérance et le rêve dont je me berce :

Sic equidem duceham animo, rebarque futurum !

Julien ViNSON.

BAIŒNTEM, BARANTAM, BHARANTAM.

Cette forme typique de l'accusatif du singulier a donné lieu à des variations d'opinion et des discussions scienti- fiques. Quelle est des trois la plus ancienne?

Après Bopp, on s'accordait généralement à considérer la première, la forme zende, comme une altération du type primitif, proto-aryen, hharanlam.

Comme M. Henry l'a très bien fait remarquer dans la livraison précédente de celte Revue, on pense aujourd'hui tout l'opposé. Barentem représenterait pour les deux tiers le proethnique bherenten. Est-ce bien cela?

J'avoue que, malgré toute la science et le talent déployés par l'école moderne, je ne suis pas encore convaincu.

Mais, notons-le bien, je laisse de côté la question de la forme primitive réelle; je dis simplement en ce moment que, si même cette forme était hherentem, l'avestique ha^ rentem ne le représente pas.

La raison est des plus simples.

Si Yentem avestique est primitif, il a se conserver à travers tous les siècles. Par conséquent, il existait encore non seulement au temps de l'union aryaque, mais aussi à l'époque commune des langues éraniennes, alors qu'elles étaient complètement séparées du sanscrit. Il en résulte

sa- que le persan et rindou ont renforcer Ve en "a, sans aucune influence de l'un sur l'autre et par une coïnci- dence fortuite. Ce hasard est si merveilleux que je ne puis y croire ;. il est bien plus simple de supposer que l'aryaque commun avait antam que le persan et l'indou ont conservé, tandis que le nord-éranien reprenait entem par des lois nouvelles. De même qu'après avoir perdu les moyennes aspirées, il les reprenait pour les sibiliser.

Cela est d'autant plus probable que l'aveslique a certai- nement altéré d'autres voyelles. Comparez par exemple : yémo^ yémô, taciniem et tacat, ayêni et vtsânê, etc. Pour- quoi, en outre, n'aurail-il altéré que le premier e et pris barentem seulement, alors que ses congénères changeraient le tout.

Nous devons en outre remarquer que les langues dont l'histoire nous est connue vont toujours diminuant le nombre des a, les amincissant en e. Ainsi le néo -persan n'a proprement plus d'à; l'anglais les a transformés en majeure partie en é, eu, etc.; le néerlandais popu- laire transforme presque tous les a, surtout les a longs, en 0 et les o en eu. Ainsi waaistraat est prononcé wôïs- tràt , name est nome, botter est h'étter, schoon est scheun, etc.

Or, je pense, comme je l'ai déjà dit bien des fois, que l'histoire des langues préhistoriques doit être étudiée dans celles des idiomes dont les vicissitudes sont connues plutôt que dans des théories logiques.

Je conclus que, à mon avis, quelle qu'ait été la forme originaire dont je ne veux point parler actuellement, il est de toute probabilité que la forme barentem est une altération d'un éranien ou aryaque primitif barantam.

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Je reste convaincu qu'après avoir trop accordé au sanscrit on tombe à peu près clans l'excès contraire, et qu'on ne trouvera point la vérité tant qu'on n'aura point rétabli l'équilibre. On raisonne souvent comme si l'indo- germanique était une langue sans origine, créée seule, sans influence du dehors, par une académie, d'après dos lois invariables. Je reviendrai là-dessus.

C. DE Harlez.

PHONÉTIQUE INDO-EUROPEENNE.

Au directeur de la Revue de Linguistique.

Monsieur le Directeur,

J'ai essayé de démontrer, dans le numéro de juillet der- nier de la Revue de linguish'que, que la sifflante palatale sanskrile descend d'un groupe se issu lui-même de sk. Un des instruments les plus probants que j'ai fait valoir en faveur de cette thèse, c'est l'absence en sanskrit de ce même groupe se (i), c'est-à-dire de la sifflante dentale plus la palatale forte, tandis qu'un groupe ayant le même élément initial se présente avec toutes les autres fortes simples ou aspirées. Exemple : sk, skh ; st, slh; sp, sph. Or, celle remarque suggère une question qui, je le crois, n'a pas élé résolue jusqu'ici. Pourquoi en sanskrit, de même qu'en grec, en latin et dans les autres branches des langues indo-européennes^ ne trouve-t-on, à de très rares exceptions près (2), pas de groupes de consonnes

(1) En zend, la sifflanle ne s'est pas assimilée aux palatales, on trouve le groupe se, par exemple dans les racines, scad, scap, scid, etc.

(2) Par exemple : atVyw et i7i7.i'vvvat.

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ayant une sifflante pour initiale, dont, abstraction faite des nasales, le second terme soit une douce ?

L'explication de ce fait résulte, ce me semble, de la comparaison du latin sculpo, scalpo, avec y/jâ-^w, yî^û^w. Dans ces mots, la parenté des racines est évidente; mais il semble non moins évident que dans scalpo, sculpo, la gutturale forte s'est maintenue grâce au voisinage de la sifflante (forte elle-même), tandis que, quand cette sif- flante est tombée, la gutturale livrée sans appui au decur- sus naturel des sons, a passé de la forte à la douce cor- respondante.

Si cette explication est exacte, elle fournit la preuve ir- récusable, qu'au moins dans beaucoup de cas, les douces sont issues des fortes du même ordre. De toute une phonétique nouvelle dont vous me permettrez de poser par la présente le premier jalon dans la Revue. Agréez, etc.

Paul Regnaud.

BIBLIOGRAPHIE

AJhanesisàie Siudien, von Gustav Meyer. I. Die Plu- ' ralbildungen der Albanesischen Nomina. Wien, G. Gerold, 1883, in-8o, 108 p.

Cette intéressante et substantielle étude forme le pre- mier fascicule d'une série, que le nom seul de l'éminent helléniste de Graz recommande déjà à l'attention du monde savant. Malgré d'estimables travaux, l'albanais est encore un problème ; mais le problème est désormais entre bonnes mains, et, s'il n*esl insoluble, on en peut espérer la solution à bref délai. C'est à l'une des catégories gram- maticales les plus compliquées de celte langue que M. G. Meyer s'est attaqué de prime abord, et certes il ne fallait rien moins que sa sagacité et son profond savoir pour se reconnaître dans le dédale des formations plurales de l'albanais. Il ne se flatte pas d'en avoir toujours trouvé le fil, mais ce n'est pas faute de l'avoir consciencieusement cherché. L'ouvrage débute par une bibliographie albanaise d'une longueur surprenante qui croirait qu'il y eût, sans compter de nombreux manuscrits, 110 ouvrages à consulter sur une langue aussi peu connue, parlée dans un coin perdu de l'Europe? et se compose exclusi-

vement d'un catalogue de tous les pluriels qu'il a été donné à l'auteur de recueillir, classés suivant la finale du thème (gutturale, palatale, dentale, etc.), puis, pour chaque finale, suivant la provenance des mots étudiés (latins ou romans, grecs, slaves, turcs, albanais). De ce prodigieux travail de patience, promené au travers du lexique tout entier, l'auteur est parvenu à tirer des con- clusions qui ramènent à une remarquable unité cette apparente bigarrure. A ceux qui voudraient apprendre comment, d'une minutieuse analyse, on s'élève à une lucide et imposante synthèse, on peut recommander la lecture de cet excellent modèle. Mais, au point de vue des résultats, la synthèse seule nous intéressse : essayons donc de résumer ici les principales conclusions qu'on trouve formulées à la fin de cet ouvrage (p. 95 sqq.).

Désinence plurale -i, exclusivement masculine. Cette désinence n'existe plus à l'état pur que dans quel- ques formes anciennes, v. g. Uark (cercle) tsark-i (plus exactement Uark'-i), ou dans les mots elle a été pré- servée par l'at'fixation consécutive de l'élément détermi- natif -i^, V. g. turk'-i'te (turcs). Partout ailleurs elle ne se trahit plus que par la palatalisation de la consonne finale : ainsi mik (ami) est devenu * miki, puis * mik'i et enfin mik' par chute de la voyelle atone ; de même un g final devient g, un l final r,un n final %, et ces deux derniers phonèmes, en se palatalisant davantage, se fondent même en une simple spirante j. La désinence -i, propre aux thèmes masculins, fréquente dans les mots latins-romans, mais étendue à d'autres par analogie, doit avoir été purement et simplement empruntée au latin.

2<> Désinence plurale -e, exclusivement masculine, éga-

89 lemenl très répandue : .so/i (compagnon) Me; parfois, par corruption, cumulée avec la précédente : fik (figue), pi. fik' *fik-i et fik'e ' fik-i-e. Cet c est le subs- titut phonique d'un ai; or l'albanais, comme le gothique et le lithuanien, répond à Vo sud-européen par un a : dès lors Ve alb. =ai doit répondre au grec oi de toî, ïTinot, indice régulier de pluriel.

30 Désinence plurale -a, commune aux masculins et aux féminins. Diverses circonstances phonétiques et morphologiques tendent à faire supposer qu'elle a pris naissance parmi les thèmes féminins, et qu'elle a été importée de aux masculins, qui s'en distinguaient à peine. On y peut donc reconnaître l'antique désinence, sk.-«,y, osq.-a?, ombr.-r<5, lith.-o.s, golh.-05, qui existait certainement en prohellénique, mais dont le grec et le latin classiques n'offrent plus aucune trace. Il est toujours intéressant de retrouver dans une langue toute moderne un vestige effacé dans les anciennes.

4p Désinence plurale -^ (e muet), commune aux mas- culins et aux féminins. Cet ^, autant qu'il est permis de le considérer, représenterait l'a plural, soit indo- européen, soit simplement latin, qui, à l'époque l'al- banais possédait encore des noms neutres, se serait étendu aux thèmes masculins et féminins. Il se cumule aussi, assez souvent, avec l'affixe -^, v. g. fik'e (ligues) rr " fik-i-e.

Désinence plurale -na ou -ra suivant les dialectes. La forme -na est la plus ancienne. Elle est empruntée aux thèmes à finale nasale dont l'indice plural est -a, V. g. crn-en (nom, cf. gr. ov(o)pt«, celt. ainm, vx-pruss. emmna-), pi. em-n-a régulier, puis, par contamination ana-

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logique^ mret (souverain), pi. mret-na. LV n'est qu'un substitut dialectal de Vn.

Désinence plurale û-. Régulière dans les thèmes en -in, qui formaient leur pluriel, ainsi qu'on l'a vu plus haut, en * -in-i, d'où * -inj et -in, cette désinence a été plus tard affixée par analogie à d'autres thèmes qui ne se terminent point par une nasale.

70 Désinence plurale -es ou -nite. C'est l'indice plural régulier de thèmes de diminutifs en -eie, qui ont, avec le temps, perdu leur fonction diminutive et ont été employés^ du moins au pluriel, dans le sens du mot propre correspondant, exactement comme, dans les langues romanes, *avicellus, par exemple, a remplacé avis.

Désinence plurale -lar : empruntée à la langue turque.

Désinence plurale -ore ou -ure : fort rare et encore mal éclaircie.

10" Pluriels périphoniques. La désinence -i, ens'af- fixant au thème fait subir parfois à la voyelle radicale une périphonie qu'on ne saurait mieux comparer qu'à celle de l'allemand hand hânde. Que cet effet soit à l'affixation d'un i, c'est ce que mettent hors de doute certains pluriels périphoniques Vi final s'est maintenu, soit à l'état pur, V. g. tèardàk (loggia) Uardek'i, soit à l'état latent (V. sup. 1°), V. g. lak (lacet) lek'. Mais, la périphonie paraissant l'in- dice du pluriel, comme dans l'allemand vater vàter, l'indice véritable est tombé et il n'est plus resté que la périphonie qui lui doit sa naissance, v. g. strat (lit), pi. sfret. A ces pluriels périphoniques se sont souvent adjoints, par un cumul dont on a déjà vu des exemples, d'autres désinences plurales, notamment -e et e. Enfin,

91 quelques fonctions plurales présentent d'autres péripho- nies sporadiques, d'origine plus obscure.

On voit que M. G. Meyer est parvenu à ramener à un certain nombre de types bien définis^ les uns primitifs, les autres hystérogènes ou empruntés aux idiomes voisins, le chaos des suffixations plurales de l'albanais. Il nous reste à souhaiter que cette étude soit, le plus tôt possible, suivie d'autres essais, qui élucident d'aussi intéressants problèmes et permettent enfin d'assigner à l'albanais sa vraie place dans la famille indo-européenne.

Douai, 13 décembre 1883.

V. Henry.

La collection de Simplifled grammars of tlie principal asiatic and eiiropean Languages, publiée, sous la direc- tion de M. R. RosT, par la librairie Trubner et C«, de Londres.

J'ai déjà rendu compte dans cette Revne (t. XVI, p. 223-226) de l'un des volumes de cette intéressante série : la Grammaire basque de M. Van Eys. Je voudrais aujourd'hui dire quelques mots des autres, au moins de ceux qui me sont parvenus. Il convient de dire, tout d'abord, que l'idée d'une pareille collection est excellente. Faire des livres simples et élémentaires, à des prix rela- tivement modestes ; confier la direction générale de l'œuvre à un savant comme M. Rost, voilà ce qu'on doit louer de tout point. Les petits in-octavo que j'ai sous les yeux

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sont d'ailleurs fort bien imprimés, et ont fort bon air sous leur élégant cartonnage. Je me permettrai seu- lement de regretter qu'à des volumes de 67 p., comme la Grammaire grec-moderne, on ait annexé un catalogue de 80 p.

Les traités publiés jusqu'ici concernent les langues suivantes :

I. Hindoustani, Persan et Arabe (1882, vii-iO^ p.). Il ne faut rien moins que le nom de M. Palmer pour excuser la tentative de résumer en si peu de pages la grammaire de trois idiomes si importants et si dissemblables (Hin- doustani, 27 p.; Persan, p. 28 à 54 ; Arabe, p. 54 à 104).

IL Hongrois, ou plutôt Magyar, par M. Ignatius Singer (1882, vi-88 p.). L'ouvrage me semble clair et précis, et j'y vois avec plaisir de nombreux tableaux synop- tiques, mais j'y aurais voulu un peu de pbonétique, au moins quelques explications générales à propos de l'har- monie vocalique.

III. Basque, par M. Van Eys.

IV. Malgache, par G.-W. Parker (1883, vi-6G p., et un tableau du spécimen des variations dialectales). Le livre est bien fait, pas assez scientifiquement peut-être.

V. Grec moderne, par M. Geldart (1883, 47 p.). Il faut avant tout relever les transcriptions extravagantes de l'auteur : qui reconnaîtrait ômega, éndonos, katholou, prosôdia, sous l'orthographe awmeh'gah, elindawnawss, kaJithaiv'loo, prawssawdhec' ah, etc?

Julien ViNSON.

93

VARIA

Le portugais est, .on le sait, une langue issue du latin, une langue romane, suivant l'expression pliilologique, de même que le français proprement dit ou français du Nord, le français du Midi (provençal ou langue d'oc), l'espagnol, le catalan, l'italien et le roumain. Quelle est de ces langues la plus ancienne? Quelle est celle qui ressemble le plus au latin? La réponse à ces questions n'est pas aussi facile qu'on pouri'ait le supposer. Les élémeats dont il faut tenir compte, prononciation, grammaire, orthographe, sont assez complexes pour fournir des armes aux opinions les plus opposées. Toutefois, il convient de reconnaître au portugais, surtout au portugais écrit, une ressemblance particulière avec le latin. Camoens a pu dire :

E lia lingua, nu quai quando imagina Coin pouca corrupçao cuida que é a latina.

Cet air de famille est si frappant, qu'il y a une foule de morceaux latins que tout Portugais, xnôme illettré, peut comprendre à la simple lecture. C'est ainsi que les grammaires portugaises citent générale- ment un discours de Faria, imprimé en 1640, et un hymne à sainte Ursule, qui sont latins en môme temps que portugais. Nous avons trouvé curieux de donner ici une poésie du même genre, composée en 1879, par le D'" Castro Lopes, de llio-de-Janeiro :

Salve, auroral eia refulge!

Eia, anima valles, montes ! Hymnes canta, o Philomela, Ilymnos jucondos, insontes !

9-4

Quam para, quam pudibunda Es tu, Aurora formosa ! Diffunde odores suaves, Divina, purpurea rosa !

Eia, sui'ge, viviiica Pendentes ramos, Aurora I Aureos fulgores emitte, Pallidas messes colora !

Matutina Aura, miliga Solares, nimios ardores ; Inspira gratos Favonios, Euros, Zephyros protectores.

Eoa, Tithonia Diva, Fecundos campes décora, Canoras aves excita 0 serena, bella Aurora !

Protège placidos somnos, Inquiétas mentes tempera, Duras procellas dissipa, Terras, flores réfrigéra.

Extingue umbrosos vapores, 0 sol, o divina flamma I Lucidas portas expande, Tristes animos inflamraa !

Salve, Aurora ! eia, refulge ! Eia, anima valles, montes ! Hymnos canta, o Philomela, Hymnos jucondos, insontes 1

Dr Castro Lopes. (Revue du Monde lalin, t. 1er, 1883, p. 373-374).

CORRIGENDA

N. B. Dans l'article de M. le docteur Winklcr publié dans le dernier numéro de la Revue, plusieurs mots finnois ont été incor- rectement imprimés, les lettres f et s ayant été souvent confondues.

T. XVJ, p. 65, lig. 8, 10, il : gagna, gagné.

p. 65, lig. 13 : manndzié.

p. 67, lig-. 6 : soun sacqua.

lig. 9: bien lôngu'.

lig. 14 : boudgié.

p. 69, lig. 5 : mnami.

p. 70, lig. 20 : commant.

p. 70, lig. 22-23: toutou ça.

ÉTUDES DU FOLK-LORE

Sous le nom de Blason populaire on désigne l'ensemble des qualificatifs que les habitants d'un pays, d'une pro- vince, parfois d'une commune ou d'un village, adressent à leurs voisins. Il y en a de différentes sortes : les uns sont la simple constatation, sans épigramme, d'une qualité réelle ou supposée; d'autres font allusion à un fait local (ou supposé tel) généralement comique. La plus grande partie est satirique et renferme des allusions blessantes comme celles que les héros d'Homère, et plus récemment les peuplades polynésiennes, se renvoyaient avant la ba- taille.

Dans le Blason populaire de la France (1), nous avons relevé les dictons et les proverbes que les étrangers adressent aux Français, ceux relatifs à Paris, puis ceux dont chaque groupe provincial est gratifié par ses voisins. Nous avons ensuite fait le même travail pour les pays de langue française, en Europe, qui ne font pas politique- ment partie de la France, pour les colonies anciennes et actuelles, comprises sous le nom de Frances d'Outremer; enfin notre volume se termine par les aménités que les Français, par un juste retour des choses, ont renvoyées

(1) Librairie Cerf, 43, rue de Médicis. 1 vol. in-18.

98 aux pays voisins avec lesquels ils ont eu des relations "de guerre ou de commerce.

Ici nous avons suivi le même ordre.

Dans notre publication en volume, nous avons éliminé les dictons libres. Bien que la plupart d'entre eux soient moins naturalistes que ce qui s'imprime journellement, nous avons pensé qu'il fallait en faire une sorte de mono- graphie, qui présentait un intérêt linguistique. Sa place nous a paru naturellement indiquée dans cette Revue, destinée à des savants qui ne demandent pas à être aussi respectés que le lecteur français ordinaire.

LE BLASON LIBRE

I. La France et les Français.

Sacharree. Sobriquet des Français aux États-Unis ; pro- vient par imitation des jurons français commençant par Saa^é. (Comm. de M. John L. Williams, de Chicago.)

« L'Allemande à l'étable, la Tchèque à la cuisine, la Française au lit. » (Celakovsky, Mudroslovi, etc. Recueil des proverbes slaves), Prague 1852 (Tchèque.)

99

Wàlscher Hannickel Gagummersalat !

Friist du de D

Un ich de Speck.

« Jean-Nicolas le Welche, Salade de concombre, Mange, toi, la m., Et moi je mangerai le lard.

Cette formulette se dit des Français et plus particulière- ment des Lorrains, chez lesquels le prénom de Nicolas est fréquent. (Aug. Stœber, dans les Deutschen Mundarten, t. III.)

4

Zyne ziel is al naar Frankrijk ; Zyn gat staat naar Frankrijk. « Son âme est déjà en France ; Son cul se dirige vers la France. «

(Hollandais. Harrebomée.)

5

Wie kent mijn gat in Frankrijk ? « Qui connaît mon cul en France? » C'est-à-dire je suis tout à fait inconnu ici, je peux faire ce qui me plaît. (Hollandais. Harre- bomée.)

6

Fransche ziekte , Francoysen. Maladie vénérienne, expression inusitée à présent, mais fréquente dans les satires et les comédies du XVIIe et du XYIII* siècle. (Hollandais. Comm. de M. T )

100

French goût, a certain disease which is also known as « ladies' fever. » (Slang Dict.)

8

Franzozen « les Français ». Nom populaire de la syphi- lis. (Wander.)

Au XVP siècle, chaque peuple se renvoyait la responsa- bilité de cette maladie, alors beaucoup plus terrible qu'elle ne l'est aujourd'hui :

« Et pour nestre telle maladie avouée, nous en ont donné le nom de Naples ou d'Espagne, et ceux-là, comme font deux joueurs de paume, nous la renvoyant, l'appelans le mal François. > (Noël du Fail, II, 225, éd. Assézat.)

Les Italiens, les Allemands et les Anglais, qui ac- cusaient la France d'avoir été le berceau de la grosse vérole, l'appelaient 7nal français : mal francese, frantzosen ou frantzosichen pœken, french pox; les Français l'appe- laient mal napolitain ; les Flamands et les Hollandais, les Africains et les Maures, les Portugais et Marianais mau- dissaient le mal castillan ; mais en souvenir de cet odieux présent que chaque peuple refusait de croire émané de son propre sein, les Orientaux le nommaient mal des chrétiens; les Asiatiques, mal des Portugais ; les Persans, mal des Turcs ; les Polonais, mal des Allemands, et les Moscovites, mal des Polonais. (Bibliophile Jacob, les Origines du mal de Naples, p. 270.)

Il en a été de même lors de la découverte de la Poly- nésie, où Anglais et Français se sont accusés réciproque- ment de l'avoir introduite. D'après le deuxième Voyage de

- 101

Cook les indigènes appelaient ce mal « mal de Peepe » du nom d'un navire espagnol qui avait relâché à Tahiti, ou « Maladie anglaise d.

« Va chier au Mail, tu auras des pommes rouges, i Ce dicton est en usage à Paris. Mail est le marché aux pommes sur le bord de la Seine.

10

Parisien, Cu de lapin. Le sac su le dos, Voleur d'abricots.

(Environs de Paris. Rolland.)

11

La rue Saint-Honoré, il y a plus de putains que de pavés. (Haute-Bretagne .)

IL Provinces de France.

Alsace.

Le nom du petit village de Dùttlenheim peut signifier par calembour « Tétonville. » De les expressions plaisantes :

Sie isch au nitt vunn Dittle <r Elle n'est pas de Téton- ville j, c'est-à-dire elle a la poitrine plate.

102

Du village voisin de Glôckelsberg, on dit : wo aïm d' Wirlhe d'Dittle zum Fenschter r'uss zaït « l'hô- tesse vous montre ses tétons de sa fenêtre ».

Anjou.

2

Angers, basse ville et hauts clochers, Riches putains, pauvres écoliers.

(Chapelet.)

3

L'ancien et somptueux Angiers A basse ville, hauts clochers, Riches catins, pauvres escoliers !

(De Solànd.)

Berry.

4

« Aller à Bourges ». Etre pédéraste (Jaubert, Glossaire du Centré). Calembour amené par le rapprochement de Bourges avec Bougre.

Béarn.

Les filles de Lourdes Et celles de Gauterets, Prennent, à la file. Les galants par trois.

Les filles de Lourdes

Et celles d'ArgeJès,

Les voulez-vous pucelles ?

Il faut les prendre au berceau.

(Bladé, Chans.j)op., II, 105.)

103 ^ Bourgogne.

« Les coucous. » Sobriquet des gens de Bèze (Côte-d'Or).

Il y avait à Bèze un fameux couvent de Bénédictins. On y raconte qu'au bord de la rivière existait une prome- nade dominée par un tertre s'ébattaient les enfants. Les moines affectionnaient cet endroit. Un jour qu'il y avait promenade en bas et grands jeux en haut : . Enfants! s'écrie soudain un des promeneurs, ne jetez plus des pieux, vous pourriez casser la tête à vos pères! (Clément Jannin.)

« Il n'est cité que Paris, ville que Dijon, bordeau que d'Avignon. » (Hilaire le Gai.)

Bretagne.

8

Breton cochon, Français polisson.

(Leroux de Lincy.)

9

Elle est à la mode de Melesse : Elle n'a ni tétons ni fesses.

Ce dicton est adressé aux gens de Melesse par ceux de Betton, et les gens de Betton répliquent :

Elle est à la mode de Betton : Elle n'a ni fesses ni tétons.

104

10

Au Plessis-Balisson Plus de cocus que de maisons.

11

A Trémoré (Trémorel) Plus d' putains que d' vache' à lait.

12

E Landevenek Peder maouez evit eur gwennek. Ann hini chom da varc'hata

Hen deuz evit netra, Hag ann hini a ia d'ar iaou A gav leiz ar c'hraou.

« A Landévennec Quatre femmes pour un sou ; Qui reste à marchander

Les a pour rien. Et qui aiTive le jeudi, En trouve à pleine étable.

(Sauvé.)

Corse.

13

Un parla di cannone au Prunu, d'Agliu in Altiani, di levra in Yezzani, rf'Ochiettu à Cuzzanu, di ciocciu in Ampriani o au Pogghui di Nazza ne de pesciu sturione in Ersa.

« Ne parle pas de canon au Prunu, d'ail à Altiani, de

105

lièvre à Vezzani, de cul à Cuzzanu (1), de hibou à Am- priani ou à Pogghiu di Nazza, ni de poisson siurione (esturgeon) à Ersa ».

Dauphiné.

14

Il fait un mariage de Saint-Sauveur. La putain épouse le voleur.

15

« Va chier à Guernoble, t'auras une pomme rouge ».

(FOURTIER.)

Ce sont les paysans de Seine-et-Marne qui disent cela pour se débarrasser d'un importun.

(i) De cul à Cuzzanu. Un jour, il y avait à Cuzzanu un petit gar- çon sans cul. Le fait était rare et toutes les commères du pays s'en émurent.

« Il ne faut pas, se dirent les vieilles femmes, que cela se sache dans les autres villages, autrement nous serons tournées en ridicule, et alors malheur à nous.

« Et pourtant, comment faire ?

« Voici. Prenons un fuseau et, juste à la place, faisons lui un cul. Cela ne sera ni difficile ni long. *

En effet, le cul fut fabriqué à l'instant, de sorte que les commères s'en retournèrent chez elles, toutes fîères de leur idée.

Malheureusement la chose s'ébruita et les autres villages se mo- quèrent des Cuzzanesi qui, disaient-ils, ne savaient même pas faire des hommes complets, puisqu'il naissaient sans cul.

Les Cuzzanesi se fâchèrent, on en vint aux mains et même aux coups de fusils. Aussi, si jamais vous passez par là, ne dites jamais : Tantu d'occhiettu biatu' Cuzzà « Un petit peu de cul, bienheureux Cuzzanu », si vous ne voulez qu'il vous arrive malheur.

(Communication de M. 0 )

106

Franche-Comté.

16

Il n'y a pas de moine à l'abbaye d'Acey Qui n'ait sa gouine à Bresilley.

L'abbaye de Citeaux n'était pas mieux traitée :

Il n'y a pas un bâtard à Premiâ Qui n'ait son père à Citiâ.

(Perron.)

Andelarre, Andelarrot, Les femmes n'y valent pas un pot (un pet).

(Perron.)

18

Arc-sous-Gicon, Autant de putains que de maisons.

(Perron).

19

A Besançon, On n'y voit que des soldats ou des putains, Des curés et des chiens.

(Perron).

20

La Malachère, « C'est un village que le diable a chié en courant ». Les maisons y sont espacées le long de la route. (Perron.)

21

Une fille de Quingey en Quingeois Accouche au terme de trois mois Seulement pour la première fois.

107 -

Voici comment la fille de Quingey fait un compte expli- catif : Ma (mars), colibre ma, Aivri, colaivri, Mai colibre mai. Le mois qui sont dedans, le mois qu'o passa, et le mois qui va entra, ce qui ne fât-te pas neuf mois, groue bêta ? dit-elle à son homme. (Perron.)

Gascogne.

22

Tétasses à la périgourdine. « Un petit tetin rondelet... et non point de ces poupes et tétasses à la périgourdine propres à charger sur l'épaule comme une besace. » (Le Diogène français. Limoges, 1617, in-S®.)

23

Entre Dimos et Bounzac, Caudocosto e Lairac, Sempessero Santo-Mèro, Sent Auit e La Copèro. Plius, Hius, Miradous, Tournocoupo et Mauroux, Toutos las hennos soun putos, lous ornes lairous.

(Armagnac. Bladé.)

24

Las filhas de Cubzac Se destapon lou couou per s'amaga lou cap.

(Mistral.)

« Les filles de Cubzac se découvrent le cul pour se couvrir la tête. »

_ 108

Ile-de-France.

25

A Bulles en BuUois Les femmes quelquefois Accouchent au bout de trois mois Seulement la première fois.

(GORBLBT.)

26

Putains de Provins.

(XlIIe siècle. Chapelet.)

Lorraine. 27 9 Lorrain, prête-moi ton lard? Non, ça s'use. Prête-moi ta femme. La voilà. » (Leroux de Lincy, L 360.)

Maine. 28

« Décrotter à la mode du pays du Mans. » C'est une expression qui a un sens libre : « Le garçon me donna six pièces de treze sols pour decroter ses chausses et il me decrota ma cote à la mode du pays du Mans. * {La conférence des servantes de Paris. Paris, 1636, in-8«.)

Nièvre.

29

Chevannes les gots d'eau,

Plus de putains que de crapauds.

109

Normandie.

30

Jamais Normand de Normandie N'a pissé seul en compagnie.

(A. Ganel.)

On dit en Bretagne : « Un bon Breton pisse jamais seul. »

31

Alençon, Petite ville, grand renom ; Autant de putains que de maisons, Et si elles étaient bien comptées, Autant que de cheminées.

(A. Ganel.)

Ce dicton, dont on supprime assez fréquemment les deux derniers vers, a des variantes :

Alençon, Habit de velours et ventre de son ; Plus de cocus que de maisons.

Alençon, petite ville, grand renom, Plus de cocus que de maisons.

(A. Ganel.)

32

A Asnières, Louvières et Veret Plus de putains que de vaches à lait. Vierville, CoUeville et Saint-Laurent En fourniraient bien autant.

(A. Ganel.)

110

33

Lescocus d'Auxais (Manche).

34

Se coucher sur le dos comme les filles de Batilly (Orne).

35

Le Bec le Riche, Jumièges l'Aumônier,

Grestain le Gourmand, Saint- Wandrille le Putassier.

36

A Bonneville le Louret, Plus de putains que de vaches à lait. Et de l'autre côté de la rivière

Plus que de vaches annoulières (qui n'ont pas eu de veau de l'année).

37

« Elle est comme la Vierge de Bouquetol : elle n'a ni cul, ni ventre, ni tétons ». Ce dicton s'applique aux femmes mal bâties ; elle révèle que la statue de la Vierge de Bouquetot était aussi très-incomplète !

38

« Les Foireux de Conches ». H y a un jeu de mot entre Gonche et Conchier.

39

C'est un pet de Courtonne Ceux qui les font les donnent.

Ce à quoi on ajoute invariablement :

C'est un pet de Lisieux,

Ceux qui les font les font pour eux.

111

40

Grandville, grand vilain, Une honnête femme et une putain ; A la porte une sentinelle qui tremble, Voilà Granvillle tout ensemble.

Ce flicton est surtout connu dans l'armée.

41

Granville, grand-vilain, Toute flUe toute putain.

42

Vérole de Rouen et crotte de Paris ne s'en vont jamais qu'avec la pièce.

Rabelais y fait allusion : « je voy ung jeune parason guérir les véroUés, je dy de la bien fine, comme vous diriez de Rouen ».

« Rren c'est merde à Rouen, qui ne la mange aux fau- bourgs. »

Picardie. 43

« Les Picardes ont le cul plus chaud que la teste ».

« J'eus... recogneu que les Picardes avoient le cul plus chaud que la teste. » {Le Tocsin des filles d'Amour. Paris, 1618, in-8"'.) Ce dicton fait allusion à la tête des Picards. Cf. le Blason populaire.

Poitou.

44

A la foire do Pubeliard

On achet' treize feilles (filles) per in liard.

112

Belgique.

1

Les Wios d'Tournay ». (Rouchi, Hécart.) Les Cocus de Tournay, parce que les Tournaisiennes, ordinairement belles femmes, sont fort recherchées.

« Pucelle de Maroille ». Ce village de Hainaut dépen- dait d'une abbaye de Saint-Benoît, diocèse de Cambrai. Comme les moines y étaient les maîtres, leur familiarité avec les filles du village fit qu'elles avaient mauvaise ré- putation, en sorte que par une contre-vérité qui a passé en proverbe, on a nommé Pucelles de Marolles celles qui ne le sont pas. (Nodier.)

III. Pays étrangers.

Angleterre.

1

« Elle a ses Anglais ». Elle a ses règles.

2

Lis Angles an desbarca. Les Anglais ont débarqué.

(Mistral.)

3

A lis anglesos. Il a des hémorroïdes. tMiSTRAL.)

113

4

« Aller pisser à l'anglaise. » C'est-à-dire s'en aller sans payer d'un café ou d'un restaurant.

« Kinzerlicks, il m'est advenu par des voies intercal- laires que vous avez fermenté des tentations invasives... (il cherche en vain à se rappeler) heu ! heu ! tout çà, c'est pour vous dire que, si vous essayez encore de me pisser à l'anglaise, je vous fais laver la gueule avec du plomb ! » (Comédie du commencement de ce siècle.)

Allemagne.

5

Comme s'ils avoient saule de claque-dent en Bavière pour entrer au royaume de Surie. {Variétés historiques et littéraires, V, 274.)

Il seroit bien pire si elle nous envoyoit en Surie gagner le royaume de Bavière. {Variétés historiques, VII, 33.)

On disoit alors de gens attaqués de maladies honteuses qu'ils alloient en Bavière voir sacrer l'Empereur. Cf. Sorel, Histoire comique de Francion.

« Aller en Bavière. » Baver sur la vérolle, passer par les grands remèdes. (Leroux, Dict. corn.)

Ce dicton est fréquemment employé au commencement du XVI1« siècle.

Bulgarie.

6

Bougre et ses dérivés. Bougre, en ancien français boulgre, est la forme française du nom de Bulgare. Au

8

114

milieu du moyen âge, il s'était développé une hérésie, le bogomilisme, du nom slave que se donnait la secte, et elle se répandit jusqu'en occident, elle devint l'hérésie des Cathares ou Albigeois. Le nom de Boulgre, synonyme d'hérétique, devint un terme d'injure, et comme la haine populaire accusait ces hérétiques de désordres infâmes, ce nom arriva à désigner ceux qui se livraient à la débauche contre nature. Enfin le mot devint un terme de mépris et d'injure et un juron des plus grossiers. Il est curieux de remarquer que ce juron s'est tellement implanté en Au- vergne, qu'il y est devenu une simple interjection dont le sens primitif et grossier est tout à fait oublié, et qu'il est employé à tout propos, par les femmes aussi bien que par les hommes. A cet égard, on peut appliquer à un Auver- gnat du peuple ce que Gresset disait de Vert-Vert perverti :

Les B, les F voltigeaient sur son bec...

Le mot est fréquent aussi dans la langue du peuple en général, et surtout des soldats. Par suite de la longue présence des armées françaises en Allemagne au com- mencement de siècle, ce mot, si fréquent dans la bouche de nos soldats garnisaires, a donné naissance à des termes encore populaires dans diverses parties de l'Allemagne. En Nassau, bugerr, lilt. « bougres », signifie injurier, se disputer, et le terme de buger < bougre » est devenu synonyme de/( Français ». En Bavière, un écu de France s'appelle Buggerthaler « thaler de bougre ». Dans un dia- logue populaire entre deux ménagères saxonnes, l'une d'elles se vante de savoir parler le français au soldat qu'elle loge, car quand elle lui sert à manger elle lui dit : Vor dich Fress, Bûcher! « de la pâture pour toi, Boucre! ». {Ausland, 1883, 31 page 610.)

115

Ce mot a perdu aujourd'hui en français le sens obscène qu'il avait au moyen âge, mais il l'a gardé en anglais.

Bugger « bougre » et buggery « bougrerie » sont les termes même de la jurisprudence anglaise, pour les cas que la loi française appelle « attentats à la pudeur. »

Espagne.

7

« Le mal d'Espagne ». Nom de la syphilis au XVI^ siècle. (Noël du Fail.)

Italie.

8

« Les Italiens à pisser, les Français à crier, les Anglais à manger, les Espagnols à braver et les Allemands à s'eni- vrer. »

9

Un Italien. Un homme adonné à la sodomie. (Leroux, Dict. comique.)

10

a) « Le mal de Naples. » La syphilis.

b) « Envoyer à Naples. » Donner la syphilis. (Tabarin, I, 185.)

c) « Ils vont en poste à Naples. » Ils attrapent la syphilis. (Tabarin, 1, 156.) Toulouse possédait depuis l'an 1528 un hôpital appelé dans le langage du pays Vhouspi-

116 tal das Rognousés de la rongno de Naples. (Bibliophile Jacob, Les origines du mal de Naples, p. 318.)

Juifs. 11

« Ils se tiennent tous par le cul comme des Juifs ». Se dit de plusieurs gens alliés en la même famille.

Portugal.

12

<i El Portugiies por la cama, el Espanolpor la ventana, y el Frances por la cocina. »

Le Portugais pour le lit, l'Espagnol pour la fenêtre, (soit parce qu'il est extrêmement vain, soit parce qu'il aime à lorgner les femmes qui sont aux fenêtres, enfin parce qu'il est dissipateur) et le Français pour la cuisine. (Méry, Prov. I, 303.)

Suède.

13

« Aller en Suède. » (Leroux, Dict. comique.)

Se faire soigner du mal vénérien. Jeu de mots fondé

sur la médication ancienne qui consistait en des sudori-

fiques puissants.

« Ils vont en poste à Naples ; de ils reviennent par

le pays de Surie, Suède et Bavière. » (Tabarin, I, 156.)

117

La dernière partie de ce dicton est fondée sur des jeux de mots : on sait que l'ancienne médecine prétendait guérir la syphilis par les sueurs et la salivation.

Suisse.

14

« Brayette de Suisse. » Fille de mauvaise vie.

ce De quel courage soutïrirons-nous que nos esclaves, ces petites goujattes d'amour, ces brayettes de Suisse, nous bravent et nous foullent aux pieds. » {Variétés his- toriques et littéraires, V, 301.) (1)

Henri Gaidoz et Paul Sébillot.

(4) J'indiquerai prochainement ici quelques variantes ou plutôt quelques références relatives au pays basque. (J. V.)

TEXTES EN LANGUE TARASQUE

On désigne sous le nom de Tarasques les anciens habi- tants de la province de Méchoacan, située dans la région Sud-Ouest du Mexique. Leur civilisation paraît avoir été à certains égards supérieure à celle des Culhuas de Mexico. Les Aztèques désignaient les princes Tarasques par l'épi- thète de Rois chaussés, ce qui équivaut à dire « Monar- ques indépendants ». En effet, le Méchoacan n'ayant jamais été subjugué par les Aztèques, ses chefs n'étaient point obligés de quitter leurs sandales en signe de vasse- lage. Le dernier roi de ce pays se soumit volontairement aux Espagnols, après la chute de Mexico, ne jugeant pas la résistance possible contre d'aussi terribles adversaires.

On connaît fort peu de chose sur la langue Tarasque, idiome dont la physionomie semble très-originale et ne rappelle en rien le mexicain. Peut-être est-elle un vestige des langues parlées dans la nouvelle Espagne, avant l'ar- rivée des envahisseurs de race nahuatle. Nous espérons donc être agréable au lecteur, en lui offrant ce fragment d'un manuel de confession espagnol et tarasque, tiré d'un ouvrage de dévotion rédigé par le Padre R. Angel Serra et imprimé à Mexico, en 1697. L'on sent bien qu'une tra- duction du texte espagnol en français n'eût guère été possible.

C*« DE. Charencey.

149

PREGUiNTAS EN LA CONFESSION

Hincate de rodillas, y per- fignate. Di la Confession gênerai.

Pon las manos. Respondeme.

P. Y quieres confessarte ?

P. Y traes Rosario ?

P. Y cumpliste la peni- tencia que el confessor te se- nalô ?

P. Y confessandote cal- laste algun pecado, de miedo, ô de verguenza, ô de tu vo- luntad?

P. Y te confessaste el afio passado ?

P. Y que pecado callaste en la Confession , dimelo aora, y assi sepas, que te conviene me digas aora todos tus pecados, que entonces confebsaste, y sabete que la otrâ Confession no te fué de provecho, porque ocultaste tu pecado, y assi aora buel-

Tilicuixuri, vel Tihcuixurithu, ca pahuntzingarini.

Arithu Hy, haraquate thauacu- riri, etc.

Tacupacu.

Maocuchentsreni, vel Mayocuchén- tsreni.

P. Gare pamonguare cuecahaqui? vel care vecaliaqui curantzingani ? vel care vecasini curantztara quare cue- cani?

Care cuentas huca masini , vel unentas huuahaqui ?

P. Care niatasqui sancta Peniten- cia, hinguiquini Tata curantsperi Tant- ziracheca Sancta Confession himbo, vel pamôguarequa himbo?

P. Care sancta pamonguarequa himbo, pamonguareparinde oparata- cusqui ambemato ahperi Thauacurita curantsperini, cheta himbo, notero curatzequa himbo, notero Tuhcheueti vequa himbo ?

P. Care veyuriqua Sancta quaresma himbo curantzingasqui ?

P. Care ambe Ahperi thauacurita oparatacusqui curantsperaqua himbo ? Arireni hurimbetimendo; cays himbo eti, ysquire yyas cez pamonguareuaca tuhcheueti thauacurita amhameri, ys- quire thuin pamor guaresca ; cays Tzanithu, ysquiquini matero pamô- guatequa no huriatenchasca ; himbo- quire oparatacusca tuhcheueti Ahperi

120

vête â confessar de nuevo, y no me ocultes tus pecados, que contra Dios has hecho ; y assi aora confiessate bien de todos tus pecados mortales, que has hecho ?

P. Y tomaste Bula ?

P. Y comulgaste el ano passado por la Quaresma?

P. Y ères casado, ô viudo, ô soltero ?

P. Y ères casada, ô viuda, ô soltera, ô doncella, ô ères ya deflorada?

as

P. Quantas tu, ô quanti vezes tu ? - P. Quantas vezes ?

P. Muchas?

P. Mucho?

P, Mucho tiempo ?

P. Vna vez, ô de vna vez ?

P. Vna vez ?

P. Hombre ?

P. Hombres ?

P. Muger ?

P. Mugeres ?

P. Y has deseado ?

P. Y has codiciado ?

P. Y has deseado, ô codi- ciado alguna persona ?

P. Y soys parientes?

P. Y soys parientes en sangre, ô de casamiento, ô

thauacurita, cays yya tapie pamon- guare ; ca hasreni oparatache ambe- maro Ahperi thauacurita, ysquire usca teruhcan virih caricumani Dioseni : cays yya cez pamonguaremendo Tuh- cheueti Ahperi Thauacurita hurimbe- limendo ysquire usca.

P. Gare pirasqui Bula ?

P. Gare vexuriqua Quaresma himbo xachomuquaresqui ?

P. Gare tembuchati esqui ? notero Ahtsindi ; notero Tumpscati ?

P. Gare vambuchati esqui ? vel ïembucata ? notero Ahtsindi, notero Andiohco, vel Andiohandi? notero yutisqueri esqui Ambetacataesquire ? notero Maneti ?

P. Namundare?

P. Namunda?

P. Vamendo, vel van.

P, Gamendo, vel can.

P. Yon huriaqua, vel yonganhuria- qua?

P, Menihco ?

P. Meni, vel Men?

P. Tziuereti?

P. Tziuintza, vel Tziuincha?

P. Guxareti?

P. Guhtzincha?

P. Gare Tzitisqui , vel curuues- quire?

P. Gare Tzitingaricutspesqui, vel curuuengaricuts pesquire ?

P. Gare Tzitingaricusqui ? vel cu- ruuêgari cusquire macuiripuni ?

P. Gatsi mire perahaqui tuhcha?

P. Ga Nahtsi mitchperahaqui tuh- cha Tembuchaqua hinibo ; notero ytsi

121

de bautismo, ô de confirma- cion ?

P, Y en que grado soys parientes ?

P. Y en que grado es tu pariente ?

P. Y es tu pariente ?

P. Y bas comido carne en Viernes, ô en Sabado, ô en Vigilia, ô en quatro tem- peras, ô en la quaresma ?

P. Y bas dado de corner carne ô otros en dia de ayuno, ô en tiempo que era de pescado ?

P. Y bas le emborrachado per diendo el juyzio ? P. Y bas emborrachado ?

P. Y bas emborracbado a alguien ?

P. Y bas dejado de ayu- nar los Viernes de Quaresma, ô el Sabado Santo, ô la vigi- lia de la Nativitad de Cbristo Senor nuestro ?

P. Y bas deseado bazer mal â alguno ?

P. Ybasdespreciado?

P. Y bas embidiado ? P. Y bas mofado ? P. Y bas Uamado el De- monio ?

Abtabtsicubperaquabimbo ; notero cô- firmacion birabo, notero yuriribimbo ?

P. Ca namundarequabsi mitepepe- rabaqui?

P. namundarequa mitequa es- qui?

P. Ca mitequate esqui? vel Hin- gunequate esqui ?

P. Gare cuiripeta tbiresqui, vel care cuiripeta Arasqui Viernes himbo; notero Vigilia bimbo : notero quatro Temporas himbo ; notero Quaresma himbo?

P. Gare cuiripeta Tbireratspesqui carindaro ? notero Quaresma? bimbo ; notero bimabcangui Sancta Iglesia vandangubpeca ysquix Gbristiano echa cuiripeta no Apiringa, himahcandero Tbu Tbireratspesqui cuiripeta ?

P. Care cauisqui piquareraqua inua- cuparini.

P. Care cauirabpesqui? vel caui qua hatzisqurei ?

P. Care ne ma cuiripuni cauiracus- qui?

P. Care carinda cacasqui Viernes ecban Quaresma bimbo ; notero Sa- bado Sancto, notero vigilia Pevants- quaro ?

P. Care Tzitisqui vehco manatani, vel Misquareni nema cuiripuni ?

P. Care cbanambebpesqui ? vel Te- resmaruhpesquire ?

P. Care ypubpesqui ?

P. Care cbanambebpesqui?

P. Care vandacusqui Demonioni yquimengari? vel "vecucuaresque De- monioni yquimengari?

422

P. Y ères hechizero ?

P. Y enechizaste ?

P. Y enechizaste û alguna persona ?

P. Y hiziste enechizar ?

P. Y ensenaste â' enechi- zar?

P. Yechaste raaldiciones?

P. Y sabes rezar?

P. Gare siquame esqui?

P. Gare siquahpesqui ?

P. Gare ne ma cuiripuni siquasqui? vel Siquacusquire ne ma cuiripuni ?

P. Gare siquavahpesqui?

P. Gare hurendahpesqui siquah- peui ?

P, Gare xucahchapesqui ?

P. Gare hurenivandatzequareni ?

POR LOS MANDÂMIENTOS DE LA LEY DE DIOS, SON DIEZ, PREGUiNTAS.

QUE

En el jyrimero, que es amar â Dios.

Y Amas â Dios ?

P. Y has creido en suenos, ô en pajaros, ô en hechize- ros, ô en agueros ?

P. Y has dudado en algun articulo da la Santa Fe, no creyendo bien en la Santa Fe?

Ytihqui Ma, Marehco Pampzcauaca Diosen.

Gare pampzcahaqui Acha dio- seni?

P. Gare hacahcusqui Ahtzangaris- qua himbo notero Tucnru, notero siquamechani notero vintsiuame?

P. Gare Tzenarisqui ambemaro Dios hihcheuiremba sancta hacahcuqua himbo ; no cez hacahcupavin Jesu Christo hihcheuiremba sancta Hacah- cuqua?

En el segundo, no jurar.

Y hasjurado el nombre de Dios en vano ?

P. Y has testiguado con mentira? P. Y has maldecido.

Ytihqui tziman. Has vecauata Dios

hihcheuiremba hacanguriqua hecaht

siquarenihco.

Gare vecauatasqui Dios hihcheui- remba sancto hacanguriqua hecatsi quarenihco? vel hecatsi tanihco?

P. Gare Thsirimerasqui ehcangua himbo ?

P. Gare yquimehchahpesqui, vel xucahchahpesquire?

123

P. Y jugando juraste el nombre de Dios ?

P. Ofreciste al Demonio?

P. y ofreciste â alguno â el Demonio ?

P. Care chanaqua himbo, vel vapa- cuqua himbo ; vecauatasqui Dios hih- cheuiremba hacanguriqua ?

P. Care yntsingarithapesqui Demo- nio yquimengari?

P. Gare ne ma cuiripu yntsingarita- cusqui Demonio yquimengari ?

En el tercero, santificards las Fiestas,

P. Y bas dexado de oîr Missa los Domingos, y fies- tas de guardar ?

P. Y oîste Missa los Do- mingos y fiestas de guarda ?

P. Y assi sepas, que en dias de trabajo no es pecado el no oîr Missa ; pero si la oyeres sera muy provecboso para tu aima, y Dios te ay- udarâ?

P. Y bas trabajado en los Domingos, ô.en dias de flesta de guarda ?

P. Y bas hecbo trabajâr en los Domingos, ô en los dias de fiesta de guarda ?

Ytihqui tanimu; Mindauacare cuuin- cheto echan, sancto equa himbo.

P. Care Missa cacasqui Domingo echan himbo, notero cuuincbero echan himbo ?

P. Care Missa curachahpesqui Do- mingo echani, ca cuuincbeto echani ? vel Missa exesquire Domingo echan himbo, ca cuuincbeto echan himbo ?

P. Caystu vuache Tzanithu, ysqui no thauacurita eca, no curachpeni Missa minizinharando ; caru yquire Missa curachahpeuaca raintzinbarando chemendo huriatenchauafi tuhcheueti anima; caquini Acha Dios haruuauat?

P. Care Anchequaresqui Domingo echan himbo; notero cuuincbeto echan himbo?

P., Care Anchequaretahpesqui Do^ mingo echan himbo ; ca cuuincbeto echani ?

El quarto, honraràs Padre, y Madré.

P. Y bas obedecido â tus Padres como Dios lo manda?

P. Y bas despreciado â tus Padres, ô â los Sacerdotes,

Ytihqui thamu : hagangarihuana- care Tataten, hingun Nanaten.

P. Care hangangarihuasqui Tata- teni ; ca Nanateni ; ysqui nab Acha Dios huramutspebaca ?

P. Care terez raaruhuasqui ïata- teni ; ca Nanateni.; notero Amberi

124 -

ô â los viejos, ô â la Justicia, ô â los principales ?

P. Y hiziste enojar û tus Padres ?

P. Y te enojaste contra tus Padres, ô contra otro ?

P. Y resongastes, vel fuis- tes respondon ?

echani ; notero Terunchechani ; notero Justicia echani ; notero tarenchan ?

P. Gare yquiuatahuasqui Tatateni ; ca Nanateni ?

P. Gare yquiuacusqui, Tatateni hin- guni, notero men Nanateni hinguni ; notero ma cuiripun hingani ?

P. Gare cumaricusqui ? vel cucus- quire ? vel Mocucusquire?

En el quinto, no mataràs. Ytihqui, yuhmu Has vandicuhpe.

P. Y has muerto alguna persona ?

P. Y mataste ?

P. Y has herido ?

P. Y has aporreado?

P. Y has deseado matar?

P. Y te has deseado la rauerte ?

P. Y has deseado que al- guno muriera ?

P. Y aborreciste a alguno ?

P. Y tuviste enemistad?

P. Perdonaos por Dios, y assi Dios os perdonara ?

P. Perdonaos por Dios, y assi Dios te perdonara ?

P. Y has aporreado â otro? P. Bolveos amigos ?

P. Y te has deseado la muerte perezoso, ô por algum trabajo en que te has visto, ô has tenido ?

P. Gare vandicusqui ne ma ciiiri- puni ?

P. Gare vandicuhpesqui ?

P. Gare Aquatetahpesqui ?

P. Gare varihpesqui?

P. Gare Tzitisqui vandicuhpeni ?

P. Gare Tzitisqui varimpaca xaqua- reni ?

P. Gare Tzitisqui yquinema cuiripu varipiringa ? v, pacaxahpeuatini ?

P. Gare yqui hacusqui nema ?

P. Gare curunahpesqui ?

P. Vehpoua tahperantshe ? vel Te- ruuatahperantshe. Acha Dios himbo etaqua, ca ys Acha Dios veh poua- chentstauatixsini ?

P. Vehpouacuhuants Dios himbo etaqua ; cays Acha Dios vehpoua chentstauatiquini ?

P. Gare varicasqui nema ?

P. Teruuatahperantshe, velTeruua- tatantshe?

P. Gare xepequa himbo, notero malero misquareta himbo meraechan uaricuecahaqui ?

125

Enel sexto, no fonmicaras. A el Varon.

Y estas amancebado ?

P. Y quanto siempo estu- viste amancebado ?

P. Y bas confessado este pecado ?

P. Y bas pecado con mu- ger?

P, Y bas pecado con mu- geres casadas ?

P. Y bas desvirgado for- zandolas ?

P. Y bas forzado alguna muger?

P. Y con quantas bas pe- cado ?

P. Y quantas eran casa- das?

P. Y quantas eran viu- das?

P. Y quantas eran solte- ras?

P. Y quantas eran doncel- las?

P. Y eran tus parientas ?

P. Y era tu parienta ?

P. Y quantas vezes con cada una ?

P. Y era tu Gomadre? De

Ytihqui Cuyhmu has Amherze par in quarehpe.

Gare Tembutabpebaqui ?

P, Ga nabnde yongan Tembutabpe ?

P. Gare men pamonguresqui yn camangarintsqua ?

P. Gare queresqui? vel Tbiacus- quire ? vel Piresquire ? vel Pibcbucus- quire, v, cunguate esquire, v, cupan- gurisquire ? v, congurisqrire vel us- quire mayqui mengata nemacuxaretin binguni ? notero picburisquire ?

P. Gare, que retspesqui, vel Tbia- pesquire ?

P. Gare Ambe tabpesqui vingab- petaro ?

P. Gare mitesqui macuxaretini Te- rubcbucuperaqua himbo ? vel vingab- petaro ?

P. Ganamunde cubtsincbani que rebuasqui, vel camuncbextbû binguire querebuasca ?

P. Ga namunx vambucbati ecba epbi ? vel Tembucata ecba epbi ?

P. Ga namunx Abtzindi ecba epbi ?

P. Ga namunxtero Andiobcoecha epbi ? vel Andiobandiecba ephix ?

P. Ga namunxtero yurisquecba epbi, binguire Ambetabuasqui?

P. Gax mitequate epbi?

P, Ga mitequate epbi ?

P. Ga namundare usquimandancu- xaretin binguni, ysxaporo niatapa- rini?

P. Garu Gomadrete epbi Sancto

126

Baptismo, ô de Confirma-

ClOlli

P. Y era tu ahijada de Baptismo, ô de Gonfirma- cion?

P. Y tu ères su Padrino de Baptismo, ô de Gonfirma- cion ?

P. Y pecaste con alguna muger por entrambas partes?

P. Y has codiciado muge- res ?

P. Y era tu Nuera?

P. Y era tu Entenada ? P. Y era tu Madrasta ?

P. Y era tu Cunada, ô has conocido â tu Cunada ?

P. Y era tu Gonsuegra?

2 grado. P. Y era tu tia Hermana de tu Padre ?

P. Y era tu Tia Hermana de tu Madré?

1 grado. P. Y pecaste con tu hermana?

P. Y era tu hermana ?

P. Y era tu Suegra ?

4 grado. P. Y era tu Sobrinahija detu hermano?

P. Y era tu Sobrina hija de hermana ?

P. Y has besado alguna

muger

ytsi Ahtahsicuhperaqua himbo ; no- tero canarahperaqua Gonfirmacion himbo, vel Ca Nana ecusqui vuatsite sancto ytsi Ahtahtsicuhperaqua him- bo : notero canaïahperaqua himbo ?

P. Ga vuahsite ephi Sancto ytsi Ahtahtsicuhperaqua himbo ; notero Gonfirmacion himbo ?

P. Gare Tata ecué Sancto ytsi Aht- sicuperaqua himbo ; notero canarah- peraqua sancta Gonfirmacion himbo ?

P. Gares Tzimoro queresqui macu- xaretini ?

P. Gare Tzitingaricuhuasqui cuh- tsinhani ?

P. Ga tarasquate ephi, vel Tarate esqui ?

P. Ga tuhcheueti uparacuhperants- quate ephi, vel uparacuntscate ephi ?

P. Ga ephi hindequi quini peuant- tsasca,vel tuhcheueti peuahpensti ephi?

P. Ga yuzquate ephi, vel Yuhumbe chusquire ?

P. Ga tarencchequate ephi ?

P.- Ga vauate ephi ?

P. Ga Tzitzite ephi? P. Gare Pirembuchu?

P, Gare pirensite ephi?

P. Ga Tarate ephi, vel Ca Taras- quate ephi?

P. Ca vuahtsite cuxareti Auitae- quaro ephi, vel yhtzate ephi?

P. Gare yhtzate ephi, vel vuahtsite cuxareti vauaequaro echi ?

P. Gara putimucusqui ne ma cuxa- retini ?

127

P. Y era tu Madré la que te pario ?

P. Y lias derramado el semen con tus manos?

P. Y entonces pensabas en mugeres ?

P. Y eran parientes entre si las mugeres con quien pecaste, ô de tu muger ?

P. Y palpaste à alguna muger con luxuria ?

P. Y palpaste las partes ver- gonzosas de alguna muger?

P. Y te bas palpado las partes vergonzosas ?

P. Y bas sido alcahuete ?

P. Y bas sodomitado? A el paciente llaman ?

P. Y bas palpado las par- tes bajas de algun bombre con delectacion queriendo pecar ?

P. Y bas pecado con al- guna bestia?

P. Y bas pecado con mu- ger estando ella como animal enquatropies, ô tu la pusiste assi, queriendo pecar con ella?

P. Y metiste los dedos en las partes vergonzosas de alguna muger?

P. Y dexaste iamanceba?

P. Y te alabaste de algu- na muger ?

P. Ga Nanate epbi hindequiquini peuaca ?

P. Gare Ahisitasqui tubcbeueti xara- raxequa, vel yuriri abqui bimbo ?

P. Ga bimabcande Abtsitasca tub- cbeueti xararaxequa , vel tubcbeueti yuriri, bimabcande vandangueuahani cubtsincbani ?

P. Ga nocaxtero tzima cubt sincba binguire querebuasca mitequa epbi tbsimi ; noxtero tempzte mitequa em- ba epbi?

P. Gare pa arasqui macuxaretini xararaxequa bimbo ?

P. Gare pancbucusqui macuxare- tini?

P. Gare panchuriquaresqui ?

P. Gare castubpesqui ?

P. Gare tbiabcbucubpesqui ? Gue- cetzi, vel cuecetze '!

P. Gare pancbucusqui matzuieri- rini tzebumbaxequa bimbo tbauacu- ricuecani yndenbingun ?

P. Gare maxancbaretzeri cuxaretin tbiasqui ?

P. Gare xancbazusqui ne ma cuxa- retini querecuecani ? vel xancba xan cbangaritasquire ma cuxaretini qure- recuecani ?

P. Gare pochucusqui xararaxequa bimbo ?

P. Gare buracutaquaresqui tub- cbeueti tembutangati ?

P. Gare tziuequare vanarabeparini ysquire queresca ma cuxaretini?

p. Y embiaste recaudo â alguna muger queriendo pe- car con ella ?

P. Y quantas vezes te lias deleytado queriendo pecar?

P. Y despues de averpeca- do con alguna muger, mur- muraste de ella ?

P. Y has hablado palabras deshonestas ?

P. Y jugando con alguna muger pensaste en vellaque- rias?

P, Y has maltratado â tu muger ?

P. Y has pecado con algu- na Doncella, ô muger derra- mando tu semen sobre ella, no desflorandola, sino jugan- do con la longa viril sobre las carnes de la muger no penetrandola ?

P. Y has aporreado â tu muger ?

P. Y quantas vezes eno- jado tu no has querido pagar el debito û tu muger ?

P. Y ensenaste â pecar â otro?

P Y quantas vezes has pensado hazer pecado con mugeres ?

P. Y pecaste con tu her- mana ?

P. Y pecaste con tu Prima

428

P. Gare axaphi ma cuxaretini dah- pataran yquimengata ucuecani?

P. Ca namundare xamahtu haya- panguents tzepumbaxequahimbo yqui- mengata ucuecani ?

P. Garemacuxeretiniqueretini van- datzents ?

P. Gare ma hinguni ambetzequa vandaphi ?

P. Gare chanaparini ma cuxaretini hinguni , vandangueauphi yquimen- gata ucuecani ?

P. Gare zacusqui tempzteni ?

P. Gare thiranchurihpe? vel thiran- churihperasquire ? vel thirambauih- perasquire? vel thiranchurisquire?

El tiempo, y estudio ensenârà otros modos que tienen para explicar sus pecados.

P. Gare zacusqui tempzteni ?

P. Ga namundare xamahtu no heya eu tempzteni, yqiuecahanga ; ysquitzi pinguripiringa yquire nopa mencha- hanga ?

P. Gare hurendahphi ambe ma Thauacurita uni ? vel huren daphire ambe ma casingurita uni? vel care ma yquimengata hutendahpe uni ?

P. Ga namunda xandethu piqua- rengue cuhtsinchari querehua cue- cani?

P. Gare mitesqui pirentsite ? vel queresquire pirentsiteni ?

P. Gare queresqui {nota 2 grado)'!

129

herraana hija de tu Tio her- mano de tu Padre?

P. Y has pecado con tu Prima herrnana hija de tu Tio hermano de tu madré ?

P. Y pecaste con tu Prima hermana hija de tu Tia her- rnana de tu Padre?

P. Y pecaste con tu Prima hermana hija de tu Tia her- mana de tu Madré ?

Auita equaro pirentsiten.

P. Gare mitesqui pirentsite Papa equaro? vel queresqui? vel piresqui pirentsiten papa equaro?

P. Gare pii-esqui vauaequaro pi- rentsiten ? vel Mitesqui pirentsiten vauaequaro ?

P. Gare pihchucusqui pirentsiten Tzitziequaro ?

CON VOCABLOS TAN VARIOS SE EXPLIGAN EN ESTE SEXTO, COMO LA EXPERENCIA ENSENA.

A LA MUGER PREGUNTAS.

Y estas amancebada? P. Y has dexado â tu man- cebo ?

P. Y quanto tiempo ha que estas amencebada ?

P. Y has confessado esoe pecado ?

P. Y has pecado con hom- bres, ô algun hombre ha pe- cado contigo ?

P. Y adulteraste ?

P. Y solicitaste pecassen contigo?

P. Y quantas vezes has deseado â los hombres ?

Gare tembutangali esqui ?

P. Gare huracusqui tuhcheueli tem- butahperi ? vel huracusquire yma Tziueretin ; hinguire patzahanga yare thauahchacu ?

P. Ga nahndehtu yongan ys tembu- tanga?

P. Gare pamonguresqui mendero yn camangaritsqua?

P. Gare mitetspesqui Tziuintzani? vel caquini Tziuereti queresqui ? vel Mitesqui matziueritin ?

P. Gare thiaspesqui ?

P. Gare queretarahquaresqui ?

P. Ca namundare xamathu Tzitin- garicuhuaphi ? Tziuintazni quereta- rahquare cuecani?

9

131)

P. Y te palpaste tus car- nes con delectacion '?

P. Y te palpaste las partes vergonzosas ?

P. Y te metiste los dedos en las partes vergonzosas ?

P. Y â ti otro te metio los dedos en las partes vergon- zosas ?

P. Y quantas vezes lo hi- ziste ?

P. Yquantoshombrescon- tigo han pecado?

P. Y quantos eran casa- dos?

P. Y quantos eran viu- dos?

P. Y quantos eran solte- ros?

P. Y quantos eran sacer- dotes?

P. Y quantas vezes con cada uno ?

P. Y quantas vezes peca- ron contigo, ô quantas vezes tu pecastes ?

P. Y quantas vezes dese- aste pecaran contigo ?

P. Y quanto tiempo estu- viste pecando?

P. Y era tu Compadre?

P. Y era tu ahijado ?

P. Y era tu entenado?

P. Gare pa arasqui tuhcheueticui- ripeta xararaxequa himbo yquimen- gata ucuecani?

P. Gare panchuriquai^esqui ?

P. Gare pohchuquaresqui ? P. Ca quini taa pohchucusqui?

P. Ga namundare xamahtu ys us- qui?

P. Ga namunxtni tziuinchaquere thunxsini ?

P. Ca namunxtero tembuchatiecha ephi?

P. Ga namunx Ahtzindi echa ephi?

P. Ga namunx tumpzcacha ephi ?

P. Ga namunx Amberi echa ephi ?

P. Ga namundare xamahtu usqui mandan Tzinereti hinguni ? vel Gana- mundare xamahtu camangaritasqui mandan Tzintretin hinguni ?

P. Ga nanunoa quini quere? vel namundare miteuasqui Tziuincha '!

P. Ga namundare xamathu quere taraquarecuecasqui ?

P. Ga nahyon quini quere?

P. Ga Gompadre ephi ?

P. Ga vuatsite ephi sancto itsi Ah- tahtsicuhperaqua himbo ; notero Gon- firmacion himbo?

P. Ca ephi tuhcheueti peuahpepe- rantsqua ? vel peuantscatate ephi ?

431

P. Y era tu Padastro?

P. Y era tu Padre que te engendro ?

P. Y era tu pariente, ô soys parientes los dos?

P. Y era pariente de tu raarido?

P, Y era tu yerno, ô cono- ciste â tu yerno ?

P. Y era tu suegro, ô pe- castes con tu suegro ?

Y era tu cunado ? ô cono- ciste â tu cunado ?

P. Y era tu consuegro ?

P. Y era tu Tio hermano de tu Padre ?

P. Y era tu Tio hermano de tu Madré?

P. Y era tu hermano ma- yor?

P. Y era tu hermano me- nor?

P. Y los hombres que cono- ciste eran parientes entre si ?

P. Y embiasre algun re- caudo à algun hombre para querer pecar con él.

P. Y has derramado tu semen metiendote los dedos en las partes vergonzosas ?

P. Y otro à ti te ha pal- pado laspartes vergozonsas?

P. Y has pecado con otra muger comosi fuerades hom- bre, y muger ?

P. Y has sido alcahuete ?

P. Ga ephi tuhcheueti uparacuh- pentsti ? vel ca ephi hindequi quini uparacuntsca ?

P. Ca ephi Tatate hindequiquini usca?

P. Ga niitequate ephi ? vel cahtsi milehperahaqui ?

P. Ga vampzte mitequa emba ephi?

P. Ga tarate ephi ? vel ca Taras- quate ephi ? vel Tarambechusquire ?

P. Ga Tarate ephi ? vel ca Taras- quate ephi ? vel Tarambechusq uire ?

P. Ca yusquate ephi ? vel care yuhumbechusqui ?

P. Ca Tarenche quate ephi ?

P. Ga Avitate ephi ?

P. Ga Papate ephi? P. Ga mimite ephi ? P. Ca ephi tuhcheueti vengamberi ?

P. Ga Tziuintza hihchaquixni que- resca Thunxsini mitequa ephi ?

P. Care xaraa ma axaphi Tziuere- tini vandapataran yquimengata ucue- cani?

P. Care Ahtsitasqui tuhcheueli yu- riri pohchuquare parinde ? vel tuh- cheueti xataraxequa?

P. Ca quini ma panchurisqui ?

P. Gare pihchucuhperasqui vel Tiambehperasqui ma cuxaretin hin- guni ?

P. Care castahpesqui ? vel castahpe ephire ? vel castahpe ephi ?

132

P. Y has pecado con casa- dos, yconsolteros, y viudos?

P. Y has despreciado â tu Marido ?

P. Y quantas vezes te has deleytado queriendo pecar?

P. Y quantas vezes eno- jada no has querido pagar el debito â tu marido ?

P. Y has hablado pala- bras deshonestas?

P. Y has retozado con alguna pensando entonces en vellaquerias, y deshonesti- dades, ô deseando pecar con hombres?

P. Y ensenaste â otro ha- zer algun pecado ?

P. Hablaste â alguna 'per- sona para que te consintiera, y no te acusara ?

P. Y has besado â algun hombre con delectacion ?

P. Y quantas vezes no has obedecido â tu marido, y quantas vezes lo has dexado por otro amancebandote con él?

P. Era tu Sobrino hijo de tu hermano ?

P. Y era tu Sobrino hijo de tu hermano?

P. Gare mitespesqui yquimengata himbo, ca ambefzequa himbo ?

P. Gare amutants vampzteni ? vel thauahchacusquire vampzteni ?

P. Ga namundare xamathu haya- penguents Tzepumbaxeparini yqui- mengata ucuecani ?

P. Ga namundare xamathu yquiua- qua himbo no vecasqui ysquiquini vampste, quere piringa ; yquire no pamen chahanga? vel Ga namundare xamahtu cururaxeparini noheyacu ys- qui quini tempste quere cuecahanga ; yquire no pamenchahanga ?

P. Gare ma hinguni, Ambetzequa vandaphi ?

P. Gare chanaphi ma cuiripun hin- guni yquimengata vandangueuapa- rinde ; noretero yquimengata ucuecani Tziuintzan hinguni chanarasqui ?

P. Gare hurendahpe ambe yqui- mengata vni ? vel Gare hurendaphi ne ma cuiripuni Thauacurini ? No care- tero ambema Thauacurita huren- daphi uni ne ma cuiripuni ?

P. Gare ma Ariphi ; ysqui quini castapiringa ; himboqui quini no van- damaruche piringa?

P. Ga ne ma Tziueretin putimucus- qui xararaxequa himbo ?

P. Ga namundare xamahtu no han gangaricusqui, uam uteni? ca namun- dare thauahchacusqui vampsten ?

P. Ga vuahtsite Papa equaro ephi?

P. Gaytzate ephi? vel, ca vuahtsite Tzitziequaro ephi ?

133 -

P. Y era tu Primo her- mano, hijo de tu Tio, her- raano de tu Padre ?

P. Y lias ofendido â tu Marido amancebandote con otro no haziendo caso dél ?

P. Y era tu primo her- mano hijo de tu Tio hermano de tu Madré ?

P. Y pecaste con tu primo hermano hijo de tu Tia her- raana de tu Madré ?

P. Y pecaste con tu primo hermano hijo de tu Tia her- mana de tu Madré?

P. Y consentiste que al- guno con delectacion te me- tiesse los dedos en las partes vergonzosas ?

P. Y pecaste con tu her- mano ?

P. Y has derramado tu seraen con las manos ?

P. Ca mimite Avitaequaro ephi yma cuiripu hindequi quiniquere ?

P. Gare vampste thauahchacu ?

P. Ca mimitengua Papa equaro ephi ? hima cuipu hindequiquini pi- res qui ?

P. Gare mitesqui mimite vavae- quaro ?

P. Gare pihchucusqui mimite Tzit- ziequaro hinguni?

P. Gare casquaresqui Tzepumbaxe- qua himbo, ysqui quindero ma cui- ripu pohchucupiringa ?

P. Gare Pirembehchu.

P. Gare Ahtsitasqui tuhcheuetixara- raxequa hahqui himbo ? vel xararaxe- parinde ahtsitasqui tuhcheueti yuriri hahqui himbo?

EnelSep(imo;no kurtards. Ytihqui yuntzitnan. Has Si pahpe.

P. Y has hurtado algo?

P. Y has hurtado algo de la Iglesia ?

P. Restituyelo.

P. Y has deseado hurtar alguna cosa?

P. Gare sipahpesqui ?

P. Gare ambe maro Dioseo sipah- pesqui?

P. Yntspents.

P. Gare Tzitisqui ambemaro sipah- pecuecani ?

En el Octavo, no levantaràs Ytihqui yunthanimu. Has Tzipe- testimonio, ni mentiras. ratspe ecantspeparini.

P. Y has levantado testi- P. Gare Ariparatatspesqui ?

134

P. Testimonio es ? P. Desdizete?

P. Y has mentido ?

P. Y has raurmurado ?

P. Y renegaste ?

P. Y diste al Diablo ?

P. Y escarneciûte, ô bur- laste de otro ?

P. Araparata esti?

P. M3.yopamunts? val Vanapa- munts ?

P. Care yehcamasqui ? vel Echa- masquire ?

P. Carevandandints? vel Care van- dandesqui ? vel Care vandatzents?

P. Care vandandihpesqui ?

P- Care yntsingaritahpesqui Dia- bloni yquimengari ?

P. Care chanambehpesqui ? vel Cuzcuhpesquire vandaqua himbo ?

En el Nono, no deseards la muger de tu proximo.

P. Y has deseado pecar con hombre, ô has deseado pequen contigo los hombres ?

P. Y has deseado pecar con mugeres ?

P. Y has deseado muge- res pecar para con ellas ?

P. Y has deseado hom- bres para pecar con ellos ?

P.. Y quantas \ezes has deseado pecar con ellos?

P. Yhasembiadorecaudo, ô palabras para pecar con mugeres ?

P. Y has deseado la mu- ger de tu proximo V

Ytihqui yunthamu. Has Curuuetti Tembani Tuhcheueti hinguneqiiate.

P. Care Tzitisqui Tziueritini? vel Care Tzitisqui ysquiquiri quere irin- ga ? vet Tzitisquire quôretarahquare cuecani ?

P. Care Tzitisqui Thauaricuecani cuxaretin hinguni ?

P. Gare Tzitingaricuhuasqui cuht- sinchani yquimengata ucuecani? vel Thiahuacuecani ?

P. Care curuvengari cuhnasqui Tziuintzani yquimengata ucuecani?

P. Ca naraundare xamathu Tzitisqui yquimengata ucuecani ? vel ca namun- dare Tzingari cuhuasqui Thauacuri cuecani ?

P. Care Tzecucu cani vandaphi axani ma cuxareti vandacutarani, yqui- mengata ucuecani ?

P. Care Tzitisqui yquimengata ucue- cani tembani thucheueti hingunequate hinguni ?

135

ElDezimo,no codiciaràs las cosas agenas.

P. Y has deseado los bie- nos agenos?

P. Y has deseado los bie- nes de tu proximo ?

P. Y tienes otro pecado ô hiziste otro pecado ?

P. Dimelo, no me lo en- cubras ?

Acuerdate bien.

Y te pesa de aver ofendido à Bios ?

Ytihqui temben. Has Tzititspe hin- dequi am hapingapoca.

P. Gare Tzitispe hindequi am hapin- gapoca ?

P. Gare Tzitispesqui hingune quate eueri hapingua?

P. Ga haqui matero thauacurita Ambemaro Thauacurita. Notero ys- quire mateto thauacurita?

P. Arirendero yya; ca hasreni opa- ratache ?

Gez miuants? vel Miuata quarenls cet.

Gare pamondaquare haqui Dio- seni thauacuricuni ? vel Gare amon- daquare haqui himboquire thauacu- ricuscaTeruhcan virihcaricumani Dio-

Y propones la enmienda de no pecar mas contra Dios, ni hazer mas pecados.

Gare terumacurantstahaqueno men thauacuricuni Dioseni nohtu yqui- mengata ucuecani Tetuhcan vii-ih- caricumani Acha Dioseni.

BIRMANIE

RÉSUMÉ ETHNOGRAPHIQUE ET LINGUISTIQUE.

Les documents français sur l'ethnographie et la linguistique des Birmans, et en particulier sur le langage des différentes populations de ITndo-Chine occidentale, sont rares ou nuls. Au moment ou l'at- tention se porte de plus en plus sur toutes les questions afférentes à l'étude des peuples de l'Extrême-Orient, j'ai pensé qu'il ne serait pas inutile de traduire le mémoire qu'on va lire, à M. H. R. Spearman, et qui résume les travaux de la plupart des auteurs an- glais ou des missionnaires américains sur ces régions si intéres- santes (Grawford, Pemberton, Yule, Horace A. Browne, Sir Arthur Phayre, Mason, docteur Stevens, MM. Brayton et Cushing). Le seul nom français qu'on puisse citer encore est celui du P. Bigandet, vicaire apostolique de la Birmanie ; mais la plupart de ses travaux, très-estimés du reste, comme on sait, sont écrits en anglais.

Cette traduction est tirée du British Burmah Gazetteer, publi- cation qui peut être considérée, dans sa presque totalité, comme un modèle pour nos administrations coloniales et notamment pour notre Gochinchine.

Il a été malheureusement impossible de reproduire les caractères birmans ou s^lians dont la figuration contribue à donner une plus grande valeur à la compilation de M. Spearman.

J. HARMAND.

Au premier abord, si l'on en juge par la grande variété des dénominations et des dialectes, on ^ serait tenté de

137

croire que d'innombrables tribus, arrachées à leur patrie d'origine et confondues par la guerre, les révolutions, les querelles intestines, sont venues s'égarer dans ce coin de l'Asie, et ont fini par se fixer dans les différentes parties du pays qu'on appelle aujourd'hui Birmanie. Mais un examen plus attentif des mœurs, des usages et de la langue des indigènes, l'étude des traditions dont ils ont conservé les vestiges, permettent d'établir un certain ordre dans cet apparent chaos, et font voir que ces populations peuvent se diviser en quatre branches principales, qui sont constituées par les BirmanSj les Talaing [Moons ou Pègouans), les Kareng, et les Shans. Autour de ces quatre divisions on peut grouper presque toutes les autres variétés de moindre importance. Cependant, il faut mettre à part, comme entièrement différents, les représentants de quelques-unes des tribus sauvages qui se rencontrent dans les montagnes de l'Arakan, et les Selungs, qu'on ne rencontre que dans les îles de l'archipel de Mergui.

Birmans. Le nom que les Birmans se donnnet à eux- mêmes est Myam-ma ou Mram-ma, communément pro- noncé Byamma ou Bam-ma. On est loin d'être fixé sur l'origine de ce mot. Les Chinois, et quelques-unes des tribus circonvoisines qui ont subi l'influence de la Chine, les appellent Miens, et les Thibétains paraissent leur appliquer la même expression. Suivant l'opinion de M. Bigandet, vicaire apostolique du Pégou, dont on connaît la compétence, il est très-possible, il est même probable que le mot Mien soit le nom véritable de la race, et que l'aflixe ma n'y ait été ajouté que par euphonie. On pour- rait, en effet, donner de nombreux exemples de semblables

138 additions. Mais Sir Arthur Phayre, dont l'expérience en ces questions n'est pas moindre, paraît avoir adopté une théorie différente. Argumentant en faveur du mot Mram-ma ou Myam-ma, qu'il regarde comme signifiant originaire- mei'.t homme, il continue ainsi, dans son Histoire de la race. Birmane (1): « Je pense que l'appellation moderne n'a été adoptée qu'après l'introduction du bouddhisme, et qu'elle dérive du mot pâli Brah-ma, qui signifie êtres

célestes Les noms des tribus qui ont formé la nation

birmane sont seulement, à notre connaissance, ceux de Pyoo, Kan-yan ou Kan-ran et Thek ou Sak ».... Quel- ques lignes plus bas, il ajoute : a Est-il possible qu'en adoptant le mot Brah-ma comme nom national, ils aient eu l'intention de conserver le vocable indigène ma {ma, dans beaucoup de langues de l'Indo-Chine, de l'Himalaya et du Thibet, veut dire moi ou homme), ainsi que M. Hodgson paraîtrait disposé à le croire? C'est une question à laquelle je n'oserais répondre affirmativement ; mais je ne garde aucun doute quant à l'origine directe du nom national actuel, et l'on ne peut nullement être surpris en voyant un peuple accepter un mot étranger pour se désigner lui-même : les initiateurs religieux des Birmans leur ont apporté des connaissances de plus d'une sorte ; les divisions de leur territoire, par exemple, ont reçu les noms de provinces du pays de leurs convertis- seurs L'histoire montre d'une façon évidente que le

mot Mram-ma n'a été accepté que lorsqu'un certain nombre de tribus ont été réunies sous un pouvoir solide,

(1) History of the Burmah race {Journ. of the Asiat. Soc. of Bengal, vol. XXXIII.)

139 -

qui l'a imposé d'un seul coup, par un acte de sa volonté souveraine »

En résumé, voici les trois opinions auxquelles s'arrêtent les individualités les plus compétentes, après les plus patientes investigations. Pour Hodgson, le nom dériverait du mot nalif signifiant homme; pour Sir Arthur Phayre, il viendrait du mol pâli Brah-ma, qui veut dire esprits célestes ; et, d'après l'évêque Bigandet, il ne serait qu'une corruption du mot Mien.

. En ce qui concerne l'étude de la langue birmane, il faut toujours avoir présente à l'esprit cette observation que, comme en anglais, il faut prendre comme guide l'orthographe, bien plutôt que la prononciation, et se rap- peler que le phonéticisme s'oppose à ce que l'on puisse suivre les diverses transformations subies par les mots, et empêche de savoir par quels intermédiaires les mots actuels se rattachent à ceux dont ils ont insensiblement dérivé. « Le phonéticisme est le meurtrier de l" histoire. »

Les Birmans ont indubitablement une origine tartare ; comme l'exprime très-fortement feu le docteur Mason, « cette opinion est confirmée par le dessin de leur face, qui montre leur origine mongole, stéréotypée dans tous ses traits en caractères tellement nets qu'il n'y a pas d'erreur possible ». Si l'on voulait s'en rapporter aux anciennes annales birmanes, on pourrait admettre qu'à une époque indéterminée, antérieurement au Vie siècle avant l'ère chrétienne, un conquérant, venant de quelque part, du côté du pays d'Aoudh actuel, attaquait par l'ouest un peuple établi dans les plaines qui s'étendent entre le pied des montagnes et le Gange, et le refoulait dans l'est jusque dans la vallée de l'Iraouaddy, il

140

s'arrêtait. Il y bâtit la ville de Tagoung, dont on voit encore les ruines sur la rive orientale du fleuve, environ 130 milles au-dessus de Mandalay. Bien que beaucoup de détails de cette invasion donnés dans Thisloire indi- gène, puissent être regardés comme des interpolations sans authenticité historique, cependant il paraît certain que les Birmans constituent une race apparentée aux Thibétains, et originairement descendue du Thibet. Les traits principaux de la physionomie des deux popula- tions sont semblables^ le langage des Thibétains présente beaucoup de mots qui se retrouvent en Birman, et, dans les deux idiomes, la disposition- des mots dans la phrase est identique. Dans son Histoire de la Race Birmane, publiée dans le XXXIII^ volume de la Société Asiatique du Bergale, Sir Arthur Phayre s'exprime de la façon suivante : « La théorie de Prichard (Histoire Naturelle de l'Homme) est probable, d'accord avec les faits, d'accord avec les conditions physiques de la région qui s'étend au nord des pays habités aujourd'hui par les races Indo-Chinoises. Voici ce que dit cet auteur : « La vaste région de l'Asie c qui forme le coin sud-oriental de ce continent, bor- « dée par la mer depuis le delta commun du Gange et « du Brahmapoutre, jusqu'à l'embouchure du Hoang-hô « ou Fleuve-Jaune, et même plus loin du côté du nord, « jusqu'aux bouches de l'Amour, est habitée par des « races qui, par leurs caractères physiques et moraux, « ainsi que par l'ensemble de leurs langages, présentent « entr'elles les plus fortes analogies. Il en résulte que « l'on est conduit à les regarder comme ayant une ori- « gine commune. De même que les fleuves qui descen- « dent des hauteurs de l'Asie centrale, et qui déversent

144 « leurs eaux divergentes de tous les côtés dans le sein de « mers éloignées, après avoir traversé d'immenses pays « d'une altitude décroissante, ces nations paraissent avoir « quitté, à des époques différentes, les bords du grand i plateau, de différents côtés, en essaims de tribus qui « sont restées reconnaissables, et se rapprochent par leurs

« traits et par leurs langues »

Le Birman, en général, est un homme bien bâti, au buste fort et bien modelé, aux jambes bien conformées quoique un peu courtes. Hommes et femmes possèdent une longue chevelure noire, dont ils se montrent très-tiers. Ils les rassemblent en un chignon que les hommes portent sur le sommet de la tête, et les femmes sur la nuque : ces dernières ne dédaignent pas d'augmenter par des supplé- ments pris aux autres ce que la nature leur a donné. Les hommes ont une habitude singulière, qui fut autrefois universelle, mais qui tend aujourd'hui à disparaître, et qui consiste à se faire tatouer profondément en noir depuis la ceinture jusqu'aux genoux, de façon qu'ils ont l'air de porter des culottes. Ces tatouages représentent des figures de toutes sortes, des quadrupèdes, des oiseaux fantasti- ques, des monstres, etc.; mais le dessin en est si serré et si embrouillé de traits et d'ornements qu'il est impossible de les bien distinguer. L'origine de cette coutume est très- obscure. Elle n'est pas pratiquée par ceux des autres Indo- chinois qui n'ont pas été en contact avec les Birmans, et elle paraît d'introduction assez récente. Cette mode n'a pas toujours été la même, et à diverses époques le caprice des gouvernants lui a fait subir diverses modifications. On voit souvent des tatouages en rouge sur la poitrine, le dos et les bras. Ce sont des pratiques dictées en partie par

142

la superstition, en partie par la coquetterie et le besoin de se distinguer.

Le Père San Germano, qui vint en Birmanie comme missionnaire, en 1782, a rassemblé pendant son séjour dans ce pays beaucoup d'informations. Les manuscrits qu'il a composés lors de son retour en Italie, à Arpinum, il fut président ou supérieur de son ordre des Barna- bites, ont été traduits par le docteur Tandy, membre du sous-comité romain de VOriental Iranslalion fund of Great Britain and Ireland, et publiés en 1833, avec une courte préface signée N. Wisemann, nom depuis très- connu comme étant celui de l'archevêque de Westminster. Le révérend Père n'a pas conservé une bien haute idée du caractère birman : « Les Birmans, dit-il, se distinguent par l'humilité et la timidité qui caractérise les esclaves.... Mais, s'ils se montrent lâches et abjects devant l'empereur et les mandarins, ils sont en même temps remplis d'arro- gance envers ceux qu'ils considèrent comme leurs infé- rieurs par le rang et la richesse. 11 n'y a pas d'oppression, d'injustice, de marques de tyrannie dont ils n'accablent les autres, lorsqu'ils sont assurés de la protection de l'auto- rité. Ils ne sont pas moins vils et rampants dans l'adver- sité, qu'insolents et présomptueux quand la fortune leur est favorable.... Il est fréquent de voir un Birman élevé on un moment, par le seul caprice du monarque, du der- nier degré de la pauvreté et du rang le plus infime à la dignité de ministre ou de général, et rien n'est plus amu- sant que d'observer, en pareil cas, avec quelle rapidité peuvent se tranformer le maintien et la physionomie d'un homme. Un instant auparavant, il était modeste, courtois et serviable, et le voilà qui aftecte un ton tle gravité et de

_ 143

supériorité, qui prend l'air sévère et imposant auquel chacun peut reconnaître un parvenu de fraîche date.

« Un des autres traits caractéristiques du Birman est son incorrigible paresse. En dépit de la richesse et de l'étendue du pays, qui semble offrir la fortune à qui veut la prendre, ils sont si indolents qu'ils se contentent de cultiver juste ce qui est nécessaire à leur subsistance et au paiement des impôts. Au lieu d'employer leur temps à améliorer leurs biens, ils préfèrent encore se livrer au far-niente, fumer, chiquer le bétel, ou bien encore entrer au service de quelque puissant mandarin. Cette répulsion pour tout travail développe le penchant à la ruse et au vol d'une façon extraordinaire. La sévérité de la loi n'arrive pas à diminuer leur rapacité, et le royaume est entière- ment infesté de brigands.

« Une des maximes les plus répandues chez les Birmans est qu'il ne faut pas mentir. Mais il n'y a pas de précepte qui soit plus violé que celui-là : on dirait qu'il est impos- sible à ce peuple de dire la vérité, et même, si quelqu'un se hasardait à être sincère, il passerait pour un fou, bon homme, il est vrai, mais incapable de diriger ses affaires. La dissimulation fait partie des instincts birmans, et l'indi- gène y est passé maître. Si un Birman a conçu contre quelqu'un une haine implacable, il s'efforcera de capter sa confiance par tous les moyens possibles, jusqu'à ce qu'il ait satisfait son désir de vengeance, ^i sans que jamais le moindre indice puisse jusque-là laisser soupçonner son ressentiment. Au contraire, si un Birman a pris une per- sonne en affection, et que celle-ci partage le même pen- chant, ils feindront tous deux la plus complète aversion réciproque >> Le bon Père accumule ainsi tous les traits

444 -

propres à noircir son tableau : « Mais, ajoute-t-il, toute règle peut avoir ses exceptions, et il ne faudrait pas pen- ser que les Birmans soient dépourvus de toute espèce de bonnes qualités, et qu'il soit impossible de rencontrer parmi eux quelques individus dignes d'estime. On en trouve même dont l'aflabilité, la courtoisie, la bienveillance, les sentiments de reconnaissance et les vertus présentent le contraste le plus marqué avec les vices de leurs compa- triotes. On peut citer, par exemple, de malheureux nau- fragés qui ont été recueillis dans les villages de la côte, et ont trouvé chez les habitants l'hospitalité la plus généreuse, telle qu'on ne la rencontrerait pas toujours dans bien des pays chrétiens ». Le Père San Germano distribue encore quelques bons points à nos indigènes : « Lorsqu'ils font à leurs Talapoins (Hpongyes) leur aumône journalière, il y a toujours quelque oiFrande ayant un caractère d'utilité

publique Ils aiment à se signaler par leur générosité,

et on en voit qui se dépouillent eux-mêmes de tout confort pour le plaisir de se dire les bienfaiteurs de l'humanité : il est vrai que cette conduite puise ses motifs dans la vanité ou l'ambition ; elle est aussi plus ou moins dictée par l'obéissance aux préceptes religieux ».

Tout autres sont les appréciations de ceux qui ont observé les Birmans ailleurs que dans les grandes villes ou au voisinage des centres de population : « Bien différents de la masse des Asiatiques, les Birmans ne sont pas une race de flatteurs serviles. Ce sont des gens d'un caractère très-gai et singulièrement sensibles au ridicule. Remplis d'énergie et d'élasticité morale, les désastres personnels ou domestiques ne les abattent pas longtemps. S'ils n'ont pas le sentiment patriotique très-développé, ils sont en

145 revanche très-attachés à leurs maisons et à leur famille. Exempts de préjugés de caste ou de croyance, ils sympa- thisent rapidement avec les étrangers, et reconnaissent franchement la supériorité des Européens. Bien que très- ignorants et n'ayant guère besoin d'exercer leur intelli- gence, ils ne manquent pas cependant d'une certaine curio- sité d'esprit et aimeraient à s'instruire. La vue du sang que les mandarins font répandre les laisse indifférents, mais ils ne sont pourtant pas individuellement cruels ; sobres, et supportant bien les privations, ils sont cependant non- chalants, n'ont aucune persévérance et manquent de suite dans leurs entreprises. La discipline, le travail régulier leur sont insupportables, mais il faut, par contre, leur reconnaître un esprit entreprenant et aventureux. Grands « tripoteurs » de petites opérations commerciales, on pourrait les appeler, surtout les femmes, une nation de colporteurs et de porte-balles. Us ne sont ni periides, ni menteurs, mais ils se font remarquer par leur crédu- lité et par leur penchant aux exagérations les plus mons- trueuses. Lorsqu'ils sont au pouvoir, ils deviennent arro- gants et fanfarons, ne connaissant plus de règle, se mon- trent corrompus, tyranniques et arbitraires. Ils ne se distinguent pas par leur bravoure, et leurs chefs sont d'une couardise proverbiale ; à la guerre, ils mettent le courage bien au-dessous de la ruse. Sachant fort mal se servir de leurs armes, et n'ayant aucun souci de les tenir en bon état, ce sont des tireurs peu redoutables. Bien que vivant dans un pays sauvage et couvert de forêts, ils n'ont aucun goût pour les jeux et exercices militaires (1). »

(1) Rapport sur la frontière nord du Pégou, par le major Grant

10

- 146

ï Les Birmans ont des accès d'énergie qui tranchent avec leur paresse habituelle ; ils sont passionnés pour les fêtes et les spectacles ; tout en ayant un médiocre respect de la vie humaine, ils manifestent une grande sensibilité quand il s'agit de l'existence des animaux même les plus infé- rieurs. Ils font preuve de beaucoup d'arrogance et de dédain lorsqu'ils occupent de hautes situations. Ce n'est pas un des côtés les moins frappants de leur caractère que de constater chez eux une véritable franchise, et, parmi ceux que n'a pas atteint la corruption des villes, le trait qui les éloigne le plus des orientaux est d'être incapables de dire un mensonge, même le plus spécieux. Le paupé- risme est absolument inconnu parmi eux, mais les riches ne sont jamais très-riches. Lorsqu'un Birman a réussi, par quelque coup de chance, ou par un esprit d'économie fort peu répandu, à amasser quelques milliers de roupies, on peut être sûr qu'il en dépensera la plus grande partie à l'érection de quelque pagode ou Chyoung, ou à se donner le mérite de quelque œuvre religieuse analogue (1). »

La langue birmane est monosyllabique. Les quelques polysyllabes qu'on y rencontre viennent du pâli, qui lui a fourni la plupart de ses termes rehgieux ou artistiques. Il faut remarquer toutefois que nombre de ces mots ont subi des altérations considérables, par suite de la tendance des Birmans à les contracter en monosyllabes. On trouve aussi en birman des mots composés, formés d'un mot pâli

Allan (1855), apud Yule. Il faut attribuer ce peu de goût des Bir- mans pour les choses militaires aux préceptes de leur religion, qui ordonnent de respecter la vie de tous les êtres.

(i) Statistical and Historical Account of the District of Thayet myo, by Coll. Horace Brown. Rangoon, 1874, p. 47-48.

147 -^

additionné de son synonyme birman. La construclion des phrases présente ceci de particulier que, comme en Thibé- taittj les mots y sont placés à l'inverse des nôtres. Les dialectes Kareng, Talaing el Shan présentent une construc- tion analogue à la nôtre. Les noms, les adjectifs, les temps sont toujours formés par l'adjonction d'affixes ou de suf- fixes à une racine verbale. Souvent on transforme les verbes neutres en verbes actifs en aspirant la consonne initiale ; ex : Kya-thee, tomber ; Khya-thee, faire tomber.

A l'exception d'un ou deux, les caractères de l'écriture birmane se composent de cercles, de segments de cercles et de crochets. L'alphabet est d'origine pâlie, et fut sans doute importé en même temps que le bouddhisme. Seule- ment, il dut s'accommoder au monosyllabisme, et de grands changements se sont produits dans la valeur pho- nétique de certaines de ses lettres.

Les Birmans écrivent de gauche à droite et ne séparent pas les mots. L'alphabet comprend dix voyelles et trente- deux consonnes.

Les voyelles sont :

a

u

â

û

0

i

e

Ô

î

ê

di

Les deuxième, quatrième, sixième, huitième et dixième voyelles ont le même son que la voyelle qui les précède, mais plus allongé, e bref a le son de Va français dans prévôt; ê est un peu plus ouvert, comme dans le mot français tête.

Les consonnes sont :

- 448

Gutturales.

kà;

khà;

^";

ghà;

ngà.

Palatales. . .

tsà;

tshà;

;

zhà ;

gnà.

Cérébrales.

ta;

htà;

dà;

dhà ;

nà.

Dentales . . .

ta;

htâ;

dà;

dhà;

nà.

Labiales...

pà;

hpà ;

bà;

bhà,

ma.

ya;

ra;

;

;

thà.

; n (final).

rà, en Birmanie, se prononce presque toujours comme yà. Dans l'Arakan et du côté de Mandalay, on lui donne dans quelques cas une prononciation spéciale.

Les gutturales se prononcent par une émission égale et douce. Les palatales ne sont autres que les gutturales aspirées. Les cérébrales se prononcent à peu près comme les gutturales, mais avec plus de force. Les dentales sont des cérébrales aspirées. Enfin, les labiales sont nasalisées. La prononciation des cérébrales et des dentales est iden- tique. Les premières, ainsi que là, ne se trouvent que dans les mots tirés du pâli ; IM est, à proprement parler, une sifflante.

Chaque voyelle, lorsqu'elle s'associe à une consonne pour former une syllabe, se transforme en un signe (abrégé) qui a la même valeur. Quatre consonnes, qui peuvent s'unir à d'autres consonnes pour former des syllabes {ya, ra, ma, wa), sont dans le même cas.

Le son de plusieurs consonnes, eiiphoniœ causa, varie suivant la consonne qui précède, mais le caractère reste le même. Cette particularité s'oppose forcément à ce qu'il soit possible de rendre le phonétisme, et tous les efforts tentés pour établir une méthode scientifique permettant de noter en caractères latins la prononciation birmane ont démontré que quot homineSy tôt setitentiœ\ Niong^ nyaung.

449

nyoung et ngyoung sont tous employés pour représen- ter le même mot, et, d'après le docteur Mason, deux et trois échantillons du même bois, envoyés à l'Exposition de 1851, comme appartenant à des espèces différentes, n'étaient qu'une seule espèce, portant des noms différents et diversement catalogués. Par exemple : Ban-hoay, han-bhway, Ban-hwaiei Bdn-bwae; Toung-bien, Toung- bhian et Toung-byeng ; Pyeng-kha-do et Pyeng-Ka- deau, &...

Lorsqu'une racine ou syllabe commençant par une con- sonne forte est ajoutée comme syllabe additionnelle à un mot finissant par une consonne douce, la consonne initiale se change en la douce correspondante. Ex :

keng-kô devient dans la prononciation keng-gô. kyi-kan kyi-gan.

tsa-pa tsa-ba.

tha-pyou tha-byou.

Mais si la première syllabe finit par une forte, la con- sonne initiale de la seconde syllabe ne change pas. Ex : lek-patiy tsit-tsa-Ue. Lorsqu'un mot est formé à l'aide d'un verbe et d'un nom^ la règle n'est pas appliquée. Quand le mot est composé de trois syllabes, dont la pre- mière finit et la deuxième et la troisième commencent par des fortes, la seule consonne initiale de la deuxième syllabe se change en la douce correspondante. Ainsi, pa- tswùn-tsiety se prononce pa-zwon-tsiet.

Une nasale finale, devant une douce, se change en la douce correspondante, man-gyec devient mag-gye ; pan- doung devient pad-doung.

Devant une douce, la finale nasale se change en la

- 150

nasale de la classe à laquelle la douce appartient. Ex. : Ihcng-hô, devient them-bô.

La voyelle a est inhérente pour chaque consonne, et se prononce toujours, à moins que le « that » ou marque d'extinction ne lui soit adjoint. L'inhérente a non seule- ment est annihilée dans la consonne finale, mais comme aucune consonne ne peut se prononcer sans l'aide d'une voyelle, la consonne elle-même disparaît. Il semble que l'on essaye de la prononcer sans y parvenir : la terminai- son de la syllabe est très-brusque et très-courte. Dans quelques cas le « that » change en outre l'inhérence a de la première lettre en une voyelle différente. C'est ainsi que de kd-kd, il fait kek et non kak ; de ka-nga keng et non kang; de tatsa tit et non tat. Dans le cas d'un tsd, le « that » détruit Vs aussi complètement que Va. Le / étant annihilé {tué), Vs ne peut être prononcée, son articulation dépendant entièrement de celle du t. Ceci montre évidemment la présence du son t dans la lettre tsa et son aspirée, et indique que ces caractères doivent- être rendus par ts, et non simplement par une s. Ex :. Tsit toung, et non Sit-toiing. Dans le cas d'un gna, le son de la lettre est entièrement changé, tantôt en î, tantôt en ê. Ex. : de tha-gna, on fait thî.

Arakanais. Les habitants de l'Arakan forment sans aucun doute une branche de la race birmane, dont ils se sont détachés à une époque très-reculée : « lis sont séparés de leur berceau par des montagnes qui intercep- tent toute communication, sauf vers l'extrémité méridio- nale de leur chaîne. Ceux qui sont limitrophes du Bengale, au Nord, usent de dialectes particuliers, et se distinguent

151

par des mœurs spéciales. Ils se trouvent en effet en contact avec un peuple de race, de religion et de langage tout différents. Aussi, dans cette région, les traits mongo- liques originels se sont bien modifiés. Le nez est plus proé- minent, les yeux moins obliques que dans l'Arakan méri- dional et que dans la Birmanie proprement dite (1). » Les Hindous les appellent Mugs ; mais eux-mêmes ne fon jamais usage de ce mot pour se désigner. Tous les écri- vains, qui n'ont connu cette nation que par l'intermé- diaire d'autres peuples (c'est-à-dire avant la conquête du pays par l'Angleterre, en 1825), ont aussi employé le même terme, dont on se sert encore aujourd'hui dans les docu- ments officiels de l'Inde. Les Birmans du Pégou les appel- lent Ra-khaing-tha, habitants du Ra-kaing. C'est ce der- nier mot qui, dans la bouche des Anglais, est devenu Arakan. Sir Arthur Phayre en donne l'étymologie dans le mémoire que nous avons cité ci-dessus : « Le mot Ra- khaing semble être une corruption de Rey-khaik, dérivé du pâli yek-kha, employé vulgairement pour désigner un monstre, un être moitié homme, moitié bêle, qui se nourrit de chair humaine, comme le minolaure des anciens. Les missionnaires bouddhistes, arrivant de l'Inde, appelèrent le pays yek-kha-pura, soit parce qu'ils recueil- lirent la tradition fl'une race qui aurait exercé ses ravages à une époque lointaine, soit parce qu'ils trouvè- rent dans les Myam-ma un peuple adorateur des esprits et des démons ».

(1) On the History of Arakan, par le capitaine (aujourd'hui lieu- tenant-général) Sir Arthur Phayre {Journ. of the Asiatic Society of Bengal, vol. XIV, p. 24.)

152

Bien que profondément influencés par leurs voisins de Chiltagong, au nord, ils s'en distinguent pourtant nette- ment, et beaucoup plus que des Birmans ; le Naaf sert de démarcation entre le type touranien et le type caucasien. Dans l'extrême sud de l'Arakan, on peut presque dire que les habitants sont des Birmans; mais, vers le nord, le caractère, le langage et le costume se modifient beaucoup. Ils sont plus grossiers, plus violents, plus infatués de leur origine (1)

Quant aux variations du langage, elles ne sont que des différences de dialectes, quelques mots sont différents, mais la construction grammaticale des phrases est la même. Il est à peu près impossible de faire saisir, en anglais, à un anglais en caractères latins les sons d'une langue qui lui est étrangère ; mais cette impossibiUté devient radicale quand il s'agit de vouloir lui montrer la différence de deux dialectes qu'il n'a jamais entendu par- ler. L'orthographe réelle dans les deux dialectes est la même :

Aralcanain.

Birman.

Jour,

rak,

yek.

Boîte à bétel,

kwan-aik,

kwon-aik.

Eau,

W,

ye.

Cheval,

mroung,

myeng.

Épine dorsale,

roma,

y orna.

Il est reparti,

pran-thwa-bree,

pyan-thwa-byee.

Tavoy. Les indigènes de Tavoy prétendent descendre d'une Colonie venue de l'Arakan, ce qui n'a rien d'impos-

(1) Cemus Report, 4872 (Appendice I, p. 3).

153

sible, vu certaines particularités de leurs mœurs et le dialecte spécial dont ils usent, qui contient certains provin- cialismes arakanais.

Khyoung-tiia. Les Khyoung-thâ habitent l'Arakan, en partie le district d'Akyab, et en partie dans les Hautes- Terres. D'une manière générale, ils appartiennent certai- nement au tronc birman ; mais trois des sept classes qu'on y établit, c'est-à-dire les Da-la^ les Moon-htouk et les Rook, descendent, dit-on, de Talaings qui parurent dans l'Arakan avec une princesse Pégouane, laquelle épousa en 1568 de notre ère un roi de l'Arakan ; cette tradition est jusqu'à un certain point justifiée par les noms eux-mêmes, car on appelait Da-la une ville Talaing, ainsi que le district environnant, située sur la rive droite du Hlaing, en face de Rangoon, et les Talaings se donnent à eux-mêmes le nom de Moons. Ils sont d'humeur pai- sible, et, par le caractère, se rapprochent beaucoup plus des Birmans que de l'orgueilleuse, indolente et oppressive race de l'Arakan (1). » Ils pratiquent le tatouage, mais moins généralement qu'en Birmanie, et ne portent que quelques dessins sur le dos et sur les épaules. Ils ignorent absolument l'art de reproduire la paire de culottes dont nous avons déjà parlé. Bien qu'ils professent le bouddhisme, le culte des esprits tient une très-large place dans leur existence. Ils portent les cheveux noués en chignon ; mais celui-ci est rejeté plus en arrière que chez les Birmans et les Talaings modernes. D'après le capitaine Lewin, ceux

(i) Rapport sur l'administration des Hill-Tracts du nord de l'Arakan (1870-71).

454

de Chittagong placent leur chignon tout à fait en arrière, à la façon des femmes. Il est curieux de voir, ainsi que le rapporte M. Saint John dans le rapport cilé ci-dessus, « que les tableaux en terre cuite de la pagode de Thatone reproduisent la forme de la coiffure des Talaings, qui por- tent leur chevelure en un large nœud rassemblé sur la nuque. » Leur mode d'écriture était primitivement le même que celui de la Birmanie et de l'Arakan; mais aujourd'hui, en récitant l'alphabet, ils donnent à quelques lettres une valeur différente, et les caractères qu'ils emploient pour leurs livres (composés d'un papier rude, reproduisant la forme des manuscrits sur feuilles de palmier), s'écartent beaucoup des types birmans ; leur conversation est aussi remplie de provinciaUsmes particu- liers. M. Saint John attribue ces différences à l'ignorance des anciens écrivains bengalis, qui copiaient imparfaite- ment des caractères qu'ils ne connaissaient pas.

Sir Arthur Phayre place l'origine de ce peuple dans l'Arakan; mais il ne mentionne pas les circonstances qui ont amener leur émigration, d'autant plus remarquable que les Khyoung-tha restent aujourd'hui bien distincts de leurs congénères, et que la plupart préfèrent l'habitation dans la montagne, avec ses difficultés, au séjour dans la plaine.

On ne peut douter que la branche birmane n'ait reçu de l'Inde son alphabet avec sa religion, et il paraît très- probable que les Khyoung-tha sont les descendants de ceux des Arakanais qui s'étaient fixés dans les montagnes, et qui, par conséquent, moins accessibles au bouddhisme et à sa civilisation, conservèrent leur culle primitif, l'adora- tion des esprits, qui les dislingue de leurs congénères de

155 l'Arakan, avec lesquels ils ont cependant un trait commun, l'écriture. Ils durent aussi se mélanger avec leurs voisins de l'ouest, réfractaires au principe bouddhiste qui admet que tout homme qui n'a pas embrassé la vie monastique reste imparfait. Plus tard, il se fit aussi chez eux des mélanges avec les Talaings. Leur nom signifie « fils du Fleuve ».

Khâmi et Mro. Les Khami et les Mro, qui se rencon- trent seulement dans les régions élevées de l'Arakan, sont regardés par Sir Arthur Phayre, le capitaine Latter, et M. Saint John, comme se rattachant à la race birmane. Ces deux tribus ne présentent entre elles que de faibles différences de mœurs et de langage, Khami est le mot de celte langue qui signifie homme. Sir Arthur Phayre écrit à leur sujet : « Cette tribu de montagnards appartient à la même grande famille que les Myam-ma ; leur langage et leur physionomie les en rapprochent. Leurs cheveux sont noirs et rudes; ils ont les pommettes saillantes, les yeux obliques, la barbe rare. On pourrait les regarder comme des Ra-khoing-tha (Arakanais) placés dans des conditions d'existence plus dures ». Quant aux Mro, il ajoute: « L'his- toire des rois de l'Arakan rapporte que celte tribu était déjà installée dans le pays lorsque la race Myam-ma y fit son apparition. On y voit aussi qu'un homme de cette race devint roi de l'Arakan vers le XIV« siècle de l'ère chré- tienne. Une tradition, qu'on trouve dans le même livre, fait remonter à une souche unique les deux races Mru (Mro) et Myam-ma ». Quatre ou cinq générations après, les Khami, qui habitaient les montagnes du nord-est, furent repoussés dans le sud -ouest par des voisins plus

156 belliqueux, les Shandoo, qui refoulèrent peu à peu les Mro et les Kyoung-tha jusque dans la vallée du Kooladan.

Talaing. Dans son histoire du Pégou, qui a paru dans le Journal de la Société asiatique du Bengale, année 1873, Sir Arthur Phayre a donné le résultat de ses recher- ches sur l'origine des Talaings et sur les raisons de leur présence dans cette contrée. Je cite in extenso les conclu- sions de ce travail qui doit être considéré comme le plus parfait qui existe sur ce sujet : « Les traditions et le petit nomhre de données historiques que nous possédons nous conduisent à considérer la côte orientale de l'Inde, et en particulier la région du cours inférieur de la Krichna et du Godavery, ainsi que les districts environnants, en d'autres termes l'ancien Kalinga et l'ancien Talingâna, comme le pays, qui, à une époque très-reculée, colonisa le Pégou. Les habitants du Pégou sont connus des Birmans, des Hindous et des Européens sous le nom de Talaings, qui vient de Talingâna, et le nom qui, au début, ne s'appli- quait qu'aux nouveaux-venus, a fini par désigner dans la

suite la population du pays tout entier La fondation

d'une colonie ou ville de commerce, sur la côte du Râmanya (1), par des habitants de Talingâna, explique le mot Talaing. Mais les Pégouans se donnent à eux-mêmes un autre nom. Il reste à savoir à quelle race il faut les rattacher. Appartiennent-ils, comme tous les peuples qui les environnent, Birmans, Siamois, Karengs, à la grande

(1) Jadis, ce nom désignait toute la contrée qui s'étend entre les montagnes de l'Arakan et l'embouchure de la Salouen. Ce fait montre l'influence indienne.

157 - famille indo-chinoise d'Huxley ? Ont-ils une origine diffé- rente ?

« Les Pégouans se désignent eux-mêmes sous le nom de Mun, Mwun ou Mon. La langue qui leur était propre a presque complètement disparu. Il n'y a peut-être pas cent familles dans le Pégou proprement dit qui parlent l'ancien idiome (1). Pourtant, dans la province de Martaban, y compris une partie de Maula-myaing (2), on trouve encore des milliers d'indigènes qui ne connaissent que la langue raun (3).

« Ce sont, pour la plupart, les descendants d'émigrants qui abandonnèrent le Pégou en 1826, lorsque les forces britanniques vinrent occuper le Tenassérim. Depuis la conquête du pays par Alompra (Aloung-bhoora), 1757-58, le birman avait presque évincé la langue mun. Après la guerre avec l'Angleterre, on proscrivit rigoureusement l'idiome du peuple qui avait favorablement accueilli l'en- vahisseur. On en défendit l'enseignement, soit dans les monastères, soit ailleurs. De tout cela est résulté, en un peu plus d'un siècle seulement, la disparition d'une langue que parlait un miUion d'hommes (4).

(1) Mes fonctions de Deputy commissioner de Rangoon m'ont permis de juger cette estimation un peu faible.

(2) Plus correctement, dans certaines parties du district d'Amhert.

(3) Deputy commissioner d'Amherst, j'ai pu constater compara- tivement peu d'indigènes qui ne parlent que le talaing, et qui ne connaissent pas la langue birmane. Cependant, on trouve dans cette région ce qui n'existe nulle part ailleurs en Birmanie, des monas- tères où le talaing est enseigné à l'exclusion du birman.

(4) Vers la fin du XVIIIe siècle et le commencement du XIXe, quelques milliers de Muns, fuyant la cruelle domination birmane, vinrent se réfugier à Siam. En avril 1837, le docteur Richardson

158

« Physiquement, il est à peu près impossible de dis- tinguer un Mun d'un Birman (1). Cependant, les Muns sont plus petits, et bien que ce soient des habitants du sud, à condition sociale égale, ils ont le teint plus clair que les Birmans. Les Muns appartenant aux classes su- périeures et les citadins, qui sont relativement peu ex- posés au soleil, ont le teint certainement plus clair que les Birmans du nord. Cette particularité pourrait être attribuée peut-être en partie à des mélanges avec les Shans venant du Zemmai (Xieng-Mai) et des régions avoisinantes, mais il y a aussi à invoquer des raisons cli- matériques. Pendant six mois de l'année, le ciel est plus ou moins obscurci par les nuages, et l'usage des para- pluies, employés pour se défendre aussi bien du soleil que de la pluie, est beaucoup plus répandu chez les Talaings que chez les Birmans. Les colorations que l'on observe parmi beaucoup de tribus de l'Indo-chine n'en offrent pas moins un problème qu'il n'est pas toujours facile de résoudre. Chez certaines tribus de Karens, dans la montagne, les jeunes gens, en particuUer, n'ont pas le teint plus foncé que celui des habitants de l'Europe méridionale, tandis que ceux qui sont cantonnés dans le delta de l'Iraouaddy se rapprochent énornément des Muns qui les entourent sous le rapport de la coloration de la

apprit que des descendants de colons muns de Tha-htun étaient éta- blis sur la frontière septentrionale du pays de Hareng-nu (Note de Sir A. Phayre). Je crois que le docteur Richardson a été mal informé. Ce point est discuté plus loin, voir Toung-thoo (Note du compilateur),

(1) Les vrais Talaings ont la barbe, les moustaches et les favoris plus fournis.

iS9

peau (1). Si les caractères physiques que présentent les Muns nous induisent à classer ce peuple dans la famille indo-chinoise, l'étude du langage nous conduit à une con- clusion opposée. Cette remarque a été faite, je crois, pour la première fois par le révérend docteur Mason, mission- naire dans le pays Karen. Ce savant, dans son ouvrage sur la Birmanie, met en relief la ressemblance frappante qui existe entre l'idiome des Muns du Pégou et celui des Horo ou Munda de Chutia Nagpur, appelés Kol. La première syllabe du mot Munda, employée moins pour désigner une tribu que pour dénommer le langage de plusieurs tribus des régions montagneuses du Bengale occidental, est la même que le mot qui sert à désigner les habitants du Pégou. Les rapports entre les deux peuples, démontrés par l'identité d'un grand nombre de mots de leurs deux langues, ont été étudiés par l'honorable M. Campbell, dans un article sur les races de l'Inde {Journal of the Ethnolo- gical Society). Il paraît évident que les Muns ou Talaings du Pégou ont une origine commune avec les Kols et autres tribus dites autochtones de l'Inde, qui existaient peut- être dans cette contrée même avant l'arrivée des Dravidiens. Csoma de Kôros, dans son dictionnaire Thibétain, définit le mot Mon comme étant le nom général des tribus qui

(1) Lors de mon séjour à Bha-maw, à 250 milles au-dessus de Mandalay, je fus vivement frappé du teint rouge des Birmans, aux- quels je connaissais seulement une carnation jâune-sombre dans le sud, et bistre à Mandalay et aux environs. Dans les villages que je parcourus plus au nord, cette coloration était encore plus accentuée. Comparer ce que j'ai écrit moi-même au sujet de la coloration de la peau des Indochinois. (Mémoires de la Société d'anthropolo- gie, 1882, et Archives de médecine navale, 1881.) (Note du docteur J. Harmand.)

160

habitent les montagnes entre le Thibet et les plaines de l'Inde. Tout en affirmant qu'une nation ainsi nommée, qui occupait jadis l'Himalaya oriental, émigra vers le sud, nous n'avons aucune possibilité de décider si les Muns du Pégou suivirent le cours de l'Iraouaddy (Erawati), ou si, se séparant de leurs compagnons dans la région arrosée par le Gange et le Brahmapoutre inférieurs, ils traversèrent l'Ârakan pour gagner leur résidence actuelle. Nous ne connaissons aucun indice de leur passage dans l'Arakan ou le pays de l'Iraouaddy supérieur. Il est bien possible qu'une étude plus complète des langues parlées par quelques-unes des tribus sauvages des montagnes, entre l'Arakan et le Manipur, nous permette un jour de suivre leur piste. Les Dravidiens du Talingana, qui vinrent par mer ce qui ne fait pas de doute coloniser la côte orientale du golfe du Bengale, probablement un millier d'années avant l'ère chrétienne, trouvèrent les Muns à l'état sauvage, et cinq siècles plus tard on les appelait encore bhilu « cannibales. » On retrouve encore des éléments Dravidiens qui ne se sont pas fondus dans cette masse sauvage. Leur nom lui-même se retrouve dans le mot Talaing, qui n'est employé pour- tant que par les étrangers^ et que les indigènes ne connais- sent pas ».

La colonisation Dravidienne eut lieu certainement à une époque bien postérieure à l'arrivée des Muns. Sir Arthur Phayre (p. 32 etseq.) dit encore : « Les noms attribués aux anciens rois, dans les histoires de Tha-htun et de Pégou, sont indiens, mais sont-ils les vrais? 11 est permis d'en douter. On nous dit que les pays d'où ces rois tiraient leur origine s'appelaient Karaunaka, KaUnga, Thubinga, et Bij-ja-na-ga-ran. Il est facile de reconnaître le Karnata,

161

le Kalinga, le Venga, et le Vizianagarara, du sud-est de la

côte de l'Inde Le mot Talingana ne se rencontre

jamais dans les annales du Pégou ; il est toujours rem- placé par celui^ plus ancien, de Kalinga. Les noms des rois les plus célèbres de Tlia-hlun et de Pégou se ren- contrent tous dans des documents hindous, et ont été choisis probablement comme appartenant à des boud- dhistes orthodoxes, ou comme étant ceux de personnages popularisés par les légendes. Ainsi le roi Tik-tha, Ti-tha ou Tissa, de Karanaka, dont les fils sont représentés comme les premiers occupants de Tha-htun, n'est autre sans doute que Tishya, frère d'Açoka. Ce nom se retrouve fréquemment parmi les anciens rois bouddhistes de Ceylan. Le fils aîné est désigné sous le nom de son père, auquel est joint l'affixe Kummâ ; Dza-ya est le nom du fils cadet, lequel paraît devoir être identifié avec Jaya Simha, l'an- côlre des Tchalukya du Talingana, qui vivait dans le com- mencement du Ve siècle de notre ère, suivant Sir Walter Elliot, et environ cent ans plus tard, d'après M. Fergusson. Une branche de celte famille domina à l'Est, dans le Ven- gidêça, qui embrassait les districts compris entre le Goda- veri et la Krichna, des Ghattes a la mer. La capitale de ce royaume était Râjamâhendri. L'histoire de Tha-htun nous apprend que les deux fils du roi Tik-lha se firent er- mites, mais qu'ils adoptèrent deux fils dont l'un fonda la ville de Tah-htun^ il régna sous le nom de Thi-ha Râdzâ. Il est probable que ce nom vient de Râjâ Simha, le fils posthume de Jaya-Simha ci-dessus mentionné, qui, à la suite de troubles violents, succéda à son père. Son origine le rattachait aux Pallavas, ses ennemis, les anciens maîtres du pays situé au sud de la Narmadà, et ce fut

il

i61 chez eux qu'il choisit une épouse. Ces faits sont relatés sous une forme légendaire dans l'histoire de Tah-htun, qui fait naître Thi-ba Râdzâ d'un œuf de dragon et lui donne pour précepteur l'ermite Dzayâ. La dynastie des Tchalukya dura cinq siècles environ; Elle fournit des rois adorateurs de Vichnou, aussi caùsa-t-elle l'exil de beau- coup de bouddhistes ou semi-bouddhistes, établis le long de la côte de Talingâna. A ce propos, Sir Walter Elliot fait la remarque suivante, dont il a bien voulu me faire part : « Anciennement, les communications entre la côte orientale de l'Inde et celle qui lui fait face, y compris la péninsule de Malacca, étaient à n'en pas douter^ beaucoup plus fréquentes qu'aujourd'hui. Elles acquirent surtout toute leur extension au moment de la plus grande prospé- rité du bouddhisme, vers le et le VI« siècle de notre ère. La première grande persécution eut le double résultat de diminuer le nombre des sectateurs de cette religion et de les rejeter en masse sur la côte opposée. Les annales et les traditions sont remplies de récits sur cette époque trou- blée. Quand le prince Tchalukya, frère du roi de Kalyâna, fonda un nouveau royaume à Râjamâhendri^ d'où résulta la dispersion des anciens maîtres du pays, il est infiniment probable que beaucoup de fugitifs émigrèrent au Pégou. Un manuscrit tamoul raconte l'histoire d'un clan boud- dhiste qui quitta la côte sur une flottille de barques, le roi de Mandu à sa tête.

« Il semble que les Dravidiens arrivèrent il y a 2,000 ans, par mer, dans cette région ; ils y trouvèrent des peuplades qui se rattachaient au tronc Kolarien et étaient venues de l'Inde, sans qu'on puisse décider si elles étaient venues par l'Arakan^ ou si elles étaient descendues le long

163 -

de riraouaddy. L'Arakan occidenlal, à partir des monts Roma, la vallée inférieure de l'Iraouaddy, depuis Akouk- toung, tout le Kyaik-hto, ainsi que les plaines de Tha- htoon, sont sortis de la mer, sans qu'il soit nécessaire d'attribuer cette émersion aux dépôts alluvionnaires du fleuve. Le pied des montagnes de l'Arakan, du Pégou et du Martaban était autrefois battu par les flots, et formait de hauts promontoires, séparés par de grands bras de mer, qui permirent aux Rolariens de descendre du nord.

L'histoire et la tradition s'accordent pour nous démon- trer l'existence d'une violente « poussée » du côté du nord.

Les Dravidiens, venus par mer, finissent par s'amal- gamer aux tribus sauvages, mais la fusion dut s'accomplir avec une grande lenteur : quelques siècles, en efl'et, avant l'ère chrétienne, les Talaings c'est-à-dire les derniers arrivés passaient pour une nation très-civilisée, et ils étaient entourés de tribus sauvages, les Kolariens, qu'ils appelaient Bilous ou ogres, cannibales.

Dans les annales de l'Arakan, il est dit que les Talaings se fusionnèrent avec une race nommé Tho-doun, et il n'est pas difficile de reconnaître dans cette expression le mot Tha-htoun,

Comment se produisit ce mélange ? Par fusion réci- proque, ou par absorption? Et si cette dernière hypothèse est la vraie, les Talaings ont-ils absorbé les Mouns, ou les Mouns les Talaings ? Le nom de Talaing, imposé à la race mixte par les peuples voisins, n'existe pas dans la langue de ceux auxquels il est appliqué

Le talaing possède les intonations caractéristiques de la

-_ iU

amille linguistique chinoise, mais moins accenluéeSo La plupart des racines sont monosyllabiques, « mais, de même qu'en karen et en birman, beaucoup de mots sont formés d'après le système polysyllabique : une consonne, le plus souvent une forte avec sa voyelle inhérente, constituent une syllabe sans aucune signification par elle- même, laquelle, préfixée à une racine monosyllabique, sert à composer un nouveau mot ».

De même que le birman et le shan, le talaing s'écrit de gauche à droite, sans séparation entre les mois, et l'al- phabet est composé presque exclusivement de cercles et de segments de cercles. Presque tous les caractères sont les mêmes qu'en Birman, et beaucoup ont la même valeur. 11 y a dix voyelles, qui, en composition, s'écrivent d'une manière très-abrégée. Les sept premières ont le même son qu'en birman, seulement ê se Ht o, comme dans l'anglais oar, au se lit toujours au (aoû) lorsqu'elle est suivie d'une consonne. Les diphthongues et les triphthongues sont :

ai, ivê, uâ, ou, oé, etc.

Il y a deux consonnes de plus qu'en birman : ba, et be-er ; toutes deux ont le son de b. Quand la consonne ng est initiale, elle a la valeur de gn, mais avec un g bien prononcé. 11 n'y a pas d'autre lettre ayant le son du g.

Les consonnes, suivant l'action qu'elles exercent sur les voyelles, sont divisées en deux classes. La première com.- prend les consonnes :

k, kli, (j, gh, t, tha, da, dha, t, th, p^ ph, y, h, r, ba,

avec lesquelles les voyelles adjointes conservent leur son.

165

tandis qu'avec celles de la seconde classe leur son se modifie.

Les modifications causées par l'addition d'une consonne finale tuée sont à peu près les mêmes que dans le shan.

Talaing. pah, pang,

Shan. pak, kang,

Birman. 2iek. keng.

pam (as in pahn),

non usité,

non usité.

pip,

ket (kale),

pip,

non usité,

piep. non usité.

Icap {cap or cape) (1).

keup,

fcoj) (as in cope)

De même qu'en shan et en birman, on fait usage de particules numérales auxiliaires : kal s'applique à l'homme; ainsi timikipikal, trois hommes ; ka-lô se dit des choses disposées en tas ; kidhwâkalô, un tas de terre, etc.

Cette langue est remarquable par son grand nombre de consonnes composées, dont beaucoup ne se trouvent ni dans celles de la Chine ni dans celles de l'Indo-Chine. En birman, il n'y a que quatre consonnes toujours composées avec d'autres ; en Talaing, il y en a neuf. Comme en birman, les consonnes composées se prononcent autant que possible comme une syllabe ; ce sont :

Vgnà, t'dà, fnâ, t'mà, kyà, krâ, klà, kwà, k'bâ, klâ.

a Presque toutes les fortes et les muettes aspirées, ainsi que les liquides, sont composées avec les nasales m et n. On a de la sorte km, khin, chm, chlm, tm, tlim, dm^ pm, phm, mn, kn, klin, gn, Im, gm, etc.... Quelques-uns de

(1) Je laisse subsister l'anglais, pour éviter toute indécision. (J. H.)

166 ces composés paraissent être des contractions de polysyl- labes.

« La grammaire de cette langue est extrêmement simple. Le sujet précède habituellement le verbe, le complément le suit, comme en anglais. Ainsi que dans toutes les autres langues de l'Indo-Chine (1), les distinctions grammaticales sont indiquées à l'aide de particules, préfixes ou suffixes ; mais elles sont bien moins nombreuses en talaing qu'en siamois, en birman ou en kareng. Les mots-particules sont ordinairement des prépositions, comme dans les langues de l'occident. Ex :

pa-do sa-ngî ou sngi

à la maison,

la-tû

sur...

smâu

sous...

ka-ta

devant...

leôk-ka-reôu

derrière...

Le talaing est une langue à part, isolée dans l'Inde transgangétique. En étudiant son vocabulaire, on voit que ses racines n'ont aucun rapport avec le siamois, le birman, le kareng, le toung-thu, le kyeng, le kami, le singpu, le naga, le manipuri, etc., ni avec aucun des idiomes parlés en Indo-Chine (2).

« De mêmej on ne peut trouver aucune affinité entre le

(1) On ne se rend pas bien compte du sens géographique ou ethnographique que le docteur Mason attache ici au mot Indo- chine. D'après ce qui suit, on pencherait pour la signification géo- graphique.

(2) Note du docteur Mason : « Je dois dire cependant que je n'ai pu me procurer des spécimens de cambodgien nécessaires pour poursuivre cette comparaison, et que je ne peux, par conséquent, rien affirmer au sujet de cette langue. »

167

talaing et le chinois, le thibétain ou les autres langues de famille tartare sur lesquelles nous possédons des docu- ments. Il ne se rattache pas non plus aux idiomes aryens du nord de l'Inde, pas plus qu'aux dialectes du sud : télinga, canara, tulu, lamoul, malayalam, et cingalais. J'ai étudié les vocabulaires de toutes ces langues, au point de vue de leur comparaison avec le talaing, et j'arrive à cette conviction qu'elles en diffèrent radicale- ment, malgré quelques ressemblances de mots qui ne sont que des coïncidences fortuites. Quelle est donc alors r.origine du talaing?

On trouve dans le centre de l'Hindoustan, quelques tribus de montagnards sauvages, appelés Kols, Oraons et Gonds, qui se divisent en sous-tribus variées, connues sous les noms de Santals, Bhumijas, Mundas, Rajmaha- hs, etc., et qui parlent des dialectes paraissant dériver tous d'une source unique. Le savant docteur Mason, par- lant ensuite du mémoire du major Tickell, dit : « Jus- qu'à présent, aucun travail aussi complet n'a été pu- blié sur la langue de ces peuplades, et il résulte de son étude cette conclusion singulière que le talaing présente une étroite affinité avec le kol. Les six premiers nombres, les pronoms personnels, les mots qui servent à désigner un certain nombre de parties du corps humain, ainsi que beaucoup d'autres objets matériels, et quelques verbes, bien qu'assez différents à première vue, sont probable- ment dérivés des mêmes racines. » La liste suivante donnera une idée de ces analogies :

Talaing.

Kol,

Homme,

mni,

maie (R.)

T(Me,

kdap,

kape.

168

Talaing.

Œil,

maup,

Oreille,

kto,

Main, bras,

à,

Pied,

jaing,

Mère,

yo,

mê,

Os,

jût,

Huile,

klîng,

Tigre,

kla,

Porc,

klik,

Poisson,

ka,

Terre,

ti,

Montagne,

do,

Pierre,

tmaum,

Eau,

dui,

Pleurer,

yaum,

Écouter,

mlng,

Prendre,

ket,

Gras,

kraun,

Maigre,

srî,

Faim,

klau,

Moi,

ô,

Toi,

mita,

Lui, elle.

nga,

Cela,

nâu,

Un,

mwa,

Deux,

ha,

Trois,

pi,

Quatre,

paun.

Cinq,

msûn,

Six,

trâu.

Kole. met (S. K".-S.-Bh.). khetivê (R.). thi (S. K.-S.-Bh.). subtijanga (S.).

aya (R.).

mai (Bh.). jang (S. K.-S.-Bh.-M.). ning (G.), kula (S.-Bh.-M.).

kis (O.-R.), sukvi (S. K.-S.-Bh.-M.). haku (S.-K.-S.-M.). ote (S. K.-S.-M.). dongar (G.), toke (R.). tongi (G.).

dah (S. K.-S.-B.-M.). raiman (S. K.), ragman (S.), eyam-

man (Bh.). w,ena (R.). kinda (R.). kiriena (S. K.), serua (0.). kive (R.). aing (S. K.). um (S. K.-Bh.-M.), nin (O.-R.), umge

(S.), imma (G.). ini (S. K.-Bh.-M.). no (S.), nea (S. K.). m,oy (Bh.).

baria (S. K.-S.-Bh.-M.). pia (S ), apia (S. K.-Bh.-M.). ponia (S.), upunia (S. K.-Bh.). monaya (Bh.), mo*/a (S. K. ), wo-

sm (M.). turia (S. K.), <Hri/t (Bh.).

(Dans cette liste : S. K. signifie Singblium Khôl; S, Santal;

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R, Rajmahali ; G., Gond; Bh., Bhumij ; 0., Oraon, et M., Munda) (1).

Au point de vue du costume, des mœurs, de la ma- nière dont il cultive le sol, le Talaing diffère peu du Birman. Mais le Talaing présente dans les traits du visage, pourvu qu'il ne soit pas trop métissé, quelque chose d'indéfinissable qui permet à toute personne ayant résidé quelque temps dans le pays de la distinguer des Birmans.

Bien que les Talaings aient adopté le bouddhisme depuis des siècles, ils sont cependant extrêmement supers- titieux. Le culte des Nats, et surtout les sacrifices propi- tiatoires aux esprits, sont la source de pratiques aussi nombreuses qu'étranges. Un événement malheureux, une maladie, et en général, tout ce qui occasionne quelque inquiétude, chagrin ou danger, est attribué à l'interven- tion des mauvais esprits. Ces croyances font vivre un nombre infini de sorciers, de magiciens, hommes et femmes, qui exploitent la crédulité et l'ignorance popu- laires. Le culte antique n'a donc pas été extirpé par le bouddhisme, mais, par une sorte de tacite compromis,

(1) Il me paraît tout à fait étrange que des analogies bien plus étroites, avec des populations beaucoup plus rapprochées, aient échappé au major ïickell, et surtout au docteur Mason. Dans cette courte liste de mots, on est frappé des similitudes avec les langues des sauvages de l'Indo-Chine et avec le cambodgien. Ce qui est bien plus étonnant, et mériterait une étude à part, ce sont les rap- prochements que cette liste amène à établir entre les sauvages refoulés dans les montagnes de l'Indo-Chine et ceux qui ont été repoussés jusque dans le centre de l'Hindoustan. (Note du docteur Harmand.)

- 170

les deux religions vivent fraternellement côte-â-côte, sur le pied d'une mutuelle et entière tolérance (1).

Karengs. Les Karengs n'ont pas de nom distinctif pour se désigner eux-mêmes. Le terme birman Kareng n'est connu que de ceux qui vivent en Birmanie. Les noms qui s'en rapprochent le plus sont ceux de Ka-ja, appliqué à eux-mêmes par les Kareng-nee ou Karengs- rouges, et de Ra-yay, usité assez souvent par le clan Bghai-

Bien que les Birmans se servent du mot kareng dans un sens général, ils savent parfaitement qu'il existe de grandes différences entre les diverses tribus qui portent ce nom ; c'est ainsi qu'ils les subdivisent en Kareng Myit-tho (moulons de rivière) et Kareng-Birmans ; K. Myit-Kyeng (Kyeng de rivière) et K. Talaing, Kareng Taw-bya (abeilles de forêt) ; K. Bhee-loo .(ogres) ; K. née (K. rouges) ; K. Liep-pya-gyee (grands papillons) ; K. Liep-pya-ngay (petits papillons), et K. Againg (K. sauvages).

Ils sont incontestablement d'une autre race que les Talaings et les Birmans, et il est certain qu ils ne sont pas originaires du pays qui porte aujourd'hui le nom de Birmanie. « Les Karengs, dit le docteur Mason, me dési- gnèrent la région leurs ancêtres étaient, venus s'établir à l'époque d'Âlompra (Aloung-bhoora). Nous nous trou- vions en ce moment au pied de ruines qui semblaient les restes de quelques fortifications :

« Je leur demandai quels étaient les constructeurs de

(1) Cette remarque peut s'appliquer à tous les pays bouddhistes de l'Indo-Chine. (J. H.)

- 171

cette ville, et ils me répondirent : « Elle existait déjà dans nos jungles au moment de notre arrivée. Nous venons du Nord, nous vivions indépendants des Birmans, des Siamois et des Talaings, qui nous gouvernent à présent. Notre pays était voisin d'Ava, et la capitale s'appelait Toungoo. Tous les Karengs de Siam, de Birmanie et du Pégou sont originaires de cette région. » Lorsque je les interrogeai sur l'époque de leur dispersion, ils restèrent silencieux. L'événement avait eu lieu bien avant eux, évi- demment, et il était déjà trop ancien pour qu'ils fussent capables de lui assigner une date précise. Toutefois, leurs traditions s'étendaient bien au delà de Toung-goo. L'ho- rizon brumeux, disaient-ils, était limité par « la rivière des sables courants », que leurs ancêtres durent traverser au milieu de grands périls, car on n'y voyait pas un seul sentier frayé, et le vent y faisait rouler les sables comme les vagues d'une mer. Ils étaient conduits par un chef qui possédait une puissance plus qu'humaine. » Le journal de voyage du pèlerin chinois Fa-hian, qui visita l'Inde dans la première moitié du siècle, nous renseigne sur cette « rivière des sables courants ». Parlant du grand désert de Gobi, qui s'étend de la Mongolie au pays de Yarkand, et de la Dzoungarie, au Thibet, il dit : « Le Gouverneur de la « Cité des Sables » me fournit le moyen de traverser la « Rivière des Sables ». Cette région est peuplée de mauvais esprits et balayée par des vents si brûlants, que quiconque se trouve sur leur passage est certain d'y mourir. On n'observe aucun oiseau dans l'air, aucun quadrupède sur le sol. Tout autour du voyageur, aussi loin que la vue peut s'étendre, les seuls points de repère qu'il puisse apercevoir sont les squelettes de

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ceux que la mort y a surpris; eux seuls jalonnent le chemin. »

Les traditions karengs révèlent avec certitude l'existence d'anciennes relations avec la Chine. Elles parlent de Tu ou Tien comme d'une divinité inférieure à Jéhovah, et les sacrifices ou offrandes aux ancêtres sont aussi répandus chez les Karengs que chez les Chinois.

Par leur habitude physique et leurs méthodes de culture, les Karengs se rapprochent, diL-on, des Miau-tsi ; cepen- dant, le colonel Mac-Mahon nie cette ressemblance, et, quant à leur système de culture, il leur est commun avec celui de toutes les tribus de montagnes de l'Indochine. Ils ne font pas de terrasses sur les flancs des montagnes, mais abattent les forêts qui les couvrent, brûlent bois et feuillage, et jettent les graines dans la couche de cen- dres. Comme les pluies, qui surviennent ensuite, entraî- nent toute la couche végétale fertile, on ne peut plus faire de récoltes dans le même endroit avant dix ou quinze années. Chaque village, très-petit, composé rarement de plus de trente ou quarante cabanes, a besoin pour sa subsistance d'un très-vaste espace de terrrain.

Leurs traditions sur la création et la chute de l'homme sont entièrement conformes au récit biblique. Les noms d'Adam et d'Eve s'y trouvent même reproduits, et il y est fait mention du déluge.

trouvera-t-on, dans les traditions des nations païennes qui n'ont jamais connu la Bible (1), des épisodes

(4) Il est évident que c'est précisément le point contestable. Je m'excuse d'être obligé de reproduire un passage aussi peu sé- rieux, qui, présenté dans une telle forme et sans autre explication, a l'air d'une véritable mystification, (J. H.)

173

bibliques aussi exactement reproduits que dans les stances suivantes :

« Jadis tout se soumettait à la loi de Dieu, mais Satan vint, qui amena le bouleversement.

« Jadis, tout se soumettait à la loi de Dieu, mais Satan vint, qui poussa à la damnation.

« Le cœur du Dragon détestait E-u, la femme, et Tha-nai, l'homme.

« Le Dragon les regarda. Le Dragon trompa la femme et Tha-nai.

Comment cela est-il arrivé ?

(( Le grand Dragon réussit à pousser à la damnation.

« Comment cela s'est-il fait ?

« Le Dragon prit un fruit jaune, et le donna aux enfants de Dieu.

« Le grand Dragon prit un fruit blanc, et le donna à la fille et au fils de Dieu.

« Ils transgressèrent les commandements de Dieu, et Dieu détourna d'eux sa face.

« Ils transgressèrent les commandements de Dieu, et Dieu les chassa.

« Ils ne regardèrent pas la parole de Dieu, et furent induits au mal.

a Ils ne gardèrent pas la parole de Dieu, et furent poussés à la damnation. »

Les Kareng-nî (rouges) ont des traditions très-ana- logues, ils appellent leur Dieu Ea-pay. L'absence de toute allusion au christianisme montre qu'ils n'ont jamais connu le Nouveau Testament, et si leurs traditions ont leurs sources dans la légende écrite, elles ne peuvent dériver que de l'Ancien Testament.

174 ~

Depuis quelques années, au dire des missionnaires, des villages juifs, en possession du Pentateuque, auraient été rencontrés à Ching-fu, non loin du Lushan, qu'on suppose avoir été le berceau des Karengs. Il serait très-intéressant de savoir si les Miau-tsi ont des traditions analogues à celles des Karengs, car il deviendrait à pou près évident, dans ce cas, que les Karengs tirent leur origine du nord de la Chine. Il est possible qu'à une certaine époque des tribus chinoises se soient trouvées en contact avec des peuples qui possédaient les croyances de l'Ancien Testa- ment, aient adopté en partie leur foi, et en aient gardé quelque chose, même quand elles descendirent, à une époque très-reculée, du grand Plateau central.

Mais comment les Karengs peuvent-ils venir de la Chine, lorsque leurs traditions racontent qu'ils ont vécu aux environs d'Ava ? Leur départ de Chine eut lieu avant l'apparition du bouddhisme, ou peut-être fut causé par la nouvelle rehgion, et nous savons que le bouddhisme pénétra en Chine pendant le premier siècle de notre ère. Les Karengs racontent que leur chef, à la tête de quelques tribus, commença par exécuter une reconnaissance du pays, et jeta son dévolu sur la région qui avoisine aujour- d'hui Labong et Xeng-Maï, à l'est du Salouen. Mais lors- qu'il revint à la tête de sa nation, il trouva cette région occupée par les Shans. Suivant les annales des Shans, la fondation de La-bong remonte à l'an 574 de notre ère.

Il semblerait donc qu'il , y ait eu trois émigrations Kareng. La première du plateau central, la seconde du nord de la Chine, vers le deuxième siècle, à la suite duquel un royaume fut fondé près d'Ava, et la troisième vers le Ve ou le Vie siècle. Dans cette dernière, les Karengs

175 descendirent au sud, et se répandirent sur toute la région montagneuse comprise entre l'Iraouaddy, la Salouen, le Mènam et la mer.

Celte race se divise en trois tribus, qui comprennent chacune des clans distincts, reconnaissables au costume et au dialecte.

I. Sgaw. (C'est le nom qu'ils se donnent eux-mêmes).

a) Appelés Mijit-tho par les Birmans.

h) Appelés Shan par les Pwo.

c) Appelés Pa-Kou par les Karengs-nî.

d) Appelés ^arengfs 6tonc5 par quelques auteurs anglais.

e) Appelés Kareng birmans par les auteurs anglais, les Birmans et les Talaings de Bassein, de Thoon-khwa et Rangeon.

1. Ma-ni-pgha. Se trouvent à Toung-ngou. Un des rares clans qui élèvent des animaux domestiques, en dehors de la volaille et des cochons. Certains les considè- rent comme appartenant à la tribu Pwo, à cause des nasales de leurs dialectes. Ils sont pour la plupart chré- tiens.

2. Pa-kou. Costume consistant en une tunique ou blouse sans raies, bordée inférieurement d'une étroite bande bordée, dont la coupe diffère suivant les villages. Leur dialecte se rattache de très-près à celui des Pwo, mais il manque de consonnes finales. Ils gardent dans leurs cases des pierres auxquelles ils attribuent des vertus miraculeuses ; cette coutume se retrouve dans d'autres tribus, mais ce qui est particulier aux Pa-kou, c'est la croyance qu'on peut causer la mort d'un ennemi en frap- pant l'empreinte de son pied avec une de ces pierres. Plus de 2,000 sont chrétiens.

176

3. We-wa. Leur dialecte dérive de celui des Pwo, et leur nom signifie aller et revenir. Leur vêtement est assez variable. Ils sont dans un état de civilisation très- inférieure. Ce n'est que depuis très- peu de temps que leurs femmes ont appris à tisser.

H. Pwo. Ainsi appelés par les Sgaw. C'est le nom sous lequel ils sont le plus généralement connus ; s'écrit parfois Pgho.

a) Appelés Sho par eux-mêmes.

b) Appelés Mytl-kyeng par certains Birmans.

c) Appelés Talaing hareng par certains Birmans et quelques auteurs anglais.

1. Mo-phga. Ainsi appelés par les missionnaires. C'est aussi le nom qu'on leur donne le plus souvent. Ils sont encore appelés :

a) Tag-hia par les Birmans. h) Pie-do par eux-mêmes.

c) Pie-zâu par eux-mêmes.

d) Ptâu par eux-mêmes.

Leur costume consiste en une blouse blanche avec des raies rouges longitudinales. Se trouvent dans quelques villages de Toung-ngoo. On observe chez eux deux ou trois dialectes; de les noms 6), c), d) ci-dessus, qui ont tous la même signification, homme. Ils sacrifient un taureau noir au maître de la terre. Beaucoup ont em- brassé le christianisme.

2. Ta-rou. Ainsi appelés par les Kareng-nee. C'est celui qui sert le plus souvent à les désigner. Ils ont encore les noms suivants :

a) Khou-hto pour eux-mêmes.

b) Pa-doung pour les Gai-kho.

177

c) Bhee-loo pour les Birmans.

Ils portent des pantalons très-courts. Les femmes on une sorte de toge, des colliers de cuivre, ainsi que des anneaux au-dessous du genou, ce qui les distingue des femmes des tribus voisines, qui les portent au-dessus du genou. Les hommes se rasent la tête, k l'exception d'une touffe de cheveux qu'ils réservent près de chaque tempe. Leur dialecte démontre qu'ils appartiennent bien à la tribu Pwo. Ils laissent^ leurs voisins en paix, mais sont presque lonjours en lutte entre eux.

"3. Shoung. Ils portent des pantalons blancs, dont le bas est bordé de lignes rouges rayonnantes. On les ren- contre sur la frontière septentrionale du Tounh-ngoo. Avant l'annexion, _jCertains villages étaient exempts d'impôts, à charge de supprimer les incursions des Kareng-nee.

4. Ha-shwaï. Ainsi appelés par les Bghai. C'est le nom sous lequel ils sont le plus connus. Eux-mêmes se nomment Ha-shou.

Vêlement. Pantalo-ns. -r Se rencontrent au nord du Toung-ngoo. Ils sont grands, sveltes, actifs et belliqueux. Les femmes sont dégradées et affreuses.

5. Gai-kho. Ainsi appelés par les Bghai. C'est le nom sous lequel ils sont le plus connus.

a) Appelés Ka-roun par eux-mêmes.

b) Appelés Pra ka-young par eux-mêmes. e) Appelés Pra-doung par les Kareng-nee.

Leur costume consiste en un pantalon de soie, souvent orné de broderies élégantes et rayé vers le bas de lignes rouges rayonnantes. Ils sont d'un naturel sauvage et bar- bare, et se considèrent comme supérieurs à tous les autres Karengs. Les hommes sont robustes, grands, et aiment la

12

178

guerre et les aventures. Les femmes sont aussi grandes et belles, et leur teint est le plus souvent d'un blanc vermeil. Ils ne peuvent souffrir les chevaux et les éléphants, ne veulent pas les laisser entrer dans leurs villages, et refu- sent de leur procurer aucune nourriture. Une autre parti- cularité caractéristique, qui disparaît aujourd'hui, consiste à brûler un esclave à la mort de tout vieillard posses- seur d'esclaves.

III. Bghai. G'est^le nom que leur donnent les Sgaws, et celui sous lequel ils sont le plus généralement connus. Eux-mêmes s'appellent Pye-ya.

1. Kareng-nî, ainsi appelés par les Birmans {ni^ rouge).

a) Appelés par les Anglais Kareng rouges.

b) Appelés par les Shans Yang-aiag.

c) Appelés par eux-mêmes Ka-ra.

d) Appelés par eux-mêmes Pra ka-ra,

e) Appelés par d'autres Bghai Bghai-moo-hte.

f) Appelés par les Gai-koo The-pya.

Ils portent des pantalons rouges à raies noires ou blan- ches, très-étroites et longitudinales ; parfois ces raies sont noires ou rouges sur fond blanc. Leur turban est rouge vif. Ils occupent le pays situé au nord des possessions anglaises, et se divisent en Kareng-nee occidentaux, et Kareng-nee orientaux, qui sont perpétuellement en guerre. Quelques-uns se sont établis sur le territoire britannique. Ils sont extrêmement barbares, et pillent leurs voisins sans merci; cependant, les Kareng-nee occidentaux se dis- tinguent par des mœurs sensiblement plus douces. On doit surveiller de près ceux qui sont installés en pays anglais, car ils sont gens à piller et à voler toutes les fois

179 qu'ils en trouvent l'occDsion. Lorsqu'on les fait prison- niers, ils avouent très-volontiers les faits qui les concer- nent ; mais on ne peut leur arracher une parole touchant leurs compagnons. On les rencontre parfois dans le sud jusque dans le delta de riraouaddy et le district d'Amherst; mais ils y séjournent rarement plus de trois ou quatre ans.

2. Bghai-ka-lew. Appelés Tiinic-Bghai par les Anglais, et Liep~pya-gyî par les Birmans.

Leur vêtement se compose d'une tunique blanche à raies rouges longitudinales. Ils n'ont que quelques villages, tous dans le Tounh-ngoo.

3. Bgliai-ka-nta. Appelés Pant-Bghai par les Anglais, Kareng-a-yaing, Laïp-pya-nghay par les Birmans.

Ils portent des pantalons blanc, ornés en bas de lignes rouges rayonnantes. Ils habitent les versants ouest des montagnes comprises entre la Salouen et le Tsit-toung, près de la frontière. Ceux qui en eurent dans le voisinage de la plaine sont un peu moins sauvages que les monta- gnards de l'intérieur. Ils ont un goût prononcé pour la chair de chien, qu'ils mangent sans sel.

4. Lay-may. Ainsi nommés par les Birmans, appelés Pray et Brec parles Kareng-nee. Ils vont à peu près nus. Ils sont sauvages, traîtres et ignorants.

5. Ma-nou-ma-aou. Portent le pantalon. On ne sait que fort peu de chose à leur sujet.

6. Tshaou-kho. Portent un pantalon orné de raies rouges ou noires.

La langue des Karengs est monosyllabique : elle manque donc d'inflexions ; mais ell« est abondamment pourvue de de suffixes et d'affixes, « Ils ont des affixes de nombre et

180

de genre. Les cas sont distingués, dans un certain nombre de circonstances, par la position du mot dans la piirase, par exemple pour le nominatif et l'accusalif. Le vocatif se caractérise par des affixes, le datif et l'ablatif par des pré- fixes. Ils ont des particules auxiliaires équivalant à des prépositions. Le comparatif et le superlatif des adjectifs se font au moyen d'affixes, qui ne font pas défaut non plus pour tous les pronoms personnels, réflectifs, possessifs, interrogatifs, démonstratifs, distributifs, réciproques, indé- finis ou négatifs. Les démonstratifs correspondent souvent, dans la langue Kareng, h l'article défini des autres langues, et ils sont munis d'un affixe analogue à celui qui carac- térise le cas emphatique en Chaldéen. De même qu'en hébreu et en grec, les articles sont employés pour dési- gner des objets préalablement mentionnés ou déjà connus. C'est ainsi que àyyùoç se rendait en Kareng par un ange, sans affixe, mais que to àyYs^oç se traduirait par Vange, avec affixe démonstratif. Il existe en Kareng une particule qui est équivalente à un pronom relatif, toutes les fois que l'antécédent et le relatif ne sont pas séparés par d'autres mots ; dans tous les autres cas, il n'existe pas de pronom

relatif Les Karengs ont aussi des particules qui servent,

étant attachées au verbe, à exprimer les trois modes actif, moyen et passif. Les verbes possèdent cinq cas : indicatif, comparatif, potentiel, optatif et subjonctif; trois temps : l'aoriste, le parfait et le futur ; trois personnes et deux nombres. Ils ont encore à leur disposition beaucoup de particules qui permettent d'exprimer les diverses modifi- cations du verbe, jouant un rôle analogue à celui de cer- taines prépositions grecques

L'arrangement ordinaire des mots dans la phrase est

- 181 celui-ci : sujet-copula-attribut ; ou bien, lorsque l'attribut se compose du verbe avec son complément : sujet-verbe- objet. Les expressions adverbiales peuvent se placer avant ou après le verbe. La négation se place immédiatement avant le -verbe, excepté dans une certaine forme de néga- tion usitée chez les Pgho et les Karengs rouges, elle suit immédiatement le verbe. D'ordinaire, l'adjectif suit le nom qu'il qualifie. Le nominatif vient habituellement der- rière le verbe, et quelquefois, mais rarement, l'accusatif le précède. Dans le cas absolu, chaque partie de la phrase,

cependant, peut se placer la première Les membres

de phrase antithétiques, exceptifs, ceux qui indiquent causalité ou hypothèse, sont placés avant ceux auxquels ils se rapportent, tandis que la conclusion se met en der- nier lieu, et que les phrases intentionnelles ou compa- ratives peuvent tantôt suivre, tantôt précéder les autres. Les substantifs répétés indiquent la multiplicité. Parfois, la répétition des phrases a pour but de signifier répar- tition. Ainsi, il a donné à une personne une tasse, veut dire : il a donné une tasse à chacune des personnes. La répartition accompagnée d'une conjonction comporte l'idée de diversité; par exemple : une personne et une per- sonne, signifie : différentes personnes. Les racines ver- bales (? vet bal-roots) répétées sont emphatiques. Ainsi : aller vite, vite, s'entendra : aller très-vite. Les mots imi- talifs de sons sont souvent répétés après les verbes, et une semblable reduplication est employée par emphase, dans le cas une action peut être rendue par une ono- matopée

« Beaucoup de mots sont constitués par une racine simple ; d'autres sont composés d'une ou plusieurs racines,

482 et il résulte des significations entièrement différentes. Par exemple :

iu, mauvais, avec lâu, descendre, donne iulâu, dégénéré. sgha, peu, avec lâu, descendre, donne sghalâu, diminué, a, beaucoup, avec tâu, donne atâu, augmenter. ma, faire, avec Mi, paddy, donne ahû, faire la moisson.

On compte ainsi des mots à l'infini. Un autre mode de combinaison caractérisque consiste à former des mots qui désignent une partie du tout, en employant la racine qui sert à dénommer le tout lui-même. Par exemple, un mot étant donné qui signifie un membre de corps humain, ser- vira à former tous les autres mots nécessaires pour dénommer les diverses parties de ce membre, à l'inverse des autres langues qui emploient des mots spéciaux. Ex :

su, bras, combiné avec niu-ki, angle, donne sû-niu-ki, coude. Le même, combiné avec la, feuille, donne sû-la, main ; le même, combiné avec ko, tête, donne stl-ko, poing, etc.

Avec ce procédé, on obtient plus de quarante mots com- posés qui désignent les diverses parties du bras ou de la main. Il existe plus de vingt mots qui ont tous pour pivot le mot œil. En Kareng, beaucoup de nouvelles racines sont formées par l'adjonction à d'autres racines d'une des muettes fortes avec sa voyelle inhérente k\ ts\ (ou s') t\ p\ Ainsi de û, cri d'un singe, on fait ks'û, grognement ; de ma-î, musique des instruments à vent, on fait k'maîf rendre des sons mélodieux. La langue kareng est remar- quable aussi par l'emploi qu'elle fait des mots accouplés, qui n'ont plus que le sens de l'un seulement de ces mots. Ainsi :

183

nâu, herbes, associé au mot mai ou maïng, sauvage (en parlant des choses).

1. hlàu (sarcler, arracher), «dw, hlâu mai, arracher les herbes.

2. klâu, nâu maï

3. klâu nâu

([ Ces trois formes ont toutes la même signification, bien que littéralement on doive traduire :

1. arracher les mauvaises.

2. arracher les mauvaises herbes.

3. arracher les herbes.

'<i Le mot associé est souvent choisi à cause d'une cer- taine ressemblance ou association d'idées qu'il présente.

Ta-û, ta-khai, nuage-obscurité, ta-û, nuage. Ta-khat, ta-na, obscurité-nuit, ta-khai, obscurité. Dî-gnya, grenouille-poisson, gnya, poisson. Ta-hpaï, ta-gnya, peau-chair, tagnya, chair.

« Quelquefois, le mot accompli est étranger, mais ayant dans la langue d'où, il est tiré la même signification que le mot indigène auquel on l'adjoint :

Klâu-nway espèce bovine {nwa est birman). Htaï-noung, eau {noung vient du siamois nam). Hiu-khoung, homme (khoung vient du siamois Jchon). Nâu-htâu-bhûra, pagode (bkûra est birman).

« 11 arrive qu'avec les progrès de la linguistique, on trouve parfois la signification et l'origine de l'un des mots du couple, qui paraissait d'abord n'avoir aucun sens par lui-même. Ex : tchû, accouplé au mot tska, donnait un complexe signifiant : être malade, dans lequel tchû parais- sait inexplicable, lorsque l'étude du bghai apprit que dans celle langue, il veut dire fièvre.

184

« Chaque clan use d'un dialecte particulier. Tous ces idiomes, du moins ceux que nous connaissons, peuvent être divisés en deux classes, suivant qu'ils ont ou n'ont pas de consonne finale. Le pwo a la consonne finale ; le sgaw et le bghai ne l'ont pas. »

SgAu et Pwo. La particularité la plus caractéristique du pwo est surtout la finale nasale ng, tandis que le sgaw et la majorité des autres dialectes ont des voyelles pour finales.

Sgàu : Te, former, crier. Pwo : Taing. Naï, bord. Naing.

Tche, tunique. Tshaing.

E, mordre. Aing.

Htâu, monter. Htaing.

Lâu, descendre. Lang.

« Le pwo aspire souvent la muette forte du sgaw :

Sgâu : Ka, casser. Pwo : Kha. Tso, porter. Tsho.

Tii, recevoir. Htong.

Pla, renvoyer. Hpta.

« Les muettes douces du Sgâu deviennent fréquemment des fortes dans le pwo :

Sgâu : Daï, concombre. Pwo : Htaî. Ble, être doux. Phle.

Dwâu, sauterelle. Htway.

De, une branche. Htaing.

« On observe parfois le contraire :

Sgâu : Tau, frapper. Pwo : Do.

Htaï, voir. Da.

185 « La syllabe muette douce du sgaw manque souvent en pwo :

Sgâu

Kana, écouter.

Pwo

: Na.

Kaman, fiel.

Mang.

Mûkanâu, fille.

Mûnang.

Sakho, mangue.

Kho.

Thapiu, bavard.

Hpung.

t Le gny du sgâu n'existe pas dans le pwo. Il est généralement remplacé par y : »

Sgâu

Gnya, avant.

Pwo : Ya.

Gny au, être facile.

Yâu.

Ragnyâu, refuser.

Rayang.

Thakagnyâu, miséricorde.

Yangtha.

Bghai. Le bghai est surtout caractérisé par les noms de nombre. Les cinq premiers sont à peu près identiques à ceux du sgâu. Mais :

Six, se dit en Bghai : thiu-tho, littéralement : trois paires. Sept, thiu-tho-ta, trois paires un.

Huit, twai-tho, quatre paires.

Neuf, twaî-tho-ta, quatre paires un.

On ne peut signaler rien d'analogue dans le système de numération des populations circonvoisines.

Le sgâu et le bghai diffèrent le plus souvent par des changements de voyelles. Toutefois, un grand nombre de mots racines du bghai ne se retrouvent pas dans le sgaw ou le pwo :

Bhgai : Daï, armée. Sgâu : Nai.

De, riz cuit. Me.

Katkay, mauvais. lu.

Na, droit, Lo.

186

Le kareng-rouge se distingue du bghai ordinaire par l'emploi fréquent du v, et par quelques changements dans les particules. Beaucoup de racines, bien qu'ayant une origine commune, sont sujettes à des modifications, ainsi le gh, qui représente le g arabe, ghain, est très-employé par le sgâu et le pwo ; en bghai, il se transforme en w, et dans le kareng-rouge, il devient presque tou- jours r.

Serpent, se dit ghû en sgâu, vu en bhgaî, et en kareng-rouge.

Rotin, ghaï . waî raï

Bon, ghe we re

Froid, gho wâu râu

Acheter, pghe phge pre •—

Les Kareng-Pwo du nord de la Birmanie britannique parlent, paraît-il, des dialectes du pwo et l'idiome des tribus de l'est diffère de celui des tribus de l'ouest, surtout par l'emploi de 1'/ et de sifflantes inconnues dans le pwo, le th est remplacé par le t.

Le mopgha se rattache plutôt au pwo du nord qu'à celui du sud. Il possède 1'/ et les sifflantes caractéristiques du précédent dialecte ; il emploie également le t.

Plusieurs mots qui, dans les autres dialectes, sont for- més par un m suivi d'une voyelle ont la même consonne précédée d'une voyelle en mopgha.

Mopgha.

Sgàu.

Pwo.

Bghai.

Mère,

am,

mo,

mo,

m,iu.

Nom,

em,

mai,

maïng,

mal.

Heureux,

mû,

mi(,

mi\k,

mâu.

Vivant,

lem,

thamû,

mûng,

thamo.

« Quand ces mots sont précédés par un autre mot suivi

_ 187

d'une voyelle inhérente, la voyelle inhérente disparaît, et la consonne s'unit avec la voyelle de la racine :

Dza, mon, ma, et am, mère, font zem, ma mère. JVa, ton, ta, et am, mère, font nam, ta mère. Na, ton, ta, et ûmpo, fusil, font nûmpo, ton fusil.

« Quand le premier mot est suivi par une voyelle distincte, la voyelle initiale du second mot disparaît :

Kay, notre, et am, mère, font kaim, notre mère. Nai, votre, et am, mère, font naim, votre mère.

a Les mots terminés par un v sont sujets à la même règle :

Latil, une ville, et av, dans, font latûv, dans la ville. Panay, un buffle, et av, dans, font panaiv, dans un buffle.

Shans. Les Shans ou Shan sont des immigrants qui ont fait leur apparition dans le sud des vallées du Tsit- loung et de l'Iraouaddy à une époque relativement récente. Ils se donnent le nom de Tay. Le révérend J. N. Cushing, qui les a beaucoup étudiés au double point de vue de l'ethnographie et du langage, et qui a bien voulu relire et corriger le présent travail, dit, dans l'introduction de sa grammaire de la langue shan. « Ce nom de Tay est accepté par toutes les branches de cette famille, excepté les Sia- mois, qui aspirent le <, et s'appellent Htai {Thay) (1). Ce

(1) Cette assertion n'est pas complètement exacte. Les Laotiens de la vallée du Mèkhong, bien qu'ils connaissent parfaitement tous le mot Thay et sa valeur, s'appellent eux-mêmes Lào, dans le sud, et Lu, dans le nord. Il est du reste possible que ce mot soit d'ori- gine étrangère. (J. H.)

188 -

mot signifie libre. L'évêque Pallegoix pense que sous le règne de Phra-Ruang, qui secoua le joug du Cambodge l'an 1000 de l'ère de Phra: kodom, les Siamois prirent le nom de Thays, libres, d'où il suit qu'ils appellent leur langue Phasâ-thây, langue des libres. » Si le mot libre était primitivement le sens du mot appliqué à toute la famille, il ne l'est plus aujourd'hui pour les Shans du nord qui l'emploient sous la forme non aspirée. Toutes les recherches que j'ai faites dans le pays Shan m'ont conduit à cette conclusion, que ce mot n'a pas la même significa- tion chez eux que chez les Siamois ; je n'ai pu du reste tirer des Shans aucune explication satisfaisante de sa valeur. Il est possible que les Siamois l'aient transformé par l'aspiration en lui donnant une signification commé- morative de quelque grand événement. Toute la famille Tay, sauf les Siamois, se servant de ce mot non aspiré (1), il est permis de supposer, jusqu'à preuve du contraire, que cette forme est la plus ancienne. »

Des peuples de l'Indochine, c'est le plus répandu et probablement le plus nombreux (2). Il enveloppe les Bir- mans depuis le nord-ouest, par le nord et l'est jusqu'au sud- ouest, et s'étend depuis la frontière du Munnipoor (si tou- tefois les habitants de cette vallée n'ont pas été eux-mêmes inlluencés par le contact du Shans) au cœur du Yunnan, et de la vallée de l'Assam à Bungkok et au Cambodge. Les représentants de cette famille* sont tous bouddhistes, tous offrent le spectacle d'une civilisation qu'on peut dire très-

(1) Les Laotiens de l'est aspirent indubitablement le t, et disent Thay, Pou-Thay (populations de la rive gauche du Mèkhong). (J. H.)

(2) A l'exception des Annamites. (J. H.)

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avancée, et à part quelques variations, tous parlent la même langue ; cette circonstance est d'autant plus remar- quable, que les tribus qui les entourent usent d'une infinité de dialectes différents. Cette identité de langage semble indiquer que les Shans ont depuis longtemps atteint un degré de civilisation au moins aussi élevé que celui d'aujourd'hui, et faire admettre comme probable que ces peuples, qui sont actuellement si dispersés et désagrégés, ont été antérieurement réunis sous une domination unique. Les Siamois, aussi bien que les Shans septentrionaux, ont conservé le souvenir d'un ancien et vaste royaume qui s'étendait au nord de la Birmanie actuelle, et la seule appellation de Grands Tays, donnée aux Shans de celte époque, semble être une confirmation de cette tradition. Dans la suite, cet empire se scinda malheureusement en une foule de principautés qui n'avaient aucun lien entre elles, et aujourd'hui le Royaume de Siam est peut-être le seul état d'hommes de celte race qui ait conservé son indépen- dance.

Le colonel Yule fait observer que l'Empire shan du nord pourrait peut-être être identifié à l'État de Pong ou de Mogoung^ sur lequel nous devons une élude au Capitaine Pemberton (1). Il est vrai que le colonel Horace Brown refuse de croire à l'existence d'un pareil état, aussi voisin de la Birmanie. Dans une note que l'on trouve à la page 33 de son Gazetteer of Thay-et-Myo^ à propos de 'V Expé- dition au Yunnam du docteur Anderson, il fait remarquer que ce voyageur « décrit ce qu'il appelle l'ancien royaume

(1) Rapport sur la frontière orientale de l'Inde britannique, par le capitaine R. B. Pemberton, Calcutta, 1835, pp. 108 et seq.

- 490 Shan de Pong en puisant ses renseignements dans une chronique manuscrite trouvée par le capitaine Pemberton. Dans l'histoire de la Birmanie^ cependant, on ne trouve absolument rien qui puisse justifier la supposition qu'un royaume ait existé l'on voudrait le placer. Il y a, au contraire, de fortes raisons de croire que les Etats shans étaient ce qu'ils sont aujourd'hui (1), c'est-à-dire de faibles principautés que n'unissent aucun lien confédé- ralif ; et s'il a pu arriver que chacun de ces petits États ait essayé d'établir sa suprématie sur les autres, ces tenta- tives n'ont jamais eu qu'un succès temporaire. En revan- che, chaque fois qu'il a existé un pouvoir solide en Bir- manie ou en Chine occidentale, ils ont toujours été soumis soit à l'un, soit à l'autre.... L'ancien manuscrit Shan raconte évidemment les exploits guerriers de divers Shans Tsaw-bwa (chefs de principautés) quifse sont rendus fameux par leur bravoure et leurs conquêtes ; mais aussi loin que l'on puisse remonter dans l'histoire de la Birmanie, il est évident qu'aucun roi Shan n'a jamais exercé la suprématie sur les autres, h moins qu'il n'occupât en même temps le trône d'Ava. »

Les Siamois'étaient d'abord tributaires du Cambodge ; il n'y a que cinq ou six siècles^ vers 1350 de notre ère, qu'ils se sont rendus indépendants. Suivant le major Jenkins, les Ahoms firent leur apparition dans l'Assam pendant la pre- mière moitié du X1II« siècle, à l'époque du commencement du règne de Koubilaï-Khan en Chine.. 11 paraît possible qu'il existait dans l'extrême nord un royaume Shan dont

(1) Le colonel Brown fait évidemment allusion aux petites prin- cipautés du nord, et n'entend nullement parler du Siam.

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le peuple fut attaqué et refoulé dans le sud, le long des vallées de l'Iraouaddy, de la Salouen et du Mékhong ; une partie de la région montagneuse du nord, celle qui est comprise entre la Salouen et le Mékhong, est habitée par des Shans qui s'appellent eux-mêmes Leil, qui sont bons cultivateurs, forgerons habiles et peuvent même, dit-on, fabriquer des fusils à mèche. Le capitaine (aujourd'hui général) Mac Leod, qui visita le sud de ce pays, dit que les indigènes sont petits, mal faits, laids, qu'ils, ont le nez camard, le front bas, le ventre proéminent. Le colonel Yuïe écrit que « les Lewas sont les fils dégénérés des Shans d'avant le bouddhisme. » Mais, dans ce cas, était situé ce royaume Shan dont parle la chronique Pong? Etait-il se trouvent aujourd'hui les Leù, ou bien ceux-ci sont-ils descendus à la suite de tribus déjà civi- lisées ? *

Il n'est guère probable qu'un siècle avant Jésus-Christ le Bouddhisme fut déjà bien répandu dans cette région, et tout porte à croire que son extension a été beaucoup plus tardive. De ce qui précède, on peut conclure qu'au com- mencement du II« siècle existait un royaume Shan de médiocre puissance, dont le peuple était bouddhiste et supérieur en civilisation aux tribus environnantes (1). D'après la Chronique Pong, la capitale s'élevait au bord du Shwe-la, un des affluents orientaux de l'Iraouaddy, entre Bah-maw et Mandalay elle florissait encore en l'an 30 notre ère (2).

(1) Le traducteur avoue que cette conclusion ne lui appai-aît pas avec un caractère de netteté suffisant.

(2) Il est difficile de décider si un royaume shan indépendant a jamais existé. Les traditions des divers groupes de la famille Tay

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Par leurs traits, leurs coutumes, leurs procédés carac- téristiques de culture et de négoce, les Shans se rappro- chent considérablement des Chinois. Les Shans du nord passent fréquemment en Chine, ils deviennent jardi- niers, marchands de bestiaux, ou trafiquants de pierres précieuses qu'ils vont chercher à Siam.

Je cite encore m extenso un passage de la grammaire

s'accordent ^our affirmer qu'un tel royaume s'est trouvé à un moment donné dans le nord de la Birmanie. La dénomination de Grands Tays est appliquée aux Shans du Nord, et on l'explique généralement par la dénomination qu'ils ont exercée dans le Burma, au berceau de leur race.

La Chronique du capitaine Pemberton appuie cette opinion. Il faut cependant tenir compte de la tendance des Shans à amplifier la puissance de leur pays et l'autorité de leurs chefs. Il paraît évi- dent aussi que la Birmanie septentrionale fut la patrie d'un grand peuple shanç dont les descendants sont complètejiient dégénérés. Il est donc possible que les Shans aient joui d'une courte indépen- dance, avant que les invasions birmanes les chassassent de la plaine et que les empiétements des tribus sauvages les expulsassent des montagnes. Aujourd'hui encore nombre de villages dans les dis- tricts ka-khyeng ont conservé leurs noms shans. Le silence que gardent les Annales birmanes sur l'existence et la destruction d'un grand royaume shan est très-étrange, et ne peut s'expliquer qu'en admettant que ce royaume a été très-éphémère et qu'il a disparu à la suite de luttes intestines. Si un choc un peu prolongé s'était pro- duit entre une pareille domination et celle des Birmans, il en reste- rait des traces écrites.

A l'exception du Siam, la région actuellement occupée par le prin- cipal groupe de la famille Tay est défavorable à l'organisation d'une puissance centralisée. Le pays, en effet, se présente sous l'aspect de plateaux peu étendus compris entre les chaînes de montagnes qui rayonnent vers le sud et tracent le réseau naturel d'une foule de petites principautés.

Les Shans arrivèrent dans la Birmanie septentrionale probable- ment après les Birmans, et, pressés par eux d'un côté, par les Chi-

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de M. Cushing : « Les ditïërents groupes de la famille Tay se servent d'alphabets particuliers, l'alphabet siamois n'a aucune ressemblance avec les autres. Il n'est évidemment, dit le docteur Jones, qu'une modification ou plutôt une simplification de l'alphabet bali usité au Cambodge. » Cette assertion est cependant discutable. D'après Pallegoix,, en

nois de l'autre, ils se dirigèrent vers le sud, atteignirent la vallée du Mè-nara, et se répandirent à l'est du côté du Cambodge en tra- versant les tribus aborigènes des plateaux qu'ils refoulèrent dans les montagnes.

En parcourant le livre d'Edkin {The Chinese Caracters), j'ai été très-surpris de rencontrer, dans certains tableaux qui rapprochent les mots chinois modernes de leurs formes anciennes, une quin- zaine de termes anciens exactement semblables aux termes shans correspondants. Peut-être l'étude philologique révélera-1-elle une parenté entre le chinois et le shan.

Les Lewas, qui habitent les montagnes du territoire en discus- sion sont des sauvages dont une partie seulement' paient tribut au Tsaw-bwa de Kaintung. Lorsque je me trouvais dans cette ville, je vis une nombreuse députation de Lewas tributaires qui avait été appelé par le Tsawbwa. Ils répondaient exactement à la description de Mac Leod. Leur langage n'a aucune ressemblance avec celui des Shans, qui ne les appellent jamais autrement que Lev^^as.

Les Shans de la principauté de Kaingtoung se donnent le nom de Kheûn, tandis que ceux de Kainghong et des districts environ- nants prennent celui de Leu. La confusion de Lewa avec Leu vient sans doute de ce que la voyelle eu n'existe pas en birman, en sorte qu'en parlant des I^eu, un Birman se servant comme équivalent de au, dira Lau. Les Leû sont bons cultivateurs et habiles forgerons. 'A Meung Sam Tow, à trois jours de marche au nord de Kaing- toung, les Leu fabriquent des fusils à mèche. Ils ont en outre ima- giné une combinaison ingénieuse du dha ou poignard et du pistolet : le canon du pistolet est la poignée du dha auquel la crosse sert de fourreau. Les Lewas n'ont pas plus de rapport avec les Shans qu'avec les Kakhyengs, en sorte que la théorie du colonel Yule me semble insoutenable. (Note de M. Cushing.)

i8

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elï'et, l'histoire de Siam affirme que l'alphabet actuel fut introduit par un certain roi, et Bastian parle d'une ins- cription lapidaire d'Ajulhia, l'ancienne capitale de Siam, qui attribue également à un roi l'intervention des carac- tères siamois dans les termes suivants : « Jadis les Thays ne connaissaient pas l'écriture ; mais dans l'année du Cheval, 1205, l'auguste bienfaiteur Ram Kham Hong, de concert avec les Sages, imagina les lettres de l'alphabet dont les Thays ont fait usage depuis cette époque. » L'al- phabet laotien dérive du birman, mais il a subi des modi- fications considérables et a été soumis à des influences étrangères nombreuses. Le système graphique shan se rapproche davantage du birman dont il a conservé sans altérations la moitié des lettres, et dont le reste con- serve la forme arrondie caractéristique. Les Tay-mâu du Yunnam et du nord-est de la Birmanie ont le même alphabet que les Shans (avec deux caractères addition- nels, Vf et le ch), mais avec cette différence que les lettres, au lieu d'être arrondies, sont anguleuses, taillées à facettes. Les Tay-mâu eux-mêmes attribuent cette par- ticularité à l'influence chinoise. On conçoit que cette mo- dification calligraphique n'empêche pas un lecteur shan attentif de comprendre un livre de Tay-mâu. L'alphabet des Kham-li et des Amons se rapproche beaucoup de celui des Shans. Plusieurs lettres ont subi des altérations de formes considérables, mais leur valeur phonétique reste la même.

A l'origine, les différentes divisions de la famille Tay parlaient indubitablement le même langage, qui s'est scindé, dans la suite des temps, en nombreux dialectes. Au Limmai (Xieng^mai des voyageurs français), chez les

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Laotiens, et à Bangkok chez les Siamois, la (langue vul- gaire ne ditïêre pas notablement du shan Beaucoup de

mots ne se distinguent que par l'aspiration ou le manque d'aspiration; ainsi les Shans disent kôn, homme, tandis que les Laotiens disent khôn. En outre, dans la langue littéraire, on emploie fréquemment des mots accouplés pour exprimer une idée. Un des mots du couple, chez les Birmans, appartiendra au discours familier, et l'autre mot sera emprunté au style noble. Chez les Laotiens, au contraire, le même mot ne s'emploie plus que dans le langage vulgaire. Prenons, par exemple, l'expression accouplée li-ngam, que l'on trouve dans les œuvres lit- téraires pour signifier bon ; chez les Shans, li est vulgaire, chez les Laotiens, c'est le mot ngam qui est familier. Certains mots ne différent que par le ton, d'autres par une transformation phonétique de la consonne initiale; ainsi le b laotien correspond à Yn shan : bang, léger, devient mong ; Vf correspond au p aspiré ; {p'h), fai, pliai, feu (1). Le tay-mow se rapproche encore plus du shan que le siamois ou le laotien. Vf s'y substitue fré- quemment au hp (p'h), et, en outre, on y trouve un certain

(i) On pourrait citer beaucoup d'autres altérations phonétiques analogues ; mais j'ignore si elles sont transcrites dans l'écriture convenablement orthographiée. J'ai rappelé ailleurs comment, dans la vallée du Mekhong, le r siamois était rendu par une aspiration au commencement des mots, tandis que dans le corps du mot il devient l, m, ou n. Les Laotiens, au moins ceux de l'est, pro- noncent très-diflicilement le son r. Je profite de cette occasion pour faire remarquer une fois de plus que l'expression Laos, Laotieti, est tout à fait mauvaise, et que du reste les Anglais et les Français ue l'entendent pas complètement de la même façon. (Note du docteur J. Harmand.)

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nombre de mots qui sont inconnus aux autres divisions de la famille tay. Les membres de cette famille qui habitent les frontières de l'Assam possèdent aussi un dialecte difTé- rent. Un petit Catéchisme i^uhWé en 1838, dans ce dialecte, à Sadiya, par le révérend docteur Brown, montre qu'il existe une classe de mots caractérisés par la trans- formation de VI initial en un n, ainsi neun, pour lenn^ lune ; nâu, étoile, pour lâu. Ces analogies démontrent l'unité d'origine pour toutes les langues de la famille tay.

« Le shan est monosyllabique; mais il renferme beau- coup de polysyllabes qui lui viennent du birman ou qui lui sont propres. Par suite de la domination prolongée des Birmans, beaucoup de leurs mots ont fini par pénétrer dans le shan. En outre, les Shans ayant été initiés au bouddhisme par l'intermédiaire des livres birmans, leur langue a reçu une nouvelle infiltration de mots birmans et pâlis ; en sorte que l'on peut dire du shan qu'il est une mosaïque dont les éléments sont shans, birmans et pâlis (i).

(1) Au moment de remettre ce manuscrit à M. Gushing, j'avais écrit une note marginale dans laquelle je me demandais si les Shans ne sont pas descendus au sud avant leur conversion, attendu que, sans cette hypothèse, le siamois renfermerait des mots birmans. La réponse de M. Gushing fut la suivante :

« La supposition que vous émettez dans une note marginale est très-vraisemblable. Il est parfaitement possible que les groupes di- vers de la familte Tay aient reçu les traditions bouddhiques à des époques différentes et par des initiateurs variés. L'architecture des pagodes ou wât, que l'on rencontre depuis Kaing-toung {Xieng-tong), en descendant le Laos, jusqu'à Bangkok, est différente de celle qu'on observe dans les États shans de l'ouest, domine l'influence bir- mane.

« On remarque aussi que les règles monastiques sont moins ri-

197

« 11 n'y a que peu de livres shans qui soient en langue vulgaire. On les appelle « livres en style familier. » La plupart des manuscrits présentent une composition plus ou moins métrique, et portent le nom de livres « en style de prédication. » Ces derniers présentent un certain arrangement des mots destiné à charmer l'oreille des audi- teurs. Us contiennent donc un grand nombre de mois inu- sités dans le langage ordinaire, qui sont appelés fleurs ou feuilles. Aussi arrive-t-il fréquemment que plus de la moitié du texte échappe au lecteur illettré. »

L'alphabet comprend dix voyelles qui ont le même son qu'en birman ; mais il a quatre diphthongues, une combi- naison d'une voyelle avec une consonne qui lui est particu- lière, et seulement dix-neuf consonnes.

Voici le tableau des voyelles avec leur représentation :

â

û

au.

â

e

iu.

î

0

eu.

u

ô

De même qu'en birman, les consonnes sont divisées en

gides à l'est de la Salouen. Dans les couvents, les bonzes possèdent des caisses dont le produit est destiné au wât. Ils sortent fréquem- ment et vont dans les maisons accomplir quelque travail facile et rétribué, tels que la confection des parasols. Au Xieng-tong et dans les environs, il n'est pas rare de rencontrer des moines à cheval.

« Tandis que les livres religieux shans abondent en mois birmans et pâlis, on dit que les éléments birmans sont relativement très-rares dans les livres des Tay méridionaux. Ces faits indiquent une intro- duction du bouddhisme à des époques et par des intermédiaires différents. Une connaissance plus approfondie des livres des di- verses familles Tay est nécessaire pour élucider ces questions. »

198

classes, mais chaque classe n'en comprend pas le même nombre. Ce sont :

Gutturales .

kà,

khà,

ngâ.

Palatales..,

tsa,

tsha,

gnâ (1)

Dentales . . .

ta,

htà,

nâ.

Labiales. ..

pà,

hpa,

ma.

Liquides ...

yà.

ra,

là,

Aspirées . . .

châ,

hà,

à.

Les cérébrales et le l des Birmans, qui ne se trouve, ainsi qu'on l'a déjà fait observer, que dans les mots tirés du pâli, font entièrement défaut en shan. La palatale aspirée tshd et l'aspirée chd ont la même forme et le même ton, mais elles sont cependant toujours inscrites toutes deux dans l'alphabet. M. Cushing suppose qu'autre- fois l'aspirée devait avoir un son différent. Son caractère ressemble exactement au tha birman, qui est proprement une sifflante.

b, d, g, et j ne sont pas représentés, mais ma, quand il est initial, est souvent prononcé b. De même, v s'a- doucit en birman en / ou y; par exemple daray, dayay, ou dalay (espèce de cerf).

Les voyelles se combinent avec les consonnes au moyen de divers symboles.

Certaines consonnes sont encore combinées, comme en birman, avec d'autres consonnes par l'intermédiaire de symboles.

(1) Dans la Grammaire de M. Cushing, ce signe est transcrit par ny {a sous-entendu). Il m'informe que le son est précisément le même que celui du birman, qui est représenté par ngya dans le système de transcription adopté pour cette langue.

199 De même qu'en birman, le signe appelé tchat en langue shan tue la voyelle inhérente a et dans quelques cas modifie la voyelle de la consonne précédente, mais d'une façon différente de ce qui s'observe en birman.

Tribus des frontières. Vu l'état actuel de nos connais- sances et la diversité des conclusions présentées par ceux qui ont étudié ces populations reculées et leurs origines, il serait imprudent de vouloir ranger les tribus qui les com- posent parmi telle ou telle famille connue. Mais on peut cependant y établir deux catégories : celles qui ont des connexions certaines avec les grandes familles en question et celles qui s'en séparent absolument. Les premières sont les Zabaings ou Yabaings, les Khyengs, les Shandoos, les Anoos ou Khoung-tsos, les Khyaws ou Koo-kies et les Toung-thoos. La seconde division ne comprend que les Salungs.

Yabaing. Ils habitent les versants orientaux et occi- dentaux du Roma du Pégou. Sauvages, grossiers et igno- rants, ils ne s'écartent jamais de la montagne. Leur langue est du birman prononcé avec un accent arakanais très-marqué. Quelques-uns font de la culture, beaucoup se livrent à l'élève des vers à soie. Sir Arthur Phayre fait la remarque que ce terme de Yabaing est plutôt la qualifica- tion d'un travail que l'appellation typique d'une race. Ce mot est probablement d'origine shan. 11 futapphqué primi- tivement à ceux qui apportèrent le ver à soie des pays de l'est et sa signification primitive s'est perdue. Sir Arthur Phayre n'indique pas de quelle façon il a été conduit à cette conclusion, et l'on ne comprend pas bien s'il admet

200

que les Yabaings ont apporté avec eux le ver à soie, ou s'ils ont adopté les premiers l'industrie de la soie pour en faire un objet de commerce.

Suivant le docteur Mason, ils se rattachent à la souche birmane, assertion que confirme leur langage. D'après le colonel Horace Browne, si l'industrie de la soie, qui est très-lucrative, n'est pas pratiquée sur une plus vaste pro- portion, c'est uniquement parce qu'elle a à lutter contre les préjugés bouddhistes relatifs à la destruction de l'exis- tence. « Les éleveurs de vers à soie vivent au fond de villages reculés, et n'ont pas de relations avec le monde extérieur, car ils redoutent les injures auxquelles leur profession les met en butte (4). » Dans la chaîne de la Roraa orientale « ce peuple, bien qu'il soit de pure origine birmane, est considéré comme tribu distincte. s> De ce fait que de purs Birmans, par cela même qu'ils ôtent la viei sont reniés par leurs compatriotes, les chasseurs et les pêcheurs doivent encourir la même répudiation. Dans la pratique, il est loin d'en être ainsi. Ce n'est pas que la chasse et la pêche ne soient opposées aux préceptes boud- dhistes. Le passage des annales talainges et birmanes, consacré au récit de la visite du Bouddha Goudama à

(i) Il est peut-être possible que la même cause, indépendamment de la paresse invétérée des Siamois, ait contribué dans une large mesure à faire passer aux mains des étrangers la plus grande partie des industries qui s'appliquent à l'exploitation des animaux et de leurs dépouilles. A Bangkok, de même que dans la plaine d'Aju- thia et sur la côte du golfe de Siam, presque tous les pêcheurs sont Annamites ou Malais, et le métier de pêcheur est considéré par les Siamois comme impur et dégradant. La fabrication des belles soies du Cambodge et de Battambang est le quasi-monopole de colonies d'Annamites et de chrétiens. (Note du D"" J. Harmand.)

201

Tha-htoon, trente-sept ans avant son entrée au Nirvana, porte anathème contre ce pays abondaient les pêcheurs et les chasseurs. Mais la chasse et la pêche sont indispen- sables à la vie, et l'on peut se passer de soie.

Khyeng, Les voyageurs qui ont étudié les Khyengs, leurs caractères, leur langage, leurs mœurs et leurs tradi- tions, ont des opinions très-différentes sur leur origine et la souche à laquelle il faut les rattacher. Ils sont répandus sur les deux flancs est et ouest de la Roma arakanaise jusque vers le nord de la Birmanie anglaise ; ils s'étendent aussi vers l'est, ont traversé l'Iraouaddy, et même, mais à la vérité en très-petit nombre, la Roma du Pégou. Toute- fois, à proprement parler, le pays khyeng est actuellement constitué par la chaîne de Roma du Pégou. Les Khyengs sont essentiellement montagnards. Ils se regardent eux- mêmes comme appartenant à la famille birmane, et Sir Arthur Phayre paraît se ranger à cette opinion et disposé à les regarder comme des traînards d'armées abandonnés dans les montagnes. Le colonel Hannay les classe avec les tribus Naga, et le colonel Yule avec les Kookis. D'autre part, le docteur Mason voudrait en faire des Karengs. Les Birmans appellent les Pwos Myit-Kyeng (ou rivière khyeng), et les Pwos s'appellent eux-mêmes Shos ; et les Khyengs se donnent à eux-mêmes le nom de Shyûs. Sir Arthur Phayre dit que ce terme de shyû « est sans aucun doute d'adoption récente, » et considère le mot khyeng, que ceux-ci ne s'appliquent en aucune façon, comme étant une corruption de leur mot klang, qui signifie homme (!}.

(1) J' fait remarquer qu'au Cambodge les choses se présentaient

202

Cet auteur ajoute : « Un Arakanais, qui notait les sons de la bouche d'un homme de cette race, écrivit khyang (khyeng en birman), pour ce qui à moi me paraissait avoir le son de klang. »

De plus, l'alphabet composé par les missionnaires bap- tistes pour le dialecte des Kareng-Pwos peut être employé, avec quelques modifications de très-peu d'importance, pour représenter les sons de la langue des Khyengs. De cette façon, la traduction de l'Évangile de Saint-John peut être comprise par tout Khyeng ayant appris à lire, de même que quelques poésies qui ont été aussi imprimées. Suivant M. Saint-John, leur langage possède beaucoup de mots en commun avec celui des Khamies et des Mros. Dès 1853, un missionnaire baptiste, installé à Prôme, M. Kincaid, avait réuni autour de lui un hameau de Khyengs et avait tellement bien instruit les habitants, en se servant de l'al- phabet des Pwos, que l'un de ces sauvages avait pu être nommé catéchiste et que deux autres avaient été tout prêts de mériter le même titre. De même que les Pwos, ils prê- tent serment sur une certaine espèce d'Eugenia, appelée Tha-baï.

Ils ont une coutume qui leur est tout à fait spéciale. Aussitôt qu'une jeune fille est arrivée à l'âge de la puberté, on tui tatoue la face de lignes noires et bleues, très- serrées. Cette pratique, abandonnée sur le territoire britannique, et qui a naturellement pour résultat de donner à la femme une apparence presque hideuse, est

d'une façon tout à fait analogue pour les diverses tribus connues sous le nom de Kouys, chez lesquelles le mot kouy ne signifie pas autre chose que : homme. (Note du docteur Harmand.)

203

regardée par quelques auteurs comme ayant été adoptée dans le but de préserver les femmes khyenges des entre- prises des jeunes gens des autres tribus ; d'autres pensent que, par cette coutume, on se proposait d'échapper aux habitudes des conquérants birmans qui enlevaient pour leur usage les plus jolies filles.

Ils brûlent leurs morts, et les ossements, recueillis au milieu des cendres, sont lavés et blanchis avec la liqueur (khoung) qu'ils fabriquent avec du riz fermenté, et frottés ensuite de curcurna. Us sont ensuite placés dans un pot et conservés jusqu'à ce qu'ils puissent être déposés sur le tertre funéraire de la famille. Ces sépultures sont soigneu- sement dissimulées dans la forêt. Au moment de l'enseve- hssement des os, on célèbre une fête, avec force Ubations, et un membre de la famille, debout auprès du tombeau, un sabre à la main, tenant les yeux vers le ciel, s'écrie : c Es-tu, maintenant, satisfait, après que tu as réussi à tuer une de tes créatures ? »

Leurs vêtements sont composés, pour les femmes, d'un petit langouti ouvert sur les deux côtés, et d'une blouse ou chemise (plus courte dans le nord que dans le sud). Les hommes nouent leurs cheveux sur le front et leur langouti est réduit aux plus petites dimensions possibles, et, en fait, il serait difficile de dire qu'ils aient les moindres pré- tentions à la décence. Chez ceux qui vivent sur le flanc oriental de la Roma de l'Arakan, c'est-à-dire ceux qui ont des relations plus fréquentes avec les races mieux civilisées de la plaine, le langouti birman est adopté.

Shandou. Les Shandous habitent la région monta- gneuse de l'est et du nord-est, la montagne Bleue, pic de

204

la chaîne de la Roma arakanaise, au point nord-ouest extrême de la province. On y trouve aussi des tribus sur le Mee et dans la région des sources du Le-Mro, et il est impossible de dire jusqu'où elles s'étendent dans le nord et le nord-est. Ils se donnent à eux-mêmes le nom de Heuma. On les regarde comme les moins sauvages de ces tribus: ils possèdent en effet beaucoup de volailles et de cochons, et construisent parfois des maisons ^en bois. La polygamie y existe en droit, mais rarement dans la pra- tique ; ils peuvent épouser deux sœurs en même temps, différant complètement en cela des Birmans. Ils enterrent leurs morts étendus sur le dos dans une tombe recouverte de pierres. Les filles sont entièrement exclues des succes- sions, et les veuves sont abandonnées à la charité du fils aîné quand il n'est pas marié, héritier de tous les biens. Ils sacrifient des animaux au soleil et à la lune. Ils ont une physionomie qui les rapproche des Khamies, mais leur langue est entièrement différente.

Anou ou Khoung-tso. Tribus habitant dans le nord de l'Arakan, et sur lesquelles on ne sait que fort peu de chose. Us n'ont du reste qu'un ou deux villages en terri- toire britannique. Ils s'habillent comme les Khamies, mais font usage d'un dialecte distinct qui contient beaucoup de mots et d'expressions intelligibles aux Manipouris. Ils enterrent leurs morts dans la forêt.

Khyâu. M. Saint-John regarde les Khyâus comme appartenant sans aucun doute à la famille koukaï : « Ils nouent leurs cheveux en chignon noué sur la nuque et les rasent sur le front ; les femmes réunissent leur chevelure en deux tresses qu'elles font remonter sur le front. »

205

Physiquement, ils ont une grande ressemblance avec la basse classe des paysans bengalis de Chitlagong. Us ren- dent un culte à des pierres dressées verticalement dans leurs villages. Ils sont très-peu nombreux en Birmanie bri- tannique.

TouNG-THOU. Les Toung-thous habitent actuellement les alentours de Tha-htoun, dans la subdivision du même nom du district d'Araherst (Ténassérim) ; ils occupent des villages écartés sur les rives de la Salouen, un certain nombre de milles dans l'est du pays des plaines, qui s'étend de la Salouen au Illaing-bhwai ; on en trouve encore sur la chaîne de Dâu-na, et dans la vallée du Houng-lha-râu. Ils ne sont pas entièrement inconnus du côté de Tavoy et de Mergui, à l'extrême sud de la région montagneuse et resserrée qui forme la dernière portion de la division du Ténassérim. En dehors du territoire anglais, on les ren- contre dans la partie sud-orientale de la haute Birmanie, dans les états shans, et, d'après le docteur Mason, jusque dans le Cambodge même. Le mot Toung-thu, en birman, signifie : homme des montagnes. Le nom qu'ils se donnent eux-mêmes est Pa-o. Il n'est pas possible de regarder ces tribus comme aborigènes. Ils sont groupés principalement aux environs de Tha-hloun, et s'établissent partout ils peuvent vivre, pourvu qu'ils puissent se regarder comme chez eux. Dans le fond de la vallée de la Salouen, M. Treacy a trouvé un village de Toung-thous, d'environ 250 maisons, dont tous les habitants étaient occupés à la fabrication d'articles destinés au marché shan, tandis que, encore plus au nord, il y a un autre Tha-toung habité par les Toung-thous. Dans une note à Y Histoire du Pégou de

206 Sir Arthur Phayre (Journal ofthe Asiatic Society, 1873), j'ai fait allusion à ce fait que le docteur Richardson avait entendu dire que des descendants de colons Mouns de Tha-thoun s'étaient établis à la frontière nord du pays des Karengs. Admettant entièrement que les descendants de ces colons qui vinrent du sud se trouvent dans le nord du pays des Karengs, que je serais porté à appeler le nouveau Tha-htoun, je ne peux pas croire que ceux-ci soient Mous ou aient aucun rapport avec les Mouns ou Talaings. Ce sont, je crois, des Toung-thous. Il paraît plus que probable que les Toung-thous descendirent du nord et se fixèrent auprès de Tha-thoun, qui existait déjà à leur arrivée, et que quelques-uns de leurs descendants retour- nèrent dans le nord, et y étabhrent une ville à laquelle ils donnèrent le nom de la seconde patrie qu'ils venaient de quitter. Il est impossible, dans l'état actuel de nos con- naissances, de croire que les Toung-thous aient apparu dans la basse Birmanie avant les Rolarians ou Dravidiens, et il y a toute raison de penser que Tha-thoun fut fondée et dénommée par ces derniers. Les Toung-thous, de petite stature, fortement musclés et de teint foncé, portant un costume consistant en un pantalon, jaquette et turban presque toujours d'étoffe bleu-foncé, très-analogue à celui des Shans du nord, habitent le pays situé entre la Birmanie et le sud de la Chine, au sud de la rivière Thapauy, c'est- à-dire sud et sud-est desKhakyens. Courageux et guerriers, dociles et obéissants, capables même d'affection une fois qu'on a gagné leur confiance, leur caractère tranche avec la sournoiserie des Asiatiques. Ils ont un caractère pas- sionné, qu'ils peuvent contenir un certain temps, mais qui à la fin éclate sans que rien puisse en arrêter les mani-

207 festations. Ils haïssent les Birmans avec une amère et inex- tinguible haine, et les méprisent. Leur caractère est celui de la race dont ils portent le vêtement. On a bâti beaucoup de théories relatives à leur origine ; la plus extraordinaire peut-être est celle du capitaine Foley qui s'était persuadé d'y voir les restes des anciens Tanjans décrits par Gibbon, et descendants des anciens Huns pré- servés, pendant un laps de temps de 1788 années, de tout mélange avec le sang d'autres étrangers. Ils prétendent avoir eu un roi à eux, dont la capitale était Tha-htoun, qui fut attaquée et prise par le roi des Talaings, parce qu'i^ refusa de donner une copie des livres sacrés rapportés de Ceylan par Bouddha Gosa en l'année 400 après Jésus-Christ. Ceci est en contradition très-nette avec l'histoire talainge, car la capitale des Talaings ne fut pas transportée à Pégou moins de deux siècles après ces événements. Alors ils ont fait croire à la croyance qu'ils ont des traditions confuses de l'invasion du pays par Thâu-ra-hta, roi de Birmanie en 4050 A. D., qui conquit le royaume de Talaing, lequel resta soumis à la Birmanie pendant plus de 200 ans. Les historiens ne font aucune mention des événements qui se sont passés pendant cette époque. Il est assez curieux de constater que, quoique Pégou fût alors la capitale, cepen- dant l'histoire birmane ne dit rien de sa prise, mais raconte tout au long celle de Tha-htoun.

Leur langage semble avoir quelque analogie avec celui des Shans et celui des Pwo-Karengs, et très-peu avec celui des Talaings. Cependant ils ont la lettre v qui existe seu- lement dans le dialecte de Kareng-nî, des Kareng-Bghais, et non dans le birman, chez les Shans ou les Talaings.

Les caractères de leur écriture ressemblent à ceux de

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toutes les tribus de l'Indo-chine, mais paraissent avoir une ressemblance plus étroite avec ceux des Shans. Dans le livre de Yule {Mission lo Ava), appendice M, p. 383, il est dit dans une note qu'un missionnaire américain a écrit au lieutenant Nev^^march que « les Toung-thous ont un langage écrit et des livres, des Kyoungs et des prê- tres. » J'ai vu leurs livres et sur la chute de Sébastopol j'ai imprimé la proclamation du gouverneur Geuval pour le lieutenant Burn à Toung-thou, mais je confesse que c'est le premier et le seul imprimé qui ait jamais vu le jour à Toung-thou.

Le révérend M. Cushing m'informe que les Toung-thous ont beaucoup de kyoungs et de livres. Dans quelques kyoungs, on n'apprend que la langue toung-thou, mais en général l'instruction est aussi donnée en Shan. « .l'ai en ma possession, m'écrit-il,, un gros Uvre toung-thou qui m'a été donné par un bonze pendant que je voyageais au travers du pays de Toung-thou. L'écriture ressemble plus à celle des Birmans qu'à celle des Shans ; en réalité, elle diffère peu du birman. »

Selungs (1). Les Selungs se trouvent uniquement dans les îles de l'Archipel de Mergui. Ils sembleraient avoir quelque parenté avec les Malais, du moins par le langage. Mais la crainte héréditaire que leur inspirent les Malais, leur caractère évidemment timide et pacifique

(1) Presque tout ce qui a rapport aux Selungs est emprunté aux publications du docteur Mason, de M. Brayton et du docteur Stevens de la mission des baptistes américains. M. Brayton a fourni tout le Tocabulaire.

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indiqueraient une origine différente, et il est assez probable que vers le VI» siècle de notre ère ils occupaient la contrée actuellement habitée par les Malais, d'où ils ont été chassés par les progrès graduels de cette race vers Sumatra, et ont fini par chercher un dernier refuge dans les îles qu'ils habitent aujourd'hui.

Ils occupent dans l'échelle de la civilisation un degré des plus inférieurs et on a'prétendu même qu'ils n'avaient ni dieu, ni prêtres, ni culte, ni fêtes. Mais, d'après les observateurs plus récents et plus attentifs, il semble que celte façon de voir exagérée ne puisse être conservée. Si leur morale n'est pas très-rigide, ils veillent cependant avec beaucoup de soin sur les relations familiales. Ils sont sans méchanceté, confiants et timides. De même que les races sauvages de l'est qui ont vécu sous un joug sans pitié, sous l'oppression la plus brutale et la plus cruelle, ou qui dans leurs rares rapports avec les étrangers les ont trouvés pires que les démons de leur propre religion, quand ils rencontrent un homme blanc qui ne les vole pas et ne les réduise pas à l'état d'esclaves, ils le regardent comme un être incompréhensible qui leur inspire tout d'abord de la crainte. Après ce premier sentiment d'éton- nement, ils finissent par l'adorer pour ainsi dire jusqu'au moment arrivent d'autres hommes de la même race qui viennent leur réclamer des impôts et des taxes au nom du gouvernement.

Leur apparence physique les place entre les Malais et les Birmans. Leur langue est fort simple, on peut l'ap- prendre facilement; elle a de grandes analogies avec le malais.

14

210

K'taing, jambe.

K'iaik, langue.

K'ian, os.

K'wa-o, tromper.

K'nî-ûn, le ciel.

K'man, la nuit.

K'âu-lat, le chaud.

K'ayo, arbre.

K'a-yat, crocodile.

K'aûn, bambou.

K'iat, singe.

K'ha-nî, serpent.

K'di-an, maintenant.

K'tûng, océan.

K'nûm, pain.

Gya-ha-nî, cuiller.

Glang, ver.

Gha-paidn, opium.

Gi-iiai, chanter.

Tû-da, la divinité.

Mâu-keng, homme {may-sha,

K'iak, mari. [ma-noot).

Bî-nûng^ femme, épouse.

Kîn ou sîn, Chinois.

Nga-daïn, venir.

Nga-lat, voler, dérober.

Ngîn, argent.

Tsâun, le riz.

Tsyang, pouvoir.

Tsa-meng, miel.

Tsî-tsûn, demain.

Tsaun, Shan.

Ta-na-ho, un Birman.

Ta-la-ho, aller.

Tom, combien de temps, com-

La-lai, montagne. [bien.

Nai-tnoung, tuer.

Nya-ma, le culte.

Na-baut, faire.

Nyam, manger,

Pai, couteau.

Pur, paddy (riz non décortiqué)

Pa-nak, voir.

Pwa, aviron.

Pac-tâu, porte.

Bak, porter.

Bû-loung, le cou.

Bi-bîn, les lèvres.

Bo-lo, cheveux.

Bi-tûk, étoile.

Bil-lâu, lance.

Ba-tak, un Malais.

Bû-bût, hier.

Ma-ka-ho, parler.

Ma-am, boire.

Ma-tak, l'œil.

Mî-nang, le doigt.

Mi-nam, rivière.

Ma-ta-a-lâu, le soleil.

May-nauk, oiseau.

Me-âu, chat.

Ma-âu, un Talaing.

Ma-tû, mourir.

Yong, le nez.

Lat, désirer, vouloir.

Lit, aimer.

Wai-lû-lî, vite.

Alam, ou apoi, feu.

Ai-bap, vieillard.

Ada, canard.

Au-lan, un serpent.

Aye-kan, poisson.

214 -

Ak, corbeau.

A-dût, mauvais.

Anat-bi-neng, fille.

Au-paut, seigneur,

monsieur.

Anat-ka-neng, fils.

A-sâu, famille.

[maître.

Anat, enfant.

La-mat, la vague.

Aye, naung, mère.

La-kût, droit.

Aa-paung, père.

Lai-kût, courbé.

Allaïn, le jour.

La-wat, singe.

Au-mak, maison.

La kâu, marcher.

Àu-kat, tête.

La-kû-bhi-tambe ,

allez-

A-mûng, bon.

[vous?

Tû-da a-mûng, Dieu bon (Dieu est bon).

■May-cha-a-mong-ha, l'homme bon non (l'homme n'est pas bon) .

May-sa Tû-da lak, l'homme Dieu aime (Dieu aime l'homme).

May-sa Tû-da toa-na , l'homme Dieu gouverne (Dieu dirige l'homme).

Lak ha-naung, désirer quoi? (que voulez-vous?)

Tsî la-kmi tadn ha, je aller pouvoir pas (je ne peux pas aller).

K'bang Knak ka-nai, ka-tam, kak, bateau toucher sable cassé est (si le bateau touche le sable, il sera brisé).

Le May-sa (homme) des Selungs ressemble au Ma-cha employé avec la même signification par les Ka-kyengs du nord de la Birmanie; Mi-nam, en Shan, veut dire « une rivière ; » dans la phrase : La-kâu-bhi-tam4e, le mot bhî est le préfixe interrogatif bhay des Birmans, et le est l'affixe birman d'interrogation ; k'bang, bateau, navire, est un mot talaing.

Suivant le docteur Stevens, « ils possèdent une croyance traditionnelle à l'existence d'un dieu qu'ils appellent Tû-da, qu'ils regardent comme le plus grand et le meil- leur des êtres, qui a créé toutes choses dans le ciel et sur la terre. Ils gardent aussi une tradition distincte du déluge, après lequel, disent-ils, Dieu est descendu du ciel, et a

212 -

assigné aux différehtes nations et tribus le lieu qu'elles occupent et le rôle qu'elle? ont à jouer. »

Ordinairement, ils vivent dans leurs bateaux; mais, pendant la saison des grandes pluies, ils se réunissent par groupes d'environ 200, dans des campements situés sur les rivages de quelques îles ; mais ces stations ne se pro- longent guère plus d'une semaine. Dans ces circonstances, ils se construisent des abris temporaires avec des bran- chages coupés dans la forêt, et avec un toit et des parois composés de nattes de feuilles d'un palmier. Ces nattes leur servent aussi pour s'envelopper; elles sont d'un trans- port très-facile et préservent admirablement de la pluie et du soleil. D'autres se contentent des planches démon- tables de leurs bateaux, qu'ils attachent avec des perches et des lianes, de façon à enclore un espace de six pieds de long sur quatre de large, se rassemble à la nuit toute la famille, les grosses branches des arbres surplombant tenant lieu de toit. La rapidité avec laquelle un de ces campements est levé est surprenante, et M. Benjamin, qui a vécu quelque temps au milieu d'eux, raconte qu'il vit une fois toute une plage devenir absolument nette en moins de quinze à vingt minutes.

La construction de leurs bateaux est curieuse et origi- nale. Le tronc d'un arbre de 18 à 30 pieds de longueur est creusé, puis ouvert au moyen d'un foyer placé au- dessous, et graduellement écarté; des traverses y sont enserrées pour en empêcher le rapprochement.

Les seuls outils employés sont une herminette, une

hachette Une partie du bateau est couverte d'un lacet

de feuilles de palmiers; la voile, très-légère, est faite de feuilles de palmiers cousues ensemble par les bords. Les

213

cordés sont faites de rotin tordu. Ces bateaux sont extrê- mement légers et admirablement faits pour marcher à la surface de l'eau.

Leur nourriture consiste en riz, qu'ils reçoivent des Malais ou des Chinois en échange d'holothuries , de nattes, etc....; en poissons et coquillages, en chair de sangliers, qu'ils capturent assez souvent grâce aux nom- breux chiens qui les accompagnent. Quand leur provision de riz est épuisée, ils se contentent de racines et de feuilles. Il est rare qu'ils possèdent des poules.

Les principaux de leurs produits sont le bois de sappan, les tortues, les coquillages, les perles, les trépangs (holo- thuries), la cire, et surtout les nattes, qui sont fabri- quées par les femmes , surtout pendant la saison des pluies, quand la pêche devient impossible. Ils se livrent à la recherche des limaces de mer (sea-slugs, biches de mer, trépang, etc.) pendant la mousson de nord-est, de novembre à mai. La chasse aux abeilles dure un mois environ. Elle est précédée de cérémonies consistant en chants et incantations destinés aux esprits des forêts et des montagnes, avec accompagnement d'illuminations de bougies de cire, et fréquentes libations d'arak, qu'ils appellent <r eau de miel », sans lesquelles la fête n'aurait aucune efficacité. Les ruches, dont on éloigne les abeilles au moyen du feu, sont suspendues aux branches des arbres, et souvent aussi enfoncées à deux ou trois pieds sous terre. En moyenne, chaque nid fournit deux ou trois roupies de cire. Le miel donne beaucoup moins de profit.

Quelques-unes de ces marchandises sont exportées à Mergui et dans les villages du continent, mais elles sont

214 - surtout échangées sur place contre du riz, du sel, des cotonnades, et aussi de Tarak et de l'opium, apportés par les Malais et les Chinois.

lis ont grand peur des Chinois et des Malais, qui orga- nisent, disent-ils, des expéditions pour la chasse aux esclaves ; ils ne parlent qu'avec une tristesse, qui porte bien la marque d'une évidente sincérité, des poursuites du même genre auxquelles se livraient autrefois les Birmans.

Les Selungs ne sont pas comptés dans les statistiques. Il est difficile de préciser leur nombre ; mais il ne doit pas probablement dépasser 3 à 4,000. Ils sont divisés en plusieurs tribus, qui ne présentent en réaUté aucun signe qui permette de les distinguer.

m VIEUX TRXTE BASQUE INÉDIT

Ce c vieux » texte date de 1584-, mais l'épithète de « vieux T> n'en est pas moins exacte^ car avant 1584, on ne peut citer que deux documents basques authentiques, les Poésies de Dechepare (IS^S) et le Nouveau-Testament de Liçarrague (1571).

J'aurais mauvaise grâce à revendiquer l'honneur de la découverte de ce nouveau et curieux spécimen du langage euscarien d'il y a trois siècles. Il a été trouvé par M. Coni- munay, un patient chercheur, quia minutieusement fouillé les manuscrits de la BibUothèque Nationale. M. Communay copia cette pièce et en fit part à M. Hiriart, bibhothécaire, et à M. Ducéré, bibliothécaire adjoint de la ville de Bayonne. Mais M. Communay a « littéralement » disparu et je ne savais à qui m'adresser pour retrouver le précieux morceau lorsqu'un hasard l'a amené sous mes yeux. En parcourant, pour y chercher autre chose, un petit volume de la Bibliothèque Nationale (manuscrits, fonds français, 20578, Gaignères), intitulé « Gascogne, Limousin », j'y ai vu, au feuillet 24, la lettre que je transcris exactement ci-après :

Ene anaie iauna hunequila hirur garrena diqueci ezcri- batu I darauçudala bâtez ère arreposturic ezticit vqvhen

15

216

çonez 1 pena baitut cure berri hunen yaquin ga biaz baye ta hala I ber aytaren eta amarenez heven ahal becala nuçu \ horlic yalgiz geroz çamariac penxaraciten dirauztaçu nitien \ arro pa guciac higatu baititut eta eni ci pagatu nahi con chit gai deguin diraco çut eta errâdirau taçu conchit de gascon \ nahidudanez hura emanen daraudala berce çer biçariec \ or oc ucidicie eta batre eztici pagatu nahi vquen seguraçen \ citât ecigiçon terrible bat dsla guthun haur daramena \ echeco cerbi cari bat duçu othoi egiten darauçut cure berri \ hunen eta ayta amenez ezcri baciaz çom baita gauça désira \ çen dudana lehiaz eztarauçut ez cri bacen lucazago fin egiten \ dicit presen teco huneçaz yienquari otoy egiten daracodala ( çatueen osoric eta alege- raric berere gra sainduyan eta \ niere halauer çurian adio de s. pierre de oloron noben \ breren 8 garrenian hvrtez 4584.

Ene escusac othoy aij- Çure anaye leala eta hundesira tari eta amariygorycaçu g^n dutana eta cer biçu egitera placer baduçu ahaîic eta ^^^^^^^^^ ^^ ^^ ^^g ç^ . hobequiena.

Beltran de Echauz.

Cette lettre porte au dos la suscription ci-après :

A Monsieur mon frère François de Echauz homme de chambre de monseigneur Dacqz

a bourdeaulx

Je transcris, en orthographe moderne et je ponctue : Ene anaye yauna, hunekila hirurgarrena dikezi ezkri- balu darautzudala. Bâtez ère arreposturik eztizit uken.

217 Zonez pena bailut zure berri hunen yakin gabiaz, bai eta halaber aitaren ela amarenez. Heben ahal bezala nuzu. Horlik yalgiz geroz, zamariak pents-araziten dirauztazu, nitien arropa guziak higatu bailitut , eta enizi pagatu nahi ; contchif galdegin dirakozut, eta erran dirautazu contchit de Gascon nahi dudanez, hura emanendaraudala. Bertze zerbitzariek orok utzi dizie eta batre eztizi pagatu nahi vken. Seguratzen zitut ezi giron terrible bat delà. Guthun haur daramena, etcheko zerbilzari bat duzu. Othoi egiten darautzut zure berri hunen, eta aita-amenez ezkribatziaz. Zombait da gauza desiratzen dudana! Lehiaz eztarautzut ezkribatzen luzazago. Fin egiten dizit, presen- teko hunelzaz Yaincoari othoi egiten darakodala, zaituen osoric eta alegerarik bere grazia sainduyan eta ni ère halaber zurian. Adio. De S. Pierre d'Oloron, nobembreren 8 garrenian, urthez 1584. Zure anaye leala, etahun desiratzen dutana; eta zerbitzu

egitera obedienta ni nukezu.

Beltran de Echauz.

Ene escusac, othoi, aitari eta amari ; igor itzazu, plazer

baduzu, ahahk eta hobekiena.

On peut traduire :

« Monsieur mon frère, Avec celle-ci, voici la troisième (lettre) que je vous écris. Je n'ai reçu aucune réponse. Combien j'ai de la peine de ne pas savoir de vos bonnes nouvelles ni de celles du père et de la mère. Ici, je suis comme c'est possible. Après être sorti de -bas, le cheval a pensé me faire ....(1)., car j'ai usé tous les

(4) Quelque chose d'oublié ; probablement un pluriel « rompre ^es os >.

- 218

habits que j'avais, et il n'a pas voulu me payer, je lui ai demandé congé et il m'a dit que si je voulais un congé de gascon, c'est celui-là qu'il me donnerait. Tous les autres serviteurs l'ont quitté et il n'a pas voulu du tout les payer. Je vous assure que c'est un homme terrible. Celui qui porte cette lettre est un serviteur de la maison. Je vous prie de m'écrire de vos bonnes nouvelles et de celles de mes parents. Que de choses je désire ! Je ne puis vous en écrire davantage. Je termine en priant Dieu, par ces présentes, qu'il vous ait en bonne santé et content dans sa sainte grâce et moi aussi dans la vôtre. Adieu. De S. Pierre d'Oloron, 8 no- vembre 1584.

« Je suis votre frère dévoué, et qui vous désire le bien, et qui suis prêt à vous obéir et à vous servir.

« Bertrand de Echaux. »

« Mes excuses, je vous prie, au père et à la mère ; envoyez-les-leur, s'il vous plaît, les meilleures que pos- sible. »

Examinons ce texte de plus près. Analysons d'abord les formes verbales ; en voici la liste complète. Je mets, à la suite, les formes correspondantes de quelques anciens auteurs (E. Dechepare, L. Liçarrague, 0. Oihenart, A. Axu- lar, etc.).

Dikezi « vous pouvez l'avoir » , aor. resp. 2^ pers. L. Diiqueçu.

Darautzudala « que je l'ai à vous ». L. Drauçudala, pi. ; A., deratçui.

Eztizii « je ne l'ai pas j, resp.

Baiiut, « parce que je l'ai, comme je l'ai ».

Nuzu « vous m'avez » pour « je suis »<, resp.

219

Dirauztazu « il les a à moi », resp. L. Dirautat « il l'a à moi, ô h. », A. derauzquit « il les a à moi ».

Baititut « parce que je les ai ».

Enizi « il ne m'a pas », resp.

Dirakozut « je l'ai à lui », resp. L. diraucan « tu l'as à lui, ô f . » ; A. deraucat « je l'ai à lui ».

Dirautazu a il l'a à moi », resp. A. deraut.

Dudanez a si je l'ai ». ,

Baraudala « qu'il l'a à moi. » L. drautala.

Dizie ils l'ont », resp. ' Eztizi « il ne l'a pas », resp.

Zitut « je vous ai, j'ai vous ». L. zaitut.

Delà « qu'il est ».

Daramena « celui qui le porte ». L. daramana ; E. deramate « ils le portent » , daramaçu « vous le portez ».

Duzu « vous l'avez » pour « il est », resp.

Darautzut « je l'ai à vous ». L. draiiçuet, pi.; A. deratçut.

Da « il est » .

Dîidana « ce que j'ai ».

Eztaraiitzut a je ne l'ai pas à vous ». L. eztrauçuet pi.; E. darauritçut «je les ai à vous ».

Dizit « je l'ai », resp. E. dicit.

Darakodala (p. darakodalarik) « en l'ayant à lui ». L. draueat « je l'ai à lui ».

Zaituen « qu'il vous ait », conj.

DiUana « qui suis celui qui l'ai ». L. dudana.

Nukezu « vous pouvez m'avoir », p. « je puis être > aor. resp.

Itzazu (K ayez les » .

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Baduzu « si vous l'avez ».

Voyons maintenant les formes nominales :

Ene <L de moi », gén. lab. bn. et soûl.

Hunekila « avec celle-ci »; le suffixe composé kila est particulièrement b. n. or. ou soûl.

Arreposturik « de réponse » ; sufT. ik « de, partitif >.

Zonez « par quel », c'est-à-dire quolies, quantum; suff. ez, instrumental.

Zure « de vous ».

Aitaren ela amarenez « de celles du père et de la mère ». Un seul ez, à la fin.

Hortik de », suff. loc. indéf.

Yalgiz geroz « après être sorti »; deux z, instrum., indéf.

Hura « celui-là ».

Orok « tous » ; nom plur. indéf.

Haur « celui-ci ».

Etcheko « de la maison v; suff. loc. indéf. de forme, défini de sens.

Aita-amenez « de celles des père et mère » ; mot com- posé; on écrirait aujourd'hui aitamenez.

Ezkribatziaz, lehiaz, suff. instrum. défini.

Luzazago « plus en longueur » ; suff. instrum. déf. et signe du comparatif.

Hunetzaz « par celles-ci » ; suff. instrum. pluriel.

Osorik, alegerarik, suff. ik, partitif, servant ici de déter- minatif et jouant le rôle de l'article ; particularité des dia- lectes orientaux.

Sainduyan, loc. déf. sing.

Zurian, loc. déf. sing.

Vrthez < par année, en année » ; inslr. indéf.

221

Ni « moi, je » ; pr. pers. I'^ pers. sing.

Au point de vue de la phonétique, il y aurait à signaler les expressions :

Anmje « frère » ; e final. Cf. Liçarrague anage.

Arreposkirik. On dit aujourd'hui arraposturik.

Eztizit, eztaraulzut, ezlizi; d durci en t après z, comme dans la pron. vulgaire et comme écrivent les anciens auteurs.

Gahiaz, zurian, garrenian ; e passant à i devant l'a de l'article suffixe.

Heben, forme orientale ; lab. hemen. ^- Liçarrague emploie hemen.

Araziten. Liçarrague dit eraciten.

Nitien, forme orientale, ^^ p. tu occid.

Enizi, p. ez'ii, chute de z devant n, propre aux dia- lectes orientaux.

5a^re,commundans Liçarrague, pour 6a< ère « un aussi ».

Ezi^ forme orientale ; ordinaire ezin.

Zomhait, zonez; oi et non et, qui est labourdin.

Zonez, avec n, forme labourdine maritime ou espa- gnole.

SainduyaZy intercal. de y entre u final et l'article suffixe ; phénomène qui caractérise aujourd'hui le dialecte bas-navarrais occid. mais que Liçarrague attribue au sou- letin.

Zaituen, zitut\ la première est lab., la seconde orientale.

Leala. On écrit aujourd'hui leyala.

Eztizi, enizi, etc. Ces formes en i sont essentiellement orientales.

D'autre part, les mots suivants sont à relever ; contchit ; vken, et guthun.

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Le premier et le dernier ne sont plus en usage aujour- d'hui. Guthwi signifie « lettre » ; il a aussi la forme dia- lectale hulhun ; on le trouve dans plusieurs textes an- ciens (1) et notamment dans la correspondance du valet de chambre basque de Chalais (1626). Contchit est notre d congé », dans le sens de « prendre congé de quelqu'un *, beaucoup moins usité qu'il y a trois siècles; il vient du prov. conjat, comjat ; Liçarrague écrit congit.

Quanta vken^ vkeiten, participe et loc. indéf. du nom verbal « avoir », son usage est aujourd'hui restreint aux dialectes bas-navarrais et souletin.

Si l'on compare la lettre d'Echauxau Nouveau-Testament de Liçarrague, on en conclut que le premier document se rattache au bas-navarrais oriental ou peut-être au souletin, tandis que le second appartient au bas-navarrais occi- dental.

Juhen ViNSON. Paris, 20 juin 1884.

(1) Cf. Inchauspe, trad. év. Math, en souletin, pour le prince Bonaparte, Londres, 1856, notes, p.viii: aGuthuna est un mot basque employé encore aujourd'hui au pluriel dans une partie de la Soûle pour signifier « un livre », guthunac. Il est probable que dans l'ori- gine on a employé ce terme au pluriel, parce que les livres étaient une réunion de feuilles en rouleaux, et qu'on appelait sans doute une feuille ou un rouleau séparé guthuna ». Il y aurait donc analogie avec le latin littera, litterœ.

LES CELTES ET LES LANGUES CELTIQUES

AU COLLÈGE DE FRANGE

La chaire de Celtique que M. d'Arbois de Jubainville occupe au collège de France a été fondée il y a deux ans à peine. En Angleterre et en Allemagne, des cours sem- blables existaient déjà, et nos voisins paraissaient en droit de nous taxer d'incurie ou de railler notre ignorance sur nos propres origines. Ce n'était pas cependant que les études celtiques fussent délaissées en France : s'il leur manquait naguère une consécration officielle, c'est que nous portions encore la peine de nos premières fautes en ces travaux ; nous n'étions pas en retard sur l'Angleterre, ou l'Italie, ou l'Allemagne ; mais on se tenait toujours en garde contre les Celtisants, précisément à cause de leur enthousiasme, qui produisit jadis les erreurs de l'Aca- démie Celtique.

M. de Lavillemarqué mit, un des premiers, ces études sur une voie nouvelle et leur donna une direction un peu plus scientifique; s'il a fait quelquefois fausse route, il y a heu d'en accuser des amis qui l'ont égaré, en même temps que de songer à l'état d'enfance en était encore la critique lorsque fut publié le Barzaz-Breiz. La philo- logie avança d'un pas avec la méthode de M. Pictet,

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tandis que M. Luzel effectuait sur le breton moderne ses longues et consciencieuses recherches. Le succès d'une Revue Celtique était assuré, quand elle parut en 1870, à son heure ; quelques années après, le directeur de cette revue, M. Gaidoz, ouvrait son cours à l'école des Hautes- Études, et un élève de M. Gaidoz, M. Loth, vient d'être chargé d'un autre cours de cellique,à laFaculté de Rennes ; son livre récent de X Émigration Bretonne est une pro- messe, et il rouvre la discussion, bien loin de la clore, sur l'établissement des Bretons en Armorique.

La plupart des Celtistes étrangers sont mentionnés dans le volume M. d'Arbois de Jubainville résume les leçons de sa première année au Collège de France (1) : M. Rhys, professeur à l'Université d'Oxford ; M. Windisch, profes- seur à Leipzig; MM. Zimmer, Whitley Stokes, Nigra... Zéuss avait inauguré la période scientifique en Allemagne, et sa Grammatica celtica, revue par Ebel, est une des publications les plus importantes de notre époque. Egale- ment, le sujet traité par M. d'Arbois de Jubainville est trop considérable, pour qu'il soit facile d'en offrir présen- tement autre chose qu'une analyse, privée le plus possible de commentaires.

Un temps fut le centre et tout l'ouest de l'Europe étaient habités par des peuples sortis d'une souche com-

(1) Au moment ces lignes sont déjà écrites, paraît la deuxième année de ces cours, sur la mythologie celtique. Le premier volume porte le titre même de cet article (Ernest Thorin, éditeur, 7, rue de Médicis).

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mune. Trois siècles avant l'ère chrétienne, c'étaient les Celtes qui dominaient encore en Europe, depuis l'Atlan- tique jusqu'à la mer Noire, de la mer du Nord à l'Adria- tique. Gaulois, Gallois, Galates, ce sont des dénominations particulières à tel ou à tel rameau de la race celtique ; des quatre ou cinq noms qui ont servi à désigner ces nations congénères, un seul nous a été transmis avec une acception générale. Du jour les Celtes eurent ren- contré les Romains, commença leur déchéance ; Rome eut besoin d'un peu moins de quatre cents ans pour les vaincre : à son tour elle mit quatre siècles à tomber. Il resta une extrémité de l'Europe celtique qu'elle n'attei- gnit pas; si elle entrevit l'île d'Hibernie, jamais ses flottes ne stationnèrent à ces rivages reculés. En échappant aux Romains, qui effaçaient les légions avaient passé les idiomes locaux en même temps que les nationalités, l'Ir- lande a conserver intactes, plus que tout autre pays, les traditions d'une langue primitive. Il était naturel que M. d'Arbois de Jubainville choisît l'irlandais pour sujet de ses premières leçons au Collège de France.

Le domaine géographique des langues celtiques est aujourd'hui réduit à quelques coins de l'extrême ouest en France, en Irlande, en Angleterre et en Ecosse; à peine si l'on compte trois miUions de néo-celtisants. Sur les dialectes anciens, le gaulois ou l'irlandais, force nous est de rester discrets : les plus vieux manuscrits qu'on ait trouvés en Irlande ne remontent pas au delà du Ville siècle après Jésus-Christ ; ils sont l'œuvre de savants nommés les file et ils contiennent la littérature épique du pays ; de même que ces épopées irlandaises se composent de trois époques, la classe des lettrés aussi, chez les Celtes,

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se divisait en trois ordres : les Bardes, les Druides, les File ou Devins.

On a beaucoup disserté, même avant notre temps, et beaucoup écrit sur les bardes; leur nom, comme celui des druides, est aussi connu que leur rôle et leurs attributions le sont peu. Ceux de Gaule [passaient pour « des poètes lyriques : ils louaient les uns et faisaient la satire des autres >. La harpe celtique avait le nom de crotta, d'où quelques-uns ont tiré la rote.

Dans le livre de M. d'Arbois de Jubainville il est ques- tion d'un barde, arrivé trop tard au festin de Louernios, roi des Arvernes, et courant sur la route à côté du char royal pour obtenir sa part de la fête. Le banquet de Louer- nios avait été donné dans une salle quadrangulaire, cons- truite exprès, à l'imitation de la grande salle de Tara... Je ne sais si nous tenons des « rois suprêmes d'Irlande » un tel usage des parallélogrammes, qui existe encore à présent en Bretagne, et ailleurs peut-être, pour des réu- nions très nombreuses, des repas de noces ou d'anniver- saire ; quant à ce barde qui suit à pied le char de Louer- nios, il serait un ancêtre direct des mendiants bretons qui attendent les diligences sur les grands chemins et qui poursuivent de leurs chansons les voyageurs, jusqu'à ce qu'on leur ait jeté « le petit sou de la charité ».

Quelquefois on a confondu les bardes avec les druides, et on les a pris pour des druides d'un ordre inférieur : il est probable, pour la Gaule du moins, que les uns n'ont eu rien, ou presque rien de commun avec les autres; les

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bardes gaulois ont survécu au druidisme, « dont il n'est plus parlé, au présent, après le premier siècle de notre ère ; ils ont duré sans doute autant que la langue nationale », et ils ont disparu fatalement avec elle, c'est-à-dire assez longtemps avant l'arrivée de ces autres bardes, t portés en Armorique par les émigrés bretons », au siècle ; c'est de ces derniers exclusivement qu'il s'agit, lorsqu'on parle de ces noms d'homme, encore répandus, qui sont dérivés du mot antique : Bars, Lehars ou Le Bars, Barzic.., Les bardes gallois ont eu la vie plus dure que leurs confrères de la Gaule ; on les retrouve jusqu'au VIII^ siècle : leur vitalité a-t-elle tenu aux grands honneurs dont ils étaient l'objet? Ils avaient leur place marquée au palais, à la table même du roi. Les bardes irlandais avaient une situa- tion humiliante, en face des file; ils étaient en butte au mépris de ces poètes et devins. « Le barde, prétendaient les lois irlandaises, n'a besoin de rien savoir ; son intelli- gence naturelle lui suffit... Il n'est pas nécessaire pour lui d'avoir la connaissance des lettres ogamiques, ni celle du mètre poétique... » Dans le pays de Galles, les bardes s'étaient trouvés « les seuls représentants de la classe des lettrés », César n'a compris ni les devins, ni les bardes, il ne mentionne, en tout cas, que les druides.

Gomme les bardes anciens, les druides ne nous sont connus qu'à travers les livres grecs ou latins. G'est dans les Commentaires que le druidisme nous apparaît pour la première fois, et « Pline l'Ancien est le dernier qui le mentionne comme un fait contemporain ». Au milieu du

228 premier siècle avant notre ère, « on se rappelait encore un temps » cette institution théocratique n'existait pas en Gaule. Les druides seraient venus de Grande-Bretagne; ils n'ont traversé ni le Rhin, ni les Alpes, ni les Pyrénées ; proscrits par les empereurs Tibère et Claude, ils persis- taient^ « à l'époque Pline écrivait VHistoire Naturelle, comme médecins, vétérinaires et sorciers». Les druidesses, pour sorcières seulement qu'elles étaient devenues de métief, résistèrent plus longtemps aux empereurs romains, à ce point que plus d'un César alla même les consulter.

Ces druides, autour desquels on a mené si grand bruit, on n'a pas mieux découvert leur origine que leur fin exacte. Peut-être existaient-ils déjà sur le continent européen au III» siècle avant Jésus-Christ, « c'est-à-dire quand une colonie gauloise s'établit en Asie-Mineure et y fonda le petit État connu sous le nom de Galatie ». Le sénat des Galates « se réunissait dans un lieu appelé Drunéméton, et y jugeait les procès pour meurtre j. De même, l'assemblée annuelle des druides gaulois « se réu- nissait dans un lieu consacré, et jugeait, suivant César, toute espèce de procès ». D'après Strabon, les affaires déférées à ce tribunal « étaient principalement des affaires de meurtre ». Cette analogie entre le sénat de Galatie et l'assemblée des druides gaulois a frappé les commentateurs et les philologues; le drunéméton a servi de base aux argumentations ; ce mot composé veut dire « temple de dru » ; de dru on a dérivé druide, à l'aide d'un radical grec : mais « un nom gaulois, réplique M. d'Arbois de Jubainville, ne vient pas du grec » ; les druides n'ont pas sortir des chênes helléniques. De plus, « le chêne n'était pas le seul arbre dont la race celtique fît l'objet d'un

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culte », et il était honoré surtout « des Germains » ; les Celtes regardaient aussi comme sacré « le frêne » . En fin de compte, ne serait-il pas tout simple d'ajouter qne nous sommes condamnés à tourner autour de ce drunéméton, sans y apercevoir les druides, jusqu'à ce qu'un texte en vieille langue celtique, s'il en est d'enfoui quelque part, vienne au jour et nous révèle l'entrée de ce « temple de dru » ? Le plus ancien manuscrit irlandais n'est pas anté- rieur au Ville siècle de notre ère ; les druides, au moins ceux de Gaule et de Grande-Bretagne, malgré les on-dit des Latins et des Grecs, sont demeurés pour nous dans le domaine de l'hypothèse. « Les Bretons créèrent un mot nouveau pour désigner ceux que les Scots durent plus d'une fois amener avec eux dans leurs incursions ; ce fut le com- posé darwid ou derwid (1) » ; mais la littérature des Pietés non plus ne nous est point parvenue.

Voici les principales attributions de ces druides, rendus pourtant si fameux.

En Irlande, ils avaient une situation analogue à celle

(1) Le préfixe der ou dar fournit à M. d'Arbois de Jubainville (pp. 238 et 239) une énumération qu'il était facile de rendre plus complète, en signalant, dans le breton actuel :

Darbari, et plus souvent darbar (préparer... pour le maçon); darbarer (aide-maçon); et au figuré, rei da darôar, expression courante dont l'équivalent en français serait : donner du fil à re- tordre ;

2o Darempret, plus usité que darempredi, qui signifie toujours, comme dans le moyen breton, fréquenter, dans ce sens un peu po- pulaire : fréquenter une jeune fille, lui faire la cour... Générale-, ment, darempret est pris dans l'acception de faire ou rendre une visite. Darempret devient aussi une sorte de nom verbal : me 'w euz darempred dre ar parko-ze « fai fréquentation {passage, sentier) par ces champs-là » .

- 230 que les auteurs grecs et latins reconnaissent aux druides de Gaule, à l'exception de la compétence judiciaire, passée aux file. En Gaule ils étaient devins, si l'on accepte, à propos de Divitiacus, le témoignage de Gicéron. Ceux d'Irlande avaient prédit l'arrivée de saint Patrice.

Ils étaient magiciens. L'œuf de serpent était regardé comme un de leurs talismans les plus efficaces ; cependant il ne porta pas bonheur à certain chevalier romain, qui avait eu recours, dans un procès, c à ce moyen peu dis- pendieux de s'assurer la faveur du juge ^), et qui fut con- damné à mort par l'empereur Claude. Il ne me paraît pas que ce fût si peu dispendieux de parvenir à tromper ses juges, d'après le récit que M. d'Arbois de Jubainville a consacré, quelques pages plus haut, à la recherche périlleuse de ce rare œuf de serpent. La puissance des druides s'étendait à la nature, et « leur pouvoir magique triomphait même des dieux ».

Ils étaient médecins, « devins, magiciens et médecins, parce qu'ils étaient prêtres ». Qui ne connaît les reproches d'inhumanité adressés aux druides par les Romains ? En plus d'une occasion, ces mêmes Romains ont souillé leurs autels et immolé des victimes humaines.

Les druides étaient professeurs. Quant à leur enseigne- ment, nous n'en savons absolument rien de précis. Ils avaient la prétention d'avoir créé le monde. La doctrine sur l'immortalité de l'âme était une croyance universelle des Gaulois, au lieu d'être réservée comme une connais- sance spéciale aux druides. Avaient-ils des livres? L'écri- ture était une « chose interdite aux druides de Gaule, et une chose impossible à ceux d'Irlande ». Pour se former à l'enseignement, se rendait-on d'Irlande en Grande-Bre-

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tagne, comme y allaient les Gaulois? Les guerriers et les (ile irlandais prenaient pour maîtres les Bretons : voilà ce que l'on sait.

Les auteurs anciens, sans déterminer les honneurs rendus aux druides, s'accordent à leur en laisser de nom- breux. M. d'Arbois de Jubainville cite un roi d'Irlande qui n'osait donner son avis, bien que la circonstance fût très- grave, et gardait le silence, parce que le druide n'avait pas encore pris la parole. De quels privilèges donc jouissaient- ils? Ceux de Gaule, dit César, étaient exempts du service militaire : Divitiacus aurait fait exception. L'Irlandais Cathbad était, dans sa jeunesse, druide et guerrier. Quoi qu'il en soit de ces immunités, on nomme des druides qui furent tués au combat.

Ils étaient j'w^e^, hormis en Irlande. Là, du reste, ils ne formaient pas une corporation; « ils n'agissaient que par petits groupes » ; les file avaient le pas sur eux en bien des occasions, du moins au dire de ces file, qui ont eux-mêmes écrit tout ce que nous en avons appris.

La troisième classe des lettrés, chez les Celtes, a porté divers noms, à peu près inconnus du grand nombre jus- qu'à ce jour. Les file ont été presque révélés par les récents travaux des celtistes. En Gaule, ils occupaient les fonc- tions de devins. Avaient-ils recours aux sacrifices humains pour leurs incantations? Tout ce qu'on pourrait avancer à cet égard concerne les file d'Irlande, qui n'ont jamais versé le sang de l'homme, pour y découvrir les présages. Aussi bien n'étaient-ils pas prêtres ; ils n'avaient pas à leur

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charge les sacrifices. Cette espèce de neutralité religieuse leur valut la vie sauve dans la lutte livrée au druidisme par le christianisme ; ils ne furent atteints que dans leurs procédés de divination, dont deux furent prohibés par saint Patrice ; un seul fut toléré, qu'on nommait « l'incan- tation du bout des os ».

Les file s'étaient constitués en un corps dont la hiérar- chie était pubUquement reconnue ; le plus élevé en dignité avait le litre à'ollam, qu'on obtenait au bout de douze ans d'études il en fallait vingt, selon César, pour devenir un druide ; « dans la huitième année on apprenait les trois divinations ». -

Le respect aux file n'allait pas sans être accompagné de quelque terreur. Malheur à quiconque tombait sous leurs rancunes ! Celui-là était maudit dans une satire, dont les effets n'étaient jamais tardifs. En revanche, malheur au file lui-même dont la colère était inique ! Ses impréca- tions retournaient contre leur auteur. Lorsqu'il s'acquit- tait de ses fonctions judiciaires, se produisaient des phénomènes surnaturels sur son visage, toutes les fois qu'il se rendait coupable d'injustice. Cette peine manifeste que subissait le juge, sur l'heure, devenait c pour les plaideurs un moyen de reconnaître si la sentence était équitable » ou non : comme elle était sans appel, il fal- lait bien que les dieUx, à défaut des hommes, eussent le soin de venger l'innocence. Les file, ainsi jugés en retour, ne l'étaient que par leurs égaux et pairs : car ils se disaient issus des dieux. C'est vrai qu'à cet égard il y avait deux opinions : la tradition celtique rapportait que les Gôidels, ancêtres des Irlandais, lors de leur invasion, sous la conduite d'un file, fils des dieux, avaient eu à

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vaincre des dieux qui étaient en ces temps primitifs les maîtres de l'île ; d'après les légendes chrétiennes, les file, sortis d'Egypte avec Moïse, auraient trouvé leur genèse dans la Bible.

En Irlande, ils étaient à la fois « jurisconsultes, juges, législateurs et avocats ». Surtout ils étaient « conteurs d'histoires ». Auprès d'eux, les bardes n'étaient que des ignorants n'appartenant pas à la corporation des littéra- teurs et rejetés plus bas que les sept ou dix ... degrés dont se composait l'association officielle des gens de lettres. « L'instruction servait de base » à la hiérarchie httéraire; le rang qu'un lettré occupait dépendait du nombre à' histoires qu'il retenait en sa mémoire : Vollam en connaissait plus que tout autre. Il y avait deux catégo- ries de ces histoires,' ou scèl : les grandes et les petites ; certaines compositions étaient le monopole d'un grade. » En pubhc, les file ne se montraient qu'avec un cortège ; vingt-quatre personnes accompagnaient Vollam, ainsi qu'un roi de grande province ; seul le roi suprême d'Ir- lande avait droit à une plus imposante compagnie. Aux festins de Tara, Vollam avait la seconde place. Les file te- naient donc la tête de la société ; partout « ils avaient sup- planté les druides », refoulés jusqu'aux rangs inférieurs.

L'Irlande possède trois cycles épiques. Les récits qui avaient cours sur les dieux et les anciens héros de la nation furent recueillis par les file : en transcrivant ces vieilles histoires pour leur donner la forme « sous laquelle définitivement elles nous sont parvenues », jusqu'à quel point les fUe, lettrés et poètes, n'ont-ils pas rema- nier ces traditions populaires ? C'est une question que M. d'Arbois de Jubainville n'a pas jugé à propos d'aborder.

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Ces récits épiques « étaient considérés comme l'histoire authentique du pays ». Les scèl, qui comprennent une épopée mythologique, le cycle de Conchobar et de Cûchu- laïnn, celui de Finn et d'Ossin, « ont été consignés par écrit à partir du VII^ siècle de notre ère ». Déjà les études classiques^ « bannies du continent de l'Europe occidentale par la conquête germanique, florissaient en Irlande » ; les deux cultures littéraires, l'une nationale, l'autre de source chrétienne et romaine, se développaient l'une à côté de l'autre sans rivalité, « se prêtant même un mutuel appui ».

C'est de l'Irlande que s'élèvent les plus vives, pour ne pas dire les seules clartés dans les ténèbres qui nous cachent une partie du moyen âge. Par un double contraste, les derniers de cette race celtique dont l'histoire n'avait pas eu de chronologie, les derniers Celtes, retranchés aux limites extrêmes de la terre, ont retiré le monde de la nuit il s'abîmait sous les Germains et les autres Bar- bares des invasions : S. Columban et Jean Scot, sur- nommé Êringène, étaient originaires de l'Irlande.

Quand j'aurai fait mention des gloses religieuses, com- mentaires que les moines irlandais ont écrits « en langue nationale dans les interlignes de manuscrits latins », il me semble qu'il sera temps d'arrêter ce simple compte-rendu, quelle que soit, d'ailleurs, l'importance du livre sur « les Celtes et les Langues Celtiques » ; il ne saurait être ques- tion de l'apprécier au point de vue de la composition et du style : M. d'Arbois de Jubainville ne se vante pas d'être l'un des deux ou trois savants qui sont en même temps nos meilleurs écrivains.

N. QUELLIEN.

INDE

GÉOGRAPHIE ET HISTOIRE (1).

Ce mot Inde, certainement préférable à l'appellation Hindoustan, moderne et persane, n'a été, avant l'établis- sement de la domination anglaise sur toute la péninsule cisgangétique, qu'une pure expression géographique. La grande presqu'île comprend, en efïet, et a toujours com- pris un ensemble de populations, de nations même, fort différentes de races, de mœurs, de langues et de reli- gions. Elle est pourtant, sauf au nord-est, très -exactement délimitée; je réserve le nom de « Inde » au terri- toire borné par toute la chaîne himâlayenne au nord, au nord-est et au nord-ouest ; par le golfe du Bengale à l'est; la mer des Indes au sud ; la mer d'Arabie à l'ouest. La rangée des monts Himalaya, se trouvent les plus hautes cimes du globe, se réunit d'une part à la mer d'Arabie et de l'autre au golfe du Bengale par une série de hauteurs et de plateaux accidentés qui séparent à droite la Birma- nie, à gauche l'Afghanistan. Il convient d'ailleurs de rattacher au système géographique indien l'ile de Gey- lan, qui est comme la Sicile de cette Italie orientale.

(1) Extrait du Dictionnaire des sciences anthropologiques, pu- blié par MM. Hovelaque, Letourneau, A. Lefèvre, etc. (Librairie 0. Doin).

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L'ensemble de la péninsule indienne présente très sensi- blement la forme d'un losange irrégulier, ou plutôt de deux triangles isocèles inégaux, réunis par une base com- mune mesurant vingt-trois degrés de longitude, tandis que les deux sommets sont à peu près à une distance de vingt- six degrés l'un de l'autre; l'île de Geylan a la figure d'un ovale dont l'une des moitiés aurait été allongée et qui aurait onze cents kilomètres de tour.

Le triangle du nord forme une vaste plaine qui se relève rapidement sur ses bords occidental et oriental; le niveau général en est inférieur à mille mètres d'altitude ; c'est VHindoîistan proprement dit des Persans. Le triangle du sud, proprement le Décan, est également, en général, d'une altitude moindre de mille mètres ; mais, tandis que l'Hindouslan n'est guère divisé que par deux chaînons montagneux parallèles courant du nord-est au sud-ouest, les monts- Aravalli vers sa moitié occidentale, les monts Vindhya vers sa base, le Décan offre une tout autre oro- graphie : au nord, à son centre, il s'élève d'environ douze cents mètres pour descendre progressivement jus- qu'à la pointe méridionale ; mais, sur ses côtés, se sont formées, comme deux bourrelets saillants, les Ghattes, qui communiquent entre elles par une série de hauteurs dans le quadrilatère Pondichéry, Salem, Mahé, Tinnévély. Les Ghattes occidentales, moins larges que celles de l'est, sont aussi plus escarpées et plus hautes ; dans leur partie méri- dionale, elles s'élargissent et s'élèvent davantage encore : c'est la région des Nîlagiris « montagnes bleues », qui atteignent, à leur point culminant, l'altitude de 2,600 m. L'île de Ceylan présente un massif central élevé, d'où émerge ce qu'on a appelé le pic d'Adam-.

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Les douze cents lieues de côtes maritimes sont peu acci- dentées. Au nord-ouest, cependant, se détache, entre les golfes de Katch et de Kambay, la presqu'île du Kathya- vâr ; au sud-est, entre Ceylan et la terre ferme, s'étend une chaîne d'îlots qu'on a nommée le pont d'Adam, mais que les Indiens, avec plus de raison, désignent sous le nom de pont de Râma ; ces îlots sont à l'extrémité d'une plaine liquide, formant comme la suite de deux grands bassins naturels, le golfe de Manaar et le golfe de Falk. La pointe méridionale du continent est le cap Gomorin {Kumari « la fille », ou, si l'on veut^ « la vierge », le

xoixapia ont/jovdes GrCCS).

Les cours d'eau qui arrosent cette vaste contrée sont relativement peu nombreux; à part quelques petits fleuves dont nous ne pouvons nous occuper ici, on n'en compte guère que huit principaux qui se jettent dans l'Océan par un nombre divers d'estuaires et forment ainsi chacun leur delta ; ce sont : à l'ouest, V Indus, qui part du sommet de l'Inde, longe sa limite occidentale et se jette à la mer vers Karratchî (c'est sur un des affluents de ce fleuve, qui reçoit le Djhilam et le Satladj, que s'arrêta, dit-on, Alexandre ; la Tapti et la Narmadâ qui coulent presque horizontalement de l'est à l'ouest, pour aboutir au golfe de Kambay ; à l'est, le Gange, dont un bras méridio- nal, VHougli, arrose Chandernagor et Calcutta ; il reçoit la Djamnâ, la Bhagirall et d'autres rivières secondaires, et se jette au fond du golfe du Bengale, après avoir suivi une direction en général perpendiculaire à celle de l'Indus; la Mahânadi, et S" le Godâvêrî, parallèles au Gange, qui finissent vers Cattack et à Yanaon, sur la côte d'Orissa; 4o XdLKrichnâ, plus horizontale, et le Kâvêrî,

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dont le delta s'étend presque depuis Pondichéry jusqu'au- delà de Karikal, sur la côte de Coromandel ; nous ne voyons rien à signaler sur la côte occidentale de Malabar.

Quelles sont les divisions naturelles, quelles sont les divisions actuelles, les provinces administratives de l'Inde ? Pour répondre à cette question, il faut d'abord parler des possesseurs du sol. La plus grande partie de l'Inde appar- tient entièrement à l'Angleterre, qui étend encore plus ou moins son action sur un certain nombre d'États tributaires et d'États dits « indépendants » ; quelques villes et leurs territoires sont restés aux Français et aux Portugais ; les Danois ont vendu aux Anglais, en 1845, leurs anciennes colonies de Tranquebar au nord de Karikal et de Seram- pour dans le Bengale ; les Hollandais, à qui appartenaient Négapatam et Ceylan, en ont été dépossédés pendant les guerres du premier empire.

Le drapeau français flotte encore aujourd'hui à Pondi- chéry (70,000 h.), à Karikal (15,000 h.), àChandernagor (22,000 h.), à Mahé et à Yanaon ; autour de ces villes, nous possédons respectivement 29,122 hectares et 224 villages, 13,515 hectares et 110 villages; 940 hectares, 5,909 et 1,429 hectares. Nous possédons de plus le village de Francepett, près de Masulipatam, et des loges ou factore- ries (maisons et jardins) à Masalupitam, Surate, Balassore, Dacca, Cassimbazar, Patna et Jougdia. L'ensemble du territoire français mesure 49,622 hectares et est habité par près de 300,000 habitants, dont 60,000 sont électeurs et citoyens français. La ville de Pondichéry {Poudoutchéri, « nouveau village »), fondée en 1674, a une superficie de 212 hectares.

Les Portugais commandent à 450,000 hommes, dont

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près de ^OO.OOO habitent la ville de Goa sur la côte nord-occidentale; les autres sont à Daman, au nord de Bombay et à l'île Diu, à la pointe sud du Kathyavâr; la superficie totale des populations portugaises est d'environ 34,000 hectares.

L'Inde anglaise comprend deux parties principales : l'île de Geylan, qui relève directement de la couronne, et l'em- pire anglo-indien, gouverné par le vice-roi de Calcutta. L'empire anglo-indien, divisé administrativement en trois présidences (Calcutta, Madras et Bombay), se partage en « territoire de la Grande-Bretagne » et « États natifs d.

A. Les « États natifs » sont de deux sortes : les États indépendants ou semi-indépendants et les États tribu- taires.

Les Etats indépendants ou semi-indépendants sont : au nord-ouest , la Râjpoutânâ (villes principales : Marwar, Djaïpour, Oudaïpour), les États de Goualior, Malwâ, etc. ; au centre, le Boundelkhand et Bhagelkhand (v. pr. Rîwâ) ; au centre encore, mais plus au sud, l'empire d'Haïderabad ; au sud-ouest, le Maïssour (v. pr. Maïs- sour et Bangalore) ; 5" au nord-est, le Népal (v. pr. Khatmandou) et le Bhoutan.

Les États tributaires sont encore plus nombreux. Nous ne pouvons citer que les principaux : !<> dans la prési- dence de Calcutta, ceux du Tchûtiâ-nagpour, A'Orissa, de Garhwal, au nord-est ; du Pandjab, au nord-ouest (v. pr. Srinagar) ; du Satladf], du Sirhind (v. pr. Bahawalpour), etc.; 2<» dans la présidence de Madras, ceux de Travancore, Cochin, et Poudoucotta (v. pr. Trivandram) ; 3" dans la présidence de Bombay, un grand nombre de principautés fort peu importantes.

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Tous ces « États natifs » sont, en effets de surfaces et de situations fort inégales. Les chefs locaux régnent, les uns sur quelques centaines d'hectares , les autres, comme le Nizam (c'est son titre) d'Haïderabad, sur un terrritoire de 150,000 kilomètres carrés; les uns ont moins de soldats que le prince de Monaco, les autres peuvent mettre en avant une armée de 45,000 hommes et de 725 canons. Aucun d'eux n'a le droit de déclarer la guerre à personne ou de conclure aucun traité sans l'autorisation de l'Angleterre; il ne peut recevoir dans son domaine aucun Européen sans la per- mission de l'Angleterre, et son armée ne doit pas dépas- ser un certain chiffre. Les conquérants se sont arrogés le droit de contrôler le gouvernement des « États natifs », de détrôner et remplacer les souverains indigènes, comme ils l'avaient fait au Maïssour en 1830, et comme ils l'ont fait en 1876 pour le « Gaikwar » de Baroda, dans le- Goudjarate. Plusieurs de ces souverains paient un tribut ; d'autres sont exempts de toute redevance. Us prennent divers titres; le plus ordinaire est celui de Mahârâdjà « grand roi » ; on leur donne d'ailleurs de l'altesse et on a inventé pour eux une décoration spéciale, the S/ar of India.

B. Le territoire «i de la Grande-Bretagne » comprend les principales provinces suivantes : Présidence de Bengale : Bas-Bengale, Bardwan, la présidence (Calcutta, 500,000 hab.), Dacca, Tchittagong, Behar (Patna), Bhagal- pour, Tchûtiânagpour(Bantchi), Orissa(Balassore, Cattack), Mirath, Rohilkhand, Agra, Allahabad, Bénarés (Bénarès, 175,000 h.), Koumaon, Oude, c.-à-d. Aoudh (Lucknow, c.-à- d. Laknâu, 300,000 hab.), Pandjab (Pechawar, Amritsir, Lahore, Delhi), Nagpour, Adjmir, Mairwar, Berar, etc.;

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dans la présidence de Madras : Madras (ville, 400,000 hab .), Nellour, Arkale, Tandjâoûr, Maduré, Coïmbatour, Calicut; 30 dans la présidence de Bombay : Décan, Konkan (Bombay, 800,000 hab.), Goudjarat, Sind (Karratchi), etc.

Ce n'est pas ici le lieu de rechercher à quelles anciennes divisions correspondent ces royaumes, ces provinces et ces districts anglais ; mais il convient d'ajouter que la super- ficie des possessions immédiates de l'Impératrice des Indes (titre qu'a pris en 1858 la reine Victoria) est d'environ deux millions de kilomètres carrés (Ceylan compris), peu- plés par cent quatre-vingts millions d'hommes ; celle des a Etats natifs » est d'environ un million huit cent mille kilomètres carrés, et l'on y compte soixante millions d'habi- tants.

Les divisions « naturelles » de l'Inde correspondent à peu près aux provinces, aux Élats administratifs et poli- tiques dont nous venons de parler. Il convient cependant de rappeler que VHindoustan proprement dit comprend la région du Kachmîr (Ladak et Baltistan), du Sindh et de la Radjpoutânâ (avec le désert de Thar) à l'ouest ; du Koumâôn, du Népal, du Doab, de VAotidh, du Behar, du Malvâ, du Boundelkhand, du Baghelkand), du Tchûtiâ- Nagpour, au centre ; du Bhoutan^ du Bengale et de VOrissa à l'est. Quant au Décan, on y trouverait au nord-est la Gondvânâ; au nord-ouest le pays des Mahratles et le Konkan ; au centre la province d'Haïderabad ; au sud- ouest le Maïssour , le Malabar , et le Travancore ; au sud le Maduré ; au sud-est le Tandjâvûr, le Coromandel, etc.

L'histoire de l'Inde est facile à résumer. Avant l'arrivée des Aryas qui, venus du nord, paraissent être descendus lentement jusqu'au cap Comorin, la grande presqu'île

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n'était vraisemblablement habitée que par des tribus sau- vages, peu nombreuses, éparses au milieu dévastes forêts. Les Kolariens et les Dravidiens, les Veddâs de Ceylan, sont des descendants, sinon les représentants fidèles, de ces peuplades primitives. Quand les Aryas, établis dans le pays, alliés à la population native, eurent, après avoir subi l'influence de leur nouvelle patrie, créé une société et une civilisation hindoue, il s'éleva, au moins dans les plaines du nord, un certain nombre d'États différents, de petits royaumes séparés. C'est avec l'un de ces principicules qu'Alexandre eut affaire lorsque, suivant les traces des Perses, il pénétra jusque dans le bassin de l'Indus. On sait que les relations entre l'Inde et les contrées occiden- tales, relations commerciales comme celles qui étaient établies depuis longtemps avec les Sémites de l'Asie anté- rieure, n'ont jamais discontinué, au moins par la voie de terre.

Quoi qu'il en soit, l'expédition d'Alexandre (327 avant Jésus-Christ) a permis de fixer exactement au moins une date dans l'histoire ancienne de l'Inde. Mégasthène vint en 306 à la cour de Tchandragupta (Sandrocoltus), roi de Pataliputra. Il y avait plus de deux siècles que le fils du roi de Magadha, Gâutama ou Siddhârta, avait commencé la grande révolution religieuse du bouddhisme. Le grand roi bouddhiste, Açôka, qui a laissé les premières ins- criptions indiennes que l'on connaisse, était le petit-fils de Tchandragupta.

Entre ces monarchies locales, il y eut sans doute sou- vent des querelles, des luttes. Le fanatisme religieux engendra des guerres d'extermination, en même temps que des aventuriers allaient défricher et conquérir les

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contrées méridionales. Les purânas, les grande poèmes épiques Mahâbharata et Râmâyana, nous ont conservé le souvenir de ces faits sous une forme mystique et légen- daire. Pour abréger, rappelons seulement qu'il y avait, au nord, le royaume de Magadha, de Sravâsti, de Kêkaya, de Pantchala, de Kôsala, de Videha, etc., et que l'Inde dravidienne actuelle était partagée entre trois monarques : le roi duÇôja, Çôra, ou Çôla, ou Tchôla, à lest; le roi du Pândi ou Maduré, au centre et au sud, et le roi du Çêra ou Tchêra, à l'ouest.

Une centaine d'années après la mort de Mahomet, des musulmans arrivèrent vers l'Indus ; mais ce ne fut qu'une expédition sans importance : c'était comme l'avant-garde, ou, si l'on préfère, l'annonce, la préface de la grande invasion. Celle-ci date des premières années du XI® siècle ; elle fut commencée par Mahmoud de Ghaznévide, qui entra, dit-on, dix-sept fois dans l'Inde, il pénétra jus- qu'au delà de Goualior, et battit à deux reprises les rois de Lahore, Bhawalpour, Oudjéin, Delhi, et Kanâudj. Mais il ne fit pas, à proprement parler, de conquête, et le premier conquérant fut, à la fin du XII® siècle, le sultan Ghouride Mahmoud, Gaïath-ed-Dyn , qui étendit sa domination jusqu'au Bengale. Son successeur, Katab-ud-dyn, fonda en 1206 le royaume musulman de Delhi. D'autres invasions accrurent le nombre des mahométans de l'Inde ; d'autres royaumes « arabes » ou plutôt « persans » se fondèrent successivement, après la défaite des monarques râdjpoutes indigènes, dans le Bengale, le Malva, le Gôudjerate, et )p Décan, il n'y eut pas moins de cinq dynasties rivales. Ces chefs musulmans étaient d'ailleurs d'accord pour pour- suivre les rois indigènes dont le dernier, celui de Vidja-

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yanagar (au sud de l'Orissa), fut défait en 1506. Mais un grand nombre de petits chefs locaux purent longtemps encore conserver leur indépendance.

La réunion en un seul empire de toutes ces royautés musulmanes de l'Inde date des sultans Mogol ou Maghal. Baher, descendant de Tamerlan, s'empara de Delhi en 1526; son petit-fils est célèbre sous le nom d'Akbar-le-Grand. Le petit-fils de ce dernier, Aureng-Zeb, établit son autorité sur tout le Décan et fut véritablement le premier empereur de toute l'Inde, qu'il divisa en royaumes, principautés et pro- vinces secondaires (nababs, soubabs, etc). Mais à sa mort, l'empire commençait déjà à se disloquer. Les Hindous opprimés se soulevèrent à l'est, à la voix du Mahralte Sivadji ; mais d'autres conquérants entraient en scènes.

Le 18 mai 1498, Vasco de Gama débarquait à Calicut ; dès lors, et pendant, plus d'un siècle, les Portugais domi- nèrent sur les côtes occidentales ; les Hollandais arrivèrent à Ceylan en 1632 ; les Danois avaient acheté Tranquebar en 1616 ; les Français vinrent à Surate en 1667, et ils fondèrent Pondichéry (le fort Saint-Louis) en 1674 ; en 1639, les Anglais avaient construit le Fort-Saint-George, à Madras.

Il ne serait pas utile de poursuivre ici cette étude som- maire ; mais il convient de rappeler la rivalité des Fran- çais et des Anglais dans l'Inde au dernier siècle. Si la palme est restée aux Anglais et si l'Hindoustan est aujour- d'hui le plus beau fleuron de la couronne britannique, il faut en accuser simplement le mercantilisme étroit de la Compagnie française des Indes et l'ineptie des minisires de Louis XV ; il faut ajouter que c'est en s'inspirant des idées de notre Dupleix, en adoptant son plan et ses com-

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binaisons que Clive et ses successeurs ont réussi à con- quérir toute la Péninsule.

On sait que la Compagnie anglaise des Indes a été sup- primée après la révolte des Cipayes et que depuis lors la reine Victoria a pris le tire persan de Kaisar-i-Hind « Impératrice de l'Inde >.

Julien ViNSON.

LES ÉTUDES BASQUES EN 1883-1884.

Je n'ai pas la prétention de passer en revue tout ce qui a été écrit depuis deux ans sur la langue basque ; je me propose seulement de signaler, parmi les publications scientifiques, celles qui^ soit par le nom de leurs auteurs^ soit par leur valeur propre, soit par leur originalité, me paraissent mériter l'attention particulière des linguistes. On ne s'étonnera donc pas que je passe sous silence divers articles de journaux locaux, et entre autres les Let- tres linguistiques d'un certain M. José de Guisasola : ce sont des travaux de pure fantaisie dont l'auteur ignore, non seulement les premiers principes, non seulement la méthode, mais encore la définition même et le but véri- table de la science du langage.

C'est pour une autre raison que je ne dirai rien non plus de deux articles de M. Karl Hannemann, intitulés Die Baskeri, qui ont paru dans les livraisons de janvier et de février 1884 du journal de M. Sacher-Masoch, Aîif der Hohe. Je n'ai pu me procurer ces articles ; mais M. Webster, qui les a lus, m'affirme qu'ils sont fort mau- vais ; ils sont, paraît-il, aussi médiocres au point de vue de la mythologie que de l'étymologie, et^ quoique l'auteur annonce la prochaine publication d'une grammaire et d'un

247 dictionnaire basques, il en est encore à tra.luire par le basque le passage punique du Pœnulus.

Je dois citer pour mémoire les deux articles que j'ai donnés (aux mots Basques) au Dictionnaire des Sciences anthropologiques , dont le premier volume (gr. in-8" de viij-560 p.) vient d'être mis en vente à la librairie 0. Doin. Je ne puis également que mentionner l'achè- vement du grand dictionnaire basque-espagnol de F. Aiz- kibel : « Diccionario hasco-espanol , titulado euskeratik erdarara biurtzeco itztegia, su autor d. J. Francisco de Aïzkibel; Tolosa, Eusebio Lopez (1883-1884), gr. in-4o, (ix)-ix-1257-(xxviij p.). » Il a été publié en 41 livraisons à

I fr. l'une (le prix doit être doublé après le l^r sep- tembre prochain). Cet énorme volume, dont il faut vive- ment féliciter l'éditeur, n'a d'ailleurs aucune prétention scientifique; ce n'est malgré tout qu'un pur vocabu- laire.

Avec M. Félix Michalowski (Études sur le dictionnaire basque, S. -Etienne, 1883, 48 p. in-S»), sommes-nous sur un terrain scientifique ? Pas encore, car il y a de tout dans cette curieuse brochure. L'auteur confond encore les linguistes, les grammairiens, les philologues ; il em- brouille les théories et les notions pratiques ; il ne sait évidemment point comment une langue naît, comment elle vit, et certainement il n'en a jamais analysé aucune.

II croit avoir découvert que le vocabulaire basque est formé de mots pris à une douzaine de langues celte, slave, touranien (!), etc., etc.. Le malheur est qu'il n'a eu en mains que des documents tout à fait insuffisants et qu'il procède d'une façon absolument antiméthodique. Il suffira de citer un passage pour justifier la sévérité de ma

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critique : « Elgar, Tun et l'autre. Comment dans un seul mot un peut-il être opposé à un autrel D'une manière très-simple, mais c'est peut-être la seule. En breton, c'est anne eil hag egile; en retranchant l'article et la conjonction, et en soudant le reste, on en fera sans peine elgar. On en verra bien d'autres ». C'est ainsi qiïalfana vient d'egwMs, en changeant al en e et fana en quus. Et notez que ces extravagances, qu'on prendrait volontiers pour un défi à la science, sont écrites avec une conviction tou- chante et avec une entière bonne foi. Ce que c'est pour- tant que la manie étymologiste !

L'étymologie, c'est aussi lamaniedeM. de Charencey, qui nous donne, dans les Actes de la Société philologique (t. Vlll, 1878-4881) et dans le Muséon deux mémoires intitulés Mélanges sur la langue basque (65 p.) et Étymo- logies basquaises (18 p.). Les huit premières pages et les vingt dernières des Mélanges, ainsi que toute la seconde brochure, ne sauraient nous retenir; ce sont de purs rapprochements de mots : l'algonquin, le latin, l'italien, le tchèque, que sais-je encore? sont largement mis à contribution. Si celte pauvre langue basque était seule- ment attaquée par une demi-douzaine de dissecteurs comme MM. de Charencey et Michalowski, il n'en resterait plus rien qu'une salade indigeste, qu'une horrible olla- podrida dont l'aspect seul donnerait le choléra, nostras ou asiatique, aux plus courageux. M. de Charencey pousse le zèle jusqu'à se corriger lui-même; il prétendait jadis que behi c vache » venait du breton bioch ; il croit aujourd'hui que ce mot vient du latin bovem :

Qu'il vienne de Ghaillot, d'Auteuil ou de Pontoise...

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M. de Charencey réserve trois pages de son premier mémoire à la strophe initiale du prétendu Chant de Lelo. M. d'Avezac avait signalé l'étrange ressemblance de ce couplet avec une formule musulmane ; M. de Cha- rencey repousse avec indignation l'hypothèse de l'emprunt, parles Basques, d'une formule est nié a le dogme delà Trinité », et il propose une interprétation à lui, qui n'est ni meilleure ni pire que toutes celles qu'on a pro- posées. Passons.

La plus grande partie du travail que j'examine en ce moment est consacrée à la théorie verbale. M. de Cha- rencey prétend reprendre une discussion que nous avons eue ensehible dans celte Revue (t. V à Vil). Je ne veux point, pour ma part, le suivre sur ce terrain; nous avons assez fatigué naguère les lecteurs de la Revue; de pareilles discussions sont d'ailleurs oiseuses. Malgré la patience que mon savant contradicteur apporte à réfuter les dix objec- tions principales qu'il a relevées contre son système, M. de Charencey n'arrivera jamais à persuader à un lin- guiste digne de ce nom : que niz « je suis », fiiz « tu es », sont simplement l'instrumental de ni « moi » et hi « toi »; 2o que le radical iz « être », ne se retrouve pas dans l'ensemble de la conjugaison du verbe « être » basque. ,

J'ai hâte d'arriver à l'étude de M. Arthur Campion, un nouveau venu, plein de vaillance et d'ardeur. Son Ensayo acercade las leyes fonéticas de la lengua eiiskara (Saint- Sébastien, 1883^ 68 p.) n'est, paraît-il, que la préface d'une grammaire complète déjà sous presse. M. Campion a l'inappréciable avantage de savoir fort bien le basque et d'avoir bien lu la plupart des publications scientifiques

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relatives à sa langue maternelle ; il s'est préoccupé, à juste titre, des dialectes vulgaires et a consulté, ce qui était indispensable, les précieuses publications du prince L.-L. Bonaparte. Mais on peut lui reprocher de n'avoir pas assez étudié les écrivains, et surtout les vieux écri- vains basques, et aussi de n'avoir pas fait de linguistique, en dehors de l'escuara : c'est certainement un défaut capital ; pour être en état de bien étudier un idiome, il faut en avoir étudié plusieurs ; il faut avoir fait de la lin- guistique générale. Si vraiment M. Campion a une Gram- maire basque sous presse, je le regrette ; il n'y avait évi- demment nulle urgence, et son livre ne pouvait que gagner à attendre.

hdi 'phonétique de M. Campion est néanmoins fort intéres- sante ; mais je regrette qu'il ne paraisse avoir connu beaucoup de mes travaux qu'à travers les critiques du prince Bonaparte (1). Peut-être, s'il les avait eus sous la main, en aurait-il retiré quelque avantage, sinon quant aux faits^ au moins quanta la méthode. Mes observations l'auraient peut-être amené à faire plus de cas des permutations eupho- niques occasionnées par la rencontre des mots, et non à se préoccuper presque uniquement de celles qui ont lieu dans l'intérieur des mots formels ou dans le développe- ment de la suffixation pure.

J'aurais certainement bien des détails à relever ; je n'en prends ici qu'un au hasard. Pourquoi M. Campion affirme- t-il (p. 4-2) que le suffixe ethnique ar prend un initial,

(1) Il me semble notamment que M. Campion n'a point lu mon Premier essai de phonétique basque {Revue, t. III, p. 423-456 ; t. IV, p. 118-127), ni ma note de 1873 (t. V, p. 273-290).

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après une consonne : Burgostar « homme de Burgos », Paristar « Parisien » ? L'hypothèse contraire, conforme à la loi du moindre effort, est plus naturelle. Le suffixe est plutôt tar que ar, témoin menditar « montagnard », her- ritar « paysan, villageois, habitant du pays » ; de même pour arte et tarte: begitarte « visage », de begi « œil >, et tarte « espace » ; on comprend mieux la chute du t ini- tial dans Bayonarra « Bayonnais », (de Bayonaarra, Bayonatarra) ou mendien artean de mendien tartean, que son épenthèse dans les exemples ci-dessus.

Une autre citation montrera que les notions générales de phonétique de M. Campion ne sont parfois pas assez précises. Parmi les nombreux exemples qu'il rapporte à la page 66, je lis, par exemple : « Il yapermutation etéli- sion de voyelles combinées dans ausin =. osin « ortie », permutation de deux consonnes et de deux voyelles dans yarreki = jarraitu « suivre » ; élision d'une voyelle, per- mutation d'une autre et de deux consonnes dans mathel = matraill « joue ». Rien de tout cela n'est exact. Dans ausin =: osin, il y a une simple permutation elle est classique de au à o, car o n'est que a -{- u; dans yarreiki z=. jarraitu^ il y a d'abord un phénomène gram- matical, le remplacement du suffixe ki par le suffixe tu ou réciproquement, puis deux mutations, phonétiques : le renforcement de la semi-voyelle y en la soufflante j, jota ; 2o l'affaiblissement de la diphthongue ai en ei ; quant à mathel et matraill, il n'y a point substitution der k h, de II k l, de a k e et chute de ^ ; il y a seulement adou- cissement du t aspiré en t simple, substitution de la diphthongue ai k e {e n'est que a + i), mouillement du l final par l'action de Vi et sans doute épenthèse du r har-

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monique au ill final et qui est encore, là, un adoucisse- ment. Je vais d'ailleurs plus loin que M. Gampion, et de ce qui précède je conclurais que, dans la suite du déve- loppement de la langue basque, ausin, yarrai- (je laisse le suffixe de côté) elmalhel sont antérieurs kosin^jarrei-y malraill.

Répondrai-je aux observations que m'adresse (p. 20) M. Gampion, d'après le prince Bonaparte? Gela me paraît tout à fait inutile. Il me suffit de renvoyer M. Gampion au texte même de mon travail ; il ne s'agit pas seulement de chercher des faits; il faut en rechercher la valeur, les analyser, et leur donner leur conclusion naturelle. G'est que les opinions du prince Bonaparte ne sont pas pour moi, comme on dit, paroles d'Évangile.

Peu s'en faut, pourtant, que je ne sois traité de « vil flatteur » par M. Van Eys, parce que j'ai écrit, ici même, que « le prince L.-L. Bonaparte sait le basque comme per- sonne ne l'a su et probablement comme personne ne le saura jamais ». G'est dans une brochure sur le tutoiement basque, cliapitre supplémentaire à la grammaire comparée des dia- lectes basques (Paris, Maisonneuve, 1883, 30 p. in-8°) que M. Van Eys me prend assez vivement à partie; l'introduc- tion (p. 5-13) m'est presque entièrement consacrée. J'en suis fort honoré ; mais on comprendra que j'aie le devoir de répondre au moins sur deux ou trois points particu- liers.

Tout d'abord, en ce qui concerne la phrase ci-dessus citée, je ne me sens pas du tout coupable. Je l'ai écrite en toute franchise, je la maintiens et je la répète. J'affirme de nouveau que le prince Bonaparte, en matière de fait ma- tériel linguistique basque, est l'homme le mieux informé

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du monde ; il a recueilli des documents uniques ; il a eu des moyens d'information tout à fait exceptionnels, et a parcouru le pays, à diverses reprises, dans des condi- tions extraordinairement favorables. Le reconnaître, c'est reconnaître la vérité. Mais cela veut-il dire, comme M. Van Eys semble le croire, que les théories du prince Bonaparte sont inattaquables ? Me prêter cette opinion, ce serait faire une confusion déplorable; autre chose est savoir, autre chose est révéler des faits nouveaux, autre chose est s'appuyer sur des faits certains, et conclure de ces faits. Les lecteurs de la Revue n'ignorent pas qu'à maintes occasions j'ai combattu, entre autres, la théorie verbale du prince Bonaparte, théorie essentiellement méta- physique et spéculative : dans toute forme verbale, il doit y avoir une expression sonore de l'idée verbale, de l'idée d'action ou d'état; dans je Vai, il doit y avoir le sujet de première personne, le régime direct de troisième et le radical « avoir » , d-u-t ; cf. d-aki - < « le sais-je , je le sais ».

M. Van Eys a classé les réponses qu'il m'adresse en treize points principaux. Les 1"^ ^e^ 3e^ 5e^ ge n'ont pas une grande importance ; elles ont trait à des faits maté- riels que j'affirme sur mes observations personnelles ; la n'est pas une réponse : quelle différence phonétique M. Van Eys peut-il trouver entre hay archaïque et hai moderne? La IQe se rapporte à l'interprétation d'un fait gram- matical ; et M . Van Eys a beau renvoyer à sa gram- maire, il ne me prouve point que j'ai tort. La ob- servation est l'acceptation la seule d'une de mes remarques. Examinons rapidement les 4«, 7«, 11®, 12« et 13^

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4e Pourquoi le datif pluriel souletin est-il er ? J'ai dit : parce que certaines variétés ont eri et qu'on a la série aki, ai, ci, eri, er, M. Van Eys répond : « Ceci n'explique rien du tout; une série n'est une série qu'autant que les mutations sont connues ». Il m'est facile de vous satis- faire : la forme naturelle et primitive était p. ex. Gizon- ak-i (encore aujourd'hui usité, à Irun et Fontarabie) ; la chute du k a donné le guipuscoan général gizonai, l'affai- blissement do ai en ci a fait le labourdin général gizonei, l'intercalation du r euphonique a produit le labourdin mari- time gizoneri (cf. le sing. général gizona-r-i), et la chute de r* final a donné naissance aux formes orientales gizoner; c'est l'application progressive et continue de la loi du moindre effort.

J'ai dit : « Natorquezu est la forme indéfinie et niatorquezu la forme allocutive ». M. Van Eys répond que je n'ai pas remarqué, « bien qu'il l'ait dit », que le mouille- ment de l'initiale indique la forme familière : « i exclut zu, zu exclut i ■». Je n'ai pas nié que le mouillement caractérisât la forme famiUère : c'est indubitable ; mais il est absolument faux que i exclue zu et que zu exclue i ; M. Van Eys se trompe, ici, radicalement. Il oublie qu'il y a, dans l'ensemble des dialectes, trois et non pas deux formes, non pas familières, mais, comme les a si bien nommées le prince Bonaparte, allocutives : le tutoiement masculin, le tutoiement féminin, et le respectueux (avec sa diminutive enfantine en chu) ; toutes les trois sont caractérisées par le mouillement. Cf. les formes suivantes, que j'emprunte au Verbe du prince Bonaparte (il s'agit d'un fait matériel) :

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SouLETiN : dezake, il le peut (indéf.). dizakek, (masc). dizaken, (fém.). dizakezû, (resp.). zaizket, il me sera (indéf.). zizkedak, (masc). zizkedan, (fém.). zizkedatzû, (resp.). Salazarais : ginakon, nous le lui avions (indéf.). giniakokan, (masc).

giniakonan, (fém.).

giniakozun, (resp.).

Bas-Nav. or. : litzazkiaketzu « ils seraient à moi » (resp.).

Le parallèle est frappant. Natorquezu doit se traduire « je viendrais, je peux venir à vous » et niatorquezu « je peux venir, je viendrais, ôvous que je respecte ».

11® La question du subjonctif et de l'imparfait ; elle occupe près de quatre grandes pages, et je ne me dé- clare pas convaincu. Il ne suffit pas que M. Van Eys me renvoie à sa grammaire , et , malgré tout , il ne m'est point du tout prouvé que dudan ou naize^i p. ex., qui sont de vrais subjonctifs (et non pas des indicatifs suivis ou précédés de que) soient contractés de dut-non ou de naiz- non ; c'est une pure hypothèse qui n'est justifiée ni par la syntaxe ni par la phonétique ; c'est de l'étymologie, c'est-à-dire de la fantaisie. De même, lorsque M. Van Eys veut que les formes telles que ôawm/z « si j'étais » viennent de 6a « si > et de conditionnels, nintzake, tronqués du ke final, il me semble beaucoup plus simple d'analyser 6a « si » et nintz « j'étais » : la comparaison des formes dialectales et l'étude de toute la dérivation verbale dé- montre que le n final des imparfaits modernes (je main-

_ 256 tiens le mot) est adventice et inutile. Le n final qu'il vienne de non ou d'ailleurs , peu m'importe est essentiellement conjonctif ; dudan est « que j'aie » et dudala « que j'ai ». Ici M. Van Eys m'oppose plu- sieurs exemples, tirés de Liçarrague; mais il ne m'est pas mal aisé de les retourner contre lui. Dans eta bera sarri haraco licela (Act. xxv, A) « et que lui-même était pour (aller) tantôt » ; dans ecen deusetan ezluela faltatu luduén leguearen contra (Act. xxv, 8) « qu'il n'avait en rien failli contre la loi des Juifs », il y a des subjonctifs en basque, parce qu'il n'y a pas dans l'idée la netteté d'affirmation de l'indicatif, licela et luela sont pour licen-la et luen-la ; dans Nehorc erran ezteçan ecen neuve icenean batheyatzen ariçan naicela (I Cor. i. 15) « pour que personne ne dise que j'ai baptisé en mon nom », il y a purement et simplement l'indicatif, l/3â7rTtcra; dans ençu- nen diénola ethorriaicén (Act. xxi, 22) « ils ouïront, ô h., comment tu es arrivé », il y a un subjonctif en basque il y a un indicatif en français ; mais, puisque M. Van Eys aime tant les règles, je lui dirai que c'est en vertu de la règle qui veut que nola a comment » gouverne le subjonctif: au fond, l'idée est conjonctive.

12e \i_ Van Eys me chicane (c'est un peu le mot vrai) à propos de l'indéfini et du défini; il est évident que, dans la phrase citée par lui, je m'étais mal exprimé, mais l'idée n'en est pas moins juste. Les suffixes ra, ko^ etc., suppri- mant l'article au défini, intercalent ta à l'indéfini et eta au pluriel défini. Mendira, menditara, mendietara doi- vent se traduire : c vers la montagne, vers quelque montagne, vers les montagnes ». Je ne cherche pas la raison ; je constate simplement le fait. ,

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13« M. Van Eys, qui est d'accord avec moi sur le but de l'étude comparative des langues, la reconstitution des formes primitives (et il est peu aimable à lui de me repro- cher de lui avoir pris ses « paroles » ; je suis assez riche de mon propre fonds pour n'avoir nul besoin de recourir à un emprunt), prétend y arriver par l'analyse ou l'éty- mologie, et conteste l'ulililé des tableaux méthodiques (cet adjectif l'otîusque). Eh bien ! je prétends, moi, que ces formes primitives seront découvertes par la seule étymologie que révélera l'analyse des expressions sonores les plus anciennes; ces expressions seront refaites seule- ment par des tableaux méthodiques, c'est-à-dire par des tableaux les formes de la langue vulgaire seront groupées et classées suivant leur aspect sonore, leur fonction gram- maticale et leur dérivation.

On voit que je ne suis point en opposition avec M. Max Millier, cité par M. Van Eys : je ne me contente pas de paradigmes et de règles (car je demande des tableaux scientifiques et non des paradigmes pratiques et mnémo- techniques), je ne regarde pas les éléments formels comme des expédients ou des excroissances. Mais je ne me con- tente pas non plus d'explications hâtives et plus ou moins fantaisistes ; j'aime mieux le doute que l'erreur, et je n'hésite pas à reconnaître, quand il y a lieu, mon igno- rance ou mon impuissance (provisoire, relative). Je n'ai pas la prétention de tout résoudre et de tout expliquer. Je ne crois point pouvoir apporter aux savants la solution définitive du problème basque ; hélas ! il se passera bien du temps avant qu'on ait trouvé, par exemple, l'élément radical du suffixe conjonctif n ou du suffixe final de pre- mière personne t. En ces matières délicates, un travail est,

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je crois, d'autant meilleur qu'il n'aspire pas à être défi- nitif et complet, et, comme diisa.mtSér6me, hœc est in om- nibus solaperfectio, suœ imperfectionis cognitio .

Julien VmsoN. Paris, 14 juillet 1884.

P. -S. Dans le numéro de mai dernier de la Revue des Basses-Pyrénées et des Landes, M. le capitaine J. Du- voisin a commencé la publication d'une série de contes basques, sous ce titre : Les sept fleurs de Baigorri et la reine des sept fleurs. Je dis une série de contes, bien qu'en apparence il ne s'agisse que d'un conte unique sept jeunes filles, entre lesquelles il faut choisir la plus habile, racontent chacune une histoire. La livraison que nous avons sous les yeux ne contient que l'entrée en matière et la première de ces histoires : Le Renard, le Corbeau et le Muletier. On nous dit que ce conte a été recueilli par un amateur sur les lieux mêmes, en 1852. Malheureusement, le texte a être retouché; il est d'une correction parfaite, mais évidemment beaucoup trop littéraire. La traduction est également trop littéraire. Les quatre pages d'introduc- tion de M. le capitaine Duvoisin ne nous apprennent rien de nouveau, malgré leur allure solennelle et préten- tieuse ; M. Duvoisin daigne citer M. Gerquand ; il paraît ignorer entièrement les publications de M. Webster et les miennes.

SUR LA VÉRITABLE FORME DE LA RACINE SANSKRITE PRCCH, PRACCH.

M, Withney, dans son excellente Grammaire sans- krite (1), insinue une hypothèse qui, si elle était fondée, enlèverait une de ses meilleures preuves à la théorie que j'ai présentée ici même (2), et dans un opuscule récent (3), sur l'origine de la sifflante palatale en sanskrit. D'après le savant indianiste américain, la racine sanskrite prcch, pracch, « demander, questionner », ne présenterait qu'un état altéré d'une racine véritable praç, équivalant à une forme proethnique prak ouprek. Le présent prcchâmi, « je demande >, serait donc pour *prç-cchâmi = *prç-skâmij de même que le latin ;po5co tiendrait lieu de *proc-sco.

Les raisons qu'on peut invoquer en faveur de cette ma- nière de voir résultent :

De l'état faible prc (au présent de l'indicatif, ce qui

(1) § 220. M. Bergaigne a repris cette hypothèse pour son compte à la page 170 de son Manuel pour étudier la langue sanscrite, (Vieweg, éditeur), que je suis heureux d'avoir l'occasion de recom- mander à tous ceux qui voudront entreprendre l'étude de l'an cienne langue de l'Inde.

(2) Numéro d'octobre 1883.

(3) Les origines de la sifflante palatale en sansci'lt, Vieweg, édi- teur.

260

est souvent l'effet d'un suffixe) de la partie conservée de la racine hypothétique j^arf.

Du participe passé pTsta, qui serait à farç comme dista est à diç, « montrer »,

De la forme radicale du dérivé joraç-na, «question ».

De la même forme dans les correspondants en latin et en gothique prec-or, fraih-nan, auxquels on peut joindre le zend pereç.

Examinant ces différents arguments dans l'ordre ils ont été indiqués, nous remarquerons :

Que prcchâmi, correspondant d'une forme forte *pracchâmi ou *parcchâm>i, est, à ce point de vue, en parfait rapport avec gacchâmi, « je vais », dont la forme forte serait "gamcchâmi, rac. gam (1). Ce rapport n'indique donc en aucune façon que "prcchâmi soit pour "pfç-cchâmi.

2o La racine vraçc {vrçcati), « couper », dont l'adjectif correspondant vraska, « qui coupe », ne laisse aucun doute sur l'ancienne forme "vrask, fait vras-ium à l'infi- nitif, par suite d'une modification phonétique du groupe çc devant t absolument semblable à celle de cch {= sk ou $kh) dans prsia et prastum, auprès de prcchâmi (2). Aucune conclusion ne peut non plus être tirée de cette forme du participe.

Si, comme j'ai voulu le démontrer, ç dérive de es, pour se, sk, la forme praç-na, pour *pracs-na (3), corres-

(1) En d'autres termes, l'analogie de gacchâmi fait voir que pr -\- cchâmi aurait la forme faible aussi bien que prç -f- cchâmi. Cf. aussi vrçcati. Du reste, mrçati, sprçati ont également la forme faible au présent, malgré l'absence de suffixe.

(2) Cf. aussi la seconde personne singulière du ^parfait papra9iha, auprès de la première papraccha.

(3) Cf. le zend frakhshan, même sens. Cf. a^ussi le rapport absolu-

261

pond bien à prs-ta, pour *prks-ta, el à prcçhâmi, pour "prskâmi. Elle est donc sans valeur pour démontrer l'exis- tence d'un état radical praç =: *prak.

Le latin prec-or (et tous les dérivés, y compris pro- cus), pour *prescor (1) ne présente pas une réduction pho- nétique plus surprenante que celle d'oculus pour *osculus ou 'ocsulus, auprès du sk. aksan, « œil », et du grec oo-ffofjiat, « voir », ou celle de éotxa auprès de etaxw (2). Du reste, rien ne prouve que le substantif féminin prex contienne une désinence casuelle qui aurait donné nais- sance à X final.

En ce qui regarde le gothique fraihnan, comparer taujan, « faire », deigan, « former », peut-être tahjan, « mettre en morceaux », auprès du sk. taks, « faire, fabriquer, menuiser ». Le « devant ou après une gutturale étant tombé dans les correspondants de la racine ta1is, le même phénomène a pu se produire avec celui de la racine "prask, devenue en sk. pracch.

Enfin, le zend pereç s'expliquera d'autant mieux de la même manière que praçna, si l'on se place au point de vue de l'hypothèse oii ç = C5, que cette racine a la

ment identique du sanskrit praçna et du nom d'agent praHar avec celui du zend yaçna « sacrifice », et de yastar « sacrificateur ». Dans les deux cas la sifflante a donc la même origine, et si le 9 depra^tar est pour ks, il en est vraisemblablement de même du ç de praçna.

(1) La conservation de la liquide dans precor, procus, etc., a cer- tainement contribué à la réduction du groupe se ^ c. A la même famille se rattache vraisemblablement rocjo pour *proyo.

(2) On suppose, il est vrai, sans aucune preuve, que la racine est ife, oh. Autant dire que le groupe sk-ks, si fréquent dans les suffixes et comme initial des racines, ne peut leur servir d'élément final. Comparer aussi augeo avec «uÇw, «O^àvu.

262

forme faible comme prcch{âmi), et qu'elle a pour doublet frakhsh, qui ne saurait en être un élargissement, comme on l'a supposé (1).

Il n'existe donc aucune preuve décisive, que pracch est une fausse racine pour praç-cch.

Nous passerons maintenant aux raisons qui donnent à croire qu'il en est autrement, c'est-à-dire que praç et pracch sont les variantes d'une racine simple prask, probablement.

Il n'y en a que deux, mais elles sont extrêmement fortes.

La première est la conservation du prétendu suffixe du préseut ccha, contrairement à toutes les règles, non seu- lement au thème des verbes dérivés (passif, causatif, dési- dératif, intensif), mais à celui du parfait (pa-praccha) ; et ce qui ajouté à la signification du fait, c'est qu'il a lieu également en latin {po-posci), sans qu'il soit possible d'ad- mettre, étant données les variantes phonétiques des deux thèmes, que l'un a été influencé par l'autre ou qu'ils ont pris une forme irréguliére ou l'effet des mêmes causes.

La seconde raison est non moins probante et nous mettra sur la voie d'une particularité phonétique ina- perçue jusqu'ici, que le grec et le latin ont en commun avec le sanskrit.

Le rapport étymologique du latin -postula avec posco ne saurait être mis en doute. Or, ce rapport suppose l'inter- médiaire d'un participe passé *postus ou d'un nom d'agent

(1) Pourquoi, en effet, f pour p? Si frakhsh résufte d'un élar- gissement à l'égard de pereç, il lui est postérieur ; il faut donc supposer en même temps le renforcement de l'initiale, ce qui est inadmissible.

263

^postor (1) (cf. uslulo, auprès de ustus^ ustor), qui sont tombés en désuétude, mais qu'on peut restituer sans aucune hésitation. Maintenant, si nous rapprochons *pos- tuSy *pos-tor des correspondants sanskrits prs-fa, pras- tar, nous voyons qu'en latin, comme en sanskrit, les élé- ments du groupe sk se sont métathésés et réduits à s (par l'intermédiaire de x) devant un suffixe commençant par un dentale. Le phénomène n'est pas isolé ; les formes mixtus et mistus auprès de misceo, miscui, nous ont laissé d'éloquents témoins du même fait et de la transition pho- nétique qui l'a précédé.

D'autres exemples non moins intéressants sont : pas-tuii et pas-tor, auprès de pasco, pascor. La racine est pasc, et non pâ, comme on a pris l'habitude de le répéter depuis Bopp, sans remarquer la différence des acceptions. Le sk. pane signifie, en effet, jamais « manger, brouter », sens propre de pasco, pascor (2) ; de même que ceux-ci n'ont jamais le sens de « protéger, surveiller, gouverner, dé- fendre », qui est exclusivement celui de la racine pâ. Les véritables correspondants phonétiques et significatifs de la racine latine pasc sont le sk. bhaks {bhaks-ayati, « man- ger, et faire manger ») et gr. pô^xw (3), même sens, à la fois simple et causatif, auquel il convient de joindre

(1) Ou * posiulus de * posturus =: * postor ; cf. le rapport des noms d'agents avec le part. fut. actif : datôr datûrus, etc.

(2) D'où dérive le sens causatif de t faire manger, faire paître », visible surtout dans pastor.

(3) Curtius, Grund^, p. 540, combat ce rapprochement en affir- mant qu'il n'y a pas d'autre exemple de P initial pour n devant une voyelle. Il oublie ou récuse ^âX^w auprès de 7r«X>w, pello, paôûç et nvQ^rr*, etc.

18

264 n(x<7(Toii«i, cité paf Hésychius avec le sens de « manger i, et ànxarô;, (vraisemblablement formé comme pastus) auprès de 7rax(T, 7r«(7(7 (cf. Traoroç, auprès de Trâffirw) (1). On a vrai- semblablement aussi la même transformation phonétique dans :

Lat. cas-ius et gr. xâffrwp, auprès dusk. çaks, « briller », d'où l'infinitif cas-tum ;

Lat. es-trix, com-es-tor, auprès de esco (2) ;

Lat. faiistus, festus, fastus, auprès de m'fswffxw, Triyâ^xw;

Lat. gusto, gustus, vstjo-toç, yeuo-TVîç, auprès du sk. jus^

pour *jlisk, gr. ys^w pour *7ey(J"(Tw, *y£ux(jw;

Lat. pestis, auprès de pecco, pour *pesco ;

Lat. bustum, ustus, ustor, gr. «ù(tt>7/>oV, auprès de wro *M5o, mais aussi du sk. ucchati (3).

Lat. vastus, auprès de la racine vase, dans vaco, vacus, vacuus^ vagus, etc., cf. sk. vanc, « s'enrouler, se retirer », et grec six» dans le sens de « céder, se retirer » (4) ;

(1) $«7£tv, pour " (jpao-yeZv appartient aussi à la même famille ; de même que les formes germaniques fostr (vn.), fôstur (ags.), citées par M. Osthoff, Kuhn's, Zeitsch., XXIII, 315, qui montrent le même phénomène phonétique. Cf. encore larac. sk.pusz=*pusk, « nourrir.»

(2) Ainsi que les formes comme est, estis, etc., qu'on rattache à edo, malgré l'invraisemblance du changement de ci en s devant t, contredit en sanskrit par uttha, pour * utstha, en grec par x«SS£pa>£ pour xarà Se èjSaXs ; en latin par attineo pour ad-tineo, etc.

(3) Cf. lith. auszra, auszta. Dans ces exemples le phénomène est proethnique.

(4) Peuvent s'expliquer encore ainsi astus, auprès du gr. «(txéw, sens primitif, être habile; f astus, fastigium, etc. auprès de la ra- cine sanskrite vakS, s'élever, grandir; frustrum et les dérivés, à la fois, auprès de fraudo et de pwÇ, èppuyoc, d'une racine fransc, frosc, d'où frango (le rapport de frango et de fraudo est le même que celuide plango et de plaudo) ; lustrum et les dérivés dans le sens de

~ 265 Gr. yarrrip, auprès du sk. jaks, « manger » ;

Gr. yveuoToç, yvoisTïîç, auprès de Ytvvwencw ;

Gr. toTUjO, auprès de eîffxw, t(Txw;cf. lat. œstumo.

Gr. Sjoâemj;, auprès de ^i^pàcnw ;

Gr. pauToç, auprès de //âuffM;

Gr. pvYjffTÔç, y.vri(TT(àp, auprès de pipi^iTxM;

Gr. NsoTw/5, auprès de àvâo-ffw, et du sk. naks, « com- « mander » ;

Gr. oïoTôç, auprès de t(T%wj tffxwî, etc. Gr. à(TTnp, affT/3ov, aùffTvjpoç, lat. aestus, (1) aestas, etc., auprès de la rac. aA:^, iks^ eto-x, wA;^ (dans ucchati) dans le sk. a/c.^an « œil », accha, pour 'as/ca^ « pur », st'irxw « voir, savoir », primitivement « briller, brûler » (2).

Ajoutons cependant qu'en grec et en latin, comme en

purification, auprès de liix, >£Û(T(tw, etc., d'une racine ruM, cf. sk. rukSa, brillant ; pastillum à rattacher soit à pascor, soit à la rac. sanskrite pae, pour *pasc, cuire, faire cuire.

(1) Le sens d'agitation, marée, dérive, comme souvent, de celui de chaleur, ardeur, excitation.

(2) Les étymologies hypothétiques qui rattachent àcnrip, etc., soit au sk. as, « jeter >, soit à star, « répandre », supposent une méta- phore procthnique qui se trouve, il est vrai, dans des vers si souvent cités de Lefranc de Pompignan :

Le Dieu, poursuivant sa carrière, Versait des torrents de lumière Sur ses obscurs blasphémateurs,

mais qui n'a certes rien de primitif.

L'arménien asti, « étoile », s'il n'a pas été emprunté au grec, est la preuve certaine que l'a initial des mots en question n'est pas prosthétique. Sur le rapport entre le sens de « brûler, briller, voir, savoir », dans une même famille de racines, cf. l'article que j'ai pubUé à ce sujet dans la Revue philosophique, février 4884.

266

sanskrit, rarticulation sk, ks ou ses substituts, s'est réduite à k aussi bien qu'à s devant les suffixes du participe passé, des noms d'agent, etc. ; c'est ce que font voir :

Sk. bhakta, auprès de bhaks;

Sk. vrkna, auprès de vraçc ;

Gr. exToç, auprès du sk. sasta et du lat. sextus ;

Gr. ttXïjxtôç, auprès de TàrivaWy

Gr. StSaxTôç, auprès de StSâoTcw;

Lat. junctus, auprès diQJuxta.

De plus, en latin, le maintien de x devant ces mêmes suffixes a très-souvent amené la chute du t qui suit. Ainsi s'explique :

Fixus, pour 'fixtus, auprès de fictus ;

Frixus, auprès de frictus ;

Fluxus, auprès de fluctus ;

Luxurusy auprès de luctus ;

Sexus^ auprès de sectus.

Enfin, dans la même langue, les formes en question se rattachant à des racines a gutturales qui contiennent une liquide interne, affaiblissent x en s tout en laissant choir 1(3 t qui suit (1). Exemples:

Mer sus pour *merx-tusj cf. sk. majj, « plonger », pour 'marzj, et marcch, « tomber, périr » ;

Sparsus, pour *sparx-tus, cf. sk. spars, « verser, ré- pandre > ;

Mulsus, pour *mulX'tus, etc. (2).

(4) Vice versa, quand le t du suffixe se maintient, le substitut du groupe sk disparaît. Exemples : fultus, auprès de fulcio, ultus au- près de ulciscor.

(2) Cf. les deux formes du parfait mulxi et mulsi. On sait que l'explication toute extérieure de Corssen est bien diffé-

267 L'enchaînement de ces faits entre eux et avec ceux que j'ai présentés dans mes travaux sur la même question, me semblent de nature à ne laisser aucun doute sur la véri- table forme de la racine pracch. Est-il besoin d'ajouter que si mes conclusions étaient admises sur ce point particulier il serait difficile de les écarter pour l'ensemble des cas auxquels je les applique ?

Paul Regnaud.

rente de celle que je propose. Voir aussi sur les mêmes questions, et dans des vues qui se rattachent le plus souvent à celle de Gorssen , une étude de M. F. de Saussure dans les Mémoires de la Société de linguistique de Paris, III, 293-299, ainsi qu'un article de M. Enrico Cocchia dans la Rivista di Filologia, XI 46-58.

268

QUELQUES MOTS SUR UN JUGEMENT DE M. J. DARMESTETER.

L'autorité si bien méritée qui s'attache au rapport an- nuel rédigé par M. J. Darmesleter, à titre de Secrétaire sup- pléant de la Société asiatique, m'oblige, pour ainsi dire, à discuter l'appréciation critique dont il a fait suivre, dans ce document pour 1883-1884, l'analyse de mon tra- vail publié ici-même (1), et repris dans une brochure spé- ciale (2), sur \ Origine de la sifflante palatale en sanskrit.

« Il (M. Regnaud), dit M. J. Darmesteter, donne à l'appui de cette thèse une nouvelle série considérable d'exemples paraît une tendance à identifier trop aisé- ment des mots et des familles qui, dans les périodes pré- sentes de la langue^ sont certainement indépendantes de forme. »

Si le savant rapporteur a simplement voulu dire que tous mes exemples n'ont pas une égale valeur démonstra- tive, je suis tout à fait d'accord avec lui, et j'en ai même fait la remarque dans une note de ma brochure.

Mais si, comme c'est vraisemblable, son observation implique en même temps une condamnation plus ou moins absolue de ma méthode, je ferai remarquer qu'il s'agit précisément de savoir si les formes qui paraissent indé- pendantes dans les périodes présentes de la langue ne dé- rivent pas d'antécédents communs. La question a son prix

(1) Voir no d'octobre 4883.

(2) Paris, 1884, Vieweg, éditeur.

269 et, dût-elle aboutir à une solution négative, il importe, ce me semble, d'examiner les faits à ce point de vue.

En dernière analyse, cette question consiste à rechercher si les racines indo-européennes sont irréductibles, ou s'il n'est pas scientifiquement permis d'essayer de les grouper en familles, en tenant compte à la fois de l'évolution du sens et de celle des sons, celle-ci déterminée pour la pé- riode anté-littéraire par l'application rétroactive des lois phonétiques, déduites de l'étude des périodes littéraires de la famille de langues examinée.

•On peut contester la légitimité du procédé et la va- leur des résultats, mais il faudrait au moins donner des raisons.

Je profiterai de la circonstance pour rectifier aussi un point l'attention généralement si exacte de M. Dar- mesteter me semble légèrement en défaut. Commen- çant le compte-rendu de mes travaux par constater que « je continue à appliquer à la phonétique sanskrite la méthode hardie inaugurée dans mes Nouveaux aperçus sur le vocalisme indo-européen », il en arrive à dire, à propos de ma conférence sur les Facteurs des formes du langage, que « c'est un essai philosophique intéressant et neuf dans la forme, de grammaire historique ». Or, cette con- férence résume les principes que j'ai développés et ap- pliqués sur diverses questions spéciales dans tous les tra- vaux de phonétique que j'ai publiés depuis deux ans. Si ceux-ci sont hardis, et par conséquent originaux, on ne saurait refuser à la conférence précitée de la nouveauté, plutôt encore pour le fond que dans la forme.

Paul Regnaud.

miiLlOGUAPHIE

CuoQ. Dictionnaire iroquois.

Le dialecte mohawk, de la grande famille iroquoise, a été le sujet de plusieurs œuvres linguistiques, entre autres du missionnaire jésuite Jacques Bruyas, de Lyon, qui arriva au pays occupé par cette tribu en 1667, et y com- posa ses Radiées verborum iroquacorum, texte français mêlé de beaucoup de latin (publié à New-York, J.-G. Shea, 1863). Le révérend J.-A. Cuoq, missionnaire catho- lique des Indiens de Gaughnawaga, un village à trois lieues de Montréal, a depuis,publié une petite grammaire de ce dialecte (1866, in-S», conjointement avec un autre de l'al- gonquin) (1), et en 1882, un Lexique de la langue iroquoise, avec notes et appendice, Montréal, Chapleau et fils, 215 p., in-8o, qui est une œuvre extrêmement instructive, et le serait encore bien plus si l'auteur avait adopté l'énu- mération des mots par ordre alphabétique, en ajoutant l'étymologie pour chacun d'eux, au lieu d'adopter l'arran- gement de Bruyas, qui a classé ses mots d'après les ra- cines (ou plutôt les bases) de la langue. Le livre est très-

(1) Etudes philologiques sur quelques langues sauvages de l'Amérique, par N. 0., ancien missionnaire.

271

riche en renseignements pour l'historien, l'antiquaire et l'ethnologue qui s'occupent des tribus de cette partie de l'Amérique; le sentiment polémique qui se manifeste par- tout a été provoqué par des passages d'écrivains anglo- américains, qui se croyaient appelés à éclairer le monde sur des tribus dont ils n'avaient qu'une connaissance im- parfaite eux-mêmes. Les Iroquois apprécient les efforts du savant père, puisqu'ils lui ont donné le nom d'étoile fixe (Orakwenantakon), tandis que les Algonquins du lac des Deux-Montagnes, à quatorze lieues à l'ouest de Montréal, l'ont appelé la double belle feuille (nish-kwenatch-anibic).

Nonobstant le grand mérite du lexique, la critique sé- rieuse trouve beaucoup de choses à y reprendre. Le titre du livre devrait être changé en Lexique du dialecte mo- hawk, car le mohawk, dont il traite, n'est pas plus iroquois que le seneca, l'oneida ou l'onondaga, mais le titre du dic- tionnaire de Guoq ferait presque croire le contraire. Son système phonétique est bien calculé pour être compris ai- sément par des Français, mais il ne se compose que de douze caractères, quoique le mohawk en possède beaucoup plus. Guoq a omis les sons : ii, e (e muet), g, d, y (^ co?î- sonne), x> ô, û, le son laryngal marqué 8 par lui-même dans sa grammaire, les voyelles nasaligées, comme an, en, un du français. L'accent n'est pas marqué, et la dis- tinction entre les voyelles longues et brèves a été faite dans très-peu de mots seulement.

Deux missionnaires du XVll» siècle ont réuni des ma- tériaux pour l'étude des dialectes iroquois : Chaumonot écrivit une grammaire huronne et des œuvres dans le dia- lecte onondaga ; Garheil en cayuga. Nous invitons les lin- guistes français à faire des recherches dans les bibliothè-

- 272 ques et les couvents de leur pays, pour retrouver ces ma- nuscrits et les éditer. Un dictionnaire français-onondaga a déjà été retrouvé à la Bibliothèque Mazarine, à Paris, et a été édité par J.-G. Shea à New-York, 1859-60. Un diction- naire mohawk se trouve à la cure de Càughnawaga, près Montréal, très-bien écrit, et comprenant en deux volumes in-folio plus de dix mille mots de la langue. La Société philosophique, à Philadelphie, possède un manuscrit de Pyrlaeus avec texte allemand, écrit à peu près en 1750, qui forme un mélange de grammaire et de lexicologie du dialecte mohawk ; il s'y trouve aussi un manuscrit onon- daga du missionnaire Zeisberger.

Albert S. Gatschet.

Baudouin de Courtenay. Uebersicht der slavischen spra- chenwelt im zusammenhango mit den andern arioeuro- pœischen sprachen. Leipzig, 1884, p. 21.

Leçon d'ouverture à l'Université de Dorpat. L'auteur expose en premier lieu le tableau général des langues slaves. Il s'élève ensuite contre les théories qui ont été formulées au sujet des groupements des idiomes indo-eu- ropéens en germano-slave, ilalo-celtique, gréco-italique, etc. Ce sont là, dit-il, de pures fictions ; on néglige, en éta- blissant ces prétendus groupes, des nuances et des diffé- renciations de toute nature. Il caractérise ensuite la diversité des langues slaves d'avec les autres langues indo- européennes sous le rapport de la phonétique, et, sous ce

273

même rapport, la diversité des idiomes slaves entre eux. Il parle enfin du russe de Kiachta, dans lequel le matériel russe est traité à la façon chinoise.

A. H.

Manterola-ri, Donastian, 4884: (Lith. Ordozgoili, S.-Sé- bastien)_, pet. in-4o carré, titre, portrait, 4 p. n. chiffr., 64 p. chiffr., 52 p. n. chiff., titre et 6 p. de musique.

L'idée qui a inspiré cette publication est de tout point excellente, mais l'exécution n'est peut-être pas à la hau- teur de l'idée : il est vrai que le goût français a des exi- gences particulières. Quoi qu'il en soit, le volume est fort intéressant.

C'est une sorte d'album à la mémoire du philologue basque don José Manterola, un patient et acharné travail- leur, directeur de r£'w5A;a^ema, journal littéraire de Saint- Sébastien, qu'une cruelle maladie a enlevé à ses amis, le 29 février 1884. Des mains amies ont pieusement recueilli tous les articles pubUés par les divers journaux à la suite de la mort de Manterola. Ils y ont joint une série d'auto- graphes, exactement reproduits. Le volume, qui commence par le portrait de Manterola se termine par une marche funèbre en musique spécialement composée en son hon- neur.

Les articles, les autographes sont signés de noms bien connus dans le pays; j'y relève ceux de MM. A. Campion, 0. Lacroix, W. Webster, Juan V. Araquistain, Ed. Ducéré,

274

L.-L. Bonaparte, A. d'Abbadie, etc.; la plupart de ces morceaux sont en espagnol, mais beaucoup sont en basque, il y en a quelques-uns- en français et même en latin; on en rencontre un en bas-allemand :

In'n Heven is en groten Larm, Doa fehien en por Stiern ; Weest du nich, wer se stahlen hett Du lutte hellôgtDirn?

Cette pièce, signée « Rodolff Sprenger », n'est que la traduction des vers suivants du chansonnier basque Vi- linch :

Izar argui bi falta dirâla, Geruban sortu da guerra ; Al daquizu norc ostu dituben Belcheran begui ederra ?

a Comme il manque deux étoiles, la guerre est née dans le ciel, pouvez-vous savoir qui a ravi, le bel œil brun? »

Il y aurait peut-être un reproche à adresser à cette tou- chante collection, c'est que la plupart des documents qui la composent ne sont pas datés. J'ai trouvé, deux fois citée, la pensée bien connue : « Celui que les dieux aiment meurt jeune ». Mais, tandis que l'un des écrivains l'at- tribue à Ménandre, l'autre la rapporte à Théocrite. J'ai contribué au recueil par un sonnet que je demande la permission de reproduire ici :

Elise-zelayetan ariraa handiak, Elgarri elheketan, dire paseyatzen ; Leku ederrenean ohi dire biltzen Etchepare lehena duten Euskaldunak.

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Gizon famatu hoyei Martchoaren hilak Bozkario handi bat diote ekhartzen, Erdian Manterola delarik agertzen, Lore eder, émana zeruari lurrak.

» Immortalitatean sartu zireneko,

José, pentsatzen dugu, guk, hemen, nigarrez, Etzaitugula behin-erez adituko ;

Jaizkibel beztitu da tristerik elhurrez,

Marrumaka dohakon olari erranez :

« Hura bezalako bat non da kausituko » ?

I'^23ine«e, 8 avril 1884. * '

« Dans les Champs-Elysées, les grandes âmes se pro- mènent, conversant l'une avec l'autre ; au plus bel endroit ont coutume de se réunir les Basques, ayant à leur tête Dechepare.

« A ces hommes fameux le mois de mars apporta une grande joie, car Manterola apparut au miUeu d'eux,

fleur superbe, cédée par la terre au ciel.

« Mais, lorsque vous entrez dans l'immortalité, José, nous pensons nous, ici, en larmes, que jamais plus nous ne vous entendrons ;

« Le mont Jaizquibel s'est tristement revêtu de neige,

en disant à la vague qui vient gémir contre lui : « trouvera-t-on quelqu'un comme celui-là ? »

Julien ViNSON.

276

Nyare hidrag till kaemiedom om de svenska landsmao- len, etc., publié sous la direction de M. Lundell. Stockholm, 1883-1884, 2 fasc. in-8«' (I, 1883. B. 87 p. et p. xxxix à clxvij ; II. 1884. A. 144 p.).

Ces deux nouveaux fascicules ne sont pas moins inté- ressants que les précédents. Ils présentent d'abord deux contributions remarquables de A. Schagerstroem, et de Éva Wigstroen : Eclaircissement sur le mouillement à Rosla- den, et Contes et aventures en Scanie. Ils renferment en- suite, sous le titre de Smaerre meddelanden « petites com- munications », dos articles signés des noms connus de MM. Noreen, Hallender, K. Nyrop, etc. : documents fol- kloriques, notices bibliographiques, comptes-rendus, re- vues générales.

La collection du journal de M. Lundell devient ainsi de plus en plus utile et de plus en plus précieuse.

J. V.

C. DE Harlez. Manuel de la langue mandchoue. Paris, Maisonneuve, 1884. in-8o, 232 pp.

C'est surtout un manuel pratique que M. de Harlez a prétendu nous donner : aussi la grammaire proprement dite, traitée avec une extrême concision, n'occupe-t-elle que les cent premières pages de son ouvrage ; tout le reste est réservé à l'anthologie et au lexique. On ne peut qu'ap-

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prouver le principe de cette méthode : pour apprendre une langue, il faut résolument, dès qu'on en connaît les premiers éléments, aborder, sous la direction d'un bon guide, la traduction de morceaux faciles et gradués, et celui-là même qui l'étudié, non pour la parler et l'écrire, mais pour l'analyser et la classer, le linguiste, en un mot, s'expose à des conclusions hâtives, à des généralisations erronées, s'il se contente d'une vue sommaire de la langue, telle que la lui peut donner une grammaire ordinaire, et ne cherche point à en pénétrer l'esprit en s'exerçant à l'interprétation des textes. Une langue, si bien disséquée qu'elle soit par le scalpel du grammairien, n'est jamais qu'un cadavre sur la table d'amphithéâtre ; pour en prendre une idée complète, il faut l'avoir saisie vivante sur les lèvres d'un peuple ou tout au moins sous la plume d'un écrivain.

A- ce point de vue les esprits curieux trouveront am- plement de quoi se satisfaire dans le nouvel ouvrage de M. de Harlez. Tout au plus pourront-ils regretter que l'auteur, par un scrupule de brièveté peut-être exagéré, se soit si sévèrement interdit l'œuvre du linguiste, qu'il était mieux que tout autre en situation d'accomplir, et qu'il ait, de propos délibéré, exclu tout rapprochement du mandchou avee les autres langues ouralo-altaïques^ toute extension même en dehors du terrain qu'il s'était choisi. Une telle réserve a lui coûter ; mais, s'il se l'est im- posée, c'est évidemment qu'il l'a jugée nécessaire et inhé- rente au plan de son œuvre : nous aurions donc mauvaise grâce à y insister davanic^e. On doit, tout au contraire, le féliciter d'avoir, au prix de ces légers sacrifices, atteint le but qu'il s'était proposé : condenser en un petit nombre de

278

pages la grammaire d'une des langues les plus intéres- santes de l'extrême Orient. On trouvera réunis dans son livre tous les résultats des études de ses devanciers, joints à ceux de ses études personnelles, tout ce qui est indis- pensable à la connaissance pratique de la langue écrite et parlée, et ceux qui l'auront lu avec l'attention qu'il mérite n'éprouveront aucune difficulté à traduire les textes, d'ailleurs habilement gradués, de son anthologie.

Cette dernière partie de l'ouvrage comprend une assez grande variété de morceaux, choisis de façon à donner une idée générale et complète de la littérature mandchoue : d'abord, quelques curieux proverbes (p. 98), l'on re- connaît sans peine l'influence des doctrines et même de la forme littéraire de l'Inde ; puis, des fragments de l'Évan- gile, les préfaces du Miroir de la langue mandchoue, des extraits du Chou-King, du Ghi-King, l'introduction du Livre de la Récompense, Y Ode à la ville de Moukden, et plus spécialement un fragment intitulé Lois pénales (p. 130), provenant d'un manuscrit inédit, qui appartient en propre à l'auteur et dont, à sa connaissance, il n'existe pas d'autre exemplaire en Europe. Trois de ces morceaux sont tra- duits en appendice, à la suite du lexique, très complet aussi dans sa brièveté.

L'impression de l'ouvrage est généralement fort satis- faisante, à part quelques erreurs insignifiantes, que le lecteur relèvera de lui même: p. 71, l. 8, lire 162 au heu de 163 ; p. 84, 13», suppléer bade en tête du para- graphe ; p. 110, l. 8, lire mudan au lieu de mudara; p. 117, n. 3, lire 12 au lieu de 10 ; p. 224, l. 7, lire les cinq King (il vaut mieux, ce me semble, ne pas im- poser notre indice du pluriel à ces noms exotiques). Je

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hasarderai encore une observation relative à la transcrip- tion, bien que je n'ignore pas combien elle est encore, malheureusement, livrée à l'arbitraire de chaque auteur. Je vois la spirante palatale (sh anglais) transcrite par s'. L'apostrophe ne devrait jamais être employée que pour remplacer un phonème élidé, tout au plus encore comme signe diacritique des emphatiques arabes. Ne serait-il point temps à la fm que tous les linguistes d'Europe s'en- tendissent sur la notation graphique d'une articulation aussi usuelle ? Le S croato-serbe, d'ailleurs adopté par M. Sievers (i), m'a toujours paru la plus convenable.

V. Henry.

A. Certeux et E.-IL Carnoy. L'Algérie traditionnelle, légendes^ contes, chansons, musique, mœurs, coutumes, fêtes, croyances, superstitions, etc. Paris (Maison- neuve et Leclerc) et Alger, 1884, i vol. gr. in-8" de 290 pp.

Le nom de M. Carnoy est bien connu de tous les ama- teurs de folk-lore, et l'ouvrage dont il nous donne au- jourd'hui le premier volume est tel que nous devons l'at- tendre de sa collaboration avec un arabisant qui connaît à fond l'Algérie, ses légendes et ses usages. Si l'étude des mythes aryens est dès à présent assez avancée pour qu'on ait pu même, avec le secours de la philologie comparée,

(1) Grundzûge der Phonetik, 2 Aufl. (Leipzig, Breitkopf und Hàrtel, 1881, p. 101 sq.).

19

280

en entrevoir les lointaines origines, ceux des races sémi- tiques sont encore bien peu connus, et, à part quelques recueils essentiellement factices, dont les Mille et une Nuits demeureront toujours le modèle le plus achevé, on ne trouve dans la Bibliographie dressée par les auteurs eux- mêmes qu'un fort petit nombre d'ouvrages spéciaux à la Httérature, à la poésie et a la musique populaires des Arabes. Mais l'élan est donné, l'étude du folk-lore ne saurait se désintéresser plus longtemps du peuple conteur par excellence ; le jour approche la mythologie sémi- tique sera à son tour définitivement constituée, et MM. Ger- teux et Carnoy pourront s'attribuer l'honneur de l'avoir hâté de tous leurs efforts.

Leur livre comprend huit divisions : légendes pro- prements dites ; les grottes, les cavernes et les ruines ; les esprits et les génies ; -4"» les saints de l'islam, dont les exploits miraculeux rappellent de bien près, pour le dire en passant, les prouesses que la créduUté de l'Inde attribue aux brahmanes :

sëndrara svargam saçdildm kSmâm

sanagêndram rasâtalam nirdagdhum Manêndi "va

viprdh çaktdh prakôpitâh (1) ;

les khouan ou confréries religieuses en Algérie ; ' 6o croyances et superstitions ; coutumes et usages ; 8<» la musique populaire arabe et la poésie orale. Les au- teurs nous promettent, pour le volume suivant, qui est déjà fort avancé, une nouvelle série de légendes et de

(1) Bôhtlingk, Ind. Spr., III, p. 526.

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contes, et des chansons arabes avec les airs notés. C'est plus qu'il n'en faut, espérons-le, pour assurer le succès de leur intéressante publication.

Ce que nous offrent les auteurs, ce sont les matériaux mêmes qu'ils ont colligés, triés, classés dans un ordre méthodique. Ils bornent leur ambition, ils se montrent très sobres de comparaisons avec les contes et les croyances des autres milieux, à plus forte raison ne trouvera-t-on dans leur ouvrage aucune tentative d'explication mythique. Ce n'est là, dans ma pensée, ni un éloge, ni surtout une cri- tique, mais une simple constatation. Pour ma part, j'avouerai sans ambages que je suis un attardé, et que, dussé-je donner prise aux spirituelles ironies de M. Gaidoz (1), dussé-je encourir les foudres de M. Carnoy lui-même, qui ne manque pas une occasion de faire échec à l'école naturaliste (2), je demeure fermement attaché aux principes de MM. Max Millier, Bréal, de Gubernatis, convaincu « qu'on y reviendra ». Mais je trouve fort bon qu'on les élimine d'un ouvrage qui est avant tout une collection de documents, et que, par exemple, on nous raconte, sans autre commentaire (p. 106), l'histoire du saint injustement accusé d'avoir volé un bracelet d'or qu'on retrouve dans une cruche d'eau ; pourvu que, de son côté, M. Carnoy me laisse libre de croire que ce bracelet est le disque so- laire, volé pendant la nuit et sortant le matin des profon- deurs de l'Océan ; et je le sais trop courtois pour me refuser cette innocente satisfaction.

Mais je manquerais à tous mes devoirs, si je ne trouvais

(4) Mélusine, 4884, 4.

(2) Voir Revue de l'histoire des religions, t. IX, p. 378.

282 quelque menue inexactitude à relever. P. 90, je lis « ap- sara », il faudrait « apsaras » ou « apsarâ ». P. 252, j'aurais lu avec plaisir le texte arabe des curieuses rondes d'enfants qui y sont traduites ; ce n'est peut-être que partie remise. Enfin, d'une manière générale, sans verser dans le pédantisme, j'aurais souhaité plus de précision dans la transcription française des mots arabes : je vois, par exemple, le kiafet le qdf, le sin et le s* ad, rendus uniformé- ment par un k ou par un s, et ces confusions me choquent quelque peu. Les auteurs me répondront sans doute qu'ils n'ont pas écrit exclusivement pour les linguistes, qu'ils au- raient craint d'effaroucher le grand public en multipliant et compliquant les notations graphiques, que d'ailleurs ils ont annexé à leur livre un index les mots sont repris, non plus seulement en trancription française, mais encore en caractères arabes... ; et ces apologies seraient si justes, qu'à mon tour je ne trouverais rien à répondre.

V. Henry.

Douai, 1er août i884.

Le Bouddhisme, selon le canon de l'église du sud, sous forme de Catéchisme, par Henri S. Olcott ; traduction française par D. A. G., Paris, 1883, in-S» de 105 p.

Fragments glanés dans la Théosophie occulte d'Orient, par lad y Caithness, duchesse de Pomar ; Nice, 1884, in-8<» de 81 p.

Voulez-vous vous faire Bouddhiste, en plein Paris, sans quitter un seul instant le sol de votre patrie, sans rien

283

changer à vos habitudes, à votre vie, à vos mœurs? AfflUez-vous à la Société théosophique d'Orient et d'Occi- dent, dont M™« de Poraar est la présidente à vie, dont le colonel Olcott est le président effectif. Les deux bro- chures dont je viens d'écrire les titres ci-dessus vous diront les principes, le but et les statuts de la Société nouvelle.

Les fondateurs de la Société « théosophique » ont la prétention d'être « Bouddhistes », mais Bouddhistes d'une espèce particulière. M™^ Blavatsky, auteur de VIsis dé- voilée; M. A. P. Sinnett, auteur du Bouddhisme ésoté- rique ; M. le colonel Olcott, et d'autres encore, espèrent arriver à révéler à l'Occident des trésors de science con- nus seulement, à cette heure, de quelques pandits hin- dous, dits Mahâtmâs » qui se sont retirés, nous ap- prend-on, « au centre de l'Asie, dans les régions les moins fréquentées, pour y poursuivre leur tâche éminem- ment importante : préserver et faire progresser autant que possible la sagesse qu'ils gardent en dépôt jusqu'au jour l'humanité sera mûre pour la recevoir ».

Il paraît que la sagesse en question donne le pouvoir de désagréger, de transporter à une distance quelconque et de recomposer instantanément les objets matériels. Mais, pour cela, il faut connaître les sept éléments pri- mordiaux de tous les corps, les sept états de la matière, distingués par ces noms sanskrits: Atmâ, Jiva, Linga sa- rira, Kâmarûpa, Manas, Buddhi et At^nâ.

On le voit, les « Théosophes » sont les proches parents des Spirites et des autres sectes d'illuminés qui ont fait depuis quelques temps leur apparition parmi nous. Leurs ouvrages ne sont pourtant pas sans intérêt ; on y trouve,

284

au milieu d'aberrations parfaitement reconnaissables, des détails exacts et des notions très précises sur le Boud- dhisme, ce vieux matérialisme de l'Inde. A ce point de vue, je recommande particulièrement le Catéchisme du colonel Olcott qui est approuvé, s'il vous plaît, « par H. Sumangala, grand-prêtre de Srîpada, principal de l'École de théologie bouddhiste » !

Julien ViNSON.

VARIA

I. VICTOR HUGO ET LA LANGUE BASQUE.

Aux pages 433 du tome V et 425 du tome XIV de cette Revue, j'ai indiqué, sous ce titre, deux curieux passages des œuvres de Victor Hugo, relatifs à la langue basque. La dernière citation rappe- lait un vers de la Légende des siècles il était dit que le mot ariscat signifie en basque « le hardi ». Le prince L.-L. Bonaparte m'a adressé à ce propos la note suivante :

« Le mot ariscat (mieux arriscat) « hardi », employé par Hugo, n'est pas basque, mais il est catalan, et se trouve aussi dans quelques variétés gasconnes.

« Hugo a voulu dire sans doute Vascon synonyme de Gascon ; et je crois, après tout, que, de même qu'en latin, vasco et vasconicus ont été employés tantôt pour < Basque » et tantôt pour « Gascon », de même en français (en langage poétique, bien entendu), ce latinisme, surtout chez Hugo, n'a rien d'extraordinaire. Si toutefois Hugo a bien entendu parler du basque, euskara, il a eu tort évidemment.

« Londres, 15 novembre 1881 ».

J'ai trouvé, depuis, deux autres citations basques, euskara, dans les Travailleurs de la Mer et dans Notre-Dame de Paris.

Le § V du livre V de la première partie des Travailleurs, intitulé « les Déniquoiseaux », renferme un dialogue en espagnol(orthogra- phié à l'antique) je copie ce qui suit :

« Pero un muy malo mar ?

« Egurraldia gaïztoa ?

« Si.

« No vendria el Blasquisto tan pronto, pero vendria ».

286

Ce paragraphe est ainsi traduit en note : « Et si la mer était très- dure? Egurraldia gaïztoa'} etc. > ; une seconde note, appli- quée aux deux mots en italique, est ainsi conçue : « Basque. Mauvais temps ».

Ces deux mots sont basques, en effet ; mais il aurait fallu enlever l'article final de egurraldia devant le qualificatif gaiztoa qui est lui- même déterminé. De plus, egurraldi ou plutôt eguraldi (cf. le Souletin egûnaldi) a proprement le sens de « beau temps », témoin le proverbe Goitz gorrik euri daidi, arrats gorrik eguraldi « Ma- tin rouge fait pluie, soir rouge beau temps » (cf. le Folk-lore du pays basque, par Julien Vinson, 1883, p. 306). Il s'associe donc assez mal avec le mot gaizto « méchant, mauvais » .

Dans Notre-Dame-de-Paris, livre VII, chapitre V, Claude FroUo, dit ceci : « Emenhetan ! c'est le cri des Stryges, quand elles arrivent au sabbat ». Ces deux mots basques, qui seraient peut-être plus correctement écrits hemen hetan, ne sont pas traduits. Victor Hugo les a vraisemblablement empruntés à P. de Lancre (Inconstance des démons, Paris, 1610 et 1613, in-4").

II. CURIOSA LINGUISTIQUES.

I. A. Sleicher a donné naguère (Beitràge, II, p. 391-2), sous ce titre, des exemples, empruntés à divers idiomes, de mots ayant une apparence singulière.

Il citait d'abord les mots formés presque uniquement de voyelles diphthonguées, par exemple, le grec Sijtôwsv (Homère, Od., IV, 226), ou de consonnes comme le tchèque scvrkl (pron. stsvrkl), participe présent de scvrknonti <( se rétrécir ». Il rapportait même cette phrase tchèque strc prst skrz krk « enfonce le doigt dans le cou », mais il faut remarquer que dans tous ces mots le r est certaine- ment vocal.

On a souvent, à ce propos, donné le mot oiseau comme conte- nant les cinq voyelles françaises ; mais, outre qu'il y a bien plus de cinq voyelles en français, il y a, en réalité, dans oiseau, une semi-voyelle (w), deux voyelles (a, o) et une consonne (z).

287

II. Schleicher rappelait, en deuxième lieu, le monosyllabe latin t « va », et rapportait la phrase tchèque ô a i z toho nebude nie oh! et aussi de cela rien ne sera ».

III. Il citait, comme exemple d'une étrange réunion de sons, le magyare titoknokoknak « aux secrétaires ».

IV. Il empruntait enfin aux langues de l'Océanie des répétitions bizarres de syllabes dont le but était une amplification, une augmen- tation, etc. A Hawaii, p. ex., loa, leloa veut dire « long » et « très long » se dit lololoa ; dididi est « vieux » et didididi « tout à fait vieux » ; lelelele c'est e enlever » ; mais on a Ulililt « odorat fin 9 et lililililî < hâte ».

V. Il y aurait beaucoup de particularités analogues de pronon- ciation à signaler dans toutes les langues. Les déformations qu'y subissent certains mots sont parfois fort intéressantes. On sait par exemple que Dick est, en anglais, le diminutif de Richard, comme Bill est celui de William ; mais on connaît moins les prénoms espagnols Chon, Charo, diminutifs de Concepcion, Rosario, comme Lola est celui de Dolorès.

Le sonnet célèbre de Lope de Vega sur les diminutifs et augmen- tatifs de Juana « Jeanne » est à citer ici :

Muerome por llaraar Juanilla â Juana, Que son de tierno amor afectos vives ; Y la cual cou ojos fugitives Hace papel de yegua galiciana.

Pues, Juana, agora que ères flor temprana, Admite los requiebros primitivos, Porque no vienen bien diminutivos Despues que nna persona se avellana.

Para advertir tu condicion extraila, Mas de alguna Juanaza de la villa Del engano en que estas te desengana.

Créeme, Juana, y Uâmate Juanilla ; Mira que la mejor parte de Espaua, Pudiendo Casta, se llamo CastiUa.

288

VI. Il y a dans chaque langue des sons que les étrangers réus- sissent difficilement à saisir ou à rendre exactement. On se rappelle comment les Galaadites du Jourdain {Juges, xii, 6), plus scrupuleux que les vainqueurs des Albigeois, vérifiaient la nationalité de leurs adversaires pour ne les massacrer qu'à bon escient.

On prétend que la phrase française suivante : Pai vu huit huîtres cuites dans l'huile, est imprononçable pour les Anglais, les Espa- gnols, etc. De leur côté, les Anglais nous défient de leur dire : Though the tough cough and hiccough plough me through, tandis que les Danois rient de nos efforts pour prononcer comme eux : « Havde jeg ingen hat hadh », qu'on prononce presque hadde jei ingen hat hat, et qui signifie : « n'eussiez-vous pas eu un chapeau ! »

Quant aux Espagnols, ils proposent le nom de la ville de Gijon ou le nom redoutable d'un puits de l'Andalousie Majajarajajambu. Lors de l'avènement d'Amédée, en 1872, un journal de Madrid déclara qu'il ne lui donnerait le titre de roi que lorsqu'il serait devenu capable de bien prononcer les vers suirants :

Dijo un majo de Jerez, Con su faja y trage majo : f Yo al mas majo tiro à tajo, « Que soy jaque de Jerez ! » Un gitano, que el jaez Apretaba à un jaco cojo, Cogiendo, Ueno de enojo De esquilar la tijereta, Dijo al majo : c por la jeta, t Te la encajo, si te cojo ! » « Nadie me raoja la oreja », Dijo el majo, y arrempuja ; El gitano tambien paja ; Uno jura y otro ceja. En contienda tan pareja, El cajo cojo se encaja Y taies coces baraja, Que à los golpes del zancajo Hizo entrar sin gran trabajo Al gitano y jaque en caja.

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VIL D'ailleurs, ne trouvons-nous pas extravagantes ces rimes anglaises : slim knee et chimney, prince of Orange her et porrin- ger, Mil ou will et kiln, flovoer et flour, etc. ?

VIII. Pour se rendre compte des particularités phonétiques d'un idiome, il faut voir comment il transcrit des mots étrangers dont la prononciation est bien connue. L'Anglais est tout à fait instructif à cet égard. Il écrit taw'nawss pour tôvoç, aw^tee pour on, pahrah' pour nupâ, et voici comment il représente la prononciation de quel- ques mots latins : Gaesar-feaiser, Civis-fceevis, scilicet-skeeliket, res- rays, aurum-oiwroom, etc.

J'emprunte au journal le Siècle (10 mars 4880) le passage sui- vant d'un livre publié à Metz en 1874 : c l'Interprète allemand- français, à l'usage des soldats allemands, par Wolff Wutte » :

Près du beau sexe.

« Wu moe rangdeh Ice plu œraeh dsesomra ; maengtang schae kœhr libr.

ruschisseh pa, ma bell demoasell, schœ wu prih avsek sengstangs doe mackordeh œng pti baeseh.

« Ah ! kil ae duh, baeseh !

« Taeseh wu dongk, aengdiskreh !

e Schœ trahi riaeng, ma bell ! Œng baeseh timosang ne poaeng dœfangdû ».

IX. La langue française a d'ailleurs, elle aussi, ses bizarreries. Un grammairien a composé les phrases suivantes :

« Les poules couvent près du couvent.

* Nous portions des portions.

« Mes fils enfilent des fils.

Il pressent l'orage et tous vous pressent de partir.

« Ils vous convient à venir, s'il vous convient d'accepter.

« Ils admirent des tableaux. Ils admirent des circonstances atté- nuantes ».

Les phrases suivantes se prononcent au contraire toutes les trois de la même façon :

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t La couturière parle et coud.

Le bijoutier pare les cous.

« Le maître d'arme pare les coups ».

X. Voltaire, dans la Prude, a écrit :

Qu'est-ce cousine? Il semblerait que l'on vous assassine, Et qu'on vous vole, ou qu'on vous batte, ou que Dans le logis vous ayez mis le feu.

Quoique, dans la plupart des éditions, on ait corrigé :

Et qu'on vous vole, ou qu'on vous batte un peu, Ou qu'au logis, etc.

Le premier texte est caractéristique de la prononciation de l'e final de que.

XL Les vers suivants, à leur tour, montrent que le ou de oui n'est qu'une semi-voyelle :

Quoi? de ma fille? Oui, Clitandre en est charmé !

(Molière, Femmes savantes, II, 3.)

Moi, ma mère? Oui, vous; faites la sotte un peu.

{M., III, 49; cf. I, 1, ce oui.)

Une femme Dont l'œil vous dise non, dont le cœur dise oui.

(Victor Hugo, Le Roi s'amuse.)

XL Les jeux de société fourniraient aussi matière à de curieuses observations. Sans remonter jusqu'aux précieuses, sans descendre jusqu'à l'argot des salons, des cercles ou des écoles, il serait facile de signaler d'étranges manies de langage.

Un journal nous apprend qu'un jeu très à la mode en ce moment à Paris est le suivant, qu'on pourrait appeler le jeu du rébus parlé. Vous êtes à table en nombreuse compagnie, un convive s'écrie tambour carnet ; vous ne comprenez pas : on vous prie de chercher

291

les synonymes de ces deux mots, vous ne comprenez pas davantage ; on vous apprend alors que cela veut dire caisse calepin, c'est-à-dire qu'est-ce qu'a le pain ? » Autre exemple : petit cheveu, cheval, pour yeune crin, palefroi, c'est-à-dire « je ne crains pas le froid >. Ce jeu sur les homonymes ou plutôt sur les homophones me rap- pelle un bien joli mot d'enfant. On parlait à une petite fille des cinq sens et de leurs organes ; lorsqu'on en vint à lui expliquer l'oreille, elle s'écria : tiens! mon cousin s'appelle comme mon oreille!

XII. Et les bizarreries accidentelles, les variations locales de la prononciation ? Henri Estienne reprochait aux gentilshommes de son temps de dire ou pour o :

Si tant vous aimez le son doux N'estes-vous pas de bien grands fous De dire chouse au lieu de chose, De dire j'ouse au lieu de j'ose?

Ces gentilshommes suivaient une mode comme plus tard Garât, le chanteur, qui avait proscrit l'usage du r et qui parcourut un jour tous les magasins de Bayonne en y demandant vainement du da noi (du drap noir).

Shakespeare ne ridiculise-t-il pas de même les pédants qui déplo- raient la prononciation populaire ; cf. les plaintes d'Holophernes, dans Love' s labour lost (Acte "V, scène l) :

« I abhor... such suckers of orthography, as to speak dout fine, when he should say doubt ; det when he should prononce debt, d, e, b, t, not d, e, t; he clepeth a calf, cauf ; half, hauf; neigh- bour \oc3ituv nebour, neigh ahhreyiaied ne... This is abhominable (which he would call abominable) ! »

XIII. On lisait, dernièrement, dans le journal VÉvènement, sous la signature Aurélien Scholl :

« On a publié plusieurs dictionnaires de la langue verte ; l'argot a ses lexiques et personne ne s'est encore avisé de faire une Gram- maire parisienne. Il y a cependant des mots, des phrases de con- vention qu'on ne saisit bien qu'à Paris, qui sont du style courant, de l'emploi journalier, et qui font ouvrir de grands yeux aux indigènes des 85 départements.

292

Écoutez Ernest et Forain :

Qu'est-ce que tu fais ce soir, mon bonhomme?

Je dîne chez la mère Baron . Viens-tu ? ^- Il n'y a plus de linge.

(Lisez : Ça manque de femmes.)

Avant-hier, j'y ai trouvé quelques petits fonds de bain. (Lisez : Des débutantes, des modèles, des habituées du quartier.)

Les grandes horizontales commencent à se donner du sel. (Dieppe, Trouville, Gabourg, etc.)

Mais les demi-castors sont restés au poste.

(Celles qui n'ont pas le moyen d'émigrer, qui n'ont pas la vraie' trade-mark et dont les ressources sont modestes.)

Eh bien ! allons dîner là-bas... Nous ferons un tour aux Folies et nous finirons par les Faucheurs.

(Réunion de nuit au café Américain.)

Ce que j'aime, aux Faucheurs, c'est qu'il n'y a pas de cram- pon... Rien que des momentanées.

(Femmes qu'on prend et qu'on quitte après une séance, moyen- nant une faible rétribution.)

As-tu vu Adelina ?

On la croit au clou.

Au ruban vert ? (Saint-Lazare.)

Ou à la Vacherie. (Maison de rendez-vous.)

EtBerthe?

Toujours joli article.

Un peu grosse...

Tu es allé chez elle ?

Une seule fois... chercher du vaccin.

C'est égal... Paris est triste.

Oui... le mouvement est à Asnières l

M»* de Faucourtois est installée à Bougival.

Toujours femme de natation? (Entourée de jeunes gens qui n'ont pas le sou.)

Tu penses ! Il y a chez elle Becdami, Surplombeur et Curedent des Croisades.

- 293

Qu'est-ce qu'ils font?

Du canot.

Et ils se dessalent? (Prendre des bains de rivière.)

Tous les jours.

Pas sans besoin.

J'ai pris ce bout de dialogue au hasard d'un crayon et sans cher- cher à accumuler des expressions qui auraient rendu la conversation inintelligible au delà de la Cascade d'un côté, du café Turc de l'autre.

Mais ce sont surtout les verbes de la grammaire parisienne qu'on pourrait appeler verbes irréguliers.

Exemple : le verbe dormir :

Je dors,

Tu pionces,

Il roupille,

Nous tapons de l'œil,

Vous cassez une canne,

Ils piquent un chien.

Autre exemple ; le verbe mourir :

Je crève,

Tu claques.

Il dévisse son billard,

Nous tournons de Vœil,

Vous remerciez votre boucher.

Ils cassent leur pipe (1).

Comment voulez-vous qu'un étranger s'y reconnaisse ? Un jeune Polonais, amoureux de la fille d'un artiste peintre, la prie de l'autoriser à demander sa main :

(1) Et le verbe s'en aller 9

Je m'en vais,

Tu files,

Il s'esbigne ,

Nous jouons des guibolles.

Vous vous la brisez,

Ils se tirent les pattes.

294

J'y consens, monsieur, répond l'adorable enfant ; seulement je vous préviens que je n'ai pas de galette.

(Pas d'argent ou nip de det.)

Ne serait-il pas temps de régulariser ce langage nouveau, issu des besoins d'une population fantaisiste ? Ce serait une véritable bonne fortune pour la nouvelle édition du Dictionnaire de l'Académie. »

XIV. Pour terminer, on me permettra de citer une étymologie singulière que j'emprunte à P. de Lancre (Inconstance et instabilité de toutes choses, Paris, 1610, in-4o, ft. 20, v») : « Ave vient d'eva, car ave s'adresse à Marie, cause de tous les biens et Eva c'est Eve, cause de tous les maux ». Il est vrai qu'on lit, dans le même livre, bien d'autres extravagances ; ainsi (ft. 53, v») : « 0 la belle instruc- tion que Nature donne à la femme, si elle s'en vouloit servir ! Lorsqu'une femme s'est noyée. Nature la renverse toute morte pour couvrir sa honte > .

Les gens d'église ont toujours méprisé .la femme. Sans remonter jusqu'à saint Ambroise, qui soutient (coll. Migne,XVII, 240, 259) que la femme n'a pas été faite à l'image de Dieu, contrairement à l'opi- nion de S. Augustin (XXXIV, 293), le passage suivant d'Hugues de S. Victor (CLXXV, 40) n'est-il pas tout à fait curieux ? « Attendendum est quod nec de capite, nec de pedibus viri somptum est id unde fieret muUa, ne aut domina si de capite, aut ancilla si de pedibus, putaretur ; sed, de medio, id est costa, sumi decuit, ut socia intel- ligeretur ».

J. V.

GRAMMAIRE DE LA LANGUE JAGANE

INTRODUCTION

La langue jâgane est parlée au sud-est de la Terre de Feu par la nation des Yapoos. M. Brydges affirme, après avoir comparé entre eux des vocabulaires à nous incon- nus, que cet idiome diffère complètement de la langue parlée au nord-est par les Onas ainsi que de celle parlée au nord-ouest par les Alêkulofs. En attendant que l'in- telligent missionnaire mette les américanistes à même de vérifier cette assertion et qu'il se décide à publier les documents dont M. Garbe a révélé l'existence {Eine voll- stàndige Grammatik des Jâganundein Vocabularvon ca. 30,000 Worlern /), j'ai extrait de la version jâgane de l'évangile de Luc (1) les éléments d'une grammaire plus complète que celle qui a été communiquée l'an dernier aux lecteurs du Gôttingische gelehrte Anzeigen, par le même M. Garbe. En me livrant à ce travail, j'ai suivi le conseil donné par le savant professeur à mon ami M. Platz- mann, dont le Glossaire, publié en 1882, n'avait eu d'ail- leurs pour objet que la confection d'une liste de mots et de locutions.

(1) Gospl Luc tkamandki. London, 1881 .

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L'esquisse grammaticale de Biydges, habilement rema- niée par M. Garbe, m'a été d'un grand secours, car les indications du missionnaire, qui a étudié la langue sur le vif, donnent la clé de particularités d'une explication diffi- cile pour quiconque abordera directement la version du troisième évangile. J'ajoute immédiatement que les ren- seignements ainsi fournis ne concordent pas toujours avec les inductions qui se dégagent des faits attestés par le texte, bien que celui-ci soit l'œuvre de M. Brydges. Par exemple, il est posé en principe qu'un indigène ne dira jamais « le navire arrive » sans indiquer en même temps ou qu'il a vu le navire arrivant : ûseiànan kô-kàta, ou qu'il a entendu annoncer son arrivée : ûseiànan kô-hâtakâ- musch. Cette distinction entre le de visu et le de auditu serait assurément fort curieuse, encore bien que l'emploi de la forme de visu n'ait pas pour effet, selon M. Brydges, d'augmenter la confiance de l'auditeur. Mais je doute de l'exactitude du principe posé; et, sur la foi du texte jâgan, j'incline à voir simplement dans l'emploi facultatif du radical verbal musch « entendre, écouter > un appel énergique à la confiance. Exemples : sa-tûku-n skeia ko-tû môchlâgû-d-musch wolëwa, ta femme t'enfantera un fils ; sa-tûmû-lripei-tekâ-a-musch Lârdnk'ikeia, tu adoreras le Seigneur ; sa musch Jon, tu es Jean ; kreist musch DëvidnKi màku-n^ le Christ est le fils de David.

Quoi qu'il en soit, à l'aide du texte jâgan et de l'esquisse grammaticale publiée par M. Garbe, on peut se rendre un compte suffisamment exact de la constitution interne de l'idiome.

Tout d'abord il n'est point incorporant, car c'est à peine si quelques noms, ceux de parenté, peuvent se conjurer

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possessivement, et ni les noms ni les pronoms régis ne sont jamais unis aux verbes.

Il n'est pas non plus polysynthétique, si l'on entend par polysynlhétisme « la composition indéfinie des mots par syncope et par ellipse » ; en effet, bien que le verbe y puisse exprimer un nombre d'idées parfois assez considé- rable, la composition est loin d'y être indéfinie, et quel- ques thèmes seulement sont sujets à des accidents pho- nétiques sans gravité.

Que le jâgan soit agglutinatif et non pas flexionnel, comme Brydges l'a dit à tort, cela n'est pas douteux, les flexions de voyelles qui se produisent au contact des in- dices de déclinaison et de conjugaison ne correspondant point à des modifications de la signification, et les indices eux-mêmes demeurant invariables. Mais, pour caractériser une langue, il ne suffit pas de constater qu'elle appartient à tel ou tel étage morphologique, il faut encore indiquer quels sont les procédés qu'elle emploie de préférence. Ainsi, l'esquimau se différencie des idiomes voisins par la dérivation à l'infini. De même, le jâgan se différencie des langues de l'Amérique du Sud par la composition verbale binaire, ainsi que par l'emploi du préfixe loco-temporal.

Enfin, la tâche du linguiste ne serait que partiellement accomplie s'il omettait de déterminer le rang occupé par un idiome dans la série psychologique , c'est-à-dire, pour me servir des expressions de M. Garbe, « bis zu welchem Grade das Abstractionsvermogen in der Sprache zum Ausdruck Komunt » .

Noms de parenté. Mère : dârâ-kîpa a vieille femme », dâbeia « ta mère >, beii-keia « à ta mère », hl-dâbin

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« ma mère », dâbi n « la mère », [dâp-ôsch « mamelle », dâp-ôla «î téter »].

Père : dâ-rû-wôn « vieux homme >, dâru-âki-n « le vieux », dâbiia « le père », hï-dâbua « mon père », dâhui- keia « à ton père », Imu-n « le père », kik'-imu-n « son père ».

Sœur du père : dâ-mâ-pu.

Ascendant: môta-keiji-n [môta « aller, venir», keiji?].

Enfant sans distinction de sexe : keijû-ala, wëna.

Fils : wôlë-wa, mâ-ku-n.

Fille : mm, inni; mâ-kipa,

Frère : mà-kusi-n, kï-mâkusi-n « son frère >.

Sœur : mâkus-kïpa.

Frère aîné : k'ûeiamu-n, kjûeiamu-n [jâeiama-magjû- wa « mâle premier », kei-jâeiama-na-mâgu-dê wôlë-wa « elle mit au monde son enfant premier »].

Frère cadet : ôschû-wôn, ôschû-wa, ôskû-âki ; oschû-i- keia « à ton frère », kl-t-ôschu-won « à son frère », ôschû-worin « mon frère » !

Sœur cadette : heia ôsch-kîp-âra « ma sœur ».

Neveu : wâturû; nièce : kïpâ-aturû.

Cousine : dâ-schin-aka.

Parents : dâ-schin-akei-amalim.

Belle-sœur : kïp-âlum.

Belle-mère : môsâ-klpa, iûmâgû-ddrâkipâ-u [iû-mâgû « enfanter »].

Beau-père : tiimagil-dârû-won.

Beau-fils : tûmdgû-keijûla.

Belle- fille : mosâgû-inrd, tûmdgû-inni.

Si le jâgan distingue concrètement le sexe par la suf- fixation de -worif -wa « homme » et par celle de kïpa

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« femme », il paraît avoir abslrait les idées de « père » îmu-iiy de « fils » md-ku, de « fille » inni, d' « enfant » wêna, keijûala. En tout cas, les noms de parenté s'em- ploient sans qu'il soit nécessaire de leur préfixer l'un ou l'autre des indices pronominaux possessifs.

Pronoms de la troisième personne. On sait que dans la langue des Abipones, le pronom de la troisième per- sonne varie suivant la position occupée par la personne dont on parle : eneha « lui présent », hiniha « lui assis », hiriha c lui couché », haraha « lui debout », etc.

M. Garbe signale l'existence en jâgan de pronoms con- crets d'orientation; ûscha « lui au fond de la cabane »; inga « lui de l'un des côtés de la cabane, lui au nord » ; 6ra « lui à l'entrée de la cabane, lui à l'ouest » ; hana- môk'i « lui à l'est de moi », haua-mâiû « lui au nord de moi », haua-gû « lui à l'ouest de moi », haua-gûtâlu « lui au sud de moi [», etc. Aucun de ces pronoms con- crets ne figure dans la version du troisième évangile. M. Brydges y a employé exclusivement les pronoms abstraits : kôngin « lui, elle » ; kltil « lui-même, elle- même ».

Double pluriel de la première personne. Le jâgan ignore ou a oublié la distinction concrète du pluriel in- clusif et du pluriel exclusif, il possède un pluriel abstrait : heian « nous ».

Catégorie du genre. Le jâgan exprime concrètement la différence du sexe en accolant à un petit nombre de noms les mots « homme » et « femme ». Il en est resté à la distinction des noms animés et des noms inanimés.

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Catégorie du nombre. Le jâgan forme le pluriel des pronoms et des noms animés au moyen des collectifs ndeian, jamalim, âala, et celui des verbes au moyen de l'indice -sina, -sin. Non seulement il exprime la dualité des personnes, mais il possède en outre un triel. Enfin, il présente cette particularité remarquable qu'un certain nombre de thèmes verbaux sont exclusivement affectés, les uns à la représentation de l'action accomplie par une, deux ou trois personnes, les autres à la représentation de l'action accomplie par plus de trois personnes.

Ce sont là, incontestablement, autant de marques de l'impuissance des Fuégiens à abstraire l'idée du nombre.

Noms de nombre. L'emploi par M. Brydges des nu- méraux anglais, à partir du nombre 5, témoigne sinon de leur impuissance à compter, tout au moins de leur peu de goût pour l'arithmétique. Il n'y a dans la version de l'évangile de Luc que les trois noms de nombre : ûkâali « un », kômbei « deux », môtan « trois ».

Noms abstraits. On sait que certaines ou plutôt que beaucoup de langues ne possèdent point de noms corres" pondant aux abstractions, telles que : arbre, oiseau, pois- son, pierre, feuille, fruit, etc. Le vocabulaire jâgan ne dénote pas un état mental aussi rudimentaire ; en effet, on y trouve : wôruhr « arbre », bich « oiseau », apômu/ir « poisson », aui « pierre », ameiim « fruit ». Cependant, ivôrhur signifie tout ensemble : arbre, bois, poutre; bicfi désigne exclusivement les oiseaux de terre, ceux de mer étant dénommés eia-kdsi; les mots « branche », « buis- son » et « haie » sont traduits par kôtusdt, etc.

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Verbes abstraits. Selon M. Garbe, le jâgan ne pos- séderait pas d'expression générale équivalant à l'allemand « gehen ». Mais cette assertion est contredite par un pas- sage du verset 8, chap. vu : ha-môni-kûian hauanki wônk'i « sa kâtukâ-a », kôngin keia kâtaka^ chaque fois que je dis à cet homme « va! » lui aussitôt va.

Il ressort des nombreux passages de la version évangé- lique dans lesquels le verbe « être » est traduit tantôt par musch, tantôt par amiû, tantôt par mûtu^ tantôt par moni, que le jâgan ne possède point l'abstraction par excellence, je veux dire le verbe substantif.

Préfixe loco-temporal. Au moyen d'un préfixe, qui varie suivant que le thème verbal commence par une voyelle ou par la semi-voyelle j, ou par telle ou telle con- sonne, les Fuégiens précisent que l'action s'accomplit soit à une époque déterminée^ soit dans un lieu spécial, soit dans un certain but, soit d'après un mode particulier.

En somme, on peut définir exactement la langue jâgane en disant qu'elle est agglutinative sans élre ni incorpo- rante ni polysynthétique, qu'elle est caractérisée par le procédé de la composition binaire et par l'emploi d'un préfixe loco-temporal, qu'elle n'est point absolument con- crète, mais qu'elle marque au thermomètre psychologique quelques degrés de plus que certains idiomes tout à fait inférieurs.

PHONÉTIQUE.

Voyelles brèves : t, e, a, o, w, 6' (m anglais fermé), r {r anglais dans four score, care, glory).

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Voyelles longues : ï, ë, â, ô, û, â (o anglais dans lord, a anglais dans sait).

Diphtongues : au, ei, oi.

Semi -voyelles : h^ j, w, hj, hw.

Gutturales : k^ g, v {ng)^ ch {ch allem).

Palatales : k' (tsch), g (dsch).

Dentales : t, d, th {th anglais), dh {th anglais doux), n, hn.

Labiales : p, b, f, v,m.

Liquides : r, l, Ih, hr.

Sibilantes : s, z, sch, sh.

Accidents 'phonétiques.

1. La voyelle a finale et la semi-voyelle y initiale se ré- solvent en la diphtongue ei. Exemples : jeka jôshka « pe- tite île », jek-ei ashka; jôshka-ja « es ist eine Insel », jôschk-ei-a ; kïpa-jamalim, kïpei-amalim « les femmes».

2. La voyelle finale a et la semi-voyelle w initiale se résolvent en la voyelle â. Exemples : wâturû « neveu », klpâ-aturû « nièce » ; wôla « tout », wâlû « détruire », wôlâ-alû; wôla, woschlâgû « faire », wôlâ-aschtâgû « ter- miner, parfaire ».

A noter, la flexion de o en a dans jekei-ashka, wôlâ- asch-tâgû, et celle de â en a dans kïpâ-aturû, wolâ-alû.

3. La gutturale k se change en ch lorsqu'elle cesse d'être finale. Exemples : jeiich « larme », jeiik-a; eizoch « beaucoup », eizak-a; maustuch « garder », maustek-û; tênuch « chercher », tënak-a.

4. La gutturale g se change également, en ch lorsqu'elle

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cesse d'être finale. Exemples : hdschôh « banc de gra- vier », hâschâg-un; lokoch « nuit », lôkâg-un; jôch « œuf », jâg-un ; sôch « blessure », sâg-û « être blessé »; amalôch, amalâg-û « veiller, se méfier »; amaschôch, amaschâg-û « avoir faim »; wôschtôch, wôschlâg-û « faire »; tûwôrôch, tûwôrâg-a « attérir; môtawôch, môtawâg-û a avoir pitié »; unnusach^ unnusâg-û « rougir »; mâch, mâg-û « enfanter »; tâch, tach, tâg-û « donner »; gâlich, gâlig-û « commander » ; ïdôschtuch, ûloschteg-û « suivre » .

5. Dans les mêmes conditions, p se change en /. Exem- ples : ôf foyer », âp-un ; jif « étroit », jip-ona; dôf, dôp-a « vêtir ».

6. Dans les mêmes conditions, t, d se changent en hr. Exemple : sîhr « meuble », sït-un; wôruhr « arbre », wôrat-ûpei ; bkôhr « maison », ôkat-ûpei ; ufkir « oreille », ufkit-un ; ârûguhr, ârûg-ata « souffrir » ; ïjîguhr, îjïg-ata « remplir » ; tûguhr, tûg-ata « allumer » ; muschuhr « entendre », muschal-a « croire » ; muhr, mût-û « de- meurer »; uhr, ala « prendre »; tôkamar, tôkamat-a « se lever » ; schabaguhr, schabagiid-û « se réjouir ».

7. Dans les mêmes conditions, r se change en sch. Exemple : musch « entendre », môra; kusch, kur-û « aimer »; usch, ôr-a « crier »; gusch, gôr-a « écailler».

A noter, lors des mutations de consonnes qui précèdent, les flexions vocaliques : a, « en ô' ; e, a, û ô en w.

8. La voyelle finale fléchit parfois en ô au contact de la particule -na. Exemples : akûpïl « tuer », akûpô-na; alagii, aloga, alagô-na « voir » ; apû « nom », apô-na « nommer »; ïdapa a péché », ûlâpôna « pécher »; urûmû, urûmô-na « obéir »; sàgû « être malade », sâgô-na.

9. Le pronom préfixe de la troisième personne se mo-

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difie suivant que le thème verbal commence par une voyelle, par la semi-voyelle j, ou par une consonne. Exem- ples : k-unnusach « il rougit », k-alu-dë « il a pris », k-eiji-dë « il a demandé », kei-jâgeii-dê « il a dit », kei-jellu-dë « il a laissé », kô-kusch « il aime », kô-mok'i- de « il entra », kô-iâgû-a « il donnera ».

10. Le préfixe de direction kâg « en haut » devient kei au contact de /, ko à celui des consonnes. Exemples : kâg -ata « monter et prendre » ; kei-juâ « monter et mordt*e » ; kô-môkH « monter et entrer ».

11. Le radical ddg « tenir dans la main » devient au contact des consonnes. Exemples : dâg-û-keia « itt der Hand in die Hôhe heben », môk'i « etwas in der Hand haltend hereingehn ».

12. Le préfixe de direction mât « au nord » devient 7no au contact des consonnes. Exemples : mât-ata « aller au nord et prendre », mô-mok'i « aller au nord et en- trer ».

13. Le préfixe de direction a à l'ouest » perd la voyelle finale au contact de w. Exemples : kû-ata « aller â l'ouest et prendre », k-wîamana-na « aller à l'ouest et guérir ».

14. Les préfixes causatifs û-, tu- deviennent wî-, twî- au contact de^. Exemples : ôla « boire », tû-ula « donner à boire », û-ôla « faire boire » ; jumana-na « vivre », wï- amana-na « guérir »; jûa « mordre », twï-ûa a exciter à mordre ».

15. Le préfixe loco-temporal se modifie ainsi qu'il suit : /- devant une voyelle ; k'ï devant la semi-voyelle j ; ts- devantles consonnes t, rf; tu- devant les consonnes;?, m, k, g et devant la semi-voyelle w; kH devant les consonnes

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S, sch, k\ g\ l. Exemples : ûka « radouber un canot », t'ûka; jûa c mordre », k'ï-jûa; dâtû « courir » , ts-dàtû\ masâkulav se nettoyer », tû-masâkiUa; wôla « détruire », tû-wôla\ liipû « souffler avec la bouche », h'i'lûpâ.

16. Un certain nombre thèmes sont sujets à perdre la semi-voyelle initiale. Exemples : jàgeia, âgeia « dire » \ jamasa, amasa « lier » ; hdnisâ-na, ânisd-na « supposer »; hâschû, âschû et aussi jâschû « charger, porter, être grosse » ; halascha-na, alascha-na « haïr, refuser ».

17. Quelques thèmes fléchissent la voyelle initiale a en ô précédé de la semi-voyelle w. Exemples : anaschi, w-ônas- chi « baptiser »; anmôkH, w-ônmôtschi c enterrer ».

18. Les thèmes en -i subissent dans certaines forma- tions une modification consistant à fléchir -i en -il précédé de la semi-voyelle j. Exemples : usi « région », us-j-û-â- ala-n « dans les régions », us-j-û-ala-ndaulum « des ré- gions »; Ink'i « vallée », lûk'-j-û'alan et dans les val- lées »; jerri « nager », kei-jerr-j-û-a « il nagera »; teki « voir », kô-tek-j-û-a « il verra ».

Ces mêmes thèmes fléchissent parfois leur voyelle finale en-ë, -a. Exemples : ha-môk'i-dë « je suis entré », mam- û-môk'ë- annaka « il n'est pas digne d'entrer », û-môk'c- jinû « ne pas laisser entrer »; teka-jû « sans voir »; môni, môna-ta « être en place » .

19. La voyelle finale s'apocope lorsque le mot qui suit commence par une voyelle. Exemple : jeka na a un petit homme i>,jek ûa ; heian-ani-na imu-n « de nous le père », heian'ani-n îmu-n.

Remarque. L'apocope se produit parfois devant un mot commençant par une consonne. Exemple î san-ani-n kauija-ndaulum « de nos pieds ».

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20. Certains adverbes démonstratifs deviennent interro- gatifs par la flexion de la première voyelle du thème :

Kôndâm, so. Kundâm, wie?

Kôtwpei, dorthin. Kïitûpei, wohin?

Kôllîim, dorther. Kullum, woher?

LEXIOLOGIE.

Sous la rubrique « Flexion des Verbums », M. Garbe divise en quatre classes, suivant qu'ils sont terminés en -î, en -jUj en ou en -a, les thèmes verbaux proprement dits.

a) Aki « frapper », môki « battre », anaschi « bapti- ser », eiji « demander, exiger » ; wônari « altérir », ufki « réprimander », uschki « menacer », jerri « na- ger », kuk'i « monter », kusi « laver », lûpeii « tomber », mont « demeurer », môk'i « entrer », teki « voir », tôlli « être affligé », etc.

b) Usjïi « éplucher », etc.

c) Aschû « charger », âmuschû « prier », ârû « pleu- rer », ôschôgâgu ou ôschâgû « moissonner », wôschtâgû c accomphr », kû-mdtu c se poser après être descendu », û-mânurû « refuser », ûtuschû « aller », dûschû « faire du bruit », gâligû « commander », gauugû « trembler », û-kûtû « faire parler, interroger »; dgûlû « sauter », kurû a aimer », mâgil « chanter », mâgû a enfanter », mâpû « déraciner », makûlû « délivrer i, mûtû « demeu- rer », tdgû « donner », tûkû « épouser », tûsikû t nier », tûwdgû « s'asseoir », etc.

rf) Ato < prendre », atama « maçger », ta ou wïa

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« reposer i>, eima « partager », issa « donner du fruit », dopa « vêtir », ôla « boire j> , dtik'i-keia < résister », gâlana « crier >, tû-gata « amener », gôlascha « grin- cer », jâgeia « dire », jamana-na « vivre », ^eWa « finir, laisser »; kâtaka « aller », kûtâ-na « parler », lôschlega « suivre », mâwa « prêter », mausteka « garder », mea- A:owa « avoir peur », mônna « se repentir », mora « en- tendre », muschata « croire », palana « demeurer », pûtaka « tomber, pleurer »; pôschata « comprendre », sâgôna « souffrir », sigeia « suivre », schônata « reve- nir », tênaka « chercher », etc.

Ces formes thématiques sont celles que revêtent les verbes lorsqu'ils reçoivent les divers indices de la conju- gaison ou qu'ils sont employés au mode infinitif. Mais un grand nombre d'entre eux se présentent sous une forme plus courte lorsqu'ils sont composés avec un autre verbe ou qu'ils sont employés sans aucun indice temporal, c'est- à-dire au présent. Exemples :

a) Akûpô-na « tuer », akûpû-jâgû « faire tuer »; alagô-na « voir », alagû-mUtû; alkï-na « se moquer », k-alhl-môra-kdgû-sin-dê « ils traitèrent avec moquerie » ; âmuschû « prier », âmusch-môni « être à prier » ; ikîmû « mettre dedans, donner », ko-wôl-ikïm « il donne tout »; eiami-na « envoyer », ha-t-eiami kôn « voici que j'en- voie »; ïkama-na « écrire », ïkama-wôsella « recenser »; ôla « boire », ul-mûtû; unnusi « avoir honte », unnus- miUû) giïla-na « crier », ma-gâla-mûtû ; gâligû c com- mander », kô-k'-kâli « il ordonne » ; jâgeia « dire », hei jâgi « je dis », jâgi-jella « cesser de dire » ; kâtaka « aller », kô-kâla « il va »; kôschpigu-na-ta « devenir •rempli de l'Esprit », kôschpik « Esprit »; lôkâgo-na < se

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faire nuit », lôkôch « nuit » ; puschû « semer, planter », pusch-leka; sâgo-na, sagâ-na « être blessé, souffrir », sâgû-mûlïi « souffrir », sôch « blessure, maladie », etc.

b) Amaschâgû « avoir faim », amaschôch-mûtû ; ôschô- gâgû « moissonner », sa mônit oschôgach « tu mois- sonnes toujours »; wôschtâgû « accomplir », k-wôschtach « ils font », wôschtôch-jâgû « faire faire »; unnusagû « rougir », k-unnusach « il rougit » ; gàligû « ordon- ner », gâlich-geiata ; kâtaka « aller », kdtuch-wônïgalay kâtach-heina ; lôschiega « suivre », lôschteg -heina, losch- Uwh-môkH; mâgû « enfanter », ko-tûmû-mach « il est enfanté »; môtawâgû «. avoir pitié», môtawôgalagôna, môtawôch'mûlû, kô-môni'mola'Woch « il a toujours pitié », etc.

c) Arûgata « souffrir », ârûguhr-tënaka ; ïjïgata « rem- plir », ïjïguhr-geiata ; wônïgata « réunir » , ko-wonïguhr v( il s'approche », wonïguhr-dmun ; dûpu-na-ta « abais* ser », dûpunukr-geiata, ko-mû-dûpunuhr « il est sou- mis », ja-dûpu-na-ta « être bas », ja-dupâ-mûtâ ; heimu- na-ta « devenir bon », heimunuhr-tschellcï, heimu-na « être bon », heinm « bon », heim « très »; muschata « écouter, croire », muscbukr-mûtû, musch-mûtûy ko- mamû-musch « il a été annoncé >, etc.

d) Kurû « aimer », kusch-mûtû, ko-kusch « il aime > ; mora « entendre », musch-mûtû ; dopa « vêtir » , dof- mïitû .

Il me paraît hors de doute : que les formes dûpu- nuhr^ heimu-nuhr^ muschu-hr sont postérieures aux for- mes dérivées dûpu-na-ta (dûpa)^ heimu-na-ta (heima) muscha-ta pour muschû'ta (d-muschû « faire entendre, prier ») ; 2<> que les formes gâli-gû, kâla-ka, sont dérivées

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de gâli {k'-kàli) kâtay et que les formes gâlich, kûtach leur sont également postérieures. Il ne faut donc voir dans dûpunuhr, heimunukr, muschuhr, gâlich, kdtach, etc., que des formes contractes produites par l'apocope des voyelles finales, phénomène assez fréquent en jâgan. Exemples : kômônî tauug-atum « il mange toujours avec », atama, atôma « manger » ; ha-t-eiamin « j'envoie », em- mina « envoyer »; hâ-môni kûtan « je dis toujours », kûtdna « dire »; urûmôn « permets », urrimona; man « prête », mâna; alagu-v-geiata, alagôna « voir » ; alhïn- yûlâna, alhïna « se moquer ».

La voyelle finale ayant été rejetée lorsque sa présence cesse d'être nécessaire parce qu'il n'y a pas d'indices à suffixer, les consonnes finales -t, -g^ -k se sont affaiblies en -hr, -ch, et le plus souvent la voyelle qui précède a subi une flexion.

J'incline à ne voir non plus dans sôch, dôf, kusch, etc., que des formes contractes produites par la même cause, sâg-û, dop-a, kur-n, étant des formes plus anciennes. Ce n'est pas à dire cependant que la forme sâgû, par exem- ple, doive être tenue pour primitive; il me paraît, au con- traire, vraisemblable que d'un radical sak s'est formé le thème sâg-û^ comme de kôschpik s'est formé le thème kôschpig-û dérivé ensuite par -na-ta. La série aura donc été : saky sâg-û, sâg-â-na, sâg-ô-na^ sôch.

Tandis que les thèmes en -a et les thèmes en subis- sent, au contact des suffixes, des flexions vocaliques va- riées, les thèmes en -i offrent une résistance remar- quable. Exemples : ata, prendre, atu-dê, atû-pei, atâ-a; ôla « boire », olu-dë, oli-sin-dë, olû-pei, ôla-wôhna^ olâ- môs, olâ-a.

310

Puschû <r semer », puschu-dê, ptischi-sin-dë, puscha- schin, puschû-a.

Eiji « demander », eiji-dë, eiji-pei, eiji-schin, eiji-môs, eiji-âalay eijû-a; môni «demeurer », môni-dê , môni-pei, moni-sin-dè, môni-schin^ môni-môs, mona-ta, mon-jû-a; teki « voir », teki-dë, teki-sin-dë, teki-môs^ teki-pei, teka- jû, tek-jû-a.

Les thèmes verbaux simples sont en majourité bisylla- biques.

Noms, De même, les noms de deux syllabes sont les plus nombreux. Employés isolément, c'est-à-dire sans suffixe de déclinaison, ils se terminent en -i, -îi, -a, -ch, hr, -sch, 'f, -m, -n, -k, -s.

Exemples : aui « pierre », inni « fille », ûsi « région », ïsi « campagne », jâsi « abîme », kili « soulier», klsi « été », lûkH « vallée », lôsi « peu », mâli « racine », môpi « roseau », kôschk'i « fétu », isteii « gelée », lâguri « roc ».

Wurïi « beaucoup », dâbû « père *, mâkû « fils », puturû « fièvre », ôndôpânû « chair ».

Wa « chemin >, ama « repas », m « baie », ôhwa « cendre j>, ôlla « ulcère », ora « vert », ûa « homme », wëna « enfant », wâta « vieux », wôhja « porte », wûwa « tonnerre », uschka « vêtement », uschta « cheveu », bâka « sec », auifa « grain », diia « petite jetée en pierres plates », hâscha « voix », heka « flot », hûla « cou ut, jausa « faux )i, jeka « petit », kjuâ « bâton », Idscha « rocher », mûka « haut », sapa « sang », tella « œil », tâscha « tête », tâla « coupe », akula « sueur », abeila « force », belaka« mer », bôlaka « pluie », asella

311

f banc de sable », hamascha « obscurité », hakïla « glace », hannuka « lune n, hâtuscha « os », jamana « personne », jamïna « blanc », jaschôla « chien », maâla a jour », peiaka « rive », schâmara « fumier », tûkola « champ », tauïna « chef », kauija « pied », akamaka « lac », ak'aweia a âme », keijûala « enfant », kHlâeia « renard ».

5écA. « oiseau >, 5oc^ « blessure », hâschpch « banc de gravier »,jeuch « larme », lôkôch « nuit », patuch « plat », lôpôtôch « bûche ».

iSï^r « ustensile », ôkôhr « maison », wôruhr « arbre », uschkihr « oreille », toschuhr « passereau », hôlakihr « cap », apômuhr « poisson ».

/oscft « main », yû5c/i « côte », lusch « rouge », îwc/i- mtc/i « reins », daposch « mamelle », deiasch « glace », hannusch c démon » , kotusch « branche » , lakôsch « écosse ».

i)f(/ « infirmité », /ïf « étroit », gôpôf « filet », sëif « ciel ».

Sim ou 5ma « eau », lôm « soleil », alum « beau- frère », ameiim « fruit ».

/Ttfîi « huile », jôn « bouche », Ion « langue », ânan « barque », sôskin « cœur », mik'in « sol », honnian « lune ».

Kôschpik « esprit », akeinik « arc-en-ciel ».

Kinis « filet », ôsekos « soleil ».

On a vu précédemment que les noms terminés en -c/j, -//r, -/" se présentent sous d'autres formes quand ils sont afl'ectés de suffixes casuels. Exemples : jôch « œuf », jà- gu-n; lôkôch « nuit », lôkâgu-n; hâschôch « banc de gra- vier », hâschâgu-n; sïhr « ustensile », situ-n; wôruhr

21

312

« arbre », woralû-pei ; uf-kihr « oreille f, ufkitu-n; ôf « foyer »^ âpu-n; okohr « maison », ôka-ndauliim « de la maison », ôkat-û-pei « à la maison », ôka-n t dans la maison ». Les radicaux primitifs paraissent avoir éléjak^ lokak, hâschak, sit, wô, wor, ufk, ap, ôk.

Un petit nombre de noms sont dérivés des thèmes ver- baux par la préfixation de t-. Exemple : t-wïa « lit », de wïa « liegen » ; t-issa « fruit », de issa « porter du fruit »; t^ikïmu « 880 », de ikîmû « mettre dedans ». Quelques- uns sont dérivés par le suffixe -gii. Exemples : tû-wôselld-' « grenier », de tû-wôsella « amasser », ts-t-eiji-gû «bourse, sac », de eiji « demander ».

Les noms composés sont très peu nombreux. Exem- ples : makus'kïpa « frère-femme, sœur » ; schugani-kîpa c vierge », môsâgu-inni « belle-fille »; api-topâ-ki « pau- vre )i, api « corps », tôpa-n « seulement »; k'ïsa-hisch « joue-rouge » (surnom).

Verbes dérivés. Un grand nombre de verbes sont dérivés des thèmes nominaux et des thèmes verbaux sim- ples par la suffixation des particules -^la, 4a, -na-ta, -ga {'ka, -gû), -ga-ta.

Exemples : Abeila « force^ fort », abeiUt'na a être fort », aheila-na-ta « devenir fort » ; eiâala « sagesse, sage », eiâala-na « être sage », eiâaala-na-ta « devenir sage, connaître » ; lusch, lusch-a « rouge », luscha-na « être rouge >, luscha-na-ta « devenir rouge ».

Wcna enfant », wëna-na « concevoir » ; bolaka « pluie », bôlaka-na « pleuvoir »; hâscha « voix », hâscha-na « parler »; jamana « personne, homme •/>, ja- maua-na « \ivre » ; kili « soulier », kilum « chausser » ;

- 313

gûtay kûta c parole », kiUa-na c parler, dire »; hannusch « démon » , hannusch-a-na « être possédé par un démon » ; kôschpik Esprit », kôschpig-u-na-ta « être rempli de l'Es- prit ».

Bred (mot anglais) a pain », tû-breda-na « faire être pain, panifier »; mônth (mot anglais) i mois », tU-mônth- a-n-geiata siks « être dans le sixième mois ».

Eiami-na « envoyer », âschi-na c se briser », akûpo-na « tuer », alhï-na « se moquer », ïkama-na « écrire », wlna-na « tendre un piège », schalapa-na <r être adver- saire ».

Atû,-gûlïl « emporter», atû-gula-ta ; wôla « détruire», wôla-la « persécuter » ; hamascha « obscurité », hamu' scha-ta « obscurcir », keissoma-ta « agiter par des con- vulsions »; môni « demeurer », môna-ta devenir »; pôscha-ta « savoir ».

A^a < prendre », atâ-ga « choisir »; wïa « être dé- posé », wïâ-gû « se reposer » ; oschôgâ-gû « moissonner », wï-ama-ga « mêler », wôsella-gû « amasser »; dôkusch- d-gû a se heurter, scandaliser » ; gâli-gû « ordonner », mûlâ-gûa posséder », tôgd-gû « offrir », hdta-ka « aller »; amaschd-gû, amascha-gâ-ga-ta c avoir faim »; tû-aschû- ga-ta < parer ».

Verbes composés. Le nombre des verbes composés deux à deux est pour ainsi dire infini. Exemples : kô-tâgû-kurû-a « il aimera donner ». kô-schabaguhr-kûtdnu-dë « il se réjouissait et disait ». tû-môk'i-alagôni-sina « voyez à entrer ». kô4ûmûschônuhr-kûtdnu-dë « il se tourna et dit ». kô-gdlan-ïuschi-dë c il cria et loua ».

344

kô-t-âmusch-mûtû-dë t sedebat mendicans ».

k-ûlôschteg-ûkeii-dë « il précédait el montait ».

kô-ts-teki-mëakônatu-dë « il vit et craignit ».

ko-schabaguhr-mïkîi-dë « il s'est réjoui et a tressailli ».

san ts-teki-pôscliatâ-a « vous verrez et reconnaîtrez ».

k-ûlôschtuch-môk'i-dë « il précéda et entra ».

heipa-l-ârûguhr-tënaku-dë « nous avons souffert et cher- ché ».

ha-t-alagonat-ûlûpei-dë « j'ai vu tomber ».

k-alagôn-ûïi-sin-dë a ils virent déposer ».

kô-k'i-jâgi-kônu-dë « il s'assit à bord et enseigna »^ etc.

Les verbes mûtUy môni « demeurer, se trouver, se te- nir i) ; jella, k'ella « finir, cesser », occupent très fré- quemment la seconde place dans les composés.

Exemples ; ko-dôf-mûtu-dë « il était vêtu ».

ha-K gôhr-mûiu-dë « je me suis révolté ».

muschuhr-mûtû-a « hôrend werdend ».

pûtuch-mûti-sin-dë « ils pleuraient ».

kô-wëna-mûta « elle est enceinte ».

ko-tauïn-mûtû-ana « il sera roi ».

s-ïkama-mûtû-a a écris ! »

tûl ôpdschû-moni « s'il reconnaît ».

kei-japïmuhr-môni-dê « ils conversaient » .

tûatû-môni-pei t pour faire paître ».

issâ-môni « donner du fruit ».

kô-hôgûlâ-moni-dë « il était rompu ».

ko-tûworoch-jelli-sin-dë a ils cessèrent de naviguer ».

musch-jellâ-mos « après avoir entendu ».

tûgeiatuch-jellâ-mos « quand il aura fermé ».

tûmûanaschi-jella-schin « après qu'il eut été baptisé ».

àtû-jella-schin « ayant fini démanger ».

315

sa-ma-tû-heimunuhr-k'ellâ-mds « quand tu seras con- verti ».

Ces verbes tendent à devenir auxiliaires ; mais ceux qui suivent le sont devenus à peu près complètement : teka ou deka, -gûlu et -gûlata, -jâgù, •kdna ou gona, -geiata 'dûna.

a) k-ïkamanu-dê, k-ïkaman-deku-dê « il écrivit ». k'ïlanu-dë, k'6-t-Uan-deku-dê « il a bâti ». k-ïlinu-dë, k-ïlin-deku-dë « il a touché ». tû-moran-deka « placer ».

k'i-lupei-teka « se laisser tomber ».

tu-pusch-teka-schin « ayant planté ».

tû-pâan-dekâ-mds « quand il renverse ».

ïlan-deka-ga-schin « étant occupé à bâtir ».

k-ïkaman-dek-v'ïa-ta « il a été écrit ».

t-ïlan-dek-wïa-schin « ayant été bâti ».

k-llin-dek-wïa'ta « il a été touché ».

Dans, ces trois derniers exemples, deka forme son passif en se composant avec le thème verbal wïa « être déposé, être gisant ».

Remarque. Teka s'emploie isolément à la condition d'être affecté du préfixe causatif : û-teka « etwas aus der Hand niederlegen ».

b) atû-gïdû « emporter », k'-geiâ-gûlû-pei « pour ôter », kûtâ-gûlû-a sa^ jette-toi en bas », ko-t-ûmand-guli-sin-dë « ils sortirent ».

Remarques. M. Garbe mentionne âgûlû comme ayant la signification de « springcn ».

c) k6-t-akïtpû-jâgu-dë a il a fait tuer », k'6-tû-maus- tuch-jâgû-ana « il établira gardien », ûmbni-jâgû « sus-

316 citer », tnschalatasi-jâgû H rendre droit », ha-t-ûmusch- jâgu-dë a j'ai prié », wosch-toch-jdgûivon « serviteur ».

d) kona « fïiessen », signifie en composition « ins Wasser, auf dem Wasser, ûber Bord ». Exemples : tïi- pâav-goni-sina k'inis « jetez le filet », kuk'i-konaschin « étant monté à bord », âgû-k6na « glisser dans l'eau »,

e) alagun-geiata « voir », k-îjïgeiala « il est rempli », san moschtoch-geiata « vous faites », sa gdlich-geiata « lu commandes », s-ânisay-geiata « lu supposes », ha- mônna-geiata « je fais pénitence », ko-bdpun-geiata « il dissipe ».

f) iû-ârûguhr-dû-na-woch a de peur qu'il ne me fasse affront », eiâalenuhr-dimâ-ali « ils ne purent recon- naître », ivë wonïgiihr-dûnu-u a avant que cela arrive ».

On rencontre^ dans la version de l'évangile de Luc, un petit nombre de verbes qui sont composés de plus de deux thèmes.

Ghap. VII, V. 35 : heimâ-ki-ndeian ko-tnoni-wol-urû- mona-kusch-geiata heimâ-ki-pei « la sagesse a toujours été justifiée par les sages, les justes ont toujours tous voulu obéir au juste » : moni « demeurer » fait ici fonction d'adverbe avec la signification de « toujours »; w6l-a « tout, tous 1 indique le nombre pluriel ; urûmona « obéir, vouloir » ; kusch « aimer » ; geiata, verbe auxi- liaire.

Chap. II, V. 46 : k-nkûtu-musch-mûtû-mdschun-dë t il interrogeait et écoutait » : û-kUtû « interroger », musch « entendre », mw/ft demeurer 9,m6schun (?).

Mais, ainsi qu'il a été dit plus haut, le jâgan compose les thèmes verbaux deux à deux, et c'est une règle qui n'admet que de rares exceptions. Cependant il est possible

317

d'exprimer dans cette langue plus de deux idées dans un seul verbe : on y arrive au moyen du préfixe loco-tempo- ral, des préfixes de direction, des préfixes causalifs et du préfixe de réciprocité.

Préfixe loco-temporal.

Par cette appellation, qui n'est point rigoureusement exacte, je désigne le préfixe à forme variable servant à in- diquer le temps, le lieu, l'instrument, le but de l'action.

Voici tout d'abord les exemples donnés par M. Garbe :

Dâlïl « laufen », kd-ts-dâtu-dë « da lief er herauf ».

Pïsa « vi^einen », tû-pïsa « zu einer bestimmten Zeil, oder an einem bestinunten Orle weinen » .

Wola « vernichten », tû-wbla « zu einer bestimmten Zeit oder an einem bestimmten Orte vernichten ».

Lnpn « mit dem Munde blasen », k'i-lûpa a zu einer best. Zeit, an einem best. Orle, oder zu bestimmten Zwecke blasen ».

Jïia « beissen », Uï-jûa « zu einem best. Zeit beissen ».

Uka « ein Canoë flicken », t-ûka « zu einem best. Zeit oder an einem best. Orte flicken, irgend elwas (z. B. eine Ahle) zu diesem Zwecke gelranchen ».

Masâkula « sich abwischen », tït-masâkula « sich eines Gegenstandes bedienen um sich mit demselben abzu- wischen ».

J'emprunte à la version de l'évangile de Luc un certain nombre de propositions parallèles dans lesquelles le même verbe prend et rejette le préfixe.

a) (ihap. III, V. 21 : Jîztis hakun ko-lûmn-anaschi-dc,

318

k-âmuschu-dë, sèif ko-dâgûalatu-dë « Jésus aussi fut bap- tisé^ il pria, le ciel s'ouvrit ».

Ghap, V^ V. 16 : k-nkinnumd-kalaku-dê ûsi-top-nsi-pei, ko-t-dmuschu-dë « il se retira dans le désert {ûsî région, iopa-w seulement, W5i région) et y pria ».

h) Chap. XV, V. 1 4 : ko-kH-kd-gu-dë kongi ûsi-pet eizoch amaschdgû, kîtû hakun k-amaschdgu-dë « il arriva à ce pays beaucoup famine, lui aussi il eut faim ».

Chap. IV, V. 2 : kongi mâalâala-n atû-jûa k6-m.ûtu-dë, kongi mâalâala-n wdna-schin ko-t-amaschoch-mûtu-dë « durant ces jours sans manger il demeura, ces jours étant passés alors il eut faim cause de cela il eut faim) >.

c) Chap. VII, V. 22 : sapa-schdnatâ-ajdgeia-tûmorajoni- keia sapa-ts-teki-schin : hamascha teki-schin « retournez, dites et faites connaître à Jean ce que vous avez vu ici (tout-à-l'heure) : l'aveugle voyant. »

En somme, le préfixe dont il s'agit a pour fonction de particulariser l'action en la rapportant soit à un certain lieu, soit à un certain temps, soit à un certain but, soit à certain mode, selon l'occurrence.

Il existe en jâgan une sorte de verbe auxiliaire dont la fonction varie suivant que le thème auquel on le suffixe est affecté ou non du préfixe loco-temporal.

Suffixe à un thème affecté du préfixe, -gdmata indique la répétition d'une action antérieure en vue d'accroître le résultat déjà obtenu. Exemples : teijigu « mettre dedans », ts-teijich-gdmata « ajouter un objet à celui qui a déjà été mis dedans ».

Quand le terme verbal n'est point affecté du préfixe, -gâmata indique la répétition d'une action antérieure après que l'action contraire a suivi. Exemples : teijich

319 ~

-gâmata « mettre un objet dedans après avoir enlevé l'ob- jet précédemment mis dedans ».

Tùatopi « charger un objet sur un navire », ts-tùatopi -gâmata « y charger un nouvel objet », tûatopi-gâmata « y charger un objet à la place d'un autre ».

Ata « prendre dans la main », t-uhr-gâmata « prendre dans la main un nouvel objet », uhr-gâmata « prendre dans la main un autre objet ».

Ha-wollâ-a wàla tûwosella^ ha-t-ïlav -gâmatâ-a jamaki- kausa « je détruirai les anciens greniers, j'en ' bâtirai de plus grands ».

Préfixes de direction.

Le besoin de préciser, de particulariser est tellement impérieux que les verbes reçoivent en outre des préfixes indiquant les directions suivantes : en haut, en bas, plus en haut, dehors, dedans, à l'est, à l'ouest, au nord, au sud.

a) Kâg-ata a aufwârtz gehn um zu holen »; heina « aller », kâg-heina « monter »; uschki « menacer », kdg-uschki « se lever et menacer »; keijûa « monter et mordre »; kei-jamana-na « se lever et vivre, ressusci- ter »; ko-mok'i « monter et entrer »; ko-mdk'i « se lever et demeurer ».

Remarques. Kdg est le radical d'un thème : kdgû « survenir, arriver », lequel se conjugue isolément : kdga- schin, ko-kdgu-dë^ ko-k'i-kdgu-dë. De même, kei est le radical d'un thème keia, qui se conjugue affecté du pré- fixe causatif ou du préfixe de réflexion : k6-t'ûrkeii-dë « il monta », mw-keià-nâ-a-sa « hâte-toi ».

320

b) Kwp-ata « herabgehn um zu holen », kûpla « être déposé en bas ».

Remarque. Ce préfixe allongé en kûpâ exprime l'action de descendre. Exemples : ko-kûpâ-tûmûho-dë « il descendit, » kô-ktlpâ-teiascha-teku-dë « il descendit et cou- vrit » ; kokûpâ-ts-toschatu-dë « il venta en descendant, un tourbillon de vent fondit sur ».

c) Kdp-ata « weiter heraufgehn um zu holen » , Remarque, Kâpei-asd-geiata-kun « ce qui monte et

s'attache (la poussière aux souliers) ».

d) Mot-ata « hereingehn um zu holen », k6-m6ta-kû- tanu-dë 9. il vint et dit ^ù^mota-mok'i « venir », ko-moiû- moni-dë « il est venu », ko-mota-t-atomû-dë « il entra et mangea », ko-motei-jâgeii-dë « il vint et dit ».

e) Le préfixe précédent indique la direction de l'est. Exemple : mot'ata « ôstwàrts gehn um zu holen ».

f) Kû-ata a westwàrts gehn um zu holen », 16m kû- luschu-na-schin « le soleil étant devenu rouge à l'ouest (s'étant couché) ».

g) Mâl-ata « nordwârts gehn um zu holen », md-mok'i « aller au nord et entrer », mo-ld-gû « aller et donner ».

h) Kût-ala « sudvi^àrts gehn um zu holen », kûtd-tû- pâanù-pei « pour le précipiter tp, kûtd-gûlû-a-sa c jette- toi en bas ».

Quelques-uns de ces préfixes de direction se suffixent aux noms à l'instar des postpositions. Exemples : ok'ôhr-kû « â l'ouest de la maison », okohr-mdtû t au nord de la maison », wdnara-mdtù c au nord du ruisseau ».

M. Garbe constate que les préfixes de direction sont d'un emploi peu fréquent et qu'on use le plus souvent de composés verbaux très nombreux, parmi lesquels il cite :

321

dâg-ûheia « in der Hand in die Hohe heben », i'ô-moh'i « entrer en tenant quelque chose à la main, prendre dans la main »; ôschê-i-keia « in die Hôhe treiben », 'ô-schi c treiben », atëach-keia « aufhàngen », ateach « hàngen »; ddtn-keia « herauflaufen » ; ïli-mok'i « die Hand in etwas hineinstrecken », ïli-na « toucher » ; îU-pûkû « die Hand ins Feuer legen », pûkû « brennen », tûpdan-ikimû « hi- neinwerfen », tTipdana « werfen », ikimû « hineinle- gen », etc.

Préfiûces causatifs.

Ainsi qu'on l'a vu plus haut, le verbe devient causatif par la préfixation de îT-, wÎ-, tû-, twl-. Exemples : abeilana «f être fort », tû-abeilana « fortifier » ; ârûgata « souffrir », tû-drûgata « faire souffrir »; alagona « voir », tâ-ala- g'ôna « montrer »; kdtaka « aller », tû-kdtaka t laisser aller », d-kdtaka « faire aller »; moni « demeurer »j û-moni « laisser »; mora 4 entendre », û-mora « faire entendre, annoncer », tû-mora « publier »; twi-eii « don- ner la becquée »; wï-amanana c guérir », etc.

Préfixe de réciprocité.

Pour indiquer qu'une action est accomplie par récipro- cité, on préfixe au thème verbal la particule la-j lei, -1-. Exemples : ko-kûtânu-dë « il dit », ko-la-kût^nû-dë « il répondit»; ko-lei-ageiisin-dë a ils répondirent»; hî-la l-û-mora-woch « je ne lerai pas connaître », eiji « invi- ter », tûmû-eiji « être invité »; la4ûmû-eiji « être invité en retour d'un repas donné », etc.

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Cumul des préfixes.

Le préfixe loco-lemporal précède le suffixe causatif. Exemples : ha-tstû-abeilanà-ana « je fortifierai alors », tS'tû-atamâ-mds a tant qu'il donne à manger ».

Le préfixe de direction se place avant le préfixe loco- temporal. Exemple : ko-kûpâ-ts-toschatu-dê « il venta d'en haut sur ».

Il y a encore encore en jâgan quelques autres préfixes :

a) 'Gûlû, â-gûlû « springen » ; musch « entendre », â-muschû « faire entendre, prier » ; -tsikôri, â-tsikôri « arriver ».

b) Wurû « beaucoup », wurû-mûtâgûa « celui qui thésaurise », tâ-gûtusch « heurter », tâ-g'ôschi « tran- cher », tâ-geiatuch « fermer », tâ-sagana « récompenser ».

c) Akû-âmeia « tuer », akû-aschina « écraser », akû- Ihôbatû « battre », âgû-môkH a tomber ».

Les préfixes â-, ta-, paraissent être causatifs.

Lucien Adam. (A suivre.)

GLOSSAIRE PATOIS

DU DÉPARTEMENT D'ILLE-ET-VILAINE

Abarger, V. a. Mettre en barge. {V. Barge.) (Dourdain.) Abegauder, V. a. Attraper. Se moquer de quelqu'un. (Rennes.)

Regarde-donc un chat sur le clocher.

C'est pas vrai, tu veux m' abegauder.

Aboiter, V. n. Trimer. (Louvigné du désert.)

Abrazer, V. a. Briser. «Un chasseur abraze les haies, brise les haies. » (Arrondissement de Redon.)

Arriver (s'), v. pr. S'élancer, s'ahriver dans quelqu'un. « Comme il s'abrive dans ma (s'abrive dans moi) ! Est-il abrivé ! (Est-il pressé d'arriver à son but.) (Arrondissement de Redon.)

AcHOC, s. m. Individu stupide. « C'est un être ac/ioc. > (Arrondis- sement de Redon.)

AcoTER, v. a. Appuyer. (Douçdain.)

Acousser, v. a. Jeter. « Acousse la balle » (jette la balle). (Argentré.)

Acquit, s. m. Chose qui dure longtemps. Cette robe m'a coûté cher, mais elle m'a fait de l'acquit. » (Tout le département.)

AcTONNER, V. n. Bégayer. (Dourdain.)

Adelaizi, adj. Désœuvré qui s'en va plaisantant tout le monde, n'ayant rien à faire. « Est-il adelaizi ! » (Arrondissement de Redon.)

324

Adsa, adv. Ce soir, t Nous mangerons la soupe adsa. » (Tresbœuf.)

Affutiaux, s. m. pi. Outils. N'est pas pris ici dans le sens du vieux mot français affûtiau, bagatelle, affiquet, parure, etc. Les ouvriers dans les campagnes de l'arrondissement de Redon appellent leurs outils des afTutiaux. « As-tu apporté tes affutiaux pour travailler ? »

Affourer, V. a. Donner à manger aux bestiaux, c Dis à la pàtoure d'aller affourer les vaches. » (Arrondissement de Redon.)

Agouvreux, s. m. Ménage de la mariée qu'on conduit chez le marié. (Bain.)

Agrai-t-y. {Ça vous). Int. « Ça vous agrai-t-y? Cela vous plaît- il? » (Hédé.)

Aguin, s. m. Petit houx des bois. Ruscus aculeatus. (Tout le département.) On dit aussi dans les faubourgs de Rennes, en parlant d'un individu qui court les filles : « Il est du aguin. »

Aguibra, s. m. Mobilier vieux et usé. « Le pauvre aguihra! » (Bain.)

Ahan, s. m. Peur suivie de syncope. (Canton de Saint-Aubin- d'Aubigné.) Ne pas confondre avec ahan, cri de fatigue d'un ouvrier qui fend du bois ou lève un fardeau.

Ahener, v. pr. Se fatiguer, faire ahan. (La Guerche.)

AiGHE, s. f. Ver de terre dont se servent les pêcheurs pour amor- cer leurs lignes. (Arrondissement de Redon.)

AïE-VA-DONC ! Expression très usitée sur le littoral de la Rance pour exciter les ânes à la marche.

AiGREMOiNE, s. m. Plante de la famille des rosacées, Agrimonia Eupatoria.

Aiguilles-de-Berger, s. f. Plante de la famille des ombelli- fères qu'on appelle aussi Peigne de Vénus. Scandix pecten Veneris.L. (Fougeray.)

Airelle, s. f. Myrtille des bois appelé aussi Lucet, Pouriot, etc. Vaccinium myrtillus L. (Saint-Sulpice-des-Landes et Teillay.) Aller, v. n.

325

Indicatif présent.

Imparfait.

Passé défini.

Je vas.

J'allas.

J'alll.

Tu vas.

Tu allas.

Tu allis.

Il vas.

11 allas.

Il allit.

J'allons.

J'allions.

J'allimes.

Vz'allez.

V'z'alliez.

V'z'allîtes.

Ils vont.

Y z'allas.

Y z'allirent.

Ali, s. m. Ali, ali, ali, cri des paysans pour appeler les abeilles lorsqu'elles essèment (voir Essemer). (Arrondissement de Redon.)

Allumé, e, adj. Personne qui a bu, qui est presque ivre. «Elle est allumée. » (Arrondissement de Redon.)

Alqjaune, s. m. Bruant, passereau conirostre. (Dingé.)

Amain, s. m. Qui se fait naturellement, sans effort. « N'essayez pas d'ouvrir cette barrière à droite, vous la briseriez, son amain est à gauche. » (Arrondissement de Redon.)

Amitonner, V. n. Mitonner. (La Guerche.)

Amorphosé, e, adj. Personne amorphosée, métamorphosée. (Bain.)

Amourette, s. f. Plante de la famille des graminées, appelée aussi tremble et brise tremblante. Brizc^ média, L. (La Domi- nilais.)

Amotonner, V, n. Se dit d'une sauce, d'une bouilUe qui forme des grumeaux. (La Guerche.)

Ampan, s. m. Mesure de 20 centimètres environ. Lorsqu'on ouvre la main toute grande, la longueur du pouce au médiun est un ampan. (Bain.) ){ Andin, s. m. Foin mis en rayon par la faulx. (Saint-Médard- sur-IUe.)

Ané, Anet, Anui, adv. Aujourd'hui. « Il faut que je finisse anet ma besogne. » (Tout le département.)

Anguille-de-has, s. f. Anguille de haie : couleuvre. (Arrondis- sement de Redon.)

Anis, s. f. pi. Béquilles. (Tout le département.)

Annequiner. V. n. Travailler péniblement. (V. Arricoter.) (Tout le département.)

326

Ante, s. m. Arbre greffé. Se dit principalement des pommiers.

Dicton: * Quand le crapaud chante, Pomme à l'ante. »

(Tout le département.)

X Anvin, s. m. Orvet, reptile. (Tout le département.)

Apparessenge, s. f. Apparence. « Il y a cette année une belle apparessence de récoltes. » (Messac.)

Appiéter, V. a. Appiéter un bouquet : aligner les fleurs entre elles et rogner les pieds au même niveau. (Saint-Médard-sur- lUe.)

Apploner, V. a. Presser, tasser, étayer, mettre d'aplomb. (Fou- gères.)

Armelle, s. f. Mauvais couteau. (Fougères.) On dit Asmelle dans l'arrondissement de Redon.) X. Armena, s. m. Almanach.

Arodivé, e, adj. Se dit d'une personne restée petite. (Fougères.)

Arolle, s. f. Foin étendu dans un champ et que l'on metsn tas pour le charger dans la charrette. (Bain.)

Arricoter, V. n. Travailler péniblement avec de mauvais ins- truments que la misère empêche de remplacer, c Ah ! ce sont des arricotiers. » (Tout le département.)

Arrigotier, s. m. Pauvre ère besoigneux qui n'a pas ce qu'il faut pour exercer son métier. Se dit ordinairement d'un petit laboureur qui n'a que de chétifs animaux et de mauvais ins- truments aratoires. (Tout le département.)

Arrimer, v. a. Installer, arranger des marchandises pour les mettre en vente. « Arrime-toi donc. » (Marchandes de Saint- Malo.)

Arrocher, V. a. Jeter des pierres. « Il m'a arroché. » (Tout le département.)

Arrossé, k, adj. Être à l'état de rosse. Les poissons d'un vivier qui ne grossissent pas sont arrossés. (Tout le départe- ment.)

AssÉYAS, s. m. Siège, banc, tabouret, etc., sur lequel on

s'asseoit. (Ghâteauneuf.) Assieter, V. a. Asseoir. (Tout le département.)

327

AssiTOUÉ, s. m. Siège quelconque. (Saint-Médard-sur-IUe.)

Atelles, s. f. pi. Morceaux de bois à brûler qui ont été fendus. Jette des atelles dans le feu. (Fougères.)

Atrimer, V. n. Trimer. (Fougères.)

Atsa, loc. prép. Ce soir. « Nous irons vous voir atsa. » (Arron- dissement de Redon.)

AuGEAR, s. m. Hangar, appentis, remise ouverte. (Bain.)

Avancer, v. n. Avancer dans son travail. Se dit plus souvent dans le sens contraire. « Y n'avange à ren. » (Tout le dépar- tement.)

AvANGE, s. f. Se dit d'un mets auquel on ajoute dos pommes de terre, de la sauce, pour faire plus de volume. « Ça fait de Tavange. »

AvATS, s. m. pi. Bestiaux. (Arrondissements de Saint-Malo et de Fougères.) On prononce aveilles dans l'arrondissement de. Redon. AvÈNE, s. f. Avoine. (Arrondissement de Redon.) Avènement, s. m. Apparition surnaturelle, bruit mystérieux qui annonce à quelqu'un la mort d'un parent ou d'un ami. Croyance populaire des campagnes, principalement de l'arron- dissement de Redon. Avette, s. f. Abeille. « Les avettes vont essemer. » (V. essemer.)

(Canton de Bain.) AviENT, V. irrég. Faire facilement une chose. On dit d'un père qui porté son enfant : « Comme ça lui avient. » (Tout le dépar- tement.) AviEUTER, V. a. Insulter quelqu'un. (Montfort.) Avoir, v. aux.

Passé indéfini. Plm-que-Parfait.

J'ai oïu. J'avais oïu, etc.

T'as oïu.

n ou elle a oïu. Futur antérieur.

J'ons oïu. J'aurai oïu.

Vz'avez oïu. Ils ou elles ont oïu.

Avouiller, V. a. Jeter de l'eau, t II m'avouille », disent les en- fants, pour « il me jette de l'eau à la figure ou sur moi ». (Bain.)

22

328

Bada, s. m. Manière de faire. Façonner une servante à son ftada;

à sa guise. (Bain.) Badie, s. f. Cerise sauvage, (Dingé.) Badier, s. m. Cerisier sauvage. (Dingé.) Badille, s. f. Cerise sauvage. (Bain.) Babiole, s. f. Cerise sauvage, (Arrondissement de Redon.) Badiolier, s, m. Cerisier sauvage, (Arrondissement de Redon,) Bagout, s. m. Bavardage, « Ce sont des bagouts, » (Rennes,) )^ Baguenauder, v, n. Flâner. (Rennes.)

Baillée, s. f. Bouche ouverte, action de bailler.

c Le grand loup du bois a sorti Qu'avait la goule baillée, »

(Chanson de la forêt de Paimpont.)

Baire, V, a. Boire, (Tout le département.) i" Baiser, s. m. Partie non cuite d'un pain qui, dans le four, tou- chait à un autre pain. (Fougères.)

Baissière, s. f. Liquide du fond d'un tonneau. Lorsqu'une bar- rique de cidre est presque vide, on dit : « Oh ! le mauvais cidre, c'est la baissière, » (Tout le département.)

Baite et Boite, adj. des deux g, Ivrca Cet homme est balte : » cet homme est ivre. On dit aussi «Il sent la baite,» c'est-à-dire la boisson. (Tout le département.)

Bajeu, s, m. Sorte de gâteau, « Oh ! les bons bajeux, » (Fougères.)

Balai, s, m. Toit, auvent. « Pêche de balais, » moineau des toits, (Tout le département.)

Balai-de-Silenge, s, m. Roseau à balai. Phragmites com- munis. (Fougeray.)

Balivar, s. m. Baliveau, Jeune arbre de haute futaie. (Teillay,)

Ballière, s. f. Paillasse remplie de balles d'avoine ou deflache, sorte de grande graminée des bois appelée Molinia cœrulea. (Tout le département.)

329

Ballinot, s. m. Petite paillasse d'enfant pauvre remplie de balles d'avoine, c'est-à-dire de l'enveloppe floréale de l'avoine. (Tout le département.)

Balluchon, s. m. Petit paquet comprenant tous les vêtements que les domestiques possèdent lorsqu'ils vont se gager, ou quand ils quittent leurs maîtres. (Tout le département.)

Baloce, adj. et subs. Bavard, bavarde. « Oh! la vilaine ba» loce. » (Rennes.)

i^ Balyer, v. a. Balayer, e II fant balyerla maison; allons, balaye

donc. (Tout le département.) Banner, V. n. Pleurer. (Tout le département.) Baôdet, s. m. Ane. (Plerguer.) Baragouiner, v. n. Parler un langage incompréhensible.

De bara, pain, et de gouin, vin. (Tout le département.)

Barassiaux, s. m. pi. Objets sans valeur et embarrassants. « J'ai tant de barassiaux que je ne sais les mettre. > (Tout le département.)

Barattée, s. f. Quantité de lait mis dans la baratte. « Oh ! la belle barattée de lait ! »

Barge, s. f. Meule de paille, de foin ou de fagots. (Tout le dépar- tement.) /Y Barguigner, v. a. Discuter, marchander. Ne terminer une affairé qu'après de longues objections. (Tout le département.)

Barquet, s. m. Baquet. (Tout le département.) A Dingé on

appelle barquet la mangeoire mangent les chevaux. Bas, s. m. Sud. « Le vent est de bas. » (Dourdain.)

Basgoule, s. m. Naïf qui baille aux corneilles. (Environs de Rennes.)

Basse-Heure, s. f. Il est basse-heure, il est tard, la nuit vient. « Il est temps de partir, car il est basse-heure. » (Arrondis- sement de Redon.) On dit Basse-houre dans l'arrondissement de Vitré.

V Bassin, s. m. Être fastidieux, bavard, assommant. (Rennes.)

V Bassinant, adj. Fatigant. (Rennes.)

Bassin-d'or, s. m. Renoncule des champs appelée aussi picd-^ de-coq, Ranunculus borœanus Jordan. (Fougeray.)

330

Bassiner, v, a. Ennuyer. (Rennes.)

Bassouiller, V. n. Parler beaucoup et d'une façon incompré- hensible. (Tout le département.)

Bassouilleur ou Bassouillard, s. m. Qui parle beaucoup et indistinctement.

Bassouilleuse ou Bassouillarde, s. f. (V. Bassouilleur). (Tout le département.)

Bat-de-la-Hanne. Se dit d'un flâneur, d'un paresseux qui s'en va doucement battant de la hanne, c'est-à-dire promenant sa culotte. (Bain.)

BÂTÉE, s. f. La charge d'un âne. « Votre âne a une trop forte

bâtée. » (Saint-Suhac.) Bâton-de-Jacob, s. m. Asphodèle des bois, plante de la famille

des* liliacées. Asphodelus albus. (Rennes.) Bâton-du-Diable, s. m. Plante de la famille des composées.

Cirsium palustre. (La Dominelais.)

Battgué, s, m. Battoir des lavandières. (Tout le département.)

« Mon battoué est cassé, digue don, ma dondaine. »

{Chanson de la forêt de Paimpont.)

Baubillon et Bobillon, s. m. Radoteur. « Oh ! le petit bobillon ! »

Baubillonne et Bobillonne, s. f. Radoteuse. (Tout le dépar- tement.)

Baubillonner et Bobillonner, v. n. Radoter. Ce mot vient de hauhe, qui lui-même dérive du latin balbus.

Bave-de-Coucou, s. f. (V. Crachat-de-coucou.) (Arrondissement de Redon.)

Bayou, se, adj. Qui bave. « Enfant bavou. » Homme qui envoie de la salive en parlant. « Le sale bavou. » (Tout le départe- ment.)

BÉ, s, m. Bec. (Saint-Suliac et Plerguer.)

Bec-de-Grue, s. m. Plante de la famille des géraniacées appelée aussi Herbe à Robert. Geranium-robertianum. (Sainte-Anne- sur- Villaine.)

Beda, s. m. Paysan. C'est presque une injure. « Le vilain gros beda ! » (Tout le département.)

331

Bedailler, V. a. Tirer des coups de fusil. (Bain.)

Bedet, te, sub. Mignon, gentil, aimable. En parlant des enfants : « Mon petit bedet, ma petite bedette : » mon petit mignon, ma petite mignonne. (Ghâteauneuf.)

Bediou, s. f. Cerise. (Plerguer.)

Bedollier, s. m. Cerisier. (Plerguer.)

Bedon, s. m. Bedaine, gros ventre. (Tout le département.)

Bedouaud (Soleil du), s. m. La lune. Se dit d'un coureur de nuit, qui fait ses coups au soleil du Bedouaud. (Fougères.)

Bedoue, s. m. Roseau des marais de Dol et de Châteàuneuf,

employé pour la couverture des maisons. «Maison couverte en

bedoue. » Bedouffle, s. f. Enflure causée par une piqûre d'insecte. (Tout

le département.) Bedouiner, V. n. Promener doucement en bedouinant, en

rêvant. (Bain.) BÈGAUD, s. m. Badaud qui s'arrête à chaque instant pour

regarder avec une curiosité niaise. (V. Basgoule.) (Tout le

département.)

Beiller, V. n. Beugler. « La vache beille, » pour « la vache beugle. » Pleurer. On dit d'un enfant qui pleure. : « Il beille comme une bête! » (Arrondissement de Redon.)

Belinge, s. f. Grosse étoffe, sorte de bure fabriquée dans le pays. (Redon.)

Belou, se, adj. et sub. Boudeur, boudeuse, sournois, sournoise. « Le vilain belou. » (Arrondissement de Redon.)

Beluette, s. f . Étincelle. « Le châtaignier est un mauvais bois pour brûler, il fait trop de beluettes, » il produit trop d'étin- celles. (Bain.)

Bener et Beuner, v, n. Pleurer. « As-tu bentôt fini de bener? » (Bain.)

Ber, s. m. Berceau. « C'est le ber à notre petit gas. » Se dit aussi des pierres branlantes, monuments druidiques. « C'est le ber aux fées. » (Tout le département.)

Berbis, s. f. Brebis, prononcer berrbis. (Arrondissement de Redon.)

332 Berchet, s. m. Derrière, postérieur. (Vitré.) Berciller, V. n. Agiter les paupières. (Argentré.) Berdasse, s. f. Femme radoteuse. « Est-belle bordasse ! » Berdasser, V. n. Radoter.

Berdassier, s. m. Qui radote. Au féminin, berdassière. Berdasseries, s. f. pi. Radotages. (Tout le département.) Berlinguin, s. m. Nom donné au cimetière de Rennes. Berne, s. f. Couverture de coton fabriquée dans le pays. (Saint Médard-sur-IUe.)

Bernique, s. f. Coquillage des rochers de la Manche qu'on va pour enlever et qui se colle avec une telle force qu'il est im- possible de l'avoir, Bernique ! Mot de refus : se dit, à Rennes, en plaisantant. « Tu voudrais bien me suivre, mais bernique. » Berouet, s. m. Bouillon d'une soupe claire et maigre. (Bain.) Berouette, s. f. Brouette. (Tout le département.) Berrouée, s. f. Broussaille. « Le lapin s'est fourré dans la

berrouée. » (Bain.) Berrughet, s. m. Petit oiseau (troglodyte). Appeler un enfant berruchet à Plerguer, c'est lui faire injure en lecomparantà ce pauvre petit oiseau.

Berruchot, s. m. Petit oiseau (troglodyte). (Arrondissement de Redon.)

Bersinier, s. m. Peigneur de laine. (Bain.)

Besaigre, adj. Cidre aigre-doux. (Tout le département.)

Besouan, s. m. Besoin. (Plerguer.)

Betayer, V. a. Déranger une pendule, une montre. « Laisse ma . montre tranquille, tu vas la betayer. » (Champeaux.)

Bête-au-da, s. f. Bête-au-doigt. Onglée. (Arrondissement de

Rennes.) BÊTES, s. f. pi. Animaux d'une étable, troupeau. « Va chercher

les bêtes dans la prée. » (Tout le département.)

Bette, s. f. Betterave. (Tout le département.)

Betoire, s. m. Lieu l'eau se perd dans la terre. Boit-tout. (Saint-Pem.)

Betun, s. m. Tabac. (Tout le département.)

333

Betuner, V. n. Priser. (Tout le département. )

Betunier, s. m. Priseur. Au féminin betunièro, betuncuse.

(Tout le département.) Beu, s. m. Bœuf. (Plerguer.) Beuatre, s. f. Instrument servant à mettre du fourrage aux

bestiaux. (Saint-Aubin-d'Aubigné.) Beulot, s. m. Petit tas. (Gennes.) Beuzin, s. m. Lambin. (Bain.)

Bézer, V. a. Frapper. « J'vas te bézer. » (Tout le département.) Bezille, s. f. Poire sauvage. (Dourdain.) BiAU, adj. Beau. « Les biaux effets, les biaux vêtements.» (Tout

le département.) BiE, s. f. Cruche à cidre. De l'ancien mot buire qui a servi à

faire burettes. (Fougères.) Bien-de-lune, s. m. Bien volé la nuit. Bois de lune, grain de

lune. (Bain.) BiGNE, s. m. Berger. (Saint-Aubin-d'Aubigné.) Bigner, V. a. Regarder une chose avec convoitise. « Il a bigné

les. fruits de notre courtil. » (Tout le département.) Binot, s. m. Ventre des petits enfants. « Il a bien dîné, son

binotesi plein. » (Arrondissement de Redon.) Bique, s. f. Chèvre. Vêtement de peau de chèvre ou de

mouton. (Tout le département.) Birri, s. m. Mouton. Il y a à Bain la fontaine des quatorze

birris, des quatorze moutons. Biser, V. a. Embrasser. « Viens, mon gas, que j'te bise. » (Tout

le département.) Bisquer, v. n. Tourmenter, vexer. Faire bisquer, faire endèver,

(Tout le département.) BiTER, V. a. Toucher. « Vous avez les mains sales, ne me bitez

pas. » (Tout le département.) BiTON, s. m. Chevreau. (Arrondissement de Redon.) BiTROU, s. m. Pâtre. (La Guerche.) Blaighe ou Blèche, adj. Méchant, sournois, qui frappe ou

commet une mauvaise action en se cachant. (Tout le dépar-'

tement.)

334 -

Blaicher ou Blécher, V. a. Faire du mal en se cachant. (Tout le département.)

Blé-de-Vache, s. m. Plante des champs. Rhinanthus arvense. (Langon.)

Blena, s. m. Blé noir, sarrazin. (Arrondissement de Redon.)

Bleu, s. m. Nom donné aux Républicains pendant la Révolution de 4789. « Cachez-vous, les chouans, voici les bleus. » (Tout le département.) y Blosse, s. f. Fruit du prunellier qui sert à faire une liqueur. (Tout le département.)

Bobenne, s. f. Femme distraite. (Dourdain.) \ Bober, V. n. Regarder quelqu'un ou quelque chose avec éton- nement, pendant longtemps, d'un air stupide. (Tout le dépar- tement.) — Se dit aussi d'une personne qui s'endort. « Elle bobe. » (Bain.)

BoBiLLON, NE, s. Rabâcheur, rabâcheuse. (Tout le département.)

BoDET, s. m. Petit veau. (Le Grand Fougeray.)

Bœufs, s. m. pi. Fruits de l'églantier. (Arrondissement de Redon.)

Bogue, s. f. Enveloppe épineuse de la châtaigne. (Tout le département.)

Boguille, s. f. Châtaigne non parvenue à maturité. (Dourdain.)

BoGuiLLÉ ou Boguillou, adj. des deux g. Personne qui a les yeux chassieux. « Elle a les yeux boguilloux. » (Arrondisse- ments de Vitré et de Redon.)

BoiNOU, s. m. Mauvais ouvrier qui n'avance pas à la besogne. (Ghâteaugiron.)

Bois-A-LA-BÊTE, s. m. Troène, arbrisseau à fleurs blanches.

BoisiLLEU, s. m. Bûcheron. (Forêt de Tanouarn en Dingé.)

Bois-PuNAis, Bois-Joli, Bois-a-Sainte-Lugie. Arbris- seau de la famille des Amygdalées. Cerasus Mahaleb. (Fouge- ray.)

BoissoNNER (se), V. pr. S'enivrer. (Fougères.)

Boissonnier, s. m. Ivrogne. (Fougères.)

Boite, adj. des deux g. (Voir Balte.) (Fougères.)

Boiter (se), v. pr. S'enivrer. (Fougères.)

335

Boîtier, s. m. Bûcheron, ouvrier qui travaille le bois. (Dourdain.) Bolée, s. f. Bol plein de cidre de la contenance d'un demi- litre. » Servez-moi une bolée. » (Tout le département.)

Boncorps, s. m. Robuste. « C'est un boncorps: » c'est un homme fort. (Guipel.)

Bonhomme-Grillé, s. m. Plante de la famille des fumariacées.

Fumaria horœi. J. (Aprondissement de Redon.) Bonne-Sente. Bonne odeur. « Via un bouquet qui a bonne

sente. » (Bain.) BoNHOMMiAU, s, m. Vieillard rabâcheur. Au pluriel, des Bon-

hommiaux. (Rennes.) Bonshommes, s. m. pi. Fleurs de la famille des Amaryllidées.

Perce-neige et Narcisse. (Bain.) BORGNiARD, s. m. Mouche de forêt, qui pique les chevaux et

les vaches, (Dingé.)

BORi, s. m. Taureau. (Saint-Grégoire.)

Bouc, s. m. Petite crevette. (Littoral de la Manche.)

BoucARD, s. m. Instrument qui sert à couper le marc de

pommes dans le pressoir. (Dourdain.) BouDET, TE, s. Se dit des enfants. « Est-il boudet! Est-elle bou- dette, » c'est-à-dire mignon, aimable. (Le Minihic.) (V. Bedet.) BouDiNER, V. n. Aller manger du boudin, de la saucisse, chez un parent ou un ami qui a tué un cochon. « Je vas boudiner chez mon cousin Malœuvre. » (Canton de Bain.) Bouée, s. f. Broussaille. (V. Brousse.) (Dourdain.) BouENE, s. f. Mauvaise ouvrière. (Fougères.) BouENER, v, n. Travailler malproprement. (Tout le départe- ment.) BouENOU, s. m. Mauvais ouvrier. Se dit aussi d'un individu qui furette, qui cherche à savoir quelque chose, qui écoute ce qu'on dit. « C'est un petit bouenou. » (Châteaugiron.) BouETON, s. m. Gros sabot. (Dourdain.) Bougonner, v. n. Maugréer. (Tout le département.) Bougre, Bougresse, Bougrine, excl. Jurons. « Vilain bougre ! Sacrée bougresse ! Nenni, bougrine, je n'f rai point ça. » (Tout le département.)

336

Bouillon, s. m. Boue. Les chemins sont pleins de l)ouiUoii. (Bain.)

Bouillon-Blanc, s. m. Plante de la famille des Verbascées. Verbascum thapsus. (Tout le département.)

Bouillonner, v. a. Salir de boue. « Il a bouillonné ma blouse. )■>

(Arrondissement de Redon.) BouiLLONNOUx, SE, adj. Couvert de boue, t Un chemin bouillon-

noux, une blouse bouillonnouse. » (Arrondissement de Redon.)

BouiNiAS, s. m. Habitants de Bain. (Arrondissement de Redon.)

BouQUER, V. a. Bouder. (Dourdain.)

Bouquet, s. m. Toutes les fleurs sans exception. Un paysan du canton de Bain vous dira, en vous offrant une seule fleur : « Voulez-vous mon bouquet ? » Le mot fleur est presque inusité,

Bourdaine, s. f. Arbrisseau des bois. Rhamnus Frangula. {Tout

le département.) BouRDÉ, E, adj. Charriot bourde, charrette bourdée, c'est-à-dii"e

embourbés, arrêtés dans une ornière. (Arrondissement de

Redon.) BOURDER, V. n. Embourber. « C'est un mauvais charretier ; il est

'toujours bourde. » (Arrondissement de Redon.) BouRDiN, s. m. Boudin. (Plerguer.)

Bourge;ois, se, s. Toutes les personnes de l'arrondissement de Redon, un peu à l'aise, appellent leurs maris noV bourgeois. De même, quand on entre dans une ferme, si on veut parler à la fermière, on dit : « La bourgeoise est-elle ? »

BouRGOTTER, V. a. Travailler avec peine. Un vieillard qui n'a plus la force de travailler bourgotte. (La Guerche.)

BouRRiER, s. m. Grain de poussière. « Il a un beurrier dans l'œil. » (Bain.)

BouRRiERS, 8. m. pi. Mauvaises herbes, ordures. (Tout le dépar- tement.)

BouRROLER, v. ï\. Marcher en se dandinant à la manière des

canes. (Louvigné de Bais.) BoijRSÉE, 6. f, Bourse pleine d'qr ou d'argent, a II a trouvé une

boursée d'or. » (Elssé.)

337

BouRSOULE, S. f. Brouette. (Bain.) On dit Boutsoule dans l'ar- rondissement de Saint-Malo, à Plerguer, notamment,

BouRSOULÉE, s. f. Brouette pleine. « Une boursoulée de sable. » (Presque tout le département^)

BousÉE, s. f. Tas de fiente de bœuf, de vache, (Tout le dépar- tement.)

BouTEiLLÉE, s.f. BouteiUc pleine de cidre ou de vin. «.Tbairions hen une bouteillée de cidre. » (Tout le département.)

Bouter, v. n. Se tenir debout. Ou bien encore placer bout à bout. (Ghâteaubourg.)

Bouton-d'Argent. Renoncule blanche des jardins. (Fou- geray.)

BOuton-d'Or. Renoncule jaune des champs. (Tout le dépar- tement.)

Bouziller, V. a. Faire un travail inutile, ou le faire sans soin.

BouziLLEUR, Bouzilleuse, S. Qui bouzille.

BouziLLOU, s. m. Un bouzillou est une personne qui ne travaille pas sérieusement, qui perd son temps à faire des choses inu- tiles. (Arrondissement de Redon.)

Bouzine, s. f. Vessie. (Tout le département.)

Braies, s. f. Culotte. Prononcer Brées. (Bain.)

Braire, v. n. pleurer. (V. Brève.)

Brané, e, adj. Crotté. « Est-il brané! » Est-il crotté. (Dingé.)

Branloire, s. f. Balançoire. (Arrondissement de Montfort.)

Brandouiller, v. a. Balancer. « V'ià des enfants qui se bran- douillent. » (Gennes.)

Brangé, e, adj. Trempé de sueur. « J'ai tant couru que je suis brangé. » (Saint-Médard-sur-IUe.)

Bravée, s. f. Longue conversation. Temps perdu. (Bain.)

Brées, s. f. pi. Les brées, les bas, le pantalon. Pour les femmes, les bas. (Bain.)

Breilles, s. f. pi. Pantalon. (Plerguer.)

Brêlé, e, adj. Se dit de quelqu'un qui a les jambes mouillées par la rosée. « Il est brêlé. » (Bain.)

Brelinguette, s. f. Clochette, (Dourdain.)

338

Brenée, s. f. Repas des animaux. On dit aussi, quand on a

mangé une grande écuellée de soupe ou de lait : « J'ai pris ma

brenée. » (Environs de Rennes.) Brère, V. n. Pleurer. « Il bré, le pauvre éfant. » Brin, loc. adv. Un peu. «J'ai dansé un brin. » Brin, sub. On

dit en parlant d'une belle fille. « C'est un beau brin de fille. »

(Tout le département.) Broc, s. m. Prononcer Bro. Petite fourche en fer qui sert à

mettre le foin dans les râteliers des bestiaux. (Arrondis- sement de Redon.) Brocher, v. a. Tricoter. (Tout le département.) Broches, s. f. pi. Aiguilles à tricoter. (Tout le département.) Bronée, s. f. Repas des animaux. « La vache garette a eu sa

bronée. » (Betton.) Brosilles, s. f. pi. Brindilles de bois. (Bain.) Brou, s. m. Lierre. (Tout le département.) Brousse, s. f. Broussaille. Lapin de brousses. (Arrondissement

de Redon.) Brouton, s. m. Jeune veau. (Dourdain.) Broutu, adj. Couvert deherre. «Pignon broutu : » pignon d'une

maison couverte de lierre. (Bain.) Brûlerie, s. f. Incendie. « La brûlerie a commencé par l'étable. »

(Arrondissement de Saint-Malo.) Brunette, s. f. Fauvette des haies appelée traîne-buisson.

(Dingé.) Buaille, s. f. Fagots de genêts ou de broussailles pour chauffer

le four. (Bain.) Bûcher, v. a. Tailler la soupe. « As-tu bûché la soupe?» Couper

le pain pour mettre dans la soupe. (Gardroc.) BuARET, s. m. Buisson. (Dourdain.) Bue, s. f. Grande cruche en terre qui sert pour aller chercher

de l'eau à la fontaine. (Saint-Just.) Buée, s. f. Lessive. (Bain.) BuiE, s. f. Grande cruche en terre qui sert pour aller chercher

de l'eau à la fontaine. (Bain.) Butté, e, adj. Découragé. « Je n'ai pu de cœur au travail, je suis

butté. » (Arrondissement de Montfort.)

339

+

Ca, s. m. Nourriture, friandise, tout ce qui se mange. « C'est chez M. le curé qu'on mange de bon ca. »^C'est du bon ou du mauvais ca. (Bain.)

Caboche, s. f. Tête, grosse caboche. (Arrondissement de Redon.)

Cabosse, s. f. Bosse au front, à la fi^re, suite de coups, défor- mation.

Cabosser, v. a. Déformer. « Il a cabossé son chapeau. » (Arrondissement de Redon.)

Caca, s. m. Ordures. (Tout le département.)

Cachignard. s. m. Chicanier, (Tout le département.)

Cachigner, V. a. Chicaner. (Tout le département.)

Cachot, s. m. Grand panier en osier. (Arrondissement de Redon.)

Cadoret, s. m. Jeu d'enfant. Sorte de tonton composé d'un bouton de culotte traversé d'une cheville sur laquelle on le fait tourner. (V. Pinu.) (Bain.)

Cafoin, Gafignon, s. m. Mauvais café. (Fougeray.)

Cagibi, s. m. Hangar, appentis de décharge. (Tout le dépar- tement.)

Caguena, s. m. Cadenas. (Tout le département.)

Caillelait, s. m. Plante de la famille des rubiacées. Galium verum. (Tout le département.)

Cailles et Caillebottes, s. f. pi. Lait caillé, le plus souvent cuit. (Tout le département.)

Caillibote, s. f. Fleur d'un arbrisseau, appelée aussi Boule-de- Neige. (Messac.)

Caillibotier, s, m. Arbrisseau connu sous le nom de Viorme. Viburnum opulus. (Bain.)

Cajot, s. m. Petit panier plat, presque sans bords, dans lequel on vend à Rennes des cerises, des fraises, des petits pois.

- 340

On dit un cajot de fraises, un cajot de cerises. « Combien le cajot ? » Calbasson, s. m. Grand panier de bourdaine qui sert principa- lement aux tanneurs pour transporter le tan. ('Tout le dépar- tement.) A Gennes on dit Carbasson.

Caneçon, s. m. Caleçon. « Il n'a pas mis son caneçon de bain. » (Rennes.) On dit aussi dans les faubourgs de Rennes en par- lant d'un jeune homme qui court les filles : « Il est du caneçon. »

Canette, s. f. Jouet d'en£|nts : billes. (Tout le département.)

Cani, s. f. Caneton, petit canard. On appelle les canetons: Cani, cani, cani, cani, pour leur donner à manger. (Gennes.)

Canias, s. m. Goéland. (Bords de la Manche.)

Cani AU, s. m. Petit chien, (Dourdain.)

Canne, s. f. Petite sonde en fer-blanc qui sert à extraire du cidre par la bonde d'un tonneau. (Gennes.)

Canner, v. a. Opération qui consiste à extraire du cidre d'un tonneau non percé au moyen d'une sonde introduite dans la bonde. (Gennes.)

Canot, s. m. Mesure pour les grains. (Fougères.)

Cape, s. f. Capuchon qui recouvre les coiffes des femmes du

littoral de la Manche. Caperiole, s. f. Cabriole. (Arrondissement de Redon.)

X Capot, s. m. Capuchon destiné à recouvrir les coiffes des femmes de la campagne lorsqu'elles sont en deuil, ou lors- qu'elles veulent se préserver de la pluie. (Arrondissement de Redon.)

Carmiole, s. f. Vêtement serrant la taille des paysans. (Dour- dain.)

Carrau, s. m. Blé noir. (Fougères.)

Carreau, s. m. Plancher. « Il est tombé sur le carreau. » (Tout le département.)

Casse, s. f. Lard rôti au four. (Bain.)

Casterolle, s. f. Casserole. (Tout le département.)

Castilles, s. t pi. Groseilles en grappes. (Bain.)

_ 341

Castillier, s. m. Groseiller qui produit des groseilles en grappes, (Bain.)

^ Castonade, s. f. Cassonade, sucre. (Tout le département.)

Cat, s. m. Chat. (Fougères.) Ce mot vieot de la Normandie,

Catelonne, s. f. Couverture de laine. (Saint-Médard-sur-IUe.)

Catiole, s. f. Grande coiffe de femme retombant sur les épaules. (Tout le département.) On appelle aussi Catiole, dans le canton de Saint-Aubin-d'Aubigné, la digitale, plante des terrains schisteux : Digitalis purpurea. L.

Cepiller, V. a. Houspiller. (Tout le département.)

Cerglière, s. f. Châtaigneraie. Taillis de châtaigniers pour

faire du cercle. (Tout le département.) Cerise, s. m. Marmelade de cerises. (Redon.)

Cernayer, V, a. Faire le tour d'une place, d'une table, d'une

chambre, (Cardroc.) Chable, s. m. Herse. Instrument de labourage, (Saint-Médard-

sur-Ille.) Chabler, V. a. Synonyme de herser. Passer la herse dans un

champ. (Canton de Saint-Aubin-d'Aubigné.)

Chaffourer, V. a. Poursuivre, effrayer un chat ou un chien. (Tout le département.)

Chaigne, s. f. Chaîne. « Prends la chaignè du puits pour aller tirer de l'eau. » (Tout le département.)

Chaire, s. f. Chaise. « Prenez une chaire et siétez-vous. »

Chaitre, V. n. Choir, tomber. Il va chaître, il va tomber. (Dingé.)

Ind. pi^ésent. Je chas, tu chas, il chas.

Chambranler, V. n. Ne pas tenir debout, ne pas être

d'aplomb, « Quand j'ai bu un coup, je chambranle. » (Tout le

département.) Chambreu, s. m. Bruant, oiseau de la famille des granivores.

(Bain.) Chamillard, s. m. Boisson faite avec le marc des pommes,

(Rennes.)

342

Champagne, s. f. Grand champ. (La Guerche.) Synonyme de Domaine, de l'arrondissement de Redon.

Chandelle, s. f. Arum des haies, appelé aussi Gouet, Arum maculatum. (Bain.)

Chanteau ou Chantiaû, s. m. Chanteau de pain, croûton de pain. (Arrondissement de Redon.)

Chaôsses, s. f. Bas. « Fouille donc tes chaosses. » (Plerguer.) (V. Chausses.)

Chapet ou Chapiau, s. m. Chapeau. (Tout le département.)

Chaput, s. m. Petit billot de bois dans la cour des fermes.

(Saint-Gilles.) Charte, s. f. Charrette. (Tout le département.) On dit cherté

dans l'arrondissement de Saint-Malo, du côté de Plerguer.

Charpelouse, s. f. Chenille. (Arrondissement de Redon.)

Chas, s. f. Herse. (Guipel.)

Chassou, s. m. Chasseur. Des chassoux. (Tout le département.)

Chatter, V. a. Herser. (Guipel.)

Chat d'Écurê, s. m. Écureuil. « En revenant de la messe, j'ai vu un biau chat d'écuré. » (Arrondissement de Redon.)

Chat-huchet, s. m. Chat-huant (chat qui huche). (Canton de Saint-Aubin-d'Aubigné.)

Chatrou, s. m. Homme qui châtre les animaux. (V. Gourou.) (Saint-Germain-sur-IUe.)

Chaudebaire, adj. État d'ébriété. « Cet homme est chaude- baire, » c'est-à-dire gris, demi-ivre. (Tout le département.)

Chauminerie, s. f. Chaumière, chaumine. « C'est que j'aperçois, guenillon, ma chauminerie. » (Vieille chanson de l'IUe-et- Yilaine.)

Chausses, s. f. Bas. « J'ai les chausses mouillées. » (Redon.)

Chauvire, V. n. Sourire. « Tiens, comme il chauvit. Il est ben content. » (Arrondissement de Fougères.)

Ché, adj. Cher, qui coûte beaucoup. « Je n'achèterai pas ça, c'est trop ché. »

Cheier, v. n. Choir.

-^

343

Indicatif présen t . Imparfa it . Passé défini.

Je chais ou je ché. Je chéiais. Je chéis.

Tu chais ou tu chés. Tu chéiais. Tu chéis.

Il chait ou il ché. Il chéia. Il chéit.

J'cheions. Je chéiions. Je chéîmes.

Vcheiez. V'chéiiez. "V'chéîtes.

Ils chaitent. Ils chéiaient. Ils chéirent.

Ghen, s. m. Chien. On dit aussi de quelqu'un qui est malin, rusé : « Est-il chen! » (Arrondissement de Redon.)

Chenillard, s. m. Tricheur. On dit aussi : Tu chenillardes, pour : tu triches. (Rennes.)

Gheniller, V. n. Tricher. « Tu chenilles, tu triches. » (Rennes.)

Chenu, adj. m. Bon. « V'ià de bon cidre, c'est du chenu. » (Bain.)

Chenucher, V. n. Pleurer. (La Guerche.)

Cherdir, V. a. Caresser. « Il cherdit les filles : il caresse les filles. » (Arrondissement de Redon.)

Chère ou Chèse, s. f. Chaire d'église. « Qu'a dit le prêtre en chèse? » (Tout le département.)

Chérette, s. f. Petite charrette. (Pipriac.)

Chérue, s. f. Charrue. (Plerguer.)

Chéruer, V. a. Labourer avec la charrue. (Plerguer.)

Cheuilne, s. m. Chêne. (Plerguer.)

Cheuilre, s. f. Chaise. (Plerguer.)

Cheveux-du-Diable. Plante de la famille des cuscutées. « Cus- cuta epilinum. » (La Dominelais.)

Ghevir (S'en), v. pr. S'en rendre maître. « Cet enfant est si méchant que je ne puis m'en chevir. » (Tout le département.)

Chèvre, s. f. Grosse sauterelle. (Bain.)

Ghian, s. m. Chien. (Plerguer.)

Chias, s. m. Grande barrière d'un champ. (Fougeray*)

Chiaugeron. Châteaugiron, chef-lieu de canton de l'arrondis- sement de Redon.

Chieu, s. m! Clos. (Canton de Bain.)

Ghinau ou Ghinao, s. m. François, prénom d'homme. (Pler- guer.)

23

344

Ghinchée, s. f. Prise de tabac. « Voulez-vous une chinchée? »

(Tout le département.) Chincher, V. n. Priser du tabac. (Tout le département.) Ghinchoïre, s. f. Tabatièi'e. i(Tout le département.)

CniNCHON, s. m. Chéri, préféré. En parlant d'un enfant: « Celui-ci, c'est mon petit chinchon: » mon petit Benjamin.

€hinchonner, V. a. Caresser. « Pauvre petit, il a besoin d'être chinchonnè. » (Tout le département.)

Ghinte, s. f. Fourrière d'un champ remplie de fougères et de mauvaises herbes. (Dourdain.)

Chiottes, s. f. pi. Latrines en plein air. (Arrondissement de

Redon.) Chiper, v. a. Voler. (Dourdain.) Chipeur, s. m. Voleur. (Dourdain.) Ch'mineuille, s. f. Cheminée. (Plerguer.) Choc, s. m. Socle, soulier à semelle de bois. « J'vas prendre

mes chocs. » (Environs de Rennes.)

Chômer, v. a. Mettre debout. Se tenir debout. « Chôme ta, mon gars. » Il existe dans la commune de Laillé, un menhir qui est connu dans le pays sous le nom de la pierre qui chôme.

Dicton : « Sac vide ne chôme pas. » Qui veut dire que les forces vous font défaut quand on ne mange pas.

Chopeau, s. m. Nom donné au chat-huant, dans l'arrondis-

semont de Redon. Choper, v. n. Dormir malgré soi à table, dans une chaise, etc. Chouan, s. m. Nom donné au hibou dans tout le département. Chu, part. pas. de choir. « Il a chu du pommier. » Chuchot, s. m. Sommet de la tête. « Le soleil m'a frappé sur

le chuchot. » (Tout le département.) Chutet, 15. m. Jeune chien. Au pluriel chatiaux. (Canton de

Bain.) CiÉ, s. m. Ciel. (Redon.) Cioovi, s. m. Bonnet rouge. (Dourdain.) Claie, s. f. Barrière d'un champ. (To«t le dépailement.) Clairette, s. f. Cerise. (Pleurtuit.)

345

Glampin, s. m. Fainéant, paresseux. (Tout le département.) Glampiner, V. n. Se dissimuler, se eacher au moment du

danger. « Il a clampiné. » (Tout le département.) Clanche, s. m. Clinche, loquet de porte. (Tout le département.) Glas, s. f. Treillis en bois pour mettre la galette. (Dourdain.) Clèze, s. f. Gerise. (Se prononce slèze.) (Arrondissernen* de

Redon.) Clochette, s. f. Jacinthe des bois. (Arrondissement de Redon.) Gloseiz pour fermez. Les nourrices disent à leurs enfants quand

elles veulent les endormir : « Glosez-vos-n'œils, » pour fermez

les yeux. (Littoral de la Rance.) Cocar, s. m. Soulier. De biaux cocars. (Arrondissement de

Redon.) Cocarde, s. f. Nom donné à la renoncule des prés appelée

Ficaire, Ficaria ranonculoides . GoGONNiER, s. m. Marchand d'œufs et de volailles. (Tout le

département.)

Cœuru, e, adj. Bien portant. « Via un gas cœuru. »(Tout le département.)

CoGER, v! a. Contraindre, obliger. « Il ne veut pas payer, il faut le coger. » (Montfort.)

Cohue, s, f. Foire, marché. Place de la cohue, pour place du marché. (Rennes.) On dit dans l'arrondissement de Redon, en parlant d'une foule : « Quelle cohue 1 C'était une vraie cohue ! »

Coin-de-Beurre, s. m. Beurre façonné en cône. (Fougères.)

COLiNETTE, s. f. Collerette. (Gennes.)

Collin-Tampon, s. m. Homme qui s'occupe des détails du ménage. (Bain.)

Coma, s. m. Argile, terre glaise. « C'est du coma. » (Saint-Au- bin-d'Aubigné.)

CoMÉGUiENS, s. m. pi. Saltimbanques des foires. « Allons voir les coméguiens. » (^Arrondissement de Vitré.)

Compère, s. m. Sorte de c<3rset des paysanes. (Dourdain.)

CÔNES, s. f. pi. Cornes. (Tout le département.)

CoNiE, s. f. Corbeau. Tous les corbeaux sont appelés conies et conilles dans le département-

346

CôNiÈRES, S. f. Coin de champ. (Bain.)

Contée, s. f. Histoire, conte, fable, g Si tu es gentil, je vas te dire une contée. » (Saint-Médard-sur-Ille.)

Conter, v. n. Causer, converser. « Nous allons conter de ça tantôt : » nous allons causer de telle chose tantôt. (Guipel.)

Cop^, s. m. Estomac. (Dourdain.)

CopiAux, s. m. pi. Copeaux. (Dingé.)

Coq, s. m. Coiffe des femmes de Dinard Saint-Enogat.

CoQU.iNER (de la tête), v. a. Balancer de la tête de haut en bas.

(Saint-Suliac.) Cor, adv. Encore. (Tout le département.) CORBiN, s. m. Corbeau. (Bain.)

•^ Cossu, E, adj. Confortable. On ne dit pas d'une toilette légère, élégante, qu'elle est cossue; mais on dit d'une personne habillée de bonne étoffe : « Elle a un pouillement cossu. » (Bain.) CoTi, adj. Yeuxcotis, c'est-à-dire gros, sortant de l'orbite. « Ce serait-j/ une belle marraine si elle n'avait pas les yeux cotis ! » (Tout le département.)

CoTiR, V. irrég. Faire un bruit éclatant en frappant avec la main. « Il m'a tellement gifflé que ça a coti. » (Tout le dépar- tement.)

Cotte, s. f. Couette, lit de plumes. (Gévezé.)

Couarde, s. f. Mare. (La Guerche.)

Coucou, s. m. Primevère officinale. (Bain.)

Couée, s. f. Une couée de garçailles, c'est-à-dire un grand nombre d'enfants. (Arrondissement de Redon.)

Coulée, s. f. Vallée. « La fraîche et verte coulée. » (Tout le dépar- tement.) CouRAiGE, s. m. Courage.

« Pour donner du couraige Au bon gars Mathurln. » {Chanson de Paimpont.)

CouRBÈCHE, S. f. Pique. Instrument qui sert ordinairement à arracher les pommes de terre. (Arrondissement de Vitré.)

GouROU-DE-PocHÉES, S. m. Garçon meunier qui s'en va avec un

_ 347

cheval ou un âne chercher le grain à domicile. (Tout le dépar tement.)

y(^ CouRTis, s. m. Ce mot dilTère de Courtil en ce sens qu'il s'agit d'une cour de maison, souvent cultivée en jardin. (Fou- gères.)

Cousin, s. m. Nom donné à la Bardane, plante. Lappa minor. (Tout le département.)

CousiNER, V. n. Se rendre visite, se voir souvent. On dit aussi d'une personne qui a les jambes mal faites, qui les frotte l'une contre l'autre : « Elle cousine des jambes. » (Gennes.)

GouTAGE, s. m. Dépense, o Je n'irai pas à Rennes, c'est un

trop grand coutage. » (Bain.) GouTAGEUX, SE, adj. Gher, chère. « C'est un dîner coutageux. »

« La nourriture est coutageuse. » (Bain.) GouTET, s. m. Couteau. Au pluriel coutiaux. (Arrondissement de

Redon.) GouTissE, s. f. Lanière de cuir. « Une bonne et belle coulisse. »

(Arrondissement de Redon.) Couver, s. m. Paysan. C'esst presque une injure. « vas-tu,

vieux Couyer ? » (Tout le département.) Couyer est aussi le

nom d'un instrument servant au faucheur à mettre sa pierre

à aiguiser. (Mordelles.) Crachat de Coucou, s. m. Flocon d'écume qu'exhale de son

corps un insecte, espèce de puceron qui vit sur les genêts

principalement. (Tout le département.)

Craie, s. f. Croix. (Arrondissement de Vitré.)

Crampire, s. f. Pomme de terre, (Arrondissement de Redon.)

Graquelinier, ère, s. Fabricant ou marchand de craquelin.

Après l'incendie de Saint-Malo, en 1661, les craquelinières,

(marchandes de craquelins) furent transférées au Grand-Pla-

citre. Grasiner, V. a. Tisonner le feu. (Gennes.) Crason, s. m. Homme qui passe sa vie au coin du feu à cra-

siner. (Bain.) Crasse, s. f. Mauvaise action, vilenie. Il m'a fait une crasse

que je ne lui pardonnerai pas. » (Tout le département.)

348

Crassoux, se, adj. Personne sale, ou avare. « C'est un cras- seux ! » (Tout le département.)

Cressonnettk, s. f. Plante de la famille des crucifères. Lepi- dium sativum. (Tout le département.)

Crête-de-Goq, s. f. Plante de la famille des scrofulariées. Rhinanthus major. (La Dominelais.)

Grezée, s. f. Clairière d'un bois, mot très usité dans la forêt de Paimpont et notamment au village du Canée nous l'avons entendu.

Cret. Ind. prés, du verbe croître. « Il cret : » il croît, il gran- dit. « Il a cressu. Il cret cor. »

Creuler, V. n. Bruit des gaz dans l'abdomen. (Dourdain.)

Crir, V, a. Aller chercher, t Va cri mon mouchoir de poche. »

(Tout le département.) Croc, s. m. Petit instrument de jardinage emmanché d'un long

pied. (V. Houette.) (Gennes.)

Crochetée, s. f. Fruits réunis en grappes. « Une crochetée de

cerises. » (Bain.)- Cropet, s. m. Petit tas se terminant en spirale. Nom familier

donné à un enfant. < Mon cropet, » (Tout le département.)

Crottou, se, adj. Couvert de crotte. « Un homme crottou, une femme crottouse. » (Bain.)

Crouil, s. m. Verrou, (Tout le département.)

Grouiller, v, a. Fermer une porte à clef, « N'oublie pas de crouiller la porte. » (Tout le département.)

Croustin, s. m. Vieux chapeau. (Arrondissements de Rennes et de Redon.)

Cru, e, adj. Mouillé. « Je suis cru; elle est crue : » je suis mouillé, elle est mouillée. (Canton de Saint-Aubin-d'Aubigné.)

Cruaire, s. f. Endroit non cultivé d'un champ pour le service des charrettes. (Redon.)

Cruche, s, f. Partie de l'arbre d'où partent les branches, (Fou- gères.)

CuÉT, E, adj. Cuit, cuite, « Pain cuét, viande cuéte. » (Dingé.)

CuEUTET, s. m. Couteau. (Arrondissement de 'Vitré.)

349 CuiLLÉ, S. f. Cuillère {prononcer eue). (Dingé.) GuN, NE, sub. Chien, chienne. Appelle donc ton enn. » (F^ou- gères.)

CuPERSAUT, S. m. Culbute. (Dourdain.)

CuRio, s. m. Choriste, enfants de chœur, du vieux français

cureau, mais on prononce curio dans l'arrondissement de

Redon. CUTEAU, s. m. Couteau. (Guipel.) CuTER, V. a. Cacher. (St-Malo.) CuviAU, s. m. Baquet en bois dans lequel on donne à l)oire aux

bestiaux. (Canton de Saint-Aubin-d'Aubigné.)

Da, s. m. Doigt. « J'ai ma au da : » j'ai mal au doigt. (Plorgiier.) Dafût (mal), loc. adv. Mal portant. (Dourdain.) Daig, s. m. Doigt. Au pluriel Daigs. « La fré ma gueroué les daigs : » Le froid m'a glacé les doigts. (Arrondissement de Redon.) Dalet, s. m. Garniture d'un bonnet de femme. (Bain.) Dame oui. Dame non, Dame je ne sais pas, Interj. C'est par

notre Dame. (Tout le département.) D'amois (comme), loc. adv. Comme d'habitude. « Faites ça

comme d'amois.» Damoiselle, s. f. Demoisellle.

<f Si damoiselle je ne suis point. J'ai ben moyen de l'être. »

{Vieille chanson de VlUe'el-Vila'me.)

Dampie, prép. Depuis. (La Guerohe.)

Dansou, se, sub. Danseur, danseuse, t Les dansoux sont partis

laissant les danseuses. » (Tout le département.) Dauber, v. a. Frapper. « Je l'ai daubé d'importance. » (Tout le

département.)

350

Dayot ou Deyot, s. m. Linge qui enveloppe un doigt malade. « Mets-moi un dayot, je me suis coupé. » (Tout le départe- ment.)

Deberauder, V. a. Désennuyer. « Je promène les garçailles pour les déberauder. » (Arrondissement de Redon.)

DÉBINE, s. f. Misère. « Il est ruiné, le v'ia dans la débine. » (Bain.)

DÉBINER, V. a. Dire du mal de quelqu'un. « Je l'ai joliment débiné. > (Bain.)

Débit, s. m. Bruit, tapage. » Quel débit vous faites, voulez-vous bien vous taire, > (Bain.)

Debord, s. m. Diarrhée. « Jules a le debord. » (Tout le dépar- tement.)

Débouler, v. n. Rouler, tomber en roulant. (Tout le dépar- tement.)

Débraillé, e, adj. Personne quia le cou et les épaules à l'air, homme dont le pantalon n'est pas boutonné. Femme qui a le corsage ouvert. « Il est débraillé, elle est débraillée. » (Tout le département.) A Bain, on dit : Debersaillé, e.

DÉCANICHER ou DÉCANiLLER, V. a. S'arracher avec regret de son lit ou d'un lieu de paresse. « Attends, je vas te déca- niller tout à l'heure. » (Tout le département.)

DÉCARCANER, V. n. Tomber d'un endroit élevé. « Il est décar- cané du haut de ce chêne. » (Tout le département.)

DÉCLAViR, V. a. Ouvrir, t II faut déclavir la porte : » ouvrir la porte. (Gennes.)

DÉCROUiLLER, V. a. Faire tomber d'un arbre un objet arrêté par les branches. « Ma tèque est encrouillée, /vas la décrouiller à coups de pierre. » On dit aussi décrouiller la porte, ouvrir une porte fermée à clef. (Arrondissement de Redon.)

Defilandée, s. f. Foule de choses. (Bain.)

Defoutrailler, V. a. Déranger. Mettre tout en désordre. « Il a defoutraillé mes hardes. » (Rennes.)

DÉFUNTE, E, adj. Qui n'existe plus, qui est usé. « Mes chemises sont défuntées. » (Environs de Rennes.)

DÉGÊNER (Se), V. p. Se soulager. Raconter ses chagrins à quel-

_ 351 -^

qu'un. « Je lui dis tout ce que j'ai sur le cœur, ça dégêne. » (Tout le département.)

DÉGRAMATiSER, V. a. Dégrader. Enlever l'enduit d'un mur. « Ces enfants dégramatisent tout dans la maison. » (Tout le dépar- tement.)

Degrigner, V. n. Montrer les dents, se dit d'un chien qui grogne, qui montre les dents. (Bain.)

Déjouer (Se), v. pr. Se remuer, s'empresser. « Déjoue-<a, mon Pierre, pour finir ta besogne. » (Tout le département.)

Deligandier, s. m. Individu déhanché. (Bain.)

Demi-heure, s. f. Midi et demi, c II était une demi-heure quand . j'ai quitté le village, » c'est-à-dire qu'il était midi et demi. (Arrondissement de Redon.)

Demusser, V. a. C'est le contraire de musser. « Cet anneau s'est demussé de sa tringle, » c'est-à-dire a glissé. (La Selle-en- Luitré.)

Deniger, V. a. Dénicher un nid. « J'ai dénigé un nid de mêle: » j'ai déniché un nid de merle. (Tout le département.)

Dépiauter, v. a. Dépouillerun animal. « Dépiaufer un lièvre pour en faire un civet. » On dit aussi Épiauter. (Tout le dépar- tement.)

Deplet, s. m. Long bavardage. (Betton.)

Depochée, s. f. Aller s'installer chez quelqu'un pour y passer les vacances. « Via une depochée gênante pour les amis qui ne s'y attendaient pas. » (Arrondissement de Redon.)

Depocher (Se), V. pr. S'imposer. Aller vivre quelque temps chez des amis, c'est se depocher. (Arrondissement de Redon.)

Deponasser, v. a. Détruire un nid d'oiseau, l'arracher, le briser. J'ai entendu, près de Rennes, des enfants crier à un petit dénicheur de nid grimpé dans le haut d'un arbre : « Deponasse le nid, s'il n'y a rien dedans. »

Dequetrasser, v. a. Jeter quelqu'un par terre en luttant. « Il ni'a dequetrassé. » (Mordelles.)

Derincer, v. a. Déraciner un arbre, l'arracher. (La Guerche.)

Dérivée, s. f. Idée malheureuse. « Il n'a que des dérivées pareilles. » (Bain.)

352

Desalmenté, e, adj. Dissipé, turbulent, (Bain.)

Deul, s. m. Chagrin, se prononce de. « Le pauvre homme o

perdu son gars, il a ben du deul. » (Bain.) Dévalée, s, f. Pente, versant d'un coteau, e J'ai laissé ma

charte dans la dévalée. » (Tout le département.) Devantiau ou Devantière, sub. Tablier de femme. (Tout le

département.) Devarinade, s. f. Partie de plaisir. « Nous sommes en devari-

nade. » Se dit aussi d'un ouvrier qui a quitté son travail pour

s'amuser, e II est en devarinade. » (Bain.) Devouillette, s. f. Diarrhée, dévoiement.(Gennes.) Dic, prép. Jusque. Die là-bas, die à Rennes, die à Mor-

delles. (Rennes.) Dierie, s. f. Menterie. (Arrondissement de Redon.) Diffamé, part. pas. La petite vérole l'a diffamé, l'a rendu laid.

(Montfort.) DiOT, E, adj. Bête, t Est-il diot\ Est-elle diotel » (Saint-Màlo.) Dique, prép. Jusque. (V, dic.)

« Elle a de grands cheveux jaunes. Descendant dique es talons. »

(Vieille chanson du département.)

Disons (Que). Int. Que dites- vous? Très usité dans l'arrondis- sement de Redon. D'nité, loc. adv. D'habitude. Dicton : « C'est d'nité

Comme une poule à gratter. »

(Saint- Sulpice-des-Landes.)

Do, prép. Avec, ensemble, t Je vas do ta : t je vais avec toi.

(Tout le département.) DoLETTES, s. f. pi. Petits copeaux de bois, retailles de cercles.

(Bain.) DoLOiRE, s. f. Hache de charpentier. (Dourdain.) Domaine, s. m. Très grand champ de l'arrondissement de

Redon.

DoNDAiNE et DONDON. Refrain de chanson. (Tout le départe ment.)

353

DONDON", S. f. Grosse et forte fille. « J'espère que v' la une grosse dondon. » (La Gouyère.)

DONGÉ, s. m. Dégoût. « J'ai dongé à manger dans cette maison,

c'est trop sale. J'ai un dongé ! » (Tout le département.) DoNNAisoN, s. f. Donnation, testament. (Arrondissements de

Rennes et de Redon.) Donne, s. f. Donnation, testament. (Gardroc.) DossE, s. f. Instrument en forme de racloir pour couper la

lande. (V. Lande.) (Bain.) DossER, V. a. Action de couper la lande. (Bain.) Doucette, s, f. Valérianelle des jardins. (Tout le département.) DoiTÉ, DouET, s. m. Lavoir, «Les lavandières au bord dudoué, »

(Tout le département.) Draillée, s. f. Fouaillée. Une mère qui frappe sur les fesses

de son gars lui donne une draillée. (Arrondissement de

Redon.) Draine, s. f. Air, chanson, que l'on entend constamment. (Tout

le département.)

Drapiau, s. m. Couche des petits enfants. (Tout le départe- ment.)

Dré et Dret, adj. Droit. « Allez dré devant vous. G'est dret-là- lin. » (Arrondissement de Redon.) Bré-là, pour là-bas. (Pler- guer.)

Dressoir, s. m. Grédence, étagère l'on range la vaisselle.

(Tout le département.) Drue, s. f. Jeu de bouchon. La drue, c'est le bouchon, ou mieux

le morceau de bois taillé sur lequel on place la monnaie.

« Mets ton sou sur la drue. » (Bain.) Druger, V. n. Jouer, s'amuser, lutter surtout. « Veux-tu dru-

ger o ma ? Vère. Ils vont se faire du ma. Nenni

fdrugeons. » (Tout le département.) Drugette, s. f. Lit de jeunes mariés. (Fougeray.) DuMÉ, s. m. Duvet. « Gomme cette oie a du dumé! » (Gennes.) Dusse, adj. Dur. « La porte du greniet* est dusse à ouvrir. »

(Gesson.)

354

^

J(

Ébarber, V. a. Raser la barbe, c C'est demain dimanche, j'v'as

me faire ébarber. » (Vezin.) Ébervigé, e, adj. Fou, folle. « Le pauvre diable est ébervigé.

(Tout le département.) Éblusser (S'), V. pron. Petit être, enfant ou oiseau, qui croît,

qui grandit, commence à manger seul. « Il s'éblusse.* (Rennes.)

Éblution, s. f. Éruption, pustules, boutons, etc. (Rennes.)

Éboguer, V. a. Débarrasser la châtaigne de son enveloppe épi- neuse. « Les ouvrières sont à éboguer les châtaignes. » (Rennes.)

Ebouter, V. a. Épointer, briser le bout. (La Selle-en-Luitré.)

Écabouir, V. a. Écraser complètement. « Le chemin de fer l'a écaboui. » (Tout le département.)

ÉGALER, V. a. Briser une branche à l'endroit d'où elle part du tronc. (Bain.)

ÉCHALER, V. n. Sourire. « Regarde donc comme il échale : » comme il sourit. (Gennes.) V. a. Échaler des noix, enlever l'écorce verte qui recouvre les noix. (Bain.)

ÉCHARPiLLER, v. a. Écharper. « Il y avait une telle foule que nous avions peur d'être écbarpillés. » (Rennes.)

ÉCHAUBOUiLLÉ,E, adj. Avoir chaud. «Je suis tout échaubouillé. »

(Arrondissement de Redon.) ÉCHELIER, s. m. Échalier. e Passez par l'échelier du champ

là-lin, vous aurez plus court. » (Argentré.) ÉcHiRER, V. a. Déchirer. « J'ai échiré ma chemise. » (Tout le

département.) Écrive, adj. des deux genres. « La taille de cette robe est

trop échive : » trop étroite. (Gennes.) ÉCHOLLER, V. a. Éfeuiller des choux. (Dourdain.)

ÉCLIE, s. f. Copeau, long éclat de bois. « Va chercher des éclies pour mettre dans le feu. » (Arrondissement de Redon.)

355

ÉCLOSET, S. m. Dernier éclos d'une couvée d'oiseaux. « Les

autres sont partis, mais l'écloset est resté au nid. » (Tout

le département.) ÉçLOTOiRE, s. f. Chasse de nuit aux petits oiseaux, en hiver.

(Arrondissement de Redon.) ÉcossARDE, s. f. Buse, bondrée, oiseau de proie. (Bain.) ÉcoT, s. m. Chaume qui reste dans les champs après la moisson.

(Tout le département.) ÉcoTER, V. n. Chanter très haut, crier. (Vitré.) ÉCOUETTE, s. f. Petit balai de genêts pour nettoyer le foyer.

(Bain.) Écoute (En), loc. adv. Action d'écouter.

« Parlez plus bas, beau forestier; Mon père est en écoute. »

(Chanson de la forêt de Paimpont.)

Écuelle-de-Panne, s. f. Écuelle fabriquée avec la même terre

que celle qui sert à faire les pjannes. {Voyez ce mot.) (Bain.) ÉCRABOUiLLER, v. a. Écraser de telle façon qu'il y ait jet de sang ou de matière quelconque. Écraser un limaçon avec le pied, c'est l'écrabouiller. (Tout le département.) ÉCRETELLE, S. f. Faucon des ruines. « Les écretelles rendent des services en mangeant les vlins. » (V. Vlin.) (Arrondis- sement de Redon.) ÉCREVICHE, s. f. Écrevisse. (Arrondissement de Fougères.) Écriant, e, adj. Glissant, e. Roches écriantes; pierres sur les- . quelles les enfants se laissent glisser. (Louvigné du désert.)

Ecuelle-d'Eau, s. f. Plante du bord des eaux. Hydrocotyle vul- garis. L. (Tout le département.)

Écumette, s. f. Écumoire. Ustensile de cuisine pour écumer.

(Arrondissement de Redon.) Éfant, s. m. Enfant. (Arrondissement de Redon.) Éfessou, s. m. Batailleur, querelleur; (Dourdain.) Effouilles, s. f. pi. Produits d'une ferme. (La Guerche.) Effouiller, V. a. Vendre. (La Guerche.) Effrontise, s. f. Effronterie. « C'est de l'effrontise d'oser faire

cela. » (Arrondissement de Vitré.)

356

ÉGACHER, V.- a. Écraser. « 11 a égâché ses fraises. » (Tout le département.)

ÉGALOCHE. s. f. Échasse. (Tout le département.)

ÉGAYER, V. n. Ouvert. « Le corsage de ma robe est trop égayé. »

(Prononcer égaillé.) (La Selle-en-Luitré.) ÉGRAiNE, s. f. Petit morceau. « Veux-tu du pain ? Oui, une

égrmne seulement. » (Saint-Malo.) ÉLiGER, V. a. Épargner, mette en réserve. (Arrondissement de

Redon.) Éviter de la peine. « En faisant ce travail, tu m'as

éligé de la peine. » (^Arrondissement de Yitré.) Éliges, s. f. pi. Économies. (Arrondissement de Redon.) ÉLOSSER, V. a. (Voir Écaler.) (Rennes.)

Emhalle, s. f. Embarras, importance mise à de petites choses. « Fait-il ses emballes ! »

Emballer, v. n. S'emporter. « Ce cheval s'est emballé. » (Tout le département.)

Emberlificoter, v. a. Tromper, induire en erreur. « Tu cher- ches à m'emberliflcoter, mais tu n'y parviendras pas.» (Tout le département.)

Embêtant, e, adj. Ennuyeux, ennuyeuse. (Tout le départe- ment.)

Embêter, v, a. Ennuyer. (Tout le département.)

Embouzer, v. n. Embourber. Engager quelqu'un dans une mau- vaise affaire. (Fougères.)

Embouzon, Embouzou, s. m. Individu qui cherche à tromper. (Fougères.)

ÉMECHÉ, E, adj. Gris, à demi-ivre. ^Tout le département.)

Émeiller (S'), V, pr. S'effrayer. « La pauvre Catherine a perdu

son homme et ça m'émeille d'aller la voir. » (Bain.) Emmessé, e, adj. Qui a assisté à la messe. « Je suis emmessé,

elle est emmessée. » (Arrondissement de Redon.) Empaler (S'), v. pr. Enfoncer les pieds dans la boue. « Il s'est

empalé dans le marais. » (Arrondissement de Redon.) Empiéter, v. a. Embrasser. Empiéter un bouquet, c'est em-

îwasser la personne à laquelle on l'offre. « Voulez-vous que je

l'empiette? » (Arrondissement de Redon.)

357

Encaler, V. a. Enjamber un ruisseau. (Argentré.) Encarcané, e, adj. Enfant ou animai grimpé dans un arbre

et qui ne peut descendre. Il est encarcané. (Arrondissement de

Redon.) En-Champ, Ioc. adv. Aller aux champs. Aller mener paître les

bestiaux dans les champs. « Je vas en-champ. » (Arrondisse- ment de Redon.) Enchevir (s'), V. projti. Ne pouvoh' s'en rendre maître. (Tout le

département.) Enconstiby, adj. Vrai. En sainte conâance. (Argentré.) Engrouillé, e, adj. Objet arrêté par les branches d'un arbre ou

sur un toit. « Ma balle est restée encrouillée dans un chêne.

•Un cerf-volant est encrouillé sur le toit. » (Arrondissements

de Vitré et de Redon.) Encrucher, V. a. Jeter un objet dans la cruche d'un arbre.

(V. Cruche.) Se dit aussi d'un objet jeté en l'air et qui reste

suspendu hors de portée. Un objet peut-être encrudié sur le

haut d'une armoire. (Fougèi'es.) Engouiller (s'), V. pr. S'étrangler. « J'ai failli m'engoailler en

mangeant mon poissoji. » (Gennes.) Enheuder, V. a. Attacher les jambes d'un animal, du même

côté, pour l'empêcher de courir. « La vache est enheudée. »

(Tout le département.)

Enjaveler, V. a. Réunir le grain en gerbe. (Tout le dépar- tement.) Enquinequiner, v. pr. Se moquei*. « Je fenquinequine : » je me

moque de toi. Tu m'enquinequines. (Tout le département.) Entueller, V. a. Greffer un châtaignier. (Arrondissement de

Redon.) Épeuré, e, adj. Avoir peur. Le pauvre diable tout épeuré s'est

caché dans son let. (Tout le département.) Épeurir, V. n. Faire peur. Il m'a épeuri, il m'a fait peur,

(La Guerche.) Épiauter, V. a. Synonyme de dépiauter. Épiauter un animal,

le dépouiller. (Arrondissement de Vitré.) ÉPIETER, V. a. Avancer en besogne, travailler promptement.

(Bain.)

358

Épigocher, V. a. Se gratter le nez, la bouche, les dents surtout. « As-tu bentôt fini de t' épigocher? » (Gennes.)

Épie et Épille, s. f. Épingle. « Prête-moi une épille pour atta- cher ma devantière. »

Épinoche, s. m. Gai comme un épinoche, c'est-à-dire comme le petit poisson frétillant auquel on donne aussi le nom d'épi- noche. (Arrondissement de Redon.)

Épleter, V. n. Avancer en besogne. « Il éplète bien : » il avance beaucoup. (Gennes.)

ÉQUERBEAU, S. m. Escarbot. Goléoptère des bois du genre sca- rabée. (Dingé.)

ÉQUERBiTON, S. m. Enfant chétif, mahngre. C'est un pauvre équerbiton. (Tout le département.)

ÉQUEROUELLES, S. f. pi. Écrouelles. « Les pauvres garçailles sont perdues d'équerouelles. » (Arrondissement de Redon.)

ÉQUESSER, V. a. Déchirer, c II a équessé sa hanne : » il a déchiré sa culotte. (Tout le département.)

ÉQUiOLLE, s. f. Écuelle. (Redon.)

Ercangié, s. m. Arc-en-ciel. (Ghâteauneuf.)

Ergantier, s. m. Églantier. (Dingé.)

Ermère, s. f. Armoire. (Dingé.)

Érocher, V. a. Jeter des pierres à quelqu'un. « Pelot m'a éroché. » (Plerguer.)

Éronce, s. f. Ronce. Rubus fruticosus. L. (Arrondissements de Vitré et de Redon.)

Érusser, V. a. User un drap neuf en couchant longtemps dedans. « Il est dur à la peau parce qu'il est neuf, mais il sera vite érussé. » (Bain.) A Gennes on dit érusser pour glisser. (V, Russer.)

EscARLANTE, S. f. Rossiguol de muraille, oiseau. (Arrondisse- ment de Redon.)

EscLUSE, s. f. Écluse. (Montreuil-sur-IUe.)

EsGLUSiER, s. m. Éclusier. (Canton de Saint-Aubin-d'Aubigné.)

EsGOFiER, V. a. Tuer. « J'ai escofié le chat de ma voisine. » (Tout le département.)

359

EscoPER, V. n. Terme d'écolier. Voler le tour d'un autre. (Fou- gères.)

EscoRS (D'), Int. Terme d'écolier employé pour suspendre le jeu et ses conséquences pénales vis-à-vis des autres joueurs. Probablement je me mets à l'écart. (Arrondissements de Rennes, Fougères et Vitré.)

Espérer, v. a. Attendre. « Espérez-moi un instant,/i;as revenir. » (Tout le département.)

EsPRiviER, s. m. Épervier. (Pont-Réan.)

Esquinté, part. pas. d'esquinter et adj. Las, fatigué, sans fraî- cheur. « Cette fille est esquintée. » (Tout le département.)

Esquinter, v. a. Fatiguer un cheval, un chien, en le faisant ou trop travailler ou trop courir. (Tout le département.)

Essarder, v. a. Presser le linge pour en faire sortir l'eau dont il a été imprégné. Se dit aussi dans le sens de dessécher. Février emplit les fossés, Mars les essard.'

{Dicton du département.)

Essemer, v. pr. Se sauver, fuir. Se dit des abeilles lorsqu'elles quittent la ruche pour aller ailleurs fonder une nouvelle famille. « Je garde mes avettes, car elles veulent essemer. » (Arrondissement de Redon.)

Esserber, v. a. Élaguer les arbres des buissons dans un sen- tier. (Dingé.)

EssENTE, s. f. Bardeau. Planche mince taillée en forme d'ar- doise et qui sert à couvrir les toits. (Fougères.)

EssoN, s. m. Pauvre hère qui n'a ni force, ni courage. (La Guerche.)

Essonger, v. a. Savonner le linge avant de le mettre dans la cuve pour la lessive. (Tout le département.)

Estaige, s. m. Étage d'une maison. (Saint-Malo.)

Estoumal, s. m. Estomac. « J'ai des crampes dans l'estoumal. » (Environs de Vitré.)

Établir (S'), v. pron. Se marier et se fixer quelque part. « Il s'est établi à. Saint-Senoux. » (Arrondissement de Redon.)

Étanghet, s. m. Staphylin, coléoptère. (Arrondissement de Redon.)

24

360 ÉtAUMi, B. m, petit enfant chétif, malingre. (Bain.) Étramer, V. a. Couper le grain ras de terre, sans laisser d'écot.

(Saint-Aubin-d'Aubigné.) ÉVAiLLER, V. a. Étendre du linge, de la paille, du foin, etc.

« Le linge est évaillé sur la has. » (Tout Iq département.) ÈvE, s. f. Eau. « Va cri de l'ève: » va chercher de l'eau. (Arroi^-

dissement de Redon.)

{A continuer.)

Ad, Orain,

EXPOSÉ

DS QUELQUES PRINCIPES DE LIMUISTIQUE INDOEUROPÉEME

EN RAPPORT AVEC LA. MÉTHODE APPLICABLE A CETTE SCIENCE

1

Le critérium constant de toute étymologie (i) est l'ac- cord simultané des sons et du sens entre les mots chez lesquels on suppose une parenté ou une filiation. Il est évident, par exemple, que le latin pater et le grec Ttxrhp appartiennent à une même famille ou dérivent d'une même forme originelle.

Parfois, cependant, quand l'identité du sens et des sons n'est pas absolue (comme elle l'est entre pater et Tran^p), le sens plutôt que les sons, ou inversement, les sons plutôt que le sens, peuvent servir de base à la conclusion étymo- logique, pourvu toutefois que celle des deux conditions considérée comme principale puisse recevoir l'appui de celle qui paraît secondaire.

Exemples ;

(1) Voi)' sur les rapports de l'étymologie et de la grammaire histo- rique, qu'il faut toujours avoir en vue, notre brochure sur Les fac- teurs du langage dans les langues indo-européennes. Paris, iy84, Vieweg, éditeur.

362

yo Le sens est le principal critérium étymologique. L'analogie du sens de eyf-tôç, auprès de celui de e«ûpi« et de 6eôç (1), du sens moral de ardor, fervidus, aestus, auprès du sens physique de ardeo, ferveo, aestiio, et de tant d'autres mots l'idée de passion ardente et désordonnée rive de celle de « brûler, être enflammé », met sur dévoie d'une relation étymologique entre le latin furio, la /wror, etc., et TrOp, purus, etc.

Cet indice devient une certitude si l'on tient compte des nombreux exemples où, en latin, un / initial correspond à un p. Nous citerons :

fledo auprès de plecto (courber) ; fligo ylecto (frapper); fides TTEtQw ; fingo pingo ; fluo pluo ; frange plango (broyer), etc. ;2° La ressemblance ou Videntité des sons est le point de départ de Vétymologie.

A priori, on est porté à se demander si l'adjectif latin m,undus, « pur », diffère à l'origine du substantif homo- phone mundus, « ciel » .

La double analogie du grand nombre de mots indo- européens signifiant « pur » et « ciel » qui remontent à un même auteur signifiant « brillant » (2), et le rapport

(1) Voir, sur le rapport étymologique de ces différents mots, l'An- nuaire de la Faculté des lettres de Lyon pour 1883, fasc. 3, p. 50 et suiv.

(2) Voir, à cet égard, mon article sur L'évolution du sens des ra- cines signifiant briller, en sanskrit, en grec et en latin, dans la Revue philosophique, numéro de février 1884. ^

363

particulier, quant à l'évolution du sens, du sanskrit loka, « ciel, monde », avec le snbstalif lalïn mundus, ne permet pas de douter de l'identité primitive de ce substantif avec l'adjectif de même forme. L'un et l'autre dérivent de la racine mund, « briller », qu'on retrouve dans le latin mundo « purifier », le sanscrit mand « orner », etc.

n

L'étymologie, d'après ce qui vient d'être dit, ayant gé- néralement à compter avec l'évolution (du sens ou des sons), consiste donc à établir l'échelle chronologique des antécédents conservés (ou perdus, et, par conséquent, hy- pothétiques), d'une forme donnée. Or, à cet égard, parmi les dialectes indo-européens primitifs, aucun ne prévaut d'une manière absolue, c'est-à-dire, aucun ne présente toujours et dans toutes ses parties une forme donnée, sous son aspect le plus archaïque. Cet aspect ne peut le plus souvent être reconstitué qu'en empruntant aux diffé- rents dialectes qui possèdent cette forme les parties les plus fortes (1) que chacun d'eux accuse à l'égard de tous les autres ; le plus souvent encore, l'application rétroactive des lois phonétiques communes à la généralité des dia- lectes est nécessaire à cet efïet.

Ainsi, le latin frater et le grec <fp<xT(ùp sont plus ar- chaïques par l'initiale f, f:=: ph que le sanskrit hhràtar, « frère » ; mais, en revanche, celui-ci présente un état voca- lique du suffixe {a) plus fort et, par conséquent, plus ancien

(1) Nous verrons pourquoi ci-après, § VI.

364

que le latin e. La comparaison de ces difïérentes formes nous permet donc de remonter à un antécédent commun *phrâtar ou p/im/or que justifie, du reste, l'affaiblissement fréquent durant la période historique àeph en bh et de a ene.

m

Une remarque à faire, de la plus haute importance, c'est que les sons ont évoluer de tout temps, mais que les témoins de leur évolution n'existent qu'à partir des docu- ments littéraires, dont les plus anciens sont relativement récents. Il en résulte que plusieurs formes primitives, en apparence et eu égard aux documents qui nous les ont transmises, peuvent être en réalité en rapport étymolo- gique, ou d'origine, les unes avec les autres et que, par conséquent, les tentalivespour établir leur généalogie sont légitimes et doivent partir dans la mesure du possible, et au moyen de l'application rétroactive des lois phonétiques, de la forme réellement primitive ou antérieure qui peut expliquer, parmi ceux que les documents nous font con- naîtres la filiation des dérivés dont les rapports sont pro- bables (1).

(1) Une grave erreur, à mon avis, serait d'attribuer à certaines formes documentaires une valeur proethnique ou quasi proethnique. A priori, toutes ces formes ont subi d'importantes modifications phonétiques postérieurement à la séparation des races. Cette conjec- ture tirée des principes est confirmée d'une manière absolue par l'ahsence générale d'identité entre les formes ethniques apparentées entre elles.

^ 365

Voir, pour uq exemple de l'application et de la juslifi- cation de celte méthode, notre étude sur la forme primitive du suffixe du participe présent, dans l'Annuaire de la Faculté des lettres de Lyon, 4884, fasc. 2.^

IV

Le sens et les sons étant soumis à des variations consi- rables, il en résulte que l'absence d'identité, à l'un et à l!autre égard, entre deux mois appartenant à une même langue ou à une même famille de langues, ne saurait être la preuve que ces mots sont dépourvus de rapports étymo- logiques mutuels. Autrement dit, des mots peuvent différer entre eux pour le sens et pour la forme, et pourtant re- poser sur une étymologie commune; mais il faut pour cela que la différence de sens ou de forme qui les dis- tingue résulte de lois rendant compte des variations qu'ils ont subies, à partir du moment l'on suppose qu'ils étaient identiques au double point de vue en question.

Les lois qui ont présidé àUX variations du sens se di- visent en lois générales et en lois particulières.

La loi générale de ces variations peut s'énoncer ainsi : le sens abstrait, de quelque façon qu'on l'entende, est toujours issu du sens concret.

Les lois particulières sont encore très peu connues. Tout ce qu'on peut en dire, c'est que l'analogie paraît les

366

diriger et qu'elles sont aussi complexes et aussi délicates que celles mêmes de la pensée humaine, dont elles sont le reflet (1).

VI

Les lois d'après lesquelles s'accomplit l'évolution des sons, ou les lois phonétiques, peuvent être considérées aussi d'une manière générale et particulière.

La loi générale de l'évolution des sons, considérés iso- lément, ou dans leur coordination sous l'unité significa- tive appelée mot, est l'usure ou l'aff'aiblissement, c'est-à- dire l'atténuation de l'effort qu'exige leur émission. Cette atténuation peut aller jusqu'à l'extinction absolue d'un son considéré isolément au sein du mot dont il fait partie ; c'est ce qu'on appelle contraction, aphérèse, élision, apo- cope, etc.

Les lois particulières sont celles mêmes des transitions par lesquelles passe un son primitif considéré isolément, ou des combinaisons présentées par des sons dont l'affai- blissement se coordonne, pour arriver à un certain terme qui peut aller jusqu'à l'extinction ou l'usure complète.

vn

Les lois phonétiques, et tout spécialement les lois pho- nétiques particulières, étant d'ordre physiologique, doivent

(1) Voir, pour un essai de détermination d'une de ces lois, notre étude déjà citée sur les racines signifiant, briller {Revue philoso- j)hique, février 1884.)

367

être absolues; et, en fait, elles se présentent souvent comme telles. On peut en citer comme exemple la repré- sentation constante en pareil cas en grec d'une nasale finale par V, au lieu de m qu'on voit en latin et en sanskrit.

Mais il ne faut pas perdre de vue, d'autre part, que les lois en question correspondent aux différents termes d'une évolution continue et, par conséquent, qu'elles s'exercent dans le temps.

Leur action n'est donc pas instantanée; dans un mo- ment donné, elle peut s'accuser par certains phénomènes qui n'atteignent pas tous les cas analogues. Autrement dit, dans une même langue et dans un même instant, tels faits peuvent porter l'empreinte d'une loi phonétique que d'autres faits semblables n'ont pas encore subie. Ainsi s'expliquent les doubles formes contemporaines comme consul, consul (i), pour la première desquelles l'affaiblis- sement de 0 en w devant la finale l est un fait accompli, tandis qu'il reste à accomplir chez la seconde. Quand les formes, au lieu d'être identiques à l'origine, appartien- nent simplement à une même série grammaticale, comme ultimus auprès de optumus, le double état du son sur lequel la loi s'est exercée ou non {u, i dans les exemples cités) se comprend encore mieux que pour les exemples précédents.

Mais si, grâce à la continuité de l'exercice de la loi qui a déterminé le changement de u en i dans le suffixe tumus devenu timus, optumus a fini par se ranger

(4) Même remarque à faire pour les cas la loi phonétique reçoit le nom d'assimilation et est déterminée par l'influence exercée par un son sur celui qui le précède (ou parfois sur celui qui le suit). Exemple : adtineo, auprès de attineo.

368 à l'analogie de ullimus, en descendant à la forme opti- mus, il est d'autres cas l'évolution commencée sur certaines formes ne s'est pas étendue à tous les cas ana- logues. Tel est, par exemple, tempos, temporis auprès de robor^ roboris. La finale s du premier de ces mots n'a ja- mais subi le rhotacisme que nous constatons dans la finale de robor, pour un plus ancien robos. Nous n'en conclu- rons pas pourtant à une application plus ou moins arbi- traire de la loi. Mais nous nous rappellerons que le mou- vement physiologique du lang ge peut être arrêté net par la littérature et la grammaire, qui en fixent les formes d'une manière plus ou moins définitive, à un moment donné de leur évolution phonétique. Or, nous venons de voir que des formes appartenant à une même série gram- maticale pouvaient se trouver, à un moment donné, les unes au delà, les unes en deçà des effets d'une loi phoné- tique quelconque. Si nous ajoutons à celte remarque que l'influence de la grammaire peut survenir au même mo- ment et suspendre désormais toute modification phoné- tique, on se rendra compte tout à la fois de la différence qui existe entre tempos et robor, et de la raison pour la- quelle tempos n'est pas passé à "tempor, comme optumus s'est changé en opiimus.

En résumé, les lois phonétiques sont absolues, sous ré- serve du temps nécessaire à la production de tous leurs effets, et moyennant que ces mêmes effets ne seront pas suspendus ou entravés par la tradition orale, la littéra- ture et la grammaire (i).

(1) La grammaire, aidée de l'analogie, va même quelquefois jus- qu'à restituer des parties que l'évolution phonétique avait presque

369

Vllï

Le jeu des lois phonétiques considérées d'une manière générale sur une même forme, ou sur une même unité significative, présente un phénomène extrêmement remar- quable. Il se manifeste, comme nous l'avons vu, par l'usure ou l'atténuation des sons; mais l'usure, examinée d'ensemble, frappe d'autant plus telle partie qu'elle épargne davantage telle autre qui lui est voisine. C'est ce qu'on peut appeler le principe d'équilibre ou de compensation. Il nous suffira, pour mettre ce phénomène en lumière, de rapprocher les deux formes latines scind et caed dans scindo, caedo, de la racine indo-européenne skhaind, signi- fiant « couper ». La seconde de ces formes a perdu l'ini- tiale s et la nasale interne w, mais moyennant l'abaissement vocalique de ae en i. Les formes cched en sanskrit, o-j^tS en grec, skaid en gothique, de la même racine, donneraient lieu, ainsi qu'une infinité d'autres exemples du même genre, à des constatations analogues.

On peut en conclure : que la loi générale de l'aff'ai- blissement s'exerce d'une manière alternative et déplace son centre d'action souvent sans cause appréciable (1); que c'est à cette mobilité, dont les résultats s'équilibrent quantitativement, que sont dues la plupart des variantes

achevé de détruire. Citons-en pour exemple les duels du sanskrit classique en au et les pluriels neutre s en âni, auprès des mêmes formes védiques en a.

(1) Souvent aussi pourtant la position les mouvements de l'ac- cent paraissent exercer de l'influence en pareil cas.

370

d'une même racine dans un idiome particulier, comme scindo, caedo; plecto, fligo ; dolor, durus, etc., en latin, ainsi que la plupart des ditîérences phonétiques qui dis- tinguent deux racines, identiques à l'origine, d'un idiome à l'autre, au sein d'une même famille de langues. Exemples :

sanskrit cched, auprès du latin scind ;

bhed find;

bhar fer, etc.

Paul Regnaud.

BIBLIOGRAPHIE

Notions succinctes de grammaire kabyle , par Ahmed-ben- Khouas; Alger, A. Jourdan, 1881, pet. in-S» cari, de 86 p.

Ce petit livre, composé dans un but essentiellement pratique, est loin d'être aussi mauvais que la plupart des ouvrages de ce genre. Il est précis , clair et suffisamment méthodique. L'auteur insiste, avec beaucoup de raison, sur l'inaptitude de l'arabe à transcrire les mots kabyles ; son système de transcription en lettres européennes est bien conçu; une bonne remarque (p. 17) attribue for- mellement à « l'euphonie » ou « k l'influence des con- sonnes voisines d les étonnantes mutations de voyelles l'on serait peut-être tenté de voir de la flexion. Les for- mes diverses des pronoms sont ingénieusement classées en nominatif, génitif, datif et accusatif dont l'emploi spécial est nettement indiqué.

Je ne puis donc que recommander l'ouvrage de M. Ah- men-ben-Khouas.

J. V.

372

Les dernières publications basques du prince L.-L. Bonaparte.

Elles forment quatre mémoires d'inégale longueur, dont deux seulement sont exclusivement relatifs à des faits de linguistique basque.

A. Lès deux autres, par lesquels je commencerai cette rapide revue, sont intitulés, le premier : « Roncesvalles and Juniper in basque , latin and neo-latin » ; le second « Initial mutations in the living celtic, basque, sardinian and italian dialects ».

I. Le premier mémoire (4 p. in-8) donne la liste des mots usités dans les divers dialectes basques, ou employés par les auteurs, pour traduire notre mot « genévrier, genièvre » {orre, nav. or. et nav. mérid.; orhe, nav. occid.; ipuru, var. nav. mérid.; umpuru^ voncdX', jene- bretze, hagintz, souletin ; likabra, ipurka, Larramendi ; inibre, agintze, Duvoisin; larra ona, Zavala; aginteka, aginleka, Fabre). Il comprend aussi la liste de toutes les formes néo-latines dérivées de juniperus, liste qui dé- montre la permutation possible du j initial latin en « y, yy> gghjj, jj, j, eh, dz, ddz, dz, Is, zh, sh, z, z, th, y ou X '». En commençant, le prince Bonaparte avait fait voir que le roscida vallis des cartulaires n'est qu'une mauvaise adaptation latine des formes anciennes françaises Ronce- vaux « vallée des ronces », tandîs que Roncevaux corres- pond assez bien au basque orreaga « endroit abonde le genévrier ». Le prince Bonaparte dit à ce propos qu'en

373

Aezcoan, Roncevaux s'appelle simplement orrea « le gené- vrier » : je regarderais volontiers cet orrea (seul usité à Roncevaux même et à Valcarlos, ainsi que je m'en suis assuré en octobre 1881) comme une simple contraction de orreaga dont le g peut être tombé entre les deux voyelles.

II. Le second travail (-48 p. in-8) s'occupe des muta- tions auxquelles sont sujettes les initiales sous l'influence des sons terminaux précédents. Le prince Bonaparte dis- tingue ces mutations en « syntactiques » et en « eupho- niques » ; la distinction est-elle bien justifiée? Si cer- tains mots sont susceptibles dans certains cas d'altéra- tions spéciales, cela peut venir de leur fréquence d'emploi dans la langue qui les rend plus susceptibles d'être modi- fiés; admettre pour une permutation une raison syntac- tique, c'est-à-dire grammaticale, c'est, en somme, admet- tre une véritable flexion (vocalique ou consonnatique). Pour le prince Bonaparte, le basque ne connaît que les mutations syntactiques, et elles ne se produisent qu'après bai « oui » (préfixé au verbe, dans sa forme causative), et ez « non ». Le prince se refuse d'ailleurs à compren- dre dans le même ordre de phénomènes le cas deux consonnes en contact sont toutes deux modifiées et réu- nies en une seule ; or, il m'est difficile de voir une diffé- rence radicale entre onatié pour onak dire « ils sont bons » et eztie pour ez dire « ils ne le sont pas », au point de vue phonétique. Au surplus, le prince Bonaparte n'est pas conséquent avec lui-même, car il admet, dans son XII® tableau (celui qui est consacré au basque), elzira pour ez zira et ehiz pour ez hiz ou ez iz. Est-il

374 -

bien exact que les mutations signalées se produi- sent seulement après ex et hai? On pourrait citer des exemples caractéristiques du contraire; il y aurait d'abord des mots composés, tels que ikhuspide, ikhaspide bide « chemin » a changé son b ea p après s, etc. (cf. harizpe avec zelhabe); il y aurait ensuite bien des expressions d'usage courant : que de fois, par exemple, ne m'a-t-on pas dit, dans ma vie forestière : oinelzuazi pour oiiiez zuazi « vous allez à pied (1) »?

B. Les deux articles exclusivement relatifs au basque sont une noté de 2 p. et une brochure de 12 p. (avec deux tableaux),

III. La note « sur les mots basques ill, illargi, il- lun, etc. » fait voir que la terminaison un est une dériva- tive à sens possessif : zaldun « chevalier » ou « cavalier » de zaldi « cheval », berun « plomb » de bera « lourd », egun « jour » de ekhi « soleil ». Nous y apprenons aussi que il ou ill « mort, tué », qui a, en basque moderne, le sens de « mois », y avait aussi anciennement la signifi- cation de « lune »; le nom moderne de la lune, composé avec argi « lumière )), signifie proprement et originaire- ment « clair de lune » ; cf. il berri « nouvelle lune » ac- tuellement encore usité dans ce sens; cf. aussi ilena (biscayen central) « lundi » c'est-à-dire « celui (le jour) de la lune ».

(1) De pareilles permutations ne peuvent être saisies que dans une conversation normale et courante. Que d'observations utiles on pour- rait faire ainsi dans les voitures publiques, sur les places des mar- chés, dans les cuisines des auberges !

375

IV. La dernière brochure du prince Bonaparte n'est pas la moins intéressante ; elle est intitulée : « The sim- ple tenns in modem basque and old basque, etc. » Le prince Bonaparte veut bien nous y donner à entendre qu'il a le projet de publier prochainement une nouvelle partie de son admirable Yerbe basque, celle relative au verbe de Liçarrague. Il n'y a qu'à prendre acte de cette demi-pro- messe et d'en souhaiter vivement l'exécution. Il est évident que le prince Bonaparte a fort bien étudié et analysé la langue de Liçarrague; il a relevé, le premier, les curieuses formes attributives, pour employer l'expression de M. Ri- béry, dans lesquelles les régimes des première et deuxième personnes sont joints à des régimes indirects ; il a le premier aussi signalé la triple forme de l'article détermi- nalif correspondant aux trois pronoms démonstratifs hau, hori, hura. Dans la présente brochure, le prince Bona- parte nous dit qu'il explique par le radical iraun « duré, relardé, prolongé » certaines formes verbales difficilement analysables; et il présente un résumé méthodique du verbe de Liçarrague qui ne comprend pas moins de qua- rante formes pour chacune des dix personnes des trente temps qu'il répartit en dix modes; ce qui fait en tout 7,200 expressions verbales différentes. On comprend que je ne puisse ni ne veuille suivre ici le prince Bonaparte dont la brochure ne saurait être convenablement résumée; je dois en recommander la lecture comme essentielle à ceux qui voudront faire des études sérieuses sur la gram- maire basque. J'estime, toutefois, que peut-être le prince Bonaparte fait une place trop belle, trop à part, à Liçar- rague ; et je crois qu'il serait bon d'en rapprocher les au- teurs basques, au moins ceux du Labourd et de la Na-

25

376 varre, du commencement du XYII^ siècle. Beaucoup des formes du Nouveau-Testament de 1571 se trouvent en efïet dans Oihenart, Haramburu, Etcheverry, etc.

Julien ViNsoN.

Le Folk-lore du Pays Basque, par Julien Vinson; Paris, Maisonneuve, xl-400 p., pet. in-S®.

This charming little book forms the fifteenth volume of the well known French séries entitled « Les Littératures populaires ». It opens with a dedication, in excellent taste and good English, to the Rev. W. Webster, in which the author justly dwells on the very important and lea- ding part taken by M. Webster in connexion with Basque folk-lore; in fact, the author says that he is only adding a floor to the building begun by his friend. To a certain extand this may be regarded as a key to the position of M. Vinson. In a great masure, il may be said that the har- vesting of Basque folk-lore and legend had already been done, and that only the gleanings remained for M. Vinson; so that a reader who began his study of Basque folk-lore by reading the présent work would probably feel some disappointment. He would naturally think that the va- rions pièces of popular Utterature it contains lacked body ; but to one who had an idea of the amount of work already done by M. Webster and others, the wonder would rallier be that M. Vinson had succeeded in making sucha valu al lie and interesting collection as he now ofi^rs to the

377

public. The labour wbich a work like bis implies is great beyond the conception of the gênerai reader; and I am quile ready to believe tbe autbor fully when be says of it : Il m'a coûté pourtant beaucoup de travail; ces quatre cents petites pages représentent bien des recher- ches, bien des lectures, bien des veilles ». In addition to the other difficulties and they are not a few which meet the coUector of folk-lore, M. Vinson had Ihat of lan- guage, to which he alludes in the foUowing playful pas- sage : « On prétend que le diable, après avoir habité le pays de Labourd pendant sept années, n'avait pu réussir à apprendre que deux mots basques, bai « oui » et ez « non », et encore ajoute-t-on qu'il les oublia en sortant de Bayonne, au milieu du pont Saint-Esprit. Plus heureux que le diable, j'ai pu apprendre et retenir un plus grand nombre de mots ; il est vrai que j'ai passé douze années consécutives dans le pays, que je l'ai longuement par- couru, que j'ai pris place à bien des foyers rustiques ; j'imagine même que, dans beaucoup de villages, j'aurais quelque droit à dire, comme Werther : Die geringen Leute des Ortes kennen mich schon, und lieben mich, he- sonders die Kinder » .

The book is divided into six parts, as follows : (1) Contes et récits, consisting of legends and superstitions, wonderful stories, and « récits de sottises et de naïvetés » (pp. 1-116); (2) Ballads, subdivided into political sengs, love-songs, satiric and humoristic songs, and lullaby rhymes (pp. 117-197); (3) a miscellaneous collection, which the autbor terms « formules d'élimination, jeux et attra- pes, cantilènes et formulettes, dictons caractéristiques des villages, chants de quête » {pp. 199-233); (4) riddles

378

(pp. 235-261); (5) proverbs and proverbial sayings con- sisting of proverbs of a gênerai nature, sayings, relative to localilies, to the months, to the seasons, and to the winds and the weathers (pp. 263-306) ; (6) pastorales. As to parts 3, 4, 5, Mr. Vinson gives the rhymes and the short sayings in Basque, as well as in French, though mostof them are exceedingly difficuU to translate without losing Iheir peculiar flavour in the process. I should add that the rhymes are usually accompanied with the airs to which they are sung, and that no trouble seems to bave been spa- red to give the reader as vivid an idea as possible of the Basque people when standing so to say a at ease ». Lastly, M. Vinson's pastorales are like the popular dramas in vogue in Galalonia, Gasconia and Briliany; but he bas Ihought fit to introduce them, and the reason why wïW be évident from the following words : « Je considère ces pas- torales comme un élément du folk-lore^ bien qu'elles aient été écrites, parce qu'elles ont un grand cachet d'origina- lité et que la personnalité de leurs auteurs a le plus sou- vent disparu dans la bouche des acteurs rustiques ».

So far as I can judge, those of the pastorales which hâve a Biblical subject are not very différent from what is usually known in this country as a miracle play ; but one is greatly struck by the vigorous fashion in which the characters call one anolher names, none of them having ever felt, as it would seem, any scruples in calling a spade a spade. A nice assortment of thèse terms of reciprocal abuse, which I need not quole, will be found al p. 362. They remind one somewhat of some of the « flytings j> in the Corpus Poelicum Boréale, such as that between God- mund and SinfiotU, I, p. 136-137, excepting, of course,

379 the highly wrought style of the latter. The popular stage of the Basques, however, never allows men and women to mix, and the actors are usually ail young men, less usually ail young woraen. This leads me to notice the glimpses which this book gives of the morals of the Bas- ques. Perhaps no nation would stand the test to which Mr. Vinson has submitted the Basques, namely, that of putting on record the broad sayings common among the peasantry; but I shall let him speak for himself : « Le lecteur sera peut-être aussi choqué de certains passages qui lui paraîtront trop libres. Je n'ai pas cru devoir les supprimer, parce qu'ils sont originaux et qu'ils donnent une idée plus complète de l'esprit basque. Les peuples pri- mitifs n'y entendent point malice : ils appellent les choses par leurs noms et ne trouvent pas condamnable ce qui est naturel ».

This last sentence gives the key to one of the chief rea- sons why chastily is seldom a leading and conspicuous trait in the character of an agricultural population and one could name localities both north and south of the Tweed where the severest Calvinism of modem times has failed lo make that virtue flourish up to the idéal of educated Society. But it is right to add that the Basque women, like those of the districts I bave alluded to nearer home, maintain the marriage contract once it is made : « Si les Basquaises », Mr. Vinson adds, « au surplus, ont, comme beaucoup de nos paysannes, la réputation de n'être point des vertus farouches, on sait que, dans la plupart des cas, le mariage est au bout de leur fautç, et que leur fidélité conjugale est toujours irréprochable ».

I hâve dwelt on this question because I hâve been trying

380 to décide whether it be in any way one of race; but I hâve failed to convince myself that it is. Indeed Mr. Vinson would bave one believe that bis collection conlains nothing to which racial or ethnological importance could be atta- ched. I must quole his words in the préface (p. 13) at length, as the passage is of great interest, coming as it does from the pen of one who knows the Basque so well : « Je pense, en effet, qu'en parcourant les pages ci-après on y constatera une fois de plus ce que démontre une étude impartiale et approfondie, l'absence complète d'ori- ginalité sociale du peuple basque. A part leur langue, élément de premier ordre, du reste, les Basques n'ont rien à eux. Les rêveries ou les fantaisies de Chaho et de ses imitateurs n'ont aucun fondement sérieux, et je doute même que l'homme-sauvage, basayaun ou basojaun « sei- gneur ou homme-sauvage », dont le pied gauche laisse sur le sol une empreinte arrondie; que les lamigna mâles et femelles (lamiœ?); que le triple serpent à sept têtes, appartiennent à une vieille mythologie euscarienne. Plus j'étudie les Basques, et plus je demeure convaincu qu'on ne saurait voir en eux les débris d'une race antique, puis- sante et civilisatrice, qui aurait couvert de ses colonies toute l'Europe occidentale. Une pareille décadence serait tout à fait inadmissible ».

The Baso-jaun is Polyphemus hardly disguised at ail ; the serpent wilh seven heads takes the place of the dragon of other counlries, and the story of the killing of it is in some respects very hke a Lithuanian one I read years ago in the Lesehuch forming the latter part of Schleicher's Handbook of the Lithuanian language. The Lamia that appears in the « Three Waves », which ,is the most vivid

381

slory in the book, seeras to be a kind of witch, who changes herself into a blood-red wave to drown her seafa- ring husband. 1 do nol happen to know anylhing very like it; but a passage in the nurmaid taie I published net long since in the Cymmrodor, V, 91, might be compared. Lastly, the Lamignacs are very like welsh fairies, and the story of the fairy who sends for a midwife for his spouse is exceedingly common in North-Wales. In one version I hâve lately published, Cym.j VI, 167, the wifein question was a servant-girl whom the fairies had lured into their country, which seems to sUç,'gest the reason why a mid- wife was required from Ihis world. A somewhat kindred belief, of which I hâve found traces in Carnavonshire, was that the cause of mothers dying at child-birth was that the fairies took them away to be wet-nurses for their own offspring in Fairy.

I cannot pass in silence the last sentence quoted above from Mr. Vinson's book as to the origine of the Basque people. One need not insist on the phrase « puissante et civihsée ï> ; but if one « ne saurait voir en eux les débris d'une race antique, qui aurait couvert de ses colonies toute l'Europe occidentale », one would like to know what to think of them. Mr. Vinson's readers bave no rigfit to demand more from him than be is willing to give; but, nevertheless, they cannot help asking the question how he. would accounl for the présence of the Basques where they are. If they did not get there in early times, when did they and whence? The want of originalily that Mr. Vinson ascri- bes to the Basques cannot serve to détermine anylhing in such a question. Thus, let one take the other view, and suppose the Basques to be the débris of an ancient race

382 -^

wliich once occupied a great part of "Western Europe; it miglit lie legilimately advanced that \ve do not know but lliat some of the customs, superstitions, and legendscom- mon to the Basques with the Spaniards, the French and the peoples of the British Isles, may hâve been merely adop- ted by the Aryan invaders of Spain, France, and the Bri- tish Isles, from Aborigines akin to the Basques. In that race one could not feed sure that the Basques' laek of ori- ginality being the possible resuit of their having imparted to others what was originally their own. I do not wish to be understood to be advancing any theory at présent on this very difficult question, but merely mentioning what seems to me a legitimate way of putting the case on the olher side, in so far as regards the position which Mr. Vin- son bas adopted.

This is taking the reader somewhat far afield. I can only conclude by recommending Mr. Vinson's book in the highest terms to ail those who are interested in the study of Basque folk-lore ; and, for the sake of those who are fond of good French, I may venture to add that, where he is not hampered by the Basque original, bis style is most attractive.

{Academy, 30 août 1884, p. 132 col. 2 à 133 col. 2.)

John Rhys.

Je ne saurais me dispenser d'ajouter ici quelques mots sur la question qui paraît intéresser particulièrement

383 -

M. Rhys. Le savant critique semble être manifestement sous l'influence de la légende ibérienne. Mais la théorie d'une race ibère « parlant basque » , ayant occupé toute l'Espagne, la Corse, la Sardaigne, l'Italie, la Gaule et même les Iles britanniques, est une pure hypothèse fon- dée sur des étymologies fort hasardées. La langue basque est, sinon quant à la quantité, au moins quant à la qualité des mots, l'une des plus pauvres du monde; c'est certai- nement un idiome de civilisation très rudimentaire. En fait, je n'ai aucun besoin de chercher d'où viennent les Basques : pourquoi viendraient-ils de quelque part? Pour- quoi ne seraient-ils pas nés dans les montagnes mêmes qu'ils habitent? Plus je vais et plus il m'est difficile de croire à la possibilité de l'expansion d'une race primitive, si ce mot n'est pas excessif, c'est-à-dire inculte et sau- vage. Je n'ai aucune répugnance à admettre la thèse poly- géniste.

J. V.

VARIA

LÉGENDES HISTORIQUES BASQUES

Dans le t. V (n" 3,342, fonds français, nouv. acq.) du recueil des Poésies populaires de la France (Bibliothèque nationale, départe- ment des manuscrits), j'ai trouvé le récit suivant en dialecte soule- tin. Communiqué par M. Archu, il avait été reçu par le Comité le 11 août 1853. Malgré l'affirmation de M. Archu, je ne le crois point authentique ; la forme, en tout cas, en est bien littéraire !

Gainkoac deizula egun hon, Erregheren portai zaina, Baita zuri ère, Andere gazte ederra, Eta zu nongo zira horren andere gazte ederra? Ni niz Urthubiaco alhaba eta Dona-Phetrico madama. Erregheren portal-zaina, aditu plazer baduzu, Erregheren mintzatzeco Hzenzia indazu. Eta zuc nondic dakizu erregheren portalzaina naizala? Irakurri dut zure mantoaren hegala, Hor ikusi dut zazpi urthe hontan erregheren portalzaina zi- rela. Erreghina jeloskor bat diguzu, hari pharte emozu, Erregheri mintzatzeco lizenzia izanen duzu.

Gainkoac deizulu egun hon, Erreghina Frantziacoa. Baita zuri ère, andere gazte ederra. Eta zu nongo zira, andere gazte ederra? Ni niz Urthubiaco alhaba eta Dona-Petrico madama. Erreghina Franziacoa, othoi aditu plazer baduzu, Erreghiari mintzatzeco lizenzia indazu.

385

Erreghiari mintzatzeco lizenzia izanea duzu. Discussa segur, ephea labur emozu.

Gainkoac deizula egun bon, Erreghe Franziacoa, Noble- tan pare gabecoa. Baita zuri ère, andere gazte ederra. Eta zu nongo zira horren andere gazte ederra? Ni niz Urtbubiaco albaba eta Dona-Petrico madama. Enzutia banuen bazela Urtbubiaco albaba ederra, Etzen izanen Franzian besteric erregbina. Jauna, otboi indazu amaren bizia. Amaren biziarekin aitaren libertatia. Izanen duzu amaren bizia Baita aitaren libertatia Ematen badautazu nie dudan nahia Zure bihotza eta zure liba. Ene bihotza, jauna, ez da enia. Emadazu ama ta aitaren bizia Ghero menturaz ene lilia Izanen da zuria. Orai emanen dautan hic hire lilia, Bertcenaz hire aita amec dikenen urkhabia. Frantziaco erreghe hola da minlzat- zen! Uzten ezpalinbanau oihu dut eghilen Baita horren hitzac erreghinari salhatzen. Habil, aita amen bizia eztun hic izanen, Urkhatiac dituken hic etzi ikhussiren.

Urtbubiaco alhabac, bihotza tristeric, Joan zen etcherat beghiac bustiric, Portalzainac ère agur handi eghinic. Etchera heldu denian, Hasten da lanian Opilbat ohaturic Onghi phozointaturic Opila erreraziric Gorrincoz estaliric Badua Gaztelura Aitamen ikhustera Adio esatera.

Gainkoac deizula egun bon aita-ama maitia. Baila zuri ère, alhaba carioa. Eta zuc zer berri ekhar aitamari? Erreghec zer esan du ? zer ghira ari Gaztelu bellz hontan katea azpietan? Hemen gaude, alhaba maitia, aspalditan. Hobe da hobe hilzea Ezin hemen egotea, Urkhaturic ère izatea. Etzirate urkhatuac izanen Ohoria dugu beghira- raturen Ela zuc gaichuac bizia galduren Opil hontan da zuen hiltzea Hau du hau tristezia handia ! Elzi aldiz ur-

386 khaliac Igurikaizen tu ene aitamac! Barka, othoi ama maitia, Barka zuc ère aita maitia zuen ganic dut nie bicio Niganie duzun zuen hilzia !

M. Archu ajoute la note suivante : « Ce récit a été recueilli par moi, il y a plus de vingt ans, sous la dictée de M^e d'Apat, alors oc- togénaire. Elle le tenait de ses ancêtres. » En voici la traduction :

« Dieu vous ait bon jour, portier du Roi ! Et à vous aussi, belle jeune dame! Et vous, d'où êtes-vous, si jeune et belle dame? Je suis la fille d'Urthubie et la dame de S. Pierre. Portier du Roi, s'il vous plaît de m'en- tendre, donnez-moi la licence de parler au Roi! Et d'où savez-vous que je suis le portier du Roi? J'ai lu le volant (litt. l'aile) de votre manteau; là, j'ai vu que, cette septième année, vous êtes le portier du Roi. Nous avons une Reine jalouse; adressez-vous h elle; vous aurez la licence de parler au Roi.

« Dieu vous ait bon jour. Reine de France ! Et à vous aussi, belle jeune dame! Et vous, d'où êtes-vous, belle jeune dame? Je suis la fille d'Urthubie et la dame de S. Pierre. Reine de France, de grâce, s'il vous plaît de m'entendre, donnez-moi la licence de parler au Roi. Vous aurez la licence de parler au Roi. Faites-lui un dis- cours précis, une parole brève.

« Dieu vous ait bon jour. Roi de France, sans pair parmi les nobles ! Et à vous aussi , ma belle dame ! Et vous, d'où êtes-vous, si jeune et belle dame? Je suis la fille d'Urthubie et la dame de S. Pierre. Si j'avais en- tendu qu'il y avait une belle fille d'Urthulie, d'autre n'au- rait pas été Reine en France! Seigneur, de grâce, donnez-moi la vie de ma mère ; et avec la vie de ma mère,

387

la liberté de mon père. Vous aurez la vie de votre mère et aussi la liberté de votre père, si vous me donnez ce que je veux, votre cœur et votre fleur ! Mon cœur. Seigneur, n'est pas à moi. Donnez-moi la vie de la mère et du père, et, après, peut-être ma fleur sera à vous. Tu me donneras maintenant même, toi, ta fleur; autre- ment, le père et la mère t'auront la potence. Le Roi de France parler ainsi ! Si vous ne me laissez pas, je vais crier et aussi rapporter de telles paroles à la Reine. Va , tu n'auras pas la vie de ton père et de ta mère et tu les verras pendus après-demain. »

La fille d'Urthubie, le cœur triste, s'en fut à la maison les yeux mouillés ; le portier aussi lui avait fait un grand salut. Quand elle est arrivée à la maison, elle se met à l'ouvrage. Elle pétrit un opil (gâteau, pain de maïs), l'ayant bien empoisonné. L'ayant bien fait cuire, l'ayant couvert de jaune d'œuf, elle va au château voir ses père et mère, leur dire adieu.

« Dieu vous ait bon jour, père et mère aimés ! Et à vous aussi, fille chérie!... Quelle nouvelle apportez-vous aux père et mère? Qu'a dit le Roi? Que devenons- nous, dans ce noir château, la chaîne aux pieds? Nous demeu- rons ici, fille aimée, depuis longtemps. Il est meilleur, meilleur certes, de mourir que de demeurer ici, et même d'être pendus ! Vous ne serez pas pendus ! Nous conser- verons l'honneur. Et vous, pauvres, vous perdrez la vie. Dans cet opil est votre mort. Voilà, voilà la grande tris- tesse! Car autrement la potence attend mes père et mère! Pardonnez, de grâce, chère mère ; pardonnez, vous aussi, père aimé. J'ai de vous (deux) la vie; vous avez de moi la mort. »

3^f

TABLE

DES ARTICLES CONTENUS DANS LE TOME XVII.

Gérard Detèze. Une légende çivaiste d'après une version

de l'Inde méridionale 1

A. DE LA Galle. La langue khasia J4

Julien ViNSON. Bibliographie du Folk-lore basque (suite

et fin) a

G. DE Harlez. Barentem, barantam, bharantam 82

Paul Regnaup. Phonétique indo-européenne 85

H. Gaidoz et Paul Sébillot. -- Études de Folk-lore .... 97

Ci« DE Gharencey. Textes en langue birmane 118

J. Harmand. Birmanie. Résumé ethnographique et lin- guistique 136

Julien ViNSON. Un vieux texte basque inédit 215

N. Quellien. Les Geltes et les langues celtiques au Collège

de France 223

Julien ViNSON. Inde. Géographie et histoire 236

Julien ViNS»N. Les études basques en 1883-1884 246

Paul Regnaud. Sur la véritable forme de la racine sans-

krite Prcc, pracch 259

Lucien Adam. Grammaire de la langue Jâgane 295

Ad. Orain. Glossaire patois du département d'Ille-et-

Vilaine 323

Paul RtGNAUD. Exposé de quelques principes de linguis- tique indo-européenne en rapport avec la méthode appli- cable à cette science 361

390 BIBLIOGRAPHIE.

Pages.

Gustave Meyer. I. Die Pluralbindungen der Albanesischen Nomina 87

La collection des Simplified grammars of the principal Asiatic and European languages, publiée sous la direction de M. Rost 91

CuoQ. Dictionnaire iroquois . 270

Beaudouin de Courtenay. Uebersicht der slavischen spra- chenivelt im zusammenhange mit den andern arioeuropœis- chen Sprachen 272

Manterola-ri 272

G. DE Harlez. Manuel de la langue mandchoue 276

A. Certeux et E. H. Carnoy. L'Algérie traditionnelle, lé- gendes, contes, chansons, mmique, mœurs, coutumes, fêtes, croyances, superstitions, etc 279

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