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REVUE

DES

ÉTUDES JUIVES

VERSAILLES, IMPRIMERIES CERF, 59, RUE DUPLESSIS.

REVUE

(Li

DES

ÉTUDES JUIVES

PUBLICATION TH1MESTK1ELLE DE LA SOCIÉTÉ DES ÉTUDES JUIVES

TOME TRENTE-SIXIÈME

PARIS

A LA LIBRAIRIE A. DURLAGHER

83 bi8, RUE LAFAYETTE c\ A"

1898 ^^A^

loi

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

SEANCE DU 5 FEVRIER 1898.

Présidence de M. Maurice Vernes, président.

M. le Président prononce, en ouvrant la séance, l'allocution qu'on trouvera d'autre part (p. v).

M. Moïse Schwab, trésorier, rend compte comme suit de la situa- tion financière :

En décembre 1896 , comme vous le savez , la Société a été reconnue d'utilité publique. Vous avez donc à examiner pour la première fois l'exercice financier accompli sous ce nouveau régime ; il ne diffère guère des précédents exercices, malgré quelques modi- fications de détail, que voici :

A tort ou à raison, on avait de tout temps imputé au compte de l'année écoulée les frais de publication du dernier numéro de la Revue, le numéro d'octobre à décembre, soit environ 1,800 francs, (frais d'impression et honoraires des auteurs), bien que ce numéro parût en janvier (ou parfois plus tard) l'année suivante, et que, par conséquent, il fût payé sur l'exercice suivant. Pour Tannée 1897, vous ne trouverez au budget que la dépense des n08 67, 68, 69, puisque le 66, quoique paru en 1897, a été attribué à l'année 1896. Grâce à cette rectification, nous avons eu le luxe de ne pas toucher aux intérêts des fonds placés chez MM. de Rothschild. Puisse l'ombre de feu Michel Erlanger se réjouir de cet heureux état de caisse, qui est exceptionnel depuis que nous avons perdu notre premier trésorier !

ACT. ET CONF. A

JI ACTES ET CONFERENCES

Par contre, l'amorce d'une future publication se trouve inscrite aux dépenses ; c'est un premier versement de 500 francs consacré à la traduction des œuvres de Flavius Josèphe, dont la Société a confié la direction à M. Théodore Reinach. Nous saisissons cette occasion de rappeler que la Société, au lieu de thésauriser, emploie ses économies ou excédents de recettes à publier des travaux de la plus haute importance pour l'histoire juive, recherchant seulement les bénéfices moraux et littéraires. S'il faut en croire les encourage- ments venus de tous côtés, nos efforts sont appréciés et notre pro- gramme a recueilli les suffrages du public savant.

En dépit des vides laissés parmi nos sociétaires de France, vous verrez par le tableau suivant que le total des recettes n'a pas di- minué, grâce aux nouveaux adhérents, qui se recrutent principale- ment hors de notre pays :

RECETTES.

Souscriptions et produit de la vente de collections. . . 8. 183 fr. 80 Produit de la vente du volume Gàllia judaica 1 . 322 »

Textes grecs et latins. 84 »

par le libraire, années et numéros divers. . . 1 .246 » Souscription du ministère de l'Instruction publique. 375 » Espèces en compte courant chez MM. de Rothschild. 1 .822 30

Total des recettes 13 . 033 fr. 10

DÉPENSES.

Impression du 67 1 . 322 fr. »

68 1.066 »

69 1.136 »

Honoraires du 67 786 fr. »

68 713 60

69 ;... 726 20

3.524 fr. »

2.225 80

Arriéré d'impressions en 1896 547 55

Assemblée générale, conférence, gratifications 401 »

A reporter 6 . 698 fr. 35

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 5 FÉVRIER 1898 III

Report 6.698 fr. 35

Timbres - poste et d'acquit, frais de bureau, copies,

reliure 328 15

Encaissements : Paris, province, étranger (net) .... 100 » A la librairie Cerf, part sur la vente du volume

Gattia et débours 584 "75

Distribution de quatre numéros, expéditions diverses,

bandes d'adresses 410 »

Magasinage et assurance 150 »

Secrétaire de la rédaction et secrétaire-adjoint 2.400 »

Avance pour traduction de Flavius Josèphe 500 »

Total des dépenses 11 . ni fr. 25

L'excédent des recettes est donc de 1,861 fr. 85 c.

Ces comptes ont été vus et approuvés par le censeur, M. Edouard de Goldschmidt.

D'autre part, vous voudrez bien noter que la vente du volume Gallia judaica a donné de beaux résultats ; la somme de 1,322 francs acquise de ce chef provient de trois sources : la vente faite par la Société; celle du libraire-éditeur, M. Cerf; une subvention de 300 francs, obtenue par un de nos vénérés membres du Conseil. C'est une bonne aubaine, que je vous souhaite de voir se renou- veler souvent.

Enfin, outre la vente de collections de la Revue, cédées à des bibliothèques, vous remarquerez l'augmentation des ventes d'années ou de numéros par libraires, c'est-à-dire acquises par des étrangers: ceux-ci compensent heureusement, comme je le disais tout à l'heure, la diminution presque fatale du nombre de nos adhérents de la pre- mière heure. Ils prouvent, de plus, en quelle estime votre œuvre est tenue dans le monde scientifique, de quelle influence elle jouit parmi les lecteurs sérieux.

M. Lucien Lazard, secrétaire, lit le rapport sur les publications de la Société pendant Tannée 1897 (voir, plus loin, p. xv).

IV ACTES ET CONFERENCES

Il est procédé aux élections pour le renouvellement partiel du Conseil et le remplacement de M. Astruc, démissionnaire.

Sont élus :

MM. Abraham Cahen, grand rabbin, membre sortant ;

Albert Cahen, professeur au lycée Louis-le-Grand, membre sortant ;

Rubens Duval, professeur au Collège de France, membre sortant ;

Mayer Lambert, professeur au Séminaire israélite, membre sortant ;

Sylvain Lévi, professeur au Collège de France, membre sor- tant;

Oppert, membre de l'Institut, professeur au Collège de France, membre sortant ;

Salomon Reinach, membre de l'Institut, membre sortant ;

Théodore Reinach, membre sortant ;

Baron Alphonse de Rothschild, membre de l'Institut, membre

sortant ; Israël Lévi, rabbin, professeur au Séminaire israélite, maître

de conférences à l'École des Hautes-Etudes.

Est élu président de la Société pour l'année 1898 : M. Joseph Lehmann, directeur du Séminaire israélite.

ALLOCUTION

PRONONCÉE

Par M. Maurice VERNES, président

A L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU o FÉVRIER 1898

Mesdames, Messieurs,

Il y a un an, à cette même place, M. Salomon Reinach vous rappelait, avec la double autorité de sa fonction et de sa personne, que notre Société n'a un caractère ni confessionnel ni religieux; c'est un groupement libre et volontaire d'hommes d'étude et d'amis du judaïsme, résolus à mettre en lumière, par le concours de leurs recherches, l'histoire, singulièrement complexe de la plus extraordi- naire combinaison ethnique et morale dont l'histoire fasse mention, d'un petit peuple appartenant à ce que nous désignons, d'une façon un peu vague et toute conventionnelle, comme la famille sémitique, plus exactement, d'un peuple faisant partie du groupe syrien-phéni- cien-arabe, peuple mêlé pendant des siècles aux violentes secousses d'une région que l'Egypte, l'Assyrie, la Chaldée, la Perse, la Grèce et Rome s'arrachèrent tour à tour et pour lequel, au rebours de ce qui se passe pour les autres, une vie nouvelle commence au jour même cesse l'existence politique.

De peuple, Israël devient religion et, comme religion, son rôle grandit, puisque les fils d'Abraham, dispersés sur toutes les parties de l'ancien continent et plus tard du nouveau, prennent une part

VI ACTES ET CONFÉRENCES

considérable au mouvement philosophique, économique, social, cour- tiers incomparables de l'internationalisme, de la pénétration mu- tuelle des races et des nations, qu'ils étaient excellemment faits pour prêcher, mais qui devait, malheureusement, échouer devant la muraille infranchissable de l'esprit théocratique et féodal, esprit de division, de suspicions, de haines, dont la récente résurrection colore de ses plus inquiétants reflets le dernier quart du dix-neuvième siècle.

Cette tâche immense, qui consiste à accumuler avec méthode les matériaux authentiques, propres à retracer l'histoire du judaïsme depuis ses origines anciennes, forcément obscures et dont on peut disputer, jusqu'à nos jours, vous l'avez entreprise avec les qualités de résolution et de précision de l'esprit français. C'est un honneur pour moi d'avoir été un des premiers non-israélites que la nature de leurs travaux ait engagés à entrer dans vos rangs, et vous vouliez bien, il y a un an, récompenser mon solide attachement à votre oeuvre en m'appelant à vous présider après m'avoir accueilli depuis de longues années dans votre conseil directeur.

Ce qui constitue une haute distinction pour tous ceux que vous voulez bien élever à cette fonction enviée de la présidence, a donc été beaucoup plus pour moi, puisque, par un libéralisme dont peu de sociétés analogues eussent donné l'exemple, vous ne vous êtes laissé arrêter dans votre choix, ni par la circonstance de mes relations protestantes, ni par la hardiesse des propositions que j'ai défendues sur les origines religieuses d'Israël.

Je vous prie d'agréer l'hommage de ma respectueuse et profonde gratitude pour le très grand honneur que vous m'avez fait.

En revanche, Messieurs, qu'il me soit permis de profiter de cette occasion solennelle pour vous déclarer, non en qualité de chrétien, car je ne me sens pas qualifié pour parler au nom de ce qui a été la religion de ma jeunesse, mais comme philosophe, comme libre- penseur entièrement dévoué aux idées de tolérance et de progrès social, pour vous déclarer, dis-je, que je réprouve de toutes mes forces, de toutes mes énergies, l'abominable, l'odieuse campagne que quelques malfaisants personnages ont entreprise contre le judaïsme, à l'applaudissement d'un public ignorant que l'on trompe, avec la

ALLOCUTION DE M. LE PRÉSIDENT VII

connivence plus ou moins avouée des représentants attardés de la théocratie, campagne dont le succès, impossible d'ailleurs, nous ramènerait à l'époque abhorrée des tribunaux de l'inquisition, des ghettos, de la persécution religieuse.

C'est une honte pour notre pays, c'est une honte pour notre ca- pitale, que cette campagne, d'origine étrangère comme est étranger le nom d'antisémitisme dont elle se couvre, n'ait pas été, dès le pre- mier jour, condamnée et flétrie par le mépris public, qu'elle ait été accueillie par les uns comme une opportune diversion, par d'autres comme une sorte de revanche, par des lettrés, enfin, par des écrivains spirituels et sceptiques, comme un phénomène curieux, presque amusant et dont il aurait été dommage que notre époque n'eût pas le spectacle.

Je considère, quant à moi, cette campagne de l'antisémitisme comme un phénomène morbide de la plus haute gravité, indice de la situation singulièrement troublée d'une grande nation, oublieuse de son passé, insoucieuse de son avenir et qui est menacée d'être conduite aux pires aventures si, par un effort vigoureux, elle ne se ressaisit pas elle-même dans le sentiment du droit et de la justice.

En attendant cette évolution bienfaisante, dont je ne veux pas, dont je n^i pas le droit de désespérer au double titre de philosophe et de patriote, dont je relève quelques signes avant-coureurs dans l'attitude récemment prise par d'éminents publicistes et écrivains, évolution à laquelle, vous, fils d'Israël, travaillez avec une abné- gation et une modestie dignes des plus grands éloges, en associant d'une façon indissoluble vos traditions religieuses à l'amour de la France, je vous apporte aujourd'hui, Messieurs, l'expression pu- blique de ma plus haute estime, de ma plus profonde sympathie. En vous adressant ce témoignage public dans une situation troublée, dans des semaines qui paraissent longues par l'obsession d'un pé- nible cauchemar, j'obéis à un besoin de mon cœur, je donne satis- faction au cri de ma conscience.

Messieurs,

Au cours de l'année qui s'achève, nous avons fait plusieurs pertes. Nous avons perdu dans la personne de M. Alfred Heymann, un de

VIII ACTES ET CONFÉRENCES

nos membres les plus dévoués. M. Paul Oppenheim, enlevé par une mort prématurée à l'affection des siens et à tant d'œuvres auxquelles il apportait sans compter le concours le plus intelligent, le plus éclairé, est un de ceux dont la disparition a été le plus vivement ressentie par le judaïsme français. Vice-président du Comité des écoles, vice-président de l'Alliance israélite, sa mort laisse dans ces deux conseils, et dans plusieurs autres encore, un vide difficile à combler. Je dois enfin une mention à l'un de nos anciens confrères, M. le grand rabbin Wogue, dont le souvenir restera parmi ceux qui appréciaient sa science exacte et la correction de sa forme, comme celui d'un maître éminent entre tous. M. Wogue laisse de son long et fructueux enseignement au séminaire israélite de Faris deux ou- vrages importants, une traduction française du Pentateuque avec texte en regard, travail d'une sévère et élégante exactitude, muni de notes judicieuses et solides, se trouve le meilleur et le plus substantiel des interprétations rabbiniques, et une Histoire de la Bible et de ï exégèse biblique jusqu'à nos jours. Dans cette seconde publica- tion, M. Wogue s'est maintenu également sur le terrain des expli- cations traditionnelles, marquant d'une façon très claire et avec une incontestable autorité l'état de l'exégèse juive dans la phase anté- rieure aux grands travaux qui ont complètement renouvelé de nos jours la position et la solution des problèmes bibliques. Son Histoire de la Bible constitue un document d'une haute valeur pour ceux-là même, j'allais presque dire pour ceux-là surtout, qui se placent sur le terrain de la recherche historique et littéraire telle que la con- çoivent les modernes.

J'arrive ainsi, Messieurs, par une transition toute naturelle, aux quelques réflexions que j'avais l'intention de vous présenter et qui porteront sur la méthode historique telle que nous l'appliquons aux études juives, réflexions que vous m'excuserez de développer quelque peu en profitant de cette circonstance, que l'ordre du jour de ce soir ne comporte pas de conférence.

Ce que notre Société a entrepris de faire il y aura bientôt vingt ans, réunir, en dehors de tout lien confessionnel, des hommes d'étude et de bonne volonté pour travailler en commun à mettre en lumière tous les faits et documents propres à faire connaître à nos

ALLOCUTION DE M. LE PRÉSIDENT IX

contemporains le passé du judaïsme, on n'en aurait pas conçu l'idée il y a un demi-siècle. Une pareille entreprise aurait paru alors sans objet si elle n'avait pas été dominée par une pensée, sinon propre- ment dogmatique, tout au moins apologétique. Vers la même époque votre Revue venait au jour, je fondais la Revue de l'histoire des religions, j'entreprenais de grouper, en dehors de tout propos dogmatique, polémique ou apologétique, pour l'étude parallèle de toutes les grandes religions anciennes et modernes, religions de l'Egypte, de l'Assyrie, de l'Inde, de la Perse, religions juive, chré- tienne et musulmane, religions de la Grèce et de Rome, les hommes compétents dans les différentes provinces de cet immense empire. L'événement m'a donné raison contre les objections de ceux que troublait dans de vieilles habitudes la confusion volontaire et nette- ment avouée de deux domaines jusque-là jalousement distincts, le domaine sacré et le domaine profane. Et aujourd'hui, c'est sur les terres classiques de la théologie protestante, en Allemagne, en Hollande, en Angleterre, une éclosion de Manuels d'histoire des religions, fraternisent les grandes croyances du passé et du présent dans une même subordination au seul principe que puis- sent avouer en commun des savants de confessions, d'opinions et de compétences absolument disparates, l'étude rigoureusement critique des documents historiques et littéraires soumis à leur appréciation.

C'est du même principe que vous vous êtes inspirés en vous pla- çant sur le terrain neutre delà recherche exacte et désintéressée, et vous vous en êtes bien trouvés, ayant compris dès le premier moment qu'il y avait lieu de préférer à la satisfaction toute morale des sen- timents de piété filiale d'une famille religieuse, l'autorité que confère à une enquête de Tordre historique la rigueur d'une méthode ac- ceptée de tous les travailleurs du monde civilisé.

Et d'ailleurs, en atteignant ce second but, n'aviez-vous pas la cer- titude de répondre également au sentiment si respectable que je viens de rappeler? Cette histoire exacte et documentée n'est-elle pas un témoignage éloquent en faveur d'une branche religieuse que quinze siècles de persécutions violentes ou sournoises n'ont pu ni faire fléchir dans sa foi, ni ébranler dans sa confiance en un avenir

ACTES ET CONFERENCES

meilleur, qui doit être celui non seulement du judaïsme, mais de l'hu- manité tout entière?

Permettez- moi aussi de le dire, les annales des minorités persé- cutées sont de celles l'historien relève le plus volontiers les traits de courage et de dévouement, tandis que le succès est une terrible épreuve, tandis que la possession du gouvernement entraîne avec soi bien des tares ou des crimes. Autant le régime théocra- tique établi par un Calvin à Genève nous semble attentatoire à la liberté intellectuelle et morale, telle que l'entendent les modernes, autant brille pure et touchante la modeste lumière du protestantisme français au xvme siècle, du protestantisme « sous la croix », du protestantisme « au désert ». Dans le premier cas, le protestantisme était le maître ; dans le second, il était l'opprimé. Et le Luther avant le succès, le Luther des débuts, le Luther de Wittemberg et de la diète de Worms, n'est-il pas infiniment plus intéressant que le Luther qui a triomphé et défend durement l'église qu'il a fondée contre les dissidents de toute sorte ?

Si je cherche à définir l'esprit de la méthode historique moderne, je ne peux mieux le désigner que comme un esprit de respectueuse liberté. Respect et liberté, dira-t-on peut-être, voilà deux termes qui s'excluent ; l'un implique qu'on s'incline devant une autorité supérieure, l'autre qu'on la critique. Eh bien ! Messieurs, voici com- ment nous les concilions : nous sommes résolus à ne donner notre respect qu'à bon escient, à subordonner notre approbation aux résultats d'une rigoureuse enquête qui nous aura permis de dis- tinguer le vrai du faux, à une analyse exacte qui aura fait le départ entre l'or et le plomb. Nous ne donnons à l'avance notre adhésion ni à un homme, ni à un document, quel que soit le prestige d'anti- quité, de vénération consacrée par une longue tradition, avec lequel ils se présentent à nos yeux.

Et cette méthode, Messieurs, qui est devenue celle de la recherche historique, je prétends que nous nous trouverions fort bien de l'ap- pliquer à tous les objets du monde intellectuel et moral, aux rouages de l'organisme social comme aux personnes investies de fonctions ou de ministères divers.

Prenez la religion. Dois-je m'incliner devant elle comme devant

ALLOCUTION DE M. LE PRÉSIDENT XI

un tout, à la fois invérifiable et consacré, et accepter docilement les directions de ceux qui ont fonction de la défendre, de l'exercer et de l'enseigner? Mais d'abord, quelle religion? J'en vois quatre ou cinq (sans compter les sectes de moindre importance) qui se présentent à moi avec des titres infiniment respectables, avec l'autorité de l'expé- rience , d'un long passé, des services rendus. Qui suis-je moi, homme de culture moyenne, pour départager par mon adhésion réfléchie les différents clergés qui m'assurent qu'eux seuls possèdent la vérité et qu'auprès des autres je ne trouverai que l'erreur? La statistique, d'ailleurs, m'enseigne que, bon gré mal gré, l'immense majorité des hommes adopte simplement le culte dans lequel elle a été élevée. Ne pouvant adresser mon respect à un dogme que je suis incapable d'apprécier, à une morale, d'une incontestable élévation, mais qui ne prendra de valeur réelle qu'en se manifestant dans la pratique, je déplacerai la question. Je considérerai des hommes religieux en particulier, un groupe de croyants associés dans la communion du culte, et si je constate que la foi développe et affermit dans leur pratique courante les idées de tolérance, de justice, de fraternité sociale, je donnerai mon respect à ces hommes, à ce groupe. Si la foi qu'ils professent a un effet différent, je réserverai mon estime pour d'autres, sans me laisser séduire par les subli- mités de la doctrine, les magnificences du culte ou l'austérité de la morale.

Respectueuse liberté, j'en userai dans mon jugement sur la propriété ; celle-ci ne devient digne de respect que dans la personne des possesseurs en est-il beaucoup de cette espèce ? pour qui la richesse constitue avant tout une obligation sociale, une respon- sabilité constante et effective envers la grande masse des non-privi- légiés. A ce propos, une citation. « Une dame pieuse, raconte un ingénieux et autorisé conférencier ', m'affirmait que les riches sont les intendants des pauvres; si mauvaise que soit la réputation des intendants, j'ai refusé de la croire, les maîtres sont vraiment ici trop pillés, trop mal logés, trop mal nourris, ils ne pourraient man- quer de s'en apercevoir. »

1 M. Gabriel Séailles, Les affirmations de la conscience moderne, 1897.

XII ACTES ET CONFERENCES

Respecterez- vous une justice qui s'exercerait sans contrôle, sans publicité, l'instruction préparatoire, qui doit être le premier pas dans la voie qui mène le prévenu au plus effroyable châtiment, se ferait sous la pression d'une opinion publique affolée, le juge- ment se rendrait dans des conditions d'indépendance douteuse, l'autorité à laquelle ressortissent les juges s'étant déjà et à l'avance prononcée pour la condamnation? Assurément non.

Vous inclinez-vous devant la notion de patrie qu'on prétend de- puis quelques mois nous imposer, devant cette conception étroite qui se fonde sur la haine stupide de l'étranger? L'intelligente con- ception, de représenter la France comme jalousée et détestée de tous, au lieu de relever son crédit dans le monde en développant et en affermissant ses qualités natives de droiture, de loyauté, de générosité ! Et, d'ailleurs, cette France qu'on nous propose d'ériger sur le piédestal isolé d'un monstrueux orgueil, dans le vide affreux qu'aura fait autour d'elle sa superbe et insolente ignorance, on aura commencé par la débarrasser de tous les éléments qui souillent sa robe d'hermine, des juifs, des dissidents du catholicisme, des libres- penseurs. Non, la patrie, devant laquelle nous nous inclinons, la patrie que nous aimons et respectons, n'est pas celle-là. C'est la France reconnaissant à tous ses enfants des droits égaux, la France s'efforçant de réaliser la justice et le droit, de pratiquer la fraternité et l'égalité, dans tous les rouages, dans toutes les branches, dans tous les domaines de l'organisme social. C'est la France sachant tenir avec dignité sa place dans le concert oh ! point dans le concert diplomatique, qui est tout autre chose dans le concert, dis-je, des nations civilisées qui sont décidées à placer l'humanité comme but supérieur au-dessus de l'égoïsme national, dans le con- cert des penseurs et des philosophes qui se refusent à admettre qu'il y ait opposition entre l'idée de patrie et l'idée d'internationalisme, qui voient, au contraire, dans celle-ci le complément et le couron- nement naturel de la première.

En vérité, si le vent de folie qui s'est déchaîné sur notre malheu- reux pays continue ses ravages, nous en serons à demander si c'est à Berlin ou à Moscou, si ce n'est pas plutôt encore dans quelque îlot perdu de la Polynésie, que s'est produit ce fait, jadis

ALLOCUTION DE M. LE PRÉSIDENT XIII

assez connu, qui a nom la Révolution française. Il faudra que l'Eu- rope prenne soin de nous le rappeler à nous-mêmes, puisque nous nous faisons gloire de l'oublier.

Messieurs, je n'ai point perdu de vue notre point de départ. Il s'agissait d'illustrer par quelques exemples l'esprit de respectueuse liber (é, qui est celui de la méthode historique appliquée à nos re- cherches sur le judaïsme. Oui, nous savons admirer, oui, nous savons respecter, mais à bon escient, après que l'examen précis, rigoureux, nous a démontré les beautés et les bontés du livre, de l'idée, de l'homme.

J'en suis arrivé, pour ma part, à cette formule : Ne s'incliner devant aucune autorité extérieure quelconque. Deux cas ici se présentent. L'autorité en question prétend s'imposer sans preu- ves. En ce cas, je ne discute pas, je me contente de passer outre. Dans le second cas, on me soumet des arguments ; je les examine et n'admets que ce que je suis en mesure de vérifier. Dans Tune comme dans l'autre hvpothèse, il n'y a plus d'autorité extérieure.

C'est là, Messieurs, la loi admise par l'unanimité des travail- leurs modernes en matière d'études historiques ; elle n'est pas moins appelée à triompher, malgré les résistances d'un passé me- nacé dans ses privilèges, en matière philosophique, morale et sociale.

Messieurs,

En terminant ces quelques réflexions, d'où il ressort jusqu'à quel point les questions de science pure confinent au domaine des idées morales, il est inutile que j'insiste auprès de vous sur l'obligation nous nous trouvons d'écarter toute préoccupation étrangère au cercle de nos études régulières.

Cette distinction légitime et nécessaire, vous l'avez toujours observée, et votre autorité scientifique s'en est accrue dans les cercles savants de la France et de l'étranger. Est-ce à dire que vous aviez formé le propos de vous réfugier dans la tour d'ivoire autrefois on disait, d'une façon moins poétique, le fromage de Hollande du sceptique égoïste ou spéculatif? Assurément non. Attentifs aux mouvements qui se produisent autour de vous, vous

XIV ACTES ET CONFERENCES

estimez que l'exemple que tous donnez de la méthodique poursuite de vos calmes et ardues recherches au milieu des haines et des passions déchaînées, est la marque d'une confiance assurée dans les principes supérieurs dont les nations modernes doivent attendre leur salut, dans les idées de justice, de droit, de liberté, qui peu- vent être voilées quelquefois, mais qui, au sortir de la tourmente actuelle, resplendiront, d'un éclat plus vif encore, au ciel de notre France.

Messieurs, ayons en nous-mêmes cette confiance, rendons-la à ceux que le découragement envahit et, sans avoir cure des ou- trages, poursuivons résolument notre route vers la lumière, vers la bonté.

RAPPORT

SUR LES PUBLICATIONS DE LA SOCIÉTÉ

PENDANT L'ANNÉE 1897

LU A L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU S FÉVRIER 1398 Par M. Lucien LAZARD, secrétaire.

Mesdames, Messieurs,

Les miracles, qui n'ont être fréquents à aucune époque, se sont faits de nos jours d'une rareté désespérante : aussi faut-il n'être pas trop discret quand on en peut signaler un ou, à défaut d'un mi- racle authentique, quelque chose qui s'en rapproche.

L'existence pendant de longues années de votre Revue est une sorte de prodige. Certes, votre recueil n'a fait aucune concession sur le sévère programme que lui avaient tracé ses fondateurs, il n'a sacrifié aux grâces que dans une mesure restreinte, il s'est tenu à l'écart de toutes les polémiques sur les questions du jour, celles même les intérêts du judaïsme paraissaient le plus fortement en jeu; et, malgré la règle austère qu'il s'est imposée, il a grandi, il a prospéré et il entre aujourd'hui dans sa dix-huitième année, cons- cient de l'estime des érudits des deux mondes, fier des progrès qu'il a pu faire accomplir à l'histoire et à la critique bibliques, à l'étude du passé du judaïsme dans tous les temps et dans tous les pays.

Il est toujours délicat de faire l'éloge d'un groupement auquel on appartient; cependant votre rapporteur est par lui-même et

XVI ACTES ET CONFÉRENCES

croyez bien qu'il le regrette trop étranger aux progrès de la science juive pour croire qu'on lui attribue jamais aucun des mé- rites qu'on reconnaît à ceux qui la cultivent et la font progresser ; il est donc tout à fait à son aise pour dire tout le bien qu'il pense de la Revue et de ses collaborateurs : il tient à proclamer qu'on lui doit en France la connaissance d'une foule de travaux sur la langue et la littérature hébraïques, travaux rédigés surtout dans les pays de langue allemande et anglaise, qui, jusqu'à l'apparition de la Revue des Etudes juives, étaient trop ignorés dans le public français érudit, qu'elle a mis en lumière, dont elle a révélé les conclusions, qu'elle a souvent développées, quelquefois combattues, étant par elle-même et par les œuvres qu'elle a suscitées ou inspirées la mère de tous les progrès en matière d'études sémitiques. Je viens d'avancer une proposition, il est temps d'en faire la démonstration.

En 1896, une découverte de la plus haute importance est faite en Orient : ce sont des fragments du texte original de la Sagesse, de Jésus fils de Sirach, vulgairement connue sous le nom de YEcclê- siastique et n'existant jusqu'à il y a deux ans, que sous la forme d'une traduction grecque due au petit-fils de l'auteur. Une décou- verte de cette importance, il y a vingt ans, n'eût peut-être pas passé complètement inaperçue en France ; elle eût été probablement si- gnalée dans le Journal de la Société Asiatique ou dans le Journal des Savants ; on eût regardé l'article d'un œil distrait et on aurait passé bien vite à autre chose. Que les temps sont changés ! A peine MM. Cowley et Neubauer ont-ils publié ce texte, que paraissent dans votre Revue deux travaux considérables de MM. Israël Lévi et L. Blau, qui vont alimenter pendant bien des années les études bibliques l .

Je devrais, en ma qualité de rapporteur, vous exposer les ré- sultats considérables que l'on peut tirer dans tous les domaines de

1 Israël Lévi, La Sagesse de Jésus, fils de Sirach. Découverte d'un fragment de Voriginal hébreu, XXXIV, 1. Le même, La Sagesse de Jésus, fils de Sirach, XXXIV, 294. Blau (L.) et Israël Lévi, Quelques notes sur Jésus ben Sirach et son ouvrage, XXXV, 19. Cf. Perlés (Félix), Notes critiques su,r le texte de V Ecclésiastique, XXXV, 48, travail très savant sur la partie de l'Ecclésiastique dont l'original hébreu n'est pas encore connu.

RAPPOKT SUR LES PUBLICATIONS DE LA SOCIÉTÉ Mil

cette découverte que M. Israël Lévi appelle un véritable événement, je préfère vous renvoyer à son article paru dans notre tome XXXI V : lisez-le et vous verrez qu'il n'a pas été au-dessous de la vérité en parlant de cette trouvaille sur un ton à la fois juste et lyrique l.

L'année n'eùt-elle fait naître que ce travail, qu elle n'aurait pas été stérile, mais que d'autres études importantes elle a produites ! C'est, en première ligne, l'article du colonel Marmier sur la géo- graphie du pays de Juda, intitulé : La Schefela et la Montagne de Jvda d'après le livre de Josuê -, la continuation des minutieuses re- cherches de M. Buchler sur Les sources de Flavius Josèphe dans ses Antiquités3, et surtout le travail de M. Théodore Reinach : Josèphe sur Jésus4. Dans ces vingt pages, écrites avec un charme qui en rend la lecture- des plus agréables, l'auteur établit d'une façon irré- futable — ce qui n'empêchera pas^ d'ailleurs, l'erreur et la calomnie traditionnelles de se répéter et de se propager que la condam- nation de Jésus est exclusivement l'œuvre des Romains; que c'est à une cause uniquement politique, la prétention au titre de roi de Juda, qu'elle est due; et l'on ne peut qu'applaudir aux éloquentes paroles qui sont la conclusion de l'œuvre de M. Théodore Reinach : « Jésus a été frappé par une loi inexorable, barbare si Ton veut, » mais formelle; et pour un fait qu'il a tacitement avoué. Le ju- » daïsme expie depuis plus de seize siècles, par des humiliations quo- » tidiennes et des persécutions incessantes, un prétendu crime qu'il » n'a pas commis, qu'il n'aurait pas même pu commettre. Ce n'est » donc pas le supplice volontaire de Jésus, c'est le long martyre » d'Israël qui constitue la plus grande erreur judiciaire de l'his- » toire. »

Il faut citer encore, dans la période qui nous occupe, la notice de M. Léopold Goldschmid : Les impôts et les droits de douane en Judée sous les Romains 5, ensemble de recherches considérables sur les sept espèces de contributions perçues par Rome dans cette contrée et

1 T. XXXIV, 1-50.

* T. XXXI V, 31-69.

3 T. XXXIV, 69-94.

k T. XXXV, 1-19.

5 T. XXXIV, 192-218.

Ar.T. ET CON'F.

x™ ACTES ET CONFÉRENCES

sur Je personnel chargé de les recueillir. En parcourant, même ra- pidement, cette œuvre consciencieuse, on est réellement étonné de l'abondance de renseignements qu'elle contient.

II

Le judaïsme talmudique n'a pas droit à moins de considération que le judaïsme biblique et, à vrai dire, il nous touche de plus près que les époques antérieures de notre histoire, puisque c'est lui qui a transformé la législation d'un peuple en celle uniquement d'une religion, transformation lente, patiente, d'une minutie qui nous pa- raît souvent exagérée, mais dont les prescriptions multiples ont seules permis aux Juifs de conserver leur foi et leur originalité propre dans toutes les contrées de la terre et à travers les vicis- situdes pénibles de leur existence. L'importance de cette législation nouvelle n'a échappé à aucun des grands esprits qui se sont donné la peine, sinon de l'étudier, tout au moins d'en connaître l'existence, et elle a été reconnue, avec une justesse et une impartialité qui lui font honneur, par un des plus illustres écrivains et un des plus pro- fonds penseurs de tous les temps : Montesquieu. Dans cet ordre de travaux, nous avons publié les articles de M. Bank sur les Juifs de Perse et de Babylonie au moment de la formation du Talmud de Babylone * ; une notice de M. Bâcher sur Rome dans le Talmud et le Midrasch 2 ; la composition de ces passages fait plus d'honneur à l'imagination des écrivains talmudiques qu'à leur exactitude c'est qu'on rencontre des affirmations dans ce goût :

« Elle (Rome) a 365 marchés suivant le nombre de jours de l'année solaire. »

« Il s'y trouve 3,000 bains qui ont chacun 500 fenêtres. » Nous avons aussi donné la fin de l'oeuvre de M. Isaac Halévi, La clôture du Talmud et Us SaUraïmK Ajoutez à cela de nom-

1 T. XXXIII, 161-187, Rigla, Rigîé, Schabbata Deriala. ' T. XXXIII, 187-197. 3 T. XXXIV, 241-251.

RAPPORT SUR LES PUBLICATIONS DE LA SOCIÉTÉ XIX

breuses notes sur des points divers de grammaire et d'exégèse dues à MM. Poznanski, Mayer Lambert, Sulzberger et Théodore Reinach, et vous aurez une idée très approximative de l'activité de nos col- laborateurs.

III

Le moyen âge et les temps modernes n'ont jamais cessé d'être consciencieusement étudiés dans notre Revue; toutefois ils pour- raient et devraient être, pour la France en particulier, l'objet de recherches encore plus nombreuses. La littérature juive médiévale est aujourd'hui connue d'une façon assez satisfaisante, l'histoire est encore pleine de mystères. L'homme qui le premier a tenté d'en débrouiller au moins les points les plus obscurs, vous l'avez tous connu et apprécié à sa juste valeur, il a été pendant de longues années l'inspirateur de votre oeuvre et son collaborateur le plus actif : j'ai nommé Isidore Loeb. Certes, avant lui on avait écrit l'histoire des Juifs et, sans parler de la compilation de Basnage, des livres réellement trop incolores des Bail, des Beugnot et des Dep- ping, nous possédions les oeuvres de Jost et de Graëtz ; mais c'est à Loeb que revient incontestablement l'honneur d'avoir introduit la méthode critique dans ce genre d'études, d'avoir soumis à de minu- tieuses recherches les annalistes et les chroniqueurs juifs et chré- tiens, d'avoir contrôlé leurs affirmations par l'examen des docu- ments contemporains et d'avoir de la sorte introduit dans notre pays la science en matière d'histoire juive.

En dehors de ses livres de critique biblique et talmudique, il a produit une foule d'articles qui ont alimenté pendant des années vos numéros et dont la quintessence se trouve, en quelque sorte, dans cette brochure, qui est un des chefs-d'œuvres historiques de notre siècle : Le Juif de la légende et h Juif de Vhistoire.

De nombreux disciples heureusement ont suivi ses traces, et leurs travaux, ceux de cette année et ceux des années précédentes, peuvent se placer à côté de ceux du maître illustre que je viens de nommer.

XX ACTES ET CONFERENCES

En Orient, M. Poznanski a mis en lumière l'intéressante figure de Meswi-al-Olclari, chef d'une secte juive au ixe siècle !. M. Kauf- mann a terminé la publication des documents relatifs à la situa- tion des Juifs de Corfou, situation des plus satisfaisantes et qui dut faire, à l'époque de la Renaissance, bien des envieux parmi leurs coreligionnaires des autres pays 2 .

MM. Bâcher et Israël Lévi ont étudié le passage relatif au Messie dans la lettre de Maïmonide aux Juifs du Yémen c.

M. Kaufmann a pu dresser une généalogie du célèbre rabbin Me- nahem Azaria de Padoue *, et donner de précieuses indications sur sa vie à l'aide de poésies élégiaques qui lui ont été consacrées.

Enfin, MM. Kaufmann et Freimann ont publié la vue de la tombe armoriée d'un Juif italien du xvie siècle, Meschoullam Cusser de Riva*, et d'intéressantes notes sur ce personnage et sa famille.

Le judaïsme français doit avoir naturellement la place d'honneur. Si les études qui lui sont consacrées ne sont pas très nombreuses, elles sont, en revanche, très soignées, d'une critique très serrée et d'une lecture des plus intéressantes. Elles ne remontent pas très haut, d'ailleurs, puisqu'il n'en est aucune qui traite un sujet anté- rieur au xive siècle, et encore le travail de M. Schwab sur le Meurtre de l'enfant de chœur du Puy6, se rapporte- t-il non à l'his- toire, mais à la légende.

Il est bon de dire que c'est une répétition de l'accusation traditionnelle du meurtre d'un enfant chrétien par les Juifs qu'on trouve , du xne au xive siècle , dans la plupart des villes de France, à Orléans, à Paris, à Blois, au Puy, sans que jamais il ait été possible de découvrir quoi que ce soit je ne dis même pas un document judiciaire mais simplement un texte authentique con- temporain, de quelque nature qu'il fût, faisant un récit acceptable de ces prétendus meurtres : leur existence est toujours révélée soit par des chroniqueurs ecclésiastiques d'une sincérité très suspecte,

1 T. XXXIV, 161-192.

1 T. XXXIV, 263-275.

T. XXXIV, 101-106.

* T. XXXV, 84-91 .

5 T. XXXV, 111.

6 T. XXXIII, 277-282.

RAPPORT SUR LES PUBLICATIONS DE LA SOCIÉTÉ XXI

soit par des poésies liturgiques auxquelles on ne peut ajouter qu'une confiance des plus médiocres. La légende du meurtre de l'enfant de chœur du Puy ne fait pas exception à cette règle : aucun document contemporain ne la confirme ; elle paraît être tout simplement une manifestation de plus de cette forme, en quelque sorte nécessaire, de l'esprit du moyen âge, qui ne pouvait séparer l'idée du Juif du besoin de sang chrétien et qui constitue, en dernière analyse, un phénomène dont l'étude relève plutôt de la psychologie que de l'histoire.

C'est dans une région plus riante que le paysage sévère est assise la ville du Puy que se passe le terrible drame raconté par M. Bauer, dans son travail intitulé : La Peste chez les Juifs d 'Avi- gnon l . Rien de plus lamentable que ces épidémies frappant des mal- heureux entassés dans les abominables ghettos d'Avignon nommés carrières, n'osant sortir de leurs cahutes étroites et demander un secours à l'hôpital de la ville, sans s'exposer aux tentatives plus qu'indiscrètes des convertisseurs. Le tableau tracé par M. Bauer est des plus émouvants, et ce serait en affaiblir la vérité que d'essayer de vous le reproduire.

Je me reprocherai de passer sous silence la note que M. Schwab a consacrée aux inscriptions hébraïques de la France 2 ; l'auteur a noté les plus intéressantes et constaté en terminant l'existence de cent quarante textes lapidaires hébraïques du vne au XIIIe siècle. C'est un chiffre assez respectable et qu'on peut citer à ceux qui demandent sont, sur le sol de France, les tombes des ancêtres des Juifs actuels .

Mais l'œuvre historique la plus considérable qu'ait publiée cette année la Revue des Etudes juives, est due à M. Roubin, et porte le titre suivant : La Vie commerciale des Juifs comtadins en Languedoc, au xviii8 siècle3. Un pareil travail, digne de la plus haute estime » ne saurait pourtant s'analyser, c'est le tableau, déjà fait bien des fois dans notre Revue, des efforts tentés par les Juifs au xvme siècle pour s'incorporer dans la nation française, pour tâcher d y déve-

1 T. XXXIV, 251-263. » T. XXXIV, 301-305. a T. XXXIV, 276-203 ; t. XXXV, 91-106.

XX11 ACTES ET CONFÉRENCES

lopper leur commerce et celui de la France en même temps, et l'exposé des difficultés, des résistances qu'ils rencontrent et que seule la Révolution française pourra briser. Rarement, d'ailleurs, étude de ce genre a été faite avec le luxe de preuves et la rigueur de méthode qu'apporte M. Roubin, et qui sont d'autant plus méri- toires que celui qui veut éclaircir un point de l'histoire civile des Juifs n'a pas, comme l'écrivain qui raconte le passé d'un peuple, d'une province ou d'une ville, un ensemble de documents constitué, mais doit aller chercher ses renseignements dans toutes les séries d'un dépôt d'Archives.

C'est dans l'est de la France que nous transporte M. Maurice Aron ; son compte rendu est relatif à Y Histoire des Juifs de Lorraine, de Nancy, principalement au commencement du xvme siècle, et du plus important d'entre eux, le banquier Samuel Lévy, exploité et ruiné par le duc Léopold de Lorraine. Le fait n'est pas sans analogues, et quand on aura rassemblé une collection de récits du même genre, on en pourra faire un livre dédié aux antisémites de tous les temps !

Nombre de fois déjà on a publié des opinions d'écrivains de toutes les époques sur les Juifs, rarement il a été donné d'en connaître une aussi curieuse que celle de l'auteur anonyme d'un livre édité a Amsterdam en 1T76, et publiée dans notre Revue par M. Camille Bloch, sous le titre L'opinion publique et les Juifs au xvme siècle-. L'auteur de l'ouvrage n'est pas un philosophe, et s'il demande qu'on rappelle les Juifs en France, il ne s'appuie pas sur des considérations morales ou intellectuelles d'un ordre bien élevé, mais sur des né- cessités économiques et sociales que soupçonnaient bien peu de ses contemporains et qu'ignorent encore beaucoup des nôtres.

A ces travaux originaux, il faut, si l'on veut être complet, ajou- ter les revues bibliographiques fort nombreuses cette année et dues, pour la plus grande part, à votre infatigable secrétaire, M. Is- raël Lévi. Parmi les lecteurs de la Revue des Etudes Juives, il en est beaucoup j'en connais pour ma part qui, effrayés par la sévérité de certains de nos articles, se bornent à dépouiller ces

1 Maurice Aron, Le duc de Lorraine Léopold et les Israélites, XXXIV, 107.

2 T. XXXV, 112.

RAPPORT SUR LES PUBLICATIONS DE LA SOCIETE XX1I1

consciencieuses bibliographies : ces lecteurs ne sont peut-être pas les plus mal partagés de tous.

Il serait injuste de ne pas mentionner, à côté des travaux de M. Lévi,les savantes recensions dues à MM. Bâcher, Belleli, Kont, Lambert, Porgès, Schwab, Castelli.

L'activité intellectuelle de la Société des Etudes juives ne se manifeste pas seulement par la publication de sa Revue, elle se prouve aussi par des conférences. Deux vous ont été données cette année et vous vous souvenez encore avec quel succès : l'une faite par M. Maurice Bloch, qui sut, suivant sa vieille habitude, être à la fois spirituel et émouvant, sur la valeur militaire des Juifs ; l'autre, de M. le grand rabbin Lehmann, pleine des renseignements les plus curieux, sur Y Assistance publique et privée chez les Juifs aux époques biblique et talmiulique, organisation d'une sagesse et d'une pré- voyance infinies, et dont les législateurs contemporains pourraient encore s'inspirer.

A côté de ces conférences solennelles l'orateur vient apporter devant vous les résultats acquis dans un ordre d'études déterminé, votre Comité a pensé qu'il devait y avoir une place pour les simples renseignements et la contradiction. Aussi a-t-il établi à chacune de ses séances mensuelles un ordre du jour comprenant l'exposition et la discussion d'un sujet scientifique traité par l'un de vous.

Dans deux séances déjà, des débats de ce genre ont eu lieu : le 24 novembre 1897, M. Salomon Heinach a exposé une nouvelle théorie sur ï arche cV alliance; le 30 décembre 1897, M. Théodore Reinach a fait une communication sur X authenticité des fragments d Hècatèe cV Abdére relatifs aux Juifs. D'autres sujets sont proposés et seront traités dans les séances de votre Conseil de l'année 1898.

Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, pas un instant l'activité scientifique de la Société des Etudes juives n'a faibli ; bien plus, grâce à l'heureuse institution dont je viens de vous parler, elle est devenue, en quelque sorte, un courant ininterrompu. Puisse ce travail consciencieux et continu, secondé par votre précieux con- cours, aider à l'avancement de la science et à la destruction des préjugés !

PROCÈS-VERBAUX DES SEANCES DU CONSEIL

SEANCE DU 18 FEVRIER 1898. Présidence de M. Lehmann, président,

M. Vernes invite M. Lehmann à prendre la présidence.

M, Lehmann remercie M. Vernes et les membres du Conseil de l'honneur qu'ils lui ont fait en le présentant aux suffrages de la So- ciété. Il remercie également M. Vernes des paroles empreintes d'un libéralisme si élevé qu'il a prononcées à la séance de l'assemblée gé- nérale.

Il est procédé à l'élection des membres du bureau. Sont élus :

Vice-présidents : MM. Albert Cahen et Rubens Duval; Secrétaires : MM. Maurice Bloch et Lucien Lazard; Trésorier : M. Moïse Schwab.

Sont nommés membres du Comité de publication : MM. Abraham Cahen, J.-H. Derknbourg, J.-H. Dreyfus, Zadoc Kahn, Théo- dore Reinach et Maurice Vernes.

M. Schwab, trésorier, présente le projet de budget pour l'année 1898 :

Recettes :

Cotisations et ventes par le libraire 8,000 fr.

Souscription du Ministère 375

Ventes diverses « 200

Intérêt des valeurs et compte courant 2,125

En caisse au l«r janvier 1,860

Total 12,560 fr.

PHOCÈS-VERBAUX DES SÉANCES DU CONSEIL XXV

DÉPENSES :

Impression de 4 numéros de la Revue 4,500 fr.

Droits d'auteurs 2,800

Secrétaire de la rédaction et secrétaire-adjoint 2,400

Frais divers de bureau et d'encaissement 400

Distribution de la Revue, magasinage, assurances, etc. . 550

Total 10,650 fr.

Peut-être convient-il de prévoir une dépense de 1850 francs pour la traduction de Josèphe.

L'ordre du jour appelle la communication de M. Maurice Vernes sur Jésus et la propagande chez les non-israélites .

M. Vernes expose qu'il a été frappé de l'intérêt que présentent les mots suivants du témoignage de l'historien Josèphe sur Jésus de Nazareth : « Jésus a séduit beaucoup de Juifs et aussi beaucoup d'Hellènes », que M. Théodore Reinach commente d'une façon très intéressante dans son récent travail : Josèphe sur Jésus l .

Tandis que M. Reinach se rallie à la solution, généralement dé- fendue par les exégètes modernes, d'après laquelle Jésus aurait « limité sa mission aux seules brebis d'Israël», M. Vernes estime que la discussion des textes des Évangiles, notamment de celui de Mathieu, peut amener à une conclusion se rapprochant de l'opinion énoncée par Josèphe.

On ne saurait fournir la preuve que Jésus a orienté sa réforme religieuse dans le sens du paganisme, mais on peut admettre que la primitive église, en s'ouvrant largement aux non-israélites, a agi dans l'esprit même de son fondateur.

On conteste cette manière de présenter les choses en relevant plusieurs déclarations, foncièrement judaisantes, que les Évangiles mettent dans la bouche de Jésus, notamment : « Je n'ai été en- voyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël » (Mathieu, xv,

1 Bévue, t. XXXV, p. 1.

XXVI ACTES ET CONFÉRENCES

21-28), l'ordre donné aux apôtres envoyés en mission : <c N'allez pas sur la route des païens. . . allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël » (Mathieu, x, 2 suiv.).

Par une circonstance, en apparence contradictoire, l'évangile de Mathieu se montre très sévère pour le judaïsme, soit dans l'épisode de la guérison de l'esclave d'un centurion romain (vin, 5-13), soit dans la conclusion de la parabole dite des méchants vignerons (xxi, 33-43).

L'énigme semble indéchiffrable si l'on tient ces différentes décla- rations pour émanant réellement de Jésus ; elle est susceptible d'une solution acceptable de tous, si l'on y voit l'écho des attitudes di- verses que le changement des circonstances a recommandées à la jeune église chrétienne.

Dans une première phase, l'église, dont la rupture avec le ju- daïsme vient de se consommer, prononce avec amertume une con- damnation sans appel contre le milieu religieux dont elle est issue. De les passages anti-juddisants.

Dans une phase ultérieure, l'église répond aux reproches des Juifs, qui lui contestent le droit d'invoquer la tradition biblique : Malgré les efforts de Jésus, qui s'est adressé tout d'abord et exclusi- vement à ses compatriotes, vous avez rejeté le Christ ; il a bien fallu alors vous abandonner à votre aveuglement, à votre obstination. La preuve que Jésus s'adressait tout d'abord et spécialement aux Juifs est fournie par les passages juddisants de l'évangile de Mathieu, qui constitueraient, d'après M. Vernes, non des documents histo- riques, mais des arguments de polémique.

Dans cet ordre d'idées, M. "Vernes estime que plusieurs des textes invoqués dans le sens du caractère anti-paganisant du christianisme primitif tombent d'eux-mêmes ; il admettrait, en conséquence, que le christianisme, soit dès Jésus, soit aussitôt après sa mort, s'est orienté vers les païens.

Le gérant,

Israël Lévi.

VERSAILLES, IMPRIMERIES CERF, 59. RUE DUPLESSIS.

JOSEPH DERENBOURG

SA VIE ET SON OEUVRE

(21 AOUT 1811 29 JUILLET 1895)

En essayant de décrire la vie et l'œuvre du savant aimé et vé- néré qui nous a quittés il y a quelques mois, à un âge avancé, je ne me dissimule pas la difficulté de raconter en quelques pages cette vie si féconde, de la dépeindre sous toutes ses laces ou de l'apprécier à sa juste valeur.

Joseph Derenbourg a parcouru presque tout ce siècle. Il naquit et passa sa jeunesse en Allemagne, et quand il mourut, il était de- puis des années l'ornement de la science française et l'orgueil du judaïsme français. Il était entré dans la carrière scientifique à l'époque héroïque l'on commença de cultiver la science juive, au temps des semailles fécondes; lorsqu'il sortit de ce monde, il avait vu à l'œuvre trois générations et avait pris part au travail de chacune d'elles. Dans sa vieillesse encore, il prépara une mois- son nouvelle dont la génération qui se lève récoltera les fruits.

Combien de vicissitudes, de peines et de luttes, combien d'ef- forts et d'espoirs, d'expériences et de déceptions, de succès et de labeur suppose une vie si longue qui, par une noble activité et un sévère désintéressement, arriva à l'indépendance pour se vouer entièrement à la science ! Sans passer par la filière, il sut s'élever aux plus hautes dignités du monde savant. Adonné de cœur et d'âme à la science, il ne se laissait pas totalement absorber par les livres, mais s'intéressait à la vie dans ses multiples manifes- tations, consacrant ses efforts au développement du judaïsme ainsi qu'aux œuvres d'éducation et de charité. L'aménité de son carac- tère, sa franchise, sa nature loyale lui gagnaient tous les cœurs et lui valaient l'amitié de tous ceux qui l'approchaient. A un âge

T. XXXII, 63. 1

2 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

la plupart ne vivent plus que de souvenirs et pleurent les cama- rades disparus, il sut rester jeune et former d'étroites amitiés dans la jeune génération.

Raconter une pareille existence serait une belle tâche. Ce se- rait décrire, en effet, la vie d'un homme qui a atteint la vraie sagesse et la vraie science et qui, arrivé à cette hauteur, a tra- vaillé et produit jusqu'au terme de sa très longue vie ; ce serait faire la biographie d'un homme qui a exercé l'influence la plus bienfaisante et laissé des traces durables dans le domaine qu'il a cultivé avec passion. Mais je ne saurais raconter dans tous ses détails l'existence de Joseph Derenbourg. Je dois me borner, dans cette étude, à décrire le côté en quelque sorte extérieur de sa vie et à y joindre le récit de son activité scientifique, telle qu'elle res- sort de ses œuvres. Je dois beaucoup de renseignements biogra- phiques et bibliographiques à M. Hartwig Derenbourg, fils de l'illustre savant. J'ai reçu également des informations sur quel- ques points particuliers, de M. Saalfeld, rabbin de Mayence, de M. Mayer Lambert, de Paris, de M. Rosenberg, rabbin d'Arad; je leur exprime ici mes remerciements.

Avant d'entamer le récit de sa vie, je citerai de lui quelques mots qu'il m'écrivit dans une lettre du 28 janvier 1891 et qui peu- vent être pris pour la devise de son existence et l'expression de sa plus intime pensée : « La science ne donne à l'âme la sérénité et l'élévation qu'autant qu'on l'aime dans son cœur et qu'on retrouve ce sentiment chez des amis, voués eux aussi, à la science d'une façon désintéressée ».

Joseph Derenbourg naquit le 21 août 1811, à Mayence. Cette ville, qui appartenait alors à la France, était le chef-lieu du dé- partement du Mont-Tonnerre. Les Israélites de Mayence, siège de la plus ancienne communauté juive d'Allemagne, jouissaient pour la première fois, après des siècles d^ppression , de la complète égalité civile, que la France venait de leur conférer. Grâce à ce nouvel état de choses, qui commença en 1797, la communauté juive prit un essor très rapide, elle s'accrut principalement de l'aïllux incessant des juifs des localités voisines. Déjà avant cette date, le père de J. Derenbourg, Hartwi'2 (Gevi Hirsch) Derenburg était venu à Maj'encH, naquit en 1794 son fils aîné, Jacob, qui devint juriste et fut le président de la communauté de Mayence.

JOSELMI DERENHOURG 3

Le nom indique l'origine de la famille ; Derenburg est une petite ville de la province prussienne de Saxe, district de Ilalberstadt. Dans l'acte de naissance de Joseph Derenbourg, le nom est écrit Derenburg ', mais peu à peu, la famille s'habitua à écrire Dern- burg; aux premiers temps de son séjour à Paris, il signait éga- lement Dernburg. Plus tard il prit le nom de Derenbourg2.

(Juand Hartwig (llirsch) Derenburg vint à Mayence, il s'était déjà fait connaître par une œuvre littéraire. En 1789, il avait pu- blic'1 à OiFenbach un drame allégorique en hébreu, il avait es- sayé d'imiter le célèbre Layescharim Tehilla de Moïse Ilayyim Luzzatto. Le drame du poète italien avait été réédité en 1780 par Salomon Dubno, le collaborateur de Mendelssohn, et recommandé comme modèle3. Ce fut ainsi que Hartwig Derenburg se décida à écrire cette œuvre qu'il intitula YoscKbê Tébél (Les habitants du monde).

Par il prend rang parmi les protagonistes de la culture des Juifs allemands. Mendelssohn et ses disciples voyaient, en effet, dans l'étude de la langue hébraïque, surtout de la poésie hébraïque, le moyen de réveiller dans l'esprit de leurs coreligionnaires le sens de la correction littéraire, le goût esthétique et l'amour de la culture intellectuelle. Parmi ceux-là, qu'on appelait encore les Meaçfïm, du nom de leur journal, Hirsch Derenburg s'est as- suré par sa composition une place modeste4. Faut-il attribuera des circonstances extérieures ou à sa piété sans cesse grandis- sante, presque ascétique, le silence qu'il garda après cette première œuvre? Le fait est que ce poème ne fut suivi d'aucun autre ; il était réservé au fils de Hartwig de faire du nom de Derenbourg un des plus vénérés de la littérature juive.

Pour caractériser le père de Derenbourg, il suffira de rapporter ce que dit de lui le Memorbuch de la communauté de Mayence 3 : « Dès sa jeunesse il s'adonna assidûment à l'étude de la Loi, et

1 t Joseph Derenburg est à Mayence, département français du Mont-Tonnerre, le 21 août 18H, de Hartwig Derenburg-, cabaretier, et de Hélène Gundersheini, son épouse. »

* J'ai trouvé « Derenbourg » pour la première fois dans la liste des membres de la Société Asiatique de juillet 1847. Dans les listes antérieures, le nom est écrit Dernburg. De même dans la Zeitschrift de Geiger, le public apprend à connaître ce nom pour la première fois.

3 Voir Berliner, Jcsort Olam} Berlin, 1874, p. xvi.

* Jcël Lowe a parlé du b^D "QUJY1 de H. Derenbourg, aussitôt après son appa- rition, dans la Ve année du flOtKfa (p. 282) ; voir Steiuschneider, Catal. BodL, n> 522G.

5 Memorbuch de la communauté de Mayence, I (de 1 583-1837), 1460. Les pa- roles de cet éloge, dont je dois la copie à l'amabilité de M. le rabbin Saalfeld (ainsi que celle des inscriptions tombales), commencent ainsi : DP ri73w3D D^nbtf ^TDP

arriM-ian apy^ 'i m r/m?3 p o-pn nro»n lax'n "îann nOT

4 REVUE DES ETUDES JUIVES

jusqu'à sa mort il n'abandonna point les livres. Il était versé dans le Talmud et les ouvrages des décisionnaires. Il marcha sans cesse dans les voies du Seigneur, il lit le bien et fut agréable à Dieu et aux hommes. Il respecta le sabbat et les fêtes autant qu'il lui fut possible et même plus que ne comportaient ses moyens, quand il était dans une situation difficile ; car sa manière d'être fut celle de Hillel1, et il mit sa confiance en l'Éternel, son Dieu. Il était ponctuel et scrupuleux dans l'accomplissement des prescriptions religieuses et cherchait toujours à les remplir de la plus noble façon. D'une main libérale il distribuait l'aumône, alors même qu'il était dans le besoin. Il évitait toute espèce d'ostentation et accomplissait ses bonnes œuvres en secret, car il pratiquait la charité pour accomplir la volonté de Dieu. Matin et soir il se ren- dait à la synagogue, il récitait ses prières avec ferveur. Il fit longtemps des conférences religieuses et morales à la Société tal- mudique, même à la fin de sa vie, sans aucune rétribution. Il ren- dit encore d'autres services à la communauté, dont il resta un membre actif et utile jusqu'à sa mort 2. »

Dans cette description du caractère du père, il est plus d'un trait qu'on retrouvera chez le fils : l'ardeur infatigable pour l'étude, le sérieux dans la pratique du devoir, le désir de faire la charité en secret, même le besoin d'enseigner. Désireux de mettre son plus jeune fils Joseph en état d'enseigner en Israël, H. De- renburg se consacra avec zèle et dévouement à son éducation. Depuis l'âge de cinq ans jusqu'à treize ans, Joseph Derenbourg reçut les leçons de son père. L'enseignement se bornait à la Bible et au Talmud, nulle étude profane. Chaque jour, huit heures du- rant, le père initiait son fils à la littérature talmudique; il prépara ainsi, sans le prévoir, un solide fondement pour les recherches scientifiques que Joseph Derenbourg devait faire plus tard dans cette littérature.

Quand il eut treize ans révolus, son éducation prit une nou- velle direction. Soutenu par sa mère 3, il apprit les langues clas-

1 Allusion à ce qu'on raconte de Hillel dans Bèça, \6a.

* L'inscription tumulaire de Hirsch Derenburg est ainsi conçue : ÛD TÏ^N l3"D

mina 3>ara wiion n»N ams ,n^y na>b -p^n y^zï-i ûwn nth wn '3 -p"v ors npba îmawi ©ta '-i ie© .nm» dt iy i^on tm 'n wpn inriDra ban Tsai nnioa p'ab Vatpn n**» N"a 'n ûva napai

•h'akb'n .unir- n^b rta^7an nsr

3 L'inscription tumulaire de la mère de Derenbourg est ainsi conçue : nCNn !a"D

ba riabn t<iîk V't rmaanan umn 'n nann mo&t abnm nna mofl a? hbâtbh ht na^a . awaab nana npiz oai , i-nsw ^ma my* lo^a T'a 'a aira mapai p-o a"a 'n û"na nnasa ,ï»n 'b '-i 'n t) naioa

.p"ab ait'pn naïaa

JOSEPH DERENBOURG 5

siques pour entrer au gymnase. Cependant il ne négligea point ses études talmudiques, car, outre son père, il avait encore pour professeur de Talmud R. Lob (Léo) Ellinger, rabbin de Mayence depuis 1823 et successeur de R. Hirz Scheyer. « C'était un re- marquable talmudiste, un homme digne et pieux qui possédait toutes les vertus des anciens rabbins1. »

Après quelques années de bonnes études préparatoires, Deren- bourg entra en seconde au gymnase de Mayence, il suivit les cours avec succès, jusqu'à ce qu'il fut prêt à se rendre à l'Uni- versité.

Il

Pour un jeune homme qui voulait se préparer à la carrière rabbinique après avoir achevé ses études au gymnase, il n'y avait à cette époque qu'un établissement se former: c'était l'Univer- sité. La faculté de philosophie offrait la culture scientifique et philosophique et spécialement l'étude des langues sémitiques, tandis que la faculté de théologie protestante, en tant que les cours en étaient accessibles à des auditeurs juifs, permettait aux jeunes rabbins de s'approprier les différentes disciplines de la théologie chrétienne, que chacun pouvait appliquer, selon ses tendances et ses goûts, à la théologie juive.

En réalité, ainsi que le dit plus tard lui-même J. Derenbourg 2, « l'Université n'avait pour le théologien juif presque d'autre but que de lui procurer le grade de docteur, que les communautés commencèrent <Je considérer vers 1830 comme la marque d'un rabbin instruit. L'étudiant en théologie fréquentait ainsi les cours de philosophie, de philologie, de langues orientales, et choisissait parmi ces enseignements divers ce qui convenait à son goût et à son esprit». Il a défini par ces paroles ses propres études uni- versitaires.

Pour étendre ses connaissances dans le domaine de la science juive, il était livré à lui-môme. Il n'avait, pour le conseiller, que les livres et l'exemple de ses camarades. Quand Derenbourg vint à l'Université, la science juive avait déjà produit et était en train de produire quelques œuvres composées d'après la méthode critique des sciences historiques et philologiques. De 1822 à 1829,

1 Carmoly dans Israël. Schulbibliothek de Klein, II, 163.

» Dans son éloge de Geiger, Jiïd. Zeitschrift, XI (1875), 301.

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Jost avait publié les neuf volumes de son Histoire; de 1828 à 1832, Rapoport avait produit ses remarquables Biographies. Vers le même temps, Zunz travaillait à son ouvrage Die gottesdienstlichen Vorlràge, après avoir déjà tracé en 1818, dans une substantielle brochure, comme le programme de la nouvelle science juive et publié en 1822 la première Revue de la nouvelle école, et dans cette Revue sa monographie sur Raschi 1 . C'étaient les illustres modèles qui s'offraient aux yeux des étudiants juifs des Univer- sités allemandes qui se préparaient à cultiver la littérature hé- braïque et rabbinique et à devenir les porte-paroles du judaïsme.

Quand, après avoir débuté à Giessen 2, Derenbourg arriva à l'Université de Bonn, il y rencontra en 1832 un certain nombre de ces jeunes théologiens épris de la science juive. Le plus influent d'entre eux était Abraham Geiger, plus âgé d'un an que Deren- bourg et qui n'avait plus que quelques mois à rester à Bonn. Mais ce temps assez court suffît pour établir entre eux une amitié qui dura toute la vie. A ce moment, Geiger écrivait dans son journal 3 : « Fin mai, vint aussi J. Derenburg de Mayence, jeune homme très aimable, doué de remarquables qualités et d'un caractère excellent, avec qui je me liai étroitement, malgré le peu de temps que nous fûmes ensemble. » De son côté, quarante-trois ans après, Deren- bourg écrivait 4 : « Son caractère à la fois sérieux et enjoué m'attira irrésistiblement, et nous fûmes bientôt des amis insépa- rables. Le soleil de la jeunesse fait s'épanouir rapidement la sève de l'arbre de la vie en d'innombrables fleurs, mais le moindre souffle en détruit la plupart; il en est peu qui résistent et devien- nent des fruits. Notre amitié dura, bravant plus d'une tempête qui, sans doute, eût désuni d'autres amis. »

Aussi après que Geiger eut été nommé, en novembre 1832, à sa première place de rabbin5, il s'établit une correspondance très

1 On trouvera comme le souvenir de l'impression que ces trois savants ûrent sur Derenbourg dans les paroles qu'il leur consacre dans l'introduction à son Essai, p. 7, note 2.

a Voici comment Derenbourg s'inscrivit le 20 octobre 1830 dans le registre de l'Université de Giessen : « Joseph Dernbur^; aus Mainz, Sohn des Hartwig Dern- burg, studirt Filosofie. » Il resta à Giessen trois semestres, de 1830 à 1832. 11 suivit, entre autres, les cours d'Osann sur l'histoire de la littérature grecque et sur So- phocle, ceux de Sohmitthammer sur l'histoire du moyen âge et l'histoire universelle, ceux d'Umplenbach sur les mathématiques pures ; à cette époque, c'était le théolo- gien protestant Pfannkuch, chargé de professer à la Cois les langues orientales et l'exégèse de l'Ancien Testament, qui enseigna pendant ces trois semestres les éléments du syriaque, du chaldéen et de l'arabe et qui peut, par conséquent, être considéré, pour ces trois langues, comme le premier maître de Derenbourg. Je dois ces ren- seignements à M. Stade, de Giessen.

3 Nuchgelassene Schriften, V, 41.

* Jiid. 'Zeitschrift, XI, 300.

5 Le frère aîné de Derenbourg, Jacob Dernburg, avocat, alors président de la

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active entre les deux amis1. Ils se réunirent une fois à llnchst avec d'autres amis de Bonn, et cette réunion resta particulièrement chère au souvenir de ceux qui y avaient pris part. Ils étaient venus le soir, avaient délibéré sur différentes questions concernant le judaïsme, puis s'étaient entretenus gaiement toute la nuit, et à l'aube ils s'étaient séparés pour retourner chacun chez soi2. Un des membres de cette réunion, Jacob Auerbach, rappelait encore vingt-cinq ans après la joie de Geiger quand il recevait, à Wies- baden, la visite de Derenbourg ou de Frensdorff :î.

Daus une lettre du 31 juillet 1833, Geiger expose un plan scien- tifique à l'exécution duquel Derenbourg devait contribuer pour une grande part4. « Frensdorff, Dernburg et moi, nous sommes tombés

d'accord pour publier ensemble tous les philosophes juifs

Moi j'étudie le More Neboukhim , Frensdorff le Kouzari , Dern- burg l'Emounoth Wedeoth Munk, de Paris, veut publier en

arabe le More ; j'essaierai de l'attirer lui aussi dans notre associa- tion. » Ce grand projet n'eut pas de suite. Pourtant, vingt-cinq ans après, Munk édita le texte arabe du More (1856, 1861, 1866), tandis que c'est seulement soixante ans après que Derenbourg s'occupa sérieusement du Emoanùth Wedèôth. Son dernier ou- vrage, demeuré hélas ! inachevé, fut, en effet, la traduction fran- çaise du livre philosophique de Saadia, d'après le texte arabe et la version rectifiée d'Ibn Tibbon. De même, la traduction arabe de la Bible par Saadia forme déjà l'objet de ses recherches à Bonn, il étudiait l'arabe sous le célèbre arabisant Freytag. Dans une lettre du 12 août 1834, Geiger appelle l'attention de Zunz « sur son ami Dernburg, de Mayence, qui se révélera sous peu par un

communauté de Mayence, contribua puissamment à la nomination de Geiger au siège de Wiesbaden (voir Nachrjelassene Schriftcn de Geiger, V, 74). C.3 frère de Deren- bourg écrivit en 1831 des « Considérations sur les 32 thèses publiées par un ano- nyme au sujet du Talmud ». Sur cet opuscule, que Fùrst attribue faussement dans sa Bill, judaita, I, 205, à Joseph Derenbourg, j'ai reçu quelques indications de M. Bârwald, qui a examiné l'exemplaire de la bibliothèque de la ville de Francfort. Cette brochure de 8 pages in-8° indique comme auteur le * Dr Dernburg, Président de la communauté de Mayence ». La tendance du livre est antitalmudique. En 183y, Jacob Dernburg se démit de ses ibuctions de président de la communauté, et vers 1840 se fit baptiser; il fut nommé professeur à l'Université de Giessen et mou- rut en 1878 comme conseiller à la Cour supérieure d'appel à Darmstadt.

Des deux fils de Jacob Dernburg, l'un, Heiorich, membre de la Chambre des Seigneurs et professeur à l'Université de Berlin, a plutôt favorisé que combattu les manifestations antisémitiques ; l'autre, Fritz, s'est fait une réputation bien établie de journaliste et d'écrivain. Sa lille a épousé un pasteur protestant.

1 Les lettres de Geiger à J. Derenbourg seront publiées par M. Ludwig Geiger dans la Allgemeine Zeitung des Jtidentkums de 1896.

1 Geiger, Nachqel. Schriften, V, 68.

* Ibid., p. 69. *

* Ihid., p. 82.

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travail sur les versions de Saadia1. » Derenbourg quitta Bonu dans l'été de 1834.

III

A vingt-trois ans, Derenbourg avait terminé ses études à l'Uni- versité. Des circonstances extérieures aussi bien que des motifs personnels l'empêchèrent d'accepter une place de rabbin. Il pré- féra un emploi de précepteur, qui lui permettrait d'assurer son existence matérielle et de continuer en même temps ses études. Une bonne fortune le conduisit dans la famille Bischoffsheim, originaire de Mayence, qui habitait Amsterdam.

Il fut chargé de diriger l'éducation de Raphaël Bischoffsheim, actuellement député et membre de l'Institut. Sans nul doute, ce fut Derenbourg qui fit naître chez son élève ce vif amour pour la science et la bienfaisance, comme aussi son intérêt pour le ju- daïsme2.

Les quatre années que Derenbourg passa à Amsterdam (1834- 1838) ne furent pas perdues pour la science. C'est de qu'il fit pa- raître ses premiers ouvrages. C'est aussi à ce moment que Geiger réalisa le plan concerté avec Derenbourg en publiant en 1835 une revue scientifique, la Wissenschaftliche Zeitschrift fur jûdische Théologie 3. Déjà le premier fascicule contenait un travail de De- renbourg, le commencement d'une étude sur Maïmonide, dont la suite et la fin parurent dans les deuxième et quatrième fasci- cules4. Sous prétexte de rendre compte d'un ouvrage de Peter Béer sur la vie et l'œuvre de Maïmonide, Derenbourg fait une

* Geiger, Nachg Schrift, V., p. 84.

* Une preuve de l'intérêt de M. Bischoffsheim pour raffermissement et la rénova- tion du judaïsme, est sa lettre à Geiger (du 4 septembre 1872) sur la possibilité des réformes radicales. La lettre ainsi que la réponse de Geiger sont insérées dans les Nachgelassene Schrift en, V, 345-353.

» Le titre est encore suivi de cette mention : « Publié par une société de savants juifs. » En dehors de la Revue, cette société n'a rien fait. Les membres de cette société étaient au nombre de 16 : M. Creiznach de Francfort-sur-le-Mein, Joseph Dernburg d'Amsterdam, Formstecher d'Ofïenbach, A. Geiger de Wiesbaden, E. Grùnbaum de Birkenfeld, Herxheimer de Bernburg, Hess de Lengsfeld, J.-M. Jost de Francfort-sur-le-Mein, Kley de Hambourg, Lévi de Giessen, Maier de Stuttgart, S. Munk de Paris, S.-L. Rapoport de Lemberg, Salomon de Hambourg, Steinheim d'Altona, Zunz de Prague. Dans les années II, III et IV, la liste contient de nou- veaux noms; en l'année IV, le nom de Rapoport a disparu. De tous ces vétérans, M. Lévi, rabbin de Giessen, est encore seul en vie. Cas probablement unique dans l'histoire du rabbinat, il occupe le même siège depuis près de soixante-dix ans

4 Wtss. Z. f. j. Th., I, 97-123, 210-224, 414-427.

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foule d'observations personnelles et ajoute des données qui ont été utilisées avec fruit par ceux qui ont écrit plus tard sur Maïmo- nide. Ce qui nous intéresse le plus dans ce premier essai de I)e- renbourg, ce sont les réflexions générales qu'il met en tête de son travail. Elles nous montrent les luttes intérieures du jeune théologien et son vif intérêt pour l'évolution et les transforma- tions du judaïsme.

Dans une deuxième étude, qu'il publia dans la Zeitschrift de Geiger, il aborde de plus près le problème de l'accord de la raison et de la foi, du progrès et de la tradition. C'est encore à l'occa- sion du compte rendu d'un ouvrage, celui de Reggio, intitulé : « La Tora et la philosophie réconciliées 1 ». Derenbourg semble s'être occupé particulièrement de spéculations religieuses pendant son séjour à Amsterdam. Comme résultat final de ses recherches et de ses méditations sur ces questions importantes, il publia, dans le premier fascicule de la quatrième année, une étude intéres- sante sur « l'essence du judaïsme d'après ses principes géné- raux 2. » Il fait précéder son article de la confession suivante : « Ces paragraphes ne forment point un système, ils n'ont pas la prétention d'être complets; peut-être même n'avons-nous pas réussi, malgré notre bon vouloir, à ies enchaîner logiquement. Nous osons à peine les présenter comme les matériaux d'une théologie juive, car, en tant que fils de notre temps, nous éprou- vons la douloureuse conviction que notre ignorance l'emporte sur notre science. »

Ces paragraphes, écrits dans un style concis, mais clair, ren- ferment des aperçus et des thèses sur la religion et ses sources, sur les livres religieux du judaïsme et leur contenu, sur la vérité révélée et sur Moïse, « qui ouvre vraiment l'histoire du judaïsme ». Au paragraphe 10, il soutient que « la critique qui sépare ce qui est mosaïque de ce qui est postérieur est sans importance pour les vérités essentielles du judaïsme». « La question récemment dé- battue, dit-il plus loin, de savoir si la Loi est le prototype ou un produit du prophétisme 3, est donc sans valeur ici, les dis- tinctions subtiles n'ont que faire. Toute loi, même postérieure, ne pouvait être que l'expression d'idées suscitées par Moïse, et c'est l'essentiel. Il est indifférent que ces idées aient été émises avant la Loi ou qu'elles n'aient encore existé que dans les cœurs. » Le paragraphe 11 établit huit propositions « qui appartiennent

1 liid., II, 331-350. * Ibid., IV, 12-18.

3 En 1835 parut la Théologie biblique de Vatke, qui, pour la première fois, soutint la thèse, développée depuis par Graf et Wellhausen, de la postériorité de la Loi.

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absolument à la croyance juive l. » Le dernier paragraphe ren- ferme quelques remarques sur ces propositions, que Derenbourg lui-même caractérise ainsi : « Ce qu'il y a d'indéterminé dans la plupart de ces propositions vient de ce que la croyance ne se préoc- cupe point des distinctions philosophiques, mais est la manifesta- tion du besoin intérieur de l'homme et se soucie peu des contra- dictions que la raison raisonnante découvre. »

Des travaux d'un autre genre absorbent encore l'activité de Derenbourg. Il ne peut réaliser, il est vrai, que tardivement, et en partie seulement, son désir d'examiner les manuscrits de la biblio- thèque de Leyde. Dans la Zeiischrift de Geiger, il parle surtout du manuscrit du Aroach qui se trouve à cette bibliothèque2. Il publia aussi des écrits en langue hollandaise, notamment une bro- chure anonyme sur la question du grand-rabbinat de la Hollande.

Ce fut pendant son séjour à Amsterdam que Derenbourg perdit son père (1836). Cinquante ans plus tard, il dédia à sa mémoire le premier volume du commentaire arabe de Maïmonide sur le traité mischnique de Tohorot, comme pour témoigner qu'il devait à son père la science talmudique qui lui avait rendu possible la publica- tion de cet ouvrage.

IV

La même année Geiger quitta Wiesbaden pour aller à Bres- lau, Derenbourg partit d'Amsterdam pour Paris, il resta fixé jusqu'à la fin de sa vie. Il se rendit dans cette ville pour y accom- pagner son élève, Raphaël Bischoffsheim. Mais ce qui l'avait sans doute décidé également à venir à Paris, ce furent le désir d'y conti- nuer ses études et l'espoir de s'y créer une situation scientifique. Il ne put pourtant pas réaliser un de ses vœux les plus chers, celui d'as- sister aux conférences du plus grand arabisant d'alors, Silvestre de Sacy ; le savant était mort quelques mois avant l'arrivée de De- renbourg à Paris3 (en février 1838). Il n'était pas encore depuis un an à Paris, lorsqu'il reçut la nouvelle de la mort de sa mère4.

1 Léopold Lôw reproduit ces propositions au § G36 de son livre : ffamaphteach, Praktische Einleituinj in die heilige Schrlft (Gross-Kanischa, 1855).

2 Z. f.j. Th., III, 275-280; JV. 123-130.

2 Voir llartwig Derenbourg, Silvesïre de Sac>/. Edition du centenaire de l'Ecole des langues orientales (Paris, 1895, p. 6).

4 A sa mémoire il dédia le deuxième volume de l'ouvrage dont il avait dédié le premier volume à la mémoire de son père.

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De la sorte se trouvait rompu le plus puissant lien qui le rattachât encore à sa ville natale et à l'Allemagne. Bientôt il devait renoncer définitivement à la carrière à laquelle il s'était destiné. Son frère Jacob, bien que, depuis 1835, il ne fût plus président de la commu- nauté, employa son influence à le faire nommer rabbin de Mayence. Mais Derenbourg déclina cette offre, parce que, malgré la sincérité de ses sentiments religieux, il ne pouvait accorder son opinion touchant les lois cérémonielles avec les exigences auxquelles le rabbin doit se soumettre. 11 préféra garder son indépendance. Peu de temps après, heureusement, s'offrit au jeune savant de trente ans, sans ressources, une modeste situation, qui sollicitait son activité, mais qui n'entravait pas ses études scientifiques. Il fut chargé de la direction des élèves juifs dans une institution du Marais (rue du Parc-Royal). Cette situation lui permit de se créer une famille. Le 21 août 1843, il avait juste trente-deux ans, il épousa Mlle Delphine Moyse, qui, ainsi qu'il aimait à le dire, fut sa Providence. Elle fut pour lui une compagne vaillante et dévouée, qui, par ses remarquables qualités, soutint ses efforts, l'aida à conquérir l'indépendance à laquelle il aspirait et fit de sa maison un asile béni, il goûta les plus douces joies de la famille.

Après avoir élu domicile en France, il s'occupa de recouvrer les droits de citoyen français. En 1844, il reprit la nationalité que lui avait donnée sa naissance et sous laquelle s'était écoulée son enfance. Cette même année il eut un fils, auquel il donna le nom de son grand-père, Hartwig; trois ans plus tard, naquit son second fils Louis. Voulant avoir le droit de professer, il passa, en 1850, son agrégation d'allemand et enseigna cette langue au lycée Henri IV pendant une année comme suppléant de l'hellé- niste Théobald Fix. En 1852, il succéda à celui-ci comme correc- teur de première classe à l'Imprimerie Impériale ; en 185G, il fut nommé correcteur des impressions orientales dans le même éta- blissement. Ces fonctions, il les conserva jusqu'en 1877. En 1855, il avait la joie de revoir, après une longue séparation, son ami Geiger et de lui offrir l'hospitalité '.

En janvier 1857, Derenbourg fonda une institution (rue de la Tour d'Auvergne), qu'il dirigea durant six ans avec sa femme, et qu'il sut rendre prospère. Ce furent des années de dur labeur, mais qui lui assurèrent cette liberté tant désirée. Il allait donc, enfin, pouvoir se consacrer sans réserve à la science.

1 Voir Nackgelassene Schriften, V, 132.

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Pour atteindre ce résultat, il lui avait fallu vingt-cinq années d'un travail acharné. Cependant, même pendant cette période, il n'avait pas cessé d'augmenter son savoir et de cultiver la science. Si le temps lui avait fait défaut pour entreprendre des ouvrages de longue haleine, il avait néanmoins produit quelques travaux personnels et féconds.

Pendant les premières années de son séjour à Paris, ce fut l'arabe qui le passionna, il lui consacrait quatorze heures par jour; mais la littérature juive continuait de l'intéresser. Les rela- tions qu'il entretenait avec la Hollande firent que son premier article scientifique de Paris parut dans une revue hollandaise1. 11 donnait à une difficulté de la critique du Nouveau Testament une solution d'une simplicité presque géniale, que cinquante ans après, M. Chwolson de Saint-Pétersbourg devait reprendre2.

L'année suivante il faisait paraître son premier travail d'épi- graphie, commencement d'une longue suite de contributions à l'étude des inscriptions sémitiques. Ce genre d'étude eut toujours ses préférences et il y revint sans cesse : c'est que sa connais- sance profonde des langues et de l'antiquité sémitiques, et son esprit critique, sagace et minutieux, le rendaient particulièrement apte à cette tâche.

Cette première étude épigraphique portait sur les inscriptions arabes de l'Alhambra; il fit une trouvaille qui lui permit de les déchiffrer exactement : il découvrit une copie de ces inscriptions dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale'5. Reinaud, qui était compétent en la matière, disait à propos de ce travail 4 : « Ces vers étaient fort difficiles à rétablir et à traduire : M. Dernburg s'est acquitté de sa tâche avec beaucoup de conscience et d'habi- leté. » La même année, il publiait un article dans un journal juif qui venait d'être fondé5. Mais c'est, avant tout, aux manuscrits

1 Orientalia, édit. par Juynboll, I (Amsterdam, 1840), p. 175 : Sur le dernier repas pascal de Jésus. Cet article est reproduit dans Orient, 1841.

* D. Chwolson, Das leUtc Passahmahl Christi (Saint-Pétersbourg, 1892), p. 26, 31 et suiv.

3 Les inscriptions de VAlhambra, appendice à VUssai sur P architecture des Arabes et des Maures en Espagne, en Sicile et en Barbarie, par Girault de Prangey, Paris, 1851, xxvni pages.

4 Journal asiatique, 3e série, t. XIII (1842), p. 363.

5 Archives israélit es, 1841

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hébreux et arabes de la Bibliothèque nationale qu'il appliqua ses efforts et qu'il dut l'idée de plusieurs de ses futurs travaux. Dès 1841, il ligure parmi les membres de la Société asiatique ; il an- nonce une édition, avec notes et traduction française, du Kitâb- al-Tarifùt, de Djordjâni *. L'édition, annoncée d'abord et publiée ensuite par Flùgel (Leipzig, 1845), le fit renoncer à ce projet.

Le premier écrit qu'il publia sous forme de livre fut un Manuel d'instruction religieuse, qui était conçu comme une sorte de caté- chisme pour l'initiation religieuse2. La même année, la Revue de Geiger, qui reparaissait après un assez long silence, donna de lui une étude sur un représentant de la littérature hispano-juive à son apogée3. Il s'était servi de documents inédits et apportait des données nouvelles et de nouvelles explications. Cette étude touche aussi, en quelques points, à l'histoire de la philologie juive, pour laquelle, il montra dans la suite une prédilection marquée. Auparavant déjà, il avait publié dans la Revue de Geiger l'opuscule de Saadia sur les soixante-dix (plus exacte- ment quatre-vingt-dix) mots, accompagné de notes4. Deux ans après, il écrivit dans la Revue hollandaise mentionnée plus haut une « étude sur l'ancienne grammaire de la langue hébraïque 5 ». En 1844, le Journal asiatique donne de lui quelques observations sur la grammaire arabe 6 et, en 1850, sur la grammaire com- parée des langues sémitiques7. Il s'occupait aussi, à ce moment, à rééditer, en collaboration avec Reinaud, les « Séances » de Ha- riri, publiées autrefois par Silvestre de Sacy 8.

En même temps qu'il préparait la publication de ce grand ouvrage, il publiait les fables arabes de Loqman, accompagnées d'une traduction française 9. Dans la préface, il fait la remarque ingénieuse et inattendue que Loqman , d'après l'étymologie des

* Journal asiatique, 3e série, t. XII, 36 ; XIV, 319 (1841, 1842).

5 Livre de versets ou Première instruction religieuse pour l'enfance israélite en ver- sets extraits de la Bible, Paris, 1844. Cf. Arch. isr., 1844, p. 280 ; 1845, p. 596.

3 Wiss. Ztitschr. f. j. TheoL, V, (1844), p. 396-492 : Les écrits (Tlsaac b. Juda Giath.

* Ibùl., V, p. 317-324.

6 Orientalia, U (Amsterdam, 1846), p. 99 et suiv.

6 Journal asiatique, 4e série, t. IV, p. 209 : Quelques remarques sur la décli- naison arabe.

7 Ibid.t t. XV, p. 86-97 : Quelques réflexions sur la conjugaison et les pronoms dans les langues sémitiques.

8 Les séances de Hariri, avec un commentaire choisi par Silvestre de Sacy. édi- tion revue sur les manuscrits et augmentée d'un choix de notes historiques et expli- catives en français, par Reinaud et J. Derenbourg, 1847-1851.

* Fables de Loçtnan le Sage. Le texte revu sur les mss., accompagné d'une version française et de notes et précédé d'une introduction... Berlin et Londres, A. Asher, 1850.

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noms, est identique à Bileam ; en outre, il prouve que les fables de Loqman dans leur forme actuelle sont d'origine chrétienne.

Les Séances d Hariri eurent à peine paru que la Société asia- tique le chargea d'éditer les Prairies d'or, de Masoudi1. Mais bien qu'il eût recueilli de nombreux matériaux pour l'édition de ce livre si important pour l'histoire et la littérature des premiers siècles de l'islamisme, en 1859 il renonça définitivement à cette tâche2. En 1855 et 1856, il publie quelques articles, entre autres sur le More Neboukhlm édité par Munk dans l'original arabe *. Il fut aussi chargé de continuer le catalogue des mss. hébreux de ia Bibliothèque Impériale, quand Munk, privé de la vue, eut été obligé de renoncer à ce travail. Mais, absorbé par ses fonctions de correcteur à l'Imprimerie Nationale et par la direction de l'éta- blissement d'instruction qu'il venait de fonder, il fut empêché de terminer le catalogue4, qui fut achevé par M. Zotenberg en 1866 5.

VI

Tant qu'il dirigea son institution, iln.'eut pas le loisir de publier des œuvres scientifiques. L'année 1864 marque une époque nou- velle dans son existence. Il n'a plus son établissement, il n'est plus « chef d'institution », mais un « homme de lettres » indé- pendant6. Malgré ses cinquante-trois ans, il était demeuré jeune

1 Journal asiatique, 4 e série, t. XX (1852), p. 21.

2 IMd., 5e série, t. XIII (1859), p. 286.

"J Ibid., t. VII, 260 : Le sarcophage et l'inscription d'Eschmunazar ; *'}., p. 534 : Notice sur le Guide des égarés ; Archives isr., 1855, p. 531 : Les Samaritains de Naplouse ; ib,, 1856, p. 157 : M. Kenan, le parti clérical et les connaissances bi- bliques en France ; ib., p. 271 : Sur la Mosquée d'Omar.

4 Voici ce que dit le rapport de M. J. Taschereau, administratsur de la Bibliothèque Impériale {Catalogues des mss. hébreux et samaritains de la B/bl. imp., p. vi) : Je m'adressai alors a M. Derenbourg, hébraïsant justement renommé, qui me fit espérer que le travail entrepris pourrait être par lui promptement complété et mené à fin. Âlalheureusement d'autres travaux dont il s'était précédemment chargé, les devoirs de la fonction quïl remplit à la section orientale de l'Imprimerie impériale et des af- faires personnelles le mirent dans l'impossibilité de réaliser cette promesse. »

r> Catalogues, p. 233 : « 1300 à 1304. Catalogue des mss. hébreux de la Bibl. imp. par M. Derenbourg. Ce catalogue est divisé en cinq volumes, dont les deux premiers contiennent les descriptions des mss. de l'ancien fonds; le troisième, les cent pre- miers numéros du Supplément ; le quatrième, les mss. du fonds de l'Oratoire, et le cinquième, ceux du fonds de la Sorbonne. .. Ce travail, qui a servi de base au pré- sent catalogue, contient pour l'ancien fonds les recherches propres à l'auteur... Ce catalogue était réservé par son auteur à une nouvelle revision pour l'indication des renvois et pour des citations laissées en blanc. »

6 La première de ces désignations se trouve dans la liste des membres de Y Alliance isr. universelle de 1862, la seconde dans celle de 1865.

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avec son cœur chaud, son intelligence lucide, son enthousiasme pour la science, son ardeur à retourner aux études qu'il avait négliger pendant quelque temps. Mais la science ne l'absorbait pas tout entier, il réservait une partie de son activité et de son zèle aux œuvres d'instruction et de bienfaisance ainsi qu'à la défense des intérêts du judaïsme. Apres avoir prêté longtemps son concours au Comité de bienfaisance, il fut élu membre du Consistoire de Paris. Son collègue, M. Narcisse Leven, disait à ce propos ' : « Sa com- pétence fut utile dans bien des délibérations. Il s'y faisait remar- quer aussi par l'indépendance de son caractère. Il manifestait son opinion avec la franchise d'un libre esprit s'accommodant mal des routines administratives. » Elu, le 3 mai 1868, membre du Comité central de Y Alliance Israélite, il en devint plus tard le vice-pré- sident. A ce titre il joignit celui de président du Comité des publi- cations. « Ce comité, dit encore M. Leven2, dispose d'un petit budget ; mais, dans les mains de M. Derenbourg, il paraissait iné- puisable. Il savait y trouver ou il cherchait ailleurs ce qu'il fallait pour venir en aide à toute étude sur le dogme, la morale, l'histoire, la littérature juive digne d'être publiée. » Ce même témoin loue également sa participation à tous les travaux de V Alliance : « La défense du judaïsme attaqué, dit-il, la lutte contre l'intolérance et la persécution religieuse, la protection des opprimés, les écoles, l'apprentissage industriel, agricole, toutes les institutions pouvant servir au relèvement des Israélites, au progrès de la civilisation en Afrique et en Orient l'intéressaient 3. »

Il mita profit ses relations étroites avec la famille Bischoffsheim pour diriger de ses conseils les intentions généreuses de cette famille 4. Jusqu'à la fin de sa vie, il resta un des membres les plus actifs du Comité de l'Ecole de travail pour les jeunes filles israé- lites, fondée par la famille Bischoflfsheim \ il portait son activité, il le faisait avec un dévouement absolu et une vaillante énergie. « Partout, a dit une voix éloquente G, il se montre assidu,

1 Archives isr., 1895, p. 254.

* Revue. XXX, p. xi : Discours de M. Narcisse Leven.

3 Ibid., ib.

A Voir la lettre sur les fondations Bischoiïsheim dans Y Univers Israélite, XVI, p. 524 (18 juin 1861).

5 Je ne puis m'empêcher de citer les paroles que lui consacre le rapport de l'Ecole [Ecole de travail... Rapport sur V exercice scolaire, 1894-95, p. 4) : « Il nous aimait et il a t'ait tout ce qu'on l'ait quand on aime. Il s'est donné à nous tout entier, n'ayant pas manqué, en vingt-trois ans, une seule réunion du Comité, une seule distribution des prix, un seul concours d'admission. Il s'intéressait déjà à notre œuvre quand elle n'existait qu'en germe dans la pensée le M. Louis Bischoiïsheim. Et c'est avec M. Derenbourg que le fondateur a discuté et arrêté les premiers plans de notre ins- titution ! »

« Revue, XXX, p. v : Discours de M. Zadoc Kahu.

16 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

dévoué, sage conseiller, ennemi de la routine, enclin aux innova- tions hardies et généreuses et plaidant les causes qui lui sont chères avec une éloquence débordante et une chaleur de convic- tion qui touchent et entraînent. »

Nommé membre du Conseil d'administration du Séminaire israé- lite, il contribua puissamment à introduire l'esprit scientifique dans l'enseignement de cette École. Il occupa lui-même, pen- dant un temps très court une chaire au Séminaire, il pro- duisit une impression profonde sur l'esprit de ses auditeurs. Voici ce que dit de lui un de ses élèves, devenu le chef de la Synagogue française l : « Je me rappelle encore l'impression profonde qu'il fit sur nous, quand par une circonstance heureuse, il nous fut donné au Séminaire de profiter pendant quelques mois de son enseigne- ment. C'était comme une révélation pour notre inexpérience. Que de principes de saine exégèse, que de règles de sage critique, il nous a livrés avec la prodigalité de la richesse ! Ceux qui l'ont entendu au cours de ces leçons, trop peu nombreuses, ont con- servé un souvenir durable de cette science si nourrie, pareille à une source abondante qui aime à se répandre. »

Vil

En août 1865, l'Académie des Inscriptions proposa la question suivante : « Réunir toutes les données géographiques, historiques sur la Palestine, disséminées dans les deux Talmuds, dans les Midraschim et dans les autres livres de la tradition juive, présenter ces données dans un ensemble systématique, en les soumettant à une critique approfondie et en les comparant à celles que renfer- ment les écrits de Josèphe, d'Eusèbe, de Saint-Jérôme et d'autres auteurs ecclésiastiques et profanes. » Par ses études antérieures et les tendances de son esprit, Derenbourg était excellemment pré- paré pour ce travail. Il s^gissait, en effet, de mettre en œuvre cette science talmudique à laquelle son père l'avait initié avec tant de sollicitude, d'appliquer une critique sagace et patiente à des textes obscurs, de se servir de la philologie et de l'archéologie pour porter la lumière dans les ténèbres du Talmud ; il s'agissait surtout de coordonner en un tout historique une quantité énorme de faits particuliers et d'éclairer ainsi d'un jour nouveau le passé d'Israël.

La partie historique, qui devait servir de préface à la partie géo-

» Revue, XXX, p. v.

JOSEPH DERENBOURG 17

graphique, eut le privilège de captiver l'attention de Derenbourg. Ayant appris que son ami M. Neubauer concourait également pour le prix de l'Académie et avait terminé la partie géographique, il s'effaça devant lui et laissa dans leur carton les fiches qu'il avait amassées1. Il fut le premier à applaudir au succès de M. Adolphe Neubauer, qui obtint le prix de l'Académie pour sa Géographie de la Palestine. Pour lui, il se proposa d'exposer l'histoire et l'évolution du peuple juif à l'époque du second Temple, a l'aide des sources talmudiques.

Juste au même moment, Abraham Geiger, qui, depuis 1863, occupait le siège rabbinique de Francfort, venait de reprendre ses recherches sur la même période de l'histoire juive, qu'il avait commencées dans la Urschrift, et qu'il continuait dans ses études sur les Pharisiens et les Sadducéens, dans ses conférences sur l'histoire juive. Cette communauté d'études provoqua à nouveau une correspondance active entre les deux amis. Geiger publia alors quelques passages des lettres de Derenbourg dans sa Zeitschrlft. Le premier de ces extraits commence par le morceau suivant, qui révèle l'aménité et la sérénité du chercheur, qui, malgré le travail aride et le dur dépouillement des textes, ne perd jamais sa bonne humeur 2 : « La promenade un peu longue à travers les steppes souvent mornes du Taimud me cause un grand plaisir. Si parfois la route se perd dans le sable, toujours est-il qu'on chemine parmi un grouillement fantastique d êtres humains qui donne la vie au désert. On bavarde d'importance, on dit pas mal de bêtises, mais on travaille, on dispute, et le bruit des écoles de Tibériade, de Sepphoris, de Gésarée et de Lydda a néanmoins quelque chose de piquant. Au cours de mes lectures, il m'est apparu quelques in- dividualités intéressantes, même le caractère de certaines villes se dessine fortement par une série de traits curieux. » Une autre fois il écrit à Geiger 3 : « Je me réjouis de l'occasion qui m'a induit à quitter le moyen-âge pour étudier l'histoire juive aux derniers siècles qui ont précédé l'ère chrétienne et aux premiers qui l'ont suivie. 11 y a de charmantes figures, qu'un curieux des choses antiques apprécie délicatement. Ce qui fait surtout l'intérêt de cette époque, ce sont les énigmes même qu'elle offre et que peut-être jamais on ne saura résoudre. Je contemple avec surprise les quatre ou cinq siècles écoulés depuis Ezra jusqu'à la destruc- tion du Temple et qu'un voile obscur recouvre 4. »

1 Ces fiches, conservées pour la plupart, m'écrit M. Hartwig Derenbourg, sont à la disposition de tout savant sérieux qui voudrait les utiliser.

* Jiid. Zeitschr.^ III, 295 : lettre du G décembre 1865. 3 Ibid., IV, 150 : lettre du 8 mars 186G.

* lbid., V, 197 : lettre du 23 janvier 1867.

T. XXXII, 63. 2

1b REVUE DES ETUDES JUIVES

Il s'attacha de toute son âme à ce travail, qui demandait à la fois la pénétration du critique, la sagacité du philologue et l'intuition de l'historien. Bientôt il put lire à Geiger, qu'il était allé voir à Francfort, des fragments de ce travail », qui parut en 1867, et qui lit de son nom un des plus éclatants de la littérature juive mo- derne. Le titre de l'ouvrage2, ainsi que la préface, promettent comme deuxième partie la géographie de la Palestine d'après les sources talmudiques. Mais le livre, tel qu'il est, forme un tout in- dépendant ; l'auteur se proposait sur la fin de sa vie d'en publier une deuxième édition, avec quelques rectifications et additions, et un Index des noms propres.

Il est difficile de donner une idée du caractère et du contenu si riche de cet Essai. Ce livre n'a pas la prétention d'être une his- toire complète de l'époque dont il traite, attendu qu'il s'agissait uniquement de réunir les informations fournies par les sources rabbiniques. D'autre part, les faits mentionnés dans ces docu- ments devaient cadrer avec l'ensemble et devaient être éclairés et expliqués à la lumière de l'histoire. En même temps qu'il faisait la critique des sources, Derenbourg éiait obligé d'écrire l'histoire du judaïsme, de suivre la marche des événements et des idées, depuis Cyrus jusqu'à Adrien. De la sorte, l'ouvrage offre une sé- rie d'études qui ne sont pas seulement reliées entre elles par la chronologie, mais encore par un plan général et par l'unité de la conception historique.

Des vingt-quatre chapitres du livre, les trois premiers se rap- portent à l'époque anté-asmonéenne, les chapitres 4-8 aux Asmo- néens ainsi qu'aux Pharisiens et aux Sadducéens. Les chapitres 9-11 s'occupent d'Hérode, des Esséniens,- de Hillel et Schammaï et de leurs écoles. Les chapitres 12-15 ont pour objet l'époque des procurateurs et de la royauté d' Agrippa ; les chapitres 16-18 parlent de la révolte contre Rome et des derniers jours de Jéru- salem; les chapitres 19-23, des années qui suivirent la destruction du temple, enfin le 24e chapitre traite des révoltes sous ïrajan et Adrien. A la fin du livre se trouvent quinze notes très instruc- tives sur les questions les plus controversées et les textes les plus difficiles.

Pour montrer l'impression produite par cet ouvrage, dès son apparition, nous rapporterons deux appréciations : l'une de Gei- ger, qui écrit à M. Noldeke 3 : « Voilà de nouveau de la science

1 Geiger, Nachgelassene Schriften, V, 268.

* Essai sur l'histoire et la géographie de la Palestine, d'après les Thalmuds et les autres sources rabbiniques, par J. Derenbourg. Première partie : Histoire de la Pales- tine depuis Cyrus jusqu'à Adrien. Paris, 1867, 486 pages.

1 Nachfj. Schr., V, 317 : lettre de fin décembre 1867.

JOSKrll DEKENBOUBG VJ

solide, d'où messieurs les confectionneurs de livres pourront tirer profit, si leur orgueil le leur permet. » L'autre est de M. Albert Réville, qui exprime son regret de n'avoir pas connu YEssai, quand il avait publié, dans la Revue des Deux-Mondes, son ar- ticle sur « le peuple juif»; il aurait ainsi évité beaucoup d'er- reurs1. Geiger, qui n'adoptait pas toutes les conclusions de son ami, résume ainsi son jugement : « Le nouvel ouvrage de M. De- renbourg de Paris est d'une importance considérable. . . Il est le résultat de l'étude approfondie des textes et traite la question avec clarté, sympathie et objectivité. . . L'auteur est pleinement maitre de son sujet, fait preuve d'un grand sens historique et de ce pur amour de la vérité qui ne sacrifie pas aux préférences personnelles, mais procède avec réserve et prudence. De telles œuvres sont l'ornement d'une littérature et augmentent nos con- naissances2. »

Cet Essai lit époque dans la nouvelle littérature scientifique du judaïsme, il sera toujours consulté avec fruit pour la critique des textes talmudiques et l'histoire juive du temps du second Temple.

VIII

Au moment parut Y Essai, Munk ne vivait plus. Ce savant, qui avait si glorieusement représenté la science juive en France, était mort le 7 février 1867. Il avait été (depuis 1860) membre de l'Institut et avait remplacé, depuis 1865, Renan dans la chaire d'hébreu et d'araméen au Collège de France. Munk disparu, De- renbourg, dont les études se rapprochaient beaucoup de celles de Munk, devenait l'héritier naturel de sa situation dans le monde savant. D'ailleurs, avant son Essai, il venait de publier à cette époque un certain nombre d'articles qui témoignaient de l'éten- due de son érudition, de la maturité de son jugement et de la finesse de son observation critique. Ces études avaient paru pour la plupart dans le Journal asiatique.

Dans le premier de ces articles, il parlait des publications de

* Nachg. Schri/t., V, 317 : lettre du 20 décembre 1867.

* Jiid. Ztsckr., V, 261, 205. M. Maspero parle ainsi de cet ouvrage dans son oraison funèbre de Derenbourg (Revue, XXX, p. ix) : i Œuvre de patience admi- rable par la masse des matériaux accumulés, œuvre de discussion impartiale et de crilique respectueuse sur le sujet le plus grave et le plus périlleux qu'il soit permis à un savant de traiter. »

20 REVUE DES ETUDES JUIVES

la société de littérature juive « Mekitzé Nirdamim », notam- ment des poésies de Juda Hallévi publiées par Luzzatto1. Au moyen d'une hypothèse hardie il expliquait un mot difficile du livre d'Ezra2, faisait des remarques sur le Pehlevi, tentait aussi d'expliquer le nom d'Huzwaresch 3 ; traitait du projet de M. Joseph Halévy de traduire en hébreu la version éthiopienne du livre d'Enoch*, et rendait compte du Séfer Thaggiu édité par l'abbé Barges5 ; une notice sur l'accent dans la Bible6 annonce les études qu'il devait bientôt approfondir; puis, des observations sur les deux ouvrages arabes que jadis il avait pensé publier 7.

« Derenbourg, comme toujours, est extrêmement actif et son esprit conçoit des projets de toute sorte », voilà ce que Geiger écrit fin 1867 s. De fait, les sujets les plus divers sollicitaient alors sa curiosité. Il s'intéressa d'abord aux inscriptions sémitiques qu'on venait de découvrir, et, de 1867 à 1869, il publia sur ces inscriptions, dans le Journal asiatique, divers articles sous le titre de « Notes épigraphiques9 ». Sous ce même titre, il fit un tirage à part de quelques-uns de ces articles. Quand parut, au commencement de 1870, l'inscription de Mésa, il contribua à son interprétation dans le Journal asiatique 10 et aussi dans la Revue Israélite11, il avait déjà publié des observations sur une mé- daille trouvée à Lyon 12. Dans la première moitié de l'année 1870, la Revue critique donna de lui divers articles sur la critique bi- blique et la philologie hébraïque 13.

I Journal asiatique, 6e série, t. VI (1865), 262-281. Une correction à ce sujet se trouve dans le dernier article (posthume) de Derenbourg dans la Revue, XXXI, 158.

* Ibid., t. VIII, (1866), 401-415. Ci'. Jûd. Ztschr., de Geiger, V, 229. 3 lbid., t. VII, (1866), 440-444.

* Ibid., t. IX (1867), 91-94. s Ibid., 242-251.

6 lbid., 251-253 : Quelques observations sur le Zaquêf Qatôn.

7 lbid., 243-254 : Deux passages dans le.IV* vol. des Prairies d'or ; ib., 285-256 : Un vers du Tarifât expliqué.

8 Nachg. Schriften, V, 316 : lettre du 20 décembre 1867.

9 Journal asiatique, 6e série, t. X-XI1I. Notes épigraphiques : I. Sur l'inscription de l'Araq-el-émir. II. L'inscription trilingue de Tortose. III. Les nouvelles inscriptions de Chypre trouvées par M. de Vogué. IV. L'inscription d'Eschmoun- ézer et le dernier travail de M. Schlottmann sur cette inscription. V. L'inscription dite de Carpentras. VI. Les inscriptions grecques-juives au nord de la mer Noire. VII. Les vers phéniciens dans le Pœnulus de Plaute. VIII. Inscriptions palmy- réennes. IX. Sur quelques noms propres en hébreu et en phénicien.

" lbid., t. XV, 155-160. »« du 8 avril 1870.

II 2 (du 14 janvier 1870).

13 Revue critique, 19 février, 19 mars, 7 mai. Il écrivit plus tard des comptes rendus pour cette Revue, ainsi ; en 1880 (t. 1, 265-267) sur la Bibliotheca rabbinica de Wùnsche. Cet article, signé J. D., a été faussement attribué à James Darmesteter, ainsi que M. Hartwig Derenbourg me l'a fait remarquer [Bibliographie de James Darmesteter, par E. Blochet).

JOSEPH DERENBOlïRG 21

Bientôt Saadia devint l'objet de ses recherches préférées. Déjà en 1868, il avait publié, dans la Zeitschrift de Geiger, une notice sur une œuvre de Saadia qu'il devait achever vingt-sept ans après, peu de temps avant sa mort : la traduction et le commen- taire du livre des Proverbes *. Il songea alors sérieusement à l'é- dition de la traduction du Pentateuque de Saadia et se prépara à cette publication. En s'occupant d'un ouvrage anonyme sur la grammaire et sur la massore que l'explorateur Jacob Sappir avait rapporté du Yémen, il fut amené à faire des recherches sur l'histoire de l'ancienne philologie juive, laquelle commence avec Saadia. Enfin, il se proposa d'éditer un des monuments impor- tants de la linguistique hébraïque, les opuscules d'Aboulwalîd Merwàn Ibn Djanâh-.

Au milieu de ces travaux et de ces desseins, la guerre éclata. M. Derenbourg connut les angoisses et les épreuves du siège de Paris. Comment il chercha dans un labeur opiniâtre une diversion à sa douleur, c'est ce que nous apprend cette lettre, adressée à Geiger, le 11 février 1871 3 : « J'ai déménagé vers le milieu de septembre 4 ; est-ce le changement de rue, ou la situation agréable de mon cabinet de travail? Toujours est-il que j'ai pu travailler, et, s'il m'a été impossible d'entreprendre quoi que ce soit qui né- cessitât une réflexion soutenue ou une étude approfondie, il s'est trouvé néanmoins des disciplines qui n'ont sollicité que superfi- ciellement mon intelligence, sans la remuer dans ses profondeurs. Voici le résultat de cette triste période : L'achèvement des Opus- cules d'Ibn Djanâh, texte et traduction qui formeront un volume de la Collection de la Société asiatique; la publication de la grammaire anonyme rapportée de Sana, qui va paraître dans le Journal asiatique, avec introduction, analyse du contenu et des notes étendues; le commencement d'une édition de Saadia. Un premier volume contiendra le Pentateuque, avec une préface dont j'ai déjà dit un mot, et à la fin, de courtes notes françaises, les unes critiques, les autres explicatives au sujet des alwihât (al- lusions) dont Saadia parle dans sa préface. Ces travaux m'ont été souvent semblables à ces berceuses qui endorment la dou- leur et, comme plus d'une fois, j'ai retrouvé des notes qui me rap- pelaient le temps nous avons lié connaissance, c'est-à-dire la

» Jud. Zeiisckr., VI, 300-315.

* Jûd. Zeitscht:, IX, 133. Voir aussi une lettre du 12 mai 1870, ibid... IX, 150-153.

3 Derenbourg alla habiter rue de Dunkerque, 27, il demeura jusqu'à sa mort.

* Le journal hébreu Libanon a donné le commencement d'une édition critique, par J. Derenbourg.

22 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

jeunesse de mes vingt ans, je me sentais envahi d'une mélancolie qui n'avait, certes, qu'un rapport éloigné avec les daguesch et les r a plié. »

IX

Des différents travaux dont parle la lettre ci-dessus, un parut immédiatement. Le Journal asiatique l publia, en effet, le Ma- nuel du Lecteur, titre à M. Derenbourg, car cet écrit gram- matico-massorétique, qui se trouvait en tête d'un manuscrit du Pentateuque originaire du Yémen, ne contenait ni titre ni nom d'auteur. Ce travail considérable, qui parut aussi à part2, donne le texte hébreu, accompagné de notes et de l'indication des pas- sages, ainsi qu'une analyse du contenu en français, et suivi d'un appendice très intéressant3. Ce Manuel n'a rien d'original, mais, comme l'éditeur le fait remarquer dans l'introduction, il est un auxiliaire précieux pour la connaissance et l'intelligence des sources plus anciennes l'auteur a puisé. Dans ses notes, M. De- renbourg présente une foule de remarques et d'explications sug- gestives, qui ont jeté quelque lumière sur cette période obscure dont il parle à la fin de son introduction : « La valeur de ces études micrologiques sur la grammaire hébraïque n'échappera pas à ceux qui savent combien l'histoire des commencements de cette science est encore couverte de ténèbres, malgré les excel- lents travaux de plusieurs savants et malgré les publications im- portantes d'ouvrages anciens qui ont été faites depuis une ving- taine d'années. »

Le travail sur les petits écrits d'Aboulwalîd était déjà avancé lors de la guerre. Le 12 mai 1870, M. Derenbourg écrit à Gei- ger 4 : « Cette circonstance (la publication de Hayyoudj par Nutt) m'oblige à hâter l'édition des quatre opuscules d'Ibn Djanâh ; elle sera terminée dans quelques semaines, en caractères arabes, avec la traduction française et quelques notes. » Après la guerre, l'ouvrage était avancé et devait paraître dans l'automne de 1871 5.

* Journal asiatique, série, t. XVI (1870).

1 Manuel du lecteur, d'un auteur inconnu, publié d'après un manuscrit venu du Yémen. Paris, Impr. nationale, 1871 ; in-8°, 242 p.

3 I. Les sources l'auteur du Manuel a puisé ; II. La prononciation de l'hébreu chez les Juifs du Yémen; III. Quelques observations sur l'accentuation; IV. La di- vision en Sedàrim ; V, Les Keri-Ketib\ VI. Les quatrains de Saadia.

« Jûd. Zeitschr., IX, 150.

JOSËra DERENBOlHd 23

Mais, par suite de diflicultés de toute nature, il n'a pu le faire pa- raître que dix ans plus tard. Ce retard lui a permis d'utiliser de nouveaux matériaux pour sa préface, il se proposait d'esquis- ser l'histoire de la philologie hébraïque l.

La publication de la version du Pentateuque de Saadia subit un retard plus long encore. Il en avait déjà commencé l'impression -, quand, par suite d'une circonstance imprévue, il dût en arrêter la publication 3. Ce n'est que vingt ans plus tard qu'il publia le Pen- tateuque de Saadia, comme début de la grande édition de Saadia.

En décembre 1871, Derenbourg fut nommé membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, en remplacement du célèbre ara- bisant Caussin de Perceval 4. 11 devint ainsi aux yeux de tous le successeur de Munk : la science juive avait de nouveau, dans la plus haute société scientifique de la France, son digne représen- tant. L'année suivante, en 1872, il lut, à l'Académie r>, un mémoire sur l'immortalité de l'âme, dont il disait avoir cherché en vain les traces dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament. Une inter- prétation superficielle de cette étude fit perdre à J. Derenbourg son siège au Consistoire israélite de Paris et il renonça dès lors à sa collaboration au Conseil d'administration du séminaire israé- lite. Il raconta lui-même, plus tard, cet incident c : « J'avais traité cette question incidemment, dit-il, il y a plusieurs années, devant la Compagnie, en discutant la valeur philologique d'un mot qu'on a voulu lire dans les Proverbes et sur le sarcophage d'Aschmou- nazar7. Ce débat s'est passionné alors et a franchi le seuil de l'Institut. Un évêque, connu par sa fougueuse éloquence, me con- sacra toute une page d'un journal et finit par me conseiller d'ap- prendre l'hébreu. J'ai hâte d'ajouter qu'un savant professeur de

« Les opuscules d'Ibn Djanàh commenceront à paraître en automne et seront rapide- ment menés à bien. »

1 Le 2 juin 1872, il écrit à Geiger {Jiid. Zeitschr., X, 302) : * Les études sur l'histoire de la ^ramma're hébraïque et sur Onquelos me touchent de plus près. En tout cas, dans la préface aux Opuscules, je traiterai à fond et à nouveau, si possible, toute la question. »

1 Le 12 mai 1870, il écrit à Geiger au sujet du plan de sou édition [Jiid. Zeit- tchr., IX, loi . Le 30 juin, Geiger écrit [Ib., X, 221) : J'ai une feuille... sous les yeux ; elle renferme la préface arabe inédite de Saadia avec la traduction hébraïque deD. et la version arabe jusqu'à Genèse, v, 29 ». Voir iè., 301 (Lettre de Derenbourg du 11 juillet 1871 et la note o de la page précédente.

3 Le 11 mars 1872, Geiger écrit (th., 222) : « Par suite du départ du libraire Brill, la publication a cessé ; cependant il y a espoir qu'elle sera reprise. »

4 Il méritait cet honneur à double titre, comme passé maître en hébreu et passé maître en arabe. » Discours de M. Maspero, président de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, Revue, XXX. p. ix.

5 Comptes rendus de V Académie des Inscriptions, année 1872, 407.

6 Extrait des Comptes rendus de l'Académie des inscriptions (février 1883), p. \. 1 Le mot mttbN dans Prov., xn, 28.

2\ REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Saint-Sulpice a, depuis, combattu ma thèse avec une convenance et une courtoisie parfaites, et n'a aucunement songé à me renvoyer sur les bancs de l'école. »

La plupart des travaux que Derenbourg publia les années sui- vantes appartiennent à l'épigraphie et avaient fait l'objet delectures à l'Académie1. A ce moment, les affaires de Y Alliance Israélite uni- verselle sollicitèrent son activité et le conduisirent, au printemps de 1874, à Berlin. Le 20 mai 1874, Geiger écrit à *un ami2 : « Derenbourg et Zadoc Kahn sont venus ici; leurs histoires de Y Alliance ne m'intéressent guère, vu que je ne crois pas au succès. Mais j'ai eu infiniment de plaisir à revoir D., nous avons vécu comme autrefois dans une parfaite intimité; tout le temps qu'il n'était pas pris par ses conférences, il l'a passé avec moi. »

C'était pour la dernière fois que les deux amis se revoyaient. Le 23 octobre de la même année, Geiger mourut. Le dernier volume de sa Zeitschrift fut clos par un article nécrologique que M. De- renbourg publia sur son ami 3. Dans cette notice, dont certains passages sont imprégnés de la plus profonde émotion, il jette un regard sur sa propre jeunesse, sur l'époque il se lia d'une si étroite amitié avec Geiger. Mais cet éloge n'allait pas seulement à « l'ami tendrement aimé », en qui il avait retrouvé, vers la fin d'avril 1874, le Geiger de 1832; il décrivait et appréciait, dans sa pleine valeur, le pionnier de la science, le savant infatigable, le théologien et le maître du judaïsme moderne.

En 1877, J. D. se vit forcé, par suite du mauvais état de sa vue, de renoncer à son emploi de correcteur des textes orientaux, qu'il avait occupé plus de vingt ans, à l'Imprimerie Nationale. Mais, la môme année, il obtint une situation qui répondait tout à fait à ses désirs : il fut nommé professeur d'hébreu rabbi- nique à l'Ecole des Hautes-Etudes (section des sciences philolo- giques et historiques). C'était la première chaire de littérature rabbinique que l'État eût fondée4. D'abord directeur-adjoint, il

1 Une stèle du temple d'Hérode (lu le 15 mars 1872), Journal asiat., 6e s., t. XX, 178-195. Inscription de Carthage sur les offrandes de prémices (lu le 28 nov. 1873), Journal asiat., 7e s., t. 111, 204-227. La statue de Malacbaal dans l'épigra- phie ptiénicienne, Comptes rendus de l'Académie des inscriptions, déc. 1874. Quelques observatious sur les six inscriptions d'idalie, Journ. asiat., 7e s., t. V, 335-339. Sur une nouvelle inscription néopunique de Cherchel, Vomîtes rendus, nov. 1*75.

« Nachgel. Schriften, V, 363.

3 Jiid. Zeitschr., XI, 299-308. Voir aussi l'article de D. : Abraham Geiger, dans Archives Israélites (1875), 179, 199.

4 Ce fut M. Waddington qui, lors de son passage au ministère de l'Instruction publique, créa cette chaire pour M. Derenbourg. (Voir Lettres de Derenbourg à Adolphe Berliner, p. 9.)

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devint, en 1883, directeur d'études. Les conférences portaient sur la Mischna, le Talmud, le Midrasch, la littérature hébraïque et judéo-arabe du moyen âge; elles forment le sujet de la plupart des écrits qu'il a publiés depuis lors. Ces cours, qu'il faisait avec une vive satisfaction, contribuaient puissamment au dévelop- pement scientifique des auditeurs, dont une partie se recrutait parmi les élèves du Séminaire Israélite. Malgré l'affaiblissement graduel, et, à la fin, la perte totale de sa vue, il continua de rem- plir ses fonctions de professeur jusqu'au jubilé de ses quatre- vingts ans, époque il donna sa démission.

Sa nouvelle position à l'Ecole des Hautes-Etudes lui fournit, des 1878, l'occasion d'un intéressant travail. Dans un recueil, pu- blié par cette école, il fit paraître une substantielle étude sur la guerre de Bar-Kokhba, sorte d'annexé à son Essai ». L'année suivante , il écrivit pour la Revue critique 2 un article peu étendu, mais très important, sur l'histoire de la ponctuation mas- sorétique.

Ces divers travaux ne lui faisaient pas oublier les Opuscules d'Aboùl'walîd. Sa tâche lui fut facilitée par la collaboration de son fils Hartwig, qui s'était alors déjà acquis le renom d'un ara- bisant distingué. L'introduction à cette édition avait pris presque les proportions d'un ouvrage séparé. Avant qu'elle fût publiée, M. Derenbourg fut frappé dans ses plus chères affections. En 1879, le premier jour de Souccot il perdit la compagne qui lui avait donné trente-six années de bonheur. Ce deuil jeta un voile de tristesse sur le reste de son existence. Sous le sou- rire et la gaîté se cachait la résignation mélancolique de l'époux attristé, qui ne pouvait plus se livrer tout entier à la joie 3.

X

J. Derenbourg avait près de *70 ans quand ce malheur l'atteignit. Il pouvait alors jeter un regard de satisfaction sur sa vie si bien remplie, embellie par le succès ; il pouvait laisser à de plus jeunes

1 Quelques notes sur la guerre de Bar KôzSbtl et ses suites. (Mélanges publiés par l'Éco.e des Hautes-Éiudes. Paris, 1878, p. 158-173.)

1 Revue, critique, du 21 juin 1879 : Schnedermaun, Die Controverse des Ludovicus CaptLus mit den Buxtorfen ilber das Alter der hebr. Punktation. Voir aussi un article très court de D. dans le Journ. as., 7e s., t. Xlll (1879j, 560-564.

3 II dédia à la mémoire de sa femme la 3e partie de son édition du commentaire delà Mischna par Maïmonide ; il avait dédié les lrp et 2e parties à la mémoire de son père et de sa mère.

26 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

le soin de continuer la tâche et jouir d'un repos bien gagné. Or, chose merveilleuse, c'est précisément à ce moment, à partir de Tannée 1880, qu'il déploya la plus grande et la plus féconde acti- vité scientifique. Il était un de ces vieillards privilégiés auxquels s'applique littéralement cette parole du Psalmiste : « Jusque dans leur âge avancé ils portent des fruits et demeurent pleins de sève et de fraîcheur. »

Aussi les quinze dernières années de sa vie apparaissent-elles comme une seconde jeunesse, pleine d'ardeur et d'enthousiasme pour des recherches et des études nouvelles, La faiblesse crois- sante de sa vue ne diminua en rien son courage et son amour de la science.

Il débuta, dans cette dernière partie de la vie, par la publica- tion de l'ouvrage auquel il avait consacré plus de dix années de recherches, à savoir le texte et la traduction des Opuscules d'AboulwalM, avec une introduction détaillée1. Cette introduction constitue, par la richesse de son contenu, une vraie mine d'infor- mations sur l'histoire de la philologie hébraïque ancienne. Il avait eu la bonne fortune de pouvoir utiliser de nombreux manuscrits. Ainsi, M. Neubauer avait découvert dans la collection Firkowitsch de la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg un grand fragment du seul écrit non conservé d'Aboulwalîd, le Kitâb-at-Taschwîr, et l'avait copié à son intention. 11 put. aussi publier un fragment des écrits polémiques composés contre Aboulwalîd par ses adver- saires, à la tête desquels avait été le célèbre Naguid Samuel ibn Nagdela. De la sorte, Ton eut pour la première fois un tableau vivant des fameuses querelles des successeurs de Hayyoudj sur une foule de points de la grammaire hébraïque. Derenbourg réussit ainsi adonner une idée claire du grand ouvrage polémique d'Aboul- walîd en se servant des propres expressions de ce grammairien ; même il le reconstitua dans ses grandes lignes. Il ajouta aussi de nombreux détails à la biographie d'Ibn Djanâh, sur lequel, trente ans auparavant, Munk avait écrit une notice très solide.

Dans cette introduction, Derenbourg montra également en Hayyoudj le créateur de la philologie hébraïque classique et les rapports de cette dernière avec la philologie arabe. Profitant des textes nouvellement découverts et interprétant à nouveau les textes connus, il sut répandre la lumière sur bien des points obs-

1 Opuscules et traités d'Abotl-l- Wal/'d Mertoân Ibn Djanâh de Cordoue. Texte arabe publié avec une traduction française par Joseph Derenbourg, membre de l'Institut, et Hartwig Derenbourg, professeur à l'École spéciale des langues orientales. Paris, Imprimerie nationale, 1880, cxxiv et 400 pages. Un extrait de l'introduction a paru dans la 29e année 1880) de la MonaUschrift de Grœtz '145-166, 205-21n .

JOSEPH DERENHOUHli 27

curs de l'histoire de la littérature juive. Ses notes sont pleines d'observations fines et intéressantes, et les textes publiés pour la première fois sont établis et traduits avec le soin le plus mi- nutieux. Son fils et lui ont procédé avec le même soin à l'édition des quatre petits écrits d'Abouhvalîd. Ces Opuscules, qui, jus- qu'alors n'étaient presque connus que de nom, permirent enfin d'apprécier à sa valeur le plus grand philologue hébreu du moyen âge. L'édition du lexique d'Aboulwalîd , que M. Neu- bauer avait publié quelques années auparavant, recevait ainsi son complément nécessaire. Se conformant à l'excellente habi- tude des éditeurs français, MM. Derenbourg ajoutèrent au texte une traduction claire et fidèle, qui permet à l'arabisant de mieux comprendre le texte, et au non-arabisant de regretter moins son ignorance de l'original. Cet ouvrage restera d'une importance capitale pour l'histoire de la philologie hébraïque.

Vers le môme temps J. Derenbourg rendait ce service à la science juive par la publication des Opuscules, il eut le bon- heur de voir se créer, sous ses yeux, une Société ayant pour but le développement de cette science. Il ne prit sans doute pas une part directe à la fondation de la Société des Éludes juives et de son organe, la Revue, qui constitue déjà une bibliothèque très riche. Mais, si les chefs de la jeune génération du judaïsme fran- çais eurent l'idée d'une pareille société et purent la mettre à exécution, c'est à lui qu'on en est en partie redevable. Personne, autant que lui, n'avait exercé sur cette génération une influence salutaire, en éveillant chez elle le goût de la science hébraïque. C'est ce qu'a proclamé de son vivant même un de ses disciples et amis les [dus chers : « C'est la jeunesse surtout, dit M. Zadoc Kahn, à qui il a donné de tout temps son appui, sa sympathie et sa protection. Beaucoup lui doivent d'être entrés dans la même direction scientifique que lui, encouragés par sa parole, guidés par ses conseils, fortifiés par son exemple, et sont fiers de s'ap- peler ses disciples. »

Dans la création de la Société des Études juives et de. sa Revue, J. Derenbourg reconnaissait son esprit et son amour des recherches. Il soutint donc, dès l'origine, cette Société -, et, dès le premier fasci- cule de la Revue, il publia une étude biblique, qui contient des re-

1 M. Zadoc Kahn, dans l'article sur le 80» jubilé de M. Derenbourg Revue, appen- dice du XXIIe vol., p. o .

s Ib,t p. 1 : « M. Derenbourg a été un de nos amis de la première heure. La vive sympathie que, dès l'origine, il a témoignée à notre œuvre naissante, a été notre meilleure caution auprès du monde savait et une des causes les plus certaines de notre succès. » En 1$83, il fut président de la Société.

28 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

marques ingénieuses sur le livre de Job et trace un intéressant parallèle entre Job et Bileam1. Le deuxième fascicule donna de lui une étude semblable sur l'Ecclésiaste '-. Il ne publia plus qu'une autre étude semblable sur l'explication du psaume lxxxiv 3. Nous parlerons plus loin de ses autres articles : presque chaque fasci- cule contient son nom.

Dans la même année parut la Revue, il collabora aussi à un recueil allemand ; dans la Monatsschrift de Grœtz, il publia des observations critiques sur quelques paragraphes des traités mis- chniques de Baba Kamma et Baba Meçia 4. En 1873, il fit pa- raître dans la môme Monatsschrift un court article sur l'histoire des Tannaïtes s.

XI

Après les Opuscules d'Aboulwalîd, J. Derenbourg édita un texte d'un tout autre genre : la version hébraïque du fameux recueil de fables Kalila-we-Dimna 6. Cette version a servi pour la traduction latine de Jean de Gapoue, qui, ensuite, semble avoir été utilisée pour toutes les autres traductions dans les diverses langues euro- péennes. Outre cette version hébraïque, qu'il a accompagnée d'une traduction française, J. Derenbourg a publié une autre version hé- braïque du Kalila-ive-Dimna, que Jacob ben Eléazar, le célèbre grammairien de la fin du xne siècle, avait écrite en belle prose ri- mée. Il était d'autant plus important de publier ces deux versions que les manuscrits de la Bibliothèque nationale et de la Bod- léienne sont uniques. Comme supplément à cette édition, J. D.

1 Revue, I, 1-8. Etudes bibliques : 1. Réflexions détachées sur le livre de Job. Nous rappellerons incidemment qu'il a expliqué Job, xxxiii, 21, dans la Jûd. Zeit- schrift de Geiger, V, 191.

2 Revue, 1, 165-185 : Etudes bibliques: II. Notes détachées sur l'Ecclésiaste.

3 VI, 161-168 : Etudes bibliques: 111. Le Psaume lxxxiv.

* Monatsschrift, 29e année (1880) : Aphoristiche Bemerkuni/en zur 3fischna, I-1X, p. 135-139, 176-180, 230-233.

5 Monatsschrift, 37e année (1893), 304, 395-398 : « Sur quelques points obscurs de l'histoire des Juifs : 1. R. Yohanan b. Zaccaï et R. Gamliel II ; II. R. Eleazar b. Azaria. » Un article analogue parut de lui dans la Revue hongroise Magyar-Zsido Szemle, vol. II 1885-, p. 434 ff., sur le C1TT37Î *pn*P de Sabbat, 115 a. J'avais rédigé l'article d'après une communication orale qu'il m'avait faite. On comprend ainsi ces mots qu'il écrivit à Berliner (Lettres de J. Derenbourg, Berlin, 1891, p. 24") le 18 mai 1884 : « Je crois connaître ce C]1T3n 'pTTP- »

6 Deux versions hébraïques du livre de Kalilâh et Dimnâh, la première accom- pagnée d'une traduction française, publiées d'après les manuscrits de Paris et d'Ox- ford, par J. Derenbourg, membre de l'Institut, Paris, 1881, vin et 395 p.

JOSEPH DKRENBOURC, 2'J

publia, huit années plus tard, la version latine de Jean de Gapoue * , avec des notes très instructives et une introduction il montra la place que le Kalila-we-Dlmna occupe dans la littérature juive. Dans l'appendice, il complétait l'édition de l'original arabe de Sacy par la publication d'un chapitre que celle-là ne renfer- mait pas.

Entre l'édition de la version hébraïque et celle de la version latine du Kalila se placent deux publications qui se rapportent aux études préférées de J. Derenbourg, la littérature judéo-arabe au moyen âge. Avec l'une, il revenait à Maïmonide, sur lequel il avait publié son premier article dans la Revue de Geiger. 11 avait formé le dessein de publier complètement dans l'original arabe, avec une traduction hébraïque, le commentaire de Maïmonide sur la Mischna. On n'avait imprimé jusqu'alors que certaines parties du texte arabe, et les versions hébraïques (imprimées dans beaucoup d'éditions du Talmud) sont défectueuses, parce qu'elles présentent de nom- breuses fautes d impression et de graves erreurs de traduction. Après s'être assuré pour ce travail le concours de plusieurs sa- vants, il en avait choisi pour lui-même la partie la plus difficile : le VIe livre de la Mischna, dont il avait déjà donné quelques frag- ments dans le recueil publié lors du quatre-vingt-dixième anni- versaire de Zunz2, avec une introduction sur les versions hé- braïques de ce commentaire3. L'entreprise échoua devant les difficultés matérielles de l'exécution et, seul, il mena à bien la tâche qu'il s'était imposée. L'ouvrage parut par fascicules dans les publications de la Société des Méqidtzè Nirdamim et fut ter- minée en 1889 4. Cet ouvrage n'a pas été apprécié à sa valeur par les savants, auxquels il s'adressait plus particulièrement. On n'a pas assez montré la patience et l'abnégation nécessaires pour achever un pareil travail, qui ne pouvait être accompli que par un homme qui, à la piété envers les productions littéraires du passé, joignait la connaissance profonde de la matière et la par- faite intelligence de la langue du commentaire de Maïmonide sur la Mischna. Cette édition a, pour ainsi dire, fait école, car dans ces

1 Johannis de Capua Directorium vitœ humanœ, alias Parabola antiquorum sapien- tium. Version laiine du Kalilah et Dimuah, publiée et annotée par J. Derenbourg (Bibl. de l'Ecole des Hautes Éludes, 70° fascicule), Pans, 1889, xix et 373 p.

1 Lors de cette fête jubilaire, ce fut M. Derenbourg qui porta à Zunz les félicita- tions de l'Alliance israélite et de la Société des Etudes juives.

* Jubelschrift zum 90. Geburtstage des DT L. Zunz, Berlin, 1884, p. 152-157 de la partie allemande et p. 175-191 de la partie hébraïque.

4 Commentaire de Maïmonide sur la Mischnah, Séder Tohorot, publié pour la pre- mière fois en arabe et accompagné d'une traduction hébraïque. Première partie, 1887 230 p. ; deuxième partie, 1888 244 p.) ; troisième partie, 1889 ^276 p.).

30 REVUE DES ETUDES JUIVES

dernières années, on a publie" d'autres parties du commentaire (comme thèses de doctorat). C'est un devoir d'honneur pour les générations nouvelles d'achever cette œuvre et de faire connaître entièrement le commentaire de Maïmonide.

L'autre édition, qu'il avait fait paraître encore avant le com- mentaire de Maïmonide, faisait suite aux Opuscules et donnait enfin l'original arabe de l'ouvrage le plus important de la littéra- ture grammaticale classique du moyen-âge, je veux dire le Kitâb al-Louma (Séfer Hariqma), la première partie de l'ouvrage capital d'Aboulwalîd *. La part que j'ai prise moi-même à cette édition2 ne me permet pas d'en dire davantage. Je tiens seulement à faire remarquer que cette édition eût été impossible, si, lors de son séjour à Londres (été de 1884), M. Derenbourg n'avait trouvé un grand fragment du Louma au British Muséum. Grâce à cette dé- couverte, on put combler la lacune (environ un cinquième du tout) qu'offraient les deux manuscrits d Oxford et celui de Saint-Péters- bourg3.

Pendant qu'il était occupé à cette édition et qu'il pensait déjà à la grande publication qui devait couronner son existence , il donnait, soit dans cette Revue, soit ailleurs, de nombreux articles sur la littérature talmudique et la littérature médiévale juive, ar- ticles semés d'observations fines, d'explications pénétrantes et d'hypothèses suggestives. La Revue publia de lui des études sur la Mischna4, principalement une étude étendue sur la Mischna de Kippour avec une restauration du texte original, et une foule de digressions instructives 5. Plusieurs de ces articles traitaient de la liturgie0. Il produisit aussi quelques études sur la philologie hé- braïque et l'exégèse biblique 7. Parmi celles-ci, il faut tirer de pair

1 Le livre des parterres fleuris. Grammaire hébraïque en arabe d'Aboul Walîd Merwân lbn Djanâh de Gordoue, (Bibl. ces Hautes Eludes, 66me fascicule^ Paris, 1886, p. i-xn ( Avant-prcpos), p. xvii-lxiv (Table des passages bibliques cités dans le Louma), 388 p. (texte arabe).

2 Voir, p. xn de l'Avant-propos, note 1 : « Il est bien enfendu que, sans le règle- ment de l'Ecole, qui interdit rigoureusement de mentionner sur le titre de ses publi- cations le nom d'un savant ne faisant pas partie du corps enseignant de l'Ecole, le nom de M. Bâcher figurerait sur le titre à côté du mien. >

3 Voir mon ouvrage : Leben uni Werke des Abul Walîd Merwân lbn Granah und die Quellen seiner Sfihrifterhlàrung (1885), p. 36.

4 Revue, III, 205-210 : Les sectious et les traités de la Mischnah ; XII, 65-72 : Mischna Yadaïm, ch. iv, § 1 et 2 ; XX, 136-137 : Le nom du traité Moêd Katon.

s Essai de restitution de l'ancienue rédaction de Massécheth Kippourim, dans Revue, VI, 41-80.

6 Revue, II, 290-293 : Le prophète Elie dans le rituel ; III, 284-287 : Quelques observations sur la section de Mischpatim divisée en deux pour la lecture de la Thora ; VI, 146-149 : Quelques mots sur les sections du Pentateuque.

7 Revue, IV, 274-278 : Un rudiment de grammaire hébraïque en arabe ; XVI,

JuSKl'll DKKKNBOIUU; 31

son édition du texte arabe du commentaire de Juda ibn Bilâm sur Isaïe, avec une traduction française l. La Revue contient aussi de lui quelques articles sur lopigraphie -, ainsi que des études sur des points spéciaux de philologie, d'archéologie, d'histoire et de littérature3. Les rares comptes rendus qu'il écrivit pour la Revue sont remplis des plus intéressantes observations4.

En 188^, il publia dans l' Encyclopédie :i de Lichtenberger un grand article sur le Talmud; il y raconta les origines et l'évolu- tion du Talmud. Cette étude mériterait un tirage à part. Dans un recueil en l'honneur de M. Léon Rénier, président de l'École des Hautes-Etudes, il fit paraître une étude curieuse sur Eleazar KalirG, qui, aux suppositions déjà si nombreuses sur la patrie et le nom de ce poète liturgique, ajoutait une hypothèse nouvelle d'une hardiesse étonnante7.

Cependant, il n'oubliait pas sa chère épigraphie, secondé par son fils Hartwig, notamment pour les inscriptions de l'Arabie méridionale s. Quand l'Académie des Inscriptions décida la publi- cation du Co?*pus Inscriptiomim Semilicarum , il fut nommé membre de la Commission, et, de concert avec son fils, il décrivit et commenta les inscriptions himyarites3.

57-60 ; XVII, 157-158 : Les signes mnémotechniques des lettres serviles et radicales; XIX, 310-311 : L'ouvrage perdu de Juda Hayyoûdj ; XX, 137-138 : La critique de Saadia par Mebasser.

1 Gloses d'Abou Zachariyah b. Bilâm sur Isaïe, dans Revue, XVII, 172-201 ; XVIII. 71-82 ; XIX, 8^-99 ; XX, 225-236 ; XXII, 47-61 ; XXIII, 43-62, 206-209.

* Revue, II, 123-124 : Sur le nom d'Amrainadab ; II, 131-134 : Les anciennes épi- taphes des Juifs dans l'Italie méridionale; 111, 161-172 : L'inscription hébraïque du Siloàb près de Jérusalem ; XV, 109-112 : Le sarcophage de Tabnit.

3 Revue, II, 124-127 : Le mois de Etanim ; III, 121-122 : Année de la composition du Tanna debé Eiiabou ; VIII, 275-276 : La montagne de fer; IX, 301-304 : Légende etHaggada; X, 253-254 : Un rideau de synagogue de 1796; XVIII, 126-128: Le nom de Jésus dans le Koran ; XIX, 148 : Le nom de Fangar.

"Revue, III, 149-153 : Stade, Hebraïsche Grammaiik; V, 137-142 : Bâcher, Abr ibn Ezra als Grammatiker ; X, 311-314 : Harkavy, Mss. de la Bible récemment découverts; VI, 307-310, Peritz, Séf'er Hamizwotb.

' XII, 1009-1038.

6 Recueil de travaux publiés par l'Ecole des Hautes Ritcdes, en mémoire de son pré- sident Léon Rénier, 1886 : Eleazar le Peitan.

7 II en a donné lui-même un résumé dans la Revue,; XII, 298-300. Voir aussi Mo- natsschrift, 36° année (1887), 529-538.

s Etudes sur V épi graphie du Yémen (1884). Les monuments sabéens et himya rites du Louvre (1886). 9 Corpus lnscr. semit., fascicules I et II.

32 REVUE DES ETUDES JUIVES

XII

On a déjà vu quel puissant attrait les œuvres de Saadia exer- çaient sur M. Derenbourg, qui y revint à plusieurs reprises. Vers le commencement de 1880, il était occupé à publier un grand frag- ment du commentaire du Gaôn sur le Pentateuque. Voici ce qu'il écrivait en mars 1880 à M. Berliner1 : «J'ai copié le commentaire de Saadia sur l'Exode depuis le ch. xxv jusqu'à la fin. Ce commen- taire est très curieux, mais l'édition en est difficile, parce que le manuscrit est partout déchiré, brûlé ou effacé. En plus, le relieur a collé du papier à certaines places. Ce ne sera qu'à grand'peine que je pourrai traduire le tout en français et écrire une introduc- tion. » Quelques années plus tard, il se consacra à la traduction du livre d'Isaïe. Dans l'été de 1884, il se rendit à Oxford et colla- tionna le manuscrit qui avait servi à Paulus, à la fin du siècle dernier. Avec le ms. d'Oxford et un ms. de Paris, il établit le texte correct de l'Isaïe de Saadia et le publia avec des notes et des observations et un fragment du commentaire sur Isaïe, trouvé à Saint-Pétersbourg 2.

Ce fut à ce moment qu'il résolut de mettre à exécution le projet qu'il caressait depuis longtemps : à l'occasion du millième anniversaire de la naissance de Saadia, il voulut organiser la pu- blication de l'œuvre intégrale du Gaôn 3. Dans une lettre du 5 avril 1889, il m'apprit qu'il s'occupait du commentaire de Saadia sur les Proverbes, « et, continue-t-il, quand j'aurai terminé le commen- taire de la Mischna, je consacrerai uniquement le reste de mon existence au grand Fayyoumite. » Le 13 octobre de la même année, il m'écrivait : « Vous ai-je déjà entretenu de mon dessein d un millé- naire de Saadia? Il faut absolument qu'en 1892 Ton fasse quelque chose d'important en l'honneur du grand Gaôn. » Le 14 décembre, il me traçait dans ses grandes lignes le plan qu'il avait formé : « Mon intention est de publier l'œuvre entière du grand Gaôn. Premièrement, ses écrits exégétiques, sa version du Pentateuque

1 Lettres de J. Derenbourg, p. 22 ; cf. ib., p. 20.

* Zeitschr. f. d. alttest. Wissenschafl, 9e année (1889), 1-64 ; 10S année (1890), 65-148 : Version d'Isaïe de R. Saadia. Une nouvelle édition, avec traduction française, due à la collaboration de MM. Joseph et Hartwig Derenbourg, paraîtra en juin 1896.

3 Dans l'Avant-propos à l'édition du Pentateuque de Saadia (p. iv), D. dit : « Dès l'année 1885, je nie suis adressé aux savants israélites versés dans les études orientales et rabbiniques, atin qu'ils unissent leurs efforts aux miens pour la publi- cation des œuvres du Gaôn. »

JOSEPH DKUENBOL'HG 33

avec les fragments de son commentaire, sa traduction d'Isaïe, des Psaumes, des Proverbes, de Job et de Daniel. En second lieu, le lour et ses écrits talmudiques. Troisièmement, le livre des Croyances et la commentaire sur le Sëfer Vectra. Quatrième- ment, différents opuscules sur la grammaire et l'astronomie. Le tout sera précédé d'une Vie de Saadia, qui pourra traiter de différents sujets. »

Au printemps de 1890, le plan entra dans la voie pratique; les collaborateurs étaient acquis, et le Comité des publications de Y Al- liance israélite adressa en français et en hébreu un appel aux souscripteurs, pour entreprendre l'édition jubilaire de l'œuvre entier de Saadia, « le père de la science juive. » L'enthousiasme de ce vieillard au cœur jeune et vaillant opéra le miracle: on s'at- tela à la besogne et on réunit les fonds nécessaires pour assurer les conditions matérielles. Certes, on ne réussit pas à constituer la somme nécessaire à la publication de tontes les œuvres de Saadia. Cependant, le succès fut assez considérable pour qu'on pût envisager l'avenir avec sécurité et songer à l'exécution du projet. M. Derenbourg s'occupa avec ardeur des écrits de Saadia qu'il s'était réservés et auxquels il avait déjà consacré tant d'efforts. Il s'efforça en même temps de communiquer son zèle à ses collaborateurs, les aida de ses conseils et leur procura les manuscrits nécessaires. Désormais, il se voua presque exclusive- ment à cette entreprise; à partir de 1890, il ne publia que très peu d'articles sur d'autres sujets l.

Pendant qu'il préparait pour l'impression le premier volume de l'œuvre jubilaire, ses amis et admirateurs organisaient en secret son propre jubilé, qui devait avoir lieu le 21 août 1891. Son quatre-vingtième anniversaire fut célébré d'une manière vrai- ment digne de cet homme tout dévoué à la science et à la littéra- ture. Outre les hommages personnels dont on le salua ce jour-là, il reçut une série de grands et de petits travaux, composés en son honneur par vingt-cinq savants. Des Français et des étrangers, des juifs et des chrétiens se réunirent pour faire hommage des fruits de leur travail au Nestor, demeuré si jeune, de la science juive2. Il accueillit les vœux et les félicitations avec cet entrain et cette gaité d'esprit que n'avaient pu entamer les infirmités de la

i Revue, XXV, 248-250 : Un livre inconnu de R. Bachyia b. Joseph ; XXX, 70- 78: L'édition de la Bible rabbinique de Buxtorf; ib., 155-158: KokowzoiF, Kitâb-al Moutvûzana; XXXi, 157-160 : H. Hirschf'eld, AssabHniyya (paru après la mort de 1). . Les articles publiés dans la Monatsschrift ont été mentionnés ci-dessus.

* Isidore Loeb a donné la liste des travaux dédiés à M. Derenbourg dans la Revue, XXIII, 149 et suiv.

T. XXXII, 63. 3

34 REVUF. DES ETUDES JUIVES

vieillesse. Tous ceux qui assistèrent à cette fête pouvaient espérer la réalisation des souhaits formulés en si beaux termes dans l'ar- ticle de la Revue des Etudes juives ! : « Nous demanderons à la Providence de veiller sur cette vie précieuse et de faire encore longtemps de cette belle et forte vieillesse un exemple pour les jeunes générations, exemple de travail, de dignité, d'honneur, de désintéressement, d'amitié fidèle et de dévouement. »

La fête jubilaire ne produisit qu'une courte interruption dans son travail sur Saadia. Il fut empêché par des circonstances exté- rieures de publier le premier volume en 1892. Toutefois, il eut la satisfaction de voir partout célébrer par la parole et la plume le millénaire de Saadia. Enfin, au printemps de 1893, parut le pre- mier volume de l'édition de Saadia, à savoir la version du Penta- teuque2, et, moins d'un an après, le sixième volume, la version et le commentaire des Proverbes 3. Il écrivit des préfaces aux deux ouvrages, en français et en hébreu. Dans ces préfaces, il rendait compte des sources dont il s'était servi et de ses procédés pour la fixation des textes. Ce qui est le plus important dans son travail sur le texte arabe de Saadia, ce sont les notes hébraïques dont il l'accompagna.

Dans l'édition des Proverbes, il donna un résumé du com- mentaire de Saadia, tout en n'en omettant aucune observation importante; en même temps, il ajouta des remarques sur la tra- duction du Gaôn. Quiconque lira cette analyse du commentaire de Saadia, écrite dans un hébreu limpide, en connaîtra à fond le contenu, de sorte que ceux qui savent l'hébreu, mais non l'arabe, pourront également se rendre compte de l'interprétation si inté- ressante que le Gaôn a faite des Proverbes. Par sa traduction fran- çaise des Proverbes selon l'interprétation du Gaôn, Derenbourg a rendu l'ouvrage de Saadia accessible à un plus grand nombre de lecteurs encore. En ce qui concerne le Pentateuque, il s'était con- tenté de traduire quelques chapitres de la version arabe de Saadia.

Pendant que les premier et sixième volumes s'imprimaient, d'autres volumes, choisis par lui ou par ses collaborateurs, sollici- taient son attention et son activité. Lui-même travaillait au deuxième volume, qui doit contenir les fragments du commen- taire de Saadia sur le Pentateuque, et au troisième qui ren-

1 Revue, XXII, Appendice, p. o : article de M. Zadoc Kahn.

s Œuvres complètes de li. Saadia b. Josef al-Fayyoûmi, publiées sous la direction de J. D. Volume premier. Version arabe du Pentateuque. Paris, 1893, vii+vin-f-32 + 308 p.

3 Œuvres complètes. . . : Volume sixième. Version arabe des Proverbes, xi+204-66 p. La première page mentionne comme collaborateur M. Mayer Lambert, professeur au séminaire isiaéhte.

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fermera la version du livre d'Isaïe avec les fragments du com- mentaire sur Isaïe, ainsi qu'une traduction française rédigée, en collaboration avec son fils ilartwig, d'après la version arabe du Gaôn. Il a laissé ce dernier volume prpsque achevé. Il put encore revoir les épreuves d'un traité balachique de Saadia (le traité des héritages , qui fera partie du neuvième volume. J'ai également pu lui soumettre quelques épreuves de mon travail sur le cinquième volume (Job), il m'a aidé de ses observations et de ses conseils. Enfin, il s'occupait du huitième volume, consacré au commentaire sur le Se fer Yeçira, et au principal ouvrage philosophique de Gaon. Il préparait une traduction française des Emounôt, et il en a rédigé une bonne partie. Mais, avant qu'il eût pu y mettre la dernière main, la mort vint l'enlever à la science.

XIII

Dans les dernières années, si fécondes, de sa vie, M. Derenbourg eut à lutter sans cesse avec les difficultés que lui suscitait l'affaiblis- sement progressif de sa vue. Dès la fin de 1876, il se plaignait des jours troubles et embrumés qui lui rendaient le travail presque impossible *. Deux années après, il écrivait * : « Une personne qui a de bons yeux ne saurait se figurer le chagrin de celui qui se voit forcé d'interrompre son travail après quelques heures d'études, pour le remettre au lendemain. » La même plainte se fait en- tendre dans une des dernières lettres quMl m'adressa (8 juin 1895): « Quand on voit bien, on a peine à comprendre les souffrances d'une personne à moitié aveugle. »

Quand je le vis pour la première fois, dans l'été de 1885, il voyait encore et s'acquittait lui-môme des plus pénibles correc- tions. Encore dans les deux années qui suivirent, il écrivait lui- même ses lettres, de son écriture menue et cependant très lisible. Mais bientôt il se contenta de dicter ses lettres et d'y apposer sa signature ; enfin, l'absence de la signature attesta qu'il était de- venu complètement aveugle. Il garda pourtant jusqu'à la fin la faculté de distinguer la clarté de l'obscurité ; c'est pourquoi, dans la lettre citée plus haut, il dit de lui-même, avec l'optimisme qui le caractérisait, qu'il n'est qu'à moitié aveugle. Etant donnée la na-

Lettres de J. Derenbourg à Berliner, p. 5. 7JM.,p. 7 10 juillet 1878).

oG REVUE DES ETUDES JUIVES

ture de ses occupations, lesquelles se rapportaient presque tou- jours à la lecture et à l'interprétation des textes, le travail avec l'aide de lecteurs et de secrétaires, quels que fussent leur savoir et leur dévouement, était toujours entouré de grandes difficultés. Mais Derenbourg surmonta ces difficultés avec le calme et la séré- nité qui ne l'abandonnèrent jamais, grâce aussi à sa vaste et pro- fonde érudition et à sa prodigieuse mémoire.

A toutes ces qualités, Derenbourg joignait un grand amour de l'ordre et une ordonnance minutieusement réglée de l'emploi de son temps. Il parvenait ainsi à trouver les loisirs nécessaires pour prendre connaissance des travaux étrangers à ses études spéciales et pour remplir ses obligations tant sociales qu'officielles. L'été ap- portait une diversion à cette régularité. Depuis près de vingt ans, il passait un mois à Ems, l'attendaient ses admirateurs et de fidèles amis. Il se réjouissait en quelque sorte pendant toute l'année devant la perspective des quelques semaines à passer à Ems. Le *7 mars 1890, il m'écrivait : « Bien qu'ici Paris) je mène une vie très agréable et fort active, le mois de juillet forme cependant comme un point particulièrement lumineux dans l'année, parce qu'il me réunit à un certain nombre de jeunes et charmants savants. . . Au mois d'août, j'entrerai, s'il plaît à Dieu, dans ma quatre- vingtième année, et jusqu'ici le « vieux monsieur », comme on m'appelle à Ems, n'a pas perdu beaucoup de sa bonne humeur et de son énergie. »

Deux ans après (28 mai 1892), il écrit : « Mon cœur déborde et je ne saurais vous dire mon plaisir à la nouvelle que nous nous ren- contrerons à Ems. » La vivacité de sentiment que marquent ces paroles eut quelques jours après (5 juin 1892) une triste occasion de se manifester : « Je vous avais exprimé ma joie de me trouver avec vous et votre famille à Ems. Depuis, la mort de mon cher ami Loeb m'a causé un chagrin profond, et je ne me consolerai pas facilement de cette perte cruelle. L'âge n'a point émoussé mes sentiments, et je ressens aussi vivement le malheur que le bon- heur. »

Ces journées d'Ems resteront inoubliables pour tous ceux qui les purent passer dans sa société. 11 se dégageait de sa personne un charme profond aussi bien dans les entretiens sérieux que dans la conversation amicale et familière. Aucun de nous n'avait son inaltérable bonne humeur ni sa vivacité. Son voyage à Ems lui offrait aussi l'occasion de voir ses parents à Bonn, Offenbach et Giessen. Le souvenir de ses premières années d'études univer- sitaires l'attachait à cette dernière ville. Je dois à M. le profes- seur Stade les communications suivantes sur son séjour à Gies-

JOSEPH DERENBOURG 37

sen : « C'était pour moi un grand plaisir de m'entretenir avec Derenbour£, qui, lorsqu'il arrivait sur le chapitre de ses projets littéraires, devenait d'une vivacité juvénile. J'ai tout particuliè- rement admiré sa mémoire vigoureuse. Je lui dois plus d'un renseignement qui m'a fait comprendre certaines personnes et certaines choses du vieux Giessen. Lors d'une de ses dernières visites, il formula le désir d'assister une fois encore à une confé- rence allemande d'exégèse, mais ce désir ne put se réaliser. Au reste, à ces réunions, qui tantôt avaient lieu dans le salon de Mme Bayerthal (sœur de Derenbourg), tantôt dans mon cabinet, cVtait moi qui apprenais. Il avait tant à me parler de ses vastes projets, de ses lectures, des collègues parisiens, que j'étais tout oreilles et ne pensais pas à l'interrompre. »

M. Derenbourg eut le bonheur de jouir d'une robuste santé presque jusqu'aux derniers jours de sa vie. Ce ne fut que dans le dernier hiver de son existence que sa santé fut ébranlée. Le 11 janvier 1895, il m'écrivait : « De l'année qui vient de finir, j'ai rapporté un petit, bobo dans l'année présente, mais j'espère en être débarrassé d'ici quelques jours. » Le 30 avril 1895, il me disait : « Le dernier hiver m'a violemment secoué et je ne sais pas si je ne devrai pas rester ici au mois de juillet. Peut-être cependant le prin- temps guérira-t-il ces rudes atteintes d'un rude hiver. » Cet espoir semblait se réaliser, la saison chaude adoucit son mal (une infir- mité des intestins) et, selon le vœu de son cœur, il put se rendre à Ems. Ce fut son dernier voyage. Il ne passa plus que deux se- maines au milieu de ses chers amis.

L'un d'eux, le plus fidèle, qui entourait le maître de l'affection et des soins d'un fils, le rabbin J. Guttmann (de Breslau), m'écri- vait (le 5 août 1895) : « Il était déjà malade en arrivant; malgré cela, je ne le trouvai pas beaucoup changé. Il souffrait, mais se re- prenait toujours, et assistait, comme d'habitude, à nos promenades et à nos conversations. Le jeudi 25 juillet, M. Bamberger et sa fille étaient venus, ils restèrent jusqu'à la matinée du dimanche 28 juillet. Nous les accompagnâmes à la gare; puis, rentrés à l'hôtel, nous travaillâmes, comme à l'ordinaire, à peu près deux heures, au commentaire de Saadia sur le Se fer Yeçira. Vers midi, le mal revint et augmenta malgré les soins du médecin. Vers onze heures du soir, on appela un second médecin, qui déclara l'état du malade très alarmant. Néanmoins, nous ne nous atten- dions pas à une fin si rapide. A une heure, notre ami rendit le dernier soupir. Mon beau-frère (M. le rabbin Simonsen de Copen- hague) et moi étions présents, et nous le veillâmes ensemble. »

Ainsi mourut M. Derenbourg, loin des siens, il est vrai, mais

38 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

cependant entouré d'amis fidèles, qui l'assistèrent à ses derniers moments et reçurent ses adieux. Sa dépouille mortelle fut transfé- rée à Paris, après qu'on eut organisé, le 31 juillet, un service àEms, M. Guttmann prononça l'oraison funèbre. A Pans, au cimetière du Père-Lachaise, était déjà enterrée sa femme, de beaux et touchants discours rendirent hommage à ses mérites (te 4 août) : M. le grand-rabbin Zadoc Kahn prit la parole au nom du ju- daïsme français; parlèrent ensuite MM. Maspero, au nom de l'Aca- démie des Inscriptions et Belles-Lettres, N. Leven, au nom de l'Alliance israélite, Ab. Cahen, au nom de la Société des Études juives, Maurice Bloch, au nom de la fondation Bischoffsheim, Car- rière, au nom de l'École des Hautes-Études. Ce concert d'éloges, les orateurs se confirmèrent et se complétèrent les uns les autres, forma la digne conclusion de cette vie harmonieuse, si pleine et si riche. Le souvenir de cette existence si noble et si haute persistera dans le cœur de tous ceux qui l'approchèrent, dans les annales du judaïsme français, dont il fut un si glorieux représentant, dans l'histoire de la science, qu'il a développée et enrichie.

Budapest, décembre 1895.

W. Bâcher.

ENCORE UN MOT SUR LA FÊTE DE HANOUCCA

M. Israël Lévi a soumis à une critique aussi sévère qu'instruc- tive * mes réflexions sur les rapports entre la tète de Hanoucca et le jtts -primée noctis. Quoique nous différions complètement d'opi- nion sur la question, nous avons pourtant été d'accord pour la croire assez importante pour mériter une étude sérieuse. Je me sens donc encouragé à examiner à nouveau cette question.

Comme je viens de le dire, il s'agit des rapports qui existeraient entre la fête de Hanoucca et \ejii9 prtmas noctis. A mon sens, la réalité de ces rapports est prouvée par quelques passages du Talmud, et, par conséquent, je n'ai pas hésité à appeler Hanoucca « la tète des femmes ». Mais, comme tout lecteur attentif a pu s'en apercevoir, je n'ai employé cette dénomination que comme titre du chapitre j'ai traité ce point, sans dire aucunement qu'on la trouve dans les sources. G est ainsi que j'ai également appelé Hanoucca « fête de réjouissance » dénomination dont personne ne voudrait sans doute contester l'exactitude , quoique les sources ne le désignent jamais sous ce nom. En général, je crois avoir démontré que, précisément pour Hanoucca, il existe une grande différence entre le nom et la réalité des faits ; il n'y a donc pas lieu de se préoccuper si les sources contiennent ou ne con- tiennent pas telle ou telle dénomination2. Du reste, M. Lévi lui- même ne s'arrête pas à ce détail.

Le point essentiel sur lequel M. Lévi diffère avec moi est que lui n'accepte pas comme dignes de foi les passages qui montrent les femmes juives soumises à des persécutions systématiques.

* Revue, XXX, 220-231 ; cf. XXXI, 119.

* M. Blumenstein, rabbin du Luxembourg, a eu l'obligeance de me signaler qu'A- braham Sara trouve également sirgulier le nom de Hauoucca. Il dit, en effet, dans soo "ïMin TH3Ç» sur la péricope "pnn&O (134 a, éd. Venise, 1567) : tf'r ûbl2ÏÏ"l rîDi:n ZPriTrcnn iyV2 Nip2 rittb... ^n^tttfï SOI VP|n, Il est vrai qu'A- braham Saba donne une explication sur ce point, mais elle n'est pas satisfaisante.

40 REVUE DES ETUDES JUIVES

« Ce sont tout bonnement des contes pieux », dit-il. M. Lévi au- rait raison s'il n'en était question que dans les Midraschim et les Pioutim » relatifs à Hanoucca. Mais on trouve aussi dans les deux Talmuds des traces de ces persécutions, dont s'occupe même la llalakha, et Ton ne peut pourtant pas prétendre que la Halakha soit un simple « conte pieux » ! J'ai aussi montré que des Mi- draschim, tels que Genèse rabba et Tanhouma- , qui ne sont pas non plus des ouvrages d'édification , parlent du viol des femmes juives. Enfin, la scolie de Meguillat Taanit, en. vi, semble bien plutôt une relation historique qu'une fable pieuse. Nous devons surtout tenir compte de ces passages des Midraschim qui ne ra- content pas longuement ces persécutions, mais y font simplement allusion comme à des événements certains et universellement connus 3.

Pourtant, d'après M. Lévi, il n'y a aucun rapport entre Ha- noucca et la persécution des femmes, et si les femmes aussi doivent participer à la fête de Hanoucca, c'est parce qu'elles aussi ont souffert des persécutions religieuses des Syriens, comme les hommes. Ici également, M. Lévi ne tient nul compte de la Halakha. Car le Talmud a établi une mesure spéciale pour les femmes, et il la motive par ce fait qu'un miracle spécial a eu lieu pour elles, comme nous le montrerons plus loin. Il y a donc quelque chose de plus qu'une simple participation à une fête com- mune. M. L. s'étonne que le prétendu miracle en faveur des femmes ait été mentionné pour la première fois par un amora du 111e siècle. Mais cette observation peut s'étendre à toute l'institu- tion de Hanoucca, dont la Mischna parle à peine. Le point parti- culier de la persécution des femmes ne pouvait surtout pas être traité par les anciens tannaïtes, puisque, selon moi, cet événe- ment ne s'est produit que sous Trajan et Hadrien. Or, les docteurs qui vécurent immédiatement après cet événement se seraient probablement bien gardés de discuter publiquement sur un sujet aussi dangereux4.

1 Et encore esl-il inexact de dire que tons les Pioutim font allusion à la même légende; ils présentent, au contraire, de sensibles différences.

2 Revue, XXIX; 41, note 3.

3 Cf. Midrasch sur les Proverbes, xxx, 32 (éd. Buber) : "pi J-ft NH5in!":3 nbas UN b&Dttïi blD lj!TT*mtt33 baab "nTJUZÎ. Le Jalkout sur Proverbes. § 963, a cette va- riante : f-pail îmDtt b^nb nWQ 'J'P Ï1T- Le Midrasch rapporte le passage à la Babylonie, la Médie et la Grèce, mais ne parle pas de Rome, quoique ce passage parle explicitement de quatre empires. Rome est donc également comprise dans 1"p, à moins que la censure n'ait effacé le nom de Rome.

4 .Pai vu avec satisfaction que Rappoport a exprimé la même opinion dans son opuscule -\"*>1D "''-m 12N1 (Thorn, 1877), p. 12. Voici ce qu'il dit en substance: « D'après Raschi, les mots rT5S0n n^lZJD de Schahhat, 21 b, font allusion à la per-

ENCORE UN MOT SUR LA FÊTE DE IIANOUCCA 1

En tout cas, pour M. L. il n'est pas prouvé du tout que ce soient les Romains, et non pas les Grecs, que le Talmud men- tionne d'habitude, qui se sont rendus coupables de ces persécu- tions. Dans mon étude, j'ai appuyé mon opinion sur plusieurs arguments ' , notamment sur ce fait que les fonctionnaires portent des noms romains et occupent des fonctions romaines. Le titre porté par le gouverneur romain est particulièrement probant. A ma connaissance, on ne trouve, en effet, pas de heguemon, sous la domination syrienne, ni à Jérusalem, ni en Syrie. Or, ce titre est mentionné dans toutes les relations de Hanoucca. Il me paraît également logique d'identifier ce heguemon avec celui qui s'en- tretenait parfois avec Rabban Gamliel, puisque les deux portent le même nom. Si maintenant les divers détails que différents pas- sages du Talmud racontent de ce personnage coïncident entre eux, je ne saurais pas pourquoi il ne serait pas permis de com- biner ensemble toutes ces relations, comme je l'ai fait pour celles du Babli et du Yerouschalmi. C'est une méthode généralement suivie dans ces sortes de recherches et qui n'offre rien d'anormal, même dans le domaine du Talmud. Mais M. L. s'élève énergique- ment contre de tels procédés, et il part en guerre contre une école historique qui aurait déjà fait beaucoup de mal et à laquelle il

sécution des Perses. Les Tosai'ot combattent l'explication de Raschi, et, 45 #, ils disent aussi : *ft p^Hnb tfblÛ TTOtt ÏTT'M D3DD frÔN H£Np ùnan D3DD Ifitb l-IDI-H- Une autre difficulté que présente l'explication de Raschi, c'est qu'on ne com- prendrait pas pourquoi une baraïta, écrite en Palestine, tiendrait compte des Perses. On comprend, au coutraite, très facilement que les Romains n'aient pas aimé voir la célébration de Hanoucca, car les Juifs confondaient toujours les Romains et les Grecs. Ce fut surtout a l'époque de Bar-Kokhba qu'on se méfia des réjouissances des Juifs, comme le montre la relation de j. Sottcca, 55 b. On peut donc admettre qu'à partir de celte époque, il fut défendu d'allumer les lumières de Hanoucca. C'est pour cette même raison que la Mischua, rédigée dans la maison du Patriarche, ne contient pas les prescriptions relatives aux lumières de Hanoucca et que le Talmud de Jérusalem garde aus-si le silence sur ce sujet. »

1 11 me parait superflu de répéter ici ces arguments; du reste, M. Lévi ne les a pas réfutés. Il est inutile aussi de démontrer que sous le nom de « Grecs », on dé- signe les Romains; c'est un fait consiant dans la littérature rabbinique. Cf. aussi l'observation de Rappoport, dans la note précédente. Je citerai pourtant encore ce passage [Meguilla, 6a) : im ïirP?1 fimi ••• DTïN H3 "HOp "îT ... \T\$2

'iDI. On trouve aussi quelquefois l'expression "J*p b«D ÊObù^iX. Assez souvent aussi, on appelle Rome « Gog et Magog ». Jen veux citer ici un exemple, qui me permettra en même temps d'expliquer un passage obscur. On lit dans le Midrascn sur les Psaumes, cxvm, 12 : &P£inb niS'Httb r."P7J} ©"H imsb TDJ NIH'J ri*lT*nD. Teile est la leçon de l'édition Buber. Dans l'édition princeps^ on lit IVPMMYTî "Q ms. a nTOïMI et mb^n ^Xnïtb; un autre a r.TOIM'tt lDTlb et mniS. ou bien mTVjn. A mon avis. »l laut hre ainsi : \D"Hsb vn^ Ninifi mjT"Q K^lStinb . nVOTWn, il promulguera des ordres (ôôyuaTa) pour lever des troupes (çpovpia). Ici, il sagit certainement de Rome. Cf. aussi Û^jTT "l7DnD, Sanh., 46 a et Yebam., 90 b.

Ï2 REVUE DES ETUDES JUIVES

craint de me voir donner une nouvelle vigueur. Il ne m'appar- tient pas à moi de défendre cette école. Je ferai seulement ob- server que j'ignore ce qui me vaut l'honneur d'être considéré comme membre de cette école et surtout d'en être regardé presque comme le restaurateur. Mes modestes contributions à la science juive moderne ont eu rarement un caractère historique, et je ne me sens nullement coupable d'avoir si gravement offensé le Génie de l'histoire.

Mais laissons-là cette question pour entrer dans l'examen dé- taillé des objections de M. Lévi. Il dit : « Le fondement de tout cet échafaudage est donc le passage de Sabbat. . . » Pas du tout ! Ce passage est seulement le point de départ de mon argumentation tendant à prouver qu'il existe des rapports entre la fête de Ha- noucca et la persécution des femmes juives, mais il ne sert nulle- ment de fondement à ce fait historique qu'il y eut une persécution. Cet événement ou, si l'on aime mieux, cette information talmu- dique est exposée bien plus au long dans d'autres passages du Talmud et du Midrasch, et nous n'avons nul besoin, pour notre thèse , des paroles de R. Josua ben Lévi. D'ailleurs, je n'ai jamais dit que j'attache une grande importance à la halakha de Josua b. Lévi; c'est, au contraire, M. L. qui semble donner un grand poids aux assertions de ce docteur, auxquelles il consacre un article spécial1. Au surplus, je crois pouvoir affirmer que de tous les passages se trouve cette assertion de R. Josua (Sabbat, 23a, Pesahim-, 108a; Meguilla, 4a; Arakhin, 3 a), un seul passage contient ses paroles authentiques : celui de Sabbat rela- tivement à Hanoucca, tandis que les autres passages n'émanent nullement de lui. Ainsi, dans j. MegvÂlla, 13b, la loi prescrivant que les femmes doivent également entendre la lecture du rouleau d'Esther est énoncée au nom de Bar Kappara % et l'on dit seule- ment de R. Josua qu'il observait aussi cette loi 4. L'opinion relative au repas delà soirée de Pâque est aussi faussement attribuée à R. Josua, dans le Babli, comme le prouve un passage de j. Pesa- him, 31b5. L'argument tiré par M. L. de l'analogie des cas est

1 Bévue, XXXI, H 9.

2 Raschi, ad L, parle déjà des analogies existant entre Pourim et Hanoucca.

3 pso2 th dniN t|Nï5 ... D"rçj3 ^sb ttrmpb rpiit n^ts nidp ia.

Qu'on remarque l'expression : « Elles aussi se trouvèrent à cette calamité », ce qui est rendu, dans le Talmud babylonien, par ces mots : COI"! IPIND TH *JÏ1 SNvZJ.

4 '"D1 p 132 "nb *|3 yiÇlïT^ '-). Les tosafot sur Arakhin , 3 a, citent ces mots d'après les Halakhot Guedolot (éd. Ilildesheimcr, p. 196). On trouve aussi mentionné un t'ait analogue attribué à R. Yona, que nos éditions du Yerouschalmi n'indiquent pas.

s On lit même dans Yerouschalmi : ^n^fàTIÎ "JND 1$> On n'a donc pas d'autre as- sertion de R. Josua.

ENCORE IN MOT SIR LA Fi.TK DE HANOUCCA ,;ï

donc sans valeur, et il faut considérer l'assertion de R. Josua re- lative à llanoucca comme isolée et sans aucun rapport avec les autres passages cités.

M. L. prétend, en outre, que les paroles de R. Josua ne signi- fient pas que les femmes juives furent favorisées spécialement d'un miracle, mais qu'elles aussi profitèrent du miracle qui se produisit pour tout le peuple. Il ajoute : « A notre insu, nous avons repris l'opinion d'anciens commentateurs. » J'avoue que l'explication adoptée par M. L. ne m'était pas connue, et je n'hésite pas, pour ma part, à l'accepter. Mais je conteste qu'on puisse dire de cette explication qu'elle est celle des anciens commentateurs. Au con- traire, l'opinion de Raschi a été suivie par Samuel ben Méïr1, et dans le passage principal, dans Sabbat, %\a, les tosafot ne la com- battent pas non plus. Même l'analogie du cas de llanoucca avec celui de Pàque, invoquée par tous les commentateurs 2, est en fa- veur de cette explication 3. Il n'en est pas moins vrai que les argu- ments opposés par les Tosafot à l'interprétation de Raschi et le mot pcD employé dans le Yerouschhalmi m'engagent à me ranger à l'avis de M. L. Mais qu'on ne se trompe pas sur le sens de mes paroles. Je n'admets pas que les mots osî-r "imaa rn \n rjN signi- fient que le miracle a eu lieu par l'intermédiaire des femmes, mais je prétends qu'ils veulent dire que les femmes ont profité, pour leur part, du miracle, puisqu'elles ont été sauvées d'une persécu- tion spécialement dirigée contre elle. Et en cela Hanoucca se dis- tingue de Puque et de Pourim. Car, en Egypte comme en Perse, la vie de tous les Juifs était menacée, par conséquent celle des femmes aussi, tandis que les Syriens ne persécutaient, comme on sait, que la religion. Or, d'après le droit talmudique, les femmes avaient à souffrir très peu d'une gtelle persécution. En admettant qu'il y eut une persécution particulière contre les femmes, on s'ex- plique qu'il est seulement question d'elles, et non pas des enfants mineurs, qui, au point de vue de l'observation des lois, leur sont pourtant semblables4. Et de fait, les traités de j. Pesahim et j. Meguilla parlent à la fois des femmes et des enfants mineurs, tandis que R. Josua ne parle que des femmes. On peut aussi con- clure de cette particularité que seules les paroles de R. Josua concernant Hanoucca sont authentiques, car à propos de Pâque et

1 DaDS Pesakim, 108 a. Dans Meguilla, 4 a, les tosafot ne citent même pas Raschi, mais son petit-fils.

1 Et même par M. Lévi.

* Sota, 11 b : tm^tiJa ^T^"1 lbfi«3 ... nVOp'lir trtfîa -Dm. Ces mots sont de R. Avira, et, d'après une variante, de R. Akiba.

4 La Tosefta, Mtguilla, II, 7, parle de Ù^S et de jpppp.

44 KKVUE DES ETUDES JUIVES

de Pourim, ce docteur aurait également mentionner les enfants. Il en résulte que Hanoucca présente un cas spécial et qu'il existe réellement un rapport entre cette fête et la persécution des femmes. On pourrait objecter que ce rapport n'est démontré que par les paroles d'un seul docteur et que cela n'est peut-être pas suffisant, mais il faut toujours se rappeler qu'il est à peine fait mention des événements qui précédèrent la fête des Asmonéens1.

Quant au fait même de la persécution, il est mentionné dans de nombreuses relations. Nous nous sommes déjà expliqué sur le caractère de ces sources. M. L. signale lui-même une nouvelle re- lation et il m'a ainsi rendu service. Cette relation2 contient, en effet, le mot miDp, qui est très important pour ma thèse. Plus encore que les termes latins déjà cités, le mot Tfisp (= Quaestor) prouve qu'il s'agit de l'époque romaine, car nous le retrouvons partout il est question de persécutions romaines 3. C'est donc un argument sérieux en faveur de mon hypothèse, et tant que M. L. n'aura pas expressément déclaré qu'à son avis la défense d'observer les prescriptions des TeftUin et de la Mezouza n'a non plus aucun caractère historique, je me croirai en droit de soutenir que la persécution des femmes de la part des Romains est histori- quement vraie.

Mais cet argument aussi ne convaincra peut-être pas M. L., qui continuera à voir des « légendes » et des « contes pieux » dans des faits historiques ou qui établira de subtiles distinctions entre des cas analogues. Il ne me reste donc qu'à examiner en elles-

1 Ce fait s'explique facilement si l'on admet avec moi que les persécutions eurent lieu sous les Romains et que, par conséquent,' les docteurs n'osèrent pas en parler. Si l'on dit explicitement dans j. Meguilla, 73 a, que pour Pourim on a composé un traité spécial (PDD72 û^Dn ~b ")3>3pTÎ5)ï t'est probablement pour faire ressortir qu'on ne l'a pas fait pour ilauoucca. On fait peut-être aussi allusion à cette particu- larité par les mots : nrO^b "jrPD Nb ïlDISn (cf. Meguïlla, 7 a, et Yoma, 29 a, ainsi que les tosafot et Midrasch s-ur les P.- a urnes, xxn, 10), quoiqu'ils semblent plutôt dé- signer un écrit biblique. Le danger spécial rappels par Hanoucca est aussi men- tionné dans ces mots appliqués à Pourim : mttlNÎTï "pab "lj^b:? n"Vny73 DN ÏINDp (b. Meguilla, 7a; cf. j. Meguilla, 70 d, et Buth rabba sur u, 4).

2 Neubauer, Mediœval jewish Chromcles, p. 168 : THOp ntf "p"1 msbtt irP3M IN^:-"^ mip D^ttîSr» DM Nfclûb Ûnbtt3TT»a. M. Lévi dit que ces mots sont em- pruntés à M égaillât Taanit ; ils sont suivis de cette phrase : "ifa bs [YTT31 *1M Yl3l "P^rîvb) nb*nn TN n52DTlD'1 nUJN NVDID'û. On emploie donc aussi le terme caractéristique de heguemon.

3 Sabbat, 130 a, *rnj* THOp lîlNll ; *'&., 49 a, les tosafot citent un midrasch avec les mots *pN72"in ">2D72. « par crainte des Romains » ; Yoma, 11 a, 1Ni£72T inN ITTOp. Voir à ce sujet Rappoport, l. c, qui montre dans le Talmud plusieurs conséquences de ces édits ; ce sont donc des faits historiques. Cf. aussi ^"HOp dans la Tosefta, Berakhot, II, 14, d'où on peut conclure que la persécution eut lieu sous Hadrien (voir Magazin f. die Wissensch. d. Judenthums, XX, 117.) Citons encore le passage de Cantique zouta (éd. Buber, à la fin) : O^bttSVP b# NlUDp lafïFfîl

roira tïiib lP^ï-ï bn ywautt tïti.

ENCORE UN MOT SUR LA FETE DE HANOUCCA 45

mêmes les relations concernant la persécution des femmes et à démontrer leur caractère historique par des arguments tirés de ces relations mêmes.

Une première source il est question de cette persécution est le Talmud de Jérusalem (Keloubot, 25 c). Une masse de rensei- gnements historiques ont été puisés à cette source. Pourquoi jus- tement le récit de cette persécution serait-il un conte pour l'édifi- cation? Et d'abord, ce récit est-il donc si édifiant? M. L. objecte que le Talmud cite un texte « dont l'origine est inconnue ». La fameuse école historique contre laquelle M. L. s'est élevé, et moi, nous avons accoutumé de considérer un passage anonyme comme plus ancien et plus digne de foi que l'assertion d'un doc- teur isolé, mais M. L. a sans doute ses raisons pour être d'un avis différent que cette école, dont il déclare fièrement ne pas faire partie. Dans ce cas particulier, il est d'autant plus en droit de sus- pecter ce texte1 que, non seulement il est anonyme, mais com- mence encore par le mot ï-îjV^îcd! Et pourtant, j'ose demander à M. L. s'il repousse toute !irri;jn frtraio citée dans le Talmud 2, parce qu'elle est trop ancienne? J'ai rappelé aussi3 que ce même mot ftïtttfitin se trouve au début de la loi du Sikarikon; M. L. y voit-il aussi une légende? Ou bien ignore-t-il que nos ancêtres de la Palestine conservaient un souvenir fidèle de ces époques de per- sécutions (*im) et qu'ils en tenaient encore compte plus tard4?

Mais, selon M. L., le Yerouschalmi est en contradiction avec le Babli. Pour répondre à cette objection, je n'ai qu'à citer M.L. lui- même. «Ainsi, dit-il, le Talmud de Jérusalem vient expliquer l'usage. . . de laisser le fiancé voir seul à seul sa fiancée. . . avant le mariage ; celui de Babylone s'occupe de la loi qui fixe le mariage au mercredi. . . Donc, aucun lien entre les deux Talmuds. » Mais alors, les deux Talmuds se contredisent, tout en s'occupant de questions différentes? Non, en réalité il n'y a pas de contradiction, mais, au contraire, un point commun, comme l'avoue M. L. lui- même : « Donc, aucun lien. . . sinon la mention du jus primœ noctis. » Mais ce point commun suffit pour permettre de combiner

1 Dans ce texte, les mots bNT^"1 m33 E|N 1^53^1 sont une interrogation et non pas une affirmation, comme le dit M. L., t et ainsi agirent les filles d'Israël ». IPO'D n'est pas f la iiancée •, mais t sa bru ».

* Voir Levy, Neuhebr. Wôrterbuch, 111, 287 b.

» Revue, XXIX, 39, note 4 : r^-n^!^ b* *\iyû "Hn WllDÉPia. Je ne sais pas pourquoi M. L. s'arrête à démontrer qu'ici la Judée est désignée par opposition à la Galilée. Je l'ai toujours compris ainsi et l'ai dit. A mon avis, le théâtre de la per- sécution fut le rayon militaire rqmain, et, par conséquent, l'étroite région de la Judée.

* Cf. Tosefta, Aboda Zara, V, 6 : fc-n} TTWÎ118 [mNDItt'n] nN^DIM ^3

'■on T:cn *n*rc ^d b? cjn *vzvn naroa.

REVUE DES ÉTUDES JUIVES

les deux passages. Ou bien M. L. considôre-t-il toute combinaison comme illicite? Supposons qu'Hérodote donne un renseignement sur l'Egypte et qu'on trouve sur le sol égyptien une inscription qui peut s'expliquer à l'aide du passage de Hérodote. C'est aussi une combinaison. Est-elle défendue? Je ne le pense pas. Notre cas est absolument analogue : les sources palestinienne et babylonienne se complètent mutuellement. M. L., qui n'admet pas de pareilles combinaisons, rejette toutes les informations du Babli. Mais il oublie de nous dire ce qu'il pense du « danger », ffisô, dont il est question dans une baraïta et aussi, comme il dit lui-même, dans la Tosefta, Ketoubot, I, 1. Et pourtant, il semble que ce mot ïtoo désigne le même événement que les mots UttTO ,to© ,ïtto et pso que nous avons eu occasion de mentionner fréquemment dans nos notes.

A supposer même qu'on néglige le texte du Babli, un amora babylonien peut seul parler du jus primœ noctis, reste toujours la relation du Yerouschalmi. D'ailleurs, je n'ai donné quelque impor- tance au texte du Babli qu'à cause du mot "fôfia, car un àmora ba- bylonien ne se serait pas servi de ce mot s'il ne l'avait pas connu par une tradition certaine. Mais ce terme n'est pas indispensable à mon argumentation, le mot ymxi y suffit amplement *.

Avec l'aide de ce mot, j'ai pensé pouvoir tirer le nom de Quintus et ensuite Quietus des nombreuses formes altérées que nous con- naissons. Je persiste encore maintenant dans mon opinion, avec l'espoir que les philologues n'y verront pas un « tour de force ». J'ai dit que « Kuvtoç, transcrit en hébreu, donne tiïtir* ou DVjnp ; c'est probablement l'archétype de toutes les corruptions ». A mon humble avis, un mot tel que înp^Tjnp, il suffit de suppri- mer p^n, a, malgré tout, quelque « ressemblance avec le nom de Quietus 2 ». Je n'ai pas pu expliquer l'origine de cette syllabe qui est venue s'ajouter au nom, mais ce n'est pas une raison pour traiter ma supposition de ridicule. Il est certain que, s'il n'y avait pas cette syllabe supplémentaire de pn, personne n'hésiterait à voir Kùvxoç dans bfûîlp. En tout cas, mon essai de tirer Kuvto; de DTp"tnç32lp n'est pas si contraire aux procédés des philologues, auxquels M. L. en appelle. Je me permets même de proposer une explication pour l'addition de pT J'ai dit : « Il est aussi possible que D^ma ait été formé des deux noms de Trajan et Marcius,

1 Dans Revue, XXIX, 40, note 8, il faut ajouter encore le passage de Sifrè zouta sur Nombres, m, 39, qui contient aussi le mot "pT^ÏT

* On ne peut pas invoquer comme un argument probant les formes Anti- gonos, Antigos, Antoninus, car elles sont nées de la tendance à les rendre plus légères.

ENCORE UN MOT SUU LA PÈTE DE HANOUGGA /i7

comme OTînoM bo DltoVia est fté de Varus et Sabinus ». N'est-il pas également possible de voir une altération de ce genre dans ftTp»*,onp> qui pourrait s'être formé de orjnp = Kuvroç + D"irpTJ ùno^û 6ïïWb = Marcins*? Naturellement, c'est une simple hypothèse, comme on en fait souvent dans ces sortes de re- cherches.

Je ne concède qu'un seul point à M. L., c'est qu'en effet, nulle part on ne dit dans les sources que ce fonctionnaire romain a pro- mulgué l'édit de persécution ; on raconte seulement qu'il a agi dans le sens de cet édit. Cette concession m'oblige seulement à modifier quelques termes de mon travail, mais ne change en rien les résultats que je crois avoir obtenus3.

}J. B. Kœnigsberger aussi a soumis mon étude sur Hanoucca à une sévère critique4. J'accepte avec reconnaissance toute recti- fication, mais M. K. semble avoir surtout cherché à me blâmer. Je dois pourtant reconnaître que ses citations ont appelé mon attention sur des faits que, sans lui, j'aurais ignorés.

M. K. commence par dire : « L'auteur se trompe en croyant qu'il existe des chapitres de la Tora qui se rapportent bien à la fête de Hanoucca, par exemple, Deut., xx 5. Car, dans ce passage, il est question de guerres offensives, et pour Hanoucca, il s'agit d'une guerre défensive. » Distinction bien subtile! Mais est-il donc vrai que les chapitres du Pentateuque lus pendant les fêtes répondent si complètement au caractère de la fête ? Existe-t-il donc un rapport si étroit entre le récit de la guerre des Amalé- cites (Exode, xvn, 8-16) et Pourim? Ou les chapitres xxi et xxn de la Genèse conviennent-ils si. bien à la fête du Nouvel-An?

M. K. trouve naturel que les Midraschim parlent si peu des guerres et des faits et gestes des Macchabées, parce qu'ils n'avaient

1 i2«»«f, XXX, 211, note 3. Aux sources déjà citées, nous pouvons ajouter Kohé- Ut zouta, sur m, 17 (éd. Buber), se trouve DIT'jHB.

* Cf. l'altération des deux noms Caïus Caligula tondus dans le nom unique de

3 Je veux ajoute" ici quelques additions et rectifications. T. XXIX; p. 27, note 2, lire I au lieu de 15; ib., p. 41, note 1, lire note 8, et non 3; ib., p. 29, à citer aussi Schir Haschirim zouta sur ni, 1 : ?t3"f3fT3 bfifW 12"»"ipnC -;'ÏÏ3. P. 31, note 9, à ajouter Stfrè sur Deut., § 297 ; p. 33, note 7, à ajouter Midrasch sur Psaumes,

xxn, 9; \N:-i7:cn rira )rù rrfayû )vi r-my (lire "jr-pb^ iftyv). t. xxx,

p. 210, note 5, à ajouter KohéUt zouta sur ix, 10; p. 211, note 5, à ajouter Yalkout, sur Lamentations, m, .">.

4 Allf/emeine Zeitung des Judenthums, 1895, nos 49 et 50.

3 J'ai cité ce chapitre comme exemple, sans nier qu'il puisse y en avoir d'autres qui conviennent mieux. Il va sans dire qu'il s'agit de chapitres qui peuvent avoir quelque rapport avec Hanoucca, et non pas de chapitres qui répondent complète- ment à la tète.

48 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

pas de sources à leur disposition. Mais on pourrait alors demander pourquoi les sources manquent. En réalité, je n'ai jamais énoncé une telle affirmation; j'ai décHré tout le contraire : « On ne peut pas dire, ai-je écrit, que le judaïsme rabbinique n'ait rien voulu savoir... de la fête asmonéenne, car, en réalité, il célèbre à diverses reprises cet événement politique. » Suivent alors les preuves. Quand j'ai signalé la rareté des renseignements, j'ai spécialement parlé de la Mischna, et je ne suis pas le seul à avoir appelé l'attention sur cette anomalie.

M. K. me signale Yalhout Eliézer\ article roian, 19. Je l'en remercie doublement, car ce passage prouve, contrairement à ce que M. K. affirme, qu'il est question dans la littérature rabbinique des rapports entre Hanoucca et la fête des Tentes. Malgré l'avis opposé de M. K., je crois même que l'un des résultats les plus sûrs de mon travail est d'avoir démontré ces rapports. Pour com- battre mon opinion sur ce point, M. K. dit : « Quelle différence n'y a-t-il pas entre les chapitres de la Tora qu'on lit pendant ces deux fêtes ! » Cette objection n'est pas sérieuse, comme je l'ai déjà montré plus haut. D'ailleurs, M. K. reconnaît les autres ana- logies que j'ai signalées entre les deux fêtes, mais il les attribue au hasard I

M. K. formule encore d'autres objections contre mon travail. « L'auteur, dit-il, prend en considération ce fait que pour la fête 2 de la Haftara du premier samedi de Hanoucca, on a choisi Zacharie, ii, 14-47, et non pas seulement le chap. iv, afin de signaler le Ha- noucca par les paroles initiales Tito'in m, comme une fête de ré- jouissance, et de le comparer à la fête des Tentes, appelée }ttî imnM. C'est une erreur. L'auteur aurait savoir que l'on n'a choisi cette haftara que parce qu'elle correspond à la péricope ^nbtf-n, il est question également de l'inauguration du temple (c'est-à-dire de la tente d'assignation3) et de l'illumination du chandelier d'or. » Singulier raisonnement ! Parce qu'il est ques- tion au commencement de ^mbsro du chandelier à sept branches,

1 rraiEiab ûjh p^iroa ûn*W3 û™ nins njnœb pbn -ib *n bs

}HIÏ*Ï '17D■,. Malheureusement, il n'indique pas la source de ce passage, qui m'est donc suspect. Il cite aussi le Targoum Jonathan sur Ecciésiaste, xi, 2, mais cette citation ne prouve rien, car on y dit seulement qu'on peut cultiver les champs ense- mencés aussi bien en Tischri qu'en Kislev, sans prendre en considération les chiffres

sept et huit. cf. j. Btccourim, 64 5, ïrs-isn jrrby Tnny^ roianb tmp 'jttmsïi

'"Û-l, et plus loin, "ptt^p "JÏK ttMfi *in«b "1W73 'p-DOI, d'où il ressort que pour les travaux des champs, Hanoucca était une fin de saison.

* Je ne comprends pas les mots c fête de la Haphtara » ; il faut sans doute lire « texte de la H. >.

3 M. Kœnigsberger veut sans douta parler de l'initiation des Lévites, car dans 'Tmb^J-D il n'est pas question de l'iuauguralion de la tente d'assignation.

KNCOBE UN MOT SUK LA FETE DE HANOUCCA 49

le chapitre iv de Zacharie, on parle également du chandelier, ne suffit pas et il faut y joindre Troai "*anl Mais le principe posé par M. K. est même taux, car, d'après lui, il faudrait réciter, le samedi de tpbpiû rrariD, la Haitara de Wûn "O. M. K. aurait aussi à prouver que, dans le cycle de trois ans, on lisait Tittui ^ le samedi de Épïfc*TO. Ce sont là, en réalité, de petits détails auxquels il ne faut pas ajouter plus d'importance qu'ils n'en méritent.

A propos de ce que j'ai dit de Hanoucca comme fête des lumières, M. K. remarque que « l'auteur a oublié le passage de Mena- Jiot, '28 fr, se rapportant à cette question ». Je l'ai si peu oublié que je le cite, p. 35, note 4, en même temps que les passages paral- lèles, dont je puis dire avec raison qu'ils ont échappé à M. K. J'ai considéré les mots y^n dism comme une glose, parce qu'ils ne sont pas dans Pesikta rubbafi et ne paraissent pas à leur place dans Meguillnt Taanit l. M. K. s'efforce de faire disparaître la contradiction manifeste qui existe entre les sources babyloniennes et les sources palestiniennes au sujet de la première illumination du temple en torturant le sens, pourtant bien clair, du texte baby- lonien. Mais ses interprétations subtiles sentent l'ancienne école du pilpoul, et ne sont pas dignes d'un savant moderne. Du reste, M. K. ne semble pas avoir lu mon travail avec une sérieuse atten- tion, car il n'a pas l'air de connaître la note 5 de la p. 35, je m'appuie sur Graetz.

Par contre, je constate avec plaisir que M. K. a adopté mon opi- nion sur Hanoucca comme fête des femmes 2, que M. Lévi a si vi- vement attaquée. Cet accord entre M. K. et moi fait encore mieux voir combien M. L. va loin en traitant de simples contes les informations du ïalmud sur le jus primœ noctis.

Dans son compte rendu, M. K. cite plusieurs auteurs que j'au- rais pu mentionner; mais on reconnaîtra que je n'étais pas obligé de le faire, du moment que les arguments de ces auteurs ne pou- vaient modifier en rien mes conclusions. La citation la plus impor- tante de M. K., au point de vue de mon étude, est celle qu'il a extraite du Meor Enayim, ch. xli, et je ne puis mieux terminer cette réplique qu'en reproduisant les paroles d'Azaria di Rossi, qui expriment en partie mes propres vues sur la fête de Hanoucca :

1 Je ferai remarquer que dans le Sèfer Ikkarim, IV, 42, Albo cite le passage sans les mots y-'3 DIBm.

* M. Koenigsberger s'est pourtant efforcé de donner presque toujours des explica- tions différentes des miennes, comme le montre sa proposition de dériver "p-lLDOp de castrare. Il aurait pu reconnaître son erreur par des passages parallèles, qui ont le

mot nviop.

T. XXXII, 63. 4

50 REVUE DES ETUDES JUIVES

« Il est possible, dit-il, qu'après l'abolition du « Rouleau des jeûnes » (rï»»n nb^tt Viann), les docteurs du temps aient eu l'idée de rappeler plusieurs événements miraculeux par la seule fête de Ilanoucca. »

Samuel Krmjss.

NOTE DE M. ISRAËL LEVI.

Les fonctions que je remplis dans la rédaction de cette Revue me permettent de prendre connaissance, avant leur publication, des travaux de nos collaborateurs. Je profiterai de cet avantage pour informer nos lecteurs de ma résolution de ne pas prolonger ce débat. Je n'ai pas la prétention d'ébranler la conviction de mon savant confrère ; quant à ceux qui s'intéressent à ces études, ils ont maintenant tous les moyens d'éclairer leur religion.

I. L.

ETUDES TALMUDIQTJES

(suite l)

11

UNE AGADA PROVENANT DE L'ENTOURAGE DU RESCH-GALOUTHA HOUNA BAR NATHAN ET DIRIGÉE CONTRE R. ASCII1.

Comme on le sait, bien des agadot du Talmud reposent sur un fond historique. Mais, le plus souvent, elles sont rédigées dans un style obscur; aussi est-il difficile de démêler la vérité historique qu'elles contiennent. Telle est l'agada que nous allons étudier :

■par fTibn ^b n^ma rrb '-ieh .r^pn»a s-rb "nrima noa m tara ;ma rrwabm isab Ma» ^12 "n»» "irmft&n wwbnb ■mnai rrbrr, (- ï-ipm Mp) r*ïpm ap ?*wi iV» \stt rrb n^a ,Nna 'pnbn : kot «ta "ib^sa nn-pana nwi3 rrobtt ■pai ,1ns na ÈWim

« L'ange de la mort étant apparu dans la rue à R. Aschi, celui-ci lui dit : « Accorde-moi un délai de trente jours, pour que je repasse mes études, car vous dites : Heureux celui qui vient ici (dans l'autre monde) possédant bien ses études. » Le trentième jour (l'ange) revint; (R. Aschi) lui dit : « Pourquoi une telle hâte? » A quoi l'ange répondit : « Tu serres le pied de Bar Nathan (et un règne ne peut avoir de contact avec le règne précédent, pas même de l'épaisseur d'un cheveu 3). »

Que signifient ces mots que R. Aschi serrait le pied du fils de Nathan, et pourquoi cette crainte était-elle la cause de l'arrêt de mort de R. Aschi? Quel personnage était donc ce fils de Nathan?

Répondons d'abord à cette dernière question. Ce fils de Nathan

1 Voyez Revue, l. XXIX, p. 91.

s Voir Rabbinovitz, Dikdouk Sofrimè, ad loc.

3 Moed Katan, 28 a. La pbrase que nous avons mise entre parenthèse ne se trouve pas dans certains manuscrits du Talmud; nous verrons plus loin la raison de cette omission. Voir Rabbiuovitz, ibid.

52 BEVUE DES ETUDES JUIVES

n'était autre que celui qui est connu dans le Talmud sous le nom de « HounabarNathan ». D'ailleurs, les Tosafot avaient, dans leur texte du Talmud, la leçon « Houna bar Nathan » en toutes lettres, et non « bar Nathan l ».

On sait qu'à l'époque R. Aschi était chef de l'école de Matha- Mehasia, Houna bar Nathan était Resch-Galouta 2 et égalait R. Aschi en science et en richesse 3.

On sait encore que c'était un personnage considérable. Houna bar Nathan, lui-même, raconte à R. Aschi que le roi des Perses Yezded- gerd I lui avait arrangé sa ceinture et l'avait remise à sa place 4. Enfin, le Talmud nous rapporte que Amemar, collègue de R. Aschi, permit à Houna bar Nathan de se marier avec une femme originaire de la ville de Mahouza, malgré les soupçons qui planaient sur la généalogie de la population juive de cette ville 5.

Les Exilarques, on ne l'ignore pas, prétendaient descendre du roi David. Houna bar Nathan, malgré sa dignité, ne craignait pas une mésalliance. Mais il avait besoin d'une permission spéciale des docteurs, pour pouvoir épouser une femme dont l'origine n'é- tait pas bien établie.

Aussi, R. Aschi, qui ne voulait pas d'un tel mariage pour l'exi- larque, reprocha à son collègue Amemar la permission qu'il avait accordée; mais ce dernier ne voulut rien entendre, répondant qu'il avait, sur ce point, une tradition formelle de son maître R. Zebid de Nehardaa 6.

Voyons maintenant l'explication qu'on donne ordinairement de notre passage.

D'après Raschi et l'Arouch7, l'ange de la mort en disant à R. Aschi : « Tu serres le pied de Bar Nathan », veut faire entendre que sa vie empêche Bar Nathan d'être Nasi.

Cette interprétation est difficile à comprendre.

R. Aschi n'étant nullement Resch Galouta, en quoi sa vie pou- vait-elle être un obstacle à l'avènement de Houna bar Nathan à l'exilarcat?

1 Tosafot Guittin, 59 a.

a Lettre de Scherira.

3 Guittin, 59 a.

4 Zebahim, 49 a.

"> Kiddouschin, 12 b.

6 Ibid. 11 ne faut pas confondre notre Houna bar Nathan avec son homonyme qui lui était antérieur et qui vivait à l'époque de Habba et de R. Nahman bar Isaac. D'ail- leurs, on peut les distinguer l'un de l'autre, car le premier et son père sont men- tionnés dans le Talmud avec le titre de Rab : R. Houna bar R. Nathan, tandis que le Resch-Galouta n'a, ainsi que son père, aucun titre dans le Talmud, mais est appelé simplement Houna bar Nathan. Aussi doit-on corriger ceriains textes du Talmud qui, par la faute des copistes, confondent ces deux personnages.

7 Article "pr\1.

ÉTUDES TALMUDIQUES 53

Raschi et l'Arouch entendent-ils dire par Nasi « chef de l'é- cole » ?

Houna bar Nathan n'a jamais succédé à R. Aschi dans cet em- ploi. Ce fut R. Yémar ' selon les uns, Merimar (witt) selon les autres, qui succéda à R. Aschi comme chef de l'école à Matha Mehasya -. Nulle part on ne parle de Houna bar Nathan.

Abraham Zakuto, l'auteur du Youhasin, va encore plus loin, car il se fonde sur notre Agada pour créer une place à Houna bar Nathan comme chef de l'école de Matha Mehasya après la mort de R. Aschi.

Ajoutons qu'on ne voit nulle part qu'un Resch Galouta ait été chef de l'école « Rosch Yeschiba ». La plupart des Resch Galouta n'étaient que peu ou point instruits. Même ceux qui étaient re- nommés pour leur science, tels que Rabbi Houna I3, Mar Oukba4, Rabbah bar Abahou, n'étaient cependant pas revêtus de cette di- gnité. Ainsi, du premier Resch-Galouta que mentionne le Talmud, Ahyah ou R. Ahyah 5, dont le titre indique déjà la science : de son temps, c'était Hanania, neveu de R. Josué 6, vivant à Nehar Pekod qui remplissait ces fonctions. Le Resch-Galouta R. Houna I, comme son titre l'indique, ne devait pas être non plus dépourvu de science; cependant, aucun de ses contemporains, tel que le père de Samuel, Lévi, etc., ne rapporte en son nom d'halacha ou d'agada; preuve qu'il n'était chef d'aucune école. Au temps de Mar Oukba, Rab était chef de l'école de Soura et Samuel de celle deNehardaa; à l'époque de Rabbah bar Abahou, R. Houna était chef de l'école de Soura et R. Yehouda de celle de Poum Baditha. Il y avait sans doute un règlement qui défendait aux exilarques de présider à l'enseignement ; les docteurs babyloniens avaient bien vu les dangers du régime en vigueur en Palestine, les Patriarches, chefs de l'enseignement, étaient souvent en désac- cord avec les docteurs. Cela n'empêchait pas les Resch-Galouta instruits de former des disciples. Ainsi, R. Hisda et quelques autres docteurs rapportent des halachot ou des agadot au nom de Mar Oukba; R. Nahman au nom de Rabbah bar Abahou.

Pour nous, notre texte fait allusion à l'empiétement d'un pou- voir sur l'autre et à la punition de cet empiétement. Voici ce que

1 Lettre de Scherira, édition Goldberg.

1 Abraham bar David fait succéder Merimar à R. Aschi à Pécole de Matha-Meha- sya ; il avait devant lui cette leçon dans la lettre de Scherira; elle se trouve aussi dans l'édition Neubauer, 1887.

s Kilayim, V, 3.

4 Sanhédrin, 313; Moed Katan, 16 3.

5 Moed Katan, 20 a-, cf. les notes de Hirsch Hayot.

6 Berackot, 63 a et b; Nedarirn, VI, 13.

RKVUE DES ETUDES JUIVES

dit, à ce sujet, Scherira, dans sa fameuse lettre aux Rabbins de Kai rouan :

...œoraa Bptta "prpbmb wwi ■*©« mb srb "ps^s Tin inb^ ïnna

« Et Houna bar Nathan, qui fut Resch Galouta à cette époque (de R. Aschi), et Merimar et Mar Zoutra, qui furent après lui (qui lui survécurent), tous furent soumis à R. Aschi et firent leurs Riglé tètes) à Matha Mehasya1. »

Ainsi, le Resch Galouta Houna bar Nathan était obligé de faire le Riglé près de R. Aschi à Matha Mehasya. Ce Riglé, nous dit Scherira, était une fête que le Resch Galouta célébrait le troi- sième samedi après Souccot et pendant laquelle on faisait la lec- ture de la Tora dans la section ^b ^b. Cette solennité se célébrait, comme de juste, dans la résidence de l'exilarque. Les docteurs des grandes écoles babyloniennes étaient obligés de se rendre chez le Resch-Galouta pour y assister. A l'époque de R. Aschi, cette règle fut modifiée, ce fut au Resch-Galouta de venir soienniser sa propre fête chez le chef de l'école de Matha Mehasya. Scherira parle lon- guement de cette révolution dans sa lettre; il en est ravi et paraît la considérer comme un des plus grands événements de l'époque. En effet, c'était la soumission complète du pouvoir temporel des Resch-Galouta au pouvoir spirituel des docteurs.

Le ïalmud parle très brièvement de cette soumission du Resch Galouta Houna bar Nathan à R. Aschi. li rapporte ces paroles d'un contemporain de R. Aschi : « Depuis Rabbi (R. Juda ha- Nassi 1) jusqu'à R. Aschi, jamais tant de science et de richesse ne se sont trouvées réunies ». Cependant, objecte le Talmud, à cette

I Jl faut corriger une faute qui s'est introduite dans ce texte de Scherira et qui a pou importance. D'après Scherira, Houna bar Nathan est mort avant R. Aschi, puis- qu'il dit : t Et Merimar et Mar Zoutra qui lui survécurent Houna bar Nathan), tous furent soumis à R. Aschi ». Cependant, nous avons vu dans notre agada que R. Aschi est mort avant Houna bar Nathan. Scherira aurait- il oublié ce texte en écri- vant sa lettre ou prétend-il le contredire? C'est peu vraisemblable. Il suffit de lire, au lieu de ÏT*")rQ "lim « qui lui survécurent », rp'inn Tirn « qui étaient avec lui », pour rétablir la vérité. Scherira dit donc que Houna bar Nathan, Merimar et Mar Zoutra, qui étaient contemporains, furent tous soumis a R. Aschi.

II faut aussi corriger dans Scherira Merimar en Amémar, car on trouve toujours Amémar et Mar Zoutra en compagnie de R. Aschi, et beaucoup d'entretiens hala- chiques eurent lieu entre eux trois (Berachot, 44 ô, 50 3, 55 3; Schabbat, 50 3/ Ke- toubot, fil a, 53 3; Baba Meria, 22 a). Amémar présidait un grand tribunal à Neuardaa (Rosck Ilaschina, 31 b; Berachot, Via; Sourra, ;»5 a, etc.), et il mourut avant R. Aschi [Baba Mec/a, 68 a). Mar Zoutra était chef de l'école de Poum Badi- tha (Û'WIE&O D'Wri TTO, édition Neubauer, p. 183; et ûblDH "porTP, édition Filipowski, p. 201) et ces deux docteurs étaient plus âgés que R. Aschi, puisqu'ils sont toujours mentionnés avant lui; cependant Scherira dit qu'ils étaient soumis

R. Aschi et qu'ils faisaientjeurs Riglé près de lui, à Matha Mehasya.

ÉTUDES TALMUDIQUES 58

époque, il y avait Houna bar Nathan, qui égalait R. Aschi. Et il répond à cette objection que Houna bar Nathan était soumis à R. Aschi «. Ainsi, ce que raconte Scherira est confirmé par le Talmud. Si un Resch-Galouta de l'importance de Houna bar Nathan, qui était l'égal de R. Aschi, fut obligé de célébrer sa propre fête, non pas dans sa résidence, comme le faisaient ses prédécesseurs, mais près du chef de Técole de Matha Mehasya, on peut juger par de ce qu'était devenue, en général, l'autorité du Resch-Galouta à cette époque. Ce devait être un roi qui règne et ne gouverne pas. Nous proposons donc de traduire ainsi les mots de notre agada : fro nm !-n*>jni npm sp : « Tu serres le Riglè du fils de Na- than », c'est-à-dire : tu dois mourir pour avoir empiété sur les prérogatives du Resch-Galouta Houna bar Nathan, que tu as obligé de fêter sa propre fête, près de toi, à Matha Mehasya.

Il n'est pas impossible que l'auteur de cette relation ait joué sur le mot bm, qui s'emploie fréquemment avec le verbe pm pour exprimer 1 orgueil et l'usurpation, comme dans la phrase ^bn^r? nrrcr: ^:n pnn •fava Y'n î-isipî n73"ipi [Berachot, 43 b).

Notre agada blâme donc la conduite de R. Aschi envers Houna bar Nathan et attribue sa mort à la faute qu'il avait commise.

Ainsi se comprend que certains manuscrits du Talmud aient omis les mots : a^3 fc*bttD iVrô iTrrpnm ruwn ïTObft "pan. « Un règne ne peut avoir de contact avec le règne précédent, etc. », qui se trouvent dans notre texte. Il ne s'agit nullement, dans notre agada, d'une transmission de pouvoir de R. Aschi à Houna bar Nathan. Quel fut fauteur de cette agada? Assurément, ce n'était pas un docteur du Talmud. Elle doit plutôt provenir de l'entourage de Resch-Galouta Houna bar Nathan. Les gens de la maison du R^sch-Galouta, comme on le sait par le Talmud, étaient souvent cruels, violents et persécutaient les docteurs. La soumission de Houna bar Nathan à R. Aschi entraîna forcément la soumisssion et l'obéissance des gens de sa maison ; ceux-ci ne pouvaient donc plus exercer leurs violences. Quelle chute pour eux ! Rs ne pouvaient se venger de leurs humiliations du vivant de R. Aschi : ce fut après sa mort que leur colère éclata, et c'est alors qu'ils compo- sèrent notre agada.

Elle fut introduite dans le Talmud probablement à l'époque de R. Yehoudaï Gaon (759), tant de morceaux de ce genre s'y glis- sèrent, comme l'a montré Rapoport-.

L. Bank.

1 Guittin^ 59 a.

1 Erech Millin, s. v. JT75N, cf. Azoulaï, Schem Ha/jveJol/m., éd. Ben Jacob, p. 72.

bm, xrfrîw et mn^w

On admet généralement que, dans la terminologie du Talmud de Babylone, le mot bao est synonyme de swn, va « demander, s'in- former ». Mais, dans la terminologie du Talmud de Jérusalem, va a parfois un sens qui est tout à fait étranger au mot bas). Ainsi, le Mebo ha -Yerouschalmi (12 b) fait observer que « i?a a parfois un sens atfirmatif *, bittU n^mn by tpy: ain ttm ». Le regretté au- teur de YAruch complelum (s. v. bix®) reconnaît la justesse de cette observation ; il admet donc aussi que, pour cette significa- tion particulière, bwto n'est pas synonyme de va. En d'autres termes, une phrase précédée du mot btf;D peut contenir une ques- tion, mais jamais une affirmation.

Revenons maintenant au Yerouschalmi. Comme le traité de Schelialim de ce Talmud se trouve dans toutes les éditions du Ba- bli, nous allons commencer par ce traité. Dès la première page, dans la première Halakha, se présente une grosse difficulté. Nous y lisons, en effet, que l'appel pour apporter les schekalim doit être fait trente jours avant le premier Nissan. On ne voulait pas laisser un délai trop long, afin de stimuler les retardataires, ni trop court, pour permettre à ceux qui demeuraient au loin de s'ac- quitter de leur devoir dans le délai légal. Là-dessus le Talmud dit : Vt» TOKntt imbpttî bv ïvwe baa iaa fjrv» ba© i-pprn ^an yn ïiatabn fc-wam dnnm "jnava lïrbptt bsnizr wantt "hd 2 rpin •jD^aa "maa n:ttTa swirn. « R. Hiskiyya a demandé : Alors les Ba- byloniens devraient être avertis au sujet des schekalim dès le dé- but de l'hiver, pour que les Israélites apportent ces schekalim en temps utile, etc. » A cela R. Oula objecte : la Mischna (III, § 1) a

1 « Demander la permission de dire, remarquer, affirmer », dans Jastrow, Dictio- nary, s. v. &C2.

s .L'édition de Krotoschin du Yerouschalmi, dont nous nous servons pour nos cita- tions, a ici 'vinn (45 d). C'est évidemment une erreur de copiste provenant d'une diltographie. C.t. Rabbinowitz, Dihdukè Soferim sur Schekalim, 2 c.

rN'i*. «nb'WB et mnb^sttï 57

fixé trois époques dans Tannée pour alimenter la caisse du temple destinée à acheter les sacrifices de la communauté (qui sont payés sur les revenus des schekalim); il n'y a donc aucune raison d'a- vancer la date de l'appel, puisque ceux qui demeurent même très loin ont le temps d'envoyer leur contribution pour la dernière des trois époques fixées, c'est-à-dire quinze jours avant la fête de Souccot. R. Mana réplique ensuite que tous les schekalim doivent être versés au Trésor en même temps, le premier Nissan, mais on en l'ait des prélèvements trois fois dans l'année pour donner plus de publicité à la chose. Mais, si vraiment bfiW3 implique toujours une question, trouvons-nous la réponse ? En réalité, tout le contexte prouve que R. Hiskiyya ne fait aucune question, mais énonce une affirmation. 11 en résulte donc qu'ici bao a aussi un sens affirmatif comme va, ainsi que le dit, du reste, tf"nii73, qui remarque que le mot b&W3 doit être entendu ici dans le sens affir- matif Nmn^n.

Mais ce n'est pas seulement dans ce passage que btfu: signifie « faire observer, etc. » Dans le même traité et dans le même cha- pitre (§ 8, dans ledit, de Krotoschin, § 5, 46 &), le même R. His- kiyya (dans l'éd. R. Hilkiyya) rapporte: "pa nrtfîa btfiû iwo'n 'ID"! trttïl nTaab )Tfa 1?bnp73* ^ est facile de s'assurer que R. Simon ne pose ici aucune question, mais énonce une conclusion qui dé- coule logiquement de la halakha précédente. Même remarque pour j. Sanhédrin, IX (27a), nous trouvons 4) deux fois profci 'n bao et 5) deux fois b«UJ ïrptti; dans j. Berakhot, VI. § 4 (10 c) : vb? ïtoœ "pEE "pr-rm «r date ^tvz tf73:> bs . . . bas: nbo kwt 'n •pnE vm; riansj. Yoma, II, §1 (39 c), bats ^T3>bN ^i ia prer* 'n rtnajn 173 bi^D dTrn "wa nptra yt pwD ina rrrwa;

Dans ce dernier passage, le mot bas) a déjà été compris dans le sens affirmatif, et non pas comme interrogation, par R. Juda Rosanès. Ainsi Maïmonide, dans Maassé ha-Kor~banot, XIII, § 14, transcrit la décision du Talmud : dvnT "WTa mns y73ip 1*ns. Rosa- nès, dans son commentaire Mischné lemélehh a. t., cite le pas- sage du Yerouschalmi avec cette remarque : bnaan rwD ï-maobl \*1 Tamo nra-ib Trwn abn narapb -nen vwd yen hTnajn bsb ira robn arcs© iab73 rnrTDpb bicsn *rrî robtDYffi mai n73nbi r»T ■»a©w mrra ymp i^&n Vp-i 1rs &rn mïwi «nbw rrap w la srrrfia &YnT. Rosfinès ne peut reprocher à Maïmonide de n'avoir pas mentionné ce 1*n et ne peut parler de î-obïi mcc-z que s'il admet que R. Isaac ne fait pas une question, mais énonce une affir- mation.

Il semble même que ce n'est pas dans le Yerouschalmi seule-

58 REVUK DES KTUDES JUIVES

ment, comme cela a lieu pour va, que btfilî a une signification affirmative. La Tosefta Megnilla, III (éd. Zuckerm., IV, 5), dit :

ûTip rct'n rrûbtia 'pb&niû wi rraa . . . nssn rocn mâbiia ■pbKitt ût d'^ŒJibttD bnb. Dans le Yerouschalmi (Prsahim, 27 ôi, ce passage est cité comme formant un tout; dans le Babli, il se présente comme composé de plusieurs parties, dont la première est citée deux lois {Megnilla, A a et 32 a) et la dernière six fois (Rosch Haschana 1 a, etc.). Nous voyons dans deux sources différentes que, dans ce passage, le mot "pb&hiB a le sens de 'ptzrm1. Ainsi, dans j. Sche- halim, 47?;, Abhahou définit le mot Dns ainsi : ût ircbtaa rçabû Tmablna ^p^nnïï bmb bTip, il faut certainement voir une allu- sion au passage de la Tosefta. A haï gaon (Scheèlta, lxxviii), pour prouver que trente jours avant Pâque il faut expliquer Cp^im) les lois relatives à Pâque, mentionne les mots même de notre To- sefta : roar; mabï-n ■paamo.

Le sens alfîrmatifde barétant ainsi surabondamment prouvé, il suffira d'un seul exemple pour démontrer que le dérivé NnV?$m peut avoir une signification analogue, comme «c avis, remarque, assertion, proposition». Dans j. Pèa, 19 b, et j. Nedarim., 38rf, on pose la question suivante : « Si le possesseur d'un objet quel- conque a renoncé pendant un temps très court à son droit de propriétaire, cette renonciation est-elle valab'e ? » On répond par un passage de la Tosefta [Maasrot, III, § 11) il est dit que, « si le possesseur d'un champ renonce à son droit de propriété pen- dant deux ou trois jours, il peut revenir sur sa décision ». R. Schi- mon Dima (ou Dayana), rapporte devant 7^'iva une autre version de la Tosefta : nn "înn (2nr^ DW'a ^nab nV*s«. Le Talmud continue alors ainsi : &■%**■ 'a ^fitfb nb^DK rra» nan )vdï2 [nt^t'-i] ïrb ntttf a^:*1 Sntoa nnab trm n^'i nnsb ètm, et, après avoir observé que la baraïta vient à l'appui de l'opinion de Zeïra, il conclut : NttiSD ni™

1 La dernière partie du passace de la Tosefta se trouve deux fois dans le Babli avec l'addition 'pCTTTl après ■pbNVtïî {Pesahim, 1 a. et Bekhorot, 58 a), et Margo- lioth, dans le commentaire nb^O 7)1227*. sur les Schcèkot, xxvi, § 28, en conclut que 'pbiKTiZÎ désigne la partie dialectique et lp'3"l"n la partie narrative. Avec un peu d'attention, on remarque: très vite (pie le mat ^C^Tll est une interprétation. Quelque copiste, pour expliquer le mot 'pbjO'J, avait sans doute écrit en marge ,P'tD""nii et ce mot a été ensuite incorporé dans le texte avec la conjonction "| (cf. Dik- diikè Soferim sur Pesahim, l. c). La première partie aussi se rencontre dans notre édition du Babli avec l'addition ^lBTnî [l. c), et également c'est une interpréta- tion [cf. Sifra sur Emor, XVII, $ 12 ; j. Pesahùny l. c. : Dikdukè Soferim sur Afe- f/nilla, 4 a).

2 Le texte est corrompu dans les deux passages et ne peut être rétabli qu'à l'aide du contexte.

bwD, Knb"W8 ET mnb'WB no

Dans cette discussion, Zeïra ne pose pas de question, mais sug- gère une solution ou émet une opinion, comme cela ressort avec évidence des mots du Talmud ï"-ib y^ûtt amsntt, et pourtant le Talmud emploie le mot anbnws. Ce terme ne signifie donc pas « question », mais « assertion, proposition ».

Nous allons maintenant rechercher la véritable signification du mot mnVwD qui sert de titre au recueil de R. Ahaï. Aucun des rabbins du moyen âge n'a eu l'idée de donner une explication de ce titre. Les savants modernes, à commencer par Zunz, le tra- duisent tous par «Questions » ', et, pour le justifier, quelques- uns disent que l'auteur a suivi dans son ouvrage la méthode socra- tique des demandes et réponses (rmorn fibaiD). Mais en étudiant attentivement ce recueil et en comparant son contenu avec celui d'autres ouvrages de la période des Gaonim, dont plusieurs sont également intitulés mnVwo, on se rendra compte que cette expli- cation est inexacte.

Des cent quatre-vingt-dix dissertations2 avec ou sans numéro

I Zunz, dans Gottesd. Vortrâge, p. 60, traduit mnV'Nti) par « Anfragen », Graetz, dans G. d. J., V, 173, Reifmann, dans Beth Talmud, lli, 26, Karpelès, dans Gesch. d. j. Litcratur, p. 412, par Fragen > ; Kaminka, dans la Jiid. Literatur, 111, 12, de Winter et Wùnsche, rend ce mot par c Urtersuchungen »; Kohut, dans Aruch, L c., le prend pour le pluriel de fcTOip "pS^a Nnb"W»I5i et M. Weiss suit l'opinion générale. Dans son Dor Dor Wedorchiv, IV, 24, note 4, il dit :

STPsna »>ran n*3 f a-ia «min ^t: ^3373 t^nb^N^î t-ib-n 'd ira p fm ...inanam nbwa ^m r-iininb inatnia \*î9n tn« isna Y'n i>*"d ï-rb"»a73 roboi-pn r**am p t^srib-wa *n«ina tsrrmïm

£S"wO m* p"ip ^-'3 31- ^TB 1TDTT»B ">zh [~\"'J 19 Ep - N"n T'a b"X]

N3Tn b"s) e«in ^?:n fitma^ab by pnii*1 na bstaiB 'n itta iian "i n^\n ^b ■nno» rmb "^ :.n imnnn 03 td s^pïï «b a:nn?j a^Np isf'nn 'tc S-nii-r 'n br -na-îa i"s "3 mnab jiayjx 138 *p mono ">"a? narfiia aca m»N *"pa "»di tablai 'n *p3 1731.? ^33wN ï-ib^Np s-ib tm ^td p -:s n'^-pr^ '131 "i?:ir "»3:n a^nain nb naiaBi naiiam nbwa *pT3 ■»3D73 nb\xc nrb imp ma "nn onb oidtsi aann» M«»i î-rtûttb

•rmiarn nb«to 7-n b* wno

II n'y a certainement aucune raison de ne pas admettre qu'il existe un rapport entre le titre en question et le passage mentionné du Yerouschalmi, mais on s'aper- çait facilement combien l'explication du 3>"p (ou plutôt du V'^ ou &"nl], dans Me- yu/Ua, IV, est laborieuse et, par conséquent, peu satisfaisante. Elle s'appuie sur l'hy- pothèse inexacte que Jlb^NttD signifie nécessairement « demander ». On a vu que ce mot a aussi le sens d1 « affirmer, énoncer une opinion », et l'expression 71*13;' "T^N'û (telle est la leçon de notre Yerouschalmi, de lj""| et 3*"p] veut dire : Il énonça comme une affirmation la règle posée par R. Samuel.

* Zunz {L c.) et Lowe {Fragment of Pesahim, p. 97) disent que les Schccltot sont au nombre de 171 ; Graetz et Kaminka (l. c.) en comptent 191. Cette divergence provient de ce que 20 de ces dissertations, tout en ayant le même en-tête traitent le même sujet que les dissertations qui précèdent immédiatement et, par conséquent, ne sont pas comptées. Les premiers ont adopté le nombre indiqué en tète de la dernière seheelta : &ypy les deux autres savants ajoutent à ce total les vingt qui n'ont pas

60 REVUE DES ETUDES JUIVES

d'ordre, de notre Recueil, soixante -treize commencent par les mots ban*:^ mai ïwwi, soixante-quatre par "jne ibw, et les autres cinquante-trois par . . .b Tttai l, et toutes, sans exception, sont précédées du mot anbitfp. Pour bien comprendre le sens de ce mot, la première chose à faire à mon avis, est de consulter l'auteur lui-même. Voici ce qu'il dit au commencement de sa pre- mière scheelta : w Nrûttîi awava n^ttb hatrwn mai 'pai'rai «nVwo aroun awva roi ^v «mu» rp*na rrttbrb ain '■p-ia Nsmp s-p^a ïiai ïTWpl rrOTai... Lcnve (l. c, p. 95, note 37) traduit ainsi : « Question. Pourquoi les Israélites sont-ils obligés de se reposer le jour du sabbat? Parce que le Saint, béni soit-il, en créant le monde, Ta achevé en six jours et s'est reposé le sabbat et a béni et sanctifié ce jour ». On voit que la préposition /tai est rendue par « Pourquoi », ce qui est une traduction inadmissible. Voyous un peu plus loin la scheelta IV :

T»îorn ïman 1*3 "in tpm?aVi brrpftb bania^ manb "pï-jb -ia&n «nVwc abn îOsiLn &m ^:aa ^rotca 13m ■ma^N ba "p ^aa nVwi Kttsro

.'"ian nb^w T»bv aba "prrb? "p nu dnnmN

En suivant la méthode de M. Lowe, il faudrait traduire ainsi : « Question. Pourquoi est-il défendu aux Israélites de se voler et se piller les uns les autres? Parce que le châtiment infligé au voleur est plus sévère que la pénalité indiquée pour les autres dé- fenses, etc. » Mais tout ce passage parait incohérent, car, dans toute la dissertation on ne trouve pas la moindre allusion à la dé- fense elle-même ! Prenons maintenant une autre scheelta, la XXIIe. Nous y lisons :

^nbstb &nmw t^mmaa wibatb bmnxop irran "pa^ntii MnVw wd^i avo^ «mbxb siîïï^i aoti t*waTpi!a ^aa ibafci ap^a ïrowG ban firn D2M ira bbann ba Mpni itt&Oia rrban aba was *pîo tripla '"i *\ftixi «mbxb ntoti 5>ap^b binic nab rrt lyamxn .ra sttsri

.'■Di iabn

M. Lowe traduirait ainsi : « Question. Pourquoi les Israélites sont-ils obligés de prier dans une synagogue destinée à la prière? C'est ainsi que nous trouvons que Jacob a prié dans [l'endroit

de numéro d'ordre. Dans l'édition que nous avons sous les yeux (Wilna, 1861), on ne trouve pas le nombre 67 (quoique dans les mriPDÏÏ du commentateur, la pre- mière dibseriation sur Pourim soit marquée exactement comme la TO Nnb^X'û) ; il reste donc 170 ninb^NC numérotées, auxquelles il faut ajouter les 2,0 non numéro- tées : ensemble, 1^0.

1 Le premier groupe contient deux sekeeltot (102 et 167) qui commencent par "lî-Îj^inTtfT et une (19) par i3>2P"'72taI, dont le sens est le même que celui de "pa^nTD"!. Dans la seconde classe, deux (60 et 115) commencent par ib^N, sans la lettre initiale T, mais c'est une faute d'impression.

bawa, Nnb"«Htt3 et mnb'WD 61

s'éleva plus tard] le temple, qui était destiné à la prière, car il est dit : « Mffn à une place déterminée. » Or 3>:d signifie « prier », comme il est dit « Tu ne prieras pas pour ce peuple et tu n'inter- céderas pas («œr») auprès de moi. » Et chaque Israélite doit se fixer un endroit pour prier, etc. » Ici encore, on voit les nom- breuses inexactitudes auxquelles on aboutit en donnant à la pre- mière partie un sens interrogatif. L'ensemble de chaque scheella et la préposition i par laquelle commence le texte qui suit le mot anVwD montrent qu'en réalfté ces passages contiennent des pro- positions et des règles. C'est ce qui a fait dire à M. Weiss, /. c, p. 24) : -qt vbv ton )^yn np^ bbis "«nVw,, -rima tnia-nû rw b^ r-unDE robn Tttn r<n- ■jiusNnn nfcs«3ii ïtriD'n r-nannn nbnn -ûi ïrwn V2"d r^m. Donc, dans tous ces cas, le mot «nb'W ne peut pas être rendu par « question » *.

Mais, si le début de ces dissertations ne justifie pas la traduction du mot scheella par « question », peut-être faut-il ainsi traduire à cause de l'ensemble ? Et de fait, comme chaque schetlta contient une série de demandes et de réponses, plusieurs savants ont émis l'opinion que c'est cette forme particulière de discusssion qui a fait donner à l'ouvrage son titre de mnb^ra ou questions. Cette conclusion est pourtant sujette à caution. Ce qui domine dans ces dissertations, c'est l'argumentation. Prenant comme point de dé- part une halakha établie, l'auteur l'examine dans toutes ses conséquences, cite de nombreux passages de source rabbinique, principalement du Talmud de Babylone, et termine par ces mots Nrob"n p"i ou par une expression analogue. Qu'un tel procédé de discussion amène des demandes et des réponses, cela est tout na- turel, mais nous prétendons qu'il ne s'en trouve pas plus dans notre Recueil, que dans tout autre ouvrage de ce caractère. Sans doute, les « Réponses des gaonim » de Natronaï, Yehudaï, Haninaï et Kalonymos, sont mentionnés assez fréquemment par la littérature rabbinique du moyen âge sous le titre de Scheeltot (cf. Zunz, l. c, 102; Beth Talmud, III, p. 26; ib. p. 210). Mais, pour ces derniers ouvrages, le titre de « Questions » est justifié, parce que les dis- sertations qu'ils contiennent sont réellement des réponses à des questions adressées directement à ces gaonim, tandis que, dans le

1 Quoique dans l'expression "p^NSîT Nnb^NIIJ *pj3>bl, que l'auteur emploie par- fois, le mot Nnb^^O signifie « question », rien ne prouve que ce mot ait le même sens au commencement des 190 scheeltot. Dans ces passages, dix en tout (voir Beth Talmud, 111, 28), l'auteur emploie ce terme dans la pensée de répondre à une de- mande prévue, tandis que toutes les dissertations qui débutent par ce mot contiennent simplement des halakhot déjà établies.

62 REVUE DES ETUDES JUIVES

Recueil de R. Ahaï, les questions découlent naturellement des ha- lakhot, qui forment l'exorde de ces dissertations. Bien plus, R. Ahaï place le mot anb^u: justement en tête de la partie de la dissertation qui ne contient aucune question.

Donc, puisque rien, dans ces dissertations, n'indique particu- lièrement que l'ouvrage de R. Ahaï soit un recueil de questions, puisque le mot fctnVwB peut avoir un sens al'firmatif et que, de plus, la partie même désignée spécialement par l'auteur sous le nom de «nVwD prouve que R. Ahaï donne à ce terme la significa- tion d'« assertion, proposition, remarque », nous pouvons en con- clure que le titre wi« n-n mnVwB doit être traduit ainsi : Obser- vations ou Discussions de R. Ahaï.

N. C, 1896.

S. Mendelsohn.

CLÉMENT VII

ET LES JUIFS DU COMTAT VENAISSIN

Le x\e siècle avait marqué, pour les Juifs du Gomtat-Venaissin, le début d'une ère de réaction économique. La bourgeoisie éman- cipée supportait avec peine ces concurrents gênants, qui ne lui étaient plus utiles. Industriels, marchands, banquiers se liguaient pour ruiner ou, tout au moins, rendre inoffensifs des rivaux qui avaient le tort d'être Juifs. Abandonnés par les municipalités, qui jusque-là les avaient protégés, pour défendre leurs propres droits d'ailleurs, ces malheureux étaient entièrement à la merci des papes.

Il est de mode de vanter la politique paternelle du Saint-Siège à l'égard des Juifs des Etats pontificaux, et, en effet, on tracerait un tableau brillant des effets de cette politique, en ramassant toutes les mesures d'équité et de bienveillance que les papes prirent successivement en leur faveur. Seulement, à cette des- cription il serait aisé d'en opposer une autre, d'un relief aussi puissant. Il n'y a pas eu une politique pontificale à l'égard des Juifs, il y en a eu plusieurs. Bienveillants ou malveillants, les papes pouvaient toujours invoquer des précédents; les archives de la chancellerie étaient un arsenal d'où Ton pouvait tirer des armes de tout genre.

Il ne fallait pas nécessairement un changement de pontife pour amener ces variations; il suffisait, pour le même pape, d'un changement de dispositions ou de circonstances. Ces volte-face savaient se justifier ; pour révoquer une bulle, il suffisait d'en at- tribuer l'origine à l'importunité '. Quand ces soi-disants impor-

1 Ainsi Martin Y, révoquant, le 1er février 1423, une bulle précédente, s'exprime ainsi : c Eas tanquam a nobis per hujusmodi circumventionem et importunitatem extortas merito ineiticaces et invalidas reputantes. » Vernet, Revue des questions historiques, t. LI, p. 381.

64 REVUE DES ETUDES JUIVES

tuns étaient Juifs, un mot dur pour fustiger leurs manœuvres coupables, et c'était assez pour effacer le souvenir du prix dont ils avaient acheté la bonté de leur maître.

Le xvi° siècle acheva ce que le siècle précédent avait com- mencé. La lutte engagée par les habitants du Comtat contre leurs concurrents juifs devint plus violente ; leurs exigences se firent de plus en plus impérieuses. Les Juifs, sujets du pape, en appelèrent à la protection de leur souverain ; ils ne se dissimulaient pas les sacrifices dont ils devraient payer le droit de vivre, et, avec une énergie qu'il faut admirer, ils disputèrent pied à pied ce que le langage du temps appelait leurs « privilèges », et qui n'était même pas le droit commun. Leurs succès étaient précaires, mais, au moins, les empêchaient de désespérer.

Jamais l'inconstance de leur sort n'éclata mieux que sous le pon- tificat de Clément Vil ; aucun pape ne montra une telle versatilité d'opinions. Oscillant au gré des circonstances, se démentant avec une aisance ingénue, biffant d'un trait de plume ce qu'il avait so- lennellement décrété la veille, il a fait passer successivement les Juifs du Comtat de la joie la plus haute à la détresse la plus pro- fonde, leur accordant des droits trop beaux pour être durables, les condamnant ensuite à la plus pénible situation. C'est qu'il prê- tait l'oreille tantôt aux doléances des Juifs, qui venaient au se- cours de son trésor aux abois, tantôt à celles des « trois états », dont il eût été très imprudent de s'aliéner le loyalisme.

C'est ce que mettront en lumière les pièces inédites que nous publions plus loin. L'une a été copiée par notre regretté maître Isidore Loeb, c'est celle qui est défavorable aux Juifs l ; les deux autres ont été transcrites, pour nous, des registres secrets du Va- tican. Naturellement, de ces deux derniers documents il n'est resté aucune vestige dans les Archives du Comtat : les Juifs seuls avaient intérêt à les garder, et l'on sait qu'il n'est rien resté de leur dépôt de pièces officielles.

Clément VII venait à peine de recevoir la tiare (1523), que les Juifs du Comtat, suivant l'usage, lui envoyèrent une députation

1 II existe à la Mairie de Carpentras (GG, 58) uûe bulle de Clément VII de 1524 que nous aurions voulu publier, car elle est un des éléments importants du chapitre d histoire que nous étudions ici ; mais elle est si mal transcrite que nous n'osons pas la reproduire avec ses incorrections nombreuses.

CLÉMENT VIL ET LES JUIFS DU COMTAT VENA1SS1N 65

pour lui demander la confirmation des privilèges que leur avaient octroyés ses prédécesseurs. Le pape s'empressa de déférer à leurs vœux, et, à la date du 4 janvier 1524, la chancellerie l^ur remit l'acte qui devait leur assurer toute quié:ude '. Clément VII n'avait nulle raison de marchander sur les maigres concessions que ses devanciers leur avaient accordées, malgré les protestations des « trois états ». Le nouveau pape était un grand seigneur, de l'il- lustre famille des Médicis, qui jusque s'était surtout occupé de politique générale. La situation, quand il prit le pouvoir, était alarmante pour le Saint-Siège comme pour la péninsule. Les succès des armes impériales, qu'il soutenait de ses troupes et de ses subsides, devenaient menaçants ; la défaite des Français et le triomphe de Charles Quint, c'était l'asservissement à brève échéance de la papauté. Au milieu de ces soucis, la requête des Juifs dut passer inaperçue, et le pape abandonna vraisembla- blement au cardinal chargé de ces affaires le soin d'y répondre.

Mais le désarroi même qui régnait alors à Rome releva semble- t-il, le courage des trois états. Depuis un siècle, ils menaient une guerre, tantôt ouverte, tantôt sourde, contre les Juifs de la pro- vince. En 1457, ils avaient sollicité de Pie II des mesures éner- giques pour réduire le champ des affaires de leurs rivaux ; ils avaient obtenu de lui un bref (4 janvier 1458) qui défendait aux Juifs de vendre des grains et autres substances alimentaires, de faire des contrats avec les chrétiens, de prendre hypothèque sur leurs biens et d'exercer aucune action contre leurs personnes-. Sixte IV reçut, à son tour, une ambassade des Gomtadins et re- nouvela les prohibitions énumérées dans le bref de Pie II 3. En 14*9, la commune de Garpentras appuya les doléances faites au légat d'Avignon, gouverneur du Gomtat, par les marchands et artisans de Garpentras contre leurs concurrents juifs. Ils deman- daient que le commerce de ceux-ci fût soumis à de telles prohi- bitions que leur concurrence en fût paralysée. Ils n'obtinrent qu'un demi-succès4.

En 1524, ils furent plus heureux et, le 11 août de cette année, les trois états obtinrent de Clément VII une bulle qui est ainsi résumée dans une plaquette de Vasquin Philieul de Garpentras, Les Statuts de la Comte de Venaiseia mis de latin en françois 5.

Les Juifs ne pourront faire commerce de blé, vin, huile et

1 Voir Pièces justificatives, III.

» Bardinet, Revue, VI, 8 et 24.

» Ibid., p. 9.

4 Revue, ibid., p. 28.

s Avignon, 1558, in-8°.

T. XXXII, 63. 5

OC. REVUE DES ETUDES JUIVES

autres victuailles, ni de choses ou marchandises nécessaires à l'humain usage. Ils devront vivre de leur labeur.

Dans les contrats qu'ils feront avec les chrétiens, il ne pourra être stipulé aucune « obligation de personnes immeubles ». Ils ne pourront prendre en hypothèques que les biens meubles et l'usu- fruit des immeubles.

Les obligations faites sur comptes finaux, c'est-à-dire pour solde de compte, seront nulles s'il n'y est pas fait mention expresse des obligations précédentes dont ces comptes finaux sont la consé- quence, avec la désignation des notaires qui les ont reçues et de l'an et du jour du contrat.

Ils ne pourront pas exiger le remboursement de dettes payables dix ans auparavant, sous peine de 25 marcs d'amende, à moins de preuve qu'ils ont été empêchés, par une juste cause, d'exiger l'exécution du contrat.

Tout contrat usuraire leur est interdit.

Dans leurs contrats, ils ne feront pas figurer des personnes supposées.

Ils ne pourront emprisonner ni arrêter aucun chrétien pour dettes, ni procéder contre eux par censures ecclésiastiques.

Les notaires ne dresseront d'autres actes que ceux qui sont mentionnés plus haut, ni ne rédigeront de contrats usuraires sinon en présence de l'objet du prêt ou de témoins.

II

Les Juifs ne se tinrent pas pour battus, ils envoyèrent de nou- veau à Rome une délégation prête à accepter, au nom de ses com- mettants, les plus dures conditions pourvu que la liberté dont ils avaient joui jusque-là leur fût maintenue. Ils entrèrent en pour- parlers avec l'homme de confiance du pape, qui veillait sur les intérêts du Saint-Siège, François Armellino.

C'était une figure curieuse que ce cardinal, qui, parti de bas étage, était devenu le bras droit de Clément VII. Fils d'un banque- routier qui « avait payé en une nuit tous ses créanciers par une fuite préméditée», il avait débuté par le métier d'homme d'af- faires. S'enhardissant, il s'était fait pourvoir d'un office de proto- notaire et de celui de clerc de chambre, et avait réussi à capter les bonnes grâces de Léon X. Pour récompenser les services d'ordre financier qu'il lui rendit, le pape l'adopta dans la famille des Médicis et le créa cardinal en 1517. Ce fut à lui qu'il abandonna

CLÉMENT VII ET LES .UJIFS DU COMTAT VENAISS1N 67

le « gouvernement des finances ». La mort de son protecteur jeta François dans les transes ; on ne parlait de rien moins que de faire une enquête sur la vie des favoris du pape défunt ; il se voyait déjà livré à la discrétion de ses ennemis et à la fureur du peuple, qui le haïssait, quand tout à coup sa fortune se releva : le cardinal de Médicis le tira de danger, puis, devenu lui-môme pape sous le nom de Clément VII, lui abandonna de gros bénéfices. Le souve- rain pontife n'y perdit, d'ailleurs, rien, car, son favori étant mort ab intestat, il hérita de lui plus de 200,000 écus, qui l'aidèrent à payer sa rançon l.

C'est à ce quasi-ministre des finances que les Juifs durent s'adresser. Ils arrivaient en un moment critique. Après la défaite de François Ier à Pavie, les généraux de Charles-Quint avaient lâché leurs troupes sur le territoire du pape. Ces hôtes inattendus l'effrayaient par leurs violences et leurs brigandages journaliers; aussi, de concert avec Venise, qui souffrait des mêmes maux, il proposa 20,000 écus pour le retrait de ces troupes indisciplinées. Cette saignée, suivant de près une longue guerre, était doulou- reuse, et François Armellino devait accepter avec reconnaissance les moyens de réparer les brèches du trésor pontifical.

Or, depuis longtemps et à plusieurs reprises, les papes avaient voulu imposer aux Juifs du Comtat une contribution d'un ving- tième sur leur fortune; mais, forts de l'appui des municipalités, qui entendaient défendre leurs privilèges, les Juifs avaient ré- sisté avec succès à ces exigences. Cette fois, ils durent se sou- mettre. Moyennant ce droit, qui était considérable, étant donné les impôts qu'ils payaient déjà, ils obtinrent en juillet 1525 des privilèges, qui furent convertis en lettres-patentes ou capitula, signées en décembre 1525 par le cardinal Armellino et confirmées par le pape.

Les Juifs, pour la plupart, tiraient leurs moyens d'existence des métiers manuels, du commerce et des opérations de prêt. Peu à peu, la bourgeoisie comtadine était arrivée à paralyser leur con- currence, par les mesures prohibitives qu'elle avait obtenues contre eux. Ce sont, naturellement, ces prohibitions dont ils demandaient la révocation.

Pour les métiers, ils obtinrent la liberté de les exercer, comme ils en avaient l'habitude et comme le faisaient les chrétiens. Pour le commerce, leur requête se heurtait à un état de fait difficile à modifier. L'arrêt de la commission de 1489, dont nous avons déjà

1 Aubry, Histoire générale des cardinaux, t. III, p. 279 et suiv.

68 KEVUE DES ETUDES JUIVES

parlé, leur avait interdit tout achat de laines et pelleteries. Il leur enjoignait, en outre, de cesser toute fabrication de draps, sinon pour leur usage. Ils furent autorisés, par l'acte de 1525, à acheter de nouveau des laines, avec certaines restrictions, il est vrai.

Le commerce des céréales et autres substances alimentaires avait surtout été entravé par les lettres accordées aux trois états. Les Juifs furent remis en possession de leurs anciens droits. Mais, pour que leur concurrence ne nuisît pas aux com- merçants chrétiens, il leur fut interdit d'acheter ces denrées sur pied et de les offrir sur le marché, sinon un mois après les chrétiens.

Il semble bien que la plupart des Israélites comtadins s'adon- naient aux opérations de prêt; ils n'étaient pas les seuls, d'ailleurs; ils avaient même à compter avec les Florentins et autres ban- quiers dont les associations étaient singulièrement plus puissantes que les leurs. Est-ce aux manœuvres de ces rivaux qu'était due la clause de 1524 qui leur interdisait tout contrat usuraire? C'est vraisemblable. Le pape avait d'autant moins raison de défendre à ceux du Comtat l'exercice de cette profession que, dans ses États italiens, il le permettait à leurs coreligionnaires. Les Archives secrètes du Vatican conservent même un nombre considérable de pièces qui jettent une lumière instructive sur les rapports du pape avec les financiers juifs italiens l. Au surplus, Léon X avait, par des privilèges spéciaux, accordé aux Comtadins l'autorisation de prêter sur les céréales et autres substances comestibles, et Clé- ment VII avait confirmé le bref de son prédécesseur. Ce droit leur fut rendu, avec cette seule restriction que le taux de l'intérêt ne pourrait dépasser 13 0/0. C'était, d'ailleurs, celui qu'ils avaient prélevé jusque-là et qui était, à un centième près, celui qu'avait reconnu légal la loi romaine.

Le pape, réglant ainsi les opérations financières des Juifs, les consacrait, et il eût été de stricte justice qu'elles fussent couvertes par son autorité. Et, en effet, en tant que souverain temporel, dans ses États, il donnait suite aux poursuites judiciaires des Juifs contre leurs débiteurs. Mais c'étaient des engagements auxquels on ne se croyait pas lié, comme aujourd'hui ceux qui sont enta- chés d'immoralité. Après avoir sanctionné ces opérations, on se répandait en plaintes contre l'usure et on en prenait prétexte même pour réduire les autres droits des Juifs.

1 Nous en publierons prochainement le sommaire. Voir aussi Vernet, Université catholique, 1895.

CLÉMENT Vil ET LES JUIFS 1)1 COMTAT VEiNAISSlN &9

Il y avait un article des lettres obtenues par les trois États qui pliait beaucoup les Juifs dans leurs transactions commerciales. C'était celui qui décrétait la prescription décennale pour leurs créances.

Ils demandaient qu'au moins, cette prescription n'eut point d'effet rétroactif. Sur ce point, ils n'eurent satisfaction qu'à moitié. Le pape leur accorde que les créances vieilles de plus de dix ans en 1524 ne seront pas couvertes par la prescription. En outre, aux conditions qui s'opposent à cette prescription, il ajoute le cas le prêt aurait eu lieu sans intérêt ou à un taux inférieur à l'intérêt légal. Mais, pour les contrats qui n'ont pas encore dix ans de durée et dont la période décennale finira dans l'année, ils devront exiger le remboursement de leurs créances dans le délai d'un an à compter de l'expiration de dix ans ; sinon, ils seront déchus de leurs droits !.

Mais les Juifs obtinrent satisfaction sur presque tous les autres points.

Ils avaient demandé le droit d'acquérir les obligations per- sonnelles de biens immeubles et meubles, de faire des contrats avec obligations, renonciations, hypothèques, cautions, comme les chrétiens, afin de n'être pas frustrés, surtout par les clercs qui appartenaient à la curie séculière. Ils voulaient aussi que les notaires pussent dresser ces contrats. C'était, en un mot, l'annula- tion pure et simple de la clause des lettres de 1524 qu'ils sollici- taient. Ils obtinrent gain de cause, toutefois avec certaines res- trictions. Les citoyens et habitants du Comtat ne pouvaient être emprisonnés pour dettes ni condamnés aux censures ecclésias- tiques. Les Juifs n'avaient pas le droit de saisir les immeubles, si les revenus ou biens meubles étaient suffisants pour éteindre la dette. En cas de saisie, les immeubles devaient être mis en vente, et si, dans un laps de quarante jours, ils ne trouvaient pas d'ac- quéreurs chrétiens, ils devaient devenir la propriété du Juif, à la condition que celui-ci restituât à son débiteur le surplus de la valeur de l'immeuble et avec droit de réméré pendant neuf ans pour l'ancien propriétaire. Ce délai passé, il était permis au Juif d'en disposer et de l'aliéner. Pour les clercs, les évoques ou leurs vicaires devaient les forcer à payer leurs dettes. A la place des censures, le juge, tant ecclésiastique que civil, devait contraindre les débiteurs des Juifs à s'acquitter de leurs dettes en temps pres- crit, sous peine de six ducats d'or pour cent, outre l'intérêt, dont

1 Le texte , qui est très ob?cur, semble dire que cette année commencera à courir après le laps de cinq ans accordé pour 6'acquitter envers eux. Or, nulle part, il n'est question de ce délai de cinq ans.

70 REVUE DES ETUDES JUIVES

un tiers applicable à la Chambre apostolique, un autre à l'église de l'endroit, et le troisième à l'exécuteur.

Pour les gages et nantissements, si, au bout de vingt mois, le prêt n'était pas remboursé, ils pouvaient les vendre, aliéner ou affecter à leur usage, après avis publié deux mois avant cette opération. Si la vente du gage produisait un boni, cet excédent revenait, comme de juste, au propriétaire.

En outre, le débiteur ne pouvait demander de sursis de paie- ment pour plus d'un an.

Le port du signe était une des vexations dont les Juifs souf- fraient le plus. Encore si l'autorité s'en était toujours tenue à celui qu'elle avait adopté à l'origine; mais les variations fréquentes de la loi avaient toujours pour résultat une aggravation nouvelle. Déjà, en 1418, les Juifs s'étaient plaints à Martin V qu'on leur imposât une marque différente, par la forme et la couleur, de celle que la coutume des diverses localités avait consacrée '. Le pape fit droit à leur requête. Paul II, qui leur avait défendu de vendre des grains et autres substances alimentaires, ne leur montra pas une plus grande bienveillance pour ce qui avait trait à la marque. Sourd à leurs prières, il leur imposa la rouelle, faite d'un cercle de couleur jaune, cousu sur un endroit apparent des habits et assez large pour former deux plis extérieurs des vêtements-. Ce pape, voulant rendre l'humiliation de la marque plus sensible et ne trouvant pas la couleur jaune assez voyante, la remplaça par la rouge 3. Les Juifs s'efforcèrent, paraît-il, de se soustraire autant qu'ils purent à cette obligation. Aussi, la commission de 1489 demanda-t-elle plus de vigilance et de sévérité à l'endroit de cette mesure. Clé- ment VII devait dépasser encore la sévérité de ses prédécesseurs. Le 13 juin 1525, il imposait aux hommes le chapeau jaune et aux femmes un signe apparent4.

C'est contre cette nouvelle exigence qu'ils protestèrent, et ils ob- tinrent l'autorisation de ne pas porter d'autre signe que celui qui était consacré par l'usage.

Telles étaient les clauses qui devaient protéger leur condition matérielle.

Mais d'autres restrictions légales provoquaient leurs plaintes et ils n'eurent garde de les oublier.

» Revue, VI, 6. * Jbid., p. 8.

3 lbid., p. 9.

4 Ibid., p. 90 ; Collection Tissot, IV, 2 : ...Birretum clavi coloris suscipiant et déférant.

CLÉMENT VII ET LES JUIFS DU COMTAT VENAISSIN 71

Les mesures visant la liberté de leur culte les gênaient tout au- tant que les autres. Ils profitaient généralement de la bienveil- lance, plus ou moins spontanée et désintéressée, dont ils recevaient le témoignage pour demander l'abrogation de toutes Ihs restric- tions qui portaient atteinte à leur liberté religieuse. L'obtention de ces concessions est le plus souvent le thermomètre du besoin que l'autorité civile avait de leur concours. A ce point de vue, l'accord intervenu entre le régent Charles, en 1359, et les Juifs de France, et qui tut copié nombre de fois, en fournit la démonstra- tion convaincante.

Le succès de la requête des Juifs comtadins sur ce point, succès d'autant plus appréciable que l'autorité civile se confondait avec l'autorité ecclésiastique, montre le prix qu'on attachait au traité conclu avec eux.

Qu'on juge, par cette énumération, des avantages qu'ils ob- tinrent :

Liberté de travailler, leurs portes fermées, dans leurs maisons, les jours de l'êtes chrétiennes et le dimanche;

Faculté de fabriquer des pains azymes sans être molestés par les officiaux ;

Exemption de l'obligation d'assister aux prédications chrétiennes et autres cérémonies contraires à leur foi;

Droit de n'être pas cités en justice le samedi ni au civil, ni au criminel, excepté pour crimes capitaux ou flagrant délit;

Autorisation de construire de nouvelles synagogues, ou de res- taurer ou agrandir les anciennes, dans leurs maisons ou leur car- rière, d'y célébrer l'office à la manière hébraïque et d'y accomplir tous leurs rites ; pour ceux qui n'auront pas la commodité d'ériger des synagogues, faculté de pratiquer leur culte dans leurs maisons ou dans les carrières;

Droit d'inhumer dans des cimetières particuliers ;

Permission de faire appel aux nourrices et sages-femmes chré- tiennes.

Ces concessions abrogeaient cependant des bulles papales et même des lois remontant au Code théodosien.

Bien plus, pour certaines, l'excommunication était prononcée, à la requête des Juifs, contre ceux qui enfreindraient ces ordres.

Il était difficile de mieux marquer le parti-pris d'être agréable aux solliciteurs.

Les Juifs obtenaient encore d'être protégés contre les excès de pouvoir des inquisiteurs. Il était défendu de procéder contre eux, sauf pour les crimes capitaux, sans révéler les noms des accusa- tpurs pt contrairement aux règles du droit public.

72 HE VUE DES ETUDES JUIVES

Le pape Martin V avait d^jà recueilli de semblables plaintes : les inquisiteurs refusaient de communiquer aux Juifs les noms de leurs dénonciateurs. Martin V avait fait droit également à leur re- quête ».

Enfin, amnistie pour tous les délits, même pour agrandissement ou réparation de synagogues, excepté pour ceux de droit com- mun ou machinations contre le pape, le cardinal ou tout autre prélat.

Cette clause était de style dans les nouvelles conventions, elle figure dans celle de 1359 dont nous avons d^jà parlé; c'était comme la liquidation du passé, la garantie que leur condition ré- glée par ce nouvel instrument ne serait pas remise en question à cause de prétendus délits commis antérieurement.

Un article de ces Capitula jette un jour nouveau sur les rela- tions des communautés comtadines avec celle de Rome. Il arrivait, semble-t-il, que celle-ci, en raison de sa proximité du Saint-Siège, intervenait auprès de l'autorité pontificale pour régler la situation des Juifs de Carpentras et du Gomtat. Elle outrepassait parfois ses droits et prenait des engagements que ne ratifiaient pas les inté- ressés. Ceux-ci demandent donc et obtiennent que la communauté romaine ni aucune autre des États de l'Église ne puisse se substi- tuer à celle du Comtat pour traiter, composer, prendre des enga- gements avec le pape ou son camérier ou la chambre apostolique, sans en avoir reçu mandat exprès de la dite communauté ou de ses députés.

D'autre part, elle ne sera pas solidaire des autres communautés pour les charges qui leur seraient imposées.

Les Juifs ne s'abusaient pas sur la durée de ces concessions. Prévoyant les recours probables des trois états, ils demandaient que, vu la distance de Rome, les dangers, dépenses et difficultés d'un voyage à la Ville Sainte, s'ils étaient appelés pour défendre leurs Capitula, ils eussent un délai d'un an pour comparaître et que, pendant ce temps, aucune atteinte ne fût portée à cet acte so- lennel, sinon sur l'exprès mandat du pape et pour ce qui avait trait à leurs devoirs envers le Saint-Siège.

Cette faveur ne leur fut pas plus refusée que les précédentes.

Il était impossible d'être plus libéral.

» Vernet, ibid., p. 389.

CLEMENT VII ET LES JUIFS DU COMTAT VENAISS1N

III

Le duel était engagé entre les Juifs et les trois états : ceux-ci durent se résigner à ce qu'ils n'avaient pu empêcher, et de long- temps ils n'osèrent pas faire entendre de protestations.

Cependant, en 1531, les Juifs durent avoir besoin de produire à nouveau les Capitula qui étaient devenus leur charte, car ils s'a- dressèrent à la chancellerie pontificale pour en avoir copie. C'est la transcription de cette copie aux registres du Vatican que nous publions plus loin.

Cette transcription leur fut accordée par Augustin Spinola, car- dinal-prêtre du titre de Saint-Cyriace in Thermis, puis de Saint- Apollinaire, enfin Camerlingue de l'Église *.

Enfin, en 1532, les trois états délibérèrent sur les concessions obtenues par les Juifs « en haine des chrétiens 2 ». A quelque temps de là, en 1533, Clément VU, vint à Marseille pour remettre à François 1er sa nièce, la célèbre Catherine de Médicis, destinée au duc d'Orléans, qui fut couronné plus tard sous le nom d'Henri II. Les trois états en profitèrent pour lui députer trois

1 Augustin Spinola était réputé pour sa droiture et son amour du peunle. Camer- lingue du pape, il avait mérité le titre de « Père du peuple romain », « ayant toujours eu soin de faire venir de tous côtés du blé à Rome et d'y empêcher la chèreté de toutes les provisions nécessaires. C'est pourquoi l'on nu saurait bonnement concevoir les regrets et les pleurs qu'y causèrent les nouvelles de son décès et le souvenir de ses vertus et nommément de la munificence qui était d'autant plus à estimer qu'étant assez ménager en ce qui le regardait, il était extraordmarement magnifique et libéral envers les autres ». Aubry, Histoire générale des Cardinaux, t. III, p. 338.

M. de Maulde a publié, dans le Bulletin historique et archéologique de Vaucluse (1879, p. 315 et suiv.), le texte des réclamations des Élats : Ténor capitulorum per Judeos in odium christianorum a Sancla Sede apostolica ultimate obtentorum cum certis modi/icationibus in pede cujuslibei descriptis, etc. M. de Maulde dit à ce sujet: « Rien de plus étonnant que ce titre constatant que les privilèges énoncés dans la délibération qui suit ont été obtenus par les Juifs, alors que légalement on se trouvait sous le régime de la bulle de 1524, par laquelle Clément Vil avait inauguré d'ailleurs une ère de dureté qui, on le voit, ne passait pas dans la pratique; rien de plus éion- nant aussi que la largeur des prescriptions contre lesquelles protestent les États tout en restant au-dessous de la rigueur des prescriptions légales de 1524. » C'est faute d*avoir connu nos Capitula de 1525 que M. de Maulde montre cet étounement. 11 est à remarquer que les réclamations des trois élats ne concordent pas entièrement avec la teneur des privilèges obtenus par les Juifs; quelquefois elles visent des articles qui n'y figurent pas. Ainsi le chapitre v des réclamations proteste contre la faculté qui leur est accordée de prêter à 16 0/0, alors que notre texte ne parle que de 13 0/0; pour les marchandises vendues à crédit, ils auraient le droit de prélever 25 0/0 : rien de tel dans les privilèges ; pour le droit de réméré sur immeubles, le délai est de trois ans et non de neuf. Enfin, ils se plaignent que la prescription déceunale n'ait pas lieu pour eux : on a vu plus haut en quoi consistait cette faveur.

74 REVUE DES ETUDES JUIVES

orateurs chargés de lui exposer leurs doléances. Ils lui rappelèrent les lettres qu'ils avaient obtenues de lui en 1524, mais qu'avaient annulées les concessions accordées aux Juifs par François Armel- lino. On leur avait fourni les moyens d'exercer leurs arts mau- dits pour sucer le sang des chrétiens et « dévorer leur subs- tance ! ». Ils ont réduit ceux-ci à la misère et à l'exil, au point qu'ils semblent près de l'emporter sur les chrétiens en nombre et en facultés.

Le pape crut bon d'accueillir leur requête, et avec la même versatilité qu'il montra dans les affaires du Portugal, il annula l'acte de 1525. Pour justifier sa conduite passée, à l'exemple de Martin V, il mit sur le compte de l'importunité des Juifs sa dé- faillance temporaire. Ces lettres, rédigées par Armellino, et qu'il avait peut-être confirmées, les Juifs les lui avaient ex- torquées, après l'avoir circonvenu. Le pape les révoque tout simplement 2.

IV

Le bref de Clément Vil atteignait les Juifs dans leurs intérêts et leur liberté, il leur montra la faiblesse de l'appui quils pouvaient attendre de Rome. Mais ils étaient habitués à lutter au jour le jour et, malgré leurs défaites nombreuses, ils savaient ne pas dé- sespérer. La mort de Clément VII vint leur rendre justement l'es- poir : l'avènement d'un pape nouveau leur permettait de compter sur l'avenir et réveillait, en tout, cas, leur esprit d'initiative. Ils s'empressèrent de faire remettre à Paul III, dès son intronisation, en 1534, une pétition pour obtenir de sa justice un nouvel examen de leurs droits. Elle était portée par Joseph de Lattes3 et maître Vidas Avidor4, procurateurs de la communauté du Comtat. Un débat public eut lieu le 1er mars 1535 ; les rapporteurs donnèrent leurs conclusions le 18 mars suivant. : les Juifs obtenaient gain de cause. 11 était reconnu que les privilèges invoqués par eux leur avaient été concédés en échange de l'impôt du 20e « et pour d'autres causes ». En conséquence, la révocation des Capitula

1 L'expression était de style déjà au commencement du xme siècle ; voir Moritz Stem, JJrkundliche Beitrâge uber die Stellung der Pàpste zu den Juden, II, 5 (Kiel, 1895).

2 Voir Pièces justificatives, II.

3 II est cité dans la liste des Juifs de Carpentras de 1540, Revue, X, 83. ' Maître Vides A.vi#dor de Cavaillon, Revue, XII, 201.

CLEMENT VII ET LES JUIFS DU COMTAT VENA1SS1N 75

faite à l'instance des trois états et obtenus par eux « subrepti- cement » devait être nulle et non avenue.

Le fameux Sadolet, évêque de Carpentras, faisait peut-être al- lusion à cet acte de justice quand il se plaignait que « Paul III lût mieux disposé en faveur des Juifs qu'envers ses propres sujets. » Pour beaucoup d'esprits, l'équité envers les Juifs est nécessaire- ment une injustice envers les chrétiens.

La victoire des Juifs du Gomtat n'était pas définitive : ils le virent bien par la suite.

Israël Lévi.

PIÈCES JUSTIFICATIVES

Capitula hebreorum Carpentoratensium et Venaysinum1.

Augustinus Spinola Saonensis miseratione etc. Universitati hebreorum Carpentoratensium et Comitatus Venaysiui vere fidei co- gnitionem et sa(no)nioris con>ilij spiritum. Supplicari nuper nobis fecistis iu Caméra Apostolica ut pro solita S. R. E. consuetudine dos tolerari etiam Capitula et concessiones alias per bo : me fr. Armel- linum Cardinalem et S. R. E. Camerarium predecessorem nostrum vobis vestreque Universitati tolerata, observari mandare et quatenus opus sit de novo tolerari diguaremur, quorum Capitulorum sequitur et est talis videlicet :

Frauciscus Armellinus med. miseratione divina tituli sli Calixti e. s. Mariae Traustiberi presbiter Çardinalis S. R. E. et D. N. pp. Camerarius Universitati hebreorum in civitate Carpentoratensi et Comitatu Venaysini commorantium vere fidei cognitionem et sa- nioris consilii spiritum. Cum per quasdam sub plumbo litteras SSmi D. N. contra nos (vos?) ad instantiam trium statuum sub dat. Rome XI Kal. Augusti mdxxiiii. anno primo sui pontificatus ema- natas' jura vestra nimium ledietvos enormiter gravari pretenderitis

1 Archives secrètes du Vatican, Diversorum Cameralium, vol. 92 #, p. 4b. 1 C'est la bulle dont nous avons parlé plus haut. p. 65.

76 HE VUE DES ETUDES JUIVES

et ad eumdem SSm D. N. supra dictarum litterarum revocatione seu moderatione recursum habueritis, idemque SSmuS 1). N. ex pietate christiaua vobis eompatiens dictas litteras et in il Lis contenta que- cumque prout in iufrascriptis capitulis singulariter manu nostra signatis contiiietur restrixerit, limitaverit, declaraverit, nobisque propterea imposuerit et mandaverit, ut pro consuetudine nostri ca- merariatus oflicij tam dictas declaraiiones quam pro Sede et Caméra Apostolica hebreis Capitula coucedi seu tolerari deberemus, quorum- quidem Capitulorum tenore sequitur videlicet.

In priinis petitur quod liceat dictis hebreis mercaturam exercere in trumento, vino, blado, oleo et in aliis rébus tam ad usum et vic- tum necessariis quam aliis quibuscumque prout poteraut ante dictas litteras emanatas ad instantiam trium statuum et prout possunt christiani. Placet quod in omnibus rébus ut supra mercaturam exercere possint sicut christiani, dummodo non emant aut alias accipia[u]t frumenta, blada, vinum, oleum non recollecta et a solo non- dum separata. Et si contrarium fecisse reperti fuerint, incidant in poenam centum ducatorum auri pro quolibet. Predicta vero a solo separata emere, accipere et super illis mercaturam exercere possint et valeant impuue et licite sicut christiani, dum tamen fraudem in hijs non committant et non priusquam post meusem quo predicta inceperint vendi in foro publico Civitatis Carpfentoratjensis. In solu- tum vero pro debitis hactenus contractis etiam aute dictum mensem accipere possint. Et quod lana[m]a non habentibusovium grèges emere non possint praeterquam a mercatoribus; a quibus etiam, si oves non habeant, licite et impuue emere possint et valeant ut hactenus con- sueverunt, et sicut christiani possint ab habentibus lauam post mensem tutti postquam christianis vendi inceperint, etiam ante mensem arbitrio Vicarij R. Epi. Carpentoratensi. F. Card. Camerarins.

Item quod non leueautur portare aliud signum quam hactenus cousueturn et non possint c>gi ad portandum Bireta crocei vel al- lerius coloris. Placet F. Card. Camerarins.

Item quod praescriptio decennalis saltem in contractibus jam initis ante litteras dictas praescriptionem inducen(dij[tes] locum non habea(n)tet vim habea(n)t tantum in futuris. Placet quoad preterita quorum decennium erat elapsum ante datam litterarum prescrip- tionem inducentium quo vero ad alia tam preterita quam fulura débita contrahenda, ad obviandum fraudibus dictam praescriptionem locum habere volumus, nisi de legitimo impedimento doctum fuerit seu alias sine fenore mutuaverint vel alias citra usurariam pravi- tatem contraxerint. In hijs vero quorum nondum decennium decur- sum est et terminus anno minor reliquus est ad spatium unius anni supplicatur qui annus currere incipiat post lapsum quin- quienni dati ad satisfaciendum praefatis hebreis ut supra. F. Card. Camerarins.

Item quod hebrei possint obligationes rerum stabilium mobilium personales et alias in forma acquirere et contractus facere cum obli-

CLEMENT VU ET LES JUIFS DU GOMTAT VENA1SSIN 77

gationibus, renunciationibus, hypothecis et cautellis prout christiani faciuDt, ne suis fraudentur creditis maxime a clericis etiam exemptis qui secularem curiam despieiunt, et quod notarij possiut rogari et instrumente) conficere de eorum coutractibus, diciis litteris non obstantibus. Placet quod possint acquirere obligatioues etiam jure contractus cum obligationibus, hypothecis et cautellis prout faciunt christiani, ut supra. Et quod notarij possint rogari et instrumenta conficere ut supra petitur, dummodo in futurum cives et incolae Civitalis Carpeu>is et dicti Gomitatus ad censuras et carceres non obligeutur, possint tamen sub arreste Castri aut civitatis ubi conti- gerit obligari. Et quod hebrei bona stabilia capere non possint si fructus vel bona mobilia extabuut ex quibus ipsis hebreis possint satisfieri; quibus fructibus vel bonis mobilibus non existentibus, tune bona stabilia accipere possiut, que debeant venalia proclamari et, per dies quadragiuta non reperio emptore christiano, tune judei illa accipere possint, restituto tamen domino illo quo plus valerit, predielum quod esset debitum judeo vel judeis cum pacto expresse de rétro vendendo priori domino infra novenaium pro eodem precio. Etiam si infra dictum tempus domini bonorum illa non remerint, tune liceat hebreis pro eorum arbitrio et voluutate de illis disponere et illa alienare etiam sine licentia judicis vel alterius cuiuscumque etiam in aliis in presentibus capitulis non expressis serventur lit— terae praefatae, sub plumbo jam ad instantiam trium statuum per SSmc D. N. anno preterito sub dat. Rome XI Kal. Augusti mdxxiiii auno primo expeditae. Et quod Episcopi seu eorum Vicarij in civita- tibus et Gomitatu predictis coga[n]t clericos etiam exemptos ad satis- faciendum dictis hebreis prout seculares coguntur in seculari curia summarium et expeditum jus illis ministrando, aliquo privilegio non obslaute. Et quod loco censurarum judex tam ecelesiasticus quam secularis possit et debeat precipere et mandare debitoribus dictorum hebreorum quod infra terminum competentem eorum arbitrio mode- randum debeant dictis hebreis satisfacere sub poena sex ducatorum auri pro quolibet centenario ultra interesse et tertia Camere Apos- tolice, pro alia Ecclesiae matrici loci, pro reliqua exequtori appli- canda, et quod judices teneantur exigere diilas poenas judeis débitas anie datam litterarum contractum a suis debitoribus juxla formam coutractuum exigere possint (?), gratia moratoria manente juxta mo- dificationes supra et infra scriptas. F. Card. Camerius.

Item quod liceat eisdem hebreis omues artes licitas et honestas impune et licite exercere prout hactenus soliti fuerunt et prout fa- ciunt christiani. Placet dummodo in contemptum christiauae reli- giouis non tendant aut finiant, et contra supra et infiascripta capitula ac litteras predictas cum modificationibus infrascriptis. F. Cardli° Camerim.

Item tollerentur sub usuris mutuare prout per privilégia Leonis X et per SSnm D. N. confirmata tollerati sunt etiam in blado, frumento, vino et oleo juxta hactenus observa tam consuetudinem in illis par-

78 REVUE DES ETUDES JUIVES

tibus, quantum cum Deo et sine peccato possimus et non aliter. Placet quod tollerentur dummodo non ultra quam ad rationem tredecim pro centenario quolibet anno pro usuris accipiaut, in bladis vero frumentis, et aliis juxta eousuetudinem illarum partium salvis tre- decim pro quolibet centenario pro hebreis prout in aliis rébus et pignoribus etiam quod frumentum seu bladum pro blado accipiant. F. Card. Camerarius.

Item quod in partibus mulierum ipsarum possint christianas obstetrices conducere et obstetrices possint impune accedere. Placet dummodo non multum conversentur in domibus judeorum. F. Card'" Camrn,\

Item ex quu solvunt vigesimam petunt absolvi ab omnibus crimi- nibus et delictis hactenus per eos quomodocumque commissis et perpetratis et poenas illorum gratiose comdemnari ita ut de cetero pretextu ipsorum criminum nullatenus molestari possint, etiam ra- tione Synagogarum f'actarum, ampliatarum et reparatarum. Placet preterquam de homicidiis et delictis homicidio gravioribus et machi- nationibus in persona SSmi D. N. et S. R. E. Cardlis vel alterius pre- lati. F. Cardli* Camriu\

Item quod contra ipsos judeos non possit procedi nisi per accusa- tionem etiam tune servata forma juris cum ^ubscriptione accusatoris ad poenarn tallionis et aliis requisitis. Placet praeterquam in capita- libus criminibus in quibus per inquisitionem et alias prout de jure contra ipsos procedi possit per accusationem etiam prout de jure est et consuevit. F. Carlh CamriHii.

Item quod in diebus festis seu dominicis intra eorum domos seu habitationes ipsorum clausis hostijs non impediantur eorum exer- citia facere et panes ax[z]imos conficere, et ot'ficiales non possint propterea ipsos molestare. Placet F. Caralis Cameriu*.

Item in die Sabbati non possint civiliter vel criminaliter conveniri. Placet nisi pro criminibus capitalibus vel alias in flagranti crimine fuerint reperti vel aliter légitime condemnati. F. Card. Cam.

Item quod non possiut ab olficialibus cogi ad eundum ad predica- tiones seu alias cerimonias contra legem eorum. Placet F. CaraUs Cam et iws.

Item quod possint in omnibus terris Ecclesiee libère et licite sine moleslia couversari, negociari, transire, stare et discedere prout alii hebrej. Et quod hase capitula omnia et singula in eis et in predictis litteris SSmi D. N. sub plumbo contenta teneantur et sint obligati servare cum christianis, incolis et habiiatoribus dictorum civita- tum Garpensium et Comitatu Veuaysini dumtaxat. Piacet F. Cardhx Camer("\

Item quod Universitas Romanorum vel alia quevis Universil.as quorumeumque civitatum, oppidorum et locorum S. R. E. et Sedi Apostolice médiate vel immédiate subiectorum ab hinc in posterum non possint nec debeant cum SSm0 D. N. pro tempore existenti vel ejus Gamerario, vel Caméra et Sede Apostolica vel cum quoeumque

CLÉMENT Vil ET LES JUIFS DU COMTAT VENA1SSIN 7«»

alio aliquid tractare vel componere vel appunctatum aliquid facere vel aliquid promittere, obligare, solvere vel ^lias aliquid quomodo- libet facere et gerere nomme et pro parte Universitatis hebreorum civitatum Garpeotorateusium et Gomi talus Veuaysioi predictorum siue expresso maudato et couseusu ipsius Uuiversitaiis vel alicujus ab eadem deputati etiam ad id sufficieuter potestatem habentis manu alicujus publici et autentici notarij non tamen hebrei sed christiani. Et quod dicta Universitas hebreorum civilatis Garpensis et Comi- tatus Venaysini intelligatur et sit libéra et immunis a qualibet alia universitaie et ejus gravaminibus. F. CardHs Camius.

Item in estimatione bonorum pro solutione vigesima? fienda bona uteusilia seu ad usum quotidianum parata vestis et ornamenta tam virorum quam mulierum dummodo utensilia sint.

Item domus non veniat nec computetur ex quo domus sint cen- suaria? ideo ex illis nullum fructum percipiant. Placet F. Cardlis Camius.

Item quia propter distantiam locorum ad Urbem et pericula, dis- pendia et difficultates veuieutis ad Urbem, si aliquis mandetur hebreis prediclis contra formam presentium capitulorum, vel si quid est propterea iu hiis non compreheusis quod ipsi vel ex boua con- suetudine vel alias quomodolibet servare teneantur et hactenus ser- vaverint ad hoc ut consulant rébus suis petunt quod habeant ter- minum unius anni ad comparendum hic in Urbe et intérim non incidant in aliquam pœnam nec possint cogiad aliquid faciendum contra formam horum capitulorum nisi de expresso et evidenti man- dato Rom. Pont, pro tempore existenti per litteras Sanctitatis sua? sub plumbo vel annulo piscatoris in rébus videlicet ad ipsum Ponti- ficem et Sedem et Cameram Apostolicam spectantes. Placet F. Cardiis Camer'us.

Item petunt quod debitoribus dictorum hebreorum presentibus et futuris non possit concedi dilalio moratoria vel salvus conductus ultra annum a die date commissionis computandum, et tune tenean- tur dare fidejussores vel pignora infra uduiti mensem, qui semel moratoriam habuerit non possit aliam impetrare vel impetrata uti nec prorogationem prime dilationis impetrare, et si fuerit concessa dicta dilatio et precepta exinde fienda nullius roboris et momenti esse censeantur. Placet et ita declaramus, volumus et mandamus. F. Cardlis Camius.

Item quod post viginti menses possint libère et licite vendere et alienare vel in suos usus convertere, requisitis tamen prius per duos menses aate per debitum loci officialem illorum dominis si présentes in Gomitatu et civitatibus prediclis fuerint, si vero ab- sentes extiterint facta prius débita et competenti diligentia, et si forte dictorum pignorum valor secundum juxtam et discretam extimationem excederet summam seu quantitatem judeis debi- tam tuuc et eo casu teneantur et sint obligati totum illud quod excederet dictis dominis reficere, si illos in suos usus dominus die-

80 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

torum pignorum consistere continere voluerint, si vero vendere voluerint, iliud plus quod supra dictam summam pro justo pretio ea venundabunt et cura dictorum pignorum vendendi ad ipsos dominos perlineat. El si infra dictos duos menses postquam fuerit eis intiraatum ut supra, predicti domini, predicta pignora a judeis nou redemerint vel vendiderint ut preferlur, omnis ipsorum pigno- rum potestas et jurisdictio sit et esse debeat pênes ipsos hebreos, illaque ipsi vendere vel in suos usus convertere vel alias quomodo- libet de eis disponere licite possint et valeant. Quod si in hoc con- troversia oriatur judicio et dicreptione Vicarij R. Epi Garpeusis constituatur et terminetur. Placet F. Cardli* Camius.

Item quod possint in domibus eorum seu conductis l erigere, edi- ficare novas synagogas vel veteres reficere, vel ampliare, et in illis more hebrayco ofticium recitare et cerimoniis uti impune et licite possint et valeant. Et qui commoditates syoagogas faciendi non habuerint, in suis domibus vel conductis officium recitare possint ut supra, ac etiam cimiterium ad seppeliendum mortuos etiam intra civitates in locis convenientibus deputare possint et valeant prout alii hebrej et illi facere consueverunt. Et quod sub excommunica- tionis pœna super hoc molestia, impedimentum aut violentia aliqua inferri non possint. Placet F. CardUs Camius.

Pro parte vestra nobis supplicatum fuit ut predicta Capitula nobis [vobis] tolerare aliasque super hiis oportune consulere dignaremur. Nos volentes itaque ut par est mandata apostolica débite exequtioni mandare predecessorum nostrorum vestigiis inhérentes ac vestris in hac parte supplicationibus inclinati supradicta capitula per nos dili- genter visa, lecta et ex mente Sua3 Sanctitatis moderata, ac manu nostra singulariter signata, de mandato, etc., et auctoritate, etc., prout et sicut Sedes Apostolica ac nostri in officio Gamerariatus predecessores consueverunt et quantum nos cum Deo et sinepeccato possumus et non aliter et non alio modo tenore presentium tolle- ramus, mandantes proptera omnibus et singulis S. R. E. médiate vel immédiate subiectis locorum officialibus et exequtoribus quibus- cumque nunc et pro tempore existentibus quocumque nomine nun- cupatis et quacumque diguitate fulgentibus et ipsorum cuilibet sub quiugentorum ducatorum auri camere Apostolice applicandorum aliisque nostri arbitrii pœnis ac damnorum et interesse quatenus premissa Capitula omniaque et singula in eis contenta observent ac efficacis nobis defensionis presidio absistentibus faciant ab omnibus inviolabiliter observari, non permittens vestram Universitatem ac particularem ejusdem contra formam supradictorum Gapitulorum palam vel occulte, directe vel indirecte, quovis queesito colore, ratione vel causa realiter vel personaliter seu alias vel aliter ullatenus mo- lestari vel inquietari. Contradictores vel rebelles per censuras eccle- siasticas et alias pœnas eorum arbitrio imponendas et Camere Ap.

1 Carrière.

CLÉMENT VII ET LES JUIFS DU COMTAT VENAISSIN 81

applicandas appellatione postposita compescendo, invocato et ad hoc si opus fuerit auxilio brachii secularis, decementes ex tune irritum et inane si secus a quoque quaavis auctoritate scienter vel ignoranter contigerit attemptari, premissis ac constitutionibus et ordinationibus apostolicis legibus canonibus statutis dictarum Civitatum et Comi- tatus, juramento et confirmatione apostolica seu quavis alia firmitate roboratis, et praesertim dictis sub plumbo litteris ad instantiam trium statuum concessis subquibusvis clausulis etiam fortissimis et iusolitis et derogatoriam derogatoriis efficatioribus et presertim quod non intelligatur illis derogatum nisi ter, quater aut pluries cum eorum de totali et de verbo ad verbum insertione illis derogetur quibus illorum aliorumque hic forsitan de necessitate exprimen- dorum, tenorein, seriem et continentiam ad modum et formam pro sufficienti derogatione necessarios pro sufficienter expressis habentes illis alias et in aliis prœterquam citra contentarum in supra scriptis capitulis in suo robore permansurum pro hac vice dumtaxat eisdem maudato et auctoritate specialiter et expresse derogamus et dero- gatum esse decernimus, ceterisque in contrarium facientibus non obstantibus quibuscunique. Dat. Rome in Cam. Ap. die VII Decem- bris MDXXV. Pontif. SSmi D. démentis pp. VII, an. tertio.

S. de Spoleto.

II

Glemens papa V1TS. Dilecti fllii, salutem et apostolicam benedictio- nem. Pro parte uua, per dilectos filios nobiles viros Eymarium de Anceduna, de Thoro. et Joannem Maynerii de Opeda, barones, ac Joanuem de Causanis loci de Branlalis condominum 2, ad nos a vobis destinatos oraiores, coram nobis propositum fuit quod licet per quasdarn nostras, sub data Rome undecimo calendas Augusti mille- simo quingentesimo vigesimo quarto, sub plumbo confectas literas certa forma vivendi Judeis istius nostri Comitatus, quos in mémo- riam Domini nostri Jesu Ghristi, redemptoris nostri testimonium sacrosancta tolérât ecclesia, habene, ut par est, posite fuerint, ut a christianorum exterminatione et devoratione, quibus eorum nefariis artibus intendere solebant, reprimerentur, et ipsi christi- fideles dicti Comitatus ab eorum iniuriis tuti essent, statuta esset nihilominus ipsi Judei Comitatus prefati, importuna eorum instan- tia per quam sepius deneganda conceduntur, a bone memorie Fran- cisco, dura viveret tituli Sancte Marie in Transtyberim presbitero cardinale Armelliuo tune camerario nostro, certas, contra predicta-

1 Mairie de Carpenlras, GG 57, 106.

* Aymar d'Ancezune, seigneur de Thor ; Jean Meynier, seigneur d'Opède et Jean de Causans, coseigneur de Brantes.

T. XXXII, 03 6

82 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

rum uostrarum literarum tenores, sub suo sigillo contactas literas, etiam forsan per nos postea in hoc circumventos confirmatas, extor- serunt, quarum pretextu damnatas eorum ad nocendum artes ad sanguinem christianorum, quem sitiunt, exhauriendum et substan- tias eorum absorbendas libère exercendi facultate concessa, paupe- res christianos eo deduxerunt ut absumptis plurimorum faculta- tibus, alios exulare, multos bonis miserabiliter cedere coegerint quottidieque cogant, ita ut ipsi Judei in numéro personarum et facultatibus chrislianis in ipso Gomitatu facile prevalituri videantur, non sine christiane relligionis opprobrio et dicti Gomitatus gravi iactura. Et scilicet superioribus annis, certis difîerendis inter offi- ciâtes venerabilis fratris nostri Francisci Guillermi, episcopi Tus- culanorum, sancte Romane ecclesie cardinalis, in civitate nostra Avinionensi et dicto Comitatu apostolice sedis legati, in eodem Go- mitatu existentes et ipsius Comitatus procuratores exortis, dictus Franciscus Guillermus , cardinalis et legatus, publiée utilitati et quieti eiusdem Gomitatus consulere cupiens, certa capitula Statum Pacificum dicti Gomitatus concernentia fecerit et concesserit, prout in liiteris predictis ac publicis documentis desuper confectis plenius dicitur coutineri ; quia tamen tam Judei predicti et alii quos supra- dicta capitula concernunt literas apostolicas et documenta per lega- tum predictum concessa non servant, cupitis per nos literas apos- tolicas et documenta, etiam cum revocatione literarum predictarum per dictum Franciscum camerarium, ut prefertur, concessarum, apostolico munimine roborari, statuique et ordinari ut, si con- tingat, ad aliquorum particularium instantiam pro particularibus causas, aliquos commissarios mitti, vel ad satisfaciendum talibus commissariis non teneamini ; quare dicti oratores, nomine vestro predicto, nobis humiliter supplicarunt ut vobis vestris huiusmodi annuere de benignitate apostolica dignaremur. Nos igitur cunc- torum, presertim nobis et dicte Romane ecclesie immédiate su- biectorum, prosperum et tranquillum statum, quorum prosperi- tate reficimur, paterno affectu zelantes, ac singularum literarum et documentorum huiusmodi tenores, ac si de verbo ad verbum inse- rerentur, presentibus pro expressis haberi volentes, huiusmodi supplicationibus inclinati, literas nostras predictas, cum omnibus in eis conlentis clausulis et decretis, nec non singulas predictas, concessiones eiusdem legati, statum pacificum dicti Gomitatus con- cernentes, ex certa nostra scientia, apostolica autoritate et tenore presentium, approbamus et confirmamus ac perpétue firmitatis robur obtinere debere decernimus. Literasque Francisci cardinalis et camerarii predicti, ipsis Judeis, ut premittitur, concessas, et forsan per nos confirmatas, cum omnibus in iis contentis, scientia, auctoritate et tenore predictis, cassamus et annullamus, nec non concessiones et literas nostras predictas tam per ipsos Judeos, sub quingentorum ducat, confiscationis mercium creditorum et etiam aliis in iisdem contentis pro uua camere apostolice, pro alia vero me-

CLEMENT VU ET LES JUIFS DU COMTAT VENAISS1N 83

dietate fabricis ecclesiarum locorum ubi contravenerint applicandis pénis eo ipso per quemlibet contrafacientem ineurrendis, quam per quoscunque alios quos ille respective concernunt firmiter observari, nec literas Francisci camerarii predictas eisdem Judeis in aliquo suffVagari decernimus. Et insuper, scientia, auctoritate et tenore predietis perpetuo statuimus et ordinamus quod si quando conti- gerit nos et sedem predictam, ad aliquarum particuliarurn persona- rum instantiam, pro aliquibus particularibus causis et querelis audiendis, commissarios, ut premittitur, delegare, commissarii pre- fati patriam ipsam seu eiusdem Gomitatus universitates ad sump- tuura et dietarum solutionem, nisi ad supplicationem ipsius patrie seu Comitatus delegentur, vel ipsi particulares reperti condemnati fuerint delinquentes, nullatenus compellere possint, nec de aliis causis quam in earumdem commissione specialiter vel generaliter comprehensis cognoseere valeant. Decernentes has présentes nostras literas et in eis contenta quecunque per omnes ad quos spectat inviolabiliter observari debere. Et sic iu premissis omnibus et singulis per quoscunque judices, quavis auctoritate fulgentes, nuoc et in futurum, sublata eis et eorum cuilibet quavis aliter iudi- candi vel interpretandi facultate et auctoritate, iudicari et diffiniri debere, ac irritum et inane quicquid secus super hiis a quocunque, quavis auctoritate, scienter vel ignoranter, contigerit attentari. Ac mandantes venerabili fratri archiepiscopo Avinionensi, et Carpento- ratensi et Vasionensi Episcopis, quatenus ipsi vel duo aut unus eorum, per se vel alium seu alios, présentes literas et in eis contenta quecunque firmiter observari, vosque iliis pacifiée uti et gaudere non permittentes vos per quoscunque, quavis dignitate aut auctori- tate fulgentes, etiam legatos dicte sedis in civitate Avinionensi et Gomitatu predietis pro tempore existentes, de super quovis pretextu contra literarum earundem tenorem quomodolibet molestari, impe- diri seu perturbari. Gontradictores quoslibet et rebelles per censuras et penas ecclesiasticas et alia oportuna remédia, appellatione quo- cunque proposita, compescendo, ac censuras et penas ipsas etiam iteratis vicibus aggravando, invocato etiam ad hoc, si opus fuerit auxilio brachii secularis. Non obstantibus bone memorie Bonifacii pape VIII, predecessoris nostri, de una et consilii generalis, de dua- bus dictis, ac aliis coustitutionibus apostolicis, peenon quibusvis privilegiis, concessionibus, indultis et literis apostolicis Judeis et commissariis prefatis ac quibusvis aliis, sub quibuscunque teno- ribus et formis ac cum quibusvis clausulis et decretis concessis, approbatis et innovatis, quibus omnibus, tenores illorum, ac si de verbo ad verbum insererentur, presentibus pro expressis babentes, illis alias in suo robore permausuris, hoc vice duntaxat specialiter et expresse derogamus, ac adversus premissa nullatenus sufïragari posse volumus, neenon omnibus illis que in predietis literis volui- mus non obstare contrariis quibuscunque, aut si legatis commissa- riis vel predietis, vel quibusvis aliis, communiter vel divisim a dicta

84 REVUE DES ETUDES JUIVES

sit sede indultum quod interdici, suspendi vel excommunicari non possint, per lileras apostolicas non facientes plenam et expressam ac de verbo ad verlmm de indulto huiusmodi mentionem. Data Mas- silie sub annulo piscatoris die prima novembris, M. D. XXXIII, pontificatus nostro anno decimo.

Blosius.

Au dos : Dilectis filiis comilatensibus Comitatis f. nostri Ve- nayssini.

III A Spinola, etc. '.

Universitas bebreorum in Carpentoratensi et Comitatu Venaisino vinm veritatis agnoscere et agnitam custodiri. Exhibita nuper pro parte vestra in caméra Apostolica petitio continebat pro assumpto ad summi Apostolatus apicem Paulo III pontifies maximo pro parte ejusdem vestre Universitatis ad eumdem S. D. N. Paulum fuit habi- tus recursus et a S. Ste bumiliter petitum eidem Universitati confir- mari seu tolerari omnia et singula privilégia alias per predecessores pontifices, Legatos et Vice Legatos ac quoscunque alios predicte Universitati concessa et revocari quecunque in contrarium emanata in favorem christianorum Gomitatensium dicti comitatus. Quodque idem S. D. N., volens super premissis mature procedere, privilégia predicta per Gameram prefatam videnda et si concedenda venirent referri remisit. Et deinde Caméra .prefata volens prefati S. D. N. mandata (ut par est) débite executioni demandare ex publico decreto. in eadem Caméra die prima Martij presentis anni 1535 facto privi- légia bujusmodi videnda et discutienda et in eadem Caméra refe- reuda Reverendis P. D. Philippo de Senis decano et Uberto Gambara electo Terdonensi commissa extitere. Quiquidem domini Philippus et Ubertus, visis et mature consideratis omnibus eisdem pro parte vestra porrectis, relalionem in Caméra prefata sub die xvitij ejusdem mensis Martij presentis infrascriptis dederunt bujusmodi sub te- nore, videlicet :

Nos Philippus de Senis Decanus et Ubertus de Gambara Terdo- nensis elericus deputati Cam : Ap : quibus a SSm0 D. N. vive vocis oraculo specialiter ad hoc summarie et extrajudicialiter ioforman- dum et successive Sli Sue référendum commissum fuit, an privilégia alias per Romanos pontifices et eorum Camerarios atque Legatos Universitati hebreorum in Comitatu Venaisino degenlium usque ad hodiernum concessa debeant per eumdem S. D. N. non obstantibus

1 Archives secrètes du Vatican, Diversorum Cameralium, vol. 103», fol. 66.

CLEMENT VU ET LES JUIFS DU COMTAT VENA1SS1N «5

revocationibus et derogationibus fel : re : Clemenlis VII per Ghris- tianos Comitatenses in coulrarium Massilie impetratis auno 1533 de mense novembris jure merito confirma ri l. Visis igilur in primis per

Nos litteris fel : rec : Martini pp V. in Universorum hebreorum sub dominio S. R. E. degentium favorem sub dat. Rome 1429 de mense februarij concessis2, visis etiam fel : re : Pi secundi in ipsorum he- breorum favorem concessis litteris, aliarum suarum litterarum per eum contra eosdem hebreos emanatarum moderatoriis de anno 1459 de mense Martij concessis3 ; visa itaque declaratione Universitatis et hominum trium statuum totius comitatus Venaisini per quam de- clararunt et voluerunt ipsos hebreos una cum Ghristiauis ipsius Comitatus merchantias tam olei , bladi quam aliarum quarum- cunque rerum merchautilium. attenta Universitatis predicte et totius patrie commoditate et utilitate provide secutura exerceri de anno 1481 die undecima octobris de commuai ipsorum universitatis et hominum trium statuum hujusmodi consensu facta*; visis etiam privilegiis bo : me : Leonis X sub plumbo et in forma Brevis tam in génère quam in specie et de anno 1518 de mense septembris in forma brevis in ipsorum hebreorum favorem concessis; visis quoque privilegiis, immucitatibus et indultis Revmi in Ghristo Patris et Dni Francisci S. R. E. Gardinalis Epi Sabinensis Legati Avinionensis eisdem hebreis de anno 1519 de mense Januarij emanatis ; visaque conflrmatione privilegiorum ipsorum hebreorum per eumdem Gle- mentem de anno 1524 quarta Januarij emanata; visa namque conflr- matione statutorum et decretorum ac ordinationum eorumdem Christianorum Comitatensium in eorum favorem ac contra dictos hebreos ab eodem Clémente undecima Augusti anni premissi sub- inde impetrata ; visa insuper generali omnium privilegiorum quo- rumcunque hebreorum in terris S. R. E. degentium etiam per Mar- tinum quintum prefatum concessorum conflrmatione ac aliis privilegiis de novo ab eodem Clémente concessis sub anno 1525 de mense Julij, Motu proprio successive intuitu oneris vigesimarum tune impositarum emanatarum cum clausulis omnium et singulo- rum quae contra earumdem suarum litterarum tenorem facerent revocatoriis-, visis eliam litteris patentibus et capitulis per bo. me. Franciscum Armellinum S. R. E. Camerarium de anno 1525 de mense Xbris concessis et per Sedem Apostolicam confirmatis ; visis pos- tremo litteris prefati Clementis sub data Massilie 1533 de mense no- vembris expeditis primo dictarum suarum litterarum sub plumbo in favorem ipsorum Christianorum Comitatensium emanatarum confirmatoriis, ac tam denique ipsius Francisci Armellini Camerarii sub speciali quam aliorum quorumeumque privilegiorum prius per

1 C'est la pièce II.

1 Probablement les lettres du 15 février 1429 citées dans le recueil AWlllustrissima. 3 Aux \rchiv. de Carpentras, GG, 57 ; Bardiuet, Reçue, VI, 24. Voir aussi t. VII. 145 ; t. XII, 176. * Voir Revue, t. VI, 27.

86 REVUE DES ETUDES JUIVES

eum sub generali expressionibus dicte Universitati hebreorum con- cessarum litterarum revocatoriis ; visis tandem aliis patentibus et capituiis per modernum Camerarium illis concessis ac ceteris neces- sario videndis ; auditisque domiuis Gaspari de Ponte et Johanni Baptiste Chianti, Uoiversitatis et hominum Christianorum, nec non Joseph de Latis et Mag[ist]ro Vidos Anidor Uoiversitatis dictorum hebreorum Gomitatus Veuaisini predicti procuratoribus respective prout per publica instrumenta unum videlicet sub die 27 Januarij 4535 per dominum Romauum Filioli et aliud sub die xmi Januarij 1534 per Antouium Johannem de Gauda Notarios publicos Garpento- ratenses subscripta nobis légitime extitit facta fides habita prius matura et diligenti consideratione super premissis. Quia compe- rimus quod privilégia dictorum hebreorum illis per Romanos pon- tifices et Sedis Apostolice Legatos et Gamerarios concessa fuerunt etiam pretextu oneris vigesimarum per eosdem Sedis Apostolice persolvendarum et aliis causis in dictorum privilegiorum litteris contentis, et cum privilégia Principum presertim per Romanos pon- tifices concessa décent perpetuo esse mansura et equilati non con- venu ut ipsis privilegiis dicti hebrei frustrati remaneant illaque revocentur, Itaque referimus talia premissa dictorum hebreorum privilégia usque in hodiernum concessa tamquam aequitate suff'ulta posse jure merito per S. S. tolerari et confirmari revocationibus quibuscumque ad instantiam dictorum Christianorum comitatèn- tium in contrarium concessis, tamquam per eosdem subrepticis im- petratis aliisque contrariis non obstantibus quibuscumque. Dat. Rome in Caméra Apostolica die xvmj Martij 4535. Pontificatus S. D. N. Pauli pp III. anno primo. Ita refero Ego Philippus Camere Apostolice Decanus, Ita refero ego U. Terdonensis. Et successive in eadem caméra pro eadem parte nobis humiliter supplicatum extitit ut attenta preinserta relatio privilégia predicta confirmanda esse declarare et ita referre ac Nos illa confirmare auctoritate dicte ca- mere dignaremur. Nos attendentes quod Sancta Mater Ecclesia he- breos in testimonium catholice fidei tolérât ut aliquando ad cor reversi in meliorem sensum respicere discant, quodque dicta Uûi- versitas subiacet solutioni vigesimarum supra bonis hebreorum pro tempore per Sedis Apostolice necessitatibus occurrentibus imposi- tarum relatione preinserta et diligenter considerata vestris in hac parte supplicationibus inclinati de mandato, etc. et auctoritate, etc. ac ex decreto, etc. omnia et singula privilégia Universitati predicte quomodolibet concessa et innovata juxta preinsertam relationem eidem Universitati confirmanda esse declaramus et referimus prout nos quantum cum Deo et sine peccato possumus, et prout Sancta Mater Ecclesia consuevit eadem omnia et singula toleramus ac con- firmamus, Constitutionibus et ordinationibus apostolicis litteris sub quavis forma in contrarium forsan hactenus ad instantiam dictorum Comitatentium GhristiaDorum emanatis ceterisque contrariis non obstantibus quibuscumque.

CLEMENT Vil ET LES JUIFS DU COMTAT VENA1SS1N 87

Dat. Rome in Caméra Apostolica die decimauona meusis Martii anni 1535, Pontificatus S. in Ghristo patris et D. N. D. Pauli diviua providentia pp terlij anno primo.

Visa Philippus Camere Apostolice Decauus. Visa Jo. Gaddus Gain : Ap : Glericus. Visa Fabis Bisigoaneusis Gam : Ap : Glericus. Visa U. Terdonensis Gam : Ap : Glericus. Visa Jo. Papiensis Gam : Ap : Glericus. Visa Fede Tudertinus Gam : Ap : Glericus.

Eu marge : Pro hebreis '.

1 Le même document est encore transcrit au fol. 89 et suiv. du même volume.

UNE

HISTOIRE DE LITTÉRATURE JUIVK DE DANIEL LÉVI DE BARRIOS

La communauté juive d'Amsterdam, fondée, vers la fin du xvne siècle, par des Marranes d'Espagne et du Portugal, était unique en son genre. Elle ne comprenait pas seulement de riches capitalistes, mais aussi des hommes d'un esprit cultivé et des savants. Beaucoup de ses membres, médecins et jurisconsultes, avaient occupé dans leurs pays des situations élevées. On y cultivait avec ardeur les lettres et les sciences. Il s'y trouvait surtout un grand nombre de personnes qui se consacraient à la poésie et qui, à l'instigation de Don Manuel de Belmonte, agent du roi d'Espagne à Amsterdam, formèrent des académies sur le modèle des académies espagnoles, hommes et femmes se réunissaient pour lire leurs productions poétiques. L'une d'elles, organisée en 1685, prit le nom de Acadé- mie, de los Floridos; elle comptait parmi ses membres les hommes les plus considérables de la communauté. Elle eut pour prési- dents : Don Balthazar ou lsaac Orobio de Castro, le célèbre médecin dont le judaïsme espagnol est si fier, l'adversaire acharné de Spinoza et de son Ethique, qui, après avoir été professeur pen- dant quelques années à lUniversité d'Alcalâ de Henares, devint médecin du duc de Medina-Geli, ensuite professeur à l'Université de Toulouse, et fut nommé finalement conseiller royal par Louis XIII l ; Don Manuel de Belmonte, résident du roi d'Espagne

Daniel Lévi de Barrios, dans l'opuscule rarissime Academia de los Floridos, dit de lui :

Don Balthasar Orobio

De Hippocrates honor, de Edom oprovio,

De Epicuros horror, de la Ley gloria,

Hace de su gran fama eco à la historia,

Medico Profesor con elegancia,

Y Confesero [consejero] fiel del Rey de Francia.

Ainsi, de Barrios donne ici, c'est-à-dire en 1685, à Orobio le nom de Balthazar,

UNE HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE JUIVE 89

et comte palatin; Joseph Athias, fils de cet Abraham Athias qui subit le martyre à Cordoue le 9 juillet 1667, imprimeur célèbre qui édita des Bibles si estimées pour leur correction et leur élé- gance, surtout une Bible anglaise dont il se vantait d'avoir vendu plus d'un million d'exemplaires '.

Cette Académie compta parmi ses membres : Joseph Nunez Marchena, plein d'esprit et de cœur, à qui Joseph Penso de la Vega dédia, sous le titre de DUcursos academicos, les discours qu'il avait prononcés à l'Académie; son fils Moïse Nunez Mar- chena; Don Francisco de Lis, appelé aussi Abraham Lopez Be- rahel ; Moïse Machado, fournisseur général de l'armée hollandaise ; Abraham Penso, frère de Joseph Penso de la Vega, « flambeau de la religion » ; Manuel Levi Valle, « la montagne des Muses »; David Franco Mendès, grand-père du poète néo-hébreu de ce nom ; Moïse Pereyra, fils du riche Abraham Pereyra qui est connu comme écrivain; l'historien Joseph Israël Alvarez; Don Antonio Gabriel; Joseph Jesurun Lobo, consul d'Espagne dans la Zélande ; le médecin et juriste Abraham Froys; le jeune Jacob de Ghaves ; Duarte Blandon de Silva ; Gabriel Moreno, parent du médecin Jacob Moreno, etc. Les fonctions de « défenseurs » (mantenedores), furent remplies par Daniel Lévi de Barrios, le médecin Abraham Gutierrez, le poète Moïse Rosa et Don Manuel de Lara, qui amena au judaïsme plus de trois cents Marranes2. Joseph Penso delà Vega fut secrétaire perpétuel de cette Académie, et Moïse Orobio de Castro, fils d'Isaac Orobio, son avocat.

Les membres de la communauté d'Amsterdam, qui continuaient de parler l'espagnol, joignaient à une haute culture et à leur fière allure de Castillans une sincère piété et un profond respect pour la littérature juive. Cette littérature, ils ne la connaissaient pourtant

comme vingt ans auparavant. Donc, toute l'argumentation deGraetz, dans Gesch. der Juden, X, p. xi, tombe. Orobio de Castro mourut le 1er Kislev 5448, ou le 7 novembre 1687. Voici son épitaphe, publiée par M. D.-M. de Castro :

itttD nnttsm | ban ^d nwn n^N ^n ©W i b-n izi'w rmap nas&a I nao»p -h wan» pnr1 -pr^nn NHDVin «in «bn I rws baa sma

.Wn D3C ibDD mnb 'k ara ûvittb nnaaa

1 Barrios, l. c, dit de lui :

Mar de la Geographia noticioso, de Ynglesas Biblias impresor f'amoso.

' Dans un « Décima » adressé a Manuel de Lara, il est dit :

Conduciste al Judaismo mas de trecientas personas, con las mosaycas coronas que das honor al abismo.

90 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

pas ; bien des Marranes ne comprenaient même pas la Bible dans le texte original. Pour éveiller et fortifier chez la jeunesse le senti- ment religieux et la vénération pour la science juive, on organisa l'enseignement sur des bases sérieuses. L'école Kétér Tara, « Couronne de la Loi », appelée aussi Arbolde las Vidas, « Arbre de la Vie », fondée principalement par Saiil Lévi Morteira, un des plus importants rabbins d'Amsterdam, fut la première institution juive l'enseignement fut donné d'une façon méthodique et par gradation et qui différait absolument des Yeschïbot ou écoles tal- mudiques de l'Allemagne, de la Pologne et d'autres pays.

Cette école, attenante à la magnifique synagogue de la commu- nauté, était divisée en sept classes, dont chacune avait un profes- seur à sa tête. Dans la première classe, on enseignait la lecture de l'hébreu; dans la seconde, on faisait réciter la Tora avec la canti- lène usuelle; dans la troisième, on traduisait le Pentateuque en langue espagnole, et, dans la quatrième, les livres des Prophètes. Les enfants ainsi préparés commençaient alors à étudier, dans la cinquième classe, le commentaire de Raschi sur la Bible et la Mischna, et, dans la sixième, le Talmud ainsi que la grammaire et la poésie hébraïques. Alors seulement on les recevait dans la classe supérieure, on leur enseignait le Talmud avec les tosafot et les divers commentaires et ils s'habituaient, sous la direction du rabbin, à soutenir des controverses. Les heures de la classe étaient les mêmes pour toute l'école : le matin, de 8 à 11 heures, et, l'après-midi, de 2 à 5 heures, et, en hiver, jusqu'à l'office du soir. Les premiers maîtres qui enseignèrent dans cet établissement furent : R. Mordekhaï de Castro, R. Joseph Pardo, R. Jacob Gomez, le hazan Abraham Barukh, R. Salomon Salom, le hakham Isaac Aboab da Fonseca et Saùl Lévi Morteira. Ce fut un centre de science juive se formèrent les rabbins destinés à la commu- nauté d'Amsterdam et à celles des colonies hollandaises.

A côté de cette école, on trouvait encore à Amsterdam plusieurs petites Académies et des établissements philanthropiques qui don- naient également l'instruction ou dans lesquels des rabbins fai- saient des conférences religieuses. C'étaient les établissements : Bikkour Holim, Guemilout Hassadim, Abi Yetomim, Honen Dal- lim, Reschit Hokhma, et surtout la « Yeschiba de los Pintos », fondée à Rotterdam par la riche famille De los Pintos et transpor- tée en 1669 à Amsterdam.

L'unique source de renseignements concernant les diverses Aca- démies et principalement la grande école d'Amsterdam est un ouvrage de Daniel Lévi de Barrios. On sait que, dans sa Relation

UNE HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE JUIVE 91

de los poetas y escriiores espaiioles, que nous avons publiée 4, il a écrit l'histoire littéraire des poètes résidant à Amsterdam. Dans son Arbolde las Vidas,qui est aujourd'hui excessivement rare, il a tracé l'histoire des savants juifs du xvnr9 siècle. Nous croyons rendre service à l'histoire générale de la littérature juive en publiant ici cet opuscule.

M. Kayserling.

APPENDICE.

EZ HAIM. ARBOL DE LAS VIDAS.

Los del primero son las alabanças, [76]

que dan las Apolineas confianças â los doctos discipulos y graves del gran Mortera en musicas suaves.

Dulces elogios son los del segundo, que traen los Cisnes de Helicon fecundo, à los que ensena Ishag Aboab sapiente, del Talmud gloria, de la ciencia oriente.

Los del tercero aplausos se publican, que las plumas Gastalidas dedican, del gran Jacob Sasportas a la escuela, que con su fama por el mundo buela. Oid â la memoria y dadle albricias de las que os viene â presentar primicias del gran Colegio de Mortera sabio. Fue Saul Levi Mortera [77] de Beth Jacob Jajam fiel, de Alemauia natural, y en el Templo que por el

Venecia, su doctrinal Talmud Tora se apellida,

Criacion, Francia su carrera : de la Ley lumbre su vida,

en Amsterdam rebervera su Ley, vida de Israël *.

» Revue, XVIII, 276-289.

1 Saul Lévi Mortera, plus exactement Morteira ou Morteyra, à Venise, était probablement le fils de Josepb de Saul Morteira qui vivait à Venise encore après 1605. Vers 1611, il se rendit à Paris eu compagnie du célèbre médecin Elie Montalto et resta dans cette ville jusqu'après la mort de Montalto, qui eut lieu en février 1616. Il accompagna alors le corps de son ami à Amsterdam, il fut nommé rabbin de la

92 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Forma lineas superiores, Moseh Sacuto en su escuela [78]

que cou espada de Ley apreude la Ley divina,

hiereu por el summo Rey que virtudes encamina

â los Prevaricadores : y ateuciones encarcela :

cou estudios Vencedores cou debota pluma buela.

oposiciones despena : Jaxam dd Kahal Mautuano,

y aun â los sabios enpena como antes del Veneciauo,

en su aprendimiento claro, en la ciencia y religion

por ser maestro tan raro, que alas da â la devocion,

que à la misma Ley ensefia. y â los caidos la mauo8.

Imprimiô raros Sermoiies \ De la hermandad superiof

la Dimnidad provô de los Huerfanos, muy grato

de la Ley 2 : desbaralo fue Benjamin Dias Pato

las Suiensas Objecioues 3, Jajam y Predicador :

noté las co/itradicio/ies mas un animo traydor,

de falsos Ensenamientos : fue su tonaute homicidio,

Perseguiô" los lïaudulentos, sentiô su mortal caida el Pueblo,

y en circo de doclos grados a horrores que vierte

defendio sacros Ballalos la vengança de su muerte,

con armas de documentos4. y la ausencia de su vida e.

plus ancienne synagogue, appelée Beth Jacob. Après la fusion des trois synagogues d'Amsterdam, il devint le préside H du collège rabbinique. Il mourut le 24 Sehebat 5420 (7 lévrier 1660), après avoir dirigé la communauté d'Amsterdam pendant 44 ans ou, d'après son épilaphe, 45 ans. Cette épilaphc, reproduite par M. D.-H. de

Castro, est ainsi conçue : n"nnt5 bbian ann ûbon aanr: rmap nn^TD «ipans b"£T D*ntaiDtoN p"pa NnaTtt ©"m $m ©"n rn^m» -nb bi&rci û^a-is bxi^ na -jd© kiïti Ynn n^ ^3,^b Y'aa rrbafc bia na^^a

riDU3 11372m. La poésie qui suit cette inscription et donne en acrostiche le nom de ÎTT,lÛ"|172 "Hb b"l£<D, a été composée, à notre avis, par Salomon de Oliveyra.

1 Les sermons de Morteira ont été publiés sous le titre de b"li*0 Pl^aS, Amster- dam, 1645.

a L'ouvrajre Providencia de Dios con Tsrael, y Verdad y Etemidad de la Ley de Moseh, écrit en hébreu et traduit en espagnol, se trouve en ms. dans plusieuis bi- bliothèques. Voir Biblioteca esjjaynola-portuf/iieza-jiidaica, p. 74.

3 Sa polémique contre Sixte de Sienne, écrite en 1646, sous le titre de Repuesta à las objeccioncs con que el Sinense injustamente calumnia al Tahnud, est encore inédite.

4 Morteira excommunia aussi Spinoza, dont il avait été le maître. Voyez mou étude sur Saul Levi Morteira, dans Monatsschrift, 1860, p. 31 3.

5 Moïse Sacuto (d'Amsterdam), élève de Morteira. Cabbaliste, poète et commenta- teur, il a été rabbin à Venise et, depuis 1670, à Mantoue, il mourut le 2e jour de Souccot (1" octobre 1697).

6 Benjamin de Jacob Dias Pato ou Patto, prédicateur de l'Académie Abi, Tetomim ou « de los Huerfanos > à Amsterdam, édita avec Moïse Belmonte les Sermons de Morteira. Il fut tué en avril 1664. Confirmant la notice de Daniel Lévi de Barrios, l'épitaphe de Pato, écrite par Salomon de Oliveyra, est ainsi conçue :

a-)2 aata ût l"wa Bpno tpna mitn a* .tpva rosi ii:nna mi*i

Sal. de Oliveyra, Scharschut Crablut, p. 64.)

UNR HISTOIRE DE LA

Ishac Naar interpretado [79] Reyraro Rio de la faente, doctrinal trae por corriente las Réglas del Din cortado : dos veces doctor sagrado cuerpos y aimas medicina, de que en Liorne es cabeça, calamo de la agudeza, y lumbre de la doctriua l.

Rlcphael Moseh de Aguilar aguila de exelsa cambre, la vista entrega à su lumbre, y à la fama su volar : los ojos sabe aclarar a la estudiosa esperança del Medras, que antes alcança Menasses ben Israël, en la cura Raphaël, y Moseh en la ensenança.

Primero ilustro al Brasil con virtud y ciencia suma : despues hiere con la pluma al adversario sutil, eut'rena â lo Juvenil

L1TTÉRATURK JUIVE

9:i

con riendas de correpcion, y en compafias de instruccion coneeptos brota admirables, Arbol de libros notables , con hojas de erudicion '.

Forma veinte y dos Quadernos, los diez y siete Espanoles, los cinco Hebreos, crisoles de doctrinas y goviernos, madura jovenes tiernos con la luz de sus lecciones : y de otras congregaciones propuestas dificultades allana, con las verdades que estampa eu los corazones.

Con Selomoh de Olivera que al maguo Aguilar succède en la escuela se concède la doctrina verdadera3. Pinta â la céleste esphera con pincel de Astronomia, ensefia la Geometria alli en el Giro del AwO 4, aqui en médias del baîio,

1 Ishac Naar (*1H5), qualifié de reyraro rio, ou « fleuve riant », était élève de Mor- teira et exerçait les Jonctions de hakham à Amsterdam et, depuis 1666, à Livourne. De Barrios, qui le présente aussi comme médecin, assure qu'il a écrit l'ouvrage las Réglas del Din, qui est inconnu. Naar a été, comme de Barrios, adhérent de Sab- bataï Cevi.

* Raphaël Moseh ou, plus correctement, Moseh Raphaël de Aguilar (Aguylar), émigra au Brésil avec Isaac Aboab da Fonseca. Revenu après une absence de douze ans, il devint professeur à lAcadémie Kéter Thora, il succéda à Menasse ben Israël; il enseigna le Talmud et la grammaire hébraïque. Il mourut le 12 Tébet 5440 (17 décembre 1679). Voici son épitaphe :

Nnrrrïï îzyn twiatan "p-in bbian mn abiarr ton!-,

b"^T min m^bn p"pa ^ib^N "H b«an rrwn -T'im^a

ma ^ nmaa nt^i 'a na-j an*a nb*» bus na^a îapnns

p"ab aaniï^ ï"ty"a"3 roo naa unnb a"^

nstt ûvai» bania^ casus an m

Cette inscriDtion a été publiée par M. D.-li. de Castro d'Amsterdam, dans le Nieutv israel. Weekblad, 8 juin 1868. Sur Moïse R. de Aguilar, voir mon article dans (Mo- natsïchri/t, 1860, p. 397). Sur ses ouvrages, voir Biblioteca esp.~port.-jud. , p. 9.

3 Selomoh de Ouveyra, comme il a écrit lui-même son nom fils de David Is- rael de Oiiveyra, succéda à Moseh R. de Aguilar à l'Académie « Keter Thora >. Hakham et, a partir de 1693, président du Collège rabbinique de la communauté poriugaise d'Amsterdam, il mourut le 23 mai 1708. lia écrit en hébreu et en portu- gais; les titres de ses ouvrages portugais sont mentionnés dans Biblioteca esp.-port.- jud., p. 79 et suiv.

4 Gxro del Ano, ouvrage encore inédit, contient : Computos dos tempos, Calendarto gérai, Circula dos Teqouphot, iïer.e dos annos, etc.

94

REVUE DES ÉTUDES JUIVES

y de enramada harmonia.

Dos codices haze asylo

de utiles documentos

en laberinto de accentos,

de los gramàticos hilo. [S\]

Medicina uno el estilo

de Lingua en horas felices ' :

tiempos vince otros infelices

fertil Arbol de las Vidas

con ramas de artes floridas,

y palabras de raizes.

Sierva de Amores, loada

trae retoricas prisiones,

Poelicos eslabones

su Cadena terminada 5.

Cada una lineada

del erudito Olivera

compete con su Carrera

de Hermosura*, a estudio

inquieto Logica por Alfabelo,

por Mosayca verdadera.

Abraham Coen Pimentel que concepto hay que no brote? Victima es de Sacerdote el libro que da luz de el s.

Con sustileza Semuel Salom enigraas déclara •.

Manuel Abendana aclara los ojos de la agudeza, de très Yesibot cabeza en ombros de la Ley clara7.

En el Mosayco Horizonte [82] sonoro Semuel Balverde passa de su cumbre verde, â ser flor del azul monte*.

David y Moseh Belmonte son, uno sutil, y atento de las musas, otro aliento, de Jacob Belmonte hijos, y de la Ley astros fixos en sagrado firmamento 9.

Emanuel Abenatar Melo ,0, todo melodia, quiebra â la melancolia con la fuerça del cantar : succesor en el rezar de Efraim Abrabanel, Jazan del Templo, Emanuel, Dios con nos otros dénota, porque con su voz devota,

1 Medicina de Lingua ou *pUîb ND^fa est son ouvrage -Manuel da Lingua Hebraica, Amsterdam, 1689.

* Arbol de las Vidas, en portugais Arvol de Vidas, em que florecem os ramos que produzem todas as rayzes das palavras da S. Escriptura, Amsterdam, 1683.

3 Sierva de Amores est l'ouvrage hébreu DESTIN nb^N (1665), qui contient, comme son Cadena ou nblH DUJ"n23, une quantité de ses poésies hébraïques.

4 Carrera de Hermosura ou d^li "OT7 (Amsterdam, 1683) est le titre de sa Métho- dologie talmudique.

5 Abraham Cohen Pimeutel, élève de Morteira, enseigna la littérature rabbinique à Amsterdam; il devint plus tard rabbin de la Communauté portugaise à Hambourg. Son ouvrage 'jrO T\T\^12 Victima de Sacerdote (Amsterdam, 1668) est très estimé. Voir Azoulaï, Schem Hugedolim, 1, p. 11, 65.

6 Samuel Salom, membre de l'Académie « de los Floridos ».

7 Manuel Abendana, fils de Francisco Nunes Homem, le premier Marrane qui s'était établie Amsterdam; il avait pris le nom de David Abendana. Manuel exerça les fonctions de rabbin à Amsterdam, il mourut, le 15 juin 1667. Pour son épi- taphe, voir D.-H. de Castro, Keur van Grraafsteencn, p. 52.

8 Samuel Balverde ou plutôt Valvedre ^"iT^lb^l mourut encore jeune, en novembre 1653. Voir l'élégie de Sal. de Oliveyra, Scharschut Gablut, p. 47.

9 David et Moseh Belmonte, fils de Jacob Israël Belmonte, qui vint de Madère à Amsterdam et y érigea la première synagogue. Moseh Belmonte, élève de Morleira, édita avec Benjamin Diaz Pato les sermons de son maître et fonda, en 1639, la société de bienfaisance Q-emilout Hssadim à Amsterdam. Il mourut dans cette ville, le 29 mai 1647. Voir D.-H. de Castro, l. c, 56.

10 Emanuel Abenatar Melo, hazan à Amsterdam depuis 1652.

UNE HISTOIRE DE LA LITTERATURE JUIVE

9ÎI

Dios llama à su Pueblo, fiel.

Yeosiahu Pardo éloquente à su Padre y Suegro imita de virtudes calamita, y de enseîïanças oriente. Preceptor luzio sapiente del Templo y Yesiba rica que Abraham dk Pinto fabrica por lumbre de Rotterdam : en Curacaô fue Yaxam, y oy lo es en Jamaica l.

Resplandecio Joseph Pharo [83] Jazan del Talmud Tora ', Del Medras segundo oy da su hijo Josuk fulgor claro •: es del primero, reparo firme Rabi Abrabanel,

MORDOCHAI DK CASTRO4, fiel

fue del quinto Preceptor, del Din Tora resplandor, y del estudio laurel.

Poeta, Predicador y Jaxam sirvio Skmuel de Gazares â Dios, fiel de la Ley sancta Escritor. En el templo de su amor

empleo su esclarecida juventad, de la Ley vestida, hasta que de Azul Dosel, oye las vozes Samuel que lo llaman à otra vida*.

Doctos David de Mercado, y Mosskh Gabay Henriques fueron de la ciencia Diques, en la fosa del cuidado.

Selomoh de Llma, amado, de lo sapiente y lo fiel, tiene en Mosayco vergel claveles de exemplar zelo, y los hijos en el cielo que ruegan à Dios por el.

Abraham Semah se corona de Ley y sabiduria, luz de la Hebraica poesia, y honor docto de Verona6.

Moseh Mercado pregona Comenlo concepluoso del Psalterio misterioso, y del Sacro Ecclesiastes de lo Sancto Moyses, Mercado de lo estudioso 7.

[84]

1 Yosiyahu Pardo, 61s de David Pardo, rabbin à Amsterdam. II était le gendre et l'élève de Saûl Levi Morteira, rabbin de la Yeschiba de los Pintos et de quelques confréries de bienfaisance. En 1674, il devint rabbin à Curaçao, et plus tard, à la Ja- maïque.

* Joseph Pharo ou de Farro était depuis 1652 hazan à la synagogue d'Amsterdam, en même temps qu'Emanuel Abenatar Melo.

* Josué Pharo, fils du précédent, fut professeur au Talmud Thora.

4 Mordochaï de Castro y enseigna la cartilla, c'est-à-dire l'alphabet.

5 Samuel de Cazarés ou Cacérés, élève de Morteira et beau-frère de Spinoza, cor- rigea la traduction espagnole de la Bible publiée en 1661 ; il mourut à Amsterdam, en novembre 1660. Voir l'élégie de Sal. de Oliveyra dans Scharschut Gablut, p. 61.

6 Abraham Semah, rabbin à Vérone, qui collabora avee l'Académie « de los Siti- bundos » à Livourue, avait été célébré par de Barrios dans un sonnet espagnol com- mençant par ce vers :

Il y répondit par des vers hébreux.

7 Moses Israël de Mercado, élève de Morteira. Il mourut prématurément, en août 1ïj52. Après sa mort parut son commentaire sur les Psaumes et l'Ecclésiaste (Amsterdam, 1653). Voir l'oraison funèbre de Morteira (1652) et les élégies de Sal. de Oiiveyra, l. c, 44 et suiv. Oliveyra dit de Mercado :

msï û*a nbnpb nnn mro nanb nb ann -hsn wttvd

niDi3>n ibi ,1ms nm ■o .mNDnm tudïti mn

96 REVUK DES ÉTUDES JUIVES

Ilizo el célèbre doctor con pia atencion

Abraham Sacuto dos raras obras como Heliahu de Léon3, que dan vozes claras que la eriga en la Teba

de su ciencia y explendor : si Jazan de la Xebra,

Uno es el libro mexor de la escritura blason,

de la util Medicina, Entre otras que la sapiencia

otra para la doctrina traen de su Maestro agudo

el nuevo Mosses Sacuto, es Abraham del Soto, escudo

del Arbol de vidas fruio, de la Ley y de la ciencia,

con sabor de Ley divina '. do le quita la opulencia mercantil^

Con Joseph Abrabanel [85] la perfeccion de estudiosa devo- lo Phisico resplandece, por estimar su decoro, [cion,

y lo Mosaico florece mas que el mas rico tesoro

en el Arbol de Israël \ la sacra meditacion \

A la Ley copia Daniel Cohen

[86] El magno Ishag Aboab en la silla de Mortera ginete de la Enseîiança siempre al estudio dio riendas. Eq sagrado Pen- tateuco ton sano Paraphrasea que no anda en buenos passos quien no sigue sus carreras. Tomo en Hebreo de His- pano la cabalistica Puerto, del Cielo que labrô docto sin yerro el Jaxam Herrera. Por sus diversos Sermones di versos à impresion séria, y su légal Theologia no es de Theologia lega. En la hora de la Tarde quando en Israël empieça el dia à ovar, sale Ishac al campo de las Ideas. Afin de oir su oracion salen en Mosayca esphera los Hesperos de Juda que son de su luz e^trellas. Las aguas de su ensenança de- votas campanas riegan que abrevan en sus orillas Israeliticas [87] obejas. Sus pastorales caudillos pocos abren de ciencias con los manos de los dones que la santa ley sustentan. El pri- mero es de cuestioues 6 iiterarias pendencias, que sobre puntos de Ley obtienen los que argumentan. Los estados de este Poço la profundidad demuestran de su Maestro Aboab con agudas preheminencias 5.

1 Abraham Zacuto, surnommé Lttsitano, le célèbre médecin, qui mourut à Amster- dam en 1642.

2 Joseph Abravanel, médecin, dirigea avec son frère Menasse Abravanel l'Académie de la « Corona de Ley » ou Kéter Thora.

3 Eliahou de Léon, fils de Michael Juda Léon, ajouta un poème à la traduction espagnole des Psaumes de Jahacob Juda Leoo, son parent.

4 Abraham del Soto, Sotto, homme très riche et savant, était trésorier de l'Académie « Arbol de las Vidas ».

5 Ishac Aboab c'est ainsi que son nom est écrit sur son portrait gravé en 1686 par Nachtegael , appelé aussi Aboab <ia Fonseca, exerça les fonctions de rabbin pendant soixante-dix ans dans la communauté portugaise d'Amsterdam. Il mourut le 4 avril 1693, à l'âge de 88 ans. C'était un homme considérable; Graelz méconnaît sa valeur. Appelé a Pernambuco comme hakham, il alla reprendre ses fonctions à Amsterdam, quand le Brésil eut été conquis par les Portugais. Prédicateur éloquent et poète hébreu de talent, il enseignait le Talmud à l'école « Kéter Tora et prési- dait plusieurs Académies. Outre plusieurs allocutions de circonstance en espagnol, il

UNE HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE JUIVE 97

Jacob Lagarto Jaxam en el Brasil se présenta al pueblo de Tamarica y eu la Gorte Zelandesa. Gatâlogo Universal es su Quaderuo, que Tienda de Jacob intitulado Aphorismos empapela l.

Los primeros que hasta oy en el Medras perseveran son con ojos de la Ley de Mtvat Eenajim cabeças. [88] El uno es Abram Senior Coronel de las Banderas Mo- saicas, en Gompaùias de guemaristas hileras 2.

El otro es Ishac Saruco que Sarmiento se interpréta en los sueùos de la Ley del bueu pronostico emblema J.

Entre ellos los escolares del cientifico Mortera con la lumbre de Aboab sazonan su inleligencia.

El Jaxam Josue de Silva en la Metropoli Inglesa que Josue de Hebreo Gampo, del Arbol de Vidas Silva fc.

Semukl Pinïo por andar con perfectos de Carrera haze doctas correrias en campos de iuteligencias5.

Por bever Semuel Ramirez de très Jaxamin el Nectar, prueva difereutes cosas en la Rabiuica mesa 6.

Jacob Querido fue guia de la Matutina reza, y en la naval Middelburg Jaxam de la gente electa 7. [89] David Gohen de Azkvedo, grau Pbenix de Aaron, se muestra con la Vara de la Ley que brota de estudio al- mendras.

No en meditar sacras lineas tiene Aaron Perez pereza, sino la capazidad que fue capa de academias.

De los religiosos Pintos la grau Yesiba présenta, senten- cias de Joseph Franco en lamiuas de franqueza 8.

Al Golegio de Aboab pasan de la recta escuela de Aguilar otros sugetos que al estudio se sugetan.

publia Paraphrasis comentada sobre el Pentateucho (Amsterdam, 1681), la traduction hébraïque, sous les noms de ÙTlbiX rPD et de ÛittlDM ~\T$ (Amsterdam, 1655), des ouvrages cabbalistiques Casa de Bios et Puerto, del Cielo d'Abraham Cohen Her- rera, ainsi que La Philosophia légal, que de Barrios appelle Theologia légal. Sur Aboab, voir D.-H de Castro, /. c, p. 67 et suiv-, et BibUoteca esp.-port.-jud., p. 4 et suiv.

1 Jacob Lagarto, fils de Simon Lagarto, auteur de l'ouvrage inconnu Tienda de Jacob ou 3p3>i bHN- Voir mon étude The earliest Kabbis and Jewish writers of America, dans les Publications ofthe American Jetoish Historical Society, 3, p. 16.

* Abraham Senior Coronel, fils d'Ishac Senior Coronel. 1 Ishac Saruco, rabbin à Amsterdam.

4 Josué de Siiva, élève de Morteira et dAboab, rabbin de la communauté portugaise à Londres, et auteur de Discursos (Amsterdam), 1688; il mourut le 29 avril 1679.

* Samuel Pinto, membre de l'Académie Temimè Dérekk ou « Perfectos de Car- rera ».

* Samuel Ramirez, élève de Morteira, dAboab et de Sasportas, c el primero con espado de Ley y de doctrina », professeur à TAcadémie Ronen Dallim.

7 Jacob Querido « con devotas vozes », hakham à Middelbourg , mourut encore jeune.

8 Joseph Franco de Surinam, fréquenta TAcadémie « de los Pintos ».

T. XXXII, 63. 7

08 REVUE DES ETUDES JUIVES

Menasses Abrabanel en Keter Tora grangea la Corona de la Ley que el Reyno de Dios ostenta l.

La Casa de los Golegios tiene el quarto eu que se hospeda oy Joseph Franco Serrano con doctrinal presidencia '.

Por golfo de lineas sanctas Danikl Belillos navega, timou del Medras tercero, y del Maskil el Dal Evela 3. [90] Llamase el segundo poço del odio que el zelo engendra en

el vientre del estudio contra la epicurea secta. Tanta reboçan sus aguas, que como Abram salen fuera en la noche del des- tierro, por campar con sus estrellas.

Del Pueblo de Surinam Samuel Nasi senorea el coraçon con los dones, y el estudio con la ciencia V

Alli el Jaxam Ishag Neto buzo de la Ley suprema, saco doctrinales conchas, por vestir preciosas perlas 5.

No es de Lope mas de Lopez Ley que Eliahu Lopez en- seïia, Jaxam desde que mancebo la barba en Barbadas echa 6.

Elégante Joseph Penso, pasmo de las Academias, libra sus libros de Zoylos, dando en forma sus materias. Con fra- gancia de conceptos flor de la elegancia séria, en la planta de la Ley tiene su mejor carrera 7. [91] EL Doctor Mosseh Salom sala de paz en su hospeda salu- dable actividad y Theologia eminencia 8.

Esparce David de Pina philosophicas centellas, Doctor de Talmud Tora, de Abi Jethomim idea*.

El Doctor Ishac Bklosinos las sagradas lineas zela, honor de la Medicina, y del Atheismo afrenta l0.

1 Menasse Abravanel, frère du médecin Joseph Abravanel , et, comme celui-ci, administrateur de l'Académie Keter Thora.

* Joseph Franco Serrano, gendre de Moseh Raphaël de Aguilar, rabbin à Amster- dam; il traduisit le Pentaleuque en espagnol (Amsterdam, 1695).

3 Daniel Belillos, gendre d'Ishac Aboab et successeur de Jacob Abendana à l'Aca- démie Maskil él Dal; il fut professeur à l'Académie Keter Thora. Ses sermons portugais parurent en 1693.

4 Samuel Cohen Nasi avait une grande influence sur les affaires intérieures de la co- lonie hollandaise de Surinam. Nommé « citoyen-capitaine », il la défendit vaillamment contre les invasions des Indiens.

5 Ishac Neto ou Netto, élève de l'Académie « de los Pintos » à Rotterdam, président de l'Académie Temimè Dérech à Amsterdam, et, depuis environ 1681, rabbin à Su- rinam.

6 Eliahou Lopez, élève de l'Académie t de los Pintos », pendant quelque temps rabbin à Amsterdam, puis dans Pile des Barbades.

7 Sur Joseph Penso ou Penso de la Vega, voir Biblioteca esp.-port.-jud., p. 85 et suiv.

8 Moïse Raphaël Salom, médecin et président de quelques « Académies de bien- faisance et d'instruction religieuse; mort le 21 lleschwan 5464 (31 octobre 1703). Voir D.-H. de Castro, l. c, p. 89.

9 David de Pina, fils d'Aron Sarlati et gendre d'Ishac Orobio de Castro, médecin, pbiiosophe et prédicateur à Amsterdam.

10 Isbac Belosinos ou Velo>inos, médecin et prédicateur. Voir Bill, esp.-port.-jud., p. 108. 11 ne laut pas le confondre avec Jacob de Andrade Velosino, qui combattit Spinoza. Voir Bibl , p. 12.

UNE HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE JUIVE 9(J

Quai Jacob Alvarez, lucha en el alba de la ciencia, cod Angel contradictor que bendice su agudeza *.

Ea Mosseh Dias la Ley tan clara, y flamante reyna, que es de Dias por Moses cou resplandores de nueva1.

David Chillon, de las aves Mosaycas, chillido rieua eu el Arbol de las Vidas, que hasta el cielo cou el llega3.

0 Muudo ! a Selomo Marques en cartas de competen- cias, bien es que marques por sabio, pues de Selomoh da muestras4. [92] David Pardo de su aguelo el nombre y virtud ostenta, sonoro Angel rezador de la sinagoga Inglesa".

Semuel de Léon perece Léon que en su boca ensefia el panai de los estudius con la miel de la eloquencia 6.

Ganta Abraham de David Abendana, ave Helandesa con el relorico pico que al Mosayco nido éleva.

De Scelot Utestjbot escritor Joseph Vieira muestra en tribunal de hojas, que es de juicio y sentencia 7.

Y Semuel de Lkon Grato, Samuel nuevo en la Hambur- guesa congregacion, se dedica al Templo de la sapiencia.

Brilla Arraham Gapadoge, Abraham en la creencia, y Capa dulce del Zelo que en Tierra Sancta campea8. [93] El Tercer poço de Ishac es de aguas Vivas, que riegan campaîias de cogniciones por surcos de suficiencias.

Daniel Jesurun préside en la Yesiba discreta de Hazer entender al Poire, para que el Rico lo entienda9.

Daniel Salom en cuestiones cou el silencio campea, por- que esto de ser callado guarda la mejor respuesta.

Selomo de Léon, ruge Léon de Juda10, que en vêla con pavilo de elegancia da lumbre de su agudeza.

Es Semuel Serafati Seraph de casa tan buena, que â la boca de los doctos el fuego de la Ley lleva.

1 Une autre fois de Barrios dit de lui :

Jacob Alvarez tiene ingenio agudo, Luz del Colegio, del Talmud escudo.

* Moséh dlshac Dias, auteur, imprimeur et libraire-éditeur à Amsterdam. Voir BM., p. 41.

3 David Chillon mourut encore jeune.

* Salomon Marques, professeur à Amsterdam, plus tard hazan de la communauté portugaise a la Haye.

5 David Pardo, ûls de Joseph Pardo et le petit-ûls de David Pardo, comme son père, hazan à Loudres. 11 traduisit en espagnol l'ouvrage Sulhan Tahor, composé par son père (1689.

6 Samuel de Léon, Liâo, membre de lAcadémie Kéter Thora à Amsterdam.

' Joseph Vieira, rabbin à l'Académie Temimè Dérech; ses Schalot u-Teschubot ne sont pas connus.

8 Abraham Capadoce, administrateur des aumônes pour la Terre sainte.

9 Daniel Jesurun, président et prédicateur de la société de bienfaisance Maskil él Bal ou « Hazer entender al Pobre », à Amsterdam.

10 Selomo Juda Léon, hakham, auteur et prédicateur; voir Biblioteca, p. 58.

100 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

David Abenatar Melo, pasma iras, hiere sobervias con el harpa de su vozr y el canto de su prudencia *.

Encomina Daniel Perez reza aurifera, pureza del Premio de las Mercedes por las mercedes que espéra ". [94] El prespicaz David Nu^ez adquiere en docta palestra Corona de buena fama que lo haze su cabeça 3.

Luze Ishag Cohen de Lara coq la luz de la modestia, del- Ara por sacerdote, por Ishac de pura ofrenda*.

Guia Abraham Cohen de Lara las oraciones mas buenas harmonico Mirador de la mexor casa hebrea.

El cuerdo Abraham Lopez Arias, que Léon de fortaleza dénota, sirve de signo al gran Sol de la clemencia.

El devoto Jacob Lopez balla en las Mosaycas sendas An- geles como Jacob que sus pasos endereçan. [96] En Jacob Telles de Acosta levanta la Ley sus vêlas, por dar acosta en dos tablas à costa de franqueza.

Haze Jacob Prieto Enriquuz queel sacro Arbol enriqueza de sus virtudes y frutos con la flor que el zelo lleva. [97] Abraham del Soto con ramos de Rabinicas sentencias, tal joya tieue en la Ley que en su garganta la ostenta 5.

Jacob Belmonte en el sueûo del vivir ve escala excelsa de Luzqq. Arbol de Vidas con angelicas ideas.

Con sus hojas Benjamin dize de la Ley suprema, ella es flor y yo Espinosa, ella es dulce y yo Catela 6.

Abraham Telles Tesorero de sus doradas cortesas, las ve colmenas de Ley con estudiosas abejas.

El segundo seis se ofrece en Sasportas que es seis puer- tas 6, del sexto Medras Maestro, y la Ley llave maestra.

Très guardias goza esta llave de Din Tora : la primera, la segunda del Mahamad que al Sancto Pueblo govierna. La lercera es la doctrina, [96] Tiene del sabio Arambam8

que con rectitud enseùa en Aragon su ascendencia,

el magno Jacob Sasportas 7 en Oran su nacimiento9,

que no soporta insolencias. y en Tremecen su Grandeza.

1 David Abenatar Melo, hazan à Amsterdam.

* Daniel Perez, homme très bienfaisant et administrateur de la société de bienfai- sance Gemilout Hassadim.

3 David Nuûcîz conquit dans les Académies une grande renommée.

4 Ishac Cohen de Lara, comme Abraham Cohen de Lara, hazan à Amsterdam.

5 Jacob Telles de Acosta, Jacob Prieto Heuriquez, Abraham del Soto et Jacob Belmonte étaient les trésoriers de l1 Académie t Arbol de las Vidas •. Jacob Prieto IL-nnquez tut un des fondateurs de Mtïrat Enajim.

6 Jacob et Benjamin Belmonte, tils de Jacob Israël Belmonte, fondateur de la com- munauté portugaise d' Amsterdam; celui-ci fut le président de la Société de bienfai- sance • (iemilout HassaJim >.

7 Sasportas = seis puertas, en hébreu : Û"i"i^O 1I31I5.

8 Au lieu de Arambam, il faut lire Arambau, c'est-à-dire Moïse Nahmanide, qui fut Aragonais; cf. Sasportas, 3pjn bnK, 24 : V'T 1"a»nn "^pT 13TTK»

9 Sasportas lui-même se nommait *jcfnN ""PJJ "'SD'iriTa.

UNE HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE JUIVE 101

Luzio Rab obedecido A Universidad Polaca

de las Ke(b)ilot Tremecenas, escrive Epistola excelsa

y fue cou mensage houroso coq la lumbre del Juizio

del Sanlou al Rey de Hesperia '. y de la Jurisprudeucia. Campt c) Jaxam eu Loudres, Sus versos sou admirables,

y eu Hamburgo, cou la alteza, esquisitas sus seutencias ;

que eu Liorue del grau Soria Autbor de Exal a Codes \

presidio sacra Academia. Ros de JuvenU belleza*, [99]

Oy eu el Medras sublime y resplaudor del Talmud

de Amsterdam la Ley enseïia en cuya ensenançi cierta

que hizo mudar de un decreto parece â la obra del Templo, à la fiel Junta Liornesa. por quanto no hay yerro en ella.

Es el numéro senario perfeclo, porque en la cuenta de sus très partes se cumple uua média y dos extremas.

Y el tercer seis y sus partes en discipulos se ostenta, seis al Medras de Sasportas, y très à su casa mesma.

De los seis Ishag Meatob de Resit Xocma Ros queda 4, y David Salom Moreno es blanco de la sapieucia5. Seguile Simon Levi de Barrios 6. Despues resuena Mosseh Sas- portas7 con vozes de Mosseb eu ecos de reglas. Israël Campos 8 cou plantas del Talmud sigue â la ciencia : y David Mendes de Silva9 es de los estudios silva.

Los très por haver gustado de Hes Hajim la fruta buena merecen tambien que buele su nombre en sonoras lenguas. [100] Abkaham Henriques Pharo en la guemarista escuela de Aboab, y de Sasportas mostrô aguda adolesceucia.

Con Jon as Abrabanel 10 y Abraham Franco oy la muestra en la casa de Jacob que le da céleste puerta.

1 De Barrios raconte dans Historia unïoersal judayca, p. 15 : « Jacob Sasportas calieça rabinica de los Judios de Tremecen pasô en el ano de 1659 por embiado del Santon Benbuquer... à pedir socorro a la Reyna Régente de Espana ».

' Clpîl bO^n est le titre de l'ouvrage qui fut édité, mais non composé, par Sas- portas en 1653.

3 Sasportas fut président de la Société de bienfaisance d^lirû rHNDn ou Juvenil belleza.

* Isbac Meatob, président de l'Académie Reschit Hokhma. Voir Biblioteca, p. 66.

5 David Salom Moreno, frère de Jacob Salom Moreno, mourut à BayoDne, le 2 fé- vrier 1 684.

6 Simon Lévi de Barrios, fils unique de Daniel Lévi de Barrios, mourut à la fleur de l'âge, le 16 mai 1688; voir Revue, XVIII, 280.

7 Moses Sasportas, fils du rabbin Jacob Sasportas.

8 Israël de Campos, fils de Manuel de Campos et arrière-petit-fils du rabbin Ishac Usiel.

Sur David Mendes de Silva; voir Biblitoeca, p. 71, 101. »• Jonas Abravanel, fils de Menasse Abravanel.

RECUEIL DE ROMANCES JUDÉO- ESPAGNOLES

CHANTÉES EN TURQUIE

AVEC TRADUCTION FRANÇAISE, INTRODUCTION ET NOTES

INTRODUCTION

Quand les Juifs furent expulsés d'Espagne, en 1492, nos aïeules emportèrent dans leur mémoire de nombreuses romances, qui furent ensuite transmises comme des reliques de génération en génération. Malgré le soin pieux avec lequel on a essayé de les conserver, une grande partie en était déjà perdue, lorsque j'é- coutais, dans ma jeunesse, ma grand'mère réciter ces chants si doux de la patrie d'autrefois. Je la vois encore rêveuse, absorbée par des visions lointaines, cherchant de la voix, du regard et même du geste à ressaisir des harmonies à demi effacées. Est-ce le souvenir de mes jeunes années qui donne ce charme péné- trant à ces chants, dont plusieurs sont, en réalité, très mé- diocres? Si mon enthousiasme d'antan s'est un peu calmé, j'avoue que je continue à ressentir un profond respect pour ces débris du passé des Juifs d'Espagne et j'ai considéré comme un devoir d'es- sayer de sauver de l'oubli ce qui en reste encore ».

Après de longues et minutieuses recherches, j'avais réussi à re- cueillir plusieurs de ces romances, avec diverses variantes four- nies par les chanteuses que j'ai entendues, mais j'hésitais à les livrer au public, lorsque j'ai vu que M. Kayserling a touché à ce sujet dans sa Bîblloteca espanola-portugueza-judaica 2. Je me suis alors décidé à les publier.

Ces romances, qui, jusqu'à la génération passée, étaient en

1 J'avais également recueilli les proverbes turcs, grecs et espagnols en usage chez nous. Pour ces derniers, M. Kayserling m'a devancé. Il en a pourtant omis et j'espère pouvoir bientôt publier ceux qui manquent dans son pecueil.

1 Strasbourg, Trubner, 189(1, p. x-xi.

RECUEIL DE ROMANCES JUDÉO-ESPAGNOLES 103

vogue, surtout en Bulgarie, à Andrinople, à Salonique et à Gons- tantinople, ont une sérieuse importance pour l'histoire littéraire des Juifs espagnoles en Turquie. On connaît l'influence qu'elles ont exercée sur nos poètes delà décadence. Voici d'abord ce qu'en dit Mpnahem Lonsano :

î*bn \vttbb rvrari mbraa "pb^nnaiD ûmti) nirp «ti anaab 'Wrô na irai ••«amena ■»« t^abat ■»» i»yïwi»« sjab te "narnD irn«a ■«a rSiïi bnas : it Tia ^a jm ab êoïii " nanti tan û3> ri7j b* Tona taw m-pat ^rab vran tablai „,.nDN2!-n B|&«ïi "nai baiT nim»n .■wrDin piûaia "wria wi .,,,Sba> taiann vwd (i-na'aa)

J c. On doit réprouver quelques poésies qui commencent par des mots imités de l'espagnol. De ce nombre est le chant : û"i d# n?3 br ^a*na ïiaiîT, composé sur l'air des vers : « muero-me mi aima, ay muero- me », dont l'auteur ignorait que ce procédé est abominable, parce qu'il rappelle à celui qui chante ces vers des souvenirs luxurieux... Cependant, j'ai remarqué que l'auteur de l'ouvrage bfcnw1 nmat (Nag'ara) ne s'en fait aucun scrupule... Pendant mon séjour à Damas, je le lui ai reproché. . . »

C'est, en effet, l'habitude d'Israël Nag'ara, dans la composition de ses bftltnD, de leur adapter l'air 3 de chansons grecques, turques, arabes et espagnoles, et d'en imiter même les mots par allitération4.

Lonsano, lui-même, si sévère pour ceux qui imitent ces madri- gaux dont le principal sujet est l'amour, et tout en s'appuyant sur l'autorité du nmon *ib& s, pour défendre de les chanter, ne craint point d'en adopter les mélodies pour ses propres poésies hébraïques0. Cette habitude d'indiquer le chant original qui a servi de modèle à l'imitation hébraïque est même suivie dans des ouvrages récents. C'est ainsi qu'en tête du Pizmon de Simhat

1 Muero-me mi aima, ay muero-me. * nm Tl», p. 142.

3 Le mot *jnb qu'on trouve en tête de ses poésies et qu'on traduit habituellement « sur l'air » est de provenauce arabe.

4 Voici une liste des romances espagnoles que Nag'ara a mentionnées dans les trois parties de ses bWW1 n'mat, Venise, 1600, en tête de ses Û^ETS; je fais précéder ces titres des numéros des Pioutim :

I. 3. Pase, abaje! Silvana 23. Abora lo negais, senora 27. Partisteis, amigo 39. Parto-me de amor que no lo puedo entender 42. Gritos daba la pava por aquel monte, 49. A las montanas, mi aima, à las montanas me iré 57. Ay ! decid galana y bella 75. Liuda era y hermosa 76. En sueno soïïi, mis duenas

94. Alba y bicia, graciosa 121 . Un pujo tiene la coudesa 122. Dulce sueno

135. Alto y ensalzado 189. Pregouadas son las guerras 213. Va se va el invierno y viene el verano 218. Madré, un mancebico

II. 33. Va se parten las galéas (= galeras?)

III. 30. Unas pocas de palabras

s D"naa d^im nap abrc ava ibipo ia wn (nm ^mo, p 100). 6 mD^bajaiaTi "Oiaa b* mia am nanb nmu nao ">b nmn n«n l#.,

p. 142K Voir aussi Azoulai, tpV T3"ia, I, Livourne, 1774, sur Orah Haïm} 560.

104 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Tora : 11^ irt* ^nvj rr vfla, on lit ces mots : ^ ii spro «jrfc uabâN ». Fait plus intéressant, non seulement des compositions hébraïques , mais aussi les pastiches poétiques espagnols de la basse époque, dont nous allons parler plus loin, imitent les airs des anciennes romances. Ainsi, dans une compilation en jargon laite par Haïm Yom Tob Magula2, en tête des Couplets finaux commençant par: vr^p irra tpn, on trouve les mots suivants 3 :

Pour compléter la liste de ces débris du Romancero espagnol, je me suis servi également de recueils de litanies rimées qui existent chez nous sous le nom de Joncs \ encore inédits, et dont voici l'origine et l'usage. Depuis un temps immémorial, les sous- assistants (Tv-naDfc) 5 de nos ministres-officiants se réunissent chaque samedi matin, avant l'office, dans le temple « Portugal », la plus importante synagogue d'Andrinople, pour y chanter des vers, à titre d'exercice musical, d'après les modulations arabes appelées natoNptt, « séances » 6. Pour cet usage, on se sert surtout des poèmes de Nag'ara, auxquels sont venus s'ajouter d'autres chants postérieurs. Une légende s'est même formée à ce sujet. Un de ces ipTOD», nommé Moïse Pardo ou plutôt Parédes (vers la fin du xvnr3 siècle), trompé par le clair de lune, qu'il avait pris pour l'aube, accourut une nuit de samedi au temple, et fut saisi de frayeur en voyant un vénérable vieillard assis sur le banc destiné aux chan- teurs. Tout tremblant, Pardo veut se retirer, lorsque le vieillard lui parle d'une voix douce et lui dit : « Ne crains rien, mon fils, je suis Israël Nag'ara, qui, enchanté de votre zèle pour la musique sacrée, suis venu assister à vos exercices ». Puis, l'apparition étrange disparut.

Or, un de ces joncs, qui est en ma possession, et qui est le plus ancien spécimen que je connaisse, contient une collection inédite de vers de Nag'ara intitulés banu^ n-naiu et portant en tête les commencements de leurs modèles turcs, arabes, grecs et espa- gnols. Ce ms. est un large in-octavo, composé de 148 feuillets, écrits en caractères cursifs judéo-espagnols, souvent difficilement lisibles. Il est de plusieurs mains, mais il ne porte ni la date de la

1 Û^biH ttbtt *mritt, Schlesinger, Vienne, 1867, p. 139. 1 ïlhïïïl nrûin, Constantinople (?), 5618= 1858.

3 C'est notre romance 27.

4 C'est le mot tchonq, qui en persan signiQe « harpe >, en turc, d'après le Lehdjéi- Osmani, « harmonie appelée soupir». Dans un Diwan turc ms. j'ai trouvé ce mot ré- pété à la fin de chaque destique de certaines poésies.

5 L'officiant, chez nous, s'appelle *jTn (= "liait mbïZJ). l'assistant Iftîft, et le sous-assistant T^D?;). Les fonctions de ce dernier tendent à disparaître complètement.

A. ma connaissance, cette institution n'existe que dans notre ville et dans les villes turques et bulgares colonisées par des Juifs d'Andrinople.

RECUEIL DE ROMANCES JUDÉO-ESPAGNOLES 105

copie, ni les noms des copistes. On y trouve pourtant les indica- tions suivantes: F0 14 6, nous lisons : arôi (sic!) ^dd "ntta ûM vians p S* ^-idoïi ï-n v>o «own ^ptta ^nna ana^ Nbœ ^son ■»»« ^TÉtt "j (?) û^n TaW "jrjp ^a iDDn ■»»©. F0 147 6, on trouve cette curieuse note commerciale : braan nrj psa a"nn •jio 25 'a DV> 87 *p*b ^pa w 101 r-wnëio *i trbn* izr'ap'na'a raiba* ^w : n^iit •pana *! '1 \s rr>2 2 ma 'i»8 8,787 *p 80 na 'ttTW Ti '«M l- Enfin, 148 a, on remarque les calculs suivants :

r«tt 5,547 172

*a"a 'mn» 1,719

490

•a'm 'nna 2,209

De ces deux supputations, la première, encore en usage chez nous, sert à trouver, pour les insérer dans le Kaddisch de la nuit de Tischa beat), les années qui se sont écoulées depuis la destruc- tion du second temple par Titus. Le procédé en est expéditif : il suffit d'ajouter à l'ère de la création (dans notre cas, 5,547) le nombre 172 4 et de prendre comme millésime seulement le chiffre 1 . Par cette opération, l'auteur de notre note a obtenu 1719. En y ajoutant le nombre 490, il trouve que 2,209 ans se sont écoulés depuis la destruction du temple de Salomon. Ce ms. contient aussi deux signatures figure le nom d'Elhanan. La première, au f ° 6 a : irawa "priba "©a rtrun; la deuxième, au 146 & : ^ddïi W ■»œ»H ypr* -i"aa "pnba "612). Encore ailleurs, on rencontre le nom de Jacob Elhanan. Ainsi, une pièce, au 8 6, donne en acrostiche •jsnba ap*\ une autre, au lia, donne nnoa "jsnbN ap3>\ deux autres enfin, fos 103a et 106 6, pnba "M ap*\ « Elhanan 5 » tout court se trouve comme acrostiche dans les poésies des fos 99 a et 120 6, Ces diverses indications prouvent seulement que le ms. écrit déjà en 1641 a reçu des surcharges à la fin du xvme siècle.

Nous allons maintenant donner les débuts des romances espa- gnoles que notre ms. nous a conservées. Nous les transcrivons en caractères latins avec l'indication de la page du ms. se trou- vent ces bouts de phrases6.

1 Traduction : t Mardi 25 Sivan 5401 (= 1641), en bon augure et sous une cons- tellation croissante, j'ai vendu aux sandaliers chrétiens de Sofia 101 peaux de bœuf au prix de 87 as[pres], en piastres à 80 (aspres?), total 8,787 as[pres], pour le terme d'un mois et demi (?).

1 *jW ma "p-rirra- = yvDon ma ja-nn».

4 Comme signe mnéuioûique on emploie souvent le mot a"p^.

5 Au sujet d'une poésie commençant par le mot *pfibN, voir Bet-ha-Midrasch, de Jellinek, V, p. 152.

Voici ces vers dans leur transcription hébraïque, tels que les donne le ms. J'in-

106 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

1 . No que haré, à donde iré. Estabase la infanta. Levantarase mi polla.

Siempre procurais, madré, de enganarme. Si os juro, el mi amor, que no tengo. Oh! que lindo amor que hay en esta villa. 1 et 92. Dama, asi es la razon.

2. Morenica, morenica, galana y bella. 5. Espéra, espéra.

11. Los ojos de la blanca nina no hacen si no llorar.

35. Tu que me das entender.

46. Doliente estaba Alejandro.

47. Barberico, sacasme esta muela.

48. En copos de rama.

Par de la mar mis amores. Morenica, que te pones.

53. Soy triste amador.

54. Ya que en estas tierras hay una doncella. Yo estando en la mi puerta.

dique par la lettre H. les poésies hébraïques correspondantes, quand ces poésies pré- sentent une sorte d'allitération de leurs modèles espagnols ou en imitent la rime ou en sont la traduction. Dans ce dernier cas, j'indique le nom du traducteur.

i. 'n'W ^IKN "HN np TO 13

NiiblS ^73 ^N1NÙ3NT'bN

i73'lKiia«ttÉ'K ''l ilïfcttD tt5N"np*T>D 1"1&3H1S

1S3^J 13 ^p "11>3N V2 b\N YTl'Jl "Cil "•»

«nbii rrû'^w *pN ^n ^p T172N H3^b y -n

1 et 92. IVN-i nb tU^N HZ33N (ï"173l) ÏIttNI. H. pn nb Ï1731 par 3pjn

■pnbN. 2. tob^n \x ri3Nb^ iipi3i*ra rtp'wra. h. ttrpi' rm» 2*3 iti» nara w\3 nbn par np3>-> flanbat? ou bien vom ou n*iN3 amas "j

duquel aussi s'y trouvent des poésies imitativesï. 5. ÏTTWW m^BlD^N. H. !T"IHI3!n TlDK par ^"boS».

il. nanv 13 io I^tn 13 t-p^a npSNbn nb il UJl'aiN ttlb H. "tflb

rw^'3 ri73iNb nuiy p*r nnox ianb« ap*i. 35. -pia^uai^ u:nt 172 ip ica-

46. i-ii3 "ffl^bN p5aD"|iN lasubn.

47. nbiann ïiûTDiN lyaoïpta npnana.

48. n^an 11 ^iDip -jw 11. ?n2-\ ba w par bw^ïJi (rntfw).

p-»-ll73N p^73 1873 ïlb "«1 1»B.

U3"»3is -"ta ^p rip^m». 11. asan bNiu;-> ms par ia.

53. 111K72N 1^01-10 ^lO- H. -11172 Ï13P ib par Id.

54. N-wanaïi ïi3in ■"&* ©ina mion "pN ip »n. rrcaT&na ^!o rtb "pet ii3"j^\s 11.

RECUEIL DE ROMANCES JUDÉO-ESPAGNOLES 107

62. Adobar, adobar, adobar, caldero adobar.

63. La vida de las galeàs, yo os la quero contar 65. Ka, digais los veladores.

Aima mia, luz del dia. 74. Yo amara una doncella. 79. Para mi desparticion :

85. Desde que perdi el mi amor, penas,

Hermano mio querido, de que llorais y de que vais per- dido, el tino, lloro yo y me afino, que me aso y me traspaso, y à mi dama no alcanzo, la llàmo no me res- ponde, la busco y se me esconde, y ahora no se à donde, toparé yo à mi1.

86. Vente aqui, la mi dama.

91 . Ay, ay ! como harè. A quien iré à contar.

No puedo, mi aima, no puedo, mi vida. Ay, ay 1 un pajarico.

92. Malo estaba el pastorico.

93. De la vuèstra linda novia.

Quien me conoce, quien me conoce. 101. Yo me levantara un lunes.

62. -^,n5v7n rnbap ^-iNânna ^-inS'Hn ^-iNarvm h. jiw iitt

131*10 nanj "jvmi par la.

63. naanp Tvp nb ian v ©finbfitt vb i*i rr^i ttb. h. *pD na ït

nnoa ba tt«n ^iï ops^ par ia. 65. o,nTT«b,n ©ib îaawm \x. h. çn^n Mb "j^iai par la. swi bn rnb rwna rrabK. h -irna p bbn bbrrrn par la.

74. N^b">TD*n K314 mttN V, 79. îJ-r^D^ÛIRBID^ V2 ÏTlNE).

85. OwN^D ff73N ifc bi« iffT>Q ipiDi^.

^ifi* fr-PT'S ŒN1 ^p 1*1 /©fin&ni *p ^ /Hiffp 1&T73 13&»3ffN

/nDaMn-WK ^ ^n ,i«»n« ^ ip ,naiBN ^73 ^n i&o ttini /iaica t**b fiTpsiai-iN ^73 na 173^ tsib /us i^pb» ia i-vntsn 173» in

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86. r!73Nl 173 N5 ipN lOFI.

9i. na i73Tp un un h ™*h ^pa "«ri *n par lanb» ypy\ ■waaipw *ff« lnpN. h. -irm ab Tiff par la.

.-Ï^D ^73 rPNlS T3 /rt73bN ^73 TTWB 13

ip^-.N'wwND "jin un un. H. n:-ii "jm in» in ^n par ia.

92. ipv^nrjwwXD b*»» ïiaNauîiN "ib«33.

93. mâia mrb ïnaœ^sna nb -h.

"•œiarp ^73 "pip ,*n»anp ^73 ^p. h. marin ba b^ par timaN (•). 101. ©iaib ^n m«taa«aiib« ^73 i\ h. oa iab nrai* S->bi tav par pnb».

1 C'est le plus long fragment qui s'y trouve et qui n'est pas suivi a'un PizmOn.

108 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

109. Ea, llamabalo la doncella.

127. Yo en este mundo mucho caminaba, no topi otro cotno ti.

135. Viejo malo en la mi cama à la fi(n) no dormira.

136. A las huprtas donde nacen las rosas.

137. Fuera va de tmo el triste amador.

Lorsqu'on voit ainsi nos poètes de la basse époque se retremper à ces sources vives de l'antique mélodie, il ne faut pas s'étonner de l'irrésistible attrait que le faux messie Sabbataï Cevi exerçait sur ses fidèles, en chantant, avec des allusions mystiques, la ro- mance de Melisselde (fille de l'empereur) aux lèvres de corail et à la chair de lait », romance qui appartient au même cycle que notre Romance 7.

Si les joncs et les citations que nous avons faites ne nous donnent que des fragments des poèmes espagnols, ceux que nous publions sont également tronqués. Non seulement ils s'arrêtent avant la fin, comme je l'indiquerai, à l'occasion, dans mes notes, mais ils présentent encore d'autres anomalies. Tantôt il y a une solution de continuité entre les parties qui nous en restent, tantôt les stances y sont transposées et enchevêtrées d'une manière inex- tricable. Je n'ai pas voulu essayer de rétablir hypothétiquement l'ordre des strophes ainsi déplacées. D'autres fois, au lieu de ces remaniements inconscients, nous y rencontrons des couches nou- velles qui se sont superposées aux anciennes. Car nos chan- teuses, trahies par leur mémoire, ont forgé parfois de toutes pièces de nouveaux vers, d'un goût douteux, pour remplacer ceux qu'elles avaient oubliés. Le fonds de la romance est ainsi devenu un thème commun sur lequel on a brodé à volonté. On constate aussi des réminiscences et des transpositions de phrases d'une Romance dans une autre. J'ai soigneusement marqué dans mes notes ces emprunts, qui ne sont pas rares.

En dehors de ces modifications, nos romances ont reçu du milieu ambiant bien des mots turcs, arabes, persans, grecs et hébreux, souvent aussi des idiotismes de notre jargon qui, malgré leur forme castillane, ne se trouvent plus dans nos dictionnaires, ou s'y

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1 Voir Thomas Coanen, dans Graetz, X, 2e édit., p. 468.

RECUEIL DE ROMANCES JUDEO-ESPAGNOLES 109

trouvent avec une acception différente l. Ce changement de formes et de mots vieillis par des équivalents plus modernes était dans la nature des choses. A mesure qu'elles s'éloignaient du temps de l'exode espagnol, nos aïeules, ne pouvant plus saisir toutes les nuances, toutes les délicatesses de la langue castillane, ont trouvé naturel d'employer d'autres mots, qu'elles comprenaient. Elles ont même introduit dans ces romances des idées religieuses qui y pa- raissent toutes dépaysées 2. Par contre, on y rencontre encore des expressions et des tournures archaïques d'un grand intérêt 3, et qui ont persisté également dans nos versions classiques de la Bible, encore en usage dans nos écoles.

Je n'ai pas voulu donner de place, dans ce recueil de Romances, à ces compositions récentes qui portent le même nom, mais qui n'en sont que de plates et froides imitations. J'ai pourtant fait ex- ception pour quelques-unes, qui, tout en ayant déjà le goût du terroir ottoman sur lequel elles ont poussé, sont relativement an- ciennes. Elles offrent, en outre, un certain intérêt, tantôt par leur caractère juif, comme les romances chantées aux noces (34-37), ou pour célébrer une naissance (38-41), ou à la veille du départ des pèlerins pour Jérusalem (42), tantôt par leur caractère historique ou par leur style macaronique et leur ton plaisant (43 et 44). L'une de ces compositions, très gaie et d'un ton léger (R. 43), a l'air d'un conte du Décamèron de Boccace. L'autre (44) est, sans doute, une imitation d'une ancienne romance, car les en-tête : « Barberico, sacasme esta muela » et « Adobar, adobar, adobar, caldero ado- bar * » rappellent des sujets humoristiques.

Disons maintenant quelques mots de la forme extérieure de nos Romances, c'est à dire de la rime et de la césure.

Il est à remarquer que la valeur du style est en raison inverse de la perfection de la versification. Dans les anciens poèmes, l'expression est forte, concise, éloquente, on se contente, pour la rime, d'une simple assonance, tandis que, dans les compositions plus récentes, la rime est plus riche, mais le style est plat et vul- gaire. Pourtant, on ne peut pas nier que la mélodie produite par la simple assonance ne présente une certaine grâce, surtout lorsque cette rime alterne avec des vers non-rimés, à la manière des Kas- sida arabes. Aussi, pour obtenir ce dernier résultat, ai-je souvent coupé en deux; pour les mettre dans deux alinéas consécutifs, tous les couplets monorimes d'une étendue excessive que j'ai ren-

1 Voir romance 40, note 6.

* La nuit de Pâque, R. 1 ; La loi sainte et bénie, R. 14 ; La loi de Dieu, R. 30.

* Voir, par exemple, R. 39, note 2.

* Voir note 21, n0' 47 et 62.

HO

REVUE DES ETUDES JUIVES

contrés et qui, par ce dédoublement, ont acquis une allure plus leste et plus rapide. D'ailleurs, cette césure n'a pas été arbitraire- ment faite : sa place est souvent déterminée par le sens et, dans les cas douteux, par la modulation différente qu'affectent les deux parties du distique. Nos chanteuses l'indiquent par le mode majeur dans la première et mineur dans la deuxième.

Pour la transcription, j'ai adopté les caractères latins, afin de rendre à ces romances leur physionomie européenne. J'y ai res- pecté, autant que possible, la prononciation locale. Quand celle-ci s'écartait trop de l'orthographe classique de la langue espagnole, je me suis contenté de la signaler seulement dans mes notes. Dans les romances dialoguées, j'ai indiqué par des tirets le changement d'interlocuteur.

Un mot au sujet de la traduction française. Tout en m'efforçant de traduire littéralement, j'ai parfois, pour la clarté, faire des additions, que j'ai placées entre parenthèses. J'ai parfois aussi changé les temps, parce qu'en espagnol, à cause de l'exigence de la rime, un temps est souvent employé pour un autre. Mais, mal- gré tous mes soins, il s'est glissé, sans doute, des erreurs dans ma traduction, erreurs qu'expliquent suffisamment l'antiquité du texte et la variété des idiomes employés. En cas de doute, j'ai tou- jours tenu à en avertir dans mes notes *.

Andrinople, 1896.

Abraham Danon.

Romance I.

Un hijo tiene el buen conde,

un hijo tiene y no mas.

Se lo dio al sefior rey

por deprender * y por embe-

zar. El rey lo queria mucho y la reina mas y mas. El rey le dio un caballo, la reina le dio un calzar. El rey le dio un veslido, la reina le dio média ciudad.

Traduction.

Le bon comte a un fils,

il a un fils et pas davantage.

Il Ta donné au seigneur roi

pour qu'il apprenne et pour qu'il

s'instruise. Le roi l'aimait beaucoup et la reine encore plus. Le roi lui donna un cheval, la reine lui donna une chaussure. Le roi lui donna un vêtement, la reine lui donna une demi-ville.

i Voir R, 38, notes 3 et 4.

1 Aprender. Variante : por saber y entender,

pour savoir et entendre »,

RECUEIL DE ROMANCES JUDEO-ESPAGNOLES

111

Losconsejeros se zelaron y lo metieron en mal : que lo vieron con la reina, hablando y platicando !.

Que lo vaigan que lo maten, que lo lleven à malar.

Ni me maten, ui me to- queri,

ui me déjo yo matar, siuoiré doude mi madré, dos palabras très hablar. (— Buenos dias, la mi madré.

Vengais en buena, vos mi rejal8.

Asentale à mi lado,

cantame UDa cantica 3

de las que cantaba tu padre

en la noche de la Pascua) *:

Tomo lacsim 5 en su boca

y empezo à cantar.

Par albi paso el senor rey

y se quedo oyendo.

Pregunto el rey à los suyos :

Si angel es de los cielos o sirena de la mar ? Saltaron * la buena gente :

Ni angel es de los cielos ni sirena delà mar,

sino aquel mancebico que lo mandateis à matar.

mon hi-

Les conseillers (en) furent jaloux et le dénigrèrent (en disant) : Qu'ils l'avaient vu avec la reine, Parlant et conversant.

Qu'on aille le tuer, qu'on le mène pour le tuer.

Qu'on ne me tue point, qu'on me touche point,

et je ne me laisse point tuer, j'irai plutôt chez ma mère, dire deux, trois paroles. ( Bonjour, ma mère.

Soyez le bienvenu, vous, dalgo.

Prends place à côté de moi,

chante-moi une chanson

de celles que chantait ton père

dans la nuit de la Pâque).

Il mit une mélodie dans sa bouche

et commença à chanter.

Par passa le seigneur roi

et s'arrêta pour écouter.

Le roi demanda aux siens:

Est-ce un ange des cieux ou bien une sirène de la mer? Les bons geos répliquèrent :

Ce n'est ni un ange des cieux ni une sirène de la mer,

mais plutôt le jeune homme que vous avez envoyé tuer.

ne

1 Comme l'assonnance n'existe pas ici, on est en droit de supposer que ces mots en ont remplacé d'autres plus anciens, dont la dernière syllabe avait un a tonique. Cette remarque se rapporte également à tous les cas analogues l'ignorance a gâté l'euphonie métrique.

1 Synonyme, sans doute, d'un mot espagnol qui lui a laissé la place. Le mot bN'^^l, plur. de l'arabe b'jH, qui signifie en turc les grands dignitaires de l'état, est employé en judéo-espagnol, au pluriel, pour dire « gentilhomme ».

3 Cantico.

4 Variante :

O que hijo, o que hijo ! en noche de Pascua me veniteis vi>itar.

O que madré, o que madré ! Al hijo tiene en la lanza , le demanda la cuestion. Otro, poique sois rai madré, os cantaré un cantar.

Oh, quel fils! Oh, quel fils ! dans une nuit de Pâque

vous venez me visiter.

Oh, quelle mère ! oh, quelle mère ! qui a son fils dans la lance (= en danger) et lui adresse des questions.

Mais, parce que vous êtes ma mère, Je vous chanterai u*e chanson.

5 Mot arabe signifiant « division, répartition », et de * mélodie d'ouverture ». Var. : la voz = la voix.

6 Littéral. « sautèrent », et en judéo-espagnol, t répliquèrent brusquement ».

•112

REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Ni lo maten, ni lo toquen,

ni lo dejo yo matar. Tomolo de la mano, y junto se fué al serrallo.

Qu'on ne le tue point, qu'on ne

touche point à lui, et je ne le laisse point tuer. Il le prit, par la main etils se rendirent ensemble au palais.

Romance II.

Estabase la reina Isabela

con su bastidor labrando,

agujeta de oro en mano

y un pendon de amor labrando.

Por alli paso Parisi,

su primer enamorado :

Esteisen buenaora,la reina.

Parisi, en bien venierais.

Si vos placia, la reina, de venir vos à visitarnos.

Placer me place, Parisi, placer y voluntad,

por ese cuerpo, Parisi '. Que oficio teneis, Parisi? que oficio aveis tomado?

Mercader soy, mi seùora, mercader y escribano.

Très naves tengo en el puerto, cargadas de oro brocado2. Las vêlas son de seda, las cuerdas de ebrijim 3 morado, el dumen k un cristal blanco. En la nave que yo tengo, hay un rico maozauo, que echa manzanas de oro invierno y verano.

Si vos placia, Parisi, de veniros à visitar.

Vengais en buena ora, la reina,

vos y vuestro reinado. Ya se toca, ya se afeita.

Traduction.

La reine Isabelle se trouvait

brodant sur son métier,

aiguillette d'or en main

et brodant un drapeau d'amour.

Par passa Parisi,

son premier amoureux:

Reine, soyez en bonne heure.

Parisi, soyez le bienvenu.

Reine, s'il vous plaît de venir nous visiter.

J'en ai bien le plaisir, Parisi, plaisir et volonté,

par ce corps, Parisi.

Quel métier avez-vous, Parisi?

quel métier avez-vous pris ?

Je suis marchand, Madame, marchand et tabellion.

J'ai dans le port trois navires

chargés d'or et de brocart.

Les voiles sont en soie,

les cordes en fil de soie violet foncé,

le gouvernail un cristal blanc.

Dans le navire que j'ai

il y a un riche pommier

qui jette des pommes dor

hiver et été.

S'il vous plaît, Parisi, que j'aille vous visiter.

Venez, à la bonne heure, reine,

vous et votre royaume.

Elle fait bien sa toilette, elle se farde,

1 Est-ce une formule de serment ? Autrement, ces mots n'ont aucune liaison avec e contexte. * Var : de oro fino, « d'or fin ».

3 Mot persan à la place de l'ancien mot espagnol qui a disparu.

4 Mot turc.

RECUEIL DE ROMANCES JUDÉO-ESPAGNOLES 113

ya lo va à visitai-. elle va le visiter.

Cuando entre- la reiua, Aussitôt la reine entrée,

el levanto gancho, abrio vêlas, il enlève Pancre, déploie les voiles.

(— Donde esta el manzano, Pa- (— est le pommier, Parisi,

risi,

que echa manzanas de oro qui jette des pommes d'or

invierno y verano ? hiver et été ?

- Yo soy el rico manzano Je suis le riche pommier

que écho manzanas de amores qui jette des pommes d'amour

invierno y verano) '. hiver et été).

Romance III.

Un mancebo habia. muy angelicado \ de una dama hermosa se habia enamorado Por la calle paso y rae despedazo, de veros labrando en el cedazo. De bâtir la puerta, ya no me quedo hrazos. Abreis, mi galana, haremos un trato. - Mancebo, mancebo, alto y delicado que por una moza vais embelecado, tomad mi consejo, andados à Belogrado 3. Alli topareis

Traduction.

\_

Il y avait un jeune homme très-gentil, d'une belle dame il devint amoureux.

Je passe par la rue et je meurs,

de vous voir broder

sur le tamis.

De frapper à la porte,

il ne me reste plus de bras.

Ouvrez, ma jolie,

nous ferons un marché.

Jeune homme, jeune homme, haut et délicat,

qui, par une jeune femme, vous allez enjôler, prenez mon conseil, rendez-vous à Belgrade. Vous trouverez

1 Variante : Ella que metio pié en la nave, la nave esta caminando.

Que es loque haces. Parisi ? La nave esta caminando !

Al hijo deji en la cuna, el padre lo esta cunando.

No bloreis, la mi seïiora, (al esposo lo teneis enfrente

y al hijo à los nueve meses lotopareis)

ou al padre teneis al lado que al ano os lo en la mano. 1 Angelico ou angelical. 3 Ces noms ont sans doute remplacé T. XXXII, 63.

Aussitôt qu'elle mit le pied sur le navire, le navire est en marche.

Qu'est-ce que tu fais, Parisi ? Le navire est en marche !

J'ai laissé l'enfant au berceau, son père le berce.

Ne pleurez pas, Madame, (vous avez l'époux en lace

et l'enfant, vous le trouverez dans neuf mois)

ou vous avez à côté le père qui, dans l'année, vous le donne dans la main.

d'autres noms de villes espagnoles.

Jl'l

HE VUE DES ETUDES JUIVES

loque vos quereis, que de mi, en tanto, provecho do teneis.

Màjo, mâjo, dama, agua eu el mortero,

no hay quieu se apiade de este iorastero. Esto es muy amargo mas que la oliva. \ decidme un si que ya me cansi, (de ver vueslro garbo yo me hice asi ').

Mancebo, mancebo, dejad esta merequia *. porque os trais

en dias de eliquia 3. Tomad mi cousejo, audados à Franquia \

DodoDa, dodona 5, rnicara de luua,

vos que estais en quince •, yo que mal mal os hice?

A Hebron me vo y aqui os dejo, con vida y salud yo ya me alejo.

Y decidme que haré ? como lo rellevaré 7 yo en este mundo?

Si os encampateis 8, ya podeis decirlo ; mas mal es el mio, que es de encubrirlo. De los cielos vino, cale recibirlo.

ce que vous voulez, car de moi, en tout cas, profit vous n'aurez.

Je pile, je pile, dame, de l'eau dans le mortier, il n'y a personne qui s'apitoie sur cet étranger. Gela est très-amer plus' que l'olive. Et dites-moi un si, car je suis déjà fatigué, (devoir votre bonne grâce je suis devenu ainsi).

Jeune homme, jeune homme, laissez cette mélancolie,

parce que vous vous portez dans des jours de phtisie. Prenez mon conseil, rendez -vous en France.

Madame, madame, au visage de lune,

vous qui êtes dans les quinze, quel mal vous ai-je fait ?

Je m'en vais à Hébron et vous laisse ici,

en vie et en santé

je m'éloigne déjà.

Et dites-moi que dois-je faire ?

comment le souffrirai-je

dans ce monde?

Si vous êtes attrapé, vous pouvez bien le dire ; mon mal est le pire,

car il faut le cacher. Il est arrivé du ciel, il faut l'accepter.

1 Variante :

que de vuestros fuegos car, par vos feux,

yo ya me asi je suis déjà rôti.

2 En judéo-espagnol, melancolia.

3 Probablement dérivé de « etico », étique.

4 Var. : Sofia.

5 C'est peut-être une forme corrompue de dona.

6 Dans votre plénitude lunaire de quinze jours. >

7 En judéo-espagnol, soportar.

8 Faut-il y voir un dérivé corrompu de « encapado » « enveloppé ou couvert d'un man'eau > ?

» Dans notre jargon, quere.

RECUEIL DE

Yo va te queria mas que mi hermaoo; do tien es remedio

en este verano. Buscados remedio, ni tarde ni temprano.

A y ! vos sois una rosa que nunca se amurcha '.

ROMANCES JUDEO-ESPAGNOLES

Je t'aimais bien plus que mon frère ;

tu n'as point de remède pendant cet été. Cherchez-vous un remède, ni tard ni de bonne heure.

Ah ! vous êtes une rose qui ne se fane jamais.

il

Romance IV.

Andando por estas mares, navegando con la fortuna 2, caï en tierras ajenas donde no meconocian, donde nocantaba gallo ni menos cauta gallina, donde crece naranja y el limon y la cidra, donde hqy sacsis 3 de ruda guardian de creatura 4. Ay ! Julian faiso y traidor, causante de los mis maies, te entrâtes on mis jardines y meenganates. Ay ! acogites la Uor de mi, la acogites à grano à grano, ay! con tu hablar delicato, y me enganates. Ay ! seendo liija de quien soy, me casaron con Juliano, hijo'de un hortelano de la mi huerta. Ah ! Julian, vamos de aqui, de este mundo sin provecho. Lluvia caiga de los cielos y mos moje.

Traduction.

En allant par ces mers,

naviguant avec la tempête,

je suis tombé dans des pays étrangers

Ton ne me connaissait pas,

ne chantait aucun coq,

ni ne chantait aucune poule,

croit l'orange

et le limon et le citron,

il y a des pots à rue,

gardienne de l'enfant.

Ah! Julien, faux et traître

(qui as été la) cause de mes maux,

tu t'es introduit dans mes jardins

et tu m'as trompée.

Ah ! tu as cueilli marieur,

tu l'as cueillie grain par grain,

ah ! avec ton parler délicat,

et tu m'as trompée.

Ah ! étant fille de qui je suis,

on m'a mariée avec Julien,

fils d'un jardinier

de mon jardin.

Ah! Julien, allons d'ici,

de ce monde inutile.

Que la pluie tombe des cieux

et nous trempe.

1 Se marchita.

1 Mot d'origine italienne employé en turc avec le sens de « mer houleuse, orage », Peut-être y avait-il d'abord « torinenta » ou « borrasca ».

» Mot turc signifiant vase à ileurs.

4 Attribuait-on a cette plante, comme aujourd'hui chez nous, la propriété de pré- server du mauvais œil ?

110

REVUE DES ETUDES JUIVES

Romance V.

El rey de Francia très hijas ténia, la una labraba, la otra cosia, la mas chiquitica1 bastidor hacia. Labrando, labrando sueîio la vencia :

No me harveis 2, madre ni me harvariais,

sueno me soni de bien y de alegria. Me apari al pozo, vide un pilar de oro, con très pajaritos picando al oro. Me apari al armario, vide un manzanario 3, con uu bulbulico 4 picando al manzanario. Detras de la puerta. vide la luna enlera ; al rededor de ella, sus doce estrellas.

El pilar de oro es el rey to novio.

Y los très pajarilos son tus entenadicos 5.

Y el manzanario, el rey tu cufiado.

Y el bulbulico, hijo de tu cufiado.

Y la luna entera, la reina tu suegra.

Y las doce estrellas, sean tus doucellas.

Estas palabras diciendo, coches à la puerta, ya me la llevan à tierras ajenas.

Traduction.

Le roi de France

avait trois filles,

Tune brodait,

l'autre cousait,

la plus petite

brodait (sur) un métier.

En train de broder

le sommeil l'envahissait :

Ne me battez pas, mère, ne me frappez point,

j'ai eu un rêve

de bien et d'allégresse.

J'ai regardé dans le puits,

j'(y) ai vu un pilier d'or,

avec trois oisillons

qui piquaient l'or.

J'ai regardé dans l'armoire,

j'(y) ai vu un pommier,

avec un petit rossignol

qui piquait le pommier.

Derrière la porte,

j'ai vu la lune entière ;

autour d'elles,

ses douze étoiles.

Le pilier d'or est le roi ton fiancé. Et les trois oisillons sont tes petits beaux-fils. Et le pommier,

c'est le roi ton beau-frère.

Et le petit rossignol,

(c'est le) fils de ton beau-frère.

Et la lune entière,

(c'est la) reine ta belle-mère.

Et les douze étoiles,

soient tes femmes de chambre. »

En disant ces paroles, des carrosses (viennent) à la porte, et on me la porte dans les pays étrangers.

1 Double diminutif de « chica ».

2 De I'inf. harvar qui, en judéo-espagnol, est « herir ».

3 Manzano.

4 Diminutif d'un mot persan.

5 Diminutif de « entenado », qui signifie « enfant d'un premier lit »

RECUEIL DE ROMAiNGES JUDEO-ESPAliNOLES

A los nueve meses, parir queria.

117

Levanteis, conde, levanteis, momie \ que la luz del dia parir queria. Llamudla à mi madré que me apiade. Tomojarrosderosaseusu y bogos * de fajadura. Eu medio del camino, mizva 3 veria llevar.

Que es esto, mi coude

Vuestra hija verdadera Se torno à casa,

triste y amarga.

Daus les neuf mois,

elle voulut accoucher.

Levez-vous, comte,

levez-vous, comte l,

car la lumière du jour

veut accoucher.

Appelez ma mère

qu'elle aie pitié de moi. mauo Elle prit des pots à roses dans sa main

et des paquets de langes.

A mi chemin,

elle vit porter un cercueil. ? Qu'est-ce cela, mon comte?

. » Votre véritable fille.

Elle s'en retourna chez elle,

triste et amère.

Romance VI.

Estrellas no hay en los cielos, el lunar v no ha esclarecido, cuando los ricos mancebos salen à caballeria. Yo estando en mi barco, pescando mi proveria 5, vide pasar très caballeros haciendo gran polvaria °.

Un baque 7 dièron en la agua, entera se estremecia. Echi ganchos y gancheras 8 por ver loque séria •. Vide un duque educado

Traduction.

Il n'y a pas d'étoiles dans les deux,

la lune n'est pas levée,

lorsque les riches garçons

sortent en chevauchant.

Me trouvant dans ma barque,

à pêcher ma provision (?)

j'ai vu passer trois cavaliers

qui soulevaient un grand tourbillon

de poussière. Ils trépignèrent dans l'eau, qui trembla tout entière. J'ai jeté des crocs et des grappins pour voir ce qu'il en était. J'ai vu un duc bien élevé

1 LVn remplace souvent, dans notre jargon, la première consonne d'un mot ré- pété.

i Mot qui. dans le même dialecte, veut dire « paquet, trousse, liasse ».

3 L'hébreu ;T|]£73 sert à désigner, parmi les Juifs de Turquie, le cercueil et même le convoi, comme l'araméen *Jj72 "D est employé par nos coreligionnaires polonais pour désigner, par euphémisme, le mort.

* Sous-entendu « disco » .

s Faut-il y voir, ce qui me paraît probable, l'abstrait dérivé de l'inf. provéer (pour- voir) ?

6 Var. : polvarina = polvareda.

7 En judéo-espagnol, coup.

s En judéo-espagnol, grappin. ' Var. : habia.

118

REVUE DES ETUDES JUIVES

que al hijo del rey parecia. qui ressemblait au fils du roi.

Un païvand * lleva en el brazo, Il portait au bras une chaîne

cien ciudadesy mas valia. Un auillo lleva en el dedo, mil ciudades y mas valia. Camisa llevava de Holanda, cabezou de perleria. En mi buena de ventura, salio el rey de Constantina. Recogi la mi pesca, al lugarla tornaria. Tomi camino en mano, al serrallo del rey me iria. Vide puertus cerradas, ventana que no se abria. Batia la puerta, demandi quien habia. Bajad, mi seîior rey, os contaré loque vidé : Yo estando en mi pesca, pescando mi proveria, vide pasar très caba Héros haciendo gran polvaria.

qui valait cent villes et plus.

Il portait au doigt un anneau

qui valait mille villes et plus.

Il portait chemise d'Hollande

(dont le) col (était) en perles.

Dans ma bonne fortune,

le roi de Constantin (ople ?) est sorti.

J'ai ramassé ma pêche,

et l'ai remise à sa place.

J'ai pris le chemin en main,

et me suis rendu au palais royal.

J'ai vu les portes fermées,

une fenêtre qui n'était pas ouverte.

J'ai frappé à la porte

(et) demandé qui il y avait.

Descendez, mon seigneur roi,

je vous raconterai ce que j'ai vu :

Me trouvant dans ma pêche,

à pêcher ma provision (?),

j'ai vu passer trois cavaliers

qui soulevaient un grand tourbillon

de poussière.

Un hullo llevaba eoi su hombro II portait une enflure à l'épaule

que de negro parecia. qui paraissait noire.

Un bàque dieron en la agua, Us trépignèrent dans l'eau,

y la mar estremecia. et la mer s'agita.

La estrellas de los cielos Les étoiles des cieux

y el lunar se oscurecia. et la lune s'obscurcissaient.

De ver tala manzia 2, De voir un tel malheur,

echi la mi pesca j'ai jeté ma pêche

por ver loque habia, etc. pour voir ce qu'il y avait, etc.

Romance VII.

(Noche buena, noche buena, noches son de enamorar. Guando las doncellas dormen. el lunar 3 se va encerrar. Alli estaban diez doncellas,

Traduction.

(Bonne nuit, bonne nuit,

ce sont des nuits de devenir amoureux.

Lorsque les vierges dorment,

la lune va s'enfermer.

Là-bas se trouvaient dix demoiselles.

1 Ou plutôt < pabend », qui, en persan, signifie « chaînes, entraves

* Du judéo-espagnol.

3 Voir romance 6, note 1.

RECUEIL DE BOMANCES JUDEO-ESPAGNOLES

110

todas las diez a uu métal '.

Salto la vieja de ellas

[vieja era de alla edad] :

Dormais, dormais, doncellas;

si dormis, recordad,

maîiana os haceis viejas

y perdeis la mocedad J .

Se iva la Melisselde,

para la caja se iva.

toutes les dix d'un même métal '. La plus vieille d'elles repartit [elle était vieille de grand âge] : Dormez, dormez, demoiselles: si vous dormez, rappelez-vous vque) demain vous deviendrez vieilles et perdrez la jeunesse.) La Melisselde s'en allait, elle s'en allait vers la boite.

Seemborujo3enunmantodeoro Elle s'enveloppa dans un manteau d'or

por faltura * de brillar. Alla, en medio del camino, alguaciles lue à encontrar :

Que buscais, Melisselde? que buscais por este lugar?

Vo ir donde una hacina c, mala esta de no sanar. Dadme este cuchillo,

el cuchillo de cortar, que quero echar estos perros que no me vaigan detras. » Alguaciles, con bondades,

par défaut d'éclat. Là, à mi-chemin, elle rencontra des alguazils :

Que cherchez-vous, Melisselde? que cherchez- vous dans ce lieu?

Je vais chez une malade mal à ne point guérir. Dounez-moi ce couteau,

le couteau à couper,

car je veux chasser ces chiens

pour qu'ils n'aillent pasderrière moi.»

Les alguazils, avec bonté, se lodieronel cuchillo por el cor- lui donnèrent le couteau par le tran- Melisselde, con malicia, [tar6. Melisselde, avec méchanceté, [chant, se lo ehcajo por el cortar6. le lui enfonça par le tranchant.

1 Qualité. Cf. le français t trempe

s Variante : Noche buena, noche buena, noches son de enamorar. Oh ! que noche, la mi madré ! no la puedo soportar, dando vueltas por la cama como pescado en la mar. Très hermanicas eran ellas, todas las très en un andar. S^lto la mas chiquitiea de ellas Yo relumbro como el cristal. Dormais, dormais, mis doncellas. Si dormis, recordad ; mieDtras que sois muchachas, guardados la mocedad. Manana en casando. nos os la dejan gozar.

3 Judéo-espagnol.

* Falta.

5 Judéo-espagnol.

« Corte.

Bonne nuit, bonne nuit,

ce sont des nuits de devenir amoureux.

Oh ! quelle nuit, ma mère !■

je ne peux pas la supporter,

en me tournant dans le lit

comme un poisson dans la mer.

Elles étaient trois petites sœurs,

toutes les trois d'une même marche.

La plus petite d'elles repartit :

Je reluis comme le cristal.

Dormez, dormez, mes demoiselles.

Si vous dormez, rappelez-vous ;

tant que vous êtes jeunes,

gardez votre jeunesse.

Demain, en (vous) mariant,

on ne vous en laissera pas jouir.

120

HE VUE DES ETUDES JUIVES

Romance Vin.

Donde os vais, caballero? Doûdc os vais y me dejais? Très hijicos chicos tengo, lloran y deniandan pan.

Os déjo campos y viîlas,

y por mas média ciudad.

No me basta, caballero, no me basta para pan. »

Echo la su mano al pecho, cien doblones le daba :

Si â los siete no vengo, al ocheno l os casais. » Esto que oio su madré, maldicion le fué echar. Paso tiempo y vino tiempo, escariîïo * la vencio. Aparose à la ventana,

à la ventana de la mar. Yido naves galeonas, navegando por la mar :

Si venais al mi hijo, al mi hijo el caronal 3?

Ya lo vide al vuestro hijo, al vuestro hijo el caronal. La piedra por cabecera,

por cubierta el arenal.

Por demas très cuchilladas *,

por la una entra el sol,

por la otra el lunar 5,

por la mas chiquitica 6 de ellas

entra y sale un gavilan. »

Esto que oio su madré,

a la mar se fué echar.

No os eches, la mi madré, que yo soy vuestro hijo caro- nal.

Traduction.

allez-vous, cavalier? allez-vous et me laissez? J'ai trois petits enfants

(qui) pleurent et demandent du pain.

Je vous laisse des champs et des vignobles,

et en plus une demi-ville.

Cela ne me suffit pas, cavalier, cela ne me suffit pas pour (acheter) du

pain. » Il mit sa main dans la poche, (et) lui donna cent doublons :

Si je ne viens pas dans sept (ans?), au huitième mariez-vous.

Sa mère, qui a entendu cela,

lui lança une malédiction.

Un temps passa et un autre vint,

le désir (de le revoir) s'empara d'elle.

Elle regarda par la fenêtre,

par la fenêtre qui donne sur la mer.

Elle vit des navires-galions

qui naviguaient sur mer.

Avez-vous vu mon fils, mon très cher fils?

J'ai vu votre fils, votre très cher fils.

(Il avait) une pierre comme chevet,

la grève pour couverture.

De plus trois blessures,

par l'une entre le soleil,

par l'autre la luae,

par la plus petite d'elles

entre et sort un épervier.

Sa mère, ayant entendu cela,

fut pour se jeter dans la mer.

Ne vous jetez pas, ma mère,

car (c'est) moi (qui) suis votre très cher fils.

1 Octavo.

2 De l\nf. escarinar « soupirer après dresse, bienveillance, affection ».

3 Caro.

k Littéral, c taillade, estafilade

5 Voir Romance 6, note t.

6 Voir Romance o, note 1.

cVst un mot corrompu de carino « ten-

» .

Una vez que sois mi hijo, que seùal dabais por mi? Bajo la teta izquierda, teneis uu benq l lunar. (Tomaron mano eon mano, junto se echarou à volar\)

RECUEIL DE ROMANCES JUDEO-ESPAGNOLES 121

Puis que vous êtes mou fils, quel signal m'en donnez- vous ?

Sous la mamelle gauche, vous avez une tache lunaire. (Ils se prirent par la main et s'élancèrent ensemble pour s'en- voler.)

Romance IX.

Asentada esta la reina, asentada en su puerta3. Dolores de parir tiene que no las pode soportar.

Quien tuviera por vecina a la reina la mi madré; cuando me toma el parto,

que me tenga piedad. » Salto la suegra y le dijo como palabras de madré :

Andados, mi nuera mia, al serrallo de vuestro padre; cuando os toma el parto,

que os tenga piedad. Si es por mi hijo, yo le 66 gallinas enteras y pichones a almorzar. » Estas palabras diciendo, el hijo4 que llegaba :

A todos veo en casa; la mi esposa donde esta?

La tu esposa, mi hijo, Se fué al serrallo del padre, cuando le toma el parto,

que le tenga piedad. A mi dijo zona y puta 6,

Traduction.

La reine est assise,

assise à sa porte.

Elle est en travail d'accoucher

qu'elle ne peut pas souffrir.

Que n'ai-je comme voisine la reine ma mère;

(afin que) lorsque le travail d'accou- chement me saisira, elle ait pitié de moi. » La belle-mère répliqua et lui dit avec des paroles maternelles :

Allez-vous-en, ma belle-fille, au palais de votre père ;

(afin que) lorsque le travail d'accou- chement vous saisira, elle ait pitié de vous. Quant à mon fils,

je lui donnerai des poules entières et des pigeons à déjeuner.» En disant ces paroles, le fils arriva :

Je vois tout le monde à la maison ; est mon épouse?

Ton épouse, mon fils,

est allée au palais de son père,

(afin que) lorsque le travail d'accou- chement la saisira,

il ait pitié d'elle.

Moi, elle m'a appelée prostituée et coureuse,

1 Mot turc signifiant moucheture, tache.

2 La romance 1 se termine par un semblable distique.

3 Var. : portai, « portique, vestibule ».

* Var. : el bueu rey « le bon roi ». 5 C'est l'hébreu rTDTT.

* Var. : puta y turca, « gueuse et turque >.

122

ME VUE DES

a ti, hijo de mal padre. » Esto que oio el hijo ', à su esposa fué a matarla. (La suegra le dijo :

Un hijo os ha nacido como la lèche y la sangre; un seîiai sea este hijo.

Que revente con la madré. » Sait 6 la créa tu ra y dijo :

Si mi madré dijo tal cosa, de la cama que no se levanle.» Esto que oio el padre,

à su madré fué a matarla ').

ÉTUDES JUIVES

et toi, fils d'un mauvais père. » Le fils, ayant entendu cela, alla tuer soa épouse. (La belle-mère lui dit :

Un fils vous est comme le lait et le sang ; que ce fils soit un (bon) signe.

Qu'il crève avec la mère. » L'enfant répliqua et dit :

Si ma mère a dit une pareille chose, qu'elle ne se lève point du lit. »

Le père ayant entendu cela, alla tuer sa mère.)

Romance X.

Una fuente en hay Sofia corriente de agua fria. Quien bebia de aquella agua. al aïio prenada venia. Por su negra3 ventura, la infanta beberia. Parida esta la infanta, parida esta de una hija. Por encubrirlo del rey, hizose de la hacina^. Envio llamar al conde. al conde que ella queria.

Traduction.

A Sofia il y a une fontaine,

un courant d'eau froide.

Qui buvait de cette eau-lù,

devenait enceinte dans Tannée.

Par sa mauvaise chance,

l'infante (en1) a bu.

L'infante a accouché,

elle a accouché d'une fille.

Pour la cacher au roi,

elle simula une maladie.

Elle envoya appeler le comte,

le comte qu'elle voulut (ou aimait).

1 Var. : el rey desenvaino su espada, t le roi dég

2 Variante : Y en medio del camino. mujdegi* le ha venido, un hijo de buen siman b le ha nacido.

Sea buen siman este hijo.

Que revente con la madré ; à mi madré puta y turca, à mi , hijo de mal padre.

Si tal tiene haher c mi hija, de esta cama que no se levante. Torno el hijo à su casa por matar à la madré, y la mato à la madré.

3 Dans notre jargon, negro est synonyme de malo. * Voir romance 7, note 5.

a Adjectif turc signifiant bonne et heureuse nouvelle.

b L'hébreu flQ^D.

c Mot arabe signifiant information, instruction, avis.

ama son epee ».

Et, à mi-chemin,

un porteur de bonnes nouvelles lui vint, (et lui dil qu'jun fils de bon augure lui est né.

Que ce fils soit un augure.

Qu'il crève avec la mère ; (car elle a appelé) ma mère coureuse et turque, et moi, fils d'un mauvais père. - Si ma fille (en) a la moindre connaissance, qu'elle ne se lève plus de ce lit. Le fils s'en retourna chez-lui pour tuer sa mère, et il tua sa mère.

RECUEIL DE ROMANCES JUDÉO-ESPAGNOLES

123

El conde que haiga oido, no retardo su venida. Camino de quince dias, en ciuco le tomaria.

Es te i s en buena ora, infanta,

Bien venido, el coude. Tomeis esta hija,

en puntas de vuestras faldas *.

A la entrada de la puerta, cou el rey se encontraria. El rey demando al conde : (—que llevais en punta de las faldas1?)

Almendricas verdes llévo, gusiizo 3 de una prenada.

Dadme a mi unas cuantas, para mi hija la infanta. » Estas palabras diciendo,

la creatura lloraba. El rey demancio à los suyos, que cousejo le daban. Udos dicen que los mate, otros dicen que los case, al rey mucho le place *).

Le comte, ayant entendu (cela), ne tarda pas à venir. Un chemin de quinze jours, il le lit en cinq.

Soyez en bonne heure, infante.

Soyez le bienvenu, comte. Prenez cette fille,

dans les pointes des basques (de)

votre (habit). A l'entrée de la porte, il rencontra le roi. Le roi demanda au comte : (— Qu'est-ce que vous portez dans les

basques de votre jupe?)

Je porte de petites amandes vertes, le goûter d'une femme grosse.

Donnez-(en) moi quelques-unes, pour ma fille l'infante ». Pendant qu'il disait ces paroles, l'enfant pleura.

I^e roi demanda aux siens quel conseil ils lui donnaient. Les uns disent qu'il les tue, les autres disent qu'il les marie, (le roi y prend un grand plaisir).

(A suivre).

1 A Andrinople, on prononce : aidas. Ce n'est qu'à Salonique que l'on prononce cette /'initiale dans ce mot.

* \ ar. : que llevais el buen conde, en el t'aldar {sic!) de la camisa ? « que portez- vous, bon comte, dans les basques de la chemise ? »

3 En judéo-espagnol, avant-goût. Prononcez gustijo.

4 El buon rey que oio esto, del conde se vangaria.

NOTES ET MÉLANGES

LES JUIFS ET LES JEUX OLYMPIQUES

On sait que le mot talmudique on correspond au stade gréco-ro- main. Voici ce que nous lisons à ce sujet dans Baba Mecia, 33 a : « On est obligé d'aller aider à relever un animal tombé sous sa charge, quand on le voit à une distance assez rapprochée pour qu'on puisse se considérer comme en face de l'animal (ii^tu man W5S M), c'est-à-dire à la distance de 2/15 d'un mille, qui valent un on ».

D'après les autorités les plus compétentes, le stade gréco-romain valait 1/8 de mille. Nous laissons aux spécialistes le soin d'ex- pliquer la différence que présente cette évaluation avec celle du Talmud. Nous devons ajouter pourtant que, parmi les diverses longueurs du stade indiquées dans les Ancient Welghts de Hussey se trouve aussi cette mention que sept stades et demi valaient un, mille, ce qui correspond à l'indication du Talmud l.

La Mischna, Baba <Kamma,YU, 7, dit qu'on ne peut établir des pièges pour les pigeons qu'à une distance de trente on des habita- tions. D'accord avec l'indication talmudique reproduite plus haut, Raschi dit que 30 Kiss valent 4 milles. Nous voyons donc qu'à l'époque de la Mischna, le on était une mesure itinéraire, comme le stade chez les Romains et les Grecs.

Mais le on hébreu répondait aussi au stade dans le sens de « lice, arène », comme le stade olympique. Ainsi, on lit dans Can- tique rabba sur i, 3 : « L'édifice enseignait R. Eliézer avait la forme d'un riss; il s'y trouvait une pierre sur laquelle s'asseyait le docteur ». C'était donc un édifice oblong dont les élèves et les auditeurs occupaient les côtés, comme les spectateurs dans le

1 Cf Smith, Dict. of Greek and Roman Antiquities, New- York, 1878, p. 909.

NOTES ET MÉLANGES 125

stade, et, à une des extrémités, était une élévation se tenait le maître.

Cette forme oblongue du rlss ou stade nous fait comprendre l'expression p? bo D*i employée (Behhorot, IV, 2) pour désigner les paupières avec leurs cils, ainsi que l'expression de Rab Papa, qui dit (ib., 38b) : «Wi Sia ffmn, « la ligne extérieure de l'œil ». Cette ligne correspond, en effet, à la rangée extérieure des sièges d'un stade, tandis que l'orbite oblongue de l'œil est comparée à la circonférence du stade.

A l'hébreu on correspond le chaldéen Non ou KO"1*}, qui, par conséquent, signifie aussi « carrière, lice », comme dans le Tar- goum de Genèse, xiv, "7, qui rend ^bttïi pft* par tsobm ND'n rna, expression qui se trouve aussi dans le Targoum de Jérémie, xxxi, 10, pour traduire traDïl ^œ.

Comme son équivalent hébreu, le terme chaldéen signifie éga- lement les paupières, par exemple, dans le Targoum de l'Ecclé- siaste sur xn, 2, le Targoum Yerouschalmi de Lévitique, xxn, 22, et de l'Exode, xin, 16; dans ce dernier passage, il signifie peut- être « sourcils ».

Il sera peut-être intéressant de rappeler, à propos de ces expli- cations philologiques, que les Juifs de la Palestine participaient indirectement, comme négociants, aux jeux olympiques. On peut en conclure qu'à l'époque talmudique ces distractions populaires avaient déjà perdu leur caractère religieux, autrement les Juifs n'y auraient pris aucune part, même à titre de marchands. Ceux qui connaissent l'antiquité gréco-romaine savent qu'à l'occasion des jeux olympiques on organisait des foires ou expositions com- merciales. De toutes les parties du monde affluaient des mar- chandises à Elis, Ephèse, Athènes, et dans les autres villes s'organisaient ces jeux, et un passage du Talmud de Jérusalem montre indirectement que le chargement de navires pour ces foires était devenu un fait normal, dont la loi juive avait à s'oc- cuper. Voici ce passage (j. Baba Mecia, 10 c) : rmanb aïTH ©3 la t-mbm tk ïnaïflDp pmntt tpo-nb *pEns*n "pbw piso ym to [et non «non] «na abj< aman -it "pa paoïop.

On sait par b. Baba Mecia, 65 tf, que le mot nutg, « sourd, si- lencieux », désigne une forme d'intérêt qui consiste dans le pro- cédé suivant : Quelqu'un vend des marchandises avec la condition que l'acheteur paiera à une époque déterminée, et aux prix qu'elles vaudront à l'échéance. Par exemple, A vend de la bière à B au mois de Tischri, elle coûte peu, avec la condition qu'elle lui sera payée au mois de Nissan, elle est plus chère, selon le prix qu'elle vaut en ce mois. C'est un intérêt sourd ou silen-

120 REVUE DES ETUDES JUIVES

deux, car, en réaliïé, A paie des intérêts pour le délai que B lui accorde ; mais ce procédé est licite.

p-jDip (lisez pûDTDp ou ynooiDj») est le pluriel de çsctoç ou sex- tarius, la seizième partie d'un modius.

Ce passage doit donc être traduit ainsi :

« Si quelqu'un avance de l'argent à un autre, comme font, par exemple, ceux qui avancent des capitaux à des commerçants qui s'embarquent pour les jeux olympiques, avec un bénéfice de deux ou trois sexterces par mode, il n'est pas considéré comme prêtant à intérêt (ce qui est défendu), mais c'est Brinà. »

L'opération commerciale dont parle ce passage est simple. Un capitaliste avance des fonds à des commerçants qui veulent se rendre aux jeux olympiques, pour qu'ils puissent acheter du blé, à la condition de prélever deux ou trois setiers par mode : il touche donc, outre le capital avancé, les 2/16 ou 3 16 du bé- néfice.

On voit, par conséquent, qu'ici le mot tron est pris tout à fait dans le sens de cxàoc&v ou stadium, «jeux ». En même temps, il jette un certain jour sur les rapports internationaux de ce temps et leur influence sur le développement des langues.

L'étymologie de cm est certainement on, variante de yn; ce mot signifie donc cursus et aie même sens que son équivalent latin stadium ou le grec oràBiov.

Philadelphie.

M. Jastrow.

UN VIEUX CATALOGUE

On sait que le manuscrit arabe original du grand ouvrage phi- losophique de Saadia se trouve dans le ms. 127 du recueil Firkowitsch à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg. Or, sur le recto de la première feuille on remarque un catalogue (écrit en arabe) des livres les plus divers qui, comme l'établissent les premières lignes, formaient l'objet d'un gage. Ce catalogue est oblitéré et illisible en maint endroit ; cependant les parties lisibles présentent un grand intérêt et, aussi bien, de pareils catalogues sont-ils assez rares, pour justifier notre publication.

NOTES Et MELANGES 127

Je vais reproduire le texte ligne par ligne et marquer par des points les portions disparues ou illisibles *.

ÏNa NE rHb?a3 )i2 nnNsnbtf nantis

Êbran c-m: pretnaa-i msïri D^tba tîo ^pen* ..ritoa fafflïr

rhstrô» mabn Nnb^E

Vp^t:i b^oa rraKh rte&a mb™ msbn pi û*bn an»

pn*"1 'ai3 BTpBi ^aiT^i narai ms-n "iyi .... Artéa ... 5

tr-jDVwi yioirp ... od p-n *h ... «m D^tà+pb

. . . ■••'«ri 5Î3 fîtàxbà aansi . . . ni^iats ^«n iîw èî-pB

...'m-iiN-i'sbN atfna b*>H&m msbn kjstd p: fîbJE an rvfoSïi «»p

....â&ra \n aabén ïrspSnM aàno p^nsrabtfi nJH&rrabK axna

p-.n nbân yz^i ^po^si b^o» ^d â»ns .... in

.... ûrrâ b^sm nbâîj b"»ilbst n?:ba -p aaa. . . . Éhurrrâ .... hinio nb& rnàana anaripb p bira drrpa

afcHfcÔN "W Nl^Dp ÛN3D1 'b"HJl mabn à'N33N I?3 T*1^3 Nina 1Z5TPB.. .

adh rtfianb won ....

Outre ces quatorze lignes il y a encore quelques débris de trois autres lignes, mais je n'ai pas pu les déchiffrer.

Voici le nom des ouvrages, par ordre de groupement litté- raire :

1. Bible et commentaires :

Josué et les Juges (et probablement Samuel et les Rois). (Ligne 6 . . .os doit se lire sans doute piDD). Lékah Tob de R. Tobia b. Eliézer sur Genèse et Exode (1. 12).

2. Talmud :

Le mot araa sur la ligne 5 ne permet pas de deviner de

quelle partie du Talmud il est question. Un commentaire sur [Baba] Batra (1. 13).

3. Midrasch :

Mechilta (1. 3).

Midr. sur les Psaumes (1. 4).

Midr. Haschkem (1. 2) -.

4. Ouvrages halachiques :

Halachot guedolot, exemplaire, sur b*nM et l^ta (1.4).

1 L'administration de la Bibl. irapér. de Saint-Pétersbourg a bien voulu me com- muniquer le ras., dont M. Landauer s'est servi pour son édition du Kxtâb al-Amâ- nât. De ce ms. j'ai publié la 7e partie encore inédite (D^D^n D^nn 172N73) dans la Festschrift zum achtzigsten Geburt&tage Morttz Steinschneider's.

* V. Zunz, Gottesd. Vortr., p. 281. Le Midrasch Hascbkem roulait aussi sar des matières halaeh ques. Voir Steinscbneider, dans Geiger, Jiidische Zeitschrift, II, 76. On le cite depuis le onzième siècle. Voir Steinschneider, l. c, I, 306.

128 REVUE DES ETUDES JUIVES

Un abrégé des Halaohot (1. 3), probablement les n*ûbn

manstp ou nwop 'ri. Deux exemplaires des « Mots des Halach. gued. » (1. 13).

Il est question des mots difficiles de cet ouvrage ; ainsi

Scherira a expliqué les mots difficiles de certains traités

du Talmud !. Les Halachot de R. Isaac (Alfâsi) sur la 3e partie du

Talmud, trii» TO (1. 2). De même sur Berachot, Sabbat, Eroubin, Pesahim (1. 5). (Peut-être s'agit-il aussi ligne 8 d'Alfâsi, niba = mil, il

serait question de [Baba] Meçia. Dans la même ligne

attp désigne B. Kamma, et anm de 1. 13 B. Batra). Œuvres de Haï : un commentaire sur un traité quelconque

du Talmud (1. 7) ; peut-être nrra TiD «TTD.

Le livre des Serments (nviao = rrpnniû ^ûdvk ou i-vw m^na©) 1. "7.

Le livre de la Sécurité (l. 1) = "p^ia^rt nDD.

Les règles du droit civil ou commercial imam rrobn (1. 8) ; =m515aîQ "W.

(L. 11 tnnaw ïïbàE désigne un ouvrage sur le même

sujet ; de même l. 6 arn doit se lire tprum ; yn trî^b

ù^-iktj serait un livre d'extraits sur ce sujet). Le « Livre des successions » (1. 8) est peut-être identique à

l'ouvrage de ce nom que composa Saadia. Il se trouve

un ms. de cet ouvrage à la Bodléienne (n° 543 dans le

catal. de M. Neubauerj. On doit publier sous peu l'édition

qu'en préparait feu M. Joël Mùller. Le « Livre des témoignages et contrats » (l. 9) est peut-être

la forme achevée de l'ouvrage de Haï qui, sous le titre

de traonn ^asmîtt, est joint à la traduction hébraïque du

""ûïïtti npft 'o, comme le 'pDiattii 'o mentionné ci-dessus. Le « Livre du lévirat et du divorce » (l. 9) est désigné

comme faisant partie d'un ouvrage plus considérable. La 1. 10 parle d'un « Livre de Consultations et Réponses »;

cela fait probablement allusion à des n'Yia de Gaonim. 5. Liturgie :

« Les prières du 9 d'Àb » (1. 14). G. Poésie :

Une Kasside (amop = trr»afcp) de contenu moral (n&nabà =

awbK, en hébr. noiE), sorte de poème didactique, comme

le tooin ■n&itt de Haï.

1 Voir mon ouvrage : Leben u. Werhc des Abulwalîd, p. 85.

NOTES ET MELANGES 12U

Je relèverai encore les points suivants dans le catalogue en question : Le metteur en gage s'appelle Manassé Irâki (= ^baa) 1. 2.

Un copiste est mentionné sous le nom de Saloraon al-Wakîl (= rwraa), I. 11. Un livre est désigné comme écrit sur papier, 1. 10. (Cf. 1. 6 : p-n.1»).

Ce catalogue paraît être du xne siècle, comme la copie du Kitàb-al-Amànàt.

W. Bâcher.

LE POUR1M DE NARBONNE

Zunz (Ri/us, 127 et s.) et M. Simonsen (Monatsschr., XXXVIII, 524 et s.) ont dressé la nomenclature des Pourim qui ont pour objet de rappeler la délivrance miraculeuse de certaines commu- nautés. Il faudra dorénavant ajouter à cette liste le Pourim de Xarbonne, qui se célébrait le 21 adar, en souvenir du 21 adar de Tannée 499G (1236).

A en croire, en effet, R. Méir b. Isaac de Narbonne, qui rap- porte le fait, à la fin d'un manuscrit d'Alfasi sur Meguilla qu'on vient de découvrir à Jérusalem » et d'envoyer à la Bodléienne-, l'existence et les biens des Juifs dans le tiers de la ville qui leur était concédé 3 furent menacés ce jour-là d'un grand danger.

Un Juif, se querellant avec un pêcheur chrétien, avait asséné à celui-ci un coup si violent, qu'il dut faire appel à un médecin. Le pécheur, dont le document a conservé le nom4, succomba à sa blessure, c'était plus qu'il n'en fallait pour se jeter sur les Juifs et venger le sang chrétien. La maison de Méir b. Isaac dut subir la première l'assaut de la foule exaspérée, elle fut pillée de fond en comble et la bibliothèque de R. Méir tomba entre les mains des saccageurs.

Mais, par bonheur, au moment la colère populaire allait se déchaîner contre tout le quartier juif, Don Aymeric 5, le gouver-

1 Voir A. Wertheimer, ÛibE31T "^33, I, 9- * Neubauer, Mediaeval Jew. Chronicles, II, 251.

3 Cl'. Neubauer, Bévue, X, 99.

4 Wertheimer ht N-pnbND et M. Neubauer N3"pb"nD.

5 p'Hïa^N 1"H "pTabïSn ; au lieu de ùbl3>b rPJ~P "JttJN il faut lire sans doute avec M. Wertheimer nbl^b TH TTtDN. De même, au lieu de : [wfïy VTl l3nTJ[b], Hre : ^ITir ^9 Ttt.

T. XXXII, 63. 9

130 BEVUE DES ETUDES JUIVES

neur de Narbonne, parut à la tète des autorités municipales qui s'étaient jointes à lui pour protéger les Juifs. La foule fut disper- sée, l'ordre rétabli, et même le butin fait par les agresseurs fut rendu aux propriétaires. Méir b. Isaac rentra dans la possession de sa bibliothèque et il s'empressa de marquer l'événement, le Pourim de Narbonne, sur un de ses livres.

D'après M. Wertheimer, ce serait Jonathan ha-Cohen de Lunel qui aurait écrit ce récit; seules les dernières lignes seraient de la main de Méir b. Isaac. Cette assertion ne mérite pas d'être réfutée.Tout le récit est de Méir b. Isaac, qui n'a inscrit la men- tion du miracle que pour en avoir été lui-même l'objet1. Jonathan ha-Cohen2, qui dans sa jeunesse avait été le disciple de maîtres illustres à Narbonne, était déjà parti depuis vingt-cinq ans (en 1211) avec les rabbins de France et d'Angleterre, pour la Pales- tine 3.

David Kaufmann.

ABRAHAM B. ISAAC DE PISE

C'est au 10G des Consultations de R. Menahem Azaria di Fasio4 que nous devons de connaître l'activité rabbinique d'Abra- ham b. Isaac de Pise. Or, cette Consultation est tronquée, comme le prouve le défaut de titre et de date. C'a donc été une bonne fortune pour moi de retrouver dans un manuscrit de ma collec- tion l'histoire et la forme primitive de cette Consultation.

Un savant scribe de phylactères, nommé Méir de Mantoue ■% s'étant vu attaquer au sujet de la façon d'écrire les commen- cements des lignes des quatre paragraphes des phylactères par un nommé Benjamin, dut prendre l'avis des plus hautes autorités rabbiniques de l'Italie.

Notre manuscrit commence par reproduire la réponse de R.

1 Au lieu de : nbnn ib? "îrnaai, comme le veut M. W., il faut lire avec

M. N. imam.

2 Mediaccal Jew. Chronicles, I, 84.

3 rmrp uDpj éd. Wiener, p. 113 ; Zunz, Ges. Schriften, I, 167. * Revue, XXVI. 96 ; cf. XXXI. 05 et suiv.

5 C'est Meïr b. Ephraïm, le scribe connu des rouleaux de loi et l'imprimeur fameux de Mantoue (v. Zuuz, Zur Gcsc/i/ck(e, p. 252 et s. et 257'.

NOTKS ET MÉLANGES 131

Méir b. Lsaac Katzenellenbogen1, le chef vénéré de la communauté de Padoue, adressée à R. Kalman. Celui-ci, R. Kalonymus b. Eliézer, rabbin de Mantoue, avait soumis le cas à R. Méir de Padoue ainsi qu'à ft. Nathan b. Menahem Eger, rabbin de Cré- mone. R. Méir répondit, le "20 décembre 1544*, et R. Nathan le 21 tébet 1544».

Abraham de Pise, à qui on décerne constamment le titre de Gaon, l'ut sollicité par le scribe lui-même de donner son avis. On voit à présent que la Réponse, telle qu'elle se trouve dans le recueil de R. Menahem Azaria, est formée de la réunion de deux avis, l'on a omis tout ce qui est personnel, le début et la con- clusion, les titres et les dates, bref tous les détails biographiques.

Le titre de la première Consultation et son commencement sont ainsi conçus :

Y's^ nbioïi -PS» '?aab so">s!à l'±i brhas *i"n?aa ^etert nba aria «"■>b ra 'b^i-n '3 tpan wbàn '^"«atahb inrra "^mbàtD 'tons ^aa ■'àb bi* jhM ^min xw im37a fc-n^TwX iw\b b**3jo m^ tsarrn nanb ■jn ii mxpa ^n irbn xbi «fiwroan 'java 'imbx «va «nn^Etai ^bm iba ma» û^ïïi Y573 nbaia -:n b? haiibfch 'iai ^an:; «b nra 'pnapj» \s 'nan Ï8E73 wb^ij

...ïimnB ïrûnan m-»- ûk

Pour montrer la manière dont ont été fondus les deux avis, je reproduirai la fin du premier et le début du second. Après une digression halachique que R. Menahem Azaria laisse de côté, R. Abraham conclut :

&">n aa^: ^«3 r-irpbrn hana teNee b^fa hhnD 33b aan rtfiMi 33m 33'^ *ra:S bbî*n ^ék '^sib«m tràifctan îie- ^1^ ^j'ina a^bnsn ^n ^3 13 p -[mn ï— 77 ^b -i-itsjo ^inhK^ ka^a ■'à a bnb traradHi rnyèa ,;>d« aarrà ^iribn ^s ^asb Ibjrsnb n:ab Hssnnn nta& ibri r»mnb j^ri ftbd T?:bn m ïrb^ari 'ibbn '"an bbaa rprtN in \b pmn ^cb ■nbi S-»p'33 ^rnàrn -mn b^î:p -j* ni- inânatiJ" r-!7a bai «frin/àai tnirb ^îaS ïitd "nana a&i '■•aTwii ra '^pipia "*3t:p 'ijfc* i"i "^rinzh ï'rV< ['ml.Dm] •ft'roh ^^iin rrrmTaai ^^ laan ^Dibân Tmn }»fc niN';ïï batt iab^*>i nrhin m* -pan r-psan 'a pria N3->d73 -i"^ ù'rnlà pprt a«3

TO '7^ m

1 Cette Consultation se retrouve dans son recueil au 77.

2 En tète du ms. il y a ces mots : ")"£i pn£i 13 -p«73 Y"in"l733 Plb«3 an3

Ta 'OTt*i 3 Yar (rayé) 530 ûwsibp nYmnab fia"lû33W HD naY'IRSM

K"">b« l-a Consultation imprimée ne se trouve dans le ms. que jusqu'au 126, 1. 11.

3 B. Nathau signe flTana Y'È ma tf"3 fcO:PN 1D3 Tl^an 13».

4 Mer/illa, 28 è. 3 Sot a, 22 a.

132 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

■*nbw Nb ^aan osDNb Êtt w lb« "HEN pwnb in mn« "»b« mbiab npon ïtïti pnan« nmaia in rtr [û"ib©b«=] '©b

i"it"> naion *pkm n»ab Y'ar nd^e>73 annaa nnrn?aa ^isan nbrc ara mr

îob pbb *7tt '7ra:"H îb

nbNttî niBN ■pmb&tia "ans bab nairan fû27a mna ,hpb« ^ana ^nna vrai nar npttn n&nDTan ib« n&na 'lar laanTaa p"»aa 'in ■** ^a-w anaa i-mian ddtj ta *^b hiff npna aai> S-fanssE w fcnSro JiKan ana ûnn7a ^nana maaiann "Hncn Van fiNan ana ba nat"* f^bp nfimtta Bpbwi •■'anum *-)«« "nna npba ûtun "'bats laïa^na sb '-h m nanna 'Tan laf

...airtnn "nm "bibi an ana naiia&n

Ainsi, la couture qui marque la réunion des deux Consultations dans le texte de R. Menahem Azaria se trouve 99 b, lre 1.

Citons encore un passage important de la deuxième Consulta- tion, f° 100 a, 1. 12.

npaa npba Tiana î-itb mt va ©to pibnm innTioTa "pb^Bn èoo *wa Spunn yp ya inann ta*n3D rmtt? ^a najas an Data wipïi ^aroa S-rabn t^aran f<bia orna mna va myin mn ara 73 'a bai nsa annp?a in 'iba m-an rrb y^ofil ^an 'TaiwX 'n ba ^a rnabn ^aa nnnnan npnas fcaaftnn "iaa ">a nnxnnn "pav 'nmn ">a;aa nmn Frwa-i 'nbs msa haa>a ba b^N D^aaiTan '^annnisn'73 mnx '■»a«5!aan û^pnanttn ûipoism nas phlto^tt miaa nbbn car: ian na^ra npna •tr^n nm« nsrai [na^Ji nwa b"an ann naa nraa œ^N *pa 'nim * 'wr* na« "p« ïrpmnizn fmc '■^ponan SaaN mtaa 'ima 'n&wj njma S? '■paa-1 mabna Sni©-' *av nsoa p ynw niaab ansan b"T*i anaia *pm hvt*m naaitta a^aonTan a"!11 abnb nnm yapnb na^-Til ^aisa bo aaab n^lm p*1 ^Tai -iTaNC ^ina nn7aa^ -i37a^n an "nm-^ iïîn û^pnaiTan a^paiDn7a "inwX zi 'a aao ini^b 'nb mpibrra "ian-> «b tni 'b^aoi y^mua Tba nan baa im»3 pnosbi ytib ■niDN Sri 'taa^an b&nc-1 bab lab arji mina» nmaN ^n"1 Nbi bxnc->a nm*»nb nmns n-^nn ©ip 'lansw »*n^ n?aa aa'Tann ba» ria» "»3va n^pin nbirn \nana a*npn ^nnaa isbn 'n^iDsia 'canab nmaib nazm naiuae«"i •^la^j ann ^Dia riTa 'van '73N7an biaa.x î^bi nsaitti laomn dû» "»nb by

nmna n[N]u5a>«3 'Taino boisia Da'Tann

La conclusion diffère absolument et se termine ainsi :

maa> na-jp î-iasaa rtyr* ^a ann rnnao ba> pnbnb n"n \nNa s^b 1381 ï-7Na m>» ^a rna'nn C]niL]7a rnT^n7an ma y^nn ^iaa \m^nbi ^an»»

1 Horayot, Ma.

NOTES ET MELANGES 133

133 tmwDDin S-iû»d!i "nn^inN 'n^ab in ïirnm riaui n"wa n'^SJ dstti ^batN manb ^rcan ^n [vi]bw «b ■pma'iBinn ann "jttîri ">np?a *nn?j Donn ^sb ratnb viana ^m» esn ^aœa pb *pbN ■'narottj ï-rba "nai taen nascn ia us y:?:n je ban TOi^ôna vba [^njanarc rttti ib« ,n?38 •V)"rr:a ^«an ban •-mbue nasJ abcb iban ï-pïtio ">7ûb jn *pb3> ïiiûpi •l-Van m ptaia ppn *iay?7 -nat» iistiN &*»bk ï-nrmttn n"^ "jttbp ■»3 ^rm fo«bE ^rOKbaa "n-îm *;ab y^ïm pm 'n ^na nnNi :*P38 ■ma*" "jwi bai b*i ^b obe** 'm yr> b? a^an -on enn fiai

Abr. de Pise, que nous voyons ici en 1544 honoré à l'égal des plus illustres talmudistes d'Italie et consulté sur des questions religieuses, nous apparaît, malgré sa grande modestie, comme un esprit indépendant qui ne craint aucune autorité. Malgré sa véné- ration pour R. Méir de Padoue, il réfute tranquillement ses argu- ments un à un. Des ouvrages comme ceux de R. Samson b. E'iézer (nENiZJ ^rn) et de R. Ahron ha-Cohen (a^n mm»), qui fut envoyé dans ce temps à Meïr de Padoue pour être imprimé à Venise2, doivent céder le pas à Maïmonide. Il exprime le vœu que, pour arriver à l'harmonie dans les décisions de la pratique rabbinique, on s'entende sur le choix d'un décisionnaire, afin que les avis rendus ne diffèrent plus si complètement d'une localité à l'autre.

Ainsi qu'il ressort de maintes allusions contenues dans ses Con- sultations, il était dans une situation matérielle fort peu brillante. Si je ne m'abuse, ce qu'il dit de la dîme qui va bientôt dévorer tout son avoir, confirme mon ancienne opinion : je disais3 qu'A- braham à Bologne avait beaucoup souffert des contributions que les papes prélevèrent sur les biens des Juifs lors des guerres turques. Nous le voyons ici, d'après ce qu'il raconte lui-même, s'occuper de finances et de banque au service de princes.

Il est tellement occupé qu'il n'a pas le temps de recopier ses réponses. Il supplie donc dans chaque lettre le destinataire de lui renvoyer l'original ou une copie, qu'il veut bien payer. Cela prouve qu'Abraham avait l'intention de réunir ses Consultations en un recueil ; par conséquent, Guedalia ibn Yahia 4 semble bien informé, quand il affirme qu'après la mort prématurée (peu après 1544) de R. Abraham de Pise on trouva de lui des ouvrages ma- nuscrits achevés. Parmi ces ouvrages devait être la collection de

1 Isaïe, vi, 13.

* Zudz, Die Ritus, p. 320. 3 Bévue, XXIX, 147.

* îlbapïl nbwbOi éd. Venise, 65 b : Nb X^IT) '"man H a HO W33«1

ibana.

i:?i REVUE DES ETUDES JUIVES

ses Consultations, qui, si elle pouvait être découverte, nous four- nirait d'utiles renseignements sur sa vie et son activité.

David Kaufmann.

UNE LETTRE DE GABRIEL FELIX MOSCHIDES

A R. JUDA. BRIEL

Les. deux amis Tobia Cohen et Gabriel Félix, qui s'appelaient tous deux, du nom de leur pore, MoschiJes, méritent une men- tion particulière dans l'histoire de la civilisation juive, pour leur amour de la science. Mais, tandis que la vie de Tobia est connue par son activité littéraire et sa condition de médecin atta- ché aux hommes d'État turcs1, on sait Tort peu de choses de la biographie de son ami.

Grâce au registre d'immatriculation des universités de Franc- fort s/Oder, dont le Grand Electeur leur ouvrit l'accès, et grâce à celui de Padpue, j'ai pu rétablir les dates de ses années d'études et le suivre depuis le 17 juin 1G78, il fut inscrit à Francfort, jusqu'au 9 juillet 1083, \\ reçut, « i-adoue, les titres de docteur en philosophie et en médecine 2.

Aujourd'hui, je puis ajouter à ces r.otes un témoignage nouveau ayant trait à sa vie d'étudiant à Venise, grâce à une lettre de sa main que j'ai retrouvée parmi les papiers du rabbin Léon Juda h. Eliézer Briel, de Mantoue, l'adversaire de Néhémie Hiyya Hayyoun 3, qui vécut à la fin du xvn" et au commencement du xviiic siècle.

Ce fut à Venise, et non à Padoue, que les deux étudiants termi- nèrent leurs études de médecine. Le médecin Salomon Cone- gliano4, un des plus célèbres praticiens et savants de Venise, avait, parmi ses nombreux disciples, pris en amitié particulière Tobia Cohen et probablement aussi l'ami de celui-ci.

1 Voir Kaufmann, Dr. Israël Conec/hano, 30 et s.

2 Revue, XVIII, 293 et s.

3 Gh. Népi, î-îD^nb p"H£ "OT, p. 127. Briel signe : ^"183 ^1T au bas d'un épithalame ÏTlirP 5ip, imprimé a Mantoue sur une feuille in-folio, qui célèbre l'union de Benjamin b. Josue 1JOO"'l3 avec Gracia, tille de Moïse Norzi, le vendred 12 schevat 1078 à Parme.

* Kautmann, loc. rit., 8, note 2.

\<>ti<> i;t MELANGES i ts

Nous voyons maintenant, dans la lettre de Gabriel Félix du 23 éloul (c'est-à-dire en été 1682) au rabbin Briel, de Mantoue, qu'il se sentait dès lors capable de passer l'examen du doctorat. Mais il fut pris de la fièvre, qui le mit au bord du tombeau et le força à différer la réalisation de son vœu le plus cher. Un second empêchement fut la pauvreté de ses ressources; il n'avait pas trouvé en Italie de protecteur comme le Grand Electeur à Franc- fort. Il devait s'écouler presque une année encore avant qu'il fût promu au grade de docteur en philosophie et. en médecine, le vendredi 9 juillet 1683; il subit son examen à Padoue devant le professeur Turre, au lieu du comte Frimigelica, qui avait fait conférer ses grades à Conegliano, mais qui, à ce moment, était malade '.

Après ses examens, Gabriel pensa faire une visite à R. Briel, de Mantoue. Apparemment, c'était la science talmudique qu'il ap- portait des écoles de Pologne qui lui avait valu l'amitié de l'émi- nent rabbin de Mantoue, lequel était d'origine allemande. Le père de Gabriel, Moïse, de Brody, devait être, à en juger par le titre que lui décerne son fils, versé dans les études rabbiniques et peut-être rabbin à Brody. En 1682, année la lettre est écrite, il vivait encore.

Gabriel avait probablement à Mantoue d'autres amis encore que que le rabbin. Ainsi, Ellianan Rovigo était tellement lié avec lui que, ne recevant pas de réponse de lui, il croit devoir attribuer ce silence à la perte de sa lettre.

En outre, parmi les médecins de la ville il comptait déjà beau- coup d'amis et de connaissances.

Cette lettre, spirituellement tmrnée en langue hébréo-talmu- dique est actuellement tout ce que nous possédons d'écrit de la main de Gabriel Félix. En eff't, ce qu'on appelle l'arbre de Por- phyre de la grammaire hébraïque, le rouleau que Gabriel et Tobia dédièrent au Grand Électeur de Francfort, n'est pas nécessairement leur œuvre, mais ce chef-d'œuvre de calligraphie est plutôt à un écrivain de profession -.

Si je comprends bien les lettres initiales dont se composera marque de son cachet, il en résulte que, déjà dans l'été de 1682, Gabriel espérait devenir docteur. Au bord supérieur du cachet, il y a un casque (au bord inférieur il y a une balance), on voit ces groupes de lettres GFMP et HMDB, et à droite, au-dessous du dernier groupe, ce mot : i:..

1 Ibid.. 7, note 2.

2 V. Steinschneider. D>c kebr. Haudschrifieii der kônigl. Bibliothek zu Berlin, 18. n. 7.

136 REVUE DES ETUDES JUIVES

J'explique ces lettres de la façon suivante : Gabriel Filius Moy- sis Polonus llebraeus Medicinse Doctor (ou andus) Brodensis. Quant au mot hébreu, il fait allusion à sa situation d'étranger en Italie.

La lettre contenait un pli que Briel devait envoyer au plus vite à Innsbruck. Cette indication est une nouvelle preuve de l'existence des Juifs à la fin du xvn° siècle dans la capitale du Tyroi. les deux amis s'étaient arrêtés, dans leur voyage à Padoue1, vi- vaient des Juifs qui étaient en relations avec Gabriel. D'ailleurs, nous connaissons, au xvnc siècle, un cabbaliste, Claudio Mai, Schemaya b. Méir Lévi Horwitz2, qui se convertit au christia- nisme et qui était d'innsbruck. On possède encore d'autres indices d'une colonie juive dans cette ville 3.

David Kaufmann.

APPENDICE

tt a

r:"n mabn bus ï^bvi ibTi ^bnbn rm^np ''iionb ,(i35 •û'Wn dan "p '"staai i-noann n"^ n"- '13 absittn b*nan ann ^an ^hn 'iïin Nmm ^TiniM '7m 73 ©b 'pb^n ^bvi yipi yip S? mnm rna,mb arji

mn ■par -par ria ii3inn©m miDibnn winDïï mniffl mm-i mna mnec mioan "nriN Sabi ■rç-nab 'ibra '1721b© miwsbTo t-naia» masna "piacn Sittb '•»3irm ^bnaiTD \-rpmN i-na ma ^at ié«f împ b^rn '^DDinonn narrât immoîa î-rb^M r-manna '■nTai&n &r^ 4n"3> '"«Bisa ^didti \nana ^nna ">b a^tsnb» '^aa "Wk "Hi (njam» t^nn infusa tammofin t]i< '"«a p"«N ^n» vut» s^ïb mna miaï '^bn manb vpbt abi *m8b sa ib vans «jpTn pnba "-nrja a-nsn t^bsiTsn ^em ïamwa toa

1 Zuuz, 6^-s. Schriften, I, 193.

2 Kaut'mann, Z>»e tete/e Vertreibuny d. Jioden aus Wien, 22, note 1. Dans la biblio- thèque de Gunzbourg il y a de lui au numéro 62 <ies manuscrits un commentaire sur les Proverbes, sous le nom de rp^TSEJ rO^bft- Par est résolue l'éuigme du ms. 337 d'Oxford se trouve le même commentaire. Schemaya l'a écrit en 1650 à Bolsano et s'y donne aussi pour l'auteur du commentaire i"|b I"Pa sur le Penta- teuque.

3 Cf. Consult. Û"HDN ~I3>0, n" 10, 12 a; Lattes, Notizie e documenti, p. 20 note 5 ; Lôwenstein, Gesc'i. d. Juden in d. Kurj>fah, 228, note 2.

'' Peut-être = yn^Tî 1?.

NOTES ET MELANGES 137

nm« . rrann Ynb y^n «bi « rw*i n^îi ^mbiu anb i-;t "pN Ènttfi nra ^-pja **73ibn fna* ^apb f<ai i»OT»7a lETrua n3T"ï»b rrna ^73273 y-iwNb ipntj ûte ^a a^a "pion ht\< ma? aaa>m «bus aaa rrniNs ■pan ■p'na» '"i3"i^n nna© r<b ta-p baai ,'^ba ^a?: nannsn '^bira sr- ■:;• "»ba» -h-h f-nNpns-in rroai nbpbpn ban 'TiTan ba» a*p ba ">a8 *]b "nnb *vp ndijh * fcna»sa rmbn mabn "p-bai la^biN &nna "ina ^n snrnp ibina rm7:~ "pas ^m arasai -m una> ba> bai» wwma aabTa 4n ina 'to "unac !~it '•Dia ^a maïsn ar**rrp7ax xnaw m-pTan niD« 'lanata '^n D^sn» bnpïa ^bip y-is7a aiao 'lai&OTa b^ an^awa vnba» "»a 'nb tnm 'ibian eaTtata fcabiD» rtnyai .Tin ï-imio tariTan r**b ib pa^caTan H?a"i 'iai;a waa ^a^nb ^Taa ^©«b '■pab 't fna Sab mp« ,"»ba"i amTab R*r»:tin narp ^nab©n 'n S^i 5'*,a mrraa ït yp ^a* *n PP3N ï-nai . î-pn ï-ia^bsta 'tis "«b© 6 iBînaïnn nmia raraa rmnbsn vina ba» inawn nrmp 'iBDinaan Sai ^©im nnaia ©pajan 'an 'm« ©aai namm ïiabTan i©sa m«a mma©

Les lignes suivantes sont cTune autre main :

nr r-rwan ni ta-nD?ab nnba>73 Tiïi ûinTa uîpaî* nmfin Tb«© nnN] *-nTaa©« a-nsoa^a b"»ni23 'Ta i~r©Nn T>b tzpm *'y imaïa b^ na-i ï-rmn«b *-m ■nnbittb a^a-b yina *-i©Na '-no Saaan nar^o n©N

[aTnsoa^Nb 7 vbm ûtth tpai© Bpbwi »"»ba bwnaa 'wna© watn '■^b«Bl naia» "far tt©7a "nn

Epbfitn vwDj wn 'i t«t tt ^a»N3 "amero ^i^n «b ^Taibu: rrnan Y'^ i^nj< a3> Np"ip '"«NDTin -paNbT »rni lanb» nn-a u:N"in

L'adresse :

rtntsa Ta ppb na bN-«na «nnïr "i"nin7aa ^bDi72n bn^n )emn p"«mn ann T»b

■vnau:N nwar"»ai 'p?a

i Comp. : '\-na:n Nin Tnbw.

2 Allusion à Hagiga. 10 a.

3 Pesahim, 25 a.

4 Allusion a la Mischna Schcbouot, III, 1. s Baba K., 80 J.

= Dottorato. 7 Hagiga, 14 a.

BIBLIOGRAPHIE

Neubauer (A.d.), Anccdota Ovoniensia. Mcdiaeval jeioish Chronicles and Chro- nclogical Notes eiited from pnnted books and manuscripts. II. Oxtbrd, Clarendon Press, 1895 ; in-4° de lui + 255 p.

M. Neubauer vient de faire suivre le premier volume de Chro- niques juives1, qui a paru en 18>7, d'un second, qui renferme non seulement des textes connus, avec les variantes des manuscrits, mais encore des textes inédits. Pour l'une et l'autre publication, l'infa- tigable savant a droit à la gratitude de tous ceux qui s'occupent de l'histoire et de la littérature juives. Réunir ainsi, sous une forme élégante et commode pour les vues d'ensemble, les documents les plus variés et les plus importants de l'histoire juive, c'est travailler au progrès de la science.

Ce second volume contient, en fait d'ouvrages connus depuis longtemps : Megdlat Taanit, Sèder Olam et Scier O'.am Zonta.

Le premier de ces ouvrages, une des sources les plus importantes pour l'histoire du second Temple2, est reproduit d'après l'édition princeps et l'édition d'Amsterdam (171 1), ainsi que d'après un manus- crit de la Bibliothèque de Parme, (p. 2-25), avec des variantes tirées d'autres manuscrits. Le texte original de Megillat Taanit , écrit en araméen, est séparé des scolies étendues et plus modernes, de sorte qu'on a immédiatement un aperçu de la Meglllat Taanit proprement dite. C'est par erreur qu'à propos du 7 Kislew (p. 14), on a imprimé en lettres espacées le commencement de l'explication: DVmii nM oi\ qui estainsi ajouté au texte original. La comparaison avec l'indication similaire touchant le 2 Schebat (p. 17) montre que ces mots —même sans tenir compte de leur tournure hébraïque font partie de l'ex- plication. Il en est de même des mots : Oidd n»1 Dir^bib pn DBniB

' Sur ce premier volume, voir la notice d'Isidore Loeb, Revue, XVI, 308. * Voir J. Dereubourg, Essai sur l'histoire de la Palestine, p. 439-446.

BIBLIOGRAPHIE I3fl

«•^pTbn "pria (p. 49, 12. Adar), qui sonl également imprimés en lettres espacées. Une seule faute d'impression m'a frappé dans le texte, généralement édité avec beaucoup de soin : p. 12, 1. 2 du bas, au lieu de sniSIN (= hobr. ïT-ûî^fi), il y a prWTK. Page 10, 1. 3 du bas, il faut corriger N:mn en fconn (cl*, p. 12, 1. 9).

Le vieil ouvrage taunaïiique bbn* mD, appelé habituellement aussi NSI db*)3> "110, est reproduit par M. Neubauer ^p. 26-67) d'après l'édition d'Amsterdam de 1711 et un manuscrit de la Bodléienne (n° 692, H) daiant de 1315, avec citation des variantes de plusieurs manuscrits, les uns complets, les autres ne contenant qu'une partie de l'ouvrage. Un de ces manuscrits contient le chapitre 21 du Sèder O'.am traitant des prophètes (depuis Abraham) comme 5e chapitre, sans doute pour le rattacher à l'histoire de l'époque antérieure à Moïse. M. Neubauer, tenant compte de cette idée tout à fait isolée d'un copiste, donne, dans son texte, deux fois ce chapitre, une fois comme chapitre cinquième, d'après le manuscrit en question, la seconde fois, à sa véritable place, au chapitre 21. J'estime que c'était iuutile. Le fait que le copiste auquel nous devons la transposition du chap. 21 a suivi sa propre inspiration et que l'original qu'il a copié avait le chap. 21 à sa véritable place est prouvé par les mots : BC^Sn N23, qui se trouvent eu tète du chapitre en question Ils y ont été transposés par erreur de la remarque finale du 20e chapitre : p^bo (1 édition rwr^tt) çwan âa:n Np-pD.

Dans la préface, M. Neubauer parle de la double forme du texte de Sèder Ulam : la forme hispano-orientale et la forme franco-alle- mande. L'édition d'Amsterdam et le manuscrit dont il s'est servi pour son édition seraient, d'après lui, les types de Tune et de l'autre formes. Mais M. Neubauer laisse le soin de distinguer ces deux versions à M. B. Ratuer (de Wilna), qui se propose de publier prochainement une édition critique du Sèder Olam. M. Ratuer, qui a montré, par son introduction si étudiée sur le Sèder Olam l, qu'il est particulièrement apte à ce travail, a déjà utilise, pour son Introduc- tion, le manuscrit principal du S. 0. d'Oxford. Dans les premières lignes du texte (p. 26), il y a nbniipn au lieu de nbfflnntt.

L'ouvrage appelé Sèder Olam Zouta, source la plus importante pour l'ordre de succession des exilai ques, est reproduit par M. Neubauer sans variantes tirées des manuscrits (p. 68-72); mais, par contre, M. N. y ajoute deux autres écrits documentaires concernant l'histoire des gueonim et des exilarques (p. 73-88), qui ont été vulgarisés par le You/ïasin d'Abraham Zacuto et pour lesquels il utilise aussi des manuscrits.

Le morceau le plus étendu de ce second volume (p. 133-223), est la relation des voyages de David Reiibeni pendant les années 1522-1525, publiée pour la première fois d'une manière complète. L'unique ma- nuscrit de cet intéressant ouvrage était passé, en 1848, de la Collection

1 Voir le compte rendu de M. Israël Lévi, Bévue, XXVilJ, 301.

440 REVUE DES ETUDES JUIVES

Micliael à la Bibliothèque Bodléienne et, en 1867, en a disparu, on ne sait comment. Heureusement, deux copies eu avaient déjà été faites par M. J. Cohen : un fac-similé, qui occupe maintenant à la Bodléienne la place de l'original et une copie en lettres cursives, qui est maintenant la propriété du séminaire de Bres'.au. De cette der- nière copie, qui n'est pas toujours correcte, un important morceau parut en 1892 (environ un tiers de l'ensemble) dans une dissertation de E. Biberfeld. Maintenant, M. Neubauer publie, sur la foi du fac- similé, tout le jouruiil de voyage de Reùbeni, qui ne put être étudié complètement par Graetz, lorsqu'il écrivit l'histoire de ce singulier personnage. Le jugement de M. Neubauer sur le style hébraïque de ce Journal est digne de remarque : d'après lui, c'est le style d'un Juif allemand. David Reûbeui était bien d'origine allemande, mais il était en Egypte et était versé dans la langue arabe.

Le quatrième morceau de cette collection est une chronique arabe qui s'intitule elle-même, dans l'introduction malheureusement mu- tilée, 4"nNnbN 3«ro (p. 89-110). M. Neubauer la reproduit d'après deux manuscrits de la bodléienne, trouvés récemment en Egypte, et dont l'un ne contient que des fragments très difficiles à lire. Cette chronique repose, il est vrai, en grande partie, sur le Sèder Olam; mais elle contient une division originale de l'histoire biblique et posl-biblique en sept périodes et renferme beaucoup de détails inté- ressants, qui n'apportent pas néanmoins de nouvelles données pour l'histoire et la chronologie. Les sept périodes entre lesquelles notre auteur anonyme répartit l'histoire dont il traite ou, comme il s'ex- prime lui-même, les sept parties (Dtfûpa 'T), sont les suivantes : De la création du monde à la naissance de Noé, 1056 ans; jusqu'à la naissance d'Abraham, 892 ans; jusqu'à la naissance de Moïse, 480 ans; jusqu'à la naissance de David, 486 ans; jusqu'à la mort d'Ezra, dernier prophète d'Israël1, 594 ans; jusqu'à la fin des tra- ditions (nNWiba nbtf ib«) 2, 81 1 ans; jusqu'à l'époque actuelle ("fwNbK Vjn), c'est-à-dire jusqu'à l'époque de l'auteur, 425 ans. Les deux dernières périodes qui appartiennent à l'époque post-biblique méritent une étude plus approfondie.

Des 811 ans de la sixième période, 380 se rapportent à l'époque qui va jusqu'à la destruction du second Temple (p. 108, 1. 25), 180 ans, à l'époque de la domination grecque et deux fois 103, c'est-à-dire 206 ans, à la domination des Hasmonéens et des Hérodiens (selon la thèse bien connue de Yosè b. Halafta, Sèder Olam, fin). Il aurait donc fallu dire 386 ans, et non 380. Cependant, il n'y a pas ici de faute de copiste, car, dans les chiffres qui suivent, on table aussi sur

1 Ezra est identifié avec Malachie.

2 'pTlINlbN "DN "^N, comme M. Neubauer le donne d'après l'un des deux ms„ n'a pas de sens, car dans ia dernière période il y avait aussi des exilarques. La véritable l^çon se trouve dans l'autre ms.: rWWnbfit Cette leçon devient évidente, p. 110, l. 3, la 6e période est ainsi désignée : rpjmbi* *"DN "CNI NIT^ riKDI ]J2 . de la mort d'Ezra à la lin de la Tradition » (c'est-à-dire la clôture du TalmudJ.

BIBLIOGRAPHIE 141

380. En effet, il est dit plus loiu qu'après la destruction du Temple, les Romains ont encore dominé pendant 160 ans (p 109); de sorte que depuis la mort d'Ezra jusqu'à ce moment-là, il s'écoula 160 + 380 = 540 ans (1. 16, Spn doit être corrigé en âph» comme il y a effecii- vement plus loin, 1. 24.)- Notre auteur admet donc qu'en l'an 228 après J. Ch. la domiuation romaine prit (in en Palestine. Il dit aussi, (109, 24) expressément : « Après ces 540 ans, les Perses redevin- rent les maîtres de la Palestine; Jérusalem seule resta aux mains des Romains *. Singulière conception reposant sur cette idée que les Sassanides, en arrivant au pouvoir, rétablirent l'ancienne suprématie des Perses sur la Palestine (sous les Achéménides)!

La domination des Perses, dit l'auteur plus loin la ligne 25), dura 370 ans (pour être précis, il faudrait dire 371). Or, ce chiffre donne lieu à une difficulté insoluble au sujet du chiffre total, puisque 540 + 371 =911, et non 811. Il faut donc ou bien corriger 811 en 91 1 , ou 371 en 271. La seconde correction seule est possible, car le chiffre 271 additionné avec 228 donne 499, c'est-à-dire l'an de l'ère chrétienne qui est effectivement reconnu comme Pannéede la clôture du Talmud. Il résulte aussi des indications de notre auteur lui-même que c'est l'an 499 et non l'an 599 qui forme la fin de la sixième période. En effet, il énumère les 21 rois persans ' qui ont régné jusqu'à la fin de cette 6e période et il cite comme le dernier 'iNip, que précédèrent tûibs, THDba et rms. GeT&np est le roi Kawâdh I (Kobad) qui, selon M. Nôl- deke, régna de 488 à 531 . Ses prédécesseurs étaient Balasch (TiZJbs et ©iba n'en sont que la transcription corrompue) et Pèrôz (Firuz, Pe- roses\ nom qu'on retrouve facilement dans ttTD, si on le corrige en tvpd. La liste des exilarques que notre auteur énumère pour cette sixième période confirme aussi l'opinion qui en fixe la clôture à l'an 499, car le dernier exilarque cité dans cette liste, quelque peu défec- tueuse, est n::d. Or, ïi:d n'est certainement autre chose que la cor- ruption de N3HD et veut désigner l'exilarque Kahana II du dernier tiers du ve siècle (v. Brùll, Jakrbiïcher,X, 120).

Des 425 ans de la septième période, les 101 premiers appartiennent encore a la domination des Perses sur la Palestine (p. 1 1 0, 1. 4 : rïjD 'p dNobsa DnsbN ^btt "'pfiwb rnnxi ïï::n)- Les autres 324 années (333- années lunaires) appartiennent à la domination « des fils d'Ismaël b. Abraham ». Suit ce passage inintelligible : ï-nÀbtf "p^n DirnabN, qui, d'après l'excellente conjecture de M. Neubauer, devrait être corrigé ainsi rp'lEîTabN rVttnba ^bTi- Ici nous sommes de nou- veau en présence d'une contradiction. D'après la première indica- tion, les Perses ont régné encore 101 ans après l'an 499, c'est-à-dire jusqu'en 600. D'après l'autre, la domination de l'Islam suivit immé- diatement cette date et, depuis le commencement de celle-ci jusqu'à l'époque l'auteur composa sa chronique, il se serait écoulé

* Deux noms sur les 21 (N^bto kb) manquent dans le texte.

* Au lieu de "ô;b, il faut lire iS"J«

142 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

324 ans. Or, la domination de l'Islam, même si on prend celle-ci comme ayant commencé lors de la fuite de Mahomet, ne commença qu'eu 622 (et non en GOI), et notre auteur écrivait en 944. Mais si nous additionnons les aunées des sept périodes citées plus haut, nous trouvons une différence nouvelle avec lie dernier chiffre : la somme! des sept nombres fait 4744. C'est le nombre des années écou- lées depuis la création du monde, jusqu'à la rédaction de notre chronique. Celle-ci aurait donc eu lieu en 984 de l'ère chrétienne. Or, l'auteur lui-même indique un autre total. Il dit (p. 110, 1. 9-11) :

■jîO «nb^sn yu Ni-înbîàââ sn-dn 'tsn rnn h3>Eà rnÊte

ara yr\ hèn n'm C|«bfc i fciianjsâ

.' &WKHN \"à i«23T5« bâi vj nbb« pbb isa yà.12

Son calcul donne donc l'an 4885 de la création du monde, ce qi.i ferait une différence de 141 ans. Dans tous les cas r\b r,r\ doit être considéré comme une corruption de FrÊÔn ou de "rafeln. Mais, parla, la contradiction entre 94i et 984 n'est pas encore résolue. Je n'es- saierai pas de lever cette difficulté. Je voudrais seulement établi»' que la date 324 est l'année solaire 324 de l'ère mahométane que notre chronique indique comme fin de la Ie période, c'est-à-dire comme l'époque de son achèvement, et qu'elle doit être considérée effectivement comme l'année exacte. En effet, notre chronique compte en fait d'exilarques de cette dernière période les suivants : WyPon tsssso (Neubauer? ^12 t-^in) ittaor; NnaiT ""anoia t^:nn nw! \^>T Tlfin rmrr (^Tpcxï ipCwN ïtabitt. Sans essayer autrement d'identifier ces douze exilarques, je veux constater que le dernier nommé dans la liste et, par suite, le contemporain de l'auteur, est David b. Zakkai, le célèbre adversaire du gaon Saadia. La date 324 après l'hégire ou 944 de l'ère chrétienne répond tout à fait à cette donnée, car David h. Zakkaï mourut vers 940 et, en l'an 944, son fils Juda, qui n'avait été en fonctions que pendant 7 mois, était déjà mort, tandis que son fils, qui était son successeur désigné, était encore mineur. Notre auteur pouvait donc à bon droit citer David b. Zakkaï comme le dernier exilarque de son temps.

La remarque finale citée plus haut et qui contient la date 4885 est suivie encore de ce post-scriptum : ans ^nbtf Ni— 83n2D ibftl rmttïïîb yhk n:ia ^b anai aanabs aàn Nms> « et jusqu'à la présente année * dans laquelle ce livre a ete écrit, et, en eifet, il a été écrit en l'an 1470 de 1ère des Seleucides ». Il est évident qu'il ne peut être question ici que de l'année fut faite la copie et non de l'année de la composition du livre, qui fut composé longtemps auparavant, comme on vient de le montrer. L'an 1470 de l'ère des Seleucides est l'an 4919 de la création; du reste, plus loin, il est remarqué dans l'appendice, qu'au chiffre cité plus haut de 4885, il faut ajouter encore

1 Au lieu de «SfilN p 'JNTaîbN, il faut lire N2:N?ÛÎ ^N ÛTfi&B. * Au lieu de jrjp, il iaut lire àbp'n.

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34 ans. Une autre indication de l'appendice porte que jusqu'à l'an 1 470 de 1ère des Séleucides, outre les 32 4 ans de l'époque mahométane, il faut encore compter 229 autres, en tout 553. Cependant ici aussi, il semble qu'il se soit glissé une erreur, car le dernier chiffre (en comptant les années comme années solaires) donnerait 4175 de l'ère chrétienne, tandis que 1470 de l'ère des Séleucides correspond à 1159 (4949 de la création).

Maigre la difficulté que présente cette différence de chiffres, on peut considérer, comme un fait établi, que notre chronique n'a pas été composée eu l'an 115'.), comme le dit M. Neubauer dans la Table des matières et dans l'Introduction, mais plus de 200 ans plus tôt, par uu contemporain de Saadia et cela deux ans après la mort de Saadia, si l'on lient le chiffre 944 pour exact Une nouvelle lumière est jetée sur cette citation par un ■yn$nb& âiNrO> dont Saadia serait l'auteur et que M. Neubauer (préface, p. xi) cite d'après un manuscrit de Saint- Pétersbourg. Le contenu de cette citation se trouve effectivement dans \e ^i-iNrib^ 3NnD édité par M. Neubauer. Celui-ci ne serait-il pas identique a l'ouwage du même nom qui est cité par Ibn Ba- laam? Eu ce cas, il faudrait admettre que Ibn Balaam a attribué par erreur cet ouvrage à Saadia ou que, dans la copie utilisée par lui, ce texte était rapporté à Saadia. Mais si Saadia était vraiment l'au- teur de ce "p-itfrÔN sans ? En ce cas, l'indication concernant l'année de la fin de la 7e période devrait subir encore une nouvelle correc- tion, puisque Saadia mourut en 942, deux ans avant la date fixée plus haut.

Je n'insiste pas davantage sur ce sujet et je me borne à donner encore quelques éclaircissements sur la conformité de notre chro- nique avec la traduction du Pentateuque de Saadia, déjà signalée par M. Neubauer. Cette ressemblance éclate le plus clairement dans la transcription des noms de peuples de Genèse, x. Nous trouvons ici (p. 92) les mêmes noms géographiques que dans les traductions de Saadia, avec très peu de variantes, qui peuvent servir elies-mèmes pour la critique du texte de ces dernières. D'autres points de res- semblance avec la traduction du Pentateuque de Saadia se re- marquent dans les courtes paraphrases ou plutôt dans les résumés des récits bibliques qui caractérisent la manière de notre auteur (v. 90, 20 sur Gen., vi, 14; 90, 21 sur Gen., vi, 16; 91; 4 sur Gen., vin, 4 ; 95, 15 sur Nombres xxxin, 5, 7). 106, 3, on raconte que Naaman, le général syrien offrit au prophète Elisée arn )i2 Nina rissi [= C]031 nriT "HDS). C'est un complément à II Rois, v, 15, d'a- près le ver?et 5. Nous trouvons exactement la même chose dans le Commentaire de Saadia sur les Proverbes 15, 27 (éd. Derenbourg- Lambert , p. 81 : fîÊsbai aïTîba Wab» \12'Jî <vb in yiz^bS )&). 104, 23 on traduit û^nbNH ai" 'n de II Rois, xvjir, 39, par les paroles de la profession de foi mahométane ïibb» Nbtf ï"ïbb« tfb ; Saadia traduit tout à fait de la même façon, Ps., xviu, 32, '- 'HSbn» mbtf ^73 (cf. aussi le commentaire de Saadia sur Prov., xviti, 13).

144 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Je ne voudrais pas me laisser entraîner trop loin en relevant en- core d'autres particularités du Kitâb al-Tâ>ïkh, si intéressant sous beaucoup de rapports. Je me bornerai à quelques-unes. Un fait particulièrement caractéristique pour ce petit ouvrage, c'est la re- production singulièrement concise, mais suffisamment exacte, des récits bibliques qu'on t'ait entrer dans le cadre chronologique. Dans l'introduction, dont il ne reste qu'un fragment, l'auteur dit qu'il veut mettre à côté des dates chronologiques les principaux évé- nements (rnNiribN 1"P3>), dans la mesure nécessaire. Ce qui est éga- lement caractéristique, c'est la traduction des noms des personnages bibliques, par ceux qui étaient usités chez les Musulmans. Ainsi D*-nN pour T^n (90, 2), IMl pour "D* (90, 16 ; 91, 9 ; 92, 10), DTnaa pour ûmnN (91, 13), pNnDN pour pH3T (93, 6), yWN pour W9 (93, 7), bw-iDN pour bacille (93, 25), a*W pour "nm (94, 27), }T-)Np pour rnp (96, 23), lN*rbo pour nttbiB, etc.

Le texte biblique est expliqué en maint endroit ou est amplifié au moyen du Midrasch. P. 89, 1 4 et s., au sujet de l'invention des arts par les habitants des villes, d'après Gen., iv, 20 et s. 90, 8 et s. : la téléologie de la grande durée de l'existence de la première généra- tion (commençant par fittaû, « il nous a été rapporté par tradition »). 90, 27 et suiv., les légendes du déluge. 91, 17 : sur Gen. 11,3 91 , 25, Abraham et Nemrod 91 , 28, eic. : téléologie de la division des langues et de la dispersion des nations par toute la terre. 94, 17 : la généalogie de Job (comp. le commentaire de Saadia sur Job, i, 1). 96, 6 et s. : les tables de la Loi. 103, 21 : la prophétie de Jonas est désignée comme une fine allégorie ( np^pibN banttftôa)-

Les listes des rois grecs et des empereurs romains, dans la et la 7e parties, auraient encore besoin d'être comparées aux listes analogues qui figurent dans d'autres écrits. Mais il faut que j'abrège. Je veux seulement corriger encore quelques fautes du texte.

92, 10, au lieu de ^aa, lire ^dn ; 1. 13, au lieu de Nrûaon, 1. Nnaûl; 1. 14, au lieu de Nnasi, 1. NanaDi ; 1. 16, onabfrn est aussi, chez Saa- dia, la traduction de "pan (Gen, x, 10) ; la correction de la note 3 est donc inutile. 93, 18. Après nanntt ajoutez rrnaaba ï 1. 4 9, au lieu de NC:, 1. au» (au lieu de D, notre chronique a souvent b> P- ex. TDttiabN, y&n*TZ3N> etc.). 94, 15, au lieu de ^5'p et T;p, lire ^yp et TDp' 33, 18, au lieu de aba 1. 5bN —96, 4, au lieu de T»Sobtf, 1. TDDobN. 97, 26, au lieu de Ûip"i, 1. n72ip"i. 98, 25, au lieu de "nNI, 1. b&riOT. 99, 5, au lieu de n£» 1. ni- 101, 1, au lieu de on, 1. an- —105, 14, au lieu de Vttbnbs, 1. 3W*bK. 108, 2, au lieu de ÏTi&n, 1. finfin. 109, 9, au lieu de tèba» 1. '"nbN- 109, 17, au lieu de wb», 1. "PT^bN (cf. 108, 20).

Après le Kilâb-al- Târlkh, ce second volume renferme un autre écrit, beaucoup plus remarquable, qui a été découvert par M. Neu- bauer. C'est un •porm 1DD écrit en prose rimée. Ce n'est pas, comme le titre pourrait le faire supposer, une chronique sèche avec des

BIBLIOGRAPHIE 145

dates chronologiques, mais un récit vivant, extrêmement intéressant par une foule d'anecdotes historiques et toute sorte d'épisodes mer- veilleux. Elle fournit nombre de renseignements, plus ou moins fabuleux sur les ancêtres de l'auteur, qui, à la tin, se met lui-même en scène. C'est l'histoire d'une famille juive de l'Italie du Sud de la période obscure qui va du milieu du ix° siècle au milieu du xic. Quelle que soit la part de légende que contienne cette histoire de fa- mille, elle porte néanmoins le caractère de la véracité, quant aux indi- cations de personnes et d'événements, ainsi que pour les dates, et elle forme pour l'histoire juive du moyen-âge une source très pré- cieuse. Ce n'est pas le moment de chercher à dégager ici la partie historique de cet ouvrage des éléments légendaires qui y sont mêlés; il faudrait pour cela une étude approfondie et un examen comparatif de ce texte avec d'autres sources historiques. Qu'il me soit permis seulement de donner quelques détails sur le contenu et d'ajouter quelques remarques.

Le manuscrit d'après lequel M. Neubauer publie le Se fer Youhasin (p. 1H-132) est un unicum, et se trouve à la Bibliothèque de la Ca- thédrale de Tolède. M. Neubauer en avait déjà publié quelques mor- ceaux dans la Revue (XXIII, 236) et dans la Jewish Qnarterly Review (IV, 614). A la fin, p 131, à la dernière ligne, Fauteur se nomme lui- même du nom d'Ahimaaç et fait remonter son origine jusqu'à Amit- taï *. Cet Amittaï est le premier de ses ancêtres dont il parle (112, 6). C'était un descendant des exilés emmenés par Titus de Jérusalem (112, 4 : ttblblD ^DTa TJ>h [\a]) en Italie, et sa famille avait vécu de temps immémorial à Oria (ib* ynNm)', ville connue pour avoir donné le jour à Sabbalhaï Donnolo, dans le voisinage d'Otrante. Amittaï avait trois fils, comme lui très instruits, et deux d'entre eux, Schefatia et Hananel, sont ceux auxquels notre auteur rattache ses aïeux. Du texte de notre chrouique je vais extraire ici la table généalogique des descendants d'Amittaï. Aux noms isolés, ajoutons la page et la ligne ils sont cités pour la première fois dans le texte; pour quelques-uns, l'époque approximative ils ont vécu ou la date citée par l'auteur lui-même. Cette table généalogique est d'au- tant plus nécessaire que l'index ne sépare pas l'un de l'autre ceux qui portent le même nom :

1 "«mnN '-pn b&osn 'n^a bfiniatt '"P3 s&raba '-pa y:wrtN wi. n ré- suite du contenu de l'ouvrage qu'après btfjjM (par homéotéleute) trois noms sont tombés qui doivent être rétablis ainsi : [bfcCDn '""P3 ÏTHOn 'T3 biTUÏD 'TDj. Voir, pour la généalogie, p. 132, 12 et s.

* *p"lN est cité encore plusieurs fois 114, 16 : ^DD "p"lN b&M 3>05 D"C3!Q1« H est visible par le contexte que c'est une faute d'écriture pour vplN comme l'en- droit est toujours désigné à partir de la page 116. Dans l'index, les deux passages portant "IT1N ne sont pas signalés.

T. XXXII, 63. 10

1 .0 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Amittaï (112, 6)

I

I III

Schefatia» (112, 10) Hananel Eléazar (112, 10) Papoléon * (119,23)

Amittaï» (123,12) Kassia (122, 22) Hasadia (123,

| (femme de)

Ahdiel (125, 8) Paltiel (125, 18) Schabbataï4 (127, 22

I I I

Bafueh (125, 8) Kassia (125, 19) Hananel (125, 18) Esther (127, 22)

) I I

Paltiel 5(125, 19) Samuel6, Schabbataï, Papoléon, Hasadia (127,25)

I I

Samuel [130, 8) Paltiel ? (131,20)

AbimaaçS (131, 31)

Paltiel » (132, 20) Samuel »o (132, 20)

Gomme on le voit par la fin de cette table, l'auteur nomme aussi ses deux fils, qui, à l'époque de la composition de sa chronique, n'avaient que 16 et 10 ans.

Celui qui connaît la littérature des Pioutim, en examinant ce ta- bleau, qui embrasse huit générations, trouvera quelques noms célè- bres de poètes liturgiques, dont les poésies nous ont été conservées en partie. En effet, nous sommes en présence d'une famille de païtanim, et l'auteur lui-même vante l'activité poétique de quel- ques-uus de ses ancêtres. Du premier d'entre eux. Amittaï, il dit *ODl û^B (112, 6) ; ses fils étaient û^tt^Bi P^ntl (1«2, 7). L'un de ses iils Schefatia est connu par son Pizmon de Neïia, ytDlï bttttD,\ et à ce Pizmon, un ancien commentaire de Mahzor a rattaché le récit

1 Schefatia vivait à l'époque de la grande persécution des Juifs sous l'empereur Basilius, qui est indiquée comme ayant eu lieu en 4628 (868). D'après ce qui est ra- conté 124, 8, Schefatia mourut peu de temps après la mort de l'empereur Basilius (886) .

2 Ce nom est ici encore une fois (127, 25) et n'est pas identique avec "jb^Bin (114, 24 ; 121, 28), comme l'index le dit.

3 Cet Amittaï, lors du mariage de sa sœur Kassia avec son cousin Hasadia, composa en leur honneur un poème liturgique (123, 12 : "PIN "fifci^M b^â N1H

nb^niun min» mcanTs Ta»). Voir plus bas.

u Ce Schabbataï était aussi TPEN '"| DnD'0?û72 ; peut-être était-il petit-fils d'E- léazar, le 3e fils d'Amittaï, dont notre auteur ne dit rien. 11 vivait à Bénévent, Hananel s'était fixé (127, 21).

5 Le nom de son père n'est pas indiqué, mais l'auteur raconte à son sujet beaucoup de choses, v. plus bas. C'était le ministre et l'astrologue de la cour du Falimide Muizz lidin Allah qui, en l'an 969, conquit l'Egypte et fonda Kâhira (le Caire).

6 Celui-ci, qui était le grand-père de l'auteur, s'établit à Capoue (127, 27) et y épousa une femme du nom d'Albavera N"p;i2bN (127, 28) ; il y mourut en 4768 (1008), v. 132, 16.

7 en 4748 (988), mort en 4803 (1043); v. 132, 17.

» en 4777 (1017), composa sa chronique en 4814 (1054); v. 132, 18, 24. 9 en 4798 (1038); voir 132, 19. »« en 4804 (1044) ; voir 133, 20.

1UHL10GUAPH1E I'i7

du rôle de sauveur que le poète avait joué à l'époque de la persé- cution de l'empereur Basilius1. Dans cette chronique de famille, nous avons un récit détaillé sur les rapports de Schefatia avec ledit em- pereur. Il ne peut non plus y avoir de doute sur l'époque de Sche- fatia, et l'opinion de Zunz, qui en fait un contemporain de Ba- silius II (970-1025), doit être écartée. Le second Amittaï de notre table, Amittaï b. Schefatia, est un des poètes liturgiques les plus conuus. Zunz énumère 24 morceaux de lui2 et, parmi eux le poème du Vocer du Sabbat de ^«1^3, intitulé rrnftK mttfin» i^tt pTÉ* composé par Amittaï à l'occasion du mariage de sa sœur3. Zunz place Amittaï à l'époque de la première croisade (1096), c'est-à-dire deux siècles plus tard. Ce qui mérite d'être relevé, c'est qu'une Seliha d'Amittaï (znrn '- 'n) est encore récitée aujourd'hui avec celle de sou père Schefatia à l'office de Neila. Toutes deux se distinguent par une langue simple et par la profondeur des sentiments. Hananel, le frère de Schefatia, parait aussi avoir composé des poèmes litur- giques4; quanta savoir si c'est le Hananel qui est connu comme l'auteur d'un Pizmon de Yom Kippour % cela n'est pas possible, comme il n'est guère possible de déterminer si le Hasadia, qui n'est aussi représenté dans la poésie liturgique que par un seul poème*, est identique avec le fils de Hananel.

Enfin, Ahimaaç b. Paltiel lui-même, l'auteur de notre chronique, est connu comme poète liturgique7. On lui attribue trois Selihot; de l'une d'elles, Zunz cite les formes verbales rappelant la langue de Kalir, ba (pour ïiba), un (pour ET3Ï1), ys (pour ï-fl»). Or, ces formes, usuelles dans l'ancienne littérature pioutique, se trouvent aussi dans notre chronique (un, 114, 4), qui est généralement écrite dans une prose rimée assez aisée et claire et qui ne rappelle la langue de Kalir que par quelques irrégularités et quelques formations de mots très hardies. Zunz renvoie à l'indication de Benjamin de Tudèle d'après lequel il y avait de son temps (vers 1162) à Melfi (Apulie) un homme du nom d'Ahimaaç b. Paltiel. Benjamin de Tudèle veut parler d'Amalfî, et on peut admettre avec beaucoup de vraisemblance que cet Ahimaaç, qui vivait de son temps, était un descendant de notre auteur. La famille ou une partie de la famille paraît avoir émi- gré de Gapoue à Amalfi, qui en est proche. Amalfi est aussi men- tionné par notre auteur. Il raconte que deux frères de son grand- père Samuel furent envoyés par le seigneur d'Amalfî ("'Dbïïtf T£),

1 Zanz, Die synayogale Poésie des Mittelalters, p. 170 ; Grâtz, Gfeschichtc der Juden, V. 2e édition, p. 245; Neubauer, Jeioish Quart. Rev., IV, 614.

*- Die Litteraturgeschichte der synag. Poésie, p. 1G6-168, 256 et s.; cf. Die synag. Poésie, p. 185 et s.

3 Voir plus haut.

4 Voir 123, 17 et s. une belle description de l'activité de Schefatia, de son iibs (Amittaï) et de son frère (Hananel).

5 Zunz, Litteraturgeschichte, p. 345.

6 Zunz, il.

7 Zunz, ib., p. 264.

U8 REVUE DES ETUDES JUIVES

comme porteurs d'un préseut pour Paltiel, le favori du souverain fa- timide d'Afrique ^Kairouan) (127, 28 et s.).

Dans la partie de notre chrouique qui peut intéresser l'histoire du judaïsme au moyeu-âge, outre la relation, embellie par la légende, qui a trait aux rapports de Schefatia avec l'empereur Basilius, il faut relever le récit non moins détaillé concernant Paltiel. Peut-être exis- te-t-il, dans des sources arabes, des traces de son activité à la cour du souverain fatimide de Kairouan, qui fut ensuite le conquérant de l'Egypte. En premier lieu, nous avons le récit d'Ahimaaç qui in- troduit dans l'histoire juive une personnalité inconnue jusqu'ici. Car, si le récit, qui repose évidemment sur des traditions de famille authentiques, exagère l'importance de Paltiel et si maint trait de sa vie est amplifié hyperboliquement, même après tous les émon- dages nécessaires, il en reste encore assez pour que la situation de Paltiel paraisse comme extraordiuairement éminente. Voici en ré- sumé la vie de Paltiel.

Lorsque les Arabes dévastèrent la Calabre, ils vinrent aussi à Oria et s'emparèrent de la ville. Leur général était Muizz1, qui distingua Paltiel, célèbre déjà comme astronome, et le prit a son service. Un jour, qu'ils observaient ensemble les étoiles, ils virent l'étoile du général engloutir successivement trois étoiles. Paltiel expliqua la chose : le général deviendrait successivement le maître de la Sicile, de l'Afrique et de Bologne. Pour le remercier, Muizz lui fit don de son anneau et lui jura que, si sa prédiction se réalisait, il ferait de lui son premier ministre. Peu de temps après, Muizz devint souve- rain de Sicile et, après avoir cédé la Sicile à son frère, se rendit aussi maître de l'Afrique. Il fit de Paltiel son premier ministre (m31D!H ^btob), et c'est par lui que les ambassadeurs étrangers étaient intro- duits. C'est ainsi que l'ambassadeur de l'empereur byzantin ne put parvenir jusqu'à Muizz qu'après s'être reconcilié avec Paltiel, qu'au début, il avait méprisé parce qu'il était Juif. Lorsque Muizz, se ren- dant aux sollicitations qui lui étaient parvenues d'Egypte, entreprit son expédition contre le pays du Nil, ce fut Paltiel qui s'occupa, en qualité d'intendant, des vivres de l'armée2. Avant que le conquérant fit son entrée dans la capitale, Paltiel s'y rendit avec une partie de l'armée et prépara tout pour la réception du souverain dans sa nou- velle résidence. Au jour de Kippour suivant, Paltiel fut appelé à la Tora avec des témoignages particuliers de distinction et, après avoir

1 (125, 21) Ûï-pb? ^rvp •nrttbfrO. Par riS-'E (1. T2173) il faut évidemment en- tendre Muizz lidîu allàh. t3*"p est sans doute pour l^H'p (chef, commandant). Le mot est encore employé plus loin comme terme honorifique (LÛ^pïf, 125, 24 et 27 ; 126, 5), avant que Muizz devînt « roi d'Afrique > (126. 10\ Sur Kaïd, terme dési- gnant un rarjg militaire (commandant de mille hommes), v. Kremer, Culturcjeschichte des Orients unter den Chalifen, I, 237.

2 n^im mrb mm tnpTiiD 'jp-'m msn» ïriûsn rssb bfcr>abs 'n inyï ^p^an bsi mw ^p-rn nom nrm d^i Dnb nn^ moim mnsn ûm

.(128, ii) n-n"n33!-jJ3 tnaan tnb^nb

bibliographe; r,«.»

terminé la lecture de la péricope, il fit dou de 5,000 dinars : 1,000 pour les chefs de l'école et autant pour les savants, 1,000 pour les « affli- gés de Jérusalem1, 1,000 pour l'école des Gueonim de Babylone, 1,000 pour les pauvres. Avant sa mort', Muizz recommanda à son fils et successeur Aziz billàh) de suivre les conseils éprouvés de Paltiel. Le nouveau souverain combla aussi Paltiel de distinctions et celui-ci conserva sa faveur malgré les efforts et les calomnies de ses adver- saires. Un jour qu'ils observaient le ciel étoile, ils virent trois grandes étoiles disparaître successivement. Paltiel dit : Ceci présage la mort de trois rois durant la présente année, l'un, c'est l'empereur grec, l'autre, c'est le souverain de Bagdad. Et le troisième, dit le roi, c'est toi ! Non, répondit Paltiel, c'est le roi d'Espagne. Paltiel mourut cette même année. Son fils Samuel fit porter les corps em- baumés de ses parents et de son grand-oncle Hananel à Jérusalem, et distribua 20,000 dirhem d'or aux pauvres, aux écoles et aux syna- gogues.

Notre chroniqueur prétend (129, 1) que dans l'histoire du royaume d'Egypte, il est parlé longuement de Paltiel, de son activité et de sa grandeur3. Ce n'est évidemment qu'un artifice de style, Ahimaaç n'ayant guère pu voir de sources arabes parlant de Paltiel. Ce qu'il est permis d'admettre comme un fait, c'est que Paltiel, grâce à ses connaissances astrologiques, avait gagné la faveur de Muizz et avait obtenu des honneurs de plus en plus élevés. Ce qui prouve l'importance que ce souverain attachait à l'astrologie, c'est le nom que la capitale égyptienne reçut de lui et qu'elle porte encore aujour- d'hui, Kâhira, la « victorieuse », selon l'horoscope de Mars, le vain- queur de la voie lactée \

Disons un mot des histoires merveilleuses que renferme notre Chronique de famille. Elles répandent aux tendances mystiques de son siècle. Le nom de Dieu y joue un grand rôle et sert à opérer des prodiges. Dans ces récits, qu'Ahimaaç tire du trésor de ses souvenirs de famille, on reconnaît de véritables légendes populaires, qui étaient racontées avec prédilection dans le cercle de cette famille et ratta- chées aux principales personnalités qui en faisaient partie. En ce sens, notre ouvrage mériterait d'être étudié d'une manière plus ap- profondie. Il est intéressant de constater que nous trouvons ici la première trace de la conception du Juif Errant. On y raconte l'his- toire d'un jeune homme qui était mort et qui avait été rappelé à la

1 Û^bl^îr: ma ^b">3Nb (128, 25) ; plus bas (1. 30) ils sont appelés "pï£ T^SN (v. aussi 130, 13;. Généralement on entend par cette désignation les Caraïtes anciens habitant Jérusalem.

5 Muizz mourut en novembre 975, v. Flùzel, Geschichte der Araber, p. 288.

3 û"nr£ mabaa la^œm vrmxisa ^b^n wi iibn "pmb™ nunsi inbo»»i trbtDVp tj btmiP y-iM baan D*nm ûin i* d^w-ik robnm ■•nm iDo by d'toiidi un «bn rvrrn ^bun iNia^a -iujn ViiDiJi lopim traayi t)b irobnb d-etï. —12s, 7, l'Egypte est appelée ûvip mab».

4 Voir Flugel, Greschichte der Araber, p. 286.

150 REVUE DES ETUDES JUIVES

vie par une incision faite dans son bras droit dans lequel on avait inséré le nom de Dieu. « Et aujourd'hui encore, dit-il lui-même (114, 12), je suis en vie et si je reiix, je titrais éternellement, car nul ne sait la place a été mis le nom de Dieu, moi seul, je la connais1. » A Bénévent, ce jeune homme, venu de pays lointain, racontait ces choses, il révéla le secret; on retira le nom de Dieu, et il tomba comme une masse inanimée et se décomposa rapidement2. Une autre histoire intéressante, est celle de Schefatia sauvant un enfant des mains de deux démons femelles en faisant tomber àda place de l'en- fant un balai entre leurs mains (122, 5 et s.).

Notre chronique contient beaucoup de notices précieuses pour l'histoire des communautés juives de l'Italie du sud. Il y est ques- tion de Gaëte (112, 23), de Bénévent (113, 4; 119, 19, 24), de Venose pDTna, 114, 30), d'Oria (v. plus haut), d'Otrante (116, 2; 125, 30), de Bari (118, 8; 119, 4; 124, 11 ; 125, 30), de Capoue (125, 7), d'Amalfi (127, 28). Pavie est également mentionnée (125, 7). Des traits inté- ressants de la vie des communautés juives se trouvent épars dans cette chronique et pourront être utilisés pour l'histoire de la culture. On y parle d'une vieille Bible ("j^"1 N~ip73) comme d'un objet parti- culièrement précieux appartenant à Hananel b. Paltiel (127, 17). Dans un entretien entre l'empereur Basilius et Schefatia, celui-ci lui prouve par la Bible que pour le temple de Salomon on employa une plus grande quantité d'or et d'argent que pour l'église Sainte-So- phie (na-np narsiD *\w ftNtoipsi y^a, 117, 13).

Mais laissons ces détails. Ce que nous avons rapporté suffit à prouver la valeur littéraire de l'ouvrage que M. Neuhauer a exhumé et qui est d'une époque qui n'était guère représentée dans la littéra- ture juive. Nous n'ajouterons plus que quelques corrections de texte. P. 111, 1. 7, au lieu de û^pb, 1. DYpb. 112, 12, au lieu de ^fe, 1. ij"^E (comme le porte le texte imprimé dans lievue, XXIII, 236).

113, 2, au lieu de ïiDbin, 1. iisbTi [= HD^n, &f. 1. 6) ; 113, 3, *pb« se rattache à mi5T~î5 et, par suite, la correction de la note 1 est inutile.

114, 24, au lieu de p^n, 1. pn^ ; au lieu de nnïO, 1. ïnan. 115, 19, au lieu de D^ipna V, 1. traim :n? (non O^nr-) ^p*. comme le pro- pose M. Friedlànder dans J. Q. R., VIII, 341). 115, 30, WDW pour- rait être corrigé en W* ; cependant il faudrait ici un mot en !TT" à cause de la rime avec mm, peut-être ttTH». 116, 7, au lieu de •jbrn, peut-être ^h^i. 117, 8, au lieu de )i2^, 1. 'jW. 120, 10, la lacune doit être complétée par le mot "pft-iN. 121, 22, au lieu de pvi»73îl. 1. pWttfctt; 1. 23, au lieu de nnsttb, 1. nn^b. 126, 33, au lieu de D^ob, l. tTïï^b (pluriel de iJTïîb, Exode, xxviii, 19).

Encore quelques remarques linguistiques. Dans l'Introduction (111, 4), Ahimaaç appelle son ouvrage Ëna-nBônPi ma&«3 Û'WÎPtfn 1DO. H

.2-H1N *5N DN p"! FTP PIN 2 Cf. un récit analogue 120, 7.

MBUOf.KAI'llli; 1.1

emploie donc 1 expression *p*tthlN, qui ordinairement ne désigne que des vocabulaires ou des dictionnaires, dans un sens plus étendu : collection des traditions des ancêtres. 111, 7 ^au lieu de D"na), il emploie comme rime tW c'est une faute contre laquelle Joseph Kimhi s'élève déjà (Sc/er Zikharon, p. 58). 111, 10, "pronb Lpttib^nn ; cette expression est fondée sur la phrase du Taimud (Aboda /arc, 44 a) inttbin mDbnb "nain bs (rrrj^rr). Cette leçon avec n, et non inEblîl, comme le portent les éditions, se trouve aussi dans TAruch (Kohut, III, 405 b); voir ma remarque Monatsschrift, 40° année, p. 29, note 3. M. Neubauer a donc tort de corriger D^WibTn en D^b^i-D. 115, 14, wm est un euphémisme pour "ibb^pi. 117, 9, ÏT3 est le grec pfa, mot par lequel dans Gen. t., 93, on explique ^3 de Gen., xi.iv, 18; c'est aussi de qu'est empruutée toute la phrase fpa*a *»b* rtrw !rp3). 115, 21, 23, flf est pris au féminin.

Outre les précieuses données assez étendues que nous apporte ce second volume, l'appendice nous offre huit morceaux plus petits, ex- traits de divers ouvrages intéressant l'histoire juive, savoir : De l'Introduction à la Mischna Aboi, de Menaheni Meiri (mort en 1306), d'après l'éd. pr. (p. 224-230) ; Du nso rrnp de David d'Estella (mort vers 132"), d'après l'unique ms de la Bibliothèque du Jewish Collège de Londres1 (p. 230-233); De l'ouvrage du même nom, composé en 1372, par Isaac de Lattes de Montpellier (p. 233-241) - ; Du Ï-HX ■pT? de Menahem b. Zérah, composé vers 1370, d'après les anciennes éditions (p. 241-245; ; Deux morceaux contenant la série des tradi- tionnistes, depuis Moïse jusqu'au temps de Mahomet, d'après un ms. appartenant à M. Gaster de Londres (p. 245-248); Un arbre généalo- gique des exilarques, d'après un précieux manuscrit biblique appar- tenant à la famille. Serour à Tripolis (Afrique), p. 248 ; Un chapitre sur la chronologie biblique, tiré du commentaire arabe du Penta- teuque du Caraïte Abou Joseph Jakob 3 Kirkisâni, contemporain de Saadia, d'après un ms. de Saint-Pétersbourg (p. 249-251) *• ; Une notice sur la catastrophe arrivée dans la communauté juive de Nar- bonne en l'an 1236, d'après un ms. de la Bodléienne.

La préface de M. Neubauer (vin-xv) est suivie d'un Index complet des noms de personnes et des noms géographiques des deux vo- lumes de la collection (p. xvii-liii). P. 252-255, il y a des additions et des corrections pour les deux volumes.

C'est avec gratitude que la science juive reçoit cette œuvre des

1 M. Neubauer a donné de ce morceau une traduction française dans Y Histoire littéraire de la France, t. XXXI, p. 472-476. * Voir VHist. litt. de la France, il., p. 683-689.

3 C'est le nom de Kirkisâoî et non Joseph, comme se lit p. 249 et dans la préface p. xiv. C'est M. Neubauer lui-même qui m'a averti de ce lapsus.

4 L'abréviation i^bN- P- 2^0, 1. 1, est expliquée par M. Neubauer en note par: Û^Dwbî*. C'est une erreur; 'bbtf DNOn signifie, au contraire, le chiffre de 300 ans qui est mentionné dans Juges, xi, 26. P. 2K1 , ]. 9, il est dit expressément :

152 REVUE DES ETUDES JUIVES

mains du savant qui, depuis près de quarante ans, travaille avec une activité infatigable à l'enrichir. Puisse-t-il encore mettre à jour beaucoup de trésors du passé et faire avancer la science encore par les productions de son esprit fertile et de sa vaste érudition 1

W. Bâcher.

Bardenhewer (O.) Der Maine Maria. Greschichte der Deutung desselben. (Biblische Studien, I. Band, I. Heft, Fribourg en Brisgau, 1895).

Ce travail inaugure dignement la nouvelle entreprise de son au- teur, un des plus éminents érudits en patristique. Il y a réuni et soumis à un examen critique presque toutes les étymologies du nom de Miriam proposées depuis Philon et les Agadistes jusqu'à nos jours. Comme cette monographie est consacrée a l'histoire de l'explication d'un nom biblique, elle peut intéresser aussi les savants juifs, parce que les interprétations les plus anciennes de ce nom font counaître le système étymologique des rabbins. En effet, ces interprétations sont conçues dans le même esprit que les explications de mots des Tannaïles et des Amoraïm, et il est difficile, d'autre part, de les appré- cier exactement si on ignore ces dernières.

Daus l'Introductiou, M. B. se demande si le nom de Miriam a été d'un emploi fréquent chez les anciens Israélites. A mou avis, le fait que, dans la Bible, ce nom n'est donné qu'à la sœur de Moïse (dans I Ghron., iv, 17, Miriam n'est pas un nom de femme), ne permet pas de conclure à la rareté de ce nom; en effet, la très grande majorité des noms propres ne sont pas répétés dans ce livre. Dans les siècles qui ont précédé et suivi l'ère chrétienne, ce nom est assez fréquent. Outre les passages de Josèphe et du Nouveau Testament (p. 7 et s.), on peut encore indiquer les suivants. La fin de la Mischna de Na- zir, VI, mentionne une Miriam de Palmyre, femme distinguée et vivant à l'époque le temple existait encore, puisqu'il est question d'uu sacrifice1. De l'époque macehabéeune, la Tosefta Soukka, IV, 28 (= b. Soukka, 56 b; j. Soukka, 55 #), cite une Miriam, de la classe sa- cerdotale, appelée Bilga 2. La mère de Jésus n'est mentionnée que ra-

1 m~n?D~inn Di""l733 ï~iW72- Dans la T<>sc/'ta Nazir, IV, 10 (éd. Zuckerm., 290 , au lieu de n"m7JHn:i, il y a, comme dans l'éd. pnneeps de la Mischna, D "HITS "7 m: cf. sur cette le on Neubauer, Géographie du 2'almud, 301 s., et P. Cas- sel, Aua Litteratar und Gcschichte, p. 332.

s 13573:0 *inx av*nob nNU3i3i rpbin montre fiabia nn ùno 13373

1*p- Telle est l'explication de Raschi. Toutefois, il sera question, daus ce passade, de la destruction du temple.

BIBLIOGRAPHIE . 153

rement sous le nom de Marie Magdeleine '. Souvent, elle est nommée autrement, ce qui prouve suffisamment qu'aux premiers siècles, Marie n'avait pas encore, daos l'Église, l'importance qu'elle acquit plus tard ; autrement, on ne l'aurait pas confondue avec Marie Mag- deleiue. Il ne faut pas s'étonner que ce nom ne se retrouve pas ailleurs dans la tradition juive, les noms féminins étant très rares dans la littérature traditionnelle. Cepeudant, il y est souvent question de la sœur de Moïse1, et maint trait rapporté par la tradition juive sur celle-ci a été attribué à la mère de Jésus par les plus anciens in- terprètes chrétiens. Nous reviendrons, du reste, sur ce sujet.

Dans l'Introduction, M. B. montre que, dans les Septante, le nom en question se lisait Mapidp., dans le Nouveau Testament Mapiau., et, pour d'autres personnages féminins, Mapia, chez Josèphe, le plus souveut Maptâ|xjx7). Ces formes se ramènent à l'araméen Mariam. Le même résultat a déjà été obtenu par Zuuz, en 1836, qui dit, dans ses Ges. Schr., II, 13 : « Miriam, Mischna Nazir, VI, fin; en syr., Ma- riam; eu grec, Mariam, Maria; chez Josèphe, Mariamma ».

Les plus anciennes interprétations se trouvent dans les Onomastica sacra en grec ancien, réédités par Paul de Lagarde, car, en expli- quant ce nom par « espérance », Philon, comme M. B. le soutient avec raison, ue donne pas une étymologie, mais une interprétation allégorique L'interprétation rabbinique, « à cause de l'amertume » ("Vi"PE WVO aj), qui est déjà donnée par Sèder Olam rabba, III, bien antérieure aux ouvrages midraschiques cités par M. B., p. 19, d'a- près le Neu-kebruïsches Wœrterbwh de Levy, s. v. Tl-PB, pourrait être plus récente que ces étymologies grecques et a peut-être des visées de polémique.

Dans ces Onomastica, d'après la première édition de Lagarde dont les pages et les lignes sont marquées en marge dans la seconde édi- tion, ou trouve les interprétations suivantes, réunies par M. B. à la page 27:

Mapifcp. çcDTtÇousa (p. 175, 1. 22); Mapfa xup.eùouaa (176, 4''-o0) ; Mapfa xupttûouaa ^ itixpài OâXaajaj

1 B. Sanhédrin, 67 a, d'après Dikdukè Sofevim, ad loc. : shlill Û^72- Dans le passage parallèle de Sabbat, 104 b, le mot D^ITD manque, mais il se trouve néan- moins dans l'édition de Dalman, Jésus Christ ><s im Thalmud de Laible (Berlin, 189i), p. 5. Haf/uiga, kb : -)jniB tfbiaft Û'Htti interprétation de « Magdalena » Dalman, p. 6*); j. Haguiya, 77 d ; 'oy r-Q D"H72 (Dalman, 18*). il n'est pas certain que par fcob^a H2 D"H?3 on ait voulu désigner Marie, comme le soutient Dalmau, dans Laible, p. 21. Dans b. Cruittin, 3ib, il est fait mention d'une femme du nom de Mariam-Sara. originaire de Babylonie ; cf. encore b. Kftonbot, 87 a: Û'nS Ntt\X "ja blNlD N3N; voir Tosafot, Baba Batra, 179a : "n ""173 an.

* Tostfta Sota. XI, i, 10 (éd. Zucker.n., 314 et 315); Stfrè, 1, 78 : 1T !T1S\8 D","P2 "IT H^ID TaD-p; b. Sota, 11 b, et s.; Exode rabba, ch. I, éd. Wilna, p. 7 et suiv.; Midrasch Tadschè, sur Nombres, dans Epsteia, Beitràge zur judtschen Alter- humsknnde, XLI1I ; Pesihta rabbati, 73 6, etc.

154 REVUE DES ETUDES JUIVES

Maptàcjx (pcoTiÇopivr) •?) cpci)T(Çouj<x aù-roùç •?) xupioç èx y^vo,Jî t1-00 er(JLÔfva fiaXaaai* (179, 31-33);

MocpCà xupfa Tjjxwv 7) à7tà âtopàxiov;

Mapi&n cpcox£w#uaa (195, (56);

Mapt&a xûpio; èx ysvvrîafsto»; jjlou vj xupisôo'JTa -?) «rjxûpva BaXàjar.ç. (195, 74-76) i

Mapiajxct itixpcc ©aXatraa (203, 14);

Mapiàji xupfou a'fpaY^ xûpioç èx tou yévouç [xou, ï>(OTtap.o<; (203, 17-18).

De ces sept explications, trois sont tout à fait claires. Kupuûouaa xupta (d'après Tischendorf, Barri., I. cit.) se ramène à l'araméen N*n73 (= Maria). On ne peut uier a priori que, dans l'araméen de la Pales- tine ou dans la langue syriaque populaire, le mot « maîtresse » fût rendu par N"nto; mais, dans le cas présent, cette considération est indifférente, car l'étymologiste n'a songé qu'à 3/aria, le « maître », et il s'est établi dans son esprit une assimilation avec « maîtresse », à cause du genre du nom qu'il avait à expliquer.

Map(a x-jpia tkxwv, que M. B. (p. 32) n'essaie pas d'expliquer, est sûre- ment une explication du nom plus complet de Mapiàfx = fia forme abrégée, normalement usitée dans le judéo-araméen posté- térieur, pour NS^E) « notre maître ». Dans le fx, YOnomasticon a vu le prouom possessif, car cHX*a (Lagarde, 165, 9?) est expliqué aussi par Bso'î jiou. Peut-être aussi a-t-on songé a cette explication à cause de la lettre grecque jx == \io>j (ou aa= a y ?], car "Aps^ est interprété dans YOuom. vatic. (172, 48) par àit6 0sqO, c'est-à-dire vk -f- btf ou même, en latin, ab ~\- btt. Il ne faut donc pas, en ce qui concerne l'explication de l'origine de xupta r\\x.àv, se contenter du principe : àrevior lectio prœ- ferenda verbosiori, comme le fait M. B.( p. 32.

La seconde explication mxpà OxXaTja décompose le mot en Q"1 + ce qui correspond à Mapd[x, ainsi que M. B., 27, le remarque judicieu- sement. La troisième etymologie sjAûpva OxXaaiCa preud aussi Mapictjx comme un composé de h* + 1Ï2 « myrrlie de mer ». La différence de son entre o et a gênait fort p-ui les anciens interprètes. Je ne citerai qu'un exemple analogue : 'EXsdÇap esoû îsytjç (Lag., 162, 3|), « puis- sance de Dieu », EX = bN et = ~i\ (<xp u'est pas pris en considé- ration.) Il existe, d'ailleurs, beaucoup d'exemples qui attestent le peu d'importance qu'attachent aux voyelles les OnomaHica vieux-grecs. C'est ainsi que, dans Sifrè, II, 248, ^tqîg est expliqué par 1T D173.

Ceci nous amène aux traductions de kap-.à[x 9<i>t£ou«, ©toti^ojiévT», <?lùz{- Ço-»ca aùToùç, œxùxtaOclaa, çwxiafxo'î. D'abord, il est clair, comme M. B., 29, le remarque, que nous avons ici des variations de la même explication. Cependant, à mon avis, «pwrtÇouïa ay-roû; suppose le nom de Maptâjx et les autres, celui de Mxpfa, quoique dans notre OwmaUicon toutes les in- terprétations se rattachent à Mxptijx (cf. B., p. 30), car la forme des Onomastica qui nous ont été conservés n'oit plus la forme primitive. L'étymologiste a pensé au participe féminin du hiphil de : rrpisr^ qui. suivant la prononciation d'alors, se prononçait Maira. Il suffisait donc simplement de la transposition des deux lettres i et

BIBLIOGRAPHIE Irjfi

r pour obtenir Maria, ce qui pouvait se faire facilement dans la pro- nonciation'. M. lvaufmami {Monatsxckrift, XL, 189) cherche à ra- mener d'une manière trop artificielle celle interprétation à l'hébreu Û^itt qui aurait été assimilé à DnsN?3 ('= M'iram) Ce procédé me paraii inadmissible, pour deux raisons : la première, c'est que, chez les anciens, un sektva tonnait une voyelle, et la seconde, parce que les interprètes grecs ont explique seulement Mariam et non Miridhi. Contre B., 30, je voudrais faire observer encore que îifcp» est un participe féminin. Des formes comme iTJjn'tt p. 30, note 2, ne méritent pas de mention, a plus forte raison de réfutation.

L'étymologie ÛSï^tt, à laquelle M. B. donne la préférence, est malheureuse, car ytùrtÇouaa, etc. et rtahfa ne correspondent pas. Il n'est pas sans intérêt que Ton ait dit de la sœur de Moïse qu'elle aussi était une « illuminée » et qu'elle « éclairait les autres ». Dans le pas- sage déjà cité de Sifrè, I, 78, Miriam est identifiée avec ?1JP1B (Ex., ï, I . mot qui est expliqué dans Exode rabba, eh. ï, (éd. Wilna, 8 a) par rr^nM "MûS Dn5S tt^sinœ « elle faisait briller son visage en face de son père ». Au même endroit, 10a, et b. Sota, Ma, on soutient que Mi- riam et Çohar (I Chron , iv, 7) sont la même personne, et on donne le motif suivant : û"nn£D "p7D"n n^:s vrrû nns e son visage ressem- blait à la lumière de midi - ».

L'inlerprétalion Mapiàu, xupioç èx (ou èx toG) ysvou; fiou, èx vevvtîcewç [xou est ramenée par M. B., 34, a rnh» (?) ■=. yévoç et ""» = Kûpio;, ce qui est tout à fait impossible. D'abord, le traducteur vieux-grec s'est inspiré, pour cette interprétation, de la langue alors vivante, et non de pro- cédés de grammaire moderne; il n'a donc pu songer à une forme non existante, qui signifie, d'ailleurs, « grossesse », et non a enfante- ment <>. Ensuite, dans YOnomasticon, chaque mot est traduit, selon l'ordre de succession de ses parties constitutives, comme on peut fa- cilement s'en convaincre. Il suffit de citer quelques exemples : Ava- \Lir{\ yipi; ^otoû 8eoû 7N Ûï ^n (p. 162, ligne 25); AVat/Xoi/ioc aîvoç tô> 8sw toj àopiTi* = rp ba [b]bn(4ô4, 2), rendu dans un autre Onomaaticon

1 Dans Sifrè, II, 48, on indique pour T^T l'étymologie ïf»H}2 b. Taanit, 6 a : y":N*ri Pî* STHïnD »miTTP l"n le "| et le -) de ïilV sont donc transposés. Sans doute, l'agadiste a songé, non à l'analogie de son, mais à la ressemblance orthogra- phique.

* D'accord avec Jean, vin, 12; ix, 5 : « genuit enim lumen mundi » ; b. Sota, 12 a et 13 a. Le passage d'Exode Rabba, c. 1 (10 b) : tfbfanD TVQ% "lbl3^ Ï-W2. nTlS îlb*l!3 n^arî b'D « à la naissance de Moïse, la maison entière fut remplie de lumière •, forme un intéressant parallèle. Dans Sifrè, l. c, et Sota, 11 3, David est présenté comme descendant de Miriam; ceci nous rappelle la généalogie du Nouveau Testament d'après laquelle le fils de Miriam descend de David. Les mots de l'Al- phabet de Ben Sira : lïT^Ti "P JO-lU?^^ NTO )"2, et l'allégation relative à la conception immaculée de la lille de Jeréune. dont Ben-Sira aurait été le fils (cf. Eps- tein, Beitrâgt zur jûdis'hen Alterlkumskunde, p. 123) me paraît trahir une influence chrétienne, car, dans Berakhot, 51 b, il est dit avec une intention de polémique : *p& fiiM b'w 13Û3 nDE Nbî* "pan» ffi8« bffl ÏTÎOa ^B; im»-P p est une allu- sion à ^"ÏÏ "ID. Voir encore Israël Lévi, La Nativité de Ben Sira, dans Revue, XXIX. 107.

156 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

(473, 74) par aiveïtat tôv <5vt& -^toi tôv xûpiov, le mot discuté est décom- posé eD \Xkr{ko<j= nbbn et ia = rp, ou, d'après la première traduction,

bbn et !"PH. •Apapfou Xo'yo; xupÉou = ÏT1 H72N l (161, 9). Donc, dans xupio;

éx Yévouç jxou, le premier mot doit être contenu dans Map et le second dans ajx. Il faut sans doute accepter l'explication de J. B. Kellner, citée par M. B., 34, note 2, et reproduite par M. Kaufmann (Monats- schrift, l. c, 190) comme hypothèse personnelle, à savoir que Mapiàjxest décomposé en b3> -)to, ou, plus exactement, en "W *nïï = Maptdu,ji7). Il est curieux que personne n'ait pensé à Genèse, xix, 38, la fille de Loth appelle le fils qu'elle a eu de son père ^ipy \^y ce que les Sep- tante traduisent par uîo? yévouç jxou. Les traductions, dans YOnomasti- con, de plusieurs mots entre la syllabe Aji sont également probantes. Ainsi, p. 162, 16-18, on trouve les sept interprétations Suivantes: Ap.{j.avu6 uio\ -yévouç p,ou; 'Ajxu,aviT7)<; ut&ç yévotjç jxou; 'AjApwâv uict y^vou;

(jlou; ,Afi{j.u)v{ l\ utoû yévoç. On le voit, y^voç répond à D3>. C'est pourquoi je ne voudrais pas, comme le fait M. B., donner la préférence à yéwriffiç sur révo?, quoique dans YOïiomasticon on retrouve encore ailleurs yév- vriffiç. De ce qui précède, on peut conclure que l'explication de Mapidu, èx yévouç pou est certaine.

Nous arrivons maintenant à l'interprétation énigmatique Mapu àrco àopdTwv. On est amené forcément, pour comprendre cette interpréta- tion, à songer à rifin et à chercher à expliquer l'a privatif de àopd-cwv. M. B., 31, invoque la forme hébraïque Û"HE en avouant qu'il ne com- prend pas la négation. M. Kaufmann, 189, écrit : « Gomme 70 a sou- vent le sens privatif, dans l'Écriture Sainte, après les verbes signi- fiant « empêcher », et comme ptajx ou pu correspond à ïTfin ( ï"P3N = &Ï?Ê5), l'ancien traducteur n'avait qu'un pas à faire pour arriver à la traduction « venant de l'invisible ». Nous venons de voir, du reste, que toutes les interprétations des Gnomastica, ne se rattachent pas» comme M. B. le soutient, aux formes Mapiâjx ou Mapu, mais aussi à «Miriam»2. Mais est le verbe prohibitif après lequel la négation doit se trouver dans Mariam? Quel est le mot qui doit représenter rrin = put»? Enfin, et c'est l'important, il s'agit de savoir ce que le traducteur entendait par « venant de l'invisible ».

On trouve fréquemment àdpaxoç dans YOnomasticon. Nous citerons

les exemples suivants : Ajxaptou )uoù àopcrcou ^dyoç xupCou (161, 9); Au,affia<; la^uwv, l<r/o<; doparov >va6; dopâtov (169, 10) ; Zaxxapta; u.vYf|nr) 0eou, |Avy)u.ti

1 Ces divers exemples montrent que YOnomasticon ne se préoccupe pas beaucoup des voyelles. Nous devons pourtant l'aire remarquer, à propos de A[xap = 1}3N que les formes "HWN, -etc., font songer à un singulier 'ifàN (= ")70N) ; dans Lament., Il, 17, on trouve inTEN. D'après Pinsker (Einleitung in das babylonisch-hebràische Punktationssystem, 154), iH£N et les formes analogues étaient prononcées autrefois

2 II s'agit de l'interprétation, que nous avons réfutée, de û^PNTO = M'iram = D"1"^ = cpomÇoixya, etc.

BIBLIOGRAPHIE 157

dopdTOU vixyitt^ Xaôov ' àpar.v xùptoç (165, 80) ; Huaia; acàaei xùpioç, ito^jxa

àopdtoo (166, 90 = ïsp ^tÇJ). Ou voit par ces explications que le tra- ducteur, comme je l'ai déjà remarqué, a devant les yeux l'ordre de succession des mots et qu'il rend la syllabe i<x par àdpaxoç, tandis qu'il traduit rt\ ou «X régulièrement par 0ed;. Çà et eX est aussi traduit par àdpaxoç, comme, 165, 80, ZapeX àvatoXri àopâTou (= bN [nlnî), et de même, inversement, ta par 8eo;, xtiptoc, comme l'enseignent les gloses citées; le plus souvent, «l'invisible» est la traduction de ta, quelquefois aussi de iou, comme dans 'HXiou 0e&; lato, ©eôç aùxdç jiou (=&on *b$)9 esèçàdparoç (165, 93). Rappelons encore la phrase déjà citée

AXXTjXouia alvo; t<Ï> 8e<j> àopaxw, tjX = 5N = Oedi;, et ta = ÎT1 = àdpaaoç. Parfois même, un simple Iw-ca est traduit par àdpato;, comme p. 162, 26 : AvatvTj ^ap^etç, xapt<; x^P1215» X^P1^ X*Pls àopâtou. Ces interprétations se rap- portent a [n^ in .inin ."jn. Il est donc certain que dopaxoç signifie « Dieu i> et est une traduction de ta. D'après cela, dans le nom de Mapfa, les deux dernières voyelles doivent signifier àopârtov. Le pluriel est ou bien une faute de copiste, wv pour ou, ou le traducteur a pris tau. pour un pluriel hébreu. Cette interprétation se rapporte à Mapidu., car, dans le premier passage, il y a xup(a Vijiwv, ce qui ne peut ré- pondre qu'à Maptdjx, avec p.. Map est sûrement xupfot. Il faut donc tra- duire la glose eutière Mapiajy] xupta Vipiwv ^ àit& àopâTwv : « Maria [m] notre déesse ou [la déesse] de l'invisible», car xupta fait aussi partie

1 II y a ici une faute de copiste, car le mot Zaxxapta? est décomposé en Zaxx, qui est sûrement identifié avec ^fcOT (ou ^^[3]?) et apiaç qui est assimilé à "HN. Au lieu de Xaûv, il faut donc lire )ia)v, comme on le trouve effectivement p. 173, ligne 68 : Zaxapiaç vixyjtyjç Xéoov. L'explication àpav)v xupto; se rapporte à ~OT et à J-p tandis que u,vYjU,r] répond à *"DT. Apacuaç est dérivé exactement, dans les deux premières explications, de Î"P£72N; dans la troisième, Û3> = Xaoç, est négligé comme la syllabe ap dans Ajiapiov Xaov (peut-être Xocô;?) àopàrou. Comme nous ne nous occuperons pas davantage des détails de VOnomasticon, nous constatons simple- ment qu'on néglige souvent des syllabes isolées, comme par exemple : EXeaÇap 0eoO Icr/ys = fy bit (cf. plus haut). Par contre, souvent la moitié d'un mot est prise, à la manière du Notarikon talmudique, pour un mot entier, comme AXçaaX àp^*) àp/rj; (161, 3) = "AXça AX(9<x) = (ND)bfc* Nobtf A cette occasion, j'appellerai encore i'attenlion sur une particularité iutéressante des Onomastica que nous étudions. Pour beaucoup de noms, les gloses explicatives sont interverties . Ainsi, 165, 35, il est dit : EXtaëa 0eoO yvaxn;. E).taSa 0eoù oopa. Incontestablement, ËXtaôa = 0eoù yvwatç

= yl"* btt et EXtaSa = 0eoO oopa— 2[n~h bfrî 163, 36 : E)ta6 0eoù àvàaTaatç. - t •• y l-Jt ■•

EXiaxetu. 0eo\3 im<xxço(ff\. Comme, 163, 53, Euaxiu, est rendu par /àpixoç àvàaxaffiç = û^p^ in ce qui convient aussi mieux d'après le sens, il taut lire ici aussi EXiaxeip. 0. àvàcxasiç et Ë).iaô 0- èiriffxpoçrj = (ï"î)r>N bfc*. 163, 38: EXteÇep 0eoç èx 0eoO. EXtr,X 0eoO aïvediç, 0eoû fftoXTjpia. La traduction aïvefftç (= louanges [b]bn "^N) est sans doute exacte, mais non 0. owxripîa « délivrance, conservation ; en outre, on ne voit pas comment EXteÇep arrive a la signification 0eoç ex 0eoù. Il est évident que la dernière traduction est celle d'EXirjX (= bi< *O0t) et que 0. awxYipia est celle de EXieÇep. Il existe encore d'autres exemples. Ceux que nous avons cités prouvent que VOnomasticon rend les verbes par des noms. On voit, en outre, que ex est employé pour indiquer l'état construit, constatation qui nous apprend qu'il n'y a pas d'impor- tance à attacher à ànô et ex.

158 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

de la seconde interprétation et ^ se rapporte simplement à t)u.ow, et non à xup(a. Je n'ai pu déterminer encore si l'identification de ia=: S* avec a l'invisible » est philonienne ou rabbinique ou personnelle à l'auteur de YOiiomasticon, et provisoirement je m'abstiendrai de toute hypothèse.

Gomme l'auteur de YOiiomasticon se tient, dans ses interprétations, à l'ordre de succession des mots, l'hypothèse que, dans Mapiàji xuptou acppayCç, le mot « sceau » est la traduction de Mar (= en persan mu/rr ou muhur), est invraisemblable de prime abord. Une étymologie per- sane est toujours une chose délicate. Il faut sans doute admettre que xûpio; est la traduction de Mapt et que, pour »6payiç, l'équivalent doit être cherché dans au.. S'il n'y a pas une corruption idiosyncratique de la langue grecque, ce qui, vu le fait que saint Jérôme ne cite pas cette interprétation, n'est pas impossible, on approchera peut-être de la vérité en admettant l'hypothèse que cette traduction doit son ori- gine à un Notarikons . E?payiç répond à l'hébreu Ûfjlft, qui, en grec, se prononce aôau. (comme 1M2 =Map), ce que l'auteur de YOnomast'Con croit trouver dans au,. Le a Sceau du Seigneur » nous rappelle le n»mn r\)2X n'apn b^J 2. Je ne puis donner d'explication plus satisfaisante.

Les écrivains ecclésiastiques grecs de l'antiquité et du moyen âge ne font que répéter les anciennes interprétations, qu'ils expliquent homilétiquement, mais ne donnent pas de nouvelles étymologies hé- braïques (p. 40-48); Mapia fjTot p.upCa est un jeu de mots grec (p. 45). Les lexicographes syriens (48-50) Bar Ali et Bar Bahlul, outre l'ex- plicatiou d' a illumination », qui rappelle çwtia{xdç, donnent encore la suivante : « Mariam est un dou ». Cette traduction, dont M. B. n'a pu expliquer l'origine, a été ramenée avec raison par M. Kaufmann (MouatSbchrift, l. c, 490) à "i~^ (== 1ï?fa^ Les explications des écri- vains ecclésiastiques latins de l'antiquité et du moyen âge occupent chez M. B. une place relativement considérable (50-115). Outre les anciennes explications, saint Jérôme en donne une nouvelle : stella maris, «étoile de la mer». M. B. a démontré péremptoirement que c'est une erreur de lecture ou une variante de copiste qui a fait de sîilla (== goutte = ntt) ce mot devenu si célèbre de stella. Les écri- vains ecclésiastiques latins suivent tous saint Jérôme : « L'époque suivante puise exclusivement dans le livre de saint Jérôme et ne se

1 Cf.. par exemple, Schabbat, 31 i, b^Tin "pNtiïu. (Ps., lxxiii, 4) naiJtntl T** Û^S^l; Pesahim, 42 a, "ittiÔ "172N3 £0, etc., dans le Notankon, le com- mencement du mot manque.

2 J. Sanhtdrin, 18 a, en bas : ùbl^ ^bttl D^H Û^btf irîO yn H"N nttN iftâ l'on ne tient pas compte du Tav. Simon ben Lakisch lait cette remarque dans une intention de polémique : -pn nZT^'^ttÊO d"E «ma NSbîO !"P 125^1 tjbfit

•^b ■psia trnbwN *p« ^ybntàl nn»» ^nbnp «bto yracn 'n nrt nttib ric-ioa

Le mot ff^payiç signifie aussi le baptême (B., p. 35); il n'est pas sans intérêt de constater que le même mot se retrouve dans Genèse rabba, ch. 32 et 49 (Levy, Neuhebruïsches Wortcrbuch, et Kohut, Aruch, s. v. 013T1SD).

BIBLIOUHAI'HIK 159

permel que de donner aux explications citées ici une autre tournure, et, eu particulier, de transformer « étoile de mer » en « étoile polaire » ou « hyade de mer» (p. M5). Le passage "irttf 01D3 N"D~i ûvM, « soixante myriades dans un seul utérus » (Moïse qui valait à lui seul autaut que tout Israël) est rappe.é par le passage suivant d'un sermon de Pierre Ghrysologne, mort vers 450 : « Mapte mater vocatur (Math., 1, 48) et quando non Maria mater? Congregationes, inquit, aquarum appellavit Maria (Gen., i, 10). Nonne haec, (c'est-à-dire : haec Maria, Gen., i, 10) exeuntem populum de Aegypto concepit uno utero etc. » (p. 79). Quoiqu'il y ait ici une allusion au baptême, l'idée qu'une femme seule a enfanté tous ceux qui sortirent d'Egypte est une coïncidence intéressante. Je suis obligé de renoncer à citer l'ho- mélie de Cesaire de Heisterbach (mort vers 1240) sur le nom de Marie dont M. B., p 97 et s., publie un extrait. L'habitude de jouer avec les lettres et les syllabes, leur valeur numérique, les additions et les multiplications de lettres, en un mot les guematriot et les no tarikon de toute sorte, jouent ici encore un plus grand rôle que dans le Zohar et daus Jacob ben Ascher1. Une étude comparative de l'exégèse chrétienne et juive de ce genre serait sûrement utile non seulement pour l'intelligence de la mystique juive, mais vraisemblablement aussi pour la critique du Zohar.

Après un court chapitre sur les interprétations dans la littérature allemande du moyen âge, l'auteur expose les interprétations des temps modernes (p. 121-155), qui rejettent les étymologies de l'anti- quité et essaient d'expliquer le nom à l'aide de la langue hébraïque. Gomme les humanistes ont appris l'hébreu des Juifs, plus d'une in- terprétation dut être d'origine juive, et il n'est pas impossible que l'une ou l'autre de ces malheureuses étymologies se trouve chez un écrivain juif. Ceux que ces tentatives intéressent peuvent les lire chez notre auteur.

Après avoir réfuté tous ces essais d'interprétation, M. B. arrive à cette conclusion que deux étymologies sont seules possibles : la pre- mière de mw ('"?'?) <( rebelle», la seconde de fintt « épais, gras ». D'après cela, il faudrait que ÛJHtt signifiât ou « rebelle » ou « grosse, grasse ». Or, s'il est dilhcile d admettre qu'un nom de femme ait le sens de « rebelle », on peut aisément, supposer qu'il signifie « corpu- lente », c'est-a-dire « belle », selon les idées des Orientaux; il répon- drait ainsi à tout ce qu'on peut légitimement « exiger » (p. 4 55J. Si cette étymologie répondait, en effet, « aux exigences », l'auteur n'aurait pas besoin de l'affirmer. Au moins, aurait-il fallu d'a- bord prouver que les Orientaux rendent o beau » par « gros » ou « gras ». Les deux termes usités pour exprimer « beau », mu et ïis\ signifient tout autre chose. Une étymologie omise par M. B. a été pro-

1 Les trois syllabes du nom de Maria sont une allusion à la Trinité; les cinq lettres du mot sont une allusion au Pentateuque; 5 + 3 ; 5 X 3 ; 1 -+- 2 H- 3 -|- 4 -f- 5; Maria = 152. Toutes ces combinaisons, avec bien d'autres notankon, sont inter- prétées.

160 REVUE DES ETUDES JUIVES

posée par M. J. Halévy dans cette Revue. X, 6, 8 (cf. aussi Monats- schrift, XL, 191). Le dictionnaire hébreu de Siegfried-Stade porte la devise suivante : Etiam nesciendi q»aedam ars, et cet ouvrage ne donue pas l'explication des noms propres. En science aussi, il faut savoir se résigner.

Ludwig Blau. Budapest.

ADDITIONS ET RECTIFICATIONS

Après la publication de mon article intitule' : L'empereur Claude et les, antisémites alexandrins, j'ai reçu deux nouvelles lettres de M. Jouguet, qui nie communiquent les re'sultats d'un dernier examen du papyrus de Gizeh. 11 résulte de cet examen : que les dimensions du fragment (hauteur : 0m,19, largeur : 0m,l 15) s'accordent exactement avec celles du fragment de Berlin, ce qui confirme mon observation de la p. 162 ; que la plupart de mes supple'ments sont confirmés par les traces de caractères lisibles au bord des lacunes. Ainsi notamment on lit bien, 1. 13, e'fn Aa[jx7r]tov. Tou- tefois, à la fin de la 1. 11 et au commencement de la 1. 12, M. Jouguet lit maintenant :

au 8e e£. Àtojx. ïCIOrAA ( ] 6ày)to;

Cette lecture ne permet pas de maintenir une conjecture, d'ailleurs aven- tureuse, que j'avais insére'e dans le tirage à part de mon article <io 8s e£[a>] 8(o{jl[oj J [toç] [eJuôa[iu,ovoç ■*& aito"j6XT)Toç. Les lettres lOrAA suggèrent natu- rellement la restitution t]t,ç Iou8tx[iaç, mais je n'apeiçois ni le comple'ment de la 1. 11, ni le sens général de la phrase. Je recevrai avec plaisir et tâcherai d'utiliser toute conjecture ou suggestion relative à ce pre'cieux texte. T. R.

T. XXVIII, p. 193. M. D. Kaufmann demande : « Qui était ce singulier marquis?» La réponse a e'té donnée déjà par Moïse Mendelssohn : « Un faiseur de projets qui, comme d'autres de son espèce, en voulait à la bourse de riches juifs » (Ein Projectenmacher, der wie andere seines Gelichters Anschlâge auf die Beutel reicher Juden batte, Ges. Schriften, III, 366). Kayserling.

T. XXXII, p. 290. ND W: est mis pour N3N W». On voit par les mots de la fin, dont la lecture est certaine, que les maires lectionis sont omises. On serait tenté ensuite de lire yiDîV si, l'N n'était pas si nette- ment tracé. La date est mNtt *mN1 rwmN. = 404 = 1404. David Kaufmann.

Le gérant,

Israël Lévi.

VERSAILLES, IMPRIMERIES CERF, 59, RUE DUPLESSIS.

Sm

,W

LES DIX-HUIT BÉNÉDICTIONS

ET LES PSAUMES DE SALOMON

On a déjà tant écrit sur les Dix-huit Bénédictions (Schemonè- Esré) qu'il peut sembler téméraire d'en entreprendre de nouveau l'étude. Il nous paraît cependant qu'on n'a pas encore tout dit sur cette prière, dont l'antiquité et l'origine obscure sont faites pour exciter la curiosité des chercheurs. Née à l'aurore même de la fondation du culte synagogal, elle a le charme de toutes les éclo- sions ; elle dépasse en beauté et en simplicité toutes les autres compositions qui sont venues la compléter, sans jamais l'éclipser ni l'étouffer : autant de titres à notre attention.

S'il était possible de retrouver la date précise de la rédaction des différentes parties de cette prière, de déterminer l'esprit de ceux qui en furent les auteurs, de spécifier le cercle dans lequel elle est née, on éclairerait, non seulement l'histoire de la liturgie juive, mais encore celle des idées morales et religieuses d'une pé- riode décisive du judaïsme rabbinique.

Si, en effet, le Rituel des prières ne saurait être considéré comme l'expression des aspirations de toutes les générations qui y restent attachées, car c'est le propre du rite de s'imposer à la vénération par la consécration de la durée, du moins à sa nais- sance, avant sa cristallisation, il est bien l'expression des besoins religieux, des conceptions et de l'idéal du temps qui l'a créé. Le tableau des diverses phases par lesquelles la liturgie juive a passé serait un tableau singulièrement vivant des phases de l'es- prit, des émotions et des sentiments des Juifs au milieu de leurs longues vicissitudes.

Nous voudrions, dans cette étude, essayer de déterminer ap- proximativement la date de la composition des Dix-huit Bénédic- tions, sinon dans leur totalité, au moins dans leurs parties les plus récentes, voir l'esprit qui les anime et qui leur a donné le jour et dans quel milieu elles se sont élaborées.

T. XXXII, 64. u

162 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Culte prière, au moins dans sa partie la plus ancienne, était déjà affectée au service public avant la destruction du temple. Sa popularité était si bien établie que les prêtres étaient tenus de la réciter dans le temple '.

Or, elle ne reflète aucune vénération pour le temple, ni pour les prêtres : telle est la première impression qu'en laisse la simple lecture2. Ce n'est pas dans le sanctuaire de Jérusalem qu'elle a vu le jour, par conséquent. Les prêtres, s'ils en étaient les auteurs, n'auraient pas manqué de relever le prestige de la maison de Dieu, la sainteté du culte des sacrifices et l'excellence de leurs fonctions sacerdotales. Supposer que les traits qui jus- tement célébraient la grandeur incomparable du service divin à Jérusalem auraient été effacés plus tard, lors de la substitu- tion de la liturgie aux sacrifices, serait méconnaître l'esprit de l'immense majorité des rabbins qui ont vécu après la catastrophe de l'an 70. Le temple détruit se para d'un éclat dont, debout, il n'avait jamais été revêtu; il devint le symbole de l'antique splen- deur d'Israël, le signe de la résidence de Dieu sur la terre. Au- cune couleur ne fut assez vive pour en dépeindre la beauté, aucun miracle trop extraordinaire pour en attester la sainteté. Tout ce qui y touchait devint l'objet d'une universelle vénération ré- trospective ; les docteurs dépensèrent des trésors d'ingéniosité pour en reconstituer le cérémonial, les lois qui présidaient au culte de sacrifices, le plan et la distribution de l'édifice sacré, etc. On ne le mit jamais si haut que lorsqu'il fut en ruines ; il se transfigura du jour il ne fut plus qu'un souvenir.

Si la liturgie remplaça sans difficulté ni discussion ces cérémo- nies séculaires, ce n'est pas parce que, le sanctuaire détruit, l'hos- tilité des rabbins se fit jour, c'est uniquement parce que ce culte était déjà constitué et vivait de sa vie propre. La transition se fit sans effort : la révolution était consacrée depuis des siècles.

Cette révolution s'était traduite dans l'institution des syna- gogues, en tant que lieux de culte. Quand et s'opéra cette

1 Voir, entre autres, Berakhoi, Mb; Tamid, 32 b.

s Nous négligeons la formule qui commence par les mots : bi'î'n'll}^ ""pû^S ÏT^H dnbDrm, la suite, qui parle des sacrifices, est en contradiction avec le début, qui n'invoque que la prière. Cette suite, d'ailleurs, peut avoir été ajoutée après la des- truction du temple. Voir plus loin, p. 165.

LES DIX-HUIT BÉNÉDICTIONS ET LES PSAUMES DE SALOMON 163

création, dont la fécondité fut extraordinaire : est-ce à l'étranger, dans la diaspora, ou dans la province, ou déjà dans l'exil baby- lonien? C'est une question qu'il est impossible de trancher, en passant du moins.

Mais, si la synagogue est peut-être l'œuvre du judaïsme extra- palestininen, les Dix-huit Bénédictions n'en proviennent assuré- ment pas1. De même que le temps, la distance enveloppa le temple de Jérusalem d'un nimbe glorieux : qu'on lise Phiion et qu'on réfléchisse sur l'affluence des Juifs étrangers à Jérusalem I Le Schemonè-Esré trahirait quelque chose de ce respect religieux que les Juifs à l'étranger vouaient au temple central, dont celui d'Onias ne fut qu'une contrefaçon sans portée.

Ce n'est pas seulement de l'indifférence à l'égard du temple et des prêtres que décèle notre prière. Voici qui va surprendre da- vantage.

On sait que les Dix-huit Bénédictions se divisent, en gros, en deux parties d'âges différents. Les trois premières et les trois der- nières forment la couche la plus ancienne ; aussi ont-elles été con- servées dans tous les Schemonè-Esré créés après les Dix-huit Bé- nédictions. Or, dans le dernier de ces six morceaux primitifs se remarque une nouveauté à peine croyable. S'il était un privi- lège incontesté auquel les prêtres dussent tenir, c'était celui de bénir le peuple au nom de Dieu. Ce droit leur était formellement attribué par un texte du Pentateuque : « L'Eternel parla à Moïse en ces termes : « Parle ainsi à Aaron et à ses fils : Voici comment vous bénirez les enfants d'Israël. . . Ils imposeront ainsi mon nom sur les enfants d'Israël, et moi je les bénirai » (Nombres, vi, 22-27). On peut voir dans Y Ecclésiastique (ch. xlv), écrit cer- tainement avant 199 (avant l'ère chrét.), l'importance qu'on attri- buait encore à cette prérogative sacerdotale.

Au dire du Talmud, cette bénédiction était prononcée solen- nellement, tous les prêtres rangés sur le perron du portique, à la fin du sacrifice journalier. Les prêtres, ne pouvant tous officier simultanément, venaient à tour de rôle à Jérusalem ; pendant

1 Quelques indices seulement trahiraient une origine extra-palestinienne : la mention des prosélytes dans la bénédiction qui sollicite la miséricorde divine en faveur des vrais fidèles. Mais nous savons trop peu de chose des idées qui dominaient en Palestine avant l'ère chrétienne pour eD juger seulement d'après celles qui préva- lurent après le triomphe du christianisme, la séparation des Chrétiens d'avec les Juifs et la destruction complète de la nationalité avec la ruine de Bétar. Il en faut dire autant de l'absence de tout propos malveillant à l'égard des ennemis extérieurs. Nulle part, en effet, dans notre prière ne se manifeste d'hostilité à l'égard des païens. Il n'est pas impossible même que l'avant-dernière formule, qui demande « que tous les vivants louent Dieu et lui rendent hommage avec sincérité », vise les non-israélites.

164 REVUE DES ETUDES JUIVES

qu'ils restaient en province, ils prononçaient la formule de béné- diction à l'office du matin dans les synagogues « .

Or, cette bénédiction, prérogative des prêtres d'après l'Ecri- ture, les auteurs du Schemonè-Esré s'en emparent pour en faire la fin de la prière. Ce ne sont pas seulement les idées, mais les mots eux-mêmes de l'Ecriture qui passent dans l'oraison, laquelle est récitée par un laïque -.

C'est un véritable coup d'état religieux, c'est l'élément pro- fane qui se substitue au clergé : la synagogue, de fait, est dressée contre l'autel 3.

Pour qu'une telle révolution fût possible, il fallait que le crédit du sacerdoce eût singulièrement baissé et qu'au contraire, eût grandi un parti hostile résolument aux prêtres et s'élevant sur les ruines de leur autorité.

Ce parti, nous allons en voir immédiatement le nom, dans cette même prière. Un mot frappe, dans cette paraphrase de la béné- diction sacerdotale : « Car, par la lumière de ta face, tu nous as donné la Loi de vie (ù^n rmn) ». Cette phrase peut s'expliquer de deux façons : « La loi nous appartient à tous, nous n'avons pas besoin des prêtres pour recevoir ta bénédiction, c'est toi qui nous la donnes » ; ou bien, 2°, « la lumière de ta face, c'est la Loi de vie ». Quel que soit le sens précis de cette proposition, il est cer- tain que l'introduction de la Tora dans cette formule révèle le nom des auteurs de cette bénédiction : ce sont les Pharisiens, les docteurs de la Loi.

Notre regretté maître Isidore Loeb était arrivé aux mêmes con- clusions pour l'origine du Schemonè-Esré, en partant d'autres données. Pour lui, le deuxième paragraphe, revient avec tant d'insistance la mention de la résurrection, est, dans sa rédaction actuelle, l'œuvre des Pharisiens. La 13° bénédiction, la bonté de

1 Voir Mischna Tamid, vu, 2 ; Sot a, vil, 6 ; Taanit, 26 b.

1 Furstenthal, cité par Landshuth, Siddour Higion Haleb, p. 73, note, a déjà relevé cette particularité, que les expressions employées dans cette formule sont em- pruntées à la bénédiction sacerdotale.

3 On pourrait, à la rigueur, trouver dans le Sifrè, sur Nombres, vi, 27, une rémi- niscence des sentiments qui animaient les auteurs de cette révolution :

b"n ûïtwm rrmbn ùrpmrnn tmïaiN b$r\w îw isbiD ùid'-dn ^éti ûs-dn ^en b"n b&nu^ "pns isk tj-nEia trsrttDrt îw abia ^s-dn vj&n T^fco ^pT ïtoj» bD2 '■p-n ^nb» 'n "o 'ac baniai ■»»* na ^paa* ^n

« Pour que les Israélites ne pensent pas que leur bénédiction dépend de leurs prêtres, il est dit : C'est moi (l'Eternel) qui les bénis. Pour que les prêtres ne disent pas : C'est nous qui bénissons Israël, il est écrit : C'est moi qui bénis mon peuple Israël... •. Mais ces interprétations de textes s'expliquent tout naturellement, sans avoir besoin d'être rattachées à des traditions lointaines.

LES DIX-HUIT BÉNÉDICTIONS ET LES PSAUMES DE SALOMON 165

Dieu est appelée sur les justes, les scribes, les prosélytes, et non sur les prêtres, est purement pharisienne ou consacrée à d'anciens partis révérés par les Pharisiens *. Enfin, la 11e, qui demande le retour de bons juges, semblables à ceux d'autrefois, pourrait être une critique des juges sadducéens. Seulement, allant plus loin, Isidore Loeb voulait attribuer notre Schemonè-Esré à ces « pauvres » dont le parti ne nous est attesté par aucun texte his- torique.

La lumière qui, pour nous, se dégage de la bénédiction finale, va éclairer bien d'autres paragraphes.

La est ainsi conçue : « Ramène-nous, ô notre Père, à ta Loi, et approche-nous, ô notre Roi, de ton culte, et fais-nous revenir devant toi par une pénitence complète 1 Sois loué, Eternel, qui agrées la pénitence ».

Isidore Loeb a croit qu'ici culte signifie culte des sacrifices, nous ne le pensons pas 3 ; mais, si c'était vrai, l'observation que nous allons présenter n'en aurait que plus de poids : n'est-il pas remar- quable que ces mots « approche-nous de ton culte » soient suivis immédiatement de la phrase : « et fais-nous revenir à toi par une pénitence? » Cette addition, qui est la partie essentielle de la prière, témoin la finale, signifierait : « l'essentiel n'est pas le sa- crifice, mais la pénitence ». Pourquoi ces Israélites, priant loin du sanctuaire et sachant que chaque jour sont offerts des sacrifices pour tout Israël, ne demandent-ils pas que ces offrandes soient agréées comme une expiation? Un pareil silence ne peut s'expli- quer que parle parti-pris de ne pas tenir compte de l'existence du temple ou d'en réduire l'importance.

Le paragraphe suivant confirme cette impression, car encore les sacrifices sont passés sous silence : le fidèle, plein de la pensée de son péché, implore son pardon en invoquant seulement la mi- séricorde divine.

Cette 5e prière a comme son doublet dans la dernière rédac- tion de la 17e. il est question des sacrifices, mais avec un sem- blable correctif : ïiina bnpn dnVsm bamB"1 içj&n « et tu accueilleras avec bienveillance les sacrifices et Les prières d'Israël ». L'addi- tion de ces mots « et les prières » 4 est une protestation que la prière doit être mise au moins sur le même rang que les sa- crifices.

Il est une expression dans la 3e bénédiction que personne n'a

1 Revue, t. XIX, p. 22. . ' Revue, ibid., p. 19.

3 Pas plus que dans la bénédiction qui commence par n£""i.

4 Si ces mots ne sont pas justement la leçon primitive.

166 REVUE DES ETUDES JUIVES

encore remarquée et dont le sens va recevoir de notre hypothèse une signification nouvelle : « Tu es saint et ton nom est saint, et les saints chaque jour te louent. Sois loué Eternel, Dieu (ou Roi) saint ». Ceux qui ont ajouté à ce paragraphe la Kedouscha se sont trompés en croyant que les mots « et les saints » désignent ici les anges. Le mot « saint », dans la littérature qui a vu le jour après le livre de Daniel, a un sens technique : il désigne les hommes pieux et les Pharisiens, par opposition aux Hellénistes d'abord, puis aux Sadducéens *.

Si ce sont des « saints » qui ont composé nos Dix-huit Bénédic- tions, il est tout naturel que les « orgueilleux », les « délateurs », les « artisans d'iniquité » soient dénoncés à la colère divine et voués à la perdition. C'est de style dans toutes les Apocalypses du temps.

Et, effectivement, la 12° beraklia ne manque pas d'appeler le courroux de Dieu contre ces méchants : « Que pour les délateurs il n'y ait pas d'espoir, que tous les artisans d'iniquité périssent en un instant, et détruis, paralyse et anéantis les orgueilleux bientôt, de nos jours. Sois loué, Éternel, qui courbes les orgueilleux. »

On opposera à cette hypothèse la fameuse baraïta (Berakhot, 28 &) qui raconte que, Simon Happacouli ayant classé les Dix-huit Bénédictions dans leur ordre convenable devant R. Gamliel II à Jabné, celui-ci demanda à ses collègues : « Quelqu'un saurait-il donner la bonne leçon de la bénédiction des « Sadducéens » ? Sa- muel le Petit le fit; mais l'année suivante, l'ayant oubliée, il resta deux ou trois heures avant de la retrouver.

On a prétendu que Samuel le Petit aurait inventé cette bénédic- tion, qui aurait été ajoutée au fond des Dix-huit. Mais Isidore Loeb a déjà montré que ce texte est susceptible d'une autre inter- prétation 2 :

« Le travail de classement de Simon ha-Peculi n'a pas être un travail arbitraire et purement personnel. Il est impossible que ce docteur ait bouleversé le texte à sa fantaisie, sans tenir compte du classement traditionnel; son rôle se sera borné à consacrer la bonne leçon, choisir entre les variantes, écarter les bénédictions additionnelles qui s'étaient formées et revenir au nombre consacré de 18 ou 19. Il aura fait œuvre de bon éditeur et rien de plus. Samuel, qui aurait, suivant la tradition talmudique, rédigé la bénédiction des malsinim pour le même R. Gamliel, n'a fait que

1 Dans Y Ecclésiastique, écrit avant la lutte des Pharisiens et des Sadducéens, les prêtres sont encore qualifiés de « saints » fch. xlv). * Revue, t. XIX, p. 17.

LES DIX-HUIT BÉNÉDICTIONS ET LVS PSAUMES DE SAUMON 167

changer la l'orme d'une ancienne bénédiction; mais ce changement ayant modifié profondément le sens et la portée de cette bénédic- tion, le Talmud a pu croire plus tard qu'elle était nouvelle et avait été ajoutée aux dix-huit anciennes bénédictions ».

Si ces méchants sont vraiment les Sadducéena, le parti des prêtres, on ne comprend pas seulement ce paragraphe, mais tous ceux qui l'encadrent. Comme l'a très bien vu Isidore Loeb, ces juges auxquels on oppose ceux d'autrefois, dont on demande le retour, ce sont bien les juges sadducéens dont l'injustice révoltait les pieux fidèles. À ces méchants, par une association d'idées natu- relle, on oppose les justes, les pieux, les anciens d'Israël, les scribes, les prosélytes gagnés par la propagande pharisienne, tous les vrais défenseurs de la justice.

Ce gouvernement détesté, on en souhaite la destruction, on demande à Dieu le retour de la dynastie davidique, qui apportera le salut d'Israël. Jérusalem, souillée par les prêtres sadducéens, Dieu n'y habite plus : que Dieu y rétablisse sa résidence et que la ville sainte soit édifiée enfin comme elle devrait l'être !

Les parties les plus récentes du Schemonè Esré peuvent donc avoir été composées bien avant la destruction du temple, alors que les Hasmonéens régnaient encore sur la Judée.

II

Tant de conjectures présentées avec une telle assurance sem- bleront une gageure. Nous n'aurions pas osé les exposer sans réserves, si elles n'étaient pas confirmées par un témoignage irrécusable dont nous allons maintenant parler.

En i'an 65 avant l'ère chrétienne, la Judée était désolée par la lutte fratricide d'Aristobule et d'Hyrcan. Le temple même était devenu le théâtre de la guerre civile. Les prêtres s'étaient rendus odieux au peuple pour avoir embrassé le parti d'Aristobule; si grande était la haine de la foule, qu'elle supplia Onias, « homme juste et chéri de Dieu », de charger de ses imprécations Aristobule et sa faction, et, comme Onias, dans sa prière, demandait à Dieu de n'exaucer ni les prêtres, ni le peuple, il manqua d'être lapidé. Ces événements, que déploraient les âmes pieuses, chassèrent beaucoup de Juifs en Egypte.

Sur ces entrefaites, Scaurus, lieutenant de Pompée, arriva à Damas. Les deux frères ennemis lui envoyèrent des ambassadeurs

168 REVUE DES ETUDES JUIVES

pour solliciter son alliance et le secours de ses troupes. Le général romain se décida en faveur d'Aristobule et enjoignit au roi des Arabes, Arétas, qui soutenait la cause d'Hyrcan, de lever le siège de Jérusalem. Arétas ne s'empressa probablement pas de se rendre à cet ordre, car Aristobule livra bataille au roi des Arabes et à Hyrcan, et, de nouveau, Jérusalem vit couler le sang à flots.

Bientôt Pompée lui-même arriva à Damas et fut assailli par les sollicitations des deux compétiteurs, qui appuyaient leurs requêtes de présents magnifiques. Mais il vit venir à lui un troisième parti qui se disait délégué du peuple et « se montrait autant opposé à l'un qu'à l'autre des deux frères, ne voulant pas du pouvoir- royal : il avait, il est vrai, l'habitude d'obéir aux prêtres du Dieu adoré chez lui, mais ces descendants de prêtres cherchaient à sou- mettre la nation à une autre forme de gouvernement et à en faire des esclaves ». Pompée, d'abord irrésolu, puis mécontent de l'attitude d'Aristobule, marcha contre lui. Aristobule fut réduit à céder et même à livrer au conquérant romain toutes ses forteresses. Pour parer à toute éventualité, il se réfugia dans Jérusalem. C'était une faute, car, poussant ses avantages, Pompée l'y suivit. Effrayé, Aristobule offrit d'accepter toutes les conditions que lui imposerait le général romain : contribution de guerre, entrée libre de la ville sainte, il promettait tout. Mais ses soldats refusèrent de laisser l'ennemi pénétrer dans Jérusalem. Le siège de la ville fut alors décidé; après trois mois de travaux, le temple, s'étaient réfu- giés les soldats et quelques prêtres, fut pris d'assaut. Au dire de Josèphe, le carnage fut horrible; 12,000 Juifs périrent, et le géné- ral ennemi entra jusque dans le Saint des Saints (63) * .

L'impression produite par la victoire de Pompée, par son entrée dans le temple, fut profonde, quoi qu'en dise M. Renan2. Si les écrits talmudiques, distants de plusieurs siècles de ces événements, n'en ont conservé aucun souvenir, si Josèphe se montre ému, presque fier de la modération du vainqueur, et trouve qu'il se comporta selon ce qu'on attendait de sa vertu, si cet historien, ami des Romains et avide de les flatter, n'a mentionné aucun ves- tige du « deuil » ni de la « colère » du peuple, il n'en faut rien conclure pour la génération qui fut témoin de la première et irré- parable défaite de la nouvelle dynastie 3.

Des Psaumes, écrits sous l'impression du deuil et de la colère

1 Josèphe, Antiq., XIV, iv, k.

* Histoire du peuple d'Israël, V, p. loi).

3 Ibid. 11 faut lire toute cette page, en la comparant au texte de Josèphe, pour prendre sur le l'ait un des procédés de composition historique de l'illustre orien- taliste.

LES DIX-HUIT BENEDICTIONS ET LES PSAUMES DE SALOMON 169

du peuple, hostile aux Hasmonéens comme aux Romains, nous dépeignent avec une vivacité douloureuse Pétat d'esprit des pieux Israélites, spectateurs de ces ruines.

Ces Psaumes, qui sont attribués à Salomon \ et qui, écrits d'a- bord en hébreu, ne nous sont parvenus que dans leur version grecque -, sont un document des plus précieux pour l'histoire des idées chez les Juifs de Palestine au ier siècle avant l'ère chrétienne. Ce qui en fait le prix surtout, c'est qu'ils sont datés avec une pré- cision parfaite, qu'aucun critique ne conteste, et présentent une unité complète. Les morceaux les plus récents ont été composés entre la mort de Pompée (l'an 48 avant l'ère chrétienne) et l'an 40.

Or, ce Psautier, à travers lequel souffle l'esprit pharisaïque, nous offre un véritable commentaire de nos Dix-huit Bénédic- tions : il reflète les mêmes idées, les mêmes tendances, le même état d'âme. La ressemblance est même dans les expressions, et chacun des paragraphes du Schemonè-Esré a son pendant et son parallèle dans ces Psaumes.

On va le voir immédiatement. Nous avons dit plus haut que la 12e bénédiction que, sur une fausse interprétation du Talmud, on fait naître après la destruction du temple, pourrait bien n'être que la formule dirigée contre les Sadducéens, les fonctionnaires des rois hasmonéens, les adversaires du parti démocratique et pieux. Si les malédictions auxquelles les voue notre Schemonè-Esré ont paru parfois singulièrement violentes, elles sont cependant plus modérées que celles des Psaumes de Salomon:

Détruis, Seigneur, les pécheurs qui vivent hypocritement parmi les saints: frappe leur chair de corruption et leur vie de détresse

(4, 6).

'EÊjxpa'. o Sebç touç ev Lucoxpicei Çcovxaç aexà ôaruov, ev cpôopa crapxoç aùxou ocuxôv (?)] xaî 7cevta tttjv Ç<d7)V ohjtou [aùxûv (?)] ty,ç Çtcyjç.

Heureux ceux qui craignent le Seigneur dans l'innocence de leur cœur ! Le Seigneur les délivrera des hommes trompeurs et pécheurs, il nous délivrera de tous les scandales de l'injustice (4, 25).

Maxàptoi o\ çpoêouptevoc xov xupiov ev àxaxia aùxiov* o xuptoç pùcrexai aù- to'j; ttco av0:<.)-(-)7 SoXtwv xaî àfjt.apTa)X<DV; xaî ^ùcrexat Tjuaç àirb Ttavxbç ffxavSàXou TrapavdjJLou .

1 Voir Schùrer, Geschichte des jûdiscken Volkes, II, L»88 et suiv.

1 M. Oscar von Gebhart vient d'en donner une nouvelle édition, laite avec le plus grand soin : ^aÀu-ot £o).o(jlwvto;, Die Psalmen Salomo's, zum ersten Maie mit Benu- tzung der Athoshandschrilten u. des Codex Casanatensis hrs<™\ von Oscar von Geb- hart, Leipzig, 18y5. [Texte u. Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Lileratur, XIII. Bd., Heft 2]. Nos citations sont laites d'après cette édition.

170 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Détruis, Seigneur, ceux qui, dans leur orgueil, commettent toute injustice ; car tu es, Seigneur notre Dieu, un juge grand et redou- table dans ta justice (4, 24 .

'Eçàpai 6 @ebç xoùç TrovoCivraç sv ÛTisc/r^av^a Tcaaav àSixt'qcv, oti xoittjç jx é y a ç xaï xparaioç xupioç b ®ebç tj(X(ov ev Sixatoaruvv) *.

Que la langue qui médit périsse dans le feu et qu'elle ne fasse aucun mal aux saints (12, 4).

'Ev 7TU0Ï ffiXoYOÇ yXôcaÇC 'inOopOÇ àlToXoifO 0C7TO OffUDV 2.

Aussi auront-ils pour héritage l'enfer, les ténèbres et la perdition, el ils ne se rencontreront pas dans le jour de la miséricorde des justes (14, 9).

A'.à touto >] xXïjpovojJitaatJT&v 7.o'rtç xaî sxôxoç xoà ûCTCOjXeta, xa't oùy cûoe- OVjffOVTat Iv 7]p.épa IXéouç Btxaitov.

Et l'héritage des pécheurs est la perdition et les ténèbres, et leurs iniquités les suivront en bas jusqu'aux enfers (15, 10).

Koù 7] xX7]©ovopi(qj to)v âaapxojXojv otTtwXgia xai «jxotoç, xai ai àvouia-. aùtoW ouôçovrai aùroùç e<i)ç aoou xàtco.

Dans ta sagesse, dans ta justice, repousse les pécheurs de l'héri- tage, brise l'orgueil du pécheur comme des vases d'un potier (17,23).

'Ev Tocp-'x, êv oixatoffuv/) ê|u><7ai à|xapTioXoùç 7.-0 xX7)pGV0[i.iQCç, èxTpt^qti CnrepTjcpav'av afJtapTtoXotî <bç crxeuT) xsot.jj.so>:.

Et que les pécheurs périssent tous ensemble de devant la face du Seigneur, et que les saints du Seigneur héritent de ce qu'il leur a promis (12, 6).

Kott a7roXotvTO ôl 5cp.apTO)Xo[ omo tzcggmtzou xupiou à7caç, xat ôertot xupioy

xXTqpovofJLTjo'aicTav l'jrayyeXiaç xupiou.

On remarquera l'étonnante ressemblance des termes, on notera également que les versets du Psautier encadrent parfois ces malé- dictions comme notre Schemonè-Esré en marquant bien que ces délateurs, ces artisans d'iniquités, sont ceux qui faussent la jus- tice.

La démonstration nous semble péremptoire. On objectera, peut- être, que, si la prière visait les agents du pouvoir, les autorités

1 Tout le Psaume iv, qui commence par ces mots : « Pourquoi siégez-vous dans le grand Conseil, mondains, puisque votre cœur est loin du Seigneur... ? » est dirigé contre les Sadducéens, « ces mondains, ces Û^DStl, qui repoussent la crainte de Dieu, mais se font les serviteurs d'un homme et prennent pour Dieu un homme». C'est aussi l'opinion de Wellhausen, Die Pharisâer u. die Sadducàer, p. 14o et suiv.

2 M. Wellhausen rattache aussi le chap. xn au iv6 (p. lMfi).

LES DIX- HUIT BÉNÉDICTIONS ET LES PSAUMES DE SALOMON 171

constituées, on n'en aurait pas permis la récitation publique. Mais savons-nous si le gouvernement se mêlait jamais de ce qui se pas- sait dans ces réunions des hommes pieux, s'il n'affectait pas de les ignorer, si, enfin, il se croyait assez fort pour les surveiller et les réglementer? D'ailleurs, les poursuites mômes de l'autorité, au lieu d'entraîner la disparition de ces prières, n'auraient réussi qu'à les rendre plus chères au parti des pieux, qui rêvaient un nouvel ordre de choses à échéance prochaine. Enfin, la composition de mor- ceaux conçus sur le modèle des Psaumes et destinés, comme eux, au culte public montre suffisamment qu'en ces temps, le courage ne faisait pas défaut aux chefs du parti religieux.

Leur hardiesse était plus grande encore, et c'est ici que le Psau- tier de Salomon projette un jour inattendu sur notre Schmonè- Esré et confirme victorieusement notre hypothèse. Il est convenu que les morceaux qui parlent du rejeton de David, de la recons- truction de Jérusalem et du retour de la résidence de Dieu dans la ville sainte sont postérieurs à la destruction du temple. Or, que dira-t-on en retrouvant exactement tous ces vœux dans notre Psautier?

Ils l'ont arraché (?) avec force, ils n'ont pas glorifié ton nom digne d'honneur : dans leur orgueil ils ont mis un diadème sur leur tète comme symbole de leur puissance. Ils ont vidé le trône de David dans leur folie de changement. Et toi, tu les renverseras, Seigneur, et tu ôteras leur race de dessus la terre (17, 5-8).

M £77. fitaç àcpeiXavTO, xat oôjc sooçaaav xo ovo;j.â gou tq eyTt(XQV. 'Ev 86iJY] IdevTO ^aaiXetov xvxt S^ouç oujtûW, TjpTJjjuoaav xov 6pdvov Aaiùo Iv uîcepTjcpavia àXXâyaaxo;. Kat ffù, 6 ©eoç, xaraêaXeïç aùxoùç xai xpslç xb G-nsppia aùxwv kltb xy,ç y'7,ç.

Ces reproches s'adressent, sans aucun doute, à la dynastie mac- chabéenne. C'est elle qui est responsable des maux qui ont fondu sur la Judée (lTf, 12-22). Aussi, le poète demande-t-il leur châti- ment et ajoute :

Vois, Seigneur, et rends-leur leur roi, le fils de David (17, 21). 'Ioe. Kupte, x.cù ivctffTTjffov zÛtoÏç tov fiaffiXéa atrrtov, ulbv Aauio.

Et il le Messie i purifiera Jérusalem avec sainteté, comme elle était dès le commencement 17, 30).

Kat xaOastct 'IepouffaXTjjJi Iv &Yiaff[j.<3 xal xb àrc' kpffiç. 1 C'est également l'avis de M. Wellhausen, p. 131.

172 REVUE DES ETUDES JUIVES

Et il rassemblera le peuple saint qu'il conduira selon la justice, et il rendra la justice aux tribus du peuple sanctifié par le Seigneur. . . (47, 28-29, etc.).

P^nfin, la bénédiction qui demande le retour des Israélites dispersés a toujours été placée après la destruction du temple et la grande dispersion. Qu'on lise les versets suivants :

Sonnez de la trompette en Sion, de la trompette de la signification des saints, proclamez en Jérusalem la voix du porteur de bonne nou- velle (ntin» bip) (41, 4).

SaX-jctsaxE èv St(ov èv aàXTuyyt tjrjtxao-i'aç ayuov, xïjpùIjaTe èv IspoiNTaXTjf*. c&(6v7|v eùaYveXiÇoaevou.

Tiens-toi élevée, Jérusalem, et vois tes fils dans l'Orient et dans l'Occident réunis tous ensemble par le Seigneur (4 4, 2).

EtyjOi, 'IepouffaXTj!*., I<p' G'lrr,Xoiï xat tSe xsxva crou àjrb àvaxoXwv xat ouctjjuov (7uv7jY{Jiéva dcàira^ Otco xupiou.

Ils viennent du Nord, pleins de la joie de leur Dieu ; des îles loin- taines Dieu les a rassemblés (41, 3).

'Atto [Sopâa "épyovxat xyj eùœpoaovvi xou [©e.oïï aùxwv, èx vr^oiv fiaxp60£v duv^yaysv aùxoùç ô ®eoç.

Réunis la diaspora d'Israël par un effet de ta miséricorde et de ta bonté (8,28).

Suvàyaye X7]V BtasTcopàv 'IcpaTjX jxsxà èXèouç xat j^pTjffTOTïjTOç.

Et il (le fils de David) rassemblera le peuple saint qu'il conduira selon la justice, et il rendra la justice aux tribus du peuple sanctifié par le Seigneur son Dieu (17, 26).

Kat auvà^st Xabv aytov ou àa>T|y7J(7£xat èv otxatoauv/j, xat xptv£t cpuXàç Xaou •/jytaG-|j.£Vou u7tci xuptou ©sou aùxou.

Heureux ceux qui naissent dans ces jours pour voir le bonheur d'Israël dans la réunion des tribus que Dieu accomplira (47, 44) !

Maxaptot ot y£v6tx£vot ev xaTç 7](i.epatç èx£tvatç, îBetv àyaOà 'IcparjX èv (juvayojyyj cpuXwv, a Tronrjseï 6 ©eoç !,

On se rappelle que, parmi les partis qui vinrent prendre Pompée pour arbitre, se trouvaient des délégués ennemis de toute royauté, hostiles aux Hasmonéens, qui avaient inauguré un régime nou-

1 L'Ecclésiastique, plus d'un siècle avant, demande aussi la réunion de toutes les tribus de Jacob (xxxiii, 13-16).

LES DIX-HUIT BÉNÉDICTIONS ET LES PSAUMES DE SALOMON 173

veau. Les mêmes sentiments d'hostilité inspirent la prière qui de- mande à Dieu de ramener les juges et administrateurs d'autrefois, de faire cesser le chagrin et les plaintes (causés par le régime ac- tuel), et qui se termine par ces mots : « Et règne seul sur nous avec bonté et miséricorde1 et justifie-nous dans le jugement. » Le Psautier de Salomon exprime les mômes sentiments et les mêmes vœux, montrant par qu'il appartient à ce parti démocratique. Parlant des temps messianiques et de l'œuvre du fils de David, il dit :

Il les conduira tous dans la sainteté; il n'y aura point parmi eux Vorgueil d'exercer la domination (17, 41).

\\y.\ O'jy. serrât Iv scùxoTç u7ts6Y|cpavià rov) xaraouva^TsuOrivai ev auxoT;.

Bien que le temple et Jérusalem soient encore debout, le poète attend du Messie qu'il purifie Jérusalem, qu'il la sanctifie et la ré- tablisse comme elle était auparavant (17, 33). Le sanctuaire a beau porter le nom de Dieu, il espère que ce nom de Dieu habi- tera vraiment au milieu d'Israël, car alors les Juifs obtiendront miséricorde (7, 6).

Tous ces paragraphes consacrés à la réunion des exilés, au ré- tablissement des anciens juges, à la destruction des calomniateurs et mauvais juges, au triomphe des justes et des pieux, à la restau- ration du trône de David et à l'édification d'une Jérusalem nou- velle, comme l'a bien vu Isidore Loeb, ont un caractère messia-

I M. Joseph Derenbourg, Eevue, XIV, 26, supprime cette proposition pour re- trouver partout cette trichotomie qui s'observe dans les 3a, 48, 5% 68 et 7e, 10e et 14» bénédictions. La coupe et la division de ces formules sont, en effet, curieuses à noter, mais peuvent-elles être érigées en lois? La trichotomie était-elle un principe im- muable, suivi lors de la rédaction du premier fond et lors de l'addition des groupes nouveaux? Nous ne le pensons pas. D'abord, il y a tel de ces paragraphes et des plus anciens comme le 1er, le 17e et le dernier qui ne peuvent certainement pas être ré- duits à ces trois propositions. En outre, et nous appelons l'attention sur cette obser- vation, il nous semble que le Schemonè-Esré est composé de groupes de morceaux constitués d'une manière semblable. Ainsi, les nos 1 et 2 se signalent par une finale commençant par "pTD '•

rtjiiai m73K73i rrriEi rra» ^73

Les noï 5 et 6 par les mots "^"ON et "iD^b?3 :

^minyb i;^b73 isn-ipi ^minb îsia» ■onTOtt iMttoa "O i3sb73 13b bn73 i3»tan "O iras 12b nbo

Les n°* 7, 8, 9 sont une reprise de 1 et 2 (remarqué déjà par Landshuth). Les n°» 10-15 forment un tout consacré à l'époque messianique, et ne sont qu'une nouvelle paraphrase du 1.

II n'est donc pas permis de faire rentrer tous ces groupes sous la même loi. Il en est de la trichotomie du Schemonè-Esré comme du parallélisme dans les livres poé- tiques de la Bible : elle n'est pas absolue.

174 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

nique1, mais il faut ne pas oublier que l'ère messianique était attendue alors chaque jour, que les auteurs de prières, comme les faiseurs d'Apocalypses, imploraient ce changement pour le lendemain. C'est la pensée du poète du Psautier de Salomon et c'est évidemment celle de l'auteur de ces paragraphes du Sche- monè-Esré, qui ont pu être presque contemporains.

Ces Psaumes s'accordent encore avec le Schemonè-Esré dans son indifférence à l'égard du temple, qu'a souillé le pontificat de son temps. Si l'ennemi est entré dans le Sanctuaire, c'est parce que le temple a été profané par les propres fils d'Israël :

Le pécheur, dans son orgueil, a renversé avec le bélier les murailles fortifiées,

et tu ne les a pas arrêtés.

Les nations étrangères sont montées sur ton autel,

elles Font foulé aux pieds de leurs chaussures dans [leur] orgueil.

Parce que les fils de Jérusalem ont profané les sacrifices du Sei- gneur, souillé les dons de Dieu dans leurs iniquités.

A cause de quoi, il a dit : Rejetez-les loin de moi, je n'y prends pas plaisir (2, 1-5).

'Ev t<o Ô7r£p7jçotvèueff0at tov xjxcépTtoXbv Iv xptœ xcfcT^ëaXs te-'/y, ô^upa,

xaï oùx IxcoXuaaç. 'Avéêï|<rav iiti to 8u<ria<mrçpt©v cou sOvy, àXXorpia,

xarsTiaTouaav èv Û7cooYju.a<7'.v aûrôv Iv uirep7|cpavtqL. 'AvO' ojv o\ viol 'IspotxraXYifJL satavav Ta àyta xup''ou,

ÈôcÔYjÀouGav §ôpa tou @eov èv avortait;, 'Evîxsv toutcov eItzeV aTioç-c'-paTs aÙTa jxaxpàv à-rc' ku.ov,

oùx eùooxco sv aÛToTç.

Par contre, dans ces Psaumes, il est plusieurs fois question des synagogues. Ce mot peut se rendre, dans certains passages, par communauté bnp, mais, en d'autres, il désigne sûrement la réunion des fidèles :

Et les saints le confesseront dans l'assemblée du peuple (d* bïipa), car il est clément et miséricordieux à jamais, et les synagogues d'Is- raël loueront le nom du Seigneur (10, 6, 7) :

Kat cuvaycoyai 'lapaïjX ooçàcoucrtv to ovo[xa xupiou.

Ceux qui aiment les synagogues des saints ont fui loin d'eux :

'EcpuyoGav kn aÙTcov ayaTuovTeç cuvaytoyàç ôat'wv.

1 La liaison de ces idées et même les termes sont empruntés à Isaïe, i, 26-28.

LES DIX- lll IT BÉNÉDICTIONS ET LES PSAUMES DE SALOMON 175

Il faut noter encore que la résurrection est mentionnée en termes précis dans ces Psaumes comme dans les Dix-huit Béné- dictions. Seulement, elle n'y est pas affirmée avec une insistance aussi caractéristique que dans le deuxième paragraphe du Sche- raonè-Esré : elle n'y paraît pas comme une sorte de protestation contre une doctrine ennemie. Cette différence de ton s'explique, comme nous le disons plus loin, par le caractère de l'auteur du Psautier, qui est plutôt un Pharisien démocratique et anticlérical, qu'un Pharisien de l'école.

Mais ceux qui craignent le Seigneur ressusciteront pour la vie éternelle, et leur vie sera dans la lumière du Seigneur, et elle ne ces- sera plus (3j 12 .

( )\ os cpoêou(i.£Vot tov xiipiov xv«<rr/)crovt«i eiç Ç<oyjv auov.ov, xxi tj £g>7] x'jtcov sv ^(otl xupfou xai oùx èxXei^st £ti.

Enfin, si nous avions besoin d'un argument nouveau pour dé- montrer la parenté de nos deux compositions, le terme « saint » que nous avons relevé plus haut le fournirait. Cet adjectif, dési- gnant les adversaires des Sadducéens, revient sans cesse dans le Psautier de Salomon, on ne l'y compte pas moins de dix-sept fois. Qu'on nous permette d'en citer quelques exemples seulement :

Et les saints le confesseront dans l'assemblée du peuple (10, 6). Kjc'. ocrtoc s;oaoÀoy7j<70vTa'. sv !xxXT,<7''a Xaow.

Et les saints justifieront le jugement de leur Dieu d'avoir détruit les pécheurs de devant la face du juste (4, 8).

Kflrt o'.xa-.toTa'.Tav offiot tq xpT{i.« tou ©sou ocjtwv, sv t<S Hjaipeffôat àjAap- TtoXoùç y.~b Tcpoccfatou Stxateu.

Et les saints de Dieu seront comme des agneaux dans leur inno- cence, au milieu d'eux (8, 23).

Kxï o<noi teu ©eoïï apvia s

v xxaxca sv asso) aurwv,

Le Seigneur est louable dans ses jugements, dans la bouche des saints (8, 34;.

A'.vstô; rttfptoç sv toTç xv'azc'.v xutôu sv crTO[i.aTi baitov.

Les saints du Seigneur vivront en lui dans l'éternité, le paradis du Seigneur est le germe de la vie des saints (14, 3).

"Ogioi xuptou ÇTJffOVTOu sv atôrai stç tov alcova* g rcapàSetaoç toj xupcou ta IjùXa T'ré; Çavrçç, Sfftoi (ôcricov?) aùxou.

176 REVUE DES ETUDES JUIVES

Mais les saints du Seigneur hériteront de la vie dans l'allégresse (44, 40).

Oi os ô'ffioi xuotou xÀY^ovoaYjTOUT'.v ÇtoYjv sv eùeppoo'uvy).

Et la justice de tes saints est devant tes regards, Seigneur (9, 3).

Kai ai oixaioauvai tô&v bawov cou evo'jitiov aou, xuois.

Ceux qui aiment les synagogues des saints ont lui loin d'eux (17, 46).

Ecpuyocrav ait' aùxoW ol ayaitûvreç aovocyioyàç offuov.

Nous n'insisterons pas sur les rapprochements que suggèrent les autres bénédictions; la ressemblance s'explique trop facilement : notre Schemonè-Esré et les Psaumes de Salomon s'inspirant surtout des Psaumes du canon biblique, il n'est pas étonnant qu'ils se rencontrent à chaque pas pour les idées comme pour les ex- pressions. Ainsi, comme dans la première bénédiction, Dieu a choisi la race d'Abraham (9, 9), il a fait un pacte avec les ancêtres et une promesse pour leurs descendants (9, 10); il est notre protec- teur (7, 6), notre sauveur, notre roi pour l'éternité (17, 1, 3); comme dans la deuxième, la puissance de Dieu s'étend sur tous les siècles, accompagnée de sa miséricorde (17, 3), ce mot de misé- ricorde, particulier au langage du Rituel, ne revient pas moins de vingt-quatre fois, sous la forme eXeoç sa bonté s'étend sur l'homme et le soutient dans ses épreuves (5, 13); il nourrit les rois, les princes et les peuples (5, 11) ; il fait tomber la pluie dans le dé- sert pour préparer la nourriture à tout être vivant (5, 10) ; comme dans la troisième, Dieu est saint (10, 6) et les synagogues des saints le louent (10, 7) ; comme dans la cinquième, le pécheur demande à Dieu d'affermir son âme dans la joie de le servir : si tu fortifies mon âme, ce don me suffira (16, 12) ; il lui demande de le corriger, pour qu'il revienne à lui (16, 11) ; la bonté de Dieu s'étendra sur les plécheurs faisant pénitence (9, 7), etc. l.

Il n'est pas jusqu'au nombre de 18 qui ne soit dans l'une et l'autre composition celui des paragraphes : 18 bénédictions,

1 II est très remarquable que jamais il n'est question de la Loi dans le Psautier. Pareillement, le paragraphe du Schemoné-Esrè, qui implore le don de la sagesse, n'y a pas de correspondant. Il en faut conclure que l'auteur était un Pharisien laïque, si l'on peut ainsi s'exprimer, passionné surtout pour les idées morales du parti, brûlant de la même indignation contre le clergé officiel, attaché au même genre de patriotisme et rêvant les mêmes transformations sociales, mais indifférent, en somme, à la scholastique rabbinique. Les partis ont de tout temps compté des serviteurs zélés qui n'embrassaient pas avec un égal enthousiasme toutes les parties du programme.

LES DIX-HUIT BENEDICTIONS ET LES PSAUMES DE SALOMON 177

18 psaumes. Nous ne citons cette particularité que comme curio- sité, d'ailleurs '.

Il faut noter cependant une différence importante entre les Psaumes de Salomon et les Dix-huit Bénédictions : écrit au len- demain de la prise de Jérusalem par Pompée, notre Psautier ne laisse pas de respirer de la haine contre les Romains; l'auteur attend de Dieu la revanche sur Rome ; dans le Schemoné-Esrè, au contraire, aucun mot contre l'étranger ; Israël implore de Dieu son salut, mais ne prononce aucune parole malveillante contre l'oppresseur. Il faut même remarquer la sérénité qui règne dans ces Dix-huit formules, l'absence de toute récrimination contre les païens. Les seuls ennemis qu'où déteste et qu'on voue à la malé- diction divine, ce sont des ennemis intérieurs.

Mais cette différence môme a son importance. L'entrée de Pom- pée à Jérusalem est une date décisive dans l'histoire du peuple juif, elle fut un tournant dans l'évolution des sentiments de la na- tion. Selon qu'une œuvre littéraire des derniers temps de l'indé- pendance juive trahit de l'hostilité ou de l'admiration ou simple- ment de l'ignorance à l'égard des Romains, on peut affirmer qu'elle est antérieure ou postérieure à cet événement. Le Schemonè-Esré doit donc avoir été composé, dans ses plus récentes parties, avant l'année 63.

Toutefois, dans cette divergence même, le Psautier de Salomon se rapproche encore singulièrement de notre Schemonè-Esré. Si, en effet, l'auteur en veut aux Romains, qui ont été les instru- ments de la vengeance céleste, tout au moins n'englobe-t-il pas les autres peuples dans son animosité. Le Messie, fils de David, dont il espère le prochain avènement, aura pour rôle, moins de juger les nations, de purifier Jérusalem, afin qu'elles y accourent des extrémités de la terre, que de briser l'orgueil des pécheurs, de faire disparaître l'injustice du milieu d'Israël, d'anéantir les princes iniques, de rétablir Jérusalem comme elle était aupara- vant, de réunir les tribus et de la conduire dans la sainteté. Ce rejeton de David ne mettra pas son espoir dans les chevaux, ni dans les machines de guerre ; il ne ramassera pas de l'or et de l'argent pour combattre ; c'est par la puissance de sa parole qu'il détruira les pécheurs2. Or, ce sont justement les idées messia- niques de notre Schemonè-Esré. La réunion des exilés, l'arrivée du rejeton de David y ont pour compléments aussi le rétablissement des bons juges, le règne de la justice, le châtiment des orgueil-

M. Loeb y a comparé les 18 mesures prises par les rabbins. Dans certains mss. les Psaumes sont au nombre de 19. s Lire tout le chapitre xvn.

T. XXXII, 64. 12

178 REVUE DES ETUDES JUIVES

leux, des artisans d'iniquité, c'est-à-dire des ennemis intérieurs, la récompense des justes, le retour de Dieu en Sion, la recons- truction de Jérusalem suivant le plan divin. L'absence de toute imprécation contre les nations étrangères, de toute pensée de re- présailles contre les ennemis d'Israël est particulièrement signi- ficative quand on confronte notre prière avec les conceptions qui se sont fait jour après la destruction de la nationalité juive '.

Le parallélisme de nos deux morceaux autorise les conclusions suivantes :

Plus d'un siècle avant la destruction du temple, les idées que renferme le Schemonè-Esré étaient authentiquement celles des cercles pharisiens de la Palestine; mêmes vœux pour la délivrance d'Israël, l'avènement d'un rejeton de David, la réunion des dis- persés, la restauration spirituelle de Jérusalem, le retour de la résidence divine à Sion; même dédain pour le temple, même hostilité contre les prêtres, même haine des Sadducéens, des traî- tres, des délateurs, des juges iniques, et aussi même sentiment de la justice, de la sainteté, même confiance dans la bonté et la misé- ricorde divines, même théologie et même morale.

Notre Schemonè-Esré peut donc avoir existé sous sa forme ac- tuelle longtemps avant la disparition du temple, sous les derniers Hasmonéens, et, comme certains morceaux sont, de l'avis de tous, bien antérieurs au reste, et que, justement, parmi ces morceaux figure la dernière bénédiction, qui, ainsi que nous avons essayé de le montrer, est la consécration de la rivalité de la synagogue et du temple, on sera en droit d'assigner à cette rivalité une antiquité beaucoup plus haute qu'on ne fait d'ordinaire. Cette concurrence s'est-elle manifestée après la rupture des Pharisiens avec Jean Hyrcan I ou remonte-t-elle plus haut, avant la révolte des Mac- chabées, alors que les Israélites pieux, les Hassidim dont parle le 1er livre des Macchabées devaient être scandalisés du matéria- lisme, du simonisme et des hontes du pontificat de Jérusalem? Les deux hypothèses peuvent se soutenir avec une égale force.

Israël Lévi.

1 L'ère messianique envisagée comme le châtiment des mauvais juges est une con- ception qui a disparu de bonne heure. Si elle semble reprendre vie dans une assertion de Yosé b. Elischa {Schabbat, 139 a), ce n'est qu'accidentellement et sous une forme qui ne permet pas d'assurer qu'elle désigne l'ère messianique : « Dieu n'établira sa résidence en Israël que lorsqu'auront cessé les mauvais juges en Israël (d'après Isaïe, i, 25-26) ». Ce passage du Talmud Schabbat a été repris dans Sanhédrin, 98 a, mais l'opinion est mise par R. Simlaï dans la bouche d'un autre docteur et la pensée est défigurée : « Le fils de David ne viendra que lorsqu'auront cessé tous les ;uges en Israël. . . ».

LES SOURCES DE FLAVIUS JOSÈPHE

DANS SES ANTIQUITÉS (XII, 5, 1-X1II)

LA PROFANATION DU TEMPLE PAR ANTIOCIIUS ÉPIPIIANE

Les récentes études faites sur les sources de Josèphe ont abouti à cette conclusion incontestable que l'historien juif a fait preuve, dans la composition de son ouvrage, de bien peu de précision et d'un esprit critique superficiel; il est donc indispensable de tou- jours contrôler l'origine de ses assertions. D'autre part, les savants ont aussi reconnu qu'en composant les XIIe et XIIIe livres des An- tiquités, où il traite de la domination syrienne, Josèphe a utilisé, outre le Ier livre des Macchabées, composé par un Juif, une source non juive fort bien renseignée sur l'histoire du royaume syrien. A cet ouvrage historique Josèphe a emprunté des passages entiers, qu'il a reproduits sans rien y changer, les raccordant aux rela- tions fournies par les écrivains nationaux par un lien très lâche, sans les fondre ensemble avec le moindre art. De nombreuses recherches ont été faites sur l'origine de ces documents si pré- cieux pour l'histoire syrienne et sur leurs auteurs. En particulier, MM. Bloch ' et Nussbaum 2 sont arrivés à la concusion suivante : les récits relatifs à la Syrie, consignés par Josèphe, jusqu'à l'an 146 avant l'ère chrétienne, proviennent de Polybe ; à partir de cette date, ils sont inspirés de Posidonius d'Apamée, continuateur de l'œuvre de Polybe; ils sont donc empruntés à des autorités de pre- mier ordre. En opposition avec cette opinion, Destinon 3 soutient que Josèphe n'a pas utilisé directement les récits de ces deux his- toriens, mais les a trouvés refondus dans des écrits juifs et n'y a

1 Bloch, Die Quellen des Flavius Josephus.

1 Nussbaum, Observationes in Flavii Josephi Antiguitatum libros XII , 5- XIII, 14. 1 Destinon, Die Quellen des Flavius Josephus.

180 REVUE DES ETUDES JUIVES

ajouté que quelques détails, le plus souvent peu sûrs, parce qu'ils provenaient de légendes juives; ces additions peuvent être dis- tinguées exactement du reste. En ce qui concerne les auteurs cités nominativement par Josèphe, MM. Bloch et Destinon démontrent que, non seulement il les a connus, mais qu'il les a utilisés. Sans formuler de jugement sur ces opinions, d'ailleurs concordantes sur les principaux points, je veux, sans recourir à des hypothèses, en prenant tour à tour différentes narrations des Antiquités, es- sayer d'établir la manière dont cet ouvrage a été composé, pour porter ensuite un jugement d'ensemble sur les sources de Jo- sèphe, leur étendue et la façon dont elles ont été refondues et utilisées.

Le meilleur point de départ est le récit de Josèphe relatif au pillage de Jérusalem et à la profanation du temple par Antiochus Epiphane (Antiq., XII, 5, 2-4). En effet, nous avons, pour cet épisode, les versions parallèles des Ier et IIe livres des Maccha- bées, du Bellum Judaicum, de Diodore et d'une source étrangère utilisée dans Antiq., XIII, 8, 2, qui permettent de faire des compa- raisons avec les détails rapportés par Josèphe et de nous rendre compte de la façon dont l'historien s'est servi, dans les Antiquités, des textes qu'il avait, sous les yeux. La relation la plus brève est celle du Bellum Judaicum, I, 1, 1, Josèphe s'exprime en ces termes : « Les Tobiades se réfugièrent auprès d 'Antiochus Epi- phane et le prièrent d'envahir la Judée et de les prendre pour guides. Cette demande répondait au désir intime du roi ; il ac- cueillit leurs prières, partit lui-même à la tête d'une grande armée, prit la ville d'assaut et fit massacrer beaucoup de partisans de Ptolémée, laissant à ses soldats la liberté de piller. Il dépouilla même le Temple et fit cesser l'offrande des sacrifices quotidiens pendant trois ans et six mois. Cependant, Antiochus ne se con- tenta pas de la prise inespérée de la ville, ni du pillage et du mas- sacre auxquels il s'était livré. Entraîné par sa passion effrénée et par le souvenir de ce que lui avait coûté le siège, il obligea les Juifs à violer leurs lois nationales, leur défendant de circoncire leurs enfants et leur ordonnant de sacrifier des porcs sur l'autel. » Nous ne nous arrêterons pas pour l'instant sur le fait que l'auteur de cette relation concise présente ces divers événements comme s'étant passés en même temps ou à des intervalles très courts, les attribue tous à l'action personnelle du roi pendant un seul séjour à Jérusalem, et ce qui est très remarquable les consigne sans les mettre en rapport avec les expéditions d'Egypte. Nous examinerons seulement les faits relatés dans ce passage en les comparant avec ceux qui sont rapportés dans les autres textes.

LES SOURCES DE FLAVIUS JOSEPH E 181

LA PRISE DE JERUSALEM PAR ANTIOCHUS EPIPIÏANE

Jérusalem fut prise à main armée, Josèphe relate ce fait en peu de lignes trois fois {Bellum, I, 1, 1; 2, 2). Aussi son récit, quoi- que en contradiction avec d'autres sources, ne peut-il être consi- déré comme une erreur provenant d'une abréviation du texte qu'il suit. En effet, les Antiquités, XII, 5, 3, disent : « Quand Antiochus se retira de l'Egypte par crainte des Romains, il se tourna vers Jérusalem, il arriva en l'an 143 de l'ère des Séleucides; il s'em- para de cette ville sans coup férir, parce que ses partisans lui en ouvrirent les portes. Aussitôt qu'il l'eut en sa possession, il fit tuer beaucoup de gens du parti qui lui était hostile, réunit une grande quantité d'argent et s'en retourna à Antiocbe. » D'après ce récit, Antiochus n'eut pas à employer la violence, les portes de la ville lui ayant été ouvertes. Dira-t-on que, dans cette relation, Josèphe parle d'une autre expédition d'Antiochus que dans le Bellum? Cette hypo- thèse est contredite par la mention, dans les deux textes, des nom- breux partisans du roi d'Egypte qu'Antiochus aurait fait tuer lors de la prise de la ville. Tout ce qu'on pourrait avancer en faveur de la supposition des deux conquêtes distinctes est sans force pro- bante. En effet, quoique, d'après le Bellum, les amis du roi se trouvent dans son camp comme guides volontaires contre Jérusa- lem, et que, suivant les Antiquités, ces amis lui rendent des ser- vices à l'intérieur de la ville, on ne peut pas considérer ces deux assertions comme contradictoires. Car le roi comptait en Judée de nombreux amis qui étaient opposés à l'Egypte. Leurs chefs, les Tobiades, peuvent donc s'être trouvés au camp du roi, pendant que les autres partisans d'Antiochus, qui formaient une partie de la population de Jérusalem, recevaient avec empressement le roi de Syrie lorsqu'il se présenta devant la ville. Une autre contra- diction qui paraît exister dans les relations du Bellum et des Antiquités, c'est que, d'après le premier ouvrage, les /Tobiades s'enfuirent à Antiocbe, tandis que, dans les Antiquités, il faut se les représenter allant à la rencontre du roi revenant d'Egypte. Mais si on tient compte de la brièveté et de la concision du récit du Bellum, on sera forcément amené à admettre que lui aussi montre les Tobiades s'enfuyant, non pas à Antiocbe, mais dans le camp des Syriens. A supposer même qu'on n'admette pas l'identité

182 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

des deux expéditions d'Antiochus et qu'on veuille confondre celle dont parle le Bellum avec celle qui est indiquée dans les Anti- quités, XII, 5, 4, la contradiction sur la manière dont Antiochus a pris Jérusalem persisterait encore. Car aussi Josèphe dit que le roi s'empara de la ville par ruse, en faisant croire qu'il venait avec des intentions pacifiques. Malgré l'accord des deux relations sur d'autres points, cette divergence subsiste, et comme on ne peut songer à les concilier, il en résulte que Josèphe a les emprunter à deux sources complètement distinctes.

La troisième source, c'est-à-dire le Ier livre des Macchabées, i, 20, porte : « Antiochus revint sur ses pas, après avoir vaincu l'Egypte, en l'an 143, il marcha contre Israël et contre Jérusalem avec une armée puissante. Il pénétra audacieusement dans le

sanctuaire et enleva le chandelier d'or , et quand il eut tout

pris, il s'en retourna dans son pays, fit un grand carnage et pro- féra beaucoup de paroles orgueilleuses. » L'auteur de la relation a négligé d'indiquer de quelle manière Antiochus entra dans la ville, quoique la mention d'une armée nombreuse paraisse indiquer que, pour lui, la prise de la ville ne s'était pas faite sans coup férir, comme le disent les Antiquités, mais qu'elle fut le résultat d'un coup de force, comme dans le Bellum. Gomme, dans les Anti- quités, Josèphe a notoirement copié le Ier livre des Macchabées, il faudrait qu'on pût constater des traces de ce livre dans sa descrip- tion de la prise de Jérusalem par Antiochus. Pourtant, un examen attentif de ce passage des Antiquités, ainsi que de celui qui pré- cède, XII, 5, 2, et la façon dont ils sont rattachés ensemble, montrent que ce n'est pas le Ie1 livre des Macchabées qui a été la principale source de cette relation, mais l'ouvrage d'un auteur étranger qui traitait des expéditions d'Antiochus Epiphane en général, et non pas spécialement des événements concernant les Juifs. Josèphe a intercalé maladroitement dans le récit extrait de ce livre les matériaux empruntés au 1er livre des Macchabées sur l'arrivée et le séjour d'Antiochus dans la capitale juive, sans se préoccuper de la confusion qu'il introduisait ainsi dans sa propre relation. Cela ressort clairement de 5, 2, il décrit les projets et les entreprises d'Antiochus contre l'Egypte avec netteté et préci- sion et d'une manière toute différente de I Macch., i, 16; on voit que cette description est sûrement empruntée à une histoire de la Syrie. Pour arriver ensuite à une transition entre ce texte, qui ne s'occupe en rien des Juifs, et l'histoire proprement dite de la Judée, Josèphe remarque que, dans son premier ouvrage histo- rique, il n'a parlé que superficiellement d'Antiochus et il juge nécessaire d'en parler ici avec plus de précision. Mais il ne s'aper-

LES SOURCES DE FLAVIUS JOSÈPHE 183

çoit pas, ou il ne veut pas s'apercevoir, qu'il nous donne sur ce point des renseignements divergents. Cette simple constatation, quoique portant sur un détail seulement, permet de reconnaître que Josèphe, en composant les Antiquités, n'a tenu aucun compte de son Bellum et qu'il en a fait une œuvre tout à fait indépendante. Cette observation est confirmée par nombre de passages l.

Il nous reste maintenant encore à examiner ce que dit Diodore. Au livre \ WIV, il s'exprime en ces termes concis : xcrmcoXfpirjaa; to'j; louBaiouç siTY.AOsv sic tôv kIutov; de même, Josèphe dans Anti- quités, XIII, 8, *2: ty,v -oÀ-.v Ia(»v ;jùv Hirréôuqrev. Ces deux relations proviennent sans doute de Polybe ou de Posidonius2, et, comme le Bellum, elles diffèrent des Antiquités et attribuent la prise de Jérusalem à un coup de force.

Enfin, pour terminer, je citerai encore II Macch., v, 11 : « An- tiochus, enliammé de fureur, partit d'Egypte et s'empara de la ville à main armée. Il ordonna aux soldats de massacrer sans pitié tous ceux qui leur tomberaient entre les mains et de tuer ceux qui vou- draient se réfugier dans les maisons. Pendant ces trois jours dis- parurent 80,000 hommes, dont 40,000 furent massacrés et le reste vendu comme esclaves. Antioohus, ne s'en tenant pas là, osa péné- trer dans la partie la plus sainte du Temple, et ce fut Ménélaùs, devenu traître à la Loi et à la patrie, qui lui servit de guide. De ses mains souillées il prit les vases sacrés et les objets consacrés, qui avaient été donnés par d'autres rois pour servir à glorifier et à honorer le lieu saint, et il les mania brutalement. » Si nous lais- sons de côté les détails rapportés dans cette description, nous y trouvons comme faits principaux qu'Antiochus s'empara de Jéru- salem par la force, que les ennemis du roi qui, comme l'indique le contexte, étaient aussi ceux de Ménélaùs, furent massacrés, que le Temple fut pillé et que des partisans juifs servirent de guides à Antiochus contre leur propre peuple. Sauf les détails, ce sont exactement les mêmes faits que ceux que rapporte le Bellum, I, 1, 1; parmi ces faits est aussi mentionnée la circonstance de la prise de la ville par la force. Nous voyons donc que, sur ce point, Diodore et les Antiquités, XIII, 8, 2, qui s'inspirent sans doute du même auteur païen, ainsi que le IIe livre des Macchabées et peut- être aussi le premier livre, concordent avec le Bellum, I, 1, 1, contre les Antiquités, XII, 5, 3, 4 ; cette dernière relation est donc tout à fait isolée.

1 Voir Desliuon, Die Que lien des Flavius Josephus, p. 12.

* Voir Muller, Fragmenta histor. Grœc, III, 251; Nussbaum, Observationes, 28- 43 ; DcstinoD., I. c, 49 ; Th. Keinach, Textes, 56, note 1.

18» KEVUE DES ETUDES JUIVES

FI

LE PILLAGE DU TEMPLE.

Les indications relatives au pillage du Sanctuaire permettent également de comparer les récits de Josèphe avec des relations parallèles. Tandis que dans le Bellam, I, 1, 1, il raconte simple- ment le pillage, sans préciser davantage, il ajoute, dans Antiquité XII, 5, 3 : « Deux ans après, en Tan 145, le 25e jour du mois de kislev, que les Macédoniens nomment Apellseùs, dans la 153e Olym- piade, le roi revint à Jérusalem avec une forte armée et s'empara de la ville par ruse, en simulant des intentions pacifiques. Cette fois, il n'épargna même pas ceux qui l'avaient laissé pénétrer dans la ville, à cause des richesses du temple, dont il était avide. En effet, il avait vu dans le Sanctuaire beaucoup d'or, ainsi que la masse de précieux ornements provenant de dons votifs et, pour les enlever, il osa violer le pacte qu'il avait conclu avec ses alliés. Il pilla donc le temple, de telle façon qu'il prit non seulement les vases sacrés..., mais s'empara même des rideaux ». D'après la phrase d'introduction qui contient la date, le pillage du Sanctuaire eut lieu deux ans après la première incursion d'Antiochus à Jéru- salem, et Josèphe, pour montrer la précision de ses indications, indique la date, non seulement selon l'ère des Séleucides, mais aussi d'après les Olympiades. Avant de rechercher l'origine de cette dernière indication chronologique, établissons d'abord que Josèphe a emprunté la description du pillage du temple, avec toutes les particularités qui s'y rattachent, au premier livre des Macchabées, i, 21-23, et que cet emprunt presque littéral com- mence aux mots : 7rspc8tf<7aç ouv rbv vadv. Car tout ce qui précède ces mots, non seulement ne se trouve pas dans le Ier livre des Mac- chabées, mais est en contradiction avec la relation de ce livre, qui place formellement le pillage du Temple en l'an 143, tandis que Josèphe place cet événement en l'an 145. On ne peut pas ad- mettre qu'il n'ait pas connu l'indication du livre des Macchabées ou qu'il ne l'ait pas trouvée dans le texte qu'il avait sous les yeux. Car, quelques lignes plus haut, XII, 5, 3, il a reproduit I Macch., i, 20 : « Et Antiochus revint en l'an 143 et il marcha contre Israël et contre Jérusalem avec une armée nombreuse ». Mais, entre ce paragraphe et celui qui le suit immédiatement dans I Macchabées, il a intercalé une relation de la seconde expédition

LES SOURCES DE FLAVIUS JOSÈPHE 185

d'Antiochus contre Jérusalem, de sorte que tout ce qui, dans le premier livre des Macchabées, est raconté des événements de l'an 143, Josèphe le rapporte à l'an 145. Nous pouvons aussi déterminer avec certitude ce qui l'a poussé à agir ainsi. Dans la source à la- quelle il a emprunté ce qu'il relate dans Antiquités, XII, 5, 2, sur l'expédition d'Antiochus en Egypte, et qu'il a voulu suivre autant que possible dans la suite, il avait trouvé cette indication précise que le pillage du Temple eut lieu dans la 153° Olympiade. Celle-ci correspond aux années 145-148 de l'ère des Séleucides. Or, comme l'an 145 était la date la plus éloignée possible, Josèphe, qui suivait aveuglément l'auteur du document en question, dut placer la prise de Jérusalem en l'an 145. Mais, d'un autre côté, le Ior livre des Macchabées, qui seul lui avait fourni les particularités de cet évé- nement, indiquant expressément pour cet événement l'an 143, Josèphe se tira d'embarras d'une façon très simple, mais indigne d'un historien consciencieux : il considéra les deux sources comme relatant deux événements différents et les juxtaposa, donnant la relation détaillée du Ier livre des Macchabées pour celle de la seconde prise de Jérusalem et empruntant pour la pre- mière quelques particularités aux récits suivants de ce livre des Macchabées.

Comme l'analyse des parties constitutives du passage des Ant., XII, 5, 4, nous a permis d'y reconnaître un texte, fort court il est vrai, provenant d'un ouvrage qui calcule par olympiades, nous pouvons comparer maint point de son récit de l'épisode qui nous intéresse avec les parties correspondantes des autres narra- tions qui sont à notre disposition. On voit d'abord qu'Antiochus avait autrefois conclu un pacte avec ses partisans de Jérusalem, et qu'il viola ses engagements lors de son entrée dans la ville. Le contexte permet de deviner avec beaucoup de vraisemblance en quoi ces engagements consistaient : Antiochus a donner à son partisan Ménélaùs et à ceux qui partageaient ses idées l'assurance qu'il respecterait la vie des partisans de la cour syrienne à Jérusalem , la ville et le Temple. C'est cet enga- gement qu'il viola. En second lieu, on voit que le roi put pénétrer dans la capitale, parce qu'il simulait des intentions ami- cales, et, enfin, que l'attaque de Jérusalem et la violation du pacte eurent pour mobile la cupidité. Toutes ces indications isolées émanent, selon nous, d'un texte auquel est empruntée la relation de XII, 5, 2, et appartiennent à une histoire d'Antiochus Épiphane, faite par un non-juif. Cette conclusion est corroborée par la re- marque suivante. Dans son Contre Apion, II, 7, Josèphe observe : « Antiochus n'a pas pillé le Temple d'une manière légitime, il y a

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été poussé par la pénurie d'argent, car il n'était pas notre ennemi, et il nous a attaqués, quoique amis et alliés... Ces faits sont attestés par nombre d'historiens sérieux : Polybe de Mégalopolis, Strabon le Cappadocien, Nicolas de Damas, Timagène, le chroniqueur Castor et Apollodore. Tous ils témoignent que c'est par manque d'argent qu'Antiochus rompit ses engagements avec les Juifs et pilla le Temple rempli d'or et d'argent ». Dans ce passage, extrait d'ouvrages historiques concernant Antiochus, nous re- trouvons formellement les détails mentionnés plus haut : l'amitié et l'alliance du roi avec les Juifs, la déloyauté d'Antiochus et la cause de cet acte de forfaiture, c'est-à-dire le besoin d'argent. La narration, longue de plusieurs lignes, dans Antiquités, XII, 5, 4, que Josèphe a intercalée dans un paragraphe du Ier livre des Macchabées, et, probablement aussi, le récit dans Ant.> XII, 5, 2, qui se rattache à cette relation, appartiennent donc à un des auteurs énumérés dans le Contre Apion. Mais comme il ne peut l'avoir empruntée qu'à un ouvrage historique, l'auteur en doit être cherché dans la série des six historiens indiqués. Comme tous sont d'accord, il est plus naturel de penser qu'il a copié le plus récent. En effet, on peut supposer qu'un historien sérieux, comme ceux qui sont cités par Josèphe, a s'en référer à tous ses pré- décesseurs et les citer nominativement. De même, il est très vrai- semblable que Josèphe a utilisé les sources les plus riches et les ouvrages les plus rapprochés de lui et les plus facilement acces- sibles. Les auteurs dont il vient d'être parlé ayant écrit dans l'ordre suivant : Polybe, Apollodore, Castor, Timagène, Strabon et Nicolas, c'est donc Nicolas de Damas qui est vraisemblablement l'auteur du récit éliminé des Antiquités, XII, 5, 4. Cette déduc- tion est encore confirmée, comme nous le verrons plus loin, par d'autres considérations '.

Le IIe livre des Macchabées, dont il nous reste à nous occuper pour la question qui nous intéresse, ne connaît, comme le Ier livre et le Belhim, qu'un seul séjour d'Antiochus à Jérusalem, pendant lequel il massacra les habitants et pilla la ville et le Temple. Cet événement eut lieu lors de son retour de sa seconde expédition en Egypte (IIe livre des Macch., v, 1), tandis qu'il n'y est pas du tout question d'événements qui se seraient passés en Judée en con- nexion avec la première expédition. Comme le Ier et le IIe livres des Macchabées ainsi que le Bellum rattachent l'explosion de la fureur d'Antiochus à une seule cause et comme il est manifeste pour nous

1 Nicolas de Damas peut avoir utilisé tous les autres historiens nommés ici, même Strabon de Cappadoce (cf. Schùrer, Geschichte des jildiseken Volkes, I, 40), et Josèphe les a trouvés dans son ouvrage.

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que, dans les Antiquités aussi, Josèphe s'est approprié la narra- tion du Ier livre en y insérant le récit grec, ce qui en fait deux relations traitant de deux épisodes différents, il ne peut être dou- teux que cette description ne corresponde à la réalité. La des- cription emprunte»» par Josèphe à la source grecque, celle qui nous a été conservée, ne parle aussi que d'un seul séjour du roi à Jérusalem. Comme Josèphe, en coupant par une interpolation le récit du Ier livre des Macchabées, a reculé la date des événements décrits, il a nécessairement apporter encore d'autres modifi- cations à ce récit pour l'adapter à son système. Ainsi le Ier livre des Macchabées, i, 29, raconte plus loin que, deux ans après la prise du Temple, Antiochus envoya un receveur d'impôts à Jéru- salem, lequel, simulant des intentions amicales, parvint dans la ville, y organisa un massacre effroyable, incendia les maisons et fortifia YAcra. Josèphe, suivant la relation grecque, comme nous l'avons déjà dit, a placé le pillage du Temple deux ans après l'in- cursion d'Antiochus dans Jérusalem, mentionnée dans I Maccha- bées, i, 20. Mais que faire des deux années qui, dans son système, séparèrent le pillage du temple de l'intervention ultérieure du roi dans les affaires juives et qui l'amènent jusqu'à l'an 147? Or, à cette date, Mattathias était déjà mort et Juda Macchabée avait pris la direction du mouvement. Josèphe se tire de cette difficulté en omettant d'indiquer la date. Mais, comme l'expédition particulière mentionnée dans le Ie livre des Macchabées et l'envoi d'un fonc- tionnaire d'Antioche, qui suppose le retour du roi de Judée en Syrie, exigeaient des mois que Josèphe, qui avait placé les évé- nements à une date postérieure, ne savait mettre, il en est réduit à passer sous silence l'épisode du percepteur d'impôts avec sa troupe et tous les incidents se rattachant à son arrivée à Jéru- salem. Toutes les mesures qui, suivant le Ier livre des Macchabées, furent prises par ce fonctionnaire et ses soldats, il les attribue au roi lui-même, qui, selon la relation grecque, se serait trouvé dans la ville en l'an 145, et, selon lui-même, y aurait été pour la se- conde fois. Sur ce point, il suit également la narration de la source grecque, qui, ici aussi, est d'accord avec celle du Bellum et de Diodore et qui rapporte toutes les ordonnances et tous les actes de violence au roi lui-même, tandis que le Ier et le IIe livres des Macchabées indiquent nominativement le fonctionnaire et le général commis à cet effet. Pour les mêmes motifs, Josèphe a omettre la mention des députés et des lettres de I Macchabées, i, 44, et II Macchab., vr, 1, qui amenèrent l'introduction du culte païen, afin que cette mesure aussi pût être rapportée à Antiochus lui-même.

188 REVUE DES ETUDES JUIVES

III

l'abolition des sacrifices quotidiens.

Suivant le Bellum, 1,1, 1, Antiochus abolit les sacrifices après le pillage de Jérusalem et du Sanctuaire, mais avant que l'autel et le Temple eussent été souillés par l'immolation d'un porc. Par contre, les Antiquités, XII, 5, 4, mentionnent d'abord la défense formelle des sacrifices quotidiens et puis seulement le pillage de la ville. Comme cette dernière relation, dans toutes ses parties, à l'exception de la date et du nom des personnes, est exactement identique à celle du Ier livre des Macchabées, Josèphe a aussi trouver mentionnée la suppression des sacrifices immédiatement après I Macchab., i, 24, en tout cas avant i, 31. Cependant, il n'y en a pas trace dans le Ier livre des Macchabées ; c'est seule- ment dans i, 44, qu'il en est fait mention d'une manière tout à fait différente. Il me semble très plausible que la cessation des sacri- fices quotidiens fut la conséquence naturelle de l'enlèvement de tous les vases du Temple, puisque ces vases étaient indispensa- bles pour les cérémonies régulières. C'était sans doute la pensée de l'auteur de la narration reproduite dans le Bellum, I, 1, 1, qui fait durer la cessation du sacrifice quotidien pendant trois ans et demi et qui, par suite, en place la suppression quelques mois avant la profanation de l'autel des holocaustes, qui eut lieu le 25 kislev 145. D'après cela, il ne fut pas nécessaire qu'Antiochus défendit formellement les sacrifices, et il devient évident que dans la re- lation des Antiquités, XII, 5, 4, le passage : « Et il leur défendit d'offrir les sacrifices quotidiens que la loi leur prescrivait d'ap- porter », a été ajouté par Josèphe lui-même, pour expliquer le deuil dont il est parlé dans I Macchab., i, 25, et pour lequel il n'a pas trouvé dans cette source d'indication directe. De plus, en plaçant la date du 25 kislev, donnée par I Macchab., i, 59, pour l'offrande du porc, en tête du passage des Antiquités, XII, 5, 4, il a laissé croire que tous les incidents relatés dans ce chapitre se sont succédé immédiatement dans un court espace de temps ; ce qui n'est pas conforme aux faits.

En ce qui concerne la cessation des sacrifices, le Ier livre des Macchabées représente une opinion toute personnelle. Comme nous l'avons déjà dit, on n'y mentionne pas ce fait comme étant connexe avec le pillage du sanctuaire, quoiqu'on laisse deviner

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cette connexité. Dans le récit des événements qui ont eu lieu deux ans plus tard et qui ont aussi trait directement au Temple, l'auteur néglige également de mentionner la cessation des sacri- fices quotidiens, qui se continuait alors. Il se borne à dire, i, 31 : « Tout autour du sanctuaire, ils répandirent du sang innocent et souillèrent le Sanctuaire;... leur Sanctuaire fut abandonné comme un désert ». Il semble qu'il veuille indiquer par que le service du temple avait cessé. Cependant, dans i, 44, il s'exprime bien différemment. : « Et le rot envoya par des messagers des lettres à Jérusalem et dans les villes de Juda, ordonnant aux Juifs de vivre selon les coutumes étrangères, de cesser les holocaustes, les sacrifices et les libations dans le sanctuaire, de profaner le sabbat et les fêtes, de souiller le sanctuaire et les objets sacrés, d'établir des autels, des bocages et des temples en l'honneur des idoles et d'offrir des porcs et d'autres animaux impurs ». Ici nous voyons la suppression des sacrifices religieux et l'institution de sacrifices impurs ordonnés simultanément, et il semble ressortir de ce récit que le culte des sacrifices fut continué à Jérusalem encore deux ans après le pillage du Temple et ne fut interrompu qu a la suite de l'immolation du porc sur l'autel en 145, et c'est aussi l'opinion de tous les savants. Cependant dans i, 59, il est dit : « Le 25 du mois, on offrit sur l'autel placé au-dessus de l'au- tel des holocaustes », et dans i, 54 : « Le 15 du mois de kislev de l'an 145 ils élevèrent sur l'autel l'abomination de la désolation », comme dans iv, 54 : « A l'heure et au jour les païens avaient profané l'autel, il fut consacré de nouveau » ; il n'y est donc parlé que de la profanation de l'autel par le sacrifice d'un animal impur et nullement de la cessation des sacriûces quotidiens qui aurait eu lieu le même jour. Il résulte de ce silence que les deux faits n'ont pas eu de connexité, les sacrifices ayant déjà cesser plus tôt, et que la lettre du roi dont il est question dans i, 44-50, et qui les présente comme s'étant passés dans le même temps, est inexacte et peu digne de foi. Du reste, celle-ci, par sa manière de généraliser les ordres du roi, tranche fortement sur la narra- tion ordinairement sobre du Ier livre des Macchabées ».

Le second livre des Macchabées offre sur ce point plusieurs di- vergences, car il place le pillage du sanctuaire et la profanation de l'autel à des dates différentes et ne mentionne pas formelle- ment la suppression des sacrifices. Comme ce livre n'est qu'un extrait de l'ouvrage beaucoup plus étendu de Jason de Cyrène (voir plus loin), il est possible que l'original ait contenu le détail

* Cf. Sehlatter, Jason von Kyene, p. S ; le Commentaire de Grimm , in loc. ; voir aussi Keil, qui est d'un avis contraire.

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omis ici ; on peut même démontrer avec une certaine vraisem- blance que Jason en a parlé. En effet, dans v, 15, il donne du pillage du Temple une description détaillée, conforme à celle du Ier livre des Macchabées, et dans v, 18-20, fauteur du résumé y rattache cette réflexion : « Gomment Dieu a-t-il pu permettre un pareil traitement du sanctuaire ? », et il fait cette remarque : « Tandis que maintenant ce lieu était abandonné par l'effet de la colère du Tout-Puissant, il fut de nouveau rétabli dans son an- cienne splendeur lorsqu'on eut apaisé le Dieu puissant ». Il montre donc le Temple abandonné à la suite du pillage, et, comme il voit dans la consécration du Temple le rétablissement de tout le ser- vice, il a certainement entendre par l'abandon du Temple la cessation complète des sacrifices et des offrandes. Cette hypothèse est confirmée par ce qui est relaté dans vi, 1 : « Au bout de quelque temps, le roi envoya Athénée, pour qu'il obligeât les Juifs à abandonner les coutumes de leurs pères, à ne plus vivre selon la loi de Dieu et pour qu'il profanât le Temple de Jérusalem et lui donnât le nom du Jupiter Olympien ». Il n'est pas parlé de Tordre de faire cesser les sacrifices, car la prescription d'obliger les Juifs à accomplir des actes païens suppose la suppression préalable des usages religieux, et la consécration du temple à Ju- piter suppose la cessation des sacrifices quotidiens ; cette cessa- tion avait donc déjà eu lieu. S'il avait été nécessaire de défendre la continuation des sacrifices, il eût fallu le dire ici expressément.

Il faut encore dire un mot de la durée de la destruction du Temple que Josèphe détermine par olympiades. En effet, il dit, dans les Antiquités, XII, 7, 6 : « Le sanctuaire fut détruit par An- tiochus, resta dans cet état pendant trois ans, car cela arriva en l'an 145, le 25 du mois d'Apellseus, dans la 153e Olympiade, et il fut consacré de nouveau le 25 du mois d'Appellseus, en l'an 148, dans la 154e Olympiade. » Gomme la 153e Olympiade correspond aux années 145-148 de l'ère des Séleucides et la 154e aux années 149-152, il faudrait, selon Josèphe, qui parle de l'an 145, que l'in- terruption des sacrifices eût duré au moins quatre ans, puisque, selon la seconde indication des Olympiades, la consécration du Temple a pu avoir lieu au plus tôt en l'an 149. Schlatter l dit, en effet : « La profanation du Temple est placée dans la 153e Olym- piade, c'est-à-dire le 25 kislev de l'an 145 de l'ère des Séleucides. La restauration du Temple eut lieu dans la 154e Olympiade, c'est- à-dire le 25 kislev 149. » Il n'est pas nécessaire de faire ressortir que ces indications sont trop incertaines pour servir à de nou-

1 Thcol. Studien und Kritiken, 1891, p. 639.

LES SOURCES DE FLAVIUS JOSÈPHE 191

velles combinaisons, surtout en présence des données chronolo- giques si précises du 1er livre des Macchabées, qui sont aussi con- firmées par le Belliim. Mais l'origine de cette indication chrono- logique par olympiades peut encore être démontrée, et ce passage montre une l'ois de plus combien Josèphe s'est laissé influencer par les historiens grecs, même lorsque leurs relations contredisaient celle qu'il suivait. Nous avons déjà vu plus haut que Josèphe ra- conte [Antiquités, XII, 5, 4) qu'en l'an 145, le 25 kislev, dans la 153e Olympiade, le roi retourna à Jérusalem avec une grande armée et s'empara de la ville par ruse ; en même temps, nous avons vu que la date du 25 kislev de l'an 145 est empruntée au 1er livre des Macchabées, i, 54, tandis que le comput par olympiades provient d'une autre source. Nous avons reconnu aussi que le récit qui suit cette date n'est pas emprunté au 1er livre des Macchabées, mais à l'ouvrage comptant par olympiades. Cet ouvrage rapportait donc que le roi pénétra dans la ville par ruse dans la 153e Olympiade, qu'il pilla le Temple, faisant massacrer amis et ennemis et vio- lant ses engagements. Ces faits, selon I Macchab., i, 20, tombent dans l'année 143, et il devient évident que l'auteur a placé la date des dernières dispositions prises par le roi et de l'institution de sacrifices païens en tête de la relation il mentionne la der- nière apparition d'Antiochus à Jérusalem. De vient que Josèphe aussi a placé toutes les ordonnances et les actes de cruauté du roi au 25 kislev 145, tandis qu'en réalité, ces faits devaient être répartis sur plusieurs années. Pour l'année de la réinauguration, il semble que dans Antiquités, XII, 7, 6, Josèphe a eu égale- ment sous les yeux les deux mêmes sources : l'une, I Macchab., iv, 36-54, qu'il copie presque littéralement et à laquelle il em- prunte cette observation : « C'était précisément le jour trois ans auparavant le service divin avait été changé en un service profane et ordinaire », et la seconde, qui compte par olympiades, mais qui place la restauration du culte en l'an 149, contrairement à la date indiquée dans le même paragraphe. Cette seconde relation paraît être inexacte sur ce point ou, ce qui n'est pas invraisem- blable, semble concorder avec les trois ans et demi du Bellum et placer le début et la fin de la dévastation du Temple un an plus tôt. Nous avons, d'ailleurs, déjà reconnu d'autres concordances entre ces deux sources ; et c'est pourquoi on a pu admettre ici aussi la même durée pour la période entre le pillage du Temple et sa réinauguration, c'est-à-dire depuis le mois d'août 146 environ jusqu'en décembre 149.

1 Voyez p. 1»4.

192 HKVUti DES ETUDES JUIVES

IV

L IMMOLATION D UN PORC SUR L AUTEL DES HOLOCAUSTES

Toutes les relations ne rapportent pas ce fait de la même ma- nière. Josèphe, dans Bellum, 1,1,2, ne dit rien de l'ordre donné par le roi d'immoler un porc sur l'autel, mais il y raconte qu'Antiochus força les Juifs à offrir des porcs sur l'autel. Dans les Antiquités, XII, 5, 4, il dit : « Le roi se lit élever sur l'autel un autel idolâ- trique, sur lequel il immola des porcs et lit offrir un sacrifice contraire aux lois et aux usages des Juifs. Ensuite, il les força à abandonner le service de leur Dieu, à adorer ses idoles, à bâtir des autels dans chaque ville et dans chaque village et à y offrir quotidiennement des porcs. De môme, il leur défendit de circon- cire leurs enfants et menaça de châtiments ceux qui en seraient trouvés coupables. »

Josèphe relate donc ici : la construction d'un autel sur l'autel des holocaustes à Jérusalem ; l'immolation de porcs sur l'autel idolâtrique, et la construction d'autels et des sacrifices de porcs dans les villes de la Judée. Ce n'est pas le Ier livre des Macchabées qui a pu lui fournir ces détails, car si celui-ci raconte, dans i, 54, que le 25 kislev l'abomination de la désolation (= l'autel) * fut érigée sur l'autel des holocaustes, et ensuite, dans i, 59, « que le 25 du mois on offrit des sacrifices sur l'autel qui se trouvait sur l'autel des holocaustes, » il évite avec soin de mentionner le sacri- fice d'un porc dans le sanctuaire. Cette réserve même trahit l'intention de passer sous silence que le Temple de Jérusalem a été profané d'une manière si blessante pour les sentiments des Juifs. Pour cette raison, ainsi que pour expliquer la révolte de Mattathias à Modin, l'auteur fait de l'ordre royal d'offrir des sa- crifices à Jérusalem une prescription générale (i, 47) adressée à toute la population juive -. Dans la relation de l'exécution de cet ordre, dans i, 54, il dit aussi : « Us érigèrent l'abomination de la désolation sur l'autel et ils construisirent des autels dans les villes de Judée », mais sans faire mention du sacrifice d'un porc. De même dans iv, 45, il parle de la profanation de l'autel et du sanc- tuaire, sans préciser le genre de profanation 3. En admettant que

1 Voir Schûrer, I, loo.

2 Cf. aussi I, 44.

3 On ne comprend bien cette réserve de fauteur que si on connaît sa position ;

LES SOURCES DE FLAVIUS JOSEPH E 1U3

Josèphe ait eu cette relation sous les yeux sous sa forme actuelle, il n'a pas pu lui emprunter la mention du sacrifice d'un porc. Comme, d'autre part, nous trouvons que Diodore, qui reproduit Polybe ou Posidonius, aussi bien que le passage des Antiquités, XIII, 8, 2, qui a sans doute la même origine, mentionnent le sacrifice d'un porc sur l'autel des holocaustes, nous arrivons à cette hypothèse que ce détail émane de la même source que le passage des Antiquités, XII, 5, 4, c'est-à-dire de Nicolas de Damas. Pas plus que celui-ci, le Bellum ne passe sous silence la profanation de l'autel; sans tenir compte des sentiments natio- naux, il nous montre même des Juifs offrant des porcs sur l'autel du Temple. Le II0 livre des Macchabées, vi, 5, se borne à dire : « L'autel était rempli de choses impures, défendues par la loi. » Par la réserve avec laquelle il s'exprime, il ressemble au Ier livre, mais il s'en distingue en dévoilant sans ménagement les actes honteux des prêtres dans la période précédant les luttes des Macchabées et en décrivant la profanation du sanctuaire dans vi, 2-5.

Quant à l'autel sur lequel Antiochus fait immoler le porc, Jo- sèphe dit qu'il fut érigé dans ce but sur l'autel des holocaustes, et il leur donne des noms différents, appelant l'autel saint 8u«a*rrç- ptov, et l'autel idolâtrique pwuoç. Tous ces détails, ainsi que la dis- tinction mentionnnée ci-dessus, ont été empruntés par Josèphe au Ier livre des Macchabées (voir Grimm, p. 31), de sorte que dans les Antiquités, cette partie de son récit n'a pas d'autre origine. Si on y compare son récit de la réinauguration dans Anti- quités, XII, 7, 6, pour lequel il avait à sa disposition la relation détaillée de I Macchab., iv, 36-61, on remarque qu'il la suit

il était prêtre et partisan déclaré des Macchabées. Par suite, le Temple est pour lui ce qu'il y a de plus sacré et il ne peut concéder que des porcs aient été sacrifiés sur l'autel. Les prêtres sont les chefs du peuple, c'est pourquoi il ne mentionne pas la trahison dont ils se rendirent coupables envers le Temple et le pays, et il supprime tout ce qui a trait aux grands* prêtres, détails qui auraient pourtant prendre une grande place dans l'histoire de l'époque qui précède les luttes des Macchabées. Comme il ne peut passer sous silence les faits eux-mêmes, il parle, dans i, 11, au lieu des grands-prêtres, de gens impies, et, dans i, 13, il dit : quelques-uns du peuple •. Par contre, les chefs de la guerre nationale sont désignés expressément comme prêtre?, en première ligne, les frères Asmonéens, ensuite, comme je crois devoir interpréter les noms, (cf. mon travail, Die Priester und der Quitus, p. 194, note 4) Joseph ben Zacharie et Azaria dans v, 18. Il est vrai que, dans v, 62, il remarque que ces deux géoéraux n'étaient pas de la race de ces hommes qui devaient être les sauveurs d l'Israël ; mais, en agissant ainsi, il veut simplement les opposer à la famille des Macchabées, dont il proclamait la renommée, sans vouloir dire par qu'ils n'étaient pas des prêtres. Wellhausen, l&raelitische und jiidische G-eschichte, p. 209, note 3, admet aussi que ces officiers supérieurs étaient des prêtres et renvoie à I Macch., v, 67, il est dit : « En ce jour-là tombèrent des prêtres qui voulaient accomplir de vaillants exploits, parce qu'ils se jetèrent imprudemment dans la mêlée. » T. XXXII, 64. 13

19Î REVUE DES ÉTUDES JUIVES

exactement dans tous ses traits, mais qu'il omet précisément le paragraphe sur l'enlèvement de l'autel saint et de l'autel idolà- triqueet se borne à dire xaôeXàv 8s xai xb ôoffiaffTTJpiov, sans indiquer l'existence d'un autel érigé sur le premier '. Si nous n'avions que les deux récits parallèles de Josèphe, nous serions sûrement ten- tés d'expliquer la différence, en apparence si peu importante, des mots employés pour désigner les autels par une interprétation des deux phrases. Mais Diodore dit expressément : Toi facafôpœ [W<f> tûu Ôe-oy [AsyàV^v uv Ôucraç ; de même, les Antiquités, XIII, 8, 2 : Zk u.£v xarsOufTcv kiû tov pcoixov, et BelllMl, I, 1, 2, su; s7UÔueiv tw pwy.o). Tous ces trois textes sont d'accord au sujet de la désignation païenne de l'autel dans le sanctuaire, différente de celle du Ier livre des Macchabées. Le IIe livre des Macchab., vi, 5, ne parle, lui aussi, que de l'autel du Temple, qu'il appelle &u(na<rr»j- ptov, et ne sait rien d'un second autel érigé sur le premier. Le récit du Ier livre des Macchabées et celui des Antiq., XII, 5, 4, qui lui est emprunté, sont donc seuls en présence de tous les autres récits, et s'ils ne sont pas conformes à la réalité historique, c'est qu'ils ont voulu ménager les sentiments juifs et le prestige du temple de Jérusalem. Mais le fait que Josèphe connaissait aussi la forme originale du récit de cet événement, telle que nous la donnent toutes les autres sources, est démontré clairement par le récit qu'il a consacré à l'inauguration du Temple.

Cet examen des relations parallèles du sacrifice païen confirme le résultat obtenu par la comparaison de ces mêmes relations sur d'autres faits : la source juive et la source païenne sont di- vergentes, le Bellum fait des emprunts à un autre texte que les Antiquités, et les deux ouvrages de Josèphe ne sont d'accord que quand ils reproduisent tous deux la source païenne. Nous avons reconnu, en outre, que dans le Bellum, Josèphe n'a pas utilisé le Ier livre des Macchabées. Ce résultat, si important pour le jugement qu'il faut porter sur le Bellum, sera encore confirmé, et nous y reviendrons. Mais il résulte aussi de ce qui précède que la purification du Temple a été autrement racontée dans les di- verses relations que dans le Ier livre des Macchabées, de même que ces relations ont décrit la profanation du sanctuaire autre- ment que ce dernier. C'est ainsi que le IIe livre des Macchabées, qui, dans vi, 4, outre la profanation de l'autel, mentionne celle de tout le Temple et des portiques par des festins, les orgies et les excès des Syriens, raconte dans x, 2 : « Ils démolirent les autels et les bocages sacrés, élevés par les païens sur les places pu-

1 Contrairement au Ier livre des Macchabées, il désigne aussi deux fois l'autel des fumigations par le mot (■iio^o;.

LES SOURCES DE FLAVIUS JOSEPHE 19o

bliques ; et, après avoir purifié le Temple, ils bâtirent un autre autel. » La concordance de cette relation avec le Bellum, I, 1, 4, est digne d'être notée : « Juda purifia toute la place et l'entoura d'un mur; il fit fabriquer les vases nécessaires au culte divin et les plaça dans le sanctuaire, les anciens vases ayant été souillés; il construisit un autre autel et ordonna qu'on recommençât à faire les sacrifices. » On voit que les deux sources mentionnent la pro- fanation de tout l'emplacement et ne parlent que d'un seul autel.

LE SOULEVEMENT DE MATTATHIAS.

Pour achever le tableau des événements qui suivirent immédia- tement la profanation du Temple, je veux encore m'arrêter sur les lignes du Bellum qui se rattachent aux faits dont il vient d'être question. On y lit, en effet (I, 1, 2) : « Tous refusèrent d'obéir à l'ordre de laisser les enfants incirconcis et de sacrifier des porcs sur l'autel. Les plus considérables furent mis à mort; Bacchide, le gouverneur militaire envoyé par Antiochus, joignant aux horri- bles mesures commandées par ce prince sa cruauté personnelle, ne recula devant aucun forfait et mit à la torture successivement les citoyens les plus estimés, rappelant chaque jour à toute la po- pulation les horreurs de Ja conquête, jusqu'à ce que, par l'excès de ses crimes, il eut amené les malheureux opprimés à une tenta- tive de vengeance ».

Ni le Ier livre des Macchabées ni les Antiquités ne relatent les événements qui suivirent la profanation du Sanctuaire, car tous deux, abandonnant la capitale, appellent toute l'attention sur l'hasmonéen Mattathias qui apparaît en scène à Modéin. A ce mo- ment, leur récit nous montre Jérusalem et le Temple saccagés et déserts et l'animation ne régnant que parmi les païens dans l'Acra. Le Bellum, au contraire, décrit les persécutions et les mauvais traitements qui continuaient à Jérusalem et, dans la phrase qui termine ce récit, il indique que les Juifs de la capitale organisèrent une révolte contre leur bourreau, le gouverneur de la garnison. De même, dans II Macchab., vi, 4 vu, 42, il est question de ce qui se passa à Jérusalem '. Ony raconte qu'Apollonius, le délégué

1 Graetz, Gcschichte, II, 2e édition, p. 317, note 1, croit que le martyre d'Eléazar et de la mère avec ses sept (ils, raconté dans II Macch., vi, 9-31, et lVMacch., v-vi, a

166 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

d'Antiochus, avec sa troupe, et le surveillant Philippe maltrai- taient le peuple et châtiaient cruellement tous ceux qui leur étaient dénoncés. Les Juifs se voient obligés de participer à la fête mensuelle de Bacchus et y sont contraints de la plus dure façon. Quoique le nom de ce cruel général soit ici Philippe et, dans le Bellum, Bacchide, on peut quand même admettre l'identité des événements relatés par les deux récits. Car ces deux chefs oc- cupaient des positions différentes à Jérusalem, l'un étant qualifié de ztzIgxotzoç et l'autre de ippoupap^oç ; ils ont donc pu exercer simul- tanément leur action à Jérusalem, et, comme les actes qui leur sont reprochés sont les mêmes, on peut admettre qu'il existe quel- que rapport entre Bellum, I, 1, 2, et II Macchab., vi. Ce rapport est aussi prouvé par ce fait très caractéristique, que les deux sources ne savent rien des incidents de Modéin et placent à Jéru- salem le début du soulèvement.

En effet, selon Bellum, I, 1, 3, Mattathias, « prêtre de Modéin », poignarde Bacchide ; et, comme ce récit dit qu'il s'enfuit devant la nombreuse garnison qui avait eu Bacchide à sa tête, et comme il a été déjà raconté que celui-ci torturait les habitants de la capi- tale, il ne peut être un instant douteux que tout ne se soit passé à Jérusalem. Le IIe livre des Macchabées, tel que nous le possé- dons, ne nomme pas du tout Mattathias et raconte que Juda (v, 27) s'enfuit dans le désert avec dix compagnons ; plus tard, il lui attribue les mêmes exploits que le Bellum attribue à Mattathias, mais il ne parle que de Jérusalem comme théâtre de tous les évé- nements. Malgré les ressemblances des deux relations, il n'y a pas à penser à un emprunt de l'une à l'autre. Car, sans tenir compte du fait que Josèphe ne montre nulle part qu'il connaît les évé- nements racontés dans le IIe livre des Macchabées, la juxtapo- sition des deux relations, exception faite d'un petit nombre de traits identiques, révèle une grande différence dans la disposition de la matière et dans l'exposition.

Nous arrivons au même résultat en comparant les paragraphes du début du Bellum, I, 1,1, sur les luttes intestines dans Jérusa- lem avec la partie correspondante du IIe livre des Macchabées. L'un et l'autre rattachent l'intervention d'Antiochus dans les af-

se passer à Antioche et invoque la circonstance que l'auteur parle de la présence du roi et de ses courtisans qui paraissent connaître Eléazar de longue date. Schlatter aussi [Jason von Kyrene, p. 9) est de cette opinion et ajoute la remarque de saint Jérôme que l'on montrait à Antioche les tombes des sept martyrs; cela se trouve déjà chez Cigoi, Historisch- kritische Schwierigkeiten im IL Mahkabàerbuche, p. 5. Cependant, comme nous le verrons, la narration assez étendue n'appartient pas à l'ouvrage de Jason de Cyrène, mais à l'auteur du résumé de cet ouvrage, qui a intercalé des récits de ce genre sans tenir compte du contexte.

LES SOURCES DE FLAVIUS JOSÈPHE 197

faires juives aux dissensions des notables de la capitale ' ; mais la description des incidents particuliers et les points de vue varient complètement. En présence de ces divergences, on serait tenté d'admettre que peut-être le Bellum a fait des emprunts à l'ouvrage original si étendu de Jason de Cyrène, dont le IIe livre des Mac- chabées est le résumé. Cependant, cette supposition aussi est im- possible, car, dans l'original, le groupement et la liaison des faits étaient sûrement les mêmes que dans le résumé. Il ne reste donc qu'une hypothèse, Jason de Cyrène aussi bien que le Bellum ont emprunté les parties qui leur sont communes à la même source, qu'ils ont ensuite utilisée d'une manière différente, suivant leurs tendances respectives.

Dans plusieurs cas nous avons pu établir l'accord du II0 livre des Macchabées et du Bellum, nous avons constaté qu'ils étaient identiques à une troisième source grecque, utilisée dans Anti- quités, XIII, 8, 2, et qui est vraisemblablement Polybe ou Posi- donius ; le Bellum et le 11° livre des Macchabées doivent donc avoir un rapport quelconque avec ces deux auteurs. Mais nous avons trouvé aussi que Josèphe n'a pas emprunté directement à Polybe les parties des Antiquités, XII, 5, 2-4, qui proviennent d'une source grecque, mais qu'il s'est servi de Nicolas de Damas comme intermédiaire; nous pouvons donc conclure que le Bellum, I, 1, 1, a aussi utilisé Nicolas de Damas. Tandis que dans les Anti- quités, XII, 5, 4, et XIII, 8, 2, Josèphe n'a conservé que des fragments de ce texte, ayant laissé les démonstrations pour faire place aux récits beaucoup plus détaillés du Ier livre des Mac- chabées, dans le Bellum, il n'a pas suivi ce livre, il reproduit d'une manière continue les relations de son modèle. J'essaierai encore de montrer que, dans le Bellum, la description delà situa- tion intérieure de la Judée provient aussi d'un auteur païen. Les passages qui ont été examinés jusqu'à présent ne permettent pas de décider si le IIe livre des Macchabées qui, sur certains points, concorde avec le Bellum et Nicolas de Damas, procède de celui-ci ou de Polybe.

Par contre, il nous parait certain que le Bellum ne peut avoir utilisé le Ier livre des Macchabées, car, dans ce cas, il n'aurait pu négliger de mentionner Modéin comme théâtre du soulèvement. Nous insistons particulièrement sur ce résultat, qui est tout à fait contraire à l'opinion de Destinon. Celui-ci 2 a prouvé victorieuse- ment que les deux ouvrages de Josèphe procèdent de la même source et que les Antiquités ne se distinguent du Bellum que sur

1 Cf. Willrich, Juden und Gi'iechcn, p. 64 et s. * Die Quellen des Flavius Josephus, p. 10 et s.

198 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

un point : les Antiquités tiennent compte de l'histoire des États étrangers avec lesquels les Juifs entretinrent des rapports poli- tiques, tandis que le Bellum n'en parle pas. On peut faire la même remarque à propos de l'histoire des grands- prêtres. Destinon ajoute expressément que cette observation s'applique sans restric- tion à tout le récit, depuis l'ouverture des luttes des Macchabéens jusqu'à la mort d'Hérode. Cependant, cette déclaration est en con- tradiction avec une constatation faite par Destinon lui-môme sur le manque de proportion du récit dans Beltum. En effet, tandis que ce livre rapporte, en un aperçu très serré, les événements antérieurs à Tavènement de Siméon (I, 1, 1 I, 2, 2), pour les époques suivantes les deux textes parlent avec la môme abon- dance de détails ; ce qui fait supposer que cet ouvrage n'a pas puisé à la même source pour toutes ses parties. Or, en fait, Des- tinon ne prouve l'accord des deux ouvrages qu'à partir de l'époque qui suivit l'avènement de Hyrcan, tandis que pour l'histoire des frères Macchabéens, il ne cite les descriptions parallèles que d'un seul passage, dont il attribue les divergences remarquables aux erreurs et aux malentendus résultant de l'abréviation de l'origi- nal *. Comme le Ier livre des Macchabées va jusqu'à la fin du gou- vernement de Siméon., et que jusque le Bellum aussi expose les faits avec la même concision, la conclusion s'impose : Josèphe, en composant son ouvrage, n'avait pas sous les yeux le Ier livre des Macchabées, si abondant en détails dans ses récits.

Cette conclusion, Destinon essaie de la combattre. Comme les Antiquités copient simplement le Ier livre des Macchabées, il veut prouver que cet ouvrage et le Bellum sont identiques pour les particularités empruntées au Ier livre des Macchabées. Pour démontrer son dire, il choisit comme exemple le passage offrant la divergence la plus complète au sujet des événements qui sui- virent la profanation du sanctuaire, c'est-à-dire l'apparition en scène de Bacchide. Il juxtapose les relations du Bellum, I, 1, 2, des Antiquités, XII, 5, 4, et de I Macchab., i, 29, concernant l'en- trée d'Antiochus à Jérusalem et ajoute la remarque suivante : « Comme on voit, le Bellum et le Ier livre des Macchabées se rencontrent sur ce point qu'ils ne mentionnent pas l'arrivée d'An- tiochus lui-même; il en résulte que le récit divergent dans les Antiquités doit reposer sur une erreur. Dans la suite du récit, la présence du roi en personne ne ressort pas davantage. D'autre part, les Antiquités et le livre des Macchabées rapportent una- nimement que les Syriens s'emparèrent de la capitale par ruse. »

1 L. cit., note 1.

LES SOURCES DE FLAVIUS JOSÈPHE 1«J9

On voit par les faits assimilés ici l'un à l'autre, mais, en réalité, fort différents, combien cette démonstration est peu probante.

D'ailleurs, nous avons déjà montré plus haut les divergences qui existent au sujet d'autres particularités.

Pour terminer, résumons encore une lois les résultats de nos recherches sur les récits relatifs à la situation créée par Antio- chus IV Epiphane. Le plus ancien ouvrage historique de Josèphe, le Bellum Judaicum, n'a utilisé, dans I, 1, 1-4, ni le 1er livre, ni le II0 livre de Macchabées, mais il procède d'une source qui, sur beaucoup de points de détail, concorde avec Diodore, avec l'au- teur anonyme utilisé dans Antiquités, XIII, 8,2, et avec Nicolas de Damas. Comme ces trois auteurs procèdent de Polybe ou de Posidonius, l'inspirateur du Bellum doit aussi avoir connu ces historiens. Les Antiquités, XII, 5, 2-4, sont complètement indé- pendantes du Bellum et ne sont d'accord avec lui que dans les détails empruntés à leur source commune grecque ; le premier ouvrage ne se distingue pas seulement du Bellum par la plus grande étendue des passages empruntés, mais surtout parce qu'il copie presque littéralement des morceaux entiers du Ier livre des Macchabées. Comme les données de cette source si riche se trou- vaient souvent en contradiction avec celles que Josèphe em- prunta à sa source grecque, il a transformé le récit du Ier livre des Macchabées pour l'adapter à celle-ci. Cependant, il est encore possible de distinguer les deux sources, et on reconnaît facilement plusieurs petits passages de la source grecque sous leur forme presque littérale, auxquels il faut joindre aussi quelques phrases des Antiquités, XII, '), 6, et XIII, 8, 2. L'auteur de ces pas- sages serait Nicolas de Damas. En ce qui concerne le IIe livre des Macchabées, nous avons constaté qu'il se rencontre sur beaucoup de points avec le Bellum et les ouvrages historiques grecs, de sorte que nous pouvons aussi y présumer l'influence de Polybe ou de Posidonius. Comme nos recherches se sont portées seulement sur une petite partie du Bellum, des Antiquités et des deux livres des Macchabées, ces conclusions n'ont pas toujours pu être éta- blies avec une entière certitude et l'amalgame des diverses sources n'a pu être suffisamment mis en lumière; il y faudrait encore l'examen d'autres détails des diverses relations parallèles. Cette étude, je compte l'entreprendre dans un autre article.

Vienne, 15 avril 1890.

Adolphe Buchler.

(A suivre.)

LE

VERITABLE AUTEUR DU TRAITE RÈLIM

Les savants ont été frappés depuis longtemps par un passage qui paraît particulièrement propre à ébranler l'opinion tradition- nelle qui attribue à Juda Hannassi l'initiative d'avoir consigné par écrit en un ordre systématique les lois et les doctrines phari- siennes, transmises jusque-là oralement. Simson de Ghinon, un des membres les plus distingués de l'école des tossafistes fran- çais, dans sa méthodologie talmudique Se fer Rerilont, I, n, 58 \ remarque déjà que R. Yosé salua l'achèvement du traité de Kèlim par ces mots : « Salut à toi, Kèlim, tu as commencé par l'impu- reté et tu termines par la pureté 2 ! » Selon lui, il faut en con- clure que Yosé avait vu ce traité achevé sous sa forme actuelle. Les savants modernes qui s'occupent de l'étude de l'histoire et de la littérature juives, depuis Zacharias Frankel 3 jusqu'à M. Schù- rer\ dans leurs recherches sur les précurseurs de R. Juda comme compilateurs des lois, n'ont pas négligé pas de citer, à leur tour, les paroles de R. Yosé et d'en faire le point de départ de nombreuses déductions. Mais ils n'ont pas été jusqu'au bout et n'ont pas cherché à déterminer la véritable personnalité de l'au- teur de ce traité. Ils se sont contentés d'émettre des conjectures, sans les corroborer par des faits, de sorte que, comme le dit M. J.-H. Weiss dans la seconde partie de son ouvrage talrau-

1 fcanoia **on pb d'inp JrrnTO T»n nvwjatt wa me ■»»"** nana fiiVjas-DS Nir: rrobi rvirpniz rm «b Kroonrti ftseian bas . . . «robn

. . .d^bd qidi an)2 rrwm

» Mischna Kèlim, XXX, 4 : tnfittfn ÏTS7J1C33 nD3D3e fcZ'bd 'fnttK

mrtaa.

3 Dai'kè hammischna, p. 211. Il est vrai que ce savant rétracte dans les notes ce qu'il a affirmé dans le texte.

4 Schiirer, Geschichte des jûdischen VoJkss, 2e édition, I, p. 96.

LE VÉRITABLE AUTEUR DU TRAITÉ KÈLIM 201

dique', leurs hypothèses sont arbitraires. Nous allons essayer d'arriver à un résultat plus précis et plus sûr.

YOSE AUTEUR DU TRAITE DE KELIM,

Le salut adressé par Yosé au traité de Kèlim ne peut s'expliquer que par deux suppositions : que Yosé a vu ce traité achevé ; que ce traité venait d'être terminé immédiatement avant cette apostrophe. En effet, on n'a pas l'habitude d'exprimer sous cette forme ses sentiments au sujet d'un événement qui s'est passé depuis longtemps. Partout où, dans la littérature talmudique ou biblique, on exprime son contentement en de tels termes, c'est toujours au moment se passe le fait qui le provoque *. L'idée d'attribuer à Akiba ben Joseph, dont l'activité scientifique est antérieure au moins d'une génération à l'époque de Yosé, la pa- ternité de notre traité 3 ne peut donc pas être soutenue et n'exige pas d'autre réfutation. En outre, la statistique nous fournit sur ce point des données plus convaincantes que tous les arguments. Dans le traité de Kèlim, on ne trouve que vingt décisions légales au nom d'Akiba ben Joseph4, une de plus que celles qui sont rap- portées au nom de son maître Eliézer ben Hyrkanos 5. Qu'on con- sidère, en outre, que ses décisions ne sont pas toujours respectées et qu'elles sont souvent rejetées au profit de celles d'autres doc- teurs. Au contraire, il n'y a pas moins de cent cinquante et une décisions émanant de ses disciples plus ou moins immédiats Siméon, Méïr, Juda et Yosé. De Siméon, on en compte vingt-six; de Méïr, trente-trois; de Juda cinquante-sept et de Yosé trente-

1 J.-H. Weiss, Dor dor velorschav, II, p. 184 : "Ol 1J3 û^T^ISr» 50 Û\?"G1

■on nbfio n\xtt -o-n a:pp* lai bc vûm -no nx ttho iio^b npb •m rvnnb hnvin ^on bo33 î-tto tznm^3 vn ts» '-n ttnyy

» Cf. Tosefta Baguiga, II, 1 (éd. Zukermandl, p. 234, 1. 5) : 13">n^ ûn"DN ■"l'V'KUN *"»j:'rn33 État" "p? p "lî^bsiO; ^-. Houllin, H, 23 (éd. Zuckerm. , p. 503, 1. 16 : Ûlboa nS'ivJ N33*l p fcpflDK; I Rois, x, 8, *n«B "plODN "*■«}«

nb« ^-nnr.

3 Frankel, l. c.

* ir, 2, 4; ni, 8; XI, 6; xn, 5; xiv, 1 ; xvn, 5, 13, 17; xx, 4, 6 ; xxn, 7, 9, 10; xxv, 4, 7 ; xxvn, 5; xxvm, 2, 7; xxx, 2.

5 ii, 8; m, 2; v, 10 ; vin, 1 ; x, 1 ; xi, 4, 8; xiv, 1, 7 ; xv, 2; xvn, 1 ; xvm, 9; xxvi, 2. 4, 5; xxvn, 5, 12; xxvm, 2.

202 UEVUE DES ÉTUDES JUIVES

sept. Il semble donc qu'on ne puisse conserver aucun doute au sujet de l'époque de la composition du traité de Kèlim.

U est vrai que, si l'on voulait s'en rapporter absolument à la statistique, il faudrait attribuer la paternité de Kèlim à Juda ben Haï, qui est mentionné plus fréquemment dans ce traité que Yosé. Mais il y a à tenir compte encore d'autres éléments pour résoudre une question de ce genre. Si on s'applique sérieusement à se rendre compte de l'esprit des lois mentionnées dans ce traité, on comprend mieux certaines indications données par les anciens, mais que les commentateurs plus modernes n'ont pas assez prises en considérations et qui nous conduisent précisément à attribuer la rédaction de Kèlim à Yosé. Ainsi, lorsque les commentateurs de la Mischna firent la remarque que, dans I%6, le traité de Kèlim déclare qu'il existe dix endroits dont chacun est saint à un degré différent, et qu'en réalité, dans la suite, il en énumère onze, quelques-uns écartèrent cette difficulté en disant que le paragra- phe où il est question des dix endroits émane de R. Yosé. C'était une lueur qui aurait jeter une grande clarté sur la ques- tion de l'origine de Kèlim. Maïmonide lui-même a hésité entre deux explications. Tandis que dans son Commentaire de la Mis- chna il admet que le paragraphe en question a été rédigé sous l'influence de Yosé, dans son Mischné-Tora il penche pour une autre interprétation t: Ni son contemporain et adversaire, Simson de Sens2, ni Obadia de Bertinoro 3, ni Yom Tob Lippmann Heller (nvj ùv msDin) 4 n'ont été plus heureux que Maïmonide. Malgré toute leur sagacité, ils n'ont pu donner une solution certaine de la difficulté. Il semble qu'il leur en ait beaucoup coûté d'attri- buer deux parties d'un même chapitre à deux auteurs différents. Cependant, une analyse critique du texte, appuyée par la To- sefta, nous fait mieux comprendre ce passage et confirme l'exac- titude du nombre dix. Elle démontre ensuite jusqu'à l'évidence que, non seulement un groupe unique et déterminé de décisions, mais tout le chapitre et même l'ensemble du traité de Kèlim pro- vient de l'école de Yosé.

Dès le début, comme, du reste, dans tout le cours du traité, la Mischna et la Tosefta offrent de notables divergences. D'après celle-ci, des propriétés spéciales, au point de vue de la propuga-

» Yad hahazaka, Bêt habbehira, VII, 12 : nïîTlpE b^T^"1 y~!N b3 ; iàid., 13 :

bania^ "yni0 l'n mianp ivy-, n>id., 21 : ûbiNtt "pa» cmp» ba^nn naï»Vi.

* Dans son Commentaire de la Mischna, in loc.

3 In loc.

4 Dans ses gloses, i. I.

LK VÉRITABLE AUTEUR DU ÏKA1TK KELIM '203

tion de l'impureté, distinguent yro de 3HT roso l aussi bien que nbas de naatl *n - et que m de r»5aîn 153 W3 3. Dans la série graduée des agents d'impureté, établie dans la Mischna, ï, 1-6, chacun d'entre eux aurait donc se trouver placé à son rang, au-dessus ou au-dessous de celui qui s'en rapproche le plus. Mais la Mischna, tout en les plaçant dans leur ordre de succession, les y range par couples, sans tenir compte des caractères qui distinguent les deux parties de chaque couple. Dans ï, 2, elle contredit ouvertement la Tosefta. Ainsi, celle-ci place sur le même rang naain ^53, quelle qu'en soit la quantité (Wlo)4, et ïibns, tandis que d'après la Mischna, le nNïtti V2 ne cause l'impureté que s'il y en a une quan- tité déterminée, mm **is ùm o^o nsan "Wi nb^D'1. Sur un seul point, pour bc nmT, etc. et aaitt (i, les deux codes sont entière- ment d'accord, mais, qu'on le remarque bien, ce que la Mischna concède à la Tosefta émane, selon le témoignage de cette dernière, de Yosé " .

La constatation que nous venons de faire que tout désaccord cesse entre les deux recueils des lois si l'on adopte l'opinion de Yosé, nous aide à résoudre la difficulté de la Mischna, I, 6-9. On admet généralement que des onze emplacements mentionnés dans ce passage, il faut en rayer un. Mais lequel ? Les uns, avec quelque apparence de raison, veulent éliminer la Pales- tine, nommée au début du passage. Voici comment ils argumen- tent : « Ce qui caractérise tous les emplacements énumérés, c'est que certaines personnes ou certains objets ne peuvent pas y pénétrer, tandis que, pour la Palestine, sa supériorité consiste en ce que certains de ses produits sont seuls propres à des sacrifices déterminés. » Cet argument paraît juste à pre- mière vue, mais on se demande alors pourquoi la Palestine, si elle ne doit pas être comptée, est placée en première ligne. On peut encore soulever une autre objection, c'est qu'un autre em- placement, le territoire de Jérusalem (irttviïi 1*3 û^sb), a la même particularité que la Palestine, car lui aussi se distingue des autres villes, en ce que seul il est approprié à certains actes du service divin. Il faut donc trouver une autre explication pour résoudre cette difficulté. Un examen attentif nous montre que tous les emplacements considérés comme saints ont ce caractère commun

i Tosefta Kèlim, I, 1 (éd. Zuckerm., p. 56(J, 1. 3).

* Ibid., 1. 5.

* Ibid , 1. 15.

* Ibid., 1. 6. Mischna Kèlim, I, 2.

6 Mischna, I, 3 ; Tosefta, éd. Zuckerm., p. 569, 1. 12. " Tosefta, ibid. : npm 2T blB "HIT "IttlN ">OT> '"!■

204 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

qu'ils se distinguent tous par une propriété qui leur est habi- tuelle, que cette propriété agisse positivement ou négativement, inclusivement ou exclusivement. Considérée à ce point de vue, la supériorité de la Palestine n'est pas contestable. Mais s'il faut absolument éliminer quelque chose, cette élimination peut plutôt porter sur ce qui est mentionné dans Mischna, I, 9.

D'après cette Mischna, l'espace compris entre l'autel des holo- caustes et le portique (mraim ûb-iattf "pa) est moins saint que le sanctuaire (bwr), y compris le portique (dbna), parce qu'il est accessible aux prêtres qui n'ont pas les mains et les pieds lavés, c'est-à-dire qui ne sont pas entièrement aptes au service l. Yosé conteste l'exactitude de ce fait dans la Mischna-, et, comme le montre la Tosefta 3, sa théorie trouve l'assentiment presque gé- néral. En dehors de R. Méïr, personne n'admet que les prêtres qui n'ont pas les mains et les pieds lavés puissent pénétrer dans l'espace en question, et la simple déclaration d'un témoin ocu- laire comme Eliézer ben Hyrkanos, même si elle avait été faite d'une manière moins énergique4, aurait plus d'autorité que toutes les prétendues traditions des docteurs de l'époque pos- térieure qui ne connaissaient le temple et son organisation que par ouï-dire. C'est donc avec raison qu'un des Gaonim 3 a déclaré que le passage il est question de dix emplacements est de Yosé, qui n'attribue pas de rang spécial à l'espace compris entre l'autel et le portique.

Tel n'est pourtant pas l'avis de Yom Tob Lippmann Heller. Celui-ci, à l'exemple de Simon de Sens, prétend que Yosé établit la distinction suivante entre les deux endroits en question : l'es- pace entre le portique et l'autel doit être évacué au moment le prêtre offre l'encens6, tandis que le sanctuaire doit être évacué avant toute cérémonie du culte. Mais notre glossateur, d'ordi- naire si sagace, se trompe ici. Dans le langage de la Mischna, le mot îrvjpîi ne signifie pas seulement « offrir de l'encens »7, comme on le voit dans Berakhot, I, 1 : û'nrran d'abri Tjpr». Au

1 tzrbs-n orr1 yim abra toob D3di "para urnpft bwirr.

4 ibid.% Sd^ttb mo mTttbi Dbian pa dnm TOttrn "OT* '") n?3N tarab û^baaa û^ba-n fca^v yinn Kbisi pEi» ^a p«œ.

3 Ed. Zuckerm., p. 569, 1. 21 et s.

« Toss,, éd. Zuckerm., 569, 25 : inM2 V\H 'pJKID bVW }~5 WCH ÏT7WÏ1

■p-ntta.

5 Cf. Commentaire de Berlinoro, in l.

6 Mischna, I, 9 : m'jpn TW'ÛI mT»bl bblNH p372 ÏWtt"l.

7 L'ancien hébreu a encore moius ce sens exclusif. Voir Amos, iv, 5 : **i!ûpT ÏT71D V^n^. Malgré la parenté avec le mot "iltû^p > on ne Peut' même songer ici à la fumée, puisque le pain du sacrifice d'actions de grâces, qu'il fût levé ou azyme, n'était pas brûlé.

LK VÉRITABLE AUTEUR DU TRAITÉ KÈL1M 205

surplus, Yosé lui-môme indique clairement dans la ToseHa que rncapfl a un sens plus étendu. Il y énumère toutes les cérémonies accomplies dans cet emplacement : yww baïTO dl»a WN "OT '"i yro ns [bo] irtti in» rorcsa fia-ns "p i-napp n^n narabi dVian yatt tfmsDïi ût bo twn ïti[t] rroa* "n^Joi mai: bï) iai abj>- nD ma».

Yom Tob Heller a également voulu voir un signe distinctif dans le fait que l'autel d'or, la table et le chandelier seuls pouvaient se trouver dans le sanctuaire l. Mais on ne peut pas appeler ce fait une particularité, c'est, au contraire, la raison d'être du sanc- tuaire. En effet, ce n'est pas parce que le sol du sanctuaire pos- sède une qualité extraordinaire qu'il donne asile aux objets néces- saires au culte divin, mais, inversement, ces objets consacrés en vertu de leur destination assurent au sanctuaire sa supériorité. Tout autre sol sur lequel ces objets se trouvaient, soit dans le dé- sert, soit à Silo ou ailleurs, a joui de la même prérogative, mais seulement tant qu'ils s'y trouvaient2. Ils constituent donc la raison, et non la conséquence, de la sainteté. Dans le système de la Mis- clina, au contraire, il ne s'agit pas de signes distinctifs essentiels ne pouvant être séparés de la chose, mais de simples accidents.

La même objection s'applique aussi à la remarque de la Tosefta (éd. Zuckerm., p. 569, I. 28). C'est vraisemblablement une inter- polation postérieure3, puisqu'elle n'est pas en harmonie avec la suite du texte proprement dit. La constatation qui, remar- quons-le en passant, infirme aussi l'hypothèse de Yom Tob Heller que, selon les déclarations décisives de Yosé, le sanctuaire n'a point de supériorité sur l'espace compris entre l'autel et le portique a induit un savant inconnu à établir la différence sui- vante entre l'espace intermédiaire et le sanctuaire. Dans le pre- mier on peut pénétrer même quand on n'y a point à faire de service, tandis que le second n'est accessible que pour les besoins du service *.

« Tosefot Yom Tob, sur 1,9, fin.

* Cf. Mischna Zebahim, XI V, 4, et s.

3 La Tosefta rapporte des interpolations d'une époque plus récente, même très récente. Obadia de Bertinoro, qui connaît la Tosefta et la cite souvent pour élucider la Mischna, s'appuie sur l'autorité de ses maîtres, dont il n'indique, d'ailleurs, pas le nom, pour déclarer synonymes trois expressions différentes de la Mischna Kèlim,

vin, 9 : nna ban nTOïn rmaaaKi ïaTbi vo-pd imam. On trouve

aussi la même indication dans la Tosefta, éd. Zuckermandel, p. 576, 1. 23 : "jbiai S~ nnX SÏ3' Il n'est pas difficile de savoir à qui revient la priorité. Si Bertinoro avait eu sous les yeux l'interprétation de la Tosefta, il n'aurait pas négligé d'invo- quer l'autorité plus grande du vieux code. Cette remarque paraît donc avoir pris la voie opposée et avoir passé de son commentaire dans la Tosefta.

* Tosefta, éd. Zuckerm., p. 569, 1. 28, naTttbl ûblN^ "pa ÏT5*» ÎTO 'nfi

i-ma*b >*b©i s-rrwb vD3D3 naTttbi tabiNn ya bta t^b» bmîfot naba miarb «b« voaa: ba^-b-i.

206 HE VUE DES ÉTUDES JUIVES

Mais est-il vrai que l'accès dans l'espace intermédiaire est auto- risé en toute circonstance ? Rappelons-nous qu'à moins d'avoir un but pieux, on ne peut se rendre ni sur la montagne du Temple 1, ni dans des synagogues -, môme quand elles sont hors d'usage :i ; rappelons-nous aussi la règle qui n'autorise l'accès de l'espace intermédiaire qu'aux prêtres préparés au service. On comprendra alors que la permission d'entrer implique le sous-entendu qu'un accident imprévu pourrait nécessiter l'assistance d'un autre prêtre pour accomplir un service liturgique4. Mais cela ne s'appelle plus, dans ce cas, « pénétrer sans intention de remplir un service du culte » •'. On ne peut donc pas admettre saris restriction la réponse de Tinterpolateur.

Le paragraphe suivant de la Tosefta est encore plus décisif que notre raisonnement. Abba Saùl propose, en effet, pour le grenier du saint des saints fe un degré de sainteté supérieur au saint des saints lui-même: « Car, dit-il, on y pénètre au moins une fois par an, au jour des Expiations, tandis que personne n'entre dans le grenier pendant des années. » Cette théorie est écartée par cette brève objection : « Cette particularité ne constitue pas un rang spécial 7. » Ce rejet catégorique, sans indication de motif, montre avec évidence que les docteurs mesurent la sainteté d'un endroit d'après les personnes qui peuvent y pénétrer ou les actes qui doivent s'y accomplir, en vertu de leur qualité et de leur importance, sans considération des circonstances acces- soires, telles que le moment ou le but. Or, comme personne ne pouvait entrer dans le saint des saints excepté le grand-prêtre, et comme, dans le grenier, au contraire, tout artisan, sans dis-

* Misçhna Berakhot, IX, 4, NVttSDp 13tt53n ^bl . . . n^3n nrî-

8 Tosefta, éd. Zuckerm., p. 224, 1. 27, "13BE ttttîia Jïia DW N5 DVDiS \na

Dm ■pmfira tni ann pb-^a "pan rronn ^dm.

3 Misckna Aleguilla, III, 3, DP1S pïîiy pN S^tTS nOj^n rV3

«•n.TOp.

4 Oq voit de la manière la plus évidente par la Tosefta, éd. Zuckerm., p. 81, 1. 1, que cette circonstance était réellement prise en considération : b"nà \TO *^jOl

mttb pa «npam a^n wnaa (scii. bi*w pa) im kstd (iTaa*»).

miayb I^INn ]rw njD)3 TIÛB tTlttîb Nbt3 pa"). Dans des circons- tances particulièrement solennelles, il était expressément prescrit de prendre des mesures pour faire la substitution immédiate. Cf. Mischna Yoma, I. 1. L'incident des fils de Kamhit montre que cette précaution n'était pas inutile; voir Tosefta, éd. 'Zuckerm., p. 189, 1. 13, et Bamidbar rabba, 20 : *p p27212)a Hïïnj

rrrwp.

5 Tosefta, éd. Zuckerm., p. 569, 1. 28 : rm^b Nbttîl.

6 Ibid., p. 569, 1. 30 : ûi^pn ttHp ma mbr. -' Ibid., p. 569, 1. 33 : nbj>» 1T p8 lb Tl»».

LE VERITABLE AUTEUR DU TBAITE KKLIM 207

tinction d'origine1, pouvait pénétrer en cas d'urgence, l'idée d'Abba Saùl est sans valeur.

La distinction qu'on a voulu établir entre le sanctuaire et l'es- pace intermédiaire est également inexacte. Les deux endroits con- sacrés se ressemblaient en ce qu'ils étaient accessibles aux prêtres propres au service et fermés à ceux qui n'y étaient pas complète- ment préparés (trban tTT yin-i tfbtt). Ils possédaient cinq particu- larités communes, comme l'assure Yosé avec l'assentiment de la majorité2, et ne se distinguaient l'un de l'autre par aucune parti- cularité. Ils ont donc tous deux la môme valeur et le même rang et c'est sur ce résultat final que repose le nombre dix des degrés de sainteté : ce nombre paraît évidemment avoir été énoncé par le même auteur que le nombre cinq dans un autre passage 3. Il suffit donc d'écarter simplement le passage relatif au sanctuaire », qui a probablement été interpolé par un disciple de Méïr, par égard pour la doctrine de son maitre 5, et la Mischna origi- nale de Yosé sera reconstituée, irréprochable de forme et de contenu.

Avec une légère correction, la Mischna II, 2 témoigne elle aussi en faveur de Yosé. Yohanan ben Zakkaï, dont la Mischna fait rarement mention, et encore indirectement, dans le récit de cer- tains événements, comme le constate M. J.-H. Weiss0, intervient ici personnellement dans le débat. Et chose singulière, il n'a la parole qu'après deux docteurs qui ont moins de valeur et sont plus jeunes que lui, après Ismaél et Akiba. Gela est-il vraisemblable? Mais, en réalité, le nom de Yohanan ben Zakkaï est ici le résultat d'une faute de copiste. Outre les motifs que nous venons d'ex- poser, nous avons comme preuves les passages parallèles du Si- fra 7 et de la Tosefta*, qui ont, à la place de Yohanan ben Zak- kaï, Néhémia et Eliézer ben Jacob. C'est ce qui sans doute a déterminé aussi J.-H. Weiss à omettre cette Mischna dans l'énu- mération des lois dues à Yohanan ben Zakkaï.

1 Ibid., p. o70, 1. 4, ... ÛT^T^ tTOaM ïpnVl m333 ET 5353 b^ïl

1 M. Kclim, I, 9, bs^nb JTW3 rOTTabl ûb"IN'n *pn d"Hm ÏTUEm. Tas., éd. Zuckerm, p. 56?, 21, tPbjm Û*Hn yim «bfi mT»bl ûb*Wn l^ab 1"»D3D31

3 Mischna Kèiim, I, 9, Û"Hm ÏTwfàrD-

4 lbid., îzmpE brrr:n.

s Tosefta, éd. Zuckerm., p. 569, 1. 21 : yim »bl3 rPTttbl ûblN" fab ^03531

T»wa ■'ai "nm ts^bam ïzpt*.

8 Dor dor vedorschav, II, p. 40, note 2.

7 Dans péricope Schemùii, VII, 3; éd. Weiss, p. 53 £.

» El. Zuckerm., p. 570, 1. 29,

208 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Mais, si le nom de Yohanan ben Zakkaï a été mis par erreur, il est évident qu'il a été écrit au lieu d'un autre Yohanan. C'est ainsi, par exemple, que dans la Tosefta Sota1 le grand-prêtre Yohanan 0"3 'prvp) est devenu Yohanan ben Zakkaï (î"a i:nr),et cette leçon fut ensuite interprétée dans ce sens par les copistes. M. Weiss cite encore d'autres exemples d'erreurs de ce genre s. Il est vrai que de Néhémia et Eliézer on ne saurait jamais faire Yohanan ben Zakkaï. Mais ces savants furent les disciples d'Akiba et de ses compagnons, parmi lesquels il y avait, à côté d'Ismaël, Yohanan ben Nouri. En prenant une décision contraire à celle d'Ismaël et d'Akiba, ils ne peuvent avoir invoqué d'autre autorité que celle de Yohanan ben Nouri, le troisième compagnon. Le nom de ce dernier écrit en abrégé (fn "n) aura ensuite été confondu avec celui de Yohanan ben Zakkaï. Notre Mischna, en ce qui concerne la manière dont elle est composée, a son pendant dans BeJîhorot, VI, 6, on trouve aussi mentionnés dans le même ordre Ismaël, Akiba et Yohanan ben Nouri. Mais on y trouve en même temps une indication permettant d'expliquer pourquoi, dans notre pas- sage, les noms de Néhémia et d'Eliézer ben Jacob ont disparu. Cette Mischna présente, en effet, cette particularité qu'elle rap- porte, sans indication de nom d'auteur, une opinion qui, en réa- lité, doit être attribuée à Yosé. Toute la relation, tant l'incident que la controverse s'y rattachant entre Akiba et Yohanan ben Nouri, provient, selon la Tosefta correspondante3, de Yosé, qui, d'ailleurs, était en état de savoir le mieux ce qui concernait Yoha- nan, avec lequel il était en rapports étroits4. Il est question, dans la Tosefta, quinze fois en tout de Yohanan ben Nouri. Dans douze de ces cas, c'est Yosé qui fait mention de lui 5. Ainsi l'auteur de la Mischna arrive à ne plus penser à distinguer ces deux docteurs. Çà et là, il attribue à Yosé une opinion que celui-ci tenait de la bouche de son interlocuteur habituel. La décision de la Mischna de Kèlim G portant qu'une coupe trouée et bouchée ensuite avec du plomb une coupe de verre ou de pierre, peu importe peut de nouveau devenir impure, n'émane pas de Yosé, comme la Mischna l'indique, mais elle appartient, selon les renseignements plus exacts

1 XIII, 10, éd. Zuckerm., p. 320, I. 3. * Dor dor vedorschav, II, p. 119, note 1.

3 Ed. Zuckerm., p. 539, 1. 5.

4 Toteffa, éd. Zuckerm, p. 575, 1. 20. ^N ITttn 1":m:> ib TI332 "OV "i'8

miian w>ba 'n ^ii bnp un.

s Ibid., p. 66, 1. 18; p. 87, 1. 14; 223, 15; 251, 29; 400, 9; 539,5; 571, 7; 573, 14, 575, 20; 578, 38; 597, 30; 602, 30.

« xxx : 3, yyaa nttiN iot 'n "iew):n ap-rç . . . ûasais oia

N721Û-

LE VERITABLE AUTEUR DU TRAITÉ KELIM 209

de la Tosefta l, à Yohanan ben Nouri. Souvent c'est le contraire qui a lieu, et les décisions de Yohanan ben Nouri sont publiées sous le nom de celui qui les rapporte. Ainsi, la Misclma Kèlim, II, 4, dit brièvement : *\ffltn ma p ):nv '-), mais dans la Tosefta (éd. Zuc- kerm.. p, 571, 1. *7), on lit à propos du même sujet2 : "rt3"itf "OT "i ma p fatlT "OT ÛTOE. On peut donc admettre que, comme dans Behhorot et ici, la Misclma de Kèlim, II, 2, sans s'occuper de Néhémia et d'Eliézer ben Jacob, a utilisé directement les tradi- tions de Yosé en passant sous silence ses sources.

La série des passages empruntés à Yosé sans que son nom soit prononcé est assez longue. En raison du contraste, mentionnons tout de suite une décision qui, tout en se prononçant contre Yoha- nan ben Nouri, est cependant rapportée par Yosé. Parmi les maté- riaux dont on peut former des vases sans que ceux-ci redevien- nent impurs comme l'étaient les matériaux, la Misclma, II, 3, compte, contrairement à l'avis de Yohanan, les copeaux de métal (iffltû), mais non les découpures de métal (rmnttp). Dans ces deux questions, la Misclma se range tacitement à l'avis de Yosé 3. C'est également à Yosé qu'il faut attribuer les passages de Mis- clma, II, 3 et 4, l'on compte la barque en terre cuite 4 et le tour du potier 5 parmi les ustensiles qui ne peuvent devenir im- purs, car la Tosefta0 nomme explicitement ce docteur.

Du reste, l'esprit de Yosé anime tout le traité, que son nom soit prononcé ou nom. Dans quatorze cas 7 il prononce en dernier res- sort ("ot 'n n»N). Ses principes ("W '"i "M bbrDn sit) servent de règles pour l'admission ou le rejet de certaines opinions s. On l'a déjà vu clairement plus haut, dans I, 9, et on peut le constater encore en d'autres endroits. Ainsi, bien que le couvercle d'une malle (&o:3£p "no?)9, ou d'un panier (Tîa "nos) 10, devienne impur,

1 Ed. Zuckerm., p. 597, 30, iÇ^i 'n nnN "CNnb SpBÏTl àp^ttî hv D*D

nel: ma p lanv '-i tDio>3 *m\&

* Mischna Kèlim, II, 7: vm$ PN "ppbin n»1N ma p faiTT1 "1; Tosefta, éd. Zuckerm., p. 571, 7 : 'ppbin ma p )jUV '"1 C31T2373 -IÏ31N W f~\

» Tosefta, éd. Zuckerm., p. 578, 23 : mSttSplTÏ tpbs ÏWlJtt "l)31tf W '"1

.trowaâ nimw p d^d niai^n "itsin ma p 'jam^'n •D'waa

* rtroom . . . onn ibisaia eamntjn-

* rrmna ha nms kiïto fnami narâ'.

6 Ed. Zuckerm., p. 570, 33 : Hb"l3ïai Pl^DOn C|N "1731N "•DT 'H ^liriû

ynarntt.

7 1,9; XII, 1; XVI, 7; XVII, 5, 6, 12; XVIII, 9 ; XXIII, 4; XXV, 7; XXVI, 1; XXVIII, 9, 10; XXX, 4.

8 Cf. XVI, 7 : ... tHN bttJ FttttlDH ^IZJttTO bs lOT* '"I "173 N bb^ïl fîT.

9 Mischna, XVI, 7 ; Tosefta, p. 577, 13. ,0 Tosefta, L cit. : ■pNHB . . . 13a "HOS-

T. XXXII, 64. 14

210 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

d'après plusieurs docteurs, la Misclma les range cependant parmi les ustensiles « toujours purs »', parce que, dans un cas, c'est l'opinion explicite de Yosé et que, pour les deux objets, c'est con- forme à la règle générale qu'il a établie2. Précisément en ce qui touche les règles générales, on trouve partout ses traces. Si on reconnaît que la Mischna, II, 2 (Yohanan ben Nouri), II, 3 (la barque en terre cuite) et II, 4 (le tour du potier) émane de Yosé, on admettra aussi que la règle énoncée dans ces passages a le môme auteur3. Cette supposition se trouve confirmée, du reste, par la Tosefta4. D'après cela, il y aurait avoir ici aussi : ^itts bbsrr ïit ■»OV '"i.

Il est également certain que le principe s appliqué à tous les ustensiles cités dans XVI, 8, appartient à Yosé. Car si ce prin- cipe était admis par tous, personne ne s'aviserait, comme on le fait, en réalité, de déclarer impures les couvertures en cuir des poids, contrairement à l'avis de Yosé. Si celui-ci, dans Mischna, XXVI, 6 G, les déclare pures, c'est qu'il défend en même temps la règle indiquée ici, qui est fondée sur l'opinion qu'il a ex- primée là.

Aux principes que Yosé seul a pu formuler, on peut aussi ajouter celui de Mischna XVI, 47, d'après lequel le gant du fa- bricant d'orge perlée s n'est pas susceptible d'impureté. Comme, dans Mischna XV, 4, la règle est formulée en partie dans les mômes termes9, on serait porté à admettre qu'elle a aussi la même origine, d'autant plus qu'elle s'occupe aussi, comme Yosé, des ouvriers fabriquant l'orge perlée. En tout cas, ce qui est soli- dement établi, c'est que la Mischna, XVI, 6-8, reproduit les opinions de Yosé et établit des principes généraux qui lui appartiennent, tout en ne portant pas son nom. On pourrait môme aller plus loin et proclamer chaque règle de notre traité comme établie par Yosé, et ajouter partout à bbsr» ttt, les mots iDT 'i ntttf.

Que signifie le mot V^P^D dans Mischna XXVI, 3 ? Nathan

» Tosefta, p. 577, 13 : 103N t^Oltt iDï.i 'm ^Ifi'JH "p> 1331

NTJttp (1. "nD3 B|K).

2 Mischna, XVI, 7 : Ï13&Ô33 nj>tt2 ttbtf ir-NTU b31 Wi '"1 ""IttN

m-'J.

3 M. II, 3 (= XXVII, 1) : û^-nHK 13 FKDin 1333 Tn 13 ^«tî 33 3b3tt ÏTT.

4 Ed. Zuckerm., p. 1374. 1. b : , , , , V3N Û*lM "1ÏÏ1N 10T '"13 bNJ'tt^T '"1

rmn»» N»att cnn ^bn ■para.

5 -nna inonb "nmn bbsn ht.

6 "in-jïï ^D-p 'm K£b mbpottb ..."nsn iNiayrc tw.

7 xvi, g : -nna ïtsuth 130», Nïïa nbnpb itojïi bb3îi ïfr.

8 RM., PS «ams mDi"ii bu: r|&* -i»ih "OT'n rmsiù . . tfiDp-

9 nbnpb iTO3>n b?3n ht mons bffl nrn.

LE VÉRITABLE AUTEUR DU TRAITÉ KÈLIM 211

ben Yehiel, dans son Aro\>hh\ semble vouloir l'identifier avec prtpn (Mischna, XXIV, 15) ou prt« (Tosefta, p. 592, 20). Il est vrai qu'il leur attribuait d'abord un sens différent, faisant du premier un turban - et de l'autre une sorte de gant de peau 3. Mais plus tard il ajoute cette remarque qu'il lui semble que "p^bis, que précédemment il désignait comme une variante de ïwbpis * a le même sens que "pbp-iD. Il en résulterait donc que "jwbp^D et •prbpns sont identiques. Mais alors il y aurait une contradiction dans Kèlim, car y%"»VpTO, dans M. XXVI, 3, reste toujours pur, tandis que dans XXIV, 15 :i, deux des trois ï^bpns peuvent devenir impurs. Pour éviter cette contradiction, un éditeur de la Tosefta parait avoir imaginé arbitrairement une divergence d'opinion entre Yosé et d'autres docteurs G, car il est difficile d'admettre ici un simple lapsus calami.

En réalité, "p^bp^s et 'pinbp^s désignent des objets tout à fait distincts. Dans IwbpiD, on peut sûrement reconnaître le grec za:ax7.Àjy.aa ou icpoxàXup[j.ac, qui signifie une enveloppe formée occa- sionnellement. Elle n'acquiert pas tout de suite une destination durable, et, pour cette raison, n'est pas rangée parmi les vête- ments ou ustensiles ayant un emploi déterminé. Par exemple, si on la retire du front, sa forme se trouve changée et elle peut ensuite recevoir une toute autre destination. Ce n'est pas sans intention que dans XXVI, 3, on la range avec des objets qui changent aisément d'aspect et de nature 7. Il en est autrement de "prbpns qui, comme on peut le voir précisément dans XIV, 15, ont un emploi déterminé et permanent s et dont chacun doit être jugé suivant sa nature. De cette manière, la Mischna ne présente plus de contradiction et la solution proposée dans la Tosefta est inutile. Il résulte toutefois pour nous des mots de la Tosefta qu'elle avait devant elle un document le nom de Yosé se trouvait mentionné, à propos d'une loi, en un endroit9 ce nom manque dans notre traité l0. C'est encore une preuve évidente des rela- tions étroites existant entre Yosé et le traité de Kèlim.

1 s. v. ifcbpna et fbpiD.

2 nnma in bnrnata nm.

3 û-in t n-n^D "ntayia w *bs.

4 "p-^b-lD pD-TOtt tt3"H.

3 fcaibsn mïiïa l'E^p bran p ■pibpns i-nabu:.

6 Tosefta, ?. 592, 26 : fcp-|731N Di»5m Û'H'lîrïa ÏTbJHSin bi nttlN ^DV 'l

)?i ■prbans incb-w.

\ Cf. xxvi, i : ^-/2y bTjD ; xxvi, 2 : n-n* rnawtt bio o-o

mbanttn.

8 i^^p boT ... "patti biû . . . tp:n mn ^2 buî.

« Tosefta, p, i.02, 20 : 'pilttû pmbinDrs bîD "IttlN "^OT1 '"V Jo Mischna Kèlim, XXXI, ?, : CnitlE ÏWbpISÏTl.

REVUE DES ÉTUDES JUIVES

II

YOSE ET ME1R.

Un fait qui est de nature à confirmer absolument notre opinion, c'est que Yosé l'emporte mainte fois, non seulement contre de nombreux rabbins anonymes ou inconnus, mais aussi contre un des plus célèbres docteurs, dont l'autorité est très grande dans la Mischna, contre Méïr lui-même. Celui qui tient encore à l'ancien principe attribuant les décisions anonymes de la Mischna à Méïr, maître de Juda Hannassi1, y renoncera certainement en établissant un parallèle entre certains passages de la Mischna et de la Tosefta. Ainsi, dans ce dernier ouvrage, p. 576, 21 et s., Méïr, Juda et Yosé discutent au sujet d'une expression employée par Gamaliel de Iamnia. D'après l'un elle signifie « bord » *, d'a- près le second « auvent » 3 et, enfin, d'après Yosé, « bordure 4 ». A première vue, il semble qu'il s'agit simplement de la reproduc- tion méticuleuse d'une tradition, en quelque sorte de l'honneur du drapeau. Si le principe dont nous avons parlé plus haut était réellement appliqué partout, on comprendrait difficilement que l'auteur du traité se soit prononcé, précisément sur un point presque indifférent, contre son maître, qui attachait tant d'impor- tance à la forme de sa relation. Donc, si néanmoins la Mischna5 rapporte brièvement et d'une manière dégagée la même expres- sion que Yosé, savoir, que Gamaliel n'a parlé que d'une bordure, elle atteste qu'elle doit son existence à Yosé et qu'elle enseigne constamment selon ses idées, qu'elle le cite ou non.

Dans un autre passage de Kèlim, XXV, 8, nous retrouvons l'opinion de Yosé prévalant contre celle de Méïr, comme le prouve le passage parallèle de la Tosefta. Ainsi, Méïr et Yoséi ndiquent, en termes différents, dans quel but il faut distinguer dans les vases, outre l'intérieur et l'extérieur, les endroits par lesquels on les

1 te*» *m ha©» tano-

' r-nfi»Nt30 ïlb W C3N SfiPbîM p"l £2")£ÏÏ n?û")N PTT1ÏT W. Va- riante : mfcOISO ; à lire rnW'JD, comme dans la Mischna, nVXaON, ^

» Kèiim, vin, 9 : jm^so np ^ t3« -j»ik bwbm pn.

LE VERITABLE AUTEUR DU TRAITE KELIM 213

manie1. Comme leurs indications sont brèves et obscures, la To- sefta 2 cherche à les faire mieux comprendre par des exemples, mais la Mischna ne s'occupe que de l'assertion de Yosé, et c'est seulement cette dernière qu'elle explique 3, sans accorder aucune attention à celle de Méïr.

Les passages de Kèlim, XX, 6, et XXVIII, 9, présentent des difficultés que les interprètes se sont vainement efforcés d'é- carter. Voici le premier passage : « Une serviette, devenue impure par le contact d'un aï, perd son impureté quand on en a fait un rideau. » Jusque-là, ce passage concorde avec le second, mais ici commencent les divergences. Dans XX, 6, on lit : « Ce rideau devient impur par le contact d'un cadavre », mais, dans XXVIII, 9, on lit : « Ce rideau devient impur en touchant ce qui a touché la couche d'un at ». R. Yosé objecte : « Qu'a-t-il donc tou- ché de la couche d'un aï? Il ne devient impur qu'en touchant le a- lui-même4. »

Pour mettre dans sa vraie lumière le point qui les sépare, il est nécessaire d'exposer les principes dont ils s'inspirent. D'après la lettre du Pentateuque 5, tout objet sur lequel est couché ou assis un ar ou une femme inia est susceptible d'une impureté tempo- raire, qu'on désigne du nom de 01173. La tradition, interprétant le Pentateuque, dit que cette règle ne s'applique pas à tous les ob- jets, mais à ceux sur lesquels on a l'habitude de se coucher ou de s'asseoir. Beaucoup plus nombreux sont les objets qui, d'après les Nombres, xix, 14, et xxxr, 19 et s., deviennent impurs en séjour- nant sous le même toit qu'un cadavre ou en le touchant6. Les rapports des deux catégories d'objets sont clairement indiqués par le traité de Nidda, VI, 3 : « Ce qui devient impur par le contact du (Olitt), le devient aussi par le contact du cadavre (ri» nttm). Cependant beaucoup d'objets deviennent impurs

» M. Kèiim, xxv, 7 : r-na tanb ^m d^TiriN Dïib w* û^boïi bo

ab "OT /é*i 173N rvmrrjm rrwBaoïi fcaTnb iein TN73 'n rwox

13 bn nmrrjn tnvb «b« ri»».

* P. 593, 1. 19 et 23.

i Kèlim, XXV, 8 : PTY1Ï1Î3 "PT T»M 12^0.

* XXVII, 9.

ïWDn 01173 Nïïa ani-no *pio

y^n N7:a bna 01173:1 \n "nîio jnVn

diim nrwa "Oi ^ai tom 01173

arn ia *m p un abN ? iiï wa

aïn yajaa N73î3

5 Lévitique, xv, 4, 9, 20.

bîrrN nN?3ia, n?: nNaïa.

M. XX, 6.

1WP3H 0*1173 N73tf Ni™ "plO

N73!a baN 01173Ï1 173 nîia "pVn

P. 73 N73"J

214 HE VUE DES ÉTUDES JUIVES

en touchant un cadavre, mais non en touchant un '. » Mais si les vases subissent un changement quelconque, soit par l'u- sure, soit par une détérioration ou par une transformation ar- bitraire, qui modifie leur destination originelle, l'impureté dis- paraît le plus souvent d'elle-même, parce qu'ils sont considérés comme des objets nouveaux et tout leur passé est effacé et oublié. On en trouve un exemple dans KêUm, XX, 5 : « Une écuelle qui est fixée à quelque gros meuble, à une armoire, par exemple, avec le creux à l'extérieur, reste soumise à l'action de l'im- pureté, comme auparavant. Mais si on la renverse, elle deviendra pure -. )>

Cependant le cas n'est pas toujours aussi simple, au point d'ex- clure toute divergence d'opinions. Souvent un objet sert à un double usage. Doit-il être considéré comme un objet nouveau dès qu'il ne peut plus remplir l'une de ses destinations? La réponse sera plus aisée, s'il a une destination principale et une destination acces- soire. S'il devient impropre à l'usage principal, il a, en quelque sorte, cessé d'exister sous sa forme actuelle. Il n'y a pourtant pas accord complet au sujet de cette argumentation et de ses suites pratiques. Gela ressort de Mischna, XIX, 9, et des passages pa- rallèles de la Tosefta, p. 588, 1. 25 et s. Par exemple, une caisse sert habituellement à conserver des objets et incidemment aussi comme siège 3. En vertu du premier mode d'emploi, elle subit l'action de l'impureté cadavérique et, en vertu du second, elle reçoit aussi ce qu'on appelle « l'impureté de couche ». Si elle ne peut plus servir à contenir des objets, d'après les explications ci-dessus elle devrait redevenir pure. Néanmoins, R. Méïr qui, d'ailleurs, n'admet qu'avec d'importantes restrictions qu'un objet perd sa faculté de devenir impur par la destruction ou parla transformation4, croit qu'ici il n'y a rien de changé, cette caisse continuant à remplir le second but5. Loin d'adopter cette opinion, le traité de Kèlim la combat vigoureusement et s'en tient au principe que toute modi- fication essentielle de la forme d'un ustensile détruit tout à fait le

1 fiwarrtt iran ntt w:*j atta^aio E"n nro soyû attarda o^TO NTOùrar; b3

D "1*153.

1 ^n"!^ aôui, ï-ïtfau s-inbap "p^s b*W3ai ï-d\-i rrrttîa n^apu: t-n^p s-mïiû rtribnp.

3 Une preuve visible en faveur de cette assertion et tirée de l'antiquité est fournie par la reproduction d'une image chez Millingen, Vases grecs, pi. 42.

* Cf. Mischna Kèlim, XIII, 4 : *m "nai . HW2Î2 ÏIDlD ïlbû'STB ttD"n3!0

s Ibid., XIX, 9 ; Tosefta, p. 588, 27 : T-Ntt 'l ÏBtobtt ïinnSD . . . fravi

np^- baas) "»3Be "pina» ^?:-m $121:12.

LE VÉRITABLE AUTEt'H DU TRAITE KÈLIM 21$

passé avec ses conséquences1. Comme il le déclare dans Kclim, XXVII, 9 -, il adopte la manière de voir de Yosé, ne tenant nul compte des opinions de Méïr dans XIX, 9, 10, et XX, 1 3, ni de celles de l'anonyme dans XX VU, 9 et 10 *. Yosé est l'unique étoile qu'il suive constamment. Ainsi ne croyons-nous pas nous tromper en admettant que, si le roseau est déclaré susceptible d'impureté, dans Kèlim, IX, 4, à cause de sa filtrabilité, cela est plutôt à l'in- fluence de Yosé qu'à celle de Méïr, bien que la Tosefta 5 attribue la même opinion aux. deux docteurs.

Les résultats que nous avons obtenus jusqu'ici permettraient dès à présent une conclusion définitive. Néanmoins, nous ne voulons pas nous prononcer d'une façon absolue avant d'avoir aussi examiné le côté négatif de la démonstration. Il ne nous suffit pas d'avoir produit les arguments démontrant que Yosé est l'au- teur de Kèlim , nous voulons aussi montrer que les docteurs auxquels on en a attribué la paternité ne peuvent pas avoir composé ce traité.

III

RABB

On a déjà prouvé que rien ne permet d'attribuer notre traité à Akiba. La tentative de lui substituer son disciple Méïr n'a guère plus de chances de succès, à cause de l'antagonisme qui existe entre les décisions suivies par ce traité et les opinions de ce doc- teur. Mais que faut-il penser de Rabbi, qui, pendant longtemps, était considéré comme l'auteur de ce traité ? Nous allons examiner cette question.

1 Mischna Kèlim, XXVIII, 5 : nfclïîb "iWOT 515 ["DV "1 *I7:N] bbdrî î"îî T1ÏTC3 "iriN D©b, K»û. Cf. XX, 2, et XXVI, 4.

* '-D1 yn p tZwN sbN ni *aa o-n^ npfi« "Oi "OT'n iîbk.

3 Tosefta, p. 588, 28 : ^ZÏÏ îlWflÛ 1T "Hï! (I. S-TnnBW3) lrmnB3tt SnttH

r-i^w^ n*w?:'w?2 Tnz»ji nroabE &? m^oi na^tci nraM nb^nnsia

.TW3 '-\ "Haï Ï"WD1Z51 ; cf. Mischna Kèlim, XX, 1 : fn*l!"JLD "inriS31I5 tlb^l

* DniM yyû nwb b^^ . . . ■pb'n tkojh di^m née «iïto 'piû ; #M., xxvii, io : c-173 sse Ntta ba« . . . pbrc» nabis ba» t-nabia. Cf. Kèlim,

XX. G; XXIV, 13, etNtf/aïm, JX, 11.

5 P. 576, 31 et f. : *£53 N72£353 ^DT '"!... TOM N^^7û "PNE '-).

21 fi REVUE DES ETUDES JUIVES

Nous avons exposé plus haut comment un ustensile transformé peut perdre la faculté de devenir impur. Ce principe nous aidera à connaître les rapports de Rabbi avec le traité de Kèlim. Comme nous le savons déjà, les savants sont divisés à ce sujet en deux parlis. L'un est représenté par la Mischna, qui soutient que toute transformation radicale fait disparaître l'impureté; Méïr et ses partisans soutiennent l'opinion contraire. Il s'agit donc d'établir dans quel camp se trouve Juda Hannassi. Peut-être le saurons-nous par la Tosefta (éd. Zuckerm.), p. 589, 1. 34 et 39. Il est encore question, dans ce passage, de la serviette transformée en rideau, et c'est le sujet de la discussion entre Rabbi et ses collègues. « Une serviette devenue impure par contact cadavérique, dont on a fait un rideau, ressemble à un objet contaminé par un cadavre et, en outre, est susceptible de devenir impure par o*i*773. Telle est l'opi- nion de Rabbi '. » Les interprètes des passages de Kèlim, XX, 6, et XXVII, 9, se sont efforcés de résoudre les difficultés pré- sentées par ces passages, mais n'y ont pas réussi 2. Maïmonide nous fournit une autre version3, mais il ne dit pas si cette version provient d'un manuscrit digne de foi ou si c'est simplement une hypothèse à lui. Si on songe que l'idée qui dominait était que la Mischna et la Tosefta ne peuvent que se compléter, mais nullement se contredire, on se sent plutôt porté à admettre que la version de Maïmonide n'est due qu'à lui-même, et nullement à une tradition. D'abord, elle ressemble trop au texte de la Mischna pour laisser supposer qu'il y ait une ressemblance purement accidentelle. Ensuite, il est peu vraisemblable que les autres copistes fussent tombés dans l'erreur de donner, au mépris du modèle exemplaire que leur offrait la Mischna, des choses fausses et peu claires. En troisième lieu, il est difficile d'admettre que le même lapsus se soit produit deux fois dans la Tosefta, ici et dans le paragraphe suivant4. D'ailleurs, si la version de Maïmonide atténue les diffi- cultés, en mettant d'accord la Mischna et la Tosefta, il surgira une autre difficulté, c'est que cette dernière sera en désaccord avec elle-même. Et, du reste, pourquoi nous dire encore une fois, ce qui était déjà connu, que la serviette, dès qu'elle cesse de servir comme rideau, peut redevenir 0*1*773 K73"3 5 ? Il n'est donc ques-

1 bnpm n 73 an*:*: n-iïï *nïi ^Vn iNïim f n n73*j roota Nina "po

.■*m -nrn 0*1*773 *-in73vj

* Cf. surtout Toscfot Yom Tob, i. i.

3 Commentaire de la Mischna sur Kèlim, XX, 6 : 0*1*753 N7:"3 NYrîTU pO

0-ntD n&ttaiû bnpnn nn nttjo n*iï*i **ir- fvrH imbjt

« Tosefta, p. 589, 39 : i-)H WSOb 3>bp IKOan fin N*TJ N73Ï3 NIÏTiJ T*JO *-m "-"13*7 0*1*773 f,wN73*i*3 bnp73"l f73 N?3*30 «Irt. ;' 0*1*773 f N73*i*3 t^m fl73 N73Ù30.

LE VÉRITABLE AUTEUR DU TRAITE KÈLIM 217

lion que de ce qui est actuellement, et il est hors de doute que tant qu'elle servira comme rideau, elle ne peut être o*ntt Ntoa, comme nous le voyons clairement par la Mischna et Negaïm, XII, 11 l. Une seconde énigme est celle qui nous est offerte par l'opinion des adversaires do Rabbi : « Celte toile est libre de toute impureté <'t commence seulement à être en état d'en recevoir'2.» Mais en quoi diflèrent-ils d'avis avec Rabbi? Jusqu'à présent, personne n'avait prétendu qu'il restait encore quelque vestige de l'ancienne impu- reté. Car N5TJ fittaa bas dans Mischna, XX, 6, n'a été inter- prété par personne autrement que ntt tfïïa natta dans XX, 2, et ailleurs3. Partout cette expression signifie que l'objet possède la faculté de recevoir dorénavant l'impureté par le contact d'un ca- davre. Il y aura toujours contre la correction proposée par Maï- monide ce dilemne : Ou bien la Tosefta soutient que l'objet, quoique changé dans sa destination, conserve une partie de son impureté primitive, et alors elle se trouve en opposition avec la Mischna ; ou bien les deux codes sont d'accord pour admettre que la transformation du drap en rideau ne lui laisse que la faculté de devenir impur dans l'avenir par le contact d'un cadavre, et alors on ne comprend plus la déclaration des adversaires de Rabbi.

Il vaut donc mieux, en dépit de Maïmonide, revenir à l'an- cien texte incontesté des anciennes éditions imprimées et de l'excellent manuscrit de Vienne 4 : ïkwi ntt att'j atta «tstd 'pD W *iti OTitt nattvj bnpttn ntt attao ain ?nn 'pVi. Seulement, il faut renoncer à vouloir concilier la Mischna et la Tosefta. Cha- cune d'elles suit son système particulier, et on perd son temps en essayant de les mettre d'accord. Tandis que la Mischna ne tient compte, pour établir l'identité d'un objet, que de son caractère physique, qui le rend plus ou moins apte à recevoir l'élément mé- taphysique de la pureté ou de l'impureté, la Tosefta tient égale- ment compte de l'élément métaphysique. Ainsi, d'après la Mis- chna, un vase est considéré comme modifié dès qu'on en a changé la destination, qu'il soit pur ou impur, mais pour la Tosefta, il faut apporter une modification plus profonde à un vase impur qu'à un vase pur pour faire disparaître l'impureté qui y est attachée. Il ne redevient pur que s'il y a cessation complète des fonctions primi- tives. Cette différence un peu subtile des deux codes sera mieux comprise par la comparaison de quelques passages parallèles.

1 j-iVri rwnDO buî rbp ï\*d . . . on*;*] Ntt:rô -îan iï»»e d"3>"«.

" Tosefta, p. o89, 1. 36. 40 : «anbl IfiOtt fiNEIB bnpttl fiNÈia bbDtt ITrïB.

3 Par exemple, Mischna, XX LV, 1-16.

4 C'est-à-dire l'édition de Zuckermandel.

218 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Tosefta Kèlim, p. 582, 24. Mischna Kèùim, XIV, 2.

6|N nb-jn nnnb rtNttj^ttî npa^a -i t-mrrj nb^ia .... npr» . .ï-na* i mnïia m TBarittittitt ^d b? n\s7rj ib ir-ia^m *ba ïimn 2

r.b-in nnnb i-iNtiîsn natta nn^n 2 i^to s-pa î-imiiïa ^-i^ne 3

nrrjno nyw n* inatta Sbn mm Sarrrc» Ls'hein i«ia\a ï-pa l-rnniia t^nei 3 larrott ta'nteiN

Sbn t-pai Garros» fcmnTrN -ûrriBtt D-naiN

P. 582, 38. XIV, 3.

nbii-î mnb rtt55>ta ït-w» trott ï-wû - id es/ -^bo ïtvjw

ïrnïitt na ©ttniOTû'tt!) nD bs> on scil. fibl bo -nnïr -pnn

t-ibin -nnb inwDan î-ikmû s— rn^in ïtneû nwo7û3 rwapiffl t? riN^a

P. 589, 29. XX, 5.

*b b^ t|« î-rmpb "îara^ia yott wp nmpïi ^aa b* isnïtû yott

n'niica na «5521112:»^ naiïJttïi -pbr "jna «bi

12 nto^ m-npb "iNtDsn awaa s-pn i^np abi rwrJttïi r-iN "pby in: -1720722 (i. wapitt) iwpa1»© nto::

mïro, ÏWTJJDS1 na vb* "jn^n i3>ap

P. 597, 25. XXX, 2.

ip bs tjN IsnnbpBD» !««*« ^n»n n»b wnbpDOK iwd» ■nnari

-nna na ©Tan©»©

12 K»EJ K"nbpD0N "18TW1 NTsa IrM

P. 574, 38.

^d S? na 'pal iKttttiû r<oo N'a pas de correspondant dans Tina in rawnOTtiî la Mischna.

-1720733 na^ap^iD

Si de ces cas particuliers on forme des règles générales, voici les résultats qu'on obtiendra :

Tosefta. Mischna.

§ 1. Même si un objet est d'un § 1. Un objet, qui a l'aspect emploi fréquent comme ustensile d'un vase servant à l'usage do-

LE VERITABLE AUTEUR Dr TRAITÉ KÈLIM 219

de ménage, quand sa principale mestïque, mais qui est consacré

destination ne le classe pas parmi a une autre destination, ne reçoit

les ustensiles de ménage, il ne pas l'impureté qui atteint les

subit pas l'impureté des usten- vases de son espèce, siles de ménage.

§ 2. Lorsque, par suite de son § 2. S'il a été employé naguère

emploi antérieur comme usten- comme ustensile de ménage, il

sile de ménage, il est devenu im- subira les mêmes lois que les

pur, il a besoin, pour redevenir autres ustensiles de ménage tant

pur, qu'on le mette hors d'état que, par une préparation déter-

de servir en le tixant contre un minée, il n'aura pas été rendu

autre objet. impropre à remplir le service

auquel il était employé d'abord.

§ 3. En partie comme dans la § 3. Gela arrive quaud il est Misclma. fixé d'une manière définitive à

quelque chose qui n'est pas un vase.

Sans tenir compte de l'abîme existant entre les décisions pra- tiques des deux codes *, il y a dans l'un un élément théorique jouant un rôle important qui manque complètement dans l'autre. La Misclma ne s'inquiète que de la nature concrète, savoir si l'objet en question était ou non un vase (nbs). La ïosef'ta s'at- tache aussi au côté abstrait et veut savoir si l'objet était ou n'était pas pur. De là, naturellement, des divergences d'opinion entre les deux codes. Ainsi, pour celui qui s'attache aux choses concrètes, la disparition du fond d'une caisse ne constitue pas encore une métamorphose essentielle, parce qu'il fait état de la seconde des- tination de la caisse en disant : c< Jusqu'ici, elle a servi de siège, et elle continue à servir comme tel; elle est donc restée ce qu'elle était 2. » Mais un autre, qui se préoccupe aussi des choses abstraites, peut, dans le cas indiqué, invoquer la persistance d'une qualité métaphysique, pour nier la cessation de l'identité. Ce que l'usage est pour l'un, la propension à recevoir quelque espèce d'impureté l'est pour l'autre. De même, pour prendre un exemple déjà connu, tout le monde est d'avis qu'un drap de lit rd « l'impureté de couche » quand il est transformé en rideau.

1 Le raragraphe 1 de la Toscfta contredit ouvertement le paragraphe 2 de la Mis- chna. Non seulement le passé ne laisse pas, comme le veut la Misclma, des traces ineffaçables persistant jusque dans le présent pour causer un plus grand danger dïm- pureté, mais même l'usage encore persistant de l'objet dans l'économie domestique, du moment que la destination de l'objet est changée, ne Texpose pas à l'impureté.

* Toscfta, p. 588, 28 : £3J InTOPI Ï-Wtf^ tTDWTDtt SlVnrn'û ^Dtt

nrrrwi na^i fiOMOB "PIDdsh r-rrcN??:.

220 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Mais il y a désaccord s'il perd aussi l'impureté cadavérique. Pour le premier cas, l'acte de transformation a produit un changement radical dans l'objet. Auparavant il était continuellement exposé à ce genre d'impureté (D'ïTo), et maintenant il est sûrement soustrait à son action. Mais, vis-à-vis de l'autre espèce d'impureté, il per- siste toujours dans le même état. Auparavant il était menacé de recevoir l'impureté cadavérique, et il Test encore. Comment une transformation pourrait- elle le soustraire à une action sous l'empire de laquelle il continue à être maintenu?

Tel est le système deRabbi, qui, dans le domaine abstrait, imite l'exemple donné par son maître Méïr dans le domaine du concret. Il reste seulement à écarter quelques petites difficultés pour que le texte de la Tosefta paraisse clair. Les variantes des diverses éditions ne sont pas en état d'ébranler l'opinion que la version donnée dans l'édition Zuckermandel, ttTiîr wa 'OT 'n W ■nni d^ttlà Tutta© ""n wba Wi, est tout à fait correcte l. L'ordre dans lequel sont cités ici les savants peut être considéré comme sté- réotypé dans la Tosefta. En ce qui concerne l'association de Rabbi et de Yosé ben Juda, on la trouve encore treize fois 2 ; on trouve Rabbi avec Eléazar ben Siméon dix fois 3, et Yosé ben Juda avec Éléazar ben Siméon cinq fois 4.

Le s, dans nto atottD, offre encore des difficultés. On pourrait dire que dans la langue de la littérature talmudique, cette parti- cule a souvent un sens purement phraséologique 3. Mais ce qui est plus satisfaisant, c'est d'admettre qu'elle possède une certaine valeur temporaire, dans la phrase répétée trois fois sur la même page (i et offrant évidemment une antithèse : ntt Ktt'JS Kfs "HT* ô*™ nNttia baptti. Comme ôtto ntwaia bnpftn s'applique exclusi- vement à l'avenir, le 3 doit servir à indiquer le passé et doit vouloir remplacer quelque chose comme ïTTOiD ou aiTOS. Rabbi admet donc que le drap de lit conserve l'impureté cadavérique qu'il portait, parce que sa transformation n'est pas suffisante. Au contraire, il est tout à fait exempt de l'impureté de D*TO. Même s'il redevenait partie intégrante d'un lit, l'impureté qu'il a perdue

* Tosefta, p. 589, 1. 35, 40.

2 Ibnl., p. 85, 25; 91, 32; 126, 14 ; 237, 7 ; 326, 55; 555, 35; 594, 22; 634, 14 ; 660, 27, 28; 671, 36, 37; 686, 6.

3 Ibid., p. 473, 23; 496, 26, 27, 33, 35; 497, 11; 515, 21; 517, 28; 626, 24; 640, 10.

4 Ibid., p. 256, 21; 281, 9; 488. 22; 521, 7; 565, 38.

5 Cf. Mischna Edouïot, 1,14: brr; rP3 "^Tl^, pour "H an î Menahot, V, 6 : Sp^i p Tï^bN '"1 "•""mD pour ^3^, Tosefta Teroumot, éd. Zuckerm.,

p. 25, 23 : msn b^s "jba.

« Tosefta, p. 589, 8, 35, 39.

LE VERITABLE AUTEUR DU TRAITÉ KÈL1M 221

ne renaîtrait pas en lui, comme cela arrive à la suite de transfor- mations physiques mal réussies l. Les collègues de Rabbi décla- rent, au contraire la transformation si radicale qu'elle détruit toute trace du passé et crée un objet complètement nouveau. Quel est celui des deux adversaires à qui la Mischna donne la pré- férence? Comme nous l'avons vu plus haut, ce n'est sûrement pas à Rabbi.

S'appuyant sur ses principes, qu'elle a défendus contre Méïr, la Mischna rejette plusieurs dispositions de Rabbi. Tantôt elle les réfute ouvertement, tantôt elle les passe sous silence. C'est un signe caractéristique qu'on rencontre dans tout le traité. Rabbi, le disciple de Méïr, d'après lequel la détérioration ne détruit pas tout le passé d'un vase, ne va certainement pas jusqu'à étendre à toutes les espèces de vases la sévérité que la loi en vigueur montre pour les vases de métal. Cependant il applique aux vases en terre la même règle qu'aux vases en verre, en cuir, en bois, en os, etc. Si le vase fabriqué avec des fragments de métal ayant fait partie d'us- tensiles n'est pas considéré comme un vase nouveau, mais comme la reproduction de l'ancien, afin de le laisser sous le coup de l'im- pureté originelle 2, au moins les ustensiles fabriqués avec d'autres matières ne doivent-ils jamais arriver à rester indemnes de toute impureté. Aussi Rabbi, contrairement à ses collègues, met-il la vaisselle de terre au même niveau que les vases en verre, etc. 3, auxquels la réparation ou la refonte confère, sinon l'impureté pri- mitive, du moins la propriété de recevoir à l'avenir l'impureté4. Cependant, notre traité se prononce sur toutes les espèces des us- tensiles comme s'il n'existait pas de controverse. Tandis que des ustensiles en verre et similaires il dit expressément : « Si on a fait de leurs fragments de nouveaux ustensiles, ceux-ci deviendront do- rénavant impurs 5 », il dit très brièvement des ustensiles en terre : « En les cassant, on leur confère l'immunité contre l'impureté 6. »

» Mischna Kèlim, XIX, 1 : TOUJ^ ïnNftlùb "nm dT?3 fntt TOSn THI.

1 Mischna Kèlim, XI, 1 : £3153 "jn» ÏTOSI ITH . . . 1*13133 . . ."113*153 ^3

ïroain ïnamsab riîn . . .; Tosefta, p. 578, 12 : r-nan» r>a *naia r-raT- ïnNEittb min (ajoutez qi'-o i«tq tojis).

3 Tosefta, p. 578, 3 : *bs *P» ^b^B . . 3*^3 ï»ttJJ . . ^5tn»n "»blO

awm "on rxïi «anbi fata» *7wN?ra (lire "pbaptti imn) ©in ^baptti esbub fisaia ib ^k nns fw? -înaia cin "»ba ba tainai».

* Mtsckna Kèiim, xv, 1 : . . . fraiat iba szs^^ iba *nr> "v?a y^ ^ba tonbi Isa» ï-irmio T»bap» ta^ba in» i-rosn *nn ... mac: ; au., xxx, 1 : t^ba "jnB ï-tiûjh *nn . . . naiZ33 .... r-p3i3T iba

maiat .... rn^p ibiw .... «ànbi "jôce ï-inbvj pbapa

pMota ■pDiiaa "jûio.

5 Voir note précédente.

11, 1 : imn-j ann in-païai ... "in; ^bai D*in "»ba.

222 REVUE DKS ÉTUDES JUIVES

Et la Mischna, III, 3, l'explique par un exemple : « Un tesson dont le trou a été calfeutré reste néanmoins pur, même s'il peut contenir le quart légal prescrit (rwm), puisqu'il a déjà perdu le nom de vase l. » Ceci ressemble davantage au dire des collègues de Rabbi d'après lesquels « un vase de terre qui est une fois devenu pur ne redevient plus jamais impur2 », que d'après l'opi- nion de Rabbi. Ce n'est donc sûrement pas à l'entourage de Rabbi qu'il faut attribuer le traité de Kèlim 3.

La Mischna reste fidèle à son système en ne tenant nul compte de la distinction établie par Rabbi au sujet d'une cruche de voyage dont le soubassement a été cassé4. Car, à l'enquête qu'il réclame pour savoir si la cruche ne peut pas se tenir debout sans sou- bassement, la Mischna a déjà répondu d'avance : « Toute cassure amène la pureté". »

Dans une autre question de principe, la Mischna s'élève contre Rabbi et, par conséquent, se montre favorable à Yosé. Ainsi, la Tosefta6 rapporte, au nom de Rabbi, une décision qui est formel- lement contredite par la Mischna, XX, 2. 11 s'agit d'une bai- gnoire; la Tosefta dit qu'elle appartient à la même catégorie que le bahut dont il a été parlé plus haut. Elle aussi peut servir à deux buts, comme baignoire et comme couche. En conséquence, elle est prédestinée à la fois à l'impureté cadavérique et à « l'im- pureté de couche » 0*1152. Cependant, comme sa destination prin- cipale est de recevoir de l'eau et qu'en cas de besoin ceux qui y sont couchés peuvent en être éloignés7, il en résulte que tant qu'elle est propre à son principal service, elle est protégée contre toutes les conséquences possibles du second emploi ; en d'autres termes, tant qu'elle peut servir à la lessive ou au bain, elle ne devient pas onitt NttU8. Si elle est fendue au point de laisser

1 m, 3 : -nr-tu ï-i^m p-^rwE ^d by qa nsta isid^i aplats oin vbya ^bo &ï) baao ^d».

2 Ct. page précédente, note 3: lb "ptf finN ÎHJtB lïTû'® ttîin T30 Sa Obl^b Ï-ÏN72VJ.

3 Le traité de Para est inspiré par le même esprit que celui de Kèlim. On y lit, en effet, V, 5 : ynfa^ï "ÔVÔïa SOI . . . "pttJlpft "pj*, et on n*y tient aucun compte des restrictions que Rabbi fait dans la Tosefta, p. 578, 6 : p^n^T"! ''PTCJ *piZ5Tp!Kn... tO"bO *JN03H jJSE). .. Par contre, il n'oublie pas du tout, ibidem., 7, (2boa\a npIlDrt) les exceptions de la règle : H2 *ptfb72?2 . nbO ttmïl.

4 Tosefta, p. 597, 32 : mi^b b"D^ &N TbllB lbuM rPO"OÎ blB [xcôOeûv] plfPp N72-J72 "«ai 10T70.

5 Kèlim, XXX, 1 ; XV, 1 ; II, 1 : nf^ ViaES mOIST "'bo.

6 P. 589, 8.

7 Mischna Kèlim, XX, 3 : lljnOIsbtt !"NÏÎ3>21 TÙ23 ib Û^ttlNlB ^3353.

* lbid., XXIV, 3 : H52 &«2l3 T^ITÙ Tiïpy® Simi*; Tosefta, p. 589, 7 :

î-m-a ï-roina mao-nai mao-T r-mbTn ï-ma m an "paT ib^DH

[scil. 0-V152Î-S 172]-

LE VÉRITABLE AUTEUR DU TRAITÉ KÈLIM 223

s'écouler toute l'eau l, les conséquences de son second emploi prédominent et elle reçoit « l'impureté de couclie 2 ». Tel est le système delà Mischna, que Rabbi, selon la relation de la Tosefta, n'admet qu'autant que le propriétaire de la baignoire prend la ré- solution de s'en servir désormais comme couche3. Pour rejeter cette exigence de Rabbi d'une manière éclatante, Yosé montre par des exemples combien de fois, chaque jour, le meuble en question, par la seule influence des changements de température, peut subir tantôt une espèce d'impureté, tantôt l'autre 4.

La description que fait Yosé de la destination changeante de la baignoire avec ses conséquences nous est transmise fidèlement par la Mischna 5. Mais elle ne dit rien de la nécessité d'une réso- lution particulière. Donc elle ne s'occupe que de l'opinion de Yosé et non pas de celle de Rabbi.

La remarque d'un anonyme dans la Mischna, XXII, 2, que la volonté du propriétaire seule achève de rendre un ustensile propre à recevoir l'impureté6 semble bien se rattacher à Rabbi, mais elle ne peut néanmoins être identifiée avec son postulat dans la To- sefta. Car là, la situation est toute différente. La Mischna parle, en effet, d'une table à trois pieds7 qui a perdu successivement chacun de ses pieds et finit, par ne plus être qu'une planche plate s. A quel titre cette planche doit-elle avoir la faculté de devenir impure ? Car elle fait maintenant partie des simples morceaux de bois, qui restent toujours purs9, tant qu'ils ne sont pas consacrés à un usage domestique déterminé10. Quoi d'étonnant alors qu'un

1 Cf. Mischna Yadayim, IV, 1.

1 Kèlim, XX, 2; XXLV, 3 : OllTS rtSEE ïlp'lOaia . . . Mim*.

3 Tosefta, p. 589, 9 : J-pb^ aiBrPlïîa "17: "IN i3"l.

4 ibid. : !-im:rî , wa tara &WB moj ib^sa fnnattl î-itfttara ïin^u (i. a^pa) to^pa [om73- \i2] rrnna (1. sinsnai) rjnnsai ta^aïaaa.

5 Kèlim, XX, 2 : HplOan Û^lpa H73 W2'û ÏIXK'Û STnchsi tmiMa ÏTTF3M

01173 nbap». « un., xxn, 2 : rhy miarroa n»b.

7 C'est la mcnsa tripes habituelle (Horace, Sat., I, 3, 13), la petite table qui se trouve ordinairement devait chaque hôte. Sans parler de l'habitude générale de l'époque des empereurs, qui est l'époque la Halakha, il y a un indice qu'il s'agit d'une table à trois pieds 'lans le l'ait qu'elle est mentionnée avec la delphica ("Vpsbvij XXII, 1-2; XXV, 1, ipDbllïn Inb'J—l, qui est incontestablement toujours un trépied (tpîirou;) et qui ne se distingue de celle-là que parce qu'elle a des creux pouvant recevoir des cuvettes ou des brocs. Voir les dessins chez Panofka, B'ddcr antiken Lebens, pi. 12, 3, on voit en même temps plusieurs exemplaires ; Museo Borbonico, III, pi. 30 ; Conestabile, Pitture mur., pi. 5 et 11.

8 Kèiim, xx, 2 : -prrj rraia -b:ra nrrj TbJHtt nn« ttbïJW ïnbTBM KTsra rns^bia j-ibû1^.

■' iàtd. : j-nina ïrraiios . . . y* iba.

><> ibid., xv, 2 : nvrina dm: ^b*a btt . . . riia-na ; 7W<«, p. 582, 32 : vob D^ntra ir nrnna . . . mans.

224 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

docteur dise d'attendre préalablement la décision du proprié- taire au sujet du débris de la table avant de se prononcer s'il recevra l'impureté ou non? A propos de la baignoire, au contraire, il n'y a pas de place pour des hésitations de ce genre. Elle est par essence un objet double. Si, à un certain moment, elle n'a plus qua- lité pour être l'un, elle possède depuis longtemps l'autre manière d'être, qui n'a besoin, pour exister, d'aucun nouvel élément. L'ano- nyme n'aurait donc ici aucune raison de tenir compte de la volonté du propriétaire et de suivre l'opinion de Rabbi. Le silence de la Mischna semble corroborer notre explication. Déjà en cet endroit, elle oppose à l'opinion de l'anonyme celle de Yosé1, qui, sans doute, considère une résolution spéciale comme superflue, parce qu'il existe beaucoup de dessus de table mobiles 2 et que la table brisée pourrait encore servir utilement, comme dessus de table. La Mischna prouve qu'elle appuie et suit l'opinion de Yosé, en admettant des règles péremptoires qui contredisent la condition établie par Rabbi : « Un fait nouveau, dit-elle, supprime un fait plus ancien aussi bien qu'une décision ancienne3 ». « Si des en- fanis, dit-elle ailleurs, creusent en jouant une coquille de noix, celle-ci devient un vase qui, dans des circonstances données, reçoit l'impureté. Car, quoique leurs résolutions ne comptent pas, ils créent des faits valables4. » Des assertions de ce genre ne peuvent guère se concilier avec l'opinion de Rabbi.

Eliézer, fils d'Hyrkanos, qui possédait beaucoup d'anciennes traditions 3 et qui, par ses tendances personnelles, était un parti- san obstiné de tout ce qui est traditionnel, se plaisait aussi à faire usage, dans sa manière de s'exprimer, d'archaïsmes étranges, peu usités ailleurs 6. La règle que la Mischna Kèlim, XVIII, 9, rap-

1 Kèlim, XXII, 2 : ftatûrrâ "p-JX "pK nttlwS "OT '-|.

* Cf. Mischna Sabbat, XXI, 3 : STWWi ï"tb"D tfba^n PN b^T3, et Bereschit Rabba, 11 : OipO"»*! ïa^sb fiOam fcPpTlbn *mK £3*78 133»T finN tZU'D '"Ol. Disais, Sictxo; = tabula, n'est autre chose qu'un plateau. La variante qu'en donne YAroakh, s. v. 0*pO*l, et qui est pù3D"lûû (lire "pPDIU TpccTtéÇav) lève tous les doutes.

3 Kèiim, xxv, 9 : naran» 1*71*31 OT273 1*71» basa mz^ma.

4 iind., xvn, 5 : îzsnn nttb mipirnn tmpprra na&m ykxn twitt ■pan î-itwa fcsrrb œiia D\N7rj ta^TN» tpb tznrpnrrû in *nzyn marra dfib (scii. -paia d'*'k).

5 Gt. Mischna Yadayim, IV, 3 : '"DT I3fc b*3ip73 ; Toscfta, p. 21, 5 : ,m\ nu»

issb insnîii wba 'n inbftfa inaaraa v inbaa ifiwbia

.1510a r-rc-ob 1173K31D taina^n iba i-mnn ib *i73« iin*»? "ja *iT3*ba 'n thid., p. 97, 23 : ia-i ri« inbwDi iriNaara .... inbws wV»» '*i ien *itt&* s-nw la iT^bN 'n issb izma*7 imanm . . ib -i»n wb«

amna "HTONDa t3i*ia*7ï"7 ibfit r~ma ib. Voir surtout Synhédrin, 68 0.

6 Par exemple, Toscfta, p. 509, 26 : blDTl b^a ; tW., p. 436, 22 : "imb rPSIE 1ÏÎN*1 33> TH*n NX'' JKin C]N , , ."Jlb, Haguiga,Zb : 'pi* ^p-, *pn a^s.

LE VÉRITABLE AUTEUH l»U TRAITÉ KÈLIM 225

porte de lui contient aussi un mot de ce genre ; savoir îiV^fl l qui, dans la Tosefta, p. 589, 29 est l'objet d'une discussion entre les commentateurs; Siméon l\ixpli<iae autrement que Uabbi. Quoique Rabbi se crût obligé de prémunir expressément le lecteur contre une fausse interprétation du terme employé par Eliézer2, la Mischna n'ajoute pas la moindre explication pour mieux déter- miner cette expression. Il est assurément contraire à toute vrai- semblance que l'auteur d'un ouvrage y ait donné accès à une erreur combattue par lui-même. Rabbi ne peut donc être l'auteur du traité de Kèllm.

Un fait moins probant, mais néanmoins significatif, c'est que l'on ne retrouve pas dans la Mischna Kèlim plusieurs règles que la Tosefta rapporte au nom de Juda Hannassi. La décision de Rabbi, par exemple, au sujet d'une mesure de capacité en bois qui, bien qu'on l'ait remplie de bois et qu'on l'y ait entassé, reste cependant impure ou susceptible de recevoir l'impureté 3, ne se trouve pas dans la Mischna. Dans le chapitre XXV, 2 et s., on s'attendrait à la trouver, elle ne se lit pas, et le traité de Kèlim semble même la combattre. En tout cas, cette omission donne à réfléchir et mérite d'être mentionnée. Nous pourrions encore citer bien des omissions de ce genre dans la Mischna, mais il paraît superflu de s'y arrêter plus longtemps- Nous avons, en effet, une autorité classique qui se prononce clairement contre l'attribution de ce traité à Rabbi. Ainsi nous lisons dans Tosefta, p. 594, 21 : K^att ini w bttJl bzy bv blM»Ti mwn rrnzn, et dans Mischna Kèlim y XV, 1 : tn-nna . . .w bon de? bu b-ttfcm i-nns-n îWttït. Il y a donc une contradiction formelle entre la Mischna et l'opi- nion de Rabbi.

Gomme conclusion, nous dirons que tous les docteurs auxquels on a songé, soit par simple fantaisie, soit par une tradition mal entendue, n'ayant évidemment aucune part dans la composition du traité de Kèlim, nous croyons pouvoir affirmer en toute con- fiance que l'auteur de ce traité est Yosé.

D. Graubart. 1 KiUm, xvin, 9 : '-) nai Tib^n 'iïifip»i rtran n&wau^ *nuKn

» Tosefta, p. 587, 32 : £ON ïlb^n tTûft "pN "lEIN WîM» '"1 Htt*IN "Q*l

3 Ibid., p. 593, 12 : TJ NE^tt W . . . l^pm STX* "IÎ"K6OT 3QV1Ï1 "1730733 T3ynpi©.

T. XXXII, 64. 15

CONTRIBUTIONS

L'HISTOIRE DES JUIFS DE COIiFOU

Nous ne connaissons que partiellement l'histoire des Juifs de Corfou1. Les documents que nous publions plus loin, en partie d'après les pièces originales, en partie d'après une traduction italienne légalisée, forment les éléments importants d'un codex diplomatique pour cette histoire. L'ancienne copie de ces docu- ments provient sans aucun doute des archives de la synagogue de Corfou; c'est qu'ont puisé Mustoxidi et Buchon2, dont la remarque que la traduction est écrite « en détestable italien », nous semble exagérée.

Nous avons d'abord, dans sa teneur, le privilège que Phi- lippe II, empereur de Gonstantinople, régent de Romagne et prince de Tarente, accorda aux Juifs de Corfou, le 12 mars 1324. La mention de ces faveurs se trouve dans une lettre de grâce que son (ils Philippe III, empereur de Gonstantinople, prince d'Achaïe et de Tarente, accorda le 14 décembre 1370, alors qu'il était à Tarente. Mais jusqu'ici on ne connaissait que le résumé de Mus- toxidi3; la teneur de la traduction in extenso a donc quelque importance. Elle apprend que, parmi les corvées que les Corfiotes faisaient subir aux Juifs, ils leur imposaient celle d'exercer les métiers de bourreaux et de mutilateurs des criminels. Aussi, dans la convention conclue le 33 novembre 1535 entre Pierre de Tolède et les Juifs de Naples, une clause expresse interdit-elle de con- traindre ies Juifs à la besogne de bourreau ou de tortionnaire 4.

1 J.-A. Roraanos, dans licvue, XXIII, 09-74, et IsraiM Lévi, #„ XXVI, 198-208.

2 Nouvelles recherches historiques sur la principauté française de Morée, I, 1, 408.

3 Romanos, l. c, 65, note 4. * Kauf'mauu, lievue, XX, 42.

CONTRIBUTIONS A I/IUSTOIRE DES JUIFS DE CORFOU 227

Le privilège que Robert d'Anjou, qui, depuis la mort de Phi- lippe 11, régnait sur Corlbu, accorde aux Juifs en 1338, est sans doute mentionné et ratifié dans le privilège de Philippe 111, son frère, mais n'est pas cité en propres termes comme celui de son père l.

Par contre, nous avons tout au long dans ces documents la tra- duction italienne du privilège que la veuve de Robert, Marie de Bourbon, octroie, à Tarente, le 6 mars 1305, en confirmation de celui que Philippe II et Catherine de Valois avaient conféré aux Juifs de Corfou2. L'impératrice-veuve de Constantinople charge le capitaine de Corfou, qui était vicaire des Juifs de cette ile, de veiller à ce que désormais les Juifs ne soient plus soumis à des im- pôts vexatoires ni à aucun mauvais traitement.

Les deux privilèges, celui de Philippe III mentionné dans la lettre de grâce de Philippe II, ainsi que celui de Marie de Bourbon, furent olficiellement traduits en 1579, à la demande de R, Me- nahem Mozza, habitant de Corfou, par Alfonso Valdiera, du latin en italien vulgaire et légalisés par l'autorité.

Grâce au décret, rendu le 14 décembre 13*70 par Philippe III, qui régna de 1364 à 1373, les Juifs avaient obtenu la confirmation de leurs plus précieux privilèges.

De même, le dernier des Anjou, Charles III (Duras) de Durazzo, qui gouverna Corfou après la mort de Jacques de Baux, marqua de la bienveillance aux Juifs. Le 18 décembre 1382, il confirma tous les privilèges accordés aux Juifs par Charles I, Charles II, Philippe II, ses fils Robert et Philippe III, la reine de Jérusalem et de Sicile, Jeanne II, privilèges dont on ne devait pas violer les dispositions 3.

Le témoignage le plus certain de l'importance accordée aux Juifs de Corfou, lors de l'extinction des Anjou, est ce fait qu'il y avait un Juif, David de Semo, parmi les six ambassadeurs et plé- nipotentiaires envoyés à Venise en 1386, pour négocier la remise du pays aux Vénitiens avec le sénat et le doge Antonio Veniero.

Cet événement eut une telle importance aux yeux des Juifs de Corfou qu'ils déposèrent aux archives de la communauté juive et le document parlant de l'élection (28 mai 1386) des six députés,

1 Contrairement à Buchon, L c, 410, note 1.

1 Buchon, l. c, 412, donne par erreur la date du 6 mai 1365.

3 Je dois la teneur de ce privilège, qui se trouve dans le 359e volume des registres d'Anjou &ux archives de Naples, à l'amabilité du commandeur Bartolommeo Ca- passo, directeur des archives napolitaines. C'est le seul document de Charles 111 ayant rapport aux Juifs. Contrairement aux affirmations do Mevue, XXIII, GG, il ne se trouve aucun diplôme de lui à Naples. Cf. Dr Nicolo Barone, Notizie storiche di re Carlo III di Durazzo, p. 26, note 2.

228 REVUE DES ETUDES JUIVES

et le traité, qui portait sur dix points, comme s'il n'y avait eu qu'une question de pur intérêt juif. Aussi, bien que ces pièces n'aient trait qu'aux dispositions générales du gouvernement véni- tien touchant l'île de Corfou et non pas à la situation particulière des Juifs, nous croyons devoir les reproduire ici, à cause du rôle qu'un Juif joua dans cette affaire.

En fait, David de Semo était le représentant des Juifs et venait en leur nom faire acte de soumission au gouvernement de la Ré- publique. Grâce à cette démarche spontanée, les Juifs devinrent, à l'égal de leurs concitoyens chrétiens, sujets de Venise. La con- vention qui fut conclue avec tous les habitants de l'île fut pour eux aussi la bulle d'or de leur liberté, dont ils ne se réclamèrent jamais en vain, durant toute la domination vénitienne.

L'île s'était donnée à la République après le meurtre de Charles III de Durazzo en Hongrie, le 1er janvier 1385. Un des pre- miers actes du nouveau gouvernement fut de confirmer tous les privilèges accordés jusque-là aux Juifs. Dès le 22 janvier 1387, les deux Juifs qui sans doute accompagnaient Daniel de Semo avaient reçu confirmation des privilèges l.

La République déclare expressément que ses fonctionnaires ne pourront pas, les jours de fêtes, sauf dans les cas très urgents, citer les Juifs en justice. Pour l'équipement des vaisseaux, pour l'équipage, pour les prestations en nature et autres contribu- tions, on traitera les Juifs sur le pied de la proportionnalité. En vertu même de cette proportionnalité, les Juifs devront contribuer d'une façon plus active à la garde de la ville, à laquelle, jusqu'a- lors, ils ne prenaient part que quatre fois par an. Ce document proclame les grands services rendus par les Juifs de Corfou à tout le pays.

Le souvenir de David de Semo s'était perpétué parmi les Juifs de l'île, il était encore invoqué en 1572, quand l'arrêt de l'expulsion des Juifs décrétée par le Sénat de Venise dut frapper aussi les négociants juifs de Corfou qui trafiquaient à Venise.

Dans leur pétition au Sénat ils rappellent la protection assurée par la République lors de la remise de l'île, l'ambassade de Semo, et dès lors le dévouement et les sacrifices dont ils ont donné les preuves dans les nombreux sièges qu'ils ont soufferts pour le bien de Venise et que les autorités de la ville et les représentants du Sénat sont unanimes à reconnaître. Forts de la faveur que la République leur a toujours témoignée, ils supplient la puissante

1 Cf. le texte dans Ilippolyte Noiret, Documents inédits pour servir à l'histoire de la domination vénitienne en Crète de 4580 à 1485, p. 12-13.

CONTRIBUTIONS A L'HISTOIRE DES JUIFS DE CORFOU 229

cité de leur épargner le sort dont elle a menacé les Juifs de Venise.

On choisit trois des personnages les plus marquants, R. Me- nahem Mozza (alors occupé à la recherche des anciens privilèges et à leur traduction en langue italienne), Joseph Carton et Me- nahem di Consolo, pour déposer la pétition aux pieds du doge.

Aloïsius Mocenigo, alors doge de Venise, envoie, le 19 juin 1572, la pétition au baylon de Corfou avec demande d'un rapport. Il s'agit de l'expulsion des Juifs de Venise dont nous parle le conti- nuateur de Joseph ha-Cohen dans le « Emeq ha-Bacha1 ». Selon cet auteur, c'est Mocenigo qui, lui-même, aurait provoqué cette mesure et c'est le baylon de Constantinople, le prince Soranzo, revenant juste à ce moment à Venise, qui l'aurait enrayée. On saura peut-être un jour la part du Juif le plus remarquable de cette époque, le médecin et homme d'Etat Salomon b. Nathan d'Udine, dans la révocation de l'ordre d'expulsion. Quoi qu'il en soit, la députation des Juifs de Corfou qui vint solliciter la bien- veillance de la République contribua certainement à faire revenir le doge et le conseil des Dix sur leur détermination.

D'ailleurs, la réponse du baylon Froncesco Griti et de ses con- seillers Giambattista Foscarini et Io. Gerolamo Diedo (14 dé- cembre 1572) était tellement favorable aux Juifs de Corfou que le Sénat aurait faire une exception pour eux, alors même qu'il eût maintenu le décret d'expulsion pour les Juifs de Venise, dont une partie avait déjà pris la fuite sur la terre ferme et les vais- seaux. Le baylon confirma que le gouvernement vénitien avait promis la protection de ses citoyens juifs à David de Semo lors de la prise de possession de Corfou.

Au reste, il avait entre les mains tant de témoignages, laissés par ses prédécesseurs, de la conduite irréprochable et du dévoue- ment des Juifs qu'une vexation ou une violation des droits de sem- blables citoyens aurait passé pour un acte d'imprudence politique, tel qu'aucun homme d'État de la République n'aurait pu ni voulu en assumer la responsabilité. A tous les assauts que la ville avait subis, les Juifs avaient perdu leurs biens et leurs maisons, étaient venus au secours des blessés, avaient aidé à la réparation des murs, soutenu les finances, offert à l'Etat de l'argent sans intérêt : d^ne façon générale, ils avaient fait preuve d'un tel attachement et d'un tel civisme que c'était le premier des devoirs et de bonne politique pour le Sénat de faire une exception en faveur des Israélites de Corfou, qui, en plus d'énormes taxes, contribuaient par leur commerce et les douanes à consolider le budget de Venise.

1 Traduction de Wiener, p. 121.

230 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Le 24 novembre 1572, les représentants de Corfou Menahem Mozza et Joseph Corton, qui étaient demeurés à Venise dans une anxieuse attente, reçurent une réponse favorable. Le Sénat décida que la résolution du 14 décembre 1571 au sujet de l'expulsion des Juifs de Venise ne s'appliquait pas à ceux de Corfou. Ils pouvaient, comme devant, rester dans la cité, exercer leurs métiers et leur négoce, attendu que la mesure ne visait que les Juifs de Venise même et non ceux de Corfou, qui étaient les protégés et les ci- toyens de la République.

Menahem Mozza, député des Juifs de l'île, et Aron, probable- ment son frère l, reçurent, le 28 octobre 1578, du doge Nicolas de Ponte une lettre contenant confirmation de tous leurs privilèges et les prémunissant expressément contre toute vexation ou moles- tation des autorités.

Cette fois encore les Juifs de Venise échappèrent au coup qui avait menacé leur existence. Cependant, l'hospitalité qu'on leur accordait pour des périodes renouvelées de cinq ans ne fut pas sans leur coûter quelques sacrifices. Au nom de tous les Juifs, les chefs des communautés, Marcuzzo Friuli et Samson Pescaroli, avaient trouver 50,000 scudi. Cette somme devait servir à la fondation au ghetto de banques de prêt devant fournir à bon mar- ché et contre des gages de l'argent aux pauvres de Venise. Il est dit expressément, dans la pétition des Juifs vénitiens mentionnée dans le décret du doge Aloïsius Mocenigo du 12 juillet 1573, que les Juifs de .Corfou, en leur qualité de privilégiés de la Répu- blique, sont exempts de cette contribution et des autres charges imposées aux habitants juifs de Venise.

Les nouvelles capitulations, qui passent sous silence la révoca- tion de l'édit d'expulsion, contiennent des dispositions très détail- lées sur l'organisation des banques, sur les livres et actes qui devront être rédigés en italien, sur le taux d'intérêt, la nature des gages, leur durée, leur vente et leur adjudication aux enchères. Un fonctionnaire spécial, dont l'entretien incombait aux Juifs, surveillait du matin au soir les opérations. La moindre contraven- tion était sévèrement punie. Pour les délits graves, il y avait même exil et peine de mort. Il était interdit de prêter sur des croix, calices, patènes et, en général, sur tous objets religieux, ainsi que sur lances ou autres armes des soldats.

Il n'y eut rien de changé dans les dispositions concernant les branches du commerce. D'ailleurs, on ne leur permettait guère d'autre industrie que celle de la vente et de l'achat des vieux ha-

» Dans ÏD">D2N mfflb, éd. Berliner, 74, se trouve l'épitaphe de Moïse NUÉNE.

CONTRIBUTIONS A L'HISTOIRE DES JUIFS DE GORFOU 231

hits. Le courtage leur demeura détendu comme autrefois. De même, on maintint la défense pour tout Juif de louer par lui-même sans déclaration et sans permission de la communauté et des auto- rités une chambre à un autre Juif dans le ghetto vccc/iio, aussi bien que dans le ghetto nuOVO '• Mais exception est. toujours faite pour les Juifs de Gorfou.

Marcuzzo Friuli et Samson Pescaroli, qui avaient négocié la nouvelle convention avec le Sénat, furent regardés et célébrés comme des bienfaiteurs de la communauté. Samson Pescaroli put jouir pendant de longues années encore des résultats qu'il avait obtenus pour ses coreligionnaires. Nous comprenons ainsi le sens de son épitaphe, qui sans doute, comme presque toutes celles de Venise à cette époque, est l'œuvre de Léon de Mo- dène * :

bw Dib mai* t^n ht bn

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3 : in7203b û^n "mas pbrt

Celui qui repose sous ce monument, le commerçant Samson Pescaroli, mort le 23 adar II 1598, fut un homme pieux, qui rendit des services non seulement à sa famille, mais à tout son pays, un commerçant qui fit des affaires non seulement sur la terre ferme, mais encore sur les mers.

La situation des Juifs de Corfou vis-à-vis de Venise s'affermit encore par les offres spontanées de services que la communauté fit à la République. Ils eurent l'occasion, bientôt après la conven- tion de 1572, de manifester leur dévouement en 1578, lors de la réparation des anciennes fortifications, en fournissant des maté- riaux de construction. Et, de fait, ils conservèrent intégralement leurs droits ; alors que les Juifs de Venise n'étaient admis à nou- veau que pour un délai renouvelable de cinq ans et voyaient leurs charges s'accroître, les Juifs de Corfou demeuraient citoyens de

1 Kaufmann, dans Jewish Quart erly Revieio, II, 299 et s.

2 Û^SK mmb, éd. A. Berliner, 123. Six années avant sa mort, Samson Pescaroli pleura la perte de son fils Yehiel, le lo schevat 1592, ibid., 70.

1 Le mètre est de huit syllabes.

2!J2 REVUE DES ETUDES JUIVES

Venise et exempts de toutes les nouvelles obligations imposées à leurs coreligionnaires vénitiens.

Cependant, en 1656, la communauté de Gorfou, qui bénévole- ment s'était déclarée prête à verser 500 ducats par an au Trésor de guerre, fut imposée par le capitaine général de l'île pour 10,000 réals, et dix-huit de ses membres furent jetés en prison. Mais les Juifs protestèrent auprès du Sénat, et, le 25 octobre 1656, il or- donna la restitution de l'argent et l'élargissement des prisonniers et défendit qu'on portât atteinte à leurs privilèges de sujets de la République.

Le 15 septembre 1716, le maréchal Schulemburg 1 et, le 17 no- vembre 1718, le provéditeur-général Antonio Lorédan rendirent un hommage éclatant aux Juifs de Corfou. Ils déclarèrent que les Juifs de l'île avaient pris les armes pour le salut de la Répu- blique, qu'ils avaient fait preuve de la plus haute abnégation et qu'ils avaient contribué de leurs deniers à l'entretien de l'armée et à la réfection des fortifications.

Le 13 mai 1723, les Juifs de la Dalmatie furent frappés à leur tour d'impôts et de charges avec les Juifs vénitiens, admis de nouveau pour cinq ans, comme déjà l'avaient été, le 28 fé- vrier 1601, les communautés de Padoue et de Vérone. Mais cette fois encore les Juifs de Corfou gardèrent leurs privilèges et ne furent pas soumis à cette taxe.

Aussi, quand en 1771, lors du terme des cinq années à Venise, l'on voulut restreindre les droits des Juifs de Corfou, ceux-ci. purent-ils se prévaloir auprès du Sénat de leurs privilèges quatre fois séculaires. Les enquêteurs que le Sénat chargea d'examiner les prétentions des Juifs durent reconnaître, le 5 mars 1771, le bien-fondé de leurs réclamations. Il était avéré que depuis 1386, David de Semo s'était présenté devant le Sénat, jamais les Juifs de Corfou n'avaient renouveler leur admissibilité tous les cinq ans et que jamais ils n'avaient été soumis à un régime d'excep- tion. Bien au contraire, les Juifs de l'île avaient, au témoignage des plus renommés gouverneurs et généraux, rendu tant de signalés services à la République, que rien ne pouvait justifier une restric- tion de leurs droits.

Le rapport du provéditeur-général de la marine, Antonio Re- nier, au Conseil des Quarante, du 4 avril 1775, est un véri- table mémoire historique sur les Juifs de Corfou et leur situation juridique sous le gouvernement de Venise. Le général avait reçu l'ordre, le 26 août 1774, d'écarter du tribunal les avocats juifs.

1 Romauos, i. c, 68, noie 2.

CONTRIBUTIONS A L'IUSTOlMi DES JUIFS DE CORFOU 233

Au su de cette nouvelle, les Juifs adressèrent une pétition au Sénat, se réclamant de leurs droits séculaires. Le Sénat pres- crivit alors au général, par une lettre du 30 janvier 1775, d'exa- miner les affirmations des Juifs et de rédiger un rapport sur la question.

Renier établit d'abord que depuis quatre cents ans, les Juifs de Gorfou ont été considérés, toujours et sans interruption, comme des sujets de Venise. Il rappelle la convention conclue le 9 juillet 1386 avec David de Semo, la confirmation des anciens privilèges du 22 janvier 1387, la reconnaissance de cette situation par le Sénat du 28 octobre 1578 et du 7 mars 1724, le rapport des en- quêteurs du 5 mars 1771 et la décision dans le même sens des commissions commerciales du 20 mai de la môme année.

Et ces droits, ajoute Renier, n'existent pas seulement sur le papier, mais sont réels. Les Juifs de Corfou n'exercent pas seu- lement des arts et métiers, qui leur sont inaccessibles partout ailleurs, mais prennent la plus grande part aux affaires pu- bliques, au point que, sur le même pied que les autres citoyens, ils paraissent dans toutes les solennités et représentations offi- cielles.

Renier fournissait des renseignements semblables sur les pro- fessions que les Juifs de Corfou exerçaient aux tribunaux. Sans doute, un décret du 14 mai 1637 avait défendu aux Juifs de Venise les professions d'avocat et d'avoué ; mais cette défense, qu'on avait essayé d'étendre à Corfou le 30 juin 1679, avait être retirée le 7 mai 1680.

Nous connaissons le nom d'un avocat juif, Hordechaï Cohen, qui obtint, en 1G54, l'autorisation de défendre ses coreligionnaires devant la justice et même, en 16L»G, put se charger aussi des intérêts des chrétiens. Aussi, bien qu'à la suite des guerres et des incendies continuels, les plus anciens documents des archives de Corfou aient disparu et qu'on n'ait pas pour cette époque de preuves certaines, on sait que les Juifs ont pu constamment exer- cer la profession d'avocat. Même les restrictions des droits de défendre à un numerus clausus édictées par les prédécesseurs de Renier, les provéditeurs-généraux de la marine Sagredo et Fran- cesco Grimani, n'avaient jamais eu pour objet ou pour consé- quence d'écarter les Juifs.

Après le rapport de Renier, si minutieux et si favorable aux Juifs de l'île, le Sénat n'avait plus qu'à faire droit à leurs récla- mations. Le 8 mai 1775, Renier reçoit l'ordre de révoquer le décret du 26 août 1774 et de réintégrer les Israélites de Corfou dans tous leurs anciens privilèges. Désormais, ils pourront exer-

834 REVUE DES ETUDES JUIVES

cer dans sa plénitude le métier d'avocat, et Sabhataï Cohen pourra reprendre sa situation d'avocat, qu'on lui avait injustement enle- levée Tannée précédente.

Ainsi, les Juifs de Gorfou ont joui de privilèges exceptionnels pendant le moyen âge et les temps modernes, non seulement dans la république de Venise, mais dans l'histoire du judaïsme en général. Alors que les autres Juifs étaient des parias et étaient tout au plus tolérés, ceux de Corfou étaient, depuis le traité de 1386, de véritables citoyens, possédant tous les droits de leurs compatriotes et pouvant arriver aux positions et dignités que la naissance conférait à leurs concitoyens. Émancipés avant l'éman- cipation, jouissant de l'égalité avant l'existence seulement de l'idée et du mot d'égalité, les Juifs de Corfou forment comme une oasis dans le désert de l'histoire juive.

David Kaufmann.

PIEGES JUSTIFICATIVES

Registri angivini, vol. 359, 234.

Karolus lertius etc. Capilaneis... Magistris Massariis... Caslellanis vicecastellanis. . . prothontinis, portulanis. . . baiulis. . Judicibus ceterisque oflicialibus Civitatis et Iasulœ Corphiensis presentibus et futuris fidelibus suis gratiam et bouam voluntatem, ut fides preclara iucandelabroluceat cunctosque cémentes comperabiliter ad se trahat, princeps providus cuncta prospiciens illâ premio recumpensationis irradiât, et caritatis fundamento eorrespondeutis illustrât^ quo utriusque fiât inseparabilis uuio et spei confirmantis gaudeat fulci- mento. Saneattendentes sinceritatem devotionis et fîdeiquamuniver- sitas et horoines Civitatis Corpboy Judei quoque, degentes in illa, erga zelum nostri nominis ostenderutil patenter, sicut experientia omnium magistra nos docuit et operationis effectus apertissime patefecit, ut ipsos quos pariter munivit et nexuit tidei vinculum grato comiter prosequamur munere premiorum. Ad supplicis petitionis instantiam noviter facte nobis per Johannem Cavasulam Riczardum de Altavilla Petrillum Capice, Georgium Zocheo, Johannem Spechi et Georgium Paraschianice de dicta Civilate Corphoy, Sindicos sindicario nomine et pro parte universitatis et hominum ac etiam Judeorum dicte Civi-

CONTRIBUTIONS A L'HISTOIRE DUS JUIFS DU CORFOU 238

tatis Corphiensis noviter ad curiam nostram missos de quorum Sin- dicatu plenarie îiobis constat, universitati hominum ac etiam Judeorum prodictoruru iu premium fidei pro ipsorum parte per dic- tos Sindieos in manibus nostris exhibite, omnia et singula privilégia indulta liiteras et documenta quelibet quarumcuuque gratiarum concessionum libertatum facta et coneessa eis ab olim in génère vel in specie per Serenissimos Heges et principes, dominos regem Karo- lum primum, Regem Karolum secundum et dominum Regem Rober- tum clare memorie Philippum, principem Tarentinum, Illustres Robertum et Philippum fratres, Imperatores Gonstantinopolitanos et confirmata invicem seu per Illustrem Johanuem olim Jérusalem et Sicilie Reginam aut coneessa par eam ante depositionem suam, nec non consuetudiues et statuta quas et que ab olim habuerunt et habent quibusve usi sunt et utuutur ad preseus et in quarum quo- rumve possessionem seu quasi fuerunt ab olim suntque ad presens vigore lilterarum et privilegiorun eorumdem de quibus cum expedit hdem oculatam fecerint, barum série de certa nostra scientia ratifica- mus acceptamus et de speciali gratia confirmamus volentes et decer- nentes expresse quod hujusmodi ratificatio et confïrmatio nostra universitati hominum et Judeorum ipsorum quo ad effectum gratia- rum consueludinum libertatum et statutorum predictorum efficaciter perpetuo maneat validaque subsistât. Quocirca fidelitati vestre de dicta certa nostra scientia precipiendo mandamus, quatenus univer- sitati hominum et Judeorum ipsorum, hujusmodi privilégia et litic- ras gratiarum coucessionum et libertatum ; de quibus cum expedir, coram vobis seu vestrum aliis fidern oculatam facient, nec non eon- suetudines, nouas observautias et statuta, quas et que habuerunt ab olim et habent, et quibus usi sunt ut predicitur et utuntur ad pre- seus et iu quorum possessione seu quasi fuerunt et sunt uti prefer- tur ad preseus iuxta illarum et illorum mentem et seriem tenacittr et inviolabiliter observetis quantum in vobis fuerit et faciatis cum opus fuerit ab aliis efficaciter observari, nec i lia seu illas infringere, seu aliquatenus contrarie, aut universitatem hominum et Judeorum ipsorum contra tenorem privilegiorum et lilterarum earumdem et hujus uostre pagine iussionem moleslare vel impetere, aliquatenus presumatis, sicut gratiam nostram caram habetis et indignationem in causa (casu) contrarii formidatis, Revocantes prorsus in irritum, si coutrarium forsitau quod non credimus duxeritis presumendum, preseotibus post oportunam et debitam inspectionem earum rema- nentibus presentanti efficaciter modi premisso in antea valituris. Datum Neapoli per virum nobilem Gentilem de merolinis de Sul- moua, etc. Anno Domiui MCCCLXXXII0. die XVIII0. septembris sexte Indictionis Regnorum nostrorum Anno secundo.

-n '

(A suivre.)

LES JUIFS DE LA PRINCIPAUTÉ D'ORANGE

Les renseignements relatifs à rétablissement des Juifs à Orange et aux premiers temps de leur séjour dans la principauté font complètement défaut. Leur histoire primitive différait sans doute peu de celle de leurs coreligionnaires des villes voisines, d'où ils étaient probablement venus dans le courant des xie, xn° et xme siècles. A Orange, comme dans les États français du Saint-Siège, les Juifs vécurent certainement longtemps en bonne intelligence avec les populations chrétiennes, se livrant, sans exciter la mal- veillance, à leurs occupations ordinaires : le colportage, la petite banque, le courtage des blés, la pratique de quelques métiers et de l'agriculture.

Bien que nous trouvions dans plusieurs documents l'expression de « juiverie » et qu'il y eût encore, il y a un certain nombre d'an- nées, une rue de Juiverie à Orange, il n'est pas permis d'en con- clure à l'existence, dans cette cité, d'un ghetto ou d'une carrière, tel qu'il en fut à Avignon et dans les villes du Comtat. On dési- gnait par ce nom quelques ruelles exclusivement, mais librement habitées par les adeptes de la religion de Moïse. Comme partout, les Juifs d'Orange aimaient à se grouper. D'ailleurs, les statuts de la ville ne leur imposèrent, à aucune époque, Pobligation de résider dans une enceinte fermée.

Quoi qu'il en soit, les premiers documents qui les concernent ne remontent guère au delà du xive siècle l. A cette époque com- mença contre eux la réaction qui devait aboutir à leur expulsion. La population, les rendant responsables de tous les maux, les ac- cusa de se livrer à l'usure et de démoraliser le pays par leurs mœurs corrompues. Aussi forgea-t-on contre eux des lois d'excep- tion. Les statuts de la ville, les assimilant « aux usuriers mani- festes», défendirent de les recevoir en témoignage contre un chré-

1 Nous rappelons, en passant, la présence à Orange du célèbre Lévi ben Gerson, de Bagnols, qui y acheva en 1338 son commentaire sur les trois derniers livres du Pentateuque, ouvrage qu'il avait commencé à Avignon.

LES JUIFS DE LA PRINCIPAUTÉ D'ORANGE 237

tien, à moins d'une autorisation spéciale du prince, et interdirent au seigneur et à la cour de les pourvoir d'aucun office l. On aug- menta leur taille et on les obligea à fournir six hommes pour la garde des murailles et des portes de la ville *. Mais ces mesures sévères ne satisfaisaient pas la population. La pauvreté et la mi- sère étaient, en effet, effrayantes dans la province. Les princes d'Orange, grands batailleurs, toujours engagés en des guerres loin- taines, amoureux de faste et de représentations brillantes, et, par- tant, toujours à court d'argent, avaient fait de ce malheureux pays une véritable terre de rapport, qu'ils exploitaient au mieux de leurs intérêts privés. Ajoutons que la principauté, comme le Com- tat et la Provence, traversa, aux xve et xvie siècles, une crise économique doublée d'une crise politique. Des fléaux de toute na- ture s'abattaient sur le pays, la récolte était souvent improductive, à tout moment le trône du prince chancelait et, enfin, la guerre ci- vile et religieuse acheva de mettre la contrée, déjà ruinée, à feu et à sang3. Les Juifs, éternels boucs émissaires, tombèrent vic- times du mécontentement général. C'était naturel; ils avaient contre eux les apparences. Le peuple manquait d'argent, et les Juifs, quoique fort pauvres aussi, faisaient le commerce de l'ar- gent; le peuple souffrait de la famine, et la principale occupation des Juifs consistait dans le courtage et l'exportation des blés. Or, on sait combien à cette époque et jusqu'à la Révolution française, les préjugés étaient grands contre ce genre de négoce. A Carpen- tras et à Avignon, on avait pris contre ceux qui s'y livraient les mesures les plus graves. Les Orangeois, qui accusaient les Juifs d'être ainsi « la destruction de leur cité » 4, ne pouvaient pas ne pas suivre un pareil exemple. Aussi le conseil de ville, par une délibération du 5 novembre 1477, demanda-t-il copie d'une bulle de pape portant défense aux Juifs d'acheter ou conserver tout autre blé que celui qui était nécessaire à leur consommation, afin d'en obtenir une semblable 5.

Quant au reproche d'usure, il ne paraît guère avoir de fonde- ment, quoique les apparences semblassent le justifier.

Les Juifs d'Orange pratiquaient assurément le prêt à intérêt, mais en courtiers, pour le compte de financiers italiens ou de riches particuliers chrétiens 6. Ils étaient, en général, trop pauvres pour travailler avec leurs propres capitaux. Ce qui le prouve

1 Arch. municip. d'Orange, AA 1 : Statuts et privilèges. « Jbid., BB, fol. 81 et 82.

* Cf. Lapise, Histoire de la ville et principauté d'Orange. 4 Arch. municip. d'Orange, BB 7, fol. 194.

* Arch. municip. d'Orange, BB 7, fol. 68. 6 Voir Pièces justificatives.

238 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

d'une façon incontestable, c'est le cartulaire de l'évêque Anglic Grimoard, conserve' aux Archives de Vancluse. Ce document consacre de nombreuses pages à l'usure. Le prélat y lance des imprécations terribles contre les prêteurs d'argent, exigeant contre eux les mesures les plus rigoureuses et, pour hâter ce qu'il considère comme une œuvre de salubrité publique, cite leurs noms afin de les clouer au pilori. Or, les lignes se rapportant à Orange ne contiennent aucun nom juif, et il est à croire que l'évoque, qui, probablement, ne péchait pas par excès d'indul- gence pour les fils d'Israël, ne se serait pas fait scrupule de les démasquer, si réellement ils s'étaient livrés, pour leur propre compte, à ce genre d'opérations. A la rigueur, on pourrait sup- poser que l'évêque se borne à dénoncer ses coreligionnaires ; mais il est vraisemblable que si les Juifs avaient mérité, au même titre, ses foudres, il les aurait englobés dans la même dénon-r dation.

Mais si le peuple voyait dans les Juifs les auteurs « de toutes sortes de maléfices », si le conseil de ville demandait à grands cris leur expulsion, ils avaient trouvé des protecteurs ardents dans les princes d'Orange.

Ces derniers, en effet, avaient grand intérêt à les conserver dans la province. Les Juifs étaient pour eux une source de reve- nus relativement considérables. Outre la taxe de trois cents écus et dix sous qu'ils payaient annuellement1, ils jugeaient, sans doute, encore politique d'exprimer, de temps à autre, en deniers sonnants, leur gratitude envers leurs souverains pour les fran- chises et privilèges qu'ils leur accordaient. Aussi, pendant plus de trente ans, les princes d'Orange rejetèrent-ils toutes les demandes d'expulsion qui leur furent adressées par la cité. Bien plus, ils confirmèrent, dans les jours les plus agités, les droits des Juifs, les placèrent sous leur protection et firent défense de les molester 2. Cette attitude n'était cependant pas toujours possible. Par mo- ments, les sollicitations du peuple devenaient vives, pressantes et pleines de menaces. Les princes essayaient alors de calmer les es- prits surexcités par des promesses d'enquête, qui n'aboutissaient jamais, ou bien par des déclarations où. ils se donnaient, eux aussi, comme partisans déterminés de l'expulsion. Ils n'y met- taient qu'une condition, c'était que la ville prit à son compte la rente de trois cents écus servie par les Juifs. Or, malgré leur vif désir de hâter le départ des Juifs, les consuls n'osaient augmenter encore les impôts, déjà si écrasants, de leur cité.

1 Jbid.

% Arch. municip. d'Orange, BB 7, loi. 211.

LES JUIFS DE LA PRINCIPAUTE D'ORANGE 289

La question resta donc en suspens et n'eût peut-être jamais été tranchée, si un incident inattendu n'avait fait sortir les représen- tants de la cite" de leur irrésolution. Les Juifs de Provence et du Languedoc avaient été expulsés. Les carrières d'Avignon et du Gomtat ne pouvant donner asile qu'à une infime partie de ces malheureux, beaucoup d'entre eux étaient venus à Orange et avaient obtenu des souverains le droit de séjourner dans la prin- pauté. Ces nouveaux arrivés , à l'exemple des autres, avaient entrepris les métiers les plus divers, les commerces les plus va- riés, mais principalement celui des blés. Du coup, la ville était perdue aux yeux des consuls. Tergiverser plus longtemps était un crime. On se résigna à faire le sacrifice annuel des trois cents écus.

Les consuls, au nom de leur ville, prirent donc l'engagement de verser régulièrement la somme dans la cassette princière. L'acte fut signé sous la régence de Philiberte de Luxembourg, qui, dès lors, n'eut plus aucune raison de conserver les Juifs. Aussi, encouragée par l'évêque et plusieurs autres personnages no- tables, elle rendit à Courthezon, le 20 avril 1505, une ordon- nance qui, après avoir reproduit tous les griefs contre les Juifs, leur acccordait un délai de deux mois pour quitter la princi- pauté. Exception était faite pour ceux qui voulaient accepter le baptême.

L'ordonnance fut exécutée à la lettre, et les Juifs se retirèrent à Avignon et dans le Gomtat. Mais un délai de deux mois était insuffisant pour régler toutes leurs affaires. Beaucoup d'entre eux étaient porteurs de créances sur les habitants de la province et, l'argent étant rare, ne pouvaient les recouvrer. D'autre part, les termes et Ips échéances tombaient généralement à la Madeleine et à la Saint-Michel. L'accès du pays étant interdit à ces époques, les Juifs n'avaient d'autre moyen de recouvrer leurs créances que défaire comparaître leurs débiteurs récalcitrants devant des cours étrangères. Mais cette procédure, fort longue et fort coû- teuse, présentait, en outre, de nombreux inconvénients pour les deux parties. Les Juifs préférèrent donc solliciter de la régente l'autorisation de séjourner un mois dans la principauté, afin de liquider leurs affaires en suspens. Philiberte de Luxembourg rejeta leur demande et leur accorda, par contre, des sauf-conduits qui donnaient à des groupes successifs de trois familles le droit de séjour pour trois jours consécutifs par quinzaine dans une période de quatre mois. Quant aux autres, ils étaient libres, en payant leurs péages, de circuler pendant ce temps dans le pays, sans toutefois y pouvoir passer la nuit. Johanan Cohen et Abraham

240 REVUE DES ETUDES JUIVES

Baze, deux des principaux Juifs, furent chargés de veiller à la stricte exécution du règlement '.

Malgré le départ des Juifs, la situation économique de la prin- cipauté ne s'améliora pas. Au contraire, les souffrances de la population, plus grandes que jamais, se traduisaient en des do- léances de plus en plus vives et de plus en plus nombreuses. Après leur expulsion, les Juifs, une fois l'orage passé, n'avaient pas tardé à reparaître dans la principauté, mais isolément. On les y retrouve dès le commencement de l'année 1506, munis de sauf- conduits en bonne et due forme, et y exerçant, quoique domiciliés à Avignon et dans les villes du Comtat, leur trafic et leur indus- trie. Les représentants d'Orange, fidèles à leur conduite passée, s'élevèrent avec passion contre ces nouvelles faveurs accordées par la princesse, contrairement à la loi2. Philiberte de Luxem- bourg et ses successeurs, sans donner entière satisfaction aux consuls, furent cependant obligés de tenir compte de leurs récla- mations, dans une certaine mesure. Ils accordèrent donc dans la suite les sauf-conduits avec plus de parcimonie. Les Juifs réso- lurent alors de changer de tactique. Craignant de perdre, par suite de l'influence toujours grandissante du conseil communal, la bien- veillance intéressée des souverains, ils entreprirent de mettre fin à son hostilité systématique. Ce n'était pas chose aisée. Car l'as- semblée, aveuglée parles préjugés les plus arriérés, avaient voué aux Juifs une haine profonde. Ces derniers, au lieu de s'en décou- rager, n'en entrèrent pas moins avec elle en relations, et essa- yèrent de négocier les conditions de leur retour. Les pourparlers, engagés vers 1520, se continuèrent une première fois jusqu'en 1556*. D'abord repoussées avec hauteur, les propositions des Juifs obtinrent cependant peu à peu les honneurs de la discus- sion. Ils avaient fait briller aux yeux des consuls la promesse de payer chacun trente écus des charges de la ville. Ce n'était pas un engagement à repousser sans réflexion, dans un moment de malaise et de misère générale. Aussi le conseil envoya-t-il plusieurs fois des délégués à Avignon pour examiner à fond la question. Malheureusement pour les Juifs, les avantages paraissaient bien petits en face des nombreux inconvénients que présentait, aux yeux des députés, le retour des expulsés. Ils hésitèrent donc et la solution du problème fut ajournée.

C'était un échec pour les Juifs, mais seulement en apparence. Car les consuls et les syndics, en abandonnant leur attitude in-

1 Voir Pièces justificatives.

* Arch. municip. d'Orange, BB 9, fol. 141.

3 lbid.t BB 12, fol. 2S1 ; BB 14, fol. 36 et 75 ; BB 15, fol. 104, etc.

LES JUIFS DE LA PRINCIPAUTÉ D'ORANGE 241

transigeante, avaient éclairé le prince sur les dispositions plus conciliantes du pays. Il se crut donc autorisé, sans exciter trop de colères, à accorder de nouveaux sauf-conduits à de nombreux Juifs. C'était une erreur, car le conseil voulait bien, à la rigueur, ouvrir aux Juifs les portes de la cité, mais à la condition de se faire payer chèrement l'hospitalité qu'il leur accordait. Or, les sauf-conduits, s'ils étaient un revenu pour le prince, n'apportaient aucun profit à la ville. Aussi le mécontentement fut-il grand. Il se fit jour dans un conseil général, convoqué quelques jours plus tard dans l'église d'Orange, afin, dit le document, « de ne point trop irriter le prince». Celui-ci demeura impassible devant toutes les protestations. Les magistrats indignés eurent recours alprs à des moyens plus pra- tiques, et en appelèrent des décisions de leur souverain au parlement de Grenoble. L'affaire menaçait de traîner en longueur. Aussi, la cour du Dauphiné, sur la demande des Orangeois, suspendit-elle provisoirement l'effet des sauf-conduits. François de Lorraine, duc de Guise, pair et grand chambellan de France, gouverneur et lieutenant général pour le roi en Dauphiné, dé- légua, le 11 juin 1556, le nommé Claude Page, sergent royal de la cité de Saint-Paul-Trois-Châteaux, à Orange, pour y porter cette décision à la connaissance des intéressés. Descendu à « l'auberge de l'ange », il y convoqua Vidés Avidor, Samuel Resques, David de Lattes et Isaac de l'Isle, tous principaux du conseil de la car- rière de Carpentras, pour faire défense, en leurs personnes, à tous les Juifs d'Avignon et du Comtat, de paraître pendant le cours du procès à Orange, sous peine de 500 livres d'amende. En même temps, il intima l'ordre aux bayions des quatre car- rières de comparaître devant le parlement du roi, afin d'y être jugés contradictoirement avec les représentants d'Orange. Le prince, de son côté, fut prié de se présenter à l'audience *. L'is- sue du procès nous est inconnue ; mais il est probable qu'elle ne fut pas favorable aux Juifs, car, pendant plusieurs années, il ne sera plus question d'eux dans les délibérations de la ville.

Cependant, la sentence du parlement de Grenoble ne pouvait retarder de beaucoup le retour des Juifs dans la principauté. La ville, dans la seconde moitié du xvie siècle, se trouvait dans une situation des plus lamentables. Ses princes, plusieurs fois prison- niers des rois de France, n'avaient plus ni prestige, ni pouvoir. Des bandes de pillards et de brigands s'abattaient, à tout mo- ment, comme de véritables fléaux sur le pays. La cité, ravagée par la guerre civile et religieuse, n'était plus qu'un monceau

1 Arch. municip. d'Orange, GGr 50.

T. XXXII, 64. 16

242 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

de ruines. Louis XIV s'en empara en 1660 et mit ainsi fin à cet état anarchique. Mais la misère n'en continuait pas moins. On voyait , dit un historien d'Orange, la population errer et men- dier à travers les campagnes, et demander aux herbes des champs leur maigre nourriture1. Dans ces tristes circonstances, les consuls se souvinrent des Juifs et des qualités brillantes qu'ils avaient montrées dans le commerce et dans les métiers les plus divers. Les calomnies et les accusations portées jadis contre eux étaient tombées dans l'oubli.

On jugea leur concours presque indispensable au relèvement de la cité. Aussi, dans sa séance du 22 avril 1669 2, le conseil dé- cida d'autoriser, sans la volonté du roi, certains Juifs d'Avignon et du comté Venaissin, jusqu'au nombre de cinquante à soixante maisons, à se retirer dans la ville, d'autant que « ladite ville se trouve, à présent dêfonrnie de drappiers, chossatiers, cottu- riers et autres artisans ». Huit jours plus tard, nouvelle délibé- ration dans le même sens, l'on lit que « leur présence pourrait être fort profitable à la ville et aux habitants d'icelle, tant pour ledit soulagement qu'à remettre ladite ville en marchands et mar- chandises » 3. Ce n'était pas tout. Dans une autre séance, du 24 du même mois, le conseil décida « d'envoyer auprès du roi quelques bons et notables personnages pour lui faire connaître la pauvreté du pays, les grandes oppressions, tirannies et autres méchan- cetés qui sont faites ». Et quels remèdes les consuls proposèrent- ils à de si effroyables maux? C'était précisément le retour en masse de ces Juifs, autrefois responsables à leurs yeux de tous les malheurs. « Ensemble, continue la délibération, d'obtenir de Sa Majesté de mettre et faire habiter dans ladite ville et principauté deux cents maisons juives pour remettre ladite ville et le reste dudit principaulté en marchands et marchandises que sont à pré- sent dépourvus 4 ».

A des prières si pressantes et si souvent répétées le roi ne pou- vait pas résister. Les Juifs revinrent donc à Orange et contri- buèrent , par leur activité commerciale et industrielle et par leur habileté dans l'exercice de certains métiers manuels, pour une large part, au relèvement de la cité, si ingrate autrefois envers eux. Il n'est guère possible de déterminer même d'une fa- çon approximative, le nombre des familles israélites qui s'ins- tallèrent à cette époque dans la principauté. Les renseignements

1 De Pontbriand, Histoire d'Orange.

8 Arch. municip. d'Orange, BB 17, fol. 50.

3 Ibid., BB 17, fol. 59.

« Ibid., BB 17, fol. 60.

LES JUIFS DE LA PRINCIPAUTÉ D'ORANGE 243

nous manquent complètement à ce sujet, comme ils nous feront également défaut désormais sur la nature de leurs relations avec les populations chrétiennes.

En 1685, Louis XIV prononça la révocation de redit de Nantes. Orange fut une des villes les plus éprouvées par cette mesure. Mais le zèle religieux du roi ne s'arrêta pas aux partisans de la Réforme ; les Juifs, c'était logique, devaient en être également les victimes. En effet, deux ans plus tard, le 4 juin 1687, Pierre Car- din Lebret, intendant du roi, se présenta à Orange et y publia un édit de Sa Majesté qui expulsait pour la seconde fois les Juifs de la principauté '. Dès lors, ils ne reparurent plus de quelque temps à Orange. Cependant, tous n'avaient pas dit un dernier adieu à la principauté. Au mois de mai 1703, on y signala, de nouveau, un certain nombre de familles qui en furent chassées, à leur tour, sur un ordre du roi, par le comte de Grignan. Quelques semaines plus tard, d'autres subirent le même traitement2. Enfin, en 1720, les consuls d'Orange, à l'exemple de leurs prédécesseurs de 1505, essayèrent de procéder encore une fois à l'expulsion de trois familles juives établies dans leur ville. Sur leur plainte, le comte de Médavy intervint efficacement en leur faveur. « Ces Juifs, écri- vit-il dans sa lettre aux consuls, ont le droit de jouir des patentes que les princes d'Orange avaient accordées à leurs pères et qui ont été autorisées et confirmées par le parlement de Grenoble. Je ne vois pas que vous ayez aucune raison d'agir ainsi et il y aurait de la cruauté aies chasser aujourd'hui. D'ailleurs, la ré- vocation des patentes accordées par les princes serait une mesure qui atteindrait les trois quarts des habitants ».

Ne pouvant les expulser, les consuls leur infligèrent l'humilia- tion du chapeau jaune et leur interdirent de paraître autrement en public, « sous peine de se voir racler la barbe3 ». Ils subirent ce traitement inhumain jusqu'au jour la Révolution française vint mettre fin à tous leurs maux.

Jules Bauer.

1 Le Père Bonaventure, Histoire de la ville et de la principauté d'Orange.

1 Voir Pièces justificatives.

3 Arch. municip. d'Orange, BB 38.

REVUE DES ETUDES JUIVES

PIÈGES JUSTIFICATIVES

Lettres du prince d'Orange aux syndics et habitants d'Orange '.

Le prince d'Orange.

Très chers et bien amis. Nous avons seu par ce que naguère avez écrit à l'evesque, lequel nous en a parlé que désirez l'expulsion des Juifs demeurant et commerçant en la cité d'Orange, à cause du dommaige qui en advient à nos subjets et à la chouse publique d'icelle cité. Sur quoi, pour ce que à la requête dudit évêque et aussi pour la raison voulons bien en ce pourvoir, escripvons aux officiers dudit Oranges qu'ils s'en informent, et leurs informations avec leurs advis nous envoient pour après soit bien y ordonné ains qu'il appartiendra. Ce que nous signifions très chers et bien amis notre seigneur. Mon seigneur vous ait en sa sainte garde, vingtième jour de novembre l'an 1484.

Signè\ Jehan de Ghalon.

Chers et bien amis2, ... Et touchant les Juifs, nous serons content les faire expulser et mettre hors de notre ville d'Orange, pourvu que les habitants d'icelle nous baillent et assignent en rente perpétuelle autant que lesdits Juifs nous donnent chaque an.

Signé: J. de Chalon.

IL

Requeste pour faire expulser les Juifs hors la principaulté

d'Orange 3.

A notre très souveraine dame, Madame la princesse d'Orange.

Supplient très humblement vos très humbles et très obéissants sub- jects, les scindics et consuls de votre cité d'Orange, manants et habi-

1 Ibid., GG 50 liasse : culte israélite. 1 Arch. muuicip. d'Orange, G G 50. > lbid.

LES JUIFS DE LA PRINCIPAUTE D'ORANGE 243

tants d'icelle. Que donc soit ainsi. Que depuis cinq ans en sa, les Juifs du pays de Prouveuce ont esté chassés, pour chrestien Roy de France, hors du pays de Prouveuce, et n'ont peu estre receus en Avignon ny au comté de Venisse, si non en votre principaulté, laquelle chouse est grandement dommaigeable tant à notre foy catholique par les maulvais exemples qu'ils pourroient bailher aux chresliens et les inductions qu'ils leur pourroient faire, que au bien de la chouse pu- blique, en commettant usures manifestes, destruissant pauvres labo- reurs et commun peuple en achaptant blé en herbe, et de ceulx qui n'ont point, et les font obliger à leur bailler à certains, comme ce que ne peuvent faire et alors les font obliger à grandes sommes tant pour ce blé que argent que disent que leur bailhent. Et pour une mesme cause se trouvent aulcunes fois obligés en deux ou trois notaires, et font en telle fasson que une debte de dix florins, en trois ou quatre ans, renouvelant tous les ans les obliges, montrant quatre vingt ou cent florins, et quant voient leur point les font compeller par un oblige et l'autre demeure droit en sa vigueur; et quant iceulx débi- teurs meurent font compeller les héritiers à payer ces sommes, en telle fassou, que aulcunes fois, paient deux ou trois fois et avant ne peuvent sortir de leurs mains et autres maux inénarables font. Et sont en si grand liberté conslituys en faveur de leur saulvegarde que obstragent les chrestiens et vont par les rues si fièrement, le chef levé comme sors. Et quant sont débiteurs des chrestiens impètrent lettres de monseigneur le lieutenant de Régent de non paier leurs debtes de deux ou trois ans, combien que soient plus riches que leurs créditeurs, et que pis est font magarelages en leur Juiverie et induisent plusieurs chrestiens à absurer, en leur baillant la fasson de faire et en faisant par leur subtil moyen décevent une partie et aultre. Cnmme ces jours dernièrement passés, deux Juifs dudit Orange pour faire un corratage d'un nommé Loys Ravos un subject, pour luy faire bailler à créance deux cents escus en heurent dix escus. Et donnaient à entendre audit Loys que n'estait possible de besoiguer si non que donnassent premièrement cinquante escus à un docteur d'Avignon que luy nommaient que conduisait ladite matière, ce que fust content; et les emprunta et en paia d'interest, pour deux heures, demy escu, et bailha lesdits cinquante escus esdits Juifs à cette fin de les bailher audit docteur ; ce que ne firent, mais les se partirent entre eux. Et venu à la notice de ce docteur, homme de bonne conscience, trouva moyen de en faire prendre par justice en Avignon un de ces Juifs, lequel confessa le cas et lequel est encore es carce. Et derechef ont achapîé ceste année en ladite principaulté grande quantité de blés pour marchands estranges, et fait taut e procuré que après ledit achapt, ont fait encore licence et lettres patentes de monseigneur de Régent de en sortir iesdits blés, nonobs- tant que y eut vest et prohibition de ne les extraire. Et ce que les chrestiens ne pouvaient faire, ce que ont fait, au moins la plus grande part, et si ne fust la provision obtenue de un parlement par les

246 REVUE DES ETUDES JUIVES

scindics dudit Orange et mise à exécution l'en eussent tout sorti. Pour laquelle chouse fust été grand famine et commotion de peuple, comme de moys de janvier dernièrement passé s'est meu, deman- dant conseil en parlement général faissant convinticules et octroyé par monseigneur le lieutenant de Régent. Et voyant lesdits scindics les inconvénients et dommaiges que en pourroient sortir, se trans- portèrent audit Orange, et tiendrent le parlement et n'eurent bonne permission sur le fait le blé. Pour lesquelles chouses et aullres que seraient chouses prolixes à escrire supplient lesdits suppliants que, en l'honneur de la passion de notre sauveur Jésus- Christ, que soit de votre plaisir, notre dame souveraine, sur vuyder, de ladite principaulté, lesdits infidèles Juifs, ou aultrement serait cause de la destruction de ladite principaulté. Et en ce faisant feres un grand aulmone et aurons un grand bien, et nous prierons notre seigneur, que vous doint notre dite dame et à votre beau filz, notre souverain prince, sainte, bonne vie et longue.

III.

DÉCRET D'EXPULSION l.

Philiberte de Luxembourg, par la grâce de Dieu princesse d'Orange, mère suprême et légitime administreresse des corps et biens de notre très cher et très saint fils Philibert de Ghalon, par la même grâce prince d'Orange, comte de Tonnerre et de Penthièvre, seigneur d'Ar- lai et de Ghastelbelin, à tous ceulx que ces présentes verront. Salut.

Gomme par les usures et pratiques détestables dont les Juifs rési- dant en notre principaulté usent et vivent contre toute forme de raison, plusieurs maux et inconvénients soient advenus en arrière à nos sujets en icelui principaulté, qui au moins en sont grandement foulés et appauvris, et plus seraient, s'il n'y était pourvu, ains que en cas semblable a été fait des Juifs qui naguère étaient es pays de Prouvence et Languedoc, voisins dudit principaulté, lesquels en ont été et sont expulsés; scavoir faisons que nous désirons relever nosdits sujets de toutes oppressions indues, et ouies les plaintes à nous faictes par nosdits sujets pour ce ont envoyées par devant nous, aussi eu sur ce l'avis de Révérend père en Dieu, l'évesque dudit Orange et de plusieurs auîtres notables personnages, avons de notre certaine science, auctorité et plenière puissance, ordonné, concédé et accordé, ordonnons, concédons et accordons par ces présentes que iceux Juifs étant deprésents audit principaulté vuideront et se retireront en- semble, et avec leurs biens, hors d'icelui principaulté, dans le temps et terme de deux mois prochainement venant, à compter du jour dudit date desdits présentes, en telle manière que eulx, ni autres de

» Arch. municip. d'Orange, G G 50.

LES JUIFS DE LA PRINCIPAUTE D'ORANGE 247

leur secte et génération peuvent ni habiteront ou seront jamais receus ores ne en temps avenir, eu façon que ce soit. Etceste présente ordonnance, concession et accord avons faict et faisons pour et parmi la somme de trois cents escus dix sous, que les scindics et habi- tants de notre ville et cité dudit Orange nous ont libéralement oc- troyés et donnés, au lieu du proufit que mondit fils et ses prédéces- seurs princes avaient desdits Juifs, pour les souffrir demeurer audit principaulté. Laquelle somme de trois cents escus, leurs consuls et députés envoyés dernièrement ont promis rendre et paier par obli- gation, receue par Guillaume Verant, notaire, dans la fête de Pentecôte... Et ce pendant et jusque après lesdits deux mois expirés, voulons et entendons que iceux Juifs joissent des libertés et privi- lèges à eux autrefois accordés, tant par feu Monseigneur, dont Dieu ait lame, que par nous, sans ce que à eux soit fait aucun dommage ou déplaisir, directement ni indirectement, en corps et eu biens, en façon aucune; et à cette fin, les avons prins et nous prenons et met- tons derechef en notre protection espéciale. Toutefois, si aulcuns des- dits Juifs se veulent réduire à la foi et loi chrétienne, ce que de notre part verrons volontiers, voulons qu'ils soient soignés et séparés les uns des autres en notre dite ville, afin que par la participation qu'ils auront comme les Chrétiens, et non avec leurs semblables, ils changent plus facilement de leur vie première, pour être instruits et nourris en la foi et loi catholiques. Donnons en mandement aux amis et féaulx, les gens de notre cour de parlement, gouverneur, juge et viguier dudit Orange et à chascun d'eux faire publie, en notredit principaulté et tous lieux ou se apprendra , l'effet et contenu en lettres présentes, en signifiant par express auxdits Juifs notre dite ordonnance, et vouloir à ce qu'ils n'en aient cause d'ignorance; car ains nous plait nonobstant tous statuts, privilèges et autres choses inspetrées ou a inspétrer au contraire. En témoin desdits, nous avons fait mettre notre sceau aux présentes.

Donné à Courthezon le vingtième jour d'avril, après Pâques, l'an de grâce mil cinq cent et cinq.

IV.

Sauf-conduits accordés aux Juifs1.

Philippon Busqués escuyer, maistre d'ostel et gouverneur de mon- seigneur le prince en sa principaulté d'Oranges et Jaques Bonnard, licencié en lois et décrets, lieutenant général pour ledit Seigneur es balliages des terres et seigneuries que au pays de Bourgogne, commissaires députés pour très haulte, très puissante et souveraine dame Pheliberte de Luxembourg, princesse d'Orange, mère tutrix et

Arch. municip. d'Orange, G G 50.

248 HE VUE DES ETUDES JUIVES

légitime administreresse des corps et biens de très hault, très puis- sant et souverain prince Phelibert de Chalon, par la grâce de Dieu prince d'Orange, comte de Penthievre, seigneur d'Arlay et de Chastel- bellain, aflere-les chouzes cy déclarées et aultres, comme plus a plein est contenu es lettres de madite commission, scavoir faisons à tous ceulx qui ces présentes verront, Salut.

Que nous avons reçeu humble supplication des Juyfz, jadis ma- nants et habitants de la cité et principaulté d'Oranges, contenant que, au pourchas de certains habitants de ladite cité qui informèrent notredite dame de plusieurs chouzes qu'ils disoient que iceulx Juyfs faisaient au préjudice des subjets dudit principaulté, soit ce que ne fust pas ainsin qu'ils donnarent à entendre, icelle dame manda iceulx Juyfs estre mis dedans deux mois suivants ensemble avec tous leurs biens hors du principaulté; ce qu'ils ont fait dedans ledit terme. Ils n'ont peu recouvrer leurs debtes qu'ils ont dedans ledit principaulté pour ce que la plus part des termes sont à la Magdeleine et à la St Michel et qu'ils ne peuvent iceux debtes recouvrer, sans aller et venir audit principaulté, ou qu'ils ne fassent iceux subjets compeller es cours étranges et rigoreuses, ce qu'ils ne voudront faire, mais tant seulement font destraire les compeller devant les cours dudit princi- paulté, et que l'on leur voulsit donner bonne seureté et saulf conduy t de un mois pour venir recouvrer et demander leurdites debtes, sans toutefois y faire résidance continuelle et que l'on leur fasse justice briève de ceulx qui leur sont tenus, afin que dedans ledit terme, ils puissent avoir recouvré leurdites debtes. Pour quoi nous ces chouzes considérées, et heu sur ce l'avis des gens de la cour souveraine dudit principaulté avec serment, que s'ils faisoient compeller lesdits subjets du principaulté es cours étranges et rigoreuses serait grand dom- maige (?) de la juridiction de mondit Seigneur et de son auctorité, fraiz, et dépense auxdits subjets, et que bonnement lesdits suppliants ne peuvent recouvrer leurs debtes, sinon qu'ils y soient en personne et pour certaines autres chouzes; à ce nous mouvantz auxdits Juyfz, jadis habitants dudit principaulté ayant debtes en icelui, avons donné et octroyé, donnons et octroyons, par cestes présentes, licence, con- gié, saulf conduits et bonne seureté de pouvoir venir, aller, demeurer et séjourner en ladite cité et principaulté pour demander leurs debtes et des autres, sans toutefois y faire résidence continuelle, si non tant seulement, à chacune fois qu'ils y viendront, trois jours, et ne pourront venir que de quinze jours en quinze jours, et à chacune fois trois d'eulx, lesquelz nomeront et seront esleux par Johanas Cohen et Abraam de Baze et ce pour quatre mois prochains. En man- dant et commandant au juge ordinaire de ladite cité d'Oranges et à tous autres officiers dudit principaulté que lesdits Juifs, quand requis

en seront, fasse bonne et briève justice fassent payer de ce que

légitimement leur sera dehu sans figure de procès, en y procédant sommairement et de plan et comme en deniers fiscaux.

Et en outre, avons donné et accordé, licences, congiés et saulf con-

LES JUIFS DE LA FR1NCIPAUTE D'ORANGE 249

duits durant ledit terme de quatre mois à tous Juyfs et Juyve

voulant passer en ledit principaulté sans toutefois y sé- journer, si non pour un repas puissent passer et repasser, aller

venir es icelui principaulté en allant et en retornant comme

dit est, en payant leurs péages et aultres deux et accoustumés,

sans que leur soit fait ou donné nul empêche d'estourbier moleste ni empêchement, ni en corps, ni en biens, ni en quelque façon que ce soit, ains de ce présent saulf conduit les laissent et souffrent jouir et user plainement et paisiblement comme dessus est contenu, sans venir ni faire le contraire; et ce sur peine de cent marcs d'argent à appliquer à nostredit Seigneur pour chascun venant au contraire. Mandons à tous officiers que en poursuivant leursdites debtes et faisant comme dessus dit ebt fassent jouir de nosdits saulf conduits, en faisant notifier icelui à son de trompe, afin que l'on ne prétende pas cause d'ignorance sous les peines susdites; car ainssin l'avons octroyé et octroyons par les présentes données à Orange sous notre sceau, le quatrième jour de juillet, l'an mil cinq cent et cinq. Phi- lippon Busquet et par commandement de mesdits seigneurs. J. Bon- nard et Virieu. Extractus ab actis curiae originalibus per me.

Daniel.

15 juillet 1505.

V. Lettres du comte de Grignan et du comte de Médavy *.

Le comte de Grignan, chevalier des ordres du Roy, lieutenant gé- néral de ses armées, commandant et lieutenant général de Sa Ma- jesté en Provence.

Sa Majesté nous ayant ordonné de faire sortir de la Principauté d'Orange les Juifs qui s'y sont établis depuis quelques années, nous ordonnons que, dans trois mois, tous les Juifs seront tenus d'en sortir, à peine d'être procédé contre eux extraordi^airement, et puis comme infracteurs des ordres du Roy, avec défense d'y revenir sous quelque prétexte que ce soit, et sous les mêmes peines.

Fait à Grignan le 20e avril 1703.

Signé : Grignan. Par Mgr. :

Signé : Anfossy.

L'an 1703 et le jour du mois d'avril, après midi, André Mascot,

1 Arch. municip. d'Orange. G G SU.

250 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

courrier et trompette ordinaire de cette ville d'Orange, a rapporté à moi, secrétaire de la communauté soussigné, qu'il a ce jourd'hui lu et publié la susd. ordonnance par tous les coins et carrefours de cette dite ville accoutumés, et ensuite affiché icelle par copie au pilier de la place, présent Baltazard P. Couvirand, son record.

A son rapport.

Signé : Dumas.

A Marseille, le 3* décembre 1703 ».

Messieurs,

J'ai été informé que les Juifs, chassés d'Orange par les ordres que je donnais, ensuite de ceux du Roy, dans le mois d'avril dernier, y sont revenus ou dans des endroits du voisinage. Il est nécessaire que vous en fassiez faire une recherche exacte, que ceux qui seront trouvés, soient arrêtés et gardés en prison, et que vous m'informiez des diligences que vous aurez faites, vous rendant responsables de l'inexécution desd. ordres de Sa Majesté.

Je suis très véritablement Messieurs, votre très humble et très affectionné serviteur,

Signé : Grignan.

A Grenoble, le 4 septembre 1720 '.

A Messieurs les Consuls d'Orange.

Les trois familles de Juifs, qui sont dans votre ville, m'ont

porté plainte, qu'au préjudice des patentes que les princes d'Orange avaient accordées à leurs pères, qui ont été autorisées et confirmées en dernier lieu en leur faveur par le parlement de Grenoble, vous voulez les en faire sortir; je ne vois pas que vous ayez aucune raison qui vous y oblige, à moins qu'ils ne contreviennent aux ordonnances, ainsi, Messieurs il faut les laisser en repos, parce qu'il y aurait de la cruauté de les chasser aujourd'hui. Vous devez même faire attention que si vous donnez atteinte aux privilèges que les princes avaient accordés, que les trois quarts des habitants de votre ville en souffri- ront. Je suis, Messieurs votre très humble et très obéissant serviteur.

Signé: Le Comte de Medavy.

Comme je n'écris point à ces Juifs, vous leur ferez, s'il vous plaît, savoir mes intentions.

1 Ibidem. 1 Ibidem.

VICTIMES DE L'INQUISITION A LISBONNE

A LA FIN DU XVII' SIÈCLE

Quoique les documents les plus intéressants relatifs aux agis- sements du terrible tribunal de l'Inquisition soient encore enfouis en grande partie dans les bibliothèques de l'Espagne, du Portugal et de l'Italie, on trouve pourtant, dans les ouvrages imprimés, des éléments suffisants pour tracer une esquisse des souffrances des Juifs et des Marranes du xve au xviii6 siècle. Il serait à désirer qu'on dressât le martyrologe des Juifs pour ces quatre siècles. Mais un tel travail ne peut être entrepris sérieusement que lors- qu'on aura soigneusement copié et étudié les papiers déposés dans les archives d'État de l'Espagne et du Portugal. Les savants juifs ne manqueraient pas qui se consacreraient avec un entier désin- téressement à cette tâche ardue et un peu fastidieuse. M. Joseph Jacobs, historien, folkloriste, essayiste et archéologue, a montré par un ouvrage récent1 qu'il possède à un haut degré les qualités requises pour un travail de ce genre. M. Kayserling a encore une plus grande compétence dans ce domaine, il a déjà rendu d'é- minents services. Depuis don Miguel Lévi de Barrios, aucun savant ne s'est occupé avec autant d'ardeur du développement de la littérature judéo-espagnole. C'est lui qui a élargi le champ des recherches historiques avec son ouvrage Sephardim, Romanische Poesien der Juden in Spanien (Leipzig, 1859), qu'il fit suivre, dans la même année, d'une nouvelle étude intitulée : Ein Feiertag in Madrid (Berlin, 1859). Dans ces deux livres, il décrit les souf- frances des Juifs qui, publiquement ou en secret, pratiquaient la religion de leurs pères. En 1894, il publia un autre ouvrage inté- ressant sur Christophe Colomb et la part des Juifs dans la décou- verte de l'Amérique (traduit en anglais par C. Gross, New-York,

1 An Inquirij into the sources of Spanish Jetoish history, Londres, 1895 ; voir Kay- serling dans Jewish Quarterly Revieto, avril 1896.

252 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

1894). 11 ne montre pas seulement, dans ce livre, les services rendus par les Juifs à l'illustre explorateur, mais s'occupe aussi de l'histoire des Marranes, qu'il promet de raconter prochaine- ment avec plus de détails.

Outre les différents travaux sur l'Inquisition publiés par Para- mus, Limborch, Llorente, W.-H. Rule, Lea, F. Hoffmann et d'au- tres historiens anciens et modernes, qui tous contiennent des informations importantes pour notre sujet, plusieurs études, qui touchent plus ou moins directement à la question des Juifs et de l'Inquisition, ont paru dans des publications périodiques. Ainsi la Revue des Études juives en a donné quelques-unes1. Dans les Publications of the American Jewish Historical Society, 4 (1895), M. Cyrus Adler a exposé brièvement les souffrances des Juifs dans l'Amérique centrale, entre 1590 et 1609*, d'après un manuscrit espagnol. Dans le même recueil (n° 4), et sous le titre de Jewish Martyrs ofthe Inquisition in South America, il a résumé l'histoire des souffrances des Marranes en Amérique de 1574 à 1750. Moi-même, dans V American Jewess (octobre 1895, vol. II, 1). j'ai mentionné 67 femmes juives exécutées par l'Inquisition 3.

Enfin, récemment on a découvert d'importants documents con- tenant des procès-verbaux détaillés du Saint-Office, relatifs à des Juifs du Mexique, du Pérou et du Chili. Quelques-uns de ces do- cuments présentent un vif intérêt, entre autres le compte rendu, en 250 pages in-f°, du procès intenté à Gabriel de Granada par l'In- quisition au Mexique. J'utiliserai ce document, écrit en espagnol, ainsi que d'autres pièces concernant l'Inquisition en Amérique pour mon Essai sur les martyrs juifs.

Dans ses Miscellaneous Tracts, dont trois éditions ont paru à Londres, Michael Geddes a donné une liste de victimes brûlées à Lisbonne4. M. Kayserling et moi avons déjà parlé de cette liste. Je la donne plus loin tout entière pour la première fois, d'après la troisième édition s, imprimée à Londres, 1730, p. 415-443, en laissant de côté les noms des chrétiens avérés ou douteux et en conservant partout l'orthographe adoptée par Geddes , témoin oculaire de cet auto-da-fé.

G. A. Kohut.

1 Voir Tables des vingt-cinq premiers volumes, et l'article de M. Moïse Schwab dans le vol. XXIX. » Son article est intitulé : Trial of Jorge de Almeida by the Inquisition in Mexico. 3 Sous le titre : Some Jeioish Héroïnes. * Sous le titre : A View ofthe Inquisition in Portugal. 5 Voir page 3.

VICTIMES DE L'INQUISITION A LISBONNE

253

A LIST

Of tue Persons who received their sentences in tue Act OF THE Faitii, celebrated in tjie City of Lisbon, on tue 10thoF May 1682.

Men that died in the prisons, and were absolved.

AGES.

? Diogo de Chaves, a new Christian, a f armer of the revenue, and a professed knight of a certain military order, a native and in- habitant of this city.

? Simaon Roiz Chaves, a new Christian, a man of business, a native and inhabitaut of this city.

? Antonio Nunes de Royga, a new Christian, a bachelor, a professed knight of a certain military order, the son of Sebastiaon Nunes de Lisboa, a farmer of the revenue, a native and inhabitant of this city.

? Bernardo de Souza, who was of no calling, a native of the Town of Montremor velho, in the Bishoprick of Conimbra, and inhabitant of this city.

? Luis de Silva de Menezes, part of a new Christian, who lived upon his estate, a native of the City of Evora, and inhabitant of the Town of Aveiro.

? Manoel da Costa, a new Christian, a merchant and native of the City of Leyria, and an inhabitant of this of Lisbon.

PUNISHMENTS.

(Not stated.)

(Not stated.)

(Not stated.;

(Not stated.)

(Not stated.)

(Not stated.)

Persons who did not abjure.

54. Antonio Pereire, a new Christian, a merchant, a native of the Town of Chasim, in the Bishoprick of Mirania, and iuhabitant of this city, for having swore falsely before the Tribunal of the Holy Office, in matters of the Failli.

75. Simaon Henriques, a new Christian, who was a farmer of the revenue, native and inhabitant of this city, who abjured de véhémente, for the crimes of Judaism, in an Act of the Faith, celebrated therein in the year 1656. Im- prisoned a second time for having relapsed into the same.

Three years at Castro Marim.

Five years in Brasil.

25

HE VUE DES ETUDES JUIVES

AGIS.

26. Manoel Dos Santos Aunes, who has no calling, a native and inhabitant of the Town of Santarem , for having feigned himself a Familiar of the Holy Office, and in the name of the said Tribunal, testify'd the clearness of the blood of certain persons, having ac- cepted of money from some for the said effect.

PUNiSUMENTS.

(Not stated.)

Abjuration for Judaism de véhémente.

Prison during pleasure.

The same.

51. Luis de Mattos Couto, a new Christian, who

lived upon his own estate, a native of this

city, and inhabitant in the Government of

Spirito Sa?ito, in the sate [read : State] of

Brasil. 57. Pedro Roiz da Maya, a new Christian, native

and inhabitant of this city. 48. Jasper Francisco, a new Christian, a native

and inhabitant of this city. 62. Estavaon da Par Moreno, a new Christian, who

lived on his own estate, a native and in- habitant of the Town of Alchacere. 45. Pedro Cardozo, a new Christian, a skinner, and

bachelor, a native and inhabitant of the said

town. 42. Vasco Francisco Azietado, a new Christian,

who was a soldier, the son of Benjamin

Gomes Azeitado [sic], who was a judge,

native of the Town of Vidiguoira, and in- habitant of this city. 33. Vincente de Seixas, a new Christian, a bachelor,

the son of Manoel de Seixas, an advocate, a

native and inhabitant of the Town of Alca-

cere. 67. Manort Paiz de Souza, a new Christian, the

son of Manoel Lopez Paiz, an advocate, a

native and inhabitant of the said town. )

55. Francisco de Almeida Negraon, a new Christian, j

who belonged to the sea, a native and in- I

habitant of tbe Town of Pedrenero, for the ( The same, and three

same fault of Judaism, and for having spoke j years in Brasil.

propositions with an heretical obstinacy \

after he had been reproved for 'em. )

52. Manoel Lopes de Léon, a new Christian, a mer-

chant, a native of tbe Town of Tomar, and an inhabitant in this city, for the same fault of Judaism, and for having, when he was in the prison, had communication with persons abroad.

The same.

The same.

The same.

The same.

The same.

The same.

The same, and two years in Algarve.

VICTIMES DE L'INQUlSlTIOiN À LISBONNE

•255

A Person who ivore the habit, but did not abjure.

AGES.

48. Joan Alexio, a ncw Christian, a merchant, a native of Montemor, in the Kingdom of CastiU', au inhabitant in Sevil, and résident in this city, reeonciled by the Church of Sevil, in -the ycar 1672, for the faults of Judaism; and imprisoned a second Unie for having relapsed into the same.

The reason of this person's not having abjured was, because he was taken up for having relapsed, and so must hâve died without mercy, had he been eonvicted.

rUMSUMENTS.

Prison and habit per- pétuai, without re- mission, andfiveyears in Brasil.

Abjuration in forma for Judaism.

32. Diego Lopez Ferraon, a new Christian, a \ Prison, duringpleasure scrivener, notary, and inhabitant of the I and the habit, which Village of Fradaon, in the Hundred of the ( shall be taken off in Town of Covilhan. ) the Ad of Faith.

48. Martos Mendes, a new Christian, a smith, a \ native of the Town of Defdanha a Nova, an (

inhabitant of Fundaon, in the Hundred Covilhan.

-

The saine.

The same.

The same.

52. Francisco Mendes, a new Christian, a shoe- maker, native of the Town of Benamanon, an inhabitant of the Village of Fundaon, in the Huûdred of the said town.

28. Mathias Roiz, a new Christian, a merchant, native and inhabitant of Villa Real, in the Archbishoprick of Braga. )

44. Antonio Lopes Arroy'jo, a new Christian, and . tobacco-merchant, native of the Town of i Chasim, and inhabitant of Carrazedu Monte- I iiegro, in the Hundred of the Town of i Chaves, in the Archbishoprick of Braga, r who abjured de Levi for the fault of Judaism, in an Act of the Failh celebrated in the City of Sanctiago, in Ihe year 1662. 1m- prison'd the second time for having been defective, and l'or a relapse into the same.

25. Manoel Lopez, a new Christian, a carrier, a \

bachelor, the son of Pedro Lopez, an inn- /

/ l ne same. keeper, native and inhabitant of the Town i

of Arogolos, in the Archbishoprick of Evora. )

The same, and habit during pleasure.

256

REVUE DES ETUDES JUIVES

A Second Abjuration.

AGES.

31

PUNISHMENTS.

30.

68.

35.

54.

Bernardo Sequeira, part of a new Christian, a )

barber, native of the City of Lamegro, and t p a

prison and

inhabitant of the City Porto.

Joan de Crus, a new Christian, native and in- habitant of this city.

Pedro Alvares de Moras, half a new Christian, a chirurgeon, native and inhabitant of the City of Elvas.

Domingo Cardozo, part of a new Christian, an Officer of the Chancery, a native and in- habitant of the City of Lamego.

Gabriel Gomes, a new Christian, a native and inhabitant of Fundaon.

49. Luis de Bulaon, half a new Christian, an Offi- cer in the Court of Crown, a native and in- habitant of this city.

The same.

The same, and two years in Crastemain.

Perpétuai habit.

The same. The same.

prison

and

The Third Abjuration.

41. Agrès Roiz, a new Christian, a practitioner and native of the City of Guarda, and an l inhabitant of this of Lisbon.

Fernaon Roiz Penco, a new Christian, a farmer of the revenue, a native of the City of Ba- dagos, in the Kingdom of Castile, and in- habitant of this city.

39.

The same.

33. Luis Sermon, more than half a new Christian, a bachelor, a student in divinity, the son of Antonio Sermon de Crasto, a new Christian, } an apothecary, a native and inhabitant of this city.

35. Laurence de Costa, half a new Christian, a dealer in horses, the natural son of Martin da Costa, a farmer of the revenues, a native and inhabitant of this city.

48. Manoel Carmîho [sic], half a new Christian, \ who lived by his praclice, native of the Town of Cavalhaon, in the Hundred of the City of Garda, and inhabitant of this city.

The same.

The same.

Francisco Roiz Mogadouro , a new Christian, a 1

bachelor, the son of Antonio Mogadouro, a f The same. native and inhabitant of this city. ]

VICTIMES DK L'INQUISITION A LISBONNE 257

The Fourth Abjuration.

àGES. PUNISHMBNTS.

72. Antonio Serruon de Craslo, a ncw Christian, an j

apolhecary, a native, and inliabitant of Uns [The samc.

.•ily. ;

29. Pantaleon Rote Mogadouro, a nëw Christian, a \

bachelor, Iho son of Antonio lloiz Moga- (The samc, and to be douro. native and inhabitant oi' Ibis city, 4 confmcd lo aconvent.

who did profess the Law of Moses.

'y, \

45. Pedro Duarte Ferraon, the fourth part of a new Christian, an Officcr in the King's Bench, a native and inhabitant of Ibis City.

Prison and babit with- out rémission.

Joseph Francisco, a nicknamed, Barraon, bach- ]

clor, and sbepberd, the son of Domingo I Perpétuai prison and Francisco Vagado, a native and inhabitant l habit, and live years of the Town of Azambaija, for the crime of ( in the gallies, and to witeberaft and for baving made a covenant \ bc whipped. with tbc Devil. )

53. Miguel da Cunha, balf a new Christian, a

shop-kéeper, a native of the Village of Al-

caides, in the Ilundred of Covilhan, in- ( "V«' ' '** ""~ *"

' » \ of fi re, and fîvc years

habitant of the said village.

Perpétuai prison and babit, wilhout remis- sion, with tbe ensigns

in tbe gallies. A Person that did not abjure and wears the habit.

G3. Ilenrique Nunes Salvador, a new Christian, and who was a merchant, a native of Colminar

el Vtgo, in tbe Kingdom of Castile, and an / ^^L^l^ inhabitant of Villa Flor, who was reconciled by the Inquisition of Conimbra, in the year 1652. Having been twice since imprisoned for baving been defective, i.e. in bis con- fession, and for tbe faults of a relapse.

babit, wilhout remis- sion, three years in Craslo Marim, with the ensigns of fire.

o

9

Women that died in the prisons, and were absolved.

Anna Lopez de Barros, a new Christian, the \

widow of Manoel de Médina, a native of the [(Not stated.) Town of Morchola, an inbabitant of tbis city. ]

Izabel da Costa, a new Christian, the widow of Simaon Lopez Forrez, an advocate, a native of tbis city, and au inbabitant of tbe Vil- lage of Sacavom, in the Ilundred of this city.

T. XXXil, 64. 17

(Not stated.)

25g

REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Persons who did not abjure.

PUNISIIMENTS.

27. Anna Roiz, nicknamcd a Toupa, married wilh Manoel Roiz, a carter, a native and in- habitant of Abrantes, for baving feigned visions, and for presumptions of lier having had a covenant with the Devil.

4G. Magdalena da Cruz, the wife of Augustino Nu- lles, who was Alcaide of the secret prisons of this Inquisition, a native and inhabitant of this city, for having co-operated to cor- rupt certain Oflicers of the Holy Office to give intelligence to persons in the prisons, and to reçoive answers from them to per- sons that were abroad.

58. Juliana Pereira, marry'd wilh Francisco de Ma-

Three ycars to Castro Marin.

Five years in the Brasil.

val, and au inhabitant of this city, for having disordered the jiist régiment of the Iloly Office, in having by bribes corrupted a cer- tain Officer of the said Tribunal, to reveal the secrets thereof, to know the state of some of the prisoners' affairs.

79. Catheima [read : Catherina] Antonia, who lias some part of a new Christian, the widow of Christovan Roiz, a native and inhabitant of the Town of Buarcos, reconciled by the Inquisition of Conimbra, in the year 1629. Imprisoned the second time for the fanlts of a relapse into Judaism.

Five years in Angola.

(Not stated.)

Abjuration de Levé.

28. JoannaDa Paz, who has three fourths of a new Christian, married wilh Joseph Pessoa, a merchant, a native and inhabitant of this city, for the faults of Judaism, and for having co-operated in the corruption of a certain Officer of the Holy Office.

48. Catherina Baretta, a maid, the daughter of An- tonio de Crasto, a native of Villa Franca, and an inhabitant of this city, for the faults of witchcraft.

Prison during pleasure, and two years in the Algarves.

The same, and to be whipp'd , and four years in Brasil.

30. Ursula Maria, a maid, the daughter of Fran- \ cisco de Salkas, a glass merchant, a native f of the Town of Allias Vedros, and an in- i y habitant of this citv, for the same fault, J

The same , and cars in Brasil.

five

VICTIMES DE L'INQUISITION A LISBONNE

2;i0

AGES.

41. Varia Pinheira, married with Goncalo da Gaina Volante, a native and inhabitant of lliis city, for the suid l'ault.

PU*I8HMKNTS.

The same.

A Person >vho ivears the habit, bat does not abjure.

)

Maria Cardoza, part of a new Christian, the widow of Joan Mendes, a taylor, a native and inhabitant of Montemor novo, in the Archbishoprick of Evora, reconciled by the Inquisition of the said city, for Judaism, in the year 1667. Imprisoncd a second lime for having been defectivc in lier confession.

(Not stated.}

An Abjuration in forma for Judaism.

Prison during pleasure, and the habit, which she is to take off in the Act.

22. Maria Gonsalvez, nicknamed Amarintha, part

of a new Christian, the daughtcr of Joan

Francisco, a labourer, a native and in- habitant of this Village of Majorca, in the

Hundred of the Town of Montemoro velho,

in the Bishoprick oîConimbra. I

35. Leonor Mendes, a new Christian, married with \

Marcos Mendes Ferron, who is in the List, f The same. Prison and

native of Idanha a nova, an inhabitant in ( habit during pleasure.

Fundaon. )

62. Joanna da Paz, more than half a new Christian, \

married with Diogo Ramos, a native of the I

City of Samora, in the Kingdom of Castile,

and an inhabitant in this city. 55. Catarina da Costa, a new Christian, married

with Francisco da Rocha, an attorney, native

and inhabitant of this city.

23. Anna Manoela , part of a new Christian , a

maid, the daughter of Joan Lopes Cardozo, a merchant, native of the Village of Berim,

(Not stated.)

The same.

The same.

Chares. 23. Maria de Souza Chares, part of a new Christian, a maid, the daughter of Salvador de Souza, a salt-merchant, native of St. Jago, in the } The same. Kingdom of Galliza, and an inhabitant in Chares.

The Second Abjuration.

57. Anna Roiz, a new Christian, the widow of Pe- dro Alecia, a merchant, a native of the Town of Bonaveutua, in the Bishoprick of Samorra, \ The same. in the Kingdom of Castile, and an inhabitant of Chares,

260 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

AGES. PUNISIIMKNTS.

25. Isabel Borges, the i'ourth part of a ne w Christian, \ Ihe daughter of Manoel Roiz, a shopkeeper, ( native and inhabitant of the Town of Mo.de- ( l same' moronoro, in the Archbishoprick of Evora. )

42. Anna Maria de Souza, a new Christian, mar- \

ried with George Cœlho, native oi' Sevil, in ( Perpétuai prison and the Kingdom of Castile, an inhabitant of ( habit. Fendaon, in the Ilundred of Covilhan. J

64. Catherina de Craslo, a new Christian, the widow \

of Domingos da Silva, native of Sevil, in the I _,

The same Kingdom of Castile, and an iuhabitant of i

this city. )

49. Guiomar Henriques, a new Christian, married with Miguel da Cunha, who is in the List, a farmer of Talucco, native of the Village of , Alcaide, in the Hundred of Covilhan, an in- habitant in Ficndaon, in the Hundred of the said town.

45. Gracia de Lima, married with Manoel Nunes, ) m.

, . , , ., r r> , The same.

a native and mhabitant of Fundon. )

The Third Abjuration.

22. Izabel Moria, half a new Christian, married \

with Raphaël da Silva, who lived bv his f _,

.... ca ., . ., rr. ," e > The same. practice, native of Sevil, in the Kmgaom of l

Castile, an inhabitant of this city. j

40. Violante Henriques, a new Christian, the widow \

of Miguel Henriques, a merchant, native and

inhabitant of the Village of Ficndaon, in the

Hundred of the Town of Covilhan. 53. Brittes Rebella, part of a new Christian, mar- ried with Manoel das Nevas, a surgeon,

native and inhabitant of the Town of Monte-

moro novo, in the Archbishoprick of Fvora. 59. Isabel Roiz, part of a new Christian, married

with Luis Nunez, a labourer, native and in- habitant of the Village of Maijorca, in the

Bishoprick of Commbra. 27. Maria Semeda, part of a new Christian, a maid,

the daughter of Matheus Sameda, a notary,

native and inhabitant of the city of Por-

talegre. )

42. Maria Nunes da Costa, a new Christian, mar- )

ried with Ayres Roiz, who is in the List, [ The same.

native and inhabitant of this city. '

55. Francisca Serraon, half a new Christian, the \

widow of Luis de Bulhaon, a physician, } The same.

native and inhabitant of this city. /

The same.

The same.

The same.

The same.

VICTIMES DE L'INQUISITION A LISBONNE

261

The Fourth Abjuration.

H NISIIMENTS.

66. Izabel Henrique:, a new Christian, the wife of Simon de Souza, a merchant, native of Ihis

rit y, and an inhabitant of Fundaon, Hnndred of the Town of Covilhan.

in the

42.

Anna Pessoa, a new Christian, marriod with

Jfanoel Lopez de Léon, a merchant, who is in the List, a native and inhabitant of this city, for the crime of having co-operated iu the corruption of a certain Offîcer in the Hol'j Office.

This poor woman's crime was, that she bribed an Offîcer of the Inquisition to con- veigh a letter to her husband, after he had been a prisoner in it above 8 years.

70. Ignés Luiza, a new Christian, the widow of Pedro Alex'O, a merchant, native of the Town of Alvito, in the Archbishoprick of Evora, an inhabitant in this city.

The same.

The same, and two years in Algarves.

-I

27. Ignés Pastana, the fourth part of a new Christian, a maid, the daughter of Laure neo Postana, a farmer of the revenue, a ( native and inhabitant of this city. )

Perpétuai prison and habit, wilhout remis- sion.

The same.

32. QonstanUna Navarra% a new Christian, mar- \ ried with Joseph Roiz, a goldsmith, native I

of Sevîl, in the Kingdom of Castile, habitant in this citv.

and in-

Thc same.

26.

Perpétuai prison and habit, and réclusion in a religious house.

Brittees Henriques, a new Christian, a maid, the daughter of Antonio F.oiz Jlagadauro, a farmer of the revenue, a native and in- habitant of this city, who professed the Law otMoses.

This gentlewoman had been 10 years a prisoner in the Inquisition, and so must not hâve been above 16 when she was taken up; she was so rack'd in it, that she was quite cripled.

Paula de Crasto, half a new Christian, married 1 Perpétuai prison and with Antonio Duarte, a scrivener of the Civil £• habit, and three years Court, a native and inhabitant of this city. ) in Brasil.

27. Thereza Maria de Jésus, more than half a new Christian, a maid, the daughter of Antonio Serraon, an apothecary, who is in the List, a native and inhabitant of this citv.

The same, with the cn- signsoffire,andseven years in Brasil.

262

REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Women that died in the prisons, and ivere received.

AGES.

PUNISHMENTS.

(Not stated.)

Ignés Duarte, half a new Christian, a maid, the daughter of Antonio Sermon, an apothe- cary, a native and inhabitant of this city.

Isabel do [de1!] Valle, a new Christian, the wife \ of Diogo Roxes, a native of the Village of f Berim, in Castile, and inhabitant of Villaron, ( ^Not stated<) in the Hundred of Chaves. 1

The Persans delivered to the Secular Arm.

43. Gaspar Lopez Pereire, a new Christian, a mer- chant, a bachelor, the son of Francisco Lopez Pereire, a native of the Town of Mogadouro, an inhabitant of Madrid, and résident in ) (Not stated.) this City of Lisbon, convicted, confessing, affirmative, professing the Law of Moses, obstinate, and impénitent.

33. Antonio de Aguiar, a new Christian, a mer- chant, a native of Lamilunilla , near to Ma- drid, an inhabitant of Sevil, and résident in this City of Lisbon, convicted, confessing, affirmative, professing the Law of Moses, obstinate, impénitent.

42. Miguel Eenriques da Fonseca, a new Christian, an advocate, native of the Town of Avios, an inhabitant in this City of Lisbon, con- victed, confessing, affirmative, professing the Law of Moses, obstinate, impénitent.

Thèse three were burnt alive, within two hours after the lnquisitors had delivered them to the Secular Arm.

32. Pedro Serraon, more than half a new Christian, a bachelor, the son of Antonio Serraon, an apothecary, who is in the List, a native,}- (Not stated.) and inhabitant of this city, convicted, néga- tive, and obstinate-

This last was first strangled, and after- wards burnt to ashes with the other three.

(Not stated.)

(Not stated.)

HECUEIL DE ROMANCES JUDÉO- ESPAGNOLES

CHANTÉES EN TURQUIE

AVEC TRADUCTION FRANÇAISE, INTRODUCTION ET NOTES

(suite ' )

Romance XL

(Ya se asentaron los dos reyes, y el moro blanco ' très,

y la blanca niila con ellos.

Ya se asentan al juego,

Al juego de ajedres.

Juga el udo, juga el otro,

jugan todos los très3.)

Y' a la gana el moro blanco,

de una vez 4 hasta très.

De que llorais, blanca niila?

De que llorais, blanca flor? Si llorais por vuestro padre, carcelero5 mio es.

Traduction.

(Les deux rois se sont assis,

et avec le maure blanc (ils étaient)

trois, et la fille blanche avec eux. Ils s'asseoient au jeu, au jeu d'échecs. L'un joue, l'autre joue, tous les trois jouent.) Le maure blanc la gagne, d'une jusqu'à trois fois. Pourquoi pleurez - vous, fille

blanche? Pourquoi pleurez-vous, fleur blanche? Si vous pleurez pour votre père, il est mon geôlier.

* Voyez Revue, t. XXXII, p. 102.

2 Var. : franco = franc.

3 Variante: Très palomas van volando en el palacio del rey. Volan, volan y posan en el palacio del rey. A dentro una muchacha que era la hija del rey. La jugo el rey su padre, al juego de ajedres.

4 Var. : mano, « main >.

* Faut-il remplacer ce mot par celui de encarcelado, « prisonnier » ?

Trois colombes vont en volant

dans le palais du roi.

Elles volent, elles volent et se reposent

dans le palais du roi.

A l'intérieur (il y a) une jeune fille

qui était la fille du roi.

Le roi son père l'a jouée

au jeu d'échecs.

264 REVUE DES ETUDES JUIVES

Si llorais por vuestra madré, Si vous pleurez pour votre mère, guisandera mia es l ? elle est ma cuisinière.

Si llorais por los très lier- Si vous pleurez pour les trois frères, mauos,

je les ai tués tous les trois.

Je ne pleure ni pour père ni pour mère,

ni pour mes trois frères ; je pleure plutôt

pour ma fortune (ne sachant pas) quelle elle est.

Votre fortune, Madame, Vous l'avez à côté.

~ Une fois que vous êtes ma for- tune,

donnez -moi le petit couteau de cy- que je l'envoie à ma mère [près,

(pour) qu'elle se réjouisse de mon

bien. Le maure blanc le lui donna droit,

Ya los mati à los très

Yo no lloro ni por padre ni por madré,

ni por mis hermanos très;

sino que yo lloro,

por mi venlura cuala es.

Vuestra ventura, mi dama, al lado la teneis.

Una vez que sois mi ven- tura,

dadme el cuchillico de ciprès; lo mandaré à mi madré, que se guste de mi bien.

El moro blanco se le dio dere

cho, la blanca niîïa lo tome a travès se lo encajo 2 por el bel 3.

la fille blanche le prit de travers, (et) le lui enfonça dans les reins.

Romance XII.

Traduction

Dicho me habian dicho que mi amore eslà en Venecio, asentado en su mesa

con una linda Francesa.

Madré, dadme la licencia, cuando vo ir à servir à mi marido gentil?

Ilija mia, si te vas hace bien parar mentes. En la ciutad que iras,

no hay primos ni parientes.

A los ajenos hace pariente?, no te hagas aborrecer, hija de buen parecer.

On m'a dit

que mon amour est à Venise,

assis à sa table

avec une jolie Française.

Mère, donnez-moi la permission,

quand irai-je servir

mon gentil mari?

Ma fille, si tu t'en vas, fais bien attention. Dans la ville tu iras,

il n'y a point de cousins ni de pa- rents. Fais des étrangers tes parents,

ne fais pas haïr,

fille de bonne mine.

1 Chez nous, gustarse = gozar, alegrarse.

2 Chez nous, encajar = introducir.

3 Mot turc qui signifie reins, loinhes. Faut-il lire « por el cortar » comme à la un de la Romance 7?

RECUEIL DE ROMANCES JUDEÛ-ESP\GNOLES

20:;

Mi padre cuando moriô, morio coq su buen tino. A los amigos encomendo que me den uu bueu doetrino

Ellos me dierou uu espino, uo me dejaron gozar; casadica quero eslar. Quien quere ser casada, uo conviene ser morena, sino blanca y colorada, redouda como la perla ; no debe ser morena, no debe ser picuda, siuo barif 2 y aguda, menuda como la ruda.

- Mon père, quand il mourut, est mort avec l'esprit lucide. Il recommanda aux amis que Ton me donnât une bonne doc- trine. Ils m'ont donné une épine,

ils ne m'out pas laissée jouir;

je veux être petite mariée. A qui veut être mariée, il ne convient pas d'être brune. mais plutôt blanche et vermeille, ronde comme la perle ; elle ne doit pas être brune,

elle ne doit pas être pointue,

mais plutôt ingénieuse et fine,

menue comme la rue.

Romance XII r. ( De que lloras, blanca nifia ?

De que lloras, blanca flor 3?)

Lolôro que perdi las llaves,

las llaves de mi cajon 4.

De plata las perdites, de oro te las hago yo.

Ni de oro ni de plata, las mit llaves quero yo.

De quien eran estas armas que aqui las veo yo?

Vuestrasson.el mi sefior rey, vuestras son, mi sefior,

que os las trujo mi sefior padre de las tierras de Aragon.

De quien es este caballo que aqui lo veo yo?

Que os lo mando mi her- mano

e las tierras de Aragon.

Traduction.

(— Pourquoi pleurez - vous , fille

blanche? Pourquoi pleurez- vous, fleur blanche?)

Je pleure parce que j'ai perdu les clefs,

les clés de mon tiroir.

Celles (que) tuas perdues (étaient) je te les ferai en or. [en argent.

(Je ne les veux) ni en or ni en ar- je ne veux que mes clefs. [oerit>

A qui sont ces armes que je vois ici ?

Elles sont vôtres, mon seigneur roi , elles sont vôtres mon seigneur,

que mon seigneur père vous a ap- des pays d'Aragon. [portées

- A qui appartient ce cheval que je vois ici?

- (C'est celui) que vous a envoyé mon frère

des pays d'Aragon,

1 Doctrina.

s Le mot talmudique ri"Htt- 3 Ce distique se trouve dans Romance 11. * Dans notre jargon, ce mot n'a pas le sens de pagnol moderne.

grao.de caisse » qu'il a dans l'es-

266

REVUE DES ÉTUDES JUIVES

De quien es este qaouk1 que aqui lo veo yo?

Que os lo mandé mi padre

de las tierras de Aragon.

Merced a tu padre, que mejor lo tengo yo.

De qui est ce bonnet lue je vois ici?

(C'est celui) que mon père vous a envoyé

des pays d'Aragon.

Merci à ion père,

mais (?) j'en ai un meilleur.

Rom an eu XIV.

Très hijas ténia el rey, très hijas cara de plata. La mas chiquitica de ellas. Delgadilla se llamaba. Un dia de los dias, se asentaron en la mesa, en comiendo y bebieudo :

Que me mira, seîior padre?

Que me mira y que me mata ?

Que te miro, la mi hija ? Que te miro y que me ena-

moro.

No lo quere ni el Dios - ni la gente,

ni la ley santa y bendita 3, ser comlesa 4 de mi madré y madrasta de mis hermanas,

Remata 8 Delgadilla, remata perra mala.

Si el rey de la tierra quere, por espada sois pasada. Alla, en medio del camino, que le fraguen 6 un castillo, ni puerta ni ventana para Delgadilla. Que comida le darian? carne cruda bien salada,

Traduction.

Trois filles avait le roi,

trois filles au visage d'argent.

La plus petite d'elles,

s'appelait Delgadilla.

Un certain jour,

elles s'assirent à table,

mangeant et buvant :

Pourquoi me regardez-vous, sei- gneur père?

Pourquoi me regardez -vous et me massacrez-vous ?

Pourquoi je te regarde, ma fille? Si je te regarde, c'est que je suis

amoureux (de toi).

Cela ne plaît ni à Dieu ni aux gens,

ni à la loi sainte et bénie, d'être la rivale de ma mère et la marâtre de ma sœur.

Au diable ! Delgadilla,

au diable! mauvaise chienne. Si le roi de la terre le veut, tu passeras par les armes. Là-bas à mi-chemin, qu'on bâtisse un château, sans porte ni fenêtre, pour Delgadilla. Quelle nourriture lui donner ? de la viande crue (et) bien salée,

1 Mot turc signifiant bonnet de drap. 8 Prononcez : Dio.

3 Prononcez : bendicha.

4 Judéo-espagnol.

5 Judéo-espagnol. 8 Judéo-espagnol.

RECUEIL DE ROMANCES JUDEO-ESPAGNOLES 267

afin qu'elle meure de soil' (faule)

que se muera de sed de agua Alla fin de quince dias, alla fin de très semauas, un dia por la mafiana, se asento eu la veutana, vido pasar a sus hermanas :

Hermanas mias queridas, hermanas mias amadas, déisme un poco de agua, que de sed y no de hambre al Dios vo dar la aima.

Vate de aqui. Delgadilla, Vate de aqui, perra mala, el rey tu padre si le sabe por espada sois pasada Alla fin de quince dias, Alla fia de très semanas, un dia por la mafiana

se asentô en la ventaua, vido pasar a su padre :

Padre mio, mi - querido,- padre mio, mi amado, déisme un poco de agua, que de sed y do de hambre al dios vo dar la aima.

Remata Delgadilla, remala, perra mala,

si el rey tu padre quere por espada sois pasada. Alla fin de quince dias, alla fin de très semauas, un dia par la manana se asento en la ventaua, vido pasar à su madré :

Madré mia, mi querida, madré mia, mi amada, déisme un poco de agua, que de sed y no de hambre al Dios vo dar la aima.

Presto que le traian agua, de las aguas destilladas, para Delgadilla.

Hasta que trujeron la agua, Delgadilla dio la aima.

Vers la fin de quinze jours, [d'eau, vers la lin de trois semaines, un jour vers le matin, elle s'assit à la fenêtre ri vit passer ses sœurs :

Mes sœurs chéries, mes sœurs aimées, donnez-moi un peu d'eau, car de soif et non pas de faim je vais rendre l'âme a Dieu.

Va-t-en, Delgadilla, va-t-en, mauvaise chienne, Si le roi ton père le sait

tu passeras par les armes *. Vers la fin de quinze jours, vers la fin de trois semaines, un jour vers le matin elle s'assit à la fenêtre, (et) vit passer sou père :

Mon père, mon chéri, mon père, mon aimé, donnez-moi un peu d'eau, car de soif et non pas de faim je vais rendre l'âme à Dieu.

Au diable! Delgadilla,

au diable ! mauvaise chienne, si le roi ton père le veut tu passeras par les armes. Vers la fin de quinze jours, vers la fin de trois semaines, un jour vers le matin elle s'assit à la fenêtre, (et) vit passer sa mère :

Ma mère, ma chérie ma mère, mon aimée, donnez-moi un peu d'eau, car de soif et non pas de faim je vais rendre l'âme à Dieu.

Que l'on apporte vite de l'eau, des eaux distillées,

pour Delgadilla.

Jusqu'à ce qu'on apportât de l'eau,

Delgadilla expira.

1 Littéralement « par l'épée 1 Var. : muy == très.

268

REVUE DES ETUDES JUIVES

Romance XV.

Traisio1 la Duvergini por el palacio del rey. Vestida iva de pretos \ de su cabeza à los pies. El rey estando en la misa, vido pasar una mujer; vestida iva de pretos, de su cabeza à los pies. Pregnunlo el rey à los suyos :

Quien es esta mujer,

Madré de Duvergini que en preso 3 lo teneis. Siete aîios anduvo, siete que en preso lo teneis.

Saliremos4 presto de la misa y lo iremos a ver.

Buenos dias, Duvergini.

Bienes me tenga, senor rey. Siete afios anduvo, siete

que en preso me teneis.

Ya me crecieron las uîïas

de un palmo hasta très.

Ya me crecieron los cabellos

de un palmo hasta seis.

Yra me crecieron las pestaîias

que ya no puedo ni ver.

Presto que la quiten a Du- vergini

y que lo lleven al bàîlo, al bàno que bano el rey. Que lo vestan el vestido, vestido que vestiô el rey. Que lo suban à càballo, cabàllo que caballô el rey.

Traduction.

La Duvergini passa par le palais du roi. Elle allait habillée de noir de la tête jusqu'aux pieds. Le roi, étant à la messe, vit passer une femme, (qui) allait vêtue de noir, de la tête jusqu'aux pieds. Le roi demanda aux siens :

Qui est cette femme,

(C'est) la mère de Duvergini que vous avez en prison.

Sept années se sont écoulées, sept que vous l'avez en prison.

Sortons vite de la messe et allons le voir.

Bonjour, Duvergini,

Bonjour, seigneur roi.

Sept années se sont écoulées, sept

que vous m'avez en prison.

Les ongles m'ont déjà poussé

d'un empan jusqu'à trois.

Les cheveux m'ont déjà poussé

d'un empan jusqu'à six.

Les cils m'ont déjà poussé

(si longs) que je ne peux plus voir.

Que l'on fasse sortir vite Du- vergini,

et qu'on le porte au bain, au bain s'est baigné le roi. Qu'on lui mette l'habit, l'habit qu'a endossé le roi. Qu'on le fasse monter à cheval, au cheval qu'a monté le roi.

Romance XVI.

El rey que mucho madruga, donde la reina se iva.

Traduction.

Le roi, qui se lève de grand matin, se rend auprès de la reine.

1 Probablement forme corrompue de « atravesô »

2 Eu judéo-espaguol, uegros.

3 Prision.

4 Prononcez

saldremos.

RECUEIL DE UOMANCES JUDEO-ESPAl'.NOLES

269

La reina estaba en cabellos, en cabellos destrenzados. Tomo espejo en la mano, mirandoze su buen lindado l, dando loores al de en alto que tau linda la ha créado. Kl rey, por burlar con ella, cou verga de oro le daba.

Que me dais, que me dais,

mi primer enamorado? Dos hijos vuestros tengo y dos del rey que son cualro. Los vuestros van a carroza, los del rey van a eaballo. Los vuestros van à la huerla. los del rey van a la guerra. Los vuestros comen pescado, los del rey sorben el caldo. » Estas palabras diciendo, ella que lo atinaria :

Perdon, perdon, mi seîïor rey,

sueîïo me ha sehado.

Amanecera la maîiana,

os lo soltaré un buen soltado, con un yerdan 2 Colorado 3.

La reine était en cheveux,

en cheveux aux tresses défaites.

Elle prit le miroir en main,

(y] regardant sa bonne mine,

en rendant grâce au Très-Haut

qui l'a créée si jolie.

Le roi, pour plaisanter avec elle,

la frappait avec une baguette d'or.

Pourquoi me frappez-vous, pour- quoi me frappez-vous,

mon premier amoureux? Deux enfants j'ai de vous et deux du roi qui font quatre. Les vôtres vont en carrosse, ceux du roi vont à cheval. Les vôtres vont au verger, ceux du roi vont à la guerre. Les vôtres maugent du poisson, ceux du roi hument le bouillon. » En disant ces paroles, elle, l'ayant remarqué :

Pardon, pardon, mon seigneur, roi,

(c'est) un songe (que) j'ai rêvé.

Qu'il commence à faire jour,

je l'interpréterai d'une bonne ma- par un collier rouge. [nière

Romance XVII.

Arboleda, arboleda, arboleda tan gentil ; en la rama de mas arriba hay una bolisa 4 D'Amadi, peinandose sus cabellos con un peine de marfil, la raiz tiene de oro, la cimenta 5 de marfil. Par alli paso un caballero 6

Traduction.

Futaie, futaie, futaie si gentille ; dans la plus haute branche il y a une dame D'Amadi, qui se peigne les cheveux avec un peigne d'ivoire, dont la racine est d'or, (et) le cément (?) d'ivoire. Par passa un cavalier,

1 Lindeza, « beauté, élégance ».

* Mot persan signifiant gorge et abrégé du turc guerdanlik, * collier ».

3 Métaphore = décapitation.

4 Serait-ce la forme corrompue par la prononciation judéo-allemande rP3~nb*3 ? Voir notre Revue wnJYlD Vw, Andrinople, 1888, 4,

5 Ordinairement ce mot est traduit, chez nous, par « base ».

6 Var. : marinero, « marinier ».

de l'hébreu p. ÎJ6.

270

REVUE DES ETUDES JUIVES

caballero tan gentil :

Que buscais, la mi bolisa ? que buscais vos por aqui?

- Busco yo à mi marido, mi marido D'Amadi.

Guanto dabais la mi bolisa, que os le traigan aqui?

Daba yo los très mis campos que me quedaron de Amadi. El uno araba trigo

y el otro zengefil !,

el mas chiquitico de ellos

trigo blanco para Amadi.

- Mas que dabais, la mi bo- lisa,

que os lo traigan aqui?

Daba yo mistres molinos que quedaron de Amadi. EL uno molia clavo

y el otro zengefil,

el mal chiquitico de ellos

harina blanca para Amadi.

Mas que dabais, la mi bo- lisa,

que os le traigan aqui ?

Daba yo las très mi hijas que me quedaron de Amadi. La una para la mesa,

la otra para servir,

la mas chiquitica de ellas

para holgar y para dormir.

Dàdos a vos, la mi bolisa,

que os la traigan aqui.

Mal ano tal caballero que tal me quijo decir.

- Que sefial dais, la mi bo- lisa, que os le traigan aqui ? (— Bajo la teta izquierda tiene un benq mavi *2) 3.

No maldigais, la mi bolisa, yo soy vuestro marido Amadi.

un cavalier si gentil :

Que cherchez-vous, Madame ? Que cherchez- vous par ici ?

Je cherche mon mari, mon mari D'Amadi.

Combien donneriez-vous, Madame, pour qu'on vous l'apporte ici ?

Je donnerais mes trois champs qui me sont restés d'Amadi.

L'un était labouré (pour) le froment et l'autre (pour le) gingembre, le plus petit d'eux (pour le) froment blanc pour Amadi

Que donneriez-vous de plus, Ma- dame,

pour qu'on vous l'apporte ici ?

Je donnerais mes trois moulins qui sont restés d'Amadi.

L'un moulait le clou de girofle

et l'autre du gingembre,

le plus petit d'eux

de la farine blanche pour Amadi.

Que donneriez-vous de plus, Ma- dame,

pour qu'on vous l'apporte ici?

Je donnerais mes trois filles qui me sont restées d'Amadi. L'une pour la table,

l'autre pour servir, la plus petite d'elles, pour se reposer et pour dormir. - Donnez-vous vous-même, Ma- dame, pour qu'on vous l'apporte ici.

Mauvaise année un tel) cavalier qui a voulu me dire une telle (chose).

Quel signe donnez - vous , Ma- dame,

pour qu'on vous l'apporte ici ? ( Sous la mamelle gauche il a une tache bleue).

Ne maudissez pas, Madame, Je suis votre mari Amadi.

1 Forme vulgaire arabe. s Mot turc.

3 Distique que l'on retrouve, avec une légère modification, dans Romance 8. Voir ibid.f note G.

HECUEIL DE ROMANCES JUDEO-ESPAGNOLES 271

Eehados vuestro trenzado, Défaites les tresses de vos (cheveux ,

me subiré yo por alli. » Tomaron mano con mano y se fueran à holgar1)1.

j'y moulerai ».

(Ils se prirent la main dans la main

et allèrent se reposer).

Romance xviii.

Ya vienen loscautivos con todas las cautivas. Dentro de ellas, hay una blauca niùa. Para que la traen 3. esta blauca ni fia que el rey Dumbélo '* se enamoraria ?

Gortadle, sefiora, el beber del vino que perde colores, que cobra suspiros.

Guanto mas le cortô el beber del vino, mas se le eociende

su gesto valido.

Gortadle, seîiora, el beber del claro que perde colores, que cobra desmayos.

Guanto mas le côrto el beber del clàro, mas se le enciende

su gesto galùno.

Mandûdla, sefiora, à lavar al rio

que perde colores, que cobra suspiros.

Guanto mas la màndo à lavar al rio,

mas se le enciende su gesto valido. » Ya amaneciô el dia, ya amaneceria,

1 Var. : cou Amadi, « avec Amadi * Voir Romance 8, note 7.

3 Var. : la quero, « je la veux •.

4 Var. : mancebo, « jeune ».

Traduction.

Les captifs viennent déjà avec toutes les captives. Parmi celles-ci, il y a une blanche fille. Pourquoi ramène-ton, cette fille blanche dont le roi Dumbélo serait devenu amoureux ?

Goupez-lui, Madame, le boire du vin

qui (fait) perdre les couleurs, qui (fait) acquérir des soupirs.

Plus je lui coupe le boire du vin, plus s'allume en lui son geste valide.

Goupez-lui, Madame, le boire du vin

qui fait (perdre) les couleurs,

qui (fait) acquérir des défaillances.

Plus je lui coupe le boire du clair, plus s'allume en lui son geste gracieux.

Envoyez-la Madame, laver à la rivière

qui ^fait) perdre les couleurs, qui (fait) acquérir des soupirs.

Plus je l'envoie laver à la rivière, plus s'allume en elle son geste valide. »

Il a déjà commencé à faire jour, c'est déjà le point du jour,

272

HE VUE

cuando la blanca nifia lavaba et cxteudia '. Oh ! que brazos blancos eu la agua i'ria. Mi hermauo Dumbélo por aqui si pasaria.

Que hâgo, mi hermano, las ropas del moro franco ??

Las que son de seda, ecbadlos al nàdo.

Las que sou de sirma 3, encima de mi caballo.

Abrireis, madré, puertas del palacio, que, eu lugar denuera, bija yo os traigo.

Si es la mi uuera venga à mi palacio, si es la mi bija veuga eu mis brazos.

Abrireis, mi madré, puertas del cillero, que, en lugar de uuera, bija yo os traigo.

Si es la mi uuera venga en mi cillero, si es la mi hija venga en mis pechos.

DES ETUDES JUIVES

lorsque la fille blanche

lavait et étendait.

Oh ! quels bras blancs

dans l'eau froide.

Si mon frère Dumbèlo

passait par ici !

Que ferai je, mon frère, des robes du maure franc?

Celles qui sont en soie, Jetez-les à nager.

Celles qui sont en filigrane, (jetez-les) sur mon cheval.

Ouvrez, mère, (les) portes du palais, car, au lieu de belle-fille, je vous apporte une fille.

Si c'est ma bru,

qu'elle vienne dans mon palais,

si c'est ma fille,

qu'elle vienne dans mes bras.

Ouvrez^ ma mère, (les) portes du cellier, car, au lieu de belle-fille je vous apporte une fille.

Si c'est ma bru,

qu'elle vienne dans mon cellier,

si c'est ma fille,

qu'elle vienne sur mon cœur.

Romance XIX.

Levanteisvos toronja del vuestro lindo dormir. Oireis cantar bermoso

à la sirena de la mar.

Sirena de mar no canta ni canlo ni cantarû,

sino que es un mancebico que me quere alcanzar. Si lazrarà4 dia y noche,

Traduction.

Levez-vous, bigarade, de votre joli sommeil.

Vous entendrez un beau chant de la sirène de la mer.

La sirène de mer ne chante point elle n'a jamais chanté et elle ne chan- tera,

c'est plutôt un jeune homme

qui veut m'obtenir.

S'il travaille jour et nuit,

1 Prononcé : espandia.

* Voir Romance 11, note 1.

3 Mot turc.

/+ Dans notre jargon : lazrar ou lazdrar, procurar.

RECUEIL DE ROMANCES JUDEO-ESPAGNOLES

273

no me podra alcauzar.

Las olas de mar son muy fuer-

tes, no las puedo navegar. Esto que oio el mancebo. à la mar se fué à echar.

No os echeis vos, rnaucebo, que esto fué mi mazal '. (Echo su lindo Irenzado

y arriba lo subiô) ». Ella se hizo una toronja y el se hizo un toronjal 3. (Tomaron mano con mano y se echaron a volar) \ (Volan, volan ; donde posan ? en el castillo del rey 5). Esto que oio su padre, maldicion le fué echar.

No maldigais, vos mi padre6, que esto fué mi mazal. (Tomaron mano con mano

y se fueron à volar). (Volan, volan ; donde posan? en el serrallo del rey). (Tomaron mano con mano y se fueron âcasar).

il ne pourra pas m 'obtenir. Les vagues de la mer sont très-vio- lentes, je ne puis pas y naviguer. Le jeune homme, ayant entendu cela, alla se jeter dans la mer.

Ne vous jetez pas, jeune homme, car cela a été mon destin.

(Elle défît les gracieuses tresses de

ses cheveux et le fit monter en haut). Elle devint une bigarade et lui, il devint un bigaradier (?) (Ils se prirent la main dans la main et s'élancèrent pour s'envoler). (Ils volent, ils volent; se reposent- dans le château du roi). [ils? Son père, ayant entendu cela, alla lui lancer une malédiction.

Mon père, ne maudissez pas, car cela a été mon destin.

(Ils se prirent la main dans la main et furent s'envoler). (Ils volent, ils volent; se reposent- dans le palais du roi). [ils ? (Ils se prirent la main dans la main et allèrent se marier).

Romance XX.

Abridme, cara de tlor, abridme la puerta. Desde chica erais mia ; en demâs ahora. Bajô cara de flor abrirle la puerta ; toman mano con mano ', junto se van a la huerta. Bajo de un rosal verde,

Traduction.

Ouvrez-moi, (fille à la) mine de ouvrez-moi la porte. [fleur

Dès l'enfance, vous étiez mienne ; à plus forte raison maintenant. (La fille au) visage de fleur descendit (pour) lui ouvrir la porte ; ils se prennent la main dans la main, (et) se rendent ensemble au jardin. Sous un rosier vert,

L'hébreu bîft.

Idée qui se retrouve dans Romance 17. Serait-ce plutôt toronjil, « mélisse > ? Voir Romance 17, p. 271.

Voir un pareil distique dans Romance 11, note 2. Un hémistiche analogue se retrouve dans Romance 17. Voir Romance 19, note 4. T. XXXII, 6i.

18

274

REVUE DES ETUDES JUIVES

alli metieroû la mesa. Eq comiendo y bebiendo, junto quedarou dormiendo. al fin de média noche, se desperto quejando :

Dolor tengo en el lado que me respoude al costado.

Os traere médico valido que os vaiga miraudo.

Os daré dinero en boisa que os vaigais gastaudo. Os daré fodolas ! frescas

que vaigais comiendo.

Despues que matais al hom- miraisde sanarlo. [bre.

ils dressèrent la table.

En mangeant et en buvant,

ils restèrent dormant ensemble.

Vers minuit,

elle se réveilla en se plaignant :

J'ai mal au côté

qui correspond au flanc.

Que je vous apporte un médecin afin qu'il vous soigne ! [habile Que je vous donne de l'argent en pour que vous dépensiez ! [bourse Que je vous donne des pains de mu- nition frais

pour que vous (en) mangiez !

Après avoir lue l'homme, vous tâchez de le guérir.

Romance XXI.

Ya quedaron preîïadas, todas las dos en un dia,

la reina cou la cautiva. Ya cortaron fajadura, todas las dos en un dia.

la reina con la cautiva. La reina corla de sirma *, la cautiva de china, y hicieron los dulces todas las dos en un dia,

la reina con la cautiva. La reina hizo de azùcar, la cautiva enjuagadura. Ya les toman los partos, todas las dos en un dia.

la reina con la cautiva. La reina colcha de sirma ; la cautiva estera pudrida. Ya parieron todas las dos en un dia,

la reina con la cautiva. La reina pare a la hija, la cautiva pare al hijo.

Traduction.

Sont déjà devenues enceintes toutes les deux dans un même jour,

la reine avec la captive. Elles ont déjà coupé les langes, toutes les deux dans un même jour,

la reine avec la captive. La reine coupa en filigrane, la captive en toile de Chine, et elles ont fait des confitures toutes les deux en un jour,

la reine avec la captive. La reine les fit de sucre, la captive (de) rinçure. Le travail d'accouchement les saisit toutes les deux en un jour,

la reine avec la captive. La reine courte-pointe de filigrane ; la captive, natte pourrie. Elles ont déjà accouché toutes les deux en un jour,

la reine avec la captive. La reine accouche d'une fille, la captive accouche d'un fils.

1 Mot turc.

2 Voir Romance 18, note 4,

HECUE1L DE HOMANCES JUDÉO-ESPAGNOLES

Las comadres son ligeras, trocan a las creaturas. La reina en la cauiareta l, la cautiva en la cocina. Alla , en medio de la pari-

dura \ cantica le cantaba :

Lâlo, lalo, tu mi espacio 3, làlo, lalo, tu mi vista;

si tu eras la mi hija, que nombre te meteria? Nombre de una hermana mia que se llomaba Vida. Lalo, lalo, tu mi aima, lalo, lalo, tu mi espacio; si tu eras la mi hija que hadas te hadaria ?

El rey por alli pasaria, las palabras oiria :

Que habla la mi cautiva? que dice la mi cautiva ?

Si quereis saber, mi rey, mi estàdo enriba 4 la estera

pudrida Las comadres fueron ligeras trocaron à las creaturas. Tome el rey con su ma no troccj a las creaturas. Tomô el rey hàdas grandes,

hadària a la cautiva ; arriba la subiria5; y a la reina a fôndo la echaria.

Les sages-femmes sont diligentes,

elles changent les enfants

La reine dans la chambre,

la captive dans la cuisine.

Vers le milieu (des jours) de l'accou- chement,

elle lui chantait une chanson :

- Làlo, lalo, toi ma joie,

lalo, làlo, toi ma vue ;

si tu étais ma fille

de quel nom t'aurais-je appelée?

Du nom d'une sœur à moi

qui s'appelait Vida (= vie).

Làlo, làlo, toi mon âme,

làlo, làlo, toi ma joie ,

si tu étais ma fille,

quel horoscope aurais -je tiré pour toi?

Le roi passa par là,

(et) entendit ces paroles:

Que parle ma captive ? que dit ma captive ?

Si vous voulez savoir, mon roi, mon état (est) sur la natte pourrie.

Les sages-femmes (qui) étaient cl i li- on t changé les enfants. [génies, Le roi, de sa propre main, prit (et) changea les enfants. Le roi fit une grande (solennité du

tirage) à l'horoscope, (et le) tira pour la captive; il la fit monter en haut ; quant à la reine, il la jeta en bas.

(il suivre.)

1 Camara.

1 Parto, « les jours des couches

3 Liltér. : qui dilates mon cœur.

* Eucima.

5 Voir Romance 19, note 3.

NOTES ET MÉLANGES

LE SENS DU MOT SlVi

ET L'AUTOPSIE AU POINT DE VUE TALMUDIQUE

L' « Annuaire des communautés israélites allemandes * » con- tient une ordonnance de l'autorité supérieure religieuse israélite de Wurtemberg les rabbins de ce royaume déclarent la cré- mation contraire à la loi juive, parce que, sauf de rares excep- tions, cette loi défend de déformer un cadavre. Cette ordonnance invoque les passages de Baba Batra, 154 a, et de Houllin, 11 b. C'est sur ces textes également qu'on s'appuie pour interdire l'au- topsie dans le droit rabbinique.

Une telle conclusion n'est fondée que si le mot Vvra employé dans ces passages a vraiment le sens de « blesser, déformer ». Mais en est-il ainsi ? Il me semble bon d'étudier la question au point de vue philologique et de rechercher la valeur exacte de ce terme d'après l'usage qu'en fait le Talmud.

Or, ce mot est toujours pris dans le sens d' « humilier, se mon- trer irrespectueux ». Toute blessure faite sur un cadavre n'est pas considérée comme bm ; il faut que cette blessure soit avilis- sante pour le mort, par exemple si l'on met à nu les organes inté- rieurs du corps. Par contre, il peut y avoir Vira sans blessure aucune.

Nous voyons par Sanhédrin, 52 b, que le mot bm: signifie « se montrer irrespectueux, avilir ». Ainsi, dans ce passage : m^tt tpioa iiDan na prrfla Tft JiJHrtM'T, « Pour la peine capitale de rtavffi,

1 Jahrliich des dcutschcn-isracl. Gemcindebundes.

NOTES ET MELANGES 277

on tranche la tète du condamné avec un glaive s.R. Juda dit qu'en agissant ainsi, on commet un Vm, et les Tosafot expliquent que, d'après R. Juda, c'est un biva parce qu'on transgresse la pres- cription défendant d'imiter les usages païens ("ûbn ab ûîrnprm). Ce serait donc « avilissant » pour le condamné.

Le passage de Baba Batra, 154 b, sur lequel s'appuie l'ordon- nance des rabbins de Wurtemberg, prouve également que Vivs si- gnifie « se montrer irrespectueux, humilier ». Il s'agit là, en effet, d'un fils qui a vendu les biens de son père et qui meurt. Ses héritiers veulent déclarer la vente nulle, sous prétexte que le vendeur était mineur. Le Talmud dit alors : Qu'on examine le cadavre pour s'assurer si le défunt était vraiment mineur ! et R. Akiba réplique : îVvttb b'wan dna ^n, « vous n'avez pas le droit de manquer de respect envers le mort. » Le Talmud ajoute que les mots d'Àkiba s'adressaient aux parents du défunt, parce qu'eux seuls pouvaient les accepter en silence et craindre de se montrer irrespectueux envers le mort. Car, s'il avait fait cette re- marque aux acheteurs, ils lui auraient sans doute répondu : « Nous défendons nos intérêts et nous n'avons pas à nous préoccuper si un tel examen est irrespectueux ou non pour le cadavre ». Du reste, l'explication de Raschi confirme cette interprétation, car, à propos du mot du Talmud : Vn^bi, il dit : « Les acheteurs au- raient répliqué : i-nr-itt ■otdbïti wnp i&ws ithdm ù^tann isn 'pK, «Qu'avons-nous à tenir compte de sa honte? Il n'est pas notre parent, et nous ne voulons pas perdre notre argent ». Il en ré- sulte donc clairement que bvni ne signifie pas « causer des bles- sures », mais « humilier ». En conséquence, il est impossible do défendre la crémation à cause de bvpi, c'est-à-dire pour empêcher qu'on manque de respect au mort. Les adversaires mêmes de la crémation n'osent pas soutenir qu'on se montre irrespectueux en- vers le mort en l'incinérant. Et, nous le répétons, le Talmud défend seulement de manquer de respect envers le cadavre, mais non pas de le déformer ou de lui faire des blessures.

Par Hoidiïn, llb, on voit aussi que bvp3 a le sens « d'offenser la dignité, humilier ». On demande, en effet, dans ce passage, comment il est possible de condamner à mort un assassin, puisque la victime avait peut-être une maladie qui aurait déterminé la mort dans un délai assez court (ttB^a Nttb">n), et que, dans ce cas, l'assassin n'aurait tué qu'une personne vouée à bref délai à une mort certaine et, par conséquent, ne mériterait pas la mort. On réplique qu'on estime que la victime est comme la majorité des gens, qui n'ont pas de maladie mortelle. A cela le Talmud objecte: Pourquoi ne ferait-on pas l'autopsie de la victime? Et

278 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

il répond : Vrtitt Np Nil, « Par l'autopsie on infligerait une sorte de dégradation au cadavre ». Mais, continue le Talraud, pour évi- ter peut- être une condamnation capitale au coupable, n'a-t-on pas le devoir de faire cette autopsie, môme s'il en résulte une offense pour le mort ?

Si l'on doit tirer une conclusion de ces passages, au point de vue rabbinique, il est loisible, tout au contraire, d'en déduire que le Talmud ne défend pas l'autopsie si elle aide à faire connaître le siège et les causes de la maladie et, par conséquent, peut con- tribuer à assurer la guérison d'autres malades. Car, du moment que le Talmud autorise cette opération dans le cas il y a TUN iitttttt d'un seul, c'est-à-dire une seule vie est en jeu, à plus forte raison l'autorise- 1- il quand elle peut servir à sauver de nombreuses vies.

Furst.

BARI DANS LA PESIKTA RABBATI

La Pesihta Rabbali (ch. 28) raconte d'une façon dramatique la déportation des Israélites en Babylonie. Nabuchodonosor les oblige à marcher sans se reposer jusqu'à leur arrivée sur la rive de l'Euphrate : « Peut-être, se dit-il, invoqueraient-ils leur Dieu et seraient-ils sauvés » ! Les eaux du fleuve en font mourir un grand nombre. Les Juifs pleurent donc sur ceux que l'ennemi a tués, sur ceux qui sont tombés en route et sur ceux que l'Eu- phrate a empoisonnés.

Nabuchodonosor et ses grands se tiennent sur un navire, jouent des musiciens. Pendant ce temps, les princes de Juda, chargés de fer, marchent tout nus sur le bord du fleuve. « Pour- quoi ceux-là ne portent-ils pas de charge ? » demande le roi. Et on leur en impose qui courbent leur taille en deux. Les Israélites poussent encore des gémissements qui montent jusqu'au ciel. Les anges veulent consoler Dieu, mais Dieu refuse leurs consolations et leur dit : « Allez plutôt soulager mes enfants de leurs far- deaux ». Et Dieu lui-même prend sa part des sévices dont ils souffrent.

NOTES ET MÉLANGES 279

Après ce long récit, qu'on chercherait vainement dans les an- ciens textes midraschiques, vient ce détail, qui ne se lit non plus que dans cet ouvrage : « Les habitants de Bari et d'autres villes sortirent à leur rencontre et, les voyant traîner avec des chaînes de 1er, stupéfaits, ils s'écrièrent en sanglotant : « Voilà le peuple de fEternel (Ez., xxxvi, 2), certainement ce sont eux. » Que firent les habitants de Bari ? 1ls déshabillèrent leurs serviteurs et leurs servantes et les offrirent en présent à Nabuchodonosor. Pourquoi agissez-vous ainsi? leur demanda le roi. Nous pen- sions que tu aimes les gens en état de nudité. Puisque c'est une humiliation, eh bien, revêtez-en les Israélites !

« Quelle fut la récompense des habitants de Bari? Dieu étendit sur eux plus de grâce que sur tout le pays d'Israël, et aussi n'y a-t-il pas de gens aussi beaux qu'eux. Voilà pourquoi on dit que tous ceux qui entrent dans cette ville ne désirent pas en sortir à moins d'avoir commis une faute » '.

Le nom de cette localité a embarrassé les commentateurs de la Pesilila Rabbali. M. Friedmann pose d'abord en principe que cette ville doit se trouver en Palestine, puisqu'il est dit que Dieu étendit sur elle plus de grâce que sur tout le pays d'Israël. Or, on ne trouve de nom analogue que dans I Chron., vu, 36 ("na), et il désigne une famille de la tribu d'Asser. S'appuyant sur cette donnée, M. Friedmann pense que, d'après la Pesikta, Nabu- chodonosor aurait emmené les prisoniers juifs à Hamath, qui est près du territoire d'Asser, et que les gens de la famille de Béri seraient alors venus en aide à leurs compatriotes. Les filles d'As- ser, ajoute M. Friedmann, étaient renommées pour leur beauté, comme on le voit dans Bereschit Rabba^l.

Nous ne nous attarderons pas à discuter cetie hypothèse.

Pour M. Harkavy, il ne peut s'agir de la Palestine, puisque la scène se passe en Babylonie. Il est vrai que le texte porte : imi ■*?H bdtt isn !-i"np!n. Qu'à cela ne tienne, il suffira de corriger ce dernier mot et de lire : plus qu'à tous les pays; ces mots vise- raient les autres villes qui sortirent à la rencontre des captifs, mais furent moins bonnes pour eux. Quant à ces habitants de Bari, ce seraient les Ibériens, ou Caucasiens, les gens de cette région étant réputés pour leur beauté.

1 La version du Yalkout est beaucoup plus courte et paraît meilleure en certains

passais : oma a\sn Tm m-inN mw ^di "nao ^a dnanpb ins** d wipm dirrmnstts n&n ûimay na lid'MBBfi "nsa m nia? a^"n? arsb -it:n ,nrN a^an? dï-na "]hn «:quj ib -nttN ,ns:naid3 ^ab "p-in ûïrba n'a'pn :vjd -n^a ^d ps© ïitt ^sma-1 ">3db Diia^abm iab i:\n :: &5D5S3 tans bd tien /inT* û"^ fcam barna-> y-iN baE ion

.ÏTVD* «ba nfitttb lapaE

280 REVUE DES ETUDES JUIVES

Trouver d'autres localités ou provinces renommées pour la beauté de leurs habitants et dont le nom ressemble tant soit peu, par l'assonnance ou la construction consonnantique, à notre mot, ne serait qu'un jeu pour ceux qui aiment ces solutions.

Mais à quoi bon tant de peine ? L'identification de Bari est moins difficile à établir qu'on ne croit, notre manière de lire le mot l'a indiqué suffisamment : Bari est tout simplement Bari, ville bien connue dans les annales des écoles rabbiniques et dans Thistoire des Juifs de l'Italie*. Le texte si intéressant publié ré- cemment par M. Neubauer, cette chronique écrite en 1054 dans le sud de l'Italie, parle à plusieurs reprises de cette ville ; il y fait aller le fameux Abou Ahron au ixe siècle (p. 119); c'est aussi que se réfugient ceux qui se sont échappés d'Oria. Ahimaaç, l'auteur de cette chronique, dit que ses ancêtres ont été amenés par Titus dans la ville « couronnée de beauté » et qu'ils sont mon- tés (de ?) à Oria ib> (lisez ^"m&m) "piàni nVibs *>sva wît. Cette ville « couronnée de beauté » est-elle justement Bari? En tout cas, c'est bien dans cette région de l'Italie méridionale que le chroniqueur fait transporter sa famille.

On opposera, il est vrai, que cette identification contredit Tas- sertion de la Pesikta, qui place Bari en Palestine. Cette objection, à notre sens, résulte simplement d'une fausse interprétation de notre texte. Celui-ci peut se rendre de deux façons : Dieu étendit sur eux plus de grâce que sur tout le pays d'Israël », ou : « Dieu étendit sur eux la grâce de tout le pays d'Israël ». La première traduction est évidemment la meilleure. Dans tous les cas, il n'est aucunement dit que cette localité soit située en Palestine.

Vraisemblablement notre hypothèse s'est présentée tout d'a- bord à l'esprit de MM. Friedmann et Harkavy. Pour qu'ils l'aient repoussée, il leur a fallu de sérieuses raisons. Ces motifs, nous les imaginons sans peine. M. Harkavy a lu notre texte, non dans la Pesikta Rabbati, mais dans le Midrasch sur les Psaumes (Ps. 137). Or, ce Midrasch ne passe pas généralement pour un produit tardif de l'Italie. Seulement, comme M. Buber l'a montré, les cha- pitres 122-137 des éditions de ce Midrasch (où figure notre passage) sont empruntés tout entiers au Yalhont. L'éditeur, n'ayant pas trouvé dans le ms. qu'il utilisait de chapitres se rapportant à ces Psaumes, a comblé la lacune en y faisant entrer le texte du Yalkout.

Il faut donc écarter du débat le Midrasch sur les Psaumes, pour

1 R. Tarn orthographie de la même façon que la Pesikta ce nom : "VlfcOfà "O min JSttn {SéferlEayyaschar, 74 d).

NOTES ET MÉLANGES 281

s'en tenir à celui de la Pesikta, dont il n'est que la reproduction.

Quant à M. Friedmann, reconnaître dans ce nom de Bari celui de la ville de Bari, c'eût été renverser sa thèse historique, à sa- voir que la Pesikta Rabbati est une œuvre des premiers siècles de notre ère, car rien ne montre les Juifs établis dans cette ville dès ce temps.

Les arguments dont s'est servi M. Friedmann pour édifier sa thèse n'ont convaincu personne et n'ont rien entamé des conclu- sions de Zunz, qui fait de la Pesikta Rabbati un Midrasch dans l'Europe méridionale dans la moitié du ixe siècle '.

La mention de la ville de Bari vient confirmer cette hypothèse : elle prouve jusqu'à l'évidence que l'auteur a vivre dans l'Italie méridionale, bien que Nathan de Rome, au xie siècle, non plus que Raschi, n'ait pas connu cet ouvrage. Nous aurions ainsi un Midrasch dont la patrie serait révélée en toutes lettres par son auteur, ce qui n'est pas banal.

Un autre indice corroborera notre conjecture.

A la p. 149 6, est cité un auteur qui ne se rencontre jamais parmi les agadistes, c'est R. Sabbataï. Or, ce nom était porté spéciale- ment par les Israélites italiens, c'était au commencement du xe siècle et également dans l'Italie méridionale celui de Donnolo, l'auteur du Tahhemoni, à Oria 2.

Il serait intéressant de savoir si le récit de la Pesikta ne serait pas le souvenir de l'intervention des Juifs de Bari en faveur de leurs frères emmenés captifs soit par un roi byzantin, soit par les Arabes, soit par des corsaires.

Mais ce qui, pour nous, rend ce renseignement précieux, c'est qu'il permet de fixer un jalon dans l'histoire des idées religieuses du judaïsme. On sait que l'auteur de la Pesikta Rabbati, dans la partie de son ouvrage qui lui appartient en propre, professe des opinions qui le distinguent de tous les anciens agadistes. Nombre de conceptions chrétiennes ont été acceptées aveuglément par lui et, par son canal, ont passé dans certains écrits postérieurs. Il n'est pas indifférent de savoir s'est opérée la fusion : nous ne pouvons plus douter aujourd'hui que l'Italie méridionale ait été l'aire géo- graphique où l'auteur a pris contact avec les idées chrétiennes. Cette région se distingue dans l'histoire du haut moyen âge juif par la cordialité des relations entre les Juifs et les Chrétiens, témoin l'amitié qui régnait entre Donnolo et saint Nil. Peut-être faudra-t-il y chercher la région s'est opérée la reprise par les

1 Gottesd. Vortrâge, éd. , p. 255.

* Ce nom de Sabbataï figure aussi dans la Chroniq

ue italienne.

282 REVUE DES ETUDES JUIVES

Juifs d'un certain nombre d'apocryphes adoptés par l'Eglise chré- tienne et que les rabbins avaient laissés se perdre.

Israël Lévi.

NOTES SUR L'HISTOIRE DES JUIFS AU PORTUGAL

Il y a quelques semaines, M. J. Mendes dos Remedios, profes- seur à l'Université de Coimbre, m'a envoyé le livre qu'il a récem- ment publié en portugais sous le titre de OsJudeus em Portugal *, ou « Histoire des Juifs en Portugal », d'après des sources connues, parmi lesquelles l'auteur mentionne aussi ma Geschichte der Juden in Portugal, de 186*7. Les documents manuscrits paraissent déjà avoir été utilisés presque tous par M. A. Herculano dans son excellent ouvrage Da origem e estaheleclmento da Inquisiçâo em Portugal, de sorte que de ce côté il restait peu à glaner.

Parmi les Juifs de Portugal, comme parmi ceux d'Espagne, on rencontre beaucoup de collecteurs d'impôts. On sait que Moïse Navarro fut à la fois médecin du roi, grand rabbin et receveur en chef des impôts et qu'il exerça ses diverses fonctions pendant près de trente ans. Sous Àffonso IV, en 1353, on trouve comme per- cepteurs d'impôts Adam Almiliby et Ishac Belamy, qui, en cette qualité, étaient exemptés du port du signe distinctif des Juifs9. Seize ans plus tard, ces fonctions étaient exercées par Moïse Cha- virol (Gabirol) 3. Comme son père, Juda Navarro était également receveur en chef des impôts et jouissait d'une grande influence; il avait parmi ses collaborateurs Jusaf ben Abasis, Juif très riche de Porto. Juda Navarro, qui s'était associé avec Salomon Negro ou Yahya de Lisbonne, avait pris l'engagement de payer annuelle- ment, pendant cinq ans, au roi Dom Fernando la somme de 200,000 livres à condition de pouvoir prendre des gages des débiteurs en retard et de leur faire appliquer les rigueurs de la loi. Ce même Juda et sa femme Roya vendirent au profit du roi Fernando un

1 Coimbre, F. França Amado, 1895 ; lre partie.

2 Os Judais em Portugal, p. 367, note 1.

a Ibid., p. 163; Amador de los Rios, II, 279. Tous deux indiquent comme source les Archives de « Torre do Tombo ».

NOTES ET MÉLANGES 283

bien-fonds situé à Alemtejo et comprenant des champs de blé, des vignes, un moulin à eau et un étang rempli de poissons. Le con- trat de vente se trouve encore aujourd'hui dans les archives de Torre do Tombo *.

Après la chute de la reine Eléonore, les biens de ses partisans juifs furent confisqués et distribués. Le connétable Nuno Alvarez Pereira obtint les propriétés de David Negro ou David ibn Ya- hya -, qui avait été pendant quelques années grand- rabbin de Castille, et qui s'était enfui. La femme de David, Cimfa \ protesta contre cette confiscation tant en son nom qu'au nom de ses fils Guedelha (Guedalya) et Juda Negro, dont elle était la tutrice. Elle fit valoir que ni elle, ni ses enfants n'avaient été les complices de son mari, que les biens confisqués étaient sa propriété légitime et qu'on n'avait pas le droit de les lui enlever. Le procès dura neuf ans. A la fin, le tribunal déclara que Cimfa et ses fils rentreraient en possession des biens situés à Almada et aux environs, mais que les trois maisons qu'ils possédaient à Lisbonne ainsi que les privi- lèges et impôts de Sacavem, Gategal, Unhos, Friellas, Appellaçâo, etc., deviendraient la propriété du connétable.

Sous Joao Ier, Jacob Navarro, fils ou petit-fils de Moïse Navarro, était receveur d'impôts à Lisbonne, et Abraham Ruiro, de Porto, remplissait ces fonctions dans la province d'Entre-Tejo e Guadiana4.

On sait que les Juifs expulsés d'Espagne et accueillis en Por- tugal par Joao II eurent à subir bien des souffrances. Après leur arrivée, la peste, qui sévissait déjà auparavant, prit malheureu- sement de l'extension, de sorte que la population, déjà mal dis- posée envers les Juifs, les accusa d'être cause de cette épidémie et demanda leur renvoi immédiat 5. Les conseillers de la ville de Lisbonne appuyèrent les réclamations de la population. Un Juif, Mestre Joseph, qui était à la fois médecin du roi et de la ville, fut expulsé ; le roi s'en plaignit vivement au Sénat. Les conseillers de Porto, imitant leurs collègues de Lisbonne, défendirent l'accès de la ville à tous les émigrants juifs d'Espagne 6.

1 Os Judeus, 163 ; Amador, II, 280. Roya est peut-être le même nom que Reyna. s Voi. sur lui mon ouvrage Geschichte d. Juden in Portugal, p. 30.

3 « Por fim conveiuse que D. Cimfa e seus filhos ûcassem com as l'azendas e bens que ella e seu marido possuiam na villa de Almada e seu termo ; e que o senhor Condestavel fixasse com as très moradas de casas que elles tinham na cidade de Lisboa... » 'Semana, jornal litterario, 1851, p. 98, dans Mendes dos Remedios, /. c, p. 199.'

4 Os Judeus em Portugal, p. 221 ; A. de los Rios, II, 465. Tous deux indiquent comme source les arcbives de Torre do Tombo.

5 Geschichte der Juden in Portugal, p. 114.

« Os Judeus em Portugal, p. 261 ; A. de los Rios, III, 339 (Extrait, d'après des do- cuments, des arcbives de la Chambre de Lisbonne et des archives munie, de Porto).

284 REVUE DES ETUDES JUIVES

Cette première partie de l'ouvrage de M. J. Mendes dos Reme- dios, qui traite de l'histoire des Juifs du Portugal jusqu'à leur expulsion sous le roi Manoël, est précédée d'une introduction l'auteur s'occupe de la question juive soulevée de nos jours et montre qu'il est au courant de-ce qui a paru sur ce sujet. Nous espérons qu'il ne tardera pas à publier la seconde partie de son travail, qui sera consacrée à l'Inquisition.

Je dois aussi à l'obligeance de M. Mendes dos Remedios le fac- similé de l'autographe suivant d'Abraham Zacuto, le célèbre au- teur du Yohasin :

/^tÉtl^ fë^jw *&*** *

o

8"j>i ^bttii pin rïûî dï-roa 'n

« Abraham Zacout mathématicien du roi. Que Dieu le pro tège ! »

M. Kayserling.

BIBLIOGRAPHIE

REVUE BIBLIOGRAPHIQUE

TRIMESTRE 1895 ET 1«r SEMESTRE 1896.

yLes indications en français qui suivent les titres hébreux ne sont pas de fauteur du livre, mais de l'auteur de la bibliographie, à moins qu'elles ne soient entre guillemets.)

1. Ouvrages hébreux.

miDOÏl "l£"IN Magazin fur hebr. Literatur u. Wissenschaft, Poésie u.'Bel- letristik, V. Jahrgg. Cracovie, iinpr. Fischer, 1896; in-8° de 400 + 94 p.

Plusieurs des articles de cet Annuaire méritent d'être signalés. M. Cas- tiglioni a traduit en hébreu les Prolégomènes la grammaire hébraïque de Luzzatto. Nous analysons plus loin la défense de Rappoport, par M. Epstein, centre les accusations de M. Weiss. M. Buber critique l'in- troduction de David Lourié à la Pesikta Rabbati, édit. de Varsovie, 1893. La publication de la Pesikta de R. Canna, que Lourié n'a pas connue, a rendu inutiles ou convaincu d'erreur bien des observations de l'éruiit com- mentateur du Pirkè R. Eliézer. La critique des diverses éditions de la Pesikta Rabbati doit être mise à part et donne à la recension de M. Buber un intérêt plus grand que ses autres notes, qui ressemblent trop à un plai- doyer pro domo sua. M. David Kahna, qui connaît à fond la littérature judéo-espagnole, montre que Moïse Edréi et Caleb Afendopoulo, les célèbres auteurs caraïtes, ont pillé sans vergogne les poètes rabbanites. M. Poz- nauski a l'ait passer en hébreu l'article de notre savant ami M. Joseph Halévy sur le Psaume lxviii. Ce travail, on se rappelle, a paru dans notre Revue, t. XIX. M. Goldblum a écrit la biographie d'un certain nombre de savants et célébrités (?) contemporains. Plusieurs de ces notices feront sourire, on voit que l'auteur s'est constitué le truchement de ses héros, qui ne lui ont fait grâce d'aucune de leurs productions, si minces qu'elles fus- sent, ni ne lui ont celé les compliments de tout calibre qui leur ont été adressés. M. Joseph Umanski a retracé la biographie du Babylonien Rab, M. Abr. Fiurka celle de R. Papa. M. David Kahna étudie rapi- dement l'œuvre et la vie d'Abraham Bédarsi. M. Abraham Kahna

286 REVUE DES ETUDES JUIVES

cherche à sauver de l'oubli la figure intéressante de Lolli. M. W. Bâcher publie des extraits du •jfn "pN '0, œuvre du grammairien Menahem b. Salomon de Rome, peut-être l'unique savant italien qui se soit intéressé à la philologie hébraïque avant l'arrivée d'Abraham ibn Ezra en Italie. M. Sabolski a dressé la liste à peu près complète des périodiques hébraïques de ce siècle. Le volume contient encore d'autres mémoires, mais qui se refusent à l'analyse, et diverses œuvres d'imagination dont le compte rendu ne serait pas à sa place dans cette Revue. Somme toute, l'utilité de cet Annuaire est indéniable, il nous permet de prendre connaissance de l'acti- vité scientifique de nos confrères de l'Est et contribue à la diffusion de la science juive en Russie et en Autriche-Hongrie.

û^Wîl n^Stt) TIN 'o Dissertations et considérations sur les fêtes du mois de Tischri, par Isaac-Jacob Reines, lre partie. Vilna, impr. Romm ; in-4° de xxvi -f- 130.

D^blDIT ""Tito Recueil de textes ine'dits, publié par Salomon Aron Wer- theimer, Ie partie. Jérusalem, impr. Lévi, 1896; in-8° de 10 -\- 48 p.

Publication très intéressante, et qui mérite d'être encouragée, de pièces manuscrites trouvées à Jérusalem. Ce numéro contient les textes suivants : Consultations de Haï Gaon et d'autres Gaonim. Il y est particulièrement question des esclaves païens devenus israélites. Règles relatives à la confection des Séfer Tora par R. Tarn ; il y mentionne, entre autres, des "pb^Sn hjTpn, Y Alfa Bcta de R. Akièa, un i^n blZJ TSD'Otf TlY'O. Consultation d'Abraham Yarhi aux rabbins d'Aragon sur la question de savoir si un rouleau de la Tora dont le cuir a été tanné avec des ma- tières fécales de chien (procédé très vanté alors) est propre à l'usage de la synagogue. L'auteur s'y réfère à son JPÎ13|;a. Dans celte consullation, il invoque la coutume de Provence, Bourgogne, France (riDTJfi, 1'° de France), Champagne (tODDjp, ailleurs fcp3S3ip), Lorraine (écrit incorrectement TÏTlb) et Allemagne (tf-ONfaibN-. Plus loin, il cite l'explication du "TlDT^Ïl (probahlement Raschi) et de tous les rabbins allemands, puis celle de Jacob b. Méir (R. Tarn inBTitïl ; il mentionne la Grande Massore inti- tulée Okhla wcokhla ; il invoque la réponse du inDT^fî ,ym\ (probablement R. Isaac l'ancien, de Dampierre). Il revient à deux reprises sur l'abus commis dans certaines communautés espagnoles qui se servent pour la lec- ture publique de Pentateuques reliés. Dans cette lettre, il nous apprend qu'il était originaire d'Avignon, détail inconnu jusqu'ici, et parle d'un de ses parents, le pieux R. Joseph (ils de R. Méir. Lettre de Jonathan de Lunel à Maïmonide, déjà éditée, mais avec des fautes. Réponse de Maïmonide, déjà éditée également. Rouleau d'Egypte. Ce texte sera publié d'après d'autres mss. par M. Ad. Neubauer, dans le Jcwish Qua- terly Review, juillet. Récit d'une persécution dirigée contre les Juifs de Narbonne. M. David Kaufmann a étudié ce fragment dans le dernier numéro de cette Revue (p. 129). Le gouverneur Dom Aimeric, dont il est question ici, est le vicomte de Narbonne, Aymeri II, qui se montra bienveillant à l'égard des Israélites. Ce texte a déjà été édité par M. Neu- bauer, dans son 2e vol. des Mediœval jew. Chronicles. Ce recueil se ter- mine par de courtes poésies d'auteurs divers.

nTIpa "HS^ Défense de Rappoport contre les attaques de M. Weiss, par Abrabam Epstein. Cracovie, impr. Jos. Fischer, 1896; in-8° de 28 p.

Nos lecteurs savent l'estime que nous professons pour M. Abraham Epstein : son amour de la science, l'originalité de ses vues, la solidité et l'étendue de ses connaissances et la droiture de son caractère lui ont con- quis la sympathie de tous. La brochure dont nous allons rendre compte montre sous un nouveau jour notre savant collaborateur. Dédaignant les conventions, qui ne trompent personne, M. Epstein dit ce qu'il pense, avec

BIBLIOGRAPHIE 287

une vivacité ingénue parfois, sans crainte de s'attirer le ressentiment du genus im'tabile ration. Il en donne la preuve dans ce petit plaidoyer, qui est plutôt un réquisitoire. M. Epslein a été agacé des malins propos tenus, dans ses Souvenirs et dans ses travaux, par M. II. J. Weiss, sur le compte du fondateur des études scientifiques chez les Juifs, Salomon Rappoport. Ce n'est pas par la légèreté de louche que se distingue l'auteur du Dor dor vedorschar, et ses sorties contre Rappoport, en effet, choquent tout au moins le bon goût.

M. Epstein commence par faire l'éloge de Rappoport. D'abord R. fut un novateur, c'est lui qui inaugura les recherches scientitiques dans le domaine du Talmud et de la littérature rabbinique ; il avait des con- naissances générales ; il écrivait un hébreu excellent, qui n'était pas une macédoine de versets bibliques et de tournures germaniques ; il recher- chait la concision, ne s'attardant pas dans le bavardage ; il n'a pas composé de gros volumes, mais ses petits écrits et ses préfaces valent les plus lourds traités. Il n'est pas un trait de ce tableau qui ne soit une pointe contra les défauts de M. Weiss.

Sans doute, Rappoport n'a pas toujours visé juste, ses conclusions ont été parfois démenties par la découverte de nouveaux manuscrits. On peut donc le corriger, mais, ainsi que le disait Zunz, ses erreurs en appren- nent encore plus que telles assertions incontestables d'autres. Il a donc droit au respect de la postérité. M. W. ne cherche qu'à le dénigrer, il lui repro- che de n'avoir pas dépouillé le "pDbD, l'étudiant polonais, t Bien que son savoir halakhique ne lut pas sûr, R. ne eupportait pas la contradiction, et, pour réfuter les objections de ses adversaires, faisait appel à toute sa subti- lité. Parlait-on de lui sans l'encenser comme il le désirait, il s'emportait, et ses polémiques ont trop absorbé de son temps : c'est ainsi qu'il n'a pas pu terminer les travaux qu'il avait promis ». Ainsi s'exprime M. W.

Voyons ce que valent ces reproches, quelles sont ces graves erreurs de Rappoport. Il a fait du Calir un contemporain de Scherira Gaon; or Saadia le cite déjà. L'ignorance de R. s'explique aisément ; le texte de Saadia il parle du Calir n'ayant été découvert que plus tard, il était difficile à R. de s'en aviser. Dans la suite, ayant pris connaissance de ce témoignage de Saadia, il s'empressa de revenir sur son opinion. M. Weiss, qui le raille de son ignorance forcée , se garde de rappeler la probité de sa ré- tractation.

M. W. se moque encore de lui à propos de sa façon de raisonner. « Calir, dit R., étant versé dans le Talmud palestinien, devait donc être d'Italie, ce Talmud était étudié avec prédilection. » Quel syllogisme ! Il en résulte plutôt que Calir était Palestinien. Seulement, M. W. oublie de prévenir que R. avait d'abord établi que Calir ne peut être Palestinien, et que Zunz et Luzzatto, tout en ne s'accordant pas avec lui sur ses conclusions, lui avaient donné raison sur ce point.

M. W. lui reproche encore d'avoir affirmé que les Gaonim ne citent jamais le Talmud de Jérusalem. C'est triompher de son ignorance à bon marché : en réalité, R. a seulement dit que les premiers Gaonim ne le connaissaient pas et que ceux qui, plus tard, le consultèrent, ne le firent qu'à l'occasion et non régulièrement. Et, en vérité, les consultations des Gaonim n'invo- quent que très rarement l'opinion de ce Talmud.

En passant, M. E. donne une leçon méritée à M. W., qui prétend que les aggravations puériles des prescriptions rituelles vinrent d'Italie en France et en Allemagne, parce que les rabbins italiens prenaient pour guide le Talmud de Jérusalem, plus rigoriste que celui de Babylone : celui-ci est plus favorable aux spéculations rationnelles. M. E. répond que la culture des Juifs au moyen âge n'a jamais dépendu du succès de tel ou tel Talmud, mais du mouvement des esprits chez leurs contemporains (pro- position très juste). Soutenir que le Talmud de Babylone est plus favorable aux spéculations rationnelles, c'est une gageure inattendue: comme si ce recueil n'était pas envahi par de trop nombreuses superstitions persanes !

288 REVUE DES ETUDES JUIVES

Nous arrêterons cette discussion, qui n'a pas seulement un intérêt psy- chologique ou anecdotique. Tout le restant est à l'avenant et se lit avec plaisir et profit.

Ce plaidoyer est suivi d'un compte rendu de l'édition faite par M. Weiss du Mouçàr Haskel attribué à Haï Gaon. On devine dans quel esprit M. E. a joint cette recension à la défense de R. contre M. W. Il montre que celui- ci ignore les éditions antérieures, qu'il s'est borné à reproduire celle de Dukes, qui est fautive, et qu'il aurait évité bien des non-sens en consultant ces éditions, qu'il était de son devoir de connaître.

La brochure se termine par des additions de M. S. J. Halberstam, qui apporte à M. E. le concours de sa science, si justement admirée, pour dé- fendre le maître contre les attaques de M. W.

bant^ W "n:n 'o Geschicbte der Juden von Dr H. Graetz in's He- brâische ùbertrageu von P. Rabinowitz. 4e partie, suivie de D5 Û^linn D*^^, corrections et additions au 4e vol. par A. Harkavy. Varsovie, impr. Israël Alpin, 1894-1896 ; in-8° de 480 + 60 + vu p.

Cette publication se poursuit avec une régularité qui fait honneur au tra- ducteur et à l'Alliance israélite universelle, qui subventionne cette œuvre. Nous ne reviendrons pas sur l'éloge que nous en avons déjà fait ; nous re- grettons seulement la suppression de certaines notes, quoique nous devinions le motif de cette épuration. La collaboration de M. Harkavy ajoute à la traduction un intérêt de plus. Ses additions et rectifications sont, comme toujours, d'utiles contributions à l'histoire juive.

JNTH Divan des Abu-1-Hasan Jehuda ha-Levi, unter Mitwirkung namhaf- ter Gelehrter bearbeitet u. mit einer ausfùhrlicben Einleitung verseben von Dr H. Brody. I. Band : Nichtgottesdienstliche Poésie, Heft 2. Ber- lin, impr. Ilzkowski, 1895 ; in-8° de 73-225.

ÏTpISt ^pl Recueil composé pour le jubilé de M. K. Z. Wisotski. Varsovie, impr. Halter et Eisenstadt, 1895 ; in-8° de 144 p.

■psnïTl mi Religion et instruction, par P. Getz. [Francfort, Kauffmann], 1896 ; in-8° de 166 p.

Ilîlpïl b^ïl '0 Veteris Testamenti Concordance hebraicœ atque chaldaicse quibus continentur cuncta quse in prioribus concordantiis reperiuntur vocabula, lacunis omnibus expletis, emendatis cuiusquemodi vitiis, lo- cis ubique denuo excerplis atque in meliorem formam redactis, vocalibus iulerdum adscriptis, particulee omnes adhac nondum collatse, pronomina omnia bic primum congesta atque enarrata, nomina propria omnia sepa- ratim commemorata, servato textu masoretico librorumque sacrorum ordine tradito, summa cura collegit et concinnavit Solomon Mandelkern. Leipzig, Veit, 18S6 ; gr. in-4° de xiv + 1532 p.

Ce long titre ne dit rien de trop. Cette concordance de la Bible laissera loin derrière elle toutes celles qui l'ont précédée ; c'est une œuvre vraiment colossale, qui confond l'imagination. Pour la mènera bonne fin, il ne fallait pas seulement une patience infatigable, mais un esprit méthodique et rigou- reusement scientifique. La concordance de Buxtorf fourmille de fautes et de contre-sens, celle de Fùrst la copie souvent trop servilement et est déparée par des fantaisies de pseudo-philologie comparée. Les avantages qui ren- dent celle de M. M. supérieure à ses devancières sont nombreux et de première qualité. Tout d'abord, les exemples sont classés suivant l'ordre des livres dans la Bible hébraïque, d'où commodité pour les recherches. Puis, les citations ne sont pas des fragments inintelligibles, mais offrent toujours un sens complet. Les racines sont traitées avec le plus grand

BIBLIOGRAPHIE 289

souci de la grammaire. Leurs multiples acceptions sont rangées suivant un plan méthodique et le plus souvent expliquées avec succès. Avec cette con- cordance, il n'est plus nécessaire d'avoir recours pour les particules ni pour les noms propres à un ouvrage spécial : tout est compris dans le môme volume. Bien plus, l'auteur a eu l'ingénieuse idée do dresser aussi la con- cordance des pronoms. Que de peines ainsi évitées à ceux qui appliquent la statistique à l'étude de la grammaire! Autre innovation heureuse, les variantes que supposent la version des Septante et celles des Targoumim sont signalées avec soin. L'auteur y a même joint les corrections de certains savants modernes. A-t-il eu raison ? Nous en doutons, car il a néces- sairement faire un choix et sera accusé d'avoir été ou trop prodigue ou trop avare de nolices de cette nature. Pour les noms propres, M. M. n'a pas manqué d'indiquer les variantes qui se trouvent dans les autres parties de la Bible même, et ces indications sont parfois de l'exégèse ; elles ne manqueront pas de suggérer au lecteur des rapprochements utiles. Enfin, et avec grande raison, le chaldéen biblique a été mis à part et ne s'entremêle plus à l'hébreu. N'oublions pas, pour clore cette nomenclature des mérites de cette œuvre, que les noms divins y ont également leur place. Ce n'est pas trop s'avancer que d'affirmer que cette œuvre nou- velle est appelée à éclipser toutes ses devancières, elle est l'instrument de travail indispensable à tous ceux qui veulent sérieusement étudier l'hé- breu, plus nécessaire que tous les dictionnaires, qu'elle remplace avanta- geusement. Ajoutons que le format en est des plus commodes, l'impression admirablement soignée, les caractères d'une netteté parfaite.

ûï"HDNT NïTDT '0 Homélies, par Abraham Tchechanowi. Varsovie, impr. Baumritter, 1895 ; in-4° de 104 p.

D"*70 *P Sciadali monumenlum quo libro continenlur historia monumenti in tumulo professons Samuelis David Luzzatto Patavii exstructi alque ejusdem commentatio de origine et progressu grammatical hebraicœ Pro- legomena ad grammaticam linguœ hebraiese. In sermonem hebraicum convertit, annotavit, usque ad setatem nostram perduxit Victorius Cas- tiglioni. Cracovie, Fischer, 1895 ; in-8° de 61 + M P-

iyND"Wl ^Ipr»"1 '0 Recueil de notes diverses sur la halakha et la aggada, par Gerson Stern. 3e et déni, partie. Fachs, impr. Rosenbaum, 1896 ; in-!0 de 32 + 22 ff.

1VT a"lp5^ '0 Novelles agadiques, par Tewel Jaiîé. Cracovie, impr. Fischer, 1891 ; in-4o de 45 tf.

HDïO mp^ Recueil de passages du Midrasch pouvant être cites à propos des ce're'monies de circoncision, de deuil et de mariage, par Joseph Leb Sofer de Fachs, IIe partie : l'Exode. Fachs, impr. Rosenbaum, 1895 ; in-8° de 167 ff.

'w'^tX K"®i '0 Recueil de consultations casuistiques, suivi de WN "Haï Recueil d'home'lies, par Jacob-Saùl Eliaschar. Je'rusalem, impr. S. L. Zuckermann, 1896 ; in-f° de 121 + 16 ff.

5'73")n:> Fmri ""[ûip"1:) 'O Commentaires homilétiques sur le Penlateuque, par Moïse Juda Leb de Sasow, éd. par Menahem Mendel Hager. Colo- mea, impr. Avigdor Teicher, 1896 ; in-4° de 15 ff.

Û^TID PT^E '0 Abraham b. Mordechai's Denkwûrdigkeiten der Syna- goge von Aussee, hrsgg. von Emanuel Baumgarten, mit Anmerkungen von David Kaufmann. Berlin, impr. ltzkowski, 1895 ; in-8° de 88 p. (Pu- blication de la Société Mekize Nirdamim).

T. XXXII, 64. 19

290 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

mi D5353 '0 Livre de Rulh avec les commentaires de Raschi et d'Elia de Vilna. Jérusalem, 1896 ; in-8° de 14 ff.

D^DIDlb^DÏ". "HOIE 'o Sefer Musre Hapbilosopbim Sinnsprùche der Phi- losopher! »), aus dem Arabischen des Honein ibn Ishak ins Ilebr. iïber- setzt von Jehuda ben Salomo Alcharisi, nach Handschriften hrsgg. von A. Lcewenthal. Francfort, J. Kauffmann, 1890 ; in-8° de vin + 62 p.

Cet ouvrage gnomique si curieux méritait une réimpression. M. L. s'est proposé d'en faire une édition critique, notant les variantes les plus inté- ressantes, d'après quelques mss. Pourquoi M. L. a-t-il fait un choix parmi les nombreux mss. qui nous restent de cette œuvre, c'est ce qu'il ne nous dit point. Il nous apprend seulement qu'il en publiera prochainement la traduction allemande et prouvera que c'est la version hébraïque qui a lait connaître l'ouvrage au moyen âge chrétien. Nous attendons cette démonstra- tion. — A première vue, il ne semble pas que M. L. ait toujours compris le texte.

DJHÏl Wtt 'O Novelles balachiques et agadiques, par Moïse Jacob Dem- bitzer. Cracovie, imp. Fischer, 1896 ; in-f° de 40 ff.

îlbn n^DW Maimonides' Commentar zum Tractât Challah, zum ersten Maie im arabischen Urtext hrsgg., mit verbesserter hebr. Uebersetzung, deutscher Uebersetzung, Einleitung u. Anmerkungen versehen von Dr Selig Bamberger. Francfort, J. Kauffmann, 1895 ; in-8° de 57 + 28 p.

1C073Ï1 'D Sefer Ha-Mispar. Das Buch der Zahl, ein hebr.-arithmetisches Werk des R. Abraham ibn Esra. Zum ersten Maie hrsgg., ins Deutsche ûbersetzt u. erlâutert von Dr Moritz Silberberg. Francfort, J. Kauff- mann, 1895 ; in-8° de 118 + 80 p.

npl2£T Ï3DUÎ73 'O Commentaire sur un épisode de la vie de David d'après le Talmud, par Elie Goldberg. Jérusalem, impr. Fromkin, 1895 ; in-8° de 26 ff.

H1W y*9 'O « Ain Choderes, recueil de compositions hébraïques en vers », par M. Goldenstein. Paris-Je'rusalem, impr. A. M. Luncz, 1896; in-8° de 40 p.

21U np5 123 1TD Tobia ben Elieser's Commentar zu Threni hrsgg. mit einer Einleitung u. Anmerkungen versehen von Jacob Nacht. Francfort, J. Kauffmann, 1895 ; in-8° de 31 + 36 p.

ÎTûSn m&rbs Literarisch-hebràische Schrift u. Sprachforchung von Osias Falk. Drohobycz, impr. Zupnik [1895] ; in-f° de 56 + 30 ff.

T 2? y^V Sammelband kleiner Beitrâge aus Handschriften : XI. 1895. Berlin, impr. Itzkowski, 1895 ; in-8° de 33 + 18 + 23 + 17 p. (Publica- tion de la Société' Mekize Nirdamim).

Contient : JlNTft IIO"1 'O, poésies sur des sujets de morale et de re- ligion par un Samuel Lévi, éd. par S. Baer ; élégie attribuée à tort à Saadia, éd. par H. Brody ; miaiDnïll !"imi23tt!"> linTI d'Abraham b. Hiyya Ha-Nassi, éd. par Moritz Steinschneider ; T2N D211^ 11N2 Vmn»tt nansnn ^N^bN p 1232, éd. par David Herzog Le Régime du solitaire » d'Ibn-Badja, Avempace) ; ~D\23 np3>T, trois lettres des chefs de la communauté de Posen, éd. par Abraham Berliner.

riTOlfàlp Etudes d'assyriologie, dictionnaire des mots accadiens et assy- riens, par Ahron Markus. Ie livraison. Cracovie, impr. Fischer, 1896 ; in-8° de 48 p.

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cnrD PN:p n"lO Studia Pinôhœ olim rabbini Pinchœ Stein halachika responsa appendix Ilame'ir lili suo et progeniei rabbini Maxmiliaui Stein halachika responsa in Turcico sancto Nikolao, par P. Stein. Munkacs, Bleyer et Kohn, 1896 ; in-4° de 66 ff.

TDOn noi/2 "HTO Poésie éthique attribuée à Haï Gaon, publiée avec la ponctuation et des notes par Moïse Ezéchiel Vogel, précédée de la bio- graphie de Haï, par Rappoport. Varsovie, Baumritter, 1895 ; in-8° de 136 p.

mina m3>173ttî 'O Homélies, novelles et considérations diverses recueil- lies par Samuel Jensal et Moïse Palewski. Varsovie, impr. Ilaltcr et Eisenstadt, 1896 ; in-8° de 163 p.

^wïwu '0 Version hébraïque, par Juda b. Tibbon, du Kilab el-Ousoul, livre des racines, d'Aboulwalid ibn Djanah, éd. par W. Bâcher, partie. Berlin, impr. Itzkowski, 1895 ; in-8° de 273 à 480 p. (Publication de la Société Mekitze Nirdamim.)

31 mû*53 riDDin '0 Recueil d'usages et de de'cisions d'Klia de Vilna avec additions de divers auteurs, Jérusalem, 1896; in de 25 ff.

1"n min '0 Consultations rabbiniques, par H. N. Dembitzer. Cracovie, impr. Fischer, 1895 ; in-f° de 97 fif.

VnTw"1 nmn '0 Homélies et commentaires sur le Pentateuque, par Israël Zeb Krasoski. Cracovie, impr. Fischer, 1896 ; in-8° de 120 p.

ÎTttSinïl 'O Dissertations sur des questions de casuistique, par Ch. Jeh- schua Kosewski. lrô, 2e, et 4e parties. Jérusalem, impr. Lévi, 1895- 1896 ; in-16 de 28 + 41 -f- 65 ff.

2. Ouvrages en langues modernes.

André (L.). Le culte des morts chez les Hébreux. Nîmes, impr. Chasta- nier, 1895 ; in-8° de 54 p.

Bâcher (Wilhelm). Die Agada der palâstinensischen Amoraer. II. Band : Die Schùler Jochanans. Strasbourg, Karl J. Trùbner, 1896 ; in-8° de 545 p.

Beck. (K. A.). Handbuch zur Erklarung der bibl. Geschichte. I. Das Alte Testament. Cologne, Bachem, 1896 ; in-8° de vin + 511 p.

Bensly (R. L.). The fourlh book of Ezra. The latin version edited from the mss. by the late Bensly. Wilh an introduction by Montague Rhodes James. Cambridge, University Press, 1895 ; in-8° de xc + 107 p.

Bensly (R. L.). The four th. book of Maccabees and kindred documents in Syriac, first edited on manuscript authority. With an introduction and translations by W. E. Barnes. Cambridge, University Press, 1895 ; in-8° de lxxiv + 1^4 p. -j- un fac-similé.

292 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Berg (J. Frédéric). The influence of Ihe Sepluagint upon thc Pesiltâ" Psal- ter. New- York, 1895 ; in-8° de v + 160 p.

Berliner (A.). Ueber den Einfluss des erstcn hebr. Buchdrucks auf den Cultus u. die Cullur der Juden. Francfort, Kauffmann, 1896; in-8° de 49 p.

Bestmann (H. J.). Entwicklungsgeschichte des Reichcs Gottes unter dem Alten u. Ncuen Bunde. I. Das Alte Testament. Berlin, Wicgandt et Grie- ben, 1896; in-8° de 421 p.

Bonwetsch (N.). Das slavische Henocbbuch. Berlin, Weidmann, 1896 ;

in-4° de 57 p. (Abhandlungen der k. Gesellschaft der Wissensch. zu Got-

tingen, phil.-hist. Klasse, Neue Folge, Bd. I, 3.)

M. B. avait préparé la traduction allemande de cet ouvrage important, qui ne nous a été conservé qu'en slave, quand il s'est vu devancé par M. Charles, qui a édité le travail de Morfill (voir plus loin). Il a cru bon cependant de ne pas garder pour lui le fruit de son labeur, et il faut l'en féliciter, car nous lui devons de connaître ainsi les deux recensions diffé- rentes de cet Hénoch, recensions dont Tune est beaucoup plus courte que l'autre.

Book (Thc) of the Secrets of Enoch. Translated from the slavonic by Reader W. H. Morfill, and edited with introduction, notes and indices by R. H. Charles. Oxford, Clarendon Press, 1896; in-8° de xlvii ■+■ 100 p.

On sait que le t Testament des Douze Patriarches » et Origène citent des passages du livre d'Enoch qui ne se retrouvent pas dans le texte éthiopien. Or, une version slave du Livre des Secrets d1Enoch les renferme. Les deux ouvrages ne sont pas identiques. C'est un nouvel apocryphe, dont il faudra tenir compte pour l'histoire des idées juives avant l'ère chrétienne. Car ce livre des secrets d'Enoch est, comme son homonyme, l'œuvre d'un Juif, mais qui écrivait en grec. Un trait digne d'être noté est l'absence de toute con- ception messianique, bien que l'idée de la durée du monde, fixée à 7,000 ans, se rattache généralement à celle de l'ère messianique. La théologie de l'au- teur, ses vues sur la création, le paradis, les anges, etc., méritent une étude spéciale et compléteront les données qui n'existent plus qu'à l'état sporadique et presque fossile dans les écrits rabbiniques. Nous n'avons pas besoin d'a- jouter que l'introduction et les notes de M. Charles sont excellentes et de tout point dignes d'un des maîtres de la science des apocryphes.

Bragin (A.). Die freireligiôsen Strômungen im alten Judenthume. Ein Bei- tragzur jùd. Religionsphilosophie. Berlin, Calvary, 1896; in-8° de 80 p.

Brann (M.). Geschichte der Juden u. ihrer Litteratur. Fur Schule u. Haus. Teil I. : Vom Auszug aus Aegypten bis zum Abschluss des Talmuds. 2. durchgesehene Auflage. Breslau, W. Jacobsohn, 1896 ; in-8° de vu + 259 p.

Cochard. La juiverie d'Orle'ans du vie au xve siècle, son histoire et son or- ganisation. Orléans, Herluison, 1895 ; in-8° de xm + 247 p.

Nous avons déjà dit ailleurs (Univers Israélite du 20 décembre 1895, p. 412) ce que nous pensons de cette folle élucubration, l'ignorance ie dispute au grotesque'. Seules quelques-unes des pièces de l'appendice offrent un intérêt, médiocre d'ailleurs, car elles nous apprennent peu de nouveau.

Conder (C. R.). The Bible and theEast. Londres. Blackwood, 1896; in-8° de 240 p.

BIBLIOGRAPHIE 293

Dili.mann (A.). Handbuch der Alttestamentl. Théologie. Ans dem narh- lass des Verfassors brsgg. von Rud. Kittel. LeiDZig, llirzcl, 1895; in-8° de 595 p.

Edersheim. La Société juive à l'époque de Jésus-Christ. Traduit de l'an- glais par Gustave Roux, pasteur. Avec une carte de la Palestine. Paris, Fischbacher, 1896 ; in-8° de 428 p.

Ehrenpreis (M.). Kabbalistiscbe Sludien. Die Entwickelung der Emana- tionslebre in der Kabbala des XIII. Jabrbundert. Francfort, Kauiïmann, 1895;in-8° de vi + 48 p.

Études de critique et d'histoire. Deuxième série publiée par les membres de la section des sciences religieuses à l'occasion de son dixième anni- versaire. Paris, Leroux, 1896; in-8° de xiv + 400 p. (Bibliothèque de l'Ecole des Hautes-Etudes. Sciences religieuses. 7e volume).

A l'occasion du dixième anniversaire de sa fondation, l'Ecole pratique des Hautes-Etudes (section des sciences religieuses) a publié un recueil de mé- moires, dont quelques-uns rentrent dans nos études.

M. Vernes (Les sources des livres historiques de la Bille Juges, Sa- muel, Hois) admet que l'auteur « a voulu faire une œuvre essentiellement d'instruction et d'édification et qu'il a traité librement les écrits antérieurs à sa disposition pour atteindre plus sûrement son but ». Ces écrits étaient: un ouvrage relatant les débuts de la royauté, puis un résumé de l'histoire des anciens royaumes. « La matière était fournie par l'amalgame d'un résumé d'archives et de traditions ou légendes locales développées à l'ombre des sanctuaires par les clergés provinciaux ». La forme appartient à l'époque de la Restauration, car elle rellète « le pragmatisme théologique qui a mis son empreinte indéniable à la fois sur l'œuvre envisagée dans son ensemble et sur chacune des parties de la dite œuvre ». Comment, avec des préoccu- pations théologiques aussi exigeantes, le rédacteur aurait-il conservé ou fabriqué des passages en contradiction formelle avec les idées régnantes au temps de la Restauration, c'est ce qu'on ne comprend pas. S'il n'avait visé qu'à l'édification, il aurait éliminé bravement tous les textes qui pou- vaient scandaliser les âmes pieuses.

La Note de M. A. Sabatier sur un vers de Virgile est une des plus char- mantes éludes que nous ayons lues depuis longtemps. Voici comment M. Sabatier résume lui-même son travail, et, à notre avis, il n'y a rien à reprendre à sa démonstration.

« Le poème Cuméen, cité par Virgile comme renfermant la prophétie de l'approche du dernier âge du monde, âge de justice, de paix et de bonheur, ne venait pas de Cumes, l'on ne pouvait, au dire de Pausanias, montrer aucun oracle écrit de la vieille sibylle. Comme on croyait que ia sibylle de Cumes était la même que celle d'Erythrée, les commissaires du Sénat, pour evoir des poèmes Cuméens, allèrent les rechercher jusqu'en Orient. Le mot Cuméen, dans Virgile, signifie simplement < sibyllin », qu'il y ait eu jadis une eu plusieurs sibylies, comme s'exprime Tacite, qui reste en doute sur ce point.

Le poème sibyllin de Virgile venait certainement de l'Orient et avait été apporté à Rome, soit par les commissaires du Sénat, soit à l'époque de leur voyage, vers l'an 80 av. J.-C.

3" Sous Je règne de Ptolémée Physcon, à Alexandrie, vers l'an 130 av. J.-C, composés par des Juifs, avaient paru, sous le nom de la vieille si- hylle d'Erythrée-Cumes, un certain nombre de poèmes apocalyptiques dont nous avons encore des spécimens sûrement datés dans le IIIe livre de nos oracles sibyllins actuels. Là, l'histoire du monde se trouvait divisée en gran- des périodes, marquées par la succession même des grandes monarchies,

29] REVUE DES ETUDES JUIV ES

dont la dernière devait être celle de Rome. En môme temps s'y trouvait la prophétie que le dernier âge du monde allait venir, qu'il était imminent et serait comme un retour de l'âge d'or, c'est-à-dire ramènerait la justice et la félicité.

Virgile, dans ses églogues, prouve qu'il lisait beaucoup et imitait vo- lontiers la poésie alexandrine. Entre sa IVe églogue et nos poèmes sibyllins d'Alexandrie la concordance est &i pleine qu'on ne peut nier la dépendance littéraire. Ce n'est pas sans doute une traduction, mais une appropriation originale faite par droit de génie.

Virgile n'a jamais lu Esaïe ; mais les poèmes sibyllins qu'il lisait ne faisaient que développer l'oracle messianique d'Esaïe, xi. Le lien est ainsi trouvé, et l'on peut s'expliquer la similitude d'inspiration et la secrète parenté du plus grand prophète des Hébreux et du plus grand poète de Rome.

L'originalité singulière de la IVr églogue, entre toutes les autres, s'explique à son tour. En réalité, c'est une plante unique, une plante exotique dans le Lat/vm et la littérature latine. Pour la bien juger, il faut y voir une petite apocalypse surgie en terre païenne d'une semence hébraïque, que le vent d'Orient, un siècle avant notre ère, avait apportée d'Egypte sur les côtes de la Campanie. »

La vision du prophète Gorgorios, ou Grégoire, son voyage aux Enfers et au Ciel, est un texte éthiopien inédit, que traduit M. J. Deramey pour la première fois et qui est l'œuvre d'un juif abyssin. M. J. Deramey dit que l'auteur * aurait pu se servir des travaux cschatologiques datant des pre- miers siècles du christianisme, » mais qu'il ne paraît pas en avoir éprouvé le besoin >. Il n'a même profité qu'avec une extrême réserve des sources du même genre si abondantes chez les Rabbins. « Son œuvre revendique, par là, une originalité que je ne lui contesterai pas. »

Nous ne voudrions pas, dans un simple compte rendu, reprendre la ques- tion que résout si rapidement le traducteur, le sujet mérite une étude com- plète que nous réservons pour un des prochains numéros de cette Bévue. Le problème est plus curieux qu'il ne semble tout d'abord, il intéresse tout à la fois l'histoire des idées eschatologiques chez les chrétiens, les juifs et même les musulmans et l'histoire de la littérature d'imagination consacrée à ces conceptions.

Nous verrons si l'œuvre de ce pieux Falascha revendique une véritable originalité et dans quelle mesure il dépend, non des travaux eschatologiques des premiers siècles, mais des Visions et Apocalypses chrétiennes conçues sur le même plan, et des sources du même genre, qui ne sont pas si abon- dantes chez les Rabbins.

Remercions néanmoins M. Deramey de nous mettre en état, par sa tra- duction, d'aborder cette étude.

Farbstein (David). Das Recht der unfreien u. der freien Arbeiter nach jù- disch-talmud. Recht verglichen mit dcm antiken, speciell mit dem rômi- schen Recht. Francfort, J. Kauffmann, 1896 ; in-8° de 96 p. Festschrift zum achtzigsten Geburtstage Moritz Steinschneider's. Leipzig, Otto Harrassowitz, 1896; in-8° de xxxix + 244 -f- 218 p. Voici la table des matières de ce volume:

G. A. Kohut, Bibliography of the writings of Prof. Dr. M. Stein- schneider ;

M. Gudemann, Die superstitiôse Bedeulung des Eigennamcns im vor- mosaischen Israël ;

M. Lambert, Quelques remarques sur l'adjectif en arabe et en hébreu ; L. Blau, Beitrâge zur Erklârung der Mechilta u. des Sifrê ; Ph. Bloch, Uebersetzungsprobe aus der Pesikta derab Kahana. Die Piskoth fur die drei Trauersabbathe ITO^N, "I2Q1Z5, ""IDI ùbersetzt ; J. Abrahams, The Bodleian ms. entitled « The Fear of Sin » ; D. H. Muller, Amos, Cap. 1-2, nach meiner Strophentheorie u. Chorhypothese ;

BIBLIOGRAPHIE 2'.»v.

\Y. D. Macray, A letter f'rom Isaac Abendana ;

A. Bughlek, Die priesterlichen Zehntcn u. die rôraischen Sleuern in den Erlassen Cilsars ;

Ign. Goldziheb, S'ad b. Mansûr ibii Kamraûnu's Abhandlung ùber die Unverganglicbkeit der Seele ;

Abr. Epstein, Der Gerschom Meor ha-Golah zugeschriebene Talmud- Commentar ;

Rich. Gottiieil, Nathan' êl al-Fayyûmî ;

S. Krauss, Akylas, der Proselyt ;

D. Simonsen, Zur Bùcherkunde ;

G. Sacerdote, Il trattato del pentagono e del decagono di Abu Kamil Shogia' bea Aslam ben Muhammed, per la prima volta publicato in italiano ;

S. Poznanski, Die Qirqisâni-Handschriften im British Muséum;

W. Bâcher, Die zweite Version von Saadja's Abschnitt ùber die Wie- derbelebuDg der Todten ;

D. Kaufmann, Das Sendschreiben des Mose Rimos aus Majorca anBen- jamin b. Mordechai in Rom ;

H. Hirschpeld, Das « Buch der Definitiouen » des Abu Ja* qûb Sulei- mân al Isrâili in der hebr. Uebersetzung des Nissim b. Salomon hrsgg ;

Israël Lévi, Un nouveau roman d'Alexandre ;

H. .T. Mateews, Anonymous Commentary on the Song of Songs ;

H. Adler, Some chapters of the Etz-Hajim of Jacob ben Jehuda Hasan of London ;

Ad. Neubauer, Zakkuth's non-jewish Chronicle according lo ms. Hebr. d. 16, recently acquired by the Bodleian Library.

Partie hébraïque :

S. J. Halberstam, Trois lettres relatives au Meor Bnayim d'Azaria de Rossi ;

A. Harkavy, Le Se fer Maasiot ou Hibbour Yafé Mehayeschoua de Nis- sim Gaon ;

Sal. Buber, Composition des Petihot du Midrasch Echa Rabbati ; ont- elles été coordonnées par l'auteur du Midrasch, sont-elles toutes d'une même main et de la même époque ?

H. Brody, Dix poésies de Moïse ibn Ezra ponctuées et commentées ;

J. F. Friedl/ENDer, Commencement d'un commentaire du Cantique des Cantiques en hébreu et en arabe;

M. Friedmann, Commentaire d'Isaïe ;

David de Gunzbourg, Extraits de livres juifs du Yémen ;

W. Bâcher, Le chapitre sur la résurrection de Saadia (texte) ;

D. Kaufmann, Lettre de Moïse Rimos, etc. (texte) ;

H. Hirschfeld, Traité d'Isaac lsraéli (texte) ;

Israël Lévi, Roman d'Alexandre (texte) ;

H. J. Mathews, Comment, sur le Cant. des Cant. (texte) ;

H. Adler, Extraits du Hayyim (texte) ;

Ad. Neubauer, Dernier chapitre de la 6e division du Youhasin (texte).

Bornons-nous, pour aujourd'hui, à dire que ce volume, admirablement imprimé, par la variété de ses articles et la haute valeur de plusieurs d'entre eux, Justine bien son titre hébreu : ÏTOfab ïlbï^n « louange à Moïse » (Steinschneider) : il fait vraiment honneur au savant éminent à qui il est dédié.

Fiske (A. K.). The Jewish scriptures. The books of the Old Testament in the light of their origin and historv. New-York, Scribner, 1896; in-12 de xiv + 300 p.

296 REVUE DES ETUDES JUIVES

Frankl-Grùn (Ad.)- Geschichte der Judcn in Kremsier mit Rùcksicht au die Nachbargemeinden. I. Theil (1322-1849). Breslau, Schlesische Buch- druckerei v. Schottlœnder, 1896; in-8° de 210 p.

Gayraud (IL). L'antisémitisme de Saint-Thomas d'Aquin. Paris, Dentu, 1896; in-8° de xi + 370 p.

Ginsburg et Edersheim. L'Orient et la Bible. L'israc'lite de la naissance à la mort. Trad. libre de l'anglais par Clément de Faye. Paris, Fiscbbacber, 1896; in-18 de vm + 181 p.

Goldsghmidt (Lazarus). Der babylonische Talmud hrsgg. nacb der editio princeps (Venedig 1550-23) nebst Varianten der spaeteren von SLorja und .TBerlin revidirten Ausgaben und der Muenchener Handschrift, moeglichst wortgetreu ueberselzt u. mit kurzen Erklaerungen versehen. I. Lieferung. Berlin, Calvary, 1896; in-4° de 80 p.

Goldschmidt (Lazarus). Die Recension des Herrn Dr. D. Hoffmann ùber meine Talmud-Ausgabe im Licht der Wabrheit. Charlotlenburg, impr. Gertz, 1896 ; in-8° de 23 p.

Grùnbaum (M.). Jiïdisch-spanische Ghrestomatbie. Francfort, J. Kauffmanu, 189G; in-8° de 160 p.

Cette chrestomathie est faite uniquement d'après les imprimés.

Jahresbericbt des jùd.-theolog. Seminars Frsenkel'scher" Sliftung. Voran gebt : Geschichte der Juden in Schlesiea (bis 1335), von Dr M. Brann. Breslau, impr. Schatzky, 1896 ; in-8° de 40 + xm + 13 p.

Jordan. (S. A.). Rabbi Jochanan bar Napacha. Lebensbild eines talmud. Weisen des III. Jahrhunderts nach den Quellen dargestellt. I. Theil. Bu- dapest, 1895 ; in-8° de xv + 100 p.

Juden (Die) in Deutschland. I. Die Kriminalitât der Juden in Deutsch- land. Berlin, Cronbach, 1896 ; in de xx + 56 p.

Karppe (S.). La Bible. Pages choisies. Paris, Durlacher, 1896; in-18 do 350 p.

Kayserling (M.) Die jûdische Litteratur von Moses Mendelssohn bis auf Gegenwart. Trêves, Sigmund Mayer 1896 ; in-8° de 189 p. (Abdruck aus « Winter u. Wùnsche, Die jùd. Litteratur seit Abschluss des Ka- nons », Bd. III).

Kenyon (F. G.). Our Bible and the ancient manuscripts, being a history of the text and its translations. With 26 facsirn. 2e édit. Londres, Eyre, 1896 ; in-8° de 268 p.

Klostermann. Geschichte des Volkes Israël bis zur Restauration unter Ezra u. Nehemia. Munich, Beck, 1896; in-8° de 270 p.

Klueger (Ilermann). Ueber Genesis u. Composition der Halacha-Sammlung Edujot. Breslau, Schatkzy, 1895; iu-8° de 117 p.

Kraetzsghmar. Die Bundesvorstellung im Alten Testament in ihrer geschichtl. Entwickelung. Marbourg, Elwert, 1896 ; in-8° de 254.

KurzgefassterKommentar zu denheil. Schriften Alten u. Neuen Testaments,

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hersgg. von H. Strack u. 0. Zôckler. 5, Abteilung. I. Illilfte : Das Buch Ezechiel, ausgelegt von C. von Orelli. Munich, Beck, 1896; in-8° de vi + 200 p.

Laue (L.). Die Composition des Bûches Hiob. Halle, J. Krause, [1896] ; in-8° de 143 p.

Lehmann (Joseph). Les sectes juives mentionnées dans la Mischua de Bc- rakhot et de Meguilla. Paris, Durlacher, 1896 ; in-12 de 69 p.

Leimdôrfer (M.). Die Messias-Apokalypse. Studie zur Kaddisch-Litera- tur. Vienne, impr. Waizner, 1895; in-8° de 12 p. (Tirage à part de la Neu-

zeit).

Lévy (Simon). Les loisirs d'un rabbin. Paris, impr. C. Lévy [libr. Durla- cher], 1895; in-8° de 222 p.

Recueil d'articles parus principalement dansV Univers israélite : homélies, dissertations religieuses, comptes rendus, etc. Cet ouvrage sera lu avec plaisir et profit ; il fera connaître les aspirations du rabbinat français et les idées moyennes du Judaïsme moderne.

Liebermann (A.). Das Pronomen und das Adverbium des babylon.- talmudischen Dialektes. Berlin, Mayer et Mùller, 1895; in-8° de v + 63 p.

Magler (Fréde'ric). Les Apocalypses apocryphes de Daniel. Thèse. Paris, impr. Noblet, 1895; in-8° de 112 p. Nous reviendrons sur ce travail.

Mayer (Félix). La femme juive à travers l'histoire. Conférence. Valen- ciennes, impr. Lepez et Ayasse, 1896 ; in-8° de 31 p.

Maybaum (S.). Methodikdes jùd. Religionsunterrichtes. Breslau, W. Koeb- ner, 1896; in-8° de ix + 126 p.

Mever (A.). Jesu Muttersprache. Das galilaische Aramâisch in seiner Bedeu- tung fur die Erklârung der Reden Jesu u. der Evangelien ùberhaupt. Fri- bourg, Mohr, 1896; in-8° de xiv + 176 p.

Mez (Adam). Die Bibel des Josephus, untersucht fur Buch V VII der Ar- chàologie. Bûle, Jaeger et Kober, 1895; in-8° de 84 p.

Moor (F. de). Etude exe'gétique sur le passage du livre de la Genèse, iv, 1-4. Paris, Sueur-Charruey, 1896; in-8° de 31 p.

Moorehead (W. G.). Studies in the Mosaic institutions, the tabernacle, the priesthood, the sacrifices, the feasts of ancient Israël. Dayton, Shuey, 1896 ;in-12 de 246 p.

Mùller (D.-H.). Die Propheten in ihrer ursprùnglichen Form. Die Grund- gesetze der ursemitischen Poésie, erschlossen u. nachgewiesen in Bibel, Keilinschriften u. Koran u. in ihren Wirkungen erkannt in den Chôren der griechischen Tragôdie. Vienne, Ilolder, 1896 ; in-8° de 256 + 136 p. (2 volumes).

Peters (C). Das goldene Ophir Salomo's. Munich, Oldenbourg, 1895; in-8° de 64 p.

208 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Publications of the American jewish historical Society, 4. Papers présen- tée! at the third annual meeting held at Washington, december 25 and 27, 1894. [Baltimore, impr. Friedcnwald], 1896; in-8° de 243 p. Contient les articles suivants:

B. Felsenthalet Richard Gottheil : Chronological sketeh of the history of the Jews in Surinam ; Henry Cohen : The Jews in Texas ; Jacob Ezekiel : The Jews of Richmond ; Cyrus Adler : Trial of Jorge de Almeida by the Inquisition in Mexico ; Max J. Kohler : Incidents illus- trative of American jewish patriotism ; George Alexander Kohut : Jewish martys of the Inquisition in South America; N. Taylor Phillips: The Levy and Seixas families of Newport and New-York ; Gustavus N. Hart : A biographical account of Ephraim Hart and his son, Dr Joël Hart, of New- York.

Rosenszweig (A.). Geselligkeit u. Geselligkeits-Freuden in Bibel u. Talmud. Ein Beitrag zur Culturgeschichte des Alterthums. I. Hâlfte. Berlin, Pop- pelauer, 1896; in-8° de 52 p.

[Saadia.] Œuvres complètes de R. Saadia ben Iosef al-Fayyoumi, publica- tion commencée sous la direction de Joseph Derenbourg, continuée sous la direction de MM. Hartwig Derenbourg et Mayer Lambert. 3e vol. Version arabe d'Isaïe [avec traduction française et extraits du commentaire de l'auteur]. Paris, Leroux, 1896; in-8°* de vu + 116 + 147 p.

Sacred Books (The) of the Old Testament. A critical édition of the Hebrew text, printed in colors... Part. 20. Leipzig, Hinrichs, 1896; in-8° de 82 p. (The books of the Chronicles, Exhibiting the composite structures of the book, with notes by R. Kittel, engl. translation of the notes by B. W. Bacon).

Sayge (A. H.). The Egypt of the Hebrews and Herodotos. Londres, Riving- ton, 1895 ; in-8° de 358 p.

Scherer (J. E.). Uebersicht der Judengesetzgebung in Œsterreich vom 10. Jahrhunderte bis auf die Gegenwart. Vienne, Alfred Hœlder, 1895; gr. in-8° de 26 p. (Separat-Abdruck aus dem « Œsterreichischen Staatswôr- terbuche ».

Schwarz (J. H.). Geschichtliche Entwickelung der messianischen Idée des Judenthums. Vom culturhist. Gesichtspunkte behandelt. Francfort, Kauff- mann, 1896 ; in-8° de 106 p.

Quand donc les savants juifs, et surtout ceux qui prétendent étudier les questions du point de vue historique, se décideront-ils à ne pas considérer les Talmuds et tous les Midraschim comme un seul bloc de même âge et de même valeur ? Tout le temps qu'on n'aura pas d'abord classé chronologique- ment les documents dont on se sert, on n'aboutira à aucun résultat sérieux. C'est ne rien dire que citer simplement le Yalkout, qui n'est qu'un recueil, si on n'indique pas la provenance des textes entrés dans cette col- lection. Or, ce souci ne préoccupe guère M. S. A cela il répondra que, pour lui, < développement historique » veut simplement dire : Bible et littérature post-biblique « en gros. Ce sera reconnaître le caractère super- ficiel d'une telle étude.

Seesemann (0.). Die Aeltesten im Alten Testament. Leipzig, Fock, 1895 ; in-8° de 58 p.

Sellin (E.)« Beitrâge zur israel. u. jùd. Religionsgeschichte. I. Heft : Jah-

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wes Verhaltniss zura israel. Volk u. Individuum nach altisracl. Vorstel- lung. Leipzig, Deichert, 1896 ; iu-8° de 240 p.

Smith (J. A.). The book of the Iwelvc prophets. I. Amos, Ilosea and Micah. With au introduction and a sketch of prophecy in early Israel. Londres, Ilodder, 1890 ; iu-8° de 458 p.

Stern vMoritz). Urkundlichc Beitrage ùber die Stellung der Piipste zu den Juden. II. Lieferuug, II. Band, I. Heft, Kiel, Fencke, 1895; in-8° de 72 p.

11 faut être reconnaissant à M. S. du soin avec lequel il s'acquitte de sa tâche. Toutes les pièces qu'il édite ou réédite sont transcrites avec la plus grande exactitude, précédées d'introductions bibliographiques et littéraires excellentes et accompagnées de notes substantielles. M. S. est un historien de profession et de l'école moderne, au courant des plus récents et plus sé- rieux travaux.

Steuernagel (C). Die Entstehung des deuteronom. Gesetzes. Halle, Krause, 1896; in-8° de 190 p.

Stier (J.). Theismus u. Naturforschung in ihrem Verhaltniss zur Teleologie. Francfort, Kauffmann, 1896 ; in-4° de vi + 79 p.

Taenzer (A.). Die Religionsphilosophie Joseph Albo's nach seinem Werke « Ikkarim » systematiseh dargestellt u. erlaùtert. I. Theil. Francfort, J. Kauffmann, 1896; in-8° de 80 p.

Willrich (Hugo). Juden u. Griechen vor der makkabâischen Erhebung. Gôttingue, Vandenhoeck et Ruprecht, 1895; in-8° de x. + 176 p.

Winckler (H.). Altorientalische Forschungen. IV. Leipzig, Pfeffer, 1896; in-8o de p. 305-370.

Contient, entre autres : Zur Geschichte des Judenthums in Jemen ; Das Winzerlied Jes. 63; Die Tiergruppe in der Vision Ezechiels ; Zum Kohelet.

Wolf (Simon). The American Jew as patriot,soldier and citizen. Philadel- phie, Louis Edward Levy, 1895 ; in-8° de xui + 576 p.

Wunsche (A.). Alttestamentliche Studien. I. Die Freude in den Schriften des Alten Bundes. Weimar, Felber, 1896 ; in-8° de vi -f- 47 p.

4. Périodiques.

The Expository Times (Edimbourg, mensuel). VIIe vol., 1896. == = N°4, janvier. Notes of récent exposition : Prof. Sayce's new archœological Commentary on Genesis ; Canon Drivers Reply to Prof. Sayce. W. E. Barnes : Short studies in the Psalter. J. E. Fox : The Song of Songs in vers (suite, 5). = = 5, fe'vrier. W. T. Davison : The theology of the Psalms {suite, nos 6, 8). A. H. Sayce : Archœological Com- mentary on the Book of Genesis {suite, nos 6, 7, 8). G. H. Box: The Kingdom of Heaven. C. H. W. Johns : Sennacherib's murder. = = 6, mars. Notes : Where is Mount Sinai? Professor Hull's argument; The site of Ophir ; Dr Cari Peters' discovery ; Ophir and Africa. G. Farmer et J. T. Marshall : Malachi, n. 11. -.= = 7, avril. Notes :

300 REVUE DES ÉTUDES JUIVES

Prof. Sayce's new book ; Moses as a historian and as a philologist; the origin of Ben-oni and of the children of Ammon ; the names Jacob and Joseph; the dérivation of the name Jérusalem. Arthur Pollok Sym : A textual study in Zechariah and Ilaggai. = = 8, mai. Notes : The diffîcult passages in the Bible ; Prof. Driver's articles on archseology and the Old Testament ; the eampaign of Chedorlaomer ; Melchizedek ; the Tel el-Amarna Tablets; Ebed-tob of Jérusalem, and his letters ; Prof, Sayce's translation and interprétation; Prof. Dillmann's defence of the Melchizedek narrative. Conder et J. Smith : About Ophir.

Israël! tische Monafsrhrift (supplément à la Jùdische Presse, Berlin). 1895. = = 9. Bruno Preyer : Bibel u. Naturwissenschaft. D. Hoffmann : Die Ueberlieferung der Vâter u. der Neu-Sadducaismus [suite, nos 10, 11). = = 10. H. Brody : Der Einfluss Jehuda ha- Levi's auf seine Nachfolger (suite, 2). 11. Zur jûdischen Mar- tyriologie (fin, 12). = = 12. Ed. Biberfeld : Der Breslauer Juden- eid (suite, 12). = = 1896. 1. Willy Hess : Jùdischer Patriotismus {suite, 2). = = 3. D. Hoffmann : Erklârung einer Talmudstelle (Sabbat, 23 b). L. Cohen : Zur Pessach-Hagada (il faut lire ib TIEK

^ip^DN riDsn •nn» 'p-rasE 'pa i$ nDsr: msbn bs). Ein « Juden-

Barbier » im 18. Jahrhundert. = = 4. M. Ilorovitz : Die Wohlthâ- tigkeit bei den Juden im alten Frankfurt (Suite, 5).

The Jewish quarterly Revievr (Londres). Tome VIII, 1895. == 29, octobre. S. Sohechter : Some aspecls of rabbinic theology, the « Law ».

J. Freudenthal : On the history of Spinozism. Henry Lucas, Elsie et Nina Davis : Some translations of hebrew Poems. F. C. Conybeare : On the philonean text of the Septuagint. Qmpstiones: in Genesin, sermo III. A. Neubauer: Jews in China. M. Friedlaender : Ibn Ezra in En- gland. Critical notices. W. Bâcher : Contributions to biblical exegesis by Rudolph von Ihering. = =N° 30, janvier 1896. A. Neubauer : Joseph Derenbourg. C. G. Montefiore : On some misconceptions of Judaism and Christianity by each other. D. Kaufmann : Jewish informers in the middle âges (correspondance entre Salomon b. Adret et Me'ir de Ro- thenbourg). Henri Lucas : Poetry, the royal crown (de Gabirol).

Oswald John Simon : Jowett's religions teaching. F. C. Conybeare: A collation of Sinker's text of the Testaments of Reuben and Simeon with the old Armenian version. Miss Nina Davis : Poetry, a song of rédemption (de Gabirol) and a song of love (du Rif). G. Margoliouth : Megillath Missraim, or the Scroll of the egyptian Purim. S. Schech- ter : Corrections and notes to Agadath Shir Hashirim. Critical notices.

L. Blau : Massoretic studies (le nombre des lettres de la Bible). Miscellanea. == = 31, aviil. S. Schechter : Some aspects of rabbinic theology. VI. The Torah in its aspect of Law. Henry Lucas : Poetry, Passover hymn and light and darkness (de Jnda ibn Giyyat et de Juda Hal- lévi). Cyrus Adler : The Cotton grotto, an ancient quarry in Jérusalem.

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Revue sémitique (Paris, trimestriel). 4e année, 1896. = = Janvier. J. Halévy : Recherches bibliques : Histoire d'Isaac. Notes pour Tinter-

302 REVUE DES ETUDES JUIVES

prétation des Psaumes (xl-xliv). = = Avril. J. Hale'vy : Recherches hibliques : Jacob à l'étranger et la fondation de sa maison. Notes pour l'interprétation des Psaumes (xlvi-lvi). L'influence du Pentateuque sur l'Avesta.

L'Univers Israélite (Paris, hebdomadaire). 51e année. 2. Théo- dore Reinach : Les Réflexions sur les Juifs d'Isidore Loeb. = = 3. [I. L.] : Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fit.

=: 5. La Pénitence selon le Séfer Hassidim {fin, n°8). Léon Kahn : Un peu d'histoire (les Juifs sous la Révolution). = = 6. Extraits des Mémoires secrets de Bachaumont : Gradis; Une ce'rémonie religieuse à Bischheim (1781). = = 7 [I. L.] : L'hostie sanguinolente et le Micrococcus prodigiosus Léon Kahn : Encore un mot sur Gradis. =r = 10 : Léon Kahn : Le Représentant Emmery. ■=. = 11. Louis Lévy : Ansaldo Ceba et Sarah Sulham. ,— 13. Israël Lévi : La Jui- verie d'Orléans du vi* au xv9 siècle, par le chanoine Cochard. = == 14. La naturalisation des Juifs algériens et l'insurrection de 1871. J. Bauer : De quelques usages des Israélites Comtadins. = 15. Léon Kahn : Tous juifs (épisodes de la Révolution). = = 16. Israël Lévi : Anecdota Oxoniensa. Mediœval jewish Chronicles éd. by Ad. Neubauer. = = 17. [I. L] : Rite allemand et rite portugais [fin, 18).

H. Boucris : Encore un mot sur la naturalisation des Juifs algériens et l'insurrection de 1871. = = 18. Emmanuel Weill : L'origine de la rue des Juifs à Granville. = = 20. Félix Mcyer : Les Juifs de Charleville au xvne siècle. = = 22. Les Juifs du Niger. Léon Kahn : Un graveur juif au xvme siècle (fin, 23). = z=z 27. Louis Lévy : Le travail et les ouvriers d'après le Talmud [suite, nos 29, 32, 36, 38, 40). ===== 28. Léon Kahn : Un conspirateur royaliste sous la Terreur {suite, nos 29, 30, 31, 33, 34, 36). = = 29. M. L. : Die Prophe- ten in ihrer ursprùnglichen Form von Dr David Heinrich Mùller.

Zcitschrift fikr die alttestamentliehe Wissonsolialt (Giessen, semes- triel). 169 année, 1896. = = 1. Morris Jastrow*: The origin of tbe forme ÏT of the divine name. Lôhr : Textkritische Vorarbeiten zu einer Erklârung des Bûches Daniel [suite). L. A. Rosenthal : Sonderbare Psalmen Akrosticha. Karl Albrecht : Das Geschlecht der hebr. Hauptwôrter [suite). Behnke : Spr. 10,1. 25,1. S. Ilerner : Einige Anmerkungen ûber die Behandlung der Zahlwôrter im « Lehrgebâude der Hebr. Sprache », von Prof. Eduard Kônig. B. Jacob : Beitrage zu einer Einleitung in die Psalmen. P. Riessler : Zu Rosenthal's Aufsatz, Bd. XV., S. 278 ff. Stade : Zu Ri. 7, 5, 6. Bibliographie.

3. Notes et extraits divers.

- Le nom du peuple d'Israël dans une inscription égyptienne du xme siècle avant l'ère chrétienne. Un des sujets d'étonnement pour l'historien du peuple d'Israël était l'absence de toute mention incon- testable — de ce nom dans les inscriptions égyptiennes. Grâce à l'heu- reuse découverte de M. Flinders Pétrie, cette lacune est, en partie, com- blée, et les critiques vont être obligés de modifier plus d'une de leurs affirmations. Cette inscription a été gravée par l'ordre _de Merenptah

BIBLIOGRAPHIE 303

(vers 1230), au dos d'une pierre ayant appartenu à Ameuophès III (vers 1400). Elle relate les victoires de ce roi et contient, entre autres, ces mots, que nous reproduisons d'après la Contemporary Revieio de mai : « Vaincus sont les Tabeunu ; les Ilita sont apaisés ; ravagés sont les Cbanana avec tous les Venu des Syriens;... pris est Askadmi, saisi Kazmel ; il a vécu ; le peuple d'Israël est dépouillé, il n'a pas de semence ; la Syrie est devenue comme les veuves du pays d'Egypte; tous les pays sont en paix ; tous les pillards ont été' subjugés par le roi Merenptab. . . ». Ce texte contredit l'hypothèse de ceux qui plaçaient la sortie d'Egypte sous le règne de Merenptab, fils de Ramsès II. Inutile de dire que ces lignes ont été déjà torturées de toutes les façons, surtout en Angle- terre. Les orthodoxes ont l'ait remarquer que les mots : « Le peuple d'Is- raël a été de'pouille' », ne supposent pas nécessairement les Israélites déjà établis en Palestine, ce que confirmerait la mention du Chanaan bien avant qu'il soit question d'Israël. La phrase : « Il n'a pas de semence », ferait, d'autre part, allusion à l'édit qui ordonna la mort des enfants mules. Les autres ont insisté sur l'ordre géographique qui préside à la distribution des peuples vaincus par Merenptab. Or, toutes ces nations appartiennent à la région qui s'étend de la Pbilistée à la Syrie du nord. Israël existait donc déjà au xme siècle comme une peuplade indépen- dante, vivant en Palestine à côté d'autres populations. A quelle période de son histoire, telle qu'elle est racontée par la Bible, correspond cet état de choses?

= = Découverte d'un fragment d'une version hébraïque de V Ecclésiastique de Jésus, fils de Sirach. Une autre heureuse trouvaille va donner aux sa- vants matière à discussion, c'est celle d'un fragment d'une version hé- braïque de l'Ecclésiastique. C'est un feuillet répondant au ch. xxxix, v. 15 à xl, 6. D'après une lettre de notre ami, M. Neubauer, la suite, allant du ch. xl au ch. xlix, paraîtra, par ses soins, au mois d'octobre prochain. Il sera sage de réserver jusque-là son jugement. M. Schechter, sur les instances de ses amis, s'est décidé à publier le fragment du ch. xxxix que nous reproduisons ci-après et à l'accompagner d'une étude rapide sur la place de cette version dans l'histoire du texte. Pour lui, nous aurions l'original même de l'œuvre de Jésus ben Sirach ; cet original se distinguerait, dans le détail, de la version grecque, œuvre du petit-fils de l'auteur, et de la traduction syriaque. Allant plus loin, M. Schechter remarque que la langue de l'Ecclésiastique renferme déjà des mots néo-hébreux, appartenant au dialecte de la Mischna. M. S. en conclut que, si déjà au uie siècle avant l'ère chrétienne (Jésus b. Sirach ayant écrit au plus tard en 199), la langue hébraïque avait subi, dans son vocabulaire, de telles transformations, de combien de siècles plus an- ciens doivent être les livres bibliques ! L'argument n'a pas la portée que croit M. S. Avant tout, il faut savoir si ce texte hébreu représente bien l'original de l'hébreu. D'une part, il est vrai, certaines leçons sont meilleures que celles du grec; mais, par contre, le grec semble parfois refléter plutôt l'original que l'hébreu (voir xxxix, 29). En outre, si l'on admet que l'un des versets xxxix, 13, et xl, 5 est une répétition de l'autre, ce qui n'est pas invraisemblable, on s'expliquera difficilement que 1 hé- breu, au cas il représente l'original, offre la môme singularité. Autre objection d'un caractère différent : si c'est vraiment Jésus fils de Sirach qui a écrit ces lignes, il faut admettre que ce Juif s'était singulièrement hellénisé, puisqu'il rend en hébreu une expression essentiellement grec-

304

REVUE DES ÉTUDES JUIVES

que ; en effet, il remplace le mot « terre » par la périphrase « mère de tous les vivants », qui est banale dans la littérature des Hellènes. Un lecteur de la Bible, titre dont se pare Ben Sirach, aurait répugne à appliquer à la terre une métaphore qui, dans une des premières pages de la Genèse, qualifie Eve, mère de tous les vivants. Mais, encore une fois, il faut attendre, pour se prononcer, la publication des chapitres suivants, si tant est que cet autre fragment ait la même provenance.

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TinaD

bibliographe; 305

: == La Vie contemplative et la secte des Thérapeutes. Voici longtemps que les savants discutent sur l'authenticité* rie la Vie contemplative, at- tribuée à Philon, et sur l'existence de la secte des Thérapeutes, qui y est décrite. Nos lecteurs se ['appellent l'article consacre à cette ques- tion par le regretté M. Joseph Derenbourg à propos d'une étude de M. Massebieau [Revue, XVI, 151). Le débat s'est rouvert ces derniers temps, et les nouveaux combattants sont réputés pour leur connaissance approfondie et de Philon et de la langue grecque et de l'histoire des idées de l'e'poque. Ce sont MM. Conybeare et Wendland. Or, partis de principes différents, ces deux savants arrivent aux mêmes conclu- sions : la Vie Contemplative est bien de Philon et ne peut être que de lui, les Thérapeutes sont une secte juive qui a existé aussi bien que celle des Esséniens, à laquelle elle se rattache. L'étude de M. Wendland est particulièrement conduite avec une science qui fait impression. Ce qui en fait le prix, c'est que M. W. a comparé attentivement cet opuscule avec les autres écrits de Philon pour la langue et le style, et il montre qu'il ne peut provenir que du môme auteur.. Le faussaire le plus habile n'aurait jamais pu s'assimiler à ce point la manière d'un écri- vain aussi peu imitable que Philon. L'argumentation a du poids, et si l'on n'accorde pas à M. Wendland ses conclusions, il faudra toujours tenir compte de cette démonstration et supposer que le contrefacteur a été disciple de Philon ou s'est nourri de ses traités. Mais qu'était cette secte et d'où tirait-elle ses principes? C'est ici que M. W. est vraiment original et s'expose aux attaques : cette secte est née de la tendance bien juive et pharisienne à consacrer sa vie entière à Vétude de la Loi. M. W. ne veut pas que les Thérapeutes aient copié le genre de vie des adorateurs de Sérapis,qui leur offraient un exemple ana- logue. Quant à la Vie contemplative, ce serait un écrit polémique et apo- logétique, conçu dans le même esprit que l'œuvre de Josèphe et le Pseudo-Phocylide : défense du judaïsme contre le paganisme. Ja- mais la thèse de l'authenticité de la Vie contemplative n'avait été sou- tenue avec tant de force et de compétence. Il serait assurément témé- raire de nous prononcer dans ce procès, et nous n'en aurions pas la présomption si nous n'avions pas vu les doutes qui nous restent exprimés, avec l'autorité qui lui appartient, par M. Schûrer. Ces doutes naissent de considérations diverses. Tout d'abord, comment s'expliquer le silence gardé sur cette secte par Philon dans tous ses autres écrits? Que Josèphe ne Tait pas connue ou n'en ait pas parlé, malgré le parti qu'il en aurait pu tirer, nous l'accordons, à la rigueur. Mais comment aucun des au- teurs contemporains n'en fait-il mention, et surtout pourquoi Philon s'interdit-il d'y faire la moindre allusion ? En outre, si la secte est née de la tendance juive à consacrer la vie entière à l'étude de la Loi, comment imaginer que ces « docteurs » ignorent la Loi au point de célébrer cette fête qui se renouvelle tous les cinquante jours, fête qui ne se confond pas avec la Pentecôte et n'en serait qu'une contre- façon, impie pour des fidèles de la Loi? Si ces sectaires avaient oublié à ce point toute notion de la Loi, ils n'étaient plus que des enfants perdus du Judaïsme, et la description de leur vie par Philon ne se justifierait plus : à quoi aurait-elle tendu? On dira, il est vrai, qu'on ne voit pas non plus' le but poursuivi par le faussaire, qui ne saurait être qu'un chrétien ayant vécu avant le m0 siècle. Il faut supposer et que cet e'erivain a déjà pris Philon pour un Père de l'Eglise d'où l'attri- T. XXXII, 64. 20

306 REVUE DES ETUDES JUIVES

billion du traité à cet auteur , et qu'il u voulu vieillir l'institution récente du monachisme. Les renseignements fournis par Kirkisani sur l'existence d'une secte d'ascètes juifs vivant en Egypte et lisant le livre d'un Alexandrin (voir Revue, t. XXX, 126) doivent-ils être versés aux débats? Le malheur est qu'ils sont vagues et, datant du siècle, peuvent élre difficilement invoqués pour l'histoire dlî ior siècle.

= La « Revue biblique internationale, publiée sous la direction des pro- fesseurs de l'Ecole pratique d'études bibliques établie au couvent do- minicain de Saint- Etienne de Jérusalem », devient de plus en plus utile à consulter. Ses comptes rendus et ses bulletins sont faits avec conscience et révèlent peut-être la pensée de derrière la tête des col- laborateurs de cette Revue. Rien de plus instructif que la hardiesse qui éclate dans ces recensions et qui s'accorde difficilement avec la sou- mission à l'Encyclique Provide ntissimus acceptée par les Pères de Saint- Etienne. Quoi qu'il faille penser de la conciliation que les re'dacteurs de cette Revue essaient d'établir entre la doctrine de l'inspiration des Livres saints et le système de l'e'cole critique, on doit reconnaître que la Revue biblique est une preuve du réveil des études bibliques dans le monde catholique.

= = Le Congrès scientifique international des catholiques tenu à Bruxelles, en 1894, a été pauvre en communications qui intéressent nos travaux. Les fragments d'eschatologie musulmane de M. le baron Carra de Vaux auraient gagné à être pre'sentés autrement qu'à la queue-leu-leu, et à être comparés, pour le fond, avec les doctrines juives en particulier. Nous ne dirons rien du mémoire de M. l'abbé Buisson sur YOrigine égyptienne de la Kabbale. M. labbé de Moor [La date de l'Exode) signale l'impor- tance de la dale de l'Exode, décrit le procédé à suivre dans la recherche de cette date, essaie de prouver que Lan 721, date de la chute de Sa- marie, est postérieur de 3 uns à la 9e et dernière année du roi Osée, laquelle correspond à la 6e année du règne d'Ezéchias, enfin, dans deux tableaux chronologiques, note les dates des divers événements relatés dans la Bible depuis l'an 1500, date de l'Exode des Hébreux, jusqu'à la 6e année du règne d'Ezéchias. Le P. Van Kasteren cherche à retrou- ver la frontière septentrionale de la Terre Promise. M. l'abbé de Broglie s'efforce de réduire à néant la théorie do Kuenen sur les Prophéties et les Prophètes ; son argumentation appartient plutôt au domaine de l'élo- quence qu'à celui de l'exégèse.

Le recueil de morceaux choisis de la littérature juive post-biblique de M. Winter et Wùnsche est arrivé à sa fin (Die jiid. Litteraiur seit Abschluss des Kanons, 3 vol., Trêves, Sigm. Mayer, 1894-96). Somme toute, cette collection rendra des services, elle contient des parties traitées avec soin, des répertoires utiles et donne un aperçu à peu près exact de la littérature juive depuis la clôture de la Bible jusqu'à nos jours.

= = M. J. Hamburger fait paraître par fascicules une Real-Rncyclopaedie des Judentums, qui n'est pas seulement la reproduction de son ouvrage du même titre consacré à la Bible et au Talmud. Ce volume se com- posera de 15 fascicules de 10 feuilles chacun. Le prix de la livraison est fixé à 2 m. 50 pfg. Bien que la science» de M. Hamburger soit su- jette à caution, néanmoins ce volume sera, faute de mieux, un utile répertoire

BIBUOr.RAPMIE 307

r = Une charte du 5 janvier 1209 contient un accord intervenu entre Pierre II, roi d'Aragon, et les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, relativement à la ville de Gicero et à des moulins situés à Solero et à Barcelone. Parmi les signatures, à la suite de celles d'un évèque et d'un sacristain, se lisent les deux mots IYT1Î2 rPD"D « Barfet certifie ». (J. Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, II, 99-100). Ce nom est probablement celui d'un ancêtre du célèbre Rivasch. Il est digue de remarque qu'un Juif figure parmi les témoins et qu'il soit désigné uniquement par son patronymique. Moïse Schwab.

- Le Boletin de la Real Academia de la historia (de Madrid) contient toujours d'excellents travaux sur l'histoire des Juifs en Espagne. Dans le cahier de juin 1895, M. Narciso Hergueta traite, d'après des docu- ments inédits, de la juiverie de Haro au xve siècle ; dans celui de mai 1896, M. Enrique Ballesteras parle du cimetière juif d'Avila ; dans celui de juin, M. Narcisso Hergueta, poursuivant le cours de ses e'tudes, ap- porte de nouveaux renseignements sur les Juifs d'Albelda au xme siècle.

- = Nous relevons quelques notices sur les Juifs dans une savante monographie de Philippe de Mézières, œuvre de M. Jorga [Biblioth. de V Ecole pratique des Hautes-Etudes, 1103 fascicule). Dans son Songe du Ver- ger, Philippe de Me'zières nous dit son sentiment sur les Juifs au temps de Charles VI : pour lui, il voudrait : « Lors par la main de ta sus- dite chambrière Discrétion du royaume de Gaule tous les Juis soient li- cenciés. » 11 nous apprend aussi que, dans sa jeunesse, Charles VI les haïssait fort et voulait bien alors qu'ils fussent tous mis à mort (p. 43*2). Ces renseignements sont à retenir, car Philippe de Mézières avait été' le compagnon d'enfance du roi : on s'explique, en partie, par l'expulsion de 1391, que rien ne justifiait alors particulièrement. On en voulait sur- tout aux Juifs parce qu'ils se livraient à l'usure, mais, au témoignage de cet auteur, les chrétiens commettaient le même crime {ibid.). Philippe de Mézières dans son Songe du vieil pèlerin (1389), fait dire au roi par la reine Ve'rité : « On s'occupera ensuite, après apaisement de toutes les guerres, à réduire les sismatiques et les infidelz Tartres, Thruchs, Juis et Sarrasins à la vraie foy de l'Eglise de Rommes par sainctes prédica- cions. . . et aux obstinés et rebelles par la sainte epee de ma suer Bonne Aventure. » (p. 470, note 4). Il avait protesté contre le propos d'un des plus hauts dignitaires du royaume, qui avait mis en doute la vérité de la translation de la Bible par saint Jérôme. 11 demandait que la tra- duction fût revue et corrige'c par un certain « Juif perfide qui par haine de la foi s'obstinait dans le Judaïsme » (Contemplatio, f°s 217 218). Pierre d'Ailly le remercie, dans la préface de son Contre les nouveaux Juifs, écrit avant 1378.

= A côté de la Société Ahiasaph s'est constitue', en Russie, un nouveau comptoir d'éditions hébraïques, sous le titre de ÏT'Oin « Touschia ». Cette société se propose de publier la traduction en hébreu des principales œuvres de la littérature universelle, puis la biographie des savants juifs de ce siècle, des romans, etc.

= = La Société d'édition Ahiasaf, dont nous avons déjà parlé, a entre- pris l'édition en hébreu des volumes de M. Gùdemann, Geschickte d. Erziehungsi'jesens u. d. Cultur d. Juden, de l'étude de M. Lazarus sur Je-

308 REVUE DES ETUDES JUIVES

rémie, la biographie de Zunz par S. P. Rabbinowitz. C'est une e'preuve que tente cette Sociélé ; si elle est bien accueillie par les israélites de Russie, d'autres ouvrages des savants juifs occidentaux seront mis à la portée de ceux qui lisent l'hébreu. Cette Société a reçu également du gouvernement russe le droit d'importer en Russie tous des ouvrages, écrits en hébreu ou en toute autre langue, relatifs aux Juifs.

= = M. A. M. Luncz, l'e'diteur de l'Annuaire Jérusalem, se propose de pu- blier une Bibliothèque des ouvrages relatifs à la Palestine. Il réimpri- mera tout d'abord le Kaftor Vaférah, en employant pour la partie archéo- logique et ge'ographique des caractères plus gros que pour le reste, et en complétant les indications et renvois aux sources. Cette édition, revue et corrige'e, sera précédée d'une biographie de l'auteur. Puis viendront les Tebouot Haarèç, de Joseph Schwartz, le Méhkerè Haarèc de Lewinsohn, Benjamin de Tudèle, des lettres écrites de Palestine et contenant des renseignements historiques, etc. Le prix de chaque volume, pour les souscripteurs, est fixé à 5 fr. Le premier paraîtra en 1897. Nous recom- mandons vivement cette œuvre, qui me'rite l'approbation du monde sa- vant, et nous transmettrons volontiers les souscriptions à l'éditeur (A. M. Luncz, Jérusalem).

M. H. Brody a eu l'excellente idée de reprendre la publication de Y Hebràische Bibliographie poursuivie de 1858 à 1881 par M. Moritz Stein- schneider, continuée par Brùll et interrompue après la mort de ce der- nier. Comme par le passe', cette feuille, qui sera bi-mestrielle, con- tiendra, à côte' d'une Revue bibliographique de tous les ouvrages et articles intéressant le Judaïsme, des notes de toute nature et en parti- culier l'indication des catalogues de judaica et d'hebraica. Nous sommes surpris que M. Brody, qui, nous aimons à le croire, lit la Monatsschrift et la Jewish Quarterly Revieto, paraisse ignorer l'existence de la Revue des Etudes juives, car il est rare que ces périodiques ne citent pas, ne serait- ce qu'en note, les articles contenus dans notre recueil. S'il l'avait ja- mais parcourue, il aurait affirmé moins catégoriquement que la biblio- graphie hébraïque n'a pas d'organe. Nous ne nous dissimulons pas ce qu'ont d'incomplet nos revues bibliographiques, nous regrettons de n'a- voir pas le temps de rendre compte de tous les travaux qui y sont indique's, mais, à en juger par la publication de M. Brody, consacrée spécialement à ce sujet, nous sommes en droit de prétendre qu'elles peuvent soutenir la comparaison avec tous les travaux analogues. Ajou- tons que la Theologische Literaturzeitung de Schùrer et Harnack , la Zeitschrift fur die Alttestamentl. Wissenschaft de Stade, la Monatsschrift de Kaufmann et Brann et, enfin, le Jaliresbericht der Geschichtswissen- schaft, M. Kayserling trace le tableau des travaux relatifs au Ju- daïsme parus dans l'année, sont également de précieux offices de ren- seignements pour ceux qui veulent se tenir au courant de la science juive. La feuille de M. Brody, dont le lor porte la date de janvier- février 1896, est intitulée : Zeitschrift fur hebrœische Bibliographie. Elle paraît chez Calvary, à Berlin ; prix d'abonnement : 6 marks par an.

BIBLIOGRAPHIE 30.)

Bâcher (Wilhelm). Die Avaria «1er l*ala»stincnsischcn Amora«:r. II.

Band : Die Schiller Jochanans. Strasbourg, K.-J. Triibuer, 18(J(5; in-,s° de 545 pa^es.

On ne saurait trop admirer l'activité infatigable de notre savant collaborateur M. W. Bâcher. Il n'est presque pas de numéro de notre Rente qui ne renferme une de ces études substantielles et finies qui ont assuré sa réputation. Et, en même temps, M. B. trouve le moyen de faire paraître dans la Monatssckrlft, la Jewish Quartcrly Re- vieto, la Zeitschrift d. deutsch. morgenl. Gcscllschafl, la Zcitschrift fur d. al ttest orne ut licite Wissenschaft des mémoires aussi étendus et fouillés. Il semblerait qu'une telle production dût épuiser la puissance de travail du savant professeur du Séminaire israélite de Budapest : ce ne sont pour lui que jeux qui le délassent des œuvres de longue haleine qu'il poursuit depuis longtemps. Le secret de cette fécondité n'est pas seulement dans l'esprit d'ordre et de méthode qui dis- tingue M. Bâcher, il faut le chercher ailleurs. Notre éminent colla- borateur connaît à fond toutes les questions qui l'intéressent et elles sont nombreuses : une idée nouvelle se présente-t-elle à son esprit, un document inédit est-il découvert, il peut immédia- tement l'exploiter. On peut dire de son savoir qu'il est toujours sous pression, prêt au moindre signal à s'élancer sur une nouvelle route.

Parmi ces travaux de longue haleine dont nous parlons, aucun, croyons-nous, ue lui est plus cher que l'étude des idées morales et religieuses, des spéculations exégétiques et théologiques des rab- bins du Talmud. C'est par qu'il a, pour ainsi dire, débuté, et son premier volume, VAgada des Amoraïm hait/ Ioniens, fut pour le monde savant comme une révélation, qui classa immédiatement hors de pair son jeune auteur. On fut frappé de la précision rigoureuse, de l'impeccable érudition, de la solidité des principes philologiques et exégétiques qui se manifestaient dans une étude dont l'étendue avait toujours effrayé jusque-là les plus téméraires. M. Bâcher s'était dit qu'avant de songer à écrire l'histoire des idées religieuses et morales des docteurs du Talmud, il fallait, avant tout, dresser l'inventaire méthodique des idées de chacun d'eux en déterminant avec le plus d'exactitude possible ce qui leur appartient en propre, ou ce qui leur est faussement attribué, et en rattachant leurs opi- nions à leurs antécédents. En groupant, en outre, ces conceptions autour de leur auteur, on les éclairait l'une par l'autre.

Après une courte biographie du rabbin, M. Bâcher énumère ses paroles, en les réunissant sous un certain nombre de rubriques, en les interprétant et en citant, avec une conscience qui jamais ne se dément, la ou les références. Par M. B. localise dans le temps et

310 REVUE DES ETUDES JUIVES

dans l'espace les diverses opinions qui sont pêle-mêle dans le Talmud et les Midraschim, et permet, en même temps, de rechercher ce qu'elles ont de personnel ou de général.

C'était la méthode la plus modeste, mais la plus sûre. Un cri- tique, d'ailleurs instruit, reprochait un jour à M„ B. d'écrire des chapitres détachés, au lieu de construire une histoire. C'est qu'il n'avait pas compris le plan de cet ouvrage. Une revue d'ensemble ne sera possible qu'après l'achèvement de ces monographies qui' paraissent sans lien. Félicitons M. B. d'avoir poursuivi son dessein avec opiniâtreté : à mesure qu'avance cette œuvre imposante, les mérites en deviennent plus saillants.

VAgada des Amoraïm babyloniens a été suivie de VAgada des Tan- naïtes, en deux volumes, puis de VAgada des Amoraïm palestiniens . C'est le deuxième tome de cette série le cinquième de la collec- tion — dont nous allons rendre compte. Il est consacré aux disciples de R. Yohanan et traite d'une des périodes les plus fécondes de la agada. Jamais, semble-t-il, on n'avait donné tant d'attention à ce genre; aussi comprend-on que ce gros volume embrasse un si petit nombre d'années (fin du 111e et commencement du iv° siècle). Dix rabbins y sont étudiés au point de vue de la agada. Ce sont: Eléazar ben Pedat, Abbahou, Ammi et Assi, Kiyya b. Abba et Simon b. Abba, Isaac, Lévi, Simon (Schimon b. Pazzi), Abba b. Kahana et Hanina b. Papa. Ce sont, naturellement, Isaac et Lévi, les deux plus célèbres agadistes, qui occupent la plus grande place.

Inutile de dire qu'on chercherait vainement à surprendre M. B. en flagrant délit d'omission. M'occupant spécialement, en ce moment. des textes relatifs au Messianisme, j'ai vérifié les chapitres qui traitent de cette question et n'ai pu découvrir aucun passage du Talmud ou des Midraschim qui ait échappé à son attention. Ainsi, dans la monographie consacrée à R. Isaac, on serait tenté de relever l'absence du passage de Sanhédrin, 93 b, R. Nahman interroge ce rabbin sur la date de l'arrivée du Messie. Mais M. B. répondrait avec raison qu'il a étudié déjà ce texte dans l'Agada des Amoraïm babylo- niens, où il est plutôt à sa place.

Si nous ne craignions d'être taxé de partialité, ou d'être soupçonné d'avoir procédé à un trop rapide examen de ce gros volume, nous nous bornerions à adresser à M. B. l'hommage de notre reconnais- sance et de notre admiration. Mais puisque, par profession, le critique est tenu de faire des critiques, nous allons en présenter quelques- unes, dont la futilité fera, d'ailleurs, encore plus que nos compli- ments, l'éloge de la science de notre confrère.

Tout d'abord, il nous semble que M. B., qui prend bien soin de prévenir que certains recueils, comme le Pirké R. Eliézer et le Midrasch sur les Proverbes, mettent sans scrupule toutes leurs assertions sous le nom d'agadistes choisis au hasard, cite avec trop de complaisance la Pesikta Rabbati et le Midrasch sur les Psaumes. Que les auteurs de ces deux ouvrages aient parfois respecté les

lilBUUGKAFIHE 311

textes qu'ils utilisaient, c'est indiscutable; mais que de fois ils déforment sans raison appréciable, par légèreté ou indifférence, les

noms des rabbins qu'ils citent ! Il est facile de s'en convaincre en comparant leur version à celle qu'ils copient. Quand, donc, une as- sertion n'est rapportée à un rabbin que par l'un ou l'autre de ces auteurs, la réserve s'impose. M. B. en convient, d'ailleurs, malgré qu'il en ait. Par exemple, la l'es. Rab. place ces mots dans la bouche de R. Isaac : « Le roi de Perse sera en guerre avec le roi d'Arabie, puis le roi d'Arabie ira en Edom (l'empire romain, d'Occident ou plutôt d'Orient) pour prendre conseil; ensuite, le roi de Perse dé- truira le monde entier ». M. B. accorde que ces paroles n'ont pu ôtre prououcées par uu rabbin palestinien au commencement du iv° siècle et qu'elles fout peut-être allusion à la guerre entre les Sassauides et les Arabes. Pourquoi, alors, accorder à cette Pesikta plus de créance lorsque ses dires ne sont pas contrôlables ?

Si ces deux Midrascliim, qui, tout récents qu'ils soient, sont an- térieurs au xc siècle sont, sous ce rapport, si peu dignes de loi, saurait- on accorder plus de crédit au Lékah Tob qui leur est de beau- coup postérieur? Sans doute, l'auteur de ce commentaire, Tobia b. Eliézer. ne se livre pas aux mêmes fantaisies ; mais est-il licite de se fier à lui davantage, quand il est seul à rapporter a un ancien agadiste telle ou telle opinion? Ainsi, il attribue (p. 432) à Lévi une description en règle des événements qui se produiront à l'arrivée du Messie. Or, le témoignage de Tobia b. Eliézer est d'autant plus sus- pect que jamais aucun aucien agadiste ne trace de ces tableaux suivis. Ces descriptions détaillées et systématiques ne se ren- contrent que dans les* petits midrascliim traitant d'un sujet spé- cial; ainsi celles des apocryphes hébraïques qui se couvrent des noms de Josué b. Lévi ou de Simon b. Yohaï (Peut-être même est- ce à un de ces opuscules attribués à Josué b. Lévi que Tobia a em- prunté le morceau : Josué b. Lévi se sera réduit en Lévi).

M. B. craint trop parfois d'abandonuer le terrain solide des faits pour se livrer aux conjectures. Ainsi, dans les chapitres qui ont trait aux broderies ajoutées par les agadistes au texte de l'Histoire sainte, nous aurions aimé que M. B. nous dît toujours à quelle préoccupa- tion a obéi l'auteur, les difficultés qu'il prétendait résoudre, etc. En outre, notre savant confrère, qui cite parfois les Apocryphes quand ils offrent quelque analogie avec les assertions des agadistes, ne s'est pas assez cru astreint à procéder régulièrement à cette com- paraison. Par exemple, l'opinion exprimée par Assi (voir p. 472) que le « fils de David » n'apparaîtra que lorsque toutes les âmes destinées a naître auront obéi au plan providentiel (lire Bp3 au lieu de gJM), se rencontre déjà dans l'Apocalypse de Baruch. Ces rappro- chements ne sont pas dépourvus d'intérêt, car ils montrent, comme l'a déjà signalé Graetz, que les agadistes souvent se sont bornés à fixer des traditions ou, à leur insu, ont pris pour nouveautés de simples réminiscences.

312 REVUE DES ETUDES JUIVES

Après avoir achevé cette revue des agadistes palestiniens, M. B. ne sera pas encore quitte de sa tache ; il lui restera à procéder au même dépouillement méthodique de toutes les idées et spéculations intellectuelles des docteurs qui nous ont été conservées sous le voile de l'anonyme. De la sorte, les savants auront le tableau com- plet de l'activité agadique nous nous servons de ce mot commode faute d'un autre des rabbins des cinq premiers siècles de notre ère. Ce n'est pas trop demander à notre excellent collaborateur, dont l'ambition est d'augmenter sans cesse notre dette de recon- naissance et qui y réussit avec un succès que tous les travailleurs lui envient.

Israël Lévi.

Publications of the American Jewish historical Society. IV I. Paners présentée! at tlic tivst scicntilïc meeting hf ld at Phiia- delphîa, llecember iZ th. IH92. Publié par les soius de la Société, 1 813 3 ; in-S° do li3 pages.

h' American Jeicish Hisiorical Society, créée récemment pour faire des recherches relatives aux premiers établissements des Juifs en Amérique, a publié les comptes rendus de la réunion qu'elle a tenue en 1892 à Philadelphie et ont été traités plusieurs sujets d'un vif intérêt pour le but qu'elle poursuit. Les Ira- vaux contenus dans ce volume de comptes rendus témoignent d'un esprit de saine critique et de sérieuse recherche, qui les recommande à la sympathie des savants engagés dans des études analogues. Cette Société, qui a eu le mérite de susciter par son exemple la fondation de la Jewish historical Society en Angle- terre, a fait imprimer, sous les auspices de son érudit prési- dent, M. Oscar Strauss, ancien ambassadeur des Etats-Unis à Gonstantinople et auteur de l'excellente biographie de Roger Wil- liams (New-York, 1894), la traduction anglaise d'un ouvrage de M. Kayserling sur le concours accordé par les Juifs à Chris- tophe Colomb. Cette traduction, faite par M. C. Gross, est inti- tulée Columbus and the participation of the Jews in Spanish and Portîiguese discoveries (New- York, Longmaus Green et C;e, 4 894). D'autres ouvrages ont paru, sous l'impulsion de cette Société, qui fournissent des matériaux importants pour une histoire des Juifs en Amérique et démontrent qu'il ne manque pas de savants ca- pables d'entreprendre une telle oeuvre : une nouvelle édition de l'ouvrage The Seltlements of the Jews in North America (New-York, 4 893), du juge Daly ; la monographie The oldest Jewish Congrégation

BIBLIOGRAPHIE 313

in the West (4894), de M. D. Philipson; l'excellent livre Histonj of the Jews lu PàHaJc/phia, de M. H. S. Moraïs ; et l'important ou- vrage de Simon Wolf, intitulé The American Jeu- as So/dier, Patriot and Citizen (Philadelphie, 4895).

Le volume dont nous nous occupous ici contient également une série de travaux très intéressants : des essais et des notices sur les Juifs de Géorgie, par feu M. Jones (p. 3-1 2 ; sur les Juifs de Philadel- phie, par M. S. Moraïs (p. 13-24) et M. Jastrow (p. 49-64); sur Jacob Lumbrozo, par M. J.-II. Ilollander (p. 25-39); Jews in the Journal of the Continental Congress, par M. H. Friedenwald (p. 65-89) ; A Land- rnark, par M. N.-T. Phillips, et d'autres travaux d'un intérêt moindre par MM. Simon W. Rosendale, Cyrus Adler, etc. De ces études, les unes sont complètes, d'autres présentent des lacunes. Pour com- bler en partie ces dernières et aussi pour appeler la discussion sur les points contestés de la généalogie d'importants personnages, tels que Lombroso et Mesquita, nous donnons ici quelques notes critiques.

Comme complément à l'étude du regretté M. Jones sur « l'établis- sement des Juifs en Géorgie » (p. 5-12), nous ajoutons ici quelques informations recueillies dans diverses sources non-juives. Le 1 1 juillet 4 733, une colonie d'Israélites arriva directement de Londres en Géorgie. C'étaient : Samuel Nunès et sa mère, avec Daniel, Moïse et Sèpra Nunès, ainsi que Schem Noah, leur domestique ; Isaac- Nunez-Henriquès et sa femme, avec leur domestique Schem (Daly, p. 68, noie 75, mentionne Schem comme leur fils) ; Barnal (dans Daly, l. c, : Raphaël Bornai) et sa femme; David Olivera ; Jacob Olivera, avec sa femme et trois enfants, David, Isaac et Léa ; Aaron Depivea ; Benjamin Gideon ; Jacob Costa ; David Depass (dans Daly, l. c. : Lopass) et sa femme; Vene Real Molena; David Moranda ; Jacob Moranda (non mentionné dans Oaly) ; David Cohen avec sa femme et quatre enfants : Isaac, Hanna, Abigaël et Grâce ; Abraham Minis et sa femme; Jacob Yowall (dans Daly : Towell) ; Benjamin Sheftall (écrit souvent Sheftail) et sa femme ; Abraham De Lyon [Deleon?] (et non pas Delyou, comme l'écrit Daly, p. 68, note 75). Toutes ces personnes avaient fait le voyage à leurs propres frais.

En apprenant l'arrivée de ces Juifs dans la Géorgie, plusieurs Anglais exprimèrent leur mécontentement, menaçant de ne plus contribuer à l'entretien de la colonie tant qu'on y tolérerait les nou- veaux arrivés. On en écrivit alors a Oglelhorpe, qui répondit qu'il était très satisfait de la conduite des Juifs et louait surtout la bien- veillance et le dévouement du docteur Nunès, qui avait rendu, depuis son arrivée, de sérieux services aux colons malades. Mais, quoique Oglethorpe fit tout son possible pour rendre le séjour de la colonie agréable aux Juifs, l'inégalité civile dont ils souffraient, la situation précaire de la colonie et les avantages que leur promet- taient les habitants de Charleston les engagèrent à se rendre tous

! i REVUE DES ETUDES JUIVES

dans cette dernière ville, à l'exception de trois familles, celles de Mi- nis, de De Lyon et de Sheflall '.

On trouve aussi des relations des établissements des Juifs dans la Savannah dans les Hebreics of America, d'Isaac Markens (New- York, 1888), p. 45-52, et dans un article de la Menorah, vol. VIII (1890), p. 184-188, intitulé Early seulement of the Jews in the United States. Voir aussi l'Occident, vol. I (1843), p. 247-250, 379-384, 480-49 1 ; des articles d'un correspondant de Washington dans 1 American Israélite, à partir du du 9 août 1889; des notes de M. Cyrus Adler dans la Menorah, vol. VII (1889), p. 192-197, 252-257 ; enfin le Seulement du juge Daly, nouvelle édition, 1893, p. 64-99. Il est re- grettable que l'éditeur de cet ouvrage,. M. Kohler, n'ait pas utilisé tous les renseignements publiés dans l'Occident, quoiqu'il cite à l'occasion les papiers de la famille Sheftall, dont ce journal a donné des exiraits. Les articles de M. Adler paraissent avoir totalement échappé à son attention. Il réparera sans doute ces omissions dans la 3e édition, dont le besoin se fera bientôt sentir. Pour d'autres points d'un intérêt purement local, voir le Discourse delivered at the consécration of the Synigogne. . . Mikva Israël in. . . Savannah, Geor- gia, on Friday the 40th of Ab 5580 (21 juillet 1820), de Jacob de la Motta (Savannah, 1820).

Le recueil Historical Record of the City of Savannah, que nous avons mentionné plus haut, renferme aussi de nombreux passages sur les Juifs, dont nous extrayons les renseignements suivants :

L'histoire des origines de la congrégation Mikva Israël est en- veloppée d'une telle obscurité qu'il n'a pas été possible de déter- miner avec certitude la date de son organisation. On sait seulement qu'en 1733 plusieurs Juifs arrivèrent d'Angleterre avec deux rou- leaux de la Loi et une armoire qui les contenait. De ce fait il est permis de conclure que bientôt après ils organisèrent une commu- nauté. La tradition signale dans le voisinage de Bay Street une chambre se seraient réunis d'abord les Juifs pour célébrer les offices. Plus tard, ils eurent une synagogue en bois, à un étage, dans Broughton Street. La tradition rapporte aussi que, quelques années plus tard, un schisme se produisit parmi les membres de la petite communauté, et cette tradition parait confirmée par un acte de donation du 7 septembre 1762 de M. Scheftall, qui a offert une parcelle de terrain « a toutes les personnes professant la religion juive » atin de servir de cimetière ou d'emplacement pour une synagogue. Puisque ce document ne nomme pas Mikva Israël, à supposer que cette communauté existât déjà auparavant, il en résulte qu'il y avait eu, en effet, des dissensions qui avaient désorganisé la communauté. Quoi qu'il en soit, il est certain que cette communauté était organisée sous son nom actuel en 1790,

1 Cf. Historical Record of the City of Savannah, de F. D. Lee et J.-L. Agnew, Savannah, 1869, p. 8-9; Seulement of the Jews in N. A., de Daly, 1893, p. 68, note 75; C. Adler, dans la Menorah, vol. VII, p. 196 et 253.

MBLI0GHÀP1IIK 315

comme le prouvent d'anciennes archives appartenant à cette com- munauté.

Nous devons ajouter que M. H. -P. Mendes, rabbin de New-York, nous a fourni des copies d'inscriptions tumulaires des cimetières juifs de Savannah, dont quelques-unes ont une importance his- torique.

A l'intéressant travail de M. Ilollander sur Jacob Lumbroso (p. 25- 39\ nous ajouterons les remarques suivantes :

P. 25. Le nom de -de Sousa, écrit aussi de Sosa, Sossa, Suasso, Suso, Souza, etc., est espagnol, mais se rencontre fréquemment dans la littérature hébraïque (voir, par exemple, Steinschneider, Catalogue de la Bodléienne, col. 2509; De Rossi, Dizzionario, Leipzig, 1839, p. 303; IIammo:ku\ III, p. 53, note 4; Monatsschr., XVII, p. 186; Kayserling, Sephardim, Homanische Poesien, p. 265, 292, 316, et Geschichte dev Judeu in Portugal, p. 164, 229, 231 et passim ; Bib- fioteca espanola-portugueza judaica, Strasbourg, 1890, Index, s. v. ; D. Cassel, Ldtfaden, p. 111). Le fait que le nom de « de Sousa » se rencontre dans d'anciennes archives confirme l'hypothèse de Al. Ilollander sur l'origine juive des premiers colons. M. Adler (p. 100) mentionne un Abraham Sousa. A l'exception d'Isaac de Barrette, tous les autres noms sont bien connus dans la littéra- ture judéo-espagnole. Ferelra est une variante de Pereira. Les noms do Da Costa, Salvador et Suasso indiquent aussi que des colons juifs s'étaient établis dans la Géorgie (cf. l'ouvrage de Daly, p. 65 ; Joues, The Jews in Georgia, daus notre volume, p. 6). Mais, dans le cas qui nous occupe, ils sont certainement portés par des non-juifs.

P. 29. Le nom d'E/izabeth est d'origine juive, comme Pont déjà montré E. Rodiger dans YEncyclop. d'Ersch et Cfmber, vol. XXXIII ,1840), 347 ^ ; Gesenius, dans son Leocicon, s. v. Elischeba, et Fûrst, dans son Lexique, s. r. Ce nom répond au nom hébreu de PV^blg, qui se rencontre une seule fois dans la Bible (Exode, vi, 23). Et de fait, les Septante transcrivent ce nom (ad l.) 'EXwapéO, et la Vulgate Elisabeth,. En tenant compte de ce fait que plusieurs femmes juives célèbres s'appelaient Elisa, Elise, Isabelle, etc. (cf. Kayser- ling, Die jildischen Frauenin der Geschichte, p. 114, 172, 240, 330), il me semble qu'on peut admettre qu'Elisabeth aussi est un nom juif et qu'on le rencontre encore ailleurs que chez Tovey, An- glia judaica, p. 226. Dans la Hebrdische Bibliographie, IV, 72-74, M. Steinschneider rappelle que des treize filles de Daniel Ilzig (Jaffé), membre de la célèbre famille de ce nom à Berlin, la seconde, d'a- près une poésie d'Isaac Satnow intitulée mw TO (Berlin, Jù- dische Freischule, 1799), s'appelait Babette. Or, un autre poète juif, Isachar Falkensohn Behr, qui a chanté, en 1771, neuf des tilles d'Itzig dans une ballade insérée dans les Gedichte eines polnischen Juden (Mitau et Leipzig, 1772), p. 15, nous apprend que la seconde

316 REVUE DES ETUDES JUIVES

fille était aussi appelée Elisabeth. Donc Babette et Elisabeth sont le même nom.

P. 31-33. A propos de Jacob Lombroso ou Lumbrozo, sur lequel M. llollander a écrit son étude intéressante, je crois utile, tout en renvoyant aux différentes sources il est question de sa vie et de son activité littéraire ', de donner ici quelques informations cu- rieuses extraites d'ouvrages rares ou difficilement accessibles. Ainsi, dans les JMischc Merkwurdigkeiten, I, 529, Schudt rapporte qu'un « Juif de Dalmatie, Lombroso, exerçant la profession de médecin, a défendu le judaïsme, dans son livre tenu secret, contre le De Veritate religionis christianœ de Hugo Grotius ». Lombroso, d'après Schudt, serait donc originaire de la Dalmatie, conquise au xvc siècle par les Vénitiens, qui la cédèrent à l'Autriche en 1797. Wolf, dans sa Bïblio- thcca Hebrœa, parle aussi de Jacob Lombroso, qu'il qualifie d'Espa- gnol (I, 604) et sur lequel il publie une notice dans son vol. III, p. 513, 1070. Après avoir rappelé que Barrios lui donne le prénom de Juda, il ajoute que Lombroso avait sans doute un double prénom ou avait permuté celui de Juda avec celui de Jacob, ce qui ferait comprendre pourquoi Limborch aussi lui donne le prénom de Juda. Ainsi, la famille Lombroso, après avoir fleuri en Espagne et en Ita- lie, a eu aussi des ramifications en Amérique, nous rencontrons un autre de ses membres, appelé Abraham Lumbrozo. Du reste, on trouve encore plusieurs Lombroso en Italie.

Dans un catalogue de mss. de Judalca, (*nDOÏl ma, Amsterdam, 1868), p, 353, 5I73, M. Rœst décrit un recueil d'autographes, où, parmi de nombreuses signatures, il a aussi remarqué celle d'un Abraham Lumbrozo. Mais qui est notre John Lombroso?

Sur Benjamin Bueno de Mesquita, « membre de cette famille dis- tinguée qui, pendant longtemps, occupa une place considérable parmi les Israélites espagnols et portugais d'Amsterdam et, plus tard, de Londres », M. Taylor Phillips a écrit une notice (p. 91-92) qui aidera peut-être à déterminer exactement la généalogie de ce colon. M. Kayserling, qui est un maître dans ces sortes de recherches, parle « de la famille de Mesquita, qui n'est pas inconnue et dont des membres furent agents des ducs de Braunschweig-Lunebourg à Ham- bourg et à Amsterdam, vers la fin du xvne siècle2 ». M. Rœst, dans

' Cf. Schudt (Joh.-Jac.), Jitdische Merkwiirdigkeitcn (Francfort, 1715-1717), vol. I, p. $29;Wo\t\Bibliotheca Hebrœa, I,p.604, 1070, III, p. 513,n° 1070; Lindo (E. IL), The History of the Jews of Spain and Portugal, p. 367 ; De Rossi, Dizzionario, eu allemand : Historisches Wôrterbuch der jùdischeti Schriftsteller und ilirer Werke, de C. II. Hamber^er, p. 183-4; Occident, XXVI (5029), p. 6'J ; Steinschneider, Catal. BodL, col. 1133, 5384; col. 1230, 5569 ; Azoulaï, Dib'ttJiH ÛU5, éd. Ben Jacob (Vilna, 1852), II, p. 18 48; Ghirondi (M.), b&nïi'' "^"1*13 mibin, s. v. Tn"n7Jlb 3p3>i; Jost, Geschichte des Judcnthums und seiner Sahtcn, III, p. 227 ; Graetz, Geschichte der Juden, édition, X, p. 255; Me. Clintock et Stronp:, Tàncy- dopœdia ofhiblical... Literatnre, vol. V, p. 497; Karpeles (G.) : Geschichte der jiïdi- schen Literatur, II, 883; Mortara, fcobôCTJX *l7ûDn rH2T72, p. 35; Kayserling, dans la Bévue des Etudes juives, XVIII, p. 284, etc.

2 Monatssrhr., VII (1858), p. 394. Cf. ses Sephardim, p. 304.

BIBLIOGRAPHIE 317

son Catalog einer... Sammlung hébr. u. jMischen lin cher (Amsterdam, 4870', p. 72, 1314, mentionne Aron Ilenrique de Mesquita, qui

parait avoir été un poète et un écrivain du dernier siècle.

Gomme le remarque M. Taylor, le nom de Benjamin de Mesquita n'est cité nulle part ailleurs, ce qui fait supposer que ce personnage était peu connu. Gela parait d'autant plus probable que l'inscription de sa pierre tumulaire ne parle nullement de ses mérites et ne con- tient que cette formule vague de regret : A qui de los vimentes apar- tado. Fait à remarquer, le célèbre Don Migtiel deBarrios1 mentionne un autre membre de cette famille, David Bueno de Mesquita*, qui est contemporain de celui dont M. Phillips a fait l'objet de sa notice et qui est qualifié d' « illustre » 3. Mais comment les membres de cette famille sont-ils venus en Amérique?

Dans les annales de l'Inquisition en Espagne, nous trouvons, en re- vanche, le nom de Francisco de Mesquita de Bragance, qui, d'après Kayserling, Sephardim, 305, et Gesch. d. J. in Portugal, 323 (cf. Hutoria da Inquisiçao em Portugal, 280, et d'autres sources), fut victime d'un autodafé, en I720(?),à Coimbre.Nous mentionnons ce fait à cause de la similitude du nom de cette personne avec celui d'un prisonnier por- tugais dont parle M. Lucien Wolf dans une discussion sur l'origine du nom de la famille Yessurun [Jewish Quarterhj Review,l, 440). « En 1622, dit-il, un vaisseau de la Compagnie des Indes orientales captura un navire portugais à Mozambique, et, entre autres prisonniers, il y eut Antonio de Mendes, Salvador de Regus, Dominique de Costa et Fran- cisco de Mesquita, tous marchands de Lisbonne. » Comme les deux personnes portant le nom de Francisco de Mesquita ont vécu à un siècle d'intervalle, on peut tout au plus supposer entre elles un degré de parenté.

Quant à notre Benjamin Bueno de Mesquita, peut-être descend-il de l'un de ces colons qui avaient émigré d'Amsterdam dans l'Amé- rique du Sud, en 4GÛ0,avec Moïse Raphaël de Aguilar, Isaac Aboab et d'autres chefs éminents pour s'établir à Curaçao, à Jamaïque, dans les Barbades4, à Surinam et au Brésil. Il y avait encore des descen- dants de ces émigrants dans quelques-unes de ces colonies dans la première partie de ce siècle, comme le prouve le Beschrijving tan Su- rinante (Gravenhaye, 1854) de Van Sijpenstein B, le nom de Mes-

1 Voir Kayserling, dans le Hammazkir, VII (1864), p. 134.

1 II existe encore des descendants de cette famille, comme le montre le Hammaz- kir, II, p. 42, 535, il est question de Joseph Bueno di (sic) Mesquita, imprimeur en 1859.

3 Barios vante également Juan de Mesquita qu'il appelle avec les poètes Juan de Furia et Aron Dormido, « rossignols du nid mosaïque ». (Voir sa Relation de los Poetas espaûoles, p. 58, citée dans Kayserling, Sephardim, p. 253.) Graetz, Geschichte d. Juden, 2e éd., X, 327, le présente comme un riche capitaliste d'Amsterdam.

* Voir aussi les Jeius in the American Plantations de Cyrus Adler, dans les P«- blications, 105-108, et G. A. Kohut, Revue, t. XXXI, Les juifs dans les colonies hol- landaises.

5 L'auteur était lieutenant d'artillerie et adjoint du gouverneur.

318 REVUE DES ETUDES JUIVES

quita ligure sur la liste des souscripteurs. Un Urbain J. J. de Mes- quita a publié à Amsterdam, 1842, un ouvrage intitulé Project for tke amélioration o/tlie financial status o/'lhe Surinam Colon?/, qui contient peut-être des renseignements intéressants sur les Juifs de cette co- lonie.

New-York.

G. -A. Kohut.

ADDITIONS ET RECTIFICATIONS

Tome XXXI, p. 212, ligne 15 du bas, au lieu de 928, lisez 428. L 11, au lieu de « cette occasion », lisez « une semblable occasion », car Ibn cAbd al-IIakk mourut en Tan 950 de l'Hégire. P. 213, 1. 1 du bas, au lieu de Milorûb, lisez « Mihrâb ». P. 214, 1. 9, au lieu de « al-Rajaâ », lisez « al-Rafâa' »; 1. 14 du bas, au lieu de « Al-Heyith », lisez « Al- heyth ». P. 216, 1. 8, au lieu de « Tiawoûs », lisez « Tinnîs ». P. 217, 1. 12 du bas, au lieu de « Musulmans », lisez « Juifs ». M. Schreiner.

T. XXXII, p. 131, 1. 19, au lieu de 13D, il faut lire lb:a ; au lieu de 'faT*3, iire'lbTO; 1. 20, au lieu de ^D"ia î<b Ï1373 Innsp* ^N, il faut d'après Eroubin, 65#: ^01^ tfb n^D }n:£-|p i». Cf. Rabbinowitz, Varia lectiones, Y, p. 264. /&., 1. 5 du bas, '"»bV73î1 flfc 'y^in '"Otfp ^±2. Cf. Tamit, 7 a : ïinxn PN p^bTfl pp fy. P. 133, 1. 3, au lieu de ■*mtt«, lire n3?t&*. P. 136, 1. 4 du bas, au lieu de 01*9, lire D^DI^. P. 137, 1. 1, rWl Nin TnbttJ mb, cf. Berachot, 14 b. L. 13, au lieu de !"PN ttS^bSt», il faut lire Î1"iH Ù^blTN. Ib., ÏT yp h$ ^\ allusion à l'Exode, xvn, 16 : TP 03 b}' 1\ Ib., 1. 15, ^D3, il faut lire 1Ï3S3. S.-J. Halberstam.

Le gérant,

Israël Lévi.

TABLE DES MATIERES

REVUE.

ARTICLES DE FOND.

Bâcher (W.). Joseph Derenbourg 1

Bank (L.). Études talmudiques. II. Une agada provenant de l'en- tourage du Resch Galouta Houna bar Nathan 51

Baukr (J.). Les Juifs de la principauté d'Orange 236

Buchlkr (Adolphe'. Les sources de Flavius Josèphe dans ses

Antiquités ixii, 5, 1-xin) 179

Danon (A.). Recueil de romances judéo-espagnoles chantées en

Turquie 4 02 et 263

Graubart (D.). Le véritable auteur du Traité Kèlim 200

Kaufmann (David). Contributions à l'histoire des Juifs de Corfou 226 Kayserling (M.). Une histoire de la littérature juive de Daniel

Lévi de Barrios 88

Kohut (G. -A.). Victimes de l'Inquisition à Lisboune à la fin du

xvn° siècle 251

Krauss (S.). Encore un mot sur la fête de Ilanoucca 39

LÉvr i Israël). I. Clément VII el les Juifs du Comtat Venaissin. 63

II. Les Dix-huit Bénédictions et les Psaumes de Saloraon. 161 Mkndelsohn (S), bao, KnbiWD et mnb'Wi) 56

NOTES ET MÉLANGES.

Bacber (W.). Un vieux catalogue 426

Furst. Le sens du mot bTP3 et l'autopsie au point de vue tal-

mudique 276

Jastrow (M.). Les Juifs et les jeux olympiques 124

Kaufmann (D.). I. Le Pourim de Narbonne 4 29

IL Abraham ben Isaac de Pise 130

III. Une lettre de Gabriel-Félix Moschides à R. Juda Briel. 134

Kayserling (M.). Notes sur l'histoire des Juifs au Portugal 282

Lévi (Israël), Bari dans la Pesikta Rabbati 278

320 KKYUE DES ETUDES JUIVES

BIBLIOGRAPHIE.

Bachkr ("W.). Anecdola Oxoniensia. Mediaeval jewish Chro-

nicles, II, éd. par Ad. Neubauer 138

Blau (L.). Der Name Maria, par O. Bakdenhewer É 152

Kohut (G. -A.). Publications of the American jewish historicai

Society. 1 312

Lévi (Israël). I. Revue bibliographique, trimestre 1895 et

1er semestre 1896. 28a

II. Die Agada der Palaestinensischen Amoraer, II0 partie,

par W. Bâcher 309

Additions et rectifications 160 et 318

Table dés matières 319

ACTES ET CONFERENCES.

Allocution de M. Abraham Cahen, président i

Assemblée générale du 23 janvier 1896

Bloch (Maurice). Rapport sur les publications de la Société

pendant Tannée 1 895 ix

P rocès-verbaux des séances du Conseil xxi

Rapport financier de M. Moïse Schwab, trésorier vi

FIN.

VERSAILLES, IMPRIMERIES CERF, 59, RUE DUPLESSIS.

mBJLWDi;; DEC 12 1978

DS Pevue des études juives;

101 hîstoria judaica

U5 ?S

t. 36

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