i REYUE ENCYCLOPEDIQUE PAR H. CARNOT ET P. I^EROUX. JANVIER 1832. PARIS. AU BUREAU DE LA RE\aJE ENCYCLOP^DIQUE , lae des Saints-Pferes , N" 26 j ARTHUS BERTRAND, ROE H AUTEFEUl LLF. , S" 3 3. PniNCIPAOX ARTICLES PUBLICS PAR LA REVUE EMCTCLOPiDIQUE , EN i 83i . 1 , ^viKR. — Coup d'oeil sur IVlat du globe en i83o (P.-yd. Du/au ) ; — Suiislique morale et politique de I'llalie ( C. Didier) ; — Histoire des poissons pnr Cuvier {F/ourens) ; — Napoleon dans les histoiiens etdans le drame {^venel); etc. FkvRFKR. — £tat de la saddle reliRieuse au treiileme siecle ( Capefigue); — Revue des journaux poliliques ( Peletin); — Memoircs de 1' Academic de Petersbourg (Ferry) ; -Hisloiie des Croisades {Depping) ; etc. Mars. — R»i B\oow. REVUE ENCYCLOPfeDIQUE. DE LA TENDANCX NOUVELLE DES IDEES. La science huniaine , telle quelle se presentait il y a quelques annees, etait non pas uu corps , mais coinme autant tie membres agites de mouvemens sans imite et sans harmonic. L'esprit hu- raain est ini, et cependant chaque partie de la connaissance liu- jnaine avait ses barrieres , qui la separaient des aufres, et qui en faisaient un domaine a part. La religion, la politique, les sciences, les beaux-arts, etaient autant de spheres toutes dis- tinctes, entre lesquelles on n'apercevait aucun rapport, aucuii lien. L'industrie etait une chose, la politique une autre. Le peuple vivait, travaillait, souffrait, mourait : qu'avait a faire a cela la politique ? On ne se doutait pas que cela la regardat. Le probleme social n'etait pas pose. Les poetes chantaient, les uns se lamentant sur le present, les autres regrettant le passe. On les ecoutait, et on jugeait leur me- rite ; il y avait des discussions litteraires : mais ces discussions n'etaienl que litteraires; on ne voyait pas que les questions de I'art contenaient impliciteraent les plus liautes questions reli- gieuses et sociales. Pendant cela , le christianisme s'ecoulai't obscuremeut , sans exciter d'attention , si ce n'est pour les usurpations de son clcrge en politique. On se disait : a Qua a faire la religion avec les TOME l.IIl. JAWVrEU 1852. 1 2 TENDANCE NOUVELLE DES IDEES. choses d'ici-bas? La religion est chose mystique et en dehors decettevie. EUe n'interesse que la conscience, et il y a uiie loi morale qui suffit aux honnetes gens. C'en est fait desor- mais dcs questions religieuses si long-teins debattues par I'hunia- uite ; ellcs peuvent rester eternellement dans le silence ; qu'elles ne sortent plus du domaine de I'histoire. » Et dans chaque branche meme de la counaissance humaine , le morcellement , la division, Tamour du fragmentaire, si I'ou pent parler ainsi, avait attcint son plus haut degre. La philosophic visait a etre eclectique , la science avait horreur des vues gene- rales, riiistoire voulait etre un assemblage de chroniques, I'art U.J musee on un cabinet d'antiques. C'est I'epoque doctrinaire. Aujourd'hui quel changement! Religion, politique, econo- mic politique , sciences, beaux-arts, ont fait, comrae de con- cert , un pas en avant et pour se rapprocher. M. Ballanche , annoncant en phrases poetiques , une epoque palingenesique , est la sibylle de ce tems. En politique, si Ton interroge le temoignage des esprits les plus eleves , on est frappe de les trouver presque tons preoccupes par une monie attcntc, celle d' une renovation sociale prochaine. Au milieu de I'extreme opposition qui regne dans leurs differentes manieres de juger et de sentir , I'accord de leurs pensees sur ce point a quelque chose qui etonne et doit faire reflechir. II sem- ble, au milieu d'une lutte de voix diverses de timbre et d'ex- pression qui se repliquent vivement , les entendre s'unir tout a coup, par raomens, pour former un chocur eclatant. Et en meme tems que ces grandes voix se font entendre , emues , les unes d'esperance, les autres d'inquietude , nous voyons le peu- ple agite par les memes pressentimens. Depuis la grande experience de juillet , renouvelee avec tic funestes resultats par la Belgique, I'ltalie et la Polngne, depuis les deceptions nombreuses , les cruels desenchantemens quelle a laisscs dans les cceurs, il s'y est heureusement grave une convic- tion profonde : c'est qu'il n'y a de revolutions durables et fe- TENDANCE NOUVELLE DES IDEES. 3 condes, de revolutions accomplies saus retour, que ccllcs qui interessent directeraent la classe uombreuse et laborieuse , qui ameliorent radicalement sa condition morale et matcrielle. Le peuple ne gagne rien effectivemeiit aux mouvemens poli- tiques qui n'ont d'autres resultats que cekii de transporter le pou- voir d'une fraction a une autre de la classe privilegiee. Le terrain des debats politiques se trouve aiusi completement deplace : les distinctions , naguere encore si profondes, de no- bles et de bourgeois, de monarcbistesetde liberaux, de wighs et detorys, but ete effacees dansledebat par I'apparitiou d'uu nou- vel element, demeure , pour ainsi dire, inapercu jusque la , le peuple. II n'y a plus des privilegies a divers degres, mais seule- ment des hommes h privileges et des hommes sans privileges ,"'cla d'autres termes, comme on I'a dit, tantot avec anxiete, tantot avec une ironie aristocratique , ceux qui ont et ceux qui n'ont pas , les proprietaires et les proletaires. La grande question du proletariat s'agite aujourd'bui, comrae au lerme de la socicte romaine s'agitait la grande question de I'esclavage. Ainsi le problenie de la politique est devenu celui de la science sociale tout entiere , et cbaque jour on s'accoutunie a ce nouveau point de vue. La politique et I'economie politique ne sont plus des speculations froides et inanimees ; elles se teignent et s'ecliauffeat de sentiment et de charite. Pour qui- conque est capable de vues generales , elles s'unissent a la reli- gion , elles se fondent avec elle ; elles en deviennent inie bran- che, et a un point de vue elles sont identiques avec elle. Egt-il etonnant qu'a leur tour la philosophie et la religion , eniues profondenient par le probleme social, s'avancent pour le resoudre, et etendent leurs bras vers la societe. ^n philosophie , apres le dix-huitieme siecle , I'initiative passa de la France a TAllemagne. La philosophie nous revient d'Al- lemagne aujourd'bui , avec la transformation quelle devail subir dans son progres, c'est-"a-dire dcvenue positive de negative 4 TENDANCE NOUVELLE DES IDEES. qu'elle etait sur tout, organisatrice et religieiise au lieu d'etre principaleiueut ilesorganisatrice et irreligieuse. Tout ]e niouve- nient de Kant aura d'abord conduit a vine nouvelle concep- tion de Dieu et de I'humanite, et aura abouti a I'ideal d'une nouvelle organisation sociale qui tend a se realiser; de nieine que le principe social de Yegalite , cultive par la France , aura conduit a une nouvelle conception de Dieu et de I'hunia- nite. Chose admirable ! il y avait entre I'Alleraagne et la France separation de travaux ', et pourtant elles semblent arri- vees aux memcs solutions. En politique, la philoeophie alle- niande vient donner la main a. cette ecole de Tiirgot , de Con- dorcet , de Saint-Simon, si noblement attachee au dogme du progreset de la perfectibilite du genre humain. Enpoesielemou- vemeut imprime par Goethe il y a plus de quai'ante ans s'est communique rapidement dans I'Europe eutiere , et spontanement les cordes de la lyre ont partout vibre a runisson(i). Et dans les sciences, des theories nouvelles sur la nature sortent de la raeta- physique allemande , en meme tems que des idees analogues eclosent chez nous dela seule etude des fails : a nos naturalistes philosophes, aux travaux des Lamarck et des Geoffroy , viennent se joindre, comme par attraction, tons ces hommes remarquables, Oken , Spix, Schulbert, Wilbrand, qui emploient Timagina- tion et I'ontologie pour explorer le champ de la science , et qui croient que dans I'etude des phenomenes si compliques de la vie, ce n'est pas trop de toutes les forces de I'intelligence. Ainsi se revele encore dans notre tems ce synchronisme admirable que nous retrouvons dans toutes les periodes fecondes du passe ; il va se montrer pour I'Europe entiere dans les sciences et dans la politique, comme on I'a deja retrouve dans la poesie. Voila done la philosophic allemande qui croit porter en elle une pensee nouvelle , a la fois sociale et religieuse, et qui annonce (<) Voycz nos articles sur la podsic de Tdpoijuc actiiellc, dans les derni^rc? livraisons dc la licvui.. TENDANCE NOUVELLE DES IDEES. 5 fierement que ses theories u'ont pas ete le fruit d'une imagination reveuse, ni une sorte d'exercice en I'absence d'occupation dans la vie reelle et politique, mais quelle tendait plus baut et plus loinCl). Et pendant que la philosophie aspire a faire ce qu'elle a deja fait en d'autres epoques , c'est-k-dire a donner a I'liunianite des solutions religieuses el a ;iat de raniicnnc forme rcli;i;ieuse. DE LA SOCIETE SAINT-SIMONIENNE- 29 interronipant leurs etudes pour se livrer a la propagation des idees anterieurement acquises, devait avoir un terme ; car leiir doctrine n'etait pas complete et avait elle-nieme son terme. Leur tache devait se trouver achevee d« jour ou leur influence sur I'opinion publique aurait porte k la connaissance de tous les theories nouvelles , et prepare une portion de la masse a accepter la vue generale et la position dcs questions. Le germe de disso- lution croissait done danslesein de la Societe, et se developpait a mesure que sa puissance grandissait et que le succes repondait a sa perseverance. 'Elle marcliait confiante , conteniplant sans crainte les obstacles qui se dressaient devant elle , mais ne son- geant point aux precipices, et ne calculant pas que bientot le ter- rain viendrait a manqner sous ses pas. Ce fonds commun, qui depuis un an ne s'etait pas accfu d'une seule idee et dans lequel on avait tant puise , commencait a se tarir ; I'esprit des chefs etait ouvert sur une position si precaire, et ils avaient bien com- pris que, faute de pouvoir puiser une vie nouvelle dans une theo- rie plus profonde, il faudrait suspendre la hierarchie et terniiner le mouvement. S'arreter an milieu d'une course eclatante, et revenir humble- raent a I'etude ; avoir reve la papaute universelle et la supreme direction du genre humain et se trouver reduit aux pa sibles meditations de I'economiste ou du philosophe •, avoir regne en dictateur, et abdiquer sans regret sa. grandeur pour se replonger dans la foule, sont cKoses qui ne naissent point facilement en I'esprit ; et il semble qu'il soit dans I'essence du pouvoir, meme le plus chetif et le plus incertain , de faire naitre autour de lui I'ambition et le vertige. Un parallelisme inflexible entre le catho- licisme et le saint-simonismQ, poursuivi depuis la.revelation dn raont -Thabor jusqu'a la domination du Vatican, un envahis- sement exagere des pen§ees de De Maistre et de Lamemiais avaient erige en principe I'unite du pouvoir absolu; I'humanite, fut condamnee a passer de la papaute catholique a la papaute saint-siraonienne , et ni Vodieux ni le ridicule de ce nom decre- 3o PHILOSOPHIE, pit ne furent, pour les chefs de la doctrine, empecheraent a la prise de possession de ce titre bizarre : ils furent papes. Ce fut une vienouvelle ; il s'agissait nonplus, comme autrefois , d'en- seignemens au public , mais «le commandemens aux fideles ; non plusde discussions a soutenir, mais de sacremens a administrer ; confessions , baptemes et mariages formaient de pieux spectacles amenant a la file processions de devots convertis. II etait moins question d'augmenter le nombre de ses idees , que d'aug- menter le nombre de ses sujets, et un recrutement aveuglc, lance jusque dans le sein des classes ouwieres , permettait d'etaler dans le Globe de grands cadres et de fastueux recen- semens. Sur les tableaux pompeusement offerts a. la curio- site publique, on voyait la capitale divisee en sections et en ar- roudissemens, la province en metropoles et en eglises , la Belgi- que elevee au rang de succursale, et I'Angleterre designee pour une conquete prochalne. La folle passion du pouvoir vient quelquefois frapper la fan- taisie des liommes et maitriser leur. volonte , lorsque tout se de- robe autour d'eux et se refuse a satisfaire leur ardeur ; alors , cemme il arrive a ces voyageurs surpris par la soif dans le sable du desert , leur esprit s'inquiete et se travaille , le monde reel echappe k leurs regards , et leur imagination s'epuise en songes trompeurs de contrees riches et riantes ouvertes devant eux. La direction supreme de quelques neophytes partages par provinces bientot fit place a une pensee plus brillante et plus vaste ; la France, avec son divin genie et sa puissante industrie, si belle avec les fleurs de ses douces canipagnes et les tresors de ses villes populeuses , fatiguee et incertaine sous le feu de sa fievre inte- rieure, la France, comme soutenuesur les ailes de I'ange tenla- teur , se balancait incessamment a cet horizon feerique, source intarissable de reves dores et de chimefiques esperances. Le jour on les Tuileries pavoiseraient leurs pavilions pour I'intronisation des ponlifes-souverains semblait se rapprocher d'heure en heure ; et chaque matin le journal officiel , a travers la transparence de DE LA SOCIETE SAINT-SIMONIENNE. 3 1 ses predictions gueiTieres oti pacifiqiies, laissait entrevoirle saUit dela Franceassocie h la domination pontificale de MM. Bazard' €t Enfantin. Mais toutes ces bizarreries , tons ces capricieux ecarts n'etaient qu'agitation a la surface, et la parlie profonde de la propagation demeurait a I'abri et suivait paisiblement son cours ; le travail serieux entrepris des I'origine , qui seul, durant dix-huit mois de vie et de prosperite, avait entretenu le lien social, touchait a son terme, et, avec lui, tout mouvementexterieurdevait cesser et s'eteindre. II n eta it pas une ville importante qui n'eiit ete traversee par quelqu'une de ces nombreuses missions qui avaient sillonne la> France ; les esprits avaient ete tires du cercle habituel de la po- litique routiniere, et I'interet des hautes questions de Tbumanite avait ete reveille chez le plus grand norabre ; le Globe , distribue a quatre mille exemplaires , avait porte ses forraulesj usque dans les villages, et ne trouvait plus d'enseignemens nouveaux ; les li- vres et les brochures donnes , repandus, colportes corame des feuilles d'annonces, couraient comme d'eux-memes, et venaicnt "a ceux qui desiraient penetrer plus avant dans les principes de la doctrine nouvelle ; la science etait epuisee, et Timprimerie ne s'ali- mentait plus que de la repetition des memes ouvrages. La propa- gation saint-simonienne avait reussi au-delk de toute esperance , et son empreiiite surTopinion publique etait desorraais ineffaca- ble ; la presse departementale , "a son drapeau de liberte, unissait presque partout celui de I'amelioration des classes laborieuses -, I'ecole economique opposee k la souveraine concurrence etait de- venue, puissante, et ne manquait d'organes ni dans les ateliers du peuple, ni dans les salons de la bourgeoisie; les esprits les plusavances ne traitaient plus de folic Videe religieuse, etcom- prenaient quelle offrait a la philosophic du dix-neuvieme siecle une grave et profonde etude. L'ceuvre etait terminee, Les hommes qui pour I'accomplir avaient momentanement reuni leurs voix etleurs efforts, devaient ■;:?% 3a PHILOSOPHIE. r^ntrer dans I'independance de la vie et le silence dii travail phi- losophique. Les societes rencontrent toujours une limite infran- chissable dans le teius qui se developpe devant elles , et cette li- mite dans I'espace est celle qui correspond a la limite de f idee quileura donneiiaissancepuais il iraporte pen a Thumanite qu'une societe perisse, la verite acquise lui demeure toujours, car la verite n'est point chose qui depende du terns. La recherche de la verite ne saurait etre le lien d'une associa- tion hierarchique. Ce n'est pas un travail dans lequel on puisse des le debut fixer chaque tache et chaque raethode ; les tresors de la science sont epars dans ce monde de I'ame, ce monde oii chaque homme habite seul, et dont il n'est doune a personne de partager avec d'autres les immenses solitudes. Les decoiivertes philosophiques ne se font point de coinpagnie; lorsque Colomb appelades homines h lui et les conduisit a travers le vaste Ocean, la terre nouvelle etait trouvee, le genie du gi-and homme pla- nant sur les eaux embrassait dejk les deux rivages. L'heure de la decadence etait arrivee : il fallait une solution a ces problemes si resolument enonces depuis dix-huit mois •, il fal- lait une doctrine. Alors chacun des papes , frappaut d'anatheme latete de son ancien coUegue , se posa chef supreme et revelateur de la loi nouvelle par droit d'heredite saiut-simonienne. Ce fut le signal. Les membres du college, noyau primitif de I'ancienne ecole, reprirent, Aux yeux de tous, leur libette civile etleur droit individuel : le travail "a accomplir pour demeurer dans la ligne du progres etait desormais tout philosophiqiie, et ne demaudait plus ni reglement ni contrat. Dans le partage, la meilleure part deraeura a M. Enfantin ; la caisse, lamaison , le journal furenfa lui ; quatre ou cinq mem- bres de I'ancienne ecole continuerent a rester groupes autour de lui, se rangeant nonk son opinion, mais a sa personne ; et enfin toule la puissance mecanique , voix , argent, activite , obeissance, qui foi-mait uue longue trainee a la suite de cet aimant de propa- gande si long-tenis promene sur le sol , se trouva , apres une DE LA SOCIETE SAINT SIMONIENNE. 33 legere secoiisse, attacliee de nouveau "a son aiicienne place , se- duite par Thabitude de la lidelite et le prestige du mom de Saint- Simon. Le nouveau chef declarait connaitie, sauf quelques ad- ditions de detail, la morale nouvelle, et ne deraandait a ses adeptes qu'une patience de quelques mois pour leur reveler son dogme tout entier. Pendant long- tems le soupcon de cette doc- trine secrete avail plane sur la societe saiut-siraonienne ; niais elle ne s'ecliappait du sanctuaire inlimc dee deux pontiles que par lueurs insaisissables et fugitives , et demeurait aux yeux. des pieux adorateurs de Saint-Simon comme ce nuage sacre qui , au centre du camp des enfans d'Israel , enveloppait le faite du ta- bernacle d'un voile mysterieux. Pour les autres, cette tlieorie in- connue etait sujet de sollicitude ou de defiance, non de de- couragement ou de crainte : de nos jours I'erreur , lorsqu'elle ne se ronge })oint elle-meme , n'est difficile ni "a comhattre ni a vaincre. L'exaraen du reve bizarre concii par M. Enfantin serait tout-n- fait en dehors du but de cet article. Dans sa partie la plus se- rieuse, c'est I'harraonie universelle commencantparun etetement general de I'humanite , et se completant par un monstrueux groupement de tons ces corps sans ame autourde la tete poutifi- cale ; dans sa partie chinierique, c'est une foble qui depasse la liniite des contes orientaux, une hunianite en trois morales, et sans doute en trois races comme une ruche d'abeilles , une ima- gination de fantastiques a])bayes de volupte et de modernes con- ' quetes, a I'imitation de Bacchus, avec des bacchantes et des fleurs ; quant a la partie ridicule, elk se deploie d' elle-meme avec une si Histueiise abondance, que le Globe, chaque matin , la de- taille au public dans une forme que la verve la plus satirique ne samait imiter. Si cette societe n etait que prodigieusement ri- dicule, onnepourrait sans doute rien conclure surement centre elle ; mais son arret de mort est ecrit dans son principe qui est prodigieusement faux, puisqu'il est Tincroyable negation de toute liberte el de toute dignite. TOME LIIl. JANVIER 1852, 5 34 PHILOSOPHIE. ■ All restc, aujoiirdliiii I'enceinte de la iiie Monsigny semble pinporlee liors dfi terre dans les espaces imaginaires ; le pape, assis dans son fauteuil d'or, pousse I'impiete cnvers Dieu et en- vers los hoinmes jusqu'a se faire publiqucment adorer par son predicateur d'office, M. Barraut ; puis , comme lasse de cette vie sur-hnmaine , il laisse toniber luie plainte araere sur cette gran- deur solitaire a laquelle sa destinee le condamne , et envoie ses rharabellans parrai les villes et les provinces qiieter cette ferame que son coeur appelle, et lui araener enfin une compagne digne delui et desa fortune. M. Bazard s'est pose de son cote comme successeur de Saint- Simon et chef dune hierarchic nouvelle; mais la societe reunie autour de lui est encore sans organc et parait pen considerable. II pretend , comme M. Enfifntin , posseder la loi definitive ; mais sa theorie religieuse est pour nous en partie dans I'ombre. Dans un livre imprime depuis un an il s'ecartait assez peu de I'orga- nisation catholique du pouvoir'absolu, et, dans un dernier tra- vail, il a fait connaitre ses idees sur le manage. La solution generale de tons les termes de la grande serie humanitaire et I'idee metaphysique sur laquelle elle s'appuie doivent etre prochaine- ment exposees par ce pliilosophe , et permettront alors an juge- ment de se fixer sur les fragmens separes de I'ensemble et pu- blics isolement. M. Rodrigues, ancien disciple de Saint-Simon, etqui lors de la dissolution de la societe avait quitte ses affaires financierespour s'unir'a M. Enfantin et lui donner unnouveausacre, en le decla- rant rhomme le plus moral de I'humanite et I'heritier legitime du revelateur, a denouveaubrisc les liens hierarchiques pour ac- complir plus a son aise ses grands projets de Charlemagne in- dustriel et de Moise pacifique; c'est le troisieme pretendant a la direction supreme de Thumanite. Heureusement I'liumanitenest point tenue de choisir. Quant a nous qui ne croyons ni "a la legitimite nouvelle, DE L\ SOCIETE SAINT SIMONTENNR. 35 iii a la legitimite catholique , nous ne nous detournerous pas de la grande ligne du mouverneiit humain pour nous soumettie "a la regie d'un noni : il ne nous iniporte ni de le soustraire a ceux qui le couvrent d'une souillure immeritee, ni de nous en emparer pour en faire luie formulea la banniere de I'avenir. Les grands homraes sont les grands initiateurs, et c'esl leur destinee que de voir leur nom tomber au doniaine public. Les plus sales empereurs out revetu le nom de Cesar , et les jesuites se sont pares de celui de Jesus ; mais Cesar et Jesus etaient au-dessus de telles atteintes, leurs noms ont doniine Tinfamie et sont de- meures glorieux et purs. Aujourd'hui rhumariite a conscience de son progres et de sa dignite, et, pour faire bonneur a ses grands horames, elle n'a plus besoin de les elever dans les regions du ciel et de se prosterner dans la poussiere de leurs trones ; elle n'est plus reduite a leur donner I'exil pour recompense, et la chaste louange de I'histoire remplace les adulations et les mensonges de I'apotbeose et de la canonisation. L'humanite a compris qu'en elle est I'origine de toute inspiration pour les sages, et que, si elle recoit d'eux quel- que richesse , c'est quelle leur donne en ecliange tout Fheritage des terns passes. L'humanite, periode de la pensee eternelle, se deroule sans relache dans le sein de I'etre inHni , et n'est I'ceuvre de personne : ni Bouddha, ni Jesus, ni Mahomet ne I'ont faite ce qu'elle est, et elle se sent aujourd'hui trop de majeste pour s'humilier devant ini homme et se vetir de la livree de son nom. La carriere du progres est oviverte a tons ceux qui sentent une force se dresser en leur esprit pour lutter contre les tenebres qur"couvrent encore la face du monde , k lous ceux qui entendent retentir en leur cceur un long echo de cette vaste plainte qui du sein de l'humanite monte incessamment vers le ciel, et qui voient I'espoird'un meilleur avenir se lever en leur ame, conirae 3. 36 PHILOS. «E LV SOCTETE SAINT SIMONIENNE. im soleil novivcan qui chasse clevant liii I'liuraide brouillard et les Amtoines glaces de la unit. Les fruits de rautomne sunt aussi les seraenccs du printeius ; a nous de cultiver ce que nous a legue le genie de uos peres , uos enfans moissonneiont un jour. Jean Reynaud. POLITIQUE. LES TROIS PRINCIPES. ROME , VIENNE , PARIS. II se passe sous nos yeux en Italic uu phenomeiie historique qui, pour n'etre pas sans exemple dans le passe, n'en est pas inoins, par les circonstances nouvelles qui s^y rattachent et le modifient, d'un puissant interet politique et social; ce plieno- raene , c'est I'etroite alliance des deux vieux principes guelfe et gibelin , c'est-a-dire de I'Autriche et du Pape. L'alliance est loin sans doute d'etre equilibree. Les rapports entre Vienne et Rome sent ceux de client "a patron, non d'egal a egal. Un interet commun acluel les rapproche et les lie, raais depuis long-teras Cesar a le pas sur saint Pierre. Dans i'etat general deTEuropeetdans la situation particidiere des provinces de I'Eglise, elles ne pouvaient echapper a I'in- vasion autrichienne ; leur situation geograpbique seule la rendait inevitable. L'intervention actuelle n'cst du reste en sol que I'ap- plication d'un principe deja mille fois applique par les papes. Nous verrons comment le nom seul de I'Autriche isole la nouvelle croi- sade, et liii donne un caractere social. Rome temporelle et spirituelle fit toujours la guerre avec le bras d'autrui. Et que pouvait faire une puissance sans ressources materielles, sans institutions militaires? Quand les foudres spiri- tuelles etaient impuissantes, et que force etait de recourir aux itrmcs teniporelles , elle imposait sa querclle aux princes, quoi- 38 POLITIQUE. quelle ue fiit pas leiir souveraine et , vassaux soumis, les princes s'arraaient pour elle. Ses recompenses, il est vrai, etaient magni- liqwes ; pour salaire elle donnait des Iroiies. Aiiisi fit Gregoire VII avec les Normands, Clement IV avec les Ange^'ins. Ainsi Rome aspirait a I'empire universel, elle y parvint, et ii'avait en elle ni les moyens de resister.au plus faible de ses voisins, ni la force de contenir ses propres provinces. Semblable au Jupiter des anciens, elle lenait dans chacune de ses mains im monde, et poui trone elle avail un nuage.Mais cette nuee mira- culeuse, le souffle de deux mille ans d'orages ne I'a point entie- rement dissipee, aujourd'hui meme elle resiste. Battue et agitee par de nouvelles tempetes; crevassee, percee a jour par un soleil nouveau, plus penetrant et plus chaud, elle soutient encore le colosse depouille, caduc, expirant, mais luttant toujours et tou- jours jeune d'esperance. Esperance irapuissante et folle que le present raille et que I'avenir ne veut paS sanctionner. Au moyen age les princes seculiers etaient vassaux du Saint- Siege, ils reconnaissaient tons sa suzerainete supreme. Non certes que beaucoup ne regimbassent contre I'aiguillon et n'aspirassent a I'independance ; mais ils se taisaient et se resignaieut, leur ti'pne etait a ce prix. Pourquoi ? — Parce que le Pape etait dans I'opinion le vicaire de Jesus-Christ ; parce que le catholicisme etait une force sociale et active, c'est-'a-dire qu'il etait dans les masses, que les masses y tenaient comme a une institution fondee par elles et pour elles , comme a une gaiantie, une sauve-garde populaire. Au milieu des violences de ces siecles terribles quelle voix consolait, sinon la voix du pretre! Quelle main nourrissait le pauvre, siuon la sienne! Qui bandait les plaies de la societe feo- dale, qui foudroyait les princes, qui leur ordouuait la justice et la clcmence, qui les appelait au tribunal de la confession, bu- miliait leur orgueil, fletrissait leurs iniquites, leur iraposait les disciplines de la penitence; qui enfin, s'elevant par-dessus toutes les dominations moudalncs, i'oiilautaux pieds les hierarchies in- ROME , VIENNE , PA.R1S. .)Q saltautes de la feodalite, proclamait Tegalite des hoinnics dovaiU Dieu? C'etail le pretre. Et au nom de qui cet'e haute mission de cen- sure et d'egalite? Au nomd'iinplebeien, ne dans une etable; au nom du fils d'un charpenlier, mort sur urife croix pour avoir fronde les puissances et plaide pour le peuple. Le catholicisrae represente par un pretre elu , qui n'etait lui-nieme que I'iraage du plebeien de Nazareth et qui regnait en son nom , le catholi- cisme, dis-je, etait la rehabilitation du peuple. La chaire chre- tienne etait la tribune populaire; ie temple, le sanctuaire de I'egalite; le pauvre et le riche, le sei'f et Tempereur y venaient baiser la poussiere des memes autels, s'y agenouiller aux pieds du meme maitre; le malheureux poui'suivi par les lois humaines y trouvait contre elles une egide et y dormait en paix a la vue des bourreaux. Telle etait I'instltutiou cathoHque. — Comment le peuple n'y aurait-il pas tenu ; son Dieu s'etait fait peuple pour le sauver, et lui se faisait Dieu en Tadoranr. II y a pen de dangers a operer anx surfaces, a nianier et renia- nier les institutions purement politiques ; mais un sceptre n'a jamais touche aux profondeurs sociales sans que les trones n'aient tremble, sans que tout I'edifice ue se soitebranle dans ses bases. Or rien n'est plus profondement social que les convictions po- pulaires; on ue les violente jamais sans provoquer des reactions terribles, et les dominations humaines n'ont de dnree qu'autant qu' elles s'y conforment; ce qui revient a cette verite aujour- d'hui demontree et reduite en axiome, que toute puissance emane des entrailles du peuple. L'histoiie de tons les siecles est la pour le dire. P.ourquoi I'empereur Henri IV excommunie se trouva-t-il , tout-k-coup et comme par enchantement, seul dans son empire , sans armee , sans amis, sans trone aux pieds de Gregoire? Pour- c[uoi Frederick II de Souabe niit-il un soin si minutieux, un em- pressement si ctrauge'a se justifier aux yeux des peuples, dans les 4o POLITIQUE. cours et les conciles, des accusations d'heresie I'lilminees coiitre liii par trois papcs? Pour etre sous Tinterdlt du Vatican, Henri vn etait-il nioins empereur d'AUemagne, et Frederick moins f^rand et magnaninie pour etre suspect d'heresie? Pourquoi done cet abandon, celte humiliation de i'un, ces apologies, ces ter- reurs de I'autre? C'est, nous I'avons dit, que la cause du Vatican etait celle des peuples. Or, en alarmant leurs consciences , il ebranlait leur foi. politique, il sapait les trones, et les souverains le savaieut ; la est tout le secret de la papaule. Et si de siecle en siecle elle a perdu de son empire, si les royaumes lui ont echappe un "a uu , c'est qu'elle a ete infidele a son raandat, a ses traditions ; c'est quelle a deserte la cause des peuples pour enibrasser celle des princes, se faisant pri'icea leur nianiere; c'est qu'en reniaut, en brisant ses appuis naturels, elle a detruit du uienie coup les conditions de son existence; c'est qu'enfin lorsque tout niarcliait autour d'elle, elle a refuse de marclieraussi, c'est-k- dire qu'elle a refuse de vivre. En abdiquant sa haute mission populaire, elle n'a plus trouve de sympathiedans les peuples; on la tint pour transfuge, c'etait justice. Les raonarques surent habilement s'emparer de ce qu'elle rejetait; et, caressant les vanites nationales, iis ont peu a pen })ris la place laissee vacante par son inciu'ie et son imprudence. De ce terns date I'emancipatioiT des trones. De nouveaux rap- [)orts sociaux etablis, de nouveaux continens decouverts , les conquetes successives de la science sur I'antiquite , 1' esprit d'examen qui en naquit, toutes ces modifications subies a la fois et par le monde physique et par le monde intellectuel , reagirent a leur tour sur les croyances religieuses deja ebraiilees par la mar- che des siecles , par les exces des hommes , par les abus du .systerae, c'est ainsi que la sooiete theocratique mourutbien long- lenis avant la societe feodale. L'im])iimeric, ce levler tout-puissant de la pensee, vint don- uor la vie et le mouvemenl ;i tons ces elemcns epars ; elle les ROME , VIENNE , PARIS. 4 ^ rappi'ocha, elle les reimit, elle en forma k la longue iin siecle pleiii de seve et de force. Or ce siecle c'est le notre. 11 date de 89. La theocratie romaine est morte. La feodalite, qui hii a porte les premiers coups, reste seule a conibattre. Tele a tete avec uu siecle qui n'eii veut pas, saas auxiliaire dans la lutte "a mort en- gagee il a qiiarante ans centre elle, elle a pris peur; effrayee d'un isolement qu'elle-meme s'est prepare , elle s'est repentie de son propre ouvrage , et, toute pale d'effroi , elle a ete frapper aux portes de Saint-Pierre. « Reveille toi! » a-t-elle crie a I'aiitique es- prit du Vatican. « Oublions nos vieilles querelles dans un danger commun , et inarche sous ma banniere. » C'est ainsi qu'elle a ramene dans Tarene le catholicisme ; mais le monde a bientot vu qu'elle n'avait traine au combat qu'un cadavre; coinnie Volta , elle lui a rendu le mouvement sans lui rendre la vie. II en est des institutions comnie des liomraes ; ce qui est mort est mort. Telle est a nous notre conviction profonde que le catholicisme a fait son terns, commc institution politique. Son role a ete long et magnifique ; i! a rapproche les nations isolees , et le premier eta- bli cette solidarite de peuple "a peuple, base necessaire de toute religion, de tout sysl erne de socialite humaine. Ne vous alarmed point, ames pieuses et croyantes, nous ne venous pas pour vous etre en scandale, ce n'est point "a vos dieux que nous en voulons ; car nous venons abattre les.idoles , non les dieux. Suivez en paix le culle que votre foi.vous com- mande, baisez la poudre de vos sanctuaires, nous n'irons point vous arracher du pied des autels. Nous n'irons point, missionnai- res farouches, porter un ceil profane dans Fintimite de vos con- scienees, un bras furieux dans la saintete de vos temples. La pbilosopliie du dix-Luitieme siecle fut intolerante, parce qu'elle etaitmiliiante et destrnctrice; la philosophic du dix-^eu- vieine est toleranle, parce qu'elle est victorieuse et fondatrice. Son ceuvre a elle est de lier, uon de delier. Assrz de haiues 4 2 POLITIQUE. ilechiieiit rEuropc ; c'est uiie parole de paix qu'elle jette au nioiule, line parole d'amour et de charite. Assez de ruiaes sont cutasse'^s autourd'elle; c'est a reconstruire sur toutes ces ruines que Dieu I'appelle ; et elle convie a son oeuvre les peuples de toutes croyauces, de toutes coutrees; les homines de tout age, de toute condition. Elle n'en veut au bonheur d'aucun; c'est le bonheur de tons qu'elle invoque et que nous invoquons en son uom. Uue nouvelle ere sociale est ouverte , nous y sommes entres iVancliemeut et sans vains regrets. Le present nous indigne , nous revolte, et nous ne voulons du passe que ses lecons. A nous homraes jeuries et nouveaux a explorer , a defricher les terres vierges de I'avenir; k chercher, a tenter les voies nouvelles. Les obstacles ni les perils du voyage ne sauraient nous abattre ni nous effrayer ; la bauuiere du progres.est la notre; en avant ! est notre cri de ralliement, et nous ferons jusqu'au bout la guerre sainte des idees. Mais revenons a I'ltalie . Centre de la catholicite, elle fut le champ de bataiUe des deux principes guelfe et gibelin; partagee entre eux, elle eut h souf- frir de leur querelle, qui au fond etait la sienne : mais on ne peut, sans dementir I'histoire , dire que sa liberie y ait perdu, puisque sa liberte est raorte le jour oii la lutte a cesse par la de- faite du premier. Le Saint-Siege exercait sur le midi de la Peninsule une su- zerainete immediate et fans coiatrole ; il avait dans sa main le royaume des Deux-Siciles, et le donnait en fief aux dynasties de son choix. C'etait comrae une prime offerte ;i la soumission des princes, un prix de leur fidelite, Un mot du Pape fondait un droit, et, en vertudu principe pose, le peuple ne protestait point alors contre ce droit ; il I'acceptait dans toutes ses consequences ; il voyait sans s'einouvoir les dynasties succeder aux dynasties, et, de son cote, le Vatican ne porta jamais atteinte ni aux parle- ROME, VIENNE , PARIS. 43 mens de Sicile, iii aux assemblees coramunales du contiiieat najDolitain. L'iufluence imperiale, au contraiie, doiiiinait au nord de la Pe- ninsule , et les cites lombardes recevaient de la iiiaiu de Cesar des podestats qui execiitaient en son nom les lois nationales. Mais c'etait la une influence brutale, celle du plus fort sur le plus faible; la proximite de I'Enipire les mettait dans sa depen- dance;ala moindre demonstration d'affranchissement , les ar- mees gibelines paraissaient sur les Alpes et se ruaient aux plaines de Lombardie. Et si I'Empereur u'abusa pas plus souvent du droit de la force, s'il ne»gouverna pas plus tot la Lombardie en province conquise, c'cst qu'il fut retenu dans les limites de la moderation par I'influence de FEglise et par la crainte d'appcler sur lui quelque terrible tempete. Les Lombards, de leurcote, epiaient et saisissaient toutes les occasions d'ecliapper au joug gibelin ; ils avaient I'ceil sur'Ronic comme sur une protec- trice, et plus d'une fois la voix d'un pretre les appela a la li- berie. Et pour ne parler ici que de la ligue lombarde, le plus grand evenement de I'ltalie au douzieme siecle, quel moment les Lom- bards choisirent-ils pour recouvrer leurliberte? Celui oii Bar- berousse excoramunie voyait ses barons et ses peuples chan- eeler dans leur foi. Ou la ligue fut-elle conclue, juree et signee par les deputes des villes? Daus un monastere ; et pour honorer le Pape qu'elles reconnaissaienl toutes pour leur chef su- preme, dont elles entendaient soutenir les droits et dont la cause etaitla leur, elles uommerent de son nom la villed'Alexandrie, fondee alors par les I'epubliques confederees. Et lorsque Barbe- rousse, battu a Laguano par la valeur italique, se vit force a la paixr, avec qui se reconcilia-t-il d'abord? Avec le Pape. II de- posa devant lui le manteau imperial, il se prosterna dans la poussiere , il baisa les pieds dupontife , il recut sa benediction, et malgre la tiedeur avec laquelle ensnite Ic Pape sembla plaider la cause des cites lombardes , I'autorite de sa parole siiflit a leui assurer Tindependance, el Cesar fut Inimilie. 44 POLITIQUE. Quanta la lepiiblique de Venise, elle se tint long- terns en de- liors des alTaires dii continent italien. Les Venltiens regardaient rOricnl connne leurpatrie, ct c'est an Bosphore qu'ils corabat- taient. Genes, moiiis excentrique, tantot guelfe , tantot gibeline , buivant I'iiiteret de son commerce, mais an fond toujours guelfe de cecal" , Genes corame Venise s'interessait plus aux affaires du Levant qu'a celles de la Peninsnle. Le centre de I'ltalie etait, vis-h-vis de la cour de Rome , dans nne position particuliere. Comrae heritier de la comtesse Ma- ihilde, le Saint-Siege se considerait conime le proprietaire-ne , le souverain imniediat de la plupart des terres entre Ronae et le P6. Les limites ne furent jamais, bien tracees, et la cause fut long-tems pendante. Le fer de la conqueie conpa le nceud gor- dien en Romagne comme dans les Marches. Ici done la confu- sion, le conflit des pretentions temporelles et spirituelles com- plique la question , et en fait une^juestion h part. Quoique comprise dans Theritage de la comtesse Malhilde , la Toscane ne fut point conquise; mais Florence republicaine fut toujours guelfe, et si Pise, repnblique aussi, resta gibeline, ce fut moins par opposition au Saint-Siege que par esprit d'hostilite centre ses deux rivales de terre et de mer, Genes et Florence. Dans un raccourci les details disparaissent; j'ai du passer sous silence toutes les circonstances accessoires, toutes les exceptions parti-elles qui modifient les faits-generaux. Ce qne j'ai voulu montrer seulement et ce qui ressort de cet apercu si incomplet qu'il soit d'ailleurs, ce sontles deux tendan- ces rivales du moyen age enltalie. Durant ce long periode d'an- nees la Peninsule gravita entre ces deux centres ; mais Tequilibre n'est qu'apparent, et le centre guelfe Temporta de beaucoup eii action et en force sur le centre gibelin. Le seizieme siecle amena des modifications si importantes dans tout I'edifice social que le droit public des nations en fut entiere- inent bonleverse et avec lui la politique de I'ltalie. Tout se com- pliquc ; le tete-a-tete de I'empire et de Rome cesse ; de nouvelles BOME , VIENNE , PARTS. 4-^ puissances interviennent, de nouveaux rapports naissent, ot I'equilibre europt;en se foiide sur des bases nouvelles. La premiere application des nouvelles doctrines fut la li- gue de Cambrai. II y eut alors, mais pour un jour, alliance des deux principes guelfe et gibelin. Jules II,. qui avait preche la croisade contre Venise, y entra le premier, et y entraina Maxi- milien , alors roi des Remains ; mais le pontife n'avait dans I'en- treprise qu'uuinteret secondaire et purement materiel , etU peine fut-il rentre en possession des villes romagnoles qu'il revendi- quait, qu'il rompit I'alliance et se replaca au centre de la politi- que guelfe. Uni a Venise et a I'Espagne , feudataire alors des Deux-Siciles , il precha une nouvelle croisade, mais cette fois contre FEmpe- reur et la France son alliee ; il langa contre celle-ci le roi d'An- gleterre , Henri VIII , qui ne s'etait pas encore proclame pape de son royaurne ; il la deposseda du Milanais , et y regna a la place sous le nom de Sforza et sous I'^gide des Suisses ; il etendit le domaine ecclesiaslique : Bologne, Modene, Reggio , Parme et Plaisance reconnurent sa souverainete temporelle ; il dicta la loi a Florence, et ne laissa a I'Empereur que quelques villes limi- trophes sans influence sur la Peninsule. Ce fut la un des beaux momens du Saint-Siege. Jamais, merae au terns des Clement et des Innocent IV , sa preponderance n^a- vait ete plus grande dans les affaires d'ltalie ; mais ce fut uii court triomphe; il ne fit plus que decheoir. De cette epoque, en effet, date sa -decadence. L' element ca- tholique soumis au grand creuset de la reformation perdit sa force et fut pen a pen elimine du corps politiajie ; il ne fit plus peur aux princes : c'est alors qu'ils s'emanciperent ; I'element populaire n'eut plus d'organt constitue ; mais il n'en agit pas avec moins d'energie et de puissance sous la robe de Luther que sous la pourpre de Gregoire. Jides II avait flatte les croyances italiennes , il avait preche I'expulsion des etrangers, les appelant des barbares, et les cceurs /jG POLITIQUK. jtaliciis avaient fn'-mi d'orgueil et d'esperance ; il avait ainsi isole sa cause de cclle des princes ;. et clierchant sa force dans les con- victions populaircs, c'est la qii'il I'avait trou-vee, comme ses predecesseurs y avaient puise la lenr. Le theatre s'etait, il est vrai, bieii rapetisse; ce n'etait plus le inonde qu"il dorainait, c'etait la seule Italic; il ne rcrauait plus des convictions humaings imiverselles , mais des convictions nationales partielles : c'est que les terns etaient changes ; et c'etait encore , 6 Jules ! an beau role que le tien ; il fait honneur a ton genie. Leon X, qui vint aprfes, etait un grand-seigneur feodal, quoi- que d'une faniille d'origine pleheienne ; il se Ct prince de la terre, et le monde lui ecbappa tout-a-fait. II traita d'egal a egal avec les monarqnes, mais plus en suzerain. La tiare s'amollit sur son front niondain, tandis que le glaive imperial se retrempait aux mains de Charles-Quint ; et le puissant Erapereur ne tarda pas a venger sur Rome meme les affronts de Maximilien. C'est lui, c'est Charles-Quint qui a porte le coup mortel a Rome temporelle, en meme tems que Luther baltait en breche Rome spirituelle. La defaite du principe guelfe fut decisive , le ti'ioiu- phedu principe gibelin assure. Des lors, et pendant pres de trois siecles, Rome s'epuisera en vains efforts pour ressaisir ses depouilles ; elle n'y reussira pas , et sera bloquee dans son desert. Plus de domination sur les trones ; plus de rois "a ses pieds ; elle n'entrera plus dans les cours le front haut , la parole superbe ; elle s'y glissera sous le manteau de Loyola • le jour meme viendra oii elle devra licencier sa noire milice et la livrer aux^fc^trissures du monde. Apres avoir essaye de la terreur et des bi\chers, le jour viendra oi^i elle en sera re- duite "a d'impuissantes menaces, h de ridicules ceremonies. C'est ainsi que Rome s'est trainee jusqu'a la fin du dix- huiticme siecle , epoque memorable dont les phases se deroulent glorieusemcnt depuis quarante ans. L'elenient feodal avait cru rester seul ; il s'etait trompe. II ROME , YIENNE , PARIS. 4? avait detruit la representation de I'eleinent })o]inlaire , nonj' ele- ment popiilaire lui-meme ; toujours vivant au sein dn corps social , celui-ci n'avait fait que changer de forme. II se deve- loppa , il grandit en silence , et quand il se sentit fort il fit explo- sion. Ce fut 89. Alors il s'incarna de nouveau dans un liomme, dans un plebeien , et fit avec lui le tour de la civilisation euro- peenne. L'alarme se repandit sur lestrones, et c' est alors, commenous I'avons vu, que Rome fut arrachee de son cercueil par ceux-la meme qui I'y avaient mise, et ramenee par eux sur le champ de" bataille. Mais cet epouvantail ne fit peur a personne. L'ltalie la premiere le meprisa, et riiomme-principe le plia comme un roseau sous sa main puissante. Represente par le Pape , puis par Luther, puis par Napoleon, le principe populaire fut comprime un instant par la Sainte- Alliance, derniere forme revetueparle principe feodal j mais for- lifie par ses conquetes successives, il ne fit que grandir dans la lulte en euergie et en independance. Pendant cette courte pe- riode, le principe catholique essaya de reualtre desa cendre, et se lia plus etroitemenr que jamais a I'oeuvrefeodale ; mais il acheva de I'epuiser par ce dernier effort , et mit h nu son impotence. En France il s'est evanoui au premier soufifeet a Tabri de tout reproche, de lout soupcon de partialilc nationale. II ^crit sous Tinspiration d'une conviction sincfere et desinteressee. Elle n''est chez lui que le resullat d'une argumentation rigoureuse. C'est une con- clusion imposee par le raisonnement, par la logiquc elle- meme, et qu'il n'est pas plus loisible a un homme de quelque pays , de quelque opinion qu'il soil , de re- jiDusser, qu'il n'est pcrmis de nier un fait constate , aver^ et visible a tous. &4 POLITIQUE. vaste question de la renovation eiiropeenne, des corollaires ri- goureux de la proposition generale; elles naitront de la force meme des clioses. A ces mots de solidarite europeenne, d'association universelle, j'en ai vu plus d'un sourire. Et cependant ce principe n'a-t-il pas quilte deja le doaiaine des speculations pour descendre sur le terrain des applications? N'est-il pas desormais un fait? La diplo- matie , tolijours la derniere a accepter les idees generales , ne I'a- t-elle pas depuis long-tems proclame etrais en pratique? Qii'est- ce autre chose en effet que la ligue de Brunswick et la Sainte- Alliance ? Qu'est-ce que cette intervention erig^e en systeme et qui constitue aujourd'hui le droit public de I'Europe? Seulement le principe a ete deplace ;. la solidarite des trones seule consacree , les droits monarchiques seuls garantis. Quant aux droits populaires , on les nie , on les foule ; la solida- rite des nations, on la combat; et ce sont eux cependant qu'il faut consacrer, qu'il faut garantu*. Tel est le devoir de la France ; c'est plus qu'un devoir pour elle , c'est ime condition de vie. Son avenir et son existence sont lies a I'cxistence et a I'avenir du principe populaire qu'elle est appelee desormais h repre- senter, qui s'est incarne en elle depuis 89. A elle appartient de droit I'initiative socials en Europe. Frederic-le-Graod lui reconnaissait deja I'initiative politique. Tout le changement est dans un mot. Les nations, et I'ltalie a leur tete , esperent en elle et leur es- perance ne sera pas trompec , car la France est fidele, elle ne punira pas ceux dont le crime est de croire en son intelligence et a sa probite. En vain s'acharne-t-on depuis bientot deux ans a des alliances impossibles et fatales , abdiqwant la plus haute mission qu'il soit donne a un peuple d'accomplir sur terre ; en vain s'efforce- t-on d'emmailloter I'avenir dans les langes du passe, greffant sur ime nation continentale, democratique, eminemment europeenne et civilisatrice , les institutions et la politique d'un peuple in- ROME. VIENNE, PARIS. 65 sulaire, feodal, excentrique, anti-social et s'iraaginant regir une societe vivante et rajeunie par les lois surannees d'uiie so- ciete morte. Cette politique d'emprunt et de transition est sans porlee ; elle n'a point de bases. Le passe fait eau de partout, ceux qui s'y cramponnent sombreront avec lui (1). C'est une politique nouvellequ'il faut a ime situation nou- velle. La France le sait, car elle est inteiligente ; elle accepte Tavenir tel que le passe I'a fait , car elle est forte. On ne I'a- buse , on ne I'endort point par des sophismes. Elle a la con- science du role qu'elle est appelee "a jouer ici-bas, et ne se cabre point contre des lois preetablies , providentielles. Et comment ne I'aurait-elle pas cette conscience d'elle- meme que tout autour d'elle eveille? — Se raeut-elle, tout se meut. Marche-t-elle , tout marche; et si elle s'arrete, tout s'ar- rete; si elle reculait d'un pas, le monde reculerait avec elle. Mais la France est dans le mouvement , en ce sens que Tiramo- bilite est sa mort ; elle niarchera done , car die vent vivre. Rassurez-vous, nations eplorees^ la. France vivra et vous avec elle. Geant surpris et garotte paries pygmees , la France , a genoux , depasse encore de toute la tete ses rivales debout et les epouvante. On ne rappetisse que les petltes clioses et la France est grande. N'ayez done point de peur ; ayez foi en elle. Le char sanglant des reactions roule, il est vrai, sur vous ; mais les principes sont en presence , les ennemis se connaissent , les forces se mesurent ; la position de tous se dessinc au grand jour. Accident horrible, mais passager , la propagande des trones n'est que le prelude d'mie plus sainte , d'une plus touchante croisade , la croisade des peuples ; elle ne retardera que d'un jour Vaccomplissement de lois imniuables , eternelles dont le (1) S'il n'a jamais (5te fait, dans ccl article, aiicune mention de I'expedition franfaisc a Ancone, c^est que tc n'esl point ici iin article de polemique ou de po- litique. Mais I'ensemble des doctrines expos^es et dcvcloppecs par Tauteur sufGt a la caracteriser. On laisse au lecteur Ic soin Ac faire lui-merae les applications. TOME LIU. JA3SV1ER i852. 5 66 ROME, VIENNE , PARIS, iriomphe est assure. Ne voyez-voiis pas que ce reseau de fer jele siirl'Europe est ronge de lOuIUe, et que la maille en est partout ronipue ? Une secousse encore , il vole en eclats. Je m'arrete ; mais si j'avais a resumer la pensee generale de cet article , je la formulerais ainsi : A roriginc de la soeiete moderne I'element populaire fut do- mine parVelemeut feodal. Cost sa premiere phase. Le catholi- cisme vint, qui s'en empara, qui le modifia , qui le fit dominer a son tour , mais d'une maniere mediate. C'est sa seconde phase. La presence d'un troisieme agent, en compliquant lesmouvemens du corps social, produisit des phenomenes nouveaux : il y eut rapprochement des deux eleraens theocratique et feodal ; ils se combinerent, et I'element populaire, se degageant tout-a-fait, eut a lutter a la fois centre I'un et I'autre. C'est sa troisieme phase. Sa quatrienie a commence en 89. Le moment est venu oii il doit les dominer tous les deux, mais seul et par sapropre puissance. Le nord fut le berceau de la soeiete feodale ; Rome le siege du pouvoir theocratico-populaire ; I'A-llemagne vit s' engager la lutte; k la France etait reservee la gloire du triomphe. Centre desormais de la soeiete populaire pure et sans alliage, h elle a sacrer les peuples comme Rome sacra les rois. Foyer de chaleur etde vie, "a elle aechauffer, h vivifier autour d'elle, "a imprimer le mouvement sociaralafamiUehuraaine. Sa mission est de pro gres, uon de conquete. L'ltalie la premiere recut I'impulsion. Violentee, sanglante, dechiree, elle suivit de loin le mouvement, mais ses tentatives uefurentque des conspirations, etl'inertie du peuple les dejoua toutes. La question est desormais de le rallier an progres social en I'y interessant d'une maniere directe, immediate; car, sans le peuple, point d'independance, point de liherte, point de revo- lutions. Charles DwiEii , de Geneve. I ECONOMIE POLITIQUE. CONSIDiRATIONS SUR LES FINANCES DE LA FRANCE ET DES ETATS-UNIS (i). Aux longues agitations du debat paiiementaire a succede de- puis quelques uiois un allanguissement general ; le bruit des commotions revolutionnaires semble avoir ete etouffe avec les derniers gemissemens de la Pologne , avec roccupalion de la Romagne ; les exils en Siberie , les massacres de Forii et de Ra- venne , I'expedition d'Ancone troublent h peine le marasme de la politique du jour. La machine gouvernementale va toute seule , malgre la fausse impulsion qu'on cherche a lui impriraer et malgre les resistances des partis contraires. L' absence de toute vue orgaaique , de toute doctrine politique, de toute theorie financiere ou economique, livre la direction des interets generaux a Tegoisme etroit des interets individuels ; les convictions politiques s'eteignent ; les plus intrepides defen- seurs du systeme representatif voient successivement se dissiper les illusions dont ils s'etaient long-terns berces ; la ponderation des pouvoirs n'est plus qu'une chimere, et le lien d' amour qui doit exister entre les membres de la societe et ceux qui la diri- gent n'est plus qu'un reve fabuleux ^ bon tout au plus a orner les discours officiels du nouvel an. Aussi naguere I'un des defenseurs les plus eloquens du parti doctriHaire (2) , en presence des convictions fortes et profondes (1) A Toccasion de la discussion de MM. Saulnier, Fenimore Cooper et le ga neral Bernard. (2) M. Gulzot. seance de la Chamhre des deputes du {(yfevner. 5. 68 ECONOMIE POLITIQUE. dc SOS iuivcrsaircs ct do ce qii il appelait la freiiesie des idees re- volutioiiiiaires ct auarcliiqucs , invoquail-il I'drnonr de I'ordre et I'inst'mct dcs hoimetes ^eiis. Or , quand les iusUtutioiis sociales n'ont pour appui que des principes aussi mai defuiis , il faut cher- cher ailleurs des ressources centre le mouvcmenl rapide qui, de- puis ciuquaute ans, a eiuporte dai^s sa niarchc tous les ohstacles qu'on a clierclie a opposer au progres C'est ce que parait avoir seuti Tun des collaboTateurs de la Rei'ue BriUumique, M. Saulnier, lorsqu'il a compare les finau- ces de la France avec celles des Etats-Unis d'Amerique. Alors qu'un systeine politique n'a plus pour base la conviction pidsli- que, quoi de niieux que des cliiffres pour satisfaire les interets? Dans son travail (i), M. Saulnier s'cst propose d'etablir, sinou par des raisonneinens , du moins par des calculs statisti - ques , que le gouverneinent des trois pouvoirs , la meUleure des re'publiques , etait preferable au gouverneinent a hon marclie des Etats-Unis. De leur cote , les partisans du systeme americain, se sentant blesses au vifparla pretendue statistique de M.. Saulnier, n'ont point manque de ramasser le gant qu'il leur avait jete ; de la la polemique qui depuis deux mois fait diversion aux steiiles discussions du budget des depenses. Nous allons sommairement reudre compte de ce debat , et nous dirons ensuite I'impression qui nous en est restee. M. Saulnier s'est d'abord attache k prouver , par des calculs que nous ue cherclierons point h analyser, I'inutilite et rineffica- cite des reductions de traitemens ; le haut clerge, la haute ma- gistrature , les prefets , les I'eceveurs et ks directeurs-generaux onttrouve en lui lui defenseur intrepide. La chambren'a cepen- danl point eu egard k cet eloquent plaidoyer ; le clerge , la ma- gistrature et les prefets ont ete offerts en holocauste au radica- (1) Nuindro IV! dc la Kci'ue Bnlaiinii/iie , noiivcllo sdric. FINANCES DE LA FRANCE ET DES ETATS-UNIS. 6t) lisme provincial de la charabre elective ; les receveurs et les dc la Revue liiildiiiiiqnc , nouvelle scric. ^O ECONOMIE POLITIQUE. prodiiitcs. Si dans celte refutation M. Cooper ne s'est point tenu toujours en garde contre le sentiment de predilection que doit naturellement lui inspirer un pays qui I'a vu naitre, et dont tons les ouvrages qu'il a publics ont ete consacres a raconter les ra- pides progres ; on ne pent s'empecher de reconnaitre qu'il a su mettre heureusement en saillie la nuUite des argumens a I'aide desquels de pretendus economistes preconisent le luxe des riches, et font sonner bien haul la protection que Tindustri-e retire des gros traitemens attribues aux fonctionnaires publics. On a vu que M. Saulnier avail porte "a 56 francs 94- c. la contribution de chaque habitant des Etats-Unis. M. Feniniore Cooper, apres avoir examine ce nouveau travail avec plus de rigueur que le sujet n'en coniportait , est arrive k signaler 19 francs -15 c. V^ d'erreur sur celte evaluation; il sem- blerait ainsi que la corilribulioii devrait etre de 17 francs 78 c. i'S, J, resultat qui differe d'une maniere assez sensible du premier chiffre qu'il a donne, etqui, comme on le sail, est de 14 francs 05 c. Toulefois M. Cooper a pressei\li I'objection : « Je » ne pretends pas, a-t-il dit, a une exactitude minutieuse. Une » approximation suffit en pareille matiere. Je me suis efforce de » rendre palpables les erreurs de M. Saulnier, et non d'etablir un » systeme h moi. II a admis dans ses calculs divers elemens qui » ne figurent point dans ma lettre au general Lafayette. II estime » la population tantot d'apres I'annee 1828 , tantot d'apres I'an- » nee -1850 ; moi, j'ai teujours compte d'apres 1851 . M. Saul- » nier insiste pour exclure les esclaves , c'est une erreur manifeste i» sur la valeur des donnees du probleme, etc. )> II y a certaine- ment du vrai dans ces remarques, mais ce qui en ressort avec non moins d'evidence, c'est qu'il est aussi impossible "a M. Saul- nier qua M. Cooper, d'asseoir un chiffre exact sur des donnees aussi incertaines que celles dont ils ont pu tons les deux disposer. Les materiaux nous manquent comme h eux pour verifier I'exac- titude des evaluations qu'ilsont respcctivement produites. Nean- moins il ressort victorieusement de la discussion , que les calculs de M. Saulnier nesont point exempts d'une graiide exageration; FINANCES DE LA FRANCE ET DES ETATS-UNIS. 7 I et la maniere dont il a groupe les chiffres ne ressemble pas mal aux tours de force de M. Thiers, dans le resume qu'il a fait a la chambre de la discussion generale du budget des depenses. Quant a sa persistauce a exclufe les esclaves du contingent de la population araericaine, par la raison qu ils n'acquittent point d'irapots par eux-memes, nous pouvons affirmer, avec M, Cooper, que M. Saulnier coiumeten cela une grave erreur; car, en vertu du meme principe, on pourrait en exclure egaleraent les enfans et les femmes , qui n'acquittent point directement leur part a la contribution generale. Lorsque, comme M. Saulnier , on a etabli que la brancbe principale du revenu des Etats-Unis reposait sur le produit des douanes , par consequent sur les impots de con- sommationy I'erreur ressort. avec plus d'evidence encore, C'est pen cependant, et si Ton cousidere que Fesclavage est la condi- tion dans laquelle riaomme retire la plus faible part des fruits de son travail ; en partant de ce principe incontestable , que toute richesse est le produit du travail , et que par suite tons les impots sont acquittes par les trai>ailleurs , il est vrai de dire, non-seule- ment que I'esclave des Etats-Unis participe k la formation de I'impot, mais encore qu'il acquitte une taxe relativement plus forte que I'homme libre ; puisque son travail sert k acquitter sa contribution et celle de son maitre. Nous avons deja publie dans ce recueil (I) notre opinion sur les refqi'mes financieres que reclamalt la situation actuelle de la France ; loin d'etre partisans des economies qui ne resul- tent que de raesquines reductions sur les traiteraens, nous pen- sons, dans de certaines limites , comme M. Saulnier, que ce n'est point dans cette voie que les contribuables pourront trou- ver un degrevement important. Un fait reste seulement con- stant, c'est I'exageration des impots, leur emploi improduclif et leur mauvaise assiette. Quel que soit le chiffre moyen de (O Voyez dans le caliier d'octobic 1831 de la Reive Encyclopddique I'Exa- 9>en du Budge! de 1832. n-i ECONOMIE POLITIQUE, la contribution a New-York , • a Philadelphie et a Boston , le probloinc politique et financier restera toujours le nierae a Paris ; dans leurs effets actuols les taxes ne seiont pas moins accablantes pour les Francais, et la necessite de les reduire ou de lesmieux re- partir n'en sera pas moins imperiensc. Le rapprochement de M. Saulnier nousparait done depourvu de tout interet ; les bases en sont largement aontestables, et il y a quelque chose de lacheux dans sa persistance a soutenir un systeme evidemment errone. Quelles que soient d'ailleurs les recherches statistiques dont il a cherche "a I'etayer ; an point de vue financier, il est sans resultats pratiques ; car quelle pent etre la valeur d'un rapprochement entre les finances de la France et celles des Etats- Unis? Quel rapport peut-il exister entre une nation placee an centre et "a la tete de la civilisation de I'Europe, et un peuple neuf, jete dans des contrees fertiles, et qui, eii meme terns que son passe est libre de toutes charges , possede devant lui un champ inepui- sable d'explorations ? Les journaux minisleriels qui ont connnente ces travaux, le Moniteur qui a employe un numero entier a les reproduire, n'ont point compris la portee des argumens h I'aide desquels le systeme financier de la France , se trouvait justifie. Que ressort-il effec- tivement des recherches de M. Saulnier? Est-il constant pour celui qui est competent dans la matiere, que la contribution de I'habi- taat des republiques de I'Amerique du nord est superipeure a celle qui est reclamee a I'habitant de la monarchic representative de France? Non certes. Mais lors merae qu'on voudrait admettre pour constant ce fait tres- contestable, que prouverait-il ? Est- ce au chiffre de I'impot que doit se mesurer une bonne ou une raauvaise administration? Est-ce au chiffre de I'impot que doit se mesurer la prosperite publique ? Crier conlre le milliard annuel , contre un gros budget, contre de gros traitemcns, est une oeuvre banale ; c'est un moyen deja use par I'aucienne opposition et dont on fait usage contre elle aujourd'hui qu'elle est au pouvoir ; argumcnter purcment et sim- FINANCES DE LA FRANCE ET DES ETATS-UNIS. 73 plement sur le chiffre moyen de la contribution tie chaque indi- vidu, c'estconimettrelameme inconsequence. Les vrais principes de I'economie politique nous apprennent que ce n'est point 1' elevation des conti'ibutions, mais bien I'em- ploi des sonnnes qui en provieunait , mais bien encore les sour- ces auxquelles on les reclame, qui font qu un gouvernement est ou n'esl pas dans la voie la plus favorable aux interets generaux etprives de la societe. Discuter sur ie chiffre de I'itupot, abstrac- tion faite dece double point de vue, est done chose eininemraent inutile. La question principale a examiner dansde semblables matieres est uniquement dans la direction que le pouvoir , quel qu'il soit, veut imprimer aux affaires publiques ; si la marche des gouvernans est en tout conforme aux besoins des gouvernes, si le produit des taxes est employe de la maniere la pluspropre a acti- ver le developpement de la prosperite publique , si les impots sont assis de telle sorte qu'ils atteignent principalement le rei^enu, c'est-k-dire la rente que les proprietaires et les capitalistes percoi- vent sur les produits du travail, qu'iraporte au contribuable qui vitdu travail de ses bras qu'a I'aide de releves statistic]ues , on vienne lui apprendre que dans telle contree I'iinpot est plus fort ou plus faible que dans sa patrie ? Lorsqu'on veut etablir un rapprochement entre les impots de deux peuples, il faut songer d'abord h ce dicton populaire : « Le mal d'autrui ne guerit point celui qu'ou a. » II faut ensuite faire entrer dans la comparaison des considerations qui seules peuvent aider a la faire apprecier, il faut examiner d'une part par exemple dans lequel des deux pays les contributions sont consacrees a des travaux d'utilite publique, & des routes , des canaux, des cheminsde fer, adesencouragemensiudustriels el scientifiques, a des fondations d'ecolefr, etc.jil faut examiner d'autre part egalement dans lequel des deux pays les deniers des contribuables sont consacres a do- terdes courtisans, des sinecuristes, de nombreuses armees; dans qviel pays le travail est le moins encourage et les interets des clas- ses superieures le plus proteges. Si le gouvernement sous lequel y4 EOONOMIE POLITIQUE, ou vit est dans cette derniere categoric , il ne faiit point hesiter alors a le ranger, avec M. J. B. Say, au uombre des idceres ; et, ijuels que soient les calculs dont on corroborera I'inipot, le con" tribuable ne sera avec raison preoccupe que de I'idee de le re- (luire ; car ou ne saurait jamais accoider trop peu k qui fait un luauvais eniploi des capitaux. Pour ceux qui veulent se rendre coraple de la souffrance ou dela prosperite d'un etat regi, soit par des institutions monar- cLiques constitutionnelles , soit par des institutions republicaines, il est nn guide plus certain, moins equivoque que le cbiffre de rimpot: c'est la moyenne du taux des salaires comparee k la va- leur duprix des subsistances. Lorsque les salaires sont has et les subsistances clieres , I'etat est en souffrance. Lorsque la baussedu prix des salaires s'effectue en proportion directe seulement du prix des subsistances , il ne s'est opere qu'un simple cbangement dans I'appreciation du signe monetaire ; I'etat de la societe ne s'est point ameliore. Mais lorsque la liausse des salaires est le re- sultat d'un plus grand developpement du travail , et que par suite de ce developpement, de la coordination des efforts et de I'em- ploi de precedes perfectionnes , les produits de toute nature sont obtenus a des conditions plus favorables , alors I'etat est prospere. Nous disons I'etat, car aujourd'hui dans toutes les societes consti- tuees, le salaire est encore la condition del'imraense majorite. Au milieu des exagerations que Ion pourrait reprocher au tra- vail de M. Saulnier, que ressort-il d'evident, d'incontestable ? C'est qu'aux Etats-Unis la main-d' oeui>re est toujoiirs demande'e et par suite le salaire eleve, tandis qu'en France la mam-d' oeiwre est toujours offerte et par suite le salaire avili. Si a ce contraste dejhfacheux on veut ajoutercelui-ci : que les subsistances sont constamment aux Etals-Unis h un prix beau- coup plus bas qu'en France (1 ), ce double plienoniene expli- (<) Aii\ Etats-TJnis le blc est constanunent unc denrce d'exportation; quelle quo soit la distance qui uous separe du continent anii^ricaiu , les Carincs des. FINANCES DE LA FRANCE ET DES ETATS-UNIS. 75 niierales perturbations qui agitentsans cesse la societe francaise, tandis que les memes syniptomes ne sc rencontrent point dans la societe americaine, qui cependant, eu egard a la grande exten- sion- du systenie electoral , a , dans son sein , de nombreuses causes d'agitation et de desordre. Ces resultats derivent-ils de Xa forme des institutions qui re- gissent les deux etats que nous venous de comparer? Un presi- dent electif ou un roi constitutionnel sont-ils', I'un une cause de prosperite, I'autre une cause de detresse pubLique? Evidemraent non. Coinme nous I'avons dit plus haut, I'Amerique est placee dans des conditions sociales exceptionnelles ; son passe ne lui a point laisse de charges ; la terre s'offre au travail de riiomme a pen pres degagee de toutes redevances. Par redevances ce ne sont point des charges publiques dont nous pretendons parler ici, mais bien seulement des charges qui, dans les etats europeens, portent sur les travailleurs : le lojer des terres , lesfennages. La main d'ceuvre entre pour la plus grande partie dans le prix des produits agricoles des Etats-Unis ; la part qui dans ce prix est le resultat du privilege du proprietaire y est d'une faible impor- tance ; car, en raison de I'enorme etenduede bonnes terres , qui , faute de bras^ reste encore sans culture, la valeur du sol esttres- iaible , et en general la qualite de proprietaire se trouve con- fondue avec ceile de trai'aiileur. Elats-TJnis approvisionnent les marches franpais , et , apr&s le sur-encherisscment qu'elles ont (iprouve par les frais de transport, d'assurance , etc. , elles pcuvent encore acquitter les droits d'enirde qui sont souvent tres forts. Le prix de la livre de pain, dans les villes pritjcipales deTUnion^ varieentre7 '/j c. et i5 c. de notre nionnaie (i '/^ s. a 3 s.) selon les qualit^s; les ouvriers consomment ordinaire- ment un pain bis qui leur coute 7 '/^ c. la livre. Toutefois le pain n'est point, en Amerique , une nourriture de premiere n^cessitc ; les Americains consomment principalement des pommes de terre et du riz qu'ils obtiennent encore a des con- ditions relativcment plus favorablcs. En raison du bas prix des terres, les patu- rages soul abondans , et Teducalion des bestiaux tres-facile ; la viande s'oblicnt des lors a un prix plus bas qu'en France. "-ffi KCONOMIK POLITIQUE. tt n'en ( st point de meme en France ; au fur et a nicsurc quo \c. sol a ete successiveraent exploile , le prix des ferniages s'est successivenient cleve en raison d'abord de la difference entre les liounes et les mauvaises terres, ainsi que Ricardo I'a fait remar- quer, et ensuite en raison de raccroissenient de la population qui a produit I'offre de la main d'oeuvre. La question financiere n'est done point aussi facile h resoudre en France qu'aux Etats-Unis, Aux Etats Unis la limite de I'ex- ploitation des bonnes terres ne pourra de long-tems encore etre atteinte. En France, au contraire, cette limite a ete considera- blement depassee. Les rapides accroissemens de la population out fait successivement cultiver les terres de qualite tres-infe- rieure, et ce mode d'activite n'ayant pu satisfaire encore k Toffre toujours croissante de la main d'oeuvre , il en est resulte que la concurrence des travailleurs a dii accroitre le prix des fer- niages. Mais la revolution francaise , en prononcant 1' abolition de la plupart des monopoles industriels , a ouvert au travail un iiouveau cbamp a parcourir. Cette revolution industrielle, en meme tems que politique , a modifie , en faveur des producteurs, ces conditions deplorables, en appliquant a des travaux manu- facturiers ou commerciaux I'exuberance de bras que I'agricul- tiire ne pouvait plus occuper. Cette transition s'est neanmoins opcree d'unemaniere desordonnee ; les souffrances etles tiraille- mens qui affligent aujourd'hui la societe sont le resultat de cette activite dereglee. La distinction entre les bonnes et les mauvaises terres n'est point nouvelle ; mais Ricardo , en rexaminant du point de vue scientifique , n'a vu dans cette question d'economie politique qu'une simple justification Aes fermages ; il n'a point suffisam- raentcompris que, dans la difference entre les bonnes et les mau- vaises terres , gisait toule la question de lassiette de I'lmpot. Dans uu bonsysterae financier, en cffet, ractiou gouverne- luentale doit tendre de plus en plus "a e'galiser les chances des iravaiilcuis ; elle doit, dc^plus en plus, iciulrc egales potu' Uyits FINANCES DE L\ FRANCE LT DES ETATS-UNIS. 77 les conditions dutravail : c'est la le but final de toute association ; poury parvenir, riuipotdoit arriver successwement k pielever, au profit des interots generaux, la difference entre les bonnes ct les mauvaises terrcs , difference qui , sous forme de ferruages, estau- jourd liui Tapaiiage de quelques classes privilegiees. Ce but , nous le savons , ne pent etre de long-tems atleint ; il serait funeste meiue qu'il le fiit proiuptement ■, nous le signa- lons corame une tendance inevitable et comme un des progres les plus importans que la politique moderne doit accomplir. C'est par la que la fiscalile , loug-tems oppressive pour les peuples , sera vraiiuent tutelaire , vraiment -protectrice de leurs interets les plus chers. Ainsi pourront disparaitre toutes les charges pu- bliques ou privees dont les travailleurs sont aujourd'liui acca- bles. Si M. Saulnier avait envisage, sous ce point de vue, la ques- tion fmanciere qu'il a essaye de trailer ; en un mot, s'il avait fait de I'economie politique et non point seulement de la statistique , il serait arrive a. des resultats eutierement contraires a ceux qu'il a voulu obtenir. Comment concevoir, en effet , que dans sa coniparaison entre les finances des Etats-Unis et celles de la France , M. Saulnier n'ait point ete frappe des rapprochemens qui ont servi de base a ses calculs? Voici ce que nous extrayons de son premier article : « La moyenne du traitement des employes de la tresorerie de )) Washington est de 5,51:2 fr. , et celle des employes du mi- » nistere des finances a Paris n'est que de 2,620 fr. , c'est-a- « dire, moins de la moltie. » Le directeur-general des postes recoit le meme traitement » que les secretaires d'etat. II a par consequent une douzaine de » mille francs de plus que celui qui occupe la meme position en » France. » Les traitemens des officiers de I'armee sont egalement bieu » superieurs aux notres; la plupart raeme , sont deux ou trois )) fois plus forts, etc. « -8 ECONOMIE POLITIQUE. Evidemmeut, lorsqu'on pent ainsi retribuer genereuseraent les lUvers foiictionuaires de Fetat , sans que la prosperite generale en soil troublee, ou done est le mal, surtout lorsque cet excedant de traitement est le resultat d'uue meilleure combinaison du tra- vail? II n'est peut-etre point inutile de faire remarquer que, malgre la haute paie des railitaires americains , le budget de la guerre , y conipris les depenses du materiel de I'artillerie et des fortifica- tions , ne s'eleve aux Etats-Unis qua 28 millions, tandis qu'en France le meme service , en iSoi , a coute 575 millions , et qu'en 1852, le ministre a encore reclame 307 millions, inde- pendammeutdes credits supplementaires. Nous lisons encore dans le travail de M. Saulnier : « En France, » pour administrer un budget de plus d'un milliard , il n'y a )) pas plus de neuf cents employes dans les bureaux du ministere » des finances; la tresorerie des Etats-Unis, qui n'a h recevoir )) ^t a depenser qu'environ ^ 52 millions de francs , en compte » cent cinquante-quatre. D'apres cette base, il en faudrait pres de » quinze cents pour administrer nos finances. » Mesurer le nombre des employes de la tresorerie au chiffre total de la recette est le plus etrange abus qu'on puisse faire de la stalistique ; a ce compte , on pourrait dire avec le meme fonde- ment qu'un navire charge de vanille, d'indigo et de cochenille, devrait avoir un equipage cent fois plus considerable que le na- vire qui transporterait une cargaison de sucre et de coton , dont la valeur est cent fois moins forte. Nous le demandons en bonne conscience , si d'un jour k I'autre les chambres jugeaient a propos de doubler les contributions directes (cliose qu'elles ne feront certes pas, et pour cause), qui s' eleventh 572,74-6,909 fr. , et qui formentconsequemraent plus du tiers du budget actuel , pense-t-on.que le nombre des employes de radministratlon centrale devrait s'accroitre, je ne dirai point dans une proportion egale , raais meme dans la plus legcre pro- portion? Si M. Saulnier avail voulu serendrc un compte exact FINANCES DE LA FRANCE ET DES ETATS-UNIS. 79 de radministration financiere des deux pays , il se serait borne a comparer le nombre des employes des tresoreries de France et des Etats-Unis avecleur population respective. Avant de faire nous-meme cette comparaison , nous releverons une erreur de M. Saulnier : I'etjuivalent de la tresoreriede Wa- shington est, en France, 1' administration centrale des finances, plus la cour des comptes ; en ouvrant done le budget de 1 832 (pages 510-51 8) , on trouve un persoiniel de dix-neuf cent dix- Azi/i employes , et non point seuleraent de neiif cents , comrae M. Saulnier le pretend. Or, si Tadministration financiere de 15,250,000 liabitans des Etats-Unis (1) occupe'154- employes, la merae administration, pourles31,8-i5,428 habitansdela France, n'en devrait occuper que 570 ; il y en a cependant en realite 1 91 8. Le resultat du rap- prochement est des lors pen favorable k la France (2). En choisissant la population pour base de revaluation, nous avons suivi la seule marche rationnelle, etnousdevons meme ajou- ter que cette base est encore defavorable aux Etats-Unis; car la po- pulation americaine etant dispersee sUr uu terriloire quatre fois et demie plus etendu que celui de la France, les frais d'adrainis- tration en devraient etrerelativementpluseleves. Un tel rapprochement suffit pour faire apprecier la fiscalite (1) Temprunte cc cliiffre a M. Cooper , pour ^viter toute contestation; il re- sultc de Telat imprime (Voy. p. 8fi de cet article) qu'en ■1852 la population devrait etre de 13,627,554 habitans. Voici comment j'etablis mon calciil; la popula- tion, en 1820 , etait de 9,638,160 ; elle s'est accrue, en dix ans, de 5,217,999 ■ puisqu'elle s'eleve, en 1850, a 12,856,165, Taccroissement , pour divans, est de 50 pour 100 ; pour deux ans cet accroissement est consequemment an /«(M'/ji , 6 pour 100; si Ton ajoute a 12,856,165 , 6 sur 100 , on trouve 771,569, qui donne une population de 13,627,554 habitans en 1852. (2) Si la tresorcrie de Washinjjton occupait un nombre d'employds propor- lionncllcment egal a celui de radministration centrale des finances de Paris a« lieu'de 154 fonctionnaires qu'ellc retribue, elle en aurait 800. Aux Etats-Unis. on pcui done elever los traitenienset faire encore des economies. 8o ECONOMIE POLITIQUE. francaisejce mecanisme si vante, et qui cependaiit, en multipliant les ix)uages del'impot, semble n' avoir d'autre objet que d'eutra- ver le travail , que d'accabler les contribuables de charges intole- rables, et d'enlretenir une armee de fonctionnaires. Occuper dix-iieuf cent dix-huit employes , la ou propoHionnellement les Etats-Unis n'en occupent que trois cent soixante-dix , donue la mesure approximative des reductions que le service central et le service departemental de I'administration des finances (1 ) ppur- raient eprouver, si I'assiette actuelle des impots etait reformee, c'est-"a-dire si elle elait ramence a un systeme plus uiiitaire. Si M. Saulnierti involontairement fourni des armes contre lui en prenant pour la base de ses calculsle uombredes employes des finances , il n'a point ete plus heureux en argitoentant sur le taux des salaires des deux nations. Selon lui (page 28:2 de son second article ) , le prix moyen de la journee de travail est, aux Etats-Unis, de 4 fr. 50 c. , et en France, de 1 fr. 50 c. (2). Veut-on maintenant admettre par hypothese un instant qu'il a {\ ) Cettc administration absorbe environ le dixieme des d^penses piibliqiies de la France : Le ministeredes finances figure au budget (P 78) pour 22,787,500 f. Les frais de rdgie, de perception et d'exploitation (P 79) pour : H8,2H,853 140,999,353 II faut en deduire , pour la fabrication das tabacs et des poudres, et pour les frais niaterieis des postes , etc. , en- viron 40,999,553 Ensemble des frais de Tadministration des finances 4 00,000,000 f (2) Nous croyons qu'il y a quelque exag^ration dans cette double Evaluation. Les donnees exactes nous manquent pour apprccier le salaire des Elats-Unis ; quant au salaire en France, nous lisons, dans le rapport sur la loi des cErdales , present^ le 5 mars 1832 a la Chambre des deputes par M. Charles Dupin, que lajourn(^'e de travail ne s'dleve qu'a \ franc' 15 c. Nous prendrons cependant les rhiffres teis que M. Saulnier les a donnes; il est plus simple de le refuter avec ses propres argumcns. FINANCES DELA FRANCE ET DES ETATS-UNIS. 8 I exactement apprecie les contributions de la France ct ties Etats- Unis, qu'en ressort-il? c'est qu'en divisant la taxe americaine de 56 fr. 94- c. par 4- fr. 50 c. , prix de la main d'oeuvre, on tronveque cet impot est egal a liuit jours et un cinquieme de travail; tandis qu'en France, una taxe de 3i fr. , divisee par I fr. 50 c. , represente nn impot egal k vingt jours et deux tiers de travail. Selon les chiffres de M. Saulnier, le contribuable francais acquitte done un impot de tingt jours deux tiers de tra- vail , tandis que le contribuable americain ne donne que huit jours un cinquieme pour le merae service. Le Francais paie consequemment douze jours trois septiemes , soit unefois et demie (le plus que 1' Americain (1 ) . C'est Fa que git reelleraent toute la question ; on a beau accu- niuler des chiffres , on ne peut point eviter cette conclusion ; car le signe mouetaire n'a d'autre objetque de representer , dans les echanges , la valeur des produits du travail ; lorsqu'on acquitte sa contribution en numeraire, on delegue sur le fruit de son tra- vail une indemnite eu faveur de ceux qui consacrent tout leur terns "a I'oeuvre sociale ; la contribution n'est done que ia repre- sentation de la part de travail que chaque contribuable doit ac- complir, dans la societe dont il faitpartie. Or, meme eu admet- tant toutes les .exagerations de M. Saulnier, les contributions moyennes de France et d'Amerique sont dans le rapport de cinq a deux ; cinq pour la France, et deux pour les Etats-Unis.. « Bon gre malgre, a dit M. Saulnier, il faut renoncer "a la » phrase toute faite de ^oufernement a hon marche; cette phrase (i) Le service militairpj qui est aussi une charge publique, n'est point coiti- pris dans cette dvaluation. La France a siir pii^d quatrc cent millc liommes , et les Etats-Unis en ont six niille sculement. Ainsi eel impot, le plus dur de tons, enlevc en France au travail uii hoiiiinc Mir 80 liabilans; el au\ Etats-Unis un seiilement sur 2200. En prcnant pour base I'impot moyen et le salaire tels que "SI. Saulnier les a donnes pour la France et les Etats-Unis; sur 300 jours de travail Timpiit repre- ' seme aux Elals-Unis 2 '/j "/„ sur le benefice annuel et en France 7 "jo- TOME I.Itl. JAIVVIEU 1B52. t) S-2 ECONOMIE POLITIQUE. » lie serait plus que ridicule ; le gouvernement des Etats-Unis >) n'est point a bon marclie , il ne peat pas Tetce. » Eviderament il faudra des argumens plus concluans que ceux qu'il a donnes jusqu'a ce jour , pour iiiotiver de serablables pretentions. Nous n'avons pas cru devoir refuter pied a pied toutes les er- reurs de M. Saulnier ; nous nous sommes bornes a donner des apercus generaux sur la situation financiere des deux pays qu'il a compares , et nous avons incidemment redresse des apprecia- tions erronees , dont la plus legere renversait toutes les bases de son travail ; an point de vue de la science economique les re- cherches auxquelles il s'est peniblement livre nous ont paru de peu de valeur ; car , nous devons le repeter, ce n'est point au chiffre de I'irapot que doit se raesurer la prosperite d'un etat, mais bien "a la situation des classes ouvrieres , des classes infe- rieures de la socieie. En consequence , nous allions borner Ta notre examen , mais, ail moment de clore notre article , nous voyons que M. le pre- sident du conseil des ministres(l)s'est appuye sur les evaluations du redacteur de la Ret'ue Britannique pour affirmer a la tri- bune de la cliambre des deputes que « les charges communes de n chaque citoyen des Etats-Unis s'elevent a 57 fr. , tandis qu'en )) comparant ces charges avec le chiffre de notre budget, nous » n'avons que 55 fr. par chaque individu. » Bien que nous pensions avoir deja detruit Techafaudage'de M. Saulnier ; tandis qu'on iniprime les pages qui precedent , nous allons jeter encore les yeux sur son travail pour presenter brieveraent de nouvelles observations. Pour etablir impartialement I'etat des depenses de la France et des Etats-Unis, il faudrait distinguer, comme I'a fort bien dit M. Odilon-Barrot , les depenses productives et improduc- tives des deux pays (1). II faudrait mettre, par exemple , en re- (\) MonitKur du 10 mars 1852. ()) Voir cc (jiie nous avons dt-ja dit a cet dgard, pagp "5. FINANCES DE LA FRANCE ET DES ETATS-UNIS. 83 gard les allocations qui sont faites en Araerique , pour les ecoles publiques, avec les 900,000 fr. qui sont alloues en France pour I'instruction de tous les proletaires francais. II faudrait comparer le developpement respectjf des routes , des canaux , des chemins de fer , et songer que si la France ac- quitte aujourd'hui les charges du passe , elle jouit aussi , en re- tour , des travaux des generations passees ; et qu'en com- pensation d'une dette considerable nous avons un systeme de communications, qui, s'il etait a. creer, necessiterait des de- penses enormes. Tandis que les Etats-Unis sont , au contraire , un pays neuf ; que , s'ils n'ont qu'mie dette dont le rembourse- ment est proche , ils ont a creer toutes leurs routes , "a fonder des villes, etc. Aussi les travaux publics s'y developpent-ils chaque jour avec une etonnante rapidite (2i) ; en voici un exemple assez concluant : (2) Nous exlrayons d'un manuscrit qui nous est communique ees interessans renseignemens : (( L'etat de New-York est entre Ic premier dans la carrifere ( des grands tra- vaux). De 1817 a 1833 il aura lie par des canaux tous ses lacs et toutes ses rivieres. Aujourd'hui sa dette pour les canaux est de 7,825,036 dollars j amor- tissement en 1831 — 1,741,475 dollars; la liquidation en sera faite dans six aseptans. » La Pensylyanie canalise toutes ses rivieres, et surlout la Susquchana, la plus grande de celles de TUnion , a Test des Alleganis ; un chcmin en fcr fran- chira cettc chaine, haute d'environ deux mille toises, et Hera i'Ohio au versani de Test: ce travail, commence en 1826, sera terming en 1856, il aura quatre cents milles de longueur. » La ville de Baltimore fait depuis 1 828 un chemin en fcr de deux cent cin- quante milles jusqu'a TOhio , a iravers la meme chaiue de montaf nes. » L'6tat de rOhio a commence ses canaux en 1 825 : en 1 851 , il y en a d^ja • trois cent cinquante milles de navigahles ; il en aura quatre cent milles pour le premiar juillct 1852. » En un mot , tous les etats rivalisenl d'emulation pour developper leur prosperit(^particuherc. II n'exislait pas dans toute I'Union cent milles de canaux en 1 81 7, en 1 836 il y en aura pres dc trois millc milles qui parcourront une na- vigation artiCcielle et naturelle de trente-cinq mille milles. L'Angleterrc a fait en soixante-dix annees deux mille sept cents milles de canaux qui ont cout^ 6. 84 KCONOMIE POLITIQUE. Aux Etals-Unis, tlans Tespace tie quarante auiiees, les routes el les bureaux de posie se sont developpes dans la proportion suivantc (1) : Bureaux de poste. Routes: nombre de inilles. IlcxistaitciH790 75 1,875 _ 1800 903 20,817 _ 1810 2,300 36,406 _ 1820 4,500 72,492 _ 1830 8,450 115,176 Ainsi , sans remonter a 1 790 ou il n'y avait , pour ainsi dire ; point de routes, ni de bureaux de poste ; on volt que, dansl'es- pace seuleincnt de dix annees (de 1 820 a i 850) , le nombre des bureaux de poste a ete a pen pres double , et que I'extension des routes s'est effectuee dans la proportion enorme de soixante pour cent. Les Etats-Unis presentent le beau spectacle d'un pays qui volt accroitre sa population , sans que le prix des salaires en ('•prouve une reduction. Voici les progres qui ont ete effectues dans I'espace de quarante annees : La population ^tait en 1790 de 3,929,728 habitans. 1800 de 5,509,758 1810 de..... 7,239,903 1820 de 9,638,166 183o de. 12,850,165(2) Dans un tableau detaille de la population des vingt-quatre rc- 132 millions de dollars ; les Etats-Unis en vingt ans en auront fait davanlapo ct a moins de frais » Qnand on compare ces rtSsultats a Tdtat des canaux commencds en France par le gouvernement , et aux empechemens pudrils qui ont entravd Tentreprisc da lout petit cbemin en fer de Paris a Pontoise , on n est point en droit de rava- Icr Tadministration des Etats-Uuis. (1) Ces cliifires sont cmpiunt^s a \ Alinaiutch Americain de 1832, recueil tr6s-intcressant , qui est dans le ^^nvc icYAnnitaire duduieau des loiii^iliulesj ,i niais qui est bcaucoup plus complet ; il est imprime a Boston. 1 (2) Tandis que dc 1820 a 1850 la population des Etats-Unis s'augmcnlait dc trtntc pour cent , dans la ineme periode elle ne s'est accrue en France que di: ." pour cent. FINANCES DE LA FRANCE ET DES ETATS-UNIS. 85 publiqiies des Etats-Unis, en 1828, M. Saulnier ne produit qii'un diiffre total de 9,514,347. On volt par le releve ci-dessns qu'en 1 820 seulement la population etait plus forte qu'il ne la suppose en 1828; lors meine que M. Ss^iulnier voudrait pre- tendre que les esclaves ne sont point compris dans son evalua- tion, elle serait encore fautive; car, en faisant un simple calcul de proportion, on trouve qu'en 1828 la population libre devait s'elever a 10,200 habitans et le nombre des esclaves h 1,800 Ensemble de la population en 1828. . . 12, 000 habitans. De semblables resultats donnent la mesuie de la maniere dc calculer de M. Sauluier. (Voyez lo Tableau ci-contrc.) 86 ECONOMIE POLITIQUE. Voici, du reste, le tableau officiel de Ja population generale des Etats-Unis. POPyLATIOM DES ilTATS-tMS d'apres cinq recensemkns off 1 til els. ETiVTS I"' RECENS. 2" RECENS. 3" RECENS. 4= RECENS. 5'^ RECENS. Par cent ET TERRITOIRES. en 1 790. culSOO. en 1810. en 1820. en 1 850. lo'a'ns. Ma{ne ' 96,540 151,719 228,705 298,535 599,402 55.9 New-Hampshire . 141,885 185,858 214.400 244,101 ■ 209,553 10.4 Vermout. . . . 85,159 154,465 217,895 255,704 280,079 19.0 MassacTmssels. . 578,787 422,815 472,040 525.287 610,014 16.6 Rhode-IslanJ. . . 08,82? 69,122 76,951 83,059 97,210 17.0 Conueclicut. . . 257 ,94 G 251,002 261,942 275,248 297,711 82 New-York. . . 540,110 580,050 959,040 1,5/2,812 1,913,500 39.4 New-Jer~ev. . • 184,159 21 1 , 1 49 245,502 27*7,575 530,779 15.6 Pensjlvaoie. . • 454.575 602,545 810,091 1,049,313 1,347,672 28.4 Delaware. . . . 59,09("i 64,275 72,074 72,749 76,739 5.5 Maryland.. . - 519,028 545,824 580,546 407,550 446,913 9.7 Virglnie. . . . • 747-,Ol6 880,200 979,022 1 ,065,500 1 ,21 1 ,'272 13.7 Caroliire du Nord. 595,951 478,105 555,500 658,826 758,470 15.6 Caroline dn Sud. . 249,075 545,591 415,115 502,741 581.458 15.7 C«orgie. . 82,548 102,086 252,455 540,989 515,567 51.5 Alabama. . < 8,850 40,552 - 127,901 508,997 141.6 Missis.npi. . • 75,448 156,806 80.1 l.ouisiane. . » 76,556 153,407 215,575 40.7 Te.mcssee. . „ 105,602 261.727 420,813 684,822 62.7 Kentucky. . 75,677 220,959 406,511 564,517 688,844 22.1 Ohio. . . 45,565 230,700 551,454 937,679 61.2 Indiana. . „ 4,651 24,520 147,178 341,582 152.1 Illinois.. . „ 215 12,282 55,211 157,575 185.4 Mi.ssouri. . „ 11 19,785 66,580 140,074 110.4 Dist. deColumbie. „ 15,095 24,025 35,059 59,858 20.1 I\Ilchigan(Terr.). 551 4,702- 8,896 31,200 250.1 Arkansas ( Terr.). „ » 1,802 14,^73 50,585 115.3 Florides(.Tcrr.).. " " " " 54,723 " TOT.VLX 5,929,528 5,509,758 7,239,985 9,058,160 12,850,165 55.4 FINANCES DE LA FRANCE ET DES ETATS-UNIS. 87 ETAT DE LA POPIJLATIOIV ESCLAVE. ESCLAVES DANS LES EfATS-UNIS , CONFORMEMENT AUS CINQ RECENSEMENS OFFICIELS. ETATS. 1790. 1800. 1810. 1820. 1 1830. 158 16 948 2,764 21,324 11,425 3,757 8,887 103,036 2q2,627 100,572 107,094 29,264 1 » » 12,430 3,417 )> » 8 » 580 951 20,613 12,422 1,706 6,153 108,554 546,968 133,296 146,151 59,699 5,489 13,584 40,545 » 155 » 108 310 15,017 10, 85 1 795 4,177 111,502 592,518 160,824 196,365 105,218 17,088 • 34,660 44,535 80,561 257 168 5,011 5,595 21 48 97 10,088 7,557 211 4,509 1 07,598 425,154 205,017 258,475 j49,656 41,87c) 52,81 i 69,064 80,107 126,752 » 190 917 10,222 6.577 1,617 14 23 46 2,246 386 3,305 102,878 469,724 246,462 315,665 217,470 117,294 65,639 109,631 1 42,332 165,350 746 24,990 6,050 27 4,578 15,510 IS'ew-Hampshire.. Vermont Massachussets.. . . Rhode-Island. . . . Connecticut TSew-York , ..... New-Jersey Pensvlvanie Delaware Maryland Vir{;inie Carolinc-Nord. . . Caroline-Sud. . . . Georgie Alabama Mississipi Louisiane Tennessee Kentucky Ohio Illinois Missouri Columbie Michifjan Arkansas Florides . ToTAtJX ; . . . . 697,697 896,849 1,191,364 1,558,064 2,010,436 Ce"clernier etat se troiive comprisdans le premier. Le gouver- nement araericain n'a point, comme M. Saulnier, commis lafaute de retrancher les esclaves de I'ensemble de la population ; nous avons deja prouve corabien la pretention de M. Saulnier a cet 88 ECONOMIE POLITIQIE. egardetaitpeu foudee; voicileraisonnement dont, il I'a appuyee - « 11 mo reste, dit-Il, a signaler des {iuues plus girwes , el qui » ontfausse']c resumederiioiiorable general (le general Lafayette). •» II me reproche 5c n'avoir porte le chiffre des contribuables des » Etats-Unis qua une somme ronde de i 1 ,000,000, qui , d'apres » le dernier recensement, etait de i '2,856,000. —L'eireiir de nion » adversaire provient de ce qu'il a compris dans son chiffre les » negres esclaves, tandis que je n'ai porte dans le mien qnc celui » des personnes libres, comme cela devait etre. Dans quelques « etats du Sud, ces infortunes sont taxes ; mais ils ie sont comme )) des tetes de betail , comme le sont egalement , dans les memes » etats, les boeufs, les chevanx^les moutons, etc. D'ailleurs le pro- » duit de cette taxe, acquittee par les proprietaires de noirs, n'est ') pas versee au tresor federal. » Qnand on a lu ces lignes, on a besoin de se rappeler que , quelques pages auparavant, M. Saulnier s'est eleve .avec une gqnereuse syrapathie centre I'existence de I'esclavagedans 1' Union americaine. Quelle que soil done la forme Ae I'impot qui frappe la population esclave , lorsqu'on ne sanctionne point I'affreux pre- juge des deux natures , on ne doit point exclure du contingent general de la population- des hommes qu'une legislation barbare retient encore dans une condition deplorable. Aux ycux du phi- lantrope, toutaussibienqu'aux yeuxde I'ecoriomiste, les esclaves des Etats-Unis ne sont, comme I'a fort bien dit M. Feniraore Cooper , que des producteurs ; des producteurs qu'on exploite, a la verite, a un degre beaucoup plus intense que les salaries. Dans une note ( page 231 , second article ) , que ]e journal des De'hats (l)a complaisamment reproduite , M. Saulnier s'exprime ainsi : « Les indications ci-jointes pourront donner quelque idee » de I'etendne du paupehsme aux Etats-Unis. Les philantropes « americains attribuent en general cette calamite sociale a I'in- » temperance. [V JmiiiHil (la Di'hats Hii 2" fcvrirr. FINANCES DE LA FRANCE FT DES ETATS UNIS. 89 )) Le nombic des pauvres adinis dans les hospices de Philadel- » phie etait : dollars. • Irancs. En 1 823 de 4,908 , ci leiir ddpense s'^levait a 144,557 783,498 1824 5,251 198,000 1,075,160 1825 4,394 201,000 1,089,120 1826 4^272 • 129,000 699,180 » On calcxile que dans ce corate la taxe pour les pauvtes s'c- » leve a pies de 5 fr. par contribuable. )) D'apres le compte rendu en 1821 a la legislature du New- » Hampshire, la depense des pauvres s'est elevee, de 1799 a » 1820, a 726,547 doll., ou 56,527 doll. ( -1 96,892 fr.), anuee » moyeiine. » Au Massachussets , le noiubre des pauvres est de 7,000 et » ladepense annuelle de leur entretien coute 470^582 doll. (2mil- )» lions 550,654- fr. ). Or la population de cet etat etant de » 610,000 ames, la depense moyenne des pauvres equivauta une )) depense de plus de 4- fr. par contribuable. Ainsi done, en portant )) a4 fr. la totalite des depenses des comtes et des districts, j'ai du » faire xuie evaluation plutot au-dessous qu'au-dessus de la realite. » Pour apprecier ce que le nombre de 4272 pauvres pent avoir de calamiteux pour la ville de Philadelphie, il est bon de cou- sulter le recensement ofticiel de la population ; on y trouve que cette ville renfermait : En 1790 42,520 habitans. En 1800 60,287 En 1810 96,664 En 1820 1 1 9,325 En 1850 147,811 Or en 1 825 , la population devait etre environ de 1 44,000 habitans, le nombre des pauvres etait done dans le rapport d'un peu moins de trois sur cent ! Dans le Massachussets, 7,000 pauvres sur 610,000 habilans representent environ un sur cent ! Si maintenant je veux avoir queique idee de I'etendue iJii pn/i- pe'risme en France, j'ouvre V Awumire du hurenu des loni^iliides , go ECONOMIE POLITIQUE. et j'y vois , page 87, qiie dans la ville de Paris le nombre des de- ces fl ^omic//e s'est eleve en 1 850 a .... 15,664, et dans les hopitaux , dans les prisons et a la morgue a 12,202, Total des deces. • 27,866. Le rapport entre les 12,202 deces et I'enserable de la morta- lite est de quarante-quatre et demi sur cent. Les naissances presentent des resultats noii moins affligeans. En 1850, toujoursdans la ville de Paris : II est ni dans le manage 18,560 ent'ans. » hors le mariage 40,007 Nombre total des naissances. . . 28,567 Ce nombre presente encore cet autre apercu : Naissances a domicile 23,065 enfans. Naissances aux. hopitaux 5,522 28,587 Je consulte maintenant une lettre, signee par le maire et tous les membres dii bureau de bienfaisance du douzierae arrondisse- ment de Paris , que les journaiix ont reproduite le 50 decembre 1 851 et j'y trouve : M La population du douzieme arrondissement, qui s'eleve a » environ quatre-vingt mille habitans , compte, dans ce nom- » bre, pres de vingt-quatre mille personnes inscrites sur les » controles, et qui sont dans la raisere la plus affreuse ; cesont, 5) pour la plupart , de malheureux ouvriers charges de femille » et des vieillards , que le bas prix des logemens fait refluer , » sur la fin de leur carriere , de tous les quartiers de Paris dans » le notre. ') Cette population si malheureuse manque de pain et de vete- » mens ; beaucoup soUicitent conanie une faveur queUjues bottes « de paUle -pour se coucher , et les ressources ordinaires du bu- » reau de bienfaisance ne permettent pas meme d'accorder deux >) Ihres de pain par mois a chaque indigent » FINANCES DE LA FRANCE ET DES ETATS-UNIS. ^ J'ouvre encore un compte rendu de 1' Academic des sciences , seance du 6 fevrier i 852, et j'y vols, dans un travail qui est lu parM. Cosmeny. « Que la ville de Reims, sur une population de 36,000 ames , compte 20 Ji 22,000 ouvriers non patentes , sur lescjuels \ \ ,500 imligens representes par 4,200 menages. Par suite des eWnemeus de juillet, la mile ajant e'te obligee de venir ausecours dela c'lasse owriere ^ une cotisationde 25,000 francs fut mise a la disposition du bureau de bienfaisance. On etait an mois de septembre, il fallait passer I'hiver » \ \ 500 indigens sur 56,000 ames, c'est trente deux sur cent. Ce qu'il y a de plus remarquable dans Vextrait que nous venous de reproduiie , c'est cette phrase : ci Par suite des evenemens de juillet , la ville ayarit ete obligee de venir au secours de la classe ouvriere. » II ne fallait en effet rien moins qu'un tel evenement pour faire deroger a un principe ! On s'eleve assez vulgairement contrela taxe des paui^res , etnos hommes d'etat, bons pbilan- tropes d'ailleurs, freniissent a la seule pensee de voir s'etablir en France cette plaie de la Grande-Bretagne. Une telle repugnance est evidemnient le resultat d'une erreur, et Ton prend ici I' effet pour la cause. La plaie. de I'Angleterre ne git certainement point dans la taxe des paui^resy mais bien dans ['existence de la paui^rete', pauvrete qui derive a son tour de la concentration des proprietes territoriales dans les mains de I'aristocratie anglaise , qui, comme on sait, a jusqu'a ce jour fait les lois et s'en est attribue les profits. La taxe des pauures n'est done au-dela du detroit qu'un supplement de salaire, qu'une retribution falle par I'etat aux ouvriers, pour attenuer les effets occasiones par 1' elevation des fermages , par la legislation des cereales, etc, etc. La plaie de I'Angleterre est done uniquement dans les privileges de I'aristocratie, qui font qu'a I'aide d'un tra- vail opiniatre , un ouvrier ne petit , quelque eleve que soit son salaire , subvenir aux besoins de sa famille. Lorsque la pauvrete existe , il faut d'abord la soulager, puis songer ensuite au mnven de la faire cesser; en ce sens, nous 93 ECONOMIE POLITIQUE. pensons quo le gouvernement pent et doit, sans ciaiiidre tie de- roger aux bons principes , accorder des secours lorsqu'ils soul indispensables. MaiiUenaiit nous ne ferons point de reflexions sur cc rappro- chement : En 1825, aux Etats-Unis, 4,394 pauvres ont eu a ddpenser 1,089,420 fr. En 1851, en France, 1 1,500 pauvres ont eu a depenser 23,000 On pent se faire, d'apres cela, une idee de I'etat du paupe- risme aux Etats-Unis ! Revenons a M. Saulnier; ceux qui ont In ses deux articles auront pu reraarqnerle soin niinutieux aveclequel il a rassemble et suppute les depenses des Etats-Unis. Voici maintenant com- ment il a apprecieles charges de la France ; nous laisserons en- suite "a M. Saulnier lui-meme le soin d'examiner si ce vers du fabuliste n'est point ici de circonstance : Lynx envcrs nos pareils et taupcs en vers nous. Nous lisons dans son second article , page 246 (1 ) : « Voyons quel est le total general des charges ordinaires de la » France : » Budget coniprcnant "a la fois les recellcs I'ailes ponr » I'^tat et cclles des deparlemens 960,000,000 Ir )> Service dc la {jar Je Rationale 100,000,000 >. Casucl du clergy 1 5,700,000 "^ Total GENERAL 1,075,700,000 11-. » D'oii resulte pour le contribuable francais une moyennc dc » oo fr. 60 c. Ainsi done, memc eu comptant le service de la » garde natiouale comme un service permanent, quoique une ex- )) perience de quarante annees fasse voir qu'il n'a jamais ete que (1) T,r JnurJial flcs Dr'hats du 23 fovrior a rnralmipnl rrprndiiit cr calcnl FINANCES DELA FRANCE ET DES ETATS-UNIS. (J.'i » leraporaire, la moyenne des charges publiques en France est » inferieure a celle des Etats-Uuis. » M. Sanlnierajoiite ensnite : « II y a plnsieurs deductions a » faire du budget francais. )j En effet, moyennantles recettes deson budget ordinaire, la » France est defrayee de la depense quelle aurait a faire pour )) acheter du tabac, des cartes k jouer, de la poudre dont le gon- )) verneiuent s'est reserve le luonopole. Au fond on ne pent con- » siderer coinrae un impot quel'exc^dantque paielecontribuable )) francais, en susdii prix qn'il eut donne pour ces divers articles » si le commerce en eut ele li vre a la concurrence . Pour etablir cet )) excedant, il faut dcduire : i" I'achat de la matiere premiere; 2" )) les frais de manipulation ; 5° un benefice de 1 0 "a 1 2 pour o/o )> sur le commerce en gi-os ou en detail. » Les recettes du tresor sur ces articles sont, savoir :• ,) 1" Pour le labac 67,500,000 fr. » 2° Pour les poudres. 4,180,000 n 3" Pour les carles a joucr 505,000 Total 7i ,985,000 fr. » Ce serait heaucoup qued'evaluer a une trentaine de millions )) I'excedantde profit resultat du monopole.de ces trois articles. « Mais,.OTe'nie en comptant de cette maniere, il y aurait encore » une quarantainede millions a deduiredes charges publiques de i> la France.)) Cette somme de quarante millions, jointe aux qua- rante-deux millions de non-valeurs, forme quatre-vingt deux millions de reduction sur revaluation donnee plus haut , ce qin' , selon M. Saulnier , reduit ia cote moyenne du contribuable fran- cais a 31 fr. 04 cent. Ava«t d'examiner le total general des charges ordinaires de la France , qiie M. Saulnier nous a donne , nous allous apprecier les chiffres qu'il a produits relativement aux labacs, aux poudres et aux Cartes k jouer. Nous avons cite sa proprc argumentation , afin qu'on futpkis a meiiie d'apprecier son impartialite. g4 ECONOMIE POLITIQUE. Le produit de la vente des tabacs s'eleve bien , comme il le dit, a 67,500,000 fr. ; mais je vois (budget f" 548 a 552) que les frais d' exploitation ne s'en elevent qua 21,515,000. Dans cette somme se trouvent compris les achats de tabacs livres par les planteurs, tons les frais de fabrication , de transport, de vente, etc., plus les iVais d'un personnel administratif Aq trois cent dix fonctionnaires qui absorbe 955,000 francs , soit , pour cliacun , un pen plus de 5,000 francs en moyenne. Si Ton considere en- suite qu'en France la culture du tabac est I'objet d'un monopole el que, des-lors, il faut payer le tabac en feuilles plus cber qu'on ne le paierait si la culture etaitlibre ; si Ton veut apprecier qu'en general les gouvernemens actuels n'ont point le privilege de fabri- quet au plus has prix possible lorsqu'ils s'en melent, on recon- naitra qu'en maintenant les 21 ,515,000 francs, on couvre lar- geraent les frais de la matiere premiere , les frais de manipula- tiqn et le benefice du commerce de gros et de detail. Tons les frais de fabrication , de transport et d'administration despoudresa feu s' elevent (budget fo 546) a 2,583,000 francs. Snr le produit des cartes, I'etat n'a "a debourser que la bande le- gere qui ferme les paquets; si cette depense s'eleve a 5,000 francs c'estbeaucoup: et dans tons les cas cette depense est sansutilite. Ainsi Ih oil M. Saulnier a trouve a reduire 40 millions, par e'l^aluation ^ nous ne trouvons en re'alite' , en puisant dan* le budget de 1852 presentepar le gouvernement, qu'une reduction de: i" Pour la fabrication , la vente et I'administration des tabacs • 21,313,000fr. 2° Pour la fabrication , la vente et Tadministration des poudres 2,583,000 3o Pour les bandes des cartes a jouer • 5,000 Total 25,701,000 fr. L'^valuation de M. Saulnier se trouve done un peu for- oce, ce qui produit une premiere crreur de 16,i.JJ,000 FINANCES DE LA FRANCE ET DES ETATS-UNIS. gS Maintenant, pour bien apprecier le total general des teceltes , nous croyons qu'il est preferable de reqherclier la somme totale deS depenses ; c'est plus logique et plus sur en meme terns. Pour i 832 , la d^pense ordinaire portee au budget s'eleVe a 955,980,012 fr. La liste civile, qui n'y est point comprise , a 13,000,000 Credits supplementaires r^clam^» depuis la presentation du budget. Pour recompenses nationalos 200,000 fr. Pour Tancienne liste civile 600,000 Pour les refugies . 500,000 Pour les affaires etrangeres. ...... 500,000 Pour les travaus de la chambre. . . 70,000 Pour les mesures sanitaires 1 ,000,000 Pourlapeche 1,000,000 Pourlegdnie 2,800,000 Pour travaux d'utillie publlque 1 8,000,000 fr. 24,670,000 fr. Depenses qui ne figurent point au budget general. Conseil royal de Tinstruction pu- blique 3,645,51 5 fr. Depenses faiies sur te produit de taxe des brevets d'invention 430,000 Legion-d'honneur 7,005,373 Fabrication des monnaies 2,846,1 80 fr. 13,927,068 fr. Dotation et apanages de la couronne , environ 7,000,000 Total de la defense 1 ,01 4,577,080 fr. M. Saulnier ^v'alue la recette a 960 millions ; or , comme nous devons supposer qu'il a pense que la d^pense et la recette devaient etre ^gales , nous d^- falquons son evaluation de ddpense riielle , ci 960,000,000 Deuxifeme erreur de M. Saulnier 54,577,080 fr. Premiere erreur .sur les tabacs , les poudres et les cartes(voir cl-contrel 16,299,000 Erreur 70,876,080 fr. C)6 ECONOMIE POLITIQUE. Nous nc voulohs point nous astreindre a dissequer les 42 mil- lions qinl a rayes en outre d'un trait de plume pour non-valeurs, primes, restitutions, etc. ; il est certain que nous pourrions trouver la encore quelques millions a retrancher, notamment sur les 10 millions qui figurent dans cette sorarae pour primes d' exporta- tion, ainsi que sur les amendes altrilmees aux hospices, etc., etc. Nous n'avons point porte dans notre redressement les 1-11,728,000 francs qui figurent au budget sous le titre modeste (le credits extraordinaires ; nous avons egalement neglige les credits supplementaires reclames par le ministere de la guerre ; on n'aurait point sans cela manque de nous repondre que ce ne sont point la des depenses ordinaires. D'un autre'cote, nous n'a- vons point tenu compte des c'cononiies qui seront obtenues par la chambre, par la raison quelle ne sont pas encore votees , on pent cependant en evaluer le chiffre a I'avance de i 0 a 12 millions environ. II n'est pas inutile de faire remarquer qu'en France les credits extraordinaires sont presque exclusivement consacres aux de- penses de la guerre, depenses essentiellement improductives ; tandis qu'.aux Etats-Unis, les impots extraordinaires n'ont pour objet que le confectionnement de nouvelles routes, de nouveaux canaux, les defrichemens , etc.; toutes depenses reproductives. M. Saulnier n'a point fait entrer dans la contribution moyenne de France les impots extraordinaires j et en cela il a bien fait, mais il hii a ete impossible de faire la meme distinction en appre- ciant la contribution moyenne d'Amerique (1); il a du des lors en resulter de grandes inexactitudes dans ses appreciations. Quoi qu'il en soit cependant des classifications qui sont operces dans les budgets francais, quoi qu'il en soit de ces commodes dis- tinctions entre depenses ordinaires et depenses extraordinaires, (1) M. Fonimorr. Cooper a cffccUvpnu'tu sif;nal<' dc scinh!:il)lrs ronliisions •lans les ariit los do la /iciue }}riuiiiiii''i'c. cela peut bien avoir quelques valeur de circonstance , cela pent, bien servir a dissimuler, aux charabres qui les votent et "a la na- tion qui lespaient, Timportance des charges publiques; raais, si Ton veut jeter un regard «ur le grand livre de la dette publique , snr le chiffre de la dette flottante; si Ton veut recapituler.les ventes des forets, on verra que, dans la periode des 16 annees qui viennent de s'ecouler, les credits extraordinaires ont bien pu revetir successivement diverses formes, prendre successivement divers noms , mais qu'en resultat ils ont aggrave les charges publiques avec une desesperante regularite. DepuislSIG : Cent dix millions de rentes emises au capital de deux mil- liards deux cent millions, Vingt-sept millions de rentes de I'emigration au capital de neuf cent millions, Cent cinquante millions environ, empruntes pour le confec- tionnement des canaux (i ). Trois cent millions de dette flottante , Deux cent millions a emprunter en 1832, ont ete les resultats des depenses que les ressources dites ordi- naires ne sont point destinees a couvrir. Pour peu qu'on examine les budgets qui ont ete votes depuis quinze ans, pour peu qu'on (I ) Voici les principales al'fectations de cette soinme qui jusqu'a ce jour a pro- tliiit de si faiblcs resiiltais : 09,000,000 fr. pour Ics canaux dc Brelap.ne, du Nivernais, dii duo di; Bcrri, de la Loire. 27,000,000 pour le canal de Bourgogne, 6,000,000 d' Aries a Bone. 10,000,000 de la Sensee. 10,000,000 de Monsieur. - «,000,000 des ArJenne.s, 6,000,000 de la Soinme. 3,000,000 de rOise. 2,500,000 d^Aire a la Basseo 141,500,000 fr. TOME LIU. JANVllcr, I852J. (j8 ECONOMIE POLITIQUE. les suive jusqu'au leglement definitif des comptes, on verra que les previsions oflicielles ont toujours ete depassees, ot que les credits accordes ont toujours ete insuffisans. En presence de pareils faits , et lorsqu'on voit les Aniericains rembourser leurs dettes avec les exce'dans du revenu de leiirs douanes; lorsqu'on voit ce remboursement s'effectuer avec une rapidlte telle, qu'en 1833, selonM. Saulnier lui-merae , ladette federale sera entierement eteinte (i ) , on ne comprend point , en verite , comment il se fait que le parti ministeriel et le ministere lui-meme aient cherche "a etablir uii paralVele purement financier entre Li France et les Etats-Unis. Lorsque nous disons qu'on ne concoit point une semblable in- consequence, il est bon cependant de s' entendre et de faire la part des circonstances ; im grand malaise afflige le pays, chacun se plaint , la souffrance est partout ; quant aux causes , quant anx raoyens d'y remedier , chacun les signale suivant ses preoccupa- tions , suivant ses prejuges, suivant ses interets immediats et le milieu dans lequel il se trouve place. Les classes riches , les gouvernans, ceux qui font la loi et qui des lors desirent par-dessus tout le statu quo , attribuent le mal- aise social aux revolutions; il en est de ce jugement comme de celui que nous avohs dit qu'on portait sur la taxe des pauires , consideree comme plaie de la Grande-Bretagne : on prend en- core ici I'effet pour la cause. Les producteurs, ceux qui n'ont que leur travail pour vivre, se plaignent de leur cote de I'enorraite des impots et font retom- ber sur le gouvernenient I'irritation que leur occasionne la souf- france qu'ils eprouvent ; ils confondent en cela le fond avec la forme. Ils sont touteTois bien excusables ; le mode actuel de la [i ) Le rddaclcur de la Revue Britaimique a prdtendu que « les deltas des vingt- qiiatrc rdpubliqucs n'avaicnt point d'analoguc en France:" les emprunts des villcs , et nolammcnt ceux de' la villc . do Paris, sont ndannioins d'line assez (;rand(' importance pour pouvoir etre compt(*s. FINANCES DE LA FRANCE ET DES ETATS-UNfS. 99 repartition des charges publiques et le mauvais emploi qu'en general on en fait peuvent expliquer blendes choses. Les charges publiques sontloin ccpendant d'etre pour les tra- vailleurs 3e fardeau le plus insupportable ; la legislation fiscale n'opprime point les travailleurs sous la seule forme et dans la seule proportion dii budget annuellement vote; les restrictions, les prohibitions comrnerciales , complelent et fortifient le reseau qui les enserre de toutes parts. Pour n'en citer qu'un exemple , nous jetterons les yeux sur cequi se passe actuellement a Mar- seille : les bles dans I'entrepot valent 1 7 fr. 54c. par hectolitre (i ). En vertude laloi ilsne peuvent etrelivresala consoinmation, et par suite » les boulangers se sont vus forces de ne plus fabriquer » que/rt moitiede leur produit ordinaire , ce qui a laisse raanquer » plusieurs habitans du pain necessaire h leurs besoins (2) » . Hors de I'entrepot le ble valait 50 f. 40 c. I'hectolitre, c'est done une surtaxede i5f. somrae roiide, qui est resultee de la legisla- tion qui regit encore aujourd'hui le commerce des grains. Voyons quel est I'impot moyen annuel que cette surtaxe occasionne pour trois on qnatre millions de Francais, que leniarche de Marseille pourrail plus directement approvisionner. La consommation moyenne du pain varie entre une livre et une livre et demie par jour et par tete; les classes riches consoniment moins d'une livre, les classes pauvres, dont le pain est la principalenourriture, en consomment environ une livre et demie. Une livre de pain par jour equivaiit h deux hectolitres qua- rante trois centiemes de ble par an (5); une livre et demie represente trois hectolitres soixanie cinq centiemes. Le terme moyen de la consommation par jour et par tete en France ()) Voir le rapport de M. Charles Dupin , du 5 mars 1832, P 17. (2) "Voir le Wational Aa 2 mars et L'Eclio du 26 fevrier. (3) Voir I'expoge des motifs de la loi des cereales, Moniteur du 18 oct. 1831. Un hectolitre pese soixanle-quiiize kilojjramnies; tin kilojjramme de hie rend un Jiilogramiie de pain. lOO ECONOMIE POLITIQUE. pst done trois hectolitres, et uiie fraction legere. En consequence I'impot annuel que les proprietaires terriers ont preleve, sur la ville de Marseille et sur le rayon que ce port pent approvi- sionner, equivaiit a 59 francs par tete. ( On trouA^e ce cliiffre en niultipliant la surtaxe de 15 francs pat-S , ilorabre des hectolitres qu'on consomme moyennement. ) On dira sans doute que cet etat de choses est exceptionnel ; on n'aura point tort , mais dans nne certaine limite cependant; car M. Charles Dupin, dans le dernier travail qu'il a presente a la Chambre (1), a etabli que dans une periode de dix annees (de 1821 a. 1851), la surtaxe avait varie entre 6 fr. 59 c. et 15 fr. 58 c. par hectolitre; la mojenne de ces dix annees ^ calculee par M. Charles Dupin, est de 9 fr. 89 c, qui, "a raison de trois hectolitres, ont forme pendant ces dix ans une surtaxe anhuelle de 29 fr. 67 c. par tete ; c'est-h-dire une somme a peu pres e'gale au chiffre total de rimpot. De semblables rapprochemens sont de nature a detruire tons les calculs qu'on voudrait etablir sur la quotite des charges pu- bliques ; ils indiquent qu'il y a dans I'ordre social acluel de pro- fondes modilications a introduire, et ils avertissent qu'il faut avant tout se preoccuper! du soin de les obtenir successive- ment. M. Saulnier avait bien mieux senti les necessites politiques et financieres du moment, lorsqu'il s'elevait contre le luxe de I'etat militaire en FrancCj et contre le maintien integral de I'amortis- sement. En signalant ces deux grands ch.lpitres des depenses publiques , connne les seuls capables d'eprouvcr d'iraportantes reductions , il a bien jiige la valeur des questions financieres qui (1 ) Rapport sur la loi des cer(5ales. Les resultals de ce rapport doivent intro- duire quelqiics amelioralioiis "a I'ordre de clioscs acluol , mais ils sont loin de presenter les avanlagcs qui dcvaicnt resulter du projet dc loi du pouverncment. ^ous Irailrrons ailleurs rctte inipnrlante question. FINANCES DE LA FRANCE ET DES ETATS-UNIS. loi devaieiit dominer la discussion du budget. C'est la surtout ce qui aurait dii, dans le travailde M. Saidnier, fixer I'attention du pre- sident du conseil des ministres ; il aurait pu egalement y remarquer le passage reraarquable danslequel un vaste sysleme de travaux pu- blics, routes, canaux, chemins de fer, s'y trouve indique (1 ). C'est par de semblables mesures seulement qu'il est possible au pou- voir d'influer aujourd'hui sur le developpement du travail et sur la prosperite generale. Emile Pereirb. a mars 4 832. [1 ) Nous avons d<'ja public, dans ce recueil, un article {^Re\'ue EncYclope'diquf, Caliier d'«ctobre 1 831 , Exanien dn budget de 1 832) dans lequelces questions ont i\i lrai)|jcs dans le menie sens; voici ce que nous disions : « Pour facilitcr la con- struction des chemins de fer, on pourrait atcorder aux concessionnaires des entre- prises qui , a Tavcnir, pourront elrc fondecs , la faculte d'introduire , en fran- chise de droits , des fers etrangers pour I'emploi special des chemins en con- struction. Gette disposition iransitoire , toutc d'interet ge'ndral , ne prdjugcrait en rien la grande question de I'abaisscnicnt du larif des lers et des fontes. » SCIENCES. ZOOLOGIE Gl^NERALE. SUB LES VARIATIONS GESERALES DE LA TAILLE CUES LES HAUHIF^RES y ET DA?iS LES RACES HUHAINES. Le iioinbre considerable d'especes nouvelles dont les decou- vertes desvoyageurs enrichissent chaque jour la zoologie, et plus encore les recherches auxquelles on se livre de tons cotes sur I'organisation et les moeurs des especes anciennement connues , out eleve , dans ces dernieres annees , toutes les branches spe- ciales de la zoologie "a un haut degre de perfectionneinent. Mais, au milieu de ces immenses progres , ou plutot a cause de I'im- mensite ra^nie de ces progres , il est une branche de la science , et la plus importante peut-etre de toutes, qui, loin de parti- ciper k ce rapide inouveraent , reste presque stationnaire, et veritablement , si Ton pent s'exprimer ainsi , languit comme etouffee entre toutes les autres. Cette branche, c'est la zoologie generale, fondee et cultivee avec tant d'eclat par Linnee et par Buffon, mais encore aujourd'hui plusriche d'apercus ingenieux que de resultats demontres, d'hypotheses que de faits. A I'epoque ovi ecrivaient ces deux grands hommes, les observations, les faits de details , seule base surlaqueUe des faits generaux puissent et doivent reposer, etaient encore en petit nombre; et les verifi- cations de I'avenir out manque trop souvent aux deductions, ou, plus exactement , anx hautes previsions de Buffon. Quelquefois raerae notre grand naturaliste donna le trisle spectacle d'hesita- VARIAT. DE LA. TAILLE CHEZ LKS MAM Ml FERES. l.o3 lions , de doutes , de retractations ; preuve trop positive qne le genie seul ne saurait suppleer le grand eiiseignenient de I'ol)- servation et des faits. Aujourd'hui, an contraire, la zoologie, enrichie depuis qua- rante annees par tant de recherches exactes, precises, inge- nieiises , possede un nombre presque infini de faits., et il n'y a unl doute qne de lenr rapprochement , de lenr coiaparaison , puissent naitre enlin des conseqnences generales, positives et vraiment scientifiques. II semblait done que la zoologie generale, qui resume veritableraent en elle toutes les branches speciales de la science , eut da les suivre an moins dans leur marche si rapi- dement progressive; c'est cependant ce qui n'a pas eu lieu. De graves obstacles se sont rencontres dans cette multitude meme de resultats parliculiers , dans leur nombre si disproportionne avec les limites de notre esprit. Comment, eu effet, saisir une conse- quence generale , quand les faits qui lui servent de base , et dont sa decouverte exige la connaissance, sont en nombre presque in- fini ; quand T immense extension de la science a contraint les na- turalistes de s'en partager, et , pour ainsi dire, d'en fraction ner I'etude , de voner leurs meditations a I'avancement de telle ou telle branche speciale, en un mot, de se placer "a un point de vne si rapproche qu'il laisse les details apparaitre seuls avec exac- titude, et nous derobe entierement le spectacle de I'ensemble? Cependant un tel etat do choses est-il vraiment sans remede? L'extreme richesse de la science doit-elle, comme sa pauvrete premiere, nous priver a jamais de ces resultals generaux, si digues d'interet par eux-memes, et tout a. la fois si utiles pour la recherche et I'appreciation des faits de detail , puisqu'ils sont , par leur essence meme , de veritables formules renfermant en elles tant dfi notions secondaires? Ou bien , chacun de ceux qui ambi- tiounent de concourir aux progres d6 la science, nepourrait-il, dans le cercle des faits dont il a acquis , par des etudes toutes spe- ciales, une connaissance complete et approfondie, cherchcr a saisir des rapprochemejis dont les resultats pourraient etre ensuilo 1 O/f ZOOLOGIE. — VARIATIONS DE LA TAlLLE (ileves par lui-memeou par d'aiitres iiaturalistes a toiile leur im- portance philosophique, a toute leur geiieralite. Cette marche est celle que j'ai essaye de suivre. En m'appuyant specialement sur rexanien des classes les plus rapprochees de rhomme et des races humaines elles memes, j'ai etudie, sous uii jjointde vue general, les modifications dela taille, de la forme et de la couleiir dans la serie zoologique; et je crois pouvoir etablir que les fails de detail, relatifs a ces trois conditions organiques repu- tees avec raison les plus variables de toules, peuvent cependant elre ramenes a quelques resultats generaux, et presententdes re- lations constantes et reraarquables avec les circonstances dans les- quelles les animaux se trouvent places par la nature, et avec leur organisation et leur genre de vie. Ce premier meraoire aura pour sujet les faits principaux que j'ai pu deduire k I'egard des varia- tions de la taille des mammiferes sauvages et domestiques et des races liumaines; faits dont plusieurs pourront jeter quelquejour sur ces harmonies generales de la nature , devenues si souvent le texte de declamations, et si rarement le sujet d' etudes exactes et positives. Dans un travail que j'ai lu dernierement a I'Academie des Sciences , j'ai rassemble et compare les nombreuses observations que la Science possede sur les variations de la taille, cliez les juammiferes sauvages et domestiques, et dans les races humaines. Reproduire ici ces observations et mon travail , ce serait entrer dans des details speciaux, qui ne conviendraient peut-etre pas a la nature de ce recueil,, dont I'objet est de populariser les resul- tats de la science, plutot que I'etude des details. Je me conten- terai done de resumei les faits generaux et les rapports auxquels ces observations m'ont conduit. MAMMIFERES SAUVAGES. Toutes les fois que deux on plusieurs especes se ressemblent parfaitement par leurs caracteres generiques, leur taille est la meme ou tres-peu differente. CHEZ LES MAMMIFERES. lo5 Les families , les genres , les especes qui habitent au sein des eaux , ou y passeut luie partie de leur vie, parviennent "a une grande taille , comparativemeiit aux autres families , genres , especes des memes groupes , et I'accroissement de leurs dimen- sions est meme d'autant plus grand , toutes choses egales d'ailleurs, que leur organisation les rend plus essentiellement aquatiques. Les genres ailes ou vivant sur les arbres n'atteignent jamais au contraire que de petites dimensions. Les maramiferes purement terrestres peuvent etre classes dans lordre suivant,'d'apres leur taille tres-grande dans les premiers, moindre dans les seconds, et ainsi de suite : les herbivores, les carnivores, les frugivores, enfin les insectivores. Cette proposition pent en quelque sorte se traduire par la sui- vante : il existe une coordination parfaite entre le volume des aniniaux et le volume ou la quantite des etres organises dont la (conformation de leurs organes digestifs les appelle a se nourrir. II existe un rapport non moins constant entre la taille des mammiferes et I'etendue des lieux oii ils vivent , les grandes es- peces habitant les mers, les continens et les grandes iles , les pe- tites peuplant au contraire les rivieres et les petites iles. En general meme, les mammiferes des plus vastes contiuens surpassent leurs analogues'des continens moins etendus. Les maramiferes de I'hemisphere boreal surpassent les animaux analogues vivant dans I'hemisphere austral. La taille des mammiferes qui vivent sur les montagnes est le plussouvent, mais non toujours , inferieurea celle des animaux analogues qui peuflsnt les plaines et les deserts. Dans I'hemisphere boreal , les genres et des especes de la plu- part des families parviennent a leur maximum de taille dans les corttrees les plus meridionales, et descendent k 'leur minivmin dans les climats les plus septentrionaux ; d'autres ont leur maxi- mum dans les regions voisines du cercle arctique et leur minimum dans la zone intertropicale ; mais il n'en existe pas qui , ayant leur plus grandes especes dans les contrees temperees ou pen 106 ZOOLOGIK, — VARIATIONS DE LA TAILLE <;haudes, presentent uue taille moiiidre a mesiire qu'oa Ics suit vers I'equateur ou vers le pole. MAMMIFfeRES DOMESTIQUES. Les propositions precedentes ne sont pas generalement appii- cables aiix aniinaux doraestiques. Dans plusieurs especes doraestiques la taille primitive s'est conservee ou n'a 6te que tres-legerement modifiee. Dans d'autres especes , il existe des races beaucoup plus gran- des , d'autres beaucoup plus petites que le type primitif , mais la taille mojenne des races differe pen on ne differe pas de ce type ; en sorte que I'espece, consideree dans son ensemble, n'a au total que peu (Jii point augmeiite ou diminue. Les especes qui out subi une legere diminution sont toutes au nombrede celles que Thomme neglige generalement et nourrit mal. Les variations individuelles de la taille sont renfermees dans des limites beaucoup plus etroites que les variations de race . RACES HUMAIWES. Au contraire de ce qui a lieu pour les animaux doraestiques, les variations de race sont chez Thorame renfermees dans des li- mites beaucoup plus etroites que les variations individuelles. La taille des ferames est moins variable que celle des horames. Ainsi elles sont beaucoup plus petites que les horames chez les peuples de tres-grande taille , et la diffei'ence devient au con- traire tres-faible chez les peuples de petite taille. Les peuples. les plus reraarquables par leur grande taille habi- tent generalement riiemisphere austral. (Les peuples de tres-petite taille se trouvant au contraire presque tons dans rhemisphere boreal, corame on I'a indique depuis loug-tems. ) Parmi ces peuples de tres-grande taille, les uns viveutsurle cou- CHEZ LKS MAMMIFilREvS. IO7 tinentde rAraeriquc meridioiiale, les ciutres, dans divers archipels de rOcean du sud, et Ton peut inerae remarquer qu'ils fornient ainsi dans rheinisphere austral deux series , I'une continentale , I'autre insulaire , toutes deux assez irregulieres et plusieurs fois interrompues, mais commencant egalement a 8 ou iO" de lati- tude sud , et se terminant aux environs du 50^ degre. Toutefois, il existe aussi dans rheinisphere austral des peu- ples dont la taille est au-dessous de la nioyenne , et reciproque- merit, dans le boreal, des peuples dont la taille surpasse cetle raoyenne. Or, en comparant la position geographique de ces peuples a celles des peuples extremement grands ou extremeinent petits, on arrive k ce resultat en apparence paradoxal, et cepen- dant facile k expliquer en partie , que des peuples de petite taille "vivent presque partout pres des nations les plus grandes du monde entier, et reciproquement , des peuples de haute taille pres des nations les plus reraarquables par I'exiguite de leur stature. Les variations de taille des races s'expliquent , mais en partie seulement, par Tinfluence du cliiuat , du regime dietetique et du genre de vie. II est au mdins extremement probable que la taille du genic humain , malgre quelques variations locales, n'a pas sensible- ment diminue , et cela , non pas seulement , comme Tetablissent tant de genres de preuves, et comnie'il est universellement connu, depuis les premiers siecles historiques, mais raeme depuis I'epo- que la plus ancienne que Ton puisse concevoir dans la vie du genre humain , la science pouvant suppleer , pour cette question si souvent controversee , a I'absence de tout monument , et re - monter au-dela de toute epoque historique. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. EDUCATIOIN. L'education publique est un des actes les plus graves de la vie des societes ; c'est jle grand pegs d'une generation a celle qni lui succede, et le mode de repartition des richesses intcllectuelles bien plus encore que celui des richesses raaterielles depose a I'avance an sein des nations le germe de leur histoire future. Cet heritage est a la fois la consolidation du passe et la prepara- tion de I'avenir. On ne saurait arriver a une solution complete du problenie de l'education publique, qu'apres avoir pose les bases du probleme plus general de I'organisation sociale. L'edu- cation est le contrat social pour les enfans; mais jusqu'ici la po- litique , dans ses lois et dans ses reglemens, a oublie les droits de I'homme durant cette periode quelle a nommee minorite. La loi a iriscrit en tons lieux le mot de liberte, mais les ecoles sont demeurees hors la loi , et I'arbitraire forme la base du code du premier age. Les vices que presente la constitution actuelle de rinstruc-- tion publique, les obstacles. infranchissables qii'elle oppose au developpement des capacites riaturelles sont matiere k serieuses pensees. Les generations ne pourront pretendre a marcher vers le regime de I'egalite qu'autant que leur enfance aiua grandi sous I'influence de ce principe nouveau. Si le merite doit former la seule distinction parmi les homnies, il faut qu'il commence par former la seule distinction parmi les enfans. Mais le peuple n'en est-il pas encore a implorer de la munificence de ses represen- tans le bienfail des ecoles primaires? La se resume toute son his- toire. L'article que nous offrons a nos iecleiirs n'aborde pas la question sous sou point de vue politique le plus elevc, mais il DE 1/ EDUCATION PUBLIQUE. I 09 est eiupreiiit tout eiltier d'une delicate sensibilite et d'une appre- ciation profonde de la condition douloureuse des eleves et des maltres. Qui n'a ete teraoin des desordres de cette vie de col- lege oil tous les ages sont grossierement entasses? Qui u'a geini sur le sort de ces enfans qui , au sortir du berceau , sont euleves aux tendres soins de leur mere, pour etre brutalemtnt remis a I'impitoyable despotisme des pedagogues suhalternes? DE L'EDUCATION PUBLIQUE. Faire I'education d'un etre , c'est le former, le conduire de- puis I'eveil de la premiere idee jusqu'a sou organisation com- plete ( e.ducere ) , c'est faii-e pour Tetre pensant ce que la mere fait pour le corps en portant neuf mois I'enfant dans son seia et en le mettant au monde. L' education compreiid le physique et le moral , parce que tous deux se lient et se melent dans I'ctre pensant. Egaux on non a leur naissance, les hommes sont elabores par Feducation , comme la raatiere par I'ouvrier. Quelle que soit cette matiere , I'habilete de I'artisan est d'en tirer le meilleur parti possible , le but de IV- ducateur est le meme. Des lors peut-on croire que tout homme soit propre a I'edu- cation ? c'est comme si Ton disait que tout homme pent coii- struire une machine a vapeur. Et cependant on vante I'educa- tion de famiUe , comme si le ture de pere vous conferait la ca- pacite d' e'ducateiir ! Autant vaudrait-il dire que d'avoir une montre vous rend horloger... Certes , dans I'etatactuel de I'edu- cation , mieux vaut encore un pere qu'un bachelier es-lettres patente professeur. Mais la n'est pas la question ; entre deux choses, I'une pent etre pire sans que I'autre soit bonne. En se reunissant en societe , les hommes out cherche le bien- etre ; ils I'ont trouve dans la division de la maiu-d'ceuvre qui a IIO EDUCATION permis a chacun de s'occuper uniquement d'un travail qu'il est parvenu ainsi "a perfectionner dans I'interet de tons. Depuis lors il n'est venu dans la pensee de personne de reclamer centre nu tel etat de choses ; nul ne s'est avise de se faire en lueme terns tailleur, boulanger, macon. Chacun a pris sa part dans la grande fabrication humaine , sentant qu'il ne pouvait reunir en lui tons les talens de production. Ainsi I'un est devenu marchand, I'autre soldat, I'autre agri- rulteur , et restait une grande, une importante fonction a exer- cer, celle d' e'ducateur, et tout le raonde a crie : Moi , je suis ca- pable de la remplir. — ■ Cetait done une bien facile lache que celle de former des hommes ? — Nul ne le pense. — Et vous vonlez que sans capacite particuliere , sans etudes , sans le teins necessaire peut-etre , un pere devienneeducateur?... Vous concevez la necessite d'un apprentissage , d'un talent acquis pour raccommoder vos bottes, et vous ne croyez pas qu'il en faille pour I'education d'un enfant... Quelle folic!... Mais cette opinion vous ne la conserveriez pas si I'education publique etait organisee comme elle devrait I'etre. En voyant des inaitres habiles, uniquement consacres k elevervosenfans, vous sentiriez qu'ils peuvent mieux que vous remplir cette fonction sainte et penible. Alorsvousdiriez.avec nous qiie r education prhe'e est line anomalie dans la societe , que V education publique est seule raisonnahle etfe'conde. Mais cette education publique ou la trouverez-vous par le terns qui court? Est-ce dans nos colleges , dans nos pensionnats ? Pitie, mille fois pitie!... Des langues mortes, des methodes mortes, des hommes morts. Ni unite dans les vues, ni conver- gence dans les efforts. La encore ce sont des educations particu- lieres recoramencees chaque annee sur uu mode nouveau , par un maitre nouveau , ou plutot je me trompe , le professeur ne s'occupe que de I'instruction; dans les colleges, les educateurs sont les enfans enx-memes ; ils se dirigent , se forment seuls , ♦'utre euxot comme ils peuvent. 1)K LEDUCATION PUBLIQUE. Ill C'est done une chose claire , il u'est point d'education publi- que chez uous ; partout c'est Teducateurprive qui faconne : edu- cation du pere de famille , education de I'homme paye pour le lemplacer, education que I'enfant prend seul "a tout hasard. — Et puis, elonnez-vous que des homines ainsi faits apportent a vingt ans dans I4 vie des opinions differentes , des morales diverses et des croyances contraires. Ne sont-ils p^ eleves d'educateurs differens? N'est-ce pas de Yindmdualisme monnoye sous toutes les formes et "a toutes les effigies ? Comment y aurait-il concorde dans I'humanite ainsi coniposee d'elemens heterogenes ? Quelle force esperer de puissances isoleesles unesdes autres, qui se de- pensent a se combattre mutuellement, et ne tendent jamais ensemble au meme but. L'unite d'efforts conduit seule a de grands resultats , et comment I'obtenir avec une education qui cree autant d'individualites que de families. Au mdyen age, tout tendit d'un meme elan k I'affranchissement sous la forme catho- lique , parce que I'education , qui etait une pour tons, formait une nation compacte et uniforrae. Aussi voyez quels incroyables fruits sont nes de cette tendance universelle ! Esclavage detruit, monumens acheves, sciences retrouvees dans les monasteres, le- gislations creees, un monde... un raonde entier renverse de- puis sa base et rebati sur des fondemens si larges , si profonds, qu'apres cinq cents ans de demolition les traces en restent encore • partout !... Que pouvons-nous opposer a de semblables travaux, nous jetes si loin en avant dans la civilisation , nous si superieurs a nos peres pour les sciences et I'industrie? Qu'ont produit nos inventions modernes de comparable a la derai-barbarie du moyeii age? Nos ancetres avaient eleve plus de monumens que nous n'avons pu en detruire. Nous croyons inutile d'appuyer davantage a cet egard. Qui oserait nier que le manque d'unitedansles efforts d'unesociete et que I'etat hostile de ses membres ne lui otent tout pouvoir d'arri- ver a un but eleve? Et qui voudrait dire que Teducation donnee aux generations modernes n'a point ce resultat?... C'est done a 112 EDUCATION. creer une education publique qu'il lauttciKlie, car la est I'avcnir Ju monde. Mais sur quelles bases faudrait-il la placer? Nul doute quecette educatiou ne doive etre confiee aux plus capables. On ne prend pas uu aveugle pour guide dans une route inconnue. Mais oii chercher ces capacites educairices ? quel devra etre leur caractcre ?. . . , Deux puissances ont action sur Tenfant , la force et ramour. Ilfaudra done prendre les educateurs parnii les representans de ces deux puissances, c'esl-a-dire dans les deux sexes qui formeut I'humanite. Ceci a besoin de developpemens, et nous oblige a prendre la question de plus haut. L'inclination d'un sexe vers I'autre se fait sentir des la pre- miere enfance ; elle est generale , visible pour tons. Malgre I'or- ganisation de nos societes moderftes, qui tend a isoler la femnie de I'bomme meme sous le toit paternel , un secret penchant porle la petite fille vers son pere , le petit garcon vers sa mere. Voyez comme la premiere , apres une faute , cherchera avec plus de confiance les bras du chef de famille , sure d'y trouver indul- gence et affection. Elle sent instinctivement que ses larmes, sa faiblesse , auront plus de pouvoir sur I'etre fort et protecteur que sur I'etre de meme nature quells. Une petite lillo qui pleure est une ferame , meme aux yeux de son pere. N'objectez pas que plus tardla jeune vierge ne laisseraplus tomber ses secrets dansle cceur de ce pere. Si la jeune fille devient tiraide, c'est que son pere est encore unhomme pour elle; ce n'est pas moins de confiance, mais plus de pudeur. Cela ne prouve pas quelle aime moins, au contraire ; car pour Tamant lui-meme les aveux sont difficiles, entrecoupes de rongeur , de silence et de larmes. Ce changement _ avcrtit seulement qii'elle a fliit un pas de plus dans la vie. Toutes f ces remarques s'a})pliqueront egalement aux jeunes garcons a regard de leur mere. Qui de nous , pour pen qu'il ait des souve- nirs de son enfance, ne peut justifier par lui-meme la justesse de cette observation? Que de fois n'avons-nous pas vu Tecolier tetu et revoke, le petit homme, froisse dans sa dignite et son orgueil DE l'eDUCATION PUBLIQIJE. Il3 par riiomme grand, s'emporter a la colere, aveiigle et sourd a tons les conseils?^Eh bieii! que la main de sa mere vienne alors se reposer, amicale et caressante, sur sa tete en feu, que sa voix lui parle avec tendresse et pitie et vous verrez s'apaiser les bouillonncmens de cette anie , et la fnreiu- tomber; et les pleurs , precurseurs de la soumission, courir sur des joues empourprees. Ni la presence, ni la voix dun bomme n'auraient eu ce pouvoir ; rinfluencedes sexes existe des que I'etre peut sentir et penser. Ces oi)servatious etaient indispensables, car nous croyons que c'est sur elles que devra se fonder le systeme de reducation des enfans. Ce n'est en qu'en basant celle-ci surTemploi simultane de rhomme et de la femme que Ton pourra acquerir sur les eleves cette influence qui fait seule le succes des maitres. Mais, outre la division de sexe que nous crayons utile de con- server dans les etablisseraens destines a Teducation des enfans (1 ), il en faudrait une autre fondee sur I'age et le developpement des facultes intellectuelles. II est une epoque ou une revolution morale s'opere cbez Ten- fant, on je ne sais quel voile mystericux semble se soulever de- vant son esprit, et lui laisser voir quelque chose de la belle et immense nature. Alors il commence a s'interesser a la vie; son coeur devient plus chaud, son raisonnement plus vif h saisir les rapports , "a eludier les sensations : c'est V adolescence , age place entre la puerile paresse de Tenfiince et les reves ardens de la jeunesse, qui vientun plus tot , un peu plus tard, selon les in- dividus ou les sexes, mais qui doit arriver pour tons entre douze et dix-buit ans. A cette epbque I'eleve est plus accessible aux conseils de la raison, plus impressionnable aux affectueux re- (1) A nxcsure que j'avance , je sens malheureusemcnt que je laisse des vides, mais ic terns me prcsse , Tespace me rclicnt. Je suis comme I'homme dans la vie; chaque fois que je voudrais fli'arrcter, la neccssite prie derrjere moi ; Marche , marche.... II faut aller. Ailleurs, nies idees sur ['education rccevront pins d'clcndue; mais, dans un article aussi rapide que cchii-ci, je dois n^ces- sairemcnt m'interdire un granS nombre de developpemcns. TOME Mil. JANVIER 1852. 8 I 1 4 EDUCATION . pi'oches, plus facile' a coiiduire par rimagination et renthou- siasme; c'est alors surtout que Teducation dramatic/ ue aura pou- voir sur lui. Separez done les enfans des adolescens , et modificz les moyens d'influence que vousemploierezh leuregard , selond'avancement de leur intelligence (i). Nous avons indique la base sur laquelle devraitetre assise I'in- fluence des educations ; il s'agit'maintenant de trouver les moyens de conserver cette influence indispensable au sncces. Respect et amour, voila ce qii'il faut inspirer "a Tcleve : res- pect, en se montrant superieur a hii en savoir et en moralite ; amour, en rapprochant cette superiorite de sa faiblesse , en I'ai- raant , et en lui montrant qn'on I'airae. Nous n'avons rien a dire sur la superiorite intellectuelle ct morale de I'educateur; lout le monde sent en quoi elle doit con- sister, comment elle devrait s'exprinier et se faire connaitre a I'enfant : le plus difficile sera de lui prouver qu'on I'aime, et d'obtenir ainsi delui affection pour affection. Dans I'etat actuel de I'ediication , Tobstacle le plus grand a I'attachement des cleves est le systcme penitentiaireetabli contre eux par les maitres, et ce systeme prend sa source dans le desir immodere d'obtenir des resullats rapides en instruction. A I'age ou Tenfant a besoin de depenser sa vie exterieurcment, ou il lui faut de I'air et de I'espace pour devclopper son etre , nous Ic clouons h une table entre des livres, et nous le forcons a pro- duire avaut sa saison. Nos ecoles sont de veritables serres chaudes , ou I'art trompe la nature , etl'oblige a porter des fruits hatifs et imparfaits qui tarissent d'avance la seve dans un plant (1) II V a nn age qui precede Tcnfancc el I'adolescence , c'est celui ou I'etre qui vicnt de iiaitre ne sent et ne pense encore que vaguement. Cet age a aussi son education propre; niais nous croyons que c'est a la mere seule do la donner , parcc que cette education se troilve niclec indivisiblement avec les soins quVllc doit a son enfaiil. Du rcstc, nous le repdtons . cet article ne pent donner qu'un apcrcu fort inconiplet du sysicine que nous indiquons. DE l'eDUCATION PUBLIQUE. 115 vigoureux. Notre societe a seche jusqu'aux joies dii premier age ; elle n'a plus perniis d'enfance aux hommes, et ce premier terns d'insouciance et de folatrerie est devemi I'apprentissage du travail et des larmes. Qu'en est-il resulte? C'est que la, comme partout oil les usages contrarient la nature , il a fallu avoir recours aux chatiniens , "a la peur. Les educateurs sont devenus des especes d'executeursdeshautes-ocuvres, patentes pour supplicier renfance; et, forces d'arriver "a un but dans un tems donue, ils out employe, comme les postilions des malles-postes , le fouet et Teperon. Belle merveille, aprescela, que leS enfans n'eprouvent pour eux nullc affection! Quel moyen d' aimer celui qui sans cesse se trouve entre vous et les gouts naturels de votre age, qui vous force ii depenser peniblement un present qui vous plait, au profit d'uu avenir qui vous est indifferent. Toute loi contraire au penchant de la nature ne pent esperer que haine et revoke. Laissez done a I'enfance son developpement dejoie et de recreation; n'impvo- visez pas des savans de quinze ans, frottes et satures d'une in- struction precoce, mais que vos efforts tendent "a faire des horames pour I'avenir. Laissez cette organisation mecanique et reguliere de nos pensionnats, ou Ion faljriqiie dans le moins de tems pos- sible des educations de pacotille, comme s'il s'agissait de faire des pointes de Paris , et ou tout est donne a la forme et rien au fond. Que les enfans recoivent vos lecons dans des entretiens varies, capricieux, rapides, mais souvent repetes. N'abusez pas deslivies, ils materialisent I'ennui. Quel'enfant plutut regarde, etudie ce qui I'entoure. Plus tard vous rappelleiez la science ecrite au secouts de I' ndolescenl j vous livrerez a son esprit, plus curieux , plus capable de vouloir, imc nourriture devenue ne- cessaire ; mais vouloir I'y habiluer plus tot , c'est donner des ali- mens solides "a I'etre naissanl (pii n'a encore besoin que du lait de sa mere. En suivant une pareille marchc , vous pourriez esperer amour de vos eleves, car vous vous serez servi do votre autorite pour les iuteresser, Icsinstruire, ct non pour les cliatier. Votre main 8. Il6 EDUCATION. lie sera point levee lorsqu'ilsauront iiial fail; mais Jesreproches, la froideiir de quelques inslans, niilleaulresmoyens dont vous no soiipronnez pas la puissance, vous auront mis h luenie de lui faire coniprendre ses faiites sans le degrader a ses propres yeux. ir en est des pensionnats coinnie des peuples ; plus les princes sont rigoureux , plus il y a de canaille. Recapitulons, en quelques phrases, les points fondamentaux de cet article : i<> L' education de faniille est line nnomalie dans I'e'tat social ; 2" II f aid (jiie la socie'te forme itn tout coherent; il faut tjue I'e'diication soit piibliijue ; 30 L' e'ducation des enfansdoit etrefonde'e sur I' influence simul- tane'e et cniw enablement exerce'e de Niomme et de lafemme ; 40 Les e'lei^es doii^ent etre partage's en enfans et en ado- lescens ; 5" L' instruction ne doit pas etre trop hdtii^e pour ne pas nuire a I'e'ducation ; 6° Les puuitions corporelles doii^ent disparaitre. Jusqu'a ce que ces changemens aienteu lieu, jusqu'acequ'inie reformation de 1' education ait arme les instiluteurs d'nne puis- sance moi'ale, malheur ii tout homme de cceuretd'esprit sur le- quellescirconstancesauraient jete une robe de maitred'ecole! Co- medien degoule, il faudra qu'il jouesans cesse un role aussi en- nuyeux pour lui que pour les autres, qu'il lutte centre des impres- sions dejh funestes , deja vieillies dans I'eleve, qu'il corabatte les faiblesses ou I'aveuglement des parens, qu'il instruise viteet qu'il ne soit pas trop severe ; car on lui demandera egalenient compte et de I'ignorance de I'eleve ou de ses plaintes. Espece d'animal doniestique apprivoise pour le service du pere de faniille, il fau- dra que son ardeur ne se relacbe jamais, que son humilite ne se demente pas. II devra se figurer comme une sorte de machine a faconnerdesliommes, louee a tant par jour, et qui doit fonctionner sanssederanger. Et qu'il ne cherche pasfollement aacquerir quel- DE l'eDUCATION PUBLIQUE. 117 que forte influence sur ses eleves ; elle serait Itientot detruite par ]a conduite du nionde. L'enfant n'aime et ne respecte que ce qu'il voit aimer et respecter a ses parens. Non, etre maitre d'e- cole, c'est vendreson ame, son esprit, sa science en detail, au cachet eta des aclieteurs qui ne s'en soucirntpas •, c'est redresser des bossusquiveulenl I'etre, rechauffer des mortssursa poitrine; s'user dans une attention non interrompue a Tegard d'etourdis , ou dans une colere perpetuelle contre des paresseux. Et quand la vie se sera ainsi ecoulee, apportant a chique jour son ennui, son pain amer ; quand cette existence d'abiegation se sera lon- guenient trainee au milieu des dedains etde I'obscurite, la vieil- lesse viendra pauvre, deconsideree, solitaire! Heureux encore si, a travers cetle route penible, des efforts consciencieux , mais inutiles, des tentatives nouvelles, en excitant contre I'education la jalousie des concurrens , n'ont pas a ajouter "a ses degoiits les tourmens d'une calomnie aceree ; heureux si , apres avoir jete toutes ses facultes dans I'education d'un eleve prefere, I'avoir entoure de ces soins du coeur que I'argent ne paie pas, cet enfant d'adoplion ne vient pas lui rappeler cruellement que le maitre d'ecole n'a droit a rieii au-dela de son salaire ! Tant de causes de degoiit suffiront toujours pour eloigner de I'e- ducation publique les hommes capables de lui imprimer un motive- ment favorable; ou, si la force des choses les y entraine, leurs efforts, paralyses de toute part, resteront sans autre resultat que des souffrances cruelles pour eux et quelques succes isoles et incomplets. E. SouvESTPiE, maitre d'ecole a Nantes. MOEURS. FRAGMENS SUR LA VALACHIE. C'est un beau pays que celui que taut de rivieres arrosent^ que des uiontagnes, couvertes d'une chevekue touffue de cheiies , de hetres , de sapins , entoureut et piotegent , que balgue le large Dauube , mer courante , qui caresse de ses flots abondans des lies nombreuses a I'eternelle verdure. Pourtant le fleuve change peu a peu en marais infects les riches plaines qu'il de- vait fertiliser ; et des s^rfs, pis que des serfs, des Valaques, ne connaissant le maitre (qui change parfois tous les ans) que par le baton des valets, appauvrissent un sol fecond plutot qu'ils ne le cultivent. Quatre nations, deux races d'esclaves, les Valaques et les Bulgares, deux races d'oppresseurs, les Turcs et les Grecs, se parlageaient cette terre , peuplee et depeuplee par flux et I'e- flux , quand la Russie I'a dehnitivement saisie dans les serres qui , depuis deux siecles, la pressent et la lachent tour h tour. Les Grecs, feruiiers des boyards , paient la rente, et exploitent les villages; seuls ils ont le monopble de vente et d'achat. Sur vingt raesures de ble, ils en prelevent line, achetant le reste a leur estimation ; ils ont afferme aussi la tyrannic , ses profits ren- trent dans leiu- bail. Force est au paysan de vendre , car le pan- dour est la, reclamant la part de la Turquie, I'impot d'une me- suresur dix, exige en especes etnon en nature, et le Grec seul a I'argent. Le raisin vendange , les ciives remplies , le fermier accourt; il prend d'abord largement son vingtieme, achete ce qui reste, encave le vin , qui ne lui revieut pas a un sou la bou - teille , et le reveudra dix le lendemain. Cepe-iidant le serf, Bui- FRAG MENS SUR LA VALACHIE. 119 gare on Valaque , pent culliver aiUant de terrain qu'il lui plait ; dimes et vingtiemes, impots et rentes preleves, le produit de tout CO qu'il ensemence, dans ces immenses friches, lui appar- tient; et il ne doit plus au maitre que douze journees de son travail. Tout cela est arraclie au Valaque a coups de baton : sale, pa- resseux, obstine> il ne menace jamais, mais assassine , incendie, et venge son independauce par le crime et dans les tenebres. Parfois il s'associe au Turc pour de vaster le pays qui ne le nourrit plus, et egorger le Grec qui Topprime : il passe sa vie au cabaret, tenu au profit du fermier, se rend, sans chanceler, d'une taverne h 1' autre a mesure qu'il tarit le vin , qui ne fait pas plus d'effet sur lui que sur le broc on on le verse. 11 boit , boit encore, boit toujours, tant qu'il a argent, credit, on un haillon a vendre ; chante , danse , fete le Boliemien qui rechauffe sa joie aux sons discordans du violon , du gaetan, de la guzla (1 ), et, quand I'esclave n'a plus rien poiu' alimenter I'orgie , il rentre chez lui, bat sa femme, ses enfans, et dort, jusqu'a ce que le baton le reveille. Pres de la maison souterraine du Valaque , s'eleve ceile du Bulgare; ce dernier est debout des I'aube du jour; actifs et utiles, presque depuisl'heure oii Us ont pu se tenir siy leurs pe- tites jarabes, ses enfans se partagent le travail de la maison; sa feiurae, ses laborieuses fdles , egaient de leurs chants les occu- pations du menage : le drap des habits est tisse de leurs mains; ce sont elles qui filent le chanvre , la laine, le colon. Tout se fait en coramun. Un des Bulgares du village a-t-il ime maison a batir ; toutes les families de ses compatriotes se reunissent : ceux- ci coupentles pieces de bois, ceux-lh les equarrissent , d'autres preparent le mortier , la paille ; apportent les joncs qui forme - rout la toiture. Y a-t-il au loin un champ a ensemencer; tons y (I) Cinctan , sorlc dc lauscUc ; guzla, i;uil«ic a uiic coide. 1 20 MOEURS. vont : les petils enfaiis, la giaiule gaiile en main, guidenl les boeufs et tracent Iciir sillon. Est-ce luoisson a faire ; les jeunes filles, lemint la fiuici! J, se partagenl le champ d'epis muis. Celleqni est "a la tete t mmence une chanson melancolique et douce ■, un chant tirniit, conime on dit dans le pays; les autres Tacconipagnent en chaur par un doux murmure , a peine arti- cule. Ces hordes dcmi-sauvages se plaisent "a ces poesies , epan- clieinens populaires pleins d'attrait et de naivete. L'ouvrage fini , femines , vieillards, jeunes filles, garcons , reunis, entremelcs, an travail font suceeder la danse, le joyetix Kolo. Se tenant tons par la ceinture, ils s'ebranlent, doucement d'abord, puis, avec une vivacite de plus en plus turbulente; ce- lui qui conduit le branle gesticule avec un baton ; et la danse s'animant toujonrs , ils finissent par sauter, en remuant bras et jambes, avec une telle energie, que le proverbe dit : qu'il n'y a qu'un Bulgare qui puisse resister h la danse bidgare. Les fetes, comnie les travaux , se passent en famille ; jamais Bulgare ne s'attable an cabaret ; il y va remplir. la cruche, qu'il revient vider chez lui. Ces habitudes d'ordre et d'activite portent leur fruit : premier a payer I'impot, d'aussi bonne heare, le jour de corvee, au champ du niaitre qu'au sien propre, le Bulgare est riche. Dans la petite Valachie , on, depuis la revoke du pacha de Widdin , Paswan-Oglou , nombre de Bulgares se sont refugies, il y en a qui possedent jusqu'k cinq et six cent mille francs ecus. Des trpupeaux de deux cents chevaux paissent-ils dans une grasse prairie ; demandez a qui ils appartiennent : a un Bulgare. Des champs de ble , a epis presses , se rident-ils , sur une vaste sur- face , au souffle du levant qui les dore ; ils sont au Bulgare. Mais, si une malheureuse vache, maigre et epuisee , se traine sur quelques landes dessechees, c'est, a coup siir, la vache du Valaque. Depuis des siecles ces deux peuples vivent cote k cote dans le meme village , sans que leurs mocurs se raelent, s'alterent on s'a- FR.\&MENS SUE LA VALACHIE. 131 meliorent. Il> parlent la memelan^e , existent sons la meme t\- raonie, soufirent des memes invasions, et ne se confondent point , ne s'ailient point entre eux, separent leurs Jeux et leurs travanx. Le Bulgare, qui sestime fort au-dessos du Yalaque, volt dans le Grec un superieur ; le Grec accepte la suprematie snr les deux races serves , et se pretend de caste supeieure an Tare, jusqu'a ce que le baton et le Yataghan Ini fassent baisser le ton a son tonr. Dans cette gnerre , organisee entre des races diveises, leGrec se derobe a la tyrannie do sabre , a force de ruse et dadiesse , de souplesse et d' esprit. Le Bulgare a pour lui Tactivite, I'industrie, une iniatigable patience; quant an Yalaque, en verite, on se- rai t tente, en regardant autoor de soi, dele croire le mienx partage : il a Tinsouciance ; il oublie la veille, et ne s'inquiete pas du lendemain. Le vin abondant, tonjours bon, etk bas prix, est son seul besoin. Du resle , sa mamalingua lui suffit ; il la pre- pare en jetant de la farine dans nn vase aos trois quarts plein d'eau : il fait bouillir ce melange sur un feu qui ne lui coute lien, et que, dans le plat pays , eloigne des montagnes et des bois qui les couvreut , il alimente avec la fiente des troup^us. La pate , remuee jusqu'a ce qu'elle i'epaississc , est jetee , pour v refroi- dir, sur le manteau etendu a terre. Avec celte espece de flan et un morceau de fromage, un Valaque est plus riche qu'un roi ; il a de quoi gamir sa pause : des-lors il ne travaille plus , et regar- derait toutes les richesses de la terre sans envie. fai connu un Grec qui avait voyage, et s'etant en fin fixe dans le Perou Phanariote , car c'est ainsi qu'on appelle ces li- sieres du Danxihe , il tenait pres dOrsovra une des immenses fermes du pavs. Ordinairement un Grec, en Valacbie, n'a d' au- tre but que de s'enrichir an plus vite, ponr aller ensuite manger son bien , soit a Tberapia , soit dans qnelque autre de ces ravis- sans villages de palais qui couronnent le Bosphore, et on ces enri- chis se viennent coller comme une moule a sa roche. Giatani P*** avait, disaient ses compatriotes , bien d'autres pretention? 122 MOEURS. ridicules; il voulait instruiieet civiliser. 11 batit, a ses frais, line (iglise, iiueccole; I'liiie et raiitre resterent dcsertes. Dans son zele, il courait les rues, l)atonnaut les paysans pour les rendre religieux et devots. Ses efforts furent vains ;ses paysans n'allaient, ni n'envoyaient lenrs enfans, pas plus al'ecole qu'hrcglise : « A quoi bon, » disaient-ils , « nous avons vecu sans cela , nos en- fans fcront conime nous ; » et ils continuaient de se moquer de I'activite de kurs A^oisins Bidgares : « lis se donnent bien de la peine, « repetaient ces philosophes statiounaires, « "a quoi bon ! » La population n'etait , tout au plus , que de deux mille ames vegetaat sur cette propriete de douze a quatorze lieues d'elendue ; ctpour ce bien, qui , en France, rapporterait plusieurs millions, la rente payee ue se montait qu'a quinze mille ^ro«/rt, c'est-a-dire cinq mille francs. Les denrees n'ont , "a la verite, presque aucunc valeur "a cause de leur abondance meme. Un agneau coute quatre grossia, vingt-quatre sous. Les volailles, qui vivenl a dis- cretion dans les champs de ma'is autour des fermes , sont en si grand nombre, que Ton ne mangeait, chez Giatani, ni bceuf, ni viande de boucberie : le cuisinier lancait, an hasard , son baton dans la cour, certain que I'oie, lepoulet, ie dindon qu'il frapperait serait gras et bon. Les recoltes sont quelquefois si riches que i'on est encondjre de grain, etque pour le conserver on I'enterre. Voici comment. On onvre un puits de 5 h 6 pieds de profondeur; on y fait.des- cendre un paysan , qui travaille des pieds , des mains , et creuse autour de lui , elargissant ce trou en forme de gourde. Cette ca- vite nivelee , battue , garnie de paille, recoit le grain vanne et neltoye, qui estensuite reconvert de paille etdeterre bien fonlee. Ce magasin se rouvre tous les six mois, pour qu'on puisse examiner Tetat du ble, ([uelquefois attaque par un insecte qui le vide completement , au(jucl cas la seule ressource est de le re- lirer pour le vendre de suite , on en faire de I'eau-de-vie. Cette fertilitc du terrain resiste a I'imperitie des cultivatcurs , FRAGMENS SUU LA. VALACHIE. 123 a la tyrannie des fermiers et des proprietaires. La petite Valachie surtoiit, etleBannat qui I'avoisine, soiit un paradis terrestre , line terre de benediction. Le sol se passe de culture, les aniraaux de soins, tout prospere comme de soi-menie. Si vous faites tirer le lait d'une des chevres a mamelles trainautes que conduisent les ferames du pays en filant leur quenouillee, etque,refusant de le payer, vous le rendicz h la paysanne , sans se facher elle le fait boire h la chevre , convaincue qu'il retourne d'oii il vient. Les superstitions, les coutumes, tout dans le pays portel'em- preinte de cette richesse dela nature. Lecaracleredetristesse etde nielancolie qui vient des institutions est adouci par la prosperite exterieure. La nature est trop riante pour que le mallieur y soit complet. Aussi les chants, que ces peuples melent "a toutes les ac- tions de la vie , empruntent-ils quelque chose de ce charme du climat ; ils naissent avec la ineme abondance que les fruits et les ileurs , se colorant comrae elles, non sous I'empire d'lnie volonte humaine , inais sous celvii , cache et irresistible , d'une -belle et riante nature. J'ai entendu plusieurs de ces ballades populaires, et je cede a latentation d'en donner un ou deux echantillons, tra- duits presque mot a mot : LA FILLE ET LE P0IS50IN. L a jeime fille assise , et revant sur la plage , Se dit, suivant de I'oeil les ondes sans rivage; « Est-il chose , Loii Dieu, plus vaste que la mer, M Plus longue que le champ ? plus prompte a fendrc Fair » Que le cheval ? Est-il , "a la Louche altiiree , i> Chose plus que le miel sucree ? )) Est-il ohjet plus cher que le frtre "a la sceur? » S arretant sur le dos de Tonde blanchissantc ■Un poisson repondit : « Dans sa vaste grandeur n Le ciel , pauvrc fiUc ignorante , » Est plus grand que la mer; la mer borne le champ ; " Le regard est plus prompt que le coursier rapide ; » Au Sucre compard IcuiicI parail acidc; M Et plus cher mille I'ois qu'uii frerc fsl uii aiiiaiU. » 1 24 MOEURS. LES TROIS JOIES D'AMOUR. Or, dcoutcz : la dame d'Erdclska Planic un sapin , et de scs mains dc reiiic Elle I'arrose , en lui contant sa peine : Un jour ainsi , triste, elle I'invoqua : " O vert sapin, crois , grandis , je I'en pric. Que tes ramcaux caressent la prairie , Et que ta cime aille frdmir aux cieux : Puis , laisse-moi , montant de branche en branche , De Bude , au loin , voir la muraille blanche , Et voir Jovan , Jovan le valeureux ! Est-il toujours beau, ficr , plcin de jeunesse? Verrai-je encor la plume qui se dresse Sur son kalpac joyeuse d'ondulcr? Son fier coursier , a la noire crlniere, Relevc-t-il toujours sa tetc alli^re ? Ah! dans les airs que ne puis-je voler!... » Elle a parle, sans croire ctre entcndue ; Mais jusqu'au Ban sa voix est parvenue, Lui, le seigneur , son maitre et son epoux. n De par le ciel , rt'ponds, femme infidcle , Plus qu'Erdelska, dis, Bude te plail-elle? Jovan est-il plus beau que ton (5poux ? » U dit : tremhlante , ainsi r(?pondit-ello : « Plus qu'Erdelska , non Bude n'est point belle , Jovan n'est pas plus beau , plus fier que vous. Non : mais Jovan fut ma premiere joie : Premier rayon que la jeunesse envoie , De mon amour son regard fut Tdveil. Ma coupe, h^las , d'abord de (leurs charg^e , Puis dans le vin jusqu'au rebord plongee , L'cst aujourd'hui dans I'absinthe ct Ic fiel. » La fertilite du sol, ces bienfaits de la terre et du cliraat s'a- chetent chereraent , et trouvent de criielles compensations dans I'anarchique tyrannic qui dechire le pays. Sans compter les inva- sions qui, tous les dix ou douze ans, balaient des populations cntieres ; sans compter les malheurs qui accompagnent la disgrace de I'hospodar , le deplacement de \ isprai>uique russe (receveur), FRAGMENS SUR LA VALACHIE. 125 ou du pandour turc , les mutations de proprietaires ( Ics boyards , noblesse inerte et corrompue , qui passent leur tenis a intriguer et a etaler un luxe. insolent a Bucharest , jouant et per- dant d'immenses proprietes) , outre toutes ces sources de mal- lieurs , la haine des paysans pour tous ceux qui les exploitent , Grecs et Turcs, expose les fermiersh des dangers journaliers. Une nuit, an moment on Giatani celebrait , avec sa famille, la gaie solennite de Noel, une lueur effrayante , penetrant a tra - vers les croisees, vient tout a coup eclairer sa fete. Ses grandes meules , carrees comme nos maisous, ses ininienses provisions de fourrage et de grain , illuminaient la campagne. On mbnte h clieval , on court ; c'etait "a demi-lieue de la. Tout fut bride , et il n'y eut poiut de vengeance. Qui aurait-on puiii? deux mille habitans peuplaient la propriete : c'etaient deux mille coupables, puisque c'etaient autant d'eunemis. Ces evenemens sont frequens , et les bandes de Bohemiens qui courent le pays sont encore une cause eminente de devastation et de malheur. Une liorde de plus de soixante hommes etant venue faire lialte sur les terres de Giatani, uu de ses parens, jeune homrae , norame jecrois Panagiotis, va , avec deux domestiques, les faire deguerpir. lis s'etaient etablis sur les lisieres d'une foret profonde , et dans le voisinage de vastes granges ou Ton serrait des tonnes de vin , des paniers de ble , des toisons d'agneaux , enfin une quantite de provisions. Abritee par un demi-cercle d'arbres hauts et touffus, labandeavaitdresseses tentes. LeGrec s'avance vers la principale , uu homijie en sort : « II faut partir, et vite, toi et ta liorde , « lui dit fieremeul Panagiotis. Le sau- vage repond d'un ton humble : — « Cette teri'c et ce village ap- partienuent b Brancovano, an boyard. Vous etes ses fermiers, je suis son-esclave ; laisse a I'esclave la place d'etendre son corps sur la terre du niaitre. » — « II faut que tu t'en ailles , te dis-je, je le veux.. » — « Mais je ne suis pas seul, tu le vois ; il y a des femmes, des enfans ; les teutes sont dressees pour la nuit, laisse- ies dormir sexdemeirt jusqu'a I'aube. » — Va-t'en, » reprend 1 26 MOEURS. violemment le Grec , « hors tl'ici , » et il ebranle le pieu ficlic en terre qui retenait la toile. A rinstant le Boheniien eleve la voix dans ce dialecte etrange et trainard , mele de mots peut- etre originaires du phenicien, mais qui se retrouvent dans le grec litteral •, a. cet appel cinq a six femraes nues sortent des tentes, tenant par le pied des enfans de neuf a dix mois , et brandissant centre I'etranger cespetites creatures , qui souriaient enlenrsjouos brunes et potelees. Le Grec persiste; Tune d'elles alors fait tour- noyer, comme un fouet, I'enfant nu , pret h le lancer a la tcte de Panagiotis, qui pour le coup recule, et s'enfuit devant imc nuee de femmes , d' enfans , cliicns , cocbons, cbevres, betail , qui se roulent pele-mele a sapoursuite. Tout cela vit ensemble , betes et gens , se nourrissant I'un Fautre sans distinction de races : le petit cbien tetela truie , le marcassin la cliienne , lecbevreau suit la brebis, le veau la jument ; c'est nu degoiitant melange , on Ton a peine h reconnaitre des cspeces abalardies , parmi lesquelles les Grecs , toujours amonreux de traditions miraculeuses, retrouvent le conrsier d' Alexandre , Bu- cephale , le clieval "a tete de boeuf. Dans ces repaires , ces tentes, tisseesdelalaine de leurstroupeaux, que ces hordes nomades trai- nent apres elles , femmes et enfans ne sont vetus que de leurs longs et epais cheveux nairs . A quoi bon se couvrir ? Elemen s eux-memes, ils combattent les elemens corps a corps. La femme en mal d' en- fant accouche sur laneige, y jettele nouveau-ne; il crie , devient bleu , noir, qu'importe? il ne pent que mourir , et, s'il ineurt , n'etait-il pas esclave? « Taut pis pour le maitre , » dit la mere. Les contes les plus absurdes s'accreditent sur cette race detestee : ilsenlevent, dit-on, les enfans, tuent ceux qui ne pen vent se defendre , et mangent de la chair humaine. Quand Panagiotis, mis en fuite, eut regagne son logis , un Valaque vint lui proposer de lui livrer le roi de la horde. Arme, suivi de quatre valets, le Grec monte a clieval , et trouve en effet, dans unlieu de vente, le vieux dela tribu, venu ;i ia provision. Le Boheinien tenait un fouet ingcnieuscment ircsse en iil de FRAGMENS SUR LA VALACHIE. I 27 laiton , fouet si beau « qu'il faut qu'il soil a moi , « se dit le Grec en rapei'cevant. Le vieillard plaida avec huniilite la cause des siens , « de ses enfans, » comiue ils disent. « Sans tant dc facons, il faut que tu me suives, « crie Panagiotis, et en parlant il se saisit du fouet , et force le sauvage a niarclier devant kii. « Je te dirai le pourquoi dans ma maison , » est tout ce qu'il consent a repondre a des supplications repetees ; "a mi-cliemin pourtant le A'ieillard tente de s'echapper, puis resiste ; en le frappant de son propre fouet on le contraint d'avancer. Arrivo a la ferme , on le menace : « Je m'en vais te traiter de la belle raaniere , et te donner des raisons de crier, si a I'instant, dans ton damne bara- gouin , tu ne buries k ta bande qu'elle ait a lever ses tentes et a decamper du voisinage. » Le patriarcbe pousse alors des cris per- cans, et toute sa troupe accourt , pullule de tons cotes ; tous se pressent contre la porte , qu'ils assiegent ; les femmes jettentleurs enfans dans les cours par-dessus les basses murailles , criant que s'il y en a de tues le fermier en est la cause , et paiera. « Branco- vano saura se faire rembourser ses esclaves , « et tons redeman- dent leur pere , leur cbef a grands cris. II fallut capituler , con- sentir a fournir tout ce qui serait necessaire a la borde, a condition qu'elle s'eloigneraitsur-le-cbamp. Panagiotis garda le fouet. « Te voila bien malheureux ! tu t'en tresseras un autre , » dit-il au Bobemien. C'est par tete que ces miserables paient tribut au boyard, et ils sont donnes, vendus , acbetes k la volonte du raailre, dont I'oeil les poursuit dans la vaste etendue de la Valacbie, ou ils restent parques sans en pouvoir sortir. L'Autriche les repousse , le Turc les deteste et les tue : sans foi, meme entre eux, ils se de- noncent I'un I'autre, decouvrant mutuellement leurs projets de fuite ou leurs retraites , et ils errent dans le pays comme dans luie vaste prison. En Valacliie, ils sont appeles Tzinganos, Tzinganoules, Zingaris en Italie, Guipbtis en Grece, ou il y en a quelques-uns que Ton reconnait (bien qu'ils parlent grec , et suivent le rit grecVa leur ton trninard , a leur accent lent, a leur I 28 MOEURS. teiul cuivre, marques imlelebiles de ceUe race maudite tie Plin- raoii^ diseut les Gtccs , ou plutot h cause de Pliaraou. Quelques Boheiuiens, degeneies aux yeiix de leurs freres, seduits par I'a- mour du gain, lasses de la vie vagabonde, de la uiisere , et peut-etre de la liaine geneiale, s'arreteiit isolement dans les villes et dans les rares liameaux de la Valachie. lis y exercent les metiers qui exigent une certaine industrie, et se font serru- riers , chaudronniers , marechaux-ferrans. Ceux-ci sont bien forces de se vetir ; mais ceux qui , par bandes , courent la cam- pagne , de forets en forets , et carapent dans les clairieres des bois, vont nusla plupart du terns. Un de ces Tzinganos fut ubandonne dans un village "a huit lieues d'Orsowa ; la nuit il couchait sous des hangars, au pied des meules, lelong des haies : le jour, pour une portion de ma- malingua , ou un derai-verre de vin , il faisait des conunissions , aidait aux travaux de la canipagne, et vivait, Ills de la provi- dence, attendant sa joie du soleil, et son paiu de la main qui s'ouvre. Deux fois Giatani lui fit donner des habits ; il etait nourri a la grande ferine quand il s'y presentait , et, par lui beau matin, on le trouva couclie danslacour. « Je suisLien ici, dit-il ; je n'en sors plus. Tu ni'as nourri et habille, pourquoi veux-tu que ie ni'en aille? Tu vois. bieu que jc suis ton esclave, et que ta maison est ma raaison. » On le garda. On le nomma Soke're , premier mot du bonjour bohemien. Soke're mora ? Comment te va ? Sokere grandil dans la maison , servant selon son bon plaisir, et preuautou 1-achant le travail qu'il choisissaita son caprice. II mangeait quand il avait faim, Inivait quaud il avait soif, se chauffait , s'il avait froid, riait sa joie, pleurait son chagrin, se couchait, nona I'heurc des autres, mais a sa lassitude, parlait, se taisait, se couvrait, se decouvrait, le lout a son envie, sans deraander le tems qu'il faisait , sans s'informer de I'hunieur du uiaitre ou de celle des gens ; Avcc ic pied marchait sa fantaisie, Spijjin'iir deson plaisir. FRAGMENS SUR LA VALACHIE. 1 29 Ce qui serabla si extraordinaire, qu'il y gagna un titre, et 's'appela Sokere le foil. II se lachait du sobriquet, quaiid il etait donne par les domestiques, mais I'acceptait du maitre comme nom d'amitie. « Je suis ton esclave, tu ne peux me chasser , » disait-il d'uu ton caressant quand le Grec" le grondait. Et, s'il avait querelle avec les enfans de la inaison : « Taisez-vous , je suis aussi ancien que vous, ici ! » leur criait-il. Si , par le mauvais tems ou la chaleur , personne ne se sou- ciait de faire une commission a la ville, Sokere partait, joyeux de recevoir quelques ^rtra^y qui devaient servir a sa nourriture, et au peage du pont qui abregeait le cliemin. Mais il gardait re- ligieusement Targent , mangeait chez quelque Valaque ou il se faisait recevoir , liaut la main , comme bote de la grande ferme , faJsait deux fortes lieues pour economiser le pent , et revenait , sans entamer le petit pecule, qu'il buvait ensuite , a loisir , "a son cabaret d'habitude. II s'etait cbarge du soin d'allumer les poeles qui s'ouvrent en dehors. II ne cedait cette tache a personne , et transportait d'enornies charges de bois. Quand il avait sommeil, qu'il etait morfondu, gele, il tirait bors du poele la braise et les tisons ardens', les laissait long-tems sur le sol , puis, les balayant avec soin , il se couchait sur la place echauffee , et dormait pro- fondement. Le nora de Bohemien le mettait en fureur ; et si ses anciens compatriotes, le reconnaissant h sa couleur bronzee, le saluaient comme camarade, il les repoussait avec colere. II avait oublie sa langue natale , se refusait k la parler , et feignait de ne pas com- prendre des mots usuels , familiers "a tout le monde en Vala- chie. Au Sokere mora il n'avait qu'une reponse : « AUez , bri- gands, je ne suis pas des votres. « S kere le fou avait une de ces. intelligences rusees, qui ne se devoilent que rarement, et , seulement en bon besoin : semi- flatteur , semi-independant, cet homme, qui s'indignait taut des noms d'esclave et de Bohemien , se les donnait lui-meme , d'un ton insinuant , lorsqu'il parlait au maitre : « Je suis ton Bohe- TOME Lm. JANVIER 1832. 9 l3o FRAGMENS SUU LA VALACHIE. mien , a toi, ton esclave, » Ini disait-il avec tendresse ; et quand Ge meme maitre liii donnait un oidre, Sokere , connaissant tres- bien les faiblesses etles habitudes du patron, qui oubb'ait paifois una partie de ce qu'il voulait demander, ct faisait retoumer plusieurs fois de suite pour le meme objet, lui disait avec li- berie : <■<■ Ah ca , penses-y ? Est-ce tout ce qu'il te faut ? Ne fais done pas toujours comme les Turcs qui erivoient trois serviteurs pour chercher trois cuilleres ! » Ce foil de la barbaric n'a-t-il pas de nombreux traits de res- semblance a\ec celui des palais et des chateaux du moyen age ' Ce sont les memes conditions qui engendrent des caracteres sem- blables : des hommes d'une nature a la fois faible et indepen- dante prenaientles grelots et la marotte pour s'exempter du joug : le Bohemien aJait comme eux. Les sauvages disent que le singe gambade toujours , et ne veut jamais parler, de peiir qii'on ne le fasse esclave. AdLLA'iDE MONTGOLFIEII. BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. LIVRES ETRANGERS. AMERIQUE SEPTEWTRIONALE. ETATS-UNIS. I. — A Visit to the south seas, etc. — Visite dans les mers du sud, sur le vaisseau des Etats-Unis le Vincennes , durant hs amices 1829 €t 1 83o , avec description du Bre'sil , du Pe'rou , des ties Manillas , du cap de Bonuc-Espcrance , et de I'ile Sainte-He'lene , par C. S. Stewart, A. M. , chapelain de la marine des Etats-Unis , et auteur de la Relation d'une residence dans les iles Sandwich en iSaS et 1825. New-York, i83i ; J. P. Haven. 2 vol. 2. — Family library. The eventful History, etc. — LiLrairiede Famille. Histoire merveilleusc de la re'volte de re'quipage du vaisseau de Sa Majeste le Bounty , ses causes et ses consequences, Londi'cs , j83i ; John Murray, Albemarle street. In- 12. La question des missionnaires s'agite avec vivacite' en Ame'rique et en Angleterre^ les deux pays vcrsent des sommes conside'rabics dans la caisse des missions , et pourtant un parti violent , jusquc dans I'aristo- «ratie , attaque les apotres des sauvages avec virulence. La .Quarterly , f'lle-meme, s'est elevec conti'e eux avec beaucoup de force, et il semblerait avec quelque justice; et les Revues Ame'ricaines nourrissent la pole'uii- que par les elogcs sans mesure qu'elles prodigiient au se'minaire des missions d'Eimeo ( Olaliiti ) , au college de Woaboa ( Sandwich ), aux missionnaires des groupes des iles Marquises et de Washington; enfin , a tout cet essaim noir de ministres qui , dans un zele qui n'est malheu- 1). l32 LIVRES ETRANGERS. rciisemcnl ni toujoiu's c'claiie , ni toujours pur, se re'pandent siir tons ces paradis terrestres be'nis du ciel , comme celui dont Byron disait : « Cetle lie an doiix climat , aux aspects si charmans ; Oil tons les jours sonl fete et lous les coeurs aimans : Ou la nature , a tous prodiguant scs larp,osses, A pleines mains versa fruits, bcaut<5s , (leurs , caresses. L'arbre a pain, sans charrue , y murit des mbissons , Qui pendent aux rameaux ; » Kotzebue et le capitaine Beechey (i) ont accuse les missionnaires : Tyerman et Bennet en Augleterre, et, tout recemment, M. Stewart en Ame'rique les de'fendent avec chaleur. II est vrai que , bicn que ces derniers voyageurs aicnt vuaussi les choses et les lieuxde leurs propres ycux , et plus long-tems habile' avec les sauvages , leur te'moignage est grandement recusable 5 ils sont eux-memes missionnaires. Ne'anmoins le voyage du cbapelain du vaisseau le P^incennes est re'dige avec une sira- plicite' qui parle en sa faveur ; le voyageur e'crit a sa fcnime, et lui rend compte, d'une facon de'taille'e et frc'queminent inte'ressante et piltoresque, de tout ce qu'il voit. Ses descriptions de sites ravissans sont la partic la plus vraiepeut-etre, si ce n'est la plus anime'e de son ouvrage. Lorsqu'il parle des mteurs des naturcls , on voit trop percer des preventions te^ naces, et une preoccupation tuiiforrae. L'inte'ret de la gloire des mission- naires occupe avant tout sa pense'e , il voit constamment I'ordrc e; la vertu ou regnent ses confreres, partout ailleurs le vice et le de'sordre. Comme quelques mc'decins , ilenfie, en ses rc'cits , les maladies qu'il veut que ses ordonnances gue'rissent. J'ai peine a croire qu'aux ties Sandwich le parricide et I'infanticide fiisscnt des actes habituels avant I'e'tablissement des missionnaires ; ricn n'e'tait plus commun , dit Ste- wart , que de voir les jcunes meres , devenant ennuye'es et fatigue'es de leurs pauvres jeuncs enfans, enterrer ces innoccntcs creatures agees d'un an ou deux, baillonnant leurs petites bouches avec un morceau de drap, pour ne pas entendre leurs cris. C'est pouitant de ces memes iles que I'on a vu sortirTamahamahaet sa femnie, venuscn Anglcterre cherchcr (< ) Voyez Revue Encyclopedique , tome i. . Juin 1831 , page 492 et suivantes. ETATS-UNIS l33 la science pour la reporter a leiirs sujets , de'ployant dans Icnr courte vie la tendresse d'ame la plus touchante , une bienveillance , une resi- gnation , une douceur , presqu'inconnues parmi nous , et mourant dans les bras I'un derautre,heureuxdene se point quitter. Evidemmenl, s'il se commet des crimes de la natui'e de ceux que raconte parfois le cha- pelain, et devant lesquels son pouvoir de de'crire rccule, ce sont des ex- ceptions ; et si je consens a croire que les sauvages des iles ne sont pas des etres innoccns , bons , candides , tels que nous les reprc'sentent quel- ques uns des premiers voyageurs, Dampierre , Wallis , Cook; tels que Byron se plut a les peindre dans son poerae de I' He, cependant je lie crois pas qu'il soit plus juste de les juger sur les re'cits dc ceux qui les vont convertir , et qui prennent eVidemment les traditions des plus ' effroyables crimes pour les annales de ces peuples. Par excmple, ce que rapporte Stewart , sur la foi du missiopnaire Crook , me semble une liistoire d'ogre , a mettre en pendant avec celles dont on effraie nos pe- tits enfans , et bien que plus pittoresqug , plus poetique , j'ai peine a croire qu'elle soit plus vraie. Les 4ieux de ces peuples sont non seule- ment des souchcs de bois , enloure'es de bizarres ornemens , grossieres et premieres statues ; mais , comme chez les anciens Grccs , les he'ros morts, etsouvent, comme chez les Remains dege'ne're's, les Ire'ros vivans, ont droit a uu culle et a un culte sanglant. A TaLuata, une des lies ]\Iarqaises, en 1797, un de ces hommes-dieux, d'un grand a§e,habitait, scion Crook, une immense maison , au milieu d'un vaste enclos. Son domestique seul , et ceux qui venaient lui sacrifier des victimes hu- maines, osaient pe'netrer dans ce repaire. Au dedans, de cbaque saillie des solives et des poutres qui fonnaient re'difice ; au dehors , de chaque l)ranche des arbres environnans pendaient , suspcndus par les. talons, des cadavres dont les tetes e'taient scalpe'es. Fre'quemment assis sur un e'chafaud , devant la facade de son autre ■, le Aaeillard dcmandait deux ou trois de ces offrandes atroccs a la fois. Cepcndniit ces tribus qui s'enlcvent des prisonuiers les unes aux au- trcs pour les massacrer devant leurs dieux , ces hommes si doux avec les missionnaires, et grace a eux , mais qu'ils ont trouve's habitue's a de ire'quens sacrifices humains, e'taient peu religieux, et n'avaient en leurs pretres et en leurs idoles qu'une foi chancelante et douteuse, si on en croit ces memes missionnaires. Les contradictions sont dans la nature l34 LIVRES ETRANGERS. humaine , et smtout dans la nature saiivage , mais ccUc-ci n'est-clle pas trop forte? Et n'cst-il pas probable que les ministres ont raal compris leurs nouveaux nc'opliytes , prenant pcut-etre pour des sacriliccs dcs actes de vengeance on d'une severe justice, et le bourreau pour.Ie pretre ou le dieu? Le sauvagc amcne' cliez nous il y a quelques mois, place devant I'ccliafaud un jour d'cxe'culiou, aurait peut-etre jugc nos institutions comme Crook et Stewart ont juge les siennes. Le voyageur aracricain a parcouru , a plusieurs reprises, les groupes des lies de la Socie'te', de Vaslii-ngton , des Marquises; deux fois il a ha- bile' cellcs de Sandwich , et , rctourne a Otahiti , ne se lassait point d' admirer les progres des naturels, diis aux laborieux efforts de M. Nott et des autres missionnaires. II parle avec enthousiasme de la grande route faite paries condamne's, et qui entourc Tile, en suivant la cote dans une e'tendue de pres de cent mille ; de I'alphabet otahitien public par M. John Pickering, en Ame'iique, et des nombreuses bibles ct livres d'hymnes dans Tidiome national. II de'crit les chapelles blanches : I'une octogone ct de soixante-dix pieds de diametre , monument du triomphe simultane du christianisrae et des arts, s'e'leve non loin de la baie de Matavai; clle est batie de pierre de corail taille, qui resserable au iiiarbre; blanchie au dedans, et garnie de galeries,de pupitres, de bancs, et d'une chaire c'le'gamraent sculpte'e, le tout en bois de I'arbre a pain. Le code de lois ecrit par M. Nott n'excite pas moins I'adiairation du chapclain voyageur. La mission, c'tablie en 1797, ne comptait que ciij- quanle convertis en 181 3, cinq cents en i8i5; et maintc.nant la plus grande partie des naturels sont chrc'tiens, et ont renonce' a une vie de de'sordre, de rapine, de cruaute's, pour la pie'te', I'ordre et .toutes les vertus chrc'tiennes. Ce tableau serait consolant, et ferait grand honneur aux missions , si ceux qui ne tiennent compte que des faits mate'riels ne nous disaicnt que la population d'Otahiti, qui, en 1797, sur le calcul des missionnaires eux-memes , montait a i6,o5o ames, n'est plus au- jourd'hui que de cinq mille. Celte effroyable diminution est attribue'e a I'usage de nos liqueurs transporte' chez des peuples que Wallis et Cook trouverent cnnemis de I'ivresse, et a la vie, tout-a-fait contre Icur nature toute primitive, que d'austeres puritains ont imp'jse'e a ces pauvres sauvages. Nagueres enfans et joueurs, leurs plus grands chagrins, leurs douleurt physiques les plus violentes , ne duraient que cc que diu'c la ETATS-UNIS. 1 35 tempete sur leurs cotes ; et pour eux le riie e'tait, comrnc le soleil ct I'air, line condition de vie. Le petit volume public dans la Bibliotheque de famille de Murray raconte, sous tous ses points de vue et dans tous ses details, la re'volte de I'equipage du Bounty retournant a Otahiti , et lancant sur la vaste mer, en un frele esquif, Bligh le capitaine et une partie de ses officiers et de ses matelots. Ce livre donne en raeme terns I'histoire d'Otahiti : die fut de'couverte, d'abord, par Fernandez Quiros, en 1606, et nomme'e la Sagiltaire ; Wallis en prit plus tard possession au nom des Anglais, en la nomraant Vile du roi Georges III. Cook a raconte' ses arts en- fans et deja inge'nieux; ses morals, Lauts monumens fune'raires d'une forme pyramidale, ses doubles bateaux en bois, ciscle's, sculpte's delicate- ment , malgre' de grossiers outils , qui consistaicnt en une hacbe en pierre, un ciseau fait d'un os debras humam, une rape de corail, et pour limes et polissoires une peau de poisson et du sable. Ce voyageur, parlant de la fertilite de I'ile, de la douceur du climat, du bonbeur des babitaus , dit qu'ils furent exempte's de la premiere malediction lance'e sur I'homme : «Tu mangeras ton pain a la suenr de ton front. » II estfaclicux que notre civilisation, importe'e a tant de frais, avec tant de fracas de philantropie et de religion, ait de'truit,au licu'de TaccroitrCj cet e'tat de prosperite ; qu'en preuve de nos bienfaits on nous cite la longue route de trente-trois lieues , mastique'e avec les sueurs et les larraes des crimihels , au lieu de ces joyeux sentiers qui coupaient les bois dans mille directions diverses , conduisant a des milliers de cases riantes qui ont disparu. Ce que les defenseurs des missions ont dit de plus juste , c'est qii'il est impossible de soustraire les nations sauvages a la visite des bommes civilise's. II s'agit done de savoir si les communications avec les vais- seaux balciniers. qui leur enlevent leurs enfans pour en recruter leur equipage et les abandonner ensuite sur des iles desertes (voyez Stewart), les relations avec des marins grossiers, sans frein, sans lols sur la terre ferme, ou ils se de'dommagent du code tyrannique qui leur est impose' sur leurs navires, valent mieux a ces peoples ignorans et accessibles a toutcs les impressions, que I'e'troit proselytisme des missionnaires pro- tcslans. II n'y a pas de doulc que des deux maux ce dernier est le moin- drc. Mais il scrait terns que I'Europe, moins e'goiste, entcndit le tou- . 1 36 LIVRES ETRANGERS. chant appel dc ces pcupladcs confiant> sur le mondc, pour observer les actions des liommes. 11 aimc I'odcui' GRANDE-BRETAGNE. l3g » des fleiirs. 0 demon noir I veille siir la liimiere de la lampe cette » nuit! » Tu vis toujours dans le temple de Maya; ton pouvoir existe depiiis » un millier de pe'riodes de sieclcs. Ecoute aujourd'hui mes supplications I » 0 demon Eoir I sors du temple de Maya (en Sanskrit : Illusion). )) Tu habiles continuellement dans les torrens et les orages, tu aimes » les objets blancs et purs. Viens, demon noir! sors du lac de Bellipatan. » Tu paraitras aujourd'hui comme un messager royal pour pretendre i> a la souverainete'. Tu sortiras aujourd'hui des cavernes de la mer par » le pouyoir et I'autorite du prince blanc. » Nous ajouterons ici un extrait du poeme sur les pratiques du capoua (ou pretre du demon), de'crites par \\n bouddhiste. « J'honore tous les peoples des trois mondes (que Dieu et Bouddha » pre'seryent!); et apres eux j'honore mes amis, raes mstituteurs, mes 1) superieurs, et men pere et ma mere. » Je vais de'crire, selon ma capacite, le culle inutile et non pernjis » du demon ; puisse'-je conserver toutes mes facultes, et etre preserve de » toute erreur ! » Je veux toujours honorer Dieu dans sa saintete' ; » Jeveux honorer Bouddha, qui donne le bonheiir a tous les peuples ) du monde. » Je ne puis raconter tous les details minutieux de ce culte impur , » mais je racontcrai ce que je sais. » Puisse le Dieu tres-haut me preserver de toute erreur ! » Ceux qui ignorent les doctrines de Bouddha suivent les inspirations » des demons. » Us leuroffrcnt le bois de sandal , des parfums, le camphre, des » raisins, toutes les fleurs odoriferantes et le betel. » Us se prosterncnt, dansent selon leurs trente-une regies pres- » crites. » De jeunes CUes, de jeunes hommes, quand ils gagnent la fievre ou » le mal de lete , » Vont danser a I'aulel du demon pour lui demandcr la cause dc » leurs souffrances. » Alors le danscur, comptant ses dix doigts , frappe sa lete et pro- i> mene des regards re'solus. ]4o LIVRES ETRANGERS. » (Disant.) Quoique ce soil un •mallieur, je rccouvrerai la sanle avec » nil fil. » (Le suppliant.) J e diiai la ve'rile. Ecoute-moi, mon oncle. » Quoique nous habitions notre maison , ellc est frcqucntee par un » grand nombre de spectres. » Nous ne savons pas si c'est un mallieur ou une punition des de- » mOns; » Mais si voiis voulez visiter le malade, il rccouvrera la sante. » (Le capoua ou preire.) Je n'ai jamais trompc' pcrsonne, parce que » je n'ai jamais eu besoin dans ma vie. » \ouspouvez faire des incantations, preparer des me'dicamens, et » cependant tuer la personne malade. » Je pourrai la soulager un peu, si vous observez ce que je dirai. » Le mercredi matin n'est pas un tems propice ; je me rendrai pres du » maldde dans la soiree sans-faute. . » {Le suppliant.) II est tems maintenant , il est tems de venir. J'ai » laisse mon ouvrage dans le champ. » Je suis venu , quoique j'aie ete pendant quatre mois travaiilaut sous »le soleil. » Hier le malade a dit : J'irais si je .pouvais nje trainej- jusque la. — » Je vous prie de m'accompagner. Autrement je ne j«uis sortir. » Le danseur retourne a la dcmcure du malade, ct s'assied sur le » siege e'lcvej » Et saute dans la chambre comme un singe , regardant de cote et » d' autre; » II dit : Je veux tacher dc lui rendre la sante. Le danseur prend un » fil en murmurant et en mcnafant, y fait sejtt noeuds, etapres I'avoir » roiigi de safran, il I'attache a la tetc de la pcrsonne malade. » Vous pouvez venir, dit-il, et me dire s'il n'est ])as mieux. » Ensuite les liommes s'approchent du danseur et lui rapportent que » le malade est bicn mai . » Depuis, n'csl-il pas mie^ix, dit le capoua, c'cst e'videmmenl la ma- » ladic d'un grand de'mon. » Je ne puis le guerir sans former la danse de ce demon. .» Ce poeme, tres-maigre de poe'sie, comme on a pu levoir, est suivi par un autre sur les masques ct les mascarades dc Geylan. II y en a dc GRANDE-BRETAGNE. l4l seize sortes. Unc mascarade rcgnlipic commence avec la nuit et finit avee le jour. L'homme partout est homme, et le meme paitout! P. ^. — Outlines of the, ancient, etc. — Esquisses de I'histoire an- cienne de la me'decine , ou vue sur les progres de i'art de guerir parmi les figypliens , les Grecs, les Romains et les Arabes , par D. M. Mom , chirurgien. Edimbourg , i83i; Blackwood. 5. — The History of medecine , surgery, etc. — Histoire de la medecine, de la chirurgie, de I'anatomie, depiiis la creation du monde jusqu'au commencement du dix-neuvieme siecle , par D. Hamilton. Londres , i83i ; Colburn et Bentley. -j. yol. in-S". Cette brancbe de I'histoire a les memes phases , est soumise aux memes vicissitudes que I'histoire gene'rale de l'homme et des na- tions. D'abord , la me'decine est un mystere. Ce sent les dieux qui inspirent , les pretres qui pratiquent. Un homme , Hippocrate , met le premier I'observation a la place de la foi , et les ve'ritables progres de I'art commencent. Les descendans du grand homme s'e'cartent de sa route , et veulent cre'cr des theories , au lieu de noter des experiences ; ils donnent a I'imagination humaine le sceptre que leur maitre a ote aux dieux. La science de gue'rir passe enfin, ayec toutcs les autres, en fegyple , a la mort d' Alexandre , et fleurit sous les Ptole'me'es. L'e'- cole d'Alexandrie, e'cole du doute, des recherchcs et du choc des opi- nions , introduit I'anatomie dans la science , et He'rophile , en ces terns superstitieux , se de'shooore par le nombre inoui de ses dissections. G'e- tait pourtaut bien en Egyjite, ou Ton embaumait les cadavres , que de- vait naitre I'auatomie. Quand Rome devient la capitale du monde , elle devient en meme tems le centre des etudes , de tous les arts , de toutes les sciences ; et Ascle'piade , premier des charlatans , y met la me'decine a la mode. Cornelius Celsus ct Galien classent les de'couvertes faites avant eux , et remplissent le role des Romains , celui de repartir entre tous la somme d'ide'es recueillies avant eux et sans eux'. La chute de I'empire aihena une eclipse gene'rale en toute science. C'est la' nuit qui precede une nouvelle aurore , la naissaoce d'une nouvelle civilisation. Les successeurs de Mahmoud brulent la bibliotheque d'Alexandrie , chassent , dispersent ses philosophes , jettent les sciences , qu'ils dedai- gnent , sous les pieds de leurs hordes sauvages , et les Arabes ramassent l42 LIVRES ETRANGERS. Irs connaissanccs qui sont abandonne'cs a leurs me'pris. Us devienncnt me'dccins liabilcs, ct surtoiit font fairc cVimineiiscs pas a la cliirnic. Cepcndant, sous une nouvclle religion, theocratic qui dominait tontes les ide'es liumaines de toute la force de sa nouycUe vie , la me'dccine dc- venait de nouveau un mysterc, ct rcntrait dans le bcrceau d'une super- stition moins aveugle cepcndant , moins brute -que la premiere. Lcs njoines ct les prelres chre'licns, qui voulaient exploiter la science , e'taient fort au-dessus des pretres dcs temples d'Esculape. Les observations faitcs sur lcs maladies e'taient enregistrc'es ct consultc'es ■ les faifs de'couverts par Tanatomie e'taient e'tiidie's , et de nouvellcs dissections avaient lieu , en de'pit des defenses du clerge. Enfin les etudes cliimiqucs , bicn qu'c- gare'es dans la recherche de la picrre philosophale et de I'e'lixir de vie, se poursuivaient. La creation toute chre'tienne des hopitaux aida I'art ; les socie'te's savantes rc'unirent en faisceau les de'couvertes e'parses; le mi- croscope vint cnrichir la science de nouveaux moyensd' observation; enfin les de'couvertes de la circulation du sang, du sysleme glandulaire, etc., la font avancer rapidement, ct les secours que lui pretent maintenant toutes les autrcs branches des connaissanccs humaines lui promettent de nouveaux progres , en de'pit dcs the'ories e'troites , en de'pit de I'esprit de systcme et de cettc manic des docteurs habiles d'cmployer lour in- telligence a tracer un tour de compas , en disant a la science : « Tu n'i- ras pas plus loin; j'aipose tes limites. » Les ouvrages de M. Moir et du doctcur Hamilton sont clairs ; leur re'cit n'est point entache de prejuge' ni torture par la parlialitc. M. Moir a fait un manner de I'anciennc me'dccine : peut-etre que Ic docteur Ha- milton s'esl Iroj) appesanti sur ces ]ircmiers ages , dont I'hisloire , d'une narration plus facile , parce qu'elle est pen complique'c , est ce- pcndant moins certaine, et surlout moins instructive que celle de nos jours. J'''^ M. G. — ^ treatise on the comparative geography of ^vestern Asia, etc. — Traite de Ge'ograjihiccomparc'e de TAsieoccidcnlale; par feu le major James Renell. Londres , i83i ; Rivington. Deux vol. nYCc atlas. • 7. — Tuur in England y etc. — Lettrcs contcnant une tournce en Angleterre, en Irlandeet en France, dans lcs anne'es 1828 et iS'jg, avcc remarques sur les raanieres ct coutumes des liabilans , anccdoctcs GRANDE-BRETAGNE. 1 43 sur les personncs celeb res, etc.; par im prince allemajid. Jjondrcs, i83'J; Effingham Wilson. '2 vol in-8". II parait que raiiteiir de ce voyage est un prince Pucklcr Muskaii , cpie , grace au mode dc prononciation de nos voisins , on felait on Ir- lande commc prince de la Moskowa , et qui , maintenant e'tabli pres de Munich, ferabien , s'il est prudent, de nese plushasarder en Anglelerre, les nombreux et nobles botes qui Yj avaient accueilli ayant pen de su- jets de se louer de ses rc'cits. Get illustre voyageur n'est ni plus bavard ni moins superficicl qu'un autre faiseur de tourne'es : agre'able par- fois , jamais profond ni observateur , courant trop apres la le'geretc et le bon ton pour etre substantiel et vrai , crevant les chevaux de ses amis , faisant la cour aux servantes d'aubei'ge , c'est un toiiriste comrae un autre. Ce qui le distingue, c'est sa qualite de prince, qui rend son erudi- tion surprenante , sa bonhomie remarquable , son naturel cliarmant , son libe'ralisrae admirable. II doit a cette derniere qualite les critiques de la Quarterly, les e'loges de la TVestminster Review; et a I'avantage d'etre ne' prince, celui de se voir soit loue, soit critique', mais, tout au raoins longucraent analyse par les journaux anglais d« tons les partis. Devant le souffle de cet cssaim d'approbateurs et de de'tr^cteurs , le peu de substance qu'il y a dans le livre s'ane'antit pour moi. A'^''- M. 8. — Sketches of the life of an old soldier. — Esquisses de la vie d'un vieux militaire; parlelieutenant-colonel J. Leach, Londres, i83i ; Longman. In-S". C'est le recit des fails nombreux et des observations de I'auteur pen- dant sa carriere militaire de vingt-un ans dans les Tndes occidentales , dans le nord de I'Europe et sur le continent. "** 9. — Romance and Reality, bj L. E. L., author of the Improvi- satrice, etc. — Roman et Re'alite, parL. E. L., auteur de Vlmprovi- satrice , du Bracelet venitien, etc. , etc. Londres , i832 ; Colburn et Bentley. 3 vol. in-12. Miss Landon est I'auteur de plusieurs ouvragcs en vers; elle s'cst cssaye'e en divers genres , et a , sans nul doule , monlre du talent. Son grand de'faut est celui de beaucoup de femmes. La societe et I'e'ducation les ont resserrees dans de si etroites bornes , qu'en s'adrcssant au pu- blic ■, elles ne peuvent croirc que leur voix naturellc soit suffisante , quo leurs paroles de tousles jours, le tour liabiluel dcleurs phrases, puisscnt l44 LIVRES ETRANGERS. inte'rcsser ccux qui nc voient pas lour physioaoraie mobile, Icur gestc rapidi" achcvcr Iciu' pcnsce. Si cettc crainte les vouait a rdlude, a un scrupulcux examcn du style, elle sciait sansdoute salutaire : mais beau- coup trouvent plus commode d'cmboucber la trompette , dt de forcer leur organc que de Ic travailler. Cela est e'trange a dire , mais, je le crois , c'est par un melange de timidite , de paressc et de Icgerete, qu'elles montent sur le tre'pied et alignent dcs sentences. Ainsi I'affectation et I'enflure sont souvent le de'faut des oeuvres imprime'es des femmes , et cependant le style de letirs lettres surpasse de beaucoup, par son na- turel et sa flexibilite , celui des hommes les plus ce'lebres pour ces memes avantages. Long-tems elles conservent la tendance a I'empbasc et a I'imitation , de'fauts des jeunes liommes a leurs premiers essais dans les lettres J et, avee un degre de pe'dantisrae de moins, elles aussi sont des e'leves en rbetorique, faisant des caractcres de La Bruyere, des maximes de La Rocbefoucauld , des descriptions de Jean- Jacques , des rc'cits piquans a la Voltaire en Fi-ancc, et du Byron et du Scott en Angle- terre. La premiere Iccon de litterature et dc style devrait etre . Faites- vous comprendre.parfaitement et soyez yous-meme ; ditcs tout uniment ce que vous voulez dire ; imprimez sur le papier la pense'e telle qu'elle vous vient , et si vous ne pensez pas , n'e'crivez point , car les autres di- ront ou ont dit micux que vous leurs pense'es I Inde'pendammcnt du concetti et del'axiome, on pent reprocher a miss Landon ce parfum d' aristocratic dont tous les auteurs a la mode , en Angleterre, s'environnent. Cette atmosphere de muj5c et de fume'e affa- dit tout. Je critique ici avecd'autantplus d'aprete, qu'il y a, je le crois, dans I'auteur de X Improvisatrice de quoi mieux faire. Quand elle par- lejra simplement de ce qu'elle a vu et senti, qu'elle rc'pandra dans ses oeuvres , ou ces observations qui e'clairent ca et la les milles faces de la socie'te , ou qu'elle laissera s'epancber les flots d'immense personnalite ouele profonde sympatliie qui font le poete, elle prouvera alors qu'il y a plus que des vers, qu'il y a de la poe'sie en elle. .-/'' M. ALLEMAGIME. !(). — Briefe aus Paris zur ErlcButerung der Geschichte , etc. — Lettres c'crites de Paris pour servir a I'cxplication de I'histoirc dcs ALLEMAGNE. lJ^5 1 6*" et i']" siecles, par Fred, de Raumer. Leipzig, i83i j Brockhaus. 2 vol. in-i2 de 496 et 536 p. 11. — Brief e au^ Paris , geschrieben in den Monaten Septem- ber, etc. — Lettres e'crites de Paris pendant les mois de septembre, octobre et noveinbre 1 83o , par le docteur J.-C. Held. Sulzbach, i83i ; Seidel. In- 1*2 de 228 p. 12. — Briefe aus Paris, etc. — Lettres e'crites de Paris en i83o- i83i , par iM^iwig Boerne. Hamboiirg, i832 (i 83 1); Hoffman et Campe. 2 voL in-12, de Sig et 3x6 p. Ces trois ouvrages , qui portent a pen pres le meme titre , pre'sen- tent cependant pcu d'analogie , soit dans leur forme , soit dans leur es- prit. M. de Raumer est connu par ses apologies de la feodalite, mais il Test aussi par son honorable demission de la place de censeur qu'il remplissait a Berlin ramie'e derniere. M. Boerneest Tun des plus ar- dens parmi la jeunesse libe'rale de son paj's. Quant a M. Held, les pas- sions politiques serablent peu I'agiter, et le fleau de sa balance demeure a peu pres immobile entre les partis. M. de Raumer est venu a Paris pour y faire , dans nos bibliotheques , une moisson dont ses lettres sont ia re'colte; M. Held, appele par un semblable desir, ne s'occupe gue- res dans les siennes que de raconter les incidens qui excitaient , au mo- ment de son sejour, I'emotion ou la curiosite' des Parisiens , Guillaume Tell, le proces des ministres , etc. M. Boerne, au contraire, dans toutes ses observations est principalement pre'occupe par le point de vue politique J il met tout ce qu'il voit en parallele avec ce qu'il a vu dans sa patrie, et ne se fait pas faute de malignes comparaisons. Son recueil pt celui de M. de Raumer me'ritent seuls d'arreter notre attention. L'historien des Hohenstaufen, par des extraits nombreux et importans, <:ollecIe's avec autant de soin que de rapidite' pendant un sejour de cinq mois seulementa Paris, a jete de vives lumieres sur les e've'nemens de deux siecles curieux a e'tudier. \\ ne faut pas confondre cet ouvrage de M. de Raumer avec ses lettres sur Paris , date'es de la meme anne'e , fruits du meme voyage , mais dans lesquelles I'auteur se livre a des conside'- rations principalement politiques sur I'ctat de la Belgique et de la France. Les nouvelles lettres ne conliennent rien sur les faits contemporains ; ce n'est plus le publiciste qui parle , c'cst I'e'rudit qui nous fait part des richesses dc'couvertes par lui dans notre abondantc collection de TOME LIU. JANVIER 1852. 10 146 LIVKES ETRANGERS. vicux manuscrits. Quoiquc 1' exploitation de celte collection n'ait pas fourni autant dc mate'riaux. que celle cntreprise par le meme liisto- ricn dans Ics bibliotheques d'llalie , cUe ne laisse pas que dc presenter une foule de renseignemcns precieux propres a eclaircir les dcbals po- litiques et religieux des 16" et 17" siccles. Nous regretlons de ne pou- voirdonner une analyse d'un recueil entieremcnt compose de fragmens ct de pieces historiques , mais nous nous croyons obliges d'en indiquer, au moins rapidement , le contenu , afin de fairc savoir a ceux qui e'tu- dient cette e'poque quels documens ils peuvent trouver dans I'ouvrage de M. de Raumer. Le premier volume traite des e've'ncmens de I'AUemagne , du Da- ncmark , de I'Espagne , des Pays-Bas et dc la France. Les objets prin- paux dont il y est question sont les suivans : CLarles V et les e'tats , Spinola , description de la dicte de Ratisbonne en 1 53o , la guerre de trente ans et ses acteurs les plus celebres , tableau du Danemark a I'e'poque de cette guerre , caractere des Espagnols , Philippe 11 et Don Carlos , me'moires de Granvella , relations entre I'Espagne et la France, la ^aint-Barthelemy , Philippe III d'Espagne , expulsion des Maures , la Hollandc et sa politique , Francois V et Ciiarlcs-Quint , politique du pape Sixte-Quint , la vieille et la nouvelle ligue, les Guise , assas- sinat de Henri III , les e'tats de 1 5g3 , -Henri IV et Elisabeth , le je'suitp Cotton, les etats de 1614 » Conde , Marie de Me'dicis, Mazarin_, etc. Ce volume conticnt en outre des facsimile dc I'e'criture de tons les per- sonnagcs remarquables cites dans le recueil entier. Les cinquante premieres pages du second volume sont consacre'es a ritalie : Naples sous la domination espagnole , Ycnise et sa constitution. L'histoire d'filisabelh, dc Marie-Stuart , de la re'volutiori d'Angletcrre et des c've'nemens qui I'ont pre'ce'dc'e ou suivie , occupe tout le resle. Les e'rudits rendront grace a M. de Raumer de s'etre livre a d'aussi penibles recherches , et les gens du monde lui sauront gre d'avoir su donner a des travaux d' erudition une forme intc'ressante. Passons aux lettres de M. Boerne. Bocrne et Heine, dont nous avonsdernierement entretenu leslecteurs de la Reuue (Voy. cahier de novembre i83i,p. 455) sout deux esprits dc la meme famille; c'est la meme rancune libe'rale contre le despotisme, la. meine verve satirique ])ourlecombaltre. A jugcr d'euxpar le blame qu'ils . ALLEMAGNE. 1 47 dcvcrscnt avec ]>rofiision sur les choses de leur patrie allemande , vous les prendricz, Boerne surtout , pour des cnfans denatures; mais ne vous y trompcz pas, Famour irrite prcnd souvent les livre'es de la liaine, et tout cct amer persiflage s'adresse seulcment aux liommes qui cultivent sur le sol de Icur beau pays les vieux troncs de la fc'cdalite. Ecoutez plutot Boerne dans un acccs de sa spirituelle , malicieuse , mais souvent pre'tentieuse colerc : « Dans dix aus d'ici les amateurs d'antiquite's politiques viendront de » tons les coins de la terre visiter TAllemague par curiosite'. Je les vois » deja, arme's du Manuel des antiquite's de r^nemagne,Acs lunettes » sur le nez et un calepin a la main , parcourir nos villes ; je les vois ex- » plorer, mesurer, coramenter notre organisation judiciaire, noire schla- n gue , n®tre censure, nos douanes , notre vanite' nobiliaire, notre humi- » lite bourgeoise , nos corporations, I'oppression de nos juifs et la inisere « de nos paysans; je les vois satisfaits comme celui qui sort d'un muse'e, » nous mettre, en s'en allant, une piece de monnaie dans la main et pu- » blier sur nous des descriptions , des e'tudes de 1' antique. Malheureux » peuple!.... s'e'criera quelque Be'douin avec une orgueilleuse pitic'. » II ne menage pas plus les petits hommes d'etat, accapareurs de notre revolution de i83o . « Tout va mal ici ; on a laisse' refroidir la soupe , et a present les » peres du peuple lui cricnt comme a un enfant : Prends garde de te » briiler! Ce bon peuple a conquis la liberie' au prix de ses sueurs et » de son sang , et ses coquins de de'pute's , qui sont demeure's en pantou- » lies dans leui's comptoirs , lui disent a pre'sent : Vous ne savez pas » administrer vos finances, nous nous cliargeons de cela.M Ces courtes citations peuvent suffue pour dcnner une idee de la manicre de I'auteur : maniere tres-originale , mais souvent bizarre avec affectation. N'attendez pas d'adleurs, dans ses ouvrages, des pcnse'es profondes , des vues philosopbiques ; c'est un liberal francais qui e'crit en allcmand , et la nouveaute de I'apparition est certainement un des principaiix e'le'mens de sen succes; mais gloire en ce moment aux imi- tateurs de la France : le sentiment qui les anime n'est empreint ni d'im- puissance , ni de seiTilite; c'est le signal de liberte qui , parti de son .seal , trouve sous toutes les formes un e'clio dans les cceurs ge'ne'reux. >3. — Ahhandlungen der Koeniglich boehmischen Gesells- 10. I |8 LIVRES ETRANGERS. chaft, etc. — Me'moircs dc la Socie'te royale des sciences dc Bohemc, nouvelle serie. Tom. ii: anne'cs 1827-1830. Prague , i83i ; Calvc. In-S". Ce volume conticiit , outre I'liistoire dc la Societe de iB^-j a i83o, dix mc'moires, avec autant de planches , savoir sept de la classe physi- que et niathe'matique , et trois de la classe d'histoirc. 1 4. ^— Geschichte der Mag;yaren, etc. — Histoire des Magyares, par Ic coratc Mailath. Tom. iv et v. Vienne, i83i; Tendlcr. Deux vol. in-S" , avec 1 cartes. Ces deux volumes terminent I'histoire de la Hongrie. On y a ajoutc' deux me'moires de HorvatL; I'un contenant des esquisses sur I'ancienne liistoire dc la nation hongroise ; I'autrc sur les larz , conside're's comme parlant la langue hongroise et comme arbaletricrs. *** 1 5. — Necrologiiim ecclesice B. M. V. Aquensis , etc. — Ne'cro- loge dc I'e'glise Notre-Dame, a Aix-la-Chapellc, suivi d'un registre censal dc la meme e'glise, e'crit en iS^o, public par C. Quix. Aix-la- Chapelle, i83oj J. -A. Mayer. ^1-4". Ceux qui e'tudient I'histoire dans ses sources savent le parti que la science pent et doit tirer de parcilles publications. Faits historiques eclaircis, dates fixe'es, filiation de personnages ce'lebres etablie, topo- graphic rectifiee , usages mieux connus , locutions expliquc'es, etc., tels sont les princij>aux re'sultats dc ce travail aride et en apparence sterile ; mais arriere les fashionables de la litte'rature : les Dacier et les Sau- maise n'e'taient jadis ridicules que parce qu'ils ne savaient pas prendre leur place , ni faire de leurs prodigieuses ressources un usage assezfrui- tueux pour la ralson huraaine. De Reiffenberg. 1 6. — Beitraege zur bessern Kennlniss des neuen Griechenlands. — Morceaux divers pouvant servir a mieux faire connaitre la Grecc moderne , sous les rapports de I'histoire , de la geographic ct de la lit- te'rature j par le docteur Theodore Kind. Neustadl-sur-Orla , i83i ; Wagner. In-B". Ces morceaux ont ete tire's de divers ouvrages modernes , et ranges sous trois rubriques. Parmi ceux qui se rapportent a I'histoire , on re- marque une Notice sur VHetairie, ou association politique et litte'raire qui pre'para la revolution ct la delivrance des Grecs , d'apres Rizo , Souz.zo , Waddingtou , ct autres auteurs de nos joiirs , lant grecs qu'e'~ ALLEMAGNE. 1 49 trangersj un Tableau moral et politique de la Grece , en iS-2^, et aper9ii de la revolution, d'apres MiclicI Schinas; un moixeau sur Ics Affaires politiques de la Grece jusqii'en i8->.5, par Blaquiercj une Notice sur les Fpsilantis et sur Capo-d'Istrias ; enfin, sur les Pha- nariotes , un extrait de YEssai publie par le docteur Follony, a Marseille, en 1824- Les morceaux de geograpLie ne sont qu'au nonibre de deux , et ne coneernent que Missolonglii et I'lle d'Hydra. Dans la troisieine section , qui traite de la litte'rature , I'auteur fait connaitre les produc- tions re'centes publiees par les Grecs, et au sujet de leur pays ou de leur guerre. Nous n'y trouvons pas indique's divers ouvrages impriine's re'cemment en France , surtout depuis le sejour des Fran^ais en Morc'e. II est a regretter que I'auteur n'ait pas comple'te' ses notices d'apres ccs publications toutes re'centes, II ajoute aussi quelques details sur la mu- sique et la poe'sie populaire des Grecs, sur 1' instruction publique , sur les partis en Grece, etc. On voit que I'ouvrage de M. Kind est un recueil de raorceaux compiles, qui n'est pourtant pas sans utilite'. \'j. — Darstellung der arahischen Ferskunst, etc. —Exposition de la prosodie arabe, avec six supple'mens contenant : un poeme didac- tique sur le rythme en arabe , accompagne' de la traduction allemande, des observations sur la poesie et les poetes arabes, etc. Ouvrage re'dige' sur des documcns manuscrits; par G. W. FiiEYTAG,professeur a Tuni- versite' de Bonn. Bonn^ i83oj Leipzig, Ch. Cnoblocb. i8. — Bilder des Orients. — Tableaux de I'Orient , par Henri Stieglitz. T. III. Leipzig , i83'2 ; Gnobloch. In-ia, jNous avons annonce les deux premiers volumesde ce recueil. L'auteur a le projet, disions-nous, de faire de chacune des principales nations de rOrient le sujet d'une se'rie de poe'sies oii seront representees leurs moeurs, leurs usages, leurs prejuge's^ leurs sentimens dominans. Dans les deux premiers volumes , M. Stieglitz s'est occupe des Arabes et des Pcrsans. II arrive, dans le troisieme , aux Turcs. Les mceurs de ce peuple ne se pretent peut-etre pas autant que celles d'autres peuples de rOrienfaux fictions , et son nom ne reveille pas autant d'ide'cs pbe'ti- ques. Cependant ses guerres , Tc'clat de Constantinople , le se'rail, ses eiforts pour maintenir dans I'esclavage les descendans des Hellenes , peu- vent encore e'chauffer la verve des poetes. M. 8tieglitz commence par quelques chants he'ro'iques des Ottomans , et il tcrmine par les chants l5o LIVRES ETR ANGERS. des Grccs et des Turcs pendant la derniere guerre, lei Ics modeles ne lui inanquaicnt pas j on sait que les Grecs modernes possedcnt une grande richesse de cbants nadonaux. L'autcur ne nous dit pas jusqu'a quel point il les a imite's ; peut-etre s'en est-il sculeraent inspire , sans s'astrcindre a rendrc loutes les ide'es et les expressions. La plus grande partie du volume est occnpcc par une trage'die , Seliia III , que M. Stie- glitz a cru sans doute plu^ capable qu'une suite de poe'sies de'tache'es de nous faire connaitre les mceurs des Turcs actuels. Cette trage'die est une oeuvre remarquable ; ct , moyennant quclques cliangemens , elle jilairait probablement aussi sur la scene francaise. Selim III veut ame'liorer les moeurs barbarcs de son peuple; c'cst un prince doux et sensible aux avantagcs de la civilisation. II s'occupe dans son divan a re'forincr la milice turbulente des janissaires ; mais un des soldats de cette milice privilegie'e a entendu les propositions faites au conseil . C'est un simple soldat, mais liomme de tete et de bon sens. II fait part a ses camarades de ce qu'on trame contre eux ; il parvient a les soule- ver et a se faire nommer leur chef. De son cote' , le muphti , me'content des re'formes du sultan qui tendcnt a diminuer le pouvoir du sacerdoce turc, favorise sous main la rebellion des janissaires. Bientot la re'volte ilevient ge'ne'rale. On propose an sultan un dernier expc'dient pour sau- ver son trone , c'est de faire e'trangler son neveu qui languit dans les prisons , et que , contre la coutume cruelle des sultans , Selim III a laisse vivre. En le faisant perir il ote aux janissaires le moyen de pro- clamer son ncvcu empereur. Selim , trop doux pour suivrc un conseil aussi barbare , refuse , ct la re'bellion continue de se re'pandre. Bairaic- lar , fidcle soutien du trone de Selim , arrive et demande son maitre ^ on le lui pre'sente assassine' par ordre du cruel Mustapha , son autre neveu. Celui-ci pc'rit a son tour , et Malimoud succede a Selim. Pour rendre son principal herosplus inte'rcssant , I'auteur a e'te' oblige' de lui donner plus de civilisation que Selim n'en avait sans doute. La turbu- lence dela soldatesque turque est tres-bien peinte, etre'pand du mouve- meot dans cette trage'die. L'auteur parait avoir I'intention de nous donner encore deux recueils de poesies , I'un sur les Indiens et I'autre sur les Chinois. Nous serons sans doute bientot a meme d'en annoncer la publication . D — r. . SUISSE. 1 9. — Souvenirs de Victor de Bonstetten , ecrits en 1 83 1 . Ge- neve , i83i J Glierbui'licz. Paris , Icraeme, rue de Seine, a" -y. In-i'2 de 1 ^4 pages ; prix , 3 fr. J'e'tais en i83i a Geneve, avec Victor de Bonstetten , raiiteur de V Homme du midi ct de l^ Homme du nord , et de plusieurs autres ouvrages pliilosopliiques; et j'ecoutais une analyse fine et spirituelle dc ses souvenirs de quatre-vingt-cinq ans. C'ctait Berne ^ avec son gouver- nement aristocratique , sa jeunesse patricienne oisive, ses moeurs en partie francaises , en partie allemandes et en partie nationales; et, au milieu de Berne , Bonstetten enfant , recevant une education a la pati-i- cienne, et menant jusqu'a I'age de quinze ans une vie de sauvagc, cora- pose'c de le9ons , de mots sans ide'es , et de la socic'te de ses contempo- rains , qui se tenait le plus souvent dans les riies : tout cela mcle' d'ob- scrvations philosopLiques. Par exemple , apres quelques re'flesions sur les gouvernemens a pri- vilege et sur I'oisivete , « les tlicologiens , disait-il , nous parient sans » cesse dc nos pe'che's, les moralistcs nous revelent nos de'fauts ; raais ce » qu'on ne nous a pas encore reve'lc, c'est la grandeur de la puissance de » riiomme sur I'homme et la progression des forces morales par I'asso- » ciation plus e'tendue de I'homme avec I'homme. Deux personnes qui ont » uni leur sortsont I'une a I'autre Ic paradis ou I'enfer. Qui a jamais cal- » cule la progression de ces forces morales par le nombre des associe's? » Les principes des institutions humaines, qui font la force ou la faiblesse » des nations, le bonheur ou le raalheur de I'liomme, c'est dans la tlie'orie ;> des sentimens moraux qu'il faut les chercher. » Apres Berne , et avant d'arriver a Naples , a Bologne et a Vemse, dont il avail protnis de faire Ic tableau tel qu'il lui e'tait apparu en 1773 et 1774 > il passaiten revue quelques-unes des personnes plus ou moins celebres qu'il avait connues. D'abord Haller, que, parmi tons les grands ge'nies qu'il avait entrevus , il mettait a la tete , et qui etudiait , disait-il ,-selon le caractere de 1' esprit de son tems , tout ce qui e'tait, sans chercher ce qui pouvait se faire. Puis quelques mots sur le pre'- tcndant Charles-Edouard et sur la comtesse d'Albany, sa tres-jolie epouse , appelee a Rome la reinc des coeurs. Un souvenir en passant a I'improvisatrice Gorilla , qui disait un jour a Florence : « Ne faitcs iSa LIVUES ET«ANGERS. • » pas trop de cas de mon talentj quand on est vraiment poete, on e'crit ct » Ton n'impiovise pas. » Venaient ensuite le cardinal de Bernis, le comte Firmian , premier ministrc dans le Milanais , et enfin Ganganelli , ou element XIV. C'e'tait alors Venise en 1778 , et son aristocratic, et ses sigisbe's , et son ridotto; Naples en 1774 ■> ^^ son roi jouant au ballon avec un garjon boulanger sur la place publique , et sa reine comptant les jours de I'anne'e par ses galanteries; Bologne enfin en 1773, avec son vieux cardinal-le'gat , qui e'tait cense' gouverner, tandis que, heureuse- ment pour le pays , c'e'tait le vice-Ie'gat Buoncompagni qui gouvernait. J'e'coutais avec inte'ret le re'cit du philosopbe bernois , et j'enregistrais avec plaisir dans ma me'moire ses observations consciencieuses a la Stewart , m'oubliant moi-raeme et me laissant aller comme a une pente facile au charme de son entretien , quand il en vint a parler de Matthi- son le poele , et de ses douces relations d'amitie avec lui en 1782 et i83i . « Quelle multiplicite de rapports entre deux ames , disait-il, que » de biens et de maux renferme's dans le coeuvde I'homme I Le bonheur ou » le malhcur des individus et des nations depend de ces rapports senti- « raentaux si importans et si peu connus. La socie'te' des coeurs est une » reunion bizarre de musiciens toujoui-sen activite, produisant d'horribles » dissonnances que la civilisation apaisepeu a peu. De ces dissonnance? » sortent enfin les grandes lois de I'harmonie universelle qui va sc perdn wdans les cieux. MattLison avec sa Louise etait sur la route de cette ce- » leste harmonic. » J'e'coutais done Bonstetten, pensant a ces clioses; tout a coup jt me trouvai dans I'obscurite : ma lumiere venait de s'e'teindre. Jt- n'e'tais pas a Geneve en i83i , avec I'auteur de V Homme du midi et de r Homme du nord ; j'e'tais , en i832 , a Paris , dans ma chambrc. et je venais de liie un opuscule intitule' : Souvenirs de Fictor de Bon- stetten. Ce petit livie est une piquante et instructive conversation. Puis le lendemain j'appris, en parcourant le Nouvelliste Faudois^ la mort de Bonstetten, mort a Geneve, le 3 fe'vrier i833, a I'age de 85. ans. .le donnai des regrets a cet homme excellent et a ce philosophe dis- tingue', et je relus ses Souvenirs. i ITALIE. 20. — L' Antica morale, eic. — L'ancienne philosophic morale, etc., lecueillie et publie'e par Giandomenico Romagnosi. Milan, i83ij Vincenzio Ferrario. i vol. Cette nouvelle publication du savant professeur milanais est un ma- nual a peu pres complet de philosophic ancienne , e'cole par e'cole. II a suivi dans la classification un ordre inverse aux terns , voulant imiter en cela I'antiquaire qui du modernc remonte a I'antique , proce'dant du connu a I'inconnu. Commenfant done par la philosophic peripate'ticienne , il cuvre le volume par I'exposition qu'en a faite Francois Zanotti , dans un tableau trace avec autant d' elegance que de critique et de facilite. Quant a 1 e'- cole stoicienne, le manuel d'Epictete lui a paru en contenir tous les principes , et c'est a cela qu'il s'est borne. II n'a pas cru ne'cessaire dc recourir aux e'crits plus populaires de Se'neque ni a ceux de Marc- Aurele. Vient enfin Tc'cole pythagoricienne dont aucun livre jauthen- tiquc ne contient la doctrine tout entiere. Force a done e'te de s'attacher aux fragmens originaux. Le premier est celui de la Table de Cebes.Lcs autres setrouvent dans Stobe'e, et c'cst la qu'il les a pris. Ceux qu'il a choisis sont ceux d'Hippotamus de Thurium, d'Eurifame, d'Hip- parqiie, d'Architas, de Theages , de Polo. II y a joint un fragment sur la sagesse , par Architas , rapporte' par Jamblique ; un chapitre sur le mariage, d'Ocellus Lucanus, et diverses sentences de Sextos pythagori- cien (i). II a eu soin , dans le choix des pieces , d'e'carter toutes les repeti- tions se limitant a celles qui renferment les vrais principes de re'cole. II les a coordonne's ensuite de telle sorte qu'ellcs forment un tout , et qu'il en ressort un expose parfaitement clair de la doctrine pythagori- cienne. Le volume est clos par I'esquissc de la philosophic morale , c'crite en italien par Stellini , et que Romagnosi tient pour le traite' le plus com- plet et le"plus profond qui existe en Europe. (1) Ces trois derniers ecrits sc trouvent rcunis dans ]es Opuscula riiytholo- piicaphysica etethica, publics par l\in{;Iais Thomas Gale , et ieini|)rimcs par Westcnius a AinsteMlam , en 1688. l54 LIVRES ETRANGERS. « Nous avons , dit-il , imitc ces ge'ograplies qui , en Irafant la carte cl'iui pays, I'eutourent dc (juclqucs parties des pays voisins. Bicn que Stellini ii'ait voiilii qu'expliqacr la morale d'Aristote , il ii'en a pas inoins ouvert une voie nouvelle, en montrant comment la morale peut s'clever au rang dc science. Sa mc'thodc fut vraiment pliilosopliique : en cxposant il de'finit , en examinant il remonte aux origines , et ses conclusions sont logiqucment de'diiites des principes. Les ecolos pe'ripa- le'ticieune , stoicienne ct epicurienne n'en agirent point ainsi ; de la na- quirent ces de'membremens d'une dialectique hasarde'e ; cette habitude de donner etre et puissance a des abstractions purcs , de sollygistiquer sur des raiseres , dc convertir les moyens en but et le but en moyens , ct enfiu ces intcrminablcs disputes sur les fondcmens de toute la doc- trine. Jacques Stellini imita les rc'formateurs prudens qui, voulant re'el- leinent ame'liorer un systeme , so tiennent aux formes exle'ricures an- ciennes ; ayant pris renseigne d'Aristote , il dut revctir d'un langage dit litin ces pense'es qu'il aurait si bicn su exprimcr en italien , et qui au- raient introduit soixante ans plutot la langue nationale dans les sciences morales et inte'resse' les lecteurs a son grand ouvrage sur I'Ethique. » Au sortir, ajoute-t-il, du sanctuaire pythagoricien, se prc'sente le dessin dc Stellini. Yoila la rotonde palladienne de Capra, a cote du temple le plus grandiose des Pharaons. Ce rapprochement sert a prou- ver que I'csprit humain a coutume de bien s'achemincr desleprincipe, puis de s'e'garer pour revenir plus tard dans la bonne voie. » Les proportions, dit-il plus bas, de I'e'cole pythagoricienne sont si vastes qu'a cote de celle de- Stellini, elle parait gigantesque et semble n'avoir d'autres bornes que I'extrerne horizon , non que sa doctrine soit plus abondante , mais parce qu'elle en marque la position et les rapports dans I'ordre universel , et "lie I'cnscmble dans une toute-puissante unite. » II convient, du reste, d'observcr que dans ces prc'ceptcs pratiques de la vie civile les ancicns e'taient d'accord, et que les dissidenccs ne se ma- nifestaient point hors des sanctuaires acaderaiques. De la vicnt qu'il regne dans leurs re'ponses sur les affaires communes une unite' ,. une saintete' de pre'ceptes qui contraste profonde'ment avcc les decisions ver- satiles des casuistcs poste'rieurs. Si ensuite on compare les ancicns phi- losophes a tons les modernes , exceptc Stellini , on troiivcra ceux-ci i ITALIE. l55 plus raisonneurs , ceux-la plus instructeurs; Stellini est I'ua et raulre. » Eu voila asse/,, continue Tc'ditcur, pour rendic compte de rouvrage public par nos soins. Nous n'avons donne aucune notice historique sur les fondateurs dcs e'coles dont nous pre'sentons en abre'ge les doctrines ; clia- cun les peut trouver dans Buonafedc {Storia e indole d'ogni Jiloso- fia), dont rouvrage pleiu de sens et d' eclat dans sa brievete' sc distin- gue par une critique supe'rieure a celles de Brucher, Stanley, a celle meme de Tielmann , Bhule et beaucoup d'autres. » C'est le propre , dit-il en terminant, de toutes les sciences, mais surtout de celles qui dirigent les actions humaines, de n'atteindre ni a I'estime, ni aux lieureux effets qu'elles devraient produire tant qu'elles sont de'taclie'es du tronc universel , qui seul leur donne vie , fe'condite et valeur. La philosopbie morale ue se ressent que trop de cette separa- tion, de cet isolement; aussi souhaitons-nous de voir s'e'lever quelque genie qui, du moins, lui enseigne les moyens d'effectuer cette unioji re- clame'e par une haute civilisation. » Telles sont les paroles dont M. Romagnosi a fait prece'der sa com- pilation savante. II serait a desirer, dans Tinterct d'une science qu'il comprend si bicn et dont il plaide si eloquemraent la cause , qu'il ne se bornat pas a cette simple exposition cle'mentaire et qu'il publiat ses propres pense'es. Pre'occupe' qu'il est de cette grande loi de progrcs et d'unite qui domine aujourd'hui toutes les intelligences europe'ennes , tant au midi qu'au nord , il ne peut que mettre dans la bonne voie la philosophie morale comme il I'a fait des sciences a 1' etude et a I'ensei- gncment desquelles il s'est pre'ce'deramcnt consacre'. •21. — Introduzidne , etc. — Introduction a I'e'tude de la philoso- phie, etc., par le baron Pasquale Galluppi de Tropee. Naples, i83i; Marotta et Vanspandoch. Broch. in-S". '11. — Critica, etc. — Critique syste'matico-universelle , et guide a la renovation de la philosophie, par Jean Maggi. Milan, i83i; Rus- coni. Broch. in-8". a3. — "Saggio, etc. — Essai d'une distribution me'thodique des ani- raaux vertebres, par Charles-Lucien Bonaparte, prince de Musi- GNANO. Rome, i83i. Broch. in-8". l56 LIVllES ETRANGERS. •44. — Istoria, etc. — Histoire de I'Europe dc Pierfrancesco Giam- BULLARi, de I'anne'e 887 a 947. Sixieme edition. Livournc, i83f; Masi, 3 vol. iu-ia. Ceci n'est point une nouveaute : c'est I'ouvragc d'un homine mort il y a trois cents ans. Giambullari vit Ic jour a Florence en 1 495 ; son pere , Bernardo , e'tait un poete ce'lebre, et lui est surnomme par ses admirateurs I'He'ro- dole italien. II raourut en i5.55. Son Listoire , dant il n'a compose' que sept livres, est le premier essai d'liistoirc generalc qui ait paru en Italic, en Europe. Le coeur plcin d'amour pour Dante , auquel meme il a consacre' divers ouvrages connus ou e'gare's, il a pris I'Europe au point oi!i il suppose que son cher Ali- ghieri I'aurait prise lui-meme s'il en cut voulu retracer les annales : a la creation de I'empire de Charlemagne. Se placant comme en un centre natujel dans la plus belle partie du nouvel empire , c'est-a-dire en Ita- lic , il promene de la son regard sur les differentes contre'es de I'Europe, et Ton retrouve dans ce tableau , large et harmonieux, cette grandeur, cctte unite dont se berfa la pense'e du conque'rant francais , noble reve qui s'eVanouit aA'cc lui. Le style de I'historien est a la hauteur du sujet. Sa parole abondante et dore'e , comme disent les Italiens , s'est inspire'e par la grandeur meme de I'oeuvre; elle a cette gravite', cette dignite simple ct forte qui convient aux narrateuis de I'humanite. Giamlndlari exerca , tant qu'il ve'cut , sur la langue toscane , une su- preme magistrature de savoir et d'cflegance qu'aucun de ses contempo- rains ne lui a dispute'e. Le premier, il en rcclicrcha les arigincs, il en dicta les regies ; et la Crusca le tient encore pour*une de ses autorite's. Si ses contemporains, si plus tard la poste'rite' lui rendirent une e'cla- tante justice , celle-ci lui fut long-tems severe , ct Giambullari fut ou- blle en Italic pendant pres de deux siecles et derai. La premiere edition de son histoire parut (Venise 1 566) dix ar,s aprcs sa mort , et c'est a I'un de ses amis, intimes, Cosimo Bartoli , qu'on doit la conservation de cebeau monument historique. Cette premiere edition cependant, malgre les soins de I'amitie', re'ussit mal , et c'est a ses imperfections, non moins qu'au raauvais goiit du siecle suivant , qu'il faut atlribucr I'injustice et I'ingratitude de tant de ge'ne'rations. Fa habent sua fata lihelli. La seconde edition nc parut qu'en i8^o , a Palerme, soigneuscmcnl ITALIE . BELGIQTJE . I 5 J revue et sensiblemcut ame'liorc'e par un homme habile, Pietro Giordani. Des lors plusieurs se sont succe'de'es : a Pise en 1 8^4 , a Brescia en 1837, a Milan en i83i ; celle que nous annoncons est la sixieme. Elle est de toutes la plus correcte et la plus complete , car elle a pu profiler de toutes. Nous avous cru utile de signaler aux esprits qui chez nous s'appli- quent a la science historique la rc'apparition d'un livre inconnu en France, comme il le fut si long-tems dans son propre berceau. Rien de ce qui touche au raoyen age ne doit etre neglige; il est interessant sur- teut de voir de quel ceil le considerent ceux qui assisterent a son agonie, a sa mort. De ce norabre est Giambullari. II ve'cut sur les confins des deux societe's. De son teins le moyen age n'existait plus, la socie'te' rao- derne n'existait pas encore j et c'est a ces e'poques de crise et de transi- tion oil le ge'nic de I'lionime est plus fortement e'branle' , ses passions plus profonde'ment.e'mues, qu'il taut dcmander et des vues neuves et des pense'es profondes. •3.5. — Plaggi, etc. — Voyages en Italic, par Francois Gan- niNi , etc. Cremone, i83i; Luigi de Micbeli. Get ouvrage se public par livraisons de cinq feuilles d'impression iliacune; cbaque livraison contient cinq plancbes. II y en aura vingt. Quatorze ont paru. 26. — Manuale , etc. — Manuel de la litterature italienne, par Francois Ambrosoli. Milan, i83i; Antonio Fontana. In-12. Un seul A'oiume a paru. 27. — Galleria Omerica, etc. — Galerie home'rique, ou monumcns antiques , recueillis par le ch. Francois Inghirami , pour servir a I'e'tude de I'lliade et de I'Odyssee. Fie'sole , i83i . Deux volumes ont paru. Nous reviendrons sur cette grande collec- tion , quand I'ouvrage entier aura vu le jour. 28. — Opere , etc. — OEuvres de Winkelmann. Premiere tra- duction italienne complete. Prato, i83o; freres Giachetti. S. R. BELGIQUE. 29. — Notice sur le depot des archives du royaume de Bel- gique,parL.-P. Gachard, archiviste du rojaume. Bruxelles, i83i ; H. Remy. In-8". Le gouvernement des Pays-Bas, a qui certes les Icttres ont de noni- l58 LIVRES ETRANCtERS. brcuses obligations, avail voulu que Ics arcliives dc I'etat fusscnt ou- vcrtes a tout venant , et que les personnes charge'cs dc Icur conscrvalion ct dc ieur classcraent facilitassent de tout leur pouvoir Ics reclicrchcs des savans et des curieux. Ccttc racsurc libe'ralc n'avait point dc pre- ce'dens dans le pays. Autrefois on y faisait grand mysterc des ar- chives, surtout des pieces qui se rapportaient a la forme du gouvernc- ment, aux attributions des differens pouvoirs,aux privileges des corpo- rations et des communes. Charles-Quint ne permit a I'liistorien Jac- ques Meyer Fimpression de ses Annates de Flandre , qu'a la condi- tion qu'il en retrancherait Ics chartes et diplomes qu'il y avait inse'res'. On seml^lait redouter la connaissance des monumens politiques a I'e'- gard de cclle du tcxte sacrc des c'criturcs, commc s'il avait etc de Tin te'ret des pouvoirs temporel et spirituel, qu'on ne sut ni ce qu'on dc- vait fairc ni ce qu'il etait bon de croire : cspece de pusilknimite et de calcul que Walter-Scott a peinte, sous le point de vue religieux, dans son Moiiastere. En i6g5, quand , a la suite du Ijombardement de Bruxelles, les bourgeois retrouverent , sous les deTjris d'une tour e'croule'e, leurs anciennes cliartes et les firent imprimer dans un re- cueil intitule' Liijster van Brabant ( le Lustre du Brabant), I'editeur et le notaire, qui avait authentique les copies, furent se'verement pour- suivis. Enfin, pour ne plus citer qu'un exemple, lorsqu'en 1783 , I'A- cade'mie proposa de remonter a I'origine des etats dc Brabant, quelques memljies s'opposerent a ce que les concurrens pussent consiilter les do- cumens originaux , et se vantaient meme d'empecher la publication de leurs me'moires. Malgre les travaux des Mirceus, des Van Micris, des Schwartzenbcrg , des Van Hasselt , des Hoynck van Papendrecht , des Dumbar, des Matthoeus, des Saint-Genois, etc., les arcliives presentent encore una mine infiniment riche, ct qu'on n'e'puiscra pas de sitot. M. Dcjonge , substitut arcliiviste du royaumc des Pays-Bas, a raontre' I'utilite qu'on en pent tircr en publiant scs Onuitgegevene stukken, ou Documens inedits; M. Nyhoff a commence' pour la Gueldre une col- lection cxtrcmement intc'ressante; M. J.-F. Willems a cnriclii scs Men- geli/igen , ou Melanges de plusieurs raorceaux tres-curieux ; et nous- memes , s'il nous est pcrmis de nous nommcr, nous avons emprunte aux memcs soiu'ccs les materiaux de notre Histoire de Vordre de la Toison-d'or, ainsi que de plusieurs pieces qui font partie de nos Ar- chives historiques. M. Gacliard, qui avait dcja si bicn me'ritc des i BELGIQUE. 1 59 amis de I'histoirc nationale , par !a redaction de ses AnalecteSj vient (le leiir rcndre un nouvcaii service en leur offrant sa Wotice , dcstineV surtout a combattre rcrreur de quelques rcpue'sentans, qui n'appre'ciaient pas rimpoitance dii depot confic a ses soins, et ne comprenaicnt pas 1' usage qu'on en pcut faire , car il n'est mallieureusement que trop vrai qu'une fraction puissante des cliambres beiges se niontre pen favorable aux travaux del'esprit , a la culture dc rintelligencc , oubliant que toute revolution qui ne tournepasau profit du perfectionnement moral et ma- teriel de riiomme n'est qu'un mouvement desordonne', et non pas un progres. Mais la refutation de M. Gachard ne sera pas perdue ; il a fait comme ce philosophe a qui Ton niait le mouvement , il a marclie. On peut joindre a la brochure I'ouvrage flamand de M. Lambin sur les archives de la ville d'Ypres. Le sixieme volume des nouvcaus Mc'- moires de TAcademie contient une notice abre'ge'e sur celles de Lou- vain. 3o. — Dictionnaire ^eographique de la province de Liege , pre- cede' d'un fragment du Memorial de V etahlissement geographique de Bruxelles , fonde' par Pn. Van der Maelen. Bruxelles, iSSa; a I'e'- tablissement geographique. In-S". Get etablissemcnt, qui n'a point de pair en Europe , occupait_, avant le mois d'aout i83o, plus de :i5o personnes , toutes consacre'es a des travaux qui se rapportaient d'une maniere plus ou moins intime a la geographic. Le monde savant connait deja M. Van der Maelen par son Atlas universel II fait executer en ce moment celui de 1' Europe sur une e'chelle de ^^^q',^^^ , projection modifie'e de Flamsteed. Voue' a la geographic experimentale , le premier il a provoque' sur tous les points du globe les renseignemens qu'il est donne' a chaqire indigene de four- nir d'apres la spe'cialite' de sa condition sociale. II pense avec raison qu'a I'e'poque oil nous vivons, tous les peuples e'tant lie's de'sormais par des inte'rets cominuns , ils devraient s'assurer les moyens de faire que rien d'important n'arrivat chez aucun d'eux qui ne fiit connu de tous les autres. Sa correspondance est immense et embrasse la plus grandc varie'te d'objets. Le Dictionnaire geographique de la province de Liege n'est que le premier volume d'une collection dc dictionnaires particuliers a cha- que province de la Belgique. Apres un coup d'oeil gcne'ral sur la ge'olo- l6o LIVBES ETRANGERS. gie , la mineralogie , les elevations du sol , I'industrie manufacturicre et agricole, viant la nomenclature de'taille'e des lieux. Cliacun est con- sidc'rc sous le rapport hydrograpliiquc , du sol , de I'agriculture , de la population , du commerce ct de I'industrie , de la nature des habita- tions, des ponts et chemins, etc. Un appendice contient un Me'moire sur les cavcrnes a ossemens fossiles de'couvertes jusqu'a ce jour dans la province de Liege, par M. Schmerling, docteur en me'decine; un tableau des fossiles rapporte's aux terrains ausquels ils sont propres , par M. Davkeux; un catalogue des oiseaux des environs de Liege , par M. E. DE Selys-Longchamps; les animaux vertefbre's, les moUusques, les annelides , les crustace's, par M. A. Carlier; les insectcs, par MM. Ch. Robert et de Selys-Longchamps ; le tableau des routes et rivieres, et le budget general des revenus et moyens dresse le 2i juil- let i83o, un mois avant la revolution. Des supple'mens multiplieront ces renseignemens si divers et si riches. On sent que dans cette masse de faits quelques erreurs ont du se glisser , quelques negligences passer inaperfues; mais ces taches sont le'geres, et Ton pent s'en fier a M. Meisser, a qui M. Vander Maelen a confie la redaction de ses re- cueils et la vaste correspondance de son e'tablissement. De Reiffenberg. LITRES FRANGAIS. 3i. — Cours d'liistoire de la Philosophie ancienne. — Ecole d'Alexandrie. — Discours d'ouverture prononce le 23 de'cembre i83 1 , par M. H. Pobet, professeur supple'ant. Paris, iSSaj Papinot. In-S" de 38 pages ; prix , i fr. La partie de la philosophie ancienne sur laquelle le supple'ant do M. Cousin s'est propose de porter la lumiere n'est pas certaincment celle qui doit nous offrir le raoindre inte'ret. Aujourd'hui le de'veloppement des ide'es philosophiques des tems modernes nous a appris a appre'cier et a desirer de comprcndre toutes les parties de ce passe qui e'tend sur nous son ombre et a chercher dans I'histoire des races e'teinte? qui nous ont meme le moins ressemblc le germe et la raison de notre propre his- toire. Or, s'il est vrai que Thumanite, dans le cours de ses evolutions , doive passer , a certains intervalles , par des situations tres-analogues au moins sous le rapport moral , et si la ressemblance deja souvent re- marque'e entre I'e'poque oil nous vivons et celle des philosophies grecques est aussi reelle et frappante qu'on I'a dit , a coup sur nous trouverons de I'attrait a parcourir le tableau de cette pe'riode historique importante. La sympathie qui s'eveille naturellement a I'e'gard des "hommes qui jadis eprouvaient dessentimens semblables a ceus qui sont •presentement daps nos coeurs a du etre le plus vif mobile deshistoriens, bien ante'rieurement a la philosophie de I'histoire. Nous, nous an- ions a y joindre une curiosite plus re'fle'chie et plus inte'resse'e , se por- tant aux rapprochemens non comme a un plaisir , mais comme a une e'tude se'rieuse propre a satisfaire un besoin d'expe'rience pratique. De toutes les e'coles de la philosophie grecquc , celle d'Alexandrie est la moins connue. Platon , Aristote et leurs devanciers ou successeurs immediats, ont attire' sur eux toute Tattention.Une assez grande obscii- TOME Mil. JANVIER 1832. 1 1 lG2 LIVRES FRAN^AIS. ritc'ct nomhrc tic prcjuge's out etc le lot des philosopbes alexandrins. K( ccpendant,lors racme que cettc grande e'colcn'cut pas produit une quan- tite aussi considerable de gc'nies pliilosophiqiies,de livres, de sysleincs, de sectes qui Ini donnerent une si profonde action sur les tendances gc- nc'ralcs et surtout sur la vie prive'e des homines de ce tems , sa pre- sence assiduc, a I'un de ces raomens solennels ou sc balance ct se decide pour -une se'ric de sicclcs le sort des socie'te's , suffisait bien pour y faire chcrclier I'indice et le mot des^pe'ripe'tics multiplic'es ct con- fuses au milieu desquelles a ete franclii cc passage critique. Alors pc'- rissaient beaucoup de grandes clioses qui diiraient depuis Jjien du terns : alors aussi commenfaient a poindrc beaucoup de grandes clioses qui devaicnt avoir aussi une longue durc'e. Dans cet espace de trois siecles, e'taient venues se rcncontrer a !a fois des origines les plus diverses tons les fails et toutes les destine'es les plus opposees. Dans le monde des fails poliliques, il y avail les guerres civiles et les guerres des barbares; a rinte'riour, les lyrans pullulaient; a I'exte'ricur , aux limites du Cau- casc et de la Sarmatie , se pressaient des populations qui devaient de- border biyitot jusqu'aux colon ncs d'HercuIe. Dans le monde des idecs il y avait la mythologie grecque et les religions orienlales , les mille doctrines des pliilosophes et le cliristianisme des apotres. Couime alors I'cxistence liumaine dcvait elre melee , rapide, livree au vertige, briileo de ficvre , agitee par tons les paroxismcs imaginables ! M. Porct , dans son dessein de nous faire connaitre comple'temcnt cette phase philosophique , a debute par la placer au milieu de lous ses rapports au sein de I'histoire gc'ne'rale, afin d'expliquer plus lard, par la biographic des pliilosophes , I'influence du siecle sur leurs travaux et de leurs travaux sur le siecle. « L'ecole d'Alexandrie , dit-il , est fille de I'e'poque qui I'a vue" » nailre ; celte epoque, toute pleine d'origines et de revolutions, est par )» consequent fe'conde en questions obscures. Cependant, plus on I'e'tudic, » plus ou est frappe' d'un caraclere eminent qui la marque tout entiere : » ce caraclere, c'est le mysticisme. La philosophic de'signe de ce nom » en gene'ral iin e'tal des ames oil , fatigue'es et de'trompe'es de tout cc » qu'elles onl e'prouve, elles le prennent en mepris et s'adressent a quelque » chose d'inconnu dont dies soupconncnt I'exislence, pour en obtenir » ui)e satisfaction qui re'ponde a leurs besoins infinis. Au tems dont nous LIVRES FRAN^^IS. l63 « parlons , le mysticisme se manifestak principalement par un retoiir » des esprits vers FOrient , venerable ct antique pcttrie des religions. La » Grece , qui dans I'histoire du monde ouvrc I'c'poque occidentale , la » Grece , dans sa Here jeunesse , avail d'abord repudie I'Orient. Art, » gouvernement , religion , philosophic , elle avail de'pouillc toutes ces » choses des graves allributs donl I'Asie les environnait. Elle s'etait » joue'e des vicilles croyances; el, sans conserver un point fixe, elle s'e- » tail livre'e aux. chances varices dc la reflexion. L'analyse lui avail offert 5) successivemenl divers fantomes , el puis les avail fait e'vanouirj enfin » elle s'etait attaque'c etdc'lruite clle-meme. Maintenantrhumanite e'tait » e'puiseej dans sa de'lresse, elle invoquait ce que jadis elle avail insulte, « et tournail des regards pleins de regrets vers le berceau ou avail re- » pose sonenfance.-Or_, c'est pre'cise'ment le mysticisme, I'espritorientaJ, » qui constilue roriginalite philosophique de I'e'cole d'Alexandrie : c'est « done par ce cote surtout qu'eilc est en rapport avec les fails contem- » porains. » En effet , an milieu des de'sastrcs qui affligeaient le monde romain , de la degradation profonde des hommes et dc Tordre politique dont la chute se precipitait a travers tant dc hontes, lefait general le plus saillant est I'introduction de I'esprit el des institutions orientales dans I'empire. Dejniis la ruine de la rc'publique , Ic pouvoir par une succession de metamorphoses e'tait devenu absolu , et comme pour se rapprocher de i'origine de sa forme nouvelle, etait passe de Rome sur le Bosphore. Mais danscette importation orienlale avaient e'te comprises les ide'es religieuses aussi bien que les principes de constitution politique. L'arl de ce tems, a partir des successeurs d' Alexandre, en fournit pour temoignage son amour des mylhes et des symboles, ct la naive simpiicite'aveclaquelle il prendpour poe'sielesarcha'ismes mythologiques, pour genie la science des mysteres anciens et I'imilation des sculptures e'gyptiennes et asiatiques. Le memcfail se reli;ouve aussi marque el peut-etre plus vivant encore dans Telat de la morale et des habitudes individuelles. « Les illusions « du polytheisme qui avaient enchante la Grece s'e'taient e'vanouies. Un ' » petit nombred' esprits fermes, de'daignant de se plaindre et souffrant en )i silence, n' avaient plus qu'une moqucrie amere , un sourire sardonique » pour les vaines ceremonies du culte de'chu. Mais les autres hommes , » c'est-a-dire a peu prestout le genre humain, ge'missaicnt tout haul ct nc l64 LIVRES FRANCOIS » pouvaiciit se re'sigger. On en voyait , nous dit Plutarque, scjcler nus » siir les places puMiques, se roulcr dans la fange avec de'scspoir, s'ac- » ciisant tout liaut dc leurs fautcs , ct criant qu'ils etaient maudits des » dieux. Cependant ils ne se lassaient pas de chcrcher le secret qui dcvait » Ics consoler; ils le demandaicnta tous les cu]tcs,meme au vieil Olympe » national , le plus connu de tous et le pins dc'cric'. La partie secrete de » I'ancienne religion fut reclierclie'e avec soin et remise en honneurj » I'Orient smtoutjl'Orient avec ses cultes mysterieux,e'taitrobjet d'une » curiosite universelle. Dcs le terns de la re'publique, il avaitfallu que la » loi frappat Ics impures dionysiaques ; et deux fois le culte sombre dc » Se'rapis avaite'tc banni de Rome. Cepen.dant tel e'tait chez les peuples » le besoin dc I'inconnu , I'entrainement vers des croyances nouvcUes , » qu'il faisait braver les lois les plus se'veres.Clialdeens,pretres d'Isis,' » de la de'esse syrienne , de INIitlira , astrologues et devins de toute es- » pece , se re'pandaicnt par bandcs dans les provinces , promenant leurs » idoles, qu'accucillait partout un avide enthousiasme. lis prescrivaient » des pratiques bizarres , distribuaient des talismans , des pre'seiTatifs. » Les consciences trouble'es c'puisaient tous les moyens cxtericurs pour » se mcttre en paix avec clles-memes ; elies ne s'effrayaient d'aucune » e'preuve, et illeur fallul le liideux taurobole , on le suppliant e'tait » inonde' du sang de la victime. Tous ccs remedes etaient impuissans , » et rien ne fermait I'abime qui s'e'tait ouvcrt dans les ames.» Ainsi I'Orient faisait invasion de toulcs parts. Mais son ceuvre se bornait a remplacer rincredulite par la superstition, etadonner un plus large cours aux impurete's et aux orgies de toute cette humanite sans loi, empereurs, nobles et plebe confondus. II revetit seulementun carac- tere different danslc christianisme, qui venait de naitrede I'application du genie metliodique dcs Grecs a une sorte d'e'piiration des tlie'osopliies de I'Asie. Mais cette mcrac combinaison de deux csprits diffc'rens dans ses varie'te's enfanta une foule de sectes puissantes , les gnostiques , les raa- nicbeens , etc; , qui absorberent les anciennes sectes philosophiques de- sormais e'puise'es et sterilcs , ou bicn perdues dans une. pratique toute sensuelle comme re'picureismc, ou, comme le stoicisme, dans re'goisme impuissant d'une morale solitaire. — Le scepticismc seul avail surve'cu , et snr les debris de toutes les doctrines pre'tendait e'tablir Tindiffe'rence. Mais tel ne devait pas etrc son re'sultat dernier. II pouvait de'gouter dc LIVRES FRANQAIS. l65 la recherche d'une doctrine par les voies rationnelles , mais non jias cteindre la soif universellc de croyances. II ne mil fin au travail re'fle'chi ties philosophes que pour y subs'tituer les contemplations et la the'iirgie. Le scepticisme eut pour consequence logique le mysticisrae, qui coucor- dait parfaitcment avec ce retour general a la religion qui enfantait chez la plupart des honimes ce melange singulier de devotion paienne et de vague philosophic dont les e'crits de Plutarque nous offrent une assez fidele image. « Alors la ville d'Alexandrie , sur laquelle planait le ge'nie cosmo- » polite d' Alexandre , repre'sentait comme en abre'ge' tout I'ancien » monde. Place'e aux confins de I'Asie et de I'Afrique , elle touchait a » I'lnde par la mer Rouge, a I'Europe par la Mediterrane'e. La s'ctaient » donne' rendez-vous tons les peuples, toutesles doctrines, toutes les re- » ligions. La munificence des Ptole'me'es y avail amasse' a grands frais les » productions de la pense'e humaiiie , et de riches fondations y avaient » attire la science de toutes parts. Point de secte qui n'y fut representee » etqui n'y eut son cnseignement : toutes les philosophies et tous les cultes » de la Grece, toutes les doctrines c'gyptiennes , juivcs , persanes , le » christianisme enfin, avec toutes les varie'te's de la gnose, se de'ployaient » sur ce theatre et s'y disputaient I'cmpire des esprits : c'e'tait une colo- » nie du genre humain. S'il est vrai que I'avenir sorte du passe' et qu'il » en refoive son caractere, cette longue cohabitation de toutes les sectes » devait aboutir a une combinaison nouvelle ct avoir pour fruit un e'clec- » tisme. Tel fut en effet le caractere de la philosophic qu' Alexandria vit » naitre deux siccles apres I'ere chre'tienne. » L'e'le'ment fondamental de son dogmatisme , c'est le mysticisme.Mais dans ce cadre viennent se placer a differens titrcs I'idealisme grec et no- tamment les doctrines de Platon et de Pythagore , les fables du poly- the'isme , les croyances symboliqucs de I'Asie et surtout de I'Egypte. « Excepte' le christianisme , qu'ils ti'aitent comrae une nouveaute' sacri- » lege, les Alexandrins aspirent a ne laisser en dehors de leur symbole » aucune jdes religions de la tcrre. Proclus veut etre rhie'rophanle du » monde entier.»Mais aucune doctrine n'est admise qu'a la condition de se subordonner au mysticismc. « Tout le systeme alcxandrin s'ordonne autour d'une ihe'ologie qui en » est le cenire et la source. Dieu, el dans Dicu I'unite' absoluc, I'intelli- I 66 LIVRES FRAN^ATS. » gence et la cause, ou I'ame du monde, pour emprunter le langage dcs » Alexandrins, tel est le point de depart. Cliacun de ccs altributs de I'es- » sencc divine acquiert souvent dans lo*irs expressions, sinon dans leur 1) pcnse'e , une existence substantielle , ct devient une enlite 'distinctc ; 1) reunis, ils composent ce qu'on nomine la trinite alexandrine. Logi- » quement , et dans I'ordrc naturel , le troisieme presuppose le second , M le second pre'suppose le premier. Sans I'intclligence, la cause n'est plus » qu'une force aveugle , mots contradictoires, chose qui ne pcut exister. 1) Sans J'attrihut qui constitue I'etre, sans I'unite, I'intelligence et la cause » manquent de base, se dissipent et s'c'vanouissent. Cette ante'riorite' lo.- 1) gique, ils la convertissent en supe'riorite'. L'unite' absolue, voila le 1) caractere eminent du Dieu d'Alexandrie. Mais quoi I deja rintelligencq » de'rogc a cet attribut supreme; elle implique au moins la dualite du » sujet et de I'objct. La cause s'en e'loigne encore davantage; car eile tend » sans cesse a s'e'panouir au dehors dans la varie'te infinie de ses cffets. » La cause, I'intelligence, n'ont done de valeur re'elle que par leur rap- » port a l'unite' absolue. Conside'rccs sous un aspect oppose', elles s'a- » baissent ct se dc'gradent. Si I'intelligence et la cause sont ainsi traite'es„ » les phe'nomenes qui composent.le monde visil^le sont juge's plus se'vere- » ment encore : la cre'ation est de'clare'e une chute. » De celte ihe'ologie , les Alexandrins de'duisent un moyen de connais- sance qui consistc a placer I'ame dans une situation toute passive d'in- spiration d'oii soit exclu tout usage actif de la pensc'e, etqu'ils appelleut tantot unification, tantot contemplation imme'diate, quelqueibis extase. Par suite encore ils font re'sider la perfection de la vcrtu dans la con- tinuite de cette elevation de I'ame vers le Dieu-unite'. Toute cette philosophic convenait fort a cette e'poque oil dominaient I'amour du mcrvcilleux et la soif des miracles. « Mais Fc'cole d'A- » lexandrie appartenait tout cutiere a I'antiquite' , ct ne devait pas lui » survivre. Elle dura environ trois siecles et demij mais le terns, en » accumulant les mines autour d'elle , augmcntait chaque jour la tris- » tesse deses souvenirs etde ses presscntimcns. Elle s'avancait vers Ta- » venir sans espe'rance , entre le christianisme et les barbares, revant' » un passe' condamne sans retour. Lorsque I'inutile e'prcuve tente'e par » JulienTeut convaincuc de sa faiblcssc, elle chcrcha son refuge dans Ic » mysterc et robscurite ; des lors , s'abaissant de plus en plus au ranj LIVRES FRANQAIS. 167 » d'line affiliation secrete, elle n'eut plus qu'iine existence inqiiiete, me- »nacee, entoure'e de perils et d'alarmes. Elle avail pris en main la cause » de riielle'nisme, ou plutot cllc en avait fait la sienne; mais, peu a peu » abandonnee par les peuplcs^ re'duite a une opposition solitaire, elle se » retire lenteinentde la scene du monde,oiv elle forme corame I'arriere- » garde de I'antiquite'. » Tel est en raccourci I'ensemble de ce travail remarquable par la sa- gesse des appi-e'ciations liistoriques. Sans doute il nous resterait a de- mander plus de conclusions ct de vues ge'ne'rales propres a e'tablir un lien entre ce tems et les tems anterieurs ou poste'rieurs. Mais cela eut exige' toute une doctrine sur la philosophic et la loi de I'histoire. Comme e'tude isole'e d'une periode particuliere , ce cours est digne de beaucoup d'eloges. L. L. Gadebled. 32. — ta j5^&Ze, traduction nouvelle, avec I'he'breu en regard, ac- compagnee des points-voyelles et des accents toniques , ainsi que des notes explicatives du texte oii Ton trouvera les variantes des Septante; par S. Cahen, rabbin. Paris, i83i-i83a; I'auteur , a I'e'cole consis- toriale Israelite, rue de Paradis, au Marais, n° Z; Dondey-Dupre , Levrault, Treuttel et Wurtz. L'ouvrage se composera de 25 vol. in-H" ; le prix de la souscription est de 4 fr* le vol. , et de 6 fr. papier, ve'lin. Le second volume de la nolivelle traduction des livres helireux par M. CaheA vient de paraitre. Le premier volume, qui renfermait la Ge-. nese , avait paru dans le courant de I'hiver dernier; celui-ci contient>^ I'Exode et ne tardera pas a etre suivi du Levitique. Le travail de M. Cahen a c'te I'objet de nombreuses critiques , et c'e'tait un rc'sultat que son importance ne p-ouvait manquer d'attirer; la Bible a e'te si long-tems un. champ d'cxploitation infe'ode , pour ainsi dire, sans partage au miysticisme religieux qui y trouvait un ine'puisable aliment, que I'entreprisc toute philosophique de M. Calien ne pouvait manquer d'e'veiller I'ombrageuse susceptibilite' des pretres juifs , protes-. tans ou catholiques. A une epoque oil tons les regards se portent vers la grande Asie, un inte'ret d'une nature toute nouvelle devait s'attacher aux livres sacre's de cetle nation oricnlale dont I'hisloire est grande comme un grand poeme, et (jui , crranlc a travcrs Fanticpiile comme \\\\ voyageur, poitait en soi^ l68 LIVRES FRANgAIS. sein les souvenirs du desert ct de ia terrc de captivild , les enseigucmens des temples de I'Egypte et dcs temples de Babylone , le magnifique re'cit de raffrancliissement , les chants de I'Arabe , et les contes mer- veilleux des vallc'es de TBuplirate. Nous ne sommes plus au terns oii I'esprit de Voltaire c'puisait ses sarcasmes et scs saillies contre ces hom- raes qui se permettaient d'avoir des conceptions si diffe'rentes des siennes, et d'admirer des poe'sies si p'eu conformes aux doctrines du dix-huitiemc siecle et a I'e'tiquetteacade'mique. Sous le rapport de la philosophic , corame sous le rapport de I'art , on ne saurait trop s'applaudir de I'entreprise de M. Cahen , qui per- mettra enfin aux pcrsonnes qui ne sont point verse'es dans la connais- sance de I'hebreu de pouvoir communiquer en toute confiance avec ces hommes des anciens ages sans avoir a redouter rinfide'lite d'un inter- prete souyent porte'a de'naturer le sens de leurs discours. Un travail de notes fort curicux , dirige dans un esprit d'investigation tout rationnel , accompagne le texte et e'claircit tout ce que sa scrupuleuse fide'lite' pour- rait laisser dans I'ombre. Espe'rons que celte grande entreprise , si fort en harmonic avec le raouvement actuel des ide'es , verra I'appui qu'elle a trouve dans I'opinion publique s'accroitre encore, et une approba- tion sans cesse nouvelle suivre chacun de ses pas dans la vaste carriere qu'elle doit parcourir. Bien que nous ne soyons plus aux jours des Septante, ime traduction de cesHvreS,*dont I'influence sociale est si profonde et dont chaque parqle a eu pour ainsi dire une puissance de creation sur les pcuples qui, nous ont prece'de's , est une oeuvre d'une haute portc'e, et qui doit avoir sa part parrai les travaux destines a re- ge'ne'rer les socie'te's modernes ; nous ne demeurerons point iudiffe'rens a ses progres, et nous nous ferons un devoir d'accompagner son de'veloppc- ruent de nos scrupuleux encouragcmens. Nous reviendrons incessamment sur le de'tail des deux volumes qui ont dcja parir; mais , en attendant , nous croyons ctre utiles a nos lectcurs en leur signalant un excellent ar- ticle de M. S. MuNK. sur quclques critiques qui avaient e'te faites de la . traduction de la Genese, et qui se trouve en tete de ce volume. J. R. 33. — Lecons sur I'art d'associer'les individus et les masses, hommes , femmes, enfans , en travaux d' Industrie , sciences et beaux- arts. — Exposition dii sjsteme social de Charles Fourier , de Besan- con, par Jules Llchevai.ier, avec ccttc epigraphe « Le dernier des LIVRES FRAN^AIS. 1 69 crimes qu'on pardonne est celui d'annoncer des ve'rite's nouvelles. » Paris, 1 832; Paulin, place de la Bourse. Le cours entier se compo- sera de 1 3 lecons ; .il parait une livraison par semaine , a compter du dimancte 27 fe'vrier; trois livraisons sont deja publie'es. Le prix des 1 2 lefons est de 10 fr. , et 12 fr. par la poste. La procliaine livraison de la Revue renferraera une exposition de la the'orie sociale de M. Fourier ; voila pourquoi nous nous boruons au- jourd'Lui aannoncer les lemons deM. J. Lechevalier. Nous reiiverrons e'galeraent a un de nos procliains caliiers I'ouvrage qui vient dc paraitre sous le titre de : 34. — Les Nouvelles Transactions sociales , religieuses et scientifi- ques ^eViRTOMNius; avec cette e'pigraplie : Un pcuple nouvcau va paraitre ; Sa race couvrira la terrc en un moment , Et de Fcmpire pret a naitre La justice sera I'eterncl fondement. Tome L Paris, i832 ; Bossange, rue de Richelieu, n" 60. In-8"j prix,^ ■1 francs. Get ouvrage a pour auteiir un disciple de M. Ch. Fourier. 35. — Delaproprie'te : Est-elle legitime? a quoieijusquou s^etend- elle? — Examendequestionsfondamcntales qu'on n'a pas encore re'solues; par Georges Demangeat , de Nantes, auteur des Principes de la fno- rale universelle. Nantes, iSSs; imprimerie de Mellinet. In-S" de 37 pages. Au moment oil la voix de quelques hommes s'eleve et proclame que la revolution de juillet, cri de colere et d'cspe'ranced'unesociete'ulce're'e, ne peut avoir de sens que comrae signal d'unc reforme sociale , tandis que d'autres au contraire ne vcidcnt y voir qu'une revolution politique, c'cst-a-dirc, selon qu'ils rcntcndent , un simple changement a leur profit , dans le personnel et la livrc'e dos divers pouvoirs de I'e'tat; la question la plus grave et la plus inte'ressante que Ton puisse agiter est certainement celle dc la proprie'te'. Aussi,.en dc'pit des clameurs des sots qui voient ou des inte'resse's qui fcigncnt dc voir dans toute tentative d'amelioration a cet c'gard la re'surrection de la loi agraire, ceux-la me'ritcnt bien dc la socie'te', qui en sentent vivcmcnt la ne'cessite et font Icurs efforts poiu- y satisfaire. C'cst pourquoi nous nous plaisons a ap- 170 LIVRES FRANgAIS. plaudir aux bons sentimens qui ont inspil-e cette brochure a M. Dc-i mangcat; niais tout en faisant la part d'elogcs que mc'ritent ses gcne- reiises intentions, commc unc llie'orie incdmiilete ct sans valeur pratique pent devcnir dangcrcuse entre les mains des adversaires de la rc'forme ([u'cUc propose , il est de notre devoir de de'clarer que I'auteur ne nous semble pas avoir atteint son but, En effet , justement frappe du de'faut do veritable seicnce apporte par la pluparf des e'conomistcs , dcs publi- cistes , dcs Ic'gistes dans I'examen de cette question , il croit I'avoir enfin ic'soluc scicntiliqucment. Mais , comme il le dit tres-bien lui-meme : « Dans toutes Ics sciences qui sont du domaine de I'esprit huniain , il est un fait primordial, sans lequel la science est incomplete : ce fait , c'est le besoin de I'homme. » L'homme, remarquons bien cette expres- sion , non pas d'un liomme , d'un peuple , d'une e'poque , mais de I'homme, c'est-a-dire de I'liumanite; ainsi toute question presuppose ne'cessairement celle-ci, quel est le besoin, la ne'cessite de rbumanite? En effet c'est I'ordre general qui toujours exprime la loi re'gulatrice de tons les faits, de tous les droits particuliers : maintenant I'auteur a-t-il bien mesure toute la hauteur de ce principe,et s'est-il place ausommct? nullement. Mais I'espace reserve a cette annonce ne nous permettant pas d'enlrcr dans les devcloppemens ne'cessaires, etnous proposant d'ailleurs de trailer dans cette Revue , la question meme de la proprictc d'une niarriere plus appi'ofondic , nous nous contenterons ici de rcproduire I'analysc que I'auteur donne lui-meme dans sa preface. » L'homme a desbesoins, et est soumis a des nc'cessite's. Sous le titrc » de notions pre'iiminaircs, je donne une idee des deux nc'cessite's et des « deux espcccs de besoins dout je de'cris succinctement le mode de satis- » faction. » Dans la premiere partie, je donne unc histoire complete de la satis- » faction des besoins et dcs nc'cessite's. Tous les fails de cette satisfaction » s'y ti"cnvcnt exposes, tcls que le travail , la possession, I'occupation, le )) dessaisissemcnt, la consommation. Dans cette premiere partie il ne » s'a^l que des fails et pas encore de droit. Celui-ci est I'objet de la >) dcuxieme partie. La conclusion de tout I'ouvrage , c'est d'abord que » les objets exte'rieurs, qui servent a satisfaire la ne'cessite' du support, sont » diife'rensde ceuxqui servent a satisfaire les besoins; les premiers sont » meubles , c'est-a-dire transporlablcs d'un lieu a un aulie et consom LIYRES FRAN^AIS. I7I » mablcSj ct les seconds, aucontraire, iinraeubles ct non consommahles. » C'csten second lieu que la nature fournit le support a I'liomme gratuitc- » ment , c'cst-a-dire sans travail , tandis que les besoins ne sont satis- )) fails qu'a I'aide du travail. Lc travail ne s'applique done qu'aux. mcubles » et jamais aux immeubles. » Or, nous faisonsvoir dans l;i seconde partie qu'il n'y a jamais droit » que dans le cas de la possession actuelle et du travail ,parce que c'cst » sculement dans ces deux cas qu'il pent y avoir tort : il s'ensuit done » qu'il n'y aura de droit sur I'imraeuble que lorsqu'il sera posse'dc', » c'cst-a-dire lorsqu'il supportera actuellement; tandis qu'il y aura droit » sur lc raeuble, et lorsqu'il servira actuellement , et lorsqu'il aura c'lc Iravaille , quoiquc ne servant pas actuellement. ,, B — e. 36. — Lettres e'crites de Paris pendant les annees i83o et i83 1 , parM. L. Boerne; traduitcs par F. Guiran, etTprecedeesi'unelVotice sur I'auteur et sesecrits. Paris, i83iJ; Paulin, place de la Bourse; In-8" de XLiii et 196 p. ; prix , 3 fr. Nous avons parle' dans ce cahier memc (voyez ci-dessus page i44-) dcs lettres allemandes de Bocrne. Get ouvrage me'ritait certainement les lionneurs d'une traduction, et M. Guiran a bien fait de I'entrc- prcndre : il a bien fait aussi de suppriraer quelqucs longueurs; mais ces coupures trop multiplie'es ont enlevc au recueil un certain caractere de negligence diffuse qui n'est pas sans agre'ment dans une corrcspondance familicre. L'auteur de'crit en se promenant tout ce qui lui donne maticre a reflexion J theatres , litte'raturC;, usages parisiens, etc. Le traducteur ne lui laisse guere que ce qui a trait a la politique. D'un observateur spirituel il veut faire uu publiciste : c'est a la fois augmenter ses pre- tentions ct diminuerson merite. Ajoutons encore que plusieurs passages que leur nature appelait a figurer dans une traduction ainsi confue s'y trouvent cependant neglige's ; ceiix que nous avons cites sont du nomljre, et nc sont pas les moins piquans. Telle qu'cUe est toutefois , la traduc- tion dcs lettres de M. Boerne se fera lire avec inte'ret. 37. — Histoire de la Demonologie et de la Sorcellerie , par sir ff^alter Scott, de'die'e a J.-G. Lockart, esq.; traduite en francais par A.-J.-B. Defauconpeet. Paris, i83.i; Gosselin, rue Saint-Gcrmain- dcs-Prc's , n" 9. Deux vol, in-i'i; prix , 5. fr. De quels attributs dc uolrc nature, soil inlellcclucis, soit corporels. 173 LIVllES FRANgAlS. derive cette disposition a croire aux e'vencmcns surnaturels ? Dans quels c'vcnciuciis ct dans qiicllcs circonslanccs ccs fictions prcnnent-ellcs Icui" oiiginc? a quelle epoqiie rcmonlc la naissancc de la sorccllcrie, ct de quellcs sources dccoulent les ide'cs superstitieuses sur Ics demons , les lees , les nains ? vers quels terns les poursuiles en sorcollcrie commen- cent-ellcs, et quelle est principalcment I'histoire de ces poursuitcs en An- gletciTc etcnEcosse? Tellessont les quCMions traite'es par Walter Scott dans I'ouvrage dont nous annonjons la traduction a nos lecteurs. Indc- pcndammcnt de rinte'ret du sujet en lui-meme , Vllistoire de la de- monologie et de la sorcellerie sc rccominande par un grand nonibrc' de details et de faits curieux qui en rendent la lecture amusante a la Ibis et instructive. Nouj^trcvicndrons sur cct ouvrage. *** 38. — Histoire du Ilaindut, par Jacques de Guyse, traduite en franfais avec Ic texte latin en regard ct acconlpagnce de notes (publie'e par M. dkFortia). Tome XII. Paris, i83i ; Paulin.ln-8"; prix du vol., i) fr. ( Voy. Rev. Enc. t. xliv, p. 4O1. ) M. de Fortia est un savant t^e la vieille roche, raoins les prcjuge's fl'autrefois. Sa coirrageuse entrcprisc approclie dc son tcrme. Parmi les .Klditions importantes qu'il a faites a son texte est un glossaire de mots cellitpu's ou gaulois , avec unc biijliograjiliic ctenduc et raisonnce de tons les autcuis , ou du moins dc la piupart , qui out e'crit sur les ori- gincs du langage. M. dc Fortia consacre son terns ct sa fortune a dc semblables travaux. II tcrniine en ce moment son liistoire du Portugal, etia troisieme partic de W4rt de verifier les dates. La France manquait jusqu'aujourd'lmi d'une traduction dc Pliotius, il I'a fait commcncer sous ses yeux. II a lu, il n'y a pas long-tcms, a I'institut, un Me'raoire destine ^ prouver I'existence d'Homerc ct 1 'authenticite' de ses ouvra- gesj cc me'inoirc sera insere dans un dcs volumes dc la chronique de Jacques dc Guyse . 3(). — Recherches sur Louis de Bruges, seigneur de la Grti- tluryse ; suivivs de la notice des manuscrits qui lui ont appartenu, ct dont la plus giande partic se conserve a la bibliotliequc du roi ( par M. Van Prakt). Paris, i83i ; Debure. Grand in-S", dc 3(r.>.p., avec 5 planches. Depuis plus dc trcntc ans il est peu de travaux dc veritable erudi- tion auxquels nc s'associc Ic nom de M. "Van Praet. GoUaborateur desin- te'ressc de tous les savans qui le consultcnt, il abandonnc , pour ainsi LIVRES FRANCAIS. lyS dire, au pillage les tresors dc sa me'moire toujours pre'pare'e. Tandis que d'autres faisaient de I'e'tude des lettres un moyen d'intrigue, un auxi- liaire de rambition et de la cupidite, il s'est retrouve. quels que fussent les eVe'nemens , au milieu de ses livres clie'ris et de la foule des lecteurs dont il est assailli a chaque instant. Voue dc cceur et d'ame a des fonc- tions pe'nibles , -^1 n'a pu faire pour sa renommee tout ce que ses con- naissances varices et profondes lui permettaient d'entreprendre. Ce- pendant la partie des manuscrits du catalogue du due de la ^ alliere , plusiems notices dans Y Esprit des journaux , son catalogue en dix vo- lumes des ouvrages imprimc's sur pe'au de vebn , sa notice sur Colard- Mansion , et les recherclies dont on vient de lii-e le titre , ont plus que justiiie' le choix fait par 1' Academic des inscriptions et belles-lettres. Quoi qu'on en disc , I'e'rudition re'elle , re'rudition laborieuse , exacte , modeste, est aujourd'hui fort rare, et Ion est plus habile a separer des dehors du savoir que courageux a acque'rir le savoir meme. M. A an Praet appartient a I'e'cole des Daunou , des Brial , des Sylvestre dc Sacy , des Mercier de Saint-Le'ger : ses recherches se donnent pour ce qu'elles sont, sans enluminures , sans cajoleries pour le goiit a la mode. Son livre n'est point fait pour les boudoirs , pour les litterateurs mus- que's, c'est une ceuvre de simple et franc e'rudit, qui ne rougit pas de la docte poussiere des livres et des archives. Xous y avons pourtant re- marque une erreur historique assez forte: en 147*^? I'auteur fait chan- celier dela toison d'or Veveque de Terouanne , Henri de Lorraine , depuis e'ceque de Metz. Jamais ce personnage n'a appartenu a I'ordre. Le chancelier e'tait alors Ferry de Clugny , e'veque de Tournay. Louis de la Gruthuyse cni de Bruges fiit un puissant et magnifiqiie seigneur de Flandre , habile dans la guerre , habile dans .les ne'gocia- tions ; mais son premier me'rite , aux yeux de M. \ an Praet , est sans nul doute d'avoir aime les livres, d'avoir fait exe'cuter de magniiiques manuscrits. La notice qu'il en donne , de ceux qui sont encore conserve's a la bibUotheque du roi , est un document d'un haut interet, et qui,avec la BibUotheque protypographique de M. J.-B. Barrois, est de nature a faire connaitre la tendance litte'raire de I'epoque. ?^ous pensons , au surplus, qu'un nouveau bibbophile Jacob, ou ce bibliophile lui-meme", trouverait aisement daus le b\ re de M. Van Praet le sujet d'un de ces romans ou I'histoire se materialise peut-etre d'une maniere trop sensi- 174 LIVRES FRANgAIS. Lie ct oil Ja vc'ritc dc la forme cxternc semble I'cmporter siir unc vc'ritc ])Ius haute qui a sa source en nous-mciues. La devise de Louis de la Grutbuyse: Plus est en vous, n'esl pas un avertissemcnt a dedai- gner. De Reiffenberg. 40. — Notice historiqne siir J.-D. Lanjui/iais , pair de France , membre dc I'lnstitut; pai- Fictor Lanjuinais. Paris, i832 • Dondey- Dupre'. In-S" de 85 pages. M. Victor Lanjuinais prepare la publication des ouvrages de son pere , dont le premier volume ne tardcra pas a paraitre : il en a de'taclie d'avance cettc notice qui doit les pre'ceder , pour la distribuer aux nom- breux amis de I'liomrae juste dont elle raconte la vie. Un double e'cueil etait a e'viter par I'auteur de ce travail : ne point tomber dans I'apologie a laquelle il devait se sentir naturcllcment entraine , et ne point tomber dans la se'cheressc par crainle de I'apologie. M. Victor Lanjuinais a re'ussi ; il a parlc de son pere avec franchise et sensibilite. On distingue le fils a travcrs I'e'crivain , mais seiilcment assez pour augmenter I'fa- te'ret du re'cit. La Rei'ue Encjclopedique , dont Lanjuinais fut un des fondateurs et des collaboratcursassidus, a publie sur luien 18^7 (caliier de juillet), une notice ne'crologique redige'e par M. M.-A. Jullien. 41. — Consultation pour la veuve et lesjils du marechal Ney , par M. Marie , et suivie de I'adhe'sion des avocats les plus ce'Iebres du barreau francais. Pavis, i83'.>. ; Hyp. Tilliard. In-S" dc 68 pages. 4'2. — Memoires sur la revision du proces du marechal Ney et sur la jurisprudence en general de la Gourdes pairs ; par G. Delmas, avocat. Paris, i832 ; L. Janet, rue Sain*t-Jacqucs , n° 5^. In-8° dc 87 pages. • Nous citons ccs deux brochures commc docunicns a consulter sur une question grave de politique nationaic ct de haute jurisprudence. *** I 43. — Annuaire du bureau des longitudes pour Vanne'e i832; Paris, i832 ; Bachclicr, quai des Aiigustins, 55. Iu-i8; prix, i ir. Cette estimable pul)lication , outre les tables usucUcs qu'elle a cou- tu;uc de rcnformer, offre cettc anne'e a ses lecleurs le mouvcraent de la population de la France pendant 1 8 '9 , ct les evaluations des mesures linc'aires e'trangeres en mesures francaiscs, rccueillics par M. Prony. Gc LIVRES FRANgAIS. I 70 savant y a joint la longueur en parties, du metre d'un picd chinois prc- sentc a ['instittit par M. Abel Re'miisat, et d'line coude'e antique e'gyp- lienne, qui fait partie de la collection du Louvre Depuis plusieurs anne'es, M. Arago enrichit I'Annuaire de notices remarquables snr les sciences physiques. La notice de cette annc'e contient des details inte'res- sans sur les cometes en ge'ne'raL Le savant acade'micien de'montre le pen de fonderaens des craintes inspire'es par le retour de la fcometc de six ans 3/4, et termine par un examen des diverses liy2)otheses imaginc'es jusqu'a ce jour pour expliquer la formation des cometes et determiner le role qu'elles jouent dans le systerae du monde. L. B. 44- — Cours elementaire d' agriculture el d' economic rurale , a Vusage des ecoles primaires , compose de cinq traite's : Labouragc , jardinage , horticulture , arbres et arbustes , economie rurale ; par M. Raspail. Paris, i83'i; L. Hacliette , rue Pierre-Sarrasin , w° \i. Trois vol. ont paru j prix du vol. in-i8 de 100 pag. environ , avec planches , '^5 c. ; prix des cinq parlies re'unies^ 3 fr. ^Sc. M. Raspail est un de ces republicains qui proclament fierement leurs theories devant les -cours d'assises et les gendarmes. Son amour pour les masses populaires ne lui dicte pas seulement des discours pleins d'audace et de chalcur ; il preside aussi a des travaux scientifiques qui n'ont pas toujours e'le dirigc's vers un aussi modeste but que celui du Cours elementaire d' agriculture. II nous suffira , pour recommandcr ce livre utile , de rappeler qu'avant de se vouer a I'instruclion des pau- vres cultivatcurs , M. Raspail s'est fait un nom dans la science , entre autres par de curieuses recherches dans le domaine de la microscopic. Quelques mots pris dans son introduction suffiront du reste pour faire ap- pre'cier 1' esprit et les intentions de son nouvel ouvrage. « Je me propose de » publier, dit-il, unese'rie de petits traite's qui, quoique e'galement a la » porte'e de i'intelligence et de la bourse du plus grand norabre, n'en » renfermeront pasraoins toutes les innovations heureuses que les progrcs » des sciences ont successivement introduites dans le grand art de soumet- » tre le sol aux exigences de I'humanite Je ne m'occuperai au- » cu'nementdestheories(dansles traite's relatifs al'agriculture), c'est-a-dirc » de la recherclie des lois d'oti de'coulent les fails que j'aurai a cxposer ; » je renvoie a ce sujet les lecleurs aux traite's spc'ciaux qui feront partie I7G LTVRES FRAN^AIS. » de cette collection. . •. . Qu'onne pense pas que la science doivc sc » borner aux principes renfcrme's dans ce livre ; ragriculltuc n'cst pas » encore une science ; c'est une connaissanc^ empyrique qui appelle a son » secours I'expe'rience , sans posse'der. presque un seul axiome capable » de la giiider d'une maniere infaillible. Et voila , dirai-je aux culti- » vatenrs , ce qu'on a fait avant vous et ce qui a re'ussi dans des terrains » etdes expositions diffe'rens des volres 5 mais ce n'est pas la tout ce qu'il » vous en reste a faire. Etudiez votre sol , votre climat , calculez vos » ressources , et pre'parez , par de petits essais , de plus grandes expe- » riences. » *** 45. — Theophron, ouV etude ieschoses; de la nature , del'liomme et de lasociete , par J. Henry ***l , d'Orbe. Paris, i832; a la li- brairie encyclope'dique , rue des Saints-Peres, n° 26. In -8" de 536 p. ; prix, 7 fr. Nous avons deja bien des encyclope'dies re'sume'es a I'usage de la jeunesse j mais I'cnseignement s'adresse a des individualite's si diverses que ses formes nc sauraient etre trop souvent varices ; il faut done en- courager la composition de nouveaux ouvrages de ce genre , lers meme qu'ils seraient peu supe'rieurs aux anciens. C'est une immense tacLe que celle de presenter dans un cadre resserre le tableau des connaissances actuelles, et d'en rendre I'intclligence fa- cile. L'auteur de Theophron a essaye' de la remplir avec une parfaite conscience. II a re'uni en douze livres des notions precises sur la na- ture, Vhomme, ct la societe , s'attachant aux faits, n'ayant d'autre soin que de donner une idee juste de tout ce qui nous cntourc. C'est une bonne introduction a la vie re'elle. Saqualite d'etrangerle place en de- hors de toute critique de style ; on trouve en effet 9a et la dans son langage.des expressions hasarde'es, des tours de phrase pre'tentieuxj mais ces le'gers de'fauts sont rachete's par des pages chaleureuses ou I'ame de I'e'crivain se peint tout entiere. La lecture de ce livre laisse une im- pression favorable ; on dcsirerait connaitre celiii qui I'a compose : c'est I'ouvrage d'un homme de bien. S. 46. — OEuvres de Charles Nodier : Romans, Contes et Nou- velles. Tom. I : Jean Sbogar. Paris, 1882; Eugene Renduel, e'diteur- libraire , rue des Grands-Augustins, n" -.ii. In-8" de 3i8 pages. L'ou- vragp aura quaire volume; prix, 3o fr. LIVRES FRAN^AIS. 1 77 La premiere livraison de cette publication contenant Jean Sbogar , avec una preface nouvelle, vient de paraitre. Les autres livraisons seront composccs des ouvrages suivans : Adele, le Peintre de Saltz- bourg, Therese.^ubert{ieu^iemeliyrAison); Stella, Trilby , Smarra, le Dernier chapitre de mon Roman (troisieine livraison); la Fee aiix miettes , roman ine'dit ( quatricme livraison). Ce serait peut-etre un tort de juger des scntimens du public par celui que nous a fait cpronver I'annonce de' la re'impression de ces ouvrages ; cependant, en songeant que bientot on pourra les posse'der tons sous un meme format et unis ainsi que des freres, tcwidis qu'il e'tait si difficile jusqu'ici de les rassembler epars et dissemblables , comme ils e'taient dans Ics biblioth'eques , il nous a semble que ce devait etre une bonne nouvelle, ime sorte de fete litte'raire, pour les nomJjreux amis du talent de Nodier. Nous nous sommes rejouis avant tout de la joie de ceux qui revent souvent a ses delicieuses histoires et qui les voient I'emonter a leur souvenir , se de'rouler devanteux toutesles fois que, dans les eVe'- nemens du monde oii leur coeur est le plus inte'resse , ils ont besoin de recconnaitre ailleurs qu'cn eux-memes quelques-unes des nuances infi- nies des passions dignes et gene'reuses. Telle est en effet notre maniere de comprendre Charles Nodier que faire profession d' admiration pour lui , ce n'est jamais e'veiller en nous une satisfaction qui soit de gout seulcment. Aussi ne serons-nous pas arrete's par la crainte d'etre mal- habiles sous certains rapports de critique litte'raire , lorqu'a I'occasion de la publication des livraisons promises , nous rendi'ons compte de rios impressions personnelles. Ed. Ch. 47 • — Les Croppjs, episode de I'histoire de la rebellion d'Irlande en 1798, roman liistorique irlandais; par M. Banim ; traduit de I'an- glais, par M. A.-J.-B. Defauconpret. Paris, i832; Ch. Gosselin. 4 vol. in-i2; prix , 12 fr. On exploile les peuples ainsi que les individus. La Suisse a eu ses sujets comme les democrates d'Athenes leurs csclaves; et I'Angleterre, cette tcrre^classique de la liberie qui fit I'ediicalion de nos profonds doctrinaires, pese encore de tout le poids de la morgue britannique sur ces immenses populations de I'lndostan que son genie s'entend a subju- guer., Mais, dans la vie des nations comme dans celle des hommes, il y a des momcns oii le sentiment de Tindividualite sc reveille ; I'esclave se- TOAIE IlII. JANVIER 1852. IS 170 LIV«ES FHANgATS. cone scs chaincs, et rimmble toiirbc d'ilotes dcvicnt unc armc'e de lie'ros. Notre rc'volulion a donne le signal du combat a tons les opprime's : La Be^giqiic , la Polognc, I'ltalie se sont levees contre leurs tyrans e'trangers, comme nos prolc'taires contre leurs tyrans domestiqiics; et c'est iin beau spectacle I Laissons leurs triomphes d'un jour aux pri- vilc'gie's de la conquete et de la naissance : le feu sacre' s'est aliume, et la France reste la pour I'attiser sans cesse. Qu'on dcclaine contre la pro- pagande, qu'on achete le dc'sbonneur d'un calrae apparent par les laches transactions de la diplomatic : n'iraporte, la France n'en accomplit pas moins sa noble mission. Elle ne porte point, il est A'rai, ses pas dc ge'ant sur la Baltique ou la mer de Venise ; mais Ic Slave et le Roma- gnol viennent se re'fugier dans son seiu, pleurer prcs d'elle le massacre de leurs* freres, et puiser dans son approbation le courage des graud'; de'vouemens. Vainqueurs ou vaincus, fugitifs ou triomphans, c'est vers notre soleil que se toUrnent tous les peuples que la liberie rappellc a la vie. Et la France, quoi qu'on disc et qu'on fasse, les accueillera tous. Elle sourit aussi a sa triste voisine, Tantique Hibernie, fiancee par la conquete a I'arrogant despote qui , depuis tant de siecles , I'enserrc d'un embrassement brutal et jaloux. Erin, ile de verdure et de poe'sie, terre natale des saillies enjouees et des voluptueuses melodies , palrie de Moore et de Sheridan, tu ne seras point toujours me'c'onnue; ce n'est pas vainement que tes fils ont conspire' sans relache, les armes de la re- voke ou leur plume c'loquente a la main I Je ne sais quel penchant involontaire m'a toujours cntraine' vers ce peuple e'nergique et bon, ardent et sensible, spirituel et naif, dont I'ori- gina^le nationalite' so dessine avec tanl de relief au milieu des routs com- passes de I'aristocratic anglaise, comme dans ces rues obscures de Londres dont la misere est impuissante a comprimer la bruyante gaite de I'lr- landais! Serait-ce qu'il y a dans I'infortune un charmc qui_captivc I'in- teret et de'sarme la critique? Aux romans de Walter-Scott , toute supe- riorite de genie a part, je pre'fere ceux de I'lrlande. Voyez , dans les premiers, I'Ecosse apparait entiere,'' avec son cielbrumeux, ses glcns froids et sauvages, scs montagnards cruels et voleurs, ses puritains a la maigre cncolure , a la voix aprc et dure, ses citadins tout occupe's de ruses ct de lucre : poe'sie mate'rielle qui laisse nos sympathies impas- LIVRES FUAN^AIS. 1 79 sibies et froides. Viennent maintenant Ics enfaHS d'Erin avec leur verve ine'gale , malicieuse et vive , avec leur ame brulante de patriotisme et d'amour, avec ce coeur expansif et tendre qui reclame du voire una larme de compassion, un sourire d'amitie' : et dites-moi si vous n'aimez poiniladyMorgan,malgre son langage soiivent pre'cieux et manie're', lors- qxi'avec une grace toutepoe'tiqiie,elle idealise saterreclieiie dans les per- sonnages du noble O'Donnel ct de la piquante O'Halloran ; dites-moi si vous n'etes pas emu par Banim, malgre ses fatigantes argumentations politiques, malgre sa pe'nib'le analyse des e'lc'mens orangistc, catholique et libe'raux, lorsqu'il frappe vos yeux du sanglant tableau des plaics de sa patrie. Deja plusieurs fois nous avons cite les romans de ce dernier : I'A- postat, ou la passion est si profonde'ment sentic, si chaleureusement co- lore'e ; V Amglo-Irlandais , esquisse spirituelle et gaie des travers de ce bon peuple, modeste au point d'abdiquer trop souvent le caractere national pour s'elever a la singerie des ridicules invente's par ses oj^pres- seurs; Crohoore-na-Bilhoge, curieux tableau de mceurs et de super- stitions villageoises ; et d'autres encore. Les Croppjs ne prendront point rang parmi ces chefs-d'oeuvre. C'est une episode de I'insurrection de 1798 , episode dont les acteurs nous sont deja tous a peu pres connus, quoique Ton ait pris soin de travestir leurs noms et Icurs costumes, quoiqu'ils soient deja bien use's a force d' avoir etc' ballotte's, pauvres ma- rionettes, d'une scene a 1' autre, d'un roman a son successeur. C'est le tort de tous les talens vieillis de se re'pe'ter. L'es inspirations du ge'nie forment un cercle vicieux d'oii il ne pent gueres sortir une fois qu'il I'a cboisi. Scott et Cooper comptcnt trois ou quatre chefs-d'oeuvre chacun. Le bagage de M. Banim ne sera gueres plus lourd. Mais avec lui comme avec ses maitres, on s'ennuie rarement. II sait racheter par des beaute's d'un ordre superieur quelques instans de ce sommeil auquel le vieil Ho- mere etait lui-meme sujet. C'est le cas dans les Croppjs; et nous ne les recommandous pas autrement que par le nom de I'autcur et I'inte'ret qui doit s'attacher au re'cit des malheurs d'un peuple ge'ne'reux. A. J. 48. — La Salamandre, par Eugene Sue. Paris, i83'2; Renduel '1 vol. in-8" de xvii-3 1 5 et 353 pages; prix, i5 fr. Fatalite! Elle e'tait si fiere la Salamandre , si fiere de son nom illus- trc par I'une de nos plus glorieuses victoires maruimes, si fiere des on 12. l8o LIVRES FRANCAIS. lieutenant eprouve , si fiere dc ses niatelots sans peur ct doses indouip- tablcs flambarts I Toutc gracieuse ct toute intre'pide corvette, preste, vive, docile a la voix et an gestc. Elle e'tait si heiireuse de sonjcunc Paul, le fils de son lieutenant; Paul, son ame, ne le jour ou clle fut lance'e a la mer, destine a vivre et a mourir avec elle^ selon la predic- tion d'un vieux caller ct suivant la croyance des marins superstitieux. Fatalite! elle est morle la Salamandrel mort sOn lieutenant eprouve! mort son jcune Paul ! morts ses matclots sans peur ! morts scs indomp- tables flambarts ! ' Pauvre Paul ! rcfu a bord par Pierre Huet , le lieutenant , des I'age de huit ans , e'poque oil il perdit sa mere , initic par lui a la vie dure ct saiivage du marin militaire, ct a tons Ics nobles sentimens, et a toutes les convictions ge'nereuses, il le clie'rissait , le ve'ne'rait, I'idola- trait si naiv^;ment , si profonde'raent , ce tendre pere ! Oh ! ne Ic quitter jamais, essuyer le feu a ses cote's, le suivre et monter avec lui de degre en degre jusqu'au gene'ralat , jusqu'a I'amiraute, que sais-je? Et alors quelle gloire! Et Alice! Alice! sa fiancee devant Dieu, si naive, si chaste; il I'ai- mait tant ! Sa vie entiere , son ame , son sang , tout , pour la rendre fiere et heureuse de lui ! II se distinguerait par de vaillans ■combats , il se ferait un nora , un grand nom , accumulerait honneurs , richcsses, tout cela , tout pour sa femme, pour son Alice I quel avenir ! quel songe ! Oui , quel songe ! car -voici Longetour , et malheur , malheur a toi pauvre Paul ! malheur a ton pere I malheur a la Salamandre ! malheur' a ton reve de gloire ! — Quel songe ! car voici Szaffie ; et malheur, mal- heur a toi , pauvre enfant! malheur a ton Alice! malheur a ton reve d'amour ! Longetour, bon et digne rcnl,rant, ccmme on disait en i8i5, tire', bien malgre lui, par les demarches de son ambiticuse et tyrannique feimne, de la paisible obscuritc d'ua bureau de labac ou il eut coule doucement scs jours, pour etrejete, lui, M. Formon devenu marquis de Longetour, jete loin des habitudes pacifiques de sa bonne vie hour- geoisc, jete, lui, tout inoffensif, tout ignorant, tout simple; oil? grand Dieu! sur unecorvette de guerre, sur la Salamandre ! avec le grade supc'rieur de commandant, pour donnerdes ordres, lui M. Formon, au LIVRES FRAN9AIS. 181 lieutenant Pierre J lui, ex-dc'bitant de tabac,aux flamharts de I'in- Ire'pide corvette; lui , nc sacliant pas distinguer I'arriere de I'avant, ni le babord dii tribord ! Szaffie, passager a bord de la corvette, qui , mise a sa disposition par le gouvernement , ie conduit a Smyrne; SzafGe, jeune, beau, riclie, Szaffic, tue moralemcnt , dcs I'age de vingt ans , par la double satie'te d'ambition et d'amour, ne vivant plus que de sa haine centre le monde qui I'a rendu malheureux a force de jouissances , et de'sormais guide' par cette devise : «Faire tout le mal possible a I'liumanitd, » consacrant jeunesse, beaute, richesse, tout , a tuer moralemeiit les autres ; meur- trier spiritualiste ; satan incarne' ! A toi done en holocauste , puisqu'il le faut , Longetour, a ton impe'- ritie la Salamandre , et son lieutenant, et son jeune Paul, et leur gloirc! A toi aussi en holocauste, puisqu'il le faut, Szaffie, a ton poignard moral Paul et son reve de gloire, Paul et son reve d'amour, Paul et son Abce, tous deux si riches d'illusion et d'avenir ! Paul qui , tout re- cemmcut, au relour d'une descente a Saint-Tropes, ou est tenue en rade la Salamandre , s'est approche' du lieutenant pour lui dire, en I'embrassant et a voix basse, avec un profond soupir , — Vois-tu, pere, je crois que je suis amoureux; — Alice que la corvette emmene aussi a Smyrne avec sa tante madame de Blene. En mer done, en mer la Salamandre ! Vraimentil y a dans son sein pour les vagues et pour Ics cieux et pour Ics vents de belles et d'e'pouvantables choscs a ouir et a voir ! Et d'abord au marquis de Longetour sa part. C'est demain que I'equipage de la Salamandre appareille , ou , sc- ion I'expression des matclots, file son noeud; c'est demain qu'ils ver- ront travailler leur nouveau commandant. Pauvre ex-de'bitant ! lui com- mander la manoeuvre ! Que devenir? que faire? Rassurez-vous : c'est 1 chose pre'vue etarrangee. Encore, s'il est ignorant, est-il pour le moins aussi inge'nu , le digne marquis I Dites : dans sa position qu'avait-il de mieux a faire que d'aller, tout aussitot son arrive'e, droit au lieutenant poitr lui avouer franchement son embarras, et comment .son demon de fcmme avait transforme, malgre lui, sa Jjonne re'gie de tabac eii una < orvette maudite , et comment il avait etc force' par ellc , cette 'faveur •btonue, de I'acccptcr. Qu'avait-il de raicux a faire? II I'avait fait. l82 LIVRES FRAN5.VIS. Ah! monsieur, s'etait eerie Pierre, il en est terns encore, refusez..,. refuscz..., vous joucz votre vie et celle d'un e'quipage de bons et braves marins. — Refusez, rcfusez... C'est bien facile a dire. Et ma fehime? — • Quel parti prendre! Laisser I'incapacite du commandant se trahir a I'e'- quipage par scs bevues? Oh! malhcur alors, raalheur! car ne savez- vous pas que !e commandant est sur son bord la regie incarnee , Dieu parmi les hommes, la loi vivante? Et qu'une croyance entiere a I'infail- libilite' du chef sujireme est I'ame de I'e'quipage, et que , cette croyance ane'antie, toute discipline est perdue, ct que la discipline perdue c'est fait du navire? Pierre le sail, lui, il n'a pas hesite; son parti est pris : la discipline est son idole, il s'y de'vouera corps et ame ; Sc'ide nou- veau , ses espe'rances d'avancement, son nom, sa vie, son fds, il lui sa- crifiera tout; afin done que I'honneur de notre marine, de notre pavilion ne soit pas souille, et pour qu'un officier portant des epaulettes de commandant soit respecte et respectable aux yeux de son equipage. — ■ Je mettrai, dit Pierre aH commandant, tous mes soins a vous empe- cher de paraitre de'place dans le poste que vous occupez. Je veillerai moi-meme au salut de la pauvre Salamandre et de mes flambarts. Ainsi, monsieur, c'est entendu. Mais, par grace, ne contrariez jamais mes or- dres; et, dans un cas que vous verrez pressant, faites semblant de me dire deux mots a I'oreille , et j'aurai I'air d'exe'cuter vos commande- mens. Or c'est demain, avons-nous dit, que I'equipage de Xa^ Salamandre file son noeud; et comme I'officier superieur ne pent se dispenser de commander I'appareillage, M. de Longetour ne dormira qu'apres avoir appris la manoeuvre et I'avoir re'cite'e a son lieutenant. Le moment fatal arrive. L'ex-d^bitant se trouble et perd la me'moire. — Vous m'y for- cez, dit Pierre d'une voix e'louffe'e, je me perds pour vous. — Et Pierre, ne se posse'dant plus, repousse le marquis, s'elance sur le banc de quart , Commande a dcssein une manoeuvre mauvaise, et indiquanf tout bas la bonne au commandant, lui rend le porte-voix pour lui laisser prendre sa revanche. II a sauve la discipline , mais aux yeux de I'e'quipage et aux yeux dc la loi il I'a violc'c ; interrompre un officier- supe'rieur dans son commandement est un debt contre lequel la loi porte quinze jours d' arrets force's ;.le lieutenant se consigne; et a I'arrivee du batimeti.t en France , sa pre'tendue faute , inscrite a bord du journal de Te'tat-major, ira tc'moigner contre son avancement auprcs du ministrc. LIVRES FRANgAIS. l83 Si c'e'tait toilt ! Non, non : Voici que la corvette fait cau : un pauvre petit mousse, Misere, devenu fou des epouvantablcs traiteraens dent il est accable chaque jour, a pratique', pour se venger de I'e'quipage, une lar^e troue'e a la calle. Effroi du marquis : vains efforts du lieutenant pour le retenir a son poste. 0 bonte! Pour la premiere fois le cri « sauve qui peut ! » sort de la boucbe d'un commandant de la marine franjaise. Pierre ne se contient plus, et, furieux, exaspe're', tire son poignard pour en frapper M. de Longetour. Heureusement la lame glisse; mais c'est fait : le lieutenant est perdu. Fidele a son de'voue- ment, au moment oil la Joie, maitre de quart, I'ayant aperfu, s'e'lance et le saisit par le milieu du corps, — Pourquoi aussi , dit Pierre , com- mandant, ne voulez-vous pas sauver mon fils, et lui donner I'ordre de • s'embarquer dans la yole? Et il conserve ainsi I'honneur de son com- mandant J mais il se perd. La Ibi est formelle ; peine de mort contre tout officier qui portera Fepe'e ou la main sur son supe'rieur pendant le ser- vice j le crime et la peine sont consigne's sui' le journal du navire, et Pierre, apres avoir force le commandant a signer le rapport, se Con- stitue prisonnier.lHelas! lorsqu'apres un naufrage de la corvette e'chouee dans I'absence du lieutenant et par suite de I'ignorance du commandant sur un banc de sable , apres la construction d'un radeau sous les aus- pices de Pierre, apres les tourmens -affreux de 1' equipage tournoyant au-dessus des vagues et en proic a la calenture, mirage moral, lorsque Pierre et son fils auront ete' recueillis et trausporte's a Cherbourg , un conseil de guerre jugera, et un nouveau de'lit, I'abandon du marquis dans la corvette, oil il a e'te laisse' par Szaffie , a I'insu du lieutenant , ce nouveau de'lit impute' a Pierre et appuye' d'un rapport de Longetour, qui, recueilli et vendu par des pirates a des sectaircs de I'Afrique, et sauve de leurs mains par des Europe'ens, prepare son retour en France, ce nouveau de'lit venant fortifier les aveux de I'accuse', Pierre sera con- damne' a etre fusille'. Oh! mon Dieu oui, fusille! pour avoir Irois fois criminellement viole' la discipline, lui qui a tout sacrifie pour elle , et il subira sans une plainte son chatiment , et nous Urous : «Au deinier coup d'onze heures Pierre est tombc fusille sue le ponton. Au dernier coup d'onze heures Paul est tombe' sur le parquet de la petite chambre de I'auherge du chasse-mare'c. — Je me tuc, a e'crit ce dernier, ne pouvaut survivrc a la mort de mon pere. Et la Salamandre? Morte. 1 84 LIVRES FRANCAlS Et Alice? Morte. Et.Szaffie? Ah, ah! Szaffie!.... Et les matelots? Morts, h. I'exception d'un seul. Mais Paul, eu feimant les yeux, a-t-il du moins eniporte pur et intact avec lui son beau reve de jeunesse^ d'amour et de gloire, et le souvenir de son Alice? Ah! oui! et Szaffie , croyez-vous qu'il soit reste' sans agir pendant tout ce tems ? Szaffie ! Don , non ! A ton tour done, Satan, voici ta part. Que te faisaient ces enfans , infanie , pour te jeter avec ta puissance d'attraction et de seduction , avec tes infernales theories sur les femmes et sur le ne'ant, a la traverse de leur amour. Paul aimait , ct , je pense, etait aime. Pauvrcs anges, vous seriez heureux sur la terre, et vous vpus retrouveriez un jour au ciel I Non, voici Szaffie ! Et defja en descendant a Lord, et comme par un diabolique instinct, il a fait toralier sur Alice un de ses regards quelle a senti presque physiquement ; ce premier trait porta' il I'a laisse'e, siir de son effet. Depuis ce tems, elle croit le hair, elle I'aime. Paul croit avoir en elle une fiancee et n'a seulement qu'une soeur. Cependant il ne lui a pas encore avouc son amour. Mais un jour Szaffie s'approche de Paul , et lui distillant ses paroles perfides comme un poison habilement prepare pour I'ame, il lui laisse.au coeur, en le quittant, des traits acere's dont il est bien siir, I'infame ! sur la gloire et sur I'amour, des pense'es' ameres de de'senchantement j oui , pour Teclai- rer, pour le faire voir vrai! Effraye, e'peidu , par un instinct sublime I'enfant court chezson pere. La consigne le repousse. Alors il se re'fugie aupres d' Alice et lui arvoue qu'il I'aime. Pauvre Alice ! la voila seule. — Je I'aime, se dit-elle, j'aime Paul. — Et elle cherche a se persuader qu'elle I'aime. — II est si bon, si brave! Tandis que lui elle le hait Z«t , oui elle le hait! Et ellere^oit de son fiance, comme gage d'amour, I'anneau que lui a laisse', en mourant, sa mere. Oui, elle le hait, mais le voila lui, et bientot apces c'est fait, le dernier coup est portc. — Naufrage. — Au milieu de la tounncnte Szaffie laisse aux levres de son Alice un baiser de feu; puis en voila eucore une qui ne croira pluS a I'amour, qui verra vrai. Et il t'abandonue, et c'est fait de toi.jeune fille. Et Paul! le voila qui pleure. He'las ! elle lui a rendu sa bague , pauvre Paul! — Et. maintenant , voyez-vous sur ce radeau, qui rap- pelle cclui de la Me'duse, ces naufrage's en proie a la calenture? Voycz- vous Alice mourante, et les yeux fixes e arvetes, sur Szaffie. La voila LIVRES FRANgAIS. 1 85 qui, dans son delirc, enjambe le radeau et tombe dans la mer. — Adieu, Alic«!... Et Paul! tue moralement parSzaffie, il coutinue a lutter centre la mort physique, jusqu'a ce que... Or voici un salon, et la scene se passe a I'hotel de Saint-Arc, un mois apres la mort de Paul et de son perc. LA DucHEssE DE sAmx-ARc (Hsant). « La promotion de M. le marquis de Longetour au grade de capi- taine de yaisseau et sa nomination de commandeur de la ie'gion-d'hon- neur ont e'te' signe'es aujourd'hui LE VALET DE CHAMBRE (annODCaDt). M. de Szaffie. LA coMTESSE d'hermilly (toumaut vivement la tcte). ' C'cst lui! qu'il est bien !... Et maintenant, va Szajfjfie, va Satan, poursuis ta desline'e de mal; va, et laisse nous pleurer sur Paul et sur Alice , laisse-nous admirer le lieutenant Pierre, laisse nous regretter la Salamandre et.ses intre'pides flambarls, laisse-nous plaindre ce bon et innocent M. de Longetour d' avoir cause' tant de maL Va, cberclie d'autres victimes a ton e'pou- vantable systeme d'attraction , de se'duction et de de'sillusionnemeiU; va, tu nc m'^as pas de'senchante; car je sais pourquoi, jusqu'ici, on a vu souvent Thomme puissant avec eclat dans le vice ou dans le crime I'emporter dans' le cceur des femmes sur rhomme obscure'ment vertueux et de'voue', je sais que la femme a e'te jusqu'ici i'esclave de I'liomme; et je sais que tout etre faible^ s'il est contraint a re'signer entre les mains d'un maitre sa liberte', choisira, s'il a dioix, de pre'fe'rence a tout autre, un maitre puissant et fort. Que si done 'la force est plus saissisable au toucher de la conscience, lorsque c'est dans la voie du mal qu'elle se manifeste, que lorsqu'clle apparait dans la voie du bien , parce que la vraie vertu est simple et modeste , et que le vice leve effronte'mcnt la tete, parce que d'ailleurs les effets de la premiere sont aussi lents, le plus souvent, que les re'sultats du second sont prompts; que s'il en est ainsi , qu'y a-t-il done , Satan , dans ton pouvoir sur Alice , qui ne se comprennc el uc s'e«.plique? Mais jc sais aussi que, do nos jours, grace l86 LIVRES FRANgAlS. au sensible adoucissement des moeurs modernes , le fait de la liberie' dans I'c'tat tend a marcher de front avec un autre fait, celui de i'cgalitc de riiomme et de la femme dans la famille, et je sais que le terns ap- proche oil la vertu et le de'voueraent et la vraie gloire serout seals des titres a I'estime des femmes et a leur amour. Que s'il en est ainsi, qu'y a-t-il done, Satan, dans ton triomplic sur Alice, qui ne me soit un exci- tant nouveau a me rejouir, en pensant au tcrme prochain de ton infer- uale puissance, et en songeant au terns oil les poetes inspires guideront les homines avec des hymnes d'espe'rance a travers les milles sentiers de la pense'e et du travail , vers le bonheur, vers tes palmes e'clatantes, 6 gloire ! vers tes fruits myste'rieux , ineffable amour ! — Va done , Szaffie, va Satan , cherche d'autres victimes a ton e'pouvantable systcme d'at*raction et de seduction et de de'sillusionnement ; va, tu ne m'as pas de'senchante'. Un mot maintenant sur I'ouvragc remarquable dont nous avons es- saye' de donner une idee a nos lecteurs. Et d'abord hominage a la verve et encouragement a la vocation de I'auteur. Des negligences de style, indices d'une grande rapidite d' execution, quelquefois un peu d'exage'- ration dans la raise en saillie des caractcres, raais par-dessus tout I'absence d'une conception assez gc'nc'rale et assez comprehensive pou4' lier forte- ment dans une harmonieuse unite les diverses parties du drame qui se passe en mer et sur la Salamandre , et les accideus varie's de la Sala- mawJreetde lamer , cesde'fautsnenous empecherontpas derendre justice a ce qu'il y a d'images vives et saisissantcs , et de tours rapides et en- trainans , a ce qu'il y a d'attendrissant et de terrible , de tendre et de gracieux , de spirituel et de profonde'raent senti dans les chapitres divers de I'ouvrage de M. Sue , depuis ceux de la Salamandre , Beaux- Arts , Combat , Coquetterie ^ et ceux Ee Nuit d'ete , Une voile I une voile ! la Calenture, jusqu'a ceux d! Alice, I' Aspirant, le Pere et le lieutenant , et ceux du Pilote vert el Predictions ; depuis ceux de Misere et le Rat passe au Gres , jusqu'a ceux de Amour , Amour et haine, Croyez-vous que je sois heureuse ? etc. , etc. , etc. ; jus- tice a ce qu'il y a de vrai dans le caractere de Szaffie ct dans celui d' Alice , a ce qu'il y a de grand dans celui de Pierre , quoique notre critique d'exage'ration porte particulierement sur celui-ci ; justice enun a I'interct du drame , el a la vc'rile du dcscriptif , pris se'pare'meut et en cux-memes. LIVRES FRANC AIS. 187 Voulez-vous savoir combien il reste a Fhomme de partis a prendre quand, rassasie d'amljition et d'amour, ayant perdu le sentiment de son c'ternite' , il croit au ne'ant ; voulez-voiis savoir combien ? Deux , pas davantage : se tuer, ou se faire tueurd'homraes.Ijisez la Salamandre , et Szaffie vous I'apprendra. Voulez-vous une idee du respect d'un mi- litaire marin pour la discipline ? lisez la Salamandre , et Pierre et ses flambarts vous I'apprcndront. Peut-etre seulement quand vous I'aurez lue , vous demanderez-vous pourquoi ce jeune Paul , tue par Longetour dans son amour pour son pere et dans son beau reve de gloire , tue par Szaffie dans sa tcndresse pour son Alice et dans son doux reve d'amour, pourquoi ce drama touchant et plein d'inte'ret en lui-meme se "passe laplutot que par tout ailleurs? par quel lien intime, essenticl , ne'cessaire, il tient a la Salamandre? pourquoi jl se trouve a son bord et au milieu des scenes de ia mer, plutot que dans un hotel de la premiere ville qui vous conviendra , plutot que dans un salon de Paris, que sais-je ? Ah I c'est qu'en effet il manque , nous le repe'tons , entre ce drame et ce pittoresque , entre cette fabulation et ce descriptif , entre cette mer avec son typhpn , son banc de sable et sa calenture, et ce mi- litaire de'voue ame et corps a la discipline , et cet ex-debitant trahsforme' en commandant de corvette malgre' lui , et cette jeune fille avec sa can- dcur sur laquelle Satan a souifle, entre ces vagues et ces passions , entre cette nature et ces personnagcs , il manque ce rapport , non pas contin- gent, mais ne'cessaire, non pas arbitraire , mais essentiel; ce rapport , je dirais presque d'identlfication reciproque que , pour me servir d'un cxemple , Cooper etablit entre ses sauvages et ses forets du Nouveau- Monde; ce rapport qui fait qu'on croit entendre et voir les herbes de la prairie fremir et tressaillir des espe'rances ou des anxicte's de I'homrae qui fuit; ce rapport que M. Sue sent , nous n'en doutons pas, sent pro- fonde'ment, mais vaguement peut-etre encore, dans son ame de poete ; ce rapport qu'il a meme indique' dans son ouvrage et a plusieurs reprises, mais qui ne s'y trouve qu'accidcntellement et pas en essence ; ce rap- port cnfin de I'homme et du monde exterieur unis pour un meme but j ce rapport qui est I'unite' , la vie , et dont I'expression est la poe'sie. Or nous insistons sur ce point , parce qu'une belle et vaste carriere nous parait ouverte a M. Sue , et que nous I'y accompagnons de tons nos voeux; parce qu'il nous apparait que , s'il veut triompher de la rapiditc \S8 LIVRES FllANgAIS. de travail qui I'entraine , et donner autant a I'ensemble ct a la concep- tion qu'ii a donnc'jusqu'ici a rexeculion et aiix, details, uae belle gloire lui est re'serve'e, parce qu'il nous apparait enliu qu'il y a place dans la littc'rature maritime pour un Cooper ou un Walter Scott , ct qu'il est beau de se consacrer tout entier a un genre , comme fait M. Sue , « non pour dire , comme il le fait rcmarquer dans sa preface , ceci est a moi , raais sculement pour planter un signal sur chaque rivage reconnu , afin d'y attirer I'attention de ceux qui suivent. » D'aillcurs nous considc- rons son ouvrage nouveau , et nous terminerons ainsi cct article , deja trop long , comme un point de depart d'oii Ton pent s'elanccr loin , et c'est aveq plaisir que nous recommandons la Salaviandre a nos lec- teurs. Jules Buchey. 49. — Le Lit de camp, scenes de la vie militairc; par I'auteur de la Prima Donna elle Garcon boucher. Paris, i832; Heidelofl, rue Vivienne, n" i6. In-S" de 349 P^S^sj prix, 7 fr. Yoila un liomme bien mal-avise' de venir jeter dcs scenes militaires au milieu d'une socic'te oil, chaque martin , on pi'oclarae a la tribune et par la pYesse I'ave'nement de I'ere pacifique. Le rcgne de la force bru- tale est passe. : depuis Homere jusqu'aux chantres du Trocadero, I'en- cens poe'tique ne lui raanqua jamais. Mais aujoui'd'hui c'est autre chose, ct la troupe servile des rimeui-s et des courtisans n'a qu'a se prosterner devant une divinite nouvellc. Et pourtant la guerre a fait tant de bruit dans le monde, qu'on ne doit pas s'e'tonner si"le letentissemcnt de ses dcrniers e'chos vient troublcr de tems a autre le calme que nous pro- mettent I'e'loquence de M. Pe'rier et les philosophiques demonstrations de certains journalistes. La voix de I'auteur du Lit de camp leur paraitra surtout bien importune ; car on doit la classer parmi les plus lugubres et les plus sanglantes, si jc puis ainsi dire , que le demon du meurtre ait jamais e'voque'es. Je ne sais si le pauvre ecrivain a re'elle- ment e'te' te'moin des scenes -d'horreur qu'il retrace : s'il en est ainsi , plaignons-Ie ; sa memoire doit etre trop charge'e de siuistrcs souvenirs pour lui laisser quelque charme a la vie. Je pretere supposer que ces poignards toujours humides de sang , ces balles sans ccsse homicides , que ces monstrucux abattis de cadavres et de raourans, complaisamment etale's dans son livre, sonl lout siraplcment des Jen's de lesjirit : en fairc LIVRES FRANCAIS. 1 89 lionneiir a son imagination , c'est de'liarrasser son experience d'un bien lourd fardeau. Ce qui aide ii corroborer cette opinion, c'est la nature meme des re- cits. Vraimcnt, a j regarder d'un pcu pres, on arrive facilement a dou- ter que ce soil bien la le langage d'un soldat , vieux troupier qui conso- lerait des loisirs d'invalidc par I'enujueration dc ses prouesses de guerre et de galanterie. Ne serait-ce pas plutot un jeune bomme, incertain encore de sa vocation, peu maitre de son imagination et de sa plume, qui s'e'gare SQuvent vers Tignoble en chercbant le sublime; qui, dans ses taton- nemens successif§ pour trouver enfin sur I'instrument dont il dispose la toucbe qu'invoquent ses sympathies, essaie raaladroitement les tons que d'autres ont plus habilement module's avant lui-. Un jour, c'est Hoffmann qui I'eDchante avec ses fantasques reveries de de'lire nocturne, et le voila qui harmonise , dans une commune destine'e , la table me'lodieuse d'un clavecin et la jeune fille que Ics ravages de I'ane'vrisme de'coldrent el tuent ; le lendemaio , il s'e'prcnd de Clara Gazul , avec ses devorantes passions de tigresse et d'bycne-, et vite il arrange une bistoire de ven- geance corse, hidcuse de brutalite'; puis viennent Boccace et ses contes licencieux, les sandalcs d'un moine et la sonnette d'un boudoir, equi- voques preludes d'un denouement toujours tragique; eufln, c'est Sterne qui fait assaut de seusiblerie a propos du ragout noir, debris appe'tissant qui fut I'ane d'une vivandiere. Assez de nomenclature ; assez pour faire appre'cier ce recueil, dans lequel la recherche continue de I'horrible par- vient a retablir une sorte d'unite', raalgre la varie'te' cosmopolite des sujets, des lieux et des dates, varie'te' qui s'explique du reste facile^ ment par les fastes re'els de nos arme'es, depuis 1769 jusqu'en i83o. Cette inexperience dc conception , que supple'e I'imitation des maitres alme's du public , cette surabon'dance de vie qui se trahit dans le style, par la boursouflure et la prodigalite' des mots, ne sont-ce jias la des de- fauts caractc'risliques de la jeunesse? Aussi le Lit de camp doit-il etre conside're' simplement comme le premier jet d'un talent vivace et fe'cond, mais inculte encore ct trop pre'coce. A. J. 5o. — Les Contes bruns , par une Tele a Vejwers. Paris , i832j P:udin , place de h.Bourse. In-S" ; prix , 7 fr.* Vous demandez pourquoi , en litte'rature , cette fureur de contes ,. lie reves et de cauciiemars? Eh ! c'est que la lilterature est I'expression 190 LTVRES FRAN^AIS. mcine , ranalyse dcs premieres Icfons de M. Joiilfrov. INDUSTRIELLES ET LITTERAIRES. .20 I il est clair que la regie d'action de Thomme ne peat etre autre chose que la conformite' au bien, Feloignement du mal. La premiere et la seconde sont identiques. En effet nous n'agissons , nous ne voulons que dans un but qui nous paralt bon; une action bonne est une action qui tend vers un Init qui est bon, Mais pourquoi unc ac- tion, une chose sont-elles par nous qualifie'es de bonnes ou de mauvai- ses, si ce n'est parce que d'une part elles sont favorables, d'autre part de'favorables a notre nature? Ge qui veut dire qu'il n'y a rien qu'en soi on puisse dire exclusivement bon , exclusivement mauvais. Un objct nc devient tel que dans son rapport avec une certaine nature , de certains hesoins. Etant doune'es plusieurs organisations differentes, il peut elrc a la fois bon , mauvais ou indifferent pour chacune prise a part. Et raeme e'tant donne'es des circonstances diverses pour une nature unique , il devient tour a tour a son e'gard bon, mauvais , indifferent. Ainsi le bien et le mal varient en raison des varie'te's des etres. lis n'existent pas d'une maniere absolue, lis se determinent par les fins specialeS de cer- taines natures donne'es , lesquelles consistent tout entieres dans le de- veloppement de leurs propriete's ou faculte's constitutives. D'ou nous concluons que la premiere forme contient la seconde, et a plus forte raison la troisieme. Ce que nous cherchons done, c'est la fin de I'existence de Thomme. La fin d'un etre ou son vrai de'veloppement et sa nature, sont ne'ces- sairement en harmonie et doivent re'ciproquement se conclure Tune de I'autre , car il est evident a priori que les manieres d'etre des organi- sations sont en raison de leurs tendances et de leurs lois. La recherche de la fin de I'homine implique done I'e'tude de sa na- ture erl'analyse de sa constitution. Mais elle admet deux methodes differentes. L'une , qui est celle d'une simple et vulgaire expe'rience , part de cette idee que les etres ayant une destinc'e et devant tendre a I'accom- plir, il suffit pour la connaitre d'observer vers quels buts les portent leurs impulsions naturelles , ct par consequent, en ce qui concerne I'hommc, d'e'tudier Ic de'veloppement exte'rieur et de suivre I'histoire des individus. Ce proce'de serait infaiilible si le de'veloppement de 1 homme c'tait fatal et partant determine' d'une maniere invariable j mais, en vcrtu des facultcs d'intelligeiicc et de liberie dont il est doue , 20:^ NOnvELLES SCIENTIFIQUES. il le (lirige ct le domine , il varie , detournc , anete , excite ses propres mouvcmens et pr^sqne toujours s'abandonne exclusivcment a quel- qu'une des fins particulieres dont rensemble constitue sa fin ge'nerale. Or , de I'examen de ses actions , quelque conclusion que vous tiriez , soil que vous n'admettiez qu'un seul de tous les buts qu'il poursuit , soit que vous les admettiez tous a la fois-comme bons intrinsequement , soit que vous les conside'ricz corame cachant sous la varie'te multiple des manifestations un but supe'rieur duquel ils divergent tous ensemble, tou- jours vous serez force' de rapporter votre decision a quelque idee sur les principes de la nature humaine, car, sans cela, vous n'auriez au- cune raison jiour faire tel choix que ce puisse etre. Encore difficile- ment obtiendrez-vous rien de mieux qu'une somine de buts partiels , divers , et souvent oppose's de directions , d'oii vous ne ponrrez tirer la formule ge'ne'rale, qui est la fin de vos etudes, faute d'une donne'e de fonds pour de'couvrir I'ordre, et, pour ainsi parler, la Lie'rarcliie qui les unit les uns aux autres. C'est cettc me'tliode dont I'cmploi a produit en morale tant de systemes incomplets , parce qu'clle a conduit a pren- dre une partie de la destine'e humaine pour le tout ou n'a permis d'a- percevoir que vaguement dans leur ensemble et leur vraie source tous les motifs des actions de I'liorame. EUe est ne'anmoins la seule appli- cable a I'e'tude des etres, qui ne sont pas nous, car c'est leur vie qui nous apparait, non leur nature. Mais I'homme , au moyen de sa conscience , assiste a Taction inte- rieure de ses faculte's , s'initie par la vue de la production des pheno - menes a la connaissance des lois intimes de sa constitution , et sait en conclure sa destine'e. C'est ce precede qui sera le notre. Nous I'em- ploierons a observer les faculte's humaines, prises d'abord dans leur sphere propre , ensuite dans leur rapport avec les circonstances cxtc- rieures qui en raodifient le de'veloppement naif. Notre point de depart sera dans les grands re'sultats que fournit la psycologie de I'homme. Les deux proce'de's, ainsi que deja nous I'avons fait sentir , ont sou- vent ete unis par des philosophcs , mais toujours avec une sorte de pre'- juge' et de partialitc; et cette union ne les a conduits a une doctrine d'enscm])lc qu'a Iravcrs ime idee exclusive. C'est de cette fafon que Laro- chefoncaiid, s'e'tant pe'nc'tre d'abord d'un sentiment partial sur Ic caractcre du motif profond et dernier des actions humaines, a cherchc a demontrci INDUSTRIELLES ET. LITTERAIRES. 3o3 la predominance exclusive de re'go'i'srae par I'histoire raisonne'e de la courtisancrie de son e'poque, ne'gligeant les exemples de vrai de'sinte'- rcssement qu'il aurait pu Irouver, soit dans son tems, soit dans d'au- tres tems et d'autres lieiix. Nous chercberons a de'couvrir toutes les donnees qui s'offriront a nous dans I'e'tude de la nature humaine observe'e en elle-meme; et puis une fois cet examen fait , aussi complet que possible , il sera pcrmis de le verifier en s'en servant pour expliquer le spectacle de la vie des hommes. La premiere analyse importante qui doive nous occuper a pour objet de trouver tout ce qui est I'homme , et surtout de le distinguer de tout ce qui n'est pas lui. Gar, s'il arrivait que Ton confondit, avec des faculte's qui sont essentielles a sa nature, des faits qui lui sont e'trangers, ine- vitablement de Tide'e d'une constitution plus complexe que la sienne n'est en re'alite', on de'duirait une fin plus complexe qife celle qui lui est assignee. Le mot homme represente , dans les ide'es ordinaires , cet etre Com- pose' d'abord de matiere, puis d'une force cache'e qui organise les e'le'- mens, maintient les formes, produit les mouvemens et se manifeste par I'ensemble des phe'nomenes dits de la vie. Les ele'mens mate'riels , ainsi re'unis en agre'gation , subissent une succession d'etats qui diffe- rent par la force de consistance, la disposition, les formes. Vient un moment oil ils sc se'parent , se dispersenl et renli'ent sous Taction des forces ge'ne'rales de la nature, auxquelles les avait un moment soustraits la force particulicre qui les re'gissait : court expose' qui .suffit pour e'ta- blir que la vie est une lutte continuelle contre les forces mattresses ba- bituelles de la matiere, et qu'elle ne consiste pas dans cet amas de mo- lecules livre'es a un mouvement perpe'tuel, mais dans le principe per- manent qui les rallie. L'borame est done dans les forces qui animent ce compose qui nous est sensible. Mais est-il dans I'ensemble des forces vitalcs, ou seulement dans I'une d'elles,et, dans cette derniere hypothese, comment savoir la- quelle ? Toutes les causes exte'rieures echappent a nos moyens d'observation : nous n'en apercevons que les effets. Aussi nous est-il impossible, sur la . simple impression de leurs manifestations, d'en determiner le nombre et 204 NOUVKLLtS SCIEN TUKjUES d'en dire la nature avec certitude. Nous ne pouvons fairc que dcs hypo- theses plus ou moins probables , et presenter comme explication de la cause la description de I'effet. Le fond cssenticl, son e'tenduc , la ra- cine dcs clioscs, leur raison, nous e'chappent complctement. Dans rhomnie seul il y a une cause qui peut etre observe'e imme'dia- temeut par lui. Lorsque je produis une pensc'e, une volition , un acte , j'ai conscience et de la production du phe'nomene et de la faculte qui est en moi de le produire dans les divers momens du terns. Ici je connais la cause aussi bicn que les effets. D'ou cela vient-il? De ce que cettc cause est moi. Mais comment advient-il que j'existe en tant que moi? Parce qu'apres 'm'etrc cherche', je me suis trouvc' et senti comnie existence distincte de celles ([ui m'entourent, et j'ai dit moi. Mais dire moi c'est penser, c'est connaitre, Ici I'etre qui est connu et celui qui connait se confondent. D'oii il suit qu'il y a identite entre le principe qui dit moi et le prIncipe intelligent et pensant. Meis il se passe dans I'homme d'autres phe'nomenes que ceux de pense'e, de volonte, de sentiment, et desquels il n'a pas conscience. II y a en lui une force , ou , si Ton veut , des forces qui operent la digestion , la secretion de la bile, la croissance des cheveux, etc., sans que jamais ces phe'nomenes soient perceptibles a sa conscience. Or il est dans la nature d'un principe qui dit moi d'avoir la notion de tous ses actes, de toutes les modifications qu'il e'prouve. La conscience n'admet pas de se- paration dans son domaine. Done, si les phe'nomenes physiologiques lui demeurcnt toujours inconnus, bien qu'ils se produisent indiffe'remment dans tous les instans, nc'cessaircment ils rclijvcnt de principes distincts du moi a qui appartient I'intelligence, le sentiment, la volonte'. La sepa- ration entre les phe'nomenes de relation proprcs au moi et les phe'no- menes vitaux de nutrition ou de secre'tion est bien tranche'e. D'oii cctte ve'rite de'coule, qu'il y a dans I'homme, dans un rapport de de'pendaucc incontestable, mais a des conditions tout-a-fait differentes, la cause moi d'une part , d'autre part une cause ou plusieurs causes , place'cs peut- ctre sous Taction iinme'diate de Dicii et produisant tout le de'veloppe- ment da corps. Pour e'branlcr cctte distinction, on peut ol)jectcr qu'il y a dans I'exer- cice de u pcns;''e des fails sur lesqiiels uotre conscience semble uc ricn INDUSTRIELLES ET LITTEERIR F,S. 205 nous apprendre. En cffet , nous ne retenons pas Tidce de la plupart des modifications intellectuclles que nous avons une grande babitude d'c- prouver. Stahl, qui pie'tendait que rhomme est tout entier dans un prin- ripe unique, a rcconru a cet argument de I'babitude pour expliquer comment la conscience nous manque des operations vitales, II faut remarquer d'aboid, pour repondre a Stabl, que nous pensons aussi EouA'cnt que nous dige'rons , sans que la notion du premier fait nous manque entierement comme celle du dernier. Ensuite, que Ton veuille I'observer profonde'ment , ct Ton trdiivera qu'il n'cst pas un soul de nos actes intellectuels dont nous n'ayons la conscience effective plus on moins prononce'e. Ce qui nous e'chappe, c'est le souvenir, par de'faut d'attention pie'alable. Meme pour Irs actes qui se fynt avec la plus grande rapidite, la conscience, bien qu'e'mousse'c par I'habitude, n'est jamais df'trnite. II suffit, pour s''en convaincre, de ralentir I'ope'ration , de telle sorte que la trace puisse s'en graver dans la memoire. Ainsi, d'ordinaire, en li- sant, nous avons la perception des lettrcs et des mots, sans ne'anmoins nous en rendre aucun comptej mcfis sitot que nous voulons faire atten- tion, ou qu'une difficulje quelconque, telle que, par exrmjDle, Finsuffl- sance de la lumiere au dcclin du jour, nous arrcte, nous sentons fort bien par quel proce'de les lettrcs se de'melent , sc rapprocbent et se combincnt dans le courant de la lecture. II est encore une autre objection possible ct qu'il faut rapporter a une confusion que nous devons prevcnir entre deux fails essentiellement dis- tincts. On pent dire : « Nous avons souvent connaissance des ope'rations vitales ; car lorsqu'ellcs se font avec peine, nous en e'prouvons une sen- sation de douleur ; de meme, lorsqu'ellcs s'accomplissent aise'ment, nous avons le sentiment d'un e'tat general de bien-aise. » II est tres-vrai que nous recevons de toutes les parties de notie corps des sensations pro- venant du dcveloppemcnt des forces vitales. Mais la sensation n'est rien autre chose que le plaisir ou la douleur qui re'sulte en nous de cer- tains rapports extc'rieurs. Nous ne saisissons pas en elle-memc I'ope'ra- tion qu'elle presuppose. Telle n'cst pas la nature et le caractere dcsfaits o'qui apparliennent a la conscience. Quand nous pensons, nous nous ren- dons complc a la fois de I'acte et de ropcration; nous distinguons, dans son origine la plus obscure, I'ide'e qui va devenir une connaissance. Une 306 NOUVELLES SCIENTIFIOUES. preuvc decisive dc ccttc distinction , c'cst que lorsqiie nous icncontrons de la difficulte pour penscr, les deux fails se pre'sentcnt concurremment et sent fort loin de se confondre. Nous avons a la fois la conscience de ce que fait notre esprit et la sensation douloureuse de la pdine que nous e'prouvons. Et plus la douleur s'accroit , plus le caracterc de la sensation se dessine fortement en contradiction avec celui de I'ide'e. II est bon d'ajouter que la perception de'termine'e des sensations ne p'arait pas etre tin fait primitif et naturel. Elle ne re'sulte que d'une ex- perience prolonge'e. Ainsi leS enfans qui souffrent ne peuvent donner au- cune indication sur le sie'ge de leurs douleurs. Les hommes fails eux- mcmes, qui n'ont pas c'tudie les fonctions du corps , savent rarement localiscr avec precision les sensations qui viennent dcs organes inte'rieurs. A cette particularite se rattache cetle sortc d'association d'ide'es, qui fait rappqrter a un membre se'pare du corps toiile sensation doulouretise produite dans les parties avoisinantes qui n'ont pas c'te enlevees. Noiis sommcs done conduits a affirmcr qu'il y a dans I'liomme deux principes , la force qui dit moi et la force vitale. Le moi est ne'cessaire- ment une cause, c'est-a-dire simple tn son essence. II ne pcut etre loge' dans une agrc'galion de matiere , et s'offrir comme la re'sultante des diffe'- rentes actions des diffe'rentcs forces que cette agre'gation ren*"erme ; car il serait un effet complexe impliquant une distinction originaire de mouveracns et une ide'c de multipliclte qui exclut celle de conscience. Cependant il n'eslpas impossible de dire que la cause moi soil matiere, si on la place dans un element simple ; mais la simplicitc de rc'le'ment mate'riclest aussi difficile a concevoir qu'a de'montrer. De la delimitation ainsi faite de la nature veritable de I'liomme, de la circonscription rigourcuse que nous venous de tracer, de'coulcnt des consequences imporlanles. En ])rcraicr lieu , si I'homme ainsi concu psycologiqticmcnt est tout entier dans I'espril , sa destination est tout entiere dans celle de 1' es- prit , non dans celle de la force vitale. Et en effet , rcxpcrience nous apprend que cliacun des deux principes a sa raanicre propre de se de- velopper et lend a un but qui n'eslpas celui de Fautrc-Ce n'esl pas I'es- pril qui a faim ni qui a soif , qui est sourais a la craintc d'un trop grand froid ou d'une trop vive clialeur , qui exige impcrieusement le repos apres le travail. Et , d'aulrc part , ce n'esl pas le corps qui s'e'prcnd INDUSTRIELLES ET LITTERAIRES. 207 d'ardeur pour la recherche de la verite' , s' exalte par I'ambition ou par I'amour de la liberie , se de'voue an devoir, se lie aux etres humains par I'amitie, sympathise avec tons les etres du monde qui I'entourent d'autant plus e'nergiquement que leurvie ressemljledavantage .i la vie derhommc. Le corps ou 1' animal ne pensc , n'aime, ne veut pas, ne produit rien par lui-mcme : il manifeste et exprime les volontes , les pense'es , I'a- mour du coeur ou de I'esprit qui ne sont pas luij il les sert forte- ment , quand ils commandent avec force ; et , quelque faible que soit I'appareil musculaire , il soutient d'e'tonnans travaux aux oi'dres d'une ame vigoureuse , il est domine par elle. Mais il y a neanmoins de'pendance mutuelle du corps et de I'ame, par consequent de'pendance des deux buts ; d'oii il suit que , jusqu'a un certain point, le bien du corps est le bien de I'esprit pour I'accomplis- seracnt de la Cn de cette vie. Quelle que soit done la supe'riocite du de- vcloppement de I'esprit sur le de'veloppement du corps , le premier ne marchant qu'a la condition du second , le principe pcnsant doit garantir I'organisation. des troubles graves qui peuvent I'affecler et veiller a sa conservation. II y a pour I'individu d'abord unc raison d'inte'ret mate- riel qui se lie a la sensation douloureuse, et agit, instinctivement dans . I'enfance, plus tard avec calcul. II y a ensuite une raison morale qui le porte a prendre ce soin pour la tranquillite' de I'esprit et la satis- faction de ses exigences. C'est cette vue qui a fait dire que I'homme a des devoirs envers son corps. L'idee est juste au fond , mais la formulc est inexacte; car I'homme n'a de devoirs qu'envers lui-raeme, et lous rentrcnt dans un devoir primitif , unique , qui est I'accomplissement de sa destination. Cette destination n'est pas dans les tendances du corps. On coucoit que I'esprit et le corps se'parc's aient chacun une lin naturelle qui existe toujours au moins virtuellement au sein de leur alliance force'e , et qu'ils atteindi'aieut avec bien plus de verite aprcs la rupture de cette alliance. La preuve en est dans la contradiction douloureuse qu'offre la vie de tant d'hommes.entre Taction du principe pcnsant et Taction du principe animal. Gombieade philosophes, d'hommes d'e'tat, d'artistes , n'ont- ils pas use leurs corps , e'puise' leur vie en pen d'anne'es a la poursuite de la verite', du but de leur ambition politique , dans leur ardent enthou- siasme pour le beau ? 208 NOUVELLES SCIENTIFIQUES Dc cctte doctrine il suit que tout ce qui se fait uniquement pour le corps est immoral comrae inutile ou contraire a notre fin ; il suit en outre que c'cst une chose morale que de re'duire les soins donne's au corps a la limite rigoureuse que la raison assigne dans I'inte'ret de sa sante. Ici nous sommes a la source des erreurs de la morale sensnclle , qui sera plus tard I'objet de notre examen , morale qui place la fin de I'liommc dans les jouissances du corps attaclie'es aux sensations, confondant, dans sa logique, le plaisir avec le bicn dont il peut etre le signe, et. dans ses con- sequences , tendant a I'agrandisscment du besoin par la quantite de la satisfaction , par suite a une augmentation inevitable de travail materiel, et meme plus tard a I'affaiblissement de la sante par I'cxccs ou il ar- rive naturcllement que la satisfaction est portee. Une nouvelle consequence , c'est'que dans les cas ou les fins dcs deux principes sont en opposition directe , c'est la fin de I'esprit qui doit triompher. Le corps n'est que son instrument ; tant qu'il lui scrt il doit etre menage ; des qu'il lui nuit, il peut ctre sacrific. Si I'accomplisse- ment dc la destine'e de I'esprit exige manifestement un violent effort qui doit abregerla vie de plusieurs anne'es, il n'y a pas lieu a he'siter. Mais si , par une voie non pe'rillcuse, il est possible d'arriver au merae but, raalgre des detours et des lentcurs , la raison majeure et exceptionncllc n'existe plus. C'est a une connaissancc re'flc'chie et complete des devoirs de la vie humaine qu'il faut demander les raoyens de de'finir les cas spe'- ciaux, et d'eclairer les applications douteuses. Si I'homme occupe la place la plus e'levee parmi les etres du globe , il la doit aux faculte's de volonte, de pensee , de sentiment qu'ils ne possedent pas comme lui , ou ne possedent qu'a des degre's fort infe- rieurs. Partout , dans le monde , il y a force , action j mais Faction au plus bas de I'e'chelle des organisations , dans Ic mine'ral , est borne'e a conserver I'agregation. Le phc'nomene est perpe'tuel , mais immobilise'. Dans le vegetal , la force met en mouvcmcnt les molc'culcs , leur donno des formes qu'elle modifie , et comprend en outre dans son but la repro- duction de I'espece, A ces puissances I'animal aloutc une ccrtaine faculte de disposer dc lui-incmc, (jui le rend inailrc du compose corporcl. Ne'aninoins il arrive que , par un cercle yicieux singulicr, cettc faculte no scrt en lui qu'a assurci- les fins de conservation , d'accroisscinent et dc reproduction INDUSTRIELLES ET LITTERAIRES. 209 paiticulieres au mineral et au vegetal. Mais dans les niieiix organises d'entre les animaiis. apparaissent des instincts et dcs actcs qui laissent voirle pressentimcnt dune fin plus eleve'e. Ainsi , pour nc donncrqu un exeraple , si les oiseaux chantent , ce nest pas dircctemcnt dans le but de conserver ou de reproduire Tespecc. Chez riiomme ces faits acquierent une importance capitale , et meme dans 1 e'tat de grande civilisation , une predominance complete. Le sau- vage lui-meme nest pas toujours et exclu'sivement occupe' de satisfaire a ses appe'tits mate'riels. L'homme , de'veloppe' par 1 e'tat social , passe la plus grande partie de son terns a faire de la poe'sie , de la musique , de la science , de la philosophie , de la politique , et mille clioses qui ne sont pas pour les besoins de son corps. Malheureusement la grande majorite des hommes est condamne'e par sa condition a employer cxclusivement toutes ses faculte's a la satisfac- tion ne'cessaire des besoins physiques; I'esprit est sacrifie au corps _, la fin la plus noble absorbe'e dans la fin de I'animal. II y en a dont la pen- see est completement etouffe'e. lis ne sont qu'un me'canisme vivant. Chez d'autresl'abrutissement du travail materiel est pre'venu paries reflexions ot les combinaisons qu'exigent les difliculte's varie'es qui I'entravent. La direction qu'ils ont de leurs actes leur donne la conscience de leur situa- tion et ils en souffrent, et cette souffrance constitue un fait moral. . Mais c'etait un beau correctif apporte' par le christianismc au malheur de cette condition , que ces jours de relache , et surtout que cts instruc- tions religieuscs qu'il avait etablies. Le domaine de la servitude me'capique s'en trouvait restreint, et la part de riulelligence dans la vie huraaine .igrandie- L'effet de la civilisation est de permettre a un nombre croissant d'hommes un plus grand de'veloppement de leurs faculte's intellectuelles el morales. L'esclavage, qui semble avoir e'te' la condition de re'tablis.- scment des societes primitives, en fondant sur la nullite de I'immense majorite la grandeur de quelques individus, s'est efface'. Les ide'es chre'- tiennes d'e'galite, transforme'es d'abord dans le systeme fe'odal^ ont ou- vert une voi'e d'ame'lioration qui doit s'e'largir incessamment. La demonstration qui vient d'etre faite de la dualite' de principes dans I liomme pent servir a porter la lumiere sur plusieurs graves questions, TOME LITI. JANVIER 1832. ^4 2IO NOrVELLES SCIENTIFIQUES, notammcnt suv ccllc clc suicide. L'examcn de cette dernicie sous ses di- vers aspects, nous oflVe tine occasion dc Tappliquer. Lc suicide, quelle qu'en soit la cause^ est dans le plus grand nombrc des cas un fait de reflexion, non una resolution soudaine. Le desespoir qui I'amenc est le fruit lenteinent forme' dc longs raisonnemens. Si quel- quefois la de'cision parait avoir c'te subite et le'gcrc , c'est que dcja une longue suite de deceptions avail mis au fond du cceur un soupcon terrible qu'un malbeur des plus simples a suffi pour cbangcr en certitude. Le vase e'tait plein ; une goutte d'eau I'a fait deborder. — Le suicide est la consequence d'un ennui prolonge, qui n'est rieit autre cbosc que levidc de I'ame, inane, I'extinction de tout espoir de remplir les fins que nos faculte's briilent d'atteindre. L'ide'e en peut vcpir, quoiquc bien rare- ment , apres de longs travaux d'intelligence qif on a vus se briser contrc des milliers de mysteres sans avoir pu faire jaillir la ve'rite de'sire'e. Elle vient , mais rarement encore, apres de grands efforts infructueusement employes pour satisfaire une ardente ambition. Elle nait prcsque tou- jours des doulcurs qui nous affligcnt dans notre sympathie dont le pen- cliant est celui de tons , qui a le plus de violence , qui rencontre le plus d' obstacles et dont la carriere est la plus vite ferme'e. Le sentiment de I'amour ou de I'honneur, en voila les deux grandes sources. La cause de'terminante est toujours morale et reside dans un mal per- sonnel a I'etre pensant. Le mal du corps ne porte jamais a se tuer, si ce n'est parfois dans le cas ou il faut de'sespe'rer de recouvrcr le de'velop- pement e'nergique des faculte's intellectuelles et morales qui constitue la ve'ritable vie de I'homme ; alors, dans la conside'ration qui infltie, rinte'ret du corps est comple'tement subordonne a ce dernier inlc'ret. L'imagina- tion porte au suicide parce qu'elle exagere les raaux. L'isolement y porte encore, parce qu'il dc'termine et maintient les longues contempla- tions. Toutes les fois que les ames, soit par un offct naturcl de I'organi- sation, soit par un effct des circonstances exte'rieuros, cprouvent du penchant a se replier sur elles-memes , les cas de suicide deviennent plus nombreux. lis le sont plus sous les climats severes que sous les cliraats agre'ables, dans le nord que dans le sud, sous les constitutions monarcliiques cbre'tiennes que sous les rc'publiqucs dc I'antiquite, ou la vie e'tait toute dans une activite extc'ricure , clicz les bommcs murs que chez les jcuncs gens, chcz les hommes que cbcz les ferames. Les suicides INDUSTRIELLES ET LITTEKAIRES. 211 de femmes presque seuls vicnnent parfois d'un motif violent et siibit , parce qu'elles ont rimagination facile a exalter. Les sauvagcs ne sc tuent pas, parce qu'ils vivent au jour le jour, sans etendre Icur pense'e au loin dans I'avenir. Le mot de suicide , suivant r ide'e de la dualitc do principes dans riiomme , est inexact; car le principe qui re'sout de tuer et qui tue n'est pas cehii qui est tue. L'ame ne se detruit pas, elle ne de'truit que la force, sa com- pagne, ou plus exactement encore le lien de leur de'pcndancc. Scion cctte conception, le suicide n'est qu'une dissolution de communaute. Mais dans I'hypothese de 1' unite' de princrpe, ce n'est plus I'effort violent d'un etre malheureux pour sortir des circonstances qui compri- ment sa liberte, c'cst Taneantisseraent volontairc de I'etre par lui-meme. Or un tel acte parait tellemcnt contraire a la tendance naturelle de toute existence qui la porte a etre , qu'il y a toute raison pour affir- mer que, malgre' les systcmes existans dans I'intelligence, I'individu qui se tue est domine par un sentiment sourd de la dualite'. D'ailleurs la ques- tion qu'il pose le plus souvent n'est pas celle-ci : Etre ou n'eire pas ; c'est cette autre : Passer celte vie mise'rablement Ou I'aLandonncr, sans que rien ai#e chose soit pre'juge' ni demontre pour le temps ulte'rieur que la mort de I'animal. S'il e'tait bien prouve' que I'nmc ne se se'pare du corps que pour en- trer dans une existence immortelle et raeilleure , rien n'empeclierait le suicidej mais I'obscurite' probablement e'ternelle de cette question et puis une peur naturelle de la mort y feront toujours obstacle. D'ailleurs il faut ajoutcr a ccs considerations plusicurs considerations morales. En premier lieu, on devra improuvcr presque tons les sui- cides, si Ton remarque que le complet desespoir dont. ils se de'duisent est rarement demontre sans retour. Puis, si Ton admct, comme nous Ic ferons voir, que la lutte est le caractcre essentiel et moral de la condi- tion liumaine, on sentira que la tolerance courageuse d'unc vie sans es- poir est un acte tres-e'leve parce qu'il cre'e avec c'ncrgie la personnalitc del'homme. Si pourtant le malheurfait triomplicr en lui I'cntrainement de la faiblcsse, en ve'rite Ton n'a pas le droit de le qualifier d'immoral ct de lui refuser de la pitie' pour le charger d5 me'pris ct d'indignation. Des cas se rencontrent oil il parait certain que la mort est preferable a la vie pour la personnc huraaine. Alors le suicide est legitime. Cvhn 14. 212 NOUVELLES SCIENTIFIQUES de rhomrae qui sc clcvone pour son pays , celui de la. femmc qui sc sa - crifie pour conservcr son honneur portent ce caractere. Quant au sui- ridc famcux de Caton, si Ton examine avec attention tous les faits ct loutes les circonstances qui Tout acconipagne , on le mcttra hors de ce nombre, car il est Lien plutot I'effet d'un grand orgueil que d'un veri- table motif moral. Les ide'es que nous venons de de'velopper renferment les e'le'mens de la solution d'une grande question analogue, celle du duel. Une autre question debattue a grand bruit par les ])Lilosophes, celle du luxe, qui consiste a decider si, dans I'interet de la fin de I'liomme, il vaut mieux subvenir largement aux besoins du corps au prix d'une longue perse've'rance de travail ou restreindre ces besoins au strict ne- cessaire, afin d'etendrc le de'veloppemcnt dc I'intelligence, en re'duisant la de'pense de travail materiel, est aussi comprise dans ce meme point de vue. L. L. Gadebleo. ACADEMIE EiES SCIENCES. Seances du niois de januier i 852 . Sc'tmce dii ^Janvier. M. Gendrin ayant , dans une des se'ances du mois precedent, an- nonce a 1' Academic les lieureux cffets qu'il avait obfenus, pour le trai- tement de la colique de plomb, dc I'usage de la limonade sulfurique, MM. Chevalier et Rojer^ par ime lettre adresse'c au president, rap- pcllcnt qu'il y a plusieurs anne'es , ils ont lu a 1' Academic de me'decine une note sur I'emploi avantagcux de I'acide hydro-sulfurique ct des hydro-sulfates alcalins dans le traitement de la meme raaladie. La note a laquelle ces deux me'decins font allusion est jointe a leur lettre ; nous en extrayons les passages suivans : Trois indications principales se pre'sentent dans le traitement des empoisonnemcns par les sels.et les oxides de plomb, ct en particulier dans la colique de plomb qui en est I'expression symplomatiquc Ja plus fre'quente. La premiere consiste a neutraliser le poison en adminis- trant a I'inte'rieur une quantite' d'eau hydro-sulfure'e proportionnc'e a la INDUSTRIELLES ET LITTERAIRES. 210 quanlite qu'on pent supposer avoir e'te absorbee on simplcmcnt intro- diiitc dans le corps dii malade. La seconde consiste a combattre la con- stipafion opiniatrc qui est un des symptornes les plus fre'quens dc ces erapoisonnemens. La troisieme consiste a calmer les douleurs et a pro- curer du sommeil. MM. Royer et Chevalier, pour remplir les premieres indications, se sont servis quelquefois avec succcs de I'eau d'Enghien; le plus souvent ils ont recours a la preparation stiivante: Prenez dix-neuf litres d'eau, puis ajoutez un litre d'eau sature'e d'acide hydro^sulfurique , et dans laquelle , avant la saturation , on aura ajoute' douze grains de carbonate de soude. On satisfait a la seconde indication au moyen d'un purgatif i'orme de jalap et de scamonne'e a parties egales. La dose varie , suivant les cas, de huit a vingt-quatre grains; quelquefois il est ne'cessaire, en outre, de recourir aux lavemens de decoction de sene'avec I'huile de ricin. Enlin on procure du rcpos a I'aide du laudanum donne a la dose de huit a douze gouttes, ou au moyen d'un grain a un grain et demi d'o- pium gommeux. Nous avons cru devoir entrer dans ces de'tails , attendu que le mode dc traitement de MM. Royer et Chevalier , quoiqiie public' depuis plu- sieurs anne'es, est encore peu employe. Cependant il est certainement beaucoup plus prompt que ceux auxquels on a encore gene'ralement re- cours. — L'Acade'mie proeede a la nomination d'un vice-president qui doit etre pris dans la section des sciences physiques. M. Geoffroy-Saint-Hi- laire obtient, a un premier tour de scrutin, 23 suffrages; M. Cordier, 19. A un second tour, M. Cordier en reunit a3 ; et M. Geoffroy, aS ; ce dernier est proclame' vice-president. M. Lacroix, qui, en i83i, rem- plissait les fonctions de vice-pre'sident , devient president pour i83i. — M. G. CuviER lit un me'moire sur les progres de I' ossification dans le sternum des oiseaiix , depuis les premiers instans oil le sj'S- teme osseux commence a se prononcer dans Vembryon jusquh la complete deposition du phosphate calcaire. Le savant acade'micien fait voir que le nombre des points d'ossification n'est pas le meme dans tons les oiseaux, que le nombre dc ces points n'est jamais de plus dc cinq, mais que dans beaucoup d'cspeces il se re'duit a deux. Si Ton a 2l4 NOUVELLES SCLENTIFlQtIES , cru Ic coutraire, c'est qu'on a e'tendii mal a propos a tons Ics oiseaux ce qui esiste chez Ics gallinacc's , lesqucls ont etc jusque-la le sciil sujet lie toutcs les observations a cct egard, a raison dc la plus grande facilite qu'on trouve a s'en procui-er. II rc'sulte encore des faits observes par M, Cuvier que les formes du sternum, sa quille, ses trous ne sont pas le produit dc rossification , mais que le sternum prc'exisle avec tons ses caracteres en nature de cartilage avant qu'il s'y soit montre' aucun point osseux; que, de plus, on y voit des trous se former par les progres de 1' ossification au centre meme d'une piece, ce qui, dit I'auteur, est contraire a I'opinion avance'cpar certains anatomistes, qu'il n'existe ja- mais de trou qu'au point dc rencontre de deux ou de plusieurs pieces distinctes. M. Cuvier ayant termine, M. Serres eieve des objections contre quelqucs-unes des conclusions. Les trous dont parle M. Cuvier sont, dit-il , a toutes les e'poques , ferme's par une membrane ; il ne doiinent passage a aucun nerf , a aucun vaisseau ; ce ne sont pas des ouvertures veritable.;, et ce n'cst que de celles-la que j'ai entendu parler, quand j'ai dit qu'elles se trouvaient necessairement au concours de plusieurs pieces distinctes. Les seuls trous ve'ritables que pre'sente le sternum sont situe's sur la lignc mc'diane et ferme's bicn e'videmment dans ce cas 'par le concours de pieces differentcs. M. Cuvier affirme qu^ les plieno- menes de I'ossification ne sauraient etpc invoque's en faveur de la doc- trine de I'c'pigenese (formation dc I'embryon par' agrc'gation successive de molecules de la circonfe'rence au centre). Cela cstvrai, dans le sens oil il I'entend, mais non dans celui ou je ]>rends le meme mot: car, considc'rant le depot du phosphate calcaire comme un phc'nomene d'importance secondairc , je fais commcncer I'os- sification a la formation des cartilages ; c'est done a une cpoque plus cloigne'e encore de la naissance que celle dont est parti M. Cuvier, qu'il faudrait se transporter pour decider si le de'veloppement du systeme os- seux offre des argumcns favorables a la doctrine de I'c'pigenese ou a celle de revolution. M. Cuvier repond que le but de son travail n'est pas de faire pre- valoir une de ces doctrines, mais simplement dc dc'criie les progres de i'ossification dans Ic sternum des oiscaux , et de redresser quclques er- INDUSTRIELLES ET LITTERAIRES. 2j5 icurs dans lesquelles on c'tait tombc en ge'neralisant ce qui n'e'tait qu'iin cas particulier. J''ai pris , dit-il , dans tout men me'moire le mot d' ossification dans le sens oil on le prend commune'raent ; et je n'ai pas pu avoir Tide'e de lui donner une autre signification dans les conclusions. Quant a la question dont parle M. Serres, je ne I'ai pas re'solue ici, cela est certain j inais aussi ne I'ai-je pas pose'e. ' — M. le docteur Delpech, de MontpcUier, lit, en son nom ct cclui de M. Coste, une note qui fait suite a leur travail commun sur le de- veloppement de I' emhrjon. (Voyez, dans le caliier dede'cembre i83i, page 780, le rapport sur le me'moire qui contient les re'sultats de leur ti-jivail. ) On sait que ces deux me'decins attribuent , a I'attraction qui s'exerce entre deux couran? e'lectriques paralleles et dirige's dans le meme sens , le rapprochement qui s'opcre entre les deux jiarties , d'a- bord distinctes, de la moelle epiniercj un cas de monstruositc leur donne lieu de faire une nouvelle application de ce principe. La piece qui fait le sujet de la note est un ceuf a double germc qui a c'te soumis a robservalion aprcs une incubation de Irentc-six heures, mais oil le de'vcloppemeut est moins avance qu'il ne le serait dans un cEuf a germe unique aprcs le meme tcuis. Les deux gei'mes sont pourvus de Icurs lapis qui anticipcnt un peu I'un sur I'autre, le plus petit s'e'tant glisse' entre I'autre et le sac.vilel- lairc. Les axes des deux appareils nerveux ne sont pas paralleles. Celui du grand germe est parallele a la ligne des chalazes , I'autre forme avec celte direction un angle de quarante-cinq degre's environ. Les auleurs supposent que les deux axes e'taient d'abord paralleles entre eux , et disposes de maniere en ce .que dans tons les deux I'extre'mite' infe'ricure flit dirige'e de la meme maniere. Dans ce cas les courans electriques qu'ils supposent dans chacun de ces axes devaient etre paralleles , ct tendre a ope'rcr un rapprochement. II y en a eu en effet, mais le frot- teraent a fait qu'il s'est ope're inegaleracnt, etce sont les extre'mite's in- fe'rieures qui out inarchc Ic plus vitej c'est Ic cas le plus ordinaire pour tons les monstres doubles , quand le rapprochement parallele des deux axes est empeche. II est bcaucoup plus rare de voir des reunions pav la tete que par le bassin ; mais cc (ju'on ne voit jamais , c'est que la parlie supc'ricurc de I'un soil unic a la parlie infc'rieur* de I'autre, ct en effct^ 2l6 NOUVELLKS SCIENTIFIQUES d'apresla theorie de MM. Goste et Delpech, il ne saurait y avoir de fusion dans le cas ou les axes seraient ainsi en sens oppose', puisque les courans e'lectriques aiiraient lieu en sens inverse, et bien loin de tcndre a rapprocher les deux germcs, ne pourralent que contribuer a les c'cartcr. Se'unce du 9 jarnner. M. PoissoN depose sur le bureau un travail ine'dit de Lagrange., sur la force de la poudre a canon. On a lieu de supposer que ce tra- vail a c'te'fait, en 179^, sur une demande du gouvernement. Le ma- nuscrit sera joint aux autres papiers de Lagrange que possed'e la bi- bliotlieqiie de I'Tnstitut. — M. Geoffroy Saint-Hilaire depose sur le bureau, pour pren- dre date, un memoire destine a re'pondre a celui que M. Cuvier a lu dans la seance pre'ce'dente. — M. Gagniard-Latour donne la description d'une nouvelle ma- cliine de son invention , qu'il de'signe sous le nom de volcan hj'drauli- que. La piece principale consiste en un faisceau de tubes d'un assez petit calibre pour que les liquides et les gaz qu'on y introduit simultane- ment puissent rester me'langc's pendant leur circulation et former une colonne interniittente analogue a celle de plusieurs machines deja con- rues; telles que la porape de Se'ville, la fontaine de circulation, enfin la vis pneumatique a mercurc de M. Gagniard, laquelle se trouve de- crite dans un rapport fait, en 1809, a 1' Academic, par Garnot. On pent, a I'aide de cet appareil, e'lcver, d'une manicre fort simple, I'eau d'un reservoir pour peu qu'on ait a sa disposition un courant con- tinu d'un gaz peu dissoluble , par exemple un courant d'air compriiuc. En effct ilsuffit de plonger dans ce liquide, jusqu'a une certainepro- fondeur, la partie infe'rieure du faisceau capiilaire , et de diriger au- dessous de cctte extrc'mitc , a I'aide d'un tube de forme convcnable , le courant gazeux; alors il se produit dans chaque tube une colonne d'air et d'eau qui , si la proportion de gaz est assez grande , sera plus le'gere que la colonne toutc d'eau du reservoir, destine'e a lui fair6 equilibre. Dansce cas il se produira const;immcnt un mouvementascensionnel , et de I'extreraite' de chaqnc tube il s'e'coulera continueliemcnt de I'air uie- lan^e d'eau. INDIJSTRIELLES ET LITTERAIRES. 217 — M. Latrei lle fait, en son nom et au nom de M. Flourens, un rap- [lort sur un memoire de M. Guerin , relatlf a un nouveau genre qut- ce naturaliste vcut cre'er parmi les crustace's de'capodes , le genre des lepthognates. Ce genre aurait de tres-grands rapports aVec celui des sergestes forme par M. Milne Edwards. Les rapporteurs meme incli- nent a croire que les lepthognates de M. Gue'rin ne sont autre chose que des sergestes dans leur jeune age. Si celte conjecture se confirme , tout en supprimant le genre propose par M. Gue'rin, on ne lui en devra pas moins des descriptions bien faites de la structure de .ces animau\ a une certaine epoque de leur vie , descriptions auxquelles il faudra avoir e'gard pour etre en e'tat de les reconnaitre a leurs diffe'rens ages. — M. DuLONG fait, en son nom et au nomdeMM. Prony, Arago et Cordier, un rapport tres-favorable sur un nouveau producteur de va- jieur de I'invention de M. Seguier. L'auteur s'est propose d'arriver ;'i une grande e'cononiie possible de combustible , en meme terns d'e'car- ter, autant que possible, toutcs les causes d' explosion , et ilparait avoir au moins a|)proche' de tres-prcs du but. C'est dans un mode de chauffage. a flamme renverse'e que consistc principalemcnt, selon I'opinion des commissaires , le me'rite de I'inven- tion de M. Seguier. Quant a Tidc'e de substituer aux chaudieres des machines a haute pression , un systeme de tuyaux inclines et jiaralleles entre eux avait ete' depuis plusieurs anne'es realise. Cependant I'appareil de M. Seguier a meme en ceci un avantage sur ceux qui avaient etc ronslruits auparavant. II offre moins de causes de destruction et beau- coup pliis de facilite pour le remplacement des pieces usees. Seance du \% jaiwier. On renvoie a la commission du chole'ra-morbus un rae'moire latin de iVI. Kastler, une communication de M. Ducrest et une lettre dans la- (juellc M. f^erlet, de la commission scientiGque de More'e, donne des details sur une maiadie qui a ete observe'e a Calamatta, et dont Ics symp- tomes se rapprochaient dc ceux du cholera. — M. Cordier lit I'extrait d'une lettre e'crite de Palerme par M. Constant Prevost, et on se trouvent quelques observations relatives a des faits nouvcaux, ou qui avaient ete auparavant mal pre'scnles. « Jc 2 id NOUVELLES SCIENTIFIQUES; » n'ai point vu , dit M. Pre'vost, aif'cap Passaro ces alternances uoui- » breuses de basalte et de calcairc , mais au contraire unc grande for- » niatiun basaltique qui a souleve et pene'tre de mille luanieres des cal- )> caires de diff'e'rcns ages , depuis la craie jusqu'a un terrain tertiaire » raoderne. Cette action volcanique par consequent a eu lieu a une e'po- » que tres-re'- cente.. et elle n'a e'te' suivie que par le depot d'un terrain » qu'il faudra nommer quaternaire , depot trcs-puissant lui-meme , et » qui renferme un tres-grand nombre de fossilcs analogues aux aniraaux » acluellemei;t existans dans les memes lieux. C'est ce depot qui forme » une ccinture tout autour de la Sicile , et dont on retrouve des lara- » beaux dans rintc'rieur de I'lle. C'est lui qui constitue aussi en partie » le sol de la ville de Malta. II semble analogue aux craies et a nos fa- » luns. » La lettre de M. Prevost contient encore diverses observations faites dans une ascension sur I'Elna, des remarqucs sur la constitution gc'olo- gique de la presqu'ile de Melazzo , etc. — M. MoREAu DE JoNNEs lit dcs Reclierches statisttques SUV Vac- croissement de la population en Europe. Apres avoir rappele que cet accroissement est limite par une foule de causes totalcment e'trangeres a la puissance reproductrice , il rcclierclie combien il faudrait de tems aux diverses nations de I'Europe pour doul^ler leur population, en sup- posant que la loi d'accroisscment , de'duite de I'observation des der- nieres , se conservat la raeme pendant tout le tems ne'cessaire au dou- blement. Le nombre des annees serait tres-diffe'rent , selon les peuples. II faudrait pour L'einpire d'AuU-iche 44 ans. La Russie d'Europe 48 La Pologne 50 Le Danemark 50 Les lies l^ritanniques 52 La Suede 56 La Suisse 56 Le Portugal 56 L'Espagne 62 L'llalie • 68 . La Turquie d'Europe et la Grecc ... 70 Les Pays-Bas 84 L'Allemagnc 120 La France 125 INDUSTRIELLES ET LITJERAIRES. 219 En groupant ensemble Ics contre'es du nord , on trouve qu'il faiidrait a leur population un dcmi-sleclc environ pour doubler , tandis que pour celles du midi 11 ne faudrait pas moins de quatre-vingts ans. Ce nombre d'anne'es , comme on le conjoit bien , n'est que I'expres- sion de ce qui pourrait avoir lieu pour chaque natio;i , si la fe'eondite humaine y restait la meme qu'aujourd'hui ; mais on confoit que bien des circonstances, dont une des plus iraporlantes est I'entassement crois- sant de la population , devront restreindre I'accroissement , et agiront d'une maniere fort ine'gale pour des pays ine'galement peuple's. II est evident qu'il y a des contrces dont les habitans sont si clair-seme's que le nombre en pent doubler , tripler , quadrupler meme , sans inconve- niens , tandis qu'il en est d'autres oil I'homme se sent deja un peu a Te- troit, et ne voit pas sans inquietude I'entrce des nouveau-venus. Le tableau suivant montre quelle serait pour cliaque i^ays le rapport eutre I'e'tendue du territoire et le nombre des habitans , en supposant le doublement ope're'. Pays-Bas Italie lies britanniques. . France AUemajne Portugal Prusse Suis^ Danemark Espagne Empire d'Autriche . Turquie d'Europe . Grece Russie et Pologne. Suede el Norwep,e . E,jo(i,ic» Puplilaliyu Nclubicd'liabilaiis iluul.leu.eul. c.lULiKKpR.. 1,912 12,200,000 4,000 1,875 40,000,000 2,600 1,872 41,000,000 2,550 1,951 63,000,000 2,400 1,947 24,000,000 2,000 1,874 7,560,000 2,000 1,862 . 23,400,000 "1 ,700 1,885 4,000,000 1,700 3,869 5,000,000 1 ,500 1,870 25,500,000 1,350 1,872 74,500,000 1,260 1,898 20,000,000 1,000 1,898 2,000,000 800 1,874 95,000,000 410 1 ,879 7,554,000 200 1,947 260,400,000 8(10 1,9:,1 161,600,000 1 ,800 Europe Septentrionale. Europe' Meridionalc. . . 2 20 NODVELLES SCIENTI PIQUES — M. le colonel Raucourt lit iin incmoire siir les conslruclions iiiaritimes executees avec les forcats du port de Toulon. M. Raucourt, etant charge en 1818 des travaux de cg port , concut I'idee d'y employer les forcats , principalement dans le but d'amc'liorcr la condition physique et morale de ces hommes. II fut soutenu dans ce desseinpar I'intendant de la' marine , M. de Larenty ; il rencontra d'ail- leurs des difliculte's qu'il eut beaucoup de peine asurmonter. La re'ussite du projet ne semblant rien moins que certaine , il eut c'te' difficile d'ob- tenir des fonds pour I'achat des raatieres premieres qui , suivant son plan , devaient etre confie'es a des ouvriers la plupart inexpe'rimente's; mais cet obstacle se trouvait surmonte' si Ton pouvait se borncr a I'u- sagc de raate'riaux dont le prix consistat uniquement dans les frais d'ex- ploitation et de main d'oeuvre. M. Raucourt le sentit , et s'astreignit a n'employer que des moeUons que le terrain du voisinage de Toulon fournissait en abondance , et des briqucs fabrique'es par les forfals. Pour les butisses , il renonca a I'emploi des pilotis , et se contonta dc battre le sol a bras de forjats , ct a fonder par compression. Pour cvitcr I'eraploi du bois dans les combles et les planchers , il se de'cida a vouter tons les edifices sans exception. Pour les coques de batiment deja construitcs , il substitua aussi des voutes aux planchers et aux charpentes de comble , ce qui exigea I'in- vention d'un nouveau systerae de voiite asscz le'ger pour etre appuye'sur tie vieyx murs. Enfin , dans les voutes d'arete , il remplara les areticrs en pierrc , commune'mcnt employe's, par des aretiers en briques, e'vitant ainsi pres- que entieremcnt I'emploi dc la pierre de taille. Unc subsitution'sera- blable fut faile dans les bandeaux , corniches , etc. Enfin I'emploi couteux des mortiers de chaux et pouzzolanes fut rcm- l>iace' par celui de la chaux hydraulique. Ce fut a la construction de I'hopital de Saint-Maulevrier que M. Rau- court fit I'application de ces principes , en se conformant autant que possible au plan arrete du tems de scs pre'de'cesscurs. Pour faire les grandes voutes qu'il substituait aux planchers , les briques ordinaires e'taient trop petites et trop pesantes; il imagina alors une machine expe- ditive par laipiclle il moulait des briqucs creuses, hicuhes. Cqs briques ctaient cuites , ainsi que la chaux, avcc les copeaux provcnant des INDUSTRIELLES KT LITTERAIRES. 22 1 .iteliers de construction navale ct de la demolition des batiraens. Lrs pieces encore saines servaient a e'chal'auder et a.faire la luenuiserie dcs ])ortcs et des fenetres ; les vieux fers e'taient transforme's, par les oiivriers condainrie's, en outils, crochets , dons, etc. II y avait an debut une difficultc toute paiticulicre , et qui ne devait plus se repre'senter , en supposant que le systemc se continuat; c'cst que , pour former les diyers ouvriers dont on avait besoin , on avait a la fois tons liommes ignorans : il fallut bien payer cet apprentissagc ge'ne'ral par quelques non - succes. Aussi, en 1819, les premiers murs construits furent a refaire et les premieres voutes furent a re- coramencer. Ce petit cchec , quoique pre'vu , n'en donna pas moins I'ajiparence de triomphe aux adversaires du systeme ; mais rinventeiir ne se de'couragea point , et il e'tait parvenu a obtenir des constructions solides avec une e'couomie notable , lorsqu'il partit pour la Russie , 011 il ctait appele pour dinger. des travaux du meme genre. Malgre' le succes ainsi obtenu , on n'a pas cru pouvoir appliquer Ic systeme de M. Raucourt an bagne de Brest, et meme , dit-on , il est question maintenant de I'abandonner a Toulon. — M. BioT prend la parole pour citer un fait qui confirme I'opinion cmise par M. Raucourt, que les forcats peuvent etre employe's utilement jjour I'etat et pour eux-memes. Voici Ce fait : M. Smith , oflicier irlandais au service d'Espagne , fut charge dcs travaux du port de Tarragone , et entreprit de les executer au raoyen des seuls loryats. II pensa que la premiere chose a faire e'tait de convaincre ceshommcs qu'il dc'sirait effectivement ame'Iiorer leur sort , et comraenya par leur procurer une nourriture meilleure , contractant a ce sujet avec divers entrepreneurs , dont les conditions fujenl rendues publiques , et dont lout le monde , meme les condamne's , pussent constater la fidele exe'cu- lion. Cctte sorte de compte rendu, envcrs des liommes que la socie'te' semblait avoir eutierement bannis de sa communion , a eu un tres-bou effet. M. Smilii d'ailleurs cut le plus grand soin de ne jamais trailer ies forcats en inasse avec mepris ; mais , te'moignant a ceux qui se con- duisaient bien de la consideration , il excita cliez d'autres le desir d'en meriter. Chaque forcat avait une lache journaliere qui lui e'tait imposee. Tout 22? NOUYELLKS SCIKNTIFIQUES , cc qu'il faisait au-drla lui c'tait {Idelcment paye , ot ce honi n'augmcn- tait pas sculemcnt en proportion de la qiiantite cxcc'dante du travail , raais d ins iin rapport Lien plus rapide ; de sortc , par cxemple, que, dans les dc'blaiemens , le premier cube de terre enlcvc au-dela du nombre de'lermine e'tait paye' un certain prix , le second I'e'tait davan- tagc , le troisiemc encore plus, et cet ascroissement n'avait d'autres li- mitcs que cellc des forces physiques du travailleur. line autre disposition qui cut un effet prodigieux e'tait celle-ci : tout liomme qui trois jours de suite exco'dait sa tuche , outre la gratification qu'il recevait pour cela, abre'geait par la d'un jour le tems de sa con- damnation. An bout dc quclque tems la condition des forcats se trouva tcllement releve'e que la plupart d'cntrc eux , apres avoir accompli leur tems de bagne , restaient dans la ville , ou les liabitans les employaient sans re'- pugnance couimc ouvriers , et beaucoup memo trouvaient a s'y maricr. Stance du ^'5jaiwicr. M. Sarrut, professeur a la facultc des sciences a Strasbourg, an- nonce que dans les cours de physique qu'il faisait a Perpignan de 1827 a i83o, il a de'crit un appareil semblal)le a celui que M. Cagniard a presente a 1' Academic dans une de ses dernieres seances sous le nom de volcan ae'rien. M. Sarrut avait employe cet appareil a des usages doracstiques; et ainsi , au moyen d'uue disposition tres-siraple, il I'ap- pliquait aux cuves a lessive de maniere a reverscr constamment sur Ic linge entasse' dans la cuve la lessive qui s'e'coule par le canal infe'rieur. Au lieu d'un courant d'air, il avait un courant de vapcur produit par I'e'buUition de I'eau dans un tres- petit vase qui communiquait par nn tube recourbe' avec la partie infe'ricure du canal d'ascension. — L'Acade'mie precede a la nomination d'un correspondant dans la section de mine'ralogie ct de geologic. M. Gustavi; Rose ayant obtenu la majorite' absolue des suffrages , est e'lu . — M. Ampere lit une note sur des experiences nouvelles qu'il a faites de concert avec M. Becquerel , pour verifier quelques - uns des nouveaux rcsultats annonces par M. Faraday. Si Ton enveloppe un cyliudre creux de bois d'un fil rae'tallique dont les cxtre'mite's soicnt en INDUSTRIELLES ET LITTERAIRES. '223 communication avec un galvanometremultiplicateur^ et qii'on introdiiiso ensuite un aimant da'ns I'inte'rieur du cylindre , il se produit dans le fil un dourant instantane , et qui cesse des que I'aimant est en repos , quoiqu'il soil encore dans I'intencur du cj^Iindre. Le courant du fil va en sens contiaire de ceux que M. Ampere suppose exister autour de cliaque molecule de I'aimant dans des plans perpendiculaircs a ces poles depuis I'instant ou Ton introduit cet aimant jusqu'a ce qu'il arrive au milieu de I'helice. A partir de ce point, soil qu'on le fasse avancer soil qu'on le fasse reculer, le courant change de direction. — M. Boube'e lit la relation de quelques experiences physiques et ge'ologiques qu'il a faitcs au lac d'Oo, pres Bagneres de Luchon. Nous en parlerons plus lard a roccasiou du rapport. — M. Civiale lit une note sur un cas de chirurgie tre»-complique' que jui a offert un ancien militaire entre au mois de scptemLre iS3i a I'hopital Necker pour s'y faire ope'rer de la pierre. Sdance du ZO jarwier. Le ministre de la marine transmet deux lettres qui annoncent la dispa- rition de I'ilc Ne'rita ; I'une est de M. Lapierre, commandant du Lrick la Fleche , I'autre de M. Bricot , commandant du brick le Palinure. Ce dernier parle de brisans qui se montrent au lieu qu'occupait I'lle. — 'yi.Devaux adresse une note sur le teff, gramine'e qui est pour les Abyssins d'une importance e'gale a celle du ble' pour nous. M. Devaux croit pouvoir le rapportcr a une varie'te du Panicum coloratwn qui est figure'e dans les illustrations des genres de Lamarck. II pense meme qne la plants qui a servi de modele pour cette planche , provicnt pro- bablement des graines que Bruce a rapporte' d'Abyssinic. — M. DE Humboldt fait une communication relative a quelques ouvrages scientifiqucs re'ccmment public's en Allcmagne dans le nombre sont : i" un traite de me'tallurgie de M. Karsten , consciller au dc'par- tement des mines en Prusse , et oii Ton trouve outre la partie lecbnolo- gique, une partie statistique et une mine'ralogiquej 2° une monographic du genre torpedo , pai- M. d'Olfers. Plusieurs des especes qu'il de'crit ont c'te observc'es par I'auteur pendant son voyage au Brc'sil. Son livre renfcrme, outre les descriptions des especes connues maintenant, des re- 2 24 NOUVELLES SCIENTIFIQUES clicrches siu- ccUes qui ont c'te connues, et specialement sur les figures ([it'on en voit sur les vases e'trusques. 3° Un ine'moire de M. Ehrenberg , correspondant de I'lnstitut, sur le pollen et la fructification des ascle'pia- de'es , dont Fauteur a de'couvert de nouveaux genres en Arabic et daixs I'ile de Dhalan, dans la mer Rouge. 4"des expe'riences faites par M,.Au- guste , directeur du Gymnase mathe'malique de Berlin , tendant a e'tablir les rapports entre les variations de I'e'tat hygrometrique de I'air et I'in- tensite' du cLolc'ra pendant le tems oil cette maladie a re'gne' dans la ca- pitale de la Prusse. La mortalite sur un nombre constant augmentait a mesure que TatmosphtTe s'approchait de I'e'tat de saturation liygrome'- trique propre a la terope'rature re'gnante. M. Auguste n'a pas conclu de ces experiences que I'humidite' est la cause du cliolera; il a seule- ment voulu montrer I'accroissement d'influence qu'exerce dans le cas de celte maladie I'humidite' relative de I'air sur Taction vitale de la peau . Le dernier travail dont parle M. de Humboldt est relatif a I'identite des formes cristallines de I'or et de I'argent et a Tisomorpliisme de ces deux substances, qui dans I'Oiiral forment des alliages a proportions in- definies; L'auteur est M. .Gustavo Rose, nomme re'cemment correspon- dant de I'lnstitut. — M. Hericart de Thury fait un rapport sur une note presentee par M. le docteur Done, qui attribue a I'ouverture des fosse's, pour le fort qu'on construit mainteuant aux environs de Rosny , la disparition des eaux de la fontainc publique de ce village. Le rapporteur adopte cette opinion et I'appuie de conside'rations prises dans les dispositions . ge'nerales du terrain ; il indique cc qu'il y aurait a faire'pour remedier a cette perte des eaux qui est une calamite' pour le village , et pense que le gouvernement devrait supporter les depenses qui 'seront ne'ces- saires pour rendre a Rosny les eaux dont les travaux des fortifications I'or.t prive. — M. DuTROt;Hi:T lit un me'moirc ayant pour titre : De V usage pliysio- logique de I'oxygene, considere dans ses rapports avec V action des excitans. Ce me'moirc ayanl etc inse're en entier dans le precedent nu- mero de la Pievue Encjclopediqiie (voyez de'ccmbre i83i, p. So-j), nous nous dispenserons d'en donncr ici I'analysei — M. Vklfeau pre'sente a 1' Academic un jcune liomme sur lequci il a execute la ligature de Vartere iliaque externe. Cette artere avait INDUSTRIELLES ET LITTERAIRES. 225 t'te oiiverte par la pointe d'un couteau tres-aigu et donnait issue a un jet de sang dii volume du doigt ; la mort s'en serait suivie en peu d'in- stans si un me'dccin ncfut arrive a terns pour suspendrerhe'raorrhagie, en comprimant I'artere iliaque primitive sur le cote' droit de Tangle sacro- vertebral. La ligature faite, aucun accident ne troiiLla la cure ct Ton n'«ut jamais de motifs de craindre la mortification. Le malade, d'abord tres-e'puise' par la perte de sang , rcprit bientot son enibonpoint ; il ne conserve maintenant qu'un peu d'engourdissemcnt dans la jambe quand il la fatigue. II n'y a deja presque plus de claudication. SOCIETES SAVAIMTES ETRANG^RES. Societe ge'ologique de Londres. Seances du mois de novemhre. — On lit une note sur une grande espece de pies iosaur us dont un individu a ete de'couvert par M, Mar- shal , dans une roche apjiartenant aux couches supe'rieures du Lias cntre Scarborough etWilbby, pres du lieu oil un crocodile fossile avait e'te' de'couvert quelquetemsauparavant. La tete et les vertebres cer- vicales manqucnt , mais pour le reste le squelctte est assez complct. Sa longueur totale dcvait ctre d'environ dix-neuf pieds. Divers details d' organisation , principalement en ce qui se rapporte aux vertebres , tendcnt a le faire conside'rer comm*e appartenant a I'espece gigantes- que du Havre et de Honfleur, de'crite par M. Guvier, espece qui avait, autant qu'on en pent juger , le double de la taille de cellc qui se trouvc a Lymercgis ; un dcs bras de I'aniraal est bicn conserve , et la forme aplatie que pre'sentent ses os semble a I'auteur du memoire intimement lie'e au genre de vie aquatique de ces especes. On lit une lettre du comte Ae Mondosier au president de la Socie'te, sur Vetat ancien et present du Vesuve. L'auteur cbercbe a y prouver que le mont Somma est le vrai \esuvc des anciens , et que le volcan actuel est de formation posterieure. Le cratere de I'ancien Vesuve , suivant lui , n'e'tanl point, commc cclui du Vesuve actuel, une ouverture destine'e a laisser passage aux laves qui en exliaussent progressivement les bords , mais le re'sujtat d'une explosion TOME un. JANVIER 1852. 1.^ :i2G NOUVELLES SCIENTIFIQUES qui , lan9ant a line grandc distance les substances qui formaient le som- mct do la niontagnc , laissa a la place une cavite' elliptique dout les bords de'truits succcssivcmcnt n'ont laisse' comme temoin que la seulc cime du Somma. M. dcMonllosicr invoque I'aulorite' de Strabon, de Pline et de Denis d'Halicaniasse pour prouver qu'autrefois les contours du Vcsuve indi- quaient une montagne a un sommei unique. Une peinture de'couverte re'cemment a Pompei scmblc confirmer cclte derniere assertion. La seance du 3o a e'te consacree en grande partie a la lecture des communications sur la nouvelle ile sortie des eaux , pres des cotes de la Sicile. Les de'tails donne's ne contiennent rien de plus que ce que nos lecteurs ont trouve dans Ic compte rendu des se'ances de TAcadcmie des sciences pour les trois derniers mois. — Seance du i4 decembre. — On lit une lettre de M. Bland, relative au decroissement on a V accroissement re'gulierde I'eaii dans lespuits, selon les saisons. L'auteur a commence' scs oliservations sur le puits de sa maison, a Hartlip , dans le comte de Kent, ft les a continue'es sans interruption pendant douze ans. 11 a vu constamment I'eau montcr de la fin de decembre jusqu'en juin , puis redescendre de juin en decem- bre. Frappc'de la'rc'gularite' du phe'noiuenc dans ce cas particulier, il eiit le desir de savoir s'il en ctait toujours de meme; pour cela il a fait et fait faire des observatious sur u» grand noinJ^re de points du comic de Kent et meme dans d'autres provinces. Des diffe'rens puits soumisa I'observation , les uns e'taient perces dans la craie, d'autres dans le sable vert , d'autres dans I'argile weldiennc ou le sable ferrugineux; tons ont preVentc' le meme re'sultat : quant aux e'poques de maximum et de minimum, quanta la quantitc de A'ariation cntrc les deux extremes, cllc a etc loin d'etre partout la niemej mais elle parut diminucr ou s'accroitrc en raison d'un certain nombrc de cir- constances que l'auteur a eu soin d'indiquer. Socie'te linne'enne de Londres. Dnns la seance du (J decembre, on lit une note de M. John Black- wall sur les raoyeiis par Icsqucls certains animaux peuvenlmonlerle INDUSTRIELLES ET LITTERAIRES. 2 2^ long de plans verticaux tres-polis. L'aiiteur avail autrefois, dans divers e'crits, repre'sente cette faculte comnie dependant uniquement de la con- formation des pattes, soit qu'elles offrissent des petits crochets propres a se prendre aux aspe'rite's qui restent encore sur les surfaces en appa- rericc Ics inieiix. polies , soit qu'elles pre'sentassent un appareil proprc a faire le vide. Dans la note dont nous parlons maintenant, il revient sur cette premiere opinion , et croit que la faculte dont nous parlons re- sulte surtout d'une secretion visqueuse qui se fait a la partie infe'rieure des pattes , sccre'tion dont les traces sont le plus souvent visibles sur le verre et y marquent le chemin que I'animal y a parcouru. Si Ton cou- vre la glace d'une poussiere tres-fine ou d'une couclie de vapeur, les pattes de I'animal ne peuvent plus se coUcr au verre lui-mcme , et des- lors I'ascension est cmpeclie'e. Cette remarque, nous le croyons , est nouvelle , mais elle ne prouverait pas plus en faveur d'une opinion que de I'autre ; M. Blackwall , du reste, apporte a I'appui de la sienne des observations directes , et assure avoir constate la presence des organes secre'teurs de la viscosite , non-seulement sur des liymenopteres , et en particulier sur des hile'es , mais meme sur le disque qui termine les doigls cliez les geckos sauriens qui , eomme on le sait , se meuvent non- seulement sur des plans verticaux , mais meme sur des surfaces comple- temcnt liorizontajcs , comme les mouches au plafond d'une cliarabre. Le reste de cette seance et la suivantc tout entiere sont remplies par la lecture d'un Memoire de M. Jf\ Ogilby sur la distribution des mar- supiaux. L'auteur commence par des considerations ge'ne'rales sur les mammifercs de laNouvelle-Hollande,qu'il considere comme e'tant d'une creation postcncure a celle des mammiferes des autres continensril e'met a cette occasion I'ide'e que la puissance cre'atrice de la nature n'est pas suspcndue , mais qu'a toutes les epoques il peut apparaitre de nouvelles especfs pour remplacer celles qui s'e'teignent comme il nait de nouveaux mdividus pour remplacer ceux qui meurent. II serait difficile de prou- ver la fausselc de cette opinion , mais il serait sans doute plus difficile encore a l'auteur de I'appuyer sur des faits bien constans. La seconde partie du memoire contient des gc'ne'ralitc's sur I'organi- sation des marsupiaux et des descriptions anatomiques emprunte'es a Shaw, Geoffrey Saint-Hilairc , Cuvier , Iliigcr, Everard Home et autres naturahstes. Vient cnsuitc une liste des genres naturels des marsupiaux; 115. 3 28 NOTJVELLES SCIENTIFIQUES , raiUciir en comptc trcize , parmi Icsqucls il comprcnd Ics monotrcnics qii'il scpare des c'dente's pour les rapprocher des aniraaux a bourse dont, suivaiit lui, ils se rapprocbent par plus de caractcres. Ges trcize genres se rcpartissent en cinq families dont la derniere est celle des monotrc- raes, ct dont les quatre autrcs se distingucnt par I'organisation des mcmbres et les lialiitudes qui en dependent. Ainsi, il y acinq families de marsupiaux grinipeurs , trois de sauteurs , deux de fouisscurs ct dei;x de coureurs. La famille, on plutot le sous-ordre des monotremes, com- prcnd aiissi deux genres, rornithorynque et rechidne. Socie'te zoologique de Londres. Seances dumois d'octobre.— M. Martin fait unc comnninication relative a divers de'tails A' organisation du monitor. TJn de ccs ani- maux e'tant mort re'ceramcnt au jardin zoologique , on a eu soin dc fairc des descriptions dc tout cc que son anatomic a pre'senlc' dc nouvean. Un dcssin fait sur nature' monlrc la disposition des principaux vaisscaux sanguins. Dans la seance suivantc, M. Owen lit les notes qa'il a recueillies en ' dissc'quant un crocodile {crocodilus aciitus). Get animal lui a ])re'scntc ce qu'il avait vu dans d'aulres crocodiles dc meme espece ct dans un crocodile a museau de broclict, I'apparcncc d'une inflammation dans toute I'e'tendue des membranes scrcuscs. M. Owen considcre cette appa- rence commc un c'tat normal. L'cstomac du crocodile , en raison de sa structure musculaire ct dc scs brillans tendons latc'raux , a etc considcre J^ar quelqucs anatomistcs coramc un veritable gcsier. D'autres ont rejete ce rapprochement , sous jirc'tcxle qn'un caractci-e esscntiel du gcsier consistait dans cettc mem- brane propre dont il est inlcricuremcnt revelu. M. Owen a trouve dans I'estoraac du crocodile deux plaques qui , par leur consistancc , ressem- blent assez, a la membrane dont nous vcnons dc parlcr,quoiqu'elles.nc se detaclient pas des parties sous-jacentes avecla meme fuciliteque chez les oiscanx. 11 cite encore, commeun trait frappant de ressemblancc de eel cstomac avec le ge'sier des gallinaccs, la circonstance de contenir li.ibi- lucllemcnt des pierrcs. M. Owen conlirme par scs observations proprcs la description donnce. INDUSXRIELLES ET LITTER AIRES . 229 {)ar M. Geofl'roy Saint-Hilaire, des canaux peritoneaux , mais il se re- fuse a reconnaitre les usages que leui' attribue le naturalistc francais de servir a unc respiration aquatique analogue a celle des poissons. II ne pense pas que jamais I'eau puisse s'introduire par ces conduits dans la cavite'abdominale. M.Owen lit encore des notes sur Yanatomie de Varmadille a neuj bandes. Lc sujet de 1' observation e'tait une femelle qui ve'cut quelques jours seuleraent dans les jardins de la Socie'te. SOCIETE ANTHROPOIiOGIQUE DE PARIS Le siecle oil nous vivons est essentiellement un siecle d' associations. En France, ils'en forme de tout genre : scientifiques , politiques, phi- lantropiques , litte'raires. Chacun sent qu'il exerce en cela un droit naturcl , immediate consequence du droit qu'il a de se de'veloppcr. Aussi , sans attendre I'impulsion toujours tardive du pouvoir , qui de- vrait les encouragcr , les fonde-t-on avec une spontane'ite remarquable. La marche des eve'nemens , la puissance de la.presse, I'esprit de notre age enfin ont imprime' a presque toutes ces re'unions d'hommcs une grande ge'ne'ralite' de vues , un de'sir ardent d'ame'liorations , une con- science intimc de la loi du progres. Ces caracteres distinguent e'minem- ment la socie'te anthropologiquc dont nous annon^ons la formation. Par le but qu'elle se propose, la marche quelle s'est lixe'e, les hommes qui la composent, elle a une haute porte'e, et me'rite I'attcntion du philo- sophe non moins qu'e la faveur du philantrope, Comme son nom I'indiquc , cette societe a pour but d'c'tudier la na- ture de I'homrae. Sa devise pourrait etre le connais-toi toi-meme du philosophe grec. G'est I'homme tout entier qu'elle aspire a sender , I'homme physique, I'homme moral, I'homme intcllectuel. Elle vcut chercher les lois qui le re'gissent sous ces trois aspects , determiner I'influence qu'ont sur lui I'education el les institutions sociales , et arriver ainsi a e'tablir entre les unes et les autres I'harmonie qui y est indispensable. Scs guides uniques sont V ohseri>ation et Vindiiction. Tout raisun- nemcnt a priori , toute proposition purement hypothe'titpie, tout cc qui 23o NGUVELLES SCIENTIFIQUES n'est pas fait positif, elle s'abstient d'en faire le sujet dc ses discussions. Et qu'on ne croie pas qu'ainsi elle limite trop son domaine! matiere , forces , phe'nomenes, tout dans runivers n'est-il pas fails, et riiomme n'est-il pas modifie pai- la nature entiere ? De ce point de vue la mine parait encore assez riclie; elle paraitra ine'puisable , si Ton songe que non moins que le present le passe' palera son tribut. L'anatomie, la physiologic, I'histoire naturelle des animaux, I'his- toire naturelle et politique des races humaines , leurs deVelopperacns , leurs lois , leurs religions , leurs arts, 1' influence des climats fcront successivement I'objet des recherclies de la Socie'te'. Tons ces rayons epars re'unis en faisceau convergeront vers un foyer commun : le pcr- fectionnementindividuel et social des liommes, et partant leurbonlieur. Nul doute que la crainte et I'incertitude ne soicnt nn c'tat pe'niblc. G'est a les dissiper que les lois humaines doivent tendre , afin de donner a chacun siircte' dans Ic pre'sent , se'curite pour I'avenir. Pour- quoi atteignent-elles si rarement ce but? c'est qu'elles sont presque toujours partiales , exclusives , capricieuscs ; c'est qu'elles ne se pro- posent pas le bonheur du plus grand nombre ; c'est qu'elles ne sont pas fonde'es sur la connaissancc de I'liomme •, c'est qu'en uq mot elles ne sont pas natiirelles. Pour qu'elles fusscnt puissantes , rcspecte'cs , il faudrait qu'elles de'coujassent si directement de nos pchchans , de nos sentimens , de nos faculte's , que chacun les ese'cutat sans effort et comme par instinct. Elles participeraient alors de rimmutabilite' des lois du monde physique ; le developpement lent et interne des races humaines y apporterait seul de le'geres modifications ; on croirait en leur dure'e comme on croit a celle du soleil qui nous c'clairc. Mais rhomme est un livre ouvert oil il est difficile de lire. II n'est plus tel que I'a fait la nature : on y trouve a chaque page des caracteres (lil'formes que ses semblahles y onl imprimc's. Comment distinguer en lui ce qui est de toute e'ternilc de ce qui n'est que passager efacci- dentel ? c'est en le comparant avec les autres ^tres vivans de tous les degre's de re'chelle animale, et en examinant ce qu'ils ont de commun et de projire- c'est en le comparant avec hii-raeme dans les diffe'rens tems, les differcns pays, les diffcrens ages. [>a nature est plus puissante que la societe : en de'pit des efforts tentes pour I'effaccr , elle manifes- tera son rrnprrinte. A force de rcmaniei I'liomme, celle mc'dail!' INDUSTRIELLES ET LITTERAIRES. 33l alte're'e , la ronille s'en de'tachcra ct I'intention dii grand artiste sera reve'le'e. Si , par exemple , notre organisation proiive que nous sommes na- turellement libres, sociaux , perfectibles , n'est-ce pas sur la liberie, la sociabilite , la perfeclibilite que deviont se baser toutes les institutions politiques? Si tous les animaux superieursunt un instinct puissant pour la proprie'tc, n'est-ce pas a satisfaire ce besoin que I'homrae partage quedevra teudre toute amelioration ? II faudra non s'cfforcer de de'truire ce qui est le re'sultat d'un penchant indestructible , mais travailler a une repartition plus equitable du doinaine coramun de la terre. S'il est de'montre que dans la se'rie des etrcs un grand nombre d'especes est constamment monogarae par instinct , et si I'liomme est de ce nombre , que devicndront les ide'es plus que parado'xales e'mises recemmeut sur les rapports dcs sexes? II en est ainsi. de mille autres questions qui de- meureront toujours dans le vague , tant qu'on n'en clicrcliera pas la solution dans notre nature. Si de I'education sociale donne'e a tous les citoyens d'un e'tat par les lois quile gouvernent, on passe a I'e'ducation prive'e qui n'en doit etre i[u'un reflet , la connaissance de la nature biimaine nc paraitra pas moins indispensable. La premiere e'ducation de I'enfant est e'mincrament instinctive : il exerce alors ses sens , i! de'veloppe .son esprit en dehors de notre influence. II le fallait , car si, durant ses premieres anne'es, il u'apprcnait pas par son activitc' ct sa curibsite propres plus de choses que pendant tout le reste de sa vie , aul doute que le monde ne regor- geat plus encore de prejuge's et d'erreurs. Mais de meme que I'estomac e'Jabore nos alimens , que les poumons purifient notre sang et que le coeur te distribue sans que la volonte y prenne part, ainsi I'enfant ob- serve, compare , juge , s'e'claire par jiuie impulsion providentielle in- terne. La nature a craint nos be'vues; elle a fait presque tout I'ouvragc , nous laissant le soin de suivre ses traces, et la mission glorieuse d!achever ce qu'elle a commence', de polir ce qu'elle a ebauche. La nature est done notre premier maitre ; sur ses lecons, I'homme doit baser les siennes. C'est a etudier I'enfance dans ses premieres manifestations que s'appli- ([uera surtoutla Socie'te anthropologique; a determiner par quels carac- teres extericurs se de'celeni les mouvemens intericurs de la vie et de la pensee . HfH 282 NOUVELLES SCIENTIFIQUES , Unc science nouvelle , fondc'e dans ce siecle par Gall et Sj)urzheim , la phrenologie , aide puissammcnt I'esprit dans ccs rechcrches. Elle tend a rc'unir sur ce point les divcrses philosophies plus ou moins cxclu- sives qui justju'a ce jour se sont parlage' les intelligences humaines, Accueillie d'ajjord en France avec le sourire de I'incredulite' et du de- dain, clle y a- fait rapidement des pas immenses, et inaintenant elle y troiive des e'chos jusqu'a la Sorbonnc et dans les e'coles de me'decine. En Allemagne oil elle a pris naissance , en Anglcterre et aux fitats-Unis d'Amcrique, elle est dcja cultive'e dcpuis assez long-tems. D'aprcs de nonibreuses observations sur I'homme et les animaux, la plirenologie admct dans notre cerveau des organes pour les penchans , pour les sentimens , pour les pense'es ; elle en fixe le siege tant ge'ne'ral que particulier , et par leurs diverses combinaisous , par la predomi- nance plus ou moins grande des uns sur les autres , vraie statique intcl- lectuelle et morale, clle explique , sinon dans leur essence , du moins dans leurs lois , les variete's sans nombre des caracteres et des capacitc's. De cettc science il ressort ce grand principe qui doit changer le monde , c'cst qu'il n'exisle chcz I'hommc aucun penchant absolumont mauvais ; c'est que ce que nous appelons mal moral et vices n'est que I'cxagera- tion de penchans utiles , indispensables , qui dans de certaines limites eusseTit me'rite le nom devertus. Un autre principe en ressort , c'est que la diversite des goiits et des faculte's normales dc'cotile chcz nous plus en- core de rinncitc de nos dispositions que de Tcducation et des circonstances cxte'rieures. Un travail aussi curieux qu'important est encore a faire. II s'agit de recherchcr sur une vaste echclle les gradations c'tablies par la nature elle-meme dans cette diversite. Sans nul doute, en nous reposent les gcrmcs de ce que nous devons etrc dans I'individualite' et la sociabi- litc. Qu'on les cultive ces germes dans leur varicte native , qu'on les de'veloppe dans leur ensemble , sur tous les hommes d'une grande asso- ciation , qu'on e'tudie la proportion relative des faculte's manifcste'es , et Ton trouvera peut-etrc un fondement solide a cette distribution des tra- vaux humains abandonne'e jusqu'a ce jour au hasard de la naissance , au caprice de la fortune. Certes , de pareillcs investigations sont he'rissees de difficulte's; elles seront lentes , si on les vent sures : une slatistique intellectuelle et morale de la race humaine n'est pas rceuvrc d'un jour. Mais est-cc la une raison de se rcbuter? les institutions acluclles , INDUSTRIELLES ET LITTERAIRES. 233 malgre tons Icurs vices, ne s'evanouiront pas comme un manvais rcvc. Ce sont dcs edifices qu'il faut battre long-tems en breche avant do pou- voir les remplacer par d'autres. II faut aussi du terns pour batir , car il eu faut pour tout. Comme le dit Franklin, Ic temsest rc'toffe dcs choses. En attendant , il est bon de signaler les sentiers les plus siirs aux pe'le- rins qui partenr pour un long voyage. Ce que nous venons de dire du but social de la Socie'te antluopolo- gique pourra donner une idee de ce qu'on pent en attendre. Composee de pliysiologistcs , de mc'dccins , d'artistes , d'historiens , d'hommes qui joucnt un role important sur la scene politique ^ a I'abri des prejuge's nationaux parcc qu'elle renfei'me des repre'sentans de divers pays; pre- side'e enfin par le docteur Spurzheim , qui , avec un rare esprit d' ob- servation et d'analyse , continue ses travaux phre'nologiques , cette socie'te' donne dcs cspe'ranccs que sans doute elle ne de'mentira pas. Quelle est I'influence de la nature et de ses lois , et quelle est celle des circonstances exte'rieures sur les conditions des liomraes? Telle est la question soumise a ses recherclies dans ses premieres seances. Elle est vaste et de nature a I'occuper long-tems , car elle renferme en germe presque tons les problemes de rhommc. La Socie'te antbropologique, renvisagcant dans toute son e'lendue, I'a prise a son principe etae'tudie d'abord les phe'nomenes et les lois de I'lie'redite organique , c'est-a-dirc I'influence physique, morale, intellectuelle qu'excrccnt les parens sur la constitution native de leurs enfans. Des que ces travaux presenteront un certain ensemble , nous aurons soin d'en faire part a nos lecteurs. Deja la Socie'te antbropologique a commence' a se rendre utile. Con- vaincue de I'importance dc la phre'nologie , pour en hater la propaga- tion , die a invite' le docteur Spurzheim a donner un cours public et gratuit de cette science a 1' usage des instituteurs et de tous ceux qui s'occupent d' education, (i) Nous rendrons compte aussi de cette sorte d'apostolat social. Espe'rons qu'il ne restera pas sans influence sur cette classe respectable qui a pour mission de former a la vertu et a la raison la ge'nc'ration qui s'eleve. - D. R. de G. (1) A ccl cffrt la Socictd Jes ir.cthodcs d'enspipncmenl a bicn voulii incUrc a la disposiuon de la Socitite anthropologiquc la sallc dc ses rdunions ordinaires, nie Taranne, n" 12; ct le doclciir Spurzheim a ouvert son ronrs le 1'^'' mars a deux heiircs ct dcmic. H le continue "a la mcme heure tous les jcudis. 2^4 NODVELLES SCIENTIFIQUES OBSEUVATOIRE DE BliUXELI.ES. La Belgique , si voisine de la France en iiidnstrie et en civilisation , ne tardera pas sans doute a prendre un mouvement scientifique que I'hon- ncnr national semble re'claimer. Dans ce royaume des Pays-Bas, que les rois avaicnt si force'ment constilue', en e'treignant dans Tenccinte de la raeme frontiere deux pays heteVogenes , la Hollande , cctte terre clas- sique de la science aux derniers siccles , en avait , en quelque sorte , conserve' le privilege exclusif, aux depens des provinces du midi. Aune e'poque oil les sciences physiques et aslronomiques acquieient une impor- tance que dans les pays les pins avances on pourrait presque nomnicr socialc, Bruxelles ne posse'dait pas meme un OLservatoirc. En 1826, cependant, sur un rapport de M. Quetelet, un arrete royal ordonna la construction d'un Observatoire a Bruxelles. Un equatorial et un cercle mural furent commande's a Londres a MM. Troughton et Simms; M. Gambeya Paris fnt charge' dc donner une lunette me'ridienne; et MM. Knebel k Amsterdam et Kessels a Altona, de donner deux pendules astronomiques ; d'autres instrumens propres a I'e'tude des forces magne'tiques et des phe'nomenes me'teorologiques furent e'galement acquis. Cette premiere base d'un Observatoire ainsi fonde'c par la reu- nion de quelques instrumens garantis par le nom des artistes habiles charges du soin de leur construction , les projets de Tedifice, destine' a leur donner I'abri et le soutieii , furent mis en adjudication 5 les travaux de maponnerie, malgre leur lenteur, e'taient presque arrives a leur terme, lorsque les circonslanccs politiqucs et les rcformcs financieres vinrentdc nouveau mettre en question re'tablisscnicnt de 1' Observatoire. Apres avoir servi de citadelle improvise'e pendant les jours de timiulte, ['edifice semblait en peril de devenir, durant la paix, abattoir on magasin a poudre. Mais enfin la science et Ic bon droit I'ont emporte : avant peu le batiment sera compie'tement termine , et il ne tardera pas a recevoir son pre'cieux depot. Cette nouvelle station , fonde'e au centre d'une contre'c inlcressante , et coufiee aux soins de M. Qiietelet, ne tardera sans doutc pas a repondrc a I'attente dc la Belgique el du mondc savant , en com- flienjant la scrie d' observations qu'elle est desline'e a parcourir. J. R. INDUSTRIELLES ET LITTER AIRES. 23v'> EXPEDITION ARCHEOGRAPMIQUE EN RUSSIE. En 1829, r Academic impe'riale dcs sciences, a Petersboiirg , en- voya une expedition arclie'ograDliique , sous la dii-ection de M. Stroieff, dans le but de visiter les anciennes bibliotheques et archives de Russie , et d'en extraire , ou du moins de faire connaitre les mate'riaux qu'elles pourraient offrir pour toutes les branches de I'histoire rationale. De- puis lors M. Stroieff a visite les gouverncmens d'Arkhangel, Vologda, Novgorod, Kostroma, Yaroslaff et Moscou. Les travaux de I'expe'di- tion se continueront encore dans le courant de cette anne'e. Le de'pot des acquisitions de cefte expedition est provisoirement e'tabli a Moscou , oil elles sont conserve'es aux archives du college des affaires e'trangercs. M. Stroieff, qui se trouve en ce moment a Saint-Pe'tersbourg , a rap- |)orte' avec bii quelques-uns des mate'riaux qu'il a recueillis. Quaire volumes in-folio , chacun d' environ sept cents pages, con- tiennent des copies de documens historico-juridiques, qui servent a c'claircir les e've'neraens historiques, la legislation, etc., de I'ancicnne Russie , de i^i3 a i^oS. Ces documens sont an nombre de plus de six cents , pour la plupart inconnus , et forraenf par consequent un veritable trc'sor. lis seront puljlic's avec des notes critiques de I'e'diteur. Cinq grands portcfeuilles contiennent des mate'riaux pour I'histoire de la litte'rature slavonne ; ct un sixieme , des mate'riaux bibliograplii- ques et pale'ographiques , les premiers dispose's par ordre alphabetique, les seconds par ordre chronologique. Avec ces mate'riaux, M. Stroieff se propose de composer un dictionnaire raisonne des ouvrages et tra- ductions qu'a produits la litte'rature slavo-russe. jusqu'au regne do Picrre-le-Grand. Un carton renferme une collection de documens juridiques de toute espece, des quinzicme, seizieme et dix-septiemc siecles; ils sont au nombre de pres de quatic cents , et ot'frent une importante ressource pour I'histoire compare'e de la jurisprudence. Parmi les portefeuilles reste's a Moscou , il s'en trouve deux qui ren- ferment des materiaux historiques et statistiques sur la Russie seplen- trionale , un avec des chroniques et autres mate'riaux sur la Sibe'ric .. diltercntcs traditions historiques, voyages. tVagmens , etc. 236 NOUVELLES SCIENTIFIQUES , U serait supcrflu de pavler des difficultes de toutc especc que M. Stroicff ct son compagnon , M. Berednikoff , ont cu a vaincre. Les travaux de I'expe'dition ne sont pas encore terraincs , ct il faut espe'rer que les autorite's locales el les particuliers aidcront de leur concours Ics savans arche'ographes , pour terminer une entreprise si utile et si intc- ressante. ARSENAL MARITIME D'ALEXANDRIE D'EGYPTE. Les travaux de I'arsenal se continuent avec une grandc activitc , sous la dii-ection de M. Lefebure de Ceuisy, ingenieur de la marine fran- faise. Trois calcs en pierre pour vaisseaux du premier rang , avcc les avaut- calcs prolongces a quatre-vingts pieds sous I'eau , sont cnticrement ter- mine'es j on travaille a finir la quatrieme. La corderic , avec la mccaniquc de M. Hubert, est en plcinc activite, ct fabrique des cordages qui c'tonnenllcs Turcs.Tous les ateliers en fer de la fonderie sont acbeves. On batit en ce moment pKisieurs edifices pour les ateliers en bois, le raagasin general, des hangars pour les bois. On continue les qnais pour former la darse militaire , qui sera creusec de vingt-sept a trente pieds, au moyen de plnsieurs macbincs a roue, a boeufs ct a vapeur que M. de Cerisy a fait construirc. II a e'lc forme', tant au Caire qu'a Rosette , des e'tablisscmens oil les ouvriers du pacha fabriquent les toiles a voile , les clous de toute espcce . les feuilles de cuivrc a doublage, les plombs lamines ne'cessaircs au service de la marine. Le pacha a toujours I'intention dc fairc construirc deux bassins pour . • le radoub de ses vaisseaux, Cc travail pre'sentera de grandes difficulte's, dans un pays oil il n'y a ni pierrcs, ni chaux , ni ouvriers capables. Les ouvriers dc I'arsenal d'Alexandrie sont classes militairement, quoiquc non arme's : ils ont entrc eux tous les grades militaires, et sont j caserne's. Get arrangement a I'avantage d'e'tablir I'ordre , sans ricn re- trancher du tcms destine au travail. Les ouvriers militaires , les ou- vriers civils, les soldats ct marins affccles au service dc I'arsenal , for- menl habituellemcnt un total d'environ cinq inille. INDUSTRIELLES ET LITTERAIRES. 237 II y a en cc moment en construction un vaisscau a Irois ponts, qui est aux (lix vingt-quatiiemc; un vaisscau de loo canons, le Scanderick , qui a dii ctrc mis a I'eau le 3 Janvier, jour anniversaire du lancemenl du premier vaisscau de ligne construit en Afrique ; un vaisscau de '^4 ^ VAboukir. rendu aux quinzc vingt-quatrieme. SVST^ME PEmiTENTIAIRE EN SUISSE. Le systeme penitentiaire importe d'Ame'rique a Geneve depuis unc dizaine d'annees vient d'avoir dans celte yille un nouyeau tiiomplie. En 1 829 , un Savoyard , nomme' Pierre Pe'Iissicr , fut condamne pour vol (je crois) a quatre ans de re'clusion , dans la maison penitentiaire , suivant I'usage. Pendant tout le tcms qii'il y est rcstc, il a donne I'csemple de la subordination ct de I'ordrc a tons ses confreres. En en- trant , il ne savait ni lire ni e'erire, il a apprisl'un et I'aiitre, ct en pcu dc terns il ac'te en c'tat de re'diger lui-meme sa petition a la commission de recours. Sa bonne condiiite enrcgistree , balancee sur Ics livres de la compta- bilite morale de I'clablissement, lui arae'rite', aux termes de la loi, une diminution dc tcms. La commission de recours lui a fait grace des seize derniers mois de sa detention. II vient d'etre c'largi et rendu a la so- ciete re'genc're'e , et propre par sa nouvcUc instruction a d'honorables oc- cupations. II avait en sortant deux cents francs environ qu'il avail gagncs et economises pendant sa captivitc. Get excmple n'cst pas nouveau a Geneve, et si Ton compare le sort dc cet liomiQe a celui dcs forcats libcre's des bagncs de France, ccites la comparaison ne sera pas favorable a notre systeme penal. La cause du re'glme penitentiaire est gagne'e en Europe. A la re'publique de Geneve appartient la gloirc de I'lnitiativc. Nous faisons des vceux pour que son exemple soit suivi cliez nous el ailleurs. II I'a e'te' a Lausanne avcc succcs. C'cst du reste un sujet sur lequel nous rcvicndrons; nous n'avons voulu aujourd'bui que constater un fait et le soumettre aux cn- ncmis des ameliorations pe'nalcs. jib uno disce omnes. S. R. 238 NOTIVELLES SClENTlFIQUES TRAVAUX DE L'AMO A TIVOM. On serappelle la debacle qui de'truisit la belle chute de I'Anio a Ti- voli. Cette catastrophe eiit lieu dans la soiree du iG novembre 1826. Les journaux du terns en parlerent beaucoup , et M. de Lamartine I'a illustre'c par des vers charmans. Lcs travaux faits jusqu'ici par Tad- ministration papale pour y reme'dier n'ont ete que provisoires et fort imparfaits. lis ont mis si peu en surete et le temple de la Sybille et les autres monumens qui s'elevent sur les bor'ds du fleuve, qu'un commis- saire du gouvernement a propose' de les transporter ailleurs. Cette e'trange proposition n'a pas eu de faveur • une nouvellc commission a ete' nommee, et ilest question maintenant de de'tourner I'Anio de son lit actuel et d'exe'cuter a cet effet, a Tivoli, une construction semblable a I'e'missaire du lac Fucino dans I'Abruzze ct a celui du lac d'xilbano a douze milles de Rome. Voici le plan de ce grand ouvrage tel qu'il a etc donne par le non- veau commissaire apostolique Niccola-Maria Nicolai. II s'agit de fairefle'chir le fleuve a droite au point qu'occupc lavignc Lolli; etla de lui ouvrir dans les entrailles du Mont Catillo un lit sou- terrain de deux cent quatre-vingt-quatorze mi^tres. II est divise' d'abord en deux couloirs de dix metres de largeur chacun; mais ajn-es une pente me'nage'e de deux centquatorze metres, ils se re'unissent en un seul large de quatorze. Avingt metres de I'embouchure il s'e'largit considc'- rableraent pour donncr sortie au fleuve sur le flanc oppose de la mon- tagne comme au lac Fucino. Cette sortie aura lieu sur le chemin de Quintiliolo exactemcnt sous ricona del Salvatore, et la le fleuve, au terme de son voyage te'nebreux, se pre'cipitera dans I'ancien lit un peu en avant de la grottc des Sy- renes. La nouvelle cataracte aura cent metres environ de hauteur et laj)- pellera un peu celle delle Marmore ou du Velino prcs de Terni. Elle ne nuira nullement aux cascatelles j au contraire le point de vue sera plus beau, puisque du meme regard on erabrassera et lcs cascatelles et la nou- velle chute et lepaysagede Tivoli. Les peintres ont done tout a gagner h ces travaux, et cette fois au inoinsl'industrie de I'homme neluera pas h poe'sie de la nature. INDUSTRIELLES ET LITTERAIRES. 239 J 'ignore oil en est le projet. Adopte par la congregation apostoliquc nommc'e ad hoc, on devait y meltre la main sur-Ie-cliamp, et en effet il n'y a pas de tems a perdre puisqu'il s'agit dc la se'curite' de la ville tout entiere. Les mouvemens.politiques auront sans doute tout suspendu et tout ajourne indefiniment ; il est a craindre meme que I'argent destine a cette entreprise n'aille ou ne soit deja alle' s'engouffrer dans les coffres de I'Autrichej car VAutriclie ne fait rien pour rien, et se fera payer cher son intervention en Romagne. Nouvelles charges pour le peuple , memes dangers pour les temples et les liabitans de Tivoli. S. R. niJMES DE SOLUMTO F.5i SICIIX. Sentinelle avancee de I'Europe par sa position geograpliique , la Si- cile fut les j^remieres a y importer une civilisation qu'elle parait avoir recue des Plic'niciens. Thucydide {liv. VI) , en parlant de ces hardis cxplorateurs des mors , dit qu'ils occuperent presque toule I'lle, et en fortifierent les promontoires. Mais a I'arrive'e des colonies grecques ils se concentrcrent et fonderent leur principale re'sidence a JVIoria sur la cote uie'ridionale , et sur la cote septentrionale , a Palermo et a Solunto. Cette dcrniere ville, ainsi nomrae'e d'un famcux brigand tue par Hercule dans ces parages, couionnait les sommets du mont Catalfano , .'i douze milles dc Palcrme. Elle s'e'leva a un haut degre dc magnifi- cence, et qucique aucun liistorien particulier ne nous ait le'gue' ses an- nales, on suit de siecle en siecle ses progres et sa de'cadence jusqu'au irois ou qualrieme siecle de I'ere clire'tienne , oil elle parait encore sui- les itineraires romains.Pietro Diacono, inspire' peut-etre par la liaine des Musulmans , attribue sa destruction aux Sarrasins ^ mais elle senible dater d'une e'poquc plus rccule'e, car, parmi les mines re'ccmment de- coiivertes , on n'a trouve aucun monument du cultc clire'tien. Depuis la conquete des Normands , son nom n'est plus rapporte que corame celui d'un chateau sans importance , qui plus tard , cepen- dant ( au quinzieme siecle) , joua un role piquant dans la romanesque aventure de Ja reine Blanche et du grand-just icier Cabrera. 11 exisle encore sous le nom un pen modifie de Solanfo. 11 y a la une des plus florissantes corabrieres de Sicile. ■2/[0 NOUVELLES SCIENTIFIQUES , Dcs camjiagnards bccliant aiix alcntotirs de'couvriront , il y a (juciqucs aiinc'cs. divers o])jets antiques qui exciterent Icur cupidite; ils continuerent a fouillcr ct de'terrerent successiveinent des cliapilcaux , dcs fragmens do corniche, les vestiges meme d'un e'dilice me'counaissable , tant il est ruine', line statue colossale de Jupiter, deux candc'labres , unc Isis et une table dc sacrifices. La corniche et les chapitaux sont de pierre de taille revctue d'un fin stuc • Ic travail en est somptueux , mais cependant plutot romain que .grec. II manque au Jupiter le pied gauche et la foudre que brandissait la main droitc, rcste'e vide dans Facte iraposant. Le roi dcs dieux est assis ; son visage respire une majeste' celeste , et sa clicvelure , divise'e surle front, est dispose'c avec un ordre elegant et grave; il est con- vert d'une tuniquc, ct un vaste manteau, tombant a larges plis de ses e'paules , I'envcloppc dans sa partie inferieure. Sa main gau'clie tient sans effort un long sceptre qui repose a terre par un bout. La table des sacrifices dc pierre de taille a stuc, commc la corniche ct les chapiteaux , est sur pied, soutenuc par deux petitcs consoles. Le vase de terre cuite , destine a recevoir le sang des victiiucs , a etc trouve a droitc de la table , enchasse' dans un petit mur. Quant a I'lsis , elle est fort inaltraitee; la tcte ct les bras raanquent ; on ignore done lequel de ces nombreux emblcmcs elle tcnait en main. Elle est assise sur un large sie'ge soutenu par deux sphynx revctus I'un ct I'autrc d'une robe qui leur descend jiisqu'aux picds. Cette circon- stance est une variclc' inconnue, je crois, jusqu'ici; jc ne sache pas qu'il existe ailleurs dcs sphynx ainsi habille's. L'idole est vetue d'une tu- niquc a plis rc'guliers , qui recouvre une portioti du sie'ge. Le sie'ge lui-meme est reniarquablc en cc qu'il est creuse dans sa partie poste rieure , de fafon a recevoir la moitie'-supericure d'un homme qui se lo- geait la sans daute pour rcndre les oracles au peuple de Solunto. Mais I'objct qui a le plus c'mervcilie les aniiquaires sicilicns et leur a donne la plus haute idee du gout de leurs ancctrcs, ce sont les deux candc'labres. La forme en est aussi singulicre que le travail pre'cicux. Sur I'un, sont sculpte'es trois jcunes Cllcs couvertes de tuaiques, de voiles et de manteaux {pallium) , dans I'attilude dc la grace et dc la modes- tic. Deux s'ajjpuient Tunc a I'aulre , la troisicmc scmblc parler aux INDUSTRIELLES ET LITTERAIRES. 2/^1 deux autres et leur indiquer quelque chose de la main droite. L'autre candelabrc repre'Sente un guerrier arrae entre deux femmes; Tunc porte un diademe au front, et sur I'e'paule un petit amour; clle est raise avec noblesse et a les yeux leve's au ciel. L'autre femme a de grandes ailes j elle tient une palme de la main gauche et de la droite parait couronner le guerrier. Ces deux groupesoflrent matierea bien des explications. Un Sicilien, le due de Serradifalco, dans un ouvrage recent sur les antiquite's de Solun- to , en donne une asscz inge'nieuse : il y voit une espece d'ex-voto de quelque guerrier soluntin qui , par ses faits d'armes, aurait obtenu de la victoire une couronne de laurier , de I'amour une epouse aimc'e. II voit dans le second les trois Graces , non pas nues et lascives , mais vetues et modestes , corame il convient de les ofifrir aux yeux d'une jeune fille qu'on epouse; comme Socrate lui-meme les avait representees aux Pro- pyle'es d'Athenes. L'usage d'ailleurs de couvrir les graces n'est pas sans exemplc dans I'antiquite' j et on pent voir a ce sujet deux medailles grecques de Combe et Vaillant , oii elles sont ainsi lepre'sente'es. Tels sont les monumens de I'antique Solunto. G'est une page a ajou- ter au grand livre des antiquite's siciliennes ; nous la soumettons aux arche'ologues comme des mate'riaux inconnus jusqu'ici , et qui dans leurs mains peuvent prendre une forme inle'ressante. Aujourd'hui que la science s'occupe avec tant d'ardeur a la reconstruction synthe'tique du monde antique , ricn n'est a ne'gliger ; car tout peut avoir un inte'- ret individuel ou de position dans une spe'cialite' quelconque. C'est sous ce point de vue que I'e'tude de I'antiquite est precieuse , inde'pendam- mcnt du charme et des lecons que I'artiste peut trouver dans la grace ft I'ele'gance des anciens mythes. Disons , pour terminer , que malheureusement le sol de Solunto livre' a la culture est aujourd'hui convert d'arbres et de vignes , et que les testes enfouis de la ville phe'nicienne n'auront etc' respecte's par les siecles que pour perit sous le soc des laboureurs. S. R. TOME I.III. JANVIER 1852. 16 2.\2 NOliVELLES SCIENTIFIQUES TH^ATSE. LKTTRES SUR I.ES THEATRES DE PARIS. J'ai a vous signaler aujoiird'hui un fait surprenant, etrange, incon- cpvahlc et qui , si je n'y raettais de la discretion , mc'ritcrait bien les in- nombrables e'pithetes de la fameuse lettre de madame de Se'vigne. Le croiriez-vous ? Paris , si las et si enniiye' de nos e'ternels vaudevilles , Paris qui, jc le dis bien bas,. meme en admiraut Rohert-le-Diable , avait rcmarque a part lui que I'admiration est un sentiment un peu froid; Paris, que son carnaval, qui va se de'coloi'ant sans cesse comme tout le reste, n'a pas pu parvenir a dc'rider j Paris s'est pris enfin d'un fou rire. Et notcz qu'il ne s'agit pas de ce i-ire de salon, ambigu , in- certain, semblable a un visitcur honteux qui craint de se montrer et ose a peine prendre place. Non ; c'est un rire bien franc , bien net , et qui , comme un convive siir d'etre accueilli, entre chez les gens sans facon, etsans se faire annonccr. Ah I mon ami, que c'est une bonne chose que ce rire-la I Je ne suis pas me'dccin , et jc ne sais pas ce que c'est que la rate; quoique la rate, a ce qu'il parait , soit intc'ressec la-dedans. Mais ne trouvez-vous pas que ce rire des dieux d'Homere qui nous derobc , ne fut-ce que pour de courts instans , a I'ennui et au dcgout du terns pre- sent , ce rire qui nous repose I'ame , et grace auquel nous oublions un moment la fatigante e'nigme de cemonde, ou tout,jiisqu'au bien a faire. est une incertitude, ne trouvez-vous pas , raon ami , que c'est une ad- mirable chose PJel'ai e'prouve I'autre soir aux Varietes, et c'est a Ma- dame Gibou e< a; i!iar/ame Pocket que j'en suis redevable. Aussije veux leur en te'moigner tout haut ma reconnaissance. Merci done, Odry, merci, Vernet ; Odry fruiticre et Vernet ravaudeuse I Je reviendrai vous voir arme's de rc'cuinoirc et de la cuillcr a pot, comique pendant aux sorcieres de IMacbeth , assaisonner joyeusement voire the , the curicux a Tail , aux ceufs, au vinaigrc et a la farine , et que j'aimc bien mieux pour ma part que la tasse de the empoisonne du drame de la Porle- Saint-Martin. Car je me soucie peu des scenes lugybres et lamentables renouvelc'es de Gabrielle de Vergy , et j'ai grand goiit au contraire a la peinturc fidele et gaic de nos mceurs populaires. Je m'aper9ois qu'en vous parlant d'abord de Madame Gibou et de Madame Pochet, j'ai involontaircment trahi mes preferences, J'en convicns. Depuis ma dcrniere lettre, c'est la I'ffiuvrc principale , Veen- INDUSTRIELLES ET LITTERAIRES. 243 Vie capitale qui s'est produite , comme disent Ics saint-simoniens. Et qui oserait done disputer la pa'lme a mes favorites ? ce n'est certainement pas le Regent do M. Ancelot , am Vaudeville. Le Regent est une piece ffoide et ennuyeuse , ou , si ron trouve de loin en loin quelques traits spirituels , on est tente de leur oter son cliapeau comme a de vieilles connaissances , car ils ont e'te' butines 5a et la dans les memoires dutems; le reste ne vaut pas I'lionneur d'etre nomme'. Nnl inte'ret, pas d'intrigue attachante, et absence complete de comique. Le personnage de Dubois , sur lequel on comptait pour e'gayer un pen cette pretendue page bistorique , et qui est assez bizarrement repre'scnte par Lafont, ne remplit pas du tout le but qu'on s'etait propose , et reste bien loin du eomte Jean de Madame Dubarrj. J'entends vanter la fe'condite' de I'auteur du Regent, et je m'en e'tonne. Un auteur fe'cond est a mon sens celui qui cree , qui imagine, qui a des inspirations a lui, et dont Ics productions portent le cachet de I'individualite' et du talent. Sous ce rapport, M. Scribe a e';e' fe'cond pendant long-teras. Mais faire des dranies a coups de ciseaux , pillcr a dioite et a gauche dans dix pieces diffc'rentes I'histoire et le roman pour le tranformer en je ne sais quoi , qui n'est ni le roman ni I'histoire, coudre tons ces lambeaux vaille que vaille dans un style mou et sans couleur, ce n'est pas la de la fe'condite dans le bon sens; c'est de la compilation, c'est du travail, et un tra- vail raalheureux. De plus, cette manie d'imitation n'est pas sans danger a cause des rapprochemens force's qu'elle amene. Par exemple , vous avez peut-etre vu Leontine a votredernier voyage a Paris. La donne'e de cet ouvragc est neuve et singuliere , et il a produil quelque cffet. Mais lisez dans Jacques le fataliste I'hisloire de raadame de la Pommeraye, oil I'auteur de Leontine a pris toute I'idee de sa piece, et comparez. Mettez la maniere molle et lache de I'imitatcur a cote de la touche vi- gourcuse et brillaute de I'original; posez-moi M. Ancelot en regard de Denis, et je suis sur que, rejetant bien loin I'avorton vaudeville, vous repe'terez avec moi : Traductores , traditores. Vive plutot Mademoiselle Marguerite de M. Xavier^ an luoins clle amuse ^ et Arnal y est extremement plaisant. La piece est bien folk* et bien extravagante. Mais n'importe. Je dirai comme I'ecriture : II lui sera beauconp pardonnc, parce quelle nous aura fail heaucoup rire. Lc GvMNASE nous a donnc le Savant, de MM. Scribe et Monvel. C'est une imitation de I'allemand ; raais clle n'est pas heureuse, el Ton ^44 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ne saisit pas bien le but que se.sont propose les auteiiis. Ont-ils voulu rendre plus inte'ressant leur he'ros er udit en I'apprivoisant avec le inonde ? Ont- ils pretendu que le culte des Elzevirs , la preoccupation continuelle des travaux scientifiqnes, un caractcre distrait a la Regnard , qui vous inene son homme au milieu de la riviere quand il se promene au bord de I'eau un livre a la main, ont-ils pre'tendu que tout cela fut d'une conciliation bien facile avec Failure raisonnable et le train positif du menage ? Un homme qui , pour accumuler a la Ibis les invraisemblances les plussingulieres, refuse d'abordde se battre avec un e'tourdi , parce que c'est contre ses principes , ce qui se confoit; puis qui , deux minutes apres, accepte le cartel, parce qu'on se permet de dire devant lui du mal de la science, de la science qui est sa Dulcine'e a luij un homme qui , non moins fou que Don Quichotte , emportc pour le combat des pistolets antiques qu'ilde'tached'upe vieille armure, et qu'il fourrepele- mele dans ses poches de cote' avec un Tite-Live et un Ciceron , un homme enfin qui , allant en cct equipage a la rencontre de son adver- saire , se trouve sans s'en douter avoir quitte' la terre-ferme et oblige de la regaguer a la nage ; un pareil homme , je le demande , est-il mania- ble ? Ah I s'il Test , je le plains bien ! Je n'ai rien a vous dire de Shahahaham II , au meme the'atre , si cc n'est que c'est une suite de V Ours et le Pacha, et vous savez ce que valent les suites. Le Mannequin de Bergame, a I'Opera-Comique, a le merite d'etre beaucoup plus gai que Teresa. Quoique la musique n'ait rien de bien saillant , cette bouffonnerie amusante , imite'e de I'italien , survivra sans doute au carnaval. Heureuse Italic , en de'pit du pape et des Au- Irichiens , on rit encore sous Ion beau ciel j tes bouffes sont toujours les premiers des bouffes. Ah! de'fie-toi du re'gime rcprcsentatif et de ses ennuycux discoureurs j de'fie-toi du parlage des avocats et de I'admira- ble ponde'ration des pouvoirs ! Hc'las ! tu ne rirais plus. Nous qui , sous ce rapport , sommes plus avancc's , nous en recueil- lons les fruits; et voila que la spirituelle police vient de proscrire du repertoire de I'Ode'on une Revolution d' autrefois, oil , sous les traits de Claude , I'empereur romain , elle a etc assez avise'e pour rcconnaitrc Louis-Philippe. M. Gisqiiet n'est guere courlisan. M. NECROLOGIE. Allemagne. — Le cointe Frederic- Jules-Henri de Soden, ne a Anspacli en 1754, se distingiia jeune encore par ses connaissances comme piibliciste, et ses talens comme e'crivain. II fut nomine' d'abord conseiller prive' de re'gence par la maison de Brandebourg , et phis tard conseiller intime; puis , en 1790 , il fiit cree' comte de I'empire. — Pendant phisieurs anne'es il re'sida a Nurenberg en qualite' d'ambassadcur de Prussepreslecerclede Franconie. C'est-la qu'il se fit avantageusement connaitre par plnsieurs e'crits. Son Esprit des lois pe'nales en trois vo- lumes, qu'il commenfa des 1782 , re'pandit beaucoup de lumieres sur cette partie de la le'gislation , alors encore tres-imparfaite et tres-ne'gli- ge'e, et lui acquit une grande re'putation. Quoique I'esprit de M. de Soden le portat vers Ics sciences politiques, les belles-lettres I'occuperent beaucoup dans sa jeunesse ; le theatre fut particulierement pour lui un objet de predilection , et il ne se borna pas i lui consacrer sa plume ; car ce fut lui qui , en 1 784 , erigea a Wurlz- bourg le premier theatre permanent , et qui le dirigea etl'entretint pen- dant plusieurs anne'es , pour son propre compte , ce qu'il fit plus tard pour celui de Bamberg. II existe de lui plusieurs volumes d'ouvrages dramatiques. Dans la tragc'die et dans la haute come'die il a obtenu de succes, et plusieurs de ses pieces , lelles que Ines de Castro, Cle'opdtre, la Mere de famille allemande , figurent encore sur les repertoires des theatres allemands. Quant a ses compositions purement comiques, elles sont tombe'es dans I'eubli. Apres avoir fourni une carriere politique de quelques anne'es , M. de Soden rentra en 1796 dans la vie prive'e , et se retira a sa terre de Sassenfahrt, sur les bords du Mein. Des lors il ne ve'cut plus que pour les sciences et 1' economic rurale , auxquellesil a rendu des services. Mais c'est surtout a I'e'conomie politique qu'il se voua particulierement. Son traite sur les finances de Nurenberg , sa loi agraire au moyen dc laquclle il voulait prevenir les revolutions , et plus encore son esquisse de la poli- tique administrative des e'tats, trace'esurun plan tres-inge'nieux , furent les avant-coureuis de I'ouvrage le plus complet en ce genre que possede V'Vlleuiagnc. Cctouvragc, c'est son Economie politique nationale en luiit volumes ; travail qui a valu ;'t son autcur, en Allemagne , une ic- 246 NECROLOGIE. nutation presque e'gale a cellc de Sinitli en Angleterrc et de Say en France. Dans des terns difficiles, M. de Soden donna a plusieurs mini- teres des finances des conseils qui furent regarde's comme de savantes ressources. Ces conseils se trouvent consignes dans plusieurs ouvrages : V Entrepot ideal des grains , la Banque hypothecaire nationale , Traite siir le sjsteme du credit public . II nous reste a parler d'une cpoque inte'ressante de la vie de M. de Soden : c'est celle oil nomme depute a la deuxieinc cLambre du royaume dc Baviere , bien que deja age de soixante-onzc ans , il eclaira les dis- cussions par son savoir et son eloquence ; sa place e'tait a cote de M. Poelitz, au milieu des partisans du regime constitutionnel. Ce fut le 1 3 juillet dernier , a Nurenbcrg , que cet homnie respec- table a e'te cnleve a son pays, Jh. de Luceway. TABLE DES MATlfeRES CONTENL'ES- DANS LA 15-' LIVRAISON DE LA REVUE ENCYCLOPEDIQUE. JANVIER 1 832. Pages i . De la tendance nouvelle des idees , i 2. De la societe saint-simonienne Jean Reynaud. 9 5. Les Trois principes : Rome, Vienne, Paris Charles Didier. 87 4. Considerations sur les finances de la France et des Etats-Unis. Einile Pereire. 67 5. SuT les variations de la taille chez les mainmiferes. Is. Geqffroy-Saint-Hilaire. 102 6. De I'dducation publique E. Souvestre. ■lOS 7. Frafjmens sur la Valachic Adelaide 3Iont^ol/ier. 1 1 8 BULLETIN BIBLIOGRAPllIQUE LIVRES ETRANGERS. AMERIQUE SEPTEINTRIONALE. — Etats-Unis. — Visile dans les mcrs du Sud , 131 ; — Revoke du Bounty, ibid. EUROPE. — Grande-Bretacne. — Deux poemes traduits du cingalais , 156; — Histoire de la medccine ,141; — Geographie de TAsie , par Rennell , 1 42; — Tournee en Angleterre , ibid. ; — Esquisses de la vie d'un soldat , 1 45 ; — Roman et Reality, par miss Landon, ibid. — Allemagne. — Leltres ecrites de Paris, parRaumer, J. C. Held et Bocrne , 1 44 ; — Memoires de la Socieie de Boheme , 1 47; — Histoire des Magyarcs , 148; — Necrologe d'Aix-la-Chapelle , ibid.; — Morceaux divers sur la Grfece moderne, ibid.; — Prosodie arabe, 149; — Tableaux de POrient, ibid. — Suisse. — Souvenirs de Victor de Bonstetten ,151, — Italie. — L'ancienne philosophie morale , par Romagnosi , 1 55 ; — Intro- duction a Tetude de la philosophie , 155 ; — Critique systematicouniverselle, ibid. ; — Essai d'une distribution des animaux vcrtebres ; ibid. ; — Histoire de TEurope, par Giambullari , 15G; — Voyages en Italic, 157; — Manuel dc la litterature itaiieniie, j6/i On paiera plus , dit-on , sans doute : mais qui ? Ceux qui ne payaicnt pas assez ; ils paicront ce qu'ils doivent suivant une juste proportion Des privilefjcS seront sacrifies I Vaudrait-il mieux surcharjicr encore les non- privildgies, le peuple? ■ — II y aura de grandes reclamations On s'y est attendu. Pcut-on faire le bien gdntiral sans froisser quelqucs int^rets particu- liers ? Rcfirine-t-nn sans quily ail des plaint, s ? » 264 POLITIQUE. rester fennes et assidus a leur poste. L'ennui n'etait pas au-de- dans de rassemblee et le degout au-dehors. Un caractere reli- gieux se faisait remarquer dans le zele des representans et dans la reconnaissance de la nation. Ce beau spectacle etait dii pourtant a I'application des principes qu'on avait dedaignes on condam- nes depuis trente ans , et qui avaient valu au genie de Turgoi le repioclie de se perdre dans les reveries, et de poursuivre des chi meres. Vers le milieu du dix-huitieme siecle, Turgot, que je n'envi- sagerai ici que corarae economiste , avait professe hautement , en depit de tous les routiniers de la finance , les opinions neuves et bardies que j'ai dejk rappelees. Dans le pland'un Me'moire sur les impositions , il avait eu le courage d'avancer et de soutenir que I'impot devait respecter le travail , et ne peser que sur le produit net des capitaux. — « J'ai entendu un homme, dit-il, cal- )) culer ainsi les revenus d'une province : II y a tant d'horames ,• » chaque homme, pour vivre, depense tant de sous par jour, done » la province a tantde revenu. Taxez projiortionnellementun pa- » reilrei>enuy il faudra que ces gens meurent de faim, ou au moins » de misere. Je crois en revenir a la grande question de la soupe des » cordeliers ; elle est k eux quarid ils I'ont mangee. II en est de » meme du pretendu revenu de I'industrie. Quand rhorame a » mange la retribution proportionnee a son talent ou & I'utilite de » son service, il ne reste rien , et I'impot ne peut pas etre assis sur 5) rien. » — Aussi Turgot se prononcait-il energiqueraent centre les impositions indirectes , et plus specialement contre celles qui portaient sur les consommations generales. — « Elles font payer, >j disait-il , la meme taxe sur les productions de la merae nature, » dont les unes sont precieuses et les autres non. II j a surcharge » pour les consommateurs pautres II serable, ajoutait-il , que » la finance, comme tin monstre avide, ait ete guetter au passage » toutes les richesses des citoyens, et tout cela par un bien grossier » mal-entendu ; car pourquoi tant de ruses , lorsque toutes les » veritables richesses sont , comme on dit , an soleil ? v DE l'iNNOVATION EN MATIERE d'iMPOT. 265 Les etats-generaux , en prenant cette grande verite pour base de leur resolution et en donnant la sanction legislative aux sages conseils de la science et de la philantropie, n'avaient pas ignore cependaut toutes les objections que nous avons vu renouveler de nos jours contre la suppression des impots indirects (1). Mais, pen soucieux des reclamations interessees des hautes classes , ils ne s'arreterent pas davantage aux prejuges des docteurs et des pratkiens du fisc , et ils marcherent droit a. I'installation d'un noii-^eau systeme financier, qui put faire de la prosperite du peuple le coroUaire de sa liberie , et devenir ainsi la double ex- pression des principes economiques et des maximes politiques du dix-huitierae siecle. Eh bien ! le dix-neuvieme siecle, qui a pu entendre en nais- sant le retentissement des acclamations populaires que le der- nier siecle avait meritees et obtenues par la pensee de ses philo- sophes, la parole de ses tribuns, la vigueur de ses hommes d'e- tat , le courage et I'babilete de ses capitaines ; le dix-neuvieme siecle va-t-il , comrae ces heritiers incapables et dissipateurs qui devorent dans I'oisivete et la mollesse le patrimoine de leurs peres, laisser perir en ses mains la rlchesse et la gloire qui lui ont ete transmises? N'a-t-il rien h ajouter a son tour a la fortune de rhumanite? Sa destinee est-elle de figurer dans I'histoire comme certains rois de notre monarcbie, sous le litre dcfai- (1) n ISancien gouvernement, » disait lAssemblee nationale dans une adresse au peuple fran^ais , aprfes I'abolition des monopoles , privileges et droits indi- rects, a regardait ces impots comme d'adniirables institutions Jinancieres , parce que la perception s'y confnndait ai'cc le prix de la marchandise. » On voit que les avocals actuels du mouopole et des droits-r^unis n'ont rien invent^ dans lours plaidoyers pour les cliargcs qu'ou fait supporter in i^enietisement aux classes pauvres , ct qu'ils n'ont cu qu'a reproduire les argumens des commis de I'ancien repjinie. C'estquelquc chose d'assez singulier, iipres la re'folution , Dfa- pole'on et les barricades , de retrouver le catiicliisme et la lof;ique des traitnns entre les mains des represenlans de la nation qui a fail touto la gloire attachde a ces trois noms ! TOME Mil. FEVRIER 1832. 18 266 POLITIQUE. neans? Tout ce qui sc passe autnur de nous donne le demenii ]e plus formel "a cette supposition fletrissante. Sans doute, si rou ne jugeait de 1' esprit et de la tendance de notrc siecle que par les actes officiels, les accidens diplomatiques, les discours de tribune et les resolutions de cabinets, il serait difficile de le classer lionorablenient dans les tastes des revolutions et des progres de I'esprit humain. La seule ceuvre glorievise qu'il ait vu accomplir par des gouvernemens on par des princes ne lui appartient pas ; car cette an vre, Faction militaire et civtlisa- trice de la France sur I'Europe, avait ete commencee par la re- publique ; et Napoleon, en la poursuivant, ne fit que continuer au-dehors et que propager par la conqiiete le niouvcment et la pensee du dix-huilieme siecle. Mais , h part cette prolongation exterieure de la secousse progressive que la revolution de 1789 avait iinprimee an monde entier, I'empire, la restanration et la quasi-rcstauration n'ont rien fait qui puisse servir deconstatation al'avenenient du siecle nouveau. Loin delh, ils n'ont pas menie conserve Iheritage qu'ils avaient rrcu de la derniere generation du siecle passe, et ils se sont montres plus jaloux d'amoindrir que d'etendre I'influence de la philosophic et de la revolution francaises. Sous le rapport politique, Napoleon porta une main irapie sur le testament du dix-huitieme siecle, pour y effacer les dispositions les plus liberales dont le peuple etait I'objet, et poiur leur substi- tuer une retroaction soleniielle en favour des litres nobiliaires ct des institutions aristocratiques que Tassemblee constituante avait abolies. SoTis le rapport economique. Napoleon ne fut pas moins contre-revolutionnaire, en ressuscitant les taxes sur les consoin- niations les plus generales. II surchargea les classes laborieuses pour nienager les classes elevces, par le retablissement des con- tributions indirectes, dont I'ancien regime lui-meme ne voulait plus a son declin. Cette mesure odieusc ne contribna pas pen a diniinuer rengouement des masses, ct a scparerle nionarque du DE l'iNNOVATION EN MATIERE d'iMPOT. 267 peuple. Un jour vint oil toute la gloire du grand homme, jetee dans la balance souveraine de I'opinion publique , pesa moins que la haine universelle qu'inspiraient la conscription et les droits-reunis, c'est-a-dire le double impot que le pauvre payait de son sang et de ses sueurs. La restauration a maintenu et accelere, la quasi-restauration a conserve et faiblement ralenti, le mouvement retrograde de I'em- pire. Donner tout a la fortune dans I'attribution des pouvoirs constitutionnels (i), et lui demander le moins possible en contri- bution ; priver le travailleur non-censitaire de toute participation aux affaires publiques, et faire supporter la plus grande partie de I'impot au travail , tel a ete le theme invariable que, sous des formes diverses, tons les ministeres ont adopte depuis trente ans, et dont toutes les oppositions out accepte le principe pour se borner a en restreindre plus ou moins les consequences. Et c'est non-sevdement apres avoir meconnu le genie et les be- (1)Les reductions que la cliambre a operdcs sur le traitement des fonction- naires out tellement irrite le ministere qu'il a die entraine "a prendre parti pour le merite centre I'argcnt, et qu'il s'est dcrie un jour : « Vous livrez les places a la richesse ou a la niediocrile ; mdficz-vous des ctipacitds d lion niarcliti. » Le mi- nistere oubliait evidemment que tout I'ordrc politique qu'il ddfend incessamment, avec tant d'opiniatrete, repose sur Taristocratie de la fortune, et qu'il parlait un peu lestement des capacite's d bon marchd devant una assemblee de capaciles gratuites. II n'a pas ete moins curicux de voir les proprietaires par la grace de Dieii , des hommes qui jouissent , par le fait d'autrui , de quarante ou cinquante uiille livres de rente, se hater de rcntrer , par la suppression des centimes addition- "nels, dans I'integritd des revenus qu'ils tienncnt du travail de leurs ancelres ^ et rdduire ensuitc avec une facilite inconcevable le salaire des services personnels, menie les plus eminens. Si le gouvernement avait ete dans le vrai , et qu'il lui eut et<5 prssible de se placer franchement sur le terrain des principes et des in- tdrets po|)ulaires , il pouvait dcmasqucr irrevocablement les faux Iribuns de noire dpoquc , les aristocrates et les cgoistes de I'opposition , en faisant ressortir leur emprcssement a diminuer I'inipot foncier, leur predilection pour I'impot indi- rect et leur touchante sollicilude pour rclcvation du prix des grains. 18. 2()8 POLITIQUE soins de sou slecle, niais apres avoir reiiic la gloiie et nipuJie les bienlaits du siecle precedent , que ron ose s'etonner de ne pliis retrouver le peuple qui eut des benedictions unanimes pour Tassemblee constituante ! Quand Despremenil poussa I'audace ou la naivete jusqu'k proposer serieusetnent aux etats-generaux de renverser d'un seul coup tout leur ouvrage, on le declara en de- mence par un decret, et la nation entiere applaudit a cet acte de justice. Aujourd'hui les hommes qui ont fait revoquer ou modi- fier les innovations de -1789, les hommes les plus opposes an developpement des principes et au retour des institutions qui effrayaient Despremenil ; les hommes les plus desireux de main- teuir la reaction monarcbique et oligarchique de 1' empire et de la restauration, ces hommes sont ceux precisement qui reven- diquent pour eux la souverainete de la raison , et qui s'attri- buent le monopole de la sagesse ! Et puis ils se plaignent du peuple, qui entend assez ses interets pour ne pas se livrer k eux sur la foi de leurs pretentions , et qui refuse de croire la revolu- tion en surete entre les mains de sages qui , malgre tout le soiu ([u'ils piennent de se donner une allure liberale, ne sont en rea- lite que les executeurs testamentaires et les timides continua- teurs des fous audacieux de I'ancieu regime ! En placant sur la meme ligne que Despremenil , et au-dessoiis deCalonne, les ennemis actuels de la reforme politique et finan- ciere, je n'ai rien exagere, puisque le systeme qui est en vi- gueur, et dont on ne veut pas se departir, maintient et consacre,! en matiere d'inipot et de capacite civique, les combinaisons ini- populaires et les dispositions aristocratiques dont les etats-gene- raux avaient debarrasse la France. C'est ce qu'atteste chaque jour la masse laborieuse des proletalres, tantot par son silence acciisateur, tantot par sa parole orageuse. Et Ton affecte de nel rien comprendre aux lecons eclatantes que donne le peuple, et Ton meprise ses terribles avertissemens ! On ne sait pas voir, dans] le soidevement des populations contre les monopoles, les pro- hibitions et les droits-reunis , dans le pillage des bureaux d'oc- DE l'iNNOVATION EN JMATIERE d'iMPoT. 2(mj troi et la destruction des registres du fisc ; on ne sail pas voir la manifestation du meme sentiment, Vexpression du meme besoin, le signe de la meme detresse, la suite du meme fait qui entraina le laboureur et I'artisan a protester, jusque par I'incendie des chateaux , centre les droits indirects et les droits feodaux qu'ils ne pouvaient plus supporter! On ne se rappelle pas que ce fut I'abolition de ces droits qui provoqua surtout I'entliousiasme de 1 789, et que , toutes les fois qu'on a voulu depuis rallumer les passions politiques des masses populaires, on n'a pas en d'autre raoyen que de leur faire peur du retour de la dime, des droits feodaux et des autres charges de Tancien regime. On oublie aussi que le retablissement de la plupart de ces charges sous des noms nouveaux porta un coup mortel "a la popularite d'un gouverne- ment, appuye d'ailleurs sur des trophees et soutenu par le genie. On ne s'apercoit pas que le peuple, rassure desormais du cote de la dime et des droits feodaux , resume aujourd'hui toute sa po- litique dans la haine des monopoles, des prohibitions, des taxes indirectes et des octrois, qu'un mot, un seul mot, Tabolitiou des droits-reuiiis , I'agite, le remue et pent prendre de plus en plus le caractere d'un cri de ralliement. Combien sont aveugles les hommes de I'opposition et du mi- nistere qui assistent aux enseignemens tumultueux de la place publique , qui entendent les admonitions acerbes et les avis de- sordonnes de I'emeute, sans pouvoir en saisir le sens profond , sans comprendre que, sous Tinsurrection republicaine et sous la revolte royaliste, se cache un fait general , reside une cause com- mune, la misere des classes laborieuses ! Comment ne voient-ils pas, dans les demonstrations hostiles dont les contributions indi- rectes sont Tobjet, la necessite dedonner a I'impot une nouvelle assiette, luie nouvelle repartition et un nouvel emploi? Si on leur demandait d'inventer, la repugnance etle retard seraient explica- bles. Mais la science etl'histoire de cinquante ans les pressent de loutes parts, etleur fournissent les iudiculions les plus certaines. Us out devanl cux i'autorile pliilosopliique de Turgol, laulorile 270 POLITIQUE. fiuanciere de Necker, Tautorite politique de I'asserablee consti- tuante, I'autorite souveraine de I'experience dans les calainites et les troubles populaires. Qu'attendent-ils pour ouvrir les yeux? Assez de luaux ne sont-ils pas encore accumules sur nos tetes? II lie s'agit pour eux que de restituer au peuple les bienfaits de sa premiere revolution , et de lui rendre la position que voulaient lui donner des ministres meme de rauciea regime. Ce n'est pas trop exiger. Qu'ils reparent du moins la breche faite au dix- huitieme siecle , s'ils ne savent ou ne veulent rien construire de nouveau pour le dix-neuvieme : d'autres se chargeront de ce soin. P. M. Laurent. PHILOSOPHIE. DOCTRINE D' ASSOCIATION D£ M/ CHARLES FOURIER(i). » ( The'orie des quatre moiwemens , p. iO. ) Ce qui a ouvert a M. Fourier une voie vraiment uouvelle , c'est qu'en traitant de rassociation , il a opere a la fois mr les passions et sur I' industrie , cherchant a faire coiucider eii tous de- tails les interets individuels et les interets collectifs ; siirtoutc'esl qu'il s'est propose de creer I' attraction industrielle , de transfor- mer tous les travaux en plaisirs. [Somniaire , p. 5.) Avant d'aborder I'exposition methodique du systcme de M. Fourier, j'insiste sur cette idee capitale de rendre le travail attrajant , de sorte que chacun y soit entraine librement et par passion. On verra plus loin si ce resultat se trouve alteint ; mais il est bon des le commencement de supposer un pareil probleme resolu et d'en prevoir les consequences. II est clair, en effet, que la solution complete de ce probleme ferait evanouir les principales difficultes que presente I'associa- tion. Ce serait la plus belle consequence dune the'orie et la meil- leure garantie de sa realisation. Ce point important obtenu , les resultats annonces par M. Fourier, quelque merveilleux qu'ils paraissent, n'auraient rien de chimerique. Si les travaux deTin- dustrie sont transformes en plaisirs plus vifs que nos fetes ( et celles du peuple ne sont pas si briilantes qu'on ne puisse con- cevoir la possibilite de les depasser), des lors I'accroissement rapide de toutes les produits , I'accession au travail de toutes les classes rebelles (comme oisifs, enfans, vagabonds, sauva- ges), I'abolition de la traite, I'affranchissement des negres et de tous esclaves convenu de plein gre avec les maitres , toutes ces promesses de I'auteur deviennent simples et naturelles. Je sigiiale encore un avantuge qui embrasse tous les autres, et qui fera sentir au lecteur I'interet que presente I'idee de M. Fou- rier. L'industrie etaiit supposee attrayante , I'association pour- rait sans aucun risque faire Vavance au plus pauvre associe d'un m/H/njMHt de logement, vetement et nourriture. Aiusi le DOCTRINE d'aSSOCIATION DE M. FOURIER. 275 nioins fortune des hommes jouirait de cet avantage que la na- ture ne refuse point aux animaux, la tranqiiillite d'esprit sur son avenir. Mais aiissi long-tems que I'industrie sera re'pu- gtiante , \ ouxnav ne fera rien s'il n'est pas talonne par I'indi- gence (1); aussi on ne pent pas dansl'etat actuel lui garantir ce minimum, sans lequel cependant toute liberte est illusoire. Je m'efforcerai done de faire ressortir les moyens que M. Fou- rier eniploie pour ci'eer T attraction industrielle ; mais je dois auparavant exposer la conception generale qui lie toutes les par- ties de son systenie. K I. DE L'ATTRACTIOM PASSIONIIiEE ou Determination dii plan de Dieu. « L'attraction passionnee est I'impulsion donnee par la nature anterieurement a la reflexion , et persistante malgre I'op- position de la raison, du devoir, du prejnge , etc. » — M. Fourier consacre une notice particuliere du Traite'd' associa- tion a demontrer « Texcellence de l'attraction passionnee, sa » proipviete d' interpretation dii^ine permanente , la necessite de la » prendre pour guide dans tout mecanisme social ou Ton vent >> suivre les voies de Dieu , arriver a lapratique de la justice et de » la verite'el a I'uNiTife sociale. » La societe actuelle est ainsi faite qu'on ne pent guere se laisser aller a satisfaire ses desirs sans faire tort a soi-menie ou a ses semblables. Tout le monde desire la richesse par exeniple; luais le plus grand nonibre en est exclus. Le travail et la prati- que de la verite sont rareraent des voies de fortune. Dans pres- que toutes les directions, c'est le mensonge et la fraude qui - trioniphent. Veut-on se procurer les plaisirs qu'offie la civilisa- tion, c'est un moyen a pen pres assure de ruiner sa bourse et sa (1) II ne faudrait pas citer centre cctle assertion la devise des Lyonnais : ytvre en travaillant. Ce n'est evidemment qu'un pis aller de de'sespe're's , puis- (jii'ils n'ont pas d'autrc ciioix , si ce n'est de Mourir en combaWint. 276 PHILOSOPHIE. sante. On ne pent pas s'abandonner a une passion sans sacri- fier les antres. L'amour fait tort a I'aniitie , Tambition fait ou- blier Tune et I'autre, etc — Ces observations sont triviales ; mais, au lieu que jusqu'ici on avait considere ces miseres coninie inherentes a la nature huraaine, M. Fourier appelle toutcela uu MONDE A REBOURS. Comme il a foi dans I'int^gralite de la Providence, il pose en principe qu'il existe un mecanisme so- cial approprie a la nature humaine, un mecr.nisme qui fera con- courir I'interet de chacun avec la pratique de la verite, qui ou- vrira a tons line voie facile de ricbesse et de bonheur ; et cette voie, cesera Vobeissance de chacun aux impulsions qu'il recoit de la nature, a V attraction passionne'e. L'attraction esl la loi une et universelle de tons les mouve- mens , du mouvement social aussi bien que du mouvement ma- teriel. Si aujourd'hui Tborame ne pent pas obeir sans de graves inconveniens » l'attraction passionnee , ce n'est pas que riiomrae soit vicieux, c'est tout simplement que Tordre social oii il vit est contraire a sa nature. Cette verite parait si frappante a M. Fou- rier, qu'il s'etonne qu'on ait tarde si long-tems a chercher une issue a I'etat actuel. Poser l'attraction -passionne'e comme le principe du mouve- ment social est quelque chose de hardi ; car oii s'arreteront les desirs de Thomme? Et tout le poids qui comprime aujourd'hui leur essor une fois enleve, qui tiendra toutes ces passions en bar- raonie? INI. Fourier aborde tres-franchement c§s difficultes. II promet d'amener les passions a I'equilibre par affluence de plai- sirs et non par moderation raisonnee, ce qui serait la methode de tous les moralistes, methode qui, d'ailleurs, n'a jamais reussi. Aux partisans de la moderation, qui pretendent que la per- fection nest pas faite pour les hommes: « Qu'en savent-ils ? » pourquoi desesperer de la sagesse de Dieu avant d'avoir etu- » die sesvues dans le calcul de la revelation sociale permanente, n ou attraction passionnee , dont on ne pent determiner les fins » (|u'cn proteJantregiilierementpar analyse etsynthesc? — Mai:s DOCTRINE 1)' ASSOCIATION DE M. FOURIER. 277 5) ce calcul seinhle absurde aii premier abonl; il nous apprend » que chaciin voudrait des millions et mi palais ; comment faire » pour en donner a tout le monde? — Objections frivoles ! Est-ce » la un motif d'ab^ndonner una etude? Poursuivez-lasans vous » effrayer; suivez le precepte de vos philosoplies, qui vous or- )) donuent d' explorer en entier le domaine de la science : achevez » done ce que Newton a commence, le calcul de I'attraction , il >) vous apprendra que celui qui desire des millions et un palais » desire trop pen ; car, dans I'etat societaire, le plus pauvre des » homines jouira de cinq cent mille palais, ou il trouvera gra- )) tuitement beaucoup plus de plaisirs que ne peut s'en procurer » ini roi de France avec trente-cinq millions de rente, etc. « Je prie le lecteur, quel qu'il soit, de suspendre son jugement sur de pareilles assertions , an moins jusqu'a lecture achevee de cette simple analyse. II suffitpour le moment de sentir combien le principe de Tatlraction passionnee , consideree comme inter- prele permanent de la volonte divine, est quelque chose de profondement religieux ; et comment ladecouverte d'un procede d'association qui donnerait libre essora I'attraction, manifesterait hautement la sagesse et la bonte infinies de la Providence, en ne laissant plus rien d'arbitraire dans I'organisalion des societes. Le legislateur alors ne s'efforcerait plus de dinger I'homme par la contrainte ; le moraliste ne ferait plus appel a la raison pour comprimer des penchans plus forts qu'elle; enfin le theocrate n'aurait plus de pretexte pour etouffer la liberte humaine. II faut lire dans I'ouvrage de M. Fourier son admirable critique des lois de contrainte et des preceptes de raison opposes a I'at- traction. Je me borne a transcrire le tableau dans lequel il resume toutes les proprietes de I'attraction passionnee consideree corame principe du mouvement social. ((If Boiissole de re'i>e'lation sociale perntanente, en ce que I'ai- guillon de I'attraction nous stimule continuellement et par des impulsions aussi invariables, en tons terns et en tons lieux, que les lumleres de la raison sont varial)les et tronipeuses. 278 PHILOSOPHIE. » 2° Economie de me'canisme, par Temploi d'un ressort ciimu- lant les faoultes d'interpretation et d'impulsion ; ressort apte "a reveler et stinmler a la fois. » 0° Concert affeclueux dn cre'ateur auec la creature , on con- ciliation du libre arbitre de rhomme, obeissant par plaisir, avec Tautorite de Dieu, commandant le plaisir par impulsion attractionnelle. » 40 Comhinaison de T utile et de Fagre'ahle, du benefice et du charme, par entremise de I'attraction dans les travaux produc- tifs oil elle doit nous entrainer passionnement , comme h toule volonte de Dieu , de qui elle est I'interprete. )) 5° Epargne des voies coercitiues, des gibets, sbires, tribu- naux, philosophes et autres rouages parasites que I'ordre civi- lise et barbare fait intervenir pour le maintien de I'industrie , toujours repugnanle liors des series passionnelles. )) 6° Recompense collective des globes dociles, par le cbarme du regime attrayant; et punition collective des globes rebelles sans emploi de la violence, par le seul aigiiillon du desir ou martyre d'attraction , qui est cbatiment ne'gatif pour les globes rebelles et obstines h vivre sous les lois des hommes. » 1° Ralliement de la saine raison avec la nature j c'est-adire garantie d'avenement aux ricbesses et aux plaisirs, qui sont \OGU de la nature, par la pratique de la justice, de la verite, qui sont voeu de la saine raison , et ne peuvent regner que par I'association. » 8°Unit6 interne, oupaix de rhomme avec lui-nieme; fin de I'etat de guerre interne qu'organisc Tetat civilise cu mettant dans chacun la passion ou attraction aux prises avec la sagesse et laloi. » 9° UwiTi!: EXTERNE, OU relations de rhomme avec Dieu et I'nnivers. Le monde ou univers ne communiquant avec Dieu que par entremise de I'atlraction, toute creature, depuis les astres jusqu'aux insectes, n'arrivant a rharmonie qu'en suivant les im- pulsions derattraction, ily auraitduplicitc dc systcme si I'horame devait suivre unc autre voie que I'attraclion pour arriver anx DOCIRINE n' ASSOCIATION HE M. FOURIER. 279 lius de Dieu, "a Ibarmonie et 'a Tunite. » {Traite d' association domesti(jue-agricole , p. "184-185. ) Quaiid raenie on ne sentirait pas d'abord la possibilite de satisfai re a I'attraction passionnee, on admettra sans doute qn'im tel prin- cipe est superieur a ceux qu'on a proposes dans ces derniers tems comme bases d'association. II faut reconnaitre par exeniple tout ce qn'il y a de vague et d'infecond dans la definition donnee par le saint-simonisme : « L'association doit avoir » pour but I'amelioration morale, intellectuelle et pbysique de » la classe la plus nombreuse. » Une generation bercee au recit des grandes choses que ses peres ont accomplies pour s'af- francbir de I'oppression ne voudrait pas apparemment s'asso- cier dans le but de maintenir et de consacrer I'exploitation dii peuple. Avoir cru que la definition precedente contenait virtuel- lement line doctrine sociale, et s'etre presente au nionde, avec un si faible bagage, corame les fondateurs d'une ere noui^elle, c'est une hardiesse que Teutliousiasme de la foi et le desir d'etre utile expliquent assez : niais c'est aussi luie erreur qu'il est bon d'a- vouer, ne fut-ce que pour se mettre d'accord avec un homnie dont toute la vie fut employee a chercher un remede aux miseres sociales , etqui disait, en 1 81 7 ; « II estbien passe en raaximege- « ncrale que les gouvernans doivent travailler pour le bonheur « des gouverncs; mais nn principe n'est point une science. Un » axiome aussi vague ne suffit point pour tracer les devoirs de » I'homrae public; car, quelque chose que fasse un administra » teur, il se persuade toujours tres-facilement qu'il opere dans » rinteret de ses administres. Et si Ton pretendait qu'il suffit - » de ce principe pour constituerla science des obligations qu'ini- » pose la qualite d'homme public, autant vaudrait soulenir que )) la morale est toute faite des qu'on a etabliqu'elle doit avoir pour « but le bonheur des hommes. » (Saint-Simon, I' Industrie.) Le principe de I'amelioration de la classe la plus nombreuse ne jette aucun jour nouveau sur la question de l'association. Mais si on vient nous dire : « Voici unmecanisme social dans lequel les 28o PHILOSOPHIE. passions humaines , an lieu d'etre comme aujourd'hui une occa- sion de desordre et de mine, deviendront au contraire un puis- sant moyen d'hannonie pour I'ensemble, et une voie assuree de bonheur et de richesse pour les individus , » nous avons alors un point de depart bien precise , et il ne nous reste plus, pour ap- precier la valeur d'un tel langage, qua examiner avec atten- tion , 1 o si son auteur a fait une analyse exacte et complete des J passions humaines ; 2° s'il a en effet decouvert un mode d'as- 1 sociation qui permette leur libre essor. \ J'arriverai bientot a cet examen ; mais comme on a beaucoup | insiste dans ces derniers tems sur la valeur de Y argument histo- rique pouretayer toute prevision d'avenir, comme on a etabli avec raison qu'une theorie des destinees generales ne pent obtenir de j creance qu'en rendant compte du passe , et en raontrant dans le present les germes deTavenir qu'elle annonce, je dirai ici quelques mots sur la maniere dont M. Fourier envisage le developperaent des societes humaines. § II. DUALITE D'ESSOR DC DESTIN SOCIAL L'humanite, ayant recu toutes les passions qui sont necessaires a I'association, ne peut pas echapper aux souffrances individuelles et aux calamites generales si , meconnaissant la revelation sociale permanente, I'attraction passionnee, elle s'obstine a vivre dans Y incoherence industrielle ei dans le morcellement familial , qui sont diaraetralement opposes au plan providentiel, Aussi , tout en adinettant un progres reel dans renchahiement des quatre so- cietes connues (sauvagerie, patriarchat, barbaric, et civilisation), progres caracterise principalement par le developpement des sciences et de la grande industrie, M. Fourier considere ces quatre societes comme les quatre phases de I'enfance humanitaire , et il les classe comme periodc malhcnreuse en essor suhversif. L'humanite se developpe en essor harmonique ou en essor sub- i>ersifj selon qu'elle s'abandonne ou qu'elle resiste a la volonte divine manifestee par I'attraction. DOCTRINE d'ASSOCIATION DE M. FOURIER. 281 Cette diialite d'essor du mouvement social est conforme a la diialite d'essor du mouvement materiel, qui nous offre les planetes parvenues a I'etat societaire, tandis que les cometes sont encore a I'etal d'incolierence (I). L'unite de systeme avec dualite d'essor est, selon M. Fourier, I'une des lois principales du mouvement. Par ces considerations M. Fourier echappe aux difficultes que rencontrent les partisans de la doctrine du progres ahsolu. Ceux- ci, en effet, sont obliges de s'evertuer a raontrer la bonte et la sa- gesse infinie de la providence dans les grandes catastrophes qui ontdesole le genre huraain, corame guerres generales, invasion des barbares , etc. (2). M. Fourier croirait faire injure k la providence s'il lui attribuait I'emploi de pareils mojens de pro- gres. Selon lui toutes les calamites dont I'histoire a garde le sou- venir, tons les fleaux qui nous affligent encore, sont la punition {imlirecte, car I'esprit de vengeance ne pent pas s'allier avec les notions sur la divinite ) d'une creature qui resiste a sa propre (1 ) M. Fourier considcre les comctcs coinmc des emhrjon.i de planetes destines aacquerir, aiissibienquecelles-ci,un mouvement regulitr et itoi/e.L'application modcnie du cfilcul au mouvement des cometes ne conlreditpas ce caractere d'j/i- coh^reiwe que M. Fourier leur attribue'. En effet , les plans de leurs orbitcs , comme le sens de leur mouvement , ne concordent pas avec la simplicite qu'on observe a cet egard dans le systeme plandtaire. II est vrai que la tlieorie ncvvto- nienne ne rend nullement compte de ces faits ( coincidence presquc parfaite des orbites et direction commune de tons les njouvemens de translation et de ro- tation des planetes ). L'hypothese de Laplace a ce sujet n'apas, ;x propreraent parler, de valeur scienlifique , nYtant pas dtayde de la verification des nombres . Cette faiblesse de la science en face d'un ordre de faits si important , et qui est bien plus en saillie que les phenom^nes conniis sous le nom de lois de Kepler, atteslc un grand retard dans les progrfes de Tesprit humain.Ce doit elre un avertissement s(^rieux a tous ccux qui s'empresseraient de repousser les idees de M. Fourier sur la cosmogonic par ce motif qu'elles sont nouvelles. (2) C'est ce qu^on voit par cxemple dans une brochure , ayant pour titre : Ciiui Disroiiis aux elives de I'Ecole pol) technique sur la religion saint-siinonienrie (183U). TOME l.lll. VKVniEU 1852. 19 282 PHILOSOPHIE, loi , a sa loi qui lui est incessamment re'uele'e par I'attraction , et qui porte cette creature a Tassociation et non point au 'morcelle- raent. Cette explication me parait tres-belle et tres-satisfaisante : elle est presentee sous une forme remarquable dans le passage suivant : « On souleverait les esprits en disant : la prouidejice rt ne protege pas les paut^res ; elle veut qu'ils soient malheureux , » spolie's et persecutes en civilisation. Chacun repHquerait que » j'accuse la providence d'un mal qu'il faut imputer a Tegoisme » des riches, a Tiraperitie de la legislation^ II n'en est rien : » I'assertion est rigoureuseraent juste, grace au dernier mot, en )) CIVILISATION', car la providence, qui n'approuve pas I'ordre » civilise ou travail morcele , serait en contradiction avec elle- » meme , si elle permettait que la classe pauvre, dite plebeienne, » put arriver , par le travail morcele , h Taisance dont elle jouit » dans le regime societal re ou travail combine, k grandes reu- )) nions et grands inoyenseconomiques.» [Traite' de T association domestique-agricole, Avant-Prcpos. ) Lorsque M. Fourier passe de ces generalites au detail, lors- qu'il analyse les caracteres et les proprietes des diverses societes et specialement de la civilisation, surtout lorsque, developpant cette idee d'un monde a rebours, d'un essor des passions en ordre suhversif, il montre dans tons les vices de I'etat actuel une recurrence des passions comprimees , une image renversee des vertus de I'ordre harmonique ou societaire, il repand sur tout ce sujet une lumiere inattendue , et se montre bien superieur a tons ceux qui jusqu'ici avaient fait la critique de notre epoque. Mais je ne m'etendrai pas sur ces matieres, qui exigeraient des developpemens trop etendus. II me suffit en ce moment d'avoir fait connaitre la vue d'cnsemble de M. Fourier sur I'histoire. S III. ASAI.YSE PASSIO!VSELI,E. Les premiers biens auxquels I'liomme aspire, ceux qu'il faut avant tout procurer "a chacun , c'est la richesse et la sante. Si I'homme ne jouit pas de ces avantages, il ne peut se developper DOCTRINE d'AS«OC1ATI0N DE M. FOURIER. 283 SOUS aucim rapport. Le premier foyer de I'attractioii , c'est done le LUXE (luxe interne ou saute, luxe externe on nWze.?5«.)L'attrac- tion tend an luxe par cinq ressorts seusuels , auxquels le procede societaire devra donner plein essor et satisfaction. «Mais, dit M M. Fourier , les sens ne sent point isoiement des ressorts » de Sociabilite; car le plus influent des sens, le goiit, besoin de. » se nourrir, pousse a I'antropophagie. » Les sens ne sont que renforts de sociabilite, conime le plaisir de la table, qui rend I'amitie plus vive et plus cordiale. Par cette simple observation , que les passions de I'ordre materiel ne fournissent par elles-raemes aucun lien social, nous voila sauves de toutes les difficultes oii Ton arrive quand on se contente de proclamer vaguenientla reha- bilitation de la matiere. Cequi caracterise specialement I'humanite , ce qui la distingue surtout des especes animales, c'est sa tendance "a former des groiipes ou iigues passionnees. Uamitie, Y ambition, Y amour et \& familisme sont les veritables ressorts de sociabilite, les prin- cipes de toutes relations sociales. Une quelconque de ces quatre passions suffit "a former un groupe. Mais dans un raeme groupe peuvent intervenir des ressorts empruntes a deux ou trois de ces passions , ou meme a toutes les quatre. M. Fourier expose les proprietes des groupes elementairei, Le resultat de son analyse est d' une telle importance, qu'oniflesaura gre sans doute d'en citer textiiellement les resumes. « Cliacun des groupes est produit par I'impulsion de deux principes ou ressorts; I'un spirituel S, I'autre materiel M, dont suit le tableau : RESSORTS, ^L^MENTAIRES DBS QUATRE OROUrES. \° Groupe d'amitid. S. Affinitc spir. de caracteres. M. KK\n\vi. ■maX^r . Ac penclums iiidustriels . 284 PHILOSOPHIE- 2° Groupc d'ambilion. S. AfGnitd spir. , liguc pour la cloire. M . Affinild matdr. , ligue pour Vinte'rdt. 3° Groupc d'amour. M. Affinite mater., par I'amour physique. S. Affinity spir., par Tamour ;j/«^oni<7ue. 4° Groupe de famille. , M. Affinile raater., par consakcuiivit£. S. Affinity spir., par adoption. Ce simple tableau nous en apprend beaucoup plus sur la pra- tique de la vie que bien des volumes. Premierement , si Fun dcs deux ressorts manque au groupe, 11 est vicie. « Les groupes^/n/- ples, a ressort isole, dit M. Fourier, sont d'ordinaire Lien meprisable en dominance dii materiel. Lien de dupcrie en dominance du spiritucl. » On voitensuite par la disposition des lettres S et M que le ressort spirituel tient le premier rang dans les deux gioupes d'amitie et tV ambition, etque le ressort materiel domine dans les deux aulres. Ceqj est plus fecond et plus vrai que de chercher a unir I'esprit et la niaticre en leur donnant en toutes relations une importance (igale, ainsi qu'avait fait la doctrine saiiit-simonienne. II en est assions. Si on ne connait que ces principes d'association , « les superieurs entrainent les inferieurs, »et«les inferieurs doivent deference aux superieurs » ( principes regulateurs des groupes d'ambition) ; et qu'on cherche cepcndant a regler la faraille, Tamitie, Tainour , on arrivera par uue necessite logique "a des consequences qu'on ne pourrait rea- liser (ju'en detruisaut toute dignite bumaine et loute liberte per- sonnelle. 286 PHILOSOPITIE. Je iTai encore parle que des einq passions sensitii>es et de quatre affections nmmiques , qui sont connues dc tout le monde. Mais voici trois aiities passions jusqu'a ce jour mecounues ou condauniees par tous les professcurs de morale, et que M. Fourier rehalMlite comme etant les passions d^kamionie qui i'ont concorder les passions animiques entre elks et avec les sen- sitives. Ces trois passions sont le ressort essentiel du procede socie'taire ; elles servent h former les series de groupes qui n'existent que dans I'association. Aussi ces trois passions, n'ayant pas d'emploi dans I'ordre civilise, y sont tres-nuisibles. Pour plus de rigueur, j'emprunterai textuellement les definitions de I'auteur. La premiere de ces trois passions est « I'esprit de parti , fouguc speculative ; c'est la passion de I'intrigue , tres-ardente chez les courtisans, lesarabitieux, les commercans, le monde galant, etc. L'esprit cabalistique niele toiijours les calculs a la passion : tout est calcul chez I'intrigant; le moindre geste, un clin d'oeil , il fait tout avec reflexion et celerite. Cette ardeur est done une fougue reflechie ( Cabaliste ). » La seconde est « une fougue aveugle , I'oppose de la prece- deute : c'est un enthousiasme qui exclut la raison ; c'est I'entrai - neiiient des sens et de I'ame, etal d'ivresse, d'aveuglenient mo- ral , genre dc bonheur qui nalt de I'assemblage des deux plaisirs , un des sens , un de I'anie. Son doma'ine est specialementl'amour ; clle s'exerce dc meme sur les autres passions, mais avec moins d'inteusite ((jOmvosite ). >• La formation des barricades en juillet est un bel exeraple de Composite niontrant comment par Jbugue ai'eugle on pent faire lres-rapi) Jo d' exciter I'attraction industrielle, 2° de faire produire et » consommer par series » ( Noiweau Blonde , p. 85.) Ainsi, dans la theorie deM. Fourier, le bien-etre du peuple n'est pas seulement le resultat de I'association , e'en est la condi- tion premiere; il ne peut associer les hommes qu'en leur procu- rant la ricliesse etle bonlieur. Encore uu mot sur I'eraploi des series. M. Fourier insiste sou- vent sur ce que ce precede d'association n'a rien d'arbitraire. C'est le ralliement de I'liuraanite a la nature, pulsque dans la nature tons les etrcs d'un meme genre sont ordonues en series gradue'es et contraste'es. La gamme uiusicale offre une echelle de sons ainsi disposee qu'il y a dissonnance entre les sons les plus voisins et accord entre les sons places "a certains intervalles. L'analyse de la lumiere offre' une echelle de nuances gra- duees. Enfin le classement par series de genre, d'espece et de varietes, est la methode uniforme des naturalistes. A la verite , lessavans manquent de regie pour ce classement, pour cette formation des series. Ainsi, par exemjfle, un physicien ce- lebre a donne une classification remarquable des corps ele- mentaires de la chimie; mais cette classification ne se rat- tache par aucune analogic aux autres classifications natu- relles. M. Fourier pose faiialogie wwerselle comme printype DOCTRINE D ASSOCIATION DE M. FOURIER. 297 absolu; mais, selon lui, le premier mou^-e/zienf a etudier c'est le moupemeiit social. Aussilot , ea effet , que rhiunanite sera orgauisee selon les vues providenlielles , aussitot quelle sera entree en harmonie, le raecanisme de I'association humaine devlendra un miroir fidele dii mecaiiisrae universel. hatheorie de r association , consideree du point de vue philosopliiqiie , est done la science supreme ouvrant la route a toules les autrcs. Lorsqu'on connaitra bien les comhinaisons de tous les groupes elementaii'es de I'association humaine , leuis harmonies , leurs nomhres, on saura se rendre comple, dans lout ordre de pheno- meiies, des comhinaisons, des liarmonies et des nomhres. Alors la science, aussi bien que I'industrie, aura perdu son caractere re- pugnant. Elle sera pleine de cliarmes et d'attraits pour les per- sonnes qui, dans Fetat actuel , paraissent y avoir le inoins d'ap- titude, comuie les femmes et les enfans, parce qu'on saura voir dans tousles produits de la ctreation les images symboliques de la vie et de tuutes les passions Lumaines. Alors entin s'elevera ce majestueux edilice de la science, cette encjclopddie organicjue pour laquelle la fanieiise devise, tantiim series juncturaque pallet, ue sera point une amere derisiou. C'est ainsi que M. Fourier envisage la question scientifique. Le titre de sa premiere publication (1808) indique assez la hau- teur de ses pretentions a cet egard. Comme il annonce la theo- rie du niouveraeiit social , il promet aussi la theorie des au- Ires mouvemens (comme le materiel on planetaire, c'est-a-dire la distribution des satellites , I'ordre et le nombre des plane- tes,etc. ; Vorgani(jne, ou lois de distribution des organes aux vegetaux et animaux ; et Yinstinctuel , ou lois de distribution des instincts et passions). L'ouvrage de 182:2 donne sur tous ces sujcts de brillans apercus ; malheureusement M. Fourier n'ayant pas fait connaitre ses regies d'analogie, ou ne pent pas apprecier la valeur de tous ses resultats. Ce qui parait an moins bien etabli et mis hors de doute, c'est la verite de ce que j'ai dit tout-a-l'heure , que pour lui le procede societairc, Tern- TOME LUI. FEVRIER "1852. 20 9A}8 PIIILOSOPHIE. ploi de la serie ii'a rieu d'aibitraire. Ce nest pas un simple pi'oduit de rimagiuation ; c'esl uae veritable decoiiverte. J'ai cherche dans ce premier article a donner un apercu des elemens de la science sociale de M. Fourier. Je m'appliquerai dans le suivant a en presenter les principales applications. Qn'on ree perraelte , en attendant, d'ajouter sur ce qui precede quelques reflexions que je crois utiles. Le principal ouvrage de M. Fourier ( le Traite de V Associa- tion domesti(/ue-agricoIe ) est distribue d'apres une mothode tout-a-fait inusitee, puisque cettemethode estelle-meme une ap- plication de la decouverte , un exemple de I'ordonnance par se- ries. Cette circonstance , joiiite a I'al^ondance et a la variete vrai- ment prodigieuse des details pratiques , en rend I'etude assez difficile, et, dans unepremiere lecture, fait souvent perdre de vue renchainement des idees et I'unite du systenie. II est impossible pourtant , aussitot qu'on se livre h nn examen serieux de cette theorie, den'y pas reconnaitre un ordre vraiment logique et ri- goureux. Puisque, dans toute investigation, il est admis en principe qu'on doit aller du simple an compose, n'est-il jias evident qu'a- pres avoir proclame Tattraction passionnee comme la revelation pennanente des destinees sociales et individuelles, qu'apres avoir ainsi corapletement renouvelela base de la morale, de la politique et de la religion , la premiere cliose a faire dans la science qui a pour objet d'associcr les liorames, c'etait de devoilcr la nature de I'individu , d'anal^'ser les passions, et siirtout de determiner avec soin la coordination qui doit subsister cntre elles , de peur que dans le libre essor qui leursera doniie, cclles qui caracteri- sent particulierement Vhumartiie' ne soient subaltcrnisees par celles qui lui sont communes avec Yanimalite'. Apres ce premier pas nc falSait-il pas ctudier les proprictes et les lois de formation des premiers elemens de I'association, c'est- DOCTRINE d'ASSOCIATION DE M. FOURIER. 299 a-dire des groupes que tendent h former les passions animiques ? puis apprendre h combiner, a coordonner ces premiers eleraens, pour former les series ou elemens du second ordre? Et comme une serie embrassetous les travaiix ouplaisirs d'un raeme genre ; comme, par la nature de sa formation , surtout par le travail en courtes seances, elle est susceptible d'engreiiage avec toute autre serie; c'est la I'element integral au moyen duquel ou pourra former le premier degre d'association , rassociatiou domestique , le menage societaire , ou pour employer une autre expression de M. Fourier ^ la phalange. Et lorsque toutes les conditions de formation du menage so- cietaire auront ete etablies, lorsqu'on aura indique le nombre d'individus dont il doit se composer, la 'superficie de terrain qu'il doit occuper, la forme de son habitation, et tout le meca- nisme de ses fonctions de production , de distribution , de con- soraraalion ; on passera a I'association des menages societaires ou phalanges d'un meme canton, et on s elevera ainsi progressive- ment jusqu'a I'association politique la plus composee, jusqu'a I'organisation unitaire de tout le gloije. Telle est la marche que M. Fourier a suivie : c'est assurement la plus naturelle, etla seule qui puisse conduire a la verite. On sent que cette marche ne laissera rien d'arbitraire dans I'attribu- tion du pouvoir et dans la formation de la hierarchic sociale puisque chaque sphere d'association se trouver-a determinee par la condition de renfermer toutes les spheres d'un degre inferieur. Si au contraire on voulait defmir d'abord, et apriori, la nature les formes, les limites du pouvoir , et toutes les loisde I'associa- tion politique , pour descendre ensuite successivement par tons les degres de rcchelle sociale jusqu'a I'association domestique, jusqu'a I'individu , il est plus que probable qu'au lieu d'une doc- trine d'association on n'edifierait qu'une doctrine de despotisrae et d'ejploitalion. L association domestique, ou le menage, et I' association poli- tique gene'ra'e, tels sont les deux termes extremes quo presente 20. 3oo INDUSTRIE. ce grand probleme de I'association humaine dont la solution elait I'oeuvre reservee au dix-neiivieiiie siecle. — Par lequel des deux termes fallait-il aborder le probleme? II semble que la simple lo- gique et toiites les analogies indiq-uaient I'association domestique comme le veritable point de depart , et cependant tons ceux qui, dans ces derniers terns , ont propose quelque nouveau sjsteme social paraissent avoir suivi la voie contraire (l).Ceux meme qui ont senti et proclarae le vide et rimpuissance des theories poli- tiques proposees depuis un demi-siecle ; ceux qui reconnaissenf, parexemple, la necessite de substituer des doctrines d'ordre et d'harmonie aux doctrines d'antagonisme, n'ontpasabandonne la metiiode des publicistes qui furent leurs devanciers. lis s'atta- chent toujours aux sommites sociales, au lieu de considerer la base deTedifice. Tons on presque tons s'occupent beaucoup plus de la constitution a donner aux empires que de voir par exemple si la constitution actuelle du menage , c'est-h-dire lisolemeut de la simple lamille et le morcellement de son industrie , doivent subsister. Sans do.ute cette preoccupation des meilleurs esprits s'explique par les agitations poliliques oil nous avons vecu. II faut convenir giussi qu'en commencant, ainsi que M. Fou- rier, par le menage , on trouve des I'entree des questions d'un ordre qui parait trivial a plusieurs. Mais ceux qui ont senti que le premier secours a poller au peuple est de le vetir , de le nour- rir et de le loger plus sainement et plus comuodement ; ceux-la n'oublieront pas que la plus haute faculle du genie est de passer facilement des pins grandes geueralites aux plus minces de- tails. Abel Tkanson. (1) II faut pn excepter Owen cii Angleterrc , qui a Ic nierite d' avoir le premier tcnt« la realisation pratique de I'associalion par la formation des societds indus- tnellcs cooperatives. Mais il n'avait vdrilablement pas une uouveUejhcoria .^ociale . SCIENCES. DE L' INFLUENCE DES SAISONS SUR LES FACULTES DEL'HOMME (i). Un des principes les plus feconds dans les sciences d' obser- vation , c'est que les effets sojit proportionnels aux causes. Ce principe si simple presente les resultats les plus curieux dans tout ce qui se rapporte h I'etude du developpement des differen- tes facultes de Ihonime. II est un autre principe non nioins important, et qui du reste pourrait etre considere conirae un corollaire du precedent, c'est que les causes pe'riodiqiies out des effets e'galement pe'riodiques. On peut en prendre un exemple tres-remarquab-le dans la perio- dicite des saisons on des positions de la terre a Tegard du soleil. Cette periodicite se fait ressentir non-seulement sur le globe par les modifications qu'eprouvent la vegetation , I'atniospliere et tons les agens physiques, tels que la clialeur, la lumiere, le magnetisrae et V electricite' sans doiite ^ mais encore dans tout ce qui se rapporte aux etres aniraes. L'homme surtout subit de la nianiere la plus singuliere I'influeuce des saisons , et lorsque I'etude du developpement de ses differentes facultes aura ete poussee plus loin , on sera peut-etre etonne de ne pas avoir rc- connu plus tot combien la periodicite des saisons a des effets (<) Les resultats renferrn^s dans cet article sont extraits de trois Memoires que J ai publics successi\ement sur la crotssance de l'homme , sur le penchant aux crimes aux differens ages , et sur la reproduction et la mortnlitii de lliomme "'tx differens ages. Ce dernipr travail vient d'eire publie de concert avcc M. Ed. Sinils. 302 SCIENCES. seijsibles sur ce qui concerne notre espcce. Ce qui va suivre pourra en donner une premiere idee. Le nombre dcs de'ces _, daus les villcs comnie dans les canipa- gnes, est beaucoup plus grand eu hiver qu'en ete ; le rapport est meme d'environ 5 a 2. II €n est de meme des naissances; pour deux enfans qui naissent en juillet, on en compte a pcu pres trois en Janvier ou fevrier. Ces resultats reposent sur les observations de douze annees consecutives faites dans les Pays-Bas, Pour les rendre sensibles , on a calcule les nombres dans le tableau suivant, en supposant tons les mois de 51 jours, et en prenant pour unite la moyenne des naissances et des deces : .. ^AISSA^TES. DECES. MOIS. .- ' , . VILLES. CAMP AGNES. VILLES CAMPAGIVES. Janvier. 1,067 1,102 1,158 1,212 F'ivTier. 1,122 1,177 1,088 1,198 Mars. 1,085 1,157 1,050 1,192 A^Til. 1,035 1,014 1,002 1,120 Mai. 0,971 0,927 0,946 0,978 Juin. 0,918 0,862 0,901 0,882 .Iiiillet. 0,895 0,858 0,874 0,809 Aout. 0,952 0,908 0,910 0,822 Scptcmbre. 0,980 0,995 0,971 0,888 Oclobre. 0,977 1 ,009 0,993 0,934 Novcmbre. 1,005 1,009 1 ,024 0,935 Ddcembrc. 1,018 1 ,022 1,076 1,050 INFLUENCE DES SAISONS SUR l'hOMME. 3o3 On voit ail reste que rinfluence des saisons est beaucoup plus prononcee dans Ics carapagncs que dans les ■villes, ce qui semble natural , puisque Ton y trouve moins de moyens de se preserver de I'inegalite des temperatures. Le maximum des naissances en levrier suppose le maximum des conceptions au mois de mai , lorsque la force vitale reprend loute son activite apres les ri- gueurs de I'hiver. Le tableau qui precede ne fait pas la distinction des ages des individus; cette distinction est cependant importante, puis- qu'elle nous apprendrait a quelles epoques de la vie les clialeurs ou les grands froids sont le plus h craindre. Le tableau qui suit presente cette distinction , du moins pour les mois de Janvier et dejuillet, seuls termes que nous ayons consideres, puisqu'ils presentent les liiuites extremes : DECES PENDANT LES MOIS DECES Ei^ JUILLET AGES. "- -1 POUR 1,00 DE JANVIER. DE JUILLET. DECES EN JANVIER. Morts-nes. . . . 2G9 215 0,80 1°'' mois apres la naissance. . . 3521 1719 0,52 4 a 6 ans. 878 600 0,69 8 a 12 616 447 0,73 12 a 16 409 420 1,05 16 a 20 502 545 1,09 20 a 25 861 796 0,93 25 a 30 793 724 0,92 40 a 45 818 613 0,75 fm. a 65 908 525 0,54 79 a 81 658 552 0,,51 90 et au-dessus. 252 99 0,39 3o4 SCIENCES. II r6sulte de ces nombres que I'influence des saisons est ex- tremement prononcee seloii les dirferens ages. Les morts-nes en Janvier et en juillet ont ete dans le rapport de 5 k 4; mais c'est an moment oii I'enfant commence a voir le jour que Vinfluence des saisons se fait vivement sentir; ainsi , pour deux enfans qui meurent en Janvier, on n'en perd qu'un seul an mois de juillet. Cette mortalite plus grande en hiver diminne de maniere a. de- vcnir a pen pres nulle vers dix h douze ans ; apres cette epoque, et pendant la puberte et les annees qui la suivent, la chaleur vitale se developpe si abondamment, que c'est plutot raction de I'ete que Ton doit redouter pour le jeune liomme. Vers Tepoque du mariage et pendant la duree de la reproduction, I'influence des saisons est a peu pres nulle. L'hiver recommence "a faire sentir sa funeste action apres I'age de 40 aus , et les effets en sont si sensibles, qu'apres I'age de 65 ans, le froid est aussi a craindre pour les vieillards que pour les enfans nouveau- nes; il Test meme davantage apres 90 ans, puisqu'il meurt de deux a trois vieillards en hiver pour un seul an mois de juillet. En prenant les nombres de la dernicre colonne , on pour rait les considerer comme exprimant la mesure de la chaleur vitale que posseile rhomme a ses differens ages. II resulterait de la que, vers I'age de puberte, sa cbaleur vitale serait en exces. II est a regretter que nous ne puissions presenter id un etat exact des mariages pendant les differentes saisons ; on y recon- naitrait sans doute la meme periodicite si prononcee dans ce qui se rapporte aux naissances et consequemment aux conceptions. Cette periodicite se montre meme dans les attentats a la pudeur, comme M. T'illerme I'a fort bien fait ressorlir dans les Annales d'hjgieney d'apres les documens de la justice criminelle en France. Mais on pent considerer I'influence des saisons sur les pas- sions et le moral de I'homme d'unc maniere plus geueralc dans INFLUENCE DES SAISONS SUR l'hOMME. 3o5 lout ce qui se rapporte aux crimes. L'inspection du tableau siii- vaiit fera sentir jusqu'k quel point la periodicite des effets se trouve pronoucee : on y trouvera inscrits par mois et pour trois ans les nombres des crimes commis en France contre les per- sonnes et contre les proprietes, en meme terns que les rapports de ces nombres. Dans une quatrieme colonne se trouve inscrit le nombre des alienes admis h Charenton en -1 826-27-28 (i). J'ai cru que ce rapprochement ne serait pas inutile a notre objet , puisque la plupart des crimes contre les personnes semblenttenir a certains ecarts de la raison. CRIMES COKTRE ALIENES MOIS. .- RAPPORTS. admis a LFS LES CHARENTOX. PEKSON^ES. PROPRIETES. Janvier. 282 1,095 5,89 57 T'evrier. 272 910 5,55 49 Mars. 355 968 2,89 55 Avril. 514 841 2,68 58 Mai. 381 844 2.22 44 Juin. 4H 850 2,05 70 Juillet. 579 898 2,18 61 Aout. 582 934 2,44 64 Septetnbre. 355 896 2,52 47 I Octobrc. 285 926 5,25 49 iVovcmbre. 501 961 3,20 55 Deccmbre. 547 1,152 5,55 52 ToTAtX. .| ( 3,847 H,205 2,77 619 [^) ylniiales d'hrgiene i>ithliqne , avril 1829, p. 101. Article dc ^J. /:.$-. Huirol. 3o6 SCIENCES. Ce qui doit etre reinarque d'abord, c'est que I'epoque du maximum pour le nomhre des crimes contre les persouues coin- cide h peu pres avec Tepoque du minimum pour le nombre des crimes contre Ics proprietes, et se presente en ete ; tandis qu'au contraire le minimum du nombre des crimes contre les personnes et le maximum du norabre des crimes conlre les proprietes se presentent en Liver. En coraparant les deux especes de crimes , on trouve qu'au mois de Janvier il se commet h peu pres qualre crimes contre les proprietes pour un contre les personnes , et au mois de juin deux seidement. Ces differences s'expliquent assez bien en consideraut que c'est pendant I'biver que la misere et le besoin se font surtout ressentir et multiplient les crimes contre les proprietes, tandis que pendant I'ete predomine la violence des passions qu'excitent encore les contacts plus frequens qui existent alors entre les hommes. II est bien remarquable que le penchant aux crimes contre les personnes presente, dans lout le cours de I'annee, a peu pres les memes degres d'intensite que la disposition aux alienations men- tales ; ce qui conlirmerait assez bien 1' observation deja faite que la plupart des homicides et des grands crimes ont lieu dans des instans voisins de I'alienation mentale. II resulte done de ce qui precede que la periodicite dessaisons se trouve t res-fid element reproduite dans ses effets en taut qu'ils concernent les naissances et les deces de I'espece humaine , le developpement de ses passions , de son penchant au crime on de ses dispositions a I'alienation mentale. Buffon avait dej'a remar- que , comme je I'ai rappele dans mes Recherches sur la loi de croissance de I'honime, que I'accroissement du corps est plus prompt en ete qu'en liiver ; on reconnait aussi Tinfluence des saisons sur la nature et la durce des maladies. Je ne doute pas que des recherches ulterieures relatives aux differentes facultes de I'homme n'etablissent de plus en plus la correlation que je viens de signaler, et ne confirment la remarque que j'ai faite ailleurs que ce (jui se rattache a I'espece hulnuine, conside're'e en masse , est INFLUENCE DES SAISONS SUR l'hOMME. 3o7 de I'ordre des fails phjsicjues ; plus le nombre des indwidus ijue Von ohseive est grand, plus la volonte indwiduelle s' efface et laisse pre'dominer la se'rie des fails ge'ne'raux qui de'pendenl des causes en vertu desquelles existe et se consen>e la socie'te'. II est cependant vme distinction a faire, c'est que si le systeme social subit I'influence des causes tout aussifideleraent qu'un autre sys- teme quelconque , il porte en lui des forces morales capables de modifier cette influence, sinon puissamment , du moins d'une maniere sensible. A. QUETELET. INDUSTRIE. DE L'ETABLISSEMENT D'UN CHEMIN DE FER DE GRAY A VERDUN (i). §1- GONSIDERATIOHS GENERALES SUR L'ETABLISSEMEniT D'UXE GRANDE UGHE DF. COMUUNICATIO^ EIHTRE LA MER DU NORD ET LA MEOITERRANEE. LoRSQUE Ton reilechit aux souffrances actuelles dii commerce, et que Ton cherche par quels moyens on pourrait soulager dans le present et prevenir a tout jamais de pareils maux, on recon- nait bientot que la baissede certains tarifs ne donnerait qn'une so- lution incomplete du probleme, au moins dans un grand nom- bre de cas. Assurement quelques-uns de nos produits raanquent de debouches a I'exterieur ; mais on ne remarque pas assez avec quelle difficulte la totalite de nos produits se repand dans Tinte- rieur. Beaucoup de dcparteraens ne peuvent se procurer qua un prix excessif les matieres que des departemens pen eloignes four- nissent abondamment et a bon compte ; la cause evideiite de ce nial est tout entiere dans le haut prix des transports executes stir des routes souvent raal tracees, parce qu'elles Tout ete a une 0 (l)Leprojct dont on expose ici les points prinripaiu rcmonte a Tannic 1R2S. (Voycz la note plac^e a la fin de cet article.) d'uN CHEMIN DE FER DE gray a VERDUN. SoQ epoque tres-reculee , et qu'on n'entretient a grands frais que d'line maniere necessairement incomplete. Ces considerations, qui sont vraies pour une foule de pro- duits, prennent une importance extreme lorsqu'on les applique a la houille et a des contrees oil I'industrie metallurgique joue un grand role. Des i 805 M. Lefevre , dans son Apercii general des mines de houille exploite'es en France (I), faisait ressortir a cliaque page de son travail I'absence des communications qui rendraicnt general Temploi de ce combustible. Plus tard, en fevrier ISiS, M. Louis Cordier , dans un rapport tres-inleressant sur les mi- nes de houille de France (2) , appelait I'attention du gouverne- ment sur I'lmperfection de notre systeme de communication in- terieure. En jetant les yeux sur la carte de la nai^igation inte'rieure de la France (5) , on reconnait bientot que si les grandes lignes de communication sont rares dans les differentes directions , la di- rection du uord au sud en est totalenient depourvue, et que, par suite, des points de la plus haute importance sous le rapport commercial sont prives de toute relation, de tout moyen d'e- changes. Je vais montrer qu'en profitant des fleuves el des rivieres qui sillonnent la France dans cette direction , il est facile de faire communiqner Rotterdam avec Marseille , la Mer du Nord avec la Mediterranee. •!<* Si , partant de I'embouchure de la Meuse , on remonte ce fleuve a travers la Hollande et les Pays-Bas, on se trouve bientot h Namur; et, passant par des contrees telles que Sedan , {\) Journal des mines, t. XII, p. 325 a 458. (2) Jonniiil des mines , t. XXXVI, p. 321 k 384. (3) Dressde en 1820 par ordre de M. le directeur };cneral des ponts et ch»us- siti el des mines. 3 10 INDUSTRIE. qui se font remarquer par plusieurs gem-es d'industrie, on arrive a Verdun, oii la navigation cesse d'etre possible. 2** Si, d'une autre part, on prend le Rhone a son embouchure dans la Mediterranee , et qu'on Ic renionte jusqua Lyon, on s'enibarque en ce point sur la Saone qui offre une navigation fa- cile en tout terns jusqu'a Chalons , et possible pendant la plus grande partie de I'annee jusqu'a Gray. o° Si Ion observe enfin qu'en menant une ligue de I'enibou- chure du RJione jusqu'a Lyon, celte ligne, prolongee vers le nord, passe a pen de distance des points oii cessent la naviga- tion de la Saone et celle de la Meuse , on trouvera que le pro- bleme que je rae suis propose est corapletement resolu , et de la maniere la plus favorable , par la jonction de Gray et de Ver- dun (1). Cette jonction une fois operee, et en tenant compte des com- munications partielles deja etablies , on voit de suite avec quelle facilite s'echangeront tons les produits du midi contre ceux du nord (2). Les avautages qui rcsulteraient d'une pareille communication (\) La coinmunicalion de la Mediterranee a la mcr du Nord scrait toiit-h-fait direclc si, pour evitcr riininensc delour fjuc fait la Mouse a partir de Namur, on rdunissait cetlc villa avec Auvers par la prolontjation du canal qui va aujour- d'iiui d'Anvcrs a Brusclles. Le gouvernement des Pays-Bas s'honorcrait beau- coup en provoquant rcxdcution d'un pareil travail. (2) Les liouillcs, les aciers , les arnics et les rubans de Saint-Elicnne j les aciers de Rives (Isfcrc) 5 les savons et le soufre de Marseille 5 les soicries dc Vaucluse, du Gard ctde Lyon ; les marrons de TArdccbe et de la Haute-Loire ; les vins du Languedoc , des coles du Rhone , du Beaujolais et de la Bourgognc ; les eaux-de-vie de Montpellier , de Pdzenas et dc Bczicrs ^ les huiles dc la Pro- vence , etc. , rcmonteront facilement vers la Hollande. Tandis que les grains , les farincs, les Idgumes sees du nord , dc I'Aisne et de la Champagne; les niinc- rais, les itioulages , les metaux ouvrds de la Haute-Marne, de la Meuse et de la Moselle; les dtoffes et les Ters a repasser de Sedan; les vins de la Champagne, de la Meuse, dc la Moselle et du Rhin , etc., iront se disperser dans le midi. d'uN CHEMIN DE FER DE gray a VERDUN. 3 [ I sont si manifestes , si importaus , qu ils ont du atlirer raltentioii (les liommes qui, preoccupes des iiiterets generaux de leur pays , se livrent a ce genre de considerations. Aussi voit-on, dans un niemoire public par M. I'inspecteur divisionnaire J. Cordier(I), que M. Lecueulx constatait il y a cinquante ans I'utilite des tra- vaux a faire pour perfectionner la navigation de la Meurlhe, de la Seille , de la Meuse , et pour joindre la Moselle a la Meuse. Apres avoir discute les idees emises par M. Lecreulx, M. Cor- dier propose de reunir la Saone a la Moselle par un canal qui irait de Chalons a Toul, et qui par consequent n'aurait pas nioins de quatre cents kilometres de developpeiuent. Mais I'experience que la France a faite des canaux ne serait pas le seul obstacle "a Vex ecution d'un pareil projet; la realisa- tion de la somme enorme de trente millions , k laquelle s'eleve le devis,? ne serait pas la seule difficulte a vaincre ; il s'eu presente de plus grandes encore dans les ondulations du terrain, qui con- duisent I'auteur a percer une galerie de trente pieds de hauteur au-dessus du niveau des eaux , sur uue largeur de vingt-un pieds, et sur une etendue de quatorze kilometres ( trois lieues et demie) (2) ; el encore, apres ce long et penible trajet, n'arri ve- t-on qu'a deboucher par la Moselle a Coblentz, cest-a-dire a plus de soixante-quinze lieues de la mer du Nord. Si une compagnie a eu le desir d'entreprendre ce canal , il de- pend d'elle aujourd'hui de rendre un immense service a la France en executant lapartiede ce projet quis'eteud deChalons- sur-Saone a Gray, sur une etendue de cent trente-quatre kilo- metres. Cette ligne, ajoutee "a la jonction que nous proposons d'etablir entre la Saone et la Meuse, completerait I'importante comnuniication du nord an sud. (1) Ce menioire a paru chez Carilian-Goeiiry en 1828, pendant que j'es^cu- tais sur le terrain les travaux prdparatoircs que je rdsume ici. (2) Menioire sur le canal de jonction tie la Saune a la JtJosclle , de Chct- lons d Toul , par J. Cordier, inspecteiir divisionnairp des ponts et cliauss(!cs. Paris, 1828, p. 25. 3l2 • INDUSTRIE. Des considerations du plus liaut interet, puisees dans la con- iiaissance des localites, avaient domine I'ensemblede notie con- ception , et nous avaient indique une tout autre direction que celle qui a frappe M. Cordier. Les bassins de la Saone , de la Marne et de la Meuse n'echan- gent que diflicilement leurs produits. La plupart des routes qui les niettent en communication , ouvertes dans I'enfance de Tart, ont ete tracees en ligiie droite "a travers les montagnes (1 ) , au lieu de suivr* le fond df« vallees , ou les usines sont ordiuaireraent situees. La route de Dijon a Langres, et celle de Bar-le-Duc a Verdun, sont paiticulieremeiit dans ce cas. II en resulte que le prix des transports est tres-eleve dans ces contrees , que certaines branches d'industrie ne recoivent pas lout le developpement dont elles seraient susceptibles, que d'autres enfin sont completement paralysees et menacees d'une mine totale; Frappe de ces considerations, j'ai clioisi Saint-Dizier pour le point intermediaire par lequel je devais passer, et alors, non- seulement la ligne ainsi tracee touchait les trois ports les plus importans de Test de la France , ceux oii la Saone , la Marne et la Meuse commencent a etre navigables ; mais encore je presen- tais a I'industrie metallurgique et agricole de ces contrees les im- menses avantages que je vais exposer dans le chapitre suivant. Ce projet , deja si important en lui-meme, rendra veritableraent des services incalculables, lorsqu'un autre projet , dont I'etude a ete laite en i 8:26 par M. Bkisson (:2), aura rccu son execution. Je (\) Je penv citcr enlre beaucoup d'autres les cotes de Provenclicres et de Vi- gnory ; celle de Chaumont; celle dc Saudrupt, enlre Saiiit-Dizier et Bar-le- Duc: la lonfjue cote qui va presque , sans inleiruplion de Longeau a Lan- gres , ou de Humes "a Langres , etc. (2) M. Bbisson , dans la personne duquel la France a perdu un de ses plus habitcs ingcnieurs ( il est inort le 25 septenibrc 1S28 ) , avait ete seconde dans cclte vasle entreprise par M>L Polo>(,eau , Ddleau, Tournel'x , Mangin, Jac- QUIKOT et IIusfON. d'uN CHEMIN DE FER DE GRAY A VERDUN. 3l3 veux parler de retablissement d'uiie graiule voie de communica- tion qui , joignant Paris et Strasbourg , prolongerait ainsi jus- qu'aux limites de rA'llemagne la belle ligne tracee par le canal maritime. On apercoit au premier coup d'oeil les secours mutuels que se preteraient deux voies qui abouliraient aux quatre points cardinaux de la France (1). S n. CONSIDERATIONS PARTICULliltES AL\ USINES , AUX FORUTS ET AU COMltlRRCE DE GRAINS DE I.A CHAMPAGNE ET DE LH LORRAINE. IJNDTJSTRIK METALI.URGIQUE. On sait Tiraportance qu'oht prise les arts metallurgiques dans la Champagne et la Lorraine. Sur quatre cents hauts-fourneaux environ que possede la France dans toute son etendue, les seuls departemens de la Haute-Marne et de la Meuse figurent dans ce nombre pour soixante-quinze , auxquels se rattachent cent qua- rante-huit feuxd'affinerie (2) , et une foule de fabriques de limes, I'apes, outils, fil de fer, etc. Toutes ces usines qui consomment du cliarbon de bois , et que Ton a vues si llorissantes il y a pen d'annees, se trouvent anjourd'hui dans la situation la pluspre- (1) Voyez la carte placee a la fin de ce caliicr. (2) Ces nombres sont cxtraits du 3Ie'/noire de M. H dtfs considerations trcs-diJJerenLes de celles qui det'raieiU dirii;cr la socidle » entiere. » (^Essai politique sur le royaumc de la IYouuelle-£spagne , t. Ill p. 109 ct 410; deiuieme edition; 4827.) 21. 3l6 INDUSTRIE. sont exposes ;i iiuerrompre leur travail, on bion sont dans Tobli- gation (le (aire des approvisionnemens enormes qui entrainent des pei-tes d'interets de fonds , [et augmentent I'article frais dwers , rpiand on compte Tensemble du rei>ient d'une tonne de fer. '^ La nouvelle voie nne fois etablie , les cnltivateurs ne pour- ront plus consacrer leurs loisirs qu"h tran?porter les charbons des forets dans les nsines. Le prix de ce transport se tronvera done encore modifie dans I'interet de I'indnstrie metallnrgique ; en merae teins que les prodiiits fabriqnes sur la Marne arriveront an point d'embarcation avecnne promptitude et a un prix inusites. Enfin , pour aniener les esprits a cctte conviction piofondeque determinent les demonstrations rigourenses , je consacrerai un chapitre , h montrer par des calculs certains, que la Champagne et la Lorraine se trouveront en mesure de hitter avec les prix anxquels reviendront les fers d'Alais , de Firmy et de Saint- Etienne , rendus a Paris. Ajoutons h tons ces avantages i'avantage immensp d'nn de- houche facile , ouvert simultaneraent an nord et an niidi, ces pro- vinces verront que leur avenir, si triste et si incertain aujonr- .d'hui , se tronvera change tout a.coup en un avenir de certitude et de prospcrite. J'irai de suite au-devant d'une objection qui aurait sa source dans I'inquietude manifestee de voir s'epuiser les mines de Saint- EtieniiP. Jelapreviendrai en donnantdes renseignemens qui sont de nature a calmer toutes les craintes que Ton pourrait concevoir a cet egard ("1 ). Le sol houiller de Varrondisseraent de Saint-Etienne , dit M. Beaunier, est contenu de toutes parts dans un bassin d'origine (1) if pniserai ces details dans I'intdress.int" Menwire pulilid par M. Beau - KiF.R sur til topoqraphic vxtericurc ct souterraine du teiriloire houiller de Sainl-jtlietme et de liive-df-Gier. {Annah-s des mine.i , t. I, p. I-I/O; pro- d'uN CHEMIN DE FEK DE GRA.Y A VERDUN. 3 1 7 primitive , qui s'etend au sud-ouest et au nord-est , entre la Loire et le Rhone , vers les points oii les deux fieuves , coulant en sens contraire, sent le moius eloignes I'un de Tautre. Le Ijassin est forteraent renfle vers Youest sur le versant de la Loire , et sa plus grande largeur , prise dans la meridienne de Roche-la-Moliere , est alors de i 3,000 metres; mais ses bords se rapprochent sensi- blement vers Saint-Chamans , et courent ensuite dcs deux cotes dela riviere du Gier, et parallelement a son cours jusque vers les limites £st du departement de la Loire, sur le ■versant du Rhone ; ils se prolongent meme, sans changer sensiblement de direction jusqu'a ce dernier fleuve, et un peu au-deVa (1) (page 29). A Rive-de-Gier la formation houillere n'a pas plus de 2,500 metres de largeur, et a Tartaras elle en a encore moins. La plus grande etendue du bassin houiller en longueur, mesu- ree entre Saint-Paul- de-Cornillon (sur la Loire) , et Givors (sur leRhone) , estde 46,250metres. Sasmface totale est de 221 ki- lometres carres (pages 50 et \ 69). Le plus souvent les exploitations out ete dirigees sur des cou- ches dout I'epaisseur varie entre \ a o metres. Sur certains points ces couches atteignent une epaisseur de i 6 a 20 metres (p. 5-4). On a calcule , disent MM. Mellet et Henri (2) , que les couches de houille reconnues pouvaient suffire a une exploitation de plus de dix siecles. IJNDUSTIUE FOKESTILKE. Mais si je ptesente au maitre de forges un moyen de .•>alut dans sadetresse , celui qui jusqu'a present s'est considere comme son antagoniste naturel , le proprietaire de bois , ne doit-il pascon- (1) On connait dcs indices dc houille a Ternay , siir la rive j;ximhe du Rhone. (2) Mcmoin- snt le cliaiiin di- fn dc lu Lour, [i. 3. Paiis. juilUl ^8i8. 3l8 INDUSTRIE. cevoir quelqu'inquietude de cette rivalite etablie entre les com- bustibles? Je \ais faire voir que de pareilles craintes seraient chimeriques. II est evident que le fer ne peut rester au cours actuel ; tout annonce sabaisse prochaine , et cela , quel que soit son prix coii- tant dans telle ou telle localite. J'admets que le gouvemement ne peut songer a I'abolition de tout tarif , car les Anglais fabviquant a un prix qui est juste raoitie du notre , il ne s'agirait pas d'une concurrence, raais d'une mine complete; cependant les jnstes plaintes qui se font entendre de toutes parts , les vives sollicita- tions dont on assiege les chambres , ne peuvent manquer d'anie- ner, d'ici a pen de tems , une baisse legere , mais progressive jusqu'a un certain terme, dans les tarifs qui probibent les fers etrangers. Si, pour prendre le cas le plus defavorable, cette modification des tarifs n'avait pas lieu , les usines qui s'elcvent dans le midi de la France, et qui retirent des memes puits le com- bustible et le miiierai , suffiraient pour inspirer des alarnies fon- dees aux contrees qui depuis long-tems sont en possession d'ap- provisionner cberement la France du plus utile des metaux. Le fait important qui snrgit de ces considerations preliminaires, c'est la haisse inevitahle da fer, ameiiee soit par la diminution des tarifs , soit par la concurrence inlerieure. La consequence rigoureuse de ce fait , c'est qu'?/«e diminution correspondante doit ai>oir lieu dans lesfrais de production. Les proprietaires de bois qui pourraient croire mon projet con- traire a leurs intcrets particuliers doiveut se poser ces ques- lii'.ns : Parmi les cbances que nous avons pour que le prix de nos bpis se mainlienue tcl qu'il est , est-ce sur la bausse des fers que nous devons compter? ou bien pouvons-nous esperer qu'une diminu- tion sur 1?. mine , sur la main d'a-uvre, etc. , permettra aux fa- l)ricaus de coiiserver a nos bois la valeur qu'ils y out attachee depi\is quatre annees. II est evident que ces deux questions doivent etre resolues ne- D'[1N CHEMIN DE FER DE GRAY A VERDUN. 3l9 gativeraeiit, et que I'econoniie, que vout bientot cherchcr les maitres de forges, frappera entierenieut sur Ics bois. Eneffet, a quelle condition les forges paient-elles en ce mo- merit le prix que les proprietaires de bois retirentdeleurproduit? Cette condition, c'est la ruine des acquereurs, et une mine qui sera d'autant plus rapids que le fer baissera plus rapidement. Je ne pense pas qu'il existe un seul proprietaire , an moius parnii ceux en qui le revenu exagore d'une annee n'eteint pas toule pre- voyance, qui aient compte pour long-tems sur I'espece d'/7??^(!f extraordinaire qn i\ percoit aujourd'hui ; tout, au contraire, lui annonce un avenirembarrasseet une depreciation excessive de scs produits ; car il est place entre deux chances egalem.ent I'unestes pour lui , I'abolition des usines , ou une baisse qui perniette de fa- briquer le feravec benefice. Une seide solution se presentepour concilier tons ces interels, pour arriver a la baisse imminente des fers, et conserver un prix raisonnable aux bois, c'est d'offrir aux usines un moyen econo- mique de fabriquer lefer, afin qu'elles puissent assurer letu- exis- tence et transporter au bois , devenu trop rare , le prix assez eleve qu'elles serout toujours obligees de lui attribuer pour 1;\- briquer XQnvfonte. Mais, dira-t-on peut-etre, TAngleterre et quelques usines du midi de la Fiance fabriquent la fonte au coke et le fer h la houille; n'est-il pas a craindre que I'introduction de ces precedes dans la Champagne ne retire au bois toute valeur ? A celte objection la reponse est facile. II faut a peu pres 4 de houille (1) pour pro- (1) Voici , acesiijet, quelques donnees fournics par Inexperience. Usine de "Wrochvvordine 350 kilog. de houille pour 100 ki'.ojj. de fonte. Usines du Staffordshire 585 id. 100 id. Usines du Shropshire 452 id. 100 id. La moycnnede ces Irois rdsultats est 396 kilog. de houille pour 100 kiloi;. Je fonle. ( fofage m^tallurgique en ^ni;lcterre, par MM. Dufrekoy et Elie de Beaomomt,- ingcnieurs des mines; Paris, 1827, p. 447-451.) Ah Creuzot (Saoiic-ct-Loire) , dans des circonslanees asscz diTavorahles u 3aO INDUStRlE. duire t de fonte ; landis qu'il ne faut que 1 ,5 de houille (1 ) pour transformer 1 ,4 de fonte en \ de fer forge ; il suit de la que le precede que Ton vient de citer n'est avanlageux: que pour des iisines situees au bord des puits de mines, et il ne s'agit ici que de livrerla houille k -43 ou 46 fr. la tonne, c'esl-a-dire a un prix qui est decuple de celui auquel elle revient a Saiut-Elieune , Alais , Firmy , etc. (2). Voici a ce sujet un calcul qu'il ne faut pas perdre de vue un seul instant. Je vais supposer, non pas que Ton cherche a obtenir de la fonte avec de la houille transportce en Champagne, ce qui serait absurde ; mais je vais supposer que Ton fabrique a Saint-Etienne meme du coke que Ton amenerait dans le departement de la Haute- Marne. II faut, ai-je dit , 4 de houille , c'est-a-dire "S^GG de coke (5) pour obtenir i de fonte. Or la houille menue coiitant h Saint- Etienne 4 fr. 30 c, les 1000 kilogrammes, on aurait 4000 ki- logrammes de houille , donnaut 2660 kilogrammes de coke 1 8 fr. » Transport de 2660 kilogrammes de coke, depuis Saint-Etienne jusqu'a un point moyen du depar- tement de la Haute-Marne 1 07 75 Mineral. 16 02 Main-d'ceuvre, entretien du fourneau, etc. , . 50 » Prix de i 000 kilogrammes de, fonte fabriquee en Champagne avec du coke . . . 171 fr. 75 c. eause dc la pauvrete ilii melange traits, je iiieltais : 592, 2j kilog. de lioiiillcpour i 00 kilojj. de fonte. (1) Voyez page 57 de ce nienioire. (2) A Alais la houille revient a 4 fr. les 1 ,000 kilo;;. {Journal du commerce du 27 Janvier \ 82'J ) ; h Saint-Etienne elle coute 4 fr. 50 c. , et c'est parte quo nous avons 40 fr. 50 c. de transport depiiis Sainl-Etienne jusqu'a un point moyen du departement de la Hautc-Marne (jue nous avons dit plus haul que la houille reviendrait moveniiemcnt a 45 fr. '• (3) 5 de houille de Sninl-Iuirniie en iioids (loiinnii it pen pics 2 dc coke. d'uN CHEMIN DE FER DE gray a VERDUN. 32 1 c'est-a-dire que sans compter la facon du coke, sans compter le dechet qui aurait uecessairement lieu, soit dans les magasins, soit dans uu transport de pres de cent lieues , la fonte revien- drait a uu prix beaucoup plus eleve que celle que Ton obtient aujourd'hui avec du cbarbon a 63 centimes le pied cube. II est done de toute evidence que dans les pays de bois eloignes des lioiiilleres, il sera toujours plus facile et plus economique de fabriquer !a fonte au bois, que decreer I'immense materiel indis- pensable pour une usine "a I'auglaise complete. La prosperite fu- ture des contrees que j'envisage, je ue saurais trop le repeter , est desormais fondee sur I'emploi convenablement coniJDine des deux combustibles ; et a cette seule condition les usines de la Cham- pagne peuvent etre sauvees, et par suite les bois conserver de la valeur. Une derniere consideration se preseute, c'est la rarete exces- sive du bois de cliarpente dans le midi, et la possibilite qu'of- frira la ;iouvelle voie de les transporter a cette destination. Aux environs de Chauinont , il y a des forets situees de telle sorte que les petites charpentes, celles qui n'ont pas une grande valeur, ne peuvent etre transpcrtees avec profit a aucun des ports qui ex- pedient pour Paris ; il arrive que ces charpentes soirt decoupees en bois de cbarbon pour etre consommees sur les lieux. En fin les merrains qui manqueut dans le midi sont dans le mcme cas; on pent en faire un commerce considerable, et j'offre aux pro- prielaires de bois un debouche qui leur a ete incounu jus- qu'ici. C INDUSTRIE AGRICOLE. Siceprojetsauve d'une abolition evidenterindustriemetallur- gique de plusieurs provinces, s'il met un terrae aux devastations des forets et preserve les proprietaires de bois d'une mine qui aurait suivi de pres celle des forges, il n'est pas moins favorable a I'industrie agricole du pays. .J 2 2 INDUSTRIE. On sail combien sont importantcs les expeditious de grains ([lie la Chanipaguedirige vers Gray pour descendre dans le niidi. Du seul niarclie de Bar-sur-Aiibe il part annuellement cent raille hectolitres de grains et cent mille hectolitres de farine, qui sont transportes k Gray, sur le pied de40 fr. la tonne (I); xme mul- titude d'autres points de la Champagne dirlgent des convois de cereales vers le meme port. La voie nouvelle executera ces trans- ports a moitieprix, et donnera ainsi an immense avantage a tousles cultivateurs de la Marne , de la Haute-Manie , de I'Aube et de la Meuse, puisque, pouvant offrir a meilleur compte, ils passeront necQjsairement des marches plus considerables. Les transports s'executant desormais au moyen de machines a vapeur, les chcvaux, qui sont a un prix tres-eleve dans ces con- trees , perdroiit un pen de leur valeur, et ragriculture s'enri- chira encore de celte difference, COUP d'oEIL GENieRAL. Enfin pour completer ce tableau de la prosperite generate, re- presentons-nous la ville de Saint-Dizier placee sur la route de Rotterdam a Marseille , et coramuniquant a I'Ocean par la Marne et la Seine, nous verrons cette ville, si mcrveilleusement situee , appelee a devenir I'une des plus importantes de la France , et sa population destin.ee a snivre luie progression aussi rapide que celle qui, par une autre cause, a double en vingt-six ans la po- pidatioii de Saint-Etienue (2). La ville de Gray, qui voyait debarquer a son port , en A 817, (1) De Bar-sur-Aubc a Gray il y a environ 140 kilometres, qui sont paroourus j)ar le roulagc actucl a raison de 40 fr. , c'est-a-Jire a 0 fr. 50 par tonne cl par kilometre. En supposant lOS kilometres ilo ChauinoiU a Gray, ce trajcl sera execute sur Ic rlicmin de fer moycnnant 14 fr. 70 c. (2) En 1801, la population de Saint-Etienno n'ctail que de 27,000 amcs. EUe s'clcvait en 1827 a 55,000, en y comorenant la banllciio. d'uN CHEMIN DE FER DE gray a VERDUN. 323 210,000 hectolitres de vin et 57,500 hectolitres cV eau-de-vie , et qui n'a recu en 1827 que 40,000 hectolitres de vin et ■15,000 hectolitres d'eau-de-vie, puree que, n'exportant ces den- rees qu'a grands frais vers le nord, on a trouve plus d'avantage a les embarquer sur les canaux qui aboutissent "a la Saone ; la ville de Gray , dis-je , reprendra tons les avantages de son heureuse position, et deviendra le veritable entrepot du nord et du midi. Au milieu d'industries florissantes naissent bientot d'autres in- dustries, et des aujourd'hui on pent prevoirque si la Champagne tire du midi une partie de son conbustible , elle lui renverra en echange le mineral dont elle est si abondamment pourvue. On sait que les usines des environs de Saint-Etienne tirent des mine- rais de la Franche-Comte qu'on embarque a Gray ; il est done evident que la Champagne pourra desorniais exporter les sicns , car sous ce rapport aucune contree de la France ne pent lui etre comparee, puisqu'k une veritable profusion se joignent une ex- treme facilite d'exploitation et line richesse qui depasse 40 pour cent. Apres avoir place le lecteur dans la sphere de I'idee generale qui a domine toute ma conception, j'ai montre les avantages vrai- ment incalculables c(ue doivent retirer de son execution , nou- seulement le departenaent de la Haute-Marne , mais encore ceux de la Meuse , de la Marne , de I'Aube et de la Haute-Saone ; je vais dire maintenant comment j'opere la jonction de Gray et de Verdun , en passant par Saint-Dizier *. Henki Fournel, Ingenieiir au corps royal des mines , ex-directeur des mines , forces et fonderics du Cretizot. * Ccttc etude du chemin projete entrc Gray et Verdun , toute irapor- tanle qu'elle est, a cause des avantages de cette communication, et parce ({u'clle pent servir de terme de compuiaison pour une foule dc 0 24 INDUSTRIE. travaux. du meme genre , parailrait cependant trop spe'ciale et trop pan inte'rcssante a une partie de iios Iccteurs. Nous ne la publicrons done pas dans cc recueil. Mai^Jious av^ns fait imprimer en totalite' le Me'- nioire dent cet article est extrait. Geux de nos abonne's qui desireront ce Me'moire le recevront gratis , sur leur dcmande par lettre afilran- cliie. Les considc'rations gcne'rales que Ton vient de lire forraent les cha- pitres I et II du Meraoire. Le reste est ainsi divise': Ch.vp. III. Discussion du mcillenr mode a adopter pour opdrcr la jonction de Gray a Verdun. — Conclusion en favour d'un themin de fer , et considerations genera'cs sur son trace. Chap. IV. Dcvis estimaUf d'un chcmin de fer conslruit dans le systfeme ordinaire sur un ddveloppemcnt de 170 kilometres. Chap. V. Mouvement qui a lieu actucllenient sur la route de Gray a Saint-Dizicr. — Ben^llces del'cnu-eprise. — Mouvement pre- sume . Chap. VI. Calcul du prix auquel reviendra le fer en Champagne , compare au prix actuel , et a celui des usines de France oii Ton fa- brique a la houillc. ( IVote des e'diteurs. ) VOYAGES. EXPLORATION DU NIGER. Journal d'une expedition enxreprise dans le but d'explorer le COUR3 ET l'eMBOUCHURE DU NiGER , OU RELATION d'uN VoYAGE SUR CETTE RIVIERE DEPUIS YaOURIE JUSQu'a SON EMBOUCHURE, par Richard et John Lander ; traduit de Vanglais , par madame Louise S\v. Belloc (i). L'interet de ce voyage est grand pour tons : il prepare denou- velles routes au comuieice , lui champ plus vaste a la science ; je n'oserais dire de nouvelles conquetes k la civilisation et a la philantropie des Enropeens : car jusqn'a present nos approches ont ete funestes, efcnotre souffle tue ceux que nous pretendons embrasser. Je comprends meme tout-a-fait les apprehensions des uaturels qui , avertis par le sort de I'lnde , ont si long-tems cache , h I'aide de ruses repetees , de mensonges sans nombre , la direction et le cours du fleuve que les Lander viennent enfin de descendre jusqu'a Tune de ses iioaibrenses embouchures; fleuve qui ouvre, en quelque sorte, le sein de TAfriquea nos vaisseaux. Les recitsde ces nouveaux voyageurs ont unattraittoutparti- (I) Get ouvrage paraitia , en Aii;;!etcrre , chcz M. Mm ray, libraire a Lon- dres; Pt en France, vers la tin d'avr I , chez M. Panlin , place de. la Bourse , a Paris. 3^6 VOYAGES. ciilier, et je crois, quels que soieiit le naturel et la grace tlu style, car inadame Belloc prete hahituelleineiit du charrae a tout ce qu'elle louche, je crois que ce n'est pas elle seule qu'il en faut remercier. Les freres Lander ne sent point des erudits : ils content simplement ce qu'ils ont vu ; ce ne sont pas non plus des savans , dent les travaux, quelque estimables qu'ils soient, utiles au monde entier, ne peuvent etre lus et apprecies que par une classe de lecteurs. Ce sontdeshomnies qui s'abandonnent naivementaux chances du voyage , et qui nous font passer par mille impressions diverses , non qu'il y ait en eux un immense talent; mais parce qu'ils ont une ame aux sensations mobiles ; que tour "a tovu' ils ont joui et souffert ; et que leurs emotions passent dans leurs paroles. A son dernier voyage en Aftique , oii il eutra par Badagry , le capitaiue Clapperlon elait accorapagne de Richard Lander. On salt que MM. Morrisson ct Pearce , qui faisalent partie de I'expedition , nioururent a Bidjie et a Engua presque a leur ar- rivee, que Clapperlon expira a Saccatou, et que Richard revint seul de cette dcvorante terre d'Afrique , rapportant les papiers de son maitre. Les notes qu'il prit lui-meme a son retour for- maient la partie la plus interessante , la plus riche du voyage. Surmontant, avec une intelligence reraarquable et surtont une J rare perseverance, les obstacles que lui opposaient le caractere I capricieux des negres , I'avidite des rois , la jalousie ct la peur des peuples , il avait vu le plus de pays possible. Le gouverne- nient anglais est trop interesse k trouver de nouveaux debouches a son commerce , de nouvelles colonies k son excedant de popu- lation , de nouveaux materiaux enfin a donner a Tactivite de ses peiqiles, pour n'avoir pas acquis beaucoup d'habilcte k juger ceux qu'il emploie dans des expeditions qui embrassent le globe entier, cherchant a Vex ploiter sous loutes les latitudes. La patience, la presence d'esprit de Lander, son coup d'a-il observateur et naif valaient plus que toute la science et lous les lalens pour une ex- ploration de ce genre. Onle chargea , enpermettant a son frere, plus jeune que lui , de racconipagiior, de cette recherche du VOYAGE DE LANDER EN AFRIQUE. Oin Niger, pour laquelle tant de.ivies precieuscs avalent eie prodi- guees : Ledyard, le major 'Houghton ,^Honiemaa, Roentgen, Mungo-Park et tant d'autres , sont morts ; des expeditions de cinquante , de cent hommes ont echoue, sans qu'il revint quel- quefois un seul de ces malheureux pour dire ce qu'etaient deve- nus ses compagnons ; et deux hoinmes^simples , sans appareil , munis de fonds peu considerables, ont accojnpli cette mission et descendu environ trois cents lieues de ce fleuve mysterieux, dont au terns d'Herodote on cliercbait deja "a decouvrir la direction. La touchante priere des Lander a ete exaucee , lorsqu' aux Lords du Niger, assis sur un roclier qui dominait le barrage de rocs noirs et riigneux ou perirent Park et ses compagnons , « ils deman- daient secrelement au Tres-Haut de pouvoir , humbles instru- mens , mettre h fin la grande question du cours et de la termi- naison du fleuve. « Pendant dix jours le roi Adouly retint les voyageurs a Ba- dagry, h I'aide de mille subterfuges, auxquels Lander opposait une certaine finesse rustique, assez commune dans nos cam- pagnes; combattaiU le ruse et avide sauvage, en villageois sour- nois et patient. Enfin le prince negre ne laissa partir les deux freres qu'en se faisant signer par enx des lettres de change de nouvelle invention, a. vue desquelles on dcvait envoyer de Londres au roi, en echange de sa protection (deja payee par les Lander la valeur de plus de trois cent soacesd'or(l), une immense quaatite d'articles divers, entre autres : « quatre haljits militaires tels que les porte le roi de la Grande-Bretagne , quarante semblables a ceux de ses grands-officiers, des arquebuses de cuivre, des mous- quets, quantite de rhum, des fusils, des caisses d'oulils, des fu- sees et un soldat pour les faire aller, et des lonneaux de. cauris (porcelaine, monnaie du pays).)) Lander signaitet demandait trauqulllement si c'etait lout? Reflechissant alors, se coiisu!- (I) L'oiirc d'or, sur cettc cote, pst cvaliit'o Aq\\\ livios sterling. 328 VOYAGES. tant avec ses ministres, le roi ajoutait cii post-scriplum des tonneaux de balles et de plorab, de larges parasols, et enfin des pierres a fusils. Ne voyant plus rien a demaiider, il laissa plier et cacheter le billet au porteur, qu'il euvoya toucher au cap Costle, par un de ses capitaines, qui devait y rester jusqu'a paie- ment integral. Johu Lander remarque qu'alors il a du s'y etablir definitivement. Les deux freres sortirent enfin des griffes d'Adouy. lis ra-- content Thistoire de ce chef, et Ton est surpris de voir cet homrae, si rapace avec les blancs, deploj^er, dans les eveneraens d'une vie qui rappelle celle des Calenders fils de roi des 3Iille et Uiie Nuits, la sensibilite la plus touchante, et une piete filia'le a laqyelle il a du le trone de Bad'agry. Les Lander, en quittant cette ville, re- monterent vers le nord , reprenant et quittant tour a tour la route de Clapperton. Un grand amoiu" de la nature, et des prejuges pen enracines pour ou contre les gens et les lieux, repandent un doux interet sur leurs descriptions : alternativement contens et mecontens des naturels et du pays, ils vous font jouir de cette variete d'im- prcssions, et n'ont point la monotonie de ces voyageurs qui se sontfait un systeme d'avance, etqui font cadrer de force leurs ob- servations avec leurs theories. II y a embarrasaciter, et pourtant leur narration endonne coustaniment envie. Mais elle n a point de ces morceaux anibitieux qui se detachent facilement', et sont comnie les enseignes d'un ouvrage, deslinees aux citations de journaux, eta faire allerle commerce de librairie. Dans la re- lation des deux freres tout s'enchaine, et I'interet, au lieu de se resserrer sur quelques points, s'etend sur toute 1' exploration. Je vais (\o\\c suivre la route des Lander, donnant au hasard quel- ques extraits pour faire jouir nos lecteurs , quelques jours a I'a- vauce, d'un ouvrage que M. Paulin promet, dans son prospec- tus, pour la fin dc cemois. A Jenna, les voyageurs furent temoins des. aiigoisses de la femmodu(lcbintgouverncur,destiueo, commelcs veuves deVIiide, VOYAGE DE LANDER EN AFIUQUE. 829 hraourirpour accorapagner son epoux, et la vireut , coiunie la la fille de Jeplite , pleurer sa vie avec ses femmes, et , rejetanl coupe de poison , demander avec instance encore un pen de terns pour jouir encore du jour, encore du soleil et des cjiamps. De Jenna, les Lander se rendirentk Chaow. « Nous avions quitte Cliaovv avant le lever du soleil ; une abondante rosee etait tonibee pendant la nuit, el distillait ses lar- ges gouttes des branches et des feuilles. Dans* la matinee, nous eiimes "a traverser trois ou quatre endroits niarecageux, couverts de joncs , de roseaux , de mauvaises herbes , et servant de re- traite k des myriades de grenouilies d'une prodigieuse grosseur. Chaque fois que nous traversions un ruisseau , nous etions salues de sifflemens aigus, qui semblaient venir 'd'une multitude de serpens; nous ne pumes expliquer ce bruit extraordinaire qu'en le supposant produit par quelque espece d'insectes dont nous en- vahissions les denieures. Avec pen de travail, le sentier, qui n est guere qu'un ravin forme par des pluies repelees, deviendrait une route commode : et en jetant un arbre , de loin en loin , sur les ruisseaux et les marais , on les traverserait avec aisance et sxi- rete; mais les naturels semblent n'avoir aucune idee d'ameliora- tion ; ils preferent broncher journellement an milieu d'epaisses broussailles, s'enfoncer dans des mares d'eau et de fange , h I'en- nui de reparer un chemin. II arrive souvent que des arbres toni- bent et eucombrent les sentiers ; mais, an lieu de les enlever , les gens font un large circuit a I'entour 3 il n'y a pas jusqu'a uno fo-urmiliere qui ne soit pour eux un obstacle formidable, et ils la laissent occuper le milieu de I'etroit passage , tant est grandc I'insouciance et la paresse des peuples de ces contrees. .. » Plusieurs femmes, ayant sur la tete de petites figures d'enfanl en bois , ont passe pres de nous dans le cours de la matinee ; les meres qui ont perdu un enfant portent ces grossieres imitations en signe de deuil pendant un tenis indefini ; aucune d'elle ne put se resoudre a se defaire^ en notre faveur, d'un de ces souvenirs d'affectionmaternelle. » TOME r.KI FEVKIER. 1852. 2^) 33o VOYAGES. Les freres Lander retrouverent plusieurs fois ces trisles leli- ques sans pouvoir en obtenir de specimen. « II faut que la morlalite soit immense parmi les enfans ; car presque toiUes les femmes que nous rencontrioiis portaient una on plusieurs des petites figures de bois dont nous avons deja parle. Chaque fois que ces mferes s'arretaient pom' se rafraichir , elles ne manquaient jamais de presenter aux levres de ces petites images nnepartie fle leur nourriture.)) En proie a la curiorite, "a I'avidite des naturels qui ne lais- saient pas aux blancs un moment de repos , "a riofluence du cli~ mat le plus malsain , an moment ou Ton entrait dans la saison des pluies , la sante des voyageurs s'altera , et John Lander, at- teint de la fievre, n'en continua pas moins de marcher avec un courage qui depassait ses forces. » Vers deux heures apres midi nous qnittames Kakafungi , et primes im sentier qui se dirigeait vers le noTd h travers le desert, parfois plus sterile et plus pierreux que tout ce que nous avions jamais vu. Des traces fraiches de differens animaux sauvages etaient imprimees sur la terre; niais nous n'apercumes que quelques antilopes, qui s'enfuirenthnotre approche. Lesmaigres arbrisseaux que nous rencontrions offraient un abri iiisuffisant contre I'ardeur du soleil, qui etait accablante, et la chaleur, jointe a la longueur de la route et a la hale de noire marche , aug- menta encore la fievre de mon frere. Par moniens il etait oblige de descendre de cheval ct de s'etendre sur cette terre nue et bru- lante pour chercher quelque soulagement; puis nos gens le re- placaient sur sa monture , et nous recommencions a marcher. Nous \inies le soleil se coucher derrierede magnifiques nuages ; nous avions encore beaucoupde chemin "a faire, et I'etroit sentier, embarrasse de broussailles, se distinguaitapeine a la clarte de la lune. Pendant la journee , la foret avail ete silencieuse ; mais le soir, le chacal, la hyene .et le babouin , sortis de leurs repaires, melerent leurs hurlemens sinistres au gai bourdonnement d'innom- brables insectes. Mon frere et raoi nous marchions en arriere, assez VOYAGE DE LANDER EN AIRIQTIE. 33 1 loin du reste denos gens, parce qu'il lui avalt ete impossible d'al- ler vite. De terns en lems nous dechargions un pistolet pour avertir les guides de notre approche. Chaque detonation ,. repe- tee par les echos, occasionait un redoublement de oris et de rumeurs parnii les aniraaux sauvages. Enfin nous viraes avec joie briller une large flanime allumee par nos gens , et nous at- teigniines le lieu on nous devious camper. Nous primes posses- sion, pour la nuit, de quelques huttes abandonnees et tombant en ruines; une quantite de vases de terre brises, de pots, de cale- basses jetes ch et Ta , indiquaieut que pen de terns auparavant ces demeures avaient ete habilees ; sur les arbres environnans nous de- couvrimes plusieurs immenses cornes de bufiles, et les bois d'une tres-grande espece d'antilopes ou gazelles. La riviere d'Oly, qui, dit-on, prend sa source dans I'Ascliantie, passe a tres-peu de di- stance, au nord, de I'endroit oii nous avons fait balte. II parait que derniereraent encore le sentier etait i'requente par des marchands de I'interieur , allant trafiquer dans I'ouest; ils evitaient en prenant cette route le peage etabli sur celle de Wowou. Mais, le chef de cet etat les ayant menaces de les punir s'ils ne traver- saient sa capitale , leur propre interet les a engages "a en passer par sii volonte. » Depuis ce terns, la route a travers la foret est completement abandonnee, et les pauvresbateliers qui babitaient les buttcs que nous occupons ont ete forces d'aller chercher ailleurs les moyens de gagner leur vie. nLitmli 7 juin. — Lerepos de la nuit senible avoir ranime mon frcre, il a repris courage, la fievre est moins forte, il va mieux. A huit heures, apres nous etre baignes, nous avons traverse -I'Oly, dans un petit canot que nous avons trouve attache a un ar- bre. Cette jolie petite riviere , large ici de quarante pas environ , et profonde de sept h huit pieds dans le milieu , diminue de pro- fondeur vers ses bords, et serpente d'une inauiere pittoresque a travers les bois qui I'ombragent. Son cours est si lent et sa sur- face si unie, que pendant quelque terns nous doutames de la direc- 2^2. 332 VOYAGES. lion c[ii'elle suivait. Ce matin, nousavons passe dans un endroit oil, d'apres le recit de nos guides, des fellans fugilifs egorgerent, il y a pen de tenis , vingt de leurs esclaves, fante d'avoir de quoi les nourrir Nous vimes un squelette d'homme sur le bord du cliemin. » Apresunelongue et penible marche, sous les rayons d'un so- leil ardent, nous" dressaraes notre tente le soir an bord d'un petit ruisseau. Mon frere etait fort malade; la fievre etait re- venue avec redoubleraent , raais je ne pus lui administrer d'autre remede que de la poudre de soda , car je craignais de nous at- tarder. Un orage qui se forniait au-dessus de nos tetes eclata avec une effrayante violence , peu de minutes apres que notre tente fut dressee, et taut qu'il dura nous fumes tristement preoccupes de notre situation penible et de notre isoleraent. Le bruit as- sourdissant du tonnerre , repete par les echos des montagnes , la lueur livide des eclairs, les torrens de pluie, et I'impetuosite du vent, etaient d'une solennite a glacer I'aine d'effroi. Toute notre petite troupe, composee de vingt personnes, s'etait refugiee sous la tente pour y cherclier un abri, et , quoique I'eau y penetrat de toutes parts, cbacun fit de son mieux pour dormir jusqu'au matin. » Mardi Sjuin. — Nous fumes obliges de garder toute la nuit nos vetemens mouilles, ce qui aggrava encore les souffrances de mon frere; et le matin je m'efforcai en vain de lui rendre le cou- rage, a peine pouvait-il se tenir debout. La tente mouillee futre- pliee, et les porteurs se mirent en marche et presserent le pas, car nos provisions etaient consommees, et nous avions hate d'attein- dre le but de notre voyage. Cette disette venait de la negligence dePaskoe, qui ne s'etait muni de provisions que pour unjour, au lieu d'en prendre pour trois. Mon frere et moi suivions len- tement avec le vieux Paskoe et un autre homme de notre suite. Nos chevaux etaient epuises de fatigue et I'un d'eux boitait. A mesure que nous avancions , mon frere se sentait plus mal : et , hors d'etat de se tenir a cheval plus Inng-tcms, il fiit oblige dc VOYAGE DE LANDER EN AFRIQUE. 333 descendre et de ge coucher par terre. II n'j avait pas un seul arbre en vue qui put I'abriter du soleil ; mais, uos gens nous ayant ap- porte quelques raaigres branchages , je les arrangeai de maniere a lui procurer un peu d'ombre, lui fis unjit avec les housses de nos chevaux ; et le coassenient des grenouilles nous indiqua de I'eau a peu de distance. Durant tout le reste du jour mou frere alia en empirant ; mais la fraicheur du soir sembla le ranimer un peu; notre petite pharmacie etait en avant avec le resle des bagages, j'ai envoye Paskoe la cbercher ; je n^ attends son retour que de- inain. Pendant ce terns j'entrai dans le bois, et tuai le seul oi- seau que je vis; il etait a peu pres de la grosseur d'un luoineau. De retour j'alluiuai du feu , et fis un peu de bouillon dans un bol contenant une demi-pinte, et que nous avions garde de pre- ference a une calebasse, pour boire pendant la route. Le bouil- lon n' etait pas tres-savoureux, faute de sel, neaamoins il fit du bien a mou frere; je partageai la chair de I'oiseau avec rhorame qui nous accompagnait , car nous etions tons deux affaiblis par le manque de nourriture. Nous trouvames moyen de construire un abri plus commode pour notre malade, en ajustant autour de lui quelques fortes branches d'arbres , et les entremelant de lon- gues herbes en guise de chaume ; puis nous allumames de grands feux, pour eloigner les animaux sauvages. Mais aucun de nous ne put dormir : independarament de ses souffrances et de notre inquietude, nous etions assaillis par des rayriades de mosquites et d'insectes bourdonnans. Pendant la nuit un tigre, en cherche de sa proie, nous approcha d'assez pres pour que nous pussions le distinguer. » Les deux sejours a Boussa sont charmans : le roi est tantot - Thote hospitalier, I'excellent ami des voyageurs ; tantot il tire d'eux tout le parti possible avec une finesse de sau vage et d'Arabe; son epouse favorite, la Midiki, est tour a tour sensible, affec- tueuse, caressante, oujalouse et envicusc ; prenant les blancs comme ses joyaux, ses parures, qui pcrdent leur eclat h elre trop long-tems portes, et quelle rejelte avec degout, api-es les avoir 334 VOYAGKS. desires avec violence. Sur la rive gauche du Niger les voyageurs trouvent dans le sultan de Yaourie une avidite, une avarice qui surpassent tout ce qu'ils avaient vu jusqu'alors, el ils ne se se- raient pas tiies de ses mains sans la protection du roi de Boussa, tres-respecte dans le pays, a cause de la noblesse de son origine. II est de la plus ancienne faniille d'Afrique , qui , dans les terns anciens, long-teras avant I'iutroduction du mahometisme, etait la grande souche des fetiches. Les Lander respirerent en quiltant Yaourie pour aller s'embarquer pour la scconde fois sur le Niger, et retourner a Boussa. )) II est doux , tres-doux , apres un emprisonnement de cinq semaines dans une chambre fermee, obscure et malsalne, ou Ton souffrait toutes les incoramodites, toutes les anxietes possibles, d'etre enfin mis en liberie , de savoir et de sentir que Ton est libre, d'admirer encore les beautes de la creation divine, de jouir encore d^e la vivitianle fraicheur de la campagne. C'est seuleraent en bonne sante que Ton pent savourer toutes ces sen- sations. Le valeludinaire regardera avec indifference les objets les plus ravissans. Ainsi en etait-il de nous , efttres a Yaourie malades, ayant eu tant k souffrir dans cettecite, et la quiltant aujourd'hui dans loule la force Pt la vigueur de la sante. Pen- dant le sejour que nous y avions fait , la croissance de la vege- tation avail ete d'une rapidite surprenante, la face du pays etait rafraichie , embellie, tout autre ; les arbres et les buissoris avaient endosse leur charmanle livree de verdure et de fleurs ; le gazon , tout retire avant et desseche faute de pluie, s'etait redresse et avail cru h la surprenante hauteur de douze pieds, et le ble et le riz n'etalaient pas moins de vigueur et de richesses. . . . » La riviere de Cubbie tombe dans le Niger a quatre milles de la Crique, ou nous nous elions cmbarqucs, et en arrivant dans 06 dernier ileuve, nous trouvames un courant de deux a trois milles a Theure ; nos hommes nous auraient done fait avancer rapidemcnt a tres-peu de frais; mais, quoiqu'ils eussent pris a VOYAGE DE LANDER EN AFRIQUE. 335 bord leiirs deux compagnons, ils etaient tous d'une indolence si enracinee, et nous voyagions avec une telle lenteur, que notre ariivee a la couchee, avant la nuit, devenait impossible. Les canots cependant rasaient doucement le rivage ; et , ayant apercu sur le bord une femme qui vendait de la bieie du pays a bon inarche, nous en achetajnes autant que uos bomraes en pouvaient boire , dans I'espoir que ce vebicule leur donnerait un pen de vie et d'energie. En effet, en quelques minutes ils furent complete- men t metamorpboses; la niaiserie, I'apatbie, la morne incurie de leurs pbysionomies insouciantes s'evanouirent , leurs yeux endormis se reveillerent etiacelans de vivacite; leurs membres tremblaient d'anxiete dans leur emulation a deployer leur force, leur dexterite, leur vigueur a I'envi I'un de I'autre ; ils fendaient les vagues rapidement avec leurs pagaies , et faisaient glisser le canot avec une velocite capable de le renverser ; nous descen- dimes ainsi la riviere jusqu'au soleil couche, et une belle lune couvrait Teau de reseaux d'argent , lorsque nous approchames d'un petit village corabrien qui bordele fleuve. Lk nous descen- dimes a terre, et nos tentes y furent dressees. Le tbermometre a varie aujourd'bui de 75 k 92 degres. »»Mardi 3 aoiit. — Leves de tres-bonne beure, nous avons tue une perdrix et une pintade, et dejeune en plein air, sous les re- gards fixes et curieux d'une centaine de brillans yeux noirs; en- suile , levant nos tentes , nous nous sommes bates de rejoindre nos canots, que nous avions surementamarres, et le matin etait encore frais et agreable quand nous, nous sommes embarques. Cependant des nuages noirs et bas serablaient menacer d'un vio- lent orage, mais le soleil les a disperses a mesure qu'il montait dans sa force, et il brillait sur nous dans tout son splendide et brulant eclat une heure apres notre depart. » De fertiles cliamps de ble murissent sur toutes les rives des nombreuses branches du fleuve, et de ses petites iles. Le terns de la moisson etant procbe , les epis presque murs se balancaient gracieusenient sur les eaux. Partout des gens monies sur des 336 VOYAGES. plates-formes a lahauteur et meme au-tlessiis desbles, qui s'elevent jusqu'a dix ou doiize pieds, cffrayaient et chassaient les nora- brcuses voices de petits oiseaux qui attaquent et , sans cette pre- caution, detruiraient Tespoir du cultivateur. C'etait tantot iin petit garcon, tantot une jeune fille que nous voyions sur ces plates- formes; souvent une femme , I'enfant an sein , et meme des families entieres s'amusaient ainsi sans le plus petit abri, la plus legere pro- tection contre la brulante ardeur des rayons du midi : droits et sans mouvement, quelques-uns avaicnt plutot Fair de statues de uiarbre noir que d'etres vivans « Vers midi, nous avons vu uu troupeau de vaches des Fellans, paissant au bord de la riviere: a pen de distance, a la surface de I'eau , ilottait un immense crocodile , qu'on aurait pu prendre pour un long cauot ; il epiait le moment de se saisir d'une des betes k cornes et de I'entrainer au fond du fleuve : aussilot que nos rameurs I'ont apercu , ils se sont diriges , le plus doucement possible de son cote, dans I'intention d'attendre a peu de di- stance que le crocodile eut fait son coup , et de profiter alors de son labeur, en s'elancant sur lui avec des harpons (car ici on ne regarde pas la peau de ces amphibies comme impenetrable } , et s'emparant de sa proie. La prompte disparition du crocodile, qui a plonge avec bruit "a leur approche , faisant rejaillir I'eau sur une large surface , et I'agitant d'une facon extraordinaire , a frustre leurs esperances ,.et nous avons vainement attendu pour le voir reparaitre. Peu apres nos rameurs ont pris terre "a Warri , marche le plus celebre de toute la dependance d'Engarski ; il consiste en plusieurs amas de biittes pressees, qu'entoure une basse mu- raille de terre. Le marche est frequente par des milliers de natu- rels de differentes parties du paj^s, independamment de ceux de Yaourie, Boussa et Wowou : cependant on n'y vend rien de par- ticulier , et le bon marche des productions ordinaires du pays est le principal motif qui y attire les acheteurs. Un grand nom- bredecanots,remplis de gens et de marchandises, passerent d'un VOYAGE DE LA.NDER EN AFRIQUE. 337 colli till Niger a I'autre ; pendant notre court sejour sous les nuirs de VVarrijles physionomies des acheteurs et des vendeurs etaient anxieuses et aflairees. Notre curiosite pleinement satisraite, nous avons, a notre tour, traverse le lleuve, et passant du cote de Boussa, nous sommes descendus dans une petite ville muree ap- pelee Garnicassa , habitee par des Combriens , et a eliviron cinq milles nord de la cite de Boussa. A peu de distance, et en vue de Garnicassa, toutes les branches du Nil se reunissent, et forment ime belle et niagnifique nappe d'eau, d'environ sept a huit milles de large ; que devient cette richesse du fleuve h Boussa, ou la ri- viere n'a pas plus d'un jet de pierre de largeur et une profon- deur proportionnee ? Cest ce qui est vraiment inexplicable ; d'autant plus qua la distance d'une heure de marche la riviere , est redevenue noble et vaste, et conserve sa largeurmeme, dit-on, jusqu'a Funda. Ce fait singulier favorise I'opinion qui affirme qu'une grande partie des eaux coule par des passages souter- rains , de la ville de Garnicassa jusqu'a peu de milles au-dessous de Boussa. » Peu apres notre arrivee, pendant que nous parlions de la ri- viere a un des naturels, un Fellan, qui nous ecoutait, s'avanca, pour emettre I'etrange assertion, qu'au lieu de se rendre a Funda, le fleuve tourne a Test, et se decharge au lac Tchad, dans le Bornou. >)Les theories sur le Niger sont, dans lepays meme, plus va- rices et plus contradictoires que les hypotheses des savans en Europe ; h peine y a-t-il deux personnes qui soient d'une opi- nion semblable, et les suppositions ne roulent pas seulenient sur le cours et I'embouchure, niais comprennent anssi la source de _ ce fleuve mysterieux. Cependant, malgre tons leurs dires , il est evident que les naturels sont dans une complete ignorance sur ce sujet. »Le commencement de la soiree, apres notre arrivee h Garni- cassa, fut calrae, serein et delicicux, et la Inne argentee brillait d'une splendeur peu commune. C'etait un terns favorable pour 338 VOYAGES. se rejouir, etles habitans de la ville en profitaient avec ardeur. Le chant, la danse, la musique, sontles seals divertisseraens fa- miliers a. la generalite des Combriens ; et quoique ces peiiples soient plus meprises meme que le paresseux Hottentot de I'ex- tremlte meridionale du continent, quoique leurs droits soient nie- connus , leurs liberies violees, rien de tout cela ne semble suffi- sant pour assombrir leurs reflexions ; et ils laissent couler , en se jouant, leurs heuresde loisir, avec autant de legerete et de jovia- lite insouciante que s'ils etaient les peuples les plus fortunes de la terre. ,t, » Un bruit soudain et confus de rire et de fete me lira d'une agreable reverie a laquelle je m'abandbnnais sous cette douce lumiere du soir ; je cherchai de suite a connaitre la cause de cette turbulente gaiete , et je decouvris quantite de jeunes filles et de femmes raariees , avec des enfans sur le dos , dansant , chan- tant, folatrant et frappant des mains , selon la couturae du pays. Un groupe d'homraes de leurs parens se tenaient aupres d'elles comrae juges et spectateurs. De tems en terns vme ferame , se detachait tout "a coup de la ronde , et apres avoir saute et danse avec ardeur jusqu'a ce quelle fiit epuisee , retombait dans les bras de ses compagnes, qui, epiant ses mouvemens, se tenaient pretes a la recevoir; une autre, et puis une autre encore, lui succedaient , jusqu'k ce que toute la bande eut danse , chaque femrae a son tour , et cet amusement fut souteuu avec t.ant de verve, que les eclats de rire , les cris, les transporis de joie ne se relacberent pas un moment pendant toute sa duree. La danse ( si clle merite ce noui ) reimissait d'abord toutes les femmes mariees et non mariccs : elles forinaient une ronde , se tenant forteraent Tune I'antre par le bras , et tournaienl lentement sans lever les pieds de terre. Si Ton en juge d'apres la violente et singuliere facon des danseuses de balancer el de tortiller leurs corps , cet exercice ne se fait pas sans be?iucoup d' efforts et de peine. Plusicurs des plus jeunes lilies , trop faibles , furent obli- gees de quitter le cercic, prssqne aussilot qu'il fut forme. Cclle VOYAGE DE LANDER EN AFRIQUE. SSq lenteur s'anime graduellement jusqu'a ce que la ronde tourbil- lonne avecune telle rapidite qu'elle est plus d'une fois brisee dans sa course, et plusieurs femmes sont lancees k terra avec vio- lence. Les chants, ou plutot les oris, les battemens de mains, et des accens encore plus sauvages et plus retentissans se continue- lent jiisqu'au moment oii , vers le lever du matin , une lourde averse renvoya chacun au logis. Rien dans le pays peut-etre ne peut produire un effet plus nouveauet plus delicieux que ce spec- tacle de fete dans un site admirable et dans un pareil moment. Devant nous coulait le celebre Niger, reflecbissant sur sa surface vmie et pure le dais splendide qui s'arrondissait sur nos tetes , et les nuages , radieuses parures du jour qui s'eteignait. Sur cbaque rive , la nature avait jete d'une main prodigue ses dons les plus ravissans, et des arbres Terdoyans projetaient leurs larges ombres sur les eaux. Tout pres du lieu ou nous etions tournait ce cercle de femmes sauvages, nues, noires conime I'ebene , executant les mouvemens de corps les plus souples et les plus bizarres , et encore plus pres des bommes d'aspect grandiose , participant de tout leur cceur a la gaiete de leurs compagncs, se tenaient deboiit , appuyes sur leurs longs epieux : un cbapeau a trois cornes , de jonc ou de paille tressee , ay ant au milieu une longue pointe, mais sans bord, etait leur unique ajustement. I/a scene etait , comme nous I'avons deja dit , de nature a epa- nouir Tame "a force de jouissance ; c'etait un spectacle qui attirait irreslstiblement les regards , et nous le contemplaraes long-tems avec des sensations que nous n'essaierons pas de decrire » Nous consacrerons un second article "a ce voyage : nous vou- lonsparler du large cours du Niger, lorsque, s'etalant en s'appro- cbant de la mer, ocean d'eau douce, il rend ses rives indecis'es; faire connaitre le roi des eaux noires , et les pompes sauvages 34o VOYAGES. des negres. Peut-etre aussi reviendrons-nous sur I'lntroduction jointe au voyage; cette ceuvre d'ua savant dc la marine royale anglaise contraste etrangement par sa forme , son ton , et le pen d' informations qu elle contient ; son pen d' exactitude dansles fails qu elle avance, avec la plenitude , la richesse , I'interet , le sen- timent de verite du recit des Lander et Textreme simplicite, I'extrerae modestie de leur style. Adelaide Moktgolfier. ■T -jnft^^* VARIETES. — -^^ooo^ LE FEU DU CIEL, PAR LOUIS BOULANGER (1). CAUSERIES CRIXIQI'ES. — FHAGMERS D'HOFFMAHN. Description de la lilho graphic. « Du feu , de la funiee , des monumens , des idoles , des chars, tine foule d'hommes et de ferames , uii tumulte et xui desordre affreux, line grande destruction et de grandes douleurs : voilk ce qu'oii decouvre en quelqu'endroit que vienne 'a tomber le regard. « Presqu'au centre du tableau , un peu a gauche , est . assise rimmense statue d'un Dieii a tete de taureau , les mains posees sur les genoux ; an fond sont des palais et des temples embrases ; a gauche d'enormes animaux en pilastres , des monstres de gra- nit, un sphinx , un jeune elephant , debout sur ses pates de der- riere, et jouant avec sa trompe ; au bas, le buste brise et couche a terre d'une divinite egyptienne, le front ceint d'un diademe a facettes biillantes ; a droite des fragmens d'edifices presqu'en- tiereraent caches sous les flanimes. 5) La scene ne represente ni le commencement, ni la fin, raais le milieu du desastre. C'est Texecution du grand jugeinent de Dieu qui s'accomplit : I'infaraeque sa colere a condamnee s'agite (<) Cetle lithographie, d'une grande dimension, sur papier veil n, se vend a Paris, cliez Battier, rue Saint Denis , n° 288, et cliez (ous les marchands d'es- tampcs ; prlx , 10 fr. 342 VARIETES. et se lord en d'effray antes convulsions. Ses constructions colos- sales de marbre craquent et bruissent comme des ossemens ; ses millions d'habitans qui couvrent les somniets des tours, qui ser- pentent aiix murailles et sur les dalles des rues, se resserrent, se sepai'ent, tressaillent conime des lambeauxde chair fumante. 3j Les torrens de soufre, tombant et se relevant en tronibes gigantesques , tourbillonnent cLasses en sens opposes par les vents, et devorent toutes choses. Vers la place que repre- sente le premier plan du tableau , et qui n'a pas encore ete inondee par la nue , rayonnent toutes les ligaes tortueuses de la multitude : elle fuit aiguillonnee par la clialeur, foulee par les debris des monumens qui s'ecroulent, epouvantee par les bniits des vagues ardentes qui sifflent et miigissent ; elle vient implorer la statue a tete de taureau : c'est un dernier espoir ! Le grand-pretre s'arretc effraye pres du dieu , et de sa main s'efforce d'arracher sa tiare qui lui brule le front ; les mages offrent des vases precieux; une belle femme a. genoux, lialetante, le sein nu, prie au nom de cette population iucendiee qui^ derriere elle, se roule gemissante et presse du flanc avec desespoir les degres ou pesent les pieds de I'idole. Mais le dieu immobile , hideux de calme et d'impassibilite, ne voit rien de toutes ces torsions, de tous ces horribles grinceniens desouffrance. Sa main ne se levera pas pour arreter le fleuve de feu qui deja le cerne et, avancant toujours, retrecit h cliaque instant son anneau. Bientot lui-meme s'affaissera et s'ecroulera en lave sans avoir menie redresse un instant sa lourde tele, sans avoir seulement inele un beuglement propbetique a Teffroyable concert de supplications qui lassiegc. » Differens episodes se rattachent a ce spectacle Solennel d'ado- ration. Un cavalier et son cbeval emportes glissent sur la poi- trine du buste egyptien, dont les traits insignifians, preseixtes a I'envers, contrasteut encore affieuscment avec lesangoisses et les tourmens des malheureux ecrases par la chute de cette roche sculptee. 11 y ades ferames dont quelques membres out ete brises, que le soufre etouffe et qui rendent Tame. Vers la droite une LE FEU DU €IEL. 343 rencontre de chevaux furieux entrainent des chars qui se tracent des ornieres sanglantes , et plus haut des colonnes vivantes d'hommes , touchant de la base au sol , de leur tete aux plate- formes fondantes , descendent ou s'elevent , precipitees ou enle- vees par des coups de feu. » — Ce n'est Ik qu'une description iinparfaite , etant ecrite seulemeut de souvenir, d'apres une esquisse mal crayon- nee, un so*!- de cet liiver, sur le coin d'une table couverte de livres et d' albums , tandis qu'oii jouait a I'ecarte pres de moi et qu'on dansait dans la salle voisine. Au-dessous du croquis froisse et noirci , abondent des notes stenograpbiees : elles out ete re- cueillies d'une main distraite , dans la meme nuit , pendant le cours de deux conversations sur le feu du del ; Tune avec un intrepide valseur, qui accourait placer son argent au jeu a. la fin de chaque contredanse, I'autre avec un ancien membre de la Societe philotecbnique , violoncelle tres - recherche dans les concerts des asserablees generales de I'Hotel - de-Ville. Si je ne public pas leurs reflexions esthetiques corame le resultat naturel de mon propre jugement , je declare que ce n'est point par scrupule ou par envie de me distinguer en cela d'aucun ecrivain ; c'est uniquement parce que les opinions de mes deux interlocuteurs sont evidemment d'especes differentes , et qu'il en coutera beaucoup moins de les restituer a leurs veri- tables auteurs, au moyen de peu de retranchemens , que de s'ef- forcer de les concilier ou de deliberer loiiguement sur celle des deux qu'il conviendrait le mieux de sacrifier. n. OEui'res Je Bonlan^er. — Tableaux offerls d une lotcrie pour les PolonaU. * « Que pensez-vcus de cette lithographic ? » C'etait une simple question de politesse que j'adressais au jeune honime et qu'il sem- blait attendre. 344 VARIETES. — <( Une lithographic ? Monsieur, dites un tableau ! Voj^ez comme les statues se detachent; celles-ci de marbre, celles-lk d'airain. Suv ces figures egarees , sur ces chairs tourmentees , 9i£ pourrait-ou pas sui vre toutes les series du ton de I'asphyxic, et cetle atmosphere jaune de soutre, rouge de feuetde saiig, ne vacille-t- elle pas h fasciner la vue? Imagiuez ca et Ik des derai-teintes, quel- ques glacis soigneusement appliques a la maniere du Titien , un vernis, un cadre d'or, et ce ne sera plus pour personne une feuille blanche et noire, mais une veritable peinture belle a voir entre les plus belles an prochain salon. » — II paraitrait que c'est un amateur fort distingue , pensai-je aussitot; et , sans cesser de regarder le jeune homrae en face , jc poussai avec precaution le bouton du porte-crayon dont j'elais encore arme. II poursuivit : « Connaissez-vous toutes les ceuvres de I'auteur? Je ne com- prends pas que Ton puisse apprecier avec une parfaite justice une seule action d'horame sans savoir sa vie entiere, et une composition d'arliste sans avoir etudie, dans ses travaux ante- rieurs et j usque dans ses ebauches , les secrets et la nature de son genie. On devrait avoir toujours present "a la pensee que les in- spirations d'un homme sont le plus souvent enchainees et conse- quentes les unes aux autres , comme les chiffres dans un nombre , on les lettres dans un mot. « Ces tentatives sont malheureuses. Voici lui talent qui s'egare , une reputation qui va degenerer. » Eh ! pourquoi done, messieins? ce sont peut-etre les conditions d'un prochain triomphe , des transitions plus rapides pour arriver au succes. Ce que vous blamez ainsi , ce que vous declarez ir- regulier , faux on laid , c'est peut-etre I'un des traits ravissans de proportion et de graydeur que vous adinirerez , lorsqu'au lieu de le considerer isole, vous vous serez places devant I'ensemble de Toguvre. Qu'en savez-vous maintenant pour vous croire eii droit , etendant fierement le bras du haul de votre trone de cri- tique, de frapper durenient de reprobation un de vos semblables? Vous ave'z appris copendaut a Tecolo , messieurs , la valcur que LE FEU DIJ CIEL. 345 doit a sa position uii miserable zero creux et vide , ou bien une consonne bizarre, difforme, qui seule jetee sur une page ne pour- rait etre ni enteudue ni prononcee. Soyez plus recueillis, plus attentifs aux lecons du passe , et vous jugerez mieux les prole- taires aux assises , et les artistes aux theatres ou aux expositions. Toutefois je me bate de confesser que cette methode detachee et insouciante de prononcer sur des faits epars, ne meparait cou- pable qu'autant qu'elle conduit a dedaigner ou a condamner. C'est une chose si rare et si bienfaisante de sentir ou meme de voir d.; terns "a autre un elan d'enthousiasme, que je me reprocherais de rire de ces honnetes personnes qui, n'ayant jamais connu dp Raphael que ses quatorze tableaux dans la galerie du Louvre , et de Michel-Ange que ses deux statues dans le petit musee d'Angouleme , jurent avec des larnies que ce sont de puissans mailres , et s'extasient en analysant le Jaire du divin Sanzio et de Timmortel Buouarotti. » Ce nest pas d'apres un tableau seulement, non, pas meme d'apres \efeu du del , que je pardonnerais a mon meilleur ami de vouloir dire de Boulanger : «I1 ira jusque la. » Favorable ou contraire, un tel arret , a son egard plus qua I'egard de beaucoup d'autres , serait aujourd'hui menteur ; car il est du norabre des artistes de notre terns qui lassentet egarent la plus habile critique a les suivre dans leurs brusques detours de decouragemens et d'esperances.Spn vol est inegal, etrange, et il aime a s'abandon- ner souvent aux inspirations de ceux qui , tfomme lui , souffrent devoir au-dessous deux tout symbole sebriser commelediamant faux : elite d'ames en peine , martyres du present , amoureuses de ce que voile I'hon'zon , qui parfois disparaissent enlevees vers __ le passe au-dela des Romains bien mnscles, bien drapes de I'em- pire, au-dela des bergeries de la regence, vers les sources loin- tai^s ou puisaient ces grands genies du 'moyen age , anges ou demons aux yeux de nos peres , et qui ensuite reviennent tout a coup graves et demi-fremissantes dune sorte de terr^ir religieuse, TOME LIII. FEVRIER I85f^. 25 346 VARIETES. luieux rc'solues a se devouer hardimeiit aux profondeurs de 1 avenir. » Hors les eiithousiastes, je iie voudrais absoudre du -defaut de precipitation et d'impatience que les editeurs ; il serait vraiment injuste de contester a cette classe eslimable d'amateurs le droit de gouvniander les esprits qui s'attristent ou se recueillent paresseu- sement, et les bras qui , de lassitude, ou d' ennui , se separeVit des bras laborieux tendus sans cesse pour faire flotter de glorieux uoius au-dessus de la foule des assiegeans de la popularite. » Boulaiiger u'a pas une palette aussi feconde que plusieurs peintres aussi jeunes que lui ; on raconte que bien des afflictions lui ont deja passe h travers le cceur , que trop sou vent son cieJ est sombre , et que son courage n'a pas a lutter seulement avec les raysterieuses angoisses de I'art. "Son pinceau n'est pas de ceux qui effleurent si voluptueusement la toiie de leintes vierges, qu'on dirait un leger souffle glissant a la surface de Teau, des reflets et des ombres. Le caraciere de son talent n'est pas cette douceur et ce calme. Quand il peint la grace, la beaute , c'est toujours corarae contraste ; et il seinble ne savoir exprimer des passions que les douleurs. C'est pourquoi je lui ai trouve I'air emprunte d'lm novice dont la tiraidite embarrasse les mouvemens, lors- qu un jour le singulier desir lui est venu de renverser sur un char de nacre, en pleiue raer, une Aphrodite , ou depuis de ba- lancer sous les branches vertes d'un buisson Sara la paresseuse, au sortir du bain ; il lui sied mieux d'aiguiser son pinceau en une pointe inflexible, an risque par instans de dechirer le canevas ou de buriner la pierre , lorqu'une puissance ignoree a agite convul- sivemeut sa main , et que son ceil sest eclaire dune prompte eiiergie. « Souvent la vue s'enerve, les paupieres s'affaiblissenta contem- pler loDg-tems les gracieuses beautes que, pour nous attirer a4jux, tant d'enchanteurs penchent en mille attitudes , toutes blanches, tendres, languissantes , moUement rcveuscs du plaisir ; mais s'il arrive que tout a coup on se retouruc vers quelque endroit LK FEU DU CII^.L. 347 ou sur un lambeau de toile ont ete clones siuiplemeiit ime ballade, line legende, une terrible evocation d'histoiie, line strophe bardie de poete, alors on tressaille, on se sent ranime et plus vivant; c'est pour lame comme un ennoblisseinent et une elevation de la sensation qui fait frissonnerdes levres affadies "a rapprocJie d'lme liqueur un peu apre , ou s'epanouir un front allourdi, altere, frappe soudain par la froide rosee d'un feuillage. Ces impressions m'ont surtout saisi devant la Ronde du sahhat , grande et se- rieuse hallucination, dont Jacob Callot , le noble Lorrain , creait d'avance , il y a deux cents ans , la merveilleuse parodie ; devant \aSamt-BartIielemy,iein\]et bizarrement ecrit, avec une verve audacieuse, rude ct energique, arrache tout franc de vieillesse au manuscrit d'un chroniqueur; devant la Mort de Baillj, es- quisse chaleureuse qu'on a estimee assez piiissante pour lui faire I'honneur de la consigner au seuil du dernier salon , parce qu'elle etait trop revolutionnaiie , de raerae qu'au dire recent d'un journal (i) , on a prqmis de refnser I'entree du salon de -1832 aux tableaux qui representeraient avec trop de verite les miseres du proletariat. Ces trois compositions m'ont toujours plus emu que Mazeppa , range par I'opinion puhlique au uoinbre des produc- tions les plus remarquables de Boulanger , et qui est presque au- tant en dehors de sa maniere accoutumee que , dans un ordre nioins eleve, la Lecoa de musitpie,, on telle autre fantaisie dont j'oublie I'inscription. » Ce ne sont ponrlant pas ces ceuvres principales de I'artiste que ma pensee aime le mieux a reconstruire. Parfois assis au grand jour, devant un soleil eblouissant, j'ai vu subitement pas- ser les Chartreux : sur un fond noir, sept a huit religieux, en- -trant, a la hieur'de deux torches, sous un porche d'eglise. Ces vieillards marchent plus lentement qu'un faible enfant. lis liseut, lis chantent, ils prient; on entend leiu' psalmodie tri.ste, basse et (1) L' Etiropi-i'ii. 25. 348 VARIETES. sourde. Leurs visages mornes, anguleux , inipassiblcs , soinbleiic couverts de masques de platre niodeles par quelque etrauge ar- t isle acci'oupi sous les marbres du chceiir. Aucun regret, aucun amour, aucuue esperaiice; une seule pensee , celle qu'on lit an paisible chevet d'uu mort lionnete homme: pour la retroiiver sur des traits vivaiis, ilfaudrait, pendant uneiuiit, redescendre an lond de huit ou dix siecles. » II exisle de belles gravures anglaises a la raaniere noire dc deux sujels tires des cbroniques de France. L'un est WJssas- sinat des enfans de Clodomir. Le cadavre palpitant de Theo- doric est jete dans I'ombre ; Gonthaire est a genoux. Sa tete, dont la chevelure entoure le poignet du roi Clotaire , son bour- reau , est tiree en arriere ; mai's ses traits , son seiu et ses bras se jettent tremblans vers le faible Cbildebert, qui se detourne. L'epee chaude et humide de sang se dresse droit aux reins. Aussi long-terns que Ton regarde, il serable qu'on ait puissance d'ar- reter le mouvement de I'assassin; mais des qu'on s'eloigue, 1' es- prit acheve involontairement Taction : la poilrine bat et se sou- leve violemment. Combien de fois , ayant horreur de consommer ainsi moi-meme lenieiu'tre, j'ai ete contraint de revenir sur raes pas comme pour obeir a ma conscience et me rassurer, Pauvre (ionlbaire! innocente et douce creature, si naiveraent sup- pliante I » Le pendant est I'ensevelissement d'un des Avians de Cler- mont: une lueur celeste sur I'ombre d'un sepulcre ouvert, des anges au ciel , I'epoux deposant pieusement au torabeau son epouse vierge : on dirait que Rembrandt et Lesueur out tons deux Iravaillea ce tableau. »Les Fantomes m'ont paru celle des inspirations de M.Victor Hugo que le peintre a le plus admirablement traduite dans son noble langage. La jeune Espagnole , froide, pure, tonchante et belle ! Ai-je un excroisseinenl bideux au cerveau pour quelle m'ait rappelola tour d'Helwin? C'est bicn elle qu'on a revee lors- queles Orieniules out paru. Et le spectre ! jamais onn'avait inia- LE FEU DU CIEL. 349 giiie la mort si impitoyable , si sourde. Commenl a-t-oa iiivente de paieilles ailes? de leur large envergure , noire et poilue!, elles renvoient au visage un vent glacial. » Sans doiite vons avez vii Leopoldme, ay ec sapensee grave et fiere : j'ai desire 'ong-tems la rencontrer aupres du garcon gentil et espiegle, en velours ecarlate , de Lawrence. Toutefois je ne conserve peut-etre la memoire de ce dessin que parce qn'il seni- bleungage plus frappant ( est-ce une erreur?), nn sigiie plus direct del'une des deux amities precieuses qui luisent a I'alelier de I'artiste. » Aliens, je serai sincere avec vous. Lorsque je temnignais si indignement, irapuissant-comme je suis pour mieux faire , la vive admiration que je I'essens pour le peinire, j'etais aussi sous le prestige de mon admiration pour les deux poetes qui I'ain^nt et qu'on entend quelquefois lui parler, le consoler, I'encourager a haute voix du fond de leurs demeures. Des qu'est venu ce mot BoulangeVy involontairement je me suis rappcle un voyage a Rouen, la ville aux vieilles rues , et un autre sur la route de Cologne a Dijon. Ce seul nom a fait retentir en moi trois sons eclatans. » Sauriez-voiis dire de combien de sentimens divers, en appa- rence etrangers , se compose parfois un moment heureux, qu'on le doive a la hienfaisance del'art on a toute autre charite. Quand on recoitune telle aunione, ne pensez-vous pas qu'il est sage de ne pas regarder plus loin que la main qui la donne , de se tenir calme et recueilli, dene pas trop se mouvoiretchercher, depeur de rompre quelque reseau dore qui sans donte vient de descendre, de briser nn enchantement , dont, k son insu, on est entoure? - C'estla secondefois aujourd'hui qu'une reverie d'art m'a saisi et conduit a de bonnes emotions : peut-etre est-ce ma part de bon- heur pour toiite une semaine. .Te vous remercie pour la question que vous m'avez adressee. » Ce matin , j'ai parcouru , avec une exaltation qui m'a rendu plus ridicule encore que de coutume, I'exposition du tableau de 35o VARIETES. la loterie pour les exiles pblonais (1). A cette heure, en y son- geant, je comprends parfaitement qu'ily avait pen de peintiires reraarquables , excepte le cosaque foulant aux pieds de son coursier la Pologne , parScheffer; quelques portraits, et quel- ques aquarelles; uiais j'avais ete emu et trouble au moment nieme ou la porte s'etait ouverte devant raoi : j'avais com- mence a me dire : « Ces etraugers! on a eu pour eux des larmes, des ravissemens, des quetes abondautes; pour eux la bourgeoisie a fait chanter ses belles, aux jours ou ils etaient encore heureux, n'ayant a braver que la mort des combats! Quand la mine de leur patrie a ete entierement consommee , sur leur passage , on les a enivres de fetes, d'acclamatious,'dc harangues; et, en leur honueur, on a prolonge des retentissemens d'emeute. lis sont arrives a Paris , animes de reconnaissance et confians : depuis Varsovie, ils n' etaient entres dans aucuue ville avec taut de joie : pendant ^uelque terns on a continue h s'empresser de les secourir, et le bourgeois attendri les a regardes passer avec la satisfaction d'un bote qui a la conscience de remplir ses de- voirs. Mais insensiblement leur nom a ete moins frequemraent repete "a la tribune, dans les salons , sur les places : on s'est ac- coutume a les voir, ou n'a plus tourne la tete ; aujourd'hui on ignorerait ce qu'ils sont devenus,'sans quelques artistes et quel- ques dames offrant des tableaux , des ecrans, des vases peints , des bourses brodees , et sans un petit nombre de teraoins fideles de leur raisere, de leur abandon , courant ck et la, propesant par- tout des billets de loterie h cinquante sols , et poursuivant cha- que indifferent avec insistance. Cependant, malgre ce reste d'un zele qui s'eteint, les fonds de la loterie se sont d'avance epuises. A Paris, c'est "a peine si Ton pent encore donner chaque matin le pain du jour a cinquante d'entre eux : les autres derobent aux (1) Cette exposition a eiilicii, pendant plusieurs mois, tous les samcdis, rue Ta- ranne, n° 12. On nc doit pas oublior qtic cello ronversation est de braucoup an- lerienre a la spancr dc !a rhambre des deputes du 9 avril. LE FEU DU CIEL. 35j yeux leur detrcsse, leurs souffrances, leiirs haillons, ue raunnu- rent plus qua voix basse les souveuirs de lour patrie, renfeiv ment en leiir sein des prieres et des esperances desonuais impor- tunes, et fuient sans savoir de but a leur fuite , cbasses d'cxil en exil pour u'avoir pas su aimer la servitude , comme,il y a dix- huit siecles, le vieux peuple d'Israel pour n'avoir pas su recon- naitre et aimer la liberte. » Et maintenant, ajouta le jeune homme en se levant et en sou- riant dignement, tandis que je vous rappelle ces choses, I'art cesse d'occuper toute ma pensee. Adieu, j'entends un air de ga- lope. Au re voir. » III. Digni',sio:ii. — Opinion appujb'e d'une antorite recoiAinandable siti rttlilite des beiiuoiSarls et spti'cialemenl de la 'rmisique. Depuis quelqiies instans , j'avais rencontre plusieurs fois les regards du membre de la Societe philotechnique ; toute sa con- tenaiice exprimait, a ne s'y point meprendre, son ennui de Tiso- lement oii Tavaient laisse les jeunes gens empresses aux qua- drilles, et les horames positifsqui entouraient la table d'ecarte ; je I'avais vu d'abord negligemment feuilleter en fredonnant un al- bum compose deces lithographies suspendues a tons les etalages, qui sont juste assez decentes pour ne pas etre saisies et jugees a huisclos, et qu'ordinairement reniuminuEe rend inlames : il avait ensuite lu quelques pages dune brochure avec des mar- ques beaucoup trop briiyantes d'approbation. Aussitot qn'il apercut que j'etais seul , il s'approcha de moi , et , d'un meme mouvement, me saluant ademi, se hata de s'asseoir k ma droito. Des ses premieres paroles, qui renfermaie;it un eloge pom* Vor- chestre, il me fut aise de pressentir qn'il etait resolu d'entre- prendre une dissertation sur le violoncelle peut-etre, et sans aucun doute sur la musique : mais h son dessein j'en avais sur- le-champ oppose un autre; et j'etais lermement decide, sije de- 352 VARIETliS. vais etre harangue une seconde fois, a n'entendre encore parler du moins que de Boulanger ou de peinture ; je pensais toujours ii mou article. Les hostilites commencerent done entre nous : ce fut un veritable duel, long etpenible; tous deux en garde, croisant et poussant nos deux pensees , les tournanl , les choquant en tous sens, apres dix minutes nous n'etions gueres plus avances qu'a- pres notre salut. Je froissais mes notes avec impatience : mon ad- versaire, d'autant plus etonne qu'il ignorait la cause secrele de mon obstina/ion, poliraent indigne , etourdide ses propres excla- mations et de mes parentheses, s'agitait sur son siege d'une maniere douloureuse: a la fin il parut fatigue de ma resistance, et jeta un coup-d'ceil oblique sur la lithographic que pen a peu j'avais attiree de son cote. Mais,helas! je n'eus pas long-tems- a me glorifier de mon triomphe. Voilk tout ce que j'ai pu saisir de ses remarques critiques sur le Feu du del, interrompues a cha- que instant par des digressions qu'a grand' peine je parvenais a interrompre moi-meme, et qu'il fallut bientot, en desespoir de cause , laisser deborder de toutes parts. Le dessin a son avis, disait-il, etait fort beau et donnait une grande idee de I'imagination et de la science de I'auteur. Cepen- dant il etait portea croire que M. Boulanger arriverait difficile- m^nt a enrichir son editeur avec de telles compositions, qu'on peut rencontrer quelquefois avec plaisir dans des collections d'a- mateur, mais que personne ne se soucie de voir figurer dans son .salon ou dans son cabinet de travail. Personuellement, il esti- raait qu'il lui serait peu agreable de ne pouvoir faire un seul pas chez lui sans se trouver en face d'un incendie et d'un monceau de cadavres. II avait expressement defendu a sa fdle d'imiter sur son piano les gemissemens et les extases de cer- tains compositeurs allemands, et il ne souffrirait jamais que son neveu se permit de troubler le repos de ses locstaires, en faisant grincer aux cordes de son violon les evocations infcrnales de Paganini. II s'etonnait, que, lorsqu'il y a dcja tant de peines reel- les dans la vie , il fut possible de se complaire a des tableaux LE FEU DU CIEL. 353 sanglans qui donnent le cauchemar , et a- une musique qui crispe les nerfs commefeiait une machine electrlque. line pouvait plus entrer dans une exposition de peintures modernes sans trembler, Texperience lui ayant appris k se delier meme des petits cadres. II se souvenait de plus d'une peinture placee a la hauteur dii vi- sage , mignarderaent bordee de feuilles et de treillis , attrayante de loin par la vivacite des couleurs, et ou Ton decouvrait avec surprise , en approchant , que I'artiste avait assemble sur une surface de quelques pouces plus d'horreurs et de folies qu'on ne pourrait en imaginer dans un violent acces de fievre. Un de ses amis avait compte k Tavant-dernier salon cent quarante-deux meurtres, pres de soixante tentatives d'assassinat, et quatre suici- des. II ne comprenait pas cette monomanie sanguinaire, incen- diaire, fantasmagorique, qui s'etait emparee des artistes, lorsque tous pouvaient teuir si hien a I'aise dans le vaste champ de la saine peinture. N'a-t-on pas toujoxu-s besoin de tableaux de sain- tete pour les eglises de campagne , de graves tableaux d'his- toire pour les avenemens au trone , pour orner les plafonds des chambrcs et pour meubler les chateaux roj^aux? N'est-cepas une source inepuisahle en prolits et en succes que de bons portraits , bien ressemblans, aucunement llattes; des maisons ('^ plaisance, des coteaux, des plaines et des moutons pour rafraichir la vue ; de jolies marines, quelquefois memo avec des tempetes d'une di- raensiou raisonnable , pour les personnes qui n'ont pas la facilite d'aller au Havre voir la mer en nature ; et encore de joyeux ta- bleaux de genre, des ecoles, des sacristies, des cuisines, des danses de singes, I'aite savant, des parties de promenade aux environs de Paris, des chasseurs, et mille autres sujets inno- ..cens ? Enverite, en verite, M. Boulanger se perdrait a suivre la direction de M. Hugo. Une personne digne de foi lui avait assure qu'il avait ete jusqu'apeiudre Tours Wane deHand'Islande, et il Jie serait pas etonne qu'un jour il n'eut tente de mettre en pein- ture cet horrible Dernier jour d'un condamne. 354 varieteS. n ajouta que c'etait son opinion sincere qu'il venait de nie sonmettre, et qu'il avait decouvert avec joie , un instant aupara- vant, I'expression fidele de ses pensees en parcourant une revue allemande , dans un article « sur I'utilite des arts et sur la nuisi- que. » S'il n'avait pas craint de metre importini , il aurait ose prendre la liherte de ni'en lire quelques passages : il se proposait de se procurer x\n exeniplalre de ce nuraero pour le preter ou le traduire k tous les musiciens qu'il connaissait. Alors, le voyant saisir serleusement la revue allemande, je com- pris qu'il avait reellement acquis un droit sur ma liberte, et qu'il en userait impitoyablement ;je me couchai plus avant a roreiller du canape avec un soupir etouffe, laissant courir mon crayon a sa fantaisie, ainsi que vous avez remarque peut-etre, sous les doigts de quelque personne de votre connaissance, se former de Ibrt elegans dessins de broderie, bien que sa pensee et soavent ses re- gards fussent certainement diriges aiUeurs que sur le metier. « Le but unique des arts ( je passe sous silence, monsieur, di- verses reflexions preliminaires de I'auteur), le but unique des arts, cbacun le sait, est de nous faire passer quelques heures agreables, etde nous distraire des occupations graves qui meritent avant toutes choses notre attention et notre estime, parce qu elles seules peuvent procurer la fortune et par suite la consideration. Or aucun art ne reraplit mieux ces objets que la musique. » Ces derniers mots furent prononces d'un ton de voix si ecla- tant et si persuasif, qu'ils reussirent a attirer autour de nous trois ou quatre auditeurs. « La lecture d'un livre de poesie on d'un romau, e{it-on la main assez heureuse pour en trouver uu qui ne fut pas de nature a mettre en jeu I'imagination ou la sensibilite , deux sortes de vertiges, I'uu de la lete et I'autre du cceur, que les hommes sages ont grand snin d'eviter, car les interets positifs en souffrent tou- jours ; la lecture d'un livre de poesie ou d'un romau, dis-je, a cet inconvenient que Ton est presque oblige de penser a ce qu'on lit, operation intellectuelle que ne doit point necessiter uti LE FEU DU CIEL, 355 simple objet de delassement. La contemplation d'lin tableau pent aussi parfois nous donner occasion de niediter, et d'ailleurs c'est un amusement de courte duree ; il n'y a plus de plaisir des qu on a devine ce qu'il represente. » Ici j'examinal attehtivement la pantomime du traducteur : je soupconnais un air radieux, unmalicieux sourire, et je ne distin- guai qu'un balancement de corps solennel , et un signe probable de satisfaction dans ses deux pieds, qui frottaient vivement le parquet. C'etait decidement un excellent homriie. « Quant "a la rausique, c'est autre chose. A moins de faire partie du petit norabre des ennemis de cet art enclianteur, on recon- naitra toujours qu'une composition raisonnable , pure de ces grands ef:fcts de "voix et d'instrumens qui etourdissent et font mal aux entrailles, a le don de disposer notre esprit a un etat delicieux de calme et de quietude ou nous ne sommes en aucuae maniere tentes de reflechir, et ou nos idees , s'il nous en arrive encore quelqnes - unes, sont a ce point legeres et indistinctes qu'elles paraissent et disparaissent sans qu'il nous soit possible de les saisir au passage. J'irai meme plus loin : qui nous em- peche, pendant qu'on fait de la rausique aapres de nous, de lier avec noire voisin un entretien sur la politique, par exeraple, et d'atteindre ainsi a la fois un double but de distraction. C'est un conseil que je donne a nos lecteurs ; car la musique, on pent le re- marquer dans nos concerts, la musique est tres-favorable aux con- versati»ns. Lorsque les intervalles ne sont pas trop prolonges, tout le monde garde le silence; mais les entretiens recomraeucent des les premieres mesures , et les voix s'elevent ou s'abaissent gra- duellement selon que le bruit des instrumeus eux-memes saccroit on s'affaiblit. » Vraiment I'utilite de la rausique est inappreciable. Entrez dans ce petit cercle de famille ; regardez ce pere qui, fatigue des travaux de la journee, s'est assoupi et ronfle delicieusement entre les bras d'un large fauteuil au coin du feu. Ne doit-il pas ce doux repos a sa chere enfant, la jolie Rose, qui a etudie tout expres pour lui la raarche des Tartares et des variations sur I'air : 356 VARIETKS. Le connais-tu, ma c/iere Ele'onore ? Ne les execiite-t-elle pas avec tant d'agilite que sa mere verse des larmes de joie siir les bas quelle tricote, et pense reellemcnt que Rose est une demoi- selle bonne a jnarier ? Sans cette musique si heureusement ap- propriee aux sentimens de ceux qui I'ecoutent , toute la maison ne serait-elle pas troublee par les aboiemens du petit chien et les oris des mannots? » Mais votre cceur est peut-etre insensible aux charmes de' ce tableau touchant, triomphe de la simple nature? Suivez-moi dans ce salon oii les yeux sont frappes par la clarte eblouissante de cent bougies. On ouvre les tables de jeu, on ouvre aussi le piano, et grace aunchoixde musique fait avec discernement, les personnes frivoles peuvent s'anuiser sans incommoder cellesqui se livrent a des plaisirs plus graves, "a Tecaite, au whist on au boston. l\)us les morceaux ont ce caractere paisible qui convient aux passe- tems de societe ; aucun d'eux ne saurait causer la moindre di- straction facheuse parmi les joueurs. » Quels eloges.enfin ne meritent pas nos grands concerts qui nous procurentleplaisird'epancber au sein d'un aminos secretes peusees avec accompagnement de musique ; qui permettent de s'abandonner long-terns avec sa voisine a luie conversation pleine de charmes , conversation dont la musique meme a fourni le pre- texte j qui menagent 1' occasion de murmurer quelques donees pa- roles sous Teventail de la dame que le coinr prefere, tandis que celle-ci, dont les reponses se bornent d'ordinaire a oni^X. non, encouragee par le bruit qui se fait autour d'elle, se hasarde h dire davantage. dLcs concerts sont un genre de distraction qui convient parti- culierement aux hommes de cabinet, et qu'ils doivent preferer de beaucoup au theatre. Les representations iheatrales causent en effet trop souvent des emotions vives. On y est expose d'ailleurs a s'habituer a une maniere de voir poctique qui nuit singuliere- ment a la consideration dans le monde et surlout dans les af- faires. . . . » Gene sera pas, croyoz-moi, Tune des moindres gloires de LE FEU DU CIEL. 357 notre siecle que celte rapidile avec laqiielle le goiit de la musique se repand chaque jour dans toutes les classes de la societe. La plupart des parens regardent anjourd'hui la musique com me une partie indispensable d'une boinie education, et ils raisonneut sageraent : il faut que les enfans Tapprennent meme lorsqu'ils n'ont pour elle aucune disposition , aucune aptitude ; ce qui im- porte, ce nest pasqu'ils parviennent a acqueiir une graude ha- bilete , mais seulement qu'ils possedent un talent agreable dont ils puissent au besoin se servir en societe. )) Un avantage de la musique, avantage precieux qu'ellepos- sede a Texclusion des autres beaux-arts, c'est qu'elle est essen- tiellement chaste etqu' elle nesaurait exercer d'influence nuisible sur I'esprit de la jeunesse. Un censeur attestait hardiment, a rhonneur d'un instrument nouvellenient invente , qu'il ne ren- fermait rien de contraire au gouvernement, a la religion et aux bonnes mceurs : il n'est pas un seul maitre de musique qui ne puisse , en conscience , certifier de meme au papa et a la maman de son eleve que, dans la nouvelle sonate qu'il donne a etudier a leur demoiselle, il ne se trouve pas une seule pensee contraire a la saine morale. Lorsqueles enfans grandissent et comraencent a entrer dans le monde , ils negligent la musique ; cela est fa- cile a comprendre ; une pareille occupation est pen bienseante poui- des liommes graves , et elle pourrait entrainer les femmes a oublier des devoirs importans de societe ou des affaires de me- nage qui reclament tout leur terns. Apres un certain age , il ne convient plus de gouter autrement le plaisir de la musique que passivement, c'est-"a-dire en ecoutant des enfans, ou des artistes de profession. » Si Ton reconnait la justesse de nos observations sur le carac- tere des beaux-arts et particulierement de la musique , on doit concevoir sans peine que ceux qui sont assez fous pour consacrer leur vie entiere k la culture d'un talent destine uniquement a nous recreer, ne peuvent jffetendre "a occuper dans le monde qu'uu rang tres-subalterne ; a parler sincerement, ils n'y sont 358 VARIETES. meme toleres que parce qii'il faut bien se delasser des travaux im- portans de la vie par quelques bagatelles amusantes. Quoiqu'il soit douloureux de rappeler cette verite, il faut done avouer qu'aucun honime doue de bon sens ne saurait placer I'artiste le plus habile surla meme ligne qu'un teneur de livres experimente ou un bon contre-raaitre d'atelier : onne poiurait meme sans in- justice le comparer k Vhonnete artisan qui fait nos habits, ou qui rembourre nos fauteuils ; car enfin celui-ci songe a I'utile, tandis que I'autre n'a jamais en vue que I'agreable. Aussi personne n'i- gnore lorsque nous nous montrons polis, bienveillans meme a I'egard des artistes, que c'est un effet de ce savoir-vivre et de cette complaisance qui nous portent souvent a badiner avec de petits enfans ou avec un bouffon qui nous divertit. » Les gens qui s'adonnent exclusivement aux beaux-arts de- viennent presque toujoursdes reveurs dignes de pitie. Quelque- fois meme ils torabent dans une espece d'alienation raentale fort dangereuse , ce qu'il est facile de reconnaitre a leurs discours. Dans leurs acces , ils affirment sans rire que les arts elevent et epurent les ames , qu'ils sont la source des pensees et des actions grandes et genereuses , et que sans les arts Texistence ne serait qu'un ignoble combat entre des interets niateriels. Mais il est surtout curieux d'entendre les extravagances de ceux d" entre eux qui se croient musiciens. La rausique, disent-ils , c'est le plus sublime et le plus romantique des beaux-arts ; c'est le langage vague et mysterieux dont se sert la nature pour se reveler au coeur humain. II semblerait en verite que ces pauvres insenses cau- sent familierement avec les arbres , les fleurs, les animaux, les pier- res, que sais-je ? N'en voit-on pas meme plusieurs que la demence aveugle jusqu'a leur montrer dans les jeux frivoles du contre- point , qui certes n'ont jamais egaye personne , « une combinai- son merveilleuse pour faire vibrer les cordes de la sensibilite ? » Le talent , ou dans leur idiome, le genie de la musique, aninie, echauffe,entlannne le sein de Tartiste*, et il le devorerait si le priu- cipe terrestre , prosaique , cherchait a. en etouffer les celestes etin- LE FEU DU CIEL. 35g c<'lles. Parleiit-ils des hommes de bon sens qui jugent sageraent, aiiisi que nous, la valeiu" reelle des beaux-arts ; ils les appellent des ignorans , des profanes , indignes de penetrer dans le sanotuaire ou la vie humaine se divinise. Ce dernier trait ne suffirait-il pas pour convaincre les plus incredules du desordre de leur raison? Je vous le demande, le proprietaire , le rentier, qui mangent hono- rablement leurs revenus en faisant travailler les ouvriers, et que chacun entoure d'un respect inerite, ne sont-ils pas des citoyens bien plus utiles et bien plus heureux que I'artiste qui pretend, avec ses reveries creuses, nous inspirer de grands scntiraens , et qui meurt dans son galetas sans avoir fait gagner un sou aux marchands ? Ils ont beau dire que Tenthoiisiasme poetique les eleve au-dessus du vulgaire, et les rend inseusibles aux priva- tions materielles. Eh! le nionarque des Petites-Maisons , fier et glorieux de la couronne de paille dont il ceint sa tete, est heureux aussi a sa nianiere ! La meilleure preuve qu'il n'y a rieu au fond de ces balivernes, et qu'elles n ont ete inventees que pour iinposer silence au reraords de n'avoir point travaille h quelque chose de solide , c'est qu'il est extremement rare de voir quelqu'un se livrer aux arts par| la seule impulsion de sa volonte : les artistes sortent en general de la classe pauvre, et jamais un jeune homme ne se fait peintre ou niusicien lorsqu'il pent vivre de ses rentes. Issus de parens obscurs , miserables, souvent de fous de la merae espece qu'eux , le besoin , Tocca- sion, le pen d'esperance qu'ils ont de reussir dans un metier utile , les pousse dans cette triste carriere , et I'avenir est la pour les faire repentir amerement de leur sorte exaltation. Si une bonne famille, une famille riche , avait le malheur de posseder un fils or- ganise specialement pour les beaux-arts, ou dont «le sein, pour em- ployer 1' expression de nos visionnaires, fiit embrase du feu sacre,» si Ton decouvrait en lui les symptoraes dumal des artistes , il n'y aurait qu'un seul remede. II faudrait qu un precepteur prudent lui fit observer une diete intellectuelle ti'es-severe, qui consiste- rait principaleraent dans uneabstine'nce complete de tous lesouvra- 36o VARIETES. ges composes a la facou de Byron , de Goethe, de Schiller ; dans im exil rigoureux de tout endroit ou il pourrait entendre une com- position de Mozart , de Beethowen , etc. II faudrait encore I'en- tretenir frequemment de I'inferiorite naturelle des arts dans Tordre social , de la situation precaire des artistes , consideres surtout corame instrumens de plaisir. On rameneraitparces moyens dans la bonne voie le jeune homme egare , et Ton parviendrait a lui inspirer pour les arts et pour ceux qui ies professent un mepris qui le garantirait a Tavenir contre les invasions du delire poe- tique. » Quant aux pauvres artistes , qui ne sont point encore tout-a- fait incurables , je crois leur rendre nn veritable service en leur conseillant, s'ils ne peuvent s'arracher entierenient h une car- riere sans utilite et sans but, de corisacrer chaque jour deux ou trois heures a apprendre un etat quelconque ; de cette maniere ils rendront du moins quelque service a la societe , et, dans le monde, ils occuperontun rang, si obscur qu'il soit. Un connais- seur m'assure que j'ai des dispositions pour broder les pantoufles , et je ne suis pas eloigne de donner un salutaire exemple a raes confreres les artistes, eu nte niettant en apprentissage chez notre voisin , maitre Simon , fabricaut de pantoufles , et qui d'ailleurs est mon parrain. » En relisant ce que je viens d'ecrire, il me senible que la demence de qu/^ques musiciens y est depeinte avec une verite frappante ; et ce n'est pas sans une secrete terrcur que je me sens des rapports de ressemblance avec eux. Le malin esprit me dit a roreille que plus d'uue phrase tracee avec bonhomie pourra pa- raitre a des esprits prevenus ime ironie. Cependant, je le de- clare en terminant, je u'ai eu d' autre intention que de tancer vertement les barbares qui traitent de vaines piailleries la musi- que de famille enseignee a nos enfans, etqui ne veulent d'har- monie que celle qui nous agite ou nous torture par de turbulentes emotions. A ces dangereux ennemis de la paix interieure de Tame, je crois avoir demontre que, dirigee par les lois d'un gout LE FEU DU CIEL. 36 1 ♦Jelicat , la musique , an lieu tie nous secouer brutalement des pieds a la tete, comme ils le voudraient, doit charmer nos in- stans de loisirs^ et dissiper la lassitude denotre intelligence. Ainsi renfermee dans de justes limites , elle remplira parfaite- ment Tunique destination des beaux-arts , et meritera d'occuper parmi eux la premiere place. » II y eut un murmure general d'approbation dans la salle. Les dames qui , pendant toute la soiree , avaient orne de leur cercle immobile comme d'un feston les draperies du salon ; les notaires et les avoues qui avaient perdu leur derniere piece d'or , les grands parens que le sommeil commencait% gagner, s'etaient groupes autour de nous. — Ehbien ! monsieur, s'ecria le traducteur benevole avec un enthousiasme dont jamais je n'aurais ose I'accuser. Ne pensez- vous pas que les peintres, aussi bien que les musiciens, peuvent tirer un grand profit de cet article. Va, digne et excellent ar- tiste ! ces pages t'assurent I'estime et la reconnaissance de tons les veritables amis de Tart? Quel scrupule t'a erapeche de signer, modeste ecrivain? Que ne donnerais-je pas pour connaitre ton nom ! — Je puis vous le dire, monsieur ; le directeur de cette Revue a emprunte certaineraent la dissertation que vous venez de lire au celebre Hoffmann , I'auteur du Pot d'or, de la Biographiedu maitre de chapelle Kreisler, et de Y Elixir du Viable. — Diable ! se dit tout bas le membre de la societe philo- techniqne, et apres un moment de silence : — II faut done qu'il ait eu vers la fin de sa vie un jour lucide. Cet acte de contrition m'a touche jusqu'aux larmes. — Et il ferma le livre. Si Von- ftiedemandait, comme au tribunal, de conclure et de dire ce que je pense du Feu du ciel de M. L. Boulauger, de TOME LIII. FEVRIEU 1852. 24 362 VARIETES. I'ai't eii general, et en paiticulier de la peinture; eonfus, je re- pondrais que depuis un niois pas une seiile idee n'a remue an fond de ma tete , pas un seul hattenient de coeur ne m'a ravi on attriste, €t que je n'ai songe qua rapporter de mon mienx ce ({ue j'ai vu et entendn, un soir de cet hiver, devant une table cou- verte de livres et d'albums, tandis qu'on jouait a I'ecarte pres de nioi et qu'on dansait dans la salle voisine. Edouard Chauton. BULLETIIN BIBLIOGRAPHIQUE. I^IVHES ETRANGHRS. EUROPE. GRAIVDE-BREXAGNE. 07. Gleamngs in natural history. — Observations sur V histoire naturelle glanees ca et la , et souvenirs locaux -, par Edward Jesse, Esq. , surveillant des pares dc sa raajcste, siiivies de rensei- gnemens et instructions pour le pecheur a la ligne. Londres , i83i ; John Murray , Albemarlc-street. IMSTIMCT DES ANIMAUX. Je cr»is que nous avoris en France peu de ces duyrages oil la science s'humanise , et oil, mettant de cote' les systemes, les nle'thodes,les mots latins e( grecs qui effraient le vulgaire des lecleurs , ellc vient, conteuse et amusante , vous faire aimer toiite la cre'ation , animaiix , arbres , pierres ; clle trouve partout des charmes; car chaque objet en cette terre , dont nous n'apprenons pas assez a jouir , cliaque objet n'a besoin que d'cti-e regardc pour etre aime : dans tous il y a de raerveilleuses beaute's , et, au fonddc tout, je ne sais quelle secrete sympathie que nous avons appele'e poe'sle, et qui reraue le coeur ct moaille les yeux. L'ouvrage de M. Edward Jesse n'est pas un de ceux qui m'aient le plus frappe dans le peu dc livres que j'ai glane's moi-meme au milieu des millieis d'ouvrages de ce genre dont les bibliotheques anglaises sont remplies. Peut-etre I'auteur de ces observations surl'Listoire naturelle y insere-t-il trop de choses connues, enlrc autrcs sur I'instinct des ani- maux : chacun de ceux qui aiment a observer pourrait citer des traits aussi remarquables que ceux qu'il raconte, et tout-a-fait ignores. Je me serais trouve'e lieureuse, pour ma part, de fournir a ce glaneur, qui a ne'anmoins rassemble' l)on nombre de faits interessans, de remarques curieuses, I'his- toire d'un renard de mon pays, poursuivant un licvre dans des rocliers, ct qui, sautant apres lui iinf petite palissade, manqua son coup, retoraba, 24. 364- LIVRES ETRANGERS. ct quand il eut , en reprcnant son clan , f'ranchi I'obslacle , nc troti v;i ];lus sa proie : elle avait disparu dans un taillis , iin terrier, je ne sais. Hontcux de sa maladresse , le renard revint siir scs pas la queue dans les jambes , et, par forme d'c'tude , sauta a plusieurs reprises le petit inur jusqu'a ce qu'il Ic fit avcc asscz de facilite pour ne plus craindre scmblableme'saventure. M. Jesse parfc aussi de radmirable intelligence desoiscaux a placer leurs nids hors d'atteinte. II y a pen de personnes qui n'aient pu voir les liirondclles , quand elles reviennent au nid du precedent printems, suspendu a quelque corniche, a quclque bord de toit, voler long-tems autoiir, et I'abandonncr tristement lorsqu'une nou- velle construction , une galerie , un auvent ], une fenelre ouvcrte re'- cemmcnt, rendent les abords de leur antique demeure plus facile.. J'ai ccnnu un corbcau ( I'expression a I'air etrange; mais, qu;ind un animal montre un si prodigieux instinct, on pent presque ayouer la connais- sance ) ; j'ai connu un corbeau qui avail artistement bati son nid sur une haute girouelte, le cocstruisant de telle fafon que , tournant avec la gi- rouette , jamais il ne pre'sentait son entree au vent. Toute la tri^)u aile'c lui disputaitcliaque anne'e son petit palais, qu'il de'fendait avec autantdc bravoure qu'il avait montre d'iotcUigence a le batir. C'est souvent dans les travaux de nos savans que les auteurs anglais s'approvisionnent pour tant d'ouvrages qui popularisent la physique , la chimie, Thistoire naturelle. Les Ele'mens de M. Dume'ril sent, en cetle dernicre partie, ime mine bien precicuse a fouiller ; mais les adeples seuls s'occupeut de ces choses , et la plupart dcs gens du mondc, et surtout dcs ferames , en sont en France , en fait de physique et de chimie^ aux quatre e'le'mens, et en zoologie resserablent a un homme de beaucoup d'esprit de ma connaissance qui , rompant en visiere avec toute la crea- tion, n'admettait que deux varie'tc's parmi les etres vivans, ctdivisait, comme Noe, tous les animaux en belcs netles et cn'betes non nettes, ne voulant, en aiicmie maniere,. entendre parler de la seconde division , qui comprcnait toiis les etres anime's , hors I'homme et le cheval. 58. The BRrnsn dominions in North-America. — Description topo- graphiqiie et statistique des possessions hritanniques dans I'Ame- riqueduNord, par .T. Bouchette. Londres, i85i ; Colburn et Bentlcy. 2 vol..in-4". On trouve , dans cet ouvragc , des details ^tatistiques fort etendussur Je Haul ct le Bas-Canad,i. GRANDE-BRETAGNE. 365 5g. Domestic manners of the Americans.— iJ/ceuri domestiques des Americains , par raistriss Frances Trollope. Londres, iSSa; Whittaker, Treacher et compagnie, Ave Maria lane, a vol. in-8". m(k:crs americaises — miss wrigut. Cat ouvrage est une nouvelle preuve que Ic pauvre Jonathan, aiiisi que r Anglais appelle I'Ame'ricain, n'a rien a gagner a.se faire peindre par John Bull. Mistriss Trollope envisage les Etats-Unis du point de vuc le plus c'troit et le plus aristocratique; el si, coraine je le crois, \^. niensonge n'est autre chose qn'un seul cote de la ve'rite, la politesse me de'fend de qualifier les observations du de'licat tourriste pendant son se- jour de trois ans en Ame'rique. Certes il y a de I'esprit , de la vivacite , de la finesse dans ces pages; inais c'est chose pe'niblc, pour une ame di-oite, de voir ces qualitc's s'isolcr de toule bienveillancc, de toutc lar- geur de jugement : deux volumes de raillerie et de petite me'disance de bonne compagnie sur un immense pays, ses institutions complique'es, ses coiitumes , ses inoeurs nationales , sa moralite , ses vices ?t scs ver- tus , confondant tout ensemble sous un e'pais vernis de ridicule, c'est a la fois trop frivole et trop lourd. L'auteur anglais n'en est pas a sa premiere tcunie'c, ni a son premier ouvrage. Venue en France, lorsque la paix ouvrit nos villes aux cssaims voyageurs de la Grande-Bretagne, pour observer et pour peindre; trois jours a Paris, oil Ton ne savait pas encore faii'c du the, e'puiserent sa patience : les larmes coulerent en abondance de ses yeux., et clle s'enfuit en sanglottant (i) de ce desert d'hommes, oil J*on ne ponvait, dans un hotel garni, avoir de Feau bouillante! L'axiome que mistriss Trollope, a retenu dans son court sejour parmi' nous, donncra une idee de lajibe'raiite' de ses sentimcns. Ce qu'elle entendit dii'c de plus juste sur la police, si •active a cette epoque , sur les gendarmes, pre'sens en tous lieux, ce furent ces paroles qu'elle cite avec amour : « Croyez-moi, madame, il n'y a que ceux a qui ils ont a faire qui les trouvent dc trop. » Ce qu'il y a de fort singulier, c'est qu'avcc ses opinions aristocratiques, son amour dh confortable, sa prc'tention a ne pouvoir vivre hors de I'at (1) Hislorique, conime disail madame de Genlis. 366 LIVRES ETRANGERS. mosphere ainbie'e dc la bonne compagnie , ct a se rouler toujours comme la nymphe du papillon dans la mcme brillante coqiie de soie , mistriss TroIIope se soil accele'e a miss Frances Wright, pour se rendre en Ame- rique. Un tiers anrait certes pu recucillir nombre de choses curieuses dans la conversation de ces deux dames; et , regardant alternativement le Nouveau-Monde par les lunettes de cbacune d'elles , il eut crii voir deux mondes differens. Miss Wright, pousse'e par un enthousiasmc peut-etre un peu irrefle'chi, mais noble, mais grand, plein d'un dc- voiiment touchant, quoique exage're, courait vouer sa fortune , et, ce qui est bien autre chose, sa vie a rame'lioration d'une societe qu'elle ad- mirait cependant de toute son ame : mais elle ne voulait pas d'esciaves sur la terre de liberie', et se plapant sur les confins du monde civilise, loin de toute habitation , elle voulait fonder uue colonic de negres af- franchis par degre's, tandis que miStriss Troliopeallait comparer la gros- sierete' ame'ricaine au raffinement anglais : I'affreux pays , oii Ton ne peut se pfocurer un domestique (car personne n'y veut seiTir), a I'etat civilise' ou le ministre sait au juste le prix de chacun des sujets de sa tres-gracieuse raajeste. Les points ridicules de la societe des Etals-Unis sont plaisamment contes par elle ; plusieurs des defauts qu'elle reproche aux Ame'ricains sont justement accuse's; mais, ne voyant que les defauts ct les exagerant, elle fait naitre des avocats a ceux qu'elle attaque. Pour donner quelque iue'e de son style, je citerai quclques mots sur les re'unions de Cincinnati, ou Ton verra sa maniere,car elle n'en a qu'une, d'envisager le pays qu'elle de'crit : "^ a La difficulte de se procurer des domestiques e'tant si graude , il est cedent que les dames , eleve'es au milieu des occupations du menage , ne peuvcut avoir le loisir de de'velopper Icur esprit , qui , en effet , est hors de question; et, vu cctte cii*on.stance , il est plus surgrcnant a en trouver quelques-unes ngreables , qu'il ne Test qu'aucune ne soit tres- instruite. Mais, quels que puissent etre les talens des personnes qui se rericontrent ensemble en societe, la forme meme , la tenue, I'arrange- ment d'une societe sont de nature a paralyser toute conversation ; les ferames se groupentinvariablementa un coinde la chambre jt Icshommes a I'autre; et, pour rennre justice a Cincinnati , je dois reconnaitre que cet arrangement n'est, en aucune fafon , particulier n cette ville , ou au cote occidental des nionts AIleghanis.Qnclqucfois une faible tcnlalivo do GRANDE-BRETAGNE. SSy luiisique amene line reunion particlie; un petit nombre des plus auda- cieux jeunes gens, enhardis par I'ide'e du bel effet de leurs cbeveux bou- cle's et de leur veste neuvc, s'approchpnt du forte'-piano, et commencenta murmurer quelques mots aux jolies petites miss , demi-forme'es , qui s'occupent a supputer ensemble combien de le9ons de musique elles ont eues.Quand la maison est assez riclie pour avoir deux salons, le piano , les petites miss et les minces jeunes messieurs sont abandonne's a eux- memes ; et dans ces occasions le son du rire est fre'quemment entendu parmi eux. Mais le destin des grands personnages, delaisse's dans I'autre chambre, est en pareil cas lamentable. Les hommes craclient, parlent d' election , du prix des produits, et craclient encore. Les dames exa' minent re'ciproquement leur toilette, jusqu'a ce qu' elles en saclient par cceur toutes les e'pingles ; parlent du dernier sermon, sur le jour du ju- gement, du ministre un tel,ou des nouvellcs pilules, pour les digestions difficiles, du docteur tel autre, jusqu'a I'annonce du the. Oh I aiors elles se de'dommagent , se consolentde toute la peine qu'elles ont eii a se tenir e'veille'es , en prenant plus de the, de cafe , mangeant plus de patisseries ■ chaudes et de flan, galettes, tartelettes , darioles, pate ferme et pate' feuillete'e , peches conserve'es et concombres conflts, jambons , dindes , bceuf fume', -sauce aux pommes, huitres marine'es, qu'il n'en fut jamais prepare dans aucun pays du monde conuu. Apres ce I'epas solide, tons retourneni au salon, oil il m'a tonjours paru qu'on restait aussi long- Icms qu'il etait possible de Se supporter mutuellement, et alors il y a levee en masse. — Manteaux, chapeaRjx, chales , et lout le monde part. » , Mislriss TroUope deplore le malheur, plus grand encore, de ceux des Etats oil I'esclavage est aboli. A ses yeux la marque d'une civilisation distingue'e, raffine'e, c'cst la demarcation fixe et inalterable des rangs; et b-s relations les plus agre'ables sont celles du maitre avec I'esclavc , du seigneur avec le valet. Elle respire quand elle voit un dumestique, ou un esclave, et si, au chagrin qu'elle te'moigne de ne point Irouver de rebgion dominante en Ame'riquc, a'ous la croyea ze'le'e e'piscopale ., blesse'e dans sa cioyance , rassurez-vous : les gens de bonne compagnie n'ont aucun de ces sentimens qui brulent I'ame, la foi , le patriotisiue . la charite'. Non, non. lis ont de la pliilantropie et de la grace, ne era- client point, se mouchcnt pcu , mangent de'licatement , et ilc diimandent 368. LIVRES ETR ANGERS. une religion e'tablie que pour la tranquillite' des braves gens qui soni disposes a n'en pas avoir du lout. 60. The Cromwellian DIARY. — he Journal de Cromwell, etcelui de Thomas Burton , mcmbre du parlemcnt sous les protecteurs Oli- vier et Richard Cromwell, depuis i656 jusqu'en 1689; public pour la premiere fois d'apres le manuscrit autographe , avec des no- tices historiques et biographiques. Londres, i83o; Colburn et Bentley. 4 vol. in -8°. Get ouvrage contient d'utiles documens sur une partie de I'histoire d' Angleferre qui excite toujours vivement I'inte'ret , et sur un homme dont la vie prive'e n'est pas moins curieusc que la vie pid)lique. 61. The lIfe a>d death of lord Edward Fitz-Gerald. — f^ie et mort de lord Edward Fitz-Gerald, par Thomas Moore. Londres, i83i ; Longman et comp. 1 vol in-8". EPISODE DE L'ISSURRECTIOS D'lRLAlKDE BIN 1798. Ce ne sont point re'cits d'un inte'ret purement local que ces bistoires des obscures conspirations, des sourds tremblemens de terre de I'lrlande. C'est dans cette petite ile opprime'e que s'est dcssine'e avec !e plus d'u- nite le caractere d'opposition de notre e'poque, incarne', en quelque sorte^ en la personne d'O'Connel. G'est aussi la que s'est le phis long-tems conserve I'esprit de clievalerie et d'aventurej I'oppoaition de nos jours est moins guerriere , moins francbe en son allure , mais aussi e'nergi- que, aussi violente peut-etre, sous des formes plus pacifiques; ou, du moins, elle marcbe plus surement a la conquete que I'esprit de rcTjelHon des tems passes. Celui-ci avait la temc'ritc d'une avant-garde ; toujours I'e'peeaupoing , re'clamantraidedere'trangerarme, ilpoursuivaitpardes moyens tout physiques re'tablissementd'ide'es tout abstraites , et mar- chait d'e'checs en e'checs. Souvent ilrendit pour un moment des forces au pouvoir, son ennemi , en h forfant, par des attaques inconside're'es et faites a I'e'tourdie, a rallier les interets, tout prets a se detacher du g^ouvernement dans les tems de calme , parce qu'alors il en est I'explo- rateur, au lieu de les prote'gcr et d'etre leur Tien. Les de'fcnseurs 3*68 opprimds , les Don Quichotte des peuples , ont ete' gene'ralement des hommes d'esprit generous , dont les anus ardentcs GRANDE-BRETAGNE. 369 ct tendres saignaient a I'aspect des miseres publiques, et qui, des I'en- fance, s'e'taient e'pris des vertus mortes des tems antiques, et de ces noms sonores qui s'embellissent , comine les coUines a'jl'horizon, comme les sons dans la montagne , par la distance et re'cho. lis revaient les vieilles re'publiqucs, oubliant que leur aristocratic pesait sur un monde d'es- clavts : ces hommes, tels que Fitz-Gerald , voulaient faire le bien du peuple, ne demandaient qu'a sacrifier leur vie pour I'affrancliissement dc la patrie , et n'ont su que mourir au bruit discordant des chaincs qu'ils avaient secoue'es. C'e'taient des Lommes d' action et non de con- duite , qui n'auraient jamais pu appliquer leurs theories ; et il est lieu- reux peut*etre , pour eux comme pour leuj' pays , qu'ils aient e'cboue' dans des Wntatives ge'ne'reuses . Ce n'est pas tout qu'etre plein de loyaute et d'ardentes sympathies, ce n'est pas tout que se de'voucrj on de'truit , mais on ne batit pas avec le sabre. Mahomet , je crois , seul entre les le'gislateurs , y a eu recours ; mais non de prime abord. II persuada avant de conque'rir, et s'assura que des masses le comprenaient avant de pousser une partie de ses tribus centre le monde. Je ne m'e'tonne pas que les populations paisiblcs de notretems he'sitent quand, pour appel au bonheur , a Tabondance , que la paix tient en son giroa , on brandit les armes , on bat le tambour dcA'ant elles. Fitz-Gerald e'tait le cinquieme fils du premier due de Leinster, et d'une fille du due de Richmond. II montra de bonne heurcune ame tendre et de'vouc'e , un courage tout guerrier, et des opinions iriandaises et inde'pendantes. II se distingua cependant , avant I'age de vingt ans , dans la malheureuse guerre d'Ame'rique. On lui avait donne une lieu- tenance ; il devint aide-de-camp de lord Rawdon , et , deja adore de sa famille, se fit che'rir de ses nouveaux camarades. Le ge'ne'ial Doyle, alors officier dans le meme e'tat-major , disait Vavoir jamais connu jeune homme plus aimable. « Ses manieres ouvertes et franches , e'cri- vait-il, sa bienveillance universelle , sa gaite cordiale , sa valeur presque chevaleresque, et , par-dessus tout , son ton simple et sans pre'- tention en font I'ldole de tons ccux qui servent avec lui. » Membre du parlement irlandais a son retour , puis e'leve a Wool- wich, t itz-Ge'rald ne passa pas son tems , comme la plupart des jeunes gens de sa caste , a courir apres la satietc. Ses joies e'taient celles du foyer domestiquc : ses lettrcs a sa mere sont d'un fils tendie ct de 370 LIVRES ETRANGERS. moeurs les plus douces et les plus aimables. Mele a la brillante oppo- silion de cette pe'riode , aux Grattans , aux Currans , « dcrnieres et c'clatantes gloires du cre'puscule de I'lrlande , » il seiuble avoir puise ses premieres ide'es d'affrancliissemeut pour sa patrie dans le dernier parlement national qui pre'ce'da I'union. Ccs sentiiuens^ couvaient dans, son ame quand , pour distraire un amour mallieureux , il alia errer de nouveau dans les solitudes du Nouvcau Monde. 11 est impossible de no pas donner quelqucs extraits des lettres qu'il c'crivit a cette e'poque , et , oil se de'voile tout entiere celte arae tendre et douce , pousse'c par les dispositions les plus sympathiques et les plus gene'reuses aux mesures et aux projets les plus violens. II s'adresse presquc toiijours rf sa mere; et voila la peinture qu'il lui fait d'un Philemon et Baucis d'.™e'rique, qu'il decouvre , loin des viiles et des villages isole's au milieu des forets. I « Je suis arrive' a un petit etablissement sur le bord de la riviere. Cast le fruit du travail d'un seul couple. Le vieillard a soixante-douze ans, la bonne femme soixante-dix. lis sont la depuis trente ans : ils y vinrent avec une vache, trois enfans ct un domestique. II n'y avait pas creature vivanle a soixante millc d'eiix. La premiere anne'e ils ve'curent du lait de la vache et d'herbcs des marais : la seconde anne'e ils parvin* rent, avec le produit de leurs peaux de daim et du poisson de leur peche, a acheter un taureau. De ce moment ils . prospe'rercnt ; main- tenant , ih y a cinq fils et une fiUe , e'tablis cliacun dans sa ferme , sur le bord de la riviere, dans un rayon de vingt millcs, tous dans I'a- bondance et le bien-etre. Le vieiix. couple vit seul dans la petite ca^^ hutte de bois qu'ils ont batie , et dans laquelle ils s'e'tablirent tout d'a-s bcrd, a une distance de deux milles de quelques-uns de leurs enfans. Cc sont ces memes enfans qui cultivent le jaidin des viejUards, ct qui leui fournissent, chacuu a propoition de la part de terrain qu'il a. relenufl pour sa propre culture , le beurre , le bid , la viande , etc. , de sorte qu« les vieilles gens n'ont a s'inquicter que de la teaue de la petite maisoo dont ils ont fait une sorte d'auberge , plus pour s'assurer la compagnifi du peu de voyageurs qui passent par la que par amour du gain. » Je fus oblige' de passer un jour avec le bon vieux couple , la mare'eJ necessairc pour rcmouter la riviere , n'e'tant arrive'e que le lendemai^ matin. Ce fut, je crois, ime des plus singulieres, conime une des plu agre'ables journecs de ma vie. Jc voudrais pouvoir voiis la de'crire i GRANDE-BRETAGNE. 87 1 luais impossible , si votre imagination ne vient a men aide. Voyez- moi , tres-cliere mere , arrivant sur le midi par le tems le plus chaud , a une petite cLaiimiere au bord d'un fleuve rapide , tout encaisse de bois. Pas iin^ maison en vue, Voyez une petite vieille, range'e , pro- prette , filant , tandis qu'un vieillard , tout pareil , sarcle ses planches de salade. Nous ayions remonte la riviere I'espace de dix mijles sans apercevoir autre chose que des bois. Le vieux couple, a notre arrive'e , devint aussi actif que si chacnn n'avait eu que vingt-cinq ans. Le bon homme apportant le bois ct I'eau , la dame faisant frire le lard et les oeufs. Tons deux parlantbeaucoup, disant leur hisloire, telle que je vous I'ai raconte'e : comment ils avaient passe' la trente ans; comment leursenfans e'taient e'tablis , et quand I'un d'eux tournait le dos , I'autre rcmarquait combien celui-la e'tait devenu vieux ! et , en meme tems , ils e'taient toute tendresse, complaisance et amour I'un pour I'autre. » Quel contraste ensuite cntre le tracas du jour et la douce, quie'tude de la soiree ! quand , I'excitation d' esprit des bons vieillards calme'e, ils commencerent a sentir le poids de la journe'e et de leur petit surcroit de travail! Ils e'taient assis paisiblement a la porte, a cette place oil ils avaient ve'cu trente ans ensemble ; la tendance se'rieuse de Icurs physio- nomies pensives et satisfaitcs e'tait accrue par I'age et la vie solitaire qu'ils avaient mene'e; le site e'tait riant, tranquille, mais sauvage; pas une habitation , excepte celte cabane. Pas une creature vivante , hors. moi , Tony et notre guide assis avec nos vieux holes sur le memo tronc d'arbre. Je songeais aux scenes que j'avais quitte'es..., a la distance immense qui me se'parait de tout ce que j'aimais. Quelle diffe- rence de la vie qui m'etait re'servc'e a celle de ce vieux couple!... Qui sait? Peut-elrc, a leur age, me'content, de'sappointe, miserable, souhai- tant le pouvoir..,! Ah chere bonne mere, si ce n'etait vous, jecrois que jamais je n'aurais revu mon Irlande!... Au moins pensais-je ainsi dans le moment. » - Le due de Richmond, oncle de Fitz-Ge'rald, avait obtenu une promo- tion pour le jeune militaire a son arrivee , et le commandement de I'ex- pe'dition pre'pare'e contre Cadix : d'un autre cote son frere , le dnc de Leinster, I'avait fait porter depute' du comte de Kildare. Le gouver- nement exigeait qu'il se separat de I'opposition; il pouvait du moins re'signer sa place; il nr le vouhil ! as , cl opla pour la deputation. 372 LIVRES ETRANGERS. Le ministere, en le privant meme du grade et des appointemeils qu'il avait gagne par ses services et eu exposant sa vie, ajoiita raigiiillou d'un ressentiraent personnel aux rae'contentemens patriotiques qui avaient jete' lord Edward dans Topposition. Le jeune depute so lia de plus en plus avec les wliigs, Sheridan, Fox .- et un voyage en France, en 179'^, acheva d'exaltcr ses ide'cs re'publicaincs. II ve'cut a Paris sous la tutelle de Tom Paine, renoafa publiquement a ses titres pour celui de citoyen, et , epris de Pamela , fille adoptive de madame de Genlis ^ Tepousa a Tournai, ayant pour te'moins de son mariage Louis-Philippe et son pere le due d'Orle'ans. Revenu a Dublin avec sa femme, heureux dans ses affections de famille , il se passa encore trois ans avant qu'il eut le cou- rage de metire en terrible enjeu , dans un combat a mort pour le salut de sa patrie, une vie si pleine de bonheur et d'espe'rance. L'Irlande gemissait cependant sous la plus effroyable terreur ; la France offrait sou exemple ct des secours aux populations opprimccs; I'association des Irlandais-Unis s'e'lait forme'e , de nombreux clubs pa- triotiques lui pretaient leurs cris, et loin d'alle'ger la charge de ceux qui se plaignaient, le gouvernement s'effor^ait d'e'craser les me'contens sous le poids. Le parti aristocratiquc , qui regnait alors en Angleterre, au- jourd'hui que son pouvoir est ebranle, conseille de de'porter im peuple qui demande du travail et a vivre, des pauvres qui veulent un abri et du pain : qu'on juge de sa conduitc alors qu'il e'tait tout puissant. « Pen- dant plus d'un siecle I'lrlande saigna comme une victime e'gorge'e, » dit Grattan. La conspiration s'e'tendait sur I'ile comme un vaste re'seau, et Fitz-Ge'rald se contentait encore de de'fendre ses compatrintes du haut de la tribuae. Ses lettres, e'crites de sa maison du comte de Kildare oii «sa chcre femme plantaitdes pois de senteur et de la mignonnette, oil un petit service a the , en porcelaine , cadeau de sa mere , les rendait si joyeux,)) sont rcmplies des douces ct casanieres sensations du menage. II s'y complait a parler des deux pelouses qu'il a semees devant sa porte, de la haie de cheyre-feuille et d'aubepine qu'il a plantee, de ses couches de fleurs, et du plaisir, « par une froide soire'c d'hiver, de s'as- seoir pres du feu de tourbe, apres avoir fait rentrer ses poules, cou- vert ses couches et ses espaliers, s'c'tablissant la , un bon livre a la main, entre Pam et le petit nourrisson. » Malgrc la pitic, malgrc oettc secrete ambition qui accompagne presque toujours une activite gene- GRANDE-BRETAGNE. 87 3 reuse , il eut peine a quitter tout eela j et le cceur saigne quand on met en regard de ces douces v^tus, de ce tranquille bonheur, la deplorable fin de Fitz- Gerald. Devenu cnfin I'un des cbels d'une conspiration , denoncee par uu de ses membres (un ne'gociant, qui e'cbappa a une faillite en vendant le se- cret et la vie de ses compatriotes), Fitz-Ge'raldfut aussi trabi, et decouyert dans la maison oii il s'etait cacbe. II se defendit comme un tigrc , s'e- lanca de £on lit sur Tofficier qui Ic sommait de sc rendre , blessa trois hommes a mort , rep ut une charge de pistolet , a bout portant , dans le bras, et continuait de lutter encore, quand il.fut renversepar une es- couade de soldats , lie' ct porte en pi'ison. II y raourut de ses blessures, et des barbares traitemens des vainqucurs. Non contcns d'interdire a un homnie presque mourant la vue et les soius consolans de sa famille , ils eurent la cruaiite de pendre-un de ses complices, presque sous ses yeux. II entendit le bruit de Fexe'cution , et sa patience et sa raison I'aban- donnant a la fois, il tomba dans un de'bre furieux, et ne reprit ses sens que pen avant sa mort. Ce fut alors seulement , deux beur^s avant d'expirer, qu'il lui fut permis d'embrasser son frere. .Le re'cit de M. Moore a plus de chaleur et de verve que les nom- breuses biographies qu'il a donne'es jusqu'ici. On sent que dans les jours de sa jeunesse il a partage les emotions patriotiques qui ont de'vore la viede Fitz-Ge'rald, et qu'en e'crivant I'bistoire du rebelie il a retrouve pour rirlande des battemens de coeur, que depuis long-terns il avait calme's au milieu des fetes"de Londres et des nuages d'encens prodigue's au poete gracieux , musque , qui toujours est couronne' de roses , qui toujoiirs lient a la fois la lyre et la riante coupe en main. 62. The Romance of history. — Le Roman de Vhistoire en Italie, par Charles Macfaih^ane. Londres, i832j Bull. 3 vol. in-i''i. Recueil de scenes inte'ressantes qui se rattacbent a I'histoire d'ltalie : jdusieurs ont e'te' ecrites sur les lieux memes £t en presence des e've'ne- mens; les autres, d'apres des notes prises par I'auteur pendant ses voyages. 374 LIVRES ETRANGERS. 63. Francis the first. — Francois premier , drame historique, par Frances Ann Kemble. Troisieme edition, Londres, iSSa; Jolin Murray. In-8° , broche et dore siir tranches; prix , 6 fr. 6o c. DEBDTS LITTERAIRES. Trois editions en quelques jours valent tous les e'loges, quand dies nc sent pas une speculation ; et le notn de M. Murray est une garantie cer- taine contre tout soupfon de cbarlatanisme. Cependant , quoiqu'il y ait des cboses tres-remarquables dans la piece de la jeune et belle ac- trice , dont le nom est deja celebre a plus d'un titre dans sa patrie , son extreme jeunesse , a I'e'poque ou elle e'crivit ce drame ( elle n'avait alors que dix-sept ans), et sa juste reputation au the'Atre, n'ont point ete'tout- a-fait e'trangeres au brillant accueil que son poemea recu da pubbc. On a applaudi a son oeuvre corame a elle-meme ; mais il y a des promesses assez riches dans le Francois premier pour justifiercet elan d'enthou- siasme. Voila le second essai dramatique d'une jeune Anglaise que je vois , s'e'cartant de la route des trage'dies du jour , remonter vigoureu- sement yers Shakespeare et arborer les vives couleurs , s'empreindre dc lamaniere fortement accentue'e dece pere du drame. Les Esquisscs Tra- giques de miss Anna Rennie , qui parurent il y a quelques anne'es, dans des recueils litte'raires,avaient meme encore davantage de la verve apre du vieux poete , qu'elle et miss Kemble ont certainement e'tudie. Cela n'est pas e'tonnant : moins jeune , on pourrait presque dire ( si une oeuvre si puissante re le defcndait ) moins enfant que le precoce auteur de cettc derniere trage'die , miss Rennie avait plus 'e'prouve' : sa physionomie, pleine de sensibilite etd'intelligence, trahissaitdes emotions interieurcs. La chambre obscure du poete est au fond de son ame , c'est la que le genre humain sc reflete, la seulement qu'il le pent e'tudier. Le plan de la trage'die de miss Kemble est plus complique que sa- vant, et tout-a-fait sur lamodele des anciennes pieces. Le connetable de Bourbon est rappele du commandemcnt de I'arme'e d'ltalie , parce que la reine-mere I'aime et le veut voir. Elle gouverne le royaume par son fils et pretend le re'gir tout-a-fait avec un e'poux de son choix ; mais elle a trop d'aiubition pour etre amoureuse, ou est trop passionne'c pour tant aimer le pouvoir. Les.grandes passions ne domineut pas toujours le caractere, mais invariablenient elles se de'vorent I'une I'autrc, et ne se partagent pas un cceur. Louise de Savoic, la reine-mere, ainsi que Tap- GRANDE-BRETAGNE. 3']5 pelle miss Kemble , qui fut , selon Me'zerai , passionnee et ambitieuse, a pu I'etre alternativement , mais non a la fois. Le counetable aime Marguerite, sceur de Francois premier, me'prise Ja reine, s'indigne d'un injuste rappel , et, violent, bautain , donne des armes a son enneraie ; il est mis en- prison , condamne , s'c'cbappe , etva, a la tetc des arme'es de Charles-Quint, se venger sur la France meme et sur son roi ,.a la fameuse bataille de Pavic , de la faiblesse du monarque ct des outrages de sa mere. Voila une des actions. Passons a la deuxiemc, qui s'y trouve encadi'ee. Francois, dont le ca- ractere le'ger, gracieux, plein de vanite et d'insouciance , fort commun dans la jeunesse aristocratique , est peint avec des touches fines et vraies par le jeunc autcur , devient e'pris de la belle Francoise de Foix, sceur de Lautroc, promise a Laval , ami d'enfancc de son frcrc. Le roi a tout ce brillant qui seduit Ics yeux. L'innocente ct pure jeune fille I'aime, et fait de vains efforts pour e'chapperaux dangers qui I'entourent. Lau- trec, parce qu'il est son frere, est nomme' a la place de conne'table, et part pour I'llalie , accompagne du fiance de Francoise : cette derniere , apres avoir recu iiii billet d'amour du roi , se retire dans son chateau. EUc en est arrachee paries prieresdeson frere. Vaincu^n Italic, ayant perdu Milan ; arrete', condamne' comme traitre, il demande I'inteixession de Franfoisc : tremblante , a demi morte , elle va implorer du roi la grace de Laiitrec ; de cc moment, clle est perdue; elle racliete la vie de son frere, et revient pleurer son de'sbonneur dans ce chateau ou elle avait cherche' en vain a abriter son innocence. Son fiance , qui accourt, plein dii bonbeur de la revoir , apprend d'elle-merae son affreux mal- heur; elle se poignai'de en sa presence, et le roi , cache derriere une tapisserie , est le te'moin de'sespert' de cette mort. Laval expire de dou- leur, peu apres Francoise ; Lautrec, desertant aux Espagnols, cherche a venger sa soeor , a la bataille dc Pavie , et perce le fou Triboulet qui se jette au-devant de son maitre. - Une episode lie ces deux actions entre elles, mais d'un noeud peu serre. Gonzales , confesseur de la reine , est u-n certain don Garcias , qui , sous le capuchon d'un moinc , vient remplir les secrets desseins du roi Charles-Quint , et attirer dans son parti Ic conne'table de Bourbon : avant tout, I'Espagnol veut assouvir sur le jeune Laval une vieille et ardente vengeance. Le pere du fiance de Francoise a de'shonore et aban- donne' la sceur de don Garcias : la reine-mere , qui prend cet Espagnol 376 LIVRES ETRANGERS. pour instrument, est ellc-raerae un jouet entre ses mains : die le charge de lui amencr le Conne'tablc de Bourbon ; il le fait evader : elle lui donne ordre d'empoisonncr Francoise de Foix , dont elle craint I'influence sur le roi ; Gonzales trouve un plaisir plus ral'fine a montrer a Laval sa fiancee de'sLonoree que morte ', et va au supplice , apres avoir de'voile' la reine, ens'e'oi'iant : • « Apres la richc coupe que mes levres vienuent dc se'cher , le reste » e'tait sans gout, sans saveur, dcgoutant; ma vie n'avait de but, de joie, » de fin que la vengeance; la vengeance est satisfaite. Adieu la Vie. » ( II sort). En de'pit de cette belle sortie , ce role , a mon avis , est le moins bon de la piece. Comme les traitres de nos melodrames, Gonzales a beau- coup de mouvement et point de vie. Ce sont de cos machines a vapeur de passions qui font de la vengeance, ou de I'amour, ou de Tambition, en quelque sovte par une loi mecanique. II y a plus, beaucoup plus dans le conne'tablc j sa fouguc, sa vio- lence, que I'exil et le pain de I'e'tranger ont calme'es ; ses cheveux qui se sont blanchis, ce front qui s'est silloune, pendant que le nom de trai- tre re'sonnait partout autour de lui , c'est la de la nature humaine dans sa ve'rite; plusieurs mots sont heureux. La reine, loi'squ'elle a etc re- pousse'e par le conne'tablc , et quand I'amour du roi pour Franfoise la menace de la perte de son influence , s'exprime ainsi avec une heureuse e'nergie : « Je voudrais que ce qui luit de beaute dans les yeux de chaque | » femme fut eteint ! je voudrais qu'une difformite repoussante eut seule ' » e'te le partage" de loutes les femmes ! » Le jeune auteur, ce qui est assez naturel a son age, a donne' une pu- rete a Clement Marot, centre laquelle la muse e'grillarde du poete re'- clamerait sans doutej mais il est e'tonnant, qu'une si jeune fille ait pu semer sa piece de mots de passion aussi vifs que ceux-ci. Laval, le fiance' , passionne'ment e'pris dc Francoise de Foix , revenant a elle apres une longue absence , re'pond a Gonzales qui insiste pour lui parler : «' Veux-tu que je t'e'coute sans t'entendre , te rcgarde sans te voir ? » Arriere , arriere ! jusqu'a ce que mes oreilles et mes yeux se soient » enivre's d'elle, je suis aveugle, sourd, prcsque fou. » J'aurais voulu citer une charmante scene entre le fou et son roi , mais Ic terns, la place me raanquent e'galemcnt , et il vaut mieux lire cette i ALLEMAGNE. 877 scene et beaucoup d'autres dans la trage'die de miss Kenible. Son nom e'tajt dcfja bien haul place sur la scene , et elle promct dc le faire gran- dir encore , non-seuleuient par ses talens comme actrice , mais comme auteur. Adelaide Montgolfier. ALLEMAGXE. 64. Der Polar Stern. — L'Etoile polaire, journal cosmopolite-con- stitutionnel , re'digepar le Dr. Jos. Gambihler, Wurrbourg, i832. Ce journal parait deux fois par scmaine en une feuillc in-^"; prix, 6 florins ou 4 thalcrs (1). TENDANCE DE I.A PRESSE PKRIODIQUE. S'il est vrai que TAllemagne soil a la veille d'une grande re'forme sociale , il faut , pour connaitre la direction que celte revolution va prendre, interroger I'esprit des jonrnaux les plus avances. Malgre la censure qui pese sur tons les e'tats de la confederation germaniqiie, un nombre intini de feuilles libe'rales sont ne'es dans ces derniers tems comme par encliantement , et ont trouve des les premiers jours de leur apparition des milliers d'abonnc's. Li's gouvcrnemens ont ete amene's, ( chose inouie en Allemagne I ) a fonder des journaux pour leur defense, force's ainsi par la puissance de I'opinion de descendre dans Farene po- litique, et de soutenir avcc la raison publique une lutte don' Tissue ne pent elre douteuse. Parmi les journaux propremerit dits, la Tribune jdllemande sert aujouid'luii de point de ralliemcnt a tons les Allemands qui demandent unite et confederation re'publicaine pour leur patrie. Ce journal , qui s'occupe peu des nouvelles quotidiennes , et se pre'sente plutot comme un cours de politique ge'ne'rale a I'occasion des e've'nemens particuliers , a pris un langag.e dont la bardiesse scrait remarque'e meme en France , mais qui ne doit pas raoins etonner par sa precision, sa clarte' et sa souplesse , lorsqu'on songe que I'idiorac politique est tout entier a cre'er en Allemagne. Les autiTS journaux ne suivent que d'assez loin la Tribune , cacbant la meme tendance sous une forme moins bardie, ou se bornant a pours"ivre un but plus e'troit et plus rappi'oche'. Cependant les feuilles es A-'erstorbenen etc. — Leltres d'undefunt: jour- nal fragmentaire d'un voyage en Angleterre , dans le pays de Galles, en Irlande et en France , pendant les annees 1828 et 1829. Munich, i83o; Franckh. In-S". I,E PAYS DE GALIiES — O'CQDiniEt ET L'IRLANDE. Cos lettres ont etc e'crites par un grand seigneur brillant, qui ne manque pas de parler de son rang et de sa naissance toutes les fois que I'occasion se presentc , niais qui descend volontiers de sa hauteur sociale pour se meler parmi les basses classes et e'tudier les moeurs du peuple. II ne se nommc pas et nous n'a.vons du reste aucun renseignement sur sa personne. Adresse'es a une dame, ces lettres contiennent, comrae le litre I'annonce, ]a relation d'un voyage en Angleterre, en Irlande et en France. On y trouve ce qu'on trouve dans tous les voyages qui ne sont pas pre'cise'mcnt scientifiques, des descriptions de paysages, des tableaux de moeurs, des considerations sur I'histoire, sur la politiqtie, des anecdotes, etc. Mais cc que Ton rencontre assez rarcment dans ces sortes d'e'crits , ct ce qui fait un des principaux merites dei celui-ci , c'est un style facile et gra- cieux, qui parait avoir e'te' models sur les formes de la prose fran^aise ; c'est une suite de petites phrases , habilemcnt coupees, se mouvant avec facilite, rangees en groupes e'le'gans et parfois vivement colore's , parfois aussi defigures par des locutions vicieuses , par des gallicismes. L'auteur partde Londresau milieu de juillet 1828 et visite les mon- tagnes pittoresques du pays de Galles : il gravit le Snowdon qui en est le point le plus e'leve'. Les habitans n'ont ni I'industrie active des An- glais, ni I'csprit ardent d*s Irlandais : mais ces pauvres et simples montagnards ont conserve toute la purete des moeurs antiques. L'auteur trouve parmi eux les descendans des ancrens bardes , qui se rcunissent tous les trois ans pour se disputcr le prix du chant. Une coupe d'or est la recompense du vainqueiTr et cent harpes redisent sa gloire dans les mi- nes de Denbigh-Castle oil cette solcnnitc est cc'le'brc'e. Tout dans ce pays rappclle les tems anciens, les Anglais eux-memes y font construirc leurs maisons de campagne en style gothique. L'auteur vit une aubcrge, situee sur la grande route, qui e'tait pourvue d' embrasures et de cre- neaux. Outre im grand nombre de vieux chateaux de'truits , il y a dans le pays beaucoup dc ruincs aitificiellcs, qui sont souveut d'un aspect ALLEMAGNE. 383 fort ridicule ; un Anglais entre autres a fait peindre une de ces moder- nes antiquites en bleu de ciel. Lcs Anglais sont aussi bizarres dans ce pays-la que partout ailleurs. lis s^enferment dans leurs maisons de cam- pagne, se banicadent derriere ces ruines qui datent de la veille et n'ou- vrent leur porle a personne . Du pays de Galles notre voyageur passe dans File d' Anglesey, qui est entierement nue; I'ceil n'y de'couvre que des champs, des plaines que des plaines prolongentj nuUe part un arbre, pas meme une haie, un buisson . De I'ile d' Anglesey en Irlande, le trajet se fait ordinaiiement en huit heures : notre voyageur fut retenu plus long-tcms par une mer agitee et des vents contraires. « L'Irlaude , dit notre prince alleruand , a plus d' analogic avec 1' Alleraagne qu'avec I'Angleterre. On n'y ti'ouve point cette Industrie raffine'e, cette civilisation pousse'e jusqu'a I'exces , qui caracte'risent la Grande-Bretagne ; mais aussi on y cherche en vain la pro- prete anglaisej les maisons et les rues sont sales • le peuple est convert de haillons. H s'en faut aussi que la campagneait la meme fraicheur qu'en Angleterre,le sol est neglige', etc. » Les Irlandais ne sont pas plus heureux depuis 1' emancipation : ils ne sortiront point de I'etat de misere et d' abjection oii ils se trouvent , tant que les richesses et la culture intellectuelle seront I'apanage exclusif des Anglais, Du restela nation irlandaise est doue'e d'un caractere aimablej I'imagination parait etre la plus e'nergique de ses faculte's. Dans aucun pays on ne trouve autant de traces de poe'sie populaire qu'en Irlande. Noire voyageur fit une visite au fameux O'Connel. II se rendit a son chateau en suivant la cote d'lneragh : « Des rochers noirs, tortueux, de'chire's, remplis de cavernes profondcs, dans lesquelles la mer se prc- cipite avec le fracas du tonnerre, en faisant jaillir dans les airs son c'cume blanche, qui se scche ensuite en plusieurs endroits et que le vent disperse en largcs flocons et porte j usqu'au plus haut sommet des monlagnes; les cris plaintifs et percans des oiseaux marins que Ton en- tendait a travers le bruit de la tempete ; les hurlcmens continuels des vagues qui s'elancaient quelquefois jusqu'aux picds de mon cheval : ajou- tez a cela I'isolcment ou je me trouvais, loin de tout sccours humain, une grosse pluie qui tombait sans discontinuer, la nuit qui allait me surprendre sur un chemin qui m'e'tait entierement inconnu : j'avouc que J ctais loin de me sentir a mon aisc. » Notre voyageur, apres avoir e'te plusieurs fois en danger dcpcrir, parvint cnfin au rjuilcnii H'O'ConnrI . 384 LIVRPS ETRANGERS. situe au milieu des rochcrs. « tin iaqiiais e'legainmt'nt vetii, dcs flam- beaux d'argent a la main, m'ouvrit laporle, ct j'apcrcus une vingtaine de personnes assises a une longue table- on etait au dessert. Un homme grand et beau vint vers moi, et, d'un air fort gracieus, dit, en me faisant mille excuses , qu'il ne s' etait pas atlendu a me voir si tard; ensuite il me pre'senta a sa famille, qui formait plus de la moitie'de la societe', et me conduisit dans ma chambre acouchcr. C'etait Ic grand O'Conncl. Le lendemain, j'eus occasion de I'obsorver a mon aisc. II surpassa men attente. II a I'exte'rieur le plus avantageux : son visage porte a la fois I'empreinte de la bonte et de bautes faculte's intellectuellcs, jointcs a la prudence et a la fermete. II a peut-etre plus de faconde que de veritable eloquence • on remarque souvent de I'affcctation , de la recherche dans ses paroles. Ne'anmoins on suit avec inte'ret la deduction vigoureuse de ses argumens. II manie fort bien la plaisanlerie. Son exte'rieur est plutot celui d'un ancien general de Napoleon que d'un avocat de Dublin. Ce qui rend cette reSserablance plus frappante , c'est qu'il parle tres- bien fi-anfais ; il a fait ses etudes chez les je'suites de Douai et de Saint- Omer. II est d'une maison tres-ancienne. Ses amis pre'tendent meme qu'il descend. des rois de Kerry. Sa famille lui te'moigne un profond respect. II .a maintenant cinquante ans et il est encore parfaitement con- serve. Sa jeunesse a ete'tres-orageuse. Une affaire d'honneur, qu'il eut il y a environ dix ans , lui fit une grande reputation de bravoure. Les protestans , auxquels ses talens commen9aient a Ic rendre redoutable , avaient soudoye un certain Desterne ^ bretteur de profession , qui parcou- rut un jour les rues de Dublin , arme d'un fouet, disant qu'il avait en- vie d'en cingler les epaules da roi de Kerry. Une rencontre eut lieu le lendemain matin : O'Connel tua son adversaire d'un coup de pistolet. .. Son ambition mc parait demesurc'c » S'ilfaut en croire notrc prince allemand, lady Morgan, a laquelle il pre'senta c'galement ses hommages,n'apas des manieres fort distingue'esj elle affecte une aisance , un abandon qui raanquent de naturel. Elle a la manie, qu'ont les Anglais en general , de vouloir passer pour tres-re'pan- due dans le grand raondc. Dans le moment elle est occupee a ecrire un nouvel ouvrage, intitule : Memoire de moi etpoitr moi. Api'.cs un scjour de six mois, I'autcur quilte I'lrlande pour rctonr- ner en Angletei're, et passe ensuite on France. Ses lettres sur Pans n'offrrnt ricn do rcmarquable. U. ALLEMAGNE. 385 7a. Mullnek's Werke. — OEiwres de Mdilner. Supplement, con- tenant la biographic de I'auleur , par le docteiir Schtjtz, et une An- thologie dcs j)ense'es les plus piquantes et Ics plus spirituelles de Milliner sur la vie , les beaux arts et la litte'rature , extraites de ses ouvrages. Meissen , i83o; Goedsche. 4 vol. in-i8^ avec un portrait et UD fac-simile de Milliner. Peu de tenis apres la rriort de Miiilner, nous avons donne' dans cetle Revue (cahier d'aoiit iSiig) une notice de'laillc'e sur sa persftnne et ses ouvrages. Tout en rendant une e'clatante justice au talent remarquable de cet e'crivain , nous n'avons pas dissimule les causes qui lui avaicnt valu de la part d'un grand nomljre de ses compatriolcs peu d'cstime et en- core moins d'af'fectiou. Aujourd'hui son ami devingt ans, M. le docleur Sclnitz, vient, aveciin cynisme dontil est difficile dese faireide'e et dont la litte'rature allemandc offrait, je crois, peu d'exemples , devoilerles mysteres de sa vie prive'e. Le caractere de Miiilner jouissait de pou de consideration ; cene sera pas la faute de son ami le plus fi dele (c'est ainsi que se nomme lui-meme M. Schiilz) , si le mepris public no. s'attache point a sa memoire. Mercenaire, vaniteux , grossier, intrigant, vindi- catif , et peu de'licat sur les moyens de satisfaire ces penchans ; voila les attributs sous lesquels Miiilner apparait dans cc tableau, qui inspire un profond de'gout. L'auteur, du reste, e'poux d'une actrice celebre (madame Hendcl-Scbiilz) , caraarade de MiJUnei et mele dans une foulc de querelles litte'raire du meme genre que les siennes, se montrc peu soucieux de sa propre reputation , a en juger par la maniere dont il s'exprime sur lui-meme et les cLoses qui le toucbent de pres. Peut- etre ces defauts sont-ils les qualite's du biographe: M. Scbiitz a e'crit la vie de la duchesse d'Orle'ans, celles de madame de Stael , de Louise Brachmann, etc., et Ton ne saurait sans injustice lui nier I'amour de la ve'rite ; de pareils ouvrages sont utiles, car il importede pouvoir donner a chacun la part d'estimc qui lui revient j mais peu de personne beu- reusement se sentent la mission d'en e'crire. On ne doit done pas s'attendre a nous voir enregistrer les turpitudes recueillies avec tant de soin par M.. Scbiitz. Quant a I'antbologie tire'e des ceuvrcs de Miiilner, bien qu'elle n'ait pas grande importance , i! eut e'te' facheiix qu'un assez bon nombre de pensees ingcnieuses fusscnt demeurees enl'duies dans des feuilles de pole'mique , oil mil lecteur u'ac- 386 LIVRES ETRANGERS. rait etc les rechercLer. Les morceaux principaux de la collection sont, outre quelques poesies et des critiques litte'raires, des fragmens d'un vo- cabulairc the'atral , des observations sur le rythme et la de'clamation , et une correspon dance dramaturgique avec Methusalem Miiller. Tout cela, pe'fillantdesagacite, porte d'ailleurs I'empreinte de I'aigreurquedistille continueilement la plume de Milliner. Dans sa pole'mique, il est toujours personnel • c'est rarement pour une ide'e qu'il combat , mais pour des in- te'rets d'amour-propre. Naturellement lache, il craint de provoquer des jouteurs dont la verve satirique accepterait le defi ; et il a soin de s'en prendre a des hommes d'luimeur inoffensive et essentiellement pacifi- ques, tel que Brettiger, Auguste Lafontaine , etc. II semblc meme comj)ter quelquefois sur le silencieux me'pris des bommes superieurs pour les attaquer sans danger pour lui-meme. C'est ainsi que Tieck et Goethe ont e'te' de sa part I'objet de grossieres rae'chaucetes, qui occupent une place notable dans les volumes de Y Antholo^ie. Son venin n'a me- nage personne : nous avons trouve avec indignation, parmi ses poesies, une e'pigramme centre son amie et compatriote Louise Brachmann , poete plein de grace et de sensibilite j e'pigramme d'autant plus cruelle qu'elle de'voile une faiblesse dont I'amitie' seule devait etre instruite : il y en a une aussi contre madame d'Artner_, auteur connu par de belles poesies lyriques, qui, pe'ne'tre'e d' admiration pour une trage'die de Milliner , die Schuld , en avait elle-meme compose une autre , die That , destine'e a lui servir d'exposition. *** 73. BiBLIOGRAPHISCHES LeXICON DER GESAMMTEN LiTTERATUR DER Griechen und Roemer. -^ Dictionnaire bibliographique de la litterature grecque et latine , far S.-F.-W. Hoffmann. Premiere partie: Grecs. Leipzig, i83o; W. Gauck. In-8". 74'NeueBriefe ueber Landschaftsmalerei.— iVoat'^ZZe5Zelie' par Bartolomeo Gamba. Venise , i83i ; imprimerie d'Alvisopoli. PREMIERS ESSAIS DE LA PROSE ITALIENNE. En Italic comme en France on a pris gout aux vicux auteurs et au vieus langage. G'est ce qui arrive immanquablement apres les siecles d'affe'terie et de pauvreles pompeuses. Le frere Guido est un conlemporain du Dante; il le cite souvent avec admiration , et I'imite meme comme dans le fameux Infandum, regina, jubes, qu'il traduit tout simplement par ces propres mots d'U- golin dans I'Enfer dantesque : Tu mi commandi ch'io rinnovelli dis- perato dolore che'l cuor mi preme. Sa prose peut seryir au besoin a e'claircir, a justifier certaines formes , certaines allures qui paraissent e'trangcs dans les vers d'Alighieri.. Ces rapprochemens de langue ont e'te fails pardes philologues italiens, etn'ont en effet d'inte'ret que pour eux. Les e'trangors ne sont pas place's pour appre'cier ces travauxd'e'rudition. La publication de M. Gamba n'est qu'une reimpression. Le livre du carmc pisan ctait deja connu par une edition public'e- a Bologne en i8'24j sous le litre de Fleur d' Italic , e'dition phis correcte et plus sure que cclle de Venise, et que M. Gamba parait avoir ignore'e, tant elle est peu re'pandue dans la librairie. L«s Italiens font un cas lout particulier de la prose de frere Guido, ils en vantent la proprie'le, !a n.cttete, I'c'le'gance , la brie'vete' surtout et la candcur, deux qualite's inhe'rcntes au siecle , et dont le secret est perdu. Son livrc n'est qu'une paraphrase du poete latin; mais lorsqu'il ITALIE . 393 le traduit . sa traduction ss distingue de toutes celles qui Tont suivie par an colons poe'tique et franc, qui met toujours en relief I'image ori- ginale ; pour ma part, je pre'fere de beaucoup la concision du moine aux longues et harmonieuses periphrases des autrcs interpretes italiens , et souvent au traducteur classique de Virgile, a Caro lui-raeme. Nos voisins d'outre-raonts aiment frere Guido comme nous aimons, nous, messire Amyot. Ni I'un ni ['autre ne brille par la fidclite litterale; lous deux, au contraire, s'en piquent peu, et se livrent aux caprices de jeur imagination avec une bonhomie qui de'sarme la critique. Leur terns d'ailleurs se i-eflete dans leurs traductions 5 et, si onneles lit pas comme tellcs, on les lit toujours comme monumens de leur epoque; elles ont I'une etl'autre, sous ce rapport, tout le charmc .de I'originalite. Je n'oserai dire, en ve'rite, si le bon Plutarque ncdoitpas une grande partie de sa popularite aux naivetes de son traducteur infidele. Quelque e'trange qu'il puisse paraitre de traduire une traduction, je Tais essayer de donner aux lecteurs fran^ais une idee de la prose du frere pisan , en traduisant litte'ralement sa paraphrase d'un des passages les plus touchans du quatrieme livre; c'est le discours de Didon a sa scEur Anne : — « Anne , ma soeur , quels songes e'tranges m'ont tenu cette nuit I'esprit en suspens. Ce gentdhomme arrive' chez moi m'est entre' si avant dans le cceurl Je ne sais quel il pent etre. Sa politesse, son maintien, ses manieres , son beau et orne langage me donnent a croire qu'il est ne de la famille des dieux. Et n'e'tait que j'ai mis en mon coeur de ne me jamais remarier, et ainsi I'ai-je prorais a la cendre de Si- che'e, jete dis, Anne ma sceur(i), qu'il me plait tant que je neprendrai pas d'autre niari. Je connais les signes de la flamme antique; et cct amour que je portai a Siche'e quand il vivait , je me le sens raaintenant renouveler dans I'ame. Mais avant que je rompe ma foi , je prie Dieu qu'il me foudroie du haut du ciel, ou qu'il me fasse engloutir a la terre. Cela dit , elle se baigna toute de larmcs. » \oici un autre passage qui n'est pas moins gracieux. C'est la Icfon de Venus a T Amour pour rendre Didon eprise d'fine'e : — «Mon fils , lui dit-elle dans la prose du moine , toi qui seal es ma force et ma puis- (1) Le bon frere dit : Anna Sirocchia men. ... II est impossible de tra'luirc ce qu'il y a de grace dans ce charmant diminutif Sirocchia, et dans ce mia rejet^ a la fin, nonplus que dans la phrasesuivante : life entrain si nel cuore .' TOME I.III. FtVKIER 18.52. 26 v3g4 LIVRES ETRANGERS. sance, je recours a toi et j'implore luimblcment ton pouvoir supreme^ poui- que tu enflammes la reine Didon d'amour pour ton frere Ene'e. Et , afin que ma volonte soit exe'cute'e, e'coute Ic moyen que je mets en ta main. Ascngne quitte en ce moment le vaisscau par I'ordre de son pere pour aller ii Carthage. Je veux I'enlevcr ct rendormir doucement dans mcs bras : ct ainsi tonte cettc nuit je le forai reposer. Toi , prends les traits ct I'expression deson A'isage; ct, transforme dans sa personne, rends-toi auprcsde Didon, Lien pe'ne'trc de mcs paroles. Quand tu seras a sa table royale ct qu'elle t'aura rcgu avec joie, t'embrassant et te cou- vrant de baisers, inspire-lui et verse en son sein un feu occulte d'amour. » II serait curieux de comparer la jirosc du tre'centiste italien aux vers du poete d'Auguste. J'y renvoie le Iccteur , a lui le soin des rap- proclicmens. Si.L'Eneide, etc. — V Eneide de Firgile , travestie , par Jean- Joseph Busiz, reduite aii pur dialecte du Frioul, par J.-B. Dalla Porta. Udine , i83i j Imprimerie Vendame. DU DIALECTE FRIOULAIS. Chaque canton de I'ltalie a son dialecte , et cliaque dialecte sa litte- raturc j le Frioul a I'un et I'autre. C'cst une des terrcs les plus origi- nales de lltaliej la nature anime'e et inanirae'e y a garde ce sceau primitif qu'efface peu a peu la civilisation , et que regrette toujours I'artiste et souvent le pliilosophe. Le Frioul touche a des peuplades non moins pittorcsques , non moins individuelles • les Monle'ne'grins sont a sa porte , le Tyrol les I'ei-me au nord , et les Alpes carniques le pre'servent de la civilisation avorte'e de Laybach ct de Klagenfiuth. Son dialecte, ne de cette langue romance que parlent encore quelques valle'es grisonnes , incline beaucoup au proven(;al. II en a le caractcre ct I'allure; et, par exemple, la confor- mitc' , j'ai presque dit I'identite' , des pror.oms est si frappante entre les deux langages , qu'elle laissc peu de doutes sur une origine commune. Le dialecte frioulain est riche aussi de mots e'trusques , et cette circonstance sert a confirmer la tradition aiitique qui fait voyager des co- lonies d'Etrurie dans ces regions alpines^et attribue mcrae aux ancicns Toscans {Tusci) la fondation anti-roraaine de la petite ville re'tliique de Tusis. L idiome primitif a reru quelques formes e'lrangcres parson melange ITALIE. 595 avec les dialectes slaves, avec Tallemand et le ciml)re. Et pour ce qui est de ce dernier , on sait qu'il a e'te' conserve intact par Ics Sept Com- munes , et qu'il est parle encore aujourd'hui par ellcs presque aussi pu- rement que par leurs ancetres au terns de Marius. C'est a la de'faite de ceux-ci par le consul ple'be'ien que I'liistoirc , ou pjutot la tradition, fait rcmonter retabiisscment de cette petite colonic cimbriquc au milieu des peuplades italo-re'thiques. Un des poetes les plus distingue's qui ait illustre' le dialecte du Frioul est le comte Hermes de Colloredo. Ses vers, a peine manus- crits , datent de la moitie' du dix-septieme siccle. Leur elegance natu- relle ct chatie'c nedevait pas faire fortune dans ce siecle d'empbase et de concetti. Le siecle suiv.int fut plus juste , et en i y85 ses poesies furent publie'es a Udine , cliezles freres Murero. Une nouvelle e'dition splendide vient de voir le jour chez Martiuzzi , par les soins de son compatriote Zorutti, poete lui-meme. L'Ene'ide travestie de Busiz^eut le meme destin. Gomposc'e, a ce qu'on croit, vers la fin du dix-septieme siecle , elle rcsta manuscrite et presque inconnue jusqu'en 177 J, oil Josepb Tommasini la publia a Gorizia. L'ltalie est riclie en parodies de I'Encide; Lalli I'a travestie en ita- lien pur 5 Aversa en sicilienj Sitillo, le grand parodiste, en napolitain, Voici le debut de ccUe de Busiz : L'eroe troian io chianti Dal quale e derivat II sang latin e i sen ators alhans, Che sucessivamenti han fabricat, Sul Tever so;rifignon Roma sassina Ch' il mond lia strassinat dut in bcrlina. Jean-Joseph Busiz est mort le 1 1 avril 1743 ; il e'tait ne a Gorizia. Or les erudits pre'tendent que cette ville ne parle point le frioulain pur, et que le dialecte national conserve et parle sans alliage a Udine , a Gemona, a Codroipo , et surtout a San-Daniello, a ete sensiblement alte're par le voisinage del'EscIavonie , et par les relations de commerce avec le Val Resia ct San-Pi ero degli Scbiavi. Hs disent que le go- nzien differe autant du frioulain que le coraasque du milanais, le nor- 26. 39O LIYRES ETIUNGERS. cicn dii toscan. J.-B. D.illa Por;a , pocte aiissi du Frioul, s'est institue restaurateur de Busiz; il s'est cliarge d'e'monder I'arbre , d'en arra- cher le i::;uy parasite , et d'y enter a la place la pure f;rcffc frioulainc. Mais , tout en donnant la chasse aux idiotismes goriziens , il me semble avoir au;si donnc la chasse a I'originalite , en modernisant le vieux costume de Busiz. Ce qu'on aimc dans ira antique auteur, c'est son anti- quitc meme ; le rajeunir, c'est lui oter son cliarmc et son individualite'. Ensuile le modernc corrcctcur est par trop pudique • la bonne farce de son compatriote le fait rougir , et il lui substitue un atticisme qui. pent etre de fort bon ton , mais qui fait disparate avec I'original et le dena- ture totalement. Otez a Scarron ses grosses saiilies , que lui restera-t-il ? Pour ma part je ne goute guere les parodies ; mais a ceux qui les aiment il faut les livrer telles quelles. Voici deux octaves de la parodie briginale ; elles suffiront a donner une idee et de I'auteur et du dialecte. C'est le discours d'Anne a Didon pour lui faire e'pouser Eue'e , et lever Ips scrupules , dont nous avons , dans I'article precedent , donne' la paraphrase italienne du bon moine pisan Guido. Solajie , dit \ ir^ile , perpetua moerens carpere ju- venta ? etc. Cuino , dit Busiz : Cumo die in fazza un legri avril )i rid, T'us cousuina la zovintut biel sola ? Cumo che la furtuna el cil t'arrid , No f us fatti schialda ne ang la carriola ? No l' us accompagnati e fa '1 to nid , Cumo che in chiasa to nas la viola ? No t' us da succession al to regiran , E a plena taula t' us mori di fan ? Co s'incurin i muarz di ce cliepassa Nel mond dopo rhc lor son srpilliz ? Ciedi tu mi) che i to Sichco s'ingrassa In vcde che nou i' us altris mariz ? Eh ! sur me cliiara, ce eh' fc massa e massa. Che tang amanz da le staz aborriz Scin in passat, io tas , plasut non t' an ; Mai al to geni parce non dastu man ? etc. (1) J 'engage les amateurs dy genre burlesque a rapprocher ces vers dc ^1) Maintonant ([ii'iin jnypux printrni<; rit sur ton vinagp, tu veiix rnnsumer ITALIE. 397 ceux. de Scanon et de I'allemand Blumauer , ct en general les trois pa- rodies. Le Parisien et le Frioulain surtout ayant brode' sur ie meme theme , a peu pres dans le raeine terns , il pent etre ciuieiix de les com- parer sous le rapport psycologique ; c'est-a-dire de recliercher dans leurs ouvrages respectifs les modifications diverses que la position et le climat font subir au gout litte'rairp, au moins dans ce genre. C'est sous ce point de vue seulement que le rapprochement me semblerait avoir quelque intc'ret. Pour en finir avec le Frioul , je dirai que les Italiens attendent avec une certaine impatience la publication de I'histoire ine'dite de ce pays , par M. Joseph Girardi , et d'un dictionnaire frioulain , compile par Domenico Ongaro. II existe des rccucils de poesies siciliennes , napoli- taines, milanaises, ve'nitiennes, ge'noises, etc. II serait a souhaiter, pour I'instruction des philologues , qu'on publlat aussi un Parnasse frioulain, oil Ton re'unirait les poesies de Sini , Caravello , Mistio , Fistulario , Forza , Brunelleschi , Di Zucca , Fabiaro , lo Sporeno , Cancianini , etc. , tous poetes du Frioul, dont le nom est profonde'ment inconnu. Dans ua terns oi!i les origines des langues sont i'objet de tant d'invcstigations , aucun monument n'est a dc'daigner. J'ai oublie de dire que Busiz avait traduit aussi dans I'idiome pater- nel les Georgiques de Virgile ; conime langue, c'estla un monument bien plus curieux a e'tudier que YEneide , car il est , jiar son sujet meme, bien plus riche en termes vraiment populaires ct par consequent plus surement primitifs. seule ta jeunesSe? Maintenant que la fortune et le cicl tesourient, tu ue veux pas meme tc faire rdchauffer ton lit? Tu refuses un compagnon pour nicher, maintenant que la violette eclot sou3 ton toil ' Tu iie veux pas donner dc suc- cesseurs a ton royaume, et a tablepleinc tu yeuxmourir Jo faimPEIi! les inorls s embarrasscnt-ils de ce qui se passe dans le monde quanJ ils sont ensevelis? _Crois- tu que ton Sicliee s'engraisse a te voir refuser tout autre mari? Eh! soeur, ma chere, ce qui est jou^ est joue. Que tu aies ddja repousse tant d'amans, soil,, ccst chose faite, et je me tais; il ne t'out pas pla ; mais a celui qui te va aii coeur , pourquoi refuser ta main ? » LIVRES FRANgAIS. S-z. Messianisme: Union fmate de la philosophic et de la religion , constiiuant la philosophie ah'solue. T. I. Prodkome du messia- nisme : Revelation des destinees de Vliinnanite. (Par M. Hoene Wronsky. ) Paris, septembre i83i j aux bureaux de I'Union atiti- nomienne, i-uc Montmartre 164, et rue Bcllefond:, n" 5. In-4'' de vin-g6 pages. DOCTRINE HESSIAKIQDE DE H. WRODTSKT. M. Wronsky, dont le nom est Lien connu de toutes les personnes qui, dans ces derniercs anne'es, se sont occupe'es du mouveraent des matbe'ma- tiques transcendantes , ct dont les pampblets scientifiques , dans leur audacieiise polc'mique, se sont attaque's a la fois au cre'ateur de la. the'orie des fonctions analjtiques ct a I'aulcur de la Mecanique celeste, M. Wronsky entrc aiijourd'bui dans unc carriere moins positive , mais dans laquclle il pourra trouver e'galement jjlus d'un concurrent a combattrc; il sefait reVe'Iateur. Le prodrome du messia- nisme est I'aurore d» soleil nouveau , mais nous devons avouer que cette emphatique preface, dont nous avons eu le merite de suivre avec perseve- rance la trace envcloppe'c ct sinueuse, nous a paru plus tencbreuse encore que cette nuit que le Mcssie du dix-neuviemc siecle se prc'pare a chasser devant lui. II est vrai que c'est a notrc propre ignorance sans doute et Don point au de'faut de science de I'auteur que nous devons nous en pren- dre, car il a soin de nous annoncer qu'il ne juge point notre e'poque assez avance'e pour recevoir la tradition des grandes cboses qu'il renferme en lui, et qu'il aura soin de mesurer a la taille de ses contemporains la cbarge qu'ils sont en c'tat de porter. Le spbynx dessine' en tetc du vo- lume sc conlcnte done, comme cclui de la Grecc antique, de poser LIVRES IRANCAIS. 3gg yenigme a deviner, et en garde soigneusement la clef myste'rieuse. Le grand depot de ve'rite' que tient I'auteur n'est point librement ouvert au public , et pour en signaler le tarif il faudrait nous reporter a d'anciens scandales dont a retenti le palais. Nous regrettons done beaucoup de ne pouvoir expliquer a nos lec- teurs lagrande formule , la formule ge'ne'ratrice de toutes les lois de I'u- nivers ; mais M. Wronsky nous laisse ignorer par quel procede , trans- portant hors du domaine spe'cial des mathe'matiques sa ce'Iebre fonction F X = Ai n, + A, iii + A3 Qs 4- etc., il en e'tend les applications jusque dans les champs immenses de la re- ligion et de riiistoire. « Sans aucune exage'ration, e'crit-il , le de'posi- « taire de cette ve'rite absolue pent dire comme le marquis de Posa dans « le don Carlos de Schiller : « Ce siecle n'est pas miir pour mon ideal , « j'appartiens aux siecles a venir.» Aussi ne pourra-t-il reVe'ler aiijour- « d'hui que ce qui peut deja inte'resser ses contemporains , en ne de'pas- « sant point la sphere de leur culture intellectuelle. )> II est assure'ment facheux que M. Wronsky ne pense pas devoir tenter de produire devant tous sa haute conception, peut-etre se rencontrerait-^il, pour la compren- dre et la publier en langue humaine , quelque re'velateur interme'diaire. Au reste, si nousblamons I'exage'ration pre'tenlieuse et de'clamatoire des formes employees par ce philosophc , nous ne nions pas 1' elevation des; ide'es qu'il a rencontrees dans la sphere religieuse qu'il n'a pas craint d'aborder , et sans partager en aucune fa^on la croyance mystique a I'in- carnation dn verbe et a la lutte des mauvais anges^ nous croyous utile de faire connaitre la conception qui forme la substance de I'ouvrage qui vient de paraltre. II existe deux grandes eres dans le de'vcloppement progressif qu» I'humanite' doit accomplir sur la terre avant d'atteindre le but myste- rieux de ses destinees definitives ; la premiere est I'ere physique pen- dant laquelle le de'vcloppement des faculte's et des forces cre'atrices de I'homme a lieu , pour ainsi dire , a son insu et par la seule action des lois inertes de la nature; la secondc est I'ere rationelle pendant laquelle I'homme emploiera exclusivement les Ibis spontane'es de sa liberte' poui- arriver a sa creation propre. Dans chacune de ces deux e'poques les ac- 400 LIVRES FRAN^AIS. tions qui constituent le mouvement tie I'humanite sont iletermine'es par des biits fixes par la raison , mais dans la premiere ces buts sont relatifs et puise's dans des conditions terrestres , tandis que dans la seconde ces buts sont absolus et puise's dans la raison , inde'pen- damraent de toute influence terrestre. Mais cntre ces deux e'poques il doit s'e'tablir une ere interme'diaire, durant laquelle les buts speciaux des actions liumaines doivent etre pose's par le concours simultane' de la raison de I'homme et de sa nature mate'rielle ; cette ere critique , qui est la notre, donnera lieu a, deux systcmes dominans et distincts, depen- dant des deux natures spirituelle et mate'rielle, et se basant I'unsurla revelation et le sentiment, 1' autre sur la cognition et I' experience; cette grande division caracte'rise les deux grands pai-tis qui se partagent aujourd'hui la socie'te'. La re'alite' de I'homme s'etablit par la double action de son savoir, sur son propre etrc et sur les etres exte'rieurs : cette realite' se manifeste done par deux facultes diffe'rentes que nous nommerons le sentiment et la cognition. II doit y avoir une opposition apparente dans la raison de rhomme, suivant qu'on I'applique exclusivement a I'une ou a I'autre de ces actions. Celui des partis sociaux qui de'duit la re'alite de Thomme uniqueraent de son action sur les etres qui I'environnent ne pent trouver que dans V experience \es conditions de cette re'alite'; celui au contraire qui de'- duit la re'alite de I'homme uniquement de son action sur sa conscience intime ne pent en trouver la condition que hors de toute communica- tion naturelle , c'est-a-dire dans la revelation. Des lors en se placant tour a tour a I'un ou a I'autre de ces deux points dc vue exclusifs, pour conside'rcr I'histoire de I'humanite , on doit arriver, si Ton suit invariablement la ligne de la logiquc, aux con- editions suivantes : Dans le systeme de V experience : 1° L'humanite' est ne'e dans un e'tat d'abrutissement , parce qu'elle ne pent etre que le re'sultat d'un de'veloppement progressif de la chaine des etres animes. 'i.° Ses besoins I'ont pousse'e a dc'velopper ses facultes intcllectuelles , et ce de'veloppement , qui peut etre indefini , constitue la perfectibilite Hu genre humain. LIVRES FRANgAlS. 4^1 3^ La ^e«5e'e n'est qu'une modification de la matiere; car tout ce qui serait iete'rogene avec la matiere ne saurait par la meme entrer en reaction avcc elle , et ne poflrrait consdqueniment etre codcu comme existant. 4° II suit dc la qu'il n'existe d'autre verile que celle qui est le re- sultat d'une reaction effective de la matiere, et qui, par conse'quent , peutdevenir un objet de 1' experience, ou du moins un objet del'induc- tionfonde'e sur I'expe'rience d'apres les regies logiques de lapense'e. 5° II suit encore de cette exclusion de la realite de tout ce qui n'est pas la matiere, qu'il n'existe d'autre bien que celui du bien-etre, pris dans ses modifications physiques et intellectuelles. 6° Le langage n'est qu'une corporification arbitraire de la pensee ; mais, comme tel, il est indispensable au de'veloppement de cette der- niere^ parce qu'il donne une base physique ou re'elle a chacune des di- verses modifications de la matiere qui , dans I'homme, constituent la pense'e. La Zog/^j/e elle-meme , qui regie cette derniere, n'est que 1' ex- pression des formes spe'ciales de cette modification. ']" Enfia, il n'existe aucune intention finale dans la disposition de I'univers parce qu'un arrangement providentiel du monde , dominant toutes les re'alite's , impliquerait une essence supe'rieure et se trouverait ainsi hele'rogene avec la simple reaction mate'rielle qui constitue toute realite. L'harmonie ne resultant que d'une combinaison accidentelle des forces de I'univers, la stabilite ne peut etre e'ternelle, et la destruction finale de tous les etres , la rnort, est un des caract^res distinctifs du monde physique dont I'homme fait paitie. Daiis le systeme du sentiment : 1° Dieu cre'a I'homme immortel et doue d'une conscience et d'un savoir absolu , parce que I'esprit infini du cre'ateur ne peut produire que ce qui est parfait et d'une dure'e e'ternelle. 2° Des esprits supe'rieurs , abusant de la toute-puissance qui appar- ..tenait a I'intelligence cre'e'e , ont introduit dans ce monde le mal et la mort qui en est la consequence. L'homme , se'duit par ces esprits, a commis le peche et ope're sa chute morale qui lui a fait perdre sur la terre son savoir absolu et son immortalite. 3" La matiere du monde physique n'est qu'une modification de I'es- prit du cre'ateur , car tout ce qui serait he'te'rogene avec cet esprit crea- teur, ue pouvant etre produit , ne saurait exister. 402 LIVRES FRAN^AIS 4" II suit de ce caractere de la matiere que, dans son e'tat de chute, riiomme ne pent rencontrer d'autre bien que celui de la perfection mo- rale ; car c'est uniquement par cettc perfection qu'il peut ressaisir quel- que rayon de la beatitude de sa purete primitive. 5" II suit ej:;alement de cette exclusion de la re'alite de tout ce qui n'est pas I'csprit ^re'ateur que, dans I'e'tat de chute, il n'y a d'autre verite que celle qui est le re'sultat d'un acte effectif de Dieu , et qui , par consequent , ne peut etre reconnue que par le me'canisme sensuel de . notre intelligence. 6" Le langage qui sert a communiqucr la pense'e est un symbole mystique de la revelation divine, et par consequent de la cre'ation elle- merae. Mais , en revanche , la. logique forme le systeme d'entraves par lesquellcs I'esprit infmi de I'homme primitif a etc enchaine lors de sa chute , lorsque la faculte de reconnaitre les verite's absolues lui a e'te soustraite. 7° L'univers etant I'ceuvre de la raison infinie de Dieu , tout doit y etre subordonnc aux fms de la cre'ation , parce que rien d'he'te'rogene ne saurait y cxistcr. L'ordre doit done demeurcr permanent a travers toutes les vicissitudes que I'esprit libre des creatures peut introduire dans le monde. Ainsi , lorsque lejnal et la mort sont venus entacher la beaUfe de la creation, Tarrangement providentiel a pcrmisa I'homme d'expier son pe'che et de me'riter son retablisscment dans son e'tat de bc'atitude et d'immortalite'. Le sensualisme de Locke , porte a ses derniercs consequences par re'cole e'cossaise, represente le premier parti, celui de Vexperiejice. Le rationalisme de Leibnitz , poursuivi aujourd'hui par les tra^ux de I'e'cole de ^'icnne, repre'scnte le secoad parti , celui de la re'uelation. Ces deux partis , bicn qu'opposc's , sont cependant e'galement base's sur les principes de la raison humaine, et c'est dans ces memes prin- cipes que se trouve Te'cueil qui reaverse leurs pretentions exclusives. II est done impossible de conccvoir qu'aucun d'eux puisse arrivcr a . renverser dcfiuitivcmcnt son advcrsaire, et leur lutte doit se prolonger jusqu'a ce qu'une conception plus haute vienne leur donner a la fois sanction et conciliation. Les deux grands partis qui se partagcnt la po- litique modcrnc ne sonl que dcs cas particulicrs de cette grandc hitlo intcllectuelle. LIVRES FRAN9AIS. 40^ De ce que nous venons de dire, on voit deja que le parti de I'expe'- rience se pose pour but la de'couverte du vrai, mais ce vrai n'est rela- tifqu'aux conditions physiques de I'existence de I'humanite' et n'est pas par consequent le vrai absolu; on voit e'galement que le parti du sentiment se pose pour but la de'couverte du bien , mais ce bien n'est relatif qu'aux conditions morales de I'existence de I'laumanite et n'est pas le bien absolu. On voit done qu'il y a tme opposition ne'cessaire entre les liommes voues aux deux grands raouvcmens qui font avanccr I'liumanite', mais celte contradiction , dans ce qu'on pourrait nommer la raison generale, est due uniquement a 1' influence des conditions terrestres qui , par leur inertie, forment des e'le'mens te'te'rogenes avec ceux que fournit la spontane'ite de la raison humaine. Cette contradiction cessera , lorsque le but que les bommes se fixeront sera dc'gage de toute entrave mate'- rielle et puise uniquenjent en vue de Y absolu; le vrai absolu est par son essence meme identicpie avec le bien absolu-, c'est Dieu , c'est I'in- fini. La loi myste'rieuse des destine'es de I'humanite, a la surface de la terre, est done de'voilee; ses mouvemens sont diis a deux partis .qui, sans harmonic et sans accord, marchent I'un vers le vrai, I'autre vers le bien, et 1' union finale de ces deux partis dans le sein de I'absolu con- stitue le dernier terme de la cre'atiod. C'est cette e'poque, a laquelle la raison humaine sera affranchie de tout lien terrestre, qu'annonccnl Ics anciennes revelations. Nous ne somnics point encore arrives a une ere assez avance'c pour que ces grandes questions puissent nous etre dcvoile'es dans leur intime essence ; leurs e'le'mens ne peuvent hre determines que d'apres leurs ca- racteres exte'rieurs : la philosophic et la religion poscront les problemes et de'termineront leurs caractcres exte'rieurs. Aujourd'hui la philosophic a mis en evidence les deux principcs de la re'alite', Veli^e ou le principe materiel , le savoir ou le principe spiriluel, et elle a montre qiie la re'alite' ne saurait etre cxclusiveracnt fondc'e sur aucun d'eux. Kant, dans sa Critique de la raison pure, a tente de re'unir ces deux principcs , et par suite la philosophic allcmande est venue a concevoir Tidc'e du principe gcne'rateur ,' et a poser le probleme de ce qui est, par soi-meme et sans condition, le probleme de I'absolu. Mais la solution de ce probleme Irarisccndant exigc , comrac nous I'aA'ons vu , 4o4 HVRES FRAN^AIS. qu'on depassc Ics regions tem2)onelk'S dc l;i cognition humaine , el se ti'ouve par consequent au-dessus dit doniaine de la philosopliic. Dans le sein dc la religion , comme dans le sein de la philosophic , il y a eu partage : la division en. deux principes est representee par les protestans , qui rcgardent le pre'cepte moral commc ctabli par la raison pratique de Vhoniine, et par les catholiqucs, qui le rcgardent comme c'tabli par le comniandemcnt revele de Dieu. H y a done lieu a une grande re'forme religieuse analogue a la reforme philosophiqiie de Kant, ayaat pour objet de fonder la morale sur I'cnserable des deux principes. Ce probleme du bien absolu destine a produire rimmortalite, non plus seulemcnt comme recompense, mais commc consequence de la morale, sera pose par la religion, mais sa solution de'passera les borues tempo- reilcs de sa puissance. C'est au mcssianisme qu'il appartient de remplir la double tache de la determination da vrai absolu et du bien absolu. Le messianisme , en de'gagcant la raison absolue des eutraves physiques de la nature raa- te'rielle , chassera Verreur du domaine de la philosophic et le peche du domainede la religion. C'est ce germe de la raison absolue qui, dcpose'e au sein de rhorame , constitue sonpouvoircre'ateur, et lui donne la faculte' d'arriver lui-meme a I'accomplissement dc ax propre creation , de sa propre immortalite. Mais ici se trouve la grande difficulte dont on ne pent sortir qu'a I'aide de la clef myste'rieuse des tre'sors messianiques de M. Wronsky. En effet, il est bien evident que la raison absolue ne pent etre concue que par le principe de toute realite, 1' absolu; mais pour se donner a ellc-mcme sa propre realite', elle est obligee dc cre'er I'absolu : c'est la , dit M. Wronsky, le grand mysticre de la creation quo le messianisme doit de'voiler. II est done ne'cessaire , avant de porter un jugement sur la con- ception de ce philosophe , d'attendre que sa doctrine soil cntierement expose'e , et que I'apparei! nuageux dont il I'entourc perde un pen de ses formes fantastiques et dc ses couieurs a cffct. Les manieres empha- tiques ne conviennent guere a ceuxqui pre'tendent posse'der la sagesse,et le de'dain de I'liumanite est mal place sur les Icvrcs de cclui qui s'anno'nce comme re'vclateur. Le sanctuaire de la creation oil il a plu a la Pro- vidence de laisser penetrer Vauteur est ouvertde nos jours a bien des homraes qui y pcnctrent au memc titre que lui; M. Wronsky n'y c'tait LIVF.ES FKANgAlS. /^oS point isolc, ct iiiie me'moire conscicncieusc pourrait hii rapprler les se- coiirs de tout genre qu'il a rencontre's pres des profonds penscurs de i'e- cole allemande tpii Favaient devance dans la partie de cet immense sanc- tuaire a laqueltc est consacre'e son e'tiide. Nous ne saurions partager en aucune facon les opinions mystiques dont nous vencns d'exposer sommaircmcni la serie , nous ne croyons pas plus a la chute du premier homme qu'au racliat de la mort terrestre par la regeneration messianiquej la reverie aussi bien que la- science crcuse des abimes. Nous tenons cependant a rendi'e justice a la vigueur logique avec laqUelle M. Wronsky a analyse' les deux grands systemes fonde'spar respritluunain enparta'ntdusentimcnt ctderexperience. Quant aux opinions politiques qui se trouvent jete'es ca ct la comme corollaires des premieres, nous les re'prouvons de toute notre ame , rcpoussant tout parallele entre ce que M. Wronsky nomme les liheraux et les illibe- raux , et I'efusant toute dignite' et toute sanction au parti qui, sous le nom de juste-milieu , a erige en principe I'indiffe'rence en matiere de civilisation. Nous regrettons d'etre oblige de terminer, en laissant nos lecteurs face a face avec ce sphynx monstrueux qui couvre de sa figure bizarre le frontispice du livrc , et de ne pouroir leul* donner cette solu- tion de I'absolu qui les garderait de tout mal et de toute erreur ; mais I'auteur seal est , comme il le dit lui-meme , le depositaire du sort de Vhumanite. De sa ge'ne'rosite seule de'pend la comnJunication de ce secret pre'cieux , et il serait liasarde peut-etre d'avoir en elle confiance trop ferrae , car a la fin de son ouvrage il laisse entendj-e qu'il ne serait point impossible que I'exposition de sa doctrine demeurat restreinte a ce sim- ple prodrome. J. R. 83. SAiNT-Sftioiv. — Son premier ecrit; lettres d'un habitant de Geneve a ses contemporains, i832' — Parabole politique , 1819J — Le Noiweau Christianisme , 1825 ; precedes de fragmens de Vhistoire desavie ecriteparlui-meme-jimhVies par OlindeRodri- GUEs, son disciple, chef de la religion saint-simonicnne. Paris, 1882; a la librairie saint-simonienne, rueVivienne n" iG. In-S" dexxxviii. — 201 p. ; prix, 5 fr. II y a des hommes de ge'nie qui onl cu la facultc de se re'sumer, au moins dans qudque chef-d'oeuvre. Saint-siraon n'est complet dans au- cilne partie de ses ceuvres , mais il est disse'mine dans tons ses ouvra- 4o6 LIVRES FRANQAIS. ges. II commenfa a e'criie fort tard , et fut toiijoiirs prc'occupe du de'sir d'excrcer sur ses conteraporains unc act.ion ihimediatc. L'c'vidcnce qu'il avait de ses ide'cs luj faisait croirc que la realisation en c'tait pro- cliaine, et dans son ardcur de les voir realisc'es il en fit pendant vingt ans line sorte de predication continuelle , prcnant souvent les ques- tions politiqiies du jour pour point de depart , et n'cxposa jamais sa philosophic gc'nc'ralc que d'unc raaniere fragmentaire. Pendant plusieurs annees il s'attacha a la prcsse la plus active , la plus rapide; il fit des journaux^ de la pole'miquc , et non des livres. Voila ce qui fait que ses e'crits ont presque tous le caractcre de 1' improvisation; etde laaussi cette prolixite et ce peu de soin de la forme qui souvent les depare. Qui n'aurait lu que ses livres sur I' induslj'ie ne verrait dans Saint- Simon qu'une grandc idee de reorganisation politique , ou plutot le sentiment de la ne'cessite' de cette reorganisation-, joint a une appre- ciation tout-a-fait exclusive de I'industrie, et ne se doutcrait nullc- ment des travaux de me'taphysique et de science ge'ne'ralc par lesquels il avait debute. Le Nouwaii Christianisme est sans contredit son ou- vragc le plus avance'; mais il s'en faut de bcaucoup que Saint-Simon soil. la tout enticr; toutc la. se'rie de ses ide'es n'est pas la , et Ton peut meme dire que ses ide'es fondamentalcs, ses ide'es les plus ge'ne'rales en dehors de la politique, n'y sont pas. II est probable qu'il se serait re- sume' un jour; la mort Ten empccha. Ce que Ton peut, ce que Ton doit fairc, c'est de re'unir prc'cieusemcnt tous ses travaux , public's. on ine'dils, dans I'ordrememe ou il les a produits. Ce n'est pas la ce qu'a vouUi faire, du molns dans la publication que nous annonfons , M. Olinde Rodrigucs. IM. Rodrigues, se pre'sentant comme le pontife d'une religion dont les livres de Saifct-Simon sont I'Evangilc , a vouln distribuer au public certaines parlies des ouvrages de son maitrc, qu'il a meme enlremclc'es de ses propres reflexions. C'est done une publication pour la propagation des ide'es de Saint-Si- mon lelles que M. Rodrigues les entend ; ce n'est point le premier vo- lume d'une edition des ceuvres de Saint-Sinion. Mais, en prcnant ce volume pour ce qu'il est, le choix fait par M. Ro- drigues est excellent. Avec le Nouveau Christianisme, dernier ouvrage de Saint-Simon, il a rc'uni une Lettre de Geneve, son premier c'crit, et les pages cc'lebres qui condui.sircnt Saint-Simon sur les bancs d'un tri- LIVRES FRANQAIS. 4^7 bunal. Le lecteur a , dc cette raanlere, trois phases du de'veloppe- ment de Saint-Simon : d'abord enthousiaste de la science et des sa- vans, ct voulant fonder iine religion de Newton; puis enthousiaste de I'industrie ct des banquiei's, et voulant donncr aux. industiicls la su- preme direction dc la socie'te; enfin plus tard , quand Ic clerge calho- •lique essaya de reprendre le premier role, e'crivant le Nouveau Chris- tianisme ; toujours influence' par le milieu politique du jour, par les sentimens qui agitaient la socie'tc autour dc lui , ou pUitot toujours oc- cupe' de fairc tourner ces sentimens au succes de la reconstruction so- ciale qui le poss'e'dait tout entier; ayant ainsi au fond de lui-meme une admirable unite , qui , dans chacun de ses e'crits , est presque toujours obscurcie et blesse'e par la preoccupation trop forte de ses ide'es du mo- ment. Nous n'insisterons pas davantage sur la publication que nous aniionfons , parce que nous nous proposons de faire un jour dans cettc Revue une etude des ceuvres de Saint-Simon. M; Rodrigues a mis en tete de ce volume des fragmens sur la vie de Saint-Simon e'crits par lui-merae. Ces fragmens sont extraits d'une No- tice re'dige'e vers iSio etqui devait servir Ac preface a un ouvrage en- core inc'dit intitide : De la Science generate. Nous aurions aime que M. Rodrigues publiat ce manuscrit , qui renferme des parties tres-belles ct tres-curieuses que Saint-Simon n'a pas comprises dans les trois frag- mens qu'il en tira succcssivement ; et cela nous fait encore regretler que M. Rodrigues n'ait pas enlrepris de donner des a present une veritable edition des ceuvres de son maitre , comme il en avail fait la promesse dans le Producteur ii y a deja plusieurs anne'es. En attendant qu'il se livre a ce travail si important, nous nous felicitous de pouvoir donner a nos lecteurs connaissance de cette Fie de Saint-Simon, qui nous a tou- jours paru un admirable morceau , plein d'ele'vation et de genie. Les fragmens public's parM. Rodrigues se trouvent, avcc quelquesvariantes, dans le manuscrit que nous allons rcproduire et ilsne renferment, d'ail- leurs que des additions peu importantes ; mais le manuscrit est bien plus e'tendu : toute la derniere partie de la Notice , celle qui coiicmie la distinction que Saint-Simon fait entre les philosophes theoriques et hs pjiilosophes pratiques , ne se trouve que dans le manuscrit. VIE DE SAINT-SIMON. suis'entrc au service en I'j'jG ct 4o8 LIVRES FRAN^AIS. je siiis parti pour rAmc'riquc en 1779; j'y ; Apres avoir acquis et essaye les ide'es sclentifiqucs de la maniere dont je viens de rendre compte, j'ai pris la plume. J'ai d'abordfait im- primer deux volumes ayant pour titre : Introduction aux travaux scientifiques du \(f siecle. J'ai abandonne cette entreprise parce que je me suis apercu que j'avais mal commence I'exposition de mes ide'es. Convaincu par I'expe'rience que je n'etais pas encore mur pour contexturer et re'diger I'ouvragc que j'avais concu , je pris le parti de publier des lettres ou j'ai traite' se'pare'ment les questions dont les solu- tions partielles sont les principes que j'emploierai a I'organisation du systerae scientifique. » Les Lettres que j'ai imprime'es n'ont pas determine comme je I'avais cspe're' une discussion ge'ne'rale ; mais ce travail m'a e'te tres-utile : d'a- bord parce qu'il a e'te' pour moi une occasion d'e'laborer mes ide'es, en- suite parce qu'il a fixe' I'attention de quelques personnes qui ont bien voulu me communiquer leui's observations. » Ma vie pre'sente une se'rie de chutes , et ccpendant ma vie n'est pas manque'e ; car , loin de descendre , j'ai toujours monte. Aucune de mes chutes DC m'a fait retomber au point d'oii j'e'tais parti. J'ai eu sur Ic champ des de'couvertes Taction de la mare'e montante. J'ai descendu souvent , mais ma force ascensive I'a toujours emporte' sur la force op- posee. )) Age de prcs de 5o ans, je suis arrive k cette e'poque ou Ton prend sa retraite et j'cntre dans la carricre. Apres une route longue et jie'nible, je suis arrive au point de depart. » Le public ne doit point regarder comme de'finitif le jugement qu'il a porte sur ma conduite ; je re'clamc de sa justice la revision de ce jugement , ct je vais lui presenter a cet e'gard quelques observations qui me paraissent me'riter son attention. )) A la lecture des ouvrages du petit uorabre d'auteurs qui se spnt distingue's par leurs travaux en science, ge'ne'rale , on serait porte' a croirc qu'ils ont e'te daas leur vie privee des modeles de sagesse et de mode- ration ; mais le raisonneraent et I'examen des faits prouvent le contraire , LIVRES FRAN^AIS. 4 ' * «l demonlrent que cette opinion fonde'e , sur les premieres apparences , est tout-a-fait errone'e La philosophic the'orique et la philosopliie pra- tique sont essentiellement differentes. Le menie homme ne pent pas parcourir avcc siicces ces deux carrieres. Voyons les faits. » Luther , Bacon et Descartes sont , parmi les modernes , les trois hommes qui en direction de science ge'ne'rale se sontle plus distingue's. Luther a attaque I'ancien systerae scientifique ; Bacon a indique les moyens d'organiser un nouveau systeine d'ide'es; Descartes a commence' I'organisation de ce systeme. » Le premier a dit : Ce n'est pas la revelation , c'est la raison qui doit servir de base a notre croyance. » Le second a indique les moyens d'organiser un systeme scientifique dans lequel les ide'es re've'le'es ne jouassent aucim role. » Le dernier a declare qu'il ferait un monde si on lui donnait de la raatiere et du mouvement ; c'est-a-dire il a entrepris d'expliquer I'or- ganisation de I'univers sans avoir recoui'saux ide'es re've'le'es. » Luther a trop aime' la table ; » Bacon a ete ambitieux d'honneur et de fortune ; » Descartes a eu le goiit du jeu et dcs femmes. » Ainsi aucun dcs trois n'a e'te' philosophe pratique. Passons main- tenant au raisonnement. » L'ame est d'autant plus accessible aux passions qu'elle est plus exalte'e ; or le plus haut degre' d'cxaltation est ne'cessaire pour trailer la grande question scientifique dans toute son e'tendue. Done il ne faul pas etre e'tonne de voir les philosophes the'oriciens asservis plus qu'au- cuns autres savans au joug des passions. » On peut encore envisagcr cette meme question d'un autre point de vue. » Les deux sciences qui servent de base a la philosophic sont I'astro- nomie et la physiologic ; c'est-a-dire celui qui cultivc la science gcne'rale doit etudier I'univers dans le grand monde et dans le petit monde. L'astronomie est Te'tude du grand monde , c'est-a-dire c'est I'e'tude du phe'nomene univers sur unc grande e'chelle. La physiologic est I'elude del'universsur une petite e'chelle; car la maniere la plus philosophique ■d'envisager le phc'nomene de I'intelligence humaine est de conside'rcr • le cerveau humain comme unc petite machine qui execute mate'riellemeut 27. 4 I ^ LlVllES FRANgAlS, lout cc qui se fait dans I'univcrs, de meme qu'unc inonlrc rcpetc les niouvcniens d'unc liorJogc. Ce soiit deux luacliincs scmblables, quoiquc d'unc dimension Ires-dilYe'rente. » Pour acce'Ie'rer les progrcs dc la science , Ic plus grand, le ])lus noble dcs moyens est de niettie I'univers en experience. Or ce n'cst pas le grand monde, ce n'cst que le petit monde, c'est-a-dire riiouime que nous pouvons niettrc en cxpe'rience. » Une dcs experiences les plus iinportanles a faire sur I'liorame con- siste a re'tal)lir dans dc nouvdlcs relations sociales. Or toute nouvelle action resultant d'une pareille expe'riencc ne peut etre classee coinrae bonne on mauvaise que d'aprcs les observations faites sur des re'sultats , ct toutes les tentatives de cc genre ne peuvcnt pas etre lieureuses. Ainsi I'hommc cpii se livrc a dcs rcclierches de haute pliilosopliie peut ct doit meme, pendant le cours de sa vie expc'rimentalc , faire bcaucoup d'ac- tious marquees au coin de la folic. » Enfin il re'sulte de la nature dcs choses que pour faire des dc'cou- vertes en pliilosophie , il faut : » 1° Mcner dans la vigucur de I'agc la vie la plus originale et la plus active ; » '1° Prendre connaissance de toutes les theories scicntifiques , parti- culierement des theories astronomiques et physiologiques ; ))3" Parcourir toutes les classes de la socie'te'j se placer pcrsonnelle- ment dans le plus grand nombre de positions sociales differcntes, et meme crcer pour les autres et pour soi des lelations qui n'aient pas existe' ; » 4° Employer sa vieillesse a re'sumer ses observations sur les cffets qui ont rcsulte de ses experiences tant pour les autres que pour soi , et lier ces observations de maniere que ccla forme une theoric philoso- phiit tout son art dc seduction a se I'attacher ; car cet homme se sentait plus grand que sa reputation, car il voulait un avenir autre que son passe, car il se sentait une mission socialc eZ pre'parait dcja son ceuvre. Dccide'menl riionnetc bourgeois dc Geneve dcvint done I'ami de ce LIVBES FRANgAIS. 4^7 doJiauche comtc tie Miralieau. Diimont re'digcait avec lui le Courrier de Provence, prc'parait les questions K'gislativcs, donnait le plan de quelques disccAirs , assislait aux seances de Tassemble'e et adressait ses observations a Mirabeau. Des critiques susceptiblcs sc sont fache's'tout rouge de la part rc'clame'e parDumont dans lesdiscoursde Tilluslre tri- bun, de sa pretention d'avoir compose la fameuse adresse pour le renvoi destroupes, le discours sur le veto, etc. En verite', co pauvre Duraont nc mc'rilait pas une semblable colere , il ne voulait nulleraent de'pre- cier son ami , et c'est tres-na'ivemcnt qu'il raconte sa participation a re'loquence de ceiui-ci. Ce qui distingue ces Memoircs, c'est une grande bonne foi, une in- telligence souvent spirituelie des e've'ncmens et des hommes , une pro- fonde.et sincere estime de Mirabeau. L'auteur le suit dans les- details de sa vie prive'e, analyse ses senti- mens et le montre toujours noble et ge'nc'roux. « II y avail en lui , dit » Etiennc Dumont, une sorte d'entbousiasme du beau qui ne se laissait » point de'grader par .ses propres vices j c'e'tait comme une glace qui » pouvait etre obscurcie et qui reprenait ensuite son eclat. Sa conduite » etait souvent en conti'adjction avec ses discoirrs , non par faussete , » mais par inconsequence : il avait une raison pure qui e'levait son » ame , et des passions violentes qui la jetaicnt liors de ses mesures ; en » uu mot , colossal a tons e'gards, il y avait en lui beaucoup de tout , « beaucoup de bien , beaucoup de nfal ; on ne pouvait le connaitre sans » etre fortcment occupe' de lui , et c'e'tait un homme ne pour rcmplir de » son immense activite' une grande spbere. » Dumont consacre une partie de ses souvenirs a expliqiier la nature des rapports de Mirabeau avec la cour. M. Janin, dans son roman de Bar- ndve , a rabaissc la politique ,du grand homme a une stupide intrigue d'amour; nous voyons dans les souvenirs de Dumont quele tribun etait bien au-dessus de tons ces mise'rables calculs de vanite' ou de vcnalite'. On I'a dit , ces homraes-la nc se vendent pas ; il prenait les pensions des princes , mais c'e'tait pour les gouverner et non pour etre gouverne' par eux. « Depuis que je me vends , disait un jour Mirabeau , je dois avoir gagnc dc quoi acheter un royaume; je ne sais comment j'ai toujours e'te Si gueux , ayant tons les rois et tons leurs tresors a mon commandc- ment. » II re'pondait a une proposition de M. de Narbonne : « Un 28. 438 UVRES FRAN5AIS. » homme comine moi pourrait prendre cent millc ecus , luais on n'a pas )) pour cent niille ecus uu homme commc moi. » II y avait dans I'ame de Mirabcau cet amour de la gloirc , cette pas- sion de la popularite' si genereusement dc'daigne'e par MM. Thiers ct Guizot. Mirabeau e'tait de tres-bonne foi dans ses relations avec. la cour , parce que sa mission a lui n'e'tait pas de devenir un Dauton , ni un Ro- bespierre. II avait a proclamer dans le monde entier la revolution nou- velle, voila pourquoi il posscdait cette Aoix qui retentit si loin, et dont les e'chos reniuaient TEurope de Cadix a Moscou ; il avait a montrer dans sa personne I'e'le'vation a la tcte de la socie'te d'une classe nouvelle, la bourgeoisie, a annoncer I'affranchissement de'fmitif du peuple. A d'autres la fciclic d'e'touffer les guerres civiles_, a d'autres la tache de de- fendrc la revolution contre I'Europe coalisee , et de la vaincre et de la forcer, I'e'pe'e sur la gorge, a reconnaitrc la France re'volutionnaire. Mirabeau est bien mort a terns , il en avait assez fait pour sa gloire; et ne paraissait-il pas avoir !a conscience d'une ojuvre saintement ac- complie , quand , dans son agonie, il se faisait couvrir de fJeurs, em- baumer de parfums. II faut lire dans M. l^umont tons les details de cette vie et de cette mort. Avec quel charme on s'arrete sur cette existence remplie , sur cette nature d'homme e'nergique , grandiose , doue'e de la puissance de com- mander, d'entrainer , de soulever Fenthousiasmc , quand on seretrouve comme aujourd'hui entoure' d'etres incapables de deVoiiment , incapa- bks d'exercer une action forte sur dix hommes. Voyez les Chambres I Quelle me'diocrile , quel bavardage , quelle impuissance de parole elo- quente, de parole qui touche les creurs ct les relie ! Un homme ! un homme ! Montrcz-moi un homme , un etre qui sache ce que c'est qu'une re'volution , cc que c'est que le peuple , qui sente en ses entrailles les miseres du peuple , qui veuille et fasse vouloir I'e'man- cipation du peuple , qui parle la langue du peuple , cette langue dont les accens font crouler les trones , comme les sons de la trompelte.de Josue faisaient tomber les muraillcs de Jericho , cette langue qui en- fante des arme'es, des he'ros, qui pousse les nations dans la voie drs conquetcs et de raffranchisscraent. A. Saint-Cheron. I LIVRES FRANQAIS. 4^9 87. Memoibes de a. Levasseur (de la Sarthe), ex-conventionnel, tomes III et IV. Paris, j83i; Levavasseur, au Palais-Royal, 'i vol. in-8°, de viii-384 et 38o pages j priXj.iS fr. Nous.avons dcja parle dans ce recueil de la premiere livraison des Me'moires dc Levasseur. (Voyez Rev. Eiic, t. xlv, fe'v. i83o, p. 3io.) Sousle regime qui opprimait alors le pays , cette Tranche et courageuse publication fut accucillie par les poiirsuites du pouvoir et punie d'une con- damnation severe. Apres que toutes les opinions, avaient dit leur mot sur la revolution , on ne voulut pas souffrir qu'un montagnard prit la defense de ses collegues si souvent calomnie's , et moutrat a la France que les Lommes qui I'ont sauve'e, et puis sont alle's mourir pauvres dans I'exii , iie'taient ni des imbe'cillcs ni des scele'rats. Levasseur fut alors con- traint de garder le silence , eti attendant des jours meilleurs. A peine la presse fut-elle debarrasse'e .d'une partie de ses entraves, qu'il s'est hate' de continuer son ceuvre et d'achever son apologie. Les volumes que nous annoncons ccntiennent I'hisloire des terns qui se sont e'conle's depuis la lutte du comite' de salut public contre les danlonlstes et les he'bertistes jusqu'a la promulgation de la constitu- tion de I'an III : c'cst I'apogee et le declin.du systeme re'volutionnaire, le regne du grand comite des Dix, suivi d'une reaction haineuse et vio- lente. Malheureusement, pendant la plus grande partie do cette e'poque, Levasseur e'tait en mission pres des arme'es, et e'loigne' de Paris : il n'a done e'crit.quc sur des oui-dires ou des documens ge'ne'raleraent connus. Ainsi le recit de la catastrophe du 9 thermidor est emprunte au Moni- teur, ct une foule de discours assez me'diocres et vides de faits remplis- sent inutilement Ic volume. A compter du rappel de Levasseur, cette ex- position prend plus d'interet : I'auteur, re'uni aux del)ris de la Mon- tagne, a ce parti que Ton de'signait sous le nom ridicule de cre'tois, suit avec passion les diverses phases de la querclle qui se de'battait entre les democrates ardens et les tlicrraidoriens, fortifies de ce qui avait surve'cu de la Gironde. Fidele au principe qui avait dirige sa conduite politique depuis le commencement de la revolution , Levasseur ne voulut pas re- noncer a ses cheres theories, alors qu'elles e'taient pr'oscrites : il s'asso- cia a tons les efforts dc la Montagne, desorganisc'e par la mort ou la de'- fection de ses chefs, pour ressaisir son ancienne influence, et apres I'in- surrection du 12 germinal, son courage a defendre Barrere^ Billaud- 43o LIVRES FRANgAIS. Varcnncs et CoUot-d'Herbois, poursuivis par les tlicrraidoriens, le dcsi- gna a la haine des re'actionnaires : il fut de'cre'te d'arrestation sur la de- mande de Legendre , celui-la m&nc qui , an 3 1 mai , avait violemment arrache Lanjuinais de la tribune. Tel e'tait alors-le de'coiiragemcnt de ces montagnards devantqui le monde avait tremble, qu'un seul membra osa se lever contre la proposition de Legendre. Levasscur ne rcparut plus a la Convention, ct il e'tait detenu a la citadclle de Bcsanfon quand ses amis politiques, Rubl , Bourbottc, etc., tentb-ent de mettre a profit rinsurrection popiikire des premiers jours de prairial. Sa captivite seule Fcmpecba de partager leur sort, car on nc peut douter qu'il n'Cut corame eux essaye' cettc cbance sujijrcmc , et , comme cux aiissi , porte sa tcte sur I'e'cbafaud avecle courage d'un. bomrae consciencieux, memo dans ses erreurs. Levasseur, dans ses Me'moires , ne parait pas avoir eu pour but de Jeter une vive lumiere sur les causes secretes des e've'nemens qui se pas- saient sous ses yens. II a vou'lu s'absoudre, et ses amis autant que lui , des reproches accumule's contre la Montagne par des antagonistes victo- rieux. Son livre est done plutot urie oeuvre de pole'mique qu'une ex- position bistorique : si vous y cbercbez des fails curieux, nouveaux ; cboisis avec soin , raconte's avec finesse et elegance , vous eprouverez un cruel desappointement : ce n'est pas la le me'rite de Levasseur, ct il est probable qu'il s'en serait fort pen soucie. Mais si vous voulez con- naitre les opinions, les prejuge's, la pbysionomie politique des plus in- flexibles parrai les montagnards , chaque page vous offrira des rensei- gnemens precieux. Nous savons pcu de livres sur la rc'volution qui soient marque's d'un cacbet aussi remarquablc de bonne foi et de sincere patriotisme. Ami ardent de la liberte, Levasseur se de'fiait de Robes- pierre, dont I'esprit despotique lui inspirait quelques inquietudes. II applaudit done a sa cbute , raais ne put s'empeclier de donncr des re- grets a la me'moire de ce terrible Saint-Just, dont Ic piiritanisme re- publicain excitail I'admiration de Levasseur. «Certes, dit-il quelque part , c'est une vertu cruelle que cellc de ces liommes que j'ai connus austeres, probes, re'publicains convaincus, prets a tout sacrifier a leurs principes , et qui, apres avoir fait un syllogisrne de la vie, osalent Ic faire passer sur toutes les tctes sans etrc arrctes par aucune crainle pcr- sonncllc , mais sans pouvoir fle'chir par aucune sympathic d'humanitc. LIVRES FRANQAIS. 4^1 tl'est line cniellevcttu, inais qui oserait la souiller par le mepris? Qui, tn regardant Saint- Just aA^ec terreur, oserait dire : Je ne I'estime pas, apres avoir sonde les replis de son cceur, ety avoir trouve de'sintcresse- mertt, proLite, enthousiasme du beau? » Ces paroles re'sument les croyances politiques de Levasseur : pour lui Icde'voiiment a la patrie excuse tout. Un liomme agit avcc houneur quand il fait ce qu'il croit etre bien, quand il le fait sans intc'ret personnel et surtout centre son inte'ret prive : voila son systeme. Que lui importe d'ailieurs ^ dans sa vertu sauvage, ai le principe dont il poursuit le trioraphe ecrase dans son de'veloppement mille existences brillantes et lieureuses et se fraie un chemin a travers les mines. Pourquoi ferait-il tant de cas de la vie des autres, lui- qui est dispose' a faire si bon marclie de la sienne? et quant aux delices de la. vie , aux jouissauces du luxe, aux enchantemens des beaux-arts, il ne tient.nul compte de ces cLoses, il les me'prise, il les dc'teste , lui qui trouve sa joie dans ses sacrifices et sa consolation dans la conscience de sa probite'. Tel nous apparait Levasst\u- a la lecture de ses Me'moires : tels ses amis, gens d'un esprit e'troit et de peu d'intelligcnce, mais d'un coeur ferme et d'un courage inebranlable , Iiorames me'diocres et sincercs , qui n'eurent ni les talens ni les vices des montagnards du comite de salut public. Leur inexcusable tort fut de n'avoir pas compris que le systeme embrassc par eux ne pouvait convenir qu'a une pe'riode de lutle et de crise , que cliez une nation vieillie et corrompue par une longue servi- tude , I'e'galite absolue et Tauste'rite' re'publicaine n'e'taient que des reves dorc's, incapablcs de passer jamais dans la constitution politique, lis ne virent pas que la terreur, qui avait etc assez forte pour repoussev la coalition , avait e'choue' elle-meme dans la tentative de changer vio- lemmcnt les moeurs nationales, et que c'etait folic de s'engager plus avant dans cette voie. Certes, ils e'taient logiques, quand ils reprochaient aux thcrmidoriens leur marclie fe'trograde, et leur enthousiasme de fraiclie date pour cette Gironde, qu'ils avaient de'cime'c par I'cxil et par I'e'chafaud : pourtant les tliermidoriens comprenaient . mieux leur terns et leur nation que les liommcs de fer de la montagne. Car c'est le proprc dc la nature luimaine d'etre illogirf^ue et inconsequente. Les fails ne se plicnt pas h nos volontcs, et il nous faut ceder aux fitalite's qui enlrai- ncnt Ic mondc : la ligne droitc en Icms de rcVohition conduit le plus 432 LIVRES FKANCAIS. souvent a la ruine et a la mort : mais il est beau , quoiquc imprudent , de s'y tenir, et I'histoire a des sympathies profondes pour Ics ames in- domptablcs qui nc dc'vient jamais dans lour clicmin , pour ceux qui sa- vent pe'rir, purs et convaincus, commc Ruhl et Bailly , et peuvcnt se dire a I'heure supreme , ainsi que le personnage du vieux poete : Noil civium ardor prava jubentum , Nee vullus instantis tjTanni Alph. D'Herbelot. 88. Repertoire historique mensuel , sous la dirtction d'EucENE RocH, auteur du Dictionnaire general du Budget, N" I. Paris, feVrier 183^5 au bureau du Repertoire , rue de Provence, Cy'^bis. In-S" de 9G pages. Ge recueil parait par livraisons mensuelles de cent pages environ; ons'abonne, pour I'anne'e , a raisonde 36 fr. a Paris , \i fr. dans les de'partemens , et de 48 fr. a I'e't ranger. Ce titre explique assez que I'auteur veut epargner^, aux pcrsonnes cu- rieuses de recliercbes liistoriqucs , le pc'nible soin d'un examen minu- tieux de tous les journaux oii se transcrit quotidiennement I'histoire. G'est une compilation utile et que recommande le nom de I'auteur, connu deja par un bon ouvrage. Nous indiquerons, pour faire concevoir la mise a execution de son plan , les divisions princlpales du recueil : I. Histoire des Francais; i" Moui>ement de la presse periodique ; 2° Chamhre des deputes ; 3" Chamhre des pairs ; 4° Delats judi- ciaires ; 5° Faits poliliques et documens divers. — II. Histoire etrangere. — III. Chronique de la diplomatic. — IV. Documens biographiques. — V. Table analytique. 8g. La Politicomame, ou la Folie actuellement re gnante en France . parSvLVAiN. Eymard, de Grenoble. Grenoble, i832j Viallct. Pa- ris, V* Charles Be'chet. In-B" de 10 1 pages; prix, 2 fr. go. De l'Oppositioiv en i83i, par Alphonse Pepin, avocat. Paris, 1 832; A. Barbier. In-S" de 96 pages; prix, 2 fr. 91. Re'flexions sur l'e'tat actuel et l'avenir de la France et de l'Europe. Paris, i832; Ab.Cherbulicz. In-8'' de 22 pages; prix, i f. 92. De la PROscRtPTiON, Adresse a la chambre des deputes : par M. L. Belmointet. Paris, fcvrier t83'. ;• Levavasscur. In-8° de vii-76 pages; prix, 2 fr. La politicomanie est, dit-on, la folie a la mode. Qui done oscrait s'en LIVRES FRAN^AIS. 4^3 plaindre? N'y a-t-il point sujet a favorable augure pour I'avenir de la FrancedaDsl'exteDsiond'une pareillecpide'mic?.. . II faut Lien se garder de confondre avcc la politique ce bavardage de desoeuvres cpii s'e'tablit, aux inspirations du soleil , sous les arbres du Palais-Royal on sur les chaises prcsse'es a I'entour de ses gazons, et qui, le soir, se re'fugie dans I'antique cafe' de la Re'gence, pour cLarmer les phases dcloisir que laissentauxjoueurs les dominos et le billard. J'abandonne volonticrs aux boutades satiri- qucs de la mauvaise luimcur I'iiidustrie dcs successeurs de cet abbe Trcute-Mille-Hommes dont la verve improvisait des arme'es, des ba- tailles et des conquctes pour les besoins de la conversation. Mais, s'il est un droit inlerdit au sarcasme, c'est celui que jiossede tout homnie d'e'- tudicr et dc discuter les inte'rets de la patrie. Que des gens en abusent pour de'raisonner etrangement sur une matiere aussi difficile , je ne pre'- tends pas le nierj et cent pamphlets, sortis des rangs divers cntre les- qneis se divisentaujourd'hui les Fran^ais, sont la pour en faire foi. Mais poiirquoi s'en e'tonner? La politique, cctte science de la socie'te humaine, de ses besoins et dc ses mouveuiens, est encore si imparfaile et si peu re'pandue ! A peine les masses coramencent-elles a s'cmouvoir sous I'in- fluence de ses plus grossieres notions, et Ton ne saurait affirmer qu'elle preside , pure et sans faux alliage , aux decisions des conseils de la couronne ou meme aux deliberations du corps repre'sentatif. Vou- loir Ja rele'guer dans les liautes limiles de la caste qui gouverne serait restreindre la porle'e de ses de'veloppcmens : faitc pour tons , elle doit rester accessible a tous; et la lumicre n,'en seta que plus e'clatante et plus fe'conde, lorsqu'apres avoir rallie' tous les ravons e'mane's de !a pense'e humaine, dans les plus humbles comme dans les plus orgueil- Icuses conditions, elle jaillira dc cet imposant foyer pour e'clairer notre marche progressive. Laissons done la M. Eyraard s'essayer en vain , avec de bonnes inten- tions sans doute, a ranimcr des argumcns e'puisc's, dans la guerre centre la publicitc, par tous les champions dc I'obscurantisme. M. Alphonse Pepin nous semble aussi se tromper. Dans sa consciencieuse recherche du bien, il blame vcrtement I'opposition de i83i , parce qu^l croit aux lumicres supericures dont ne ccssent de se targuer les ministeres ancre's au pouvoir , aussi entete's dans Icur humcur de domination que les opposans dans Icur furcur de contradiction. M. Pepin est trop cre'- dulp. Aprcs lui, c'est I'auteurdcs Rejlexions sur I'elat de la France, 434 LIVRES I-RAN9A.IS. <[ui, pour etre impartial et trouver un juste miliei raisonnable , imagine Tingeuieux moycn d'uii plongcon sons quelqucs centaines de brasses d'eausalc'c; car la, si-nous rencroyons, loin dii contnct de la terrc^ de scs-bruits et de ses preventions, doit se cacber la ve'rite, na- guere sortie du puils de la faljlc. Vientenfia M. Belmontet, poctc aus sympathies clialeureusos, a la voix e'nergiquc et sonore. Ce qui le frappe -c'est rostracisme bon- teux que des le'gislatclirs, peu sensiblcs aux grandes emotions natio- nales, ont prononce contre la gloire, heritage prose rit d'un enfant, dc quelques viellards et- de veuves sans patrie I Napoleon place sur la meme ligne que Charles X ! Pour lui le.s r-igueurs et la haine : pour I'autre e'gards et respect! Elrange contraste I Oublic-t-on que I'un a fui devant la justice du pcuple, tandis que I'empereur cut des larmes d'a- mour et d'admiration pour adieuxl M. Belmontet s'indigne et Iraisonne: mais chez certains honimes 1' eloquence et la logique vieunent sc briser en pure perte contre I'airain de leurs preventions. Plus tard I'histoire jugera; et noiis lui rcnvoyons Ics matc'riaux qu'a re'unis I'avocat inspire d'une illustre cause. A. J. 93. CouRS NORMAL DES iNSTiTUTEURs PRiMAiRES , ou Directions rela- tives a I' education physique, morale et intellectuelle dans les ecoles priiriaires, par M. Degerando, president de la Socie'te pour I' instruction primaire ■ avec celte e'pigraphe : .« Laissez veniv a moi les petits cnfans. ■» Paris, i832; Jules Renouard , rue de Tournon, n° 6. In-i -I'de 438 p. ; prix, 3 fr. 1)4. CouRS NORMAL DES INSTITUTEURS PRIMAIRES, OU Directions rc/a- twes a I'education physique , morale et intellectuelle dans les ecoles primaires , par mademoiselle Sauvan. Paris, iB3'). ; Lc- vrault , rue de La Harpe , n" 81. In-ia de ig-i p. ; prix , a I'r. II est inutile d'ajoiiter de longues I'ecoraihandations a I'annonce de ces utiles travaux : leur destination et les connaissances spe'ciales des auteurs, voila des litres suffisaris pour les signaler a I'eslimc publique. 95. NouvELLES considerations sur lA Plique ; par Charles Se- DiLLOT, D.M. p., ex-cliirurgien major de la sixieme ambulance de Varmee polonaise, etc., etc. Paris, i83'i; Crochard , rue de J'Ecole dc-Medccine , n" i3. In-8" de 35 pages j prix, i fr aS c. M. Se'dillot est I'un de nos jeunes chirurgicns qui sont alles oftiir a Ja Pobgne Ic seeours de Icurart. Kriiappc aux gcolierspa'.trlduens, il HVKES FKANQAIS- 435 vient d'annonccr son retour par la publication d'un me'moire d'un tres- grand inte'ret scientiCquc. Les medecins avaient tellement obscurci I'histoiie de ia piique par leiirs mutuellcs ct constantes contradictions, que sur ce jjoint la science etait restc'e comple'temcnt incertaine. M. Se'dillot est parvenu a sortir de ce de'dale. Joignant aux observations directes qu'il a faites I'ctude des ouvrages qui traifent de cettc matiere , il expose en quelques pages des vues savantes et inge'nieuses sur la nature et le siege de cette ma- ladie. Partant de ce principe quetoutes nos affections , conside're'es dans leur'dure'e et dans leur cours, ne peuvent etre conipare'es a des fails invariables etpermanens, mais ressemblent a ccs phe'nomenes qui pas- sent par toutes les phases de la croissance , de la force et du de'pe'risse- raent , il explique comment les opinions e'mises sur la piique ont varie selon les tems oil elles ont pris naissance , et montre que les contra- dictions qui ont divise les auteurs sont plus apparentes que re'elles. Ainsi : ide'es d'aboi'd confuses sur I'e'poque de i'apparition de la. piique , que Ton rapporte ge'ne'ralement au treizieme siecle; ensuite descriptions exage're'es , puis doctrine scientifique, empreinte des- opinions me'dicales dominantes , qui re'sume les observations , et fait regarder la piique , alors a son plus haut degre d'e'nergie , comme une maladie contagieuse et here'ditaire , cause'c ct cntretenue par un virus spe'cifique et douuant naissance a des syraptomes nombreux , pouvant simuler ceux de toutes les autres affections ; plus tard les jugemens se modifient en meme tems que la maladie diminue , et enfin lorsqu'clle s'affaiblit de plus en plus , et tend a disparaitre , comme cela a lieu de nos jours , on sc fonde sur la presque nullitc des alterations qu'elle produits, pour -pretendre qu'il en a toujours e'te' ainsi, accuser les lioiume3 d'unee'poque ante'- rieure de s'etre laisse' abuser, et de'montrer que la piique n'est pas meme une maladie. M. Se'dillot passe chacune de ces opinions en revue, et se livre sur chacune d'cUcs a une discussion approfondie et en meme tems pleinc de convenance eiivers les lionorables praticiens qu'il se trouve force de combattre. Get examen lui sert a de'montrer que la piique est une mala- die specialc , qui a son si^go dans les bulbes ou org,snes producteurs des cLcvcux ,. et apres avoir e'tabli ces faits par I'e'tude du caractere de ia maladie , des alterations pathologiques , et par 1' observation microsco- pique des clievcux plique's , il tiermine par des considerations sur les 436 LIVBES FllANgAlS. causes de cette affection et les moyens de la dc'truire eiitiereinent. Jc i\c puis citer tous les details inlc'rcssans de cet opuscule ; un style simple et elegant , une grande claite et des observations extreiuemenl curieuses le recommandent a tous les Iccteurs. Nous devons cspe'rer que M. Sc- dillot ne tardera pas a putlier la Relation cliirurgicale de la cain- pagne dc Pologne en 1 83 1 , et une Lettie a M. . le professeur Fode're' sur le cliole'i-a-raorbus , qu'il a dcja fait annoncer. Son travail sur la piique fait dcsirer que ce jeune me'decin continue d'e'claircv la science par ses importantes observations, L. A. gu. Lettres a Elisa sua la mythologie compauee a l'histoire , traduiles de I'anglais et publiees par P. Chatelain. Bordeaux , 1 83 1 j Duviclla. In-8° de 99 pages. Vous vous rappelez cet age de dix on douze ans , si inde'cis dc nature et de caractere, transition entre I'enfance et Tadolescence. L'intelligence s'est e'veillee inde'pendainment des sens j le coeur s'est ouvert a I'admi- ration pliitot qu'au sentiment. C'est une curiositc toute. receptive sans rctour sur clle-meme, et une expansion qui se produit naturcUe- ment sans preoccupation re'fle'cbie. On apprend alors beaucoup de cho sessans les comprendre et on en parle de meme sans les sentir. Mais cet age a souvent une patience na'iVeraent adrairative des longs re'cits et dont a. dcja bien des fois essayc de profiler pour lui donner en pen de terns line instruction siipcrficiclle , d'apparcnce se'rieuse. On a fait a son usage nombrcde traite's ele'incntaircs, soitpar lettres, soit pardemandcs et par re'ponses, destines a improviser de pctits savans dissertant grave- ment a la promenade avec leur grand-pere sur les obscurite's de l'his- toire ou sur les profondeurs de la science , et deployant une erudition non moins complaisante qu'ignorante de toutes notions d'espace et de terns. II y a raeme des romans oil Ton essaie de leur donner I'avant- gout de ce qu'ils vcrront un jour dans la socie'te', avec une innocence qui sc rend pour eux plus ou moins inintcUigible. Et certainement si vous clierchez, dans votrc mc'uioirc, vous trouvercz, raele's aux reminiscences fraiches et comme parfume'es de premiere communion, quelques souve- nirs de lectures dc cette espece , perdus dans leur tcxte et dont pour ]a premiere fois vous restituez le vrai sens. Apres bien d'autres livrcs, viennent les Lettres a Elisa, qui pre'ten- dentau cliarmc dc Demousticrs duns I'exposilion de quelques idces his- toriques de Bailly sur I'originc des fables mylhologiques : niais ce recued LIVRES FRANgAIS. 4^7 est-il fait pour les adultes on pour les enfans ? Pour Ics adultes , en ve- rile, nous voudrions plus d'e'lendue dans les ide'es ; pour les enfans , en ve'rite nous exigerions plus de simplicite'. Ceux-ci particulierement se- ront fort de'payse's au milieu de bien des reclierches de phrase qui sen- tent la galanterie pedantcsque du plus ennuyeux des Dorat bourgeois. Que peut-il y avoir de mieux pour les jeunes lectcurs ou lectrices des Lettres a Elisa que la ve'rite? Or c'esl la qualite qui Iciir manque, senti- ment et style. Pourquoi vctir de colifichets, comine ferait une beaute'pre'- tentieuse sur le deciin , ces idees greles , fluelteset rose'es? Nous insis- tons gravement sur ce reproclie a I'auteur des Lettres a Elisa ou a son Iraducteur'franfais, ou bien, sivous le voulez, a I'un eta I'autre indi- visiblement. Cela enleve beaucoiip de I'utilite' que peut offrir son livi'e , ntilite que nous sommes loin de lui refuser comple'tement, mais qui n'est pas tout-a-fait en rapport avec ses intentions qui nous paraissent avoir' ete fort bonnes. L. G. . 97, OEuvREs DE BoiLEAU , collatwnnees sur les anciennes editions et les maniiscrits , avec des notes historiques et litteraires , etdes recherches sur sa vie, safamille et ses outrages; par M. Berriat- Saint-Prix. Paris, i83o-i83i ; Langlois, rue des Gres, n" 10, et Delaunay au Palais Royal. L'e'dition aura 4 volumes; les tomes n et IV ont paru ; 2 vol-iri 8° de 5()4 pages; prix de I'ouvrage en- tier, 20 fr. pour les souscripteurs. ( La souscription est encore ou- verle. ) Le prospect^ts de la nouvelle edition des OEwres de Boileau avec un commentaire , par M. Berriat-Saint-Prix , public il y a environ deux ans, nous parut devoir me'riter un accueil des plus favorables. Seulcment nous nous e'tonnanies que des recherches si considerables , qui avaient produit tant de fails nouveaux , eussent ete faites pour un . auteur qui avait deja eu tant de fois les honneurs d'un volumineux commentaire. En effct , Boileau , commcnte en quclque sortc , de son vivant, par Brossette; recommente par Souchay, en I'j'iS ; par Saint- Marc, en 1 7 47; etc., I'avait ete' encore, denos jours, par MM. Daunou, \iollet-le-Duc, Amar et de Saint-Surin. Ce dernier surtout nous sem- blait avoir e'puise la matiere (i) j en rapportant avec une exactitude que 1 on pourrait appeler inusite'e les variantes de beaucoup d' editions an- (I) Voycz Beuue enc^ clope'Uf/ue , t. XXV, p. 95 ei suiv. 438 LIVRES FRANgAIS. cienucsjusqu^^lors laisse'es en oubli, Ics imitations, etc.; le tcxtc de son e'dition etait si supe'rieur.a cclui dc toutes Ics autres, qu'il paraissait de'sorraais bicn difficile de faire mieux. Ccpendant M. Berriat, outre des rechercbes tout-a-fait neuves, sur la vie et sur la famillc de Boilcaii, et un cgmmentaire a la fois plus amplfr ct ■j)lus concis cpie ceuxdc scs dt- vanciers etc. , promeltait plusieurs ccntaines de variantes nouvelles; et les notej philologiqucs du texte de\aient contenir les preuves des resti- tutions , et tout ensemble servir d'errata au plus grand nombre des editions antc'rieurcs que le nouvel e'ditcur annoncait commc fautives en beaucoup dc points, et des editions meme les plus rc'panduesct les plus renomme'es. M. ^erriat-Saint-Prix a rempU ses promesses ^ deux volu- mes dc son e'dition.ont paru : le tome ii, qui rcnfcrrae toutes les poe'sies, moins les satires , et le tome iv qui contient la correspondance ct les pieces justificatives. Le commentaire des poesies a du seul coiiter des reclierclies infiriies : c'est une espece de imriorinn oil se tronvent re'u- nies et rapproche'es les imitations des auteurs anciens , les critiques des contemporains du poete , les observations^ range'es par ordre clironolo- gique , des e'crivains qui se sont occupe's de Boilcaii depuis Brossette jusqu'a re'diteur du Boileau de la Bihliotheque choisie , I'c dernier en ordre dc dates. M. Berriat-Sa-int-Prix ne s'cst pas contentc de lire, la plume a ia main , tout ce qui avait etc', imprirac sur son auteur , il a aussi profitc des lecons orales non encore publiees de nos professeurs de litte'raturc. . Pour le texte, le nouvel e'diteur a pousse le scrupule jusqu'a noter les differences dans I'ortographe des noms proprcs et la suppression des alinc'as. Une attention si soutenue I'a conduit, ce qui est plus important a de fre'quentes restitutions de tcxtc. Nous en citerons quclques-unes : Dans Ic chant iv dcl'Art poe'tlque, les vers _>. i3 et 3i4 se liscnt ainsi dans plus de soixante editions , dont M. Berriat rapporlc la dale (tome ir, p. 269), D(5ja Dole ct Salins sous Ic joug ont ployc, Besanpon fume cncor soux son roc foudroyi' ! M. Berriat noiismontre, d'apres toute les editions, que c'est sur son roc qu il faut lire; le moyen en cffct de concevoir une ville place'e sous unroc!... Mais la faiitc suivantc est plus curicusp. Le Boileau ^/trj- LITRES PR ANgAIS. ^^q //Vpar Ics.jcsuitcs ( i8'.vj et 1824, in-i-^ et in 18), ct destine par cui a r instruction do la jeuncsse, et vingt-quatre autres editions rappoitent ainsi Ic (33'^ vers dii cliant i" de I'Art poc'tiquc : Mene Achiile trcniblant aux bords du Simo'is. Cest. sanglant cpril faut lire; et ]e poete Le Brun , qui avait pour- tant.relevc ia faute des 1807, observe a ce sujet que e'e'tait la premiere fois qu'AcLille avait tremble! Remarquons en passant que M. Bcrriat a noteles retrancLemens fails au Boileau dcs jesuites et les changemens ou les corrections de ces scnipuleux e'diteurs. II en est qui paraltronfincroyables. L'eprtre>xii,sur I'amour de Dieu, a ete reduite a peu pre's a raoitic, et pres de cent vers oiiBoileau insiste sur la neces- site d'aimer Dieu ont ete supprimes... Un zele si eclaire n'a pas porte bonheurau pereLi.t, auquel I'edition est assez gencralenient attribuee. Voici comment il a corrigehs vers si connus sur Juvenal (S. B t n p. 207 ): • Soit quo , poussant a bout la luxure latine, Aux poilelaix de Rome il vendeMessaline. Ive P. L. a ainsi change le Second vers : Aux plus honteux exces il vende Mcssalinc. Le tome ,. est termine par sept pieces, attribuees a. Boileau et que M. fcerriat n'a pas jugc a propos d'inserer dans les oeuvres. La correspondance, quoique.presentant moins d'interet que les poe- sies, n'a pas ete I'objet de moins de soins etde recliercl.es. Les lettres de Bodeau a Racine et de Raeine a Boileau ont ete revues sur les auto- graphes , dont ia plupart sont conserves a la bibliotheque du roi • les lettres a Brossette I'ont ete sur le.manuscnt qui renferme la cerrespon- dance de Bo.Ieau avec ce. ecnvain, etqu, fau panic de la precieusc bi- W.otheque de M. Renouard pere. Ce dernier travail , entrepris pour la premiere fois,depuis Cizeron-Rival , qui a publ.e, en i-o, les lettres a Brossette, suffirait seul pour donner a I'cdition de M. Bernat une su- penonte marquee sur toutes les autres. Cizeron avait rapporte d'une maniere fort inexacte la correspondance de Boileau avec Brossette, et plus d'un passage porte I'empreintc de corrections iaites de son chef; ^'. Bernat a retabl, partout le texte ave une religieuse fidelite; jiresqu'/i chaque page on trouve des mots omis , ou change's, par le prmier 44© LIVRES FRAN^AIS. e'diteur, ct trcs-souvent dps phrases cl meme des alincas cntiers dont romission alte'rait le sens primitif. Quant aiix e've'nemens et aux person- nages contemporains dont il ^st question dans les oeuvres , une pro- diglcuse quantite dc notes liistoriques puise'es dans des me'moires et d'autres ouvrages du tcins c'claircisscnt , et an dcla , coinme pour les poe'sies, jusqu'aux plus petits doutes du lecteur. Le tome iv est termine par deux cent vingl-et-une pieces justificatives destine'es a servir de preuves a I'Essai liistorique et au Tableau ge'ne'alogique que le nouvel e'diteur nous promet avec les volumes qui restent a publier. Z. <)8. Baisers de Jean Second, auec le texte latin, tradiiits en vers francais y par madame * Celeste Vien. Paris, i832; Delaunay. Gr. in-8" de xiv-i3i pages; prix, t4 f'"- Inde'pendamment de la connaissance approfondie du genie et des dc'Ii- catesSes, du me'canisme et des accidens de plusieurs langues, I'art de traduire exige dans celui qui s'y livre une facilite toute particuliere a ■vivre, a sentir, et a penser de la vie, du sentiment et de la pensee d'un autre. II n'est qu-'une mere et il n'est qu'une e'pouse pour saisir la pense'e d'un enfant et d'un e'poux; ainsi , a mon sens, il n'est qu'une femme pour pene'trer tout entiere et analyser dans scs nuances les plus fugitives la pense'e premiere d'un e'crivain. Traduire une pense'e , mais c'est lui donner la vie une seconde fois ! Entre sa premiere forme et celle que par la traduction ellc revet , il y a toute une conception, et il y a tout un enfantement ; il y a de notre ame a celle de I'auteur pre'fe're d'intimes coaGdences et de myste'rieux epanchemens j pour retenir, pour e'chauffer , pour feconder dans son imagination un imperceptible germe qu'on y a refu, il y a des contentions et des sollicitudes inouies. Je parle ici de la traduction typiquc et vrairacnt digne de ce nom • mais existe-t-clle ? Demandez a ce copiste littc'ral et materiel qui s'imagine avoir rendu cette amc, cette passion, celte vie intime, pour avoir cai- que de ce corps quclques contours et quelqucs line'amens grossicrs. Existe-t-elle? Demandez a Patru, qui sort vaincu d'une lutte acharne'e , soutenuc, je crois, pendant vingt-cinq ans, contre vingt-cinq pages du Pro Orchid. La traduction ^,011 tst-elle? la traduction typique, 011 la trouyerPLe plussur, a mon avis , est d'y renoncer, et sans plus se fa- tiguer apres I'ide'al , de se contenter simplemeut de ce qu'on a. Cette fois-ci , du moins , la resignation n'aura rien de pe'niblc. Que reproche- LIVRES FRANCAIS. 44 1 rioDS-nous a luadame Vien ? Parfois des longueurs et du remplissage , mais surtout un emploi trop frequent de I'alexandrin ? Des longueurs ? Mais a I'ceuvre done, vous qui parlez , a I'ceuvre; et ce precis, ce cisele', ce moule' des vers latins , voyons, de madame Vien ou de vous , chez qui la trace en sera , je ne dirai pas plus nette et plus intacte , mais moins perdue, moins pale , moins efface'e. Un emploi trop frequent de I'alexandrin? J'entends : vous reviez de petits vers bien nonchalans , bien le'gers , bien murmurans ; vous reviez que ce serait Jean Second enfin , lui et son laisser-aller mol et gracieux , lui et I'insouciant balancer de ses tant gentilles pe'riodes , lui et ses diminutifs , si le'gers , si gazouillans ; et vous aviez lu et relu Ics vers de votre auteur favori vingt fois , avant que dc passer aux vers fran^ais , ne jetant sur la traduction qu'un regard craintif et de'robe', de peur d'y rencontrer le fatal alexandrin. Fort bien! et moi aussi je revais ce que vous reviez; comme vous, rien que la pense'e de I'alexandiin fatal use faisait frissonner : mais j'ai pcnse' que , si ma- dame Vien s'y est laisse'e aller , c'est sans doute apres avoir lutte avec son auteur pendant long-tems j que c'est deja beaucoup d'avoir assoupli et amolli sa forme herdique , dont elle n'a pu tont-a-fait se de'gager; qu'il faudiait etre enfin bien ingrat et bien exigeant pour ne pas par- donner ce defaut a tant d' abandon , a tant d'ame , a tant de grace et a une entente souvent si sagace des subtilite's exquises et des infinies de'- licatesses de son auteur. J. B — y. 99. NouvELLEs ESQUissESPOETiQUEs, par Glaudius Antony Renal; avec cette e'pigraphe : « J'ai public (a la requete de mes amis et pour eux) un volume de poesies. » Lord Byron. Paris, i832; Dauthe- reau. In-i8de xvj-219 pages; prix, 4 fr- Comme I'avoue M. Renal lui-meme dans sa preface , le tems qui court n'est pas poe'tique ; au milieu des nouvelles qui fernicntent dans les tetes , des e'venemcns qui se croiscnt, qui se lieurtent, il est difficile au poete de se faire entendre : sa voix court grand risque d'etre etouffe'e par les cris de Temeute, par les craquemens des vieux trones qui s'e'croulent , par le bruit des marteaux qui en reconstruisent de nouveaux. Aussi le succes n'en cst-il que plus doux pour lui s'il parvient a se faire lire au milieu de ces circonstances de'favorables , et M. Renal sait se faire lire. Le nouveau recueil qu'il publie aujourd'hui est compose de pieces de diffe'rens genres , mais en grande partie d' elegies et de romances. Les TOME LUI. FiVKIER "1852. 29 44^ LIVRES FRAN^AIS. vers dc M. Renal sont doiix et coulans ; il a trop de facilite peut-etre, en ce qu'clle I'cmpcclie de travailler long-tems scs sujcts, de les crcuser, d'en faire jaillir quelque idee nouvelle; car aujoiird'luii on sacrifie la forme au fond'^ on est lasse' des vers qui ne sont fails que pour I'orcille, qui sont a la ve'ritc un doux murmure de ruisseau , mais un murmurc qui cndort. Du reste ce reprochc ne doit pas s'adresser entierement a M. Renal , nous voulons seulement le prevenir des de'fauts dans lesquels il pourrait tomber : ce que nous lui conscillons surtout , c'est de se de'- faire de ces images emprunte'cs a la mythologie , Pomone et Bellone ont maintenant quatre raille ans , il est terns de les laisser reposer, ainsi que ce pauvre Cupidon qui , chasse' mcme de I'Opera , pent tout au plus trouver a se cacher sous quelques fauteuils de rAcade'mie fran9aise. Que M. Renal ait plus de confiance en ses forces, qu'il ne craigne pas de se perdre en quittant les sentiers battus, et il pourra se farre un nom a son tour. En attendant , ce n'est ])as sans plaisir qu'on lira les pieces de vers intitule'es : la Fiancee, Jfyeres, le Rive d'lin Jaloux , et surtout^e P'ojage de la liberie, que nous ne pouvons mieux louer qu'cn citant les deux dernieres strophes. Le poete nous peint la libcrtc' revo- lant vers la France, apres avoir visite la Grece et I'Amerique : Tout Franpais est soldat jSour recouvrer ses droits ; Du pass^ Timage rendamme. Torrent , le jftuple entraine une digue de rois ; Vainqueur , il ^cotite une femme Qui repete : « Tyrans , fuyez de sang couverts I « Peuple , prend ces lauriers qu'ils remplacent tes fers ! » Cetait la libertd, qui remontant aux cieux Faisait entendre ce langage : Elle fuyait la France ! astre au front radieux Elle poursuivit son voyage ! Sa main sur tous les rois fit briller ses Eclairs : Mais les rois imprudens rivaient de nouveaux fers ! L.H. 100. — Les moeurs et la loi, drame en cinq actes , enprose; par H. Auger. Paris, i83'2j Paidin. In-S" de 164 pages; prix, 3 fr. La vie de madame Osmond s'e'coulait belle et liciueuse, lorsqu'en- tourc de toiites les seductions, Ic baron de Cerigny parut. Avenir, de- LIVRES FRANCAIS. 44^ voir, fidelite jurc'e a un e'poux, tout fut oublie, sacrifie. line faute est commise : la societe s'offense ; la loi veut frapper : qui choisiia-t- elle? Cette femme et son enfant, ou celui qui s'est fait de leur nom et de leur vie un jeu infame? Malediction sur cette femme et sur cet en- fant, dit la loi 5 et voila que madame Osmond s'est re'fugie'e avec son jeune Alfred aupres du baron j et voila que vingt ans se sont e'coule's, pour la mere vingt ans de pieuse resignation et do de'voument sans bornes a la tranquillite' de celui qui a cmpoisonne ses jours, pour I'en- fant vingt ans de se'curite' profonde sur le secret douloureux de sa naissance. Cependant il faut que ce secret lui soit re'vele un jour j ma- dame Osmond le sail. Que le baron reconnaisse done avant de mou- rir Alfred pour son fils, et qu'il lui donne un nom devant la loi j c'est la son espoirj pour obtenir de lui cet actc de reparation eclatante et de haute justice , elle emploiera tout I'ascendant qu'clle pent avoir sur son esprit, et elle n' attend pour cela qu'une occasion. Cette occasion ne tardc pas a se presenter : Ernest de Cerigny, neveu du baron , doit etre porte' sur le testament de son oncle pour une partie dc ses biens, et un notaire, M. Dupre', a e'te appele dans cette vue. Madame Osmond de'- termine le baron a reconnaitre avant toute chose Alfred pour son fils ; la reconnaissance a lieuj mais Alfred est fier; la vie lui est devenue in- supportable, et il se tue. Lcfon terrible! Puisse-t-elle frapper I'imagination d'Ernest, a qui elle est destine'e! II est jeune, il est riche, et il porte un beau nom; puisse-t-il n'abuser jamais de tons ces avantages aupres des femmes ! Helas I il n'en sera pas ainsi ! Des le debut, voila une existence de femme brisee; pauvre madame Dupre'! Puis a une autre : Laurence, la fiUe d'un riche marchand de la ville de province oix se passe la scene, Lau- rence, amie de madame Dupre', succonil)e a la se'duction d'Ernest, et c'est fait d'elle! Elle lui a sacrifie son pere, le vieux Clermont, que le chagrin tuera , et Armand , son fiance' , dont elle devait etre avant peu la femme J et il I'abandonne. La voila mere! Que devenir? Elle fuit son pere, et se refugie cbez Sophie, la fiUe du marquis de Boncourt, une de ses amies de jeunesse. Infortunce Laurence! Quelle maison et quel jour a-t-elle choisis? La maison de celle qui va lui succe'der a titre d'e'pouse dans le cceur de I'homme qui I'a seduite, le jour ou le contrat de ce fatal mariage sera signe ! Et elle fuit ; et son pere et son fiance la 29. 444 LIV^ES FRAN^AIS. cherchent; etenfin, apres avoir crrc pendant quelque terns, elle a trouvc un asilc; c'est une prison ! Et h cote d'elle est madamc Osmond, en ha- bit dc rcligieusej ct a cote' d'elle est Sopliie, qui, sollicitce par madamc Osmond, a procure' un avocat a sa malheureuse amie, accuse'e d'infan- ticidej et au bout de tout cela, et Ic jour meme oii Ernest a refu du roi la faveur d'une ambassade... rc'chafaudi Le conteur a fini sa taclie : au critique la sicnne. Pourquoi , demandc celui-ci a I'auteur , pourquoi donnez-vous a une oeuvre de philosophic un nom qui n'appartient qu'a une oeuvre d'art; votre e'crit ressemble a un enseignement bien plus qu'a un drame. Pourquoi ce premier acte , qui est une piece a part dans la piece, et oii vous vous dclivrez arbi- trairement d'un personnage? Pourquoi ces incidens que vous conce'dez aux exigences de vo.tre idee morale , sans les ratlacher par un lien es- sentiel et ne'cessaire a la fabulation prise en elle-meme et a Tinte'ret pu- rement artistique du drame? Pourquoi L'auteur arrete ici le cri- tique et le renvoie a la page 8 de son introduction , oil il est dit : « L'au- teur des Mceurs et la loi , en e'crivant pour la scene , avait quelque chose a dire au public. Ce n'e'tait pas seulement pour juger une ques- tion de forme , ou pour amuser par une combinaison plus oil moins in. ge'nicuse et spirituelle de nos travers, ou pour inte'resser par quelque tableau de'chirant des passions , qu'il appelait dans un theatre les ci- toyens si prompts a se grouper autour de toute voix qui park : il vou- lait soulever les coeurs contre quelques-unes des plaies de la socie'te'j il voulait , par un des moyens les plus puissans d' enseignement etde pro- pagation , montrer I'insuffisance et souvent memo I'injustice des lois qui nous re'gissent; il voulait surlout, par le contraste qui existe entre les lois et les mceurs, araener a re'fle'chir sur les miseres de la condition des femmcs. Et si , apres la lecture de son drame on se rappelle les scenes d'exposilion oil quatre femmes apparaissent jeunes et purcs, pour subir des destinc'es si diffeientcs ; si Ton songe a I'importance de la Icfon donne'e a I'avance, ainsi qu'il en est presque toujours dans la vie, Iccon qui profile si peu ; si Ton copsidere que rien dans le cours de la piece ne s'eloigne dc la ve'rite, et ne vise a I'effet sce'nique, tel qu'on le com- bine aujourd'hui , tout en offrant les memes sujets , comment pourra-t- on nicr encore le parti qu'on pent tirer des representations dramatiques commc moyens d'education. II est impossible, physiqiiement impossible, LIVRES FRAN^AIS. 44^ apres une representation ou les hommes et les femmes, c'est-a-dire les coupables et les victimes, ont e'te' confondus dans une raeme attention , qu'iln'en re'sulte pas im effet moral, salutaire a rame'lioration de la so- cie'te. » Et plus loin : « L'auteur espere que le lecteur saura faire la part des effcts lieurte's qui ont e'te combine's pour la scene ; a la lecture on exige des transitions plus douces, mais ces considerations sont tres-se- condaires. » Le conteiu:, le critique et l'auteur ont parle'; maintenant au pu- blic! lOI. ESQUISSES DE LA SOUFFRANCE MORALE , par Ed. AlLETZ. T. II. Paris , i83'2 ; Ad. Leclere. In-8° ; prix , 6 fr. La souffrance morale I voila un beau champ ouvert au psycologue o ii au poete. Etes-vous de ceux qui , portes par genie a etudier le monde et a cbercher Dieu dans I'homme , ont en eux comme un miystc'ricux toucher pour saisir Tame et en quelque sorte la palper, comme une ouie inde'Gnissable et souverainement de'lie'e pour ausculter la vie dans ses vibrations les plus passageres et dans ses harmonies les plus lointaines, comme un regard inte'rieur enfia , et comme une arriere-vue, pour as- sister aux scenes si fugitives de la conscience et aux evolutions si ra- pides et si multiplie'es de la pense'e ? Prenez , s'il en est ainsi , prenez Tame au milieu d'une crise maladive, alors que, se concentrant de loute sa force et se repliant avec effroi sur elle-meme , elle se contracte a la peine; alors que, de quelque plaie saignante et vive ouverte en elle , s'e'panchent en haine et en tristesse des flots de joie corrompue et d'amoui- vicie' , et que , las de lutter contre I'insupportable poids qui Toppresse , tons les ressorts de sa repulsion se sont de'tendus ; prenez-la dans un de ses momens d'angoisses mortelles , et que des milliers d'e'tincelles jail- lissent du contact de votre observation et de ces phe'nomenes si de'lie's. Prenez , si bon vous semble , et pourquoi non ? les trois sujets choisis par M. AUetz , la Captivite , I'Epouse coupahle et la Pros- cription; approchez le microscope et le scalpel psychologique de la vie inte'rieure de vos trois types , suivez curieusement la sensibilite de ce captif dans ses rapports divers avec les mouvemens de I'intelligence ^t avec les impressions des sens , soumettez pareilleraeut les affections et les ide'es de cette Spouse coiipable et de ce proscrit a I'e'preuve im- 44^ LIVRES FRANgAlS. Ijartiale dii sens intiine; ct, pour pen que vous ayez sur la clestine'e de I'homme individuel ct de I'liomme collectif quelque vue large, pourpeu que votre systeme de division et de coordination dcs phe'nomcnes de la vie soil juste et vrai , vous aurez enrichi la psycologie de fails curieiix en meme tems que vous aurez hate' pour votre part la marche de cette science vers sa reconstitution prochaiue , dont elle e'prouve impe'rieuse- ment le besoin; vous aurez fait osuvre utile. Oubien, n'etes-vouspaspsycologue, mais etes-vouspoete? Oh! alors, il y a dans ces tristes ames humaines des cordes si ge'missantes a faire vibrer ! Et vous pourrez ;, aus cris de de'tresse profonde qui s'en exha- leront , meler des cliants de consolation si doux , sf vivifians , si de'sap- pris I Faites cela , et pour peu que vous ayez de tendresse et d'e'levation dansle genie, vous aurez ajoute une page au livre del'art, vous aurez fait une belle oeiivre. Mais, au lieu de cela, n'avez-vous recueilli, par pre- cipitation de travail ou autrement, que quelques vues incompletes de I'ame, de sa nature, de ses rapports et deses divers attributs , n'avez- vous fait que de la demi-science* et en meme tems , parce que vous avez vocation de philosophe et non de poete , ou pour toute autre cause, n'avez-vous montre qu'un sentiment d'artfort ordinaire, et n'avez-vous fait que de la demi-poe'sie : soit que vous parcouriez dans tons les sens le champ vaste et fe'cond de la souffrance morale , soit que vous vous renfermiez dans les trois sujets choisis par M. AUetz , ce qui lui est arrive' vous arrivcra. Quand on aura lu la Captivite , V Epouse cou~ pable et la Proscription , on conviendra du charme el de la ve'rite' de certains details; mais on se demandera si I'auteur a bien tire' de ses trois sujets tout le parti philosophique ou poe'tique possible. La science s'y trouvera pe'cher par la poe'sie , et la poe'sie manquera par la science : celle-ci sera vague, et celle-la sera guinde'c; I'abstraction tuera la des- cription, et au plus beau moment du poete, I'oreillc du psycologue per- cera ; I'effet sera detruit. Vous pourrez vous sauver comme M. Al- letz par d'habiles effets de style , et par une certaine tenue dans la pense'e j mais vous n'aurez pas fait des Esquisses de la souffrance mo- rale , et votre but sera en partie manque : vous pourrez , comme M. Al- letz, prcluder par cette oeuvre mixtea la psycologie pure ou a la poe'sie pure; mais vous n'aurez e'te' en attendant qu'un demi-psycologue et un demi-pocte, ct vous n'aurez rien cre'e qu'un genre batard. J. B— V. LIVRES FRAN^AIS. 441 i6i. Sextus, ou le Romain Dis Maremmes , suivi d' Essais detaches sur Vltalie ; par madame Hortense Allart de Therase ,. aiiteur de Gertrude, Jerome, etc. Paris i832 j Heideloff et Carapc, rue Vivienne , u° i6. In-8° de 496 pages; prix , 7 fr, L'lTALIE , LA FnAlSCE ET L'ANGLETERRE. Nous rendrons compte du nouveau roman de madame Allart dans notre prochain caliier. Pour aujourd'hui nous nous bornerons a quelques citations qui donneront une idee do sa raaniere simple et de son style elegant et chatie'. C'est un romain , Sextus , le he'ros du roman qui parle. « Je suis ne' de'she'rite dans un pays de'slie'rite'. Je n'ai eu ni nom , ni fortune , ni palrie. Je suis Romain. J'ai e'te c'leve' dans ces Maremmes oil paissent nos troupeaux sauvages. Le cardinal Salviati avait employe ma mere dans ses domaines ; il me garda pres de lui quand mon perc- mourut : je lui plus; il s'amusa a m'enseigner le latin^ et tour a tour il me garda pres do lui ou m'employa dans les Maremmes. J'y surveil- lais la direction des biens et des troupeaux. Parcourant a cheval nos plaines , j'y raniraais le zelc de ces bergers arme's d'unc lance , qui , a cheval et immobilts , gardant les betes a cornes , se lancent quelquefois aprcs elles avec la rapidite' de Teclair. Quelque chose de guerrier reste dans le paysan romain ; c'est a cheval et en fendant I'air qu'il poursuit et dirige les taureaux rebelles. Si les souvenirs remplissenl notre ville , un caractere grand et sauvage regue dans nos campagnes ; nos trou- peaux memes n'obeissent que de loin a la lance; ils conservent au desert leur caractere primitif ; mat nourris , mais fiers , ils ont plus de cceur que de prix. » Le cardinal m'arrachait a ces solitudes pour me faire etudfer a Rome les poetes latins ; je cherchais les historiens , et, quand je les avais lus, je revenais avec joie au milieu de mes troupeaux; j'airaais mieux Ja na- . tureagreste que notre situation politique et les modernes. II y a quelque chose de digne et de doux , si Ton souffre , a revenir a la campagne et a la terre. J'aimais, a la ville , a,v M. Bourgon , etc. NOUVELIiES SCIENTIFIQUES, LITTERAIRES ET INDUSTRIELLES. AM^RIQUE SEPTEIVTRIOIVALE. STATISTIQUE DES ETATS-USIS. La stalistique est encoi-e une science bien incertaine : jusqii'ici, elle se borne ge'ne'raleracnt a recueillir des documens qui sont de nature a piquer la curiosite, ou qui , pre'sente's dans le.ur isolement , s'accommo- dent, avcc la meme faicilite, a*ux spe'culations diverses de la politique libe'rale ou re'trograde. A peine si , dans le domaine des sciences me'di- cales , MM. Villerme , Quetelet et quelques autres , sont parvenus a de- duire de donne'es laborieusemenl compulse'es quelques re'sultats exacts et utiles. Ce qui s'oppose avant tout aux progres de la statistique, c'est I'e'tat precaire auquel sont re'duites , durant une e'poque de critique , de doute et de rechevches , les theories de I'e'conomie sociale , qui seules pourraient fe'conder des chiffres inanime's sous la plume de la plupart des compilateurs. D'un autre cote' ccs tbe'ories sont encore prive'es des sc- cours qu'elles pourraient trouver dans une connaissance approfondie des fails par les difficulte's des releve's statistiques au sein de nos monarchies ombrageuses, et par I'absence de liaison et d'enseml)le entre les rensei- gnemens que des administrations sans unite publient 9a et la sur des parties de'tache'es d'un grand tout. La statistique a fait pourtant quelques pas vers I'exactitude en Angle- terre et aux £itats-Unis , ou les ressorts de la socie'te sont e'claire's d'un jour plus grand qu'en aucune autre contre'e. Nous avons dcja cite un al- manach fort inte'ressant (i) qui nous a procure' des tableaux assez cora- plets sur la population de TAmerique du Nord. (Voy. ci-dessus, p, 86 (1) The American Jlrnanac , etc. — Almanach americain , et Rdpertoire dp ronnaissances utiles , pour Tannic \ 832 ( par M. Worcester) . Boston , Gray ©t Bowen. Inf2.dc xii -312 pages. 456 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. ft 87. ) Nous lui emprunterons encore plusieiu's aperfus curieux sur r etat do ce pays , sans pre'tenclre toutefois y attaclier une importance scientifique qu'ils ne peuvent avoir. Voici d'abord un tableau de la situation des sectes rcligieuses aux. ifetats-Unis'j nous avons eu quelque peine , et Ton s'en apercevra sans doute, a traduire, dans une langue aussi novice que la notre'aux argu- mentations subfiles du puritanisrae, les denominations des vingt ou trente sectes principales entre lesquelles se detaille la grande population ame- ricaine 5 mais I'effet que doit produire ce singulier exemple du morcel- lement des convictions religieuses n'en restera pas moins entier et frappant. DIVISIONS DU CHRISTIAIVISME AUX ETATS-UIVIS. DENOMINATIONS. Calvinistes Eglise episcopale melhodiste {\) Assemblee gdnerale presbylerienne . . . ^ . . Coiifr(5p,ationalistes orthodoxes Eglise protcstante dpiscopale (2) Universalistes Gatholiqlies romains (3) Liithdricns Chretiens {cimslians) Reform^s allemands Amis ou Quakers Unitairiens congr^fjationalistes Metliodistes associds ou autres Baptistes du libre arbitre Rel'ormes hollandais Mennonites Presbyteriens associ^s '. Presbytdriens dils de Cumberland Tiinkers Baptistes de la communion libre , Baptistes du septieme jour , Baptistes des six principes , Freres-Unis ou Moraves , Eglise millenniaireouTrembleurs(iAaAeri) Eglise de la Nouvelle-J^riisalem Baptistes dmancipateurs Juifs et autres non mentionnes 2,914 i,777 1,801 1,000 550 168 M 205 200 84 160 350 300 159 200 74 50 40 30 30 25 23 45 30 15 EGLISES ou Congregations. 4,584 2,253 1,270 700 300 1,200 800 400 400 193 400 194 )> 144 • 75 40 40 30 23 15 28 150 POPULATION. 2,743,543 2,600,000 1,800,000 1 ,260,000 600,000 500,000 500,000 400,000 275,000 200,000 200,000 176,000 175,000 150,000 125,009 120,090 100,000 100,000 30,000 30,000 20,006 20,000 7,000 6,000 5,000 4,000 50,000 (1) Cette eglise compte quatre ^veques. (2) Ellea maintcnant douze dveques en exercice. (3) lis sent sous la direction d'un archeveque , de quatre dveques titulaires et d'uii coadjuteur. AMERIQUE. 45 y Nous avons donne prece'demment une idee de la croissance extraordi- naire des populations dans les divers Etats dc TUnion ; I'extension graduelle qu' ont prise, sous cette influence ge'ne'rale, leurs mctropoles comraerciales et politiques n'est pas moins remarquable. On peut en juger: BosTQ-v comptait , en 1700... 7,000 habitans. 1752 17,574 1800 24,937 1 830 61 ,392 New-York en 1696 4,302 1756 10,381 1800 60,489 1830 205,007 Philadelphie.. .... .en 1731 12,000 1790 49,520 1800 70,287 1830.... 167,811 Baltimore en 1 775 5,934 1790........... 15,503 1820 62,738 1850 '. .. 80,625 Nouvelle-Orleans. . en 1 802 1 0,000 1810 17,242 1820 27,1.76 1850 46,310 Washi.wgton en 1 81 0 8,208 1820 13,247 1830 18,827 Une statistiquc de Philadelphie, soigneusement elaboree, que pu- blic le Hiizard's Register , offre un modele singulier de combinaisons nouvelles et quclquefois pue'riles. Gette ville contenait, non compris scs faubourgs : . En 1790 28,522 habiians. ' . En 1800 41,220 En 1810 53,722 En 1820.....^ , . 63,802 ' En 1830...:.^ ; 80,458 TOME Llll. Ff:VRlER 1852. 50 458 NOUVEl.LES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES On a calculc , en rapprochant de ces nombrcs Ic contcnu dn terrain siir lequel la villc est batie, deduction faite de quelqucs grandcs rues, que, par suite des progres des constructions ct du i-esserrement des habita- tions : Un individu occupait , on 1790 1,755 pieds carr^s. Un idem. 1 »00 1,246 » Un id. 1810 983 » Un . id. 1820 786 €n id. 1830 625 D'apres des evaluations recentes, le pied caric a , lernie moyen , une A'aleur de 48 cents, environ -i fr. 5o c. En 1795, une maison contenait 6.55 habitans En 1810, idem. 6.11 » En 1850, (approximativement) 6.00 » On comptait, en 1795, 6,527 maisons. en 1810, 15,814 » en 1850, 27,968 » Les fails suivans servent a faire comprendre a quel haul dcgre' de de've- loppement sont parvenus , aux Etats-Unis , deux ele'mens capitaux de la civilisation. Nous ne pre'tendons pas deduire de ces chiffres isolc's leur application a cette vaste contrc'e tout entierc, qui est loin d'offrir partout d'aussi lieureux exemples; mais on sait parfaitement que les Etats du Nord, tels que ceux do New-York et de Connecticu-t, sont les ve'ritablcs repre'sentans de la purete des institutions re'publicaines ct libe'rales dont se vante la jeune Amc'rique. Dans le Connecticut, sur une population de ■29'y,'jii ames , on coraptc 85,4^2 enfans , de I'age de 4 a i6 ans, eleve's dans les e'coles publiques auxquelles est affecte' un revenu de 76,933 dollars 80 cents ( 400,000 £r. environ ). Comparez avcc nos budgets departcmentaux ct surtout avec notre budget central. Dans rfitat de New-York, pour une population de 1,91 3, 5o8 ames, on public deux cent trente-sept journaux, dont cinquante-quatre appartiennent a la capitale ; ce qui fait pour I'etat un journal pour 8,95o Lal)itans ; et dans la cite un jdbrnal pour 3,7 Sg. II est facile de AMERIQUE. 45'9 rapprocher ces nombres d'autres nombres publics deja dans la statis- tiquc des divers pays ciirope'ens. D'apres un tableau public par M. Adrian Balbi, dans la Revue Encjclopedique , en feVrier 1828 , cetle propor- tion e'tait ; En Prusse , d'lin journal siir 41,550 habitans. Dans les aulres elals allemands, 1 45,300 En Angleterre , 1 46,000 En France , 1 64,000 En Suisse, . \ 66,000 En Toscanc, \ 200,000 En Autriche, \ 400,000 En Russie, ^ 565,000 '■> En Espagnc, 1 695,000 On n'oubliera point que les proportions indique'es ici se sont beau- coup raodifie'es a I'avantage de la France , en restant a peu pres sta- tionnaires dans les autrcs pays. Nous livrons aux savans un dernier fait , pour I'expliquer , soit par I'influence diverse du climat sur deux races transplante'es a des e'poques distinctes de leur terre natale a une contree lointaine , soit par les dif- ferences d'habitudes dans le regime dic'te'tique , entre le maitre et I'es- clave, soit par tout autre cause qui nous e'chappe , vu I'ignorance des moeurs ame'ricaines et le de'faut d'e'tudes spe'ciales. Ce fait , c'est la frequence des longe'vite's , bien plus marquees cliez la race noire que dans la race blanche. On comptait dernierement aux Etats-Unis 2654 centenaires ainsi distribue's : Hommes. Femmes Blancs 297 234 Noirs libres 382 359 Noirs esclaves 71 7 662 Et cette anomalie frappera d'autant plus que Ton se rappellera com- bicn la proportion des populations noires est minirae dans son rappro- chement avec la race blanche , combien les prejuge'sde coulcur exposent encore , meme sur une terre dc liberte , les pauvres enfans de I'Afrique aux souffranccs d'une vie toute de travail , de chatiment et de priva- tions. A. J. 30. 4Go NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES- GRAMDE-BRETAGIVE. MECAKIQUE CELESTE PAR MADAME SOMMERVtLLE. Dicu , a-t-on dit , a clevc la tetc dc I'liomruc afin (ju'il piit voir Je ciel. Cost le cicl en efiet qui est raliincnt ine'puisabic de toutc haute poe'sic el de toute haute raison, et c'cst vers lui que se refleehissent sans ■"ccsse CCS deux sublimes rayons de Tame du monde. La pense'c voyageant d'a lMc( anique celeste publice par madame Sommcryillc ap- ANGLETERRE. 46 1 ))aiiienl encore a une sphere trop haute pour alteindre direclemcnl son but, mais. elle ne peut manquer cepcndant d'ctendre au loin son in- fluence par les canaux intcrmediaires , car elle vient occupcr une impor- tante lacune entrc le traite' dc Laplace, proprie'te' d'un petit nombre d'csprits en Europe , et les tiviile's clc'mentaires laits pour les cnfans ct aiix poitcs dc Rome , iiiais Ic flcaii Jc Dieii ne rcnconlrcra pas d'ob- » staclcs et sc projiagcra facilcmcnt de I'Ombrie a Paris. » Quel triomplic ct quelle joie pour eux que le cholera qui nous de- ciinc ! DE L'AIR MARECIGEUX. RECHERCHES SUR LES PLANTES DU GENRE CHARA, On sail que, pendant I'cte, une parlie de la Toscanc, des foats-Ro- raains et du royaunie des Deux-Siciles est rendue de'serte et inhabita- ble par la uiaV aria ou mauvais air. Les contre'es les plus fertiles doivent alors etre traverse'es par le voyageur avec une prudente rapi- dite. Malheur a lui s'il se repose ou s'endort en plein air aux appro- ches dc la nuit ! Les forces vont I'abandonner^ la lievre le saisir • quel- quefois pour lui il n'y a point de re'veil. Les habitans de ces lieux perfides^ a qui la misere ne permet pas de fuir, leur o^iposent en vain la puissance de I'habitude. Pales, dechar- ne's, dans un marasme conlinuel , ils trainent avec peine une vie sans ressort qu'unc mort pre'mature'e vient bientot terminer. Ce sont les bordsde la mer, ou les mnremmes , ettous les lieiixdans lesquels les eaux croupissent , qu'on voit le plus expose's au fle'au du mauvais air. Les maremmes ne sont pas, comme on pourrait se le fi- gurer, un marais continu. Ce mot signifie seulemcnt les rii^es mariti- mes qui sont quelquefqis d'une aridite' complete, et qui different beau- coup de ce que les Italiens appellent paludi el nous marais. Cependant on y remarque par intervalles des mare'cages la ou des fleuves ou des torrens vieunent se jeter dans la mer. Un fle'au constant, c'tendu, funeste , a dii occuper dc tout tems les me'decins, les physiciens et les chimistes. On I'a attribue succcssi- vement a plusieurs causes : au manqive de culture et a I'e'tendue des bois; mais ailleurs sc trouvent des regions incultcs , des forets nom- bre\ises, el I'air n'est pas vicie : a la stagnation des eaux 5 mais il y a aussi des chus slagnantes dans les pays sains : a la putrefaction des inatiercs ve'gctalcs ct animalesj mais dans les lieux ou Ton fait mace- 470 NOITVELLES SCIENTIFIQUES ET LTTTERAIRES. rcr le lin et Ic clianvrc, mais pies ties fosses ct clcs cloaqucs qui sont quelquefois an milieu des cites les plus populeuses , iln'ypas con- stammenl infection de I'air avec les mcmes accidens. Le melange de I'eau de mer avec I'eau douce a ete aussi regardc comme pouvant pro- duire le mauvais air ; mais il y a des lieux infecte's ou ce melange n'a pas lieu. Ces conditions divei'ses, isole'es ou re'unies , n'ont pu jusqu'a present re'soudre en entier le grand problemedel'air mare'cageus., I'un des plus inte'rcssans de I'liygicne publique; et M. le professeur Julia , dans ses rccherches sur ce sujet, ouvrage couronne' par 1' Academic des sciences de Lyon, et public en iSaS , a du avouer que rien de ce que I'analyse chimique lui avait fait roconnailre dans I'air des marais n'ex- pliquait les accidens observes , ct que la substance morbifique nous est comple'tement inconnue dans sa nature. Dans cat e'tat de la science , on apprendra sans doute avec inte'ret les reclierches faites re'cemment en Toscane par le docteur Paul Savi , professeur d'histoire naturelle a I'Universite de Pise , conjointement avec M. Passerini , aide du professeur de chimie de cctte raeme univer- site. EUcs ont ete' consignees dans un me'moire fort de'taille , inse're' dans le cinquante-neuvieme nume'ro du Nouveau Journal . des Lettres {Nuovo Giornale de' letterati) ({ui sepulilie a Pise. En voici I'expose' tres-succinct. La chara, genre de piantes tres-abondant dans les marais, exhale, surtout pendant re'te, une odeur fc'tide, semblable a celle des marais eux-memes. Dela ou est venu a penser que ces piantes, "par leur vege- tation, leurraort et leur decomposition, pourraient bien etre la cause du mauvais air. C'est pour e'claircir ce doute que MM. Savi et Passerini ont entrepris une serie d' observations et d'analyses sur les cspeces les plus communes de la chara, la vulgaris et la flexilis. . lis ont trouve ces [)lanles couvertes a rexte'rieur d'une croiite de car- bonate de cliaux, dont la quantite', toujours grande , dccroit successi- vemcnt, et d'une maniere[notable , dans les quatre mois de mai, juin, juillet et aoiit . Ce sont pre'cise'ment ecus ou la raal' aria se fait le plus sentir. Parmi les autres e'lemens de la chara, ils ont aussi reconnu une substance grasse, volatile, jusqu'ici inconnue, qui , contenant de I'azote, a de I'analogie avec les substances animales , et dans laquelle reside I'odeur fe'tidc qui a donne' lieu a leurs investigations. lis ont nomme' ce ITALIE. 471 principc jmterine An nom viilgaiic dc piitera, donne a la plante par Ics Italicns. Apres avoir examine la chara dans son e'tat d'inte'grite ct de vie, ils I'ont soumise a la putrefaction en la faisant raace'rer dans I'eau. lis I'ont vue bientot entrer en decomposition. De I'acide ace'tique se forme, s'linit a la chaux de carbonate et de'gagc I'acide carbonique qui , s'elevant dans I'atmospliere , rend ecumeuse la superficie du liquide. En meme tems s'exhale I'odeur de la plante, qui devient incommode au point de causer des accidens nerveux et de violens maux de tcte aux pcisonnes qui s'y exposcnt meme a une grande distance. Peu a peu la plante prend une couleur sombre; elle se ramollit, devient sa'uonneuse et se re'duit en une bouillie noiratre d'une odeur insupportable et formc'e de fragmens de fibres ligneuses et de charbon tres-menu et comme onc- tueux au toucher. Dans la derniere periode de la putrefaction, I'cau dans laquelle les plantes e'taient plonge'es devient elle-meme tres-fetide, noiratre , mucilagineuse. A sa superficie se forme une pellicula obs- cure, parseme'e de tacbes jaunatres, qui reflete en quelques points les couleurs de I'iris, exhale une odeur de'sagreable et donne par Taction du feu des produits azotes. Les roemes experiences faites dans des vais- seaux clos, sous Taction des rayons solaires , ont donne' les memes pro- duits. Re'pe'te'es sur la chara des eaux saumatres, oii elle croit a ua de- gre de salaison qui fait perir les autres plantes , les observations ont pre'sente' aussi les memes phe'nomenes, mais avec plus d'intensite'.. MM. Savi et Passerini pensent pouvoir conclure de leurs recherches repe'te'es que la puterine ou le principe fe'tide du genre chara offre , si- non la cause unique et ge'ne'rale du mauvais air , du moins une des causes qui agissent le plus puissamment pour le produire en Italie. Cc principe malfaisant, dont T odeur est la meme que celle des exhalaisons mare'cagcuses , sede'veloppe en abondance toutes les fois que le reti'ait ou Te'vaporation des eaux laisse la chara de'couverte , et par sa volati- lite' il est verse' et tenu en suspension dans Tatmosphere. Pe'ne'tre's de cette ve'rite que rien ne doit etre ne'glige' dans les scien- ces, et qu'une cause faible en apparence pent devenir tres-e'nergique , lorsqii'elle agit a la fois sur une vaste e'tendue , nous ne pouvons qu'ap- plaudir au beau travail de MM. Savi ct Passerini, et nous souhaitons qu'ils le continucnt par des recherches sur les desordres que produit 472 NOUYELLES SGIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. la puteriuc dans 1' economic animalc ct sur Ics moycns do les com- baltre. Nous formons aussi un voeu, c'est que dc semblables experiences soient repe'tc'es en France et dans tous les pays oii les marais enlevent a I'agriculture tant de terrain fertile , et exercent sur Ihomme ce funeste pouvoir qui le debilite, le degrade et abrege ses jours. Sans doute les plantes mare'cageuses ne disparaitront qu'avec les marais, et ce sera toujours par ccux-ci qu'il faudra commencer la re'forme; mais ce se- rait deja un grand pas de fait que d'etre parvenu a determiner la prin- cipale cause de leur influence, et de n'avoir plus a I'attribuer a un prin- cipe incDunu , insaisissable. En tout le vague n'engendi'e que de'coura- gement et apathie. D. R. , de Geneve. BiOTE Slin LA CONSPIBATIOS CONTRE VENISE. ERREURS HE l'AEBE DE SAINT-REAL ET riE DARU. En m' occupant dcrnierenient d'une vie du due d'Ossonne , je fus conduit a examiner avec soin tous les documens relatifs a la celebre con- spiration contre Venise. Foi'ce' d'abord de reconnaitre combien I'abbe' de Saint-Re'al avait deligure' cet dve'nement historique pour lui donner unc teinte romanesque , je demeurai bientot tout aussi me'content , je I'avoue, de la maniere dont il a etc compris et explique par M. Daru. Tout le mondc sait que , suivant Saint-Re'al , ilj eiit line efjroyahle conspiration concue par le marquis de Bedamar, et seconde'e par d'Ossonne. I^e corate Daru nie ahsolument qu^ily ait eu contre Ve- nise une conspiration , et pretend que I'opinion ne s'en est re'panduc et confirmee que d'apres un faux l)ruit donnc par le due d'Ossonne , afin de donner le change sur son propre dessein et dc se constituer a Naples une souvcrainete inde'peudante. . Comme les me'moires et les monumcns historiqucs du tcms ne four- nissent a celui qui les etudie aucuri clement de demonstration capaljlc d'y Jeter de la certitude, nous en sommes reduits a I'analogie eta I'in- duction pour nous former sur ce sujet unc sortc d'opinion , ct cclle-la ITALIE. 4?^ lU'c'ritera Je plus de credit qui , s'appuyant sur Ic peu de faits qui nous soient parvenus , s'accordera le mieux avec eux. Je fus conduit a mon dissentiment d'avec I'opinion de Daru , la plus gene'ralement accreditee auj ourd'hui , en le voyant oblige', pour la rendre probable, d'entasser tous les e'venemens qui inarquerent le cours de la vice-royaute de d'Ossoune dans le court espace de teras qui y precede la conspiration. U a gouverne a Naples depuis 1616 jusqu'cn 1621, et pendant tout c€ teras il n'a cesse' de donner des preuves d'extrava- gance et d'anibition; mais tous les historiens coutemporains s'accordent a ne dater que de i6ig scs ptetentions a rendre Naples inde'pendante de I'Espagne. Leti place en 1620 ce festin ou il eut I'imprudence de se couronner lui-meme; etDaru est oblige defaire reculer tous ces e'vene- mens jusqu'avant leraois demai 161H, cpoquedela conspiration. Le due d'Ossonne , dans les premiers terns de son pouvoir, s'e'tait montre d'une excessive rigueur envers la noblesse et le clerge ; il n'avait e'par^ne a ccs deux classes ni rebuts , ni chatimens, ni outrages. M. Daru veut que, changeant brusquement de conduite , il ait , des avant 161 8 , travaille a se les C(Jncilier , tandis que les ecrivains du tems ne placent que bien plus tard sa resistance a I'inquisition , et plusieurs autres circonstauces oil il fit preuve d'habile administration et de fermete'. Ges rcmarquos me conduisirent a examiner les documens originaux , et a me former sur la celebre conspiration unebpinion tout-a-fait distincte de celles soutenues par Saint-Real et par Daru , et sur laquelk 00 me pardonnera , j'espere, d'appeler I'examen et la discussion. Le due d'Ossonne , nomme' vice-roi de Naples , se conduisit en gou- verneur actif et dc'voue. Gomme I'interet le plus pressant du pays oii il commandait e'tait la de'fense de la Sicile contre les Turcs, tous ses soins naturelleraent se tournercnt de ce cote'; il s'appliqua done principale- ment a la marine , s'occupa surtout d'augraeiiter sa flotte , de construirc et d'equiper des batimens. Mais il netrouvapas, dans Ics marinicis que lui eussent fouruis la Sicile et I'ltalie , des hommes de mer braves ct aguerris comme il lui en fallait pour combattre les Turcs. II se mit done a clierclier dans tous les ports de la Mediterrane'e les aventuriers les plus renomme's pour cette inlrepidite a toute epreuve (jue donne la vie de pirate; il en Ixouva quelques-uns : des Fran9ais, pour la plupart d'une hardiesse et d'une habilete tout-a-fait propics au coiumandement ct tout- TOME LIII. FEVKH R "1852. 31 474 NOIIVELLESSCIENTIFIQUESKT LITTERAIRES. • a-fait degages dcs scriipules superstitieux qui donnent une soitc de timi- dite ail marins des cotes de Sicile. II entrouva done un certain nombre, et entre autres iin Normand , le fameux Pierre. Le due d'Ossonne se prit d'amitie pour ces horames avcntureux et hardis , dont le caractere avail tant de rapport avec le sien. Nous voyoas en effet que le capitaine Pierre, ou Jacques Pierre, fut investi de sa confiance et admis dans son intimite. Mais Pierre et ses ca- marades n'e'taient rien que des corsaires j le but de leurs expeditious e'tait bicn moins d'affaiblir les Tares et de defendre les possessions es- pagnoles en Italic , que de faire des prises et de rapporter du butin ; aussi d'ordinaire revenaient-ils richement charge's. Le due d'Ossonne prenait daus le butin une ]"art , supplement de rcssource que sa prodi- galite babituellerendaittoujours bien venu ; il applaudissait aux exploits lucratifs de ses capitaines et partageait Icurs gouts. Mais bientot les ba- timens turcs devinrent plus rares : c'etaient alors les batimens ve'nitiens richement charge's qui eussent e'te' les plus belles prises ; aussi Pierre et ses compagnons y jeterent bientot un ceil avide , et s'empresserent de communiqucr leurs de'sirs et leurs plans a d'Ossonne , qui , de son cote', trouva dans Te'tat politique de I'ltalie suffisamment de pre'textes pour abonder dans leur sens. Une querelle s'e'tait elevc'e entre Venise ct 1" Autriche ; la guerre e'tait meme declaree. L'Espagne intervint , sous pre'texte de mediation , mais au fond pour favoriser 1' Autriche, son allie'e par le sang. Venise re- chereba des alliances d'un autre cote , s'assura I'assistauce de la Savoie, ce qui alluraa la guerre dans la Haute-Italie. Enfin la re'publique eonclut une alliance avec Tirrcconciable ennemi de I'Espagne , la Hollande he're'tique. C'en etait asscz pour grossir la haine inve'te're'c amasse'e en 5ecret par I'Espagne j aussi d'Ossonne, la voyant pres d'e'clater, crut pouvoir profitcr de I'occasion et lacher ses corsaires sur les batimens veniticns. II fit des prises nombreuscs qu'il vendit , et dont il employa le produit a construire d' autres vaisseaux, qui furent le fruit de cette expedition, a la suite de laquelle il avoua tout haiit son projel de pour- suivre ime guerre dont il attendait tant de gloire et de profit. Mais , malgre sa haine contre Venise , I'Espagne e'tait loin de vou- loir la guerre. Lerma, pacifique au moment de sa plus haute puissance, la sentait alors chanceler ; il s'rmpressa done d'apaiser la querelle snr- IT A LIE. 4?^' venue en Italie. Des ne'gociations se terminerent par un arrangement avec Venise ; on enjoignit a d'Ossonne dc rappeler la flotte envoye'e par lui dans I'Adriatique, de cesser les liostilite's et de restituer ses prises. Le vice-roi , qui en avait deja dissipe le produit ^ ne put , comme on le jiense, recevoir de pareils ordres avec plaisir : il aimait trop les profits de la vie de corsaire pour les abandonner ainsi. II de'sobe'it done aux instructions de sa cour, et suscita toutes sortes d' obstacles a la conclu- sion du traite. De'sappointe en cela et bien convaincu de I'impossibilite' oil ile'tait de persister dans son opposition aux ordres de sa cour ou de continuer ses brigandages , d'Ossonne confut le projet de se constituer a lui-meme un pouvoir inde'pendant. Mais la souverainete a laquelle il aspirait, ce ne- tait pas a Naples qu'il songeait alors a I'e'riger. C'est ici principalement que je crois devoir m'e'carter de I'opinion de M. Daru. On ne voit en aucune occasion , avant 1618 , que d'Ossonne ait flatte les classes influentes de Naples, ou se soit efforce de se faire un parti dans le royaume. Tous ses soins e'taient alors dirige's vers sa flotte. II Taugmenta en faisant construire des batimens a ses frais. II appelait ses navircs sa capitate. II y faisait Hotter un pavilion a ses armoiries j et, suivant toute apparencc , il songeait a s'etablir avec sa flotte dans un coin de I'Adriatique, pour y fonder une souverainete independante, un royaume de corsaires. II avait sous les yeux I'exemple des Uscoques, petit peuple qui, posse'dant quelques barques, s' e'taient re'unis au nombrc de plus de mille , ot avait su pendant des anne'es de'fier le pouvoir dc Venise. Dans le but de les imitcr, d'Ossonne et son conseiller, le capi- taine Pierre , jeterent d'abord les yeux pour I'exe'cution de leur projet sur Massano, petit port de la cote d'Islrie. Mais ils concurent, peu de tems apres , un plan bien plus liardi ; c'e'tait de s'emparer de Venise raeme , et d'y c'lever cc qu'on aurait pu nomnier une principaute'. II serait inutile d'e'numerer tout ce que la position de Venise offrait d'avantages pour un pareil plan, fljaisl'espoir de la surprendre n'en semble pas moins d'unc folic inconcevable. Pourtant c'e'tait une viile ouverte plcine de meccLtens , et toutes les forces de la re'publiqne ctaieiit occu- pe'es dans une expedition maritime. Si habile et si fin que f'lit son gou- 51 . 476 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. vernement,d'Ossonnccomplait pouvoir lejoucr, etpar le fail il y re'iis- sit corapletemcnt. Le due dOssonnc s'e'tant arrete an projct dc s'cmparer de Ycnise par un coup de main , prit , avcc Pierre , les moyens np'cessaires pour en assurer rexe'cution et le secret. lis durent, suivant toutc appa- rence , en communiquer au moins une partic a la cour d'Espagne. Leur but etait pourtant de tromper Venise et ses allies, la France et la Savoie, et de trouver moyen par la d'introduirc dcs c'missaircs dans Venise meme. Pour y parvenir, d'Ossonne feignit de vouloir se faire a Naples une souverainete' inde'pendante. A la suite d'une pre'tendue querelle entre lui et son maitre , comc'die assez grossierement jouee, Pierre fut envoye a Venise et en Savoie. La il lit connaitre le projet de son mahre, que celui-ci de son cote re've'lait , par un moyen semblable , a Lesdi- guieres et a la cour de France. Pierre soUicita I'aulorisation de scjour- ner a Venise pour y enroler au service d'Ossonne la cavalerie hollan- daise en garnison dans la ville et aux environs. Le gouvernement vcni- tien , dispose a favoriser toute entreprise qui eut amene' la separation du royaume de Naples d'avec I'Espagne, non-seulement permit toutes ces manoeuvres a Pierre, mais seservit meme de cat aventurier. Cependant , la cour d'Espagne avait communique' au marquis de Be- damar, son ambassadeur a Venise, qiielques donne'cs vagues sur les projets ded Ossonne. Et le marquis, en diplomate habile, se mit de suite a I'ceuvre dans I'inte'ret de sa cour 5 il employa meme un certain Spi- nosa a preparer les forces et les moyens ne'cessaires pour Ic caS d'une conspiration. Spinosa se de'couvre a Pierre; bien plus, il I'amene a une entrevue avec Bedamar , dans laquelle un plan pour surprcndre Venise fut combine. Mais FinteHtion de Pierre e'tait de renverser le gouverne- ment dc Venise et d'en prendre possession pour lui-meme et au nom de d'Ossonne , son maitre , nullemcnt pour I'Espagne ou son ambassadeur. En conse'(jueuce , et pour se de'livrer du concours cmbarrassant de ce dernier , il se decide a Taller denoncer aux inquisiteurs d'etat. Voyez combien son calcul est profond ! Cetle demarclie allait inspirer au gou- vernement la plus grande confiance dans ce capitaine Pierre, et conflr- raer la version qu'il a donne'e sur les projets de d'Ossonne. Mais il e'tait luie autre puissance a qui Pierre avait besoin de persuader ce qu'il_ avait dcja fait croire au gouvernement veniticn. C'ctait la France. Aussi ITALIE. 477 Picne s'assure-t-il d'tinFran^ais, de Renault, connii et attache a I'ambas- sade , el lui apprend tout le coraplot de la maniere dotit il voulait le faire parvenir a Tambassadeur de France. Cela fait , il envoie a d'Ossonne un compte fidele de toutes ses demarches ; et , apres lui avoir appris que Venise et la France sont dans une illusion complete sur son veritable dessein, il lui deraande de fixer le moment, les moyens et le signal de I'exe'cution. Pierre resta plusieurs mois a Venise, pendant lesquels il reussit a de'baucher tpute la troupe hoUandaise alors au service de la re'publique. 11 les eqfolait an nomdu due d'Ossonne, en leur disant qu'il s'agissait d'unc attaque clandestine centre Venise , et cela d'accord avec les inquisiteurs d'e'tat qui le laissaient rcpandre ce faux bruit parmi les soldats hollandais comrae un pre'texte pour les enroler plus facilementdans I'entreprisedont le but e'lait d' assurer I'independance de Naples. Mais, comme le plan veritable touchait au moment de son execution , Pierre fut oblige de ras- sembler les officicrs en qui sa confiance e'tait la plus grande , et de leur parler ouvertement dans la discussion sur le mode d'attaque et les moyens de la faire re'ussir. Ces discours furent , ainsi que tout le reste, rapporle's aux inquisiteurs d'e'tat par un de ccux qui se trouvaient pre'- scns , et ce fut alors seulffliient qu'ils soupconncrent Pierre de tendre en effet a un but cache plus profond que celui qu'il leur avail declare', et qu'ils eurenl quelque raison de croire que ce projel d'attaque contre Ve- nise, pour lequel il enrolait ces troupes hollandaises, pouvait bien n'etre pas un pre'texte, ainsi qu'il le pre'tendait, mais bien son dessein veri- table. Et lorsque pour verifier ce soup^on ils cxaminerent Jaffier , con- fident de Pierre, ils le Irouverent en effet bien fonde. La consequence inevitable de cette de'couverte fut la rage de se voir dupe's , et une ven- geance immediate exerce'e sur tous les malheureux qu'ils Irouverent compromis. Pierre et ses complices furent noyc's, et tout ce qui s'e'tail introduit de troupes e'trangercs dans la ville ful emprisonne' el exe- cute. Je ne crois pas qu'il soil possible de rendre un autre compte des fails en restanl d'accord avec la probabilite et les e've'nemens historiquement dc'montre's. Le secret, que les inquisiteurs prirent soin de jetersur toule cclte affaire, s'esplique par le bcsoin de dissiraulcr leur complicite' avec d'Ossonne, et la honte de se rcconnaitre dupes. Si la conspiration n'cut 478 NOUVELLES SCIENTIFIQUES e'te, commele suppose Daru, qu'une pure fiction, on n'eut pas manque' d'en publier iin recit, une explication, ne fut-ce que pour justifieid'aussi nombreuses exe'cutions. Mais on n'en prit pas la peine. La chose n'etait que trop re'elle , et le rapport qui en fut fait au se'nat montre que le gou- vernementne songeait pas meme qu'il fut ne'cessaire de prouycr des faits si e'videns. Une des circonstances sur lesquelles s'appuient principalement ceux qui nient la re'alite' de la conspiration , c'est I'incredulite professe'e con- stamment a ce sujet par I'ambassade franfaise. Mais nous avons vu que I'ambassadeur n'en savait rien que par Renault, c'est-a-dire pe con- nut jamais que la version telle que Pierre avait juge' a propos de la lui faire parvenir. Renault lui-meme n'etait qu'un simple instrument de Pierre ; et , quand les inqiiisitcurs furieux le saisirent comme com- plice, ils le mirenta la torture pour lui faire avouer ce qu'il aA'ait une excellente raison de ne pas meme croire, et sur son silence le pendirent comme coupable. Depuis ce terns la re'publique de Venise se montra constamment I'en- nemie la plus acharne'e de d'Ossonne , mais ne parvint jamais a cntrainer sa disgrace, tant que le pouvoir resta aux mains d'Uzeda et des autres ministres que d'Ossonne avait mis dans son seciet. On ne pourrait pas davantage expliquer la maniere dont le due fut accueilli a la cour apres ces evenemens , si ses projets ambitieux , quoique mele's d'inte'ret per- sonnel et de pretention a I'inde'pendance , n'eussent e'te purs du moins de I'inteution criminelle de se la procurer aux de'pens de s6n pays. E. E. C. BELGIQUE. ACADEMIE BOVALE DES SCIENCES ET BELI.E9.LETTRES DE BKUXELLES. Stance du l^Jevrier i83'2. L'Acade'mie decide qu'on presentera dans les proces-verbaux des seances les communications scientifiques et litte'raires qui auront etc faites , et des sommaires substantiels des me'moires qui auront e'te lus. Les proces-verbaux ou bulletins seront imprime's de maniere a pouvoir etrc rcndus publics dans la huitainc qui suivra la seance. EELGIQUE. 4'79 M. DE Reiffenberg lit des Documens inedits pour servir a Vhis- toire de la servitude en particulier et de la propriete en general. Quatre chartes , des anne'es 1008, J086 , 1096, et 1 225 , donnent lieu a des observations inte'ressantes. Un fragment unique d'un cartu- laire de I'abbaye de Saint-Hubert, ecrit au treizieme sieck , ajoute un nouveau prix a ses recherclies. M. Cauchv fait pai't de deux de'couvertes importantes, I'une a Sam- son, province de Namur, d'un calcaire qui , d'apres les essais execute's dans les ateliers deM. Vander-Maelen, a Bruxelles, serait e'minemment propre a la lithographic , si la couleur un peu trop fonce'e de cettc pierre ne rendait pas le travail plus difficile que sur les pierres de Mu- nich et de liourgogne; I'autre, dans la province d'^ni>ers, d'une pierre susceptible de foumir le ciment romain , employe' en Angleterre dans les constructions hydrauliques , et notamment dans celle du tunnel de Londres. M. QuETELET communique un the'oreme sur les surfaces regle'es , Irouve par M. Hachette , correspondaot de I'Acade'mie. Stance du 3 niurs- M. Garnier fait hommage .1 I'Acade'mie du inanuscrit d'un Traite dc me'te'orologie , et M. de Reiffenberg , d'un Traite de logique. Ce dernier lit en meme tems des Particularite's inedites sur Charles- Quint et sa cour. Le secretaire fait lectuie d'un rapport favorable sur deux me'moircs de M. A. TiMMERMANS , capitaine du genie, concernant la theorie des pressions et torsions. M. QuETELET presente la carte de la marche de la comete d'Encke. M. Schmerling , docteur en me'decinc a Liege , envoie une descrip- tion de'taille'e des ossemens humains fossiles (?) qu'il a de'couverts dans deux cavernes du pays de Liege , a Engihoul et Engis. M. DuMORTiER entretient la compagnie de divers bas-reliefs des treizieme et ffuatorzieme siecles , qu'il a trouve's a Tournay . Les sculptures de la plus grande beaute semblent indiquei- I'existence , a cette e'poque, d'une c'cole dont I'histoire ne 1 fait aucime mention. M. Dumortier reviendra sur cet objct. 48o NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES FRANCE. academfe des sciences. Seances du mois de fevrier 1882. Seance du GJ^^rier. L' Academic refoit divers me'moires envoyes pour le concours Mon- th yon. — M. Appert adresse un ouvrage intitule Lwre de tons les mena- ges, et demande qii'il soit I'objet d'un rapport. M. d'Arcet est charge d'en rendre comptea rAcademie. — M. Heurteloup adresse de Londrcs la traduction mannscrite d'un ouvrage qu'il vicnt de publier en anglais sur la lithotritie. L' Academic, en dc'cernant iin prix a M. Heurteloup, pour ses de'couvertes dans cctte brauche nouvelle de la chirurgie , lui avait impose la condition de rendre publique,par la voie de I'impression, la description de ses instrumens et de sa me'thode ope'ratoire. C'est pour satisfaire a cette condition qu'a e'te' e'crit 1' ouvrage dont nous parlons. — M, Dutrochet fait, en son nom ct au nom de MM. Serres et Dume'ril, un rapport tres-favorable sur le Me'moire de M. Isidore Geof~ froy Saint-Hilaire , relatif aux variations de la taille chez Vhomme et les mamniiferes , et conclut a I'inseition de ce travail dans le reciieil des savans e'trangcrs ( voyez dans notre nume'ro precedent I'analyse du memoiredeM. Gcoffroy). Les conclusions de ce rapport sont adoptees. Fossiles — Cavernes "a ossemens. — M. Desnoyers adresse a 1' Academic quelques considerations tendant a prouver que les ossemens d'hommcs et les debris de produits d'art humain qu'on a troiive's dans certaines cavernes, surtout dans celles dii midi de la France, y ont ete laisses posterieurement au der- nier cataclysme , bien qu'on les trouve quelquefois rc'unis a des osse- mens de mammiferes d'especes de'truites. L'auteur commence par faire remarquer que les diffe'rens lits de gravier et de limon a ossemens que des cours d'eau ont iutroduits 'ftans^ccs cavernes ont c'te deposes en cou- ches trcs ondule'cs et non simiiltanement, ct que les cavites laisse'es par ces ondulations ont ete remplies par des depots forme's , ou par des corps accidentellement laisse's dans ces cavernes durant la pe'riode ac- uellc. Qiiand onsuitc sont vcnus des couraus moins tumultueux. en pas- FRANCE. ^8 1 sant sur ces couches qu'ils enlevaient par couches horizontales , ils ont mis a nu des corps appartenant a diffe'rens lits , et par consequent a diffe'rentcs epoques. Or, ces corps trouve's ainsi cote a cote sur le sol auront pu elre d'autant plus aise'ment conside're's comme contemporains, que souvent des stalactites venant a se deposer sur eux les cimentaient en un toutsolide; de sorte qu'un meme bloc pouvait contenir a la fois les OS d'ours et d'hyene des lits inferieurs ^ et les os humains , les potcries brisees des couches superficielies. Plusieurs ge'ologues,. tout en ne conside'rant pascoinme ante'diluviens les ossemens d'hommes trouve's dans les cavernes, supposent qu'ils y ont e'te laisse's a une e'poque fort ante'rieure aux terns historiques, a una epoqueou I'homme, faute de savoir se construire une habitation, e'tait contraint de chercher un abri dans le creux des rochers. M. Des- noyers ne partage pas cettc opinion. C'elait, dit-il , une coutume chez tous les peuples de race celtique , de serrer leurs grains dans des cavites souterraines et meme de s'y re'fugier au moment du danger. Tacite nous I'apprend des Germains, etFlorus en parle d'une maniere encore plus positive a I'occasion des Gaulois. Lorsque Cesar faisait la guerre dans les Gaules , dit cet auteur , les Morins se disperserent dans les forets, et Cesar y fit mettrelefeu; les Aquitains ruses se refu- gierent dans les casernes et le general les fit boucher. Or, du terns de Florus , on de'signait sous le nom d'Aquitaine une vaste e'tcndue de tcrritoire qui comprend la plnpart des lieux oil se Irouvent les cavernes a ossemens humains. Les produits d'industrie humaine qu'on trouve mele's a ces os sont extremement grossiers , et leur imperfection a fourni encore un argu- ment aux e'crivains qui leur attribuent une tres-grande anciennete; mais il est facile de montrer qu'a une e'poque voisine de I'invasion roinaine , les arts dans la plus grande partie de la Gaule e'taient encore a peu pres au meme degre. Ces fragmens de poterie noiremal cuite, ces baches de silex, ces c'pingles , ces peignes en os qu'on a retire's des cavernes , ne se dis- tingueraient point dans une collection de ceux qui proviennent de fouilles faites dans un tumulus , au pied d'un dolmen, ou sur I'empla- cement d'un ancien oppidum. Physiologic vejTetale. — M. DuTROCHET lit unMe'moire ayant pour titrc : Experiences sur la matiere colorante desfeuilles et des fleurs. 482 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAlRES. L'honorable academicien conside'rant I'electricite comme ua des agens principaux dc la vie , tant dans le regne animal que dans le regne vegetal , fut conduit a soupjonner que, dans toutes les expansions foliace'es des plantes , les deux surfaces, qui souvent different par la couleur, pou- vaient differer de meme par leur nature electrique , et constituer ainsi des petites piles galvaniques, dont Taction de la lumiere augmentait Tener- gie. Voulant verifier cette conjecture, il clioisit pour ses expe'riences des plantes dont les feuilles colore'es diversement a la face supe'rieure et a I'infe'rieure permissent de rcconnaltre aise'ment la matiere appartenanl a chacune d'elles , en supposant qu'on parvint a les isoler. Une feuille de begonia sanguinea ayant e'te pile'c avec un peu d^eau , quelques gouttes de liquide furen, ,/r Hmm ""■• ,/'.4^/!"'' ■'■ ■<'> AVIS. On peut se procurer la collection de I'annee i 831 et celles des annees precedentes All bureau de la Revue EkctclopSdique, rue des Saints- Peres, no 26. An prix de 46 fr. pour Paris. 53 fr. pour les departemens. 60 fr. pour I'etranger. Chaque cahier detache coute 5 fr. yiux Acaddmien et aux Socidt^s savantes de tous les pays. Les academies et les sociele's savantes, et d'utilite publique , fran^aises et etrangferes , sont invitees a faire parvenir exactement , franc de port , au directeur de la Revue Encyclopedique , les comptes rendus de leuis travaux et les programmes des prix qu'elles proposent. yiux dJiteurs d'oufrages etaux libraires. MM. les e'diteurs d'ouvrages pe'riodiques , fran^ais, et etrangers , qui de'sireraient cchanger leurs recueils avec le ii6tre , peuvent compter sur le bon accueil que nous feroos a leurs propositions dVchange, et sur une prompte annonce dans la Revue des publications de ce genre , et des autres ouvrages nouvelleraent publies , qu'ils nous auroat adress^s. Aux libraires , et aux dditeurs d'ouirages en Allemagne. MM. Dyck, libraire a Leipzig, et J^GEr, librairc a Francfort-$ur- le-Mein , sont charge's de recevoir et de nous faire parvenir , par Tinter- mediaire de MM. Ileideloff et compagnie, de Paris, les ouvrages pe'riodiques qui sont destine's & IVchapge , et les ouvrages que MM. les libraires , les editeurs et les auteurs, desireraient faire annoncer dans la Mevue En- cfdopcdique. Aux U&raireSj et aux Editeurs ^ouvrages en Angleterre. MM. DoLAU etCo, libraires a Londres, sont charges dc recevoir et de nous faire parvenir des ouvrages p^riodiqucs qui sont destin^ a I'^change,et les ouvrages que Ton d^irerait faire anqoncer dans la Revue Encjrclopd^ue. C0tttritt0n!5 tre la Qou0mpti0n. La Itevue EncyclopMique parait mcnsnellcment , depuis Janvier 4 80 , par cahiers de plus de 200 pages d'impression. Troisi cahiers forment un volume , ter- mini par nne Table analjrtique et alphab^lU/ue dcs malieres, Chaque annde est ind^pendante deg anndca prec&lentcs , et offre un Annuaire scienti/Ujue et lUttlraire en 4 volumes in-8°. A dater du \" mai iSSa, la Revue ENCYCLOPl&DIQUE paraUra tous les guinze jours ^ le i'^' ei le iS de chague mois; pour les per- sonnes qui souscrironi want cette ipoqiie, les prtx seront maintenus aux conditions suivantes : A Paris 46 fr. pour un an ; 26 fr. pour six mois. Dans les tldpartemcns. 53 » 30 » A r; Mai. — De la reforme parlementaii e ( Charles Comte , de'put6 ) ; — Notice sur la co- J lonie de Libe'ria ( rfc Felice); — Qiuvres de M. Ballanche ( ^4. i>/.) ; — Dei e'coles philosophiques en histoire : Chateaubriand et Michelet ( Dherbelot ) j -^ TJne annee en Espagne ( Adelaide Monlgolfier ) ,• etc. \ JuiN. — Morlalite causee par le cholera (Bloreau de Jonnes ) ; — Notice sur le) Deux-Siciles (Didier) ; — Me'moires de I'Acade'mie de Turin (Ferry) ; — Voyagej dans la mer du Sud ( Adelaide Monlgolfier); — De I'aristocratie anglaise [Loiiisl Belloc) ; etc. JuiLLET. — Les espe'rances et lesre'alitc's (Sismondi) ; — De la Pairie (Petetin n P. -A. Diifau ) ; — Rapports du Conseil de salubrite (Rigollot) ; — De la demono- Icgie et de !a sorcellerie (Louise Belloc) ; — CEuvres inedites de Diderot (A. P.), — Oiuvres de M. Jay ( A. de Latour ) ; etc. A OUT. — De I'e'tat de ia France ( J.-P. Pages , de'pute ) ; — Situation financiere dei Elats dc I'Europe (Adrien Balbi) ; — Des conseils municipaux et de'partemen- taux ( F. Quinlard) ; — Histoire du christianisme ( de Golbery) ; etc. Septembre. — De la pelitique de la France depuis la revolution de i83o ( Laurent ) — Statistique des hauts fourneaux de la France, (A, Fournel ) ; — Rapport sui le chole'ra ende'mique (Double); — Religion : aux Philosophes ( P. Leroux }; etc OcTOBRE, — De la politique de la France ( second article ) ( Laurent ) ; Examei du budget de i832 {Pereire); — Cours d'histoire des sciences naturelles , pw Cu'vier (Faster) ; — Observation sur le penchant au crime aux diffe'rens age (A. Quetelet); — Autobiographic de voleurs {Ad. M.); — Poe'sie : les Feuilles d'au JJ torone; Marie; etc. j NovEMBRE. — Derniires re'volutions de la Suisse ( Didier ) ; — De la conformite onj eaniquc dans les animaux (Dugcs ) ; — Fragmens asiatiques , par A. de HumbolM (J. Reynaud ); — Des cherains de fer aux Jiltats-Unis ( List); — De la poe'sie di notre e'poque : Goethe et Byron , Waller-Scott et Cooper ( P. Leroux); — Dfe la poesie politique : Ne'me'sis, iambes d'Augusle Barbier, etc. ( J, Reynaud); etc* Decbmbre. — Les doctrinaires (Laurent) ; — Philosophic du droit , par Lerminiei ( Sainl-Cheron ); — De I'usage physiologique de I'oxigene ( Dutrochet ) ; — Di la poe'sie de notre 6"poque : Lamartine , Victor Hugo , Sainte - Beuve ( P. Le\ roux) ; — Be'ranger et la Quarterly Review (Adelaide Monlgolfier); — M<^ raoires d'un pre'dicateur saint-simonien ( Charton ) ; etc. .^ Outre les memoires , dont nous ne dounons ici nu'une lisle abrege'e , la Rcvii dc i83i contientl'analysede AMfVce«/j ouvrages public's en France et dans les pay etrangers, Jes nouvefles scientifiques , litte'raires , industrielles et politiques, I Compte rendu des travaux de I'Acade'mie des sciences et d'autres socie'tes savanles Chronique des theatres , des tableltcs ne'crologiques , etc. REVUE ENCYCLOPEDIQUE POLITIQUE. DU CATHOLICISME ET DU PEUFLE A L'OCCASION DU CHOLERA. « Et voyant le peuple, il fut ^mu de compassion , car il » etait dispersd ct errantcomme un troupcau qui n'a » point de pasteur. » EvANGILE. Avant d'aborder le sujet special de cet article , qu'il nous soit permis de nous reporter pour quelques instans aux scenes qui ont clos rhiver de I'annee derniere. EUes sont comme un preambule necessaire "a rintelligeuce de quelques-uns des fails actuels et les expliquent, Et qui ne se rappelle les hostilites du peuple contre la croix ? Qui ne I'a vu, ce fier Sicambre, briser alors ce qu'il adora jadis, et livrer bataille au passe sous le porche des eglises et jusque dans le palais de rarcheveque? Qui ne se rappelle aussi ces joyeuses mascarades du carnaval qui sillonnaient I'emeute , comme un rayon de soleil perce et sillonne un ciel d'orage ; ces cris d'allegresse couvrant les cris d'alarme ; ces paillettes, ces rubans , ces costumes splendides heurtant les haillous som- TOME LIH. MARS 1852. 54- 5l4 POLITIQUE. lues dii pciiple; la batle d'arlequiu an milieu iles kiionnettes ; la gpiierale et les \iolons ; cette colere et cette joie ; ces menaces et res fanfares, tout cela sous un soleil radieux , h I'onibre de ces tours de Notre-Dame qu'assiegeait le belier populfiire , aux bords de cette Seine qui emportait a I'Ocean les litres et les meubles de r Archeveche ? Tels furent les hardis contrastes de cette etrange scene. Paris new vit jamais de plus grotesque et en meme tems de plus se- rieuse, car tout cela cachait un sens profond. Quoi de plus grave, eneffet, qu'un peuple, le fils aine de I'Eglise, quidetrone en • kantant la croix, qui bat en breche ses temples corame il aurait (ait dun treteau sur la place publique? Ces temples dont il baisa lant de siecles la poussiere, ou taut de siecles il \'int chercher a genoux des consolations et des forces , ils n'ont done plus rieu jiour lui de sacre , plus rien qui Temeuve ! Cette croix, ce labarura du passe, qu'il suivit jusqu'au saint- sepulcre , comme les mages d'Orient suivirent I'etoile miracu- leuse a la creche de Betlehem,elle n'estdonc plus pour lui qu'nn symbole mort, qu'un vain fantome! Cette agonie d'une religion quimeurtau milieu d'une farce de carnaval, a certes de quoi faire reflechir sur une sociele qui sevit ainsi contre ses dieux, parce quelle n'en vent plus; comme ces premiers paiens convertis au christianisme , ces ardens Polyeuctes qui brisaient les idoles et les temples de Jupiter. Alors, les buchers et les arenes paj'aient leur zele de destiuc- tion;Rome imperiale tenait encore a ses dieux, au moins par politique, et croyait les ressusciter, les rajeunir par la persecu- tion. Aujourd'hui plus de biichers , plus d'arenes , tout cela n'est plus de notre age ; le pouvoir, pas plus que le peuple, ne se sou- cie de ses dieux, ou, pour mieux dire, il n'en a point. Les tem- ples ne sont plus que des edifices publics ; si quelque citoyen ks degi-ade, il est cite en police correctionnelle, et la societe phide en dommages-interets. Voila oil nous en sommes en religion. Et venez enter mainte- 1)U CATHOLICISME ET Dll PEUPLE. 5l5 nam sur line societe ainsi faite les grcffes raortes du catholi- cisme ! Mais, pour n'etre plus armee du glaive de la persecution, la societe ueii a pas moins ses martyrs. Quel autre nom donner "a ce peuple sans pain, sans foi sur les mines du temple? Ce ne sont plus les flammes du cirque qui le devorent , les b^tes qui le dechirent, c'est la misere et le doute. Martyres sans gloire et sans esperance, pires cent fois que ceux oii vociferaient les sol- dats du pretoire, ou les vestales battaient des mains. Alors les palmes du ciel couronnaient les echafauds ; les anges souriaient aux victimes, elles passaient en glorifiant Dieu d'nne terre d'angoisses et d'epreuves a une eternite de remuneration et de bonheur. Mais aujourd'hui , ou soiit-eiles ces palmes du mar- tyre ? Ces remunerations d'une autre vie, ces convictions pro- fondes qui souteuaient les courages, ces esperances fortes qui adoucissaient les supplices , oil sont-elles ? C'est dans ces jours de fleaux et de calamites que la pensee re- tombe avec plus de iristesse et de compassion sur ce peuple que la mort decime. Les entrailles s'emeuvent en face de tant de souf- frances; et, du milieu des gemissemens et des plaintes, on crie a cette societe maratre : — Que fais-tu de tes enfans ! — Helas ! ils meurent; ils meureat comme ils out vecu, dans la misere et les larmes. Voila done ce que nous preparait la saison nouvelle. Ce prin- , terns si desire qui toujours bande ou guerit quelqu'une des plaies sanglantes de Thiver, cette annee il les a rendues toutes morteiles. L'air est pur et parfume, et dans cet air printannier se cache un bras invisible qui frappe et tue, et les bommes tombent al'eclat de ce soleil de fete comme les croix tombaient I'an passe du front des eglises au milieu des joies du carnaval. Dante pent quitter les ombres et remonter sur terre, il y a ici de nouveaux chants •a son poeme, une autre cite dolente. Les violences qui ont signalea Paris la venue du fleau ne sont que de nouvelles revelations de cet esprit de doute, de cette in- 54. 5lG POLITIQUE. crediilile qiu travaille les masses, et dont les scenes de Ian der- nier n'etaient que des manisfestations nioins sanglantes, il est vrai ; car cette fois la Seine a roule des cadavres, mais non moins eloquentes , non moins dccisives. An moyen a^e, lorsqu'une peste eclatait, les cloches sonnaient, les eglises s'emplissaient de fideles ; les processions parcouraient les rues en tous sens ; des prieres publiques s'elevaient en choeur de toutes les places , de tous les carrefours ; un nieme sentiment de resignation et de foi lennissait tous les ages , toutes les condi- tions, soulageait toutes les souffrances , affermissait toutes les ames : ou, si parfois le peuple exaspere par I'effroi s'oubliait jus- qu'ala fureur , sa colere tombait sur les juifs , ces infortunes mar- tyrs du moyen age, regardes alors comme une souillure, comme nn mauvais genie, un genie de malheur attache aux empires Chretiens; et si Ton iramolait le peuple deioide, ce n'etait point par une cruaute froide et irreflechie , mais comme un holo- causte agreable au ciel et propre a desarmer son bras ; car alors la foi etail fondee sur le sacrifice , comme Vest encore aujour- d'hui la justice. Si du moyen age , epoque de foi , nous rapprochons le present, epoqne dedoute, quel con traste ! Les cloches sont muettes, car elles ne sont plus bonnes qu'a sonner I'heure de la bourse ou du bal ; les eglises sont bien encore tendues de noir , mais entrez-y , elles sont vides, le peuple n'a-t-il pas rompu avec elles I'an passe? Les rues ne voient d'autres processions que les convois funebres ; mais de prieres publiques , point ; de prieres privees, pas davan- tage ; la crainte du ileau , cette terreur commune qui jadis ajour- nait les inimitics , qui liait les hommes divises , elle n'a rien lie , et les haines politiques sont aussi ardentes , plus implacables que jamais. Mais, comme si ce dograesanglantdu sacrifice si profondement enracine par le christianisme dans les moeurs europeennes devait survivre h toutes les vicissitudes de la foi catholique et mourir le dernier, sur les mines de tout le reste, il s'est fait jour cette fois DU CATHOLICISML ET DU PEUPLE. .'i 1 7 oncoie. 11 a revetu, il estvrai, unefomie nouvelle , une ioime tout liiimaine; il s'est fait justice, mais a la maniere de la societe, c'est- ;i-(lire justice brutale et sanglante. II etait perrais de supposer que la foi aux homnies survivrait au moins a la foi aux dieux, et en tiendrait lieu dans I'ame du peuple; il n'en a rien ete. Elle a fait defaut comme I'autre. A peine la nouvelle du fleau se repand-elle dans Paris, qu'un lionible soupcon s'eveille et se repand avec elle. Le mot de poi- son estprononce. On ne croit pas plus a Tadministration qu'a la providence, on la confoud dans un meine anatheme ; c'est elle , s'ecrie-t-on, qui enipoisonne Ics pauvres, parce qu'elle nepeul les nourrir , parce qu'elle a peiir des emeutes. Des articles de jour- naux, une proclamation, la plus imprudente qui ait jamais vu Ic jour, ne font que confirraer les soupcons. lis se changent en certitude. On a vu des iiiconuus repandre du poison sur les vian- des, dans le lait des fruitieres, dans le vin des tavernes. On en a vu distribuer aux enfans des dragees veneneuses ; plus de doute, le peuple est enipoisonne, et c'est le gouvernement qui I'empoisonne. La science vent venir au secours de ce peuple trompe , egare ; il ne croit pas plus en elle qu'en Dieu , pas plus qu'aux chefs de I'etat. Les medecins sont insultes, menaces dans les rues; des malades sebarricadent contre eux dansleurs maisons, car les me- decins sont complices du gouvernement, et ce sont eux qui cm- poison nent le peuple. Alors se passentces scenes deplorables, dont tousles journaux out retenti et que nous tairons. Ce peuple infortune que lout abandonne, quimeurt en blaspbemant, en maudissant Dieu, ses t liefs , la science, il ne lui restait plus qu'a tourner sa fureur con- Ire lui-merae, a dechirer ses propres entrailles, a massacrer ses [iropres freres, ses freres en souffrance, ses frores innocens et npi'il croit coupables. Paris gardera long-teras la memoire de ces tristes jours : san- glanles saturnales d'une societe qui s'cn va, lecon terrible pour /" 5l8 POLITIQUE. iiiiesociete qui a constituela violence dans scs codes, qui, la pre- miere a consacre le mepiis de la vie de rhomme , traduit en sang la justice. Le peuple se i'aisant justice sur place et de sa maiu, dans nn acces de colere et de delire, est un spectacle affieux sans doute; mais, uu spectacle plus horrible , n'est-ce pas la societe elle-meme, disant froidement an condamne, apres des mois d'at- tente et de torture: — Nous allons te tuer ! — Puis garotte sur la charrette fatale, seul an milieu des baionnettes, leproniene lente- ment de rue en rue, pour le livrer enfin a nn homnie qui arecu d'elle mission de carnage , brevet d'impunite. Cependant ce peuple, pris par le doute encore an milieu de sa vengeance, ne croit bientot plus lui-menie an poison, et revient "a lui. II s'apaise comme une mer orageuse qui rentre dans sesli- mites et redevient ce qu'il est, un etre raisonnable et sensible. II suit desormais le fleau d'un ceil triste mais intelligent, mais resigne ; il faut bien y croire car les hopitaux s'eraplissent, les families s'eclaircissent , car, a chaque pas dans la rue , on heurte du pied oulaciviere des mourans ou le corbillard des morts. II se courbe en silence sous le dogme de la neccssite , le seul qu'il comprenne , le seul qui lui reste ; la necessite, voila sa foi, sa consolation, son culte, son Dieu. II accorapagne ses amis, ses parens a la torabe ; il ne murmure pas , il se resigne , comme on se resigne a la grele, a la foudre ; il,ne prie pas, car il a exile ses dieux , et il ne revient point sur le passe ; il ne croit pas a la science, mais il ne la blaspheme plus, il ne I'outrage plus dans ses ministres.il est grave, il est sei'ieux, il y a de la grandeur dans sa tristesse , il y a de la sagesse dans son repos. Tel est aujourd'hui ce peuple hier encore si terrible. Le ciel n'est jamais plus serein, ni plus calme qu'apres une tempete. Ainsi du peuple. Un autre trait qui caracterise bien nos tems de scepticisme ce son t ces chars fnneraires roulant aux cimetieres, sanspreire, sans que rion rappelle "a Dieu ni "a reteniite. Le passant soulcve son chapeaupar une habitude qui n'a plus rien de touchant, car clle est loutinicrc et machinale, puis il poursuit sou chcMiin sans DU GATHOLICISME ET 1)U PEUPLE. Sig emotion a moiiis qu'il nail peuv pour lui. Mais alors merae sa pensee s'arrete k la toiiibe et ne va point au-dela. NuU« idee de foi, de religion ne s'eveille en lui. II voit la mort et rien que la inort , apres elle il n'y peiise pas. Chaque trait de ce tableau est uu enseignement profoad et triste. Partout souffrance et doute ; partout des syraptotnes de mort. Le corps social est nialade. Au physique comnie au moral, son atonie reclame un prompt remede sous peine de dissolution. Lui rendre la vigueur et la sante , tel doit etre le but de toutes les institutions. A force de critique et d'analyse il s'est epuise, il s'est enerve, il est sterile; c'est k le feconder qu'il faut tendre, car la fecondite c^est la vie. Tons les dieux sent detroncs, toutes les fois mortes , toutes les convictions ebranlees , tous les phares sont eteints , et , comme autant d'aveugles errans dans les lene- bres, nous pressentons bien la lumiere, mais nous ne la voyons pas. Nous rinvoquons de nos cris, de nos larmes, et tandis que nous tatonnons ainsi dans I'ombre, nous heurtant , nous foulant dans cette grande melee, le canon des reactions nous ecrase, les fleaiix du ciel nous deciment. Ces pliares eteints qui les rallumera? Quel nouveau Sinai nous jettera ses oracles? Car il nous faut des convictions, il nous faut une foi, des dieux. Sous un ciel desert et vide la terre est horri- ble; la fatalite, ie seul dieu qu'elle enfante, n'en est pas un. C'est tuie de ces idoles brutes et cruelles qui se novu rissent de sang et de pleurs, qui ne repondent aux prieres que par le rire stupide du niarlire ou de I'airain. Et cependaat c'est elle qui est sur I'autel , c'est a elle qu'on sacrifie, elle que chantent les poetes, inais I'hu- mauite proteste par ses larmes et n'en veut pas. L'epidemien'a pas seulement revele une absence complete de toute foi, 2 2 POLITIQUE. i-eclainer ton heritage usurpe , ta place au soleil qui htit pom tons ! Notre liumanite frele , notre perissable nature , ne traine-t-elle ilonc pas avec elleassez de maux inevitables et irreparables, sans les aggraver pardes institutions oppressives, pardesloispartiales et cruelles? N'est-ce pas assez de tout ce luxe d'infirniites qui enervent nos coi-ps et nos aines, de cette mort qui nous surprend quand nous aimerions h vivre , qui romptles liens les plus doux, nous laisse seuls dans la vie, qui brise nos cceurs par des sepa- rations eternelles ? N'est-ce pas assez de ces fleaux qui nous iVappent et nous epouvantent, sans ajouter a toutes ces rigueurs de la nature les rigueurs de la societc , I'injustice et I'oppression, Tignorauce et I'anarchie , la misere et la faiin ? Et voila cependant oii elle en est cette civilisation superbe qui nous rend si hautains! Encore toute souillee des lambeaux du [)asse , elle en a conserve toutes les douleurs , lorsque le teins en a emporte avec les autels toutes les consolations ; car ces croyan- ces profondes, ces esperances d'un heritage celeste que les siecles out ebranlees , detruites , et qui ne peuvent plus renaitre, c'e- tait le baume que la religion versait a flots siu- les blessures du corps feodal. Aujourd'hui , comnie I'a dit une voix eloquente , Techafaud est debout , mais le confesseur, ou est-il? Certes , nons ne venons pas ici faire de Tepouvante, nous venous constater un fait, le fait social mis au grand jour par I'epideniie. Nouspensons que I'heure est bonne d'elever la voix j)0ur un peuple quisouffre et qui meurt , pour une societe qui se meurt aussi el qu'il faut ressusciter (1). Nous ne craignons (1) Nous enetions la, lorsqu'un article AoVEdinburuJt Review inslire dans Ic termer numiTO AcVa Revue BritaniqnefaoMS esl tombesoiislamain.Il apour litre: Des epoques de critique et des e'poques de creation. C'est une espece de rapport ;i Topinion publlquc sur Tdtat dc la socicld , et ccrtaincment un des inorteaux les ^ilus avanti.'3 , cciits en Anjjlclon'c sur la question. L'auleiir , porlant l« scalpel •lansthaciiMC dc5 parlic; du corjirj social , nionlrc que la moil csl paitoul, et que DU (.\THOLlClSME ET DU PKUPLE. a 2.) plus qu'on nous accuse d'exageration , car les fails soiit la qui parlent , et nous coraptoiis plus sur leur eloquence que sur Ui notre. Ces fails , nous les avons dit , nous les dirons encore , nous les repeterons en tout teins et sans lelache , ce sera notre deleiida Carthago. Qu'un autre, ayant la main pleine de verites, la ferme , nous ouvrons la notre, nous; ce qui est est, et nous ne reconnaissons a personne le droit de le deguiser on de le taire. Ces menagemens de convention sent laches on puerils. Toule verite est honne a dire , et nous la dirons , dussent les elus du monde crier an scandale. Le scandale, savez-vous oii il est? il est dans une so- ciete qui a deux mesiu'es et deux justices; le scandale serait dans le silence. La verite est Taliment des forls , couime dit Ta- potre ; le monde le pent supporter, car des long-terns il a rejete loin de lui le lait des faibles. Que ceux done qui sont faibles se fortlfient , car les jours sont venus oii la faiblesse n'est plus pcr- mise. Le terns des plaintes vagues , des larmoyantes elegies, est passe. Ce sont des actes qu'il faut ; c'est a des sources nou- velles qu'il faut retremper ses armes et son ame , car les arniees sont en presence et le coml)at va comnieucer. . . Que dis-je ? II y a quarante ans qu'on tue et qu'on meurt , et il y a deja bien du sang et des morts aux deux camps. Des peuples tout entiers sont descendus au sepulcre ; h peine quelques noms sont-ils ecrits sur leur pierre funebre , pour dire a I'avenir : La fut la Pologiie , ici I'ltalie. Les peuples qui ne sont pas morts sont aux fers. L'Allemague recule , garottee au char des reactions; la notre mission a nous, dix-neuvieine sieclc, est d'en faire surnir la vie, car la vie natt de la mort. La voila done aussi qui i'emeut, cette fiere Albion- qui de- clare que ses institutions si chant^c«, sa charte , sa rel'orme nc sont que des Icm- porisations , et qu'il est tems de descendrc des superficies aux prol'oudeurs. La voila aussi qui Sonne I'alsrme , qui jctto le cri du depart, et qui dit a I'liu- n\anile : — En avant! — Nous qui sommcs en route, nous avons du fixer Ics regards sur unc eonfoniilte, j'ai prcsque dit unc idenlilc de [irincipcs si IVap- pante. Ce fait ctait trop important poiif oc pas elrc constate. 524 POLITIQUE. Suisse se (lecliire de scs propres mains; la Giece, inise a rciicaii , se decliirc comnie die ; I'lrlande est sabree par les dragons d'AngletciTe; Ic Portugal et I'Espagne sent baillonncs, sans voix , ct la France, la France eiime et travaillee , se debat dans les tenipc'tes civiles , suus lesfleaux du ciel. Que ces fleaiix au moins nous inslruisent; qu'ils nous profi- tent. Medecins de I'etat , ils vous ont niontre ou etait le mal, portez-y le remede , et portez-le prompt et actif , car le mal aussi est actif, il est urgent. C'est pitie qu'une societe toujoiirs prete acrouler an moiudre choc , comme ces cites d'ltalie assises sur les volcans. Ici une question de tarif souleve soixante mille prolelaires; la, c'est une luascaradequi ensanglante les rues; partoutdesemeutes au soleil, partout des conspirations dans I'ombre , et un flcau qui aurait du rapprocher les freres d'un meme paj's, d'une memeville, n'a fait que les armer Tun contre I'autre, et menacer la societe d'lme mine sanglaute. Et puis voyez ces administrations si presomptueuses , ce qu'elles sont a I'epreuve. II y a plus d'une annee que chacun attend la venue du ileau. Qui! vienne , disait-on , nous sorames en raesure, tout est prepare pour le recevoir. II eclate , rien n'est pret. Hopitaux , lits , linge, remedes, tout manque; la science elle-meme est dans I'anarchie ; I'ignorauce et la vaaite se disputent au chevet des moribonds ; etapres tant de jours d'epou- vanle et de mortalite , h peine encore se reconnait-on. Nul sc- cours preventifs , nuUes mesures radicales ; tout est superficiel , inconiplet, sans vues, sans resultats. Les voila bien ces polices humaiues : on sait combien de maisons il y a dans chaque ville , dans chaque hameau , mais on ne s'enquiert pas des miseres qu'elles renferment, des fleaux qui y convent ; on a conipte les paves des rues, mais les larmes qui les inondent , en lient-on compte ? Et ici nous n'accusons personne ; tout cela est logique , tout ci'la va avec le reste , tout cela n'est qu'une consequence rigou- DU CATHOLICISME ET DU PEUPLE. 52^ reuse il'uu etat social faux , epuise. On trouvera parloul menie incurie , meme impuissance , parce que les memes causes partout existent. Ce qu'on verra partout aussi corame on I'a vu dans ces jours de douleurs , c'est Tavaiice speculant sur la mort et ven- dant a prix d'or aux pauvres la sante et la vie ; car partout la souffrance des masses fait la richesse de quelques-uns , comme les champs de bataille engraissent les oiseaux de proie. Te!Ies sont parlout les bases et les colonnes de la societe. Ce n'est pas qu'il n'y ait eu ck et la quelques traits de gene- rosite ; mais que sont quelques centaines de mille francs jetes k Theure du danger, dans le gouffre des miseres publiques? Vains palliatifs! Temporisations inipuissantes! Quand le navire fait eau de ioutes parts, on a beaujeter la cargaison en mer , il n'en som- bre pas moins. Si la bienfaisance a echauffe quelques hommes , conibien la peur n'en a-t-elle pas chasses , n'en cliassera-t-elle pas tons les jours! C'est a nos banieres qu'il faut juger dela desertion. Les chaises de poste se succedenl comme les vagues d'une mer d'o- rage. Les voitures publiques sont combles an depart , vides au retour. Les fuyards secouent la poussiere de la cite souffrante, el laclient pied devant le peril. On a dit meme que les bancs de la representation nationale sont restes deserts! Or tous ces transfuges laissent apres eux un vide que rien ne corable. Des calculs effrayans mais rigoureux ne permettent aucun doutesurla misere qui suivra la maladie. Que de manu- factures frappees ! Que d'industries paralysees ! Le contre-coup sera terrible ; et ceux qui n'auront pas succombe a I'epidemie pourront bienmourii- defaim. O riches, quand le fleau vient frapper a vos portes, vous pou- vez fair et vous fuyez ; mais le pauvre peuple, il reste , lui, il reste pour mourir. Tant qu'il tombe seul on se console. « II n'y a -que les pauvres qni meurent, » dit-on, et Ton se rassure. Mais si quelque journal annonce qu'un mo/isieur, qu'une dame out ete frappes , I'alarme se repatid aux chateaux , dans les salons , on part, on fuit , oubliant ainsi et comptant pour rien tant de r>2G POLITIQUE. victinies obscures dont les noms convertis en chiffres ne soiit bons qua figurcr sur le regislre banal des hospices. Ego'i'sme er pitie ! Ce que nous avions sur le cceur, nous I'avons dit. Si nos pa- roles sont apres, elles sont sinceres, elles sont desinteressees sur- tout, carnul autre sentiment qu'une compassion profonde ne les a dictees. II faut, nous le repetons, que le fleau , cette grande lecon d'en liaut, nous eclaire; il faut qu'il porte ses fruits; il ne faut pas que tantde mlUiers d'hommes soient morts pour rien. La plaie dumonde c'estle proletariat, c'est lui qui engendre les fleaux, c'est lui qui les envenime, les propage. Le pouvoir effraye lui-meme I'a dit : — Lasociete, sil'onn'y veille, periraparsesprolotaires. — Veillez done, pilotes, ausalut du navire. Le moment estpropice, car bien des ames sont emues et pretes aux sacrifices. Cette plii- lantropie tardive qui ne se revele que par des aumoncs ne peut rien fonder , rieu sauver. Une aumone n'est qu'une restitution en petit, faites-la en grand si vous voulez qu'elle serve. Appelez le proletaire, d'abord a defendre ses interets et ses droits dans vos senats , puis a posseder sur son sol , car apres lout le sol est a lui, et ce n'est que par un abus de*a force qu'il en fut depouille, chasse. Reinstallez-le done dans son heritage si vous ne voulez pas que, las enfin de tant de misere et d' oppression , il arbore ce drapeau noir que vous savez , et que Lyon vit naguere Hotter sur ses tours. Cedez quelque chose, si vous ne voulez qu'il revendi- que tout. Ce n'est plus ici une question de convenance on de politique, c'est une question de vie, pour vous , pour la societe tout entiere. C'eslTordre, et la justice que nous venous precher et que nous prechonspeutetrepourla dernierefois; car le fleau qui a frappe deja tant des notres doit eclaircir encore nos rangs et nous frap- per nous-raeraes peut-etre. Ces lignes que nous ecrivons pour le peuple, ce sont les dernieres peut-elre que nous traconspour lui, mais du raoins nous serous inorts sur la breche, frappes non par derriere, mais en face. DTI CATHOLICISME ET DU PEUPLE. Say Eh bien ! done, puisque nous parlons sur les tombenux et peiit- etre au bord du notie, que nos paroles prennem la solennite du sepulcre, qu'elles revetent cet auguste caractere, cette aulorite sainte que la mort donne a la voix de rhommc; car I'liomrae n'en impose pas au seuil de I'eternite. Ce que nous avons dit , nouslepensons, nous le sentons; c'est laverite, c'est I'evidence pour nous, coramepour quiconque a une intelligence et des en-" trailles. II seraitbeau que la loi nouvelle surgit du flcau qui nous tue comme la liberie d'lsrael sortit des plaies d'Egypte, a la voix du prophete. 15 aiTil 1832. Charlks Didier. ECONOMIE POLITIQUE. D£ L'ASSIETTS D£ L'IMPOT. EXAMEN CRITIQUE DU TRAVAIL DE LA COMMISSION DE LA CHAMBRE DES DEPXTTES SUR LE BUDGET DES RECETTES. PREMIER ARTICLE. Cc travail devait etre distribue a la chambre des depu- tes avant le vote du budget des recettes; les progres du cho- lera nous out dispense de ce soin ; le milliard d'inipots a ete vote sans discussion Quelle que soit ramertume des reflexions qu'une telle preci- pitation doit faire naitre , toutes recriminations seraient aujour- d'hui supei'flues , puisque c'est un fait accompli ; on doit cepen- dant y chercher un enseignement pour I'avenir. Si Ton veut que le vote de limpotne soit point une formalite illusoire , une fiction , il faut changer Tordre de la discussion des lois de tinances. Des les premiers jours de chaque session , on doit voter le ser- vice des interets de la dette publique, car cette depense n'est point facultative; La question de I'amortissement doit etre ensuite examinee ; Puis Ton doit discuter le budget des recettes. Ce n'est qu'apres avoir delibere sur I'amortissement et sur I'assiette de I'impot, qu'on peut utilement mettre en discussion le budget des depenses. Car il est une regie d'ordre dont il est facile de sentir toute I'importance : c'est quil faut acant tout examiner ce que le pays peut pajer_, et comment ilpeut pajer^ DE l'assiette de l'impot. 52^ afunt de statuer sur ce quil doit depenser. Dans toute bonne administration, il faut comniencer par payer ses dettes, puis re- gler sa depense sur ses recettes. Depuis dix - huit mois, trois enormes budgets sont sortis du scrutin legislatif; au moment du vote, les deux premiers etaient depenses k I'avance-; les douziemes provisoires entravaient deja la discussion du troisieme. Avant de faire defaut , la chambre des deputes etait des lors reduite a I'impuissance ; quand a I'examen de la chambre des pairs, il n'etait plus qu'une derision. Le veritable debat est aujourd'bui entre le gouvernement, qui par le fait a seul I'initiative de la presentation de& lois de finan- ces, et la presse , qui a toujours eu le privilege de resoudre les grandes questions politiques , avant que les pouvoirs constitues en aient ete saisis. Pen de jours apres I'ouverture de la session de \ 851 , M. le mi- nistredes finances, en presentantle budget de I'exercice de \ 852, s'exprimait ainsi dev.ant la chambre des depvites : « Nous ne croyons pas pouvoir proposer , pour \ 852 , de mo- » difications dans nos impots. >) Ce n'est pas que nous regardions notre systeme d'impots » comme a I'abri de toute critique , et comme n'etant pas sus- )) ceptible de recevoir d' utiles perfectionnemens. Mais I'annee, » messieurs, est deja fort avancee ; toute discussion sur des » changemens dans l'assiette des contributions entrainerait de )> longs delais, et empecherait le vote du budget en tems utile. Le )) moindre retard nous condamnerait a subir encore, en 1852, le » facheux regime des douziemes provisoires. » C'est au Budget de 1855^ sur lequel le retour de I'ordre » habituel des affaires vous appellera a deliberer dans pen de » mois, que tous les projets d' innoi>ation pourront trout^er place. TOME mi. jsiArs1852. 35 53o ECONOMIE POLITIQUE. )) D'ici lu , la prudence veut que nous nous contentions dcs n cliangemens operes dans nos taxes pendant la derniere ses- 1) sion (1 ). » Huit niois se sent ecoules depuis que ces paroles ont ete pro- noncees •, et en voyant la promptitude avec laquelle les dernieres parties du budget des depenses ont etediscutees et votees dans la chanibre, on pent augurer qu'il sera radicalement impossible d'introduire dans le budget des recettes les modifications qui sont de toutes«parts reclamees. La longuetir de la session, la lassitude des deputes , bien mieux que les argumens de M. le baron Louis, produiront, selon toute apparence , la prolongation indefinie du statu quo de nos finances. C'est pen cependant; encourage par la facilitc avec laquelle la chambre elective a appuye son systeme , le ministere se propose , dit-on, de convoquer une seconde session deux jours apres la clo- ture de la session actuelle, et de faire voter par la meme majorite le budget de i853. Or il est pen probable que dans le budget de \ 855, ainsi vote, tons les projets d'innoi'ation puissent troiwer place; la chambre a montre peu de sympathie pour les innovations , et "a moins de vouloir fiiire elle meme la critique de tons ses actes , elle sera obligee de rester consequente avec le systeme qu'elle a suivi jus- qu'a ce jour ; ce qui revient "a dire que le budget de 1835 devra etre purement et simplement ini diiplicata.de celui de 1852. La discussion, I'examen , le vote ne seront ici que de pures for- nialites legales ; ce sera une nouvelle fiction "a ajouter k toutes les fictions sur lesquelles repose aujourd'hui le systeme representatif. L'article 41 dela charte s'exprime ainsi : L impot fonder n est consenii c/ue pour uii an. N'est-ce point abuser de la faculte d'in- (1) Discoiirs dc M. Ic baron Louis, 19 aout 1831 . Aoir le biidfjet dc ISSS, folio 14. I)E L ASSIETTE DE L IMPOT. 53 1 tei'pretation que de faiie iin simulacre de cloture de session , puis iin simulacre de reouverture , afin de faire voter le bud'get pour deux ans ? En vertu du meme principe et lorsqu'on aurait pu s'assurer d'une majorite devouee, on pourrait concentrer dans Tespace de quelques semaines trois ou quatre sessions, puis faire voter les budgets de quatre ou cinq exercices ; il suffirait alors d'un simple enregistrement. Si un semblable projet pouvait etre realise, M. de Villele , malgre toute sa finesse, et la camarilla dn pavilion Marsan, malgre son jesuitisme, auraient lieu de se trouver debordes. Mais ce n'est point sur le texte de la charte que nous preten- dons nous appuyer pour reclamcr centre la confiscation qu'on semble vouloir faire des reformes financieres promises sur le bud- get de 1 855 ; si le vote anticipe de cette loi de finances pouvait, en quoi que ce soit, etre utile h la nation, nous serious les pre- miers h y applaudir; car, en somme, il est resulte si peude chose de la longue session qui Va fiiiir, toute. honteiise de son dernier vote sur la loi des cereales , que Ton pent se montrer pen desi- reux de voir se renouveler vni aussi grand gaspillage de tems , de talens-et d'efforts. Des lors, si nous repoussons le votesimul- tane des budgets de \ 852 et \ 835 , c'est uniquement parce que nous avons la conviction intime qu'on ne pent, sans injustice, sans danger pour I'ordre social et la prospecite publique , repor- ter en 1854 les ameliorations que reclame imperieusement le sort des classes laborieuses. Les promesses officielles de M. le ministre des finances, que nous avons deja citees, devraient etre du reste un obstacle invincible a I'adoption de cette mesure ; c'est un engagement pris k la face de la France; ce doit etre un droit acquis pour les contribuables, et certes leur docilite raerite quel- ques egards. La revolution de juillet, loin d'etre, ainsi que quelques gens se I'imaginenty un simple changeraent dans le personnel de la cour, loin d'etre un accident fortuit, sans relation avec le passe ni avec Tavenir despeuples, a, selon nous, nnc tout autre portee. En i 789 55. 532 ECONOMIE POLITIQUE, et 1795, le liers-etat avait detruitles bases de Tordre feodal ct re- ligieux; la i-ommotion fut terrible ; iii les longuos giierres de la repiiblique et de Tempire, ui le parlage de la restauration no pu- rent interrompre cette ceuvre immense. Les Iravanx militaircs et parlenientaires de ces deux periodes eurent pour effet aucoiitraire de propager, de vulgariser et d'asseoir les principes emis par la constituante et Tasserablee nationale. Qu'on recapitule les travaux legislatifs des quinze dernieres aiiuees , et I' on sera force dc re- connaitre qu'il n'a pu surgir du milieu de nos assemblees delibe- rantes un seul principe nouveau ; les harangues des liberaux et des ultra, depuis 1818 jusqu'en 1829, nesont qu'une paraphrase decoloree des discours des Mirabeau et des Cazales , des Barnave et des Vergniaud. Depuis 1850 nous n'en avons eu qu'une ri- dicule parodie ; a cet egard il n'y a pas eu progres. Ce u'est point que les hommes manquent aujourd'hui aux grandes choses ; ce n'est point qu'au seiii de nos assemblees le- gislatives ne se trouvent de grands talens et de beaux carac- teres ; mais c'est que les sentimens des masses ne sont plus a I'u- nisson avec ceux de nos tribuns; c'est que ni les elans belliqueux de I'opposition, ni les preoccupations egoi'stes et mesquines des centres, ne peuvent trouver d'echos dans la nation ; la foule in- attentive laisse tomber leur parole glacee , et leur renvoie sa propre parole plus eelatante et plus sonore ! A de pareils signes , on pent reconnaitre que 1' ceuvre de 89 est accomplie, et que 1850 aouvert une ere nouvelle. Ce n'est plus de detrmre qu'il faut se preoccuper aujourd'hui , c'est de reconstruire , dereorganiser. Les principes theoriques d'egalite politique et d'egalite civile ont ete consacres par nos lois ; mais cette egalite n'est encore qu'une abstraction , qu'un mot de convention , sans valeur et sans re'sultats praticjues. Poser les bases pratiques de regalite cwile el politique , tel est le probleme dont tons les vrais philantropes , tons les sinceres arais de I'ordre et de la paix doivent chercher la solution ; c'est DE l'assiette de l'impot. 533 la quest desormais le but des travaux de la politique moderne. Nous avons besoin ici d'expliquer plus netlement uotre pensee afin de n'etre point mal compris ou mal interpiete. Egalite n'est point, dans notre maniere de voir, synonyme de iweliement ; nous pensons et nous publierons prochaineiuent dans ce recueil un travail special pour prouver qu'on peut augnienter le bien-etre et les jouissances des classes inferieures, sans enipieter sur le bien- etre et les jouissances des classes superieures. Les produits du travail , qui forment seulsla richesse sociale , ne sont point des quantite'sjinies.^ ils ne se trouvent point cir- conscrits dans des limites infrancliissables; le domaine de I'in- vestigation du travail s'etend chaque jour au contraire ; la puis- sance creatrice de rhonime s'accroit sans cesse ; tout se perfec- tionne, de nouveaux procedcs multiplient les rnoyens de produc- tion ; la science revile de nouvelles puissances qui perinettent success! vement de soulager les travailleurs ; I'industrie, se pre- tant a tons les gouts , a tons les besoins , etend in(;essaniiuent le champ deses explorations; et, nourriciere des peuples de toutes les regions, de tons les climats, elle va de rivage en rivage porter avec les jouissances du luxe le stimulant civilisateur du travail. Croire qu'on ne peut augmenter le bien-etre du pauvre, sans detruire ou sans diminuer celui du riche; ne voir d'autre alter- native a la crise actuelle que la loi agraire ou bien Tilotisme des masses, c'est condamner la societe a un antagonisme perpeiuel ; c'est entretenir une erreur qui doit entraver toutes les ameliora- tions , qui doit fomenter des discordes et des haines , germes in- faillibles de nouvelles revolutions; c'est ne point sentir la valeur de I'industrie et ne point compreudre le mouvement qui preside hla formation des richesses. Rever encore un milieu hki^rd, un (iquilibre politique entre le principe democratique et le priucipe aristocratique, n'est qu'une chimere, etne temoigne que d'une bien fausse appreciation de la niarcbe des idees. Ce revc a bien pu se- duire quelques liommes capaliles , on a bien pu I'eriger en theorie 534 ECONOMIE POLITIQUE. gouverneinentale ; mais ces lentativesne peuvent ctrequ'cmineni- luent provisoires ; car Tart degouverncrleshommes, la politique en vm root, ne saurait etre desormais que la meilleure coinbi- naison des forces reproductives et la raeillenre repartition des produits dii traAail. Celtc tendance nest cependant point encore suflisamment sen- lie, soit par les goiivernans, soit par les gouvernes ; le role passifesl en apparence celui que cherche a s'attribuer le pou-' voir ; c'cst, il est vrai, a peu pres le seul qu'on nelui conleste point. Dans une seniblable occurrence-, et lorsque Taction gouverne- mentale ne pent point influer directement sur I'oeui^re de la pro- duction , c'est a ne point I'entraver indirecteraent que tous ses efforts doivent tendre. C'est cependant ce qui ne se fait point j caVrassietteactuelle des impots est evidemment concue dans des v.ues entiereaient contraires aux interets des travaillenrs, partant au developpement de la prosperite publique : nous allons nous efforcer de le prouver. Nous avons deja publie dans ce recueil ( I ) uu travail dans le- quel nous avons indique des modifications a introduire dans le systerae general des finances ; nous nous somnies plus speciale- ment propose de signaler les vices de ramortissement , et d'indi- quer les reformes que la suppression de cette institution ponvait permettre d'introduire dans Tassielle de I'inipot. Les principes que nous avons erais "a cet egard ont trouve du retentissemcnt dans la chainbre ; un grand nombre de journaux de Paris, des departemens et de Tetranger les ont accueillis avec faveur; si ramortissement n'a point ete aboli cette annee en to- talite on en partie, c'est uuiquement en raison de pretendues ne- cessites du moment; on ne pent des lors tarder a entrer dans cette voie nouvelle. Depuis la publication dont nous venous de parler, M. Humann {^) Revue encydopcJujuc , caliier (rocloluc 1851. — Evaincn ilii liiidijet de \ 852. DE l'\ssiette de l'impot. 535 a prcsente un rapport a la chambre des deputes au noni de la commission des receltes-, ainsi que nous I'avons dit ailleurs : «si la clarte, si la precision, si meme la moderation du laiigage pouvaient dissimuler ce qu'il y a de fiineste dans ce travail , nous n'aurions rien k critiquer, rien h blamer; mais 11 ne nous est ])oint permis de nous preoccuper de la forme, alors que le fond l)lesse si vivcment nos sympathies, et vieut si cruellement dissi- perles illusions dont la France s'etait berceedepuisla revolution de juillet. » Nous allons done examiner les ■ resultats de ce travail; cela nous servira de texte pour exprimer nos vues Sur I'dssiette de l'impot y sujet dont les chambres se sont jusqu'a ce jour fort peu occupees , et qui cependant est d'une tout autre importance que les reductions qu'on s'efforce cliaque annee de faire subir aux traitemens des juges, des procureurs, des prefets et des conseil- lers d'etat (1). C'est dans le budget que viennent se resumer toutes les ambi- tions : par son extreme elasticite , il se prete admirablement a toutes les exigences; tous les interets iufluens y trouvent unappui ; I'agioteur plaidant en faveur de I'amortissement , le gros proprietaire qui s'indigne des 50 centimes addilionnels de la contribution fonciere^ les fonctionnaires de tous les etages qui tremblent pourleurs places, obticnnent tous dans la loi de finan- ces une complete satisfaction ; le peuple seul , qui gemit sous le poids des impots , ne trouve que des oreilles sourdes, Quoi qu'il en soit de cette etrange preoccupation, nous croyons utile d'analyser les argumeus dont on se sert pour justifier cette doctrine gouvernementale. Nous peusons qu'il nous sera facile de demontrer qu'en continuant k faire ainsi abstraction des be- soins imperieux des masses , et en se laissant absorber par quel- (1) Plusicurs fragmens tic cc Iravail out etc sucressivemcnt publics dans le Nalional, notre criliquc du .syslcinc financier actuci ayant 6x6. en ccla d'accord avcc Topinion dont cc journal est Tcxprcssion. 536 ECONOMIE POLITIQUE. qucs interets particuliers , le pouvoir suit , a son insu peut-etre, la route la moins propre a le conduire au but qu'il se propose d'atteindre. Un prejuge funeste a long-tenis doniine les publicistes ; le systeme fiscal de rAngleterre a ete preconise en France, et par suite des necessites des longues guerres de I'empire, les inipots de consommation se sent etablis chez nous ; ils ont ete conserves et etendus , contrairement a des engagemens solennels , sous la restauration. Ces impots ont forme depuis quinze ans una des principales sources du revenu public , et quelle que soit leur inipopularite, ils sont encore aujourd'hui I'objet d'une predilection exclusive de la part du pouvoir nouveau. M. le baron Louis en exalte les avantages, et M. Humann y voit un excellent moyen d'exercer ce qu'il veut bien appeler Yhahiletejinanciere. II est tems cependant de faire justice de cette pretendue ha- hilete; il est tems de mettre a nu toutes les deceptions, tons les detours perfides de la vieille finance ; il est temps d'arriver enfin a introduire dans Vassiette de Vimpoty comme dans toutes les combinaisons du credit public , cette franchise, cette verite qui doivent etre les premiers elemens de la science financiere, qui seules doivent donner au pouvoir , quel qu'il soit , republique ou monarchic , cette force morale sans laquelle il n'est plus desor- mais de gouvernement possible. En Angleterre , les impots de consommation ont eu pour hut de rejeter sur les travailleurs tout le fardeau des charges publi- ques, afin d'affranchir une aristocralie puissaute des taxes territo- riales ; ils ont eu pour effet d'accumuler dans quelques families des fortunes scandaleusement exagerees. Par ime reaction in- evitable, la plus grande partie de la nation se trouve par la redute a la honteuse necessite de la taxe des pauvi-es. Les im- pots de consommation, et les combinaisons de la legislation des cereales, ont tellement hausseleprix des objets les plus neces- saires "a la vie , que le salaire de I'ouvrier anglais, tout eleve DE l'assiette de l'impot. 537 qu'il peut etre, et quelqiie peniWe que soit le travail dont il est le prix, ne le dispense point de rinscrlption sur les registreu de charite de sa paroisse. Une demoralisation profonde est la conse- quence directe de cet etat de choses. Les exces de Bristol, com- pares a la moderation des ouvriers lyonnais, racontent toute I'histoire de la liscalite anglaise. Et c'est un pareil systeme qa'on voudrait preconiser en France ! « L'impot de consommation se confond , dit-on , avec le prix )) des produits; la perception en est facile, insensible. » Cequi, en d'autres termes, revienta dire : « A I'aide de ces combinai- » sons detournees , indirectes y on parvient "a prelever, sur les M classes qui accomplissent tons les travaux utiles, des taxes qui, » si elles etaient exactement appreciees, seraient tellement cho- » quantes par I'inegalite proportionnelle de leur asslette, que 5) le peuple en refuserait le paiemeut. « On a beau dissimuler ce resultat sous I'artifice du langage, la git toute la pensee de ce fallacieux systeme de finance. Les augures sinistres des centres signalent a I'effroi des classes superieures une vaste conspiration des prolelaires ; mais croient- ils que ce soit avec des baionnettes , ou bien avec des manoeu- vres de police, qu'on puisse dejouer de semblables conjurations? lis devraient comprendre, au contraire, que c'est uniquement par des ameliorations profondes et radicales , adoptees en tems utile, qu'on previent des catastrophes dont les consequences pourraient etre incalculables. « Continuous a encourager le travail , a feconder tons les » germes de la prosperite nationale, >> a dit M. Humann dans le rapport qui nous occupe; c'est precisement sur ce terrain que nous alloiis nous placer pour apprecier les vues qu'il a exposees au nom de la conmiission. Les termes de la discussion se trouvant ainsi poses, il s'agit d'examiner si l'assiette actuelle des impots n'est point nuisible au developperaent du travail , et si la richesse nationale ne se^ rait point susceptible d'eprouver un grand accroissement a la fa-. 538 ECONOMIE POLITIQUE. veur d'un sysleme financier mieux approprie a nos iiioeiirs, a iios bcsoins et h la forme dc notrc gouvernement. L'inipot Ic plus cqiiitiible est, sans le plus leger clonic, celui qui a pour'objet de frapper les rei^enus en soulageant le trauail; en d'autres termes,* celui qui alteint bien plus le siiperflu du ricbo que le ne'cessaire du.pauvre; telle est la loi, telle est la base iramuable dont tout pouvoir qui compreud sa mission ne pent se depaitir, sous peine de succomber tot on tard sous le poids de raniraadversion publique ; car il n'y a de durable que ce qui est juste, que ce qui est conforme aux interets moraux et materiels de la majorite; et dans iiotre langage, le mot de majo- rite ne se rapporte point h un scnat on a une assemblee legislative quclconque, mais bien a la societe tout entiere. Les premiers rudimens de la science industrielle et du plus grossier bon sens, nousapprennent que les progres de la consom- mation entrainentnecessairement des progres correspondans dans \di production ^ or, en fait d'impot, quelle doit etre la preoccupa- tion des legislateurs qui veulent le bonheur de leur pays? Dpi- . vent-ils uniquement se proposer de satisfaire quelques interets influens? ou bien asseoir les taxes publiques de maniere h ce que la consommation , de plus en plus degagee de toute entrave, donne le plus possible un libre essor au travail , scul element de la ricliesse publique etprivee? Est-ce en vue d'un semblable principe que nos lois fiscales sont etablies? Nul ne saurait le pre- tend re. Depuis rctablissement en France du gouvernement represen- tatif, tel que I'ont fait et conserve les arislocrates anciens et nou- veaux, descondnnaisons electorales, dontle double vote aetel'ex- pressioii la plus franclie , ont attribue a la grande propriete le monopole de la confection des lois ; c'est ce qui fait que les inte- rets des proprietaires n'ont cesse d'etre si fortement proteges , a I'exclusion des interets des travailleurs. Tons les impots de consommalion qui grevent les produils dc notre propre sol , tons les droits dc douanes qui ne sont DE l'assiette de l'impot. 53c} point mouientaneraent necessites par la protection que reclament encore quelques industries nationales, sont autant d'entraves au travail, et, par suite, sont les causes permanentes de la gene et de la detresse publiques. Les taxes exorbitantes qui, par exemple, frappent le sel, le vin, le Sucre, le coton, etc., en diminuant, dans une enornie propor- tion, la consomraation de ces denrees , augmentent les privations forcees des sept huitiemes de la population, et, par luie reac- tion inevitable , portent une atteinte dnecte a toutes les indus- tries qui areent ces produits', qui les nianipulent, qui les ti'ans- portent, qui les echangent, qui les debitent. Quel est , au contraire, Teffet des iinpots directs , alors qu'ils frappent uniquement les rei>enus? Suspendent-ils I'ensemence- ment de nos charapS? font-ils arracher nos vignes, nos oliviers, nos muriers ? font-ils abattre nos forets et livrer aux oiseaux noc- turnes les habitations de nos villes? ou bien ne sont-ils point, au contraire (alors surtout qu'ils sont mainteuus dans une juste li- mite), un puissant stimulant pour le perfectionnement de tous les travaux, de toutes les proprJetes? All ! si Ton pouvait se rend re compte de toutes les pertes, de tous les maux qu'un faux systeme financier pent entraiuer ; si ceux-la meine qui croient, en se cramponnant au statu quo , de- fendre le plus opiniatreraent leurs interets les plus chers, pou- vaient exactement apprecier combien leur est nuisible un systeme qui u'a pour base qu'uae deplorable routine, combien ils seraient empresses de repudier un tel etat de choses ! Certes nous savons que tout etat a besoin d'etre administre ; quil a besoin de pourvoir a sa defense exterieure, a I'educalion publique, au salaire de ses juges et de ses percepteurs d'impots; qu'il doit aussi remplirses engagemens avcc fidelitc et assiu'er le pniement de ses deltes. .. Ces divers services , dont nous reconnaissons I'importance , pourront bien eprouver d''importantes reductions , mais ce n'est point immediatement qu'elles peuvent etre reclamees. L'affer- 540 ECONOMIE POLITIQUE. missement de la paix (et pour mou conipte personnel, je crois a la paix , sans pour cela en attribuer le merite a telle administra- tion plutot qua telle autre, sans I'attribuer non plus a lelles ou telles negociations , a telles ou telles concessions que je ne me charge point ici de qualifier; mais seulement parce que je ne vois point a qui la guerre peut aujourd'hui profiler), I'affermis- sement de la paix , disais-je , devra entrainer d'iraportantes reductions sur les defenses militaires ; une raeilleure repartition des impots produira des economies dans les frais de perception ; le developpement du credit, la creation d'un systeme de banque, (systeme autrement utile a la circulation des capitaux que celui qui regit actuellement le simulacre des banques francaises), de- vront promptement reduire I'interet de la dette inscrite ; d'autre part en augmentant , comme on devrait le faire promptement , les allocations en faveur de I'education publique, on pourra diminuer progressivement et dans une forte proportion les de- penses administratives et de la justice. Nous ne nous faisons cependant point illusion , et nous savons que toutes ces reformes nepeuvent etre, soil en totalite, soit en partie, que I'ceuvre du terns; mais pour qu'elles puissent s'ac- complir sans chocs violens, sans perturbations , il Jaut la coope- ration active de tons les hommes genereux, sincerement devoues au progres social. Pour y arriver successiveraent et tirerle parti le plus avantageux des forces reproductives de la France , il faut iCxtirper, des hautes regions ou elles se cachent, les branches parasites qui devorent le fruit ties sueurs et des veilles des hom- mes laborieux ; il faut, en un mot, activer le developpement de toutes les richesses du sol et de toutes les facultes humaines. Le systeme actuellement suivi est-il le plus propre k atteindre ' ce but? Non , mille fois non. Et le ministere qui , en arrivant au pouvoir , s'etait dit le conservateur de tons les inte'rets, n'a pu , jusqu'a ce jour, et peut-etre "a son insu , qu'etre fidele a la politi- J que du parti dont il est I'expression; c'est-a-dire qu'il a du, pinsi que I'avait fait la restauration , fovoriser exclusivement DE l'ASSIETTE DE l'iMPOT. 5/^1 quelqiies classes influentes, quelques coteries , au dclrimcnt du reste de la nation. Nous venons de demontrer d'une maniere assez sensible les funestes effets de I'assiette actuelle de I'impotsous le rapport in- dustriel ; il nous sera facile de prouver que, sous le rapport pure- njent financier , ses effets ne sont pas raoins pernicienx. Les ressources ordinaires du budget de 1852 s'elevent, selon M. le baron Louis, a 978,586,591 fr. ; selon M. Humann,elles ne produiront que 948,586,591 fr.; mais, avec lesnouveaux im- pots proposes par la commission, elles s'eleveront, Dieu aidant, a 968,594,^791 fr. Les frais de perception et de regie des divers impels ( non compris environ 20 millions qui, sur les 22,787,500 fr. por- tes aux seri'ices ge'ne'raux du minisiere des finances, sont aussi relatifs a la percep- tion ) s'elevent, selon M. le baron Louis, a 118,211,853 II reste done a affecter aux services pu- blics , sur I'enserable des impots ordinai- res, une somme «^«e de 850,182,958 fr. Pour faire arriver cette somme au tresor , il a fallu depenser 118 millions, ce qui represente 15 fr. 90 c. par 100 fr. de frais de perception (en Angleterre ils sont de 6 fr. 60 c. par 100 fr. ); si les 20 millions de frais generaux s'y trouvaient compris , Ten - semble des frais de perception s'cle- verait.a 16 fr. 65 c. pour 100 fr. Cette depense est exorbitante sans doute , mais ce n'est pas tout encore ; void comment elle se repartit sur les diverses bran- ches du revenu public ; nous ne nous occuperons point ici des frais des postes , des tabacs , des poudres et des forets , cette 542 EtONOMIE POLITIQUE. partie etant presque entiferement employee d'une inanicrc repro- ductive. Les cinq contributions directes produi- sent brut 572,746,909, et net. . . . 554,454-,509 fr. Les Irais de perception content -18,096,400 fr., soit 5 fr. 10 c. p. 100. L'enregistrenient , le timbre , le greffe , etc., produisent brut 196,225,000 fr. , et net -186,579,250 Les frais de perception content 9,645,750 fr. , soit 5 fr. -17 c. p. -100. Les douanes et les sels produisent brut 154,500,000 fr., et net. .'.... 151,082,552 Les frais de perception content 23,217,698 fr., soit 17 fr. 71 c. p. 100. Les droits sur les boissons ( les octrois exceptes) produisent. . . 69,800,000fi. Les frais de percep- tion ( deduction faite de 2,149,600 fr. pour les frais des autres contribu- tions" indirectes) coutent 17,800,000 Produitnet.. . . 52,000,000 fr. ci 52,000,000 Sur cette somme de 52 millions, les frais de 17,800,000 fr. representent 54 fr. 25 c. p. 100 fr. Avec la loterie , enfni , on percoit 29 millions pour un produit net de. . . 6,125,500 Les frais de perception coutent 1,874,700 fr., soit 50 fr. 60 c. p. 100. DE l'assiette de l'impot. 543 Les frais de perception par nature de contribution , en France et en Angleterre(l), s'elevent : Eu France. Eu Angleteire. Difference en faveur p. 100 f. p. loo f. do I'Angleterre. Sur les contributions dircctes. 5f. 10 c'. 5 f. 40 c. » f . »c. p. 100. Enregist. , timbre. .. . 5 17 3 50 1 60 id. Douanes 17 71 7 50 10 21 id. Loterie 30 60 » » » « id. Boissons . 34 23 3 50 28 73 id. Postes 52 80 30 50 22 30. id. On voit des lors que les inipots de cousomraation , que nous avons prouve etre contraires a la morale, a la politique et a la production , ont egalement de.s consequences desastreuses sous le rapport financier, en ce qu'ils occasionpnt a I'etat des frais de perception considerables. II n'est peut-etre pas inutile de faire remarquer, en outre, que le service actif des douanes emploJ^ 27,664 hommes , et que la perception de l'impot des boissoift occupe 7,512 hommes et 2,764 chevaux ; ce sont autant de forces perdues pour les tra- vaux productifs. Qu'on ne jconclue c^pendant point de ce que nous venous de dire , que nous reclamions la suppression immediate des lignes de douanes ; nous savons qu'un semblable resultat ne peut qu'etre eloigne, et qu'il se rattache a des combinaisons politi- ques et industrielles qu'il n'est pas possible de realiser aotuel- lement. Mais lorsqu'on songe que les frais de perception de l'impot (1) En rcg^Ji des frais de perception dc l'impot des boissons, nous avons plact; les frais dc Vaccise ariglhise, impot qui represente nos contributions indirectes. La loterie ayant ete abolic en Angleterre, il n'y a point dc frais pour cet objct, II peut , en general , y avoir quclques Icfjeres differences dans rappreciation des frai^jselon qu'on prcnd pour base leproduil net ou le produit brut dcVimpol. 544 ECONOMIE POLITIQUE. ' direct; ne coutent que 5 fr. 10c., et renregistrement 5 fr. 17 c. par 100 francs, tandis que sur Fimpot des boissons les menws frais .s'elevcnt a 54 fr. 25 c. par 100 francs, c'est-k-dire a une somnie superieure au tiers du produltnet, on doitetre sobre d'e- loges en faveur d'une si deplorable combinaison fiscale. La restauration, qui n'avait acceptelegouverneraent represen- tatif que corame une excellente machine de guene centre les contribuables , avait pu perseverer dans une voie aussi ruineuse. M. de Villele , le plus habile , sans contredit , des ministres dc cette epoque , avoit fort bien senti que le controle public des finances etait le moyen le plus facile de satisfaire aux exigences du parti liberal. Par ses combinaisons adroites, les impots et les emprunts lui permettaient , d'un cole, deprelever d'enormes ca- pitaux ; et, d'un autre cote, I'extreme complicatiou qui resul- tait necessairement de la multiplicite des taxes, avait ete , dans ses mains , un moyen d'augraenter prodigieuseraent le nombre des emplois , et par consequjint celui de ses creatures ; c'estainsi qu'il avait pu prodiguer lesj^aveurs et les places a I'emigration', long-temps importune et oisive , et organiser ce vaste systeme de corruption qui aurait eu pour effet , sans I'energique protestation de juillet, de concentrer dans les maing des fonctionnaires tout le controle legislatif des mesures finaneieres. Comme on le voit , le systeme etait complet dans toutes ses parties ; tout concourait admirablement au meme but ; Televation des frais de perception , loin d'etre alors im vice de I'organisa- tion administrative , en etait au contraire im perfectionnement ; car ce mode permettait de consolider des depenses au profit des courtisans ; c'etait ainsi qu'on pourvoyait a la lists civile, des en- fans perdus de I'ancienne noblesse. De meme que , dans I'armee, les etats-majors absorbaient la plus grande partie des allocations de credits , et qu'au moment on les arsenaux etaieiipvides et les cadres deserts , le nombre des officiers allait toiijours croissant , et semblait dcpasser celui des soldats presens sous les drapeaux ; de meme aussi le chiffre des frais de perception allait toujours €mpietant sur celui du produit net des impots. DE LASSIETTE DE l'iMPOT. 545 C'est a la France , telle que juilletl'a faite , a apprecier cette tendance , a examiner si elle entend la sanctionnei- , la perpetuer ; c'ost aiix contribuables qu'il appartient de juger s'il leur convient de coiitinuer , sous line forme quelconque , "a etre taille's a merci pour la plus grande edification de ceux qui k un tilre quelconque veulent consert^er les traditions de la restauration. Nous allons aujourd'hui , en vue les principes que nous avons deja poses , examiner les diverses branches du revenu public , dans rordrequ'a suivi M. le rapporteur de la commission. CONTRIBUTION FONCIERE. Tandis que tons les impots les plus nuisibles an travail sont religieusement conserves , tandis que des surtaxes sont en- core proposees par la commission des recettes, voici comment s'exprime son rapporteur, relativement "a I'impot direct : « Les sacrifices imposes aiix proprietaires se trouvent atte- » nues : ils sont, d'ailleurs, moindres qu'autrefois ; car, sous » Tadministratiou de M. Necker, les impositions territoriales >) s'elevaient k -190 millions, qui representent de nos jours » une valeur de 249 millions. n La contribution fonciere, fondee en -1790 par I'assemblee )) conslituante, a ete fixee a la somme dc 240 millions ; elle est » portee au budget qui nous occupc pour 244,873,409 fi". en >) principal et en centimes additionnels de toiite nature. L'eva- •>■> luation officielle du revenu net des proprietes baties et non » baties s'elevant a i ,084 millions de francs , il suit que la » quotite de I'impot est , en principal et en centimes additionnels, )) de 14 fr. 55. c. par iOO fr. de revenu. La proportion est mo- » deree , et cela est juste et necessaire « Juste et necessaire ! II faut avouer qu'uae telle conclusion ren- verse toutes les notions que nous possedions sur la justice et sur la necessite. II nous sera facile, meme sur les bases posees par M. Humann, TOME LIU. MAUSl832. 36 546 ECONOMIE POLITIQUE. d'etablir que, tandis que les charges publiques se sont accrues dans line euoime proportion (1 ), les taxes qui frappent la propriete territoriale out eproiive line reduction considerable : la contribu- tion fonciere de 240 millions , etablie en 1790, represente au- jourd'hui 51 5 millions , d'apres Techelle de depreciation donnee plus haut ; admettons seulement 500 millions , pour etre plus ri> goureux. Dans le budget de -1852 cette contribution ne figure que pour une somme de 244,875,409 fr. ; c'est done un degre- vement bien reel de plus de 55 millions. Ce degrevement ne sera cependant point suffisamment appre- cie par ceux qui n'ont point observe la decroissance qui s'est , operee depuis quarante ans dans le signe monetaiie , relative- mentk la valeur des terres. Mais ce n' est point, ainsi que nous allons I'etablir, seulement sous cette forme que la propriete s'est trouve favorisee depuis la revolution francaise. Le principal de la contribution fonciere, regie par la loi du 25 noverabre \ 790 , etait pour I'annee \ 791 de 240,000,000 fr. La reunion du Comtat Venaissin hla France avail augraente ce contingent de . . . . 959,740 fr. La reunion de la principaute de Montbe- liard Tavait aussi accru de 251 ,000 fr. 241,210,740 fr. II faut en retrancher la contribution des proprietes nationales qui , en \ 799 et \ 800 , ont'ete declarees non imposables 5,590,000 fr. Principal de la contribution fonciere de 1790 257,620,740 fr., (1) Lc budget ordinaire des ddpenses dc 1816 s'elevait a 490,446;549 fr., le budget ordinaire dc K 852 , y compris la liste civile et les credits siipplcmcntaires s'eleve a 995,650,012 ; il faut deduire de cette somme 118,21 1 ,855 fr. pour frais dc perception qui n'^taient point compris dans les d^penscs de 1816, on trouve net 875,438,179 fr. Ccla fait 78 pour cent de plus qu'cn 1 816. DE l'assiette de l'impot. 547 11 n est porte au budget de i852 (fol. 37) que pour -154,794,459 fr. D^GREVEMENT suF le principal de la contri- bution fonciere de 1 790 a i 852 82,826,281 fr. Les modifications qui ont ete produites sur rensemble de l'im- pot foncier, par suite des centimes additionnels , seraient longues a enumerer ; M. de Chabrol signale un degrevement de 56,804,468 fr. opere dans une periode de sept annees(l). En 1 81 8 la contribution fonciere en principal et en centimes additionnels, s'elevait "a 295,551,554 fr. En 1 832 , la meme contribution , y com- pris les centimes additionnels ordinaires , s'e- leve a . = 244,873,409 fr. Degrevementsurle principal et les centimes additionnels de la contribution fonciere de 1818 a 1852 50,678,145 fr. En 1851 cette contribution s'elevait k 291,514,562 fr. Les necessites publiques ne sont pas moins fortes en 1852 qu'en 1851 , nous ne voyons done pas le motif de cette re- duction. Depuis 1790, et meme depuis 1818, la valeur des terres et le prix des fermages se sont considerablement eleves ; de nou- velles routes et de nouveaux canaux qui ont ete ouverts (2) , (1) Du 17juillet 1819 au 6 juillet 1826. Voir le rapport sur I'administralion des finances; dtat n° 11, T 26: ces 56,804,468 fr. secomposent de 18,119,222 sur le principal (ils sont consdquemment corapris dans le d^grevement dc 82 mil- lions), et de 38,683,246 en centimes additionnets. (2) Chaque an nee on reclame au budget environ 40 millions pour fentretien ordinaire des communications ; en 1 852 , la d^pense s'elevera a 60 millions , ct dans cette somme ne se Irouvent point comprises les depenscs faites paries com- munes pour chemins vicinaux , ni par les entrcprises particulieres. 57. 5/^8 ECONOMIE POLITIQUE. cu facilitant recoxilement des produits, en out ameliore sen- sibleiuent le piix ; depuis 1790 et 1818, des constructions, des defricheniens nouveaiix, ont augmente la masse des pro- prietes iniposables ; il s'ensuit des-lors que, par une predi- lection inconcevable , cette branche du revenu public a eprouve un degrevement considerable, alors que tons les autres impots ont efe exhausses au-dela de toute mesure. Est-ce Fa de la justice distributive, et la charte, que le parti doctrinaire invoque si souvent, est-elle en cela fidelement observee? Afin d'etablir que Timpot foncier s'eleve a ^4■ fr. 55 c. par 100 fr. de revenu, M. Huniann prend pour base une pretendue evaluation officielle qui porte a i ,684,000,000 le revenu net des proprietes baties et non baties. On sait combien ces evalua- tions officielles sont eloiguees de la verite ; car, en fait de de- claration de revenu , les contribuables ont tons la conscience fa- cile. Si done Ton voulait comparer le chiffre de I'impot au revenu reel, nous avons la conviction qu il ne s'eleverait guere au-dela delOaH fr. parlOOfr. (1). Si Ton considere, en outre, qu'une part enorme dans la de- pense generale de I'etat profite luiiquement k la propriete fon- ciere ; si Von vent bien reflechir ensuite que la propriete se sous- trait presque entierement a Tinipot , ou du nioins qu'elle en at- tenue considerablement les effets a I'aide des lois sur les cereales, qui n'ont d'autre objet que d'augraenter les revenus fonciers (2) , on reconnaitra qua aucune epoque le poids des taxes publiques n'a ete plus leger pour la grande propriete. C'est cependant dans (1) Nous n'eiUcndons parier ici que do la conlribulion moyenne. Nous savons que ritnpot fonder nc peut etrc dgalemrnt reparti , et que ccrlaiiies localit(!$ so irouvenl trcs-surchargdcs , tandis que d'aulres le sont tres-peu. (2) La charge de ble ( un licctolilre ^/s ), premiere qualite, sc vendait en fe- vrior 33 fr dans I'enlrcpotde Marseille. La incmc qualite se vendait, dans la mcme villc, en dehors de Pentrcpot , 44 fr. C'est done une augmentalion de prix dc 11 fr. sur 33 , soil 53 pour cent ! DE l'assiette de l'impot. 549 fie seiublables ciiconstances que M. le baron Louis a cru devoir opererledegievemeiit des 50 centimes additionnels , et qu'il a trouve dans la commission une majorite docile pour y souscrire? Du reste nous allons citer les arguraens a Taide desquels M. Humann a appuye cette mesure , nous pensons qu'il nous sera facile de trouver dans ses propres calculs des motifs pour raain- tenir cette surtaxe dans les ressources publiques. Voici ses chif- fres : « Sur 10,296,695 de cotes foncieres qui se paienl en France, » il y en a 8,024,987 de 20 f. et au-dessoiis. 665,237 de 21 a 30 642,345 de 31 'a 50 627,991 de 51 a 100 535,505 de 101 a 500 56,602 de 300 a 500 46,026 de 501 et au-dessus. » En analysant ces chiffres, on trouve tjue, sur raille » cotes : Maximum du revenu representatif. 779 soiu de 20 f. et moins. 137 f. 45 c. 65 21 a 30 f. 206 17 62 31 a 50 543 62 51 51 a 100 687 24 33 101 a 300 2,061 72 6 301 a 500 5,456 20 4 501 et au-dessus. )) Ainsi , sur dix cotes , neuf et six milliemes representent un )) revenu net et annuel de 343 fr. 62 c. an maximum. » Dans cette analyse, M. Humann n'a eviderameut eu d' autre objet en vue que de prouver que la propriete etant tres-divisee en France, la faible part de chaque proprietaire , dans les avan- tages qu'elle confere , devait exciter toute la sollicitude des legis- lateurs. Nous prelendons, au contraire, qn'en raison de cette 55o . ECONOMIE POLITIQUE. grande division, on pent, on doitmeme, dans Tinteietdes neuf dixiemes de proprietaires sur le sort desquels M. Humann semble s'etre apitoye , maintenir pour i 832 la surtaxe iraposee en 1831 , "a la condition, toutefois, de degrever les impotsles plus onereux a la production , dont le recouvrement est le plus incom- mode et le plus niineux. Sur 1 0 millions de cotes , dites-vous , 8 millions representent mi revenu dont le maximum est de ^ 57 fr. 4S c. ? Eh bien ! nous prenons ce maximum pour base : Sur ce revenu , I'impot foncier s'eleve , comme on I'a vu , a 20 fr. Ces 20 fr. se composent de 14 fr. 60 c. en principal, et de 5 fr. 40 c. en centimes additionnels ordinaires (i); En ajoutantles 50c. additionnels extraordinaires j, on formerait done sur le principal de 14 fr. 60 c. une surtaxe annuelle de 4 fr. 58 c. seulement. Si Ton va jusqu'au revenu de 543 fr. 62 c, , qui represente une cote de 50 fr. ( dont le principal est de 36 fr. SO c.),les 50c. additionnels formeront 10 fr. 95 c. de surtaxe. Est-ce Ih une cause de mine pour les contribuables , qui, comme M. Humann I'a fort bien dit, comprennent plus des neuf dixiemes des proprietaires ? Voyons maintenanl quels seraient les dedommagemens : L'impot des boissons s'eleve , pour un menage de cinq person- nes, de 20 a 25 fr. par an, soit 22 fr. 50 c, et il produit net "a I'etat 52 millions. Si, a I'aide du maintien des 50 c. addition- nels, qui s'elevent a 46 millions 458,808 fr. , on supprimait cet impot, sur dix cotes foncieres, neuf et six milliemes , c'est-a- dire, plus des neuf dixiemes des contribuables fonciers, y trou-, (1) La contribution foncierc se compose , d'apres le budget de 1832,d'une sommc Gxc en priiiripal , et de 57 cent, additionnels oidinaires ■ ces deux cle- mensdc la contribution sont dans le rapport sur 100 : dc 73 pour le principal , ct de 27 pour Irs centimes additionnels. DE l'assiette de l'impot. 55 1 veraient un benefice relativement tres-fort, puisqu ilsseraient de- greves de 22 fr. 50 c. et qu'ils n'eprouveraient qn'une surtaxe de 10 fr. 95. En recapitulant ces cliiffres, on trouve d'uiie part que la cote fonciere de 50 fr. se serait elevee a . . 60 fr. 95 c. D'line autre part le contribuable qui la paie aiirait ete degreve sur rinipol des boissons de .... 22 fr. 50 c. Au lieu done de 50 fr. , il ne paierait plus en realiteque 38fr. 45 c. II aurait ainsi eprouve une economie devingt-trois pour cent! Nous n'avons point ici tenu corapte encore du benefice qui re- sulteralt pour un tres-grand nombre de proprietaires de la vente de leurs produits. Qu'on cesse done d'invoquer en faveur du maintien du statu (juo financier I'interet de la petite propriete , voire raeme de la moyenne ; car evidemment si une mesure pent leur etre favora- ble, c'est bien certainement la suppression de l'impot des boissons et son remplacement sur les centimes additionnels de la contri- bution fonciere. Nous avons parle d'une reduction de 23 pour cent sur le chiffi-e de l'impot represente par plus de neuf millions de cotes (i ) ; sur ce nombre , ce n'est evidemment encore que des cotes les plus elevees que nous av»ns entendu parler ; car , sur ces 9,530,569 cotes, il y en a depuis 1 franc jusqu'a 50 francs , et , corame on I'a vu plus haut, ces dernieres sont eil tres-faible quantite •, il suit des lors qu'au fur et a mesure que le chiffre de la cote est plus faible, la reduction qui resulte de la substitu- tion est relativement plus considerable, et qu'au lieu de 25 pour cent d'economie , il y a , dans le plus grand nombre de cas , une economie de cent , deux cents , et meme trois cents pour cent. (1) Le chiffrcetact des cotes dc 50 fr. cl flu-f/ciJo«* est de 9,330561) sur un total de 10,296,693 , c'est done 906 cotes sur 1000. 552 , ECONOMIE POLITIQUE. Les seuls interels que le maintien des 50 centimes addition- iiels blesserait en apparence sont done uniquement ceux de la grande propriete ; nous disons en apparence ; car il est evident que Tamelioration qui , par suite de cette mesure, pourrait s'ef- fectuer dans la culture des terres , et la plus grande chance de tranquillite interieure , qui en serait la consequence necessaire , scrait de nature a. les dedommager de ces legers sacrifices ! Du reste on a toujours a la bouche les mots de patriotisme , de de- vouement , de sympathies pour les souffrances populaires ; il faudrait cependant bien songer a prouver par des actes la since- rite de ces sentiraens. Et qui mieux que les classes favorisees des, avantages sociaux peuventle faire? CONTRIBUTION PERSONNELLE ET MOBILIERE. Lorsque M. Humann a examine dans son rapport la question des sels , pour resister aux reclamations des contribuables , it s'est eerie : « Si jamais de telles concessions etaient faites k la » voix populaire , c'est alors que I'anarchie triomphante ruine- j) rait notre avenir , et nons entrainerait rapidement a la sub- » version de I'ordre social. )> Comment se fait-il qu'apres avoir reconnu les avantages de I'inf^ot de ^uotite , et avoir dit qu'il avait « ete proscrit , mais non juge , » il ait propose « d'ajounier » ce changement a des terns plus calmes, et de revenir "a I'impot » de repartition! » On est inebranlable dans la question du sel , sQuple pour I'irapot de quotite ; pourquoi tant de jactance d'un cote et tant de soumission de I'autre? La conversion des taxes personnelles en impot de quotite fut un progres; mais la loi du 50 mars 1851 a fait de ce principe , bon en lui-meme, une roauvaise application ; les motifs des re- clamations qui se sont elevecs sur tons les points de la France sont faciles a cxpliquer. DE l'assiette de l'impot. 553 En 1830, les contributions personnelle et mobiliere reunies, s'elevaient a . . . . 55,580,793 fr. La loi du 50 mars les a portees en i 831 a 58,355,000 Augmentation en 1 831 . . 22,774,207 Or il a fallu que , soil par l'impot de quotite, soit par l'im- pot de repartition , ces 22 "a 23 millions pussent se trouver quel- que part. Le budget de 1852 elevait ces deux contributions a 65,065,0J0 fr. ; la commission les a reduites a 50,965,000 fr. ; c' est encore 15,584,207 fr. de plus qu'en 1850; la cause du mal n'est done qu'attenuee , mais elle subsiste toujours. Le vice de la loi n'est cependant point la ; car cet impot pent produire 50 h 60 millions et meme plus , s'll est bien assis ; mais il n'en est point ainsi : l'impot de quotite, tel que I'a fait la loi du 30 mars 1851 , pi-eleve sur cbaque personne exercant lui etat : 1"un droit fixe egal a trois journees de travail; 2° une taxe proportionnelle sur le prix du loyer. La fixation du prix de la journee de travail etant la meine pour tons , pour le banquier opulent comrae pour son obscur garcon de caisse ; ce n'etait plus la une taxe de quotite, mais bien une veritable capitation. La premiere modification a introduire dans la loi devait done elre de faire disparaitre cette choquante anomalie ; loin dele faire, on a maintenu cette base dans la re- forme qui a ete proposee par la commission. La taxe proportionnelle sur les loyers avait pour objet d'at- leindre les revenus mobiliers qui echappent "a I'appreciation de l'impot, le prix du loyer etant le signe le plus saisissable du re- venu. Or, cet avantage disparait dans l'impot de repartition, qui laisse la porte ouverte "a tout I'arbitraire , "a toute la partialite des repartiteurs. Pour atteindre son but , Vimpot personnel et mohi- lier doit done etre impot de quotite' ; mais pour pouvoir s'appli- quer d'une maniere equitable , il ne suffit point qu'il soit pro- portionnel , il faut encore qu'il soit progressif. Pour saisir le re- 554 ECONOMIE POLITIQUE. venu , la taxe doit etre relativeraent plus forte sur les loycrs de luxe que sur les loyers inferieurs ; car il laut un logis a celui-Pa meme qui est miserable , qui ne gagne que juste ce qu'il f'aut pour subvenir h une chetive existence et qui ne peut rien ou pres- que rien payer k I'e'tat. Nous aurons occasion de parler plus bas de ces taxes , a. I'occasion de I'impot des patentes. CONTRIBUTION DES PORTES ET FEWETRES. On vient de voir que la commission avail modifie I'impot de quotite, quant a I'impot personnel , elle en a fait de meme quant a celui des portes et fenetres : en cela elle a bien fait ; car il est impossible d'etablir une taxe de quotite sur cette der- niere contribution , puisque les unites, qui servent de bases a la taxe , ne peuvent point etre egales. Afin d'arriver a une re- partition plus equitable de cet impot, la commission a etabli une echelle de droits , qui differencie la taxe en raison et du nombre des ouvertures de chaque maison et de la population des villes ; c'est la sans doute une amelioration dont profitera la classe pen aisee ; mais , dans la meme ville, toutes les ouvertures n'ont point la meme valeur ; et , par exemple , a etage egal , la fenetre d'une maison situee rue de Rivoli , ou bien quai Vol- taire , ne peut etre , sans injustice , taxee an meme prix (i franc 80 centimes) que celle d'une maison du quartier Saint-Marceau, ou de I'une des rues etroites quiavoisinent I'ex-archeveche. Nous ne concevons point , en outre , quelle est la monomanie fiscale qui a fait maintenir une taxe , minime a la verite (50 cent.) , sur les maisons qui n'ont qu'uwE seule ouverture, c'est-a-dire une porte et point de fenetre. Quoiqu'il en soit de ces incoherences et de ces derai-mesures, nous devons citer avec eloges la conclusion de M. Humann : « L'impot (celui des portes et fenetres) , malgre cetle aineliora- » tlon , presentera encore des inegalites et des inconveniens. » Comme il n'est an fond qu'une addition a la contribution fon- DE l'assiette de l'impot. 555 » ciere de la propriete batie , il vaudrait raieux I'asseoir , coraiue » celle-ci , sur le revenu net ; ce mode aurait I'avantage de le » proportionner avec la valeur de la matiere imposable et avec » les facultes quelle presuppose. » Nous adoptons cette modi- fication; mais pourquoi la commission ne I'a-t-elle pas imraedia- teraent proposee ? Quel funeste esprit de routine vient done pre- sider a I'examen des lois de finance ? C'est encore la meme antipathic contre toute innovation qui a fait maintenir les taxes des patentes sur les bases qu'a posees la loi de brumaire an vii. Le premier impot des patentes a ete, comrae I'a fort bien dit M. Humann, substitue, en 1791 , aux droits de raaitrise et de jurande ; maisk cette epoque I'industrie sortait a peine de I'esclavage dans lequel I'organisation feodale I'avait tenue; les travailleurs n'avaient point acquis dans la so- ciete la haute importance a laquelle ils ont droit aujourd'hui. Vivre sans rien faire etait ce que par tradition, par habitude, on appelait, a une epoque tres-voisine de la revolution francaise, vivre noblenient. Depuis lors , les idees de 89 ont passe dans nos moeurs; les vilains ont conquis sur les seigneurs chatelains de ve- ritables titres de noblesse : le travail seul est generalement ho- nore! Comment se fait-il que les progres dela morale publique ne se soient point introduits dans la loi ? A quel titre frappe-t-on I'in- dustrie de taxes exorbitantes , alors qu'on traite avec tant de me- nagement les gens vivant de leur revenu? L'homme qui travaille n'est-il point le plus utile a la societe? Ces verites sont aujour- d'hui cependant assez ^Igaires; elles ont meme trouve place dans le rapport de M. Humann : « La richesse d'un etat, a-t-il » dit, est dans les elemens du travail; aussitot que le travail lui » manque, la misere Tenvahit. « Or,.puisque vousrendez justice a cette source feconde de la prosperite publique , il faut lui ac- 556 KCONOMIE POLITIQUE. corder, siiion des avantages dans la repartition des charges, du moins les bienfaits de I'egalite. Nous pensons en consequence que , par I'application de ce principe, les taxes personnelles, mobilieres et des patentes, telles qu'elles existent aujourd'hui , devraient etre supprimees, et qu'uii seul droit proportionnel/^rogre^^j/'devraitleur etre substitue ; ce droit devrait avoir pour base le loyer (1 ), sans distinction de pro- fessions; la loi aurait a fixer la quotite de I'impot, qui devrait etre variable selon la population des villes, et dans chaque villa selon I'iinportance du loyer, de maniere a ce que la base de I'im- pot serait relativeraent d'autant plus elevee que le prix du loyer serait plus fort. Actuellement , I'impot des patentes se compose d'un droit fixe, variable selon la nature des professions ; puis d'un droit propor- tionnel de 10 fr. par 100 fr. sur le prix des loyers, sans distinc- tion pour I'importance des villes ni pour la progre.ssion des loyers. Si Ton compare cette lourde charge "a la modicite des (1) Pour les villes de 80,000 ames ct au-dessus , par exeinple, rechcllc des droits pourrait elre ainsi dtablie (personnel, mobilier et patentes riiunis ) : Pour un loyer de 500 fr. et au-dessous , 4 fr. par 100 fr. de loyer. 501 a 1 ,000 fr. 5 1,001 a 1,500 6 1,501 a 2,000 7 2,001 a 5,000 8 3,001 a 4,000 9 4,001 a 5,000 10 5,001 a. 6,000 11 6,001 a 7,000 12 7,001 h 8,000 15 8,000 "a 10,000 ^ 10,001 ct au-dessus 15 Dans les villes de 60 a 80 mille ames , la projp-ession devrait conimcnccr a 400 fr. ; dans celles de 40 a 60 inille, a 500 , etc. On conioit que nous ne doii- nons CCS bases que pour traduire- noire pcnsde en chiffrcs ; dans Papplicalion ,. cllcs sont susjeptiblcs d'rprouvcr dc p,randcs modilications. DE l'assiette de l'impot. 55^ taxes luobilieres actuelles, on trouvera que rindustiie n'a point encore conquis, dans la loi de finance , toute la valenr so- ciale qu'elle merite. ENREGISTREMEMT. Cet irapot a fonrni a. M. le rapporteur I'occasion d'exprinier ses vues sur la propiiete, qxi'il n'a toutefois envisagee que sous le rapport de sa transmission ; Tenregistreraent ne hii est des lors apparu quo connne appendice , comme constatation de ce droit. La transmission de la propriete est effectivement un fait tres- grave dans la constitution des societes , et son importance a ete tellement sentie , que I'Etat est toujours intervenu pour regler le mode en vertu duquel elle s'effectue , et pour lui faire eprou- ver les modifications qui ont ete successivemeul reclamees par les progres de la civilisation et par les necessites sociales. Le droit de transmission a done toujours ete place sous la protection de la loi civile, et par cela meme il a du subir les diverses trans- ftjrmations que cette loi a eprouvees. Mais I'enregistrement n'a point seulement pour objet , ainsi que M. Humann veut bien le dire , « d'imprimer aux actes de la )) vie civile , et aux contrats qui derivent de la propriete, un ca- » ractere de regularite inalterable ; n car la transmission des pro- prietes mobilieres est tout aussi importante que celle des pro- prietes immobilieres , et cependant celle- ci est seule assujetie a la fi)rraalite de I'enregistreraent (-1) : il doit done y avoir dans (t) II n'esl iti question que des transmissions qui rcsultent des ventes; noire distinction subsistc toutefois quant aux transmissions par contrats de mariage ou par deces ; car si I'on consulte le tableau annexe au rapport de M. Humann , on verra que, sur les donations et sur les successions , les droits sur les immeubles sont doubles etmerae triples relativement a ceux qui frappent les objets mobi- licrs; cette difference dc droits fortifie les raisons que nous donnons pour expli - quer Tinipot do rciiregistrcmcnt. 558 ECONOMIE POLITIQUE. reniegistrement une question que M. Humann n'a point envi- sagee. Nous allons y suppleer. Toute richesse est le fruit du travail humain ; la propriete tcr- ritorialea seule une autre origine; il y a quelque chose enelle que rhorame n'a point cree, et dont la possession derive du droit du premier occupant , ou bien du droit de conquete. Que le le- gislateur en ait conscience ou non , Tenregistrement n'intervient dans toutes les mutations que la propriete eprouve, que pour prelever, au profit de la societe, une part dans lesavantagesque confcre la possession du sol. Cette donnee incontestable une fois posee , il sera facile de justifier les augmentations de droits que la commission a propo- sees sur les mutations par deces et sur les donations entre-vifs , ainsi que retablissement de nouveaux droits sur les mutations de certains offices publics (1); la legislation constate par la que, si la societe a fait, au profit de quelques-uns de ses raembres , 1' aban- don d'un droit avantageux , elle ne s'est point , pour cela, des- saisie du droit de controle dans I'interet de tous. II ne ressort point du rapport de M. Humann que ce soit sur vm semblable principe que les modifications de la commission aient ete basees ; cela ne prouve qu'une chose , c'est qu'on frappe quelquefois juste a son insu. Le tableau des mutations entre coUateraux et entre personnes non parentes, qui se trouve imprime a la suite du rapport de la commission , offre des resultals curieux , qu'il est utile de resu- mer. On y trouve qu'en France , en ^ 850 , les mutations ( meu- bles et imraeubles ) qui ont ete effectuees par suite de deces ou ou par donations ont ete : (1) Les charges de notaircs , decourlicrs, d'luiissicrs , etc. DE l'aSSIETTE DE l'iMPOT. 55() Entre frereset soeurs, oncles et ^ Par donations. 16,315,402 fr. lames , neveux et nieces. .. . ^ Par ddcfes. . . 191,892,555 Entre erands-oncles et nrandes- 1 „ ^ " Par donations. 2,719,233 tantes.petits-neveux etpetiles- ) „ *^ ^ Par deces. . . . 51,982,093 nieces, cou.sins germains. . ' .' Entrc parens au-dela du 4° de- ) Par donations. 2,719,233 8r(5 et jusqu'au 12° ) Par deces. . . 519,82,092 ^. , ) Par donations. 10,672,736 Entrc personnes non parentes. \ ' *^ /Par deces 40,665,257 Total des mutations enire collateraux ct entre personnes non parentes 528,948,501 fr. En ligne directe, les mutations par donations sVle- vent,par annde, a environ 430,000,000 Les mutations par ddces, dgalement en ligne directe, a environ 950,000,000 Total, par annee , des mutations en ligne directe 1 ,380,000,000 fr. Lorsqu'on examine attentivement ces resultats, on pent appre- cier a quel point sent faibles les liens de parente au-dela du quatrieme degre et jusqu'au douzieme , puisque les mutations qui en ont ete la consequence ont ete de beaucoup inferieures ( 54 millions 701 mille 323 fr ) "a celles qui ont ete effectuees au profit de personnes non pa'rentes ( 51 ,357,993 fr. ) , nonobstant I'aggravation de droits qui frappent ces dernieres. On en doit conclure qu'on pourrait elever, plus que ne Ta fait la commis- sion , les droits de mutation au-dela du quatrieme degre , et qu'on pourrait avec justice elever progressivement ce droit au fur et a mesure que les liens de parente deviennent plus eloignes (i ). Quant aux droits de mutation de certains offices , tels que les (1) La commission a propose un droit de 8 pour 100 sur les mutations au- dela du quatrieme degrd ; nous pensons par excmpic que le droit devrait etrc pour le cinquifemc degrd de 10 pour 100; pour Ic sixifcmc de 1 1 pour lOOj pour le .septiemc de 12 pour 100 , etc. , en augmcntant dc 1 pour 100 jusqu'au dou- zifeme. ^ 56o ECONOMIE POLITIQUE. charges de notaires , d'agens de change , de courtiers de coni- iiierce, d'huissiers , avoues, commissaires -priseurs, greffiers , gardes du commerce, etc., nous pensons que le droit devrait porter sur le prix venal de la charge, et non sur celui du cau- tionnement ; car c'est la charge seule qui se vend ; le caution- nement n'est qu une garantie egalement exigee de tons les titu- laires, il est toujours en dehors du prix de la chose qui est vendue. M. le rapporteur n'a fait quindiquer le droit du timbre, il ne s'en est point du reste occupe. Nous n'iraiterons point son si- lence. Le timbre des effets de commerce est un impot qui a pour but d'atteindre la circulation des capitaux ; cet impot est d'une per- ception facile; toutefois, le maintien de la surtaxe de deux cin- quiemes, etablie en i8i6, fait qu'il ne rend pohit tout ce qu'il est susceptible de produire. Le timbre etait primitivement de SO c, il est aujourd'hui de 70 c. par iOOO fr. L'elevation de cette taxe, loin de produire un accroissement correspondant dans les revenus du tresor, doitle rednire au contraire dans une forte pro- portion, en provoquant remission des effets sur papier non tim- bre. En reduisant leprix du timbre a 50 c, et meme a 40 c. par iOOO fr. , on arriverait necessairement a obteuir un revenu plus eleve; et en meme tems a repartir cet impot d'une nianiere plus equitable et plus morale. D'apres ce qui ce passe aujourd'hui, ceux qui s'affranchissent du timbre (et le nombre en est conside- rable) ne le font qu an prejudice de ceux qui le paient , et ils commettent, sans s'en douter, un acte illegal, frauduleux meme, et qu'on pent assimiler "a la contrebande : car lorsqu'un impot est exigible pour quelques-uns , il doit I'etre pour tous. Cet incon- venient pourrait done etre evite par la reduction dela taxe etpar Vetablissement d'une amende qui porlerait sur chaciin des endos- seurs, amende qui serait progressive en raison des cas de recidive. DE L ASSIETTE DE L IMPOT 56 1 Nous dirons pen de chose du tinibie des jouinaiix ; cet impot a bieii le nora et la foiine de celiii dontnoiis venous de iious occii- per, mais il est d'une nature differente; il frappe brutaleriient les produits d'une industrie irapoitante, et il a uniquement pour objet de I'estreindre remission de la pensee par la presse : c'est une des anomalies que la charte-verite a religieusement conser- vees. Une baisse dans le prix du hois , residtant de la fabrication du fer a lahouille, a reduit le revenu des forets de I'etat de 24 mil- lions a 18; M. Humann etablit, par des calculs exacts, que ce produit ne s'eleve point a 2 1/2 p. 100 de la valenr des bois : il pense deslors avecraison que I'alienation des forets serait avan- tageuse sous le rapport financier, puisque I'etat est dans le cas d'emprunter a plus de 5 p. iOO. Cette operation a ete souvent conseillee, et on n'a point jusqu'a present tenu compte de cet avis. II est encore une autre operation qui offrirait des avantages : les biens des communes pourraient etre vendus et le produit en etre converti en rentes sur I'etat. Napoleon avait commence une operation semblable, mais k cette epoque on s'y etait mal pris et les interets des communes avaient ete sacrifies. Dans les circon- stances actuelles, cette mesure serait tres-importante, en ce qu'elle rendrait a I'agriculture une grande quantite de terres qui sont au- jourd'hui a pen pres incultes, on qui du moius sont fort lual administrees. La gestion des biens communaux s'en trouvcrait siraplifiee, car rien nest plus facile a gerer qu'une inscrip- tion sur le grand-livre. Les sommes qui proviendraient de la vente des biens dont il est ici question etant destinees a raclieter "a la bourse des rentes au cours du jour , cela pourrait reraplacer lesrachatsde la caisse d'amortissement, et tranquilliser ainsi ceux qui sont convaincus , en theorie, de I'absurdite de cette institu- TOME T.III. MARS 1852. 57 562 ECONOMIE POLITIQUE. tion, jnaisqni ledoiitenl, dans la pralique, les consequences qui pourraient resnlter de la suppression de ce pietendu vcliicule du credit public. La venle des hiens des communes aurait encore I'avantage d'etablir un lien plus etroit eutie le centre de Tetat et les localites les plus eloignees; ce serait la de la centralisation, mais dela centralisation bien entendue. Emile Pereire. SCIENCES. DERNIERES PAGES DE GOETHE. EXPLIQUANT A l'aLLEMAGNE LES SUJETS DE PHILOSOPHIE NATURELLE CONTROVERSES AU SEIN DE l'acADEMIE DES SCIENCES DE PARIS (l). Jene juge pas ,je raconte. C'est par cette parole de Montai- gne que j'ai termine un article destine a faire connaitre a I'AUe- magne Touvrage de M. Geoffro^^-Saint-Hilaire, intitule : Prin- cipes de pJiilosophie zoologique. Cette analyse avait pour objet de faire apprecier la forme et la substance du livre ; aujourd'hui qu'il va s'agir du caractere et de la portee des idees emises par les principaux naturalistesfrancais , je crois devoir d'abord indiquer le point de vue d'apres lequel je veux nioi-meme etre juge. Etpour celaje m' applique la reraarque suivante dim ecrivain ^ (1) Goethe , qui avait consacr^ line partie de sa jeunesse a IVtude des grands phenomenes de la nature , etait revenu "a cette occupation savante dans les der- nieres anndes de sa vie. L'importante discussion qui s'eleva a Tlnslitut , au mois de mars 1 830, excita vivement son intdret : il en rendit conipte dans les Aimales de critique scientifi que de la meme annee , et son travail fut reproduit en fran- pais dans la Revue m^dicale et dans les ^dnnales des sciences naturelles. Ce- pendant un point du debat I'avait blesse, c'etalt une attaque dirifjCe contre les philosophes de la nature. « Je saurai , dit-il, dans un ouvrage special etablirla pieuse innocence de leurs senliinens. » Telle a ^te sans doute la pcnsee de Goetlie en coramencant ce nouvel article, ouvrage de ses derniers jours, qui fut public par les j4nnales de critique scientifique au moment memo de sa mort ( mars 1832 ). Laissant de cot^ son ressentimcnt, il se trouvc amend a y discuter lui- meme la question scientifique sous son point de vue le plus general. — Nous devons la traduction de ce morceau a M. Bothlingk. 564 HTSTOIRE N\TURELLE. francais, qui exprinie pcidaiteinent et brieveinent cequeje desire faire entendre : « C'est le fiiit des honiraes de genie de se distinguer par une » nianiere parliculiere de presenter leurs idees ; ils comniencent » par parler d'eux-menies , ne pouvant qu'h regret se detacher )) de lenr personnalite ; ainsi ils insistent sur les resultats de '1 leuis propres decouvertes parce qu'ils eprouvent en premier » lien le besoin de raconter quand , oil, et comment les reflexions » qni ont eu ces resnltats pour objet leur sont venues k Tesprit." Qu'on veuille bien raaintenant me permettre de trailer ici , selon le sens de ces paroles , c'est-a-dire librement et sans autre prearabule , I'histoire des sciences auxquelles j'ai consacre taut de meditations et d'annees , et de le faire dans nn ordre chro- nologique , correspondant a la serie des epoques de ma vie. Je vais done raconter de quelle maniere les sciences naturelles m'ont successivement impressionne ; impressions qui fiirent vagues d'a!)ord, et qui depuis sont devenues profondes. C'est precisement dans I'annee de ma naissance ( 1749) que le comte de Buffon publia le premier volume de son Histoire nn- turetle, ouvrage qui tit une grande sensation en Alleraagne, mes compatriotes etant alors domines jusqu'a renthousiasrae par les idees francaises. Les autres volumes se suivirent d'annee en an- nee, en sorte que I'interet de cet ouvrage croissait en meme terns qu'il m'arrivait a moi de grandir dans la vie intellectuelle ; tou- tefois ce fut sans que je donnasse an nom de ce grand homme plus d'attention qua ceux de ses illustres contemporains. Le comte de Buffon naquit en 1707. Ce genie superieur reu- nissait, aux avantages d'un coup d'oeil d'aigle et des plus lumi- neuses conceptions, toutes les jouissances d'une existence parfai- ement heureuse; c'etait un homme de societe et de plaisir, qui voulait seduire les esprits tout en les instruisant. II peint plulot qu'il ne decrit ; il traite des animaux en insistant particuliere- ment sur leurs rapports de tons genres avec I'homme , et c'est dans ce but qu'il commence par I'histoire des especes domesti- DERNIERES PAGES DE GOETHE. 565 ques : il amis a contribution lout ce qui etait connu de son tems, se servant aussi bien du travail des naturabstesqui I'avaient pre- cede, quedes relations des voyageurs. Vivant k Paris , dans ce grand centre de lumieres et de sciences , devenu I'intendant du cabinet du roi , riche, houinie de bonnes manieres , revetu du titre de comte , il ne lui fut pas difficile de se rendre agreable a ses rivaux et de charmer ses lecteurs. Dans cette position heureuse et elevee, il sut dominer les nom- bieux elemens de savoir dont il etait entoure , embrasser dans leur ensemble les formes diverses des animaux sourais a son obser- vation. Etcependant il ceda d'abord lui-meme aliiiipression qui nous frappe tons a vine premiere vue. « Les bras de rhonmie, dit-il, ne resseinblent point aux jambes de devant des quadru- jiedes, non plus qu'aux ailes des oiseaux. » Buffon parlait alors coiiirae le vulgaire qui ne fait attention qu'a I'aspect exterieur, et caracterise toute chose selon qu'il en est lui-meme affecte. Mais, par la reflexion , la pensee du naturaliste francais se de- veloppa et lui dicta ces mots remarquables : « II existeun des- seiu primitif et general qu'on pent suivre tres-loin(l). « Voilk le conite de Buffon etabhssant cette fois ce qui doit devenir la maxime fondamentale de I'liistoire naturelle comparee. Qu'on nous pardonne ces observations presque teineraires qiiand il s'agit d'un homine d'un tel merite; mais nous avons voulufairevoir par elles qu'au milieu des innombrablesspecialites qu'il aborde ce grand ecrivain ne meconnait jamais les generalites de son sujet. En parcourant ses ouvrages, on voit qu'il avail le sentiment de tons les hauls problemes dont I'liistoire naturelle s'occupe aujourd'huij et mieux, qu'il cherchait serieusement a les iTsoudre. Bleu qu'il ne Tail pas toujours fait avec bonheur, le respect que nous professons pour ce grand naturaliste ne peut en ; n Animaux doineslium*.. Dct.iri|iU(in de 1 am 566 HISTOIKE NATUREl.LE. etre affaibli , puisqiie tant d'autres, venus plus tard, eu sont en- core ail point de se meprendre sur de pareilles questions : nous avouei'ons enfni que, loisqu'il voulait s'elever aux plus hautes abstractions de la science , il y parvenait trop aisenieut en don- nantcarriere a sou imagination , de telle sorte que le plus souvent alors il n'obtcnait I'approbation de la multitude qu'en abandon- uant le terrein de la science pour se porter sur celui de la rhe- torique. Le conUe de Buffon , ayant ete nomrae administrateur en chef du Jardin royal des Plantes , considera cette position comme im motif pour lui de se consacrer tout entier a I'histoire naturelle. Les materia ux qu'il avail sous les yeux et la tendance de son es- prit le conduisirent a des etudes d'enserable , a des generalites dans lesquelles les relations des animaux avec riioranie jouent le premier role. Mais , quant aux details , sentant le besoin d'un aide, il appela a lui Daubenton , medecin agronome , lequel de- meurait pres de sa campagne. Daubenton considcre les choses sous uue flice tout opposee ; c'est un anatoraiste exact et penetrant. La science des fails lui est infiniment redevable ; mais il se concentre tellem«nt dans des observations de detail, que souvent elles I'arretent au moment oil il rapproche les points les plus analogues entre eux. Malheureusement la difference d'esprit qui caracterisait ces deux savans tendait h lenr desunion, ct fuiit par I'operor sans retour. II est inutile de dire ici comment clleeul lieu.Ilsuffit de rappeler que c'est a parlirde 1768 que Daubenton ccssa de con- tribuer au grand ouvrage del'Histoire naturelle. Apres laniorl de Buffon, qui arriva en avril 1788, Daubenton, presque aussiage que lui , herita de sa position au Jardin du Roi : a son touril eut besoin d'un aide, et le trouva en 1795, dans Geoffroy-Saint-Hi- laire, lequel reclama de meme et obiint I'aunee suivanle de se faire adjoindre Cuvier comme collaborateur. Alors repetition des memes evenemens. Caril est remarquable qu'entre ces deux celebres naturalistes surgit lui principe de DERNIERES PAGES DE GOETHE. SGy desaccord analogue a celui qui separait Buffon et Daubenlon , quoique s'exercaut dans uue sphere plus elevee. Cuvier eu effet s'arrelc comme Daubentou sur les details, luais lion pas avec la seclieresse de sou predeoesseur ; il y apporte une tout autre puissance d'ordre et de systemequi donne a ses aper- cus plus de porlee, et lui fait trouver une methode d'exijositiou plus scientifique. De son cote, Geoffroy, avec ses idees airetees, cherche a penetrer la raison de I'universalite des choses ; et, de nieme que Buffon, mais non plus avec cette extreme reserve qui s'en tient k ce (ju'on peut saisir actuellement et.embrasser du point de vue le plus general , Geoffroy, dis-je, entreprend la recherche des faits necessaires et contingens, se livrant a une sorte de prevision sur ce que I'avenir est appele a developper. Entreces deux amis fermenta long-tenis uulevain de dissenti- nient prepare par leurs manieres de voir si opposees ; mais des connaissances plus etendues , des convenances mieux observees et surtout un sentiment prolonge d'estime reciproque en suspen- direntla manifestation pendant bien des annees, jusqu'a ce qu'en- fin, sur le plus leger incident, il vint a eclater, parTune explo- sion violente, ainsi qu'il arrive a la detonation d'une bouteille de Leyde fortement electrisee. Continuous a fixer nos idees sur cesquatre chefs d'ecole, dont les noms sont si souvent mentionnes dans les fastes de la science, et que nous ne nous fcrons pas faute nous-memes de rappeler, sanscraindre Tinconvenieut des repetitions; car, sans vouloir di- ininuer en rien le merite de leurs emules, ils brillent an premier rang, comme les fondateurs, on tout an moins comme les pro- moieurs des regies sur lesquelles se fonde I'histoire naturelle (^des animaitx), devenue ainsi par eux une science francaise. De leurs efforts mutuels proviennent en effet taut d'utiles perfec- tionnemens, d'additions, de rectifications, soit qu'iis aient com- bine ensemble , soit qu'iis aient employe successiveuient les raoyens synthetiques ou analytiques, qu'il y a justice a recon- naitre que la science leur doit les plus inqwrtans de ses pro- 668 HISTOIRE NATURELLE. Aiiisi Bnffon se plait au spectacle des diversites pour les ein- brasser dans leur ensemble et pour nioutrer les rapports qui joi- gnent toutes les parties de I'univers. Daubenton, retrauche dans les travaux de ranaloiniste, est continueilement occupe k separer et distingner, se gardant soi- gneusement d'assirailer un fait qu'il a decouvert a un autre pre- cedemraent connu ; il a pour ainsi dire mission d'exposef chaqiie forme "a la suite de I'autre, il analyse ou decrit chaque chose se- parement. .Cuvier opere de meme, mais avec plus de libeite et plus de matarite. II est doue au plus haut degre du talent d'observer, de comparer, de classer les iunombrables details de I'histoire natu- relle. II temoigne lout autant d'eloignement que Daubenton pour une marche plus rationnelle. Ce n'est pas qu'une niethode plus elevee lui manque; mais il Teraploie, ou sans le savoir et le vouloir, ou quand uue solution agree a son esprit; si done il reproduit le plus ordinairemenl les conditions de specialite pro- pres a Daubenton, c' est avec im jugement plus etendu et plus philosophique. Nous pouvons de meme dire de Geoffroy qu'il rappelle Buffon par ime semblable analogic, lorsqu'il admet la grande synlhese du monde empirique, et qu'en meme terns il se rend attentif a toutes les appareuces des corps pour en faire des caracteres dis- tinctifs. Geoffroy se rapproche de la grande et abstraite unite (\y\e Buffon n'avait que pressentie ; il ne s'en effraie pas, et la posant au contraire comrae un fait necessa ire, ilexplique ainsi toutes les derivations d'une seule forme principale. Peut-etre n'existe-t-il pas dans rhistoire des sciences un second exemple d'nn aussi bingulier concours de circonstances ; savoir, que dans la nierae ville, dans le meme etablissement, sous I'empire des memes de- \c»irs, au milieu de fonctions, de considerations et d'objets de meme nature, une science ait ete si longuement traversec el en meme terns si utilement servie par d'aussi coulinuelles opposi- tions; (|u'eile se soit enfin perfeclionnee par les soins d'hommes DERNIERES PAGES DE GOETHE. SSq aussimarquans^ sans qu'aucuu d'eux, cedant "a la seduction, ait ete amene a une communaute de travail. En presence du spectacle nil et invariable de I'univers, ces esprits aussi consciencieux que rpflechis, mus par des impressions differentes , se sont declares oil complete opposition, et ce resultat neanmoins n'a ete que profitable a la science. Apres cette experience , voudrait-oii pretendre que se'parer et re'unir sont Ics deux principales necessites de I'huraanite, les deux grandes tendances imposees a notre nature ? Mais ne ferait-ou pas mieux de dire que, bon gre, mal gre, nous som- mes continuellement portes du general au particulier et ramenes ensuite des details "a I'ensembJe ? De meme que dans le pheno- mene physiologique de I'inspiralion et de I'expiration , la vie in- tellectuelle se nourrit d'un nombre considerable de fails particu- liers qu'elle aspire, et qu'elle exhale comme par un souffle en idees liees, en propositions generales et luniineuses. Laissons ces abstractions pour y revenir bientot : c'est le mo- ment de parler de quelques savans qui, vers la fin du dernier siecle, out pris aussi une grande part au niouveraent philoso- phique imprime de nos jours aux sciences naturelles. Pierre Camper etait doue k la fois du genie d'observation et de I'esprit de combinaison ; dessinateur aussi exerce que correct, son crayon fixait sa pensee avec un rare bonheur et la rendait visible. On s'accorde a lui accorder un tres- grand merile. Jeme bornerai a rappeler ici sa theorie de la ligne faciale, au moyeu de laqueile il a imagine de mesurer la saillie du front, laquelle traduit, parson rapport avec le volume du cerveau , le degi'e d'aptitude de cet organe aux fonctions de I'intelligence. Geoffroy lui rend ce niagnifique temoignage dans une note de sa Philflsophie zoologique ( p. i49): « Le plus grand anato- « miste de cette epoque (1778) est le celebre Camper: esprit » vaste, aussi cultive que reflechi , il avait, sur les anomalies des « systemes organiques, un sentiment si vif et si profoud, qu'il » recberchait avec predilection tons les cas extraordinaires : 070 HISTOIRE NATURELLE. J) il n'y voyait qu'un sujetde piobleraes, qu'iine occasion d'exer- )) cer sa sagacite, ainsi employee a ramener de pretendues ano- » malies a la regie. » Bien d'autres noms pourraient ici figiirer encore si nous ne devions craindre de nous etendre au-dela des liniites d'une simple notice. Saisissons toutefois cette occasion de faire ob- server qu'il n'est, pour bien conii)rendie I'etat conditionnel de Torganisation et la valeur des regies qui ysont appliquees, d'autre methode que celk indiquee dans les Iignes precedentes , car si nous nous bornons a observer les cas reguliers, nous n'en pouvous tirer que cette conclusion : cela est bien , cela fut ainsi dans tousles tenis, et il en sera toujours de menie. S'il nous arrive, an contraire, d'examiner des cas de deviations, des alterations de la structure ordinaire, ce que Ton range enfin dans la categoric des nionstruosites , c'est alors que la regie se presente "a nous avec son caractere innuuable et eteinel, mais en meme terns vivante et par consequent modifiante ; si les etres organises nous semblent frappes de difformites, c'est sans sortir pour cela des lois qui president a leur developpement : tout desordre apparent tient a des influences etrangeres, dont les con- ditions virtuelles de la regie non-seulement s'accommodent, mais que de plus elles gouvernontsouveraineiuent. Samuel-Thomas Soemmering marcha sur les traces de Cam- per; c'etait nne intelligence \'ive , egalement douee de la faculte d' observer etde cellede reflecbir. II est devenu celebre par ses travaux sur le cerveau, et son idee si judicieuse, que dans le vo- lume predominant de cet organe sur tons les autres reside le principal caractere anatomique de Thomme. Sa decouverte d'uii point jaune an centre de la retine, et d'aulres reclierches sur la structure de YceW et de I'oreille, temoignent a la Ibis et de la finesse de son scalpel et de sa rare sagacite. Son ardeur pour la science eclatait dans sa conversation et sa correspondance : un • fait nouveau, un nouvel apercu le jetaient dans le ravissenient ; rien ne frappait sa vue dont il ne voulut absolument proidre aussilot connaissance. DERNIERES PAGES DE GOETHE. 5'] I Jeau-Heuri Merk, iutendaiit militaife dans le duche de Hesse- Darmstadt , merite a tons egards d'etre ici mentionne : son acti- vite d'esprit, que n'atteste cependant pas rimportance de ses ou- vrages , en avait fait un amateur infatigable de la science. II s'est aussi occupe d'anatomie coraparee , y appliquant un talent de dessin tres distingue. Mais ce qui le recommande surtout , ce sont ses observations sur les fossiles , principalemeut sur ceux du bassin du Rhin; il enrassembla une collection des plus completes. Cette collection passa apres sa mort dans le musee du grand-due de Hesse , ou elle est presentement confiee aux soins du savant Schleiremacher. Me permettrai-je maintenant de parler de moi en ce lieu? Oui, je le ferai, ne serait-ce que pour rappeler les obligations que j'ai cues kmes illustres amis Merk et Soemmering. Ma liaisonavec eux commenca et plus tard fortiiia raon gout pour les etudes d'bis- toire naturelle. Mais les dispositions de mon esprit ne me per- mettaient d'y prendre un interet sjiivi qu'a la condition d'a- percevoir xui but fixe, et de pouvoir me servir d'un fil directeur. L'analomiecomparee, dont ces relations d'amitie m'avaient inspire le goiit , me parut n'avoir pas fait plus de cas de la consideration des differences que de celle des ressemblances : en definitive , je cms remarquer qu on avait jusque-la travaille dans le vague et sans raethode. Ainsi on avait compare, en quelque sorte a I'a- venture, un animal avec un animal, des animaux avec des ani- maux ou avec I'liomme, ce qui d'une part conduisait a une diffusion sans bornes, et produisait de Tautre une confusion elourdissante : c'etaitse jeter en quelque sorte dans beaucoup de routes divergentes, pour ne se rencontrer dans aucune. Ceci apercu, je pris le parti de laisser la les livres, et de men tenir "a I'observation directe de la nature. Pour cela, je commen- cai par Vetude d'un squelette , que je posai sur ses quatre jambes, decide "a I'observer ainsi de devant en arriere. J'explique par la comment I'os interraaxillaire devintle premier sujet demes etudes d'anatomie jjecherchai eel osetletrouvai dans 572 HISTOIRE NATURELLE. les animaux les plus differens. Cela se passait au moment ou les csprlts etaientechauffespard'autres recherches analogues; les na- turalistes s'abandonnaient alors a de penibles reflexions, en se Irouvant obliges de constater une tres grande ressemblance entre riioimne et le singe. Sur ces entrefaites , notre excellent Camper aunoiica la dccouverte d'une difference essentielle : les singes, seloir lui , possedaient anssi bien que tons les autres animaux un OS intermaxillaire, dont I'homrae seul etaitprive. Je ne puis dire combien j'eprouvai de peine de nie trouver en contradiction manifeste avec un savant auquel j'etais si redeva- l)le, dont je desirais vivement me rapprocher, et de qui j'es- perais apprendre lant de choses "a titre de son disciple. Tons les travaux qui m'occupaient alors (1784-178G), leslel- tres, lesmemoires etles dessins sur lesquels je fondais la defense de mon systeme , et dans lesquels j'ai montre en effet que I'os in- termaxillaire est tout-k-fait detache chez I'enfant avant de naitre et Test aussi en partie au joyr de la naissance , fussent restes ine- dits, sans I'altention que Ton a eue tout recemment de les inserer dans le dernier volume des actes de I'Academie imperiale Leo- poldino-Caroline(l). Je n'eus pas plustot flni avec Camper que je me trouvai reengagee d'un autre cote, danslaraeme discussion : le celebre Bhnnenbach , qui a cultive avec tant de succes les sciences naturelles, prit parti pour Camper, dans un abrege d'a- natomie comparee qu'il vint a publier; il affirma, a son tour, que rhomme manque d'un intermaxillaire. Mon embarrass' en accrut : car, dans ma situation, que pouvais-je opposer et a Tau- teur d'un livre elcmentaire si estime et a la confiance si legitime- meiit acquise a son auteur? Cependant un naluraliste d'un talent aussi reniai-qunblc , et porte d'ailleursh revenir souventsur les sujets de ses meditations, ne pouvait s'en tenir a jamais k une opinion qui n'avait point I (1) Nn. T. Tn/>. i-v. Bonna- , 1831. DERNIERES PAGES DE GOETHE. 5^3 ete assez reflechie; et dans plusieurs communications araicales , Blumenhach m'infornia que quelques fails pathologiques, des cas d'hydiocephales et de double gueule de loup par exemple , auto- risaient jusqu'a un certain point nia nianiere de voir. En derniere analyse, aujourd'liui que I'existence d'un inter- maxillaire chez I'liomme et les animaux estdevenu vni fait avere, qu'on veuille bien pardonner a la faiblesse d'un grand age si je suis revenu en ce moment sur cette premiere lutte et ce pre- mier triorapbe de ma jeiniesse. [La suite a un prochain caliier.) YOYAGES. EXPLORATION DU NIGER. JOURNAL DUNE EXPEDITION ENTREPBISE DANS LE BUT d'eXPLORER Lr. COURS ET l' EMBOUCHURE DU NIGER , PAR RICHARD ET JOHN LANDERJ TRADUIT DE l'aNGLAIS , PAR MADAME LOUISE SW. BELLOC (l). DEUMEME ARTICLE C*) Ea arrivant a Boussa , les voyageiirs furent recus avec plus de tendresse et d'empressement qu'ils n'en anticipaient eux-memes dans leiir hate d'y revenir , ct d'echapper an rapace sultan de Yaourie. En general , malgre les frequens mecomptes des Lander dans leurs relations avec le couple royal de Boussa, mecomptes qui les font passer incessament de I'eloge a la plainte , de la recon- naissance au meconientemeut, il est impossible de ne pas se pren- dre d'interet pour ces capricieux enfans , cliez lesquels se mani- festent parfois des notions d'equite digues du plus noble caractere. Richard Lauder en cite un trait remarquable. Paskoe , Tancieii iiiterprete de Clapperton , engage a Badagry par les freres Lander, les avait suivis et leur fut , dans tout leur voyage , de la plus grande utilite. A Boussa, Paskoe retrouva la veuve Zuma, cette belle surannee , si tendre a I'avant derniere-expedilion , d'abord pour Clapperton, puis pour son doraestique. Cette dame, apres d'assez vives querelles avec son souverain le roi de Wowou, difficultes que chacune des parties expliquait "a son avantage, et (1) Get ouvrage encore iaddit paraitra,en Anglelerre, choz M. Murray, libraire aLondres; et en France, d'ici a peu do jours, chez M. Paulin , place de Ja Bourse, a Paris. (2) Voycz. dans lecaliier precedent , p, 525, VOYAGE DE LANDER EN AFRIQUE. 575 qui n'allaient a rieu raoins qua faire perdre la tete h la veuve , esoalada de nuit les luurailles de la ville , et se refugia h Boussa. Elle devait luie assez forte soinme a I'iiiterprete ; il profita de la rencontre pour reclamer son dii, et, ne pouvant rien obtenir, prit le parti de souiuettre I'affaire a la decision da roi de Boussa. « En consequence, dit Lander, la veuve a subi deux ou trois inter- rogatoires qui n'ont rien amene. Le nionarqiie a dit a PaSkoe qu'il reconnaissait la justice de sa demande, niais que Zunia s'obsti- nant a ne point payer, il ne croyait pas pouvoir I'y contraindre. Alors Paskoe a offert au roi de lui passer la creance, "a condi- tion qu'il forcerait la veuve a payer. C'etait ce qui ne pou- vait s'accorder avec les notions de justice du monarque. Cette femme, a-t-il repondu, est venue h moi, seule, eu detresse. Elle a reclame ma protection et je la lui ai accordee sans hesiter : il se- rait mal a moi de manquer a ma parole, de tourner le dos a un pauvreetre, delaisse, sans defense, et quej'ai promisde soutenir. II serait mal d'extorquer, pour mon propre compte, Fargent dii a un autre, argent, pour le jwste paieraent duquel j'ai refuse d'in- tervenir : je ne puis fausser ma parole , je ne puis vous accorder votre demande. » Le roi promet toujours aux voyageurs un canotet des guides , et toujours il rctarde leur depart, tantot sous un pretexte, tantot sous I'autre. Le sentier de Boussa a VVowou est presque impraticable, cxcepte aux approches de cette derniere ville ; « uu nonibrc in- croyable de lions et d'elepbans infeste les bois entre ces deux etats ; a en juger par les empreinles de leur pieds, leur grosseur doit etre prodigieuse. » Le chef de Wowou est un grave vieillard , tres fort sur I'eti- quette et Ic decorum , singulierement solennel en toutes ses ma- nieres,et pourtant, ce qui est son grand titre degloire, le plusce- lebre danseur de Bornou a la mer . » Sevd , entre tons les sou verains auxquels les Lander ont ete admis a offrir des presens, il s'oc- VOYAGE DE LANDER EN AFRIQUE. 077 ciipe de I'etablissement et de I'entretien des routes. Le motif du prince , quoique bizarre , ne manque an fond ni de finesse ni de jugement. et Si I'ennemi , dit-il, se dirigeait vers mes etats avec ^ des intentions hostiles, et qu'il trouvatles routes rompnes, cou- 1) vertes de mauvaises herbes et de broussaillcs , ne dirait-il pas : » Oh ! ce roi deWowou est un chef insouciant, paresseux, lache, » sans energie ; sa ville ne contient cpi'un petit nombre d'habitans. 5) Voyez plutot? L'herbe croitdans le sentier, il nVst pas foule par » le pied des hommes. Allons, et attaquons le roi , car il ne pent » raanquer de tomber dans nosj;»ftins. Mais, continuc-t-il, si, an » contraire, lescheminssont larges, unis.bien netoyes degazonet » de mauvaises herbes, rennenii dira de suite : Voila des sentiers M foules par de nombreux habitans, la ville doit etre bien peuplee, » forte €t florissante. Son chef est vigilant et brave ; si nous nons ') avisons de I'attaquer, nous seront repousses, tues : mieux vant » retournersurnos pas avantqu'on nous ait vuset qu'on nous ait » raalraenes. Hatons-nous de faire retraite pendant qu'il enesttems » encore. » Tels sont les raisonneraensque le bon vieux prince em- ploie dans ses causeries farailieres avec ses sujets , pour les tirer de leur apathie naturelle, les animer au travail et les faire con- courir an bien general » Ce prudent roi se montre plus genereux envers les voya- geurs qu'aucun de ses devanciers ; il y a quelque grandeur dans sa vanite solennelle et dans les fetes bizarres et les courses de •chevaux dont les blancs sont temoins. Richard, pris des fie- vres, retourneseul a Boussa, et laisse son frere a Wowou, pour y negocier I'achat d'un canot. Mais, malade h son tour, et apprenant que la Midiki se charge de regler avec le roi son frere cet important marche, plus delicat, plus difficile a negocier 02 LITTER VTi; RE. par I'orthodoxie ; il pretend faire eutrer loiite riiiimauite iiou- velle, telle quelle vit a cette heme, violemraeiit degagee dii catholicisme , dans le dogine cUretieii, sans I'affaiblir, sans le violer; il pretend ooncilier, sans la conception d'une unite nou- velle, d'un Dieu nouveau, les clemens en kitte depuis trois sie- cles, I'autorite et la liberte , le catholicisme etle protestanlisme, le spirituel ct le temporel , I'eglise etl'etat. Tons ces elemens et ces principes, qui an sein de notre societe se cherchent et se heurtenl, se retrouvent dans M. Ballanche, quelqnefois avec la meme contradiction et la ineme confusion. Un jour je reviendrai sur M. Ballanche, et j'exposerai I'enseni- ble de ses ideas ; je veux seulement aujourd'hui faire connaitre un fragment important de ses auvres , extrait de la Fille des ex- piations _, livre qui doit completer sa pensee sur la Palin- ge'ne'sie. La vision d'Hebal est un vaste et lumineux regard Jete sur I'humanite et le monde , sur lenrs destinees, leur passe, leur present, leur avenir. C'est le resume, en quelques pages, de tou- tes les traditions et de toutes les propheties, de tons les souvenirs et de toules les esperances ; c'est I'epopee de I'univers , c'est I'e- ternitedu tems et de I'espace saisie par la pensee, c'est I'echo des douleurs et des joies du monde depuis le premier homme jns- qu'au dernier; c'est le recit des races detruitcs, des empires ecrou- les, et des races futures et des empires a naitre ; c'est la Genese, c'est I'Apocalypse de saint Jean , c'est le Discours sur rilisioirc. unif^erselle , de Bossuet. Quand le tems est venu pour I'espece humaine d'une evolu- tion nouvelle , de destinees nonvelles , elle fait un retour snr elle-meme, sur son hisloire ; elle dit un adieu solennel a sou passe, a ce passe petri de ses sueurs et de ses larmes; puis elle essaie de percer le voile qui lui cache encore sOn avenir, de son- der le mystere de la providence, de decouvrir I'etoile lumineuse dont I'eclat doit la guider dans sa marche aventurense. La vision d'Hebal c'est I'hymne du passu chaiite par un chre- LA VISION d'hebal. 6o3 tieu dii dix-neuvieme siecle, c'est le caiitique des destinees uiii- verselles du monde et de I'humanite. Mais qu'est-ce done que Hebal? Ecoiitez M. Ballanche : « Un Ecossais done de la seconde vue avail eu , dans sa jeii- » nesse, une sante fort triste et fort malheureuse. Des souffrances )) vives et continiielles avaient rempli toute la premiere partie '> de sa vie. Vers I'age de vingt-un ans sa sante se raffermit , » cetetat de souffrance cessa, et avec lui cette alternative de ses » sensations ordinaires et de ses sensations accidentelles, alter- » native qui auparavant modifiait toutes sjes perceptions. II ne » lui resta plus, pendant quelques annee^, qu'un ebranlement » de nerfs et une sensibilite tres-facile a emonvoir. Les notions » qu'il s'etait faites dn terns et de I'espace snbsistaient ; ses me- » ditations sur I'liomme coUectif avaient la menie suite et la » meme intensite. II avait conserve une certaine habitude d'iso- » lement qui le suivait jusque dans la societe. II se faisait une » solitude an milieu du monde. On le croyait distrait lorsqu'il » etait occupe k gravir les huuteurs de la pensee, h descendre )> dans les abimes des origines. >) La lecture des poetes et des philosophes le transportait plus » facilement qu'un autre sur toutes les routes tracees par I'ima- )) gination et la science, et le plus souvent il s'en frayait de )) nouvelles. Nulle hypothese sur les etats successifs du globe, » sur les nionumens antiques de I'humanite, sur I'homme et la » societe , ne lui etait inconnue ; et lui-raeme, d'apres une serie » de faits dont il avait le sentiment profond, la conviction sym- )) pathique, composait I'histoire du genre huniain , un et divers, » evolutif et identique. » Un jour done Hebal etait absorbe dans ces vagues contem- » plations de I'horame cherchant I'homme, de la conscience » individuelle s'assirailant la conscience generale, de I'homme » enfin en rapport avec I'univers des sens et I'univers de I'intel- » ligence. — C'etait sur la fin de I'ete : le crepuscule dn soir » etendait soji voile de silence, de recueillemcnt, de longiie ()04 LITIKKVTUIIE. )) reverie sur la nature. L'aspect de la canipagiie douceuiem » eclairee par la derniere lueiir du jour flottait devaut ses yeux )) coiume un souge qui commence. » Hebal ne s'endort point, mais le monde exterieur semblc » disparaitre pour lui ; sa pensee, degagee de tout ce qui poii- » vait contraindre ou marquer son essor, ne trouve pins de li- » mite ni dans le terns ni dans I'espace ; ii en rcsulte subitemeut » une magnifique epopee ideale, h la fois successive et spon- » tanee. a Ici Hebal, c'est M. Ballanche lui-meme, racontant ses im- pressions et cette puissance d'extase qui donne une existence nouvelie aThomme, le fait vivre d'une autre vie et I'inonde il'une lumiere inconnue, merveilleuse. Quelle fnt la vision d'Hebal? Dieu reposant dans son immensite, dans son ineffable solitude, dans sa faculte de contenir tout avant qu'il eut produit aucuno substance; Dieu avant toutes choses, et toutes choses euianees de lui ; et la creation en puissance avant d'etre en acte. — ((Notre )) chetive planete, jetee dans I'espace infini, avec ses lois de )> gravitation el de projection, preiid sa place dans I'harraonie » universelle. La parole du ereateur est le raoule qui lui donne )) une forme sphc^rique par ces lois primitives dont I'effet dure >i toujours. Une croute exterieure cache ses entrailles incandes- >i centes. De grands craqueraens brisent sa surface scoriee. Les » inontagnes sont produites avec un effort tel que , si la terre » n'eiitpas eie contenue dans le moule puissant de la parole, elle ') se flit partagee, et elle n'eiit roule dans son ellipse desolee » que de steriles debris. Le bassin des mers se creuse avec un )> effort egal. Les contlnens se dessinent comme de vastes dechi- )) rures. Des vegetans pleins d'une seve creatrice les couvrent ') pour elaborer ime atmosphere brute Les animaux qui )> remplissent ces etonnantes solitudes voknt, nagent, ram- » pent, marchent, et ne sauraient rencontrcr de maitirs. lis de )) vorent ct sont devoies. lis viveiit, ils respirent, sans admirer, LA visiOiN d'hebal. 6o5 » sans aimer. Uiie creation sans but! un spectacle sans specta- » leiirs ! un nioiide sans priere et sans adoratioo ! nulle voix >) qui exprime un sentiment ou une pensee! des brin'ts confus! » des sons qui ne disent rien. » Le coeur d'Hebal est saisi d'epouvante. Mais le travail du nionde s'arheve, rhomine va paraitre, le voila ! Cette essence detachee de la substance universelle, intelligente, pour etre elle- raeme, a recu le don de la responsabilite, c'est-a-dire la capacite du bien et du mal; elle n'a recu la conscience d'elle-meme que pour etre une creature libre , agissant sur le monde pour I'ache- ver ; sa volonte sera un destin, sa force une puissance. Mais I'etre responsable a fallli ; la force de I'homme essaie une puissance au-dela de celle qui lui est attribuee, et qui par la meme rencontre un obstacle invincible. Hebal a senti a la fois I'etre dechu et Tetre rehabilite, condamne a marcher desormais dans la voie du progres pour reconquerir ce qu'il a perdu. Mais pourquoi Dieu voulait-il la perfection dans ce premier etre si faible, si inaccoutume encore a la vie? mais pourquoi Dieu I'a-t-il chatie d'une maniere si terrible? mais pourquoi ce premier essai de la responsabilite de I'homme serait-il une decheance , plutot qu'un progres ? Hebal ne nous dit pas cela. Suivons la vision dHebal. II voit I'homme condamne an travail, recevant la mission d'achever le globe , de contribuer ii la creation de la terre ; I'homme est separeen deux sexes; la femme est dite avoir induit I'homme en tentation , parce que la femme est I'expression voli- tive de I'homme ; I'homme est le sexe actif, et la femme le sexe passif ; leur ame est egale ; le sexe passif parviendra a I'egalite avec le sexe actif, puisqu'il appartient a la meme essence origi- nelle. Puis les races se dispersent, puis la terre se peuple, I'homme succombe encore, une grande expiation est de venue necessaire, la terre est abimee dans les eaux. GoG LITTERATUllK. Les premiers terns liistoricfiits apparaisseiil "a llebal , niais obs- curs, indecis, innommes. « Eh qiioi ! si pies du berceau de la race » humaiiie , et deja de graiids empires , des peoples puissans, de » vasles melropolesi et deja les grains sont toiiibes sur I'aire, et » I'aire plus d'une fois a ete balayee par le terrible moissonneur ! )) C'est que des siecies ont passe sans qu'Hebal les ait apercus , )) parcequ'ils ont a peine laisse de trace dans la memoire des liom- » mes. Et ces fondateurs, ces conquerans inconnus, et ces evene- » mens qui ne furent chantes par aucun poete ; tout cela est de )) la poussiere. Vnila qu'un vieux monde a disparu •, et rhomme » survit ; ilsurvit avec ses traditions , ses castes, ses formes so- » ciales. » Hebal contemple le peuple liebreu , et par ses prophetes tout I'orient , puis la Grece , premiere transition de I'orient a I'occi- dent; il voit ses guerres, ses grands liommes, ses sibylles. «La Grece, dit-il, a sauve le principe progressif et plebeien » dont elle etait depositaire. Les democrates d'Atbenes, qui ont )) taut fait de fautes en Sicile, sur les cotes de la grande Grece, )) qui furent si stupides, si imprevoyans , qui laisserent Socrate )) boire la eigne, qui se bercaient des harmonieuses satires d'Aris- » tophane, ont neanmoins bien merite de Toccident. lis ont » vaincu le grand roi a Salamine , la victoire de Salamine regne « encore sur le monde. » Hebal est un instant absorbe dans la vue du monde romain, dans la grande lutte du patriciat et du plebeianisme ; le plebeia- nisme est vainqueur, ime epoque immense del'humanite est ac- complie , une nouvelle commence, le Messie parait : Ihomme avail assez expie , le tems dela redemption etait venu. Alors se deroulent dans la pensee d'Hebal toute la suite des destinees chretiennes, tous les efforts d'enfantement de la civili- sation europeenne; lesapotres, I'empire grec, les barbares, les papes, les rois feodaux, Lutlier, les heretiques, Bacon, Descar- tes lui apparaissent, ctle voilh bienlot en face d'une societe en de- sordre, sans religion , sans autorite reconnue, et il dit : LA VISION D HEBAL. 607 ti Une Europe toiite noiivelle doit sortir des ruines de TEurope « ancienne , restee vetiie d'institutions usees corame un -vieux » manleau ; une incredulile apparente menace d'abolir route )» croyance , mais la religion du genre liumain renaitra plus bril- )) lante et plus belle. » Elle renaitra au moment ou le moyen age aura i-endu son » dernier soupir daiis sa derniere agonie : la resurrection est lille » de la mort. Toutes les expressions des croyances intimes ten- )> dent a se resumer dans un symbole qui se forme en silence , au « milieu des terribles agitations des societes humaines, et quel- » ques sons de ce futur symbole deja commencent "a se meler au » gks funebre du moyen age expirant. » Ce n'est pas tout. Apres avoir embrasse dans sa pensee I'en- semble harmonieux des destinees passees et presentes de I'liuma- nite, Hebal poursuit sa longue contemplation, et apres avoir vu dans le monde Tordre , I'harmonie, la vie, il voit maintenant le desordre et la mort ; Hebal croit assister it I'agonie de I'immense nnivers , les animaux disparaissent , les fieuves et les mers se tarissent, Thuraanite meurt ; la terre, globe eteint, sans vie, ni vegetative, ni animale , la terre est lancee dans un autre coin de I'espace, puis aneantie; alors la forme qui voilait la matiere en se Tassiinilant, la forme disparait : la matiere est rendue au neant ; les etres se sont retires dans leurs essences , I'univers tout entier rentredans le sein de Dieu, Tbomme a acheve Tepreuve succes- sive qui lui fut infligee pour suppleer "a Fantique epreuve. Cette etrange contemplation Unit pour Hebal et il entendit son- uer neuf heures. II eprouva xnie grande fatigue, il n'eut que le tems de raconter ce qui venait de lui arriver , et il rendit le der- nier soupir en prononcant le mot eternite. On le voit , cette vision est une inspiration toute chretienne , elle est le resume de toutes les traditions et de toutes les espe- rances chretiennes ; c'est le recit des destinees universelles de rhuraanite et du monde, telles qu'elles sont exposees dans la Bi- ble, dans I'Evangile, dans Bossuet. Mais ces preoccupations du Go8 LITTERATURE. passe sont toiites d'eclatautes prophelies ; niais Hebal a beau a(- firmer I'etemite du christianisme, il a beau nier que Ic mondc soit dans I'ejifanteiuent d'uae religion nouvelle, il ne pent echap- per a. son epoqiie, il lui est impossible de ne pas voir tous les si- gnes d'une dissolution. Hebal le sait bien, Thumanite ne reculc jamais, ne reprend jamais ce qu'elle a delaisse: or a quelle fin cette lutte acharnee contre la religion du Christ , si elle devait y revenir. Hebal I'a dit, souvent et merveilleuseraent exprime, nous som- mes arrives a I'heure d'une transformation universelle. Eh bien! Quand la societe se transforme, le principe qui I'a fondee ne se transforme-t-il pas egalement? Comment se transforme une idee, si ce n'est par la production d'une idee nouvelle plus large et plus elevee ? Toutes les propheties sur la reorganisation de I'unite chre- tienne ne sont done que la prophetie d'une unite nouvelle, d'une religion nouvelle. Nous aimons "a recueillir en nos ames tous ces signes de tems meilleurs, toutes ces espe ranees de retour a la foi , a Dieu ! Oh ! comme elle est douce k notre coeur la voix qui nous chante I'avenir , la voix qui par de tristes et desesperans accords ne nous abime plus dans la douleur et le scepticisme, ne nous enerve plus a force de nous faire pleurer ! La vision d'Hebal m'a rappele lAie autre vision, celle de Les- sing sur I'education du genre humain , reuvre sublime de pro- messes. Lessing, dans son petit livre, esquisse a grands traits toute I'his- toire du passe , et s' eerie en terminant : (c Le genre humain ne doit-il jamais parvenir au plus haut » degre de lumiere et de purete? Jamais? » Jamais ! ne permetspas ce blaspheme a ma pensee, Dieu de » bonte ! — L' education a son but dans Tespece aussi bien que dans » I'individu. L'objet qu'ort eleve, onl'eleve pour quelque chose. » Ilviendra certainement le jour d'un noiit^el e't^angile e'lernel. LA VISION d'hEBAL. 609 B jour qui nous estprorais meme dans les livres eleraentaires de » la nouvelle alliance. Et Lessing crie aux reveurs de ne pas sc hater, de ne pas avoir la pretention de realiser tout- I'avenir dans I'espace de leur vie d'homme : « Marche a pas insensibles , providence eternelle ! laisse-moi » seulement ne pas desesperer de toi , a cause de I'insensibilite )j de ton niouvement. Laisse-moi U'e pas desesperer de toi , alors » meme que ta marche me semblerait retrograde ! » Alex. Saint-Cheron. TOME LIll. MA.US 1852. 40 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. LIVRES ETRANGERS. ETATS-UIMIS. io8. — Acts of a general nature, etc. — Lois et ordonnances sene'rales, arretees, revisees a la premiere seance de la vingt- deuxievLe assemblee gene'rale de Vetatde I' Ohio ^ ouverte et tenue ea la ville de Colombiis en de'cembre iBao, vingt-deuxieme anne'e dudit e'lat. Tom. xxii , imprime, et public par les ordres du gou- vernement. Colombus (Ohio), Olmsted, iraprimeur. CODE DE JURISPRUDENCE CRIMIIVELLE DE L'OHIO. La Grece e'tait divise'e en petits e'tats, qui joutaient entre oux, a jours marques, tons les quatre ans; divinisant la force, I'adrcssc et I'intelli- cence : les arts grandirent , I'esprit humain s'e'Ieva rajiidement dans ces luttes, oil les acclamations d'un peuple entier re'compensaient les vain- queurs. La rivalite turbulente des royaumes circonscrits et des petites re'publiques d'ltalie (it aussi croitre les arts, la litte'rature et les scien- ces : la peinture leur dut une de ses eres les plus brillantes, et quelques poetesadmirablessurnagercnt,re'suniant en eux leur e'poque,et types des divers e'lemens qui avaient fermente' au milieu de ces luttes. Les vingt quatre e'tats de TAme'riquedu nord, dans leuragglome'ration paisible etrai- sonnable, ncconnaissent nilesquerellcs vioientes , ni I'e'niulation feconde qui distingucrent les deux oasis dc civilisation ou s'e'levaitla raisonbu raaine , pendant que la barbaric et I'ignorance couraicnt Ic reste du globe. Les Etats-Unis, dans leur tranquille association, enfrelicnncntce- ETATS-UNIS 61 I pendant entre eux une sorte dc joute expe'rimentale sur un sujet asscz etiangement choisi. Rapproche's par des cheinins de fer/ de nombreux canaux , d'irnmenses fleuves et les ailes des bateaux a vapeur j vivant sous une meme loi politique , sans rien qui marque les frontieres , sans douane , sans barricre qui les sc'pare , les divers fitats ont cliacun Icur code de jurisprudence, plus ou moins liumain , plus ou moins avancc , suivant la (Jate, plus ou moins rapproche'e, de la constitution et de la reunion de chacun de ces fragmens de republique : les lois pe'nalcs e'tant d'autant plu|; douces que la raison liumaine etait plus e'claire'e et la tolerance micux e'tablie a I'^poque ou elles furent porte'es. La jus- tice cliange le poids de ses balances en traversant des limites fictives; et tel crime, puni de mort dans une province, ne Test que de prison dans I'autre; ce qui est de'lit dans un e'tat s'efface et disparait dans le canton voisin. II est des Ame'ricains qui pre'tendent que si les habitudes des di- versesCours de justice et de tant de barreaux permettaicnt de refondre tous ces codes ensemble , pour choisir ce qu'il y a de bon dans chacun , on en tirerait la plus merveilleuse legislation du monde. Je ne sais s'ils ont raison d'avoir autant de foi dans I'e'clectisme ; je ne sais s'il n'en est pas des travaux liumains comme des productions de la nature, et si la premiere condition pour qu'il y ait vie en une chose n'cst pas I'homo- ge'neite des parties qui la composent. La jurisprudence criminelle de I'Ohio est la plus simple et la plus douce de toutes celles des Etats, parce que c'est une des plus nouvelles; et la publication de ce code ne pent qu'etre fort utile , en faisant rougir ceux qui , par routine , conscrvcnt encore la cruaute dans les lois ecrites, quand elle n'est plus dans les mceurs j et qui , pour n'etre pas odieux mentent constamment , dans ce qui devrait etre si saint et si solennel I'application de la justice. Dans la quatorzieme section du huitieme ar- ticle du code criminel de I'Ohio sc trouvent ces paroles pleines de sens : «Le vrai but detout chaliment est la re'forme et non 1' extermination. » II y a long-tems que le Christ avail donne' une cpigraphe pour tous les recueils de lois , qui sera , il le faut espe'rer , applique'e quelque jour. Je ne cherche pas la mort du pe'cheur. mais quil se convertisse et quil vive. En i8o5 quatre crimes encouraient encore la peine de mort dans I'Etat de I'Ohio j il n'y en a plus qu'un , le meurtre au premier degrc, 40. 6l2 LIVRES ETRANGERS. c'est-a-dirc volontairc et avec complete premeditation. Depiiis i8i5 la peine du fouct, applique'e jusqii'aiors pour pliisicurs crimes et de'lits, a disparu du code. Maintenant les pcines se graduent entre les amendes, la prison du comte et la maison pe'nitcntiaire. Dans cette derniere les criminels, incapables, du jour dc leur condamnation , de remplir les fonctioiis de te'inoins, de jure's, et lout emploi public, vivent, le plus possible, a part les uns des autres, livre's, es.cepte en cas de maladie , a un travail constant, n'ont qu'une nourriture grossiere, bien qu'abon- danle , et soot prive's de tabac et de toute boisson spiritueuse. La simplicite' et la brievete' du code del'Obio sont parmi ses pluS ad- mirables qualite's. Nul dc'lit , s'il n'est contenu, nomme, specific' en- tieremcnt dans les soixante pages du livre des slatuts, ne pent etre jjuni, et tout citoyen, sans avoir bpsoin dc trois ans d' etudes, de soutenir et de payer nomine de theses , peut facilemcnt se mettre au fait des lois de son pa3's, et savoir ceqiii est ou non le'galement permis. C'est un jury d'accusation qui remplit les fonctions de juge et de cliambre d'instruc- tion; et toutes guranties sont donnees pour la liberte'des individus et pom- la protection des accuses, innoccns tant que la sentence contre eux n'est pas porte'e. Apres avoir admire ce que j'ai pu comprendre et ce que j'ai trouve' beau dans cette legislation , dirai-je ce qui m'a frappee moins favora- blement dans son ensemble? C'est le soin excessif, en quelque sorte ex- clusif de la piopriele. La marchandise et les productions de I'liomme sont plus defcudups que rbomnie lui-mcme: mutilcpson voisin, I'estro- pier, le defigurer, dans I'Ohio, est un crime assimile' au de'lit de contre- fkfon ou de faux, et n'emporte que les memes peines : on est puni de trois a sept ans d'cmprisonnemcnt dans la maison pe'nitcntiaire pour avoir logc, donne asile sciemraent aun voleur de cLevaux, et la bigamie n'entraine que trois a sept ans de prison. II n'y a rien dc sanguinaire dans cette legislation , mais elle est completement , elle est e'troitement marchande, et favorise, par le grand nombre d'amendes non proportio- nelles etablies comme punition, repression de divers de'lits, un privilege notoire pour les riches, car il est clair que la raeme amende, pour un merae fait , frappant des individus dc fortunes diverses, peut etre la plus cruelle peine pour I'an et une bagatelle indiffeiente pour I'autre : il est evident enfin qu'aux Etats-Unis, et dans I'Ohio comme ailleurs, ETATS-UNIS. 6 I 3 la premiere condition pour ne pas sentir le poids des lois, c'est d'etre riche. Partout elles pesent comme un raanteau de plomb sur le pauvre et prote'gent seulement Ics e'paules du riclie contre la rigueur des saisons. log. An historical view, etc. — Tableau historiijue du goiwer- nementdu Maryland, depuis sa colonisation jusqu a ce jour, par John V. L. M" Mahon. t. i. Baltimore, i83i. In-8° de 53q pages. / UISTOIRE DU MARYLAND. Co premier volume conduit I'histoire du Maryland, depuis le don qui en futfait par Charles I" , en i632 , a Cecil Calvert lord Baltimore, jusqu'a I'e'tablissement du gouvornement des Etats. II semble que cette pc'riode devrait etre d'un vif inte'ret : cette colonie de deux cents catho- liques romains , presque tons hommes de rang et de fortune , courant , dans I'ardeur de leur zele, cliercher par-dela les mers , au milieu de nations sauvages , un desert oil ils puissent en liberte professer leur foi et de'ployer les pompes de leur culte, semble le sujet le plus pittores- que , le plus beau qui se puisse offrir a I'historien. Pourquoi done tout ce re'cit du gouvernement du Maryland, sous le regime proprie'taire, est- il si sec et si de'pouvu d'inte'ret? il semble que ce soient les annales ou archives d'une grande proprie'te, avec lesproces queses possesseurs ont eu a soutenir, tels que le tout a e'le rc-dige par les notaires et les hom- mes dc loi de la famille. Je suis toujours a me demander quel aria cat- tiva e'touffe dans les forets vierges de rArac'riquc , sur les rives de ses vastes fleuves, de ses grands lacs, une des belles qualite's de I'esi rithu- main, I'imagination sans laquelle les fruits sont prive's dc fleur et de par- fums , les fleurs sans rose'e et sans e'clat. L'utile vegne en despote dans les re'publiqucs unies, il chasse les arts, palit et tue la litte'rature, aligne les rivieres, aplanit toutes les montagnes , beche toutes les bruyeres, ensemence le de'sert, e'monde les forets, macadamise les senticrs ; et Ton serait tente' de dire a ce peuple , aujourd'hui protestant ct meme puri- tain, on serait lente de lui dire, dans son iangage biblique : « L'homme ne vit pas seulement de pain! » Cependant, pour juger de I'histoire de M. M" Mahon , il faut attendre que les autres volumes aient paru , ct qu'on puisse connaitre son travail dans son ensemble. Jl''' M. 6l4 LIVRES ETRANCxERS. GKAiVDE-BllETAGIME. iio. — The Elements of chemistry, FAMiLrARLV explained anjb pRXCT\CKLh\iiAAjST^XTTE.T),t\c.--Eleinensdechiiniepresentesd'une maniere familiere et eclaircis parties exemples. Premiere partie comprenant : V exposition de nos connaissances relativement a V attraction , la chaleur, la luuiiere et Velectricite. Loudres, iSSa; Murray. lu-ia cartonne. Tel est le litre d'un livre qui I'eniportCjSelonnous, infinimcntsurtous les traites c'le'mentaires de cliimie qui out jiaru dcjiuis quelques anne'es. L'auteur, qui n'a pas jugc' a propos de se faire counaitre, n'e'crit pas pour des savans , raais pour des gens du mondc; ainsi il ne donne point de calculs et s'interdit lout ce qui ne pourrait etre compris sans I'aide des raatlie'matiques. Du reste, quoique sa redaction soil tri^s-soigne'e, il est evident qu'il s'est propose, non pas d'amuscr le lecteur, mais de I'in- struire. II ne craint pas de se repe'ter, et lorsqu'il de'veloppe iine ide'e que d'abord il n'avait fait qu'indiquer, c'est presque toujours en se ser vant du nierae exemple qu'il avail pris la premiere fois. Rien ne lui eiit e'te plus aise sans doute que de varier les applications; I'ouvrage y eut "a^ne sous le rapport de Telegance , mais il eiit certainempnt perdu sous le rapport de I'utilite. S'il indique une experience, il a soin de la clioisir aussi simple que possible. Des verrcs ordinaires, quelques tubes et un petit nombre de substances qu'on pent se procurer presque par- tout, composent lout le laboratoire dont on a besoin. II faut pourtant faire une exception pour ce qui a rapport a re'lectricite , dont 1' etude , en effet, exige ne'ccssairement des appareils bicn plus complique's. Au reste c'est de toutcs les parties cclle dans laquelle I'aulcur nous semble avoir e'te' le moins heureux. Ce n'est pas que son exposition ne soit tou- jours parfaitement claire; mais a coup siir, pour etre comprise, die cxi^e une attention bien plus soutenue que pour tout ce qui precede. Nous doutons beaucoup qu'une personne etrangere a la science puisse , a une premiere lecture, comprendre ce cliapitre d'un bout a Tautre. Au reste , il suffirait de quelques suppressions pour faire disparaitre ce dc'faut, si toutefois e'en est un. Dans ce livre, comme dans la plupart des traites e'le'raentaires qui se grande-bretagne. 6i5 publient maintenant en Angleterre , les figures nc'cessaires a I'intelli- geuce du texte sont grave'es sur bois et place'es dans le corps meme de la page. Nous de'sirons bien qu'en France on se decide a revenir a cet usage , qui e'tait general jusque vers le commencement du siecle dernier. Rien n'est plus incommode que ces malheureuses planclies rejete'es a la lln et qu'on est en danger de de'cliirer cliaque fois qu'on les de'ploie , et que souvent on np'gligede consulter pour ne pas prendre la peine de les e'tendre. / Lorsque I'ouvrage de I'auteur anonyme sera comple'tement public, nuus espe'rons qu'on nous en donnera une traduction en franjais. Pen- dant long-tems en Angleterre les traites e'le'mentaires de sciences n'e- taient guerc plus instructifs que les Lettres a Sophie sur la chimie, el propres tout au plus a faire ce que Cadalso nommait dcs eruditos a la violeta. Depuis quciques anne'es c'est tout autre cliosc, et plusieurs des liommes les plus distingue's dans la science n'ont pas de'daigne' de se li- vrer a ce genre de travail. Plusieurs des traites compris dans le Cabinet Cjclopoedia de Lardner sont I'ouvrage de savans du premier ordre. Ainsi , pour n'en citer qu'un , nous avons le discours pre'liminaire sui I'e'tude de la physique par Herscliell. Parmi les publications de la Socie'te pour la diffusion des connais- sances utiles, il y a plusieurs traites speciaux qui nous semblent par- faitement atteindre le but de I'iiTstitution. II y en a de meme pour la partie biograpliique : les vies de Kepler, de Galilee, de Newton, sout trace'es de maniere a ne pas seulement satisfaire la curiosite , mais en- core a indiquer la me'thode par laquelle on pent esperer de faire ie plus de progres dans les sciences. La vie de Newton est la traduction d'un article de M. Biot, et est donne'e comme telle , quoiqu'il cut e'te sans doute bien aise de la defigurer assez pour la faire paraitre originale. I.es directeurs de I'entreprise ont montre' par la qu'ils e'taient fort au- dessus des petitesses de I'amour-propre national, qu'ils avaientpar-dessus toute chose le de'sir d'etre utiles et la voloute d'etre justes. La socie'te' a pour president le chaucelier Brougham et pour vice- president lord John Russell. R. 6l6 LIVRES ETRANGERS. III. Fragments OF voyages and travels, etc. — Fragmens de voya- ges et anecdotes de la vie maritime , par le capltaine Bazil Hall , de la Marine Ro3'ale. Seconde s&ie. Edimbourg, i832. 3 vol. in-i2. liSQIISSES AlABiriMES. — CUASSE AUX REQUINS. Nous avoiis annonce la premiere serie , plus particilierement desti- ne'e aux jeunes gens , de cet amusant ouvrage qui sent la mer et Ic gou- dron : le caractcre aristocratique du capitaine et Tinconsistance de ses opinions politiques ne pouvaient etre passes sous silence : raaintenant, nous avons dit notre pense'e sur cc point, et pouvons, en toute liberte , parler de Ten train de ccs volumes qui deviennent de plus en plus vifs, de plus en plus inte'ressans. C'est la vie du marin dans tons ses con- trastes , plus varic'e , plus gaie , plus insouciante que celles de tant de matelots, envoye's reccmment sur les traces dos poe'tiques equipages de Cooper; c'est pour tout de hon, c'est de la ve'rite vraie, et Ton n'est pas fatigue de cette lecture, quclque he'risse'e qu'elle soil determes ma- rins. Quand on invente , je I'avoue , j'aime qu''on poe'lise , et la re'alite de fabrique m'est insupportable. Mais la nature prise sur le fait , toute chaude et toule vivante , c'est amusant comnie la vie , c'est beau commc le mouvement des vaguessur Icsquclles sejoue la luraiere. Pour donner une idee des divertissantes pages de M. Hall, tons les adjectifs seraientbien pales ;ilfaudiaitciler. La chasse des cbasses, celle du requin, est un tableau plein de vie : elle est presque aussi riche d'e- motions que le recit d'un combat naval. « L'inge'nieur, affaire a mesiirer les distances, serre a la bate son sextant dans sa boite ; le mathe'maticien , calculant les longitudes , jette ses livres ; I'officicr de marine plante la son e'ternelle fliite ; le docteur sort en sursaut de son babituel asscupissement ; le tre'sorier ferme son journal ; tons , bommes , enfans , courent pele-mele sur le jJont , pour voir mourir Vinfdme : le singe merne , s'il en est un a bord, prend un inte'ret patent a toute la scene sauvage. Je me rappelle avoir vU Jacko courant en avant, en arriere, le long des fdets des bamacs dela poupe, grimajant, criant, marmottant, defafon a se faire entendre de I'avant a I'arriere : « A qui en avez-vous, maitre Mona? » dit le quartier-maitre (I'animal, qui venait de Te'ne'riffe, conservant son pre'nom espagnol). GRANDE-BRETAGNE. 617 Jacko nere'pliqua pu5 ; mais, e'tendant sa tete au-dessus de la balustrade du Lord , regardant avcc d?s yeiix qui lui sortaient presque de la tete , il fit uDc telle grimace qu'il iTJontra ses dents et ses gencives d'une oreiile a I'autre. « DepechezI courtZ au cuisinierl vite un morceau de pore, » crie le capitaiue, s'emparant du commandement, avec autant de joie que si c'e'tait pour donner la chasse a un croiseur ennerai. « Ou est votre croc , quartier-maitre ? » «Voila, monsieur, voila ! » re'pond le camarade , talant la pointe , la declarant aussi ace're'g que I'aiguille d'une dame , et renfon9ant de suite dans une e'norme piece de cochon ranee , pesant de quatre a cinq livres , car il n'y a rien d'assez fort , rien d'assez haut-goiit pour I'estomac d'un requin. Le croc , gros comme le petit doigt , de'crit une courbe de la grandeur d'une main d'homme demi-ferme'e J sa longueur est de cinq a six pouces, et il se termine par une formidable pointe barbele'e. Ce crochet, d'aspect terrible, est ac- compagne' de trois ou quatre pieds de chaine ; precaution indispensa- ble, car un requin vorace engloutit quelquefoisl'amorce si profondement, qu'il happerait et romprait la corde qui tient leharpon, aussi facilemcnt que s'il coupait une tete d'asperge. » Le requin, comme le midshipman, est gcne'ralement affame'; mais, dans des cas fort rares, quand il n'est pas en appe'tit, il nage lentement vers I'amorce , la flaire, et lui donne une pousse'e, avec son nez en forme de pclle, la tournant sens dcssus dessous. Alors , il la cotoie, a dx'oite, a gauche, comme s'il apprehendait quelque mauvaise aventure: mais bientot il y revient pour jouir du delicieux haiit-goiit , comme les marins appellcnt le fumet de la viande de pore gate que Ton choisit toujours , s'il s'en pent trouver , pour amorcer. Tandis que Jean-le- Requin joue ainsi aufin, et fait le renche'ri, I'arriere duvaisseau est si rempli de tetes qu'il n'y a pas un pouce de place a obtenir pour priere ni pour argent. Les agres, les mats, les filets de bastingage, tout ce qui peut supporter nn corps d'homme ou d'enfant a son spcctateur colle' dessus , parlant a demi-voix , s'il ose parler, et s'il a loisir pour autre chose que fixer d'avides regards sur le monstre, encore libre d'errer au large. J'ai vu ces alternatives d'espoir et de crainte se prolonger une heure entiere ; apres quoi maitre Requin , s'il est re'solu a n' avoir rien a de'meler avcc nous , s'e'carte et nage au vent , s'il y en a , ou plonge si profondement qu'a peine peut-on discerncr la place oil il a disparu... » 6l8 LIVRES ETRANGERS. II serait tiop long de donnei- toutes les vicissitudes de cette chasse. Lc requin , pour liapper ramorcc, qui dans/d a la surface des vagues , force de sc tourner sur le dos , « car sa gueulc n'est pas comme la bouclie d'un clire'tien, et s'ouvrc aii.-dessous dti mcnton ; » ct le cri de joic comprime' de 1' equipage a la yuc de son ventre Llanc j et la boucherie , quand il est enfiu tire .\ ijord , liittant encore sur le pontj ct I'avide cu- riosite des mateloti de voir ce que le monstre a englouti dans son rapace cstomac. M. Hall cite comme un rare cxemple de gloutonnerie un re- quin , piis a Lord de VAlceste , quand elle convoyait a la Chine I'ombassade de lord Amherst. « Nombre de canards, de poules , morts la nuit, avaient e'te, comme de coutume, jete's par-dessus bord le ma- tin , inde'pendarament de plusicurs paniers et autres choses , comme tas de copcaux, bouts de cables, cordages, etc., etc. Tout cela fut trouve dans I'immense magasin du monslrc. Mais ce qui excita le plus d'admiration et de surprise fut la peau d'un buffle, tue a bord le jour meme pour le diner de I'e'quipage. Le vieux marin , qui avail ouvert le poisson, se tenait, jambe de ci jambe de la, tirant, piece a piece, les divers articles de la large caverne oil sans clioix ils avaient e'te englou- tis. Quand I'ope'rateur en vint a la peau de buffle , il la tint devant lui e'tale'e comme un rideau, en s'e'criant : « La, mon garjon: voyez-vous » ca! II vous a avale'un buffle, mais la peau lui est reste'eau gosier. » Rien de plus amusantque la chasse du crocodile, du marsouin, et ccUe surtout des dauphins poursuivant les bandes diamantees de ces jobs pe- tits poissons volans , qui font dire a una vieille e'cossaise , parlant a son fils revenu de ses longs voyages bien pourvu de re'cits pour e'gayer le coin du feu : « Vous pouvez avoir vu des rivieres de lait , vous pouvez avoir vu des montagnes de sucre , mais vous ne ine ferez jamais accroire que vous avcz vu les poissons voler en I'air. » Si le capitaine Hall exccUe a peindre la joie du matelot anglais , sa douleur contenue , sa plainte sourdc et rauque , ne trouvent pas en lui un moins habile interprete : « Je me rappeUe , « dit-il » que croisant devant Terccira, sur VEndymion, un hoinme tomba a la mer et se noya. Le trouble ordinaire en parcil cas fini , et la longue et vaine recherche terraince , on hissa les bateaux a bord ct les mains furent mises a I'oeu- vre pour forcer de voile. .J'etaisofiicier du guillard d'avanl, ol je vis, en regardant si tout mon mondc etait a son poste, qu'un des honimes de Ii\ GRANDE-BRETAGNE. 619 hune dc inisaine raanquait. Au moLient meme j'apercus un hoinme , courbe en deux, et qui avait I'aii de se cacLer sous I'avant du canot, entre le bateau ctle mat. « Hola,lieI » Criai-je. « Qui etesvous? Qu'avez » vous a vous cacher ainsi ? pourquoi n'etcsvous pas a votreposte?)) «Jc )) ne me cache pas, monsieur, n re'pondit lepauvre camarade, tandis que Jes larmcs ruisselaient dans les profondes rides de ses joues basane'es. L'homme que nous venions de pei'dre e'tait son camarade et son ami de- puis dix ans ; il me le dit. Je lui demaudai pardon , du fond du coeur , pour I'avoir traite' avec rudesseen un parcil moment , et lui dis de des- cendre a sa cabine et d y rester jusqu'au lendemain. « N'y faites pas » attention, monsieur, n'y faites pas attention » me re'pondit le pauvrema- rin. «0n n'y peut rien , voyez-vous. Vous ne vouliez pas me faire de » peine, et je suis aussi bien dessus le pont comme dessous. Bill est parti, » monsieur, ilest parti ! mais je n'en ferai pas moins mon devoir. » Ainsi disailt , il passa deux ou trois fois la mancLe de sa veste sur ses yeux , et, renfermant son chagrin dajiS son scin, ilalla a sa besogne, comme si de ricn n' e'tait. » Une fois cpi'on cite Hall , on est tente' de se laisser aller : car il est amusant , yarie. Si la place ne me manquait , je voudrais parler de ces petits cadets de marine , s'eljattant a se baigner dans une voile, tendue a la mer a cet effet ; I'un d'eux , des plus entreprenans , toujours de- fie par ses camarades, se lancait, dc plus en plus loin, hors la voile, sur cette mer sans fond, «quaudle cceur lui de'faillit tout a coup, pau- vre petit hommel avec sa confiance, s'e'vanouirent ses forces, et il en- fonfa rapidement , a I'inexpi'imable horreur de ses jeuncs compagnons. «Le cajjitaine du gaillard d'avant, grand, beau, robuste garf on, se ba- lancait sur la verge de la maitresse-ancre , les bras croise's , et son cha- peau, a vernis brillant, tellement descendu sur ses yeux qu'il e'tait dif- ficile de dire s'il e'tait eveille, ou assoupi au soleil, le dos appuye contre les haubans du petit mat de hune. Le marin, cependant, avait attcnti- vemcnt surveille'constammcntles petits droles j et, craignant que leur te- me'rite' n'amenat quelque catastrophe , il leur grommelait , de tems a autre, un avertissement dont lis n'avaient cure; enfin il scdc'sista, disant qu'ils n'avaient qu'a se noyer s'ils en avaient fantaisie , qu'il ne remue- rait pas le bout du doigt pour les aider. Mais la forme de I'aventurcux petit garfon enfonjant dans Teau avait a peine frappe ses yeux, que , 620 LIVKES ETRANCtERS. joignant ses mains au-dessus de sa tete, a la £39011 des plongeurs, il se larifa an loin p;ir un legcr effort dc son pied contre I'ancre , et plongea , la tete la premiere, dans I'eau, ou le pauvre garpon enfoncait si vite, qu'ii e'tait au moins a une couple de brasses de la surface , quand le ma- rin le saisit , reparut , portant dans sa main I'enfant a demi eVanoui , et Ic jeta droit au centre de la voile, au milieu de ses camarades, en leur criantd'en avoir soin. Les e'coutes de I'avant, par le calme, pendaicnt presque dans I'eau , il s'en servit pour retourner a son ancien gite sur I'ancre. La, il se secoua comme un grand chien de Terre-Neuve, et sautant sur le pont , traversa le gaillard d'avant pour aller se changer » Nous citerionstoujours, car toujours c'est amusant , toujours vivant. Je n'ose done reprocher a M. Hall d'appuycr trop long-tems sur des de'tails oiseux ; comme, par exemple, dans I'histoire de Jeanne la truie, que j'e'tais tente de trouver, comme nagucre celle du pauvre basset Shaking, quelque peu longue: sensation rare en lisant le capitaine. 112. Family library. The life of sir Newton, etc. — Biblio- iheque de famille , fingt-quatrieme nume'ro. Fie de sir Isaac Newton, par David Brewster. Londres, i83i ; John Murray. In- 1 2 ; prix , 5 sh. (6 fr.). C'est la premiere vie de Newton publiee a Londres sur une e'chelle unpeu considerable. Jusqu'ici des biographies collectives avaient scules raconte' quelques faits , peu nombreux, de I'histoire peisonnelle du premier savant de I'Angleterre. Sa vie, au fait, est toute dans ses ceu- \tes; il n'y a pas place aux passions quand tout est donnc a Te'tude; et cette ame qui a re'fle'chi les cieux, et en quelque sorte toute la na- ture , n'avait point de taclie , rien de trouble , rien qui pretat a ces vi- cissitudes qui font I'inte'ret d'un re'cit. M. Brewster, quia puise a toutes les meilleures souices , et qui pioclame devoir beaucoup a I'excellente vie de Newton de M. Biot, dans la Biogi-aphie lum'erselle , n'a cepen- dant pu faire _, malgre' tons les documens particuliers , toutes les cor- respondances du terns qu'il a consciencieusementrassemble'esetfouille'es, qu'une bien courte notice ; et ce sont les de'couvertes de Newton qui remplissent son livre. II donne la vivantc histoire des travaux sur le prisme , sur la decomposition de la lumiere ; des belles decouvertes sur Toptique , et les divers degre's de refrangibilite des rayons lumi- GRANDE-BRETAGNE. 62 1 neux qui produisent le spectre solaire , la tlie'orie des coulcurs , enfin les de'couvcrtcs astrononiiques, ct cellc qui soutient a elle seule tout I'e'di- fice du monde , la dc'couverte des lois de la gravitation ; Ics Iraite's sur le inouveincnt des marc'es , les travaux snr rarithme'tique universelle , sur le calcul diffe'renticl , la ge'ome'trie , etc. Ce sont la les points savans et d'un inte'ret cleve , general qui -emplissent I'histoire de Newton , encadr; 3 entre une eufance studieuse et naive , et une vieillesse reli- gieuse et calnie. M. Brewster chcrche a refuter ce que Laplace et M. Biot ont avance', sur la foi d Huygens , du de'rangemcnt de cette belle in- telligence qui avait explique' les lois do la nature et le mouvement du raonde. II croit cette opinion fondee sur une maladie qui jeta pen- dant quclqties raois un voile de ine'lancolie sur I'ame de Newton. Cette tristesse raomentanees'expliquait assez par la perte d'un manuscrit im- portant sur des tlie'ories d'optique, perte dont le philosophe avait soutenu cependant le premier aspect avec bien de la patience. « Oh I Diamant , Diamant I » dit-il au chien qui avait mis le feu au manuscrit , « vous savez peu le mal que vous avez fait ! » L'auteur de la vie de Newton apporte en preuve ds la constante vigueur d'intelligence du philosophe plusieurs leltres scientifiques c'crites a cette e'poque ; tandis que les sa- vans francais,fortement imbus des doctrines philosophiques de Voltaire , veulent trouAer une preuve de Talienalion d'esprit de Newton dans ses e'tudes the'ologiques et dans ses explications de I'Apocalypse. II m'est beaucoup plus agre'able de penser, avec M. Brewster, que cette belle et noble intelligence se conscrva pure jusqu'au bout , et que ce grand et digne vieillard qui , a quatre-vingt-cinq ans , endurait les tortures d'une cruelle maladie , la pierre , sans pousser un cri ou un ge'misse- raent, et souriait et convei'sait avec son calme et sa gaiete' ordinaire dans les courts iutcrvalles de repos que lui laissaient de longues crises , « jouis- sait de tons ses sens , de toutes ses faculte's , dans leur vigueur , lorsqu'a- pres une longue et grave conversation avec le docteur Mead, il tomba dans un long e'vanouisscraent , qui dura depuis six heures du soir le samedi 18 mars I'ja'j, jusqu'au lundi 20, jour ou il expira, entre une et deux heures du matin. » L'ouvrage de M. Brewster, pour que justice lui fut rendue , aurait besoin d'etre analyse par un savant. Quelle que soil la clarte' des expli- 622 LIVRES ETRANGEKS. cations qu'il donnc , iiii niathematicien , un ge'omelre , iin pliysicicn , en scntiraicnt bicn autrement Ic mmle ; et , comme je I'ai deja dit , c'est ici riiistoire des de'couvertes de Newton , ct non simplement ccUc de sa vie prive'e. I i3. — The lives of celebrated travellers. — Fiesdesvojageurs celebres, ])sa' James- Augustus Saint- John. Londres, i852 j Col- burn et Bentlcy. Trois vol. in-B" ont deja paru. Le troisieme volume , dont on annonce la publication , contient les biographies dc Jonas Hanway, Antonio de Ulloa, Muugo-Park, Si- mon Pallas, Carsten Niebuhr, Choiseul-Gouffier , Louis Burckhardt, Volney, Daniel Clarke, Fran9ois LevaiUant, Bclzoni, Vivant Denon, Reginald Hebcr. 1 1 4. — The annual biography and obituary. — Annuaire biogra- phiqiie et ne'crologique. Tom. xvi. Londres, i83'i; Longman. In-8°. Parmi les personnages les plus ce'lebres qui sont morts en i83i , et dont la biographic est consignee dans cc Recueil , on rcmarque le 10- mancier Mackenzie , les artistes draiuatiqucs Elliston ct M'''"" Siddons , Roscoe, historien et publiciste , Hope, e'crivain philosophe , I'anato- miste Abernethy, le pre'dicateur Robert Hall, J. Jackson, peintre, 1c comte de Norbury , etc. 1 1 5. Fables and other pieces in verse. — Leitres de MM. Bray , auteur de Fitz ofFitzford, a Robert Southey, coutenanl des fables et autres pieces de vers de Mary-Maria Colling , ai'ec des de- tails siir la vie de I' auteur , etc. Londres, t83i . POETES D'lKSTINCT. Voila encore des poesies sorties du peuple , des poesies d'instinct. C'est une simple servante qui, dans ses heures de loisir , se plait a cul- liver des flcurs, ct a moduler des pense'es.Nombre de gens, qui s'eiiraient quand I'instruction gagne , etse sentent de'choir d'une supe'rioritc d'cm- prunt, d'une distinction acbete'c , quand le peuple cultive son intelli- gence . demanderont a quoi sort a un maitre qu'une servante aligne des vers , et diront avec Chrysalde : Qirimportc qii'ellc manque aux lois dt VaufjClas , Pourvu qif a inon potage ellc ne manque pas ' GRANDE-BRETAGNE. 628 Iln'est cependant pas necessaire que toute line amc Immainc soil con- fine'e aux soins tin pot an feu pour qu'il bouille e'galement. Mais force de gens , dont i'csprit s'est re'tre'ci a nicsure que plus d'aisance , plus demollesse, mullipliaicntles besoins et les susceptibilite's de leurs corps, ne voient rien par-dela les jouissances des sens, et, de la loi la plus etroite d'inte'ret personnel et d'utilite , ils en ont fait leur unique dogme. Grace a Dieu , la nature ne les consulte pas quand elle ouvre ses larges mains plcines de pre'sens. Elle ne vend pas , elle donne a flots , et donne a tous. Lc palais du pauvre villageois savoure les fruits, ses yeux se rejouissent de la campagne et du soleil, ses houpes nerveuses se dila- tent et frissonnent de plaisir au parfura des fleurs , au souffle odorant du matin. II e'coute avec ravissement le chant des oiseaux , et il n'est pas de'fendu a son ame de deVelopper toute cette poe'sie qui le pene'tre , de donner une voix a toutes les emotions dont il s'impregnc : et , pour quelques esprits , les jouissances se doublent quand ils peuvent s'en ren- dre compte : c'est ce qu'a fait Mary Colliny. La joie du vrai pocte , du poete de nature , n'est pas de publier ot d'etre lu. Gela , c'est plaisir de vanite , bon pour tous. La ve'ritable la jouissance re'elle , c'est de de'veloppcr vos sensations , c'est de donner une forme aux. emotions qui gonflcnt voire sein; il est grand tems que nous cessions de melti'e en premiere ligne ces plaisirs de reflet qu'on va puiser dans I'opinion d'autrui : I'artiste , le poete ont des joies plus re'elles, plus intenses. La fleur au desert s'ouvre aussi joyeuse et plus que si unpeuple entier la regardait dc'ployer sa corolle feuille a feuiile, et pousser au-dehors couleurs et parfums ? Le rossignol ne s'cnivre-t-il pas , ne se pame-t-il pas de ravissement a ses propres cadences noctur- nes , a ses arpe'ges sonores , a ses modulations barmonieuses ? II y a beaucoup de ces sensations primitives et instinctives dans celui dont I'ame e'chauffee trouve une voix nouvelle dans la poe'sie ou dans les arts. Le peintre , le muslcien , le poete , savent ce que c'est que cette pleni- tude de coeur, dont Tindiffe'rence du monde entier et la plus pe'nible existence ne peuvent compenser les joies. Les plus vives des sensations de bonheur sont, sans nul doute, dans le de'veloppement de notre ame et de notre esprit. C'est comme une production interieure intimc en la- quelle on se de'lecle; et que benic soit 1' education libe'rale et populairc qui ira fe'conder dans tous ces gcrmes de pures, de nobles jouissances , 624 LIVRES ETR ANGERS. de plaisirs qui agrandisscnt I'csprit liumain , ct que doivcnt permetlre Ics c'conomistcs ct Ics disciples dc INIaltbus ct de Benthara , car ils ne coutcnt et ne de'pensent rien. Cast mistriss Bray , auteur dc plusieurs nouvellcs liistoriqucs que j'ai regret de n'avoir pas lues , ct qui doivcnt etre fort remarquaLles , si j'en juge d'apres les analyses des journaux anglais, c'cst mistriss Bray qui, dans une Icttre a Southcy , fait connaitrc les ceuvrcs et riuunble vie de Mary Colling, modeste, propre ct gcntille suivanle d'une hono- rable famille a Tavistock , dans le comte de Devon. C'est a I'c'glise, dans le banc voisin du sien, que la dame anglaise a d'abord remarque la jeune fille : les poe'sies qu'clle cite sont naturelles et gracieuses , la vie qu'elle racontc, simple, honnetc et pure, et I'histoire de la grand' mere de la pauvre Mary a un intcret mysterieux et romanesque qui ne m'a pas cependant fait douter un moment de la verite de la relation de mis- triss Bray. Adelaide Montgolfier. RIJSSIE. 116. VeRSUCH EINEU LiTERATUR DER SaNSKRIT SpRACUE. — EsSUi sur la litterature de la langue sanskrite, par M. Fred. Adelung. Saint-Pe'tersbourg , 1 83o. L'ide'e concuepar M. Adelung, de donner une espece de catalogue raisonne' de la litterature sanskrite , est ime ide'e heureuse et louable , mais nous sommes obliges de dire que I'exe'cution ne re'pond ni a I'im- portance du sujet ni au nom meme de M. Adelung. Outre un grand nombrc d'erreurs que son ouvrage renfcrme , il est c'galement de peu d'utilite pour celui qui a fait une etude spe'ciale du Sanskrit , et pour celui qui y est encore e'tranger. II pourrait servir a diriger les etudes de celui qui voudrait aborder ce champ immense de productions de I'esprit humain , si les indications de ces ouvrages e'taient toujours exac- tes, et si des jugeraens, meme concis, pouvaient faire distingucr les bons ouvrages des me'diocres ct des mauvais. Beaucoup d'ouvrages que M. Adelung annonce comme ayant ete' imprime's en Asie, et meme en Europe , nous sont inconnus ; et il est souvent a pre'sumer qu'il aura pris I'annonce d'un livre qui n'aura pas paru pour sa raise en vente. L'auteur aura voulu donner un ouvrage commc la Bibliotheca arabica de Schnurrer, qui put servir de guide pour re'tude de la litterature RUSSIE. 625 sanskrite, mais il aurait du imiter en tout ce dernier, 011 luieux fairc encore. Nous I'cngagcons a donner plus de soins a la seconde edition. P. li'j. — Harmannyj francusko-rossijsrij, etc. — Nouveau Dic- tionnaire franc ais-riisse et russe-francais , pre'ce'de' d'une Gram- maire abrege'e de chacune de ces deux langues, etc.j par At guste Oldecop. Saint-Pe'tersbourg , i83o. Trois vol. in-iS. M. Oldecop est deja connu tres-favorablement du public par la pu- blication d'un grand dictionnaire de la langue russe. C'est surtout en vue d'etre utile a la jeunesse de son pays que , s'appuyant sur son pre- mier travail, et mettant a profit les Dictionnaires de I'Acade'mie russe, de Heim et deTatichtchef, I'auteur a entrepris I'ouvrage que nous an- noncons a nos lecteurs. Mais nous dirons qu'il a rendu e'galement un veritable service aux e'trangcrs qui s'occupent de la litte'rature de son pays , et que le succes de ce nouvel ouvrage est aussi assure qu'il le me'rite. 118. — Der Polen Aufstand uno Waeschaus Fall, etc. — L' In- surrection polonaise et la chute de Farsovie. — Trois poemes de A. PuscHKiN, W.ScHUKOwsRi ct A. Chomjakow; traductions du russe Clivers allemands.Sami-Velevshoiw^, i83i. Lesvaincus ont eu leurs Messe'niennes j les vainqueurs devaient avoir leurs chants de trioniphe ; mais cc n'est point , comme ceux-la , de la sympatliie des autres peuples qu'ils pouvaient les attendrej cette sjtu- patbie appartient tout entiere a la cause polonaise, a la plus grande infortune denotre epoque. — C'est aussi le sentiment national qui seul a inspire les trois poetes moscovites ; leurs productions , surtout celle du plus celebre d'entre eux , M, Puscbkin , respirent la liaine de re'lranger. M. Puscbkin s'adressc aux calomniateurs de la Russie, et apres de violens reprocbes, il leur lance cc de'fi : « Vos paroles osent nous menacer I Eh bien , pretez-leur le sccours de Taction : de vos tribunes verbeuses envoyez-nous la troupe de vos disciples courrouce's. » TOME LIU. MAHS 1832. 41 626 LIVRES ETRANGERS. ALLEMAGIVE. 1 19. Aus Jens Baggesen's Briefwechsel, etc. — Correspondance de Jens Baggesen ^cec Charles Leonh. Reinhold el Fred. Henri Jacobi. Leipzig, i83i ; Brockbaus. 2 vol. in-8" de 470 et 44o p. Nous avons lu cette correspondance avec le plus vif inte'ret. Quelles ide'es , quels sentimens devaient ranimcr dans notre ame les lettres de CCS trois hommes cclcbres , e'crites a une e'poque (1790-1801) , ou tant de grands e've'ncmcns se produisaient , la revolution philosopliique opc- re'e par Kant au scin de I'Allemagne , et la revolution politique en France ! Baggesen , Danois d'origine , mais composant la plupart de ses ouvrages en iangue allemande, initie' a tons les progres de son tems, les rellcchissait dans ses travaux poe'tiques. Reinliold et Jacobi prenaient une part directe au mouycmcnt philosopbique , et y jouaient tons deux, quoiqu'a des litres fort diffe'rens, un role de la plus haute importance. C'e'tait Reinhold, Reinhold, le gcndre deWicland, qui le premier, ayant trouve par hasard dans la bibliotheque de son beau-pcre I'im- mortel ouvrage de Kant , la Critique de la raison pure, s'e'tait rendu I'interprete courageux de ce nouveau systeme philosopliique, jusque-la peu compris. Profcssant et propageant avec ardeur les ide'es de Kant , on levitplus tard, frappe des objections graves pre'sente'es contre ce sys- teme, sc meltre lui-meme a I'oeuvre pour le completer et preparer ainsi les voies a Fichte ; raais bientot , croyant rencontrer dans I'ide'a- lisme de Fichte le complement qu'il chcrchait a la doctrine de Kant, il se dcclara pour lui , et contribua puissamment , par sa conviction sin- cere, a la propagation de cc nouveau systeme. Les lettres que nous avons sous les yeux ne s'e'tendent pas au-dela de ces trois phases de la carriere philosopbique de Reinhold j elles ne disent point comment , apres avoir quitte les ide'es de Fichte et s'ctre prononce quelque tems encore en faveur de la logique de Bardili , il entreprit de poursuivre le travail philosopliique avec ses propres forces , essayant pendant toute sa vie de I'asseoir sur des bases solides . Le caractere de Jacobi pre'sente uu contraste frappant avec celui de Reinhold. Si I'unite dans la vie , chez celui-ci , se trouve dans sa con- stante recherche de la ve'ritc' , dont il ne de'sespere jamais au milieu d'essais infructueux et de pe'nibles e'checs , la vie de Jacobi au contrairc ALLEMAGNE. 627 sc passe dans une negation continuelle a I'e'gard des systemes pliiloso- pliiques de son tems. Son opposition, commence'e avec le systeme de Kant, devieut plus prononce'e et plus amere centre Tidealisme de Fichte , et acquiert le plus baut degre' d'acrimonie contre la philosophic absolue , dite philosophic de la nature , fondc'e par Schelling et ses par- tisans. La raison de ce role critique.de Jacobi se trouve dans un senti- ment fort honorable de religiosite. Scion lui , le systeme de Kant n'avait pas donne de solutions aus. questions religieuscs , la doctrine de Fichte e'tait comple'temcnt irreligieuse , et la philosophic de Schelling unc to- tale negation de la religion. La personnalite de Dieu e'tant la base de toute religion , il niait que la philosophic put jamais jiarvcnir a une de'- monstration de cette haute propriete' de Dicu , « parce que , disait-il , le panthe'isme , seul systeme admissible par la raison , conduisant ne'ces- sairement au fatalisme , n'est autre chose qu'une doctrine d'athe'isme. » Malgre Ics protestations re'ite're'es dc Schelling et de son ecole, que la philosophic nouvcllc rcconnaissait a Dieu une conscience ct une volonle , la haine dc Jacobi contre cette philosophic I'e'gara au point d'accuser scs adversaires , non-seuleraent d'athe'isme , mais de mauvaise foi , en parlant de conscience , dc volonte en Dicu , sculemcnt par accommode- mcnt. Schelling repondit a ces iuculpations par un ouvrage ce'lebre ( Denkmahl der Schrift vvn den goettlichen Dingen des Herni Ja- cobi. Tubinguc, 181 2). (i) Lcs ide'es de Jacobi n'ont rien produit de positif. Quclques-uns de scs amis chercherent a systc'matiscr ct a gene'raliser ces ide'es ; mais ils durent bicntot s'aperccvoir que leur dc'faut d'unite et d'enscmble ren- dait la chose impraticablc; aussi se bornercnt-ils a poursuivrc la car- (1) Ceux de nos lecteurs qui desireraient une exposition etune critique impar- tiales de la doctrine de Jacobi la trouveront dans les Lecons surles verilds fon- dainentales de la science [Grundwahrheilen der Tf'issenschaft par Krause ) ; dans la partie de cet ouvrage qui conticnt Thistoire dc la pliilosophie , les idees de Jacobi sont refutees dant Tinl^ret dc la pliilosophie et de la religion a la fois. L'auteur, tout en reconnaissant les merites particuliers de Jacobi , et surlout son sentiment profond de religion, ddmontre que sa doctrine aurait pour conse- quence de separer Thumanite de Dicu, de la priver par consequent du vrai lien religieux, et de reproduire dans le moral et dans la science le materialisme ct I'empirismc les plus funestes. 41. GaS LIVRES ETRANGERS. lieic pole'iniqiie de Icur maitre. Ouoiqu'il soit pour nous de'inontrc qu'ils n'ont point rc'solu lesgrandes questions philosophiques , ni mcme fait avanccr Ja science par leur critique , nous devons cependant leur reconnaitre le me'rite incontestable d'avoir rappele au noniLreux public qui s'inle'ressait a la jiliilosopliie que I'humanite' attend encore des solutions plus completes aux grands problcmes religicux , ct d'avoir ainsi, en fixant I'attcntion ge'ne'rale sur ce siijet , produit dans les es- prits une disposition favorable a la recherche et a I'admission des ve- rite's nouvellcs. Jacobi , aussi airaable dans son commerce personnel ([ue spirituel dans ses ecrits , ne pouvait manqucr de compter parmi ses amis des hommes appartenant aux opinions les plusdiverscs , mais pres- que tons anime's par un besoin profond de religiosite' , auquel ils ne trouvaient pas satisfaction dans la philosophic de leur e'poque : et quoi- que Jacobi n'acceptat point la religion chre'tienne comme revelation , beaucoup de the'ologiens chreticns accueillirent ses ide'cs avcc faveur. Hamann , e'crivain mystique plein de grandeur , fut intiracment lie avec lui. Jean Paul fut aussi son ami, Jean Paulle poete, qui, pourtant, dans ses ide'es sur la divinite' , semble se rapprocher bcaucouj) plus des philosophes de la nature. Ainsi Reinbold ct Jacobi furent les repre'sentans de deux tendances oppose'cs : Reinbold. , dans la loyale confiance qui le poussait a la re- cherche de la ve'rite , I'infatigable propagateur des systemes pbiloso- ijhiqucs ; Jacobi n'ayant aucunc foi dans la philosophic , la critiquantet lacombattant sans relache.Ces deux individualites remarquables se raa- nifestent avec franchise dans leur correspondance avec Baggescn. Cettc correspondance ne renfeime , il est vrai , que le court espace de onze anne'es (de 1790 a 1801 ); mais durant ccs onze anne'es se sont accom- plies la revolution phllosophique en AUemagne, la revolution politique cii France : c'cst asscz dire quelle en estTimportancc. Mais , demandera-t-on avec raison , quelle a etc la position de Bag- i^escn enlre deux hommes si divers? Ne s'est-il pas rapproche de I'un plus que de I'autre ? Distinguons dans sa vie deux e'poques que cette correspondance caracterise parfaitement. Dans la premiere, I'esprit de Baggesen sympathisa surtout avec celui de Reinbold; tout le premier volume du recueil que nous examinons est consacre a leurs relations. Les lettres de Baggescn a Jacobi, d'abord assez rares en 1796, devin- rent plus frcqucntes ct plus intimes depuis la raort de sa femme, ALLEMAGNE. 6:^9 qui liii e'tait tres-cLerc; e'venement qui, s'il ne fiit point la cause du grand changement ope'ie dans la manicre de penser du poete , y contri- bua du moins puissanimcnt. II deLuta dans cette seconde e'pocjuc de sa vie par une soite dc profession dc foi , adresse'e a Jacobi , profession de foi a laquelle, disentses deux fils e'diteurs de sa correspondance, il est leste Gdele jusqu'au bout. Aussi leslcltres qui appartiennenl a ces deux e'poques pre'senlent un caractere fort different : dans les unes se peint plus de vivacite', plus d'activite d'esprjt ; les autres sont plus em- preintes de douceur et de sentiment. Initie par Reinliold a la philoso- pbie de Kant , Baggesen I'erabrassait avec toute I'ardeur de son ame ; il regardait les grands evenemens politiques de son terns comme un com- mencement de mise a execution du systeme de Kant; tout ce qui sc pas- sait e'tait pour lui « la manifestation inte'rieure et exte'rieure de la rai son et de la liberie. » Kant avait de'signe' le gouvernement republicain comme demande par la raison : Baggesen se rejouissait de la proclama- tion de la re'publique en France ; Kant avait enseignc' la ne'cessite' de I'association des peuples : Baggesen voit leur rapprochement dans une confe'de'ration des e'tats europeens , qu'il regarde comme devant re'sulter de la revolution franjaise. Souvent revoke' par la terreur des scenes re'vo- lutionnaires , on le voit , apres reflexion , convaincu que tons les hom- nies, tous les evenemens accomplissent le plan de la Providence. Rein- hold le philosophe , plus circonspcct , ne se laisse pas entraincr ainsi : il fonde ses jugemens sur un ensemble d'ide'es et d' observations. II nc nie point les vues pratiques de Kant sur I'organisation politique des peu- ples , mais il ne les sc'pare pas des notions morales dont elles re'sullent , ct c'est ainsi qu'il ne veut pas croire a une veritable et saine reforme politique , qui ne soit prc'ce'de'e d'une reforme intellectuelle et mo- rale; et le peuplefrancais , selon lui , n'a pas encore acquis assez d'in- telligence et de moralite pour operer cette reforme dans son sein. II prc'dit a Baggesen que la revolution doit pe'rir par ses propres mains , ct considere les opinions enthousiastes de son ami comme « un jeu de poete sur I'avenir, » de meme que la revolution n'est a ses ycux qu'un prelude premature de I'avenir. Plus tard meme, Reinhold cesse de rc'- pondre aux ide'es de Baggesen qui se rapportent a la re'volution fran- (I) Beitraege zur Beiichtigimg dvr Uilhcitc dc^ PubUcums ueher die Jinn - zrvsische Revolution. 63o LIVRES ETRANGERS. caise, tandis que cclui-ci y est plus afferrai que jamais, sans doute par I'influence de Ficlitc avec lequel il s'c'tait lie vers cette epoque, de Fichte , qui , dans ses Idees pour servir a la rectification des jnge- mens du public sur la revolution francaise (i), justifiait ce grand acte politique , et proclamait hardiment que sa doctrine devait conduire aiix memcs rc'sultats, quoique par une voie difife'rente. Cependant Bag- gesen n'approuve pas entierement le systeme de Fichte; il trouve meme faibles et superficielles les raisons alle'guc'es par lui en faveur du droit de revolution. Pius tard meme,lorsque Reinliold adopta de plus en plus les ide'es philosophiques de Fichte, tandis que Baggescn, de son cote, serap- prochait de celles de Jacobi, il y eut entre les deux amis, non point rup- ture , la continuation de leur correspondance en fait foi , mais scission intellectuelle presque complete. Ce n'est pas que les opinions politiques de Jacobi , qui condamnait les principcs et les faits de la revolution francaise, pussent cadrer avec celles de Baggesen; mais il sympathisait avec ses opinions religieuses, et ce besoin e'tait chez lui devenu tout-a-fait pre'dominant. C'est sous I'empire d'une pareille disposition que sont e'crites les lettres date'es depuis cette e'poque. Les deux dernieres, I'une a Jacobi, I'autre a Reinhold, contiennent de nombreux e'claircissemens sur les choses demeure'cs obscures dans lesprc'cedentes; elles sont, comme le discnt les e'diteurs , le dernier acte du di'ame, la fin harmonieuse d'un riclie tableau. Baggesen est raort en iBaS. Ses fils annoncent qu'iis vont faire un choix de ses ouvrages allemands , dont plus de la moitie' sont manuscrits. Puisse se re'aliser bienlot cette promesse annonce'e, qui don- nera au public une nouvelle occasion d'admirer le poete, comme il vient de voir se re'veler dans cette correspondance Tbomme de bien et de sin- cere conviction. H. Ahrens. 1 20. HisTORiscH poLiTiscHE Zeitschrift, ou Joumal Jiistorico-po- litique, public' par Le'opold Ranke. T' cahier. — Hambourg, jan- vier-fe'vrier iSSa ; Fr. Perthes. In-8" de 174 pages. II paraitra tous les deux mois un cahier de 8 a 10 feuilles d'irapression. Prix pour I'anne'e , 5 thalers. M. Ranke, honorablement connu par des compositions historiques qui attestent un savoir c'tendu el une grandc facilite de travail , semble vouloir, par sa nouvelle entreprisc, donncr une preuve-de plus de cette derni^rc qualitc. Le cahier que nous avons sous les yeux, et qui traite de sujets trcs- varies , est tout cntier i'reuvrc de la mcmc main , le fruit ALLEMAGNE. G3 [ de la meme pense'e. Les raorceaux les plus importans qu'il contient sont un tistorique rapide de la restauration , dans laqiielle la situa- tion politique des Bourbons en France est ge'ne'ralement bien appre- cie'ej une comparaison de la cbarte de i83o, avec la constitution prepare'e par la cliambrc des cent jours , entre lesqnelles I'auteur trouve une grande analogie ; enfin un examen de'taille des brochures publie'es a Paris pendant les derniers mois de i83i , par MM. ' Acliille de Jouffroy, de Lamartine , Chateaubriand, Cabot, Thiers, de Potter , jSalvandy. M. Ranke est anime de sentimens libe'raux tres- mode'res ; il approuve assez franchement la revolution de i83o en France , mais il ne croit pas rAlIemagne appele'e a suivre son exeraple ; ou plutot il regarde le re'sultat comrae deja obtenu dans sa patrie par une voie diffe'rente. Suivant lui , la France est arrive'e a I'abolition du re'gime fe'odal par I'explosion d'e'le'mens agite's qui e'branlaient dcpuis long-tems le pouvoir • 1' AUemagne , an contraire , y est parvenue , d'ac- cord avec ses souverains, presse'e par I'incompatibilite' de I'ancien I'e- gime avec les lumieres nouvelles : de sorte que tandis que les Bourbons s'efforcaient de re'tablir en France les privileges de la vieille noblesse et du clerge' , avec lesquels leur cause e'tait identifie'e, les princes alle- mands avaient inte'ret a maintenir dans leurs e'tats les acquisitions faites par un mouvement social accompli avec leur participation. M. Ranke se propose cette question : la revolution de i83o est- elle , comme quelques-uns le pretendent et comme beaucoup le croient , un e've'nement non-seulement francais , mais europe'en? ses inte'rels sont-ils particuliers au pays oil elle s'est effectue'e , ou sont-ils univer- sels ? et cette question , il la re'sout dans le premier sens , quoique lui-meme temoigne contre sa propre opinion , puisque dans I'ouvrage que nous examin'ons il nc s'occupe que de la France ; c'est que I'instinct de la vc'rite I'a eraporte ici sur un faux raisonnement. Sans doute I'as- scrtion e'mise par M. Ranke repose sur une idee tres-juste : a savoir, que le plagiat , en fait d' institutions politiques est funcste , chaque peuple ayant son caractcre distinctif et par consequent ses exigences. Mais n'est-il pas vrai aussi que I'Europe tntiere se trouve engage'e au- jourd'hui dans un meme travail dc transition entre Tordre social du moyen age, dont les traces sont partout visiblcs encore , et un ordre so- cial nouveau, dont le me'canisme politique, cette partic variable selon les nations, ne saurait etre deja pre'vu? N'est-il pas vrai que la France , 632 LIVRES ETRANGERS. victorieuse la premiere du monde f'e'odal , est aussi la premiere en ce moment 'sur le chemin de I'avenir ? Voila ce qui est ge'ne'ralement senti ; et voila pourquoi les autres nations ont incessamment les yeiix tournes vers la France, sans se laisserrebiitcr par le spectacle despetiles passions et des petits inte'rets qui s'agitent dans un petit cercle a sa surface. 121. Geschichte derNieherlandie, etc. — Histoire des Pajs-Bas; par N. A. van Kampen. Premier volume , comprenant jusqu'a I'an- ne'e 1609. Hambourg, i83i ; Perthes. Gr. in-8° de 89 feuilles. 122. Geschichte des Kurstaates und Koenigreiches Sachsen, etc. ■^ — Histoire de I' electoral et du rojaume de Saxe, par le profes- seur C. W. Boettiger. Hambourg, i83i; Perthes, a vol. in-8". 123. Geschichte des Grostherzogtuums Hessen , etc. — Histoire du grand duche de Hesse , par le comte Charles de Bothmer. Erfurt et Gotha, 183i ; Flinzer. In- 12. Les deux premiers de ces ouvrages font parlie de la belle collection publie'e par Heeren et Ukert sous ce litre : Histoire des Etats euro- peens , dont six livraisons ont paru. Le troisieme appartient aussi a une collection , la Bibliotheque de V histoire , qui a pour e'dileur M. J. H. MoELLER. 124. Was spricht fur und wider die Meinung, etc. — Que peul- on dire pour ou contre cette opinion que le globe de la terre , ainsi que tous les astres , glorifient le createur par la manifes- tation d'une vie qui leur est propre ? Neustadt-sur-FOder , i83i ; Wagner. In-S". L'ide'e de considerer la terre comme un elre vivant n'est point nou- velle; mais, dc nos jours, elle a trouve' plus d'un de'fenseur. Desau- draix , dans sa Clef des phenomenes naturels , enseigne que notre planete est un grand animal qui , par ses mouvemens et les exhalai- sons de son corps, produit tous les phenomenes dont nos sens sont frap- pe's. Hugi la fait respirer, et attribue les trem])lemens de terre a ses tressailleraens ^ (i). Un autre auteur allemand , Wagener, dans un ou- vrage intitule: la Fie du globe terrestre et de tous les mondes (Ber- (1) Arbeiteii dcr naturf'orschendcn Gesellscluift zn Solothurn ; — Tiavaiis. lie la Socldte des sciences naUirellos de Soleino : \ 859 — 29. ALLEMAGNE. 633 lin , 1828), pretend que tous les corps celestes qui parcoui'ent un orbite I'e'gulier sont doue's d'un genre de vie organique qui leur est particulier, qu'ils sont cre'e's par une vole analogue a la naissance Immaine , qu'iis vivent et se reproduisent , qu'ils sont soumis aux lois de la mort , c'est- a-dire a celles d'une perpe'tuelle transformation. Suivant lui, I'liomme et tous les animaux qui habitent notre globe sont , a I'egard de cet etre terrestre , dans un rapport semblable a celui qui regne entre nous et les creatures qui trouventsur notre corps les conditions de leur existence; le regne vegetal est la chevelure de notre planete , dont la respiration produit le flux et le reflux ; la lumiere bore'ale sert de nourriture a ce grand corps, les courans e'lectriques sont pour lui la circulation du sang, les volcans sont ses canaux d' evacuation , etc., etc. Le nouvel ouvrage dont le titre precede cet article a pour objet de soutenir la ihe'orie originale de Wagener , dans une discussion oil sont exposes avec re'futation vingt-sept argumens que I'auteur suppose pou- voir etre pre'scnte's centre cette the'orie. 125. Abhandlungen der koentglichen Arademie der Wissens- CHAFTEN zu Berlin, ctc. — Memoires de la Societe royale des sciences de Berlin, anne'e 1828, avec VHistoire de Vyicademie pendant cette meme annee. Berlin, i83i ; Diimmler. Grand in-4"- 126. System der Metallurgie , etc. — Sjsteme de metallurgie sous le rapport hislorique , statistiqiie , theorique et technique , par le chevalier C.-J.-B. Karsten, raembre du conseil supe'rieur des mines. Berlin, i83i; Pieimer. 5 vol. in-8" , avec ua atlas de 5 1 planches. 127. Pantheon." etc. — Collection des meilleurs contes et noiwelles des auleurs favoris de V Europe, publie'e par plusieurs amis de lalitterature. t. i.-xxi. Stuttgart, 1829- i83o; Hoffmann. 128. Proteus, etc. — Protee , choix des meilleurs romans et nou- velles des litteratures etrangeres. t. i-iv. Leipzig, i83i ; Barth. L'Allemagne possede deja un grand nombre de collections du genre de celles-ci, et chaque anne'e en voit parailre de nouvelies, presque toutes commehce'es avec un soin judicieux , mais e'tendues plus tard outre me- sure, par le de'sir du gain. Ce reproche est me'rite par le Pantheon ^ 634 LIVRES ETRANGERS. dont les dix premiers volumes promettaicnt un excellent choix de petils romans coKipose's par les meilleurs e'crivains de TAllcmagiie, tandis que les derniers conticnncnt, soit des ouvrages de trop longue haleine pour un semblablc rccueil , soit des resume's de'pourvus de vie et de coloris , soit des traductions assez communes , soit enfin des morceaux trop con- nus et qui se trouvent deja dans toutes les bibliotlie'ques , tcls cjue Ma- demoiselle de Scuderi par Hoffmann, le Mort fiance de Zschoklie. Ce n'est pas cependant que Ton ne trouve avec plaisir dans cette deu- xieme partie , comme dans la premiere , plusieurs compositions excel- lentes de Leopold Schefer, Hauff, Roclilitz etc. Tel qu'il est, le Pan- theon merite Tattentioa des amateurs de litte'rature le'gere. Les e'diteurs du Protee n'ont pas encore eu le tcms d'encourir le reproche que nous adrcssions tout a I'heure a ceux des autres collections ; ils n'en sont qu'a leur quatrieme volume. Le premier contient les jolies nouvelles raises, par le comte Balbo, dans la bouche d'un maitre d'e'cole(i)j la Reli- gieiise de Monza, par Rosini, occupe les trois suivans. La traduction de ces ouvrages italiens est remarquablement elegante et fidele. ITALIE. 129. ClASSICORUM AUCTORUM E VATICANIS CODICIBUS EDITORUM, toui. Ill et IV. — Auteurs classicjues tires des manuscrits du Va- tican^ publie'es par Angelq Ma'i'o, bibliothe'caire du Vatican: t. 111 et IV de la collection. Rome, 1882. NOUVELLES DECOIIVERTES BIBIIOGRAPHIQUES DD VATICAN. Le troisieme volume est compose' d'ouvrages latins; en voici la iiste : Jusqu'a present nous ne connaissions que quatre mytliologucs latins : Hygin, Fulgence, Lactance Placide et Albricus. M. Ma'io vient d'en de'couvrir trois autres : d'abord un autre Hygin , different du premier et contenu dans un manuscrit du dixierae ou onzieme siecle, qui a ap- partenu a la reine Christine. II semble avoir ve'cu au cinquieme siecle. Le second est chrc'tien et postc'ricur; il parait n'etre autre que Lactance (1) Ellcs ont ^1(5 traduiles en fraiifais. ITALIE. 635 Placide deja connu. Le troisieme est un savant et diffus chroniqueur de tlie'ologle paienne. II pre'sente sous ce point de vue plus d'inte'ret que les deux autres, et se trouve dans un manuscrit de parchemin du douzicmeslecle. II e'tait chre'tien aussi, et e'crivait dans le neuviemeou dixieme siecle. M. Mai'o le tient pource Leonzio, dont le nom fut deja cite il y a trois cents ans par Jean Brassicano , et qu'il ne faut pas con- fondre avec I'lielleniste Leonzio Pilato I'ami deBoccace. L'editeur a ajoute a cette laborieuse publication , non des notes , raais un index complet des matieres et des auteurs cite's. Outre ces trois nouveaux mythogra- phes, il en a de'couvert divers autres que I'incorrection, la barbaric des manuscrits et leur pauvrete' , Font empeche' de publier. II a clos cette serie par la re'impression de I'opuscule de Martin^ e'veque de Braga , du sixieme siecle , intitule' : de idolorum Origine. Viennent ensuite trente-deux fables nouvelles attribue'es a Pliedre et publie'es deja a Naples et ensuite a Milan il y a une vingtaine d'anne'es, mais moins correctes et moins completes. Ici s'e'leve une question de philologie, a savoir si elles sont de Pbcdre ou de Nicolas Pcrotti , ce sa- vant e'veque de Siponte , du quinzieme siecle , dont le style latin rivalise avec celui des e'crivains originaux , meme de ceux du siecle d'Auguste. M. Maio n'a point re'solu ni meme traite' la question j il s'est borne' a attribuer a Pbedre ces trente-deux fables auxquelles il en a ajoute' huit qui sont bien de lui , et sur rautlienticite desquelles il n'y a nuldoute. Elles sont tire'es de ce fameux manuscrit du convent de Fleury , passe aussi dans la bibliotheque de Christine , et de la dans celle du Vatican. Suivent deux opuscules ine'dits de Boece, I'un intitule : de rhetoricce Cognatione, I'autre : de locorum rhetoricorum Distinctione , et de plus un vieux commentaire de Fun des poemes de ses Consolations philosophiques adresse' a Bovon , e'veque du dixieme siecle. Imme'dia- tement apres se trouve un fragment conside'rable de Cassiodore , qui n'est autre chose que la conclusion de son ouvragc de ^4rtihus et Disci- plinis liheralium litterarum. Les vingt-deux e'pigrammes latines qui se liscnt ensuite sont remarquablcs pour le style. Elles contiennent I'eloge de plusieurs illustres Romains , consuls , empereurs ou rois. Trois se trouvcnt inse're'es deja dans I'Anthologie de Burmann ; I'une en I'honneur de Caton , I'autre de Scipion , la troisieme de Jules- Cesar. 636 LIVRES ETRANGERS. Un gc'ographc dii qiiatrieme siecle, public en paitie a Geceve, par Godefroy, en 1628, ct dont rouvrage, e'crit sous rcmpcreurConstance, est conserve dans un manuscrit anonyme postc'rieur au dixieme siecle ; un second fragment geographique ( Demonstratio provinciarum ) tire de la bibliotlieque laurentiana de Florence ; un troisieme a ajouler a I'ouvrage de Gargilius Marziale de Pomis , et enfin le pre'cieux glos- saire , ou dictionnaire e'tymologique latin du grammairien Placidc , ou- vrage coniplet et conriu de quelqucs e'rudits , mais public aujourd'hui pour la premiere fois, tels sont les ouvrages qui terminent ce troisieme volume. J'ai oublie' unTraite de I'art me'trique, de Metrorius Massimi- nus, ancicn grammairien ine'dit. Le quatrieme volume est tout grec. II s'ouvre par le texte de cinq livres ine'dils du medecin Oribase, ami de I'empereur Julien , et nomme par lui questeur de Constantinople. En voici les titres : de Abcessi- biis, de Tiimoribus , de Laqueis , de Machinamenlis et de Puden- dorinn morhis. L'c'ditcur y a joint un fragment medical de Rufiis , pre- venant dans la preface que celui public a Naples par le docteur Civillo, sous le titre de Pulsibus, n'est point, comme on I'a cru, du moinc Mercurius , mais d'un medecin arabe nomme Ali, et en grec Abi- zianus. Suit le texte grec de cent lettres inedites de Procope, de Gaza, qu'il ne faut pas confondre avec I'historien du meme nom qui vecut au tems de Be'lisaire et de Justinien. Celui de Gaza ve'cut aussi dans le sixieme siecle , et a e'crit divers commcntaires de la Bible. Ses lettres sont re- marquables par la beaute du style. M. Mai'o a re'imprime a la suite, avec la traduction latine, trois ha- rangues grecques d'epoques diffe'rentes , deja publie'cs par lui etdont la premiere edition est e'puise'e ; une d'Ise'e , de Hcereditate Cleonymi , une autre d'Arislide contrc Demosthenes, de Immunitate , la troi- sieme de Thc'mistius contre scs de'tracteurs. Les instructions morales du philosophe Porphyre a sa femme Marcella ne sont non plus qu'une reimpression. 11 en est de meme du traite de Philon d'Alexandrie de Copfiini Festo, de son opuscule de HonorandisParentibus^ tire d'un manuscrit florcntin. A tout ccia Te'ditcur a ajoule un nouveau traite du meme Philon sur les clierubins , exirail de son grand ouvrage sur I'Exode. ITALIE. 637 Enfin le volume est clos par I'intcrpre'tation latine d'un papyrus eWp- lien e'crit en grec. G'est une petition d'un particulier a un preTet, ou stratcge, pour se plaindre de violences qu'il avail eu a souffrir de ses cnneinis. Le stratege fit une rcponse favorable au plaignant, avec la date dii jour, comme on le ferait aujourd'luii. M. MaYo estirac que ce document est de la dix-neuvieme ou derniere anne'e de Ptolome'e Alexan- dre, neuvieme des Lagides, qualre-vingt-luiit ans avant J.-C. Telle est la re'cente moisson du Vatican. Si seclie, si aride que soil celtc nomenclature , pureraent bibliograpbique, nous aurions manque a notrc plan et a notre but encyclopcdique en passant sous silence ces nouA-elles de'couvertes de M. Maio. Plusieurs offient un inte'ret scien- tifiquc general ; ellcs peuvent jcter quelque lumiere inattendue tant sur la tiie'ologie ancienne que sur la civilisation du Bas-Empire; ct auiour- d'hui rien n'cst a ne'gligerj tout a une valeur intrinseque ou deposition. Nous avons consigne, dans un precedent nume'ro, les deux volumes sur rOricnt, tire's re'cemment du Vatican; nous continuerons a tenir nos lec- teurs au courant des de'couvertes de I'infatigable bibliothe'caire, dans les diverses re'gions de rimmense doraainc qu'il explore. l3o. SaGGIO SULLA STORIA DELLA LETTERATURA ITALIANA , CtC. Essai sur Vliistoire de la litterature italienne dans les vinst-cinq premieres anne'es du dix-neuvieme siecle, par A.-L. — Milan, 1 83 1 . Stella. Get cssai est comme le complement des bistoires litte'raires d'ltalie de Ginguene et de Tiraboscbi. Emu par les reprocbes des etiangers, qui, dit-il, ne veulent voir dans I'ltaUe qu'un vaste Muse'e de ta- bleaux et d'antiquite's , une immense bibliotbeque de vieux livres, I'auteur s'est pique' d'bonneur, et c'cst dans ce I)ut patriotique qu'il a c'tale les trcsors contemporains de I'ltalie , comme ces ampbytrions qui e'munerent complajsamment leurs ricbesscs a leurs convives. Poe'sie, tbcatrc, bistoire, ge'ograpbie , eloquence, il parcourt toutcs les bran- dies do I'esprit bumain , et dans toutes il e'lcve ses compatriotes sur I'autel. Gette adoration de soi-mcrae, qui travaille tant d'ltaliens^ peut etre fort patriotique, mais clle n'annonce ni beaucoup de largeur de vucs ni une grande porte'e d'esprit; c'est un travers a livrer au fouet de la satire ; il serait salutaire que quelque Parini en fit justice. Qu'un touriste ignare, de ceux qui jugcnt vingt millions d'hommes 638 LIVRES ETRANGERS. sur Ics postilions ct Ics garcons d'auberge, ait declare, du haut de sa morgue impertinente , que tout cc qui se fait en Italie est comme nul ct non avcnu , qu'est-ce que cela prouvc? Que le touriste est un sot ct rien de plus. Rlais que les Italiens se prcnnent contrc lui d'une belle indignation , et , rouges de colere , lui lendent anatbeme pour ana- theme, injure pour injure j qu'ils fassent I'Europe solidaire d'une sot- tise individuelle , c'est donner a une sottise plus de valeur qu'elle n'cn a, et faire preuve au moins d'une susceptibilite bien cbatouilleuse. Et cependant certains journaux ultrainontains sont pleins de ces ridicules pole'miques. Eb men Dieu ! qu'ils nous envoicnt des cbefs-d'ceuvre, nous les accueillerons de grand cceur, nous nous baterons de les adopter sans Icur demander leur acte d'origine. Et qu'importe la patrie d'un grand bomme ! Admirons-nous moins Dante ct Michel- Ange , parce qu'ils sont Italiens? Byron et Goethe, parce qu'ils sont I'un Allemand, I'autre An- glais? Comme la verite' , le genie est cosmopolite. Mais faut-il pour cela abdiquer notre dioit de critique , c'est-a-dirc d'esamen et de controle ? Faut-il nous agenouiller devant tous ces dieux e'phe'meres que la partiabte nationale installe dans I'Olympe scicntifique et litte'raire , et battre des mains a tous les apotheoses ultramontains ? Certes cela ne pent etre : tout pleins d'amours que nous sommes pour ritalie , I'amour ne pent nous rendre aveugles , et ce n'est pas notre faute a nous si la patrie des Dante et des Raphael , des Michel- Ange ct des Galilee , nous a rendus difliciles en fait de grands hommes. i3i. Tre nuove TRAGEDiE, ctc. — Trois nouvelles tragedies de Silvio Pellico, de Saliizzo , Turin, i832. In-8". THEATRE ITALIEN COMTEMPORAIM. II y aurait une question a proposer a quelqu'une des Academies qui fourmillcnt en Itabe , a savoir si Alexandie Pazzi , le docte neveu du fastueux Leon X , a servi ou non le theatre italien en lui faisant don de la Poetique d'Aristole , dont il est le premier traducteur ultramontain. Pour nous , nous inclinons fort a la negative , tant a ete grande la ser- vilite'dcs dramaturges de la Pe'ninsulc, qui ont , trois siecles durant, jure entrc les mains du maitre. Tout neveu du pape qu'il e'tait, Pazzi nerougit pas d'ajouter I'exem- ple au pre'ccpte,cttraduisit en latin YElectre et VOEdipe de Sophoclc, ITALIE 639 ct je Jiesais quelle autre encore en langue vulgaire. II jeta ainsi les pre- mieres bases de ce culte du passe', qui ne tarda guere a se clianger en idolatrie, en fanatisme, et qui garotta, e'touff'a tant d'anne'es , toute pen- se'e d'inde'pendance et de nationalitc. Trissino de Vicence vint, et fut Ic premier pretre des nouveauxautels, le premier oracle des nouveaux dieux. Sa Sofoiiisba , e'crite en vers sciolti, et rigoureusement calque'e sur les modeles athe'ntens, fit sensa- tion dans le monde e'rudit; Rucellai , alle'che par les kuriers du tragique vicentin , se prit d'une belle emulation et cliaussa a son tour le cothurne, je ne dirai pas italien,mais grec, car sa Rosmonda n'est qu'une contre- fafon de I'^tfCiiied'Euripide et & Y Antigone de Sopliocle comliine'es , et son Oreste une paraphrase de I'Iphigenie en Tauride du premier. Euripide eut souvent alors les honneurs de I'imitation. Sa muse, deja manie're'e et parfois pleureuse, convenait mieux en effet a cette e'poque que la simplicite' grave et pure de Sopliocle , le faire male et serre' d'Eschyle. Celui-ci meme fut presqu'entierement oublie , et Sopliocle , cet lieureux rival , Temporta sur lui *dans I'ltalie du seizieme siecle , comme jadis au theatre d'Athenes. Alamanni re- produisit son Antigone pen de tcms apres que Rucellai eut liabille Oreste a I'italiennej Anguillara en fit autant d'QE^i/^e; des lors les tragedies grecques furent representees en italien et meme en latin, d'un bout a I'autre de la Pe'ninsule, et les theatres d'ltalie ne ccs- serent plus d'etre inonde's de ce torrent d'imitateurs qui les submer- gereni comme un nouvcau deluge pendant pres de trois sieclcs. Appa- rent rari nantes in gurgite vasto , et il est facheux de dire que , dans ce grand de'boi'dement , Tasse n'est pas un des meilleurs nageurs • son Tarismondo ne vaut guere mieux que la Progne de Parabosco , on Ic Poljxene de Grarttarolo, ses contemporains. Ainsi s'e'teignit le seizieme siecle; ainsi naquit , ve'cut, mourut le dix-septieme ; ainsi le dix-huitieme , ou la fameuse Merope de Scipion Maffei se pavanc avec tant de suffisance dans les prefaces de Voltair^ et dans la Poctique de M. Marmontel. Alfieri vint. Nouvelle idolc des Italiens , il fut mis par eux sur I'au- tcl , il refut d'eux I'apotheose , et son ombre est encore cnivre'e d'en- cens. Sans ouvrir des voies dramatiques nouvcUes , il ramcna !e dramc a plus de simplicite' et le style a plus de vigueur. C'est un mc'rile; mais 64o LIVRES ETR ANGERS. un plus grand a notrc sens , c'cst d'avoir de'finitivement installe siir la scene ilalicnne rbistoire moderne ct surlout I'liistoire nationale, dans la Conjuration des Pazzi, Rosmunda et Garzia. Cettc vieillc ortliodoxie du passe est mortc, il est terns d'cn finir avec elle, et il faut savoir gre aux ecrivains qui lui ont roiupu les pre- miers en visicrc. Allien est de ce nombre , et quoiqu'il no soit pas notre poete (et nous I'avons deja dit), nous lui rendons sous cc rapport justice pleine et e'clatante. II avait dans son ame un rayon du vates , poete d'avcnir ct d'bumanite. Ce u'est pas le lieu de nous engager, a propos d'Alfie'ri, dans des questions d'art dramatiquc que n*us nous re'servons de traiter au Ion" dans quclqii'unc de nos procbaines livraisons , et ou il trouvera naturellcmcnt sa place; pour le moment, nous n'avons voulu que con- stater un fait, c'cst qu' Alfie'ri a commence la revolution the'atrale de I'lta- lie au moins quant au cboix des sujets et a la re'babilitation de I'histoire nationale. Sous ce rapport, son exemple a etc d'abord peu imite par ceux- la meme qui onf suivi avec le plus de fanatisme son e'cole poe'tique. Monti dans Aristodeme et dans Gracchus, Foscolo dans Thyeste et Aiax le due de Ventignano dans sa Medee et son Iphige'nie , se sont obstines a tirer la vie d'une seve e'puise'e et morte. J'aurais du exceptcr Gracchus , qui peut toujours etre regarde comme un beau cadre politi- que, pour cettc Italic surtout dont il de'fcndait deja I'inde'pendance et les droits contre la rapacite du praticiat romain. La lutte des Gracqucs, c'cst-a-dire du plcbeiat, est d'un inte'ret tout actuel, d'un interdt fla- grant, il n'y a prcsque aujourd'hui que les noms a changer. Me voici ramene involontairement a I'ltalic moderne et a ce besoin d'unite , a cet amour ardent d'indc'pendance qui la travaillent encore comme jadis. Ccs nobles passions , symptomes evidens d'une inevitable crise elles se retrouvent dans beaucoup d'e'crits modernes , ellos les animent de leur feu, elles Icur imjirimcnt leur sceau, Icur donnent rame et la vie. De ce nombre sont deux des nouvelles tragedies de Silvio Pellico que nous annonfons. Gismonda da Mendrisio , la pre- miere , appartient a ce tems malbeurcux ou Frederick Barberousse dc- truisit Milan , assiste de beaucoup dc Lombai-ds a qui cctte villc e'tait odieuse. Le poete a peint, pour les fle'trir, ccs baines municipales, ce demon de la discorde qui domine les annales italiques, comme le Fa- IT A LIE. 641 turn domiuait les tragedies grecques. Leoniero da Dertona a le meme but. L'action de cette secoude piece se passe quelques anne'es plus tard. Milan , sorti de ses ruines , a cre'e' la ligue lombarde. Mais les Torto- nais sont divise's en deux factions dont I'une marclie sous la banniere de la ligue nationale , tandis que 1' autre pactise avec Barberousse ; et ici , cornme dans Gismonda, Pellico preche la Concorde ctla paix. « En peignant (dit-il) dans le raoyen age le malbeur des discordes ci- » viles , mon but a ete de faire sentir le besoin qu'a la socie'te' de mu- » tuelle indulgence et de reconciliations sinceres entre honnetes gens , » comme moyens de salut dans les grandes epreuves." On voit dans ces deux pieces des families divise'es , ruine'es par des gucrres intestines , iniroir fidele de cette grande famille italienne en proie aux divisions domestiques. Tutti , s' eerie un des personnages de Pellico a la vue de ses ennemis extermine's , tons Italiens comme fui : Tutti sotterra eccoli dunque I II figlio , La nuora, il vecchio chi si truce e lunfjo Odio portommi , e ch' io tanto ordiava I Quante volte la fama io di sua niorte Sospirai ! Questa lama ecco; e letizia No , ma spavento iiiondami e dolorr ! « Les voila done tous sous terre ! Le fils , la belle-fille , le vieillard » qui me porta une haine si longue , si implacable, et que moi je ha'is- » sais tant ! Que de fois j'ai soupire apres sa raort I II est mort , et ce » n'est pas lajoie, c'est I'e'pouvante, c'est la doulcur qui m'inonde! » Ne semble-t-il pas que le poete ait voulu figurer et comme formuler, dans ces terribles paroles , ces Lombards si acharnes a la mine de Milan et effraye's eux-memes de leur victoire sur les ruines de la cite de'truite, nouveaux Cains, inonde's du sang fratcrncl ! Quand j'ai a parler de la litte'ratuie italienne moderne, j'ai peine a nie renfermer dans la question d'art pur, et je suis toiijoars entralne, comme malgre moi , sur le terrain brillant de la politique. C'est la I'e- cueil ou so rient toujours et infailliblemcnt briscr la critique , tant au- jourd'hiii tout se lie , tout s'enchaine. On ne pent plus rien concevoir d'isole, d'excentrique. L'ait n'a de valeur que comme manifestation du mouvement social, et rela est surtout vrai pour I'ltalie, ou toute tribune TOME I. in. MARS 1852. /ji 642 LivRES Strangers. politifjne est fermpe , on tout orj^ane direct cle la pense'e sociale est ga- rotte, sans emploi. ("est dans I'art qu'il faut la chercher, car c'est la qii'elle se cache. Prote'e insaisissable , eUe en revet toutes les formes , en prcnd toutes les allures, et I'esprit a souvent peine a la suivre ct a la retrouver dans ses mille transformations. Et Silvio Pellico lui-meme ne re'sume-t-il pas dans sa personlie les miseres de I'ltalio pensante ? N'a-t-il pas ge'mi , noble victime , dans les cachets de Spielberg ? A genoux au pied des autels italiques , n'eleve- t-il pas aux dieux de sa patrie des bras meurtris encore par les fers au- trichicns? Comment done distingucr ici le poete de rhomme, c'est-a- dirc la forme du fond ? Cependant, pour revenir au poete, nous fcrons quclques obsci-vations sur la nature du talent de Silvio Pellico. D'abord, nous lui reproche- rons Timitation de certaines formes de son compatriote Alficri , car tons deux sont Pic'monlais. Ce laconisme de convention , par exemplc , dont Alficri use et abuse si souvent, et qu'il prete a tous ses Remains, est deplace' dans le moyen age , e'poque de simplicite et de candeur plus que d' affections romaines ou de monosyllabisme spartiate. I/a parole breve n'est pas toujours le signe d'un caractere energique , et je n'en citerai pour preuve que Dante ; tout fort qu'il est, il est concis , oui , raais ne vise jamais au la- conisme , car Ic laconisme n'est pas la concision ; et le Promethee d'Eschyle , pour exhaler sa plainte en vers magnifiques , n'en est pas moins le type de la force morale et de I'e'nergie humaine. Aussi bien I'esprit de Pellico est-il plus porle aux affections douces ct tendres , commc il la si bien montre dans sa Francoise de Ri- mini. II incline raemc a I'ossianisme; la poe'sie simple et affectueuse nous parait etie plus de son ressort que ces passions fortes , ces hai- nes profondcs du moyen age , dont la peinture I'a involontairement jete' dans I'imitation, tandis qu'il e'tait reste lui dans Francoise de Rimini. C'est la ce me sembie une preuve sans re'plique de ses pen- chans naturels. Nous pourrions en apporter une nouvelle dans sa piece d'Eufemia di Messina, ouil a de'passe les limitcs de la terreur, et par- tant est tombe dans I'horrible , c'est-a-dire dans le faux. C'est le cas de rappeler ici le vieil axiome de La Fontaine : Ne forcons point notre talent. ITALIK. 643 Un autre repi-oclio a faire aiix noiivelles tragedies de Pellico , c'esl lour complication. Mais ce reproche, on ne doit pas le faire a Pellico sciil , il faut I'e'tendre a presque tout le noiiveau theatre italien , sans presque en exccpter Manzoni , celui de tous Ics poetcs actuels qui a le plus soigneusement lourne I'ecueil. Les Italiens serablent avoir porte dans I'art dramatiquc I'esprit d'intrigue qui fit toujours la base de leur politique , quand ils avaient une politique. Leurs representations the'a- trales ( je parle surtout ici de celles des auteurs vivans ) n'ont pas ce grandiose qui nait de la simplicite d' action. Elles vivcnt d'incidens et d'artifices , quand elles ne de>Taient s'attacher qu'a reproduire les de- veloppemens , les modifications des caracteres. Car , apres tout , Taction n'est que sccondaire , et avant les faits marche I'esprit. Ce de'faut que Ton retrouvc chez presque tous les contemporains , et qui souvent n'est que ste'rilitc d'esprit, est fatal, est radical, et gate tous les ouvrages qui en sonterapreints. J'en citerai un excmple. Niccolini , poete celebrc et distingue de Florence , a fait une trage'die sur les vcpres sicilienncs, qui a eu un grand siicces a la representa- tion (i). Je m'attendais a quelque chose de large , de simple , de na- tional , comme le Guillawne Tell de Schiller , par exemple. Mon at- tente a e'te' trompe'e. Au lieu d'une action forte et simple, comme This- toire elle-merae , j'ai trouve' une petite intrigue d' amour entre Imelda , fiUe imaginaire de Jean Procida, et Tancrede, fils imaginaire du gou- verneur angerin Eribert. Ils sont meme maric's secretement , et il y a un enfant. A quoi bon? Pourquoi gener et rapetisser une action grande par un ressort inutile, use? Et puis , par une autre complication, il se trouve a la fin que cet Eriliert ayant enleve' la fcmmc de Procida en a eu un fils , et que ce fils, cru mort, n'est autre que Tancrede; Imelda est done sa soeur , elle a c'pouse son frere. Mais , je le re'petc , a quoi bon ? La vengeance de tout un peuple n'est-elle done pas quelque chose d'assez grand, d'assez fe'cond, sans y Jeter des fictions romanesques et suran- nc'es? Procida, qui en est Tame, n'a-t-il pas un assez beau role dans Thistoire ? N'e'tait-ce pas assez de ses passions politiques? Et, si vous ■I) Ellc fut joueo a Florence, si j'ai bonne memoirc, au coniniencemen do 1830 , pt n'apas encon^ <$te , que je sathe, livrce a Timpression. G44 LIVRES ETRANGEHS. lui voiilic/. alisoliiinent des passions dc famille , iie siiffisait-il p.is dii viol dc sa feinme par le baron francais , incident , du rcste , donnc par I'liisloire, sans cet imbroglio domestiqiie qui se pcnd la a ses habits , on ne sait en ve'rite poiirqiioi? Tout ccia, a parler franc, nous parait e'troit etmesquin. — Hatons-nous d'ajouter, pour tcmperer I'aprete de nos censures , que la piece de Niccolini est ecrite dans un but national et dans un excellent esprit , et qu'elle est riclie en beaute's de style et de details. Parler de beaute's de style , c'est etre tout naturellement ramene a Sil- vio Pellico, dont le vers est si me'Iodieux. Les Italiens lui reprochent bien de manquer de ces sentences ge'ne'rales et ronflanteSdont leur public est si friand ; a leur place , nous lui en saurions gre ; la ve'rite et la bonne distribution des sentiniens valent infinimcnt inieux, et I'barmo- nie de I'enscmble est preferable a la pompe des details. J'allais firiir, sans parler de la troisicme piece du nouveau volume. C'est une trage'dic sacrc'e. Le he'ros en est saint Jean-Baptiste s'efforcant de ramener He'rodiade a la vertu. L'auteur a voulu , comme il le dit lui- meme, peindre la beante morale d'un intre'pidc prophete de ve'rite, sans haine , sans orgueil , mais saint ; et de plus la misere et la male- diction des cceurs degrades , incapables de sacriflces. La dounee est haute , mais ie cadre froid et use. Le style d'autre part manque de cette coulcur antique et simple que les Ecritures donnent auprecurseui du Christ dans son desert. Cette idee, envisagee sous un point de vue plus general, plus social, e'tait susceptible de beaux developperaens , et on ciit pu , en conservant meme le heros , en tirer une ceuvre neiive et originale ; car c'est tou- jours un grand spectacle que celui d'un homrae qui se leve et dit comme le saint Jean-Baptiste de Pellico : Non d'una sruola io m.istio Son , ma la voce dell' eterna sruola. « Je ne suisle chef d'aucune e'cole, mais la voix de re'colee'ternelle. » D'une idee fe'conde , l'auteur n'a tire qu'une piece assez maigre. Ce n'e'tait pas a He'rodiade qu'il fallait annoncer la parole nouvelle , c'etait au monde. Son drame etit pris alors uu inte'ret d'actualite. S. R. LIVRES FRAN^AIS. i3'2. CouRS d'economie politique, par C. de Coux : Discoiirs prononce pour I'oiiverture. Paris, iSSa; au bureau de VAgence generate pour la defense de la liberie religieuse , rue Saint-Ger- main-des-Pre's , n" lo bis. In-8° de 5'i p. ; prix, i fr. ECONOMIE POLITIQUE DV C4TUOLICISME. Les catholiques de I'ecole de \'Ai>enir ont entrepris plusieurs series de conferences sur les ihatieres les plus importantes. Celles de M.l'abbe Gerbet ( pliilosopliie de I'histoire) ont e'te malheureusement interrom- pues par la maladie du professeur; raais c'est , nous I'cspe'rous , pour etrc bientot reprises, et nous nous proposons d'en faire im examen ap- profondi. Celles que vient de coinmenccr M. de Coux, sur I'e'conomie politique , n'offriront pas un moindre inte'ret , et sont de nature a piquer plus vivement encore, peut-etre , la curiosite , ainsi qu'on en pourra ju- ger par le programme des vingl-six seances dont elles doivent se com poser ; I'auteur y promei d'aborder de front les plus liauts problemes de la science economique , ceux-la pre'cise'ment qui presentent les obstacles les plus directs a une solution catholique ; les uns , dit-il , sont parve- nus a la ve'rite' (au catliolicisme) en cherchant le vrai , les autres eii chercliantle beau; pour lui Y utile, meme dans ce qu'il a de plus ma- teriel, c'est la religion. Telle est la these qu'il va s'attacher a etablir et a de'velopper. Nous feronssuivre son programme de quelques extraits du discours d'ouverture , en attendant I'analyse et le jugement des lecons elles-memes , dont ce discours nous fait de'sirer vivement la prochaine publication . 64G LIVRES FllANgAlS. Essai (I'e'conomie politit/ue (^). I iciuic/e serie. 1" Discours d'ouverturc. 2° Des ricliesses morales et des ri- chesses maleriellcs. 3° Du catholicisme et de la phiioso- phie comme rdgen^rateurs de la ri- chesse. 4° De I'ordre legitime. ."i" De I'ordre Idgal. 6° De la propriete et de I'h^redite. 7° De la sainie Vierge comme type de la femme clir^tienne. 8° Des partis-prclres. 9° Des croyaiices religieuses et philo- sophiques dans leiirs rapports avec la population. Stconde sdrie. 10° Discours. — De I'echange. 1 1 " Du commerce intdrieur cl du com- merce exterieur, 12° De la valeur reelle el des valeurs facticcs. ■13° Du credit et des dettes publiques. 14° Des salaires, des machines et des fetes religieuses. \ 5° De Fimpot dans ses rapports aver la richesse nationale. 16° Du luxe et de I'aumone consid^r^s sous les memes rapports. 17° Du catholicisme comme seul pre- servalif possible d'une banqueroute universelle. Troisieine se'rie. 18° De Tere ancienne et de T^re nou- velle en dconomie. 19° ^ 20° ) Des causes du malaise actuel. 21° S 22° De I'Espagne et de TAnfjleterre. {D'une regeneration catholiquo comme seul moyen permanent 25° 24° 25° ■' desalut pour la socidt^. 26° D'un systfeme transitoire. « L'economic politique ne s'esl formule'e en science que vers le milieu du siecle dernier; mais ses premiers rudimens rcmontcnt a I'origine meme de la f.iinille. Avec celle-ci naquit re'conomie domestique , qui n'inipliqiie qu'une civilisation patriarcale , ct ne presuppose qu'une sociabilite pour ainsidirc individuelle; puis vint I'e'conomie nationale, lorsque la civilisation, s'e'tablissant defamille en famille, eut change' la (1) Chacun des vingt-six essais dont se compose le cours formcra une bro- chure du prix de 1 fr. Les personnes qui prendront la collection enlierc nc la paicront que 1 4 fr. LIVRES FRANgAIS. 647 tente du patriarche en un forum, etles enfans d'un peie commun en ci- toyens du meme e'tat. Des lors les e'le'mens de richesse se compliquerent en se inultipliant. II I'allut coordonner des inte'rets distincts et souvent opposes ; il y eut des de'penses communes , unc fortune publique en de- hors des fortunes prive'es , et par consequent une legislation complexe dans son but , puisqu'elle avait a assurer I'une sans e'puiser les autres. La science gouvernementale commenfa aussitot , et sa sphere d'actiou devint ne'cessairement plus grande, a mesure que I'etat e'tendait ses frontieres , ou que I'accroissement de la population augmentait les be- soins. Tantot, comme a Lace'de'mone et a la Chine, le le'gislateur em- brassa dans ses previsions jusqu'aux moindres details de la vie humaine; a Lace'demone, en substituant la cite a la faraillej a la Chine , en e'le- vant la famiile a sou plus haut degre' de puis':ance. Tantot, comme a Athenes et a Rome, il ne s'occupe du citoyen que dans ses rapports avcc la patric. Partout , ne'anmoins, il autorisa I'esclavage, parceque, ailleurs que dans la societe' chre'tienne , la servitude est aussi bien une ressource pour les pauvres qu'un moyen d'opulence pourleriche. a Ainsi la science e'conomique suivit les progres de la socie'te, et dc patriarcale elle devint nationale , lorsque la socie'te elle-meme fut sortie du cercle e'troit du foyer domestique. Mais son dernier de'veloj^pement tcnait a une condition que I'ancien monde ne remplissait point. Si le jn-emier pas de la science date de 1' existence de la famille , et le second de celle de I'etat , le troisiemc iuiplique une civilisation de peuple a peuple, incompatible avec ce systcme de religions nationales qui a tou- jours pre'valu en dehors de I'unite calliolique. » Toute croyance religieuse exerce sur ccux qui ont foi en elle deux sortes d'actions que Ton a trop souvent confondues , et qu'il importe de distinguer , une action civilisatrice et une action politique. Celle-la pre- cede toujours celle-ci , car la seconde ne pent se raanifester qu'en raison meme des progres de la premiere. C'est Taction civilisatrice qui jette dans les intelligences les principes fondamenlaux de leur socie'te' future, c'est elle qui e'tablit une regie commune du juste et de I'injuste, regie in- de'pendaute de tout intc'ret personnel, anterieure ;'i toute loi c'crite, et sans laquelle tout gouvernement manquerait de point d'appui. C'est elle cnCn (|«i unit les volontc's individucUes en un faisceau, et constitue cette vo- lonle' gc'ne'ralc qui est I'essencc meme des associations humaines. L'ac- 648 LIVRES inANgATS. tion politique se saisit des mate'riaux que Taction civilisatrice a cree's ; die Ics assemble , et Te'difice social s'e'leve avec les seules modifications qu'y apportc ce qu'il y a de variable dans les homnies et dans les choses. » Entre ces deux grandcs forces tout antagonisme est impossible aussi long-tems que la premiere n'a point acquis cc degre' de de'veloppement qui perraet a la seconde d' avoir r.ne vie pour ainsi dire propre. Aussi la theocratic cst-elle le goiiverneraent naturcl des peuples a leur ber- ceau. C'est le terns de leur croissance , celui ou re'le'ment civilisateur ayant le plus a faire ne tole.re aucun rival. Puis vient leur age miir, et, lorsque la civilisation s'est consolide'e, que la ciainte de la perdre ne tourmente plus les esprits, les ambitions individuelles surgissent. Alors I'e'le'ment politique devient plus visible , et par degrc's , il s'arroge sur Taction civilisatrice une autorite' qui arrete toujours les progres de celle-ci, et trop souvent de'fait son ouvrage. Cette derniere pe'riode est celle de la decadence des nations. Le pouvoir spirituel, qui est leur vie, succombe sous les efforts du pouvoir teraporel : une existence tout ad- ministrative remplace leur existence sociale , et leur mort est pro- chaine. » Ces deux passages suffisent pour indiquer le point de vue oii s'es' place Tauteur, et contiennent la pense'e fondamentale que sans doute les lemons suivantes auront pour objct de dc'velopper. Les extraits dont nous aliens continuer la citation ne sont aussi que le commentaire de cette pense'e : « Non-seulement les religions nationales ne donnent pas necessaire- ment aux penples une notion commune du juste ou de Tinjuste, mais encore elles ne peuvent la leur donner. En effet , Tidentite de leurs lois morales , alors meme qu'elle existcrait , n'implique pas cette iden- tite d' interpretation sans laquclle tout code cesse d'etre un. Le patrio- tisme , avec ses inte'rets d'ambition , de vengeance ou de cupidite , est la avec ses commentaires. Faites-le juge dans sa propre cause , ct qui osera compter sur sa bonne foi? Tl faut done, pour qu'une societe' uni- verselle puisse exister, un tribunal duquel ressortissent toules les ques- tions de haute civilisation , et par consequent toutes celles qui se ratta- chent au droit des gens. Le catholicisme possede ce tribunal, et, en le dotant d'un pouvoir dispensateur , il a levc le dernier obstacle qui s op- posait a la creation d'une societe universrlie. Entre Te'lcmcnt civilisa- LIVRES FRANCAIS. 64y teur el re'lement politique , et tenant de I'un et de I'autre , se tiouve place'e la discipline de chaque culte , fraction importante , et qui ne sau- rait etre invariable sans que le culte lui-meme ne devienne le patrimoine exclusif du climat ct de I'e'poque a laquelle convient cette discipline. Le bramine est condamne a ne se nourrir que de ve'ge'taiix; le rausulman ne peut boire de vin , le juif , travailler ou meme allumer son feu le jour du sabbat : pour eux la defense est absolue , elle tient aux entraillcs memes de leur foi , et son inflexibilite' dit assez qu'ellc ne peut etre uni" verselle. La reibrme est soumise a une loi semblable. Un pouvoir dis- pensatcur lui manque e'galeraent, et le protestant, lie par I'l^criture sainte , serait , s'il e'lait consequent avec lui-meme , encadre , comme le juif, dans I'ancien rituel de la Palestine. De quel droit en effet se dis- penserait-il de la rigoureuse observance du sabbat? et ccpendant I'ob- servance rigoureuse du sabbat rendrait impossible toute navigation. » Aussi les arts utiles et I'industrie ne firenl-ils que dc faibles pro- gres dans cet ancien monde si vante'. Les premiers e'lemens du droit des gens manquaient aiix nations de I'antiquite', et leur prospe'rite' matc- rielle seressentit de ce malheur. CLacune d'elles, e'tant se'pare'e de toutes les autres par scs dogmos, le fut aussi par ses lois; et, si chez elles le patriotisme en se melant a !a religion lui donna et en re9ut une prodi- gieuse puissance , la religion a son tour emprunta au patriotisme ce qu'il a d'e'troit, d' exclusif et de resscrre'. Chez les anciens, les cultes e'taient nationaux dans la plus rigoureuse acception de ce mot, et ils attri- buaient si bien a leurs dieux leur propre patriotisme , que , dans le for inte'rieur de ces tabitans , le territoire de chaque nation et souvent de chaque cite', servait de limite aussi bien a leurs obligations morales qu'a leurs affections. Que pouvait etre le commerce et I'industrie chez les Egyptiens, qui se croyaient souille's par la presence d'un e'tianger ; chez les Persans, qui avaient la navigation en horreurj chez les Phe'ni- ciens et les Carthaginois eux-memcs, qui faisaient un secret d'etat de leurs connaissances ge'ographiques ; chez tons ces peuples enfin qui use- rent sans remords et sans mise'ricorde du droit du plus fort , chaque fois que la victoire le leur avait donnc? Leurs rchitions de co)iimerce avaient e'vidcmment une existence trop [irecaire pour qu'elles pussenl se deve- iopper dans de grandes proj)ortions , la guerre ue menafant j)as seule- jnent leur indcpendancc politique; c'e'tait la vie, la liberie', la foit une do 65o LIVRES FRANgAIS. chaqiie citoyen qu'elle ineltait en cause , et I'iudustrie ne pouvait pren- dre sou essor, non-seulemcut parce que les debouches lui manquaient , mais encore parce que le gage de securite qu'elle a rencontre depuis dans le droit des gens ne lui avait point encore e'te donne. Grace a I'exis- tence de ce droit , les avantages de la paix se rencontrent au sein meme de la guerre. L'approche d'unc arme'e enncmie n'est plus I'avant-cou- reur d'une ruine certaine. La force mate'rielle est dompte'e par I'ascen- dant de la force morale , et les biens et les personnes protege'es par I'une sont a I'abri des atteintes de I'autre. De ccs e'gards re'ciproqucs , de celte bienveillance mutuelle qu'inspire une foi commune , re'sulte en outre un echange constant de luraieres , qui fait entrer dans le patrimoine de clia- que nation toutes les dc'couvertes de la science , tous les progres de I'in- dustrie et de I'agriculture. II y a commerce entre les intelligences , et les peuplcs eprouvent une ge'ne'reuse emulation qui s'empai-e de tous les perfectionnemens , et ne se re'serve le monopole d'aucun. Cesricliesses morales, sifecondes enrichesses materielles, nous les de- vonsau triomphe que le catliolicisme a remporte sur tous les cultcs rivaux. Le systeme des cultes nationaux a e'te reproduit , et voj^ez ses re'sultats. L'inde'pendance du faible a presque entierement disparu , et le pen qui lui en reste il le doit aux rivalite's des grandes puissances. Le principe de I'e'quilibre europe'en, principe qui n'est applicable qu'autant que dure cet e'quilibre, et qui le plus souventse re'sout en un partage egal des de- pouillcs de Topprime , a remplacc ce droit des gens qui servait de rem- part au vaincu et de barricre au vainqueur. Quelque cliose de semblabie a ce qui se pratiquait chez les paiens a I'eparu parmi nous ; on a vu Cromwell vendre ses prisonniers aux colons de I'Ame'rique; on a vu I'Angieterre , sans declaration de guerre, s'emparcr des vaisseaux fran- fais que prote'geaient vainement des tiaites solennels. On a vu I'Europe morcelc'e par Tepee d'un conquerant ; et, lorsque cctte e'pc'e a e'te' brise'e, la force materielle n'a point consulte le droit des gens pour disposer du biitin enleve' au ravisseur. Nous ne mcttrons pas devant vos yeux, le tableau de I'induslrie des nations tie I'antiquitc; ce serait abusci' de votrc patience. Sculcineut nous vous rappellcrons qu'ello e'tait imparfaite, exclusive et mcsquine, comuie les socie'te's quiexistaicnt alors. Alexandre avait pdne'trc jusqu'aux rives de rindus : la ville qu'il avait fondee, son Alexandra^ bien-annc'c, pos- LIVRES FRAN^AIS. 65 I se'dait le monopole du commerce de I'lnde , et cepeudant la soie ne fut conniiedes Remains qu'au tems de Jules-Ce'sar. Les connaissances nauti- ques des anciens nous donnent la mesiire de leiir commerce : depuis deux, siecles , I'Egypte appartenait a Rome , lorsque la proprie'te' des moussons fut enfin de'couverte. Entre la navigation paienne au plus haut degre de sa splendeur, et la navigation chre'tienne avant I'invention de la bous- sole, il y a deja toute la difference qui existe entre les deux cultes. Gette difference tenait a un autre des caracteres qui appartiennent ex- clusivement au catholicisme , a ce prose'lytismc , d(5nt il a donne le pre- mier, et, nous osons le dire, I'unique exemple ; car son prose'lytismc a lui est le proselytisme de 1' intelligence, tandis que le prose'lytismc musulman est celui de la force. Le prose'lytismc est I'arme la plus puissante de la civilisation , puis- que son effet naturel est de detruire toutes les barrieres qui s'opposent a la libre communication des peuples. Par le prose'lytismc, et sans rien perdre de leur individualite' , ils se confondent dans une seule fa- mille , ct les intelligences les pliis fortes , mises en contact avec les intelligences les plus faibles , e'tablissent avec elles une commu- naute de lumieres qui rayonne en tous sens. Sciences , arts , industrie, tout forme un fonds commun , et le missionnaire qui pe'netre dans les pays les plus lointains enricLit la socie'te dont il est I'ambassadeur de toutes les connaissances qu'il a acquises. Sillonne' en tous sens par le zele du pretre, le monde n'a plus de secrets pour le commerce chre'tien. Le moine va demander a la Chine les oeufs de ses vers a soie, et ces insec- tes, cache's dans le creux d'un humble baton, dotent I'Europe d'un re- venu annuel de 4oo millions ; c'est-a-dirc d'lui capital reel de huit mil- liards. Colomb cherche a travers I'x'Vtlantique les tre'sors qui devaient de'livrer la Terre-Sainte du joug des rausulmans, et il rencontre un nouveau monde , ou d'inepuisables richesses donnent a notre commerce un nouvel aliment. Dans I'ordre materiel , corame dans I'ordrc moral , nous devons notre supe'riorite' sur les anciens peuples , imme'diatement du moins, au prose'lytismc; ct si I'Afrique nous est fermee, si les re'- gions centrales de I'Asie et de la Cliinc clle-merae ne sont point parcou- rues en tous sens par nos ne'gocians • si nos arts nc se point naturalises dans ces vastes regions , ct par consequent si une civilisation aussi ac- tive que la noire , ne les feconde pas , il faut s'en prendre a I'affaiblis- ():>•;>. LIVRKS FKANC'AIS. seinent du pioselylisuie religieux. La mort delMiingo Park, Jc dapper^ ton et de Laing sera sterile; ils n'etaient que les missiounaires de la politique, et la defiance qui les a tue's opposera long-tcms a noire in- duslrie une insurnionlable barriere. Nous dcvons done au prosely- lisme la creation de cctte egjise univcrselle d'oii est sorti le droit des gens, et, avec iui , cette prospe'rite commcrciale qui a si fort agrandi et si Ibrt complique' les ele'inens de la fortune publique. Aujourd'hui , conimc citoyen , le fabricant apparticnt au pays qui I'a vu naitre : comme fabricant, le monde'entier est sa patrie. Du terns des paiens, au con- traire , le commerce e'tait partout arrete' par la legislation ou par les uioeurs. II fallait de la force ])our faire de I'industrie : les Phe'niciens et les Carthaginois trafiquaient a main arme'e; et ce qu'il y avait de plus impe'ricux dans les besoins de rhonimc tempe'rait a peine I'ardeur (I'une permanentc inimitie. Ainsi resserrec, I'industrie ne pre'sentait au- cun de ces problemes qui font ie tourment des e'conomistes modcrnes. Mais aujourd'hui que tons les ports sent ouverls, que dans cLaque . grande ville une bourse s'e'Ieve oti s'assemblentles de'pule's du commerce de I'univers, que les speculations les plus etendues se font avec une merveilleusc facilite' , que le credit rcmue , enrichit ou desole la terre , I'oeil le plus exerce ne suit qu'avec peine Taction des innombrables ra- vages, dont les mouvcmeus oppose's ettoujours si divers, font et de'fontla fortune du simple citoyen comme cellede I'e'tat. A mesure que cctte haute civilisation dont nous a dotes le christianisme s'cst de'veloppe'e , une science inconnue des anciens a diisurgir. S'ils en ignorerent les premiers rudimens , ce fut le tort de leurs nationalites religieuses. Si nous la possedons , nous le devons a cette e'glise universelle dont nous som- mes lesmerabres, et, ne I'oublions pas, si cette cglisc pouvait pe'rir, I'e- conomie politique mourrait avec elle. » *** i33. — Coi'p d'oeil sur les avantages des relations entre la France et l'Angleterre , hasees sur les vrais principes de I'e- conomie politique : traduit de I'anglais. Paris , i832 ; Hector Bos- sange. In-H" de 4'i p.; prix, i fr. 5o c. Sir Henry Parneli, , menibre distingue' du parlement d'Angleterre, avait public son livre Reforuw. Jinanciere dans Tinterel dc sa patrie; il a ecrit ses nouvcUes considerations dans TiDte'ret des deux nations. Snpprimer cntieremrnt les tarifs des douanes, e'tablir d'aulres droils LIVRES nUNCAIS. 653 sans le concours dp la diplomatic, spuleinent sur les articles e'trangers de luxe, sans auciin systeme protecteiir, cliaque nation consultant uni- quemcnt ses a vantages propres : ces vues semblent etre la repetition des voeux que le commerce francais ne cesse d'exprimer. Dans tons jiays, la civilisation progressive reclame avec instance la libre admission des livres et des instrumens de science , des machines et des outils, des matieres premieres et de tons les autres articles ne'cessaires aux de've- loppemens de I'industrie. Malheiireusement la fiscalitc s'inge'nie partout a eliider et repousser Irs principes de re'conomie politique. Elle ne trou- verait pas assez a prendre dans la troisieme categoric que sir Henry compose des articles de luxe. 11 y comprend les vins , le cafe , le sucre , le the', mais non le sel et les drogueries pour teinture. Comma maxi- mum, il propose le droit de lo pour loo ad valorem, ou toute autre evaluation qui ne le de'passerait pas , enfm une perception si mode're'e , qu'elle n'occasione ni une forte augmentation dans le prix de la mar- chandise ni une grande diminution dans la consommation des objets im- porte's. Mais la libe'ralife de ces principes, que semble. adopter le com- merce britannique , n'a pas encore pe'ne'tre' dans I'administration de I'Angleterre ; et des tarifs enormes, prohibitifs, continuent d'accabler ses colonies transatlantiques , malgre' les e'nergiques reclamations de leurs chambres d'assemble'e. La France pourrait-elle espe'rer de rencontrer une re'ciprocite parfaite dans les tarifs que la Grande-Bretagne e'tablirait selon ses inte'rets propres?... La situation ge'ographique des deuxpays est aussi au desavantage du notre. Jamais la conlrebande n'a introduit par la Belgique, et re'pandu jusque dans les de'partemens du centre, autant de denrees colonialcs et de produits manufacture's a I'e'tranger. Nouvelle preuve contre le systeme abusif et exage're' des prohibitions , plus de- monstrative encore que les enquetes faites en Angleterre , et dont sir Parnell cite quelques passages dans son excellente brochure. IsiD. L N. i34. — Des esperances et des besoins de l'Italie, par J.-C.-L. SiMONDE DE SisMONDi. Paris , i832; Treuttel et Wurtz. In-S" ; prix, 75 c. C'est ici un nouveau plaidoyer en faveur de l'Italie, et spe'cialement des Elats-Romains, dont le proces est encore pendant au tribunal de la diplomatie. L'avocat de l'Italie jette un coup-d'oeil rapide sur la condi- 654 LIVllES FRANCA IS. tion politique de ces provinces avant et depuis la conquete teinporelie et la domination usurpatrice'de la cour de Rome. Dans le tableau qui! fait ensuite de Icur situation actuelle , il met a nu rincapacite adminis- trative du gouvernement papal , les abus judiciaires, Ics cxces, les vio- lences de tout genre exerce'es dcjiuis maintes annees par lui sur les choses ct les hommes. Un tei e'tat doit-il durer? Le peut-il? Tellcs sont les deux questions a re'soudre. La justice les re'sout I'une et I'autre ne- gativenicnt. La politique, qui n'est pas la justice, quoiqu'elle diit I'ctre, a une autre mesure. Reste a savoir si la force I'emportera encore cette fois-ci sur le droit. M. Sismondi traite la question politique dans ses rapports avec la France; et prouve sans rejilique que son intc'rct est d'accord avec la justice. Notre opinion la-dessus est connue et conforiue a celle de I'his- torien des re'publiques italiennes ; nous differons sculement de vue avec lui sur I'expe'dition d'Ancone; il fonde sur clle des espc'rances que nous n'avons jamais partagees, et dent re've'nement vient de mettre au grand jour la vanite. Nous n'avons jamais vu, nous, dans cette mesure, qu'unc demarche fausse , qu'une lourde finesse qui ne sert qu'a preparer au pays qui en fut le theatre un redoubleraent de misere, et a ceux qui Tent faite un ridicule de plus. Car, a dire viai , toutes ces roueries du code diplomatique sont d'un ridicule profond; et quand un gouverne- ment , un gouvernement nouveau surtout , un gouvernement populairc va cherchcr la sa force, il est jugc. II n'y a plus rien de grand ni de fort a en cspe'rer. S. R. i3.5. La Pologne province russe. Paris, i83'2 ; impr. de Gui- raudet. In-8° de 24 pages. Nos lecteurs nous sauront bon grc , vu I'importance du sujct de cette publication , que nous leur en pre'sentions des extraits assez e'tendus. « Le but veritable et patent des stipulations du traite de Yienne re- latives a la . Pologne a ete d'accorder aux Polonais , en place d'une in- dependance entiere , impossible alors a re'aliser, vu le concours des cir- constances, du raoins une existence politique bicn positive, et cela au moyen d'une charte , d'une administration distincte , et du titre de royaumc donne au duche de Varsovic , et au moyen de garanties qui assuraient en meme tems aux proi'inces polonaises soumiscs aux dorai- LIVRES FRAN^AIS. 655 nations russe, autricliienne et prussienne, une representation et des in- stitutions nationales. Cc but e'tait veritable, car il est devenu un moyen de conciliation entre le de'sir des puissances qui voulaicut le retablisse- ment d'une Pologne indc'pendante , et celui des puissances qui auraient pre'fe're' un partage de'finitif et une incorporation absolue. II e'tA patent , puisque tels sont I'esprit et la teneur du premier article de I'acte general du traite de Vienne. En voici la copie litte'rale : « Article premier. » Le duche de Varsovie , a I'exception des provinces et districts dont » il a e'te' autrcment dispose' dans les articles suivans ( ce qui veut dire )) excepte' Posen et Bromberg , cedes a la Prusse ; Cracovie , avec son » territoire, e'rigeen e'tat inde'pendant ) , estre'uni a I'empire de Russie. » II y sera irre'vocablemeat lie par sa constitution ^ pour etre posse'dc K par S. M. I'empereur de toutes les B,ussies , ses be'ritiers et ses succes- » seurs a perpe'tuite. S. M. I. se reserve de donner a cet etat , jouissant » d'une administration distincte , V extension inte'rieure qu'elle jugera » convenabie. Elle prendra , avec ses autres litres , celui de tzar , roi » de Pologne , conforrae'ment au protocole iisite et consacre' pour les ti- » tres attache's a ses autres possessions. » « Les Polonais , sujcts respectifs de la Russie , de I'Autriclie et de la » Prusse , obtiendront une representation et des institutions nationales , » re'gle'es d'aprcs le mode d'existence politique que cbacun des gouver- » nemens auxquels ils appartiennent jugera utile et convenabie de leur » accorder. » « Ci'est done la constitution qui devenait le lien ne'ccssaire du royaume dc Pologne et de la Russie. Le duche a re'unir a I'empire est qualifie' d'e'tat , ce qui ne veut pas dire province. L'empereur Alexandre se re'scrvait d'augmenter le noiivel etat par des provinces a lui appar- tenant , sans avoir besoin d'obtenir a cct effet rasscntinient des puissan- ces contractantes. Le second paragraphe de I'article est une stipulation distincte qui n'a pas de rapport avec ce qui est regie' par la partie pre'- ce'dentedumeme article. II s'agiticides Polonais habitant les provinces autres que le duche' de Varsovie, que le traite' constitue en e'tat. Ce sont les ncuf gouvernemens soumis a la Russie , savoir : Wilna , Grodno , Witepsk , Mohilew , Minsk , Wolhynic , Podolie , Kiow ct Byalistok ; les deux provinces anciennes soumises a la Prusse , savoir : la Prusse occidentale et le district de la Netze , et de plus les deux nou- 656 LIVRKS FRANgAIS. vclles acquisitions faites par celte puissance , Poscn el Bromberg ; enliii la Gallicic. C'esl pour ces provinces, no constitiiaut pas Ic nouvcl e'tat, que le traitc promet una representation et des institutions natio- nales ; car, pour le duche de Varsovie , erige en royaume , cc meme traite' stij^lc, non pas une simple representation, non pas de simples institutions nationales et provinciates , mais bien une constitution par iaquclle le uouveau royaume sera lie a la Russie. » Cette de'duction toute simple , et qui n'est presque qu'une re'pe'ti- - tition des termes de I'art. I*""^ du traite' , suffit pour faire voir que M. Thiers s'cst singulicrement abuse en parlant, a la seance du 6 mars defnicr, de Y ambiguite du traite' de Vienne , et en concluant , apres la lecture du racme article, que si le duclie de Varsovie a une administra- tion distincte , le traite est execute ; s'il obtient des institutions pro- vinciales re'gle'es par les puissances, il est execute , et la nationalite de la Pologne n'aura pas pe'ri. On voit qu'il a entierement confondu le premier paragraphe de I'article avec le second. Le premier regie le sort du duche de Varsovie ; le second , celui des provinces soumises a la Russie, a I'Autriche et a la Prusse. Le premier garantit au duche de Varsovie ime constilution par laquelle il allait etre uni a la Russie ; le second garantit aux provinces une representation et des institutions nationales , au gre' des trois puissances. » La charte , comme consequence ne'cessaire du traite de Vienne , fut octroye'e et publie'e le i'^ novembre de la meme anne'e. Alexandre , en s'engageant a la maintenir , I'adoptait pour lui et pour sessuccesseurs. Comment a-t-elle etc maintenue? L'opinion du public est suffisamment e'claire'e sur ce point , et nous nous abstenons de suivre I'autcur, bien connu par scs talens litte'raires et politiques , dans I'exposition claire et et pre'cise de scs plus notoires infractions. Le pacte rompu par les sou- veraius dc la Russie , malgre toutes Icurs assurances et leurs sermens ; la Pologne , qui n'avait meme pas etc' consultec dans sa confection , qui ne s'e'tait que re'signee a la volonte de I'Europe, la Pologne a eu , meme en vertu du traite de Fienne , le droit de protester et de dc- mander des garanties pour I'avenir. « Vaincue, mais point soumise, elle avait droit a la vie , a rind,e'pendancc , a une existence politique e'tendue a tons les Polonais insurges ; elle ne I'a pas obtenue. Elle n'a plus dr demandes a former , ni de consentemcnt a donner ; mais c'esl LIVRES FRANCA IS. 657 a I'Anglctcrre ct a la France , mais c'est a toutes Ics puissances signa- taires du traite de Fienne , a patlcr pour elle , a ne pas peimettre qu'on I'opp^ime ; surtout a ne pas consentir a cet acte recent , par le- quel rcmpereur Nicolas , en de'truisant toute nationalite polonaise , vient deraettre le sceau a sa conduite aussicruelle qu'insidieusej » (si toutefois I'appre'ciation plus profoode de leurs inte'rets les plus e'leves et de leurs plus irape'rieux devoirs ne les porte pas bicntot a s'appuyer sur des bases plus largcsctplussolides , ct a entreprendre des actes plus de'cisifs pour la Pologne , comme pour la liberie el la se'curile' de I'Europe). La charte de 181 5 contenait dix-huit dispositions principalcs sur la nature de I'union du royaume avee I'empire , sur I'exercice de la sou- verainete', les obligations des successeurs d' Alexandre , sur la liberte individuelle et celle de la presse , I'abolition des peines de deportation et de confiscation , sur le pouvoir le'gislatif , le vote du budget , la res- ponsabilite'dcs ministres, les cmplois publics, les affaires e'trangeres ct les agens diplomatiques , sur I'inamovibilite des juges , I'arrae'e natio- nale , etc. , qui toules concouraient a garantir la nationalite polonaise. L'acle du 26 fe'vrier, dit statut organique , les supprinie toutes. M. P. . . . expose succinctement ces dispositions, avec la citation des articles de la fliarte de 181 5 qui les garantissent , et des articles du statut de 1882 qui les suppriraent ; il donne ensuite le texte litteral des articles cite's. TSous u'avons pasbesoin d'insister sur I'inte'ret que presente son travail; comme sur cc qu'il y aurait de laclie , de pernicieux et de crirainel, si ceux dont I'etroit e'goisme a laisse perir la Pologne , apres avoir assure a la face du monde civilise que sa nationalite ne pe'rirait pas, si ceux-la sanctionnaient aujourd'hui, par leur silence, I'abus insolent de la force brutale. i3G. — HisToiRE DE Pologne, par Fletcher, traduite de V anglais et continuee depuis la revolution de novembre jusqu'a la prise de Farsof'ie, et lafm dela guerre, par AlphonseViollet. Paris, i832 ; Michaud. Deux vol. in-S", avec une carte colorie'e et quatrc portraits; prix, 11 (r. Pour les productions scientifiques etlitte'raires, comme pour celles do I'industrie, I'offre so proportionne a la deniandc. L'Europe a tout re- cemment eprouve un vif besoin d'etre eclairec sur I'etat de la Pologne: TOME LITI. MAUS 185i^. 45 G58 LIVRES FIlANgAlS. Bicn on inal, on a tikhc de la satisfaire. Nous avons ddja indiquc plii- sieurs Iravaux qui out paru sur cc sujct en Allcmaf;ne. Voici un ouvragc qui, dans le cours dc quclques scmaines, a obtenu I'lionncur dc deux editions en An;^letene. Certes il est fort difficile de pre'sentcr dans Ic cadre resserre d'un seal volume un tableau fidcle de I'existence politique d'une grande nation qui , depuis dix sieclcs, remplit un role si impor- tant pour la defense et le de'velopperaent de la civilisation europe'enne j de faire connaitre la vie sociale d'un pcuple si distinct par son origine, si homogenc dans ses moeurs, si caracte'rise par ses institutions, et si for- tement attache' aux interets ge'ne'raux de la cbre'tiente', — Et ce qui rend la lacLe plus difficile encore , c'est qu'aucune nation de I'Europe peut- ctre, n'a vu ses sources liistoriques , et ccux de ses savans qui les ont raises a profit, plus neglige's que les richcsscs de la Pologne en cc genre. On connait a peine les noms de Naruszewicz, Czacki, Ossolinski; on n'a appris I'existence de riiislorien Lelewel , qu'avcc le nume'ro du jour- nal qui a annonce la revolution de novcmbrc. C'e'taient dc grands obstacles a vaincre pour I'aulcur d'un resume de riiistoire de ce pays. Malgre tous les efforts de M. Fletcher, on s'en aperfoit dans son ouvrage. Et d'aboi'd, ce nest pas aujoui-d'hui qu'on pcut metlre en doute I'importance de la question des races. Eh bien I M. Fletcher, sans s'inquie'tcr des suites , a erabrasse' a cet c'gard I'opi- nion la plus rebattue , opinion demontre'e comple'tement fausse , celle qui fait de'river les peuples slaves d'une e'raigration des Sarmates. Ce seal fait suffirait pour que I'esprit caracte'ristique de ces jieuples, la for- mation de la Pologne et de ses institutions fondaraentales nepussent pas etre bien presente's par I'auteur. M. Fletcher sc plaint a chaque instant de i'obscurite' qui entoure le berceau de la nation polonaise , et pour I'e'claircr il re'pete les fables e'nigmaliques des Lechs, des Leszeks et des Piasls, au lieu d'exposer quelqucs faits importans, de'gage's laborieusc- raent par la critique historiquc du scin des traditions et des chroniques, sur la vie sociale des Slavons avant I'introduction chez eux du christia- nismc, sur leurs relations avec I'empirc d'Orient, avec les diffe'rens peu- ples barbares lors de leur invasion en Europe, et plus tard avec I'em- pire germanique, sur la formation successive ou simultane'e parmi eux de plusicurs fe'de'rations ou e'tats, etc. Aussi ro.anquc-t-il toutc la gencse de la nation polonaise et de sa constitution into'rirurc. II ne fait aucune mention du vrai fondateur de cet c'tat Lechile, Zicmovit (860-891); il LIVRES FRANCAIS. GSg HP dit ricn sur rcsprit organisateur et emineinmcnt national dii regno (!(• Roloslas Clirobry (Qjy.i-io^S); il ne saisit point Ic caraotcre general de la politique de Wiadislas Lokietek (i3o5-i333), qui a jele Ics bases de la Polognc, telle qu'elle nous apparait dans les siecles suivans , unc re'publique de nobles. Ce])cndant , hatons-nous de le^ire, a mesure que les terns sc rap- |)roclient de nous et s'e'claircissent , lorsque la Polognc se montre deja toute forme'e , pour les quatre derniers siecles dont I'histoire constitue ve'ritablemcnt le fonds de cet ouvrage (le reste n'en occupant que le pre- iiiier cliapitrc), le re'cit de M. Fletcher dcvient plus exact, et sa narra- tion succinctc ct facile pre'sente meme parfois des tableaux fort inte'res- sans de la vie inte'rieure de la nation. L'atitcur a profile avcc beaucoup de soin des travaux que le zele de quelques citoycns ou amis de la Po- logne a public's depuis plusieurs annees en France, et son livre doit etre, sans contredit , place en premiere ligne parmi les resume's bistoriques entrepris sur le meme sujet. Quant a la continuation francaisc de son travail jusqu'a la fin de la derniere guerre, M. Viollet, qui s' en est charge, a certainement rendu au public un service en re'unissant des raate'riaux importans, et enpre'sentant le premier un tableau d' ensemble des cve'nemens dont I'Europe vient d'etre le tristc te'moin. Nous ne pouvons nc'anmoins passer sous silence I'erreur grave de cet e'crivain qui semble nier la nationalite polonaise des provinces ancicnnemcnt incorpore'es dans la Russie; ni laisser sans rcproche I'esprit anli-revolutionnaire avcc lequcl ilapre'tcndujugrr Irs e've'nemens d'une revolution , ct condaraner a priori tout acte d'opposition contre le pouvoir, sans examiner si ce pouvoir voulait ct savait toujours mar- cher vers le but de I'insurrection , et agir dans ses vrais inte'rets. Les publications que pre'parcnt les acteurs meme de cc drame he'ioique en e'clairciront sans doute assez le detail et les ressorts, pour que M. Viollet, si sa traduction obtient autant de siicces que I'original , desire lui- memerectifier, dans unc edition nouvelle, quelques-uns de ses jugemens. ' B. Janskj. l'6'J. MeMOIRES et DISSERTiXIONS sur LES ANTIQUITES NATTONALES ET ETRANGERES, public's par la SocietS royale des antiquaires de France. T. ix. Paris, i83ii; Selligue, rue des JeuneiirSjU" 14.I11-8". Ce volume est en tons points digne de ceux qui I'ont precede , ct qui 45. G6o LIVRES FRANgAIS. eux-memes sont Ic complement ncccssairc et justement estimc' dcs Me- moires de V Academic Celtique, donl la collection compose cinq vo- lumes. Entre autres morceaux lemarquables , on doit signaler deux rapports de MM. Alexandre Barbie du Bocage et Tatllandier , lesquejs em- brasseut Ics travaux de la Socie'tc' peTidant les anne'es 1828, 1829 et i83o. lis s'e'tendent a I'histoire , a la geographic , aux langues, usages, religions et cultes , monumens d'art , arcliilecture , sculpture , peinture , gravure , meubles , ustensiles , armes , inscriptions , raedailles , diplo- mes, chartes, archives, manuscrits, collections, explorations, et faits particuliers a la Socie'tc. On voit qu'il y a raatiere a s'instruire dans une aussi vaste galerie. On lira avcc plaisir les details que pre'sente le rapport d'une com- mission coraposee de MM. Dulaure, Gilbert et Jorand, sur les anti- quite's gallo-romaines , de'couvertcs a Paris dans les fouilles de I'eglise de Saint-Landry , en juin i8'29, et dont les dessins , dus aM. Jorand, figurent dans I'atlas joint a cc volume. M. Gilbert a trace d'une ma- niere inte'ressante la description d'un hotel orne'de bas-reliefs, qui c'tait situe a Paris, rue des Bernardins. M. Auguste Pelet, de Nismes , nous a paru prouver assez bien que Tare d'Orange ne pent etre attribue ni a Gains Marius, ni a Adrien , et qu'il ne remonte pas au-dela du re- gne de Septime Severe , a la gloire duquel on aura eleve cc monument apres la de'faite et la mort d'Albin , le dernier de ses concurrens; pres- que tons les attributs de I'arc d'Orange sont romains : on doit des lors penser qu'il s'agit d'une guerre civile a laqnelle les Gaulois prirent une part active, puisqu'ils y figurent parmi les vainqueurs , et qu'on trouve de leurs de'pouilles sur les ti'ophe'es. M. I'abbe Castellan , d'Aix , fait suivre paifailement la niarche de Marius dans la campagne ou il de'fit les Embruns et les Teutons. Le baron Roguet , chef de bataillon , a communique' a ce sujet un dessin et une description du camp remain , nomme le pain de munition , et situe dans la plaine de Pourieres , aupres d'Aix : ce camp a e'te visite en 1829 par M. Ladoucette. Ce dernier a fourni dcs notes comparatives sur les amphitheatres de Nimes et d'Arles. Dans cettc derniere ville, la teire recele une foule d'antiquites, et Ton no pent qu'applaudir aux soins que Ton se donne LIVRES FRANgAlS. 66 I pour les ravir an sol qui les cache. On doit a M. Veran une dissertation fort curieuse sur la question suivanle: V amphitheatre d' Aries a-t-il ete acheve? L'auteur se prononce pour I'affirmative. Ce beau monu- ment a e'te' de'blaye avec tant de prom|ititude , qu'en 1 83o on y a donne un combat de taureaux. M. Lemaistre a fourni des renseignemens curieux sur les tombes du de'partement del'Aisne; M. d'Usvel, des details sur les de'cou- verles faites dans le de'partement de la Somme j M. de Beaulieu , sur un chapiteau trouve a Toul ; feu M. Coquebert-Montbret , sur une pierre antique de Bourbonne-les-Bains J M. Duvivier , sur une sepul- ture ancienne de Cous-Ia-Grand'-ville ( Ardennes ) : n'oublions pas I'i- dole gauloise appele'e Ruth , par M. de Gaujal; le temple de Mont- morillon , en Poitou , par M. Dufour ; le monastere de Saint-Pierre-en- Valle'e, a Chartres, par M. de Freminville; et un article sur Ic verre de Charlemagne que Ton conserve dans ce chef-lieu d'Eure-et-Loir, par M. Doublet de Boisthibault. La partie phiiologique, legislative, etc. , a etc' traite'e avec beaucoup de talent par MM. Depping, Berriat-Saint-Prix, Taillandier , Coquebert-Montbret, Toubnemine, Deribier : ils nous ont donnc la notice sur deux cartulaires de I'ancienne abbaye de Saint-Pere , a Chartrcs; les recherches sur la legislation et la teneur des actes de I'e'tat civil, depuis les Remains jusqu'a nos jours ; un memoire sur I'e'tat de la legislation francaise , sous la premiere race ; une notice sur une lettre autographe de Marie Stuart j une lettre sur les archives d'Aurillac et de Maurijc , et un vocabulaire du patois du Ve'Iay et de la Haute-Auver- gne. On trouve , en outre , dans ce volume un tableau rapide et piquant des moeurs et usages de la commune de La Bresse , de'partement des Vosges, par M. Richard , et la joute des coqs dans le pays chartrain , par M. Lejeune. La Societe des antic/uaires de France nous permettra-t-elle une observation? Ce n'est pas suffisamment re'pondre a son litre que de faire paraitre seulement un volume tons les trois ans. Ces longs intervalles refroidissent le zele des membres et surtout des correspondans ; et nous sommes fondc's a croire qu'elle rcccvrait uu pins grand nombre de bons rne'moires , si elle avait des pul)lications annuelles. Pourquoi la Socie'le 662 LIVRES FRAN^AIS. ne prolite-t-clle pas du gout que le roi actucl lui a te'moigne pour I'an- licpiite cl le raoyen age? N'cst-ce point a la demande de cette corapa- gnie savante que Louis-Philijjpe a achete les raagnifiques ruines du chateau deCoucy, poi'.rlcs conscr.vcr a la France? Doit-clh; negliger la promcsse que, le i'' Janvier i83.2, il a f'aite a sa deputation, en I'assu- rant qu'elle pent toujours compter sur sa protection et sur Vappui de ses ministres, en tout ce qui concourra a V illustration natio- nale? Les ministres e'taient presens; pourquoi ne pas leur demander , soit des secours , cette fois utilenient employes, soit la piihlication des Me'moires de la Societe' a I'imprimerie royale, qui s'bouorerait en propa- geant la connaissance de tout ce qui pent rehausser la gloire fran^aise? Si messieurs les antiquaires penscnt ne pouvoir faire cette demarche ^ honneur au gouvcrnement qui prendra I'initiative I D. 1 38. Proverbes et DtCTONs POPULAiREs, ai'cc les Dits des merciers et des inarchands , aux xui^ et xiv*"' siecles , publics d'apres les manuscrits de la biLliothequc du roi • par M. A. Crapelet. Paris , i83i ; imprimerie de Crapelet. In 8" de iv et 2o5 p. avec a fac- simile; prix , 1 8 fr. 139. Poesies morales et historiques d'Eustache Deschamps , ecujer, huissier d'armes des rois Charles V et Charles Fl , chdtelain de Fismes et Bailli, de Senlis , publie'es pour la pre- miere fois , d'apres le raanuscf it de la bibliolhcque du roi , avec un precis historique et litter aire sur Vauteur , ^avM.. A. Crapelet, Paris, i83i ; imprimerie de Crapelet. Gr. !n-8°de lxvh et 288 p., avec un facsimile ; prix, ^5 fr. Depuis 1 8'.).G, M. Crapelet a public succcssivemcnt plusieurs uionumens curieux de I'ancienne litte'raturc francaise ; il continue cette reuvrc de soin et de judieicuse patience. Le manuscrit dans Icquel M. Crapelet a fait un choix des poe'sies de Deschamps , choix auquel il a joint des ex- traits de son pocme inacheve' et compose cependant de 1 3poo vers , le Mironer du Mariage , et un traitc' en prose sur V Art de Dictier, se Irouve a la bi])liollicque royale ; il en existe aussi une copie, faite au xviii'^ siiicle, dans celle de I'ar&enal. 11 contient i-j-; 4 ballades, 171 rondeaux,^ 80 virclais, i41ais, :S farces, complaintes et traite's divers, 17 e'pitres, LIVRES FRANgATS. 663 J)cschamps, poetc du X-iv*^^ siecle, fort pen conmi et snr Icqucl il n'cxis- tait que des notices incompletes , naqiiit sons le rcgne de CLarlcs-lc- Bel, a Vertus en Cbampagne; il mena dans sa jeunesse une vie dc're- g'.e'e. Son teint l)asane' lui avail acquis le surnora de Morel ( Man rus , Morellus). Apri-s des voyages et une captivite en Orient , revenu en France, il se dislingua dans la carriere des armes , et devint gouvcrneur du chateau de Fismes et Bsilli de Senlis. Le poke Guillaume Machault , mort en i38o, parait avoir e'te son inaitre ou son ami : Christine de Pisan lui te'moigne beaucoup d'estime dans une e'pitre en vers qu'elle lui adressa en i 4o3. La notice de M. Crapelet , d'ou nous tirons ces renseignemens , a e'te compose'e d'aprcs les oeuvres meme d'Eustache Deschamps. *** i4o. BiBLiOTHEQUE PROTYPOGRAPHiQUE , OU Librairics des Jils clii roi Jean Charles V, Jean de Berry , Philippe de Bourgogne et les siens. Paris, i83o; Crapelet. In-4° de xl et 346 pages. Si Ton de'couvrait les catalogues de la biblioiheque d'Alesandrie, ou de celle d'Apollon a Rome, quand mepie on ne posse'derait aucun des ouvrages qui y seraient raentionnes , ce seraient documens inestimables pour I'histoire de I'esprit humain ; et les statisticiens philosophes, a I'in- spection de simples titres, ne manqueraient pas d'e'tablir les bases de cal- culs destine's a appre'cier la tendance des intelligences et les ressources du savoir (i). Ce que nous ne posse'dons point pour ces tems recule's , M. Jean-Baptiste Baurois vient de nous I'offrir pour le moyen age. Ses catalogues nous montrent la composition d'une biblioiheque avant I'invenlion de Timprimerie. Ce qui y domine le i>lus , ce sont les re- mans, les livres asce'liques et ceux d'astrologie judiciaire; I'histoire y occupe aussi une place , mais la litte'rature ancienne y est piTsque ina- perciie: point de textes originaux, seulement quelques rares traductions; car c'est le reieve' de bibliotheques de cour, et non pas de savans : pour ceux-ci nous avons, dans le Jacques de Guyse de M. de Fortia, des do- cumens spe'ciaux. M. Barrois a transcrit fidelement les indices qu'il a (< ) Nous avons abord^ cellc question dans notre Essai d'une slatistique an- cienne de la Belgiqne ( secondc panic , Statistu/ue anthropclogique ). 6G4 LIVRES FRAN9AIS. tire's de roubli , ct a fait lueme imprimcr en lettrcs gotbiqiics les defji- nimens des manuscrits. J'aurais desire qu'en note il eut indique ceux que Ton garde encore dans les grands depots publics , ou dans les bi- bliothequespartlculieres, et queparfois il eiit reciieilli des rcnseignemens siir leur contenu. Ses Uminaires , qui conticnnent des de'tails curieux sur le goiit des livres , sur leur raretc' , leur prix et d'autres objets ana- logues, font augurer quelle instruction solide on aurait pu tircr d'un pareil commentaire. A la fin des catalogues , I'e'diteur a re'uni quelques pieces , qui prouvent quelle e'tait la soraptuosite de la cour des dues de Bourgogne , et combiea les finances de Maximilien, qui leur succe'da , e'taient de'range'cs. Quelques lithographies au trait, copies fideles des miniatures qui cnrichissent certains manuscrits, sont un ornement digne de ce magnifique volume , tire, dit-on , a 200 exemplaires seulemcnt. M. Barrois cultive les Icttres avcc un de'sinte'ressement qu'on ne pent trop applaudir. Posscsseur de la minute autographe de la continuation de Robert Macquereau , dont Paquot publia la premiere partie , il se pi'opose d'en faire jouir incessammcnt le monde e'rudit. i4i- Archives historiques et litteraires du nord de la France ET DU MIDI DE LA Belgique J par Aime' Lerov , Ic doctcur Leglay. et Arthur Dinaux. Valencienne, aoiit 18'Jtg, et mars iSSi; inipr. de A. Prignct. Ces archives paraissent a des e'poques non de'tcnni- ne'es ; le prix de la souscription est fixe a raison de 3o c. par feuille d'iiupression , et ne de'passera point la somme de 12 fr. parannee. Ge recueil embrasse une grande varie'te' d' objets , on s'est efforce d'y joindre I'agre'mcnt a I'litilite, et, pour mon compte, j'avouerai que je sais mauvais gre' aiix c'diteurs de n'avoir pas assez compte' sur ma patience ct mon courage pour se dispenser de memmieller les hords du vase. Mais iis n'c'crivent pas seuleraent en favcur des horames de lettres, d'autant plus attache's a leurs etudes qu'elles leur out coutc plus de mal , comme ces amans qui mesurent leur passion sur les rigueurs de leur maitresse ; ils s'adressent principalement aux gens du monde , dans la vue de les re'concilier avec les souvenirs de la patrie , les tradi- tions du passe et les lectures substantielles. Sous ce rapport , ils ont raison de parer unpen la science, d'autant qu'on ne saurait nier que la parure qii'ils lui donnent est piesque toujours de bon gout. Des dissertations, LIVBES FRAN^AIS. 665 des nouvclles , des pieces ine'dites , forment la principale subdivision des Archives du Word. Un bulletin bibliographique accompagne cbaque nume'ro. Sous Ic litre des Hommes et des Choses , on a leuni des anec- dotes , des traits de mceurs ct des rcmarques , trop brefs pour faire I'objet d'un chapitre particulier. Enfin Ton n'a point oublie la Bio- graphic, et, ce qui est moins desirable, la Biographic des contempo- rains. On devine d'avance combien ici la position des e'diteurs de- vient difficile , ct quelles concessions ils sont oblige's de faire aux va- nites personnelles : j'en pourrais donncr des preuves dontje ra'abstiens pour ne point blesser d'irritables aniours-propres. Outre les e'crivains dont les nonis sont inscrits sur le titre , on troiive encore, dans les neuf livraisons quiontparu , des articles de MM. Onesime Leroy , Leleux, Pascal-Lacboix , Lebeau, de Stassart, Fumiere, Pieters , GuiL- MOT, etc. Les pieces qui ni'ont paru le plus propres a fixer I'attention sont : L' Introduclion de I' imprimeric dans le nord de la France , la Legcndc de Sainte-Aldegonde , Un trait dc la vie de Guillaume- le-Bon , Fragmens sur V invasion du nord de la France ere 1 81 5 , et VArt de se tenir en place , par M. Aime Leroy (i); Notice sur les duels judiciaires dans le nord de la France, oil se trouve ra- conte' le combat livre' a Valenciennes en i455 , ct dont Brantorae a fait line mention de'taille'e que Tauteur, M. Le Glay, ne cite pas; Pro- grammes des recherches historiques a faire dans le d<^partement du Nord, par lememe (Voy. Bev. Enc. , de'cembre i83i ) ; la Descrip- tion du chateau de Conde appartenant au due de Croy, celle du Chateau de Bel-OEil , au prince de Ligne , VHistoire memorable de trois filles posse'dees , le Cimetiere ou V Attre- Gertrude , la Chronique de Barbe Hollande , et Chlodsinde ou I'Epreuve par Veau bouillante , de M. Arthur Dinaux ; description de la maison et de la ville d'Oisy en Artois , par M. Le Glay 3 Tradition des Dragons volans , par M. Botti> ; le De profundis , nouvelle par M. Berthoud , dont les Contes misantropiques viennent d'etre re'imprime's a Bruxelles , et qui est aiiteur d'un ouvrage piquant intitule' : Chroniques et traditions surnaturelles de la Flandre ; des notices (I) Noil, coiinaissons dc M. A. Leioy : Proinenacles a,u cititctie/c de f^alcn- ricnnes. Valenciennes, 18 28 ; Lcinaitrc e( J. Prignet. In-12. 666 LIVRES FRANgAIS. biographiqiips, par M. de Stassart, lesquellcs, jc crois , ont deja etc employees ailleurs ; un Memoire de M. Guilmot sur les anciennes habitations rurales du departement du Nord , morceau capital et que les savans reliront avec fruit, etc. , etc. J'ai regrette de voir que Ic nom de M. Le Glay ne figure plus parini ceux. dcs auteurs princi- paux des Archives. De Reiffenberg. 142. Annuairedu departement de la Manche. Quatrieme anne'e , Saint-L6 , i832 ; J. Elie. In- 12 de 3^o pages, 143. Annuaire du departement de la Sarthe. Le Mans , i83u ; Monnoyer. In- 18 de x-396 pages. L'annuaire de la Manche est fait avec plus de soin que la plupart de ces modestes publications de'partementales , qui s'arae'Iioreraient , selon toute probahilite , si leur utile destination e'tail mieux comprise «t plus ge'ne'ralement reconnue. L'e'diteur nous semble avoir le tact ne'cessaire aux recherches statistiques , et plusicurs de ses tableaux pourraient ctre propose's coramc modeles a ses coliegues. Si nous eitons les resultats suivans , c'est qu'ils nous paraissent de nature a faire surtout appre'cier la situation de cette partie de la France. La Manche a Sgi ,284 habitans et 148,9.54 maisons , c'est-a-dire une maison pour quatre habitans. Sur 11 -2,606 individus inscrits aux roles de la garde nationale , on en corapte 80,7 i5 qui ont re'pondu a I'appel, et Ton a c'tabli , pour la totalite , les classifications suivantes : 37 ,567 ce'libataires , 11, 355 veufs 011 marie's sans entans , 59,998 veufs ou marie's avec enfans. D'apres les ordonnances royales de 1820 et iSa?, , le departement doit avoir 32 routes de'partementales , ayant un de'veloppement de 557 kilometres, ainsi repartis aujourd'hui : Nombre de kilometres executes .... 262 En cours d'cxe'cution 4^ Reste a ouvrir 249 557 G'csl un dcs secrets du malaise actuel (pie rinsul'fisancc des com- munications: LIVRES FRANCAIS. 667 En i83o , sur 5,436 consents, 2,5c)i , un pen raoins tie la moltie, savaicnt lire et e'crire; loSa , ou un cinquicme, savaient lire seule- ment j iG6i , ou pres du tiers, ne savaient ni lire ni c'crire ; quant aux 1 3'-j autres , Icur instruction e'tail douteuse. Toute la France n'cst pas aussi avance'e que la Normandie; et pourtant quelle insouciance deplo- rable des gouvernans qui laissent un tiers dc la population dans la plus complete ignoraace I Depuis deux anne'es , le nombre des impriraeries et des lithographies s'est augmente' dans le pays. Lcs bibliotheques publiques s'enricliissent peu a peu , et des socie'te's de lecture s'e'tablissent avec discernemcnt sur les points principaux , a Coutances , a Saint-L6 , a Gi'anville , a Cher- bourg , a Carentan; soixante a cent personnes, pour cliaque ville , pi'ennent part a de modiqucs souscriplions , dont les totaux font face a de nombreux abonnemens auxmeilieurs journaux de Pans. On annouce une Statistii/ue sommaire du departeinent de la Manche , par M. Julien Travers, pour laquelle-une souscription est ouverte chez I'editeur de V Annuaire et chez d'autres libraires du de'parlement. C'est une entreprise qui merite des encouragemens. J. i44- Journal de la societe phrenologique de paris, redige' par une commission de ses m.emhres. Tome i'"" : Premiere livraison. Paris , 1 83'2. On s'abonne au bureau de la Socie'te', quai d'Orsay, n" 3. C'est toujours avec une vive satisfaction que nous voyons en France , comme partout , un prejuge scientilique se dissiper , de nouvelles routes s'ouvrir aux recherches , et des associations se former pour re'pandre et fe'conder les ve'nte's trouve'es. Nous nc pouvons done qu'accueillir avec faveur la publication que vicnt de faire la socieLe phre'nologique de Pa- ris. Cette socie'te, qui a ses analogues en Angletcrre, en Ecossc et en Ame'rique , fut institue'c , il y a pres d'un an , par une reunion de me'de- cins , d'artistcs , d'hommes de lettres et de savans. D'apres son re'glc- ment , elle a poiu- but de cultiver , de propager et de perfectionner la doctrine de Gall , et elle s'occupe dc I'anatomie humaine et compare'e du systerae ncrveux en general et du cervcau en particulier, aiusi que de leurs jihenomenes physiologiqucs et pathologiques. Yoila done une sanction nouvelle donne'e a la science donl Gall et Spurzheim poserent les fonderaens. Cette phrcnologie, dont on s'est mo- 668 LIVRES FRAN^AIS. que d'abord , parce qu'on ne la comprenait pas , arrive enfin a occupci' dans les etudes physiologiques Ic haut rang qui lui est du. Plus de cent trente niembres coinposent deja la Sociefte phre'nologique , et parmi eux on remarque pliisieurs des principaux professeurs de la faculte de me- decine. Dans un prece'dent article (i) nous avons dit quel secours puis- sant trouvait dans la plire'nologie une autre Societe savante dont le but est emineinment social ; nous voulons parler de la Societe Anthropolo- gique. Cct accord, cet assentiment des homines de science, chez qui Ton sail que les prejuge's sont souvent le plus tenaces , militent fortement, ce nous senibic, en faveur de la physiologic du cerveau. Le journal dont la Societe phrenologique vient de publier le premier numero commence par un prospectus qui sert de preface, et qui est e'crit avec verve par le professeur Bouillaud. Viennent cnsuite les re'gle- mens de la Societe' et la liste des membres qui la composent ; puis une introduction aux etudes phre'nologiques par le docteur Foissac. 11 y offl'e im tableau historique et plein d'erudition des opinions e'miscs, avant Gall, sur les fonctions du cerveau etsur le siege de 1' intelligence; puis il expose sommairement les decouvertes de ce physiologiste et celles de son collaborateur , le docteur Spurzheim ; enfin il s'efforce de re'fviter par des faits et des raisonnemens , les objections dirige'es contre la phre'- nologie. Dans ce travail , fait d'ailleurs avec conscience et talent, I'au- teur cut du peul-etre insisler davantage sur I'iraportance de distinguer, avec M. Spurzheim , les faculte's fondamentales des actions de'terraine'es. C'est la , selon nous, un perfectionnement capital, une vraie de'couverte : c'est I'ide'e-mere qui a fait de la phre'nologie une veritable science. On se demande aussi pourquoi M. Foissac a reuni, comme dependant d'un meme organe , deux faculte's cssentiellement diffe'rentes , la secretivite et I'alimentiwite, et pourquoi il a place parmi les sentimens propres a I'homme la constructivite si remarquable chez les oiscaux et les cas- tors. A cette introduction succede un compte rendu des travaux de la so- ciete, par son secretaire le docteur Casimir Broussais. Apres avoir montre avec vivacite , combien la liberte est ne'cessaire aux sciences , il rappellc plusieurs observations pathologiques , qui tendent a confirmer (1) Voyez le nuiiicrn dejanvicr dela Revue Encyclopediqite,^. 229. LIVRES FRAN^AIS. 669 Ics verite's de la phre'nologie. 11 y a pour I'art de guerir ct pour I'ddu- cation bien des inductions a tirer de I'une des liistoires qu'il rapporte. Un negre, blesse au-dessus d'une oreiilc, devenait doux oufurieux, selon qu'on exercait sur cette partie du crane une j^ression plus ou moins forte. On sait que la est I'organe de ce que M. Spurzlicira nonime la destructwite , et Gall V instinct carnassier. Le docteur Fossati , me'decin italien plein de me'rile , et fort liabile dans la phre'nologie, donne ensuite sur Gall dont il fut I'ami, une no- tice liistorique tres-interessante. Quoiqu'on y sente percer quelquefois I'extrerae bienveillance du disciple , il est piquant d'y voir Gall tra- duit au tribunal de son propre syteme , et les diverses faculte's qu'il a monlrees durant sa vie raises en parallele avec son organisation ce're'- brale. Quand les connaissances phre'nologiques seront popularise'es , ce proce'de' analytique , celte sorte d'anatomie morale et intellectuelle , de- viendra, nous n'cn doutons pas, le complement indispensable de toutes les biographies. Ici M. Fossati n'a voulu donner qu'un rapide essai , mais nous tenons de lui qu'il se propose de publier une vie plus dc'tail- le'e du physiologiste qui fut son maitre. Le volume se termine par un article du docteur Felix Voism, sur Vetude des enfans qui necessitent une education spe'ciale. Un es- prit gene'ralisateur , des vues larges sur I'homme et sa destine'e , dis- tinguent ces considerations. M. Voisin a foi en la nature et en ses lois ■ il veut qu'on les respecte , et c'est sur elles qu'il basera les re'formcs qu'il compte proposer dans des articles subse'quens. La societe' phrenologique de'cernera, dans sa seance du aa aoiit i83'2; un prix de la valeur de 5oo francs, au meilleur me'moire sur le sujet suivant : Exposer les connaissances positives qui constituent la science phrenologique dans son etat actuel. Le terme trop rap2)ro- che du concours nous fait craindre que rien de complet n'y soit prc- sente' sur une matiere si etendue ct si delicate. Le plus grand nombre des membres de cette societe' e'tant me'dccins , on doit s'atlendre a ce que ses recherches se dirigent surlout vers la pa- thologic. Nous la suivrons avec inte'ret dans ses travaux. Car s'ils sont conduits avec activite et ensemble , ils pourront etre grandement utiles a la the'rapeutique et a la legislation, en jetant un jour nouvcau sur les maladies men (ales. G^O LIVBES FRANCATS. i',.^. IVlicDECiNE ivAVAi.E, Oil Nouveaux elemens d'hygiene-, de pathologie et de therapeutique medico-chiriirs^icale , a V usage des officiers de saute de la marine de Vetat et du commerce ; par G. FouoF.T , doctcur en me'dccinc dc la facviltc dc Paris , ancicn chi- nirgien de la marine au port de Roclicfort,clc., etc. Tom. i"''. Paris, i85'2; I'antcm-, rue de Savoie, n" 4- In-8° de SS^ p. ; prix , 7 fr. De nos jours , la navigation est une des faces les plus larges , les plus pittoresques , les plnsmouvantes des socie'te's civilisc'cs. C'est par elle que s'agrandit le domaine de la terre , et que la petite Europe touclie aux contre'eslesplus lointaines de I'ancien monde et dunouveau. Le commerce, la guerre , les sciences , poussent sans cesse snr les mers une grande partic de nos populations. Ceux-ci n'y voguent que passagcrement; ceux la y passenf, quelques annc'es de leur vie; d'autres y consument leur vie en- tiere: touss'y raodifientplus ou moins, au physique commc au moral. On conceit en effet quelle empreinte profondc doit laisser sur des hommes cntasses dans un espace re'ductible a un cube de trente a quarante pieds une vie d'activite' et de privations continues , lour a tour aqua- tique , terrestre , ae'rienne , une vie que gouverne a la fois tout ce que les vents et les flots ont de caprices et de dangers , et tout ce que les lois luiinaines ont de plus rigoureux , dc plus inflexible, de plus inevi- table. Si Ton pouvait douter dc la puissance des agens physiques ct des institutions sur notre nature , il suffirait pour s'en convaincre d'e'tu- Jier rhommc dans ces monarchies floltantes, que Ton nomme vais- scaux. On a si bien compris que le corps , Tesprit , les moeurs , y jjren- nent un caractcrc a part oii predominent la rudesse , la franchise , le me'prisde la raort , que c'est chez les marins que I'Ame'ricain Cooper , ct d'autres apres lui , ont e'te' puiser pour leurs romans des coulcurs nou- velles, des scenes dramatiques , originales. Si dc I'art on passe a la science , on devra admettre linc medecine navale aussi-bicn qu'une litterature maritime. La constitution phy- sique de I'homrae, ses besoins, ses accidens, scs maladies, e'tant pro- fonde'ment modifies, I'hygicne et la the'rapeutique devront se modifier c'galement. C'est ce qu'a fort bien senti I'auteur de I'wivrage dont le nrcmiev volume vient de paraitre. Chirurgien de la marine pendant plus de dix ans, pre'occupe' depuis long-tems par I'idee dc donner a sou pays un traite indispensable , raais qui mancpiail cependant , entoure LTVRES FftANQAlS. 67 I dans la capitale tic tons les secoiu's , de toutes les liimicrcs desirables , dc'^aj:;c dii service actif, et partant, plus libre de de'Voiler les abiis et de rcclaiuer des re'formcs , le docteur Forget s'est trouve place dans les circonstanccs les plus favorables , et il a su les rendre fe'condes. Son ouvrage, divise' en trois parties , hygiene , rae'dcciiie, cliirurgie, est precede par iin conp d'reil historiquc sur la me'decine navale. Sans parler longuement de la navigation des anciens , sur laqnelle restent si peu de donnces , il penche a croire que les Phe'niciens et d'autres peu- ples de I'Asie I'ont porte'e autrefois a un haut degre de perfection, dont la barbaric a ane'anti les traces. Passant a la navigation modcrne , il en e'tudie les progres dans Icurs rapports avec la sante de I'homrae. II suit la marche de I'architecture navale, les pcrfectionnemens graduels du regime hygie'nique sur les vaisseaux , et il expose toutes les conquetes successives et toutes les de'couvcrtes ge'ograpliiqucs qui accompagnerent le rc'veil de I'esprit europeen , et son cssor prodigious sur la fin du quinzicme siecle et au commencement du seizieme. C'est avec le plus grand interct qu'on voit la science nautique se developper avec I'lionime , s'enrichir et s'etendre a cbacun de ses progres. La boussole , le teles- cope , les cartes marines , les canons , mille autres inventions vienncnt tour a tour s'ajouter au perfectionneraent des constructions navales. Comme un miroir fiidcle , un vaisseau reflete a chaquc epoque la civi- lisation tout entiere. Ce n'est guere qu'au dix-septieme siecle qu'on rencontre des traces positives de I'art de guerir applique a la navigation. Du tcms des ci'oi- sades, les grands seigneurs seuls se faisaient accomp.igncr de me'decins. C'etaient alors presque toujours les moines ou les chapelains qui en remplissaient les fonctions. Le vulgairc des croise's restait en proie aux charlatans qui I'exploitaient. C'est a Richelieu et surtout a Colbert que la France doit I'organisation de la marine du cojumerce et de la marine militaire. Les ordonnances de 1G81 et de i68g, encore en vigueur dans la plupart de leurs articles fondamentaux, re'glaient entrc autres choses le service de sante des equipages. Dcpuis cette epoque, la me'decine navale a fait de constans progres. Les derniers voyages scienlifiqucs ont contribue puissamment a la perfect ionner. Mais aucun traite' ne rc- sumait en les coordonnant toutes les donnees de la science sur cet im- portant sujct. Le Traite des maladies des gens de merde Poissonnier 672 LIVRES FRANC AIS Desperrieres , dernier oiivragc francais qui soil lui pen e'tendu , date de plus d'un dcmi-sieclc , et par suite est lout-a-fait insuffisant. La partie liygie'nique du livre du docteur Forget est traite'e avcc lar- geur et originalite. II y examine successivement tout ce qui a rapport a la mer , aux equipages , a I'atmosphere tant inte'rieure qu'cxle'rieure des navires , aux moyens d'cn prevenir et d'cn corriger les vices; il passe en revue ce qui concerne les alimens , lesboissons, les exerciccs, Ic moral des equipages , les recompenses el les peines , et il finit par des considerations sur racclimatement. Les personnes les plus e'tran- geres a la raedecine trouvcront dans cette premiere partie beaucoup de details aussi curieux qu' utiles. Pour donner une idee de la maniere de I'auteur^ nous citerons quelques fragmcns de la peinture pliysiologique qu'il fait du marin. Quiconque a visite un port de mer en reconnailra facilement la ve'rite'. « Le marin, qu'une organisation privile'giee , forlifie'e par I'liabi- » tude, a fait resister aux assauts destructeurs de sa rude carriere, jouit, » apres un certain terns , d'une complexion physique et d'une trempe de » caracterc qui lui sont propres. Le raatelot pre'sente en general une » constitution robuste , mais seclie ; sa pcau , brunie par rintemperie » des climats divers , est ombrage'e de polls noirs et e'pais ; ses veines , » qui se dessincnt en saillies nombreuses , ses muscles prouonce's , sur- » tout aux membres supe'rieurs , annoncent I'habitude des travaux pe'- Dnibles; ses rides profondes , ses pommettes saillantes , son regard » assure , rendent sa physionomie severe ; ses levres sont ordinairement » ternies, ses dents noircies , dechausse'es , usees, gate'es par I'usage du » tabac , les atteintes scorjjutiques et les traitemens mercuriels que la » plupart ont subis; ses e'paules sont larges, sa poitrine est carrc'e, son » ventre souple et peu saillant, ses membres sont charnus , ses mains » epaisses et calleuses , ses pieds larges et plats ; en somme sa stature » est moyenne et son corps peu volumineux : il doit ses heureuses pro- » portions a I'exercice des bras et de la poitrine, a I'influence d'un air » vif et lumineux , qui communiqucnt tant de force et d'acfivite aux » organes doue's d'une vigueur originelle. Son dos est voute' , ce qu'il » doit a la necessite de se tenir courbe pour circuler dans I'inte'rieur du 1) navire. Son allure parait lourde et mal assure'c ; il marclie, commc » on dit, en sc dandinant , et les jambcs e'carte'es , ce qui ticnt u I'ha- LIVRES FRANgAlS. 6^3 » biliidc An balancement raiibculairc que ne'ccssitent les mouvemens lia- "bilnels dii navire; mais voyez-lc grimperdans Ics cordas^es , ou coiirir » sur iin terrain difiicile , ine'gal et glissant, vous aurcz alors le type dc » I'adresse et dc I'agilile. » Les organes des sens , chez le matelot , sont diversement de'velop- » pes ; sa vuc est line ct perfante, sans doute a cause de I'usage qu'il » en fait ; I'ouie pre'sente un pen de durete , ce qu'on pent attribuer au » fracas des teni petes et dc Tartillerie; I'odorat est peu sensible en ce » qu'il est peu exerce ; la rudesse des travaux manuels rend le toucher «lrcs-obtus; le gout est deprave par des appe'tits gloutons et peu » de'licats. » Sa voix est sonore , c'tendue , breve ct rude ; son langage , naif et » grossier aboiide en tournures mctaphoriques prises dans les details du » rae'lier. » Dans la partie me'dicale , dont une portion seulement a vu le jour , I'auteur a eu pour but d'offrir aux officiers de sante de la marine un tableau assez complct des diffc'rcntes maladies et de Icur traitement pour qu'ils y pusscnt trouver ce qu'il y a d'cssentiel dans I'art de gue'rir. 11 a done rcpris le cadre nosologique, tel que les derniers travaux des di- verses c'coles de medecine Font fait, et il i'a e'tudie dans toutes les mo- diCcations que la mcr et les habitudes du marin lui font subir. La ma- tiere me'dicale sur un batiment est souvent trcs-Iimitec : le talent du medecin est alors dans I'usage rationnel et habile des grands modifi- catcurs externes. L'cau dc mer, conside're'e comme eau mine'rale,offre des Ire'sors the'rapeutiqucs ine'puisablcs a qui sait en user. Dans les affections cutanees , la fievre jaune , la dysenteric , le typhus ct meme le scorbut , dans milie autrcs cas encore , son emploi a rintc'rieur ou a rexte'riciir est d'un grand secours. M. Forget est d'accord sur ce point avec MM. Billard, Caillot et Kcraudren et autres notabilite's me'dicales. Le second volume de I'ouvragc paraitra dans quelques mois^ il con- licndra la fin de la deuxieme partie et toute la chirurgic navale. Cclle- ci s'applique aux divers accidens dont un vaisseau est le theatre , soil dans la manoeuvre , soit dans le combat. Qu'on sc transporte au milieu d'un combat naval , sur une mer orageusc, alors que les canons gron- dent et font rebondir le navire, quand tout , autour du chirurgien , est agite, bouleverse. II faut que dans cc chaos il reste calrae, et sache, TOME LIII. MARS 1852. 44 674 LIVIIKS FRAN9AIS. sans trouble et tViinc main sure, appliqner toutes les rcssojirccs dc son art. Dans tons les cas, nicme en terns tie paix, la mer fait naitre dcs difliculte's qii'on nc trouve point sur tcrre. Ce que nous connaissons do M. Forget nous donne plcinc confiancc s)ir le talent avec Icquel il tci- rainera sa taclie. Le traite' de rae'decine navale , onvrage neuf et d'une iitilite' ge'ne'rale- ment sentie , ne pent qu'obtenir tout le succes qu'il me'rite. Sans doute il ne sera pas sans re'sultat sur le sort dcs marins. Exposes sur les mers a raille maux , a raille privations, isoles par la rudessc de Icnrs habi- tudes , ils sont trop negliges , trop oublies an milieu dcs preoccupations d'une socie'te cmue et decliire'c. D. R. de Gejiece. 146. — DouzE jouRKEEs DE LA REVOLUTION, poemes , par Barthelemy. — Premiere journe'e : le Jeu de Paume. Paris, iSSa; Perrotin, rue Neuve-des-Matliurins , n" 54- In-8" de 3'.>. pages, avec une gravure; prix, i i'r. 5o c. C'est un prodigieux talent que celui dc M. Bartlie'Icmy. Voila tantol sept ans qu'il fait une guerre opiniatrc aux vingt ou Ircntc ministres tour a tour hisses au pouvoir par les folles imprudences des partis; el, dans cettc lutte , que n'interrompt aucuue trcve , sa verve , loin de fle'- chir a la fatigue , semble se rcdresser plus energiquc et plus fiere pour chaque coup nouveau dontclle vicnt pcriodiquemcnt frapper une hydre toujours renaissante. Apres la Villeliade^ et d'autres chefs-d'oeuvre de puissante ironic , Nemesis restcra comme un dcs phe'nomenes les plus ciu'ieux de notrelitte'rature. Quelle activitc d'imagination , quel fe'cond instinct d'a-propos , quellcs ressources inepuisables d' eloquence il a fallu pour alimenter ccs riches arsenaux de traits ace're's , d'ccrasantes massues , oil sa main puisait largement les materiaux de cette satire hebdomadaire qui lassa tant d'intrcpides faiseurs de re'quisitoires I A d'autres le soin de blamer d'aiidacieuses exage'rations , sans peine explicpiees par les emportemens d'une noble colere? Qui sent aussivi- vcment nc saurait faire a chacim mesurc cxacte et precise de haine et de me'pris. A d'autres I'ennuyeux triage de quelques vers prosaiques , dc quelques images boursouflees , de quelques conceptions trop pauvres d'e'tudc etde travail? Vraiment, c'e'tait osuvre de politique autant que de poesie; et les exigences du pntriolisme pouvaient bien prendre quelquefois le pas sur les reglemens de la prosodie. LIVRES FRANgAlS. 6^5 Enliu JVemesis a depose scs verges inflcxibles.Toiitcs Ics causes pcn- (l.intes jiisqu'a ce jour devant le tribunal supreme de I'opinion ont subi leurs arrets. La justice prendses vacations. Laissons croitre , obscurs ftche'tifs, les athletes nouveaux dont le camp ennemi nourrit, contre nous, I'ardcur encore vierge. S'ils osent un jour s'aventurer dans I'arenc, la muse vengeresse viendra se retremper au cceur dc son poctc , pour les fouetter a leur tour , sans pitie. Aujourd'hui n'envions point a cette ame, si long-tems agite'e par les fougueuses convulsions dcs plus rudcs combats , quelques jours de calme et de repos ; laissons-la , oublicuse des de'senchantemens du pre'sent , retourner un instant vers de belles illusions et saluer par des chants d'cnthousiasmc un passe cjui lui sou- rit avcc amour. L'histoire dela revolution est une sublime e'pope'e. Mais il e'tait dans k nature et dans les habitudes de M. Barthe'lemy d'en saisir avec viva- cite les bcaute's particlles plutot que d'en ge'ne'raliser I'esprit dans unc poe'ti que syn these. Sa verve s'e'pancheparboutadessur quelques tableaux e'pars : trop impatiente et trop hativc , elle ne saurait chercher et miirir un plan d' ensemble. A chacun son talent et son genre. Qu'on se contente des chaudes esquisses de M. Barthe'lemy , sans lui demander une lliade moderne ou la Divine Come'die du dix-neuvierac siccle. David a deja dcssine le Jeu de Paume. Son croquis est beau de fran- che poe'sie, de grandeur simple et naturclle. Chez M. Barthe'lemy , il y a plus d' abstraction de'clamatoire ef moins de ve'ritc locale. C'est un de'- but au poeme de la liberie : devant I'imposante heroine disparaissent effaces les individus dont les roles, auprcs de son e'ternelle mission , res- tent secondaires et passagers. On dirait un edifice oii les masses hu- maines se pressent et s'accumulent sans pouvoir en combler les vastes proportions; et dans Timmensite' du sujet les figures historiques se per- dent, comme les fideles sous les spacieux arceaux dcs cathe'drales. Mi- rabeau pourtant domine la foiile Ouragan fait de chair Puissance proplielique en un jour revclde. Avec sa voix d'airain , sa hnrc cchcvelee , Sa parole qui tue ou consterne d'effroi , Tout scul il prend le peupic et le roiironne roi. 676 LIVRKS FRAN^AIS. I'uis RobcspiciTo Miirl cncor : sa poitrine opprcpsoc So jjoiidc d'avenir ct garde uiio pensee ; Sa conienancc est froide , ct pourtant do son ceil , Tombc uii de ces regards qui presagent Ip dcuil ; Et Taccfes du frisson qui contracte sa face R^vfelc son histoird a peine a sa preface. Plus loin , quelques vers nous tVapi>ent surtout j Ics voici : La liberie ! son char a trouve son orniere ; On va la voir courir sous sa neuve banniere. Ccux qui nous Tonl poussee ont des bras vigoureiix. Qu'importe qn'en son vol die passe sur e\\\ ! . C'cst Tidole du Gange : elle donne une extase , Une mort sans douleur au passant qu'elle ccrasc. La liberty se sert du sang de ses amis Pour cimcnter les dons qu'elle nous a promis. Le jour qu'elle naquit, la cour a Trianon La rcgarda passer et denianda son nom. Tons ces jcunes seignetjrs , aux riches aiguilleltes, Soleils de PCEil-de-BoDuf , rayonnans de paillettes , D'un doigt injurieux , au perron du chateau, Dcsignaient les tribuns vetus du noir manieau. Leur deplorable rire emplissait les salons ; Et la femme du roi , la reine aux cheveu* blonds, Des eclats ^tourdis de sa joie insensee , Parfumait en courant son royal gynecee. Kt que fait son epoux ? Son t'poux chasse au tir ; [I n'entend pas la voix qui vient de retentir. Impassible monarque, il caresse sa meule ; « Dans le sernient du peuple il nc voit qu'une emcule. Pauvre roi ! le bandeau transmis par ses aVcux , En glissant de son front est tombc sur ses yeux. Un mot sur I'cxecution mate'rielle qui n'cst pas indigne de la grande reputation du poeto : la gravure a I'eau forte, par M. Raffet . n'est pas saiisnic'rile. LIVRES FKANgAIS. 67 7 Lcs onze aiilres journees doivent paraitre dans I'espace de quatre mois , trois par uiois. On les annoiice par lcs litres suivans : la Bastille , le Peuple a Fersailles , le Peuple aux Tuileries , le Peuple-Roi, les Massacres , la Mort de Louis XFI , les Giron- dins , la Chute de Robespierre ^ le Peuple a la Corwention, Bo- naparte au 1 3 vendemiaire, Saint-Cloud ou le 18 brumaire . A. J. 147. Poesies d'Hippolyte Tampucci, garcon de classe au college Charlemagne. Paris, i83'2 j imp. de Casimir. In-iG de xv-210 p. Ce petit livre est rceuvre d'un jeune homme comple'tement inconnu. Beaucoup de personnes, a son apparition, I'ontpris pour un travestisse- ment noiiveau. En effet, puisque des poetes, pour inte'resser, se font yieux ou malades , pourquoi d'autres n'auraient-ils pas pu essayer une tentative a pen pres analogue? II n'en est rie#pourtant; I'auteur de ces vers est bien notre ami Hippolyte; et il est re'cllement (je suis faclie dc le dire) garfon de classe au college Charlemagne. Ces poesies ne sont pa& de simples jeux d'csprit , mais I'cxpression intime de sa pense'e dc tous les jours. A ce litre on nous saura gre de le faire connaitre en pen de mots. Hippolyte Tampucci est nc au college Charlemagne, oil son pere etait pre'parateur du cours de chimie. Des son enfance il manifesta le» plus heureuses dispositions. Mais son pere, qui le destinait a des Ira vaux manuels, arreta constamment le de'veloppement de ses faculte's iii- tellcctuellcs ; et, quand il fut en age de s'adonner a une profession, lui choisil celle de cordonnier, qu'il refusa opiniatrement. Pouitant il lui fallait un etalj on obtint pour lui une place de garfon de classe au col- lege. C'est dans lcs loisirs que lui laissail cette derniere occupation que lejeime TanipiTcci se forma a I'etude de la pocsie, soutenu par la bien- veillance des professeurs du college. II composa quelques essais qui portent rempreinle de son decouragement et de ses souffrances. Plus' tard il s'linit a toutcs lcs inspirations patrioti([nes qui firent vibrer les cceurs jeunes sous la rcstauration , comme le prouvent [ilusieurs pieces de vers inserecs dans la Couronne poe'tique de Bei anger, et diins di- vers autres recueils. La revolution de juillet arriva : Hippolyte la chanta le premier ; il la sal'ia comnic I'aurorc dc la liberie pour la France et pour lui. Lcs personnes qui lui portaient quelque intcrcl sollicilerent 678 LIVKES FRANCAIS. jioLir liii uue place Jans un des ministeres... Deux ans se sont ecoule's, et il est encore face a face avec une triste doraesticite. Le recueil que nous annoncons se compose de poe'sics iaites pendant ces ti'ois dernieies annecs. Quelques-unes sont remarquables par la pu- rete de style qui Ics distingue, comme cellcs a M. Vcrdot, a M. Ro- magnv, sur la Pologne. En general les vers manquent de ncrf , la pense'e n'est pas assez saillante. Mais ce de'iiiut est principalement celui de ses premieres poesies , et disparait de plus en plus. Plusieurs morceaux ine'dits que nous arons vus depuis la publication de ce volume nous ont paru avoir perdu ces de'fauts. On annonce une seconde c'dition de ce recueil. II est a souhaiter que •lauteur en fasse disparaitre plusieurs morccaux ultra-me'diocres, lels que Tepitre a The'ophile Gautliier, les vers a une jeune fille, etc, Ch. G. 14B. OEuvRES DE Charles Nodier, Romans, Contes et Nouvelles. — Seconde livraison. Paris, i83'2; Eugene Renduel, e'diteur libraire, rue des Grands- Augustins, n" 22. In-8° de 894 pag. L'ouvrage aura 4 vol.; prix, 3o fr. (Voy. ci-dessus , livr. de jaiwier, pag. 17O.) Ce second volume contient, ainsi que nous I'avons annonce' : Ze Peintre de Saltzbourg , ^dele et Therese Hubert. Chacun de ces lomans est encore precede' d'une preface nouvelle, oil , aprcs des details familiers tres-pre'cieux , I'auteur fait toujours au lecleur un profond salut de modcstie. Quoique ce mouvement repe'te' ne puisse etre soupconne' en aucune maniere de la raoindre affectation , nous avouons qu'il nous saisit de'sagre'ablement. D'oii vient ce dedain douloureux pour des ceu- vres qui ont si bieu su conque'rir aux bons endroits du public des ap- probations vraies et naives? C'est une ingratitude que nous chercherons ;'i oublier avant la publication des trois dernicres livraisons, de'siranl avoir le coeur libra de toiUe preoccupation incommode, a I'heure oil , la main sur les cinq volumes, notre devoir sera de nous clever, s'il est possible, a la dignite de juge. Ed. Ch. 149. La danse macabre, histoire fantastique du quinzieme siecle, par P.-L. Jacob, bibliophile, membre de toutes les Academies. Paris, 1 832 J Eugene Renduel , rue des Grands- Augustins , n" 22. In-S" de x\vi-35G pages: prix, ■j fr. 5o c. La danse macabre, c'est la Danse des marts, conception du moycn LIYRES IRANgAlS. 679 Age , semi-tragique , semi-burlesque , doiit les murs de ses charniers ct de ses couvens conservent encore quelques vagues empreintes. Ma- cabre , rinventeur , avcnturier boliemc , est venu du teins des Anglais, re'cre'er le populaire parisien par la mise en scene de ce bizarre spectacle. Puis il s'est enfoui sous terre, dans un gite le'- nebrcux , au centre du cimetiere des lunocens , ou , seul , renfennc avcc sa de'goutante moitic Giborne , il poursuit nuitamment durant de lon- gues anne'es I'infarae speculation qui grossit son tre'sor ; car le jongleur a deux passions, I'or et la musiquc : a niinuit, lorsque la superstition enveloppe de craintes myste'ricuses sa funebre retraite, apres avoir viole le secret des tombeaux pour y ravir d'infccts suaires qu'achetent ensuite les usuriers lombards, Macabre monte au sommet. de la tour Notre- Dame- des-Boisj et la, palpant moutons-a-la-grand'-laine , francs-a-cheval , francs-a-pied et angelots , entasse's sous la pierre, faisant vibrer avcc une fre'ne'tique ardeur les cordes du rebec , il e'prouve des extases dont la volupte' solitaire cliarmeseule une vie de privations et de travaux..,. Mais arrive le dimanclie de Paques-Fleuries i438, et les crieurs ont annonce , dans toutes les rues du vieux Paris, pour le jeudi suivant, une nouvelle representation de la Danse des morts. La foule s'y presse : bourgeois et soudards , moines et Giles de joie , truands et dainoiselles ; des niilliers de spectateurs encombrent les etroites limites du cimetiere, se presseutauxgothiquesfenetresdcsbatimens quil'environnent, ou s'alfour- client sur les toits poinlus quile dominent. C'est une solennite publique. Quelques planches forment aupres de la Tour un ignoble tretcau. Macabre , long , maigre , de'charne , dont la cadave'reuse nudite est a peine en quelques parties recouverte d'lm linceul, squclette vivant , apparait au peuple assemble : c'est la Mort. Aux magiques accens dii rebec, elle evoquc ses nombreux sujets. lis viennent. Voici le pape ^ I'empereur , un cardinal , affuble's de leurs insignes de pourpre et d'or ; et la cruelle violemment les cntrainc dans les tournoicmens de sa danst; infernale, Glacant la joie des festins, brisant toutes lespompes mondaines, le spectre ne re'pond a de lamentables prieres que par les eclats d'uiic ironic bruyante : fantastique moralilc' qu'interpretent a leur aisc les rircs grossiers de la foule. Tout a coup , d'une cslradc voisine , snrgil un cordelier dont la clapissaiite voix oppose aux jongleries du Bolieme les seductions dc son clutpiencc pu|nilaciere. Ecoutez: il tonne centre 68o LIVRES FRAN^/VIS. I'infaniie dcs moeurs. Peste et famine, Anglais et Bourguignons , sunt les textes qu'une impudcnte hibricile dans les gestes et les mots acco- mode aux exigences de I'auditoire. La liilte est engagce , opiniatre et vive ; en face du comedien est le moine , et la foule partage e'galement ses vivat et ses hue'es , scs injurieux projectiles et ses cris d'enthou- siasme. Qui triomphera ?.. On nc sait, carbientot un phe'nomene sinistre vient dissiper ces masses qii'a re'unies I'attente dii plaisir. L'e'clatant so- leil d'avril s'efface dans les tenebres d'unc e'clipse; et, tamultueuseracnt pousse vers les avenues du ciraetiere , le peuple , que saisit I'e'pouvante , regagne en hate ses logis et ses egliscs. ... Macabre n'a pu terminer la representation : M. Jacob le fera pour lui; et, dans sa hideuse dramaturgic, I'acteur princijwl , la Mort, va fatiguer notre pensce par I'e'tonnante multiplicite de ses travestissemens. C'est peu de la guerre et de la disette , de la peste et du bourreau ; cent inventions fe'cdndes varieront en plus, sous mille formes pittoresques , le theme primitif que designe le titrc. Fidele aux terribles pronostics de Te'clipse , Dieu promene sur la morne cite tous les fle'aux que redoutent les bommes. Dans Paris, as- siege par les Anglais , en proie aux horreurs de la faim , une de'vorante epidemic excrce ses ravages. Que de crimes s'accumulent sur cette terre dc desolation ! Voyez ; cloue sur la croix , un enfant meurt , exhalant , par les piqiires innombrables dont les juifs ont tatoue' son corps , la vie avec le sang ; tout a cote , son pere , vieux raari jaloux , e'touffe dans les convulsions d'une conjugale angoisse. Ceci, c'est Malplaquet , le faux ladre, buveur, paillard et glouton, que I'ivresse conduit pres d'une biere oii I'impur s'etend, dans I'espe'rancc d'une couche commode , pour se re'veiller au milieu des tortures de la plus effroyable agonie. Plus loin , notre bon moine precheur est boulit vivant dans une chaudiere cmplie d'eau bouillante, et la famelique Giborne pre'cipite son avari- cieux despotc du sommet de la tour des Bois sur les dalles qui en for- ment la base; puis, asontour,elle expire dans les vastes galetas du char- nier, lapide'e par des garnemens dont les mains s'arment au hasard d'ossemens et de cranes mortuaires. Continuous : voici maitrc Culdoe , le juif , ecrasanl sa delatricc Guillemette sous les coups d'un enorme pave ; ensuite le pretre Thibault dcvorc par les loups dans la rue des Bourdonnais , lorsqu'il revicnt au soir d'accomplir une mission cliari- LIVRES FKANCAIS. 68 1 lahle. Ici, Taillebotte,rentremetleuse de re'tuve-aux-femmes, pollue de scs contagicux attouchcmens Ic pauvre Benjamin , un jeune liance ; et la, celui-ci tombe , frappe de la peste , aux. pieds de I'autel qui consacre tardivement ses ardentes amours. Pour denouement, enlin, nous verrons murer re'pouse'e dans una cellule e'troite , et la mort I'y viendra trouver aussi, apres de longues anne'es de solitude, lorsque les douleurs auront abruti ses beaute's fraiclies et de'licates , lorsque la de'mence aura des long-tems fle'tri sa raison. N'est-ce pas une pitoyable Listoire ? Mais , pour en admirer I'e'nergi- que contexture , ne fermons point les yeux sur ses de'fauts. M. Jacob de'buta dans la litte'rature par les soirees de Walter Scott. Tous gouterent ccs csquisses , vivcs , accortes et finement coloiees , ou I'e'rudition vient a point pour donner au dessin un le'ger vernis d'anti- quke' , oil le faire de I'artiste revet de formes attrayantes quelques cu- rieilx apercus sur les coutumes des vieux siecles, jusqu'ici perdus dans le fatras des me'moires de I'Ordre de Saint-Benoit ou de I'Academie des inscriptions. Le bibliophile avail saisi des I'abord, avec un instmct cre'ateur, la nuance dc'liee qui convenait a ces petits tableaux de genre. Tout y est gracieusement fini : la science n'y etouffe point la poe'sie, et la poe'sie y gaze inge'nieuseraent la science.... Vinrent ensuite de plus grandes compositions, mais avcc un succes moins flatteur. Ce n'est pas que le cadre du roman soit trop vaste pour le talent de M. Jacob : sa touche est large, sa palette est ricbe et varie'e, sa main est souvent heu- reuse dans ses hardiesse3 , et le sentiment lui prete parfois de touchan- tes inspirations. On n'a point oublie Caillettc, le fou de Francois I" , qui meurt d'amour pour Dianede Poitiers : c'est une figure delicieuse de grace et de passion. Mais le bibliophile peche par surabondance de savoir. Entreprend-t-il lui nouveau livre ; le voila d'abord , faisant c'norme provision d' antiques documens sur chaque personnage , sur cha- que lieu, que sa baguette doit rappcler a la vie. Graces a ce travail pre- liminaire , bien des menus details acquierent pour rinvestigaleur un prix inestimable : tel est un secret de'robe a quelque manuscrit dont les vers ont a moitie ronge'le parchcmin ; tel autre offre la rehabilitation d'un fait me'chamment denature par certain demi-savant. Comment en ferait- il le sacrifice?... He'las! pourtant M. Jacob, si vous ponvicz alle'ger un peu ce lourd bagagc , voire imagination n'eu volerait que plus libre 682 LIVRES FRAN^AIS. ct plus It'gere dans Ic domaine de ses fantaisies. Ce qui lui plaisait sui - tout, lors de vos premiers contes, c'l-tait la simplicite des donne'es historiqucs. Una fois que I'anliquairc I'avait installe'e a I'holel de Charles VII et de sa gente Agnes , ou bieu dans cettc uiasure que la confrc'rie des bonnetiers devait occuper durant la uuit du guet, il I'aban- donnait entierement a scs allures poe'tiques, sans la gener par I'irapor- tunitc'de luille ct mille descriptions techniques d'un habit, d'une cloison ou d'un meublc. Aujourd'hui c'est autre chose. EUe se perd dans le de- dale des rues tortueuses de la cite , que vous enume'rez avec la mi- nutie d'un arpentour, sans lui accorder I'assistance d'une carle topo- graphique ; elle s'ennuie dans ces coliues du bas peuple auqucl vous pretez amoiireusement la kyrielle de trente ou quarante dictons go- thiques, dont un seul aurait suffii pour caracte'riser la grossierete' barbare du tems; elle prend le vertige a vous suivre tout au sommetde ces fleches aigues , qu'amateur intre'pide vous de'crivcz pierre par pierre dans vos hors-d'oiuvre d'admiralion architectonique. L'exces fatigue et rebate en tout. Pourquoi encore, par un abus semblable, prendre plai- sir a I'incroyable nomenclature de ces crimes merveilleux dont la con- centration en une quinzaine de jours cut pourvu , outre satie'te' , voire meme aux fe'roces passions de votre populaire de i438 ? Certes I'ide'e premiere de ce noir tableau est fortement concue ; mais la poe'sien'en respire point a I'aise, sous les enjolivemens e'rudits , sous les exage'rations sanglantes , dont la me'moire et le travail du peintre I'ont surcharge'e. C'est un arbre c'paissemcnt touffu , oil I'air ne pent cir- culer avec liberte, entre les iDrancliages quis'e'touffent mutuellementdans leur confuse raelec. Emondez avec gout; sacrifiez quelques dialogues inutiles ; eclaircissez le pele-mele des dissertations sur les ruines et les origines J mettez uu frein a votre ardeur inquisitoriale de forfaits et de supplices : la perspective se de'gagera , les proportions de I'ensemble ressortiront plus harmonieuses ; et lecteurs d'applaudir sans restriction a la consciencieuse sagacite de vos recherches , comme aux beaute's neu- vcs et vigou reuses dont le livre est rcmpli. A. J. LITRES FKANgAlS. 683 i5o. Les CENT coisTEs DROLATiQUES;, colUgez es abbtties (le Tou- raine et mis en lumiere par Ic sieur de Balzac , pour I'esbalte- rnent des Pantagruelistes et non aultres. Premier dizain. Parii, i832 J Charles Gosselin , rue Saint-Germain-des-Pre's , n" 9. In-B". de 4oo pages; prix, 8 fr. Quelquefois , assez distrait pour entrer sans etre annonce au fond d'un appartcment oil vous n'e'tiez pas attendii , vous avez de'couvert des rides de confusion sur le front venerable d'un professeur de I'Universite', ou line plus vive rongeur que de coulume aux joues de Tepouse laborieuse d'un de vos amis : involontaireipcnt vous avez soupconne qu'au moment oil vous aviez toume trop brusquement le bouton de la porte , on avait jele' pre'cipitamment qiielque chose a travers l** melee des classiques grecs et latins dont la poussiere s'clevait en fume'e au soleil sur le cuir noir du bureau , ou sous les plis encore agite's d'un voile qii'on commencait de brodcr^ d'unc robe qui a la derniere promenade avait perdu son agraffe d'argcnt. C'e'tait en cffct une oeuvre d'imagination, un recueil de poesies nouvelles, des contes ou un roraan. Si vous avezparu embar- rasse , ou si votre regard s'est rendu coupable d'un de'sir d'indiscre- tion , on a du prendre un air d'indifference , ct dire , pour pre'venir toute question importune: — Oh I la tete me faisait mal, et je parcou- rais une nouvcaute que m'a envoye'e mon libraire ? Comment vous por- tcz-vous ce matin? — Si vous avez ose' iusister, vous avez entendu prononcer de Textremite' des levres un jugement concis et ordinaire- ment juste, quoiqu'un pcu dcdaigneux , et il n'a plus etc question de I'ouvrage. Heureuse nature de critiques , que j'envie toiites les fois sur- tutit que vous me donnez un livre neuf , mes chers amis , en me priant de raconter sur le papier ce que j'en pense. Je cherche leur secret. Ces deux classes de lecteurs doivent peut-etre leur promptitude at leur pre- cision d'examen au soin prudent de ne jamais lire les prefaces modernes, toujours le'geres de vraie erudition autant que uc vraie modestie. Lebut des auteurs , en les e'crivant , n'est-il pas ge'ne'ralement d'exposer avec plus ou moins d'art Tunc do cestroispense'es d'exorde: — «Je vouspi^e de ne pas etre severe envers mon livre. — Je ne veux pas qu'on me critique. — Je declare sot , ignorant 011 privc do loute delicatcsse, (jui- fonquc lie Irouveia pas fa-uvrc suivantc admirable. » Otle derniere 684 LIVRES FllANgAlS. foiine csl surtout fort a la mode. Du rcste , c'est le meme artifice d'elo- i|iience que celui dont se sert uii orateur du gouvernement : « Nous li- )) vrons a la liberte de votre discussion le projet de loi dont nous venons ^ » d' avoir I'lionneur de vous exposer les motifs et les dispositions : » toutefois il est de noire devoir de faire observer a la chambre et a la ') nation, qu'amoins de se declarer ennemi de I'ordre public etde I'in- » tc'ret du pays , on nc saurait s'empecher de trouver qu'aucune mesure » n'est plus urgente et plus parfaitemcnt approprie'e aux circonstances '> actuelles. » Des jeunes gens de grande experience I'emploient encore utilement dans certaines occasions : « N'est-ce pas , madame , qu'il n'est » rieu de plus haissable que cctte pruderie d'apparat qui s'effarouche » d'un mot ou d'un geste: c'est d'un mauvais ton a faire peur! » Quel- quefois on fait preuve d'adresse en pcrfectionnant ces precautions ora- toires a I'aide d'un melange habile de plaisanterie et d'audace, en sorte qu'on arrive a pouvoir a la fois se jouer de I'oppositiou qu'on redoute , la de'sarmcr gaiement , et en riant lui porter de bons coups. Voici un exemple que je vous recommande. Vous avez compose' un ouvrage li- cencieux , et quoique vous ayez tente de deguiser le'gerement votre de- bauclie d'esprit sous les pe'ripbrases d'un vieux jargon , vous craignez la censure publique, dites bardiment: « Souvenez-vous , criticques enrai- » gc's, hallebotteurs de motz, liarpyes qui guastez les intentions et in- » ventions de ung chascun , que nous ne rions que enfans ; et , a mesure » que nous vo'iageons , le rire s'estainct ct despe'rit comme I'huyle de la » lampe. Cecy signifie que , pour rire , besoing est d'estre innocent et » pur de cueur; fauite de quoy , vous tortillez vos levres , jouez des ba- » digoinces et fronssez les sourcilz en gens qui cachent des vices et im- » puretez Doncques, mesnagez-moy dans vos me'disances , et lisez )' cecv plustost a la nuyct que pendant le jour. » Faites dire encore a votre e'diteur , d'un air plaisarament solennel : « Si le debut de cettc » muse insouciante de sa nudite doit avoir bcsoin de chauds protecteurs » et de bienveillans suffrages , peut-etre ne nous manqueront-ils pas » chez les gens dont le bon gout et la vertu ne sauraient etre soupcjon- » nes. » Avec de telles paroles, vous re'ussirez au moins a trouver dans vos lecleurs quelques complices, ct a inspirer le salutaire effroi du re- proclic de pc'dans a quelques gens charge's de juger vos gravcleux rc'cits : essayez. LIYRES FBANCAIS. 685 Pour moi , ma vue est a peine de'tournee de la derniere page dii dernier conte drolatirpie , ct , la main sur le coeur , an moment de bla- mer, je nc sens aucnn trouble: je ne me croyais pas tant de courage. Le me'rite de I'autenr parait et).e gene'ralement reconnu et justement apprecie. M, de Balzac , ou Honore' Balzac , suivant les premieres edi- tions de quelques-unes de ses oeuvres (c'est une meme personne) , est done d'un grand esprit , d'une belle fe'condite. Peintre , il eut etc tres- habile coloriste ; musicien , il eiit surtout entendu dans la composition I'art important de cboisir, d'opposer, d'liarmoniser les instrumens, et eut etc' tres-brillaht dans rexe'cution. La pi apart de ses sujets (il n'est pas question ici de ses nouveaux contes) sont heureusemcnt imagines : il se place au point de vue convenable pour exciter la curiosite, et des qu'on estattentif a le regarder, il tire des e'tincelles de toutes choses. Devantun paysage, il de'Wt en ge'ologue, enastronome, en physicien, les accidens de terrain, les lueurs du ciel , les caprices du vent et des nuages. De- vant une maison , il me'dite, comme ferait un architccte, un sculpteur ou un mouleur, sur la forme du toit , sur les contours des porles et fe- netres ; et regardant curieusement a travers les vitraux dans I'apparte- raent, il devient aussitot decorateur, e'beniste, ciseieur, disant chaque courbure de meuble , chaque dessin de tapis , chaque reflet de lustre et nommant les bons marchands d'autrefois et d'aujourd'hui- s'il entrc pres de la personne assise dans la chambre, le voila anatomiste , phv- siologiste plus que physiologue, modiste, camaristej depuis la plus le- gere contraction de cette paupiere transparente jusqu'a la plus vague ondulation de cette etoffe ou de petits pieds sont captifs , il n'est rien qui lui e'chappe ; c'est un prote'e j il a toujours le terme technique . le geste analytique : en quelque lieu qu'on le trouve , soyez sur qu'il est occupe a couvrir sa poe'sie , non d'un manteau de philosophe quoi qu'il disc, mais d'une robe de maitre-es-arts ou de bachelier-es-sciences. Quclques-uns ont e'te' effraye's du titre d'un recueil de ses histoires , sup- posant qu'il avait une grave pense'e ou s'inspiraient ses travaux, qu'il projetait de corriger les mceurs , de chatier la politique , d'endoctriner le siccle. Grave erreur ! M. de Balzac est avant tout un poete instruit. II a certainenent fait bien des questions depuis qu'il a I'usage de la pa- 1 oie , car il sait beaucoup de choses qu'il expiiquc a merveillc en idio- mes trcs-varie's , a la difference de la plupart des poetes, qui seniblcnt 1)86 LIYRES FRAN^AIS. dc'daigncr on ignorcr lout autre tcnninologie que rclln dii plus siinj)Ir ccnur. Cost une originalitc qui fait qu'on scrait trcs-cmbarrassc pour hii assigner une place dc'terminc'c. On m'aborderait un jour en m'an- nonrant qu'il s'est cloitre' ou qu'il est mort de mc'lancolie , un me'chant rire rae prendrait, et jc n'en croirais rien. 11 n'est pas dc ceuxquiont toujours en reserve un abbe' mystcVieux pour coufondi'e el terrilier I'in- diffe'rence. II n'cst pas dc ccux. qui re'petent chaquc matin ctchaque soir que la vie est tristc, la doideur monotone, le scepticisme amer, et qui sans cesse vont s'enquc'rir, plcins d'une inquietude tyranniquc, aux sources de la foi. Cc n'est pas son affaire. II aime beaucoup Ics pompes de ce raondc , et ce n'cst que dans un seul sens qu'on pent le compli- menter sur ses oeuvres spirituelles. Les Contes drolatiques en offrcnt une preuve reraarquablc. Ces contes sont au nombre dc dix qui seront suivis cl^neuf fois di\ autres. En voici les litres: la belle Imperia , le Pechc vesniel , la Mie dii Roy , I'Heritier du Dyable , les Jojeulsetez da roj Lqys le unziesme , le Connestable , la Pucelle de Thilhouze , le Frere d'armes , le Cure d'Azaj-le-Rideau, I' Apostrophe . De tous ces contes, je n'en vois pas un seul que je voudrais etre invite a dire en bonnetc compagnie. J'oserais plutot re'pe'tcr le Decameron presqu'en- tier. Et cepcndant, comme je ne serais pas cbarmc d'etre appele' un « critique enraige , hallebotteur de mots , » je confesse que pour rendre le livrc irre'procbable, il ne faudrait changer que peu de chose au frontispice, un nom et un chiffre, de Balzac et iSS'J. Un autre e'cri- vain, un autre siecle, tout serait sauve. Alois , il est vrai , le livre ne servirait « qu'a I'esbattement des Pantagruelistes ct non aultres. » Mais aujourd'hui , ne'gligeant cette louable alteration du litre , n'cst-il pas perfide de provoquer par un anaclironismc dchonte un syllogisme hon- nete et confiant , comme serait celui-ci : « Fanny, Elisc, le journal an- » nonce un nouvel ouvrage 11 estde I'autcur du Dernier Chouan. » et des Scenes de la vie privee que vous aimcz tant J'e'crirai a » madame Cardinal pour qu'elle nous le fassc parvenir dans le prochain » envoi. » Conibien vous allez embarrasscr mes cousines, mon bon oncle, si, ne vous souvenant pas a terns dc la Physiologic du ma- nage , vous les laisscz avant vous soulever cette jolic couvcrture grise a trcillage rose des Cojites drnlntiques, c\ disjoindre sous le coutoau Irs LIVRES FKAN9AIS. 687 fi-aiches feuilles de ce velin pfiVovablemciit tachele de vilains mots tres- intelligibles et d'cxclamations de douleiirs et de joies fort de'shonnetes de salyres a cornes usees et a poils blancliis ! Oiii , ce fut mi beau triomplie sur Ics scrupiiles d'linc austmte mcn- song^re que d'habituer les plus cliastes et les plus se'veres lecteurs a rcn- contrer de sages liberte's de pense'es , et ca et la de vieillcs expressious empruntc'es au langage naif et e'nergique de nos peres; mais n'est-ce pas me'connaitre Tesprit de Tepoquc oil nous vivons que de consacrer tout un volume a des exces de cvnisme et a une contrefaron monotone et fatigante de style ancien. Sans doute il est ,aise de concevoir que ce soit un droit a la reconnaissance pubiique de reproduire certaines pcin- fures de'Ggure'es par la vicillesse , de restaurer dcs statues mutile'es , d'en mouler en platre des copies : la rarcte seule de ccs cliefs-d'oeuvrc pe'rissables explique rutilite de pareils travaux : car autrement il scrait juste de blamer I'artiste qui aurait vouc' un terns pre'cieux a refouler Ic sol vers I'empreinte des pas de nos ancetres et a doubler des ombres. L'e'ditcur assure que les contes de M. de Balzac sont une oeuvre d'art danstoute I'acception de ce mot. Cola scmblc signilicr qu'a son avis I'art consiste surtout dans I'imitation d'une forme d'art deja euiploye'e,et que I'imitateur est plus artiste que celui-la meme qu'il a prls pour modele. Une apologie pouvait etre indispensable , mais il ne fallait pas Fentrer- prendi-e aux dc'pens du sens vulgaire. Ce n'est pas ici Toccasion de fyire de I'estlie'tique rigoureuse : un scul mot encore. J'ai entendu plusieurs I'ois celte question : D'oii lui est venue I'idce d'une composition aussi inalheureuse? Je liasarde une rc'ponsc. Talma rapporte dansses Mc'moires, en te'moignage de sa preoccupa- tion continuelle pour I'art mimique , que , dans diffe'rentes circonstan- ces douloureuses de sa vie, il s'est surpris, au milieu des transports de I'affection la plus vraie, s'arrctant tout a coup devant un miroir et examinant la disposition passagere de ses traits , afin de s'en souvenir plus tard et d'en tirer avantage a la scene. Plusieurs artistes llamands avaient coutiune de porter toujours a leur ceinture des tablettes, ct d'esquisser en tons lieux: or, comme il leur arrivait quelquefois d'avoir le gout obscurci par les vapeurs de la biere ou du vin, quelquefois aussi ils recueillaient de fort laides clioses , ct parce qii'ilsne voulaient en ricn perdre , les trouvant avec raison liabi- G88 LIVRES FRANgAIS. lenient trace'es, ils nvnient soin do les placer dans les coins ombres dc lenrs tal)leaux. Par analogic, ne seraient-ce pas aussi unc semblable preoccupation et iin vague besoin d'obc'ir aux lois d'une verve et d'une fccondite' vrai- ment pcu communes, qui ont conduit M. dc Balzac a tirer profit meme de ces sourdes et tumultueuses agitations des sens oii nous sommes porte's a des entieprises qui d' ordinaire n'enfantent rien de littc'raire, et ajoulent peu de chose a la renommee poetique. Et par hasard , ne se- rait-ce pas en meme terns parce qu'il veut enforcer son style en le re- trempant aux profontls courans du moycn age, que, relisant Rabelais, il s'est mis a le contrcfaire a sa maniere, et a s'en servir pourombrer cer- taines esquisses. C'est ainsi que nousavons vu, sous la restauration , de jennes e'crivains , pour mieux apprendre Thistoire, composer des resu- me's. Si rhypotlicse est fonde'e, elle excuserait en partie la publica- tion d'un mauvais livre oil Ton trouve d'ailleurs une prodigieuse abon- dance d' esprit. Ed. Charton. i5i. Le Negrier , aventures de mer , par Edouard Corbikre , T. i". Havre, 1882; S. Faure, imprlmeur-libraire. Paris, De'nain, rue Vivienne, n" 16. In-8° de xi-3'j4 P^gcs; prix, 7 fr. Des de'tails sur le caractcre , la profession et les habitudes des ma- rins , tels que les a vus I'auteur, qui a vecu parmi eux pendant vingt ans, et qui , apres miircs reflexions, s'est decide', dit-il , a les peindrc, tout bruts , tout rudes comme ils sont , et comme il les a toujours trou- vc's, avec leurs vilains motsde gaillardd'avant, Icursbons grosjurons, et leur toute niie et toutc grossiere phrasc'ologie ; une description exacte , a cc qu'il assure, des manoeuvres qu'il a vu faire, et qu'il a souvent fait faire lui-mcme j un re'cit assez fidcle , dit-on , de ce qui se passe a bord d'un corsaire , soit avant , soit pendant , soit aprcs le branle-bas de combat et I'abordage , depuis le moment oil du haut des mats de per- loquet les matelots laissent tomber ce mot : navife I et ou la Voix dc tonnerrc du commandant donne le signal attendu, alors que le capitaine d'armes distribue aux matelots , tous en un instant a leur postc , les pis- tolets , les haches d'abordage et les poignards , que les meches allumc'os sont piquces dans Ic pont pres des caronades charge'es jusqu'a la gucule. et que les grappins d'abordage montent suspendus au bout des vergues , LIVRES FRANgAlS. OO9 clcpuis ce moment jusqu'a cclui du triomphe ou dc Ja dc'faite, du triple liourra de victoire ou du commandemcnt d' adieu-fat, ^usqii'a colui cnlln oil, apres rinhumation desmortset la distribution des piastres, les com- plaintesdc gaillard d'avant, rauques et monotones, les contes et les vieilles histoires de mer, e'tranges et bizarres, la grande hordee, I'a- raatelotage dcsmarins, et leur camaraderie de liamac repreunent leur cours; ime esquisse assez ressemblante , a ce qu'il parait, des moeurs des corsaires pendant leurs courts instans de sejour sur le continent, alors qu'on ne sait ce qui I'emporte en eux de leur furcur pour la dc'lwuclie ou de leur me'pris pour les dangers, de leur avidite' du pillni;;e ou de leur insouciance pour cet or paye' de leur sang; quelques details enfiu sur les prisons d'Anglcterre etsur les cruellcs tortures des malheureus. qu'on enferme a bord de chaque ponton : tout ccla e'crit par un homme qui , ainsi qu'il nous I'apprend, a e'te'marin, aspirant, prisonnicr de guerre; a commande'des batimcnsmarchands; aconnu les corsaires dont il parle sous des noms suppose's; a vc'cuavecdesne'griers, asejourne dans les colonies; y a trafique'; a retenu, appris, et commente les contes que de'bitent les marins , sous le vent de la clialoupe, dans leurs longues lieures de quart ou de cape ; n'a pas mis dans son roman deux aventures de mer qui ne soient historiques, et que la tradition n'ait conscrve'es a bord de nos navires ou dans les jiorts dc mer; par im homme enfin qui est homme du metier, et qui n'a guere ete que cela dans ioute sa vie; et avec cela quelques portraits , celui notamment du capitaine lic'i)- nard, pirate-ne' , le principal personnagcdu roman, et celui du corsairc Ivon , le plus mal le'che' corsaire qu'on puisse imaginer; plus quelques scenes d'amour , pour qu'il ne soit pas ditqiie le roman de M.Edouard Corbiere n'a d'un roman que le nom. — Figurez-vous ces choses, etta- cliez de les conceyoir re'duites , aiitant que possible , a 1' expression brute, nue et sans art des fails, alors vous aurcz peut-etre une ide'e de ce pre- mier volume du IVegrier, dont le titre sera justifie' dans la secoude partie de I'ouvrage , ainsi que nous le piomct rautcur dans Tunc de ses trois prefaces. Qu'est-ce done que ce livre, et que faut-il y clicrrher? Des emotions, des pense'cs, des images saisissantes, des tours anime's, de lapoesie enfin? Point. Vous y trouverez des fails. Je ne connais, c'est un tort peut- etre, ni les Bresiliennes, ni la traduction de Tibulle en vers francais: TOME LIIT. MARS i 85:2. 41) (h)0 LIVHES FRANQAIS. il est MossiMc (jiic IVl. (uiibii'iT roiitlc siir ccs (HiviMges sa reputation il'arlistc, jo rignoro; inais, s'il coniplc pour juslificr sa piTtcntion a la noc'sicsincc prcniirr voliiinc du Nf^grier, il setrompe a mon avis. Qui sail si Ics /spiralis de vtarine ^ historiettes demer, qii'on lums an- iioncc r(iiiiinc dcvanl jiaiaitrc incessainincnt, nc rc'vc'lpronl pas (pu'I([uc prand cViixain cu iui? l'"n allciulanl , nous nous on tenons, nous anfrcs profanes, a (loopcr, a M. luigeneSue, Aoire an eonitc Alfred dc Vigny • non pas que nous nous jirostcrnions devant ecque M. Corliiere appellc, en parlant, dans sa pre'farc, de oesdeuxd(!iniers ceiivains, leiirs ana- logies parfdinees et lew rnareolo^ie de caleche et de riviere , luais paire (|iu' nous I'aisons enire les oni\ res de ]Mire poe'sic ct les oeiivres do raison i)ui'e one dislinetu)n cpi'il ne ])arait pas laire assez. Deniandez an iwcte des emotions viaics, de grandes pense'es , de riches] images, du nouibrc et du rhvtlimc, bieni mais cxiger de luides abstractions on de la stMistique est un non-sens. Ti'autcur du Negricr allichc la ])r(;ten- tion de trailer nneux (pii' les aulrcs la spe'cialitc qu'il aborde. 11 fan! s'entendre:est-ce en ])ocleou en savant, on bien en mi-savant, mi-poete, (pi'il vent la trailer? Dans le premier cas, nous pourrions comparer sa puissance de sentiment et dc pcnse'e, d'imagination ct de .stylo, a cello des ccrivains qu'il attaquc: dans le .second cas , a nos cloges sur la ri- chesso do .sa science nous n'aurions pas a meler des reproclies sur la pauvrele' de sa poesio : dans Ic troisiemc cas onfin , nous serious force's de ranger son ouvragc parmi ces ouvrages indc'cis, neutres, et batards, cpii, pour vonloir courir a la fois la science ct I'art, manquent I'un el I'autre; nous lui serious reeonnaissans dc la vc'ritc des details qu'il nous aurail onvoyes a bord de son Negrier, mais nous nous plaindiions nieme alors de rinsnflisanee de ces details; et cette fois nous nous en prendrions bien moins a I'antcur lui-meme qu'au genre faux qu'il au- rail adople. .1. B — V. ifj'i. Ai.i-LK-RiiiMAnD , oil la Corifj uete d\4lger {iH3o) , roman liisto- riqiie , par EusJcbe dk Sai.le , anoien eleve de I'Ecole des langties urientalcs ; c.fficier siiperieur , interprete an qiiartier-general de I'armtie d'Jfrique , Iradiicteiir dc lord Brron, etc. Paris, i8;i> ; ('liarlcs (losselin , vw Sainl-dcrmain-des-Pres , n" <). Deux vol. in S" J prix, i '"> IV. .*>ingulier effet des epoipies de'poiirvncs de loi , les plus grands eve LIYKES FHAN9AIS. 691 neincns domciirciU saiis gloire ; Ic souvenir roconnaissant clc riiiinianite n'eVhauffe plus le gerine des grandes ^^ertiis ; du sein des jieuples s'e- cliappc vin long cri de soiiffrancc qui coiivre Ics acccns dc la renom- luce , comuie avec unc rapiditc jalouse qu'il faut bien pardonner a I'intensile'desdouleuispopulaires. Qu'il eiit e'te retcntissant a une autre ("poque le bruit dc nos armes siir les cotes africaines , a quelle male pocsie eiit prete la conquetc d'uue terre barbare ! quel enivrant mur- mure de reconnaissance cut excite en Europe I'exterminatioQ de la piratcrie I avec quel orgueil la France victorieuse eiit plante ses trois couleurs sur 1' Atlas , comme un phare servant a e'clairer les mers qu'il domine ! Au lieu de tout cela , dc noire expedition d' Alger , quelles traces sont reste'es ? Les relations ambitieuses , les articles de gazettes, les hymnes louangeuses , cet arsenal de petites armes sur lesquelles comptait un gouvernement d'insense's , pour appuyer ses efforts retro- grades , n'ont pas eu le terns de se faire jour j elles sont rentre'cs en portefeuille , d'abord devant la jusle defiance qu'inspirait tout heritage de la restauration ; plus tard devant un pouvoir e'goiste qui n'a pas su profiter du seul legs honorable que lui ait fait cette restauration , et qui dispute aujourd'hui a I'intrigue diplomatique ce qui est le'gitimement ac- quis a la civilisation. Quelles traces restcront done encore une fois de notre expedition d' Alger? Quelques recits, quelqucs vers honteux de se produire , et le roman historiquc de M. Euscbe de Salle. Voila done un roman qui acquiert par sa position isole'e une importance toule spe- ciale ; nous voudrions qu'il en fiit digne , et nous nous ferions alors un vrai plaisir d'en donner I'analyse a nos lectcurs. Mais il rentre malheu- reusement dans la cate'gorie des ouvrages tres-ordinaires du raeme genre. Plusieurs descriptions faites sur les lieux , et ccritos en style colore ; Palma , son beau ciel et ses eglises, la Casauba et ses richesses oricntales , quehpies aventures de iner , le de'barquement a Sidy-Fer- rnch et les effels de'sastreux du mistral ; cnfin unc narration qui oflri- rait assez d'inte'ret si elle e'tait raoais verbeuse , voila les me'rites dii roman de M. de Salle , qui se fera lire pourtant, grace a la nouveaute' du terrain sur lequel se passe la scene , et aux personnages vivans qui V figuront. Mais povirquoi ces anagrammes etces pscudonymes bizarros (lerricie lesquels tons leurs noras sont cache's ? (Vest une prudence bien niutdc oil un liion ni.iiivais gout, n'en de'[)laise a Taiiteur. (", — n. 4'6. 692 UVRFS FRANgATS. 153. Unf, reaction , par Amedke Cochutj avec une preface, par M. Bey Dussueil. Paris, i83i; A. -J. Dcnain , rue Viviennc , n" iG. Deux vol. in-8''de xni-374 et 4 16 pages; prix , i5fr. Pen d'e'poques sont encore plus opiniatrcment calomnie'es que notre revolution , pen d'liommes plus oulrageusement meconnus que Ics e'ner- dques dictatcurs de 93. C'est merveille comrae nos eunuques poll- tiques prennont plaisir a gonfler lour voix pour accabler d'injures mcsquincs et grossicres Ics ge'ans dent ils ne sauraicnt mesurerla gran- deur I C'cst pitie corame , de toutes Ics fureurs dcs partis , les igno- rans et les mcnteurs persistent a ne rappcler que la guillotine de Marat ; comme, de tous les lie'roismes de cette magnifique epopee, ils s'entetent a ne laisscr dans I'ombre que Ics sublimes de'sinlc'resscmens , Ics travaux licrcule'cns dcs conventionncls , qui montercnt aussi , victimcs fatales , sur I'ecliafaud 011 s'agitaient Ics dcstins de la France ! Mais ils ont beau, fairc les uns et les autres : re'goYsme ctroit de leurs conceptions , la perfide lachcte de leurs intrigues, I'aride de'sencliantement de leurs froides doctrines , ne contribueront que micux a faire saillir dans nos annalcs cette ere grandiose de patriotismc et de progrcs qui compta pour cliefs et pour repre'sentans un Mirabean, un Danton , un Saint-Just, un Bonaparte. Pour rhommc qui clierclierait dans les clioses actuelles matiere aux fortes ffmotions dont I'ame des artistes aime a s'abreuver, il e'cliouerait centre le dccouragement et le degoiit en presence de ces dcbats parle- mentaires ou la misere du peuple sert d' excuse aii luxe des cours , graces aux coinplaisantes doctrines d'un rhcteur, ou les ba'ionnetles des soldats nicurtrissent impune'mcnt dcs poitrines sans defense! Lapoe'sie , clierclicz-la grandc d'espe'ranccs dans I'avenir qui s'ouvre a nos regards proplie'tiques ; ou montrez-la, toute palpitantc encore d'intcret , dans un passe' presque contemporain. Voila ce qu'a voulu M. Ame'dce Cocliut. Pourtant son ceavre est a deux fins. D'un cote, c'est un essaide rehabilitation poe'tiquc des annales republicaines; mais ce qu'on y trnuve avant tout, c'cst unc rude polc'mique contrc CCS aboyeurs du mode'rantisme qui crient sans cesse, pour e'tour- dir la menuc bourgeoisie , liaro sur les jacobins, les anarchistes, les bu- vciirs de sang , les ogres , dont la race se retrempc , dit-on , dans Ics orgies demagogiques des clubs et desconspirations. I LIVRES FRAN^AIS. 690 M. Cochutu voiilii de'montier , ce que Ics doctrinaires se gardeiil Ibrt discretemcnt d'avouer , qu'il y cut, plus qu'a toute autre crise de la re- volution , cruaute reclle ct froide , inutile terreur , mepris sanglant [lour riiuraanite', avec moins d'cntraincraent, moinsde convictions fortes ct loyales^ moins surtout d' abnegation des iute'rets personnels , dans les atroces reactions qui signalerent rave'nement au pouvoir des partisans de la bascule. Pourquoi done leurs successeurs, dans leur arrogantesa- gesse , s'attribuent-ils un droit exclusif de regcnter la France avec leur vilaine ferule de pe'dans ? Cette polemique , maladroiteincnt de'guise'e sous Ics formes du re'cit , constitue la premiere moitie' du livre. L'intrigue s'y noue pcniblement au milieu des obscures mene'es (jiii livrerent , dans le midi principale- ment , a la direction corruptrice des royalistcs , tant d'inhabilcs ct faibles agens d'un goiiverneraent faible et sans habilete'. Comme I'autcur parait avoir e'tudie les temoignages qui e'claircissent pour nous la partie naguere myste'rieuse de ce drarae , il note soigneusement ses autoriles a r.ippui des mcfaits dont se grossit a chaque page I'acte d'accusation du juste-milieit de 1 795 ; mais cet e'talage de citations me semble dis ■ gracieux au travers d'un poeme ou d'un roman, dont I'harmonie doit se rcflc'ter aussi bien dans son execution typographique que dans ses proportions ide'alcs. Au fait , cette partie , conside're'e sous le point de vue politique , est louable et gene'reuscmcnt con^ue ; sous le point de vue litte'raire , elle est lourde , pcniblement chargee du poids des nombreux details explicatifs , et de plus attiedie par Ja facheuse in' tervcntion de dialogues communs et multiplies outre mesure. Vers le milieu du second volume, M. Cocluit , faisaut bonne et com- plete justice des pre'teudus mode're's , les laisse l;i , pour ne plus nous montrer que ses re'pubhcains face a lace, dans toute I'exaltation de leurs fcrvcutes croyauces , devant leurs ennemis avoue's, I'arme'e royaliste du midi. Quelqucs figures, inccrtaines jusqu'alors, se dessinent avec une plus nette decision ; le style s'animc et se fortiiie; les paysages ont [)lus de coloris et de relief; les passions se meuvcnt ct vibrent avec plus d'cncrgie ; les cve'ncmens se presscnt ct s'encliainent viveiucht : il y a dans les sept ou Luit dcrnicrs chapitres de la veiTe ct de la pocsie, Ics traces evidontts d'un talent veritable. On a dcja fiit I'cloge du denoiiment. C'est, on doit I'avoucr, un con- Irasle d'un cffet dramatiipic. Voici riiisloirc. 694 LIVRES FKANgAIS. IMaurice Ayuiou cuinmandc les blcus ; a la tete cles liordes contuse,-. que le fauatisme religieux et monarchique a rallie'cs sous Ic drajieau blanc, est place Ic comte tie Saiiit-Chrislol. Avaut leur double avene- nement au ge'neralat , les deux chefs se sent rencontre's et connus. Entre eux existent de secretes relations de gene'rosite', d'importans services recuset paye's , une reciproque cstime. Dire que Saint -Christol est pere d'unefiUe, c'cst annoncer que TofQcier re'publicain s'cprend d'araour pour Irene. Mais la realisation de leurs reves de bonlieur est contrarice par des prejuges de caste , par les dissidences d' opinion. Survient un autre incident. En quittant Lyon pour son arme'e , Mau- rice a ferme' les yeux de Marlel , naguere I'un des secretaires du co- mite de salut public, qui ineurt, aux inspirations de Goujon et de Sou- brany, volontaireuient empoisonne, sans larmes pour d'atroces douleurs physiques , mais en proie au profond de'couragement dont sa vie est trouble'c depuis les evencmens de thermidor. Louons , en pas- sant , ce toucliant episode , vigoureusement cent et pense'. Pour tout legs , le montagnard laisse une niece dont renlhousiasme fait une coura- geuse ainazone , un infatigable aide-de-camp aupres du general. Maintenant nous sommes dans les valle'es du Languedoc , entre Alais et Uzes. Voyez: la bataille s'engage; les tirailleurs ennemis se harcc- lent et s'envoient balle pour ballej les])Ieus refoivent, sur les flancs aux mille baionnettes de leurs merveilleux carre's , rimpe'tueuse attaque des champions de la monarchic cxpirante ; puis le canon tonne , et dissipe ces pauvres chevaliers que les dragons poursuivent au loin du sabre el de la carabine Les vainqueurs ont pe'ne'tre dans la place forte qui recelait les espe'rances dernieres de I'autre parti, et Sainl-Christol est prisonnier avec des centaines de soldats. La, dans la chambre meine oil Maurice nie'dite assis devant une tabic que chargent des cartes et des papiers , ge'mit , sur son lit de mort , une pauvre fdle horriblement meurtrie. C'est la jeunc amazone. Elle vient de de'couvrir un affreux secret: elle aime Maurice Mais, lui , il en aime une autre; et cette autre vient d'arracher au faiJtle general, apres un pe'nible combat entre le devoir et ramour, la grace du comte. Helas I Vale'rie , epuise'e par ses profondes blessures et de jaloux tourmens , ex- pire en laissant pour adieux a son Maurice un grand cxemple , un no- ble conseil, le sacrifice des passions personnclles aux exigences du pa- triotisnic. LIVKES FRANgAIS. 695 Douze anne'es ont passe. Le niveau imperial a lapideuieiit balavc lollies traces de dissentions intestines. C'est en 1 808 : Napoleon vient de se douner des dues et des comtes, des chambellans ct dcs aiuuonicrs ; la vaste galerie du chateau re'unit, dans iine meine soiinussion an genie <[ui subjugue la France , les ancienncs notabilitc's dc rc'migraliun et de la re'publique. Uu petit hommc , brode sur toutes les coulurcs , pie- sente aux amicales salutations d'un e'veque nouvellenient promu la figure severe et ridee d'uo comic de fraiche creation. Lc pclit honune, c'est Ic pre'fet de Lyon en 1795, I'inepte fonctionnaircdujuste-milieu , ([ui fait entendre a Maurice et an noble abbe dc Trelis , oncle d'Irene , naguerc meneur-jure des intrigues le'gilimistes, que I'alliance des deux maisons serait agre'able a leur magnanime souveraiii Etrange moralitc d<'s guerres civiles ! A.J. 154. Raoul ou l'Ejneide , par madame de Bawr. Paris, i83'i; H. Fournier jeune , libraire, rue de Seine, n" 29. In-8" de 349 P-' prix , 7 fr. 5o c. Madame de Bawr annonce que cet ouvrage est un essai. « liln son- « geant , dit-elle , que plusicurs auteurs distingiie's semblcnt n'avoir ose » I'aire une peinture des mceurs prc'sentes qu'en y melant une teinte fan- » tastique, je me demandais quel pourrait etre aujourd'hui le sortd'im » roman oii Ton ne trouverait pas un seul e've'nement qui ne piit arriver » tons les jours a chacun de nous? d'un roman dans lequel I'auteur ai;- » rait regarde la simplicite' comme la premiere condition dcson oeiivre? » J'ai done ecrit Raoul par curiosite. » Raoul est en effet d'une simpli- cite qui cbarme , et il a eu quelque succes dans le mondc : mais il ne faudrait pas supposer qu'il lui eut e'te donne' d'influcr en aucune manieic sur la direction de I'art, ou qu'il cut recu mission d'indiqucr une von- nouvelle, un champ vierge , a nos romanciers impnticns d'abaiidoniur le sol ingrat, fatigue', que mille mains perse'verent en vain a entr'ou- vrir et a remucr encore. Helas non ! Raoul est un enfant de fortune a pen jn-es comme I'e'taient de leur terns les hc'ros de Le Sage , de Field- ing ou de Smollet. C'est un enfant perdu qui ne sait rien du siecle. La vie I'emporte sans qu'il s'arrete a c'couter jamais ces douloureux bruis- semens des grandes crises sociales qui dcscendcnt et ge'missent aux plus humbles foyers. II est ne ct il respire dans un atmosphere dc clioix que 6y6 LIVRES FKAN^AIS. nous n'avons pas cu le bonheur de trouvcr, habitue's, coiiimc nous I'avons c'te presque tous aujourd'liui , a ne pas' sympathiser seulcmcnt avec Ics t'c'licites de quelques etres , a ne pas souffrir seulement de quelques souf- frances," attentifs malgre' nous-memes a inteiroger avec espoir la terre qui ne cesse de trembler sous nos pas , et I'horizon toujours sombre. Raotd, pauvre orphclin, quitte son village sans autre richesse qu'unc Eneide d'Elzevir : dans une auberge , sur la route , une dame fort riche remarque I'Eneide, s'inle'resse au sort du petit voyageur et en fait son secretaire. Arrive' a Paris, tandis qu'un jouril donne une lecon de latin aCamille, la niece de la dame, cette jeune fiile, feuilletant I'Eneide, le prie de raconter I'histoire de Didon ; les re'flexions qu'amene ce re'cit lui prouvent qu'il aimectqii'il est aime. Des malheurs d'inte'rieur sur- viennent: lis parens de Camille sont mine's; Raoul entre chez un ban- quier, et en jjeud'anne'es s'cnrichit. Rien ne manquerait a son bonheur s'il savait re qu'est devenue Camille. Un soir, il cnvoie Tfine'ide chez un relieiir: le domestique laisse tomberle liyresur la Place des Victoires et le perd ; des le lendemain matin de nombreuses affiches sont placar- dees dans tout Paris , et quelques jours apres un vieillard apporte I'El- zevir : c'est le pere de la belle Camille qui aime toujours Raoul et devient son e'pouse. II y a bien, quoi qu'en disc I'auteur, quelque teinte fautastique dans le role myste'rieux du ])oeme de Virgile. Ce sacrifice au gout ac- tuel exceple , on concoit que I'ouvrage pourrait avoir de meme e'te e'crit il y a deux siecles, alors qu'on so souciait pen d'avenir aatour des cours de France et d'Angleterre , alors que loin des revolutions qui dcpuis ont serre et fait saigner tous les coeurs , les autcurs volontiers indiffe'rens a I'uniformite du mouvement general, ai-rangeaient en paix, a loisir , des aventures recreatives et se delassaient aux re'gulieres excursions de I'art comme aux alle'es d'un parterre. Sans doute, c'est encore mainlenant un plaisir de rcposer sa vue sur une composition calme , ou ne se reflete au- cun des uuages pesans de notre ciel , d'ou s'e'chappent une a une , pres- <|ue sans murmure, de douces emotions , mais c'est k plaisir que, dans des momcns d'agitation , de douleur et de de'sir , on e'prouve a regarder le petit qui joue et sourit au beiceau. LIVRES FRAN(JAIS. G97 1 55. MusEE THEATRAL, ou Galevie piltoresque des pieces modemes le plus en vogue — Prcmiei'e livraisoii : Richard d' Arlington, liuit dessins de Victor Adam, graves par Branche, deuxicmc livraison: Marion Delorme , drame de Victor Hugo , liuit dessins de Louis BouLANGER, gravc's par Branche. Paris, iSSa; Barlbelemy editeur, rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice , n" i4- '■>■ vol. in- 18 ob'ong; prix de la livraisou , -i Cr. L'editeur de cct ouvrage en cxpliqiie claireiuent la nature ct le but dans un prospectus oil il expose de la mauiere suivante comment lui est venu le projet de le publicr : « S'il se pouvait qu'un dessinaleur babile fixat, sons son crayon fidele, toutes les scenes les plus dramatiques de cbacune des pieces modernes qui jouissent de la faveur du public ; qu'a ces petits tableaux on I'atta- cluit unc analyse , non-seulcment de I'ouvrage , niais aussi le pro- gramme dramatise de ses diverses scenes j on aurait ainsi un album ihedtral aussi agre'able aux gens du raonde et aux amateurs meme de gravures, qu' utile encore aux directions the'atrales de nos de'partemens, puisquece libretto les aiderait b^aucoup dans la mise en scene de leurs pieces. II serait pre'cieux surtout pour I'liabitant de la province, eloigne des theatres. Une galerie pittoresque ainsi con9ue pouri'ait en paitie lui tenir lieu de lecture ou de representation . » L'execution des deux livraisons que nous annoncons laisserait pcu de cbose a de'sirersi letexte, en general rapide, e'tait pailout e'crit avec un soin e'gal. La plupart des dessins sont composes avec assez de talent pour que les auteuis puisscnt y choisir , sans presque ricn changer, de belles esquisses de tableaux. Peut-etre conviendrait-il d'offrir le trait moins nu et-de jetter sur les derniers plans quelques le'geres teintes d'ombre. II semble aussi que si re'diteur se propose d'etre utile aux di- recteurs de theatres de province , il devrait a chaque livraison joindre au moins une planche enlumine'e ou les principaux costumes seraient repre'sentes. Les troisieme et quatrieme livraisons sont sous presse, I'une reproduit les principales scenes de Robert le Diable , I'autre de Louis XI : nous ne tarderons pas sans doute a voir publier Dix ans de la vie d'une J'emtne. to. Cu. NOUVELLES SCIENTIFIQUES UTTER AIRES ET INDUSTRIELLES. KTATS-LIVIS. SUR I.ES PRI';TENDUES MAREES DES lacs DE L^VMERIQlJE. ]j\4merican Journal of science tie M. Silliman (t. xx , n" i ^ vontienl un ta!)leau des observations siir le mouvement d'c'lc'vation el d'abaissement dcs eaux a rembouchurc de la riviere du Renard dajis la baie Verte. Ccs observations ont ete faitcs, dans les mois de jiiillet el d'aoiit i8'i8, par le general Cassas , dans ledesseinde de'trompcr ceux qui attribuaient ccs mouveinens a I'influence plane'taire. Pendant plus de six semaines la hauteur des eaux en cet endi'oit a ete de trois a six fois chaque jour exactement mesure'e au moyen d'un appareil cpii an- nulait I'effet des fluctuations des vagues. Le tableau indique le jour cl riieure , la direction ct la force du vent. II suffit, dit M. Cassas, de jeter les yeux sur ce tableau pour re- connaitre que les changemens dans la hauteur de I'eau ont une irre'gu- laritc qui ne permet point de les attribuer a une cause permanenlc el rcguliere. Cepcndant c'est pre'cisement le lieu on ont ete faites les ob- servations c[ui est cite', par tons ceux qui croicnt a I'existcncc d'uno uiare'c lunaire dans les lacs ame'ricains, couuue offrant la prcuve de ce phe'nomeme. Qu'il y ait des changemens t're'quens et considerables dans la hauteur des eaux en ce lieu, c'est une chose incontestable (i), et il est encore vrai que ces changemens semblent en quclques circonstances ne pas de'pendre de la direction du ventj toutefois, si Ton songe a la (1) Cos differences sont sonvenl Jc trois on qualrc picds dans deux lieiiros; ra^ rementdans les vinijt-quaire hcures la Hnctiiation excede liiiit pieds ; eependaiM dansinicasde lempele le tableau nons donnc' line difference dc dix-luiit pii il- pour une cspace de viii;3l lieuros. ETATS-UNIS. — GRANDE-BRETAGNE. (igt) tlisposition ties bassins tlout les eaux coiiimiiniquent plus on moiiis li- brement avec celles dc la baie Verte , on concevra aise'ment d'oit pro- viennent les anomalies appaientes. Le lac Michigan a du noid au sud environ trois cent milles, tandis que sa largeur n'csl guerc que de cinquante milles. Pres de son extre- mite noid , il oftVe un golfc profond , la baie Verte , qui court qiiatre- vingt milles dans une direction presque parallele a la sienne , quoique inclinant un pen plus vers I'oucst. Quand le vent du nord souffle pen- dant quelque terns d'lme maniere continue , son premier effet sera de refouler les eaux vers le tond des deux bassins , et par conse'quent de faire baisser le niveau a I'extrc'mite' oppose'e, c'est-a-dirc pres de leur point de communication. Au bout d'un certain tems il y aura compen- sation entre la force qui tend a accumuler les eaux vers le sud et cellc qui tend a les maintenirde nouveau. Mais ce moment arrivcra beaucoup plus tot pour la baie Verte que pour le lac, en raison de la grande e'tendue de ce dernier. Or, tant que pom* ce dernier I'cquilibre ne sera pas e'tabli , les eaux continueront a baisser du cote du nord et de rembouchurej de la baie Verte. Or , si pendant ce tems la force du vent n'est point augmente'e, il faudi'a ne'cessairement faire reQuer celles qui s'e'taient porte'es vers le fond ; et -linsi on obscrvera dans cette baie un mouvement des eaux contraire a la direction du vent. R. GRAMDE-BRETAGINE. NOIJVELLE ASSOCIATION DES SAVANS AniRLAIS. Plusieurs faits' signalent depuis quelques annees une tendance nou- velle dans le mouvement scientifique de notre e'poque. Transporte'es du champ de la politique dans le domaine des sciences, les ide'es d'inde- pendance et d'isolement , long-tems absolues , apres avoir produit leurs effets, commencent a se modifier. En se gardant bien de nier que la liberte' ne soit ne'cessaire aux inspirations comme auxtravaux du ge'nic, on comprend pourtant le besoin d'ordre et d' unite. L'association est une loi dont la ne'cessite s'applique a tout dans I'univers. Laissez les theories de concurrence et d'antagonismc se manifester avcc Ionics leurs conse- quences : la socield n'offnia plus qu'anarchic sauvage el dissolvaut 'JOO NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. c'goisine; isolez les sciences, Lrisez les nceuds qui rattachent d'innombia- Ll<\s raineaux au grand ar\n-c encyclopc'diqiie , ct voyez , leurs branches s'e'tendrontauhasard, semeleront confuse'mcnt dans une infe'conde melee, sans harmonic, safas proportions, sans points d'arret pour I'ceil et la pensee. C'est une admiraljle conception que celle d'un institut national , tel que I'avaient cntcndu les le'gislateurs convcntionncis , consacrant la so- lidarile des sciences entre elles, re'sumant les plus hautes lumieres du pays dans un corps re'gidateur et dirigcant. Mais elle est reste'e sterile entre les mains de leurs successeurs , soit par suite des caprices e'troits d'honimes qui craignaient d'en mesurcr la vaste porte'e , soit plutot parce que le moment de sa realisation n'e'tait point encore venu et que cette institution ne put trouver aucun appui dans les autres parties de I'e'difice social. Car une erreur grave est re'sulte'e des exage'rations ou la marchc na- turelle des esprits a pciusse' les theories de lihcrte. On a confondu dans une antipathic commune les hommes aux mains desquels le pouvoir se montrait hostile et impopulaire et I'idce meme du gouvernement. De la cet acharnement a lui retirer piece a piece toutes ses attribul'ions ; a le se'questrer, dans son role de police insignifiante et me'connue, en dehors de I'activitc sociale. II n'est plus, aujourd'luii , vis-a-vis de la socie'te' , qu'une espcce de clef pour remonter la machine : propre a perpe'tuer I'impulsion qu'une main plus savante lui aura donnee, mais incapable de perfectionner ou de reparer k jeu des ressorts si quelque fatal inci- dent vient a le troubler. Sans doute lorsque le pouvoir est le privilege de (|U('lques-uns, incapables ou malveillans, justice est de le combattre par la defiance et la contradiction. Mais on a oublie'quc cette situation ne pouvait durcr , qu'indispensable a ccrtaines c'poques de transition et de critique, elle ne pouvait etre considere'e comme I'e'tat normal des socie'te's. Jadis le gouvernement , concentre dans certaines classes seules dote'es des avantages de I'instruction , n'e'tait , chez les pretres ancicns et dans le sciu de Tcglise romaine, que I'exercice, an profit de I'association toute cntiere , des capacite's accaparees par les castes dominantes. La science n'etait point repousse'e hors des limites de la politique : bidn au contraire , toute bornc'e qu'cUe e'tait encore , elle ne cessait de lui apporter son concours salutaire. Plus de'veloppe'e aujourd'hui, dans toutes ses branches, metaphysiques el positives, sociales et cosmologi- ques, iK)ui(iuoi rcnonrer a ses conscils? Le gouvernement doit avoir GRANDE-BRETAGNE. -Oi pour bas(?, cominf autrefois, I'enscmble des l.umicrcs luimainos; ct cos luiuit'i-es, plus r'galemenl propagc'es ct rcpartics, cinauaiit des masses, Ics masses scmblcnt devoir enti-er en jouissancc du pouvoir, non plus pom- le gencr sans cessc et le contrecanci- , njais pour cimenter I'asso- ciation des inte'rets par I'association des talens et des ti-avaux. Ce qui sc passe maintenant en Anglcterre est up symplomc remar- quable de la circulation actuelle de ces ide'es, plus ou moins neltement comprises. On sait que, dans c^ pays,, oil les tlie'ories du, constitutiona- lisme modcrne ont pris naissance, elles ont obtenu plus que partout faveiu' et credit. Des long-tems elles y ont pris racine dans les ojunions et les usages. La surtout les lois. ont eu pour but d'atte'nuer rinfluencc des gouvernaTis , en placant , dans I'isolement et la faiblesse d'unc in- depcndance mal entendue , les actions individuelles mises a part de Taction sociale. En Anglcterre principalement les sciences entre autrcs ont e'te' livrces a cUes-memes, sans liens avec le gouvernemcnt, qui, ne leur accordant aucun appui, n'en recevait en echange aucunc assistance. Aussi tombe-t-on d'accord qu'elles y offrent les traces d'une decadence cvidente,signalee dans les c'critsde MM. Babbage et JamesDouglas. On veut reme'dier a ce mal , H la societe' qui vicnt de s'y former , sous le titrc d' Association pour Vavancement des sciences ( bristish Asso- ciation for advancement of sciences); n'a point d'autre but. La plu- part des journaux scientifiqucs anglais ont donne les details de ses premieres seances; mais avant d'en rappelcr, ei^ peu de lignes, les traits principaux, nous signalei-ons un autre fait : c'est la pro- position, avance'e par V Edinburgh Journal of sciences , d'accorder aux socie'te's savantes une repre'sentation parlementaire. On peut en effet pretendre que le savoir d'un profond e'conomiste , d'un me'decin e'claire, d'un savant naturaliste aurait ses profits pour I'e'tat , tout aussi bien que les huuieres, cotc'cs dix ou vingt livres sterling, d'un proprietaire ou d'lm fermier. Jj Edinburgh Journal se borne a demander des repre'- sentans dan^ la chambre des communes pour onze socie'te's savantes ou litteraires sie'geant a Londres, pour Tuniversite d'Edimbourg et celle de Dublin, etc., en tout une quinzaine de membres. C'est bien peu, mais cette tentative denote un progrcs reel. (1) On sait qu'Oxford et Cambridge ont deja leurs repr^sentans a la chambre des tommune.i! ; mais c'est bien pliUot a litre d'inslitiuinns cccl(^siasliqiies qn'a 'lire (I'etabli.ssemons scienlifiqiios. -O.l NOIIVELLES SCIENTlFIyULS El LITTEUAIUES. Four en levcnir ;i la socicte des savans anglais, uoiis dirons ((u'ellc s'ost formee sous Ics auspices tics lords Millon ct Morpeth, deputes connus par Icurs opinions libe'rales, et de MM. David BrcAvslcr, Buck- land, JohnDalton, Conybeare, sir Thomas Brisbane, William Hulton, William Scorcsby , Lindley, d'autres savans encore , dont la reputation s'e'tend au-dela des t'ronticresbritanniqucs. A I'imitation des socie'tesque possi'dent dcja la Suisse et rAlleraagne, I'association anglaise doit sc rcunir chatpie annce clans unc localitc diffe'rcnte. Le '26 septembrc 1 83 1 , ses membres se sont trouvc's a Yoi'k en nomine considerable. Pendant plusieurs jours , les seances publiques ontcu lieu : lalccture de plusieurs niemoires sur des sujets varie's , des banquets oil pre'sidait une franche cordialite, des visites aux e'tablissemens scientiiiqucs de I'encb'oit, ont agre'ablcment occupe le tems de ces homines accourus dc toiites les parties de I'Angleterre et de I'Ecosse. On s'est se'pare avec la jiromesse de serendre en i832 a Oxford. Plus tard, une especc de programme a e'te pul)lie' : les organes o(- ficiels de la Socicte' de'clarent que leur but est de donner une plus forte impulsion, une direction mieux systematise'eauxrecherchcsscientifiques, de seconder et de faciliter les relations entre ceux qui cultivent les sciences dans les diffe'rentes provinces de I'Angleterre et de I'e'tranger , de fe'conder par une assistance mutuelle les diffe'rentes branches des connaissances humaincs, de chercher enfina'rendre do plus en plusinti- mes les rapports qui doivent ne'cessairement rapprochcr les savans et le gouvernement. Le prospectus annoncc des travaux importans confie's a I'habilete' des princijianx memln-es et qui doivent surtout constater I'elat actuel des diffe'rentes branches des sciences naturelles : nous aurons plaisir a faire connaiti'C les resultats snccessifs de cettc henreuse cntrepris(!. ■ ,:.w^^ A.. I. I'ROJET DE COMMCHICATION PAR TERBE EMTRE I.'ANGI.ETERRE ET I.'IRLANDE. Ge projet est un des plus extraordinaires qui aient etc ])ublic's dans les tems modernes et dans ce siecle de merveilles. il a pom* objet d'unir rirlande et la Grande-Brctagne par une commimication par terre. J^es lermes clairs et pri'cis dans lesi|uels il est (oncu , ct les a^ antages noni- breux, nccessaires a son c\e'cution, epic les Anglais possedent , per- GRANDE-BRETAGNE, 70^ iiipttentde Ic cwnsiderer sous d'autres rapports que cclui de re'manation d'un esprit inge'nicux, et le recommandent al'attention serieuse du gfou- vernempnt anglais. Pcrsonne ne contestera les immenses avantagcs cfuc rexc'cution d'un pareille ceuvrejettcrait dans la balance dcl'Irlande. Lcs prejuge's nationaux disparaitraient promptement- et, quand on songe au sol fertile de la cote occidentale dc rirlande,eta ses ports ouverts a I'O- ce'an atlantique , il est i'acile de concevoir que ces provinces oil rcgnent maintcnant la sf'rilite et la solitude pourraicnt encore devenir la partie la plus prospcre dn I'empire britannique. L'ide'e de transporter des vais- seaux par terra ^ par le moven des chemins en fer, paraitra sans doute lant soit peu te'mc'raire, mais il y a tant de probabilitc's dans le projet en general qu'il parait au moins digne d'etre examine' avec impartia- lite. Voici comment M. Fairbairn, I'auteur dii projet, s'exprime a cet e'gard : ((M'e'tant apeiru que, parmi les mesiires propose'es au parlement pour rcme'dicr aux calaniite's de I'Irlande, il n'en est aucune d'unc utilite' pcrmanente, je desire uietlre sous les yeux du gouvernemcnt et du pays en ge'ne'ral un plan fonde sur cette puissance gigantesque qui s'e'leve dans le monde, le systcine des cbemins en ferj ce plan, tout e'tendu qii'il paraisse, n'est pas trop vastc jx)ur les jours triompbans de la .science. Jc propose de former une communication par terre avec I'Irlande , par laquelle les trois royaumes seraient unis par une cbaine matcrielle et perpetuelle; et les remarques suivantes ont pour objet de faire voir qu'un ou^Tage , si vaste en apparence , peut ctre execute' sans de'pcnses ni difficulte's extraordinaircs. La distance depuis Textre'raite du Breakv^'ater a Donaghadec, jusqu'a Poit-Patrick , a I'ouest de I'Ecosse, est de quinze milles, dontun mille et demi est convert par les issues interme'diaires de Capeland, situe'es directement a travers le canal, a quatie milles et demi de Donaghadec. Mais la sonde , entrc ces lies et la cote d'Trlande , indiqnanl nniforme'- ment des bas-fonds qui nulle part n'exccdcnt buit brasses de profondeur, il est evident que la grandeur de I'oeuvre se Ijorne aux neuf milles et demi entre ces iles et la cote d'Ecosse. Tci la profondeur varie depnis dix jusqu'a trente et qiiarante brasses , ct \ ers le milieu du canal jusqu'a no4 NOUVELliFS SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. quatiT-vin[:;t-clix-luiit brasses, qui ost la plus giaiidc ])rofoiulcur du ra- nal irlandais. Je propose done d'unir les iles ct la cote d'lilcosse par ime large cliaus- se'e, ct s'il est certain que cettc entreprise est gigantesque, il ne Test pas mpins que nous possedons des moyens de Tex-ecuter plus grands que ceuxqui sesoient jamais trouve'saupouvoird'une nation. Dcsniontagnes enticres de pierres existent sur Ic Lord de la mcr a Port-Patrick; nos prisons regorgent de inilliers d'ouvriers utiles, etlorsque nous conside- rons I'abondance dcs materiaux, Je has prix de la journee des condam- ne's ct la puissance du plan incline , il est evident qu'une barril're peut etre ici d'une grandeur, d'une dure'e et d'une force egyptiennes. Sa con- struction peut proceder simultaneinent des iles Gapeland, du Port-Pa- trick et de Donagliadec, et ne saurait beaucoup obstruer la navigation du canal , le passage e'tant ouvert par Ic nord de I'lrlande. Maintenant ayant donne une idee gcne'rale du passage , je vais indiquer ses consequences commerciales pour les troisroyaumes.Le route actuellc de Dublin a Donaghadec est d'environ quatre-vingt-dix milles , passant par la ville de Belfast, faisant un de'tour pour eviter le fleuve rapide de Strangford , sur lequel on a toujours cru impraticable de batir un pont , quoiqu'il soit probaI)le qu'un pont d'une sculc arclie pourrait etre jetcf avec facilite a un endroit a mi-chemin entre la ville de PortafeiTy et Stran"ford Bar, par lequel raoyen il pourrait etre e'tabli de Dublin a Dona"hadcc un chemin de fer, diminuant ainsi la distance d'environ trente milles. A Donaghadec, on traverserait le canal irlandais par le chemin de fer sm- la chausse'e en question; puis, de Port-Patrick, on procederait a Test versun point qui va rejoindrelc chemin en fer qui s'etablit maintenant de Carlisle a Newcastle. Ensuite on passerait ausud sur celuiprojete'de Car- lisle a Manchester, et de la sur celui de Birmingham a Londres, trans- portant ainsi les grains , lesbestiaux et les toiiesd'lrlande en unseul jour et a travcrs les districts manufacturicrs les plus populeux d'Angleterre de I'lrlande a Londres. Le terns , le danger et les de'pcnses du transport se irouveraient re'duits a un quart du prix actuel par mer. La distance de Londres a Dublin par cette route sera dc quatre cent quatre-vingfs milles , et palculant la vitessc de ce mode de transport a quarante milles par hcure, on ferajt le voyage de capitalea capitale en douze heures et au piix de trois prnees ])our chaque trente milles , estime sufdsant pai' r.RANDE-BRETAGNE. 70^) M. Stephenson pour couvrir toutes les depenses de la puissance loco- motricc. La de'pense , pour chaque voyageur , n'exce'derait pas la raodi- quc somme de 4 scbellings (5 francs). On voit que Ics cliemins en fci' sont destines a remportcr mcinc sur la navigation. L'Ecosse recueillera aussi d'immenscs avantages de I'etablissement de ce passage , Car il mettra la partie la plus sle'rile de ce pays en commu- nication avec la partie la mieux cultive'e de I'lrlande. Les provisions pourront alors etre transporte'es sans grands frais de transport, d'em- barquement, de chargement ct de de'cliargement. II est probable que de grands inte'rets manufacturiers prendront naissance dans les com- te's de Wigtown , Dumfries et Galloway , maintenant converts de col- lines solitaires. Je propose que toute la lignc , dopuis TOcean gcrmanique jusqu'a I'O- ce'an atlantique, soit forme'e de cliemins de fer maritimes^, capables de transporter des vaisseaux jiar une communication par terre non inter- rompue et par la coulisse patenle'e {patent slip) d'une mer a I'autre. A cet effct,lecliemin en fer qui proccde maintenant de New-Castle a Car- lisle devra etre rcmodele et porte' avec des embranchemens , vers New- Castle et les villes et mines voisines, dircctement a I'Oce'an germanique, et par un mole {pier) ou mole suspendu {chain pier) par-dessus les hauteurs de Tynemouth jusqu'aux caux profondes au-dela de la Barre. On transportera ainsi les navires de charbon de la Tyne et de la Wear direclement en Irlande , et ce passage servira de debouche au commerce des toiles irlandaises vers les cotes orienlales de I'Anglelerre et de rficosse, vers la Russie et la Prusse , et toutes les contrc'es de la Baltique. La navigation de la Baltique avec Liverpool ct tout I'ouest de rAnglelerre et de I'ficosse aura e'galement lieu par la fraction de I'ou- vrage qui reunit I'Occan germanique au SolwayJ'rith ; tandis que, par rechcUe limit.ele'e de I'ouvrage projele maintenant de New-Castie a Car- lisle , il est probable que I'espoir d'attirer le commerce de la Baltique , par des chariots, a travers le passage, nc se re'alise«a pas a cause des frais , et des inconve'nicns et deJais de de'chargemens et rechargcmcns des cargaisons auxquels elles donneraient lieu. Inde'pendamment de toute cctte masse de commerce , il est probable que les navires venant de la Baltique ou s'y rendant, traversant 1' Atlanti- que pour se rendre aux Indcs occidentales, aux Ame'riques du nord et du TOME LIII. MARS 1852. AC) --06 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. Slid , seront aniencs par terrc , pour ccoiiomiscr le Iciiis , les dangers ct les de'penscs dans le passage autour du nord de I'Ecosse on dii siid de I'Angleterre qui occupe ordinaireinent une pe'riodc de A^ingt jours ; tandis que par le chcmin de fer maritime les iiavires peuvcnt etre transporte's en un jour d'une mer a 1' autre , ce qui cre'e une economie d'approvisionnemens , de salaires d' equipages et de de'le'riorations do navires pendant I'espace de vingt jours, ainsi que les inte'rets sur la va- leur de la cargaison pendant le meme espace de teins. La situation du passage indique' est reellement favorise'e par la na- ture, traversant le eentre des trois royaumcsdans le point le plus c'troit que presente la carte. Les avantages immenses qu'il offre sont si e'ga- lement repartis entre les nations , qu'inde'pendamment de toute conside- ration politique , le projet est particulierement calcule pour etre entrepris et execute par le gouvernement. S'il est possible de porter ce magnitique projet a execution , les re- sultats seront des plus heureux pour I'lrlande; ses malheurs et ses mi- seres s'evanouiront comme par rnchantement ; les partis de'poseront leurs armes , et ce pays maintenant desole , uni alors et attache a 1' Angleteire par un lien indissoluble , se reposera de ses longues doulcurs et retrou- vera la paix et le bonheur. De'sirons que M. Fairbairn poursuive sa gigantesque entreprise , et qu'elle soil couronne'e d'un succes complet. ALLEMAGNE. ERECTION D'USI H0\I;MENT A LA MEMOIRE DE GUTENBERG. Maycnce est la patrie de Gutenberg, inventeurde riinprinierie. Un comite, forme dans cette ville, vient de publier le projet d'une souscrip. tioQ , dont le produit serait destine a I'erection d'un monument qui consacrerait le noin et la me'moire de ctt homme. Nous en traduisons quelques extraits. a Qui a plus de droit a I'lionneur d'un monument que Gutenberg, I'inventeur de I'imprimerie ? » II ne se range pas p.irmi les pontes , les pliilosoplies et les artistes ALLEMAGNE, ^07 qui out acquis leur immortalite dans le domaine des sciences et des beaux-arts , paimi les liommes d'etat et les capitaines qui ont eternise leur nom et celui de leurs peuples par le scepti'e et ['epe'e ; son oeuvre est d'une autre nature , moins brillante en apparence , mais plus impor- tante en re'alile , plus e'tendue dans ses effets , qui sunt sans limite dans I'espace et le lems. II serait difficile d'estimer la valenr d'une dc'cou- verle a laquelle toutes les parties du luondc rendent liommage aujour- d'hui. Apres 1' invention de I'ecriture, rien n'a eu una telle influence, rien ne me'rite une telle gratitude. » Gutenberg etait un Allemand. Cependant sa dccouverte n'a pas e'te d'un inte'ret purement national; elle n'a pas eurichi un seul pays. Ap- partenant a tous , elle a fait de lui le bienfaiteur de tons les peuples ap- pele's a la civilisation, le he'ros de loute I'liumanite. Aussi Ton se dernandc souvent pourquoi la place qui , a Maycnce , porta le nom da Gutenberg, n'estpas ornee d'un monument. Est-il possible que Ton ait laisse passer quatre siecles sans donner apres sa mort , au grand liomme, le te'moignage de reconnaissance qui lui a ete refuse pendant sa vie ? » Cartes, on a droit de s'en e'tonner ; mais tout projet d'acquitter une dettesi sainte a jusqu'a pra'sent rencontre' des obstacles imprevus , meme en 1804, oil Napoleon avait donne son approbation au plan qui lui etait propose. II semblc presque qu'on ait attendu des effets merveilleux , luoui's de la presse , pour (?n sentir tout le prix avec ])lus d'ardeur , avec un nouvel anthousiasme. Jamais toute I'iraportanca da la presse n'a e'te mieux appre'cie'e. D'aillcurs quel tems a pu etra plus favorable a I'c'reclion d'un pareil monument que la moment ou s'approclie le re- tour de rauniversaire se'culaire de Tinvcnlion dc Gutenberg. » C'est en i836 que I'lraprimerie entre dans son cinquieme siecle, anne'e qui , plus que toute autre, doit etrc cele'bre'e dans I'histoire de la civilisati n europa'anne. » II faut que i836 donne aux inanes de Gutenberg ce que les siecles passes ne lui ont pas accordc (i) . Le seizieme siecle a e'te agite par des \^\) C'est un fait historique que Jean Lieiisfleisch zum Gutenberg, patricien mayenpais , a , des Tannee ^ 45li , coniinunique son invention des Icttrcs mobile"! a qiielques amis dc Strasbonr,"; , on il s'cl;iit retire a cause des troubles de sa 4G. 708 NOUVELLES SCIENTIFIQIJES ET LITTERAIRES. disscntions rcligicuscs ; la premiere raoitic dii dix-septieme dcsole'e par la guerre de trcnte ans , ct, cent ans phis tard, rAUemagne souffrant encore des suites de celte guerre, e'tait dans ect etat d'oppression intellec- tuelle qui ne dcvait se dissiper que devant les exploits de Frederic II, et I'aurore de notre nouvclle litle'rature. Aujourd'bui que ccttc aurore est devenue un jl)ur e'clatant , que les ouvrages de I'esprit alleiuand, mis a cote de ceux. des peuples eclaire's , ne ferment qu'une grande litlera- ture commune ; en im mot , dans le dix-neuvieme siecle , quel obstacle pourrait s'oj)poser encore a I'accomplissement de nos voeux , a une so- lennite ge'ne'rale de la de'couverte de Gutenberg ? » G'est la ce qui nous a enbardis a nous adrcsser a nos contemporains, alin qu'ils contribuent a I'e'rection d'un grand monument pour la fete seculaire de Timprimerie en i836. » Get appcl ne vient pas trop tot. Malgre les quatre anne'es qui dolvent s'e'couler jusqu'a cette epoque , I'entreprise dcmande encore de Tacli- vite'. II serait done important que Ton piit deja presenter des projets } mais pour cela il faut que Ton ait un compte approximatif des sommes qui seront verse'es ; la forme du monument en de'pendra ; et il sera forme' ou de la statue colossale de Gutenberg seule, ou de cette statue reunie a des figures emblematiques et a des bas-reliefs. Le der- nier projet serait incontestablement preferable; ainsi la destination du monument sc comprcndrait mieux. * )) Les iournaux les plus re'pandus tiendront le public au courant des progrcs de I'entreprise et des remises d'argent que Ton fera a la iiiuni- cipalite de Majence. Nous avons aussi le projet de dresser une liste des donateurs , liste qui sera de'posee dans la bibliotheque de la ville. » La commission forme'e pour I'erection d'un monument public en I'bonneur de Jean Gutenberg , !) PiTSCHAFT, president; Schacht , premier secretaire; Dahm , deuxieme secretaire; Kupferberg , caissier ; Arnold , Aull , Geier , Leroux , Reuss , Schaab. « Mavence , fe'vrier i839.. » villc natale. L'cxccution de son projet renconlra taiitdc difficiilles, que ce ne fiit que lonfj-lems apres son relouT dans sa palric, qu'il put imprimcr un livrc. fVov. XJIistoire de la d^couverte de rimprinierie, par Schaab ; Maycace, 1831 .) FRAIVCE. AC4DEMIE DES SCIENCES. Seance du 5 tiiiirs. — M. Marchand, me'decin a Bordeaux, pre'sente un Memoire ayant pour litre : Essai sur la cause de la chaleur thermale. Ge travail , extrait d'un ouvrage sur toutes les eaux mine'rales . des Pyre'ne'es , sera examine par MM. Cordier et Gay-Lussac. — M. le docteur Leroj d'Etioles adresse a 1' Academic un Memoire sur Vemploi de la lithotritie dans les cas qui se compliquent de reten- tion d'urine. Chimie. — Cainphogisnc. — M. Dumas communique le re'sidtat de ses observations sur un compose de carbone et d'hydrogene qui a e'te obtenu pour la premiere foisparM. Opperman. Un volume de cette substance que M. Dumas de'signe sous le nom de caraphogene rcsulte de la condensation de neuf volumes d'liydiogene etde douze volumes de carbone. Un volume de campliogene combine' avec un volume de vapeur d'eau constitue le camphre ordinaire. Si I'on double la proportion de la va- peur d'eau on obtient la cholesterine . Quant au compose' qu'on de'signait sous le nom de camphre artijiciel, on I'obtient par la combinaison d'un volume de campliogene avec un volume d'acide hydrochloriquc. Deux volumes de campliogene combine's avec deux volumes d'oxygcne donnent I'acide caproique. C'est de I'acide caprique au contraire que Ton obtient si Ton prend trois volumes d'oxygene, la proportion de I'au- tre corps restant la meme. Enfin deux volumes de campliogene et cinq d'oxygene donnent I'acide campliorique. Anatomic. — Lellrcs de Scarpa. — M.CuviEn fait un rapport sur deux lettres AcScarpact JV eber ic- 7IO NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRKS. lativeiucnl ,j la nature des ganglions ntiveux et a celle du nerf in- tercostal. L'illu.slic analoinistc lialicn consiiU'ic Ics ganglions comiuc forme's imiqiiement des divisions et subdivisions des Glets nerveux qui s'y ren- dent. Les derniers rameaux , aprcs avoir rampc' quelque terns dans un tissu cellulaire raou ct al)reuve' de sue , se re'unissent ensuite pour for- mer de nouveaux troncs qui sortent du ganglion Mais il est a reraarquer que rliacun des troncs sortans est forme' en general de filets appartenant aux divers troncs entrans , de sorte que, lorsque le ganglion refoit des filets provenant d'origines diverses , chaque filet sortant participe de la nature de tons. Le nerf intercostal ii'existe pas a proprement parler par lui meme, mais n'est que la reunion des lilets provenant des nerfs intcr-vcrtcbraux du nerf de la cinquieme paire ct de celui de la huitieme. Quant a la sixieme paire, on ne sail pas encore si le filet qui I'unit a I'intercostal proccde d'elle ou de ce nerf. Le plexus brachial est forme' de la meme maniere , et chaque branche qui en sort emmene des filets de toutes cellesquiy entrent, savoir des cervicales infe'rieures et de la premiere dorsale. \jQ tronc du nerf intercostal est forme' d'un plus grand nombrc de fi- lets amesurequ'on le prend plus bas , ct par consequent ses rameaux infe'rieurs sont les plus complexes ; c'est ce qui explique comment leur irritation dans les maladies de la vessie et de la matrice communique I'agitation a tout le corps. II peut an premier abord sembler e'trange que , recevant ainsi des fi- lets de tons les nerfs spinaux, I'intercostal ne soit pas soumis a la vo- lonte. La difference qu'on observe dans la fermcte' de sa texture , com- pare'e a celle des nerfs des sens , n'en est certainement pas une raison suffisante , et I'effet qu'on a attribue a ses ganglions d'intercepter les effets de la volonte n'est ni prouve ni probable; mais I'explication du fait se trouve dans la reconnaissance de la double brigine des nei-fs spi- naux, et dans la difference de fonction des deux ordres de racines. Nous Savons en effet maintenant que les racines ante'rieures donnent le mouvement, et les poste'rieurcs qui onl un ganglion la sensiliilite. Tl en est de meme des nerfs ce're'braux , el Ciliarlcs Bell a de'montrc'quela section du sous-sorbilaire (branche de la cin(piieme paire) fait disparaitic FRANCE. 711 le sentiment dcs levre.s et de la region nasale, mais que celle du facial (provenant de la septieme paire) abolit le mouvemcnt de ces memes parties. La cinquieme paire a deux parties : la petite qui se distribue aux muscles de la mastication, la grandc qui sert aux sens. Le rameau lin- gual de celle-ci sert au gout , mais c'est la neuvierae paire qui donne le mouvement a la langue et a I'os hyoide. M. Scarpa pense dc plus que le nerf de la huitieme paire, sur le- quel il a trouve imme'diatement apres sa sortie du crane un ganglion , caractere qu'il regarde comme appartenant exclusivement aux nerfs du sentiment, serait destine a donner uniquement la sensibilite' aux parties dans lesquelles les fdets se distribuent, tandis que le nerf accessoire donnerait Ic mouvement a celles de ces parties qui sont de nature mus- culaire. Partant deccs faits , M. Scarpa a recherche' quelles sont les racines d'oii proviennent les filets qui se rendent a Tintercostal , et il a reconnu que ce sont toujours les posterieures d'oii partent , un pen au-dessus du ganglion, ces filets d'abord au nomlire de trois ou quatre, et qui s'e'tant ensuite unis en un ou en deux montent par-dessus la racine ante'rieure et I'enveloppent quelquefois comme d'un reseau ou meme la traversent. II faut de I'attention et de I'adresse pour de'meler ces variete's. Aussi Schmidt s'est-il trompe en croyant que les filets de I'intercostal venaient de la racine anterieure ; elles venaient bien certainement de la poste- rieure et uniquement de celle-ci , t'ar elles naissent avant la reunion des faisceaux provenant des deux racines. II suit de la que les fibres charnucs du coeur et de I'estomac n'onf point de filets moteurs , mais lieaiicoup de filets sensitifs. Leur excitation vient du sang et des alimens et non de la volonte. Dans sa seconde lettre , M. Scarpa revient sur ce caractere, qu'il attribue a tous les nerfs de la sensibilite' , d'avoir des ganglions. Les nerfs ccrebraux, dit-il , en ont eux-memes loutes les fois qu'ils sont sen- sitifs. Ainsi I'olfactif a sa massue. La grande portion dutrijumeau, dcja ganglioiinaire a son origine, a de plus le ganglion ophtlialmique , le spheno-palatin el le maxillnire. Aucun des filets qui en partent ne va aux muscles. 712 NOUVELLES SCIENTIFIQTJES ET LITTERAIRES. Le nerf vague a peine sorti du crane se renflc en un ganglion. On olijcctera peut-etic, pouisuit Scarpa, qucle ganglion oplitlialniique vient en partie de rocculto-moteur ; je nie cette seconde origine, il vient du nasal de la cinquieme paire. Le petit ruban qui part de rocculto-moteur destine au petit oblique n'est qu'iin ligament celluleux etnonncrveux. Ce nerf nasal donne encoi-e des ciliaires au-dcssous du ganglion et roc- culto-moteur n'cn donne aucunj aussi le mouvement de I'iris ne de- pend-il pas de la volonte. On serait tente , d'apres ce qui vient d'etre dit , de supposer que les muscles de I'oeil ne receviviient , par une exception dont ils seraient le seul exemple, que des nerfs du mouvement , et non des nerfs de la sen- sibilite. Scarpa croit qu'ils recoivent aussi de ces dcrniers. II soupconne que I'abducteur en rccoit un tres-te'nu, qui part dircctement du cerveau et accompagne le nerf de la sixicme paire. Quant aux autrcs , ils re- coivent selon lui Icur sensibilite' de filets qui partent du ganglion cer- vical supe'rieur de I'intercostal, se dirigeant vers I'ceil en suivant la carotide , I'artere oplitlilalmique et ses divisions ; mais d'ou vient que la nature, qui avait si pres les nerfs ciliaires, a fait venir ceux-la desi loin? C'est une question que I'auteur de la lettre pose sans la resoudre. Les racines motrices de tons les nerfs spina ux, apres avoir de'passe' le ganglion des racines sensitives , se melent a celles-ci assez intimement. On y voit en petit le meme melange que dans les grands flexus. Ce sent ces filets sensitifs qui , deTjarasses a la fin des autres , vont a la peau constituer I'organe du tact. 11 faut done abandonner I'idee que le tact est exerce par les memes nerfs que le mouvement. — M. DE Humboldt faithommage a I'Acade'mie, au nom de M. Schu- bler, professcur de physique a Tubingue , d'un livre e'crit en ailemand et ayant pour titre: Elemens de meteorologie appliques au climatde I'Alleinagne. — Le meme acade'micien pre'sente un autre traile de me- teorologie, dont rauteiir est M. Kuntz , profcsseur a Hall; il presente egalcment trois cahicrs des sjmholce physicx public's sous la direction do M. Ehrenberg. La description qui s'y trouvc des insectes recueillis en Asie et en Afrique , par ce voyageur et par M. Hemprich, son compagnon, mort dans une des lies de la mer Rouge, est dii a M. Rlug, un des dirccteurs du IVTiise'e de Berlin. FRANCE. 7l3 Crislallographic. — ^^M. dc Humboldt enfin , en annoncant la de'couverte faite par M. Rose d'lin nouveau mineral, I'ouralite, quisetrouve dansles gruns- teiii de I'Oural, avec des cristaux dc pyroxene ct d'amphibole, et sem- ble par ses formes et son mode de clivage e'tablir le passage de I'un a I'autre , pre'sente des considerations sur les causes externes qui ont dii pre'sidcr a la cristallisation de ces differens raine'raux. C'est principale- ment la rapidite plus ou moins grande avec laquelle s'ope'rera I'abaisse- ment de temperature qui de'terminera la formation d'une espece plutot que de I'autre , mais la formation qui n'a pas eu lieu a une certaine e'po- que du rcfroidisseraent pourra se presenter plus tard ; c'est ce que Ton vois tres clairement dans un e'cbantillon pre'sente' par M. de Humboldt, dans lequel des ouralites renferment im noyau de pyi'oxene qui , e'tant beaucoup moins fusible qu'elle, devaitcn effet.se cristalliser bien anpa- ravant et lorsque la masse de la roche conservait une temperature beau- coup plus e'leve'e. Depuis-long terns M. de Humboldt avait fait voir par de nombreux exemples combien e'tait pcu fonde'e I'opinion de ceux qui voulaient que le pyroxene et I'amphibole s'exclussent mutuellement. La de'couverte de M. Rose nous montre maintenant trois especes cristallines appartenant a un meme genre , lesquelles peuvent se remplacer , mais qui du reste sont si loin de s'exclure qu'clles apparaissent quelquefois toutes les trois dans la merae roche. Chimic. — M. Serullas lit un Me'moire sur les chlorures de cyanogene. L'existence reconnue de I'bydrogene dans I'acide hydrocyanique, obtenu par Taction del'eau bouillante sur le perchlorure de cyanogene , ne per- mettait plus d'admettre pour ce dernier corps la composition que M. Se'- rullas avait d'abord indique'e. Ce chimiste a done entrepris de nouvelles recherclies qui I'ont conduit a reconnaitre i"que le perchlorure de cya- nogene ne conticnt point d'hydrogene, et que celui qu'on trouve dans I'acide hydrocyanique, obtenu par le moyen dont nous venons de parlor, rc'sultc de la de'composition de I'cau ; i" que ce perchlorure renferme moitie moins dc chlorc qu'il nc I'avait d'abord admis, et que parconse- 7 1 4 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. f|iicMt il a cxactoinrnt la luemc coinixiSilion (\np Ic rlilonire de cyano- gciic gazcux. — M. Lamarre Picquot litunMe'moiresur \esinceurs de plusieurs serpens deVInde et lesaccidens qui resultentdelcurraorsuie; il depose sur le bureau divers e'cliantillons de ces venins conserve's dans I'alcool , ou desse'che's dans les vesicules memes ou il e'tait contenu pendant la vie. II prc'sentc e'galcmcnt plusieurs especes de vers, trouve'sdans Ics intes- tins, les poumons et le foie de ces animaux. MM. Dume'ril et Latreillc sont cliarges de fa're nn rapport sur ce sujet. Sn'ance dn 12 imirs . — M. Duclos adresse un Me'moire sur le classenieni methodiqiie dn genre pourpre. — M. de Humboldt prcsente un Me'moire de M. A. Erman sur la ge'ologie du nord de V.4sie. L'auteur, s'appuyant sur ses propres obser- vations ct sur relies des voyageurs savans qui ont parcouru ces contre'es, fait connaitre, d'une maniere plus complete, la direction, la hauteur et I'age rclatif des grandes cliatnes de montagnes et des principaux pla- teaux. Tiiermologic. — M. de Humboldt presente encore un Mcmoire de M. Gherard, directcur general des mines et iisines enPrussc, sur la temperature de la terre dans les mines des diverses provinces de cet Etat. J^es observa- tions ont e'te commence'cs en 1828, a ladcmande de M. Humboldt. Les thermomctres employe's avaient tons ete soigneusement compare's entre eux, et aucunc precaution n'etait negligee pour que, soit dansl'inte'rieur des mines, soit a la surface, on eut exaclcment la temperature de I'airet celle du sol meme : l'auteur du Me'moire donne les moyennes de trois annees et discute les causes de I'aceroissement inegal de la temperature. Les observations ont t'te failes en on/.e endroits diffe'rens, compris entre le Rhin et I'Oder. On a eu soin pour chacun de noter cxactemeut la hau- teur de la surface du sol au-dessus du niveau de la mer. La temperature des couches rocheuses , a un.c piofond, «r de 3i pieds, s'est trouvec, pour loutes les parties ccmijuiscs (Ulrc Ics h)" cI m" '/:, dc latitude, etre Icrmc moycn de (i", 54 du therniometrc dc Keaumur. Par 170 pif-ds FRANCE. . 710 (mcsure de France) elle est de 7°, -jS R.; de Soo a (Joo pieds, elle est de 9°, 6 a 1 1° , 6 R. A un accroisscment de 180 pieds en profondeur correspond une augmentation d'un degre. Toutefois MM. Erman et Magnus ont observe' une augmentation beaucoup plus rapide dans un trou de sonde perce dans les coUines calcaires dc Riidersdorff pres Berlin. — ^ M. CuviKR faitun rapport tres-favorable surles nouvelles livrai- sons du Traite d'anatomie par MM. Bourgery et Jacob. Mecanique. — M. GiRARD fait, en son nom et en celui de M. Dupin, un rap- port sur un nouvel app are il mveule ])ar M. Fayard, pour remplacer le levier a I'aide duquel on maintient suspendues , sous les voitures dites fardiers , les charges que ces voitures ont a transporter. II arrive assez fre'quemment que le levier s'echappe ou se brise , ce qui donne lieu a des accidens terribles pour les voituriers , accidens que I'usage du nouvel appareil pre'viendrait a coup sur. II serait done a de'sirer que les proprie'taires des voitures se de'cidassent a cette substitution qui ne leur causerait pas d'ailleurs une depense bien grande. Pliysiologic vep,elale. — Maliure coloranlc du saiiy. — M. DrxRocHET lit un Meraoiresur Yhe'teroge'neite des substances organiques qui sont a Vetat de superposition dans les globules sa/i- guins. On sait que I'auteur admet , dans les feuilles des ve'gc'taux , la super- position de deux matieres doue'es d'une e'lectricile oppose'e de maniere a repre'senter une pile dont le jon excrce unetres-grande influence surles phe'nomenes d'absorption et d'pxlialalion. L'idc'c de clierclier dans les parties des animaux quelque chose de semblable devait naturellement se pre'senter a lui; aussi apres avoir etudie les propriete's des substan- ces colorantes dans les feuilles et les fleurs , il a voulu voir quellcs e'taient celles de la matierc colorante du sang. Le sang dans les animaux vertcbre's offre des globules qui nagent dans un fluide se'reux et qui restent isole's tant que le sang est contenu dans les vaisseaux , raais qui au contraire, une fois qu'il est sorti de ses con- duits naturels, s'accumulcnt et s'nnissseni en une masse qui est ce qu'ou 7 l6 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTER AIRES. nomnie le caillot. L'autcur a pcnse (pie cet isolement dcs molecules dii sang vivant pouvait bien tenir a la repulsion qu'cxercent entre eux des corps charge's d'eleetricite de mcme espcce , et il a rcgardc ceUe opi- nion comme conCrme'e par les experiences dont nous allons parlcr. Chaque globule est compose' d'un noyau translucide incolore, qui est forme' de la fibrine et d'une enveloppe rouge compose'e spe'cialement de la matiere colorante du sang. On obtiendrait difficilement la se'paration de ces deux substances sur un globule isole. Mais si Ton prend un agre- tjat de globules, una partie du caillot, et qii'on h triture dans I'eau, la fibrine se de'pose bientot au fond , tandis que la matiere colorante reste encore suspendue dans le liquide. En prcnant nne goutte de cette eau rouge et la soumettant a Taction d'une pile, il a vu la matiere colorante s'amasser autour du pole negatif. Cette matiere est done e'lectro-ne'ga- tive. Au contraire la fibrine du sang , dissoute par la potasse , de'pose autour dupole positif un coagulum fibrineux. Voila done, dit l'autcur, deux substances d'eleetricite oppose'e a I'e'tat de superposition dans les globules. Cbacun d'eux par consequent constituc un petit appareil e'lec- trique : or , loutes les fois que deux ou plusieurs de ces appareils sont assez pres pour agir les uns sur les autres, comme ils se presentent tou- jours re'le'ment de meme signe , leur action a pour re'sultat de les e'car- ter re'ciproquement. Horticulture. — M. Soulange Bodin lit uri Me'moire sur les greffes et en parti- culier sur les greffes herbacees. En inge'rant des rameaux de tomate sur des pieds de pommcs de terre les memes plantes ont porte a la fois au pied les tubercules du premier vegetal et a la tete les fruits du second, et ainsi on a obtenu une re'colte double et de tres-bonne qualite sur le meme espace de terrain qui n'en eiit sans cela porte qu'une simple. II n'est pas prouve du reste que Tc'conomie sur le terrain ait pu compen- ser I'augmentation du prix de la main-d'oeuvre. Un autre re'sultat pent etre plus utile a la pratique, c'est celui de greffcr sur de jeunes arbrcs , qui dans I'ordre nalurel seraient encore bien loin de I'epoque ou ils doi- vent produire , des rameaux d'arbres plus age's. Par ce moyen on ob- tient des I'anne'e suivante des fruits. Peut-etre encore pourrait-on sc de- mandersi, en liatant ainsi artificiellement la pubcrte'dcsindividus, Ton nenuit pas a Icur dcvcloppcmcnt ou Ton n'alnege pas leur existence. FRANCE. n\rj Chiniic. — M. Pelouze lit une not* sitr la transformation de Vacide hj- drocyaiiique et des cyanures en ammoniaqiie et en acide fornii- tjue. Voici en resuime quels sunt les resultats de ses recherches sur cc sujet : 1° L'acide hydrocyanique est transforme' en fonniate d'ammoniaqiic par Ics acides forts ; i" une dissolution concentre'e de cyanurc de potas- sium, soumise a Taction de la clialeur, se change en ammoniaque ct en formiate de potasse; 3° a une haute temperature et sous I'influence d'un exces de potasse , le cyanure de potassium donne de Thydrogene , de ramraoniaque et du carbonate de potasse ; 4° un exces d'acide muriatl- que produit avec le cyanure de mercure un chlorure double d'ammonia- que et de mercure , de l'acide formique et tres-peu d'acide prussique j 5" le formiate d'ammoniaque soumis a Taction de la clialeur se trans- forme, lorsqu'on arrive a une temperature d' environ iSo" c, en eau et en acide hydrocyanique. ■Creologie. — M. Virlet lit un Me'moire sur I'lle de Therma , une des Cjxla- des. Cette tie , dont toutcs les roches appartiennent au terrain primitif, offre dans une montagne de phyllades et de mica-schistcs tres-durs une caverne qui , ju dire des habitans , se prolonge dans rc'tendue de plus d'une lieue. M. Virlet soupfonne qu'elle servait autrefois d'issue aux eauxdu bassin, au fond de laquelle son embouchure est situee, eaux qui raaintenant s'e'ehappent par une ouverture lateVale qui semble avoir c'te produite par quelque Louie versement d'une e'poque assez re'cente. La caverne n'offre point de ccs stalagmites et stalactites si communs dans les grottes des roches calcaires j toutefois I'auteur pcnse que les terres de rapport qui en fomient le plancher pourraient bien contenir des deljris d'animaux : le de'faut de tems seul I'a empeche de verifier cette conjecture. Seance du 19 mars. — M. Boisduval adresse les deux premieres livraisons de son ouvrage 7 1 8 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LIl TERAIRES. intitule : 1 cones des lepidopteres d' Europe noiiveaux oupeu connus. M. Latreillc en fera robjctd'nn rapport verbal. — M. Isidore Geoffroy fait riiommage du premier volume cle son Histoire des anomalies de V organisation chez I'hommeet les ani- maux. — M. Lihri annonce qu'il est parvenu a integrer completement toutes les equations differentielles du premier ordre a deux variables. « Cette integration , dit I'auteur , sera applicable a de nombreuses questions dc physique mathe'matique; car ces questions , qui dependent presque tou- jours d' equations diffe'rentielles line'aires du second ordre , peuvent se ramener a des equations diffe'rentielles du premier orch'e. » Ainsi dans la the'orie de la chaleur on pourra maintenant supposer variables la clialeur spe'cilique et la conductibilitc' des corps ecliaufl'es j puis les equations diffe'rentielles qui en re'sulteront seront inte'gre'es au moyen de la surface propose'e. — M. DE Humboldt pre'sente trois ouvrages alleraands sur lechole'ra; savoir : Traitement du cholera-morbus par I'emploi du froid , par J. L. Caper (Berlin) ; Traitement du cholera on plutut de lafievre choleriqueau moyen duprincipe febrifuge du quinquina(iiar\ovre)^ sans nom d'auteur; Lettres du docteur Rust a M. le baron de Hum- boldt sur le cholera (Berlin i832). iMagnetismc lerreslre. — Lememe acade'micien annonce qu'on vient d'e'tablir a sa demande, a I'ile de Cuba , un observatoire magnetique. De cette maniere se trouve encore prolonge'e la ligne surlaqiielle, a des e'poques de'termine'es, se font simultanement des observations sur les divers e'le'mens du magne- tisme terrestre. Cette ligne s'e'tend maintenant de la mer de Chine au golfe du Mexique , de Pekin a la Havane , en passant par Kasan , Pe'ters- bourg, Niolaief, Berlin, Freiberg, Paris , etc. Les personnes qui s'inte'ressent aux progres des sciences et en suivent assiduement la marche n'auront pas manque' de remarquer combien cette partic de la physique terrestre sera redevable a M. de Humboldt , non- seulement pour la masse d' observations aussi exactes que multipliees qu'il a rapportc'e de ses voyages dans les deux Ame'riques , dans I'Asie septentrionale et dans une grande partic de 1' Europe , mais encore pour FRANCK. 719 toutes celles que depiiis vingt ans il a provoqiiees avec un zele qui ne s'est jamais ralenti au milieu de la vie la plus active et les travaux. les plus varies. Grace a son entremise, une foule d'hommes place's tres loin des centres de la civilisation europe'enne , et que leur profession portait peu aux recherches scientifiques , ont entrepris et poursuivi avcc con- stance des observations dont I'ensemble servira un jour de base aux theories les plus elevees. Aucun d'eux n'a ete oublie' par M. de Hum- boldt, qui, bien que pouvant a juste titre s'attribuer une grande part dans tons ces travaux dont il a trace le plan , et pour lequel il a fourni plus d'une fois les moyens d'exe'cution , n'a jamais songe qu'a faire res- sortir le me'rite des observateurs , en montrant, ce que lui seul peut-etre pouvait aussi bien faire, toutes les difficulte's qu'ils avaient en a sur- monter. Cliolera-morUus. — M. le docteur Delpech, de retour d'un voyage qu'il a fait a Londres pour observer le cholera , de concert avec le docteur Coste et un me'decin de Moscou , M. Loevenhajn , annonce qu'il a reconnu sur treize individus qui avaient succombe'a cette maladie une affection plus ou moins profondedcs ganglions des nerfs splanchniqucs. Avantd'avoir vu la maladie et sur le seul e'nonce des symptomes, M. Delpech avait pense' qu'elle avait son sie'ge principal dans le svsteme nerveux splan- chnique , puisque les organes dont les fonctions se montrent le phis profonde'ment alte'rees , les organes digestifs, les appareils dc la circu- lation et dela respiration sont le plus directement soumis al'influence du systeme nerveux dont nous parlous. M. Delpech a fait Tautopsie cada- ve'rique de treize chole'riques , el sur presque tous il assure avoir re- connu les de'sordjes qu'il avaitd'avance soup9onne's. Nousne pouvons nous dispenser ici de faire remarquer que les autopsies faitcs par d'autres me'decins , sans idee preconcue sur la cause du mal , sont loin d'avoir conduit au meme re'sultat. — M. Chevreul fait, en son noni et celui de MM. Serullas , Flou- rens , Dupuytren , Serres et Magendie , un rapport tres avantageux sur les bouillons de la compagnie hollandaise. Nous aurons occasion de revenir sur ce rapport , qui contient des recherches tres-importantis sur la compositiou cliimique du bouillon ordinaire et sa comparaison avcc 720 NOTIVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES, la solution de gelatine. L'Acade'mie a ordonne rimpression du rappoif , mais raiiteur a demandc ct obtenu d'y ajouter les rc'sullals de reclicrclics nouvelles qui nc sent pas encore entierement tcrmine'es , ct dont il s'e- tait determine' a ne pas parler , afin dc satisfaire plus proinptcmcnt a rimpaticnce du public sur une question d'un aussi haut inte'ret , el dont le but parail avoir e'tc si comple'tement rempli par la socie'te' hol- landaise. — M. Mathieu fait, en son nom et cebii deM. Puissant, iin rapport sur le geodesimetre de M . Riquehem, instrument d'arpentage , qui ticnt lo milieu entre le tlie'odolilbe ct le graphonietrc ordinaire , raais qui , ne ponvant jamais donner rexaclitude du premier , pourrait seulement remplaccr avec avantage le second, si on trouvait raoycn de le rcndre plus portatif et moins couteux. Concliyliologie. — M. LATREiLLEfait, cu SOU nometcelui deM. Dumml, un rapport tres-avantageux sur le Me'nioii'e prc'sentc par M. Duclos a la sc'ance du i-j. mars , et declare qu'il concluerait en demandant I'insertion de ce tra- vail dans le recueil des savans etrangers , s'il ne pensait que les belles planches qui y sont jointes couteraient pour etre grave'es ime somme plus considerable que celles que I'Academie pcut consacrer a cette des- tination. M. de Blainville reparle alors du Me'moire qu'il annoncc avoir com- pose' sur le memc sujet , et en donne le titre dans les termes suivans : Discussion methodique des especes de coquilles recentes et fossiles des genres pourpre , ricinule et concho-lepas , de Lamarck , ct Description des especes noitvelles ou pen connues faisant partie de la collection du Museum d'histoirenaturelle. Anatomio des strpens. — M. DuMERiL fait, en son nom et celui de MM. Latreille et Fre- deric Guvier, un rapport sur le dernier Me'moire de M. Lamarrc-Pic- quot , relatif aux serpens venimeux de I'lnde. On sail que c'cst une opinion assez gene'ralement repandue dans nos campagncs que les cou- leuvres, trcs-avides de lait, te'tent quelqucfois les vaclics, dont dies larissent aiiisi los mamelles. La mcme croyance scrctrouvc dans I'lnde, FRANCE. 721 lelativement a certains serpens; et M. Laraarre-Picquot I'a reproduite comma un fait reconnu , mais dont il ne dit pas avoir etc' te'moin. Les comraissaires font voir que la conformation anatomique de la bouche des serpens ne leur permet pas d'exercer une semblable siiccion. lis se re- fusent e'galement a admettre pour les memes aniraaux Tincubation des ceufs admise par I'auteur. M. Picquot a vu un serpent femelle qu'i! noiu'rissait dans une boite , roule sur ses ceufs , et il a trouve la tempe'- rature dc I'animal superieure a ce qu'elle est commune'me nt. II consi- dere cette elevation comme indiquant une sorte de fievre d'incubation. Les comraissaires au contraire n'y voient qu'une chaleur communique'c par les corps environnans. Le fond de la caisse e'tait garni de foin sur lequel I'eau destine'e a la boisson de I'animal avail e'te renversee ; de la il e'tait re'sulte vraisemblablemenf une fermentation , accompagne'c comme a I'ordiuaire de dc'gagement de chaleur. En terminaot leur rapport , MM. les comraissaires rappellent les services que M.Laraarre-P^couot a rendus a I'histoire naturelle par les belles collections qu'il a rapporte'es de I'lnde , et le soin qu'il a mis a indiquer exactement la localite' d'ou provenait cliaque e'chantillon. Sdance du 26 mars. — MM. Chevallier et Lecanu demandent cbacun a etreportes par r Academic, comme candidats a la place de professeur vacante par la demission de M. Bourriat. — M. Despretz e'crit a 1' Academic qu'il ne s'est demis de la place dc professeur de physique a I'Ecole Polytechnique , que parce que les chefs de cette institution lui ont presente en echange I'emploi d'exami- nateur. Sans cette assurance , dit-il , je n'aurais jamais quitte' une chaire dont j'avais e'te juge' digne par le couseil des professeurs et par I'Ac.i- de'raic. — M. Mitscherlich , correspondant de I'Academie, present a la se'ance , fait horamage du premier volume de son Traite de chimie. — L'Acade'mie procede a I'e'lection d'un candidal pour la place de professeur de physique a I'Ecole Polytechnique , vacante par la demis- sion de M. Despretz. La lisle presentee par la commission portait les noms de MM. Lame et Monferrand. A un premier tour de scrutin , M . Lame obtient 43 suffrages ; le nombre des votans etait de 49- TOME IJII. MARS 1852. 47 "?.'?. NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LTTTERAIRES. Vovage en Asic de M. Jacquemont. — M. CoRDiER lit clcs exlraits dc plusicius lettrcs adrcssdcs an Mu- seum d'hisloirc iialurelle par M. Jacquomont, ct dans lesquellcs ce voyagcur donnc son itincraiic , et les rc'sullats principaux dcs observa- tions qu'il a faites dans ce pays. M. Jacquemont est parti de Calcutta le io novembre 1829; il e'tait a Benares le 3 1 de'cembre suivant , et a Delhi dans les premiers jours dc mars i83o. Cette traverse'e dc I'lndoustan a die empjoye'e a divcrscs rcclicrclies , notammcnt a visiter les bouilicres dc Rannigungc au pied dcs basses montagnes du Bebar , ct les cclebres mines de diamant de Punnab, qui sent situeesdans levaste plateau de gres qui s'e'leve a 3 on 400 metres au-dessus dc la valle'e du Gange et dcs plaines de Bcndul- kend. Le iz avril i83o, M. Jacquemont est cntre dans I'Hymmalaya en se dirigcant par »Sabarunpore , ville situe'c an nord de Delhi. Le 2 mai,il montait aux sources de la Jummah , qui est un des principaux affluens du Gauge. II a francbi ensuite la grande chainc de I'Hymmalaya indien et il est dcscendu dans cette haute ct grande vallcc qui porte le nora de Haut-Kanaor et qui est arrose'epar le Sutledge supe'rieur, valle'e qui a cela de rcmarquablc qu'cUe est parallelc a la direction des montagnes, et qu'clle apparticnt au bassin dc I'lndus, dent le Sutledge est im grand affluent. M. Jacquemont a conslatc que la chaine qui horde cette valle'e du cote du nord, ct qu'on pourrait nommcr rHymmalaya ihibctain, est plus puissante encore et plus elcve'e que I'Hymmalaya indien. 11 a pe'ne- trc jusqu'a G journe'cs au-dcla du 32"' degre dc lat. N. dans cette chainc thibc'tainc , et a cet cffct il a remonte le cours du Spiti , affluent du Sutledge. II a aussi dirige' ses rccherches du cole de la frontiere orieu- tale, et les postcs chinois ont pu seuls rempecher d'arriver jusqu'au lac Mansarorar. Apres sept mois de courses ct de rccherches dans le Kanaor, M. Jac- ([ucniont est revcnu sur ses [las; le 3 octobrc i83o, il repassa I'Hym- malaya indien par une route diffc'rcnlc dc la premiere , c'csl-a-dire par le Bouroune-Ghanti, qui est un des cols les plus has dc la chaine , quoi- qu'c'lcvc encore de plus de 5, 000 metres au-dessus du niveau de r Ocean. FRANCE, ^2,3 / M. Jacqucmont est ensuite rcvenu a Delhi pourinettre sos collections en surcte' ct se preparer a entrer dans cette vaste partic du Caboul cpii , sous le nora de Pendjdb, coinprend presque tout le bassin de I'lndus, et forme un royaume inde'peudant , gouverne' aujourd'liui par un puissant rajah nommc' Bitnjit-Singh. L'administration du Museum, en indiquant a M. Jacquemont le bassin de I'lndus comme un point oil il devait tenter de porter ses investigations , avail exprime' un de'sir plutot qu'une espe'- rance. II existait, en effet, pour la realisation de ceprojet des obstacles qui eussent e'te' dii'flcilement surmonte's sans une circonstance aussi heu- reuse qu'impre'vue. Un ofdcier francais, M. AUard, a fait une grande for- tune auprcsde Runj it-Singh, etest devenu general de son arme'e, qu'il a en partie discipline'e al'europe'enne. 11 apprit qu'un Francais visitait le Kanaor, et s'empressa delui e'crire pour lui offrir ses bons offices pres du souverain. Cette recommandation , jointe a celle que IM. Jacquemont avail re§ue pour le memc rajah du gouverneur general des Indes , lord Bentinck, a permis anotre voyageur de parcourir lespays qu'aucun An- glais n' avail eu la permission d'explorer , et des les premiers jours de mars i83i il e'tait a Labor capitale du Pendjal). Parti de cette ville le 26 mars, noire voyageur serendit a Pindaden- khan pour examiner les mines desel exploite'es dans les environs de cette ville. II n'e'prouva aucune difficulte dans son excursion aux plaines du Pendjab, et, confianldans la protection du prince, il esperait ne rencoatrer pas plus d' obstacles dans son voyage a travers les montagnes. Mais , en arrivant a Mirpour , il trouva que les ordres donne's par Runjit-Singh pour son voyage n'avaient pas e'te executes , el des lors il s'ajjerfut qu'il aurait a rencontrer de nombreuses difficulle's en raison de I'etat presque anarchique oil se trouvail le pays. En eflet, quelques jom'S apres, se trouvant pres. de la forteresse de Teloulchi , il fut fait prisonnier avec toute son escorle par un chef norame' N'He'al-Singh , et ce ne fut pas sans de grandes difficultc's qu'il sortit de ses mains en payant une rancon. Runjit-Singh, instruit de cet e've'nement, s'empressa de faire re- mettre a noire compatriote la somme qui lui avail e'te extorque'e , et bientot apres il lui fit savoir que son perse'cuteur e'tait arrete' et serait deja mis a mort si Ton n'avait jugc plus conveuable de le rcmettre entierement a sa disposition. Comme on le pense bien, IM. Jacquemont se garda de dcmander la tele du coupable; mais il sentil aussi qu'il importait an 47. 724 NOIIVELLES SCIENTiriQUES ET LITTERAIRES. succL'S (le son voyage qu'on n'espe'iat pas pouvoir I'insultcr impunemcnt. l£n consequence N'He'al-Singli , apres avoir subi nnchatiracntcorporel, I'ut detenu en prison tons le terns que notre naturaliste jugca necessairc a sa propre suretc. Parrai les resultats des observations que M. Jacque- mont a t'aites dans le voyage dont nous venons de donner un aper^n , nous nous contenterons de ciler les suivans. Dans la valle'e de Kanaor , la hauteur moyenne dcs villages situe's le long du Sutledge est de 3, 000 metres au-dessus du niveau de la mer. Celle des villages situe's dans le bassin du Spiti ( affluent du Sutledge ) est de 4,tioo metres. Quant aux habitations isolees , elles atteignent ot de'passent fre'quemment une hauteur de 5, 000 metres. L'Himmaiaya indien est presque enlierement forme de roches primor- dialesj mais la cliaine thibetaine renferme un systeme de roches secon- daireset coquillieres qui a une e'paisseur tres-considerable, et parait s'e'- tendre a une immense distance dans le Thibet chinois et la Tartaric in- dependante. Les accidens que paraissent avoir e'prouve's dcpuis leur formation les terrains cristallise's etse'dimentairesdel'Himmal.aya affectcnt teljement et leur sti~atification et les caracteres mineralogiques de leurs roches, que la nature cristallineou classique de celle-ci devient souvent fort equivoque, et rend e'galement incertaine la limite des terrains. Cette observation rcardeplusdirectemcnt cette parlie de I'Himmalaya quele voyageur a traversee pour aller a Cachemyr; mais elle s'appliqueegalementa d'au- tres parties de cette chaine, surtout entre le Sutledge etla Jummah. Le sel que M. Jacquemont a trouve,comme nous I'avons dit, aux en- virons de Pindadenkhan , ne se distingue pas par des caracteres mine- ralogiques de celui de Cardona , en Espagne ; il est associe avcc du gypse dont la distribution dans le terrain qui leur sert de matrice rc'- pete fidelement tons les accidens de la sienne. A peu de distance de la , a Diellalpour , dans le prolongement des memes couches , on voit celles- ci derange'es , disioquees , comme a Pindadenkhan , et leurs mate'riaux reagglutine's sculement par du gypse ; enfin , en passant de cette chaine de coUines saliferes dans I'Himmalaya dont elles sont si voisines, on re- trouve la meme direction ge'nerale des principaux accidens du terrain , une direction analogue dans la stratification de ses couches , et enfin , dans celles-ci , des de'rangemens locaux plus on moinse'tcndns, marques FRANCE. '725 loujoiirs par I'apparition d'ainas calcaires , dolomitiqucs on quartzeux, lesquels , par toutes les circonstances de leur gisement , rappellent d'unc maniere frappante celui du gypse et du sel a Pindadenkhan ct du gypse semblable, mais non saliftre , de Djellalpour. Quant a la determination ge'ognostique des terrains stratifies qui con- stituent la cliaine des coUines saiiferes de Pendadenklian , elle offre des difficulte's qui ne pourront etre levees que par la comparaison des fos- siles tres-rares disperse's et comme fondus dans quelques-unes de leiirs couclies. M. Jacquemont cependant pense y arriver d'une maniere plus complete encore , en e'tablissant un rapprochement entre ces terrains et d'autresqui lui semblent analogues dans I'Himmalayad'outre-Sutledge, et qui sont moins pauvres en restes organiques. — M.Navier fait, en son nom et celui de MM. Arago et Poisson, un rapport sur les experiences de M. Morin relatives au frottcraent. L'Aca- de'mie, couforme'ment aux conclusions de ses commissaircs , ordonne I'insertion du Me'raoire dans le Recueil des savans e'trangers. — M. Becquerel , en pre'sentant un morceau de bois trouve' dans une fosse d'aisances et qui offre a sa surface de tres-beaux cristaux de phosphate ammoniaco-tnagnesien , annonce qu'i\ est parvenu a former dans I'urine, au moyen de ses appareils e'lectriques a petite tension, des cristaux, non-seulemeut de ce phosphate , mais encore de tous les au- Ires seis insolubles qui se prescntent dans les calculs vesicaux. — Sur la demande du meme membre, rAcade'mie de'cide qu'il sera adressc au ministre de la marine une lettre a I'effet d'obtenir que les batimens de I'etat qui toucheront a Cayenne en rapportcnt des gym- notes vivans. — M. Serullas fait un rapport tres-favorable sur le Meraoire de M. Pelouze, concernant la transformation de I'acide bydrocyanique et des cyanures en ammoniaque et en acide formique. — Le meme acade'micien lit une note sur un nouvcaumoyen d'obtenir I'acide iodique. En chauffant dans une capsule de I'iode avec de I'acide nitrique surcharge de deutoxide d'azote jusqu'a ce qu'il ne se de'gage plus de vapcurs rutilantes , on obtient de I'acide iodique en petits cris- taux tres-brillans. — M. Thenakd indique un nonvcau moyen de purger les maisons de souris et de rats au moyen d'hydrogene sulfurc qu'on fait de'gager 726 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTER/VIRES. (fans Ics Irons oil ces animaiix se retirent. L'apparcil est simple el con- siste en une cornue de verre tubulee dout on lute exactcxient I'orifice a renlre'edu tiou principal, apres avoir eu bien soin dc Lonelier tons les autres ; on introduit ensuite dans la cornue du sulfurc noir de fer , puis on y verse avec precaution une certaine quantite d'acide sulfurique. Le de'gagcment du gaz ne tarde pas a s'ope'rer, et son cffet , dans tons lc& recoins 011 il pe'netre, est iramanquable. Roulin. COURSDEPHILOSOPHIEDEM JOUFFROV (1). Pour de'gager de toute confusion nos deductions sur la destination de I'homrae, nous avons dii commencer par distinguer severemcnt ce qu? cstlui de ce qui n'est pas lai, sa nature vraie, permanente, absolue^ dcs e'le'mens qui sont le produit des seules conditions de la vie actuelle ; maintenant celte distinction doit ctre coraple'te'e par une distinction nouvelle. Une certaine nature donne'e implique ne'cessairement une certaine des- tination correspondante. Elles viennent I'uneet I'autrede la Providence. C'est unpartage fatal pour cLaque individu. Mais telles peuventetre les circonstances et les conditions oil il se trouve que sa maniere d'etre et son de'veloppement soient change's et restreints au point qu'ilne puisse attein- dre aubut general de son existence qii'au moyen d^ine foule de butsse- condaires et comme subsidiaires , approprie's aux ne'cessite's spe'ciales de cette situation. Mors sa destine'e se pre'sente sous deux aspects : d'une partentant que primitive, e'ternelle et iumiuable ; d'autre part en tant que conditionnelle et passagere. C'est ainsi que I'oiseau a pour des- tine'e de volcr dans I'espace , taut que I'air de I'atmosplicre pent le porter. Si vous le renfermez dans une cage , il ne volera plus , et nean- moins sa destinec virtuelle n'aura pas change. Nous pouvons concevoir analogiquement les modifications apporte'es a la nature de I'liomme par les rapports force's qui le lient a une organisation animale , a une socie'te d'etres qui lui ressemblent , au monde exte'rieur. Cette distinction est necessaire pour permettre d'expliquer bien des fails et d'essayer bien (I ) Nous avons doiiiic Tanalyse des premieres livraisoiis dc M. Jouffroy , dans notre livraison de tlecembre 1851 , p. 785 , et en Janvier 1832, p. 200. FRANCE. -727 cles conclusions. Toutcs les religions qui ont existe au rnondc y out re- couru. Elles ont rcgarde I'liorame ou comme un elre de'chu, ou comnic un etre sournis a une e'prcuve , c'est-a-dire place dans une condition infc'rieure, soil en punition d'un de'meVite passe, soil pour mcriter p«r ses efforts de s'c'levera une condition supe'rieure: dogmes qui tons deux egalenient siipposent une contradiction entre sa destinc'e pre'scnte et sa veritable destine'e. La vie de I'liomme pre'sente trois grandes tendances qui coniposent le fond et le spectacle de son de'veloppement ; I'une qui le pousse inces- saramenta connaitre et a apprendre , la curiosite; une autre qui iui fait de'sirer d'c'tendre sa puissance sur les etres qui I'entourcnt et de dominer tous les obstacles , Tambilion ; une derniere qui le pousse a s'unir avec tout ce qui a vie autour de lui^ la sympathie. Ces trois tendances , qui ne sent autre cliose que I'exprcssion et I'invinciblc de'veloppement de trois facultes essentielles , rinlelligcnce, I'activite , I'amour , nous montrent , cbacune dans leur sphere , cette opposition radicale d'une destine'e ne'cessaire et d'un empechement qui I'arrete. L'intelligence brule de dc'couvrir la ve'rite et d'obtenir la science de toutes cboses. Mais sa science est toujours borne'e et toujours im- parfaite. II y a extremement pen de cboses qu'elle sache bien , beau- coup qu'clle sait mal , un nombre immense dont elle ne sait absolument rien.L'e'tenduedeste'nebresqui I'environncntdcpasse infiniment celledes Incurs partielles qu'elle a obtenues. Cependant , comme il n'est pas dans sa nature d'ignorer , cllc marche incessamment de rechercbes acbeve'es a des rechercbes nouvelles, de de'couvcrtes en decouvertesj et, rencon- trant toujours des verite's qu'elle ignore, aspirant toujours a connaitre, s'e'puise en explorations incompU'tcs et en efforts dont I'impuissance la de'vore, sans combler Icde'sir immortel de cette curiosite indestruclijjle. L'activite tend a embrasser tout le monde sous sa dom*ination. Qui n'a en elTct eprouve du plaisir, soil dans son enfance, soit meme dans un age ])lus avance, a songer aux prodiges qu'accomplissaicnt certains etres privilegics des diverscs mythologies , et n'a envie la puissance merveilleuse des fees et des magicicns ? Mais des entraves s'opposent toujours a notrc ambition ; et comme il n'csl pas dans noire constitution de ne pas pouvoir, quelle que soit la sommc de la puissance ([ue nous 728 NODVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. avons aajiiisc , toujouis demeurent ct le de'sir, et la contradiction , et le tourment. Lebesoin d'aimcr, le plus intimc et le plus piol'ond de tous les inou- vemens de la nature humaine, nous fait aller vers tous les etres , et lever une union univcrseile. Mais dans tous nos ra[)ports , soit avec la nature, soit avec les hommes , notre sympathie est compiimee par des limites et flc'trie par des imperfections. Tous les de'sirs n'aboutissent qu'a des illusions , les plaisirs d'un moment a des de'gouts et a des mecomptes. C'est ainsi que tout ce qui arrete la nature humaine la blesse. L'esti- mation absolue de sa destinee est le de'veloppement complet de ses facul- te's. Son voeu , c'est I'infini. II semble que notre douleur devienne plus vive a mesure que nous apprenons a definir plus nettement notre impuissance. Lorsque les Grecs se representaient la terre comme un gateau place' sur im ocean, ils ' pouvaient se croire au sein d'un infini , et rever a leur activitef un champ sans bornes. Depuis que les navigateurs ont fait la circonscrip- tion de notre globe , nous nous sentons bien plus resserre's dans notre prison. Mais quelle que soit I'etendue immense qu'il nous fut donne de pai- courir, puissions-nous voguer a travers les espaces jusqu'aux mondes les plus eloigne's que la uuit nous y revele ; comme il faudra que nous nous arretions a un terme , nous ne serons pas satisfaits. Telle est la con- dition humaine. Ainsi I'a comprise I'antiquite quand elle a trouve cet axiome : Omnis natura ingemiscit. Les conditions de la vie actuelle imposent done une profonde restric- tion au de'veloppement de noire nature. Telle est la premiere difference entre notre destination absolue et notre destination re'elle. II en est une autre qui porte sur le mode de developpement des fa- culte's. Ainsi conside'rant d'abord I'intelligence , nous observons qu'elle passe alternativement par deux e'tats bien distincts. Tantot , sans se prononcer d'aucune maniere , indiffe'rente , passive , elle laisse les choses venir a elle et les compreud , si elles se laissent comprendre sans re- flexion. Tel est I'e'tat oil nous la voyons lorsque, fatigue'e d'efforts ac- eomplis pour connaitre , elle laisse flolter et voyager en elle les images imparfaites des objets qu'elle a e'tudie's. D'aulres fois elle va aux choses, fixe sur elles son regard, fait at- FRANCE. 729 tention pour en saisir les caracteres , et se concentre sur un point parti- culier. Ce fait s'accomplit d'abord spontane'mcnt et d'instinct, raais sans intensite ni condensation , pour peu qu'un objet quelconque ait e'veille son inte'ret. Mais s'il y a une obscuritc qui persiste ou s'accroisse , elle redouble d' efforts. De spontanee , la concentration devient volontairc, se raisonne et s'affermit, acquiert un caractere plus profond de perse've- rance et d'adresse , calcule le mouvement primitif , fait servir I'intelli- gence a la guider, etcesse d'agir en instrument aveugle. Mais cet e'tat de concentration est pc'nible. L'effort n'est pas I'allure naturelle de I'intelligence. G'est une des circonstances de sa condition actuelle, un fait purement humain. Son e'tat primitif est la passivite , I'inde'termination . En effet,'une intelligence degage'e de toutes conditions et de toutcs difficulte's ne pourrait avoir d'autre allure que de se livrer a elle- memo et de recevoir I'ide'e des objets qui viendiaient tous se peindi'e et se repre'senter en elle avec une egale purete ; aucuue obscurite ne I'arre- tant , elle n'aurait pas de raison pour changer et fixer pe'niblemeut , comme elle fait , son mode d'exercice. II faut remonter a cette idee poui- avoir le seal et vrai sens du sys- leme des monades de Leibnitz. C'cst par I'eflet d'un sentiment analogue que tout liomme, partant des donne'es de rintelligence huroaine pour concevoir I'intelligence divine, conclut de I'absence de toutes liraites qu'elle doit comprendre toutes choses sans efforts et sans se replier sur elle-meme. Tout ceci s'applique aussi exactcment a la faculte active qu'a la fa- culte iiitellectuelle. Si aucune resistance ne limitait son action , elle nc se ramasserait pas pour se dirigcr vers un organe en particulier; elle s'e'panouirait de tous cote's, et comme circulairemcnt, par un rayonne- ment de puissance qui ne souffrirait pas de relacLe. II suit de ces demonstrations que le fait de volonte et de liberte n'est pas esscntiel et primitif dans notre nature , comme I'activite ou la pen- se'e, et par consequent n'occupe de place dans notre destince meme pre'sente que comme moyen , non comme but , comme mode de de'velop- pement , non comme faculte. II pent disparaitre sans que notre nature cesse d'exister dans toute son inte'grite constitutive. De ce que I'homme, par ses faculle's esscnticlles, tend a un developpe- 73o NOUVELLES SCIENTTFIQUF.S ET LITTERAIRES. uicntinfini, ne Goncliicz pas cependant que virtucilcment il soil fait poitr etre I'c'gal de Dieu. En effct, Dicu cxcrcc son action sur Ic inondc sans qu'il soit possible que la moindre resistance puissc s'c'levcr de la part d'aucune force, ou meme a lafois de toutes les forces qui nesonf que les ebranchemens de la sienne. II ne saurait y avoir une telle contradiction entre le meme et le meme. Quant a I'homme , il n'est d'aLord en lui- raeme ni parfait ni e'ternel. Ensuite, dans ses rapports , il rencontre toutes les forces e'gales ou inferieures a lui , qui soutiennent une lutte , entretiennent un choc et produisent en lui une limitation perpe'tuelle. La confusion d'ide'cs dont il s'agit n'a done aucun fondement. Quelques conclusions de'coulent detout ce que nous avons dit. Si les li- mites sont le caractere le plus general de notre condition pre'sente, plus nous aurons de'veloppe notre liberte , qui est notre force vis-a-vis des obstacles, plus nous scrons aptes a I'accomplissement de notre destine'e en ce monde. L'enipire qu'un individu a acquis sur lui-raeme pent clre pris comme mesure du developpement de ses faculte's. C'cst bien avec raison qu'on a de'fini le ge'nie une longue patience. Mais si le de'vcloj)- pemcnt concentre' est le plus conforme a notre condition pre'sente , il est aussi le plus anlipathique a notre nature primitive. Nos faculte's ne peuvcnt le soutenir long-tems sans e'prouver bientot I'lrre'sistible besoin de se dispcrser a Icur gre'. Aussi les hommes les plus libres sont-ils , sous le rapport de leurs penchans fondamentaux, les plus malheureux ; mais en meme terns comme le voeu de notre nature est toujours son plus grand developpement possible, sous ce second rapport la liberte' produit de nombreuses jouissances : ce qui forme un melange de souffrances et de contentement attache's simultane'ment a chacun des deux modes de de- veloppement, lequel constitue le bonheur severe de la vertu. Ne'an- moins I'homme qui se de'voue avec courage a mettre en exercice perpe- tuel ses faculte's parvient a les assouplir et a les dominer tellcmcnl qu'elies lui obeissent sans resistance ni douleur. Mais les predispositions organiques natives pour la concentration libre varient cntrc les divers individus. La Providence doit etre compte'e pour beaucoup dans les dif- ferences. Les diverses faculte's ne sont pas e'galcmcnt assujcties a la domination de la volonte. La faculte locomotrice est cclle dc toutes qui se sounict avec le plus dc docilitc ct de souplesse a cette soric dc discipline. Aussj FRANCE. 781 voit-on des lioinmes accomplir avec leurs menibres de vrais prodiges d'adicsse. Vicnt ensuite 1' intelligence. On sait avec quelle promptitude et quelle nettete le penseur en un moment d'attention e'claire I'obscurite d'une question embarrassante pour les hommes ordinaires. Quant a la scnsibilite, cette faculte, a laquelie 50 rattachent nos sensations et nos penchans, elle est presque comple'lement soumise a la fatalile exterieure. Nous ne pouvons la modifier qu'indircctement, en prcnant soin de la de'gagcr des circonstances qui lui sont des causes de distraction et en font un guide si mauvais dans la vie. Mais la volonte' a dircclemcnt ])onr effel de la rendre plus delicate dans les fonctions qu'il est bcsoin d'excr- cer. La sagacite' de Fou'ie du sauvage ou la finesse de celle du musicien, I'e'tendue de la vue du montagnard, en sont des preuves. Dans tons les cas, et quelle que soit la faculte que nous voulions contraindre a notre ordre et diriger, nous parviendrons toujours a lui donner iine puissance nouvelle. Mais son exercice doit etrc continucl, ou sinon ellese perd vite et se recouvre diflicilement. — L'age apporte a la faculte de concentra- tion de notables modifications, et depuis I'enfance oil elle n'cst pas en- core clairementde'lerininc'Cjjusqu'a I'age mur oil elleatteint son sumniiim, et a la vicillcssc oil elle de'croit rapidemcnt, i! se pre'scnte un nombre infini de degre's et de varie'te's. Ce sont les cntraves el les difficulles indestnictiblement attachees a notre situation , qui nous donncnt le sentiment et la connaissance des puissances que nous portons en nous, de la valeur personnelle qu'il nous est donne de de'ployer, et qui enfantent toute notre vertu d'activite et toute notre dignite morale. Tel est le caractere esscntiel et profond de la condition humaine, qui pent se formuler dans ses rapports par le mot obstacles, et se definir dans sa maniere d'etre par celui de lutte. Mais au fait de liberie resultant uniquement des conditions actuelles , se joint un autre fait derive de la meme source , a savoir la scnsibilite ou cetle aptitude a rccevoirtoutcsles modifications divcvses q'.ii se rc'su- ment sous les deux noms de plaisir et de douleur. Si nos appe'tits e'laient continuellcment satisfaits sans cprouvcr aucune contrarie'le, ils demeureraient pour nous inconnus, dc'pourvus de manifes- tation, non percus et non senlis. Mais commc il arrive que nos faculte's rencontrent iin obstacle a leur de'veloppemenl , le mal qui re'sulte de cette limitation fatale produil en nous son retentis.sement , el nous souf- 7^^ NOUVELLES SCIENTIFIQLTES ET LITTERAIRES. Irons. Si cnsuite notie developpement s'accomplit avec facilite malgic les obstacles, nous en e'prouvons, par uneffet de contrasle, le sentiment, et nous jouissons. Ainsi naissent, comme un produit accidentel de la po- sition accidentelle de I'bomme en ce monde, les sensations, fails mobiles et variables au gre' de toutes les circonstances tour a tour favorables ou nuisibles , sorte de petites passions et de petits penchans qui sont comme les expressions de'taillees pour cbaque lieu et chaque moment dc I'etat du developpement de nos facultc's essentielles, qui conslitue le seul bicii en soi et permanent de notre nature. Les objets n'e'tant bons ou mauvais que dans leurs rapports avec cetle fin,le bien et le mal, re'pon- dant aux obstacles et aux sccours qui nous sont offerts, existeraient tou- jours inde'pendamment de la sensation. La sensation n'est que I'avertis- sement qui nous est donne, par la sensibilile, du bien ou du mal qui est produit en nous. Elle n'est que le signe de I'un et de 1' autre. La doctrine dc Tepicureisme n'a pas discerne notre vraie fin sous la complexite des fins particulieres qui la manifestent. Elle a confondu le plaisir avec le bien, et conside're la sensation, non dans sa relation avec un but supe'rieur, mais comme but unique de I'liomme : d'ou est suivi un renversement de Tordre des fails, qui explique I'analheme lance conlrela sensation par les sto'iciens, qui sacrifiaienl comple'tement le fait passager au fait qui persiste. Si cependanl la sensation est loujours le signe d'un bien accompli, il est aise' de concevoir qu'en cherchant avec sa raisou et sa pre'voyance a se procurer dans un espace de tems donne' la plus grande somme des sensations les plus vives , on ail , par la reu- nion des bicns particls et divers que celles-ci repre'sentent , acquis la plus grande somme de vrai bien possible, et qi.'un calcul bien entendu de plaisirs ait enfante' une conduitc tres-vertueuse. Mais , inde'pendam- ment dc I'erreur et par suite de riramoralitc qu'il y a a prendre le plaisir pour le but unique dc la vie , il est presque inevitable que la raison , dont les appreciations e'claire'cs ont seules puissance de diriger vers la vraie pratique, pei'dant son influence en presence des sensations, cesse de calculer les voics du plaisir merae , de discerner la source des plus vifs bonheurs, et laisse sacrifier au plus le'ger attrait imme'diat des jouissances profondes, mais plus incertaines, promises a un avenir loin- tain, et gaspillcr en une lieure la destine'e tout entiere de la vie. Dans eel aveuglement qu'amene la pratique dc la doctrine epicurienne reside son vice profond. I TRANCE. 733 Les plaisirs opposes qui se rattachent aux deux modes de de'veloppe- ment que nous avons de'crits, I'un de laisser-aller et de paresse con- forme a la destination naturelle de nos faculte's , I'autre de concentration et de liberte pe'nibles en accord avec leur destination presente , e'tablis- sent en nous une lutte perpe'tuelle. C'est elle qui constitue I'existence de ces deux hommes dont parlait Louis XIV , et que chacun se souvient bien d' avoir rencontre en lui-meme. Des deux parts , chacun des pen- chans a sa necessite et se justifie par quelque motif aux yeux de la rai- son. Mais lorsque la raison considere les circonstances et la fin de la vie humaine, elle appuie de son secours Taction libre ; elle montre I'aus- te'rite' de notre condition , elle apprend que ce nest pas une phase de plaisirs sans melange et de mol abandon ; elle donne pour la pratique d'utiles enseignemens , enfaisant voir par exemple comment I'e'ducation des enfans ne doit pas se fonder uniquement sur la complaisance et I'a- planissement de toutes les difliculte's, si Ton veut qu'ils n'ignorent pas la vie, et que plus tard ilssachent, par une resignation forte, sede'gager honorablement des e'preuves qu'elle doit leur faire subir. La liberte est ce qui distingue la personne de la chose. L'empire sur soi-meme est ce qui constitue un droit a etre respecte'. Le droit d'une personne est en proportion de la part qu'elle a dans raccoraplissement de sa fin. II di- minue en proportion de la supe'riorite' qu'a sur elle une autre personne sous cet aspect. Ainsi , jusqu'a un certain degre , malgre' I'egalite' qui est dans le droit , se le'gitiment dans le fait le prestige et l'empire qu'exer- cent sur les ames raolles les ames energiques. Les me'taphysiciens se sont maintes fois cverlues pour concilier dans i'homme la fataliie avec la liberte , et ils n'ont jamais admis I'une que pour la faire servir a de'truire I'autre. Tout ce qui precede fait aise- ment evanouir I'apparence de la contradiction. II en ressort claiccment que tout cequi est primitif dans sa nature est indestructible danssa con- dition pre'sente ; ses tendances essentielles et les obstacles qu'elles ren- contrent ne dependent pas de lui , et datent du moment de sa naissance ; mais la direction de son de'veloppement selon les lois qui y president necessairement , voila ce qui appai'tient a la liberte. Ainsi s'expliqucnt I'harmonie de ces deux faits etl'identite' de leur but delinitif. L. L. Gadebled. r-'^< 7.14 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. DES CAISSES D fiPAKGNE. Etablissement d'une Caisse d'Epargne et de prei>oyance a Angers ( Maine-et- Loire). L' etablissement d'une caisse d'e'pargne est presquc nn e've'nement dans les circonstanccs actuelles; les dissentions politiqucs, Ics querelles des partis ^ la division qui s'e'tablit de plus en plus cntre les diverscs classes de la socic'te, la de'tresse cojumcrcialc , la miscrc et le flc'au qui pesent sur notre malheureuse patrie , sont des obstacles a la fondation ct surtout a la prospe'rite' de ces societe's pliilanlropiques ; c'est done avec cmpressement que nous signalons a I'atlention des hommes qui s'occu- pcnt activcment de rame'lioration de I'etat social , la tentative qui vien* d'etre faitc a Angers par les meinbres de \a Societe' industrielle de cetle ville. Nous avons sous les yeux le projel de re'glenient de la future caisse d'e'pargne , nous ne nous astreindrons point a en donner ['analyse ; les dispositions en sont presque litte'ralcnient eraprunte'es an rc'glement dc la caisse d'e'pargne de Paris ; le sujet ne comportait point du reste des developpemens nouveaux , car dans les termes circonscrits de ces e'ta- blissemens tout a ete dit ; la chose importante n'est done point dans les considerations gene'rales , mais bien dans I'application de ces principes dont la convenance n'est re'voque'c en doutc par personne. Nous avons lu cependant avec un grand inte'ret un rapport fait a la Societe industrielle d' Angers, par M. M.-G. Bohdillon, sur un Mcmoirc de M. GuiLLORY aine'. Nous y voyons que trois moyens d'ame'liorci- le sort de la classe ouvriere sont signale's par cet honorable chef d'un des e'tablisscmens industriels du dc'partement de Maine-ct-Loirc ; a savoir : I'instruction , I'association des ouvriers, la pre'voyance par Tepargne. Les considerations dont cet ensemble de mesures est accompagne' nous ont paru etre une juste appreciation des besoins ct des tendances du siecle ; c'est au gouvernemcnt qu'il appartient d'en favoriscr, d'en hater, d'en ge'ne'raliser I'application. Les caisses d'e'pargne nesont qu'une des branches de cesame'liorations. Isole'es , dies ne produiront que des rc'sultats insignifians ; combine'cs J fralnce. 735 avec im ensemble de mesures , elles peuvcnt etre iin puissant clement (le prospeVile , dc Iranquillite'pnblique; elles peuvent ronsolider I'union fpii doit finir par re'gncr entre ies classes supe'rieures et les classes inferieiires. L'e'pargne, la pre'voyance que Ton conseille au peuple, pre'supposent dcs conditions morales et physiques dans lesquelles les masses ne se trouvent point encore; celui-!a est d'autant plus prcvoyant qui est plus instruit, qui a des moeurs plus donees , qui a recu une e'ducation capable dc rc'gler ses passions ; celui-la est d'autant plus e'conome qui pent, par son tra- vail , satisfaire a ses besoins impe'rieux , a ceux de sa famille; qui pent par un regime sain eViter les maladies , partant I'interruption dc ses travaux journaliers. Or ces conditions sont encore mal remplics ; car les travailleurs en France ne se trouvent point en general dans des circon- stances aussi favorables ; la legislation doit done successivement aviser aux moyens de favoriser ces ame'liorations. Des associations isole'es ne pourront jamais produirc que des palliatifs incomplets; les vices de I'etat social ne se corrigent point seulement par les details , il faut en- core , et avant lout , qu'uiie vue d'ensemble preside a ces transforma- tions. La premiere caisse d'e'pargnc a ete fonde'e a Paris en novembre 1818 j les comptes de cet etablissement connusjusqu'a ce jour du public ne vont ipie jusqu'au 3i de'cembre i83o. Dans cette pe'riode de douzc anne'es , les versemens eflectue's se sont e'leve's a . . . . 4S)4"f')274 ft"- 4^ c. Les remboursemens a 1 5, 011, 345 60 L'e'pargne s'est done e'leve'e a 33,388,9'28 85 Les e've'nemens politiques ont eu une grande influence sur les re'sul- tats des operations de cette socie'te ; on comptait en 1 829 onze mille deux cents nouveaux de'posans , et en 1 83o , sept mille liuit cent soixante- sept seulement. Dans ces deux anne'es, ces de'posans sere'partissent a peu pres dans la meme proportion entre les diverses classes dc la socie'te'. 736 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. En voici la classification pour i83o : 3395 ouvricrs; ce nombie est dans le rapport de 16 sur 40 de la totalile. 2 1 36 domestiqucs. « « 55^ enfans mineurs. « « 407 employe's. « « 3o3 marchands. « « 1 82 artistes. << o 3^3 sans designation. « « 344 rentiers. « « 190 militaires. « « 1 1 « id. 3 « id. ■2 « id. 1. « id. I u id. 1 <( id. •1 « id. I « id. 7767 Ces re'siiltats ne peuvent donner lieu a des observations morales que relativement aux deux premieres classes : les ouvriers et les do- mestiqucs. La position dcs premiers est en general plus pre'caire que celle des travailleurs a Velat de domeslicite ; ceux-ci ont leur logement, leur nourriture et leurs premiers besoins assures; leur salaire n'est destine' qu'cn partie a leur vetement et a leurs jouissances. Cependant telle est I'heureuse influence du travail libre, qu'ii donne a riiomme qui I'accomplit une plus grande force de raoralisation , une pre- vision plus grande de I'avenir. De'slie'rite' de toute pre'voyance sociale , I'ouvrier est seul I'arbitre de sa propre destinee; i'impre'voyance de la socie'te a son e'gard est pour lui un stimulant, ainsi qu'en te'moignent les registres de la caisse d'e'pargne : pres de la moitie des ouvriers de Paris s'y sont fait inscrire dans Tanne'e i83o, malgre la suspension d'un grand nombre de travaux. Ce re'sultat est consolant et doit porter a mienx espc'rer qu'ou ne le fait ge'ne'ialement de la moralite' des classes laborieuses. II nous a e'te' communique' officieusement les re'sultats ge'neraux du rapport qui va etre soumis a la prochaine assemble'e annuelle des ad- ministrateurs de la caisse d'e'pargne de Paris , sur les ope'rations de I'an- nee i83i ; comme il s'agit de I'inte'ret public, nous ne craignons point de commettre une indiscretion en les re'sumant ici : FRANCE. 787 Depuis la fondation des diverses caisses d'e'pargne en France , jus- qu'au 3i de'cembre i83i , il a etc verse : A la caisse d'e'pargne de Paris 5o,8o3,839 fr. 45 c. Dans ceJles des de'partemens 19, 438,244 9^ Ensemble des versemens 70,242,084 4^ Les remboursemens en especes effectue's dans la meme periode s'e'levent : A Paris, a 18,329,714 fr- 21 c. Dans les de'partemens , a 6,827,087 3o Ensemble des remboursemens 25,1 56, 801 5i Les sommes qui ont e'te converties en rentes, ou qui restent encore au credit des de'posans s'e'levent a 45,080,282 fr. 8g c. Depuis Ja fondation de la caisse d'e'pargne de Paris jusqu'au 3i de'- cembre i83i , il y a eu 128,000 comptes ouverts. n reslait, au 3i de'cembre i83i, 21, 456 comptes , portant ensemble au profit des de'posans la somme de . . . 4>733,369 fr. 07 c. Les soldes de toutes les caisses d'e'pargne des de'partemens s'e'levaient a la meme e'poque a 1,574,182 56 Ensemble des soldes au 3i decembre i83i. . 6,307, 55i ^■^ Les versemens ne se sont effectues jusqu'a ce jour a Paris que dans unseul local (a la Banque de France) (i); il va etre incessamment e'tal)li une succursale dans chacun des douxe arrondisseraens. Comme il est utile que ces e'tablissemens soient connus de tous , nous pensons qu'ils devraient etre situe's dans chacune des mairies; c'est un lieu public dont I'adresse est facilement relenue, et qui, par cela meme, peut e'viter des efforts de me'moire. L'exemple de Paris a malheureusemcnt trouve peu d'imitatcurs dans les de'partemens ; c'est la un rcproche que la presse parisienne et la (1) II vienl d'etre ^tabli une succursale dans le quaruer de la place Royale. TOME LIII. MARS 1852. 48 7^8 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. presse departementale devraieut adresscr aux classes supeViemcs : fonder des c'tablisscmcns de pievoyancc est iin devoir, et une dettc eiivers les classes infeiieures dont elles ne doivent poiut trop diffe'rcr de s'ac- quitter. Nous devons a M. Charles Vernes , banquier, I'un des dirccteurs de la caisse d'e'pargae de Paris , im releve' des caisses d'e'pargne des de'- partemens. Get e'tat va jusqu'au 3i de'ceinbrc 1828 : uous le rcprodui- rons textuellement. ETAT. NOMS DES VILLES. Bordeaux .... Metz Rouen Marseille .... Aix ( succursale Nantes Troyes Brest Havre Lyon. , Reims NiMES Solde verse au 31 d<*c. 1828. DATE DE rordonnance Ac creation. 29 mars 1819 17nov. 1819 50 mars 1 820 ^\ janv.1821 Idem. 23janv, 1821 21 aout 1821 27 aout 1821 16janv. 1822 1 1 sept. 1 822 23 avril 1 823 6 mars 1 828 VERSEMENS en 1828. 1 ,092,000 f, 155,000 158,000 300,000 25,000 176,000 80,000 39,000 209,000 251,000 16,000 REMBOCRSEMERS en 1828. 88,000 fr. 137,000 19,000 128,000 10.000 34,000 50,000 20,000 14,000 51,000 18,000 2,481,000 569,000 1,912,000 Dcpuis crtlc epoque il a e'te' fonde une cai.sse a Rennes- lorsque celle FRANCE. 7^9 d' Angers sera dcHnitivcment ctablie, ii y aura en France quatorze caisses d'epargne. Ces resultats sont tristes a signaler, et le moment est arrive de poussci a line plus grande extension de ces e'tablissemens pliilantropiques. Si Ton veut consuUer I'Angleterre , qui nous a devaucc's dans cettc ^larriere, nous voyons que la premiere fondation des hanques d'epar- {gne , comme on les appelle, remcnte a 1798 et 1799 (i)j jusqu'en 1810 il n'y a point eu de plan destine a en ge'ne'raliscr I'usagej I'opi- miou n'avait point encore ete' frappee par I'utilite de ces institutions ; mais un pamphlet public' dans cette annee, qui avait pour objet d'avi- ser aux moyens d'abolir la taxe des pauures , e'veilla I'attention drs classes riches^ des 1817 il y avait : En Angleterre 70 banqucs d'epargne. En Ecosse 4 '^• En Irlandc 4 id. Ensemble 78 banques d'epargne. Quoi qu'il en soit , I'expe'rience a ])rouve' que ces banqucs n'ont ete d'aucune influence sur la taxe des pauvres, qui, au conlraire, depnis cette c'poqiae, n'a cesse de s'accroitre. On commence a s'apercevoir au- jourd'hui que la taxe des pauvres tient a des combinaisons politiqucs, dont les ajsociations particulicrcs ne pcuvent point extirpcrles funestes effets ; un pareil re'sultat est une verification de la proposition que nous avons pose'e en commencant : que c'est surtout par une vue d' ensemble qu'on peut reme'dicr aux vices de I'e'tat social , et amc'liorer la condi- tion des classes laborieuses. ^ Les banques d'epargne d' Angleterre ont etc depuis 181 7 I'objct d'une constante sollicitude de la part des pouvoirs constitue's. Diverses legislatures se sont occupe'es de favoriser ces associations^ des actcs pu- blics ont e'te' rendus a cct effet, les 1 1 juillet 1817 , 3o mai 1818, a4 juillet 1820, 17 j.uin 1824, 28 juillet 1828. La succession de ces lois te'moigne de I'importance qu'on attache au-dela du de'tioit aux caisses d'epargne. L'attention du gouvernemcnt et des 'le'gislateurs anglais a produit ^1) \ oir History ofsai'ings Banks. Londrcs , \ 850. 48. 74o NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. d'heurenx fruits , (;ar le nombie des banques d'c'pargne, qui n'elait en 1817 que de 78, s'e'tait elcve, au -j;) novembre 18.29, a 487 pour I'An- gleterrc , I'Ecosse et I'lrlande. La totalitc des veisemcns ( interets com- pris), depuis le 6 aoiit 181 7 jusqu'au 10 novembre iH-2g , s' elcve a i9,6'26,5i3 liv. St. , soit 494?588,i27 francs. A la merae epoquc (20 novembre iS'ig) il y avait 409,945 comptes ouverts dans 468 banques d'cpargne (les rapports dc ig de ces banques n'avaient point encoie e'te produits ); ces comptes formaient ensemble un capital de 14, 434,9'i • liv. St. (303,758,009 fr. ). La population des trois royaumes s'eleve a 29, millions d'habitans. En France, sur une population de 3^ millions d'ames , les versemens effeclue's dans la meme pe'riode (jusqu'en i83o) ne se sont e'leve's qu'a environ 60 millions de francs. Nous avons besoin de rappeler ici ce que nous avons dit aillctirs , car il est des clioses qu'on ne doit pas craindre de re'pe'ter jusqu'a sa- tie'te : la loterie est abolie en Angleterre , ct elle continue a figurer en France dans les revenus de I'etat. Aussi tandis que, dans le court es- pace de douze annc'es , les caisses d'e'pargne reunissaient en Angleterre un capital de pres de 5oo millions , par la loterie on prelevait en France sur la cre'dulite et I'ignorance du pcuple 664 millions! (i) Lorsque chaque bureau de loterie sera converti en une succursale dc la caisse d'e'pargne, le travailleur franfais sera certainement un peu plus moral et un peu moins malheureux. La caisse d'e'pargne de Geneve avait, au 3i de'cembre i83i, un aclif de 4,'i6o,ooo fl. ( 1 ,940,000 fr.) au compte de 5583 de'posans ; la po- pulation de la ville est de ^3 mille ames (a) , le quart des habitans etait done inscrit a la caisse d'e'pargndt A quelques lieues de distance, sur les bords duraeme flcuve, se trouve une ville importante par sa population , celebre par son industrie : Lyon avec ses i5o mille habitans, ses 100 mille ouvriers , ses riches manu- factures de soie ; avcc sa belle position commerciale au confluent de la Saone et du Rhone , Lyon a aussi une caisse d'e'pargne j depuis i823, jusqu'au 3i de'cembre i83o, ellen'a recu que 1,872,822 fr. II bii res- (1) Depuis irUZjusqu'en I828,inclusivement, la loterie a pcrpii 1,771,896,2)7 f. (2) Le canton en renfenne 44,000. FRANCE. 741 last, a cette derniere e'poque , un capital de 43(),857 francs au comple dc 81 3 de'posans, sur lesquels il y avail seulement : v.o I ouvricrs fabricans , homraes et femraes , III ouvriers en veteraens, id. 1 1 ouvriers en batimens , gS ouvriers de diverses professions. 418 ensemble. Maintenant qu'on se creuse I'esprit pour trouver quelqucs influences de I'esprit de parti dans les e've'nemens qui, en i83i , ont ensanglante' Lyon; lorsque sur 100,000 ouvriers, il nes'en trouve que 418 inscrits sur les registres de la caisse d'e'pargne, un pareil fait re'vele assez elo- qucmment, dans ces classes laborieuses, une grande misere et une grande ignorance ; c'est pour les le'gislateurs un indice cei'tain qu'un mal pro- fond existe dans la socie'te, et qu'une socie'te' ainsi constitue'e sera sans cesse agite'e, si on ne se hate d'y porter reraede. Quand on touclie a de pareils sujets , les reflexions viennent se pre- cijiiter sous la plume; on voudrait etre court, et on ne le peut. Nous nc voulions parler que de la caisse d'e'pargne de Maine-et-Loire , et nous voici arrives aux prole'taires lyonnais qui avaient inscrit sur icur ban- niere cette terrible devise ; Vi\Te en travaiUant^ On mourir en combaUant. Mais c'est qu'il faut bien ysonger, tout est lie dans I'ordre social; un Ic'gcr derangement du mouvemcut induslricl met dcs conciloyens en presence, fait coukr le sang a grands fiots, renvcrse tons les liens so- tiaux, detruit tons les poiivoirs — La Societe industrielle d' Angers a bien appre'cie les niaiix du pre- sent; par ses efforts , clle pourra arriver a produirc un grand soulage- ment: que son exeraple trouve done dcs iniitatcurs. Dans un article deja public' dans cc recueil (i), nous avons propose le re'tablissement dcs rentes viageres , dans cette pense'e que I'e'tat pour- rait, avec fruit pour les interets publics ct privc's, remplir I'office des (I) Cahier (I'ottobrc, p. OG. 'J/^2 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. Compagnies d' assurances siir la vie, en sc pretant a toiites les cora- binaisons qui s'y raltachent. Ces c'tablissemcns financiers , qui rcunissent Ic double avanfage dcs caisses d'e'pargnc ct des associations d'ouvriers , c'tendent leurs bienfaits aux classes supe'rieures, qui ont aussi bcsoin d'e'pargnc, dc prcvoyance, d'association.Dans les mains du gouverncment , Icur importance et leiir utilite' devraient s'accroitre. Ceux qui s'inte'ressent a ces questions pour- ront lire notre travail oil cette pcnse'e n'estqu'esquissc'e; nous nous pro- posons de lui donncr incessamment dc plus amples de'veloppemens. Mais, en attendant que le gouverncment et les Ic'gislateurs soient bien pc'ne'lre's de I'utilite' des reformes que le plus simple bon sens indique , qu'on encourage le travail, qu'on s'applique infatigablement a favoriser les associations de pre'voyance , qu'on fonde des caisses d'cpargnc I Emile Pereire. STATISTIQUE BIBLIOGRAPHIQVE DE LA FRANCE EN 1831. On connait I'utile recucil que dirige M. Beuchot. Ce laborieux. bibliograplie le complete , cbaque annee , par des tables qui offrent , dans leurs rapides sommaires, une sorte de re'sume' des travaux intcl- Icctuelsdc la France pendant I'cpoque e'coule'e. Les Tables du Journal de la librairie pour V annee 1 83 1 ( 20*^ anne'e de leur publication ) , qui vicnnent de paraitre , ont fourni les ele'mens d'un travail qui ne nous semble pas de'pourvu d'inte'ret. Cc n'cst qu'unc e'bauche , plus propre a Hatter la cm'iosite' qu'a faire sagcmcnt appre'cicr les vc'ritable proportions de la cari'iere parcouruej mais imc statistupie dc cc genre, toute in- complete qu'elle puisse etre encore , re'('lame notic attention aussi bien que ces documcns sur la population, sur le commerce, etc., recherches avec tant d'aviditc' dcpuis quclquc terns , ct qui n'ont pas plus que celui-ci le me'ritc d'une cnticrc exactitude. M. Daru avait public' , en 1 82'j , des tableaux sur I'etat de la librairie francaisej il s'ctaitsurtout attache' a la montrer comme industrie mate'rielle , creant une foule d'in- dustries secondaires , poui-v'oyant a Tcntreticn d'un nombre considerable d'ouvriers , aliuicntant un commerce produrtifettrcs-e'tendu. Dcs rc- clierches semblable aux siennes , de'tourne'cs vers une autre direction, [lourraient atteindi'c a dcs resultats d'un ordre plus eleve'. Pour nous , FRANCE. '^43 nous n'essayerous point de deduire de ces cliiffres, dont la valeui- re'ellp ne nous est meme pas Isien nettement connue , de vastes conside'rations sur la diffusion des sciences, sur leurs influences relatives , sur leurs rap- ports avec I'e'tat general de la socie'te • mais on sentira facilement de quelle utilite' seraient , pour les appreciations philosophiques de I'liisto- rien et du publiciste, de pareilles notions soigneusement recueillies a des e'poques et dans des contre'es diffe'rentes : ici , comme dans toutes ses applications varices, la statistique ne rcmplit entierement sa mission scientifique que lorsqu'elle pre'sente de nombreux moyens de comparai- son. Toutefois nous livrons a nos iectcurs ce tableau isole' , d'ou res- sorlent deja quelques rapprochemens curieux, en les pre'munissantavant tout, par nos observations pre'liminaires , centre des erreurs possibles. Nous dirons d'abordqu'il y abeaucoup de charlatanisme dans les cliiffres a trois on quatres colonnes : les cate'cliismes , les offices et les recueils de cantiques,les impressions futiles de vers ou de pamphlets improvise's pour des circonstances fugitives et dont I'inte'ret se concentre sur un seul personnage ignore' , les e'ditions nouvelles de vieux li-vTcs que I'usage a consacre's , bien d'autres objets encore , qui ne semblent pas avoir droit a figurer dans ce bilan de nos ricliesses littc'raires , occupent une large place dans les tables de M. BeucLot • et nous n'avons eu ni le terns ni les donne'es necessaires pour en ope'rer Ic triage. En second lieu, la clas- sification des sciences que nous avons adojite'e n'est certainement jias loujours tres-rationnelle et donne lieu fre'quemment a de faux emplois ; mais c'est la classification re^ue cliezles faiseurs de catalogues. M. Beu- chot n'a point juge' a propos de violer cette regie du metier , et force a c'te' de nousy conformer , pour cette fois du raoins. Enfin , deux classes importanles d'ouviages se trouvent omises dans notre nomenclature : les almanacbs.el les joiirnaux. Pour les premiers, au nombre desquels nous comprenons les annuaires statistiques des divers de'partcmens, nous n'avons pu en trouver une liste pre'cise et complete. Quant aux seconds , meme de'faut de renseigncmens j mais avant dc jcter les yeux sur notre tableau, on ne ne'gligcra pas sans doutc de se rappelcr que leur nombre s'est accru prodigieusement depuis i83o , que les avantages de leur fa- cile et vive redaction , de leur immense publicite', ont, en diminuant les chances dc re'ussite pour les ouvrages jilus c'tcndus et plus pe'nibles a composer, lallie dans leurs rangs la plnpart des hommes voucs are'tudc des sciences morales et jiolilicjues. 7 i i NOUVELLES SCIENTlFIQUES ET LITTER AIRES. TABLEAU DE8 PRODUITS DE LA PRESSE EN FRANCE PENDANT I 83 I . CLASSIFICATION. I. Th^ologie. Bible, Lilurgie, Cate- chistes, Sermonaires, traites divers . II. Jurisprudence. Droit genera etetranger,- droit franfais. III. Sciences et arts. 1° Encyclopedic, philosophic, mo- ,rale 2° Education ctlivrcs cldmcntaires 5" Economic politique, politique, administration, finances 4" Commerce, poids et mesures. . . 5" Hisloire naturclie b" Agriculture , ^conomie domes- tique "" Physique, chimie. pharmacie. . H° Medecine y° Malhdraaliques ■10° Astronomic et marine 41° Art, administration et histoirc militaires 12" Sciences occultes , gymnastique ct jeu\ 13" Arlsderecriture,arts etmetiers. 14° Beau\-arts IV. Belles-lettres. 1" Introduction, granimaire , I'hc- torique, eloquence 2° Poetique et poesie 3° Theatre 4° Romans ct contes 5o Phiiologie, critique, melanges.. 6" Polygraphes 7' Mythologic et fables 8° Epistolaires . Hl.STOlRE. 1° Gdographic, voyages 2° Hisloire anciennc et modenic. . 3" Antiquitc et numismatiquc 4" Societcs savantes, particuliferes, secretes , etc. ')" Ilistoire litleraire et bibliogra- pliie (>" Biographic M)M1!RE DES OUVRAGES. EN LANGUE fran^ise. 357 246 82 154 979 42 59 64 53 21 < 48 24 176 27 59 150 543 291 162 179 2!9 19 17 53 4G4 7 145 12 134 En lanci;es ttrangcres , aucieniies et inuderues. 46 2 ToiAUX. 4,849 17 25 11 21 37 1 214 403 248 84 155 990 43 61 61 55 215 49 24 181 27 59 90 167 568 502 183 182 32 2>» 19 56 501 8 146 145 FRANCE. 745 On pent rapproclier cc deinier total de celiu que donnent les catalogues leunis de Leipzig, pour les deux toires de Paijues et de Saint-Michel i83i , ct qui s'e'leve a 5658. La librairie allemande serait done plus active que celle de France. Nous ne disons point cela pour de'pre'cier I'une au profit de I'autre j car , sur ces nonibres imposans de livres qui semblent annoncer un si vaste deploiement de puissance intellectuelle , i4 faudrait , dans I'un et I'autre pays , pouvoir laire les parts exactes des publications dontle but est de satisfaire aux routines et auxprejuge's po- pulaires , et de celles qui de'notent un progres dans une branclie quel- conque des connaissances humaines. Au lieu de s'en tenir aux cbiffies, il serait mieux de comparer les ouvrages les plus importans qu'ont pro- duits les deux litte'ratures j pour I'Allemagne, nous renverrons a une note inse're'e dans cette /{ep-ue (t. LII, novembre i83i , p. 517 ); pom- la France, nous donnerons, toujours d'apres les tables du Journal de la librairie, une simple enumeration des publications qui ont cu ou qui ont me'rite leplusde succes. C'est presque une histoire litteraire de i83i. Nous suivrons la classification adoptee dans le tableau. Theologie. — Le premier volume de la savante edition de la Bible, par M. Cahen , la derniere partie de I'ouvrage sur la religion de Ben- jamin Constant, et le Coup-d'ceil sur la controverse chre'tienne, par I'alibe Gerbet. Jurisprudence. — Ce sont d'abord la Philosophic du^roit , par M. Lerminier, puis les continuations de quelques belles collmions : les Lois maritimes , par M. Pardessus ; le Recueil des anciennes lois , par MM, Isambert, Decrusy et Taillandier; la Legislation civile, coimner- ciale, etc.,de la France, par M. Locre, secre'taire du Conscil d'etat sous I'empire; la Jurisprudence ge'ne'rale du royaume, par M. Dalloz. Viennent eusuite, les brochures dc circonstauce sur les questions agitces par la legislature , telles que le divorce et la peine de mort , dont aucune n'a eu assez d' eclat pour saillir de la foule; enfin les publications aux- quelles ont donnc lieu les proces de tout genre , parmi lesqucls les proccs politiqucs ou quasi-politiques des ministrcs de Charles X , de la succes- sion du prince de Conde, des trappistcs de la Meilleraie, des inccndiaires de la Noimandie, des Rcpublicainset dc la Tribune, ocrupcntles places les plus marquees. Phii,osoi'hie. — La doctrine saint-siuionicnnr figure ici pour 'xcx 746 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTEKAIRES. publicalioiis , sans compter le Globe. Les autres publications philoso- phiqucs sont en trcs petit noinbre , nous citerons les Cours de pliilosophie dc MM. Damiron et Jouffioy, la Philosophic transcendantale de Kant expose'e par M. Schon et Ic Messianisme de M. Wronski. EcoNOMiE POLITIQUE ET POLITIQUE. — Dcpuis dcux anuccs , bon nombre d'e'crivains ^ont devenus des hommes d'affaires , ont abandonne leur cabinet pour le conseil d'etat ou la tribune parlementaire , les theo- ries pour la pratique ; on les a vus a I'ceuvre , et I'expe'riencc des nou- velles capacite's administratives a eu pour double re'sultat la ruine de leurs brillantcs reputations et le de'couragement de ceux qui , s'avancant sur leurs traces , n'ont ose aller plus loin dans une voie dont le terme o'tait marque par d'aussi lourdes chutes. De la sans doute ce silence de la presse , si bruyante et si anime'e sous la restauration , en matiere de haute politique; le saint-simonisme et le catholicisme , encore exclus dc la sphere des applications , e'levent seuls la voix de terns a autre; mais leurs e'crits apparticnnent ct se trouvent classe's aux rubriquesde la phi- losophic et dc la the'ologie. Quant a la politique , malgre' re'norinite' du ohiffre, elle a e'te bien pauvre cnouvragcs rc'ellement utiles et durables. La traduction du livre d'Heeren sur la politique et le commerce de I'an- tiquite, qu'on aurait du renvoyer plutota I'histoire , le Traite de la na- ture des rlcliesses, par M. Walras, les Le9ons de Julius sur lesprisons, traduites painVT. Lagarmittc, sont les seuls titrcs remarqu^ibles qu'offre le long catalogue de M. Bcuchot, abondans surtout en pamphlets dicle's par les eVe'nemens et les passions du jour. MM. de Chateaubriand , Lamartine , Cormenin , Thiers , Fieve'e , Ba- chclu, O'Connor , Briqueville , Belmontet, Fonfrc'de, de Potter, se sont distinguc's a differens litres dans la lutte ardente et continue qui s'est por- te'ctour-atour, de la question fondarnontale sur la nature dc la revolution de i83o, aux affaires de Belgiquc ct de Pologne , a la constitution de la pairie (snr laquelle on a public prcs de cent ccrits), aux elections du inois de .Tuillct, a la liste civile , a ramortissemcnt, a I'impot sur Ic sel et les vins , etc. Outre ccs manifcstes isole's , les diverses opinions out trouve' des organcs dans diverses socie'tc's , parmi Icsquelles le parti le'gi- timiste comple les plus riches ct les plus actives , cello pour la publi- cation des brochures et cellc qui a pris pour devise celtc sentence che- valcresque : Fais ce que dois , advienne que pourra. Un fait qii'il nc FRANCE. 74? faiit pas negliger , c'est la re'impression de quelques e'crits de Saint- Just ot de Robespierre, et I'apparition des ide'es rc'publicaines qui se- couent peu a peu le joug des mauvaiscs preventions sous lesquelles leurs adversaires avaient espe're les e'touffer a jamais. Sciences. — On seferait une bien fausse idee des progres realises dans celte partie, si Ton se bornait a conside'rer I'ensemble des travaux deve- nus publics par Ic moyen de la pressc. Nos savans, livre's a des rechercbes d'analyse partielle, poussant leurs investigations rainutieuses jusqu'aux spe'cialite's les plus retre'cies, recueillant avec une intatigable ardeur d'immenses mate'riaux isole's , n'ont guere le terns ni la pense'e de les rassembler en corps d'ouvrages , d'en re'sumer les ve'iite's sous quelques formules ge'ne'rales. Cbacun constate sa de'couverte, apporte son Memoire a I'Acaderaie des sciences, et celle-ci ne s'inquiete point de coordonner le tout ou d'en donner la connaissance au raonde , autrement que par la communication de ses proces-verbaux a quelques journalistes , ou par la publication toujours arric're'e de ses Me'moires. Aussi , pour I'histoire des sciences, le Journal de la librairic cst-il fort incoraplet. II offre ce- pendant, en i83i , outre les suites de plusieurs recueilsde botanique ou de zoologie , les derniers volumes du Dictiounaire d'histoire naturelle par MM. Bory de Saint-Vincent , Ad. Bronguiart , etc. , quelques vo- lumes de I'Histoire des poissons par MM. Cuvier et Valenciennes , le Cours d'entomologie de M. Lati'cille , iesfragmcns de geologic et decli- matologic asiatiqucs par M. de Humljoldt, la Traduction du traite de cliimie de Berzclius, T Analyse des equations de'tcrraine'es par M. Four- rier; et, dans le domaine des sciences me'dicalcs , outre 76 ecrits relatifs au chole'ra-morbus , le Cours de pathologic de M. Broussais , les lecons de clinique de MM. Dupuytren et Andral , les traite's d'anatomie de MM. Hippolytc Cloquet et Bourgery. Belles-Lettres. — La philologie s'est cnricliie d'unc Gramraaire arabe , par M. Sylvestre de Sacy ; d'un Vocabulaire francais-turc , par M. Bianchi • d'une traduction de la Reconnaissance de Sacountala, drame de Calidasa , par M. deChe'zy ; du premier caliicr d'nne magni- fique edition du Thesaurus grcecce linguae ah Stephana, entre- piisc par MM. Hase , Sinner , Fix et Firmin Didot , ct de plusieurs reim|)rcssions de vieux livres franrais , rcssusclle's par M. Crapelct. I.a poesie ne s'est guere fait entendre au milieu du tum-.iUe politique 748 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. M. Victor Hugo a cependant publie ses Feuilles d'automne;M. Auguste Barbier, ses lambes;M. Barthe'lemi, sa Nemesis ; M. Alfred deVigny, quelqucs Elevations ; M. Antony Deschamps , trois satires politiques ; Be'ranger, quelques chansons offertes aux Polonais. C'est tout ce que nous pouvons citer. Le theatre a eu sa Marion Delorme, de M. Victor Hugo ; I'Antony, de M. Dumas ; la Mare'chale d'Ancre, de M. de Vigny : puis Domi- nique, de M. d'Epagny; Farruc-le-Maure , du mallieureux Escousse; la Matinee d'un grand seigneur , de M. Alexandre de Longpre ; la Reine d'Espagne , de M. de Latouchc ; quelques jolies esquisses de MM. Scribe, Dumersan , Fournicr et Arnould, Bayard , Mc'lesville, etc. Parmi les romans , Notre-Dame de Paris , de M. Victor Hugo , oc- cupe le premier rang. Sans pretcndre c'tablir une hie'rarchie rigoureuse, nous raettrons au second Atar-GuU et Plick-Plock , de M. Eugene Sue; le Rouge et le Noir, de M. de Stendhal ; Barnavc , de M. Jules Janin ; Ics Intimes et les Contes de Daniel-le Lapidaire , par Michel RojTnond; la Peau de chagrin et les Contes philosophiques de M. Balzac; le Roi des ribands , du bibliophile Jacob ; le Bonnet vert , de M. J. Me'ry ; le Lorgnon, de mademoiselle Deiphine Gay , devenue madame de Girardin; Andrea, les Trois Amis et le Monde nouveau , de M. Rey Dussueil; Ic Manuscrit vert , de M. Drouineau; les Ghroniques de Flandre, par M. Berthoud; Paul Briolat , par M. Merville . etc. — La bste est bien longue ; raais c'est une singularity de notre e'poque .- on ne fait plus que des romans , chacun veut faire le sien ; c'est une forme qu'adoptent a I'envi la poe'sie , I'histoire , la philosophic , la po- litique et meme la the'ologie. HisToiRE. — Le grand mouvement donne' sous la restauration aux etudes historiques se continue faiblement, mais s'est manifcstce par quelques publications importantes : I'introduction a I'Histoirc univer- sellc eta rHistoire romaine , par M. Michelct; le Precis de I'Histoirc ancienne dc M. Poirson , les Etudes historiques de M. de Chateau- briand; le Cours d'histoire des e'tals europe'ens, par M. Schcell ; trois nouveaux volumes de THistoire des Franfais , par M. de Sismondi ; I'Histoire constitutionncjle de la France, par M. Capefigue. Lesmatc'riaux dc I'histoire contcmporame sc sont augmentcs des Con- sideraligns sur I'esprit de la revolution dc 178*) , par M. Rocdcrcr ; de FRANCE. 7^9 plusieurs livraisonsd'une Histoirc scientifique etmilitairede I'cxpediliou d'figypte, publie'c sous la direction de M. Xavier Saintine ; dcs Me- moires du conventionnel Levasseur , du comte La Vallette, de la du- chesse d'Abrantes , de Constant , valet de chambre de Napoleon ; cnfin des Me'moires de lord Byron , traduits par madarae Belloc. Nous sommes au boutde ce long catalogue , et nous croyons en avoir cite' tout cc qui peut surnagcr au-dessus de la foule. A. J. LETTBE SOR LES THEATRES. Vous vous rappelez I'indignation que manifesta la chambre des de- pute's , lorsqu'un de ses membres vint lui proposer de supprimcrle tri- but paye' par les theatres aux hospices. En vain fit-il sentir que cet ini- pot ruinait les uns sans enrichir les auti'es , la chambre ful unanimc |)Our rejeter la profwsition. Les journaux eux-memes applaudircnt a sa paternelle sollicitude pour les hospices. Mais voici maintenant le cote plaisant, c'est que les theatres , dont les recettes sont loin de couvrir les frais, ont menace' de fermerj et M. le ministre du commerce, pour pre'venir cet e've'nement , a e'te oblige' de leur accorder un secours de 60,000 fr. Ainsi voila le gouvernenement contraint d'acquitter I'impot que la pre'voyance dcs chambres a conserve , en attendant que la cloture definitive des the'atrcs les en dispense tout-a-fait. Au reste les subventions royales ne paraissent pas porter bonheiu'. Car, sur cinq theatres qui en jouissaient , trois sont morts le raois der- nier. Ce sont rOde'on,rOpe'ra-Comique et le The'atre-Italien. On a fait sur eux de belles oraisons funebres , mais contentons-nous de nous occu- per des vivans. L'Ope'ra ne nous a o£fert aucune nouveautc' depuis la Sylphide, oil mademoiselle Taglioni est toujours ravissante. Mais il nous promet pour le 1 5 mai la Tentation , ballet mele de chants pour lequel il a fait de tres-grandes de'penses. Ce tho'atrcest d'ailleurs en ce moment veufde ses premiers sujets. Nourrit , Levasseur , madame Damoreau sont a Londres, et madoiselle Taglioni part pour Berlin. Jc serai oblige de garder le meme silence sur le The'atre-Fran(;'ais , a moins de vous parler du Mari 75o NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. de la Feuve , comc'dic en im aclc, donne'c au be'nc'Uce de mademoiselle DupoiU , ct que tout Ic talent de mademoiselle Mars n'a pu sauvcr d'une demi-cliute. Lcs autem-s sc sont envcloppe's du plus strict inco- gnito. Cependant , si vous voulez me gardcr le secret , je vous nom- merai MM. Alexandre Dumas et Duri'ieux. Le Vaudeville a donne'a ses habitue's un drame de M. Lockroy, in- titule' un Duel sous Richelieu. Cette piece pleine d'inte'rct et de cha- leur, et qui a obtcnu un succes complet, e'cliappe tout-a-lait a I'analysc. Le conge de madame Albert a force I'administration d'en interromprc les representations. — Henri Monnier quitte incessamment ce theatre , 0X1 il vient d'obtenir un nouveau succes dans le Courrier de la Malle de MM. Rougemont et Dupeuty. Le Gpnnasc , si fort a la mode autrefois et qui commence a subir la destine'e commune, n'a rien trouve de mieus. a nous oQ'rir que le Ser- rurier, vaudeville et un acte de MM. Bayard ct Vanderburch. M. Ro- ger est un honnete serrurier , qui n'entend pas raillerie sur I'honneur de madame Roger. Or voici qu'un millionnairc en mourant laisse a M. Roger Ills toute sa fortune. Un collateral de'sappointe' insinue a M. Roger pere que le de'funt est un peu plus que le bienfaiteur de M. Roger fils. M. Roger pere entre en fureur, de'chire le testament et veut tuer son fils. Ici I'intrigue s'embrouille 5 mais je n'ai pas besoin de vous dire que la vertu linit par se montrer dans tout son jour, ct qu'elle est celel^re'e dans un couplet final. Cette piece, qui n'est soutc- nue que par le talent de Gonthier, ne parait pas destinee a ramcner la foide au theatre Bonne-Nouvclle. Une Nuit d'avaiit est \\n vaudeville de M. Ancelot , repr - sentef au the'atre du Palais-Royal. M. Julien , qui e'tait alle voir la F'estale a TOpe'ra, trouve en sortant, sous le pc'rystile, une jeune personne que la foule a se'pare'e de ses parens. M. Julien, en galant homme , s'offre a la reconduire chez cUej malheureuscment la jeune personne ne connait pas son domicile. Que faire? On ne peut pas couchcr dans la rue? M. Julien mene mademoiselle Adele chez lui. Vous croycz peut-ctre M. Julien en bonne fortune^ eh bien I il n'en est rien. Mais M. Julien, qui lepense comme vous, veut faire payer Ic loyera mademoiselle Adele, et il est repousse' avcc perte. Cependant , comme au dehors on ne pre'sumc pas que mademoiselle Adele soit venue FRANCE. 7«)I cliezM. Julien pour dormir, les mauvaises langues font romprele ma- nage de mademoiselle Adelc, et M. Julien, pour sauver sa reputation , est oblige' de terminer una aventure si agre'ablement commence'e , en I'e'pousant. — Conclusion et morale: Pour marier votre fiUe, e'garez-la le soir sous le pe'rystile de 1' Opera. Cc vaudeville passablement grivois, comme vousvoyez, n'a pas e'te' dugout du parterre, qui a aigrement siffle. Je vous fais grace de la Mailresse et la Femme , de M. Lafitte , de Perruque et Chandelle , de Monsieur Bonardin , et de quelques autrcs vaudevilles, pour rendre hommage a la haute mora lite de la piece representee a 1' Aral^igu , sous le litre de Madame de Pompadour. L'auteur, M. Paul, a fait facilement justice de toutes les calomnies dont on a cliercbe a ternir la reputation de cette vejtueuse dame. II est impossible de trouver une personne plus chaste et plus naive que la Pompadour de TAmljigu. Odette, donne'e au memo theatre, est une petite piece fort amusante , bien que tire'c du moyen age , et qui contraste singulierement avec Atar-Gull, mc'lodrame^ MM. Anicet- Eourgeois et Masson. J'ai e'prouve' a cette representation un vif de'goiit. Figurez-vous un homme qui , parce que son pere aura e'te injustement mis a mort , s'attachera a I'homme qu'il en accuse , et corablera cet homme de marques d'attachement et de tendresse , redoublera d'affec- tion en e'change des bienfaits qu'il en recevra , tout cela pour le faire de'pe'rir par un poison lent , pour incendicr sa raaison , tuer sa Ulle , s'acharner apres sa victime , et diles-moi si cet homme pent vous in- te'resser ? Qu' apres cela on vienne lui barbouiller le visage de noir de fume'c, qu'on me dise qu'il est de Porto-Ricco ou de la Guadeloupe, que m'importe j qu'on me montre sur le theatre le cadayre de son pere , je de'tournerai les yeux , voila tout ; qu'on lui fasse dire en jargon ro- mantique quuh cceur d^ homme bat sous sa voitrine du negre , encore une fois que m'importe. Un tel homme ne sera jamais a mcsyeux qu'un etre deprave , car si je puis applaudir a la vengeance de lion, j'aurai toujours en horreur celle du reptile. Que j'aime mieux I'innocent Kiouny I Ce superbe elephant , apres s'etre fait applaudir a I'Odc'on , vient de debuter avec un nouveau succes au theatre du Pantheon. D'un autre cote , on annonce au Cirque Olym- pique le de'but de deux autres animaux de la meme famillc. M. Lesguillon nous a donne' un Me'phistopheles , qu'il aprc'tendu 752 NECROLOGE. avoir imit^ de Goethe. Cost par trop do modestic : car son Mephisto- pheles est bien a lui , et quand il a deraande' une couronne pour la placer siir son tombeau , c'e'tait certainement par pure gratitude, car le poete allemand n'a jamais ricn fait de scmblablo au Faust dn theatre du Pantbeon. Je terminc ici cette letlre , que vons m'accuserez peut-etre d'avoir fait trop longuc. A cela je vous re'pondiai que j'ai couru tons nos theatres pour me de'barrasser des obsessions de la pobtique ; mais que je n'ai pu du moins fuir les allusions ; car j'ai etc oblige d' entendre Charles VI chanter des couplets sur les exile's d'Holyiood , madame de Pompadour persifler le juste milieu , Faust et Mc'pliistophe'les causer des e've'nemensde juiilet; et il n'est pas jusqu'a I'e'norme Kiouni, dans lequel un de mes voisins n'ait a toute force voulu me faire reconnai- tre le budget. Ch. G. NECROLOGXE. FRANCOIS HlJBER(l) Tout ce qui rappcUe I'ideed'une difficulte vaincue plait en general a I'imaginationdes hommes. Les moins aventureux, les moins inventifs airaent a voir des exemples de la maniei e dont la force corporclle ou intellectuelle de leurs semblables a su vaincredes obstacles en apparence iBsurmontables , et c'cst dans ce sentiment que tous les contes merveil- leux des anciens terns ont pris leur origine. Ceux qui sont plus habi- tues a reflecliir , se plaisent a suivre ces exemples dans leurs details, a etudier les precedes par lesquels certains esprits inge'nicux parvienncnl a surmonter ou a tourner les difficulte's. Si ces effets sont de courte du- 1^6, on les admire comrae de simples me'te'ores; mais si I'obstacle est permanent et que les efforts ne se relachent jamais, alors, a cette admi- ration pour un elan d'esprit et d'e'nergie moraentane'e , s'en joint une autre plus profonde ]iour cette force continue , pour cette volonte pa- tiente , mais immuable , qui n'est donnee qu'a un si petit nombre de caracteres. De pareils exemples doivent etre consigncs poiu- I'honneur U) Nous empruntons ccUc notice, par exirails , ":i la Ribliotheque uim'erselle de Geneve ( f.hripr 1852 ). FRANCOIS HUBER. ^53 de I'espece humaine ct pour I'encourageraent de ceux qui a la vue de certaines difficulte's tendent a se laisser de'tourner de leiir but. Peut-etre ces reflexions , tout ambitieuses qu'elles peuvent paraitre au premier coup-d'ceil , recevront-elles quelque force de I'histoire de rhomnie auquel cette notice est consacre'e. Francois Huber naquit a Geneve , le 2 juillet I'^So , d'une famille honorable et cliez laquellela vivacitc' de I'esprit et de I'imagination sem- ble he'reditaire : son pere , Jean Huber , a eu la reputation d'etre I'un des hommes les plus spiritiiels de son tems , et se trouve souvent cite a ce titre par Voltaire, qui appre'ciait sa conversation onginalc ; il e'tait agre'able musicien , faisait des vers qu'on vantait meme dans le salon de Ferney , se distinguait par des re'parties vives et piquantes , peignait avec facilite' et avec talent , excellait tellement dans I'art des de'coupures de paysages qu'il semble avoir cre'e' ce genre, sculptait meme mieuxqii'il n'est donne' aux simples amateurs de le faire (i), et a ces talens varies il joignait le gout et I'art de I'observation des moeurs des aniraaux. Son ouvrage sur le vol des oiseaux de proie est encore aujourd'hui con- sulte avec inte'ret par les naturalistes. Jean Huber transmit presquetous ses goilts a son fils. Celui-ci siiivit dans son enfance les lefons publiques du colle'ge , et guide par de bons maitres y prit le gout de la litterature que la conversation de son pere de'veloppait ; il dut encore a cette inspi- ration paternelle le goiit de I'histoire naturelle ; il prit celui des sciences physiques dans les cours de De Saussure et en manipulant dans le la- boratoirc d'un de ses parens qui se ruinait a chcrcher la pierre philoso- phale. Done' d'une ame ardente , il eut un de'veloppement tres-pre'coce , s'e'tudia a observer la nature a I'age oil d'autres pensent a peine qu'elle existe, et sentitdes passions vives a I'age ou d'autres onta peine des emotions. II semblait que , destine' a etre soumis dans peu a la plus cruelledcs privations, il faisait , com me par instinct, des provisions de souvenirs et de sentimens pour le reste de ses jours. Des I'age de quinze ans sa sante' ge'ne'rale et sa vue commencerent a s'alte'rer • I'ardeur qu'il raettait a ses travaux et a ses plaisirs , la passion avec laquelle il pas- (1 ) On a conserve un trait de son laleni ; ii presentail un morreau de pain "a son rliien , demanlerea le liii I'airc lonocr en loiil. sens, ct il en ressorlait nn biiste dc V oltairc frappant de V(5rite. TOME Lin. MARS 1852. 40 'j54 necrolog'ie. sait Ics joins a retiide , et k-s nuits a lire des romaus a la lailitc Incur d'une liimicie qu'on lui cnlevait rnerac quelquefoiselqu'ii s'e'tail. accon- tiimc a irmplacer par la clartc de la lime, I'lirent , dit-on, Irs causes qui raenacerent a la fois el sa force et sa vue. Son pere le inena a Paris consultcr Troncliin pour sa sante et Venzel pour I'e'tat de ses yeiix. Tronchiii, voulant combattre son e'tat de iiiaiasme , I'envoya passer quelqiie tems dans un village des environs de Paris (Stain) , pour y vivre , s'il e'tait possible , a I'abri de toute agitation : on le re'duisit a la vie d'un simple paysan; il conduisait la charrue et se livrait a tons les travaux riistiques; ce regime eut un plein succes, et Huber gaida de ce sejour a la campagne , non-seulement une sante' inalterable, raais encore un tendre souvenir et un gout particulier pour I'habitation des champs. L'oculiste Venzel regarda I'e'tat de sa vue comme incuraljle ; il ne crut pas possible de hasarder I'ope'ration de la cataracte , alors nioins connue qu'aujourd'bui , et annonca aujeune Huber la probabililc d'une •{irochaine et complete ce'cite. Cependant ses yeux , malgre leur faiblesse , avaient , des avant son depart et depuis son rctour , rencontre ceux de Maric-Aime'c liullin , fille de I'un des syndics de la re'publique; ils s'e'taient trouve's souvcnt ensemble dans des lecons de danse. Un amour mutuel , tel qu'on le res- sent a dix-sept ans , s'e'tait etabli entre eux et e'tait devenu partie de leur existence ; ni I'un ni I'autre ne pouvaient croire qu'il fut possible de desunir leur sort , et cependant la chance toujours croissante de la prochaine ce'cite d'lluber de'cida M. Lullin a retiiser son consentcmebt a cettc union; mais plus le nialheur de son ami , du compagnon qu'elle s'e'tait choisi , devenait certain , plus Marie se regardait comme engage'e a ne pas I'abandonner. ELle I'aimait d'abord par amour , puis par ge- ne'rosite et par une especc d'hero'isme , et re'solut d'attcndre I'age de sa raajorite , alors fixe'c a vingt-cinq ans , pour s'unir avec Huber. Mademoiselle Lullin resista a toutes les seductions , a toutcs les per- secutions meme , par Icsquellcs son pere cherchait a la de'toinner de son projet; et des le moment de sa majorite , clle se prescnta au temple , conduisant , pour ainsi dire, elle-raeme I'c'poux quelle s'e'tait clioisi lorsqu'il e'tait hcureux et brillant, et au tristc sort duqucl cllc voulait mnintcnant devouer sa vie I iVFadanio Hubei' se iiionira digne , jjai- sa toiibtancc, dt- reiiergie (ju'cllc avail de'vcloppee : pendant quaranle ans qu'a dure cette union , elle n'a cesse de lendre a son e'poux aveugle les soins Ics plus tou- clians ; elle e'tait sa lectrice , son secretaire , faisait des observations pour lui, lui e'vitait tons les emLarras que sa situation aurait pu faire iiaitrc. Cctte union touchante a etc' racntionnc'e par des plumes ce'lcbresj Voltaire I'a souvcnt cite'e dans sa correspondance , et Tepisode du me'- nage Belmont dans Delphine est la peinture vraie, quoique un peu gaze'e , de celui de M. et de madame Huber. Que pourrais-je ajouter a iui tableau trace par de tels maitres ! On a vu des aveugles briller comme poetes, on en a vu se distinguer commc philosophes , comme calculateurs ; mais il e'tait reserve' a Huber de s'illustrer, quoique prive' de laviie, dans les sciences d'observation el sur des objels si minutieux que les observalcurs clairvoyans ne les dislinguenl eux-raemes qu'avec peine. La lecture des ouvrages de Reau- mur el de Bonnet , et la conversation de ce dernier , dirigerenl sa curio- site sur riiistoire des abeilles ; son sejour habituel a la campagne lui inspira le de'sir , d'abord de verifier quelques fails , puis de remplir (juclqucs lacunes de leur liistoire. Mais pour ce genre d' observations il lui fallalt, non pas seulement un instrument du genre de ceux que le travail d'un opticien pent fournir , mais un aide intelligent que lui seul pouvail faconner a cet usage. II avail alors un domestique norame Fran- cois, Burnens, remarquable par la sagacile' de son esprit el le de'voue- mcnt qu'il porlail a son raailre. Huber le dressa a I'art d'observcr, le dirigeadans ses reclierches par des questions adroitementcombine'es; et, au moyen des s.ouvenirs de sa jcunesse el dcs.te'moignages qu'il recueil- lait.aupres de sa ferame el de ses amis, il controlail les re'cits de son aide el parvenail a se faire une image netle el vraie des moindres fails, Je ' suis hien plus siij\ me disait-il un jour en riant , de ce que je raconte que vous ne Vetes vous-meme , car vous publiez ce qu'ont vu vos jeux se,uls , et moi je prends la moyenne entre plusieurs te'moigna- ges. Raisonnemenl Ircs-plausiblc , sans doute , mais qui ne degoutcra personnede 1' usage de ses yeux. II de'couvril que la noce mysterieuse et ,si rcmarquablement IV'conde dc cctte reiuc , de celtc mere uni({uc de sa Iribu, ni; so passe point dans la ruche, el (ju'elle s'exe'cule dans les airs, 756 NECROLOGIE. a une elevation assez grande pour c'chajiprr mix yeux ordinaircs, mais non a ceux de rintclligence d'un aveugic aide d'un paysan. II de'crivit en detail les consequences des e'poqiies pre'coces ou tardives de cet hymen aerien. II confirma par des observations multiplie'es la de'cou- verte de Schiracli , alors encore debattue, que les abeilles peuvent a vo- lonte' transformer par une nourriture appropric'e les oeufs des ouyricrcs en reines , ou , pour parler plus exactement , des neutres en femelles. II montra aussi comment certaines abeilles ouvrieres peuvent pondre des ceufs fe'conds. II de'crivit avec beaucoup de soin les combats des reines cntreelles, le massacre des faux bourdons ettoutes les circonstances sin- gulieres qui ont lieu dans une ruche , lorsqu'on y substitue une reine e'trangere a sa reine naturelle. II montra I'influence que la grandeur des cellules exerce sur la taille des inscctes qui en proviennent ; raconta la manicre dont les larves des abeilles filent la sole de leur coqucs 5 prouva de'monslrativement que la reine est ovipare^ e'tudia I'origine des es- saims , et donna le premier une histoire raisonne'e dc ces colonics volan- tes. II prouva que I'usage des antennes est de permettre aux abeilles de so distingiier les unes des autres , et traca, d'apres la connaissancc qu'il avail acquise de leurs moeurs , de bonnes regies snr I'administration c'conomique. La plupart de ces observations delicates et qui avaient e'chappe a ses devancicrs furent dues a I'invention qu'il fit de diverses formes de ruches vitrees , I'une qu'il appelle ruches en livre ou en Jeuillets , I'autre qu'il de'signe sous le nora de ruches plates , qui per- mettent d'observer les Iravaux de la'communaute jusquc dans les moin- dres de'tails, et de suivre, pour ainsi dire , chaque abeillc en particu- lier. Elles furent surtout facilitees par I'habilete dc Burnens , et par son zcle pour la recherche de la ve'rite; il bravait sans hesiter la colore d'une ruche entiere pour de'couvrir le moindre fait , et on I'a vu s'em- parer d'un e'norme guepicr , malgre' les doulourewses blessures d'une horde de frelons qui le de'fcndaient. Qu'on juge par la de I'enthousiasme que son maitre (et j'craploic ici ce terme dans le sens, non de la relation de maitre a domestique , mais dc celle d'instituteur a e'leve) , qu'on jnge, dis-jc, de renthousiasnie pour la ve'rite qu'Hubcr savait inspirer a ses agens. La publication de ces travanx cut lieu en 179'i , sous la forme de Ict- trcs a CIi. Bonnet et sous le titre de Nouvelles observations sur les FRANgOIS HUBER. 757 abeilles. Get ouvrage frappa beaiicoup les naturalistes , non-seule- ment par la nouveante des fails , inais par leur rigoureuse exactitude et par la singiiliere difficultc contre laquelle Tauteur s'e'tait debattu avec tant de talent. L'activite de ses recherclies ne fnt ralcntie , ni par cc premier succes qui aurait pu satisfaire son amour-propre, ni par les embarras qui re- sulterent pour lui de de'placemens occasione's par la revolution , ni merae par sa separation d'avec son fidele Burnens. II lui fallait un autre aide. Sa femme lui en servit d'abord; puis son fils Pierre Hubcr , qui des lors s'est acquis une juste celebrite dans I'histoire des moeurs des fourmis et de plusieurs autres insectes, comraenfa son apprentissage d'observateur en pretant ses secours a son pere. Ce fut principalement par son aide qu'il exe'cuta denouvelles et laborieuses recherclies sur ses insectes favoris. EUes forment le second volume de la seconde edition de son ouvrage, publie'e en i8i4«ct en partie rc'dige'e par son fils. L'origine de la cire e'tait alors un point de I'histoire des abeilles de- battu par les naturalistes : quelques-uns avaient dit, mais sans en donner des preuves suffisantes , qu'elles la fabriquaient avec le miel ; Hubcr , qui avait defja heureusement de'brouille l'origine de la propolis , con- firraa cette opinion sur celle de la cire par de nombreuses observations, et montra en particulicr, avec I'aide de Burnens, comment elle s'cchappe sous forme de lames entre les anneaux de leur abdomen. II se livra a des recherches laborieuses pour rcconnailrc comment les abeilles la preparent pour leurs e'difices ; il snivit pas a pas toute la construction de ces meiTreilleuses ruches qui serablent re'soudre par leur perfection les problemes les plus de'licats de la ge'omc'trie; il assigna le role que jotie dans cette construction chaque classe d' abeilles , et suivit leurs travaux depuis le rudiment de la premiere cellule jusqu'au perfectionnement complct du gateau. 11 fit connaitre les ravages que le sphinx atropos exerce dans les ruches 011 il s'introduit. II tenta meme de dcbrouiller I'histoire des sens des abeilles, et en particulier de rechercher le siege decesens de I'odorat dont toute I'histoire des insectes demonlre I'exis- tence , tandis que leur structure n'en laisse pas encore fixer I'orgaue avec certitude. Enfin il se livra a des recherches curieuscs sur la res- piration des abeilles; il prouva d'abord, ])ar plusieurs experiences, que ces insectes consomraent du ga/. oxygene commc les autres animaux. 758 NECROLOGIE. Mais coiiimcnt I'air peiit-il sc rcnoiivclci- ct coiiscrvci- loutc sa |uirclt: dans line ruche cnduite dc mastic et close de toutes parts , sauf I'etroit orifice qui lui sert de portc ? Cc proLleine exerfa toute la sagacite de noire observateur, et il vint a reconnaitre queles abeilles, par un mou- veincnt particulicr de leurs ailes, agitent I'air de maniere a de'lerrniner son reiionvellemcnt ; apres s'enetrc assure par robservation directe , il prnuva encore son opinion en iinitant cet effet au inoyen d'une ventila- tion artificielle. Ces expr'rienccs sur la respiration esigeaicnl quelques analyses de I'air des ruclies, ct celte circonstancc mit Huber en rapport avec Sene- liicr qui s'occiipait beaucoup dc reclierclies analogues sur les ve'ge'taux. Parini les raoyens qu'Huber avail d'aboid imagines pour reconnaitre la nature de I'air des ruches, etait celui d'y faire germer certaines graines, se fondant sur line opinion vague que les graines ne ger- mcnt pas dans un air trop de'pouill^d'oxygi^ne. Cette experience , iin- parfaite pour le but direct qu'il se proposait , lit naitre chez les deux amis I'idce de s'occuper de recherches sur la germination ; et ce qu'il y cut de curieux dans cette association d'un claivoyant et d'un aveugle, c'cst que le plus souvent c'e'tait Senebier qui indiquait les experiences , et Huber qui, prive'de la vue, les exe'cutait. Leurs travaux ont e'te pu- blics, en leur nora commun, sous le titrc de Memoires sur Vinfluence de I' air dans la germination des graines Le style d'Huber est en general clair ct elegant ; sans cesser d'avoir la precision qui convieut au genre didactique, il participeau genre d'a- grc'aient qu'une imagination poe'tique sait repandre sur tons les sujets ; mais ce qui le distingue surtout, parce qu'on s'y attend moins, c'est (.[u'i! de'crit les fails d'une maniere tellement pittoresque qu'cn le lisant on croit yoir soi-mcme les objets que I'auteur , helas , n'avait pas vus I En rcllcihissant a cette singuliere qualite' du style descriptif d'un aveu- i;ie, i'ai cru m'en rendre raison en pcnsant aux efforts qu'il avail du faire pour coordonncr les re'cits de ses aides, et s'cn fairc une image complete. Son gout pour les beaux-arts, ne pouvant s'appliquer aux formes , sc porta sur les sons : il ainiait la pocsie , mais siirlout il e'lait done d'une prodigicuse disposition pour la musique. II avail pour clle un goiit qu'on pourrait dire inne, et il en a tire un grand secours pour les dclasse- FRAN(;;OIS HUBKR. 'jTtg mens de sa vie entiere ; il avail une voix agre'able ct s'ctait initic des sou enfance aux charmes de la musiqiie italicnne Lo de'sir de conserver des relations avec ses amis absens, sans avoir besoin de secretaire, lui fit naitre I'ide'e d'une sorte d'imprimeiio a son usage; il la fit exe'cuter par son domestique, Claude Le'chet, dans lequei il avail de'veloppe le talent de la me'eanique comme jadis celui de I'his- loire iiaturelle dans Francois Biirnens. Dans des cases nume'rote'es sc trouvaient de petils caracteres d'impression tres-saillans , qu'il rangeait dans saraain; il placait sur les lignes ainsi corapose'es une feuille noir- cie avec une cncre particuliere, puis ime feuille dc papier blanc ; el avec une presse que son pied mettait en mouvement il ^Jarvenait a im- primer une lettre qu'il pliait el cacbctait lui-meme, heureux de I'espece d'inde'pendance qu'il espe'rait acque'rir ])ar ce proce'dc'. Mais la diffi- culte de mettre cctte presse en action lui en fit bientot abandonner I'usage habituel. Ces lettres , ct des caracteres d'algebre en lerre cuile, que son fils , loujours ze'le et inge'nieux pour lui etre utile , avail fabri- ques pour lui , furent pendant plus de quinzc ans une source de distrac- tions el d'amusemens. II jouissait aussi du plaisir de la promenade ct meme de la promenade solitaire au moyen de fils qu'il faisait tendre dans toutes les alle'es des campagncs qu'il liabitait. En les suivanl de la main il connaissail sa route , ct de petits nteuds pratique's de place en jdace I'avertissaient de sa direction et de sa position. L'aclivite' de son esprit lui rendait ces distractions ne'cessaires ; elle ciit pu le rendre le plus malheureux des hommes s'ileiit e'te moins bicn enlourc : mais tons ceux qui vivaicnt autour de lui n'avaient d'autre pense'e que de lui plaire et dc supple'cr a son infirmite. Douc naturelle- raent d'une amc bienveillante , comment cetle heurcuse disposition , que le frollement des hommes de'truillrop souvcnt, ne se serait-elle pascon- servee en lui ? Sa conversation etait en general aimable et gracieuse; il plaisantait avec legiirete , n' etait etrangei a aucunc connaissance , ct aimait a s'c- lever aux idees Ics plus graves et les plus imporlanlcs , comme a des- cendre au badinage le plus familier ; il n'clajt pas savant , dans le sens ordinaire du mot; mais, en plongeur habile, ii touchait le fond dc chaque question par une espece de tact et une sagacite d'esprit qui suppleaient au savoir. Lorsqu'on lui parlaitd'objots qui inleressaientsa tetc ou son yGo NECllOLOGIE. cceur , sa belle figure s'animait ti'iine maniere particuliere , et la viva- cite de sa pliysionornie scmblait , par iine magie raysterieuse , aiiimer jusqu'a ses yeux , clepuis si long-tems condamne's aux te'nebres. Lc son de sa voix avail alors quelque chose dc solennel. « J'ai compris main- » tenant , » me disait un jour un hominc d'esprit qui vcnait de le voir pour la premiere fois , « j'ai compris comment les peuples dans Icnr » jeunesse ont accorde' volontiers a la ce'cite la re'putationd'une inspira- » tion surnatiirelle. » Huber a jiasse' les dernicres anue'es de sa vie a Lausanne , soigne' par sa fdle, madame de Molin. Dc loin en loin il a encore donne quelque suite a ses anciens travaux. La de'couverte des abeilles sans aiguillon , faite aux environs de Tampico par le capitaine Hall , excita son interet , et il cut une vive jouissance quand son ami , le professeur Pre'vost, fut parvenu a lui faire arriver, d'abord quelques individus , puis une ruche meme de ces insectes. Ce fut la le dernier hommage qu'il rendit a ses •ancienncs amies , auxquclles il avaitdii dela ce'le'brite , ct, ce qui vaut mieux , du bonheur : on n'a , apres lui , rien ajoute d'essentiel a leur histoire. Les naturalistes doue's de la vue n'ont rien trouye d'important a joindre aux observations dc celui de leurs confreres qui en e'tait prive. Huber a conserve ses faculte'sjusqu'au dernier jour. II a e'te aimable et aimant jusqu'a la fin. Age de quatre-vingt-un ans, il e'crivait a I'une de ses meilleures amies : « II est des momens oil il est impossible de » tenir les brascroise's , c'est lorsqu'en les ecartantun peul'un de I'autrc » on pent dire a ceux qu'on aime tout ce qu'ils vous ont inspire d'es- » time, de tendresse et de reconnaissance Je ne dis qua vous, » ajoutait-il plus bas , « que la resignation et la se're'nite' sont des biens qui .)) ne m'ont pas etc' refuse's. « II e'crivait ces lignes le 30 de'cembre der- nier , le •!'). il n'etait plus ; sa vie s'e'tait exhale'e sans douleur ct sans agonie eatre les bras de sa fille. DE Candolle. CORiCOURS OUVERTS PAR DES SOCI^TES SAVA^TES. UAcademie de Rouen propose, pour le concours de i83a, la question suivante : Quelle peut etre V influence des classes inferieiires sur le honheur des nations etsur le perfectionnemeut deVespece hu- maine? Le prix sera une me'daille d'or de la valeur de 3oo fr. , et le terme do rigucur, pour I'envoi des morceaux , le i""" juin i83'2. La memeAcade'mie offre , pour la nieme epoque , uue semblable me'daille a I'auteur du meilleur memoire sur ce sujet : Exposer I'his- toire naturelle du puceron lanigere. L" Academic des sciences , arts et belles-lettres de Dijon propose la question suivante : Quelles sont les circonstances organiques et physiques qui donnent naissance a la specialite dans les maladies? — En e'tablir la doctrine sur des faits avoues par une obsen'ation judicieuse et une saine the'orie. — Resumer toutes les conquetes de ce genre faites par la me'decine jusqua ce jour. Le prix sera une me'daille d'or de 3oo fr. , et les me'moires doivent parvenir au secretaire de la Socie'te avant le i5 novembre i83'2. L' Academic offre egalement une me'daille d'or de la valeur de 200 fr. a I'auteur de la raeilleure piece de vers qui lui sera adressce avant le r'juillet 1 832. La Socieie de me'decine de Rio-Janeiro a propose, pour rannee 1 832, cette question : Determiner par des observations cliniques, ge- nerales et particulieres , et principalemenl d'apres des recherches cadaveriques exactes , le siege , la nature , les causes et le traite- ment des affections endemiques dans le Bresil , enjaisant sentir le rapport du developpement progressif de leurs phenomenes, avec les lesions organiques quelles presentent. Le prix est de huit cent mille reaux en argent , ou 4o,ooo fr. Les me'moires ont dil etre rcmis avant la fin dc fe'vricr i832, a I'adresse du secretaire de la Socie'te, M. Luiz-f^icenti de Simoni. 762 CONCOIIKS OUVERTS PAR DES SOCIETES SAV ANTES. Enlin Ic I'oi de Danemarck de'cernera unc me'daillc d'or dc la valeur dc 20 ducats a I'astronome qui de'couvrira Ic premier une comete te- Jescopique , c'est-a-dirc une comete non visible a I'oeil nu. S'il y a doute sur cettc derniere circonstance , M. Schumacher , d'Altona , en decidera. C'est a ce savant que devront etre adressees toutes les commu- nications dcs concurrcns. TABLE DES MATIERES CONTENUES DANS LA 159" LIVRAISON DE LA REVUE EIVCYCLOPEDIQUE. MARS 1 83 2. Pages 1 . Du catJiollcisme et du peuple , a I'occasion du rholdra. Charles Didier, 513 2. De I'assietle de Timpot Emile Pereire 528 3. Dernieres pages de Goethe expliquant a rAllcmafrne les sujets de philo- sophie natnrellc controversds au sein de TAcaddmie des Sciences de Paris 563 4. Voyage des fr^resLandcren Afriqiic; 2° article. ^Jdla'ide Montgolfier. 574 5. Vision d'Hdbal , par M. Ballanche A .Saint-Che'ron. 598 BULLETIIV BIBLIOGRAPHIQUE. LIVRES ETRANGERS. Etats-Unis. — Code de jurisprudence criminelle de TOhio, 610. — Histoiro du Maryland , 613. Grande-Breta'gne. — Eldmens de chitnie presentes d'une inanifere faniiliere , 614 ; — Anecdotes de la vie maritime , par Ic capitaine Bazil Hall , 616 ; — Vie de sir Isaac Newton , par David Brewster , 620 ; — Vies des voyageurs celebres , 622 ; — Annuaire necrologique, ibid. ,• — Fables et vers de Ma:y . Maria Colling , ibid. RcssiE. — Essai sur la littdrature de la langue sanskrite , 624. — Nouveau die tionnairc franpais-russe , 625 ; — Po6mes sur I'insurrection polonaise et la chute de Varsovie , ibid. Allemagne. — Correspondance de Baggesen avec Reinhold et Jacobi , 626 ; — Journal historico-politique de Leopold Ranke , 630 5 — Histoire des Pays- Bas , 632 ; — Histoire de I'electorat de Saxe , ibid. ; — Histoire du grand-duche de Hesse, ibid. ,• — Que peut-on dire contre cette opinion que le globe de la terre , ainsi que tous les astres , manifestent une vie qui leur est propre , ibid. ; — Mdmoires de T Academic de Berlin , 633 ; — Systime de mdtallurgie , par Karsten , ibid. — Panthdon et Protdus , collections do romans j ibid. Italie. — Nouvelles ddcouverlcs bibliographiques du Vatican, 634 ; — Essai sur THistoirc de la littdrature italicnnc au xix'' sicclc , 637; — Trois nouvelles tragddirs dc Silvio Pcllico , 638. 764 TABLE DES MATIERES- LIVRES FRAN^AIS. Economie politique du calholicisme : Lefons de M. C. de Coux, C45; — Avaii- tages des relations cntre la France ct TAngletcrrc, par sir Henri Parnell, 652 • — Des esp^rances et des bcsoins de Tltalie, par M. de Sismondl, 653; — La Polognc, province russc , 654 ; — Hisloire de Pologne , par Fletcher, 657 ; — Mfimoircs de la Soci^ti de8 antiquaires, 659 j — Proverbes et dictons popu- lairesaux treizieineel quatorziemesicclcs,'662; — Podsies morales et historiqiies d'Eustache Descliamps , ibid. ; — Bibliothcque protypographique , 663; — Ar- chives hisloriqnes et litldraires du nord de la France , 664 ; — Annuaires statis- tiqucs de la Manche et de la Sarllie, 666; — Journal de la Societe plir<5nolo- gique, 667 ; = Mf^decinc navalc , 670 ; Douze journdes de la revolution, poemes par Barllielenii , 674 ; — Podsies d''IIippolyte Tampucci , 677 ; — CEuvres de Charles Nodier, 678 ; — La Bansc macabre, par P. L. Jacob, bibliophile , ibid. ,• — Les Cent Contes drolatiques, par le sieur de Balzac, 683; — Le Ndgricr, aventurcs de mer, 688; — Ali-le-Renard , ou la Conquete d'Al- ger, 690;— UneR(«action, bistoire de 1795, 692; — Raoul, on PEneide, par madame de Bawr, 695; — Musde tbdatral, 697. NOUVELLES SCIEIVTIFIQUES ET LITTERAIRES. Etats-Unis. — Sur Ics pnitendues marees des lacs de TAmdriquc , 698. GKAwnE-BRETAGNE. — Association anglaise pour I'avancement des sciences, 699; — Projct de communication entrc I'Angleterre ct I'Irlande , 702. Allemagne. — Erection d'un monument a la mdmoire de Gutenberg , 706. France. — Stances de 1' Academic des sciences en mars 1832 : Observations sur un compost de carbone et d'hydrogene par M. Dumas , 709 ; — Lcttres de Scarpa sur la nature des ganglions nerveux, ibid.; — Considdralions sur les eavises de lacristallisation, 713 ; — Memoire sur les chlorurcs de cyanogenc, par M. Sdrullas, ibid. ,- — Temp<$rature de la terre dans les mines, 714; — Nouvel appareil invents par M. Fayard pour remplacer le levicr, 715 ; — Sur rhdtdrogdn7''. Sexlus. Ali-lc-Renard , roman historiquc , par E.de Salle, 690. ALLF.M.uiNE , 57, 144, 223, 377, 464, 626, 706. Alletz (Ed.). P^OJ^. Esquisses. Alexandria (Ecoled'). Son histoirepar Poret, 161 . Almanach national pour 1832, 452. — americain pour \ 832 , 454. Arnbrosoli{F) Manuale , 157. Am^RIQDE SEPTENTBIONALE , 67, 86 , 131,364,365. Ampere. J^oy. Courans. — T'^oy. Cours. Anatomie, 102,213,226, 228, 229, 488,562, 667,708, 715, 720. Analyses, f^oy. Bclletin. Ancelot. T^oy. ]Nui(. — /^oj^. R^f;ent. Angleterre. f'^oy. Granpe-Breta- GNE. Annales de la Society d'Orleans . 453. Anthropologie, 229, 301. Annuaire biogTapluque ct ndcrologi- que (del'Angletcrre), 622. — du bureau dcs longitudes, 174. — du ddparlemcnt de la Sarlhe, 6(16. — du (fdpartemcnt do la Manclic , 666. !Kvn\<)oni.s,Kny. Archeolocie. Appareil invonl(5 par M_. Fayard , pour rcmpiacer le levior, 715. Arch£ologie, 235, 238, 239, 386, 479, 634, 659. 662, 663. TABLE ANALYTIQUE Architectcre, 386. Arcliives (Notices sur les) du royaunie de Belgiquc, par Gacliard, 157. — Iiistoriqucs et lilteraires du nord de la France, par Aime Lcroy, Leglay et Arthur Dinaux, 664, Armadiile a neuf bandes , note sur son anatomie, par M. O^Ycn, 229. Arsenal maritime d'Alcxandric , 236. AsiE, 136, 142, 714, 722. Assictte(Der) derimp6t,parM.Emilc Pcreire, M. 528. Association des savans Anglais, 699. — J^oy. Doctrine de M. Fourier. Astronomie, 174, 254, 460, 489. Atar-Gull, melodrame de MM. Bour- geois ctMasson. 751 . Auger. P"oy. Moeurs. Azais. Voy. Syst^me. Baggesen's [Aus Jens) Brief-wechsel, 626. Baiscrs de Jean second, traduils par madame Cdleste Vien, 440. Balbo {€.). Storia, 389. Ballanche. p^ny. Vision. Balzac. J^oy. Contes. Banim. T^oy. Qroppys. Barrois (J.-B.). T^'o)'. Bibliotlieqiic. Barthelemy. T^oy. Journdcs. Bawr (M"" de). T^oy. Raoul. Bayard. T^oy. Serrurier. Beacx-Arts, 157, 541, 586, 697. Becquerel. /^t"- C<5mentation. Belgique, 157,234, 478, 664. Belmonlct. F'oy. Proscription. Belles-Lettres. Voy. LiTTi'^RArrRK. Bolloc. /^'o^^. Voyage. Bcnial-Saint-Prix. T^oy. (Euvres dc Boilcau. Bible (la), traduction nouvelle, par S. Gabon, 167. BiBi.iocRAPHiE , 157, 172,236,568, 586, 624, 665. «,* DES MATIERES. 767 Bibliothequc protypograpliiquc (par J. B. Barrois), 663. BioGRAPHiE , H3, 1 51 , 1 72, 174, 385, 407, 424, 429, 616, 620, 622, 626, 742. Blackwall. Sur les moyens qu'ont cer- tains animaux de monter le long de plans verticaux tres-polis, 226. Bland. Voy. Puits. Bodin (S.). /^oj-.Greffes. Boerne {L.) Briefe aus Paris, 1 45. Boettiger {C. If^.). Geschichte des Kurslaates Sachseit, 632. BoHEME, 147. Boileau. ^oj'.CEuvres. Bonaparte {C. L-) Saggio , etc. 155. Bonstetten. P' oy. Souvenirs. BOTANIQUE, 469, 500. Sothiner [K. von). Geschichte des Grossherzogthums Hessen , 682. Bouchette {J-)- The trilish domi- nions in North- jimerica, 364- Bouillons de la compagnie hollandaise, 719. Boulanger (L.). F'oy. Mus^e. Bounty (Le). Histoire de la revoke de son equipage, 131 . Bourgeois. F'oy. Atar-Gull. Bourgery. J^oy. Traits. Branche. Voy. Musde. Bray i^MIU.) F'oy. Colling et let- tres. Brewster {David) . The life of sir Isaac Newton, 620. Briefe eines verstorhenen, 38 J. Buchey (Jules), C. B., 188, 192, ct les articles signds J. B — t. Bulletin bibliographique , Allema- gne, 144, 377, 626 i — Belgique , 157;— Etats-Unis, 131, 610; — France, 161,398, 645;— Grandc- Bretagne, 156, 363, €14 ; — Italic, 153,589, 634; —Russie, 624 ; — Suisse, 151, 387. Biisiz (J. /.), L'Eneide, Sg',. Cahcn. f'oy. Bible. Caisscs (Des) d'dpargncs, par M. Emi- le Pereire, 734 . — dans les principaleg villes de Fran- ce, 738. — en Anglelerre, 739. — a Genfeve, 740. Callaway (./.). Yakkun Nattanna- wa, a Cingalese poem, 156. Campliogene , compost de carbone et d'hydrogene, observd par M.Du- mas, 709. Cams (G.) JVeue Briefe tiber Land- schaftsmalerei , 386. Cassas. Voy. M.irecs. Catholicisme (Du) et du peuplc a Toc- casion du cholera , par HI. Charles Didier, 513. — Son Economic politique, 644. Cdmentation (Sur la), et les alterations que le fer peut eprouver dans le sein de la terre, par ]M. Becqucrel, 501 . Cetlan, 136. Chaleur. De sa propagation dans les polyedres, par M. Lamd, 485. Chara. Rechcrches sur les plantes de cc genre, 469. Charlon (Edouard), C. , 541 , 688. Chatelain, T'oY- Lettres. Chemins de fer. Foy. Etablissemenl. Chevalier, /^o^. Colique. Chimie, 469, 489, 61 4, 709, 715, 71 7. 725. CHiRrRGiE. Voy. Sciences medi- cales. Chlorures (Meinoires sur les) de cya- nogenc, par M. Serullas, 713. CHOLERA-MORTics, 217,588, 488,515, 718, 719. — Vers de M. Petit-Scnn , a propos dc cette maladie, 588 — Observations de MM. Dclpcch ci Cosier a Londrcs, 719. Chomjakow (A). Voy- Insurrection. 50. nOH TAULli AN Clirislianisme. Scs divisions auxEtals- Uiiis, 456. Cliule (La) do la Polognc , par Rau- nici-, 578. Classiques tires dcs mainiscrils du Va- tican, par Anpclo MaVo, 654. Coclnit (A.). T'o^^■ Rdaclion. Coliqiic do plomb. Son traitcment, par MM. Clipvailicr ctRoycr, 212. Colling [31ix.i). Fables and other jdeces in verse, 622. Commerce, 581, 652. coxciiyliolocie, 720. Conspiration conlre Venisc. Errcurs de Saint-R^al et do Daru, 472. Contcs bruns, par line tele a rcnvcrs , 189. — (Les cent) drolatiqucs , par dc Bal- z'lc, 683. Corbiere(Ed.). Voy. 'Negrier. Correspondance dc Baggcscn avcc Rcinhold et Jacobi, 626. Cosmeny. Voy. Gi^latine. Costc. Voy. CbokVa-morbus. — Voy. Einbryon. Coup d'ocil siir Ics avantages des rela- tions enlre la France et I'Angleterre, par sir Henri Parnell, 652. Courans clcctriques produils p -r I'in- fluence d'nn autre courant electri- qiie, note deM. Ampere, 484. CouRS d'bistoire dc la philosophic an- cienne, par Poret, 1 61 . — .Cours. Crapclct. Voy. Proverbcs. ALYTIQUE — Toy. Poesies. Criminalile.Sa slalistiquecn Angleler- rc, 4G3. Cristallisalion dcsminiiraux. Observa- tions dc M. de Humboldt a cc su- jct, 713. Critique systematico-universclle , par Jean Maggi, 155. Crocodile. Details sur son anatomic, par M. Owen, 228. Cromwellian diary, 568. Croppys (Les) , roman irlandais , par Banim , iraduit par Defauconprct , 177. CunA,718. Cuvier. Voy. Ossification. D Dansc (^La) macabre, parP.-L. Jacob, 678. Daru. Voy. Conspiration. Dccouvertes des Carthaginois ct dcs Grccs dans TOcean atlantique , par Lelewel , 580. Dcfauconpret. Voy., Histoiro. — ^oj. Croppys. Degdrando. Voy. Cours. Delacroix-Frainville. Voy. Necrolo- GIE. Delmas. Voy. Ney. Delpech. Voy. Cholcra-morbus. — /^or, Embryon. Dcniangcat. Voy. Propriety. D£moivologie, 171. — Voy. Histoirc. Dcschamps(Eustache). Voy. Poesies. Description dcs possessions britanni- qucs dans TAmdriquc du ISord, par Bouchettc, 564. — de la surface de la terre , par K. de Raumer, 580. j Dcsnoycrs. Voy. Fossiles. i Dllerbelot (A.) C.-B., 452. Dif.TlONNAir.E gdographiquc de la pro- vince dc Liege, par Van dcr Maclen, 159. — bibliographique dc la liUeralurc grecquc , par Hoffmann, 586. — (INouveau), fraiifais-russc et russe- franrais,',625. Didier(Charlcs}, C, 57, 419, 515. Dinaux (Arthur], /or. Archives. Distribiuion (Essai d'nne) mclhodiqiio des aiiimau\ , par Charles-Lucien Bonaparte, 155. Dix ans de la vie d''une fcmme, 508. Doctrine (La) d'associalion de M. CharlesFourier, cxposee par M . .\bcl Transon, M.,271. Doublet de BoLsthibau'.t (J.), C. , 510. Draparnaud. T^oj. Molliisques. Droit. Kof. Jcrisprbdence. Duel (Un) sous Richelieu , drame dc M. Lokroy, 750. Dumas. J^oy-. Camphooene. — (Alex.). Vox- Mari. Dumersan.C.-B., 197. Dumont. Voy. Souvenirs. Durrieux. F'oj-. IMari. Dulrochet. Vov ■ ilalierc. — J^oy. Sana. DES MAT1ERF.S. n(3g J. -J. Busiz, reduite au pur diaiccte dn Frioul, par Dalla Porta , 594. Epitre a unc pile d'ecus, par M. I'ctit Senn, 588. Ephcmerides de la Societe de Seinc-et- Oisc, 197. Equations diffcrenlicllcs. Note de Libri "a Icur sujet, 71 8. Esclaves dans les Etals-Unis, ^7 . Espcranccs (Des) et des besoins dc TI talic, par de Sismondi, 055. Esquisses de la souffranrc morale, par AUctz, 445. — podtiques, par C.-A. Renal, 441. Essai sur la lilteralurc sanskrite , par Adclung, 624. Etablisscnicnt (De T) A\\n ciieniin de fer de Gray "a Verdun, par H. Four- nei, M., 508. Etats-Unis , 67, 86, 151, 565. 454, 610,698. Eloile L') polaire, journal (.osmopoiite constitntionnel, par Ganibihlcr, 577. Expedition archeo;;raphiqiie dc M. ,• StroVelT, en Russic, 255. Eyniard. Voy . Politicoiuanic. ECONOMIEDOMESTKJLE, 486,489, 719, 725. — POLITIQUE, 07, 260,499, 523, 645, 652, 746. EcossE. Voy. Gra\di>Bretagni:. Education,' 108,454, 456. — (Dc r) publique, par M. Emile Sou- vestre, M.,108. Egypte. 256. Electricite, 484, 501, 725. Elcmens de chiniie, 61 4. Embryon. De son developpement, par MM. Delpcch et Coste, 21 5. Enec. Ses faits ct gestes , traduits en langue vulgaire par Frere Guido de Pise , et publics par B. Ganiba , 592. Endidc (L') de Virgilc , travcsti.- jiar Fairbairn. Voy . Projct. faiinly libruiy, 151 . Fcmmcs(Les) d' employes, vaudeville, 508. Fcrmal. Ouvrages dc ce matlicniati- cien relrouves par M. Libri, 497. Feu (Le)du cicl, par Louis Boulangcr, M.,541. FiN-ANCEs, 67,528. — (Sur les) de la France ct des Elats- Unis, par M. Emile Percirc , M. . 67. Fitzpcrald (Lord), sa vie el sa mnri , par Thomas Moore, 5G">. Fletcher. Voy. Histoirc. Flore du Seuej'.al, par MM. G lillcmin, Pcrrotct ct Richard, 500 770 TABLE ANALYTIQUE Forfats. Ddtails siir Ics constructions exdcut^es par eu\ a Toulon, par M. Raucourt, 220. Forget. Voy. Medecine. Foscolo {N. U.). Poesie, 386. Fossiles. Note sur une espece dc p!e- siosaurus decouvcrtc par M. Mar- shal, 225. — Observations sur les cavernes a os- semens, par M. Dcsnoyers, 480. Fourier. P^oy. Doctrine. Fournel(H.),G.-M.,508. France, 37^ 67, H4, 161,200, 212, 229, 249, 308,398, 447, 513,528, 644,709. Franfois !"■, dranie , par miss Kem- ble, 374. Freytag [G.-ff^.]. Darstdtuiii^ Jer arabischen V^erskunst, \ 49. Frioul. Son dialecte, 394. G Gachard. f^oy . Archives. Gadebled (L.-L.), C, 167, 212, 733. Galerie honierique , par Inghirami , 157. Galuppi {P.). Introduzione, 1 55. Gamba. /^o>. En^e. Gambihler {J.). Der Polar Stern , Z77. Gandini{F.). Kiaggi, 157. Ganglions nerveux. Observations de Scarpa sur leur structure, 709. Gelatine. De son emploi comme subs- tance alimentaire, parM. Cosnieny, 486. Gell {Ji^-). Probestiicke Staedlena- uern, 386. Geodesie, 720. Gcodesimetre, instrument d'arpentage invcnte par M. Riquchem, 720. Geoffroy-Saint-Hilaire. F'oy. Ador- bital. — (Isidore), C.-M., 102. Geographie, H8, 131,142,159,325, 364,379, 380,574, 66G, 722. Geologie, 217, 225, 480 714 717 722. Geometrie. P^oy. Mathematiques. Gherard. /'or- Tempdrature. GiambtiUari (P.). Isloria , 1 56. Gibou (Madame) ct Madame Pochel , vaudeville, 242. Gilbert, thronique de I'Holel-Dieu, par Saint-Maurice, 192. Goethe. Ses dernieres pa<;es expliquant a TAllcmagne les sujets de philoso- phic naturelle controversds au sein de I'Academie de Paris, M., 563. Goths. De leur domination en Italie, 389. Grammaire, 625. Grande-Bretagne , 136, 225,362, 382, 447, 460, 463, 614, 652, 699,738. Gravbre, 697. Grece, 148, Greffes (Memoire sur les) herbacdes , parM. Soulange Bodin, 716. Gudrin. J^oy. Lcpthognates, Guido de Pise. I.fatti d'Enea, 392. Guillemin. Voy. Flore. Guiran. Voy. Lettres. Giilick [G.de). Geschichtliche Dars- tellung des Handels, 381. Gutenberg. Voy. Monument. Guyse(Jacques de). Voy. Histoire. H Hainaut. Voy. Histoire. Hcill[ Bazil). Fragments of voyages and trafels , 616. Hamilton (D.) The History oj" me- decine ,141. Hegel. Publication de ses ouvrages, 464. Held{J. C.).Briefe aits Paris, 145. Hennin, /^or. Manuel. Heurteloup. Voy. Litbotriptie. Histoire, 141 ,"144, 148, 156, 157, 161, 171, 172,368,373, 380,381, 389, 41 5, 419, 424, 429, 432, 472, UES MATIhUES. 479, 613, 630, 632, 637, 657, 748. — de la raedecine, par Hamilton, 141. — ( Esquisses de 1' ) ancicnne de la medecine , par Moir ,141. — des Maijyares, parMailalh, 148. — de TEuropc, par Giambiillari, 1 56- — de lademonolo[;ic de Walter Scott, tiaduite par Defaiictfhpret , 171 . — du Hainaut , par Jacques de Guyse , 172. — d'ltalie , par C&ar Balbo , 389. — de la liberte en Italic , par de Sis- mondi ,415. — delaRegence, parLemontey , 419. — de r^lcctorat de Saxe , par Boetti- ger , 652. — dn Grand-Duche de Hesse , par dc Boihmcr, 632. — des Pays-Bas , par N. A. Van Kam- pen , 632. — (Essai sur 1' ) de la litterature ita- lienne an dix-neuvieme siecle , 637. — de Polognc , par Fletcher , traduitc par Alphonse VioUet, 657. — de la philosophie. T^oY- Coiirs. Hoffman {S.F ff'.). "Bibliographl- schesLexicon JerLiteraturder Grie- chen ,386. — (Fragmens d' ) , 340. HONGRIE, 148. HORTICDLTURE, 716. Huber. f^oy. Necrologie. Humboldt. Fbj. Cristallisatiou. Hygiene, f^or. Sciences medicales. IdEOLOGIE. f^Of. M^TAPHYSIQUE. Impot. f^oy. Assiette. — ^or. Innovation. IrfDES Orientales, 136. Indift'drencc ( Dc 1' ) politique , par M.Laurent, M. 249. Industrie , 308 , 489, 500 , 702. Jnghirami {F.). Galleria omerka i 157. 771 Innovation (De Tj en niatierc iriin- pot , 260. Instinct des aniinaux , 562. InSTITUT. T^Oy. SoCI^TES savantes. Instituteurs primaircs. V^oy. Cours. Insurrection (L') polonaise et la chute de Varsovie, poemes, par A. Pusch- kin, W. Schukowski et A. Chom- jakow , traduils du russe en alle- inand , 625. Inventions, 216, 217, 500, 715, 720. Irlande. Voy. Grande-Bretagne. Italie, 37, 153, 238 , 373, 387, 389, 415,447,466, 654, 653. Jacob. Voy. Danse. — Voy. Traite. Jacobi. Voy. Correspondance. Jacqucmont. Voy. Voyage. Jaiiski(B.),C.-B.,6S9. Je.ssc (^Fr). Gleaning in natural his- tory, 562. Jouflroy. Voy Cours. Journal de Cromwell el celui de Tb. Burton , 368. JoUHNAUX et ReCUEILS r^RIODIQOES : — Publics en Allcniagne : FEtoilc polaire , journal cosmopolite-cons- tilulionnel, a Wurtzbourg, 377 ; — Journal historico-politique, a Ilini- bourg, 630. — publics en France : Repertoire his- torique mensuel, a Paris, 432; — Archives historiques ct litteraires du nord de la France et du midi dc la Belgique, a Vilencicnnes , 664 ; — Journal de la Socidtcphrenologique de Paris , 667. — dans TElat dc New- York , 458. Journees (Douze) dc la revolution, poemes par Barthclcmi, 674. JuUicn (Augustc )C. , Ics articles si- gnes A. J. JURISPRUDENCK TABLE 174, 610, 745. K Karsten {C. J. B.). System der Me- tallurgie , 655. Kenibh {Miss F.-A. ). Francis the first, 574. Kind {Th.'). Beitraege ziir Kentniss des neuen Griechenlands. Lamarre-Picquot. P'oy. Serpens. Lam^. Voy. Ghaleur. 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Mecanique, 216, 715, 725. — celeste , par madame Sommervillc , 460. Medecine. J^oy. Sciences m£dica- LES. — navale , par G. Forget. 670. Memoires. — De la tendance nouvellc des idecs , 1 ; — De la socidtd saint- simonienne ( Jean Reynaud ) , 9 , — Lcs (rois principcs : Rome, Vienne 773 et Paris ( Charles Dldier ) , 87 ; — Considerations sur les finances de la France et des Flats - Unis ( Ernile Pereire ) , 67 ; — Sur les variations de la taille chcz les mammiferes (Is. Geoffroy-Saint-Hilaire) , 1 02 ,• — De I'education publique ( £. Sou- I'estre), 108; — Fragmens sur la "Valachie ( Adelaide Mongol/ier) , 118; — De rindiCference politique et de I'innovation en matiere d'im- pot ( Laurent ) , 249 ,• — Doctrine d'association de M. Cliarles Fourier ( Abel Transon ) , 270 ; — De I'in- fluence dessaisons sur les facultds de I'homme [A. Qudtelet) , 301 ; — Projet d'un chemin de fer de Gray a Verdun ( Henri Fournel ) , 308 ; — Voyage des frercs Lander en Afri- que ( Adel. Montgolfier ) , 327 ; — Le feu du ciel par Louis Boulan- ger ( Edonard Charton ) , 339 ; — Du catholicisme et du people a Toc- casion du choldra ( Ch. Didier ) , 515 ; — DeTassiette del'imp6t(£'//2. Pereire), 528; — Dernieres pages de Goethe expliquanta TAUemagne les sujets de philosophic naturelle controverses au sein de I'Academie des sciences de Paris, 565; — Voyage des frercs Lander en Afriquc; deu- xieme anic\e[Addl. Mongol/ier), 574; — Vision d'Hebal, parBallan- che ( Saint-Ch(fron), 598. Memoires de la Societd royale de Bohfeme, 148. — de la Societe de Seine-et-Oise, 1 97. — de A. Levasseur, 429. — de la Societd d'Angcrs , 455. — de TAcademie de Berlin , 633. — sur les antfquitdsnationales et dtran- geres , publics par la Societd des an- tiquaires de France, 659. Mdphistopbeles , drame de M. Lesguil- lon , 751 . Mors (Visile dans lcs) du sud,pai! Stewart, 131. 77't TABLE ANALYTtQUE Mcssiaiiismc , philosophic absoluc ilc de M. Ho< par Jesse , 362. Obscrvaloire de BruxoUcs , dirige par M. Qudtclet ,254. — magndtique a la Ilavane , 718. Oceanie, 151. OEuvres de Charles Nodier, 176, 678, — de Mullncr. Sa biographic , par Schutz , 385. — dc Boileau , collalionndes par Bcr- riat-Saint-Prix , 437. Ogilby. V^oy. Marsupiaux. Ohio. Voy. Lois. Oldecop[A.). Harmannyj I'Yuncui A n rossijskij , 626. Opposition (Dc 1') en 1831 , par A. Pepin , 452. OssiGcation (Sur les progres de 1') dans le sternum des oiseaux , par G. Cu- vier, 215. Ouralite, nouveau mineral ddcouvert par M.Rose , 713. Owen. J^oy. Armadille. — Voy. Crocodile. Pain fait avec la pomme de terre , par M. Quest, 489. Pantheon. Collection [en langue al- lemande) dcs meilleurs contes et nouvelles , 635. Parnell (Sir Henri), F'of. Coup d'oeil. Paysage. T^oy. Lettres. Pellico {Silvio). Tre nuove tragedie, 638. Pelouze. V^oy. Acide. Pepin. Voy. Opposition. Pereire (Emile).C. , 67, 528, 742. Perrotet. Voy. Flore. Petit Senn. Voy. Cholera. — Voy. Epitre. Philadelphie. Stalistique de cette ville, 457. Philologie, 149, 167, 625, 654, 747. Philosophie , 1 , 9 , 1 53 , 1 55 , 1 60 , 1 68, 1 69, 1 76, 200, 271 , 598, 405, 464, 599, 626, 632, 727, 745, — (L'ancienne) morale , par Roma- gnosi , 155. — Introduction a son dtude , par Ga- luppi de Tropee, 155. Phrenologie , 667. Phtsiologie , 215, 667, 715. — veg^tale, 481 . Physique, 217, 222, 483, 484.489, 501 , 502. 718. Pliquc. Consid(5rations sur ccttcmala- die , par C. Scdillot, 434. PoEsiE, 157, 149, 587,588, 392, 594,437, 440, 441, 622, 625, 662, 674,677,747. DES MAT! EKES. nnS — DRAMATiQiiE , 242 , 374, 442, (538, 748. Poesies morales et historiques d'Eiista- che Deschamps , publides par Cra- pelet , 662. — d'Hippolyte Tampucci , 677. Politicomanie (La), par Eym.ard, 452. Politique , 57, 1 45, 1 7 1 , 249 , 377 , 578, 452, 515, 650, 655, 654, 746. PoLOGNE , 578 , 625 , 654 , 657. — (La) province russe , 654, Population des Etats-Unis , 86. — divisde d'apres ses croyances reli- gieuses, 456. — de TEurope. Recherches sur son accroissement , par M. Moreau de Jonn6s,218. Port?. (Dalla). Foj". En<^ide. Precis des travaux de I'Acaddmie de Rouen , 197. Principcs (Les trois) , Rome, Vienne, Paris , par M. Charles Didier, M. , 37. Prix proposes : — par la Societd phrenologique de Paris , 669. — par TAcademie de Rouen , 761 . — par I'Academie de Dijon, ibid. — par la Society dc medecine de Rio- Janeiro , ibid. — par leroi de Dancmark, 762. Projet d'une communication par terre entre I'Angleterre et Tlrlaude , par M. Fairbairn, 702. Propriele ( De la), par Demangeal, 169. Proscription ( De la) , pai- Belmontet , 452. PROSoniE (Exposition de la) arabc , par Freytag , 149. Proteus. Choix (en langue allemande) des meilleurs romans et nouvelles , 655. Provcrbes et diclons populaires , pu- blics par Crapelct , ()62. TABLE ANALYTIQUE Ic decroisseinenl ct Vac- i lieniicl{J.) A liecUiscoii the iseo-ru- 77G Puits. Sur tToisscnieiit de rcaii qui y out lieu , par M. Bland, 226- Puschkin {A ■).DerPolen AuJ'stand, 625. Que peut-on dire contre cette opinion que le globe de la terrc glorifie le createur par la manifestation d'une vie qui lui est proprc ? 632. Quest. Voy. Pain. Qu<