>v«,.x/t. "' ToMl <,^^^ aK-^t/Ox^e^ «^ uuJi rp m REVLE ENCYCLOPEDIQUE PAB MM. H. CARNOT £T P. LEROUZ. Liberie, Egalite, Association. JUILLET 1832. PARIS. I AU BUREAU l)E LA REVUE ENCYCLOP]fcDIQUE, rue des Saints-Peres , ?*'' 2ti ; AKTHOS BERTRAND, RDE HABTEFECILLE , N" jj. PRINGIPAUX ARTICLES ,NsiRES DINS LES DEftMKRES L.VRA.SONS DE LA ReVVE EnCYCLOPEDTQUE. CABISa BE JAMVlIiH 18S«. De la tendance nouvclie des iddes. t. 4. * De la socidic saint-simonicnnc, par M. JEi« KEiitAeD Sur Ics varialions de la taille cher les mamm.fercs, par M. Is. Ueofprot ».u:«t n.LM De lYducaiion publi.,uc, par M- E. Socvf.stre^ Fraemen* sur la Valachie , par M"' Ao^LMDEMoKiaoLPreR. ^ CAHlEtl nt iPtvAlER. Dei'ift«i(Wrrt.cep*iiqne et de innovation en malifefe d-imp6t, par M. Laurent. So Sd'assocLonYeM. Charles Fourier par M. A«- J --^0- De Pinflucncc dcssaisons sur Ics facultds de 1 homme par M. A. Qcetelet. ?ro ct kn chemin de fer de Gray a Verdun par M H6»R. ForHNEL VoyLe. de3 fr^res Lander en Atrique , par M '« Aofit-uoE Montgolf.er. Leku du ciel par Lonis Boulanger , par M. tnocARo Charton. CAKIER DE MARS. Vision d'Hibal, de M. Ballancl.e , par M. Alex. S.vimt-Ch^ros. CAHIER n^AVRIlM Dclanfeessitdd'uncrcprdsontation pour les.proWtairc*, parM. J. Retnaii.>. De rassictic de I'inipot (2° article^ par M. Emile Pereirf.. Derniires page* dc Goethe f2' arlicle> « n T vpnm De rinOuencephilosophique dcsc'tudes or.entales parM. P. Lerobx. Po&ie sanskrite : Anthologie d'Amarou , parM. J. Retkabd. CAHIER »E MAX - JBIW. J)eVnmt& ieURei'ueErtcjrclopiidlque. Du cosmopoV.tisme ct dc I'association , par M Charles Didier^ T»a»son Doctrine I'association de M. Charles Fourier (2' article) par M ^bbl Transon. Des rapports de la doctrine Conf.cius avec la doctr.ne chr^Ucnne , par M. P. LERorx. Le Ta-Hio de Conficius , tradnit du Chinois par M. G. Padthier. Poesies du moven-affe : Romans des douze pairs de France^ Chirolnc!^ ^Episode de la vie de Claude Tarin , par M. Edo. ard Charto« Du panlhdisme en mddecine, jpSr M. Rilfe. Des lois de Th^rddiid organiqne, par M. D. Richard. ^ ProprJis de la p^oloi'ic en 1830 ct 4831 , par M. J. R Ktentions^'de la'rdvolution polonaise en faveur des paysans , par M. Moraws« Chansons popniaires des Russiens. OAHIER OE JOILLET. Sur le. prdtcndues doctrines de 93 , par M. Achille Roche. An.tirP De rinffuence de la declaration de la Difete Germanique sur 1' Allemagne , P«- «• Ah""»^% , De 1. contemporanditd de Fhomme et des races d'animau^ perdues , par M. MabCEL de Sem(. Le, Samnitcs anciens et les Samnitcs modernes, par M. Charles Didier. I L'c!;liscetrop(!ra, parM. AooLPHEGtl^ROCLT. Do la ndcesRitd d'institulions provincialcs, par M. A.iiVtvin. Lettre sur Tuniversitd dc Heidelberg, par M. Henri Klimratb. Sur le couri du Niger, par M. J. R- REVUE E1NCYCL0P^.DIQUE ^. /(n-d^ REVUE ENCYGLOPEDIQUE, PARIUni. H. CARNOT ET P. LEROUX. Liherte, Egalit« , Association. TOME LV. PARIS. AU BUREAU DE LA REVUE ENCYGLOPEDIQUE, ROE nES SAINTS-piRES , N" 26. JUILLET — SEPTEMBRE 18X2. ,jiiyuKi Bacon . KEVUE ENCYCLOPEDIQUE. POLITIQUE. SUR LES PRETENDUES DOCTRINES DE 93. Tandis que notre active jeiuiesse cherche , daus I'etude de la revolution, des raoyens d'araeliorer la condition du peuple, c'est iin triste spectacle que de voir les representans du passe fouiller aussi dans nos annales, raais pour en faire mentir les enseignemens au profit de doctrines eteintes, et pour raviver des passions et des haines aujourd'hui sans objet. Cette tendance n'a cependant rien qui nous etonne : c'est celle de tout parti a qui le present echappe et qui n'a pas de place dans I'avenir. Dans unc telle position on vit forcement au jour le jour, tout prejuge qui se prolonge, toute erreur qui s'accredite, paraissent un bien, car ils peuvent marquer uu teius d'arret dans le mou- vement de Fhuinanite, et les retrogrades ne desirent rien de plus. Parmi les moyens qu'on emploic pour entraver la marche des esprits, le plus ancien et le plus prodnctif est, sans contredit, la propagation du prejuge qui confond la democratic avec la terreur, et qui, comme consequence de toute tentative de pro- grcs , fait redouler uue aiiarchie effrenee, second tome dela crisc 6 POLITIQUE. de 95. Prejuge honteux, adopte aujourd'hui par des homines qui I'avaient autrefois coinbattuavec talent (1)1 prejuge absurde, cent fois refute, mais dont il faut s'occuper encore, puisqu'il a encore des consequences de despotisme et de sang! Qu'on se rappelle , en effet , I'enipressement avec lequel I'interet reaction- nairc a exploite I'apparition du bonnet rouge dans les troubles de juin ! C'est une tache rebutante , sans doute , que la repetition d'une verite devenue, pour tons les bons esprits , une espece de lieu comniun. Cependant cette tache devient un devoir, lorsqu'une foule d'habiles sophistes reproduisent avec tenacite les memes erreurs, et ne trouvcnt que trop d'echos dans les ignorances tirao- rees et dans les inlerels cupides. Examinons done encore une fois les continuelles evocations d'un fantonie que Taristocratie se coniplait a rendre effrayant. Eld'abord, serait-il vrai qu'il existat, aux limites extremes de I'opinion deraocratique , lui parti terroriste , voyant dans I'a- narchie un but, dans les violences un plaisir, dans 95 I'etat normal de la societe? serait-il vrai que cette etrange ecole se fiit perpetuee jusqu'a nous, et que la generation sur laquelle repose notre avenir, imbue de ses doctrines sanglantes, ne desirat la re- publiqueque pour rendre Techafaud permanent, et nc compritle progres que dans une marche retrograde de quarante annees? Voila cependant ce qu'on affinne , avec assurance , a la tribune et dans les journaux ; niais heureusenient I'asserlion contient en elle-meme la preuve de son absurdite. En effet, lecaractere distinctif des honnncs de notre genera- tion qui professciit les idees deniocratiques , et parnii lesquels (1) Tout le inoiide a hi lej, ouvlages de MM. Tliiers ct Mijjntil. Moiiis coiinu (jn'cux, M. Baillciil, deserleur dc la iiicme cause, a expose avec plus do boiiheur ((cii(-etrc In veritable caraclerc de la tcrrsur. INous renvoyoiis pour plus dc ddvc- toppcnicns a I'ouvraoe de ce publicistr du justc-milica. SUR LES PRETENDUES DOCTRINES DE gS. 7 nous tenons a honueiu' d'etre comples, c'est une foi vive dans I'avenir et le developpement de riuimanite; c'est retudedel'his- toire sous une face nouvelle , qui fait concevoir le genre humaiu comuie un vaste ensemble; qui montre toutes les generations liees entre elles par lesprogres qu'elles out tour "a tour su tenter, et qui presente chaquecrise sociale comine un seul acte du grand drame, conime un seul pas sur la route du bonheur , de I'egalite et de la justice. Certes, nous savons reconnaitre ce qu'il y a de beau dans le passe; inais, quel besoin avons-nous d'accepter la solidarite de ses erreurs? Nous avons assez , pour notre part , des ftmtes necessaires de notre terns, sans aller follement nous empa- rer de celles de nos peres. Irabus malgre nous d'esprit de parti dans le present, parce que la verite ne pent pas nous apparaitre dans la purete abstmite qui seule est exempte d'erreur, nous n'allons pas en outre nous affubler volontaireinent d'un esprit de paiti retrograde qui remonte a 93. Nous ne croyons pas que la pensee huniaine ait , en aucun terns, etc stereotypee a toujours , pour ne subir plus tard aucun progres ; nous cornptons au con- traire apporter notre contingent de zele et d'assiduite a. en acce- lerer le developpement: nous sommes de 1852, enfin , et nous regarderions I'houinie enracine au milieu des passions , des inte- rets et des luttes de la terreur, comme "a peu pres au niveau des partisans de I'ancien regime. Pour qui sent I'immensite de la ta- che a accomplir, quatre ou cinq annees determineraient entre enx une bien chetive dilferencea peine digne d'une mention. Cliose bizarre ! en depit de ces verites incontestables, c'est prin- cipalement l;i generation etrangere par son age aux partis de la revolution qu'on accuse de vouloir ressusciter des factions suran- iieesIToutelbisle motif en est assez facile "asaisir. Nous seuls, nous avons ose temoigner une profonde sympatbie pour notre grande regeneration politique et i-ehabiliter tout homme qui , avec des sentiraens progressifs, concourut au mouveinent revolutionnaire, quelles qu':rient ete d'ailleurs ses erreurs, ses fautes, ou leshaines qui I'oni poursuivi. Nos aines, sous I'enipire ou sous les Bour- 8 POLITIQUE. bons , seuiblaient craindre le reproche d'avoir pris part ii uiie lulte glorieuse mais sanglante ; ils inaudissaient a I'envi et sans exaiuen line epoquc tout entiere ; quatre annees de noire histoire etaient decbirees sans pitie et sans pudeur, conime si pendant qua- tre annees la providence avait pu dorrair , le peuple errer, la so- ciete entiere se plonger dans le crime ; comme si les resultats acquis du combat ne prouvaient pas que la cause etait juste et sainte ; comme si la bonne foi des gouvernans d'alors; n'avait pas ete rebaussee par le sang des martyrs ! mais 1' esprit de parti ne comprend rien , surtout quand il obeit a I'ordre positif d'un maitre et quand I'interet personnel lui ferme les yeux ! Plus desinteresses dans uos jugeraens , nous avons su rendre justice au passe. Est-ce a dire que nous songions a le renouve- ler? non certes. Nous regardons sou role comme termine, et nous n'avons aucune envie de le voir apparaitre de nouveau , ce qui d'ailleurs serait impossible. Les grandes crises qui changent la face des nations ne se produisent pas ainsi coup sur coup ; et ce serait cbose detestable a nos yeux que la parodie d'inie grande epoque dont on ne reproduirait ni les necessites , ni les devouemens. D'ailleurs ce n'est pas comme gouverneraent regulier que 95 a trouve des defenseurs. La France d'alors etait un camp, bien garde, parce que I'ennemi le tenait toujours sur le qui vive ; ce n'etait pas une democratic conslituee= Qii'y a-t- il done de com- mun enlre cetteepoque et les veritables theories republicaines? Par quelle insigne mauvaise fui a-t-on cberche a. etablir une sorte de solidarite entre des choses si contraires? Si Ton veut parler de la convention, qu'on la prenne done sous le point de vue qni lui est propre ; qu'on nous accuse , si Ton veut , de comprendre comme elle I'amour de la patrie , la defense du sol , nous accepterons vo- lontiers Ic reproobe. Qu'on park meme de la bai'diesse des nova- lenrs revolutionnalres, qu'on les accuse d'avoir detruil le passe; cesont encore la pour nous desobjets d'cloge. Mais il y a quelque chose de grossieremeni ridicule a faired'un tems de guerre acharnec SUR LES PRETENDUES DOCTRINES DE qS. 9 le type de la lepublique ; il y a quelque chose de coupable a pre- senter sans cesse cette conflagration conime I'essai d'une forme de gouverneraent. On pent "a la rigueur coniprendrece genre d'atta- ques de la part des emigres de Charles X contre lesliberaux dela restanration. Ces pretendiis liberaux , qui desavouaient la revolu- tion et paraissaient honteux de ses gloires qu ils admiraient en se- cret, meritaient d'etre rendus passibles de ses exces memes. Mais heureuseraent nous sommes aujourd'hui, de notre cote, exempts au nioins du reproche de manquer de franchise. Comment persevere- t-on a nous imputer ce que nous desavouons. Y a-t-il loyaute, y a-t-il probite a nous faire dire que la deraocratie, objetdenos voeux , doit se formuler sur les souvenirs d'une epoque qui u'avait pas meme de gouvernement (1)! Non, 95 ne represente par la democratic! Dictature populaire formidable, improvisee pour le combat, sa convention, ses co- mites n'etaient propres qu'au combat. La crise fut horrible! Qui le nie? II y eut des coupables. Sans doute, car il y eut du sang re- pandu; mais, comme dans toutes les guerres, les coupables etaient ceux qui defendaient une cause injuste, ceux qui luttaient con- tre la raison humaine : c'etaient les auxiliaires de Tctranger arme; c' etaient les homraes qui rappellent chaque jour avec maladresse ces sanglans debats dont toute la responsabilite pesera sur eux dans I'histoire. Ce qui indigne profonderaent, c'est de voir comment, avec une foule de materiaux dont ressort, pour qui veut les etudier, la verite tout entiere , on ose falsifier I'histoire d'une crise sur la- quelle est fonde tout notre present. A entendre les hommes du privilege, au ^0 aout le roi etait depuis long-tems victime, et victime innoceute de la democratic. Son role constitutionnel etait nul. Mais, non contens de I'avoir hurailie, les jacobins out (I) It Lc gouvcrncincnl rcvohilioiiriairc csl I'ahsniRc dc lout gouvernement. Saint-Just. lO POLITIQUE. cucoie voulu se baigtier dans sou sang. Livre piods ct poiiigs lies a ses eniiemis, il succomba, et le iO aoiit, qui vit sa cbiite, futlu premiere jet uriiee d'line ere de inalbeurs et de crimes. Et dans tout ce recit il n'y a qu'une erreur , une inince erreur a la verite : on ne parle ni de I'Europe nienacanle , ni des freres du roi dans le camp etranger, ni du roi trahissaut la cause qu'il a jure de defendre. II est vrai qu'avec cette omission la demo- oratieparak sans cesse agressive, tandis qu'en hii restituant sou veritable caractere, elle se borne a defendre les conquetes de la revolution, mais a Ics defendre comme on defend les causes le- gitimes , en leur faisant faire mi pas de plus. II est inutile de proiiver que I'agression du i 0 aoiit etait iie- cessaire a la defense de la revolution : on essaierait en vain de le nier; les conferences de Pilnitz, le manifeste de Brunswick, les memoiresde Bertrand-Molleville, et par-dessus tout, les revela- tions de tout genre que nous devons a la jactance des courtisans de Louis XVIII, ue laissent aucun doute sur ce point. En gene- ral, depuis la nuit du 4 aout, qui resume tous les vceux et tons les resultals de I'ere nouvelle, la contre-revolution a toujoursetc assaillante ; ce n'est que pour conserver ses conquetes que la de- mocratic s est portee en avant. Au 10 aoiit, les patriotes renver- .serent un trone , parce qu'ils doutaient qu'on defeudit serieuse- ment I'ordre nouveau contre rcnuemi. Sans cette secousse, on n'en saurait douter, quinze jours auraient sufTi pour amener les Prussiens a Paris : car, pour vaincre, un peuple n'a pas besoin seulement de devouement et de courage, il lui faut encore un gouvernemeulqui veuille la vicloire, et cherche les raoyens de I'assurer ; un gouvernement qui reunisse toutes ses forces pour les opposer a Tennemi , au lieu dc les disseminer par une compli- cite coupable, en niant les dangers que sa lacbete officieuse ne vent pas prcvoir. On trouve cepeudant encore des gens qui se disent Erancais et qui osent inscrirc leiOaout au nombrc des jours nefaslcs ! L'anarcbie en fut le resullat! qui en doute? Jamais a-t-on vu SUR LES PRETENDUES DOCTRINES DE 93. 11 lui peiiple fonder un ordre regulier, calme dans sa niarche, doux dans son action , loi-squ il vient d'etre contraint de renver- ser son gouverneitient en ftice de I'etranger ! Pouvait-on songer alors a un autre interet que la guerre? La convention etait-elle autre chose qu'un general? a-t-elle dii chercher dans la France autre chose que des soldats ? C'est la une transformation que les gouverneniens des long-tems etablis subissent souvent quand I'invasion s'avance ! Les lois du droit commun merae la prevoient. Pouvait-on I'eviter dans ces circonstances dont la gravite ne se reproduira jamais , etau milieu de la dissolution generale? Hon- neur done a qui a sauve le pays ! honte a qui a suscite I'anarchic park trahison ! honte "a qui a refuse de defendrela France contre les coalises ! a qui n'a songe qu'a des interets egoistes, qu'a des privileges personnels quand s'agilait sur le champ de bataille la question de I'integralite du territoire et de la conservation du nom francais ! Pour qui coraprend bien I'histoire, les quatorze mois, connus sons le nom de terreiir, u'ont etc que le developpement de la journee du 10 aoiit, c'est-"a-dire la defense de la revolution con- ti*e les rovalistes amies ou conspirant dans I'ombre , et contre I'aristocratie europeenne. Aux assaillans , il faut le repeter sans cesse , aux assaillans appartient le tort du combal , c'est la quest le grand crime de lese-humanite, que recele touj ours une crise sanglante. Mais nous sommes loin de dire que les torts secon- daires n'aient pas ete partages cntre tons les partis. II ne s'agit pas ici d' examiner leur poriee ni de savoir si la formidable de- fense dela convention a loujours ete en harmonie avec les lois de I'equite. L'histoire pcsera les fautes des Iiommes de fer qui out vaincu la coalition des lois, uiais elle ne pourra manquer d'in- scrire leur nom au uombre des sauveurs de la patrie. Quant "a la question qui nous occupc, il suffit d'avoir etabli que la terreur n'est point le resultat des idees democratiques, mais qn'au con- Iraire elle a surgi des tentativcs conlre-revolutionuaires et de I'in- vasion qui menacait la France. 1 2 POLITIQUE. II faul Ic dire , ceite epithete d'ecole de 95 , si souvent decei- iiee aux di)ctrines democratiques , n'est pas seulemciit errouee, file est eaoore ridicule. 95 traversa d'autres circoiistauces , luais u'eut pas d'autres doctrines que 89. II n'y eut pas pendant cette tourniente de nouveau symbole. L'egalite , la sympathie pour riiumanilc , sans distinction de classes , appartiennent a la re- volution tout entiere , et nonpas a Tune de ses phases; c'est "a leur trouver un mode d' application que la France a consacre qua- rante anuees ; et , chose remarquable, la Montague scule, absorbee par le combat, n'a pas fourni son contingent a ce travail. Son utopie, a elle, a ete ajournee a la paix, et n'a jamais recu sa reali- sation. A peine, comme curiosite historique , pouvons-nous la chercher dans quelquesdiscoursde Robespierre, erapreints d'une philosophie mystique assez elevee , et dans un ecrit ou Saint- Just parait trop preoccupc de I'antiquite pour songer serieuse- meiif a coiistilucr son pays. Quant aux violences , alors comme de nos jours , elles n'ont ete formulees en doctrine par personne. Consequence rigoureuse d'ime guerre acharnee, le fait revolutionnaire n'a ete considere par qui que ce soit coiame le beau ideal d'nn gouvernement regulier. Divises sur le point de savoir quand et comment de- vait se terminer la crise , les conventionnels etaient du moins d'accord sur ce point qu'il fallait en sortir le plus tot possible. Ceuxmemequi employaicnl avcc le plus de vigueur les amies dont cette sanglante transition reclamalt I'usage auraient fremi si on la lenr cut montreo comme ui\ etat permanent , assielte hi- (li;u,se dn peuple Irancais. Le supplice de Chaumette ct d'He- bert en est la preuve. 11 faut done, sous tons les rapports , rele- guer I'ecole de 95 au nombre des non-sens , car nul ne saurait inontrer le corps de doctrines dont on pretend connaitre un si grand nombre d'adeptes. Mais, dans I'impossibilite de soutenir cette a!)surde lantoine, nu essaie, "a defaul dc nos doctrines, d'incnlper nos sympathies. On s'empare des avcux des palriotcs , ot parce qn'ils nc veulent SUR LES PRETENDUES DOCTRINES DE 93. l3 effacer aiicune epoque de nos annales on les transfornic en ad- ralrateurs excliisifs de la terreur. Ce deplorable al)iis de mots ii'est pas rare, et , qui plus est, il trouve encore des dupes. Uu journal bien conuu ose merae, aux applaud issemens des badauds, diviser les republicains d'aujourd'hniengirondins et en niouta- gnards, et declarer que les derniers sont seuls consequens, par- ce que la violence est necessaire pour faire de la France une re- publique. C'est cependant chose etrange que de vouloir associer des hommes aux passions dune epoque qn'ils n'ont point vue ! Au- tant vaadrait chercher parmi nous des Guelfes et des Gibelins ; ou nous contraindre knous prononcer entreMazarinet la Fronde! Mais aucune absurdite ne coiite aux defenseurs des privileges , et celle-la n'cstpas plus grossiere que beaucoup d'autres. Disons-le cependant, puisqu'il est besoin de le dire, lesadnii- rateurs exclusifs de la Montagne sont encore une chiniere, creee par les retrogrades ; nous sommes, quanta nous, admirateurs de la revolution tout entiere ; nous trouvons ce grand njouve- ment digne de notre enthousiasme, parce qu il etait utile dans tout son ensemble, etnous comprenonsque, si la Montagne avail recule devant sa terrible mission, la cause du progres aurait etc perdue. Mais, par cela merae que Ton etudie aussi largement I'histoire, on ne saurait s'affilier par la pensee a aucune faction du passe. Et, en effet, parmi les hommes sinceres qui se sontassocies a notre regeneration, si beaucoup se sont trompes ; s'ils se soul attaques autrefois et detestes outre mesure ; s'ils ne se sont pas compris entre eux , en sont-ils moins digues destime aux yeux de notre generation qui partage leurs sentimens les plus generaux, sans entrer dans leurs passions d'un jour? Est-il , excepte la faction qui defendait les privileges par egoisme, est-il un gioupe d'hommes, formant parti, qui n'ait ete mu par le desir de servir la cause publique? Constitutionnels , girondins, mon- tagnards , tons out eu leur tems, tons out eu leur part au ' l4 POLITIQUE. progres, loiis out mis la main axi grand ceuvre, el tons aiissi ont commis des fautes, parce que chacun d'enx ne pouvait voir et ne voyait qu'un coin du grand tableau, que I'avenir seul, de son large pointde vnc, pourra embrasser dans son ensemble. Nousles jugeons, nous, mais nous ne preuons pas parti entre eiix. Nous coniprenons les constitutionnels s'elancant dans I'arene avec I'amour du bien public et I'enthousiasme deslumieres phi- losophiqnes ; essayant, sans experience des faits, une ceuvre sociale que le terns pouvait seid acbever , et s'indignant contre ceux qui doutaient de leur cbel-d'reuvre et voyaient un rouage dangereux dans une royaute antipathique et mensongere. Nous compi-enons lem- confiance malbeureuse dans les sermeiis de cette royaute qu'ils ont pu detruire, et qu'un vieux respect traditionnel leur a fait conserver. Nous comprenons les girondins, philosophes plus jeunes et plus bourgeois, tirant les conclusions logiques de Treuvre de leurs devanciers, et , qiiand le trone refuse de defendre la nation , renversant le troue pour assurer le salut public ; nons les com- prenons lorsque, tout entiers aux tbeories , ils semeprennent sui les eveuemens , et esperent vaincre toutes les difficultes par la puissance de leurs principes, se separant avec inie imprudente legerete d'hommcs d'action dont les patriotiques coleres leur pa- raissent pen philosophiques , et dont I'aspoct annonce plutot le corabattant echauffe que le legislateur drape a I'antique. Nous comprenons aussi les montagnards; parli energique qui, seul, n'a jamais desespere du pays. Cest meme avec un verita- ble orgueil national que nous etudions , dans leur bistoire , les ressources que produit le desespoir d'une grande nation. Admi- rable spectacle, en cft'et, que celui de ces bomnies tour a tour vaincus ou vainqueurs, mais refusant inebranlablement de tran- siger avec les cnnerais de la France et de la civilisation ! de ces hommes,qui, sorlis du peuple, n' out jamais desavoueleurorigine et qui, au contraire, en faisant passer I'egalite dans les mreurs, out fonde le principe de notre iiouveau droit social sur une base SUR LES PRETENDUES DOCTRINES DE 93. l5 indesu-uctible ! de ces hommes, eii un mot, qui ont sauve If pajfs aux depens de leur repos, de leur vie , de leuv renomniee merae! Admirable spectacle, surlout, que celui du petit groupe de republicains ardens et incorruptibles serres autour de Robes- pierre; detestant Uanarchie et osant s'en servir ; aimantrordre et sachant le sacrifier momentanement pour conqiierir la liberte ; avides seuleraeiit de reiinir ces deux grands biens d'lin peuple civilise et de les asseoir sur la vertu ! • C'est assez dire que pour nous la revolution a est pas dans tel ou tel parti , dans telle on telle periode de terns , dans telle ou telle forme positive. Elle est dans un petit norabre de principes reconnus aujourd'hui de tons : dans I'amour du peuple , dans la conscience energique du droit et des devoirs de chacun , et dans la gloire de la France , non pas conquerante, mais civilisalrice et placee, quoi qu'on en disc, a la tete de cette grande pro- pagande des idees qui labourera le monde ! Aussi notre vive sympathie pour notre regeneration sociale ne peut-elle pas nous detourner de la plus rigide impartialite. L'hommage que nous rendons k la stoique vertu de Saint-Just n'a rien d'ou- trageant pour Bailly , marchant an supplice ; non plus que les eloges decernes par nous au sage maire de Paris ne sauraient laver "a nos yeux le sang verse par la loi marliale au Champ-de- Mars ! Et ou se refugierait done I'impartialite si elle desertait ja- mais le doraaine de Thistoire? — C'est la surtout qu'elle peut dire la verite "a tous sans nuire a des interets vivans , sans en- traver Telan de passions genereuses ; c'est la qu'elle ne se rap- proche jamais du genre de moderantisme couard, on, faute d'impulsion forte, se plongentles partis du milieu! Et voila ce qui rend si ridicules les accusations portees coutre ceux qui cherchent la vertu et la gloire dans tous les terns, et qui saventlesreconnaitrememe souslatoge duprocousul. Certes de ce que nous ne voyons pas dans les eveneraens taut con- troverses de la terrour une boucherie de cannibales , una orgie de demagogues ivres , un etrange engouement de crimes, la ca- l6 POLITIQUE. loninie sculc pent conclure que nous aimons, pour ellos-memes, la dictature populairo qui fut alors le seul gouveruement jiossi- ble ; ranarcliie qui se substitua aux forces sociales regulieres , mortes d'atonie; ct la violence, unique nioyen d'action de cette conflagration unique dans Thistoire. Nous le declarons haiite- ment, ce sont Ih choses mauvaises et tres-mauvaises. Seulement nous ne croyons pas avoir le droit de fletrir nos aines comme des criminels , pour avoir prefere ces fleaux a un fleau plus abomi- nable encore : a I'invasion etrangere , denierabrant nos provinces et refoulant la France loin en arriere des progres accomplis! C'est la un choix qu'on pent avouer , et quaud il a ete suivi du triomphe de la revolution et de la delivrance dn territoire, c'est la lui choix , pourquoi ne le dirions-nous pas , qu'on pent ad- mirer ! Voila , sans doute, des explications surabondantes sur les pre- tendues doctrines de 95 et sur lepretendu enthousiasme exclusii" que la terreur inspire aux democrates. En pareille matiere, on ne peut craindre que d'avoir raison jusqu'a la trivialite. II nous reste cependant a combattre un dernier mode d'accusa- tion. La democratic, dit-on, c'est la terreur meme, et les pa- triotes modernes y tomberaient malgre eux comme out fait leurs devanciers. II faut I'avouer, la refutation de cette assertion preseute une difficulte ; c'est que nous y voyons seulement une assertion ; ses auteurs , il est vrai , la repetent depuis quarante annees , mais sans I'enlourer de preuves , et par consequent elle semble appeler plutot une denegation qu'un examen serieux. Voulait-on, sous la dynaslie dechue, ameliorer la loi eleclorale, diminuer les im- pots, liberer la pressc, une nuee de courtisans de tribune ou de journaux faisaient aussitot retentir sur tous les tons ces mots faritastiques de 95 et de terreur! La meme jonglerie s'est repro- duite depuis deux ans. An reste , I'invention de toute cette pro- sopopee n'appartient pas plus aux carlistes qu'aux doctrinaires : un senaleur complaisant ne s'ecriait-il pas, en i807 ou 1808, SUR LES PRETENDUES DOCTRINKS DE 9.3. I'J lre aujourd'hui-, nous n'en avons pas vu en juillet 1830-, nous n'en trouverions pas demaiii si la revolution, degagee des langes doc- trinaires, reprenait sa marclie triomphale , si admirablemenl commencee et si soudainenient interrompue. D'ailleurs on sail mieux ou Ton va apres quarante ans de guerre qu'au premier coup de fusil. Beaucoup de choses nous inspirent tout au plus du mepris, qui excitaient a bon droit I'indignation de nos peres. La destruction destitres, parexemple, a ete alors un grave evenement ; qui de nous, en ]So2 , voudrait au contraire se donnor la peine d'cfrancM- I'article de la charte qui les retablit /* '*.}. POLlTlQUt Les privilegies de 1792 se hattaieut pour les debris feodaux de leur vieille moiiarchie ; vainqueurs il y quatre ans , a peine oiU-ils sii comment s'y prendre pour atlaquer I'ordre nouveau, et si ce n'etait la loi d'aiiiesse , ils n'auraieiit pas meme fait le premier pas dans cette carriere de reconstruction oii ils temoi- guaieut taut d'ardeur a entrer. La democratie , sanf quelques anomalies, vil dans nos codes ; elle est la base de nos mceurs ; c'est la tont ce que nous avons gagne k notre premiere revolu- tioii , et c'est la ce que nuns saurons defendre , car sur ce point capital nous avons pour nous la possession , et nous reclamons seulement des garanties pour la conservation de nos conqueles contre les attaques du passe. Mais ce passe , qui n'a pas su se maintenir , quelle force voulez-vous qu'il trouve pour nous assaillir ? Ne s'est-il pas , sur presque tons les points, avoue battu? N'a-t-il pas use de la liiierle de la presse ? u'a-t-il pas, quand il etait blesse , reclame I'egalite des droits ? ne s'est-il pas fait tri- bun et opposant ? n'esl-il pas reduit , pour faire quelques dupes, a se desavouer lui-meme? Qu'on lise les ecrivains de I'ecole de la Gazette , on merae les fougueux aristocrates de la Quotidienne , et Ton verra ce que sont devenus les privilegies ! Pauvres gens, ilsont voulu se servir de uosarraes , et ils s'y sont blesses mortellement. Droit diviu , puissance aristocratique , je- suites, parii pretre, ils ont tout denie, priiicipes etamis. Et cette liberte qu'ils iuvoquent comme nous contre une police absurde, ils ne seiileiit pas que, par leur invocation meme, ils lui rendent leplus bel hounuage, puisqu ils sont obliges de la regarder comme la protectrice de scs eunemisraemes, quand ils sont opprimes. Ils sont loin du jour ou le prince de Conde appelait hautement les genlilhommesa venir le joiudredans Iccamp ennemi. Contraiuls a balbutier le mot d'honneur national , ils desavouent en public I'iiivasion , qu'ils appellent tout bas ; et si beaucoup d'entre eux iraient encore avec joie saluer Henri V roi , dans le camp des cosaques , d n en esl presque jikis qui osassent avouer leur haine SUR LES PRETENDUES DOCTRINES DK gS. 23 (III pays et leur propension pom- retranger. Qu'ils iiiarchejit en- core quelque terns dans cette voie, el bientot, exceple I habi- tude de rintrigue , on iie reconnaitra plus leius trails caracteris- tiques. Un parti, encore naguere si fier, se troiivera reduit a quelques cyniques rheleurs et aquelques broiiillons sans energie. Avantde parlerde lerreur, qu'on nous raontre done qui soutien- dra contre nous la lutte de 95? Carlisies et doctrinaires reunis ne sont pas assez forts seulement pour en concevoir la pensee. Ah ! sans doute , si cette faible niinorite se reunissait a I'e- tranger pourattaquer la revolution , nous saurionsnous defendre avec vigueur, et nous ne reculerionsdevant aucune mesure pre- scrite par la necessite. Mais , serait-il besoin puur cela d'entrer dans les erreinens de la lerreur ? Les enneinis interieurs sonl-ils comme alors cantonnes partout , et partout prets k nous livrer ? N'avons-nous pas an contraire plus d'arais chez I'etranger que Tabsolutisme n'a d'amis chez nous? La guerre de destruction que I'Europe n'a pas craint de nous faire n'a pu , lors de la premiere invasion, etre soutenue que par I'energie du desespoir. Aujourd'hui, an contraire, en rendant coup pour coup, nous avons le moyen de faire aux assaillansdedouloureuies blessures. Que les rois mettent, s'ils I'osent, les deux principes en pre- sence. Un million de baionnettes ne parviendront pas a faire aimer Tabsolutisme aux Francais, et nous verrons ce que fera sur I'Europe preparee a une regeneration le cri de liberie pousse dans nos rangs, et I'aspect des couleurs qui doiveul faire le tour du raonde. D'ailleurs, on comprend generalenient de nos jours la diffe- rence qui separe un gouvernement regulier dcs necessitcs d'un lems d'orage. Que les circoustauces devienneut nieiiacanles et nul ne reculera devanl la creation dune dictature civile puis- sante. On ne voudra pas , coiinue nos peres , marier deux ex- tremes, et conserver le iiom de lepublique au despotisnie le plus concentre qui fut jamais. Si I'on est oblige d'avoir recours a la puissance d'une impulsion extra- legale, on n'cssaiera pas de 24 POLITIQUE. rassiniiler ail droit atnimuii. Oa niarchera avec franchise dans la voie du salut public, sans se refngier sous des lextes , et en sachant bien que la tache de salisfaire anx besoins d'une telle position ne pent L'lre acceptec que par nn devouement absolu, qui donne sa tete et son honneur pour gage d'nn moment d'au- torite sans frein. Supposez, en 93, I'exisience d'une semblable dictatnre, et demandez- vons s'il eni ete besoin de taut de violences pour alteindre le but : les inmunses moyens, alors reunis, fussent avec raoins d'efforts devenus invincibles, si une salntaire concentration eiit enipeche leur dissemina- tion dans niie fonle de mouveracns sans objet;, et de secousses anarchiqucs. La peur du mot a rendu la chose plus terrible : mais aujourd'hui nous n'avons pas peur des mots , et nous sommes disposes a accepter dans toute leur latitude les moyens qui condnisent h nue fin juste et utile. Aussi avons-nous peine k comprendre les chicanes d'ordre legal mesquin dont on nous etourdit chaqne jour en violant les lois les plus sacrees , non-seuleraent du pays , mais de Thumanite menie. Ce n'est pas, par exemple , Tillegalite de I'etat de siege qui a fait bonillonner notre sang an 7 juin. C'est ce combat prolouge quand il n'y avait plus de combattans ; c'est ce desir avide dxi sang de prisonniers rcduits a rimpossibilitede nuire, c'est I'escobarderie qui essayait lie traduiie un coup d'etat en droit connnun , et de glisser I'ar- bitraire dans la constitution qui le repousse ! C'est la ce qui con- •■tittie a nos yeux I'attenrat du 7 juin. En effet, I'usurpation de la dictatnre pour sauver le pays pent etie nn acte digne d'es - time, s'il est neccssaire , indispensable; dans toute autre circon- slance , c'est le crime le plus odieux , car c'est le seul crime qui l)0uleverse de fond en combte I'ordre social s'il n'est suivi d'un chatiment prompt et terrible ! An reste, bien d'autres considerations ponrraient demonlrer que les modernes patrlotes lu; sauraient recommencer 95. Outre que les circonstances ne sont pas los menus, outre que le parti retrograde a change de (ace , ropinion natimiale s'est SlIR LKS PRETENDUES DOCTRINES DK g3 . 2% puissamment niodifiee elle-merae. Quoique nous acceptions avec orgueil I'heritage des patrioles de 89, doiit nous avons pour mission de realiser les piincipes et d'achever les travaux ; quoi- que leur cause soit devenue la notre ; quoique nous partagions leurs sympathies populaires, nous sommes parvenus a une phase dilferente du developperaeut de I'humanite, qui nous presente certains objets sous des faces nouvelles , et qui nous eloigne, quoique partis du meme principe, de continuer leurs idees sous tons les rapports. Nous deplorons certaines exagerations de ces terns oil la liberie s'ignorait encore, et ou Ton marchait a la con- quete de resultats philosophiques avec une brusquerie de raou- vcmens qui ferait doutcr si Ion ne prenait pas les hommes pour de simples abstractions. On pent etre, a. notre cpoque, plus de- mocrate que Saint-Just a la fois et moins anarchiste que Charles Lameth , parce que depuis eux les esprits out niarche. De noni- breux desappointemens et de cruelles experiences nous ont mis forceraent face a face avec les fails. Aussi probes que nos devan.- ciers, mais vieillispar les lecoiis qu'il nous ont transmises, nous ne pouvons pas porter dans les affaires la meme candeur. S'i! en etait autrcnient,le progres ne serait qu'un vain mot/et Ic genre humain, immobile dans son ignorance premiere, ne tirerait au- cun fruit des revolutions. Ce qui distingue surtout notre epoque de 89, c'est qu'alors, en politique (3omrae en religion, coinme en philosophic, la route du Viji etait obstruee d'un foule de prejuges, de rites,, d'institu- lions bizarres, oppressifs, caducs, qu'il falbiit avant tout detruire. Mais, en deblayant ces vieux debris, on devait leur attacher invo- lontairement trop d'iniportance et perdre, dans le combat, la conscience du but a alteindre. Aussi une foule d'hommes de ctpur et de talent acccptaient-ils avec fougiu; et passion la tache destructive qui appartenait a leur lenis, sans meme snnger a la reconstruction future de TedirKx-. U devait en etre ainsi , car si ces honmies avaient compris que leur role etait celiii de la hache du dcmolisseur, il iic rcusscnl point renipli nvcc- amour et dc- 26 POLITIQUE. voiiement, el ils n'eusseiit pas, comme ils Font fait, aplani et batlii en tons sens le terrain siir lequel I'avenir viendra s'as- seoir. Mais nous, qui avons le bonhenr de tronver, a notre entree dans le nionde, le sol rafferml et egalise, comment nous laisse- rions-nons eiUrainer a la fureur de detruire? comment peut-on en temoigner la crainte? Notre voeu, au contraire, n'est-il pas de constituer cette democratie qui, en depit de pretentions ridi- cules, a seule resiste a Forage. Et que pourrions-nous convoiter qui soil digne de notre envie? Titres, digniles, majeste royale , ne sont-elles pas choses (rop bien mortes pour que leur ombre doive exciter la terreuron la colerePSur toutes les questions revo- lutionnaires, ii faut qu'on le sacLe, nous sommes au contraire sur la defensive; ce nest que pour assurer les couquetes du passe que nous continuous la lutle, et certes nous avons hate d'en sortir, pour nous livrer a I'etude d'un avenir eloigne qui aura aussi ses progres. Otez done du moment present la terrible ques- tion de la guerre etrangere , soutenue par un gouvernement in- capable et pusillanirae, et nous en serous presque a dedaigner les querelles du present, taut leur solution nous parait facile et ine- vitable, et tant les retrogrades nous paraisseiit peu "a redouter ! Deja, jeunes encore, nous avons perdu nos plus belles annees a d(';fendre pied a pied des iuterets conquis par nos peres : nous sommes las de cet eternel combat au milieu d'un cercle vicieux trace par les horaraes du passe. Souveraiuete du peuple , fondee sur I'egalite de nature de rhomme; liberies assurees par la loi ; droit coinmuu , regie de la couduite de tons et refuge pour tons, quand ils sont leses; concours de tons a la formation de la loi ; enfin traduction politique dans le monde positif de la frater- nite chrctienne, promise dans Tautre vie; ce sont la des ques- tions desormais resolues. Sur tons ces points il y a pour ainsi dire [)rescription et chose jugee. Le passe essayerait en vain de les entamer encore. La restauration a du lui prouver qu'il y est impuissanl. Sim LES PRETENDUES DOCTRINES DE gS. 27 A nous done la tache de preparer I'avenir ! dussent nos elforts etrevains, c'est la mission que nous devons accepter si nous vou- lons etre utiles. Appuyes sur la loi du progres , forts d'une sym- pathie sincere pour rhumanile , c'est k travailler pour Tiiiteret du grand noinbre que nous devons passer nos veilles. Lois, edu- cation, arts, mceurs, prejuges, tout est a examiner, h etudier, a reconstruire dans cetinteret nouA'cau. Et c'est la la preoccupa- tion pacifique de notre jeunesse, qu'on se plait a ripresenter conmie si turhulente, et si empreinte de passions qui n'existent plus! Puisse la tourmente politique, en s'apaisant, nous laisser tout entiers a ces etudes d'avenir, qui ont seules du cliarme, jusqu'au moment oii le vieux moude fera taire ses rancunes pour contempler le proletariat , marcLant a son tour a la conquete de droits meconnus et sacres ! Nous nous sommes laisse entrainer loin des sopliismes don I nous nous etions propose la refutation. Concluons, poury reve- nir, que les prosopopees de 95 n'ont ete jetees an milieu de de- bats serieux que pour eviter d'aborder avec franchise des ques- tions sur lesquelles la rhetorique du passe etait impuissante. Concluons que, reconnaissans des travaux accomplis par nos peres , nous ne pouvous songer "a les imiter, parce que nous n'a- vons ni les memes interets, ni les memes devoirs , ni les memes passions. Concluons , enfin , que les idees democratiques ne peuvent pas de nos jours conduire a, la violence, parce que no- tre vicloire est trop complete et trop decisive pour nous laisser des ennemis bien serieux : et quant a la question sociale qui deja s'agite, elle n'est encore qu'a se poser et n'aura pas de long- tems scs heros, ses fanatiques et ses martyrs. Ar.HiLLE Roche. 28 POMTI^UE. DE L'INFLUENCE DE LA DECLARATION DE LA DIETE GERMANIQUE SUR L'ALLEMAGNE. Un des plus graves evenemensque la politique ait procUiits de iins joui-S vieiit de se passer an sein de 1' Allemagiie. Le despotisme, jelant le masque, fait la declaration solennelle de ses priucipes , ct par Torgane de la diele gerinanique annonce hauteinent a rAllemagne inoderue quels sont ses pretentions et ses projets. Ce serait sans doute se iroinper ctrangenient que de penser que cet evenement touche uniquement "a I'existeuce de rAllemagne, et n'est pas dans i\n rapport intime avec la France; depuis que les principes dc la philosophie du dix-huiticmc siecle sont dcvenus le domaine de loutes les nations europecnnes, tontes les nations n'ont plus fait qu'un seul corps ; I'Europe est la grande nation dont les royaumes sont les provinces. II est done bien evi • dent, pour tout esprit serieux et reilechi, qn'il s'agit aujourd'hui de la destinee du dix-neuviemc siecle que deux grands partis se disputent, et que si la revolution de juilletet la reforrae deFAn- gleterre sont des declarations de l:i puissance libende, le decret de la diete de Fraucfort est le resume de la repouse que les rois s'appretent a fairc. La menace plane sur nous tons, et il n'est pcrmis a personne de detuuruer les yeux du danger, afin de s'endormir plus tranquille. La diete de Fraucfort voudrait metlre aujourd'hui rAllema- gne dans un etat semblable "a celui oii ellc lut placee par I'acte liiial de Vienne, en 1819, et par les resolutions des congres de Carlsbad , deTroppau , de Laybacli ct de Verone. La presse fran- caise qui, a celte epoque, s'ctail moulree si fidele a la cause de la liberie gencrale, ne I'a point abandounee aujourd'hui que ies circoustauces sont plus graves encore , et, generc'iscment soute- DE LA DECLARATION I)E LA DIliTE. ■?.() riue par la presse tie rAngleterre, elle a jiisleuieiii lletri , sous les coups de son iudiguation et de sa colere , I'acte de vandalisme de Francfort. Mais jusqu'ici sa pensee n a point pris un caraclcie plus precis , et elle est deraeuree en dehors de I'etude posi- tive des evenemens qui se preparent, et dont la prevision reside tout entiere dans I'appreciation de I'etat inlerieur de rAUenia- gne. Bien des voix se sont ecriees que, par Tordonnaiice de Franc- fort, I'Allemagne etait raise dans la meme situalion que la Frai;ce par les ordonnances de juillet, et qu elle devait savoii- conquerir a son tour sa position parmi les peuples , ou s'attendre h retombor sous une servitude plus pesante encore que celle qui I'accable. Sans doule cette opinion est fondee, le decret decide de I'avenir de TAllemagne, et Ton pent meme regarder son importance corame plusgrande que celle du decret de Charles X; en juillet, c' etait un seul prince qui se raettait arbilraireraent en avant, c'c- tait un de ces eclairs precurseurs qui eclatent a I'horizon sous un ciel serein, et dont on n'apercoit pas les relations et I'eutourage: aujourd'hui touie la ligne des princes se deploie sur la scene po- litique, leur banniere est levee, et il font savoir "a lEurope quel est le droit public d'apres lequel ils entendent regler le sort des peuples. Les nations qui se flattaient de Tespoir que la derniere revolution de la France aurait servi d'enselgneraent aux rois, et leur aurait appris a sacrifier sagcment a la necessite des tems quelques-uns des dognies du catechisme monarchique, les na- tions peuvent voir aujourd'hui que la ligue des souverains n'a rien perdu ni de ses principes ni de ses antipathies, et que I'exemple de deux grandes nations constitutionelles n'a fait que les confirmer encore davantage dans leur tenacite et dans leur arrogance. Le parallele entre les ordonnances de Charles X et les ordonnan- ces de la diete est done certfiinement bien foude s'il ne s'agit que de rimportance de la mesure ; et sans doute aussi , nous en avons la ferme conviction , il est permis de suivre le parallele sur une etendue plusgrande, et de predirc pour les mouvemens qui doi- JO POLITIQUE. vent nallrc les nieines consequences finales. Mais ce serait se nie- prendre etrangement sur la position raaterielle et le caractere in- tellectuel de TAllemagne que de penser qii'il n'y ait pour elle d'antrc alternative que celle d'une insurrection vigoureiiSe on d'une lache soumission. Certes, il n'y a place aujourd'hui ni pour I'inerlie ni pour la patience; mais si jamais I'eniploi d'une se- rieuse reflexion est chose utile et necessaire, c'estici, car de la muindre imprudence pourrait naitre une longue detresse. Cette prevovance est d'autant plus necessaire "a I'Allemagne que I'ex- perience peut lui inontrer avec quelle certitude il faut compter sur la main voisine d'un ami , .et combien, avant de rien entre- prendre, il lui faut s'assmer de sa propre force et de ses propres moyens. C'est pour la premiere fois qu'elle se voil appelee a un essai dans une carriere dont I'idee ne lui est meme pas encore fa- niiliere, et cet essai est une revolution capitale, car il doit clore la carriere. Point dexemple qui puisse la guider dans cette route nouvelle : la France repose sur une base trop differente par ses antecedens, ses habitudes, son caractere, pour qu'elle puisse son- ger a Tiuiiier ; TAngk-terre est souteuue par une longue pratique de ses droits, et d'aillcurs sa position aristocratique et populaire la tranche par trop de tout le resle pour qu'on puisse y chercher des analogues. L'Allemagne est done reduite "a sa propre force et a sa propre intelligence ; et son genie politique qui ue fait que de naitre est reduit a creer pour son debut une tac- tique inlerieure toute nouvelle. Mais quels seront les elemens dont elle peut disposer pour ses combinaisons, les moyens qui sont a son ordre pour executer le mouvement? Voilk ou est au- jourd'hui la question, et Ton ae peut y repondre qu'en s'ap- puyant sur une sage appreciation de I'ljtaUpcial des peuples ger- maniques, tel que Tout fait les principaux evenemens de nos jours. C'est done surtout sur la declaration de Francfort qu'il convient d'insister; car, etaut par elle- meme la cause provoca- irice des mouvemens qui vont suivre , c'est autour d'elle que lout le reste doit venir se grouper, et c'est en balancant avec DE LA DECLARATION DE LA DIETK. 3 1 5oin son but et son influence que I'on pent arriver a comprendre quelles sont ses chances de renssite et ses chances de defaite. Cette declaration est un fait trop grave pour etre un anneau isole de cette chaine politique qui , depuis le congres de Vienne, s'est derouleeavec una siincroyable rapidite; les principes qui lui servenlde base en effet sont les memesque cenx qui motiverent ce famenx actede Vienne, que ses anteurs avaient nomine final, dans leur chimerique espoir d'avoir enfin consomme I'acle de despotisme paternellement prepare par eux pour le bonheur des peuples , et qu'aujourd'hui encore ils encensent avec une soUicitude pleine d'amour, se plaisant a le recompenser, par de nouveaux perfec- tionnemens, de n'avoir point entierement tronipe leur premiere altente. C'estpar un large systeme d'interpretation des principes etablis en 1819 qu'on est arrive logiquement aux dernieres con- sequences proclamees aujourd'hui. Tons les pouvoirs, avait-on dit alors, devant rester reunis dans le chef de I'etat, lesouverain ne doitetreastreinta la cooperation des chambres que pourTexer- cice de certains droits. Le principe deraocratique dans toute sa purete etant aiusi pose en premiere ligne , la determination des certains droits lui demeurait entierement subordon nee, et n'avait d'autrereglequerarbitrairemonarchique.C'est en vertudeces cer- tains droits laisses au peuple par la constitution que Ton declare aujourd'hui quelesetats ne peuvent en aucun cas refuser les im- pots, que I'initiatlve ne leur appartientpas, et que leurs discus- sions enfin doivent etre surveillees par une commission de la diete. Rien n'empeche que demain , en suivant le cours de cette logique si degagee dans sa marche, on ne vienne k etablir que la convocation descharabrqs depend entierement de la volonie du prince; et alors , tout en demeurant fidele ala direction supreme de I'acte hnal , on arriverait avant pen , I'ordre de choses no s'y opposant pas, a mettre les etats constitutionnels dans la inenie position que lesanciens elats-generaux de la France; et sansdoute aussi couvoques lot on tard pour mettre fin aux embarras finan- ciers, lis sauraient comiue ceux de la France reprendre leur droit '^2 POLITIQUE. u rccueillir ces moissons prccieuses qui out puissammcnt contribuc a iavoiiser son extension et a accroitre son cspecc. DE l'hOMME ET DES RACES PERDUES. ']3 Oui , si Ton veut bien y faire attention , on vena que tout se lient dans la nature, que tout s'encliaiiie d'unemauicre si elroite, qu'il suflit pour concevoir les phenomenes particuliers d'avoir saisi les liens generaux qui les unisseiit aux plieuomenes de I'en- semble. Puissent ces reflexions avoir servi a faire sentir que les effets, en apparence les plus singuliers, peu vent tres bien avoir ete pro- duits par les causes les plus simples. Tout ce qui s'est passe sur notre terre, que nous avons tant d'interet a bien connaitre, n'a ete qu'une suite necessaire de son mode de formation, et en quelque sorte la consequence de la destinee des habitans quelle a successivement recus. Si I'liomme a modifie cetle destinee, c'est que son interet a contraint sa volonte , et cet interet merae Ta porte a embellir cette terre qui fiit son berceau, jaloux qu'il etait d'ylaisser quelques traces de son Industrie, de ses peines^ de ses plaisirs, en un mot de sa vie si courte et si rapide. Marcel de Serues. VOYAGES. LES SAMNITES ANCIENS ET LES SAMNITES MODERNES. rR.\CME.\S DUN VOYAGF. IMEOIT UAKS LES r>EUX-SlClLES. La province de Molise est rantique Samniimi. C'est Tune des contrees les plus negligees et les moins connues du royaunie de Naples. Resserree entre laPouille et I'Abruzze, coupee en deux par le fleuveBiferno, elle est dorainee d'un cote par la formidable chaine du Matese, baignee de I'autre par la mer Adriatique, C'est un sol ingrat, quoique le Matese soit de formation volca- nique. Bien qu'eteint depuis des siecles sans date, son antique puissance se revele encore par de frequens tremblemens de terre. De Ik vient a cette province le nom terrible de terra tremente , terre tremblante, que Tepouvante lui a donne. C'est la, dans cet etroit espace de montagnes, sur ces rocbers nus, dans ces plaines labourees par tant de catastrophes natu- relles, que nacqiiit, grandit et mourut la confederation republi- caine des Saranites. Endurcis comme les Suisses modernes par line apre nature, seuls ils tiurent tete a Rome, et, vrais guerillas de I'antiquite, soulinrent pendant cent ans, sans armee, sans al- lies, sans chefs, comme ils le dirent eux-memes h Annibal , la lutte glorieuse de I'iudependance italienne contre la centralisa- tion romaine. Avec eux perit tout ce qui restait de uationalite , d'iudividualite dans la peninsule antique ; la conquete devo- raute ne irouva plus de digues ; elle deborda de toutes parts , et Ic grand niveau passa de la terre italiqueauxroyaumeslointains. LES SAMNITES ANCIEJSS ET MODERNES. 7^) La chute dela federation samnite fiit pour I'ltalie ce que fut plus tard pour la Grece la dissolution de la ligue acheenne. Nous ne connaissons le grand drame de la resistance des .Sam- nites que par Tite-Live, c'est-a-dire que nous le connai.jsons mal, car les legions romaines n'y jouent pas toujours le beau role, temoin les Fourclies Caudines, et le complaisant, le roma- nesque historiographe des victoires et conquetes de I'empire ro- raain a soin de rejeter dans I'oaibre ses defaites. II faut un nier- veilleux instinct du vrai , un tact d'historien prodi|^usenieut aiguise pour demeler la verite a travers ses riantes fables, et ren- dre a chacun selon ses ceuvres. P^cevictis! La posterite n'est pas plus juste pour eux que le present; la philosophic du succes est encore la philosophic de Thistoire ; la caloranie ou le silence poursuit les vaincus dans I'avenir et s'assied sur leur tombe. Niebuhr, cet audacieux prophete du passe, a tente un grand acte de justice en reconstruisant I'histoire des peuples italiens, non plus sur la parole des trioniphateurs, mais sur les monumens du vaincu. II a eleve aux victimes lui inaguifique trophee. L'an- tiquiteest sortie tout armee de sa tete puissante ; il semble, nou- veau Jupiter, I'avoir tiree du neant, ct le monde, etourdi, ebloui de cette creation uouvelle, doute encore et n'y peut croire. M. Michelet, savant profond et sincere, semble avoir mission chez nous de continuer I'ceuvre reparatrice. Je ne sais quelles; sources ignorees, quels documeus inconnus lavenir promet a la science historique ; mais si jamais il etait donne h quelque maia forte et savante d' exhumer tous ces ages norts, de leur rendre a tous la vie de maniere a tracer un tableau complet de cette longue lutte de Fancienue Italic contre Rome, ce serait Ik un monument dela plus haute portee : mais les difiicultes sont telles que le genie et le tems pourraient bien n'y pas suffire. Plein done de la gloire des vieux Samnites, et de ces males souvenirs qui me vont toujours au coeur et "a qui je rends partout \\n culte, j'allai chercher la tombe des forts dans I'antique Sani- uiinn, apres avoir evoque I'ombre de Spartacus dans les forets de 76 VOYAGES. la Lucanie, celle dii Sicaniea Deucetius siu- les montagnes ) out tue mon pere , a moi les Albanais ! — Plusieurs me suivi- )) rent, et nous nous mimes en campagne. M Ce n'etaient pas des lazzaroni cette fois, et la bande prit » peur. Nous baltimes long-teras en vain bois et bruyeres ; Ips » bandits fuyaient devant nous et se cachaient. Cependant il me » fallait venger mon pere, il fallait que ma main versat leur » sang comme la leur avait verse le sien. Uu soir nous les aper- » Climes ; mais ils s'enfuircnt au galop dans I'epaisseur des bois >> et nous echapperent. » Ne pouvant les atteindre , nous resolumes de leur dresser >> une embuscade. Nous nous concertaraes done avec les habi- ;> tans d'Ururi , qui avaient en beaucoup a souffrir d'eux. )) Notre cause etait la leur, ils s'unireut a nous pour les exter- )) miner. » C'etait au mois d'avril ISIS. Nous nous cacharaes dans le » village , et une nuit que le ciel etait noir, les Ururais les atti- » rerent chez eux. La baude vint a cheval et descendit sur la » place. Nous reiitourames et le feu c;>mmenc;i au milieu des LES SAMNITES ANCIENS ET MODERNES. 85 » tenebres. La fusillade se prolongea quelque terns de part ct » d'aulre ; mais rimpatience nous prit, et nous toiubames sur )) eux a coups de couteaux et de baionnettes. Bientot femmcs et » eufans s'eu melercut, chacun voulait etre de la fete. On se battit » presque toute la nuit, et des le matin je poursuivis les debris » de la bande exterminee jusqu'au bout de la Pouille. » Apres cette expedition , je revins a Porta-Cannone. J'etais » satisfait , car j'avais venge mon pere. » Ainsi park Campofreda, pareil au centaure du Dante, qui chassait dans I'enfer ceux Che fecero alle strade tantaguerra (I). Ce qu'il y a d'inoui dans ce grand acte d'insubordination so- ciale , c'est qu'il rcstairapuni , et ne ftit pas meme I'objet d'uuc enqnete. La police eut bien d'abord la velleite d'ouvrir les yeux, mais Tor et les bijoux des Vardarelli , distribues a propos , les lui fermerent. Au fond elle n'etait pas factee d'en etre debarras- see sans qu'il lui en coiitat rien ; car elle-meme n'avait pas rougi de capituler avee eux. Cependant elle n'en voulut pas avoir I'air , et quelques homicides causes "a Ururi par le partage du butin lui fournirent pen apres I'occasion de se venger de sa propre impotence sur les destructeurs des Vardarelli (1). Quant a Campofreda, 11 fut accuse de carbonarisme et mis, en 1821 , sur les listes de prescription ; mais il est rentre en grace et venait d'etre norame inspecteur des eaux et forets. C'est moi qui lui en portal la premiere nouvelle. Voila des falts d'hier. Je les tlens, comme on a pu le voir, de premiere main , et si je ne ies donue pas comme des modeles (1) Enf., ch. XII. (2) II y aurait peut-etre quelque inierei a rapproelicr cet article do la notice sur les Dcux-Sicilcs , inseree preccdrninicnt dan? la Rcmc. ( \ oir le luimcro de juin 1831 ). 86 VOYAGES. a suivre, je les livre tels quels au lecteur. 11 est dur sans dome d'en etre reduit a chercher eii de telles scenes les vestiges de I'antique courage national. Cependant c'est la qu'il semble s'etre refugie; et puis , Tavouerai-je , je trouve jusque dans la ferocite de ces moeurs instinctives et \iolentes je ne sais quelle grandeur sauTage qui etonne et saisit. Quand on songe que tout ceci se passe sous nos yeux et "a nos portes , car enfin I'ltalie touche a la France , c'est a w'y pas croire. Mais tel est cet etonnant royaurae , si merveilleux de beaute , si prodigieux de contrastes , qu'il semble destine a de- router toute idee de progres, et a dementir nos plus cheres espe- rances de civilisation europeenne. Toutefois je ne puis m'empe- cher de voir la des puissances dont I'emploi seul altriste , mais dontla source et le germe sont purs. I^e premier coupable, d'ail- Icurs, quel est-il ? nous I'avons vu ; et il serait facile de deraonlrer que tout le raal d'en bas vient d'en haut? Un gouvernement corrompu est comme ce mancenilier, dont I'ombrage est mortel. Malheur a qui s'y repose ! Ainsi preoccupe de sanglans recits, je ra'acheminai vers Ter- moli qu'une tradition, fondee je ne sais sur quoi, dit avoir servi de retraite a. Platon Charles Didier. i^i^#»^ii^V4^ MUSIQUE. L'EGLISE £T L'OPERA. I! y a quelcjiies auiiees eii France, quand on voiilail designer les grands geniesqni onl illustre I'art mnsical, on nommail Mo- zart, Gluck, Rossini, Beethoven; quelques-nns, fideles a lenrs sonvenirs d'enfance, se hasardaient a citer "a ia snite Gretry , voire menie Dalayrac : uiais sauf qnelques artistts distingues, qnelqucs professeurs erudils, qnelques amateurs d' elite, per- sonne ne se fnt avise de songer a Handel, a Palestrina, ni en ge- neral "a aucun des compositeurs sacres ; et si le nom de Chern- bini on de Lesueur venait a etre prononce, on saluait en eux les auteurs des Deux Journees ou de la Cai^erne; quant a leurs messes, h leur mu&iqne de chapelle, on avait bien entcndu parler de quelque chose de semblable, mais la connaissance en etait re- servee a un petit nonibred'inities. Le discredit etle precaire ou la revolution francaise avait laisse tout ce qui tenait an culte chre- tien avait interditdepuislong-temsa toutesles eglisesl'execution des morceaux de ce genre, et peut-etre n'y avait-il en France que la c'.apelle imperiale, plus tard conservee par les Bourbons, qui piit reunir un nombre suffisant de talens pour rendre ces grandes compositions ; cette enceinte etrnite n'etant d'aiileurs ou- verte qu"a un public rare et privilegie, le gout et la tradition de la rausique sacree devait promptement se perdre , quand meme des raisons plus elevees et plus pereuiptoires n'cussent pas cou- couru an meme resultat. Depuis la rcstauralion, un homme pro- 88 MUSIQUE. foiidemeut insUuit, passionue pour Tart iiuisical , et particulic- romeiit epris des beaviles dc I'aiicienne musique sacree , M. Cihoroii, cntreprit de raviver en France des eludes et des ad- mirations eteintes. Apres de grandes difficultes, il parvint a fon- der son institution de uuisique religieuse, a rassenibler des eleves, a recruter des voix ; il forma, instruisit, disciplina des chreurs nomhreux et puissans, et reussit, chose bien plus diffi- cile, h penetrer ces enfans de Tesprit essentiellement religieux de ces compositions, a faire en un mot de son institution xuie sorle de saiictuaire oii se conscrvaieiit precieusement le parfum des an- ciennes traditions et le sentiment des anciennes beautes. Grace a lui, les amateurs eclaires purenl faire connaissance avec les oeu- Ares jnsque-la ignorees des vieux niaitres , rajeunies apres un long oub'ii par une admircible execution. Des oratorios, des mo- lets, des psaumes, des portions de messes, fnrent entendus a Paris, et le nom de Handel, de Palestrina, deMarcello, fut re- coiiimande aux Parisiens par le charrne de leurs propres souve- nirs. Ce fut une verilable resurrection, et bien que nous ne soyons pas de ceux qui clierchent a exhumer du passe de quoi rajeunir le present, nous regreltons vivemeut que M. Ghoron n'ait pas pu continuer ses concerts ; leur suspension a ete une perte sentie de tons les amis des arts. L'erudition passionnee de M. Ghoron lui avail fait relrouver dans la poussiere des bibliotheques des raorceaux qui, parl'eleva- tion de la peiisee el le caractert; de I'inspiration , pouvaienl souteuir la comparaison avec les productions brillantes et riches d'invention de I'arl moderne. Aussi je m'etonne tonjours qn'on en soil reste la, et que, remontant plus haul dans les fastes de I'arl chretien , on n'ait pas encore rehabilite par une belle execu- tion les beautes naives et sublimes qui gisent enfouies dans le missel de nos eglises, et qui, chaquejonr, prostituees et defigu- rees par la stnpidite liarbare des virtnoses de lutrin , soul enliere- menl deconsiderees pres des musiciens et ue sont generakment re- gardeesque comnied'insipides psalmodies. Pour moi,jele declare l'eglise et l'opera. 89 ici , a mes risques et perils, dusse-je par la ruiner ma reputation aiipres de tous les dilettanti, il est pen de diwiaiiches dans Van- nee on nos eglises ne retentissent de chants qui, sous plusieurs lapports, peuvent soutenir la coraparaison avec les morceaux du style leplus eleve que le Conservatoire ou I'Opera nous aient fait entendre. Si ces beautes sont generalement ignorees ou mecon- nues, si des lionnnes heureusement doues y demeurent insensi- bles, c'est qu'il ne suffit pas pour les comprendre d'une organi- sation musicale et d'un gout exerce, il est encore une autre con- dition sans laquelle pareille rausique ne saurait vous toucher, il faut retrouver an fond de son anie au nioins quelqucs vestiges de la foi chretienne. La est tout le secret ; car il est inutile, bien en- tendu, de chercher dans des productions qui datent de I'enfance de Part des conibinaisonssavantes, de grands effets d'harinonie; on ne pent pas meme esperer, par compensation, deces executions ebloiiissantes auxquelles bien des auteurs de nos jours ont de si grandes obligations. — Si Ion proposait a nn musicien d'ecrire un morceau sans accompagneinent , de n' employer ni rhythme ni modulations, den confier I'execution a la voix ranque el uiar- telee dun chantre de paroisse; si de plus on lui demandait de faire du sublime a de pareilles conditions, ou est I'artiste qui accepterait la gageure? C'est Ta pourtant ce que sont parvenus a realiser de pauvres moines dont le nom ne nous est pas meme reste, mais chez lesquels la foi, la piete a pu faire ce que le genie n'oserait tenter. Mais aussi, pour les comprendre, s'il n'est pas l)esoin d'etre plus savant qu'eux, il faut du moins preter a leurs accens une orei lie attentive, une ame recueillie, un coeur dis- pose a la priere, il faut, ne fiit-ce que pour un moment, par- tager leurs convictions nai'ves. Venez , entrez dajis cette eglise tapissee de noir, un catafal- que est au milieu, couronne de cierges enflamiues ; un pretre en surplis et en etole murmure a voix basse un funebre De projun- liis. Ceci n'esl point une representation de theatre : songez qu'une anie chretienne a quilte son enveloppe terrestre ; songez qu'a 90 MUSIQUE. riieure qii'il est, elle a dejk coniparu devant le souverain juge, et que taudis que vous Implorez en sa faveur rintercession du redempteur des liomuies , le chatimeat ou la recompense est deja prononce, pronouce pour I'eternite ; songez h vous-racrae, a ce jour terrible on votre propre destinee s'eclipsera pour tous der- riere le voile mysterieux de la mort; songez h ce jour redoutable, le dernier des jours ou tous les cceurs seront devoiles, oii les mondes consumes disparaitront, ou les tems et les lieux vien- dront se confondre et s'abimer dans reternelle iraraobilite de I'infini ; maintenant ecoutez : Dies irae , dies ilia Solvet seclum in favilla Teste David cum sybilla. Coraprenez-vous maintenant cettelugubre complainte, solen- nelle et monotone comme Teternite , et qu'on dirait cbantee par le dernier des humains sur les decombres de I'univers. Tout a coup au verset snivant la voix eclate et s'eleve ; la fatale trom- pette a sonne : grand Dieu, qui osera comparaitre devant ta face! qui pourra porter tes jugemens! Puis le mot de raisericorde est prononce, et I'hymne reprend son allure de recueillement so- lenuel et de tremblement religieux. Je le dis en verite, je suis encore k cbercber une inspiration plus gigantesque, une lamentation plus d^solee, uae prophetic d'aneantissement plus atterante que celle-la. Croyez un moment et vous serez epouvante. Ce n'est pas seulement une sensation fugi- tive, une surprise de I'imagination; non , c'est la piemiere re- verie de votre enfance, le remords du premier peche, les terreurs et les joies austeres du confessionnal , et puis cette longue et re- veuse echappee vers les regions mystexieuses de la peine et de la recompense; cest tout cola, c'est votre vie tout entiere , previ- sion et souvenir, qui s'accumule et se condense dans une seule impressiou. Que I'artiste est puissant quand il pent dans I'anie humaine faire vibrer de pareilles cordcs? quand il est siir d'ebran- l'eglise kt l'opera. 91 ler et de mettre en jeu , non pas ce superflu de sensibilite qu'ou met en reserve pour la distraction , mais ce qu'il y a de plus iii- tirae, de plus serieux , de plus imposant dans la vie; quand lui- meine, au lieu de s'eprendre artificielleinent d'un sujet de fan- taisie , il pent, sur d'etre senti de tons, jeter toute son ame dans un cri de joie, de terreur, dans une priere ardente ou une mena- cante prophetic. C'est Ik vraiment le secret des beautes inouies qui se rencontrent dans les chants d'eglise, dont I'expression su- blime debordede toutes parts une forme nue, arrieree, mais de- venue en quelque sorte imperceptible sous lesflots de poesie dont elle est comme recouverte. On dirait un ange, un de ces purs esprits, suaves creations de I'iraagination orientale, qui, pour se communiquer aux humains , condescendent quelquefois a se re- vetir de leur forme, mais dont la nature etheree rayonne et perce toujours a travers cette grossiere enveloppe. J'ai parle du Dies irce , je pourrais parcourir un livre d'eglise et citer nombre Aliymnes _, Ae proses , comme par exemple dans I'Avent le Rorate cceli^ dans le Careme le Fexilla regis et le Stahat mater que, pour le dire en passant , j'estime au moins a I'egal de celui de Pergolese; les litanies de la Vierge ; a la raesse du Saint-Sacrement le Cessant figures; la Passion chantee le Vendredi-Saint , recitatif admirable de mouvement et toujours d' expression ; car, dans tons ces morceaux, c'est I'expression, le sentiment qui domine; peu ou point d'art, mais un epanchement plein , abondant, sou vent tendre et navre , toujours majestueux , toujours une purete, une elevation qui porte a la priere et con- duit h I'extase. Je sais que beaucoup , qui n'ont pent etre jamais mis le pied dans une eglise pour prier, qui n'ont jamais ressenti dans leur cceur la pieuse ferveur de la foi , riront de mon enthousiasme et de mon admiration ; mais je dois leur dire que depuis sept ans j'ai manque peu de representations au Theatre-Italieii , que j'ai suivi assiduement les concerts du Conservatoire , que Beethoven m a donne la fievrc do plaisir , que Rossini m'a renuie jasqii'au 92 MUSIQUE. fond de I'ame , que niadame Malibran et mademoiselle Sonlag ont ete pour moi de bienfaisautes divinites, que pendant pres de deux ans je n'ai eu d'autre religion , d'autre esperance , d'autre bonheur, d'autre joie que la musique , que par consequent ils ne peuvent me regarder comme un trappiste qui ne connait que Te- nehres et Matines ; mais il faut qu'ils sachentaussi que celui qui leur park , et qui aujourd'hui est bien loin de la foi chretienne , a ete pendant cinq ans catholique fervent, qu'il s'est nourri de I'Evangile, de Tlmitation; qu'eleve dans un seminaire, il y a entendu des cboeurs de deux cents jeunes gens faire resonner sous une voute retentissante Yin exitu Israel et \e Magnificat ; que tout ce qu'il y a de poesie dans le culte chretien, I'encens , les chasubles brodees dor, les longues processions avec des fleurs, le chant , le chant surtout aux fetes solennelles , grave on lugu- bre, tendre ou trioraphant, I'a vivement exalte, qu'il a respire cet air, vecu de cette vie, et que par consequent il a dii pene- trer plus avant dans le sens et I'intelligence de la musique chre- tienne , que beaucoup de jeunes gens qui , nourris des traditions de college et ue voyant dans la messe qu'une corvee hebdoma- daire, ne se seraient jamais avises d'aller chercher de I'artet de la poesie dans les cris inhumains d'un chantre a la bouche de tra- vers. Du rcste, s'il est an monde quelque chose d'impossible, c'est assureraent de faire comprendre aujourd'hui cette musique k un public et surtout peut-elre a des artistes ; uos plus habiles chan- teui's n'entendent plus rien aux operas de Rameau et de Lulli, parcc que, si les partitions subsistent, la tradition d' execu- tion est depuis long-tems perdue ; pour la musique d'eglise aussi la tradition s'est perdue avec la foi , et ne peut se retrouver sans elle ; la foi est vraiment la clef de toules ces beautes qui, sans I'esprit chretien, sont une veritable enigme. Or, je le demande, ou trouver aujourd'hui un public chretien, des artistes chretiens; les artistes, ce sonl des excommunies! II faudrait a I'avance reu- nir chanteurs et spcctaleurs, les moraliscr, les catechiser, les l'eglise et l'opera. 93 convcrtir en un mot. Si ce n'etait pas la une iitopie inealisable, je crois poiivoir affirmer que ties inspirations bien simple s pro- dniraient de grands effets, et que bien des tresors enfouis brille- raient an grand jour, qui sont maintenant la proie des bedcaux et des sacristains. J'ai dit tout aTheure, en parlant du Dies irce, que je ne connaissais rien de plus beau. J'ai besoin d'y revenir et de m'ex- pliquer. Certes , je suis loin de raeconnaitre les progres que Tart musical a fails depuisles couvens,j'ai admire plus que ton) autre le Requiem de Mozart et les messes de Cherubini, et, pour qui se tient au point de vue de Tart pur, nul doute que les vastes proportions, la richesse d'harmonie, les grands effets d'instru- mentation des compositions modernes n'offusquent singuliere- ment la simplicite , la nudite du chant gregorien ; sous ce rap- port, il n'y a pas de comparaison a etablir. Mais voulez-vous sentir ou git la superiorite reelle du simple chant d'eglise ; allez quelque jour de fete entendre h la cathedrale une messe en mnsi- qne de quelque compositeur en renom , avec les choeurs et I'or- chestre et les premiers artistes de I'Opera ; puis ensuite retournez dans la Semaine-Sainte , ecoutez le Stab at , le Fexilla regis, ou la Passion, ou k quelque ceremonie funebre le Requiem du lu- trin, ou les /zfrt/u'e^ chantees, non par de grands artistes, mais tout simplement paries chantres et les enfans de chceur , et puis , en sortant, demandez-vous qui vous a le plus profondement emu, qui a laisse dans votre ame une impression plus religieuse et plus melancolique, qui vous a rappele que vous etiez venu pour prier, des chanteurs ou des chantres , de lamusique fuguee oil du plaia-chant, de I'orchestre ou de I'orgue. Je me trompe fort , ou ici I'avantage ne restera pas aux plus habiles. En effet les chants gregoriens exhalent tous un parfum de christianisrae , une odeur de penitence et de componction qui d'abord vous sai- sit. Vous ne dites pas : c'est admirable ! mais pen a pen le retour de ces melodies monotones vous penetre et vous impregne en quelque sorte , et pour pen que des souvenirs personnels \\\\ pen 94 MUSIQUE. ti'istcs s'y ajoutent, vous vous sentirez plenrer, sans songcr seulo- ment a juger, a approcier, ou k apprendre les airs que vous enten- dez. C'est dans toute la naivete , dans toute la sincerite de voire ame que vous vous laissez faire et que vous cedez k rimpression du inoraent. Pendant la messe de Cherubini au contraire, vous ecouterez en connaisseur et vous songerez a tout. Apres avoir en- tendu le Credo de la messe du sacre , vous direz : voilk un puis- sant compositeur! comme il nianie le's ttiasscs vocales et instru- mentales ! quel bonheur dans le retour du mot credo qui revient incessamnK^nt apres chaque periode musicale comme une ener- gique et solennelle affirmation ! quelle force! quelle entente des effets ! Cepeudant vous avez eu le tenis de remarquer que les chceurs moUissent et que les voix de femmcs surtout manquent devigueur dans I'attaque, qu'un trombonne aerais un sond'une justesse douteuse, et, la messe fiuie, vous sortcz en vous de- mandant comment il se fait que les choeurs francais soient si inferieurs a ceux de I'Allemagne, et en regrettant vivement qu'une musique aussi belle ne soit pas rendue avec toute la per- fection desirable. Quant au symbole de Nicee, au sacrifice de la messe, et au grand evenement qu'il rappelle, vous n'y songez guere plus qu'apres un representation de Guillaume Tell ou nu concert de Paganini. Vous sortez dilettante et non pas chre- tien. Quel que soit en effet le genie d'un compositeur, il ne peut rendre avec verite des sentimens qu'il n'a pas ressentis. Depuis long-tems une messe n'est guere pour un musicien qu'un libretto d'opera seria. C'est un drame comme un autre ou Ton peut tailler une introduction, des duos, des trios, un finale , avec des choeurs ; c'est un sujet bien coupe pour la musique oii Ton est convenu seulement d'employer de preference un style plus savant que dans les compositions thealrales ; c'est une forme particuliere du gevirc dramatique. .le ne sais si c'est ma fante, mais jamais ce genre de composition ne m'a touche; ces mouvemens rapides, cette variete, cette precision, cette ele- l'eglise et l' opera. 95 gance, ce luxe a quelqiie chose de mondain qui va mioux a rOpera qu'a l'eglise. Je vois I'auteur, les musiciens, le chef d'orchestre , je bats la niesure , je crois entendre una ouvertuie et j'attends le lever du rideau ; tout cela manque de gravite et de recueillement. C'est de la musique religieuse ecrite par des phi- losophes. Le caractere de I'art moderne, concu dans le moyen age, en- fante "a I'epoque dite de la Renaissance, accuse generalement, par ses defauts comme parsesqnalites, nne origine chretienne. L' esprit chretien lui est en quelque sorte inherent et consubstantiel ; raais c'est dans la musique surtout que cette cmpreinte est profonde- ment gravee. La musique, art sentimental el intellectuel par essence, et qui, comme ime voix invisible et mysterieuse , sans forme et sans figure, entrelient I'anie sans apparaitre aux sens, la musique convenait surtout k I'expression de cette poesie re- veuse , meditative, mystique, que le christianisme vim ensei- gner aux hommes; elle fut entre tous les arts adoptee par le christianisme et conduite sous son patronage "a un degre de per- fection inconnu des anciens , qui , dans les arts plastiques , sent generalement demeures nos egaux , sinon nos maitres. Cultivee dans les couvens et dans les cathedrales , exclusiveraent reservee d'abord a relever I'expression du culte, elle dut contracter dans ce long commerce des habitudes parfaitemerit en harmonic avec le caractere de sa mission. Ceci servira peut-etre a nous expli- quer ce qui nous charme dans les chants d'eglise, et pourquoi certains developpemens de I'art moderne paraissent impuissans a produire des effets de meme nature. Chacun salt qu'il y a dans la musique deux sources princi- pales desquelles decoulent tontes les combinaisons musicales, savoir I'intonation et le rhythme ; I'intonation qui etaleal'oreille toutes les varietes du son, d;puis le plus grave jusqu'au plus aigu , le rhythme qui preside a leur distribution par groupes de- termines, dont le retour periodique et surcessif donne aux raor- ceaux uu mouvemcnt, une coupe, une allure plus sensible. Le 96 MUSIQUE. rhytliinea siirtoul la propriete de frapper, de saisir, dc reniuer ; c'estcii quelque sorte la parlie sensuelle de la musique. Ainsi le tambour avec un seul son divcrsemeat rhythnie a la puissance de regler suivant une certaine symetrie les pas et les mouvemens des troupes; les marches, les danses, sont toutes ecrites dans uu rhythme tres-prononce ; en un mot lerhythme caracterise surtout la musique d'action. Or il est remarquable que dans tous lesanciens chants d'eglise le rhythme manque a. pen pres absolument, ou du moins ii est si vague, si indistinct, si confus, qu'il disparait presqu'entierement "a Voreiile. G'est sans doute pour cette rai- son que ces melodies predisposent si puissamment "a la medi- tation , a la priere , k I'extase. Presque toutes ecrites en mode mi- neur et dans une tonalite indecise et flottante, elles n'apportent a I'ame que de plaintives et douloureuses inflexions, ajoutees les unes aux autres dans une succession capricieuse corame des soupirs , des sanglots , des elans de cceur ; c'est quelque chose d'interieur qui n'a pas de formis, ni de contours, et qui, loin de livrer aux sens ces assauts reiteres du rhythme qui les ebranlent a la longue^ traversent les organes, pour ainsi dire, sans les tou- cher, les engourdissent etles eteignent an profit de Tame , qui , degagee de leurs liens , oublieuse des tems et des lieux , sc plonge dans des contemplations infinies. C'est quelque chose de fluide, d'ethere, vaporeux et transparent comme la fumee de I'encens qui monte vers le ciel en se dissipant. Transpnrtee de I'eglise au theatre, descendue du ciel sur la lerie, la musique, appeleea representer, "a peindre des actes , dut revetir des formes plus charnues , plus terrestres , pren- dre du corps et de la couleur, se materialiser, se consolider en quelque sorte. N'ayant plus a exciter seulement des souvenirs, des esperances , des reves, mais se melant "a I'agitation passion- nee , ardente , iruprevuc de la vie reelle , elle dut elle-meme cher. cher des cffets plus precis, plus determines, plus saisissans. De ce moment le rhythme acquit chaquc jour une plus grande impor- tance, jusqu'a Rossini qui a fait revolution sous ce rapport, qui l'eglise et l opera. 97 a tire du iliythmedes effets d'un diamatique inoui, el qui a ete accuse pour cette raisou par les musiciens spiritualistes d'avoir employe des moyens mecaniques. C'estTa, sans doute, une des plus grandes conquetes dont la scene lyrique se soit enrichie ; niais, d'un autre cote, du moment que le theatre se fut eleve a cote de l'eglise , les artistes, ecrivant souvent a la fois dans deux genres si opposes, crurent pouvoir importer dans la langue sa- cree les ricliesses nouvellementdecouvertes dela langue profane. De Ih s'ensuivlt la confusion de deux genres et dc deux carac- teres tout-a-fait distincts. Depuis lors il est facile de suivre dans les productions religieuses une decadence pi'ogressive du caractere chrelien, etparallelemeut un progrescorrespondant dansl'emploi de moyens, de formes, belles en elles-memes, mais qui, transplan- tees du theatre oii elles etaient nees dans l'eglise, y auraient paru deplacees , si raffaiblissement graduel de la foi dans le clerge comme dansles fideles, en emoussnnt le tact et le sentiment anciens, n'eut rendu I'inconvenance moins sensible. Le dernier pas en ce gen re a ete fait par M. Cherubini, qui a eteloue pouravoirintroduit dans le style sacre des formes tout-a-fait dramatiques. Nul n'a plus dadmiration que moi pour les chefs-d'oeuvre de ce grand rausi- cien ; mais, dusse-je etre taxe d' impertinence, il me semble que les beautes dramatiques ne sont point a leur place a l'eglise. Les passions violentes, tumultueuses, les retours brusques, tout ce qui excite vivement I'attention , tout ce qui a I'air de tenir a une action, tout ce qui emeut mes sens, tout ce qui me rappelle que je suis dans tel terns on dans tel lieu , tout ce qui semble s'attaquer de front aux grands symboles de la tradition, et vou- loir representer directeraent on traduu-e ses insondables mysteres, toutcela, suivantmoi, tendh localiser, a retrecir, acontenir I'essor de la pensee religieuse; il vaut mieux souvent mettre I'esprit en voie de meditation et laisser-aller, car il est des regions incffables, que le sentiment ne peut visiter que seul et ou il n'aime a etre ui accompagne ni suivi. Voila sans doute pourquoi tant de com- binaisons, de science, pourquoi des orchestres nombrcux ou tou- TOME nv. juillet1852. 7 g8 MUSIQUE. les les nuances dn son snnt representees, pourquoi des chceurs puissans, pourquoi tout cela, sons la main il'nn homme <3e genie, ne suffit pas a egaler reficl religieux d'une simple cantilcne , chantee a runisson par de f'raiches voix d'enlant. Voila pour- quoi, suivaul nioi, cost surtout dans le plain-chant qn'il faut chercher la pure inspiration niusicale du cliristianisme, inspira- tion naive et grandiose qui senle peut se plaire sous les voiitcs nues des vieilles cathedrales, qui seule se marie et s'harmonise avec la maiche grave et lente des prctres, la sainte obscurite dn lieu, les vitraux colores , les saints sculptes a meme la pierre, seule capable de repondre anx accens pleins ot retentissans de I'orgue, de lorgue instrument vraiment religieux , dont la voix male et Tallure majestueuse est loin d'etre remplacee par la sou- plesse et la prestigieuse vivacite de nos orchestres. II faut ces tuyaux longs comme des colonnes pour articuler dignement le cantique sacre, et le faire pleinement resonner a I'autre bout de I'edilice colossal qui s'ouvre "a des populations entieres. Si nous avions besoin de mettre en cause le systeme actuel d'instrumen- tation , il faudrait avouer que pour la puissance et I'eclat nos flutes et nos hautbois font une assez triste figure a cote de ces enormes tuyaux alimenies par hnit ou dix vastes soufflets. Du reste, le caractere, la dimension de nos instrumens actuels sont parfaitement en harmonic avec la nature des lieux et des solen- nites ou ils sont employes ; leur place est au theatre, cnnnne la place de Torgue est dans le temple. C'est tout une autre serie de passions , de sentimens, d'idees et d'interets qn'il s'agit de mettre en jeu ; d'autres beautes doivent en jaillir, assorties an public tout different qui les recherche : c'cst done une phase de I'art toute nouvelle qu'il faut etudier dansl'opera. Daus lui prochain article nous essaierons de jeler un coup d'oeil sur le genre de mu- siqne qui appartient au genie propre de notre epoque, sur I'opera et la symphonic, et sans pretendre, bien entendu, devanccr sur ce point I'initiative du genie , nous hasarderons quelques conjec- tures sur les developpemens que des circonstanres morales et ma- L EGLISE ET L OPERA. 99 lerielles, que des applications encore inusitees pourraient amener unjonr. Mais avant d'aborder ces questions ou seront interessees nos sensations, nos admirations de chaque jour, il nous a sem- ble a propos de rendre du moins un dernier hommage a ces pro- ductions anciennes oii I'elevation passionnee de I'inspiration a supplee aux ressources de I'art et qui exciteraient encore aujour- d'hui I'admiration si I'indifference religieuse, si I'agitation turbu- lente de notre vie laissaient encore quelque acces chez nous aux emotions recueillies et mystiques du christianisme. AdOLPHE GufiROULT. 7. MELANGES. DE LA SITUATION I>£S DEPARTEMENS ET DE LA NECES- SITE D'INSTITUTIONS PROVINCIALES. Quelle est la dhnsion teiritoriale de la France la plus propre a fai^ojiser le dc'i'eloppemeut de ses forces productrices? Quelles sont les institutions pvoi'inciales quil faudrait coordonner auec cette dii>ision ? La centralisation est extremement utile chaqiie fois qu'il s'agit de re'gler des inte'iets ge'nc'raux, ou de prendre dcs mesures promptcs. On peut meme dire que I'unite' politique permet seule d'effectuer de gi'an- des choses; mais ce n'est qu'en fractionnanl le droit de cre'er des ame'- liorations locales, que Ton pourra rc'ellement, par le concours de toutes les intelligences et de toutes les forces individucUes , parvenir a faire de la France un pays modele, et ainlroduire le bien-etre jusques dans ses liameaux.. Les inte'rets du plus grand nombre des Francais et surtout des plus pauvres sont done forlement lie's au sySteme de division tcrritoria- le et demandcnt impe'rieusement que ceux qui s'occupent de cette ques- tion appellent la publicite sur ce terrain. L'ancienne division par provincej, fruit de la conquete au tems de la fe'odaltie, ne pouvait survivre aux privileges nobiliaires. Les provinces, tellcs que le hasard de la victoire les avail formecs , n'avaieiit ni orga- nisation I'e'guliere ni bomoge'ne'ite' dans leiirs institutions , Icur e'tendue territorial, la quotitc de leurs revenus et leurs franchises parliculieres ; aussi la creation des dcpartemens a-t-elle ete fort avantageuse au pays. Cependant quelques bons esprits jugcrent des le principe le vicede cette division. Prenez garde , disaient aux Girondins ceux des homines de j'Ouest qui e'pouserent le plus chaudement leurs opinions et qui prirent les armes contre la Convention , prenez garde de donner a Paris line MELANGES. lOl puissance Irop grande. En terns de guerre cette ville decidera du sort de la France, en terns de paix ce sera un ulcere qui absorbera toute la substance des provinces. Cest la que des sophistes forger onl des chaines pour en charger la nation. C'est la que des hommes aveugles on pervers pourrontretablir un trone en faussant V opinion puhlique. Si nous vous demandons que les representans se reunis- sent a Bourges , c'est qu'ils pourront mieux j conserver leur inde- pendance , et nous donner une jwuvelle division du territoire qui perinette aux provinces de sefaire entendre. II y a de rexage'rafion dans ces paroles , raais ellcs sont vraies qiiand au fond. II e'tait d'ail- leiiis difficile qu'en 93 Ton ne sut pas appre'cier les services rendus par les assemble'es qui portaient le nora d'e'tats et qui, depuis le quatorzieme sie- cle, ont si puissammeut contrilnie aux progres de la civilisation. Ce sonl elles en effet qui ont creuse' les premiers canaux , perce' le plus grand nombre de nos routes, propage I'industrie sur notre sol, cre'e'le mouve- nient commercial du siecle dernier, fonde nos universite's et prepare de longue main la re'volutioa de 89, en liabituant la classe moyenne a la discussion des abus dont ellc avail tant a souft'rir. Si notre division dd- partementale rend radministration plus re'guliere , il faut avouer aussi qu'elle morcellc trop des inte'rets intimement lie's entre eux, quelle fa- cilite outre mesure le despotisme de la bureaucratie; aucun des de'par- temens ne represente une assez grande masse d'iate'rets pour rivaliser avec Paris , et la province s'accoutume a recevoir de cette derniere ville les impulsions bonnes ou mauvaises, et des opinions toutes faites sur cliaque eve'nement. Admettez, ce qui n'a pas lieu , que nos institutions nous permettent dans les de'partemens de creuser des canaux , d'eta- blir des chemins de fer ou de fonder des universi-te's , sans avoir subi pre'alablement le visa et les eternelles lenteurs des administrations pari- sienues; un obstacle plus invincible, le manque de fonds , s'y oppose- rait encore I L'c'tendue d'un departement est trop exigue, ct par suite, ses ressources pe'cuniaires sont trop minimes, pour que des administra- teurs puissent y trouvcr I'argent nc'ccssaire a des entrepriscs de quelque importance. D'apres ce qui precede on pent poser ainsi le probleme ;i re'soudre : Comment Jaiie pour concilier le besoin de centralisation d'unt part et de I' autre la necessite d'une organisation provinciale? 102 MELANGES. Que le gouverncment , pour facilitcr son action, conserve la division par de'partemens ; qu'il no permelte qu'aux chambres Ic'gislatives de s'occuper des inte'rets geueraux; soil. Mais qu'il accorde a un certain nombrc dc de'partemens, lie's entre cux par leur position gc'ographique , leurs habitudes, leurs affections et leurs intercts , la facnlte' de s'associcr dans le but de faire le meilleur usage possible de leurs lumieres et de leurs fonds particulicrs ; qu'il leur donnele privilc'ge d'e'tablir dans leur sein une representation du second ordre, forme'e par election, etspe'cia- lement chargee de faciliter les communications par des cliemins vici- naux, des canaux, des ponts , des routes , etc. ; de propager I'instruc- tion par des universite's , des athe'nees, des ecolesd'arts et rae'tiers, des coUe'ges et surtout deS e'coles primaires ; d' assurer la liberte' des ci- toyens en rcmplissant envers leurs administres les fonctions du conseil- d'e'tat j de veiller a leur bien-ctre par une active surveillance des pri- sons, de tous les e'tablissemens publics qui inte'ressent la situation du peuple : qu'il impose enfin a ces representations locales I'obligation de rendie un compte annuel de leurs travaux et de fournir des tableaux statisliques circonstancie's sur la mortalite , la vaccine , I'etat de I'ensei- gnement , la situation du commerce , de I'agriculture et de I'industrie , enfin les ameliorations de toute nature qui auraient eu lieu dans la pro- vince. Ces chambres de de'putes de second ordre sie'geraient cliaque anne'e dans im de'partement different, afin de ne pas etre influencees dans leurs determinations par des considerations e'trangeres au bien du paysj elles nommeraient elles-memes leui's pre'sidens etse composeraient dedeux de'- pute's par cinq cent mille ames de population. Ces de'pute's seraient el us tous les cinq ans par les ciloyens composant la garde nationale de chaque de'- partement. Un mois avant I'election, le pre'fet dresserait une liste des personnes auxquelles dix gardes nationaux auraient declare' par une lettre rendue publique etre dans I'intention de donner leurs voix. Cette liste serait celle des eligibles ; le reste de I'ope'ration se devine assez fa- cilement pour qu'il soit inutile d'en parler. En regard de cette institution , le gouvernemcnt pourrait creer , dans chaque agglome'ration de de'partement formant une province , une ban- qne centrale ayant au-dessous d'cUe des banqucs d'une importance moindre, et les charger a la fois de percevoir I'iinpot et de le verser a MELANGES. 103 la banquede Paris ; decie'diter rindustrie, faisant ainsi baisser le loycr de I'argent au profit du petit commcice ct dcs petits fabriciinsj de faire les assurances siir la vie, ct d'instituer des caisscs d'epargne et de pre'voyance jusqiie dans les liamcaux. La banque ccntrale aurait son siege de droit dans la ville la plus commer9ante et la plus considerable des de'parteraens reunis. II serait facile d'etablir de la ineme maniere des socie'te's s'occupant d'agriculture, d'industrie, de commerce, de statistiquc, de sciences , d'art et de salubrite ; ce serait un moyen commode et peu dispendieux pour les deputes de se procurer tous les renseignemens dent i's pour- raient avoir besoin dans le cours de leurs travaux. Des publications plus utiles encore que nos journaux actuels des de'partemens se lieraient a une semblable division terntoriale, et acquerraient de Icur spc'cia- lite un inte'ret tout-a-fait nouveau , en meme tems qu'ils contribue- raient a rendre I'art d'exprimer les pense'es plus populaire encore qu'il ne Test aujourd'hui. La division de la France en provinces ne pre'sente aucune difficulte. Deja Paris , Rouen , Mulhausen , Lyon , Nantes , Marseille et Bor- deaux forment autant de grands centres , autour desquels il serait aise' de re'partir les quatre-vingt-cinq de'partemens dont notre patrie se com- pose. Ccpendant, pour ne pas nuire a cettc partie du centre qui s'e- tend dcpuis Orleans jusqu'a Perpignan , il serait plus convenable de former deux autres provinces dont Bourges et Toulouse seraient les principales villes ; on aurait ainsi ncuf provinces , dont trois au nord, trois au centre et trois au midi. Aussitot la loi sur I'expropriation force'e admise jjar le pouvoir le- gisaltif, les provinces s'occuperaient, chacune dans Icur sphere , des ameliorations qui leur seraient directement profitables. C'est ainsi que tous les vieux quartiers de nos grandes villes, aujourd'hui si malsains, seraient successivemeut achctes ct rcbatis ; le peuple y gagnerait d'a- voir des maisons plus salubres , les riches de ne plus habiter au voi- sinage de receptacles a immondices et ,'i maladies pestilentielles. Inde- pendamment des routes en fer qui devront, d'ici a un tems plus ou moins eloigne , mettre en communication Nantes ct Strasbourg d'une part , le Havre et Marseille de I'aulrc , independarament des rayons qui devrout s'e'tcndre plus" lard de la capitale vers Calais , Lille , Sc'- lo4 MELA.NGES. dan , dans le nord , vers Bordeaux dans le midi , pour se bifurquer cn- suitc , et rejoindre Bayonnc , an fond du golfc de Gascogne, et la Medi- tei-rane'e situde a Topposac , les provinces auraient , comme je I'ai dit , Icurs travaux spe'ciaux et d'utilite plus restreinte. Cost ainsi que dans le nord dies remettraicnt a I'etude tons cos projets de communications destine'es a Her Avranches , Coulances , Cherbourg , Caen , Evreux, Alcncon , et a leur ouvrir dcs debouches vers la Loire par la Sartlie et par la Mayenne , ainsi que les canaux de Paris a Dieppe , de Rouen a ce canal , de Beauvais a Amiens , de Saint- Valery a Boulogne et a Calais, dc la Mirande a la Sense'e, de Reims a I'Aisne , dc I'Aisne a la Maine par Vouzier et Saintc-Menehould , de I'Oise a la Meuse et de la Meuse au Rhin par la Moselle , etc. , etc. An centre de la France et a i'ouest , on s'occuperait vivement de re- pandi'c la civilisation dans les campagnes et de du'truire I'esprit dc chouanuerie en ajoutant aux relations commercialcs par des rails eta- blis sur le chemin de tallage des canaux de Bretagnc , en mettant a I'e'tude les projets de communication entrc Vamies et Saint-Brieux , Nantes et Niort , Nantes et Poitiers , la canalisation de I'Erdre de Nord a Gande, le canal d'Ernee, la jonction de la Sarthe , de la Mayenne et du Loir , la canalisation de la Sevre nantaise , la jonction dc la Sevre niortaise au Clein. Plus au milieu de la France , dans cette vaste con- tre'e si mal partage'e jusqu'ici en routes ct en canaux, tons les yeux se- raient lixe's sur la canalisation de la Sauldre et sa jonction a la Loire, sur les autres projets de faire communiquer cebeau fleuve par ses nombreux affluens avec les affluens de la Garonne et la mer Me'diterrane'e , de maniere a former une sorte de re'seau a mailles serre'es. Plus a Test , on s'occuperait de joindre le canal du centre au canal de Nivernais par une nouvelle communication , et d'c'tablir une ligne de navigation pa- rallele a la Saone au moyen de plusieurs pctites rivieres , de maniere a re'unir le canal Monsieur a 1' Ain. Au sud, les jonctions des affluens dc la Loire aux affluens de la Garonne, le canal de Be'zlers a Montauban , cclui de Tarascon a Frejus parallele a la Me'diterrane'e , dcvicndraient I'objct d'une attention sc- rieuse. Outre ces travaux , qui auraient pour but le de'veloppement dc I'industrie et pour re'sultat le bien-etre du peuple, chaque province s'occuperait nc'cessairement d'acheter des communs et des terres va~ MELANGES. lo5 (^ues pour y former des colonics agricoles , dc veiller avec une cons- tante sollicitude a raccroissement des moycns d'instruction,, et de signa- ler au pouvoir toutes Ics ameliorations dont cllcs sentiraient le besoin. C'e'tait la coutiime chez les gens riches avant 89 de ne jamais oul)lier dans leurs testamcns les e'coles, les muse'es , les bibliotbeques. Elle a disparu presque subitement, aussitot que le pouvoir s'est empare' de tout ce qui e'tait chose publique; mais nid doute qu'une fois les e'tablis- semens de ce genre rendus a leurs ge'rans naturels, ils s'enrichiraient encore par des legs, de manicre a pouvoir sc soutenir d'eu\-memes et sans aucune subvention. N'oublions pas que par suite de cot usage il n'en coiilait autrefois que i '2 francs au plus par an dans la plupart de nos grandes villes pour avoir le droit d'assister a tous les cours de lan- gues , dc litterature et de sciences qui s'y faisaient, et qu'a cette e'poque les prix de main-d'oeuvre e'taient ge'neraleraenl plus e'leve's et les dcnre'es de premiere ne'ccssite' beaucoup moins cheres, ce qui permettait a un artisan laborieux et e'conome de donner a peu de frais a son fils une instruction tres-e'lendue. Chacun sedemande, dans nos provinces, pour- quoi les e'coles primaires se font tant attendre ? pourquoi Ton ne compte en France que trois e'coles de me'decine et de pharmacie, trois de me'- decine ve'te'rinaire, deuxd'arls et metiers, une scule d'agricullure? pour- ({uoi Paris est la seule ville qui possede une se'rie complete de cours instructifs et une ecole polytecbnique? Cependant, si nous jetons les yeux au-dela du Rhin , nous sommes force's de reconnaitre la supe'riorite des etudes allemaudes. Loin de croire que Paris soit la seule ville ou Ton puisse etudier, beaucoup sont intimement convaincus que des univer- site's e'tablios aCaen, Rouen, Lille, Chalons, Metz, Strasbourg, Rennes, Angers, Poitiers, Bourges, Limoges, Troyes, Dijon, Besancon, Lyon, Grenoble , Marseille , Moctpellier, Toulouse, Bayonue et Bordeaux , jeteraient sur ces villes un nouvel eclat, et soutiendraient avantageuse- ment la concurrence. La science vit a peu de frais; elle aime la tran- qudlitc, le coin du feu, et n'a nul besoin de ces soire'es du gx-and monde dans lesquelles nos savans perdent trop souvent leur honneur, en courant apres les places et la fortune. Cette opinion que je viens d'exposcr doit trouver de norabreux op- posans parmi ecus qui aiment a combatti'e tout ce qui est idee nouvelle, panni les gens qui vivent d'abus , parmi ceux encore , et le nombre en Io6 Ml^LANGES. est grand a Paris , qui croient avoir iin inlcrct direct a soutenir la cen- tralisation. Mais ce principe que les Jiommes dc province doivent etre appeles a regler directement eux-memes leurs interets prives et speciaiix , mc paraissant inattaquablc , je passe a Texamcn des sources du revenii de ces diverses provinces, dont j'ai propose la formation comme chose cxtrememcnt utile. Les revenus-des neiif ou dix. de'partemens qui formeraient cliaque ag- glomeration entreraient de droit dans la caissc centralc. Gette caisse jouirait en outre i" de toute la difference qui existerait cntre scs frais de perception et les frais actuels, c'est-a-dire de plus d'un million; 1° des jie'ages percus aujourd'hui sur tontes nos rivieres ; 3° dc cen- times additionnels accorde's par le pouvoir legislatif; 4° ) Solon. Sil'onsonged'ailleurs que ces lois sonte'crites dans unelangue » e'trangere souvent absurde , et qu'elles choquent a plus d'un e'gard les » mceurs des peuples de I' Europe raoderne , on coraprendi-a lacilement » d'oii provienl la tendance ge'ne'rale de nos jours de re'parer par de » nouveaux codes les maux que nous a faits I'adoption irre'fle'chie du » droit romain. Ce n'est que corame modele de sa sagacite' que les Pan- » dectes , et quelques constitutions impe'riales me'ritent tons nos e'loges , » et Ton ne saurait mieux f'aire que de repeter avec Facciolatus 1) ( orat. VII ) : Expeditomnes gentes romanis legibus operamdare, » siiis vivere. » Apres cette dicte'e , M. Thibaul pritla parole pour declarer qu'ayant mis sa vie a I'etude du droit romain , il n'avait aucune raison de le de'- precier , mais qu'il ne pouvait non plus prendre sur lui de faire I'e'loge de principes qui ne le me'ritent pas. Les jurisconsultes romains , dit-il, analysercnt les regies positives du di'oit avec une finesse admii^ble ; mais ils etaicnt, pour ainsi dire, attache's a la glebe; ils n'ont rien pu pour adoucir la rigueur des principes. Le Romain e'tait un soldatavare, dur, insensible : ce caractere du peuple avait passe' dans le droit. Combien le droit germanique est plus luimain et plus doux ! Si j'a- vais le bonheur ou le malheur , ajoula-t-il , d'etre membre d'une com- mission legislative, je prendrais une cinquantaine de dispositions dans les Pandectes , et , pour tout le reste , je suivrais les principes germa- niques , m'effor^ant de de'velopper avec la sagacite' d'un Papinien les ele'mens de notre droit national. Un professeur qui a passe vingt ans a rassembler et a comparer des variantes n'entend plus rien aux choses de la vie et a perdu tout sentiment bumain. Ecoutez-le parler du droit romain : Vivat justitia , pereat mundus. Mais demandez a un juge , demandez a un bourgeois , a un paysan , s'il admire beaucoup les lois romaines qu'il lui est impossible de connaitre, et si Fincertitude du droit qui en re'sulte n'empoisonnc pas son existence I Et a tout pren- dre, le monde n'est pas fait pour la jiliis grandc gloire des erudils et des prolessenrs. 122 MELANGES. II faut se represcnter I'e'tat deplorable des lois positives en Alle- nia!2;ne pour comprendre toute la vc'ritc dii jugeraent dc M. Thibautsur Ic droit rornain. Droit remain , droit canon , droit fcodal , coutumes ge'"- ne'rales, ancicnnes lois de I'empirc, statuts locaux, ordonnances des princes , lois nouvellcs dans quelques Etats : c'cst iinc confusion di^ne depitie, iinc incertitude de'sespe'rante , iin conflit de dispositions qu'on ne salt comment etiulier toutcs , ni comment concilier entre elles. Le droit devicnt alors I'objet de disputes savantes, mais il cessc d'etre a la portcc du pcuplc, qui y est pourtant de Ijcaucoup le plus inte'resse. II sicd bien a un homme de la science et de raulorite de M. Thibaut de prononcer sur cetle anarcliie dans la legislation un jugemcnt severe, qui paraitraittc'me'rite' ct pre'somplion dans labouclie d'uu jeune homme; et si quelques lentatives partielles de reforme me'ritent des e'loges et dc la reconnaissance, il est a regrctter que Ton n'ait pas encore travaille' plus efficacemcut a faire disparaitrc, dans tons les Etats de I'Allemagne, et pour toutcs les branches du droit, une bigarrure dont chacun com- prend facilement la funeste influence. Toutefois , chaque terns a ses besoins et son ceuvre a lui , et nous ne pensons pas que , de ce que le maintien du droit remain est aujourd'hui une entrave au libre developpement et a la prospe'rite' de I'Allemagne , il faille en conclure que son adoption, a une autre e'poque, ait ete' ir- re'fle'chie et malheureuse. II e'tait naturel et utile sans doute que la per- fection scientifiquc avec laquelle il avail etc traite lui assurassent pour un terns une autorite' pre'ponde'rante , et que la finesse et la precision de ses regies vinssent en aide a la simpiicite' un peu vague du droit gcr- maniqiic. En un mot, c' e'tait une necessite de rdpoque; et il faut bien le rcconnaitre, a moins de condainner les grands travaux des glossa- teurs, ce que M. Thibaut n'a garde de faire. Loin de la , il admire cet essor subit et inaltendu apres les siecles les plus sombres du moyen age , cctte ardeur pour I'e'ludc , cette rigueur des esprits , et cet inge- nieux commentaire de la glose, monument immense auquel ont labo- rieusement et patiemment ccntribue tant d'hommes , a peu pres comme les generations venaient mettre la main I'une apres I'autrc a ces au- Ires monumcns du moven age , a ces cathedrales , dont la majeste reli- gicuse confond notre architecture mesquine et batarde. Aujourd'hui cet empire du droit rornain a rendu les service* MELANGES. 123 qu'il pouvait rendre , et il est terns que les peuples modernes rentrent dans leurs propres voies , qu'ils n'avaient d'ailleurs jamais entierement abandonne'es , puisque le droit romain n'avait fait que se combiner avec le droit germanique. Mais les ele'raens de ce dernier ne se conservaient que par I'lisage ou dans des statnts locaux; et Ton a beau vanter I'ex- cellence dii droit coutumier , comme fait I'e'cole historique , un code e'crit, complet et national est un bienfait inestimable pour un peuple. Ainsi le pense M. Thibaut ; c'est assez dire qu'il rend justice a notre code civil. Au terns de la puissance de Napoleon , il se prononja centre I'adoption de ce code qu'on voulait imposer a sapatrie; mais, aprcsla de'h'vrancc de I'Allemagne , lorsque I'e'cole historique , M. de Savigny en lete, demandait qu'on s'en remit a la science pour e'claii'er le laby- rinthe de la jurisprudence allcraande, M. Tliibaut proclama la neces- site' d'une legislation nouvelle , et prit meme la defense du code Napo- leon contre lei attaques dont il e'tait devenu I'objet. Dans le cours qu'il consacre cliaque e'te a I'cnseignement de ce code, M. Thibaut reconnait la sagacite' avec laqiielle y sont traite'es plusieurs matieres , notamment I'absence et le regime de la communaute' conjugate ; la clarte et la pre- cision du style; le soin que Ton eut presque toujours d'exclure ce qui apparticnt a la doctrine pliitot qn'a la legislation. A ces eloges viennent pourtant se joindre de nomloreuscs critiques : tantot il releve quelques contradictions et de fre'quentes lacunes ; blame certaines dispositions de detail , surtout relativement a I'adoption , a la succession ab intestat , au systeme hypothe'caire; deplore I'absence de principes ge'ne'raux; raille les ine'prises oil Ton est tonibe' sur le droit romain , et la facilite' avec laquclle on se tira souvent d'embarras en abandonnant a la science Ics points controverse's , contre le vceu formcl de Napoleon. Souvent aussi les critiques de M. Thibaut me semblent injustes , comme lors- qu'il nous plaint d'etre prive's de maintes subtilite's chercs a I'Allemagne savante , mais qui surchargent un systeme de legislation plutot qu'eiles ne le completent , ou lorsqu'il oublie qu'on a pu se rae'prendre sur le senj veritable d'un fragment du droit , et n'en poser pas moins des principes reclame's par les besoins de I'epoque ct I'esprit de la nationa- lite' francaise. Nous rcgrcttous aussi que M. Thibaut s'obstine a meconnaitre I'in- slitution du jury. 11 pretend que les Judices des Romains, qui e'taienl 124 MELANGES. de ve'ritables jure's , e'taii'nt gc'ncralcment decries pour leur ve'nalitc ;■ que Cice'ron, entre autrcs, avait pour eux Ic plus profond me'pris. Mais commcut se fail il que, malgrccela, ils aient etc coiistaminenl in- vestis du pouvoir dc prononcersur le point defait dans les proces,tant civils que crimiuels , pendant tout le terns dc la republique et sous les empereurs jusqu'a Constantin? M. Thibaut convient qu'il y a bien quel- que chose a dire en favcur dc cette institution , mais il ne pent I'enten- drc vanter connne un moyen admiraljlc de de'couvrir la verite • il la re- garde comme extreraement dangereuse pour les gouvernemens , et dans tous les cas , les insipides discussions que le de'sir de son introduction a soulevees en Allemagne, oii on I'a rnemc qnelqucfois confondue avec la publicite et le debat oral, lui sont, dit-il, tout-a-1'ait insupportables. Si vous me demandez. Monsieur , apres ces details un pen longs peut- etre , quel est en resume le caractere du professeur auquel je les ai em- prunt€S , je ne vou? cacherai pas qu'il est range , par I'opinion publique, ainsi qu'un grand nombre de professeurs de runivcrsitc de Heidelberg, parmi le parti aristocratique. Si par la Ton entcud qu'd ne sj'mpathise point avec le de'vergondage re'publicain de quelqucs-uns , ni meme avec I'engouement constitutionnel d'unc grande partie de I'ouest et du sud de r Allemagne, c'est un fait que je ne puis nine veux re'voqucr en doute; mais on ne saurait lui refuser des ide'es vrairaent libe'rales. Tout ce qui s'empreint de grandeur, de force, de sagessc , de dignite , excite vivcraent sa sympalliie. II aimela liberte, maisjointe a la noblesse des sentimens etaux grandes inspirations de la science et de I'art. Ainsi s'expliqucsa re- pugnance pour la mesquinerie de certains gouvernemens constitutionncls, pour les connaissanccs supcrficielles et le ton de'clamatoire de certains coryjAcfs du libe'ralisme vulgaire. Ajoutezquel'age et devieilles habi- tudes le rendent en grande partie e'trangers aux e've'ncmens contempo- rains , dont la tendance ge'ne'reuse lui cchappe , tandis qu'il se sent pe- niblemcnt froisse' par les fautes et les e'garcmens qui frappent d'abord son ceil pre'vcnu. Vous coraprendrcz alors que si cct esprit vraiment superieur n'a pcut-etre pas le tact politique et I'e'nergie que reclameiu des terns aussi orageux que les nolres , des ide'es telles que les siennes n'en renferment pas raoins le germe d'un libe'ralisme veritable , et qui convient mieux a la nationalite alleraande que toutes les importations ctrangeres. En parlant ainsi , je n'ignore pas que I'opinion commune MELANGES. 1 25 ties liberaux meme allcmands contredit mon assertion, mais elle est I'expression d'une conviction intime fonde'e sur I'examen scrupiileux des principes professes chaque jour par M. Thibaut. Dans une seconde lettre , je vous entretiendrai de qiiclqiies autrcs awirs do la faculte de droit de Heidelberg. Henri Klimrath. Heidelberg, 25 jiiillet. DE LA RECONNAISSANCE DU COURS DU NIGER. Deux articles sur le voyage des freres Lander , qui ont e'te inse'res ■dans cette Revue avant la publication du journal de ces voyageurs , out suffi pour faire connaitre a nos lecteurs la partie pittoresque et aventu- reuse de cette expedition; nous sentons cependant le besoin de revenir encore sur ce meme sujct , parce qu'il nous semble important de pre'- ciser avec soin le progres nouveau que vicnt d'accomplir la ge'ograpliie africaiue. Grace a I'heureux succes de cette dernicre entrcprise, le mystere qui enveloppait le cours du INiger est aujourd'hui dcvoile', et ce fleuve important a e'te' suivi par des Europe'ens depuis sa source jus- qu'a son embouchure. Nous savons en meme tems oil vlent aboutir ce fleuve nomme Joliba, qui, prenant sa source aux memes montagnes que le Senegal, se dirige sur le versant oppose vers le centre du continent, a qucUes contre'es appartient ce courant vaguement connu sous le nom de Quorra, et a quelles sources remontent ces nombreuses rivieres qui jettent leurs eaux dans le fond du golfe de Guine'e. Les direrses parties de ce grand fleuA^e, si variable dans son aspect et dans sa direction, sont maintenant relie'es en une meme chaine, et I'e'tat de nos connaissances sur ce Niger si long-tcms ignore' est aujourd'hui plus avance' que I'ctat de nos connjissances sur le Nd, qui depuis un tems si recnk' se trouve au voisinagc de la civilisation: Le Niger prcnd sa source dans des montagnes de I'intc'rieur, situe'cs vers 5" de longitude ouest , et i o° de latitude nord ; il se dirige d'a- 1 2b MELANGES. bord a I'cst-nord-cst , diirant tme e'tendue de pres de deux cent cin- quante lieues en ligne droite ; Bamviakuu, Se'go, Silla, Tomhouc- tou sont les villes principalcs qui se rapportent a cette partie de son cours.ApresTombouctoUjil commence a de'vierde cette premiere direc- tion, etiuclinant versle sud-est, il passe a pcu de distance dc Sachatou et arrive a Boussa ; cette partie qui fut explorc'e par Mungo-Park iors de son second voyage est la moins connue , car on sait seulcment d'unc manicre ge'ne'rale que cet illustre voyageur, parti de Se'go sur une em- barcation, parvint jusqu'a Boussa, ou il pe'rit dans le flcuve avec ses compagnons; on peut estimer a deux cents lieues la distance de Boussa a Tombouctou. A Boussa, le fleuve coule a peu pres directement vers le sud , puis apres quelques contours , il s'incline a I'ouest , et vient se Jeter dans la mer au cap Formoso , en descendant du nord-esf depuis Kacunda. De Boussa a la mer la distance serait encore a peu pres la meme que de Boussa a Tombouctou , de sortc que le dc'veloppement du cours entier du Niger de'passcrait une longueur de sept a liuit cents lieues. L'importance de cette immense route , ouvcrte a la civilisation et au commerce, depuis rOce'an jusqu'au centre dc I'Afrique , est encore de beaucoup augmentc'e par la dc'couverte de la riviere Tshadda qui passe a Bornou , et se jette dans le Niger a peu de distance de Kacunda. Avant peu sans doute nos bateaux a vapeur seront maitres de ces ri- vieres , et apprendront aux sauvages babitans dc ces belles contre'es loute la valeur des richesses qu'elles peuvent produire. On tardc peu de nos jours a envabir les routes nouvelles ; et dans I'Ame'rique du nord , les voyageurs qui se promenent de compagnie , enloure's de tontes les ressources du luxe et de Tc'legance , sur les eaux de I'Ohio ou du Missouri , peuvent entendre les vieillards leur raconter le tems oil ces rivages , a peine effleure's par la civilisation curope'enne , e'taient le domaine de la nature inculte ct des peuplades barbarcs. D'ailleurs lorsque Ton voit la rapidite avec laquelle quelques hommes ont su ache- ver, a traA^ers tant de dangers et d' obstacles, la longue exploration du Niger , on peut garder bon espoir au sujet des rc'sultats qui doivent couronner leur conqiiete. Au commencement de ce siecle , la ge'ograpbie moderne e'tait a peine plus avance'e que la geographic antique sur ce cbapitre important de la MELANGES. 127 connaissanre du globe. He'rodote rapporle dans son liistoire que quel- ques jeiines INasanionicns, s'etant dirige's a travers le desert;, a I'ouest de rEgypte , parvinrent a line ville considerable, situe'e foit avant dans les terrcs et baigne'e par un grand fleuve qui coidait de I'ouest a Test. Jus- qu'a Mungo-Park , ce fut la Ic seul te'moignagc autlientique qui parvint al'Europe, relativement an fleuve central de I'Afrique; ce renseigne- ment isole', joint a ccux que donnaient vaguemcnt les Arabes sur I'exis- tence d'un autre courant, peut-etre la riviere Tshadda, qu'ils nom- maient Nil des negres et faisaient courira I'ouest en partant des memes sources que le Nil egyptieii , e'tait re'le'ment unique sur lequel s'ap- puyaient les nombreux systemes etablis par les ge'ographes sur I'inte'- rieur du continent africain. La soci etc fond e'e en Angleterre pour la de'couveite de I'Afrique sentit qu€ les premiers efforts devaient etre dirige's sur ce point fondamental , et ce fut sous ses auspices et sous sa protection que Mungo-Park , le premier parmi les raodcrnes , atteiguit enfin ce fleuve si long-tems in- connu et si long-tems controverse. Apres avoir remonte' la Gambie et les branches superieures du Senegal , il redescendit sur le versant op- pose des montagnes qui leur donnent naissance , et pe'ne'tra jusqu'a Se'go et a Silla , en suivantles eaux de la riviere qui coulait de Test a I'ouest; mais il ne put rien preciser au-dela , et les theories sur la marche ul- te'rieure de cette riviere demeurerunt base'cs sur des discussions et des conjectures plus ou nioins savantes et plus ou moins inge'nieuses. Les uns pensaient que le Niger, continuant a sc diriger vers Test, allait aboutir a un grand lac ou marais, de'signe' sous le nom de TVangara , ct situe' a trois ou quatre cent lieues de Tombouctou ; d'autres prclcn- daient que le Niger et le Congo ne faisaient qu'un meme fleuve , qui, apres avoir de'crit un long circuit dans I'inte'rieur , finissait par revcnir a la cote occidentale. Un ge'ographe allemand fut le seul qui avanca une hypothcse qui se trouvait d'accord avec la verite; il pre'tendit que ^e Niger, apres avoir coule a Test, revenait au sud-ouest et tombait dans le golfe de Guipee ; mais son opinion , n'etant point assez solide- raent appuye'e , demeura sans cre'dit et sans consequence. Mungo-Park , place' a la tete d'unc expe'dition de de'couverte par le gouvernement britannique, repartit une seconde fois pour I'Afrique dans I'intention d'explorer le cours et 1' embouchure du Niger. II reprit sa 1 :? (le deiiK itiillo ans , cssaient en vain dc se raltacher au passe ; le present It's pressc et Ics dc'vance. Inconscquens alors memc qii'ils ]iaraisscnt ex- cliish'cmcnt plonges dans la logiquc, ils ne s'apercoivcnt pas qu'en re- pudiant par un mouvemcnt instinctif la rclij^ion ct la morale fonde'es snr leur theorie de riiomme , notrc socie'te condamnc falalenicnt leur rae'ta- physique. Ils ne s'apercoivent pas que si I'anciennc morale est sape'e dans ses fondcmens , comine la morale n'est autre rliose que la loi so- ciale , oonrue d'apres une certaine science de I'liomme , c'cst necessai - rement une nouvelle science de rhomme qui doit etre concue a notre c'poquc pour etablir une nouvelle morale. Ils defcndciit opiniatrement le ju'incipe, bien qu'ils voient la consequence ruine'e ; ils analyscnt , dis- cutent, commcnlent ; maisun cercle vicicux les e'treint, et ils s'e'puisent a le parcourir en tout sens, quand il s'agitd'cn de'couvrir Tissue. - La phrc'nologie tend a reuiplacer aujourd'hui I'ancienne me'taphysi- que. Voiciqu'onla regardc comme un principe acceptable : lesliommes avances comprennent la porlc'e dc ses consequences , ct ils remarquent, avec une curiosite' satisfaite , que ce qu'il y a de durable et de puissant dans les theories nouvcljement e'mises snr I'avenir de riiumanite peut au besoin etrc A'e'rifie' par les notions plire'nologiques. A cet e'gard on peui falre sur le niouvement intellectuel dc I'Europe une observation inte'- ressantc , c'est que I'instiuct du pi"Ogres semlile conduire an ineme but ])ar des cliemins divers les deux pcuples qui ma'chent en tele de la ci- vilisation. Et en effet, tandis qu'en France se produisaient de nouvelles vues sur I'organisation sociale , en Angleterre , oij la phre'nologie est cultive'e depuis long-tems avec pbis d'assiduite , on a applique imme- diatement ses principes a la science morale , ct on en a tire pour I'indi- vidu des regies de conduite qui, e'tendues et ge'ne'ralisees , raencraient infailliblement a des resultats analogues. L'essai sur la constitution de I'homme est sans contredit I'mi des ouvragcs Ics phis lemarquables qui aicnt e'le e'crits en Angleterre sur la ]ilire'nologieappliqueeala science morale. L'auteur,M. GeorgesCombe, d'fidimbourg , dejaconnu parmi les phre'nologistes comme Tuo des plus habiles e'levcs de Gall , el re'mule de Spurzlieim, me'rite en outre d'etre distingue parmi les philosophes moralistes pour la nettctc de ses vues , ja clarte de son style et I'cxartitiidede ses deductions. Mais ce qui plait GRANDE-BRETAGNE. 1 33 neut-etre le plus en lui, c'est un amour de riiiiiiianite calme et iiietho- diquc en quelque sorte , et pourtaut rempli de douceur. S;i uianierc rappelle les ceuvres de Franklin , oii la pliilantropie so te'moigne plulot dans I'oidre des ide'es que par la vivacite dcs scntimens. La base pbilosophique du livrc do I\I. Cuiribc est cclle-ci : le boii- heur de rhoinmc depend dd'barmonic de sa conduilc avec Ics lois dc l.i nature. L'aiUcur reronnait trois classes dc lois nalurelles , les loispliysifpics , organiques et morales; et il constate d'abord: i"leur inde'pendance mu- tuellej i" les punitions et les recompenses attacbees a bnir infraction ou a leur obeissance ; 3° leur universalite ct la Constance de l(;ur action ; 4° leur harmonic avec la constitution dc I'homme. Puis , comma c'est del'homme specialemcnt qu'il s'occupc , il aborde le sujet dc la consti- tution humaine ct de ses rapports avec la nature cxte'rieurc. Dans cette vue il I'examine tour a tour sous scs trois laces , et de- montre que rhomme , comme corps plij'sique , comme etre organise , comme etre moral et intelligent , est soumis a la triple action des lois iiaturelles , et par consequent qu'il doit avoir reju du Createur une constitution en liarmonie avec ses trois grandes lois divines. Sous le rapport humain , il doit exister dans cette sorte dc trinitc des lois naturelles , comme dans un triangle ge'ome'trique un sommet quel- conque, un point culminant. Mais ce point si important a determiner, cpiel est-il? Pour le trouver, il suffit d'analyser les faculte's humaines dans leur action particuliere , et de de'montrer I'infliience de chacunc sur le bonheur reel. En effet , puisque la nature semble avoir indique , pour premiere condition de I'existence , que tous les etres anime's re- cherchent leur bien-etre, il suit que les facultes qui conduisent I'indi- vidu au bien-etre par la voie la plus sure doivent dorainer toutes les autres. Or la phre'nologie constate que notre cerveau comprend trois grandes classes de faculte's : i° celles qui poussent I'homme a la satisfaction des appe'tits pliysiques ; 2° les faculte's morales; 3" les faculte's intellec- tuelles. L'e'nume'ration est a pen pres complete; il s'agit de determiner comment chacune d'elles opere spe'cialement dans les diverses circon- stances de la vie. Les faculte's physiques sont toutes e'galement commu- nes a I'homme et aux animaux infcrieurs , tandis que les faculte's mo- I 34 LIVRES ETKANGERS. rales eten giande partielestaculte'sintelleotuclles nous sontparticuliert's, De sorte que lorsqu'on iccherchp la difference capitale (|ui existe entre ces deux grandes classes de faculte's-, on apercoitquela premiere a pour objct la conservation de l'lndi^•ldll hii-raerae on de safamille , tandis que le but de la seconde est le bien-etrc des autrcs, on i'accomplissement de nos devoirs envers le Cre'atcur. II y a done d'un cote tendance a rego'isme , ct dc I'autre tendance a I'abne'gation. A ne ])rcndre I'individu liumain que sous son aspect isole , il est sans doute evident que les faculte's physiques , par cela mcme qu'elles alisorbent Icur action dans la person- nalitc , sent les plus puissantes pour parvenir imme'diateraent au bien- ctre , et ce n'est pas sans une raison profonde que ces faculte's dominent chez les animaux infe'i'ieurs condamne's par leur organisation a la vie sauvage et a I'e'tat tie solitude. Toutes Icurs jouissances nc peuvent se borner qu'a la satisfaction de leurs appe'tits. La nature , en assignant ce but a leur activite' , devait leur de'partir les moyens voulus pour y at- teindre ; et c'est ainsi qu'elle a fait. Mais I'homrae est-il destine aussi a I'e'tat de solitude et a la vie sauvage? N'est-il pas avant tout un etre social? Si , au contraire, sa constitution est telle qu'il doive trouver dans la socie'te ce que les animaux infe'rieurs trouvent dans I'isolement, je veux dire son bien-etre et la satisfaction de ses besoins , n'est-il pas dune necessite logique que chez lui les facultes sociales, et par con- sequent leslois de ces facultes, soient conside're'es comme devant occuper le premier rang? En partant de ce principc , si on analyse la vie humaine dans ses relations , on sent qu'il n'y a de bonheur pour I'individu que par les faculte's morales. On reconnait que les jouissances qu'elles pro- curent sont les plus c'leve'es , et qu'il n'y a dans les plaisirs physiques , lorsqu'ils ne sont pas fondes sur une base morale , que vide et satie'te. Cela nous conduit a ce resultat important , que pour I'homme la pre- miere loi est la loi morale ; que les sentimcns moraux et rintelligence doivent exercer en lui la superiorite' , contenir les faculte's physiques , ou du moins combiner leur action aveugle d'apres I'inspiration sociale. Ce principe pcse , il importe de raontrer comment les faculte's de i'homme ont etc raises en relation dircctc avec les objets exte'rieuis ct comment le monde du dehors a e'te arrange par rapport a elles. C'est par une inspiration vraiment admirable que les anciens appelaicnt I'in- telligence humaine petit monde (y.i./.,oo/.o7f/.o:) : la phrenologic nous ex- GR/VNDE-BRETAGNE. ' 1 35 1)li(|ue cetle belle expression. Notre intelligence est en effet le miroir du niondc; ellc semble un point central aiitour duquel se dcVoule la cbaine immense des choses exte'rieiires en s'y re'flecbissant. Eile est un assemblage de faculte's diverses donl chacun individuellement cxerce son action sur une portion de I'univcrs. Les unes sonl les organes de nos sentimens , qu'excite tour a tour chaque partie du grand tout , comme nos doigts tirent des sons en frappant les touches d'un clavier. Les au- tres se plaisent a connaitre , a observer, a analyser la creation dans ses parties les plus intimes. D'autres enfm , conside'rant dans I'arrangement -du monde une suite infinie d'eft'ets, en rechcrcbent les causes et les de- couvrent. Cost ainsi que rhomnie se trouve lie a la vie unwerselle , et ((ue ses faculte's raanifcstent elle-meraes avcc une haute e'nergic le grand phe'nomene de la vie. Mais la vie qu'est-elle en derniere analyse , si ce n'est une action non jnterrompue? Et poiu'quoi nos faculte's mentales, nos membres, nos or- ganes physiques, pourquoi tout ce qui constitue la i'ie en un mot aurait- il (ite donne, si ce n'est pour l' action? Done I'activite' , I'exercice babi- luel de ses organes est une loi impe'rieuse de tout etre vivant : et si I'etre est compose d'organes moraux, intellectucls et physiques, il suit que son de'veloppement sous ce triple rapport est la consequence ne'ces- saire de son organisation; qu'ainsi il manque a sa loi et doit souffrir quand il se developpe suivant une seule direction en ne'gligeant les deux autres. Car les lois naturelles sont par demonstration universei- les, invariables et inde'pendautes les unes des autres. l^uisque Ihomme doit rechercher son bien-etre , il faut, d'apres les notions que nous venons d'exposer, qu'il cherche un systeme d'action ou de vie dans lequel il puisse se developpcr suivant cette triple di- rection, en attrihuant , ainsi que nous I'avons indique , la suprematie aux faculte's morales. Les avantages ge'neraux d'un pareil systeme se- raient ceux-ci : 1° La diminution des misercs affreuses qui pesent sur la classe pau- vre par suite de Tcncombreraent du travail. Car les hommes compre- iintit que le travail est une chose bonne et ne'cessaire en soi pour le de'- veloppement des organes , ils s'y livreraient tons a courtes seances; :^race a la division des efforts, lesmcmes re'snitats seraientd'ailleurs obte- niis plus vile et moins peniblcment. l36 LIVUES ETKANGEKS. •i" li a etc pose en principe que robscivation et la counaissance des lois natmelles nous sont necessaives : les travaux piopres a leur etude e'tant organises favoriscraient un de'vcloppement gc'nc'ralde rintelligence utile au bonheur dc riiuuianitc. 3" Les I'acidtcs hiimaines e'lant conjointement developpees raeneiaicnl I'association luimaine a sa plus grande perfection et re'pandraienl un charme infmi dans les rapports des liommes entre eux. Un pareil systeme doit ctre conside're comme le beau ideal de I'orga- nisation sociale, comme lui type vers lequel les liommes doivent tendre indefiniment. C'est uniquemcnt sous cc point dc vue qu'il est offcrt, inais sans indication aucunc d'une I'c'alisation immediate ou meme pos- sible. Telle est ce que j'appellcrai la premiere partie de I'ouvragc, biea que je ne suivc pas tout-a-fait la division indique'e par I'auteur. Les principes ge'ne'raiix c'tant pose's , il reste a s'enque'rir si les liom- mes y conl'orment habituellement leur conduite , ou bien s'ils ne suivent pas une ligne contraire. Et d'abord decouvronsun fait grave et de'plora- ble dont il iniporte de constater I'universalite'. La socle'le' humaine est souffrantc, elle languit dans unpe'nible marasme : et sa voix ne se fait entendre que pour cxhaler des cris de desespoir ou bien pour cxprimer cc vague ennui de toutes chosesqui, cliez les individus , provoque au suicide. Mais , on I'a dit , la socie'tc nc se suicide point : il s'est ren- contre des e'poques,, parmi lesqucUes on pent ranger la notre , ou elle a souffert un redoublemcnt de douleurs : de semblables epoques ont tou- jours amene' mi tems d'arret, qui a permis a I'humanite' de respirer JTisqu'au jour oii le destin I'a lance'e de oouVeau dans la carriere des re- volutions, II devait en etre ainsi, car dans le moment ou la socie'tc' souf- fre le plus, c'est-a-dire quand elle a le plus conscience de ses douleurs , son instinct la porte immediatcmcnt a en chcrclierle remede. Nousaussi qui souffrons et qui avonsbesoindu remede, examinons si la source de nos maux n'cst pas dans une infraction aux trois grandes lois de la natu- re, au lieu de I'imputer comme on I'a fait souvent a I'arrangement vi- cicux dc I'univers. Pour parlcr en premier lit'u dr nos soufl'ranccs piiysiques (distiuc- lion faitc d'ailleurs entrc ellos et les maux qui sc rapportent imme'diate- incnt ;i I'or^anisalion;, ellcs rcsuUcnt rn givindc partie dc la loi de \^ GRANDE-BRETAGNE. I'dj gravitation, de la rigueur dcs cliin.its , et dii cliangeuieiit des s,iisons. Or il s'est trouve des liommes qui ont puise dans ce fait un textc d'ac- cusation contre le cre'ateur, et qui se sont demande comment Tetre lout- puissant et bon par excellence avait pu organiser Thomme en contradic- tion avec les lois de la nature; mais la contradiction n'existait que dans I'esprit de ces faux raisonneurs. Sans doute uotre corps pent sc briser dans une chute en subissant un facheux effet de la gravitation, il peut souffrir du froid et du chaud, mais il n'y a rien dans tout cela qui doive motiver un reproche a la Providence. D'abord, a juger les choses de liaut, les lois de la nature ne sont-elles pas la conservation de la nature meme, et par consequent de I'liomme qui en fait partie? Puis, dans les circonstances particulieres oil Taction gc'ne'rale de ces lois pourrait etre nuisible a I'individu , I'homme n'a-t-il pas des faculte's qui le rendent capable de se mettre spontane'ment en harmonic avec elle ? Enfm , en voulant que I'activite' de nos faculte's fut pour nous un bien-etre , ct en nous enjoignant en meme terns le travail intellectuel pour de'couvrir scs lois, la Providence n'a-t-elle pas ete' consequente dans ses vues d'ordre et de bonheur, touchant Tensemble de la creation comme toucbant i'in- dividu lui-meme? Certainement une portion nombreuse de rhumanite dcmeure expose'e aux souffranccs physiques qui re'sultent de I'intcmpe'rie des saisons; mais puisque le travail est ime ne'cessite pour la conserva- tion de notre etre , nous dcvons recounaitre une sage prc'voyauce dans le besoin qui nous y incite pour combattre la souffrance physique , surtout quand nous voyons que chaque generation transmet a la ge'ne'ra- tion suivante les fruits de ce qu'elle a seme' et I'e'le'ment d'un eternel progres. Une cause plus fre'quente encore des miseres humaines, c'est I'infrac- tion aux lois de I'organisation. Trois conditions principales assnrent la sante d'un etre organise' : la premiere veut que le germe dont il est ne' soit comple'tement sain J la seconde exige une nourriture abondante et de nature convenable, comme aussi un air pur et la lumiere du ciel ; la troisieme veut que tous les organes soient convenablement exerce's. 3Iais ces trois conditions sont-elles re'gulierement observe'cs? Et si 1 homme ne satisfait pas aux besoins de son organisation, pourquoi s'e- lonner qu'il en souffre? La race humaiiic peut sc diviscr on deux parts: 1 une manque du necessaire, pour I'autre il y a siipcrflirite; Tunc est 1)8 LIVKlvS ETllVNCiliRS. accablc'c par iiii travail sans rclaclie , rautiv consiiiiif sa vie dans I'oisi- vetc. Des dcn\ coles on manqvic a la loi providentiello : des deux cote's il y ;> ne'cessaireiuenl malaise et souftVancc. Mais , il faut le repeter, re malaise, les liummes poiinaient re'vitcr en bannonisanl leur conduitc aver les institutions du Cre'ateur. Nous avons dit ([uc la premiere con- dition pour un etre organise elait ipi'il sorlit d'un gernie sain: or cette loi , la plus importante do toutc, n'est-ce pas cclle qui est le moins obc'ie? Nous avons prouve que les houimes , dans leurs rapports entre eux, doivcnt considler d'abord I'inspiration ile la loi morale; eh bien ! n'esl-il pas vrai (]ue dans Tacle le plus important de la vie, dans le ma- riac;e,ils agisseiU piesque lonjours en contraiticlion avec elle? L'liomrae s'allic a la femme pour satisfaire ses iuclinalious infe'rieures, ses appe- tits pliysiques, son ambition ou son avarice; ct dans un engagement qui S('nd)le devoir etre londe sur I'araour pur ct lo dcvouement, il n'intro- tliiil (|ue le calcid et rego'i'sme I Aussi que d'enfans faibles , maladits , parce qu'ils sunt ne's d'unions mal assortics? \ oila ])our la soutlrance physique. Simaintenant nous oluTcht)nsanous reudre compte desde'sas- Ircs laoraux produits par la u\cme cause , ils sont innonilirables. Une des plus importantes decouvertes dc la plue'nologie est celle qui constate et qui expliquc la transmission hereditaire des faculte's nu-ntales. 11 suffil d'iudiquer uu pareil apercu pour laire comprendrc la portc'e des conse- quences qui en resultent. C'est une chose evidente qu'cn ayant e'gard a cetle loi organique, les luuumcs e'vileraicnt une foule de maux, et Ic uouibre des organisations anormales, e'^o'istes, anti-sociales , diiuinuant dc jour en jour, Ic nombre des ames soTiifrantes diminuerait par con- tri'-coup : car la souftVance morale est generalement produite par I'etat anormaldc la socie'te, c'est-a-dire par Taction desordonnee des laculte's e'goistes dans un ordre de choses fonde en principe sur la siipe'rioritc des facullcs d'abnegatiop. Nous jwrlons des miseres humaincs , et , comma on le voit , par suite de nos j^rincipes qui constatent que rhommc est un asseinldage d'orga- nes moraux , intellectuels et physiques , nous avons peine a distinguei dans leur liaison elroite les souftVanccs physiques des soulTrances mora- les. Cependant nous avons rem.uque (ju'il existe dans les lois nalurelles Irois grands tvpes auxqi'^ls se rapporlcnl tiois modes distincts dc I'ac- tivile huniaine ; nous avons dit que riiarmonie He mitre nrtirite avei~ GHANDE-ERETAGNE. iSq Taction de ccs lois constitue Ic bonheur : il taut done lechcirher dans I'infraction aux lois morales la cause imme'diale de nos souffrances mo- rales. Or, la loi morale regie sous deux rapports la conduite de I'horame : elle lui prescrit des devoirs envers son createur et envers scs sembla- bles. A I'egard du createur, elle commande la venc'ration et \a foi (c'est- a-dire Tespe'rance) ; a I'egard de nos semblables, I'amour et la justice. Ces quatre sentimens sont tout-a-fait en dehors de la personnalite : tout ce qui rentre dans le cercle de la personnalite est done contraire a la loi morale, prise dans son sens le plus absolu. Maintenant si nous exami- nons en elles-memes toutes les souffrances de Fame, nous verrons qu'elles n'offrcnt jamais ce caractere d'abne'gation individuelle dont la loi morale nous fait un devoir; et consequemment qu'elles de'rivent toutes d'un principe oppose a nos obligations envers Dieu ou envers nos semblables. Et d'abord, si nous analysons ce genre de souffrance qui exclut par lui-meme toute idee d'e'goYsme et qui nait d'une sympathie extreme pour le malheur des autres , il est remarquable qu'une telle douleur , quand elle devient re'ellement pe'nible par son intensite , n'existe que par suite d'une certaine faiblesse religieuse : le fait parti- culier nous absorbe, parce que nous n'avons pas la foi'ce de nous clever plus haul; et nous souffririons moms , c'est-a-dire avec une re'signation plus grande , en conside'rant les miscres de la creature , si nous conside rions aussi la justice et la mise'ricorde infinies du Gre'ateur. — Par la meme raison, on peut s'acquitter de tous les devoirs pratiques que la devotion religieuse impose , et faillir suivant la loi morale : comme ces chre'tiens qui ne manquent jamais une mcsse ni une confession , tout en s'abandonnant a re'goisme le plus dc're'gle. Dans ce cas la loi morale re- vcndique encore e'nergiquement ses droits , ct chatie les transgresseurs en leur iraposant soit le me'pris public, soit un remords secret et ven- geur , soit enfm la privation des jouissances pures et e'leve'es que Ton goute dans I'exaltation des puissances de I'ame. II re'sulte de ces deux exemples que la loi morale veut etre obe'ie pleinement et harmonieuse- mcnt sous ses deux faces, pour ainsi parler, et qu'une obcissance in- complete recoit toujours son chatiment. A plus forte raison le cliatiment est-il immanquablement reserve' a I'infraction entiere. Nous nous con- tenterons, sur ce sujel, de citer le fait le pins univcrsel qui apparaisse a nos yeux dans une opposition directe avec la loi morale : nous voulont l4o LIVRES ETRANGEHS. parler de la guerre. La guerre , c'est-a-dire la cbasse de riiomme par I'homme , est la plus e'nergique expression de toutes Ics passions mau- vaises et anti-sociales : elle resume en elle I'idee de rimmoralite' la plus grande dans sa plus vive action. Elle est basee sur la liainc et la fe'ro- cite , tandis que la loi morale nous ordonnc I'amour et la douceur. Eh bien I la guerre , c'est la miserc la plus terrible parmi Ics miseres hu- maines. II est inutile de nous etendre sur ses de'sastreux effets : nous les connaissons tons. Seulement nous devons remarquer a cette occasion que le chatiment s'accroit toiijours en laison directe de la gravite de I'in- fraction faitc a la loi morale. Nous venons de constater comment toutes les souffrances de I'homme sent produitcs par sa dc'sobe'issance aux institutions naturelles ; mais ce qui iraporte aussi, c'est de remarquer les rapports existaus entre ces insti- tutions dans leurs trois grandes spc'cialite's. Par exemple , si nous suppo- sons un vaisseau dont I'equipage entier soit adouue' aux passions bruta- les , de telle fajon que les matelots et le capitaine , au lieu de veiller a leur surete , sc laissent tomber par exces de boisson dans une Ivresse complete J que le vaisseau vienne a perir dans cetle occurrence, et nous aurons une preuve de la liaison qui existc entre les trois grandes lois providentielles. Les lois morales auront e'te' violees par la debauche ; les lois physiques par le choc du vaisseau contra les rochers ; les lois orga- niques par I'impuissance de ces hommcs a latter contre les {lots ; et la mort se presente ici vengeresse de I'infraction faite simultanement a toutes les lois naturelles. L'enchainement de circonstances que nous ve- nons de supposer se reproduit frequemment dans le corns ordinaire de la vie. Seulement, pour une I'aison que nous avons deja explique'e, Taction de la loi morale sur les deux autres est plus importante que Taction de celle-ci sur la premiere. Ainsi il doit en re'sulter que les miseres humaines proviennent en grande partic de I'infraction aux lois morales; ct , par conse'quent, qu'une obe'issance entiere a ces lois sera»t \c plus sur acheminement dc I'homme vers I'entiere felicite. Tel est le cercle d'ide'es parcouru par M.-Coml)e dans son Essai sur la conslitutioii de I'homme. Nous I'avons retrace aussi fidclement (ju'il nous a e'te possible, ayaut plus a coeur d'etre exacts dans I'e^cposi- tion que d'y mcler nos observations pcrsonnellcs. On peul remarquer. dans eel e'crit, une grande rigucnr systcmatiquc , et dcs considerations GRANDE-BRETAGNE. 1 q 1 qui ne manquenl pas d'iraportance : quant an murite du style, nous I'a- vons deja signale. Je me Lornerai a rassembler ici en forme de resume ce qu'il y a de phis grave dans les theories pre'ce'dentes : j'entends tout ce qui me parait rcnfermer en soi un germe d'avenir. Le priticijxil raerite de I'auteur est, i''d'avoir entrevu la ne'cessitc d'nne encyclopedisation de Vhiiinanite ; "i" D'avoir nettement pose' dans cette encyclope'disation la supe'riorite' de la morale ; 3° De comprendrc dans la loi morale la loi religieuse qui en est la sanction et le complement ; 4" De determiner clairement la triple direction de I'activite lui- mainc , et la ne'cessite' d'lin de'veloppemcnt parallele dans cette triple direction. Maintenant, pour faire la part de la critique, nous devons ajonter qu'une partie de ces ide'es avail deja etc de'veloppe'e par le docteur Spurzheim dans ses diffe'rens ouvrages ; ellcs sont d'ailleurs la deduction naturelle des travaux. phre'nologiques accomplis par lui et le docteur Gall. Nous devons dire aussi qu'en poussaiit un peu plus loin sa logi- que , I'auteur aurait e'te' conduit a ce resultat si important pour les des- tine'es futures de I'liumanite, que constater la ne'cessite d'un de'veloppe- mcnt parallele dans la triple direction de I'activite humaine , c'e'lait proclamer la ne'cessite d'une morale nouvelle I Car I'ancienne morale ne comprenait le de'veloppemcnt de ractivite humaine que sous une face. Or, toute la question sociale est la. L'auteur est sous la pre'occupation de la morale chre'tienne , et il parait craindre les consequences du principe fe'cond qu'il annonce pourtant : c'est que toutes les faculte's sont bonnes en elles-mem€s. Enfin on peut lui reprocher de u' avoir pas entrevu au moins que les principes phr€'nologiques devaient conduire I'encyclope'- disation humaine au classement selon I'aptitude dans un ordre absolu. Quoi qu'il en soit, M. Combe a le merite d'avoir aborde les questions de morale les plus importantes et les plus nouvelles. II a pressenti , s'il ne I'a pas compris en entier , que nous touch ions a une e'poque de reor- ganisation sociale : bien plus, il en a de'terminc' quelques conditions. Ce n'est pas une petite gloire dont nous nous plaisons a lui faire hom- uiagc. PROsi>F.n DrMOM. 1^2 LIVRES ETRANGERS. ■2. Observations on the Musulmans ok India , etc. — Observa- tions siir les musulmans de VInde, etc., par Mistriss Mekk Has.san Ali. Londres , i83v>.; Parbury ct conip. Deiix vol. in-8". 3. Annals and antiquities of Rajusthan. — Annates el Anti- ^uUe'i. ; Smith Elder et oompagnie. In- 12 de 3io pages. GRANDE-BRETAGNE. l49 I 1 . Tales of thi: Alhamdra. — Conies de V Alhambra par Geoffrey Crayon : troisieme sene dii Sketch Book. Louflrcs, i83-4 ; Colburn et Bcutley. 'z vol. in-S". ROMANS POLITIQUES ET AUTUES. Les gouvernemens repre'sentatifs , arcbe d'alliance entre le passe et I'avenir, sent evidemment bien maladcs, car les me'decins affluent de toutes parts. Politiques, e'conomistes, philosophes, poetes, romanciers, en Anglelerrc aussi bien qu'en France, chacun apporte sa consultation, chacun disserte et fait I'histoire de lainaladie : pas de bonne femme qui nedise son mot, qui ne propose son rcmede ; et les allusions raordan- tes , les altaques ouvertes , les railleries , I'amere ironie , I'opposition et la resistance enfin passent dans le roman , miroir plus ou moins fidele des salons. M. Galt a fourni, dans le Depute et dans le Radical, des projectiles a chacun des camps ennemis. 11 paralt que cette guerre I'a muse. Quant a nous , nous voyons avec amertume tomber chaque jour en ruine et en poussiere des institutions , des croyances , usees il est vrai, maisque rien ne remplace. La discussion de'chire tout, haillons apres haillons, et, sans regretter ce que Ton perd, on s'afflige de voir a nu son indigence. Ce qui serre douloureusement le coeur de quelques uns epanouit le rire sur quelques bouches moqueuses , et I'autcur des trois premiers romans de la longue kirielle que nous annoncons a nos lecteurs est un de ceux qui se divertissent des nonibreux ridicules mis a de'couvert, dans la chaleur du combat, par les champions des deux par- tis. M. Gait affiche une grande impartialite' de moquerie en donnant, a peu de distance I'une de I'autre, deux caricatures qui font pendans, anti- these d'ironie qui se de'veloppe en deux ouvrages se'pares. Le premier de ces types, le Depute, Archibald Jobbry, riche nabab e'cossais,de'd ie le journal de ses cris et de ses silences , de ses Ecoutez , Ecoutez , et de ses Chut, des applaudissemens et des murmures, etc. destine's a sou- tenir la constitution et a repousser I'anarchic, enfin la complete et fidele narration de ses loyaux services , au brave chef de file des torys de la chambre des communes , Williams Holmes esq. M. P. Ainsi un sol- dat consacrerait le re'cit de ses campagncs au lieutenant qui commandait les a droite, a gauche, en joue , feu! Le he'rosdela seconde biogra- phic, Nathan Butt, le Radical, presente au right and honorable l5o LIVRES ETR ANGERS. baron Brougham et Vaux, tete du parli qiic^ Nathan embrassa des son enfance , I'esquisse de ce^jue le virulent radical appelle sa vie indepen- dante, et de la turbulente et niiisible inquietude qu'il traite de patriolis- me. «Qui meritait roieux cctte "marque d'estiine)>, dit le fougueux libe- ral, «queceluia qui sculappartient la gloire sans scconde d' avoir e'tabli, » enpleinparlement, le droit de I'liomme a determiner I'e'tendue de ses » privileges sociauxPcelui qui, sc'parant les principes des prejuges, a cn- )' leve ala proprie'te'sastabilite suranne'en ?Ces deux propositions parais- sent a M. Gait lellcment mal sonnantcs et sentant rhere'sie, qu'il ne croit pas pouvoir en fairemieux valoir le ridicule qu'enlese'talant, dans leur nudite, aux yeux de ses lecteurs. Cependant les chefs de la constitution anglaisc eux-niemes , en en- lendant nnigir les vagues populaires sous leur vaisscau mal leste, ont compris qu'il u'y a maintenant qu'un garant du repos des masses, leur l)onheur, et il n'y a pas de bonheur et de calme pour rhomme sans ])roprie'te. Le nabab s'est decide a se faire elire membre du parlement, « prin- » cipalement, » avoue-t-il avec candeur, wdans le but de pourvoir con- » venablemont sespauvres parens et allies, sans faire breche a la fortune » qu'ila rapporte'e des Indes.» M. Butt s'est enrole dans le radicalisme, enfant et e'colier, parce que toute chaine, toute etude re'voltait son es- prit vagabond : il a ete' tour a tour la terreur de ses freres et de ses sceurs , le reprouve' du college , le maudit de son pcre ct le chef de re- volte dans les classes et dans les clubs ; tandis que champion , ne' des choses e'tablies , comme le radical en est I'ennemi ( quelles qu'elles soient ) le depute se montre instrument aussi aveugle du iiesoin de re- pos, que I'autre Test du besoin de mouvement. Sir Jobbry c'tablit assez plaisamment les regies de conscience d'apres lesqucUes il gouvcrne son vote : « entre les whigs et les tories , » dit-il , « il m'cst de toute im- » possibilite de distinguer et de choisir. Un tory est un whig place , un )) whig n'est qu'un tory sans place. D'apres cela il ne pent jamais etre » difficile pourun hommeconsciencieuxd'appuyerlegouvernemcntavec » une invariable Constance, quels que soient lesorgancs qu'il sechoisit,» M. Jobbry de'crit aussi avec une bonhomie assez plaisanle les rouages qui font marcher la machine repre'sentative. 0 Quand j'examine avec quelque attention , il me semble , » dit-il , GRANDE-BRETAGNE. 1 5 I « que c'est surtout le de'sir de Irouver joint a pourvoir leuis amis ct » creatures qui pousse les hommes a se ranger dans I'opposition. Voil;i » le secret motif qui fait voir a ce dernier parti faute dans toute insti- » tution e'tablie : pour lui, toute place remplie est mal rempliej de la » vient que ce parti ne parle qu'ameliorations , plans et tlie'ories nouvel- » les , toutes nationales , que les promoteurs assurent etre seuls capables » de mettre en pratique, s'y engageant des qu'ils seront rainistres . Or, sous » pretexte d'e'tablir de meilleiu-cs institutions administratives ou judiciai- » res , I'opposition , arrive'e au pouvoir, en introduit de nouvelles qui lui » permettent de caser convenablement amis et cre'atures..Ce n'est pas tout, » il faut indemniser les proprie'taii'es des anciens cmplois : je ne prendrai » point sur moi de de'cider si Ton a ou non gagne au cliange,^mais il est » e'vident qu'il y a redoublement de charges et de salaries. Le bon de la » cbose , c'est que le cliangement s'effectue sans trop de de'rangemcHt et » de fatigues individuelles, ceux qui soutenaient le vieux systeme sont mis « de cote, pourvus, comme de juste, en anciens serviteurs, d'indemnite's » convenables • et les nouveau-venus sont mis en possession de toutes les » places hautes et basses. Ensuite, avec le terns, et a mesure que les in- » demnise's meurent, le mal s'atte'nue. » Ces petits romans d'ironie politique, ecrits dans des sens diffe'rens , paraisscnt longs, bien que M. Gait y de'ploie du talent, de la sagacite, de la finesse. La passion manque. Je ne parle pas de celle sur laquelle roulaient tous les romans du dernier sieclc, mais la passion politique. On se demande de quel droit un homme , s'il n'est partisan aveugle et chaud de ce qui existe , pent prendre pour type d'esprits ge'ne'reux que de'vorent le besoin d'amelioration et le de'sir de pousser la societe vers les tenis meilleurs, un miserable, rebut de toutes les classes, qui court au bruit et au de'sordre , comme les vautours, les corbeaiix, volent sur les champs de bataille; un Nathan Butt, choisi dans cette sale tourbe que ceux qui veulent marcher a la conquete de I'avenir remor- queiit aprcs ens , car cette suite funeste appartient a toutes les arme'es , a toutes les fanfares , clle est de tous les mouvemens dans quelque sens qu'ils se fassent. D'un autre cote, s'il n'est le se'ide d'un nouvel ordre de choses, enthousiaste de quelque utopie, de quelque the'orienouvelle, non encore fle'tric par i'essai , comment M. Gall ne voit-il dans ceux qui reponsscnt avec effroi les revolutions, parcc que Icurs bienfaits sont ?52 LIVRES ETRANGERS. douteu^, ieurs inaiix certains j qui cioient cncoro a cc que vene'raient kurs peres,et qui souticnnent, du peu qu'ils ontde force, un edifice qui fut beau et qui abrita Ieurs a'l'eux; comment nc voit-il dans ces hommcs que d'imbeciles egoistes , dcs Archibald Jobbry , dont I'incapacite egale I'avarice? On est excusable de ne montrer que le raauvais cote dcs gens et des choses quand la clialeur des expressions , rentrainemcnt du style accusent la passion , quand c'estun antagonistequiparle.Geluiqui, plein de foi et d'ardeur , vcut me gagner a ses opinions , me convertir a sa croyance, rcmuera toujours mon arae, quand memo il n'entrainerait pas ma conviction. Mais jc ne puis sympathiser avec un blame univer- sel : cette philosophie qui fait recueil de sottises de tons Ics hommes pour s'en rire , qui cherche de sales motifs a toutes les opinions pour lesflctrir, m'est adverse , et il me semble qu'il est bon bcsoin qu'il nous vienne de ces heureux ge'nies qui forment do nouveaux liens dans la socie'te , qui y creent une fraternitc : de ces hommes qui savent voir et de'velopper ce qu'il y a de beau dans chacun , qui instruisent enfin a aimer, a admirer, apotres de bienveillance et d' union. Le talent un peu minutieux de M. Gait se retrouve dans les Cama- rades de college , ouvragc moms satirique que les pre'ce'dens. II y a toujours peu de largeur dans 1' observation , mais de la finesse , de jobs de'tailsj du comme'rage plutot que du dialogue , et de I'esprit, surlout de I'esprit. Nous avons rendu compte dans cette Revue , il y a plus d'un an , d'un roman de la meme plume fe'conde , Bogle Corbett , e'crit dans des vues d'inte'ret pid)lic , et que nous avious lu avec plus de plaisir qi>e les derniers ouvrages de M. Gait. On ne s'y attendrait guere sur le titre, qui a tout I'air d'annoncer un ennuyeux plaidoyer, pour ou contre la democratic, mais the Demo- crate, le ou plutot la Democrate et la Protestajite, est un roman reli- gieux , puritain ou me'thodiste (je n'entends pas trop la distinction dcs sectcs), ceuvre d'une dame qui a voyage' et profite de ses voyages, si Ton en juge par ses descriptions de la Sicile. J'e'tais cependanl tente'e dc lui reprocher de charger, dans ses conversations, spirituellemcnt dialoguc'es, I'ignorance des Sicilicnnes , qui ne paraissent pas se douter en son livre que Londres soit en Angleterre, lorsque je me suis heureuscment sou- venue qu'unedame franfaise me demandait a Ftintainebleau, il y a quel- ques annees , si les Napolitains, dont la revolution faisait quelque bruit GRANDE-BRET AGNE. l53 en cc tems-la, n'e'taicnt pas line secte religiciise. Je ne vols pas de raison pour que Ics Sicilienncs en saclicnt plus sur la Grande-Bretagne que nous sur le royauine de Naples. Sir Ralph Esher et les Aventures d'un fils cadet sont de deux anciens compagnons de lord Byron ; le premier roman , ceuvre froide , a intrigue entortille'e, est de Leigh -Hunt, qui reconnut les bicnfaits du noble lord par une satire e'crite sur sa tombe , et cet ouvrage ne repond nuUement aux espe'rances que les premiers essais de I'auteur, publiciste et poete, avaient fait concevoir. On attribue les Aventures d'un fils ca- det a M. Trelawney, I'un des jeunes gens a esprit avcntureux qui suivi- rent I'illustre poete en Grece. Des scenes de mer , de corsaires, des peintures des moeurs orientales , jettent une amusante varie'te dans ce roman, ou Ton assure que M. Trelawney mele aux fictions beaucoup de vc'rite', donnant sous cette forme et sous des noms emprunte's I'his- toire reelle de scs jeunes anne'es. M. Glassford Bell, auteur des Heures d'hwer et d'e'te, poesies pleines de charme , reveries gracieuses et touchantes, a deja ouvert fur- tivement le Fieux Portefeuille qu'il nous donne aujourd'bui, et dont le contenu est d'un genre tout-a-fait different j quelques contes s'en c'taient e'chappe's avant celte publication , et il est peu de personnes qui . n'aient lu , dans la Revue de Paris , Mynheer Fou-Wodenhlok , em- prunte au Star Polar. Qui n'a fre'mi a 1' apparition de Teffroyable squelette dont les os, de'pouille's de chair, font encore le tourdu monde au gre' de I'impiloyable jambe de liege que, sans le savoir, Mynheer Turningwort avait pourvu du mouvement perpe'tuel? Cette singuliere fiction , tout-a-fait dans le genie d'Hoffmann , appartient plutot au goiit fantastique allemand qu'a 1' observation anglaise. Le merveilleux de M. Bell est conte avec plus de bonne foi que celui de Geoffrey Crayon. Washington Irwing, qui, sous ce nom, a amuse I'A- me'rique et I'Angleterre a I'aide denouvcUcs demi-supcrstitieuses,etdc spiritiiellesesquisses pleines de de'tails minutieusement e'tudies,a quelque peu aussi de la raaniere allemande; mais il lui manque la bonhomie de nos voisins du continent : il ne croit pas assez a ce qu'il dit. Lui- meme se rit de sos Ic'gendes, et le ton serai-jilaisant , semi-croyant qu'il a adopte , charmant dans la conversation , vous rcfroidit a la lecture. Les le'gendes de I'Alhambra ont toute la richesse arabe, les picrreries l54 LIVRES ETR ANGERS. y sont piodigue'es, les Mille et une Nuits n'out pas plus d'orangers el de myrthe dans Icurs bosquets, plus ds Fontaines de cristal jaillissantes, plus de jets d'eau, plus de parterres de fleurs, plus d' elegantes colon- nades et de porticjucs dcntcle's a jour, ct pourtant je ne puis me dissi- muler qu'elles s'cniparont bien autrement de mon imagination et de mes reves. C'cst que la belle Slielierazade c'tait la premiere a se tromper a ses re'cits , clle avait foi a ces palais batis par les ge'nies, elle voyait les merveillcs qu'elle de'crit, et sir Geoffrey Crayon les inventc et les ar- range, pour notre plaisir encore plus que pour le sien. Ses portraits sont de tres-jolis portraits ; ses esquisses de charmantes csquisses. Mais donnez-raoi un conteur, un poete qui me fasse voir avec lui , et qui jouisse avec moi et plus que moi ; qui m'ouvre avec ravissement ces raagiques souterrains, ces palais d'or et de picrrcries oii des clievaux aile's se nourrissent de perles, et quelques foUes qucsoienl ses reveries, j'y croirai s'il y croit. L'habile artifice employe' par Walter Scott , qui revet les caractercs qu'il a e'tudie's , des vetemens des tems anciens , et fait agir les passions qu'il a observe'es, prononcer les mots qu'il a entcndus dans de gothiqnes salles, reconstruitcs a I'aide de vieux manuscrits, a etc depuis employe par beaucoup de ses imitateurs. Son secret magique, pour rendre une vie toute neuve , toute aninice , a des cadavres , pour colorer , pour raviver les vicilles le'gendes , a ete decompose' par plus d'lm e'crivain. Mais il ne suffit pas de connaitre la recette du vieil Enclianteur, il faut savoir la meltre en ceuvrc. Son procede', employe par d'autres mains, m'a toujours en I'air d'une marqueteric. Cc sont des pieces maladroitement rajuste'es : ce qui est d'invention, cequi est cmprunte'aux vieux chroniqueurs, ce qui est observe dans la nature, se distingue par couleurs tranclie'es , et il est fort de'sagre'able de voir les coutures. (j'est ainsi que, dans la le'gendc de la Rose de V Alhamhra , le luth d'argent qui guerit les malades s'arrange mal avec I'liistoire des manies de Philippe de Bourbon , se croyant mort , ct demandant a ctrc entcrrc, a I'imitalion dejene sais plus quel Anglais hypocondnaque qui fit faire ses obscques de son vivant. Sir Geoffrey gue'rit la folic i-oyalc qu'il a invente'e avec les sons du luth enchante de I'Aliiambra. Le bourgeois de Londres qui sert de modele a son histoire ressuseita d'unc fnron plus comiquc ; il bondit hors du ccrcucil (pi'ontouraient ses amis GRANDE-BRETAGNE. l55 el sa rcmme qui se pretaient a sa manic par I'ordre de son me'decin , (Abernethy, si je ne nie trompe), en entendant undes assistans re'pondre par une viruleutc diatribe, au concert d'e'loges et de regrets, encens se'- pulcral, dont on re'galait le pre'tendu de'funt. Le cadavre , cnveloppe de son linceul, entrcprit sa propre justification , et, en se trouvant si sensi- ble a rinjiire, il comprit, au milieu des rircs de I'assistance , qu'il ne jouissait pas de I'impassibilite' qui convicnt aux morts. Les nuages de fume'e et de punct qui enivraient Hoffmann et le faisaient vivre de visions et de reves, au milieu desquels la re'alite arrivait comme un ac- cident soudain , comme si en son somnambulisme il eiit beurte de son pied cbancclant centre un seuil , n'enveloppent pas , ne fondent pas le reel , le possible et 1' impossible dans les recits de sir Washington Ir- ving; et, quand il fait vibrer les cordes de son luth encbante sur le vio- lon de Paganini, on n'a pas suivi son reve, parce qu'il n'a point reve' , el Ton ne voit dans ce compliment au celebrcmusicien qu'une bizarrerie qui ne se lie a rien de ce qui precede, une veritable dissonance. Le talent de TAme'ricain devenu Anglais se serait , jccrois trouve'plus a I'aise, et aurait pris une allure plus naturelle et plus gracieuse , si M. Irving cut suivi la premiere route dans laqucUe son Sketch Book a obtenu des succes reels et merite's. L'obsei-vation actuelle de details comiques ou gracieux, une critique le'gere et douce, des recits faciles^, un style dont Taffe'terie est elegante et de bon ton, sont les qualite's par lesquelles sir Geoffrey Crayon s'est fait connaitre d'une facon si avantageuse; son do- maine, celni de I'esprit, est assez riche pour qu'il ne chercbepas a gla- nor dans les champs de I'imagination qui ne lui sont pas pleineraent ouverts. II a trop d'esprit pourconterdes choses surnatui'clles. Ce sontles bonnes gens qui se serrent autour du foyer d'hiver, les bergers qui errentsur les crctes des rnontagnes, quand le brouillard tantot rappro- clie et tantot e'loigneriiorizon, se jouant des formes des objcts; ce sont ceux qui aiment la solitude des bois et les bruits desorages, qui peuvent faire des recits merveilleux : c'est pour eux que les fees ne meurent pas , qiie les loups garous hurlent la nuit, que les princesses enchante'es gardentdestre'sors : etnonpourcclui qui apre'fe're' aux bruits myste'rieux de scs forcts vicrges les doux concerts d'eloges qui I'attendcnt dans de brillanssalons, et les gracieux sourires desjeunes ladies, pare'es de pier- reries, sortant des nuages de gaze et de dcntelles , aux murmures l56 LIVRES ETRANGEKS. plaintifs dcs nymphes invisibles des forets , qui gc'inissent sous fe'corce des arbres el quclqucfois la fendcnt pour kisser couler des parfums, des gommos odoraiites, un lait sucre; sc rc've'lant a I'liomme, comine presque toules It's puissances de la nature , par des bicnlaits. Adelaide Montgolfier. 11. The Annual historian. — Annuaire pour 1811 , par Ingram CoBBiN. Londres , i83'2; Kestley. In-S". 1 3. Sketch of the iiistoky of Van Diemen's land. — Esquisse de I'histoire dii pays de Van Diemen , par J. Bischoff. Londres, i832 ; Richardson. In-8" avec carte. l4' A SKETCH OF THE HISTORY OF THE CHURCH OF ENGLAND. Es- quisse de I'histoire de I'Eglise anglicane jusqu'a la revolution de 1688, par Th. Vowler Short. Oxfort, i832 ; Parker. Deux vol. in-8°. ALLEMAGNE. i5. Das Recht der Nationen zur Erstrecung Eeitgem.'Esser Staatsverfassungen. — Le Droit des peuples a acquerir des con- stitutions assorties au terns et a le .r degre de culture^ par Fred. TVIurhard. Francfort-sur-le-Mein, i832. ; Hermann. In- 8" de xvi et 4o8 i)ages. Fr. Murliard appartient k ce petit nombre de publicistes alleinands , courageiix de'fcnseurs de la cause des peuples , qui , dans des terns dif- ficiles pour I'Europe , ont de'nonce les rendez-vous liberticides de Troppau , de Laybach et de Verone. Murhard e'tait alors re'dacteur en chef des Annales politiques de I'Europe , journal dans lequel , fei- gnant de se tenir sur le terrain des generalite's pour e'chapper aux efforts de la censure, d'habilcs e'crivains trouvaient inoyen de discutcr les affaires interieures de rAllemagne. Mais il ne faut pas oublier que , tandis que le silence e'tait impose par le despotisrae des cougres a une grande portion du monde civilise, il existait un lieu en Europe d'oii ne cesserent de retentir quelques paroles d'esperance en un avenir meilleur. ALLEMAGNE. l5'J A la tribune franfaise e'tait reserve le pjivile'ge de proclaraer ouverte- ment les sentimens que les libe'raiix , dans les autres e'tats de I'Europe , e'taient obliges de renfermer au fond de leuramej les dc'bats des chambres fran^aises servaient de noiirriture politique a I'AUemagne ; et chose sin- guliere,ce poison jouissait du droit, non seulemcnt de passer la fiontiere sous renvcloppc de la langue fran^aise , mais encore de circuler assez librement dans les traductions allemandes. Les Annates politiques de- vinrcnt ainsi le de'pot des iraportantes discussions e'mane'es de la tri- bune parisienne^ mais qui touchaient les plus cbei'S inte'rets de tous les peoples. Toutefois, inalgre' rhajjilcte' avec laquelle ses re'dacteurs sa- vaient e'viter tout cc qui pouvait compromettre I'existence du journal on leur propre liberte , un infame guet-apens , organise par la police , sut cie'cuter sur la personne de M. Murhard ce que la justice aurait re- fuse'. L'clecteur de Hesse-Cassel,sedisant injurie par un article relatif a lafameuse affaire de ses domaines, fit saisir M. Murhard au moment ou il changeait de chevaux de poste dms un lieu frontiere , et bien qu'il ne fut point sujet hessois, on le jeta dans un cachet ou il demeura long-tems. La redaction des Annates passa aux mains de Ch. de Rotleck ; elle oe pouvait appartenir a un plus chaud de'fenseur de la cause libe'rale , aussi le recucil continua-t-il a jouir de la reputation la mieux me'rite'e et a exercer une sahitaire influence sur I'Allemagne. Fred. Murhard est auleur de plusieurs c'crils politiques fort estime's. II y a un an , il fit paraitre un ouvrage sur la monarchic absolue , oii il attaqua vivement cette forme gouverncmentale que la plupart des prin- ces allemands s'efforcent de maintenir en dcpit de la culture politique a laquelle leur pays est parvenu. Aujourd'hui , dans le livre que nousan- nonfons , ce n'est point de I'organisation inte'rieure des e'tats que I'au- teur s'occupe; il a voulu traitor a fond une question importante de the'orie , le droit incontestable attribue a chaque nation de se donner une constitution en harmonic avec ses besoins et ses lumieres. Mais ce droit n'est a proprement parler que le coroUaire d'un principe supe'- rieur , la souverainete du peuple , source sacre'e de tous les droits. C'est aussi cette base qui sert de point de depart a tout le raisonnement de M. Murhard , ou plutot il ne la quitte pas , car c'est ie principe memc qu'd defend centre les doctrines qui voudraient le renverscr. Son livre est ainsi devenu une exposition et une critique de toiitcs les theories an- l58 LIVRES ETRANGERS. ciennes et nouvclles oppose'es a ce principe. Mais I'objet principal ne clevait pas ctre de faire unc histoire des theories e'leve'es pour ou centre la souverainctc' dii peiiplc, et nous croyons pouvoir fairc a raiileur Ic reproclie d'avoir doimc trop d'e'tcndue a ses de'veloppemcns sur ce point historique, an lieu de les re'server pour unc exposition complete dc la vraic doctrine democratique. Cela n'empeche pas toutefois I'ouvrage d'etre excellent autant par la clarte' et re'le'gance du style que ])ar Ic fond des ide'es. Nous tcrminerons cet article par une observation de M. Murliard sur la maniere dont les partisans de I'absolutisme considerent le systeme actuellement suivi par le gouvernement franjais. « Ces hommes, dit-il, » sont lesenneinis irrc'conciliables de la dernicre revolution; mais ilssa- » vent qu'il n'y a pas de mcilleur systeme pour arriver a une restaura- )) lion nouvcllc que celui du ministere francais , et c'est par ce motif » qu'ils se montrent ses ardens amis , et crient plus haut encore que ce » gouvernement lui-meme centre I'opposition qui pourrait le forcer a ren- )) trer dans des voies salutaires pour la France , mais oppose'es a leurs » vues secretes. » Pour qui connait un peu a I'e'trangcr les hommes qui jouent ce role hypocrite , I'observation doit parattre d'une grande ve'ritc. i6. A. B. C. BucH DER Freihett fur Laisdesrindek , etc. — j4be- cedaire de la liberie pour les enfans du pays , par Guili.. Lauerwein. Hanau, i83ii. In-8° de ■jG p. L'auteur dc ce petit livre , afflige, dit-il, de la negligence des peres et des tuleurs a inculquer a leurs enfans la doctrine de la liberte, a pris le parti dc composer pour eux cet abe'ce'daire ; il y regne un ton irenique , souventbien maintenu, quelquefois aussi tout-a-fait manque', ce nous semble. Mais le nombre des questions traite'es avec bonheur reste toujours assez considerable pour que le livre puisse atteindrc son but. Ce premier essai d'ouvragcs politiques , dans un genre qui s'adresse imme'diatcment au peuple, me'rite d'etre encourage'. Nous soidiaitons sincerement que les petits et les grands enfans de TAllema- gne apprennent au moins a e'pcler dans cet abe'ccdairc de la liberte'. H. Ahrfns. ALLEMAGNE. \5^ \^. Mir.AnEAU UND SEINE Zeit, ctc. — Miraheau et son epoque dans la revolution francaise , par F.-J.-A. Schneidawind. Leipzig, i83i ; Nauck. In-8°. 1 8. Der Umav.elzungsmann Maximilian Robespierre, etc. — L' Hom- me de f evolution Maximilien Robespierre et son entourage ; Essai historiqiie de F.-F. -A. Schneidawind. Leijizig, 1 83 1; Nauck. In -8". Le clioix de ces deux noms, Mirabeaii et Robespierre, pour person- nifier la revolution fraufaise, atteste iine juslesse de vuesque la lecture des deux ouvrages vient confirnier. Quant a repithete ridiculement em- phatique dout I'auteur a de'core le noin de Robespierre, outre qu'elle I'erait prendre volontiers une fort bonne biographic pour un mauvais re- man historique, cette e'pitliete serait peut-etre, a le bien prendre, plus applicable a Mirabeau qu'a Robespierre lui-meme. Le titre de re'volu- tionnaire n'appartient-il pas en effet a I'assemblee dite constituante , plus essentiellement qu'a tout autre , puisque c'est elle qui , la pre- miere , mit la liaclie politique dans I'arbre fe'odal dont la philosophic du dix-huitieme siecle avait prepare le renversement? Robespierre et la Convention poursuivirent cette oeuvre de demolition par des moyens terribles ; et cependant elle n'est point encore accomplie tout entiere ; de nombrcux obstacles s'opposent toujours a I'e'mancipation des peu- ples. Ces obstacles feront-ils une telle resistance qu'il faille en appeler comme autrefois contre eux au be'lier revolutionnaire? Plaise a Dieu que la raison publique , arme'e de nouveaux principes d' organisation so- ciale, suffise pour faire justice de ce que la critique seule n'a pu de- truire ! Mais parce que notre tache n'est plus celle de nos devanciers , irons-nous les condamner pour avoir agi autreraent que nous dans d'au- tres circonstances? Tachons de bien comprendre leur position, et ad- mirons le courage avec lequel ils surent I'accepter. Voila ce que re- clame aujourd'hui I'impartialite historique et ce qu'ont deja commence a le'aliser en France MM. Thiers et Mignetj avec plus de hardiessc qu'eux MM. Laurent (i) et Achille Roche ('2), avec plus de sagacite M. Charles Nodier (3). L'AUemagne , plus desinte'ressc'e dans la ques- (1 ) liefiitation de Montgaillard. (2) Meinoires de Levasseur . (3) Souvenirs et Esqidsses de lit revolution. l6o LIVRES ETRANGERS. tion, placee a un point de vue qui lui a pormis d'embrasser Ics faits en masse ct donee do rcspiit plulosopliique , nous a devance's par la plume de quelques o'crivains dans la rehabilitation de nos he'ros revo- lutionnaircs ; nn jour pcut-ctrc nous nous plairons a rassembler ces in- te'ressans te'moignagcs. Parmi ces liommes , il en est un surtout dont Thistoire contempo- raine semble avoir pris a taclie de fle'trir la me'moirej c' est Robespierre. Un tel liomme , il faut le dire, au coenr sec, et marcliant a son but sans pitic comme sans entraineracnt, etait pen fait pour exciter la sym^ pathie autour de lui ; aussi ses contemporains , les plus engage's meme dans la voic qu'il a parcourue , n'ont-ils presque tous garde' de lui qu'un souvenir de rc'pugnance. Et pourtant la ve'ridique hisloire doit aujourd'bui le montrer comme un des principaux repre'sentans de cc systeme gouverncmcntal, disons plutot dc cet ordrc de bataille, terrible il est vrai , mais qui sauva la France , et par elle la cause de la liberie' en Europe. C'est ge'ne'ralement de cc point de vue que I'e'crivain allcmand a juge Robespierre. Son ouvrage offrirait pcu de faits nouveaux pour des lec- teurs franfais ; mais il me'ritait d'etre signale pour pronvcr que la jus- tice historique devient parlout de plus en plus populaire a I'e'gard des hommes de notre revolution. * 19. Atlas der wichtigsten Schlachte>' etc. — Atlas des cofn~ baH, sieges, batailles etc., par M. le major KAUssLER.Quatrieme livraison. Fribourg, i83'.i; lithogr.de Herder. Gr. in-folio. Nous avons annonce jusqu'a present toutes les livraisons de cet ou- vrage, celk-ci n'est pas d'un moindre interet. Elle ne renferme a la ve- rite point de faits anciens , mais le moyen-age et les terns modernes y sont d'autant plus riches. On y voit au treizieme siecle les Mogols de'- faits par le due de Saxe, lorsque deja les successeurs de Gengis-Kan mena^aient I'Europe. Yingt ans plus lard, Ottocaire bat le roi de Hon- grie , puis nous I'apercevons sur le champ de bataille de Stillfried, ou il tombe sous les coups des soldats de Rodolphe de Habshourg, qui lui- meme court les plus grands dangers. Dans le siecle suivant nous faisons avec les Ve'nitiens le siege dc Chiozza , nous assistons a la sanglante ba- taille de Nicopolis , ct plus tardau siege de Scutari. II n'est pas un fait ALLEMAGNE. ibl iUustre auqiiel cet utile travail ne rendc la vie , et Ic lecteur s'instniit bicn mieux a voir ainsi recommencer I'histoire sons ses yeux, que par la secLe narration d'un historian ; mais arretons-nous quelque pen a la ba- taille de Nicopojis livre'e le 28 septembre 1896. Bajazet, voyant la ville presse'e par les chre'tiens depuis six jours (les Me'moires dc Boucicaut disent depuis quinze), s'avance contre eux avec une innombrable armee. On ne sait comment Sigismond , le roi de Hongrie, avait pu I'ignorcr ; mais ce fut grand tumulte au camp lorsqu'on sut que I'ennemi e'tait SI pres. A en croire les autorite's suivies par M. Kaussler, et par beau- coup d'e'crivains allemands, par exemple M. de Rotteck, dans son ex- cellente histoire universelle, I'inconside'ration et I'impe'tuosite des Fran- fais causerent seules les de'sastres de I'arme'e che'tienne. lis se seraienl empare's de force du poste d'honneur , ils n'auraient pas atlendu I'arri- ve'e des Hongrois; et, combattant en furieux, ils auraient culbute les janis- saires sans meme ecouter les conseils dc Coucy ni de I'amiral de Vienne, qui voulaient qu'on attcndit les autres croise's. Cependant que les faits sont diffe'rens si Ton s'en rapporte aux Me'moires de notre Boucicaut I II refute ces accusations : « sauve la grace de ceux qui ont dit et rap- » porte' que nos gens y fuirent, et allerent comme betes sans ordonnance, » puis dix , puis douze , puis vingt, et que par cy furent occis par trou- » peaux ou fut que ils venaient, ce n'est one vrai.)) Ces Me'moires attri- buent la principale faute aux Hongres , qui tournerent le dos et pri- rent a fuir « si furent mis a mort et occis de cette chiennaille la plus » grande partie des chre'tiens, et des barons le seigneur de Coucy, » dont moult fut grand dommage. » En general on voit que M. Kaussler a suivi ici des sources toutes diffe'rentes, et quoique I'auteur des Me'moires de Boucicaut ait e'crit d'apres les re'cits de te'moins occulaires qui peut- etre ont un peu exage're leurs hauts faits , il n'eut pas e'te mal d'opposer autorite' a autorite. Mais qu'on se garde bien d'attribuer a partialite cette narration peu favorable aux Francais : outre qu'il est rare que, dans les ouvrages scientifiques de I'Allemagne, on ne nous rcnde pas justice, M. le major Kaussler est plus que pcrsonne a I'abri de toute prevention nationalc. Plus d'une fois , au sujct des guerres raodernes , nous avons eu lieu de remarquer toute Tindependance de son caractere. L'art et I'histoire, voila ses deux seules pense'es: il sacrifie a la ve'rite jusqu'a 1 amour-propre national. En veut-on une prer.ve; qu'on lise I'admirable TOME I.V. JUII.I.KT 1852. (1 l62 LIVRES ETBANGERS. description dc la balaillc d'Auslcilitz, qu'on jctle'un regard aussi sur d'aulrcs batailles oil nos arraes furent moins heureuses. 11' est una caitc dont I'aspcct nous a pe'nctre's d'une profonde doulcur, quoiqu'e'le ait encore Ic mcrite de la circunslance, ct, pour cela mcme, c'est ccUe de la prise de Varsovic , cruelle fin de cette lutte hc'ro'ique d'une nation la- chement abandonnec a ses bourreaux. Notre plume se refuse a en repro- duirc les de'lails. Nous rappellerons que ce bel atlas, indispensable aux etudes historiques, parait par livraisons de 1 5 feuilles, renfermant ordi- nairement pres de quarantc sujets , et que le prix est d'environ '.io fr. par cliaque livraison. Les tacticiens et les officiers d'e'tat-major pour- ront dii'licilemeut s'en passer. DE GOLBERY. 20. Mein Feldzug nach und in Lithauen, etc. — Ma campagne en Lithuanie et ma retraite sur Farsovie , par Henbi Dembinski , general polonais; publie'e par D. R. 0. Spazier. Leipzig, i83>>; Dik. In-8" de 9.06 p. avcc une carte. Le docteur Spazier, connu deja par pUisieurs ouvragcs sur la Polo- gne (Voy. Bev. Enc, t. lii , p. 461 )i a pulse les matenauxde cehii- ci dans les relations e'crites et orales dn general Dembinski. Des le jour ou I'insurrection nationale e'clata dans le royaume de Pologne, les dix millions d'babitans des provinces polonaises incorpo- re'es a I'empire de Russie se montrerent prels a partager les efforts patriotiques de leurs freres de la Vistule , et ils n'attendirent que le mot d'ordre; ce mot d'ordre fut lent a venir. Le gouvernenient national de Varsovie perdit plusieurs mois en de fimestes tatonnemens. Abandon - ne'e a elle-meme, traverse'e par des contingens moscovites, impatienfe d'entrer en Hgne , la Lithuanie se leva alors la premiere : sans amies, sans ge'nc'raux , sans troupes organise'es , elle inonda les routes de partisans, enleva des convois, tailla en pieces plusieurs delacbemens en- nemis , et fit ainsi une diversion jjuissante. Get elan entbousiaste , il fal- lait le coordonner avec les efforts re'guliers de I'arme'e polonaise. Le. gouvernement national tenta enfm une jonclion. Aprcs la bataillc d'Os- trolenka le corps de Gielgud fut jete en Lithuanie. Le general Dem- binski recut I'ordre de le joindre. C'est a cette e'po(iuc que commence le re'cit des e've'nemcns qui font Ic sujet de I'ouvrage annoncc. Reuni a Gielgud , le general Dembinski pril le romuiandement de ALLEMAGNE. l63 son avant-garde. Une brillante victoire a Raygrod ful le re'sultat de la premiere balaille livre'e par lui en Lilliuanie. Apres d'inutiles tentatives pour occuper Wilna , le general Gielgud reprit le plan de marcher sur Polangen , situe quelques lieucs au uord de Memel sur les. bords de la Baltique , et ou Ton esperait trouver des secours en armes et en muni- lions, promis par I'e'tranger. Pendant cette marcbe, Dembinski organisait Tadministration des districts, s'occupait de la formation de nouvelles troupes, et couvrait en meme tcms les operations de Gielgud. II livra avec succes des combats a Wilkomierz , a Poniewierz , a Szawle. Mais , il faut malhcureuscment en convenir, si I'abandon de I'Europe, la neu- tralite malvcillante des e'tats voisins et les intrigues diplomatiques des cabinets furent les causes principales qui entraverent la revolution po- lonaise, des fautes graves de la part de ses chefs y ont aussi puissamment contribue. Ce n'e'lait point assez de n'avoir pas appele au secours de la patrie commune tout ce qui porte le nom de Polonais , des qu'on eut leve I'etendard de I'independance; d' avoir laisse' a I'ennemi le tems de s'organiser et de comprimer en Lithuanie, en Wolhynie, en Podolie, les e'le'mens les plus puissans de I'insurrection : lorsquc, malgre tons les obstacles, ces provinces eurent e'clate et commence une lutte he'ro'ique, et qu'on se fut enfin decide a appuyer leurs cffoi'ts , c'est au plus inca- pable des gene'raux que fut confie'e cette mission aussi difficile qu'elle etait importante , cette mission dont peut-etre alors dependait uniquement le salut de la cause polonaise. Le malheureux Gielgud , qui eut la te'merite de I'acccpter, soupconne de trahison , paya plus tard de sa vie sa pre- somptueuse incapacite. Entoure de dangers sans nombre , d' obstacles rcdoutables , il manqua bientot de forces, assembla \)ivs de lui un con- seil de guerre , a la suite duquel il se'para son anuec en trois corps, dont I'un fut confie a Demlunski : les chefs des deux aulres corps deci- derent de se re'fugier en Prusse. Dembinski de'sapprouva hautement cette resolution : et bien qn'il desirat marcher sur Wilna ou en Cour- lande, apres avoir sonde I'esprit de ses troupes, il concut le pro- jet hardi de rejoindre, a travers jihisieurs coips de troupes russes, I'ar- me'e nationale. Ici commence cette fameuse relraitc oil Dembinski de- ploya tant de prudence , d'activite et de force d'anie. Son petit corps comptait deux mille cinq cent trente liommes d'infanterie , treize cent^ chevaux et six canons. Plusieurs fois rennemi put reorascr, plusieurs 11. l64 LIVRES ETRANGEKS. fois il I'attaqua avec dcs forces considerables j Dembinski le repoussa loii- jours avec avantage, ou diimoins il poursuivit sa retraite sans grandes pertes ; jusqu'a ce qu'enfin , apres avoir triomphe' de tant dc dangers , il fit son entree trioniphale a Varsovie, pen de jours avanl les eve'ne- mens de la nuit du 1 5 aout , qui livrerent le pouvoir supreme aux mains de Krukowiccki , et appelerent pour quelques jours notre auteur a remplacer le ge'ne'ralissime. Tons les fails qui sc rattaclient a cette partie de I'histoire de la revo- lution polonaise sont racontcs dans le Memorial du general Demljinski avec une noble simplicite et une franchise vraiment admirable. S'agit- il de relever des fautcs commises , ce sont ses propres actes qu'il juge le plus se'vcremenl. Parle-t-il de de'vouement et de hauts-faits militaires , il rend justice sans aucune reserve a ses rivaux , et meme a ses enneitiis personnels. Ajoutons que le caractere et le nom du general donnent une authenticite complete aux faits que contient son livre, et qu'un grand nombre d'entre eux y sont re've'le's an public pour la premiere fois ; on n'aura encore qu'une faible idee du vif interet qu'excite cette lecture. Nous aurions fait connaitre plus en detail son contenu , si nous n'e'tions mstruits que le general Dembinski va s'occuper de la publication en franjais de Memoires plus etendus sur le memo sujet j nous aurons done bienlot I'occasion d'y revenir. Le docteur Spazier promet aussi un grand ouvrage pour Icquel des personnages iniportans lui ont fourni des ma- te'riaux, et clans lequcl il exposera, dit-il, les causes qui ont fait man- quer la revolution de Pologne. X. B. •21. Graf Jvlian, etc. — Le Comte Julien, trage'die en cinq actes, par J.-R. Braun, Chevalier de Braunthal. Berlin, i83i; Krause , prix. 1 th. •^■z.Waldarich, etc. — //'^flZr/nnf/t, trage'die nationale, parL. Hoi-arer. Tubingne, i83i; Zu-Gultenberg. In-8" ; prix, i th. 8 gr. 'i3. Der EwiGE JuDE, ctc. — Le Jiiif errant , trage'die didactique par WiLHELM Jemanu. Iserlohn, 1 83 1 . In-8"; prix, i6gr. Ces trois ouvrages dramatiques comptenl parmi les meillcurs qu'ait produits en i83i la litteiatiire allemande^ toujours feconde en compo- sitions de ce genre, -gr'ace a la libiite deson code poeliqne, au grand ALLEMAGNE. l65 Boinbre des theatres secondaires ct a I'usage d'iraprimer les pieces sans en altendre la representation , tandis que chez nous elles vieillissent a la porte des comitc's de lecture, et qu'un drame non repre'sente n'excite . aiicun inte'ret. Le Comte Julien est le sujet traite , il y a quelqiies anne'es , sous le meme titre par M. Guiraud. La trage'die allemande, sans avoir una grande valeur dramatiqiie, i'eniporte cependant a cet e'gard siir ceile de I'acade'micien franjais. Elie ne se distingue pas moins par la pucete etrharmonie de la diction, L'auteur e'tait deja connu par de bonnes poesies lyriques. TValdarich est I'ceuvre d'un poete dont Ic nom jusqu'ici nous e'tait demeure comple'tement inconnu : je dis un poete, car cette tragedie suffit pouraltester la vocation deM.Hofakcr. Son sujet n'etaitpoii;t heureux : deux guerriers germains , Bernulf et Waldarich, au sei-vice de Tempe- reur Constance , dont ils elevent le trone par leurs victpires , succorn- bcnt sous le poids de I'intrigue et de la calomnie , tout-puissansa la mi- serable cour du Bas-Empire. Rien de moins neuf qu'un pareil fonds ; et pourtant la riche imagination de l'auteur, son style concis , c'nergique et plein de poe'sie, en ont fait jaillir de belles scenes. La fable du Jiiif errant n'est pas non plus bien neuve; mais elle se prcte a une infinie varie'tc dc points de vue differcns , philosopliiques ou poe'tiques. La litte'rature allemande s'cn est cmpare'e bien des fois , et re'cemment encore le dramaturge Klingemann I'a mise en scene avec assez de bonheur. Franz Horn, e'crivain distingue mais pen inven- teur, en a tire une narration supe'rieurement faite, qui a servi de texte a la nouvelle tragedie. IVL Jemand, toutau contraire de Klingemann, qui n'avait clierche que I'effet the'atral , a presque comple'tement neglige' ce moyen de succes; il a voulu faire une oeuvre pliilosophique, didactique, fomme il I'appelle , et Kepre'senter dans Asliaverus une personnification de la raison, mais de la raison sans amour ; nul mieux que lui ne connait le monde, ct nul ne le bait davantage; il cherche la mort, et sa destine'e le condamne a vivre. Lcs vers dans lesquels l'auteur cxprirae cette situa- tion sont beaux ; mais ils rappellent un ])cu trop des vers, plus beaux encore du poete allemand Scbubarth sur le meme sujet {Le J uif er- rant , rhapsodic lyrique). On s'apcrcoit aussi que son he'ros est un peu vieux, il bavarde beaucoup et radote quelqucfois. l66 LIVRES ETRANGERS. 24. Die Volksouveuaimtaet im Gegensatz der sogenanntew Legitimttaet. — La souverainete dn peuple en opposition de la pretendue legitimite , par Fis. MunnAiiT. Cassel , i83i • Bohne. In-8". 25. Untersuchungen uber die wicuTiGSTEm Angelegeniieiten DEs Menschen. — Rccherches sur les interets les plus importans de I'homme , comme citoyen de I'Etat et du monde ; par LouisHoFMANN. Dcux-Poiits , 1 83o J Ritter. Deux vol. in-8°. 26. Das Leben und die Zeiten Kaiser Otto des Grossen. — La Fie et les terns de Vempereur Otkon-le-Grand , essai historique dudocteur Edouard Vehse. Dresde , i83i ; Hilscher. In-8". 'i'j. RussiscHE VoLKSMyERCHEN. — Coutes populaires riisses , re- cueillis d'apres des docuinens authentiques, et traduits par A. Dietrich , avecune preface de J. Grimm. Leipzig , 1882 5 Wei- demann. In-S". ITAIJE. 28. Degli statuti novaresi. — Des statuts novarais, coininen- taire dc I'avocat Jacques Giovanetti. Turin. In-8". LEGISLATION ET STATISTIQUE SARDES. Ceci n'est point, comme le titrc semble Tannoncer, un commcntaire general des statuts de la province de Novare ■ ce n'est qu'un plaidoyer en faveur des femmes. L'avocat reclame pour ses clicntes les droits de succession que leur de'nient les statuts de Novare , et part de la pour en montrerl'injustice d'une part et I'insuffisance de I'autre. « Le voeu pu- » blic des Novarais (dit-il) invoque depuis lon^-tems I'abolition de nos » statuts. » Ce VCEU n'est pas seulcment celui des compatriotcs imme'- diats de I'auteur, il est general dans les e'tats sardes, et tous implorent avec instance I'abolition de la le'gislation qui les regit. On ne saurait en effet rien iinagincr de plus confus et de plus obscur. NuUe unite', nullc garanlie, et partant nullc securilc pour le commerce, nulle surete pour les personnes. Mais , puisque uoils voici amene's sur ce terrain, nous allons jeter un ITALIE. 167 coup d'oeil historiqiie , taut sur les codes que sur les tribunaux sardes. Nous avons noiir cela sous les yeux des doctiraens certains dus a des homines du pays profonde'ment verse's dans la legislation nationale. On a rc'cemincnt parle de grandes reformcs judiciaires, on les espere, on les attend encore ; ceux qui connaisscnt le pays en senlent la ne'cessite' et I'urgence. Get article pourra servir a e'clairer les autres; il sera comme les ])ieccs du proces. D'abord, comme nous I'avons dit , la le'gislation n'est pomt uni- formc ; car , de meme que Novare a ses statuts , le duclie' d'Aoste , par exemple, a son code a lui. En i8i4, tout re'ilifice judiciaire francais fut renverse dans le Pie'mont, la Savoie et le comte' de Nice, moius les lois fiscales, que Ton conserva; Ton remit brusqnement en vi- gueur la le'gislation d'avant la revolution , centon compose' de droit re- main et canoniqne, des coutumes locales, des royales constitutions du Pie'mont , et des decisions consacrc'es , en cas douteux , par les magistra- tures supremes, ayant force de lois comme les precedens en Angle- terre. Les ro}'aies constitutions du Pie'mont ne sont qu'un appendice et une variaiite du droit romain. Cette vaste collection de lois e'manees des princes du Pieraont fut publie'e en 1770. Outre un re'glement sur les Juifs , elle contient diverses lois administratives et fe'odales , et quclques modifications au droit romain relatives aux fide'i-commis^ aux suc- cessions ab intestat et aux dispositions tcstamentaires. Elle renferme aussi les procedures civile et criminelle , et les lois pe'nales. Les lois pe'nales sont absurdes et cruelles. Elles e'tablissent trois categories de blasphemes ; la premiere est punic de mort , la seconde des galeres perpe'tuelles , la troisieme d'une anne'e d'emprisonnement. Est puni de mort, non-sculement le fabricateur 'defaussesmonnaies, mais toute personne qui en introduit de I'exte'rieur. L'infanticide et le duel sont e'galement punis de mort. La meme peine frappe tant celui qui vole et assassine sur la voie pu- blique que cclui qui ne fait que voler. Le suicide est puni par la confiscation des biens. On feit le proces au suicide apres sa mort. Le vol , accompagne' des cinq circonstances on de qualre seulenient , l68 LIVRKS ETRANGERS. si la soiume voice depasse deux cents livres, est pum de iiiort. Meiue peine pour le vol doniestique de plus de deux cents livres ; s'il n'at- teint pas cette somuie , il n'cst puni que des galcres. Le vol de choses saintes {furto sacrilego), avcc circonstances aggravantes, est soumis a la peine capilale j mais on commence par couper le poing. Le^ libelles sont abandonnes a I'arbitrairc du raagistrat qui pent infliger les galeres perpe'tuelles. Le port d'armes prohibees est puni de dix anne'es de galeres , et ceux qui en gardent simplement dans leur maison, de cinq ans 5 la plus le- gere blessure, faite avec une arrae de'fendue,rest de sept ans de galeres. Quant aux debts contre les moeurs , iis ne sont point determines , et un complet arbitraire regne la autant dans la peine que dans la qualifi- cation du debt. Telles sont les principales dispositions de ce singulier droit criminel. L'absurdite de ces lois en produit I'inexe'cution. Les magistrals ne prononccnt presque jamais la peine legale ; de la nait I'arbitraire. Le se'nat de Genes incline a la douceur et inflige tres-rarement la peine ca- pitale. Les autres se'nats sont plus se'veres. et les sentences de mort sont prodigue'e§ par celui de Pie'mont. En matiere correctionnelle , les royales constitutions sont muettes ; et les trihunaux de prefecture, qui sont des tribunaux correctionnels, ont im pouvoir illimite' , aussi bien dans I'application de la peine que dans la qualification des cas. La procc'dure criminellc est secrete , et sujette ainsi a toutes les con- sequences de ce principe vicieux. Les te'moignages sont examines secretement par le juge instructeur ou par le juge de mandement (arrondissement) par lui dcle'gue'. Les informations terminc'es , I'avocat fiscal (ministere public) dresse I'acte d'accusation ," lequel est communique' a I'accuse' avec les autres j)ieces du proces. L'accuse fait sa defense par le moyen de ses de'fen- seurs. Un juge de'le'gue en prend connaissance , ainsi que des pieces , ^t fait son rapport a-u tribunal ; celui-ci , contradictoirement aux con- clusions de I'avocat fiscal et de I'avocat du pre'venu , prononcc la sen- lence. II faut observer que I'arcuse et les temoins ne sont jamais ni vus ni ffntendus par le tribunal qui decide ; que l'accuse ne voit point d'ordi- ITALIE. 169 naire les te'inoins qui deposenl contre lui , el que s'il veut e'tablir una contre-e'preuve aux depositions faites a I'iiistance du fisc , il faut que ses te'moins se constituent prisonniers. Mais le plus grave abus de cette procedure est que Tissue du proces le plus important depend de la pro- bite ou de la sce'le'ratesse , du savoir ou de rignorance , du seul juge qui prend les informations . c'est-a-dire du juge du mandement ou le de'lit a e'te' commis. II y a dans la proce'dure deux dispositions fort remarquables. La premiere , qu'il n'est pas besoin pour condamner que les preuves de la culpabilite' soient certaines , quelques indices d'urgence suffisent pour prononcer le'galement une condamnation. Si les preuves sent certaines, on inflige la peine porte'e par la loij si elles sont douteuses, le magis- tral a I'autorite d'en infliger une selon son bon vouloir , toujours moin- di'e toutefois que la peine legale. Laseconde disposition se rapporteaux peines pe'cuniaires. Les magis- trals prononcent souvent des amendes , et la prison quand elles ne sont pas payees • de maniere que pour un meme de'lit le pauvre va en pri- son et le riclie en est quitte pour une le'gere somme. La proce'dure civile des royalcs constitutions est aussi vicieuse que la criminelle. Les inlerminaliles longueurs Icur sont communes; la proce'- dure civile est de plus infiniment couteuse , grace aux droits enormes que le tre'sor pre'leve sur les actes. Selon cette proce'dure , les parties en litige de'posent au greffe du tribunal {segreeria) leurs demandes et re'ponses respectives. Elles en prennent I'une et I'autre connaissance, et discutent la question au moyen de certains raemoires , dits comparse , qui sont re'ciproquement re'fute's et de'fendus. Quand les parties , ou plutot leurs defenseurs, sont las de ressassor les comparse, le juge a ce destine fait , en pre'sence des inte'ressc's , rapport du tout au tribunal , qui prononce la sentence. Ce.qu'il y a de vraimcnt singulicr, c'est que la procedure sarde ne ronnait pas la conciliation pre'ventivc, ct probibe tout compromis. Dans I'e'tat de Genes , au conlrairc , le code francais a cte' maintenu en matiere civile, a I'exclusion des dispositions de I'etat civil relatives a la naissancc , a la mort ct aux formalites malrimonialcs , du divorce , des successions ah intestat , et de la communautc des biens entre o'poux. 170 LIVRES ETRANGEKS. Auxaclcs civils de uaissance et de mort, on a siibstitiid les registres des cure's ; au titre du mariage et dii divorce, les lois canoniques; el toutcs les causes matrimoniales de nuUite , de separation , ont e'te' ran- ge'es sons ia juridiction e'piscopale. Pour ce qui est de la succession , on a remis en vlgueur Tancicn statut de Genes , qui exclut les femmes des successions ouvertes aux enfans males. Lc droit commercial existe. Le code de commerce et de procedure commerciale t'ranfais est en pleine vigueur. Pour la procedure civile et criminelle , I'ctat de Genes est re'gi par ie reglement de 1818, qui n'est qu'une copie des royales constitutions , avec quelques modifications. \'oila les codes, A^oyons maintenant les tribunaux. Avant le royal edit du I'j septembre i8i'^, il regnait uiie grande confusion dans les tribunaux. Outre les e'pices des juges , cet e'dit a fait disparaitre plusieurs juridictions exceptionncUes , et e'tabli des tribu- naux, autaiit que faire se pouvait , a la maniere de ccux de France. II y a dans toute I'etendue des etats sardes des juges de mandement ( arrondissement) qui re'pondent a nos juges de paix, avec cette diffe'- rence que ceux-ci ne peuvent prononcer que jusqu'a la somme de cent livres, tandis que les autres prononcent jusqu'a six cents. Les tribunaux de prefecture sent une copie assez exacte de nos tri- bunaux de premiere instance. lis jugent au civil tous les diffe'rends, et on n'en ajipelle que si la cause outrepasse la somme de douze cents livres ; au criminel, ils jugent des de'lits qui entrainent la prison , mais pas au- dessus, et ils sonl sans appel quand la peine prononce'e ne de'nasse pas quinze jours d'craprisonnement. II y a quatre se'nats residant a Turin , Genes , Chambe'ry et Nice , el compose's de cinq ou sept juges. On appelle a eux des tribunaux de prefecture et cliacun juge en premiere et derniere instance des debts qui entrainent les galeres ,«les fers et la mort. •* Outre ces tribunaux il y a une cour royale de comptes , sie'geant a Turm, oil I'on appelle de toutcs les causes relatives aux gabelles , au domaine [domanio) et a ce qui reste de droits fe'odaux; de plus elle re- volt les comptes de I'e'tat, et au criminel a une juridiction exclusive sur les debts contrele tre'sor , de fausses monnaics, par exemple, el sur les prevarications des employe's de I'administration. ITALIE. 17 1 11 y a de plus , a Turin , le grand conseil dc Sardaigne , qui revise les sentences prononce'es a Cagliari par les audiences royales ( reale udienza ) . On a e'tabli recemment , a Genes , le grand conseil de I'amiraute' qui a une juridiction civile et criminelle sur lout ce qui tient a la navigation ct aux marins. Enfin Nice, Turin et Charnlje'ry ont chacun un tribunal du consulat {consolato), qui n'est autre qu'une magistrature supreme en inatiere de commerce. Nous n'avons jusqu'ici parle' que dcs tribunaux laics, mais il existe de plus sur tout le territoirc sarde des tril)unaux ecclesiastiques. lis ne jugent de fait que les causes raatrimoniales ct les actions personnelles oil ie pre'venu est un cccle'siastique. Dans les actions re'elles ou mixtes les ecclesiastiques sont juge's en premiere et derniere instance par les se'- nats; ils ne peuvent elre juge's, pour delits, que par leurs propres tri- bunaux ; cependant quand les delits sont tres-graves , les cours laiques interviennent , elies les font arreter et les senuts respectifs prononcent. La police depend dcs gouverneurs , commandans , syndics et carabi- iiiers royaux , mais toujours sous Fautorite'centiale du ministre de I'in- lericur. 11 n'y a pas besoin dc dire que le jury n'existc pas. Pour completer ce que nous venons d'exposer relativeraent aux auto- rite's judiciaircs des e'tats sardes , il faut ajoutcr que le roi en compose a lui seul une supreme, irresponsable et absolue. II n'a pas seulement , comme partout, le droit de grace, mais il intervient dans les jugemens civils et les annule par ordonnances. C'est ainsi qu'il pent remettre au dcbiteur les inte'rets d'une dette reconnuc, au detriment et malgre' les droits imprescriptibles du cre'ancier. Les edits royaux ont force de loi. Une action royale aus'si e'tendue rendrait vaines les meilleurcs institu- tions judiciaircs , ct toute re'forme devrait commencer par la. Les garan- ties politiques precedent et creent toutes les autrcs. Les villcs et communes ne jouissent d'aucune garantie quant a I'admi- nistration; a I'exception de Turin, qui possede d'antiques privileges et une organisation presque inde'pendante , toutes sont administre'es par un syndic (maire) que le roi choisit parmi les principaux proprie'taires , et qui est assiste dans ses fonctions d'lin conseil communal dependant , comme lui, de I'intendanl (prefet) de la province pour la partie admi- nistrative, el pour la p.irtic judiciairr de I'nvocat fiscal. 173 LIVKES ETR ANGERS. Quelqucs fails de statistique lendront moins inipjifait ce coup d'oeil japide sur nos voisins d'au-dela des Alpes. Les levenus de I'etat inoutent a plus de soixante millions. L'inipot foncier contribiie pour dix-sept a lui seul. Les proprietaires , suivanl les provinces, paient le sixieme ou le septieme de leur revenu. Les gabelles, qui comprennent tous les droits d'entrc'e, rendent a peu pres Irente-deux millions. Les autres contributions sent reste'es ee qu'elles etaient sous le gouvcrncment frangais , hors les droits de patente et de succession , quelques taxes personnelies et I'impot des boissons qui out -subi des changemens. La dette publique est de cinq millions, dent deux de rentes perpe- tuelles. Los principaux objcts d'exportation sont la soie ; il en sort annuelie- ment pour vingt millions ; le riz , quatre millions ; le chanvre , deux ; le bc'tail, huit cent mille francs. Le pays produit beaucoup de vin , mais peu s'cxportc. Les couvens ont ete' re'tablis en 181 4, niais on ne leur a point rendu leurs biens , qui out passe dans la petite proprie'te. On compte dans les etats de terre ferme quatre arclieveques et vingt-six e'veques. L'ile de Sardaigne a trois archeveche's etliuit eveche's. II y a deux universite's , I'une a Turin, I'autre a Genes. Elles sont soumises a un conseil unique, qui porte le nom de magistral de la re- forme. La Sardaigne a aussi deux universite's, I'une a Cagliari , resi- dence du vice-roi et capitale de l'ile , I'autie a Sassari , qui en est la se- conde ville. La marine se compose de deux vaisseaux , trois fre'gates et sept petits batimensj rarrae'e, de soixante mille jiommes dans les cadres. IjCS qua- rante provinces forment huit divisions militaires, savoir : Turin, Coni, Alexandrie , Novare , Aoste, Savoie, Nice, Genes. La population totale n'atteint pas quati'e millions d'habitans, et Te- tendue terriloriale est de 18,180 millcs carre's, suivans les calculs ri- goureux du savant M. Balbi. Monaco, qui est unc enclave, apparlienl au prince dc Valentinois, qui est pair de France ici et prince souverain la-bas. 11 tire de ces cinq mille sujets un revenu d'environ neuf cent mille francs, jl est du reste sous la protection du roi de Sardaigne, qui garde sa principaiile militairement. ITALIE. 1^3 Terminons cette longUe nomenclature par quelques mots sur les pri- sons , ce grand crite'rium de la civilisation d'un peiiple. Sous cc rapport \c royaume sarde n'est ni plus ni moins favorise que la France. Chaque province a une prison , placee sous I'inspection immediate du president du tribunal de prefecture et de I'avocat fiscal. L'instruction des prisonaiers est nulle ou presque ; elle se borne a la simple explication de I'e'vangile le dimanche; loisible a eux de travaillcr ou non. Leurs fautes sont punics par les fers ( ceppi) par voie e'conomi- qise , c'est-a-dire sans proces , sans examen de te'moins , sur le seul rap- port du geolier. En quelques endroits le baton est encore de mode. De classification, il n'y en a pas rombre. Tons les prisonniers , quelle que soit la prevention qui pese sur eux , sont entasse's pele-mele. Bien plus, il est fonde en systeme de raettre ensemble les prevcnus pour crimes graves et ceux pour debts le'gers, afin dc rendre les evasions plus dlf- ficiles. A Genes pourtant et a Saluces on a e'tabli des prisons oil Ton fait ap- prendre des me'tiers aux prisonniers. Mais elles ne sont capabies qucde la plus faible partie des prisonniers de Tc'tat. Partout ceux-ci sont entre- tenus par le gouvernement. lis rcfoivent par jour une soupe et deux li- vrcs de pain bis. On leur fournit une paillasse et une couverture de laine. II y a dans chaque prison un geolier assiste du nombre de subal- ternes que le besoin du service reclame. Ce n'est pas ici le lieu de parler de I'esprit public ni de I'importance politique du royaumesarde. Nous I'avons fait ailleurs. (Voy. /?w. Enc. t. xLix , Janvier 1 83 1 . ) Nous avons voulu montrer seulement d'un cote les ressources agricoles , I'e'tat financier et miiitaire de nos voisins de I'autre la haineque la restauration de i8i4 porte aux institutions fran- caises; car cette haine, elle apparait dans toute sa violence dans le dcdale judiciaire oil nous venons de promener le lecteur. Cette reaction bru- tale non-seulcment compromit I'avenir du peuple sarde , mais le Ic'sa grievement dans ses inte'rets presens, puisque le renversement su- bit de I'ordre judiciaire fraufais soumit a une legislation ( et quelle legis- lation ! ) les affaires commence'cs sous une autre. L'ouvrage que nous annoncons nous est un garant du mccontentemenl general. Quoiquc ecrit avec loute la reteniie que coinmandc la position de I'aiitrur, le regret des institutions perdues percc dans ses pages, et 174 LIVRES ETRANGERS. nous tenons son livic pour un symptonie favorable de progrcs et d'a- vcnir. S. R. 29. PoEsiE iTALiANE ni DivERSi AUTORi. — Poesics Ualicnnes de di- vers auteiiTS. Florence, i83i ; Maglicri. L'e'diteur semble avoir voulu reiinir en un corps tout ce qui a trait a ritalie , ct a scs vicissitudes contcraporaines. On y retrouve des poesies deja connues et celebres dc Filicaja , Petrarque et Foscolo. Le chaste et pur Manzoni , le doux et tendre Pindemonte , le triste Leo- pardi 1' elegant Borglii ont e'te mis e'galemcnt a contribution. Le rude Berchet a aussi paye' sontribut; je dis rude, car il est de lous Ics poeles de ritalie actucUe cclui auqucl on peutle plus justeraent appliqucr Ic facit indignatio versum de ce Juvenal qu'il rappelle parfois, mais qu'il est poui'tant loin d'e'galer. La haine de I'Autrichc est sa muse, mais il semble , quant a I'cxe'cution , avoir pris a tache d'oulrer la se'chercsse d'Alfieri. L'imaginationlui manque, et sa poesie est souvent de'charneV. Le recueil est ouvert par la Basvilliana de Monti et par Ics trois pre- miers chants de la Mascheroniana du meme. Nous ue parlei'ons pas ici du premier poeme, qui est connu en France et dont la reputation est faite. Quant au second, qui ne le vaut pas, nous saisirons cette occasion de plalndre les e'crivains livre's apros leur mort a I'aviditc' des e'diteurs qui se hatent dc tirer de la poussicrc des lambeaux qui y auraient du rcster. Le mauvais tour que Ton a joue' a Foscolo , en publiant ses poesies posthumes , trahison que nous avons de'plorce (i), un e'diteur peu adroit et pen soigneux surtout de la vraie gloire de Monti vicnt de le luijouer aussi a lui, en livrant a la publicite' les deux dcrnicrs chants de la Mascheroniana y dont les trois premiers seuls avaient vu le jour et sont rcproduits dans le recueil que nous annoncons. Quant aux deux derniers ils ontre'cemment paru a Flo- rence annotc's par M. Capolago. C'est avoir certainemcnt me'connu les intentions de Monti, qui n'cn voulait j)as la publication; car, a Tcxce])- tion d'un petit nonibre de vers consacres a la memoirc de Parini , ils ne les avait point revus. Ce ne sont done que d'assez grossii-res ebau- ches que les e'diteurs ont donne'es au public, croyant pourlant lui i'airc (t) Voir leniimcro dc fcvricr dornier, p. 387. ITALIE. fjS iin beau caileau, ct ajouter a la renomme'e dupoete romain. N'est-ce pas le cas de rc'pe'ter la priere connue : — « 0 mon Dieu I dolivrez-moi de mes amis, pour mes enneinis je m'en charge. » 30. PoEsiE Di NiccoLA CiRiNO. — Poesies de Nicolas Cirino. Naples. L'auteur est Sicilien , mais il est loin de ses deux compatriotes Theo- .. In-8". AUCHITECTUHE CHRETIENISE. Cette brochure , extraite des Annales de statistique, a vu le jour i I'occasion d'une controvel-se d'academie. Un antiquaire turinois , le comte Cordcro , dans un Meraoire couronne par une acade'mie lombarde , a chercbe a de'montrer qu'iln'existait pas et n'avait jamais existe d'ar- chitecture chre'tienne , et que les monuraens sacra's des dix premiers sieciesde I'erevulgaire n'e'taient que des pastiches grecset remains, sans aucun caractere propre ; la brochure de M. Sacchi est la re'ponsc a cc Me'moire. II e'tablit , et nous le croyons avec lui , que rarchitecture chretienne des premiers tems e'tait lonta.syinbolique , conforme aux my- thes nazare'ers enseigncs par les peres dc I'Eglise, et qu'ainsi les Lom- bards ne porterent point en Ilalie I'art do batir , conirae quelques-uns I'ont cru. Les debris de mcnumcns sacrcs qu'on leur attribuc , ceux de Ravenna en particulicr qui jouissent d'une assaz grandc ce'lebrite, ap- particnnent a cette epoque ante'rieure toute rituelle , ne'e du christia- nismc lui-meme. Telle est la vieille basiliqua de San-Miniato , pres de Florence , que Michel- Ange appclait la hella villanella, ct oi'i V^isari, pris pour elle d'une admiration sans liorncs , croyait fort mal a propos 176 LIVRES ETRANGERS reconnaitre dcs traces de la renaissance. Telle est encore la vieille eglisr de Saint-Ambroise, a Milan ; celle de Saint-Michel, a Pavie j celles de Saint-Clement, de Saint-Laurent , hors-dcs-murs, a Rome , et plusieurs autres moins celebrcs , lant a Naples qii'cn Lombardie. « Lorsqu'en parcourant, dit I'auteur, les contre'es lointaines , nous » voyonsque les pagodcs indiennes ont une forme , les temples paiens une » autre, une autre encore les mahome'lans , une autre les bouddhistes, » une autre enfin les chre'tiens, lorque nous trouvons cettc forme invariable » dans des sieclcs ct des pays divers, qu'en faut-il conclure? Que cette » forme a une relation intrinsequc avec le type et les rites de la religion » pour laquelle est elevc le temple. 11 faut done reconnaitre que les reli- » gions ont une architecture rituelle en rapport avec ieurs types terme'- » tiques,c'est-a-direqu'elles eurent Ieurs formes etleurarcbitecturepro- » pres ; telles sont les bouddliitiques, lesbraliminiques et les islamiques; » telle est encore I'hebraique , celle du moins du temple de Salomon : » ad similitudinem illius quod Deus fecit ab initio (Sap. IX , 8). » Pomquoi done refuser au christianisme une architecture rituelle propre, » et la faire de'river de la profane de Rome , alors que la confrontation » des temples chre'tiens vraiment rituels et d'e'poque certaine prouve » qu'ils n'ont rien de commun avec les temples paiens encore existans » a Cumes ( i ) > ^ Pompe'i , en Sicile , a Rome ? Pourquoi trouve-t-on » dans les temples paiens toujours la mcme eurhythmie , le meme ordre » dans la disposition des autels, du sanctuaire et de certaincs celle? » Pourquoi dans les chrctiens des dix premiers siccles trouve-t-on une. » constante et identique distribution et division de I'cnsemble et des » parties? Pourquoi tous les chapiteaux dcs colonnes sont-ils diffe'rensi » I'un de I'autre ? Pourquoi dans toutes les e'glises la forme des absidesj » et des trijjunes cst-elle la meme? Pourquoi y a-t-il dans toutes une » nef latcrale plus grande que I'aulrc? Ce dernier caractere c'tait si » constant que Procope rcmarque conime une singularite que celles de (4) Nous rt'levcrons en passant une crrc-ir sur ces prelcndus Icmplcs de Cnnies. Nous supposons que Paiitcur a voulu parler de co.iix de Pcstuni , car a flnmes, iion-sculcmcnt il n'y a point de icinp'.rs , inais memo le pen de dehris laisirj par I'anliqnitt-, a eto Icllenicnt mallraile par le teins el par le< hnmmcs, c|iriU n'ont pvesquo pins de physionomie ITALIE. 177 » Sainte-Sophie ctaicnt e'galcs , et ceci n'appartient pas seulement aux » premiers terns, comme le dit Ciampini , mais a unc e'poque beau- » coup moins ancienne , comme I'a observe' Maffei , dans les temples » deVe'rone. Poiirquoi toutes tescoupoles, pourquoitous les baptisteres » e'taicnt-ils oclogones , avec les cotes alternatifs de diverses longueurs ? » Pourquoi , avant dc se livrer a des hypotheses gratuites , n'avoir pas » dctruit tous ces fails confirme's par un usage constant et par I'exis- » tence de tant dc raonumens? Pourquoi enfin ne pas annuler aupara- » vant toutes les autorites des Saints-Peres , qui ordonnerent ces formes » rituelles , etdont les ordres e'laient religieusement rcspecte's? » L'architecture sacre'e des chre'tiens ainsi ctablie, I'auleur en divise I'histoire en quatre epoques. La premiere, qu'il appelle corretta, e'tait purcment ritnelle, et la structure e'tait alors tout-a-fait sui generis . dans la forme herme'tique plus que dans I'eurhytlimie du plan et de 1' elevation architecturale ; la partic ornemcntalc etait pauvre et prcsque lugubre, mais chatie'e et correctc; rien de charge dans les symboles , rien de pompeux .C'est a cette e'poque qu'appartiennent les plus antiques sanc- tuaires de Rome et de Ravenne dont nous avons parle prece'demmcnt , fit quelques petites e'glises encore existantes et disperse'es sur tous les points do la Pe'ninsulc. Ce mode pur se conserva jusqu'au sixicme siecle environ. Des lors le caractere fondamental coramenja de s'alte'rer , soit a Constantinople , par re'galite des nefs , et par d'autres modifications graves et arbitraires , soit en Occident par de nouvcaux symboles mo- raux , et par une execution lourde ; cette seconde e'poque , I'auteur I'appelle pour cela alterata; elle dura jusqu'au douzieme siecle. La troisieme , qu'il taxe de barbaric , imbarharita , se distingua par un mode dit germanique, par celui des freres de Pise, et atteignit le quin- zieme siecle. Avec le seizierae commence la quatricme e'poque , dis- sipata, perdue, e'poque moderne, oil Ton introduisit les formes des ar- chitectures profanes , conservant seulement les nefs , mais c'gales , et les absides et coupoles rondes ou a cotes e'gaux. Saint- Ambroise dc Milan est un modele du style correct de la premiere e'poque j Saint- Marc de Venise , bati sur Sainte-Sophie de Constantinople , en est un de la seconde ; le dome de Milan , de la troisieme ; le type enfin de la derniereest la basiliquc du Vatican. Une note du savant Romagnosi , imprime'e a la suite de la brochure TOME T.V. JlilLLET 1852. i2 178 LIVRES ETRANGERS. lie M. Sacclii , vient corroborcr son opinion par rautoritc de son savoil- et de son noni. Lui aussi croit que rarchitccture des temples clire'tiens eleve's depuis les fondemens eut ses caracteres propres et si distincts de tout autre style architectural connu, qu'il est impossible de dire qu'elle soit ou une imitation ou une depravation du grec ou du romain, de I'arabe et del'indicn; elle est, elle , fille d'un type distinct et sou- mise a une rigourcuse unite. M. Romagnosi a soin dc ne parler ici que des temples coraplets eleve's , comme il dit , depuis les fondemens , afin de les distinguer des basiliques et autres monumens pa'iens convertis par e'conomie en temples clire'tiens, et adaptes au nouveau culte avec leurs formes antiques ou change's plus tard. II trouve dans plusieurs passages de saint Paul (i) le fondement de cette symbolique sacree , syrabolique conserve'e du reste dans les li- turgies actuelles et dans les rits en usage encore aujourd'hui dans la Gonse'cration des e'glises. « L'autel , dit-il , Voratorium et la confession e'taient spe'cialement » consacies a la resurrection , cette sainte et magnifique espe'rance des » Chretiens primitifs ; le rcste de I'e'difice e'tait destine a symboliser » I'union de I'esprit et du coeur des fideles dans le grand corps de I'e'- » glise unie au Redempteur par la parole dc vie et par les mythes de » cette sublime union. » Dans I'Ancien Testament, le temple et les habits pontificaux fai- » saient allusion a I'e'conomie divine dans ses rapports avec I'univers , » de maniere que le temple de Salomon (comme nous I'avons vu plus » haut) e'tait fait a la resseml)lance de celui que Dieufit au commence- » ment, et quant a I'habit du pretre, tout le monde y e'tait symbolise. — » In veste enim poderis quam. habebat totus erat orbis terrarum et » parentum magnalia in quatuor ordinibus lapidum erant scul- n pta , et magnificentia tua'in diademata capitis illius sculpta » erat {1). C'est ainsi et par le merae sentiment rcligieux que dans le » Nouveau Testament on voulut par des formes visibles faire allusion » a la re'demption du genre humain. » (1) Saint Paul aiix EpWsicns, ch. I, vers. 10, etcli. 11, vers. 13, 15, Ifi, 21 et 22. (2) Sap., cap. xvui, vers. 24. Voir aussi TExode. ITALIE. 1 79 Telle est 1' opinion des deux eciivains lorabards sur rarcliifecture sa- cre'e des premiers chre'tiens j nous croyons Icur proces gagne el leurs adversaires battus. A moins dc croire, chose impossible, que I'arclu- tecture est fdle du caprice, et que ce grand art, le plus civil, le plus vraiment populaire de tous , est livrc au fantastique et a I'arbitraire , il faut admettre que, s'il est soumis a quelques lois gene'ralcs , invaria- bles, de tous les pays, de tous les terns, que j'appellerai volontiers in- trinseques , car elles sont dans son essence , comme par exemple les lois de solidite et de pesanteur, il faut admettre , dis-je , que I'intelligence nationale agit puissamment sur lui , et modifie prodigieusement ses for- mes tant externes qu'intemes , et cela uon-seulement suivant la destina- tion et I'objet de 1' edifice , mais encore suivant des lois plus delicates , mais non moins re'elles , non moins rigomeuses , puise'es dans les moeurs, dans les coutumes , dans les croyances , dans la civilisation et jusque dans les prejuge's du siecle. C'est ainsi qu'un temple differe d'un thea- tre. C'est ainsi que Saint-PiciTe de Rome n'est pas plus la cathe'dralc de Cologne que celle-ci n'est Saint-Laurent ou Saint-Miniato , quoique cependant la raeme ide'e-mere ait preside a leur creation. L'architecture intellectuelle, morale, symbolique, n'est point en ge'ne- ral e'crite dans des livres; elle vit dans les monumens, c'est la qu'il faut la lire; mais ces magnifiques pages ouvertesa tous, comljienpeulcscom- prennent ! L'architecture civile, militaire et sacree est I'histoire du monde et de I'esprit humain. L'lode est dans la pagode de Benares comme I'Egypte dans ks pyi-amides. Nos regards inhabiles n'ont encore vu que I'e'corce de ces myste'rieux arbres de science , mais la pensee nous en est ferme'e. Et pour ne parler qutfde ce moyen age que la mode fouille depuis tant d'anne'es ,■ de ces monumens sacre's ou ces siecles de force ont era- preint leur grandeur et leur foi_, et que la peinture et la poe'sie s'ef- forcent a I'enA'i de rcproduire a nos ycux de'biles , jc vous le dcmande , artistes ct philosophes, qui de vous peut se vanter d'y lire a livre ou- vert? Quelques-uns y e'pelcnt a peine quelques lettres et ceux-la sont proclame's savans entre tous les autrcs. On ce'lebre la grace dc I'ogive , la perfection , la finesse de la rosace , mais le langage qu'elles parlent on I'ignore; aucune de ces bcaute's n'est pourtant arbitraire, mais c'esl la une langue perdue aussi bicn que les hie'roglyphcs. On s'en tient ■12. l8o LIVRES l^TR ANGERS. aiix formes et Tcspiit c'chappc , commc I'idolatrc qui adore I'image do Dieu et non pas Uiou dans son image. Etoniiez-vous maintcnant de n'avoir plus d'arcliitectiire , hommes sans croyanccs et sans passions ; voiis n'cn aurez une forte ct belle que lorsque voiis aurez quclque chose dc beau ct de fort a traduirc en mar- bre et en pierre. Jusque-la on se trainera dans I'orniere de I'iraitation, on vous fera des maisons de cartes, des Madeleines et des Bourses. Le siecle n'a pas le droit de demander autre chose. S. R. 32. Principii di architetture civile. — Principes d' architecture civile de Francois Milizia, annotee et public'e par le professeur Jean Antolini. Avec 36 planches. Milan, i83'2; imprimerie de Vincent Ferrario; prix, \i lire. Milan. Milizia est connu en Italic par divers ouvrages d'architecture fort repandus dans le monde savant. Cclui que nous annonjons n'est qu'une rc'impression. On y tvouvc, comme dans les autres, cette intelligence de I'art et cette sagacite dans le choix et I'indication des moyens qui caracte'risent Milizia et I'ont place' haut dans Testime de ses compa- triotes. Ce qui le distingue de la plupart, je dirai meme de tons ses confreres, c'est une verve que Ton ne s'attendrait pas a rencontrer en de telles matieres. Cette edition se rccommande par I'exactitude des planches et par une nouvelle raethode ge'ometrico-pralique pour la con- struction des voutes ajoute'e a I'ouvrage original. BELGIQUE. 33. HiSTORIA philosophise AMUNDI INCUNABJJJLIS USQUE AD SALVATORIS adventum, etc. — Histoire de la philosophie depuis le commen- cement du monde jus (jii' a V avenement du Sauveur, par P. F. X. DE Ram. Louvain , i83'2 ; Van Linthout et Vandenzande. In-8". M . de Ram est un de ces hommes laborieux qui laissent partout des traces deleur passage. Charge', pendant quelque terns, an scminaire deMalines, de I'enseignement de la philosophie et de son histoire, il a le'gue a ses e'leves , en passant a la chairc de droit canon et d'histoire eccle'siastique, un manuel substantiel et commode, c'crit, comme il devait I'etrc, dans le sens le plus ctroit du catholicisme. Get abrege est extrait en grande BELGIQUE. l8l pai lie dv Brucker, qui sera toujours , quoi qii'oii disc , le fondement de tout travail de seinblable nature. Peut-etre en Allemagne, ct enHollande particulierement , voudra-t-on y critiquer en quelques endroits la lati- nite, mais on y rendra, de meme qu'ici, justice a la clarte', a I'heu- leiise disposition du plan et au clioix judicieux des details. L'auteur ne pouvait s'e'carter de la marche qui lui e'tait trace'e ; son role c'lait oblige' et il I'a rempli convenablement. M. de Ram est un de ces eccle'siastiques e'claires qui ne de'daignent aucune des sciences mondaines et qui portent dans les affaires du monde, avec une pic'te' sincere, une grande inde'pen- dance d'esprit. On lui doit deja, entre autres ouvrages , les deux pre- miers volumes in-4'' d'un Sjnodicon belgicum. 11 s'occupe, assure-t- on , d'uhe Belgica sacra, sur le plan du grand ouvrage consacre a I'E- glise de France , et qui devait embrasser toute la Belgique. DE ReIFFENBERG. 34. De la Peinture sur verre aux Pavs-Bas , suii'i d'un Me- moire sur les tentatives faites au sein de V Academie pour la pu- blication des monumens inedits de Vhistoire belgique , par le ba- ron de Reiffenberg. Bruxelles, 1882 j Hayez. In-4°. L'auteur commence par quelques reflexions sur ce qu'on doit enten- di'e par I'imitation de la nature dans les arts , et par e'tablir que la re- presentation de la nature en elle-meme est impossible , si Ton exige qu'il y ait identite parfaite entre le modele et la copie. II ajoute que, si cette representation pouvait exister , ce serait tant pis pour nos plaisirs , puisqu'il n'y aurait de chaque objet qu'une copie re'elle , et que toutes les autres , s'e'cartant de la ve'rite, seraient condamne'es d'avance. Que' nous reste-t-il done? La representation de la nature en tant que celle-ci agit sur nous , en d'autres termes la traduction naive , animc'e, de I'impression qu'elle produit sur notre imagination , sur nos autres faculte's , ou celle des modifications que notre intelligence passion- ne'e fait subir au monde exterieur : et , dans ce cas , le degre' de ve'rite' doit etre plus haut encore , car le monde que nous con- cevons est bien plus notre proprie'te' que celui ([ue nous regardons. Dela , la possibilite' d'interesser et d'etre vrai en saisissant les points dc vue les plus opposes- de la cette cspcce de vitalite' dont nous sommes Irappe's dans les oeuvres qui s'e'carteut le plus de ce que tout le monde t83 LIVRES KTRANGERS. toiiclic cl volt; tie la le plaisir que cause la peinturc suv vcirc, latpieUe deraande a I'esprit dcs concessions bien plus fortes que la peinture sur toile ou sur toute autre siirfacc opaque. Ccs figures, viviliees par la lu- micre qui les pcnetrc et qui semblc descendre du ciel dans nos eglises gothiques; ces tableaux qui se rembrunissent des ombres du soir oir dcs nnages oragcux ct s'allument des rayons du soieil ct des feux du matin; ces e'maux e'tincelans, cette architecture fantastique qu'ils em- bellissent; ces images diaplianes et dccoupees par le fer, le plomb des vitraux, et les monceaux de pierre, est-ce la nature absolue, cst-ce la re'alite' mate'rielle et physique? Personne assui-ement ne sera tente' de re'pondrc d'line maniere affirmative. Et pourtant, malgrc' la singularite' de ses proce'de's, malgic la bizarrerie des conditions qui lui sont impo- sc'es, I'art pent aussi attcindrc a la verite', si I'artlste s'cst transporte franchement sur son terrain, s'il est inspire' et s'il reproduit avec cha- leur son inspiration. « 11 y a , entre la peinture sur verre, rcmarque » M. de Rciffenberg, le christianisme ct les temples gothiques, une i> harmonic e'troite et parfaitc; les iramenses fenetres en ogives, les ro- » saces gigantesques , sont le cadre naturel et unique de ces tableaux » singuliers qui offrent , en quelque sorte , a travcrs leur poetique re'- » seau , une perspective e'loignee du ciel , tel qu'on le comprenait an » moyen age , oil Dieu e'tait connne le chef tout puissant d'un systeme » de feodalite unlvci-selle , an milieu de ses barons et fe'aux , des pom- )) pes et des prestiges de la chevakrie : observation qui depose contre » le mauvais goiit etc ccs amateurs cmpresse's de ravir a nos e'dilices » sacre's leiirs derniers vitraux , pour en orner des constructions pro- » fanes qui , par leur destination et leur affectation de de'cre'pitudc an- » ticipee, manquent enticrement I'effet qu'on voudrait leur faire pro- » duire. » M. de Reiffcnberg dit ensuite qu'on fut redevable a la peinture sur verre d'une revolution importante en architecture , au commencement du treizieme siecle. En effet, par son moyen on peut e'viter toutes les masses inutiles, tcndrc^ vers le haut en harmonisant cc plan general avec les tours dcs c'glises, faire dcs raurailles transparentcs et donner une le'ge'retc' prodigieusc aux e'difices. L'autcur, abordant la question que s'est faite M.Langlois(Voy. ci-Je550K5, p. ■2ao),pensequc la Belgique a des droits fonde's a I'invention de la peinture sur verre ou du moins de ses proce'de's les plus inge'nieux. Personne, du moins, nc BELGIQUE. 1 83 contesle a Jean van Eyck la de'couvcrte des e'maux , ou verres a deux couches , qu'il substilua aux verres colore's dans Icur masse. A ces pre'- liminaires succedent des recherches sur Jes vitraux les plus ce'lebres et les peintres veiriers dc la Belgique. L'auteur donne , entre autres, un extrait des registres de la famense confrerie de Saint-Luc a Anvers, de puis I'an i454 jusqu'a I'anne'e i64i. Nous voyons, dans cette partie, que M. Langlois s'est trompe en attribuant a Abraham van Diepenbeck les vitraux de la chapelle de Notre-Dame de la Delivrance dans I'e'glise de Sainte-Gudule a Bruxelles; ils sent de Jean de la Baen, qui a suivi les cartons de Theodore van Thulden. M. de Reiffenberg fait exe'cuter en ce moment , par des artistes habiles , une copie sur format double- atlantique des magnifiques vitraux de Sainte-Gudule, qu'il publiera avec un texte enrichi de scs nouvelles de'couvertes sur ce sujet si inte'ressant pour I'histoire des arts. * LIVRES FRAN^AIS. 35. PniNcipts METAPHYsiQVEs DE LA MORALE, traduits de Vallemanil d'EMMANUEL Kant, jjar Cl.- J. Tissot, professeur de philosophie. Paris, i832; Hachette , rue Pierre-Sarrazin. In-S^j prix, 4 fr- Les premiers monuraens du langage cliez tons les peuples furcnt dcs pre'ceptes de morale , commc si le langage eut dii etre saiictifie, des sou origine , par la manifestation des lois divines inspirees aux hommes pour son bonheur et celui de la socie'te' au milieu de laquclle il est des- tine a vivre. Les principes universels de ces lois divines ont e'te' connus de tous les peuples; car on les retrouve dans les e'crits de Confucius, de Lao-tseu, dans les fables de VHitopadesa ( rccueil Sanskrit dont le li- tre signifie : Instruction salutaire, le plus ancien recueil de fables con- nu) , comme dans ceux attribues a Salomon , ou dans les poetes gnomi- ques de la Grece. Socrate insista surtout sur leur pratique; Aristotc les re'digea en corps de science; et, malgre lagrande diversite des interpre- tations et des applications , les principales bases de la morale resterent toujours les memes, s'appuyant toujours sur cette formule qui se trouve dans rfevangile et dans Confucius : Nefais pas a autrui ce que tu ne voudrais pas que Voji te fit a toi-metne. Ne'anmoins, ce serait un livre curienx que celui qui renfermerait I'histoire complete de la morale, depuis son origine jusqu'a nos jours , en distinguant quelle influence tel systcme a cu dans tel tems sur tcl peuplc, et tel autre sur tel autre; ce serait peut-etre le meilleur moycn de connaitre celui qui procure le plus de bonlicur a I'liouime et a la so- ciete', et surtout quel est celui qui s'accordele micuN. avec la dignite de notre nature. La morale austere du portiquc a produit les Marc-Aurclc, LIVHES TRANCAIS. l85 les Caton, les Brutus, les Seneque, en se fondant sur la r^gle du devoir, de'nuc de toutinte'ret personnel. Notre epoque de dissolution et derela- chement ne demande-t-cUe pas aussi une morale plus austere et plus haute que celle de rc'goisme et de I'inte'ret personnel qui de'gradent les institutions sociales et ne font naitre aucuae vertu civique? En AUema- gneon a proclame depuis long-tems la loi du devoir; Kant,avecsa haute intelligence etsa puissante critique d'analyse et de synthese, a re'duiten corps de science les principes metaphysiques du devoir que Fichte, apres lui , a portes jusqu'au sublime. — M. Tissot vient de rendre un grand service a notre litterature en traduisant cet ouvrage du philosophe de Koenigsberg.t Seulement il est a craindre qu'en reproduisant litte'ralement I'original allemand, il n'ait trop fidelement aussi conserve les obscuri- te's de la terminologie scientifique et absolue de Kant, a laquelle nous ne sommes pas accoutume's par la lecture de ses onvrages. Toutefois cet inconvenient, inevitable dans tout traite raetaphysique, est preferable a une traduction pale et dccolore'e qui aurait rcproduit peut-etrecn Iran- fais les ide'es de Kant, mais qui n'aurait pas conserve ses formules. Le cachet du ge'nie se reconnait mieux dans la forme que dans le fonds de son oeuvre. La traduction de M. Tissot se compose d'une introduction qui con- tient la partie ge'ne'rale de la morale, et du corps de I'ouvrage qui traite des tbffe'rens devoirs de Thomme, bases sur les diffe'rens rapports qu'il soutient. La premiere partie, quoique moins facile a entendre, est ce- pendant la plus inte'ressante a connaitre. Ilestimposant de voir comment un homme du ge'nie de Kant a essaye de fonder la morale sur des prm- cipes rationnels, inde'pendans de toutc sanction religicuse. Ces principes sont d'unrigorisme tellement impe'rieux, que la maniere dont ils sont for- mules les sauve pour ainsi dire de cet e'trange isolement de Dieu qu'on leur a reproche et dans lequel la raison logique de Kant les a place's. Pour donner une idee de I'ouvrage et de la traduction de M. Tissot, nous nous borncrons a citer I'article 3 du deuxieme chapitre, intitule : DE LA BASSE ADULATION. « L'homme dans le systeme de la nature {homo phcenomenon , ani- » mnl rationale)cst un etre de peu de valeur, et pent s'e'valuer commc » le reste des animaux et les produils de la terrc {pretiinn vulgare.) » Par cela meme qu'il s'e'levc au dcssus des brutes par son intelligence, 1 86 LIVRES FRANQAIS. » et qu'il peiil se proposer unc fin , il recoil lependant iine valcui » extrinseq ue d'utiVite {pretium usiis), c'cst-a-dire nn prix tel que » celui d'une marehandise , savoir, la valeur relative d'un homme en » comparaison d'un autre , tel que dans le commerce qu'on fait des » hommesmemes, comme choses, etdanslequel il a neanmoins une va- » leur infe'rieure au moyen general d'e'change, a I'argent, dont la valeur » est pour cettc raison appele'e regulatrice (pretium eminens.) » Mais I'homme , conside're' comme personne^ c'est-a-dire comme su- » jet d'une raison moralement pratique, est au-dessus de tout prix; car, » comme tel [homo noumenon), il ne doit pas seulemcnt etre estime' » commemoyenpourles fins des auf res, nimeme pour les siennespropres, » mais comme fin lui-meme, c'est-a-dire qu'il est revetu d'une dignite, » (d'une valeur interne absolue) , au nom de laquelle il force toutes les » autres creatures raisonnables de luiaccorder leur estime , dignite' qui » lui perraet de se comparer avec tout autre individu de son espece, et » de s'cstimer son e'gal. » L'humanite' dans sa personne est I'objet du respect qu'il pent exi- » ger de tout autre homme, mais dont il ne pent non plus se priver. II » pent et doit done s'estimer suivant une unite' de mesure tout a la fois » petite ct grande, selon qu'il se considere comme etre sensible (quant a » sa nature animate) ou comme etre intelligent ( quant a sa nature mo- » rale). Mais comme il ne doit pas seconside'rer simplement comme per- » Sonne en general, mais aussi comme homme, c'est-a-dire comme une » personne qui a envers elle-meme des devoirs que lui impose sa proprc » raison, sa bassesse comme homme-animal ne peut prcjudicier a la » conscience de sa dignite' comme homme raisonnable ; et il ne doit » pas re'pudier sa valeur morale en consideration de cette animalite , » c'est-a-dire qu'il doit poursuivre sa fin , qui est dans le devoir en lui- » meme, non bassemcnt, ni sei-vilement , comme pour s'attirer une fa- il veur, niais toujours avec le sentiment de 1' excellence de ses e'le'mens 1) moraux, et cette estime de soi-meme est un devoir de I'hommc envers » lui-meme. » La conscience et le sentiment de la vilite de son prix moral, en » comparaison de la loi , est Yhumilite morale. La persuasion de la » grandeur de ce prix, mais seulement sans se comparer a la loi , peut 1) s'appcler orgueil moral (arrognntiamoralis). — Renoncerapre'ten- LIVRES FRANgAlS. 187 » (lie a line valeur morale personnelle, dans la persuasion desc donner » par la une valeur empruntee, c'est fausse humilite morale {humilitas » moralis spuria), ou hjpocrisie d' esprit. » L'humilite comme mepris de soi-raeme dans la comparaison avec )) les autres hommes (en general meme , avec tout etre fini , serait-ce i> un seraphin) n'est pas un devoir; dans cette comparaison , le de'sir » actif de s'e'galer aux autres ou de les surpasser, avec la persuasion de 1) se donner par la une plus grande valeur interne, constitue particulie- » rement V ambition qui est directement contraire au devoir envers au- 1) trui. Mais le rabaisseraent de sa propre valeur morale (I'hypocrisie et )) la flatterie), imagine comme un moyen de s'attirer les bonnes graces » de quelqu'un (de qui que ce soit), est la fausse modestie : elle est op- » pose'e au devoir envers soi-meme, comme me'pris de sa personnalite. » On peut rendre plus ou moins ce devoir par rapport a la dignite' de » riiomme en nous_, par consequent envers nous-memes, par les presents » suivans. — « Ne soyez point esclave des hommes ; — ne souffrez pas que vos » droits soient impune'ment foule's ; — ne contractez aucune obligation » que vous ne veuilliez pas remplir ; — n'acceptez point des bienfaits dont » vous pouvez vous passer ; — ne soyez ni parasites , ni flatteurs , ni » mendians (qui ne different des pre'ce'dens qu'cn degre). Soyez done » frugals , crainte d'etre un jour re'duits a la misere. — Les plaintes el ') les lamentations , meme le cri , dans la douleur corporclle , sont indi- " gnesde vous, surtout si vous avez la conscience de I'avoir me'rite'e. De ') la, un coupable ennoblit sa mort, en efface du moins la lionte , par la » fermetc' qu'il montre en mourant. — L'adoration meme des cboses ce'- » lestes par la prosternation jusqu'a terre , leur invocation dans des » images sensibles , sont contraires a la dignite de I'homme ; car alors » vous le re'duisez non a V ideal que vous en fait votre raison , mais a » Vidole , qui est A'otre propre ouviage. QUESTIONS CASUISTIQUES. » Le sentiment de la sublime destince , c'est-a dire Tele'vation d'ame » comme estime de soi-meme , n'est-il pas dans I'homme trop voisin de « la presomption , qui est pre'cisc'mcnt I'oppose de la veritable humi- l88 LIVRES FRANQAIS. » lite , pour qu'il soil convcnable dc I'cxciter , mcmc dans la coiiipa- » raison avec Ics autrcs homines , et non simplenicnt avoc la Joi ? Ou bicn » ccltc cspt'ce d'abncgalion de soi-mcrae n'auginenteiait-cUe pas plulol » la bonne opinion epic nous avons des autrcs juscpi'au mepris dc nous- » memes , et ne serait-elle pas ainsi contraire au devoir {de respect) » envers notre propre personne ? 11 semble toujours indigne de I'lioinme » de s'incJiner et de s'humilier en face d'un autre houime. » » La racdlcure marque de respect dans les paroles et les manieres , » meme a I'e'gard d'un homme sans autorite dans I'Etat ; — les re'vc- 1) renccs , les complimens, les pbrases de cour , indiquant avec une pre'- » cision minutieuse les nuances des titres , des emplois , jargon qui n'a » rien de coramun avec la politesse ( ne'cessaire meme enire e'gaux ) — » le Toi , le Lui , le Vous et I'EUe , ou la Reverence , la Grandeur , le » Tres-noble , Tres-illustre , I'Excellence , le Monseigneur ( et que » sais-je encore?) dans une harangue , un placet , — formules banales , » — ne sont-ils pas la preuve d'un extreme penchant a la servilite parmi » les homraes? (Hce nugce in seria ducunt). Mais celui qui sc fait » ainsi ver, a-t-il le droit de se plaindre ensuile qu'on I'e'crase ?» G. Pauthier. 36. Des arts comme puissance gouvernementale et de la nou- velle constitution a donner aux theatres , par e. souvestre. Nantes , i83'2 ; imprimerie de Mellinet. In-8" de 38 pages. L'auteur de cet ouvrage e'tablit que le caractere le plus ge'ne'ral des beaux-arts est d'etre une puissance moralisante. C'est sous ce rapport qu'il faut qu'ils soient conside're's et scntis par les gouvernans et par les artistes pour exerccr une influence favorable a la raarche progressive des socie'te's. Les preuves historiques ne manquent pas pour montrer qu'ils sont destines a hater la mission de chaque siecle. I-es houimes de genie passionnent et entrainent en avant la foule , qui , comprenant qu'elle leur doit d'etre meilleure et plus heureuse , benit et immortalise leurs noms. Mais quelle part de gloire et de reconnaissance peuvent cs- pe'rer ccux dont toute la verve se re'pand mise'rablement en sarcasmcs , en hostilitc aux hommcs et aux choses, en cynisme moral et physique. Qu'cnscignent-ils au peuple, qui fait son cours de morale dans les rues ct dans les theatres? N'est-il pas douloureux de voir aujourd'hui « Ic LIVRES FRANgAIS. 189 u mcj)iis dc ce qui est, le de'goiit dc tout, ou 1' indifference dangercuse » du bicn ct du mal professec par nos jeunes e'crivains, espece de fan- » farons de crimes, Diogenes fasliionablcs, qui vont rcmuer la bouc des » baugcs en gants parfiirae's , qui encadrent le vice en vignettes , et pei- » gnent la vie conimc une ivresse d' opium I Ah ! est-ce a une pareille " e'cole que les classes les moins eclaire'es apprendront I'esprit pacifique » de I'avenir? Pourquoi poursuivre cette guerre de'clare'e a laconfiance « ct au devouement , cette cbasse contre toutes les croyances de la vie? » Pourquoi tremper successivcment tous les sentimens humains dans la ■• fangc , pour fairc a I'bomme douter des hommes , comme s'il ne fal- )) laitpas, aucontraire, ranimer en lui toutes les dispositions d'union 1) et de sympatbie. Les arts ont asscz combattu, Icur emploi de'sormais » est de Her les bommcs. Entoure's de ruines, employons comme Am- » phion la lyre a rebatir un nouvel edifice social , si nous ne voulons » pas que la generation prochaine reste nue et a dc'couvert sous le » souffle des tempetes. » Une eloquence de poete el d'honnete liomme domine cet e'crit de M. E. Souvestre; mais ce n'est pas seulcment une vertueuse declama- tion contre la degradation actuelle des beaux-arts : on y trouve une cri- tique spe'ciale tres-avance'e et tres-consciencieuse , I'indication suffisam- ment developpe'e de moyens transitoires qui semblent au jeune e'crivain propres a conduire au but qu'il signale , un examen curieux appuye' de cbifTres de la pailie du budget de i832 relatives aux allocations en faveur des beaux-arts , et des ide'es vraiment neuves sur le projet d'une reorganisation des theatres dans toute la France. 11 est bon de noter en passant ces travaux, afin qu'on ne ies oublie pas lorsque le jour de les consulter sera venu. Au milieu du de'sorcUe et des allerna- tives d'inquietudes et de faibles espe'rances oil nous vivons, il n'y a pas lieu peut-etre de s'arreter long-tems a conside'rer ces deuces lueiirs de prevision que de genereuses ames nous envoient de loin ; du moins c'est une consolation et un encouragement de sa^oir qu'il est des cceurs que n'abaudonne pas la confiance, qui sont riches en elans, et qui adou- cissent avec quelques nobles pensees les douleurs du present. Nous remercions M. E. Souvestre pour un grand nombre de passages de son e'crit, pour celui-ci, par exemple, que nous nous plaisons a re'pe'ter avec igo LIVRES FKANgAIS. « Artistes, a roeuvre , vous avez voire destine'e a accoinplir I Le n monde est ouvert dcvaiit vous. — Immense theatre dont le rideau ne » baisse jamais ! C'cst la qu'il faut chevclier des pcrsonnages ct des » scenes. — Prices, prejngtts, douleurs.... trio fatal qui ceint le monde » d'un cercle magique! Montrez-le dans toute sa laideur. Que dc ta- » bleaux a peindre I Quelle histoire a e'crire ! Mais plus de ridicules con- » trefa9ons du moyen age ; a has la litte'rature a Tai-mure rouille'e , les » hacliis historiques : ils ne nous apprennent rien d'utile pour le pre'- T) sent. Surtout plus d'atroces conceptions sans but; plus de cette muse » a tete d'hyene, les deux bras rouges de sang et les pieds dans la » boue! La muse de I'avenir^ c'cst I'humanite, grave , aimante , ge'ne- » reuse, essuyantses pleurs pour sourire au malheur, cachant sa poitrine » bleue de coups et de froissemens pour ouvrir ses bras a I'amitie'! » Qu'elle vienae montrer au peuple le tcrme lointain des perfectionne- » mens; qu'elle place elle-meme les e'criteaux qui indiqueront la route, » et qu'on y lise partout : sj^mpathie, denouement ! II faut qu'au sortir )) du theatre, le spectateur se sente place plus haut dans la vie, qu'il » porte plus le'gerement le poids des jours, que son ame soil epa- » nouie aus nobles inspirations , et que les larmes de la pitie se trou- » vent plus pres de ses paupieres ; il faut qu'il s'estime plus heureux , » au retour, de trouver autour du foyer I'obscur et sublime amour de sa » femme , les caresses de ses enfans. — Et qui n'a eprouve' toutes ces » emotions au mo ins une fois dans sa vie? Lorsqu'une oeuvre de ten- n dresse et de genie avait entliousiasme son cceur, qui n'a senli un re- » doublement d'alfection , ces crises de devouement pour ceux qu'il ai- » mait ? Le moyen d'etre mechant une heure apres avoir pleure d'ad- » miration devant un trait de vertu ! » * 37. EssAi suR l'education populaire vendue immediatemenl utile et distribuee sans frais ; par E. N. Godefroy {d' On>illiers ). Paris, i832; madame Charles Bechet, quai des Augustins, n° 5(); Audot, rue du Paon Saint-Andre. In-8" de g5 pages, prix, "i fr. « Si Ton veut me comprendre , dit I'auteur , et bien appre'cier mcs » ide'cs, il ne faut pas perdre de vue que je me suis surtout propose le » problemc sc'duisant de rendre lucratif, au lieu d'etre oncreux , le LIVRES FRAN^AIS. I91 » cours dc re'ducation populaire par le travail utile des c'colieis , en- » tre leurs lefons courtes et multipliees » . Ce but en lui-meme est excellent. Nous croyons en effet que jus- qu'ici I'enfance ne vit point de la vie re'elle et qu'elle doit acquerir une valeur sociale , en devenant utilement active des les premiers exerci- ces de ses forces. Malheureusement les moyens proposes par M. Gode- froy ne nous paraissent guere praticables, et, a vrai dire, il n'est peut-etre pas possible aujoiird'hui de donner ce caractere a I'education : car I'e- ducation n'est point uue de ces branches parasites qui se greffent sur tous les troncs. Sa nature depend intimemeut de ccUe dc I'organisation sociale; et aujourd'hui que nos institutions en masse ont vieilli jusqu'a pourriture , la sphere de re'ducation publique est trace'e : clle ne peut sortir de \' individualisme et de Visolement. Cependant , nous verrons bientot que les donne'es de I'auteur ne supposent rien moins que le col- lectisme et Y association commc conditions pre'alables. II faut done a re'ducation , pour se renouveler , un renouvcllemenl des institutions , et surtout I'intronisation d'un nouvcau principe social qui lui donnevie, couleur et liberie. C'est ainsi que Ton peut juger a priori tout systeme d' education qui s'offre detache' du grand ensemble d'une organisation sociale. Toutefois c'est dans I'ouvrage meme de M. Godefroy que nous vou- lons chercher notre fin de non-recevoir ; et nous croyons qu'elle y sera suffisamment justifie'e , bien qu'il n'ait donne qu'une e'bauchc de son systeme, subordonnant la publication de ses developpemens au cas 011 les premisses seraient goute'es. L'auteur prelude en general avecbouhcur a I'exposition de son plan. Voici extraites presque au hasard quelqucs-unes des ve'rite's importan- tes qui se trouvent re'pandues dans ce petit ouvrage. « L'instruction primairc nationale, dit-il, devrait avoir pour principe » et pour fin les besoiivs individuels et sociaux des citoyens. . . . » On doit certainement de'sirer le classement des travailleurs selon » leurs predestinations natiirelles. Pour y arriver, qu'y a-t-il a fairc? » re'pandie egalement les lumieres dans toutcs les professions utiles , » qui par la deviendiont e'gales , et jouirout au meme degre de I'estime » et de la consideration publiques. » Point d'intelligence mort-ne'cs, rqnouve'es ou oisivcs : toules, cha- 192 LIVRES FRANCAIS. » cune dans sa sphere , doivent leur tribut a la socic'te, qui par con » sequent Icur doit dcs pre'cppteurs pour qu'elles tcndent a un meme » but, le bien-ctre general » L'liommc est ne'ccssairement un double instrument dc travail et » par consequent dc production. La nature comme la socic'te le veut » ainsi. L'cducalion doit done faire naitre et entretenir en lui la faculte » de se deVelopper et dc se pcrfectionner simultanement au physique » et au moral 5 chez lui, I'occupation continue etreguliere de I'esprit « coordonne'e avcc I'occupation re'elle et constante du corps, voila quel » doit etre le re'sultat de I'e'dncation populaire » Le besoin d'cxercer les membres des enfans est si impe'rieux » qu'on a imagine des jeux de gymnastique dans lesqueis ces petits » hommes courent le risque de s'estropier. En voyant de tels jeux, je » rae suis toujours demande si on voulait faire de nous un peuple de » polichinelles » Le moyen leplus efficace d'inte'resser 1' enfant, dele stimuler et de » le pousser au but qu'on se propose , c'est A'attacher du prix aux » choses qu'il fait ; c'est de lui laisser croire , si ce n'est la verite , qu'il » est en effet utile. Qu'il soit votre coinpagnon , vous verrcz comme il » remplira sa tacbe; mais en ce cas il faut changer souvent d'ouvrage, 1) estimer avcc le petit ouvrier sa collaboration , et y alioucr un prix » dont les bases seront a I'avance convenues )) Voyez ce que fait une troupe d'enfans laisses libres. Elle joue a )> I'industrie , an commerce , aux affaires , a la guerre ; elle imite vos )) travaux, vos marches, vos conventions et vos folies. Elle vous indi- » que done elle-memc et clairement ( on ne peut plus ) par oil vous la 1) devez conduirc, ct, loin de I'y faire marcher, vous Ten de'tournez; » elle veut produire des choses utiles, en trafiquer, et vous I'occupez dc » riens , on de choses sans utilite' actuelle ou apparente. Elle veut con- » naitre tons les objets qui I'entourent , et vous ne lui en dites pas un « mot; enfin elle veut vivre en socic'te, e'changer des ide'es, des paroles « du moins; et parquee , entassee dans un e'troit espace , elle demcure » sans action , sans spontaneite » Le travail en socic'te' est moins penible que le travail solitaire » On dirait que les astres ne vont si vite que parce qu'ils s'excitent les » uns les autres : ainsi font les hommes; nn par un, ils sont sans force; LIVRES FRANgAIS. lyS » nombreux, rien ne leur re'siste Gaiete frauclic ct constanle, point » d'cnnui , point de lamentation.... L'avantage de travailler en socie'te n est si evident, si conside'rable , que je suis e'tonne' de ne pas voir en ►> tout lieu et en tout e'tat des associations d'ouvriers Puis •) quelles pense'es sociales peut-il avoir toiijours seal'? (rouvricr). » Ceites, dans ccs lignes , M. Godefroy est largement a la hauteur de son sujet : on n'entend pas mieux dire les hommes les plus avance's de I'e'poque. Notre reraarque ne sera point indiffe'rente lorsqu'on saura que I'auteur a passe' les trois quarts de son age au milieu des champs , moins occupe a lire et a s'initier aux progres du siecle qu'a observer en tra- vaillant. Aussi sa pense'e sort brute et souvent en formes insolites : mais on a pu voir qu'elle n'en est pas moins originale. En consequence des reflexions prece'dentes , M. Godefroy voudrait faire du maitre un entrepreneur, un directeur de travaux agricoles de toute cspece , un agronome, un inge'niour, etc. ; et des e'coliers, des tra- vaillcurs, uue troupe d'c'leves agricultcurs ct industriels, en meme tenis qu'onen fait des e'leves de sciences et de ])caux-arts. L'admission n'aurait lieu qu'cntre Iniit ou dix aus , et la sortie vers quatorze. Le local de re'colc, ce scrait tout le territoire de la commune, et quelquefois les territoires circonvoisins. L'e'cole serait amhulante , et ferait le plus souvent scs exercices intellectuels en plein air. Elle au- rait d'ailleurs des tentes pour s'abriter au besoin. Je charge I'c'colier, dit I'auteur , d'uneboitc ou d'un portcfeuille qui, e'tant sur ses genoux, lui servira de table ou de pupitre 11 aura de plus les outils (outils proportionnc's a sa force) que ne'cessiteront chaque jour les travaux dont il sera capable. Le prix de tout travail pour Ic compte de la commune serait fixe jiar le conseil municipal , et le prix de celui pour le compte des particu- liers , par une assenihlee de tons les peres du fillage. II y aurait une comptabilite' lenue par les e'leves. Apres le paiement de I'instituteur, une portion des be'ne'fices serait pre'leve'e pour former un fonds commun destine a 1' achat d'une bibliolheque, a la publication d'un journal , etc. Une autre portion serait destinee aux e'leves malheureux , et le surplus partage entrc les travaillcurs, en raison de la cooope'ration journaliere de chacun. TOMK I.V. JUir.l.KT 1852. 13 194 LIVRES FRAN^AIS. Evidemment , corame nous I'avons fait presscntir, tout cela deja est impraticable. Outre mille difficulte's qu'il pre'scnte a la pcnsee , un tel ordre de choses supposerait d'abord solidarite intime entre tons Ics ha- bitans d'un meme village; il supposerait Icur association. De quel droit, en effet, obligerail-on une quelconque de ces families isole'es, ctdont les interets sont presque ne'cessairement en opposition sous notre regime de concurrence uuiverselle comment la forcerait-on a conlribuer en rien a I'c'ducation pul)lique? et puis comment re'gulariscr et faire prospe'rer une troupe de jcunes apprentis travailleurs, lorsque dcs arme'es entieres d'ouvriers veterans sont sans travail et saus pain? L'auteur semble n'avoir pas considc're que ce serait e'tnblir ime concurrence fatale a ces malheiireux , qui tirent a peine de ces memes travaux Ics ne'cessitcs de rcsistence. De toutes ces considerations ressort precisement la justifica- tion d'unc pcnsee rcmarquable de l'auteur lui-meme : « L'e'dificc so- » cial , dit-il , a e'te construit pour le faite seulement. Aussi quand il » s'agit de faire, en sous-oeuvre , d'autres et de plus fermes fon c- » mens a cct e'difice, le comble crie et menace mine. » Nous doutons d'ailleurs que la jeunesse prit gout a remplacer les vqyers et cantonniers vicinaux , le garde champetre , et a epandre les fumiers , faire Vechenillage , etc. , etc. , et en gc'ne'ral qu'elle aimat le travail tant qu'on ne I'aurait pas rendu agre'able pour tons , a commencer par les adultes. Aujourd'hui c'est a qui fuira , dans toutes les classes , un travail monotone , malsain et improductif. M. Gode- froy semble n'y avoir point pris garde; dans sa troupe XApunition con- sisterait a faire les travaux qui re'pugneraieTit le plus aux e'leves reprehensibles. F'oila hien caracterisee une association d^ouvriers, dit ensuite l'auteur. Sans doute , mais voila aussi I'un des problemcs les plus dif- ficiles qui soicnt a resoudre de nos jours. Car il s'agit de nous appren- dre comment la faire agir et manoeuvrer barmoniquement, comment e'quilibrer les passions ct les interets. Mais M. Godefroy ne considere que In surface de la question : « Si on clait encore en doute , » dit-il , « que cette association piit etre incessamment et utileruent occupe'e, on » n'aurait qu'a demander aux cultivatenrs instruits s'il n'est pas une » foule (!e travaux iudispcnsables pour nbtrnir. conserver et ameliorer » les prodiiits de la lerre , qui sont negliges, (|uoiqiie non pe'nibles , LIVRES FRAN^AIS. IqS •» parce qu'on lei jugc irop vetilleux ou trop peu payables pour etre » confie's a des bonimes faits. » Selon nous, cen'est ni I'une ni I'autrc de ces raisons : pour qu'il en fut ainsi , il faudrait que tous les bras fussent occupe's , qu'il n'y eut pas jusqu'a vingt-deux millions de prolctaires en France , qui , loin de faire fi du salaire exigu de cinq sous pour quinze lieures dc labeur, se croient fort lieurcux encore de pouvoir s'assurer un si vil marche'. II faut done coinmencer par rendre tucratifle travail des vieux, les faire produire davantage et plus agre'ablement , surtout il faut trouvcr la loi de leur association , afin de pouvoir e'tendre ensuite ces avantages aux jeunes. 38. EssAi suii l'educatioiv intellectuelle et morale de l'eiv- FANCE , contenant des observations relatifes aux moyens que Von y emploie le plus ordinairement , tels que les estampes et les ecrits a V usage de la jeunesse , extrait des Principes d' education , par Niemeyer, et traduit de Tallemand par E.-P.-H. Durivau, Paris , 1 832 ; L. Colas , libraire de la Socic'te' pour 1' instruction e'le- mentaire , rue Dauphine, n° 33. In-i8 de io8 pages; prix , i fr. Les traitcs d'e'ducation a I'usage du grand nombre sont rares encore parmi nous. En voici un qui nous semble destine a devenir populaire. II est vrai qu'il a peu d'e'tendue et qu'il ne s'occupe guere que de la pre- miere pe'riode de I'e'Jucation , mais il faut conside'rer en revanche que cette pe'riode est peut-etre la plus delicate a traverser : celui qui aurait indiquc' la bonne voie , pour ces premiers pas , aurait singulierement abre'gc et aplani le resle du chemin que les ages ont a parcourir. Nie- meyer nous apparait comme un precepteur de vocation. Tout nous sem- ble judicieux dans ce petit extrait de ses ouvrages. II ne contient peut- etre pas un principe qui ne porte lumiere dans I'esprit d*un maitre ou d'un pere, pas une observation qui ne soil en aide dans I'e'dLication pratique de I'enfance. Aussi croyons-nous qu'il ira dans toutcs les mains : il convient aux institutions de nos villages et a toutes les meres , particulierement a celles qu'une aveugle tendresse expose a de'naturer leurs enfans , par la manie de vouloir les develop2Jer en serre chaude comme ces ve'getaux premature's qui ne vons laisscut ni saveur , ni sues niitritifs. Neimeyer ne croit pas devoir sacrifier le developpement viril J 3. 196 LIVRKS FRANCAIS. a la prc'cocile vaniteusc. 11 rcpoiissi' tout proce'dc liilline qui nieconiiait rinflucnce de la nature. Dans Ic cerclc ou se incut aujourd'luii IVducation , il n'y a licn de mieux a faire que dc rc'pandrc les guides et les maiiuels comme on re'- pand la Bible. Lorsquc, en I'absence d'une education socialcmcnt orga- niSe'e , cliaque perc c'daire ou ignorant est appele a prononccr sur ccllc que devront reccvoir les enfans ou a la diriger lui-mcme, il faut bien mul- tiplier a eel c'gard les conseils et les prescriptions vulgaircs miscs a la porte'c de toutes les intelligences. Clartc et bricvele sont les premieres qualite's requises pour ces series d'e'crits. Cependant, jusqu'ici les au- teurs en cette matiere ont prcsque tons travaille' comrae des pliilosoplics parlant a des pLilosophes. A chaquc instant ils rctombent dans I'abslrait et dans les details minulieiix d'une psychologic profonde ou inccrtaine. II faut une pense'e forte ct cuUive'e pour les suivre dans Icurs spe'cula- tions , et recueillir enfin la lecon pratique qu'on y chcrclie. Ces de'fauts sont lieureusemcnt e'vite's dans !c petit cssai dont nous parlons , fruit d'une tele alleiuande, tandis que ni YEmile de Rousseau, dans cc qu'il a de raisonnable et de jiossible , ni Y Education pro- gressive de madame Necker-Saussure , ni les ouvragcs de mesdames dc Re'mtisat et Guizot, etc. , ne nous paraissent des livres populaires. Ce sont des etudes savantes, ou des causerles inge'nieuses sur I'c'ducation , melees a des prc'ccptes exccUcns sans donte 5 inais ce ne sont jioint des rudimens pratiques. Nous n'avons done pour ainsi dire que des elogcs pour cctte petite pro- duction. Nous regretterons pourtant que le traducteur n'ait point clague certains passages relatifs a I'histoire ou a I'e'tat actuel de la pe'dagogie en Allemagne, qui ne sont d'aucune ulilitc a la classe a laquelle il s'a- dresse. Nous aurions voulu aussi qu'il cfpargnat aux meres et aux insti- tuteurs primaircs , peu initie's au langage me'laphysique, les mots intui- tive , intuition , consacre's dans la philosophic allcmande , raais qui nc- cessitent une definition . tandis que nous avions de bons synonymes a y substituer : les propres notes du traducteur font preuve qu'il les con- nalt. Enfin la partie consacreeaux estampes nous a paru avoir une place relative trop grande, ct n'ctrc pas assez precise. Nous ignorons si Niemeyer a traitc toutes de les pc'riodes dc re'ducaiion et s'il I'afait avcc aiitant dc bonhcur. Mais s'ii en c'iait ainsi, M. Durivau LIVRES FRANgAlS. 197 rendrait un nouveau et important service aiix parens et aux maitres ea leur donnant toutes les linniercs d'un lei guide. C. P — r. 39. Journal des connaissancks utiles, indiquant a tons les hom- mes qui saventlire leurs devoirs, leurs droits, leurs interels. Paris, i83'2 J on s'abonne rue des Moulins, n" 1 8. II parait unc livraison du i^"" au 5 de ckaque mois, compose'e de 168,000 lettrcs , e'quivalant a 3oo pages d'un volume in-8"; prix, franc de port pour toutc la France , par an , 4 fr. II s'est forme depuis quelque tems en An^Ielerre une socie'te pour la diffusion des connaissanccs utiles , dont le but est de faire pe'nc'ti'er les lumieres dc la science dans les campagncs et les manufactures ; elle a entrepris la re'daction de petits traite's ele'mentaires , et public un jour- nal liebdomadaire , sous le titre de Penny-Magazine. II exisle en France un trop grand nombre d'hommes sinceremcnt de'voue's au bien- etre du peuple pour que nous restions sous ce rapport en arriere de nos voisinsj une nouvellc association s'y est constitue'e pour re'mancipation intellectuelle; son objet est I'e'ducation morale, politique, agricole et industrielle des campagnes et des villcs. Depuis le mois d'oclobre i83i, elle public , sous le titre de Journal des connaissances utiles , un recueil qui parait tons les mois , et qui re'unit a I'inte'ret qu'offre sa lecture I'avantagc d'etre a la porte'e des citoycns de toutes les clas- ses , a la fois par la modicite dc son prix et par la clarte' de sa re'dac- tion. 11 serait a de'sirer seulement que les autenrs missent plus d'en- siemble dans leur ti'avail; I'important pour un recueil de ce genre est de ne ne'gliger aucimc profession , de re'unir sur cliaqiie branche de I'economie industrielle une se'rie de proce'de's bien constate's , d'une execution facile et pen disjiendieuse , et enfin de coordcnner tout cela de mauiere a ce que les divers articles du journal piiisscnt cue ensuite classes et former de petits traite's ele'mentaires ; ou bien , lors merae que ccs articles demeurera!cntpele-mele,une table soigne'e pourrait cnseigner achacun suivantquel ordre il doit les lire pour s'instruire me'tliodique- ment dans sa partie, en meme tcms qu'elle indiquerait les rapports des dif- fe'rentes connaissances entre elles. Le Journal des connaissances utiles formerait ainsi au bout de quelques annees un dictionnaire consuite avec a vantage par toutes les professions. A unc ejioque d'anarcliie intellectuelle , oil les tlie'ories du passe ct tpS LiVKKS FliAN^AlS. fes premieres vues d'avenir sc livrcnt un conibat opiniatre dank ies halites regions dc la science , un reciieil consacre a ['instruction po- pulairc doit deuK'iirer par prudence, et presque par iiecessite, e'tran- ger a toutc espece de doctrine religieuse et politique. Les e'diteurs de celui dont nous parlons ont senti cette position , et offrent rarement a leurs lecteurs autre chose que des fails ; et si de teuis en terns ils hasar- dent quelques excursions dans le donaainc de re'conomie politique, c'est assezige'neralemeut avec une tendance supe'rieure a celle de beaucoup d'ouvrages , D[ieine savans , sur cette matiere difficile. Substituer des procede's rationnels a la routine aveugle ; faire penetrer les lumieres de •'experience dans les champs et les ateliers ; dc'montrer Timportance des ameliorations agricoles , I'utililc' des macliines pour le perfectionnement des arts, inspirer I'esprit d'ordre et d'e'conomie dans les me'nages : voila la tacbe que se sont donne'e et dans laquelle se renferment les membres de la Socie'te' rationale pour I'e'mancipation intellect uelle ; on ne peut qu'applaudir a leurs intentions et a leur zele. Z. 40. Coup d'oeil sur la R£voLUTIO^' de Pologne, en i83o et r83i. Avignon, iSSaj Pierre Chaillot, jeune. In-S" de 28 pages ; prix , I fr. ( Cette brochure se vend au profit de jeunes proscrits polonais eleve's dans les ecoles franfaises.) L'auteur chercbe a prouver que si la revolution polonaise n'a pas reussi , ce n'est pas qu'il mauquat a la nation les forces necessaires pour reconque'rir son independance , raais parce qu'elle avait a faire a plus d'un ennemi , parce que I'Europe , et la France en particuliei", I'ont comple'tement abandonne'e , et que les Polonais eux-memes ont commis de giandes fautes. L'auteur accuse , sans les nommer, beaucoup d'offi- ciers polonais de n'avoir pris part a I'insurrection que contrc leur gre II accuse le dictateur Chlopicki de s'^tre oppose a la guerre ; le ge'ne'ra- lissime Skrzynecki d'avoir confie Irop tard au general Uminski le corps destine a balayer le palatinat de Plofk , de n'avoir pas attaque vi- vement Diebitscb apres la victoire de Dembe , et de n'avoir pas empe- chc la jonction de I'arme'e du feld-mare'chal avec les corps des ge'ne'raux Rosen et Pahlen; il accuse ensuite le meme ge'ne'ralissime d'avoir confie des forces trop pea considerables au general Dweriiicki , charge d'une expedition en Volhynie, 011 il poussa son corps un peu trop en avanl; il I'accuse enfin d'avoir laisse' le commandement de I'armee dc Lithua LIVRES FRAN^AIS. I99 nieau general Gieigud, qui , selon rauteiir, n'e'tait pas uu tiaitre, mais bien completemeiit incapable dc dinger iine pareille expedition. Skrzy- necki, dit a la fin rauteur, eut grand tort de ne'gliger soiivent ses de- voirs de commandant en chef, pour recevoir a Varsovie des plaintes contrc leclub, qui n'e'tait, ajoute-t-il , qu'un instrument de la Russie. Voici , selon I'auteur, le plan qu'on aurait dir suivre. La grande ar- me'e devait attendi-e Tennerai dans le royaume , mais aussitot que la rte'- volution a e'clate, quatre corps se'pares, chacun d'un millier d'hommes, auraient dii etre envoye's en partisans dans les gouvernemens polonais de I'empire : ces corps y auraient determine' an soulevement general , et, en arretant le mouvement de I'anae'e russe , ils auraient donne' le terns au royaume d'organiser une arme'e reguliere et nombreuse. On suppose que le general Desire Chlapowski est I'auteur de cette brochure. 41. Relation de l'attaque de Vahsovie , dans les journees des Get"] septembre ' 1 83 1 , par le ge'ne'ral Uminski. Paris, i832; Treuttel et Wiirtz. ln-8° de 28 pages avec une carte ; prix, i fr. 5o c. Outre la relation de la defense de Varsovie , d'autant plus inte'rcs- sante que les rapports russes et prussiens en ont donne' une tres-fausse idee , nous trouvons dans celte brochure plusieurs de'tails curieux sur le conseil de guerre tenu a Varsovie avant l'attaque de la ville. IjCS genc'raux Krukowiecki ct Chrzanowski avaient conseille de livrer une bataille ge'ne'rale dans les plaines de Varsovie. Les ge'ne'raux Dembinski et Sierawski pensaient qu'il valait mieux abandonner la capitale et con- tinuer la guerre en Litlmanie. Le general Uminski, apres avoir com- battu les deux plans par des motifs qu'il explique, de'cida I'envoi de deux corps sur I'autre rive de la Vistule , pour en repousser I'eunemi et pour approvisionner la capitale. La relation de l'attaque et de la defense , du cote surtout ou comman- dait I'auteur, parait etre fidele et impartiale. Le general Uminski n'a quitte Varsovie avec ses troupes qu'aprcs avoir rcfu du gcne'ralissime Malachowski I'assurance qu'il e'vacuerait la ville , mais qu'il ne capitu- rait pas. II est a desirer que les officiers polonais qui ont defendu Varsovie 200 LIVRES FRAN^AIS. sur d'aiilics points puissent comple'tcv, par de pareils rapports, la rela« , tion du siege de cette capitalc. X. B. 42. Fragmens gkologiques tire's de divers auteurs , par M. £he DE Beaumont. Paris, i83a; Crochard, rue de I'^lfecole-de-Mede- cine. In-8" de Gu pages , avec planches. ■ Bien que la geologie positive soil unc creation toute moderne , et ap- partienne pour ainsi dire en entier au genie scientifique du dix-neu- vieme siecle , ccpendant les traces d'inondation et de houleversement re'pandues a la surface du globe sonl par trop e'videntes pour n'avoir pas de tous terns frappe les csprils observateurs et appele les medita- tions se'rieuses. Habitue's, en general, a ne voir les sciences nalurcllcs que sous la forme que Icur ont dopnce les modernes , et a ne point re- chei'clier les connaissanccs que possc'daient les anciens, nous sommes ti'op souvent porte's a de'cerner aux modernes une part trop grande, et a supposer aux anciens une ignorance qui ne vicnt que de nous. M. Elie de Beaumont, frappe' en particulier de la clarte' des caracteres qui font reconnaitre dans les couches inclinces des montagnes le soulcvement qui leur a donne naissance, a voulu imprimer un nouveau degrc de cer- titude aux conclusions qu'en ont tirees les ge'ologues, en raontrant que cc n'est pas d'aujourd'hui que ceux qui observent attentivcment les acci- dens du sol se sont accordes pour cette opinion si naturelle et si sim- ple. Sans entrer dans des rechcrches qui sont du domaine de re'nidition plutot que du domaine de la science , it s'est contente de rapprocher des extraits puise's a des sources diverses , non point avec la prc'tcntiou de presenter I'ensemblc des connaissanccs ge'ologiques auxquels e'taient parvenus les peupies qui nous ont pre'ce'de's, m'ais avec le de'sir de mon- trer qu'elles ne leur e'taient point e'trangeres. Ce n'est point assurcment ime liistoirc de la ge'ologic, c'est simplemcnt un coup d'ceil sur la pos- sibilite de la composer, comuve on a compose cclle de I'astronomie et comme on le pourrait c'galcment pour tant d'autres sciences. L'influcnce que les observations ge'ologiques ont du exercer sur Ics ide'es relatives a la creation de la terrc, qui forincnt une des bases du systeme religieux des diffe'rcns peupies , ne saurait etre douteusc. Lors- que Ton compare la genese de MoVsc et la gencse de Zoroastrc , et que Ton tient compte en memc terns du caracterc des contre'es qu'habitaient LIVRES FRANgAIS. 3iOI CCS deux grauds iiommes , on est frappe raalgre soi des rap[X)rls intiimes de leurs doctrines avec leurs positions ge'ologiques. L'He'breu, habitant des plaincs du desert on de la vallee du Nil, con- duit sans doute par I'indication des depots stratifies des collines do I'E- gypte , montre dans son magnifique re'cit les continens ^e formant par la tranquille separation des eaux qui abandonnent les terres qn'elles coii- vraient dans I'origine pour regagner Icnrs bassins : aDieu dit: Que les eaux qui sent au-dessousdcs cieux soient rassemblees en un seul lieuet que le sec paraisse : et il fnt ainsi. » Dans le Boun-Dehesch, cosmogonie des anciens Parses ecrite au milieu de ces contrees dont le sol redresse en tons sens a donne lieu a de si liautes et de si remarquables montagnes , on voit au contraire une part bien plus grande laisse'e aux mouvemcns propres de la terre ; Ah- riman, apres son combat contre les anges , est pre'cipite dans I'enfer avcc les Dews qui I'avaient accompagne ; il s'y agite et ebranle la terre. « Tandis qu'Aliriman courait dedans , la forme des montagnes qui » devaient comme de'velopper cette ten-e fut donne'e. Ormusd fut d'abord » le montAlbordj et ensuite toutes les autres montagnes au milieu de la » terre. Lorsque I'Albordj se fut conside'rablement etendu , toutes les » montagnes en vinrent. EUes sortirent alors de la t.eiTe et parurent » dessus, comme un arbre dont la racmc croit tantoten liaut tantotenbas. » C'est ainsi que d'une meme racine elles se sont re'pandues dans le « corps de la terre et qn'elles ont paru lors de la production des eires.» La preoccupation des ide'es inspire'cs par le sejour des montagnes se retrouve dans une multitude d'autres passages du Boun-Dehesch. On sait combien le caractere des montagnards est toujours profonde'ment empreint de I'aspect du paysage au sein duquel ils vivent : il y a la pour eux une source de pense'es ct d' emotions involontaires comple'tement etrangeres aux habitans de la plaine ; et en voyant le le'gislateur des Parses insister si longuement sur I'liisloire des montagnes, et donner en quelque sortc lenr ge'ne'alogie , comme MoVse donne celle des patriar- ches, on serait tente' de croire qu'il sentait autour de lui, dans le peu- ple , un interet aussi grand pour les questions geologiques, que le le'gis- lateur des He'breux pour les questions de races et de families. M. de Beaumont remarque , a ce sujet, que, si re'cllement Ic Taurus, :20a LIVRES FRAN^AIS. leCaucasc, I'Himalaya, doivcnt aux convulsions qui ont signale I'uue des deinicres revolutions de la surface dii }];lobe une partie consi- de'rai'jle de ieur relief actuel , et si , ce qui en serait une consequence naturplle , les traces de ces convulsions y forment souvcnt Ics trai s les plus frappans du p.iysage, il n'y a rien d'etonnant a ce que I'ide'e de grands boulevcrsemens arrives a la surface de la terre ait germe de bonne Leure parmi les peuples de ces contre'es, tandis qu'un sys- teme diarae'tralcmrnt contraire a pris naissance parmi les pretres de I'Egypte, liabitans d'une plaine d'alluvion, et s'est renouvele parmi les savan;; du nord de TAllemagne , oil les boulcversemens re'cens sent tous de pen d'importance. « Si la manicre , dit-il , dont j'ai essaye de classer i> les ])rincipales chaines da montagnes du globe est en rapport exact » avcc Ieur structure , elie devra , par une consequence naturelle , se » trouver aussi en quclque rapport avec les mythes cosmogoniques des » peuples qui s'y sont de'veloppe's. » Parmi ce3 cxtraits A^aries d'auteurs anciens et modernes, il en est un qui ,80 recommande par un interet tout special aux personnes qui s'occu- pent de la science, c'est celui que M. de Beaumont a tire' du livre de Ste'non {de solido intra solidum contento) , pubUe' en 1,669. ^^ ^'•^'^ ne savait que les graudes ide'es ne sont vraiment miires que lorsque les esprits sont assez avance's pour elles , bn s'e'tonncrait en voyant I'obscu- rite dans laquelle est si long-tems demeure'e cette the'orie ge'ologique ap- puyee sur une observation attentive de la nature et presentee avec cette simplicitc et cette profondeur partitulieres au genie. Les opinions de Ste'- non sur la formation des couches de la terre par les depots successifs de la mer , sur la formation des montagnes par le changemcnt de posi- tion des couches , sont presque exactement les memes que celles qui sont devenues aujourd'hui lis points fondamentaux de la science. La clarte' de ce petit ouvrage est telle qu'il me'iitcrait de servir de modele a une ge'ologie populaire et pcut-elre meme d' etude a ceux qui ne veulent point abordcr les traite's plus e'tendus de !a science moderne. Nous en citerons un passage pour montrer a la fois la grandeur des vues et la largeur de la pcnsc'e. « II est certain qu'a Tepoque oii une couche quelconque se formait , » sa surface infcrieure et ses surfaces late'iales correspondaient a celles des » corps inferieurs et des corps lateraux; mais que sa surface superieure LIVRES IRAN^AIS. ao3 B etait d'une inauiere ge'nc'rale parallele a I'horizon , et que par conse- » qucnt toutes les couches, cxccpte la plus basse, sont contenucs en- )) ire deux plans paralleles a I'horizon. De la il rcsulte que les couches » qui sont ou perpcndiculaires ou incline'es a I'horizon lui ont e'te' pa- » ralleles a une autre epoque. » La situation change'c des couclies etleurs tranches raises a de'couvert » ne sont pas en opposition avec cette proposition , attendu que dans » leur voisinage on observe des indices manifestes de Taction du feu et » des eaux. Les couches de la terre ont pu changer de position suivant » deux modes diffe'rens. » Le premier mode est uue violente sccousse imprime'e aux couches » de bas en haut , soit qu'elle pi-ovienne de la conflagration subite de » vapeurs souterraines ou d'un tres-fort de'gagement d'air produit par » de grandes ruines arrive'es dans le voisinage. Cette violente secousse » des couches est suivie de la dispersion en poudre de la matiere ter- » reuse , et du brisement de la matiere rocheuse en pierrailles et en blocs. » Le second mode est la chute naturelle ou la mine des couches su- » perieures, lorsque, la matiere qui soutenaitla couche la plus basse, » qui servait d'appui a toutes les aatres , ayant e'te' enlevee , les couches » supe'rieures commencent a se fendre. D'ou resulte , suivant la diverse » disposition des cavile's et des fcntes, une position tres-varie'e des couches » brise'es , quelques-unes restant paralleles a I'horizon , d'autres Ini de- 1) venant perpcndiculaires , la plupart formant avec lui des angles obli- » ques , et quelques-unes dont la maliere est tenace se courbant en arc. » » Le changement de position des couches rend ainsi facile I'explica- » tion de diverses choscs asscz difficilcs. » Par la on pourrait rendre raison de ces iue'galite's de la surface de ') la terre qui ont donne naissance a uu grand nombre de controverses , » telles que les montagnes , les vallees , les re'servoirs des eaux supe- » rieures, les plaines soit des licux e'leves, soit des contre'es basses. II semble que la tache de nous faire connaitre les conceptions de Ste'non dut etre celle de M. de Beaumont plus que dc tout autre ge'olo- gue ; c'etait lui qui , par ses importams Iravaux sur le paralle'lisme des ages et des directions des chaines de montagnes , avail fait faire les pro- gres les plus rapides a la propagation des idc'es de soulevement , et c'e- tait lui aussi qui , par la creation de la formule la plus complete et la 204 LIVRES FRAN^AIS. plus saillaiile pour rcpre'senter les mouvemens de rc'coice du gloJje , avail einportc, pres du public e'loigne de la science, I'honneur dc la theoric tout cntiere ; c'est lui qui aujourd'luii vient nous raontrer Tori- ginc ct la filiation des doctrines qii'il a uon pas propose'cs, mais agran- dies. En voyant I'esprit pliilosophiipic empreint dans Ics courtes notes dont M. dc Beaumont aaccompagne le texte de ses citations^ on serait tentc dc so plaindre dc leur pen d'c'tendue, si Ton ne conservail I'espe- rancede voir bientot cc jeune professeur dans une position plus favora- ble pour nourrir I'esprit public des liautcs ide'es qu'il a concues sur I'histoire de la tcrre. J. R. 43. EssAi sua l'inspiration de l'oxygene , considere'e comme mojen preservatif et curatif du cholera-morbus et de quelques aulres maladies, jiar le docteur Touzet. Paris, i83.>. ; Bechct jcune. In-S" dc 64 pages • prix : 4 ft"- 5o c. Tant que la vie n'est frappec que dans une de ses parties, faction du me'decin , pour la raraener a son juste e'qudibre , est clairemenl deter- mine'e; il cherche a ranimcr les forces languissantes sur ce point, a mo- de'rer leur surcroit d'e'nergic, a leur crc'er ailleurs une nouvelle fonc- tion a laquelle elles s'usent sans danger. Mnis que d'incertitude dans I'intervention qu'il pent exercer sur la marclie de la nature, lorsque , ainsi <[u'il arrive pour le cholc'ra-niorbus, la inaladie altcinl la vie dans rensemble de son organisation. Aussi doit-.on pen s'etonner dc la diver- site' des opinions qui ont etc' e'mises a cette occasion et du grand noinbre de rac'tliodes curatives oppose'es auxquelles on a eu recours. Suivant M. Touzet, le del'aut d'oxygenation du sang est la sculc cause de tous les de'sordres, comme la viciation du gaz atniosplic'ri([ue est clle- memc la cause premiere de re'pidemic. Si I'on pouvait , dil-il, respirer un air ficticc pendant toute sa dure'i?, nul doutc qu'on echuppat a sou influence. Des experiences Icntecs en Anglcterre, jilusicurs ibis renouvclc'cs en France, prouvent en effet que, quoique ce flui'de cntre dans les bronchcs des chole'riques, ainsi qu'on s'en assure par I'auscultation , il en sort IVoid ct sans avoir subi les alterations te'moignant qu'il a scrvi a oxy- gener le sang. M. Davy dit qu'on n'y trouvc pas le tiers de la propor- tion ordinaire d'acide caiboni action est si prompte et si e'nergique que , quand on le respire pur, on » le sent dans la poitrine comme un esprit ardent, ilsemble qu'il brulc.w .La puissance de I'oxygene pent etre modific'e selon les indications.' Si io6 LIVRES FRANC AIS. on le fait respirer mele a I'azote , il psI facile de prcduire des effets a peine seusiblcs. Voici le tableau des maladies daus lesqiielles on en a fait usage : MALADIES. Mauvais ulc6res Lejjres Spasmes (loutte sereine Clilorose Epilppsie Asihme ■ Cancer ■ Hydropisie de poilrine Ilypocondrie Dispcpsie(difficuh6 de difjeror) Hydropisie Hydrocephale Manx de tele Empoisonnement par I'opium. Paralysie TiimcHrs scrophuleuscs Sui dile Tumeur blanche Scorbnt Maladio v^n^rienne Melancolie Faiblessc o;cncrale; Fievre continue D" inlcrmittcnie Extr^miles froides Total o c p 4 5 5 5 7 6 22 3 4 1 4 4 i 4 i 4 5 i i 1 i 2 1 1 i i n s; ^ 3U ~ o -2 il! :/> O lU H Fourcroy, Chaptal, Nysten vantent cet agent the'rapcutiqiie , et re- gret ent que la difficulte de son eraploi en rcnde I'usage si rare. Un etablissement vient d'etre forme par M. Touzet, rue de Clichy, n° 32 oil de vastcs re'servoirs d'air vital, dispose's convcnablement dans un salon , permettent de faire respirer a un malade dc I'air oxyge'ne au- tant de terns et dans les ])roportions que le mc'decin jugera conve- ^able. F. F. LIVRES FRANQAIS. HCJ 44' Journal d'agriculture , lettres et arts , redige par des membres dela Societe royale d'agriculture^ lettres et arts du de- par tement de I'Ain. Bourg, iSSaj Boltier, imp.-libraire. In-8' de 32 pag. chaque mois. Prix d'abonnement, 5 fr., et 6 fr. par la poste. 45. Recueil agronomique , public par les soins de la Societe des sciences, agriculture et belles-lettres du departement de Tarn-el- Garonne. Montauban, i83a ; Lapie-Fontanel , imprimeur. In-8° de deux feuilles par moisj prix d'abonnement , 5 fr. 46. Annales provencales d'agriculture pratique et d'economie rurale, publiees par MM. Toulouzan et Feissat aine. Marseille, 1882 ; Feissat , aine, imprimeur-Iibraire. Un cahier in-8° par niois, prix d'abonnement , 6 et 8 fr. Lorsque nous jetons les yeux sur les journaux d'agriculture des de- partemens , nous sommes assez d'ordinairc tcnte's de leur faire le rcpro- che que I'on adressait autrefois a leurs journaux politiqucs, mais dont ceux-oi savent bien se preserver aujourd'lnii, c'est de n'etre que la pale copie des journaux de la capitale : an lieu d'emprunter a ceu\-ci leur; ; ma- te'riaux,ils devraient leur en fournir; rien n'cst moins absolu dans I'ap- plication que les principes agronomiques. Le sol , le cliraat , les de bou- che's , les dispositions ge'ologiqucs , mille causes , doivent influer e t sur les produits et sur leur culture. C'est done a faire bien connaitn • ces differences que les hommesqui s'occupcnt d'agriculture dans nos ds'par- temcns devraient s'attaclicr ; loin dela , on dirait qu'a leurs yeux le plus utile des arts n'est qu'un recueil de reccttcs, applicables a tous les ! lieux comme a tous les produits. Ces journaux devraient plus souven t ad- mettre les observations des liommes de pratique ; et quand meme leur re'daction serait peu soignee , qu'importerait cette negligence? En j igri- rulture ce sont des fails avant tout dont on a besoin. Au reste , plus nous avancerons , plus cetle pe'nurie d'horames c apa- bles d' observer et de dire s'effacera. L'agriculture commence a attl rer a die lesjeunes gens instruits qui comjprennent qu'ilvaut mieuxse v ouer a un art qui donne la fortune, qui laisse I'indcpendance, que de cc lurir aprcs des emplois peu lucratifs , clianceux , remplis de sujetions. Parmi les journaux d'agriculture des departemens , il en est ce pen- dant qui savent sortir du cadre trop retre'ci dans lequcl la plupar 1 se 1?08 LlVllES FRAN^AIS. rcnfermcnl. Oiitre ceux ilont uoiis donnons les litres en lete de cet arti- cle , nous citeions encore VAmi des champs de la Gironde , ct le Bulletin de la Sociele d' agriculture du Far. Bien qu'il no soil pas un produit de notre France , il scrait injuste a nous de parlcr do rccucils agronomiques sans faire mention du Journal d' agriculture des Bays-Bas. On s'apercoit en le lisant qu'il tient a Ja terre classique de la science agronomiquc. La pratique et la the'orie y sunt deVcloppees avec autant d'intclligence que de suite et de discernc- ment. £. B. 47. Les Mklancoliques , par le chevalier Joseph Bard (de la Cote- d'Or), avec cette cpigraphe de madame de Stael : La melancolie est la perfection de Vhomme. — Paris, i83a; Eugene Renduel. In-S" de xx-224 P- 5 prix 5 fr. 48. Poesies d'Eugene Dufaitelle avec cette e'pigraphe : Enivions-nous de po^sie Nos coeurs n'en aimcront que miei-.x. Berancer. — A;rras, i83i ; Topino, libraire. In-8". 49. IPoEsiES , par Amedee Pommier , avec cette e'pigraphe : Ancliio son pittore! — Paris, i83.aj Abel Ledoux. In-i8 de 33o p.; prix, ' 5 IV. 50. Kpitke a M. de Lamartine, par madame Louise Dauriat. — Paris, 1 832. In-8°. Voila bien des vers a la fois, et tons ccs vers sont pour nous autant d'acc usations , de rcniords, car nous sommes en retard avec tons, nous leurdevons a tous reparation. Nous allons nous cfforccr de !a leur don- ner en masse en commencant par les Melancoliques. Cepompeux iii-8 force I'attention par un luxe typographique , des blancs , des marges et des gothiques qui font honneur a la presse lyonnaise dont il sort. Mais d'abord qui est M. Bard? £coutons-le lui-meme, car c'est lui- mein e qui s'cst charge de nous I'apprcndre... « Jc dirai ( c'est lui qui iparlc), je dirai comrae Byron : « Jen'habite pas unemansarde dj » m ais j'ajouterai : Je &uis un proprietaire terrien qui cultive les letlres, B c t non pas un homme de lettrcs proprietaire. Je siiis ne dans la vie » rustique, je la mi-'ncrai toujours. Les odes, ics ballades qui coinpo- LIVRES FRANQAIS. 209 » sent ce "foliime, je les ai e'crifes presque toiUes a Ghorey , oiii, a » Chorey. » Le lieu ne fait rien a I'affaiie , pas plus que les proprie'te's lerriennes de M. le chevalier de la Cote-d'Or, et certes il n'y aurait pas besoin d'un grand fonds de malice pour faire sourirea ses dc'pens; car sa pre- face est bien le morccau le plus c'lrange qu'on ait e'crit , te'moin ceci : « Le second ( il s'agit de M. V. Hugo), le second, c'est le torrent » du coloris, la trorabe des commotions.... II volcanise la strophe , il » calcine I'attention , il la broie comrae un milan broie I'oiseau-mouche » dans ses serres ; il est dictateur de la rime , autocrate de dessins. On » croirait qu'il mache tout I' art comme ccs nababs de I'lndc qui ma- » chent le be'tel et I'arec sur des sophas de santal. » Or toute la preface, ou a peu pres, est e'crite dans ce style-la. Quant aux odes , ballades et sonnets a la Vierge qui composent I'es- sence du volume , ils sont certaineraent mi eux qu'un tel debut ne per- mettait de I'espe'rer, et quoiqu'au fond ils ne soicnt que les pastiches de Lamartine et de Victor Hugo, auxquels I'auteur cmpruntc jusqu'a des vers, on ne peut y me'connaitre un sentiment poe'tique parfois assez re- marquable pour faire de'plorer sa triste preface. Sa stroplie a du nom- bre, ses images ont souvent de la grace et de la poe'sie ; mais ce qui manque essentiellement a tout ceia , c'est de I'originalite. Son calholi- cisme, comme sa phrase, est lout lamartinien, je veuxdire qu'il appar- tient a I'auteur des Meditations plus qu'a lui ; son moyen-age est mot pour mot celui de Victor Hugo ; car c'est dans Tepoque feodale que la muse aristocratique de M. le chevalier Bard s'est plonge'e ; mais il est venu trop tard; I'ceuvre est faite, et faite admirablement par son maitre. Apres Notre-Dame de Paris , et les Odes qui I'ont pre'ce'dee , je ne sais quelle main osera s'attaquer encore au movcn-age. L'e'difice est acheve , pourquoi y revenir ? J'aimerais autant voir un macon de !a Bourse retoucher la cathedrale de Cologne. Ce n'est pas que le poete ne descende de ses tourellcs et de ses bef- frois jusqu'au peuple d'aujourd'hui j mais c'est la encore de rimitation, car son maitre en a fait autant, avec la difference toutefois qui distingue le ge'nie de I'imitation, c'est-a-dire que Victor Hugo a celebre \c peu- ple en vers pleins de force et de magnificence , tandis que son disciple ne sait que lui souhaiter de Vouvrage , a ce pauvre peuple , et cela en TOME LV. JUII.I.ET 1852. 14 2IO LIVRES FBAN^AIS. vers fail>les et vnlgairos. De rouvrngc , voi la scion liii sonnonljciir soii- vrrain , de I'ouvrage ct ilcn de plus. M. Eugene Dufaitcllc est anssi un poetc de la province. Tandis que son confrere de la Cotc-d'Or faisait des vers a Chorey pres Beaune, lui en faisait a Arras , oui , a Arras. Sa pre'face est un vestibule infi- niment plus niodcste; et, pour etre pre'sente dans des dimensions nioins aristocraliques , son petit volunae n'en vaut pas moins. M. Dufaitcile a quelquc chose du poete, et son talent me'ritc d'etre cultive'et encourage'; il chanle It's de'sespoirs de vingt ans; il chante les jeunes Espagnoles aux yeux noirs , et sa poe'sie a je ne sais quelle fougue juvenile , je ne sais quelle verve , quelle franchezza , comme disent les Italiens , qui n'est pas sans cliarmc; raais les inccrrections y sont par trop nom- l)reuses et les vers a peine faits. Sans etre puristes , il nous est bien permis par exemple de demander an poete comment il scande cet hexamelre qui est sien : ylpres le I'io! <■! le pi.llagi: promis. C'cst, ce nous seinblc, pousscr un pen loin la haine de la cesure, ct nous ne voyons pas ce qu'y gagnc rharmonic. Aprcs les poetcs de province vienn^ent les poetes de la capitalc. De plus que lea!ite', une I'aiblesse extreme, une voluptucuse nature, el clcs maux cruels. Nous aurions du le dire plus tot, car roccasion est rare ; voici uii ccrivain a sa place. M. Sand est uii narrateur, un pcintre dc vocation, et , quoi qu'ii eu dise , un moralisle; jeune encore, il procede comme les maiti'es ; j'cnleudsnos vieux maitrcs. Fielding, Prc'vost, Sterne, Le- sage , ceux qu'on relit aujourd'luii pour mieux se dc'gouter de tant de creations monstrueuses , fruit d'imaginations valetudinaires. 11 a le ton semi-se'rieux , semi-caustiqiiedesromanciers anglais de I'anciennce'colc. Les incidens arrivent presses , inattendus comme dans Gil-Bias on Tom-Jones. II sent comme s'il eiit e'te acteur, il raconte comme s'il avail vu. Le pilloresque , le contrasle abondent sous sa pliune. Et pour- lant, en marcliant avec lui on e'prouve une sorte de recueillement. On dirait qu'il a les reflexions pleines et de'colore'es d'une longue expe- rience, la concision d'une longue pratique lilte'raire, le souvenir dc souffranccs viveset inlimcs, el le repentir de novices eri'etirs, tanl il sonde , bas el juste, aux enlrailles de I'homme , tant son laconisme est nourri , taiit il a I'air de vous redire ce qu'hier peul-elre vous voyiez de reel el de palpitant dans le cercle ou vous iisez votie vie. Et peut-etrc n'a-t-il qne cetlc mobile sensibilile' qui s'idenlifie rapi- dement toutes les natures, tons les jeux de I'amej celte espece de sym- pathie magne'ticjue qui scrute el devine ce que ne de'uicle pas encore ni la passion re'elle , ni la profonde raison. Si nous louons tant M. Sand, c'est que nous le remercions beaucoup; il nous a vivcmenl emu et nous avons redit deux fois le dernier mot d'Indiana,et nous I'avons quitte'e, plus pe'ne'tre's que jamais de I'expiation cruelle qui pese sur la femme ; c'esl que nous sommes avides de pro- ductions simples, qui louchent sans briser, qui marchent saJfs moyens de coulisses, qui n'appellent a leur aide ni I'engeance infernale, ni les fees avec leur baguette suranne'e, ni le fanlasque, ni le luirle, ni Ic bonr- soufle. Ce reman ne s'adresse done ve'ritablement ([u'a ceux qui gardcnt leurs loisirs et leurs larmes pour le patbc'tique simple et nature). Nous ne le rccommandons pas a ceux qui, lisant de lout, sonl biases sur tout. * On sent que, dans la disposition oii nous sommes, il ne nouss prend pas envic de quereller M. Sand pour une foule d'imperfections que 2l6 LI V RES FRANCA IS. nous remaiquerions peut-etre dans un autre ouviage ; nous aimons inieux terminer par une citation oii liii-meme de'veloppe une pensee que nous exprimions tout-a-l'lieure. « Je pourrais, pour pcu que je lusse a la hauteur dc mon siecle, ex- » ploiter avec fruit la catastrophe qui se trouve si agre'ablement sous » ma main , vous faire assister aux fune'raillcs; vous exposer le cadavre » d'une femraenoye'e, avec scs taches livides, ses levrcs bleues, et tous » ces meincs details de I'horrible el du degoutant qui sont en possession » de vous re'cre'er par le tems qui court. Mais chacun sa manie , et mot » je conyois la terreur autrement. Ce n'est pas sous la picrre des tom- » beaux , mais autour des tombeaux que je I'ai vue habiter ; ce n'est » pas dans les vers du se'pulcre que je I'ii trouve'e , c'est dans le coeur » des viA'ans et sous leurs habits de fete : ce n'est pas dans la mort de » celui qui nous quitte , c'est dans I'indifference de ceux qui lui sur- » vivent; c'est I'oubli qui est le veritable linceul des morts; celui-la » qui fait dresser mcs cheveux , c'est celui-la qui glace mon sang et me » serre le cceur, ce n'est pas I'e'glise avec son deuil et ses cierges, ce » n'est pas le fossoyeur avec sa puanteur et sa beche , qui ont pour moi » des emotions profondes et dc pales frayeurs : c'est le lendemain tran- » quille, la vie qui reprend son cours sur la tombe a peine ferme'e, le » rcpas oil la famillc s'assemlile comme de coutume en sortant du ci- » luetiere. » C. P. ')3. Sous LES TiLLEULS, par Alpuonse Karr. Paris, i832; Cli. Gos- selin. Deux vol. in-i'2; prix , i5 fr. Nous avons commence a lire ce livre avec les preventions les plus favorables. Le nom de I'auteurnous e'taitconnu par des articles fort spi- ritucls insere's dans le Figaro , avant la derniere et la plus honteuse apostasie de ce journal. Quclques pages cite'es dans le Cabinet de Lec- ture , pour donner au public un avant-gout du roman nouveau, nous avaient doucement attire's vers lui, et cette bonne disposition s'augmenta encore quand nous vimcs, des le debut, M. Karr s'eloigner des routes oil courcnt maintenant pele-mele tant de jeunese'crivains. Nous sommes fatigues, et qui n'est pas comme nous fatigue de celte manie descriptive et de cette affectation de coloris boursoufle qu'un grand poete a inoculee a la jeunesse? Qui n'est pas ennuye de tant d'imitations des vieillc.s LIVRES FRANCAIS. 217 chroniques ? Le roman historique roule aujourd'hui dans les ruisseaux. Qui n'est pas malade et souffiant de cette litte'rature galvaniqiie . comme on I'a nomme'e , qui , pour produire le nioindre effet , ne craint pas de raettre le coeur humain tout entler au pillage? Au commencement , rien de tout cela dans les Tilleuls; nous e'tions surpris. Un style elegant , simple et poe'tique a la fois , un sentiment assez vif des beautes de la nature , surtout le retour aux mouvemens e'ternels et vrais du ccsur , et une douce peinture de I'araour , tout cela nous paraissait d'une dc'li- cieuse nouveaute' , par conlraste peut-etre avec le gout du jour. II faut I'avouer, a mesure que nous avancions, notre plaisir diminuait; car toutes ces heureuses qualite's qui nous avaient plu ne se soutenaient pas ; et, avant d'avoir lu la derniere raoilie du second volume , nous avions notre opinion faite sur le naturel de I'auteur, sur la valeur dramatiquede son roman, sur la ve'rite' des sentiraens etdes raracteres, etsur la porte'e et la solidite' des ide'es philosophiques qui sont jete'es 9a et la dans ce livre avec un certain air de nonchalance et de fatuite'. Nous aurions analyse nos impressions , explique' ce melange de de'fauts et de qualite's qui nous avaient tour a tour frappe's, etfait tous nos efforts pour mettrc en saillie ce qu'il y a de me'rite reel dans cet ouvrage , debut d'un jeune e'crivain qui, nous le souhaitons et nous I'cspe'rons, tiendra toutes ses promesses. Mais nous avons eu le mallieur de jeter les yeux sur les eloges mons- Irueux de certains journaux. Pourquoi avoir des amis qui vous louent , d'une maniere insensee, et qui vous louent pre'cise'ment par les cote's qui chez vous sont le moins louables ? En ve'rite , de tels amis sont bien maladroits, s'ils ne sont pas des traitres : moi , je m'en de'fierais. Mettre les Tilleuls, comme on I'a fait, a cote et au-dessus de la ]Vou- velle-Helo'ise et de IVerther , ])eut etre une bonne farce de journal. Mais ajouter que « le roman de Jean-Jacques n'est pas un livre , et que le roman de M. Karr en est un.; » c'est se trahir a dessein , c'est mettre le lecteur sur la voie de ce qu'on a voulu dire , c'est laisser per- cer, comme a travers un grand eclat de rire, son infernale malignite. Car c'est faire remarquer a tout le monde le plus grand de'faut de cette oeuvre tant vante'e , a savoir de n'ctre pas un livre, de n'avoir ni plan ni suite, de manquer comple'tement de but, de quelque maniere qu'on entende le but de I'art, dans quelque the'orie qu'on se mette. On serait tente, en effet, de croire que I'auteur n'a d'abord voulu que reproduire ?.\8 LIVRES FRAN^AIS. qiiclques impressions persounelles, quelques souveiiirs qui vivaient dans son cceiir, prcnant re'moliou qu'il en ressentait ponr iinc inspiration siil- fisante et fcconde, et croyant y troiiver ia matiere d'un ouvrage , ct qu'ensuite la ne'cessile' de remplir un cadre I'a jete au hasard dans une imitation malbeureusc de plusieurs rumans, aussi divers par Ic I'onds poe'tique que par la forme , et I'a conduit ainsi a sc batir une fable sans unite, et par la meme sans art et sans inte'ret. Voila ce que I'aini de M. K.trr, qui I'a si bien tympanise, nous reVele : vraiment on prendrait cela pour un tour de jalousie d'un ennemi cache. Le soupcon une fois e'veille , on comprend le sens de cette absurde compai-aison avcc IFerther et la Nouvelle Heloise. Parler de Wer- ther a propos des Tilleuls, c'est corame si \ami avail dit : « Je vous de'nonce I'ouvrage de mon ami M. Alphonse Karr comme un plagiat de fVertlier. Son Stephane voudrait bien avoir I'imagination werthe- rienne; il voudrait bien sentir la nature et I'art avec exaltation : mais assurez-vous s'il a le me'rite de sa pretention. » En citant la Noiwelle Heloise , c'est comme si Yarni avail dit : « Mon ami M. Alphonse Karr a Toulu, comme Jean-Jacques, faire un roman philosopliique , un ro- man a liroirs , ou , tout en suivant le fil de son drame , il dirait le'gere- ment son mot sur toute chose, sur I'amour, le duel , le suicide, I'im- mortalite' de I'ame, etc., etc. Mais ayez soin, chcr lecteur, devoir si sur tout cela il est neuf , original , rcfle'chi, ou s'il n'a de remarquable que ce ton lestc et fringant d'un jeune hbmme qui croil avoir tout senti et tout compris lorsqu'il est encore au debut de la vie, et qui parle des ide'cs les plus profondes sans avoir bien sonde' Icur profondeur. » En ve'rile , M. Karr a des amis funestes. Le moyen de loner son livre quand il a e'te loue' de cette maniere ; quand , a peine sorti de la presse , OH I'a annoncc' au public avec un fracas d'e'loges qui en e'louffe le me'- rite, ct ne pcrmet plus qu'on rappre'cie? *** 54. Le Secret du roi , roman historique, par M. Power, artiste du theatre royal de Covcnt-Garden , traduit de I'anglais sur la troisieme cdition,par M. A.-B.Defauco>pret. Paris, iSSij Eugene Renduel. u. vol. in-8"; prix, 12 fr. liC roman historique commence a passer de )node, et M. Power n'est qu'un trainard isolc, (|ui marche encore sur les derrieres de cette grandc LIVRES FRAN9AIS. ?. 19 drnice d'imitateurs, veuve deja de ses chefs, dont la verve est eleinte et iiiortc. Nous avons tant vu de clsevalicrs armes de toutes pieces, nous avoiis etc les teinoins d'un si grand nombre dc tournois , nous avons as- siste a tant de levers royaux , dcpuis quinze ans, qu'a peine notre cu- riosite' est elle excite'e, lorsqu'un te'meraire e'crivain vient essaycr encore de ressusciter toutes ccs merveilles du nioyen-agc. Pourtant dans le cas nctuel , on aurait tort de cc'der a une prevention qui doil etre bicn gc'ne'- rale parmi les lecteurs de romans. M. Power n'est jias un crcateur; il n'y a dans sa production rien qui porte un caractere bien trancbant d'o- riginalile : ses he'ros, leurs aventures, leurs costumes, leurs passions, tout cela n'est pas nouveau pour nous : nous parviendrions bien a les re- trouver, e'pars ca et la, dans les romans de Walter-Scott et de tant d'au- tres; mais il y a cependant un me'rite reel dans son livre, puisque nous sommes parvenus a lire sans ennui deux gros volumes in-octavo, et qu'ils nous ont meme laisse' une impression fort agre'able. C'est que M. Pov^er a su disposer ces raate'riaux avec art , c'est qu'il les a rajeunis par un style spirituel et de bon goiit , c'est qu'en imitant, il I'a fait avec dis- cernement, laissant la les dcfauts de son modele pour ne lui emprunter que des beaute's : sa raaniere est vive, animee, et se garde avec soin des longueurs soporifiques dont quelques aiitres allourdissent leurs re'cits. C'est dommage que le Secret du roi soit presque un anachronisrae : dans le bon terns , lorsque le genre e'tait en plcinc et bruyante vogue , le nom dc M. Power aurait occupe une belle place dans tons les feuille tons litte'raires. *** 55. MusEE DE PEmTURE ET DE SCULPTURE , ou RecucU des principuux tableaux , statues et bas-reliefs des collections publitjues et par- ticulieres de V Europe ; dessine' et grave a I'eau-forte sur acier, par Reveil ; avec des notices descriptives, critiques et historiques , par Duchesne aine'. Paris , 1 882 ; Audot , rue du Paon , n° 8. Bruxelles, Jobard, lithographe , plaine de Sainte-Gudule. Get ouvrage sera prochainement tcrmine. II se composera de 168 livraisons , plus les Loges du Fatican et les Amours de Psyche , d'apres Raphniil , ainsi que les Amours des Dieux , d'apres Titien et Jules Roniaiii. Toutes les livraisons , juscpi'a la iGi*^, etmeme plusieurs 220 LIVRES FRANCAIS. gravures des Loges et de Psyche, ont deja pani. Nous consacreroiis un article a cette importante collection. 56. EsSAI HISTORIQUE ET DESCRIPTIF SUR LA PEINTURE SUR VERRE ANCiENNE ET MODERKE, et sur les v'ltraux les plus remarquables de quelques monumens francais et etrangers; suivi de la Biogra- phie des plus ce'lebres peintres verriers; par E.-H. Langlois, peintre , orue de ■j planches dessine'cs et grave'es par raadernoisellc EsPERANCELA>r.Lois. Rouen, i83'.i; E. Frere. In-8° de 3oo pages. ( Voy. ci-dessus, p. 28 1 , quelques mots relatifs a VEssai sur la pein- ture sur verre aux Pajs-Bas, par M. de Beiffenberg. ) Get Essai parul d'abord en 1823, dans Ic proces-vei'bal de la se'auce publique de la Socicte' libre d'e'mulation de Rouen , I'u^e des compa- gnieslilte'rairesde province qui mc'ritent leplus d'e'loges par la Constance, les re'sultats et la direction de leurs travaux. Alors bcaucoup moins e'tendu , il fut tire a part a un tres-pelit nombre d'excraplaircs j lour rapide e'puiseinent et les demandes re'ite'rc'es auxquelles re'ditcur actuel ne put satisfaire I'ont enfiu determine' a reproduire ce travail, dont plu- sieurs planches nnuvelles accompagnent le texte entierement refondu. L'auteur deljute par des recherches relatives a I'origine et aux proqres de la peinlure sur verre, et d'abord il s'occupe du verre lui-meme, sur lequel peut-etre le docte de Valois aurait pu !ui fournir quelques indications dans un Mcfmoire inse're au premier volume du recueil de rAcade'mie des inscriptions. Le Vieil , et ce n'est pas a tort, a e'te son principal guide. Aimant a croire que la peinture sur verre naquit en France , il s'en rapporte volontiers sur ce point a son patriotismc , qui peut-etre ne I'a point trompe, mais qui n'aurait rien perdu a s'appuyer de quelques preuves. Vient ensuite une description de vitraux des principales e'glises de Rouen , et ici M. Langlois est sur son terrain. On s'aperfoit que c'est un digne fds de cette Normandie si riclie en beaux souvenirs, en monumens du passe, et qui excitait si vivcmenl I'enthou- siasme du bibliomane-archeclogue Dibdin , comme elle doit c'cliauffer celui de tout ami des arts. Apres ce morceau e'tendu , l'auteur passe en revue les vitraux remarquables dans plusieurs autrcs parties de la France , ceux de la cathe'drale de Chartres , de la cathe'dralc de Stras- bourg , de Notre-dame de Brou , de la cathe'di-ale de Reims , de I'e'glise rojale de Saint-Denis , des cathcdrales de Metz, Soissons, Noyon, Bour- LIVRES FRANCAIS. 22 1 'ges, Paris Voyageant de la dans les pays e'trangers, il nous entretient des cathedrales de Cantorbe'ry, de Milan, de Cologne. Enfin, apres avoir trace le tableau de I'etat actuel de la peinture sur verre, particulierement en France, il termine par la biographie que le titre annonce. Ce livre est, en general , d'une lecture attrayante et instructive. Est-il exempt d'in- exactitudes? non , et toutesles personnes qui s'occupent de ce genre de recherches niinutieuses savent combien il est difficile , pour ne pas dire impossible, d'eviter toute crreur. Les noms, les dates sont une source de me'prises de'sesperihtes. Souvent les renseignemens manquent ou de- vraieot etre pris aux iieux memes , dans des de'pots fermo's au public ou trop e'loigne's de I'e'crivain. Le lecteur ne sait rien des peincs excessives que sc donne un savant conscicncicux pour restiluer a un nom propre sa veritable orthograplic, pour rcssusciter un personnage ignore , oublie', obscur, pour fixer une annc'e, prendre en faute un historien ou un biblio- graplie, au moment d'y tomber soi-meme ; ou, s'il le sait,"il n'en a cure, pas ])ius que des sueurs des malheureux qui ont e'te' chercher dans les entrailles de la terre le metal dont est faite la piece de monnaie avec laquelle il {)aie son dejeuner ou sa place a I'ope'ra. de Reiffenberg. Sy. HiSTOiRE DE LA MusiQUE , par M. STAFFORD , traduitc de I'an- glais par madame Adele Fetis, avec des notes , corrections et additions, par M. Fetis, Paris, i832; Paulin , editeur, place de la Bourse. In- 12 de 867 pages; prix, 5 fr. Avant la fondatlon de la Rei'iie musicale , publie'e par M. Fetis , journal hebdomadaire , maintenant europecn , la litte'rature liistorique et critique de la musiqre en France se bornait a un tres-petit nombre de traitc's ge'ne'ranx ou de dissertations particulieres , faits sans discernc- ment , sans gout , et a peine lus de quelques savans. Les gens de lettres qui passaient de la critique de la Come'dic-Frangaise a celle de I'Ope'ra , ignorant les principes de I'art qu'ils jugeaient sans appel , et n'en ayant souvent meme pas un sentiment juste , ne firent que genei* sa niarche et ralentir ses progres. Quant aux musiciens , tels que Brossard, Delaborde et autres , qui essayerent d'e'crire sur cet objet , ils man- querent , soit de discernement dans le choix de leurs materiaux , soit de connaissances suffisantes, soit de methode dans 1' exposition de leurs ide'es. Les e'trangers, au contraire , possedent depuis long-tems une 2 22 LIVKF.S FRANCA IS. grande quanlitc d'oiivragcs rcinarquables sur ccUe maticic , paniii icsquels I'liistoirc gc'ncralc de Forkel clicz Ics AUeraands , celle dii pcic Martini en Italic , ccUes dc Barney et de Hawkins en Angleterre , dc- cupent le premier rang. C'est dans ccs deux derniers ouvragcs que M. Stafford a puisc Ics principaux matcriaux dc son abrc'ge'liisloriquc , il y a ajoute quclqucs reclicrches asscz etcnducs sur la musique dcs Oricn- taux , et sur Ics compositions moderncs postc'rieures a re'poqiie oi'i Burney et Hawkins ecrivirent. Cette partie du travail dc M. Stafford a e'te' revue et souvent raeme refaite par M . Fe'tis f'qiii a rectifie par des notes et additions les divcrscs crreurs et omissions qu'clle presentait. Les musicicns , qui e'prouvcnt plus quo jamais Ic bcsoin de connaitre, sinon dans ses details , au moins dans ses faits generaux , I'histoire de leurart, la trouveront done suffisamment de'vcloppe'c dans ce livre , traduit avec im soin remarquable par madame Fe'tis , et enriclii de nombreux supple'mens par M. Fe'tis. On pent le diviser en deux parties a peu pres c'gales : dans la premieie il est traite de la musique chez les anciens et cliez tous les peoples de la terre qui n'en ont eu qu'une connaissancc imparfaite ; I'auteur n'y a omis aucun des faits qui peuvent e'claircir I'histoire gc'ne'rale de I'art ou meme seulement in- tc'rcsscr la curiosite dcs lectcurs; la scconde contient I'histoire de la musique depuis la connaissancc dc I'orgue et la dc'couvertc dc I'harmo- nie jusqu'a nos jours. Hesl encore a remarquer que, dans cette seconde partie, I'auteur anglais avait juge prudent d'intc'resser la vanite' de ses compatriotes au succes de son livre , en s'c'tcndant longuement sur la musique anglaisc ancicnnc et moderne , et sur ses progres. Ccs details, fastidieux ct inutilcs pour I'histoire de I'art , ont etc' conside'rablcment raccourcis par M. Fe'tis, qui Ics a rcmplace's par unc notice sur la mu- sique fran9aise , dont il e'tait a peine question dans I'ouvrage anglais. Nous reprocherions ici a M. Fe'tis la brievetc de cette notice , si nous ne savionsquc ce savant professeur s'occupe actuellcment d'un ouvragc considerable auquel cet e'crit , et ceuxqu'ila pre'ce'demment fait paraitie, n'ont e'te' jusqu' ici qu'une sorte d'inlroduction (i). (1) Voici le litre de ces oiivrages : La musique mise a la porttie de tout le mnncle, \ vol. in-8", Curiositds historiques Samogitie , en Wolbynie, en Podolie et dans FUkraine. La, on s'em- pare de tout enfant des deux sexes, au gre dcs commandans subalter- nes; puis sans s'occupcr de son babillcraent, on le traine tel quel atravers les steppes, au fond de la Russie. La faim et la fatigue en tuent ordinai- rement le plus grand nombre.A cbaque transport , sont re'unies quelques petites Toitures russes connues sous le nom de kibitki, pour recevoir des provisions et les enfans incapablesdemarcber.Und'entre eux tombe-t-il malade, pours'en de'barrasser, il ne restc qu'a le tuer ou a I'abandon- ner au milieu des steppes. Les femmes qui ont accompagne' leurs enfans deviennent alors unederniere ressource pour ces malheureuxj mais or- dinairement , e'puise'es de fatigue , a peine peuvenl-elles prote'ger leurs propres enfans. Et comme le convoi ne pent par aucune raison s'arreter dans son voyage, les condncleurs laissent done pour la plupart sur le bord des cbemins tout enfant qui ne pent plus marcher, en mettant a son cote' une portion de pain pour trois jours. Plusieurs personnes, qui sont re- venues dernierement de Sibe'rie, ont rencontre des cadavres de quelqucs- unsde ces infortune's aupres du pain dontilsn'avaient pu s'alimenter. On a vu aussides prisonniei'S polonais, charge's defers pesans ou lespieds trai- nant de gros morccaux de bois, porter sur leurs bras des enfans ainsi de'laisse's, qu'ils ont ramasse's sur leur route d'exil. L'exe'eution de ces ordres barbares se fait avec tant d'arbitraire , que les Cosaques et les Raszkirs, a qui le soin de ces transports est confie, vendent souvent im- pune'ment les enfans aux juifs , ou bicn les donncnt aux paysans mosco- vites. — Pour passer la nuit pendant ces trisles voyages, on s'arrete dans des etapes norame'es oslrof^i. Ce sont dcs cabanes avec une ecuric POLOGNE. 23 1 €t une cour, entoure'es d'un fosse et d'une palissade, situe'es a dcs inlci- valles de 5 a 6 miUes dans les steppes , et habite'es par des de'tache- mens de Cosaques. C'est dans I'e'curie et dans la cour que Ton place chaque nuit les prisonniers et Ics enfans polonais conduits en Sibe'rie. La paille qu'on leur jette pour roposer leurs corps e'tant i-areinenl change'e, la mal[)roprete' qui en re'sulte devient une cause de maladie pour tous, ctde mort pour plusieurs. Le kecrutement est un second moyen mis en usage pour ane'antir jusqu'a la population de la Pologne. La plupart des journaux ont publie', il y a quclque terns , I'ukaze de lerapereur Nicolas , qui prescrit I'enrolement dans I'arme'e russe des soldatset des sous-offlciers de I'ancienne arme'e polonaise. Par interpre'ta- tion de Tamnistie accorde'e aux troupes revenues de I'AutricIie et de la Prusse , et qui les aftVanchissait du service russe , cet affranchisse- lucnt a e'te borne a ceux seulement qui possedent quelque proprie'te immobiliere. Et , comme en Pologne un soldat est tres-rarement pro- prie'taire , ou que , s'il avait quelques proprie'te's avant la derniere guerre, il les a perdues depuis , ledit ukaze est devonu applicable a tous les soidats et sous-officiers polonais; et sur trentc millebomuies, il s'en trouvera a peine quelques dixaine? exempte's du service moscovife. Apres avoir ainsi annule sous ce rapport les effets de I'amnistie , on a dit anx soidats que c'e'tait une grace qu'on leur accordait deleur payer une solde uiilitaire dans quelque contre'e lointaine de I'Asie, au lieu de les punir pour leur revoke. L'effet inevitable de toutes ces dispositions a I'e'gard des anciens militaiies , ainsi que du recruteraent nouveau de vingt-cinq mille hom- mcs qui vient aussi d'etre ordonne' , ne pent etre que d'enlever a la Pologne pres de la moitic de sa population adulte , et de condaraner au triste sort d'un soldat moscovite toute la fleur de la jcunesse du pays. « II est impossible (dit un denos corrcspondans ) de de'crire I'e'pouvante qu'ont jetee dans les families toutes ces dispositions; on n'cntend que plaintes et paroles de vengeance ; la honte et le de'sespoir sont emprcints sur tous les visages. Aujourd'hui meme ( le 23 mai ) , j'ai entendu dans la rueunefemmedupeuple qui , indigne'e de tant d'atrocite's , s'e'criait : « Oh ! pourquoi le tzar ne se noie-t-il done pas enfin dans les larmes » des meres? » 233 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. Tons les prisonniers de guerre j^olonais, emmene's depuis long-tems au fond de la Russie , sont deja distribuc's dans les regimens. Un de ces malheureux , fils de parens riches , fait prisonnier par les Russcs au commencement de la campagne , annonfait dernierement a sa famille qu'il scrt commc simple soldat dans un regiment de cosaques a quatre mille verstes de Varsovie. Les officiers, qui sont rctournes dans leurs foyers en yertu de I'amnistie impe'riale, per9oivent encore une solde modique, et ne songent poiet a profiler de la permission d'entrer au service russe. Au mois d'avril, le gene'ral Rautenstrauch appela chez lui tons ceux des corps du genie et de I'artillerie , ct leur proposa avec beaucoup de bienveillance dc prendre service dans I'arme'e lusse , en leur promettant des grades et plusieurs conditions fort avantageuses , entre autres , celle de n'etre employe's qu'a la direction des travaux de fortification a Modlia et a la citadelle de Varsovie. lis refuserent unani- mement^ ct de'clarerent en memo terns qu'ils e'taient prets a travailler , comme inge'nieurs on employes civils, mais qu'ils ne voudraient jamais porter I'uniforme russe. Cette fierte e'tonne et irritelesRusses. La meme proposition a e'te faite a 36 officiers , qui , partis en conge pour la Rus- sie avant que la revolution de novembrc eut e'clate'. et retenus la par force, revinrent dernierement en Pologne , sans etre compromis par les der- niers e've'nemens. Tons I'ont e'galement rejetee. L'empereur, ayant connu ce refus , ordonna a cliacun d'enx d'exposer se'pare'ment et par ecrit les motifs de leur decision. Ce qui est encore pre'sentement une source d'e'normes abus en Polo- gne, c'est la proce'durc des cours militaircs russes. Avant de porter Icurs arrets, elles sont obligees de demander au feld-mare'chal la peine qu'clles doivcnt infliger; I'officier-auditeur prc'sente ensuite un rajiport sur i'affaire , et sans faire meme comparaitre devant eux I'accusc , les juges le condamnent, selon I'ordrc qui kur est donne'. De la il arrive, comme dit un provorbe polonais, qu'au lieu d'un mare'clial-forgeron on pend fort souvent un scrruricr. On a ainsi tout I'c'ccmmcnt condamne'aux travaux forces a Bobniysk un nommc Ryklevvski, employe du minis- tere des finances du royaumc, qu'on avait pris pour un e'tudiant du meme nom. Ce mallieureux subissait deja depuis quelques semaines la peine dont il ne pouvait rr)niprendre le motif, quand un officior dc garnison Ic reconnut , el rciidll complc de I'affaire au commandant de place. Ok POLOGNE. 233 le rcuvoya alois tout cpuisc et affaihli par scs souffrances , et le prince dc Varsovie lui-meme daigna personnellenient lui endemander pardon. Apres la prise de Varsovie on avait assigne un terme pre'clusif , dans leqiiel tons les habitans devaient de'livrcr aux aiitorite's leurs armes. Un ancien sergent de la garde nationale (nomme Slypulkoski) avait chez lui les fusils du detachement qu'il commandait ; il ordonne a son domes- tique deles porter a I'arscnal la veille roeme du terme j le domestique, empeclie par quelques autres occupations, n'y va que le lendemain. On arrete I'ancien sergentj I'officier qui instruitson affaire ne sait point le polonais • Stypulkoski ne connait pas le russe ; on e'crit , on lui adresse des paroles qu'il ne comprend pas , et on le fait monter dans un kibitka. II n'a appris qu'a la forteresse de Zaniosc qu'il e'tait condamne' a six mois de travaux de fortification. Malgre toutcs les reclamations possi- bles , il subit encore cette peine. Le feld-mare'cLal Paszkiewdcz, par suite de son caractere ou d'un plan arrete', se montre toujours avec I'arrogance, la se've'rile et I'ostentation d'un vrai satrape. AUant un jour , monte a cheval et entoure de son tiombreux cortege , il rencontra dans une rue un ouvrier qui s'occupait dc son travail sans faire attention aux passans. Irrite de cette insou- ciance , et la prenant pour un manque de respect a sa personne , le prince (it saisir sur-le-cliamp le pauvre ouvrier, et lui fit appliquer en sa presence une cinquantaine de coups de knout. Digne successeur de Constantin Pawlowiczl La destruction des etablissemens vovn les sciences, les let- TREs, LES BEAUX-ARTS ET l'education , cst liu troisicmc mojcn em- ploye par le gouvernement russe comme destructif de toute nationalite' polonaise. La bibliotbeque nationale de Varsovie , contenant ]ilus de deux cent inille volumes , ricbc surtout en manuscrits concernant Tanciennc litte'- raturc slave, n'cxislerabientot plus pour laPologTie. EUe doit etre trans^ portc'e a Pc'Jcrsbourg. H-n vcrtu de cet ukaze , les commissaircs russes ad hoc sont deja ar- rives; ils ont dresse' des inventaires , inspecte' I'emballage , et auront bicntot tcrmiiie leur mission. Le 3o avril , ils avaient pris au tre'sor public du royaumc 60,000 florins pour les frais de transport. La perte dc cette prc'cicusc collection est d'autant plus funcste pour la Pologne , qu aprcs loulis les calamitcs ct les spoliations qu'ellc a c'prouve'es de- 234 NOIIVELLES SCIEN TIFIQUES ET LITTERAIRES. puis uu demi-sicclc. il iic rcstait plus de livrcs rares et de manuscrits concernant I'histoire du pays que dans quelques couvens , et que c'est de ces dcrnicrs debris de richesses litte'iaiies qu'e'tait forme'e la biblio- tlieque de Yarsovie. Le cabinet numisinatiquc et rchii des gravures ont eu dcfja le sort de la bibliotlicquc. On Ics a secrctemcnt expe'dies pour Petersbourg , le i""' mai a deux heurcs du matin. Le premier, unique en Europe pour les anciennos monuaics de Pologne et d'autres pays slaves , a etc forme! au moycn dc dons particuhcrs ; une partie du dernier fut jadis la propric'te du roi Stanislas-Auguste , et I'autre fut donne'e par le comte Stanislas Potocki pour Tutilile de la nation. La lettre qui attestait cette destination fut pre'senle'e a I'empereur, pour obtenir la permission de laisser le cabinet en Pologne. « Transporte a Petersbourg , rc'pondit-on , il sera c'galenient utile a la nation , car le peuple polonais et le russe nefont aujourd'hui qu'une nation. » Outre la spoliation des etablissemens scientifiques et d'education, on a encore enleve' du chateau royal tons les objets pre'cieux , tous les monu- mens de notre gloire passe'e ; dans la residence royalc dc Lazieuki , on s'est empare de tous les objets d'art, des statues, des plus beaux ta- bleaux, tels que ceux de Bacciarelli etCanaletti, etc. Les habitansdela Pologne, accable's par tant d'humiliations et de de- sastres, avaicnt encore une dcrniere espe'rSnce pour I'adoucisscment de leur sort , dans la deputation compose'e de notables du royaume , qu'on a rcccrament envoye'e aupres de rempercur Nicolas. Avant la formation de cette deputation, on repandait expres le bruit que I'empereur, ce'dant a ses representations , retablirait au raoins dans le royaume I'ancien or- dre de choses , qu'il calmerait sa colere et sa vengeance , et qu'il sus- pendrait le systeme destructif de la nationalite du pays. Ccpendant peu d'entre ceux qu'on de'signait pour cette mission , partageant ces espe- ranccs, voulurcnt I'acccpter. Le feld-mare'chal se vit done force de faire dresser une liste de pcrsonnes Men intenlionnees, et c'est sur cette listc qu'il a cboisi lui-meme les membrcs de la deputation. On menafait ceux qui s'cxcusaicnt; otpour eloigner lout pretexte dc refus,on donna a clia- ((ue depute 5oo ducats pour sos frais de voyage, et on le fit accompagncr jusqu'a Petersbourg par un oflicier de gendarmerie, C'est avec un soin POLOGNE. 235 tout particulier qu'on tacha de clioisir les homonyraes des pcrsonnages quifigiiraient dans la revolution; on a done vu, dans cette deputation, des Radziwill, des Soltyk , des Niemojowski,etc. : on a voulu encore avoir un Ledocbowski , le cboix e'tait deja tombe' sur le general de ce nom , ci-devant commandant de Modlin, a peine re'ussit-il a s'en excuser pour ses infirmite's. On connait les re'sultatsde cette deputation. On sait qu'on ne lui permit de faire aucune representation sur I'etat et les besoins de la Pologne , qu'elle ne put que remercicr S. M. de sa cle'mence et de son statut organique , et qu'on lui rc'jjondit que le basard seul pouvait re'parer lesmalbeurs de la nation. N'y aurait-il done aujourd'hui quele basard qui puisse empecber la destruction de la Pologne ! DERIVIERES IVOUVELLES DE LITHUANIE ET DE VARSOVIE. Depuis quelque terns on re'pand le bruit que quelques milliers d'ha- bitansdelaLitbuanie, pour se soustraire aux perse'cutions des Russes, se sont enfuis dans les forets de Bialowies , et qu'ils livrent des combats sanglans aux troupes envoye'es pour les soumettre. II y a parmi eux beaucoup de citoyens distingue's , suivis de leurs families et des popula- tions entieres de quelques villages , qui n'ont pu que par ce moyen sauver eux et leurs enfans dela raort et de I'exil. Les Russes font mon- ter leur nombre a quelques milliers. On dit que ces insurge's out rc'- cemment extermine un regiment tout entier de cosaques. lis ont du deja prendre quelques canons , mais pas de munitions. Comme ils ne font point de quartier , I'e'pouvante et la desertion vont croissant parmi les troupes russes. Une grande partie des troupes russes stationnees en Pologne se com- pose de recrues jeunes et faibles, qui remplissent journellemeut les norabreux lazarets des palatinats de Sandomirz , de Lublin et de Cra- covie. Un grand nombre de de'serteurs de ces re'gimens infestent les forets de Sainte-Croix , et attaquent les voyageurs. Les re'gimens russes cbangent constamment de cantonnemcns. On dit que les troupes station- nees en Pologne vont etre lemplace'es cbaque semestre par des re'gimens nouveaux arrive's des extre'mite's de la Russie. A Varsovie , il est de'- fendu aux officiers de frequenter les habitans • au milieu du jour de noinbreuses patrouilles ne ccssenldc traverser les rues ; pend.irit la nuit 236 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. on augmentc encore les precautions : la patrouille priucipale inenetou^ jours avec elle un canon. Pour I'entretien de ces troupes ct pour les travaux des fortifications , le gouvernemcnt russc s'est dcja emparc de lo millions sur les revenus du royauine , et il a pris des avances con- siderables a la banque de Varsovie. La destruction de la nationalite' polonaise se poursuit dans les moin- dres details. On ne voit plus en Pologne que les couleurs russes. On af- fecte de peindre avec ces couleurs les poteaux miliaires et les parapets des ponts. Les autorites ont recu I'ordre d'attacher les feuilles de leurs actes avec du fil aux couleurs russes. La decoration de YAigle blanc a e'te change'e. Elle consiste aujourd'hui en un aigle russe portant sur lui un aigle de Pologne. Le ruban de la decoration n'est pas bleu clair , mais bleu foncc. Le bulletin des lois et les decrets du conseil dadminis- ti'ation conticnnent a present le texte russe en regard dupolonais. Gette mesure doit etre applique'e aux actes de toutes les branches du gouver- nemcnt aussitot que Ton pourra trouver assez de Russes capables de rem- plir les fonctions de I'administration organise'e a I'instar de celle de Fi'ance. Jusqu'a pre'sent les places de chefs sont les seules occupc'es par les Russes, a qui les employe's subalternes polonais, conserve's aprescpu- ration , pre'sentent leurs rapports en polonais avec I'allemand ou Ic fran- fais en regard. Les ve'te'rans et les invalidcs , le seul corps militaire po- lonais , ont du dc'poser les paremens ct les collets cramoisis , et les rem- placer par d'autres en ponceau, couleur russe. La cocarde nationale polo- naise a etc change'e dcpuis long-tems centre la cocarde russc. La decora- tion Virluti militari pare aujourd'hui la poilrine de chaquc Russe. Quand ou I'a envoycc au general Rudiger, il dit : « C'est unc carte blanche pour avoir un soufflct a I'c'tranger. » La commission, qui doit juger les personncs exclucs deTamnistie, prepare dc^a secretcmcnt ses travaux. L'ukaze qui I'instituc present aussi I'arret qu'clledoit prononcer sur cliaque accuse. Cost le general "Witt qui est jne'sidcnt. Panui ses membrcs, on corapte quatre Polor lais vendus depuis long-lcnis aux Russes : I'aucien ccnseur general Sza- niawski , Wyczechowski , ci-devant procurcur auprcs du senat con- stituc en cour supreme pour juger les raembres des socie'tes secretes pa- triotiqucs, Alexandre Potocki, grand-e'cuyer de S. M., et Poklenkowski, qui rcniplir;! Hans la conunission les fonctions du procurcur. Le 1 3 mai , POLOGNE. 287 un general russc , accompagne' du vice-president de la ville de Varso- vie Gierlicz, visita la prison corrcctionnelle des Franciscains. Les pri- sonniers ordinaires , qui y sont actuellement detenus , seront transporte's a Zamosc ; leur place doit etre occupe'e par tous ceux qui vont compa- raitre devant ladite commission , et c'est la que sera instruit leur pro- ces. — Les travaux de la citadelle de Varsovie avancent avec beaucoiip de rapidite'. On tache avant tout d'achever la construction de la prison d'etat. — De toute I'arme'e polonaise , on ne compte jusqu'a present que i5o soldats qui soient entre's volontairement au service moscovite; les aulres v sont force's et envoye's au Caucase ou en Sibe'rie sous toutes sortes de pretextes. Pour la singularite' dn fait , ces i5o hommes ont ete' pre'sente's au fcld-marc'chal , qui leur a fait donner a chacun deux ducats — On vient d'ordonner un nouveau recrutement de 25, 000 hommes, en n'y comptant point les mililaircs appartenant a I'ancienne arme'e po- lonaise , fails prisonnicrs pendant la guerre , ou revcnus de Prusse et de I'Autriche en vertu de I'amnistie, qui ont deja e'te envoye's au nomljrc de 3o,ooo hommes au fond de la Russie. — Varsovie n'est plus a rc- connaitre a I'exte'rieur. On ne voit que des revues de troupes russesj on n'entend que les cris de cochers a longue barbe, conduisant au galop les voitures de seigneurs qui ont la poitriue couverte de croix et dc medaillcs; partout une ostentation asiatique. Dans les rues principales, tousles premiers e'tages sont occupe's par les families russes , dont le nombrc s'accroit chaquejour. Sur toutes les places publiqucs , sous les colonnes de Sigismond et de Copernic, des markietans ( marchands russes anibu- lan ) , e'talent leurs sales boutiques. La capitale supportc cepeiidant tous ces malheurs avec une grandc dignite'. Les habitans se tiennent d'habi- tude a I'inte'rieur de leurs maisons. Dans aucune fete ou re'union pid)li- que, on ne rencontre de visages polonais. Le peuple s'obstine avec toute I'e'nergie de son caractere a dominer toutes les calamite's qui I'accablenf . Plein de foi dans le delivrement prochain de sa patrie, il attend inces- samment les Franjais et les Hongrois, comme s'ils e'taient a quelques lieues seulement dc Varsovie ; et , toujours pret a combattre pour son inde'pendance , il se maintient fier et sent sa supe'riorite morale en face de ses barbares oppresseurs. 238 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. BELGIQIJE. AC.VDEMIE UES SCIE.\CES ET BELLES-LETTRES DE BRUXELLES. Seance dii 7 juillet i832. Cliolera-morbus. M. Fillenne, charge avec quatre auties personnes , par la commis- sion de salubrite du departcment de la Seine , de re'diger un rapport sur Ics ravages du cholera, communique, par I'entremise de M. Que- telct , les re'sultats de ses travaux et de ceux de ses coUegues. Ces sa- vans out reconnu que les ecarts de regime ont une influence re'elle sur le nombre des victimes que frappe la maladie; que les grands ct brusques changemens dans la temperature, et meme dans la pesanteur de I'atmos- phere , paraissent avoir pour effet imme'diat de donner une nouvelle activite a la cause du chole'ra ; que le cholera est bien de'cidement la maladie des hommes faits et des vieillards; que si la maladie est conla- gieuse , elle Test si pen qu'il ne faut pas craindre de toucher les malades, de les approcher , de respirer leur haleiue ; que les chlorures et tons les autres pre'servatifs pre'tendus de la maladie , qui ont e'te' partout si vante's, n'en pre'servent point; cnfin qu'une fois qu'on est atteint du chole'ra , la probabilite d'en mourir va toujours en augmentant apres I'age de trente ans , et qu'au-dessous de celui de douze a quinze , elle s'accroit a mesure qu'on se rapproche de la nalssance. — M. Sauvcur T^vcscnic , de la part de M. Moreau de Jonnes , une note sur le traitement du cholera par le sel marin. — M. le liaron de Reiffeiiberg lit un IMe'moire sur les cointes de Durbui, de la Roche et de Daelem, annonce la scconde partiede son Essai de statistique ancienne de la Belgique , et fait de vive voix les observations suivantes sur Yh6tel-de-ville de Louvain: Moiiuniens {jothiqiies. « La prochaine demolition de la porte de Hal , a Bruxelles , qui a excite' les vivcs re'clamations de quelques amis des arts , m'a fait penser que I'Acade'mie n'entendrait pas sans inte'ret quelques details sur un des plus beaux monumens qui , dans noire pays, appartiennent a I'architecture improprementappele'egothique. Get edifice, si remarquableparl'harmo- nieuse siraplicite' de son plan , la delicatesse , la varie'te' , la richesse de BELGIQUE. 289 ses ornemens , fiit construit, suivant P. Divaelts, Vers I'an i45o, ct tcr- mine environ dix ans apres. Juste-Lipse tient le meme langage ; mais Gramaye place le commencement de la construction de cet hotel-dc-ville a I'anne'e 1448. Dcs recherclies que j'ai faites dans les archives de Lou- vain m'ont demontre que Gramaye etait ici I'e'crivaia le plus exact. Je trouve en effet dans le tome II d'un recueil en flamand , redigc par. Ic greffier G. Boon , et intitule : Antiquitates Lovanienses , que la pre- miere pierre fut pose'e le jeudi apres Paques 1 44^ , et que I'ouvrage fut acbeveeu i463. Les diffcrentcs sommes payees , chaque annc'e , pour cet objet sont e'numere'es dans le manuscrit cite , et dans un autre inti- tule' : Generalen index van de chartres en de documenten (torn. II , pag. 179); on lit, dans le n° ?.oi , que la de'pense totalc monta a 32,986 florins 10 sous, monnaie du tems. « J'ai vainement cherche a decouvrir le nom de rarchitecte et ceux des artistes qui lui preterent ieur secours. J'incline a croire cependant qu'Otton van de Putte, qui se signala en 1482 dans la guerre contrc Guillaume de la Mark , et qui consacra dans I'e'glise de Saint-Pierre ia banniere de ce seigneur qu'il avait prise en comloattant , fut un des sculp- teurs dont le ciseau exe'cuta une partie des bas-reliefs qui I'cprcseutent, dans les impostes dcs niches , des sujets de I'Ecrituresainte. En effet cet artiste est le seul de Louvain dont on conserve le nom a cette e'poque. Divaeus en parle {RerumLow. , lib. 1 , cap. i4)- » Quoi qu'il en soit , ce monument a bcaucoup souffert de I'injure du tems , et ses e'le'gantes tourcUes mcnacaient mine quand , il y a quatro ans, M. Everaerts , jeune architecte de Louvain, offrit de re'parer Ic dommage. L'entreprise etait difficile , il fallait ressusciter un genre de construction abandonne. M. Everaerts e'tudia avec un soin extreme chaque pierre en particulier, fit prendre dcs monies des moindrcs fleu- rons , des modeles des moindres morceaux de fer qui attachent les me- neaux des minarets ou girandoles a la fois diaphnnes et solides et des galcries en forme de dentelles , puis il les de'molit avec des precautions extraordinaires pour les re'tablir ensuite en se servant de pierres nou- velles , de quelques anciens morceaux gratte's ou re'pares a I'aide du mastic et de la pierre artificielle. Mais , par malheur, afin de mettre de I'har- monie entre ces pieces de rapport , et de les preserver de Taction de'- vorante de I'air , il a cru devoir e'tendre sur le tout un vernis qui, du 340 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES, moins a present , ote a la pierre sa teinte pitforcsque et ve'ne'rable , tan- dis que le ciseau lui avail deja enleve ce flou. et ce fniste qui ont tant de charmc pour I'oeii do I'liomme de gout et de t'antiquaire. » M. Everacrts se propose d'e'tendre son systeme de reparation a toute la facade. Mais peut-etre que , dans les details infinisdes bas-reliefs, il rencontrera des difficulte's plus grandes. Les objets e'tant plus pres du spectateur, I'examcn en sera plus severe. En second lieu, comment res- taurer ce qui ne laisse plus ni vestige ni empreinte ? comment refaire ccs bizarres tableaux sans avoir devine' tout le moyen age ? Eniin , si tout redevient neuf , poli , lisse , si le vernis s'e'tend impitoyablement j)ar tout, on aura sans doute un edifice plus brillant, plus damerct , mars qui , par cela meme , perdia son plus pre'cieux caractere. » Quoi qu'il en soit, M. Everaerts fait preuve d'un rare talent ct d'une haute intelligence. Enloure' d'ouvriers et d'artistes , dont il a forme' en quelque sorte V education gothique , il peut rendre les plus grands services pour la reparation de nosautres edifices du raenic genre. » L'hotel-de-Ville de Louvain me conduit a dire quelques mots d'un autre monument qui se I'attache a notre histoire, et qui est menace d'une destruction imminente ; c'est le tombeau des duchesses de Brabant , Ma- rie et Mathilde, mortes en 121 1 et i'22(3, et duqucl Butkens et Van Gestel nous offrent une representation tres-inexacte. Ce tombeau , in- cruste' dans la muraille des bas-cote's du choeur de I'eglise St-Pierre , est habituellement charge de chaises que Ion y empile sans precaution, au point qu'une des deux figures est presqu'entierement brise'e et I'autrc fort mutile'e. » Je finirai done celte note en exprimant un vreu : nagueres il existait dans certaines provinces des commissions charge'es d'enregistrer les rao- numens d'arts qui se trouvent dans chaque localile, de les de'crire et de pourvoir a leur conservation. II me sembleque 1' Academic, tutrice nee de I'arche'ologie nationale , ne sortirait point de ses attributions en se mettant en communication avec le gonvernement pour provoquer des me- sures a cet egard , et obtenir, pour elle ou pour d'autres, les facilite's iic- cessaires , afin de garder a la patrie quelques-uns de ses premiers titres de gloire. » — M. QiieleletYiX. ensuitc une lettre de M. Barlow, qui est parvenu a construire une lunette de huit ponces d'ouverture sur huit pieds huit BELGIQUE. — FRANCE. 24l pouccs de distance focalo , en faisant iisage de scs lentilles fluides. Cc sa- vant s'attachc particuliercinent a re'duire la longueur de la distance focale, au moyen d'un objectif compose' de deu^c lentilles plano7COn- vexcs. — M. le ministie de I'inte'rieur demande I'avis de I'Acade'mie siir un projet de le'gende pour la me'daille vote'e au regent par le congres na- tional. La le'gende projcte'c ne donnc lieu a aucune observation. FRANCE. ACADEMIE DES SCIENCES. SEANCES DU MOIS DE JUILLET. Seance du '2juillet. On renvoie a la commission du cholera , i° un Me'iuoire de M. Masujer , professcur a I'e'cole de me'deciue de Strasbourg , conte- nant I'exposition d'un modede traitement pour cctle maladie que I'au- teur, du reste, de'clare n'avoir jamais obscrve'e par lui-memej 2." un ouvrage contenant les re'sultats des observations sur la meme maladie faites en Russia , en Prusse et en Aiitricbe par ordre de TAcade'raie de me'decine. Les auteurs , T-IM. Gaymard et Ge'rardin, y ont joint, avec diffe'rcns documcns officiels, des cartes indiquant la marcliedc I'e'pide'- mie depuis Moscou jusqu'a Wells • 3° un ouvrage manuscrit de M. Gui- bert sur le chole'ra-morbus. - — M. TVarden, au nom de la Socie'te philosophique americaine , se'ant a Philadelpliie , pre'sente le quatrieme volume des transactions de cette societe'. — M. DE Humboldt adresse de Berlin le Traite de meteorologie de M. L.-F. Kamtz, profcsseur a runiversitc Frc'derique de Hall. Cliimie. — M. Pelletier annonoe de nouvelles recherches sur Vupium et la decouverte qu'il a faite dans celte substance d'un principe iuniicdiat , TOME I.V. JUILI.ET 1852. 16 242 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. la narceine , dont la conn.iissance avail e'chappe jusque la aux diffe'rens cliimistes qui s'e'taient occupes de ranalyser. Son proce'de , qui differe en plusicurs points de ccux qu'on avail employe's avant liii , permet , dit-il , de rctirer de la meme quanlite dVpiiiin tons les diffe'rens princi- pes imrae'diats qui cxistenl dans ce me'dicamenl. Bolaniquc. — L'Acadeniie recoil la sixieme livraison de Ja Flore de la Sene- gambie, par MM. Packard, Gnillemin ct Ferottet. Celte partie,qui contient les phaseole'es , les dalbsrgiees , les swartzie'es el une ^artie des mitnosees , offre plusieurs genres nouveaiix c'tablis par les auteurs. Un assez grand nombre d'especcs sonl eutierement nouvellcs ; d'autres , qui n'e'taienl qu'iinparfaitemenl connucs, sont de'crites en de'lail. Enfin, comme dans les livraisons pre'cc'dentes , les ve'ge'tauxqui offrent quelque inle'ret, sous les rapports des arts industriels ou de la matiere inedicale, sonl I'objel de renseignemens Ires-de'lailles. Stalistique morale. — M. Guerry adresse un cssai sur la statistujue morale de la France , offrant pour chacun des de'partemcns la distribution des cri- mes centre les personnes el contreles proprie'te's , les motifs de ces cri- mes, Tctat de I'inslruction, les legs el donations an clerge', les naissan- ces iile'gitimcs, etc.; el, dans la lettre qui accorapagne I'envoi de ce Me'moire , I'auteur expose quelqucs-uns des re'sullats les plus rcmarqua- bles auxqueis ses rechercbes I'ont fail arriver. Sur cent crimes contre les personnes coramis par des femmes , on compte six empoisonnemens ; il ne s'en trouve qu'un sur un pareil nom- bre de crimes commis par des bommes. Plus des trois cinquicmes des empoisonnemens entre e'poux sont com- mis par la femme seule ou aidee de complices. Sur cent attentats a la vie de I'un des e'poux par I'autre , on en compte environ soixante par le mari el quarante par la femme ; mais , pour la femme , les quatre cinquiemos de ces attentats sont pre'mc- dite's , tandis qu'il n'y a que les trois cinquiemes de premedite's par le mari. Sur rent crimes d'cmpoisonnemcnt.demenrtrr et d'assassinal commis FRANCE. 243 par suite d'adultere , on en compte quatre-viiigt-seize centre les epoux. outrage's, et quatre seuleinent centre les e'poux coupables ; encore cette proportion est-elle uniquement relative a la ferarae infidele. 11 est a rc- marquer que , s>ir trois attentats de ce genre , deux seulement sont com- mis par re'poux; I'autre, Test par le complice. La de'bauche , la seduction et le concubinage font commettre a peu pres autant de crimes que I'adultere , mais la proportion du nombre des hommes a cclui des femmes est diffe'rente. Dans le presiiier cas , plus des trois quarts des attentats sont dirigc's centre la femme , tandis que dans I'adultere le nombre des attentats a la vie des hommes est le plus grand. Un sixiemc des crimes d'empoisonncment , de raeurtrc ou d'assassi- nat par suite de se'duction , de del)auche et de concubinage , est commis pour se venger des concubines infideles ou qui veulent rompre Icurs liabitudes : pre'cise'ment un autre sixieme pour se de'barrasscr de fem- mes se'duites ou d'amantcs de'laisse'es qui deviennent un obstacle au ma- nage des accuse's. Dans le mariage, rinfide'lite' de la femme ne fait commettre qu'envi- ron un trente-troisieme des attentats centre ses jours, elle en determine un sixieme dans les unions illicites. En jetant les yeux sur les cartes oil les divers ordres de fails sont re- pre'sente's par des teintes plus ou moins obscures, on reconnait que jus- qu'ici Ton s'ctait forme une idee assez inexacte de I'influcnce de I'in struction, car les de'partemens de I'oucst et du centre sont ceux ou il v a le moins d'instruction et ou Ton commet en merae tems le moins de crimes centre les personnes. C'cst dans les de'partemens du sud que ces crimes sont proportionnellement les plus nombrcux. Quant aux crimes centre les proprie'te's, ils sont, non pas en raison inverse, mais plutot en raisen directc de I'instruction; du reste ces faits, q'ji sont bien consta- tes, prouvent, non pas I'imitilite' de I'instruction, mais la necessitede la joindre a re'ducation morale. Les dispositions en faveur des e'tablisseniens religieux catholiqucs el protesfans ferment presque la moitic du nombre total des donations et des legs. Les hommes donnent plus quo les I'cmmes aux etablisscmens de bienfaisancej ils donnent aussi plus aux etabiissemcns religieux, bien qn'on ail souvent dit le contiairc. 16. 244 NOITVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. On a pre'tendu aussi que Ics libe'ralitcs au clcrgc se faisaient surtout par testament , qu'cllcs e'taicnt dues a rinflucnce excrcec sur 1' esprit des jnouraus • qu'il fallait par consequent rcstreindre davantage la fa- culte' de disposer de cettc maniere. Or ce n'est point par testament que Ton donne le plus au clcrge' , mais par donation entre-vifs, cc scrait done sur ccs donations que devrait de pre'fe'rence se porter I'atlcntion du legislateur, s'il voulait rendrc plus difficiles et moins frequentes les donations en faveur du clcrge'. Les donateurs anonymes sont cinq fois moins nomljreux parmi ceux qui dounent au clcrge' que parmi ceux qui donnent aux e'coles. C'est dans les de'partcmens du centre, ou il y a le moins de crimen contre les personnes et surtout contre les ascendans, que se trouventen general le plus grand norabre dc desertions et le moins de naissances^ ille'gitiraes ct dc suicides. Archeologie. — ' M. Bureau de Lamalle prc'sente un fragment de papyrus egyptien provenant d'un manuscrit de la collection de Turin, et de'crit le procede suivi par les anciens pour la fabrication de cesfeuilles. La plante du papyrus nc croit pas seulement en Kgyptc , on la trouve en differentes parties de I'ltalie et de la Sicile j Bruce I'a observe'e en Nubic, ct Escliyle en avait parlcf avant lui comme provenant dc ce pays. Selon Pline elle croissait aussi en Cbalde'e , et sulvant Strabon , dans les Indcs. Du restc, ce n'e'tait guere qu'en Egypte qu'on en tirait nn parti Ires-avantageux , ct c'c'tait meme la qu'on vcnait la cherclicr de diverses parties de I'Europe pour en faire des cordages. Les renseignemens fournis par Pline, The'opbraste et plusieurs autres e'crivains de I'anti- quite, sur les usages varie's auxqucls on appliquait cette plante dans la vallcedu Nil, sont ires-nombreux; mais pendant long-tcmsils ont eternal compris, et des e'rudits qui n'avaient aucune connaissance en botaniquc ont, sur ce sujet, donne cours a des erreurs qu'il convient de redresscr. On savait qu'en Egypte on employait les racines du papyrus au lieu de bois a brulcr , et qiie ces memes racines servaient cgalc- ment a construire de pctits mculjlcs. On savait que la tigc servait a la construction dc nacelles ct Ton en concluait asscz genc'ralcmcnt que les feuillels sur Icsqucls on ccrivait n'c'laient autre chose (pic FRANCE. 245 !« libci' de rc'corce. Cette opinion n'cst plus soutenable anjoiird'bui que le papyrus est reconnu pour unc plante monocotyledone. Ce n'e'tait pas en cffiet avec I'enveloppe exte'rieure que se fabriquait le papier, raais avec I'interieur de la tige , qui se compose uniquement d'uno moelle filandrcuse. Cette moelle e'tait divise'e a I'aide d'instrumens tranchans en lames minces, qu'on rapprochait les unes dcs autres de maniere a ce qu'elles se touchassent par Icurs bords. Le sue gommeux dont elles c'taicnt inibibees a I'e'tat frais suffisait pour lier entre elles les pieces juxla-pose'es, et en former une feuille unique qui, dans cet e'tat, portait le nom de sclieda ; on rognait la scheda; puis, quand elle e'tait 4 demi seche, on la mettait sous presse; apres qnoi on I'exposait au st- leil pour obtcnir une dessiccation plus complete. On re'unissait ensuitc ces feuillcs deux par deux, de maniere a ce que les fibres de I'une croisassent a angle droit celles de I'autre; on les soumettait une seconde tois a la prcsse. La feuille, ainsi compose'e de deux lames superpose'es , etait designee sous le nora de plagula. Elle e'tait battue au maillet, sa- line'e, puis encoUe'e, battue de nouveau , gratte'e et cnfiu lissee avec I'lvoire. La feuille de papyi'us, offerte par M. Bureau, pre'sente des traces e'videntes de quelques-unes des operations que nous venons d'icdi- quer. Cette feuille appartenait a un manuscrit e'crit dix-huit siecles avaut I'ere clire'tienne. M. Bureau suppose que I'usage de I'e'criture , si conuiiun a cette e'poque en £gy[)te , u'a pu manquer de passer en Grece aussilot que les relations entre les deux pays sont devenucs un peu fre- quentes. On ne pent, ajoute-t-il, meme en faisant les suppositions les plus defavorables , s'empecher d'admettre que , dans le neuvieme siecle au moins avant notrc ere , les Grecs avaient recours a I'e'criture pour conscrver la me'moire des eveneniens importans ; il s'ensuivrait que , parmi les historiens dont les ouvrages nous out e'te' conserves , les plus anciens n'auraient pas seulement, commc on le suppose d'ordinairc, ap- puye Icurs rc'cits sur des traditions oralcs , mais sur des cluoniqucs c'cri- tes que leur redaction plus orne'e aura bientdt fait oul)lier. Si cette sup position est fonde'c, il est clair que les recits que nous posse'dons doi- vent etrc l)caucoup plus pres qu'on ne le croit dc la version priuiitivc. Anatomic comparce. — M. BuvERNOv lit un second Me'moire sur Yorganisalioii- ih's 346 NOUVELLES SCIENTIEIQUES ET LITTERAIRES. ophidiens , il y examine les particularite's que pre'sentent cliez ces rep- tiles la rate, le pancreas et le foie. M. Duvernoy a reconnu I'existence do la late dans plusieurs genres , que Meckel, dans son jinatomie compare'e, de'signe commc raanquant de cet organe. Tels sont les genres coluber, boa, python, vipera , crota- lus, typhlops, tortrix et ampbisboena. Comrae chez ces aniinaux la rate est prcsque colle'e au pancreas, dont elle ne diffeie d'ailleurs que tres- peu par la couleur et la consistance , on concoit comment une des deux glaudes, dans un exaraen superficiel, aura pu etre confonduc avec sa voisine. M. Duvernoy a aussi trouve et de'crit la rate dans les genres eryx, bc'te'rodon, driophis, e'rithrolampus , trigonocc'phalus, elaps, pe- larais et chersidrus. Le pancreas , dans les vrais serpens , a pour caractcre dc former une masse globuleuse ou pyramidale appliquee contra la fin de I'estomac et le commencement de I'intestin. Cette glandc est toujours distingue'e en plusieurs lobes distincts donnant tons naissance aux canaux excre'teurs qui marclient quelque terns a de'couvert avant de se rendre a I'intestin. Le foie , cbez les serpens a langue enferme'e dans un fourreau et aussi chez les typhlops , offre cette particularite remarquablc qu'il est se'pare par un espace plus ou moins grand de la vcsicule du fiel , laquelle est invariablement placee au commencement de I'intestin , au point ou doit se verser la bile. Le canal excre'teur forme dans le lachesis rhombeala un plexus assez complique. Cette anomalie parait en rapport avec la na- ture de la bile renferme'e dans la ve'sicule-bile qui , chez I'espece dont nous parlons , a la consistance d'une pomniade. — Un troisicme Me'moire du raeme auleur , lu dans la meme se'ance , est relatif aux diverses parties du canal alimentaire chez les ophi- diens. Chez ces reptiles, il est le plus souvcut impossible d'assigner avec quelque precision les limites de I'cesophage et de Testomac , ces deux portions n'e'tant se'pare'es par aucun etranglement. Toutefois la face in- terne offre quelque difference pour ces parties dans les plis de la rau- queuse 5 il y a aussi une difference plus ou moins sensible dans I'arran- geraent des faisceaux de la membrane musculeuse ; enfin , dans certains cas , il y a unesorlr de rul-dc-sac cudiaque qui inarqiic la terminaisou de I'oesophagp. FRANCE. 247 L'cesophage et I'estoiuac , pris ensemble , ont quelquefois une lon- gueur e'gale aux deux tiers de celle qui cxiste cntrela bouche et I'anus. Getle extension des premieres parties du canal alimentaire , qui permet auxophidiens I'ingestion d'lin proie volumineuse non divise'c par mor- ceaux , e'tait incompatible avec un arrangement des autrcs organes splancliniques, tel qu'on I'observe dans les animaux supe'rieurs ; la forme allonge'e du corps des serpens exigeait aussi des modifications dans le meraesens. Aussi dcsorganesqui, chczles etrcs plus e'leve's dans rechelle animale, se trouvent place's apeu pres a la meme hauteur, sont dans les ophidiens place's a la suite les uns des aulres. Ainsi , quoique le foie soit reste au-dessus de I'estomac , la vesicule biliaire, qui devait etre pres de I'intcstin , se trouve se'pare'e de la glande dont elle est une de'pendauce par loute la longueur du sacstomacal. Outre le sac dilatable dans lequel s'opere la conversion en chyme , I'estomac des serpens pre'sente une portion pylorique , longue , e'troite , peu extensiljle, et qui ne donne passage qu'a des matieres deja digere'es; a I'union de cette portion avec I'intestin , on remarque ou un re'trecisse- ment tres sensible forme' par un bourrelct cin^ulaire intcrieur, ou un pli en manchette de la muqueuse qui fait sailliedans I'intestin. Dans deuxcas, M. Duvernoy a decouvert une petite poche s'ouvrant dans la cavite de I'estomac plus pres du cardia que du pylore. Ce vestige d'un second es- tomac ne parait exister chez ces serpens que comme organe de secre- tion. Le canal intestinal est chez les ophidiens tres-court relativement a la longueur totale du corps; du reste, s'il Test plus que chez les autres carnassiers , cela ticnt en grande partie a ce que le corps lui-meme chez les serpens a une longueur tres-grande proportionnellement aux deux autres dimensions. La longueur proportionnelle du tube intestinal varie chez les ophidiens d'un genre a I'autre , mais les differences disparaissent en partie, si, au lieu de conside'rer le corps tout entier on ne prend que les parties com- prises entre I'anus et la bouche. Chez quelques-uns pourtant, nierne en ctablissant ainsi les rapports , on trouve une moindre longueur propor- tionnelle; mais dans ces cas, il ya une compensation produitc par la plus grande largcur du canal , de sorte que ce que la muqueuse perd en sur- /ace dans uur de ses dimensions die le regagne scnsil)lcmVnl dan> I'autre. a48 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITT^RAIRES. Ilyaussi certains cas ou la compensation rc'sulte d'un autre arrangement. Le tube, exte'rieurement , n'a pas un diamctre qui promette dc compenser son pen dc longueur, raais a I'intc'rieur, la membrane rauqueusc offrc de nombreux rcplis qui ont le double cffet d'augmcnter la surface absor- bantc et do retarder la uiarche des substances sur lesquelles cette absor- ption dcvra s'opc'rer. Lcs circonvolutions des intestins affectent, chez les serpens, une dis- position particuliere ; cc n'est plus un paquet flottant et fixe' seulcment par ses deux extremite's , mais une nattc de petits festons tres-scrre's les- uns centre lcs antres, et enveloppc's dans une poclie particuliere du pe- ritoine. Cette disposition parait etre en rapport avec le mode dc progres- sion des serpens. L'intestin grele et le gros intestin sont se'pare's I'un de I'autre par une valvule circulaire inte'ricure. Dans l'intestin grele, les plis de la mu- qucuse sont en general longitudinaires ; cependant cliez Verix indiciis cette membrane , au lieu de pareils plis , offre dans une partie de son e'tendue de nombreuses papilles tres-grosses et tres-serre'es, comparables a celles dc la pause des ruminans. Deux pythons le P. tigris et le P. hi- i'ittatiis, ont offert, au lieu de plis longitudinaires, des sortes de valvules conniventes qui occupaient la partie infe'rieure de l'intestin grele , et s'e- tendaient dans une portion du gros intestin : cette derniere disposition e'tait sans doute en rapport avec le peu de longueur du canal. Lapre'sence ou I'absence d'un coecumne parait pas, dit M. Duvernoy, avoir une grande importance si Ton donne cette denomination a la pre- miere partie du gros intestin qui suit l'intestin grele; mais si on I'e'tend a une premiere poche quand le gros intestin en a trois_, soil que l'in- testin grele s'inscre bout a bout avec le gros , soil qu'il ait une insertion late'rale, on pent dire que les opbidicns pre'sentent fre'quemment un ccecum. Le gros intestin chez les ophidiens offre ordinairement plusieurs poches, donl une, dans le cas oil il y en a trois, ne communique avec I'autre que par un canal e'troit tourne en spirale. Cette disposition, qui dej.i oppose un obstacle notable a la promple sortie des matiercs sou- mises a la digestion, est encore comraunemcnt favorisee par I'cxistcncc dc valvules conniventes })his ou moins completes. FRANCE. 249 Sc'ance du 'd juillet. M. Warden adresse la Table de la population generate des Elats- Unis , d'apres le dernier recensement officiel ; la population y est divise'c en trois classes : blancs , horames de couleur libres et csclaves. — Le ministre de la marine adresse toutes les cartes et plans puljlic's jusqu'a ce jour par le depot de la marine. Mctcorologie. — M. Fallot e'crit a rAoade'mie , a I'occasion de la communication faite par M. Cagniard-Latour , relativement a un aerolithe , qui scrait tonibe dans la cour de sa maison , rue Blanche , a Paris. M. Vallot soutient que M. Cagniard-Latour s'est trompe en attribuant a cette pierre une origine mc'te'orique. Selon lui , tous ceux qui croient a I'exis- tence des ae'rolitlies sent e'galeraenl dans I'erreur. Physique gencrale. — M. Despretz communique les re'sultats auxquels il est arrive' en recherchant s^il y a, pour I'eau de la mer et les dissolutions sa- lines , un maximum de densite comme ily en a un pour Veau pure. Snivant I'auteur de la lettre , le point de congelation de I'eau pure de I'eau de mer ou d'une dissolution saline a un degre determine' de con- centration, est variable. La meme variation existe encore pour le soufre, le pbosphore, I'e'tain , et peut-etre pour tous les corps fondus. L'eau de la mer et les dissolutions salines donnent un maximum dc densite' , mais ce maximum a lieu a une tcmpe'rature plus basse que pour l'eau pure. Les dissolutions sur lesquellcs I'auteur a ope'rc sont celles de sel marin , dc chlorure de chaux , de sulfate de sonde et de sulfate de potasse. M. Arauo fait remarquer que la question dont s'est occupe' M. Des- pretz se lie a une tres-grande question de ge'ograpliie physique , celle ([ui se rapporte a I'e'tat de la mer a de grandes profondeurs dans les re'- gions polaires. Blagden autrefois avail admis pour l'eau sale'e un maxi- mum, corame le fait M. Despretz; mais son opinion , combatlue par JM. Marcet, puis par M. Hermann, elait a peu prcs abandonne'c ; si ■ !Vr.-Desprrt/, a trouvc moyon de re'fulrr les olijeclions e'leve'es par ces 25o NOUVF.LLES SCIENTIFIQUES ET Li'fTEUAIRES. deux physiciens, ct a appuye I'ancienne opinion par dcs preuves deci- sives, son travail sera certainement d'un tres-haut inte'ret Soiiscription pour Ic nioiiiiinciil a (flevor .i la mcmoirc de (1. Ciivior. — On distribue aux acade'raiciens le prospectus suivant : « Le coup impre'vu qui vicnt de frapper notre grand naturaliste a » re'pandu le deuil non-seulementsur la France, mais sur toutes Ics » parties du globe oil la science est en honneur. Georges Cuvier e'taitun » de ces ge'nies privilegie's qui n'apparaissent qu'a de longs intervalles. » De tout terns la France s'est signalee par son amour ct son respect » pour les grands liommes qu'elle aproduits ; elle sait qu'ils sont sa pre- » mierc gloire, et que cette gloire doit survivre a toutes les autres. » La France sait aussi qu'a I'e'poque oii nous vivons , il est plus utile » que jamais de resserrer le lien fraternel qui unit les hommes e'claire's » dans toutes les parties du monde; elle ne sera point distraite par les » agitations politiques qui la travaillent si violemment du grand devoir » que cette noble conlVaternitc lui impose. » Le roi a deja confie' au ciseau d'un de nos babiles statuaires le » soin de reproduire, pour rAcademie des sciences, les traits de I'im- » mortel Cuvier. » La ville de Montbeliard veut consacrer par un monument la gloire 1) de I'avoir vu naitre. » Ce n'e'tait point asscz de ces liommages pour honorer la me'raoire de » celui dont lestravauxontprofite'al'espece humaine tout entiere. L'opi- 1) nion publique a dcmande davantage; elle a voulu qn'unc souscription » gcne'rale appelatles amis de la science de toutes les nations a concourir » aux bonneurspublicsqu' elle reclame pourl'Aristote dcs terns modernes. » Les souscripteurs se sont offerts de toutes parts ; les corps savans , » litte'raires et politiques auxquels M. Cuvier avait appartenu ont voulu » etre inscrits les premiers. » Pour aviser aux moyensderecueillir ces souscriptions etse concerter » sur la nature du monument a clever, il a paru convcnable de former » une commission composec de quclques membres de I'institut, de I'u- » niversite, du conseil d'etat et de la socie'te d'histoire naturelle (i). '^1) La Socie'tdiVliistoiir /uitiirrlli\ qui :iv;\it ia prcmif-rc ton',u Ic prnjct (run FRANCE. 25 1 » Cette commission le'unie n'a pas dii he'sitei' sur Tcmplacement » qu'elle avail a choisir pour e'riger un pareil monument : quel autre en » ef'fet pouvait mieux convenir que le Jardin des Plantes , theatre de » tous les travaux de M. Cuvier ? » Quant au monument, le produit des souscripteurs en de'terminera » la nature et I'injportance. Toutefois on peut des a present de'cider q^ne » la statue du grand bomme en fera ne'cessairement partie. » Tandis que tous les etats semblent livre's aux convulsions politi- » ques, il sera beau de voir s'e'lever, au milieu de I'agitation generate , » un monument pacifiquc quiattestera, aux ages futurs, que les rivalife's » nationales, I'esprit de parti et les guerres d'opinion n'ont pu de'tourner » les hommes de notre e'poque du culte qu'en touslieux ils rendent aux » sciences et aux letlres. » N. B. Sur I'invitation de M. le ministre de I'instruction publique , MM. les receveurs des colleges et les agens comptables des Academics universitaires recevront les souscriptions des de'partemens. Les consuls de France dans I'e'tranger voudront bien se charger des memes soins. M. Cardot , agent special de I'lnstitut, tiendra la caisse centrale ct rece- vra aussi les souscriptions de Paris. n Ce programme sera adressc' a toutcs les Socie'tes savantes. » Dans le cas ou le montant de la souscription serait siiffisant, cha- » que souscripteur recevrait une gravure repre'scntant le monument et » les traits de M. Cuvier. » Signeiovy, de 1' Academic fianfaise; F. Arago, secretaire pcipe'tuel de r Academic des sciences; GEOFFRoy-SAmx-HiLAiRE , vice-president de r Academic des sciences ; Bureau de Lamalle de I'Acadcmie des inscriptions et belles-lettres j Degerando, conseiller d'etat, membre de rinstitut, president de la commission; David, de I'lnstitut; Ville- main; Duparquet, maitre des requetes au conseil d'etat, secretaire de la commission. A. Brongniart, pre'sident de l.i Socie'te' d'histoire natu- relle ; Percier, architecte memlire de I'lnstitut. riionumcm a elever a la memoirc de M. Cuvier , ayant rcconnu que \c mode II execution auquel clle avail d'abord scuge , presenlait inoins dc facilitc que ce- lui de la nouvelle commission , s'est empressee de sc reiinir 'a ce dernier projet ,• fllr X d( j.i di^poM' nmiisaparldesouJ^eriplinn .M>0 fr. an sccretariiil de rinslilut. 252 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES Election tl'un secrdlairc perpdtucl. — La commission cliarge'c dc presenter une listc de caudidals a la place dc secretaire perpe'tuel pour la division des sciences naturelles , vacante par la mort de Cuvier, a juge' que ce travail etait au moins inutile, tous les acade'miciens connaissant suffisamment les litres de cliacun des prctcndans. L'Acade'mie, reconnaissant la justesse des re- llexions qui lui ont ete' pre'sente'es a ce sujet par les membres de la com- mission , a decide' dans le comitc' secret , qui a clos la prece'dente seance, qu'il n'y aurait point de liste forme'e. En consequence, apres la lecture dc la correspondancc, le president annonce que rc'lection va avoir lieu , et se contente de rappeler I'article du re'gleraent qui exige que les deux tiers au moins des membres se soicnt pre'scnte's a la seance. Pendant qu'on recueille les votes, le bruit se re'pand dans la salle que M. Geof- frey Saint-Hilaire a lenonce' a sa candidature. Le nombre des bulletins deposes dans I'unie estde 45. Au premier toiu' de scrutin, M. Dulong obtient 30 suffrages j M. Flourens ii ; M. Geoffroj '] ; M. Bcudant 5 ; M. Duineril i . II y a un billet blaiic. Aucun des concurrens n'ayant obtenu la majorite absolue , qui est de 'i3, on proccde a un second scrutin, dans lequcl M. Dulong rcunit 3o suffrages. Le president proclame Telcction de M. Dulong. Sa nomina- tion sera soumise a I'approbation du roi. Election d'un canilidat pour la chairc d'anatomie comparde au Musdum d'histoirc natni-elle. — L'Acade'mie passe cnsuite a la nomination d'un candidal pour la cliaire d'anatomie compare'e, vacante au Museum d'histoirc naturcUe par la mort dc M. Cuvicr. La commission chargee de presenter une liste de oandidats se composait de MM. Flourens, Serves, Geoffroy Saint-Hilaire , Dumeril et de Blairwille. Ce dernier, candidal pour la place en question, n'a pas pris part au scrulin pour la formation de la liste; mais a assistc, acequ'on assure, a la deliberation qui a precede ce scrulin. II est portc en premiere ligne sur la listc ; le second nom qui s'y trouve est cclui dc M. Duvernoy. Le nombre des bulletins deposes dans I'nrnc est de /|5 : M. de Blain FRANCE. 253 fille re'unit vingt-deuN. suffrages, M. Duvemoy vingt , M. Flourevs obticnt line voix , il y a deux billets blancs. Le president declare M. de Blainville elu. M. Pelletier commence la lecture de son Me'moire sur V opium , nous en parlerons. Se'ance du \ 6 jidllet. Anatomic dcs anomalies. M. Beltrami demande qu'on lui remette un lezard bice'pliale qu'il avail envoye' il y a quelques mois. MM. Geoffroy Saint-Hilaire et Serres font observer que ce le- zard, qui avait e'te' remis par M. Beltrami, appartenait a un pharma- cien, leqnel en a fait don au Museum d'liistoire naturelle. L'animal a e'te disse'que avec soin, et des dessins fideles ont reproduit toutcs les anomalies que presentait sa structure. Un squclette bien complet a etc' prepare , et , quant a la dcpouille , elle a e'te' dispose'e de maniere a re- presenter parfaitement l'animal vivant , les parties de'tacliees pour com- pleter le squelette ayant etc supple'e'es par des imitations en cire d'une grande ve'rite'. Ces diffe'rentes pieces enricbissent la collection deja tres- nombreuse que possede le Muse'e , des cas d'organisation anomale. Inhumations precipitees. — M. Briere , homme de lettres , demande que I'Acade'mie prcnne I'initiative pour re'clamer la prolongation des mesures propres a empe- cher les suites funestes qui, selon lui, I'csultent fre'quemraent dcs in- humations precipitees. Plusieurs membres font observer qu'il existe a ce sujet des disposi- tions le'gales tres-sages , et qu'il faudrait seulcment surveiller davantagc leur execution, s'il e'tait vrai, commele pretend I'autcur, que des indivi- dus repute's morts eussent e'te victimcs de la precipitation qu'on aurait raise a les enterrer. Ces faits, il faut le dire, sont maintenant excessive- ment rares; ceux que les journaux reproduisent de tems ea tcms so trouvent presque toujours faux des qu'on remonte aux sources. Statistiquc. — M. Benoiston de Chdteauneuf prc'sente un Me'moire de statisti- qiie sur les lois de la mortalite dans les armees francaises. 2^4 NOUYELLES SCIENTIFIQUF.S ET LITTER AIRES. — • M. Corbeaiix de fVinchelsea achesse un Me'moire sur les /oi.s lie la populrttiun , dc la vitalile et de la mortalite. MM. Girard , Diipin ct Navicr sont nommcs commissaircs. — M. Thenard fait un raiiport tres-favorable sur un Me'moire de M. Dumas relatif a la composition du minium. Si ce Me'moire n'avail etc imprime , dit le rapporteur, j'en aurais propose I'insertion dans le Recueil des savans etrangers. Chirurgie. — M. Se'galas presente un instrument a I'aide duquel il pense fjuon pourra relirer de la xessie les bougies et les sondes de gomme elastique qui y seraient tombees. Son instrument sc compose d'unc pince a branches minces , e'troites et inegalement recourbees , se mou- vanl dans une canule me'tallique , semljlable pour la forme a une sonde ordinaire. Lorsquc la pince s'est refermee sur le corps e'tranger , qui des lors ne 2'cut plus lui e'chapper , clle est retiree dans son e'tui au moycn d'une vis dc prcssion , el Toblige d'y pc'ncti'cr aprcs elle en se ployant sur lui-meme. 11 en re'sultc q>ic ce corps, quand on le retire, n'est jamais en contact avcc les parois de I'uretre , et que, lors memc qu'il serait hc'risse de concretions forme'es par le depot des sels de I'u- rine, il ne pourrait dans sa sortie produirc aucune lesion. Anatomic. — M. DuMEKiL fait, en son nom et celui de M. Geoffroy-Saint-Hi- laire, un rapport sur la premiere partie d'un ouvrage manuscrit de M. Breschet, intitule : Etudes anatomiques et pathologiques de Vceuf dans Vespece humaine et dans quelques-unes des principales families des vertebres. Dans ce premier Me'moire, Tauteur, apres avoir expose dans une savantc introduction I'histoire de la branchc de I'anatomie qu'il a en- trepris de trailer, s'occupe de de'crire les membranes de I'ceuf el les liqnidcs qii'clles contiennent a une ccrtainc c'pnque on pendant la duree entiere dc la vie fcetale. Les re'sultats de ses rerherches peuvent se re'sumer dans les propositions suivanles : II se forme, au moment de la fe'ccmdalion dans I'intcrieur de I'ute'- rus, une faussc membrane (la caduque primitive ou perione primitij\ FRANCE, 255 analogue a ccllc qui se secrete dans un grand nonibrc d'inflammations ; c'cstunepoclic raembraneuse fcrmee de toutes parts, laquelle contient un liquidc {V hjdrope'rione de I'autcur ). Al'arrive'e del'ovule dans I'ute'rus, cctte poclie I'enveloppe dc touts part, et forme ce qu'on noinme la membrane caduque re'fle'chie (perione rejlechi). Ces deux membranes existent entre rutc'rus et le placenta , comme sur le reste de I'oeuf. Elles contiennent d'abord entre leurs lames Vhy- droperione , Icquel dispjirait quand le placenta commence a se former. Le perione sert a la nutrition de I'embryon pendant les premieres phases de la vie uterine; la nutrition alors s'exerce par une sorte de me'canisme analogue a celui de I'endosmose. La meme disposition est commune a Toeuf dc I'liorame et dc tous les mammiferes. Les membranes caduqucs sc ferment partout ou so de'veloppe I'ceuf , lorsque la grossesse est extra-uterine. Ces membranes ainsi que Vhjdroperione constituent un petit appa- reil de nutrition de I'oeuf pendant les premieres pe'riodes de a vie ute- rine , apparcil qui pcut etre compare a i'organe que les pbysiologistcs onl de'signe' sous le nom de nidamenluni. L'auteur annonce que la description qu'il donne de la membrane ca- duque a e'te pre'ce'de'e par I'examen de plus de soixante oeufs humains , a diffe'rens points de de'veloppement, ct que c'est d'apres les pieces raemes , fraiclies ou conserve'es , qu'ont e'te faits les dcssins colorie's qui accompagnent le lexte : L'Acade'mie, conforme'ment aux conclusions de ses commissaires, or- donne I'imprcssion du Me'moirc de M. Breschet dans le Recueil des sauans e'tran gers . Seance tin 'io jiiillel. Unclettre du docteur Clement annonce la raortde M. Portal. — Le secretaire de V Inslitittion royale de la Grande-Bretasne adrcsse a 1' Academic une lettre de condoleanre h I'occasion de Ja mnrt de M. Cuvier. « Cuvier, dit cctte lettre , s'etait , par la puissance de son genie et la » vaste e'tenduc de ses connaissanccs, place dans la science an rang le 2 56 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. « plus eminent qn'il soil donnc a nn liomme d'alleindre. Sa moit n'csl )) pas line portc pour la France seulement, mais pour Ic inonde enlicr. » L'InstiUition royale, qui le comptait dans le tres-petit noiubre dc sa- » vans e'lmngers qu'elle s'est adjoints coiumc menibres honoraires , » deplore vivcmciit un e've'nement qui la privc dc Teclat que cct illustrc » nom rcfle'cliissail sui' elle, et de I'exemple qu'il lui donnait par ses » adaiirablcs travaux. » — Le doctcur.jDt^sgereetfes sepre'sentecoraiue candidal pour la place de niembre lionoraire, vacante par la mort de M. de Cassini. — M. Gaudin adresse un tableau lithograpiiic, destine a montrer V arrangement des atomes dans les corps doues de lafacidte de cristalliser. Botaiiique. — M. AuGUSTE Saint-Hilaire fait , en son nom et celuideM. La- billardihe , un rapport tres-avantageux sur un travail de M. ^4lfred Moquin, relatif aux irregularite's de la corolle dans les plantes dicotyledones. L'auteur, apres avoir ctudic' les differentes irregula- rite's que prc'sente cette partie de la (leur , montre que ccs irregularite's ne sont jamais telles qu'elles cffacent comple'tement les traces du type primitif. Zoologie. — M. Geoffp.oy Saint-Hilaire douue de nouvelles explications I'cla- lives an le'zard bicc'phale reclame' par M. Beltrami , et que le veritable proprie'taire , M. Rigail, a destine a cnrichir la collection du Museum. L'honorable acade'micicn prc'sente la preparation du squelette et celle dc renveloppe du petit animal avec les dcssins qui reprc'sentent la dispo- sition de ses organes internes j il annonce que des details trcs-inle'res- sans , transmis par M. Rigail sur les mceurs du saurien monstrueux , trouveront leur place dans un Me'moire oil tons les details d'anatomie te'ralologiqucs qui ont etc' observes dans cc cas seront amplement exposc's. Elcctro-chiiiiic. — M. Becquerel lit un Mcmoirc sur le carhonale de chaux el ses composes. FRANC K. 2^7 Un Iroiive le carbonate calcaire dans Ics tcirains Ifs plus ancicns, oil il forme souvent des montagnes entieres. II s'y rencontre dispose en couches d'une texture < listalline , tantot saccharoide , tantot plus ou moins lamelleiisc. U forme presque entierement les terrains secon- daires , dans lesquels il presente une structure tout-a-fait compacte. Dans les terrains tertiaires , il est encore fort abondant • il y est jaunatre, peu compacte et plus ou moins solide- Dans les tufs et les concre'tions qui continuent a se former a la surface du globe , il n'en est pas moins pre'dominant J enfin il entre dans la composition d'un grand nombre de corps organises. Les varie'te's dc formes que presente le carbonate de chaux sont en nombre immense; mais elles peuvent toutes se ranger en deux classes. Dans la premiere se trouvent celles qui ont pour forme primitive un rhomboedre, dies appartiennent au calcaire proprement dit ; dans la deuxieme sont celles qui ont pour forme primitive un prisme droit rliomboidal , elles appartiennent a I'arragonite. On ignore encore les circonstances qui de'terminent la cristallisation dans le systeme rliomboidal ou dans ie systeme prismatique. Tout ce qu'on sail a cet e'gard , c'est que I'arragonite se trouvc dans des gites particuliers ( dans des terrains volcaniques ou metalliferes ) qui ont dii influcr sursa formation. Quand ces deux substances sont cristallise'es, rien n'est plus facile que de les distinguer I'une de I'autre au moyen du cUvage , de la mesure des angles et de la durete ; mais, quand elles ne le sont pas , il faut avoir recoursaunproce'de'particulierque M. Becqucrcl fait connaitre, et a I'aide duquel il prouve que le flos-fem, les concre'tions appele'es drawees de Tivoli, le marhre blanc lamellaire , presentent le cli- vage du rhomboedre, tandis que les stalactites fistulaires, Valbdtre de Mojitinartre, etc., presentent celui dc I'arragonite. M. Becqiierel de'crit ensuite un appareil a I'aide duquel , en mettant en jeii des forces electriques, il fait cristalliser I'airagonite. La forme qu'il a obtenucpour celte substance est celled'un prisme quadrangulaii-e, termine par deux sommets diedres; c'est cellc sous laquelle elle sc presente dans la nature. Le memc appareil liii a servi a former le double carbonate de chaux et de magiiesie cristallise (la doloiuie) , le j'l-otoxide de cuivre et les ctibonales bleus et verts de cuivre. L'analyse TOMK LV. JUTLI.ET 1852. 17 ■258 NOIJVELLES SClKNTlFIC^liKS ET LITTERAlRKS. lui a montre que les cristaux d'arragonite qu'il a oblenus onl aliso- lumcnt menie composition que ceux dii spalh ralcaire, et nVn difliTcnt que par la cristallisation. Chimie. — M. Pelletier tcnnine la lecture de son Memoire sur Vopium. Dans la premiere partie de ce Memoire I'auteur rappelle les diffe'rcns travaux dont I'opium a e'te Tobjet, et indique quel a e'te son but en en- ircprenant de nouvelles recherches sur un sujet qu'on pouvait croire e'pnise'. II s'est propose de retirer d'une seule et meme quantite' d'opium tons les principes imme'diats qui y sont contenus. Les modifications que, pourrcmplir cette indication, 11 a ete oblige de faire subir aux. proco'des employe's avant lui , I'ont mis sur la voie d'une dc'couverte a laquelle il n'avait pas d'abord songe', celle d'un nouveau principe immcdiat, la narce'ine. Dans le proce'de' suivi par I'auteur, on commence par dissoudre I'o- pium dans I'eau froide qui se charge de I'extrait aqueux , et laisse un marc dont les proportions sont asscz constanles. L'extrait aqueux e'tant dissous de nouveau dans I'eau , il reste une matiere gi'enue qui, purifie'e, est de la narcotine; on chauffe alors la li- queur de'cante'e, et on y ajoute de Tamraoniaque qui donnc lieu a la for- mation d'un prccipite grenu soluble dans i'alcool et cristallisable. Le pre'cipite' est de la morphine, me'lange'e, il est vrai, assez souvent de narcotine, mais qu'il est aise de lui reprendre par I'ether. Dans la liqueur, ainsi depouille'e de morphine , on verse du muriate de baryte qui occasione un pre'cipite' compose' en grande partie de me'conate de baryte : ce sel unc fois recueilli et dc'pouille' par Talcool i)ouillant de sa matiere colorante, on en retire I'acide me'conique en lui cnlevant sa base par I'addition d'une certainc quantite d'acide sul- fur ique. La solution d'oii Ton a deja retire la narcotine, la morphine et I'acide ra^conique contient , apres qu'on en a retire le me'conate , ud exces de la baryte employee. On enleve celle-ci par le sous-carbonate d'ammoniaquc, apres quoi on concentre la liqueur; puis on I'abandonne a elle-memc en un lieu froid ; au bout do quelque tems il s'y forme un depot pulpeux qu'on recueille sur un linge qu'on desseche par expression et qu'on dis- FRANCE. aD9 sout ensuile dans I'alcool . On puiifie la tcinture par le charbon , puis on la laisse cristalliser : on obtient ainsi iine substance en aiguilles blanches, siil)stance qui , purifie'e par I'e'tlier, est le nouveau principe imme'diat que I'auteur de'signe sous le nom de narceine. L'e'tlier qui a servi a cette purification laisse souvent une substance cristallise'e tres-singuliere , entrevue par Dublanc , puis mieux e'tudie'e par Courbc , la Meconine. On trouve aussi dc la meconine dans I'alcool oil la narceine a cristallise; on la retire par rcther de la raatierc extractifornie que laisse cet alcool en s'e'vaporant. II arrive parfois que la meconine retienl une portion de narcotine qui, comme elle, est soluble dans re'thcrj on opere la separation, en dissolvant la meconine dans I'eau bouillante; die se se'parc alois de tonte narcotine, et cristallise par ie refroidissement. Outre les substances que nous venons d'indiquer, il existe encore dans la solution aqueuse d'opium une maticre gommeuse qu'on pre'ci- pite par I'alcool, et une matiere extractiforme acide qui a bcaucoup d'affmite pour les oxides me'talliques. On 1' obtient en la precipitant par un sel de plomb ; on enleve ensuite le plomb au moyen de I'hy- drogene sulfure'. La partie de I'opium qui n'a pas e'te dissoute par I'eau froide est alors reprise et traite'e par I'alcool , qui s'empare de la re'sine , d'un acide gras et de la plus grande partie de la narcotine, dont une tres-pe- tite proportion a passe' dans la solution aqueuse. Par la crisfallisation on isole la nai-cotine contenue dans ce compose'. Quant a la matiere grasse et a la substance re'sineuse, on les separc Tunc de I'autre au moyen de I'ether, qui n'agit point sur la re'sine, tandis qu'elle dissout I'acide gras , qu'elle abandonne ensuite en s'e'vaporant. Lorsqu'un peu de narcotine rcste encore uni a ce corps gras, I'acide hydrochloriqup la lui enleve. La partie de I'opium qui ne s'est dissoute ni dans I'eau ni dans I'al- cool se compose de caoutchouc, de bassorine et de ligneux. Le caout- chouc est enleve par I'ether , et le ligneux est se'pare de la bassorinf par I'acide hydrochlorique. Les principes imme'diats, successivcment se'pares par les proce'de's qne nous avons indique's, sont au nombre de douze, savoir : morphine. 26o NODVKLLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. narcotine, ineconitie, naiccine, acide lue'coniqne, acide biun, matiere gras^e acide, re'sine caoutchouc, gommc bassorine cl lignoux. La narce'inc , la seule de ces doiize substances qui soit cnticrcmcnt nouvclle , se distingue par les caracteres suivans : elle crislallise en aiguilles, qui sonl dcs prismcs a quatre pans tres-de'lie's ; cllc est soluble dans ralcool et dans I'eau, insoluble dans I'e'ther; sa saveur est amere et stiptiquc; die n'cst point volatile j elle se fond a g-2° cent. Son caractere principal et distinctif consiste dans la belle couleur bleue qii'elle prcnd en se conibinant avec des acides a un certain dcgrc de concentration ; ces combinaisons avec Ics acides sont de la nature des sels, on en pent rctirer la base non alte'ree. Par la distillation a feu nu la narccine donnc, entre autres produits, un acide cristallise en aiguilles qm presenle les caracteres de I'acide gallique. M. Pelletici- teruiine I'hisloirc de celtc substance singuliere en faisant connaitrc sa composition cle'mentaire et sa fonnule atomistiquc. Suivant la reuiarquc de M. Pelletier, des doiize substances qui entrent dans la composition de I'opium, quatre sont electro-positives, c'est-a- dire proprcs a faire fonclions de bases (morphine , narcotine , me'co- ninc et parce'ine ); quatre elccti'o-ne'gatives , c'est-a-dire faisant fonction d'acide (acide rae'conique, acide brun , acide rae'conique et re'sine), et quatre enfin sont chimiquemcnt indiffe'rentes (caoutchouc, gomme, bas- sorine et ligneux). Les ju-oprie'te's actives de I'opium paraissent re'sider dans les substances electro positives. Toutefois lexperience n'a pas en- core confirme ce f;\it relativement a la narce'inc. Seance tlu 3o juUlet. Le president annonce la mort de M. Chaptal, qui a succombe la veille a une hydropisie de poitrine. Candidature. — M. le docteur Clement se pre'sente comme candidat pour une des deux chaires d'anatomie laissecs vacantes par la mort de M. Portal. II rappelle que depuis quinze ans il a supple'c sans retribution dans I'une et daus I'autre le professeur titulaire. — M. Sniibeiran Acmnnde a ctre presente par I'Acade'mie comme FRANCE. 261 candidal pour la chaiie d'histoire naturelle vacante a I'e'cole de pliar- macie. — M. Firey adresse une semblable demande. — M. Bory-Saint-Vincent ecrit que son intention e'tait de se niettre sur les rangs pour la place de n'erabre honoraire vacante par la mort de M. de Cassini, raais, qu'ayant appris que M. le docteur Dcsgenettes se pre'sentait pour la raeine place , il croit devoir lui ce'der Ic pas. M. Rafer annonce qu'il a invente une nouvelle forme d'ae'rostats et un mc'canisme propre a les diriger dans I'air; il demande qu'ou lui de'signe des commissaires auxqueL il puisse communiquer les de'tails de son invention. — MM. Savard et Navier sont charge's d'en prendre counais- sance. Chimie. — M. ^asy annonce un travail qu'il vient de terminer sur une ma- tiere particuliere qui uiendrait se placer aupres des gommes comme type d'une nouvelle espece chimique. Getle matiere , dit-il , est ca- racte'rise'e par une saveur extremement acre, par sa solubilite dans I'eau a laquelle elle donne, nieme quand elle y est en tres-faible proportion, la proprie'te de mousser considerableraent , comme ferait une dissolution de savon. Elle se distingue des gommes en cc qu'elle est soluble dans I'alcool bouillant, d'ou cllc se pre'cipite en grande partie par le refroi- dissementj elle ne se convertit point en acide muciquc par I'acide ni- triquej elle donne au contraire une matiere jaune amere, qui se de- compose par la chaleur, en fusant a la manicre de Tamer au minimum de M. Chevreul. . Ossemens fossiles. — M. Latreille pre'sente plusieurs pieces mutile'es d'os trouvees re'ccmment dans une carriere de c ale aire , situe'e pres de Sainte- Vertu , canton de Noyers, departemens de I'Yonne. La piece principale est un corps de vertebre qui, examine par M. Valenciennes, a paru a cet habile naturaliste provenir de la region lombaire d'une espece de plc'siosaurus. Cette vertebre se distingue par plusieurs caractcres de I'cllcs que possedc la galcrie du Museum, ct ainsi on doit atlacher beau 262 NOUVELLES SCIKNTIFIOTJES KT LITT ERAIRES. coup d'intc'ret a la de'couvcrte dc noiiveaux fragmens. M. Gauthenu , e'leve en medecine, a qui on doit la connaissance de ces os, doit suivrc les travaux des carriers, afin d'obtenir, s'il est possible , d'autres par- ties du sqiiclette. Zoologie. — M. Quoj, correspondant de I'Acade'inie, adresse I'enscmble des ob- servations qu'il a faites siir les mollusques, pendant la dure'e du voyage de V Astrolabe. Ces obscn'ations formeront ensemble -i volumes in-8", avec un atlas in-folio de g5 planches colorie'es. MM. de Blainville ct Latreille sont nomme's commissaires. — MM. y^udoin et Milne Edwards prc'sentent a rAcade'mie Ic premier volume de leurs Recherches pouv servir a Vhistoire naturelle du littoral de la France. Ces deux auteurs se proposent de re'unir dans cet ouvrage tous leurs travaux sur les animaux marins de nos cotes ; travaux dont plusieurs parlies ont e'te dcja, a diffe'rentes epoques, souiuises au jugement de 1' A- cade'mie. Le premier volume qvii vienl de paraitre se compose de trois parties assez distinctes. La premiere est en quelque sorte I'historiquc des voyages que les auteurs ont faits sur les cotes de la Mancbe : ils y de'crivcntlesdiverses localite's dont ils ont ctudie'Ia faune, et ajoutent IVe- qucmment des observations sur la constitution ge'ologique de ces points. La seconde partie se compose de deuxMcmoires dc M. Milne Ed- wards sur I'etat actuel de la pecbe maritime , sujet qui se rapporte en meme tems a riiistoirc naturelle et a la statistique. Dans le premier, I'auteurtraite dela petite peche, c'est-a-dire de celle qui se pi'atique pres des cotes; d'apres ses rechercLes, cette peche occupe annuellement de vingt-six faille a v ingt-neuf mille marins. Le second Me'moire a pour objet la grande peclie qui se pratique dans des parages lointains, et qui a pour objet la mome, la baleine, etc. Dix mille matelots , termc rnoj'en , j sont occitpes , et les produits s'tilei>ent chaqiie annee a line valeur de i() ou I'j millions. La troisieme partie du volume se compose de reclicrches statistiques faites par M. Audoin sur les naufrages qui ont lieu le long dc nos cotes. I/auteur s'at'.ache |irinci]wli'm('nl a I'eKamen dc I'influence des saisons pf des diverses rirconstances natureiles sur la frequence dc ces e've'ne- mens. FRANCE. 263 Chiiuie. — M. Chevreul lit plusieurs notes destiiie'es a servir de complement .111 rapport qii'il avait fait pre'ce'demmcnt a rAcade'mie sur les bouillons de la Compagnie Hollandaise. Ces notes sont relatives : i° au cuivre contenu dans le froment; 2° a !a proportion de matiere soluble que I'eau extrait de la viande et des legumes dans la pre'paration d'un bouillon de bonne qualitc; 3*" aux pte'nomenes que pre'sentent quelques legumes lorsqu'on les met dans I'eau distiUe'e ct dans I'eau de chlorure dc so- dium; 4" a I'influcnce des diverses eaux sur la cuisson de la viande de bceuf; 5* a une matiere nouvelle contenue dans la viande de boeuf. , — Le meme academicien fait, en son nora et celui deM. Gay-Lussac, iin rapport (res-favorable sur le Me'moire AePelletier, relatif a ropium, et conclut a I'insertion dans le Recneildes sai'ans elrnngers. Ces conclusions sont adopte'es. SOCIETE l'UtLOTECll\iyUE. Le 3 juin dernier, la Socie'te Pliilolcclinique, pre'sidee par M. de Pon - GERViLLE , a tcnu sa se'ance publique annuelle. C'est iin usage general . parmi les socie'te's savantes ou litte'raires , d'ouvrir leurs seances publi- qiies par un compte rendu de leurs travaux. Rarement cette seclie no- menclature captive I'attention de I'assemljle'e ; et c'est , il faut en con- venir, la tacbe la pi us difiicile qu'aient a rcmplir MM. les secretaires pcrpetuels. CependanL, pjr des pense'es inge'nieuses sur les rapports de la litte'ratui'e a la civilisation , et sur les encouragemens que reclament certaines branches des sciences et des arts, M. Ladoucette a su relever rimportancc dc cette table abrege'e des matieres, comme il I'appela ku-meme. — M. Mi(;halx(Clo\ is)a ensuite rcUace en vers lamortdcCbramne, Ills dc Clotairc r*". L'auteur peint le vieillaru tourmente par ses re- mords, craignant d'avoir c'te' trop fidelemcnt obe'i , re'voquant en pere lendre Toidrc ([u'il ,■< donne en roi cruel . et veiiani , dans Ic silence des 264 NOIIVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIKES. niiits, crier aiilour J'linc chaumierc que la flainme a de'vorcV , de- mander, appcler son fils... " Son fils ! I'affroux vkillarJ I'oiilait aii\ picds sa londrc! » — Deuxjolics fables de M. Ladolcette ont agrc'ableracnt contrasle avec les tcintcs soiubrcs et tragiques dii morceau prc'cedcut. — M. Payen a ])resente' une sorle d'etat de situation des progres de V Industrie , a laquelle son cours, rcproduit par la stenographic, rend de si iinportans services. — Ce(/?^eMO«5/ male nunc, et olim sic erit. CUEMINS DE FEB ET VOITLUES A VAPEUR A UOANi\E. Les journaux anglais et les rc'cits des voyageurs nous ont fait connaitre la mcrveiileuse vilesse avec laquellc les machines locomotives parcourent depuis un au le chemin de ferde Liverpool a Manchester, a la grande sa- tisfaction des habitans de ces deux villes et des nombreux e'trangers qui y sont attire's. De'sormais , nous n'aurons plus besoin de passer le detroit pour etre tcfmoins de cette e'tonnante de'couverte. Le chemin de fer de la Loire , de Saint-Etienne a Roanne, qui est ouvert sur les neuf dixiemes de son e'lcndue , possede maintenant deux machines locomo- tives construites , I'une par M. Stephenson de Newcastle, et I'autre par MM. Fenlow et Murray de Leeds. Le premier juillet , la premiere de ces machines a e'te mise en experience, avec le concours du pre'fet de la Loire, des autorite's du de'partcment , et d'un grand nombre de curieux et de dames. Le convoi e'tait compose de dou/.e voitures rcnfermant quatre cents pcrsonnes; Tune de ces voitures en porlail qu.Hre-vingts a rile seule. 206 NOUVELLES SClKNTiFIQ UES ET LITTERMRES. Comrne c'e'tait uue des premieres sorties delaniacluiie, el que iiiemc le niagasinaeau ct acharbonn'ctait pas encore arrive, la niarche des convois ii'a pu etre aussi rapide, aussi re'guliere qu'elle le deviendra lorsque le service sera regie. Ccpeudant les re'sultats obtcnus sont tres-satisfaisans : vingt lieues ont e'le parcourues en deux heurcs et cinquante minutes de marclic effective. Le trajet de Feurs a Moutroud, d'une longueur dc trois lieues, a etc parcouru en quinze minutes , ce qui donne une vitesse de douze lieues a I'heure j par moment elle s'est e'leve'e a 1 3 treize et raeme a quatorzc lieues a I'heure. La machine brule du coke el nc doiino aucunc fume'ej la vapeur pro- jetee dans la chemine'e dispense de ventilateur ou d'autre machine souf- flante. Toutes les persounes qui ont assiste' a cette fete d'un genre si nouveau, et parliculiercmenl les dames, se sont retire'es Ires-satisfaites de la ce'le'rite et de la surete d'un voyage qu'elles ont pu faire sans e'prou- ver la moindre fatigue, et elles ont senti tout le prix. dont serait ce che- min de fer prolonge juqu'a Paris pour Te'lablissement d'une communica- tion rapide entrc le midi et le nord de la France. REVUE DES THEATRES. Theatue-Fuancais. — Dcpuis le Mail de la veiwe , qu'on n'a pas applaudi , et le Dueliiste, qu'on a siffle , le theatre de la rue de Riche- lieu s'est obstine a vivre sur son ancien reperloirc. Ce n'est pas que quelques nouveaiite's n'aient ete promises sur I'affiche ; mais divers obstacles paraissent avoir e'te' apportc's a la representation. On cite entre autres Bianca Capello , de M. Leon Buquet , et Cains Gracchus , dtame en cinq actcs , ([ui ont disparu sous les ciseaux de M. d'Argout. l\1ais,parcomj)ensalion,onassureque M.CasimirDelavigne et M.Victor Hugo vont presenter chacun im nouveau drame. Cclui dc M. Hugo a ponr litre : le Roi s' amuse. — Parmi les nombreux deljutans qui, dansle cours des derniers mois, se sont succcde aux Franrais, aucnn n'a donne assez d'f.sperances pour etre rngagr. Crpcnrl.-nil , romme Ic bcsoin d'une re- FRANCE. 267 novation , au moius partielle , du peisounel the'atral se I'ait vivement sentir , le comite, d'accord avec le commissaire du roi, a pense, mal- gre la tres-vive opposition des lideles routinieis , a de'poser aux mains de Bocage et de quelques autres acteurs de la nouvcUe e'cole , le sceptre laisse jusqu'ici a celles de MM. Desinoiisseaux , Dumilatre et de ma- dame Paradol. Que la Come'die-Francaise y refle'chisse; si elle ne veut pas continuer a etre de'serte , il lui faut entrer liardiment dans la voie dc la litte'rature nouvelle, et appeler d'autres sujets dans son sein. II n'y a pas de milieu. Gymnase. — Sara, ou V Invasion, par M. Masson. — On sait quelles sont au theatre les consequences des invasions pour les jolies femmes. Ce sont pre'cise'mentces re'sultats que redoute mademoiselle Sara, jeune personnede vingt-cinq ans et d'une innocence niaise. Pendant quf les Francais entraient dans la ville de Drcsde , mademoiselle Sara s'csl e'vanouiej et , en reprenant ses esprits , elle a trouvc a cote d'elle un hussard. Mademoiselle Sara ne doute pas de ce qu'elle nommc son malheur; elle en fait confidence aundocteur, son neveu , et lui demande conseil. Celui-ci imagine de faire passer son propre fils pour celui dc Sai'a, el, melant un narcotique a sa boisson, il la plongedans un profond sommeil , au sortir duquel il lui pre'scnte un enfant qu'elle vient, dit-il, dc metlre au monde. Mais voila que le criminel hussard reparait dans la ville ; mademoiselle Sara lui offre sa main et sa fortune. On decou vrc alors (jue le pre'lendu se'ducteur n'est autre qu'une modiste deguisce, et Ton acquiert ainsi la preuve que la vcrtu dc mademoiselle Sara est deracureV intacte , ce dont elle se desole avec uue naivete' charmante. — Clotilde, par M. Ancelot. — C'estune piece toute composee d'en- Ire'es et dc sorties. II y a d'abord M. Allan qui entreavec M. Paul, et puis M. Paul et M. Allan sortent. Mademoiselle Fay entre et sort sept ou huit fois. Elle finit par entrer dans la chambre de M. Ferville , ({ii'ellc n'aime pas , mais qu'elle vent c'pouser, en se comprotnetiani . M. Allan rentre ct s'e'tonne dela trouver la. M. Paul entre et M. Allan sort. Mademoiselle Despreaux entre et M. Paul sort. Mademoiselle Fay renlrc , M. Ferville rentre , tout le monde rentre. Mais le public sort etjure bien dc n'y plusrentrer. — Une Seduction, par MM. Ax.elot ct Auger. — M. de Savigny ^st un noble , Delaroche. Voici I'analysc des principalcs situations de ce ballet. Lc premier acte se passe dans rerniitage d'Antoine. Apres plusieurs scenes sans inte'ret, un orage terrible se prepare , et les pasteurs qui e'taient venus , charge's de presens , visiter Termite, se retirent avec eftVoi. La tempete c'clate ; une jeune fille , a demi morle de froid et de fatigue , se pre'sente a la porte de I'ermitage, et y dcmande asile. Antoine la recoit et la secourt de son mieux ; il lui fait boire un peu de vin, qui la rechauffe et lui rend la vie ; et lui-meme, pour mieux feter cct heureux re'tablissement , essaie d'en boire quelques gouttes. II y prend goiit, et redouble jusqu'a ce que, enivre' par la liqueur et par les charmes de la jeune fdle, il selaisseen- trainer a de coupablcs de'sirs. Marie e'pouvantee se pre'cipite aux pieds d'une statue de la Vierge, qu'elle enibrasse avec ferveurj I'ermite veut Ten arracher : elle re'siste. C'est au moment oil , emporte par une pas- sion aveugle , Antoine va consommer sa perte e'ternelle, qu'il est frappe par le feu du ciel, et tombe a ten c sans vie. Les demons, avertis de cette mort, sortent de leur empire soutcrrain , et viennent pour s'emparer de son corps 5 a leur tour, les anges descendent du ciel et le re'clament. Une discussion s' engage et, sans la resoudre, ils de'cident entre eux que i'er- mite reverra le jour, et que,tente' trois fois par les enfers, s'il succombe il deviendra la proio des puissances infernalcs, s'il re'siste il raontera au 270 NOliVELLES SCIENTIFIQirES ET LITTERAIRES. ciel. C'est rarchange Mizael, sous les trails de niadame Dabadie, qui, le glaive flamboyant a la main , guide les colioi tcs celestes. Le rappro- chement dc CCS demons liorribles et de ccs anges aux ailes blanches, porte's sur un nuage eblouissant , de ces monstrcs soitis des cntrailles de la terre et de ccs legions lumineuscs qui descendent du ciel en chan- tant des cantiques , est de I'effet Ic plus poctique et le plus surprenant . C'est I'enfer et le paiadis de Milton. Le deuxieme acte sc passe dans le sombre sejour du roi des enfers. Le theatre repre'scnte, d'un cote , des rochers amoncele's a une assez grandc distance pour que les nombrcuses arme'es dc Satan puissent circuler a I'aise sur la scene j et de I'autrc, un escalier immense, a perte de vue. C'est dans ccttc enceinte, ademi eclaire'e d'un jour funebre, que Ton voit , seals d'abord, deux diables dont I'un commande a 1' autre, Asta- rothet Belial. La couleur vive et tranche'e de leurs corps elde leuis ailes a demi consume'es attcste le passage des flammes. Lc plus puissant or- donne a I'autre d' assembler ses arme'es , cl Belial obe'issant , apres avoir parcouru dans lous ses sens I'espace ouvert aux yeux des spectateurs , gravit enfin I'escalier infernal. Parvenu au sommet, il agite un moment ses ailes funebres, fait un signe, et les tambours qui doivent pre'ce'der la marchc formidable des troupes d'Astaroth se font entendre. C'est alors qu'on voit descendre lentcment ccttc prodigieuse arme'e: sapeurs en tete. armes de toute cspecc et les plus e'tranges, e'trndards dc'ploye's, dia- blesses toutes noires,iicche's cap itaux, demons menafans, vieuxct jeunes, la bache en main, la lance au poing, plusieurs avcc une enorme ma- choire en guise de faulx, rien n'y manque. Astaroth les contcmple avec orgueil. II faut perdre Antoiae, il faut preparer habilement les pie'ges ou sa vertu doit succomber, c'est pour cela qu'il les a tons rassemble's. Un premier enchantemeut s'opere. Plusieurs animaux inimondes sont jete's dans une cuve , iin feu actif hate leur decomposition et leur melange, les demons les plus puissans y president. L'enfcr croit triompher, mais e'est un moustre affrcux qui sort de la chaudiere et que Ton presente aux yeux d'Astaroth, qui le repousse avec horreur. L'cnchantoment recom mence, et cette fois, une charmante lille, mademoiselle Duvernay son de la cuve. En voyant la belle Miranda, I'enfer exprime sa joie par un chceur ou plufot par des hnrlemens horribles. C'est Miranda que Ton choisit potir tenter Termite. FRANCE. ayr La decoration du troisieme acte repie'sente uii chateau habile par dc riches seigneurs , dans le fond du theatre un pare et unc piece d'eau , snr le devant un croix. Celte decoration charmante est de M. Roque- plan. Les diables se sont pour cette Ibis de'guises en chatelains. An- toine , epuise de fatigue et de besoin, se presente a la porte du chateau ; on lui en refuse rcntre'e,a moins qu'il ne consente a renverser la croix voisine. 11 re'siste : Miranda elle-meiae tente le saint inutilement. Des pelerins arrivent et se joignent a Termite pour demander un asile et du pain. On les refuse. lis chantent des cantiques, et Miranda, touche'c de leurs voix et de leurs prieres, essaie eJle-meme de prier. Elle s'c- loigne un moment et rerient leur distribuer quelque nourriturc a I'insu de ses redoutables maitres. C'est dans ce moment que Ton voit une tache noire qu'elle avait au coeur, conirae I'indice de son affreuse origine, disparaitre. La charite I'a sauvc'e. Cependant les diables , auxquels se sont joints des chasseurs revenils des bois , se rejouissent bruyammcnt ; et , tandis que les uns, richement habillc's , font bomljance dans le pa- lais magnifiquement illumine , les autres , dans leur accoutrement in- fernal avec leurs comes sur la tete, font la cuisine a I'e'tage inferieur. C'est encore la un tres-singnlier contraste. Les demons s'aperfoi^ieDt enfin de la pieuse fraude de Miranda et la maltraitent avec furie. Dans sez a tems pour le sauvel" de ce dernier crime. Dans sa juste colere , il ordonne la mort de Tennite et celle de Miranda, qui conduisait son bras, et tons deux, poursuivis par les gardes , traverscnt les diverses galeries, et se preci- pitent enfin dans la mer pour e'chapper au supplice. Le cinquieme acte n'est qu'une faible imitation de la gravure de Callot. Ce sont les diables qui, par les formes les plus hideuses, ten- tent d'epouvanter le saint. Antoine ne se laisse pas ebranler. Les anges descendent eux-memes du ciel , combattent les demons , et avec .272 NOllVELLES SCIENTIB'IQUES ET LlTTEftAlRES. Icui sccoiirs rpiniite Ics fait rontrer dans leurs sorabrcs caveines. Le liel s'ouvie enfin el laisse voir les nue'cs d'anges et d'archangcs qui ee- lebrcnt la gloire dc Dieii. On voit que cettedonne'e n'est pas sans rapport avec cellc de Roberl- le-Diable. C'est encore la lutte du ciel et de I'enfer, c'est la situation d'un liomme place entre la puissance du bien et celle du mal , et se de- battant entre elles, tour a tour ccdant a Tunc ct raclietant son erreur par un prompt rctour vers la premiere. La partie dramatique de ce ballet y est traite'c d'une maniere pea in- te'ressante , et la musique , il faut le dire , n'a point re'pondu a toutes les exigences auxquclles on nous a accoutume's , et que la haute I'c'putation dent on avait lait prcce'der I'ouvrage nous avait donne' lieu d'esperer. C'est un raalheurcux systeme que celui des succes prepares ainsi a I'avance. On proclame hautement partout que la piece nouvelle est un chef-d'ceuvre incomparable , que le poeme est un des plus inte'ressans qu'on ait jamais pre'sentesau theatre, que la musique en est magnifiquc et les decorations supe'rieures a tout ce qui a e'te' vu. L'oiivrage, ainsi vante aux de'pens de tous ceux qui I'ont prece'de , est offert au public , qui arrive au theatre avec une ferme confiance dans les paroles qu'il a entendues dans toutes les bouches et qu'il a vucs inse're'es dans tous les journaux. II prend place, il e'coute avec attention, et, au beu d'un chef-d'oeuvre incomparable, il trouve un beau sujet indignement traitc, ime musique parfois tres-belle , il est vrai , mais qui , dans son ensem- ble, n'a rien d'extraordinaire. Restent done les decorations et la mise en scene, qui sont, il faut en convenir, au-dessus dc tout c'loge. Si en- core le succes avait e'te prepare d'une maniere plus mysterieuse; si i'on ne vous eiit pas jete si brutalemeut a la tete ccs eloges pompeux dont retentirent tous les journaux ; si, au lieu de cela , un de vos amis e'tait venu simplement vous dire a I'oreille : J'ai vu I'ami d'un de mes amis qui a assistc a la derniere repetition, il parait que c'est magnifiquc; alors vous seriez entre au theatre avec de moins hautcs pretentions, avec quelque me'fiance : votre atlente ciit ele passee , vous eussicz sincc- rement admire le melange heureux de la musique mimique ct de la musique chante'e, vous I'auriez entendue avec ravisscment passer de Torchestre sur la scene, et redescendre de la scene dans I'orchestre, vous auriez mieux goute' les beaux passages qu'elle coniient, ct vous FRANCE. 273 n'eussiez point de'signe ceux qui sont inferieuis. Parmi les morceaux qui nous ont frappe's, nous citerons le choeur des demons] du. dcuxieme acte, lorsque Miranda sort de la cuve : Gloire aux enfers! le cLoeur des buveurs au troisieme acte : 0 hruyante folie ! at enfin le cbant de mesdemoiselles Dorus et lawurcck au qualrieme acte. Mais que dire de la beaute des decorations? Quelle magnificence! quelle varie'le ! ve'ritables dioramas anime's, ce sont des tableaux fantas- tiques qui surpreunent, qui eblouissent, qui s'emparentdevosyeuxet de vos facultes , et ne leur laisscnt de repos qu'au moment oil la toile se baisse; ce sont des sites admirables et merveilleusement peints, un in- te'rieur de harem d'apres nature, dit-on ; mais d'un effet si surprenant que vous le croiricz produit par I'imagination la plus brillante : c'est le ciel ouvert et les anges resplendissans qui descendent. Hatez-vous , si de belles peintures, si de vives images, si une mise en scene magnifique suffiscut pour captiver votre attention , hatez-vous , courez voir la Ten- tatiofi, vous passerez plusieurs heures qui resteront delicieusement gra- ve'es dans votre me'moire. Mais si vous cherchez quelque chose au-dela du plaisir des yeux, si vous de'sirez trouver dans une oeuvre dramatique une noble intention, un sentiment e'leve', un enseignement moral, quel qu'il soit ; si vous e'prouvez de douloureux regrets en voyant de belles imaginations d'artistes se consumer sans but, sans objet, sans autre utilitc' que celle d'avoir offert un moment de distraction a nos puis- sances dujour, restezalors, restez chez vous, et fuyez le premier thea- tre de la premiere capitale du monde , comme vous fuiriez le theatre le plus ignoble du boulevard. Ch. Dufort. NECROLOGIE. SIR JAMES MACKINTOSH. La mort de sir James Mackintosh sera vivement sentie dans le monde politique , les sciences et Ja litterature. Sir James est mort dans la soixante-sixieme annee de son age. II e'tait ne en 1766 , dans le comte d'Inverness ; sa famille e'tait fort respectable , cai- il etait allic a la prin- TOME LV. JUILLET 1832- 18 274 NECROLOGtE. cipale branche du clan dc Mackintosh. Sir James se destinnit a la pro- fession de me'decin, et il e'tudia , dans ce but, a Edimbourg : il avail deja pris le degre' de docteur , quand, se sentant cntraine vers les etudes dubarreau, il so jcta avec ardeiu- dans cette nouvelle caniere. Bientot Mackintosh publia ]p livrc intitule: Findicice gallic ce , en re'ponse a I'ouvrage ce'lcbrc de Burke sur la revolution francaisej et ce livre rc- marquable lui valut ufle solide et brillante reputation. A cette cpoquc , Ic solei! de la liberte fran9aise s'e'levait radieux dans iin horizon sans nuage. II re'pandait la joie et le bonheur dans les coeurs dc tons les amis de I'humanite' , et aucun signe n'annoncait alors les tem- petes qui devaient e'clater. On applaudit, aux de'pens de la ve'rite, a la sagacite de Burke , qui avait su de'couvrir ces signes alors caches a tous les yeux. Tous ceux qui ont lu les reflexions de Burke sur la revolution franfaisc ont e'te' d'avis que les de'clamations clievaleresqiies de celui-ci fnrent e'loquemment et logiquement re'fute'es par son antagoniste. Cette controverse sur laquelle tous les yeux se fixaient alors , mit le jeune Makintosh en grnnde consideration parmi les whigs , a la tete des- qtiels e'tait I'illustre Fox. L'auteur des Findicice gallics vint , a leur soUicitation , s'e'tablir a Londres. II fit acotte e'poque un cours de droit public a Lincoln's Inn , qui agrandit sa jeune reputation , et contribua a son avancemcnt. Durant la courte pe'riode oil les whigs occuperent le pouvoir , il ful charge' de la defense de Peltier dans le fameux proces qui fut intente' a celui-ci, sur les instances de Bonaparte, alors premier consul. Le plai- doyer qu'il prononca dans cette occasion passera a la poste'nte' comme un des plus beaux modeles d'e'loquence du barreau anglais. Mackintosh fut ensuite nomm^ a la place de recorder a Bombay, et il re'sida en- viron dix ans dans cette colonic. Jja derniere partie de la vie de sir James a e'te consacrce a ses de- voirs comme membre de la chambre des comnumes , et a des travaux litte'raires. Depuis long-tems sa sante etait chancclantc, et sa constitu- tion usee et affaiblie ne re'sistait aux nombreuses maladies dont il e'tait affecte qu'a I'aide des plus grands me'nagemens. Comme homme politique, sir James Mackintosh a toujours conserve le caractere le plus distingue et le plus honorable. C'e'tait un whig pur ft consciencieux; et durant sa longue vie politique, il est toujours resto NECROLOGIE. 27^ fidele aux principes de Fox, inalgre les constantes agitations de Topinion publique. Au parlement, sir James se littoujours distinguer comme un brillant orateur, mais non comme un bomme d'affaires. Mais aujour- d'hui , comme I'a dit Burke , le tems des fleurs de rhe'torique n'est plus. On fait peu de cas des tropes au parlement , et la seule eloquence con- siste a presenter une puissantc masse de faits qui menent a una irre- sistible persuasion. Mais au tems de la jeunesse de Mackintosh , les fleurs de rhe'torique e'taient une arme puissante , soit dans le parle ment , soit au dehors. Les discours e'tudie's et elabores de sir James Texcluaient des luttes de tons les jours , et il ne prenait la parole que lorsqu'on de'battait une de ces gi-andes questions qui se liaient a scs etudes et a ses travaux , c'est- a-dire les questions de loi gene'rale et de droit constitutionnel. Dans ces grandes occasions, ses discours se faisaient rpraarquer par la profondeur des vues , I'e'tendue et la varie'te des connaissances , la force des argu- mens , et Te'Ioquence et le fini de la composition. II est a regretter que sir James Mackintosh n'ait pas laisse derriere lui un plus grand nombre de productions. On lui doit , outre le livre Findicice gallicce , dont nous avons parle' , le recueil de ses discours et des articles qu'il a public's dans diffe'rens journaux, et surtout dans la Revue d^Edimbourg ; une dissertation sur I'histoire de la science e'thi-- que , qui fait partie de YEncyclopedie britannique; et Y Histoire d' An- gleterre , publie'e dans V Encyclopedie du docteur Lardner. Le bruit a couru long-tems que sir James s'occupait d'une histoire ge'ne'rale de 1' Angleterre , conjue sur une tres-large echelle j mais nous doutons que ce bruit ait eu le moindre fondement. Le naturel de sir James e'tait des plus aimables ; il etait plein de dou- ceur et de bienveillance ; sa libe'ralite' et son desinte'ressement e'taient ex- tremes. Dans le monde, il etait impossible de re'sister aux charmes de ses manieres et de sa conversation. Ilunissait au me'rite du philosophe, aux qualite's de I'homme du monde et au bon ton du parfait gentleman, les connaissances varices du litterateur. Sa mort a rompu encore un lien dt la chaine qui unit notre age au siecle precedent. •18. 276 NECROLOGIE. NECnOLOGIE DV MOIS DE JUILLET 1852. Nous commencerons par re'parer quelques lacunes de noire derniere liste. ( Voy. cahier de mai-juin, p. 604. ) H faut y ajouter les noms d' Alexandre Nimmo , savant niatlicmaticien et ingc'nieur e'cossais , ne a Kirkcaldy en 1788, mort le io Janvier dernier; — Ic conseiller d'e'tat Kroschanski , directeur de I'lnstitut des aveugles a Saint-Pe lersbonrg, mort le 3 Janvier. — Charles de Kugelgen , peintre de paysages ; auteur d'uue galerie de Crime'e et d'une galerie de Finlande, frere jiimeau dii peintre d'histoire , Gerard de Kiigelgen , qui pe'rit as- sassine' a Dresde il y a douze ans; Charles est mort a Revel, le 10 Jan- vier;— I'abbe' Chiarini, professeur de the'ologie, de langues orien- tales et d'antiquite's he'braiques a I'liniversite' de Varsovie, auteur d'un recueil de poe'sies italienncs, d'une grammaire lie'braique, et d'une tra- duction en langne vulgaire du Talmud , que sa mort , survenue le 28 fcvricr, ne lui a point laisse' le tems d'achever; — H.-F. Richter, pro- fesseur de philosophie a Leipzig , auteur de plusieurs ouvrages et coUa- borateur de la Gazette litteraire de Hall, mort le 24 Janvier; — le comte Alba Litta , auteur d'un ouvrage : le Illnstri famigUe ita- liane, qui donne beaucoup de himieres sur I'liistoire du moyen-age en Italic, mort a Milan, le 1 1 Janvier, a I'age de soixante-treize ans. Pour juillet noti'e liste sera bien longue encore. Dans I'e'tranger la mort a frappe' miss Anna-Maria Porter , auteur de roraans estime's ; — le celebre poete russe Gabriel Romanowitch Derjavin , mi- nistre de la justice sous Catherine II ; — Pierre Semenoff , capitaine des gardes russes , qui s'e'tait fait connaitie comme poete dramatique , mort a Saint-Pe'tersbourg , le g juillet , a I'age de 4i ans j — la comtesse Stephanie de Witgenstein, ne'e princesse de Radziwill, raorte le 27 juillet a Ems (grand-duche de Nassau) ; avec elle disparait le der- nier rejeton de la plus puissante famille de Lithuanie , puisque la cin- quieme partie des terres de ce pays lui appartenait ; — le due de Retchstadt, fils de Napole'on , mort au chateau de Schoenbrunn , le •2'i juillet, a I'age dc 2.1 ans. En France , les chambres ont perdu le comte Fabre de l'Aude , pair de France, ne a Carcassonne, le 8 de'ccmbre 1755, qui a suc- combc le G juillet a une attaque de cholera; — et Thouret, depute NECROLOGIE. 377 «hi Calvados, fils du ce'lebre membre dc I'assemblee constituanle , mort Ic 5 jiiillet. L'arme'e : le mare'clial-de camp J.-B, Boivm, doyen des gene'raux, qui avail fait ses premieres armes sous Louis XV , et qui , mis a la re- tiaite depuis 181 4, fst mort le 9 juilleta I'age de quatre-vingt-quatre ans; — le colonel Auguste de Chambure, premier officier d'ordon- nance du ministre de la guerre , connu par plusieurs beaux fails d'ar- mes , et entre autres par ceux qui le signalerent , au siege de Dantzick , a la tele d'une compagnie francbe , surnomme'e I'infernale. I! est mort, le 1 1 juillet , du cholera. L'Inslilut a perdu qualre de ses membres : — Jean Saint-Martin , memJjre de 1' Academic des inscriptions, auteur de savans Memoires siir I'Annenie , d'une nouvelle edition de i'Histoire du Bas-Empire de Lebeau , redacteur en chef du Journal asiatique , etc. , mort dans les premiers jours de juillet a I'age de quarante-deux ans; — TiIurot, membre de I'Acade'mie des inscriptions , professeur au college de France , savant helle'nisle, traducteur d'Aristote, de Heeren et de Ros- coe, mort le ly juillet; — le baron Antoine Portal, membre de I'A- cade'mie des sciences et pre'sident de I'Acade'mie de mc'decine , professeur d'anatoraie au Muse'um et au college de France, ne' a Gaillac (Tarn), le 5 Janvier 174^7 mort le 23 juillet; — le comte Chaptal , pair de France , membre de I'Acade'mie des sciences, ancien ministre de I'inte'- rieur sous I'empire , connu par plusieurs ouvrages et d'importans tra- vaux sur diverses applications de la chimie aux arts industriels , mort le 29 juillet. Nous mentionnerons ensuite plusieurs hommes connus a divers litres : Dupaty , conseiller a la cour dc cassation , fils de I'auteur des Lettres sur V Italic , frere du sculpteur et de I'homme de lettres du meme nom , mort en se rendant aux eaux de Plombieres ; — le baron Cha- baud-Latour, ancien membre de plusieurs de nos assemble'es legisla- tives , pendant la revolution , sous I'empire et la restauration ; — Louis- Alexandre CoRANCEZ , ancien consul general a Alep , mort a Asnieres (Seine), le 3 juillet; — le marquis de Mataflorida, ancien ministre du roi d'Espagne , pre'sident de la re'gence d'Urgel en i8'22, el ge'ne'ral dc l'arme'e de la foi, morta Agen, le 3 juillet , a cinquanle-un ans; — Abel Quiclet, connu par son activite dans les dcbats c'lectorauxde 278 NECROLOGIE. la restauration , mort assassine; — Ricard-Farrat , membre de la Socie'te des Amis du peuple , condamne a la prison pour une publica- tion dc cctte socie'te, mort a Sainte-Pe'lagic , le 28 juillet; — AMA^D Bazard, I'un des anciens chefs de I'association saint-simonienne et Tun des fondateurs du caihonarisme en France , mort a Courtry pres Paris , a I'age de quarante-un ans , le 29 juillet (i); — Marron , president du consistoire de I'e'glise reforme'e, auteur de quelques ouvrages sur la litte'rature liollandaise , mortle 3i juillet , a I'age de ■jS ans , apres un demi-siecle de ministere a Paris j — Dahler, jirofesseur a la Faculte de theologie de Strasbourg , mort dans cette ville , le i'''' juillet , a I'age de soixante-onze ansj — Vieilh de Boisjoslin, re'dacteur en chefde la Nouvelle biographie des contemporai?is; — Moreau, auteur de beau- coup de yaudevilles et d'ope'ras-comiques , I'un des re'dacteurs du Cour- rier francais , mortle 2 juillet, du cholera 5 — Boichard, statuairej — Hewri Berton, fils de I'auteur A' Aline, et lui-meme compositeur distingue. (1) L'un des amis de M. Bazard , qui I'a accompagnd dans les diverses phase* dc sa carriere, s'occiipc de rediger une notice sur cet homme remarquablc. Cette notice tera insdree dans un de nos prochains cahiers. TABLE DES MATIERES CONTENUES DANS LA 163' LIVRAISO\ DE LA REVUE ElVCYCLOPEDIQUE. JUILLET 1 83.1. Pages ! . Sur \ns pretendues doctrines de 95 Acltille Roche. 5 2. De l^nfluence de la declaration de la diete sur TAllemagne. //. yihrens. 28 3. De la conteniporaneite dc rhomme et des especes d'animaiix pcrdiies. . , Marcel de Serres. 48 4. Les Samnites anciens et les Samniles modernes Chaiiea Didier. 74 5. LVgiise et I'op^ra ylilolplie Gue'roult. 87 MELANGES. 6. De la necessite d'instilutions provincialcs /. Guc'pin. 100 7. Lettrc sur I'universit*^ de Heidelberg Henri KUinmrath. 107 8. De la reconnaissance du cours du TSijjer J. R. ISS BULLETIIV BIBLIOGRAPHIQUE. Grande-Bretagne. — Essai sur la constitution de I'liomme,- 131 ; — Mociirs dc rinde, 142; — Romans politiques et autrcs , 149 ; — Aunuairc pour 1831 , 156 ; — Histoire du pays de Van-Diemen , ibid. ,• — Histoire de I'Errlise an- glicanc , ibid. Allemagne. — Le droit des peuples a acqu^rir des constitutions , 156 ; — Abe- c^daire de la libcrte , 158 ; — Mirabeau et Robespierre , 1 59 ; — Atlas des batailles , 160 ; — Campagne en Litbuanie du gdndral Dembinski , 162 ■ Trois tragedies nouvelles , 164; — La souverainete du peuple , 166; Recherches sur les inierets de Fhomme , ibid. ,- — Vie d'Otlion-le-Grand ibid. ; — Contes populaires russes , ibid. Italie. — LcgislaCiou et stalistique sardes , 166; — Poesies italicnnes de divers auteurs , 174 ; — Poesies de Cirino , 175 ; — Questions sur I'arcbitecture ri- tuelle, parDefendente Sacchi , ibid. ; — Principes d'architeclure civile, 180. Belgiqce. — Histoire de la philosopbie , 1 80 ; — De la peinture sur verre aux Pays-Bas ,181. France. — Principes m^taphysiques de la morale par Kant , 184 • Des arts comme puissance gouvernementale ,188; — Essai sur I'dducationpopulaire , 190 ; — Essai sur Teducation intellecluelle et morale , 195 ; — , Journal des connaissances miles, 197; — Coup d'oeil sur la revolution de Polognc , 1 98 ; — Relation de I'attaque de Varsovie , par le general Uininski , 1 99 ; — Fragmens geologicpies , par M. Elie de Beaumont , 200 ; — Sur I'inspiration 38o TABLE DES MATIERES- de l'oxy{;6ne , 204 ; — Journaux agronomiqucs des departcniCiis , 207 ; — Poesies de MM. Joseph Bard , Eugene Dufaitelle , Amedce Pommier, et de madamc Louise Dauriat, 208 ; — Tradurtion d'Horace, par Al . Ragon , 21 2 ; — Indiana , par M. Sand, 215; — Sous Ics tilleuls, par M. Alphonse Karr, 216; — Le Secret du roi ,218; — Musde de peinture et de sculpture , 219; — Essai historique sur la peinture sur verrc , 220 ; — Histoirc de la mu- sique, 221. MOUVELLES SCIEIVTIFIQUES ET LITTERAIRES. GRANriE-BRKTAGNE. — Statistiquc industrielle de la ville de Londres, 224 ; — Eniploi du gaz liydrogfene corame moteuc , 225; — Echange des productions litteraircs entrc la France et I'Angletcrre , 226 ,■ — Ouverture d'un club dra- matique , ibid. PoLOGNE. — Details sur les mesures employees r^cemmeut par le gouvernement russe pour detruire la nationaiitid polonaise , 227 ; — Dernieres nouvelles de Lithuanie et de Varsovie, 255. Belgique. — Academic des sciences et belles-lettres de BruxcUcs; Sdance du 7 juillct 1852: Communication de M. Villermd, de Paris , relativemcnt au cholera , 258 ; — Observations de M. de Reiiffenberg sur quclques monumens gothiques , ibid. ,• — Lunette construite par M. Barlow , 240. France. — Seances de V yicademie des sciences en juillet : — Recherches de M. Pelletier sur Topium, 241 ; — Statistique morale de la France, par M. Gucrry , 242 ; — Du procedd suivi par les anciens pour la fabrication des fenilles de papyrus, par M. Bureau de Lamalle, 244; — Sur I'organisa- tion des ophidiens , par M. Duvernoy, 245 ; — Du maximum de density pour I'eau de iiicr, par M. Despretz, 249 ; — Souscription pour le monument de Georges Cuvier , 250 ; — Election d'un secretaire pcrpetucl , 252 ; — Sur les inhumations prdcipitdcs , 253; — Lois de la mortalite dans les armees franfaises , par M. Benoiston de Chateauneuf, 253; — Etudes anatomiqucs et pathologiques de Poeuf dans Tespece humaine , par M. Breschet , 254 ; — Me- moire sur le carbonate de chaux , par M. Bequcrel , ?,56 ; — Recherches sur I'opium , par M. Pelletier , 258 ; — Travail de M. Bussy sur une nouvelle es- pece cliimique, 261 ; — Ossemcns fossiles , ibid. ; — Recherches de MM. Au- douin et Milne Edwards pour servir a Thistoire naturelle du littoral de la France , 262 ; — Jiotes de M. Chevreul sur les bouillons de la Compagnio bollandaise, 265. — Sdance de la socidtd philotcchnique , 263 ; — Mddaillc polonaise pour la rd- volulion hthuanicnnc, 264; — Chemins de fer et voitures a vapeur aRohanne, 265; — Revue des thdatres , 266; — la Tentation , opdra-ballet , 269. N^CROLOGIE. Sir James Mackintosh , 275 ; — Ndcrologie du mois de juillet , 278. AVIS. On peut se procurer la collection de I'annee -1831 et celles des annees precedentes Au bureau de la Revcb E»ctclop£dique, rue des Saints- Peres, no 26. Au prix de 46 fr. pour Paris. 53 fr. pour les departemens. 60 fr. pour I'etranger. Chaque cahier deteche coute 5 fr. j4ux Academies et aux SocidtA savantes de tout les pays. Les academics et les socie'tes savantes, et d'utilite publique , frangaises et e'trangferes , sont invite'es a faire parvenir exactement , franc de port , au directeur de la Revue Encyclopediyue , les comptes rendus de leuis travBDZ et les programmes des prix qu'elles proposent. yiux ({diteurs ^outrages et aux libraires. MM. les editeurs d'ouvrages p^riodiques , firangais et etrangers , qui desireraient cchanger leurs recueils avec le ndtre , peuvcnt compter sur le bon accueil que nous ferops a leurs propositions d'e'change, et sur une prompte annonce dans la Revue des publications de ce genre , et des autres ouvrages nouvellement publics , quails nous auront adresses. Aux libraires , et aux diteurs d'oucrages en Allemagne. MM. DtCE , libraire a Leipzig , et J^GER , libraire & Francfort-sor- le-Mein , sont charge's de recevoir et de nous faire parvenir , pat Pinter- m^diairc de MM. Heideloff et compagnie, de Paris, les ouvrages pe'riodiqnes qui sont destine's k I'e'change , et les ouvrages que MM. les libraires , ies editeurs et les auteurs, desireraient faire annoncer dans h Heoue En- c^rJopidique. Aux libraires, et dux editeurs d'onu'rages en Angleterre. MM. DrLAU etCo, libraires^ Londrcs, sont chargds de recevoir et de BOnt faire parrenir des ouvrages p^riodiques qui sont destine a I'^change, et Ici oavragw q«e Ton ddsirerait faire annoncer dan* la Revue Encyclopidique. €0ntrttiane trr la Qommption, La Reiiue Encyclopddufue parait mcnsuellcment , depuis janvicr 1819 , par caliicrs dc plus de 200 pages d'impression. Trois cahiers fomicnt un volume , ter- mind par unc Table analjrtique et alphab^Uque des malieres. Chaquc annde est ind^pcndante des anndes precddentes , ei oflire un Annuaire scientifique et liite'raire en 4 volames in-8°. PRIX DE L'Afi01VXEM£lVT. A Paris 46 fr. pour un an j 26 fr. pour six niois. Dans les ddpartemcns. 53 » 50 « A r— Marotta ct Vanspandoi k New-Tork, Foreign and classical booksiuji : — Dernrd et Mondon. Nouve lie -Orleans , A. L. Boiraarc. P^tersbourg , F. BeJlizard ct compagnic ; — Craef. Rome, de Romanis ; — Scalabrioi. Rouen, Frire. Stuttgart et Tubingue , Cotta. Varsovie, Gluckiberg. Vienne \ AutricUe) , Ceroid. linpri : d'Evtr.AT , rue du Cudrao , u" I <>■ REVUE El^fCYCLOPEDIQUE P U II H £ E PAR MM. E. CARNOT ET P. LEROUX. Lilierte, Egalite, Association. AOl]T 1852. PARIS. AU BUREAU DE LA REVUE ENCYCLOPfeDIQUE , rue des Saints-Pferes , N" 26 ; ARTHUS BERTRAKD, RUE HAUTEFEUILLE , No j3. PRINGIPAUX ARTICLES INSERES DANS LES DERNIERES HVBAISONS DE EA ReVUE EwCYCLOPEDIQUE CABIER DE JANVIEn 1839. De U tendance nouvelle des iddes. De la Socidt^ Saint-Simonicnnc, par M. Jean Retnacd. Les trois principes : Rome , Vienne, Paris , par M. Charles Didier. Considerations sur les finances de la France et des Etats-Unis , par M. Emile Pereire. Sur les variations de la taille chez les mamraifdres, par M. Is. Geopfrot-Sai»t-Hilaire. De r^ducalion publique, parM. E. Souvestre. Fragmens sur la Valachie , par M"" Adelaide Mowtcolfier. CAHIER DC FilVRXER. De I'indiffdrence politique et de I'innovation en maticre d'impot, par M. Laurent. Doctrine d'association de M. Charles Fourier, par M. Abel Transoi*. De I'influencc des saisons sur les facultds de I'homme , par M. A. Qcetelet. Projet d'un chemin de ferde Gray a Verdun , par M. Henri Fourmel. Voyages des frferes Lander en Afrique , par M''° Adelaide Montgolfier. Le Feu du ciel, de Louis Boulanger, par M. Eoodard Chartob. CABICR DC NARS. ' Du catholicisme et du peuplc a I'pccasion du clioldra , par M. Charles Didier. - Del'assiettede I'impot, par M. Emile Pereibe. , Dernifercs pages de Goethe , expliquant a I'Allemagne les sujets de philosophic naturelle c troversds an sein de I'Acaddmie des sciences de Paris. Voyage des frferes Lander en Afrique ( 2' article), par M"" Adelaide Mobtgolfier Vision d'Hdbal,de M. Ballanche, parM. Ales. Saimt-Ch^ron. CABIER D'^AVRTL. Dc la ndcessitd d'une representation pour Ics.proldtaires, par M. J. Retmauii. De I'assieiie de I'impot (2° article^, par M. Emile Pereire. Demiferes pages de Goethe (2° article). De I'influence philosophique desdtudes orientales, par M. P. Lerobx. Podsie sanskrite : Anthologie d'Amarou , parM. J. Retmadd. CABICR DC UAI - 3VJV3. De Vunitd de la Reuut Encyclopefdique. Du cosmopolitisme et de I'association , par M. Charles Didier. Doctrine d'association de M. Charles Fourier (2° article), par M. Abel Transo?!. Des rapports de la doctrine Conficius avec la doctrine chreticnne, par M. P. Lerodx. i Le Ta-Hio de Confucius, traduit du Chinois par M. G. Pauthier. Podsies du moyen-age : Romans des douze pairs de France,. Chiromancie : Episode de la vie de Claude Tarin, par M. Edouard Chartos. Du panthdismc en mddecine, par M. Ribes. Des lois de I'hdrdditd organiqiie, par M. D. Richard. Progrfes dela gdologie en 1830 ct 1831 , parM. J. R. Dc8 intentions de la revolution polonaise en faveur des paysans , par M. Morawski. Chansons populaires des Russiens. CAHICR DE JUILLET. Sur Icspretenducs doctrines de 93, par M. Achille Roche. De rinfluencc de la declaration de la Diete Germanique sur I'Allemagne , par M. Ahrp De la contemporaneite de I'horame et des races d'anlmaux perdues , par M . Marcel de S Les Samnites anciens et les Samnitcs modernes, parM. Charles Didier. L'eglise et I'opera , par M. Adolphe Gc^roitlt. Dela necessite d'insUtutions provinciales , par M. A. Gnipis. Lettre sur Tuniversite de Heidelberg, par M. Henri Klimrath. Sur le cours du Niger, par M. J. R. KEVUE ENCYCLOPEDIQUE PHILOSOPHIE DE LA PHILOSOPHIE ET DU CHRISTIANISME. R^PONSE A QUELQUES CRITIQUES. A mesure que les livraisons de la Revxje se succedent, son caractere philosophique se dessine de plus en plus , et la doctrine unitaire dont elle est maintenant I'organe s' expose et se deve- loppe. Dejk, directement ou indirectement , plusieurs articles ont eu pour objet de poser les bases de cette doctrine ; et nous n'avons pu le faire sans nous expliquer nettement sur les idees et les solutions generales du christianisme. Cette marche a ete remarquee , et , dans un journal dont I'approbation nous est chere, un grand ecrivain nous a reproche Vhostilite au christia- nisme (I). Nous n'acceptons pas ce reproche tcl qu'il nous a ete fait. Si nous le mentions, ce serait, pour le but que nous voulons altein- (i) Lr National , niimf'ro du 21 juillet , arlicle de M. Sainte-Beuve. TOME LV. AOUT 1832. 19 282 PHILOSOPHIE. dre, uu del'aut grave, une erreur iniportante que nous aurions coramise. Nous regardons le christianisme conime la derniere forme dans laquelle notre Occident a vecu spirituellement, mo- ralement, socialemenl ; et veritablemeut avoir de I'hostilite con- tre le passe de 1' Europe tout entiere , ne pas chercher a com- prendre, ne pas admirer par ses beaux cotes la vie anterieure dont nous sommes sortis, ce serait, sous tous les rapports, un indice que nous manquons de ce sentiment qui fait comprendre la vie, soit qu'il s'agissede la nature, de I'art, ou de la societe ; ce serait deraentir nous-memes cette pretention a une tendance organique que nous annoncons et qui fait notre foi. II est vrai que suivant nous cette forme du passe est irrevocablement bri- see; nous nions done que le christianisme ait puissance de re- naitre ; et , en ce sens , nous nions le christianisme comnrie nous nions les theories generales scientifiques du passe , comme nous nions la politique du passe , comme nous nions le regime des republiques d'Aristote ou de la monarchie de Louis XIV : mais nous n'avons pas pour cela d'hostilite contre lui. La philosophic du dix-huitieme avait de I'hostilite contre le chris- tianisme; elle ne se chargeaitpas de I'expliquer, elle voulaitlui oter la puissance et I'empire. La philosophic du dix-neuvieme siecle expliquera le christianisme , et le rehabilitera dans I'his- toire. Mais le christianisme n'absorbera pas la philosophic. Sui- vant nous, la religion de I'avenir ne sera pas le christianisme. Ce seront deux choses differentes, quoique se succedant I'une a I'autre. II y aura entre les deux succession, heritage, relation du pere au fds , si Ton veut, mais uon pas identite : le fils tient du pere , il a ete en partie engendre par lui , mais il n'est pas lui ; le secret de la generation des grandes syntheses generales , sous le rapport de Tinfluence hereditaire , est un mystere presque aussi grand que celui de la generation de tous les etres. Si done on entend, par hostilite au christianisme, que nous croyons a la necessite d'une nbuvelle synthese de toute la con- naissance humainc, nous acccptons pleinement la responsabilite DE LA PHILOSOPHIE ET DU CHRISTIANISME. 283 (le celte opinion ; car c'est notre pensee, notre pensee fondamen- tale , celle qui embrasse et relie tous nos travaux. Nous crayons a la necessite d'une nouvelle synthese generale de la connaissance humaine('l); nous croyons que c'est le travail que la societe acconiplit aujourd'hui par la politique, par la science et par Tart, sans en avoir encore clairement conscience; que c'est la le but caclie de toutes les douleurs de notre epoque, et que ce sera le reraede "a toutes ces douleurs ; et en meme teras nous ne croyons pas a la restauration possible de I'ancienne syn- these , aujourd'hui ruinee , qui fut le chrislianisme. Nous voyons bien que des hommes d'un grand genie ont entrepris cette restau- ration ; mais nous nous expliquous le resultat providentiel de leurs efforts tout autrenient qu'ils ne le concoivent. Persuades done que la religion de I'avenir ne sera pas la syn- these cbretienne, mais une synlbose nouvelle , nous croyons que le respect superstitieux qui s'attache eacore a la religion du passe est un des plus grands obstacles aux progres de tous genres que la societe a a faire. Nous venons de le dire, et nous en sommes profondement con- vaincus, tous les maux de notre epoque s'apaiseront quand une direction generale aura ete iniprimee h toute la connaissance humaine. Mais si une direction generale ne lui est pas donnee, (1) Aucun mot n'est plus prodijue aujourd'hui que ce mot de sy/ithese. Beau- coup remploient qui nous paraisscnt n'eii pas comprendre clairement la valeur. On s'en sert aussi dans des acceptions fort divcrses. Cela prouve que les esprits sent pousses , meme "a leur insu , vers le besoin de Tunite, ou vers I'idee que ce mot represente. Nous expliquerons plus tard et en detail le sens que ce mot a pour nous. Evi- demment nous ne pouvons nous y arreter ici , puisque cet article tout eutier et les suivans n'ont pour ainsi dire pas d'autre but qoirs du le'gislateur. II y a plus : pour peu qu'on veuille y reflechir , on ne tardera pas k voir qu'il y a entre ces deux ordres de travaux une si etroite connexion que les derniers , ceux qui ont pour objet de preparer la matiere de la legislation, n'etaut pas cultives, les premiers sont par-Ik meme , sinon completement frappes d'im- puissance, du moins entraves, egares, languissans et sans succes, faute de but et de ralliement. Assurement , tant que le legislateur ne sera pas constitue , il est bien evident que les maux de la societe ne trouveront pas leur remede. Mais comment le legislateur se trouverait-il , ou , en d'autres termes , comment la representation nationale pour- rait-elle avoir I'aptitude necessaire pour guerir graduellement les maux de la societe en entrant dans la route nouvelle de la poli- tique, tant que la matiere de la legislation ne sera pas preparee, tant que les idees qui doivent s'incarner dans les mandataires du peuple et se realiser dans leurs lois ne seront pas traitees par les publicistes , vulgarisees et mises dans la circulation generale. II y a plus ; en supposant meme, ce qui est impossible , qu'une representation nationale capable put sortir par enchanteraent et sans preparation du sein du peuple , comment pourrait-elle ope- rer le bien si le peuple n'etait pas largement prepare a ses inno- vations? « J'ai donne aux Atheniens, disait Solon , non pas les meilleures lois, mais les meilleures qu'ils pussent supporter. » 11 est done bien evident que I'elaboration de la matiere de la TOME LV. AOUT 1832. 20 298 PHILOSOPHIE. legislation est necessaire pour preparer et former et les legisla- teurs et le peuple. Et reciproquement, si aujourd'liui la societe s'agite comme un malade, sans resolution et sans audace, c'est la lacune de la science politique qu'il faut surtout en accuser. Le pen de matu- rite de Tesprit public sur tontes les grandes questions est une cause d'iinmobilite et de statu quo. Le public deniande aux politiques qui lui orient en aidant ce que Cyneas demandait a Pyrrlius : « Apres tant de travaux et d'exploits guerriers, seigneur, que ferons-nous? » Vous proposez la republique et la guerre. La republique et la guerre pourraient etie nn progres , mais ne seraieut pas une so- lution. Nous avons eu la republique et la guerre : la Convention re- mit la legislation apres la paix; la paix se fit, et le legislateur fit defaut. Et Napoleon, maitre absolu d'une societe qui se nian- quait a elle-meme, put se faire legislateur sans meme abordcr le problerae pose par le dix-huitieme siecle et la revolution , aban- donnant la trace profonde ou les philosophes et les convention- nels avaient mis la politique , couvrant d'une sorte de badigcon- nage cette societe en mine, prenant de Cbarlemagne et de Louis XIV pour radniinislration niaterielle, relevant le calholi- cisrae et Tappelant a son aide, faisant enfin, a force d'iniitation, un fantome glace de la societe du raoyen age , tournant d'ail- leurs toute Tactivite de la nation a I'obeissance eta la guerre. Et, a sa suite, la restauralion , campee dans le systeme monarcbique et theologique reedifie par lui, put, pendant quinze aus, de- fourner du problcnie social Tattenlion occupee de se defendre coutre ce fantome du passe. Ainsi la societe est restee en mines ; depuis quarante ans ses maux appellent un legislateur , et ses ' agitations ne sont que les symptomes de ce besoin. C'est une legislation qu'il faut "a la France, a I'Europe, a la societe raoderae; et, nous venons de le voir, pour que le legis- lateur se fomie, il faut que I'opinion pubiique soit formee. Cela DE LA PHILOSOPHIE ET DU CHRISTIANISME. 299 est aiissi necessaire pour le present que pour I'avenir, pour le premier pas que pour le second , pour la session de la Chambre qui va se reunir cette annee que pour la Constituante future que Ton pent imaginer, pour la direction de la polemique qui rem- plira dans six mois les colonnes de nos journaux que pour la po- litique de nos enfans. De la politique sous la restauration. — De I'individualisme. IV. Done, quelque champ que Ton veuille embrasser, que Ton se raette k aujourd'hui, a demain, ou adix ans, on arrive toujours et invincibleraent a cette question : « Pourquoi une representation nationale, et dans quel but la representation nationale actuelle doit-elle etre modifiee et per- fectionnee? Quelle est la mission de ce legislateur que toutes les crises de la societe, tons les efforts des partis, toutes les contro- verses du jour tendeut uniquement a evoquer ? Le gouverne- raent representatif n'est en lui-raeme qu'un instrument ; a quoi doit etre employe cet instrument? En im mot, dans quel but fera- t-on des lois? quelle sera la tendance de ces lois? u Et cette question conduit bien vite a celle-ci : j( Ou marchela societe? vers quel but se dirige-t-elle ? quelle est la source de tant de douleurs qui la dechirent, et apres quel remede aspire- t-elle ? dans quel but providentiel out eu lieu depuis cinquante ans tant de bouleversemens et de revolutions? » Sous la restauration, et pendant quinze ans de polemique, la reponse a cette question : « Dans quel but fera-t-on des lois ? » etait formulee en ces termes pour presque tout le monde : « On fera des lois, disait-on, pour se defendre contre le pou- voir ; on se munira , on se fortifiera contre lui ; on protegera con- tre ses atteintes la liberte de cbaque citoyen. » On concoit que tel fut alors Tunique horizon de la politique. La France avait a se defendre contre la restauration. La restauration , c' etait I'ancien regime, c' etait le systeme feodal et catholique qui venait essayer de reprendre I'empire in- 20. 3oO PHILOSOPMIE. tellectuel et maieriel du peuple qui s'en etait affranchi vingt- cinq ans auparavant. La Fiance se trouva done conime une \ille assiegee, qui tourne toule son aclivite a la resistance. En presence du droit de naissance, du principe feodal, repre- senle par la legitiraite royale , raristocratie de la Chambre des pairs, et le privilege des places et des honneurs donnes large- raent a la noblesse vieille ou nouvelle, fausse on vraie, il fallait bien revendiquer I'egalite, et par consequent se poster de ma- niere a faire hardiment la guerre an droit de naissance. En presence d'une religion decrepite et envahissante ( autre element de I'aiicienne organisation de la societe du moyen age renversee en 89), il fallait bien decreter pour s'y soustraire la re- ligion de chaque individu , et par consequent encore se I'aire des positions, des retranchemens , des forteresses, pour critiquer la vieille religion et proteger le detachement de toute religion dans chaque citoyen. De Ik le prix extreme que Von attacha alors aux Institutions de pure liberie et "a tant de lois vivement soUicitees , qui depuis juillet ne sont meme plus deraandees , et sont presque sorties du souvenir. Encore une fois , c'etaient autant de forteresses pour repousser et rendre vaines lesattaques de I'ennemi. Ceries nous ne voulons pas dire que les lois et les institutions comprises sons le nom general de liberies n'aient qu'une valeur relative. Mais il est evident que sous la restauration on dut leur attacher une valeur absolue qu'elles n'ont pas , les croire donees par elles-memes d'une efficacite qui n'est pas en elles, comraeon ne I'a que trop senti depuis la revolution de juillet. Organiser une complete defense centre les envahisseniens du passe, et par consequent pousser jusqu'a ses plus extremes liraites le systeme de I'individualisme , afin de se soustraire an regime theologique et feodal , n'ayant pas d'autre systeme organique a lui opposer, telle devait etre alors la formule generale de I'opposi- tion ; c' etait un programme, clair, precis, detennine, inspire DE LA PHILOSOPHIE ET DU CHRISTIANISME. 3o I par tous les sentimens de I'epoque , et qui devait rallier des mas- ses iranienses et former centre le pouvoir une coalition compacte malgre ses nuances depuis Tabstrait doctrinaire jusqu'au republi- cain , parce que ce programme repondait parfaitement a la situa- tion , et nieme , on pent le dire , parce que toute tendance allant au dela, toute tendance organiqueet religieuse auraitdonne gain de cause sur un point important au systeme theologique et feodal, lui aurait fourni des amies redoutables, et aurait ralenti dans les masses I'ardeur de la defense. Voilk done ce qui fut fait , et cette lutte eut son merite et son importance. Mais elle absorba tellement tous les esprits que rien ne fut prepare pour le cas echeant d'une revolution qui emporte- rait , comme un orage , celte restauration centre laquelle on s'e - tait fortifie , et contre laquelle on songeait k se fortifier de jour en jour davantage. La science politique s'etait tellement habi- tuee, pendant quinze ans, a. regarder ce combat journalier comme eternel , qu'elle avail delaisse toute autre prevision , et aban- donne, comme des reves inutiles, les hardis travaux de la findu dix-huitieme siecle , les bases de I'ecole de Turgot et de Condor- cet, ces legataires du dix-huitieme siecle, et les traces politiqlies de tous ces grands et chaleureux esprits de la Constituaute et de la Convention qui, places au point de solution du passe, avaient bien mieux senti la necessite d'un nouvel ordre social, et y avaient medite, au milieu des plus graves conjonctures, les yeux sur leur poison prepare d'avance ou sur leur echafaud. Aussi qu'arriva-t il apres juillet? Ce que nous avons vu, ce que nous voyons. Toutle prestige qui enlouraitl'opposition, toute la virtualite qu'on supposait a. ses idees et a ses principes , s"e- clipserent enun clin-d'ccil avec la restauration elle-meme. Ainsi deux lutteurs qui se font equilibre , et qui mettent toutes leurs forces a se terrasser; si I'un tombe, I'autre tombe avec lui. La France s'est trouvee prise au dcpourvu par sa victoire , el dans un denument complet d'idees politiques , des qu'on a pu juger de I'efficacite des principes liberaux entendus comme on les en- 30 2 PHILOSOPHIE. teudait sous la restauralion , des cju'on a pu apprecier la valeur du sysleme de riiidividualisine pur pour guerir les affreuses douleurs que la societe , debarrassee de ses rois legitimes , des jesuxtes , et de tout ce passe qui I'obsedait , a cependant ressen- ties, et qui Font fait s'agiter dans de douloureusescoavulsions. De la la langueur, le marasme, le decousu de 1' opposition parlementaire depuis deux ans. La ville n'est plus assiegee, et vous continuez les luenies ma- noeuvres ; vous voulez vous fortifier, vous banicader. Goutre quoi ? contre Tajuvre de vos propres mains? contre ce qui n'est pas unprincipe? Vous defendre contre le droit de naissance , entendu comma sous la restauration , quand le droit de naissance est authenli- quement viole par I'homme que vous avez assis sur le trone, et quand la direction des affaires a passe des nobles aux bour- geois ? Regarder comme un but la conquete de la liberie de cons- cience , quand le nom de religion a ete solennelleiuent raye de la constitution, et que tout I'appui donne aux fauteurs et aux agens du catholicisme a cesse? Evidemment toute cette antithese contre Tancien regime n'est plus possible depuis qu un des lermes a ete subitement eliraine par les evenemens de juillet. Pour nous reraettre dans cette or- niere , il faudrait que la monarchie de juillet fut dans les memes circonstances et appuyee de la meme maniere a Tinterieur et a I'etranger que la restauration de 1815. Or cela est impossible , quoi qu'on fasse. Quoi qu'on fasse et qu'on espere , on ne fera pas que quinze ans de duree , termines par les evenemens de juillet, n'aient pas change radicalement la situation politique. De nouveau I'Europe se coaliserail , triompherait, et restaurerait les Bourbons, que ce ne serait pas encore la restauration de ia restauration. Le tombeau ne reudrait pas les generations qu'il a devorees. Le terns ne se remonte pas; la vie coule pour les societes comme pour les individus. DE LA PHILOSOPHIE ET DU CHRISTIANISME. 3o3 Du but de la politique aprfes la revolution de juillet. — Do Tassocialiofi. V. L' opposition , telle qu'on la faisait contre la restauratlon , n'a done plus de but. Mais au lieu de ce but mesquin , et qui n'etait legitime que par la situation d'une grande nation leduite a se defendre , un but nouveau , un but veritable , et bien autre- ment vaste , s'est revele. Deux ans de desillusionnement, de catastrophes et de misere profonde, en portant le desespoir dans bien des coeurs, ont valu un siecle de progres. Aujourd'hui tout le monde sent combien la politique, bornee a defendre ainsi les niembres du souve- rain contre les gouvernans leurs luandataires , est creuse et vide ; toutle monde sent que c'est la, sinon un jeu d'enfant, au moins une deplorable entrave, quand ii s'agit de tant de plaies sai- gnantes du corps social. La destinee necessaire de la societe est des aujourd'hui entrevue. On commence a coraprendre le sens et la consequence du mot egalite, formule generale de la philosophic du dix-huitieme siecle et de la revolution. II s'etait eleve sous la restauration une sorte de science vide et subtile qui avait ose prendre le nom de la plus belle des scien- ces , et qui , sans coeur , sans yeux et sans oreilles , se pretendait pourtant la rectrice de la societe : on Tappelait X economie politi- que. Infidele a Tecolo francaise de la fia du dix-huitieme siecle qui lui avait donne naissance , elaboree sous sa forme nouvelle par I'Angleterre, ce pays d'aristocratie et de mercantilisme, elle parvint bientot en France a un degre de vogue et d'insolence que Ton a deja peine a comprendre aujourd'hui. Son principe universel, son unique axiome etait la liberte et la concurrence. Chacun pour soi, et en definitive tout pour les riches , rien pour les pauvres , la voila resumee ; liberale en apparence , meur- triere en realite. Ainsi du beau nom de liberte elle avait fait le mot d'ordre de I'oppression materielle des classes inferieures, des savans, et des artistes. Cette pretendue science etait la negation meme de toute science sociale j elle n'etait autre chose que la constatation des phenomenes bien ou nial entrevus qui resultaient 3o4 PHILOSOPHIE. fatalement d'uue. agglomeration d'hommes fondee sur un prin- cipe directement contraireh I'idee de societe, si on pent appeler im principe Tisolement, lalutte, I'individualisrae. Elle se divisait en deux branches : sous le nom de finances, c'etail un certain art de grouper des chiffres qui se reduisait en derniere analyse a. de- couvrir les moyens les plus adroits de tondre le troupeau sans le trop faire crier ; voilh le service qu'elle s'efforcait de rendre aux gouvernans du jour, quels qu'ils fussent : et par rapport au peu- ple, toute sa valeur etait precisement de n'en avoir aucune ; son role consistait a ne rien faire , "a laisser faire. Egoisme de chacun , guerre entre lous , privilege des riches, misere eternelle des pau- vres ; voila ce qu'elle proclaraait comme I'etat normal de la so- ciete. La concurrence, qu'elle celebrait comme la loi meme de la justice, n'etait , en offet , qu'une table de jeu oii se trouvaient d'un cote certains oisifs privilegies, de I'autre liramense peuple des travailleurs , et ou tons les des etaient pipes au profit des premiers. En vain la science prodiguait ses enseignemens a. I'in- diistrie , en vain les forces humaines s'accroissaient par les de- couvertes dans une etonnante proportion , en vain le genie in- ventait machines sur machines ; les inventeurs d'idees , de meme que les producteurs de force materielle , se trouvaient tou- jours au meme niveau aride et desseche : I'ocean de richesse coulait du peuple des travailleurs, maisne remontait jamais jus- qu'a lui. Aveugle science que rien ne pouvait oclairer ! la popu- lation ouvriere, ecrasee par la concurrence des machines , voyait en elles ses plus acharnes ennemis : mais I'economie politique se rejetait sur I'ignorance du peuple, et, comme le bourreau de don Carlos, elle disait an peuple que c'etait pour son bien qu'on I'egorgeait. Un jour pourtant elle eut I'idceque les perturbations dans I'induslrie, les effets de la concurrence, pouvaient etre quelquefois funestes, et que le peuple des salaries etait conti- nuellement expose a produire des enfans en trop grand nombre : elle y pensa long-tems, et ne trouva pas d'autre remede que de conseillerla continence au peuple. Encore si elle avaiteu, comme le christianismc, un autre monde a lui precher pour compensa- DE LA PHILOSOPHIE ET DU CHRISTIANISME. 3o5 tion a ses douleurs et a ses privations ; mais, par son principe raeme d'absolue liberie et de non-intervention de la societe en aucune chose, elle laissait s'abimer inevitablement les derniers vestiges des croyances chretiennes, et otait toute esperance de voir jamais d'autres croyances les remplacer ; elle ensevelissait la cha- rile dn christianisme, et erigeait en loi "a la place le plus de- cbarne des egoi'smes : restait done anx niiserables , pour toute consolation, son infernale loi du sort ; an lien d'un autre monde, elle leur prechait la necessite. Enfin le prestige est passe, grace aDieu; cetteeconomie politique, que Byron, par un pressenti- ment de poete , poursuivait , il y a quinze ans deja , de ses rail- leries ameres(l), quandelle regnaitsans contestation, n'ose plus lever la tete. Pour arriver en effet a une si revoltante inegalite et s'y tenir, Thuraanite n'aurait jamais du quitter son berceau ; pour arriver k une si alroce loi de hasard , ce n'etait pas la peine de renverscr I'ancien regime ; le dix-huitieme siecle et la revolution n'ont pas eu de sens s'ils ne devaient aboutir qu'a une si absurde confusion (2). [i) Don Juan, etailleiirs. (2) Crtte Economic polititjue a cependant eu son utilite , sa raison d'etre; ct menie aujourd'hui, quoiqun ruinep conime theorie et commc pliilosopliie, elle est encore necessaire en pratique. Pour s'affranchir do Tassociation theologique-feo- dale , et ensuite pour se preserver de la restauration de I'ancien regime, il faliait bicn proclamer Findividualismcctla libre concurrence; il faliait bien reduirelegou- vernement a la fonction de gendarme ,• il faliait bien, conime I'a fait HI. de Tracv, <5crire que les gouvcrnemcns etaient des ttlceres , qu'il ^tait bon de circonscrire le plus possible, ne pouvant les extirper. Aujourd'hui encore, les fjouvernans neprd- sentant aucune garanlie de lumieres et de moralite ^ la societe , representee par ses mandataires , nepourrait qu'avec des precautions infinies leur confier la direction materielle ou morale de sesinterets. Consequemment, en pratique, la limitation de Taction gouvernementale et 1' abandon des forces sociales a Tiuteret prive, a I egoisme des particuliers , b la concurrence et au hasard , soiit encore une ne- cessite. Mais c'cst toujours un grand progres que d'avoir detruit cette economie politique comme theorie. La consequence est qu'il faut resoudre le probleme du gouvernement, chrrcher et troiivcr les moyens de pouvoir lui confier avec isecu- rite la direction et Tadininistration de certaines forces sociales duns I'intcret du plus grand nombrc. 3o6 PHILOSOPIIIE. Mais, je le repete, cette econoraie politique est deja luorte aii- jourd'hui, et n'a plus de defenseurs. Depuis juillet, la critique de la societe, telle quelle Tenteudait et telle qu'ellc aurait voulu laniaiutenir et la coustituer, a ete auipleraeut faite ; et il est re- sulte de cette critique une I'oule de veriles qui sout des "a present au-dessus de toute contestation. II a ete deraontre que ne pas reconnaitre "a la politique un autre hut que lindividualisme, c'etait livrer les classes inferieures a la plus brutale exploitation. L'histoire a ete deroulee ; toutes les phases principales de I'ex- ploitation de Ihonime par I'lioninie out ete marquees ; et de siecle en siecle, le progres continuel de remancipation de la classe la plus norabreuse et la plus pauvre s'est revele. La loi du progres est devenue la foi religieuse de toute les anies clevces. La comparaisoii du proletariat avec I'esclavage antique et le servage, coniparaison qid n'avait pas echappe a plusieurs des ecrivains du dernier siecle (1), a ete mise dans tout son jour. En vain des soplilstes ont pretendu que I'egalite regnait aujour- d'hui, puisqu'il etait loisible a tout homrae de s'elever de la plus basse condition "a la fortune et au rang. On a demontre aux so- phisles que pour un proletaire qui , par exception, s'einancipe et passe dans la classe bourgeoise , il en nait un autre et peut-etre deux qui prennent sa place dans ce fond epals et croupissant de la societe. Ace compte, d'ailleurs, il faudrait nier aussi I'escla- vage; car de tout terns , partout ou I'esclavage a existe, il y a eu des affranchissemens (2) . De la phiiosopliie de l'histoire ainsi faite depuis deux ans, il (1) En dcliors dc Tt^cole de Turyot, c'est justice de citer Linguet, esprit de- rousu , mais doiit les paradoxes ne sont pas tous aujourd'hui des paradoxes, doiil la vue etait percante en histoirc, et qui a dit beaueonp de verites trop fortes pour son terns. Lc parall&lc du proletariat et de reselavagc elait sa matiere favo- rite , et il donnait la superiorite a rcsclavage. (2) Est-ce avec son salairc dc six sous par jour que le proletaire qui fait partii; DE LA PHILOSOPHIE ET DU CHRISTIANISME. So'] est resulle cette conviction, qui chaque jour gagnera davantage, que i'abolition de la noblesse n'^st qu'un prelude et un achemi- nenient a I'abolition du privilege de la bourgeoisie, a I'eleva- tion du proletariat , et que la tete du tiers-etat, aujourd'hui heu- reusemeut emancipee , n'aurait ni droit ni bonne grace a se constituer a la place dela noblesse, quelle ii'a renversee qu'avec le secours des masses populaires. des vingt millions de Fraiifais roir pour hut l' ame- lioration morale , intellectuelle, et phjsique, de la classe la plus nombreuse et la plus paui^re; Formule qui n'est pas la plus generale qu'on puisse donner raeme de la politique consideree a part, mais qui, par son but precis, est la plus evidente et la plus entrainante. L'e- cole saint-simonienne , qui I'a expriniee en ces termes, en con- naissait toute la profondeur ; elle savait bien qu'il y avait la le programme de toute une religion. L'erreur fondamentale de cette ecole, dans la direction fausse ou elle a ete lancee , a ete de croire a la possibilite d'une trans- formation subile de la societe tout entiere, a la maniere dont ou 3l2 PHILOSOPHIE. suppose que les religions et les legislations anciennes se sont for- mees. Soil erreur secondaire, et qui derivait de I'aulre, a ete de me- priser et de deprecier les institutions de pure liberie , et de ue pas voir leur immense utilite et leur absolue necessite pour faire triompher les interets de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre, en transformant lesidees par la discussion, et en permet- tant au genie de I'innovation de presenter, dans la triple direc- tion de la politique, de la science et de Tart , toutes les inspira- tions qui peuvent servir de vehicule et d'alimens a celte trans- formation . L'erreur des publicistes republicains a ete de ne voir qu'un combat la ou il s'agit du probleme de la legislation tout entiere, de croire vaguement que leurs predecesseurs avaient produit des institutions qu'il s'agissait d'appliquer, lorsqu'evidemment, et de Taveu raeme de ces illustres morts , la societe n'a ete conduite par eux qu'au seuil de sanouvelle demeure, et, au lieu de con- tinuer I'oeuvre du dix-huitieme siecle et de la revolution sous toutes ses faces, de se borner k vouloir realiser quand les idees ne sont pas faites (1 ). I i)!^^ declaration des droits ddcr^tde par la Convention en juin 1793 est certainement , commeiddes, le point culminant de la revolution. Voici le teste des premiers articles : « La Convention nationale proclame, a la face de I'uuivers , et sous les yeux » du tdgislateur iminortel, la declaration suivante des droits de rhomine et du » citoycn : » Article I. Le but de toute association politique est le niainticn des droits ■n naturela et iinprescriptibles de Vhomme et le d^^>eloppement de toutes je.t ■nfacultes. » Art. II. Les principaux droits .de I'homme sont ceux de pourvoir d hi con- » serration de ^existence et de la liberty. ■n Art. III. Ces droits appartiennent dgalement a tous les hommes, quelle que » soit la diffdrence de leurs forces physiques et morales. . . . [ DE LA PHILOSOPHIE ET DU GHRISTIANISME. 3 1 3 De Ik aussi cette tendance trop etroite de leur politique, qui we s'attache qu a detiuire un pouvoir ephemere , au lieu de s' at- tacker a transformer la societe elle-merae. Certes la fletrissure de tant d'actes politiques infaraes qui de- » . . . Art. VI. La propriM est le droit qu'a chaque citoyen de jouir et de dis- )) poser, a son gre, de la portion de hien /jui lui est garantie par la loi. » Art. VII. Le droit de propriety est borne, comme tons les autres, par To- » bligation de respecter les droits d'autrui. » Art. VIII. II ne pent prcjudicier ni a la suret<5, ni a la liberty, ni a Texis- )) tence, ni a la propriete de nos semblables. » Art. IX. Toiittrafic qui viole ceprincipe est essenticilenient illicite el im- » moral. » Art. "X. La societe est obligee de pourvoir a la subsistance de tons ses nicni- » bres , soit en leur procurant du travail , soil en assurant les moyens d'exisler a w ceux. qui sont hors d'etat de travailler. » Art. XI. Les secours indlspensables a celui qui manque du necessaire sont » une dette de celui qui possede iesuperflu. II appartient a la Ipl de determiner » la maniere dont cette dette doit etre acquitt^e. » Art. XII. Les citoyens dont les revenus n'excedent point ce qui est neccs- » saire a leur subsistance sont dispenses de contribucr aux depcnses publiques ; » les autres doivent les supporter progressivement selon I'etcndue de leur for- » tune. 1) Art. XIII. La societe doit favoriser de tout son pouvoir les propres de la 1) raison publique, et metlre I'inslruction a la port^e de tous les cilovcns. » Etc Le sentiment d'un nouvel ordre social a fonder respire partout dans cctle ad- mirable declaration; tout Y est en germe, mais rien n'y est encore qu'cii ^ermcLa question philosophique de la propriete y est profondement entrevue, mais clle n'v 'est pas nettemcnt resolue. L'idee s'y trouve, mais sous des voiles comme si ( chose singuliere! ) Taudaco avail manque a la Convention pour dire toute sa pensee. Cependant , je le r^pete, Tidec s'y trouve : la propriete v est subordon- n^e a la volonte soriale exprimee par la loi ( article 6 ) ; le droit de propriete est borne et restreint (art. 7, 8 et 9 ) ^ le droit de chacun a la subsistance est reconnu ( art. H ); et subsldiairement , et comme moyen d'am^lioration pour le sort du peuple, rexemption de tout impot pour les pauvres el Timpot progressif pour les riches sont proclamcs ( art, 12); enfm le devoir pour la societe de com- mencer la realisation de Vegalite en donnant I'instruction aux jeunes generations sans distinction de naissance , eten favorisant de tout son pouvoir le profres de la raison publique ( art. i5), indiqiie clairement rarriere-prnsf e d'une nouvelle TOME LV. AOUtIS^S. 21 3l4 l»IIll,OSC)PH[E. puis divdx ans se sont acconiplis sous iios yeux est iiii devoir de conscience qui doit etre cher "a tons ceux doiit le coeur est pur de hassesse ct que Tamour du peiiple enflamme ; asffiifenieul aussi rceuvie du jour ue doit pas etre negligee, I'avenir n'est qu'a ce tnnstitutionxle la societc. En sorte qu'en y inlercalant quelqucs ide'es intennc- diairos, et eu reniplafant qiielques expressions par des synonymes qui sont en usage aujourd'hui,' on pcurrait traduire la De'clanitiun de la Convention par les formules suivantcs : \° L'homme est libre naturelltment , et, sous cc rapport , Thomnie est <^gal a I'homme. 2" Le droit do proprietc est de sa nature reslreint ct soumis a la loi. La pro- priety est csseiiticllcment foiidee sur Ic travail ; par consequent eliacun n'a droit ^quitablement qu'a une retribution proportionnce a son travail ; car tout ce qui excede cette recompense est nccpssaireinent exploitation de Pliomine, ahusif et contraire aux droits de rhomme. {^Arl. 1 — 10.) 3° La societe actuelle est composec de riches et de pauvres. La loi pent et doit , progressivement ef par des moyens approprjj's au progres des lumieres , otcr aux riches le snperflu pour donner le nccessaire aux pauvres (.-//i. \ 1 .) 4" II y a des citoyens dont le salaire ou les revcnus n'excedcnt pas la subsislance {^les prol(itaires)\ il y en a d'autres dont les revenus excedcnt li subsistance ( /e? oisifsy Le privilege des oisifs, doit etre des ;i present diminuiS par la levee dc I'impot, qii'eux seuls doivcnt supporter. [^Art. 12.) 5" La soeiet<5 doit a tous scs enfans Tinstruction , et clle doit prendre en main le progres de la raison publique. ( -/rl. \o.) En d'autres termcs, le hut dc la so- ci^te n'esl pas lindividualisme, niais I'association ; leTjUt de la revolution fran- faise n'est pas seulrment la destruction de I'ancien oidre social , mais 1 edification d'un ordre social nouveau. Et celte declaration, les representans du peuple la fonl devant le Dieu de Tu- nfvers, le le'gislaleur immortel, cotnme ils le nomment, niant a la fois, comme ils le devaient , I'adcration idolatrique du christianisme , et affirmant Dieu, dont I'humanite d'aujourd'hui a une conception plus ;',rande et plus pure que loutes les conceptions anterieures que les hommes s'cn sont faites. En tout, done, cetle DfSclaration, si grandiose, n'est pas sculenient le cri do victoire sur la destruction de I'ordro chretien-f^odal , mais le prodrome d'un or- dre nouveau fondc sur I'cj'.alitd el sur !a science. II y a plus, il est dvident que les principales formules que, depuis juil'ie', I'ecole saint-simoniennc, avant sa division , a repandues dans le nionde, soni la traduc- tion fidele, sinon litterale, des principcs de la revolution francaisc exprimr's dans celte Declaration. La tln'orie de cctic (5cole sur la proprieli5, sa distinction div DK LA PIIILOSOPHIE ET DV CHKISTIANISME. 3l5 prix : niais rappelons-nous que c est pour nous etre occupes pen- dant quinze ans de I'ceuvie du jour sans autre prevision , que nous sonimes arrives, apres juillet, a I'etat ou nous sommes. Evidemrnent pour faire prevaloir les interets de la classe la prol^taires et des oisifs (de ceux dont Ics revcnus n'excedcnt pas la subsistance et de ceux dont les revenus cxcedent la subsistance, comme dit la Convention, dont la definition est parfaite, et deviendra la base de toute reconomie politique) , sont, la premiere implicitemeni, la seconde tres-expiicitement, contenues dans la decla- ratiun de \ 793. L'ecolc saint-simonienne n'a fait que feconder ccs idees par les beaux travaux de son maitre sur la philosophie de riiistoire, et par des etudes positives sur la production et la distribution des richesses. Elle a ainsi ^lucidd d posteriori les principes pos^s par la Convention, et qui n'ctaicnt d'ailleurs que la consequence des theories du dix-liuitiemc siecle sur la liberte et re;;alile. Mais, d'un autre cot^, voyez comme ce programme dc la Convention s'arrcte brusquement. Sur la propriete, la Convention borne sa pensee a donner a tous la subsis- tance ; et, dans I'article 5 , ayant occasion dc remarquer rimmonse in(5galite na- turelle des hommcs , la difference de leurs forces physiques et morales, elle n'osc rien en deduire. Elle affirme bicn, avec raisnn, que, mahjre cette inegalit^ na- turelle, lout homme a droit a la subsistance ; mais cette inegalite naturelle ne 1 ni fonrnit aucune induction sur la veritable egalile sociale. Le principe ^ chacuu sui^'antsa cupacil^, a chaque capacild suii'cnit ses oeiifres , proclamd par l'e- colc saint-simonienne, est un progres sur les formules de la Convention. Sur la question des oisifs , la Convention pose en fait que par Timpot progres sif on pent puissammcnt agir pour oter aux oisifs le superdu et donner aux pro- lotaircs le necessaire. Mais c'est une erreur de croire que I'assiette de I'impot ait par elle-mcmc une teile vertu. II est, au conlraire, bien evident, quand on y rcdechit un pen, que, quelle que soit la maniere dc prelever Timpdt , ce seront toujours les travailleurs qui le paieront. L'ecole saint-simonienne a continue le progr6s en montrant cotiiment par la somme et la repartition de I'impot, bear.- coup plus que par son mode de perception, on pouvait influer sur I'indgalild des fortunes. Enlin , sur la question du gouvcrneraent , ou de la societe collective , la Con. vontion est encore plus vague et p'us timidc. Assise sur les ruines qu'elle venail de faire dc I'ancien ordre cliretien-f^odal , elle est comme clonuee d'elle-memo en voyant le vide qui est sous ses pas et Tabsolue ndcessite dun ordre nouveau. C'est au nom de la libertd qu'elle a renvcrse Pancienne association, et les solu- t ons lui manquent pour conccvoir une nouvelle societe qui, sans d^.truire la li" 2^ 3l6 PHILOSOPHIE. plus nombreuse et la plus pauvre, les institutions de pure li- berie, ces forteresses , ces positions dont on s'est si bien servi pourbattre enruines la restauration, sontaussinecessairesqa'elles rontjamaisete. Si elles n'etaientpas vigoureusenienl defendues, si le despotisms enlevait ces gai'anties comme on les nomine, le progres deviendrait impossible, on se ferait par une epouvanta- blesecousse. Mais , d'un autre cote , faut-il s'en servi r comma on s'en servait contra la restauration ? Sous la restauration, on se battait contre I'ancien regime; or I'ancien regime avait deja ete renverse en 89. On se battait contre la noblesse ; mais au fond la cause de la noblesse etait perdue de- puis 93 On se battait contre le catholicisme ; mais au fond le catholicisme etait vaincu depuis le dix-liuitieme siecle. Bien des gens sans doute tenaient par interet , par vanite , par supersti- tion, quelques-uns meme par une conviction raisonnee, au re- gime theologique-feodal ressuscite : mais ceux meme qui y te- bert^ , rdalise Tegalite. Cependant elle n'h^site pas : elle donne a la socidtd col- lective , c'est-a-dire au gouvcrnemeiU, la plus grande des attributions, celle d'e- lever les nouvelles generations , et de favoriscr de tous ses efforts le progres de la raison publiquc. Elle constilue done Tidee soci^id. Conibicn la Convention , dont le genie fut d'instinct aussi cr^ateur que des- truclciir , mais "a qui la destinde ne laissa qu'un instant rapide comme Tcclair , etait loin de ce miserable systenie de V ind'n'idualisini: auquel la France fut lorcec de consentir et de donner des applaudisseniens sous Pempire et sous la restaura- tion I Mais , quel que liit son dessein , elle n^a pu fairc entendre qu'un vocu , un d^sir , un pressenliment. Horames illustres de la Convention , vous sentiez profonddment I'avenir ; mais vous n'avez eu qu'un moment, et c'etait au .milieu du carnage. Affranchisscurs a a fois et initiateurs , vous avez fait tout ce que vous pouviez faire; vous avez dit le dernier mot sur le passd et le premier sur I'avenir ; vous avez n'ti la souidte du passe , la religion du passe , et vous avez aflirme un Dieu nouveau , une bumanitd nouvclle ; vous avez ainsi reconnu I'idde qui fait I'essence de la socield, et vous en avez appeic pour la realiser au progrfes de la raison publiquc. C'est "a I'esprit hu- niain aiijourd'liui a resiimer toules sos richesses , a rassembler toutes ses forces , pour donner Us elemens de cet ordrc nouveau que vous avez enlrevu quand vous passicz devant recliafaiid comme des ombres. DE LA. PHILOSOPHIE ET DU CHRISTIANISME. 3 I 7 iiaient le plus ii'y tenaient que faibleraent; ils avaient des inte- I'ets materiels plus chers; leur croyance etait miserable, et leur attachement a leur croyance etait bien loin d'aller jusqu'au mar- tyre; trois siecles de critique, des moeurs nouvelles, les idees scientifiques et historiques largement repandues sur la societe , la reforme, la philosophie, la revolution, avaient brisea jamais les racines profondes de cet arbre releve et tenu de main d'homme , mais qui n'avait plus ni fruits ni feuillage. Cela est si vrai que juillet a balaye en un seul jour loute la vieille monarchie, et n'a vu ensuite qu'une ridicule parodie de la resistance que I'ancien regime fit il y a quarante ans. On pouvait done hardiment et sans guerre civile trailer I'an- cien regime en ennemi. Quelle difference avec la phase nouvelle ou nous entrons ! Certes , nous ne ferons pas I'honneur a la mo- narchie intruse apres juillet de la regarder comme I'ancien re- gime. La classe bourgeoise , la classe proprietaire , la classe qui tient par interefs et par sentimensau systeme de I'individualisme pur, voila done I'ennemi ! Et en effet la quasi- restauration est le gouvernement des proletaires par les bourgeois , comme la restauration etait le gou- vernement des proletaires et des bourgeois par la noblesse. Voila I'ancien regime nouveau qu'il s'agit de combattre. Mais faut-il pour le combattre que I'esprit de progres tourne contre lui scs armes de destruction precisement comme il les tourna contre I'ancien regime ? En prenant ainsi la politique , en vous servant ainsi des institutions de pure liberte, vous pourrez avoir de hautes inspirations, de I'energie , de I'eloqnence , des raisons puissantes et solides ; comme le geant fils de la terre , la terre , que vous toucherez , vous remplira de force : mais si vous vous bornez "a cette Inlte, sans presenter de solutions, voyez • on vous allez : vous allez a I'impuissance ou a. la guerre civile. Ce nest plus la , en effet , cette noblesse decrepite et vaincue par trois siecles , ce ne sont plus ces emigres rentres a la suite des bjagages de I'enuenii ; cen'estplus, pour tout dire, un fantome du 3l8 PIIILOSOPIIIE. passe : c'est une portion considerable de lu nation, niakicsse des instrumens de travail , disposantdu soletde I'industrie ; c'est la portion qui lit, qui a du loisir el qui pense ; c'est ce tiers-etat, en lui mot , qui , depuis le seizienie siecle , a tout renuie et tout mis en train , qui se prit a la reforme , puis a la philosophie , puis a la revolution, et qui vient de soutenir contre la reslauration ini debat de quinze annees. Avec quoi le combatlrez-vous, avec quoi vaincrez-vous et ses interets et ses prejuges, si vous ne le transforraez pas lui-merae ? car ce n'est pas liil seul qu'il faut de- tacher du systeme de Yindwidualisme politique •, c'est le peuple des proletaires lui-meme , le peuple , qui , par I'effct inevitable de sa condition , recoit les idees echappees an luxe des riches , quand ceux-cl les abandonnent , comme il en recoit les modes quand elles sontsurannees, et qui les rctient ensuite avecachar- neraent contre son propre iuteret, et quand ses adversaires memes n'osent plus les soutenir. Ainsi c'est la nation tout euticre quil faut elever, trans- Ibrmer. Et oil est voire dix-huitieme siecle , votre siecle d'idees, votre siecle prcparateur? Done, par toutes les voies , soit qu'ou considere la liitte poli- tique du moment et la du'ection a donner "a cette lutte, soit qu'on enlrc directement daus la question de Tavenir , toujours on arrive aux mtraes conclusions : Les theories d'avenir ne sont bonnes qu'aulant qu'elles ue perdent point terrepour s'egarer dans le reve, et qu'elles savent que les grandes syntheses soclales se font par tous, et nou par quelques-uns , par progres continu, et non par cataclysmes; Et reciproquement la poleniique du jour n'est bonne qu'au- tant qu'on y joint I'idee d'association et des problemes que ce mot suscite : autremcnt la tendance de cette poleniique devieudrait funeste h la lougue, puisqu'elle conduirait inevitablement a la violence et a la guerre civile. II y a pins, cotto polemiqne, pom- reiissir , pour prendre les DE LA PHILOSOPHIE ET DU CHRISTIANISME. 3ig esprits , a besoin de s'elargir, d'embrasser les questions sociales, d'en presenter des solutions ; autrement elle risque de ne paraitrc (ju'iiii sentiment aveugle et destrnclif. II n'y a meme de force et d'aliment pour elle que dans cette voie ; c'est ce qu'on pourrait demontrer sous une forme pour ainsi dire malhematique. II n'y a en effet, en politique, que deux systemes, Tassociation et I'individualisme. Or, en se bornant a ces termes goui^ernement et opposition , la restau ration presen- lait a lasocietc, sortie du dix-huitieme siecle et de la revolution, les debris de I'ancienne association catholique-feodale ; roppo^ sion devait done lui opposer I'individualisme. La quasi-restau-^ ration , au contraire , presente pour systeme I'individualisme pur ; done uecessairement I'opposition doit presenter I'asso- ciation. Dcs problenics que soiileva le mot d'association. VII. Supposez done la marche de I'avenir aussi lente que pos- sible, prenez tous les temperamens que vous voudrez, remettez- v o US-en , pour les solutions de toutes les questions, au tems,. a la sagesse de la representation nationale, au progres general des lumieres ; toujours est-il que , des "a present , la societe entre dans une ere nouvelle, ou la tendance generale des lois, au lieu d' avoir pour but I'individualisme, aura pour but I'association. Voila le Rubicon qu'il faut ou non passer, et au-delh duquel tout change d'aspect. De la, a I'epoque on nous somraes, deux generations de I'esprit presque complctement differentes et ei\ Loutes choses opposees : ceux, en tres-pelit nombre encore ( i] lautl'avouer), qui out franchi ce passage, et ceux qui restent eu decb. Pour ceux qui ne veulent pas le franchir, la politique n'a pas de but religieux, ce n'est qu'une intrigue : I'art n'est pas une chose religieuse , ce n'est qu'une distraction ; le passe et I'avenir :?unt sans lien , I'avenir est sans couleur , et le passe n'est qu'une- 320 PHILOSOPHIE. eiiigme obscure. Mais le nombre de ceux qui atleigiient raiilrc rivage aiignienle tons les jours ; ct deja s'iudiguer et se revoller conire celte tendance nonvclle de la politique, c'cst declarer que Ton n'aimt! pas le peuple et son eniaucipalion, que Ton ne voit dans I'histoire qu'un rscueil de fails sans providence, et que Ton ne sent point I'esprit de Dieu dans Ihumanite et dans la nature. Notre intention n'est pas d'etaler ici tons les probleines que souleve la mol d' association, mais seulenient de niontrer aux politiques qm" s'obstinent a isoler la politique de toutes les autres questions qu'ils raarchent en sens contraire du but de la poli- tique. S'il est vraien effet que le but actuelde la politique soitl'asso- ciation , comme d\ni autre cote il est clair pour tons que la so- ciele actuelle touchcau dernier terme del'individualismeet dela desassociation , il en resulte necessairement que la politique a k resoudre progressiveinent le probleme de la legislation tout en- tiere. Ce qui preocciipe presque exclusivement aujourd'hui les ecri- vains politiques, c'est le gouvernement et la chanibre. Or, pour nous borner a ces objets de toute leur attention, nous deman- dons ce que doivent etre le gouvernement et la representation nationale pour realiser le but de la politique, c'est-a-dire Tasso- ciation. Quant an gouvernement, I'interet du peuple et la necessite meme de I'ordre social exigeront dans les gouvernans autant de inoralite que de capacite. Vous ne pourrez pas vous contenler pour gouverner d'horames quelconques , corame ceux a qui le hasard remet aujourd'hui la direction , non pas de la societe , chose dout tout le nioude et eux-memes sentent l^ien qu'ils se- raient profondement indignes, mais seulement de certaines forces sociales dont une societe , meme dans la plus complete desorga- nisation, ne ])eut se dispenser d'investir son gouvernement. Or u'cst-il pas (ivident que ces garanties de nioralite et de lumieres no se irouveront chez les gouvernans qu'aulant que la socielo DE LA PHILOSOPHIE ET DU CHRISTIANISME. 32 I elle-raeme aura uii fondenient de certitude, uii systeme de croyances, et un but? Et u'est-il pas evident encore , quand on y reflechit, que ce fondenient de certitude, ce systeme de croyan- ces, et cette intelligence d'un but social, ue petivent resulter que de retablissement d'uu certain nombre de verites gene- rales embrassant le passe et I'avenir de Thuraanite? Et, en de- finitive , qu est-ce qu'un tel systeme de croyances , sinoii une re- ligion ? Quanta la representation nationale , si vous ne lui donnez pas une spbere d'action plus etendue que celle ou elle s'exerce maintenaut, si vous ne lui concevez pas dans i'avenir des attri- butions et une essence autres que son essence et scs attributions actuelles, il vous est evidemment impossible de concevoir quelle puisse accompllr la realisation progressive dii but de la politique, c'est-k-dire de Fassociation. Mais si vous prevoyez le terns oil la representation nationale, cojur du peuple,fera circuler la vie dans tout le corps social, se montrera douee d'energie et de sa- gesse, et fera de graudes choses , preparez done I'avenir, et ou- vrez la voie en etablissanten theorie que la representation na- tionale doit , suivant Toxpression de la Convention, prendre en main le perfectionnement de la raisou publique. Acheminez ainsi la societe vers I'avenir ; car immanquablement un jour la repre- sentation nationale sera mi concile, pour nous servir de I'expres- sion des terns passis ( 1 ). (t) IN'esl-ce pas une pure illusion que cette pretendue separation des choses civiles et des choses spiriluelles qui senible la base et le point de depart de toulcs lies lois ? Cette separation est-ellc I'ondee sur une verilii enseignee par la raison , »ur un principe raisonnable ? ?{on ; ce n'est que le resultat de Viinpnissance. La raison et la science inoderncs, apres avoir renverse I'ordre chiclien-feodal , ont essayed' organiser la societe, et , les solutions organiques n'etant pas trouvces, Ic legislateur n'a pu que I'airc un reglcineiit d'ordre sur des mines. Mais, encore qnc fois, I'inslincI de la philosophie el dc la revolution n'ctait pas de sc bornci- a une si pitoyablc chose : jiendfiit opcru inlerrupta. Toutefois il a cle impossibie 32 2 PIIIIOSOPIHE. Pclitiqucs dii jour, voiis le voyez, il faut en revenir a celte vieille maxime , que c'est par la vertu et la religion que les na- tions existent et prosperent. Une fois arrives a reconnaitre que le bnt de la politique estlassociation, vous ne pouvez plus faire un pas sans toucher aux plus hautes questions morales, scientifiques, i'e]iii;ieuses. Vous demandez, par exemple, I'instruction pour les enfans du peuple. Mais il a ete demoulre que I'instruction sans morale est plusnuisible qu'utile au peuple, et voilh meme la statistique qui vous prouve que cette chetive instruction qui se borne h ap- prendre h lire au peuple , loin de tarir les delits et les crimes , semble au contraire les multiplier. Ce n'est done pas seulemeiit d'instruction que le peuple a besoin , raais d'education. Or sur quoi pouvez-vous fonder une education, une morale, sinon sur lui systerae de croyances embrassant le passe, le present el I'a- venir del'liumanite, les rapports dcs liommes entre eux, et les rapports de I'liuuianite et de chaque homme avec Dieu ? Vous demandez I'instruction , vous voulez propager les lu- mieres ; mais, en propageant les lumieres, vous u'aurez fait qu'accroitre les besoins legitimes du peuple, et cnflammer de au Idfjislateur de s'abslenir, et , tout en proclaniant la separation des clioses ci- viles ct dcs choscs relif^ieuses , nos asscmhlees depuis la Constiluante n'ont cesse de^l^fesser de verilablesiJo^we? qui se lient a toutes les questions religieiises et <[ui en sont des solutions. Dans Ic detail des lois, meme pretention de s'abstenir, ct en idsultat meme intervention. Question des rcjjistres de l'<;tat civil, du ma- riage ct du divorce, question de Tcducation publique ct de Tuniversite , question des communautes rcligieuses , ctablissement des temples , fondations religieuses, nos lojistes ont tout rc;;ieuicnte; ils ont suivi riiomme depuis la naissance jusqu'a la toinbe, ct Icurs lois, pour ctrc ncj;atives la plupart, f.iulc des solutions qui sont a trouver et que Tavenir trouvera, n'cn ont pas moins cu une influence tres-posi- tive. Qu'on y soiige un pcu ; la Constituantc fut un concile, la Convention fut ui\. concile, ^iapoleon fut pape ; ct il n\ a pas si clidtive et si miserable assemblde rcpruscntalivc depuis trcnic aas qui n'ait I'ait actc de pouvoir spiriluel lout ci^ crovant souvent lie s'occuper que du materiel. DK L,^ PHILOSOPHIE ET DU CHRISTIAN fSME. 32 3 plus en plus cette passion d'egalite qui est la verlu de notre age. Done , apies avoir donne I'instruction, il faudia songer a autre chose, c'est-'a-dire "a des institutions tendant vers un nouveau classeraent social fonde sur le nierite. Poussez les consequences, et vous etes amenes a concevoir la necessite d'une organisation toute nouvelle de Tindustrie, et d'une bierarchie nouvelle dans la societe. Or sur quel fondenient cette, societe nouvelle pent- ellereposer, sinon encore sur des croyances liees, encLainees , universelles ? Autre exemple : vous voulez , dites-vous , que la societe s'oc- cupe colleclivenient de ranieiioration materielle des classes pauvres. Ne voyez-vous pas que c'esl changer de fond en comble reconomie politique et le principe meine de la societe , telle quelle existe aujourd'hui ? car introduire dans la legis- lation et dans la vie sociale le principe de la charile, et le transfoi'mer en droit, c'est, pour qui vent raisonner, porter offense a la constitution actuelle de la societe fondee sur la nais- sance et sur la propriete individuelle , et en nieme terns c'est changer completenient le but que le cbristianisuie avait donne "a ractivitelmmaine; car, poiu' lechristianisme, la charite visaitau ciel, nonala terre. Done, pour tout esprit logique et done de quel- que force, entrer, comrae, onledit aujourd'hui , dansl'anieliora- tion materielle de la condition des classes inferieures par voie gouverneinentale , ce u'est pas seulenient abandonnev de plus en plus I'ordre chretien-feodal , c'est entrer dans une nouvelle pen- see religieuse et sociale. Par quelle serie d'idees la societe peut- elle arriver a vouloir des innovations et a adopter un principe qui, de consequence en consequence, change fondanientale- ment sa constitution? Ne voyez-vous pas dans ce fait, que vous proclamez juste et necessaire, d'une amelioration materielle du peuple par voie d'intervention sociale, le germe et le point de depart de toule une doctrine qui sc developpera irresistiblement? et connnent en etes-vous arrives a proclamer cette grande inno- vation juste et necessaire, sinon en vertii d'une sorte de doctrine 324 PHILOSOPHIE. generale , obscure encore pour vous et pour le public , mais deja en possession de vous et deja implicitement consenlie par la societe? Done, que vous preniez la question par sou cote le plus mate- riel , la subsistance, ou que vous en consideriez les faces les plus elevees, vons arrivez toujours aux niemes conclusions. Toujours il vous faut enibrasser la question entiere des rapports des bommes enlre eiix , et vous elever par la pensee jusqu'aux rap- ports de riiumanite avec Dieu. Et vous arrivez a ce resnltat, soit que vous consideriez seule- meut I'idee de la poUtiijue en elle-raeme, soit que vous preniez • I'ideeplus comprehensive de societe. Qui ne voit en effet que la certitude politique est liee "a la cer- titude morale? et quel fonderaent concevez-vous aux lois civiles et a I'edifice social, si celondement n'estpas en meme tems base de certitude et assise morale, surlaquelle I'intelligence de chaque bomme trouve h s'asseoir? Et si vous prenez I'idee societe y comment lapouvez-vous con- cevoir realisee, si tons ceux qui composeront I'association n'ont pas un meme principe de certitude, une meme foi a quelque chose? Archimede proposait de remuer la terre^ n'ais il lui fallait uu point solide. Deux bommes u'ont jamais fait un effort physique ou moral de concert sans coordonner cet effort d'apres xme base commune. A priori I'idee de societe implique done necessairement I'idee de religion ; a posteriori, meme conclusion. Ouvrez I'bistoire ; voyez ce que fut la societe grecque ou romaine, ou la societe chre- tienne du moyeii-age, la societe eufm partout ou ily a eu societe. Partout vous verrez une unite vivante, qui se realise par la poli- tique, la science et I'art, et qui, prise dans son enlier , est uHe religion. Vous vous plaignez d'etre forces par la logique de revenir k la religion ct d'aborder de tels problemes. Alors delaissez la politi- que, (^ar tons ceux qui se sout occupes de politique cu grand DE LA PHILOSOPHIE ET DU CIIRISTIANISME. 325 avant vous oat passe par ou voiis ne voulez pas passer. Robes- pierre et Saiut-Just, sur la Crete sanglante de la Montagne, fermes devaut I'echafaud ou ils precipitaient leurs adversaires qui les y appelaient a leur tour, furent bien forces de reflechir sur ces grands problernes. Napoleon y revait sur son cheval de bataille , quoique son role providentiel fut d'etre le continuateur an dehors de I'ceuvre de destruction de la revolution francaise ; aussi ne trouva-t-il que les mines du passe k rassembler pour uue halte d'un moment. La Restauration fut bien forcee d'y reflechir, etde chercher a concilier avec les exigences du present le christia- nisme de iios peres, ellequi se defendit pendant quinze ansavec leseul appuid'une doctrine foudroyeepar le dix-huitieuie siecle, laquelle avait vu trois generations s'elever et se succeder depuis sa defaite. Et vous, vous ne voudriez pas conslderer le probleme social dans toute son etendue , quand la derniere crise est pres d'arriver, quand pacifiquement ou par secousses violentes la societe euro- peenne marche vers la realisation de cette egalite si annoucee et si inevi tablemen t necessaire , quand tons les problernes out ete poses , quand I'ordre social a perdu toute base et tout point d'ap- pui, quand la legislation tout entiere est "a refaire, et quand le point de depart de la nouvelle societe , au lieu d'etre indifidua- lisme , sera association I Resume. Vni. Ainsi , soitqu'on considere I'idee societe en elle-meme, soit qu'on considere la societe dans I'histoire, a quelque epoque de I'histoire que Ton se place, que Ton regarde les societes anti- ques, ou la societe du moyen age, ou les cboses memes de notre tems , et les exeraples rocens qui nous precedent, la Convention, Napoleon, la Restauration , toujours on arrive pour resultat a cette grande maxime , repetee d'echo en echo dans le cours des siecles par tons leS grands hommes politiqnes sans exception ^ 3-?{\ PIllLOSOPHIE. qu'ils soicnt nes aux t-poqnes de societeoii aux q)oque3 revolu- lionnaires, qu'il n'y a pas de societe sans religion, C'est pitie d' entendre dire que la philosophic dn dix-huitieme siecle a voulu renverser toute religion. Les philosophes du dix- huitieme siecle , pour detruire le christianisme , qui avait acca- pare , aux yeux de tous, le nom et I'idee de religion , ont bien ete forces de prendre une autre banniere, et d'attaquer le christia- nisme sous le nom de religion. La plupart des choses irreligieuses qu'ils ont ecrites en ce sens s'appliquent a la religion du passe. Mais oil aurait ete la source de leur genie , de lenr«nthousiasme, et de leur puissance sur les peuples , s'ils n'avaient pas eu dans le coeur le gernie d'une religion nonvelle de Thumanite ? Et lenrs fils , leurs successeurs, les revolutionnaires, leshom- nics de la Constitnante et de la Convention , ceux qui ont for- mule les droits de riiomine an nom du Le'gislateur^ iuimortel , leur ame bridante d'avenir etait-elle privee du gerrae religieux ? QuoilBailly, Rabaud-Saint-Etienne , nVnaient pas religieux! J'aimerais mieux dire que la revolution tout entiere est une re- ligion en germe. Voyez-en toute la suite. La Constitnante s'a- vance an combat contre la superstition non moins que contre la feodalite; el!e porle en elle la vie des qiiatre siecles ccoulos de- puis la Renaissance et la Relbrme; un sentiment nouveau de Dieii et deriiumaniterinspire ; la declaration des droits est son evan-, gile. Apres elle Robespierre rcleve I'idee religion au-dessus de toutes les tetcs dans la plus sanglante melee. La Convention reconnait I'idee societe, rejette rindividualisme, et decrete que le devoir de la societe est de prendre en main le progres et le perfectionnement de la raisonpublique, c'est-"a-dire d'aniver a constituer une unite religieuse. Puis, a la fin de I'orage revohi- tionnaire, le dix-huitieme siecle cherche a rassembler ses forces, non plus pour detruire , mais pour creer, pour organiser sur des principes certains tout I'ensemble de la connaissance humaiue. Entre la Convention etl'Empire il y eut une periode de travaux philosophiques ayant un but religieux quoique egares dans la I DS LA. PIllLOSOPHIE ET DV CIIRlSTIANISMK. 39.'J voie du pur luaterialisrae , uiais qui fut bientol etouifec par le bruit de la guerre el I'eclat que jetait alors la victoire. Cest I'esprit encyclopedique de cette epoque qui crea rinstinu, la premiere ecole norinale, I'ecole polytechnique , les ecoles cen- trales, et qui voulut couvrir la France de chaires d'ideologie. II restait encore alors quelques liommes du dix-huitieme siecle, ou qui avaient vecu avec les pTiilosophes ; c'etaient Cabanis, Volney, Saint-Lambert, M. de Tracy. Esprits generaux, mais lances dans une voie inleconde , ils essayereutde resumer le uix- huitieme siecle et son idee encyclopedique, el deux d'enlr'eux tenterent I'oeuvre la plus immense, iin catechisme. Alors Bo- naparte viut, qui, voyanl ces travaux s'executer avec len- teur, et ne senlant, an fond des principes qui y presidaient, ni solidite, ni grandeur, ni poesie, effaca tout de sa main puissante, et relcva le chrislianisme, pour donner appui a son osiivre d'un jour. La fragilite de ce que les survivaus du dix-huitieme siecle tenterent d'edifier alors prouve que le dix- huilieme siecle avait plutot fail la critique de I'ordre cbretien- ftiodal que cherche les solutions du iiouvel ordre religieuxet social deFavenir , mais ne prouve rien de plus. Les tems netaient pas venus. II fallait que la politique, la science et I'art fissent de nouveaux progres dans la voie de dissolution ; il fallait que I'in- dividualJsme fut porte a ses dernierts limites, etqu'on eiigoiuat les fruits ; il fallait que le fondenieut de la societe fut mis encore plus a nu, et qu'on senlit mieux le vide ; il fallait que la pbilo- sophie de Fhistoire, que le dix-buitieine siecle n'avait pas cou- nue, futcommencee; que les sciences naturellesmemefussentjilns avancees, et qu'apres avoir cpuise les details , elles ramenasscat leur attention vers les grauds problemes ; il fallait que lesderuiers defenseursdu chrislianisme parussent, pour donner du (hristia- nisme un ideal qui fitcomprendrel'unite sociaie et religieusc ; il fallait une epoque de poesie qui , en peignaut la misere profonde de I'anarchie morale on nous vivons, ravivat dans les generations nouvelles le sentiment de Dieu ct la rharitc pour les hoiumes. 328 PHILOSOPHIE. Mais Hn'enestpasmoinsvraique la phllosophie du dix-huitieme sieole avait en olle un germecreateiir, quele dix-neuvieme siecle doit developper. Le dix-huitieme. siecle vit son idee encvclope- dique avorter, parcequ'il voulut tout fonder plutot sur le raison- nement que sur le sentiment, et qu'il ne vit pas que le but de rencyclopedie etait Torganisatipn de la vie sociale : le dix-neu- vierae siecle marche vers une encyclopedie pleine du sentiment de Dieu et vivifiee par la charite, c'esth-dire vers une religion. Nous croyons avoir demontre dans cet article que la politique, prise k part , et detachee du faisceau de la connaissance humaine, non-seulement est impuissante, mais peut aisement devenir fn- neste, et qu'elle est necessaireraent aveugle et piivee de direc- tion. Les ecrivains politiques, ceux qui aspirent a dirlger I'opinion piiblique, ne devraient done pas, comme ils le font en general aujourd'hui , abstraire la politique de toutes les au- tres connaissances , et la considerer comme quelque chose a part , croire qu'ils n'ont rien k voir dans les questions mo- rales, scientifiques , historiques , litteraires , ni ecarter avec de- dain le grand mot de religion. Cette maniere de considerer la politique est d'une elroitesse qui fait peine ; on plutot c'est un non-sens. Le bucde la politique etant aujourd'hui , comme I'evi- dence le demontre, I'association, et I'association n'etant realisable qii'autantquedes croyances morales , scientifiques et historiques, seront definitivcmentctablies , negliger, comme chose secondaire ou etraugere a la politique , tout ce qui s'appelle science et vertu, c'est aller directement contre le but de la politique ; c'est se con- damner a rimpnissance. Les ecrivains politiques devraient , au contraire , avoir constamment devant les yeux I'exemple des philosophesdu dix-huitieme siecle, qui, ayant a detruire I'ordre chretien-feodal , embrassaient I'universalite de I'esprit humain , "a I'instar de I'ennemi auquel ils avaient kfaire, et lui opposaient leur attaque sur tons les points. Ils devraient avoir continuelle- ment devant les yeux ce mot de la Convention, que la societe, en taut que societe , doit prendre en main le progres de la rnison DE LA PHILOSOPHIE ET DU CHRISTIANISME . 329 jjuhlique. Or regarder comme de peu d'importance , ou au moins laisser ea dehors de la politique la vcrtn , la morale, la science, la litterature , est-ce prendre en main le progres de la raison pu- blique? Enfin , loin de rejeter avec mepris les questions religien- ses comme indignes de leur attention , ils devraient savoir que religion et societe sont synonymes , que le but du dix-huitieme siecle et de la revolution a ete de detruire I'ordre chretien-feodal, et de lui substituer un ordre nouveau, fonde sur la liberie, Te- galite et la sciiiice. Consequemment , a Texemple des philoso- phes du dix-huitieme siecle, les publicistes dont nous parlons devraient prendre a canr de considerer et de faire considerer a leurs lecteurs les rapports qui imissent toutes les parties de la connaissance humaine ; ils devraient, comme les philosophes du dix-huitieme siecle , viser h Teucyclopedie : au moins devraient- ils voir que le debat du siecle est bien autrement vaste que le petit cercie dans lequel ils se tiennent renfermes. Nous terrainerons ici ce que nous avions a dire de la volitique. Nous croyons avoir suffisamment demontre ce que nous nous proposions uniquement de demontrer dans ce premier article, savoir, quil est impossible de trailer un peu prof onde'ment de la politique sans souleuer les questions religieuses. Ce que nous allons ajouter se rapporte autant h la serie d'idees que nous ex- poserons plus tard qua ce qui precede. Mais il nous parait ne- cessaire de ne pas abandonner la question politique sans jeter un coup d'oeil sur Y education, sur ce quelle est aujourd'hui , sur ce qu'elle doit etre. L' education , c'est encore la politique prise sousun autre aspect, etde tousle plus important peut-etre. Tout ce que nous avons dit sur la politique recevra done de Ih une nouvelle evidence. Puis nous ajouterons quelques mots sur la synthese , pour montrer le but de notre travail , et rattacher la politique, dont il vient d'etre question, a la science et a I'art , dont nous traiterons dans les autres articles. TOME T.V. AOUT 1832. 22 33o PlllLOSOFllIE. Do IV-ducatioii. IX. Eyidemmeiit le soiii dc la representation nationale se por- tera des I'abord sur les generations nouvelles. Le corollaire du principe de Y e'galite'le plus direct, le plus evident, leplus urgent ii mettre en praticpie, c est reducation pour tons. C'eat aussi la base de tons les progres futurs. La question de I'education est pour ainsi dire la pierre de tou- che de I'etat social. Si iin peuple n'a pas de quoi donner la vie morale a ses jeunes generations, quelle pent etie la vie morale de ce peuple ? « Tu ainieras Dieuettonprochaincoiiimetoi-ineme. L'homme )) autrefois a peche, etvoilapourquoi la vie terrestreest unevallee )) de larmes. Maisce u'estqu'un passage : il y aura uiie autre vie; » car Jesus, par sa inort, a rachete les homines du peche. » Avec cela tout homrae avait pour ainsi dire une houssole pour tons les evenemens de sa vie. Pauvre ou riche, heureux ou malheu- reux, il nvait pour ainsi dire la raison suffisante de toute chose. Ainsi jalonue en avant et enarriere, il n'avait plus qu'a har>- moniser sa vie avec ce point de depart et ce but. Sa naissance, sa condition, etait un fail qu'il devait accepter lei qu'il lui etait donne. Heureuse , elle ne devait lui paraitre qu'une occasion plus favorable de s'avancer vers la destinee eternelle par ses me- rites envers ses freres ; malheureuse , il u'avait pas le droit d'en murmurer. L'inegalite des conditions , la rigueur incessante du sort pour le grand nombre , le scandale de la richesse avec tons les vices chez quelqnes-uns, I'iniquite, la tyrannic des gouver- nans et des maitres , tout ce chaos enfin qui pese si atrocement sur nos ames et sur notre imagination, a nous que la philosophic du dix-huilieiue siecle et la revolution out emancipes du passe en esprit, niais non pas en fait; ce chaos, dis-je, u'existait pas pour l'homme qui portait gravee dans son cceur, des ses pre- miers pas dans la vie, la solution chretienne. Avec celte solu- DE LA PHILOSOPHIE ET DU CHRISTIANISME. 33 I lion, il n'y avait meme sur la terre aucun mal absolu, puisque tout mal etait amplement repare. Tout, au coiitraire, etait epreuve et occasion de salut pour cette autre vie qui absorbait les ames. Ajoutez que les institutions repondaient de toiue part a cette education , et qu'a chaque instant il ne tenait qu'a vous de fortifier et d'eclaircir votre foi, de la retreinper, de la regra- ver en vous-meme , en vous adressant a I'Eglise , qui, inces- samraent, jour et nuit, et par toutes sortes de voies , appelait chacun a venir se purifier et se reposer un instant dans son sein ou s'y conSer pour toujours. Or maintenant , je le demande , oii sont les principes que vous donnerez comme une boussole a vos jeunes generations ? Croyez-vous, par hasard , qu'il n'en soit pas besoin, que ce soit chose superfine et dont les hommes se passeront desormais ? Croyez-vous que rhomme , apres s etre toujours fait une solution du probleme huinain et divin, soit arrive, de progres en pro- gres , a luie epoque ou il passera sur la terre , comme Taniraal , sans conscience et sans souci de la destinee generate ? et regar- dez-vous comme le dernier terme des lumieres et de la raison de reduire trente-deux millions d'homraes a une existence purement phenomenale? Puis, concevez-vous la societe sans aucune base reconnue? Jouir, diront les uns ; souffrir, diront les autres; ha- sard, fatalite, diront-ils tons en choeur. Mais n'entendez-vous pas ceux-ci s' eerier en niurmurant : Pourquoi toujours souffrir? pourquoi sommes-nous de la race de Cain ? et y a-til une race de Cain? Le stoicisme et I'epicureisme ont pu convenir a quelques tetes bien faites, et etre , coiunie le dit Montaigne de I'epicureisme du doute, un oreiller doux et suffisant a quelques-uns ; car I'orgueil calme du stoicien a aussi sa douceur. Mais ce n'est qu'une ex- ception , un cas particulier infiniment rare. L'immense majorite _ des tetes huraaines est incapable de reposer sur cet oreiller. II faut pour s'y appuyer des dispositions innees toutes particulieres. L'epicurien qui sait vivre calme dans des bornes vertueuses est 332 PHIliOSOPHlE. iin prodige; Ic stoicien qui sail religieuseraent souffrir en est tin autre. Laissons done les prodiges, les exceptions, et considerons le grand nombre, la multitude, devant laquelle les exceptions sont comnie si elles n'existaient pas. Or, sans nieme parler de I'immense multitude, abandonnee, conime un vil troupeau, a I'instiuct de ses passions aux prises a vec la necessite et le hasard social , qu'est-ce aujourd'hui que I'education pour le petit nombre qui en recoit? C'est la lutte des traditions du passe avec la science moderne, la lutte des dogmes chi-etiens, aux- quels la societii livre I'enfance, comnie si le rebut des hommes miirs etaitassezbonpourl'enfance, etde la philosophic, qui n'estpasen- core arrivee a la hauteur d'une religion ; c'est uu melange hetero- gene de toutes sortes de principes qui ne sont pas des principes, de verites etd'erreurs melees a dessein. Lasynthesenouvelle, n'etant pas faite, laisse de toute part un vide immense, et pour remplir le vide on met a dessein I'erreur, comme si elle pouvait tenir la place de la verite , et comme si I'erreur et la verite ne devaient pas se combattre et se detruire , en telle sorte que le tout de- vienne creux et vide, ou que, la partie solide reslant, le vide finisse par reparaitre. Ainsi se forraent de fragiles caracteres , pleins de trouble et d'incoherence, oude steriles ct ingrates na- tures, n'ayant d' autre regie que Tego'isme. Et une fois la vie ainsi commencee, elle continue de faux pas en faux pas. L'en- fant devient homme , cpoux et pere ; il voit s'elever autour de lui des berceaux et des tombes ; er, a mesure, son cceur s'atro- phie et se resserre , ou se desole ct se lamente amerement ; car plus sa pensee devient grave, plus I'isolement se fait sentir, plus la misere de I'homme reduit k ses propres forces dans la solitude de cette societe devient penible et affreuse. Sur tons les grands mysteres qui enserrent la vie humaine , comme sur tons les de- voirs de cette vie, la societe silencieuse Tabandonne a lui-raeme : pfls une lecon, pas un conseil, pas un appui. Si son ceil plonge dans la profondeur de son cceur, s'il se reportc aux s(»uveniis de son enfance pour chercher les principes que la societe lui a don- DE LA PHILOSOPHIE E'f DU CHRISTlANISME. 333 lies, afiii de le preparer a ses lois, qu'y trouve-t-il? Des piieri- lites, des racnsonges, que plus tard la societe elle-meine a effaces eu s'eii moquant. On s'est joue de ce qu'il y a de plus saint an inonde, la naivete de I'ame humaine arrivant a la connaissance et a la vie. Sou imagination lui retrace des homines noirs qui ont pris son enfance malleable et credule, et lui ont grave dans la tete des idees superstitieuses ou des debris de verites antiques dont eux-memes n'avaient plus le sens. Voila ceux qui lui ont dit quelque chose sur la destinee generale , siir le pourquoi de la vie, sur le passe, sur I'avenir ; voila ceux qui lui ont parle de Dieu ; et plus tard d'autres educateurs, les savans, les philoso- phes, le monde, I'ont pris a leur tour, et ont tout efface. O dou- leur de Tame humaine, souillee d'abord des superstitions du passe, a I'age oil elle est tendre et naive, et ensuite detrompee et aban- donnee ! Les Scythes, dit-on, crevaient les yeux "a leurs esclaves : ainsi faisons-nous a nos enfans; nous les elevons d'abord avec les dogmes duchristianisnie, pour qu ilsrestent ensuite toute leur vie prives de la vue. Ainsi isole au milieu de I'humanite du dix-neu- vieme siecle, Thorame est plus pauvre en science, en certitude, en morale , qu'il ne le fut jamais dans des ages moins avances de I'humanite. Deja la vie , deja la mort I'assiegent de leurs niys- teres; a qui s'adressera-t-il ? Retournera-t-il vers ses educateurs les hommes noirs ? ira-t-il faire consacrer, par ces parias de la societe qu'il meprise, et son union sainte avec une iemme, et ses enfans nouveau-nes? etne sentira-t-il pas un froid mortel et une profonde horreur a entendre leurs prieres stipendiees retentir Sur les bieres de ceux qu'il a aimes? Comme Young en terre etrangere , il est oblige d'ensevelir lui-meme les restes qui lui sent chers ; raais il n'a pas , comme lui , en memoire les rites de sa patrie et de sa religion ; il est au milieu des hommes , il est sur sa terre natale , et il est seul en esprit sur la terre. Heritage de I'humanite , n'a-t-il done pas droit a une part da/is tes ri- chesses? science de I'humanite, ne dcvrais-tu pas le soutenir et I'iUuminer? art de I'humanite , ne devrais-tu pas faire couler 334 PHILOSOPHIE. dans son cceiir quelques gouttes d'enthousiasme? Pourquoi avez- vousvecu et souffert, anies geneieuses qui dans tous les slecles avez pense a la posterite? etalt-ce done pour que Ihumanlte aboutit a ce que tout honime fut seul en esprit sur la terre ? Que telle soitla niisere profonde de riiomme en notre terns, c'estce que peisoune u'osera uier. Et qui le nierait? Certes , ce ne sont ni les poetes , qui ont taut repete sur toutes les varia- tions ce cri de douleur : Mon ame est triste jusqu'a la mort ; ni les pliilosophes , que lant de scepticisme accable ; ni les politiques , que tant de perplexite devore ; ni les raoralistes , qui ne savent quelle base donuer a la morale ; ni les pliilan- tropes, qui voient tous leurs efforts vains comme la fumee que 1(; vent disperse; ni enfin aucun de tous ceux qui ont refle- chi attentivement sur le caractere de notre epoque. Doute, in- certitude, fatalile , voila la raison profonde de toute chose en ce terns ; voila la devise ecrite a chaqne page dans les livres et dans les journaux , dans les eraeutes des peuples comme dans les con- seils des rois etdans les discussions des cbambres, dans les cours d' assises et a chaque foyer doraestique. Et cette plainte n'est pas nouvelle : le dix-huitieme sieclo commenca a la faire entendre au milieu des cris de guerre qu'il poussait contre le passe ; car les philosophes pressentaieut bien que rh.wmanite a leur suite allait se irouver quclque terns comme deslieritee. Toutes aios plaintes a nous, et tous nos rires amers , ne sont que I'echo prolongc de cette moquerie de de- tresse de Voltaire, se faisant maniclieen, lorsqu'il quittait un instant ses arraes de destruction, et de cette lamentable voix de Jean-Jacques, disant anatlieme a la societe , et se I'cjetant dans la nature, comme si la nature sans I'humanite c'etait le sein de Dieu. IJnanimes aujourd'hui , poetes , philosophes et peuple , ne font que repeter d'une voix immense, et comme a pleiu chceur, le rire sardonique et le gemissement de ces deux grands genies : inquiets comme Jean- Jacques, ironiques comme Voltaire. Or cet etat peiit-il durer? Peut-on raisonnableraent souteuir DE LA PHlLOSOPUiE ET DU CIIKISTIANISIME. 335 que la division et ranarchie daus la connaissance huinaiue soieiit I'etat normal de la societp? Chaqne homme n'a-t-il pas le droit de dire a cette societe, qui, prise coUectivement , n'est sur toute chose qu'une negation, un neant, et dont I'anarchie est telle, an moral comme an physique, que tout homme qui y nait y puisc necessairement le germe dune anarchie qui devore ensuite sou cceur et fait de sa vie un long supplice : « Ou reconnaissez I'an- tique religion , ou resumez votre science , vos lumieres , voire philosophic , et domiez a chacun de vos citoyens des principes qui puissent le guider. A cette condition seulement il peut y avoir une patrie, une societe. Sans cela tout homme est libre' dans son cceur de nier vos lois , et , s'abandonnant k ses pas- sions, de les violer. Faux-semblant de societe, ne parle pas d'honneur, tu ue peux en decerner ; ne parle pas de honte, tu ne peux en infliger ; ne parle pas de justice ; car, aussi aveugle , aussi denuee de principes que le malheureux ou le coupable que tu condamnes, quand tu punis tu n'es qu'une force brutale, et ton juge n'est qu'un bonrreau. » Chose singuliere, contraste bizarre! on en est arrive "a croire qu'il est utile a une nation, et meme qu'il serait utile au genre humain tout entier d'employer un systeme uniforme de poids et de mesures, et en meme tems a ne pas sentir qu'il y ait besoin pour une nation, que dis-je? pour deux homnies, d'avoir uii systeme uniforme de croyance morale, et un criterium comraun de verite et de certitude. Voila I'epoque , voila ou elle est tom- bee ; et voila d'oii elle doit sortir pour s'elever a la plus haute forme d'association et de communion qui ait encore regne parmi les hommes et merite le nom de societe. Dc la synlhesc. X. C'est par la science , c'est par I'art , unis a la politique , que cette merveille se realisera. C'est par la science, I'art et la politique, imis, quelle s'est loujours realisce; car la science, I'art et la politique couiposenl toute la counaissancc humaine. 336 PHILOSOPHIE. Aujourd'luli la societe n'est pas, parce qu'il se fait uu travail eiioniie dans rhuinanite pour resumer toute sa science, afiii d'a- voir des principes de certitude qui deviendiont la base de I'eda- cation et de la politique. Ces principes une fois etablis, les hommes pourront etre associes ; la societe sera. Nous avons cherche a prouver dans cet article que la politique en est arrivee a apercevoir que son but est I'association ; mais les solutions lui manquent pour la realiser. Done si la science ou les difierentes sciences arrivaient a pouvoir donner ces solutions, la politique s'en emparant pourrait realiser le probleme de I'as- sociation. Or c'est precisement ce qui a lieu. Nous demontrerons dans un prochain article que les sciences en sont arrivees au nieme point que la politique, c'est-a-dire que, de merae que la politique en est arrivee a demander a la science certaines solutions , de menie la science en est arrivee an besoin de se resumer et de donner precisement les solutions positives ou negatives dont la politique a besoin. Nous demontrerons la merae chose pour I'art. L'art de I'epo- que, dans ses plus grands exces, nous serable avoir pour but providentiel d'exciter les sentimens des honmies vers I'asso'- ciation. L'art n'a pu renaitre que lorsque les artistes ont tourne leurs regards vers les grands problemes , soit pour douter et se lamenter, soit pour se rapprocher des solutions chretiennes. Les premiers, tout en faisant de I'irreligion a ce qu'il paraissait, out immensement contribue au developpement du germe reli- gieux, et les derniers n'ont pu echapper k I'influence puissante de leur tems; deja la poesie du dix-neuvieme siecle, depiiis Byron, Schiller et Goethe, jusqu'a Lamarline et Victor Hugo , est pro- fondement empreinte d'une conception de Dieu et de I'huraanite plus grande que celle qui a regne generalement dans le christia- nisme. II en resultera que la politique, la science et l'art convergent en ce moment tons les trois au meme but. La politique arrive I DE LA PHILOSOPHIE ET DU CHRISTIANISME. 337 a I'association , qui n'est realisable qu'autant que I'art excitera les ames vers ce but, et que la science pourra founiir des solu- tions pour en faire la base de la certitude generale. La science el I'art , de leur cote , tendent k fournir a. la politique des croyances, ce ciraent eternel dont la societe est faite et sans lequel elle n'existe pas. Ainsi , le coeur affiige des maux de notre epoque, nous conce- vons cependant une grande esperance, et nous pressentons le teins ou rhumanite reprendra la vie en reprenant 1' unite. II en est de la societe comme de tous les etres, et aussi comrae de toutes les ceuvres du genie de I'homme, de tous les ouvrages de I'art, de toutes les machines. La viene se manifeste que dans Y unite; elle disparait quand 1' unite cesse. « Dans la vie, dit Hippocrate , tout concourt et tout consent. « C'est la plus profonde definition qu'on ait encore donnee de la vie ; et elle s' applique aussi bien a la vie collective ou sociale qua la vie organique de I'individu ; elle est vraie de I'etre nietaphysique societe comrae de I'etre physiologique qu'on appelle animal •, elle est vraie de cette creation secondaire qui est donnee a I'homme , et dont le chef-d'oeuvre est incontestablement la societe , comme de la creation divine, prise soit dans son ensemble, soit dans cha- cun de ses details ; elle est vi'aie, en un mot, que vous conside- riez une plante , un animal, uneceuvre d'art, une machine, une societe , ou I'univers. Or il y a des epoques ou I'unite regne dans la connaissance hu- maine, d'autres oii c'est la discorde et I'anarchie. Dans le pre- mier cas, ily a societe ; dans I'autre, une simple agglomeration d'hommes, et une crise de douleur serablable a ces crises de notre corps oil les principes de deux ages differens luttent confuse- ment dans tout I'organisme , et mettent 1' existence en danger. Alors gisent separes les differens membres de la connaissance humaine, la politique d'un cote, I'art d'un autre, la science d'un autre, et d'un autre encore Tindustrie, qui n'est qu'une applica- tion de la science a la nature exterieure. Rien ne concourt, rien 338 PIIILOSOPHIE. ne consent, pour repeter Tadmirable expression cl'Hippocrate. Ce n'est done plus un corps ; ce sont les membros separes d'un cadavre, lesquels, en tant quon les considere en eiix-memes, peuvent encore vivre d'une vie propre, raais qui n'ont plus de vie commune. La relation qui les unissait etant detruite , la so- ciete est par la menie detruite , puisque la vie, qui ne pouvait coder dans la societe qua cause de cette relation, ne le pent plus. Quelle est la vie d'un membre separe du corps, et ayant perdu les relations oCi il etait dans la vie generale du corps? C'est de pourru', de se decomposer, pour passer ensuite, par ses elemens, dans de nouveaux corps ; et ces phenomenes que nous appelons raort sont encore de !a vie : la mort est une pure conception de notre esprit, la mort n'existe pas. Et de meme, separes et ayant perdu leurs connexions qui constituaient le corps social, quelle est la vie dela politique, de Tart, de la science , de I'industrie? L'industrie produit la richesse, mais la ricliesse raal distri- buee engendre tons les vices et toutes les miseres. La science amasse une immense erudition de faits , decouvre d'iraportantes verites ; mais la science, absorbee dans les details et privee de la vue de I'ensemble , devient la plus aveugle des cecites , et la science sans la charite produit tons les doutes et toutes les miseres morales. L'art, c'est-a-dire le sentiment, ne voyant autour de lui que cette decomposition du corps social , torabe dans le .spleen et dans I'atbeisme, on revient aux conceptions du passe, et produit mille monstres semblables aux reves du malade que la lievre de- vore dans une crise terrible qui va le sauver. Quant a la politique, clle est nulle evidemraent, puisque sa fonction etait de presider "a cette luiite qui n'existe plus, puis- que c' etait elle qui etablissait dans la realite vivante ces rela- tions, ce concours qui ne sont plus. Elle se reduit done, pour les hommes que I'ou appelle encore gouvemaus a dc telles epoques, et qui n'out pas le sens de In rcslauratioi; do la DE LA PHILOSOPHIE ET DU CHRISTIANISME. 33y societe, a je ne sais quelle agitation egoiste qui n'a d'autre mo- bile que leiir interet ou leur vanite. Et neanmoins, quoique alors la politique soit bieii veritableraent nulle et completement auean- tie, a tel point nieme que son essence est niee et que son idee est tout-a-fait obscurcie pourtous, il arrive cependant que toutes les douleurs que la societe ressent dirigent presque exclusive- nient son attention de ce cote ; et , chose singuliere , mais evi- demment necessaire ! jamais on ne s'occupe tant de la politique que lorsque la politique est aneantie, Toute cette fermentation de la mort pour engendrer la vie, toute cette agitation inquiete et sombre , hagarde et comrae iu- sensee, qui a lieu a ces epoques, principalement dans la sphere des idees politiques et dans I'art , pent tromper celui qui n'y re- garde pas de pres ; il pent prendre les pheriomenes qui se pas- sent sous ses yeux pour de la vie, son epoque pour une epoque semblable aux periodes anterieures. Mais celui qui contemple at- tentivement n'en prononce pas moins que c'est la mort du corps social, et sait en meme tenis que ces phenomenes sont necessaires pour former I'unite nouvelle. On repete tons les jours que les societes ne meurent pas , ou ne meurent plus, par opposition aux petites societes de I'anti- quite. Autant vaudrait dire que riea ne meurt, puisqu'en effet les eleraens ne meurent pas. Certes les generations ne s'eteignent pas sans se reproduire. L'erreur vient de ce qu'on ne considere pas ce qu'il faut entendre par societe. La societe, ce ne sont pas les hommes, les iadividus qui composent un peuple ; c'est la re- lation generale de ces hommes entre eux ; c'est cet etre metaphy- sique, harmonieuse unite formee par la science, Tart et la poli- tique, qui est la societe. Et quoique certainement la societo; en ce sens ait sa source en Dieu et repose en Dieu, cependant la so- ciete n'est pas pour les hommes une pure abstraction. Car aux epoques ou la relation generale dont nous parlous existe, il y a des hommes, il y a des intelligences en grand nombre qui com- pfenneut cette relation , ct qui sont pour ainsi dire les represcn- 34© PHILOSOPHIE. tans de I'idee societe. Et non-seulement il y a alors des homines qui representent plus specialeiuent celte idee, mais on peut dire que par eux , et parce que la societe existe, I'esprit de la societe descend dans tout le peuple. Si nous voulions ouvrir I'histoire, elle nous offrirait une foule de noras a citer, une foule de ces genies sociaux , dans les tems de societe, qui incarnent et resu- ment pour ainsi dire en eux I'idee societe, en ce sens qu'ils com- prennent mieux que tons les autres la relation de la politique, de la science et de I'art , et les rapports reciproques de toutes les parties du corps social. Or, pour rev enir et completer notre idee, c'est cet etre societe\ forme, comme nous le disions tout a I'heure, de I'harmonie de la politique, de la science et de Tart, c'est cet etre qui meurt. Alors tout ce qui etait fonction de vie, lout ce qui concourait et consentait , devient fonction de decomposition et de mort. Ainsi un bel animal, chef-d'oeuvre de la creation : il marche, ils'elance, il franchit les hautes montagnes; il respire, il sent, il a dela memoire, il aime, il engendre. Considerez-le mainte- nant sous le scalpel de I'anatoraiste : voilk son coeur et ses ar- teres, mais ils ne battentplus; ses nerfs, ses muscles, ses os, mais plus de mouvement , plus de vie : an lieu dc cette vie d'ensemble, de cette vie unitaire, une vie de decomposition, une vie de mort, pour ainsi dire, a commence partout. L' unite de son etre est detruite. P. Leroux. 1 POLITIQUE. LES DOCTRINAIRES ET LES IDEES. On no lire pas dos roups ilc fiisil aiix iders. » Diderot. Undes traits caracteristiques , le plus saillantpeut-etre do I'e- cole doctrinaire , et probablement le seul que reniarquera I'liis- toire pour s'en rire , r.'est son horreur des idees. Cette haine insensee eclate dans tons sesactes, dans toutes ses paroles; elle est aufond de toutes ses pensees. C'est la un criterium infaillible, et si les fails inanquaient (nialheureusenient ils ne inanqueut guere ), je ne voudrais pas d'autre preuve de son penchant a I'arbitraire, de son amour du privilege, car I'un et Tautre n'oni pas de plus grand ennemi que les idees; il est done tout simple , il est logique meme que tout pouvoir usurpateur on retrograde s'en effarouche et leur fasse une guerre d' extermination. Ainsi fit Napoleon , devenu reactionnaire a I'interieur , pour ces ideo- logues qu'il redoutait bien plus que les cosaques. Mais tandis que sa main de fer rudoyait les idees au-dedans , elles firent explosion au-dela du Rhin ; elles se metamorphoserent en sol- dats , romme les dents fabuleuses du dragon ; et pour un joiu^ 3^2 POLITIQUE. encore , raiiliqiie (icrmanie reliouva le glaive (.rArminius. Sainte-Heleiie en parlera long-terns. A Dien ne plaise qu il soil dans ma pensee de luettre ici cu parallele les doctrinaires et Napoleon ; I'ombre dii puissant capi- laine aurait trop droit de s'en plaindre sur son ile deserte. Non , i^rand lionune , nous ne ferons point cette injure a votre cendre ; la mechanic ecole politique qui nous regente ne meiite pas tant d'honneur. Cepcndant il y a entre elle et lui un rapprochement a faire. Par une contradiction apparente , mais an fond par une logique rigoureusc , Napoleon , qui n'etait lui-nieme que la realisation d'un principe , quune idee incarnee, sevit d'autant plus vio- lemmenl contre les principes , contre les idees , qu'il les siivait forts par experience , et qu'exemple vivant lui-meme de leur irresistible pouvoir, il avait la conscience de ses plus redoutables adversaires. Jetezlcs ycux sur la litlerature de I'empire, etdites s'il existe rien de plus efface , de plus humble , de plus servile ? A chaque page I'empreinte du despotisme et de la force brutale ; d'independance ii;dividuelle , pas I'ouibre ; de fierte litleraire , moins encore. L'une etl'autre firent defautquinze ans, et I'eclipse fut totale. On ne recevait alors son brevet de grand hommc que sous la condition expresse de ne penser pas ; tcmoin I'abbe Delille,de classique memoire, dont les hemistiches ont nourri notre enfance a tons. Et si Ton cite une exception, deux peut- etre , elles ne font qu'ajouter a I'autorite de la regie, et de nie- morables exemples dirnnt a la posterite a quel prix s'achetait alors le droit d' avoir des idees et de les dive. Les ordonnances et les expeditions de la police Savary, I'exil de madame de Stael et le livre de I'Jllemagne mis au pilon , sont , j'imagine . des fails passablement concluans. II est en verite bien triste et bien linmiliant d'etre force de s'avouer a soi-meme a quel point la haine d'un honnne pour la pensee humaine pent appauvrir I'intelligence -nationale et steriliser les champs feconds de J'art. Toutefois ce qui console pour le passe et rassure sur Tavenir, LES DOCTRINAIRES ET LES IDEES. 343 c'est que la victoire n'est pas denieuree au coiiquerant, et que force est restee aux idees. Ce que Napoleon faisait en grand, la doctrine le fait en petit, parce qu'elle nose plus'; et conime lui , plus que lui peut-etre , la doctrine est fille des idees ; creation avortee , j'en conviens , mais enfin c'est toujours un enfant qui renie sa mere et s'evertue au parricide. Fort ou pusillanime, habile ou incapable, tout gouvernenient a la conscience de ses vrais enneniis, et comme la prescience de ses dangers. Ne dirait-on pas, "a voir manoeuvrer I'ecole, qu'unevoix plane eternellement snr elle, disant : « Fille des idees cttransfugedes idees , tu mourras par elles ! » Si nous n'en sommes pas encore aupilon deSavary, nous y mar- chons, et qui oserait aujourd'hui affirmer qu'il ne fiit pas dans plus d'une pensee? Quatre oucinq cents proces de presse en dix-huit mois, taut d'ecrivains, tantdejournaux ecrases de condamnations et d'amendes , c'est Ih , ce nous seiiible , un achetninement si- gnificatif et des antecedens qui proraettent. Et voyez , je vous prie, la doctrine k I'oeuvre. Quel acharnement contre la pensee ! quelle rancuiie ! quelle colere de renegats ! Je dis renegats, car si je prends un a un tons ees faiseurs , je n'en trouve pas un qui ne doive aux travaux de I'esprit son illustration et sa carriere ; pas un qui ne soit ou n'ait ete historien , professeur, jonrnaliste , philosoplie ; pas un qui ne se soit fait des idees iin instrument ou un marche-pied , et jusqu'a ce magistral supreme du pays , fic- tion qu'on appelle roi constitutionnel , chez eux , hors d'eux , partout je n6 voisque des idees. Suivez leurs actes a tons, lisez leurs journaux , lisez leurs discours. L'un, apres avoir proclameje ne sais conibien d'annees a la face de la jeunesse francaise, les droits imprescriptible^ et sacres de la pensee humaine , a renie tout cela a la chambre , ets'envint Tautrejourarborer, pour ainsi dire, sur un cercueil obscur, I'etendard de la betise , et dans une oraison funebre in- croyable, nous proposer gravement la nuUite du defunt pour type et pour modele , attendu que , sa. vie duraiit , fort honnete 344 POLITIQUE. horarac sans doiite, il avail eu le bonheur assez comjiuin de u'avoir pas unc idee. Un autre, moins poinpeux et plus drole, n'eut, dans tout le cours d'une interminable session, ni assez d'eloquence, ni assez de voix pour demenlir dix ans de sa vie et dix tomes de ses ceuvres, analheraatisant et conspuant gaiement comme orateur les idees qu'il avail naguere, comme historien, adorees et mises sur I'au- lel. Cest un cliquetis de sopliismes a etourdir une chambre; une pluie, un deluge d'heresies a inonder, a submerger tout un pays. Et leurs journaux ! avec quelle solUcitude ils nous prechent quotidiennement , et nous font la lecon soir et matin ! Les reve- rends jesuiles du Paraguay ne cMtiaient pas plus palernellement leurs ouailles. Quelle magiiifique apotheose de la matiere ! quel raepris de I'intelligence ! quel pitoyable melange de morgue aristocratique eldefatuitebourgeoise! quelle indifference surtoul pour lout ce qui est art, histoire, lumiere, progres! Se vend-il a Rouen une piece de calicot, k Lyon une aune de taffetas ; une felouque ou une borabarde etrangere mouille-t-elle aux eaux de Marseille , tons a I'affut , les voila tons qui chantent victoire en chceur; el tous, les plus lettres nieme, de s'ecrier que le pays fleurit, que la prosperite est an comble (comme chacun sail), que la lx)utique vend et qu'il n'y a pas besoin d'idees. Or, nous qui Savons que Thorame ne vivra pas seulement de pain , mais aussi de verite , comme dit I'apotre , nous disons que cela nest pas vrai ; que la fortune d'un pays n'est pas seulement dans le taffetas et le calicot , mais dans les idees , ct que la richesse in- tellectuelle d'un peuple engendre sa richesse morale et partant sa richesse industrielle et commercialc. Cest un materialisme a faire peur. lis ont deslitue 1' esprit comme carbonaro et conspira- teur, et, roi dechu , I'ont rejete du trone an dernier rang. Cest a ue s'y plus reconnaitre, tant est grande la confusion. Si tout cela etait serieux et sincere, nul supplice neme paraitrait comparable a celui de gens d'cspril condamnes h faire reternelle deification LES DOCTRINAIRES ET LES IDEES. 345 de la sottise et de I'ignorance , et a prononcer chaque matin leur propre anatheme. Dans tons les cas c'est Fa une bien triste co- medie. Telle est la doctrine. Haine aux idees ! est son cri de rallie- ment, et elle preche bien d'exemple, car, voyez-les tons, ces habiles, qu'ils sont aujourd'hui stenles et pauvres! Get esprit negatifqui etait comme le lien de la doctrine-opposition, il se retrouve, mais exagere, mais plus intolerant dans la doctrine- pouvoir. Le point est trouve, dit-elle , au-dela pas de salut, au- dela mine , bouleversement , echafauds , 93. C'est avec ce bran- don banal qu'elle eblouit les simples, avec cet epouvantail niais et use qu'elle s'efforce "a fixer le char social. Nonchalamment hercee de ses vagues notions d'equilibre et de bascule, elle nie le progres ; elle s'endort et voudrait nous endormir dans le statu <]uo. Mais I'immohilite est la cessation de toute vie ; c'est la une loi du monde moral autant que du monde physiqwe , e'en est une surtout de la politique : or je ne sache pas qu'un peuple ait en- core renonce a vivre et consenti au suicide. La France ne don- nera certainement pasl'exemple, car elle aussi croit au progres. Cette mauvaise conseillere , cette ecole inalesuada que par une araere ironie le pays appelle doctrinaire, parce qu'elle n'a point de doctrine, a pour tout ce qui n'est pas elle une aversion implacable'; c'est I'exclusion incarnee ; elle se fait centre de tout, s'erige en tribunal irrecusable et, sans appel, et, enfermee dans son cerele inflexible de negation et d'immobilite systematique, elle met dans son eternel non un emportement et une farie qisi, d'une farce grotesque , font un drame sanglant. Noncontentede proscrirelapcnsee sur lesolfrancais, voyez avec quel empressement , quelle ardeur elle s'est jetee dans la croisade etrangere ! Quelles acclamations ! quels battemens de mains a chacun des triomphes de I'esprit de tenebres sur les lumieres ! Guerre aux idees, au-dehors comme au-dedans ! Qu'elles soient egorgecs a Varsovie et trainees sanglantes par les cosaques dans les glaces de la Siberie , elle crie victoire! Qu'elles soient mitrail- TOME LV. AOtJT 1852, 23 346 POLITIQUE. lees en Italic par I'Autriche, museleesen Allemagne par la DIete, jouees parlous en Belgique, — victoire! — que Ferdinand d'Es- pagneles fusille, que Francois de Modene les pende , — victoire encore , toujours victoire ! Mais laissons le dehors, laissons ses discours et ses journaux, et voyons ses actes interieurs. Ah ! c'cst ici que le cceur saigne et que la rongeur jnonte au front, car les actes du dedans ont des consequences incalculables pour TEurope entiere. — « II est des tems ou la betise est une puissance. » — Ce mot, d'un grand ecrivain est profondementvrai ; et ce tems-la , nousy sonimes. Tout ce qui a ame et intelligence estrefoule, etouffe, ecrase sous le poids de cette puissance lourde et malfaisante ; armee d'un sceptre deplomb et cherchant sa force en dehors des volonles libresetintelligentes dupeuple, elle estarriveeouarrivera toutpou- voir qui fera comme elle, a la force brutaleJApres s'elre approchee, avoir erre dix-buit mois sur les bords du Rubicon, elle I'afranchi, irrevocablement franchi le 7 juin , jour nefaste ou , traquees par- tout, partout emprisonnees, violentees, les idees en masse furent en fin mises en etat de siege et punies de mort. Ce pas fait, oii s'arretera-t-ou ? Tel est le probleme de I'avenir, mais d'un avenir toutefois assez prochain pour qu'on le puisse dejh prevoir. C'est pour les jours de crise et de peril que les institutions en- tourent le citoyen de garanties comnie d'une cuirasse contre les attaques de I'arbitraire, comme d'une egide contre les coups du pouvoir. Or les abolir quand viennent ces jours de peril et de crise, c'est-a-dire les detruire toutes quand toutes sont necessai- res, c'est substituerla violence au droit, la tyrannic a la liberie, c'est un altentat public, c'est la plus grande des enormiles socia- les. Tout ce que nous avons vu depuis cette violation flagrante de toute constilutionnalile, tout ce que nous verrons encore, taut au- dedans qu'au-dehors peut-etre, n'a eteetne sera qu'unerigoureuse consequence de ce coupable oubli de tout droit , de cette suspen- sion inoui'e de loute legalite. Nous ne venons pas discuter ici apres coup un acte declare nul et arbitraire par un corps constitue du I LES DOCTRINAIRES ET LES IDEES. 347 pays ; nous ne faisons que le rappeler comme un syraptorae d'unc gravite alarmante, et surtout corame une revelation de la pensee intirae del'ecole ; elle a prouve par la que cette legalite dont elle se targuait tant la tient peu au cceur, quoiqu'elle solt son ouvrage, et quelle etait disposee, resolue nierae k pousser la haine des ideesjusqu'k ses dernieres limites. Violente, elle a voulu faire de la force, comme elle dit, et n'a fait que de I'arbitraire. Aveu- gle et temeraire, elleajoue comme im enfant avec des armes meurtrieres et s'y est hlessee. Mai habile en tout, elle s'est jetee au-devant d'une defaite; elle s'est prepare de ses propres mains I'hurailiation d'une retraite, elle a passe sous les fourches- caudines ; et ici la question pour elle et pour nous n'est pas qu'elle ait rompu, raais quelle se soit avancee au point de de- voir rompre. La pensee de I'ecole est a nu. Cesmauvais vouloirs, ces man- vaises passions une fois connues , tout prestige cesse, la der- niere illusion s'evanouit ; il n'y a plus de conGance possible ni dans les doctrines ni dans les hommes. Ne les a-t-on pas vus les uns et les autres hosliles au progres, haineux a la liberie? Or a I'hostilite, a la haine , repond la raieux fondee et la plus legitime de toutes les defiances. Et voyez , je vous prie , le bel etat social que nous a fait la doctrine. Ayant en main, comme pouvoir, tout ce qui peut en- noblir on avilir I'liomrae, elle choisit ce qui le degrade; elle erige la corruption en principe; elle fait plus, elle la pratique et en use largement. Voila, certes, un beau pouvoir ! Protecteur naturel de la moralite publique et de la vertu pri- vee ; graud-prelre ne de toutes les religions du pays, de I'hon- neur, de la dignite humaine, de I'independance , de la venera- tion des grandes choses : veneration, honneui-, moralite, il foule tout aux pieds, se rit de tout ce qui est noble et grand; et, armee de tout ce que les annales surannees de la police out de sophismes bas et machiaveliques , sa main deshonore ce qu'elle louche; elle va chercher au coeur de I'homme tout ce qu'on pent corrompre 55. 348 POLITIQUE, pour le corrompre, tout ce qu'on peut fle'trir pour le fletrir, comme s'il etait jaloux de faire porter des fleurs veneneuses, des fruits iraraondes h I'arbre sain et vigoureux de la liberte f'ran- caise (1). Mais si de trop recens exemples nous attristent profondement et nous indignent, nous avons foi dans cette generation nouvelle qui grandit dans la probite et I'etude pour la gloire future du pays. Jeune plante eclose dans les jours mauvais et battue de vents erapoisonnes , elle sortira plus pure et plus forte de ces ignobles pieges ; elle sera morale avant tout , et donnera au cou- pable espoir des suborneurs un eclatant dementi. II ne s'agit ici ni de systerae politique, ni de theories sociales ; il s'agit de mora^ lite ; et , quelque vue particuliere que Ton porte d'ailleurs dans les affaires publiques, je presume qu'il n'est personne , de ceux du moins dont I'opinion vaut quelque chose , qui ne regarde la mo- ralite privee et publique comme la base de tout systeme et de toute societe ; personne qui ne voie avec douleur cette conjura- tion tenebreuse contre I'avenir moral du pays ; personne qui n'use preliminairement de tout son credit, de toutes ses influen- ces pour dejouer ces honteuses pratiques ; car les chartes, les lois ecrites ne sont rien, si elles n'ont pour elles la double garantie de la fidelite des depositaires et de la confiance des citoyens : or la confiance des uns nait de la fidelite des autres. Une institution humaine, si excellente, si parfaite quelle soit, ne peut tout dire et tout prevoir • c'est done aux vertus publiques k faire le reste. Ayez aux affaires des ames perverses et cupides, vos lois, fussent- elles divines, n'assureront ni la liberte ni la prosperite de la na- tion , encore moins sa grandeur. Je sais en Europe tel pays dont I'etat moral en est a ce point, qu'un bon magistrat y est mille fois preferable a une bonne loi. (1) Rappelons en passant que les doctrinaires ^taient tous, ct sont encore membres de la socidld de la Morale chrdlienne. Et voila comme ils entendcnl, cux , la morale du crucifix ! LES DOCTRINAIRES ET LES IDEES. 349 Voila pourquoi toute reforrae sociale ou politique doit coui- mencer par la morale; or ce sont les convictions, c'est-h-dire en derniere analyse les idees, qui fondent la morale publique, et c est ainsi que la doctrine , en faisant la guerre aux idees, la fait aux convictions, a la morale merae, a 1' essence, aii principe de tout (1). La corruption, la tribune, les journaux ne lui suffisant plus pour les conibattre, nous I'avons vue appeler la violence a son aide. Entre dans cette voie, on va vite, car elle est glissante ; et en eflet ses pas y ont ete effrayamment rapides, et jamais, que je saclie, dans aucun pays libre ou soi-disant tel, la violence n'a ete si savamment, si machiaveliquement formulee. L'article l-in'est (l)C'est lecas ici deparler duproces des saint-simoniens, non que nous parla- gions leur religion, inais parce que c'est uiie des questions les plus graves qui de long-tems aient e(^ soumises aux tribunaux. Ceux-ci nous paralssent avoir outre- pass^ leur pouvoir; ils se sont ^rigds en conciles,et c'est fonder una inquisition, un veritable saint-ofGce dans I'dtatque de reconnaitre a un corps constitud un droit de controlc etune juridiction sur les doctrines, car ce sont les doctrines quel'onacon- damnees dans les saint-simoniens, non les acles. Cette pretention de river au present Tesprit humain tuera, si Ton n'y prend garde, toute discussion et partant tout pro- gres. On ne combat pas plus les idees par les rdquisiloires que par les baVonnettes C'est au nom de la morale publique que les condamnations ont ete prononcees. Or cela nous serable quelque pen d(5risoire apres cette initiative de corruption qu'affecte Ic pouvoir, et nous prions les doctrinaires de vouloir bien nous dire ce qu'ils entendent, eux, par morale publique. Morale publique , dans IMlat actuel de la socidtd ne signifie autre chose que droit du plus fort. Mais ce n'est pas cela une question atraiter en note , elle est immense et touche a tout. Nous y revien- drons plus tard ct au long. Quant a cet article 291 qui ddnie au citoyen le plus saint de ses tlroils, le droit d'association , ct qui vient de recevoir une application nouvelle, nous la regardons comme une monstruosite dans le code d'un peuple libre. Les anglais ne sont plus libres que nous que parce qu'ils jouisstnt du droit indcHni de s'associer comme bon leur semble, ct nous ne craignons pas de dire que tant que cet .irlicle 291 restera en vigueur parmi nous, la liberte franfaise scr^ incomplete et presque chimdrique. Sous I'enipire d'une pareille loi il est impossj-r i)le que le peuple naissc jamais au\ moeurj poliliques. 35o POLITIQUE. plus dans la charte ; mais, a cflte de la charte et en dehors d'elle, on a eleve sourdement et a. petit bruit un pouvoir qui n'en emane point, et qui, apres avoir grandi dans I'orabre en force et en au- dace, est aujoiircriiui formidable. Ce pouvoir est la police poli- tique. Police, dans son acception pure et primitive, signifiait admi- nistration generate de la cite, du pays. II semble que la doctrine ait pris a taclie de la ramener a son etymologic, car c'est reelle- ment en elle qu'aujourdjbui git le gouvernement. Si on y songe, la police est uue puissance sans bomes, un Protee "a mille formes, insaisissable, qui voit tout, sait tout, ose tout. Le pays est vis- a-vis d'elle en etat de siege permanent , pnisqu k elle appartient le droit de s'iramiscer k tout, et de suspendre preventivement et avec impunite toiites les garanties du citoyen. Liberte indivi- duelle, inviolabilite du domicile , saintete des correspond an ces privees, 'tons ces sacrcmens politiques ne sont que des mots. On arrete, on emprisonne , on fouille an foyer domestique, on rompt le sceau des lettres , et aux plaignaus on repond par le mot vide et creux du despotisme, la raison d'etat. Et le respect de riiomrae par I'bomme , ce droit sacre et invio- lable qui n'est ecrit dansaucun code parce qu'il I'est dans toutes les ames , le vit-on jamais plus meprise , plus indignement foule depuis ces assommeurs de la Bastille que les tribunaux raemes ont livres a I'indignation publJque, jusqu'h cette epouvantable et mysterieuse nuit du pontd'Arcole dont le recit semble one page arracliee aux sanglantes annales de I'inquisition venitienne? Les enquetes se poursuivent, dit-on; et avant que le grand jour de la publlcite et de la justice ait dechlre ces voiles sombres , la presse en doit user avec doute et circonspection. Mais si les bruits se confirmaient, si taut de teraoignages etaient veridiques, n'au- rait-on pas la repondu par des coups d'epee aux hymnes popu- laires?Ces hymnes sont des idees aussi. Le sang des citoyens n'aurait-il pas coule dans I'ombre? n'aurait-il pas rougi furtive- i LES DOCTRINAIRES ET LES IDEES. 35 1 ment le pave des rues? La Seine n'aurait-ellepas roule des cada- vres? Mais, je le repete, la presse en doit user avec mesure; et plus les faits sont graves, plus sa prudence doit etre grande , et plus elle doit etre lente a se faire une certitude , a asseoir une opi- uion. II est de Tinteret du citoyen et du pouvoir lui-raeme que ces mysteres d'iniquites se devoilent. II faut que le citoyen sache hien, quil soit profondement convaincu, que ses places publiques ne receleut pas des guet-apens, ses rues des assassins. II faut qu'on sache que la societe n'est pas un vaste champ de bataille ; qu'une civilisation achetee par taut de siecles, au prix de tant de sang, n'est pas une chimere, et qu'on ne retrograde pas k I'etat sauvage. Car n'est-ce pas I'etat sauvage que ce raepris de la vie de riiomme, que ces epees sanglantes, que ces brutalites centre la presse , les horames et la pensee , que ces canons grondant dans les rues, que ces units de carnage et d'epouvante, que cette ca- pitale du monde toujours en alarmes et toujours dechiree? Cesrumeurs sourdes, ces bruits sinistres, fussent-ils sans fon- deraent, sont des syraptomes funestes. II est des choses ou c'est deja trop du doute, beaucoup'trop pour la surete des uns et I'honneur des aulres. II est des cas surtout ou le doute a contre lui tant d'apparences qu'il se change bien vite en certitude. Or ces apparences elles existent ; il est une institution qui ne serable que trop faite pour dissiper tous les doutes , pour justifier tons les soupcons, je veux parlcr des sergens de ville. On se deinande pourquoi cette garnison nouvelle dans une ville en paix dejk si bien gardee, et par une garnison perma- nente de trente raille soldats et par une garde municipale "a pied eta clieval, et par qnatre-vingt mille gardes nationaux. On se deniande en vertu de quelle loi on fait d'une ville un camp , embrigadant et armant des hommes, espece de janissaires ou de strelitz , sorte de garde royale. qui ne fait point , conmie I'antre , partie dd'armee, qui nejure fidelitea aucun drapeau, et qui est a la devotion d'hommcs sans responsabilite comme elle. Ce sont fa autant de questions que se pose le pays , ct qui ne sont pas reso- 352 POLITIQUE. lues (1 ). Ce qu'il remarque aussi et cedent il se plaint et s'indigiie, c'est la violence de cette confrerie d'line nouvelie espece , vio- lence qu on dirait priraee, tant la partialite pour cette etrange mi- lice, la tolerance pour ses actes , sont manifestes, taut le respect de la dignite et de la vie humaines est mis en oubli par elle et foule aux pieds. Et qii'est-ce qui distinguera done la civilisation de la barba- ric , lalibertedudespotisme , la loi du bon plaisir, si cette saintete de rhomme, principe de toute force, de toute beaute, de loute grandeur, sice respect du ewes , dont les Roraains nous out laisse uu si magnifique exemple, n'est pasecrit en caracteres inef- facables en tete de tons les codes sur Tepee des sergens, corame sur la baionnette du soldat? s'il ne se lit pas en lettres d'or sur le fronton des temples et des tribunaux , sur la porte de toutes les villes, de toutes les prisons, de tous les palais et jiisqu'au seuil des dernieres cabanes?Et si ce respect de rhomraene respire pas dans les moindres actes du pouvoir, dans cbacune de ses paroles, s'il ne regne pas sur ses pensees , on puisera-t-il , lui, le respect qu'il reclame du pays, et que tout citoyen lui doit? Dans la terreiir apparemment. Mais voyez comme tout se lie, comme tout s'enchaine ; toute la grandeur de I'liomme est dans les idees ; or du mepris des idees an mepris de I'homme il n'y a qu'un pas , on plutot c'est une meme chose, et la doctrine nous le fait bien voir. Avez-vous, je vous le demande, assiste jamais an spectacle d'un honime aux prises avec la force brutale, sous le vil baton d'un alguazil ou I'epee d'un sergent? Et, songeant que cet etre foule , violente , est une intelligence •, que dans son sein bat un oocnr libra et passionae, n'avez-vous pas senti le votre se revol- ter comme dun sacrilege, d'une impietc? Toutes vos sympathies (1 ) Toiitcs ces queslions, iioiis les proposo'ns ici aux Icgistes et aux publicistes, conimc les plus graves de toutes , puisqu'cllcs intdrcssent les droits les plus cliers. du rito^en , el ticnnent a rcsscncc nicmc des institutions nationales- LES DOCTRINAIRES ET LES IDEES. 353 d'homiiie ne se sont-elles pas emiies, toutcs vos passions fiater- nelles soulevees de colere et d'indignation? D'y penser seule- ment, le sang bout et la colere nionte an front. Eh bien ! ce spectacle de violence et de barbarie , chacnn de nous pent le voir aujourd'hui de sa fenetre ; nul de nous qui ne I'ait vu; pas un qui puisse repondre, en sortant de sa maison, de u'y pas rentier meurtri et sanglant, la fureur dans I'ame, et des pleurs de justice et d'inipuissance dans les yeux ! Heureux encore si I'innocence outragee n'est pas jetee dans quelque prison fetide par ceux-la meme dont le devoir est de la proteger et de la ven- ger(1)! (1 ) Voici quclqucs fails qui , en justifiant rainerdimc de nos paroles, serviroiit a fairc coniiailrc deux choses : d'abord tommcnt ori arrele "a Paris , ensiiile com- ment la police et ceiix qui la font y entendent Ic respect du ciloycii La leltre suivante a ete ecrile par Colombal : « J'ai dtd arretd chez moi. rue de la CalanJe, n° 4, par Iiuit a^,ens de » la brigade de siirete , qui m'ont mis le pislolet sur la gorge. lis etaient tous » deguise's en ouvriers. Je distinguai d'abord un individu a rcdingote verte et a » favoris rouges, et j'appris a Tinstant que c'etait Vidocq. En me conduisant a » la prefecture, ils m'ont abime pendant tout le cliemin de coups de pied et de » coups de canne. Arrive dans la cour de la prefecture , le sieur Vidocq m'a porte » sur la poitrine un coup de manclie de poignard. Au moment oii j'entrai dans » un corridor pour paraitre devant un commissaire , un nommd Constant m'a « assene un coup sur la mique j le sang en a rejailli aussitot par le ncz , les yeux » et la bouche. 11 Voila , monsieur, la manicre dont je suis content de monsieur Vidocq. >' J>i je n ai fait aucune plainte jusqu'a present, c'est que plusieurs autrcs ont el6 » comme moi viclimes de la police , car, apres mon interrogatoire chez le com- " missaire de police, on m'a jetd dans une salle rcmplie de malheureux couvcrts « de sang, et qui faisaient les memes piaintes que moi , etc. » Voici maintenant quelques passages d'une leltre adressee a Tun de nos amis par son frere arrctc, tout innocent qu'il etait, dans les affaires de jtiin : « Arretd dans la rue par un officior de la garde nationale, je fus conduit a la » mairie. Jusque la je ne rcfus aucun mauvals trailement ni de roflieier , ni » des deux liommcs qui me conduisaient. Mais, en arrivant a la mairie , je fus » traite indignement par ceux qui s'v trouvaient. Les uns me dunnaient des 35f POLITIQUE. Et ces prisons meme , aujourd'hiii comblcs, y avez-vous ja- mais mis le pied , y avez-vous arrete seulement votre pensee ? Avez-vous rclleclii que sur cette paille, dans ces cabanons im- coups de pied , les aulres des coups de poing a la figure, d'autrcs me pous- saient avec leurs baVonnettes , et d'autres criaicnt : Aliens , fusillons-le la, qu'il n'aillc pas plus klu. Ccla dura assez long-leins , je croyais que cela finirait en arrivant dcvant le commissairc de police et Ic maire ; mais quel fut nion dton- ncment , lorsque le maire kii-nieme me dit que, si la loi iie I'obligeait pas a me proteger, il commanderait lui-memede me fusilier. Quelques instans apr6s on mc conduisit, toujours avec les memes menaces, dans une salle oil je trouvai nombreuse compagnie. J'ai passe deux jours dans cette salle , couche sur la terre; nous y avons rofu douze onces de pain par jour. Le troisicme jour, on nous clioisit ireize pour nous transferer a la Conciergerie ; on nous mit dans une nouvelle salle, dcpuis cinq lieures jusqu'a huit, pour attendre la voilure dans laquellc on devait nous conduire ; il n'y avait pour aller a cette nouvelle salle que la cour a traverser ; on fit former une double haie de gardes nationaux de chaque cote, on fit charger les armes , et un garde national de chaque cole nous tenant par le bras , on nous conduisit a la salle voisine; deux . grandes croisces de la salle donnaient sur la cour. A peine fiimes-nous dans la salle, qu'une bande , que je ne nommerai plus gardes nationaux, mais bien brigands, firent le simulacre de nous fusilier; cinq a six cnfans el «n vieil- lard se mirent a pleurcr , en se jetant aux genoux d'un officicr qui dtait en- core a la porte , et en lui demandant grace. ?sous roslames environ trois heures dans cette salle; nousetions troisa nous promener d'un bout de la salleal'autre. Les croisees qui donnaient dans la cour etaient toujours encombrees de ces bri- gands qui croyaient peut-ctre nous intimider, ils dtjuent enrages de voir que nous les bravions ; il y en avait un qni me mena^ait en me designantdu doigt. La voiture dans laquelle on devait nous conduire a la Conciergerie se trouva trop petite; on fut oblige de prendre un fiacre , dans lequel on nous mit trois avec un commissairc de police qui fit la moitid du chcmin avec nous. Lors- qu'il descendil, il monta un sergent de la garde nationale, qui venait pour nous donner a entendre qu'on allaitnous fusilier. Nous etions cscortes par plus de deux cents hommes. Lorsque nous fumes au Palais-de-Justice, et que les voitures entrerent dans la cour , les brigands qui dtaicnt a cote de la notre di rent au sergent : Descends done, il se fait terns. Ils faisaient toujours signe au sergent de descendrc, comnie s'ils avaienl dii nous fusilier dans la voitnre. Enfin nous fumes tres-conlcns quand nous fumes enlre les mains des gardes nuinicipaux. Imagincz-vous mainlenant ce que nous avons souffert pendant COS trois jours. La morl n'cst ricii en coniparaisoii do ces atrocites. » LES DOCTRINAIRES ET LES IDEES. 355 mondes, dans ces affreux repalres, vivent (si c'esl Ih vivre!) des homnies que la societe sans doute a le droit de retrancherde son sein , puisqii'ils la troublent , et de sequestrer du raonde, niais non de brutaliser, non de depraver ; car ces retraites silencieuses, qui devraient etre des ecoles de regeneration et de moralite, sont des receptacles de vice et de corruption. Nous n'entendous point traiter ici la question penale ; nous y reviendrons , car elle est vaste et d'urgence ; nous voulons seulement parler de ces con- damnes politiques (c'est-a-dire de ces idees) jetes la pele-raele avec I'infamie et Tabjectlon, traites corame eux, fletris comme eux , a la merci d'un guichetier , et en si grand nombre qu'on n'en vit jamais tant. » Haine aux ideas ! mepris de Thomme ! voilh ce qu'on lit par- tout ecrit en sanglans caracteres, dans les rues, dans les prisons, dans les conseils. Partout la dignite de rhomme insultce, les idees fletries, proscrites, jetees dans les cachots, dans les bagnes, a I'echafaud. Si ce n'est pas la une terreur, je ne sai^ pas ce que c'est. Et quand on songe que tout cela se passe deux ans a peine apres une revolution unique dans I'bisloire du nionde par sa grandeur et sa magnaniiuite, c'est k briser sa plume, a se couvrir du sac et de la cendre, "a nier le progres , a. desesperer de Tbu- raanite ; c'est "a prendre en pitie ses propres sentimens de justice et de fierte , ses plus saintes pensees , ses plus enivrantes esperances de civilisation , ses plus doux reves de fraternite et d' amour. La discorde est partout ; I'anarchie et la violence se dis- putent le monde. On revait Temancipation du peuple , et le peuple est partout dans Tignorance et dans les fers : I'egalite , I'abolition des privileges, et I'argent seul fonde le droit, et , jusqu'a I'enseignement , tout est privilege. On revait les vertus publiques, et la corruption, la venalite s'emparent de nos nioeurs; on revait la legalite, le baton blanc des constables, et nous voila tombes sous le sabre des dragons, sous I'epee des sergens. Et ce qui serre I'arae surtout, ce qui epouvantedans ce tableau de ca- 356 POLITIQUE. lamites, c'esl que Ic leudemain est coraproniis par les folies de la veille; c'est que de ces mauvaises seraences naitront des fruits mauvais , car la reaction et la violence n'engendrent que vio- lences et reaclions; c'est enfin que ces tresors de vengeances et d'iniplacables haiiies, amasses dans les araes, pourraient bien quelque jour faire une eruption sanglante et tacher I'avenir. Le ciel detourne tons les orages dont se charge Thorizon ! C'est ici que les convictions robustes sont necessaires , et que I'esperance est un devoir. Les ecoles passent, les homraes pas- sent, le peuple reste ; et ce peuple, qui a ete grand, le sera en- core : c'est en lui qu'est toute notre foi, tout notre espoir. Quand le present nous attriste et nous revoke, quand I'avenir nous alarme, quand le decouragement nous vient surprendre au mi- lieu de nos travaux et de nos luttes, alors nous nous tournons vers lui ; il est le foyer de chaleur qui ne s'eteint point et d'oii eiiiane toute force et toute vie. Malheur k qui s'en eloigne ! Le coeurbientot se glace, et la vie s'en va. Que d'autresse cram- ponnent aux dynasties et aux miuisteres; ce ne sont pas la nos autels ; nous servons d'autres dieux, nous suivons d'autres ban- nieres , et nous combattrpns jusqu'au bout le bon combat , car la justice estavec nous. Quelques epreuves que nous prepare I'avenir, la tristesse n'enervera pas plus nos araes que ne les re- buteront les obstacles , on que la violence ne les intimidera. Pleins de confiance dans la plus sainte des causes , nous serons fermes comuie I'apotre , car, comme lui, nous pouvons rendre compte de notre foi, et dire en qui nous croyons. Nous croyons au peuple ignorant et souffraut qu'il faut eclai- rer et soidager; a ce peuple qu'on oublie et qui doit etre en lout et partout present ; nous croyons a la moralite de rhomme qu'on veut degrader; "a la pensee humaine qu'ou veut asservir et qui doit regner-, nous croyons au progres, et nous savons bien que la doctrine n'y pent rien : d'cUe et des idees une seule chose est eternelle, et, grace a Dieu, ce n'cst pas clle. Le serpent use eu vain ses dents coatre I'acier. LES DOCTRINAIRES ET LES IDEES. 357 Plus sera achamee I'attaqiie des idees, et plus la defense sera vigoureuse. Cast notre palladium , a nous , et nous saurons le garder. La pretention est au moins bizarre, de venir aujourd'hui declarer la guerre "a I'esprithumain. C'est la presse suriout qu'on a prise a partie, car elle est Torgane de la pensee. Que discnt-ils en effet tous les jours? Qu'il leur est impossible de goiiverner avec la presse. C'est facheux vraiment, car il le faut ; avec elle ou pas du tout, il n'y a pas la de juste milieu. Je concois quelle puisse gener; mais il est fort bon qii'elle gene, et pas bon dii tout quelepouvoir ait ses coudees franches. La presse est entree dans la politique comme un agent nouveau, destine a la modifier et a lui imprimer une action toute nou velle. II faut la subir et la com- battre par elle-meme. C'est un element qui s'impose, et qu'il n'est plus loisible de refuser ou d'admettre ; c'est un bote puissant qui s'assied a la table des rois sans y etre couvie, comme les rois s'asseyaient jadis "a la table de leiu;s vassaux , quand ils avaient encore des vassaux. Tout releve d<3S0rma!s dece haut suzerain, et sa fierte ne souffre pas de replique. Avec un tel representant, les idees peuvent dormir en paix ; elles feront leur chemin dans le monde : I'avenir leur appartient. Est-ce a dire que notre confiance d.oive aller jusqu'a I'inertie, et que nous devious nous reposer sur le chevet commode d'une se- curite fataliste? Non; et en cela nous ne partageons point I'avis d'un eloquent philosophe qui vient d'ecrire , dans un journal , qu'une fois dans le monde un principe va tout seul, et qu'il n'v a qua s'en remettre a la Providence du soin de le pousser et de leproduire. Ce pbiiosophe est M. Jouf froy (-1). C'est un si brillant jouteur que n(His tieudrions a honneur de rompre uue lance avec lui, si luii-meme ne prenait soin de (1) On pent lire le passage que nous signal, ons, eh tcte d'un article sur les .noeurs am^ricaines inscre , le 1" juillet , dans la Retme des Deux Moudes , le meillcur Magazine Je France sans conlredit. ' Tout le morceau est d'ailleurs fort spiritucl , (juoiquc assez fortement impregnc tl.«> doctrinarisme. 358 POLITIQUE. refiiter, dans son cours public , son proprc fatallsme; car son cours , qu'est-il , siuon un principe pose, puis etcndu et presse dans toutes ses consequences , meme les plus lointaines ? Done M. Jouffroy professeur , conlradictoireraent a M. Jouffroy journaliste, nc s'en reraet pas du tout a la Providence du soin de pousser ses idees et de les developper; ce que nous approuvons fort, car nous goutons fort son eloquence, et nous ne compre- nous pas plus que lui un principe qui va tout seul. FrancliemenI, ces velleiles de fatalisme oriental, nees de reclectisme de la res- tauration , sont-elles de notre pays et de notre age ? M. Jouffroy a une trop haute intelligence pour n'en avoir pas fait des long- tems justice. Nous lui denions , a lui, le droit de celcbrer ceite-in- diffeience doctrinaire qui, au fond , n'cst que de la morgue ou de I'impuissance; il a trop d'ii idependance , trop de Yeritable ele- vation , pour n'avoir pas des long-tems remis sur I'autel la liberie humaine, et partant, I'exam'm et la discussion , qui n'en sont que la pratique. Nous aurions laisse peut-etre sur ce terrain la logique du bril- lant professeur, aux prises av ec elle-nierae , sortir de ses propres ambages, si nous n'etions <3ans un jour de recrimination, si surtout sa theorie d'indiffere ace , I'espece d'anatheme universe! fulmine par lui centre le mouvement et Taction politique, qu'il qualifie un pen rudement de « niaise fatuite amourir de rire, » (ce sont ses termes) nenouseussent, comrae malgre nous, forces a mi rapprochement penible par leur lacheuse coincidence avec la catastrophe de Saint-i vierry . Certes nous ue venous pas I'accuser ici de trouver a rire dans des hommes , quels qu'i Is soient, combattant et mourant pour une idee ; car il n'y a riei i de plus grand sur terre , c'est le triom- phe de rheroisme huma. 'kigne , du vcrbc pojli ou pjeuati, chanter. Les chan- sonnettes, petitcs pieces anacn'ontiqucs , se noinment salcMnka. Les uncs ct les autres sont raremcnt riniees : le metre desdernieres varie ; mais les popjevke sont geueralcment dccasyliahiqucs. ( Voycz Appendini. ) POESIE POPULAIRE SLAVE. 38^ d'autre verlu que la force briitale. Elle doiniiie : aussi Marco, heros dupeiiple , est fort, avant et par-dessus tout. Goethe a fait reniarqiierles rapports de Marco Kralewltcli avec I'Hercule grec et Ruslan-le-Persan ; raais , si j'osais devant une autorite aussi im- posante hasarder une opinion, j'avoue que je suis surtout IVappe dela resseniblance dii heros servien avec notre Roland. Comnie le paladin, Marco a pour meiileur compagnon son fidele cheval; comme le neveu de Charlemagne , il exerce sa valeur sur les Maures, et comme lui frappe dur. Point de femnies, d'enfans , nul sentiment tendre pour amollir son cceur de fer : sans domaiiie ni couronue, il est I'arbitredes rois et raiile le sultan a sa barbe ; type de la noblesse rerauante et grossiere de I'epoque daus i'O- rient , comme Roland dans TOccideut, il va, vient, guerroie a sa fantaisie ; seul delivre lafille dn sultan, seul defait des armees , lie les princes prisonniers sur sou cheval, les met a rancon , de- livre les Vaivodes , ses amis , par la seule force de son bras ; et des versions diverses sur sa mortlalaissent encore douteuse: comme si ce heros si brave ne pouvait mourir, et qii'une existence de trois siecles n'ait pu suffire pour epaiser ce qu'il y avail en h:i de jeunesse et de vigueur. Cache daus les montagnes des forets, selon une des chansons, il y demeure, honteux, pour les guerriers de nos tems degeneres, de rinvenlion de la poudre, qui met dans la main du plus faible enfant la vie du guerrler le plus re- doutable. Nos paladins allantauuiidiet a I'orient , dans I'Afriquc, et jusqne dans TAsie, guerroyer contre le Sarrasin et le Maure ; les aventuriers normands, courant en quete de royaumes dout ils ignoraient le nom et la place, et moissonnant avec leur bonne epee les principautes qu'ils decnuvraient en route; les croises , traversant et relraversaut le continent entier, expliquent assez les rapports du heros servien avec le chevalier francais. Dans plu- sieurs des villes les plus reculees de I'Allemagne, des statues co- lossales, armees de pied en cap , I'epee nue a la main , out recu du peuple le nom de Roland. Dans Raguse meme , ville dalmato- slave , sur la place ]niblique, entre quatre colonnes terminees 384 LITTER ATURE. en cliaire, s'eleve lui gigantesque Orlando^ statue erigee , disent les chroniqueurs , en lueraoire du fils dela soeurde Charlemagne, Roland, qui delivra la ville des pirates sarrasins , lit sorabrer en iiier les navires des mecreans , et ayant pris leur capitaine Spu- ceiito, le fit decapiter , et, sur la porte de I'arsenal de Raguse , placa le busie du forban , monument de sa victoire. C'est d'abord sur le champ des Merles qn'apparait la grande figure de Marco. Quati'e camps sent eleves devant I'eglise de Sa- raodrisha ; quatre vaivodes se disputent I'heritage, sanglant et niorcele , de Lazar. Ce sont trois freres : Votikachin , le roi ; Ougliesh, le despote; le vaivode Goiko , et le quatrieme camp est celui de I'enfant, fils du tzar. Chacun des competiteurs en- voie son raessager an Proto-papas , qui communia le roi en sa derniere nuit, la veille de la bataille , et qui eiitendit sa derniere confession. Chaque seigneur veut s'appuyer du temoignage du prelat , et se pretend le successeur legitime , designe par Lazar. Le pretre saint congedie en pleurant lesenvoyes des princes. « II a interroge le tzar sur ses peches , non sur son heritage , et il renvoie les heraults irapatiens a son el eve Marco , dans Pi-ilip la forte. Le fils du roi etait la main droite du tzar; il ecrivait et combattait; il lit dans les livres sacres , et sait a qui le royaume appartient. Appelez Marco sur le champ des Merles, il parlera la verite , car leheros ne craint que Dicu seul. » Marco est dans sa blanche cour, avec sa mere : il onvre lui-meme sa porte , et frappe amicalement les messagers sur I'epaule , en leur demandant des nouvelles des rois et des tzars. Quand il apprend qu'ils se menacent Tun I'autre de leurs poignards d'or, et que dans leurs divisions ils en appellent a son temoignage, Marco se retire vers sa mere. « Si mon lait qui t'a iioinri n'esl pas maudit, Marco, fils unique el cheri de ta mere , tu ne porteras pas faux temoi- gnage ! » lui dit-elle. C'est lepere de Marco Kralewitch , ce sont ses oncles qui pretendent an trone , et le jeune tzar est son lilleul. Aussi, quand le heros parait, avec les messagers, devant la tente de Voukachin : « Bonheur "a moi ! se dit celui-ci , c'est mou POESIE POPULAIRE SLAVE. 385 fils Marco; il dira que le trone ra'appartient, car le fils doit he- riter de son pere. » Marco entend , ue repond point , et passe. II marche ainsi devant les tentes de ses deux oncles ; chacun se repaita sa vue d'une joie fondee sur les esperances que la parente €t les anciennes marques de leur teudresse doivent donuer a leur neveu, et sur les offres qu'ils raurmurent pendant qu'il marche. « Marco , disent-ils, neveu , tu seras le premier, et le tzar que lu auras nomme ne s'elevera que jusqu'a tes genoux.. » Toujours le heros se tait et passe; il s'arrete enfin h la tente d'Ourocli , et y demeure tout le jour hlanc, le jour de repos. Le lendemain, apres la raesse et le banquet, Marco ouvre les livres anciens , et pro- nonce de severes paroles. « Roi Voukachin, honore pere, ton royaume ne te suflit-il pas? s'il ue te suffit, qu'il demeure sans maitre ! Pourquoi con- voites-tu un royaume etranger? « L'allocution est repetee, dans les memes formes, aux trois vaivodes, et le royaume adjuge au jeune Ourosb , « parce que le fils doit beriter de son pere. » La colere de Voukachin est terrible ; un miracle seul Tem- peche de tuer son fils qui a couru autour de I'eglise et s'est re- fugie dans I'enceinte. « Qui , le noble Marco a fui , car il ne coia- vient pas au fils de combattre contre celui que I'a engendre, » et c'est de I'aile d'un ange du Seigneur que le glaive du roi a tire du sang. Ne pouvant tuer son fils, Voukachin le maudit : « Tu n'auras, » lui dit-il, « ni enfant ni pierre de tombe, et avant que ton ame ait quitte ton corps tu auras servi le sultan. » D'un autre cote le jeime tzar benit son parraia : « Toujours ta figin-e brillera dans le coaseil, Marco, toujours ton sabre trancherasur le champ de bataille; aucun heros ne sera plus grand que Marco, et son nom durera tant que luiront la hme et le soleil. — Ainsi ils disaient, ainsi il est advenu! » En eflet, lenom de Marco est ce qu'il y a de plus grand. Ser- viteur des Turcs, il les fait trembler; abat la tete du visir, et s'en vaute au sultan qui lui donne en hate mille pieces d'or , se prend ji nre a gorge deployee, et s'ecrie : « Si tu n'av;iis fail ainsi , moa 386. LITTERATURE. fils Marco, je ne pourrais plus t'appeler nion fils. Le moiiidie Turc pent devenii- visir; raais il n'y a qii'un Marco an luonde ! » Le fils de roi preud la bourse, se tait, et quilte le divaa surl'heiire. « Car le sultan ne lui avail pas donnc I'argent, » ajoute naive- raentlepoete, « pour que Marco s'assit, tranquille, a Loire leviu dore, mais pour que le heros s'en allat dc suite, car Marco etait en fureur. » Le heros servien , suivant la prophetie de son pere, se bat pour les Turcs, et devient leur victime. II les a venges des Maures noirs, qui sontlcsGeants etles Enchanteurs de cette chevaleresque Iiistoire : mais on n'entend plusparler de lui. Cependant Moussa, I'Arnaute (Albanais), s'est bati une tour sur la rive unie, une tour garnie de crochets de fer pour y suspendre les pretres et les pe- lerins. « Moussa a rcflechi que depuis neuf annees il sert le sul- tan de Stamboul (Constantinople), sans avoir gagne de quoi acheter cheval, amies, ni vetemens ueufs, pas meine une vesle a denii usee. Alors il barricade les ports, ferme les chemins sur le rivage, et tout I'argent qui arrive pour le sultan, c'est-a-dire trois cents charges par an , I'Arnaute prend tout pour lui. » Trois mille guerriers envoyes par le Turc contre 1' Albanais sont tues, etle visir de Kiounrie, qui les conduisait, revient seul, les mains liees derriere le dos, les pieds attaches sous son cheval. De tons ceux que le sultan envoie ainsi contre Moussa aucun ne revient a Constantinople , et le Chodscha dc Kiouprie s'est eerie : « Mai- tre, tzar de Stamboul, Marco seul pent tuer Moussa! » — « Laisse moi, Chodscha de Kiouprie ; que me parles-tu de Marco? ses os sont deja pourris. Trois annees se sont ecoulees depuis que je n'ai fait ouvrir son cachot. » Alors le Visir saute sur ses pieds legers, ouvre la prison , el en fait sortir Marco Kralewitch. La cheve- lure du heros , pendant jusqu'k la noire terre , le couvre en long el en large; ilpourralt labourer avec sesongles allonges, etle li- mon du cachot I'a rendu noir comme I'ardoise. Aux prieres du sultan, Marco repond : « Ah! seigneur, tzar de Stamboul, par Ic Dieu lout-puissant, la fange du cachot m'a convert, et com' POESIE POPULAIRE SLAVE. 387 luent pouvrais-je me battie? mes y€ux ne voient plus. Mais fais- luoi porter dans le caravanserail neuf; fais-moi donner le vin et I'eau-de-vie sans mesure, la viande des beliers les plus gras, du pain de la plus blanche farine, pour que je me refasse un peu ; et je te dirai quand je pourrai conibattre. » Pendant trois lunes , Marco mange, boit et se re fait ; comme tons les heros serviens , le fils de roi , Marco , boit autant de \in sous la tente , qu'il verse de sang sur le champ de balaille. Au bout des trois mois, il se fait apporter du bois sec de cornouiller, empile depuis neuf annees, et il le presse fortement dans sa main droite; le bois se crevasse en plusieurs endroits , mais il n'en tombe pas une goutte d'eau. II n'est pas terns; Marco s'attable encore uu mois, re- nouvelle I'epreuve, tord le bois sous ses doigts puissans, deux gouttes de seve en sortent; alors il se prepare, fait tremper son sabre; pour essai , coupe en deux I'encluuie d'un seul coup, puis il enfourche son cheval pie, son bon Sharatz, et va chercher, et demande partout Moussa; enliu il le trouve.« Assis, les jambes en croix, sur son petit cheval, TArnaute jette en se jouant sa massue dans les nuages , et la ratrappe dans ses mains blanches. » Les paroles de Moussa, provoque par Marco, sont admira- bles a mon gre : « Passe ton chemin , Marco , ne commence pas la guerre, mais, plutot, descends de cheval et viens boireavec moi, car je ne te cederai jamais. Si une reine t'a enfante sur de moelleux coussins, si, enveloppe de sole vierge et de bandeiettes d'or, elle t'a nourri de miel et de Sucre; moi, une sauvage Albanaise m'a mis bas sur la froide terre, pres de son troupeau ; elle m'a entoure de sa floccata de poil de chevre , m'a emmaillote avec des sarraens de ronces sauvages ; m'a nourri de forte bouillie d'a- voine, et m'a fait jurer de ne ceder a personne, de ne plier de- vant qui que ce soit. « La lutle , dans laquelle interviennent les dieux, la Vila, la nymphe des forets, qui parle avec I'echo , pleure dans le fre- missement des arbres, rugit de colere dans les orages, la lutle est. terrible, et Marco finil par triojiiplicr. Mais quelle seche 388 LITTKKATURK. analyse! et combiou die repond pen a cette poesie vigoupcnseef samage! Ce ne soiit pas ioi dcsexlraits froideiuent alignesqui eii doiineront I'idee. Ce sont des chants, et nou desecrits ; et il fau- drait les entendre retentir, soitaiit sonores et vibrausde la boucbe de quelque robnsle vieillard qui eut aussi , lui, goute du sang tuic , et du palpitant plaisir d'attendre, d'attaquer, de fuir ou de pouisiavrcdans ces forels sans routes, au bord de ceslacs verts, sous ces rochcrs raoussus qu'habite la mysterieuse Vila , et ou elie rend ses oracles. Qaelques fragraens d'luie lettre on Ton me I'aconte les tradi- tions sur Marco, encore subsistantes dans lepays, et ou Ton nie donne une autre version du combat que je viensde conter, con- tiendront peut-etre quelque chose des vives sensations des peu- ples d'Orient aux merveilleux recils, aux emphatiques traditions des heros qui ne sont plus. « Nous avous ici un Papas, habitant de la Thrace sur les bords de la mer Noire. II est age, et a passe les soixante-dix ans ; il a la barbe longue et blanche, figure tres-brune, laille haute, et un tron assez grand pour loger luie noisette, juste au milieu du front. Aux histoires qu'il conte tons les soirs apres souper, on voit qu'il etait ne pour etre autre chose que pretre. II parle avec en- thousiasmedechevaux, de fusils, d'epees, d'armesde touteespece, et les conniiit parfaitement. II a ete eleve parmi les sultans de Crimee, les khans tartares, refugies a Andrinople, et successeurs au trone du sultan, en cas d'extinclion de la race iraperiale ac- tuclle. Ses histoires roulent froquemment sur ces princes ; mais il parle aussi de Klephtes et de Klephtes a cheval. Le merite de ses narrations est plus dans sa manicre de conter que dans I'his- toire meme; il n'oublle rien en son recit : la droite, la gauche , les nouis propres , la description des chevaux, des armes, des heros , tout y est. Quand il parle de sa jeunessr et de ses combats "a lui, il est admirable; il oublie lout-a-fait qu'il est pretre. Pour cela, il faut qu'il soil en train; ot si Ton n'ajoute foi complete a lout ce qu'il dit, il devieal furieux. L'autre soir, jc lui deu);ui- POESIl. I'UPIILAIRE SL/VVE. 38() dai s'il savajl quelque chose de Marco Kralis? « Par Dieii, oiii,u repond-il, «j'ai viisa prison a Andrinople, ct sa botte suspend nc "a la porte du cachet, toujours ferine depuis sa deli vrance : la prison flit rempHe de pierres enormespar Marco Ini-meme. Laiuaniere dont il en sortit est curieuse. Un Arabe "a cheval, brave coiiinie nul autre en son pays et de son lems, devastait les environs d»; la ville ; les musulnians, quelqvie nombreuxqu'ilsfussent, lie poii- vaient tenir devant lui ; malheur a qnicoiique avait I'audace de Vattendre. Les Tnrcs se rappelereiit qu ils tenaient Marco en pri- son, Marco, seal capable de terrasser I'Arabe ; ils le delivrereut a cette condition , le,laissaut iiiaitre du choix des amies. 11 n'en voulut aucune ; alia a la rencontre de lArabe, desariue et a pied , et ne tarda pas "a le voir •, alors le heros s'arreta pies d'un laboiireur dont la cliarrue etait attelee de six bceiifs, et saisissant cette cliar- rne par le brancard, Marco I'enleva avec les six boeufs, et lanca le tout snr son antagoniste, qui fnl, conime de raison, ecrase. » — «Monpere,» dis-je, «perniettez inie seule petite observation: avoncz que c'est quelque pen exagere. Les six boeufs et la cbar- rueen I'air, cela me senible iin pen trop! « — « Vonsavez raisoii, car vous n'avez pas vusa botte, dans laqnelie un garcon de douze ans se ponrrait cacber. Si cette l>otte, et lacoteque j'ai viieclouce anx sept tours ii Constantinople, el que les Turcsm'ont inoiitree en me disant quelle etait de Marco, viennent reellement de lui , il ne lui a pas etc difficile d'enlever charrneet bceufs a la luis , et le laboureuravec, si vous vonlez ! » II faut aux conteurs , comme anx fondaleiirs de cnlle , dc la foi avant tout. Leur eloquence grandit a I'emotion de I'auditoire. 11 en etait ainsi du papas slave de mon correspondant ; et nus recitsparaitront longs si Ton ne se preie aux reveries de ccs pau- vresconquis, dont la vie reelle est si miserable, si depouillee, qu'il nest pas surprenant qn'ils, se refugient d;ins leurs revcs. Parmi les versions de la mort de Marco, il y en a inie qui me senible emineniment .poetique. Lc heros cheminait a. cheval sur son bon Sliaratz , avantlc lever du solpil , le dimanche matin, le 390 L1TTERAT1TRE. long de la mer , sur la montagno Ourvina , quand , tout h coup, Sharatz bronche et pleure. Le cceur du lils de roi s'emeut; il de- mande a Sharatz pourquoi il bronche : n'est la premiere fois depuis cent soixante ans qu'ils cherainent ensemble. Le cri de la Vila de la montagne repond : « Sharatz pleure le maitredont il -va etre separe. » Mais Marco reprend : « Que la gorge te cuise , blanche Vila, tu as menti ! tant que ma tete sera sur men cou , je lie me separerai pasde Sharatz. II n'y a pas de meilleur cheval sur terre, comme il n'y a pas, sur terre, meilleur hcros que moi. » — « Tu ne peux etre tue , ami Marco >' repond la Vila , « ni par le bras d'un heros, ni par le tranchant du sabre , ni par le poids de la massue , ni par la pointe de la lance : et cependant tu mourras , pauvre Marco ! » C'est en regardant son visage dans le miroir de la source au haut de la montagne , que le heros saura qu'il doit mourir. II fait ce qu'avait dit la Vila ; il va , attache sou cheval au sapin pare de riches feuilles verdoyantes , se penche sur I'eau de la source, regarde son visage dans ce miroir, et connait qu'il faut mourir. « O ma belle vie ! suave fleur ! vous etiez beaux, court peleri- nage 1 courte vie, qui n'avez dure que trois cents ans! et deja il me faut changer de monde ! « « Alors le heros tira son sabre affile; il le tira , le denouaiit de sa ceinture , etmarcha vers son fidele cheval. D'un coup il abattit la tete de Sharatz, pour qu'il ne tombat point aux mains des Turcs, pour qu'il nedeviut pas la bete de somme du musulman, qui va chercher I'eau ettrainele^/^wroHdu maitre (1). II rompit en- suite son sabre en quatre morceaux, pour qu'il ne tombat point aux mains des Turcs, pour qu'ils ne se vantasseut point que Marco leur avait laisse son sabre, et que le heros ne fut point maudit de la chretiente. II brisa sa lance en sept morceaux , qu'il jeta dans les branches des sapins toulfus ; puis enfin il prit sa massue redoutee , il la prit dans sa puissante main droite , la lanca du (1) SoriP df tonnoau , lardc vase , ilaiis Ipqurl on lraiispnr(o I'paii. POESIE POPULAIRE SLAVE. 891 haut de la montagne Ourvina, an loin, dans les flots de la mer bleue et sombre. Et il dit, lui, Marco : «Le jour ou cette inassue remoiitera sur les eaux , ce jour seulement paraitra un giierrier egal au fils de roi Marco. » he heros ecrit ensiiite sur ses tablettes , et legue une bourse a celui qui ensevelira son corps , une autre pour les orneniens des eglises ; il laisse la troisieme aux boiteux et aux aveugles, « afin que les aveugles qui parcourent le monde celebrent dans leurs chants les exploits de Marco. Puisil attache I'ecrit a I'ecorce du sapin vert , jette son dolman sur I'herbe , enfonce sur ses yeux son kalpak de zibeline, se couche, etne se releve plus. » Pendant toute une semaine , chaque voyageur qui A'oyage sur la route, etqui voit Marco etendu , passe au large, et se dit : « Le heros dort. « Enfiu Basile , du mont Athos, arrive avec son disciple ; il s'ecarte d'abord , avec respect et crainte ; mais il lit les tablettes , pleure , eniporte le cadavre du heros , le con- duit, sur un vaisseaii, au mont Athos, enterre le corps au milieu de I'eglise sainte ; mais il ne lai eleve aucun monument de sou- venir , de peur que les ennemis, reconnaissant la tombe de Marco, ne se rejouissent, et ne s'en rient avec une joie sauvage.w A"!' MONGOLFIER. ( La suite a nn prochain cahier.) MELANGES. LETTRE ENCTCLIQUE DE GRICGOIRE XVI. Nous imprimons ici dans son entier la lettre encyclique^ue Ic Pape Gregoire XVI vicnt d'adresser aiix e'veqiies. La pcnsce secrete qui di- rigc la politique dc la cour de Rome au milieu des circonstances difficilcs oil elle se trouve aujourd'hui se tc'moignc par des actes si rares et si pen decides , que chaque parole e'raanee du saint-siege doit etre soigneusc- ment recueillie et profonde'pjent e'tudie'e ; les voiles qui cntourcnt la di- plomatic des papcs sont plus c'pais encore que ceux qui entouient cclle des rois. En presence des dangers qui la menaccnt , la puissance vivante del'Eglise s'est retiree tant qu'elle a pu de la scene du monde, atta- quantpeu, mais aussi s'exposant peu a souffi'ir I'insulte ou a se re'duire a la defense, passant volonticrs les mauvais jours dans le silencieux asile du sanctuaire , et moderant sagement son amLition sur la ne'cessitc des terns et la crainte de rien liasarder et de nen comprometlre. Quelle est au fond la dernicre pense'e de la papautc' au sujet des choscs que I'ave- nir tient en re'scrvc au genre huraain ? Quelles sont ses espc'rances ou ses craintes? C'est dcmander quelle est sa foi ; question imposantc, sur laquelle nous n'avons rien a decider , puisqu'elle apparticnt a I'inviolable domaine des consciences , mais au sujet de laquelle nous nous rajipc- lons involontairement que Pierre durant la tempete tremblait et doutait de son mattre. ^^Au restc, quelque opinion que Ton ait sur ce point , on nc pent s'em- pecher d'etre proi'ondeineut frappe du caraclere de grandeur qui regne dans cettc lettre. Du gouvernement de I'Eglise au gouverncmcnt de I'etat de Rome , il y a loin ; et les grandes choses se te'moignent grandc- raent. A la hauteur du langage , on croirait entendre encore la voix du de'positaire supreme des deslinees de la terre , ne connaissant que lui et MELANGES. 3g3 I'impiete dans le monde; c'est cette souvcraine du moyeii ag;e qui ou- 'jlie iin instant sa vicillessc et sa decrepitude, et se releve de toute sa liautcur en apprenant qu'on Iiii propose de pactiser avec I'esprit mo- (lerne; c'est , s'il est permis de comparer les grandes choscs aiix pe- lites, le vieiix Caton en presence des novateurs et des philosoplies; ou mieux encore, peut-clre, ces se'nateurs antiques, assis dans lours sieges curules, et se drapant, a I'approclie des Gauiois , dans la majeste' de !eurs toges consulaires , prets a mourir s'il fallait mourir, mais a mou- rir se'nateurs de Rome, et non point allies des barbares. Le Pape ne cberclie ni a se tromper, ni a se dissimuler le danger ; il le montre au contraire dans toute son e'tendue : rirapiete' victorieuse, le culte de'laisse', I'autoriteme'connue, les generations qui s'avancent, imbues deja de sen- timens hostiles, et pretes a continuer le mouvement des idc'es et de la pbi- losophie. Le tableau qu'il pre'sente aux fideles est douloureux et sombre, et I'orage araoncele' contre re'giise du Christ s'y trouve peint avec una ter- rible exactitude : pas un trait qui ne soil vrai , mais aussi pas un rayon d'espoir, partant de la terre; a peine un regard qui, vers la fin, se levc incertain vers le ciel , et implore Jesus , Vauteur et le consommateur de la foi. Cette Jettre , comme on le voit assez en la lisant , a e'te principale- ment e'crite en vtie des doctrines e'mises par M. de Lamennais, et sur lesquelles il fallait bien que le saint-siege consentit enfin , malgrc sa repugnance, a se prononcer formellement. La de'cision , quant au fond , ne pouvait guere etre douteusc , el lout ce que Ton pouvait en attendre e'tait de connaitre le degre de pre'cision et de fermete avec le- quel elle serait formulee. Sous ce rapport elle laisse peu a de'sirer , et Ton serait mal venu a se plaindre de I'obst^urite du langage de la cour de Rome toutes les fois qu'il est question des droits de I'bomme et de la liberie de I'esprit. C'est qu'en effet le catholicismc est tout entier corapris dans la re've'latioa absolue des prophe'ties et de I'e'vangile, et dans la representation unitaire de Dieu par la personnc de son vicaire, Quel pactc ferait-il done avec la philosophie ? Tout change autour de lui ; mais hii , a moins de se suicidcr , ne pourra pas changer. Le gou- vernement de TEglisc n'est pas comme celui d'un royaume , oii le roi par son action n'engagc que lui , el peut , sans dementir sa propi-e au- TOME I.V. AOUT -1852. 26 394 MELANGKS. toritc, pcnscr aiilremcnt que ics rois scs ancelics. Lc goiivcrncnient dc Ir'glisc csl uii, ct rEspiit-Saint en est le chef supreme. All rcste, pour bien penc'trer toute la pense'e du conseil pontifical, il ne fautpas oublier que la parole dcs Papes coniine celle dcs Prt)plictcs est toujonrs figiiree, et que c'cst toujcnrs derrierc le relief que prc'sentc riinage qu'il faiit cberelicr I'ide'e qui occupe I'esptit; c'cst ainsi que, dcs le debut , nous voyons apparaitrc le souvenir de celte cliaire antique dc saint Pierre , de saint Pierre si petit dans le inonde prcs de saint Paul, niais si grand dans I'Eglise , pour s'etrc tcnu a la loi de Moise et avoir onchainc la tradition catholique jusqu'aux jours dc la creation. La cliaire de saint Pierre en effct est iinmuable comme Tarche du tabernacle ; c'est sur eile que plane 1' esprit de Dieu, ct pour cclui qui a droit d'y sie'gcr, !es conseils qui soitent dc la bouclic d'un honinie ne peuvent etre que vanite, s'ils ne sont pas inipic'le. II y aurait un long comincntaire a e'tablir sur cefte lettre et sur la doctrine de ]M. de Lamcnn iis • mais nous nous arretons, car notre in- temion n'est point d'entreprendre de cotte maniere la question de la re- formation religieusc. Nous re'sumerons seulemcnt tout ce qu'on pourrait en conclure en disant qu'il est cliimeriquc de pre'tendre faire entrer le catliolicisme dans aiicun plan de restauration et de regeneration. Au de'faut de la foi , ce serait assez de Ja logiquc pour obliger les succes- seurs dc saint Pierre a demeurer invariables sur la ligne de leurs de- A'ancicrs (i). GREGOIRE, PAPE XVI^ DU NOM. T'endrablts Frcres, saint ct l/e'iie'Jiclion apostolique. Voiis voiis ctonncz pciU-etre que, depiiis que la charge de loute I'Eglise a die iniposee a notre faiblessc, nous ne vous ayons pas encore aiiresse de lettres , comme lc dcmandaient et un xisarje qui remontc aux premiers terns, et notre (1) Depuis que cette note a tileecrite , M. dc Lamcnnais a fait connailrc sa ri- ponsc aux rcnionirances du Souverain Pcntife, par unc lettre inserce dans les teuiUes publiques ; il se soumct avcc sinipliciie a la decision de fautoritd supreme. Au reste, il monire en cela une grande foi en son principe de Dieu, comme it avail monlrd ui;e grande foi en son principe dc liberie en osant le proposer "a la cour de Rome. I i melangks. 895 bienveillance pour vous. II ^tait ccrtainement daiij nos voeux de vous ouvrir sur- Ic-chanap notre coeur, et dans !a communicalion du mcme esprit de vous entrc- teiiir de celtc voix dont nous avons refu I'ordre dans la pcrsonne du bien-heu- reux Pierre de confirmer nos freres. Mais vous savcz assez par quelle lempete de desastres et dc douleurs nous nous trouvaines, des les premiers momens de notre pontifitat , jf te tout a coup dans la haute mcr dans laqUcUe, si la droite de Dieu ne s'etait signalee, vous nous eiissiez vu submerge par Teffet d'une noire conspira- tion des mechans. Nous repugnons a renouveler nos justes douleurs par un triste retour snr tant de perils , et nous benissons plutot le Pere de toute consolation , qui , dispersant les coupables, nous arracba a un danger imminent, et, en apaisant une effroyable tourmente, ;ious permit de resplrer. Nous nous proposames sur- le-champ dc vous communiquer nos vues pour guerir les maux d'Israel; mais I'immense fardeau d'affaires dont nous fumes accable pour menager le r^tablisse- ment de Tordre public apnorta quelque retard a notre dessein. Une nouvelle cause de notre silence vint de rinsolence des factieux, qui s'ef- forcerent de lever une scconde fois les drapeaux de la revolte. Nous dumes enfin, quoiqu'avec une profonde tristesse , user de Tautorit^ qui nous est confine d'en haul , et reprimer severement Textreme opinialrete de ceux dont la fureur effr^nee paraissait non pas adoucie, mais plutot fomentde par une longue impii- nite, et par uh exces d'indulgcnce et de bonte de notre part. De la, comme vous avez pu le conjecturer, notre tache ct notre soUicitude journaliere sont devenues de plus en plus penibles. Mais comme nous avons, suivant Tantienne coutume , pris possession du pon- tiQcat dans la basilique dc Saint-Jean-de-Latran , ce que nous avions diTfere pour les memos causes, nous venons a vous, venlus grand , et la perver- sitd des moeurs devient plus profonde, Ainsi , lorsqu'on a sccoue Ic frein dc la re- ligion par laqiiclle seulc les royauincs subsistent et rautorite se forlifie, nous voyons les progrfes dc la ruine dc Tordre public ; de la chute des princes , du renverseinent de toutc puissance legitime. Get amas de calamites vienl surtout de la conspiration de ces socidtds dans lesquelles lout ce qu'il y a eu , dans les bdre- sies et dans les sectes les plus criminelles, de sacrilege, de hontcux ct de blas- pheniatoire, s'est ecoule, comme dans un cloaquc, avec le melange de toutes les souillurcs. Ces maux , vcnerabies freres, ct beaucoup d'autres, et dc plus faclicux encore peut-etre , qii'il serait trop long d'enumdrer aujourd'hui, et que vous connaissez tres-bien, nous jettent dans une douleur longuc et ainere, nous que le zele de loute la inaison de Dieu doit particulierement ddvorcr, place que nous sommes sur la chaire du prince dcs apotres. Mais comme nous reconnaissons que dans cette situation il ne suffit pas de ddplorcr des maux si nombreux, mais que nous devons nous efforcer de les arracher autant qu'il est en nous, nous recourons a voire foi comme a une aide salutaire , et nous en appclons a voire sollicitudc pour le salut du iroupeau catholique, vdnerables freres, dont la vcrtu et la religion aprouvees, la prudence singuliere et la vigilance assidue nous donnent un nou- vcau courage et nous soutiennent, nous consolent ct nous recrcent au milieu de circoustances si dures et si affligeantes. Car il est de noire devoir d'elever la voix et de tout tenter pour que le sanglier sorti de la foret ne ravage pas la vigne, (^t pour que les loups n'immolcnt pas le troupeau. C'est "a nous a ne conduire les brebis que dans des piituragcs qui leur soient salutaires et qui soient a Tabri dc lout soupcon dc danger. A Dieu ne plaise, nos trcs-chers freres, qu'accablds de tant de maux et menaces de (ant de perils, les j)aslcurs manqucnt a leur charge, cl que, frappes de craintes, ils abandonnent le soin des brebis ou s'cndornient dans un lichc repos ! Ddfendons done dans Tunitd du niemc esprit noire cause MELANGES. 897 commune, 011 plutdt la cause de Dieu , et rduiiissons nolic vigilance ct uos ef- forts centre Tcnnemi commun pour le salut do lout le pcuple. Vnns remplirez ec devoir , si , comme le deniandc votre office, vous veillez sur vous ct sur la doctrine, vous rappelant sans cesseque I'EgUse unwcrseUc est cbranlce par quelqite nouvcantd qua ce soil, ct que, suivant Tavis du pontile saint Agallion , rien do ce qui a e'te dejini ne doU dtre retranchd, ou change, OH aj'otttc, indis qiiil fitut le consen^er pur et .pour le sens et Fexpressioii. Qu'ellc soil done fernie et indbranlable cette unitd qui rdside dans la cliairc du bienheureux Pierre conime sur son fondement, afin que la meme d'oii decoulent pour toutes les eglises les avantagcs d'une communion precieusc, so trouvcnt pour tous nil rampart, un refuge assure', iinporl t'l I'abri des ornc,eselun tre- sor de biens sans nombre. Ainsi, pour reprimer I'audace de ccux qui s'elfor- eent d'enfrcindre les droits du saint-sidge ou de romprc Punion des eglises avec ce sidge , union qui seule les soulicnt et leur donne la vie , inculquez un fjrand zelc, une confiance et unc veneration sincere pour cette chaire eraincnte , vous ecriant avec saint Cyprien, (( que celui-la se flatte faussement d'etre dans I'Efjliso qui aban- donne la ebaire de Pierre sur bqucllerEglise est fondde. » Vous devez done travailler et veiller sans cessea conservcr le depot de la foi an milieu de cetie conspiration d'impies que nous voyons avec douleur avoir pour objet de le ravagcr et de le perdre. Que lous se souviennent que le jugemcnt siir la saine doctrine dont les peuples doiveut cire instruits, et le gouvernenienl de toute TEalise , appartiennent au poniife remain- a qui « la pleine puissance de paitre , de regir et de gouverner I'Eglise universelle a cte donnce par Jesus- Clirist, » comme I'ontexpressemenl declare les peres du concile de Florence. C'est le devoir de cliaquc cvecjue de s'attarher fidelement ii la cliaire de Pierre, de con- server religiecsement le ddpot et do gouverner le troupcau (|ui lui esi cOnfie. Que les prelres soicnt soumis, il le faut , aux evequcs,que saiiit Jerome les avertit de « considerer comme les percs de Tame ; » qu'ils n'eublicnl jamais que les anciens canons leur de^ndent de faire rien dans le ministerc et de s'aUribucr le pouvoir d'enseigner et de precber « sans la permission de lYveque , a la foi duquel le peu- ple estcenfid et auquel on demandera complc des ames». Qu'il soit done constant que tous ceux qui tiamcnt quelqne chose conlre cet ordre elabli troiiblent autan*^ qu'il est en eux I'etat de I'Eglise. Ce seraitsans doutc une cbosc coupable ci teut-a-failcoulrairc au respect ave<' lequel on doit recevoir le.> lois de I'Eglise, que d'improuver par un dereglemenl insensd d'opinions la discipline dtablic par ellc, et qui renferme I'administration deS choscs saintes , la r6gle des naoeurs Ct les droits de I'Eglise et de ses minislres ou bien de signaler cette discipline comme opposec aux principcs certains du droit de la nature, ou de la prdscnter comme dcfectueiise , imparfaifc, et soumise a I'autorite civile . Comme ilcst constant, pour nous ser^ir des paroles des pi-res de Trente , que I'Eglise « a <5td iiistruitc par .Idsiis-Ctirist et ses apotrcs, et qu'ellc est cnseigndc 3gS MELANCiES. par respril saint qui liii suggfere iiicessainnient toute verite , » il est tout-a-fait al>- surde et souverainemeiit injuriciiv pour die que Ton mctlc en avant une cerlaine restaiiration et rdgeneralion coinmc ndcessaire pour pourvoir a sa conservation et a son accroissement; comme si elle ponvait etre cens^e cxpos^e a la di^raillance , a I'obscurrissenient , ou a d'autres inconveniens decctte nature. Le but des nova- teurs en cola est dc «jeter les fondcmens d'une institution huinaine rdcente, et de f aire ce que saint Cyprien avail en liorreur , que rEjjlise, qui e«t divine, tfe- vienne tout huniaine. » Que ceux qui forment de tels desscins considcrcnt bicn queerest au soul pontife romain, suivant le temoif>nage de saint Leon, quc" la dis- pensation des canons a ete confide , » et qu'il lui apparlient ii lui seul, et non a un parlirulier , « de prononccr sur les regies ancicnnes , » et ainsi , comme I'ecrit saint Gelase , « de peser les ddcrels des canons et d'apprecier les reglemens de ses predecesseurs pour tempercr , anres un examen convenable, ceux oii la necessity du tems et Tinteret des eglises demandant qiielques adoucissemens ». Nous voulons ici exciter voire zele pour la religion couirc une ligue honteusc formee a I'egard du celibat ecclesiastique , ligue que vous savezs'agiter et s'eten- dre de plus en plus ; q'lelqucs ecclcsiasliques joignant pour cela leurs efforts a ceux des pliilosoplics corrompus de notre siccle, oubliani Icur caractere et leurs devoirs , et se laissant cnlrainer par I'appal des voluplcs jusqii'a cc point de licence qu'ils ont ose en quelques licux adresser aux princes des prieres pubiiques reite- rees pour aneantir cettc sainte discipline. Mais il nous est penible dc vous entre- tenir long-teras dc ces bouteuses tcntatives , et nous nous confions plutol sur vo- ire religion pour vous charger de conjcrver, de vcnger, dc defendre de toutes vos forces , suivant les regies des canons , une loi si importante , et sur laquclle les (raits des libertins sont dirigcs de toutes parts. L'union bdnorable des cbrcticns, quc saint Paul appelle un grand s/icreinent en Jdsus-Christ et dans r£gltse, demandc nos soins communs pour empecbcr qil'on ne porte atteinle, par des opinions peu exacjes ou par des efforts el des actes, "a la saintetdet a rindissolubilitc du lien conjugal. Pie Vlllj^iotre prddeces- seur d'lieurcusemcmoire, vous I'avait d(^ja instaminent rccominaiide dans ses lel- tresj maisles menics trames funcsLes se rcnouvellent. Les peuples doivcnt done clrc instruits avcc soin que le mariage une fois coulractc suivant les r" les nc pout plus etre rompu , que Dieu oblige ceux qui sont ainsi unis a Fctrc loujours, et que ce lien ne peut etre brise que par la mort. Qu'ils se souvicnnenl que le mariage fai- sant partic des cboses saintes, est soumis par const;quent a TEglisc-^ qu'ils aieiit devant les yeux les lois faites par I'Eglise sur cettc malierc , ct qu'ils Obcissetil religieusement et cxactemcnl acclles de I'execution desquclles dependent la force etla verlu de ralliance. Qu'ils preiinent garde d'admeltrc sous aucun rapport ricii de contraire aux ordonnances des canons et aux dccrols des conrilcs , el qu'ils se persuadent bien que les niariagcs ont une issue nialbcureuse, quand ils sont for- nids contre la discipline dc I'Eglise, ou sans avoir invoque Dieu , ou par la seule ardeiir des passions, sans que les epoux aienl songc au sacremcnt ct aux myslercs qu'il siguifie. MELANGES. O99 ISous arnvons mainienaiU ;i unc autre cause ties iiiaux donl noiis yiimissoiis dc Toirl'Eglise aflli;;ee en co moment, savoir, a cet indiffereiitisiiie ou cctlc opi- nion perverse qui s'est rcpandue de tout cole par les artifices des mechans, et d'apres laquelle ou pourrail acquerir le salut eternel par quelque proiession dc foi que ce soil , pourvu que les niceurs soient droites el lionnetes. II nc vous sera pas difficile, dans une maticre si clairc et si ^vidente, de rcpousser la plus fa- tale erreur du milieu des pcuples confics a vos soins. Puisque I'apotre nous avcr- tit qu'il n'y a qu'un Dicu , une foi , un haptemc , que ceux-la craifjnent qui s'inia- ginent que toute religion ofl're les moyens darriver au bonheur eternel, et qu'ils comprennent que , d'apres le temoignage merac du Sauveur , ils sont centre Ic Christ, puisqu'ils ne sont point avec lui , et qu'ils dissipent malheurcusemcnt , puisqu'ils ne recucillcnt point avec lui , et par consequent qu'il est hors de doute qu'ils periront eternelleraent , s'ils nc tienncnt la foi catholique et s'ils ne la f;ar- dent entiere et inviolable. Qu'ils ecoutent saint Jerome, qui, dans un tenis ou I'Eglise 6tait partagee en trois par un schisme , raconte que, iidele a ses princi- pes , il avait constamment r^pondu "a ceux qui cherchaicnt a I'attirer a leur parti : " Si quelqu'un est uni "a la cliaire de Pierre , je suis avec lui. « Ce serait a tort que quelqu'un se rassurerait , parce qu'il a €Ki regener^ dans les eaux du bap- teme , car saint Augustin lui rdpondrait a propos : « Un sarment coupe "a la vi- gne conserve encore la menic forme ; mais a quoi lui serl cette forrae , s'il ne vit point de sa racine? n De cette source infecte de V tmliffcrentcsme dccoule cetle maxime absurde et erronee, ou plutot ce delire, qu'il faut assurer et garantir a qui que ce soit la //- herle' de conscience. On prepare la voio "a celte pernicieusc erreur par la liberie d'opinions pleine et sans bornes qui se re'pand au loin pour le malhenr de la so- ciete religieuse et civile, quclques-uns repliant avec une extreme impudence qu'il en resulle quelque avantage pour la religion. Mais, disait saint Augustin , « qui pent mieux donner la mort "a I'ame que la liberie de I'erreur? » En effet , tout frein etant die qui piit relenir les hommes dans les senlicrs de la veritd, leur na- ture inclinee au mal tombe dans un precipice, et nous pouvons dire avec veritc que le puits dc L'ahune est ouvcrt , ce puits d'oii saint Jean vit monter une fumee qui obscurcit le soleil , et sortir des sauterclles qui ravagerent la terre. De la le changement des esprils, une corruplion plus profonde de la jeunesse, le mdpris des choses saintes et des lois les plus respectables rdpandu parmi le peupie, en un mot le fleau le plus mortel pour la socidtd, puisque I'experience a fait voir de toute anliquilc que les etats qui ont brille par leurs richesses, par leur puissance, par leur gloire, ont pei-i par ce seul mal, la liberie immoderee des opinions , la licence des discours et 1' amour des nouveautes. .La se rapporte cette liberie funesle, et donl on ne pent avoir assez d'horrcuf, la liberie de la librairie pour publier quelque ecrit que ce soit , liberie que quel- ques-uns osent sollicitcr et elcndre avec tanl de bruit el d'ardeur. Nous sommes epouvaiiles, >en('raLles frcres, en considcrant dc (juellcs doctrines ou plulot dii 4oO MELANGES. qiielles crreurs monstrueiises nous sonnnes arcablds, ctcn voyant qu'clics scpro- pagent au loin ct partout par line mullitudo de livres ct par des (Perils de loutc sorte, qui sont pcu de chose pour le voiuine, mais qui sont rcmplis de malice , ct d'ou il sort une maledtclion qui , nous le dcplorons, se rdpand sur la face de la terre. II en est cependant,6 douleur! qui sc laisscnt en trainer a ce point d'impu- dence, qu'ils soulicnncnt opiniatrcment que le deluge d'erreurs qui sort dc la est assez bien compense par un livre qui, au milieu de ce dechainement de perver- sity, paraitrait pour delendre la religion et la vdrite. Or, c'est ccrlainement une chose illicite ct contraire a toutcs Ics notions de Tcquitd, de faire de dcssein pr^- mdditt^ un mal plus grand parce qu'il y a espcrancc qu'il en riisultcra quelque Lien. Quel homme en son bon sens dira qu'il faut laisser se rdpandre librement des poisons, Ics vendre et transporter publiqucment, Ics boirc meme, parce qu'il y a un remede tcl que ceux qui en usent parviennent quclqucfois a dchapper a la mort ? La discipline de I'Eglise fut bien differ ente dhs le terns meme des apotrcs, que nous lisons avoir fait bruler publiquenient une grande quantite de raauvais li- vres. Qu'il suffisc de parcourir les lois rcndues sur ce sujet dans le cinquieme con- cile de Latran , et la constitution qui fut depuis donnce par Leon X , notre prd- ddcesseur d'heureuse mdmoire , pour empecher « que ce qui a ete sagement invente pour raccroissement de la foi et la propagation des sciences utiles soil dirige dans un but contraire , et porlc prejudice au salut des fideles. » Ce fut aussi I'objet des soins des peres du concile de Trente , qui , pour apporter remede a un si grand mal , firent un decret salutaire pour ordonner de rediger un index des li- vres qui contiendraient une mauvaise doctrine. « II faut combattre avec force , » dit Clement XIII, notre pieddccsseur d'heureuse memoire, dans ses letlrcs en- cycliques sur la-proscription des livres dangereux; « il faut combattre avec force, uutant que la chose le demande, el tacher d'extcrminer cctte pcste mortelle; car jamais on ne retranchera la matifere de I'erreur qu'cn livrant aux (lammes les coupablcs elemcns du mal. o D'apres cette constante sollicitude avec laquelle le Saint-Siege s'cst clforcc dans tous les terns de condamncr les livres suspects et nuisibles, et dc les retirer des mains des fideles , il est assez evident conibien est fausse , temeraire , injurieuse au Saint-Siege, et fdconde en maux pour le peuple chrdtien , la doctrine de ceux qui npn-seulcmeiit rcjctlcnt la censure des livres comme un joug Irop onereux , mais en sont venus a ce point dc inalignild qu'ils la prdscntent comme opposee aux principcs dc la droilure et de I'equite , et qu'ils oscnt refuser a 1 Eglisc le droit de I'ordonner et dc I'cxcrccr. Comme nous avons appris que des ecrits semes parmi le pcuplc proclamcnt certaines doctrines qui cbranlent la fidclitd et la soumission dues aux princes, ct qui allument partout les (lanibcaux de la rdvolte, il faudra empecher avec soin que les pcuples aiiisi tronipcs ne soient cnlraines liors de la ligne de leurs de- voirs. Que tous considerent que, suivant I'avis del'apotrc, « il n'y a point de puissance qui ne vicnne de Dieu. Ainsi, cclui qui resiste a la puissance resiste a, MELANGES. 4^1 I ordre de Diou , ct ccux qui resistent s'attirent la condamnalion a cux-memcs. » Ainsi , les lois divines et luimaines s'clevent centre ceux qui s'efforccnl d'ebranlcr, par des trames honteuses de revolte et de sedition , la fidelite aux princes et dc Ics pr^cipiter du trone. C'est pour cela , ct alin de ne pas se souiller d'une si grande taclie , que les pi^emiers chreiiens , au milieu de la fiireur des persdcutions , surenl cependaiit Lien servir les empereurs et travailler au salut de Tempire , comme il est ccriain qu'ils Ic firent. lis le prouverent admirablement , non-seulement par leur fidelite a faire avec soin ct promptitude ce qui leur etait ordonne, et ce qui n'dtait point contraire a la religion , mais encore par leur courage el en repandant meme leur sang dans les combats. « Les soldats chrdtiens, dit saint Augustin, servaient un cmpereur infidcle ; mais s'il etait question de la cause de Jesus-Christ, ils ne re- connaissaient que ce qui est dans les cieux. Ils distinguaicnt le maitre etcrnel du maitre temporel, et cependant ils etaient soumis pour le maitre dternel meme au maitre temporel. » C'est ce qu'avait devant les yeux Tinvincible martyr Maurice , clief de la legion ihdbaine, lorsque , comme le rapporte saint Euciier, il repon- dit a Tempereur : « Nous sommes vos soldats, prince; mais cependant , servi- teurs dc Dicu , nous Tavouons librement Et maintenant meme le danger ou nous sommes de perdre la vie ne nous pousse pas a la revolte; nous avons des ar- mcs , etnous ne rdsistons pas, parce que nous aimons mieux mourir que dc tucr.)> Gctte fidelite des anciens chreliens brille avec bien plus d'eclat, si on remarquc, avec TcrtuUien , qu'alors les cbretiens ne moiKjuaient ni par le nomhre, ni par taj'orce , s'ils eussent uoulu se monlrer enneinis declares, a INous ne sommes que d'liier , dit-il, et nous remplissons tout, vos villes, vos iles , vos forts, vos municipes, vos assemblees, vos camps, vos tnbus, vos d^curies , le palais , le senat, le forum Combien n'aurions-nous pas etc disposes et prompts a faire la guerre , quoique avec des forces inegales, nous qui nous laissons egorgersi vo- lontiers, si notrc religion ne nous obligeait plutot a mourir qu'a tuer Si nous noui fussions separds de vous, si une grande masse d'hommes se fut retiree dans quelque parlie cloignee du monde , la pcrte de tant de citoyens , quels qu'ils soient, eut couvert de confusion voire puissance, Feiit punie meme parce seul abandon. Sans doute vous eussiez etc epouvantes de votre solitude vous eus- siez cherche a Cabaliste. Indigo. Spirale. Rd. G 3 Insouciance 3 Papillonne. Vert, " ConchoVde. Fa. 7 Q Vol cxier. P Composite. Orangd. Logarilbmiqiic. La Y MIMMUM. Uniteisme. BL.iNC. CTCLoi'nE. Ut h. A Liberie. Fcivoritisme. JVoir. Epicycl. B ut. J J'ajoutcrai , pour laisser entrevoir plus clairement la maniere dont M. Foiu'ier cntend I'analogie universelle, un exemple qui montrrra avec quelle rigueur il poursuit son principc fondamental jjusque dans le MELANGES. 4^7 moindre detail de son organisation sociale , sans jamais ric-n donner a rarbitrairc. ( Traite del'assoc, t. i*"", p. 5o3) : » Si j'cnseigne que, dans line plialanfje, Tenfance active, de 4 ' j^ a 20 ans, doit ctrc distribute en 5 tribus ou chcEurs des deux sexes : 2*^ chcvubins ct cberubines, 4 '/, a 6 '/a *"*■ — 3° sdraphins et seraphines, 6 '/i a 9. — 4° lyceens et lyceennes, 9 a 12. — 5° [{vmnasiens et gvmnasiennes, 12 a 15 '/,. — 6° jouvenceaux et jouvencelles, 15 '/^ "a 20. II faut lallier ce prccepte a un tableau naturel : on le voit trac^ dans la fleur de pensec, dontles 5 p^tales, bizarrement disposes, figurent la relation des 5 tribns de I'enfance. Lcs trois plus arjees (n" 4, 5, 6) exerccnt uiie autorite rep,entale sur Ics deux plus jeunes (2 ct5); aussi, par analogic, los trois petales superieurs ont-ils la couleur jaune, paternile, dont sont privtis les deux infcrieurs. Celte lefon devra se r^peter dans toiites Ics autres parties de la piante; dans les feuilles, somences, racines, babitudes et relations de genre ou d'especc. nChcKjiie disposition inJir/ne'e pour I'onloiinance d'une plialange socictacre devra s'litayer de ce.s preuvts analogiquts tire'e.s de Ions les re^^nes. Par exem- ' pie , si je dis que la plialange, quel qu'en soit le dogre, doit se diviser d^abord ca 16 tribus d'ages, formant 52 chocurs, 16 masculins et 16 feminins, 11 faudra de- niontrer que celte dislribulion est ecrite dans tous les regnes par le createur; s'e- tayer sur ce pointde preuvcs materieiles, depuis Icj 52 .dents et Icur pivot, Tos byoi'dc, jnsqu'aux 52 pian6tes et lour pivot le soleil ; y ajouter cent autres preuves irrecusables, ^crites dans le grand livre de la nature, et visiblement analogues a cette disposition. » Voici quelques autres exemples a I'appui de nos assertions , ils sont I'onrnis par I'analogie des creations plane'laires ct des generations or- ganiqiics ( Traite de I'assoc. , t. i'''^, p. 5'2i ) : "Lcsplanetes elant androgynes comme ics plantes, copiilent avec ellcs-memes el avcc Ics aulrcs jilanetes. Ainsi la terre, par copulation avec elle-mcine, par fusion de scs deux aromcs Ivpiques, le masculin verse de pole nord et le feminin verse de pole sud , engendra le corisior, fruit sous-pivolal des fruits rouges , et accom- pagne de 5 fruits de gamme; savoir : la Terre copulant avec Mcrcure, son prin- cipal et 5° satellite engendra la/raise. Avec Pallas, son 4" satellite , la groseille noire ou cassis. Avec C^res, son 5" satellite, la groseille e'pincnse. Avec Junon, son 5° satellite \a groteille en grajipe. Avec Phoebina, son'premier satellite, rien, lacune, etc. » ^egligeons ce qui touclie aux varieles fournies par chaque csp^ce, et envi- sageons sommairemcnt I'oeuvrc des divers fonctionnaircs.Observons d'abord qu'il manque un produit dans cette serie : Phoebina n'a rien donne en fruits rouges ; c'est pourtant unc de nos lunes. (M. Fourier nomme Pha bina la planfcte fiesta. ) 4o8 MELANGES. bEh oiilrc Phoebe, (lite la lune, qui est aussi un do nos salcllilcs, ri'a rien doniio dans iadite sijric. » Trois proLlemcs ici sc presentcnt ct se compliqupiii • nl'Lc soul satellite conjugue n'a point crcSc, tandis que les autres, qui sonl cii orbitc librc, ont foiirni cxactcment Icnr contingent. ))2" L'un des satellites en orbite libre, Phabiiia- Vesta, estj^de memo en la- cunc de produii. )i3" II semblcrait que notre globe a six lunes, au lieu de cinq, nombre ncccs- sairo pour completer Poctavc majeure (12 par 7 et 5). ))Les problemes se resolvent l'un par Pautre. Phoebd n'a pu inlcrvenir ni en mo- dulation de fruits rouges, ni en aucune autro^ ct pour bonne ra'ison ^ c'est qu'cllc etait dejii morte a rcpoque de nos deux creations , toules deux posl-diluviellcs, faites apres le deluge. wOr, le deluge ayant etc cause par la mort de Phcebe, qui, en agonie, se rua sur le globe , Tapprocha fortemcnt en perigee , et causa I'extravasation de ses mers (evcnement que je dccrirai aillcurs), Pboebe n'a pas pu intervenir dans Ics deux creations susmcntionnees dont on a rcmeublc notre globe. » Veiit-on savoif comment nos desordrcs terrcstres entravent les fonc- tions attribtic'cs au solell? M. Fourici' nous apprend que cctte suspen- sion dans la creation lient a ce que notre globe ne verse pas son contin- gent en aromc fe'condant [Ibid., p. 532) : nD'ouvient que noire planetc ne fournit plus de cet arome? cc n''cst pas un cf- fet d'impuissance ni de vieillesse , car elleest fortjeunc et infra-pubfere. C'est unc suspension d'exercice aromal , causee par la chute do I'astre en subversion asccn- dante , ou i! tomba environ SO ans avant le deluge. Cette crise est indvitable sur tous les globes, except^ le soleil; ils en souftrent tous du plus au moins, commc les enfans souffrent dc la dentition. ))La tcrre en a si prodigieusement souffert , qu'une ficvre putride resultant de cet incident s'cst communiquc^e au satellite Phoebe, qui en est mort. Notre planeto n'est pas moins un petit aslre des plus vigoureux. On ne conficrait pas a un astre faible el douteux le poste important de cardintile miniature dun foyer ^iTuni- vers. »Tcl est le role de la tcrre pourvue des facultds ndcessaircs. Pendant trois sife- cles anttricurs au ddluge ( Eden, 1 , 2S ) , clle versa en bon litre, et le soleil put s'approvisionncr d'une petite masse d'arome tdtra-rardinal dont il a fait usage pour Oxer et implaner Vesta. Mais la provision etait deja epuisde au tems deC&ar, ou le soleil fut affcctd d'une forte maladio, dont il a resscnti en 1785 une nou- velle atteintc. II est faux qu'il ait die malade en 1810, commc on Ten soup- fonna : c'etait la terrc seule qui etait affcctee, et qui Test de plus en plus, ainsi qu'il appcrt par la degradation olimaterique ct le derangement dcssaisons. Le so- MELANGES. /^0() leil periclitc de momr ; car lout astre pivotal est en soulfraiicc dos qu'il est faussf^ en ai'omo tdtra-cardinal. « Une autre lesion interne est celle qui IVappe sur notre plobe exclu de com- merce aromal , hers d'olal de se conjiiguer ses cinq Junes vivanles , et reduit a un astre mort, a la lune Phoebe, poui' son service d'absorplion et r> Ceres .... 60,000 Pallas .... 80,000 >. Mercure .... 200,000 « Alors s'cffcctuera la fusion des glaces poiaires arctiques et anlarctiqucs simul- lanemcnt. » Nous nous anetons la, el n'enti'on» point dans le detail de cet ocean de limonade que doit former I'aurore boreale, en se condensant autoiir dii pole, et en projetant iiue enorme qiiantite d'acide citriquej nous allons seuleinent montrcr que M. Fourier marclie avec tout autant de se'rieux et d'assurance dans ses creations animalts que dans ses crtjatious astro- noniiques {Ibid. , p. 528) : i( II convient, ditM. Fourier en parlant des loups et des loutrcs , de reitercr frequemuicnt ccs rcmarqucs sur les desordres de nos creations presque entierc- ment contre-moulecs et scissioniiaires avec I homme, avec I'etre pivotal d'liar- monie auquel tout doit se rallier. On ne saurait trop repeter que notre "lobe csi de tons les globes Ic plus myslific en creations, et le plus interessc a se delivrcr sans delai du mobilicr odieux que lui out donne les deux creations actuellcs ; mo- bilier dont on peut sous cinr/ ans obtcnir le remplacemcnt , tout en conscrvaiii le peu qu'il a I'ourni de boa : chcval , niouion, etc. (< Ce seraii pour nous une connaissante bien vaiiie que celle du svsleme dc la nature, si ellc ne nous donnait pas les moycns de corriger le nial cxistani, et dc remplaccr les produits scissionnaires , les ctres nuisibles "ariiomme, par des con- tre-moules ou scrvilcurs utiles. Que nous importerait de savoir <'n quel ordre TOME LV. AOUT 1852i. 27 4lO " MELANGES. chaquc asire est intervenu dans la creation ] de savoir que Ic cheval et I'ane fiirent CTc6s par Saturnc en telle modulation ; le /.ebre ct Ic quaj;;;a par Protec (cioile non decouvcrte et bien existante , piiisqu'on voit scs ouvraijes en tons genres ) 5 que dans ccttc modulation , Jupiter donna le boeuf et le bison ; et Mars , le cba- raeau et le droniadaire ? Aprcs ces notions acqnises , il nous rcsterait la facheuse certitude que Ics astres qualifies de promeneurs oisils ont au contraire fait sur notre globe sept fois trop d'ouvrage , eu nous donnant un mobilier dont les sept buitiemes sont malfaisans. « Ce qui nous sera precieux , ce sera I'art de les ramener en scene de creation par un travail contre-moule , par lequel celui qui nous a donne le lion nous donnera en contre-moule un superbe et docile quadrupede, «n porteur elasti- que , I'aivti-lion, avec des rclais duquel un cavalier, partant le matin de Calais ou Bruxelles , ira ddjeuner a Paris, diner a Lyon et souper a Marseille, moins fatigud de cctte journde qu'un de nos courriers a franc dtrier j car le cheval est un porteur rude et simple (solipede), qui sera a I'anti-lion ce qu'est la voiture sans soupcnte a la voilure suspendue. Le cheval sera laissd pour atlelages et pa- rades , quand on possedera les families des porteurs elastiques , anti-lion , anti- tigre, anti-leopard, etc. K Les nouvclles creations, qu'on peut voir commencer sous cing an-i, donneront a profusion de telles richesses en tons regnes , dans les mers comme sur les terres ; anti-baleines trainant le vaisseau dans les ralmes , 'anti-requins aidant a Iraqucr le poisson, anti-crocodiles, anii-pboques, etc. » Nous avons un pea e'tendu nos citations sur cc chapitre , non dans 1' intention dc verser du ridicule sur des questions qui , au fond, appar- tiennent aux regions les plus e'leve'cs de I'esprit , mais dans le but dc laisser cntrevoir les singulieres solutions auxquelles conduit le prin- cipe fondaracntal de M. Fourier, et de nous justifier en meme temps de I'inexactitude que nous avions commise dan-s notre dernier article , on voulant rapporter un exemple de creation noiivclle. Les doctrines liistoriques de M. Fourier, e'tant analogues en lous points a ses doctrines cosmogoniques , ne sont pas soutenues par une etude plus approfondie et plus se'rieuse des opinions et des fails. Quant a ce que nous avons dit , que M. Fourier renouce a la tradition du passe' en le reprouvant tout entier , c'est ce qui rcssort avec la der- niere evidence dc ses emportemens contre les philosoplies, dont les tra- vaux sont a nos yeux le plus bcl heritage du passe, ct de scs declama- tions contre celte civilisation qui, quelque imparfaitc qu'elle soit, est cependant comrae le resume et le symbole du passe tout entier. Ne vou- lant pas allonger nos citations de ces phrases lourdes et grossieres adres- MELANGES. 4' I sees a tant de grands hommes , nous renvoyons au journal le Phalans- tere, qui nous donnera pleine raison. Nous nous contentons de quelques lignes empfunte'es aux prole'gomenes ( Traite de Fassoc, tome i'"", p. 96) : « II n'est que trop vrai :dcpuis vingt-cinq siecles qii'c.vistent les sciences politi- ques et morales , elles n'ont rien fait poiir le bonheur de Thumanitd j elles n'ont servi qu'a augmenter la malice humaine en raisOn du raffinement scientifique, a reproduire I'indigence, les perfidies et tous les fl(5aux sous diverses formes, etc. » II nous resterait encore a justifierpar dc semblables citations une der- niere assertion , celle qui se rapporte a la partie morale de la the'orie de M. Fourier. Si nous ne pouvons nous empecher de re'prouver se'veremcnt cette partie du systeme, c'est que, s'adressant aux passions qu'il est si fa- cile deseduire, elle nous semble par lamemebien plus dangereuseetbien plus grave que les autres, quine s'adressent qu'a la raison. Ma the'orie se borne, dit I'inventeur , a utiliser les passions telles que la nature les donne, et sans rieny changer. Nous montrerions aise'ment a quels I'e'sultats conduit cette consequence logique du principe fondamcntal , s'il nous e'tait permis d'insister sur la passion papillonne, sur les rallie- mens d' associations amoiireuses de tous genres , damoiseaux et da- moiselles , inenestrelles , troubadoures , etc. , ou meme sur les hordes de chenapans et sacripans des deux sexes ( Traite d'assoc, tome 2). Mais d'abord, il nous serait difficile de trouver sur ces sujets des ci- tations e'crites avec cette plume trempe'e dans I'arc-en-ciel dont parle Diderot; et en outre un motif plus se'rieux, dont on appre'ciera sans doute la convenance , nous empeche de donner aujourd'hui a cette ac- cusation d'immoralite tous ses de'veloppemens. La sollicitude toute nou- velle du pouvoir a I'e'gard de la morale des associations qui tendent a se former , surtout sous le rapport de la polygamic , nous engage a modf^ rer des paroles qui pourraient trouver echo ailleursquedevantl'opiiuon pnblique. Nous aimons mieux, au lieu de prendre la chose au se'rieux, en finir par une petite anecdote choisic parmi celles que rapporte fre'- quemment M. Fourier pour peindie les mcEurs du phalansterp ; ellc montrera tout au moins que dans {'association ou fait assez bon marche' de I'amour ( Assoc. , tome 2 , p. ^go ) : « Lucas, age de vingt ans, est tros-pauvre : il a par une chute d^chir^ et tache son plus Ijel habillcment. Les taches seront enlevces par Eudoxic , dame Ires-ri- che, qui excelle dans les fonctions du groupe de degraissage. Le lacconimodagc 27. /[l2 MELANGES. sera fail par Orphisc , autre dame riclie et vraiinenl pl)ilosoplio. , puisqu'cUe se fUU A ressarcir les culottes, cl qii'cllc cxcelle au groupe dii racommodage en drap ct des reprises masqudcs. ^ «Le paiivre Lucas a ^le bien servi par deux grandes dames , ct fttsaitcommml leur en tcmoigncr sa reconnaissance. Voila un lien amical par domesticitd, car les deux dames ont ete ses domcstiqucs dans cette affaire. «Ces daracs touclicnt alacinquantaine: mais Lucas, dans un transport de gra- titude, excddera peut-etre les borncs de Tamilid , et pourra payer sa detle par un brin d'amour. » On voit que Ic le'gislateur nouveau ne racliele pas par relcgancc son pen de seve'rite sur ce grave sujet. Nous temiincrons par deux mots d'explication sur tine expression mal comprise , au sujet de laquelle les disciples dc M. Fourier se sont par- ticulicremcnt recric's. Lorsque nous avons parle de I'exorbitante pre- tention de M. Fourier, pre'sentant aux hommes et aux planetes son Le- vitique et son Deutcronome , assure'raent noire intention n'a point etc d'e'taLlir un parallele vc'rilahlc entre le code serieux et puissant de Mo'ise et le code singidier du Noiiveau-Monde; nous voulions sculenient essayer de caractenser d'lm scid trait cette manie de tout savoir cl de tout relglementer depuis la distribution arcbitectonique des maisons ( Noiw. Monde, pag. 147) jusqu'aux nuances et aux fafons du cos- tume {Traite d'assoc, tome 11, pag. 243) , et jusque , faut-il Ic dire , jusqu'aux programmes des concours a ouvrir entre"les cuisiniers pour la confection des compotes et des omelctlcs souffle'cs ( Traite d'assoc, tome II, p. 459)- En voila sans doute asscz pour les bommes,et, quant aux planetes , il faut avouer que si la nature obcissait aux calculs de M. Fourier, comme a la baguette de Moisc , nous verrions bienlot des spectacles Icls que n'en out jamais vu ni I'Arabie ni I'figypte. Cette note complete ce que nous nous e'tions propose a I'egard de M. Fourier. Nous avons d'abord fait connailre son precede d'associa- tion en travatix domcstiqucs et agricolcsj nous avons cnsuite expose les motifs qui , sur les points les plus genc'raux , nous tcnaicnl en dc'saccoid avec lui ct nous vcnons enlin de monlrcr le lien unitaire qui groupe toutes ses conceptions autour d'un meme principe. II en resulte que Ton se tromperalt c'trangement en pensant qu'il est pcrmis de faire des ffiuvrcs de M. Fourier ce que Ton fait d'un reciicil de poesies, dans icqucl on pent cueillir ou laisser suivant sa fantaisie. MELANGES. 4^^ Par consequent aussi, il est vrai dc dire que les peisonnes qui , a un litre ou a un autre, se croiraient fonde'es a se re'unir autour de M. Fou- rier , en declarant accepter seulement telles ou telles parties do ses doc- trines et de ses theories, ne pourraient agir ainsi que par suite d'une er- reur profonde sur la valcur et rencliainement des idees ; car ou les fragmens d' opinions qu'elles adoptent sont sans base et par conse'quent sans solidite , ou ils se rattaclient au principe fondamental et par con- se'quent aussi a tout le reste. Quant a nous, nous devons declarer que si nous encourageons I'essai d'association que veut tenter la societe' constitue'e par M. Fourier, c'est que nous voyons Lien plutot , dans I'intention des actionnaircSjUne application de I'attraction industrielle, qu'une applica- tion de la theorie universelle, ou meme de la tlie'orie passionnelle. Nous sorames convaincus que le plialanstere , par la neccssite de sa conserva- tion , serait incessamment oblige' de de'vier dc la ligne the'orique pour finir par se rapprocher plus ou moins des socie'te's cooperatives de I'Angleterre. 4i4 MELANGES. STATISTIQUE COMPAR^E DE L'ETAT DE L'INSTRUCTION ET DU NOMBRE DES CRIMES (i). DISTRIBUTION DE L INSTRUCTION, D'apr^s les tableaux publids par le ministre de la guerre pour les trois anndc.t 1827. 1828 et 1829. DEPARTEM ENS. Mcuse (^Maximum) Doubs Jura Ilaute-Marne Hanl-Rliin Seine Hautes-AIpes Meurlhe Ardennes Marne Vosf^es Bas-Rhin (;6te-d'0r Haule-Saone Aube Moselle Scine-et-Oise Eure- el-Loir Seine el-Marne . . . Oisc Hautes- Pyr';nees. . Calvados Eure Aisne Corse l\Jnj~. duroyaume 74 ,3 73 72 71 71 69 68 67 63 62 62 60 59 59 57 56 54 54 54 53 52 51 51 49 38 DEPARTEMENS. 62 kvA'e.chc (Minim.'), 63 Indrc-ct-Loire. . . . 64 Tarn-et-Garonne. . Vienne Illc-et-Vilaine Loire-inferieure . . . Lot Var Maino-et-Loire. . . . Crcuse Haute-Loirc Tain TVievre 75 iMayenne 76 iPuy-de-Dome Aridge Dordogne Indre C6tes-du-Nord.. . . Finislere Morbiban Cher.; Haute- Vienne ... Allier Corrfeze 27 27 a-) 25 25 24 24 25 23 23 21 20 20 19 19 18 18 17 16 15 14 13 15 13 12 (1) Ce morccau est extrait A'unEssai surla Statislit/w morale de la France , prescntc dcrnieremcnt a TAcaddmic des .sciences. MELANGES. 4l5 CHIMES CONXRE LES PEHSOXNES , D'aprfes le comple gen(!ral de radministration de la justice criminellc pour Ics annees 1825—26—27—28—29—30. u Q 'a DEPARTEMENS. 5 i p. a ^ K o ! u w ■ Pi a o DEPARTEMENS. < r. U u . u < a. ^ p 1 2 5 4 5 6 7 8 9 10 11 12 15 14 15 16 17 18 19 20 21 22 25 24 25 Corse [Maximum), Lot 2,199 5,885 6,175 6,728 7,545 7,710 8,156 9,474 11,560 12,155 12,225 12,509 12,477 12,814 12,9.55 15,019 13,115 13,145 15,596 15,409 15,576 15,945 14.710 14,795 15,010 17,085 62 63 64 65 66 67 68 69 7i} 71 72 75 74 75 76 77 78 79 80 81 82 85 84 85 86 24,507 24,764 25,087 26,221 26,226 26,251 26,574 26,740 26,747 27,491 28,180 23,529 28;331 28,607 28,391 28,870 29.592 29,872 51,078 52,256 32,404 55,592 35,513 35,203 56,014 Meusc ( Minimum ) . Charcnte Pyrenees-Orientales Haut-Riiin Ilaule-Marne Ardcche Doubs l>jord Moselle Allier Ilautes-Pyrendes . . Bas-Rhin Seinc-et-Oise Oisc Basses-Alpes Tarn Colcs-du-Nfird . . . Saone-et-Loire . . . Ain Maine-et-Loire . . . Var Drome Bourh. -da-Rhone . Vaiicluse Gotc-d'Or 1 arn-et-Garonnc. . Eure Ardennes 3'Ioy. du royanme. L ignorance est , dit-on , la principale cause des crimes , et pour ren- dre les hommes meilleurs ct plus lieureux , il suffit de leur donner de I'instruclion, Cette opinion a e'te soutenue devant les cliambrcs et dans la socie'te' royale des prisons. Ellc est ^e'nc'raleincnt adoptee en France. 4l6 MELANGES. Dcjmis la publication du coinpte de la justice criminclie , on I'a rcpixi- duite avcc tant d'assiirance, et sous des formes si varices, ([u'cllc est dcvcnue aujourd'hui unc ve'rite vulgaire, un lieu commun qui nc dc- niandc pins de prcuv<'S. Sur quoi s'est-oii fondc j),>.rticuli(M'enient pour etablir cclte opinion '.' sur cede observation , f[ue les departemeiis ok l' instruction est le plus repandue soni ceux oil il se commet le mains de crimes. En cst-il ainsi? voila toute la question. Pour la re'soudrc , il faut determiner exactement , pendant un certain nomlirc d'annccs , la distribution de rinstructiou ct cclle des crimes dans Ics divcrscs parties du royaume; nous croyons.y etrc parvenus. La difference qui existe , sous le rapport de I'instruction , entre cc qu'on a depuis appele' la France obscure ct la France eclairee , a etc' remarque'c poiu- la premiere fois en i8i3 par M. Malte-Brun commo un fait digne de I'attention la plus se'rieuse (i). Le nombre des eleves du sexe masculin , admis dans les e'coles , etait le seul e'le'ment qu'on posse'dat alors et dont cct auteur ait fait usage ; c'est aussi le sent qu'on ait consiJcrc d;ms les rechercbcs qui plus tard out e'te publiees sur le nieme sujet. II e'tait extremcment proljabic qu'en ge'ne'ral, dans cbaque de'parte- ment , le nombre des e'coliers dcvait represcnter a pen pres I'etat de I'instruction de la masse des linbilans. On pouvait craindrc cependant que les releve's adrcssc's an ministerc n'eussent pas e'te faits partout avcc la memc exactitude , et Ton ignorait en outre coraljien d'enfans etaient instruits dans leurs families ou par des maitres non autorise's. Nous avons maintenant un raoyen plus sur pour e'ta])lir la distribu- tion de I'instruction. Depuis la levee de la classc de i8'27 , le ministcre de la guerre soumci les jeuncs gens appeles a faire partic de I'ariuce a un examen qui fait reconnaitre , au moment du tirage , le nombre de ceux qui savent lire et ecrirc. C'est d'apres les rcnseignemens rccueil- (t) En rcnilant cnmptc, dans Ic Joumcil ties Ddbats (In 21 jnillet 1823, BULLETIIN BIBLIOGRAPHIQUE, I.IVRES ETRANGERS. ETATS-UNIS. 58. Report on the geology of Massachussetts. — Rapport sur la geologic du Massachussetts, examinee sous la direction dii gouvernement de cet e'tat , pendant les anne'es 1 83o et 1 83 1 ; par M. Edward Hitchcock, professeur de chimie et d'histoire natu- relle au college d' Amherst; adresse a son excellence M. Levi Lin- coln , gouverneur du Massachussetts. Les personnes qui regardent comme une perfection , dans le systeme anglais , 1' abandon presque complet des entreprises scientifiques et in- dustrielles a I'activite spontane'e des particuliers , et qui blament les gouvernemens du continent de leur consacrer des fonds spe'ciaux sur leurs budgets , seront peut-etre surprises de voir un des e'tats de la Nou- velle-Angleterre faire exe'cuter a ses frais un travail tel que celui dont nous venons de transcrire le titre. Cependant si on pouvait revoquer en doute I'interet qu'a la socie'le' tout enticre a I'avancement de toutes les connaissances humaines, il suffirait dc jeter un coup d'oeil sur le rap- port du professeur Hitchcock pour rcster au moins convaincu de I'utilite dont sera un pareil travail pour la contre'e qui en a ete I'objet et qui en tome Lv. aoutISSS. 28 426 LIVRES ETRANGERS. a fait les frais , et jioiir regretter qu'il n'y ait encore que Itirn pen dc parties de notre tcnitoire dont la constitution ge'ologiquc soit aujuur- d'hui aussi bien connuc du public que va le devenir cclle de I'etat de Massachussetts. La France est d'autant j)bis fondee a regretter de sc voir , a cet e'gard , devance'e par rArae'rique , qu'elle posscde nn corps d'ingenieurs des mines qui , si uii lid en donnait les mojens , pourrait en trcs-peu de teins nous donner un travail du meme genre, et bien plus complet encore , sur chacun de nos departemens. « Je me propose , dit le professcur Hitchcock , de diviser mon rap- » port en quatrc parties. La premiere parlie renfermera la geologie » ECONOMiQUE dc I'e'tat , ou un tableau de ceux de nos mine'raux , de » nos rocbes et de nos terres , qui pcuvent etre employe's a des usages » utiles, et qui peuvent ainsi devenir la source de benefices pe'cuniaires. » La seconde parlie renfermera la geologie topographique , ou un » expose des traits les plus inte'ressans de notre paysage. » La troisieme partie sera consacrce a notre geologie scientifique , » ou a un tableau de nos roches dans leurs rapports avec la science. » La quatrieme partie se composera de catalogues des productions » mine'ralogiques , botaniques et zoologiques de la re'publiquc , aussi » complets que possible ; conformc'ment a une resolution de la le'gisla- » ture, apjirouve'e par votre excellence , le '2 fe'vrier i83i. Plusieurs » hommes distingucs par Icurs connaissances en liistoire naturelle out )) ce'ne'reuseinent offcrt de fournir des listes de cctte espcce dans les » branches avec lesquelles ils sont le plus familiers. » Pour r intelligence dc la premiere et de la troisieme partie de ce » rapport, j'ai, conformcment aux instructions de votre excellence, » recueilli des ccliantillons de toutes les varie'te's dc roches que j'ai pu » trouver dans le territoire dc la re'pubiique ; et dans tons les cas oil ime » roche est exploite'e, ou bien 011 elle pourrait reire en diffcrens points, )) j'ai eherchc a me procurer des ccliantillons de chaque localite. J'ai » aussi recueilli tons les minerais de quelque importance, etc La )) collection que j'ai deja faite, pour I'usage du gouverncment, contieni » sept cent quatre-vingts e'chantillons, et elle n'esf pas encore complete. » J'ai aussi , conforme'ment a vos instructions , eherchc a recueilli i' » toutes les varie'te's importantes de roches et de mineraux pour I'usage » dc chacun des colleges dc la republiqtic. » ETATS-UNIS 4^7 La premiere parlie dc cc rapport, celle qui traitede la geologic eco- nomique , est seule imprirae'e. L'auteur commence par pre'senter un ta- bleau succinct des differentes formations qui constituent le sol du Mas- sacbussetts. II entre ensuite dans le detail des substances utiles qui se trouvcnt dans chacune d'elles, et des lieux oil on les exploite et ou on pourrait les exploiter. Une des plus impoilantes est le granit , dont il esiste plusieurs grandes carrieres qui donnent a assez bon marche' des blocs de grandc dimension , et dont I'usage, devenu deplus en plus ge- neral , donne a I'arcliitecture de la ville de Boston un caractcre particu- lier qui rappelle cclui de rarchiteclure de Saint-Pe'tersbourg. Ce travail est accompagne d'une carte geologiquelithograpLie'eet colo- rie'e, dressee sur I'e'chelle de 'liooaoo ou environ 'js de celle des cartes de Cassini. Des teintes conventionnelles etdcs signes particuliers , fiu nom- bre de vingt-neuf, y indiquent les differentes formations ge'ologiques et les gisemens des substances utiles. On y suit avec facilite , dans la dispo- sition relative des differentes formations , les deux directions ])rincipa- les qu'on savait deja exister dans les roches de ces contre'es : I'une du N.-E. an S.-O. parallelement a k cbatne des Allegbanys , et I'autre presque exactement du N. au S. , parallelement aux vaLle'es du Connec- ticut et de I'Hudson. 59. Remarks on the mineralogy and geology of nova scotia, etc. — Observations sur la mineralogie et la geologic de la Nouvelle- Ecosse , par MM. T. Jackson et Francis Alger, accoiupagne'cs d'une carte indiquant la structure de la contre'e et de plusieurs vues perspectives. Cambridge, i832. In-4'' de iii pages. BI. de Humboldt parle quclque part dans ses voyages de I'agre'able surprise qu'il e'prouva lors dc son debarquement a Cumana en trouvant dans le gouvcrncur espagnol un hommc capable dc soutenir une conversa- tion scientifique. Le doux nomdc la patrie prononce' sur une tcrrc loin- tainene fait pas plus deplaisir,dit-il,aroreilledecclui quieueste'loigne dcpuis long-tems que le nom de I'oxygcne ou dc I'azote piofeVe a I'im- proviste dans une pareiilc occasion. U entre quelque chose dc cettc sen- sation aussi agre'able qu'inattendue, lorsqu'cn lisant la description, im- prime'e dans un autre hemisphere, d'une contre'e que Ton croit presque 28. 4^.8 LIVRES ETRANGtRS. encore partage'e entre les forcts ct les frimas , on y trouve appliqne'cs , avec autant d'cxactitude que de discernemcnt , les ide'cs les plus rccentes ct les raieux etablies de I'une de nos sciences les plus nouvelles. Qu'on nous pardonne cette explosion d'amour-piopre europe'en. Pour peu que des travaux du genre de celui que nous analysons viennent a se multi- plier del'autre cote de I'Atlantiquc, nos frcrcs aniericains ne tarderont peut-etre pas beaucoup a se trouvcr en e'tat de nous rendrc la pa- reille. La prcsqu'ile de la Noiivelle-ficosse s'e'tend du N.-E. au S.-O. sur une longueur de plus de deux cent cinquantc millcs. Son sol pre'sente une succession de collincs arrondies et d'une mediocre elevation , for- mfc'es de couches de scliiste argileux, de quartz en roclie , de calcaire et de gres, quicourent aussi du N.-E. au S.-O. etqui se relcventa I'cntour d'un petit norabre de protube'rances granitiques souleve'es a une e'poque postcrieure .T leur formation. Elles recelent des couches de mineral de fer qui promettent de devenir un jour le centre d'une riche Industrie, et elles presentent a I'observateur de nombreux restes organiques, qui, par les cspcces auxquelles ils appartienncnt , attestent la haute antiquite du terrain. Cette prcsqu'ile est re'unic au Canada par un isthme c'troit et peu e'leve qui sc'pare la baie Verte de la baic de Fundy. I.e sol dc cet isthme n'est forme' que d'un gres friable, et on est e'tonne qu'il ait rc'siste' jus- qu'a ce jour aux flots de la baie de Fundy, ou les mare'es atteignent la hauteur e'norme de soixante pieds, tandis que dans la baic Verte elles sont plutot au-dessous du taux moyen qu'elles atteignent sur la plu- part des cotes. Le revers N.-O. de la Nouvelle-ficosse , celui qui borde la baie de Fundy, est de beaucoup le plus curieux pour la geologic, et forme I'objet special du Me'moire de MM. Jackson et Alger. Une langue de terre eleve'c , plus cleve'c meme que I'intc'ricur du pays, et designee par le nom de raontagnes du nord {the North moun- tains), s'ctend le long de la cote , comrae une digue naturelle et presque recliligne , sur une longueur de cent trente mille ; ellc est separce des collincs de I'inte'rieur par la baie de Sainte-Marie, le bassin d' Anna- polis et le bassin des Mines, lie's presque cntre-cux par des terrains bas formes d'alluvions. Cette langue de terre est composec d'une roche ETATS-IINIS 429 parliculiere , dure et sonorc , d'un vert sombre , nominee trapp , qui se divise natureliement en gros prismes verticaux plus ou moins rc'guliers. Du cote de rinte'rieur Ics flancs de la masse trappe'enne sout arrondis ; et leur pied, abrlte duvcnt du N.-O. par la masse elle-meme, presente un sol fertile , forme' du melange des mate'riaux provenant de la destruc- tion du trapp et du gres sur lequel il repose ; sol orne de riches cul- tures, qui ont fait surnommcr les environs d' Annapolis le Jardin de la Noiwelle-Ecosse . Partout , au contraire , ou le pied dc la masse trappcenne est battu par les flots de la baie de Fundy cl par ses mare'es de soixante pieds de hauteur, elle presente des faces abruples et presque perpendiculaires. Les joints nalurels qui divisent la masse de ti-app en prismes verti- caux sont la cause de cette disposition , qui donne a toute la cote qui en est forme'e un aspect a la fois si rude et si pittoresque. Les colonnades basaltiques de I'lle de Staffa dans la mer d'Ecosse et de la chausse'edes Ge'ans dans le N.-E. de I'lrlande semblent n'etre que d'elegantes mi- niatures en comparaison des gigantesques escarpemens qui bordent U brechepar laquelle les eaux de la mer , traversant la digue trappe'enne , pe'nctrent dans le tranquille bassin d' Annapolis, ou une flotle entiere se rirait des tempetes, preserve'e par cette e'norme muraille. D'e'paisses forets de sapins en couvrent la partie superieure , et descendent sur les portions les moins abruptes de ses flancs. L'oeil compare avec e'tonne- ment les dimensions des plus grands vaisseaux a cclles de ces monumens de la nature , et le colosse de Rhodes paraitrait un joujou assez ridicule si on le plajait a I'entre'e de cette passe gigantesque. La destruction continuelle qui entretient la fraicheur de ces falaises , et les empcche de s'arrondir comme les pentes qui regardent rinte'rieur du pays, donne lieu a des accidens aussi varies que pittoresque, dont un grand nombre sont represente's dans les vues qui accompagnent le Me'moire. Une partie de ce trapp est criblee de cavite's remplies de cristaiix de diverses substances, et prend la structure amygdaloide. MM. Jack- son et Alger y ont recueilli, entre autres especes mine'rales, diverses va- rie'te's de chaux carbonatc'e , la chaux phosphatee , I'analcime , la hcu- landite, la chabasie, la stilbite, rapophyllite, la laumonite, I'ame'thyste, I'opale, etc. 43o LIVRES ETRANGERS. Ces geologues re'sument dans les tcrmes suivans leurs observations siir la masse trappe'cnne ct leur opinion siir son origine : a La fonnation trappecnne de la Nouvelle-Ecossc s'e'tend de Test a » I'ouest sur une longueur qui n'cstpas laoindre de cent trente mtllc5,et » forme , commc depot de trapp, un des champs les plus e'tendus el les » plus fertiles de rechcrchcs mineralogicpies et ge'ologiqucs (pie pre'- » sente le monde connu. Diffe'rant en cela de la plupart des formations » e'tendues de la meme rocbe , sa largeur est tout-a-fait hors de jiro- » portion avec sa longueur ; elle n'excede nuUe part trois milles, ct dans » quelques endroits , ou elle a etc entame'e sur le rivage de la mcr par » des ravins profonds, elle pre'scnte a peine une largeur egale au cen- » tieme de sa longueur. En prenant iine moyenne on trouverait proba- » blement que la largeur de la masse totale des raontagnes du nord , en » y comprenant la presqu'ile de Digby, n'excede pas le treizieme de sa )) longueur totalc. D'apres cette circonstance on doit etre porte' a y voir » un immense dyke eleve' de dessous le gres a travers quelque cre- » vasse large et continue , produite par le soulevemcnt soudain de ses » couches , et qui ne lui a permis d'acquerir qu'une e'tendue tres-limite'e » en largeur; et si on doit admettre une theorie quclconque, nous ne » concevons pas comment I'originc d'une masse si singulierement dis- » proportionne'e peut etre expliquc'e d'aucune autre maniere. La re'gula- » rite' de son contour, sa continuite , et particulierement sa direction » presque en ligne droite, sont contraires a I'idc'e de la regarder comme » le re'sultat d'c'ruptions successivcs , ct viennent a I'appui de I'opinion » que nous venons d'exprimer relativement a son origine. » B**. GRAMDE-BRETAGIVE. 60. Ancient coins of Greek cities and kings. — Me dailies an- tiques de villes et de rois de la Grece , tinges de diverses col- lections, la plupart en Angleterre , illustre'es et expliquc'es par .Fames Millingen , membre de plusieurs accade'mies ctrangcres. Londres , 1 83 1 . GRANDE-BRETAGNE. /^3l M. MillingeE offrc au public, dans cet ouvrage, des recherches sur line assez grandc quantite de me'dailles presque toutes uniques ou ine'- dites , remarquables par la beaute' du travail et par rinte'ret historique , ct qui nous offrent una publication d'autant plus curieuse que beau- coup de ces inonumcns font partie de collections particulieres , que les savans ne peuvent pas toujours consulter facilement. La numismatique , cette science dont I'inte'ret et I'utilitc sont aujour- d'hui si ge'ne'ralcment appre'cie's, et qui est cultivee avec tant de succes en Fiance, en Italic et en Allemagne , I'a e'te fort peu en Anglcterre. Cette contre'e n'a pas de noms a opposer a ceux de Vaillant, Bainssant, Buonarotti , Spanbeim, Morel, Havercamp, Froelich, Pellerin, Ec- khell , Visconti , Sestini , etc. Les seuls ouvrages anglais qui aient pu contribuer a ravancemcnt de la numismatique sont le Tre'sor britannique de Hajm et le Catalogue de la collection bodleienne , par PFise. Mais Hajm , qui e'tait italien , a e'te trompe de la maniere la plus grossiere par Pinkerton; il n'e'tait d'ailleurs qu'un compilatcur ;, et n'avait pas en numismatique de con- naissances sufiisantes. fHse , dans son Catalogue , a de'ploye beaucoup de science ct de cri- tique , et il est a regretter qu'il n'ait pas fait un plus grand usage de ses talens. L'universite ne s'est pas fait beaucoup d'honncur en n'allouant pas une somme annuellepour rentretien et rame'lioration d'une collection pour laquelle il existait de si beaux fondemens. Les catalogues dcs collections dc lord Pembroke et du docteur Hunter sont des ouvrages usuek et qui offrent de bons mate'riaux pour I'histoire, mais qui ne donnent point d'explications, et n'ont point de lue'rite litte'raire. II est d'autant plus etonnant que la science numismatique soit negli- gee en Angletcrre , que ce pays a des relations Ires-e'tendues , que ses liabitans sont opulens , qu'ils out presque tons le goiit des voyages, et que I'Angleterre a plus de facilite que tons les autres pays dc I'Europe pour les recherches d'antiquite's. Le nombre des collections particulieres qui existent en Angleterrc a e'te et est encore plus considerable que dans tout autre pays, II suffit dc nommer cellcs de lord Pembroke, du due de Devonshire, de 432 LIVRES ETR ANGERS. M. Tjrssen, du re've'reud M. Cracherode , de lord Northwick , dc M. Thomas., de M. Trattle , et, par-dessus tout, cclles du docteur Hunter et de M. Pajne Knight. Mais ccs collections particulieres sontd'un acces difficile, et , ainsi que les bibliotheques des particuliers , a I'usage de leurs seals proprie'taires. Ce sont les e'tablissemens publics qui contribuent au progres des con- naissances , et c'cst parce qu'ils sont tres-i'ares en Angleterre que la nu- mismatique et beaucoup d'autres sciences y sont si pea cultive'es. L'An- glelerre n'a pas dans ses univcrsiles de professeurs d'arcbe'ologie , comme il y en a dans la plupart des e'tablissemens semblables du con- tinent. Jusqu'en 1 800 , aucune collection publique de ce genre n'existait dans la capitale du royaume le plus riche dc I'Europe. Le muse'e bri- tannique possedait , a la A'e'rite' , an petit nombre de me'dailles acquises accidentellement , et principalement pai* donations, mais avec un senti- ment de proprie'te si exage're qu'on ne les montrait jamais au public. La premiere fondation d'une collection nationaie fut enfin due a la munificence d'un particulier , le re've'rend Mordaunt Cracherode , aussi eminent par ses vertus et sa pie'te que distingue par sa science et par son geut pour les arts. II le'gua au muse'e britannique une biblio- thcque considerable, un grand nombre d'anciennes gravures et de des- sins, et une collection choisie dc me'dailles grecques et romaines. On peut jager de I'etat de cette collection si pauvre , compare'e a celles de Paris , Vienne , Florence et Munich , par la publication qu'ea firent les conservateurs en i8i4. Depuis cette e'poque , la collection a presque double en nombre et en inte'ret par I'acquisition de celles de M. Townley , du capitaine Citst , du colonel de Bosset , et de lord Elgin. Mais le pays est specialeracnt redevable a la munificence de feu M. Payne Knight: ce savant distin- gue' a legue' au muse'e une riche collection de vases, me'dailles, bronzes, pierres grave'cs , monumens d'or ct d'argent , et autres productions de I'art antique. Cette collection , fruit de quarante ans de travaux et de de'penses , e'tait extremement remarquable , et avail atteint dans quel- ques parties le plus haut degre d'importance. D'apres cette addition , la se'ric des me'dailles grecques pouvait etrc conside're'e en 183,4 <-oram<- GRANDE-BRETAGNE. 4^^^ rivalisant toutes les collections, memc celle de France, reconnue jus- qu'a present pour la plus remarquable de I'Europe. Mais les acquisi- tions faites dcpuis par cette derniei'e , tandis que I'Angleterre est reste'e stationnaire , ont rendu a la collection de France toute sa supe'riorite. L'ouvrage de M. Millingen, dans lequel nous venons de puiser ces notions, est destine' a faire connaitre au public les pieces interessantes pour la science , qui sans lui seraient encore enfouies dans les tre'sors particuliers , et par consequent inutiles au progres des connaissances ar- ch e'ologiques. Cinq planches grave'es reunissent plus de cent me'dailles , dont Ia larete' est souvent surpasse'e par I'inte'ret du type et la beaute du tra- vail. .Nous nc pouvons analyser en detail un ouvrage dont chaque article offre un inte'ret particulier et desTeclierches savantes qu'il faudrait de'- velopper pour en faire appre'cier la valeur. Quelques-unes des opinions de I'auteur ont e'te' corabattues par M. le due de Luynes dans les ^n- nales de Ulnstihit archeologiqiie , et par M. Raoul-Rochette dans le Journal des Savans (aout, septeinbre et novembre i83i ). Mais ces deux critiques ont rendu hommage a la science et a la sagacite de I'auteur , et ont appre'cie' I'ensemble de son inte'ressante publication. M. Millingen doit re'pondre a leurs observations, et de'fendre celles de ces opinions auxquelles il ne croit pas devoir renoncer. Au reste son ouvrage vicnt d'obtenir, au jugement de TAcademie des inscriptions et belles-lettres , le prix fonde par M. AUier de Haute-Roche pour le meilleur ouvrage de numismatique public dans I'anne'e. Dumersan. 6i. The -FAMILY LIBRARY. — BihUotheque de famille , n" a-] : Vies des peintres, sculpteiirs et architectes hretonsles plus renommes; par Allan Cunningham. Vol. 5. John Murrayj Londres , i832. In-i2. 6'i. The life and writings, etc. — La vie et les ecrits de Henry FusELY,esq. ; par John Knowles. Londics, i83o; Colburn et Bentley. 3 vol. in-8°. 434 LIVRES ETR ANGERS. G3. The life and correspondance , etc. — La vie el la corres- pondance de sir Thomas Lawrence, clicvalicr, pie'sidcut de I'A- caile'mic royalc dc Londi'cs , ctc.j par D. E. Willams, esq. Lon- drcs , i83r ; Colburn et Bcntley. 2 vol. m-'6°. BIOGRAPIIIE d'aRTISTES. Allan Cuniiingliam est poete et poctc religieux : ce ne sont peiit-etie pas Ics meilleiircs conditions pour pailcr dc la peinluie et des peintres. La poe'sie de I'ait et celle de la liltcrature , les sensations de riiomme, retrace'es par le pinceau ou de'crites avec la plume, sont clioses e'minem- mcnt diffc'rcnlcs ; et plus Ton est entre profondc'ment dans rintime de la pensc'e, mieux on a analyse' ces mouvemcns qui Louleversent I'ame a I'apre toucher dcs passions ; mieux on a module en vers , de'crit en pa- roles les impressions plus douces et en quclque sorte melodieuses que I'admiration de la nature nous fait e'prouver , raoins Ton est propre en general a sympathiser avcc les oeuvres de I'artiste, et a juger ses sensa- tions et ses jouissances plus extericurcs , el peut-etre plus primitives , plus instinctives; tenant moins aus combinaisons i'ntellectuelles , plus au chatouillement des sens. La peinture est une musique pour les ycux qui ne se peut traduire en paroles j c'est un reflet de ce que I'artiste a vu, admirablement mele' avcc ce qu'il a senti.En regardant un tableau, le litterateur cheiche cternellement Ic sujet , I'exactitude de costume et d' expression , la convenance et les probabilite's : tout cela c'est de I'his- toJre et dc la philosophic qui n'ont que peu a faire avec I'arf. Qu'im- porte que le peintre ait c'te' exact, s'il a c'te' pittoresque ? que fait le sujet a cclui qui jouit dc la forme et dc la couleur? Tout ce que Ton pour- rait souhaitcr, c'est de le connaitre assez bien d'avance, ce sujet quel qu'il soit, pour que I'ennui de chcrchcr a le deviner ne vienne pas vous distraire de I'impression profonde que donne un faire grandiose, un pinceau ferme et noble j ou du suave plaisir dc suivrc de I'ceil des con- tours vaporcux, de scntir presque frissonner sa main au veloute des eloffes , a la morhidesse des chairs, de plongcr avec amour ses re- gards dans d'autres regards , oil vous ne liscz pas, comme le dit le lilleVateur, une pensec, mais (pii vous font pcnc'trcr dans up. GRANDE-BRETAGNE. 4^5 raractere , qui vous livrent une vie. Quel elre un pen organise ou eleve' pour les arts n'a e'prouve' quelques-unes de ces impressions? et dcvant les beaux portraits du Titien qui terminent notre galerie du Louvre, qui n'a songe' aiix hommes pleins de violence inferieure et de calmc apparent, de souplesse et d'c'ncrgie, qui gouvernaient I'ltalie au terns de ce pcintrc? Ce n'est pas une action qui est e'critc dans ces belles tetes feiTiies et sourdement passionne'cs, c'cst toute la force du moycn age niele'e a I'ardeur et a la beaute dcs natures uie'ridionales. Sans ni'en apcrcevoir, en parlant d'liistoire, j'arrive au portrait, ce qui ne reutre nuUemcnt dans les opinions du biograpbe lettre dont je viens de lire I'ouvrage ; il excuse nieme Racburn , sur ce point , avec un se'rieux tres-plaisant : « Ceux , dit-il , qui ne voient qu'un pcintrc de portraits dans Raeburn , commcttent une notoire injustice a son e'gard. II avait des connaissances en jardinage, e'tait enthousiaste de la culture des fleurs, ct initie' aux mysteres des serres chaudes ; il a fait plusieurs modeles de vaisseau d'environ trois pieds de long a la quille , et meme , peu avant sa mort , il faillit se noyer dans I'e'tang de V ariston : essayant un de ses petits luodeles de marine , il e'tendit les mains pour rajuster les agres, et tomba au plus profond de I'eau. — Enfin, ajoute Allan, pour donner un dernier coup a I'e'loge de I'artiste , Raeburn , en pratique et en tlie'orie, e'tait un tres-savant pecheur a la ligne. » Laissons , pour n'y plusrevenir, et les habitudes litte'raires et les pre'- juge's aristocratiques de M, Cunningham ^ ces derniers sont si communs en Anglctcrre qu'il ne faut pas nous e'tonner que pour le biographe il y ait en quelquc sorte autant de gloire a partager les amusettes des grands qu'a donner a la toile cette vie qui , pendant une suite de siecles^ charme les yeux , remue les pense'es et les sensations de ceux qui ai^ ment I'art : vcnons a ce qu'il y a de remarquable dans ces vies de pein- tres ce'lcbres , c'cst-a-dire aux recherches biographiques , aux anec- doctcs particulieres , tantot fournics par des antiquaires , tantot cher- chces avec Constance dans les manuscrits du terns , et surtout aux details plus curieux encore, parce qu'ils on* plus de vie, qui sont c'crits sous la dicte'e des contemporains. Et puisque nous en sommes sur Raeburn , jc citcrai le rc'cit de la maniere dc peindre de cet artiste , tel qu'il est 436 LIVBES ETKANGERS. doiine par iin dc cciix qui poserent pour lui a I'epoque ou sa reputation commencait a pcrcer : « II me dit quelques mots de la facon affcctueuse et laconiquc qui lui etait ordinaire. C'e'tait c'videmment pour me mettre en bonne disposi- tion ; etme faisant asseoir, dans la pose dc'sire'e, surune chaise e'tablie a rextre'mite de I'atelier sur une plate-forme , il plaja son clicvalct et sa toile a cote de moi ; prcnant alors sa palette etsesbrosses,il serecula pas a pas , tenant toujours scs regards attache's sur moi , jusqu'a ce que son dos touchat le mur a I'autre bout de la chambre. II y resta un mo- ment , examinant ma figure , puis revint a sa toile , et , sans me regar- der, travailla avcc ses couleuis pendant quelque terns. Ceci fait, il se retira encore dc la meme maniere , e'tudia mes yeux a cette distance pendant quelques minutes , revint en hate au portrait, et peignit comrae la premiere fois. II continua toujours ainsi. J'avais pose pour d'autres artistes, dont la me'thode etait completement diffc'rente. lis faisaient d'a- bord un trait fort soigneusement dessine avec de la craie , niesuraient avec des compas , placaient la toile pres de moi ; et ensuite , me regar- dant prcsque sans interruption , ils s'occupaient a couvrir leur dcssin de couleur. Ils re'ussissaient raieux dans les petits de'tails ; Raeburn les laissait loin dans I'effct et I'expression gene'rale des traits. Les uns ob- tenaient, en multipliant les pctites touches, ce que I'autre araenait par de plus larges masses ; ils donnaicnt plus de I'homme , lui plus de I'in- telligence qui anime la figure , etc. » La suite prouve que le modele de Raeburn e'tait plus litlc'ratcur qu'amatcur dc peinture ; mais il est cu- rieux de connaitrc, par Ic rapport d'un tc'moin oculairc, la maniere de proce'der d'un artiste qui avail e'tudie les ouvrages dc ses dcvanciers , mais qui avait etc completement prive de leurs lejons, dc Icurs conseils , de I'e'ducation d'atelier , enfin de la science apprise. Orphelin a six ans, apprenti orfevre a quinze , faisant alors par goiit des miniatures , au lieu de s'appliquer a la profession qu'il avait lui-merae choisie , ^t tout a coup , sans e'tudcs prc'Iiminaires , sans maitres , sans secours de con - naissances,de protecteurs ou d' artistes, c'changeant le minutieux travail sur I'ivoire contre les largos touches de I'huile , faisant lul-raeme toute son education pittoresque , Raeburn est dcvenu I'un des hommcs dis- lingue's de son pays dans un art qui cxigc d'autant plus de travail (pi'il i GRANDE-BRETAGNE. 4^7 a en quclque sorte , conime riiomme dont il chcrche a reproduire I'i- luage , ame et corps , pcnse'e et travail me'canique , la peinture e'tant tout a la fois un art ct un metier. Le vie de I'artiste e'cossais a etc plus lieureuse et mieux ordonne'e qu'il n'arrive ordinairement a ceux que leur genie jette liors de la car- riere ou leur position les enrayait. II s'est trouve' de caractere assez ferme, de dispositions assez sobres , assez re'gulieres , pour marcher d'un pas e'gal et tranquille a la fortune et a la gloire. Tres-pauvre , en sa pre- miere jeunesse , il s'est fait d'abord connaitre par son talent , et succes- sivement est devenu I'e'poux d'une femme distingue'e, proprietaii'e aise, peintre celebre, chevalier, ami de tout ce qu'il y avait de plus illustre dans Edimbourg , ville ou le me'rite forme en partie I'aristocratie. Inti- me'ment lie avec Walter Scott , un des plus beaux portraits du poete historien et romancier dont la France pleure I'agonie avec une aussi vive douleur que cette Ecosse elle-meme dont il a illustre' chaque place , chaque site , chaque clan , est I'ouvrage de Raeburn , qui le ter- mina deux jours avant sa mort. Lebiographe , en parlant dela pauvrete' de I'artiste dans sa jeunesse, et de la sobrie'te force'e a laquelle il etaitcon- damne' , ainsi que son ami d'enfance le savant et spirituel John Clerk , depuis lord Eldin , contc que celui-ci , ayanl invite Raeburn a d?ner et arrivant avec lui en son logis , s'indigna de voir son hotesse poser tran- quillement sur la nappe deux plats contenant trois harengs et trois pom- mes de terre. « Est-ce tout? » s'e'cria I'avocat amphytrion d'un air de de'sespoir. — « Tout , » repondit paisiblement la ferame. — « Com- ment tout! » reprit-il avec emportement, « ne vous avais-je pas dit, femme, qu'un gentleman venait diner avec moi, et qu'il fallait six ha- rengs et six pommes de terre ? » Allan Cunningham commence ce cinquieme volume (i)par la biogra- phic de Jamesone , dans laquelle il a fait entrer un resume court , mais picin de recherches, del'histoire de la peinture en Ecosse, avant et sous les re'formateurs. Une histoire qui date de i43o et que Cunningham emprunte a Pinkerton , prouverait qu'avant cette c'poque la peinture etait exercee en Ecosse , mais d'une facon barbai-e a tons e'gards : (1; La Ilei'iie EncvlapeJu/nc a. rondu comple des precedens a inesiire qifils- out parii. 438 LIVRES ETRANGERS. « Un montagnard ayant vole la vachc d'une pauvre femme , ccllc-ci fit voeu liaulement dc ne pas porter de soiiliers a ses pieds, qu'elle n'eut fait sa plainte au roi. Lefe'roce brigand, parune sanglante ironie, saisis- sant la mallieureuse creature, lui cloua aiix pieds deux fcrs a clieval. Des que la femme put marcher , elle se rendit au palais, parvint jusqu'au roi, niontra ses cicatrices et conta son malhcur. Le voleur fut pris, jnge', et apres conviction revetu d'une robe de toile sur laquelle on avail re- pre'sente' en ■peinture un homme clouant des fers aux pieds d'une femme. Le coupable fut promene' deux jours dans les rues de Perth , puis traine a la queue d'un cheval jusqu'a I'echafaud oil il fut pendu. » Les presbytcriens d'Edimbourg c'taicnt moins terribles que les puri- tains anglais dans leur haine centre les arts ; au moins I'histoire de Jame- sone le prouvc. Peintre a la fois de David Leslie et de James Grahamc marquis de Montroze , ses relations avec les cavaliers et avec les cove- nantains furent e'galement amicales : il avait des se'ances des deux partis. Charles premier , qui posa pour un portrait en pied , sacliant que I'artiste e'cossais avait coutume de travailler couvert , le contraignit a garder son chapeau tout le tems des seances. II semblerait que cet honncur fut vi- vement scnti par Jamesone , si Ton en juge par le nombre des portraits de ce peintre faits par lui-meme , et tons ayant Ic chapeau sur la tele. La vie de Ramsay, fils da poete, suit celle de Jamesone. Les relations du peintre anglais avec les lords les plus influens de la cour de Geor- ges III , les Chesterfield , les Richmond , etc. , son esprit , sa finesse , ses bonnes manieres , ses brochures , sa correspondance avec Voltaire et Rousseau, la favcur du roi, qui, lorsqu'il avait fini de manger sa ra- tion ordinaire de mouton bouilli et de pommes de terre, se levait, en disant : « Maintenant, Ramsay, prenez ma place, et dinez a votre tour,)) tout cela a beaucoup fait pour la reputation du peintre. Ccpendant M. Cunningham assure que Reynolds enviait a Ramsay la pose ct le dessin elegant des jambes de son portrait en pied de lord Bukl, qui est un de ses premiers et de ses meilleurs ouvrages. La cour et la faveur des "rands n'aident pas toujours, autant que les artistes le croient gene- ralement, a faire germcr ct grandir le genie : certes il s'enflamme au soufle de la nature; mais le patronage, la protection, la faveur usent Tc'ttcr^ie ct amoliisscnt le talent. Ramsay I'e'prouva. II c'lablituncsorle GRANDE-BRETAGNE. ^3g Je fabriqiie dc peinture sous la raison Ramsay , premier peintre ilii roi; sept ou huit artistes qui n'e'taieut memc pas instruits a son e'cole , faisaient allcr la manufacture. Son e'leve Philip Reinagle, cbarge de la diriger pendant le sejour de son mahre en Italic , en e'tait de'goute. Soixante copies du roi et de la reine, a vingt guine'es la j)aire , avaient lasse la patience du jeune homme; et, en triplant la somme, Ramsay par- vint a peine a faire endurer a son ouvrier I'ennui dc cette assommante taclie dc six ans, a dix couples par an , cc qui est une dose plus que rai- sonnable. Romncy, scion Flaxman, un des peintres les plus rcinarquables dc rc'coleanglaise,arrete long-tems le biograpbe, qui a puise dans trois vies pour cette liistoire, et qui s'e'tend avcc une desapprobation pen charita- ble sur I'oubli ou Romncy laissa sa femme pendant la plus belle e'po- que de la vie de cet artiste. L'indignation de M. Cunningham m'a paru d'autant plus e'trange , que la moralite louable qui en est sans doutc la source ne nuit en rien a I'admiration qu'il temoigne a diverses reprises pour Emma Lyon, depuis lady Hamilton. Cette femme d'une cc'leJDrite' odieuse, maitresse de Nelson, et en qui la cruaute s'alliait a la moUcssc et a de dc'goutantcs volupte's , est I'objet des e'loges du biographe; il ne met pas le raoindre correctif aux expressions exagc're'es d'Haylcy qu'il cite textuellement : « Ses traits ( dit-il , en parlant de lady Hamilton ) , pouvaient, comme le langage de Shakespeare , exprimer tous les senti- mens, et les gradations de chaque passion avec une verite' toute fasci- nante. Romncy se dc'lectait a contempler le merveilleux pouvoir qu'elle conservait sur ses traits e'loquens. A travers les surprennntes vicissitu- des de sa destinc'e , la belle Emma tira toujours un ge'nc'reux orgucil d'avoir servi de modelc a ce grand peintre. » Cunningham parle aillcurs des larmcs dc tendressc et dc touchante reconnaissance de cette divine beaute, qui prostitua les charmes les plus ravissans et dont les pleurs et les sounres etaicnt cgalemcnt menteurs. Runciman , Ecossais ; Copley , que revendique rAme'rique ; Morti- mer, contemporain et rival de Romncy ; Hoppncr , fds nalurel d'un roi , et dont les succes l)alanccrent ccux dc Lawrence, sont tour a tour passes en revue dans cette biographic. P\iis vient Owen , qu'e'crasaicnt le cre- dit dc Lawrence aupres dc Georges III , ct celui d'lloppncr aupres du prince de Gallcs. Owen prenait avec peu dc patience I'abandon ou le 44© LIVRES ETRANGERS. laissait ce qu'il y avail de plus beau , tie plus elegant , de plus a la mode a la cour, oil chacun suit rexcmple du prince , et oil un autre compe- titeur, Beecbey , glanait encore ce qui restait de ladys et de seigneurs. « Ces gens-1 k e'crcment la terrine et me laissent le petit-lait , » disait Owen avec furcur , et lorsqu'un ami citait , pour le consoler, les vers de Burns ; (' A peine s'il est quelquefois au pouvoir d'une pamTe creature humaine de ne pas s'aigrir le coeur en voyant comment les choses sont partagdcs ! » « C'est bien la verite' , » rc'pondait le peintre ; « si votre Burns , mon- sieur, avait vc'cu de nos jours , j'aurais peint son portrait, rien que pour le remercier d'avoir c'crit cela. Re'ellement je m'aigris, je m'aigrispar- fois. II y a ce Lawrence , avec sa douce voix a peine murmurce , qui parle vertu et morale au roi et a la reine, qui vite commandent d'autrcs portraits. II y a Hoppner qui , pour peu qu'il ne sache que faire , aura de suite le prince , ou quelqu'un de ses riclies corapagnons , prets a poser et a I'aider ensuite a vendre le portrait ; enfin Beecbey , monsieur, dont les plumes des princesses eventent le front. Oui , c'est ainsi que cela se passe , et j'ai leurs restes , moi ! » Bennington arrive le dernier dans cette liste d'artistes. H y a peu d'amateurs des arts a Paris qui ne I'aient connu , admire , regrette ; et dans les biographies fran^aises et les souvenirs de ses camarades d' ate- liers on trouvera des details plus inte'ressans que dans la courte notice qui termine ce volume de la Bibliotheijue defamille. Une immense vanite a grandemcnt aide' a la re'putation de Fusely ; ses liaisons avec les litterateurs , beaucoup de facilite' d' elocution, y ont ajoute' encore ; mais cette renomme'e , circonscrite a 1' Angleterre , s'e'tein- dra peu a peu : car, malgre le nombre des ouvrages de Fusely, il y a fl peu de me'rite en eux pour la soutenir. Sa pense'e e'tait plus litteraire qu'artiste : dans les illustrations dc Shakespeare , genc'ralement mal des- sine'es , a figures mal proportionne'es , le geste est rac'lodramatique et I'cffct tout-a-fait nul. La biographic de M. Knowles n'est pas de nature a conscrvcr le nom de Fusely. Quelques traits d'esprit ne suffiscnt pas pour soulcver la renomme'e d'un homme hors de sa tombe. Parmi les re'parties des peintres qui ne sont pas encore sortii-'S de la me'moire des contemporains , et dont la plupart sont plus grossicres que mordantes , GRANDE-BRETAGNE. 44 1 nous citcrons cclle-ci assez gaie : « BonnycastJe ( le critique ) , ne vou- lant pas rester court en exaniinant les beaux cartons de Raphael qui sont a Windsor , avcntura unc observation assez banale sur la Pdche mi- raciileuse ; a savoir que le bateau n'etant pas de grandeur suffisante pour porter les homnies, encore moios pouvait-il conleiiir les poissons. «Par Dieu, Bonnycaslle, que nous dites-vous la ! re'pondit Fusolv ; c'est une partie du miracle, » Lawrence , favori des reines et des rois , peintre de I'aristocratie nc trouvera jamais d'c'ga! dans le genre qu'il s'est cree. Jamais peintre nc fournira imc si ravissante galericd'aristocratiques visages , de fraiclie nature de pares et de salons , de ravissantes beaute's rayonnantes dans la soie , I'or et le velours , entoure'es qu'elles sont de leur atmosphere naturel. Sa correspondance forme la partie la plus remarquable des deux volumes que nous annoncons , Icsquels , si on en retranchait ce qui est oiseux et sans inte'ret, n'en formerait plus qu'un assez mince , mais qui sciait alors vraiment riclie en rc'cits curieux , en observations vraies et neuvcs. L'histoire du peintre elle-meme est amusante , bien que courte. Fils d'un pauvre aubergiste , prodige avant six ans , son pere Boniface le vantait a chacun des voyngcurs qui s'arretaient a I'Ours noir. En 1775, lord Kenyon et safemme etant descendus a cette auberge, en se rendant a Bath , payaient le compte a I'aubergiste , lorsque , selon sa coutume , ce dernier s'e'tcndit snr les louanges du jcune artiste. « L'en- fant n'a pas plus dc cinq ans. » dit-il , «et il pourrait , a votre choix tirer votre ressemblance , on vous re'pe'ter tel discours qu'il vous plai- rait du Pandemonium de Milton. » Les voyageurs fatigue's e'taient tres- peu disposes a sepreter a cc qu'ilsregardaient comme un insupportable ennui , et dc'clinaicnt les deux pi-opositions , quand le petit marmot , a cheval sur un balon , gambada a travers la chambre , sans y etrc invite. Sa beaute, ses gentillesses , fircnl e'vanouir toute objection • ctaussi- tot qu'oneut pu le de'terminer a lacher la canne qui lui servait de dada lady Kenyon lui demanda s'il pouA^ait faire le portrait de son mari. Le petit LavFrence y conscntit sans hc'siter. Unc chaise , une table , des crayons , du papier, furent arrnngo's a I'instant , et en peu dc minutes I'enfant eut trace une e'tonnante ressemblance du lord. On demanda en- suite a I'artiste s'll pouvait faire la m^me chose pour la dame. «Oui, » repondit-il , « je le peux bien , pnurvu qu'elle se tourne nn peu , car TOME I. v. AOUT i855. 29 44 3 LIVRFS ETRANGKRS. pile a le visage de travels, » cc qui etait viai. Ce dernier portrait, d'en- viroii cimj pouccs de l.irge, cxistait en 1799, et ceux qui I'ont vu disent qu'il etait onibrc avec de'licatesse , el que I'indccision et la fai- Llesse des contoui's traliissaient seuls une main novice. Lawrence avait dix ans qnand Daincs Barrington parlait ainsi de hii dans ses Melanges : « En inentionnant des exeniples de ge'nie pre'coce, je ne puis passer sous silence un certain maitre Lav^Tence, Ills d'nn an- bergiste de Devizes, dans le Witeshire. L'enfant a maintenant pres dcdix ans ft domi ; mais n'en ayant encore que ncuf , et sans avoir recu anciine instruction de qui que cc fut , il e'tait capalile de copier des peintures liis- toriques avec la touclie d'un maitre, et re'us.vssait d'une facon surpre- nantc dans des compositions de son propre fond. J'ai remarque, cntre autres, un saint Pierre reniant le Christ. En sept minutes environ, il pouvait, sans jamais yfaillir, dessincr le portrait, fort ressemblant , de cliacune des personnes pre'sentes, et en y raettant autant de grace et de liberte' tpie le sujet pouvait preler. II lit les vers blancs avec un ta- lent rcraarquable , et convaincra quiconque veut I'ccouter un moment qu'il comprend et sent a mcrveillc les passages les plus frappans de Milton et de Shakesjieare. » II fallait elfeclivement un rare ge'nie pour faire, avec si peu de sc- cours, I'immense cliemin qu'a fait Lawrence. Qui se serait attendu que ce petit garcon d'aul^ergc deviendrait une des grandes ccle'brite's de I'Angleterre ; I'ami des souverains de TEurope et de tout cc qu'elle a de plus orgueilleux et de pluselevc, I'amant d'une rcine, le chef d'une e'cole dont I'influence se fait en ce moment fortement scntir, meinc en France , et qu'il mourrait enfm president de 1' Academic royale , charge d'houneurs , et plus endette qu'un ])rince ? Ses lettres, comme je I'ai dejadit, sont remarquahles. Toutes ont un ton de douceur et une elegance cpielquc peu rccherche'e et prctcn- tieuse parfois. II y a en ellcs un cliarme et un laisscr-allcr tout fcuii- nin. Celles e'crites pendant le sejour que (it le pcintre a Ciarcmont, oil il pcignait le portrait de la princesse Charlotte ct du prince Leopold, racontcnt tuutc cette vie d'inte'rieur avec de minutieux details , et sont d'un vif intc'rct; ellcs prc'sentent le jeune couple sous un point de vue ton- chant. Ellcs furcnl ecrites peu de jours avanl et aprcs la mort de I'he- ritiere du frone de la Grande-Bretagne. 13rs lettres de Ronicdonnenl une GRANDE-BRETAGNE. 44^ assez etrangc anecdote sur la mansuetude , la sensibilile' de Metternich, ct son gout pourleclair de lune et le pittoresque. Enfin , cclles dans les- quelles Lawrence parle de son art , dc sa maniere de peindre , des im- pressions que lui font e'prouver ses b-avAux, sont loin d'etre les raoins inte'ressantcs : « Si celiii qui est maitre de son art ct le domine est seal digne dii nom dc grand peintre , » dit-il dans une de ces dernieres , k je dois inc tenir en grand mc'pris, car c'est I'art qui constamment me maitrise. Je suis I'esclave du portrait que je fais comme s'il e'tait vivant et m'en- chainait a une volonte' despotique. Combien de fois ne me suis-je pas dit en travaillant a un tableau : C'est fini , je n'«n ferai pas plus; el; apres avoir pose ma palette , mcs brosses , lave' mes mains, pendant que je les essuyais , j'ai vu dans ma peinture ce qui me rappelait impe'rieu- sement ct me contraignait a reprendre de suite palette et pinceaux...Un vrai critique , en regardant un tableau , doit pouvoir assigner une cau'se, un motif a chaque forme, a cliaque teinte qui le compose, puisqu'ici rien n'est affaire de liasard que chez I'ignorant et le pre'somptueux. 11 y a une espece d'accidentel propre et calcule' , qui souvent est heureux. Je choisis une brosse , un pinceau a poils e'carte's dont la touche soit ir- re'guliere, mais c'est pour cela que je I'ai choisi. II y a intention et non chance ; et I'effet produit est pre'vu. L'irre'gularite meme est dans la vo- lonte' du peintre, etc.» Quant a la biographic de Lawrence , eUe est Join de me'riter les memes e'loges que ses lettres; c'est uue indigeste compilation. Pendant long-tems le libraire a fait sonner bicn haut cette vie du grand peintre. Campbell s' e'tait charge de|iecueillir et de raettre en ordre les mate'- riaux , dont le plus grand nombre e'tait fourni par Lawrence lui-meme, et le reste par les hommes les plus distingue's de 1' Angleterre ; puis c'est M. Williams, peu connu dans la litte'rature, qui a fait la besogne. II faut croire que c'est de son raieux; et le nora d'un peintre favori des lettres , et des fragmens inte'ressans, un peu de scandale et la pole'mique des journaux ont sufH et au-dela pour faire bien vendre Ic livre. Adela'ide Montgolfier. 64- Observations on the law , etc. — Observations sur les lois , la constitution et le gouvernement actuel de I'Inde , ses finances, 29. ^^i^ LIVRES ETRANGERS. son administration , etc. ; par to lieutcnanl-rolonel Iiai^lowa^ . [iOndres , i83'i. In-S". 65. The tea trade of Eivgland , etc. — Etat actuel et passe du commerce du the en Angleterre et siir les continens de VEu- j'ope et de V Am,erique , avec une comparaison entre la consom- mdtion , le prix et les revenus prodiiits par le the , le sucre , le vin , le tahac , etc. ; par Montgomery Martin, Londres , i SS'?. ; Parbiuy, Allen et comp. In-8°. (i6. Scottish proverbs , etc. — Proverhes ecossais , rcciicillis par A. Henderson , avec une Introduction , par W. Motherweli.. Fdiniliourg, iHS^j Oliver et Bogd. In-i.i. ALLE1WAGI\E. t)T. Chronir des neunzehnten Iahrhunderts. — Chronitjue du dix-neuvieme siecle. Nouvelie suite, lorn. IV, conlcnant I'an i8.J(), par D. Charles Venturini. Leipzig, iS3i ; Hinridis. In-8" dc 696 pages. T-a Chronique du dix-neuvieme siecle iwi commence'e sous le regnc de Napoleon , par Bredow, connu par ses importans travaux sur I'ar- clieologie et sur I'liistoire. A la mort de Bredow, il y a dix ans envi- ron, la redaction de la Chronique fut confide a M. Venturini , qui , sans s'ctre jusque-la spccialement occupe' d'histoire , s'e'tait cependant fiiit connaitre par plusieurs ouvrages assez remarqnables. Lrs principes constitutionnels ont tonjours pre'side a la re'daction dc la Chronique , et toujours la ve'rite' dans le rc'cit est demenre'e unic a la moderation dans le jngement ; aussi la Chronique est-elle devenuc un recueil indispensable non-seulement a ceux qui veulent revoir les e've'ne- niens accomplis chaque anne'e , et resume's dans un cadre ou leur en- cliainemcnt est plus sensilile , mais encore aiix liommes politiques qui (inl besoind'avoir a leur disposition uu falileau exact de la situation ge- neralc des divers j'ays. La situation uinterielle , sons le rapport des ALLEMAGNE. i^/^S finances , du commerce et de I'industiie , la situation intellectuelle sous le rapport de la litteraturc , de la science et de la religion , sont tou- joius espose'es avec une grande exactitude et des de'veloppemeiis propor- tionnes a leur importance dans chaque pays. L'enchainement qui existe ne'cessairement entre les grands e've'ncmens de I'anne'e i83o et ceux de I'anne'e qui I'avait pre'ce'de'e donne un in- leret tout particulier a la Chronique de 1829. Les e'le'mens re'volution- naires qui devaient e'clater a la suite du signal donne en juillet existaicnt sans doute deja par eux-memes , et n'attendaient qu'une occasion pour micux paraitre. M. Venturini, qui e'crivait en i83i seulementsa Chro- nique de 1829, e'tait dans une position avantageuse pour faire de la prophetic a posteriori, et signaler les eve'nemens inaperjus ou neglige's dans leur terns, et qui auraient du servir cependant a iaire ])ressentir I'avenir. Nous ne condamnons point cette e'tude politique faite sur lo passe , qui , apres tout , pent etre fort instructive pour bien des gens ; mais nous croyons que ce serait envisager d'unc maniere e'troite la cause des revolutions que de la croire place'e dans telle faute ou tel grief; leurs racines sont bien plus profondes, et elies tiennent non point a un fait de detail , mais a la situation d' ensemble et a la disposition ge'neV rale des peuples sous le rapport intellectuel aussi bien que sous le rapport materiel. Nous signalerons volontiers les parties qui sc rapportent a la France , a I'Angleterre , a I'EspagTie et aux principaux e'tats de I'AIlemagne , comme e'tant les meilleures de I'ouvrage. L'llalie , les Pays-Bas , la Suisse nous out paru moins bien traitc's ; la Russie et la'Turquie ne sont pas representees dans leur ensemble , et n'apparaissent que sur le theatre de la guerre , qui est du reste assez bien de'taille'. Ce qui se rapporte a I'liistoire de rAmc'rique est expose avec beaucoup d'e'- tendue ; nous regrettons de n'etre point assez serieusement au fait de la situation re'elle de ce pays pour pouvoir suivre I'auteur sur ce terrain avec toute la certitude qui serait necessaire. On sait au surplus que la plus grande partie des counaissances que Ton possede en Europe sur Te'tat de rAmc'rique arrivant par I'Angleterre , doit etre accueillie avec quelque defiance : I'Angleterre etl'Ame'riquen'en sont point encore ase juger mutuellement avec impartialite. En tout cas , M. Venturini ha- sardc, au sujetde rAme'riquc, une opinion qui nous parajt par trop er-. 446 LIVRES ETRANGERS, ronee pour que nous puissions k passer sous silence : il pre'tend que les £tats-Unis sont destines a quitter un jour leur constitution actuclle pour mie constitution monarcliique. Que la constitution actuelle nc soit pas le niodelc de la perfection que peuvent atteindre les constitutions fon- de'cs sur la souverainete du peuplc, c'est ce ^e nous accordcrons bien volontiers ; mais nous croyons Lien plus conforme a la ve'rite' de penscr que le progres de la socie'te americaine se fera par un aclieinlnement a des principes d'association dernocratique plus largement ct plus sagc- ment entendus , que de penser qu^cUe sera re'duite a en revenir a une ehartc royale. H. Ahrens. 68. Iter Italicum. — Foy age en Italic , par D. Frederic Blume, professeur de droit a Halle. Berlin et Stettin , 1824, 1827 et i83o- 3 vol. in-B" dc xxx-272 , vi-249, et vi-aSo pages. Nous sommes frappes d'etonnemcnt et d'admiration a la vue des im- nienses compilations que nous ont laisse'es nos ancetres sur I'histoire , snr la diplomatique et la biographic ; et nous nous demandons comment il e'tait possible d'executer de si grands ouvrages. Notre etonnement cesse lorsque nous remarquons que ees ouvrages colossaux sont presque tons I'cEUvre des congregations religieuses. Complc'tement de'livre's des inquietudes et des soins de la vie sociale , les membrcs de ccs congrega- tions pouvaient sc livrcr sans reserve a leur penchant pom- les travaux litte'raircs , mediter , entreprendre de vastes recueils , et laisser a des eleves, devenus ensuite leurs collaborateurs, le soin de les continuer et de les mettre a fin. Ces congregations offraient un autre avantage: ayant en general des affiliations avec d'autres congregations repandues dans les divcrses par- ^ ties du monde, les religieux qui les composaient pouvaient, ou par eux- Jt memes ou par des confreres , e'tendre leurs recherches partout ; tandis " qu'un simple particulier trouve difficilement des coUaborateurs, et man- que souvent de ressources pe'cuniaires pour se transporter dans les lieux oil se conservcnt les documens qu'il devrait consulter. On a essaye d'obtenir les memes avantages dans les terns modernes au moyen des socie'te's scientifiqucs, des academies, etc., mais il man- i que a toutes ces associations la vie intcricure ct une direction cons- \ ALLEMAGNE. 44? lalitej c'est sans doute ce (jiii est cause que la plupart de ces institutions ont execute si peu de travaux importans, et qu'aucunc n'a egale les ser- vices icndus aux. sciences par le scul oidre des be'ne'dictins. Cos considerations doivent rendre d'autant plus estimables a nos yeux ces liommes qui , douc's d'une grande sagacite et d'lme activite' ex- traordinaire , ont eu le courage d'entreprendre et sont parvenus a aclie- ver des ouvrages qui semblent exiger le concours et la vie eotiere de plusieurshommes. L'auteur de Touvrage annonce est un de ces homiacs- la. Envoye' en i8'-ii en Italic, pays riclie en collections, pour y faire des reclierches historico-juridiques, il nese boma pas a cesreclicrches, il voulut acque'rir en meme terns une connaissance exacte , non seule- ment des richesses que renferment aujourd'hui les archives , les biblio- theques , les musees de ce pays , mais encore de tout ce qui a rapport a la formation et aux vicissitudes de ces c'tablisseinens. Dans sa preface , il indique les livrcs , les maauscrits dont il s'est servi; le nouibre des livres indique's est de 5^ , mais il s'est encore con- siderablement augmente pendant I'impression de I'ouvrage. V introduction pre'sente ensuite des considerations ge'ne'rales sur les collections tant ecclcsiastiques que se'culieres. L'auteur donne d'abord im aperfu bistorique de I'origine des bibliotheques ou archives dans les c'glises et dsns les couvens; il signale le zele des religieux qui, des le teins des invasions des barbares , s'occuperent de former les collections dont il s'agit. II parle en meme terns de la negligence quq les gouvcr- neraens ont misc a certaines c'poques pour la conservation des bibliothe- ques et archives, et de i'e'tat actuel de ces precieux e'tablissemens. II pre'sente ensuite des considerations du meme genre sur les collections des villes et sur celles des particuliers ; et de plus , a I'occasion de celles. ci, il traite de la bibliomanie, qui date du tems de Pe'trarque; il parle enfln de la fabrication des manuscrits dans le quinzieme siecle , du com- merce des livres en Italic, etc. Dans la premiere partie du texte principal , M. Blume s'occupe d'a- bord de la Sardaigne (p. 34-ioi ) et des provinces autrichiennes dc ritalie ( p. I o'l-i'^'i ). Dans la deuxieme partie qui forme son deuxieme volume, il parle de Parme ( p. i-8. ), de Modcne ( p. g-a5 ), de Lucques et du duche' de Toscane ( p. iG- 1 .iS), et des c'tats de I'figlise ( 1 2<)-24<) ) • 448 LIVRES ETR ANGERS. Enfin dans la tioisieme pai'tie(troisicme voliimo) il traile excliisive- ment dc la ville de Rome. Cliaque section des deux premiers volumes indique , par ordre alphabe'tique , les villcs ou les endroits ou se Irou- vent des archives , etc.) lorsqu'il s'agit des grandcs villes ou en general de celles qui prcsentent un grand nombre d'c'tablissemcns , I'auteur de- crit d'abord les archives , tt ensuite les bibliotheques et les muse'es qui renferment des inscriptions ; il traite separement des bibliotheques qui existent aujourd'hui , de celles qui n'existeut plus , en conservant tou- jours la division en collections des e'glises ou des couvens , et collec- tions se'culieres tant publiques que prive'es. Par rapport a chacun dc ces articles , I'auteur indique avec exactitude foutes les ressourccs qui lui ont etc offertes , et facilite ainsi a d'autres Ic moyen de faire des re- clierches ulterieures. L'auteur rc'futc souvent les errcurs de ses pre'dc'- cesseurs. Nous signalerons comrae jileines d'inte'ret les descriptions des bibliotheques de Genes, de Florence, de Milan , dc Turin , de Venise , de Ve'rone. L'exposition historique de la bibliotheqne du Vatican sur- passe tout ce que nous avons lu jusqu'a present sur ce sujet. On pent dire que c'est bien moins encore par le grand noml)re dc ses notices litte'raires que par le discernement qu'il a de'ploye' dans cet ou- vrage que M. Blume s'est e'levc au jiremicr rang des auteurs qui ont ecrit sur la bibliographic. Quiconquc se proposeradc faire dc nouvelles recherches scientifiques en Italic, ne pourra se passer de ce livrc; et , ce guide a la main , il est difficile qu'il laisse e'cliappcr aucune des sour- ces d'instruction que le pays renferme. Espe'rons que I'auteur nous don- nera bientot son quatricme volume , dans lequel il doit s'occuper du royaume des Deux-Sicilcs , et Ig cinquieme qu'il annonce devoir contc- nir plusieurs catalogues ine'dits de manuscrits. H. B. Of). MiNiATUR BiBLiOTUER. — Petite hihliotheque des classlques allemands. — Anthologie des cpuvres des deux Schlkgel. Hild- burghausen et New-York, i83i . Petit in-32. Pour quiconquc connait I'etendiic des oeuvrcs de ccs deux fri-res ce'lcbrcs, il sera fort surprcnant dc voir rcsumer en quatre-vingt-qua- torzc pages fort pctitos ce (pi'ils ont c'crit de raicux en poc'sic ct en prose. Aussi n'avons-nous de Frederic Schlegel (pic quclqucs vers, (t d'Au'gusle-Wilhclm qu'un petit nombre de morrcaux, .n ec un sciil jn^e- VLLEMAGNE. 449 ment en prose siir Shakespeare. Les chef-d'osiivres du tragique anglais , si bien n,itiiralises siir le sol allemand par ce poete , ne fournissent rien a notre petite Antliologie. Cependant elle nous fait lire ce chant d'Arion si antique , si simple ct cependant si c'leve ; elle nous donne la gracieuse conception de Pygmalion , la le'gcnde dc saint Luc , les charmantes e'pi- tres a Novalis. 11 serait difficile de surpasser le me'rite descriptif de I'ode intituicc Wartburg , qui commence le recueil des poesies de Fre'- de'ric; il regne dans ce morceau un charme indicible , une exquise sen- sibilite. Rien de plus original que le Fieux pelerin , rien de plus pa- Iriotique que les Foeux. On est fache que 'e volume soit si petit , et quoique Ton ne puisse raisonnablement reprocher aux e'diteius de ne nous avoir point reproduit les cours de litte'rature , les jugemens litte- raires de ces deux freres, non plus que leurs travaux sur I'lnde , la Grece, les fabliaux, la Nicbelungen, etc., etc., on voit avec peine qu'ils aient omis la belle e'le'gie de Rome , dans laquelle Auguste-Wil- helm ce'lebre son ami I'autcur de Coz'inne. II ont aussi beaucoup trop raaigri Frederic , en sorte que le lecteur possede plutot un specimen du talent de ces deux freres illustres, qu'un choix de leurs ceuvres^ car un choix ne devait ni ne pouvait s'arreter la. Au demeurant , il est tou- jours tres-commode de mettre pour 4o centimes quelques chefs-d'oeuvre dans la poche de son giiet. P. de Golbery. ■JO. Alkuna. — Alkima. Mjthologie du Nord , par Th. Legis. Leipzig , 1 83 1 J Hartmann. Li 8°, avec treize planches et une table ge'ne'alogique. 7>I. ArCHIV fur die NEUESTE GESETZGEBUNG ALLEn DEUXSCHEN Staaten , etc. — Archives pour la nouvelle legislation de tons les etats d'Allemagne , par Alex. Muller. Mayence, i83'2 ; Kup- ferberg. In-8''. ■ya. Die Grundsoetze dek Finanz , etc. — Les Elemens de la science des finances ^ Dissertation critique, par J. Schoen, pro- fesseur a Breslau. — Breslau , iHSa; W.-G.. Korn. In-8" de uoS pages. 45o LIVRES ETRANGERS ITALIE. •73. DIZIO^■ARIo TURco, ARARO E PERsiARo. — Dictioimaiic- turc, arabe ct pcrsan, etc., par Af)TOi>E Ciadyroy, pretrc aimem<;n de Cons- tantinople; Milan 1 83 i. Louis Nervetti. L'autcur de ce A^ocabulaire oriental est iin cleve du college de Propa- ganda Fide de Rome. Son livre n'est, comnie il le dit liii-meme, qu'iii> abre'gc' du grand dictionnaire de Franjois Meninski , dont la voluini- neuse riclicsse est cffrayante pour qui commence, et n'est pas surtout a la porte'e de toutcs les bourses. II est done particulieremcnt destine' a ceu\ qui n'ont ni beaucoup de courage, ni beaucoup d'argcntj et c'est le plus grand nombrc. Tout en conserA^ant rorthograpbe originale , il a eu soin d'ajouter a chaque niol I'explication italicnne a I'usage de ceux qui de'sircnt apprendrc facilement le turc sans etre obliges d'en con- naitre les caracteres ; il y a joint toutelbis un tableau litbograpbie de I'alphabet turc et un vocabulaire italicn avec les termes correspondans en langue turque. L'ouvrage se public par livraisons de i5o pages en- viron. La premiere a paru; ellc va jusqu'au mot Chyz. Le prix est de 5 li\Tcs d'ltalie pour les souscripteurs. 74' CoNGHIETTURE SOPRA l'aNTICA LEGGENDA DEL CAPO TROVATO NELLE FONDAMENTA DEL CamPIDOGLIO. ConjeCturCS SUr I'aD- tique legende de la tete trouvc'e dans les fondemens du Capitole , par Francois Orioli. Rome. Brocb. in-8°. SUR LA TETE PROPHETIQUE DU CAPITOLE. Arnobe, I'Africain , est de tons les e'crivains cclui qui raconle le plus longuement (dans son ouvrage Adversus gentes), ct avec lesparticu- larite's les plus rcmarquables , la legende connue du Capitole. II ressoit de son I'e'cit que la tete bumainc trouve'e sur le monl Saturnien, sous le regne de Tarquin-le-Superbe , etait celle d'un Tolus de Vulcia, lequel ayant e'te' mis hors la loi , fut tue par les esclaves de son frere , ct que sa tete ne pouvant , suivant la loi etrusque , etre inbumee sous le ciel paternel , fut ensevelie au-dela du Tibre sur Ic territoiic roniain , et , deterre'e plus tard, baplisa le Capitole ( Caput Toli). ITALIE. 45 1 Tel est le fait dont parle M. Orioli. Eclaire' des triples lumiercs de la philologie , des traditions et des monumens , et guide' par un esprit d'in- vestigation et de synthese fort remarquable , il trouve et s'attaclie a prouver que ce Tolus, en e'trusque Thulu ou Thul, e'tait un desmem- bres de cette illustre ct nombreusc famille Tullius , originaire de Vul- cia en Etrurie, qui donna des Lucumons a VeVes, et prit un si grand accroissement a Rome et en divers lieux de I'ltalie ; qu'ayant tentc d'usurper la dignite supreme , sa tete fut mise a prix , et qu'ayant e'te' coupe'e , comme nous I'avons vu , par les esclaves de son frere , cliez qui il parait qu'il s'c'tait re'fugie , elle fut expose'e suivant I'usage e'trusque, avec la marque ordinaire d'infamie , c'cst-a-dire avec son nom imprime sur le front : il s'cnsulvit cc qui a e'te raconte. Or ce Tolus est , selon M. Orioli , le pere de I'avant-dernier roi de Rome, Servius Tullius. Ce serait ce roi lui-meme qui aurait rendu myste'rieusement aux resles de son pere les lionneurs funebres sur le liaut du niont Saturnien, au milieu des autels dcsdieux romains; et ccci explique ce que disent les historiens , que cette tete pai'aissait fraichcment coupe'e , puisque Tar- quin-le-Superbe succe'da imme'diatement a Servius Tullius. Nous devons nous borner a I'expose' du fait nu ; il nous est impossi- ble de suivre pas a pas I'auteur dans la se'rie de ses argumens originaux ; il faudi-ait copier toute sa brochure , car elle est fort concise ; tout ce que nous pouvons faire, c'est d'y renvoyer les antiquaires , et nous le faisons avec d'autant plus de confiance , que ses raisons nous semlilent d'un grand poids. Ce qui est curieux surtout et digne d' attention dans le travail de M. Orioli , ce sont les rectifications de divers textes et les rapports nouveaux qu'il e'tablit enU-e Rome primitive et I'fitrurie. Se'pare'e seulement par le Tibre du territoire toscan, il est evident que la ville naissante dut etre dans I'origine e'troitement lie'e d'inte- ret et d' existence avec sa puissante voisine. M. Orioli soutient que, des I'age de Romulus , Rome avait cesse d'etre une cite seulement latino-sabine , comme le disent les historiens , mais qu'elle fut une veritable Tripolis latino-sabine-e'trusque ; que, sous les deux pre- miers regnes , le parti e'trusque fut sacrifie , mais qu'il prit ensuite le dessus et triompha dans la personne de Tullius Hostilius. Ce Tullius parait en effet n'etre qu'un membre dc cette mcme famille Thulus de Vulcia. Son suruom d'Hostilius pourrait bicn venir A'hostis, etran- 452 LtVRES ETR ANGERS. ger, et se rapporter a remigration e'Uiisque conteniporaine de Romulus. L'ainour de Tullius Hostilius pour la science auguialc conrirme , uou moins que son nom, son oiiginetoscanej sa guerre contre les Latins et la destruction d'Albe qui s'ensuivit , vient encore a I'appui de cette opinion j et il est probable qu'il eut a coml)attre en eux une puissante brigue tendant a expulser le parti e'trusque et a replacer la dignite su- preme aux mains dcs Sabins et dcs Latins , qui seuls dans I'origine en avaient etc invcstis. Des cette e'poque le parti toscan I'emporta tout-a-fait, et donna deslors a Rome, jusqu'a la rc'publique, tous ses chefs , a I'exception d'Ancus Martins. Ce sont la des questions liistoriques fort aiducs , et nous avons appris avcc plaisir que M. Orioli s'occupait d'un travail special sur la Rome des rois. Son ouvrage aura d'autant plus d'lnte'ret qu'il semble diffe'rer bcaucoup sur cc point des historiens archeologues qui ont re'cemmcnt traite cesujet, de Nieburh entrc autres. Sa longue pratique de I'ltalie antique et de I'Etrurie en particulierdoit lui avoir re've'le' des fails nou- veaux, et ce scront la comme autant de pieces de conviction pre'cieuses dans ce grand proces de Rome anciennc, pendant encore aujourd'huiau tribu- nal de I'histoue (i). II serait a de'sirer surtout qu'il publiat tout ee qu'il a recueilli sur I'forurie. II y a la une histoire tout entiere a faire, et personne plus que le savant professeur n'cst en e'tat de combler cette lacune , autant du moins que faire se pent. L'fitrurie, cette aristocratic quasi-tLe'ocratiquc,tantle role des augures et des aruspices y e'tait considerable , parait avoir fonde son existence civile et politique sur ce dogme mystique que la terre n'cst que la re- presentation et comme le miroir du ciel. Tout done y e'tait cnible'ma- tique : le Lucumon n'e'tait sur terre que I'imagc du Dieu supreme , el ainsi dc tout. L'anne'e , Ifes dieux , chaque chose enfin , avail un triple nom , le nom civil ou vulgaire , le nom sacerdotal et le nom myste- (1) M. Orioli s'occiipc en cc moment, pour la Rt^vtie Encyclope'dique , d'lm liavail imporlant sur Ics anciennes traditions ^trusquos relatives a Rome primi- tive et aux premieres dynasties aborit;cnes du Latium. C'est un sujet tout neuf » c-t nous ospcions piiblier ce curicux article dans un de nos plus procliains nu- ITALIE. i^5'i iicu\ , Ic noiu occiiltc , arcane prolbnd et terrible que niille voix ne pro- noiifait. Nous relrouvons cet usage e'trusque dans le triple noiii dc Rome, dont parle Pline ; car il parait que le nom myste'rieux de la maitresse dumonde e'tait ^mor (Eros), son nom sacerdotal Flora ou u4nlhiisa, et son nom civil Roma. Ml'inster a fait la-dessus un curicux travail ( De occiillo urhis Piovice nomine), et apreslui, le savant M. Michelet nous a raconte toutes ces clioses. Ce n'est du reste pas la seule que Rome ait empruntc'e a I'Etrurie. EUe lui doit toute cette science augurale qui joue dans ses annales un role si important. Et pour revenir a la tete de I'Etrusque Tolus, qui baptisa son Capitolc , n'en tira-t-clle pas le famcux presage de sa future gran- deur? Que de motifs pour les auguresi La tete est le sommet du corps humain ; die fut trouve'e sur le mont Saturnien, qui commandait la villc, qui e'tait Varx de Rome, et arx vient d'ap;^»j, domination ; ce nom raeme de Tolus ou Tliulus, ecrit sur le front, signifiait clicz les Latins , comme chez les Grecs, etaussi probablement chez les Etrusques , yaiZe de ia voLite , comble tie I'edificc ; tout cela ne disait-il pas a Rome , sui- vant riiermencutique du tems : « Tu scras le faite du monde ? » Et pour justifier cet usage de tirer des presages des mots , M. Orioli rap- pelle un fait Lien plus moderne. La foudre etant tombe'e sur la statue de Cffisar, effaca le G de sou nom , et laissa seulenicnt aesar. Les dcvins d'Etrurie de'duisirent sur-le-champ de ce dernier mot , qui dans leur langue signifie dwin , que Cesar serait bientot divin , c'cst-a-dire que sa raort approchait. Enfin , ce qui comple'tait pour ainsi dire le prc'sagede la tete myste'- rieuse de Tolus, c'est qu'elle e'tait intacte el point encore corrompue, ce qui ne pouvait qu'indiquer re'ternelle dure'e de la domination ro- maine; et quant au sang dont , au rapport de Dion , elle e'tait encore souille'e , il fit ajeuter aux augures que cette domination ne s'obtiendrait pas sans carnage ; les siecles I'ont bicn prouve. Et tel fut le respect de la tete augurale et prophe'tique , qu'elle fut suspendue au faite du temple de Jupiter capitolin. S. R. 4^4 LIVRES ETRANGERS. n'). Memorie sn.r.A vita d'Antoivio de Soi.ario, detto il Zin- r.Ano. — Mc'moire siir la vie d'Antoine de Solano , dit le Zingaro, pointre A'c'nitien. Florence. In-H". LE PEIIVTRE PAR AMOUR. La vie de Zingare a c'te e'crite par Dominici , ct lous ceux qui I'ont lue savent que Ic Zingare fut peintre par amour. II parait ctre nc de 1 38o a 1 38?. , c'cst-a-dire une cinquantaine d'anne'cs environ apres la niort de Giotto. Son surnom de Zins;aro , c'ost-a-dire Bohe'mien , lui vient, on de sa vie errante , on, ce qui est beaucoup plus probable, de sa vraie qualilc de Bohe'mien , puisqu'il est certain que jusqu'a vingt- sept ans il exerca Ic nic'ticr lie're'ditaire clc chaudronnier ambulant; c'est ce que les Italiens appellent im magnano , mot qui par parenthcse s'est conserve' intact a Geneve dans celui de magnain qui a la meme signification. A vingt-sept ans done notre Zingare arriva a Naples , ct la travailla dans la maison de messire Lucantonio del Fiorc , peintre alors fort cc- lebre , et aujourd'luii encore estime par son dessin et son coloris. J'ai vu a Naples, soit au muse'e public, soit dans des collections prive'es, des tables de \m{tai'ole) inte'ressantes, non-seulement pour I'histoire de I'art, mais par leur mc'rite propre et artistique. II e'tait contemporain du florentin Masacci , et raourut la meme anne'e (i444)' Or , le signor Lucantonio avail une fille fort belle , a en juger par rempire qu'clle exerca sur le pauvre Zingare , et surtout par le portrait qu'il nous a laisse d'clle, sous la figure dc la Sainte-Vierge,"dans le gfand tableau qui est aux Studii de Naples; car tel fut long-tems I'u- sage des peintres dc mettre leurs belles dans leurs tableaux. Ainsi fit vconstamment Andrea del Sarto avec sa femme , qui pourtant le battait. A Naples meme, a cote' du tableau du Zingare , dent je parle , se trouve place'e la charmante jeune fille a labelette du Parmesan, que Ton dit elre aussi le portrait de sa maitresse. La fille done de Lucantonio plut au Zingare ct lui plut tellement , qu'il s'aventura , che'tif Boheme qu'il e'tait , a la demander en mariage a son pere le peintre ce'lebre. La Amanita' de I'artiste fut blesse'e au vif , et raillant le pauvre magnain: « Dcviens aussi habile peintre que moi , lui dit-il , et ma fille est a toi. » Antoinc ne se tint point pour batlu. ITALIE. 45^ « — Dans dix ans, done I » re'pondit-il au raillciu- qui accepta le de'fii en rianl dc pitie'j ce qui dut poui'tant le rcndre plus serieux, c'cst que je nc sais plus quelle haute princesse napolilaine , protcctricc du Zin- gare, se porta gaiant du pacte matrimonial. Prudemment e'conduil de la maison de Lucantonio , oil la ])rc'scnce de sa fiancee future I'auvait par trop distrait de ses nouvelles e'tudes , An- toine de Solario partit plein de courage et d'cspc'rancc. L'liistoirc se tail sur la demoiselle napolilaine durant cette longue de'cadc d'attcntc ft d' inquietude. Quant au fiance , il se rcndit a Rome , oil la pcinture we brillait pas encore , et de la a Florence , oil il put etudicr des ourra- ges de Cimabue et de Giotto ( i ) , et connaitre encore leur successeiir Masacci , a moins qu'il ne Teiit tronve a Rome peignant a fresquc I'an- tique e'glise de Saint-Clcraent. Les dates , sur ce point , ne me sont pas bien pre'sentes. Quoi qu'il en soit, il alia de Florence a Feriare , qui je- tait alors un grand lusti'e , et de la enfin a Bologne , oil il se fixa , et se mil a I'ecole de Lippo , dit des 3Iadones , a cause de son talent a les peindre , et qui , apres I'amour, fut son meilleur mailre. Bref, au bout des dix ans convenus, sachant, lui aussi, faire de belles madones , noire Boliemien revient a Naples , en pcint une oil il se sur- jiasse , la prc'sente a la noble princesse, sa protectrice, qui en deraeure e'merveille'e et stupita , comme disent les Italiens ; et soudain de faire appeler le signor Lucantonio qui, non moins e'mervcille, non moins stupito que la princesse , salue du nom de gendrc Ic peinlre par amour et lui accorde sa fille ; il I'avait certes bien mcrite'e. Cette liistoire ne rappelle-t-elle pas celle de Jacob amoureux de la fille de Laban? Plus heureux seulement que le palriarche, le Zingare n'cn eiit pas deux a e'pouser quand il n'en voulait qu'une , ct landis que dix ans d'e'tude lui suffirent a lui pour obtcnir sa Rachel , Jacob n'en fut pas quitte a si bon compte, et dut, pour me'riter la sienne , paitre pendant quatorze (1) Quant a Giotto, le Zingare avait ddja pii Tetudicr a Naples mcme, car reglisc de Santa -Chiara etait couverte de fresques de ce grand restaurateur de la peintiire. Cette enlise seraita ce litre un des monumens d'art les phis prccieux de Pitalic, ct rivaliserail avec le Canipo-Santo de Pise, si rimbecillo rcfjent Bario-Nuovo ne Tavait fait reblancliir. Une tetc de madone, peinte sur nn pi- lastre de la grande nef a gauclie en entrant, aseule erhappe ace sacrilege, comme pour altester la Leaute de roeuvrc andantie, et la brutale et slupide ignorance du vandale. lolla comme a Naples on encourageaitPart. Ciimineab unodlsccomnes. 4;^6 LIVRES ETftANGERS. aiinc'cs Ics tnnipeanx tie son boaii-jH-re antotir des citeriips de Caran. Dcpuis son inariae;<> Ic Zingare ne qiiitta plus Naplrs. II y fonda unc c'cole ce'lcbi'C, y pcignit beaucoup de tableaux, iiioins qu'on ne hii en attribue/ suivant I'usage, et se fit \m nom qui est vemi jusqu'a nous. II passa des-lois pour pcintre napolitain aux yeux du plus grand nombre. D'autres Ic tinrent pour ee qu'il e'tait rc'cllement , c'est-a-dirc pour Vc'nitien. La question pourtant resta toujours indecise, ct Naples ne rompit pas d'une semcUe. Aujourd'hui il n'y a plus de doute sur la patrie de Zingare , et la question est re'solue par la de'couvcrtc re'cente d'une I'oit belie madone sur bois , portant pour le'gende : Anlonius de Solaria ,\}LTiy:vm f. Sa qualitc de Ve'nitien est e'fablie la sans rc'plique. Cettc inscription concluante, tout fraicliement rcssuscitce par I'abbe Ce- lotti , amateur de ces sortes de raretes , avait e'te efface'e par quolque amateur ou plutot quclque brocanleur fripon, jaloux, sans doute, de faire passer sa madone siir le compte de Leonard de Vinci , ou meme de la premiere maniere de Rapliaiii ; car les hrocantcurs italiens n'en font pas d'autres, et il se trouve toujours (\\\q\(\v\ entendu d'Alblon pour mordre au piege. La madone et I'inscription sont grave'cs })ar une ha- bile main en lete de celte nouvelle vie du Zingare, dont I'auteur ( M. Moschini, si nous somraes bien informe's ) vient d'enricliir I'liis- toire de la peinture venitienne. S. K. •^C). Or.iGiNE DELLA LiNcuA iTALiANA. — Origiuc dc la lauguc italienne, par Ottavio Mazzoni Toselli. Bologne , i832. Encore un systeme sur la langue italienne. Toutefois il n'est pas tel- lement neuf qu'on ne le retrouve en germe dans plusieurs pliilologues italiques. Plusieurs, et I'auteur est du nombre , ne trouvent point sufii- sammentjustifie'e la derivation du latin, et la nient. Selon lui la langue italienne moderne est aussi ancienne que le latin , pour ne pas dii-e plus. Elle e'tait parle'e par les premiers habitaus de I'ltalie et indigene parmi eux. Elle e'tait notammcnt en usage chez ces Gaulois boiens si redoutables aux maitres du monde. C'est un travers des peuples comme des hommes de vouloir raltaclier le plus haul possible leur existence , leurs usages, leur nom. Je dis que cela est un veritable travers; cai-, autant est profitable a la science une investigation arche'ologique ren- ferrac'e dans les bornes d'une erudition critique et pour ainsi dire expe- rimentale , autant me seuibicnt inutilcs et oiseuses ces dissertations a ITALIE. 45-7 priori dictees par des partialite's mesquines et de pueriles vanite's. Une fois Lors du doraaine de rexperience et des faits positifs ou rationnels , rimagination liumaine n'eufante plus que paradoxes et cliimeres, et vaguant de reve en reve se pcrd dans le fantastique , pour nc pas dire dans i'absurde. De tres-recens exemples nenous prouvent que trop jus- qu'oii peat allcr en ce genre le de'lire scientifique. L' erudition a aussi son de'lire; je n'en voudrais pour preuve que cet e'rudit basque quia soutenu dans un gros livre que sa langue maternelle e'tait celle que par- lait Adam an jardin d'Eden.Mais, pour me borner a rouvragc annonce', je demanderai a I'auteur par quelle voie mysterieiise et inconnue il est parvenu a ses conclusions, puisqu'il ne I'este nuUe trace de la langue an- tique des Gaulois, etque pour ce qui regarde les Boiens en particulier,il n'est pas merae possible a I'imagination de se figurer I'idiome qu'ils pai'laicnt. Cola j)ose , il me semblc difficile d'e'tablir un systeme de res- semljlance quelconque, puisque des deux choses compare'eSjl'une n'existe pas , ou du moins est pour nous corame n'existant pas , puisque nous ne la connaissons point. Que I'auteur done , s'il veut que nous partagions son avis , e'tablisse raieux ses autorite's et ses monumens. Comment accepter la consequence d'un syllogisme dont les premisses ne sont pas meme pose'es? De pareils ouvrages peuvent bien faire a un homme la reputa- tion d'e'rudit et lui valoir de ses coUegues en us de classiques ovations. Quant a nous , nous n'y trouvons qu'une occasion nouvelle de de'plorer cette monomanie arclie'ologique^ dont sont travaillcs tant de cervaux ita- liens , et oii se consument en pure perte des I'acultc's excellcntes en soi et dont un emploi meilleur pourrait doter encore I'italie d'une existence scientifique et litte'raire propre ; noble et legitime consolation des na- tions esclaves. Cette erudition crease et indigestc me semble du restc un fruit de ces pueriles academies plus creuses encore qui pullulent dans la Pe'ninsule , et dont la politique machiave'lique des gouvernemens ita- liens favorise partout I'existence. 'j'^. L'AvvENTUROSoSiciLiANo. — U AvcTitureux SiciUeu, par Busone DA GuBBio, roman historique ecrit en i3i 1 , public' pour la pre- miere fois par G.-F. Nott, memljrc de I'Acadc'mie d'anliquites do Londi-es. Florence, i83.2. ]n-8°. Voiia un ouvrngo allcndu dcpuis long-tcnLS en Italic, ctdont I'appa- TOME I.V. AOUT-1852. 50 458 LIVRES ETRANGERS. lition lie pcut manqucr de soulever de nombrcuscs polemiqucs, Esl-il de I'auteur dont il porte Ic nom ? de I'annee marquee aufrontispice? Quolles preuvcs en peut-on tirer sur I'universalite et le caractere dc la langue ita- lienneau qualorzsemesicclePCcsont la aiilant de questions sur lesquclles il ne nous convient guerede prendre I'initiative, a nous autrese'trangers, et dont la solution appartient de droit aux litterateurs ultramontains. Aussi bien ne le pourrions-nous pas en ce moment, puisque nous ne connais- sons encore I'ouvrage original que par les journaux italiens. Tout ce que nous en savons , c'est que le he'ros du roman est Jean de Procida , Je licros des vepres siciliennes, et que, compose au milieu des emotions politiques , il a pour but de raffermir les ames a qui pese le present et qu'effraie I'avenir. A ce compte il ne pouvait pas paraitre plus a propos, et il prend tout I'interet de I'actualite dans nos jours de reaction et de lutte. Jusqu'a ce qu'il soil venu a notre connaissance, nous devons nous borner a cette simple annonce sans nous aventurer au-dela. Si curieux qu'il paraisse et quelque caractere d'antiquite' et d' elegance litte'raire dont il semble revetu, nous n'osons rien dire de plus. On nous annonce du reste la publication prochaine d'un travail critique important sur lui. Finissons en remerciant M. Nott^, au nom de I'ltalie et en notre nom propre, du present qu'il vient defaire a la litte'rature. L'ouvrage origi- nal est accompagne de notes propres a en faciliter aux c'trangers I'cn- tiere connaissance, et tout prouve le som que M. Nott a donne a cettc interessante publication. II serait grandement a desirer que son exemple fut suivi; car les bibliotlieques de I'ltalie, aussi bien que les notres, renferment des tre'sors incalculables enfouis dans la poussiere de I'oubli, et perdus pour la science et la litterature. C'est commc ces diamans cn- chantes qui n'attendent que la baguette du magicien pour c'blouir le monde de mille fcux. LIVRES FRAnrgAis. ■jS. Melanges d'economie sociale. Rouen, i832, imprimerie de Brierej a Paris , chez M. A. Merklein, rue des Beaux-Arts , n" 1 1 . In-S" de 289 pages. La premiere partie de ce livre se compose de deux Me'moires , lus a la socie'te d' emulation de Rouen, I'un sur rextinction de la mendicite, I'autre sur la regeneration morale des prisonniers. Ces Me'moires contiennent beaucoup d'ide'es avance'es, d' utiles renseignemens , et des mesures d'administration bien entendues. La seconde partie est une suite de vues sur I'bistoire et sur I'e'cono- mie sociale, accompagne'es d'une critique des theories enseigne'es sur ces memes matieres par I'e'cole saint-simonienne. L'auteur attaque quel- ques-unes des hypotheses sur les religions et les socie'te's primitives dont les disciples de Saint-Simon ont essaye' d'appuyer leurs pre'tentions a di- nger exclusivement I'avenir; et entre autres il pretend, contrairement a leur doctrine , que la perfectibilite n'est pas indefinie , mais qu'elle ren- contre dans toute socie'te' un point de resistance qui I'arrete. Tout en admettant , comrae eux , le progres de I'association humaine et I'a- melioration des relations sociales , il repousse comme un reve retro- grade cette grande unile idc'ale de socie'te dispose'e en unc hierarchic , soumise tout enliere a la volonte souveraine d'un chef unique, et e'ta- blit en principe que la petite famille , a la fois comrae ne'cessite dc la nature de I'homnie et comme aiguillon de I'activite' individuelle est le fonderaent de I'ordre social. Mais si l'auteur rejette les projets de re'forme les plus le'meraires des saiut-simoniens , il toml)e d'accord avec eux sur beaucoup d'ide'es d'une 50. 46o LIVRES FRANCAIS. application plus facile ct plus immediate, ct admct completement la di- rection philantropiquc qu'ils ont imprimee aus sciences cconoraiqucs. 11 est nc'cessairc quo la famille soit respecte'e dans scs conditions pre- mieres ct cssentielles ; mais il ne faut pas qu'elle soit constitiiec de ma- nierea concentrcrdans son sein la ricLesse et a en paralyser la production. Le droit d'heriter, aussi bien que celui de tester et de contracter, doit etre soumis par la legislation a des restrictions. Ainsi , au quauieme on cinquicme degre , oil les liens de la parente sont presque nuls , la subs- titution doit etre arretc'e ct le gouvernemenl se constituer he'ritier. La doctrine du laissez-faire , laissez-passer , precliee depuisle dix- huitieme, apousse au devcloppement des travaux industricls. Mais elle a fini de nos jours par produire la ruine de I'entreprencur ct du prole- talre salarie' , par encourager les speculations te'mcraires et la iVaude. Les progres simultanes de I'accumulation et de la population au sein des socie'te's amcnent peu a peu une e'poque oil la -valeur des produits du travail ou de la journee de I'ouvrier va sans cesse en de'croissant sur le marche , parce qu'il y a concurrence croissante de travailleurs , tan- dis que celle des productions de la terre , dont I'homme ne pent inces- samment et a volonte ouvrir de nouvelles sources , va loujours s'e'levant, pai'ce qu'il y a concurrence croissante de consommafeurs. Les prix des objets manufactures et ceux des denrees de premiere necessite suivent deux progressions en sens inverse I'un de I'autre, et bientot le salaire du ti'availleur ne repre'sente plus une valeur e'gale a celle des cboses qui lui sont neccssaii'es pour subsister, pour peu surtout que la legislation soit conibinee de maniere a accroitrc cette derniere. De ces faits qu'il est aise' de comprendie, sortent plusieurs consequences: en premier lieu, qu'il faut etendre autant que possible la concurrence des productions de la terre, de quelque contre'e qu'ellcs soicnt tire'es, afin d'cn re'duire le prix, par consequent rendre libres toutes les communications, cnfin dinger la population et les capituux vers la mise en valour des richesses naturelles qui restent a exploiter : en second lieu, qu'il faut rcsti'eindre la concun-ence des travailleurs qui tend a avilir la main d'ceuvre , arre- ter la creation des produits loutcs les fois qu'ils ne doivent pas rendre au productcur le profit sur Icquelil com|)te pour subsister , I'aire obsta- cle a ccs cntieprises le'nic'iaires qui ruinent les entrepreneurs et qui lais- sent sans pain les ouviiers; en iiu mot , chcrcher les institutions les plus LIVBES TRAN^AIS. /^6l pi'ojiiTs a limitcr la conciurciice sans porter attcintc a la libertc. Cost la un probleine tres-grave, qui n'est autre que eelui prcsqiie t'jutcutier de I'amclioration du sort mate'riel du peuple. Le luxe invoque coraine ressource de consommation et comme debou- che est la destruction inutile d'une richesse enlevee au travailleur, et qui pouvait fructifier entre ses mains. On dit : le luxe est ne'cessaire pour vider les proclies du ricbe. « Pourquoi done, rc'pond I'auteur, tant verser dans ses pocbes, et ne pas laisser un peu plus dans cellcs du travailleur. On s'epargncrait les frais de perception. » Toute question importante est entre le ricbe etlepauvre. Les douanes, destinc'es a encourager des industries naissantes, ne servent aujourd'bui qn'a maintenir les richcsses acquises sous leur protection : raais elles fond dimiuuer le salaire de I'ouvrier, parce que les droits qu'clles prele- vcnt sur les raatieres premieres imposent au maitre de plus grandes cbarges, et que I'augmentation Je valeur que les produits manufacture's doivent par suite ne'cessairement atteindre pour rembourser les avances faites avant la production et donncr cu outre les profits ordinaires , rcn- (lent plus difficile la concurrence avec les entrepriscs c'lrangercs qui ne sont pas soumises aux memes eutraves. L'impot a pour destination de de'fendre centre le pauvre les jouissan- ces du ricbe. Cependant la part pre'leve'e sur le revenu de cbaque con- tribuable est proportionnellement d'autant moindre que le revenu est plus considerable. L'impot ne devrait pas etre assis sur les objets de consom- mation , mais bien sur les superfluite's et le revenu disponible. C'est la une notion du plus simple bon sens. Le gouvernemcnt, en se constituaut be'ritier de la plus grande partie des successions collate'rales, deviendrait proprie'taire de grands capitaux, par lesquels il alimenterait un systeme de banques, et dont le loyer serait employe' aux de'penses publiques. Les banques , telles qu' elles existent aujourd'bui, apportent plus d'entraves que de secours a I'industrie. Or- ganise'cs toutentieres dans I'inte'rctdes capitalistes , elles nc soutiennent leurs cre'dits que durantles terns prosperes, et, a la moindre alarme, les suspendent , alors qu'ils seraicnt le plus utiles. C'est au gouvcrnement qu'il appartient d'e'tablir le credit sur des bases plus larges et plus so- cialcs, en se mettant a sa tetc. Toutes CCS ide'cs, dont re'colc saint-simonienne pout r.evendiquer I'ini- 462 LIVKES FRANCAIS. tiative, sont suivies de quelques corsideVations sur la bourse, le Icurre du remboursement et rimraoralite de I'agiotage. En somme cette brochure est dans une direction fort louable, ct con- tient des apcrfus fort justes : mais ce n'est pas un travail complet ni suivi ; cc sont des fragraens et des vues qui manquent souvent de deve- loppement et surtout de precision. L. L. G — d. 'jg. La haute police , ou police d'etat sous le regime consti- TUTiONNEL ; soTi application speciale aux de'partcraens de I'ouest et du midi de la France , et a la nouvelle possession d' Alger ; apprecia- tion par un seul fait dela veracite' des me'moires public's par M. Bou- riennej par M. d'Aubignosc, ex-directeur general de police a Ham- bourg , et lieutenant-general de police a Alger. Paris , 1 83a ; Ferra , rue des Grands- Augustins , jS. In-8" de xvi-i58 p. ; prix, a fr. M. d'Aubignosc essaie de ramener le luot et I'ide'e de police a leur ve'- ritable acception : la haute police ou police d'etat, commc il I'appelle, n'est i-ien moins que I'art de gouverner , c'est-a-dire la science des hommes, de leur besoins, de leurs inte'rets, et des moyens deles satisfaire. Aussi se trompe-t-il ensuite lorsqu'il propose de former de la police un ministere a part : le ministere de la police ne scrait pas autre cliose que le minis- tere des ministcres , le regulateur de tous les actes administralifs. Ce ministere-la existe, si ce n'est de nom, du moins en re'alite j mais a quelles mains se trouve-t-il confie? Quelques mots, ou M. d'Aubignosc expose assez nettement la position de la France , le font parfaitcment compren- dre. « Apres la revolution de juillet, dit-il , deux systomes de gouverne- raentse pre'sentaient ; dans I'e'tat oil se trouvait lepays, agite j^ar des factions oppose'es et remuantes, il y avait deux partis a prendre : tout sacrifier au maintien de la paix , ou tout faire au dedans pour n'avoir pasacraindre les suites d'une attaque du dehors; dans le premier cas, eVi/er, au moyen de sacrifices de plus en plus humilians et couteux, les embarras du gouvernemenl ; s'attacher , dans le second , a calmer I'interieur , a rendre les partis impuissans a nuirc, a gagner la confiance de la population, en un mot, gouverner. » On sait quel choix a e'te fait. A part I'erreur fondamentale de M. d'Aubignosc qui attribue a un ministfere separe et subalterne la direction ge'nc'rale des affaires, la con- naissance des hommes et des choscs qu'il s'agit de re'gir , sa brochure ( LIVRES FRANgAlS. 4^^ estune lionnete protestation centre toutes les saletes que des gouvernaus sans puissance et sans dignite persistent a recouvrir du nom dcshonore dc police , et de plus e'est un curieux memorandum d'anecdotes qui ne SQUt pas sans importance pour I'histoire contemporaine. 80. CouRS d'histoire des 6tats europeens , depuis le bouleverse- ment de I'empire romain d' Occident jusqu en 1789, par Fred. Schoell , auteur de YHisioire des Traites de paix , et de celles des Litleratures grecque et romaine , t. ix-xiu. Paris , i83i ; Gide fils. Cinq vol. in-8°5 prix du vol. , 7 fr. La Revue Encj'clopedique a deja fait connaitre le plan de cc grand ouvrage, en annon^ant la publication des huit premiers volumes (Voy. Rei>. Enc. , t. xLviii , p. igS, Octobre i83o. ) Les tomes IX a XIII completent I'histoire du moyen age ( 473 a i453). L'auteur a rendu un veritable service aux lettres en abordant ce vaste sujet , et en re'unissant dans un seul cadre les origines si diverscs des e'tals modernes : aussi nous abstiendrons-nous de toute critique de details; il est impossible que, dans un travail de si longue lialeine, il nc se glisse quelques imper- fections. Nous exprimerons toutefois le regret que M. Schoell n'ait pas appuye ses re'cits sur la citation des originaux, et qu'il n'ait pas surveille avec plus de soin la correction des tables , fort bien concues d'ailleurs , inais oil se rencontrent un grand nombre de dates errone'es. Quant a resj)rit general du Lvre et aux opinions historiqiKS de l'auteur, que nous ne partageons pas toujours , nous nous re'sei-vons de les examiner particulierement , en rendant compte des deux premieres pe'riodes de I'histoire moderne deja publie'e. L. Am. S. 81. La Montagne : Notices historiques et philosophiques , par B. Haureau, avec des portraits a I'eau forte, par Jeankon. Paris, iS3'2 ; Bre'aute', passage Choiseul , n° 2. lu-S". Un sincere et perse've'rant amour du pcuple , un sentiment religieux exalte et sombre, sont les principales faculte's qui distinguenl l'auteur de cct ouvrage; et, hatons-nous de le dire , car nnus aurons aussi des pa- role's se'veres a faire entendre ;, ces faculte's, jointes a iine grande puis- sance d'investigation et .i une singuliere propensi'on a s'identifier avec ks terns et les choses qu'il e'tudie , uiettent ses esquisses hors de la ligne 464 LIVRES FRAN^AIS. dfS publications vulgaircs. C'cst avec une sorte dc pl.iisir que nous avons suivi sa reconstruction , non-seulcmcnt dcs idees et dcs travaux de la Montagne, inais encore dcs passions ct dcs partialites liaincuscs de ce gigantcsque parti. Mais im homme de sa force ne doit; pas vouloir ins- pii'erime curiosite sterile. II a droit de pretendre a etrc utile a ses con- citoyens, et il ne pent manquer d'atteindrc ce but de toute amc noble, quand il se sera de'gage dc preoccupations singulieres, d'aut;a:t plus di- gnes dc blame qu'il a de'pense plus de faculte's honorables et bril- lantes. M. Haurcau n'est pas seulement dcinocrate , comine nous le sommes en 1 832 , songeaut plus au fond qu'a la forme, marchant par toutes Ics Yoies a raffrancliisscment dcs peuples , ct pret a combattre la contre- revolutioQ sous quelque forme qu'cUe se presente : il est encore monta- gnard , et montagnard d« parti de Robespierre , fle'trissant de son me'- pris et poursuivant de sa liaine la moindre divergence d'opinion , et ne comprenant pas qu'au milieu de la confusion anarcliique , suScite'e par la lutte de gS , on ait pu se trompcr honorablement , et scrvir avec con- viction I'un on I'autre parti. Les dissidcns , pour lui , sont criminels, et tout crime est digne de mort : « Va, s'ecric-t-il , en s'adrcssant a I'om- bre de Camille Desraoulins , je te dirai encore lionte quand ta tete San- tera dans Ic panicr d'osicv. » Ce sont la , il faut I'avouer, de graves egarcmens. Mais, nous ne saurions en douter , M. Haurc'au estjeune , ct doit rcvenir un jour a dcs ide'es plus saines. Ou nous nous trompons fort, ou nous avons devine' la cause de ses e'trangcs coleres. II apparticnt sans doute a quclqu'une de CCS nouvelles scctcs philosophiques qui se croient parvcnues a I'c'tat de socic'te's rcligicuses , ct il s'est habitue a reconnaitre une ve'rite' ab- solue, jete'e a quclqucs privile'gies par une favcur divine et incarne'e pour ainsi dire dans la personne d'un reve'lateur. C'est au travers de celte preoccupation que tout le passe lui a])parait. Robespierre est pour lui le chef d'un concilc, ct il lui accorde le droit d'extirpcr I'hcrcsie par le fer et par le feuj car I'licre'sie , c'cst I'crreur , c'cst le mal , ct la vcrlu n'a pas de mission plus haute que de lui imposer silence. Nous devious signaler une si deplorable marche , mais nous n'avons pas bcsoin dc pcrdre, contre ceux qui rentrcprcnnent , dcs argumcns 3UX(jucls cliaipie Iccteur supplc'era. Nous On appclons a M. Haurc'au LIVRES FRANgAIS. /^GS hii-memc , lorsqu'il sera entre plus avant dans la vie. Des aujourd'hui nicBie , nous nc consemons pas a prendre au serienx rcffervescence dc ses liaines ct son admiration pour les violences gouvernementales. Loin de la, (juelque distance qui se'pare nos opinions des siennes, nous lui confierions volontieis notro sort au milieu dc la crise la plus violente , sans craindrc la guillotine si souvent invoque'e dans scs e'crits. G'est qu'aucun homnie ne se laisse conduire ])ar la the'orie purej et si I'au- teur de la Montague a de mauvaises theories , il a une ame noble et ge'ne'reuse, qui le ferait reculer devant rapplication de ce qu'il croit etre ses pi'incipes. Au rcste , nous sommcs loin de de'scspe'rcr dc cet c'crivain • il consei'vera au contraire en tout terns les sympathies elevc'es, source de son talent, quand disparailra cette exasperation de jeunesse , dont nous aimons la cause tout en blamant les e'carts qu'elle produit. Quant aux gravurcs qui ornent ce recueil , nous ne croyons pas de- voir cntrcr dans un examen approfondi. Nous aimons trop le talent de M. Jeanron, pour vouloir le juger sur de pareillcs esquisscs, oil I'onre- trouve , il est vrai , toute sa facilite ct tout son abandon d'artiste , inais oil Ton ne rencontre guere les qualile's par lesquellcs il s'est deja acquis des droits au beau nom de peintre. 82. CouRS d'uistoire de la revolution , iepuis I'jSc, jusgu^en i83o, par Laponneraye.. Paris, iSSa; Tautcur, rue The'vcnot , n" 1 2. In-8"; prix de la le9on , -25 c. ( Vingt-deux lecons ont paru.) De la conviction , du talent , une candeur republicaine digne d'intc- ret, distingucnt surtout Ic livi-e de M. Laponneraye, qui , d'ailleurs, tombe dans quelqiics-uns des e'carts du precedent. Nous respectons ses convictions, nous aimons son talent 5 mais nous ne saurions admcttre tou- tes ses theories. Nous croyons trop a I'avcnir derhumanite', pourappe- Icr a son secours les violences et les passions haincuses. Nous croyons trop au progres pour ne pas voir un jias retrograde dans un retour vers g3 ; nous sommes trop serieusemcnt democratcs , enfin , pour tcnir beaucoup a d'insignifiantes formes , comme par exemple a pren- dre la qualification de citojen, dans nos relations prive'cs, quand I'u- sagc consacre Ja denomination banale de monsieur. Nous nc pouvons pas non pins voir, comme M. Laponneraye , dans le parti de la Gi- rondc loutentier, uu amasdcconspiratcurs loyalistcs. Nous rcconnais- 466 LIVRF.S FRANg/VIS. sons dans Verp;niaud, dans Louvct, dans Pc'tion , de bioii sinccics rc'pidjlicains ; et, tout en deplorant qii'ils aient rendu puissnns , en ne Ics comprenant pas , les trailres caches au milieu d'eux, nous ne sau- rions, au grand jour dc Timpartialite , consentir a les laisser confondre avec les Wimpfen ou les Henri Larivicre. Autant vaudrait c'couter Ic bon M. Dulaure de'couvrant dans Robespierre un royaliste deguise. Chez M. Laponneraye comme cliez. I'auteur de la Montague, nous devons faire entrer en consideration , pour juger son ouvrage, la grande jeunesse , et la bouillante ardcur qu'elle produit. Toutefois , il y a deja dans le jeune professeur une raison plus serieuse , qui se de'vcloppera avec le teins et produira les plus beaux fruits. Cast avec un veritable plaisir que nous avons lu dans sa dernierc lefon cette page pleine de sens et de justesse : « On pent faire I'e'loge de qS , on pent meine applau- dir aux moyens qui ont araene' ses re'sultats, sans dcsirer que Icsmemes inoyens soient employe's aujourd'hui. N'csl-il done qu'une voie unique pour arriver au meme but ? Dcpuis qu'il sc livre des batailles , je le demande , deux batailles ont-elles eu des dispositions semblables? — N'y a-t-il pas mille moyens d'aller a la victoire ?... Aujourd'hui, I'en- nemi ne disputera plus un terrain qui s'enfonce sous ses pas. Dans ce grand combat cntre I'aristocratie et la democratic, cntrc Ic privilege et le droit commun, la victoire sera facile a la democratic et au droit com- mun . . . . Au reste, si des execs ont etc' commis, je ne pretends pas me faire I'apologiste de ces cxces — » Nous le repe'tons, ces lignes sont pleincs de raison, etiln'y a pas uu soul mot qu'on en voulilt retrancher: pourquoi faut-il que dans la meme livraison on trouve cette inconcevable phrase : « les Girondins et tons Icurs adherens, voila quels c'taient ceux qui me'ritaient plus particu- licrcment les rigueurs du tribunal revolutionnaire ; et quand le tribunal n'eut fait quefrapper les Girondins, il aurait rendu a la patrie un ser- vice immense I » Au reste, M. Laponneraye, raalgre ses erreurs,est digne, a plus d'un litre, de tout I'inte'ret des patriotes. Consciencieux et courageux c'cri- vain , il a commence devant un public nombreux des Icfons qu'il conti- nue sous les verroux , malgre' les brutales et excessives se've'rite's du par- ipiet. Nous sentons, en parlant de lui, le besoin de rappeler I'etrangc et odieux procc'de dent on I'a rendu victime. Incarccre prcventivcment LIVRES FRAN(JAIS. 4^7 et avant jugement, on ne s'est pas borne, a son egard, a ccttc rigneur inaccoutume'e ; on a encore apporte' a la tribune quelques unes de ses phrases pour les faire condamner par la chambre avant de lessouraettre au jury! et c'est le ministre de la justice qui s'est permis cette manoeu- vre inexcusable ! et un depute' patriote a eu la faiblesse de faire a la tri- bune parade de sa de'sapprobalion du jeune professeur ! et le cote' gau- che s'est hate' d'applaudir , ainsi que le centre , a celui qui condaranait d'avance un accuse non encore traduit devant ses juges ! Dans quel terns vivons-nous , et qu'est devenue la decence publique, puisqu'on peut se permettrc de tels scandales, sans qu'ils soient a I'instant re'prime's par I'instinct general ? A. Roche. 83. Un dernier mot sur Louis XVII, ct observations , en ce qui concerne cc prince, sur un ouvrage intitule' : Le passe et I'avenir, etc. J par M. Eckard. Paris, iSS-i; Ducollet, quai des Augustins n" i5. In-S" de 60 pages ; prix, i fr. 5o c. M. Eckard se donne re'ellcment Irop de peine a re'fuler les charlatans ou les imbe'cilles qui veulent a toutc force ressusciter un Louis XVII , pour le plus grand honueur de la le'gitimite' et pour le plus grand bien de la France. Louis XVII est mort, I'histoire I'a dit , I'histoire le dira loujours , si toutefois elle trouve convenable d'intercaler cet infortune dans la nomenclature des roiiv qui ont occupe le trone de la France. 84. L'ermite au PALAIS , moeurs judiciaires du dix-neuvieme siecle , faisant suite a la collection des raceurs franjaises , anglaises , italien- nes , espagnoles , etc. j par I'auteur des Memoires d'mi page. Paris , Verncy, e'diteur, rue du Four-Saint-Honore', n''47; Guizot, e'diteur, place du Louvre, n" 18. i832, 'i vol. « Le Palais-de- Justice, dit I'auteur, est bien certainement le theatre le plus curieux : come'dies de caractere, esquisses de raojurs , tableaux de greve, il y en a pour tous les gouts ; ct la, ce n'est pas cetle nature de convention telle que nous la font nos auteurs d'aiijourd'hui , mais une nature vraie , un de'veloppement de passions raises a nu , sans pre'- paration ct sans fard. » Nons croyons que cette pense'e suffit pour laisscr comprendre la ma- niere dont le plan de cet ouvrage est conju. Le Palais-de-Justice est un cadre de narrations, qu'on a trouve aussi heurcux qu'nucun autre titrc 468 LIVRES FRANgAIS. du Livre des Cent-el-un. Nous aurions raiciix aime iinc satire sc'ricusc dcs vieilles idc'cs ct des vicux costumes qui semblent avoir c'lu pour do- micile e'ternel ces vieilles murailles d'oii s'e'chappcnt ccpendant a tout instant plus de fle'aux qu'il n'cn faudrait pour jcter le dc'sordre dans une socie'tc moins facile a troubler que la notre , savoir, par exemple , I'c'lo- qucncc di; mots qui e'garc le bou sens, la soumission aveugle aux tradi- tions et aux paroles du maitrc qui inspire une haine fanatique centre toute tentative progressive , une repugnance invincible centre toute idee gene'rale , etc. 85. EsSAIS HISTORIQUES SUR LES PROGRES DE LA VTLLE DE NaNTES ; par M. A. Guepin, D.-M. Nantes, i832; Prosper Scbire, place du Pilori , n° 4; eta Paris, chcz Pesron, rue Pavee-Saint-Andre- dcs-Arls , n" i3. In- 12 de 36o pages, avoc un plan bislorique de la ville, et cette c'pigraplie : « La science, la morale, Ics arts, rinditstrie, sont etroitemcnt li^s. L'histoire de leuis progres, c'est riiistoire des progres du bien-ctre dans toutos Ics classes de la socielc. » Nantes est pour moi une ville a part , un lieu empreint de doux et poe'tiqucs souvenirs. Je n'y sais rien que de beau et d'attrayant. Je ne revois scs quais que dore's du soleil , ses campagnes que vertcs et fleu- rics , ses caux qu'e'tincclantes ct vivcs. Le seci'ct de cc prestige , c'est qu'apres un long et affreux cauchcniar j'y ariivai pour me reposer pres d'excellens amis, et quej'v fuslieureuse, etm'y sentis revivre deux mois et quelques jours. Si je reviens sur cette disposition toute personnelle , c'est que je crains qu'cUe ne merende pcu propre a juger un livre sur Nantes. Je sais ({u'il mc faut sacrilicr beaucoup d'illusions , et que je ne jniis demander a M. Guc'pin de continucr raes revcs sur la vieille tour ruinc'e de Pirmil , de me peindre les fraiches ilcs, les larges et limpidcs rivieres de Loire et de Sevre, I'Erdre au cours sombre et mys- te'rieux , qui encadrent et enserrcnt sa ville natale , de me fairc appa- raitre de nouveau ces edifices , ces ponts baigncs dans les riches lueurs du soieii coucliant , sous un ciel magiquc, comme je les vis en mai, il y a un an ct plus, alors qn'une population tout e'mue se pressait, s'agi- tait pour voir arriver « les brigands » , Diot et Robert, qu'ondisait ar- rctcs. C'etail un beau ct curieux spectacle. L'occident , d'un rouge ar- LIVRES FRAN^AIS. 4^9 dent , envoyait dcs reflets pareils a ceax d'lin inccndic , et au-dessus du pont, charge dc monde , s'elevait iin arc-en-ciel , qui, d'un cote , se plongeait dans les caux de la riviere , et de I'autrc disparaissait derricre iin amas de maisons, formant au-dessus de la foule une arclie de I'cu : puis toutes les passions populaires en c'moi, avec un autre accent , une autre pbysionomie que celle que je leur connaissais. Pour moi , chaque site , chaque aspect de Nantes et de ses environs a un caractereparticu- lier qui tient aux circonstances, etprobal)lement aussi a la situation d' es- prit dans laquelle j'e'tais alors. A peine sais-je le nom de telle place , de tel quai, que je pourrais dessiner de me'moire. Mes souvenirs sent au- tant de sensations. Avec M. Gue'pin , il me faut sortir de cette atmos- phere vague et flottantc , pour aborder ce qu'il y a de plus reel et de plus positif , et la transition m'a paru d'abord un pen brusque et un peu difficile; mais, une fois a I'unisson avec I'auteur , j'ai trouve dans son recit de nombreux motifs d'interet. S'il a trop sacrifie' le pittores- que et la poesie , en re'compense il a des faits une connaissance profonde et pour aicsi dire expe'rimentale. II n'avance rien qu'il ne prouve par des documens. Ce sont des bulletins annuaires de la vie de la cite, pleins de talent et de precision , des resume's oil moiivemens , obstacles et pro- grcs se viennent formuler en chiffres a I'ceil et a la pense'c. L'ouvrage, cependant, n'est pas purcment statistique; les tableaux n'arrivent que de loin en loin et a propos , alors qu'il importe de constater le doit et avoir de la ville. La portion historique et politique est de beaucoup la plus remarquable. Apres avoir signale les diverses conjectures qui se rattachcntau nom et a I'origine de Nantes, M. Gue'pin a montre la fc'o- dalite remplacant la domination romaine, le clerge servant la cause dc I'alfranchissement et du progres , enfin les diverses phases commercia- les , revolutionnaires, industrielles que le peuple nantais a subies. Les crises qui se succe'derent a Nantes, depuis 1789 jusqu'au consulat, et qu'expliquaient les mene'es de la noblesse et le voisinage dc la Vende'e , sont racontecs de la facon la plus impartiale, avec une sympathie com- plete pour les principes , et une horreur sincere du crime commis en leur nom, Je reprocherai a M. Gue'pin de n'avoir pas caractcrise aussi franchement I'epoque de I'empire. L'hisloire des quarante dcr- nieres anne'es n'est pas tout entiere dans la revolution de 89 et dans la restauration. 11 y a entre ces deux grandes secousses une haltc nalio^ 470 LIVRES FRAN^AIS. nale , non faite dans la houe , mais sur des champs de bataille ensanglan- tes, alors que Ic colossal gc'nic de Napoleon fit de la France une vaste machine a conquetes, et de son peuple iinc gent corve'able et taillable a merci par le sabre. Je tiens que cette cpoque fut une des phis funestes a I'esprit public, que les ames y furent annule'es, appauvries, que I'in- dividualisme s'alla perdre dans I'inimense personnalite' d'un seul , que la marche de la France entiere fut arrete'e en commerce , en Industrie , en agriculture. Pourquoi done ne pas le dire hautement? M. Guepin convient , il est vrai , que lout etait alors frappe de nullite , mais il n'insiste pas assez sur les causes et les effets de cette inertie. La premiere et la seconde restauration viennent ensuite , et je regrette de ne pouvoir citer tons les passages qui m'ont frappe'e.«Tl n'est pas inutile de remar- » quer qu'a cette e'poque de proscription dans I'Ouest et de massacres » dans le Midi ( i8i5 ) , c'e'taicnt les doctrinaires qui gouvernaient la » France. MM. Talleyrand , Barbc'-Marbois , Pasquier, Decazes, Bec- » quey , Rover-Collard , Bertin-Devaux , Guizot , Louis , Laisne' , Beu- » gnot et leurs amis occupaient le conseil d'etat , les ministeres et toutes » les avenues du pouvoir... Des proscriptions et des persecutions naquit » le carbonarisme j il s'e'tendit rapidement sur toute la France , comme un » vaste re'seau ; mais jamais institution ne fut plus divise'e de but et d'in- » tention.Lejournalisme lui soufflait la vie....»L'esprit de I'opposition de la prcsse , tantot brutal , etroit et sottisier , tantot digne et fort , n'est pas moiiis bien caracte'rise'. Les sympathies de I'auteursont e'vidcmment liberales; mais, place entre le me'contcntement qui agite les esprits, et les faits uiate'riels de la prospe'rite industrielle et commerciale qu'il s'est engage a constater , et qui prend a cette epoque un immense accroisse- raent, il oublie de signaler le caractere moral de ce terns, si diver'se- racnt juge. Au premier coup d'ceil, il seinble difficile en effet de conci- lier des murmures toujours croissans avcc le de'veloppemcnt de richesse ct de bien-etre qui s'e'tend sur toutes les classes. Mais si on regarde plus attentivement , et par-dela la surface , on de'eouvre sans peine les causes de I'ouragan qui, apres avoir long-tems gronde\, a des son essor de'ra- cine un tione. C'est que I'homme ne vit pas seulement de pain . c'est qu'il y a en nous une haute intelligence morale , un besoin de di- "nite, une faim dc Tame (jui crie encore quand la faim du corps est apaise'e. C'est qu'il y avait dans le prole'tairc un admirable instinct de y LIVRES FRAN^AIS. 4;* destinc'es mcillcurcs et plus completes, ct que pour etre rcpu il ne se sen . lait pas lieui'cux. Les progres des sciences , la marche de la nation qui avan^ait en gc'ant et coinme un seul liomme , e'taient les re'sultats de cet instinct. Le peuple avait grandi , il lui fallait sa place j on ne la lui fai- sait pas, il se leva pour la prendre, et en juillet il crut ravoir cor- quise. A Nantes, de uieme qu'a Paris , il y cut unanimite , explosion , dc'sinte'ressement , et la aussi la revolution s'accomplit par le peiiplc. J'aurais voulu plus de details sur les hommes qui pre'siderent au inou- vement, une fois engage; sur un artisan, que son courage et sa presence d'esprit firent chef et maitre de la ville pendant vingt-quatre heures et plus. Je sais qu'a mesure qu'elle s'eloignc de nous, cetle grandc crise sociale perd de son caractcre d'hc'ro'isme, et qu'on ne vent plus voir que le peuple des c'meutes dans celui qui fit les barricades de i83o. C'est qu'il aurait fallu soutenir les masses au point d'intelligence et de moralite qu'elles avaient atteint d'un seul bondj il fallait que le peuple rcge'ne're ne piit plus redescendre , qu'il se prit lui-meme en respect , qu'il trouvat partout les voies de I'instruction et du savoir larges et faciles , qu'il jouit de I'estime qu'il avait chcrement achetee , ct que chacun , classe comme citoyen et comme homme, s'enorgucillit de faire partie d'une nation qui avait conquis ses titres de noblesse a la pointe de re'pe'e eten Lorreur du parjure. Lc tems de cette rehabilitation viendra sans nul doute,.mais a quel prix I et de quelles catastroplics n'auront pas a repondre ceux qui n'ont pas compris cet instinct puis- sant , ou qui , s'en effrayant , ont voulu I'e'touffer ? Un resume de ce qui reste a faire pour I'entier accomplissement de la revolution de juillet termine I'utlle et inijiortant ouvrage de ]\[. Gue- pin, et nous nous joignons de coeur aux voeux qu'il forme dans I'interet public : « Couvrir notre patrie d'e'coles de toute espece ; remplacer les reco- » veurs gcne'raux par des banques d'escoraple et de commandite dcsti- » ne'cs a faire baisser, nu profit du j)ctit commerce et de la pciilc in- » dustrie, le taux de I'escomptc, c'est-a-dire le loyer des instrumens » de travail , et a cre'ditcr les ouvriers laborieux , economes et cclaire's- » enjployer I'armec a des travaux d'utilite gene'rale en faisant en sorte » que chaque soldat revienne chcz lui plus moral, plus robuste , sacliant » lire, ecrirc, compter, capable d'cxercer une profession ct posscdant 472 LIVRES FRAN9AIS. » un petit pecvile; proclamcr liautemcnt qu'au lieu dc punir il faiit re- » former , et par suite supprimer la peine de mort ct changer le sys- » teme penitcntiaire ; cliaoger la loi des ce're'ales , qui prcleve-un e'norme » iiupot sur la France, dans I'iutcret de soixante-quatre inille grands n proprictaircs ; reformer Ic systcme hypothecaire , etc., etc » C'est dcmaiulcr bcaucoup, il est vrai , mais ce sont aulant de faits dont raccomplissemenl ressort de la force des cLoses. Comment ct par qui s'exccuteront-ils ? la git la question. J'ai foi au terns , et voudrais en altendre et en esperer tout progrcs et toutc amelioration , ne fut-ce que pour recouvrer un peu des illusions sous rinflucnce desquelles j'ai commence' cet article. > L. Sw. B. 86. HiSTOIRE GENERALE ET PARTICULIERE DES ANOMALIES DE l'oR- GANisATioN CHEZ l'homme ET LES ANiMAux, ouvragc comprcnaHt . des recherches sur les caracteres , la classification , I'iiifluence phjsiologique et pathologique , les rapports ge'neraux , les loiset les causes des monstruosite's , des varietes et vices de confor- mation , ou Traite de TERATOLOGiE, par M. Isidore Geoffroy- Saint-Hilaire, doctcur en me'decine, professeur de zoologie ct d'a- natomie gc'nerale a I'Atbe'ne'e royal de Paris, aide-naturaliste de zoologie au Museum d'liistoire naturelle, raembre de la Socie'te d'histoire naturelle de Paris, etc., etc. Tome I". Paris, iS3'i ; Bailliere, rue de r6cole-dc-Me'decine , n" i3 bis. In-8° de xv-746 pages, avec un atlas. I. La Constance des lois naturellcs est le principe et la base de toute science physique. Si les horames n'eussent apercu aucune rc'gularitc dans la manileslation ct la succession des phe'nomenes naturels , ja- mais ils n'auraient songc'a lese'tudier, ct ils n'auraient pu faire un pas dans la carricre dc leur perfectionnement. Imaginons , par exemplc , que , pour notre monde , les saisons viennent a sc succcder dans un ordre sans ccsse intcrvcrti , et que le soleil paraisse ct disparaisse ca- pricicuscment ; des lors nulle astronomic , nulle agriculture , nullc connaissance stable. Notre experience d'hicr est aujourd'hui inutile , trompcusc; notre vie memc n'a plus d'cle'mcns dodurc'e; car infaillil)l<'- jnent il doit an-iver Tunc de ces deux choses : ou notre organisalion est \ LTVRES FRANgAlS. 4^3 subitement modifie'e , ct nous tombons sous rempire d'instincts non- veaux, ce qui rcvient presquc a perdre le sentiment de notre identite , a n'etres plus nous-memes; ou bien notre organisation n'est en ricn change'e , et alors , comme elle n'est plus en harraonie avec ce' qui renvironne et la subjugue, elle se detruit, et nous pe'rissons A-ictinies d'un de'sordrc pour Icquel nous n'avons point e'te faits. Sans la regiilarite des lois naturelles , nous ne concevons ni transac- tions, ni socie'te', ni bonheur. C'est sur elle, pour nousborner aux re- cherclics scientifiques, que, dans I'e'tat actuel des choses, repose la pre- dominance de certitude des sciences physiques sur les sciences liisy toriques. Dans les premieres, Ics memes phenomenes se reproduisent avec le meme ordre , et les assertions peuvent se verifier toujours par rexpe'rience. Dans les sciences historiques, les memes agcns, les memes circonstances, les memes faits, ne se repre'sentent jamais. Le temoignagc est variable et trompeur : la nature est constante et ve'ridique. Tout dans la science et dans la socie'te' e'tant fonde' sur la foi en la re'gularite' de la nature , il est aise' de comprendre I'impression pro- fonde qu'ont faite de tout tems sur les hommes rin-e'gularite et Ics de'sordres appai-ens qui signalent quelquefois sa marchc. Pendant de nombreux siecles , les eclipses, les comctes, Ics volcans , Ics tempetes, la foudre, ont e'te en possession d'effrayer les peuples, ct de leur faire croire a !a colcre de TEtre cre'ateur , ou a la rage d'un principe mal- faisant. Des philosophes memes, que la culture de leur intelligence eut du rendre plus attentifs a I'esscnce de ccs phenomenes , en ont conclu a une sortc d'athe'isme^ a une domination du hasard, par lequel ils ex- pliqucnt tout , comme si le hasard pouvait ricn expliquer , et comme si Ton savait ce que c'est que le hasard. C'est dans ces questions si complique'cs et si hautes, qui touchent aux principes de la destine'c de I'univers et del'homme, c'est dans ces questions que la vraie science peut et doit remplir un beau role. C'est a elle de soulcver le voile qui couvre la nature, de trouver 1' ordre sous ses de'sordres apparensj a elle de chasser avec les prejuge's, toujours funestes a I'hommc, leur hideux cortege de terrcurs et de cruautes ; a elle dc montrer les choses sous leur vrai point de vue, et de faire jaillir, du niihru dc tant de varietc's , I'harmonic et I'nnite. Dcja scs efforts ont ecaAc bien des epouvantails. L'homme civilise a senti ce ([uc son in- TOME r.v. aout18o2. ."31 474 LIVRES FllANgAlS. telligcncc lui donnc de pouvoir siir line nature qn'il arrive a com])ron- drc et a dirigcr. Gue'ri de la jieur des eclipses, dcs cometes el de la foudre, il n'y voit plus que des phe'nomencs normaux: il observe tran- quilleracnt les unes en les rapprochant de lui par ses instrumens d'op- tique ; il brave I'autre an moyen de ses paratonnerres. Si , coninie Pla- ton le dit , la force consiste dans une idee juste et legitime de ce qui est a craindre et de ce qui ne Test pas , n'augmentons-nous pas re'ellement notre force a mesure que nous perdons des idees fausses et de vaincs terreurs ? Conside're'e de ce point de vue philosopliique et religieux, I'Histoircdcs anomalies dc I'organisation , dont M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire vient de publier le premier volume, est un ouvrage plein d'inte'ret et de porte'e , destine a rendre un grand service a la science, II aidera jiuissaniment a e'carter les difficulte's qui entravent I'e'tude e'pineuse des etres vivans ; et il servira , ce nous semble, a rapprocher I'ins- tant oil I'anarcliie des opinions scientifiques fera place a cet accord apres lequel I'esprit huraain soupirc depuis si long-tems. En lisant ce livre, on comprendrale sens precis de I'assertion, si prodigue'e et si peu comprise , que les exceptions confirment la regie. On verra les lois et les rapports gene'raux des anomalies n'ctre plus que dcs corollaircs des lois les plus ge'ne'rales de I'organisation, et les premieres, inlirmant ou confirraant les autres , devenir un guide de plus vers la verite dans I'or- drc normal. M. Isidore Geoffroy, digne e'mule de son ilhistre pi^re, donne dans cet ouvrage le re'sultat de plusieurs annees de i-cchcrches , auxquclles I'ont conduit son gout ct ses premiers cssais en histoire naturelle. Place an centre des collections anatomiques les plus riches , en relation avec beaucoup de savans e'trangers et nationaux, aide par les travaux de son pcre , dc MM. Scrres et Meckel , et par ceux des anatomistes de Paris ct de Montpcllier , I'auteur a eu tons les moyens de faire un Iravail complet, ct il a largcment profile de tous ses avantagcs. Donner une analyse dctailie'e de son ouvrage nous semble la meilleure maniere d'en prouvcr rimportancc. C'csl le moins equivoque des e'loges qu'on en pent faiie. II. L'Histoiredes anomalies dc I'organisalion, qui aura deux volumes, est divisc'e en cinq parlies, que precede une Introduction Iiistorique. Le LTVRES FRAN^AIS. ^'jS pi-emicr volume contieut la premiere partic, qui traitede questions de no- menclature et dc classification, ct la scconde partie, qui expose fort au long les anomalies simples. Le second volume renfermera la troisieme partie', qui traitcra des anomalies complexes ; la quatrieme , qui sera employee a des considerations sur rcnsembie des anomalies , sur leurs lois et leurs causes ; la cinquicme cnfin , dans laquelle I'auteur de'duira des fails et des lois e'tablies des applications a la pbysiologie , a I'anatomie , a la zoologie, a la pliilosophie naturelle , et meme a la me'decine. Commen- fons notre analyse par les considerations liistoriques. Les hommes sont d'aulant plus frappe's des phe'nomencs extraordi- naires, que ceux-ci ont des rapports plus intimes avcc leur existence , leur nature , leurs affections : aussi ont-ils e'te' de tout tems e'merveille's ou terrifie's par I'apparition de monstres luimains. Deux tetes sur un scul corps, quatre jambes avec une seule tete, deux corps re'unis en- semble par des liens indissolubles, des ge'ans, des nains , c'e'tait la plus qu'il ne fallait pour ebranler I'imagination mobile des peuples, et pour mettre en jeu tout ce qu'il y a en nous dc pcncbant au merveilleux , a la superstition. Jusqu'au commencement du dix-buitieme siccle, il n'est pas de prejuge absurde, d'explication extravagante , qui n'ait e'te admis sur les monstres , parmi les savans eux-memes. Si Ton excepte quelques csprits supericurs , pour cux tons comme pour le peuple , les monstres e'taicnt ou des ^rodiges a la gjoire de Dieu , ou des preuves de sa colere , pre'sageant des guerres et des calaraites publiques ; ou bien encore lis e'taicnt dus a I'ope'ration du demon, quifaisait paraitre monstrueux des enfans bien conforme's , ou meme insinuait de ve'rita- bies monstres jusquc dans le ventre de leurs meres. Ces croyanccs avaient passe dans la legislation. Une loi des Aihe- niens , adoptee plus tard par les Romains , ct remise en vigueur a plu- sieurs reprises par les empereurs , et entre autrcs par Constantin , or- donnait la mort de tons les monstres. Quelle que fut la barbaric d'une telle disposition , les auteurs du dix-scptieme siecle I'approuvaient en- core presque unanimement ; quelques-uns meme la justifierent par des considerations pbilosopliiqucs. Le cc'lebre me'decin Jean Riolan fut alors rcgarde comme un novateur liardi , jiour avoir avance qu'on pent se dispenser dc faire perir les sexdigilaires , les raacroce'phalcs , les ge'ans etlcs nains, ct qu'il suffitde les rele'guer loin des regards. 31. 476 LIVRKS FRANCAIS. Pendant cette longuc pcriode de superstition , t|iic M. Isidore Gcoi- froY caractcrise du nom dc fahuleuse , on Iroiive sans doute dc nom- l)rcux fails ; inais la plujiart sont mal observes ou de'figure's par la cre- dulite. La science a pen de niate'riaux a y puiser , pen dc himiercs a en tirer. Dans la premiere moitie du dix-huiticmc siecic, qui forme ce que M. GeoffroY nommc la pe'riode positive, c'est encore la curiosite, plus que le sentiment d'utilitc scicntifique , qui inspire los rcclicrchcs sur Ics monstres. Cependant ccs reclierches sont plus eclairees, I'impor- tance de I'obscrvation est mieux reconnue : Mcry, Duverucy, Winslow, Lemery, Littre, d'aulres encore, attaquent viveraentles prejuge's rejus, et , cberchant une tlieorie pour grouper les faits, s'occupent avec ar- deur dcs causes dc la monstruositc. On fait memc quolques timidcs applications a I'anatomie et a la pbysiologie. Unetroisicmc pe'riode dans I'histoire de la science des monstruosilc's s'e'tcnd du milieu du dix-buitieme siecle jusqu'a nos jours. C'est celle des progres les plus rapides, et ellc me'rite a juste litre lo nom de pe'riode scien- tifique. Hallcr, dans son traite de monstris, resume les Iravaux antc- rieurs , discute les faits et les opinions , de'baiTassc la science d'erreurs , fait croire a son utilite, mais renricbit peu de ses propres recbercbes , ct ne lui imprime pas une trcs-forte impulsion. Apres lui , toutefois , les anatomistcs observent et rccueillcnt les faits avec plus de soin, mais la science est trop pauvre encore pom- qu'ils en tirent tout le parti pos- sible. Le cbemin e'lait deblaye'j les faits e'taient prouves; il restait a les comprcndre dans leur nature ctdans leurs causes. Le de'fautde tbe'ories ct d'explications exactes retarda ce progres jusqu'a nos jours 5 la lu- miere devait venir de recbercbes e'trangeres par leur point dc depart a la teratologic. L'anatomie qu'Harvey et le dix-septieme siecle , Hallcr et le dix- buitieme semblaient avoir acbeve'e , est, dcs les premieres annc'es du notre, enricliic dc deux nouvcUes brandies. Bicbat cre'e Y anatomic gene'rale, Guvicret d'aulres naturalistcs eicvcnt Vanatomie comparee au rang de science. Mais les faits connus , h'n rapports deduits et de- monlrc's par ces sciences nouvelles dependent de lois ])bis gc'nerales qu'on ignorait encore. Des es]n-ils a la fois me'tbodiqucs el audacicux les clicrcbent. L'bomme aduite est alors compare a I'embryon; puis LIVRES FKANCAIS. 477 les aniinaiix le sont a rcmliryon et a riiomme adulle, ct de cctte iU)nbl<> comparaison naissent Vembryogenie ct Vanatomie p/iilosophique. li'iinenous re'velc les ve'ritables lois des formations organiques ; Tautrc embrasse, dans toute leur e'tendiie , les faits gene'raux dc I'organisation animale, considcrce dans toutes les espcc.es et dans tons les ages. C'csl de ces deux, sciences que xa sortir cclle des luoustruosite's. En e'tablissant la theorie de I'unite de composition organique, d'apres laquclle tous les animaux sont composes de mate'riaux sembla- bles et toujours disposes suivant les memes lois , mais avec des degre's divers de deVeloppement, I'anatomie pliilosopliique fit concevoir la possibilite' de ramcncr les monstres au type commun, puisqu'ellc y avait deja ramene des eties en apparence si diffe'rens cntre eux. L'em- bryoge'nie vint e'claircir le proLleme, et donner, dans la theorie de V arret et du retardement de deVeloppement, la cause prochaine de la formation de bcaucoup de monstres. Alors brilla I'unite' de la nature dans ses manifestations : oil Ton n'avait vu que caprice et dcsordre, on reconnut des lois fixes et immuables. Un monstre ne fut plus qu'un etre cntrave dans ses de've'oppemens , ct chez lequel des organes de I'age erabryonaire , conserve's jusqu'a la naissance, sont venus s'associer aux organes de I'agc fcetal. Ce ne fut, comme le dit M. Geoffroy, que Je melange d'un ordre ancien et d'un nouvcau , la pre'sence simultane'e de deux e'tats qui ordinairement se succedent I'un a I'autre. Des ce* mo- ment I'anatomie put retirer de nombreux cnscigncmcns de I'e'tude des monstres ; elle put voir dans ces etres des experiences dc'licates pre'pa- re'es par la nature elle-meme , comme pour aiguiser notrc curiosite ct nous mettre sur la voie de ses mysteres. Ccpendant beaucoup de monstres par execs e'cbappaient encore aux explications : I'embryoge'nie, consulte'e de nouveau, donna une nouvclle solution. La formation du systeme vasculaire, c'tudic'e par M. Serres , sous I'inspiration de la theorie du dn'eloppement excenlrique , d'a- pres laquelle les organes, au lieu de sc de'veloppcr du centre a la cir- confe'rence, se formeraient au contraire de la circonfe'rence au centre , re'vela une loi feconde dans sa simplicitc : c'est que lorsqu'un organe est double , le tronc vasculaire qui le nourrit est double aussi , et que I'ab- scnce d'une partie est lie'e necessaircmcnt a cellc de son arterc. Cctte loi , qui rattache Texislencc des organes a la possibilite de leur nutri- 47^ LIVRES FRANgAIS. Uon par le systeme arte'riel , pose a la monstruositc ties bornes cer- taines et ne'cessaires , et de'montre la faussete d'anciennes fables debite'es par nos peres. Suivant la tlie'orie de I'arret de de'velopppment , les monstres pou- vaienl former une serie comparable ct parallele a la serie des ages de I'embryon et dii foetus. Celle-ci a son tour, d'apres de nouvelles et profondes rechcrches, e'tait comparable a la grande se'rie des espcces zooloajiques. II en re'sultait un rapprochement naturel entre les degres divers de la monstruositc et ceux de re'chelle animale. On en pouvait de'dmre aussi une nou.vellc preuve que cette monstruositc est soumise a des regies constautes ; enfin la possibilite d'appliquer a la classification des monstres les formes ct les principes des me'tliodes linne'enncs. Un essai de ccttc classification fut des lors tente par le celebre auteur de la Philosophic anatomique. Dans ccs dcrniers tems , on est arrive a une autre loi gefne'rale , non moins riche en consequences , la loi de posi- tion similaire. Selon cette loi, les deux sujets qui composent un monslre comple'teraent ou partielioment double sont toujours imis par les f;ices homologues de leurs corps, c'est-a-di re opposes cote' a cote', se regardant mutuellement , ou bien adosse's I'un a I'autre. lis sont entre eux ce que sont I'un a I'auti'e la raoitie' droite et la moitie gauche d'un individu normal. L' existence dans la monstruositc' de lois con- stautes , re'ductibles peut-etre a cclles des etres normaux , et la possi- bilite de cre'er pour les monstres doubles une classification et une no- menclature rationnelle , me'thodique et facile , decoulerent aussi comme d'elles-memes de ce nouveau fait ge'ne'ralise. Enfin de I'e'tude des monstruosite's , et comme une deduction de la loi pre'ce'dente , en jaillit une autre qui , bien que re'cente , plane deja sur toutesles sciences zoologiques : c'est la loi de rafjinite de soi pour soi. M. Geoffroy pere cxprime aiusi la tendance au rapprochement et a I'union qu'ont entre elles les parlies similaires de I'organisation. Cette loi re'pand la plus vive lumiere sur les grands mysteresdes format tions orgariqucs. Les recherches nouvelles et non encore publie'cs dc MM. Coste ct Delpech sur la zooge'nie nous font espe'rer de voir cette sorte d'affinite' rattachc'e a rensemble de la nature par des lois plus gc'ne'rales encore, cclles des courans c'lectri(|ues. On voit que la science de la monstruositc, ou la le'ralologie, a grandi LIVRES FRANCA IS. 479 lapidement dcpuis le commencement du siecle , et que chacun dc ses progres, du en partie aux aulres sciences de I'organisation, a son tour les a puissammentseivies. Ainsi s'est coulii-me'e la solidarite' des sciences cntre elles; ainsls'est resserre'e leurconriaternite, qui est la condition, etleseul garant de leurs succes. Nous venons de suivre pas a pas M. Geoffroy Saint-Hilaire dans son expose historique de la te'ralologie : le mouve- luent scientifique auquel son pere et lui prennent une part si distinguc'e est trop inte'ressant, trop fe'cond, pour que nous n'ayons pas saisi avec empressement cette occasion de le faire ressortir. Toutes les sciences religieuses, politiques, naturelles, sont dans un e'tat de crise, d'oii sor- tira , nous n'en doutons pas , un ordre nouveau plus large et plus ap- proprie' a la nature liumaine. L'esprit de generalisation coilimence a pre'dominer sur l'esprit de details, qui, pour hien des liommes, fait des sciences un vrai chaos. On commence a sentir plus profonde'ment que rien dans I'univers n'est isole, que tous les phe'nomenes, tons les etres sont lies entre eux par mille attaches , mille rapports , et que la [luissance du Cre'ateur ne brille pas moins dans Tunite d'un seul plan, cnricliie par une varie'le infinie, que dans la multiplicite des plans et des moyens d'exe'cution. La solution du probleme social et de celui de notre existence depend intimement , ce nous scrable , de I'accord des sciences sur ce point fondamental. III. Mais revcnons jVranalysc du prc'cicux ouvrage de M. Geoffroy- Saint-Hilaire. Dans la premiere partie il s'occupe , comme nous I'avons dit , de la nomenclature, des de'finitions et des divisions ])rinci])ales des anomalies. II entend par anomalie , mot auquel il n'attaclie d'ailieurs que la signi- fication de chose insolite , inaccoutumee , toute deviation du type spe- cifique, ou toute particularile organique que presente un individu com- pare a la grande majorite des individus de son espece, de son age ou de son sexe.Classees d'apres leur nature, leur influence i'aclieusectleurde- grc de gravite', les anomalies de I'organisation se divisent en quatre embranchemens : les hemiteries , les heterotaxies , les lierinaphrodis- mes, et les monstruosite's proprement dites. Les hemiteries , ou demi- monstruosites , sont des deviations simples , pen graves sous le rapport anatomique, Ic plus souvent non apparentes a I'exterieur, et ordinaire- jncut conge'niaks. Lorsqu'cUes n'out ricn dc nuisible pour les individus 48o LIVBES FRANgAIS. qui Ics piescutent , dies prranent le uom de varietes : telle est par exemplcla subdivisiou anomale de I'aiterc brachiale. Sielles pioduisent line di£formite', ou s'opposent a raccomplissement d'une ou deplusieurs i'oiictions, on les appelle vices de conformation; telle serait I'imperfo- lation de ia bouche , et la presence de plus, de cinq doigts aux mains. Les helerotaxies sont des deviations complexes , non apparenles a rexte'rieur, n'empecliant aucune function, et congeniales. La transposi- lion complete des visceres en est I'exemple le plus remarq liable. Les herinaphrodismes sont des deviations complexes , presque tou- jours apparcntes a Textencur, conge'niales, et consistent dans la presence simultanc'e desdeux sexes ou de quelques-uns de leurs caracteres. Dans !es cas dece groupe, I'anomalie commence a exerccr sur I'organisation une influence tresgene'rale , mais qui ne devient manifeste qu'a Fc- ])oque de la pubeitc. Les monstruosites enfin sont des deviations dii type spe'cifique , complexes, tres-graves, vici eases, apparentes a I'exte'rieur, et conge- niales. Telles sont les foetus acepbales, ceux a deux letes , etc. De ces quatre groupes, le dernier seul parait a I'aiiteur comporter et necessitcr une classification suivantlametliodenaturelle. Lesraonstres sont pour lui des etres soumis comme les autres aux agens exte'rieurs , aux lois gene'rales de I'organisation, et qui pre'sentent rensemble liarmo- iiicux d'animaux rcguliers. Dans Ic cercle de leur existence , ils ont une sante' parfaite; et si tous ne vivent pas apres etre nes, c'est que leur A^iea commence', grandi, fini d-ins le sein de leur mere. Mais laissons parler sur cc point I'inge'nieux auteur de V Anatomie philosophique : « En compaiant la construction de I'etre monstrueux a cellc de I'etre ;> normal , dit-il dans un Memoire sur un foetus ne a terme , hlesse » dans le troisieine mois de son age , tout cc qu'on peut admettre , " c'est que celle-ci est plus licliemenl dote'e que celle-la : I'une est e'ta- » blie a deux fins, pour vivre dcuxfois et dans deux mondes diffe'rens , » et I'autrc jiour une vie unique, et pour s'en tcnir a une seulc existence. ). Cette dcrnierc cspecc aura ve'cu tout ce que son principe de viabilitc » iui avait attribue d'existence. Parvenu dans le mondc ae'rien , la force " et la prosperite de ses organes , qui jamais ne furcnt ])lus conside|-a- » bles, I'abandonncnt lout a coup, ainsi i\W\\ -.wnw an poisson !e k LIVRES FRANgAlS. 4^ * » plus vigoiireiix , apres que le pecheur I'a retire des caux pour en » enrichir ses bourses. » Cost d'apres ces considerations que les deux illuslres naturalistes croient devoir e'tablir pour les monstres une classification naturelle, analogue aux classifications zoologiques ordinaires. Les autres groupes seront classes dans leurs details , suivant la me'thode artificielle. Chaque monstruosite e'tant un assemblage coordonne de plusieurs deviations^ celles-ci peuvent en etre conside're'es comme les elemens constituans , comme les symplomes divers. Le bee de lievre, I'imperforation de la bouche, I'exces on I'absence d'un doigt, sont, pour les monstruosite's, dans le meme rapport que la douleur , la tumefaction , le frisson pour les maladies. Ce rapprocliement fera peut etre mieux comprcndre pour- quoi on doit ici recourir a ua autre genre de classification. La seconde partie du traite contient I'expositiou du vaste groiipe des lie'miteries, ou anomalies simples. II pre'sente cinq classes, base'es sur des considerations faciles a saisir, et qui se rapportent au volume , a la forme, a la structure, a la disposition ou an nombre des organes. Plu- sieurs se subdivisent eu ordres plus ou moins nombreux. IV. Examinons la premiei'e classe, qui est relative aux anomalies de volume. Elles peuvent -etre generates o\\ partielles ^ consisXer Anws une diminution ou une augmentation. Celles par diminution gene'rale de volume constituent spe'cialcmentlerafl7i/5?He,qu'ilfautbicn distingucrdes deviations de la colonne c'pinierc ou des de'formations des membres. Dans ce dernier cas , il y a maladie , et non pas anomalie dan» le sens qu'on y attache ici. En effet, un nain est en teratologic un etre chez lequel toutes les parties du corps ont subj une diminution ge'nerale, et dont la taillo se trouve ainsi de beaucoup infe'rieure a la taiile moyennc de son cs- pece ou de sa race. M. Geofifroy trouve des nains mentionne's dans les auteurs les plus ancicns : partout il les voit exciter la curiositc des savans, et servir de jouets aux puissans de la terrc. La mode en e'tait devenue si grande dans les premiers siecles de I'empire romain, qu'on rap- porte que des marchauds concurcnt I'ide'e odieuse d'en produirc d'attificicls , au moyen de boites et de bandages. L'histoirc do Jcffery Hudson, qui, a IMge de huit ans, fut prcsentc dans uii pate a la rcine d'Angleterie Heniietle-Marie de France . femme de 482 LIVRES FRAN^AIS. Charles r'; celle de Nicolas Ferry, ce'lebre sons le noni de Bebe, et nain de Stauislas , due de Lorraine j cello du Polonais Borvilasky , et pliisieurs autres encore, prcsenlcnt les details Ics pluscnrieux. Ce cju'il est ici important de noter , c'est la grande variete' qui existe cntre les nains, au pliysique comrae an moral. Les uns sont presque idiots, passent de renfance a la vieillesse , et meurent pre'raature'ment : tel fut Bebe , qui raourut a vingt-deux ans et demi ; d'autres , commc Bor- vilasky et Hudson out montrc beaucoup d'intclligence, et sont arrives < a un age tres-avance. Une jeune Autricbienne , morte en Angleterre , merita par ses talens I'c'pitaphe suivante : « En me'moire de Nannettc Stockcr, qui quitta cette vie, le 4 ni'*^ i^ig, a I'age de trente-neuf ans, la plus petite femme de ce royaurae, et I'une des plus accomplies.)> EUe e'tait excellente musicienne , et n'avait pas plus de Irente-trois pouces anglais de baut. II existe ccpendant entre les nains des traits communs, qui les caractc'risent. Comme les bommes de petite taille, i!s sont en general irascibles , vifs et turbulens. En voici un exemple : Une dame de la cour dc Stanislas caressait un jour son chien devant Bebe; celui-ci fiirieux le iui arracha des mains, et le pre'cipita par la fenetre , en s'e'criant : Pourquoi I'aimezvous mieux que moi ? La plu- part des nains ont les jambes courtes, la tete voUuuineuse, la pbysiono- miede'sagre'able, la constitution rachitique. lis sont impuissans , soit entre eux , soit avec les individus d'une taille ordinaire. Le plus sou- vent ils naissent a tcrme de meres bien conforraees , de taille asscz e'le- ve'e et tres-fe'condcs. Dans le plus grand nombrc des cas observes , la meme mere avait donne' le jour a deux ou plusieurs nains. lis nc paraissent pas plus rares chez les nations de grande taille , ni dans un sexe que dans I'autre. Le nanisme pent , sous le rapjjort du terns, presenter trois cas : dans !c premier , I'individu offre en naissant , ou pendant son enfance , un volume infe'rieur a celui de son age, puis s'c- levc plus tard avec i-apidite aux dimensions ordinaires de son espece. Dans le second , il nait et se de'veloppe d'abord normalement , puis s'arretant dans sa croissance, il garde tout le restc de sa vie une taille au-desseus de celle de I'adulte. Dans le troisicme enfin , il nait nain, et prescnte a toutes les cpoques de sa vie une taille tres-infe'rieure a ccllc de son age. On voit par la que le nanisme est temporaire ou permanent. Sans s'arreter a rbypotlicse des ancicns , qui attribuaient la production LIVRES FRAN^AIS. 4^3 ties nains a un defaut de qiialite on de quantite dans la liqueur se'iui- nalc, M. GeoflVoy trouve beaiicoup plus satisfaisante I'cxplication des modernes , qui y voient le lesultat d'un obstacle apportc a la nutrition et an deVcloppement du foetus , soit par une conformation vicieuse de sa mere , soit par une maladie attcignant le jeune sujet dans le cours de la vie embryonaire ou foetale. Les arrets de de'veloppement observes chez desenfansou dejeunes animaux, par suite d'une alimentation defectueuse ou d'une mauvaise sante, viennent appuyer son choix, que confirme d.'ailleurs la constitution rachitique de beaucoup do nains. On remarque, d'autre part, que chez les animaux qui prcsentent rarement le raclii- tisme, le nanisme est aussi tres-rare. V. Apres avoir traite'du nanisme etde I'accroissement tardif,M. Geof- froy s'occupe des augmentations ge'ne'rales de volume , du geantisme et de Taccroissement pre'coce de la taille. Quoique le nombre des ouvrages c'crits sur les ge'ans soit tres-conside'rable, leur histoire est beaucoup moins avance'e que celledes nains. C'est qu'on a plulot discute' sur leur existence qu'on ne I'a etudic'e; c'cstqu'ils sont beaucoup plus rares que les nains, et qu'on les a moins reclierclie's que ceux-cipour s'enfaire des jouets. L'antiquite et le moyen-age s'accordent pour admettre I'existence d'hommes d'une taille extraordinaire. Plusieurs savans meme ont pense que des nations populeuses , que le genre humain tout entier ont eu primitivement une grandeur colossale , qui a diminuc gradiiellement jusqu'a nos jours. D'apres les calculs deracade'micienHenrion, en 1718, Adam aurait eu cent vingt-trois pieds neuf pouces , Noe' un pen plus de cent pieds , Abraham vingt-huit , Mo'i'se treize , Hercule dix, Alexan- dre six, Jules-Cesar moins de cinq. On sait que les mythologies de presque toutcs les nations sont euipreintes de cette croyance. Pour premiere preuvc de ces assertions , on a alle'gue la de'couverle d'osse- mens humains d'une grandeur considerable : tels sunt ceux trouve's en Sicile , pres de Tra{)ani , dans lequatorzicme siccle, et qui auraient ap- partenu a un cyclope de trois cents pieds , c'vidcmment Polyphcme ; tels sont aussi ceux de TeutoJjochus , roi des Cimbres , trouves sous Louis XIII, dans le Dauphine; tels sont enfin une infinite d'autres qu'ont cites les anciens et les modernes. Mais les recherches de Cuvier sur la zoologie antique , et les progres rapidcs de I'anatouiie comparce ont mis hors dc doute que ces osscmens giganlesqucs ne sont que des 484 LIVRES FRAN^AIS. OS d'cle'phans , de mastodontcs , dc rhinoceros on de cclacc-s , des cara- paces de tortucs , ou dcs cranes d'liydroccphales. La Bible a etc cnsuite appclce en te'moignage , la ou clle dit que Jes geans naquirent du commerce des fils dc Dien avec les fdles des boinmes; on a rappcle plusieurs autrcs passages , ct surtout I'histoire du ge'ant Goliath. Mais le mot heTireu , qu'on a traduit par celui de geans, peut aussi I'etre par celui d'hommes violens ou criiels. Quant au ge'ant Go- liath , vaincu par David, il n'aurait gucre eu , tout calcul fait, que sept a huit pieds de hauteur, taille qui se rencontre quelquefois parmi les hommes. Les autres excmplcs , tire's de la Bible , n'offrent rien de precis. II en est de meme de ceux qui ont ete fournis par les au- teurs profanes. L'exage'ration , la sottise , la cre'dulitc, £n ont fait les frais. Tout semble prouver, d'autre part, que la stature humaine n'a jamais de'passe huit a neuf pieds. Ces cas extremes sont fort rares , mais les hommes de six a sept pieds ne le sont guere. Comme les nains , les geans sont presque tons d'une intelligence bor- ne'e; quclques-uns meme sont idiots. Mais ils sont sans activite, sans e'nergie, faibles de corps autant que d'esprit , d'un temperament lym- phatique , d'une complexion delicate et mal conforme's. Us conservent meme toute leur vie une partie des caracteres exte'rieurs et dcs traits de I'enfance. On raconte qu'a Vienne , oil Ton avail re'uni des ge'ans et des nains pour amuser la cour irape'riale, les nains se moquaient sans cesse des geans, et que dans une quereile entre un ge'ant et nn nnin , ce dernier demcura maitre du champ de bataille. D'ailleurs les geans sont juipuissans comme les nains, ct d'une e'gale frequence dans les deux sexes , quoique moins remarquables chez les femmes. Le geantisme est plus rare encore que le nanisme parmi les animaux. Les ge'ans meurent ordinairement de bonne heure, comme epuise's par leur e'norme et rapidc croissance. On entrouve chez les nations les plus diverses, mais les plus grands appartiennent d'ordinaire aux nations d'une taille considerable : ils paraissent naitre de femmes trcs-fccondes , ils sont rareraent seuls grands dans leur famille. On ne peut qu'entrevoir les causes du ge'an- tisme : une nourritnre abondante ct relachantc, une organisation plus flexible, une circulation pen rapide, semblent le favoriser beaucoup. r/c'veque de Cloyne , Berkeley , a fait sur un orphelin , noramc' Mar- gratli , une experience dont on ne sail autre chose, sinon que celui-ci . jiarvenu a scj)t pieds huit pouccs , niourul vicillard a vingt ans. LIVRES FKANgAIS. ^$5 Dans le ge'antisme, il y a un accroissement absolii de la taille liumainc • iTiaiscelaccroissementpeut n'etrequerelatifal'ageetau terns. IciM. Geof- frey insiste avec raison sur la distinction a etablir entre I'accroisse- inent et ie deVeloppement. Le premier re'sulte de raugmentation gra- duelle de chacune des parties du corps , inde'pendamment de toutchan- gement dans leiir nombre, leur structure et leurs fonctions. Un deVe- loppement consiste , au contraire , dans une modification , dans im changement plus ou moins manifeste. L'e'ruption des dents de la pre- miere dentition, celle des dents permanentes , cnfin la puberte' marquent chez riiornme et cbez les animaux supe'rieurs trois e'poques principales de de'veloppement , a partir de chacune desquelles I'accroissement ge'ne'- ral se ralentit ordinairement d'une manierc plus ou moins marquee. La relation entre I'accroissement et le de'veloppement est tres-curieuse. Si le premier est pre'coce, le second commence aussi plus tot. Ainsi on a vu l'e'ruption des dents pre'ce'der la naissance chez des foetus volumineux ; ainsi on a vu un enfant de dix-huit mois, remarquable par son extreme appe'tit et la rapidite de son accroissement , donner a cct age des sym- ptomcs c'videns de puberte. Si , le dernier de'veloppement commence , ce- lui des organes ge'nitaux marche avec rapidite, ct devient promptement complet J tout accroissement general cesse, et I'individu qui y cstsoumis peut rester d'une taille ordinaire , ou merae demeurer tres-petit, mais sans etrepour cela faible et impuissant. Si, au contraire, le de'velop- pement commence' se poursuit avec bcaucoup de Icnteur ct rcste in- complet, il peut arriver trois cas : ou I'accroissement general s'arrete, ct I'individu reste rain et impuissant; ou cet accroissement se continue long-tems, et I'individu devient ge'ant e'galement impuissant j ou eniinle de'veloppement et 1' accroissement s'achevent tons deui dans un age beau- coup plus avance. Ce qui a etc dit de la faiblesse respective des nains ct des gc'ans est parfaitement d'accord avec ces considerations. II en est de memc de ce qu'on observe chez les enfans remarquablcs par la pre'co- cile de leur accroissement et dc leur puberte : leur exte'rieur male , leur voix grave , leurs formes trapucs et robustes , montrent que le develop- ment physique est chez eux aussi complet que chez I'adulte. II n'en est pas de meme dii developpement moral : ces homraes de trois , quatre , cinq ct :;ixans ont tous les goiits et le naturel de I'enfance. Voila done ramcne'es les diminutions et les augmentations ge'ne'rales de la taille ;» 486 LIVRES FRANgAlS. n'etrc que dcs phases plus ou moins longues de la loi d'alternativc cn- trc raccroisseracnt ct le dc'vcloppcmcnt des organcs. VI. M. Geoffroy fait succe'der a ces considerations sur les anomalies individuelles de la taillc un apercu des faits les plus saillans qu'offre I'e'- tude des variations de la taille dans les races liumaines ct cliez les ani- maux. La taille norraale d'unc race est ne'cessaircment la taille moyenne des individus qui la composent, ct la taillc normale de I'especc est la taillc moyenne des races qn'clle renferme. Les races d'une hauteur ou d'une petitcsse extremes peuvent eirc conside're'cs comme des anomalies par exces ou par de'faut dc dcveloppement , comtnc des races ge'antes et des races naines. Mais il faut rechercher ici si les causes qui ont pro- duit les races ge'antes et les naines sont de meme nature que celles qui produiscnt les individus gcans et les nains, ou bien si le tyjie de I'cspece n'aurait pas e'te primitivement plus grand ou plus petit que ne le sont les nombrcuscs races dc taillcs moycnnes que Ton trouve au- jourd'hui. Ici riic'rcdilc est unc donne'e du probleme qui ne se pre'sen- tait pas dans ce que nous avons examine jusqu'a present , et qui com- plique la difficulte'. I cs cspeces d'animaux sauvages , soumises a Taction de causes modificatriccs moins nombrcuscs et moins puissantes que celles qui agissent sur les aniraaux domestiques , ne pre'scntent pas ordinairc- ment dans leurs dimensions des varie'te's tres-distinctcs ni tres- constantes : chaque espece ne forme guere qu'une seule race, com- posce d'individus presquc tons semlolables cntre eux. A ce sujet , M. Geoffroy resume dcs rechercbes qu'il a faites sur les variations gc- nerales de la taille dans les mammiferes sauvages. EUes sont relatives au milieu dans lequel ils vivent , aux alimens dont ils se nour- rissent, aux licux qu'ils habitent. Les especes qui vivent au sein dcs caux parviennent a une plus grande taille que celles de la meme famille qui sont terrestres , ct surtout que celles qui vivent sur les arbres , et sont organisecs pourle vol. Parmi les mammiferes qui vivent sur terre et sur ics arbres , les berbivorcs sont en general les ])lus volumincux; viennent cnsuite les carnivores; puis les frugivores, qui sont tons de taille moyenne; enfin les plus petits sont les insectivores. On voit par- tout une harmonic admirable cntre la taille, Ic volume de ces animaux , ct la quantitc d'alimcns que la nature leur offre. De scmblables rapports LIVRES FRANgAIS. 4^7 se pre'sentcnt pour les mammiferes aile's. Pour les mammifercs niarins la loi nc sc -ve'rHic pas. Pour ce qui tient aux licux hal)ite's , la nature a partout proportionne la taille dcs mammifercs a Tctendue dcs localite's qui doivent les recevoir , re'scrvant les grandcs especes pour les mers , les grandes lies et les continens , et les petites pour les rivieres, les lacs et les lies pen e'tendues. La plupart des grands mammiferes liabitent les contre'cs les plus chaudes du globe ■ d'autres , en moins grand nom bre , j>euplent les regions froides : mais aucune famille n'a ses grandes especes dans les climats tempere's. C'est a tort que quelques auteurs ont conclu des animaux sauvages aux animaux domestiques et a I'bomme, et re'ciproquement. Sous le rap- port de la taille , les animaux domestiques prc'sentent de nombreuses et notables variations, qui le plus souvent appartiennent a bcaucoupd'Indi- vidus , se transmettent d'une raaniere re'guliere, et, continuant par voie de generation, servent a caracteriser des races. Ces variations sont assez souvent d'autant plus grandes que la domesticite est plus anciennc et plus complete. Le climat, les soins plus ou moins grands, la nourriture plus ou moins abondante , ont du reste une grande influence. Le vicux compagnon de I'homme , le chien , infiniment moins inde'pendant que le chat, presente aussi beaucoup plus de races de grandeurs diffe'ren- tes. On en a distingue plus de trentc parmi les chevaux , toutes tres- diverses pour la taille, les formes et la nature de leur pelage. L'ane presente aussi beaucoup de varic'tc's. En Arabic, en Egypte, en Perse, partout oil il est soigne' et nourri aussi bien que le clieval, il est ^ircs- que son rival en grandeur, en beaute', en force : on sait combien il est petit et mal fait dans la plus grande partie de I'Europe , et surtout dans les contrc'es froides. Preuve frappante de la puissance des soins de rhorame pour ameliorer ou degrader les animaux qu'il rc'duit en servi- tude! Quant au mouton, quoique rcduit detoute antiquite a I'e'tat plus complct de domesticite , il conserve presque constamraent la racme taille dans ses nombreuses races. Les oiseaux domestiques, a I'cxccption du coq , different peu des especes sauvages. Quant aux animaux infcriciu's et surtout aux poissons, les variations de taille ne sont pas hcre'ditairesj elles paraissent accidentcUes et de'pendreprincipalementdelaquantite' et de la qualitc de leur nourriture. Les diverses recbercbcs dc M. Geoffroy 488 LIVRES FRANgAIS. sur les variations de la taille dans les cspeces domcstiqucs I'ont amcnc aux trois propositions suivantes : « Les cspeces domcstiqucs pcuvent etre distingue'es en deuxgroupcs, )) cellcs dont les races ont toiites la meme taille ou unc taille pen diffe- » rente , et cellcs qui renfcrment a la fois de tres-grandes et dc tres-pe- » tites races. » Dans le premier cas , la taille des races ou varie'tes peat ne pas dif- » fc'rer dc la taille dii type sauvage ; ellc peut aussi presenter unc dif- » fcrcnce de taille , soit en plus , soil en moins : mais cctte difference est » toujours tres-faible. » Dans le second cas , il cxiste des races domestiques beaucoup phis » grandes et d'autres beaucoup plus petites que le type sauvage j mais » la taille moyenne des races domestiques , taille qui se retrouve exac- » tcraent ou prcsque cxactcment dans plusicurs d'cntre elles , differe a » peine ou meme ne differe pas de la taille du type sauvage. » Dans I'espece liumaine , il n'en est pas de la taille comme cliez les animaux. domestiques : les individus varient beaucoup , les races tres- pcu. Ija hauteur du corps des plus petits nains est a celle des plus grands ge'ans comme un a quatre , tandis que la hauteur moyenne dc la plus petite race et cclle de la pfus grande ne sont entrc elles que comme un est a un et demi. En effet, les plus petits nains ont un pen plus de deux picds , les plus grands ge'ans ont un pcu plus de huit pieds et demi. D'autrc part , la taille moyenne des Eskimaux et des monta- gnards Boschimans est a pen prcs de quatre pieds ^ tandis que celle des Patagons est d'environ six pieds. Si les voyageurs ont tant differe sur la taille de ces derniers , les uns leur donnant jusqu'a treize pieds , tandis que d'autres n'en faisaient que des liommes de taille mediocre , c'est non-seulement un rcsultat de I'amour du merveilleux , mais une erreur produite par le melange qui existe, au sud de la Plata, dc plusieurs peu- ples nomades, les uns trcs-grands et d'autres de taille ordinaire. II est recomui , a quelques exceptions pres , que les peuples reraar- quables par Icur petite taille habitent tous rhe'misphere boreal dans sa partic la plus scptentrionale , ct que ceux qui ont une grande taille ha- bitent ge'ne'ralemcnt I'hemisphcre austral , les uns sur le continent de . r Ame'rique meridionale , les autrcs dans les Archipels de la mer du Sud , LIVRES FRAN^AIS. 4^9 du Imiticme au cinquanticme degrc de latitude S. Mais , par une etude attentive de la distribution ge'ographiquc des races luimaines, on ar- rive a oc re'sultat curieux, que des pcuples de petite taille vivent presque partout pres des nations Ics plus grandes du monde cntier, et re'ci2)roquemcnt des peuplcs de grande taille pres des nations les plus remarquables par I'exiguite dc leur stature. Ainsi , la Terre-de-Feu , si- tue'e pres de la Patagonie , est habite'e par des hommes petits et mal faits y et les peuples de la Suede et de la Finlande, qui confinent a la Laponic, sont d'une taille superieure a la moyenne. L'influence du cli- mat est sans doute incontestable; un froid tres-vif est contraire au dc'- veloppement de la taille , tandis que le froid mode're' lui est favorable. Les exemples pre'cedens peuvent servir a le prouver. Mais le climat n'est pas la seule cause agissante. II faut avoir e'gard a la nourriture plus ou moins abondante, au travail plus ou moins rude. La misere et les fatigues, non moins que le froid excessif, entravent le de'veloppement de la taille. Au contraire, I'aisance et une bonne ali- mentatiun lui sont propices. II faut tenir compte aussi de la difference des races qui se lie aux conditions du type originel. Ainsi la race malaie est ge'ne'ralement plus grande , et la race mongole plus petite que la race caucasique et la race ame'ricaine; cLacune d'elles possede une tendance a se reproduire constamment avec les memes carac- teres (i), tendance d'autant plus prononce'e que la race est plus an- cienne , ce qui est vrai de rhomnie comme des animaux. Or, la con- stance et la fixite des principales races humaines menent a conclure a la haute antiquite de leur formation premiere. Le savant et inge'nieux physiologiste M. Edwards a moritrc quels secours precieux I'histoire peut tirer de ces considerations pour rclablir la ge'ne'alogie des nations. On a deja parle de I'ide'e si re'pandue du de'croissement de la taille dans les races humaines. Cette opinion , qui n'a pour elle que I'unani- mite de croyance , pourrait bien avoir e'te propage'e par un seul et meme peuple , et alors I'unanimite ne prouverait rien. D'ailleurs ranli({uite' croyait aussi aux pygme'es, et , sur le principe de I'autorite, Ton pour- rait aussi raisonnablement soutenir que la taille de I'hcmme s'est e'le- (1) Voyez, sur les lois de Phdredite organique, notre numero de mai-juin, pagf tl8. TOME I.V. AOUT "1852. 32 4()0 LIVRES FRANgAIS. vec. Ni Ics debris hiimains fossiles troiive's rc'ceraracnt clans phisipiirs lieux, ct qui, tout en paraissant rcmonter a unc haute antiquite, n'ont appartenu qu'a dcs honimes d'une taille ordinaire, ni les monumcns antiques , tombeaux, ustensiles, armes , peinturcs , ni les moraics des ^figyptiens, ne nous raontrent do variation sensible dans la taille lui- maine depais environ quatre mille ans. Au-dela de cette e'poque recule'e, les luonuinens disparaissent , et I'analogie scule demeure pour nous eclairer. Or si, coinme tout le prouve, les cliangemens produits cluz rhorame par la civilisation sont entierement analogues a ceux que la domesticite produit chez les animaux, et si on se rappelle que la moyenne de la taille de ceux-ci est e'gale a la taille de leurs types sauvages , on devra adniettre, ce qui d'ailleursest conflrnie'parce que nous savons dcs tribus non civilisces, que la taille jnoyenne des hommes civilises de nos jours dil'fcre peu ou point , non-sculement de celles des hommes civilises des terns anciens , mais aussi de celles des horamcs vivant a I'e'tat sau- vage avant toute civilisation. Plus tard , M. GeoftVoy se propose de de'- montrer , quant aux races gc'antes et naines, qu'il y a analogic re'elle entrc leur formation et celle des anomalies individuelles que pre'sentent les ge'ans et les nains. Plusieurs voyageurs, et surtout Pe'ron , ont constate un fait qu'il est bon de signaler en passant, c'cst que les peuples sauvages, loin d'etre plus forts que les peuples civilises, sont plus faibles : nouvelle preuve que la civilisation est bien dans la dcstine'e humaine, ct que Vetnt de nature, dont Rousseau , dans son de'goiit d'une socie'tc corrompue, avait fait un ideal de felicitc , est loin de nous rapprocher de la per- fection physique. L'horame est sociable et progressif , tout le dcmontre; mais son progres est souvent entrave, sa sociabilitc de'vie'c par rc'goisme individuel, par le vice de nos institutions. VTI. Nous nous sommes e'tendus sur Ics anomalies dc la taille, parce qu'ellcs se rattaclicnt toutes a des questions liistoriqucs d'un haut inte'- ret, sur Icsqucllcs il etail utile de faire tomber quelques-uns dcs rayons lumincux (jue M. Geoffroy a su concentrer dans son ouvrage. Nous nous arreterons peu sur ce qui concerne les anomalies de volume pro- prcmcut dites , par diminution et augmentation part'cUes, atrophic et hypertrophic. Si elles portent sur une ou plusieurs regions du corps, ellcs pre'senlent bcaucoup d'analogie avec celles dont on vient del LIVRES FRAN^VIS. f () r parler. Cc sont Ics regions situces a la pc'riplie'nc des aniinaux ({ui y sont le plus sujettcs. Tels sont les membres, ie crane, ({uelqiiefois la tete tout entiere. Ainsi Ton a vu un foetu:i dont les bras n'avaient que la moitie de leiir longueur ordinaire, et uu liomnie qui Ics avait d'une grosseur e'noruie. Transniises par voie de generation , de sembla- bles anomalies ont produit clicz Ie cheval et le dromadaire des races de course J parmi les chiens, le le'vrier pour un extreme et le basset pour un autre. Chez les idiots de naissance et chez les cretins , le crane et le cerveau pre'sentent ordinairement une diminution de volume. II y a des excmples extiemement curieux de I'anoraalie contraire : tel est celui d'un Italien dont les faculte's intellectuelles e'taient tres-de'velo[i- pees, et dont la tete , a vingt-sept ans, avait trentc-sept pouces de cir- confe'rence et le visage quinze pouces de hauteur. Tel est encore celui d'un Marseillais , nomme Borghini , qui etait oblige', pour soutenir son e'norme tete , de se placer un coussin sur chaque e'paule ; rnais cliez lui I'intelligence e'tait tres-peu de'veloppe'e , et c'e'tait un cas d'hydroce'pha- lie. On a vu assez souvent aussi une atrophic ou une hypertrophic des maclioii'es constituer de ve'ritables vices de conformation en mettant ob- stacle a la prehension des alimens. Quelquefois il y a eu disproportion cntre les deux moitie's du corps, on seulement €ntre les deux moitie's soit de I'abdomcn , soit de la poitrine , soit surtout de la tete. La moitie' gauche du crane de Voltaire e'tait un peu plus developpce que la droite. Rarcment ces dernieres anomalies sont portc'es a un haut degre. Les anomalies de volume peuvent porter sur un ou plusieurs systemes organiques. Les differences de de'veloppement que ceux-ci pre'sentent et qui, dans de certaines limites, ont recu le nom de temperamens , cons- tituent quelquefois de vcritables deviations de I'ordre normal. Le sys- teme musculaire est souvent de'veloppe d'une maniere anomale dans des temperamens athle'tiques. Le systeme adipeux etait si de'veloppe chez plusieurs Anglais, qu'un d'eux pesait 583 livres, et qu'un autre pou- vait renfermer sept personnes dans son habit. Un troisieme, qui pesait 649 livres, dut la vie a cet embonpoint : dans une querelle avec un juif,-il recutun coup de canif dans I'abdomcn, mais la lame ne put tra- verser Tenorme cuirasse de graisse qui le prote'geait, et les visceres ne furent pas attcints. M. Gcoffroy cite plusieurs autres cas d'obe'site', et 52. 492 LIVBES FRANCJAIS. enlrc aiitros celui d'uiic fcminc ohscrvee en Afri([nc par Barrow, et qui elait si c'normc, que le feu ayant pris a la inaison qu'elle habitait, il fill impossible de la faire passer par les portes ; clie dut pe'rir au milieu des flammes. — Le systemc pileux peutelre aussi exccssivcment deVeloppc. La longueur des cheveux qui pour nous est une beautc, chez lesEthio- picnnesscrait unc vraie dit'formite : car, ainsi que I'observe M. Geoffroy, pour cliaque pcuple, le type de labeaute, « c'est le type de la racej et n toutes les fois que les hommes se sent crec le type ideal d'une perfec- « tion suihumaine, ils I'ont trouve' dans une le'gere exage'ration de « quelques uns de Jcurs traits caractc'ristiques.)) Les anomalies de volume peuvent enfin ne porter que sur un ou plu~ sicurs organes en particulier. Ellcs sont cxtrcinement ncm])reuses, mais en general de'nue'es d'inte'ret. Quelques unes cependant me'ritent une at- tention particulicre : telle est par exemple I'atropliie des mamellcs cliez des fcmmes et leur deVelopperaent eKtraordinaire chezdes hommes. M. de Humboldt rapporte I'exemple d'un liorame qui avait nourri son Ills de son proprc lait , jiendant cinq mois entiers. La science a recueilli un assez grand nombre d' observations analogues. Dans ces cas, commc dans beaucoup d'autrcs , I'cxces ou le dcfaut do volume correspond a un exces ou a un de'faut de de'velo-jipcment. Mais il en est ou le con- traire a lieu , et ou I'exces de volume ticnt a un arret dans revolution des organes , tandis que le de'faut ticnt a une trop grande evolution. Voici comment s'explique cette assertion, qui au premier aspect semble paradoxale. Les rccherclies sur I'embryoge'nie ont de'montre' que chaque fonction est successivcment exe'cute'e par deux organismes , dont I'un pent etre appelii primitif, transitoire, provisoire, et I'autre secondaire, perma- nent, lie'finitif. Ces deux organismcs Tnontrent dans leur develo|)pemcnt un antagonisme tres marque. A mesure que le permanent s'accroit, I'autre dc'croit. Des organes provisoires , les uns tombent : tels sont les dents de la premiere dentition • d'autrcs sont resorbe's et pen a pen dis- paraissent : tcis sont les organes respiratoires brancliiaux chez les te- lai'ds des batraciens; d'autrcs cnfin sc reduisent a I'etal de parties ru- dimcntaires : tels sont le prolongement caudal chez les raemes tetaixls, le thymus, les capsules surre'nales chez I'homme. Que maintenant, par luic circonstance quclconquc, ces organes no tombent ni ne s'atrophient LIYRES FRANQAIS. 49^^ coinme ils le devraieiit nonnalemeut , il y aura persistance dans uno e'poque de la vie de ce qui appartient a une epoque plus anciennej et si au contraire ces organes dispaiaissent ou diminuent plus promptemenl que d'ordinaire , c'est que leur evolution se sera faite avec unc rapidiU; inaccoutumee. Dans le premier cas, il y aura de'faut, dans le second exces de de'veloppement. Cette loi d'antagonisme et de renovation des organismes , que M. Geoffroy se propose de suivre dans toutes ses applications, lui four- nit une solution satisfaisante de la difficulte' la plus grave que Ton puisse objecter contre la grande loi de I'unite de composition, savoir qu'il existc cliez les elres infer ieurs des organes qu'on ne retrouvc pas chez ceux d'un degre supe'rieur, chez I'liomme en particulier, et re'ciproqucraent. En ge'ne'ral, il croit pouvoir e'tablir, pour ce qui tient aujt anomalies de volume dont nous avons parle , comme aussi pour toutes celles dont il traitera plus tard , qu'elles peuvent etre considere'es commfe re'alisant ac- cidentellement dans un sexe , dans un age , dans une race , dans une es- pece , les conditions normales d'un autre sexe , d'un autre age , d'une autre race, d'une autre espece. Dans I'analyse que nous venons de donner d'une portion de I'ouvrage de M. Geoffroy, nous avons tacbe de ne rien omettre d'important , et tres souvent nous nous sommes servis des expressions memes du savant naturaliste. Leur clarte, leur lucidite' nous en faisaient un devoir, sur- tout lorsqu'il s'agissait de definitions. Nous exposerons dans un deuxieme article, mais plus brievement , ce qu'il dit des anomalies de forme, de structure, de disposition et de nom- bre. Nous attendons d'ailleurs avec une vive impatience le second vo- lume de son docte et plulosopliique traite. Comme il renfermera les lois ge'nerales et Ieurs applications, il ne pourra qu'augmenter Tinte'ret que nous a fait e'prouver la lecture du premier. David Richard. 87. Relation du cholera-morbus epide'mique de Londres, pai M. Halma-Grand , avec plan indiquant la marche de re'pide'mie. Paris, i83>.; Mansut, rue de rEcole-de-Mc'decinc. In-8"; prix, 3 fr. 5o. Qnoiqiip spc'cialcincnl consacre h j'ppidoniic de Londres, I'ouvrage do 4[}i LIVKES FRAN^AIS. M. Halma-Giaiid traite toiilrs les questions que rapparition dccctte iiia- ladie a souleve'es. Lc mode de propagation nc pouvait y ctre oiiblic. Y a-t-il contagion ou simplemcnt influence c'pidcmique? L'agent morbifi- que s'est-il primitivemenl de'veloppe cliez un individu nialade avec la fiineste proprie'te de se transmettre aux personnes qui rentourafent? ou l)ien est-ce une alteration inappreciable de ces cleinens de la vie eonnnuns a tous les etres, a laquelle les plus robustes seuls re'sistent? La derniere opinion, plus ge'ne'ralement admisc en France, trouvc des contradicteurs dans prcsque tous les me'decins anglais. «Les membres du conseil de santc, ditl'autcur , e'taient tellcment convaincus de la contagion, qu'ils prcnaient toutes Ics precautions possibles pour s'opposer a ce que les individus employe's dans le Cholera hospital^ s ne fussent communiquer avec les personnes du dehors j au-dessus de cet e'tablissement e'tait e'crit no- admission Pour moi j'e'tais intimeraent convaincu , m'e'tant plusieurs fois pique' dans les autopsies de cliole'ri(]ues , que la maladie nc pouvait sc transmettre par I'absorption des liquides. J'avais surtout e'te tc'moin de laits concluans. Deux fcmmes e'taient mortes du cliole'ra. Toutes les deux nourrissaicnt leur enfont ]iendant le cours de la mala- die. La secretion du lait nc tut ni ralenlic ni modifie'e , et ces deux fcm- mes exi)iraient, que Icurs enfans exprimaicnt de leur scin la source de leur existence. Ces deux enfans nc furcnt point attcints du cholera, ct les nourriccs auxqucUes on les confia ne contracterent point la maladie. » Dans Tespoir de i-amener les me'decins anglais a son opinion, M. Hal- ma -Grand rc'pc'ta Ics couragcuses experiences deja pratique'es enPolognc ])ar M. Foy. Mais ceux-ci rcfuscrent d'y assistcr , de peur de passer pour meurtriers , et d'etre punis comme tels par les lois anglaises. Le conseil de sante', prie d'en etre te'moin , fit repondre ))ar I'orgaue dc M. Barry qu'il nc voulait point autoriser de sa presence des lentatives aussi dangereuscs. A Londres oil chaque sccte religic use ensevelit ses morts , oil les re- gistres civils n'exislent pas , il est difficile de savoir au juste lc nombrc des victimes du cliole'ra j nul doute cependant que la population de cctte villc n'ait e'tc'plns cpargne'e que celle dc Paris. II faut, suivanl I'auteur, en chcrcbcrla raison dans la position plus avantagcuse dc la capitate de la Grande-Bretagnc , dans la largeur de ses rues Ijordecs dc maisons pcu c'Icvccs ct propiemcnt tcnucs. LIVRES FRAN^AIS. 49^' L' usage du the a \m aussi y contribuer ; c'est une boisson qui active puissamment la digestion ; les Anglais de toutes les classes en font une consommation tres-grande ; a Fexemple de leurs maitres , les domesti- ques se re'unissent apres chaque repas pour en prendre : c'est une beure qu'on leur laisse ; un e'tranger qui ignorerait celte couturac ct voudrait les deranger , recevrait pour toute reponse : / am taking tea , je suis a prendre mon the. En Angleterre, comme en France, on a eu recours aux nie'thodes curatives les plus oppose'es. II n'est' guere d'agent tbe'rapeutique qu'on n'ait employe. L'auteurde Fouvrage les e'numere, et discute leur degre de valeur. Nous ne parlerons que de ceux qui ont ete pen usite's a Paris. Calomel. M. Barry le regarde comme la base dutraitement. Sous son influence I'auteur a vu les evacuations se modifier , maisil ne lui recon- nait pas toute la spe'cificite qu'on lui accorde a Londres. II pense que ce medicament pent etre utile lorsque le malade commence a entrer en convalescence. Uhuile de cajeput , administre'e a la dose de quinze a vingt huit gouttes , amcne promptement la reaction ; mais on a obseive' qu'on ])ou- vait difficilement se rendre maitredes inflammations conse'culivcs qu'elle de'terminait. L'huile de croton-tiglium, vante'e par M. Tegart, ancipn insjiecteur des liopilaux dans les Indes occidentales , a I'avantage de produire son action avant depouvoir etre rejote'e. A rinte'rieur on la prend a la dose d'une goutte : mieux vaut, suivant I'auteur, I'employer en frictions pour determiner I'e'ruption de boutons sur la peau. L^ injection dans les veines de solutions salines a eu rarement des resultats avantageux. II devaiten etre ainsi ; carvouloir remplacer les e'le'mcus dont le sang des cbole'riques est prive , et faire un liquide vi- vant par procede chimique, est une pretention exagere'e que rien ae justifie. Voici le traitement propose par le comitc de Wite-Chapel. Apres les premiers symptomes : firae'tique, blue pills, on calomel com'bine avec petite dose d'opium pendant la nuit. Le matin, une potion compose'e derhubarbe, gingcmbre etmagnc'sie. Si le mal continue , mixture dechaux, teinluicd'' catechu. Change- 49^ LIVRES FRAN5AIS. ment de dicte : les farincux ayec les aroniatiqiies cliauds. Clialeur aitx extremile's, tranquilllte de corps et d'esprit. Pour le cholera jirononcc : Premiere pe'riode , emc'tlques , de preference le sel et la moutarde , saigne'es, calomel en fre'quentes et petites doses. Traitement de la pe'riode bleuc : Ramener la clialeur par les diffc'rens moyens connus, stimulans comme ammoniaqiie et eau-de vie. Pendant qiiatre lieures, deux grains de ca- lomel avec un sixicmc et un liuiticme d'opium toutes les dix minutes; ensuite le calomel seul. F. F. 88. HoMiiRE ET SES ECRiTS, par Ic marquis de Fortia d'Urban. Paris , i83a ; H. Fournier. In-8" de 285 pages. Admis a I'Acadc'mic des inscriptions et belles-lettres, le i-j dc'cem- Lre i83o, M. de Fortia a e'coute d'abord modestement ses nouveaux coUegues ; ce n'est que le 24 juin de cette anne'e qu'ayant entendu at- taqucr I'existence d'Homere et I'authenticite' de ses ouvrages, il a cm devoir re'pondre. Occupe depuis un grand nomlire d'anne'es de I'o'tude de I'antiquite' , verse dans la connaissance des langues savantes , accou- turae' a cette espece d'escrime intellectuelle que Ton appelle la critique, il lui appartenait de remplir cette taclie, dont il s'est acquitte'avec un veritable succes. M. de Fortia tient, par sa naissance et par d'honora' bles affections , a la vieille aristocratic , et a I'c'poque actuelle par un amour ardent de I'humanile' ct une tolerance tout-a-fait pliilosophique. Deja couronne' de clieveux blancs, il semble redoubler de zele en avan- cant dans la vie : il ne pcrd pas un seul jour , et , par un bonlicur qui est bien rarement le partage de la vertu et du talent , son noble carac- tere n'est pas moins cslime' de tous les partis que ses travaux lilte'rai- res. — M. de Fortia commence par des re'flexions judicieuses sur les probabilite's historiques et I'amour du mcrveilleiix ; il s'occupc de I'in- vention de I'e'criture, a laquelle il consacre en cc moment un Me'moire spe'cial , suit cette invention chez les Grecs , et pose en fait qu'elle y e'tait re'panduc avant la guerre de Troie , ce qu'il prouve a I'aide de diverses inscriptions et de traditions qui se rattachcnt a certains e'crits ante'rieurs a Homi-rc , tcls que le re'cit des exploits du dieu de IN isa par Linus. II aborde ensuite le fameux passage d'Homere sur BcUeroplion , LIVRES FRANQAIS. 497 passage dont on s'est servi pour de'montrer que rauteur de Vlliade n'a- vait point de notion de Te'criture , et il I'cutend dans le sens que lui a donne , non pas , comme on le pense bicn , M. Dugas-Montbel , mais madame Dacier. Ainsi Vlliade et VOdjssee ont pu, on du etre e'crites. De la a I'existence de leur auteur la transition est toute natuielle. Hero dote e'tait ne'cessaiiement I'autoi'ite qu'il fallait d'abord soumettre a I'examen. Apres avoir recueilli et discute' tout ce que les anciens ont ecrit sur Homere , M. de Fortia se met en devoir de trailer des te'moi- gnages modernes. Le chapitre ou il refute le paradoxe de Vico contient des observations fort sages sur le danger de construire I'histoire a priori, sans s'embarrasser des dementis que des recherches approfondies pour- raient donner a un systeme dont I'unite nc s'e'tablit qu'aux depens d'une analyse cxacte de ce qui fut. II a e'galcment bon raarclie du pyrrbonisme de Frederic Wolf, malgre' le haut savoir de ce poete-pbilologue ; il s'a- dresse en meme tems a toute la nouvelle e'cole allemande, n'oul}lie ni M. Scbubarth , ni M. Thiersch, ni M. Kreuzer (et non Kreuser) , et finit par des remarques sur la me'moire , sur la composition des anciens ouvrages , et sur un article du Journal des Savans relatif a son Me'- moire et a cclui de M. Dugas-Montbel , intitule : Histoire des poesies homeriques. Si Ton songe qu'en meme tems qu'il se livre a ces scrupu- leuses et pe'nibles e'lucubrations , il acbeve de publicr les derniers vo- lumes des Chroniques de Jacques dc Guyse , de V^^rt de verifier les dates, de V Histoire du Portugal, etc., prend part aux transactions d'une foule de Socic'tc's savanlcs francaiscs et e'trangeres, s'interesse a toutes les entrepriscs philanlropiques , el trouve le moyen d'etre partout oil i'on re'clame sa bienfaisance que Ton invoque sans cessc , on ne pourra s'empecher de ve'ne'rer une vieillessc si verte, si active, si gene'reuse; et c'est ainsi qu'en ont jugeles Gencc,les Taschereau, les Le Glay, etc., et que doivent en jugcr tous ceux a qui il est donne d'etre en communi- cation avec cette arae si pure, avec cet esprit si riche et si etcndu. De Reiffenberg. 8g. La Farce joyeuse de Martin-Baton , qui rahat le caquet des femmes , et est a cinq personnages, savoir : la premiere commere, Caquet; la deuxieme commere, Silence, Martin-Baton. C\\nrt\cs, i83'2 : Garnier fils. In-8° de 16 pages. 498 LIVRES FRAN9AIS. 90. Le Doctrinal des nouueaulx mauiez. Cliaitrcs , i832. Le menie. Ia-i'2. 91. Le Doctrinal des nouuelles mariees. Chaities , i83'2 ; Le meme. In-ia. Nous avons deja annonce dans la Reifue Encjclopediqueilivrsilsonde scptembre i83i ,]iag. 540, une publication ciirieusc due aux soins de M. Herissan. Nous annonponsaujourd'huitroispetites brochures qui se- roul goute'cs par les liibliophiles ; ce sont des re'impressions d'ouvrages rarissimes. Les e'ditions ancicnnes du Doctrinal des nouueaux marie z sont introuvables. Gelle qui a servi de copie a paru dans les dernieres annees du seizieine siecle , petit in-4'' gothique de 6 feuillets , avec la marque et la devise de J. Trepperel, impriraeur a Paris. Quant au Doctrinal des noiivelles mariees , cette piece a e'te iniprime'e pour la preuiicre fois en 1491 a Lantenac, en format in-4". L"editeur nous ap- prend que Lantenac e'tait une abbaye de Bretagne , situe'e dans le diocese de Saint-Brieuc, et qui appartcnait a I'ordre de Saint-Benoit. II parait que les religieux y avaient e'tabli une imprimerie pen de terns apres la de'couverte de I'art typographique. Cette e'dition est inlrouvable. Ajou- tons que ces impressions , tire'es a un petit norabre d'exemplaires , sont due aux soins de M. Duplessis , inspecteur de I'academie de Douay , ct qu'elles sortcnt des presses d<; M. Gamier fils. Doublet de Boisthibault , de la Socidle royalc des ^nlit/iudies de Fiance. 97.. Melanges politiques et LiTTERAiRES,5ceM6'5 coiitemporaines, par le vicomtc Walsh , auteur des Lettres vcndeennes , du Fratricide, des Letlres sur V Jngleterre , etc. Paris , 1882 j Hivcrt, quai des Augustins, n" 55. In-8" de viii-48Gpag. ; prix , 6fr. « Je vous le re'pete , ce n'est pas le moment de faire paraitrc notre » livre ; avec nos vicillcs ide'cs , quelles chances de succes aurions-nous ? » nous ne sommcs plus a la hauteur de nos contemporains ; ils briilent » cc que nous adorons, ct nous adorons ce qu'ils brulent. » Voila ce que dit I'auteur a son libraire , a propos de scs Lettres ven- deennes, etc. , que nous ne connaissons pas , el probablcmcnt aussi a proi)os des presens Melanges. L'aulcur a raison, parfaitemenl raison. Pci: HVRES FRANgAIS. 499 d'e'crivains ont parlc de leurs ceuvres avcc aulant de ve'ritc que M. Ic viconUe Walsh. Aussi , aprcs avoir ratifle son jugement , nouscmpres- sons-nous de le portei' a la connaissance dc cctle paitie du puLlic qui , si elle ne veut plus du present , veut encore moins du passe; el comme cctte partie du public u'est pas sans quclque importance , nous craignons beaucoup pour la destine'e des melanges de M. le vicomte Walsli. Mais il ne faut point oublicr toutefois qu'il restc a M. Walsli cette phalange chevalcrcsque , ct point trop imperceptible encore , qui . comme lui , a les regards lourne's vers Holj-Rood. Son livre , soigneusemenl recon- vert de la coulcur de ralliement, n'est en effet qu'un poeme en quarantc chants a I'usage des le'gitimistcs. lis y liront I'anatheme de Louis-Phi- lippe et rapothe'ose de Charles X ; ils y liront un fragment i'Histoire d'Angletsrre , oil le Jils d'un regicide devenu roi , et qui , selon toutes les apparences , s'etait charge des remords de son pere , voit sans cesse devant lui , comme en Icttres de feu , ces mots foudroyans , fils de regicide!... lis verront meme un autre fragment, toujours de I'his- toire d'Augleterre , touchant la perfidie et la lachete' d'un homme gros et fort qui vient voler la couronne d'un petit garfon , etc.j mille autres allegories aussi gracieuses a I'usage de la vieille enfance : un Barde ecossais qui vient se promener en France, ct retourne chanter a Holj- Roodles douleurs de la Ic'gitimite en deuil , et les souhaits de petites Jilles qui aiment Men les exiles ; une entree de Henri IF dans sa bonne ville de Rouen , etc. , etc. lis de'ploreronl avec ]M. le vicomte Walsh la desuetude oil sont tombe'es certaincs pratiques et commemo- rations religieuses , telles que le jour des Morts , les Rois, h 1 1 Jan- vier} enfin ils vivront un instant avec lui , avec leur cher passe', mau- dissant Texccral^le present. Ces melanges de M. Valsh ne sont qu'un recueil d'articles qui ont nagutire orne le feuilleton d'unc Quotidienne provinciale ; nous igno- rons laquelle : nous croyons toutefois que c'e'tait assez d'lm pareil honneur, et qu'il y a ambition de'mesure'e de leur part de pre'tendie a celui de Tin-S". A present que nous avons tache' de preserver les uns el dc rejouir Ic^ autres, il nous reste a dire , pour ctrc touta-fail juste envers M. Ic vi- comte Walsh , qu'il y a dans son ouvrage paifois de I'esprit , souvenl du style , et souvcnt aussi une certaine e'rudition d'anliquairc ; troii lyGG XlVRIiS FRAN^AIS. qualites que n'ont pas toujours Ics cents des dcfenseius d'opinions plu.'t jeiines. C. P. 93. Charette, par Edouard Bergounioux. Paris, i83i; Eugene Renduel. Ir-8". Charette devait tot ou tard fournir le sujet d'un roman hislorique. Un guerrier insouciant autant que courageux ; partisan redeutable , quoique general inhabile; combattant avec une ardeur aveugle, et I'ins- tant d'apres s'abandonnant aux plaisirs les plus frivoles , en parodiant ia vieilie cour de France , dans ses manoirs de Lege et de Fonteclause ; aujourd'hui vaincu et poursuivi comme unc bete fauve a travers les taillis et les buissons, demain soulevant contre la Convention e'tonne'e cette h^dre vendeenne aux tetes toujours renaissantes ; un pareil homme ofjfrait de singuliers contrastes a deVelopper j les actions les plus e'tran- ges pouvaient lui etre attribue'es sans invraisemblance : il faut savoir gre' a M. Bergounioux de n'avoir pas trop abuse' de cette faculte. Nous le louerons e'galement d' avoir fait de Charette son principal personnage, et non pas son he'ros. Les vices de ce general, aussi saillans pour le moins que ses vertus, obligeaient I'auteur de detourner I'inte'ret sur des personnages place's au second plan : c'est ^insi que precede Walter- Scott , ce romancier-modele , a I'image duquel , bien ou mal , se fafon- nent aujourd'hui tons les notres. Le veritable heros du roman de Charette est Gesner : Gcsner, ex-comte, ex-abbe', depuis chef d'un bataillon re'publicain et confident de Robespierre, devient amoureux de Marie de Saint- Ange, dont le pcre et le frcre combattent sous les diapeaux de la Vendee j mais au lieu de lui offrir une main qu'elle consentirait a recevoir, il la fuit parce qu'un obstacle invincible, dit-il, s' oppose a leur union. Cet obstacle, qu'il ne re'vcle que lorsque I'auteur juge a propos de terminer son livre , n'esl autre chose que le vceu de ce'libat qu'il a forme' en se consacrant aux autels dans sa premiere jeu- ncsse , voeu par Icquel il se considere comme lie , aiors mcmc que les ide'es philosophiques ct rc'publicaines ont chassc loin de son esprit les croyanccs religieuses. Charette est, de son cote, le rival malheureuxde Gcsner 5 il cherche inutilement a e'pouser Marie de Saint-Angej mais il s'empare de sa pcrsonne et la contraint de le suivrc , sons des vetcmcns d'hommf , jusqn'au jour oil, Irahi par les sicns, il est livre aux rcpubli- LIVRES FRANgAlS. DO I Cains, conduit a Nantes et fusille'I Marie, ilappe'e sous son dcguisement d'une blessure mortelle, expire, en apprenant de Gesner le fatal secret qui les condamnaita une c'tcrnelle separation. Parini les personnages se- condaires on reniarque sui'tout I'ami dc Gesner, Fabricius, modele de courage ct de gaiete, toujours en lutte avec Gharette, qui s'altache a ses pas comme un mauvais genie et le persecute avec une obstination et une fatalite incroyables ailleurs que dans un ronian. C'est a notre avis le caractere le mieux trace' de tout I'ouvrage. L'auteur a moins Leureu- sement re'ussi dans cclui d'Ernest de Saint-Ange. Ce jeune horame venge sur la joue de Gharette un affront fait a sa soeur. Le nolile champion de la le'gitimite' de'daigne de croiser le for avec son adversaire : il le fait arreter et conduire dans son camp , convert d'un masque noir enferme' dans ime voiture noire ; puis, sous pre'texte d'exe'cuter la loi militaire, il lui fait donner la mort en secret. Ici un long cliapitre fait assister le lecteur a la decapitation oblige'e. Au reste, I'histoire, qui nous a trans- mis les assassinats de Marigny et de Delaunay, a pu autoriser M. Ber- gounioux a grossir de ce meurtre la liste des crimes de Gharette. Le style de ce rouian est coulant et anime'. On pourrait de'sirer quel- ques de'veloppemcns dans certaines situations qui ne sont qu'indique'es ou racontees d'une maniere un pen trop biographique : en revanche il faudrait ope'rer des suppressions dans la premiere moitie de I'ouvrage, oil plusieurs chapitrcs nous ont paru assez mal lies a Taction principale. Peut-etre est-ce le de'faut du genre. L'auteur n'a pu re'sister au plaisir de decrire quelques scenes de la revolution : un tableau de la vie prive'e de Robesjiierre, un diner de raontagnards, une description des mystcres de Gathorinc The'os , tout en justiflant notre critique , prouvent que M. Bergounioux a etudie avec fruit I'histoire de notre regeneration po- litique. Felix B. S. 94. DebURAU , HiSTOIRE DU THEATRE A QUATRE SOUS , pOUr fairc suite a VHistoire du Theatre-Franc ais. Paris , 1 832 ; Charles Gosselin , rue Saint-Germain-des-Pre's , n" 9. Deux vol. Prix , 7 fr. 5o cent. Le modele du bon critique , c'cst le vicux pocte courbc dans la conr d'Ennius , le front humide de siieur , I'oeil per^ant et avide , la main -souvent trompc'e , mais tressaillant de joic s"il de'couvre a la fin du jour, So:;! LIVRES FRAN^AIS. a travcrs la paillc hiimidc ct brisc'e, quclqiie imperceptible lueur d'lin grain de diamant qu'il a vingt fois foulc aiix picds sans le savoir. , Aussi croyez qu'un redactcur conscicncieux est hciirenx comme le viciix poete , quand , apres avoir lu im livre nouveau , etre revenu sur Ics pages, avoir ouvert et parcouru an hasard, il trouve enfin son grain dc diamant, ■quoiqu'il n'en saclic fairc aucun usage, sinon Ic montrer du doigt aux autros. En beaucoiip d'endroits on a dit beaucoup de mal de Dehiirau : ceiix qui aimcnt le mal doivent etre satisfaits ; ici Ton ne vent indiquer que ce qui s'y trouve de bien , et se'rieusement il faut etre d'une seve'rite extreme et prc'occupc d'une prevention aveugle pour ne pas apercevoir cebien tout d'abord, pour ne pas s'e'crier des qu'on approclie du livre: « Oh ! la jolie couverture ! » Jamais on n'avait liabille' une oeuvre litte'raire plus galamment, Peut- etrc quelques lecteurs sc rappcUeront qu'cn Icur cnfance il ont posse'de et lace're le gentil livre des quatre couleurs , imprirae en caracteres cou- leur de rose , de jaune citron , de brun chocolat ct de bleu de pastel , long-tems cache' sous le masque a poudre aux yeux de verre de Icur grand' tante. Sur I'enveloppe il y avail un bosquet au frais feuillage , oii de charmans pctitsoiseauxau brillant plumage voltigeaicnt, s'entie-bai- saient ct chantaient d'une maniore fort agre'dble. Mais, malgre le pres- tige dont re'loignement embellit les souvenirs , il faut I'avouer , la cou- verture de Deburau est encore mieux imaginee. Oh I la joiic couverture ! c'est un papier qui ressemblc de loin a un damier. Seulement les pctites cases carrc'cs sont blanches et rougeatres comme dans le costume de Paillasse lorsqu'il n'est pas blanc etblcu, ou seulement blanc , car ccs trois nuances de costume correspondent a trois versions d'nn des principaux faitsde la biographic dc Paillasse. II est battn dans son lit , il se sauve par la fcnctrc enveloppc d'nn drap , discnt les uns , costume blanc ; enveloppc d'une toile de sa paillasse, costume blanc ct bleu ; enveloppc d'une piece de son rideau , costume blanc et rouge. Ija scconde version est plus gcnc'raleraent adoptee. Le premier mot du livre en grosses capitales Iransparentcs , ou sc refletcnt , comme sous un voile , les couleurs de la couverture, est , comme on le sait : Dkburau. il V a bien long-tems que cct homme jouoaii tliealro des Fiuiambules, LIVRES FRANgAIS. 5o3 sur le boulevard du Temple , eiitrc le llicalie dc la Gaite ct celui dc madainc Saqiii. C'est un excellent mime, iin Pierrot incomparable. II soutient liabilement le genre fe'crie-arlequinade, qui amusait tant rios percs. On paie 'lo sous aux avant-seenes j le peuple paie 4 sous , s'cn- tasse, se poussc , cliante, jure , menace de ses bras nns les bourgeois qui lorgnent , commando aux jeunes gens dont la lete cffleure les joucs dcs jolies fdles de les embrasser de grc ou dc force. — 5w,''s'e'crie-t-il dc la mcme voix qu'il dirait : assomme ! Et quand il est las de voir exe'cuter ses jugemens suprcmcs , il appelle la garde et fait mettle bourgeois et jeunes gens a la porte. La toile sc leve. Cassandrc et son futur gendre, le beau Le'andre , seculbutent ; tombent sur toutes les planches , beurtent toutes les coulisses. Colombinc a un visage agre'able : seulement deux dents de raoins , et resscmble a unc femme a s'y me'prendre lorsqu'elle est deguise'e en homme. Pierrot est le dieu : il fait le mal et le bien; il frappe, il marie , il tue ; tons les e'clals de joie , tons les broubahas , tons les applaudissemcns sont pour lui seul. Son portrait est encadre dans la manjueterie de cctte de'licieuse cou- vertnre , et il est tres-resscmblant. On le voit accroupi , tremblant et bouffon au naturel , au sommet d'une e'chelle droite et chancelante. Ce tableau est I'enseigne du livre , son resume, son analyse , sa taldc des matieres , sa miniature , !e iivre lui-meme. La pre'cicuse couverturc en dit plus encore , ce qui n'e'tonne pas quiconque sait la loi du conte- nant et du conlenu. Sur I'e'troite bandc du dos , a rextrc'milc infcVicure , est un arlc- quin sur un seul pied , sa batte et son chapcau gris en I'air , sa tele penchee. On le reconnait aussitot : c'est I'ailequin du Roi de Boheme. II entraine I'esprit et le transporte au loin ; on arrive au milieu de cet ine'puisable tre'sor de gravures , dont M. Nodier a iburni le coffre. Le regard, en s'e'levant au-dessus ^' Arleqiiin, et remontant sans de- vier jusqu'a rcxtrc'mite oppose'e , rencontre un nom : /. /. ; s'il glisse a droite en faisant un angle , il retrouve Deburau , de telle sorte qu'on a sous un seul point de vue le triangle J. J. — Deburau. — Arlequin. L'imagination sourit de voir I'auteur appuyant une main sur Tcpaulc farincusc du pierrot , et jouant de I'autrc avcc rarmc dc bois de I'lnconstant enfant de Bergaine. Trinite touchante I de ce souvenir a celui des Graces , i'abime est facile a combler. 5o4 LIVRES FRANgAIS. Oil I la jolic couvcrture I Oui , vainemcnt les hommcs dii goiit le plus rcnomrac critiqiieiont le livre sans pitie , s"en irout imirmiuer a chaque journal que c' est une iudigne chose, lorsqu'on est parvenu a se hissera une des hauteurs de I'art, d'e'taler ainsi son scepticisme insouciant , de montrer a tons, sans vergogne , son vide moral, et de sc jouer de la bonne foi du public en gonllant avcc effort une pauvre petite plaisanterie jusqu'a ce qu'elle euiplisse trois cents pages , qu'on fait vendre a chacun 7 fj'. 5o c. , tandis qu'une representation des Funambules ne coute a voir que 4 sous. Toutes ces coleres de nos Fre'ron et de nos Geoffroy , eussent-elles le plus le'ger fondement , auraient du tomber devant la couverture. C'est pourquoi on croit juste de recommander ici Deburau , en conseillant seuleraent aux lecteurs, i" s'ils le demandent dans un ca- binet de lecture, de nc pas oublicr d'enlever, en rentrant chez eux, I'en- veloppe qu'une main e'conome lui aurait faite avec quelque feuilleton du Journal des De'bats ; 2" de se garder autant que possible de lire I'ou- vrage , non-seulement de peur de froisser la couverture , d'en rider le dos , d'en rompre les comes , mais encore de peur d'effacer I'impres- sion poefique et vague de la marqueterie et des vignettes; 3° de n'a- cheter Mais on est fadie de ne pouvoir assurer aux lecteurs que M. Gosselin consentirait a vendre la couverture sans le livre , quoique cependant on puisse regarder corame certain qu'il ne vendrait pas le livre sans la couverture. *. y5. PoESIE SUR LA MORT DU KILS DE BoNAPARTE , par M. LaSSAILLY. Paris , 1 832 ; Eugene Rcnduel. Lapoesie, pour trouvcrdes inspirations et des sujetsdignes d'elle, est aujourd'liui rcduilc a s'cnfuir a grand vol bien loin de cctte triste e'poque peuplee de sommite's si prosaiques. Notre socie'te au surplus en est bien plutot a penser qu'a chanter. De tems en tems cependant quelques fails isolcs et sans suite , qui e'clairent un instant notre nebideux horizon , rappellent a nous les poetes du fond dc I'Orient , du moyen age , ou meme du sein du ciei ou de I'enfer, oil ils cherchent parfois a oublier notre ennuyeuse France. C'est un tel appel que devait assurcment pro- duire la nouvelle dc la mort du fils de Napoleon ; jamais la poesie n' avail cu a repandro son harmonic et ses couleurs sur un sujel plus abondant LI^TIES FRANQAIS. 5o5 et plus ricbc , ct rcunissant d'une facon plus lucrveilleiisc siir line seiile tete toutce que la grandeur a do plus magnifique et les sentimens du cceiir de plus touchant. M. Lassailly s'est laisser aller un des pre- miers aux pense'es que lui ont inspire' cette grande infortune , et son oeuvre enthousiaste et rapide exprime avec une ve'rite , qu'il est plutot permis de critiquer que de blamer, ee tumulte d'ide'es confuses que le sujet souleve. ASSOCIATION POLYTECn.MQUE. L' Association Polytechnique vient de publier ]e comple rendu trimes- triel de ses travaux. Focde'e en i83o par les anciens e'leves de I'licQle Polytechnique , qui sentaient le hesoin de se rapprocher ct de s'eutendre, inais privee d'un re'glement precis et bien determine , elle chancela pendant quelquc terns. Re'organise'e aujourd'bui sur un nouvcau plan , elle compte prcs de cinq cents membrcs rc'pandus , soit dans I'inte'rieur de la France , soit dans les pays e'trangers ; son but consiste, d'une part , a rapprocher les anciens e'leves de I'Ecole polytechnique , et de I'autre, a repandie parmi les classes laborieuses les premiers elemens des sciences positives, surtout dans lour partie applicable. Cest ce dernier point principalemcnt qui coramande I'attention , car si I'association continue a prendre de Tcxtension , son influence pourra devenir fort grande par le iait dc la dissemination assez re'guliere des anciens e'leves dans les pro- vinces, et de la consideration dont ils y sont en ge'ne'ral entourc's. Au reste en ceci, I'association se montre parfaitement fidele aux intentions dc la Convention , qui , en fondant I'Ecole polytechnique , lui donnait pour but de re'pandre dans ia nation la connaissance des sciences physiques et raathematiques , but bien plus e'leve que celui que le gouvernemcnt lui assigne aujourd'liui en la re'duisant siniplcraent afournir aux cadres des divers ministercs leur contingent annuel. Les cours destines aux ou- vriers s'ouvriront au commencement de I'hiver , ct il est a croire que I'exemple donnc par Paris sera promptement imite dans nos grandes villes. Ces cours, rc'pe'te's dans plusieurs arrondissemens , consistent en lecons elementaires de geometric , d'arithme'tique , dc chiraie applique'e de phvsique , d' astronomic , etc. II est a desirer que I'association polytechnique , sentant de mieiixen mieux'Tuuportauce tlu role qu'ellc pent etre appelce a rempiir, se voue d'une manierc dc plus en plus spe'ciale a cette carriere toute patrio- tique de I'instruction du peuple , tout en continuant a s'e'tendre et a res- serrer les liens qui doivent unir tons les membres en une grande fra- ternite. TOME I.IV. AOUT 1832. 55 nouvx:l]:.es scientifiques LITTERAIBES ET INDUSTRIELLES. FRANCE. ACADEMIE DES SCIENCES. STANCES DU MOIS d'aoUT. Seance du 6 aodt. Unc lellrc dti niinistrc du commerce et des travaux publics annoncc Tamplia- lion do I'ordonnance royalc du 1 9 juillet approuvaiU I'election de M. Diiloii" a la place de secretaire perpdtuel de I'Acaddmie potir la division des sciences natu- rclles. Le minisUe du commerce ct des travaux publics prie TAcademic dc designer son candidal a la cbairc que la morl de M. Ciivier a laissde vacante au college de France. Unc commission dc six mcmbres choisis dans les trois sections dc mine- ralogie , de botanlque et de zoologie , s'occupera de cet objet. — Le meme ministre demande que la commission nommee par rAcadcmie pour examiner la relation qu'il peut y avoir entre Tetat de Tatmosphcre et Tap- parition du choldra se reunisse le plus tot possible a ccUe que vient d'inslilucr rAcadcmie de mddccinc pour le meme objet. — MM. A. Chefallier ct Boys de Lotiry adressenl un travail sur les nid- langes de fe'cule de po:nme de terre avec la Jariiie de fromeni. Us annoncciit qu'ils ont trouve les mojens . I" de decouvrir si la farine coutient de la fecule, 2° de ddtcrmiiier la proprtrlion du melange. Comme leurs experiences doivent se contiuuer pendant quclque tems encore , ils ddposent un paquet propre a lour servir dc titrc d'anteriorild en eas de besoin. On proccdc a I'election d'un memlirc pour la section dccbimic, en remj)Ia- cement dc M. SeruUas. Les candidats sont MM. Dumas ^ Rohiquet, Pcllctier, Riissy- ct Cm'enlffii. M. Dumas ayant obtcnu trcnte-six suffra{;es sur quaranto- i FRANCE. 507 quatrc, Ic president le declare elu par TAcademie; son dlccUon sera soumise » rapprobation dn roi . — Une cojTiniission composite de six membres est cbarge^e de pri$senter un candidal pour le rcmplaccmcnt de M. Henri CassinI , associe libre. Zoo/ogie, — Recherches sur les moUusques reciieiUis pendant les trois anne'es de Vex- p^dkion de VyisLiolabe, sous le cominundemeiit de M. d'Uri'ille; par M. Quo'): Rapport fail par M. de Blainville en son nom el au nom de JI. La- Ireillc. Ce n'est pas seulement dans la descriplion d'une tnnltilude dVspeces nou- relles que consisie le merite du travail de M. Quoy , Pauteur y a joint une foule denotes, d' observations et de rectifications importantes , sans s'elevcr toutefois aux p,^neralites de la classification. Le lecteur pourra en juger par I'aperfu que nous allons en donner. La classe des cephalopodes a il6 augmentfie d'une vingtaiue d'especes environ , toutes recueillics dans les niers australes; on y compte qualre poulpes , un seuiole, deux calmars, quatre sdpiotcnthes , sept seches. Mais c^est surloulla ciasse des gasieropodes que les recherches do M. Quoy ont cnrichie. Dans la grande famille des murex et des buccins de Linnde , le genre fnseau o'est accru de trois ou qualre esp6ccs nouvelles j en outre quelques details anatomiques sur Tune d'ellcs servent a completer le peu qu'on en savait jusqu'a prdsent M. Quoy fail aussi connailre I'organisation dupleurotome,qui, de memo genre que telui desfasciolaircs et cclui des turbinellcs de Lamarck, parait devoir clre a peine scpare des fuscaux. En comparant une grande espece de Iriton avec une ranelle , le naturalisle de r Astrolabe a egalcment monire que ces deux gen- res doivcntctre reunis. Au conlraire le genre murex des conchiliologistcs moder- ncs se trouve confirm^ par lexamendu murex iriflatus : il est meme augmcnte de qualre especes nouvelles. Le genre pourpre, auquel sont rcunics les ricinules, est augmente de neuf ou dix especes nouvelles, ct I'cxamcn des animaux et des oper- cules de viugt-rieuf especes a servi a rectifier plusieurs errcurs de Lamarck dans celle parliede rhistoire des mollusqucs. La famille des buccins ou cephalidiens sypliobrancbes, acoquilles simplement <5chancrees, a eprouve des ameliorations et des augmentations nombreuses. Ainsi, 1 ar excniple , Tauteur ctablit des rapporls entrc les buccins proprement dils, cer- taines eburues, etlesstrathiolaires, dontil donneuneanatomie complete. Quant au genre des buccins, proprement dits, dans lequel il coraprend les nasses, il Ta enri- chi de dix especes au moins, etil attire Tattenlion sur lebuccin agate, dont Tanimal cntieremcnt avcugle jouit de la facu'.le d'absorber Teau par le pied et de la lancer par jets delius. II rapproche avec raison les planaires des buccins, mais on pcut s'elonner qu'il y joigne les litlorines et les rissoaires. II a etudie sur le vivant les 5o8 NOHVELLKS SCIENTIFIQUES ET LITTERAIBES. mociirs el Torfjanisalion des lonnos ct dcs harpos. II a ohscrvd siir iin assex ffrand nonihre drs tronibes la tUspnsilion toutc particiilierede leurs yeiix, <\p leiirs teiuacnles , de Icur pied et de leur opeicule. Grace a ses rechcrchcs , le genre olive sera parfaitement connu ; on pent en dire autant dii genre ancillaire , fj\i'une descriplion exterieurcct intericure rapproclie immcdiatement du pr(5ccdent. Seize especes de cones sont decritos et figur^es avec leurs belles couleurs ; des figures nous representeni aussi les animaiix des volutes, qui sont aussi vivcment coiores que leurs coquilles ; niais ce genre n'a point cprouvt- d'augmentalion. Les mitres, qui sont a pcu pres dans le nieme cas, sont caracterisdcs par Tabsence d'opercules, la secretion d'une ponrpre nauseahonde , unc tronipe enorme et de pelits tenla- cules. De nouvclles especes sont ajouldes au beau genre des porcelaines , et I'ob- servation des moeurs dc ccs animaux renverse Tassertion de Bruguieres, qui di- sait qu'ils pouvaient abandonner leurs coquilles. De notables amdliorations dans la division dcs coquilles a ouverture enliere des anciens concbyliologistes ddcoulent dgalement des recbcrcbes de M. Quoy. Ainsila connaissance de Tanimal et de I'opercule des veritables cadrans a mon- tr^ que ce genre ne differe pas des troques ; d'un autre cote, il rdsulte d'une com- paraison entre un grand nombre d^ especes de troques, de turbo et de monodontes, que ces genres ne doivent pas etre conserves , a moins qu'on ne se rdduisc a les distinguer presquc uniqiiement par la forme de I'opercule et le nombre des ap- pendices tentaculiformes dcs cotds du corps. Suivant M. Quoy, lesrouletles ne sontnon |dus que destro((Hes, etles dauphinales ne sont que des turbo. En pariant des troques et des turbo, il manifeste lopinion qij'ils jouisscp.t d'un hcrmapbro- disme suffisant, c'est-a-dire qu'ils n'ont qu'un seul sexe , le sexe fcminin, et que repcndant la fecondalion s'opere sans rapport de I'individu avec un individu d'une autre espece , ce qu'ils ont de commun avec les parmopbores , les patel- les etc. Les pbasianellcs ne sont encore que des turbo pour I'auteur; au genre vermet sont rattacb^es quelques serpulcs de Linnde et dc Lamarck \ et le genre ainsi dclimite s'est accru de sept nouvelles especes. Les paludines sont aussi reu" nies aux ampullaires prealablement , separdes dc I'ampuUaire aveline et de I'am- pullaire fragile de Lamarck, lesquelles sont reunies, sous le nom tVamptilhnre , en un pelit groupe voisin des auriculcs. Dans la division des bcmicyclostomes , le naturaliste dc l' Astrolabe introduit quelques cbangemens : il vcunit les cryptostomes de I'un des rapporteurs aux na- ticcs • il n'admet pas la distinction des ndrilines et des ncritcs ; il rapprocbe dcs turbo les santbines, sur la position desquels on n'est pas d'aceord. L'ordrc des pulmobranches doit a M. Quoy un accroissemenl du nombre de .'*s especes et la solution de plusieurs questions auparavant fort obscures. Ainsi il a fait connailre en detail I'animal des pyramidelles , et il a examine ['organisation dc la grande auriculc midas. II a cnricbi cc genre de cinq ou six especes nouvclles, mais il a recueilli pcu de plancrbcs et de limndes. L'bdiicc aucontraire a fourni dix-buit espf'ces nouvelles. Parmi les coupes gendriques des FRANCE. 509 licliccs , les ajjatliiiics 11c dillcrciil des verilables helices que par raljsence des preteudues vesicules seiiiitialcs. U'helix cilruiu apparlient aux viirines deEiapai- naud , Tanimal etant pourvii d'un p.raiid pore uiuqucyxji, 1 cxtremite du piod. On leuiarque dans le genre des limaccs Tacquisition de plusicurs especcs nouvcUes', dont line parait n'avoir que deux tenlaculcs. Troisespeces de pleurobranches, unepleurobranthidie (Meckel), cinq especos d'aplysies , telles sont les nouvelies acquisitions de I'ordre des monopleurobran- ches. Parmi les aplysies, M. Quoy range les notarclies de Cuvier, sous le tilre di'aplysies sans coquilles. II a parliculicreinent eliidie les moeurs et raccouple- ment de I'aplysie vulgaire , el il donne sur le genre placobranche de Van Hassclt des details suffisans pour le faire ranger dans la famiUe des aplysies. En nous falsant connaitre plus intimement I'aniraal d'un certain nombre d'es- peces anciennes du genre bulle, auquel il rcunit les biiHees dc Lamarck, et en I'augmentant de plus de dix especcs nouvelies, il nous force dc reconnakre que les teniatives d.cs naturalisles pour faire rentrer ce genre dans une classilicatfon naturelle ont etc jusqu'a present infructueuse^. Plus de donzc especcs nouvelies sont ajoulees au genre siphonaire. Le genre cymbalie dc Peron a egalcinent eprouve un accroissement d'especes. Les liyales et les cleodores, nialgr<5 leur petitesse et leur transparence, sont decrites au nombre de cinq ou six especes, donl une nouvelle. Un nouveau genre de pteropodes, au- quel est applique le nom dc pe'lagre, nous montre les rapports qui lient les olios de notre heniispbere aux pneumodermes des niers australes , enrichis de deux es- peccs nouvelies. Le genre pbyllirlio^, dont on ne possedait qu'un individu mediter- ranecn , est confirme par trois nouvelies especes ; mais Tobservation d'un grand nombre d'individus de glauques a conduit Tautcur a n'admettre que le glauque de Forstcr. D\m autre cote, il a presque double le nombre des doris par Taddi- tion d'especes briliantes. De meme les ancliidies marines , qui varient de couleur a peu pres a la maniere des cameleons, ne seront plus reduites au seul individu que M. Audouin avail trouvd sur nos coles. A la suite des phyllidies , viennent se ranger une nouvelle espece du genre carinaire , plusieurs especes de patelles et un nouveau genre, celuiide patello'ides, qui comple deja onze especes, etqui scm- ble se d^rober a la loi de correspondance qui fait que la symetrie ou la non- symetrie dePorgane rcspiratoire se repete dans lacoquille, puisque ces especes ne sont pourvues que d'une soule grande brancbie lalerale, quoique la coquille ait semble completemcnt symetrique. Deux especes nouvelies sont ajoulees aux fissu- relles, el sept aux emarginules, dont les rapports avec le parmophorc sont consta- tes par une ^tude soignde do ce dernier genre jcnfin les patelles non symelriques sont accrues d'un grand nombre d'espfcces nouvelies. On y trouve huit crcpidules ou calyptrees et trois bipponices. Les decouvertes de M. Quoy , dans la grande classe des acepliales , ne sont ni si nombreuses , ni si impnrtanles. II a vu que les tercbratules , qui vivrnt fixecs par groupcs, sorlent et renlrent Icurs pretcndus bras commc des brancliies. II .'« 5 I O NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. trouv^ une nouvelle espece d'linitre non adherente. II a dte u'moin de la manicrc dont volent certains peijjncs , les limes surtout. Une description complete dos houlettes fait voir que ce sent des peignes , quoiqu'elles solent plus byssiferes. Une ^tude plus approfondie des trigonies les fait ranger aupres des nucules. Les tridaires ou benitiers, les hipposes , ces gdans bivalves, ^tiidids vivans pour la premiere fois sur les rochers madreporiques ou ils s'a|ipuient, viennent sc placer dans le cadre que Icnr avail prepare Lamarck, d'apres I'inspection d'une simple coqurlle. Dans le genre des bipliorcs on remarque la distinction cxacte d'un grand nonibre d'espfeces nouvclles, objct d'un beau travail d'anatomie et de physiologic. Les ascidies simples ou complexes ont subi une notable augmentation d'espcces , de meme que les oscabrions et les anatifes, qui ont dprouve un accroissemcnt, les unes d'une vingtaine d'cspeces, les autres d'une dixaine au moins. Toutes ces recherches de M. Quoy peuvcnt se rcsumer en quclques mots, qui en fontbien sentir I'importance. Cinq cent cinq especes , dont quatrc cent onze nouvelles, ont eld etudiecs sur Ic vivant, puis dessinees et coloriees de la main meme de Tauteur dans qualre-vingt-treizo planches, contcnantplusdeniille Cgnres. Elles ont dtd distingudes par des caracteres tires a la fois de I'organisation de I'a- nimal , de ses mceurs , de sa coquille et de I'opercule de cettc coquijlc. Recueillies sans systerae prdconpu , elles ont ddja servi a micux etablir certains genres, et elles serviront encore a asseoir les groupes superieurs sur des caracteres plus ri- goureux et plus gdndraux. 3If!deciiie. Sur V iiifluence. que les travaux ties inedecins pliysiologistes ont exercde siir I'dtat de la inddecine en France; par M. Broussais. Penefre de I'imporiance de la vocation a laquclle il etnit voud , M. Broussais, jeune encore, s'affligea de ne pouvoir remplir qu'imparfailement ses devoirs dans Ics hopitaux des armccs, ou son service Tappelait en 1804. Etait-ce a son igno- rance qu'il dcvait attribuer le pen de guerisons qu'il operait, ou bien ne pouvait- il pas en accuser I'imperfection de la science ? II devait tout faire pour sortir de cet etat de doute : il se mit done avee ardeur a rouvrage,ct en 1 809 parut VHis- toire des phlegmasies chroniques , ou il cherchait a dclairer un point de la ques- tion en s^'appuyant sur I'observation et I'expericnce. Ces maladies dlaient alors a peu pres inconnnes. Pujol de Castres, depuis long-tcms oublid^ mais qu'on s'em- pressa d' exhumer alors, ne s'dtait occupd que des suppurations des cavitds visce- rales. Les inflammations insidieuses qui ont leur sidge dans les membanes de ces cavilds, et qui ne produisent point de pus, e'taient fort obscures encore. Pinel ne les avait point encadrees dans sa Nosographie ; on ne trouvait a leur place que des vices organiques ou des drpdrissemens sans cause apprdciablc. Corvisart ne s'en ctait point fait une juste idde : il savait ddterminer le sidge d'une tumeur cachde dans la profondeur des visceres, mais il n'en indiquait pas la nature, s'il n'y avait ni phthisic pulmonaire, ni maladie du cceur, ni de ces tumefactions inlcrieures FRANCE. 5ll appeles vices organ iq ues ; ii ne voyait le depdrissement que dans une cachexic , iin midus habitus, expressions qui au defaut de rindeterminalion joiynaient rinconvenient bien plus {^rave de fournir de Tausses indications iherapeutiques. U flistoire dcs phleg/nasies eclaira ces points^ clle montra que rinnamination joue le premier role dans la production des masses renitentes qui se formont au milieu des visceres; que sous une autre forme elle amene Talleralion de leurs membranes et le deperissement, qui eiail incurable, alors qu'on Tattribuait a la faiblesse dcs solides et a la depravation des liquides. II prouva que ces faiblesses ct CCS depravations sent souvent curabFcs, et indiqua, avec les signes et les epo- f|ues de leur curabilitd, les moyens de parvcn'r a leur guerisOn rcclle. Des lors la lace de la medecine cbanjea. Les mots -I'ices orffaniques eurent un sens que tout Ic monde put saisir j au lieu de se borner a pallier Icurs effcts , on cbercha a Ics prevenir quand on en vit le siege dans les irritations opiniatres fixees sur les in- slrumens de nos fonctions. Ce fut ainsi que la pratique devint rationnelle. Mais c'etait peu d'avoir operd cetic reformc : la classe des fievres n'etait pas plus satisfaisante que cclle des vices organiques et des cachexies. Les fievres conti- nues ^taient regardees ou comme resultant de rinflamniation d"un organe ou comme essentlelles, c'est-a-dire indcpendantcs detoute affection locale. On trou- vait la raison des premieres dans les inflammations des viscferes et des parties in- terieUres du corps ;mais on ne connaissait pas toutes les inflammations visce- rales qui pouvaient les produire, de sorte que le second genre de fievres conti- nues qui en depend egalement n'avait point de cause locale. On ne savait a quoi es attribuer; on ne les distinguait que par les svniptomes ou par des donnees plus vagues encore. On n'etait d'accord ni sur leur nature ni sur leur traitcment; car dans la menie maladie certains medecins tiraient leurs indications curatives de la secretion bi- lieuse ou de la secretion moqueusepar cxemple, tandis que d'autres les prenaient ^ dans la faiblesse, la putridite ou la malignite. Pinel cntreprit de reformer la clas- sification; mais il ne reussit pas. II essaya de localiser quelques fievres ; ii ratta- cha a Tintestin deux ordres de sa nosographie , les bilieuses sous le nom de i^as- triques, et les pituiteuses ou muqueuses sous celui i'addiiomdningees. Mais il ne dit point de quelle nature etait sa gastricit^ ni quelle ctait la cause de la surabon- dance de pituite dans Tade'nomenlngee. II tomba en contradiction avec lui-meme en atlribuant ces deux fievres tantot a Firritation, tantot a I'altcration primitive de la secretion bilieuse ou niuquense , en meme terns qu'il leur conservait le nom d\'ssentiel/es , qui suppose I'absencc de toute affection locale primitive et deter- niinante. On peut en dire autant de ses fievres alaxiqties, que d'ailleurs il ne lo- calise pas dans le systfeme nerveux : comment , au reste , les y aurait-il circon- scritos, lui qui les distingue des inflammations de cet appareil?Il s'eloigne encore plus de la clartd et de la verity en rallianf toutes les fievres ou les forces se trou- vent en defaut a I'ordre de ses adynaniiqnes. Point de si^ge ct fausses indications curatives , tels furent les defauts de cette denomination , qui nialhcureusemeiit 0 1 2 NOUVELLES SCIENTIFlQUES ET LITTERAIRES. I'onsacra Ic Iraileinent de I'ecossais Brown, iraitenient presqiie toujours dangereux, puisque I'adynaraie on faiblcssc dcs fievres est rarement autre chose que Ic rc- sultat de I'inllamnialion dcs visceres.En un mot, comme les denominations adop- tees par Pincl nc precisaient pas la nature div mal , ellcs laissaicnt subsistcr tous les vices des anciennes mctliodes. En 1816 parut la premiere edition de VExamen iles docilities inedicales. L'auteur s'eleve contre leur insufCsante et leur contradiction ; il preche unc autre methode dans Fappreciation des syniptomes; il nc veut pas quVn regarde comme causes des alterations qu'on remarque apres la mort, de simples groupes de symp- tomes qui ne sont que des signes extiirieurs du mal j il propose d'attribucr la fie- vre, ainsi que les inflammations, a dcs aifeclions locales des visceres, qui avaient dte m^connucs, parcc qu'on les prcnait pour dcs effets ct non pour des causes de la fievTc; enfni il recomniande la circonspection pour les cas oil !e mobile de I'dtat febrile n'est pas evident. Cettc metliode une, simple, et par'consequent pliilosopbique, excita contre elle une violente tempcte ; mais cllc rdsista a toutes les altaques , et elle alia tou- jours en se consolidanl. Toutes les observations se font actucllcment d'apr^s le dernier point de vue qu'elle a ouvert : Vi/iJIainmation est partout etudicc, reconnue, gpdcialisec; Vinitalion inlervicnt Ih oil Tinflammation n'est pas constatee; elle devient rinstrument d'unc foule de vices organiques qu'on se contcntait de nom- mer ; les rapports entrc les depravations, les alterations dcs humeurs et les nuan- ces de rinllammation ou de I'irritation sont recherches el discutes sans sys- teme prcconiu , ct cc mouvement est plus prononce depuis 1821, epoquc de la deuxieme edition de 1' J? j:a/«e«. A YExamen succdda un Traile Je phjsiologie appliquee aehine a vapeur de son invention , en soUicitanl un prompt rapport dans rintcret dc I'induslrie. M. Jiaoul-Bochette demande que TAcadentie noinme comniission pour exa- miner ies causes de la deterioration des moniimcns egypllens dans nos niusces, ct pour aviscr aux moyens de la priSvenir et d'y reniedier. Ce soin est confi^ a MJif. Thenard , Gay-Lussoc et Girard. Par voie d'dlection , M. Dumoril est ajrege a la commission desprix de physiologic enremplacement deM. Cuvier, et M. Chevreul a la commission du prix de medecino, en rcmplacement de M. Se- ritllas Par la mome voie se forme une commission de preparation pour la no- mination d^un candidal a la chaire d'histoire naturellc vacante a recolc de pliarraacie. Chiniie. M. Becqi'EREL lit I'extrait d'lm Memoire sur la cristallist:tion de quelquea oxides me'talliquts. Guide par des considerations parliculiercs, M. Becquerel a pris pour dissol- vant des oxides le peroxide de potassium qui , en raison dc son degre d'oxygcna- lion, ne possedc pas la faculty de former avcc cux dcs combinaisons aiissi stables que la potasse, ct qui, se trouvant "a Tcta! naissant , favorlse leur crislallisation. Quand on met dans un creuset d' argent un demi-grammc de dcutoxide de cui- vre avec deux ou irois grammes de potasse a Tairool , et qu'on porte la tcmpt^ra- ture jiisqu'au rouge naissant pendant quclques minutes, il se forme du peroxide de potassium, e( le dcutoxide se dissoul; si on laisse ensuite refroidir le creuset , et qu'on Iraite la potasse par Teau , on observe nn degagement de gaz oxygene pur, pendant qu'il se preclpile des flocons el des crislaux de deutoxide de cuivre (|ui ont quelquefois nn "a deux millimetres de c6t(5 : ces crislaux soiit des letraedres reguliers d'un vif dclat m^tallique. Pjusieurs fails prouvenl que la crislallisation du dcutoxide dc cuivre ne s'op6re qu'aulant qu'il y a formation de peroxide de potassium. Si Ton maintient pendant quelque tems le creuset a la tcmpdraturc rouge, tout le deutoxide se change en petils cristaux de protoxide. Le protoxide de plomb, soumis au meme traitcment , donne dcs lames carrcrs el mcmc de pelits rubes de protexidc ; mais si le creuset reslc long-lems expose FRANCE. 5l5 11 Taction de la chaleur, Ic protoxiJc passe a Telat de peroxide, qui crislallise cii pplites lames hcxagonales d'une eouleur puce avcc des reflets jauiiatrcs brillans. Le phosphate et le sulfate de plomh sont'enlicreinent decomposes par la potassc ; siiivant la dtiree dc Tcxperiencc, on obtient des cristaux de protoxide ou de dcii- loxide. L oxide de zinc donne des aiguilles crislallines d'un jaune sale j I'oxide dc cobalt, des lames carrees qui paraissent dependre du mdme systenic cristallogra- phique que les cristaux dc deutoxide. Les oxides dc mannanese et tons ceux qui forment des sets avec ia potasse n'ont pu encore etre obteniis cristallises par tc precede qui vient d'etre exposd. Occupc constamment de decompositions sponlanees et des coihbinaisons qui en resultent, M. Becquorel presente a PAcademie un certain nonibre de pieces a I'appui des iddes qu'il a <5niises sur la decomposition d'un certain nombre dc corps par cementation, sans qu'ils changent de forme , et sur la eristallisafion de quel<|ues produils nalurels par le moyen des forces cloctriques. Ces pieces sont ; 1° Trois mcdailles romaines entierenlent changees en protoxide de cuivrc , sans que la matiere premiere ait ete dissoute par aucun agent, puisque Icurs fin-- mes et une partie de leurs empreintes s<5nt conserv^es : Fetain ou le mdlal quel- conquc allie au cuivre a du etre porte de dedans en dehors par reffct de la cementation quand Toxidation a commence. 2° Une lampe antique en bronze, recouverte d'une croute de carbonate de cui- vre sous laquelle se trouvaient de jolis cristaux de protoxide de cuivre, apparte- nant a la varidlc; cubique et a la varieie cubo-octaedrique : ces cristaux sont rc- marquablcs par leur grossGur et leur eclat. 3° Plusieurs medailles antiques decomposees presque entieremcnt et recouvertes de petits cristaux de carbonate de cuivre vert et de carbonate de cuivre bleu : ce sont des prismes rhombodaux droits termines par des sommets dicdres, commc ceux de la meme substance qu'on trouve dans certaines mines de cuivre. Clii )tie et inine'ralogie . Mcmoire sur les craies niliifiahles du bassiii de Paris, par M. Gaultier da Clauhry. En partant de Vetheuil (Seine-et-Oisc) et descendant la Seine jusqu'a Tri- pleval, on rencontre des bansde craie alternant avec le silex, en couches epaisscs de soixaiite-dix a quatre-vingt centimetres ; ils sont coupes a pic dans la plus grande parlie de leur dtendueet tres-pauvres en peirilications. Depuis long-tems les ha- bitans en extraient deux fois par an du salpetre sans y incorporer dc matiercs animates. Les efflorescences qui tapissent les parois se deposent prcfdrablement sur les bords des silex et sur les aretes des entailles faites par les baches qui ser- vent a Tenlfevement de la craie. Etles sont dc deux sortes : quclques-unes oat line saveur salec assez franche, les autrcs presentent plus particuliercment la savcur piquaatc du salpctrc; les premieres renfcrment bcaucoup dc sel marin et HDc faible quantitc dc nitrates, les autrcs sont au contrairc en grande parlio com- . 5l6 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. pos($es dc CCS sels, mais ellos prescntent aussi un pen de set niariii : dies soiit particuliweinent reclicrchees pour rexploilatioii. En portant son alteutioii sur ccs bafis de craie, M. Gaultier en a vu qui nc se nih-ifient pas du tout ou qui so nitrifient beaucoup moins que les autres : Icur duret6 est plus grande. 11 a aussi remarqu^ qu'a la parlie sup^rieure de la craie, partout ou des traces de calcaire grossler la recouvrent, la nitrification s'arrcte completemcnt; que les couches de craie qui se nitriGent sent expos^es a Faction directe du soleil du midi j qii'au nord, la nitrirication est tres peu sensible, quoi- que les habitations y soient generalemcnt plus agglom^rees ; cnfin, que la nitrifi- cation ne s'opere jamais que jusqu'a une profondeur de quelques millimetres , "a moins que la craie ne soil fendillee. Quand on cUauffe ces craies jusqu'au rouge, il sen d^gage un peu d'animo- niaque, et la maliere noircit. On a atlribue la formation du nitre a la presence de cette substance; mais Fautcur pense que la quantile en serait insuflisante pour rendre comptc des irois mille a trois miUe six cents kilog. de nitre que fournis- sent les craies, dopuis La Roche-Guyon jusqu'a Tripleval. II croit au contraire que I'acide nitrique se forme ici sous rinllucuce de la craie, par Faction de Fair, de Fhumiditt- ct du soleil. M. Gaultier do Claubry appuie ccttc conclusion sur des experiences dont il a communique les premiers rdsultats a FAcademie il y a trois ans, et d'ou il resul- terait que le carbonate de chaux pur et humecle agirait sur Fair de maniere a produire de Facidc nitrique. Maliere medicale. M. Guibourl lit une Note sur les caracteres distinctifs des castorcitm de Si- b^rie et du Canada. On regarde gendralement le castoreum de Canada , le seul qui soit employe en France et en Angleterre , comme inferieur au castoreum de Sib^rie , qui est beau- coup plus cher ; contre cette opinion, M. Guibourt fait voir que le vrai castoreum de Canada est puret d'une odeur forte. II a observe que les variations de couleur et de consistance qu'on y remarque tiennent le plus souvent a FAgc dc Fanimal et a la coincidence oua la non-coincidence de Fepoque oii larccolte s'en est faite avcc celle du rut. En effct, Fappareil glanduleux qui forme I'interieur de la poclie au castordum est tantot vide, tantot gorge dc matiere onctueuse. Dans Ic premier cas, la cassure ou plutot la dechirure est fibreuse; dans le second elle est nette ct resi- neuse. Du reslc on distingue le bon castordum de Canada aux caracteres suivans : II est en pochcs alongces , pyriformes, silloniiccs ou aplaties par la dessiccation , longues de deux a quatrc pouces, le plus souvent jointes deux a deux en forme de besace, quelquefois au nombre de quatre, quclquefois isolccs , quelquefois por- tant encore la verge dessecbce et appliquec contre Fune des poches; il est dur, cassant , non friable ; sa cassu^je est rdsineusc ; sa couleur est roussc ou hepatique ; son odcur est forte ct fetidc ; sa saveur est acre, amere et nauseabondc. Quant au FRANCE. 5l7 rastordum de Sibdrie, M. Guibourt on a obtenu un ^chantillon d'un marchand franfais qui 1' avail apport^ de JIoscoii, et qui le vendait 80 francs I'on'ce j il pcnsc que ce caslor^um avail subi unc prdparalion. II le decrit ainsi : poches pleines, arrondies, plus larges que lonffues, comme didymes, c'est-a-iJire fornixes de la reunion de dcUX confondues en une seule ; odeur d'empyreume aromatiqne, analogue a telle du cuirde Russie, tres-forle, tres-expansible j consistance solide, presque seche el friable, donnant la sensation de gravier sous la dent; couleur jaunatre ; saveur peu sensible d'abord , puis tres-amere , peu aromatique. 11 forme avec I'alcool une teinturc a peine colordc, non seulement parce qu'il lui fournit peu de niatlere soluble , mais parce qu'il manque du principe colorant rouge que possede le casloreum de Canada. M. Guibourt a commencd I'analyse de ces deux substances. Anatotnie compare'e. I. Dcuxieme, troisieme et quatrieme Mdinoire stir I'organe de Voui'e des poissons^ par M. Breschet. — //. Extrait d'un Me'moire sur I'oreille interne on labyrinthe etsur F audition dans riiomme et les aniinaiix vertdhr^s, par /e mime. I. Depuis long-tems M. Breschet a entrepris de faire Thistoire anatomique et physiologique des organes des sens. II a dcj'a present^ a I'Academie un Memoire snr les nerfs du tympan dans les mammiferes, les oiseaux el Ics reptiles, el un autre Mdmoire sur la structure de Poreille des poissons. Aujourd'hui il vient dans Irois nouveaux Memoires offrir la continuation de ce travail. Dans le premier des Memoires qu'il prcsente , il fail I'hisloire des dispositions les plus constanles de I'oreille dans un grand nombre de poissons, et principale- ment dans la baudroie , le saumon , le lurbol , I'anguille , le bar ou loup, le gron- din , la grandc roussellc el le ptdrois. II decril en detail I'organe de I'ou'ie dans chacun de ces poissons. Le deuxieme Memoire est consacrd a I'hisloire de ce meme organe de I'audi- tion dans les poissons chondropterigiens, et particulierement dans les raies, les pastenagues et les chimercs. II importail de faire cesser une contestation qui di- visait depuis long-tems les analomistcs. Les uns pavlaient affirniativement d'ou- vertures par lesquelles I'organe de I'ouic, chrz ces poissons, communique avec I'extdrieurj d'aulres les contestaicnl el en niaient formellement I'exisience. M. Cu- vier paraissait incerlain , et ce fut lui qui engagea I'auteur a diriger ses recbercbes sur ce point. M. Breschet se livra done a ce travail, et il reconnut que dans beau- coup de chondropterigiens il exisle, vers la partie posK^rieure et supdrieure de la tele, une ouverture fermee exterieurement par une membrane et recouverte par la peau, mais communiquant interieurement avec I'espace du labyrinllie qui con- tient la periiymphe, c'est-'a-dire se terminant en dehors du labyrinthe membra- neux. Cette ouverture, deja bien decrile par plusieurs anatomistes, a cle considdrec par les uns comme une fendtre ovale ou veslibulaire , et par d'aulres comme une fenelre ronde ou fenetre du limafon. Mais il exisle d'autres ouverlures, et M. Breschet s'est attache a les bien faire lonnaitre. II s'dleve du labyrinthe membraneux, et particulierement du sac aux 5l8 NOUYELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. picrrcs, iin canal ascendant qui traverse Ics parois cartilaf;incuses dc la tele pour arrivcr sons la pcau oil il est enilirasse par un petit appareii musculaire, rt vient, aprcs avoir porce les ll{;aniens, s'oiivrir en dehors par une on phisicurs parlies. M. Brcsclict a trouve ce canal dans les raies, les torpillcs, les pastcnagues et les chim6res. Enfin , dans un dernier Mcnioire, rauleiir dt'cril line petite pochc que les <5so- ces , et pavticulicrement Ic brochet, prcsenlent a la partie poslerieure du sac aux pierres, et il chercliea demontrerque ee n'est qu'un vestige du canal dc com- munication qui s'etend dans beaucoup d'aulres poissons entre le labyrinthe nicm- braneux et la vcssie nataloire. Independamment des materiaux ajout^s a Thistoire de Toreille cliez les pois- sons et de la rectlDcation de plusieurs errcurs sur la structure de cct organe, il rdsulte de ces trois nouveaux Memoires que Fapparcil de rouVe dans les poissons ne presenle pas des formes aussi reguliercs et aussi conslantes que celles qu'on observe parini les mammlferes ou les oiseaux. On pent, suivant M. Breschet, rapporter a cinq modifications principalcs Tor- gane de Touie dans les poissons. 1° Le premier type est propre aux cyclostomes. Cest une simple poclie conle-. nant un liquide et line concretion pierreusej mais il n'y a ni division dan* celte espece de crypte, ni canaux ou tubes semi-circulaires. 2° Le deuxieme type se rapporte "a Toreille des raies, des chimeres, etc. Ici Ton voit une poche contenant des concretions lithoVdcs et des ouvertures qui sent les unes ferm^es par une simple cloison membraneuse, les autres constamment bdantcs et communiquant avec Texterieur. 5° Le Iroisieme type comprend roreille des squales, des lamies, des mormy^ res, etc. L'organc ofl're de simples ouvcrtures ou fenctres vcstibulaires ferm^es par des expansions membraneuses ou des rudimens de chaine osseuse (comme par excmplc dans quelques sturionlens), deux pochcs lapidifcres, des tubes semi-cir- culaires membrancux. Lecaractcre principal est ici rexistcnce d'ouvertures closes par des membranes qui <^tablissenl des communications mediates entre TeM^ rieur ct le labyrinthe. 4" Le quail ieme type est le plus simple et le plus repandu ; il appartient presqiic exclusivement aux poissons osseux. On voit deux poches vcstibulaires ct irois tubes semi-circulaircs ; mais aucun pcrtuis en rapport avec Tcxterieur, soil ferme, soit ouvcrt , n'a encore ^t«5 aperju. 5" Enfin, sous le cinquieme type, se rangent tons les poissons dont le labyrin- the menibraneux communique plus ou moios dircctement avec la vessie aerienne ; les clupcs, les cyprins, les silures, etc., nous en fournissent des cxemples incon^ tes tables. II. De ses rccherches sur I'orcille interne et sur I'audition dans Thomme et les animaux vcrlebrcs, M. Breschet tire lui-mcme les conclusions suivanles qui rcsu- mcnl claircmcnt son Memoirc. « Tl ri'snllc de nos dtudes aiiatoiniqucs te remise par M. Jules Ilollard , dissipe toutes les inquietudes qu'on avait sur le sort de M. Bonpland. — M. Conea de La Cerda annonce dc Marseille qu'il va expcdier pour I'Aca- demie un remcde venu du Bresil, ou on le regarde comme le plus puissant de tous ceux qu'offre le rcgne vcgdtal centre la syphilis. Au Para, on le noiiime Jait de inurerd de la terre-ferme ; on le tire d'un arbre que M. Correa appclle Bichntca officiiiaUa. II envoie aussi dans un flacon le sue d'un petit arbre qui possi'de les memes verlus et qu'on nommc manned ( Martins officinale ). FRANCE. 52 1 — En soumetlanl il y a trois semaines a TAcad^mic un instrument proprc a pratiqiicr la ligature des lumeurs de la vessie qui ddterininent des retentions d'urine, M. Leroy d'Etiolles avail dit que, moyennant quelques niodifications, cct appareil pourrait servir a lier plus facilement Ics polypes des fosses nasales ct du pharynx ; il depose aujourd'hui rinstrumeiit qu'il a destine a cc nouvcl usage. MM. n|Ker et Larrcy rexamineronl. ytstronoinie et Oe'itdosie. — M. Mathieu, an nom d'unc commission dont il faisait j)artie avee MM. dc Prony et Puissant, lit un rapport sur un Memoire ayant pour titre : Expose des observations aslronoiiiiques et ge'ode'siqiies, exe'cute'es en ISSG, 1827, 1828 el 1829, par Ic colonel BroiKseaud, sur I' arc du parallele rnoyeii qui traverse la France, et re'sultats qui s'en dc'duisenl. Les travaux du colonel Brousseaud formcnt le complement des operations gdodesiques et astronomiques , commenc^es en 1808, sur Tare du parallele moyen qui s'dtend de Marennes pres de Bordeaux a Fiume au bord de TAdriati- que, et qui, comprenanl qualre-vingts Irianyles du premier ordre , fournissent les positions exactes d'un tres-grand nombrc de points et dc nouvelles lumieres sur la figure de la terre. Comme le parallele qui rcpond a 45° 43' 12" de latitude est cclui qui coupe le plus grand nomlire dc triangles du r(iseau , c'esl pour ce parallele qu'on a cal- cul(5 le devcloppement de I'arc terrestre en s'appuyant sur les deux cotes de la mdridieniie dc France Bort-IIermant el Bort-Maimac. La longueur dc eel arc a did viirifide au nioyen de deux bases mesurees I'uiic en 1 800, sur les bords du Tesin par M. Oriani j Fautre en \ 826, dans les landcs dc Bordeaux par M. Brous- seaud. En dcduisant la premiere de la deuxiemc par une cliaine de 150 trian- gles, on nc trouve qu'une difference de deux ddcimelrcs , ce qui resserrc entre d''dtroites limites les errcurs probables de ces bases et des angles des triangles qui les unissent. Quant a Tamplilude celeste du parallele, en avail dans les anntSes 1821 , 22 • et 23, determine, par des signaux de feu, six arcs partiels entre Marennes et Pa- doue. Depuis cette epoque , les ofliciers autrichiens out determine la diffe- rence de longitude enire Padoue et Fiume ; en sorle qu'on a maintenanl I'ampli- tude de Tare entre Marennes el Fiume par sept arcs dont I'enscmble est del 5° 52' 26",56. Les arcs parliels et Tare total sont loin d'etre exactement proportionnels a leur.s amplitudes. M. Brousseaud s'est servi des formulas de ^^L Puissant pour avoir les erreurs probables des amplitudes et la valeur la plus probable du degre du parallele. Suivant que dans les calculs on fait abstraction de I'arc Padoue-Fiume, ou qu'on I'y fait entrer, ou qu'on sc borne au parallele qui traverse la France, on trouve des differences pour les plus grandcs erreurs d'amplitudc, et par suite TOME LIV. .\OUT I 852. 54 522 NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES. pour la valour tlu dcjjrd moyen, ct par unc consdquence secondairc raplatisscment du splieroide (erreslrc, obtcnu j)ar la combinaison successive dcs valcurs du de- Srd du parallele a 45° 45' iH" avec les dej^res du meridien inesure en France , en Europe, au P^rou ri dans I'Inde. Erreur d'amplilude Valcur du degre Aplatissenient maximum. raoycn. duspheWidc. Arc Padouc-Fiume omis 0", 6 77865,75 '/j^j a '/^c,-, Arc Padoue-Fiume compris 1",26 77898,82 '/s>44a'/,8. Arc de la France seul » 77885,70 '/»54'6 Pulsque Tare Padoue-Fiume apporte un si grand changement aux resultals d^duils des autres arcs , il faut admettre des irr<5gularitds locales dont on a drja Lien des exeniples. M. Brousseaud voulant donncr tous Ics dl^mens aslronomiques n(;cessaires pour orienier Tare du parallele qui traverse la France, ct fixer sa distance a I'c- quatcur, s'est dtahii successivement dans trois diffcrentes stations, voisines des extrcmites de Tare et du point ou il rencontre le mdridien de Paris. Les latitudes de CCS trois observatoires ont etd determinecs par un tres-grand nombrc do dis- tances z^nitales d'etoiles prises en nombi-e a peu pres 6^3.1 au sud et au nord du zdnit avec un cercle astronomique d'un demi-metre de diamfctre de Gambey. Les observations azimutales ont edecins les plus cxpevinicntcs. Dans la Grande-Brelagnc,on n'a pas plus rcussi ation des substances au moyen des solulions alcalines. M. Payen etant parvenu a conserver, pendant plusieurs mois, differens objets de fer et d'acicr polls dans des solutions dc polasse ou de sonde saturdc , et eten- dues d'unc, deux ou trois fois leur poids d'eau , avait cru d'abord que la faculte conservatricc des dissolutions alcalines provcnait uniquemcnt de ce que I'air et I'acide carbonique disparaissaicnt du melange forme par Tcau etl'alcali^il a pense cnsuile que I'alcalinite joue un role dans le phdnoniene. En eflet, il suffit d'unc petite quantitd d'alcali pour produire cet effet; ainsi '/3„oo,et meme 'ji„oo depo- tassc caustiquc dans I'eaii, preservcra de I'oxidation les barreaux qu'on plongcra dans ce liquide : Pcau de chaux etcndue de son poids dVau, eta plus forte raison I'eau de cbaux pure possede la meme vertu. Le carbonate alcalin et le borax en sont dgalement douds ; mais ils doivent etre employdsa plus fortes do- ses, ce qui fait que, si I'eau cliargde de ' j^ooo d'alcali avait le contact de I'air, Ic fcr oul'acier qui y serait plongd pourrail s'oxider'a niesure queralcali se carbona- terait. De scniblablcs plidnomenes auraient probabicment lieu avec d'autres md- laux, par cxeniplc, le manganese , le zinc et I'arscnic. II est inutile d'ajouter que I'observation de M. Payen pourra reccvoir d'utiies applications. Stalls ti(jue. Comparaison dc plusieurs annees d' observations faites sur la population franrai.se a plusieurs du^es sous le rapport du dtgrd d' instruction c'lc'mentaire , par M. JoMARD. C'esten mettant en regard les tableaux de la statistique judiciairc, ccux dc la slatistiquc miliiaire et ccux dc la statistique de Tinstruction dldmentaire, el en les corroborant ainsi les uns par les autres, que IM. Jomard est arrivd aux rdsultats gcndraux qui font I'objct dc son iMdmoire. 1° Slalistique des individus trnduils defunt les cows d' assise, et reconnus il- Ic'trc's. En consultant la dernicre publication du ministt;re dc la justice, on voit : I" que le nonibre des individus ignorans ou iiistruits a sensiblcment cliangd dc- ' FRANCE. 527 ^,ois 1825, premiere annt'c de la slalislique judiciaire, cu <^gard a I'accroisse- nient de la population ; 2" que le notnbre absolu et le nombre rclalif des delils conlre les personnes ont diminue lous les deux j 3° que cctle diminution a ^te plus graiide dans la circonscription des cours royales ou il y a le plus d'instruc- tion. Ainsi la proportion des crimes conlre les personnes est, suivant M. Jomard , descendue depuis 1825 a peu pres dans le rapport de cinq a quatre. En 1828 on compte cent quarante-trois prevenus ages d' environ seize ans : en 1850 il n'y en a plus que cent quatorze, ce qui fait une reduction d'un cinquieme. La reduction est d'un douzieme (1278 a H61) pour les prevenus ag^s de vingt-un ans. Cette proportion est toujours decroissante depuis qu'on a commence a I'cmegistrer. En ■1830 plus des trois cinquiemes des accuses (61 et 62 sur 100) ne savaientni lire ni ecrire, et ce qu'il importe de remarquer, c'est que dans ce nombre on compte bcaucoup plus de femmcs quo d'hommcs, au moins un tiers en sus.Ces memes individus illettres ont tons fourni la liste des parricides. Dc seize a vingt-un ans le nombre des accuses illettres est de soixante-six sur cent. Au-dessus de vingt-un ans jusqu'a quarante il est de soixantc-deux, et au- dessus de quarante ans il est de soixantc. Onze departemens se distinguent parmi ceux qui comptent le plus de prevenus instruits : ce sont ceux du Doubs, du Bas-Rhin , de la Seine, du Ilaut-Rhin , de la Haute-Marne, du Rhone, des Vosges, des Ilautes-Alpes, du Jura, de la Mo- selle et du Calvados ; le rapport y est de soixante-sept jusqu'a cinquante-un sur cent. Dans quinze autres departemens plus des quatre cinquiemes des accuses n'a- vaientpas repu le plus leger degre d'instruction. Un tableau resume prtsente le rdsultat general qui ressort de la comparaison faite sous ce point de vue entre les tableaux dresses pendant les anndcs i 825 a 1830. 2" Statisligue des jeiines gens de vingt ans illettres, d'apres les tableaux du recensement des jeunes gens appelds au service militaire. Dela comparaison de cos tableaux M. Jomard conclut: 1° que les adiiltcs illet- tres d'un age superieur a vingt-un ans composaicnt en 1 828 les quatre septiemes de la population , et davantage encore si Ton y comprend les femmes ; 2° que la proportion n'etait plus que d'un demi en 1850. 5" Statisligue des e'coles de France. De 1 829 a 1 851 le nombre des ccoles mutuelles s'est accru de huit cent quatre a • celni des dcoles pri- maires en general s'est elcve de vingt-netif mille ncuf cent cinq "a trente-sept mille cent trente-deux 5 celui des eleves de un million trois cent soixante-douzo mille deux cent six "a deux millions quatre-vingt-dix mille neuf cents. Ainsi il ne manque guere aux dcoles que le quart des garcons en age de les frequenter. Deja dans beaucoup de departemens le dixieme de la population est admis dans les dcoles primaires. Malheureusement tons les departemens ne ressemblent pas sous re rapport 'a ceux de I'Alsaee , de la Picardie et de la Lorraine , de sorte que pro- bablement huit 'a ncuf millions Jo Franrais, males, ou prds dc six sur dix, sont lotalement privds d'instructiou. Yodng. 528 NKCROLOGIE. NECROLOGIE. NOTICE Sim SAOI CAHNOT. Sadt CiAr.NOT , fils ainc de celiii qui, en 94, organisa la victoirc or! France , vicnt dc succombci' a la nialadie rc'gnante , age d'cnviron trentc- sixans. Dire qu'il futiin des e'leves les plus distingue's de cettc Ecolc polylcch- nique fonde'e par son pere , qu'il fut successivement officier du ge'nie et officicr d'e'tat-major , et que , depuis long-terns retire du service , il s'est livic a re'tiide dcs sciences cxactcs et dc I'e'conomie politique , cc scrait re'sumcr sa trop courte existence pour eeux qui ne I'ont connii que superficiellement. Ponr ceux qui ont ve'cu dans son intimitc , Sadi Carnot s'est montre sous d'autres proportions ; et c'est a cux qu'il appartient de reveler ce qu'il fut, et la position que lui re'senfait un avenir peut-etre prochain. II ne tenait point de son pcre seulcment I'licritage d'un grand nom ; il avait encore he'ritc' de lui cette porte'e de vue qui generalise ses ide'es , cette rectitude d' esprit qui fait dc'couvrir corame par instinct les dernic- res consequences d'un principe ou d'un cve'nemcnt, enfin cette force de volonte qui sait vaincre les obstacles. Ce qui lui a manque, c'est une position qui luit en lumiere ces rarcs qualite's. Sorti de I'ficole Polytechniquc au moment de la premiere rcstaura- tion , et aprcs avoir combaftu sous les murs de Paris assie'gc , il clioisil le service du genie militaire, qui avait etc celui de son pcre; mais, sous les Bourbons , une place d'officier du ge'nie ne pouvait le conduire a rien, ct, le tenant eloigne' dela capitale, n'ctait propre qu'a cnchainer le developpement de ses hautes faculte's. Lors de la formation du corps d'c'tat-niajor , i! passa dans ce corps , qui semblait devoir j)rescnlcr une carriere plus large. C'e'tait une erreur, au moins relativement a lui j son nomfaisaitombrage, ct devait le tenir dans un e'tat perpc'tuel dc sus- picion. NECROLOGIE. SsQ II donna sa demission pour se livrer tout entier a I'ctude des sciences : I'heureuse organisation de son esprit lui permit de les embrasser toutes j mais il s'attacha pins particuliercment aiix sciences physiques et a I'e'co- nomie politique. II etait arrive a la connaissance approfondie de la constitution des divers pays d'Europe , de leur.s relations de commerce et d'industrie , enlin de tons les ele'mcns qui fixent leurs rapports po- litiques. Frappe' du prodigieux avantage que pouvait apporter a la France I'ap- plication du calorique conside're comme force motrice , il chercha a sou- mettre a des regies certaines la fabrication des machines a feu jusqu'a pre'sent abandonne'e aux tatonnemens des inge'nieurs; et dans un ouvrage tres-remarquable (i) il cre'a la the'orie de la puissance motrice du feu. Malheureuseraent cet e'crit, trop peu de'veloppe, et dans lequel I'auteur a suppose au lecteur des connaissances chimiques et physiques fort e'ten- dues , s'est trouve' a la porte'e d'un trop petit nombre de lecteurs, et a manque par la du degre d'utilite' qu^il comportait. C'est au milieu de ces etudes variees , auxquelles iljoignait la culture des arts et particuliercment celle de la musique , que la revolution de juillet le surpi-it. On devait croire qu'il serait appele a concourir au de- velopperaent du nouvel edifice politique ; mais on comprend aujourd'hui comment, enncmi par caractere de toute intrigue , il est dcmeure ignore'. Demesquinestracasseries, a I'occasion fort insignifiante de son admission dans une compagnie d''artillerie de la garde nationale, semblent indiquer que des son origine le nuuveau pouvoir n'est pas demeure e'tranger aux petites defiances de la restauration. Au surplus Sadi Carnot ne s' etait point abuse sur la valeur des grandes promesses faites a la nation , non qu'il en suspectat peut-etre la sincerite' , mais parce qu'il voyait I'impossibilite' de les realiser avec les ele'mens du nouveau gouvernement. Convaincu du reste qu'un changement politique ne doit etre que le resultat de I'avancement des esprits , et ne saurait etre utilement pro- - (1 ) Reflexions sur la puissance motrice dufeu et sur les machines propres a d^velopper cette puissance. Vat\s , 1824, Bachelier, libraire ; in-8°. (Voy. Rei>. Encyclop. , torn. XXIII , uh compte rendu de cet ouvrage , par M. Girard , de rinslitut.) 53o NECROLOGIE. voque par des entrepriscs calcule'es , il est dcmeurc etranger a toiite in- trigue politique. Au mois d'aout dernier il s'occupait de recherches sur les proprie'te's physiques des gaz , et deja il e'tait parvenu a d'importans resultals , lorsqu'il fut atteint d'une fievre scarlalinc qui , mal soignee , de'ge'ne'ra en fievre ce'rebrale. Cette derniere maladie venait de ceder aux efforts des me'decins , ct Sadi Carnot se disposait a aller re'tablir a la campagne ses forces e'puisees , lorsqu'il fut frappe par une attaque de cholera , qui I'a enleve en quinze heures , malgrc les secours de plusieurs me'decins , malgre' les soins eznpresse's de son frere et de quelques amis. Le deuil et les longs regrets de ceux qui I'ont connu diront assez que chez Sadi Carnot les qualite's du cceur ne le ce'daient point a celles de I'intelligence. II a laisse de nombreux manuscrits qui sont aujourd'hui la propriete de son fiere ; mais M. Hippolyte Carnot comprendra surement que le pays est en droit de revendiquer la publication de documens pre'cieux qiii se rattachcnt presque tons a la prospe'rite' de la France. ROBELIN , ancien eleve de VEcole polytechni(fue . TABLE DES MATIERES CON1*ENUES DANS LA 16/j' LIVRAISOIV DE LA REVDE ElVClCLOPEDIQUE. AOUT iS3-2. ARTICLES. . Pages i . De la Philosophic et du Christianisme P. Leroux. 281 2. Les Doctrinaires et les Id^es Charles Didier. 'o[^^ 3 . Sur la Sym^trie des Organes Vitaux, considdres dans la sdrie animate. Flourens. 364 4. Podsie populaire Slave y4deldide Montgol/ier. 374 Ml^LAIVGES. 5 . Lettre Encyclique de Gr^goire XVI 392 6 . Note sur le Systfeme de M. Fourier 404 7 . Statistique coniparee de IVtat de I'lnslruction et du nombre des Crimes Guerry. 414 BULLETIN BI6U0GBAPHIQUE. Etats-Unis. — Rapport sur la geologic dn Massachussets , 425; — Observa- tions sur la geologic de la Nouvelle-Ecosse , 427. Grande-Brejagne. — Medailles grecques des collections anglaises , 430;'^ Biographic de peintres anglais , Raeburn , Fusely , Lawrence, etc. , 433. AiLEMAGNE. — Chroniquc du dix-neuviemc siecle , ann^e 1829, 444; — Voyage bibliographique en Italic, 446; — Bibliotheque des classiques alle- mands , 448. Italie. — Dictionnaire turc , arabe et persan , 450 ; — Conjectures sur la tete trouvde dans les fondcmens du Capitole , 450 ;> — Vie du Zingaro , 454; — Origine de la langue italienne , 456; — L'avcntureux Sicilien, 457. 532 TABLE DES MATIERES. France. — Mdlange d'^conomie sociale , 459; — LaMontagne , 463; — Cours d'histoire de la revolution fran? aise , 465 ; — Essais historiqucs sur les progres de la ville de Nantes , 468 ; — Traits de t^ratologie , par M. Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire , 472 ; — Relation du chol^ra-morbus de Londrcs , 495; — Homere et scs Merits , 496 ; — La Farce joyeuse de Martin Baton , le Doctrinal des Nouveaux Maries , etc. , 497 ; — Melanges politiques et lit- t(?raires , par M. Th. "Walsh , 498 ; — Cliarette , roman , 500 ; — Deburau , par J. Janin , 501 . ACADEMIE DES SCIEIVCES. Stances du mois d' aou t. Recherches sur les moUusques recueillis pendant I'expedition de TAstrolabe , par M. Quoi ; rapport de M. de Blainville , 507 ; — Sur rinflucnce que les travaux des medecins physiologistes ont excrete sur I'ctat de la m^decine en France , Mdmoire de M. Broussais, 510 ; — Sur la cristallisation de quelques oxides mdtalliques , Memoire de M. Becqucrel , 514 ; — Sur les craies vitri- fiables du bassin de Paris , Mdmoire de M. Gautliier de Claubry, 515; — Sur les caracteres distinctifs des castorfium de Siberie et du Canada , par M. Gui- bourt , 516; — Sur Porgane de I'ouie des poissons , ct sur Taudition dans I'homme et les animaux \erl6hTds , Memoires de M. Breschet, 517 ; — Sur les observations astronomiqiies et gdodesiques executdes par le colonel Brous- seaud sur Tare du parallele moyen qui traverse la France, Rapport de M.Ma- thieu, 521 ; — Histoire chimique de la meconine, Mdmoire de M. Couerbe , 523; — Emploi avanfageux du mercure dans le choldra, 525 ; — Conser- vation des substances par des solutions alcalines , Rapport de M. Thdnard , 526 ; — Statistique comparde de Tdtat de I'instruction et du nombre des crimes , par M. Jomard , 526. NECROLOGIE. Notice sur Sadi Garnot , 528. AVIS. On peut se procurer la collection de Tannee 1 831 et celles des annees precedentes Au bureau de la Revue EwcrcLOPtoiQuz, rue des Saints- Peres, n" 26. Chaque cahier se vend aussi separement. Aux Acaddmies et aux Socidtds savantes de tous les pays. Les academics et les socie'te's savantes, et d'utillte pnblique , £rangaises et etrang&res , sont invite'es a faire parvenir exactement , franc de port , au directeur de la Revue Encjrclopcdique , les comptes rendus de leuis travaux et les progranimes des prii qu'elles proposent. Aux dditeurs ^outrages et aux iibraires. MM. les e'dlteurs d'ouvrages periodlques , fran^is et etrangers , qui desireraient i5changer leurs recueils avec le n6ti'e , peuvent compter sur le bon accueil que nous ferons a leurs propositions dVchange, et sur une prompte annooce dans la Revue des puhlidtions de ce genre , et des nutres buvrages nouvellement publies , quails nous auront adresses. Aux Iibraires , el aux dditeurs ePouvrages en Allemagne. MM. Dyck, libraire a Leipzig, et Jagbr, iibraire h Francfort-sur- le-Mein , sont charge's de recevoir et de nous faire parvenir , par I'inter- mddiairc deMM. Heideloff et compagnie , de Paris, les ouvrages perio- diques qui sont destine's a Pe'change ; et les ouvrages que MM. les iibraires, ics editeurs et les auteurs , de'sireraient faire annoncer dans la Heoue Encyclopedique. Aux Iibraires, et aux editeurs d'ouvrages en An^eterre. >IM. DctAU etC° , Iibraires a Londrcs , sont charges de recevoir et de nous faire parvenir les ouvrages p^riodiques qui sont destines a I'^change, et les ouvragos que I'on d^sirerait faire annoncer dans la Revue Encjrclop^igue. C0ttl»tticrn!5 Irr la &ommpt\on. La Revue EwCTCiOPEDiQDE parait mensuellcment , depuis Janvier 4849 , par cahiers de plus de SOO pages d'imprcssion. Trois cahiers forment un volume , ter- mini par one Table analytique et alphalMque des malicres. Chaque ana^ est ind^pcndante des ann^es precedcntcs , ct ofGre un jinnuaire scienUfique et Ikt^raire en quatre volumes in-tt". PRIX DE L'ABONNEMENT. A Paris 46 tr. pour un ao j 26 fr. pour six mois. Dans lesDdpartemens. 53 » 50 » A I'Etranger CO >i 34 • » Chaque cahicr se vend s^par^ment 5 fr. Lc montant de la souscription, qui doit etre pay<5 d'avance ei envoyd par la postej la corrcspondance , et tout ce qui concerne la r^dactionj Ics livrcs dr. tout genre , les gravures , etc. , dont on ddsire faire rendre compte , doivcnt cire adres- sis, franc de port, anx directeurs de la Revue Encyclop^dique. , roe des Saints- Peres, n° 26. On souscrit, a Paris, chez les libraires ci-apres : Trecttel et Wortz , rue de Bourbon , n° \7 ; — Key et Gravier , quai des Augustins, n" 55; — Charles Bbc.het, quai des Augustins, n" 55; Roret, rue Hautefeuille n° 1 2 ; — J, Renouard , rue de Tournon , n° 6 ^ — Heideioff , nic Vivienne, n° 4 6 ; — Cordier, rue do la VriUiere , n° 2 ; — Pau li« , place de )a Bourse. Dans Us principaUs viiles des ddpartemens et des pays AVRII.. Dc la n^cessitd d'une rcprdscntation pour les,proldtaires, par M. J. RETWACn. De I'assiette de I'impot (2° article"), par M. Emile Pereire. Derni^res pages de Goethe f2° article). De I'influence philosophiqnc aes^ndes orientates , par M. P. LcRorx. Po^sie sanskrite : Anthologie d'Amarou , par M. J. Reticacd. GAHIER DE UAI - JOIN. De I'unitd de la Revue Encyclop^dique. Du cesmopolitisme et de 1' association , par M. Charles Didier. Doctrine d'association de M. Charles Fourier (2° article), par M. Abel Trawsos. Des rapports de la doctrine Conficius avec la doctrine chr^tienne, par M. P. Lerovx. Le Ta-Hio de Confucius, traduit du Chinois par M. G. Pacthier. Ponies du moyen-age : Romans des douze pairs de France,. Chiromancie : Episode de la vie de Claude Tarin, par M. Eoouard Ghartor . Du panthdisme en m^decine, par M. Ribes. Des lois de rh^r^ditd organique, par M. D. Richard. Progrfes dela geologic en 1830 et 1831 , parM. J. R. Des intentions de la revolution polonaise ea favenr des paysans , par M. Morawski. Chansons populaires des Russiens. CABIER SE JinLLET. Sur les prdtendues doctrines de 93, par M. Achille Roche. De rinfluence de la declaration de la Di6tc Germanique sur I'Allemagne , par M. Ahrens . De la contemporaneity de I'homme et des races d'animaux perdues , par M. Marcel de Ser h ct . Les Samnites anciens et les Samnites modernes, par M. Charles Didier . L'eglise et Topdra, par M. AdolpueGu^rodlt. Dp, la necessity d'institutions provinciates, par M. A. Gu^pin. Lettre sur Puniversite de Heidelberg, par M. Henri Kliurath. Sur le cours du Niger ^ par M. J. R. CABIER S^AOUT. De la Philosophie et du Christianisme , par M. P. Leroux. Les Doctrinaires et les Iddes , par M. Charles Didier. Sur la Symetrie des Organes Vitaux, consider^s dans la s^rie animale, par M. Flourems. Podsic populaire Slave , par M"° Ad:^laidK Mohtgolfier. Lettre Encyclique de Gregoire XVI. Note sur le Systfeme dc M. Fourier. Sutistique comparee de lYut de rinstrnction et du noinbre des Crimes , par H. Goerr7 REVUE ENCYCLOPEDIQUE POLITIQUE. DU JOURNALISIHE. Les quinze annees qui out precede la chute de la branche ainee des Bourbons se resiiraeut tout entieres dans la lutte de la restauration et du journalisme , lutte memorable qui s'est ter- minee enfin par la defaite d'une dynastie retrograde ; c'est pea- ■> Liberte done pour tons , hors pour les catholiques qui ne veu- ') lent pas de la vraie liberte , et avec lesquels elle est impossible ? » La tolerance pour les intolerans serait non-seulement le comble » de la duperie, mais encore une faute grave contre la tolerance , » qu'elle exposerait ainsi chaque jour aux attaques victorieuses )) de ses plus mortels ennemis. " Vous avez toujours trop aime la verite , Monsieur, pour que vous eussiez jamais pu condamner ce ralsonnement ; et vous ne le condamnerez pas davantage aujourd'hui dans la bouche de ceux qui , gardons-nous d'en douter , vont le tenir de nouveau contre les catholiques tels que le pape vent qu'jls soient. Ce ralsonnement sera irrefragable partout ou il ne sera pas re- fute comme vous I'aviez refute voiis-meme, c'est-a-dire non pas en soutenant que les catholiques , quand ils en ont le pouvoir, ont aussi le droit de faire plier forcemeut toutes les intelligences sous I'autorite k laquelle ils obeissent , mais en niant que les ca- tholiques puissent ui avoir ce droit, ni nourrir le desir de I'exer- cer; en proclamanthautement la lutte libre des intelligences, qui u'emploieront plus desormais d'autres amies que la conviction , 56o PHILOSOPHIE. cettecoutiaiiite morale, essentiellement iucorapatible avec 1' ac- tion raaterielle des hommes et des lois. Sans regarder en arriere pour examiner trop scrupuleusement si I'Eglise romaine avait jamais pense ainsi, et merae si , dans sa position actuelle, il lui etait possible de penser ainsi , je vis qu'il y avait des catholiques avec lesquels on pouvait marcher , et que raeme les catholiques , si a Tavenir ils se decidaient reel- lement a ne plus demeurer stationnaires , devaient necessaire- ment marcher dans la voie que vous traciez a leurs futurs progres, C'etait important , c'etait vital meme, pour la Belgique, ma patrie, pays tout catholique et catholique sinceremeut. Aussi I'union franche des disciples de la philosophic de I'examen avec ceux de la foi en I'autorile y fut-elle bientot conclue; et, chacun d'ailleurs demeurant dans ses convictions ou dans ses doutes , le despotisme seul fut force de quitter la place. Je ne parle ici que de la question beige , comme m'etant en quelque maniere propre. C'est en outre sur la Belgique que I'En- cyclique romaine aura probablement la plus puissante et la plus funeste influence. II sera facile, apres cela , d'appliquer mes re- flexions aux autres peuples insurges contre la tyrannie quoique catholiques, aux Irlandais , par exemple, et aux martyrs de la Pologne. Vous le savez, Monsieur, lors de la fatale creation diploma- tique du royauuie des Pays-Bas , le clerge catholique refusa d'en accepter la conslitution , parce quelle consacrait la liberte de la presse et la liberte des cultes , c'est-a-dire parce qu'elle garan- lissait aux catholiques la liberte de demeurer catholiques et de defendre leur croyance conlre les incredules et les protestans. Cette conduile niaise engendra les quinze annees de servitude pendant lesquelles le gouvernement hollandais , tout en parais- sant defendre, avec les Beiges philosqphes, la cause de la liberte et de la justice, tailla en effet a merci et misericorde ces memes Beiges de loutes les opinions, et imposa a ceux de la votre, LETTRE A M. DE LAMENNAIS. 56 1 Monsieur, iiii college -philosophique pour les instruire de sa vo- loiite supreme , et un ministere du culte pour leur refuser les di- gnltes ecclesiastiques dont il disposait , et leur salaire meme, s'ils ne remplissaient pas ses intentions comme il I'entendait. Le clerge beige raisonnait alors exactement comme son chef a Rome raisonne aujourd'liui : c'etait la maxime ahsurde et erro- nee J, ou phitot le ile'Ure de la liherte de conscience j, source in- fecte de I' indiffe'rentisme ; c'etai.t la liberie' funeste et dont on ne pent ai'oir assez d'hoireur, la liherte de la librairicj c'etait en- core I'horreur de toute association ^ politique ou autre , oil Ton aurait pu faire cause commune avec des gens de toute religion pour exciter la sedition et pre'coniser toute espece de liherte', c'est-h-dire pour resister a I'arbitraire. Et Ton accusait aussi ^impudence ceux qui, comme vous fites ensuite, Monsieur, re- clamerent en faveur de la verite. Impudence ! c'est bien dur, surtout lorsque ce inot est pro- nonce par I'Eglise romaine , et qu'il vous est adresse , a vous , Monsieur, le plus zele de ses fils, vous dont on a I'impudence de faire un apotre de I'indifferentisme , probablement parce que , autant que cela etait humainement possible, vous avez arracbei le catholicisme papal , non-seulement aux dangers auxquels I'ex- pose I'indifference , mais encore a ceux que lui font courir les at- taques des philosopbes , amis, comme vous, de la raison et de rhumanite. Dieu et la liherte! vous etes-vous eerie : et aussitot le catho- licisme s'est precipite dans le mouvement social, dans les voies du progres ; et la liberte a vu se grossir ses phalanges de qui- conque , avec une intelligence souniise, portait un coeur d'homme et de citoyen. C'est la votre crime, tout votre crime. Le pape n'est pas seu- lement le chef spirituel de votre Eglise; il est aussi un des freres de Francois IV, de Don Miguel et de Nicolas, de Nicolas le re- presentant par excellence en ce moment du despotisme et Tapotre de la morale des Cosaques ; il est un des princes de ce monde. 562 PHILOSOPHIE. possedant sur la terre un troupeau d'horames et une etendue de pays , imposant (de par sa volonte , la loi et les shires ), "a la so- ciete qu'il fait valoir "a son seul profit, les doctrines et les croyances qu'il juge les plus favorables a sou interet de proprie- taire ; prelevant, sur les bieus dont il octroie la jouissance a ses sujels , la part qui lui convient , sans autre motif sinon qu'elle lui convient; voulant conserver en leur entier ces avan- tages palpables , et d'ailleurs fermer touted les boucbes a la plainte, toutes les intelligences a la pensee, tous les cceurs a. la vie de rhomme libre; et menacant les dissidens et les rebelles de rexcomraunication et du knout, de I'exil en Siberie dans ce moude, et de I'enfer dans I'autre. Aussi TEncyclique est-elle uette et precise dans la condamna- tion des docti'ines qui e'branlent la fide'Ute et la soumission dues aux puissances J et qui allument partout les flambeaux de la re'i'olte. L'entendez-vous, eveques d'Irlande, vous devriez raaudire le grand Agitateur , qui , en vous affranchissant de Tburailiante et mortelle oppression de TEglise etablie, pour vous rendre I'inde- pendance civile et religieuse de vos peres , ne vous apporte au fond que la servitude sous le masque de la liherte'. Eveques de Pologne, on vous I'ordonne pour la seconde fois, precbez la 50ttmm/o« inviolable a votre raagnanime em- pereur , aux Russes qui, apres avoir egorge les peres , enlevent les enfans pour les courber a la suprematie ecclesiastique de Nicolas . Pretres beiges, batez-vous de repudier ceux qui , tout enjlam- me's de I'ardeur immode're'e d'une liherte' audacieuse j, s'appli- ijuentde toutes leurs forces a ebranler et renverser tous les droits des puissances : car ce sont ceux-lh qui vous out aides a vous soustraire au droit de Guillauine de vous faconner k sa main , de faire de vous, par son enseignement monopolise, des catbo- liques dociles, de scrviles quasi-protestaus. LETTRE A M. DE LAMENNAIS. 563 Apres cela, que ces puissances laissent au pape quelques croyans plus ou moins toleres, ou raeme qu il ne lui en reste plus du tout ; pen importe. II y aura toujours et partout des su- ' jets obeissans qui paieront et ne raurmureront pas : c'est la le principal; on ne veut que cela. Car le mot de ralliement desor- niais sera, non pas Dieu et la liherte ! mais Dieu pour tuer la liberte, et puis Tesclavage meme sans Dieu. EUe doit en avoir exulte de joie, la Russie qui, il y a peu d'annees, se serait resignee meme a rendre I'ltalie libre pour y substiluer son influence a la domination de I'Autriche, et qui au- jourd'hui trace au Vatican les manifestes du despotisme destines a reparquer les peuples de I'Europe ; la Russie , qui date de Sainte- Marie-Majeure les anathemes quelle lance contre la pensee et la dignite humaine, I'arret demortqu elle espere faire executer sur le catholicisme liberateur des peuples, apres avoir fait prononcer par le catbolicisme servile des rois I'arret de mort contre le plus formidable des catholiques defenseurs de la liberie. Mais, comrae tant d'autres, cette entreprise contre les droits imprescriptibles de I'liomme , ses droits necessairement determi- nes par sa nature et la place quelle lui a assignee daus la creation, ses droits, consequences directes des lois eternelles et des devoirs quelles lui imposent, cette entreprise sera vaine. Tout en bais- sant la tele sous la main qui pretend arreter le monde, nouveau Galilee, vous vousdites h vous-memes : Etpourtantil marche! ... Oui, Monsieur, il marche, et malheur h la papaute monarchi- que, si elle reste en arriere de ce mouvement progressif ! Les peuples font des pas gigantesques : ils out pour eux la justice et la raison. Les rois n'ont pour leur reussite que la force brutale ; et encore est-ce aux peuples abuses qu'ils doivent I'emprunter pour la tourner contre eux. Mais les peuples s'eclairent ; tons les jours la justice et la raison sont mieux comprises, et comprises par uu plus grand norabre d'bommes. Bientot les rois demeureront seuls. Une fois la question sociale bien posee et bien sentie par 5()l PHILOSOPHIE. tous, ce ae sera plus une question; et alors le catholicisme , a moins qu'il n'ait quitte les rangs de I'arbitraire , h moins que , depouille de ses liens terrestres , de ses interets tcmporels , de ses e tats J, de son trone h clous dore'Sj il ne se soit fait peuple avec le peuple , homme avec les homijies , tombera et ne se relevera plus. II lui arrivera preciseraent ce qua la naissance du christia- nisme 11 arriva au vieil empire romain : ni ses soldats , ni ses bourreaux , ni ses lois , ni ses aristocraties , ni ses tresors , ni meme pkisieurs millions d'horames qui croyaient en lui comme en une religion , ne purent Tempeclier de ceder devant le progres d'un nouvel ordre social. Au nom de la liberie et de I'egalite devant Dieu , les chretiens annoncerent une idee juste et vraie , que bientot bourreaux et soldats, aristocratie et peuples, embras- serent avec enthousiasrae , et qui, aujourd'hui quelle descend du ciel pour conquerir la lerre , fera egalement flechir tout genou devant elle. Vous ne le contesterez pas, Monsieur; si Neron avail pu realiser le despotisme intellectuel tel que Nicolas de Russie et Gregoire XVI le re vent, il n'y aurait pas en ce mo- ment un autocrate a Saint-Petersbourg qui conspirerait avec le pape de Rome rasservissement des chretiens. Je fais des vceux , Monsieur , pour que vous croyiez bientot pouvoir rompre le silence, el rendre a voire parti stupefie et decourage par la sentence pontificale I'espoir et la direction dont , dans les circonstances actuelles , il a unsi grand besoin. J'ai cru utile , en attendant , de relever les consequences qu'enlrainerait la defection des catholiques , surtoul dans I'interet de ceux de luon pays, sansl'aide desquels la revolution beige ne se serait pas faile , qui ne I'onl faite qu'au moyen des verites que vous leur aviez inculquees , dont quelques-uns out de'shonore , il est vrai , et perdu moralement celte revolution par leur defaut de desinieressemenl et d'energie , mais qui seuls peuvent la sauver encore , et dont 1' abandon la jetterait sans defense en proie a la LETTRE A M. DE LAMENNAIS. 565 direction et a Texploitation de quelque familier de la grande conjuration des rois , soit Guillaume , soit Leopold, soil tout autre. Permettez-moi , Monsieur, de m'honorer ici du titre que vous m'avez perniis de prendre, de votre admirateur et de voire ami. De Potter. Tome i.v. septembiik 185^. 37 SCIENCES. TBAVAUX MATHJ^MATIQUES D'^VARISTE GALOIS. La coniiaissance des mathematiques transcendautes etant au- jourd'hui le partage d'un petit nombre d'esprits seulement, la lettre suivaute n'est sans doute pas destinee a etre eiitiereraent comprise de tons nos lecteurs ; elle a droit cependant a etre contemplee par tous avec un sentiment de respect et de piete. Galois, appele a I'improviste par la mort, et ne voulant point em- porter avec lui dans la tombe le secret de ses travaux , consacra la derniere heure de sa vie a ce resume de ses calculs analytiques , faisant taire ainsi par une admirable force de raison toutes les passions qui , a cette lieure supreme , venaient assaillir son ame ardente, et , comme le geometre de Syracuse , oubliant la menace et le voisiuage de la mort pour mediter sur la recherche des ve- rites absolues. Que Ton compare cette lettre d'analyse , calme et impassible comme la correspoiidance mathematique de Leibnitz ou de Bernoulli , avec les deux lettres d'adieu que nous rappor- tons a la suite de cet article (1); que I'tin songe que tout cela est ecrit dans la meme heure, avec la meme plume, sous le meme regard de la desluiee ; et que Ton se demande alors s'il u'y a pas , dans ces pages rapides, ou les idees se hatent et se precisenteu de courtes phrases et de breves formules, un caractere de grandeur d'ame et de grandeur de raison unique peut-etre dans les annales de la science. Ces pages sont le legs sacre d'un genie qui , se sen- taut mourir avant d'avoir acheve sa tache, se tourne en mou- (1) Voyc7, la Notice tK^rrologiquc a la fin de ce nuni(5ro. TRAVAUX MATHEMATIQUES DE GALOIS. v'>67 rant vers riiunianite, comme par un instinct religieux, afin de s'acquitter en vers elle, en lui payant , pour droit de passage, son tribnt de verites nouvelles; ce sent les derniers restes de la pensee d'un homme mort sans avoir atteint sa grandein*, et deposes de sa propre main dans Turne funeraire qu'il a voulu lui-meme construiro. Son ageetait encore surleseiiildel'enfance, et son genie commencait h peine k se debarrasser des entraves qui arretaient le cKploiement de sa force ; et dejh cependant son nom etait devenu une esperance, et laissait entrevoir un suc- cesseur aux malhematiciens de I'erapire. La tourmente politique qui Tavait precipite au milieu des dissensions civiles promettait ens'apaisant dele rendrea retude;et, continuant dans lecalmede la meditation ses recherches d' analyse, il devait unir une partie de ses travaux avec les notres , et se charger dans ce recueil de la philosophic des sciences. L'avenir entr'ouvrait a peine devant lui I'espoir d'une carriere moins orageuse etplus philosophique , et tout a coup , au travers de cette fantaisie de reves et de projets , est venue la loi severe de la mort ; et maintenant plus rien que le silence des souvenirs. Nous avons recueilli avec une pieuse fide- lite tout ce qui reste de lui , et la publication de ses manuscrits sera le monument que nous eleverons a sa memoire. Que ce der- nier teraoignage d'affection et de respect lui suffise ; nous igno- rons aujourd'hui quels honneurs sont dus aux funerailles, et la piete de notre ame envers les manes de ceux qui ne sont plus est le seul culte que nous sachions leur rendre : il y a dans la mort un mystere de Dieu devant lequel notre pensee s'incline , et si elle se sent religieuse, c'est surtout en presence de ceux qui sont frappes contre toute raison humaine; car elle se sent alors sous quelque chose de plus grand quelle , qui la confond et la do- mine. La lettre qui suit nous a ete adressee par I'interniediaire de M. Auguste Chevalier, le plus proche ami de Galois, qui a bi^n voulu nous adresser en meme tems une courte Notice sur la vie deson ami. Getle vie est courte, mais passionnee et pleine, et 57. 568 SCIKNCES. ellc moiitre avec line doulourciise evidence que les sciences , aussi bien que les lettres, ont leurs Gilbert et leurs Chatterton. LETTRE DE GALOIS. J'ai fait en analyse plusieurs choses nouvelles. Les unes conceriient la theorie des equations ; les autres, les fonctions integrales. Dans la theorie des equations , j'ai recherche dans quels cas les equations etaient resolubles par des radicaux ; ce qui m'a donne occasion d'approfondir cette theorie , et de decrire toutes les transformations possiljles sur une equation , lors meme qu'elle n'est pas soUil)le par radicaux. On pourra faire avec lout cela trois Memoires. Le premier est ecrit; et, malgre ce qu'cn a ditM. Poisson, je le soutiens , avec les corrections que j'y ai faites. Le second co-ntient des applications assez curieuses de la theo' rie des equations. Voici le resume des choses les plus impor- tantes. 1" D'apres les propositions 11 el III du premier Memoire, on voit une grande difference entre adjoindre "a une equation une des racines d'uue equation auxiliaire on les adjoindre toutes. Dans les deux cas, le groupe de Tequatiou separtage par I'ad- jonction en gronpes tels que Ton passe de I'un h I'autre par n\u: meme sidistitulion-, mais la condition que ces gronpes aient les memes substitutions n'a lieu certainement que dans le second cas. Cela s'appolle la decomposition propre. En d' autres tcrme:;, cpiai'd un groupe Cr en rontient un auUe H, le groupe Ct pent separtager en gronpes, que Ton obtienl cha- cun en operant sur les' pertnutations de H une meme substitu- tion ; en sorte que G = II-f-HS + HS'-i- TRAVAUX MATHEMATiQUES DE GALOIS. SGg Et aussi ilpeiit se decomposer en groiipes qui ont tons les me- mes substitutions, en sorte que G = H-^TH-{-T' H_h Ces deux genres de decompositions ne coincident pas ordinai- rement. Quand elles coincident, la decomposition est dite propre. II est aise de voir que quand ie groupe d'une equation n'est susceptible d'aucune decomposition propre , ou aura beau trans- former celte equation, les groupes des equations transformees au- ront toujoursle meme nombre de permutations. All contraire, quand le groupe d'une equation est susceptible d'une decomposition propre , en sorte qu'il se partage en M groupes de N permutations, on pourra resondre I'equation don- nee an moyen de deux equations : I'une aura un groupe de M permutations, I'autre un de N permutations. Lors done qn'onaura epuise sur le groupe d'une equation tout ce qu'il y a de decompositions propres possibles sur ce groupe, on arrivera a des groupes qu'on pourra transformer, mais dont les permutations seront toujours en merne nombre. Si ces groupes out chacuu un nombre premier de permuta- tions, I'equation sera soluble par radicaux; sinon, non. Le plus petit nombre de permutations que puisse avoir un groupe indecomposable, quand ce nombre n'est pasprenner, est 5, 4, 3. 4 2° Les decompositions les plus simples sont celles qui ont lieu par la metbodede M. Gauss. Comme ces decompositions sont evidentes , meme dans la for- me actuelle du groupe de I'equation, il est inutile de s'arreter long-temps sur cet objet. Quelles decompositions sont praticables sur une equation qui ne se simplilie pas par la methode de M. Gauss? J'ai appele primitives les equations qui ne peuvenl sc siinpli- 5'JO SCIENCES. fier par la methode de M. Gauss; non que ces equations soient reelleraent indecoraposables , puisqu'elles peuvent meme se re- soudre par radicaux. Corarae lemme a la theorie des equations primitives solubles par radicaux, j'ai mis en juin -1830, dans le Bulletin Ferussac, una analyse sur les imaginaires de la theorie des norabres. On trouvera ci-joint (i) la demonstration des iheoreraes sui- vans : i . Pour qu'une equation primitive soit soluble par radicaux , elle doit etre du degre p" ,p etant premier. 2. Toutes les permutations d'une pareille equation soiit de la forme k .1. m I' ak-\-bl-\-cm -\- i-a, k-\-hy l-{-c , m-^....-\-g.... ky I, m .... etant t" indices, qui, prenant chacun p va- leurs, indiquent toutes les racines. Les indices sont pris suivant module p; c'est-a-dire que la racine sera la meme quand on ajou- tera a I'un des indices un multiple de p. Le groupe qu'on obtient en operant toutes les substitutions de cette forme lineaire contient en tout P" ip" — ^) ip" — p) iP" — P"") permutations. n s'en faut que dans cette generalite les equations qui lui re- pondent soient solubles par radicaux. La condition que j'ai indiquee dans le Bulletin de Ferussac pour que I'equation soit soluble par radicaux est trop restreinte ; il y a pen d'exceptions , mais il y en a. La derniere application de la theorie des equations est relative aux equations modulaires des fonctions elliptiques. (1) Dan.s les inanusrriu de Galois, que nous publicrons. TRAVAUX MATHEMATIQUES DE GALOIS. 5'] I On sait que le groupe del'equation qui a pour racines les sinus de Tamplitude desp^ — i divisions d'une periode est celui-ci : par consequent Tecjuation modulaire correspondante aura pour groupe , I ck-\-dl Danslaquelle — pent avoir les /9-|-1 valeurs 00 0 A 2....p— 1. Ainsi en convenant que k peut etre infini , on pent ecrire sira- plement ""k '^ak -4- h ck-i^d En donnant a a b c d toutes les valeurs , on obtient {p—{- ^) p(p — 'I ) permutations. Or ce groupe se decompose ^ro^remeraf en deux groupes , dont les substitutions sont ck-\-d ad — be etant un residu quadra tiq^ie dep. Le groupe ainsi simplifie est de (^p ^^\)p. — — permutations. Mais il est aise de voir qu'il n'est plus decomposable propre- ment , k moins que p = ^, ou p = 7>. Ainsi, de quelque raaniere que Ton transfonne I'equation, son groupe aura toujours le meme nombre de permutations. Mais il est curieux de savoir si le degre peut s'abaisser. 572 SCIENCES. Et d'abord il ne peut s'abaisser plus has que p , puisqu'une equation dfe degre moindie que p ne peut avoir p pour facteur dans le nombre des permutations de son gronpe. Voyons done si I'equation de degre ^-|- 1 , dont les racines xj^ s'indiquent en donnant a k toutes les valeurs, y conipris I'inlini , et dont le groupe a pour substitutions k ak —I— h ck-\-d ad — be etant un carre , peut s'abaisser au degre p Or il faut pour cela que le groupe se decompose ( iiupropre- p—i ment, s entend ) en p groupes de (p -h i) — ^ — permutations cbacun. Soient o et co deux lettres conjointes dans Tun de ces grou- pes. Les subslitutiens qui ne font pas changer o et 00 de place seront de la forme : ^k "^m^k. Done si M est la lettre conjointe de 1 , la lettre conjointe de T/i* sera /n*7l/. Quand 31 est un carre, on aura done ilf^^l. Mais cetle simplification ne peut avoir lieu que pour^ = 5. p—^ Pour p = 7 on trouve un groupe de (jwH- 1 ) —^ — permuta- tions, oil CO i 2 4 ont respectivement pour lettres con- jointes 0 3 6 5. Ce groupe a ses substitutions de la forme .r , X k — b A a k — c b etant la lettre conjointe de c , et rt une lettre qui csl rcsidu ou non residu en mcme terns que c. TRAVAUX MATHEMATIQUES DE GALOIS. 5']3 Pour » = 11 les memes substitutions auront lieu avec les m^mes notations, 00-1 5 4-59 ayant respectiveuient pour conjointes 0 2 6 8 10 7. Ainsi pour les cas de /? = 5, 7, 'I i I'equation modulaire s'a- baisse au degre;;. En toute rigueur, cette reduction n'est pas possible dans les cas pluseleves. Le Iroisieme Memoire concerneles integrales. On sait qu'une somme de terraes d'uoe meme fonction ellip- tique se reduit toujours a un seul terme, plus des quantites alge- briques ou logavillimiques. II n'y a pas d'autres fonctions pour lesquelles cette propriete ait lieu. Mais des proprietes absolument serablables y snppleent dans toutes les integrales de fonctions algebriques. On traite h la fois toutes les integrales dont la differ en tielle est une fonction de la variable et d'une meme fonction irrationnelle de la variable, que cette irrationnelle soit ou ne soit pas un ra- dical, quelle s'exprime ou ne s'exprirae pas par des radicaux. On troiive que le nombre des periodes distinctes de Tintegrala la plus generate relative a une irrationnelle donuee est toujoars un nombre pair. Soit 2« ce nombre, on aura le theoreme suivant : Une somme quelconqiie de termes se reduit a 72 tennes, plus des quantites algebriques et logarilhmiques. -Les fonctions de premiere espece sont celles pour lesquelles la partie algebrique et logarithuu'que est nuUe. II y en a n distinctes. Les fonctions de scconde espece sont celles pour lesquelles la partie complementaire est purement algebrique. 574 SCIENCES. II y en a n distinctes. On pent supposer que les differentielles des autres fonctions ne soient jamais infinies qu'une fois pour ar^a, et de plus que leur partie complementaire se reduise a un seul logarithme, log. P , P etaut une quantite algebrique. En desiguant par n (^ , a ) ces fonctions , on aura le theorerae U{xya) — Yliay x) = llf a-^ X, y a et '^ X etant des fonctions de premiere et de seconde espece. On en deduit , en appelant IT ( « ) et ^ les periodes de n {x:,a) et ji x relatives a une meme revolution dear, Ainsi les periodes des fonctions de troisieme espece s'exprlraent toujours en fonctions de premiere et de seconde espece. On pent en deduire aussi des theoremes analogues au theo- reme de Legendre » E' Y" E" F' = " ^/ — I . La reduction des fonctions de troisieme espece a des integrales definies, qui est la plus belle decouverte de M. Jacobi, n'est pas praticable, hors le cas des fonctions elliptiques. La multiplication des fonctions integrales par un nombre en- tier est toujours possible, comme I'addition, au moyen d'une equation de degre n dont les racines sont les valeurs a substituer dans I'integrale pour avoir les termes reduits. L' equation qui donne la division des periodes en p parties egales est du degre^ ^'^ — \ . Son groupe a en tout ^pi " — A Q)^ " — p\^ . /p'i ■■ — ^2 u — j \ permutations. L'equation qui donne la division d'une somme de n termes en J TRAVAUX MATHEMATIQUES DE GALOIS. 575 p parties egales est du degre p *". EUe est soluble par radi- caux. De la transformation. On peut d'abord, en suivant des raison- neniens analogues k ceux qu'Abel a consignes dans son dernier memoire, demontrer que si dans une merae relation entre des in- tegrales on a les deux fouctions, / 4>(jf,X) ) La pratique de la chariLe cessera d'etre individuelle : on I'aura elevee provisoircment comme ailleurs au rang des opera- tions administralives. )) Des bureaux de bienfaisance institues de par le rui auront surgi, avec leurspresidens, leurs proces-verbaux de deliberation, el leurs cartes imprimees. Les infirmitosella vieillesse serouten- registrees avec soin. On etablira des categories de souffrance et de douleur. Celui qui aura une infirmile ou une anuce de moins que MOEURS DU LEONNATS. 585 ne le porte le reglemeiit, rie sera pas iiiscrit sur !a liste, et sera mis a la porte. A riudigent privilegie , on aura le droit de re- procher son chien, sa pipe cassee, et le luxede ses propres au- moues, si, presse par le souvenir de ses peres, il rompt son mor- ceau de pain avec le malheureux qui passe. Heureux encore , lorsqu'au lieu de I'iuquisition des coinmissaires charitables, il verra quelquefois entrer dans son taudis des dames qui du moins airaeront k se parer de leur pitie officielle presque autant que de leurs toilettes de bal. » Bons Leonnards, vous subirez cette epreuve, et etisuite Oh! ensuite, vous espererez comrae nous qui vivons dans cet avenir, et qui cependant ne consentirions pas a I'echanger centre voire present. » $ II. Hospitality. — Histoire de Roie-le-Fur , raconte'e par un nwnJianl. Vous qui tiaversez leLeonnais, et que le froid ou la faim ont surpris , approchez sans crainte, laissez votre baton de voya- geur "a la porte de la cbaumiere, et allez vous asseoir au milieu de la faraille leonnarde a I'heure du repas. Les pauvres sout « les botes de DieuM ; jamais une voix rude ne les repousse du seuil : aussi ne s'arretent-ils point timidement k la porte ■. ils entrent avec confiance, enlaissant tomber ces mots : « Que Dieu benisse ceux qui sont ici ! » — « Et vous meme » , repond le maitre de la maison en montrant une place au foyer : le porte-liaiilons s'as- sied ; le feu d'ajonc et de genet est ranime ; on decbarge le men- diant de son Ijissac , qu'il ne repreridra que pesant de dons nou- vtaux. Et il commence a payer I'hospitalite de son bote en lui racontant ce qu'il a appris dans ses dernieres courses. II lui dira si le recteur de Blespaul ou celui de Guiclan est malade ; si les bles de Ploiineow sont plus avances que ceux de Taule; si la 586 VARIETES. toile s'est bien vendue au dernier marche de Landernau. Parfois aussi il saura lui rappeler lui remede utile , il lui parlera du pe- \enr\agea. Saint-Jean-du-Doigt, pour g^erir le mal d'yeux. II I'engagera a s'aller niettre sous la fontaiue de Saint-Laurent yionr se preserver des douleurs rhumatismales. Aux penneres (\), il indiquera quelles sont les fontaines dans lesquelles on va jeter ime epingle de son justin, et comment on se marie dans I'aunee lorsque I'epiugle tombe la pointe en bas. II racontera combieu il y avait de jeunes filles assises sur le pont de Pinze, a la Saint- Michel; combien de jeunes gens sont venus chercber desepouses "a cette foire de femmes, et combien de manages s'en sont suivis. II saura de plus clianter les dernieres complaintes qui out ete faites a Morlaix sur le naufrage des huit douaniers pres de Ker- laudj, on sur I'assassinat du meunier de Ponton car le men- diant est le barde de \a Basse-Bretagne , c'est le porte-nouvelles, le commis-voyageur de cette civilisation toute patriarcale. Na- guere encore il partageait avec les tailleurs de campagne , autre espece de nouvellistes nomades, la fonctioa de porter les pre- mieres propositions de mariage. C'est aussi le mendiant qui a le plus retenu de ces recits prestigieux que le Leonnard aime a ecouter pendant ses soirees d'hiver aupres de son large foyer. Nous nous sommes souvent rappele I'iiapression que fit sur nous luie de ces bistoires miraculeuses que nous entendimes une nuit que la cbasse et le mauvais tems nous avaient amenes dans une ferrae du liConnais. Nous la rapportons ici sans addition ni retrancberaent ; mais malheureusement, traduite, redigee, de- pouillee de la sauvage energie dulangage hreton, de racceutua- tion rauque et aceree du mendiant, et surtout de I'ctrangete saisissante que lui pretait cette demi-lueur du foyer , ces groupes effrayes d'enfans et de femmes , et cette voix solennelle de I'bomme deguenille, tandis qu'au debors un veritable orage rugissait , ()) Jeunes filles "a inaruT. MQEURS DU LEONNAIS. 5^7 que les eclairs jaillissaient entre les fentes de la chaurniere , et que le toil craquait sous le vent : EXORDE. In nomine pain's , etfilii, et spiritus sancti. « Je prie Dieu le pere , Jesus-Christ son fils, ainsi que le Saint - » Esprit, de me donner la parole qui persuade, afi.n que vous « puissiez, jeunes gens et jeunes filles, tirer profit de Thistoire » veritable que vous allez entendre. Puissiez-vous y songer, car 1) un bon souvenir suffit quelquefois pour sauver son ame. Amen. LE DRAP MORTUAIRE. R^CIT. » II y avait autrefois a Plouescat une jeune fille nommee Rose- n le-Fur; belle comrae la naissance du jour, et aussi pleine d'es- o prit qu'une demoiselle qui sort du convent. » Mais les raauvais conseils I'avaientperdne. Rose etaitdeve- » nue aussi legere qu'une paille d'avoine, volant partout on I'em- M portait le vent du plaisir ; ne revant que pardons , flatteries de » jeunes gens et beaux atours pour rendre les coeurs malades. On )) nelavoyait plus aux eglises, ni au confessionnal ; al'heuredes » vepres, elle se promenait tenant ses amoureux par le petit doigt, » et raeme k la Toussaint elle n'i!;tait pas venue prier sur la » tombe de sa mere. » Dieu punit les mauvais fils; enfans, ecoutez I'histoire de » Rose-le-Fur de Plouescat. n G'etait un soir bien tard elle elait allee h la veillee loin » de chez elle, pour ecouter des complaintes autour du foyer. 588 " VARIETES. )) Elle revenait seule, repetant tout has une chanson que Iniavait » apprise un jeune Roscopi'te. Elle arriva pres dii cinietiei'e, et » raonta les marclies aussi gaie que Toiseau au mois de mai. » Corame elle passait I'escalier, minuit sokna! Mais la » jeune fille ne pensait qu au beau Roscouite qui lui avail appris )) une chanson. Elle ne fit point le signe de la croix, ne mur- » mura point une pricre pour ceux qui dormaient sous ses pieds ; » elle traversa le lieu saint, bardie comrae une mecreante ! )) Elle etait dejh vis-k-vis la porte de I'eglise , lorsqu'en jetant » les yeux autour d'elle, elle vit que sur toutes Ics tpmbes il y » avait un drap blanc releuu aux quatre coins par quatre pierres , » noires. La jeune fille s'arreta Elle etait dans ce moment )) devant la tombe de sa mere. Mais au lieu d'eprouver une sainte « epouvante, poussee par le demon , Rose se baissa, prit le drap » morluaire qui etait sur cette fi^sse, etl'eniporta avecelle dans sa )) maison. )) Elle se coucha, et fermabientot les yeux ; mais voilb qu'un » songe horrible vint dormir kses cotes. » Elle croyait se trouver etendue dans un cinietiere. Une tombe )) s'ouvrait devant elle, une main de squelette en sortait, s'eten- » dait de son cote, et une voix lui disait : Rends-moi mon drap » mortuaire, rends-moi mon drap mortuaire! Et en meme » tems la jeune fille se sentait cntrainee vers la tombe par une » puissance invisible. >j Elle se reveilla en jetant un grand cri. Trois fois elle s'en- » dormit, et trois fois elle fit le meme reve. 5> Quand le jour vmt, Rose-le-Fur, Teffroi dans le coeur et » dans les yeux , courut chcz le rectew, et lui raconta ce qui lui )) etait arrive. » Elle lui fit toute sa confession, et elle pleura ses fautes, car » elle sentait alors qu'elle avait peche. » Le recteur etait un veritable apotre, bon pour le pauvre et » doux de parole; il lui dit : Ma fiile, vous avez profane les tombes. MCEURS DU LEONNAIS. 58^ » Ce soir a minuit allez au cimetiere, et remettez le drap mor- » tuaire ou vous I'avez pris. « La pauvre Rose se rait a pleurer, car tonte son audace etait )) tombee; mais le recteur lui dit : Ayez bon courage, je serai » dans I'eglise, priant pour vous; vous enteudrez ma voix du « lieu ou vous serez. » La jeune fille promit de faire ce que le pretre ordoniiait. » Quand la nuit fut venue , vers I'heure indiquee , elle se rendit » au cimetiere. Sesjambes tremblaient sous elle, ettout tournait )) devant ses yeux. Comme elle entrait, la lune se voila tout » A COUP, ET MINUIT SONNA!.... » Pendant quelque tems on n'entendit rien... » Enfin le recteur dit k haute voix : — Ma fille ou etes-vous? » prenez coui'age, je prie pour vous. » — Je suis pres de la tombe de ma mere , repondit une voix » faible etlointaine — Mon pere ne m'abandoanez pas. » II y eut im silence. » — Prenez courage , je prie pour vous , dit encore le pretre a » baute voix. » — Mon pere; je vois les tombes qui s'ouvrent et les morts » qui se levent. « Gelte fois la voix etait si faible qu on eut cru quelle venait » de bien loin a iravers I'espace. 3> — Prenez courage , repeta le ben pretre. )) — Mon pere! mon pere! murmura la voix devenue encore )) plus faible, les voila qui etendent leurs draps mortuairessur les » tombes.... Mon pere , ne m'abandonuez pas. » — Je prie pour vous, ma fille... que voyez-vous? » — Je vois la tombe de ma mere qui se leve; la voila, la » voila — mon pere » Le pretre preta Toreille pendant un instant, il ne saisit qu'un « murmure lointain et inexplicable. Tout a coup un cri se fit en- « tendre; un grand bruit, counne celiu" de plus de cent pierres 59 O VARIETES. )) sepulcrales qui retombaient , retentit dans la nuit; puis tout se » lut. )) Le recteur se jeta a genoux, et se mit a prier de toute son )) anie , car la terreur etait aussi entree dans son coeur. J) Mais le lendemain on ohercha en vain Rose-le-Fur. Rose-le- » Fur ne reparut plus ; la tombe de sa MkRE s'^tait ferm£e » sun ELLE. MORALITY. « Ainsi, jeunesfiUesetjeunesgens, quecettehistoirevous serve « d'exeniple.Soyez pieux enveis Dieu, et aimez vos parens, car » la punition frappe toXijours les tetes legeres et les mauvais « cceurs. Nous avons entendu beaucoup d'autres recits serablables qui sont populaires dans le pays , et nous en avons ecrit quel- ques-uns ; mais il nous semblc qu'ainsi transformes ils perdent presque tout leur merite, et ne valent meme plus les contes de pure invention. § in. 3/orls et funerailles. — Sermons, — Discoursfanatique. de Joan de Guiclan. Aucune des circonstances de la vie du Le'onnard n'cst em- preinfe d'autant de religiosite que sa mort. G'est arrive au terme de toutes ses miseres , sur le seuil du monde ou ses esperances vonts'acconipllr, qu'il s'entoure de toutes ses croyances et decou- vre toute sa nature de cbrelien. La science est assez rarement appelee par lui au secours de la nature. H y a peu d'annees que Ton se sert de raedecins dans les campagucs, encore la confiance en eux est-elle loin d'etre generale : quelques remedes tradition- nels , des pricres , des messes dites a la paroisse, des vceux aux saints les plus connus , tels sont les specifiques ordinairement MOEURS DU LEONNAIS. 5^1 employes. Chaque dinianche, a I'heure des offices, on voit des ferames , les yeux rouges de larmes , s'avancer vers Tautel de la Fierge, avec des cierges quelles allument et qu'elles y depo- sent : ce sent des soeurs, des meres, des epouses , qui vienuent demander la vie d'un etre cheri qui se meurt, a la ferame celeste qui, comme elles, sut ce que coutent les larmes versees sur uu cercueil. On pent dire, en comptant ces cierges qui brulent sur I'autel d'une lumiere pale , combien il y a dans la paroisse d'ames pretes a quitter la terrc , combien de maisons on Ton ecoute avec terreur le rale d'un agonisant , combien d'epouses qui attendeut le nom desole de veuve. Nous n'avons jamais vusans un melange de terreur et de pitie cette annonce muette d'agonie , placee .1^ comme pour nous rappeler "a tons que la raort est proche, et pour nous avertir de la faiblesse et des douleurs liumaines. Des que les souffrances du raalade out pris un caractere mor- tel , la famille s'agenouille autour de son lit , et le plus vieux repete a haute voixla prieredes agonisans. Lepretre vient, et lui confere les derniers sacremens. Le mourant les recoit generale- ment avec calme : retire au fond de lui-meme et en presence de son Dieu , il meurt au bruit des prieres , pauvre comme il a vecu, mais soutenu par la foi que son entree dans I'autre monde sera eclatante , et qu'il trouvera k la porte de la vie eternelle 1' au- reole d'etoiles. La douleur de la famille est grave et sainte. Du reste le Leonnard ne fera rien pour eviter I'image de sa destruc- tion. Dur a sa pauvre ame comme a son corps , il ne reculera pas plus devant la souffrance morale que devant la fatigue on le danger. Tandis que Thorame des villes esquive ses regrets , fraude ses larmes au sort , et fuit tout ce qui pent meurtrir son cojur brise , le pauvre paysaii breton , lui , se placera franchement devant sa douleur, il la recevra lui-meme sans clierclier a la faire congedier par office de valet ; il la regardera en face et long-tems. Fermez vos portes pour ne point entendre le tumulte du convoi , faites taire la voix des pretres : lui , il ne quittera point la chambre on dort le cadavre ; il verra allumer les cier- 592 VARIETES. ges, coudre le suaire , clouer la chasse; et quaud les fossoyeurs viendront , il se levera pour les suivre ; il ir^ les cheveiix epais a la suite du corps; il enteudra la terre tomber lentementsur le cercueil , et ne se retirera que lorsque tout sera teriuiue, lorsque le pretre aura dit : Lajjaix soit avec vous ! II n'y a rien sousle ciel de plus dechirant que cette courageuse tendresse d'un pau- vre abaiidonne , couduisant lecadavre qu'ilaimajusqu'hla fosse. Ce luxe dedouleur a quelque chose qui saisit le caur et le brise. C'est devant de tels enterremens que Ton se sent encore entraine a decouvrir sa tete et a flechir le genou ; car qui oserait afScher I'iucredulite ou la raillerie devant les yeux de cet homme qui n'a plus d'espoir que dans lescroyances de remuneration et d'im- mortalite ? All jour des Morts, le lendeinain de la Toussaint, la popula- tion entiere se leve sombre et vetue de deuil ; c'est la veritable fete de famille ; I'lieure des commemorations et la journee presque entiere se passe en devotions. Vers le milieu de la niiit , apres un repas pris en commun, on se retire; mais des mets sont laisses sur les tables ; car une superstition touchante leur fait croire qu'a cette heure , ceux qu'ils regrettent se leveront des cimetieres , et viendront prendre sous le toit qui les a vns naitre leur repas annnel. Toutefois cet usage a deja disparu dans quel- ques endroits. D'apres tout ce que nous venons de dire , on concoit facile- ment quelle doit etre I'iufluence des pretres en Basse-Bretagne. Mais il faut reconnaitre que ceux-ci ont generalement ce qu'il faut pour conserver sur la masse leur haute puissance ; car qui jugerait le clerge leonuard par le clerge des villes, frais courti- san , beau diseur , se tromperait etrangement. Les pretres bretons, sortis hier de la charrue , laissant encore entrevoir sous I'aube le grossier sayon du bouvier , ont la voix rauque et les mains dures. Couverts de grossieres soutanes , en souliers ferres et le baton a la main , ils vont par les routes fangeuses , K Iravers les bruyeres inaccessibles , porter aux malades le viatiqu<\ MQEUBS DU LEONNAIS. 5c)3 aux morts les prieres de la redemption. Ignorans comme ces pe- cheiirs qui quilterent leurs filets poui' devenir des pecheurs d'homines , ils ont aussi comme eux la foi qui aimante la parole et lui donne la puissance du tonnerre ; rien ne peut faire com- prendre, a qui n'a point assiste a un sermon breton , I'autorite de ces homraes une fois places surla cliaire. La foule jDalpite, gemit sous leur parole, comme la mer au souffle de I'orage , et assurement ce ne sontpas de ces pleurs calnies qu'on essuie avec un mouchoir de batiste , tels qu'on en voit aux sermons de nos tbeatres ca- tholiques; ce n'est point ime admiration ou un attendrissement litteraire , qui fait joindre les mains pour applaudir, plutot que pourprier ; non... c'estla componction et lerepentir, dans leurs demonstrations les plus energiques ; ce sont des ruisseaux de larmes, des sanglots, des cris \ ce sont des liommes de peine, des homraes de fer mugissant leur douleur, et frappant de leurs poings robustes leurs robiistes poitrlnes ; ce sont des femraes le visage contre terre , se repentant JHsqu'h mourir, et criant raerci a cetle voix terrible , qui tombe d'en liaut , en repetant deux mots qui font frissonner leurs chairs : damnation , e'term'te! l\ est rare que Ton n'eraportc pas, pendant le cours de ces sermons, plusieurs d'eiitre elles entierement evanonies. Nous avons vu un malheureux qui etalt devenu fou a la suite d'une retraile faite a Saint-Pol-de-Leon , oii les sermons , I'isole- raent et son exaltation naturelle I'avaient jete dans une sortc de delire fanatique effrayant, mais curieux. Jamais nous ne pour- rons oublier I'etrange scene dans laquelle nous avons eu occa- sion d' observer cette folic , d'un genre si nouvean pour nous. C'etait un dimanche, au petit bourg de Penze (commune de Taule), dont c'etait ce jonr-lhle^rtrJo/i. La reunion etait nom- breuse , on dansait sur la greve. Nous ignorons si la vue d'une danse villageoise fait sur tons la meme impression ; mais il nous parait qu'autant un bal de grand monde trouble, enficvre, autant ces fetes au grand air rafraichissent le sang. Comme d'autrcs , nous avons eprouve le 594 VARIETES. cliarme prestigieux des danses de la vUle, nous avons bu avec avidite cette atmosphere de parfums et d'haleines de femmes qui enivre de desirs ; mais toujours ce delire passager nous a laisse un vide, un malaise du corps et de Tame, uue sorte de triste ennui. La daiise de village au contraire! la danse enplein vent, avec I'air sale des greves a respirer a pleine poitrine! oli ! quelle diffe- rence ! que cela est pur, gai, bienfaisant! Ih rien de I'air devo- rantdes salons ; plus de robes de soie dont le frolement bride, de Toix qui s'insinuent de I'oreille au coeur , de mains satinees qu'on neffleure qu'en frissonnant — Le ciel! le ciel de Dieu sur vos tetes avec son beau et clair soleil, le parler baut et rieur des paysannes, les vetemens de bure, les mains brunies dans vos mains! — Et quel moyen que Tame alors s'accroupisse sur des pensees de canape et d' alcove? tout est si vaste, si serein au- tour de vous; la tout sent la presence de Dieu, tout est saint de la naive joie qui vous entoure ! Nous nous elions assis pour regarder la danse des Taule'siens. L'un de nous deux, depuis long-tems etranger a la Bretagne, trou- vait surtout dans ce spectacle un charme particulier. Nous nous amusions h suivre des yeux des enfans qui tenaient a la main de longues branches d'ajonc, fleurs auxepines desquelles ils avaient fixe, selon T usage du pays , de petites marguerites des champs; et, reveurs, nous sourions, parce que nous nousetions dit : «Oii done est Claude Tarin? car voici un symbole, la fleur de I'araour entee sur les epines de la douleur » ; lorsqu'il se lit tout a coup un mouvement dans la foule, le haut-bois se tut et la danse s'arreta. Nous eiilendimes circuler un nom qui nous frappa, celui de Joan de Guiclan. On I'avait deja prononce de- vant nous la veille. Get insense allait partout prechant la morti- fication, la penitence, en se jetant au travers des joies de la vie, corame un messager de mort. Une dame du pays nous avait ra- conte que cet homine etrange vivait depuis plusieurs annees sans maison, saus amis, sans famillc. II allait enseigiiant la parole de Dieu dans les bourgades, couchant aux pieds des croix de pierre. MOEURS DU LEONNAIS. 5^5 qui s'elevent aux carrefours des routes , ou sur le seuil des cba- pelles isolees ; ne recevant d'aumone que ce qu'il fallait pour nourrir sa faim, et rejetant avec dedain I'argent qu'on lui offrait. Jamais, depuis sa folie, sa main nes'etait etendue pour deraander ouserrerune autre main. Jamais una parole autre que celle de saints conseils ou de prophetiques menaces n'etaittombee de ses le- vres. Par les nuits d'hiver les plus sombres, les plus fi'oides, lors- que le givre ou la neige Tavaient surpris dans quelque cberain desert et I'empechaient de dormir sur son lit de pierre , il restait debout, le chapelet a la main , et cliantant a haute voix des can- tiques en langue bretonne. Souvent, le paysan attarde avait e'n- tendu de loin cette voix religieuse et etrange, et avait fait re- brousser chemin a sa monture avec effroi. On ajoutait dans le pays qu'une prescience miraculeuse avait ete accordee a Joan , par les intelligences celestes, et qu'a I'heure ou la mort frappait a la porte d'une maison, le fou la precedait toujours, criant : Penitence ! penitence ! Ces details et beaucoup d'autres nous revinrent a la memoire, et nous eprouvames un interet de cu- riosite difficile a decrire, quand eut retenti dans la foule le nom du fanatique de Guiclan. Aussi nous nous empressames de penetrer jusqu a I'endroit ou il etait. Nous I'apercumes bientot debout, sur les murs noircis d'une maison brulee quelques an- nees auparavant. C'etait un homrae grand, pale et maigre; ses cheveux couv'raient ses epaules, et il roulait des yeux ha- gards et sauvages sur la foule qui renlourait. Ses gestes etaient frequens et saccades, il secouait souvent la tete a la maniere des betes feroces, et alors sa criniere noire, qui voilait en partie son visage, lui donnait une physionoraie terrible. Sa voix rauque et tonnante preuait parfois cette accentuation timbree particuliere a I'accent breton, mais c'etait pour pen de tems. Son dis- cours, qui roulait sur les dangers de la danse et sur la necessite de fuir les plaisirs du mondf , ne fut d'abord qu'une reminis- cence assez plate de ce que nous avions entendu vingt fois dans les eglises de campagne. Mais iusensiblement I'exaltation des- 596 VARIETES. cenditen lui, et Tenthousiasme donna a sa parole une energie qui nous subjugua nous-memes. Nos bras se resserrerent I'un cen- tre I'autre ; c'etaient des images vives et poetiques, des apostro- phes remuantes, mie ironie aigue, brulale, toujours portee an cceur, et mai'quant comme un fer chaud. II montra "a la foule des danseiirs la maree qui coramencait a monter, et dont les grands Hots allaient effacerles traces queleurs pieds avaient imprimees sur le sable. II compara cette mer qui autour de leur joie grondait coiume uue menace, a Teternite, murmurant sans cesse, autour de leur vie, un avertissement terrible. Puis, par une transition brusque et triviale, adressant la parole h un jeune homme qui se trouvait devant lui : Bonjour h toi, Pleire,dil-'\l , honjour a toij danse et ris, monjils, te voilh a la place oil roii a troiiceilj a deux ans le corps noje de ton frere. II continna sur le meme ton, appelant cliacun par son nom, renuiant an coeur de tons les souvenirs les plus poignans, et les detaillaut avec un soiu fe- roce. Cela dura loug-tems et sans que cette raillerie incisive s'a- doucit un scul instant. L'indignatiou > Temotion , Fhorreur tor- daient le cceur a entendre ces sarcasmes aiguises comme des pointes^dc poignard, et qui fouillaient dans la vie de cbacun pour y chercher une cicatrice a r'ouvrir. Enfiu, qulttaut les per- sonnalites, il parla des punitions reservees au pecheur, et, pre- tant a Dieu la peusee d'une horrible ironie , il annonca a ceux qui, sur la terre, avaient aime les enivremensde la danse et des fetes, une danse eternelle formee au milieu des flammes de I'en- fer. II depeiguit cette ronde des damnes, emportes pendant des millions de siecles, dans un cercle immuable de souffrances tou- jours renaissantes, au bruit des pleurs, des sanglots, des grince- mens de dents. Nous nous regardioris avec surprise; car de notre vie nous n'avions rien entendu de plus saisissant , de plus ef- froyablement beau , que cette description melee d'eclats de rirc , d'impi'ccalions, de prieres, d'imag^s flamboyantes... — La foule haletait. /oanopposa ensuite "a cette terrible description une peintiirc M(»:URS DU LEONNAIS. 097 Ju bonheiir des elus. Mais ses expressions etaient faibles et de^ colorees; il ne retrouva quelque entrainement qu'en parlant de la necessite de se mortifier et d'offrir a Dieii ses souffrances. II fit alors i'histoire de sa vie avec une simplicite si large, si luajes- tiieuse , qu'on eut cm entendre une page des Ecritures. 11 conta comment il avait perdu sa fortune, ses enfans, sa femme, et a chaque perte racontee il s'ecriait : « Cela est bien , mon Dieu , que ton saint nom soil beni! » La foule fondait en larmes. II ajouta des conseils a ceux qui I'ecoutaient, des exhortations ala penitence; enfin s'exaltant de plus en plus, il raconta comment les pertes qu'il avait faites lui avaient paru trop pen de chose pour expier ses fautes. Jesus-Christ lui etait apparu en songe, et hii avait dit : — Joan , donne-moi ta main gauche, k moi qui ai doune ma vie pour te sauver. — Seigneur, elle est a vous , avait repondu Joan. — Et j'ai rempli ma promesse , s'ecria-t-il en elevant au-dessus de sa tete son In-as gauche, que jusqu'alors nous n'avions point apercu On vit un moignon entoure de linges sanglans. Un raurinure d'ctonnement et d'effroi s'eleva partout ; les ferames cachaient leurs yeux de leurs mains. — Qui a pevu", qui a peur! s'ecri.i le malheuveux, dontla ve- hemence serablait toujours s'accroitre... J'ai rendu a Dieu ce que Dieu m'avait donne. Damnation siu' vous, si I'ceuvre faite par I'ordre du Christ vous fait faillir le coeur Voycz, voyez , c'est le Christ qui I'a vouln; voila ce que j'ai fait pourl'amourdu Christ ; et le malheureux arrachait avec un transport epileptique les linges qui entouraient sa blessure , et secouait son moignou decouverl sur la foule. II fit jaillir un demi-cercle de sang a vingt pas- sur toutes les tetes. Un long cri d'horreur retentit de toutes parts.. . Une partie des spectateurs s'enfuit epouvantee. Quelques honimes se preci- pitcrent sur le mur pres de Joan , et le porterent ;i la chaumiere voisine prcsque evanoui. TOME LV. SEPTEMBRE 1852. 39 5(jS VARIETES. Nous quiltames la gieve en silence , agites et tremblans : nous venions d'apprendre te que c'est qu'un fanatique. Ce dernier trait de mceurs du Leonnais fit sur nous une im- pression d'autant plus vive que nous etions obliges de retourner sur-le-champ, Tun dans la haute Bretagne, h Nantes, I'autre a Paris. Jusque-lk nous avions volontrers cede an plaisir d'obser- ver ce mondc a part, surtout sous son aspect le plus favorable. Desormais nous etions condamnes a ne plus songer qu'avec une admiration et une repugnance egales a ces vertus et a ces vices d'un age qui heureusement est loin de nous , a cette soumission aveugle aux lois d'une superstition que nous avions vue douce et bienfaisante au jour de notre arrivee , terrible et cruelle au jour de notre depart. Le lenderaain il fallut nous separer : nous nous sentions en- core vagnement preoccupes de ces etranges souvenirs du pays de Leon, alors que, sur le portde Morlaix, nos deux mains et nos deux voix se sont unies : adieu, Emile. — Edouard, adieu. SouvESTRE et Chartoiv. MELANGES. BU STSTEIHE M]^DITERRAN]^EN DE M. MICHEL CHEVALIER (1). Les deux premiers ctapitres de cette brochure e'tablissent en these ge'nerale que la paix vaut inieux que la guerre. — D'accord. — Lc troi- sieme s'escrime a de'montrer que la paix definitive doit etre fonde'e par I'association de 1' Orient et de 1' Occident , c'est-a-dire de Constantino- ple et de Rome, sous le sceptre de Paris . — C'est une question . — Enfin, la pe'roraison , remplie d'images poe'tiques et e'crite avec talent , celcbre a grand triomphe les cbemins de fer. On les voit, ces bicnheureux che- mins : c'est un re'seau tresse de capitale en capitale , brode sur toutes les mailles, jetc sur I'Europe, comme un filet sur une tete de blonde, et qui enlacerait dans ses noeuds se'ducteurs tous ces longs et ondoyans fleuves, prolonge's d'une part dans les montagnes en I'iviercs chevclues, en ruisseaux de'lies , ou bien confondant Icurs racines dans les eaux me'di- terrane'ennes. — Va poUr les chemins de fer; mais d'oii vient que I'au- teur les arrete a Bagdad , lorsque sa pretention est de happer lc globe cntier ? Pour prouver que dans lc triangle myste'rieux du Serai , dii Vatican et des Tuileries, couve I'ceuf des destine'es du monde , M. Clievalier jette en avanl quelqucs considerations sur V esprit et la matiere ; ce sont des sentinelles avance'es trop clair-semc'es pour s'y arreter, d'aulant {\) Systcme de la MddUei ranee , par M.. Michel Chet'alier; articles estraUs du Globe, avcc celte epigraphe : « La paix est aiijoiird'iuii la conJiiiou de I email cipation dps penples. » 39. 600 MELANGES. plus qu'elles semblent la plante'cs par pure politcssc. On voit que le corps principal dcs raisons roule sur les chemins de for; tout le reste est in- trus, ct ne serable pas de la parolsse. Ceux qui ne conuaissent pas sous quelle inspiration a c'crit I'auteur trouvcraient difficilcnicnt par quel lien logique il est conduit a dire que la paix dcjinitwe naitra coinme par enchantement lorsque les peuples et les rois , ay ant toiirne leurs faces vers la Medilerranee , auront c'tabli autour d'clle un vaste sys- teme dc chemins de fer. J'y supple'erai rapidement , ct je dirai de quel ordie d'ide'cs cela de'coule j le voici : La dualite du bien et du mal , repre'sente'e chez I'liomme par les sens et V esprit , seralt traduite dans riiumanite' par I'Orient ou Mahomet , expression dcs sens, et par I'Occident ou Je'sus , expression dc i'esprit. Des sens et de I'esprit , dc I'Orient et de I'Occident, decouleraicnt deux series de faits , deux natures d'hommes , e'galement utiles , mais incom- patibles. Ces deux natures et ces deux series de faits ayant ete jusqu'ici jete'es pelc-mele I'une avec I'autre, se heurtent a I'envi, se maculent, et se de'chirent a belles dents : de la, guerre etdouleur. Voulez-vous avoir la paix ct la joie ? Rien de plus facile. — Prenez une troisieme nature, qui surgit maintcnant tout expres , et qui , a la fois plus oricntale que I'Orient, plus occidentale que I'Occident , mette les sens en danse avec les musulmans, fasse avec les chreticns , au con- traire, assaut d'csprit ct de mortifications j qui, par cctte double nja- noeuvre, obticnne le matin d'etre cncensc'e par I'un, d'etre le soir adore'e par I'autre, et se carre aiusi , absolue comme le grand raogol ou bien le grand lama. Et, lorsqu'il sera dumcnt divinise , ce troisieme genre janusiforme appliquera ses soins a tenir isoleVs Tunc de I'autre les deux natures d'etres dont il exalte se'parement et seul a seul les gouts opposes ; il ne les harmonisera que dans sa personne. Puis , pour donnor le symbolc dc I'association universclle, il les re'unira de tcms a auire, dans son pa- lais, ou annulees par sa pre'scnce , par son c'clat ct sa grandeur , cllcs se feronl une concession momentane'e , absorbe'es dans I'adoration de leur raaitrecommun. Le nouveau genre est-il trouve? Je ne le crois pas; mais en atten- dant ( et nous voici aux chemins dc fer ) , comme les nations les plus avance'es des deux natures se soiit enlcnducs ])our habilcr les bords dc MELANGES. Cm la Me'diteirane'e , on voit que la Me'diterrane'e est le centre du monde , que tout sur la terre doit converger vers elle ; s'occuper d'elle est s'oc- cuper de tous. — Et comme le prince janusiforme ne pourrait e'videm- nient vivre sa vie que par des communications tres-rapides entre Saint- Pierre de Rome et la grande mosque'e , comme son pouvoir absolu de- mandcrait que la derniere pense'e de liberie' surgissant a I'autre bout de son domaine fut a 1' instant connue de lui, la consequence naturelle sera d'lionorer surtout la vitesse dans les relations des liommes , et de tout sacrifior a des chemins en fer de capitale en capitale , autour de la Me'- diterrane'e. S'il est vrai que le progres social consistea se'parer les deux natures, en les harmonisant en unc troisieme , j'aurais trouve' plus commode et plus logique, il me semble, de prendre conseil des Chinois : de batir un grand mur , bien liaut et bicn rugueux , qui , longeant lout un me'ridien de la terre , separeiait en deux I'Orient et I'Occident , de metti-e une nature a droite , I'autre a gauche j apres quoi le genre janusiforme eut galope sur le mur , jambe par-ci , jainljc par-la , ou bien encore eut con- struit ses palais sur des bateaux a vapeur j I'Oce'an fut devcnu son do- maine, et les deux parties du monde ses aubcrges. Je propose cela a M. Michel Chevalier, qui n'en aurait pas moms des deux cote's du mur le champ libre pour les chemins en fer qu'il a arretc's a Bagdad ; car je ne suis pas du tout le Croquemitaine des che- mins en fer. Les chemins en fer sont Ives-confortables ; faites des che- mins en fer, ctfaites-en beaucoup. Le budget du aux leuteurs diploma- liques subira une reduction palpable quand le tcle'graphe n'aura d'autre mission que de faire preparer les relais de charbon ; avec un pentagone de chemins en fer Ics cinq puissances de la confe'rence de Londres auraicnl de- puislong-tems leurs ratifications dans la poche, a la grande joie des chevaux de posteetau grand me'compte des courriers de cabinet; avec un simple chemin en fer, a une seule voie,de France a Jessore,le chole'ra nous au- rait peut-etre visile's plus tot, et nous aurait deja lourne les talons. Vivenl done les chemins en fer; mais, par Dieu, ce ne sont pas cux qui dis- tillent la morale humaine et sociale, et c'est eslimer les homraes bicn peu que d'allachcr, comme le fait M.Michel Chevalier, toutes leurs re- lations de paix et d'amour a quclques aunes de route et a quelques bois- seauxde charbon. C est la tout mon grief contrc ceUe brochure oil Ton af- 602 MELANGES. fiche la pretention de faire du grand , de faire plus que Mo'i'se , plus que Mahomet, plus que Je'sus, a I'aide de la double nature et du systetne me'diterrane'en. Tel systeme, excellent dans un easier des connaissances humaines, devient fort ecourte' quand on en fait unc panace'e universelle. — Quoi! vous convoquez les peuples et les rois a tourner leurs faces vers la Mediterrane'e ; la vous leur promettez des jours de miel et de sole tresses sur un rc'seau de cliemins de fer ; prenez done garde , c'est pour les commis vojrageurs que sera ce pays de Cocagne. Par Lucifer, Monsieur Michel , vous avez fait mieux que cela autrefois ; dormez un pen sur les deux oreilles , oubliez votre paradis , et , re'duit a des pro- portions plus humaines , vous imaginerez des systeraes plus vastes et plus vrais. Je concois bien qu'on puisse se laisser prendre de passion pour ce beau lit nuptial de la Mediterrane'e, corame I'auteur le dit e'le'garament. Pre- nez un jeune homme , Francais et brun; mettez-lui sous les yeux I'as- pect de nos provinces me'ridionales , pressees entre I'Espagne et I'ltalie comme la poitrine d'un grand corps , dont ces deux peninsules sont les bras ; des Pyrenees et des Apennins , faites-lui deux trones magiques , parfume's de souvenirs mauresques ou frcmissant sous de gracieux ac- cords ; puis qu'e'voquant ces ombres illustre'es dont on a berce ses an- nees de premiere e'tude, vous lui contournicz un panorama dans une procession fantasmagorique: oh Ijeleconfois, un peu de superstition lui gagne a la tete , et couvre la date du dix-neuvieme siecle par des nom- bres plus jeunes. On se prend a vivre au terns de Neptune et d'Am- phitrite, braves dieux empcrruque's ; on appelle la vierge du Tasse, a la rolje irisce, on s'embarque avec elie, et Ton s'en va sans boussole, mesurantde loin la crete de 1' Atlas qui supporte Ic ciel, saluant d'un sou- pir les restes douteux de Carthage I'opulente, et d'un soupir aussi Rome la ville eternelle qui n'est plus ; se hasardant a inlcrrogcr les cou- ches de siecles que Ic limon a de'posees aux sc^n bouches du Nil • traver- sant d'un regard I'isthme qui barre la route d'Ophir; et, par dessusles cotes de la Syrie, plongeant I'oeil vers Jerusalem, cette cite sainte qui, ce'dant a d'autres cites , saintcs comme elle , I'hommage des coutre'es 4u'ellc habite, ajetc par-dela les mers, aux enfans de I'Atlantique , I'e- clat de sa grandeur passce , gisant tout entiere en un scpulcrc vide. Je con9ois la Greceet I'ltalie sc donnant la main pour fetor Ic concert, et MELANGES. 6o3 repe'ter les chants d'Homere; j'admire Constantinople et ses races desou- verains divers ; je suis nieme tout pret a m'attendiir aux fortunes du pieux Ene'e , dut-il les reciter lui-meme , se dressant dans les cliamps ^e la Troade, son manuscrit au poing. — Mais tout cet enthousiasme sera court par le terns ou nous vivons. Voici quatre mille ans et plus que le lit nuptial de la Me'diterrane'e jouit du privile'ge liistorique et descriptif.Prenons garde, en nous faisant les porte-drapeaux de vieux parchemins, d'exlialer I'odeur dubouquin, et n'oublions pas que depuis trois cents ans la terre est ronde , et I'^merique inscrite au rang des continens. Devant les de'couvertes de Galilee et de Colomb, les ombres historiqiies de la Mediterrane'e re- tombent sous le marbre, comrae les nones de sainte Ce'cile; lescite's re- leve'es dans le desert , Palmyre et compagnie , se de'mantelent piece a piece comme le palais de la Fata Morgana ; le Sirocco couvre de sable les ossemens des guerriers entrechoque's , pendant que flottes etflottilles, quinquiremes et galeres de Malte, corsaires allonge's etvaisseaux de haut bord , tout cela sans fixer seulement un sillage , sans cbiffonner un pli de I'onde, s'abiment comme la Sorciere des eaux. Oui , depuis trois cents ans la terre est ronde , et TAme'riquc inscrite au livre des continens. La Me'diterrane'e ne compte plus que pour 0,0 1 dans la surface des mers ; a I'autre bout du monde des myriades d'habi- tans e'cbangent leiirs produits et pourvoient a tons leurs de'sirs sans que jamais il soitbcsoin pour eux de se rattacher a ce petit bassin qu'a peine on apercoit sur le globe. Que les cotes de la Libye, quecelles de la Syrie, que la mer Noire reprennent un rang commercial, je le veux bien et je I'espere ; maissurlapromessedcMe'he'metet deMahmoud,pourquoi de'she'ritcr les contre'cs du nord de I'Europe ? Qu'a done fait 1' Angleterre pour etre absor- be'e par la France, et, sous pre'texte d'une fraternite gloutonne (i),perdre presque son nom ? Est-ce par association ou derision que vous lui accor- dez le chemin de fer du Havre a Marseille, comme un pont pour ses marcliandises? Ainsi , sur la couclie humide, qui selon vous est le lit nuptial du monde , cette reine qui ose et qui ose seule jjrendre le ti- (1) Dans la brochure, on ne consacre a TAngleten'e qu'un petit chapitre de vingt lignes, partag^ meme avec d'autres pays. 6o4 MELANGES. tre de deessc des mers ne serait representee que par les cxlre'mites d'trne route en fcr! Nousautres, frercs de Fltalic ct do I'Espagiie , influences soit par I'ancien prestige d'une menie race de rois, soil par la conformite de climat, de productions et de mceurs , nous sommes volonticrs porte's. a doter les contre'es du Midi de toute la valcur que nous me'connaissons on que nous ignorons Chez les peuples du Nord; maisla plus Ic'gerc rc'- flexion doit nous remettre en selle: nous sommes force's de convenir que dans les affaires du monde le Nordpc^se lourd, et que si les me'ridio- naux ont le privde'ge dc de'cliainer les tenipctcs pour voguer au travcrs, c'est toujours vers les poles que le pilote veille ; c'cst de la que descen- dent I'anatbeme ou la sanction , le naufrage ou le salut. Depuis ue la Rome des papes a de'pouille son magique empire , le Nord s'cst enriclii piece a piece de ses pertesj depiris que les villes ita- liennes du moyen age ont succombe , les villcs anse'atiques ont pris nom et gloire , I'lie'ritage de Genes et de Venise a decuple dans leurs mains j lesnavigateurs ont depasse' en se jouant les caravanes aux pieds plats et poudreux. Autour du canal de la Manclie, de la mer du Nord, et du golfe Baltique, cent villes populeuses se dressent a la file, celles de I'Angleterre et de la Flandre, de la Hollande et du Danemarck, de toute la Prusse et de la Russie: la Suede et la Norvege y de'vcrsent, par des milliers de ports, les produits de leurs montagnes et de leurs lacs. Sans doute en toisant, a I'aune de nos souvenirs briilans de college, ce pays de glafons, nous le trouvons enfant j mais cet enfant d'bier a deja sillonne' le monde Oce'anique que ses pcres , debout sur la derniere trace du pied d'Herculc voyagcur, avaient a peine ose' regardcr. La Me'diterrane'e , il est vrai , baigne tout un cote' du triangle afri- cain. Mais, a quelques pas de cctte lisicre brule'e, 1' Atlas ondule son arete dorsale qu'une mer dc sable se'pare ensuitc des forets dc gomme, des sallies dore's, des montagnes boise'es et des lacs fe'condans , de tons ces lieux enfin ou les naives populations fourmillcnt sur elles-memes. La mer Rouge, Ic long de ses bords, peut determiner mille saigne'es au courant commercial qui descend la pentc du Nil , tandis que les Indcs et Madagascar entrcnt en c'cliange imme'diat avec les rivagcs oppose's. Les liabitans du cap de Bonnc-Espe'rance poussent des lignes dans le nordj el dans tout Ic vcrsant Allantiquc, vers rimraensc e'chancrure de la Guinc'e le mouvement de I'intcricur rejoint a la cote la civilisation eu- MELANGES. 6o5 ropecnne, qui s'acheminc avec perseverance vers les tctes myste'rieuses des fleuves. Passons maintenant en Asie, et mesurons le littoral cle la Perse, des Indes, de la Chine et du Japon. Nous verrons s'il est perrais de le 5u- bordonner a celui de la S3 rie et de I'Anatolie. Je vcux bien que par des routes ea fer et par les communications hydrograpliiques du golfe Per- sique , de I'Euplirate , de la CaspienAe, de I'Aral, du Silioun , du Djihoun , du Volga et du Yaik , on ouvre a la Perse et au cceur de la Russie asiatique des canaux d'c'coulemens A'ers le bassin de la IMc'diter- rane'e J mais je de'fie la meilleure volonte du monde d'enricbir ce mcme bassin d'une vertu centralisante et souveraine a I'e'gard du versant meri- dional del'Hymalaya, des valle'es centrales du Kuen-Lun. diiMouz-Tagh, du versaut oriental de la Chine. Inde'pendamment des montagnes abrup- tes qui semcnt tout cet espace, Toyez cette sinueuse mer de sable, re- belle pour long-tems aux rainures en fer, et que traversent a grand peine deux ou trois races d'animaiix privilegie's; mer de sable qui, continuant celles de Sahara, de 1' Arabic, de I'lran, et, sous le nom dc Gobi , expirant au sein du peuple chinois , banc les communications cntre les deux versans principaux du vieux monde. Ces montagnes et ces plaines dc sable enseignent peut-etre qu'il faut de- mandcr a d'autres routes les communications entre I'Occident et I'Orient, entre I'Europe et la Cliinc. Jc ne voucb'ais pas pre'cise'ment me foire I'avo- cat quand mcme des Chinois j mais qu'il me soit permis de demander grace pour le ridicule dont on les habille, et Fabandon oil on les laisse dans toute speculation phdosophique , politique ou ge'ographique. Dusse'-je pi'cndre ma part dans le charivari que dans toutes les langues, sur tous les tons, onleur donne par haljitude , je ferai remarquer que ce peuple, type incompris sans doute d'unc civilisation ^^lus puissante que les siecles et les revolutions, forme a I'autre bout du vieux monde commc le pendant de I'Europe. La unc mer me'diteri-ane'e immense relie aussi, en les se'parant, des myriades de nations divcrses, et forme aussi un centre principal du grand corps humanite : elle baignelcs piecb des hautes montagnes dn monde; clle descend depuis le pole jusqu'au-dela de I'e'quateur, et revient en caressant des contours d'iles sans nombrc; vers elles gravitent toutes les ricbcsses des versans oricntaux de la Haule-Asie, etelle appelle a son marche general les produits de la Nou-. 6oG MELANGES. veile-HoUande; par une infinite d'issues elle s'oiivre sur la grandc mci' Pacifique, et demande a risthme de Panama les vaisseaux europe'ens qu'altendcnt depuis si long-tems les vents alise's de cette partie du monde. II y aurait en vc'rite orgueil et folie a penser que, pour commu- nier avcc la socie'te dont elle s'est jusqu'ici e'carte'e, cette civilisation chinoise , de'daignant de de'poser sur les longues et larges vagues de rOce'an sa vicille tunique virginale , irait faire ses ablutions et ses de- votions parmi les flots e'troits et courts d'un lac europe'en. La Chine et les arcliipels Japonais forraent conime une deuxieme tete de I'ancien mas- sif, et constituent dans I'bumanite un type net et tranche, un individu sui generis; ces bassins et ces rivages out leurs chroniques aussi, leurs lultes, leurs religions, leurs faits glorieux, leurs richesses et leur anti- quite' : et tout cela perdrait sa personnalite' pour etre annide dans la Me'diterrane'e ! An lieu de conside'rer la Mc'diterrane'e comnie le centre dorainantdu monde, je n'y verrais guere, moi, qu'un lac meridional, qui, complete de I'aulre part par la mer Blanche, la Baltique, la mer du Nord ,'^la Manche et les golfes de Bristol et de Gascogne , facilite les e'coulemens du coeur de I'Asie par le promontoire europe'en. L'Europe , en effet, n'est qu'un appendice occidental du massif asia- tique. En la conside'rant dans toute son e'tendue, on ne tarde pas a y re- connaitre deux principaux versans qui la partagent depuis I'extre'mite nord de la chainc Ouralienne jusqu'au rocherdc Gibraltar; et desdeux parts de I'arete dorsale europecnne, s'etendent deux grands reservoirs, oil s'entassent les richesses du vieux monde occidental. Les golfes et les lacs qui les de'coupent sont comrae autant de ports secondaires appele's a centraliscr des travaux et des produits speciaux. Or , quelles que soient les modifications que les routes en fer pourront par la suite in- troduire dans les communications ge'nc'rales rclativcment a la vitcsse des transports , comme Ics marchandiscs lourdcs cherchcront toujours les e'coulemens naturels raoins dispendieux , on verra les divisions hydro- graphiques dominer long-tems encore loules les systc'matisations qui pourront se produire. L'humanitc ne se recommence pas ; or , M. Michel Chevalier , dans sa pretention a reconstruire une unite terrestre sitr un des deux lacs eu- rope'ens , me parait trop prcoccupc par le passe et par les souvenirs d'une unite de'cliirce , dont les lambeaux sont accroches sur les rives on sont MELANGES. G07 trame'spar les vagiies. J'aimerais mieux e'couter les lecons de I'histoire, accepter les fails qu'elle m'impose, et ne point donner tete baissee de- vant les defenses qu'elle m'intime. L'humanite ne se recommence pas, je le re'pete; or, lorsque le monde connu gravitait autour de la Me'diterrane'e comme centre , un homme lui predit Rome pour capitale, jeta dans cette ville sa volonte', et Rome sans pitie', consacrant dans des Acts de sang le titre dontelle avait e'te' baptise'e, devint la capitale du monde ; la Me'diterrane'e ne fut qu'un lac romain. Alors on put admirer une aigle romaine promenant sa gloire de cap en cap , de rive en rive , et partout saluant des aigles amies J mais ce fut de courte dure'e : les Barbares sortirent de dessous ce linccul oil Rome les ensevelissait; ils vinrent prendre place au ban- quet , de'membrant le grand coi'ps , lui su^ant la vie , et confondant les limites des empires dans une horrible melee. Gependant I'lie'ritiere de la tradition de Romulus , Rome,avec le nom de Jesus , s'essaie une se- condc fois a relever la couronne universelle sur le monde agrandi; im- puissance! un autre nom se dresse a sa face: Mahomet. — Depuis lors deux civilisations religieuses, fanatiques toutes deux, toutes deux ex- clusives, ontborde la lisiere du lac, et se sont lance, d'un cote a I'autre, I'anatheme et la guerre; les berceaux des chre'tiens ont balance de nou- veauxenfans, et 1' unite' me'diterrane'enne fut abandonne'e par I'huma- nite. Si Mahomet par son sabre a creuse une large fosse entre I'Europe et I'Asie , s'il a seme' par son Goran sur tout ce sillon sanglant une trai- ne'e de convictions tetues, s'il a menace d'un e'ternel ajournemcnt les passages de la mer Rouge et du sinus Persique , c'est qu'il e'tait dans les de'crets celestes d'agrandirla voiede I'humanite. Ainsi, pendant que les re'publiques italiennes s'efforcent de renouer avec les Indes leurs re- lations commerciales , une herse tombe comme une fatalite' entre elles et le but de leur voyage; la mer Noire est musele'e ; la haine s'etend comme une flamme sur tout ce qui n'est pas mahome'tan ; I'Europe a beau se retourncr et mordrc , elle sera refoule'c ; son destin est de suivre la marche du soleil , qui se leve en Asie , sourit a la pointe d'Europe , et rase les flots de la mer pour se reposer en Ame'rique. C'est a toi , 6 Pe'ninsule hispanique , dernier cap du vieux continent, sentinelle avance'e , de te venger de ton repos , dc preparer Ic par- 6o8 MELANGES. don dc ta future apatliie. Monte sur I'Oce'an , et va chercher I'Asie en tournant les barrieres que le Goran t'oppose. Va, et tcs vaisseaux. la- boureront le flanc d' Adamastor , ge'ant dc ccs mers inconnues; d'un elan tu doubleras I'Afrique, de I'autre tu frapperas un nouvcau monde au cceur. Oh! rAme'rique! le systeme me'diterrane'en de M. Miclicl Chevalier daigne a peine lui tiwre la faveur d'une mention , et ne I'inscrit que pour memoire : serait-ce qu'elle exhale un trop hardi parfum de li- Lcrtc, et que la liberte vous cnlete? c'est pour cela que je I'aime , moi, et que je lui adresse nion salut. Je la vois sorlant des caux, corame Venus la blonde, toute nue et toute chaste , omlirage'e d'une chevelure dc forets , serree a la taille par la mer caressante qui lui e'tait une cein- ture d'csclave , une ceinture de vierge , et qui dcpuis la fe'condation du severe vieux monde lui est une ceinture de mere , pleine d'attraits et dc graces, riche de de'sirs et de plaisirs. Voyez-la naissant au milieu des luttcs que se livrcnt les religions et les civilisations usees , lorsque tout decline et se meurt , naissant toute grande ct toute forme'e, toute prete a enfantcr au prix de son sang et de ses larracs. Le vieux monde est un monde brutal ct hargneux. La se nourrit I'arbre du despotisme; chene aux racines goulues qui deVorent la substance des roseauxj cliene au leuillage e'go'iste , se prelassant tout seul aux rayons du soleil, aux ca- resses de I'air, a la musique des cieux, dont pas un son n'ccliappe qu'il ne I'ait de'florc. Le vieux monde est un vieux coquin, un vieux re- quin , un vieux ruse, un vieux patriarche de la caste , a laquelle il tient par toutes ses formes , au milieu de ses plus grands efforts pour la briser. II est ne avec la caste , et les castes y vivent encore , y sont toutes grouillanles, tout comme aux premiers jours : les Indes et la CLme en portent le stigmate a la tcte ; I'absolutisme aux serres de fer plane comme un aigle-vatitour sur les steppes de la Russie, se gorge aux mines ouralicnncs , simule le gouverncment paternci en Autriche sous I'habit de bonhoumic , se he'risse dc ba'ionnettes tout Ic long des tor- tueuses frootiercs d'Allemagne, e'lcvc et engraisse a la bccquec des castrats de toute especc en Italic , nourrit et sature I'Espagnol de mi- sere et de faim , plante son pal chez les mahome'tans qu'il civilise a force de noyades et d'egorgeades ; le despotisme enfin se de1)at sur le sol de France et d'Angleterre , tel qu'une hydre immense, qui, prive'e MELANGES. 609 dc deux tetes a couronne sous la liache tombe'es , s'est transforme'e en line masse bourgeoise , ou tout est tetes maintenant. En Ame'rique la liberte' poiisse partout , ct sape le despotisme , dont les racines rencontrent le roc , le volcan, ou la nur. La fcodalile' catho- lique essaya d'y restaurer sa sante delabre'e par le poison de la critique; mais lionte a elle , Dicu I'aveuglait, car elle neput s'installcr quelques instans qu'en re'trogradant au-dela d'elle-meme jusqu'aii systcmed'escla- vage qu'cUe avait aboli. Aussi ce monstrueux. accouplcinent du clire'tien etde I'esclave ne recevra-t-il pas la sanction de trois siecles; la France, toujours victorieuse quand elle combat pour Temancipation des peuples , ira preter secours la-bas a la solennelle proclamation des droits et de la dignite humaine. Angleterre , Portugal , Espagne, le continent ameri- cain vous rend graces pour les lisieres dont vous avicz protege son en- fance , et que la France abrise'es. La est bien la couclie nuptiale dc la liberte', cette de'esse , qui cliez nous trop souvent, lie'las! demeiu-e infe'conde , ou ne produit que du sang J la elle donne leurs ebats meme aux cnfans de I'Afrique. Restes me'prise's de quelques tribus vaincues, tous ccs ncgrcs sans nom, sans femmes, sans cnfans , sans foyer; que leur patrie rcniait; dont le sang n'e'tait plus digne de rafraichir le sable oil le Ic'zard fetiche rampait ; qu'on vendait pour un collier ; ces negres , e'le'raens e'pars , sont main- tenant un corps de nation ; mis au banc de I'Europe depuis quarante annees , ils tiennent avec bonneur leur rang et leur dignite dans cette brillante couronne d'iles ou les nations les plus civibse'cs se sont donne rendez-YOus. L'Ame'rique, lorsque la terre I'enfanta , fit tressaillir tout I'ancicn monde, et, lui jetant un bapteme d' ocean , imprima sur le front des montagnes une date sacre'e et partout vivante , celle d'un de- luge; depuis lors les tradicions, comme par instinct, proclament que la terre est a jamais sauve'e du deluge. Elle parait sur le globe comme un pont jcte d'un pole a I'autrc ; peuple'e d'abord sans doutc par les castes de la lisiere orienlale , fe- conde'e par les Europe'cns fe'odaux , cultive'e par des csclavcs d' Afrique , c'est a cllc qu'il est reserve' d'unir ct de faire communier sur son sein ces races jusqu'ici separe'es par un ruban de sables , par des pics de montagnes , et par des prejuges saintement inflcxibles. Elle dresse comme une coquette vers le ciel son diademe dc montagnes e'lance'cs , 6lO MELANGES. pendant qu'clle etale ses flancs charnus aux deux extre'raite's du vieux monde, qui se replient vers clle. Et puis prenez-la au coeur , au golfe du Mexiquc , et a la raer dcs Antilles. Scrait-ce point par-la Ic centre du monde ? Que I'industrie donne quelques coups de sa liache sur ristlime de Panama , ct , deliant deux oceans emprisonne's , quelle en courbc Ics eaux rivales sous un cgal niveau. Empruntez alors a I'aigle ses ficres ailes , et planezsur ce lac original, par de nouvelles eaux toujours re'ge'ne're'. Voici qu'a vos pieds se de'veloppe un imposant ampbitheatre : d'un cote , c'est un e'troit et vigoureux jet de pics ardus; indissoluble et libre nceud pour les deux moitie's du nouveau monde, oii le nom de Co- lomb , inscrit sur les deux frontispices des montagnes , flanque de droite et de gauche dcs noms de Washington et de Bolivar . oil le nom de Colomb est venge de son oubli : heureux , dans son eclipse de trois siecles, de n' avoir point e'te' accole aux Europe'ens se'ides de la fe'odalite' et de I'esclavage ; heureux d'etre consacre sous Fe'gide des fondateurs de la liberie'. Vicnn'ent ensuite les deux Ame'riques , celle du Sud et celle du Nord; elles baignent avec volapte' dans les memes eaux leurs formes arron- dies , et, pretes a s'e'loigner chacune vers son pole, se jettent, dans un dernier regret, un brillant collier a gros grains, forme d'iles pre'cieuses. Touchant parun de ses bouts aux e'tats de I'Union, qui rcfleteut tout I'esprit critique de la France, de I'Angleterre et de TAIlcmagne; none' par I'autre bout aux colonies espagnoles et portugaises , dcrnieres re- traites de I'esprit catholique, ce collier nous pre'sente, comme le plus beau de ses diamans , Saint-Domingue oil vient se re'ge'ne'rer 1' Afrique domine'c par les mahome'tans , les castes et les idolatres. Ce lac colombien est place' sur une des rives du Gulf-Stream , de cc beau fleuve d'eau chaude , cherain mobile qui revient sur lui-meme, et qui, plus large en sa surface que toute la Me'diterrane'e romaine, en- traine invariablement les navires du promonloire europe'cn. Ce lac co- lombien , pret a s'ouvrir sur la mer du Sud , est aussi place a I'origine des vents alises . dont le souffle obeissant vient expirer aux confins de I'Asie caduque et vivace. Ainsi le centre du Noiweau-Monde e'tcnd deux grandes mcrs comme deux bras pour onccindre I'ancien. Qu'est-cc a dire? ct sur la face ter- MELANGES. 6ll reslre pourquoi apparait-il ? sa position ge'ograpliique cst-elle un sym- bole sacre, ou bien un pur accident? Est-il pour les deux bouts du vieux monde un point do repos , ou une arene de guerre, une terre promise, un Eldorado^ ou bien une simple ferme a sucre Iisscment et au maintien duqucl tons les citoyens aient expresse'ment consenti ; et la fiction du conscntcment lacite conduit a dr- faclieuses consequences et a la dissolution de tous les liens sociaux. On pre'sumc le consentement des citoyens qui restent dans le pays, parce que les me'contens peuvent le quitter. Mais combien n'y en a-t-il pas qui sont de fait dans I'impossibilite' de s'expatrier, dont le consentement est par consequent force ? Et s'il fallait que tous les me'contens e'migrassent pour avoir le di'oit de se dire me'contens , ils aclieteraient un pea cher ce droit; et puis combien resteralt-il a la fm d'babitans dans le pays? Au reste , il faut convenir que plusieurs n'ont entendu par contrat social rien autre chose que la volonte' de la majorite , et professent par con sequent, quoique sous un nom irapropre , la the'oric indique'e plus liaut. La cause de la naissance de I'e'tat en de'montre assez I'objet et le but, qui est de faire re'gner la loi juridique par re'tablissement d'un pouvoir public. Les Lommes doivent vivre dans I'e'tat, afinqae le droit y trouve un appui dans le pouvoir, et le pouvoir une regie, une direction dans le droit. L'on asouventcruque I'e'tat s'e'levaitet gagnaiten dignite'amcsure qu'on en e'tendait le but , sans songer que c'e'tait restreindre d'autant la liberte' legale des citoyens. L'e'tat, il est vrai, est grandement iute'resse au bien-etre et a la prospe'rite' du peuple, puisque la puissance de I'e'tat en depend. Est-ce a dire que I'etat doive ou puisse se proposer pour but la satisfaction de tous les interets du peuple? L'homrac, en tant que membre d'une socie'tc politique, ne peut avoir d' autre but que le regne de la justice, et, toutes les fois qu'il en de'passe les limitcs, il nc peut invoquer d'autre loi que celle de la nc'cessite'. Mais cela n'cmpeche point que I'e'tat nc produisc une foule d'effcts par I'influence qu'il exerce na- turellement sur le de'veloppement de I'Jiuraanite; et ces cffets sont comme autant dc fins sccondaires que la nature atteint au moyen de I'e'tat, sans qu'cUos rentrent pour cela dans le but veritable de celui-ci , dans la raison et la loi de son existence. Quant au but secondaire de I'e'tat , il n'cst d'ailleurs pas Ic bonheur des hommes, mais bien leur education par le de'veloppement de leurs facuUe's au milieu des luttes. 40. 6l^ MELANGES. Tels sont lesprincipes fondamentaux professes par M. Zacliariae, et qu'il n'est pas possible cle poursuivre ici dans toutcs leurs consequences. Je m'abstiens de les accoinpagner d'aucun commcntaire. II me suffit d' observer (ju'ils me paraisscnt valoir la peine qu'on les me'dite, soit qu'il examine I'origine et le fotidement du pouvoir, question que la re'- volutioD de juillct a remise parmi nous a I'ordre du jour, soit qu'il de- termine le but et la mission de ce pouvoir et ses limites , autre question agite'e plus vivement que jamais par le saint-simonisme ou a son occa- sion , sans que nous soyons arrive's sur ce point a une conclusion satis- faisante. Dans son cours de droit public , outre la partie ge'ne'rale dont j'ai park' jusqu'ici, M. Zacliariae expose aussi le droit public de la confe'- de'ration germanique , avec I'histoire et les sources du droit public de I'Allemagne , depuis I'origine jusqu'a nos jours. C'est avec un vif plaisir que j'ai vu M. Zacliai'iae , a I'occasion des droits dont les differentes communions religieuses jouisscnt en Allema- gne , sc prononcer , apres ime longue he'sitalion , comme il le dit lui- meme , pour Temancipation absolue des juifs. En Allcmagne, I'Etat est chre'tien , et I'etablissemcnt de Mo'ise est conside're moins comme une re- ligion que comme legislation. D'oii il suit que les juifs sont un peuple e'tranger, vivant sous des lois particulieres parmi les peuples chre'tiens , et qu'ils n'ont point le droit de reclamer la qualite de ciloyens dans I'E- tat, qui les tolcre, mais de la communion duqucl ils sont exclus. C'est la un des cote's les plus de'plorables de la civilisation d'ailleurs si avan- ce'e de I'Allemagne. Beaucoup d'hommes e'claire's , et qui sur toutes les autres questions ont la pre'tention d'etre les plus libe'raux, ne peuvent vaincre leurs doutes et leurs scrupules lorsqu'il s'iigit d'e'manciper les juifs. On convicnt bien qu'il y a quelque chose a faire pour I'ame'liora- tion de leur position sociale , mais ce n'est pas un droit qu'on leur re- connait, c'est une faveur qu'on fait de'pendre d'un grand nombre de con- ditions pre'alables. Que les juifs commcncent par sc rcndre dignes du bienfait qu'on leur reserve , ct aptes a remplir les devoirs du citoyen , ce n'est qu'apres qu'on pourra les admeltre a I'egalite' civile et politir que. M. Zacliariae repond avec raison que ce qui a le plus contribue' i de'grader la nation juda'i'que , ce qui a empcchc le de'veloppement d'une foulc de qualitcs gene'rcuses dont elle est capable , ce qui I'a retenue dans une separation si trancbc'c et une hoslililc sourde contre les clire- MELANGES. 617 tiens, c'est leur exclusion meme, qu'il faut se hater de faire disparaitre, si Ton ne veut pas en perpe'tuer les funestes effets. Un argument sT sim- ple et si pc'rcmptoire ne suffit pas pour vaincre d'e'troites preventions. L'Allemagne a beau etre savante, religieuse , morale; sous le rapport des ide'es politiques , des sentimens sociaux , des larges sympathies , de la vraie humanite enfin, la France peut s'enorgueillir d'une immense supe'riorite. II est juste de reconnaitre qu'il y a d'honorables exceptions parmi les penscurs allemands, mais le nombre n'eo est vraimcnt pas considerable. Qu'il me soit permis , pour achever de caracte'riser M. Zachariae , de relatcr deux petites scenes dontj'ai ete' te'raoin a son cours. Un jour le professeur avait pris pour these I'utilile de la diete germanique : c'e'- tait avant les derniers protocoles de Francfort. II y avait la quelques grandes et fe'condes idees a reveiller dans I'esprit d'une jeunesse avide de I'unite' de I'Allemagne , pour qui une diete mieux constitue'e pour- rait devenir un Centre commun. Mais ce sont la questions du jour , questions briilantes; M. Zachariae s'en tira par une plaisanterie. 11 rap- pcla d'abord que la diete avait protege' I'inde'pendance des divers e'tats de la confederation , notamment celle du grand-duche' de Bade centre les pretentions que la Baviere e'leva a la mort du grand-due Louis; puis les services que la diete avait rendus au commerce en re'glant la navigation de plusieurs fleuves et rivieres qui travcrsent des e'tats diffe- rens, etc. Beaucoup de particuliers meme ont eu a se rejouir des bons offices de la diete. Un exemple : I'e'lecteur palatin avait contracte un cmprunt , et le malheur voulut que re'lectorat fut supprime' par suite des guerres de la revolution. Bade et b Baviere, qui, en definitive, s'en partagerent les de'pouilles, se renvoyaient poliment Fun a I'autre I'honneur de payer les cre'anciers , jusqu'a ce que la diete interposa son autorite et fit reconnaitre les litres de ceux-ci. Moi-meme, ajouta M. Zachariae, j'ai gagne de ce coup 800 florins. Cequc disant le tres- honorable professeur e'levait (:t agitait son bonnet ( M. Zachariae porte un bonnet ) en I'honneur de I'excellente diete de la confederation ger- manique. Une autre fois M. Zachariae declarait que, selon lui, une aristocratie e'tait une mauvaise forme de gouvernement. Aussi , continua-t-il , n'ai-je pu prendre des le principe aucun inte'ret a la re'A'olution polonaise A ces mots des murmures e'claterent dans presque toute la salle. Quand 6l8 MELANGES. on se rappelle avec quel entliousiasme , quelle vivc sympalhic les Fo- lonais ont cte' accucillis a leur passage en AUeraagne, on comprcndra que cette indifference ct ce blame du professeur devaient causer quel- que impatience. A peine le silence fut-il re'tabli : « Jc le repete , reprit- il , la revolution polonaise a ete' une revolution de Taristocratie et pour I'aristocratie , non pour le peuple, comme le prouve la conduite de la diete de Varsovie dans I'affaire de Taffrancbisscment des pavsans; ct par cette raison , je n'ai pu en aucune maniere m'inte'resser au succcs de cette revolution. » Nouvelle explosion de murmures. a Messieurs , dit froidement M. Zacbariae, je vous plains si vous n'etcs pas encore assez liommes pour e'couter avec calme une opinion diffe'rente de la A'Otre. » Quelque jugement qu'on porte sur les principes et les opinions de M. Zacbariae, il faut rendre justice a la finesse eta la sagacite avec les- quelles il les concoit et les expose , ainsi qu'a ce bon sens , a ce tact si prc'cieux cbcz un savant Allcmand qui traite des raatiercs voisines de la pbilosophie, de ne point cliercber I'originalite et la profondeur dans des propositions paradoxales ou dans une pbrase'ologie bizarre et obscure : il aspire avant tout a etre clair , positif ct utile. II faut reconnaitrc aussi que M. Zacbariae sait e'crire , tandis que le savant Allemand neglige gc- ne'ralement I'expression , et se ressent peu , dans I'emploi qu'il fait de sa langue , de I'immense impulsion litte'raire que I'Allemagne duit au ge'nie d'un Goethe , d'un Scbiller , d'un Herder, etc. Quand M. Zacbariae combat le systeme qui fait de'river I'Etat et les pou- voirs sociauxd'uncontrat,il soutient une opinion vulgaire en Allemagne. II n'en est pas de meme de cette autre qui limite Taction du pouvoir au maintien du droit , puisqu'elle est combattue par toules les theories mystiques fort nombreuses et fort repanducs , suivant lesquelles I'Etat a la mission beaucoup plus vastc d'operer I'e'ducation et le perfection- nement de I'humanile. Dans ces systcmes le souverain est cense reprc- senter la raison universelle , I'ide'e de I'harmonie , la puissance morali- sante dans la societe : Ihcorie sc'duisante , si elle n'avait Tinconvenient un peu grave, il est vrai , d'etre absolument inapplicable (i). (l)Est-il ndcessaire dc faircremarqucr que ccs assertions empruntdes par noire rorrcspondant aiix lerons du professoiir Zacliariac, etqiie Ton va encore rclrou- vcr plus loin dans Tanalysc des lemons dc M. MiUerniaVer , sont (out a-fait Top- , MELANGES. 619 Sur ces deux questions capitales en politique comme en jurispru- tlence, I'opinion de M. Zachariac est parlage'e , avcc quelques nuances qui tiennent a I'expression plus qu'au fond de la pense'e , par son coUe- gue, M. Mittermai'er, qui complete, si je puis ainsi m'expriuier , le triumvirat juridique de Heidelberg. Connu de tons, de'crie' meme chez plusieurs pour ses opinions libe- rales, M. Mittermaier s'est fait remarquer parmi les membres Ics plus distingue's de Topposition constitutionnelle dans la cliambre des repre'- sentans du grand-duche de Bade. En meme terns il e'tait appele a pre'- parer des projets de re'forme sur la proce'dure civile, I'instruction cri- rainelle, et le droit penal. Le premier de ces projets a deja e'te' convert! en loi. On se tromperait gravement en confondant M. Mitterma'ier avec d'autrcs liommes dont il suit en general la ligne politique , sans parta- ger leurs principes , avec. M. de Rotteck , par exemple. Ce professeur de rUniversite de Fribourg , dans son ouvragc du Droit rationnel, copie ou a pen pres Rousseau et les auteurs qui ont traite' chez nous du gouvernement constitutionnel ; il de'clame avec passion contre la fe'oda- lite', le moyen age tout entier, le di-oil positif , et ce qu'on appcUe en style de parti I'oppression et la tyrannic. M. Mitterma'ier est plus calme, plus impartial, plus aliemand pour ainsi direj il respecte surtout beau- coup plus I'histoirc , et s'il arrive a un re'sultat assez semblable, a un c'gal de'voucment au systcme constitutionnel , son point de depart est tout different. Scion M. Mittermaier , la tbe'orie du contrat social n'a qu'une valeur relative; elle a e'te utile, mais elle a produit le bien qu'elle devait pro- duire, etil faut qu'elle disparaisse. L'Etat n'est point I'effet d'un con- trat , mais un organisme vivant et necessaire , un produit spontanc de la nature. Ricn n'est plus faux que de prendre pour point de depart un ins- tinct ou un droit en dehors de I'Etat, et d'examiner ensuite combien , pose et comnic I'anlipode de la doctrine sociale professec dans notre rccueilPNon- soiilement la theorie qui donne a la societe, prise collectivement , la mission de procurer le bonheur de ses membres , le perfectionncment des generations nou- vcUes , et le projrfes de la raison publique , suivant I'expression de la Convention ( De'claralion dejiiin 4 795 ) , nous parait sdduisante; mais elle a encore a nos yeux le privilege d'etre seule vraic ; et, loin de la croire inapplicable, nous crayons qnc lous les progrcs, toutcs les dccouvertes , outpour but de la rcaliser. { ly. desl::dUi-urs.) 620 MELANGES. en fait , chacun a voulu , et combien , en droit , il a pii alie'ner de ses di'oits naturels ct primitifs. Le danger d'une pareille theorie est evident, puisquc le consentement de cliaque citoyen au contrat social et a ses clauses ne pent etre prouve , et que la distinction en droits alicnables et inalie'nables ne pcul etre e'tablie que d'une jnaniere arbitraire. II en est de meme de la distinction des droits en acquis et en primitifs. Tout droit est a la fois I'un el I'autre dans un certain sens. Car, d'une part , il n'y a point d'etat de nature , et le droit n'existe que dans la socie'te civUe , dans I'Etat j de I'autre, il n'est pas vrai de dire que chacun n'ait de droits que ceux que I'Etal lui confere. L'Etat ne cre'e aucun droit , raais il les protege tons. L'ide'e fondamentale dans I'Etat est le mainiien du droit et dc I'ordi-e legal. Le but de I'Etat n'est done point le perfectionncment de Tespcce, la realisation des ide'es de I'humanite , mais la sdciuitc de la vie com- mune et Fe'loignement des obstacles qui s'opposent au de'veloppement de ces idees. L'action du pouvoir doit etre positive pour assurer le rcgne de I'ordre et de la justice, mais ne'gative seulement pour rendre possi- ble le prcgres des faCultes pliysiques , intellectuelles et morales de cha- cun , sans y conti'aindre personne. Si je me fais un devoir d'indiquer le caractere politiqiie de chaque professeur mai-quant, il e'taitici doublemcnt important de ne point le ne- gliger. Le droit criminel , que M. MittermaVer cnseigne, est dans la liai- son la plus intime avecles ide'es philosophiqucs sur I'Etat. Selon que la mission du pouvoir est plus on moins e'tendue , selon que le droit de punir, comme tons les autres droits de I'Etat, comme I'Etat lui-meme, derive d'un principe different , la liste des crimes , le genre ct le degre des peines se modificnt. 11 est evident, par esemple, que si I'Etat ne doit pas son origine a un contrat , le droit dc punir ne pourra reposer sur la fiction du consentement eventuel des citoyens a I'application de la peine en cas de transgression de la loi. L'argument de rinalic'nabilite de la viehumainc, par lequel, en Fi'ance, bcaucoup d« publicistes ct de criminalistes,entre autres M. Charles Lucas, attaquent la peine de mort, n'est done qu'unc pe'tition de principe , etle droitdc la socie'te d'infligcr cettc peine rcste incontestable. Autre chose serait de constituer la jus- tice de son application a tel crime special, lorsqu'il y a disproportion cntre la faute et lechatimentj ou son utilite, soit qu'on la prodigue, soit MELANGES. 621 que ies mceuis et la civilisation dupeuple laiendent inefficace et ineme contraire a son but. M. Mittennaier ne pense pas que le moment soil venu oil Ton pourrait I'effacer cntierement de nos lois sans danger , parce que, a de'faut de systeme penitentiaire, nous n'avons point d'autre peine propre a remplacer la peine de raort , dont la suppression Ijoule- verserait toute Fe'conomie du systeme penal et e'garerait I'opinion du peuple. Eq y substituant la peine irame'diatement infe'rieure ( en France celle des travaux force's a perpe'tuite' ) , il seralt aussi injuste de conser- ver en meme terns cettc derniere pour des ci-imes comparativement moins graves qu'iniprudent de faire subir a toutes Ies peines a la fois une re- duction proportionnelle.M. Miltermai'er voit dans la faculte accorde'e au jury, par la loi du 28 avril i83'2 , de declarer qu'il y a des circonstan- ces alte'nuantes , un moyen heureux de transition pour preparer I'aboli- tion future de la peine de mort en France. En meme tems cette disposi- tion de la loi rendra au jury sa sincerite', puisqu'elle lui permet d'adou- cir selon Ies circonstanccs la rigueur excessive de la loi sans recourir a son omnipotence, c'est-a-dire a un pieux parjure. En general, M. Mit- termaier rend Lommage aux ameliorations introduites dans notre justice criminelle par la nouvelle loi , tout en regrettant que la discussion des cliambres qui I'a pre'ce'de'e ait e'te' si faible, si peu digne du sujet, et que tant d'autres changemens que le Code pe'nal re'clame, et quon e'tait en droit d'attendre, aient e'te' oublie's ou ajournes avec une negligence im- pardonnable. Un jugement semblable a aussi e'te' porte sui cette loi , dans le Journal pour la jurisprudence et Ies legislations etrangeres que publient MM. MittermaVer et Zacliariae , par mon ami , M. Lagar- mitte, dont lavive mais impartiale critique me'riterait d'etre reproduite en franjais. La question du but de la socie'te' civile et de la mission du pouvoir est encore plus fe'conde en consequences pour le droit criminel que cellc de I'origine de I'Etat. Si vous considerez I'Etat comme une institution pour I'amelioration et le progres des liommes dans toutes Ies branches de leur activite, le pouvoir n'a plus seulement le droit de punir, il en a le devoir et I'obli- gation rigoureuse ; toutes Ies actions immoralcs et irre'Iigieuses , et non plus seulement celles qui portent atteinte a I'ordre public et aux droits des particuliers , rentrent dans le domaine dela justice criminelle j vous j ustilicz I'inquisition la plus illimile'e et la plus arbitrairej vous faitcs 6a2 MELANGES. lie la peine une expiation, ct rien qu'nne expiation : vous tombcz dansic mysticisme. Tel n'est pas le systeine de M. Mittermafer. Uii sentiment irresistible, une voix dc la conscience nous oblige d'ad- nicttre la peine comnie consequence ne'cessaire et mcrite'c du crime. Le coupable lui-meme echappe rarement au remords ; il sent obscurement que soQcbatiment est justice. En ce sens il y a, sans contredit, dans la peine un caracterc profonde'ment moral, une A^'ritable expiation j et ce n'est pas I'un des moindres me'rites du cbristianisme et du droit canon que d' avoir ennobli et moralise la peine, en opposant ce caraclere moral a la vengeance qui domine dans le systerae du talion , et au but purement materiel de conservation, de defense et de siirete, sur lequel reposent les tlic'ories de la prevention et de la terrifioation. Otez a la peine son carac- terc moral, vous pouvez bien encore en dc'montrcr I'utilite', la ne'ces- site, non la justice. Mais ccttc idee d'expiation ne suffit pas. II faut en- core que la peine contienne un mal reel qui frappe le coupable dans son existence, soil physique, soit morale, dans sa vie, sa liberie', ses biens, son honneur , de maniere a agir a la fois sur lui-meme et sur la socie'te' cntiere. Car c'est a tort que Kant a pre'lcndu que la peine avait sa fin en elle-mcme , que son but e'tait de pimir , et qu'elle n'en avait point d'autre. II ne sied pas a I'homme de sc faire I'cxe'cuteur de la justice etcrnelle, etd'infliger des peincs uniquementpour que justice soitfaitc. L'homme n'a le droit de punir que pour le maintien de I'ordre social , de telle sorte qu'il n'y ait jamais , il est vrai , de peine sans expiation , mais que 1' expiation ne soit accompagnce du mal physique qui la con- vertit en peine que lorsque I'fitat est attaque dans les conditions de son existence ct de la realisation du but social , c'est-a-dire lorsqu'il y a crime dans le sens exact du mot. La peine n'est qu'undes moycns dont I'fitat dispose pour la realisation du but social , et elle n'est qu'un moyen extreme j d'ou il suit qu'il n'y a pas lieu d'y recourir toutes les fois qu'une mesure preventive dc police ou une disposition du droit civil suffisent pour assurer le respect dc tous les droits , dc tons les inte'rets legitimes. De plus la peine a pour objct Ic maintien de I'ordre social j d'oii il suit encore qu'elle ne doit etre infligce ni dans I'inte'ret privc dc la partie Ic'se'c, ni pour rcprimcr des actions que la conscience re'pi-ouvc , mais qui sont en dehors du but en vuc duquel I'fitat est institue. II s'agit done de fixer les limites du droit criraincl , ct de scparer les crimes ct d.elits des actions qui rentrent MELANGES. 623 dans la sphere de la simple police , ou dii droit civil , on de la morale ct de la religion. Lc droit civil a aussi sa sanction , les nuUitc's , les dommagcs et in- te'rcts , les contraintes et executions de tout genre. Les intercts privc's sont pour I'ordinaire suffisamment protege's par tous ces raoyens , sans lecourir aus moyens cxtraordinaircs de la justice criminelle. Tant que le de'fendeur peut alle'guer une juste cause, un droit reconnu par la loi, c'est imc affaire civile, dans laquclle il n'y a qu'a examiner si la fcause dont il se pre'vaut existe en fait. S'il ne reussit pas a la prouver , il perd son proccs, voila tout. Mais s'il a use de violence pour exercer le droit qu'a tort ou a raison il pretend lui appartenir , ou s'il a detruit par sa fraude les preuves et nioycns de conviction de son adversaire, ou s'il s'oppose par la force a Texe'cution de condamnations civiles qu'il a encourues , ou s'il ne peut enfin se pre'valoir d'aucun droit , d'aucune raison plausible de sa conduite; dans tous ces cas. Taction du droit cri- rainel commence, parce que ces fails constituent des attaqucs direcles contre I'ordi-e public , inde'pendamraent des inte'rets des parties civiles. On voitpar la qu'il ne suffit pas qu'une action porte atteinte a un droit pour qu'elle puisse etre qualifie'ede crime; d'un autre cote il ne faut pas ne'cessairement, pour qu'il y ait crime , qu'un droit ait e'te' viole'. Un des jurisconsultes les plus ce'lebres de I'Allemagne, M. deFeuerbach, avait voulu ranger tous les crimes sous cette double nibrique : violation des droits de I'litat , violation des droits des parliculicrs. Par la il separait rigoureusemeutle droit de la morale. Mais M. Mittermaier fait voir Tin- convenient de cette classification, beaucoup trop e'troitc, et qui mene a de fausses consequences, Quel droit determine', soit de I'Etat , soit des particuliers , est viole', par exemple , par les attentats aux moeurs , lors- qu'ils sont commis sans violence ? Pourqiioi la bigamie serait-elle punie lorsqu'elle estle re'sultat d'un arrangement volontaire des e'poux , si ce crime n'est punissable qu'en tant qu'il viole leur droit a une fide'lite' re'ci- proque? Pourquoipunirait-on plus se'verement le vol par effraction que le simple vol , lorsque la sommc vole'e est la meme , s'il ne s'agit que d'une violation du droit de propriete? Pourquoi la peine du crime de fausse monnaie est-elle si forte , tandis que le dommage appreciable qui en re'sulte pour I'Etat ou pour les particuliers est souvcnt si minime? C'est qu'il n'y a pas que la violation d'un droit pre'cis et determine de I'Etat ou des particuliers qui constitue un crime : le crime est toute violation 6^4 MELANGES. d'une obligation socialc , tout attentat a I'ordre public, et I'idc'e dc ce qui est d'ordre public est dc'finie elle-meme par le but social. Ce but bien compiis donnc une limite plus vraie et non moins certaine entrc la morale et le droit. La violation d'un droit dc I'litat ou d'un dc sesracm- bres appelle une repression directe et positive , et constitue un crime. Plus die annonce de me'pris pour la loi et pour I'ordre social , plus elle est criminelJe et punissable. Les actions simplement immorales , au con- traire , n'cncourent qu'une re'pression indirccte et negative en quelque sorte ; elles nc sont punissables que lorsqu'elles sont destructives des conditions sans lesquelles la realisation des ide'es de I'humanite' n'est pas possible. Voila pourquoi les attentats aux raoeurs , ra^mc commis sans violence , sont punis lorsqu'ils I'ont eld publiquenient , ou sin- des per- sonncs place'es sous la protection spe'cialc dc I'l'^tat , comme les mincurs. Yoila pourquoi encore ces attentats sont punis ou peuvent I'etre , lors- qu'ils portent atteinle a la sainlete d'inslitutions qui sont regarde'es avec raison comme la base et la condition de la moralite publique : ici se rangcnt la bigamie, I'inceste , etc. Voila pourquoi enfin les actions ira morales sont punies lorsqu'elles ebranlent la confiance et la foi publique, comme tons les genres de faux , lors meme qu'il n'en rcsulte de preju- dice pour personne ; lors meme , par exemple , que la fausse monnaie serait de meilleur aloi que celles qui ont cours legal , ou que le faux te- raoignage serait a la de'cbarge d'lm innocent. Libre a chacun d'avoir sa morale et sa religion a lui : c'est une affaire a regler avec Dieu et sa conscience , et a laquclle I'Etat n'a rien a voir. Mais cliacim a aussi I'o- bligation de garder sa morale pour soi ; et lorsqu'elle se manifeste par des actes cxte'rieurs , de maniere a compromettre , par le scandale pu- blic ou la me'fiance ge'ne'rale qu'cUes occasionent , Texistence et ramc- lioration pliysique, intellectuelle et morale des autres, ces actes tombent avec justice sous Taction de la loi criminclle. M. de Fcuerbacli a aussi pre'tendu que les memes actions qui eonsti- tuaicnt des crimes lorsquclles causaient un prejudice considerable it I'Etat ou aux particulicrs, ne devaicnt cnlrainer que des peines de simple police , lorsque le dommage e'tait minime ; de telle sorte que tout le syslcme des contraventions de police ne fut qu'une repetition du code criminel au petit pied. Ccttc opinion s'accordc aussi peu avec les legis- lations positives , notamment avec le quatricrae livrc du Code pe'nai fraufais , qu'avec les principes. Le caracterc distinctif des peines dc MELANGES, 625 police est d'etre preventives , en cc sens que certaines actions on omis- sions, qui n'ont rien de crimincl en elles-memes, sont interdites et pu- nies, a cause des accidens funestes qui en re'sultent fre'quemment. L'in- te'ret de la surete publique et la modicite de ces peines peuvent seuls justifier leur nature preventive. Les peines criiiiinelles , au contraire , sont essentiellement repressives , el ne doivent s'appliquer qu'a des in- dividus coupables d'actions criraincUes en soi , et inde'pendainment des consequences faclieuses qu'elles peuvent entrainer apres elles. Un homme daugereux n'est pas encore un homme coupable , et par cda seul qu'une action est dangereuse , die n'est pas ne'cessairement crimi- nelle. II est vrai que les peines criminelles, par la crainte qu'inspircnt la menace ou I'exemple , ont I'avantage de prc'venir souvent des crimes, comme elles doivent aussi ame'liorer le coupable et rendre la se'curite aux citoyens ; mais ce sont la des effets de la peine , et non la raison qui rend son emploi legitime. Les the'ories de la prevention et de I'in- timidation , malheurcusement encore si re'pandues en France , parlent par consequent de la confusion d'un effet de la peine , effet imporlant sans doute, avec sonpriucipc, et conduisent dans I'application aux plus faussps et aux plus funestes consequences. U n'y a qu'un principe veri- table du droit criminel : ce.principe, c'est la justice. Principe bien vague, direz-vous, et qui a besoin lui-meme d'une ex- plication. Or, voici comment il se precise etse de'finit. L'ide'e de la justice, comme principe du droit criminel, est limitative et proportionnelle ; en d'autres lermes , pour cju'une peine soit juste et legitime, il faut d'abord qu'clle ne s'applique qu'a des actions verita- blement criminelles d'apres ce qui pre'cede , et ne s'e'tende pas a ccllcs qui sont exclusivement du ressort dc la morale , de la police ou du droit civil; il faut ensuite que les diffe'rcntes peines soient, par leur genre et par leur degre, dans une exacte proportion entre elles et avec les crimes qu'elles doivent rcprimer; de maniere que I'e'cbelle des pei- nes s'eleve parallelement a la se'rie ascendante des crimes. L'ide'e de la justice ne donne done au le'gislateur qu'une regie negative en quclque sorte ; eile restreint , par ces deux conditions , Ic droit de punir dans des bornes precises , au-dela desquclles Taction de la justice criminclle ne saurait se justifier. Mais dans ces limites I'litat peut user de son droit ou n'en user point, selon qu'il le trouvc plus utile, car souvcst la pru- 626 MELANGES. dcnce defend do scvir. C'cst ici la place dc la politique criminelle , et I'utilitc decide toutcs les Ibis que la justice est satisfaite. L'utilite clle- meme varic ne'ccssaircment selon la nature physique du pays , la forme du gouverncment . le caractere et les habitudes du peuple, le degre dc civilisation qu'il a atteint, et mille autres circonstanccs encorejau point qu'en partant du meme principe , on arrive dans I'application a des consequences diverscs, ct qu'une legislation pe'nale uniforme pour tous les pcuples ct toutes les cpoques serait une chimere et une absurdltc. Parmi les nombreux intc'rets que le legislateur doit consulter et sa- tisfaire ramc'lioi'ation des coupables et la se'curitc' de tous occupenl le premier rang. Ainsi , le syslcme pe'nitentiaire et les theories preventi- ves dans ce qu'clles ont d'admissible , trouvent leur application , mais seulement comme principcs secondaires et subordonne's a celui dc la justice. Par cctte combinaison de la justice ct de I'utilitc' , toutcs les peines deviennent d'autant plus cfficaces qu'clles sont justes; car une se'vc'ritc excessive rc'volte, lorsqu'on nc relndc pas , ct dans tous les cas elle ne peat qu'affaiblir le respect du a la loi. Dans une loi bien faite , toutes les dic'ories exclusivcs se completcnt les unes les autres , et so prelent un mutuel appui. Leur contradiction apparente se rc'sout sans effort lorsqu'cUcs viennent , chacune a son rang et suivant son impor- tance concourir a un systcme large ct liarmonique, seul capable de rc- pondrc a la fois aux besoins sociaux , a I'exacte justice et a la dignitc morale de I'liommc. Pour completer I'exposilion du systeme dc M. Mittcrmai'er, il fau- drait montrer I'application constante de ces principcs a toutes les ma- tiercs speciales. Ici se pre'scnteraicnt , outre la se'rie des divers crimes particulicrs , la question de I'imputabilite, a laquelle M. Mittermaier consacre un cours sc'parcj puis celle de la tentative, oil il faudrait distin- gucr, du point de vue objectif ougermanique, le point dc vue subjectif adopte par le droit remain et conserve jusqu'ici dans les lois francaises. Le dernier s'altaclie surtout a I'inlention du coupablc , ct considcre la tentative commc le crime meme, tandis que, suivant le point de vue pre- fe're en Allemagne , on a plus e'gard au fait materiel , et la tentative n'cntrainc qu'ime peine moindre, lors meme qu'cllc a manque son efl'el par des circonstanccs forluites et inde'pendantes de la volonte' de I'au - teur. Beaucoup d'autrcs questions encore me'riteraient un examcn dc- taillc s'il (itait possible de les abordcr sans c'crirc tout un livrc. II se- MELANGES. 627 fait interossant de comparer les opinions d'un des criminalistes les plus distingue's de I'Allemagne avec nos lois, notre jurisprudence, ainsi qu'avec les honorables efforts tenle's depuis quelque tems, soit par de jeunes e'crivains , soit par les pouvoirs le'gislatifs , pour ameliorer I'ad- ministration de la justice criminelle , le systeme penal et le regime des pMsons en France. Uninte'rel, de plus, que le cours de M. Mitterroa'ier offre a un Francais , c'est que les lois franfaises e'tant en vigueur dans les provinces rhenancs , le professeur se trouve naturellement provoquc a y preter une continuelle attention. Je dois pourtant exprimer sur ce cours non pas pre'cise'ment un re- proche , mais im regret : c'est que M, Mittermaier n'ait pas e'crit un manucl de droit criminel, comrne il I'a fait pour les autres parties qu'il enseigne. Ceci le re'duit asuiyre le manuel de M. de Feuerbach, avec les theories duquel il est pourtant presque toujours dans une opposition complete. 11 en re'sulte une disposition des matieres souvent peu convc- nable, qui oblige a de fre'quentes i-edites et jettc quelqucfois un peu de vague , de confusion et d'obscurite' sur des details qui se pre'senteraient avec tant de nettete' dans I'ordre logique reclame' par les principes ge- nc'raux. Peut-etre aussi le cours de M. Mittermaier semble-t-il, par la merae raison, trop difficile, ti'op fort pour ctre parfaitement compris et apprecie par des jeunes gens qui s'occupent de droit criminel pour la premiere fois, comme c'est le cas de la plupart de ses e'levcs. Ajoutez I'e'tat deplorable de la legislation criminelle en Allemagne , qui n'cst ccrtainement pas la faute du professeur , mais qui I'oblige a se battre les flancs pour justifier les derogations nombreuses, et, il faut le dire, arbitraires, qui se sont introduites dans la pratique. La Caroline, ren- due a une c'poque oil il n'existait point encore de prisons publiques , et qui prodiguait les pcines corporelles et capitales par ne'cessite' , est jus- qu'a ce joui en vigueur dans tous les pays de droit commun , c'est-a- diieceux qui n'ont pas, comme la Prusse, la Baviere, etc., une loi pe- nale particuliere. II s'en faut bicn ne'anmoins qu'on applique ces dispo- sitions rigoureuses.On a imagine' mille pix'textes plus ou mains spe'cieux pour e'luder une loi que la conscience ge'ne'rale re'prouve ; et une fois la peine legale abandonne'c , celle qii'on y substitue depend de I'arbitragc du juge. Quelle tristc ne'cessite pour un liomnie qui a des entrailles et un esprit droit, d' avoir a choisir entre une loi de sang d'un cote et I'ab- sence de toute regie de I'autre I Ne pouvant sc decider pour aucun do t>28 MELANES. ces partis extremes, on s'inge'nic a introduirc taut bien que mal quclqae re'gulai-itc' dans I'arLitiaire : c'est pitie dc voir pcrdre tant de sagacitc' a line tachc si ingrate. TMais qiiand on ne se laisse pas rebutcr par ces difficulte's , ricn n'est plus instructif ct d'un iutc'rct plus c'levc' , plus pathe'tique, que le cours dc M. Mitterraa'icr. II pre'scnte toutcs Ics questions dans des exempks palpitans de ve'ritc ; il les de'finit et les distingue avec finesse, et Ics re- sout aprcs une discussion lumineusc ou brillent rc'tendue et la varie'te' de ses connaissances, la vivacitc poetiquc de son esprit, sa longue expe'- riencc pratique , ct cette connaissance du coeur humain sans laquelle le criminalistc ne saurait faire un pas qu'il ne s'e'gare. M. Mittcrmaicr a compris combien e'tait ridicule la pretention de ces thc'oriciens casuistes qui jugcnt a fruid cc qu'il y a de plus passionne et de plus terrible dans les manifestations de la volonte humaine. II sait qu'il faut avoir vu dc pres la vie avec ses besoins et ses douleurs , ses luttes ct ses entraine- mens, ses situations varices enfin, si de'licates et si violentcs. Le prati- cien a de toutcs- ces choses une idee bien plus saine et plus vraie que ne lepeut donner I'e'rudition la plus laborieuse. II y a dans les regies vul- gaires et les adages , par lesquels le praticien se dirige , je ne sais quel instinct de justice et de bon sens dont il n'a pas toujours Tintelligencc bien clairc et bien raisonne'e; mais c'est I'ofiice de la science d'en rechcr- chcr la raison et d'en reconnaitrc le mc'rite. Ainsi, nous rctrouvons au plus haut degre'clicz M. Mitterma'i'er cette tendance pratique que nous avons dcja cu I'occasion de remarquer chez MM. Thibaut et Zachariae, et qui fait le caractcre propre de la faculte dc droit de Heidelberg. M. Mittermaier , en particulicr, s'efforce de re'aliser une alliance intiiue et une influence re'ciproque entrc la thc'orie et la pratique; mais il s'appuie partout sur une discussion approfondic des opinions contraires a la siennc, sur ime exe'gese conscicncicuse des text9S de lois, siu- le te'moignage de Tbistoire et sur la connaissance plii- losopliique dc la nature luimaine. La pratique doit scrvir dc verification ct comme dc picrre dc touclie a la science; mais il faut qu'a son lour la science e'claire et dirige la pratique : aucune des deux ne doit ctrc sa- crifice a I'autre. Cctlc liarmonie parfaitc est difficile a maintenir , ct la tendance pra- ticiue, lorsqu'on Texagcre, conduit a des rc'sultats raoins licureux. MELANGES. 629 Cest cc que proiive, cc me semble, Texeraple do M. le professcm- ex- traordinaire Morstadt. M. Morstadt est un hommeuniversel. Ilensei- gne le droit des gens , la diplomatic , le droit public de rAliemagne , I'c'conomic politiqiie , a qiioi il faut joindre encore des cours moins am- bitieux siir la proce'dure civile , le droit commercial et le droit prive germanique. M. Morstadt, qui mc'nagc en general assez pen ses colle- gues , s'est constitue, sur cette derniere branche du droit , I'antagoniste intre'pidc de tous les germanisles , ct en particulier de M. Mittcrraaier. Vous imaginez que ce doit etre quelque hardi novateur , recommanda- ble par une vaste e'rudition et par les progres qu'il a fait faire a la science. Point , il trouve ses pre'de'cesseurs trop savans ; sa grande affaire est de simpliCer une matiere en effet fort complique'e. Je n'ai garde de me'con- naitrc cc qu'il y a de me'ritoire dans ce de'sir de donner a I'exposition d'une doctrine toute la clarle, toute la precision dont elle est suscepti- ble sans nuire a la verite, a I'exactitude, et, s'il se pent, a la profon- deur. Or le droit comniun germanique est de sa nature quelque chose de singulierement vague, de flottant , de presque insaisissable, qu'on ne pent presenter convenablcment que dans son de'veloppement histori- que ct dans sa varie'te infmie de coutumes particulieres et de statuts lo- caux, qu'on de'figure , au contraire , et qu'on fausse des qu'on tente de lui donner la simplicite, la rigueur et la precision d'une legislation e'crite ct uniforme. Apres cela, je vous laisse a penser en quoi consiste le talent de M, Morstadt, si ce n'est a dissimuler des difliculte's ve'rita- bles , et a attirer les c'levcs par I'appat d'une etude facile, et d'une clarte' trompeiise ct superficielle. Un mot encore sur le debit dece professeur. En general, il n'y a ricn, dans les cours qui se font ici , du ton solennel et oratoire qu'on rencon- tre assez frequemraent en France; c'est plutot le ton de la conversation. Lesdicte'es interrompent, a desintcrvalles plus ou moins longs, les ex- plications ordles , dont la gaiete et la plaisantcric ne sont pas exclues , mais qui ne sortent gene'ralcmcnt pas des bornes de la convenance , sauf pourlant les exceptions , car il y en a. Je n'ai rien vu , par exemple , de plus grotesque , en chaire du moins , que le deTjit de M. Morstadt. II parle ct gesticule avecune vivacitc extraordinaire, commence une lon- guc digression qu'il intcrrompt brusqucment, parcc qu'il s'apcrfoit qu'il a divague' trop loin de son sujet , ou bien e'clatc de rire bii-memc le prc- TOME LV. SEPTEMBRE 1852. 41 63o MELANGES. niier, aux bons raots qui lui cchappent. Yoiis croiriez siirprendre a chaquc instant quelque chose d'cgare dans scs paroles , ct dans Tcxpression de toute sa personne. Plusieurs attribuent inerae a un le'ger derangement la suspension temporaire donl il fut frappe il y a plusieurs anne'es. N'allez surtout pas voir la iin actc d'opprcssion contrc la franchise d'un ensei- gnement libre, et fairc un martyr du libe'rahsme de M. Morstadt, qui n'est rien moins que liberal. Je n'aime pas les suspensions , les desti- tutions , et autres mcsures de ce genre; mais s'il est des cas oil elles ho- norent, il ne suffit pas d' avoir ete' destitue' ou interditpour y trouver un litre de gloire. Apres ces re'serves, je n'ai rien a opposcr a une autre version suivant laquelleM. Morstadt se scrait attire' ce de'sagrc'mcnt par sa familiarite un pcubrutale envers le grand-due alors regnant, qu'ilap- pelait publiquemcnt son beau-frcre, parce que le prince , assure-t-on, n'avait pas e'te insensible aux charmes d'une actrice distingue'e et sceur du professeur. Mais assez de ces boulTonncries tant soil peu liontcuses; elles vous montrent , Monsieur , que tout n'est pas hero'ique et sublime dans une imiversite allemande , et vous ne dc'daiguerez pas d'en rire un moment avec moi pour nous deride r le front, apres nos graves investiga- tions sur I'origine des socie'te's, la mission du pouvoir et le droit de punir. En parlant de MM. Thibaut, Zachariae'et Mittermai'er d'un cote, de M. Morstadt de I'autre, j'ai touche les extremes. Vous me dispenserez de m'arreter aux degre's interme'diaires. Qii'il suffise de nommer en- core M. RossHiRT, qui jouitd'une ccrtaine reputation commc romaniste. Comme criminaliste, il se distingue parmi les the'oriciens qui re'claraent avec le plus d'opiniatrete et de rigueur I'application des peines sc've- res et des lois tombe'es en desuetude. Ne vous c'tonnoz pas, Monsieur, si je ne dis rien des cours de droit naturel des docteurs Hepp ct Zoicrit.. Rien n'est plus simple que de poser quelques principcs abstraits de droit philosophique ; c'est une e'tiide de commenfans. La grande diffi- culte' consiste a de'duirc les principcs ralionnels de chaquc maticre spe'- ciale, et a montrer Icur application possi])lc dans la rdalitc. Cette e'tude la n'est point particulierc a un cours plutot qu'a un autre; elle se pour- suit ou doit du moins se poursuivre a travers tout renseignement, de maniere a clever peu a peu, avec maturitc, I'e'difice complet d'une phi- losophic du droit conciliablo avec les faits et les ne'cossite's sociales. Mon MELANGES. 63 1 observation n'a rien de desobligeant pour les jeunes docteurs que je viens de nomraer : ils remplissent une tache utile en donnant une intro- duction raisonne'e aux e'leves qui se pre'parent a I'e'tude du droit positif. Mais autre cLose est I'utilite de ces cours pour comple'ter un plan d'e- tudes, autre chose leur importance pour faire connaitre I'e'tat de la science en AUemagnc. Henri Klimrath. Heidelberg , ce 23 aout 1832. DE LA NECESSITE ET DES MOYENS DE CREER DES BANQUES DEPARTEMENTALES. Le de'velojipemcnt de I'industrie en France rend chaque jour plus sensible I'absence des moyens d'e'cliange, qui , en Angleterre et aux Etats-Unis, concourent si puissamment a la prospe'rite des travailleurs. L'utdite'des banques commence a etre ge'ne'ralement appre'cie'e, et c'est surtout dans nos villes manufacturieres que la fondalion de ces centres de credit est plus vivement re'clame'c. Aussi tandis que nos gouvernans semblent impassibles en pre'sence de rallanguissement du travail , des socie'te's sont fondees dans nos de'partcraens pour preparer , pour hater la realisation de ces puissantcs associations financieres , qui seules peuvent donner a I'industrie une impulsion que les relations actuelles du credit ne peuvent lui offrir. On nous communique , et nous nous empressons de publier ici I'ex- trait d'un travail sur cette maticre importante, travail qui a e'le' cou- ronnc par la Societe industrielle de Mulhouse , et qui , par la meme, acqiiiert un caractere de gravite'. Notre opinion , quant aux principcs qui en forment la base , est conforme a celle de son auteur , M. firaile Beres ; il n'en est point de meme quant aux moyens d' execution , sur lesquels nous nous proposons d'exposcr incessamraent nos vues. Nous devons toutefois reconnaitre que le systeme qui s'y Irouve expose serail, 41. 632 MELANGES. s'il e'tait realise , un progies incontestable snr I'ensemLle des moyens de circulation et de cre'dit dont le travail peul aujourd'hiii disposer j a cetitre nous le recommandons a I'attention de nos lecteurs. — rrrr- ~ ft tTff 1 '~ Pour donner quelque vie a ragriculture , a I'industrie et au com- merce si languissans de nos provinces , rien ne serait plus utile que de cre'er une banqiie par de'partement : il n'en existe aujourd'hui que trois ou quatre liors Paris j et c'est vingtfois trop pen. Quand on recherche attentivement les causes du malaise industriel et commercial de la France, on s'aperfoit bicntot qu'une des plus re'elles d'entre elles reside dans ses moyens d'e'change a la fois trop pen nom- breux et pas assez e'conomiques. Mieus avise'e que notrc pays, I'Angleterre y a pensedepuislong-tems : aussi quelle masse d'affaires n'est-elle pas a meme d'entrcprendre , dans I'enceinlc de son e'troit horizon , lorsque nous , sur le plus vaste theatre d'exe'cution , pouvons a peine nous rerauer ! A ne conside'rer que le mouvement commercial de I'Angleterre , on croirait qu'elle a beaucoup d'or et d'argent , tandis qu'aucun etat pro- portionnellement n'en a raoins. II y a a peine chez clle, en monnaie d'or et d'argent, 5oo millions* mais en echange elle a pres de deux mil- liards de papier de banquc , milliards qui eux-memes donnent une va- leur re'elle a une masse incalculable d'effcts de commerce : ils n'ont , il est vrai , qu'ime assez courte e'chcance , mais pouvant se renouvcler a I'aise , ils donnent ainsi une sure ct rapide impulsion aux affaires. II est facile de voir combien par-la le producteur anglais a d'avantagcs sur les producteurs des autres conlrees , force's par les conditions d'un credit restreint de fabriquer et de vendre pour ainsi dire, au jour le jour. L'Anglctcrrc est teliemcnt pe'ne'lre'e de I'avantage du papier de ban- quc, qu'elle le livre a la circulation sans qu'il soit garanti par une re- serve effective : il n'y a que la banque de Londres qui echange ses billets contre ar^'ent. Les banques de province n'y sont pas tenues; ce n' est sans doute pas plus sage, mais c'est ainsi e'labli , tant cettc habile et active nation est pe'nc'trc'e dc I'immensc puissance du cre'dit. A rexemple de I'Angleterre, les fitat-Unis ont porte une vivc atten- MELANGES. 633 tion sur le systeme des banques, qui s'est deVeloppe chcz eux avec une e'tonnante rapiditc. Le nombre de ces utiles e'tablisscmens est aujour- d'hui de trois cent trcnte , et leur capital s'eleve a cinq cent soixante millions de francs. Comment esperer de lutter avec quelque avantage centre ces peuples rivaux, si nous neprenons au plus vitedes armes e'galesaux leurs. L'e- tablissement des banques a pour resultat evident de fournir un moyen d'e'change plus prompt , plus commode , plus e'conomique que I'or et I'argent. Le transport du numeraire est fort couteux, fort embarrassant : et lorsque la masse des affaires est grande, c'est dans la balance des pro- fits d'une anne'e un notable de'cbet. II en coute annuellement a I'Etat , pour le maniement de Tor et de I'argent qui passe dans ses caisses , la somme de trois millions. On est a meme de juger par-la a quel chiffre doit s'elever cette meme de'pense dans le monvemcnt commercial de toute la France. Une fois la ne'cessite de I'e'tablissement des banques de'partementales bien constatee, nousdevons arriver auxmoyens d'exe'cutionj car n'e- mettre que des vceux serait ne vouloir qu'un bien a peu pres sterile. Le numeraire n'e'tant deja que trop rare dans la plupart des de'par- temens , le probleme a re'soudi'c est de cre'er des banques sans dirainuer en rien celui qui deja se trouve dans la circulation ; et comme il nous faut cependant un capital de garantie pour faire donne" de la con- fiance aux billets a e'metire , voici comment nous entendons qu'on devrait le former. Le capital de garantie d'une banque est d'autant meilleur qu'il est reel , appreciable , encaisse' , facilement ne'gociable ; mais commc lors- qu'on lui connait ces conditions , il est laisse presqu'en totalite dans Ics cofires de re'tablissement , parce qu'on lui pre'fere les billets plus com- modes a lancer dans la circulation , il n'est plus nc'ccssairc des lors qu'il soil en entier forme' de valeurs monnaye'cs. C'est dire que nous voudrions que , dans cbaque de'partement , les citoyens comprissent assez l)ien Icurs interets pour qu'ils fissent une masse de matieres d'or et d'argent, s'elevant a ijOoo fr. par mille ha- bitans : cette masse une fois faite, nous demanderions qu'une loi auto- risat le gouvernement , an moyen d'un emprunt, a doubler le montant 634 MELANGES. dn depot par des valeurs monnaye'cs. Le capital de garantie ainsi etabli, la banque se constituerait. De cette maniere un de'partement de deux cent mille habitans aurait une banque avec un capital de 400,000 fr, , ce qui permettrait d'e- mettre 800,000 fr. de billets ; et plus tard, lorsque la confiance serait bien e'tablie, il serait facile de porter cetle c'mission a un tiers en sus , proportion que I'expe'rience a de'raontre' etre sans danger ; car les en- gagemens des particuliers pris en e'change du papier de banque ont une valeur positive. Nous tenons a former la premiere masse du capital dc reserve avec des matieres d'or et d'argent , plutot qu'avec des valeurs immobilieres, parce que ccs matieres ont uue valeur peu variable , que dans un mo- ment pressant eiles sont facilement realisables , et enlin parce qu'en inte'ressant jbeaucoup de monde a la fondation de pareils c'tablissemens, c'estles rendre de prime abord tout-a-fait populaires. Ainsi , dans nos dc'partemens aujourd'hui si languissans , en se pri- vant pour un terns dc quelques objets de luxe , ou meme de quelqucs effets utiles , mais rareraent indispensables , le ne'gociant pourrait e'ten- di-e son commerce , I'industriel accroitre sa production , le proprie'taire, aujourd'hui si gene, voir montcr le prix de ses denre'es, et la classe ou- vriere augmenter ses moyens de travail. Quant au depot que nous demandons , il ne serait meme pas gratuit , mais bien au contraire a tous egards fort profitable , puisque indepen- damment de I'heureux resultat dont nous vcnons de parler , les de'po- sans seraicnt les fondateurs de la banque , et qu'une fois les frais de gestion et les inte'rets de la seconde partie du fends social distraits , ils bene'ficieraicnt de tout le reste. Voici une evaluation approximative du revenu des banques departe- mentales telles que nous les proposons. Un de'partement qui ferait un fonds social en matieres d'or ct d'ar- gent de la valeur de 200,000 fr, , recevrait du g^ouverncment un prel de 200,000 fr. en valeurs monnaye'cs. Avec ce capital de garantie de 400,000 fr. , la banque e'raeltrait 800,000 fr. de papier. Ce papier ecliange' dans Tanue'e contrc des effets , avec un escompte a 5 p. cent , rapporterait 40,000 fr. : otant de cette sommc 10,000 fr. pour I'inte- ret des '200,000 fr. emprunte's , il resterait loujours 3o,oo() tr. a par- MELANGES. 635 tagcr entre les frais de gestion , quelques non-valeurs , et les de'posaiis, fondateurs reels de la banque : ce n'est pas exage'rer de penser qu'ils reiireraient de leur depot au moins un inte'ret de i o p . cent . inde'pen- damraent de leur part des avantages ge'ne'raux. Quand bien merae, dans le principe dn moins , les dc'posans offri- raientdu nurae'raire a la place des objets d'or etd'argent , nous ne vou- di'ions pas qu'on I'acceptat, tenant beaucoup a ce qu'on ne cbangeat rien aux moyens actuels de circulation, qui ne sont deja que trop faibks ; et I'oa sait que Ic capital de garantie d'une banque est a peu jjrcs perdu sous ce rapport. Pour ce qui est des dangers de perte, on doit peu s'en inquie'ter, si Ton apporte quclque sagesse dans I'acceptation des effets pre'sente's a I'escomptc; et cela n'cst point difficile: car dans les de'partemens on connait fort bion , sans grandes recherclies , la fortune fonciere et mo- biliere, ainsiqueles garanties morales des particuliers. Si lors de la crise coinraerciale de I'Anglcterre , en 1825 , plusieurs de ses banques n'ont pu re'sister a la secousse , cela a tenu a ce qu'elles avaient escompte' outre mesure et avec une le'gerete irapardonnable. En Angleterre, d'ailleurs , les banques de province n'ont e'te long-tems que des associations de six pcrsonnes au plus , ct des lors elles ne pouvaient etre d'ordinaire que faiblcs , et souvent imprudentes dans leurs ope'- rations. Maintenant que le privilege de la banque de Londres n'est plus aussi e'tendu , il est presumable que les banques de province prendront une plus grande extension, et pourront acquc'rir une plus grande solidite. C'esten 1826 que, du consentement de la grande banque d' Angleterre, on leur a permis d'augmenter Ic noml)re des societaires , pourvu que I'e'tablissement fut situe a plus de soixante-cinq milles de Londres. Les banques d'Ecosse n'ont jamais e'te' atteintcs par leprivile'ge de la grande banque ; aussi reposent-ellcs sur des bases plus larges et plus sures , et les donnons-nous plus particulierement en exeraple a notre pays. Les billets de banques de'partementales , toujours reraboursables a vue, scraicnt d'une valeur moindrc que les billets de la banque de France ; la plus grande partie serait de 1 00 fr. Pour faciiiter la formation dc la premiere partie du capital de ga- 636 MELANGES. rantie, onponnait I'etablir par commune, sauf aux de'posans a s'cnten- dre sur la mise proportionnelle de chacun pour Ics intcrets. Unc retenue sur les benefices pourrait etre faite , soit pour augmcnter le fends social , soit pour restituer I'une ou I'autre partie du capital de garantie. Les banfjucs dcpartementales admettraient les cffcts a deux signa- tures lorsque ccs signatures scraient de premier ovdre ; on en pourrait exiger un plus grand norabre lorsque les surete's paraitraient moins grandes. Telles sontlesprincipalcs conditions que nous proposons.Nousncvoyons pas qu'on puisseleur ojiposerdc se'rieux obstacles; ct si nous ne nous trompons, les sacrifices que nous demandons ne sont nuUeraent compara- bles aux re'sultats probables. La privation dans un menage de quelques couverts d' argent, I'abandon momentane de divers bijoux, seraicnt lar- gemcnt compcnse's par I'aisance que procurerait dans iios departc- mens un capital circulant de plus decent millions, lequel amenerait a son tour par la facilite' du placement des cffcts une masse tres-grande d'affaires. La banque de France, avec un capital primitif de go millions, est arrive'e a preter plusieurs centaincs de millions par trimestre , et a cle- ver I'industrie et le commerce parisiens a la plus haute prospe'ritc'. La banque d'Angletcrre , avcc un capital primitif de 3o millions suc- cessivement accru , a pu faire en moins d'uu siecle une masse d'affaires presque liors de calcul , ainsi que des benefices enormes. II y aura sans doute a surmontcr quelques defiances dans les provinces pour faire admettrc couramment un papier en place d'argent ; ou s'y souvient encore avcc cffroi du sort des assignats : mais on comprcndra bientot, nous I'e.spe'rons, que ni le terns ni les cas ne sont plus les memes. L'acceptation d'ailleurs des billets de banque sera toujours libre; et ccs billets cux-mcmes seront e'cliangeables a volontc contre ar- gent ; et , puis , il faut se dire qu'uae banque n'a pas la liberie' d'e'met- tre des quantitc's illimite'cs de billets comme la prenait la Convention. Quant a Law, il put aussi abuser de son systeme, puisqu'il ope'rail de connivence avcc le gouverncment conompu de son tcms , et qu'alors , bien plus qu'aujourd'hui , Ic public c'tait dans unc complete ignorance de la science e'conomique. Law emit deson i)apier pour lo milliards , MEIiANGES. 687 et remission des assignats s'eleva jusqu'a la somine enorme de 45 mil- liards. On n'a certainement plus a craindre dc nos jours un pareil abus du credit public, non plus que ses de'plorables re'sultats. Pour ce qui est des hommes charges de la direction des banques , il n'y a nul doute qu'il s'en trouverait de capables dans cbaqu,- de'parte- ment : on les prendi-ait dans les membres les plus notaljles du corps in- dustriel et commercial. Le gouverncment pourrait d'ailleurs avoir un commissaire pres de chaque banque , avec mission de veiller a I'exccu- lion des reglemens. Nous voudrions qu'indc'pendammcnt du fonds social , les banques de'partementales fussent autorise'es a recevoir en compte courant tout I'argcnt que leur apporteraient les particuliers ; le plus petit capital ne serait pas ainsi oisif , ni expose aux vols , aux incendies ; les ressources des banques seraient aussi plus grandes. C'est ainsi qu'opercnt les ban- ques d'£cosse,qui, recevant chaque jour les renlre'es des maisons de commerce et des simples particuliers , et acquittant leurs paieraens , les dispensent de tenir une caisse ; ce qui est une de'pense et un grand em- barras de moins. La situation (Inanclere de I'lfecosse est beaucoup moins embarrasse'e que celle de I'Angleterre , et nous sommes persuade's que celte diffe- rence tient surtout a I'liabile organisation et au bon effet de ses ban- ques. Par la on a sans cesse un e'tat exact de sa situation sous les yeux, et c'est le plus sur raoyen de ne faire illusion ni aux autres , ni a soi-meme : on n'a pas non plus a s'inquie'ter de riraprobitc de ses agens, et c'est un assez grand avantage. D'apres ce qui se passe ailleurs , on pcut voir combicn la creation des banques de'partementales serait favorable a I'agriculture, a I'industrie et au commerce, notamment sur les points e'loigne's de tons les grands centres de richesse et de credit. Dans Tetat actuel des clioses, leplus grand pro- prie'tairc, Ic plus fort fabricant, I'industriel le plus laborieux et dc la phis surfemoralite', peuvent, dans le plus grand nombre des localite's, se trouvcr embarrasse's par de le'gers besoins , tandis qu'cn face d'unc banque qui connaitrait toute leursoliditc, ilsn'auraient nuUe inquietude a eprouver. Ce qui entrave si fort toutcs nos industries , c'est que presque partout on ne sait , on ne veut faire des affaires qu'avec des ecus. C'est tout-a- 638 MELANGES. fait rinduslrie et le commerce a leur enfance ; il faut necessairement que cet e'tat de chose change. Dans ies de'partemens ou il se trouve plusieurs villes impoitantes, on etablirait des succursales de la banque de'partementale , comme on le fait en Ecosse. Ainsi il serait fort juste que Mulhouse, qu'Elbeuf, que le Havre , Saint-fitienne, et Baionne, qui jouent im si grand role dans I'unite de'partementale, n'eussent pas a aller au chef-lieu pour faire leur profit des avantages du cre'dit. La creation des banques de'partementales devrait encore amener quelques modifications dans notre malheureux systeme de saisie immo- biliere , comme dans celui des hypotheques. II ne serait pas mal noa plus que Ies cre'ances des banques fussent assimile'cs aux crcanccs pri- vile'gie'es de I'art. 2,101 du Code civil: et ccci , nous le demandons moins dans I'intc'ret des banques que dans celui des emprunteurs ; car plus ils offriront de surete's , plus le cre'dit qu'ils solliciteront leur sera facile et pen couteux. Nous laissons avec intention de cote Ies questions de de'tail ; ce n'esl point ici le lieu de Ies discuter. Quant aux points essentiels que nous aurions pu omettre, nous prions Ies horaraes habiles et d'expe'rience , auxquels nous nous adressons , de Ies suppleer. fiiMiLE BiiREs, du Gers. BULLETIN BIBLIOGRAPHIQLE, I^IVRES ETRANGSRS. ETATS-UNIS. f)6. The life of Gouverneur Morris. — Fie de Gouverneur Morris , avec iin choix de sa correspondance et de ses divers e'crits , relatifs a la revolution amc'ricaine , a la revolution francaise, et a I'histolre politique des ifetats-Unis, par Jared Sparks. 3 vol. in-S". Boston J publie' par Gray et Bov^en; i832. Gouverneur Morris est une de ces illustrations poliliques, une de ces ames pures , e'nergiques , infaligables , dont Ics patriotiques efforts ont conquis et assure' rindc'pendance de I'Ame'rique du Nord. Sa vie a etc pleine et diverse, comme celle de tons Ics liommes forts qui arrivent sur la scene du monde politique dans une e'poque mure pour de grandes choses; etses e'crits sonl varie's, de'cousus comme les momens de sa vie , dont ils sont pour niusi dire la trace solide. Ce n'est point un e'crivain de profession , ni meme un homme qui songe a laisser en passant une ceuvre litte'raire : comme ses compatriotes et contemporains Washington, Franklin, etc., Morris, toujours rappele' dans le domaine d'une vie re'elle et agite'c, n'a pu laisser aucun ouvrage de longue haleine. C'cst tout simplement un ministre d'etat qui fait des lettres officiellcs ; un C>/^0 LIVRES ETRANGERS. oLservateur qui consignc dcs fails ct des anecdotes dans un Memorial pour soulager son esprit, et qui correspond avec des amis sur les e've- nemens du jour. Mais aussi il y a la pour les liistoricns des deux mondcs, une clironiquc ine'puisable, une foule de reflexions neuves ou prophc'tiques, a consultcr el a me'diter. L'inte'rct tout particulier de ces docuuiens ne surprendra point lorsqu'on saura que Morris , comrae Lafayette , vil s'accomplir les deux reVolutions qui , sur cliacun des hemispheres , sont les plus pleines d'avcnir dans les temps modernes ; qu'apres avoir e'te'acteur influent dans celle qui de'livra sa patrie, il fut spectateur demi-actif de la notre , en qualite' de ministre des fitats-Unis aupres de la cour de France , et que , pre'scnt a I'ouverture des e'tats- ge'ne'raux, il entendit aussi le roulement de tambours de Santerre, et ne quitta la France qu'en i794- Cast done surtout a litre de temoin oculaire et compe'tent de notre revolution que Morris merite Taltention des historiens et des publi- cistes francais. Sansdoutela revolution francaise estsuffisarament juge'e dans scs grands re'sultats pbilosophiques et dans ses consequences poli- tiques les plus eloignecs ; mais sous le rapport de la morale individuelle contemporaine et des details dramatiques , il e'tait permis de desirer la contiadiction ou la sanction eclaire'e et pluscalme d'une voix exte'rieure. II e'tait bon et curieux qu'un e'tranger , un des peres de I'inde'pendance ^ime'ricainc vint racontcr les fails a sa maniere, opposcr le contraste de son point de vue , de ses moeurs , voire meme de scs prejugcs , a tant d'appie'ciations soi'ties de deux monies uniformes d'ide'es , de passions et eiitio?ic\iair^ee de donner une constitution aux Etats-Unis. Pendant cette premiere pe'riode de sa vie politique , Morris est par- tout et aide a tout : il est dans les traite's , dans les camps , dans les de- bats parlementaires et dans la haute administration ; ami des premiers chefs civil et mibtaires de ce nouveau peuple , il correspond avec tous les grands acteurs dc la guerre d'inde'pendance. On comprendra done combicn ceux de ses ecrits qui se rapportent a cette partie de sa car- riere sout des sources authentiqucs , et peuvent faire autorite pour I'his- toire. Depuis long-tcras Morris nourrissait le de'sir de voyager en Europe. II partit cnfin pour la France , ou I'appelait d'ailleurs une affaire com- raerciale en lilige , au succes de laquelle e'taient attaches se'rieusement des inte'rets dont il e'tait solidaire. Morris se proposait aussi de visiter la Hollande ct I'Angleterre. Washington lui donna des lettres d'intro- duction pour chacim de ces pays , et Morris arriva a Paris , le 3 fe- vriei' 1789. On y pre'ludait a la revolution. C'est alors qu'il commenca a consigner dans un journal courant les e've'nemens politiqucs dont il e'tait tc'moin et les impressions qu'il en recevait. Ce journal remplit une grande partie de I'ouvrage que nous annonfons. II ne pouvait manquer d'etre interessant : I'auteur puisait .lux. plus hautes, sinonaux meilleurcs sources; et s'il n'interpretc pas aussi souvent bien les faits qu'a droit ETATS-UNIS. 643 de I'exiger une saine et baute philosophic de I'histoire, du moins les connaissait-il et les racontait-il toujours dans leurs ve'ritables circon- stances. Admis et recherche' dans les cercles de la noblesse et de la cour, et souvent cite par eux comme un oracle , Morris dut , comme nous le verrons bientot, empreindre chaqiie chose de la teinte aristocratique. En Janvier I'JQO Morris, ayant regu dcs pouvoirs expres de Washing- ton, fit un voyage a Londres dans le dessein d'amener un traite' de com- merce entre les Etats-Unis et I'anciennemetropole. II vint six mois apres a Paris , ou la revolution poussait toujours en avant. « Ses tendances aristocratiques a I'e'gard de lacour de France, dit son biographe , n'avaient point diminue' pendant son absence. » Morris fit denouveau deux voyages tres-courts a Londres en I'^gi et 1792. Jusque-la toutefois , il n'avait eu encore aucun caractere politique aupres du gouvernement fran^ais ; mais tandis qu'il e'tait encore a Londres , le se'nat , a la raajorite de cinq voix seulement , le nomma , le 1 2 Janvier 1792, ministre ple'nipoten- tiaire des Etat-Unis aupres de la France. Au retour de Morris a Paris, le bruit courut dans les cercles politiques que le cabinet francais refu- serait de le reconnaitre en cette qualitc' , a cause de ses relations et de ses ante'ce'dens aristocratiques. Brissot, dans son JQurnal, venait d'insi- nuer que Morris e'tait alle' a Londres de la part de la cour pour contrarier la mission que I'e'veque d'Aulun ( Talleyrand ) y reraplissait alors au nom ou dans I'esprit de I'assemblc'e constituante. Neanmoins, Morris fut pre'sente au roi le 2 juin 1792. Depuis cette e'poque, jusqu'au mois d'aoul 1794 > il resta a Paris en cette qualite' : il fut alors rcm- placeparM. Monroe, sur la demande et par represaille du gouver- nement franfais contre celui des Etats-Unis , qui avait demande le rap- pel du ministre de France aupres du president americain. Remarquons ici que Morris , avant et surtout aprcs la mort dc Louis XVI , ne fut jamais bicn vu dcs ministrcs patriotcs et des hommes nouveaux : ce qui ne I'empecha point , seul entre tous les ambassadeurs e'trangers , de rester a son poste pendant la terreur. Morris cepcndant fut plus d'une fois en danger , et un jour racme il fut arrete' comme n'e'lant pas muni d'une carte de ciloycn. Les autorite's municipales , centre le droit des gens , violaient sa demeure par dcs visiles domiciliaires et des perquisi- tions re'volutionnaires. Cepcndant il traversa heureusement cette e'poque si difficile, et sut mc'nagcr aux deux pays les avantages de la paix. 644 LiVREs Strangers. Morris quitta definitivemcnt Paris et la France Ic ii octobre 1794, mais il ne se rendit point imme'diatemcnt en Amc'riqtie. Pendant trois ans il parcourut I'Europc. II alia d'abord en Suisse , ou il vit en pas- sant les ilUistres habitans de Coppet , Necker et madamc de Stael ; puis en Allcmagne, et de la en Angletcrre, oil il vit Pitt et le roi. II revint encore sur le continent , il alia a Vienne , et la il cssaya de de'livrer Lafayette de sa captivite d'Olmutz. Enfin, le i4 octobre 1798, Morris fit voile de Hambourg pour New-York . Peu dc tcms apres, en 1800, il fut choisi par la legislation de New-York pour une place vacante au se'nat des Etats-Unis, Mais, en i8o3, un changement ayant eu lieu dans le personnel de la le'gislatiire, il ne fut plus re'e'lu : ce fut la la derniere scene de sa vie politique. Bentrc dans la vie prive'e , il passa le reste de ses jours a Morrisania , ou unc grande fortune, de norabreux amis, une belle campagne lui as- surcrent plus de bonlieur qu'il n'availose espe'rer. II mourut le 16 no- vembre 18 16, a I'age de soixante-cinq ans. Morris, dc sa rctraite, cor- respondait encore assez activement , et il s'occupa dans les six derniercs anne'es de sa vie du canal Erie' , et dc plusieurs autrcs travaux sem- blables. Ce serait ici le lieu de citer , et surtout de citer sur I'histoire dc la revo- lution franjaise. Nous alliens nous proposer cette tach e, lorsque lalecturc d'un article de la Revue britannique sur ce meme ouvrage est venu nous imposcr en meme tcms I'obligation de retablir sur plusieurs points la verite' qui sembie avoir c'te' alte'rce a plaisir. Ce que cctte Revue a im- prime sous le nora de Morris a etc' apprete et concerte' dans une inten- tion si evidente d'liostilile' centre la revolution franfaise et les ge'ne'ra- tions qui I'ont accomplie , et traduit avec tant d'infidc'lite' et de mau- vaise foi, que, notre sujctnousy condnisant, nous nepouvons nous empc- clier dc relevcr , sinon toutcs les crreurs, au moins celles qui ont le plus de saillie et de porte'e. Sans insister davantage sur cc qu'il y a de peu loyal dans I'csprit de dc'nigrement qui caractc'rise I'article dont nous parlons, nous allons passer tout de suite a la preuve de ce que nous avons avance'. Ami de Francklin, de fFashiiigton , de LafajeUe et de Je(fer- son , dit la Revue britannique, untelhomme nepeut etre soupconne tie partialitd cii favour des classes aristocratiques. — Sans doute il etats-unis. 645 flit rami de ccs hommes populairesj mais cc qu'on ne dit pas, ct ce qui scrait ici denisif,c'est qn'il fut renncmi de Iciirs opinions, et ne fut nuUement populaiie dans son pays ; au dire dc son biograplie , qui certes lui est assez favorable d'ailleurs , on peut le ranger parmi les ultra-federalistes , c'est-a-dire parmi ces hommes qui sont aussi aris- tocrates qu'on peut I'etre sans danger dans une re'publique naissante. A cet e'gavd les preuves ne manquent point : « A la convention , dit » M. Madison , Morris fut loin d'incliner pour le cote' de'mocratique. II » proposa un se'nat a vie, qu'il regardait comme esscntiel a la stabilite » ct a I'e'nergie d'un gouvcrnement capable de prote'gcr les di'oits de la » proprie'te' contre I'esprit de democratic. II de'sirait que le poids de la 5> ricbesse balan^at celui du norabre » Les proces-verbaux de la convention conGrment ce qu'avance Ma- .dison. On y voit Morris s'avouer le partisan d'un gouvernement fort 5 mais il admet que la tendance aristocratique de la richesse doit etre conservee II veut un se'nat a vie compose' d'hommes posse'dant de grandes propriete's , et dont I'orgueil concoure a assurer leur stabilite et leur esprit de conservation; il demande que les places vacantes du se'nat soient reraplies par le pouvoir exe'cutif , et enfm il s'oppose a la proposition tcndant a exclure les se'oateurs des emplois publics. Et maintenant si nous disons au lecteur que Morris , en France , partageait a peu pres les opinions du parti appele' monarchien , et dont Mou- nier, Lally-ToUendal , etc. , furent les chefs , il trouvera cela tout na- ture!, et il pensera que Morris e'tait conse'quent avec lui-meme. Mais s'il fallait des preuves plus directcs du faible de Morris {)0ur les distinctions aristocratiques , il nous le re've'lerait lui-memc a mer- veille , lorsque au terme de sa vie on le voit mettre cette clause dans son testament : «Mais, dans le cas oil ma femme n'aurait rien statue a crt » cgard, je donne alors mon bien a Louis Morris-Wilkins , fils dc ma » soeur Isabel]e,(i condition qu'il quitte le nom de Wilkins, et portc le » nom et les armes de Morris. » Et puis Morris ne trahit-il pas tout d'un trait la physionomie politi- que qu'il revetira parmi nous, lorsqu'il dit, dans un discours prepare pour etre lu par Louis X\ I a I'assemble'e constituante. « La raison rt » le bonheur se trouvent dans un juste-milieu. » Evidemmcnt tout ce qu'un tel homme dira en politique scntira I'a- TOME LV. SEPTEMBRE i852. -42 64t> LIVRES ETRANGERS. inour des dictinctions facticcs, et il suffirait de le transporter en ide'c parmi nous en i83j, pour en faire un franc doctrinaire et le partisan naturel des opinions que croit de'fendre la Revue hritannique : mais cela ne prouve pas du tout qu'il ne puisse etre soupconne de par- tialite en faveur A'wnc CQviAma aristocratic renouvele'e. La Revue est d'autant plus aveugle de ne point Ic reconnaitre , qu'elle a tradiiit elle-meme ces lignes : « Je chcrcte a inculquer a La- » fayette raon opinion sur les dangers qu'cntrainera la chute de la no- » blesse et sur la ne'cessite' de ne pas detruire toute aristocratic, « Nous allons maintenant , tout en citant ce que Morris dit de plus saillant sur la revolution , continuer a appre'cier la me'tbode em- ployee par la Revue hritannique. La tendance gene'rale des opinions de Morris nous etant connue, nous nous expliquerons facilement scs juge- mens; nous coraprcndrons comment «des le premier jour de son arrive'e en » France, Morris montra tres-peu de cordialite et de sympathie pour les » revolutionnaires ; pourquoi, bien que plusieurs de ses liens d'amitie » fussent parmi les chefs de ce parti , ses affections prirent bientot une au- T) trc direction , et ses intimes furent principalement dans la liste de » ceux qui voulaient sculement une re'forme mode're'e de I'ancien regime, » mais qui repoussaient les projets et les principes revolutionnaires; » enfin nous avens la cle' de ses opinions , de ses conseils et de ses actes. Voici quelques exemples des jugemens de Morris sur les liommes el sur les clioses, avcc leur interpretation par le traducleur : ci 6juin. — A dix hemes je vais souper avec madame de Fla- » haut L'eveque d'Autun ( Talleyrand), qui fait » partie de notre socie'te et qui est I'intime ami de madame de Flahaut, » me parait un homme ruse, fin, ambitieux , froid etmalicieux. Jenc » sais pourquoi une opinion si de'savantageuse pour lui s'est forme'e » dans mon esprit : mais elle est telle, ct je ne puis I'cmpecher. » La Revue sc contente de dire : « Hier , chez madame de Flahaut , » j'ai rencontre M. de Talleyrand, e'veque d'Autun. Sa physionomic » m'a semble celle de la finesse , de la inalice et de la froideur.» JJ am- bition e'tait de trop pour la Revue. A propos de ce personnage , Morris ccrivait ailleurs : « J'ai lu les me'raoires de Talleyrand , dans lesquels » j'ai lroi:vc' quelques verite's et beaucoup de faussete's. Tout y est cxa- » gerc', nicme sa richcssc et ses talens. Son caractere aiissi y est mal de- ETATS-UNIS. 647 » peint. II n'a pas, a vrai dire, de penchant criminel, quoique certaine- » ment il reste neutrc entrc le vice et la vertu. II est plutot juste qu'in- » juste, et n'accomplirait pas, je pense, un grand crime. » ( Page sj32, IIP vol. ) « 1 1 juin. — M. Jefferson a e'te' a Versailles. Le tiers a requis la no- » blesse et leclergc de se joindre a lui, et de s'occuper des affaires pu- » bliques ; ce que la noblesse a rejete avec cmportement. II considere les » affaires de ce pays comme e'tant dans une situation tres-eritique. Elles Ic » sont effectivement : maisl'autorite'royale a encore un grand poids; et si » elle vient en aide aux ordres privile'gie's , clle peut encore prevenir » leur destruction. Cependant lui et moi nous differons dans notre sys- » teme politique. Avec tous les meneurs de liberte' de Paris, il desire » rabelition des distinctions d' ordres, Combien de telles opinions sont » raisonnables , quant aux socie'te's en ge'ne'ral, c'est ce qui, je pense, » est extremement proble'matique. Mais quant a cette nation, je suis » sur qu' elles sont fausses et qu' elles nepeuvent aller a bien. » La Revue dit : « M, Jefferson , qui arrive de Versailles , considere » la situation de la France comme infiniment pe'rilleuse. Je suis de son » avis , mais je suis loin de penser comme lui que 1' abolition des dis- » tinctions sociales puisse etre utile a la France. La nature humaine » me semhle repugner a cette pretendue egalite. Quant au pays ou » je me trouve, il ne faut qu'wra peu de hon sens pour reconnoitre » que cette egalite lui convient moins qu'a tout autre , et pour en » prevoir les dangereuses consequences. » Mais c'est surtout dans la traduction d'une lettre a Washington que la Revue se permet des licences sans pareilles. Apres avoir ecrit en titre : A Georges Washijigton (29 avril) , la Revue e'lague des pas- sages, des paragraphes entiers de cette lettre , et vient y en ajuster d'au- tres qu'elle extrait de trois lettres diffe'rentes ecrites a d'autres person- nes , laissant croire cependant que toute cette rapsodie est adresse'e a Washington. Comme cette lettre est une des plus inte'ressantes du re- cuei! de Morris , nous la citerons en partie : « A Georges Washington, Paris 29 avril 1789. — Cher monsieur , » J'ai eu le plaisir de vous ecrire une petite lettre, le 3 de ce mois. » Depuis lors, M. de Lafayette est de rctour de sa campagne politique » en Auvergne, ou il a obtenu le plus grand succes. II avail contre lui A.'2. 648 LIVRES ETR ANGERS. » les prejugc's ct Ics intc'rets dc son ordrc et rinflucncc dc la leine ct » dcs princes (cxccple le due d'Orlc'ans) ; mais il e'tait trop capable pour » scs concurrens. 11 a rempli le role d'orateiir avec autant d'e'ciat que » toujours il reraplit cclui dc soldat, ct il est a present aussi envie' et » lia'i que son coeur ])cut le dc'sirer. II est aussi fort aime de la na- » tion , qui le regarde comme un des principaux defenseurs de ses » droits. » De tout cet aline'a, la Revue se contente d'extraire les quatre lignes suivantes : « M. de Lafayette vient de joucr son role d'orateur avec au- » tant d'e'ciat et de succes qu'il a joue celui de soldat. II est aussi envie' » et aussi hai que son ambition peut le de'sirer. » Comme s'il c'tait de'fendu de louer M. Lafayette, la Revue laisse tombcr quelques points a la place ou Morris dit : « II est fort aime de » la nation. » Et puis nous nc savons par quel malheureux hasard, lorsqu'il s'agit de Lafayette , la Revue vient mettre V ambition oii le tcxtc met seidement le coeur , tandis que dans le portrait de Talleyrand , comme nous I'avons fait remarqner , elle biffe V ambition , laquelle ne'an- raoins est bien ccrite en toutes lettre : ambitious. Cot amour d-"; la Revue pour une puissance dechue cclate partout dans son article. Par exemple , si Morris consigne dans son journal, rclative- ment a Lafayette : « Je lui dis que quant a lui-meme sa position per- » sonnellc est tres-delicate • » la Revue traduil : « Quant a vous , votre » position est delicate : elle est dangereuse , parce qu'elle est fausse , » ct pourlant Morris ne dit pas un seul de ces derniers mots. En general , Morris est tout autre dans ses lettres que dans son jour- nal : ici il est satiriquc, exage're'j dans sa corrcspondance il est se'rieux, et parait se rapproclier de la verite. On pcnse bien que si la Revue veut peindre une notabilite re'volutionnairc , elle s'adressera au journal: c'est ainsi qu'clle y prend sur Necker, sur madamede Stacl. etc. , desjuge- mcns singulit-rcment mitige's ou dementis aillcurs. En 89 , « madame » Necker est une femme virile, M. Necker a tout I'air d'un ne'gociant, » et le velours brode' dont il est convert jure singulicremcnt avec sa » tournure dc comptoir. Une solennite' affecte'e qui se re'pand sur toutes » scs actions a I'air de dire: foyez , je suis un grand homme. Je sc- )) rais forte'onne si ccia ctaitj ce doit etre un liommc laborieux, et rien » de plus. )> ETATS-UNIS. 64y J'en suis fache pour Morris, et plus encore pour la Revue , mais en go notre diplomate ecrit a Georges Washington : « C'est un homme de » ge'nie (Necker) , et sa femme une feinme de sens : ma's ils raanrjuent » tons deux de talent, ou du moins des talens d'un grand minislre. » Nous nous contenterons maintenant d'extraire du journal ou des iettresde Morris un petit norabre des passages lesplus propres a montrer sous quel point de vue il envisageait celte e'poque a jamais me'morable , et avec quelle espece d'instinct de divination il a pressenti et pro- phe'tise' la plupart des grands e've'nemens. Voici d'abord la suite des fragmens de sa lettre : ^ Georges fVashinglon, i5 avril 1789 « f^es » elections sont termiuees par tout le royaurae , excepte dans la capi- » tale; et d'apres les instructions donne'es aux repre'senlans (par les » cahiers ), il parait que certains points sont universellement demandes , » lesquels , s'ils e'taient accorde's et garantis, rendraientla France parfai- » tement libre quant aux principes de la constitution, Je dis quant aux » principes , car il faut au moins une ge'ne'ration pour en rendre la pra- » tique familiere. Nous avons, je pense , do bonnes raisons pour de- » sirer que les patriotes reussissent. Le besoin ge'ne'reux qu'un peuple M librc doit e'prouver de propager la liberie , re'motiou de gratitude » qu'on ressent au bonlicur d'un bientaiteur , et le grand inte'ret que » nous avons personnellenient a voir ce pays libre et puissant , tout con- » court a ne faire de nousrien moins que des spectateurs indiile'rens )) Les e'le'mens pour une revolution dans ce pays sont presque nuls. » Chacun avoue qu'il existe une depravation complete ; mais cette as- » sertion ge'ne'rale ne pent en faire comprendre le degre a un Ameri- )) cain. Nulle flgure derhe'torique , nulle expression , quelque e'nergique » qu'elle soil, ne pent en donner I'idee. llfandrait citer cent anecdotes, » cent mille exemples , pour faire concevoir I'extreme corruption de la » masse. Sans doute il y a des bommes et des femmes grandement , » sincerement vertueux , et j'en connais pour ma part un grand nombrc, » mais ils font exception et restent dans I'ombre » Je vous avoue que je ne suis pas sans quelque crainte en voyant » certainj)rincipe funeste prc'valoir dans tons les rangs. Je veux parler de » cette complete indifference pour le me'pris desserraens. L'inconstance » est teilemcnt melee a leur sang , pe'netre tellement j usque dans leurs 65o LIVRES ETRANGERS. » OS J elle est si essentielle a ce peuple , que quand un homme de haul » rang et d'iiaportance rit le lendemain de ce qui la veille faisait sa » croyance , on considere cette conduite comme etant dans I'ordre na- » turel des choses. La consistancc est un phenomenc; jugez alois de ce » que vaudrait une re'publique , si jamais elle c'tait propose'e et adopte'e. » La grande majorite' du bas peuple n^a pour religion que ses pretres, » pour loi que ses superieurs , pour morale que son interct. Ce sont ces » cre'atures qui , guide'es par des liommes e'gare's , s'en vont raaintenant » sur la grande route de la liberte. Le p/emier usage qu'ils en font^, » c'est de former des insurrections de toutes parts pour le manque de » pain » « A Washington , Paris , 28 octobre 1792 La France » a pour allie's naturels toutes Ics nations soumises au despolisme; » mais , par celte raison meme , elle a un ennemi raortel dans tous les » rois. Si, comme il se peut tres-bien , la coalition tenail ferme jusqu'au » printems procliain , elle aurait d'ici la un grand nombre d'auxiliaires, » et je serais grandcment trompe' si la nation fraufaise faisait encore » d'aussi grands efforts que ceux qu'clle fait maintenant. Dans toutes » les questions politiques le caractere des nations doit etre considere j » or celui de la France fut toujours une inconstance enthousiastc. On » s'y lasse vite de toutc chose. Les Francais adoptent sans examen et » rejettent sans motifs suffisans. Les voici maintenant avcc leur re'pu- » blique , et demain ils adopteront peut-etre avec acclamation une » autre forme de gouvernemcnt ; mais qu'ils adoptent une bonne forme , » ou que, I'ayant adopte'e, ils y adherent, c'est ce que je ne crois ') point » v^ A Georges fFashington , 18 octobre 1798 Quelles » que puissent etre les destine'es de la France dans un lointain ave- » nir , et en mettant de cote les e've'nemens militaires , il semble » evident qu'ellc doit bientot etre gouvernee par un seul despote. Si » elle y arrivera par I'intermediaire d'un triumvirat ou de quelque » autre petit corps , cela est encore incertain. Jc pense cependant » qu'oui. Une grande et terrible crise semble immincnte » Ce despotisme d'un seul revient sans cesse a la pcnsce de Morris : elle le pre'occupa des I'aurore de la revolution, et on la retrouve partout dans ses ecrits. Remarquons ici que Morris ne comprit cependant point > ETATSIJNIS. 65 I la mission civilisatrice de Bonaparte. II le regardait comme un fleau. Le 29 avril i8i3 , il ecrivait a Hairison Gray Ortis : « Tout ce qui )> peut contrihuer a de'cre'ditcr et surtout a dc'tniire la puissance de Bo- » naparte est scion moi un bicnfait , et doit etre un sujet de joie » pour le monde. » Et le 11 juin i8i5 , lorsqu'il s'agissait de com- » battre de nouveau le ge'ant ressuscite , il disait a Kingsbury : « Ceux » qui , comme Napoleon , meconnaissent la loi , doivent, comme Na- » polebn, etre mis liors la loi. » 11 parait meme que des 1797 , il voyait deja .1 regret les succes militaires dii grand capitaine. « Ceux qui » savent ses tendances politiques ( dit son biographe , lors de son sejour » a Paris), et son parfait me'pris. en theorie comme en pratique , poui- » le nouveau systeme qui regissait la France , ne seront point surpris » qu'en Allemagne ses sentimens aient e'te favorables aux allie's , et » qu'il se soit lamente avec eux des succes de Bonaparte en Italic , et » de Moreau sur le Danube. » Nous terminerons ces citations par Tunc des lettres les plus remar- quables de Morris : « A Georges fVashingtOTiy I'i novembre 1790 Un » tel e'tat de choses ne peut durer ; mais quand finira-t-il? Ici un vaste » champ est ouvert aux conjectures. On ne peut determiner quelle » somme de misei'cs sera ne'cessaire pour faire changer la volonte du » pcuple ; et notre courte vue ne peut decouvrir quelles circonstances 1) la Providence peut mettre en jeu pour imprimer une autre direction » a cette volonte. Nous ignorons e'galement quels talens surgiront qui » saisissent ces circonstances , qui influencent cette volonte , et surtout » qui nioderent la puissance dont elle dispose. Une seule chose est » presque certaine ; c'est que la glorieuse opportunite est perdue , et que » (pourl'instant dumoins) la revolution est manque'e. Parmi ces conse'- » quences, nous pouvons cependant trouver des e'lemens deprosperite' fu- 1) ture. Tcllessont , 1° I'aboliticn des differens droits et privileges qui, » tenant les provinces isole'es , occasionaient une foule de taxes divcrses , » augmentaient les de'penses de perception , mettaient obstacle aux » utiles communications du commerce , et detruisaient cette unite de ') systeme de la justice distributive qui est une des bases obligees du » bien-elre social. » 2* L'abolition de la tyrannic teod.ile, |)ar oil la possession de la pro- 652 Li VRES Strangers . » prie'te re'elle est simplific'e , la valeur reduite en argent, la rente plus » exactemcnt fixee, et I'estime qui reposait sur I'oisive vanitc ou siir un » gout fantasque ct de'daigneux est detruite. » 3" L'extension du commerce a ces va&tes possessions tenues en main- » morte par le clerge , qui confc'rait de grandes ricLesses comme recom- » pense dc I'oisivite, tuait toiite ardeur d'entreprises, et contrariait cette » actis'e industrie qui augmente le fonds de la richesse natiouale. )) 4° La destruction d'un systeme de jurisprudence vc'nale qui,s'arro- » geant unc espece de i^eto le'gislatif, faisait reposer I'orgueil et le privi- » lege dun petit nombre sur la misere et la degradation des masses. » 5° Au-dessus de tout , la promulgation et la propagation de ces » principes de liberte qui feront, j'espere, le bonlieur des hommes, et » releveront la noblesse de I'amc quand Te'cumc et la vapeur metaphy- » sique aura etc dissipe'e. La crainte de voir renouveler cet esprit de » terreur inspircra sans doute aux de'positaires futurs de I'autoiite » une juste moderation dans son exercice , eties conduira a donner a » cette nation une constitution re'elle, appropriee a son etat naturel, mo- » ral, social et politique. » Comment et quand de tels e'vc'nemens seront realises , je ue sais : » mais je pense que , du chaos des opinions et du conflit des elemens » discordans, un nouvel ordie surgira qui, bien (jue 1' enfant du hasard » jusqu'a un certain point, amenera le bonlieur des hommes, comme » auraient pu le faire Ics plus sages previsions de I'intelligence. » Certes, par ces dernieres lignes, Morris condamne ou rend inutiles et de'clamatoires bien des pages de ses ecrits. Nullc part il ne descend de si haul : c'est du moins la seule de ses lettres qui nous semble etre faite dansun veritable esprit de philosophic de I'histoire. Trop souventiljuge les cve'nemcns sous le dcmi-jour du present , c'est-a-dire un a un , iso- Ic'ment. II t'ractionne ce qui n'a de valeur qiie dans son ensemble , tan- dis (ju'il lallait prendre pour horizon toute la sphere de I'histoire de I'humanite , voir la ne'cessite de la revolution francaise comme co- rollaire du passe, et ses bienfails en regard de I'avenir. Mais pour cela la sagcsse de Morris clait un peu trop classique , trop protestante , sa vertu speculative trop e'troite ct trop prude, et son jugcment trop pa- rcsseux. 11 n'a point assez vu la raison profonde et la ie'gitimite de cette sviile d'c've'nemens qui paraissaient se succe'dcr ayec une rapide fatalite. ETATS-UNIS. 653 Cetle effervescence, ce de'bordement , il ne voyait pas qu'ils etaient pre- pares -de longue main; et , au lieu d'en imposer la responsabilite' a I'asser- vissement se'culaire des nobles et des pretres , il semble les attribuer trop souvent a quelques novateurs qui, comrae des devins, eussent ma- giquement souleve' des masses qui ne demandaient qu'a sommeiller. Pou- vait-il croire que tant de fureur vint gratuitement au cceur de vingt millions d'hommes? lis savaient pourquoi, mais ils ne savaient com- ment : voila tout leur tort, le crime e'taitailleurs. Toutefois ilfaut recon- naitre que dans le cercle un peu trop limite, selon nous, de ses specula- tions politiques, il est tout ce que Ton pent etre, il voit et dit tout ce que Ton peut voir et dire de vrai et de bon. Esprit juste, sagacc, et profonde'ment obserVateur, toujours ou il pre'ditles e've'nemens ou il en determine les consequences procliaines : toujours, ou presque toujours, il scrute avec bonlicur au fond des caracteres j et les physionomies ont pour son premier coup d'oeil de surs indices de ce qu'elles cachent. Mais Morris, place' trop a I'e'troit pour emljrasser I'ensemble de ce grand drarae , critique ce qu'il ne comprend pas , et se plaint que tout ne se fasse point a I'amiable , bourgeoisement et sans effusion de sang. II dit que le sol est couvert de pourriture , et il vent que Ton batisse sans de'blayer Ic passe. Au lieu dc s'cu tenir a la re'alite , au lieu de prendre les nobles , le clerge et le tiers en presence , les uns avec ieurs orgueilleux j^rejngcs , leurs ricliesses re'voltantes , avec leur pretention a tenir tout un peuplc sous une tutelle de supersti- tion , de pauvrete et d'lumiiliation, les autres avec leur impatience si legitime de sortir de la servitude et de la misere , il preche et fait des abstractions bien autrement chime'riques que Ics pretendues speculations me'taphysiques de rasscmble'e constituante. Que nous aimons bien mieux la prevision matinale de Washington qui lui re'pond des le iSoctobre 1789: « ....La revolution qui vicnt de » s'ope'rer en France est si extraordinaire que I'esprit la confoita peine. » Si cela finit comme on nous Tannonce dans les dernieres nouvelles , » cette nation sera la plus puissante et la plus heureuse del'Europcj » mais, quoiqu'elle ait traverse la premiere crise avec bonlieur, je craiiis » bien que d'autres paroxismes ne I'attendent encore avant son dc'finitif » achevement. La revolution^ en un mot, est trop importanle pour » s'accomplir en si peu de terns et avec la perte de si peu de san^. 654 LIVRES ETILINGEUS. » L'humiliation du roi , les intrigues dc la reine, et le meconlcnteincnf » de la noblesse , fomenteront des divisions dans Fassemblee nalionalc; » ct mil doute , ils profiteront de cbaque faux pas dans re'tablissement » de la (Constitution , si raeme ils n'apportcnt point une plus ouverte ct » plus active opposition. Ajoutez a cela que la licence du peuple d'un » cote' , les cbatimcns sanguinaires de I'autre , alarmcront les partisans » les mieux disposes du nouvcau regime, et ne contribueront pas peu a » les eloigner du but^ Cc corps doit agir avec beaucoup de moderation , » de fermete et de pre'voyance. Empeclier qu'onn'aille d'un extreme a » I'autre n'est pas cbose facile, et s'il en e'tait ainsi, des rocs et des e'cueils » aujourd'hui invisibles pourraient taire chavirer Ic navii'C, et amencr » un dcspotisme plus pesant que celui qui existait auparavant. » L'ouvrage que nous annoncons contient encore de Washington un assez grand nombre de lettres jusqu'ici ine'dites , qni ne peuvent qii'aug- menter , s'il est possible , les litres de cet liomme unique a la gloire la plus pure. Les lettres sur la France sont remplies de portraits , d'anec- dotes curieuses , et surtout de descriptions anime'es des operations mi- litaires de nos arme'es libe'ratrices, et de considerations strategiques ori- ginates. Ces volumes renfermcnt aussi des documens applicablcs aux grandes questions maintenant pendantes aux Etats-Unis ; cntre autrcs un discours sur la question des banques , oil Morris e'nuraere et combat en favcur de cette institution les principales objections qui sc represen- tent aujourd'hui presque sous la meme forme. Morris prcparaj)ouretre hie par le roi a I'assemble'e constituante, une critique de la constitution de 1-^91 ; mais elle parut trop bardie a la cour, et Montmorin la retint dans son portefeuille. Dans la meme anne'e, il eliaucha aussi une Constitution pour la France, qui est assez curieuse. Nous ne saurions mieux la caracte'riser en peu dc mots , qn'cn disant que c'est une charte e'clcctique , une sorle de compromis doctrinaire entre la constitution anglaise , celle des Etats-Unis et celle de la res- tauration. Morris fit encore d'autres Mcmoires poiir e'clairer la conduite du roi et de la reine , dont il eut toute la confiance. Morris leur conseil- lait Yinertie systematique. II croyait que la rc'volution naissante se suiciderait elle-meme dans scs premiers essais, et qu'on revicndrait an trone commc vers une ancre de salut. La probite ct le de'sinte'ressemcnt de notre autcur c'taicnt connus de tons. Louis XVl , prc'occupe dc sa ETATS-IJNIS. 655 fuite , avait choisi Morris pour dc'positaire d'une somme de ']^ii,oool'r., ot le due d'Orleans , aujourd'hui roi des Franfais , ne s'adressa point inutilement a lui dans la de'tresse des mauvais jours. Plusieurs lettres en font foi. — Apros reVe'nement de Varennes , Morris intervint dans le projet d'une seconde fuite avec Monceil et Bremont. Tout e'tait bien dispose' , lorsque , le soir fixe pour son depart , Louis XVI y re- nonja. On trouvera dans le journal de Morris les circonstances peu oil point connues de ce projet. En resume, quelque opinion que Ton se fasse des tendances po- litiques tlieoriques de Morris , riiomme reste avec son coeur pur, noble, de'sinte'resse' , charitable^ avec son amour idolatre de la verite' et de la franchise ; avec son esprit eleve' , son style anime, riche et colore'; avec son ardente et utile de'votion pour les prospe'rite's de la patrie et le bonheur de I'humanite'. Sur ce point ses antagonistes memes sont unanimes, C'est done malgre' nous que nous nous sommes arrete's aux le'geres ombres que Ton pent de'couvrir dans la plus belle vie; mais c'e- tait moins pour defigui-er cette noble physionomie que pour stygmati- ser de petits et mise'rables moyens dont nous aurions cru de'livre'e la presse fran^aise. Nous aurions voulu ne conside'rer que les litres si rares et si nombreux de Morris a la veneration de ses concitoyens , a la con- fiance et a la curiosite des publicistcs, et a I'estime des philantropes. Nous croyons cependant lui avoir rendu asscz de justice pour que nos lecteurs restent convaincus comme nous qu'il n'a point usurpe' la gloire d'etre associe dans la me'moire des Ame'ricains du noid au som'enir si populaire et si durable des Washington , des Franklin et des Jefferson. II nous reste a dire que I'e'diteur, M. Jared Sparks, outre le me'rite d'une bonne classification , de la clarte et de 1' elegance du style , nous a paru pe'ne'trc' du devoir des biographes , et fidele a I'une de leurs qualite's les plus rares : celle de rassembler les mate'riaux pour et conlre leur he'ros avec unc indulgcnle ct large imparlialitc. C. P. 656 LIVRES ETKANGEIVS. ALLEMAGNC. 97. Franz von Spaun's politisches Testament, etc. — Testament politique de Francois de Spaun, pour servir a I'liistoire dc la libertc de la presse en ge'ue'ral et de la le'gislation bavaroise en parliculier; public' par le docteur Eisenmannj Erlangen, chez Palm, i vol. in- 8° de VI et ag3 pages. Aujourd'hui que la pressc libe'rale est devenue muelte en Allcmagnc, et que les de'crels de la diete ont forme une sorte de point d'arret dans le de'veloppement politique de ce pays, le moment semble venu de jeter un coup d'oeil obscr\atcur sur les liomnics qui ont joue un role dans la courle pe'riode de liberie qui vicnt de fmir pour I'Allcmagne. Aussi bien toutes discussion sont cesse sur la valcur ge'ne'rale de leurs tentatives dc regeneration politique, et c'est chose aujourd'hui reconnue qu'il n'y avait la que dcs tentatives, et que I'immense majorite de la nation alle- mande est rcstc'e en dehors du combat qui vient de se livrer entre I'ab- solulisme el les scntinelles avance'es du parti liberal. Loin dc nous la pense'e d'adresser ua reproche a ces derniersj ils ont combattu en hommes decceur pour ime cause qui est certainement celle du progrcs so- cial, et ils supportent aujourd'hui avcc courage les consequences de leurs doctrines, Mais la nation ;illeniaude contemplait leurs efforts plulotqu'elle ne s'y associait; clle n'avait pas encore pris position dans I'arenc poli- tique. Aussi pent-en dire que la victoirc remporte'e par rabsolutisme n'a pas d'importance re'elle, et que Theure des grands combats n'a etc qu'ajourne'e. Au reste, les e've'nemens dcs dernicrcs semaines ont de quoi rassurcr sous ce rapport les libe'raux les plus impatiens. Si quelque chose e'tait capable de hater la venue du jour ou ia nation alleraande tout cntiere cntrera dans la lice des de'bats politiques, c'est ce-talucmcnt la politique eland , Jils natiirel de Cromwell; e'crit par lui-meme et traduit librement en allemand par St. Nelly. Leipzig, i832, chez Brockhaus. 3 vol. in-8°. Madame Nelly nous apprend dans la preface que I'original franjais , qui n'est autre que le roman si connu de I'abbe' Prevost , lui a e'te' re- mis par une haute main , avec le conseil de le traduire ; et comme I'ouvrage est de'die' a V illustrissime prince Frederic- A uguste , co-re- gent de Saxe , il est probable que cette haute main etait celle du co- re'gent meme. Le traducteur fre'miisait d'avance a I'ide'e de traduire huit volumes de suite ; mais I'ilhistrissimc prince ajouta : « Abregez , ornez selon votre plaisir. Tenez-vous-en a I'enfant d'un esprit peu com- mun,parez-le comme vous le jugerez apropos et suivant votre goiitj en un mot, exercez votre imagination aprcs celle de I'auteur » (en allemand, iiberdichten sie ). Nous rendons fidelement les conseils du prince , parce qu'il est curieux de voir un co-regent allemand donnant des avis a I'c'gard de la litte'rature franfaise. Encourage'e par ces conseils qui res- semblaient un peu a un ordre, I'auteur ne s'est done pas gene a I'e'gard du roman de I'abbe' Pre'vost. Les vertugadins , les peiruques furent jctees a bas ; I'enfant , pour nous servir de la comparaison du traducteur , re- fut une parure simple et moderne. Les huit volumes furent re'duils en trois : I'abbe' Pre'vost scrait e'tonne' s'il revenait au monde; ccpendant en lisant I'introdiiction du savant anliquaire M. Bocttigcr, qu'on ne s'at- tendait pas a rencontrcr a la tete d'un roman, son conrroux serait de- sarmc: car il y verrait que madame Nelly est une mere dc famille qui (i) CcUc ddition plus pclitc comprendra i^galemcnt huit volumes , a 2 francs cliacun. ITALIE. 663 clicrche Tine ressource dans les travaux litte'raires. Cela expliqne aussi Ics conseils du prince; c'est par cliarite' qu'il les aura donne's. II en est re'sulte un ouvrage qui pourra avoir quclque succes en AUemagne. On ne lit plus les longs romans ; celui de I'abbe Prevost aurait e'te' pen goiite , tandis que la traduction abrege'e et arrange'e par madame Nelly cntrera probablement dans tons les cabinets de lecture. La traduction est c'crite facilement, comme I'original; et si Ton n'a pas tout-a-fait le roman de I'abbc' Pre'vost, on a au raoins un roman inte'ressant. Le procc'de' de madame Nelly servira au reste d'avis aux roraanciei's de nos jours pour qu'ils ne composent pas des romans trop longs, parce que dans un siecle un prince allemand pourrait commander de les rac- courcir. D. ITALIE. 101. Varieta letterarie. — Varietes litteraires , ou Essais sur les mceurs , les arts , les hommes et les femmes illustres de I'ltalie du dix-neuvieme siecle; par Defendente Sacchi. Milan, i832 ; Stella. Deux vol. in-12. LE MOUVEMEi\T EUROPEEN EIN ITALIE. Nous rendons volontiers compte des ouvrages de M. Sacchi , parce qu'il nous semble un des Italiens les plus avances ; je veux dire de ceux qui , bien loin de rcgimber contre le mouvement europe'en qui de toutes parts presse I'ltalie , s'y associent franchement et s'efforcent d'y associer leur pays. Je u'entends point parler seulemcnt du mouvement politique , mais du mouvement intellectucl qui eniportc riiumanite tout cntierea scs nouvcUes dcstinc'es. De ceux qui se raidis'sent , et le nombvc en est grand dans la Pc- ninsule , les uns le me'connaisscnt , le nicnt par ignorance et par ce'cite, les autres le voicnt , mais le calomnicnt , ou par faiblcsse , ou parce qu'il les de'passe et que leur intelligence n'y attcint pas. On sent que je ne veux parler ici que de ceux dont la pense'e est indcpcndantc, et qui ne raisonncnt pas en vertu de telle position politique ou sociale. Des autres , je n'en ai cure. A ceux qui nicnt , il suiTil dc Icur dire : « Ouvrcz les ycux et voycz. » 45. 664 LIVRES ETRANGERS. Avec ceiix qui voient , il faut argumcntcr ct prouver; or c'est ainsi que , pour Dotre part , nous en avons toujours use, Mais puisque nous en sommes sur ce terrain , nous ne le quilterons pas avant d'avoir releve una he'resie contenue dans un des dernicrs nu- me'ros de W^nthologie de Florence , le meilleur journal mensuel de ritalic. Cette he'resie est de M. Romagnosi, jurisconsulte savant, dont nous avons parle maintes fois , et dont s'lionorent a juste titre Milan et ritalie ; et si nous la rc'futons , c'est que la double autorite du pliilo- sophe qui en est I'auleur , et du journal qui en est I'organe , peut lui donner unc importance que nous regardons , nous , comme funeste. A la suite ct pour conclusion d'un article plus spirituel que pro- fond contre la philosophic de I'histoire de Hegel , dont ce n'est point ici le lieu de combattre ou de dc'fendre les principes ni les doctrines , le jurisconsulte milanais lance unc philippique viridente centre la nouvelle philosophic historique, e'closc en France dans ces dernicrs tcms, et qu'il traite de parodie grotesque et d'alcliimie sibylline ; expressions, pour le dire en passant , quelque pieu brutales , et qui , si elles ont rej u outre-raonts brevet d' introduction dans le vocabulaire philosophique, nc sont point encore cliez nous admises au meme honneur. Mais laissons les mots et prenons les cLoses , ce qui n'est pas facile; car I'anathemc si ardemment fulmine' est au fond aussi vague qu'il est violent : rcxcommunicaleur ne cite ni livres , ni horames , de maniere qu'en y pensant on ne voit pas bien clairement sur qui cela tombe. Mais comme il parlc d'ccole , et d'e'cole re'cente , il ne peut pas plus etre question des Doctrinaires que des apotrcs de Me'nilmontant, puisque les uns ni les autres ne font e'cole. Rcste done la ve'ritable , la seule qui existe re'ellemcnt , c'cst-a-dirc cclle qui a plantc la premiere en France I'e'teudard de la philosophic du dix-ncuviemc siecle, ct qui scfait gloire de relever, qui craanc dircctemcnt dc la philosophic du dix-huiticme, dont elle n'est que la continuation, la consequence logique ct rigourense. Resumant en elle les doctrines scientifiqnes , morales ct politiques les plus avancc'es , elle me'ritc seulc le nom d'e'cole ; sur elle done , sur elle seule , tombe un anathcme qui , a vrai dire , retombc bien plutot sur la tetc de son auteur , puisqu'il accuse sans falts et condamne sans ' prcuTCS. Or celle nouvelle philosophic du dix-ncuvicme siecle , nous nous y IT A LIE. 665 rattachons ; et certes nous nc croyons etre ni alchimistes, ni giolesques, en nous appliquant dans 1' etude du passe a la recherche des causes sociales ctal'histoiredu progres humanitaire. C'est lanotre philosophie del'his- toire , a nous. Quand il plaira au professeur milanais nous dire quelle est la sienne , et motiver surtout ses excommunications , nous y re'pon- drons; nous relevons le gant de bien grand coeur toutes les fois qu'on nous le jette en jouteur loyal : j usque-la nous gardons I'e'pe'e au fourreau ou faisons la guerre d'un autre cote. Aussi bien ceci n'est qu'un episode jete incidemment dans la question soulevee en cct article. L'he're'sie indiquee , la voici. Aprfcs avoir ful- mine' centre I'AlIemagne et contre la France , M. Romagnosi se tourne vers la jeunesse italienne , et lui dit de rester italienne, tout italienne , et rien qu'italienne : ce sont ses termes. Or cela nous semble a nous une hc're'sie sociale. Venir precher au- jourd'hui I'isolement , preconiser I'esprit de municipe intellectuel , quand toutes les tendances europe'ennes sont ge'ne'ralisalrices , quand I'huma- nite' aspire a I'association et a I'unitc^ comme au but de tout , a la fin merae de sa propre existence , c'est faire preuve ou d'une comprehen- sion peu large , d'une intelligence incomplete du mouvement focial, ou d'un genie fragmentaire et retrograde peu philosophique. C'est la une ve'ritc' absolue, vi'aie pour un Franjais, eomme pour un Anglais ou un Allemand. Mais qu'un Italien , ami de sa patrie et exerjant sur elle une influence intellectuelle, vienne crier lui-meme a I'ltalie : « Isole-toi ! » c'est ce qui nous e'tonne et nous afflige, c'est ce que nous avons peine a comprcndie. Dire a I'ltalie de s'isolcr , c'est lui dire : « Suicide-toi! » car, plus encore pour elle que pour toute autre nation du monde , I'isolement est la mort, II n'y a pour elle de salut que dans la grande association intel- lectuelle , prelude de cette association politique, qui seule peut lui donner liberte' et force. Cette republique sainte des esprits , qu'elle en arbore done elle aussi la banniere , qu'elle s'yenrole, s'y retrempe^ qu'elle marchc avec elle a la conquete de I'avenir. Je ne sache pas pour cette noble es- clave d'autres raoyens de de'livrance , d'autres conditions de bonheur. Et certes ce n'est pas sur nous que tombera jamais le reproche dc lui avoir ferme nos rangs. Des premiers nous les lui avons ouverts. Nous n'avons cesse de tendre a cette sceur infortune'e une main fra- 666 LIVRES ETRANGERS. ternelle. Elle-meme pent le dire : nous avons sans relaclic plaidc mi cause , de'laille ses tortures , fle'tri ses bourreaux. Aussi n'est-ce pas sans douleur et sans colerc que nous voyons ses propres enlans I'e'ner- ver par dcs doctrines malsaines , remmailloter dans ses viciix langes. Lcs diversites de langues, de races, de sol, n'e'levent-ils pas d'un peu- ple a I'autre assea de barrieres , n'cn maintiendront-ils pas toiijours trop , sans e'riger en principe ce qui est en question , sans affermir et enraciner les obstacles meuies qu'il faut coiubattre et lever ? Et puis que servcnt ces adulations eternelles dont le passe fait tons les frais? pourquoi dire sans cesse aux Italiens , comme le fait M. Romagnosi lui-meme : « Quel besoin avez-vous de I'Europe ? N'avez-vous pas Dante, Macbiavel , Galilee? » N'est-ce pas la trahir I'ltalie , n'est-ce pas la loucr par ce qui lui manque , comme unc faible femme qu'alnise un flatteur? Vantez-lui raoins ce qu'cUe eut et n'a plus, que ce qu'elle peut avoir encore. Moins de regrets du passe , et plus de foi dans I'a- venir ; le regret c'nerve et de'trempe , la foi vivifie et rend fort : mais , pour efre agissante et salutaire, la foi doit etre c'claire'e ; or c'est la ve'rite' qui I'e'claire : la verite est I'aliment des forts , et Ton sert bicn mieux uu pcuple par la franchise, diit-elle etre parfois meme un pen rude, que par une flatterie doucereuse qui ne sert apres tout qii'a nourrir sa morgue et a perpetuer ses partialites et son impuissance. Mais jc rcvicns a M. Sacclii. Nous I'avons dit en commencant , nous entretenons volonticrs de lui nos lecteurs, parcc qu'il nous semble avoir une conscience ncttc et im- partial de I'ctat de son pays vis-a-vis de lui-meme et vis-a-vis de I'Eu- rope , et que, bieii loin d'afficber I'exclusisme, et d'etre rcbelle , d'etre hostile au raouvemcnt europc'on, il y est entre' sans arriere-pcnsc'c , et s'cfforce a y tirer apres lui ses compatriotes. Lenouvel oiivrage que nous annonpons n'est pas un livre de doctrine ; ce n'est que le recueil de divers e'crits publics en divers tcms et en divers journaux. II commence par un article curicux et piquant sur quclqucs Ilalienues cc'lebrcs , dont les voyageurs aimeront a retrouver les noms hospitalicrs. Artiste dans la nc'crologie du fameux graveur milanais Joseph Longhi , et dans la notice du statuaire Pompe'e Marche'si , il n'en suit pas d'un ceil moins intelligent les travaux scicntifiques dc Melchior Gioja, de ITALIE. 667 Volta , et de I'infatigable naturaliste Brocchi. II traite dans line se'rie d'articles isole's, ve'ritables niiscellanees , beaucoup d'autres siijcts le'gers ou seriexix, qui remplissent leur litre par leur variete meme. II y a jusqu'a un c'loge de Condillac. Ce nom rappelle que M. Sacclii com- menfa sa carriere litte'raire par une collection A.cs Metaphysiciens das- siques , ouvrage qui contribua a re'pandre en Italic le gout des etudes philosophiques. C'e'tait la premiere coUection de ce genre ; elle parut ea 1819. L'auteur avail vingt-deux ans. S. R. 102. PiTTURE Di VASi FiTTiLi. — Peintures devuscs d'argile,^uh\[6es par le chevalier Francois Inghirami , pour servir a I'e'lude de la mylhologie el de I'histoire des anciens peuples d'Europe. Polygra- pliie de Fiisole. i83a. C'esl le premier caliier d'une collection importante qui promel a la science de I'antiquite' de nouveaux et pre'cieux mate'riaux. La fidelite' et re'legancc des dessins suffiraient seules a la re'putation de re'dileur, in- de'pendamment meme de toute importance hisloriquc et plulosophique. Mais il ne s'en est pas tenu la , et il a joint aux figures des illustrations et des commenlaires qui leur assurent un nouveau prix. M. Ingliirami hasardc deux opinions que nous nous bornerons a signaler aux antiquaires sans les combattre ou les defendre. La premiere , c'esl que les vases a figures noires sur fond rouge sont des imitations de I'antique , et qu'ils sont plus re'cens que des vases a figures rouges sur fond noir. La se- conde est qu'en certains vases certaines figures sont place'es pour la symetrie seule , sans relation avec le fait repre'sente'. Cette derniere opi- nion une fois admise ruinerait de fond en comble toute la science sym- bolique et figure'e de rantiquite ; mais , comme pour la premiere , les fails manqucnt a I'appui : I'une et I'autre ne peuvent etre que le re'sultat de comparaisons et de confrontations multipliees. C'est la le travail de I'anliquaire , et c'est aux antiquaires que nous renvoyons I'auteur. 668 LIVRES ETR ANGERS. SUISSE. 103. Du SYSTEME THEOLOGIQUE DE LA TrINITE , par M. ChENEVIERE , pasteur etprofesseur a Geneve. In-S^j Geneve et Paris, chez Clier- buliez, libraire. = Du Peche originel, ou de la depravation he're- ditaire dans rhomme , par le meme. = De V usage de la raison en matiere de foi, par le meme, := De I'autorite dans VEglise re- formee, ou des confessions de foi, par le meme. =r De Notre Sei- gneur Jesus-Christ, de ses bienfaits, et en particulier de la Re- demption , par le meme. Ces divers e'crits, que M. le professcur Cheneviere public sous le mo- deste worn A^essais, ne paraissentpas,au premier coup d' ceil, avoir entre eux cette liaison que Ton reclame de tout ouvrage consacre k la defense d'un systeme quelconquej maisil parait que I'auteur, par de nouvelles publications , ne laissera rien a desirer sous ce rapport. En consequence nous attendrons que tout soit public' pour faire connaitre a nos lecteurs les idees nouvelles du professcur de 1' Academic de Geneve. Contentons- nous de dire ici que celles des brocliures dont nous avons transcrit le titrenous ontparuse distinguer par une dialectique assez vigoureuse, et porter avec dies I'empreinte , non-seulement d'une conviction franche , mais encore d'une moderation peu commune aux the'ologiens. A. S. 104. ESSAI sua L* PRONONCIATION DE LA LANGUE FRANCAISE et SUr la lecture dans les cantons de Geneve, Vaud et Neuchdtel, etc.j par M. L. Pelletier. Geneve, i832j Cherbuliez. In-8". Voici une nouvelle pliilippique centre la prononciation de nos bons voisins les Fran^ais-Suisses ou les Suisscs-Francais, commc on voudra , et notamment des Gc'nevois. M. Pelletier est un Franjais qui parait s'ctre e'rige' en reformateur de lour mauvais langage , ct en ccla son intention est digne d'e'loge. Mais au lieu de se borner a leur dire : « On ne pro- nonce pas commc ccla , mais corame ceci, » il eut e'te' plus pliilosophi- que de deduire des lois physiques et naturclles les vraics regies du lan- gage parle, et d'entreprendre ainsi la reforme a fond. Je sais bicn qu'en SUISSE. 669 pareille matiere I'autorite de I'usage fait article de foij mais enfin, cette autorite'jOu la chercher ? Les Suisses doivcnt-ils parler comme on parle a Paris? mais a Paris on grassoye. — Comme a Bordeaux? mais a Bor- deaux on gasconne. — Comme a Lyon ? mais c'est pis encore. lis doivent parler, leur dit M. Pelletier , comme parlent ceux qui parlent bien. A merveille ; mais ce n'est pas la une solution , et il reste toujours a sa- voir qui sont ceux qui parlent bien , et comment il faut parler pour par- ler bien. La vraie question e'tait de rechercher pourquoi on gasconne a Bor- deaux , pourquoi on grasseye a Paris , et pourquoi , a Geneve , on al- longe et empate les voyelles finales , tandis qu'a Lausanne on les laisse tomber pour trainer a loisir sur les penultiemes. Ces causes , une fois connues ( elles tiennent certainement autant a I'organisme qu'a I'habi- tude , ou , pour mieux dire , celle-ci n'a fait que consacrer les acles de I'instinct), ces causes connues, dis-je , il devenait plus facile de de'ra- ciner I'habitude en la combattant dans ses bases et dans ses racines. Mais je sens que je m'aventure la dans une question liors de toutc proportion avec une annonce bibliographique et avec la brochure de M. Pelletier. II faut prendre cette brochure comme ilia donne, pour une espece de manuel pratfque dent le but est bon et certainement meilleur que les moyens employe's pour I'atteindre. II eut e'te surtout a desirer, dans I'inte'ret de ses Icfons , qu'ayant a parler sur la langue , il eut preche d'exemple , soignant davantage la sienne, et qu'il n'eutpasdit, entre autres locutions mauvaises , qu'il se proposait « de jeter sur les. trois cantons une sorte d' investigation ; » car cela n'est point franjais et n'a aucun sens : investigation est synonyme de recherche, et, sansetre puristes, nous savions bien qu'on appliquait ses recherches a un objet quelconquc , mais nous n'avions jamais oui dire qu'on les jetat sur un canton. Nous invitons done I'auteur a appliquer les siennes a I'etude du franfais e'crit, afin d'appeler avec plus de succes celles des Suisses sur I'euphonie du franfais parle. X^IVRES FRAN^AIS. Io5. VOVAGK DE DECOUVERTE AUTOUR DU MONDE ET A LA RE- CHERCHE DE La Perouse , par M. J. Dumont d'Urville , ca- pitaine de vaisseau , execute siir la corvette V Astrolabe pendant les anne'cs 1826, 1827, i8a8 et 1829. Histoire du voyage. Paris, 1 832; a la lil^rairie encyclope'dique de Rorct , rue Hautcfeuille. Tome I''"' , premiere et deuxieme partie. MOEURS DE LA NOUVELLE-GALLES DU SUD. Lcs circonstances qui de'tcrminerent Texpedition de V Astrolabe sent trop bien connues, et d'une date dejatropancienne,pour que nousayons a y revenir aujourd'hui. Le de'sir de faire explorer , sous le rapport de rhydjographie et des sciences naturellcs , quelques parties du globe qui n'e'taient point suffisamment connues , joint a la circonstance de quel- ques nouvcUcs qui semblaient se rapporter a La Pe'rouse , firent entre- prendre cette nouvelle campagne dans les mers australes ; et la conduite en fut confie'e a M. d'Urville , qui avait deja pris 1' experience de ces sortes de commanderaens dans un pre'ce'dcnt voyage 011 il avait aecompa- gne le capitaine Duperrey. Aprcs avoir e'chappe' a mille dangers et re- siste' a des fatigues inou'ies, V Astrolabe est enfin rentre'e dans nos ports, richemcnt charge'e , non pas d'or et de pierreries, comme au terns de la de'couverte du Nouveau-Monde , mais de collections d'histoire natu- relle, de releve's bydrographiques et astronomiques , de dessins, de souvenirs et d'observations de toute espece; et tout cela destine', non a la curiosite' des palais ou aux tre'sors des rois , mais a Tinstruction com- mune et aux bibliotheques de cbacun. Le Journal du voyage, que M. d'Urville nous offre aujourd'hui, est re'digc jour par jour d'apres des notes prises sur les lieux , et cmprcin- tes , par consequent , de cc caractcrc de naturel et de pittoresque qu'on LIVRES FRANgAlS. 67 I retrouve rarement avec des couleurs de ve'rite aussi pmes , quand , pour peindre les e've'iiemens passes , on est oblige de s'adressei* aux re- gions lointaines et nuageuses de la me'moire. Nous n'insisterons pas sur I'habiicte nautique donl la conduite de la corvette fournit sans cesse la preuve : la science de la navigation apparticnt presque exclusivement aux marinsj en pareille matiere , eux seuls sont vraiment juges et connaisseurs ; et bicn que cctte partie dii I'e'cit soit en ge'ne'ral la plus glorieuse pour celui qui a su diriger et accomplir le voyage , c'est elle ccpendant qui a le nioins de retentissement dans le public , et qui sem- ble au plus grand nombre, sinon inutile, au moins indiffe'renle. Aussi doit-on de justes louanges a M. d'Urville pour le de'sinte'ressement et le bon gout dont il a su f'aire preuve en re'duisant a des proportions tontes raodestes la partie du journal de son voyage qui lui e'tait , pour ainsi dire , toute personuelle , et en s'astreignant a ne jamais rapjjorter que Ics mouvemens du navire les plus importans et les plus de'cisifs , et d'une maniere toujours simple et concise. Ne'anmoins, aujourd'hui que les Parisiens , grace a la faveur de mode des romans maritimes , sont tous doue's de connaissances maritimes fort satisfaisantes, initie's a toutes les pratiques de la mer, familiers avec les mouillages , les appareilla- ges et les viremcns de bord de toute espece , il serait possible que M. d'Urville rencontrat des gens tout prets a reproclier a son iournal d'etre trop peu marin, et disposes a le quitter pour continuer leur edu- cation dans les savantes et instructives lefons de MM. Eugene Sue et Corbierc. Pour nous particulierement , nous devons dire que ce qui nous a le plus frappe dans les Me'moires de M. d'Urville , c'est le .sage esprit de simplicite' et de pliilosophie qui y regne en ge'ne'ral , et qui, s'e'ten- dant jusqu'aux moindres observations , permet ainsi dc les rattaclier presque toujours a quelque idee plus gene'rale. Quelqucs pages de cette Revue ont ete consacre'cs dernierement (i) a I'Essai sur la Non- velle-Zelande , et Ton a pu sentir quels progres ce travail se'rieux et approfondi nous faisait faire vers la connaissance de ces peuplcs si long-tcms confondus sous le nom absurde ct insignifiant de Sauvages: une partie du volume que nous annonfons aujourd'hui est consacre'e a (1) Rev. E?,c., tomeLIV.p. 520. • 672 LIVRES FRAN^AIS. re'tudede la population d'une portion de \iiNoin>elle-Hollande. Pendant long-tems les navigatcurs qui parcouraient des parages inconnus ont (raite les visites singulicrcs qu'ils recevaient a Icur bord bien plutot comine chose curieuse que comme affaire grave , et Ton pourrait dire avec raison qu'ils marcbaient a la de'couverte , non pas de pcuples nou- veaux, mais seulement de cotes nouvelles. Au milieu de la reconnais- sance des caps et dcs bas-fonds , et des autres accidens de la route , on trouvait mentionnee, sur le journal du bord, I'aventure de quelques pirogues accostant le batiment, de quclque naturel montant a bord et divertisgant I'e'quipage par son e'trangete , de quelque roi grotesque so parant de verroteries et de boutons ; mais il e'tait rarement question d'observations bien precises sur les opinions , les usages et la morale des nations que Ton traversait : la mallieureuse univcrsalite altribue'e a ce nom de sauvage les faisait toutcs confondrc en un meme type. La maniere de M. d'Urville est tout autre; il cherclie toujoui-s a pe'ne'trer aussi avant que possible par ses propres observations dans les impor- tantes questions de la nature de Tbomrae ; et, pour mieux consolider ses propres opinions , il cmprunte ct commente fre'quemmcnt celles dcs au- tres. Au lieu de se contenter , comme on I'avait fait jusqu'a lui , de rap- porter quelques portraits isole's et sans suite , il a re'uni une collection complete de dessins reprc'sentant fidelemcnt les traits et la conformation des diverses races d'hommes auxquels il a eu affaire, de maniere a montrer , non-seulement tons les types principaux , mais encore tous les anneaux qui les relient les uns aux autres. Enfm plusieurs parties de ce voyage pourraient etre justement conside're'es comme des Me'moires pour servir a I'e'tude de Tcnfance dc I'homme. Renonjant a entrcr dans le detail des aventures ct dcs accidens qui animent le recit de la traverse'e de Toulon a Port- Jackson , nous aimons mieux , afin de laisser au moins entrevoir la ricliesse des connaissances nouvelles que nous promct la suite du Journal de M. d'Urville, essaycr d'esquisscr , d'aprcs les nombrcux details rcnferme's Jans le premier vo- lume , la physionomie ge'ne'rale de la population de la Nouvelle-Galles du Slid. Le pays qui entourc Botany-Bay rcnfermait fort pcu d'hommes avant que les Anglais fusscnt venus y e'tablir lours colonics j la population consistait en cjuelques families ou tribus occupant chacune uiic ccrlainc LIVRES FRANgAIS. 678 partie dii pays , raais sans dcmeures fixes , et promenant au hasard leur existence aventureuse Ic long de la cote ou dans les bois. Le nora qu'ils donnaient a la contre'e e'tait aussi celui qu'ils donnaient a ses habitans , comme si cetle idee , qui associe intiraement I'liomrae a la terre qui le porle , e'tait si nalurelle qu'elle dut aussi trouver place chez I'liomme dont la pense'e n'a point encore appris a re'flechir. Ces tribus, compose'es de quelques centaines d'hommes, e'taient souvent en repos, mais tou- jours pretes aux alcrtes et aux combats , et , du reste , assez scrablables les unes aux autrcs ; une seule cependant , celle qui babitait pies de la baie de Kemmirai, se dislinguait de tout le reste par une autorite' toute mysterieuse , exerce'epar le ministere de quelques-uns de ses membrcs dc'signe's sous le nom de Kerredais. Cette influence , qu'on regarderait volontiers comme une influence de caste , comme un droit de sacerdoce sauvage , est sombre et bizarre , comme tout ce qui se rattacLe aux ide'es liumaines lorsqu'elles flottcnt encore dans le vague capricieux de la nature. Une sorte de terreur superstlticuse s'attache a ce nom de Kerredai: dans les maladies, c'cst toujours eux qu'on implore, et cependant leur puis- sance nc les met a I'abri ni de la menace, ni de I'injure 5 c'est a eux qu'ap- partient dc confe'rer a I'homme ses droits d'homme sauvagelorsqu'il quitte I'enfance ; mais I'homme, une fois en possession de cette liberte', en de- meure le mattre absolu , et Ton dirait que ce tribut de la piemiere dent qu'il lirre a la race de KemmiraY, le jour oii il met la main sur le casse- tete et sur la lance, le rachete envers elle de toute autre redevance. Ce trilnit singulier , qui se rattache a une initiation bien plutot civile que religieuse, que la presence des Kerredais peut seule consacrer, est paye' avec une soumission erapressce, et recueilli avec des cere'monies solen- nellcs. Ces devoirs d'une caste envers une autre sont-ils les dernieres traces d'une civilisation de'ge'ne'rc'e , ou le germe d'une organisation en- core cmbryonnaire ? sont-ils la conse'quence d'une domination ne'e dc la force des armes , ou ne'e de la force des ide'es ? Ces questions sont im- portantcs , sans doute , mais les Eiirope'ens ne peuvent y re'pondre , et les Kerredais n'y songent gucre ; ils font ce qu'ils ont vu faire a leurs percs, et chez eux la tradition ne remonte pas au-dela de la courte memoire de chaque individu. Je crois utile , poiu' faire apprc'cier plus distinctcment ces coutumes singuUercs , de rappoi tcr ici , du moins en abre'ge , la description d'une 674 LIVRES FRANCATS. de ces ceremonies solennelles, d'aprcs le rccit d'un Anglais a qui il ar- riva d'en etre Ic te'moin. Le rendez-vous etait donne' sur une saillie de ]a cote , et Ics naturels s'y rendircnt en grand nombre , en costume de fete , c'est-a-dire la figure couverte de peintures blanches et noires. On attendit duranl quelques jours, avec grand tumulte de repas et de danses , les Kerredais , qui arriverent enfin , pare's des couleurs de leur tribu et revetus de toutcs leurs armes. On en vinf seulemcnt alors a I'objet prin- cipal de la reunion , la conse'cratiou des cnfans. La foule, respectueuse ettranquille , se rassembla autour d'une enceinte circulaire, soigneuse- mentdeblayee au milieu desherbeset desbroussailles; dans 1' enceinte, les jeunes gens , les jambes croisees sous le corps , les mains jointcs et la tete baisse'e , se tcnaient assis dans une immobilite silencicusc. Alors arrivh'cnt les Kerredais a la file , galopant a quatre pattcs , comme une troupe de cbicns , avec I'e'pe'e de bois derriere la ceinture pour figurer la queue de 1' animal ; ils firent ainsi plusieurs tours dans I'enceinte , aspergeant chaque fois les enfans avec de la poussiere, lorsqu'ils passaient devant eux. Gette cere'monie e'tait destine'e a doner les enfans de toutes les vertus utiles que possede le chien , et a leur confe'rer en meme tems le pouvoir sur cet animal. Les re'cipiendaires se tenant toujours dans la merac position grave et se'rieuse , les Kerre- dais entonnerent une sorte de rhythme cadence' , pendant que quelqucs- uns d'entre eux exe'cutaient une nouvelle procession a la suite de I'offi- ciant , qui portait sur ses e'paules un e'norme paquet d'herbes , figurant I'image grossiere d'un kanguroo. Gette ce'rc'monie donnait aux enfans le droit de raettre a mort le kanguroo. Enfin les Kerredais s'eloignerent do nouveau, et, placant derriere cux une queue de longues lierbcs, ils se de'guiserent grossierement en kanguroos ; courant alors comme une troupe dc ccs animaux, tantot bondissant sur les pattes de derriere, tantot s'arretanl pour se gratter le museau avec leui'S pattes de devant , ils arriverent .en caracolant jusque sur les enfans ; puis se de'pouillant subitement dc leur costume, ils s'emparcrcnt cliacun d'un enfant et le transportcrcnt en un autre lieu , oil , avec d'autres ceremonies , on pro- cc'da a initiation du casse-tete et de la lance. Enfin I'enlevement de la premilre incisive acLeva la consecration; les enfans furent decore's de la ceinture, de I'e'pe'e de bois et du bandeau de xanthorbaia ; dc'sormais ils n'e'taient plus cnf.ins , ils c'taicut liommes ; ils avaient le droit de clias- LIVRES FRAN^AIS. 675 scr dans les bois , de paraltre arme's dans les combats , le droit d'enle- ver les femmes et de kur commander. J'ai insiste avec intention sur quelques de'tails de cette ce're'monie parce que toutes ces pratiques , ridicules pour qui n'en voit que la superficie, sont cependant en elles-memes d'une haute gravite, et dou- nent a I'esprit de se'rieuses pensees. Cette consecration de I'homme est enipreinte d'une idee religieuse si grossiere , d'un panthe'isme si confus qu'elle sert en quelque sorte de justification aux voyageurs qui les pre- miers accuserent ces peuples d'athe'isme. Certes le sentiment religieux peut souvent sommeiller et se taire; mais , lorsqu'il existe, ce n'est pas en presence des grands sacremens de la vie qu'il peut demeurer incertain et voile'. Pour nous , Lommes d'occident , a ce bapteme dc I'homme sauvage , sous le patronage du ciel et dc la terre , nous sentons notre pensee s'e'lever vers I'Etre supreme par une impulsion si spontane'e et si soudaine, que nous la rcgardcrions volontiers comme une ne'cessite' dela nature humaine;et cependant rien de semblable n'est encore e'veille' chez ces enfans de la terre australienne, dont I'ame semhle reposer encore dans I'asile des limbes. En premiere ligne s'e'tale la puissance humaine supe'rieure , representee par la race des Keiredais : c'est cette puis- sance qui acheve de de'gager I'homme des dernieres enveloppes de I'en- fance , et qui , a I'aide des formules anime'es de son rit barbare , con- sacre, avant de I'affranchir, chacun de ses rapports avec ce monde cx- terieur auquel il va etre livre. Par cette puissance des Kerredais, la libcrte' de I'homme est, pour ainsi dire , cre'e'e piece a piece, et ses pouvoirs lui sont tour a tour dc'livre's : pouvoir sur la nature, pouvoir sur les tribus e'ti'angeres , pouvoir sur la femme , et pouvoir sur les enfans ; partout pouvoir et liberie , nulle part soumission a quelque chose de plus grand que I'homme, On aurait tort cependant de s'empresser de conclurc de la I'absencc de toute superstition : ces hommes reconnaissent I'existence dc deux es- prits, I'un bon, I'autre mauvais; mais ils en fontpeu de cas, et ne leur reconnaissent d'influence que dans quelques cii'constances pcu impor- tantes ct pen noinbrcuses. Lc mauvais esprit est le phis souvent en ac- tion , mais on ne le rencontre que durant la nuit , et il fuit devant la lumicre des foyers. Au reste, chez eux, les notions du bien ct du mal sont , comuie tout le reste, dans I'enfancc, et leur cruaute' n'est point 676 LIVRES FRAN^AIS. un crime qui vienne alterer leiir innocence ; ce sont des enl'ans , et Dieu leur pardonne , car ils ne savent encore ce qu'ils font. Cependant ce lien indissoluble qui associe dans une meme idee le mal physique et le mal moral se voit deja chez eux , et , dans leur langue tout imparfaite , deja le meme mot les represente tous deux : le lache qui s'enfuit dans le cembat est win, aussi bien que le poisson que Ton ne pent plus manger ; mais pour eux le bien et le mal dcmeurent toujours relatifs a la vie commune , et ne se rattachent jamais a un ordre de choses plus e'leve'. Quand on leur demande d'ou ils sont venus , ils montrent les nuages , et quand on leur demande ou vont ceux qui sont morts , ils montrent encore les nuages ; ils se repre'sentent la forme sous laquelle on s'en va , en voyant ccUc sous laquelle on arrive , et les ames apres la vie sont pour eux des enfans qui voltigent sur la cimc des arbres et rega- gnent le ciel comme des oiseaux. Ils donnent la sepulture aux morts , et se rassemlilent pour honorer les funerailles j on ensevelit les enfans , on brule les adultcs ; pres des restes du mort on depose les ustensiles dont il se servait durant sa vie , et un tumulus protege sa cendre. Les pra- tiques qui accompagnent ces derniers devoirs sont diverses et pen fa- ciles a interpreter; la douleur des hommes se te'moigne par le silence , celle des femmes et des enfans par les cris et les gemissemens. Une cou- tume, ne'cessaire peut-etre, mais atroce, les conduit a ensevclir les en- fans a la mamcUc avcc leur mere : pour eux I'enfant a la mamelle n'est point encore ne ; corame chez leurs kanguroos, sa vie depend encore de la vie de sa mere. L'amour cliez eux est accompagne' d'une fe'rocite qui ne diminue en rien I'attachement re'ciproque qu'il produit. Les femmes sont enleve'es le plus souvent a une trilni enHcmie ; on les soumet et on les dompte avec le casse-tete : dies ne sc reconnaissent aucun droit, pas meme cclui de la plainte ; ellcs apparticnnent a leur e'poux , et montrent avec or- gueil les cicatrices nombrcuses dont le casse-tete a sillonne leurs cranes. Elles siipportent les blessurcs avcc impassibilite, et Ton dirait que la nature bienfaisante a voulu les soustraire a I'impression de la douleur pour leur rcndre facile cctte loi barbare du mariage. La mortalite des combats, en ne frappant que sur un scxe, aiigraente la proportion dc I'autrc, et entrctient la polygamic. Durant la nuit ils assassinent souvent leurs ennemis par surprise , mais LIVRES FRAN^AIS. 677 durant le jour ils se montrent loyaux et braves. Les meiirlres sont scve- rement punis ; le coupable rachetc son crime en demeurant expose pen- dant plusieurs heures aux lances des amis de la victimc , protege' seii- lement par son adresse et par soa bouclier; souvent, durant plusieurs jours, sans clierclier ni a se venger, ni a fuir, il tient ainsi la lice , et fait tete a la foule. Le sang des blessures met fin a I'expiation ; car on ne demande pas la mort , mais le sang. Cette meme loi de sang se re- trouve dans une multitude de circonslances , particulierement sous I'in- fluence des ide'es de mort on de maladie ; ni les liens de la parente , ni ceux de I'amitie' , ne s'opposent a leur exe'cution : on dirait parfois que ce sont des fetes guerricres, sorles de tournois sauvages , qui n'alterent ni rattacheraent ni la bonne foi. Leur maniere de vivre est aussi simple que celle des animaux • sur le bord de la mer, ils vivent de poissons ou de coquillages; daiis les bois^, lout ce qui peut nourrir Thomme, les racines, les fleurs, les fruits, les fourmis, et les insectes, leur servant d'aliment. A cLaque jour ils cher- chcnt sa subsistance, et le Icndemain ne les occupe jamais, lis ne ba- tissent point de maison ; dans les bois ils s'abritent sous une e'corce d'arbre, qu'ils recourbent en arceau, en I'appuyant dans la terre par ses deux bouts; sur la cote, ils re'unissent ainsi plusieurs e'corccs pour en couvrirune enceinte circulaire, et, bravant les intempe'ries de Fair sous cette sorte de hutte, ils s'y entassent I'un sur I'autre pour dormir. Leur vie est sous le ciel, non sous un toil; ceux qui ont vu nos maisons n'en comprennent pas 1' usage journalier; ils lesjugent utiles pour les temsde pluie, mais les leursvalent autant pour eux. lis sont liabituellement nus, et leur bouclier est leur seulmanteau. Gependant cetle meme passion qui nous porte a I'amour des vetemens splendidesexistedejachez eux, et les pousse a modifier eux-memes le corps qu'ils ont recu de la nature. Ils se peignent de diverses coulcurs , et decorent leur cbevelure avec des plumes d'oiseaux ou des larabeaux de fourrures : mais leur principal ornementvient deleurs cicatrices; et ils sefont eux-memes des blessures avec des coquilles trancbantes , afin d'augmentcr leur fe'roce bcaute'I Entre eux la pudeur est inconnue, et ils n'e'prouvent ce sentiment qu'au voisinage des Europeens, qui le leur ont enscigne en meme terns que le vice. Voila les maurs de ces hommes, a peine sortis de I'e'chelle animale TOME LV. SEPTEMBRE 1852. 44 678 LIVRES FRAN^AIS, pour s'e'lever a la dignite dont ils portent le germe. Lcurs formes, aussi bien que leurs ide'es, les rapproclicnt de la brute; leurs machoires avan- ee'es, leur museau saillant, leur cbevelure et leur barbe be'risse'es ct eonfondues, leurs jambes greles, leur peau noire et fetide, leur donnent un aspect qui se rapprocbe de celui des grands singes. Cbez les femmes ravilissement des trails est plus grand encore que cbez leurs niaitrcs, et repond a ravilissement de leur condition naturelle. Les moeurs ne dependent pas seuiement des habitudes de I'individu , mais des habitudes de la race ; lorsque le cachet des memes usages a pese durant une longue suite de generations sur les percs et sur les enfans , ce n'est qu'en s'attachant de la meme maniere a la suite des generations, et en commen9ant la legon des ills par la lefon des peres , que I'e'duca- tion nouvelle peut espe'rer d'en effacer I'empreinte. Ce besoin instinctif de fouler les sentiers fraye's par les ancetres et de dormir sous les om- brages oil reposent leur cendie , ce besoin qui s'est manifeste avcc un caractere si indomptablc chez les Indiens enlevc's durant leur enfance aux tribus sauvages de I'Ame'rique , existe cbez les naturels de la Nouvelle-Galles avec une e'nergie toute semblable. Le gouverneur Phil- lip avait attache a sa personne un naturel norame Benilong , qui le sui- vit en Angleterre et ve'cut avec lui pres de dix ans ; il faisait partie de sa maisou, niangeait a sa table, et avait quitte les habitudes de son pays pour se conformer aux manieres europe'ennes. Sur la fin de sa vie, il revint a la Nouvelle-Galles , renonca a toutes ses habitudes de civilisation, jeta ses vetcmens, et renlradans les bois; ceux qui I'avaient connu dans les salons du gouverneur le rencontraient encore quclquefois, mais il etait redevenu sauvage : avant d'aller rejoindre ses aieux, il avait voulu rat- tacher sa vieillesse a sou enfance. Un autre GaUois. enleve' aux bois des son enfance, et couduiten Angleterre, revint plus tard ala colonic j quel- ques jours apres il disparut, on ne savait ce qu'il etait devenuj enfin le cbapelaio dela colonic le rencontra par hasard; il etait assis sur un tronc d'arbre a I'cntre'e des bois , nu , les jambes croise'es a la maniere des sauvages, plong^ dans sespense'es et regardant les bois; il y rentra, et y ve'cut avec ses freres. Au surplus les naturels seregardentcommed'une autre nature que les Europe'ens : ils vivent parmi eux , parcourent leurs charaj)s , travcr- sent leurs villcs , entrent dans leurs c'glises ; mais il ne se melent point avec eux , ils demcurent ce qu'ils ctaient avant la colonic , enfans des I LIVRES FRAN^AIS. 679 bois. On ne les tourmente pas; ils sont pen nomlireux, on les laisse. lis passent au milieu de la civilisation, sans en rien prendre; ils sont comme ces cigognes qui s'abattent dans nos rues , batissent leurs nids sur nos clochers,et vivcnt toujoursdans la liberte'de I'air comme elles vivaient avant qu'il y eut sous elles des rues et des clocbers. « Aux. Europe'ens , disent-ils, la nature cultive'e; a nous la nature sauvage : leur lot n'est pas le notre. » Combien d'anne'es cette race sauvage durera-t-elle en- core? pactisera-t-elle, par une education progressive , avec cette civilisa- tion qui grandit a cote d'elle ? n'est-elle pas plutot destine'e a se perdre dans le gouffre, comme les races de I'Arae'rique , pour laisser la place a ces colonies europe'ennes qui s'avancent a grands pas sur le globe, comme pour lui donner une population nouvelle ? Dans un prochain article , complement de celui-ci, nous cbercherons a nous rendre compte del'a- venir re'serve' aux tribus de I'Australasie , en cherchant a appre'cier la situation et les espe'rances des e'tablissemens que I'Angleterre a fonde's dans ces memes contre'es. Tesner. 1 06. Voyage dans la Macedoine, contenant des recherches sur I'his- toire, la geograpLie et les antiquite's de ce pays , par M. E. M. Cou- siNERY, ancien consul general a Salonique , chevalier de la le'gion- d'honncur, membre de I'lnstitut de France, etc. Deux volumes in-4'' enrichis de 22 planches et d'une carte ge'ographique. Paris; impri- merie royale ; 1 83 1 . Prix , 4o fr. La Macedoine nous est moins connue que des contre'es beaucoup plus e'loigne'es de nous, et les plus habiles gc'ographes, tant anciens que mo- dernes, ont commis de graves erreurs dans les descriptions qu'iJs en ont donne'es. M. Cousinery e'tait plus a meme que tout autre d'entreprendre un travail sur ce pays, oii il a reside pendant trente anne'es, et ou ses fonctions de consul Font mis en rapport avec les chefs du gouverne ment et les hommes les plus distingue's , et lui ont donne toutes les facilite's possibles pour acque'rir des connaissances locales et positives. Ce n'est pas seulement la ge'ographie et les antiquite's que M. Cousi- neiy s'est applique a faire connaitre : son attention s'est porte'e aussi sui les debris de cos nations e'trangeres qui, a diverses e'poques, ont posse'de le teiritoire mace'donien , et qui, tour a tour conque'rantes et conquises, ont, malgre ces revolutions successives, conserve les traits antiques de leur nalionalite. G8o LIVRES FBANCAIS M. Coiisiuery a donnc dans son ouvrage une place importantc a la niiraismatique , qu'il vient d'enrichir dc plusieurs opinions nouvelles , siir lesqiielles nous reviendrons dans un article plus e'tcndii. Ses de'cou- veites mc'ritent d'etre discute'es et appre'cic'es : elles s'appuicnt princi- palcment sur la provenance, qui pent donner ies indices Ics plus cer- tains sur la patrie des me'dailles d'or et d'argent sans le'gende et par consequent primitives. Une nouvelle classification des monnaies des rois de Macedoine doit sm-tonl fixer I'attcntion des numismatistcs. M. Cousincry donne aussi des rectifications ge'ographiques d'un grand interct, au nioyen desquelles on pouna corriger Ies cartes de Cellarius et raeme de Danville, sur iesquclles des fleuves et des montagnes se trouvent, Ies uns transpose's, Ies autres nommes d'une maniere inexacte. Le voyage de M. Cousinery est celui d'lin savant et d'un pliilosophe qui examine non-seulemenl Ies licux et Ics sites, inais Ies liommes, leurs mosurs, lours croyances, leur pliysionomie , Ics caractcres qu'ils ont conserves de leur originc, et Ics cliangcraens qu'y ont apporte's Ies divers gouverncmens auxquels ils ont e'te soumis. Des questions liisto- riqucs sont aussi tiaitc'cs par I'auteur, qui clierche a Ies eclaircir au moyen des mcdailles et des uionuraens. C'est ainsi qu'il faut voyager aujourd'hui. Une ste'rile curiosite n'est plus le sentiment qu'on doit satisfaire : I'avancement de la sc:ence_, ragrandisscmcnt du cercle des connaissanccs, doivcnt elre le Lut de I'e- crivain qui nous donne le re'sullat de ses reclierches. Sous ce rapport I'ouvrage que nous annon9ons me'rite un exanien ap- profondi . Nous devons nous borner ici h constatcr I'apparition d'un livre sa- vant on riotcret n'est pourlanl pas e'touffe sous I'e'rudition , et qui ixiurra satisfaire toutcs ies classes de lecteurs. Dumersan. 107. Memoire sur l'origine et la propagation de la doctrine DU Tao , fonde'e par Lao-Tseu , traduit du chinois et accompagne d'uu comnientaire tire des livres sanserifs et du Tao-te-hi/ig de Lao- Tseu , etablissant la conlbrmite' de certaines opinions pliilosopliiques de la Chine ct de I'Inde; suivi de deux Oupanicliads des Ve'das, avec le texte Sanscrit et persan; par M. G. Pauthiek. Paris ^ librairie orientalc de Dondey-Du|)re. A mesurc ijue Ton pc'netre dans la connaissance de I'Orient , on voit LivRES rR\N(;;\is. 68 r s'agrandir et s'clendre I'espace a explorer; et Ton peul dire avcc rai- son que le terme des eludes s'e'loigne a mesure que Ton e'Uidie davantage. Cette philosophic de la Grece , conside're'e si long-tems comme une sorte de depot primitif de la sagesse hurnaine , perd bientot cette immensite suppose'e lorsqu'on la met en presence de rhuinanite , el son aiitiquite' n'a devaleur que pour celui qui s'obstinea se renfermer dans I'Occident et a refuser a ses regards le spectacle de I'Asie. II a fallu deux niillc aiis pour que I'Euiope, se de'pouillant de son ignorance presomptueuse , en vint a coinprcndre le sens et la ve'rite' de ces paroles adressees a Solon par un pretre d'Egypte : « O Athe'niens , voiis ctes scmblables a des enfans , vous ne connaissez rien de cc qui est plus ancien que voiis ; rem- plis de votrc propre excellence et de celle de votre nation^ vous igno- rez tout ce qui vous a pre'ce'des; vous croyez que ce n'est qu'avec vous et avec votre ville que le monde a commence' d'exister. » Lorsque Ton sonde le fond des ide'es , partout Ton rencontie conitnc line meme base qui , sur toutes Ics regions de la terre , sert de com- mun appui aux opinions des hommes ; et pour celui qui examine les doctrines des diffe'rens peuplcs d'un observatoire e'leve et avec une vue impartiale , la masse des rapports para?t bien plus grandc encore que celle des differences. Mais quel a e'te le point de depart de ces ide'es primitives qui se sont myste'rieusement re'pandues sur le globe , sans laisser d'autres traces de leurs passages et de Icurs migrations que de pales lueurs dcmeure'es dans la tradition et dans le langagcPC'est la une des plus bautes questions qu'il soil donne' a I'histoire de soulevcr ; c'est la question du berceau du genre humain et de la dispersion des peuples. Les raateriaux qui permettent dela poursuivre, et sans doutc aussi de la re'soudre un jour , sont e'pars dans ces religions et ces philosophies de la Chine et de i'lnde qui n'etaient pour nous , il n'y a pas cent ans encore , que des mythologies monstrucuses et des superstitions d'ido- latres; mais le travail est long et difficile : car il ne s'agit pas seulcment deconnaitrej il faut arriver a de'mcler les principes simples et pri- mitifs , et a les de'gager de cette prodigieuse exuberance do devcloppe- mens qui les c'touffent et les encombrent , comme si , dans cetfe contre'e fe'conde de I'Asie, il en etait des productions de i'esprit comme de celles de la terre , oil la richesse de la ve'ge'tation amene la confusion en meiue terns que labondance. liC livre que nous annoncons peut etre regarde comme une introduc- 682 LIVKES FRAN^AIS. tion a I'e'tude de la philosophic de Lao-Tseu. Cctte haute philosophic devenue une des religions principales de la Chine, et surcharge'e aujour- d'hiii de toutcs les superstitions de ses pretres, ne nous est guere connue en France que par un Essaide De Giiignes et un ine'moire deM. ^bel Remusat. Dans ce dernier travail , M. Re'musat avait indique' les rap- ports remarquables qui lui avaient paru exister entre la doctrine de Lao-Tseu et celles dePythagore et de Platon. M. Pauthier, continuant la lignc ouvertc par ce grand maitre , s'est deniande' quel avait dii etre entre la Chine et la Grece I'anneau interme'diaire ; il a cherche si I'lnde, place'e entre I'Asie mincure et la Chine , n'e'tait pas le terrain sur lequel c'laient venues s'unir les pensc'es philosophiques de ces deux illustres na- tions ; et , marchant plus loin encore , il a voulu savoir si I'lnde se trou- vait enclave'e en effet dans une chaine intellectuelle , partant de la Chine pour aboutir a I'Europe , ou si I'lnde au contraire n'e'tait pas jiisqu'ici le pays autochthone, et n' avait pas droit a etre regarde'e comme la source primitive a iaquelle e'taient venues puiser la Chine de Lao -Tseu et la Grece de Pythagore. C'est dans cette vue large et se'ricuseque M. Pauthier a entrepris et acheve' une traduction complete du livre de Lao-Tseu, le Tao-te-King. Cet ouvrage, qui serait d'un si grand poids dans le debat des hautes questions de philosophic orientale qui s'agitent aujour- d'hui , n'est point celui que nous annonfons en ce moment ; n'e'tant point encore agree pour I'impression aux fi'ais de I'e'tat , il attend silencieu- sement une decision qui lui permette de venir enfm se ranger au do- niaine des bibliothequcs publiques. L'impossibilite oil se Irouvent la plupart des savans de soutenir les frais de pareilles publications, cou- teuses , tant par la difficulte' de I'impression que par la difficulte' du de- bit , fait que le mouvement de la science, au point ou elle en est arrive'e aujourd'hui, menace de se ralentir, si les gouvernemens continuent a de- meurer indilTe'rens aux progrcs de I'esprit humain , et a ne lui accorder que quelques secours aventureux , a titre de subvention et de faveur royale. Sans la ge'ne'rosite' et i'opulence de la Societe Asialique de Lon- dres , la traduction franfaisc du Theatre chinois reposerait sans doute encore dans le portefcuille de M. Stanislas Julicn. Espe'rons que M. Pauthier, plus heurcux sous ce rapport, ne sera point oblige' d'aller chercher a I'e'tranger les ressources qui lui sont necessaires pour pouvoir offrirau public les fruits de son travail, et trouvera, au nom do Lao-Tseu, le credit de quelques chiffrcs sur re'norme budget de rimprimerieroyalc. HVRES FRAN^AIS. 683 Ce dont nous avons a rendre compte ici n'est done , comme nous- I'avons dit, qii'une sorte d'introduclion a re'tiide de Lao-Tseu j c'est la traduction d'unc le'gende religieuse sur ce pliilosophe , extraite d'ua livre chinois {Seou-Chin-ki) , sur I'origine et la propagation des trois grandes religions, celle de Confucius, cellede Fo, et celle de Lao-Tseu. Nous avons deja dans ce recueil essaye de caracte'riser la doclrine de Confucius , en nous plafant au point dc vue auquel conduit la tendance naturelle des idees de I'Europe inoderne ; dans notre ignorance des li- vres de Lao-Tseu, nous ne saurions porter sur cephilosoplie un jugement d'luie certitude suffisante , et nous nous abstenons , en attendant des connaissances plus e'tenduesetplussures, derien avancer sur la ve'rite'ou I'erreur de ses doctrines. Nous remarquerons seulement qu'en se fondant sur la courte le'gende traduite par M. Pauthier , et sur quelques passa- ges du Tao-te-King , rapportes dans son commentaire , il est facile de reconnaitre au moius d'une raaniere generale la difference fondamentale des deux grands philosophes chinois. Tandis que Confucius, s'attachant a la re'alite de I'humanite pre'sente , cherche a deduire de la raison pure tous les e'le'mens de la connaissance humaine , Lao-Tseu , au contraire , portant sa pense'e vers la partie la plus subtile de I'essence des choses , domine I'liumanite et la terre , ^s'e'leve dans le ciel infini , et aborde la sphere de ces grands probleines qui entourent de toutes parts la raison humaine , comme ces e'toiles de la nuit au sein desquell es notre regard plouge et se perd. — « Le Tao, dit un disciple de Confucius, est constamment pres des hommes ; ainsi chacun pout le connaitre et le pratiquer : mais si quel- qu'un me'prise ce qui est conimun et facile a pratiquer, et le considere comme indigne de lui , pour preter son attention a quelque chose d'eleve, d'e'loigne' et de difficile , alors ce qu'il poursuit n'est point le Tao. Le Tao , dit Confucius , le Tao de I'homme supe'rieur, du sage , peut etre compare au long trajet du voyageur, qui commence au point le plus pres pour s' eloigner ensuite; ou au cherain de celui qui gravit un lieu e'leve en commencant par sa partie infe'rieure. » — « Le Tao, dit un philosophe de Tc'cole de liao-Tseu , conserve le ciel, soutient la terre ; il est si e'leve que Ton ne peut I'altcindre, si profond qu'on ne peut le sonder , si immense qu'il contient I'univers ; et ne'an- moins il est tout entier dans les plus petites choses. Le Tao , dit Lao- Tseu , peut etre exprime , mais par des paroles qui ne sont point com- 684 LIVRES FRAN^AIS. muncs. S'il pouvait etre nomine , ce serait par un nom e'tranger a^ Ian- gage habituel. Le TFou (le Rien) se nomme I'origine du ciel et dc la terre. Le Yeou (I'Etre) se nomme la mere de toiite chose. » — Une etude fort profonde de Lao-Tseu ne montrerait-elle pas que , si Confucius s'est avance vers la haute science en marchant dans la voic de la raison pure , Lao-Tseu , au contraire , a I'imitation des philoso- phes de I'lnde , a voulu s'e'leyer a la verite p«r les chemins les plus ardusdu mysticisme et de la meditation rcligieuse? On dit que Confu- cius, frappe de sa grandeur et de son etrangete, alia le visiter dans sa retraile , et qu'apres s'etre entretenu quelque terns avec lui , il revint a ses disciples , en disant qu'ii avait rencontre non pas un homme , mais un Dragon ; voulant sans doutc designer par la quelque chose de fabu- leux et de divin tout a la fois comme I'animal sacre du Grand Empire. L'auteur de la le'gende de Lao-Tscu a rencheri encore sur le mys- ticisme des doctrines de son maitre, en pre'sentant son passage sur la terre comme le re'sultat d'unc incarnation divine; pretention analogue a celle qui fonne le dogme fondamental de quelques religions de I'lnde et de I'Europe. Nous nous conlenterons d'extrairc de cette notice deuxcita^ tions qui presentent, avec plusieurs dograes importansde la Genese et de VEvangile , une analogic si frappante qu'il est facile de la saisir a la premiere vue et sans aucun besoin de commentaire : — « Autrefois, lorsque le ciel et la terre n'e'taient point encore sc'parc's, que le Yn et le Vang n'e'taient point encore divises , tout etait brumeux et comme enseveli sous les ondes. La matiere premiere reposait dansun etat myste'rieux et incompreliensible. Ta-fan pre'ludait a la creation dans rimmensile' solitaire et tene'breuse de I'espace. » — L'espritde Lao-Tseu, qui, d'aprcs la le'gende, etait ne avant la mani- festation d'aucune forme corporellc , qui etait pre'sent au de'veloppement de la grande masse premiere ct se monvait au milieu de I'espace vide , apres un certain nonibre de kalpas vient se poser sur la terre , et s'in- carnc sous la figui-e humaine. Cette croyance, si cliime'rique au premier abord , n'cst sans doute au fond qu'unc traduction obscure et exagerc'e des enseigncmens de liao-Tscu sur re'ternite' de I'ame: — «Quoique, dans des ages succcssifs . Lao-Kiuii ait transforme' sa personne , il n'y a eu pour lui aucun jour denaissance. — » Arrive au regne du dix-huiticme emperem- Yang-Kia, de la dynas- tic Chang (i/|00 ans av. J. C), son espi'it se Iransforma;, ct son corps LiVRES FKANQAIS. 685 d'ele'mens subtils s'incarna dans le sein d'une vierge bleue, merveil- leuse et belle comma le jaspe, ou il demeura en conception quatre-vingt- et-un ans , jusqu'au tems de Wou-Ting , le vingt-deuxieme roi de la . meme dynastie. L'anne'e du cycle keng-chin , le quinzieme jour du deuxicme mois, a I'heure mao ( entre ciuq et sept heiires du matin) , il naquit a I'endroit nommd Khiou- Jin, presdu village deZai, district de Kou , dans le royaume de Tsou. II a laisse un ouvrage en deux parties intitule Tao-te-King , le livre de la raison et de la vertu. » - Nous terminons ici tout ce qu'il nous est permi's de dire sur la philo- sophic de Lao-Tseu sans de'passcr les justes limites qui nous sont impo- se'es par I'imperi'ection de notre connaissance. Nous nous abstiendrons d'insister sur les nombreux rapprochemens que M. Pauthier a e'tablis entre les points les plus remarquables de celto legende et divers passages extraits des lois de Manou, du Bhagavad-Gita et des Ve'das; et nous nous conteuterons de les indiquer a ceux de nos Iccteurs qui voudront verifier par eux-memes ces analogies nouvelies entre les doctrines de la Chine et celles de I'lnde , renonjant a analyser nous-memes une ma- tiere si difficile et qui deraanderait unc critique si delicate et si appro- fondie, et aimant bien raieuxi declarer ici notre incompetence que de nous exposer a des chances d'erreur. J. R. lo8. GoURS DE PHYSIOLOGIE GENERALE ET COMPAREE dc M. HE Blainville. (La partie imprime'e se trouve chez Be'chet,quai dcs Augustins. ) Le but principal de cette Revue e'tant de signaler tout ce qui , dans les divcrses branches du savoir humain, pent servir d'une part a carac- te'riser notre e'poque, et de I'autre a aider a i'oeuvre synthe'tique du nou- vel ordre de choses vers lequel I'humanite , dans sa marche progres- sive, nous semble s'acheminer, nous ne pouvons passer sous silence les travaux zoologiques et physiologiques de M. de Blainville. Depuis plus de vingt ans qu'il profcsse a la Sorhonne la science gene'rale des ani- maux , ses cours ont offert le deVeloppement d'un plan vaste et unique, dont les diverses parties s'enchainent les unes dans les autrcs , de ma- niere a n'etre que les e'le'mens d'une immense proposition. Cette perse- verance a suivre la route qu'il s'est tracee , jointc a la vivacite d'esprit du savant professeur, fait trouver a I'entendrc un vif inteVcl de con- fiance et de plaisir , et fait regrctter d'autant plus que la publication dc ses Iccons n'ait pas cte acheve'e. Notre intention n'est point ici dc don- 686 LIVRES FRANgAIS. ner I'analysc du cours de physiologic , cc serait la une tache trop e'len- due : nous voulons seuleraent montrer comment ce corns se lattache axi plan de Tauteur , et en indiquer quelques rcsultats ge'ne'raux. Apres avoir expose , avec tons les de'vcloppemens necessaiies , la zootaxie, ou cettc partie de la zoologie qui e'ludie , nomme ct classe les animaux , d'apres les rapports existans entre leur forme exte'rieure et leur organisation; apres s'etre occupe' de la zootomie, ou de la dis- section des animaux , pour reconnattre comparativement , soit dans les individus , soit dans la se'rie des etres , la structure , la forme, la posi- tion , et les rapports des organes et des appareils ; apres avoir ainsi pre- sente les animaux sous le rapport qu'il norarae stalique , M. de Blain- ville a entrepris , il y a deja quatre ans, de les montrer sous leur rapport d) Tiamique , c'est-a-dire dans I'exercice de leurs fonctions , dans I'ac- tivitc de Icurs oiganes. Sous ce point de vue , M. dc Blainville divise la science en quatre parties : en zo'obiologie , ou discours raisonne sur les pbenomenes que pre'sente la vie des animaux ( c'est la pliysiologic compare'e , pour se servir du mot lialiituel, que I'auteur trouve fautif ) ; en zooethique, ou histoire naturelle proprement dite, qui fait connaitre les moeurs,les ha- bitudes et les usages des etre anime's; en zooiatrie , ou me'decine gene'- :rale , qui , d'apres la connaissance de I'organisation , e'tudie les altera- tions des organes et des fonctions pour en chcrcher la cause et le re- raedc J enfin en zoonomique , qui a pour objet I'art de gouverner . d' clever et de perfectionner I'homme ct les animaux , en agissant sur leur organisation. De ces quatre divisions de la science dynamiquc des animaux , la pre- miere seulemcnt a etc examinee avec detail ; mais il y a , entre ces cou- pures artificielles d'un sujet unique en soi , un tel entrelaccment , une telle liaison, qu'il est impossible de la separer comple'tement , et qu'on est force' de les appeler sans cesse a I'appui les uues des autres. Si done M. de Blainville n'a traitc en particulier que de la zoobiologie , il a du parler incidcmment des tiois autres parties , sur chacune desquelles il reviendra sans doute plus tard pour en fairc son principal sujet. Cettc de'pendancc rc'ciproque nous explique comment un cours , qui d'abord ne dcvait durer qu'une anne'e , s'est progrcssivement agrandi dans I'es- prit dc I'auteur , et s'est prolongc pendant quatre ans. La matiere est si vastc , la vie si varice dans ses manifestions , que le savant proles- LIVRES FRAN9AIS. 687 seur, dont la louable habitude est de verifier autant que possible toutes ses assertions , s'est trouve' comme emporte' malgre' lui par la grandeur du sujet et I'activite' de son intelligence au-dela du terftie qu'il s'e'tait fixe, Et cependant , telle est I'utilitc et la puissance d'un plan philoso- phique, que cette extension donne'e par M. de Blainville a ses travaux de physiologic n'a pas nui a I'harmonie des details, et que le cours, une fois termine'^ chaque partie s'est trouve'e convenablement e'labore'e suivant son importance. M. dc Blainville definit la zoohiologie , « la science qui analyse les » phe'nomenes de la vie dans leur production , dans leurs rapports soit » avec I'organisation, soit avec les circonstances exte'rieures, et qui cher- » che a les expliquer en les rattachant aux lois ge'ne'ralcs de la matiere » toutes les fois qu'ils en soiit susceplibles. » Bicn pe'ne'tre' de toutes les difficulte's qui he'rissent cette science , il en voit aussi riuiinense por- tc'e, dans la mc'decine , la philosophic, et le gouvernement des hoinmcs. Plus que personne , il sent I'absolue ne'cessite ou sc trouve I'art de gue- rir de s'appuyer sur une the'orie bicn faite : « L'expericnce, dit-il , ou ce qu'on nomme vulgairement la pratique, » est sans doute une partie importante de I'art de la mcdecinej mais la » the'orie, base'e sur laconnaissance pre'alable de toutes les circonstances » du phe'nomene , Test peut-etre davantage ; parce que chaque hommc » n'est, pour ainsi dire, plus oblige de cre'er pour lui seul la me'de- » cine , proportionnellement a ses forces intellectuelles , et qu'il pent , » si je puis m'exprimer ainsi, monter sur les epaules de ses prede'ces- » seurs. EUe est importante pour que I'art soit e'claire' dans toutes ses » parties, pour qu'il y ait plus de certitude dans I'application , et pour » consoler la conscience du mc'decin , lorsqu'il est oblige de reconnaitre » les limites malheureusement trop borne'es dans lesquelles son pouvoir » est restreint. » On a fre'quemment vante I'empirisme , que Ton a de'core souvent » de I'e'pithete d'hippocratique; mais rcgardez quelles sont les per- » sonnes qui se re'fugient dans cette maniere de voir , asile ordinaire de » rignorauce^ ou du moins de la paresse | et demandez-leur si re'elle- » ment la me'thode hippocratique tant vante'e est de la me'decine , si ce » ne serait pas plulot de I'histoire naturelle des maladies , ou pcul-etrc » encore une maniere de fairc de la me'decine un art industriel. » La zoohiologie, dans laquelle Tauteur comprcnd 1' ideologic, est, 688 LIVRES FRANgAIS. suivant lui, la base de la philosophic, telle qu'cUe doit elie dans notrc siecle, c'est-a-dire e'minemment positive et ne s'occiipant plus de ques- tions inabordablcs. Ici nous dcvons dire que les opinions de M. dc Blain- ville sur les questions qn'on est habitue' a se'parer du domaine des sciences naturelles , et qii'on se plait a conside'rer comme apparte- nant uniquement au monde de I'esprit ou de rintelligence , sent em- preintes des habitudes que Ton contractc naturellement aujourd'hui quand on s'occupc plus spc'cialement des phcnonienes mate'riels. En cela, M. de Blaiuville ressemble a prcsque tons les savans de notre epoque. Mais il n'en est pas nioins vrai que , du point de vue que nous appellcrions volontiers le point de vue des naturalistes ( pour ne pas employer cette denomination de matc'rialisme si absurdement prodigue'c a tant d'hommcs vcritablement religicux dans Icurs investigations ) , jaillissent en foule des lumieres que les phiicsoplics spiritual istes ne doivent pas dedaigner, mais qui viennent au contraire fortiQer les idc'es nouvclles les plus avancc'cs en philosophic socialc. Ainsi , pour ciler un exemple, en parlant des rapports qui existent entrc les animauxetnous, voici comment s'exprime le savant profcsseur : « Sans doute I'horame est seal susceptible de la sociabilite' dans h; » haut degre' ou nous la voyonsj ce qui donne a ses actions une con- » nexion, une de'pendance de cclles des antres individus de la socie'te, » qui conduit a la distinction des natures physique et morale , et qui )) ne'cessaireraent anssi le porte a reconnaltre un Etre supreme , une vie 1) a venir, une immortalite' de I'ame , croyances qui de'coulenl nccessai- » rement de ce qu'il est sociable a des degre's extremement variables. » Mais il n'en est pas moins vi'ai que les circonstances exte'rieurcs, agis- j) sant constamment sur lui , peuvcnt !c modifier en bien ou en mal , » physiqueraent ou moralcment; qu'il devient dautant plus difficile de » gouvcrner les hommcs, de manicrc a ce qu'ils vivent en freres sans se » nuire, ou en se nuisant dans des limites supportables et determine'cs » par une proportion convenable entre Tinte'rct particulier et Tintc'ret » general, qu'ils sont aecumule's en plus grandes masses dans des es- » paces plus circonscrits. II n'en est pas moins viai non plus que Ton « pent diminucr on augmenter le nombrc des maladies on des causes » qui tendent a reduire le nombre des individus d'une socie'te, par des » moyens approprie's a la nature meme de chaque socie'te, et aux cir- » Constances dans Icsquelles elle est force'e de vivre. C'est cc dont I'hy- LIVRES FRANgAIS. 689 » giene publiquc nous offre la demonstration joinnaliere. Ainsi la mo- » rale , I'liistoire et scs principcs, la politique ou le gouvernement par- » ticulier des nations dans Icurs rapports inte'rieurs et este'rieurs, ont » pour base la connaissance approfondie de la pbysiologie gene'rale et » spe'ciale de I'espece humaine,'en y comprenant son histoire naturelle. » Ce n'est pas que je pre'tende que les liommes d'etat doivent eux- » menies ctudier cette science j mais ils doivent chercher les principes » propres a lesdiriger, dans les e'er its, dans les observations des auteurs » qui ont donne a la science une base positive , prise dans la nature , » et non cre'e'e ou au moins de'nature'e par I'imagination, et plus e'vi- » demment encore par leurs passions et par leur interet. » D'apres cette manierc de voir, on comprend par avance que M. de Blainville a dii traiter avec beaucoup de de'veloppement tout ce qui tient aux penclians, aux sentimens, et aux plienomenes intellectuels. Sans adopter inipliciteinent loutes les de'couvertes de Gall et de Spurzheim il a du uioins adopte leur base ct rendu justice a leur genie. Peut-elre qu'un exaraen plus attentif de la classification du docteur Spurzheim lui fera reconuaitre, comme n'etant que des degre's d'une merae faculte' certains instincts, certains sentimens, auxquels ilsemlile vouloir attribucr une existence distincte. M.de Blainville a base le plan de son cours sur I'idc'e d'Hippocrate, que tous les pLe'nomenes de la vie de'crivent un cercle complct. Prenant dans I'univers la matiere a I'e'tat de gaz, il en e'tudie les combiuaisons, qui produisent des principes immc'diats , des raate'riaux organiques , des tissus , des organes , des appareils. II observe les actions de I'en- semble des appareils dans I'homme et les animaux adultes. Puis, aprcs avoir conside're' ceux-ci dans leur devcloppcment , leur accroissement , il les suit dans leur de'croissement , leur de'clin , et arrive ainsi a la mort , a la putre'faction , ou la matiere retourne a son c'tat primitif. Dans cette se'rie de plie'nonienes , il ne voit qu'une suite d'actions pliysiqucs et chimiques tres-complique'es , mais analogues , sinon comple'tcment semblablcs, a celles qui ont lieu dans le monde inorganise. La sensibi- litc seule lui parait e'cliapper a toute explication , un piic'noniene spe- cial , qui ne pent etrc rapproche' d'aucun autre phenomene connu , et qui n'est comparable qu'a lui-merac. La vie , suivant lui , est une dans I'univers ; mais elle pre'sente des 690 LIVRES FRANgAIS. degrc's differcns : elle est latente , fe'talc , otganique , animale , snivant la proportion des ele'raens qui la composent. EJle ne se manifeste que par !e mouvement qui , de mole'culaire , ou d' imperceptible sinon par scs eftets , peut s'e'levcr et s'accroitrc jusqu'a etre en tout scmblablc a ce qu'on appelle le mouvement communique. La vie n'est done pas une entile' distincte , ce n'est que le resultat de I'ensemble des fonctions. L'absorption et I' exhalation , augmente'es par I'irritabilite et la swisi- bilite' , produisent le mouvement de composition , de decomposition et de calorification qui constitue la vie chez I'homme et les animaux. Ainsi un corps vivant est une sorte de foyer chimico-pbysique dans le- quel ce mouvement est produit. La mort n'est que la cessation de ce phe'nomene, et non im phenomene en soi. M. de Blainville avait fait espe'rer qu'il traiterait la question de sa- voir s'il est utile de faire intervenir dans la vie des forces ou des faculte's non susceptibles d'etre rattache'es aux lois ge'ne'rales de la nature , et entre autres si Ton doit recourir a I'liypotbese d'une ame. Le terns ne lui a pas permis de trailer le sujet de I'ame , qui eut pris dans sa bouclie un inte'ret nouveau. Nous ne pensons pas qu'il ait renonce a nous ex- poser sur ce point important son jugement scientifique. Sans doute , comme professeur de physiologic , il serait en droit de nou^ renvoyer aux coursde psychologic, et de se limilcr au cadre qu'il a rempli. Mais les eludes ne seront comple'tcmenl synlhe'tiques que lorsque, trailant une science , on fera des excursions dans les sciences voisines pour en montrer le lien et les de'pcndances. D'ailleurs , la me'thode suivie par les psychologistes est si diame'tralement oppose'e a la methode adoptee aujourd'hui par les naturalisles , qu'il sera a la fois tresutile et tres- piquant de voir s'il y a, ou non, un point oil ils se rencontrent et sont d' accord. Bien des personnes ont deja tire une conclusion affirmative ; raais I'opinion de M. de Blainville, appuye'e sur tant de fails , d'obser- vations, de deductions, serait d'un haul poids dans la balance. Esperons qu'il la fera connailrc dans le cours de Philosophie zoologique , qu'il professera I'an prochain a la Sorbonne. Nous avons deja exprime nos regrets de ce que les cours de M. dc Blainville n'ont pas e'te' publics en entier. Puisque nous pailons de phy- siologic , qu'il nous soil permis d'cmettre aussi un voeu. Nous vou- drions que cctte science soil enseigne'e a I'Ecole de mc'decine d'une ina- I LIVRES FRANgAIS. 69 I niere plus complete , je dirais presque plus dogmatique. Les Icfons du professeur qui occupe maintenant la chaire sont souvent un simple ex- pose des ide'es e'mises , plutot qti'uTie discussion approfondie de ces ide'es et une analyse complete des phe'nomenes. II n'est pas toujours facile de saisir la raison qui le porte a adopter une opinion plutot qti'une autre. Nous croyons que la faute en est au tems , et que le professeur et les e'Icves ont a digerer trop de matieres dans un tres-j>etit nombre de lefons. Nous pensons que trois ans, ou au moins deux, ne seraient pas trop pour exposer et comprendrc la physiologic : le cours gagnerait alors en developpement , en interet et en utilite. C'est le charme des lecons de M, de Blainville qui nous a sugge're cette observation : elle n'a qu'un but , le progres des sciences me'dicales , dont la physiologic est la base la plus ferme, David Richard. 109. Clinique de l'hopital Saint-Louis, par M. le professeur Alibert. (Ouvrage souspresse. ) QUELQUBS UEFLEXIOiSS SUR LA METHODE NATURELLK Appliquee a Tetiide des maladies de la peau. La succession, bien ordonuee, facilite la memoire des sensations et des ide'es; I'habilude les associe ; leur association est d'autant jilus intime que ces sensations ou ces ide'es ont entre elles un plus grand nombre de rapports, puisque le souvenir d'un scul rapport pcut re'vciller celui de tous les aulres. Or, avoir I'idee des divers rapports d'une chose avec les autres choses ou avec soi , c'est connaitre cette chose. U faut done en conclure rigoureusemcnt que re'unir les objets d'aprcs le plus grand nombre de rapports qu'ils ont entre cux , c'est en facililer le souvenir. II y a plus, Te'tude en est plus courle et plus aise'e, puisque I'on peut comprendrc dans une nieme description toutcs les qualite's qui leur sont communes. De la est ne chez les naturalistes de tous les terns le besoin de classer les divers objets qui s'offraient a leur observation , pour c'viter des rc- pe'tilions fastidieuses et des longueurs inutiles. « Cette habitude , que Ton prend necessaircment en e'tudiant I'his'toirc » naturelle , de classer dans son esprit un tres-grand nombre d'idecs , » rsl , dit C.nvier, I'un des avantasics de cette science, dont on a le moins 692 LIVRES FRAN^AIS. » parle , et qui deviendra peut-etre le principal , lorsqu'elle aura e'te » ge'ne'ralement introduite dans I'e'ducation commune (i). » Pe'ne'tre de celte ve'rite, M. Alibert a depuis long-tems cherclie a appliquer la mc'tliode des naturalistes a Tetude de la pathologic, II avail deja divise en families les maladies qui peuvent alTecter les di- vers appareils d'organes. C'est a de'crire dans tous ses details la famille des dermatoses qu'il vient de consacrer ses veilles. Tout le monde con- nait I'heureux essai de notre savant maitre dans ce genre d' observa- tions. Depuis I'impression de son premier ouvrage sur les maladies de la peau , il a recueilli de nouveaux fails ; il a medite' ceux qui ont e'te' publie's par les autres ; et ce n'est qu'apres avoir saisi I'ensemblc des rapports qui lient entre elles ces diverses alterations morbides, qu'il les a groupers d'aprcs I'ordre de Icurs affinite's respectives. Cette maniere de proce'der est , sans aucun doute , plus difficile , mais elle est aussi plus sure que celle de Plenck , de Willan et de Bateman , qui ont a priori pose les bases des divisions d'aprcs lesqueiles ils ont range les maladies a mesure qu'elles sc prcsentaient , sans s'inquie'ter si les di- verses alterations qui sont ainsi reunies ont entre elles plusieurs carac- teres communs, ou si elles forment des ensembles disparates. On a voulu faire valoir ce qu'il y a de plus positif, de plus anato- mique dans cette derniere maniere de proce'der; mais les analomistes eax-memes la repoussent. Voici comment s'exprimc Cuvicr, dans ses Lcfons d'anatomie compare'e , en parlant des naturalistes qui ont c'tabli des organcs de premier, de second rang, etc. : «Ils auraient du, dit-il, » porter plutot leur attention sur les fonctions cUes-memes que sur les » organes; car toutes les parties, toutes les formes, toutes les qualite's )) d'un organe de premier rang, ne sont pas e'galeraent propres a four- » nir des caracteres pour les classes siiperieures ; ce sont seidement » celles de ces formes et de ces qualite's qui modifient d'une ma- » mere importante la fonction a laquelle cet organe est affecte , i> celles qui liii donnent, pour ainsi dire, una autre direction et d'au- » ires resultats. Toutes les autres considerations auxquclles un organe, » de quelque rang qu'il soit , peut donner lieu , ne sont d'aucune im- » porlacce tant qu'elles n influent pas directeinent sur les fonctions l^i) Cuvicr, Rqjnc animal. LIVRES FRANgAlS. GqS » quil exerce. C'est ce 'qui a e'gare quelques anatoniisles qui out cru » que tout etait important dans un organe important (i). » C'est ainsi que Ton a pu penser que quelques alterations produites p.ar les diverses maladies cutane'es devaient ne'cessairement donner une bonne classification ; et Ton n'a pas e'te' arrete , en voyant la rougeole a cote' de Ve'rjsipele, la varicelle eloigne'e de la variole, pour sc jila- rer prcs de la dartre squameuse liumide et de la gale; la variole jete'c dans la meme classe que la inelitagre la teigne et le varus ! Pourquoi lie pas placer scparc'iiient aussi dans cliaque classe les diverses especes de sypliilidcs, puisqu'il est rcconnu qu'elles revetcnt toules les formes dites e'le'mentaires ? C'est que cette fois la force de I'analogie a arrete' comme maigre' eux les nosologistcs , de meme que Linne'us , tout occuiie' qu'il etait a nombrcr les e'tamines dcs plantcs, nc put me'connaitre ce- pcndant les families naturclles dcs labie'cs ct des cruciferes. Nous sommes loin ccpendant de contcstcr la valeur des caractercs anatomiques; ils sont fort utiles dans I'c'tude des maladies cutane'es, et peuvcnt ctre employe's tres avantageusement pour former des genres et dcs especes; s'il nous c'tait meme penuis de connaitre a fond toutes les alterations que subissent les solides et les liquides dans les divers e'tats pathologiques, c'est sur ces caracteres physiques seuls que nous voudrionsTormer unc classification naturelle. Mais, parmi ces caracteres, il en est qui ont une grandc valeur , et d'autrcs qui ne sont que secon- daires : les uns sont constans, les autrcs accidcntels. Les lesions dites e'lemenlaires que Willan a fait scrvir de base a la classification dcs maladies de la peau sont elles-memes des alte'ralioDs conse'cutives, des plicnomenes la plupart secondaires; ce sont des pro- duits ])lilcgmasiques qui annoncent divers degrc's d'intensitc dans la plilogosc; et leur attnbuer un degrc d'importance lei qu'il fassc oublier la valeur des autrcs symptomes, c'est vouloir Icur faire jouer un trop grand role, puisque la meme alteration pcut,a divers degre's, produire ces phenomenes. Une phlegmasie simple donne d'abord la tumefaction, puis, raugmentation de 'a secretion de I'organe malade. Ainsi se forraent d'aljord les papules, puis les squames. La se'rosite' accuuiule'c entre I'e'- pidcrme ct les autrcs elc'mens dc la pcau , sous Ic nom de ^'esicule ou (l)Cuvicr. Lecons d'aiiatoniie coniparee; loinc I . p. 04. TOME LV. SEPTEMBKE IB52. 45 694 LIVRES FRANCAIS. de bidle, annonce iin degrc phlcgmasique plus avancc. Enfin le pus, qui compose la pustule, peut-il de'noter autre chose qu'nne plilegmasie plus intense et plus profonde. Quant aux tubercules, on a contcste leur origine plilcgmasique ; mais on ne peut nier leur coincidence avec d'au- tres alterations morbidcs, qu'ils peuvent rcmplaccr dans plusieurs ma- ladies dont ils ne torment pas, par consequent, le caractere csscntiel. Pour ce qui est des ulcerations, on n'a voulu en tenir aucun compte dans la pathologic cutane'e. Je ne vois pas pourquoi une alte'ration aussi evi- dcnte ct aussi importantc est dite de peu de valeur, et pourquoi la pus- tule qui succede a la ve'sicule est plutot une le'sion primitive que I'ulce'- ration qui succede a la pustule. Cependant cettc classification, toute im- parfaite qu'elle est, a produit de bons resultats; la difficulte mcme qui naissait de son emploi a force ceux qui ont voulu la suivre a mettre beauconp de se've'rite' dans leur diagnostic. On sait avec quelle sagacite quelques disciples de Plenck et dc Willan saisissent Ics plus legeres nuances dans Ics alterations cutane'es j mais en rendant justice a leur ta- lent , en reconnaissant les services reels qu'ils ont rendus a la science , nous sommes force's de dire que leur classification , fonde'c sur un seul caractere , est le plus souvcnt insuffisante. C'est ainsi que personne ne conleste les services que le systeme inge- nieux de Linne'c a rendus a la botaniquej et bien que ce grand natiira- liste eiit pris ses caractcres dans les organes sexuels, qui repre'sentent en petit toute la plantc , son systeme a du le ce'der a la me'thode natu- relle. De'sonnais on pourra e'tablir des caracteres bptaniques nouveaux , montrant que ceux qui ont e'te donne's jusqu'ici sont insuffisans, faire quelques changemens dans les details; mais a coup sur les botanistes n'abandonncront plus la me'thode naturcUe qu'ils ont si long -temps chcrchc'e. Comme M. de Candolle I'a fait observer, les plantes de chaque fa- mille ont des proprie'te's semblables, de mcme les maladies comprises dans chaque groupe ont des symptomcs analogues, une marche scm- blable, et exigent le mcme mode de trailcmcnt. On voit la scnsibilile profondcinent cbranlee dans les eczemes. Ces affections ont une tendance particiiliere a se localiser , et reparaissent plusieurs fois chez le meme individu. Le sentiment d'uslion qui les ac- compagne est bien indique par leur nom. ^j erytJteme , Verysipele , Ic LIVRES TRANCAIS. 6g5 pemphix , le zoster, etc., qui forment ce groupe, ont entre eiix Ics plus grands rapports. A mesurc que le mal augmente, I'individu devient plus souffrantj toule I'e'conomie s'elDranle. Dans les exanthemes, au contraire, Feruption procure du soulagement* il semble que la nature se de'livre d'un virus morbifique, en le de'po- sant sur rcnveloppe exterieure. N'est-il pas tres-rcmarquable que ce groupe de maladies , idles que la variole , la vaccine , la scarlatine , la rougeole, etc., ne paraissent qu'une fois dans la vie? Quelle est la rai- son anatomique de ce singulier plie'nomene ? Nous I'ignoronsj mais quel qu'il soit. il iinprime a ces maladies un caractere assez remar- quable pour les faire placer a part. Principalement durant le jeune age , e'poque de la vie dans laquelle les forces de la nature se dirigent vers la tete , le. cuir chevelu est spe- cialement sujet a plusieurs affections connues sous le nom de teignes; I'une d'elles surlout, kfawus, est remarquable par sa forme particu- liere, qui ne pent ctre compare'e a aucune autre lesion anatomique. Est- ce la structure du cuir chevelu qui imprinie a ces maladies une allure particuliere ? Nous I'ignorons ; cependant il faut observer que le favus peut se montrer sur tout le corps, en conservant toujours la meme forme. Le groupe des dermatoses dartreuses a etc forme avec un rare bon- heur. Ici se trouvent reunis les quatre genres herpes, melitagre, varus et esthiomene , qui ont entre eux des affinite's marquees. Ces maladies , qui rampent a la surface de la peau, qui persistent avec une opiniatrete de'solante pour le me'decin et pour le malade , qui disparaissent quel- quefois pour se montrer de nouveau , affligent la vie entiere de ceux qui en sont atteints, et souvcnt se transmettent de generation en genera- tion , sans presque jamais compromcttrc la vie de ceux dont elles em- poisonnent les jours. Ce peu d'exemples suflira pour montrer combien sont e'leve'es les vues de I'auteur qui s'occupe de I'bistoire des dermatoses (i). Notre but n'e- [{) Cctte melhode sera particuliercment mise en pratique dans la CUnique de Vhopital Saint-Louis , par M le prolcsseur Alibert , ouvra;;e publid par les li- braires Cormon et Blanc , et dans Icquel les maladies de la peau se tronveront decriles el iigurees dans leur grandeur naturelle par les artistes les plus ha- 45. 696 LIVRES FRAN^AIS, tail pas de faire line analyse de ses lejons. Nous voulions seulement prouver que la metliode natuielle est de beaucoup supcrieure aux sys- temes artificiels fondes sur un seut caracteie. Nous sommes loin d' avoir cpuise un si beau sujet; beureux. si, en rei'fleurant , nous avons fait naitre le de'sir de I'e'tudier! Alors nous aurons atteint notrc but; car il suffit de ia connaitre, pour pre'fe'rcr cettc metliode a toutesles autres. GlROU DE BuZAREINGUES. no. HlSTOlRE DU CHOLe'bA-MORBUS DANS LE QUARTIER DU LUXEM- BOURG : par M. H. Boulay de la Meurthe, president de la com- mission sanilaire , ct directeur du Bureau de secours de ce quarticr. Paris, i83'2 ; Paul Renouard, In-8" de 128 pag. , avcc un plan li- thograpbie. Des hommcs connus dans la science se sont eleve's sourcnt ct avec raison centre I'abus des cbiffres en mc'decine. En effet , louable par son but , cette me'tbode se cbange en un jeu pue'ril , nuisible au vrai pro- gres de Part lorsqu'elle s'exerce sur des maladies communes , sur des affections connues dopuis que I'lionime souffre, c'cst-a-d:re depuis qu'ilexiste. Mais applique'eA une affection nouvelle dont Ics causes nous e'chappcnt , dont le trailemcnt ne repose sur aucune base ccrtaine, cettc me'thode retrouve sa justification ct son utilite'. La brochure de M. Boulay dela Meurtbe peut servir de modele a ce genre d'investigation , le scul raisonnal)le dans I'etat actuel denos con- naissances sur la nature du cliolc'ra; et s'il est permis d'cntrevoir un terme a I'incertitude qui rcgne sur I'e'tiologie de cette affection , ce n'est que lorsque nous posse'derons de nombreux documens statistiqiies et des fnits s'etayantde cbiffres rccueillis avec sagacite et bonne foi. La premiere partie de cct ouvrage est consacrce au precis des opera - rations de la commission sanitaire et du bureau de secours du quarticr du Luxembourg. Les causes d'insalubrite inlie'rcntes a cette paitie dc la capitale y sont exposces , ainsi que Icsmoyensd'y rcme'dier et Ifs efforts biles. L'aulcur a euivi absolumcnt la inarclie des bolaiiistes, et en tela, il n'a fait que vealiscr le vceu de Sy Jcnhain , de Baglivi , de Morion , de PincI, el de lant d'aiUrcs praliciens cclcbrcs, qui ircnvisajjcaiciu la mcdccine que comme une des branches ks plus iniportaiiles du grand sysleme dc nos connaissances naUirclles. LIVRES FRANCA IS. 697 tente's pour arrivev a ce but. Par le resume suivant on jngcra de I'im- portance des bureaux de secours, et du devoucmcnt qui fut ne'ccssaire aux me'decins et aux admiuistrateurs pour se mcttre au niveau dc la noble mission qu'ils avaient acceptc'e : t » d'autre qu'elles pouvaient' consolider Icnr tranquillilc , lour siirele', » leur inde'pcndancc naturclle C'est sur ce point primor- » dial dc propre conservation , dcmeurc inviolable dans son essence , ?> qu'cst encore fonde I'orclre social. — H }' ^ done LIVRES FRAN^AIS. 7OI ■D cgalite parfaile de droits; et parfaitc re'ciprocite entre nations; c'cst » poiirqnoi Ic droit des gens, rjiCon nomme original, ou primitif, ou » positif, est la regie commune que la raison natiirclle prcscrit aux na- » tions cntre elles pour leur conservation rc'ciproquc. — » Malhcureusemcnt les passions , qui obscdcnt I'liomme , exagerent les » besoins , multiplicnt scs de'sirs , denaturcnt le principe de propre » conservation. Les precautions sont done devcnues ne'cessaires pour » prevenir ou arreter les e'carts ou elles peuvent entrainer les nations et » leurs conducteurs. Les pre'cautions constituent en partie le droit des » gens conventionnel . ou secondaire, qui a.ou doit avoir pour base et » pour regie Ic droit des gens primitif. » Voila, suivant M. de Rayneval, toute la pbilosophie du droit des gens. Le reste n'cst plus qu'un long corollaire, une se'rie de details et d'applications. Et maintenant que la raison naturelle a parle' , maintenant que les precautions sont prises et e'nume're'es par I'auteur, la premiere reflexion que suggere cette meme raison naturelle, c'est que ces precautions sont inutilcs, insuffisantcs, de'risoires. En cffet, a quoi aboutissent-elles ? A la guerre et a toutes ses borreurs, aux alliances accomplics et rompues sans cesse, aux repre'sailles , aux conquetcs, aux douanes, aux probibi- tioDS, etc. Est-ce done la le veritable droit international? Mais c'est presque aussi cclui des bordes barbares. En vcrile', du petit au grand, il scmble entendre quelque membre des socie'te's dites a I'e'tat de nature nous raconter les orgies sanglantes des cannibales, les rapports et usages qui constituent les moeurs de I'an- tropopbagie, ct nous les presenter comme les prescriptions invariablcs , ne'cessaires de Velemelle nature des choses; ou bien encore Aristote prenant un/rt/tbistorique conteraporain de I'esclavage pour une Zoi im- prescriptible de la nature, et partant de la pour sanctionner toutes les servitudes de resjiccc infe'rieure, voir meme la cbasse aux ilotes. C'est que la raison naturelle , pour beaucoup de gens, n'est souvent autre chose que I'ensemble des relations sociales qu'ils trouvent ctablies de leurs jours, plus quelques modifications dans la forme , qu'ils propo- sent et qu'ils sont tente's de prendre pour dc grands perfectionnemcns ou pour de bardies et gene'reuses utopies. Nous ne pouvons dire ici tout ce que rexpericnce ct les travaux du genie ont fait faire de progres a cette iinmuahle raison naturelle qu'in- "702 LIVRES FRAN^AIS. voqnc rauteiir et toiitccqu'ilsont dtVoile de vucs nouvcllcs sur Zrt ««<«;•(? deschoses. Nous aflirmoris sculement que ce qui doit elre, c'est d'abord que la guerre ne soit pas ; nous affiruions que la nature des cLoses et le bon sens ne vculent ni douancs, ni prohibitions, ni e'trangers, ni enne- mis, et comraandent V association des individus, l" association des fa- milies, V association des nations. Tandis que jusqu'ici il n'y a paitout qa isolement , insolidarite , agglomeration , et que ce sentiment na- turel de propre conservation, source de tout droit, selon M. de Ray- neval, est partout violcV, me'connu pour les individus comme pour Ics peuples. En attendant une organisation qui repose sur la seule puissance mo- rale et donne les moyens d'cquilibrer les passions , laisse'es libres dans leur legitime essor , il semble que le droit des gens, ce devrait fitre d'a- bord que les petitcs nations fussent protegees contre les grandes , ainsi que le sont les individus faibles contre les forts par la justice publique. En effet, si un petit etat est attaque, envahi par un colosse, que lui sert votre beau pfincipe primitifdu droit de conservation , d'egalite, d'in- de'pendance, si un tribunal coercitif international n'est point la qui le couvre de son e'gide toute-puissante? Pourquoi done, tout ce qui pent se dire des families et meme des individus , quant a leur surete , a leurs relations civiles, a leur organisation politique, et a leur bien-etre en ge- neral, ne pourrait-il sc dire des nations entre elles? Pourquoi I'inter- vention s'arreterait-ellc pre'cisement la ou elle devient plus importante? qu'importe a I'luimanite que la guerre soit interdite entre les individus, si elle existe entre les nations? Sans doute, suivant M. de Rayneval , il ne pent exister de lois entre nations. Et d'ou vient cela ? apparemment (de ce qu'il n'en voit point d'e'tablies. Mais alors pourquoi e'crire sur le droit international? Chez les sauvages il n'y a pas de lois civiles; est-ce a dire qu'ils n'cn soient pas susceptibles ? Et puis que veulcnt done dire , chez M. de Rayneval, ces modifications au droit de con- servation exigees de part et d' autre pour consolider la tranquillite, la surete, V independance des nations entre elles, si les modifications n'ont pas force de lois ou ne sont point cfficaces pour cctte consolida- tion PAvouons done ici,avec Montesquieu, que « ce droit des gens, tel » qu'il est aujourd'hui, est une science qui apprcnd aux princes jus- » qii'a quel point ils peuvent violer la justice sans choquer leurs inte- » rets..,. On dirait qu'il y a deux justices toutes differenlcs : I'une qui LIVRES FRANQAIS. 'Jo3 » regie les affaires des particiilicrs, qui regne dans le droit civil; I'autre » qui regie les diffe'iens qui surviennent de peuple a peuplc, qui tyran- » nise dans le di-oit public, comme si le droit public n'e'tait pas lui- » meme un droit civil , non pas a la vc'rite d'un pays particulier , i^iais » du monde. » Nous Savons bien que, pour M. de Rayneval, la paix perpetiielle de I'abhe de Saint-Pierre nest quune question oiseusej mais nous n'cn croyons pas moins que ce livrc, dout tant de personnes parlent et que si peu connaissent , tout oiseux qu'il soit , devient e'minemmcnt se'ricux., repris ct commente par J. -J. Rousseau; et qu'un homme d'c'tat, un pu- bliciste profiterait bien autrcmcnt a la lecture de ce court e'crit du phi- losophe de Geneve, qu'a celle des deux volumes de M. Gerard de Rayneval. Nous savons bien aussi qu'il est passe' en credo politique que I'ou- vrage de I'abbe'de Saint-Pierre est le reve d'un homme de bien- mais il serait tems de faire justice de cette sentence aussi fausse qu'elle est vul- gaire, de laisser le cardinal Dubois et Voltaire avec Icur scepticisme de bon ton, ct d'opposer a cette fatuitc' litteraire la verte re'ponse de Rous- seau : « Non , ce n'est point une vaine spe'culation ; c'est un livre solide » et sense, et il est tres-important qu'il existe Jamais projet plus » grand, plus beau ni plus utile n'occupa I'esprit humain?» Voila I'ar- ret que sanctionnera I'avenir; car ce projet deviendra une verite prete a passer en pratique des Ic jour oii les peuples s'apparliendront et oil I'au- torite des rois sera rendue a qui de droit. La seule bonhomie que Ton puisse voir dans ce livre , c'est d'avoir cm a la vertu , a la prudence , aux lumieres des rois; c'est d'avoir fait de'pendre la realisation de ce projet de leur volonte et de leur harmonic. « II n'y a rien d'impossible » dans ce projet, dit J. -J. Rousseau, sinon qu'il soit adopte' par les » rois etles gi'ands; aussi, pour s'y opposer^ ils font ce qu'ils ont tou- » jours fait, ils le tournent en ridicule. » Voila pourquoi le cardinal Fleuri re'pondit si ironiquement aux propositions du bon abbe. : Vous » avez oublie, monsieur, pour article pre'liminaire , de commenccr par » envoyer une troupe de missionnaires pour disposer le coeur et I'esprit » des princes. » II y a sansdoute dans cette observation un grand sens, et le spirituel cardinal voyait bien ou e'tait I'obstacle; mais enfin c'e'tait une raison de plus pour qu'il prit la chose m se'rieux , s'il avait o'te' un veritable homme d'c'tat. 704 LITRES FRAN^AIS. Mais siibstitucz les pcuples aux rois et la possibilite prochainc esl e'clatante et vous remplit cl'cspoir. Aussi A'oycz commc ce rcve , ainsi modifie, s'agite dans tous les coeurs. Quel piibliciste distingue , quel orateur politique ge'ne'reux, quel journal d'avenir ne parle aujourd'hui de la sainte alliance des peiiples? Et ineme je ne sais si c'est folic uto- pie , aberration inouie , inais un liomrnc qu'on n'accuscra pas d'iraagi- nation revcuse, un banquier, tout a I'hcure premier ministre de la pre- miere nation du monde , M. Laffitte enfin , disait le I'j aout i832 aux e'leves de Vecole de commerce en assemble'e solemnelle ; « Je sais que » vous avez lionore I'liospitalite francaisc en vous montrant plcins de » bienvcillance cnvers ces jeunes e'trangcrs ; c'est par de tcls sentimens » que vous hdterez le moment oil la sainte alliance des peuples » remplacera V alliance moins solide des rois. » Voila ce qui manque a M. de Rayneval: c'est de concevoir dc meil- Icurs rapports internationaux , V association imiverselle ; c'est de I'es- pe'rer, et d'en inspircr le besoin a scs lecteurs. C. Pr. 112. LeTTRES POLITIQUES, RELIGIEUSES ET HISTORIQUES, par CaUCHOIS- Lemaire; tome II. Paris, i832; Pilian-Dciaforet , rue des Bons- Enfans, n" 34. In-S". En de'pit de la quasi-lc'gitimitc, on s'apercoit encore qu'une revolu- tion a passe' sur nous, en parcoiirant le livre de M. Lemaire , compose' de morceaux detaches , ccrils pour la plupart dans les beaux jours de la restauration. Homme d' esprit et bonpatriote, cet e'crivain faisait alors bonne guerre aux Bourbons de la branclic ainc'e, ct invoquait meme quelqucfois labranche cadelte comme moyen de terminer nos cm- barras. Son esprit ctait caustique, et sa verve pleine d'amertumc. Nous le considc'rions tous comme le patriote le [)lus en avant et le journaliste Ic plus audacieux. He'las ! que cct esprit parait froid aujourd'hui, et que cette verve semble assoupie ! Ce sont cependant les raemes pages , mais depuis lors tout est bicn change. Ainsi on a en vain essaye d'c- touffer complctcment chez nous le mouvcment re'volutionnaire. Le 29 jniilet a rendu la parole libre ct franche a tous les amis dc la liberie'. Les vcrrous ct les requisitions n'y peuvent rien. Le citoyen se sent puis- sant, meme dans les cabanons de Sainlc-Pe'lagie. C'est que Ic principe de la souvcrainctc du pcuple a etc pose , c'est que scs enncmis mcmes LIVRES FRANgAIS. ^o5 n'oscnt pas I'attaquer en face, ct, tant que I'arbre est debout, il faiit qu'il porle ses fruits. M. Cauchois-Lemaire ne figure pas parmi les de'serteurs de la cause populaire : il a encore aujourd'bui les sentimcns e'leve's que nous lui avons connus et que tant d'aulres ont de'serte's. Aussi ne doutons-uous pas qu'il ne s'occupe de quelque ouvrage plus important et plus en har- monic avec la revolution de juillct. Sa collaboration aaBon Sens nous en donne I'espe'rance. Quant a nous, nous avons aime a rclire des pages c'crites dansun autre terns par cet elegant e'crivain, lorsqu'il com- jjattait a noire tete dans la lice de la presse; raais nous doutons que ce plaisir soit partage par la majorite des citoyens occupe's aujourd'bui a de'fendre les conquetes de juillet et a s'ouvrir une plus large voie d'avenir. II n'y a pas, dans des esprils ainsi disposes, de place pour les tiedes souvenirs de la restauration. * * * 1 1 3. Les Consultations du Docteur Noir. — Stello , parlecomte Alfred de Vigny. Premiere consultation. Paris, chcz Ch. Gosselin rue Saint-Germain-des-Pre's, n^g; Eug. Renduel, rue des Grands- Augustins, n" 11. i vol. de 434 pages, prix , 8 fr. J'arrive un peu tard pour parler de cette nouvelle publication de M. de Vigny; bien des livres ont ete annonce's, ont paru et disparu de- puis I'apparition de celui-ci ; cependant c'est le pri^'ile^e des bons ou- vrages , qu'il est toujours tems d'en causer, et sans pre'ambule je vais vous dire I'impression qu'a produite sur moi le roman de M. de Vigny, vous me direz apres si vous etesdu meme avis. Je connaissais deja Stello de par la Revue des Deux-Mondes, dans laquelle il a ete succes- sivement public; mais apres avoir suivi la composition de ]M. de Vi'^ny en detail, partie par partie , a incsure qu'elle s'ecbappait dc son imagi- nation de ])oete, j'ai voulu saisir dans son ensemble et son unite I'in- sjnration et la pense'e du livre, pe'netrer I'e'motion secrete qui I'a produif , le but pour lequel il a ete' ecrit , et j'ai relu Stello tel que le voi la aujour- d'bui , complet , avec toute sa desline'e deVoilee sous touies ses miscres et ses trislcsscs , se debattant sous I'ironie et la ii-oide raison du Docteur Noir. Qu'est-ce que Stello ? ce n'cst pas une re'alile bistorique , mais un type, mais la personnification d'une idee. M. de Vigny s'est trouve en face de cetle societc telle que nous la voyons, livrec, conimc une proic, ■^OG LIVRES FRANg\TS. au genie de I'analyse^ qui la divise, la disscquc, la'pulve'rise; il a scnti ses clans d'ame, scs c'niotions ge'neieuses , ses de'sirs ardensde sacriGce ct de de'vouemcnt, e'touffc's, comprime'spar lescalciils dc I'e'go'isme, par les raisonneinens aridcs d'une science sans entrailles , sans inspiration poetique; il a souffert , il a voulu dire ces souffrances du poete. Mais ce n'est pas assezj il a vu le poete emporte par les oragcs rcvolution- naires, dedaignc, me'prisc par tous les gouverneracns , jete liors des so- cie'te's comme un paria, et toujours immolc comme la victime divine el expiatoire; il a voulu raconter cctte lamentable histoire des raisercs dcs poetes , et raaudire les gouvernemens qui les tuent. N'est-ce pas I'licurc en effet de dire ces sublimes douleurs quand les grands poetes s'en vont , quand nous entendons le glas funebre qui Sonne leur agonie. Goethe et Walter-Scott ne sont plus : avec ces liom- mes et le sombre genie de Childc-Harold, elle s'e'teinf, la poe'sie de notre e'poque; elle raeurt, la voix du siecle ; plus de chants! plus de poetes ! Dites-nous ce que c'est qu'un poete, dites-nous ce qu'il vient faire au milieu de nous , au milieu de ces haines et de ce sang ! Le poete , dit M. de Vigny , ne vit dans les socie'te's que pour etre per- secute, fle'tri , abandonne. Peu importent lestems! peu importent quels gouvernemens ! toujours , et sous tous les pouvoirs , monarchiques , re- prcsentatifs ou re'publicains , toujours le poete meurt victime ; ct pour prouver sa these decourageante, I'insensible Docteur Noir choisit froide- ment, au milieu de tous ces glorieuxmorts, trois existences de poetes, de jeunes hommes venus a la vie avecle fardeau d'un genie dontils ne sau- ront que faire , dont personne ne voudra , qui les pre'cipitera fatalement sur un lit de misere , sur I'echafaud. Ne me vantez pas toutes vos formes de gouvernement, je les maudis toutes, car toutes ont tue' les poetes; trois exemples seulement entrc mille : la monarchic a fait mourir Gilbert a I'hopital, le gouvernement rcpre'sentatif a empoisonne Chatterton, la republique a guillotine Andre Chenier. En ve'ritc , que me font ces societe's qui assassinent les plus sublimes natures qui apparaissent au milieu d'ellcs? ficoutez le Docteur Noir racontant a Stcllo, pendant toutc une nuit, au moment ou Ic jeune poete se laissait pre'occuper de I'ide'e d'une raagni- fique /brme de gouvernement, la mort miserable de Gilbert , de Chat- terton et d'Andre Ghe'nicr. LIVRES FRANgAIS. 707 Allez ! si vous avez bien senti , vous discuterez iin peu moins sur les formes de tons les gouveinemens quelconques I Certes , le pocte se venge bien de la mort de tons ses freres en poe'sie^ car il accable de son de'dain, de son mepris, de sa baine, les differens pouvoirs qui n'ont pas sii leur sauver la vie. Voici la monarchic repre'- sentee par Louis XV , cc roi de la prostitution , qui , au milieu d'une scene d'amour avec mademoiselle de Coulanges, refuse I'anmone de- mande'e par le DocteurNoir pour Gilbert mourant defaim. Voici M. Beckford le lord-maire, c'est la personnification du gou- vernement anglais. Oh! celui-la n'a pas la grandeur de'daigneusc dn monarque he're'ditaire ! II respecte la liberie et la vie de lous, mcme dcs poctes; il ne refuse jamais protection a celui qui la reclame : Chatterton le sail bien; aussi, dans samiscre, s'empresse-t-il d'aller trouver le lord- maire, qui luioffre ge'nereusement une place de premier valet de cbam- bre ; c'est , dit-il avec satisfaction , qu'il s'agit de quatre cents livres sterling par an! Chatterton s'empoisonne. Voyons done cnfin si un pouvoir re'volutionnaire sera aussi impitoya- ble. C'est alors que le Docteur Noir nous raoutre cette suave et graciense figure d' Andre Che'nier, qu'il nous fait entendre cette voix aux accens antiques , a la me'Iodie si pure , si onctueuse. Mais le pauvre jeune bomme! que venait-il faire dans cette socie'te' bouleverse'e , au milieu de ces partis qni se de'chirent et s'e'gorgent? Le rossignol chante-t-il dans I'ouragan qui abat I'arbre, son refuge dans le bois ; chante-t-il au milieu de corbeaux qui se combattent pour de'vorer un cadavre? Le pauvre chantre est broye, sans pitie, corarae tant d'autres, sous le char re'volutionnaire. Eh bien ! quelle est pour le poete la conclusion de cette e'le'gie la- mentable sur Gilbert, Chatterton et Andre' Chenier? C'est que le poete doit vivre seul , doit se'parer la vie poe'tique de la vie publique et so- ciale. La pense'e du livre de M. de Vigny est done le scepticisme politique - I'auteur de Cinq-Mars n'a foi ni dans la socie'te ni dans les pouvoirs qui la dirigent; il prcscrit au jioete, pour son bonheur, de les fuir et de vivre dans la solitude. On voit que M. de Vigny a etc profonde'ment blesse de tout le mouvement politique qui nous eraporte depuis quelques annees, il a e'te' blesse au coeur ; aussi ne pcut-il s'cmpecher de ge'mir et d'etre se'vere pour la socicte et les gouvcrncmens. L'e'motion qui I'a en- y-oS LIVRES FRAN^AIS. traine a du, malgre liii, le rcndre injuste , et lui faiic mdconnaitrc quclqucs horamcs et qiielques fails de notrc histoirc. La le'volulion de J 789, par exemplc, ilia jiige sous I'influence dc sa dou'cur dcpoctc, de poele qui uiaudit Ics assassins d' Andre Clie'nicr; il veut punir, en les fletrissant, I'e'poque et les hommes coupablcs de cetle mort. Aussi les montre-t-il sous des couJeurs re- noussantes. Nous n'insisterons pas sur I'errcur ct la faiblessc de cette partie dc I'oeuvre de M. de Vigny : d'autres ont vcnge les manes illus- tres imprudemmcnt attaqucs par lui, avcc une telle rigueur de justice et une ardeur si ve'he'mente qu'ils pourraient bien a leur tour avoir nui a la bonte dc leur cause. Mais ccrtes nous de'plorons que M. de Vigny ait essaye' de tourner le sang d' Andre Che'nier conlrc dc sublimes bien- faiteurs de I'liumanitc, ct qu'il n'ait pas su les contemplcr dans toute leur grandeur ct dans toute leur Lorrcur. II faut gc'mir dc voir I'hu- manite, dans son imperfection , condarane'e a nc marcher qu'a travcrs des crises sanglantes , mais il faut reconnaitre I'immensc valcur sociale de CCS crises si douloureuses. Tout progres jusqu'a ce jour a e'te acbete au prix du sang et du plus noble sang j les poctes n'ont pas etc les sculcs victimes , mais ils ont presque toujours etc victimcs , parce que leur sublime nature leur rc'vc'lant avant lous les maux de la socie'te, ils les disent ou les cbantent avant tons et ne sont pas compris } alors ils sont immole's, conime des l}lasphe'mateurs , ou de'laisse's comme des fous, ou ignores, parce que leur voix. ne pent avoir d'e'cho que dans I'avenir. Cependant, j'en demandc pardon a M. de Vigny , je ne veux pas de- sespe'rer du bonheur des poctes. Je vois Ijien dans le passe ce long et funebrc cortege dc gloricux pauvrcs , d'immortcls mendians, de subli- mes suicides; malsje vois le genie el la poc'sie, depuis un siccle ct de nos iours, s' clever, pcrccr la foule, et conque'rir aux acclamations dc la so- cie'te la place qui leur est due. Si, par une fatalite a jamais deplorable , Gilbert, Clialterton et An- dre' Chenier sont morls victimes de I'impre'voyancc sociale, autour d'cux vivaicnt puissantes ct glorieuscs toules les celcbrites du dix-bui- ticmc siecle, fete'es, rcclierche'es avcc amour. Jl nc serait plus permis aujourd'bui dc voir iiiourir un poete, une vraie nature de poele, a I'hopital , ou sur un gj-aljat. Cc serait un crime de Icsc-majcsle humaine im])0ssible a sonffrir. Chaquc jour, par le de- vcloppcmcnt dc la libeite, il dcvicnt plus facile a tout boinmc dc mani- LIVKES FKANgAIS. '709 fester scs faculte's el d'en faire usage ; par Ics progres de I'education et de la presse, la socic'te lout enliere acquiert iin sens moral qui lui ap- prend a reconnaitre et a scnlir le ge'nie , a I'approcher sans le mutiler. Et voyez! les puissantes organisations poe'tiques de noire e'poque ne se sont-elles pas produites avcc gloire, et la socie'tc ne s'est-elle pas einpres- see de leur ouvrir ses bras et de les e'lever au-dessus d'elle ? Goethe Byron, Walter-Scott, Chateaubriand, Be'ranger, Lamartine, Victor Hugo , n'ont-ils pas conquis une popularite et une position sociale qui le'moignent que les gouvernemens et les societe's n'en sont plus a re- garder la poe'sie uniquement corame un delassement et le charme des loisirs. Ainsi, contre la de'sespe'ranle conclusion de Stello, je soutiens que les poetes , loin de s'eloigner du mouvement politique , doivent de plus en plus y prendre part et s'en inspirer , et toujours il seront mieux com- pris et mieux sentis. Si la poe'sie est la voix de Dieu , elle est aussi la voix du peuple : elle doit done sender tous ses besoins , ses miseres ses espe'rances. M. de Vigny n'a pas eu pour but seulement de montrer I'opposition qui existe entre la vie poe'tique et la vie politique , entre les gouverne- mens et les poetes; il a vouiu peindre encore la lutte du sentiment et du . raisonnement , de la poe'sie et de la science , de la synthese et de I'ana- lyse , de Stello et du Docteur Noir . Je ne sais s'il vous est arrive quclquefois de voir en presence I'un de I'autre un poete et un savant, M. Cuvier et M. de Lamartine; alors vous auriez c'te' frappe de la difference de ces deux natures. L'une em- brasse la vie dans son ensemble , dans son unite vivante , et s'e'levc a Te'raotion religieuse , a I'adoration de Dieu ; I'autre saisit un phe'no- mene particulier , un fait de detail, divise et disseque la vie comme un cadavre , et I'analyse : l'une est tout elan , eathousiasme , de'vouement ; I'autre raisonne et calcule. La lutte entre ces deux organisations oppo- sees, vous la trouverez sous toutes les formes, partout ; a I'lnstitut , au college , dans les salons. ' C'cst ce combat, resume' de la vicde notre e'poque , qui a e'te' si ad- ralrablement rcpre'senle par Me'pliistopheles et Faust. Le Dorteur Noir de M. de Yigny n'osl pas un dc ces demons acharnes a pervertir la na- ture liumaine , mais un de ces liommes qui ont pour do Temotion , qui TOMK HV. SEPTEMBRE 1835. 46 710 LIVRES E'RANgAIS. en redoutent renirainement , qui raillent et ricanent quand !a poe'sic s'empare de votrc ame ct Icxalte. Combien de Docteurs Noirs ne vousarrive-t-il pas souvent de rencon- trer sur voire route ! trop heureux s'ils avaieiit toujours dcs histoires aussi attacliantcs a vous center que cellcs qui out gue'ri Stello de sos meditations sur une sublime forme de gouvernement. Mais Ic Docteur Noir n'a pas acheve ses consultations , il nous en a promis de nouvclles j je Ics attends avec impatience , sauf a fairc comma beaucoiip de malades pour les ordonnances de leur rae'decin , a ne pas les mettre en pratique. St. — C. ii4. Les Polonais fugitifs , par J.-F. Delavillenie. Paris, Ch. Vimont , libraire-e'diteur , galerie Ve'ro-Dodat, n" i". 4 vol., i83'2. Tout autre litre que celui adoptc par I'auteur conviendrait e'galemcnt a son oeuvre. Nous esperions au moins un lieu commun d'enthousiasme ct d'espoir pour une belle cause j mais nous n'avons trouve que. les scenes d'amour, de prison, de generosite' dont les lecteurs de romans ordinaires aiment a attendrir Icuis soirees. Nous soramcs habitue's a dc serablables deceptions. 1 1 5. Notice histobique et archeologique sur le departement DE l'Eure , par Auguste Le Prevost. Evreux , i832. In-S" de 54 pages. Les limites des Aulerci Eburoviques sont dc'termine'es dans cette pe- tite notice avec une rare sagacitc et une profonde erudition : le chef lieu, Mediolanum Aulercorum, est al'endroit oii est aujourd'hui situe le Vieil-^vreux. M. Le Prevost en a fait graver deux me'daiiles; Tunc porte d'un cote le relief d'un cheval libre et courant , avec la Ic'gende ytulerco , en chef, el une etoilc en pointe. Le revers pre'sente le san- glier gaulois , avec la legende Eburovi , ct un objet semi-circulaire au- dessous. L'autrc me'daille est semblablc du cote du cheval , mais elle a deux boeufs au revers, avec le meme objet semi-circulaire. On lit au- dessous Ebukovices. 11 existe encore d'autres me'daiiles de ce peuple j clles sont de'crites par MM. de Stabcnrath et Mionnct. II y avail beau- LlVRliS FRAN^AIS. 7 I r coup de inonumcns an Vieil-Evreux. M. Lc Prcvost signalc on passant line scale inscription , jiaice qu'cUe contient la mention d'une divinite locale, DEO GISACO , au dieu Gisay ; et ce qu'il a de bien bizarre , c'est que la tradition a place' le supplice de saint Taurin dans un lien du merae nom , chose qnc M. Le Prevost avaitdeja fait rcmarquer dans son Me'moire sur la cliasse de ce saint. De ces observations on passe a la discussion de I'ltine'raire d'Antonin , et Ton e'tablit que la destruction de cette capitale ne peat dater que des premieres annc'es du cinquieme siecle. Quand il envicnt a parler des ctablissenieris remains, I'auteur ajoute a tous ceux que nous de'signe I'ltiue'raire d'Antonin et la table de Peutinger, une position appele'e Canetiim, dont le nom nous a e'te' re'- cemment re've'le' par la de'couverte d'une grande quantite de vases d'ar- gent; c'e'tait I'cmplacement d'un temple dc Mercure, qui y e'tait adore sous le nom de Mercure Auguste Canet ou Canetonense , denomina- tion qui provcnait visiblemcnt du lieu oil e'tait bati le temple. Les mo- numens gaulois ne sont pas nombreux dans le de'partement de I'Eure • toutefois on indique ici Ja pierre courcoulee : c'est un dolmen de la foret d'Evreux, puis un menhir, appele Garguatan, situe sur le tcr- ritoirede Neaufles. II a dix pieds de haut et cinq a six de tour. On constate, arrondisscment par arrondissement, tout ce que Ton a de'couvert d'antiquites romaines. Nous ne pouvons transcrire cet inventaire rai- sonne' ; il nous sufGra de dire qu'elles sont fort abondantes et souvcDt fort precieuses. M. Le Prevost, avec sa sagacite ordinaire, en tire parti pour determiner quelqucs positions ge'ographiques , entre autres celle de Breuiodurum. II fait ensuite i' enumeration et la description des camps et enceintes antiques (cateliers) , et constate la direction et les ves- tiges de nombreuses voies romaines. Cette notice historique est remar- quablcpar la justesse des apcrcus et I'erudition sur laquelle I'auteur appuie ses conjectHres : clle fera partie ne'cessaire de toute collection d'e'crits sur nos antiquite's nationales. DE GOLBERY. 116. DlCTIONNAIRE TOPOGRAPHIQUE , HISTORIQUE ET STATISTIQUE DU DEPARTEMENT DE LA Sarthe , suivi dc la Biographie et de la Bibliographie du Maine, par M. J.-R, Pesche , memlne de plu- sieurs socie'te's savantes. xix, xx, xxi , xxii et xxni'" Jivraisons. Le 46. ri2 LIVRES FRANgAIS. Mans, i83i-i83'2. Paris, Bachelier, Lance. Cinq caliicis in-8° Jc 96 pages chacim ; prix de la livraison , i fr. 5o c. M. Pesche s'excuse aupres de ses nombreux soiiscripteiirs du retai-d de ses publications , quoiqu'il ait fait paiaitre , en moins d'une anne'e , cinq livraisons. Hislorien du pays qui fut un des theatres de la guerre de la Vendee, il lui a fallu, comme magistral, marcher avec les co- lonnes de cette garde nationale qui a disperse' les bandes insurgees. Aujourd'hui il annonce que son dictionnaire ne de'passera pas trentc- deux livraisons; la biographic en composera cinq autres. En reduisant cette parlie a ce qu'elle doit etre , Tauteur evitera sans doute les de'fauts d'une nobiliaire ou d'une le'gende. Nous avons expose' prece'demment les qualitc's de cette statistiquc , et en meme terns ses imperfections (Voy. Rci^. Enc. , aout i83i, pag. S-jS). L'Acade'mie des Inscriptions vient de lui accorder une mention honorable. Ce n'est encore qu'un simple encouragement. Outre le precis historique du premier volume sur une province qui fut comme centrale pour le moyen-age fran^-ais;, les livraisons rccentes atlestent des explorations pe'nibles, des recherches opiniatres, ct souvent des vues d'utilite. Chaque commune a sa description , sa notice historique , I'indication de ses cheniins et cours d'eau, de ses sortes de cultures, dela superflcie et des divisions de sou territoirc , d'apres le cadastre et le mouvv-ment de sa population. On pent regretter que le recensement fait dans la Sarlhe en 1827 n'ait pas donne les chiffres des praduits agricoles ou industriels. II est vrai , peu de mairies franfaises recueillent ces re'sul- tats. Dans le nord de TAmeriquc, les townships constatent aise'ment, par leurs returns, les rapports de chaque etablissement. En France, des cantons n'ont jamais su ni ce qu'ils semaient ni ce qu'ils re'coltaient. Un grand e'crivain , quand il attaquait la centralisation , a reprochc a Na- poleon d'avoir prescrit a ses prc'fets de recenser par commune meme les poules. C'etait ddverser un ridicule injusle sur la statistique, qui est comnle ne'e au teins dc radiuinistration imperiale. Des souvenirs de toutes les epoques sont conserve's dans le Maine par des raonumens, ct sui tout par des ruincs. Quoique I'arche'ologie soit assez fondec a reconnaitre des camps romains dans cette |)rovincc, il nous scmlile qu'elle y conserve Irop fidilement les usages do rancienne LIVRES FRANCAIS. ^13 erudition qui vouliit voir de ces vestiges dans toutes les coutrees du ter- ritoire francais. ]je Mans possedc , oulre iine socie'te' de me'decine , une socie'te royale d'agriculture, sciences et arts : il est surprenant que celte cite n'^ait pas encore un musc'e departcuientai cpie I'on composerait facilement aveo des debris celtiques, remains et du moyen age. Une des collectious pre- cieuses pourrait etre celle que M. Daudin a forme'e de poteries et usten- siles roniains (V. Ref. Erac, de'cembre tS'jg, p. 77.4) ; les instrumens , meublcs et autrcs produits do I'ancienne Industrie ne sont pas rares non phis dans un pays qui a tant conserve des usages et coutumes des siecles passes. L'article Maine, qui commence le troisieme volume, ou vingtienie ii- vraison, est im bon resume' de la description topographique, statistique et morale de cette province. M. Pesclie fait justice des e'pigrammes de Boileau et de Dufresny contre ses compatriotes. A propos du dicton « un Manceau vaut un Normand et demi , )> I'auteur dit : « Entre le Man- ceau routinier, stationnaire, prcsque sans Industrie, peu ami des sciences et des arts, ou du moins en ne'gligeant trop la culture, et le Normand qui a convert son pays de fabriqucs, dont chaque village est un atelier, qui se livre a I'etude des sciences avec une ardeur et un succes presque inoui dans le reste de la France, la coraparaison ne scrait point en notre faveur. » Cette observation ge'ne'rale , vraie pour une partie des contre'es de laNormandie, pourrait fairc penser, vu I'e'tat des autrcs lo- calite's, que le Maine aurait de beaucoup de'passc au nord ses anciennes limites.PIusieurs expressions que M. Pesche a detache'es du vocabulaire, qui ne sera pas le chapitre le moins curieux de son livre, sont communes aux paysans normands. Aucune province ne ])cut I'cmporter sous un rap- port surle Maine. Les fuleles y vc'ncrent cinquante-cinq saints et saintcs, trois bienheureux et deux bienheureuses , presque tons ne's dans ce pays. Autour de la ce'lebre ecole de la Fleche , des colleges furenl fondes, plusieurs par des ecclesiastiques, dans de tres-petites villes du Maine. Oh y cnseigne le grec, le lalin jusqu'aux liumanite's, et un peu de ma- the'raatiques. Le college du Mans est de plein exercice et considerable. Cclui de Mamers, depuis trois ans, a pris de I'extension : le conscil mu- nicipal Ini a procure une classe d'anglais ct tuie d'italien. Des ecoles 7l4 LIVRES FRAN^AIS. primaires sont e'lablies, non dans chaque commune, mais daus un grand nombre. II ne paiait pas qu'elles aient jusqu'ici beaiicoup d'influence siir les habitudes do la population. Ruse, processif, cntcte, supersti- tieux, le villageois manceau vit pauvrement, quoique tres-laborieus.. L'aube du jour I'a vu se nicttre au travail , la nuit le trouve encore a son champ; et une nourriture malsaine, ,maigre (car ce n'est qu'a quel- ques e'poqucs de I'anne'e , ou plutot do sa vie, qu'il mange de la viandc fraiche), I'attend dans sa chauraiere insalubre et mal batie. A peine la basse-cour ou la grange donnent quelque petit produit; tout est pour la ville ou le gros bourg. Ce n'est pas seiilement dans le Maine que les marches sont encorabre's de paysannes dent les apports, terme moyen , n'ont pas une valeur de 4 fi". Et pour cela il Icur faut parcourir, de nuit et de jour, quatre, six lieues et plus, sans qu'aucune saclie calculer le prix du terns employe a cette vente de pauvre detail. L'euseignement le moins connu encore , quoique le plus esscntiel , c'est la sage distribution des travaux, lebon emploi du tems. Isidore Lebrun. 117. ReCHERCUES sup. PLUSIEURS COLLECTIONS INEDITES DE DECRE- TALES DU MOYEN AGE. par AuGUSTiN Theiner , doctcuT cii droit, etc. Paris, 1882 ; Heideloff et Campe. In-B". Au mot decretales on croit reculer de quelques siecles ; on perd de vue le juste-milieu , les bousingots, nos apostats politiques; et il seni- ble que Ton s'enfonce dans cette docte poussiere si rarement remue'e jiis- qu'au fond, depuis les Pithou, les Sirmond, les Montfaucon, les Ba- luze, etc. C'e'taient la devrais e'ruditsi S'ils ne portaient point dans leurs travaux des vucs grandes et pliilosopbiques, ils pre'senlaicut , du moins, les iaits dans toute leur Daivete, ils en recucillaient consciencieusemcnl toutes les circonstances, et se livraient avec simplicite a des recherclies dont la pense'e seule doit faire fre'inir notre ge'ne'ration delicate et febrile. Jc ne dis pas lui.inmoins que re'rudition soit bannie de notre age , je re- connais inemc avic orgueil qu'on Ini a donne' une direction plus e'leve'e, un but plus utile a I'liumanite : mais on avouera aiissi qu'ea general le dcmi-savoir usiupe la place des e'tudes profondcs ; qu'ou se pare , sans le dire, des dcpouilles du passe j que Tignorance des sources fait (ju'on croit de'couvrir ce (jui avail etc' luieux cxpusti autrefois , et que le talent . LIVRES FRANgAIS. '] l5 du style , assez commiin aujonrd'luii , est souvent employe a broder des notions triviales , mal ordonne'cs et rassemble'es de la veille. M. Theiner ne me'rite pas d'etre range' dans cette categorie. Son instruction est so- lide, quoiqu'il ne re'pete souvent que cc qui se trouve ailleurs. Tout cc qu'il dit de la collection de Bruges , de Bernard de Pavie , de Gilbert , de Bernard de Compostelle , est bicn loin d'etre neuf. Le pere Louis Thomassin de I'Oratoire, Labbe , Pitliou , Sinnond, Baluze en reven- diquent une bonne part. Mais ce qui est bien a lui,ce sont les reflexions qu'il a jointes a ses extraits, et quelques tableaux synopti(pies destines a la comparaison de ce que contiennent plusieurs recueils de de'crctales. Voici le plan de sa brochure : Considerations ge'ne'rales sur re'poque des collections de de'cre'tales ; collection de la bibliotheque de Bruges ; sur un extrait de la collection de Bernard de Pavie ; collection de Gilbert ; collection de Bernard de Compostelle ; constitution d'Innocent IV dans I'affaire de Reims. Ce me'moire est dedie a I'illustre de Savigny , I'un des chefs de Te'cole historique de jurisprudence en Allcmagne. L'au- tcur doit faiie paraitre, presque en meme terns , des Recherches histo- riques et critiques sur Ives de Chartres ( mort en \\\5) et son pre- tendu outrage du Decret, ainsi qu'une Histoire diplomatique de Vuniversite d' Orleans. De REIFFE^BERt;. 1 18. ToRTURA ET Crux fidei o, Lutheriunis sub Germania. i832. Broch. in-8° de 10 pag. Chartres, imprimerie de Gamier fils; se vend a Paris, chez Techener , libraire, place du Louvre. Nous avons dcja indiquc', dans la Revue Encyclopedique (livraison de septembre i83'2 , pag. 540? ""^ re'impression d'un ouvrage fort rare aujourd'hui, due aux soins de notre coUegue M. He'risson. C'est encore a ces curieuses investigations que nous devons ce pre'cieux opuscule. Quel est le nom de I'auteur, c'est ce qu'il est impossible de de'couvrir ; on sait seulement que I'ouvrage avait cte imprime a Paris, et se vcndait chez Pierre Chepin. Lacaille n'indique pas ce libraire. « Le titre Torlura et Crux fidei, dit M. He'risson, fait suffisamment connaitre I'ide'e , I'ob- jet et le but que I'auteur s'etait proposes. Ce n'est point une parodie , mais, au contrai re, c'est une imitation fidele de la passion de Jesus-Christ, selon saint Jean. Le texle est le meme dans Ics deux ouvrages ; seulc- 7l6 LIVRES FRAN^AIS. ment les noms des personnages sont change's, mais il esl facile d'en faire I'application. Ceux qui figurcnt dans la Tortura et Cruxjidei sont con- nus, et I'histoire nous apprend ce qu'ils ont e'te » Ce livre parait avoir e'te public pour la premiere fois de i52o a i525. — La re'im- pression n^a eu lieu qu'a trente-six cxemplaires. Doublet dk Boisthibault. I'un des conservateurs dc labibl. publ. de Cliartres. 119. PziNTURE A LA cip.E PURE ET Au FEU, PAR F Rcmiremont , i832. In-8". L'auteur pense avoir retrouve des proccde's analogues a ceux que les anciens employaient pour peindrc a I'encaustique. II y a soixante-dix ans que M. de Caylus publia un me'moirc sur ce sujet , il exposa meme plusieurs tableaux jieints a la cire et au feu. Depuis lors plus de vingt artistes se sont occupe's de semblabies essais. L'auteur de la brochure nouvelle est un jeune magistrat qui consacre ses loisirs a I'etude de I'an- tiquile. Ils'adresse moins aux artistes qu'aux savans, et de'clare qu'il lui faut rapprobation de ceux-ci pour engager quelques Appelles aventu- reux a manier la cire et le cauterium. D'abord il expose quatrc raoyens proppse's par le comte de Caylus, qui en a fait I'expe'rience, et qui a exe- cute' des tableaux. Toutefois il doute que ces quatre moyens re'pondent a ceux des Grecs, et se prevaut des expressions de Pline iirere ou inu- rere picturam, ce qui signifie briller la peinture. De plus M. de Cay- lus omet le cauterium, et Pline ignore les coffrets imagines par M. de Caylus J enfin, de I'aveu de l'auteur, ces encaustiques sont reste'es au- dessous de I'e'clat et de la vigueur que leur reconnaissent les an- ciens. M. de Montabort est le seul des successeurs de M. de Cay- Jus qui ait alte're I'assertion du nouvel arche'ologue. Or, ce M. de Montabort a trop neglige Pline et Vitruve, il a pris le mot cauterium dans le sens de re'chaud, et il pcint a froid au moyen des re'sines e'le'mi et de copal chop dont les anciens ne nous disent mot. M. F incor- pore lescouleurs avec la cire; il la re'chairffe pour peindrc; puis, corame le refroidissement subit ne promet que des re'sultats informes et gros- siers, on s'empare du cauterium , qui est un fcr de dix a douces pouces de long , dont rextre'mite' a des formes varices scion I'usage qu'on en veut tirer, car il faudra au pcintre be.iucoup de ces fers. De la sortc LIVRES FRANCAIS. 717 les couches se divisent sous 1' instrument, et se laissent guider au gre de I'artiste. Dans un chapitre particulier Tauteur cherche a dc'inontrer I'l- dentite de son proce'de avec celui des anciens^ et fait un heureux usage de deux passages de Plutarque. II en aurait tire un parti plus grand en- core pour son opinion si, au lieu dc recourirala traduction de M. de Caylus, il les eut cites en grec, parce que I'expression s'y rapporte plus encore au feu qu'a la couleur. Cette brochure sera utile aux artistes qui ytrouveront le moyen de restaurer de grands tableaux a I'huile, et les e'diteurs de Pline devront de'sormais en tirer quelqucs notes pour le chapitre 3 1 du livre VII. de Golbery. 120. Journal general d'education et d'instruction pour les deux sexes, contenant le bulletin de laSocie'te' des raetliodes d'ensei- gnement ; public' par M. A.-D. Lourmand, raembre ct corrcspon- dantde pbisieurs socie'te's savantes. Paris , chez M. Cassin, agent de la socie'te , rue Taranne, n° 12. Abonnement annuel , franc de port , 10 fr. pour Paris, 11 fr. pour les de'partemens ; i3 fr. pour I'e- tranger. Ce recueil est la continuation du Journal d'education et d'instruc- tion pour les deux sexes, fonde' en avril 1828, par M. le comte dc Lasteyrie. II paraitra le dernier jour de chaquc mois , par cahiers de deux feuilles in-8°. On annonce que les travaux de la Socie'te des me- thodes y scront public's, et que Ton y trouvera des resume's de ses con- fe'rences puhliques , les extraits de ses proces-verbaux , et les rapports, les rae'moires et communications approuve'es dans ses seances. Une autre partie du journal sera consacre'e aux nouvelles et aux articles de morale , de science , de litterature , d'industrie , de beaux-arts , de gymnastiquc et d'hygiene. M. Lourmand, qui est I'un des membres les plus actifs de nos meilleures associations pour la propagation dc I'instruction pu- bliquc , et dont le nom est deja connu par des ouvrages d'education et des enseignemens publics , est plus fonde' que qui que ce soil a promettre un recueil vraiment utile et complet dans la spe'cialite' pre'cicuse a la- quelle il s'est surtout consacre. SOCIETES SAVAINTES, SOCIETE PHRENOLOGIQUE DE PARIS. AM^IVERSAIRE DE LA llORT DE GALL. DES TUAVAUX DU DOCTEUR SPURZIIEIM. PHRENOLOGIE AU POINT DE VUE POLITIQUE. NOTICES DIVERSES. La Socie'te plue'nologique de Paris a tenu , le i3 aoiit, dans la sallc Saint-Jean , a rHolel-de-Yille , sa seconde seance annuelle. La reunion devait avoir lieu le 'ii , anniversaire de la mort du docteur Gall : mais un mal-entendu de la prefecture de la Seine au sujet du local n'a pas permis de rendre au ce'lebre pliysiologiste cet hommage de regrets et de reconnaissance avec la ponctuelle exactitude qu'on s'e'tait irapose'e. Nous ainions ce culte du genie, et rien , selon nous , n'est plus propre a ex- citer une noble emulation. On se sent touchc, agrandi , par ce rappro- chement de la mort du corps et de rimmortalite de la pensee. On e'prouve comme une revelation du lien intime qui unit entre elles les ge- nerations succcsslves j on rattache le present au passe' , et Ton y voit le germe de I'avenir : la vie s'e'largit dans le terns et dans I'espace. Cependant, corame dans les meilleurcs choscs , il y a un e'cucil a e'viter dans I'expression de notrc reconnaissance pour ceux qui ne sont plus. II ne faut pas que 1' admiration de'ge'nere en adoration , et que I'esprit , se re'trecissant jus'^u'a I'cxclusi.sme , oublie son inde'pendance , ct fasse d'une gloire justement rac'rite'e un obstacle a la gloirc des au- tres. Dans redilice d'une science , celui qui pose les premieres pierres fait beaucoup , sansdoute, mais il ne fait pas tout. La base pent n'etre pas assez large , les materiaux peuvent y etre mal dispose's : il faut que I'experience , que le genie d'autrcs liomincs viennent rectifier , comj)lc- ler cc (|ul est de'tectiieux , ct le mcttre en linrmonic avec Ic rcstc du FRANCE. 7 1 9 savoir humain. La base d'ailleurs n'est pas I'e'difice , et mil ne peut fixer de prime-abord la hauteur qu'il atteindra. A chacun done son tribut de gloire , et que les morts n'e'erasent pas les vivans I Ce qui nous suggere ces re'flexions, c'est la repugnance e'troite que manifestent certains niembres de la Socie'te plirenologiquc a rcndre au coilaborateur de Gall , au docteur Spurzheim , la justice qui lui est due. Nous sommes attriste's en voyant de petites passions s'introduire dans le temple de la science, oil il n'en doit re'gner qu'une, celle de la verite. Persoune n'est plus que nous admirateur de Gall : son ta- lent d' observation tenait du prodige , ct son interpretation des fails prouve une grande force de genie. Mais I'admiration ne nous aveugle point , et ne nous enipeche pasde reconnaitre que le docteur Spurzheim a le premier fait de la phre'nologic une vraie science. C'est a lui qu'on doit presque loutcs les de'couverles anatomiques ; c'est lui qui a constate' I'existence de plusieurs organcs dont I'analyse des o])e'rations de I'esprit de'montrait la ne'ccssitc; c'est lui qui a trouve les limites des di verses faculte's ; c'est lui enfin qui a systematise' tons les faits isole's , et en a forme un lout compacte oil doraine un esprit philosophique et religieux. La re'union de I'esprit vif et pe'nc'trant du docteur Gall avec I't sprit me'ditatif et ge'neralisateur du docteur Spurzheim est un de ces hasards si heureux pour la science , qu'on les croirait providenticls. M. Spur- zheim , qui maintenant poursuit ses recherches dans I'Ame'rique-Sep- tentrionale , a trop de modestie et de dignite pour demander autremcnt que par ses ceuvres une justice que la posle'rite ne lui deniera pas. Mais ccux qui le connaissent , ceux qui I'ont eutcndu , ceux qui ont lu ses e'crits, doivent s'efforcer de montrer toutes choses sous leur vrai jour , et dc lui faire rcndre en France I'hommage de gloire qu'en Anglcterre el en Amcrique on lui accorde pleincment. Venons-en maintenant a I'exposc de la seance qui nous a amcnc inci- demment a cette digression sur rexclusisme scientifique. De nombreux anditeurs des deux sexes ratlendaient impatiemmcnt , car le programme public d'avance piquait la curiosite. M. de Las Gases fils, membre de la charabre des deputes , et vice-president de la Socie'te , en a fait I'ou- verture par uu discours sur la phre'nologie conside'rc'e au point de vue politique. II s'est allache surtout a montrer son utilite pour decouvrir les spe'cialile's dans les sciences et dans les arts. G'est , suivant lui , a I'e- ^20 SOCIETES SAVANTES. tudc dcs facultcs spcciales , des dispositions innees des hommes , que deux corps ce'lebrcs a des litres bien diffe'rens , la compagnie de Jesus et I'Ecole polyteclinique , ont dii leurs iminenses succes. Dans toutes deux, dit M. de Las Cases, on faisait de la ])lire'nologie sans le sa- voir. Le paralleie est piquabt , spe'cieux , niais il nc nous semble pas juste. Ni les je'suites , ni les examinateuis de I'Ecole polyteclinique, ne font de la phre'nologie sans le savoir. lis emploient une methode aussi ancienne que le monde , I'observation des actes exte'rieurs. Les uns s'emparent dc rhomme des le bas-agc , et a peine voient-ils poindre ses talens qu'ils I'entourent, le cboient , le flattent, et, le disciplinant ainsi , s'efforcent de tourner a Icur profit ces facultes dont les re'sul- tats les frappent , mais dont ils ne saisissent point la nature intime , ni le lien avec le reste de I'organisation. On n'ignore pas d'ailleurs qu'ils ont souvent e'cboue. Voltaire, par excniple , qui fut leur clcve , leur a te'moigne dans sa vie assez pea de reconnaissance et de devouement. Quant a I'^^cole polyteclinique , on y est admis par voie d'examcns. Or rien de plus trompeur qu'un examen : unc me'moire active , une patience obstinec , peuvent devancer dans cette arene les plus grands talens. Le genie , quelquefois ncgbgent par trop de confiance, et lent par profondeur, ne se re'vele souvent dans toute sa force que dans les grandes occasions. Quel rapport peut-on trouver enlre la methode des examens et celle que pre'sente la phre'nologie? Hatons-nous de le dire cependant, la phre'nologie ne tend point a faire renoncer aux autres moyens d'appre'ciation : elle n'est qu'un moyen de plus qui regoit des autres sa confirmation et sa force; elle devient en quelque sorte un thermometre toujours utile a consulter, puisque le caprice ne pent le briser , ni la dissimulation le changer. M. de Las Cases fait cnsuite un rapprochement sur lequel nous ne sommes pas non plus d' accord avec lui. De meme que les e'coiiomistes ont repre'senle les fortunes, chose essentiellement artificielle et d'insti- tutiou , sous Timage d'une pyramide au soramet de laquelle est place'e la plus grande richesse , tandis que les degre's infcrieurs sont occupe's par dcs fortunes successivement de'croissantes , jusqu'a la couche la plus large oil est la classe innombraljle dc ceux qui n'ont rien ou prcsque rien, il croitpouvoir admettre comme avc'rc que les intelligences , chose innc'c tt nalurclle , formenl une pyramide analogue, dont le plus grand TRANCE. ^ -21 jjc'nie occupc Ic somraet , ct la troupe nombveuse drs sots la base. 11 ex- plique aiiisi , dit-il , comment rautocralie ct la de'mocratie pure n'ont jamais pu avoir une longue dure'e. Dans le premier cas, la plus haute intelligence n'occupant pas toujours le somraet de la pyramide sociale , tout manquait bientot d'cquilibre ; dans le second cas , les lumieres e'taientsifaibles, I'ignorancesi grande , qu'un immense de'sordre devait naitre. M. de Las Cases invite Tassemble'e a faire soi-meme I'applica- tion de ce principe. Auparavant beaucoup se seront dcmande' , sans doute , si I'Asie , I'Europe meme , n'offrent pas depuis long-tems des autocraties durables , et si la Grece , I'ltalie et la Suisse n'ont pas vu fleurir des de'mocraties pures. Mais le fait militat-il en faveur de M, de Las Cases , quelle conclusion scientifique pourrait-on en tirer? La question du pouvoir a-t-elle jamais e'te dans I'histoire re'duite a une question d'intelligeuce ? Tons les liommes se sont-ils jamais trouve's dans des circonstances e'galcmcnt favorables a leur de'veloppement ? La richesse, les prejugcs, la violence , la terreur, n'ont-clles pas combattu sans cesse contre le ge'nie? Evidemment les conclusions de IM. de Las Cases , qui menent a une sorte de fatalisrae politique , ont e'te' tire'es avec trop de precipitation , ct c'est souvent fausscr une science que de I'in- tcrpre'ler trop tot au profit d'une opinion. *■ Ce qui est , est : I'liomme doit s'y soumettre quand la nature I'im- pose. Mais ce qui est accidentel , ce qui est Ic fruit plus ou moins mau- Vais de la socie'te , ce qui est modifiable par I'homme , la science en fera- t-elle la base de I'e'dificc social ? Non , sans doute ; clle ne doit batir que sur ce qui est immuable dans I'horame, sur ce qu'une longue ob- servation a de'montre' exister toujours. La science , a laquelle nous croyons , avec M. de Las Cases , qu'appartiendra un jour un beau role dans la direction des affaires humaines , ne doit pas se hater d'etre ni monarchiste , ni re'publicaine, ni juste-milieu. Elle doit e'tudier avec calme la nature ct ses lois inflcxibles , et ce n'est que parses lecons bien me'dite'es qu'elle pourra trouver la forme de gouvernement le plus en harmonic avec la constitution humainc. Or , nous le demandons a M. dc Las Cases, la plire'nologie, en particulier, est-elle maintcnant en ctat dc trauclier ainsi les questions. Pouvons-nous affirmer rexisteiicc de la pyramide intcllectuclle, telle qu'il I'entend? Avons-nous pre'alablcment forme pour tontes les facnlte's spe'cialcs des pvramidcs correspondantes? •723 SOriETES SAVANTLS. Avons-nous surtout forme les pyiamides morales, dont il nc parle point, et qui repre'sentent cependant ce qu'il y a dans I'liomme de plus noble , de plus releve, ce qui, pour la societe , vaut souvent mieux que la plus liautc intelligence? Tout cela, il devra I'avouer , est encore a fairej ce sei-a I'ceuvre de ce sieclc. Un prcjuge, base sur la science et proclarae' par le president d'une societe nombrcuse, dcvant un public plus nom- breiix encore, prend une autorite que nous ne pouvons trop nous ef- forcer de combattre. Si I'observation s'oppose a ce qu'on admette entre lestommes e'galite ou identite' d'inlelligence et de moralite, elle ne nous permet pas non plus de fixer encore les lois de la distribution des facuitcs. Lorsqu'elles seront connues ces lois, il restera a decider leur predominance relative, il faudra toutes les soumettre au crite'riura du beau et du bon moral, les rattaclier au but de I'association, et voir en quoi chacune d'elles y concourt. Malheureuscment , I'etat de la so- ciete ne nous permet pas encore ce grand de'pouilleraent de I'esprit, des sentiraens et des instincts humains. Un des moyens les plus puissans d'arriver a une solution satisfai- sante , qui mette en harmonic I'individu avec la societe et la societe avec I'univers, c'est de provoquer en tout lieu el par tous les moyens pos- sibles le de'veloppement de»rintelligence et de la moralite des masses. On les laisse trop croupir dans I'apathie et I'ignorance, ve'ritables ma- ladies plus dangereuses meme que le cholera. Car il vaul mieux pour I'homrae ne pas exister que d'exister sans le pain de I'ame , la science et la vcrite. Nous savons qu'un projet de loi sur I'instruction primaire doit etre discute' lors de la prochaine session de la cliambre des depu- tes. M. de Las Cases y a fait, dit-on, des amendemens, etnous voyons la un sujet d'esperance. Pene'trc comme il Test de I'importance de la phrcnologie, sachant que les facuitcs laissc'es iiicultes sont des richesses nationales qui se perdent , il souticndra sans doute la cause du progres social , et montrera dans des propositions larges et lumineuses la seule ambition qui soit digne de I'homme c'clairc et philantrope. 11 saura surtout mettre de cote une preoccupation de latalisme qui ne nous etonne point chez I'un des compagnons d'exil du plus grand fataliste qui ait existe, de Napoleon. Apreslediscours de M. de Las Cases, M. Casimir Broussais, secretaire dc la Societe, presentc le comptc rendu des travaux de I'annee qui vient FRANCE. 728 cle s'e'couler.Comrnc I'an dernier I'esprit re'glementaire , qu'on nous a si souvent reproche , a consume bien des instans precieux. Puis est venu le cholera qui a jete' beaucoup des membres de la socie'te, compo- se'e en grande partie de me'decins, loin des speculations tranquilles de la science. Cette derniere consideration sur laquelle M. Broussais, en sa qualite' de medecin , s'est peut-etre trop e'tendu , il suffisait de re'meltre pour obtenir du pulilic grace pour le pen de travaux qui ont signale cette anne'e. Sans doute il eiit e'te' desirable qu'a propos du cholera , on eut fait sur I'influence de la circonspection et du courage des observa- tions phrenologiques; mais quand la mort regne et decime les popula- tions, chacun court au plus presse : on ose a peine faire entendre un re- gret sur ce point. M. Broussais expose des details Ires-curieux sur le corse Granier. Arrete pour avoir tue sa femme par jalousie, on sail qu'il re'solutde se laisser mourir de faim, pour e'chapper a un jugement, et pour que les frais d'un proces nc privassent pas ses enfans de rhe'ritagc de ses biens. II souffrit, avec une perseverance extraordinaire, une agonic de soixantc-trois jours. Chez lui la destructivite et I'amour des enfans e'taient extremement de'veloppes. Une notice sur les deux jeunes auteurs, Victor Escousse et Lebras, qui se suiciderent de concert par de'gout de la vie, excite aussi toute la syuipathie de rassemble'e. M. Broussais discute cnsuitc plusieurs objections du docteur Sarlan- dicre sur la phre'nologie , et passe a I'analyse des travaux du docteur Vimont sur I'anatomie comparee. Base's sur la comparaison d'un nom- bre considerable de cranes d'aniinaux divers , ces travaux entrepris dans le but de re'futer Gall et Spurzheim ont conCrme' ensuite leurs principcs , ct fournissent les moyens dedistinguer les oiscaux chanteurs de ceux qui ne iesont pas, lesanimaux voyagcurs des animaux sfdentaires , lescar- nassiers des frugivores. Ces resultats auxqucls les deux,' physiologistes , fondateurs de la science , e'taient deja arrive's, ont ccpendant une grande importance en ce qu'ils sont fonde's sur des observations beaucoup plus nombreuses ct plus precises que les leurs. Graces done en soient ren- dues a M. Vimont, si lui-meme sait rendre justice a ses devanciers. Oh parle ensuite de la coirespondance de la Socie'te, et Ton cite quel- ques fragmens des Icttres de M. Georges Combe, president de la Socie'te phre'nologique d'Edimbourg, et I'un des re'dacteurs de I'interessaDt journal qu'elle public. II semble espe'rer beaucoup en la France pour la '-^/^ SOCIETES SAVANTES. rc'alisatiou dcs vues phre'nologiques : il sail qu'on y adople difficile racnt les idc'es neuves ct que Ic ridicule les y accucille, mais il sail aussi qu'une fois en marclie Ic peuple francais va vite. II lone beaucoup la tendance du journal de la Soeicte dc Paris , en lant qu'il la trouve es- sentiellcment morale. Que ces paroles soient un encouragement spirituel ou un eloge veritable , on ne saurait trop se pe'ne'trer de rimportancc de cctte diriction dans la science de I'liomme (i). C'e'tait une excellente ide'e de donncr au public un expose pratique des principes de la phre'nologic. M. le docteur Foissac s'en est acquitte avcc grace et esprit, et a su entremeler adroitement les re'cits inte'ressans aux details techniques j il a su faire aimer la science dont il entretenait rasserable'e. Encore sous I'influence du plaisir que nous avons eprouAC, c'est presque avec repugnance que nous lui adresserons quelques ques- tions critiques. Pourquoi, apres avoir commence' a lier les instincts dans une chaine continue, I'a-t-il tout a coup rompu pour les sentiraens et rinteiligence? Pourquoi a-t-ii omis un certain nombre d'organes dont I'existence est maintenant deraontre'e? Pourquoi ces importantes omissions tonibcnt-elles pre'cise'ment sur les de'couvertes du docteur (\) Dans un ouvrage inUtul^ : Essai sur la constitution de I'ho/iime consi- ile're'e dans ses rapports ai>ec les objets exte'rieurs , ouvrage qui a deja cu plu- sieurs editions, et dont un de nos collaboraleurs , M. Prosper Dumont, vient de donner une analyse Ires-complete ( Voy. Rei'. Encycl., n° de juillet, page 131), ct va publier la traduction franfaise, M. Georges Combe a developp^ les id^es cmiscs par le docteur Spiirzheim , dans son Catcchisme phrenologirjuc , ccrit en anglais. Ce Catcchisme avait ete conficnianuscrit a M. Combe, qui a su s'en inspi- rer et travaillcr, suivant le memo plan, dans la voie morale qui y est tracee. Mais il ne se montre point ingrat, car il avoue devoir au docteur Spurzlieim tout ce qu'un hommc pent rccevoir de plus precieux d'un autre bomme , la connais- sance de la vraie pbilosophie bumainc. M. Georges Combe a aussi public des Eleinens de phre'noli gie, et un Sfsterne de plirdnologie. Ces deux irailes, qui ont un grand succes en Anglcterrc, ne tarderonl pas non plus, nous Tesperons, a etre traduits en franyais. Nous formons le nicme voeu pour I'cuvrage rcmarquable que M. Andre Combe, frere du prdcddcnt, a donnd, sous le titrede : Observa- tions siir Valicnation mciitale , ou application des principes de la phrenologie /i la recheirlie de': causes, des syniplumes , de la nature el du traite/nent de la folie. FRANCE. ^25 Spurzheim , auquel nous I'avons ontcndu souvent , en dehors de la So- cie'te'])hie'nologique, payer un large tribut d' admiration ? Peut-etre au- rait-il ete' plus complet ct plus juste dans son exposition , s'il cut sa- crifie quelques citations asscz e'loigne'es de son sujct, telle que celle des vers de Byron sur la gloire. Si bien des gloires sont vaines , comme le dit le poete , il en est une qui ne Test pas , et qu'on neglige quelque peu parmi nous : elle consiste a rendre en tout et partout justice a cha- cun , cuique suum. On avait annonce mie notice sur Casimir Perrier. Le president a pre'- venu I'assemblee que la personne qui devait la lire se trouvait dans I'impossibilite' de le faire par motif de sante'. Que cet incident soit vrai ou seulement un pre'texte ne de reflexions plus mures , on a bien fait d'eViter, dans une re'union consacree a la science , tout ce qui cut pu reveiller les passions politiques. Nousavonsa regretter au contraire qu'une'leveet ami de Gall, M. le docteur Fosati, n' ait pas lules Considerations sur V organe du colons quele programme promettaitaussi. Lesujet est si grand et si dclicat qu'il ne faut pas s'e'tonner que I'autcur ait ete' en retard. II nous de'donima-' gera, nous I'espe'rons, dans le procbain nume'ro du journal de laSocie'te'. Le puljlic a e'coute avec un vif inte'ret un travail de M. Appert , ayant pour titre : Application de la phrenologie a V amelioration du sort des prisonniers. Ge que nous en avons pu entendre ne nous parait pas justifier le titr^, mais n'en est pas moins fort ciirieux. Cc sont de courtes notices sur divers criminels, vrais ou supposes , qui ont montre' degrandes qualite's, dc grandes vertus. C'est un voleur qui, dans sa pri- son , se prive de tout pour elever ses enfans ; c'est un autre voleur qui se laisse toucher de compassion par la femme de celui qu'il a de'pouille et lui rend spontane'ment son argent ; c'est une jeune fille qui prend sur elle un meurtre de son amant et pe'rit a sa place sur I'e'chafaud , sans que celui-ci paraisse emu d'un de'vouemcnt si admirable. Ellcs sont nombreuses, ces notices, et nous n'avons qu'un regret, c'est de n'avoir pu les retenir toutcs et de ce qu'elles n'ont pas ete plus detaille'es. M-. Appert rendi-ait un vrai service a la philosophic et a l.i legislation s'il les publiait en les accompagnant de tous les de'veloppcmens phrc'- nologiqurs et biograpliiqucs qui peuvcnt en aiigmenter la portc'e. Gom- bien d'hommes , sansdoute, encombrent les j)risons, se pfrverlissent TOME l.V. SEPTEMBRE 1852. 47 rj2b SOCIETES SAVANTES. dans les bagncs, qui fussciU , avcc une education niieu\ dirigee, des institutions pe'nales nioins cruelles, devenus d'excellens citoyens. Ccs bizarrories dc I'esprit ct des sentimens Lumains , il faut les prendre an se'rieux et en cherclier la cause et le remklc. Lc docteur Lacorbicre terminc la seance par une notice sur Bigonet, ex-membre du conseil des cinq-cents , qui a montre dans la revolution un caraclerc ferme et lionorable. La biographic e'tait longue , la voix du biograplie e'tait faible; ct beaucoup dc bonnes choses, dites peul-ctrc avec talent, ont etc perdues pour les auditeurs deja fatigues; ils se sont ecoule's peu a pen. La Societe' propose pour sujet de prix a dcccrner I'annee prochainc, a pareiile e'poque, Ye'loge de Gall, dans leqiiel on dcvra exposcr scs dc- couvertes, et discuter celles qu'on a faites depuis lui. Comme nous I'avions prc'vu , aucun memoire n'a e'te pre'scnte' au concours de cette anne'e. Lc travail e'tait trop e'tendu pour le court intervallc fixe. C'est avec plaisir que nous voyons le public tourner son attention vers la science pbre'nologique qui renferme en soi les gcrmes de tant dc lumieres et d'Aineli orations, ct qui , en fournissant les bases et les rap- ports sociaux , sera unJ jour pour le monde intellectuel et moral ce que J'attraction newtonienne est pour le monde physique. TVlais on ne sanrait trop le rc'pc'ter, il faut chcrchcrdans cette science autre chose qu'un ail dc devination, qti'un art de later des protube- rances. Ce n'est la que I'ccorce , ct souvent que le cliarlatanisme dc la science; ce n'csl la qu'unepartie de la craniologie, qui ellc-meme, n'est qu'une pnrtic de la phre'nologie. Fiit-il impossible, ce qui n'est point , de jugcr du cervcaii par lc crane, le principe de la pluralite des organcs co'rebraux aurait encore une immense porltfe. C'est avec des vues phi- losopliiques , c'est avec un sentiment religicux qu'il faut poursuivrc rc'tude dc cette science. Plus on la creusc, plus on A'oit le cliamp du libre ar])i(re s'agrandir , et ce qui pouvait paraitre fatalisme au pre- mier as])ect rcntre bienlot dans iedomainc dc notrc volonte inleiligenle, David Richard. P. S. Tcl article a <'td dixit iminddiatemcnl aprcs la sdancc dc la Socicd; phrenolofiiqnf, , el c'est par oiibli qn'il n'a pas ii6 insdrd dans le dernier niimdro delalleviie. Depuis qu'il est imprimd , nous avons appris qu'il est question au niiuisttrc dc riiisuuclinn publiqiic d'drif,er line ihairc dc plir^nologic. Rien ne FRANCE. ■yan saiirait etre plus profitable a la philosophie , a la legislation , el nous formons des voenx pour que ce projet ne demeure pas sldrile. Le minisire qui, sur ce point saura prendre rinitiative fera preuve de poriee d'esprit : satisfaisant a un besoin veritable, il sera digne de reconnaissance. Ce sera la en meme terns une occasion propice pour la France d'appeler et de fixer dans son sein I'un des deux fonda- teurs de la phrdnolop.ie , le docleur Spurzheim , qui , seul , main tenant est capa- ble de professer cette science avec toute Tetendue, toute la critique et toute la philosophie quVlle exige. IS'ous ne doutons pas que ce c^lebre physiologisle ne s'empressat de rdpondrc a un appcl du gouvernement. II est d'un esprit trop ju- dicicux pour ne pas reconnaitre que la sanction donnee en France a une decou- verte scientifique ne peut manquer d'avoir du retcntissement dans le monde civilis^. ACADEMIE DES SCIENCES. SEANCES DU MOIS DE SEPTEMBRE. Seance du 3 septembre. ^rls econo:niques. — M. LhommeayaiU propose, pour la purification des laines du Levant et des malelas qui ont servi dans les hopitaux ou les lazarets au coucher des malades atteints d'affections contagieuses , un systeme fond(5 sur la supposition que la laine est une matifere poreuse et tubuleuse, le ministre du commerce demande Tavis de l'Acad(5uue sur I'utilite des moyens proposes par I'auteur, et sur I'exac- titude des idees qui leur servent de base. MM. Deyeux , Th^nard et Chcvreul prehdront connaissance du m^moire de M. Lhomme, joint a la lettre du mi- nistre. u4rt.i dconomiques et matiere medicate. — L' extension qu'ont prise nos relations avec les diverses :ontr^es du globe a favorisci I'inlroduction d'un grand nombre de productions nouvelles ou peu con- nues, et cependant precieuses pour la matiere medicale, les arts ou Pindustrie. Consulte frequemment par Tadminislratioa des douanes sur ccs productions , M. \'irey a pu les dtudicr, rerpnnaitre leurs qualiles vdneneuscs ou saliitaircs, de- couvrir les fraudes par lesquellcs on les falsifie , etc.; il indique a TAcademic quelques-unes de cellcs qull a recueillies. Ce soutentre autres : plusieurs apocy- nees propres a scrvir-de medicamcns, de lontre-poison ou meme d'alimens; le bdahe'de Madagascar, ecorce d'une rubiacde febrifuge voisinc de la tribu des cin- chonecs { Mussoenda Stedmanni ou une Danai's)-, Vischar dei Orientaux ou tchohai de Persans, racine d'une berberidee tres-mucilagineuse remplaf ant Ic savon 47. "aS SOCIKTRS SAV ANTES. J pour blaiicliir los duties [Lcoiilicc leontopetaloii); Ic c/iayn-ver , lacine liiulo- riale dun nibiaci^c; Ic bancoudou , ecorce d'unc autre racine tinctorialc dc ra- biac^e {]\Iorinihi citrifolia)-^ un nouvoau bois jaunc, amcr, febrifup;c dc ./)/c/h'j- permum ,■ les fruits el les (decrees ditrs barbatiinao et chanJra, piiissans astringcns de diverscs acacics du Bresil et dc Tlnde orienlale ; diverses gomnies et rcsines balsamiques. M. Virey prie TAcaddmie dc nommer des commissaires auxquels il pr^sentera ces objets nouveaui. MM. Aug Saint-Hilairc ct Adr. dc Jiissieu sont •barges de recevoir scs communications. E/eciro-magne'tisnie . — M. Hathctte annonce que M. Pixii a construit un appareil dlcclro-ma- nn^tique capable dc produirc des ^tincellcs a distance. On sail que si I'on place vis-lt-vis d'un aimant en for a chcval un autre fer a cheval non aimanie , sur lequel est enroul^ un fil conjonrlif, envcloppe d'un fil dc sole ct rap- proche par scs deux cxtremites, il part unc etincelle au moment ou Ton sdpare les deux fers a chcval ; mais, pour que le phenomene ait lieu , il faut que leur con- tact soil immddiat etl'aimanttres-fort. Avecleiiouvet appareil il suffit d'unc force de 5 a 6 kilogr. pour avoir des ctincelles a une distance dc plusieurs millimetres. Un aimant en fer a cbeval est place verlicalement, les talons diriges en haut; par le centre de sa partie courbe passe un axe vertical sur lequel il peut tourner hori- zontalement au moyen d'un pignon el d'une roue a laquclle on iniprime le mou- vement. Au-dessus , el dans une position fixe, est un fer a cheval non aimante dont les talons regardent ceux de I'aimant inferieur sans les toucher : il est enve- loppd d'un fil dont les exlr^mllds vicnnenl aboutir dans un capsule de niercure , I'une s\ enfonfanl en cniicr, I'aulre demeurant a la surface. Quand on commu- nique un moHvement dc rotation a laimant, chaque fois que scs poles passent sous les talons du fer et ne forment ainsi qu'un meme plan vertical avec cux , une etincelle se manifesle "a la surface du mcrcure, el si Ic mouvrnient est rapidc , la serie des elinceilcs prodiiit une sensation continue de lumiere. Au moyen de cet appareil on pourra obtrnir des etlnccUes aussi fortes qu'avcc une machine ^lec- trique. Mc'clecine. — En se presenlanl comme candidal pour la place d'associd librc, vacantc par lamort de M. Henri Cassini, M. Desgenettes avail ol'fert "a I'Acadcmie un exem- plaire de son Histoire niddic.le de I'arinec d'Orient. M. Dupuylrcn , charg<5 de faire un rapport sur cet ouvrage connu ct apprdcid depuis long-tems, lui a donnd les eloges qu'il m( rite : nous nc citcrons que les dcrnieres paroles du rapporteur : « La premiere edition de VHisloire mddccale de I'anne'e d'Orient date de 1 802 ; celle dont il est fait hommage a I'Acaddmie est de 1 850. Entre ces deux (Spoques, en 182), un homme extraordinaire, apres s'etre dlcve au plus haut dcgre dc la puissance, tomba de ce faitc glissant el dangercux , et M. Desgenettes a < ru arrivd FRANCE. , rCiC) Ic moment d'dtlaircir un point historique jusqii'ici fort contcste, celui Jc Teni- poisonnement Jes pestifertis de Jaffa. II ne m'apparticnt pas de jufjer de la con- venance du moment choisi par M. Desgenettcs pour faire ses revelations- il ne m'apparticnt pas non plus dc juger de la valeur des raisons empruntdes a la poli- tique ou meme a I'humanite et qui ont pu iuspirer la proposition de cot empoi- sonnement ; mats en admettant comme parfaitement veridique le recit de cet 6\i- nement donue par M. Desj^enetles, etje n'ai aucune raison de le contestcr, I'hij- or.'cn ne saurait assez s'empresser dc recucillir et de transmettre a la postdritd la plus reculee les paroles du courageus medecin que son devoir a lui ^tait de con- sen'er. » Chimie et Mindralogie. — Dans les M^moires de I'Academie des sciences (annee 1732), Dufay citeunc observation qui a etd utilement appliquee a la joaillerie.La cornaline cliauffce gradiiellement a nu conserve sa couleur; mais si on la couvre d'un cdment d'oxide de fcr, la couleur des points recouverts disparait, de sorte qu'on pent obtenir des dessins varies en rouge et en blanc, en menageant, au moyen de la roue du lapi- dairc et de la pointe seche, certaines propoilions de forme, d'dlendue et de nom- bre entrc les points, lignes ou espaccs qui doivent etre recouverts de cement, et ccux qu'on laisse nus. Pensant que ce phenomfene tenait a la desoxidation de quelque substance contenue dans la cornaline, M. Gaullicr de Claubry a chauffe au rouge dans une cornue de porcelaine et avec du deutoxide de cuivre la cornaline reduite en fragmens. II en est rcsultd un degagement sensible mais in- termittent d'un gaz qui paraissait etre du gaz carLonique, et les fragmens ont perdu leur couleur a la surface. Dans une autre experience sur la cornaline pul- vdrisee, le developpement du meme gaz a i\€ beaucoupplus sensible, savoir, de 29 centimetres cubes sur 100 grammes de cornaline. Cc fait parait ne laisser aucun doule sur I'existence d'une matiere organique dans le quartz cornaline qui lui doit sa couleur. D'autrcs mineraux presenteront sans doute le meme phdnomenr. L'observalion qui vient d'etre decrlte a ete communiquee a VAcadcmie dans sa prdccdentc seance. M. Thenard , chargd d'en faire Tobjet d'un rapport, ne ju- geant pas la conclusion suffisamment motivee, a engage I'auteur a calciner de la cornaline seule et en poudre. 100 grammes ont eprouve une perte de 1 gr. 169 et ont fourni nn liquide acide rougissant fortcment le tournesol, du gaz carbo- niquc et du gaz indamniable ; la liqueur ne laissait d'ailleurs dega;;er aucun trace d'ammoniaque par la chaux; le residu etait d'un blanc gris. II suit de 1 que la couleur de la cornaline est due "a la prdsence d'une matiere vegetalc. I reste a determiner quelle est la proportion de cctte matiere vegetalc et si la pert- qu'eprouve la cornaline par la chalcur n'est pas due en partie "a dc i'eau contenue dans la pierre. IMe'te'orologie. — DcrlUcs a fait connaltrc . par im memoirc public dans le tome II des aa- 73o SOCIETES SAVANTES. cicnnes j4nnalesde chiinie, que Ics vapeurs qnis'e\halent dans tin ballon de verre s'appliquent toujours sur la partiedc sps parois cxposdcs a la lumiere; qii'au con- Iraire , dans Tobscuritc, toiitc lenr surface interne s'humecte dgalement, et que, dans ce dernier cas, si la chaleur ajit in6galement surellcs, la vapeur parait toujours sur les plus rcfrnidios. Ce fait, inexplicable a IMpoquc ou il a dtd publld, tient, suivant M. Sellier qui le rapporle, a cc que le verre, en s'electrisant par la lumifcre, attire les vapours electro-negatives de I'eau; ca , dil-il , si I'on suspend au milieu du ballon une meclie de coton imbibee d'buile ^de tcrebentbine , il ne se depose aucune vapeur, en supposant que la temperature de la piece oii so fait cette experience ne differe pas beaucoup de Pair du ballon. Cette experience, que M. Sellier a variee de mille manieres confirme a ses yeux I'idee dmise par Frank- lin sur ce genre de pbcnomenes et doit modifier jusqu'a un certain point la thdorie de la rosde admise depuis M. "Wells. Elle doit aussi , suivant I'auteur de la lettre, determiner a prescrire, comme on I'a fait en Angleterre et a Albany, la volatili- sation de la poix, du soufre ou des rdsines pour neutraliser I'dlectricitd negative des emanations aqueuses dans les contrdes ravagdes par le chok'ra-morbus. JYe'crologie. — M.deMirbel, d'apres une lettre qu'il vient de rccevoir dsM. Robert Brown, annonce la mort de M. Everard Home, correspondant de I'Acaddmie pour Tana- tomie et la zoologie. Elections. — On procdde "a Felection d'un associe libre en remplacement de M. Henri Cassini. Les candidats prdsentds par la commission sont : MM . Dathouard, Desge- ncttcs, Eyries, Orfila, le due de Rivoli et Siguier. Sur quarante trois votes, M. Desgeuettes en obtient vingt trois ; en consd |uence il est ddclard diu par I'Aca- ddmie etson election sera prdsentdea I'approbation du roi. — line seconde election a laquelle les Acaddmicienssont appelds, est celle d'un candidal pour la chaire d'anatomic humaine au museum d'hisloire naturelle du Jardin des Plantes. Les personnes presentdes par la section d'anatomic el de zoo- logic sont: MM. Serres, Flourcns , Gerdy , Bourgery et Cldment. Trente voix sur quarante sfi declarent pour M. Flonrciis, qui sera en consequence presente au ministrc. G^o§rn[>hie. — M. Mathieu fait un rapport sur la determination des longitudes de Palerme, Constantinople, SmjTne, etc. , par M. Daussy. Le memoirc dontil estici question fail suite 'a deux memoires, qucM. Daussy a dejii presenles a I'Acaddmie, el dans Ies([Mels il donne les positions gdograplii- ques d'un grand nombre de points de la Mddilerrande. Dans ses reclicrclics il s'attache principalement i> determiner Ics longitudes des endroits oil Ton a ob- serve des eclipses dc soleil et des occultations d'eloilcs ; il en conclut cnsuitc FRANCE. 'J 3 I Ics longiludes Jes lieux voisins par tie simples observations clironoiiiulriques. Quant aux latitudes qui presentent bicn inoins Je diflicultes , il adople telles quiresultent des meilleures observations. Onn'etait pas bicn d'accord sur la longitude de I'observatoire de Palcrmc, que Piazzi a rendu si celfebre par ses travaux. M. Daussy, voulant dissiper tous les doutes a cet egard, cherche directcnient cette longitude par huit occullations d'e- toiles notdes a Palerme et dans differens observaloires de I'Europe. Ces obser- vations, calculees avec les plus grands soins et combinees de la manierc la plus avantageuse, lui donncnt une longitude de 44' 4" en tems. II adople ensuite U latitude 38° 6' 44" , telle qu'clle a ete obtenue par Piazzi. Le rapporteur ne suit pas M. Daussy dans la d^terminat on des longitudes de Tarapia , de Pera, du dome de Sainte-Sophic a Constantinople, des Dardanel- les ( chateau d'Asie) et de Smyrnc, soil par des occultations dYtoiles , soit par le transport du terns au moyen des chronomelres. II se contenle de dire que M. Daussy a soumis a une discussion precise toutes les obitrvatioiis qu'il a pu sc procurer. — M. Dupin commence la lecture d'un rapport suv un memoire de M. Emile Bcres concernant le malaise industricl de la Franco et les moyens d'y reniddier. Seance da 17 seplembre. Astronoinie. — Dans une lettre datee de N'mes , M. Valz communiqua au secretaire les elemens qu il a Irouves pour la comcte qui se souslrait actuellement a nos regards en passant dans I'h^misphere austral. II en avail d'abord envoye de bien differens a M. Arago , qui , heureuscment pour la science , n'a pu en faire part a I'Acadc- mie. Cette discordance vient de ce que , presse de connaitre Torbile de ce nouvel astre et de s'assurer si ce n'etait pas un reveiiant il ne se donna pas le tems de se livrer ki-meme a des observations eten employa une qui lui ven.iit de Geneve , et qui s'est trouvee en erreur d'un jour. S'en etant aperfu par ses deductions ultd- rieures, il rejeta toute donnt5e dtrangere, et n'^tablit la nouvelle orbitequc sur celles qu'il oblint lui-meme et qui embrassent un intervalle de vingt-quatre jours. II pense done quelesel6niens suivans n'dprouveraient que de legferes rectifications si Ton pouvait recueillir des observations plus rdcentes apres cette lunaison ; mais ce ne serait guere que dans Vlu-niisphcre austral qu'elles pourraient avoir lieu. Passage au pcrihelie 24,477 scptembre , tems moyen de minuit a Nimes Distance pdrihdiie 1,(988 Longitude du perilielie . 229" 47' 5u" ■Noeud ascendant 72" 9' Inclinaison 42" 38' 12" Mouvemcnt retrograde . -7^2 SOCIETES SAVANTES. La seconde partic tie la lettre de M. Valz concerne rexplication dcs variations des nebulositds comelaiics. S'.ippuyanl siir les experiences de Dalton et de Ber- tholiet, d'ou il rcsulte que les differens gaz, ceiix du moinsqui en ont «5te les ob- jets, sent lonts a se melanger , cet astronome explique de la manicre suivante comment les ni'bulosites peuvent dprouvcr des effets variables par la pression de Telher. Dans Ic faible inlcrvalle de terns ( trois mois pour Tordinaire) que les cometes emploient a passer d'une tres-faible a unc fort yrande density de Fdthcr, Ja penetration ou le melange de ce dernier n'aurait lieu qu'a travers un faible es- pace de la nebulosite relativement a son volume entier, qu'on avu parfois exc^der celui du soleil. La majeure partie de ce volume serait done souslraite, faute du tems necessairc, a cctle penetration et soumise aux variations de pression comme dans uns cnveloppe impermeable dont ferait office la partie pdn^trde. Sans doute la pression ne serait pas non plus iransmise instantan^mcnt, mais du moins elle le serait beaucoup plus rapidement que la penetration. L'auteur reconnait au teste qu'il faudrait , pour appuyer cette explication , (5tendre les experiences "a un plus grand nombrc de gaz et observer plus cxactement la vitesse de leur melange. Pour plus de simplicite et de prdcision , il propose d'y employer la vapeur ifean. ffistoire natitrelle. — M. de Humboldt, daus une lettre ecrite de Berlin le 26 aout , transmet des rcnseignemens sur le sort de M. Bonpland. Plus d'une annde s'etail ecoulee de- puis les premieres nouvelles de I'arrivee de ce naturaliste dans la Provincia de las missiones ,• aucune de ses lettres n'etait parvenue en Europe. Enfin M. de Humboldt, par les soins de M. Delessert, vicnt d'en rccevoir une qui est partie de Bucnos-Ayres le 7 mai et qui contient quclqucs details proprcs a intcrcssrr les naturalistes. En rapport de nouveau avcc la civilisation et FEurope , M. Bonpland a repris srs anciens travaux d'histoire naturelle avec la plus grande activite. II .•itlend de jour en jour ses collections du Paraguay et des Missions portugaises : des qu'elles seront arrivdes , il les expcdiera s( us I'adresse du ministre des affai- res etrangercs en le priantde remetlre les caisses au Aiuseum d'liisloire naturelle. Le Jardin-des-P!antes recevra non seulement ce que M. Bonpland a recnoilli re- remmcnt, mais aussi ce qu'il a sauvd de ses hcrbiers a Corricnles et a Bucno.-.- Ayrcs, nolamment son hi'rbicr gdneral et les ricliesses geologiqncs qu'il a amassdes depuis qu'il ji'esi plus avec M. de Humboldt. II yjoindra cellcs qu'il vient d'ac- querir comnie aussi celles que sous pen de jours il pourra se procurer dans les ex- cursions qu'il sc propose de faire a Monte-Video, a Maldonado etau Cabo Santa- Maria. La fcrtilild du sol et les trdsors de la vdgdiation sont tels dans les Mis- sions porlugaises qn'il se croit obligd d'y relourncr. Ses collections renfermcront deux esperes nouvelles de Convolvulus dont les racinesjouissent de toutes Ics qua- litds bicnfuisanlO': du salep. II cspere aussi que I'Et'oIc de medccine ordonnera quelques essais surrcmploi de trois ecorces trfes amiircs, provenanl de Irois espi- es iioiivellcs d'un genre qui apparliont a la famille dcs simai:oubcc.<;. Ccs ecorces FRANCE. rjSS ont le gout du sulfate dc quinine et agissent de la maniere la plus liciireuse dans les dysenteries et d^ulres ddrangemens gastriques. Geologic. — Une seconde communication du savant de Berlin concerne un fait gdologi- que co.nnu dcpuis quclques jours seulement dans cette ville, et qui se lie a d'au tT-es fails observes en Europe et jusque d^ns I'in'.erieur de I'Asie. M. de Secken- dorf a trouv^ dans le Hartz , valke de Radau , au sein d'une carriere situec pres Jc laehaussec qui conduit a Hartzbourg, des fragniens de grouwacke contenant des petrifications et empales dans le granil. Le traduclcur de la Gdologie de LycU, M. Harlmann, vientde confirmer rexactiludc de celte observation, et pro- met d'envoyer sous peu a M. de Humboldt des echantillons detaches avec soin par un travail regulier a la poinlrole. ^strononu'e. — Par une apostille a sa lettre , M. dc Humboldt annonce que la comele d''Encke a courte periode de trois ans et demi a lit^ observce au commencement dejuin 1852 , a Buenos-Ayres. M. Encke est informe p;ir M. Oibers qu'un mem- bre du bureau topographique de cetle ville, M. Massotti, a observe la comele le 2 juin a 5 li. 50' terns civil par 56° 37', 5 d'ascension droile et H" 20', i de dcclina son australe, ce qui ne parait dilferer que d'environ deux minutes dc la comete a courte pdriode calculee d'avance par M. Encke. Embau incmens . — MM. Capron el Boniface Albert, livres depuis long-tems a des recherches surla conservalion des substances animales, annoncent qu'ils ont tent6 1'applica - tion de leurs moyens a la conservation des corps bumains, et qu'ils sont parvenus a les garantir de la decomposition sans en retranchcr aucune partie, san-; alt^rcr les trails de la figure , sans employer aucune prdparation externe el par un travail qui pent s'accomplir en huil jours seulement au domicile memo du dcl'unt. Vou- lant fairc Tapplication de ce procdde a la conservation du corps des homines illus- tres , ils demandent a mettre sous les yeux de 1' Academic un individu prepare d'apres leur methode , et desirent qu'il soil I'objet d'un rapport. Ces messieurs pourront presenter leurs pieces en se faisant inscrire. Chiniie . En s'occupant de recherches sur les combinaisons de Fiodc avec le platine , M. Lassaigne a ete conduit a reconnailre que Tiodc , qui a d'ailleurs par ses rap- ports chiniiques la plus grande analogic avec le chlore , produit comme celui-ci deux composes bicn caracterisds avec le platine ; savoir, un proto-iodure el uti denlo-iodiirc. Cei composes que IM. Lassaigne oblicut , on s'cntoinanl dc cer-- 734 SOCIETES SAVANTES. taines precautions indispensables , par la reaclion des deux elilorures dc plalinc sur I'iodure de potassium, coiTcspondenl assez exactcnieiit aux deux chlorures et aux deux acides connus de platiiie. lis sont tous les deux insolubles dans I'eau , d'une couleur noire et en poudre icrne ou quelquefois cristalline. Le moins iodure est composd de deux atomes d'iode contre un atome de platinc , et Ic second de quatre atomes d'iode pour un alorae de metal. Une projtri^te qui rappro- che surtout Ic bi-iodure dc plaline du bi-chlorure du memo metal , c'est celle dc s'unir anx iodurcs basiques , tels quo ceux de potassium, de sodium, de ba- rium , etc. , et dc produire des lodures doubles a proportions definies, solubles , cristallisables et caracterises par la couleur roujje vineuse qu'ils communiquent a Teau dans laquelle ils sont dissous. M. Lassaigne a egalement observe , conimc M. Boullay fils I'a rcconnu pourquelquesiodures metalliques, quel'acide hydrio- dique forme avcc le bi-iodure do platine une combinaison rouge, soluble dans Fcau, cristallisablc , lixc a la temperature ordinaire, et ne se decomposant qu'avec enteur dans le vide sec. Gc'ographie. MM. Meissas et Michelot font hommage a l' Academic de divers ouvrages reunis sous le tiire commun de 3Idlhode complete pour I'enseignemsut de la ge'ogra- pliie Jans les e'colei priinaires , les iiistituts et les colleges. lis signalcnt a I'at- tention de ce corps savant vingt-huit tableaux sur couronnc destines aux ecoles primaires , ouvrage qui n'existait pas en France , el quatre cartes muettes , im- primdes en minium sur calicot noir. Sur ces cartes , oil les auteurs n'ont fait im- primer que les mdridiens , les paralleles et les contours des cotes , les cleves tra- oent successivement a la craie le cours des (leuves et des rivitres , la direction des chaines de monlagnes , les limites des dtats , lelles qu'cUes sont actucUcment ou tcllcs qu'elles ont (5te aux principalcs epoques historlques , la position des villes importantes ; en un mot ils peuvcnt reproduire tous les details de geographic, de slatistique et d'histoire que renfcrmentles atlas de Las Cases et de Denaix. La con- ception de ces cartes n'est pas nouvelle ; mais on reculait dcvant les diflicultes de leur ex corps et susccptibl« d'applications multipliees. II ajoute aux dbservations dont il a ete question dans le pr^c^dent cahicr , qu'au-dela des liniitcs oil s'excrcc Taction prdservatrice , il a vu Toxidation se manifcster tres- lentcment par taches isolees, verdatres, formees en grande parlie de protoxide, et laisser partout ailleurs a la surface du for son brillant metallique. De nou- vellcs recherclies fondecs sur celle oLscrvation ont appris a l\I. Payen que ces phcnoriienes dependent de Taction electro-chimique entre des portions d'un nicme morceau do fer imperceptiblement (?cartees. Enfin il vient de reussir par line addition de chlorure de sodium a hater les reactions, an point de manifester en traits prononces d'oxide brun verdalre, et souvent dans moins d'une minute, la contexture variable, fibreuse, grenue, etc , des diffdrens fers. Cltole'ra-niorbiii. M. Leymerie dcmande qu'on renvoie "a la commission mixte chargee d'exa- miner les relations qui peuvent exister entre I'etat de I'atmosphere et le ddvelop- pementdu cholcra-morbns un ouvragc qu'il avail transmis a 1' Academic en 1827 et qui porto le tilre de JVouvclles V^iies sur lajievrejaune, la peste et le cho- lera. II fonde sa prdtention sur ce que les faits rassemblds par lui prourent que la vraie theoriedu cholera, de la fi^vre jaune, etc., n'est pas du ressort de la md- decine propremcnt dile . et sur ce que les travaux des physiologisles pathologistes n'ayanl point avance la science dans I'apprcciation des causes des dpiddmies, tout cspoir de decouvrir une tlierapeufique appropriiie est evanouie, des drogues ne reparant pas des desordres clcciriqucs un pen serieux et la physique seule pou- vant en preserver Torganisme. Les phenomencs meteorologiqucs qui onl envi- Tonne Ic cholera sont, suivant M. Leymerie, "a peu pres les mcmes qui precedent et accompagnent la fievre jaune. Les ecchymoses qu'on a signalccs dans I'une et Tautre maladie ne peuvent etre ([Ue le rdsultat d'un violent coup ou d'une forte et mutilante compression des organes, specialement de la peau et de ses annexes, frappds de mort dans la plupart des cas. IVI, Leymerie reclame done la priorite sur toute doctrine qui a'.irait pour base un desordre electrique de I'atmosphere commc cause spdciale de ces epiddmies. Qengraphie. M. de Ilumboldt adrcssc au nom de M. Grimm une nouvclle carte lithogra- phiee dc I'Himalaya, dans laquelle les parties couvertcs de neiges dternelles sont colorices.Les bases en ont iyi discutdes par M. Ritter dans le dernier volume des ildmoires de I'Academie de Berlin. FRANCE. y39 Mddecine . Po"- administrcr Ics frictions dectriques on se sert habituellement de brosses dc crin ou dc blalrrau j mais ces brosses ne peuvent conduire que des coiirans extrememcnt faibles d'electricit^ et elles ont rinconvdnienl de se charger de debris d'^piderme, de matidres malpropres ou ddicleres qui, ne pouvant etre enlev^es par le savon ou le chlore sans une ccrtaine deterioration des brosses, se deposent sur la peau du patient, et risquent de lui conimuniquer quelque maladie. On em- ploie aussi, pour le meme objct, des brosses en Cls de laiton , terminus par de petites spheres de plomb ; mais quoique infiniment prefdrables aux brosses de crin , elles n'agissent sur la peau qu'a la maniere des surfaces metalliqucs sph^- riques et n'ont aucun avantage sur les boiiles isolees dont on a long-tems fait usage. Pour atteindre plus siirement le but qu'on se propose par I'emploi des frictions ^lectriques, M. Fabre-Palaprat annoncc qu'il a substitue aux brosses de crin et de plomb, ainsi qu'aux boules, un appareil tres-siniple qu^il nomme e'lec- trother/nopJiore. Cet appareil se compose d'un vase metallique creux,dontla forme et la grandeur varient scion ccllcs de la panic du corps qui doit etre sou- niisc a son action, et dans lequci , d'apres les indications qu'il s'agit d'^ remplir, on inlroduit un liquide plus ou moins echauffe. II est ferme par un bouchon de ni^tal a vis, terminc par un manche de verre, et il est mis en communication avec le sol ou avec une machine electrique au moyen d'une chaine de metal. On le recouvre d'une chemise d'ctoffe plus ou raoins conductrice de I'electricitd , plus ou moins ^paisse, plus ou moins douce aa toucher, et dont, si cela est juge utile, une des surfaces pent etre forniee d'un tissu a pinceaux de crin, de blai- reau, de laine, etc. D'apres la nature du tissu et la forme de la chemise, on dd- termine avec cet appareil , ou de simples courans, ou des jets d'eiincellcs plus ou moins excitantes, qui produiscnt sur lapeauune sorle d'urtication qu'on propor- tionnc a. Fetat du malade. Les chemises de IVlectrolhermophore sont, aprcs cliaquc operation , soumises au lavage ct "a Taction du chlore. L'cleclrothennophore pouvant renfermer une substance d'un dcgrd de temp(5- ralure determine, Ton a, outre I'avanlage du frottenieiit mecanique dont on ac- cojnpagne les frictions <5leclriques, celui d'agir en meme terns sur la panic affcc- lee el par le moyen de I'cleclricite et par le moyen du caloriquc portcs I'un et Tautre, selon I'indication , du degrd le plus faible jusqu'a un degre tres-cleve. Ou ••itrgie. M. Baudelocqueprcscnle un nouvel instrument pour terminer quclqucs-uns des accouchcmens les plus difficiles C'cst un double crochet mousse a lame cachee , propre a couper en un instant par morceaux le tronc dc Tenfant mon pendant le travail de laccouchcment laborieux. Get instrument est decrit et les deux cas dans lesquels il parail convcnir sont indiques dans le nicmoire joint a la Icttre dc ^4© SOCIETES SAVANTES. M. Baudelocque et formant la seconde partie du travail de ce chirurgien sur le broieiticnt de la tetc. ^natomie comparde. M. Geoffroy-Saint-Hilaire depose des Ohserva'ions sur la concordance Jes parties de I'hyo'ide dans les qiiatre classes des animaux verldbrds, accompa- {jnant a litre dc commcntaire Ic tableau syiloptiqiic ou cette correspondance est cxprimde figurativcment. Nous csperons donner dans un article special Tanalyse de ce memoirc important par sa tendance philosophique et comme nouvelle piece du proces qui s'etait €\t\^ il y a deux ans entre les deux premiers natit- ralistes de la France. Zoologie. — Rapport sur les trat'aux de M. Quay ayant pour objet les ann^lides et les zoophytes , par MM. Dum^ril et de Blainville, rapporteur. Nous avons vu par le pr^c^dent rapport de M. de Blainville quelle place M. Quoy avait accordce a Tetude des moUusques pendant le voyage de I'Astro- labe, et de combien de precieuses acquisitions cette brancbe de la zoologie lui dtait redcvable ; mais il a voud une attention encore plus sp^ciale aux derniers ani- maux de la s^rie, a ces etrcs qu'on ne pent r^ellement ^tudier que sur place et vi- vans, et qui n'avaient pas asscz atlir(! les regards des naturalistes voyageurs, mal- grd I'importan'je de plusieurs pour la geologic. II a ainsi dccouvert un grand nombre d'especes nouvelles et fait connaitre completemcnt celles doiit nous n^a- vions que les parties solides ; ses acquisitions serviront done a rectifier les obser- vations de Pallas et de Lamarck, qui n'avaient travaille que sur ces parties soli- des, en mcme lems qu'elles conlribueront a tirer la distribution des polypicrs de Tetat de vacillation ou elle se trouve eta I'asseoir enfin sur de veritablos | rintipes. £lles forment lamatiere de treize grands mdmoires accompagnes de 154 planches in-4°, ou sont tracdes plus de 800 figures faites sur le vivant par M. Quoy. Elles embrassent : 1° les versa sang rouge de Cuvier, ann^lides de Lamark, ou che- topodes dc I'un du rapporteur ; 2" les vers proprement dits ou apodcs , inlesti- naux et extdrieurs; 3° enfin les zoophytes de loutes les classes, depuis les holo- thuries jusqu'aux dponges. Cette seconde partie n'est done ni moins riche , ni moins inlercssante que la premiere; die rcmplit mcme une iacune bien plus vaste et qu'il etait bien plus difficile de comblcr. Nous en extralrons quelques-uns des fails les plus marquans. La grande classe des chdtopodes a rej-u de notables accroissemens. Ainsi M. Quoy a enrichi los genres scrpuie et spirorbe dc plusieurs espcces nouvelles, notamment de celles qui appartienncnt "a la division caractcriscc par des brancliies en spirale. La description qu'il nous donne de Tanimal du genre galeolaire nous apprend que c'est une veritable scrpuie, qui seulcment est pourvue d'un opercule trcs-singulier. Parmi les tcr6bclles nouvelles il en est une rcniarquablc par FRANCE. 'j/^i ses iniinenses tirrhes tenlaculaires, qui ont plusieurs pieds de longueur et que Pa- nimal pout ctendre a une grande distance du lieu oii son corps, long de (rois a quatre pouces seulenient, est en embuscade. Dans Ics genres amphitrite et sabel- laire on trouve plusieurs cspeces nouvelles. Lea veritables aphrodites paraissent au contrairc fort rares dans les mers cxplorees par I'Astrolabe , puisqu'une seulc espece a et^ observee parM. Quoy. II n'en est pas de meme des ndr^ides, dont plu- sieurs espcces conBrmeront les nouveaux genres t^tablis par M. Savipny et pour- ront meme en former de nouveaux. La classe des articul^s apodes n'offrepas moins de cboscs neuvcs. Un nouveau genre etabli sous le nom d^uitcinaire, a cause d'unepaire de crochets doniraninial est muni sous lapartie inferieure du corps, a bcaucoup d'analogie avec les echlu- res et les thalassemes. Sept ou huit nouvelles especes de sangsues observees a Manille, a Amboine et dans d'autres lieux, montrent que lesysteme de coloration de ces animaux par bandes longitudinales est partout le meme, Mais c'est surtout dans les planarics lombricoides que les mers australes paraissent elre fort riches. En cffet M. Quoy decrit ei figure cinq a six especes d'un genre qu'il nomme op/ti- cephale, etqui parait avoir beaucoup de rapports avec les borlases de nos cotes. Les planaires elles-memes font le sujet dc plusieurs observations interessanlcs : M. Quoy en a rencontre une belle et gi'ande csp^ce [P. pelaaica ), dont il a pu etudier assez completement Torganisation et qu'il a vu disposer ses oeufs en .spi- rale circulaire. Le genre anomal des siponcles dont aucun systeme de zoologie n'a encore bien defini la place dans la scrie, pourra etre etendu et perfectionnd grace aumemoire que M. Quoy lui a consacre. Ce naturalisle s'cst assurd qu'on pent subdiviser les especes en deux petites sections suivant qu'elles sont libres ou rupicoles; en effet, daas ce dernier cas, elles sont pourvues, a la base de la trompe, d'une petite piece solidfi en forme de molette , qui sert a creuser le trou qu'elles liabitent. Notre naluraliste n'a pas meme n^ligd les vers intestinaux. II a fait connaitre une grande cspece de geroflec qui assure la caractdristique de ce genre , ainsi que Tanimal parasite observe pour la premiere fois sur le foie du requin par Lamarii- niere, et dont Bosc a fail son genre tdtrarhynque. La subdivision artificielle et provisoire des faux zoophytes a deja rcfu et rere- vra encore de nombreuses ameliorations des travaux de M. Quoy sur les trois fa- milies qui la constituent. Ainsi il a etc pcrmis de voir que les physsophores ol genres voisins sont des aniniaux pairs , ayant une bouche et un anus , ainsi que des appendices fort singulier.s , il est vTai , mais bilatcraux. La famille des diphy- (les a pu etreetablie pour comprendre les genres assez nombreux que la connais- sancc complete de beaucoup d'especes nouvelles a permis de caracteriscr. Parmi les heroes de belles especes nouvelles ont etd observees , entre autres quelques- unes des genres callianyres de Pcron et dc ]\L Rang. Mais c'est surtout dans le type des veritables zoophytes ou des actinozoaires qur la science aura Ic plus a profiler des travaux des nati)ralistes dc TAstrolabe. I,c TOME LV. SEPTE5IBUE i8o2- 48 742 SOCIET^S SAV ANTES. i;enre des liololhuries , dont Ics portcfcuilles de MM. Lesson et Mertens noiu avaient dcja fait pressentir la richesse extraordinaire au scin dcs raersaustrales, est fonsiderableiiipnt etendu dans un memoire que M. Quoy a consacr^ a cette fa- mille d'animaiix si singuliers et dans lequel il traite non seulement de la dis- tinction des cspfeces qu'il a observdes et dessinees , m^is encore de leur organisa- tion. CVst ainsi qu'il a etc conduit a ^tablir le genre palmelle pour celles qui ont les appendices buccaux en feuilles bipinn^es avec quelques particularitds d'organi- sation. Le nonibrc des echinides et des astdridcs a aussi dteconsiddrablement aug- ment^, et les especes nouvelles ou non pourront elre beaucoup mieux caracleri- s^es d'apres des observations faites sur le vivant. La grande famille des m(5duses recevra de meme de noinbreux accroissomens des travaux de M. Quoy. II a deja propose retablissement de quelques genres nouveaux , entreautres de celui qu'il nomine p^laiellc , a cause de la ressemblance de Tombrelle avec un chapeau. Une des parties de la zoopliytologie qui recevra le phis d'accroissement des tra vaux de M. Quoy. c'esl Ic beau groupe des actinies. Ainsi le genre minias de Cu- vier a d'abord pu elre coiifirme , s'il est vrai que les singulieres especes d'actinies qui le composenl n'ont point de tentacules proprcment dits et si elles peuvent ad- herer par les pores dont sont percds les tubercules si^riaux de leur peau. En outre (Mielques especes nouvelles dont les tentacules peu nombreux sont ramifies comme des branches d'arbres, pourront tres-bien etre groupees en un genre distinct. Les actinies coriaces des genres mamlUifere et corticifere do M. Lesueur rccevront aussi quelques especes nouvelles qui ctabliront le passage aux zoanthes. Mais c'est surtout des travaux deM. Quoy sur les actinies pierreuses connues sous le nom de madrepores que l.i science doit tirer le plus d'avantages positifs, en sorte qu'il sera possible d'introduire la methode nalurelle dans cette parlie aussi belle que difticile de la zoophytologic. Pour rdsuhat principal de ses recherrhes, M. Quoy a trouve que la masse calcaire, ou le polypier, fait partie du tissu de I'animal, qu'il soit simple ou agrdge. Les fongies le ddmontrent dvidemment , puisqu'ellcs sont libres et que le pied de I'animal passe au-dessous du polypier. Les v(;ritablcs caryophylldes ferment un genre bien naturel , I'animal dtant tou- jours pourvu de gros tentacules comme le sont les actinies. La r<5union desastrees est an contraire tout-a-fait artificielle : en effct , on trouve dans les animaux de chacun des petits groupes qui les constituent dcs differences extremement grandes pourle nombrcctla disposition des tentacules. Les vrais madrepores n'ont jamais ni plus ni moins de douze tentacules simples el disposes sur un seul rang. Une cspfccc d'actinie libre ei extremement cbarnue semble etre le type de ce genre 5 51. Quoy eii a forme une petite division .';ous le nom iCh^lianthe. En general les materiaux qu'il a recueillis "a ce sujet portent a penscr qu'il y a dans les zoanthaires motis ou actinies des genres qui correspondent a des groupes gendriques de zoan- thaires calcaires. Dans la classc des polypiaires le nombre des espeteS devait ndcessairement etre aiigmcntc ; il I'a eti cffectivfm'ent dans presque tons Ics genres, et ce qui est plus FRANCE » -^43 importans , les animaux ont etc aussi Studies. C'est ainsi que M. Quoy a ii6 con- duit a distingucr des v^ritables fluitres , qui sont toutcs opercul^s, certaines es- peces qui ne le sont pas et qui rentrenl dans les discopores. II a aussi decou- vert un nouveau genre quM a nomme defdale et qui a hien des rapports avec les akyonelles. Dans la classe des zoophytaires, qui ont pour caracteres connus d' avoir huit ten- tacules pinn^s , Ic rapporteur fait remarquer : l" la derouverte d'un nouveau lu- bipore musique, diffcrant de Tautre par la longueur de ses m^rithalles ; 2° j'eta- blissement d'un genre nouveau sous le nom de clai>ulaiie, genre qui a pcrmis de rcconnaitre les rapports naturels des genres telestos e^ cornulaire ; 5" Tabsencc complete des genres corail, isis, gorgone, anlipathe et pennalulc', qui semblent remplacespar des lobulaires, et des prinripales divisions qu'a introduites dans ce genre M. Savigny. — M. Dum^ril fait un rapport sur les six dernieres iivraisons de I'ouvrage de M. de Ferussac intitule : Histoiic naturelle ge'ne'ra'e et particuliere des inollus- ques terres'tres etfluvialiles. Get ouvrage, dit le rapporteur, se distingue par son plan et sa composition. C'est un traite de I'histoire naturelle de plusieurs ordres de moUusques etudies sous tous les aspects; c'est une suite de monographies contenant beaucoup d'e»- pfeces nouvelles et des genres nouveaux. Les vues gdndrales y abondent; la partie philosophique de la science y est traitee avec le plus grand soin. Aussi avait-il merite les eloges des commissaires charges de rendre compte des prdcddentes Iivraisons. On trouve dans les plus rdcentes des idees gdnerales sur I'ordre des mollusques a poumous sans opercules, I'histoire complete des limaces, des gend- ralites sur la famille des limaf ons, des tableaux de classiGcation methodiqur des mollusques groupes par families. L'histoire naturelle de la famille des limaces a paru presentee d'une mani^re tout-a-fait nouvelle. Apres avoir trouve dans I'or- ganisation dcces animaux quelques caracteres qui avaient ethappd a I'observation de ses devanciers, M. de Ferussac s'en est servi pour etablir des genres. Gmelin, dans I'ddition qu'il a donnee du Systema nalurce de Lmnee avait inscrit une dizaine d'especes dans Ic genre limax. M. de Ferussac I'a distini'ue en douze autres auxquels il rapporte plus dc cinquante-deux especes. La description de ces especes est cssentiellement comparative; Icur synonymic est complete et pen d'ouvrages en prescntent une si rigoureuscment dtablie. Les grandes coupes fon- dles par M. Cuvicr forment la premiere base de la classification adoptee par Tau- teur; les ordres, sous-ordres et families ont die limites par des bases nouvelles, uniformdment etablies d'apres I'organisation. On distinguera surtout la classifi- cation i.(ti pectinibranches, I'un des ordres les plus nombreux des testacds marins univalves. En terminant son rapport M. Dumeril rend hommage a Tespril d'd- quitd , a la saine critique et a I'crudition de Tauteur ; il exprime en meme terns le vocu qu'on liii continue les encouragemens qu'on lui a jusqu'a present accordds; 48. ■^44 SOCIETES SAVANTES. car, dit-il , son ouvrage fait honncur a nos (Jtudcs scienlifiqncs, aux artistes qui out concouru a sa confection, et en gdndral aux progr^s de I'industrie franvaisc. Chiinic. M. Dumas pr^sente quelques observations siir la composition do I'acide bcn- zoiquc. L'analyse qu'en avail faite Berzelius Tavait conduit "a une formule avec la- qucllc la composition de r(5tlier benzoVque nc s'accordait pas. En rcprenanl cetto analyse M. Dumas a trouvd vingt-huit atomcs de carbono, dixatomes d'hydrogene et trois d'oxygfene, et il en a tir6 pour I'atorae de Tacide le nombre quatorzc centtrente, au lieu de quinze cent trente adopts d'apr6s le chimiste suddois. M. Liebig a oblenu les memes rdsultats par I'expdrience, et M. Gaudin y est ^a- lement arrive par des consid«5rations speculalives sur les atomes et sur la cristalli- sation. M. Dumas prend occasion de cette coincidence pour rcndre justice aux travaux de M. Gaudin et les signaler a I'attention des savans. Young. NECROLOGIE. EVARISTE GALOIS. 11 y a trois ans bientot que j'ai connu Galois ; notre liaison commenoa a I'Ecolc Normale , oil il enti'a un an apres inoi. Je nc restai pas long- temps sans concevoir xioe haute idee de son ine'ritc; et les relations fre- quentes qui nous ont rapproche's m'ont empreint de respect pour la hauteur de son genie. Je de'sespe'rerais assure'ment de faire partager au public les regrets et la veneration dont j'entoure la inc'moire demon ami, s'ii ne me restait le pre'cieux depot des travaux dont il m'a confie I'he'ritage. Galois est connu par son ardent re'publicanisme , par les jugemens qu'il a subis et par de longues detentions : il le sera bicn plus un jour par son genie scientifique. Sous ce rapport , il est presque completenieut ignore; et cependant il fit de nombreuses tentatives aupres de TAcade- mie des sciences pour re'pandre ses de'couvcrtes ; tous scs efforts furcnt inutiles. Des I'age de quinze ans , Galois donna des signcs brillans d'unc vaste intelligence en mathe'matiques (il e'tait alors au college Louis-le-Grand). Bientot ses meditations s'eleverent jusqu'a la pkis Itaute analyse. GALOIS. 74'> En iH'-ig, c'est-a-dirc a dix-sept ans, rl avail fait siir la theorie des equations des dc'couvertes de la plus Laute importance. II s'e'tait rencontre avec Abel de Christiania , cet ilhistre et mallieureux jeune liomme, mort de raiscrc an moment ou le gouvernement prussien venait de lui accorder une pension pour I'attirer a Berlin. Le nom d'AsEL etait , a cette e'poque , coraple'tement inconnu a Galois j ce qui est d'autant plus reraarquable , que les proprie'te's des equations qu'il trouva , et qu'AsEL venait de publier de son cote, for- ment un des plus beaux titres de gloirede ce savant. Et ce qiie j'avance ici , je puis le prouver par lete'moignage de M. CaucLy , qui se chargea de presenter, en iS'zg, a 1' Academic des sciences un extrait de la iLe'orie concue par Galois (i). Cet extrait fut perdu pour son auteur , qui le re'clama inutilement au secretariat de I'Acade'mie ^ il avail e'le' e'gare. A I'age de seize ans , Galois e'tail tombe dans la meme errcur qu'AsEL , relativement a la resolution des e'quations ge'ne'rales du cin- quieme degre : il crut , comme lui , I'avoir trouve'e ; mais , comnie lui aussi, il ne tarda pas a la declarer impossible. C'est la un rapproche- (1) Voiri d'ailleiirs une note trouveedans les feuilles de Galois, et qui confirme ce qui prdccde : « Abel parait etre Tauteur qui s'cst le plus occupc de cette tlieorie (la theorie des » equations). Onsait qu'apres avoir cru trouverla resolution des equations gene- » rales du cinquieme degre, ce gdom^tre a demontre I'impossibilite de cette reso- wlntion. Mais dans le M^moire allemand publie a cet effet , rimpossibilili? en 1) question n'cst prouvee que par des raisonnemens relatifs au degrd des equations » auxiliaircs^et a I'epoque de cette publication , il est certain qu^ Abel ignorait » les circonstanccs particulieres de la resolution par radicaux. Jen'ai done parl^ » de ce Jlemoire que pour declarer qu'il n'a aucun rapport avec ma theorie. » II a ensuite demontre la resolubilite, par radicaux, d' Equations particnlifcres » qui different pcu par leurs propridtes des equations binomes; niais il n a rien » laisse sur la discussion gdndrale du probleme qui nous a occupc : car, une fois » pour toutes, ce que notre theorie a de rcmarquable, c'est de pouvoir dans Ions » les cas repondre oui et non. » D'ailleurs , il me serait aisd de prouver que j'igrioruis meme le nom » d'Abel, quand j'ai pr^sente dV Institut mes premieres recherches sur la the'o- » rie des equations , el que la solution d'Abel n^aurait pu para(tre avant la » mienne. » 74^ NECROLOGIE. ment fort singulier entre Galois et le geometre norwegien ; mais ce rap- piochcment n'cst pas le seul. Le peu d'attention donne par I'lnstitiit au premier travail soumis a son jugement par Galois cominenfa pour lui des douleurs qui , jusqu'a sa mort , devaient se succeder de plus en plus vives. Une telle indi£fe- rence aurait suffi pour gue'rir de toute ardeur scientifique , mais il n'cn fut point abattu ; unc puissante nature le poussait en avant. A la fin de iSag, il se pre'senta, pour la scconde fois , a ViLcolc polytechnique. II ne fut pas juge capable d'y entrer. Apres les travaux importans qu'il avail deja faits, il lui e'tait permis de croire a une ad- mission ccrtaine ; qu'on juge de ce qu'il avait droit d'e'prouver : il de- meura cependant grave et patient dans sa douleur. Get e'cliec , dans no examen , etait fait pour surprendre ses amis et ses condisciples , qui reconnaissaient son immense supe'riorite. En effet , au cours de mathe- matiques speciales de Louis-le-Grand , il s'e'tait signale avec la [plus haute distinction, ctlcs concours ge'ae'raux de Paris avaient etc tcmoitts de son triomplie. Mais , en cette meme anne'e , un autre coup , bicn plus terrible . vint I'accabler. M. Galois son pere, homme d'une haute probite', ne put re'sister aux de'gouts qui I'abreuverent dans ses fonctions de maire a Bourg-la- Rcine (prcs Paris) : il mit un terme a de cuisans chagrins par une mort violente. Le jeune Galois avait pour son pcre une affection peu ordinairej cette mort fit a son coeur une blessure profonde qui ne s' est jamais ferme'e. J'aurais de la peine a peindi'e la douleur qui se lisait dans les yeux , enflamme's tout a coup , de ce pauvre jeune homme , dans les mouve- mens des muscles de son visage, dans sa voix devenue tremblante, scche et alte're'e , lorsqu'au milieu de nos entretiens intimes il me ra- contait la perte cruellc qu'il avait faite. Dansle mois de fc'vrier i83o , Galois, alors e'leve a I'ficole normale, re'digea un long Memoire sur la thcorie des equations, le porta au se- cretariat de FAcade'mic des sciences , et se fit inscrire comme concur- rent pour le grand prixdematlie'matiques. Son desscin e'tait principa- Icment d'attirer I'attention des savans sur ses travaux. II savait fort bien qu'aujourd'hui les grands prix ne sont pas de'cerne's aux jeuncs gens ; mais il ne se doutait peut-etre pas alors que dix-huit ans et le tilre d'elevc c'taient des recommandations tout au plus suffisanles potur GALOIS. n^j faire rire de ses pretentions , et faire condamner sans lecture des con- ceptions tout-a-fait neuves. Galois espe'rait que son Me'moire, e'crit avec conscience et detail, lui vaudrait, dela part de 1' Acade'mie, reparation de I'oubli affligeant oil elle I'avait laisse I'anne'e pre'cedente. Ce Me'moire fut e'gare comme le premier J et lorsque I'auteur adressa une lettre a I'lnstitut pour recla- mer son travail , j'entendis un grand homme , que la science pleure au- jourd'buijdire enpleine seance : « Mais la perte de ce Me'moii-e est une » chose tres-sitnple ! il e'tait cbez M. Fourier qui devait le lire , el, a » la mort dece savant, le Me'moire a e'te' perdu.)) Et 1' Academic passa outre Galois prit des ce moment la resolution d'abandonner la voie que I'Acade'mie offre au talent naissant pour se faire connaitre^ il compre- naitavec douleur que cette voie elait imaginaire. Et cependant il e'tait destine' a en faire encore une fois la triste experience. Ayant e'te' force' de sortir de I'Ecole normale au commencement de 1 83 1 (i) , par suite d'une me'sintelligence survenue entre le direc- teur et lui , il eut occasion de voir M. Poisson. Ce savant invita Galois a e'crire de nouveau les theories qu'il avait soumises a I'acade'mie dans le manuscrit e'gar^ I'anne'e prece'dente. Ce conseil fut suivi , parce qu'il e'tait donne' avec bienveillance. M. Poisson se cbargea de pre'senter le travail a TAcadcmie ; on le nomma pour en rendre comptc , et il vint declarer, aprcs quatre mois d'attentc , qu'il n'avaitpu le comprendre. II fallait que Galois sentit en lui un elan ])ien vigoureux. , pour ne pas abandonner une carriere qui ne lui rapportait que froissemens et tribulations poignantes. II continua ses recherches avec une perseverance admirable , jusque dans les cachots ou il e'tonnait ses geoliers par les promenades qu'il faisait autour des murs , la tete penchee et d'un pas mesure, en travaillant des heures entieres. Quoique tres-jeune , il posse'dait une vaste erudition ; il connaissait parfaitement les travaux des matbematiciens les plus celebres , tels que Lagrange, Gauss , Legendre , Abel , Caucby , Jacobi deKoenisberg, etc. , {\) Cette sortie dc Galois de rEcole normale ne fiU point une exclusion : le ronseil royal de rinsliuclioii ))nblifjue decida qu'il no perdait ni \c litre ni les avantages des dlcvcs de IVcole. y48 NECROLOGIE. et s'assimilait leurs ceuvres avec line facilite prodigieuse. Discuter sur I'cnsemble desouvrages Ics plus ardiis, les siinplifier , les refaire nieme , semblait ne pas lui couter Ic moindre effort. Son habilcte a exposer les questions les plus eleve'cs e'tait surprenante. Ne pouvant souffrir les calculs qui lui paraissaient trop longs , il e'tait pour eux impitoyable ; il les biffait promptement , et savait les rcmplacer par d'autres plus faciles , moins e'tendiis , et d'un me'canisme aussi inge'nieux.. L'on pent done , sans crainte , affirmer que la science a fait en lui une grande perte, non seuiement comme inventeur, mais encore comme savant didactique. Galois sentait surtout le vice radical qui s'oppose aujourd'hui an progres de la science. II e'tait vivcment clioque du de'faut de lien cntre les savans , et appelait de tons ses vosux une hierarchic solidement fon- de'e , une association , qui , suivant son expression , de'cuplcrait leurs forces (i). II avait aussi le pressentiment d'une direction toute nouvelle a donner aux recherclies scientifiques. Dans les e'crits de Galois , on remarque une critique parfois rude , mais d'une grande justesse. II e'tait blesse de la raaniere longuc et dif- fuse dont sont faites, pour la plupart , les expositions de doctrine pu- blie'es par les savans ; c' e'tait un des abus qui le blessaient le plus : et , en effet, il est de la plus haute importance pour le progres des sciences (1) Voici quelques pensccs que je trouve dans les feiiilles de Galois : « Chaque dpoqiica, en qiielque sorte, ses questions du moment j il y a des » questions vivantcs qui fixent a la fois les esprits les plus eelan-cs, comme mal- » gre eux , ct sans qu'aucun accord ait pr^sidd a ce concours. » II semblc souvent que les memes idees apparaissent a la fois a plusieurs , » comme une revelation. Si Ton en cherche la cause, il est aisd de la trouver dans )> les ouvrages de ceux qui nous ont prccddds, ou ces id^es sont presentcs a Tinsu » des auteurs. >i La science n'a pas tire, jnsqu'a cejour , grand parti dc cotte coincidence ob- )' servdc si souvent dans les recherches des savans. Une concurrence facheuse,uno » rivalilddegradante, en ont ele les principaux fruits : en ccla les savans appar- » tiennent a leur dpoque ; tot ou tard ils ddcuplcront leurs forces par Passocia- » tion ; alors , que dc lems epargiiti pour la science ! " Plus has j'ai trouve cctte phrase ■ n La hierarchic est un bcsoin mcmc pour rinfcriour. « GALOIS. 749 de les exposer avec une claire brievete , et ile menager ainsi le teins de ceiix qui se livrent a leur etude. Galois sentait profondement ce vice , et voulait Ic combattre par son propreexeraple. Voila pourquoi, dans rexposition de ses ide'es , il fai- sait usage d'un style concis, eVitant avec soin de faire parade de ses connaissances et de chercher a surprendre le lecteur par un e'clatant vernis de savoir. La bonne foi etait son fait, et, mesurant sans doute I'intelligence de ceux a qui ses ceuvres e'taient destinees sur la sienne propre , il passait rapidement, trop rapidement peut-etre, sur les ide'es secondaires; ce qui le rendait difficile a lire. Dans tout ce queje viens de dire sur Galois , j'ai fait abstraction de la partie la plus dramatique de sa vie; je n'ai point parle des causes qui , a des epoques differentes , amenerent ses arrestations et ses em- prisonnemens. II iniporte cependant a I'honneur de sa rae'raoire que cette derniere partie de sa vie, la plus inte'ressante, par le malheur dont elle est pleine, rejoive une e'clatante publicite'j car on ne connait guere Galois que sur la foi de feuilles plus dispose'es a prodiguer le blame qu'a se montrer impartiales. En sortant de TEcolc normale, an commencement de i83i , il fut jete' au milieu d'nn monde uniquement pre'occupe de ce qu'on nommait alors les consequences de juillet. Les questions d'amc'lioration socialc e'taient fortement agite'es , et Galois sentait an fond du coeur tout ce que I'e'tat des choses renfermait d'imperfection et de misere. II etait blesse' et comme indigne des entraves qui entourent le me'rite a qui I'aveugle naissance a refuse ses avantages. II se sentait emu a la vue de tant de ge'nies avorte's faute de secours , et de cruels souvenirs donnaient a sa re'flexion une e'nergique amertume. Ce fut alors qu'il s'abandonna tout entier a I'entratnement des ide'es re'publicaines. Je ne cacberai point les imprudences auxquclles une exaltation irre- fle'chie I'cntraina. En ne chercbant point a les excuser , je ne ferai que suivre I'exemple qu'il donnait lui-meme avec tant de dignite et de tran- cliise. Pour cette fameuse affaire du toast porle au banquet rcpublicain des Vendanges de Bourgogne , je citerai sans plus dc commcntaires Ic com- mencement de la lettre qu'il m'e'crivit alors de Sainte-Pe'lagie : « Je ^So NECROLOGIE. » suis sous les verroux III Tii as cntendu parlcr dcs Vendangcs » de Bourgogne. C'est moi qui ai fait le geste Mais ne m'adressc » pas de morale, carles furae'es du vin ra'avaient ote la raison (i) » Apres avoir subi une prevention assez longue a Sainte-Pelagie , il fut juge', etcondamne a y rester eocoretroismois. Le sejourd'une prison oii les detenus pour cause politique sont entasse's les uns sur les autres e'tait peu propre a faire revenir Galois de ses passions re'publicaines. Galois sortit de prison le cceur gonfle de de'sespoir ; il e'tait isoie dans le monde. Ses ide'es scientifiques le pre'occupaient toujours; elles avaient contribue a lui rendre sa detention moins insupportable. Je dois meme dire que j'ai vainement cherche dans ses feuilles quelques notes sur ses ide'es politiques; j'ai e'te' fort surpris de n'cn rcncontrer aucune. Ses papiers sont presque uniquement remplis de calculs analytiques. C'est ce que croiront difficilement sans doute les personnes qui n'ont connu Galois que d'apres les publications de la police , re'pandues en Paris et en province apres le i4 juillct i83i , oil Ton raconte I'arresta- tion du republicain Galois corame on aurait raconte la prise d'un Trestaillons. Persuade' que ses travaux avaient une grande importance , il sc sen- tait toujours pousse' a les faire connaitre : nous avons deja indique coni- bien d'inutilcs efforts il avait deja tente's pour arriver a son but. 11 u'a- vait plus de'sormais qu'une seule voie pour I'atleindre ; c'e'lait I'imprcs- sion de ses oeuvres. Ge moyen lui pcrmettait de les re'paudre chez les savans fran^ais et c'trangers; et il fondait beaucoup d'cspoir sur le ju- gement que devaient porter deux hommcs ce'lebres, ^IM. Gauss et Jacobij et c'est ici que, remplissant les dernicrcs volonte's de Galois, je prie publiquement ccs savans de vouloir bien prononcer Icur opinion sur ses travaux, avec la conscience et Tindcpendance qui les dis- tingucnl. Mais cetle planche de salut devait encore e'cbapper a Galois. Les frais que ne'cessilait la publication de ses manuscrits s'eleverent beaucoup au- dessus de la de'pense qu'il pouvait supporter. Des-lors un profond de- couragement s'cmpara de lui : la vie lui devint un fardeau; il clierclia (1) Cc fut Galois qui , dans ce banquet, leva un coiUeau , et prononra ccs pa- roles : « A Louis-Philippe , s'il trahit. » GALOIS. 75 1 a s'e'tourdir. II lui fallait des secousses violentes , et il sc jeta dans le plus ardent touibillon de la politique. Sorti une premiere fois de prison , Galois ne devait pas jouir d'une longue liberie'. Le i4 juillet, il fut arrete' dans les ruesde Paris en habit d'artilleur, et muni d'une carabine charge'e (i). Jete' a Sainte-Pe'lagie , il attendit pendant cinq mois que le tribunal voulut bien prononcer sur son sort. Une seconde condamnation le rejeta pour six mois encore sous les verroux. La mort I'attendait a la sortie. II a bien soiiffert ! . . Paifois , il tombait dans un de'couragement af- freuxj et cette tete puissantc, oil fermentait le ge'nie, bouillonnait de Laine et de colere. C'e'tait a lui surtout que Ton aurait pu appliqucr ces paroles : « L'enfant du pauvre, martyrise' par son genie, le cceur com- » prime', les bras lie's , la tete en feu, s'avance dans la A'ie de cliute en » chute, ou bien de supplice en supplice, vers la morgue ou vers I'e- » chafaud. » C'est en citant les lettres que m'c'crivit mon malheureux ami, que jc pourrai faire sentir et comprendre I'e'nergique de'sespoir qui , dans ces derniers temps, I'avait envahi tout entier. Voici une lettre date'e du i5 mai : » Mon bon ami, il y a du plaisir a ctre triste pour etre console; on est vi'aiment heureux de souffrir quand on a des amis. Ta lettre , pleine d'onclion apostolique, m'a apporte un peude calrae. Mais com- ment de'truire la trace d' emotions aussi violentes que celles 011 j'ai passe' ? » Comment se consoler d'avoir e'puise' en un mois la plus belle source de bonheur qui soit dans I'homme, de I'avoir e'puise'e sansbonheur, sans espoir, sur qu'on est de I'avoir mise a sec pour la vie.'' » Oh! venez apres cela precher la paixl venez demander aux hom- mcs qui sentent d'avoir pitie de ce qui est ! Pitie , jamais ! hainc , [\) Dans les nombreuses visiles que j'ai faites a Galois dans sa prison , il m'a plusieurs fois affirnie qu'il dtail sorti en liabit d'artilleur aCn de tiomper la garde nationale , a laquellc on avait donneson signalement. II voulait, par ce d^guise- ment , eviter le sort dont on I'avait menac6. On lui avail rapporie que des gardes nationaux avaient declare vouloir le fusilier s'ils veiiaicnt a le decouvrir. « J'ai )) pris une carabine chargee, ajoulait-il , pour defendrc ma vie , si Ton cssayait i> de lirer sur inoi. » 7^2 NECROLOGIE. voila tout. Qui ne la rcssent pas profonde'ment , cette hainc dvi present, u'a pas vi'aiuicnt ramour de I'avenir. » Qiiand la violence ne serait pas une ne'cessitc dans ma conviction , elle le serait dans mon coeur. Je ne veux pas avoir suuffert sans me vengcr. » A part cela , jc serais des votres. » Mais laissons cela ; il y a des etres destines peut-etre a faire le bien, mais a I'e'prouver, jamais. Je crois etre du nombre. » Til me dis que ceux qui m'aiment doivent m'aider a applanir les difKiculte's que m'offre le monde. Geux qui m'aiment sont, corarae lu le sais , bien raros. Cela veut dire , de ta part , que tu te crois , quant a toi, oblige a faire de ton mieux pour mc ccnvcrtir. Mais il est de mon devoir de te pre'venir , commc je I'ai fait cent fois , de la A^anite de tes efforts. » J'aime a douter de ta crucUe prophetic quand lu rae dis que je ne travaillerai plus. Mais j'avoue qu'elle n'estpas sans vraisemblance. II me manque, pour etre un savant, de n'etre que cela. Le coeur chez moi s'est revoke contre la tete; je n'ajoute pas comme toi : G'est bien dom- mage. » Pardon, pauvre Auguste, si j'ai blesse ta susceptibilitc filiale en te parlant lestement de I'liomme a qui tu es de'voue'. Mcs traits contre liii ne sont pas bien ace'res^ et mon rire n'a rien darner. G'est beaucoup de ma part dans I'e'tat d'irritation ou je suis. ' » J'irai te voir le i*''juin. J'cspere que nous nous verrons souvent pendant la premiere quinzaine de jxiin. Je partirai vers le i5 pour le Daupbine. Tout a toi , E. Galois. » En I'elisant ta lettre, je reraarque une phrase ou tu m'accuses d'etre enivre' par la fange putrefie'e d'un monde pourri qui mc souille le coeur, la tete ct les mains. » II n'y a pas de reproches plus e'nergiques dans le repertoire des liommes de violence. » De I'ivrcssel jc suis desencliantc de tout, memo de I'amour de la gloire. Gornmcnt un monde que jc dc'tcstc pourrait-il me souillcr ? Rc- fle'chis bien. >> GALOIS. --53 All lieu d'line vie qui pouvait devenir si glorieuse et si kelle, unc mort ol)scure , causee par une querelle d'amour , fut le paitage de Ga- lois. J'ignore les details qui amenerent cette fin deplorable : Galois m'a toujours laisse' a ce sujet dans I'ignorance la plus complete j je n'ai pu recucillir quelques de'tails qu'a la fin du raois de juin , lorsque sa mere de'sole'e m'a fait remettre ses manuscrits, avec la lettre qu'il m'a e'crite quelques Leures avaiit d'aller sur le terrain. Cette lettre te'- moigne de sa pre'sence d'esprit au moment qui pre'ce'da sa mort , elle augmentera I'inte'ret qu'il merite a tant de titles ; c'est d'ailleurs un e'clatant programme de travaux offert aux liommes de la science. Mais voici deux autres lettres e'crites aussi quelques Leures avant le duel fatal : la premiere s'adresse a tous les re'publicains, ses amis ; la seconde a deux re'pulilicains qu'il affectionnait particulierement .- « Je prie les patriotes , mes amis , de ne pas me reprochcr de mourir autrement que pour le pays. » Je meiirs victime d'une inf^me coquette, etde deux dupes de cette coquette. C'est dans un miserable cancan que s'e'teint ma vie. » Oh ! pourquoi mourir pour si peu de cbose, mourir pour qnelque chose d'aussi me'prisable ! » Je prends le ciel a te'moin que c'est contraint et force (jue j'aice'dc a une provocation que j'ai conjure'e par tous les raoyens. » Je me repens d'avoir dit une verite' funesle a des hommes si peu en e'tat de I'cntendre de sang-froid. Mais enfin j'ai dit la verite'. J'em- porte au tombeau une conscience nette de mensonge , nette de sang pa- triole. » Adieu! j'avais bien de la vie pour le bien public. « Pardon pour ceux qui m'onttue, ils sontde bonne foi. E. Galois. Paris, 29 mai 1853. LETTRE A N. L ET A V. D Paris, 29 mai t852. Mes bons amis , « J'ai c'te' provoque par deux patriotes II m'a o'le impossible dc refuser. y54 NECROLOGIE. » Je vons demande pardon de n' avoir averti ni I'lin ni I'autre de vous. » Mais mes adversaiies m'avaient somme 5aT Vhonneur de ne pre- venir aucun patriote. » Votre tache est bien simple ; prouver que je me suis battu malgre' moi, c'est-a-dire aprcs avoir e'puise tout moyen d'accomraodement , et dire si je suis capable de mentir , de mentir meme pour un si petit oLjet que cebii dont il s'agissait. » Gardez men souvenir , puisque le sort ne m'a pas donne assez de vie pour que la patrie sache mon nom. » Je meurs votre ami. » Que de sentimens sont re'veille's par ce peu de lignes I Galois s'y de- couvre ; relisez-les ces ligncs , et dites-moi s'il ne me'ritait pas d'etre aime' comme je I'ai tonjours fait , et comrae j'aime encore son souvenir. Vous qui n'avez eu que des imprecations pour ce pauvre jeune homme, ecoutez la fin de ses deux lettres , et vous aurez des regrets de I'avoir maudit : y> Adieu , j'avais bien de la vie pour !e bien public ! » Pardon pour ceux qui ni'ont tue' , ils sont de bonne foi. » Ecoutez encore : a Gardez mon souvenir , puisque le sort ne m'a pas donne' assez de vie pour que la patrie saclie mon nom. » Je meurs votre ami. » De noirs pressentimens poursuivent sans cesse I'liomme voue' a un de'sastre proclaain; c'est ainsi que, parmi les feuilles de Galois, j'ai vu jete's, au milieu de ses calculs de haute analyse, ces trois vers qui m'ont semble trace's par des doigts de squelette : L'elernel cypres t'environne ; Plus pale que Ic pale automnc, Tu f inclines vers le tombeau, Et aussitot je me suis rap])ele ces paroles : « L'enfant du pauvre, martyrise' par son genie, le cceur comprime , les bras lie's , la tete en feu , s'avance dans la vie , de chute en chute , ou bien de supplice en supplice, vers la morgue ou vers I'e'chafaud. » AuGUSTE ChEV-ALIER. TABLE DES MATIERES CONTENUES DANS LA 165" LIVRAISOX DE LA REVUE ENCYCLOPEDIQUE. SEPTEMBRE i83.i. ARTICLES. Pages i . Du Journalism.e Alex. Saikt-Cheron 533 2. Letire a M. de Lamennais De Potter. 554 5. Travaux malWinatiqucs d'EvARiSTE Galois 566 4. Moeurs du Leonnais Souvestre et Charton. 577 MELANGES. 5. Du Systcme Me'diterran(5en de M. Michel Chevalier Euryale C. 599 ('). Deuxieme Lettre sur TUniversit^ de Heidelberg H. Klimr^h. 61 1 7. De la necessity et des moyens de order des Baiiques Departemenlales. E. Bgres. 651 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. Etats-Unis. — Vie de Gouvenicur Morris , 637. Allemagke. — Testament politique de Franfois de Spaun, publid par le doc- tcur Eiscnmann, 656; — Les Dettes et Ics Pypiers d'Etat, par Ad. Lex. , 660 ; — Corpus juris civilis , public par E Schrader , 661 ; — Cleveland, ronian, 662. Italie. — Variet^s littdraires, par Dcfendente Sacchi, 663; — Peintures de vases d'argile , publiees par F. Inghirami , 667. Suisse. — Du sysleme ihpologique de la charite , par le pasteur Chenevifcre , 668 ; — Sur la prononciation de la langue franpaise dans Ic canton de Ge- nive, etc., par M. Pellelier , 668. 7-% TABLE DES MATIERES- Fr\ivcf.. — Voyage autour du monde, par M. J. Dumont-Durvillc . G70 ; — Voyafje dans la Macedoine , 679 ; — Menioire siir la Doctrine du Tao , G80 ; — Conrs de physiologic de M. de Blainville, 684; — Cliniquc de rhopiial Saint-Louis, par M. Alibort, 691 ; — Histoire du cholera-morbus dans le quarlier du Luxembourg, 696 ; — Institutions du droit de la nature ct des gens, par M. de Rayneval , 698 5 — Lettres politiques, religieuses et histo- riques , par Cauchois-Lemaire ( tome II ), 704 ; — Stello, par M. Alfred de Vigny , 705 ; — Les Polonais fugitifs, 710 j — Notice historique sur le de- parlement de I'Eure, 710 ; — Dictionnaire topogTaphique de laSartlie, 711 j — Rechcrcbes sur plusieurs Collections inediles de Ddcrotales ,714; — Peinture a la cire pure et au feu , 716 ; — Journal general d'education , 747. SOCLBTES SAVAIVTES. SOCIETE PHRENOLOCKJUE DE PaRIS , 71 8. AcADEMiE DES SCIENCES , scanccs du mois do septcmbre , 727. IVECROLOGIE. Notice sur Evariste Galois , 744. ^ EHRATA DU CAHIER D AOUT. Page 507 , liguc 17 : sepioleollics , liez : cymbulie. — Il>. , ligne 27 : ancbidics , lisez .- OMcliidios. — Page 510 , ligne 5 : tridaiies , lisez . liidaines. — lb., ili. , hipposrs , lisez : npopes. '//It/ f ■ (, AVIS. On peut se procurer la collection de Fannee \ SSI et celles des annees precedentes Au bureau de la Retve Enctclof^diqtts, rue des Saints- Peres, no 26. Chaque caliier se vend aussi separement. ^ux Acaddndes et aux SocUuls savantet de tons les pays. Les acacleinies et les societes savantes, etd'utilite publique , fran^aises et etrangires , sont invitees a faire parvenir ezactement , franc de port , au directeur de la Revue Encyclopcdique , les comples rendus de leuis travaux et les programmes des prix qn'elles proposent. Aux ^diteurs JPouvragea et aux libraires. MM. les editeurs d'ouvrages periodlques , fran^ais et etrangers , qui desireraient dchanger leurs recueils avec le ndtre , peuvent compter sur le oon accueil que nous ferons a leurs propositions dVchange, et sur une prompte annonce dans la Revue des publications de ce genre , et des autres ouvrages nouvellenient publies , quails nous auront adresse's. Aux libraires , et aux Clears dPnuvrages en Allemagne. MM. DtCK , libraire a Leiptig , et imQKB. , libraire i Francfort-sur- le-Mein , sont charges de recevoir et de nous £aire parvenir , par Tinter- mediaire de MM. Heideloff et compagnie , de Paris , les ouvrages pe'rio- diques qui sont destine kPechange, et les ouvrages que MM. les libraires, les editeurs et les anteurs, de'sireraient faire annoncer dans la Bame Encyclopidique. Aux libraires, et aux editeurs JPouvra^ en Angleterre. MM. Ddlau et G° , libraires k Londres , sont charges de recevoir et de nous {aire parvenir les ouvrages p^iodiques qui sont destines a l'^hange,et les ouvrages que I'on ddsirerait faire annoncer dans la Revue Encjrclop^dique. C0nlritt0n$ J^c la Souemption. La Revde Ekcyclop^dique parait mensuellcment , depuis janvicr 1819 , par caliicrs dc plus de 200 pages d'impression. Trois cahiers forment un volume , ter- mini par une Table analytique et alphab^litjue des matieres. Chaque ann^e est ind^pcndante des ann^es prec^dentes , et offre un Annuaire scientifique et Ult^raire en quaere volumes in-8°. PRIX DE L'ABONNEMENT. A Paris 46 fr. pour un an; 26 fr. pour six mois. 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