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RÉFLEXIONS
CRITIQUES
SUR LA POÉSIE E r
SUR LA PEINTURE.
RÉFLEXIONS
C R IT I (lU E s
SUR LA POÉSIE
ET
SUH LA PEINTURE.
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RÉFLEXIONS
CRITIQUES
SUR LA POÉSIE
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SUR LA PEINTURE.
Par M. l'Abbé DU B O S, l'un dei Quarante, 9( Secrétaire perpétuel de l'Académie Fran^oilê.
SIXIÈME ÉDITION,
PREMIERE partie;
K Piflura Païft. Hor,deAit.P«éti
A PARIS, Chez PlSSOT,QuaideConti,àlaSageflèi
M. Dec. L V. ,lfTC MtKOSAWH SI PJimMfi BU W.
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AVERTISSEMENT.
J E tâche dans la première Partie de cet Ouvrage , d'expHqueren quoi con- fifle princi|>aléiflent la beauté d'un ta- bleau Se la be'autè d'Un Poëme , que! mérite t'un Sç l'autre iU peuvent tirer de l'ebfervation des régles^, & quel iecours enfin les produâions de la Poe- fie &c celles de la Peinture peuvent ■eraprunteT des autres Arts , pour fe montrer avecf^u&d'avaiitàge.
Dans la féconde Partie , je traite des qualités , foit naturelles , fcvit acquifes , qui font les grands Peintres comme les grands Poètes , & j'y cherche h caufe qui a pu rendre quelques fiécles fi fé- conds , & \éi autres fîédes ft Aériles en Artifans célèbres. J'examine en- fuite comment la réputation des Arti*- Ëins iluftres S'établit ; à quels fignes on peut prévoir fi la célébrité où ils font de leur tems , efl un renom durable y . ou bien une vogue palTagere ; & quels- Jbnt enfin les préfages fiu- la foi def- quefs il cÛ permis d'augurer que Ta re~ Bonunée d'un Peintre ou d'un Poctc:
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vanté par fes Cottieffl^aiiw ; ira toù- jours en augmentant , de manière qu'il fera plus prifé enco/é. dans \es fiécles avenir, qu'il ne l'a été dans le fieo. La trcû&éme partie de cet Ouvrage eft uniquegient employée à l'ezpou- tîon de quçlqdes' 4^9^"^^^^^' que je penfe avoir. iàitflE, Ç4»c«^n^nt les re- préfematioa théâtrale; des Anciens* Dans les Editions p«éeéde«te& dç mon Livre , cette expoâtionfe. trouve dans la première Partie, ^e l'avois placée à l'endroit de l'Ouvrqge , où le fu)et pa- roiHoit l'amefier. Maison m'aâit ob- server que ma digreffion inférée oii elle l'étoit, faifoit perdre jde vue trop longtems la matière principale. Ainû j'ai fuivi le confeil qu'on m'a donné , d'en faire un Volume féparé , & je l'aî fiiivi d'autant plus voloat^rs , que les augmentations que j'avoîs # faire à la dtuertation dont il s'agit auroit ren^a taa &ute dacore plus grabde.
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TABLE
DES MATIERES.
PREMIERE PARTIE.
Seûion I . De la nice^té d'être occupé pour fuir fenui; & dt Courait que les mouvemeus dtspaffions ompauries hom~ mes f page 5
Seft. 1. De l'attrait des SpeSacles propres a exciter en nous une grojide émotion. Des Gladiateurs. IX
Seâ. 3. Que lemerite principal des Poèmes & des Tableaux conjlfle à imitef les ohjets qui auroient excité en nous despa^ons réelles. Les payons que ces imitations font naîtrf en nous j ne font que fuperfi-
cielles.
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Seâ. 4. Du pouvoir que les imitations ont fur nous , & delà facilité avec laquelle le cœur humain eftému. i ç
SeÛ. ^. Platon ne bannit les Poètes de fa République , qj^à. caufe de timprejîon trop grande que leurs imitations peuvent faire. 44
Seft. 6, De la nature des fujets que les Peintres < s Poètes traitent, Qu'ils n aiij
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TABLE
fçaurolent Us choijlr trop inténjfans ptw tux-mênte\ 5 x
Seft. 7. Que la Tragédie nous affecte plus que la Comédie , à caufe de la nature des fujets que la Tragédie traite, çy
Seâ. 8. Des différeni genres dt la Poefie.^ & de leur caraSere. 63
Seâ. 9. Comment on rend /es Jujets dog- matiques intértjfans. 6 %
Seâ. 10. ObjeSion tirée des tableaux , & faite pour montrer que l'art de Vimita" tiàniruérejjeplusqutlefujetmêmederi- mitation. 69
Seâ, 1 1 . Que Us beautés de Vexécution ne rendent pas Jiitles un Poème un bon our- vrage , comme elles rendent un Tableau un ouvrage préàeux, 7 3
Seâ. 1 2. Qu'un ouvragp nous intérejfe en deux manières : comme étant un homme en général , & comme étaht un certain homme en particulier, yç
Seâ. 13. Qu'il t(i des fujets propres fpé- ciaUment pour la . Poejie , & d'autres Spécialement propres pour la Peinturs^ Moyen de Us reconnaître. 84 '
Exemples des fujets propres à réujftr en peinture. 97
Des fujets connus. De ccifx qu'g le font moins, fio
TABLE
Se£l. 14. Qu'il cfi mime desfujttifpéàa' liment propres à certains genres de Po^ J!e&J4- Peintures. Des fujets propres à la Tragédie. 1 1 j
Seâ. 15. Des perfonnû^s de fcélerats qu'on peut introduire dans Us Tragé- dies, 1 10
Sed. 16. De quelques Tragédies dont le fujet eji mal choijî. 1 1 Ç
Se3. 17. S'ilejl à propos de mettre de ta- mour dans lès Tragédies. i jo
Seû. 1 8". Que nos voifins di/ént que nos Poètes mettent trop d'amour dans leurs . Tragédies. 1 38
Se£ï. if). Delà galkruerie qui eji dans nos Poèmes. 149
Seâ. iO. De quelques maximes ip/ilfaut obferver , en- traitant des fujets tragi- ques. 1 5.^
Seû. it. Du choix des Ju/ets de Comédies. Où il en faut mettre la feint. Des Co- médies Romaines. 164
Différentes efpeces de Comédies ché^ Us anciens Romains, 168
Seâ. lî.. Quelques remarques fur la Poo- Jîe Pafiorale Sf fur les Bergères des Egloguts. 179
Se£t. 2 j . Quelques remarques fur le Poemc
Epique, Obferyation touchant le Htu & U
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TABLE.
ttms 0* il faut prendre fort action^ l^-f
Sed. 14. Des a&iorts allégoriques & des perJÔTiTiages allégoriques par rapport à la Peinture. 191
Sed. 1^, Des perfonnages& des aSions al- légoriques par rapport à la Poejlt, llj
SeÛ i6. Q^ue les Jujets ne foTU point épui- Jes pour les Peintres. Exemples tirés des Tahleaux du Crucifimtnt. 232
StOc. 17. Que les fujets ne font point épui- fés pour les Poètes. Qu'on peut trouver de nouveaux caracleres dans la Comé- die. 238
Sefl, 18. De la vraifemblanct en Poe- fie. : 248
Seû. 19. Si les Poètes tragiqiies Jont obli- gés defe conformer à te que la Géogra- phie , l'Hifioire & la Chronologie nous apprennent pofitivement. Remarques à et fujetfuT quelques Tragédies de Cor- neille & de Racine, 256
Seâ, 30. De la vraifemblanct en Peintu- re , & des égards que les Peintres doivent aux traditions reçues. 168
Seû. j I . De la di(po{îiion du Plan. Qu'il faut divifer tordonnance des tableaux en compbfition Poétique & en compofi' lion Pittorefjue, 28 O
Seû. 31. De l'importance des fautes ^e
■ iCoo^lc
TABLE
Us Peintres & les Poètes peuvent faire contre Us regUs. lS.9
Seâ. 33. De /a Poejîe du fiyle dam la* quelle les mots font regardés en tant que lesjîgnes de nos idées. Que c'eflla Poejîe du fiyle qui fait la defiinée des Pontes,
SeQ. 34. Du motif qui fait lire Us poefiesi Que Con n'y cherche pas rinfiriiaion comme dojis Us autres livres. 304
Se£t, ^^. De la mécanique de, la Poefe qui m regarde les mots que comme de_fimpUs fons. avantage des Poeus qui ont com* pofé en Latin , fur ceux qui eompoftnt en François. 51J
Fers de CAbbé de Ckaulieu. 3 ; 5
Se&. 36. De la Rime. 358
Seâ. 37. Que les mots de notre iangue na- turelle font plus d'impreffÎQnfur nous que Us mots d'uru langue étrangère. ^65
Seâ. 38. Que Us Peintres dutems dt'Ra- phaïl n'avoiem point d'avantage Jur ceux d'aujourd'hui. Les Peintres de V antiquité. 3 70
De quelques Statuts & Groupes anti- ques. 399
Seft. 39. Enquelftns onpeutdtre quela
nature fe Joit enrichie depuis Raphaël.
40a
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T A F L E: SèÔ. 40. 5/ le pouvoir de la Pànturtfur
ks ftomnus ejlplus grand ^ue le pouvoir
delàPoeJîe. 41 (
Seâ. 4 1 . i>e lafimple récitation & deût
déclamation. 41^
ScSt. 42. De notre ntaniere de réciter la
Tragédie & la Comédie. 44 1
Seâ. 43'. £.1» le plaijîf quer nous avons
au théâtre liefi point Vaffet de VUlufioit,
4ÎÎ
5e£l. 44< Que les Poèmes dramatiques pur^ gent Uspaffions. 4^j>
Seifti, 45. De la Mujîque proprement dite. 46»
Seft. 46. Quelques rèfiexioitsfur laMuJt' que des halïeas. Que les Italitns n'ont cultivé cet art qu 'àpris Us François & Us Flamands. ' 48^
Seft. 47. Quels vers font les plus propre» à être mis en mufique. Y>4.
Sefl. 48. Des Efiampes fr des Poïme» . enprofe. 510
Seâ. 49. Qi^ilefiinutiUdtdifiuterJi'la partie du deffeinSf de l' expreffion efi pré- férable à la partie du coloris. 512
Seâ. 50. De la Sculpture , du talent
quelle demande , & de l'an des Bas-
rdiefs. 5.18
Fin de la Table*
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REFLEXIONS
CRITIQUES
SUR LA POESIE SUR LA PEINTURE.
PREMIERE PARTIE,
CJN éprouve tous les jours que les vers & les tableaux caufent un plaîiir lenfible ; mais il n'en elt pas moins difficile d'expliquer en quoi confifle ce plailir qui reffemble fouvent à r;.fflic- lion , & dont les llmptomes font quel-* quefois les mêmes que ceux de la plus vive douleur. L'art de la Poëfie & l'art de la Peinture ne font jamais plus ap* plaudis que lorfqu'ils ont réuflî à nous aiBiger.
La repréfentation pathétique Ai Sa- crifice de la fille de Jepthé enctiaffés
■„r., Google
t" Réfitxions crîàqttts
dans une bordure , fait le plus bel or-> nement d'un cabinet qu'on a voulu ren.- 4ire agréable par les meubles. On né- glige , pour contempler ce tableau tra- gique , les fujets grotelques &Jes conb- pofitions les plus riantes des Peintres galants. Un poëme , dcmt le .fujet prin- cipal eu la mort violente d'une jeune Princeffe , entre dans l'ordonnance d'u. ne fSte \ &: l'on deftine cette tragédie à faire le plus grand plai^ d'une com* paghie qui s'àffeijiblera pôurfe diverj- tir. Généralement parlant, les hommes trouvent encore plus de plaifu- à plçu- ler , qu'à rire au théâtre.
Enfin plus les aÛions que la Poefîe fie la Peinture nous dépeignent , auroient fait fouffrir en nous Hiumanité fi nous les avions vilps véritablement , plus les imitations que ces Arts nous an préfen- tfcnt ont de pouvoirfur nous pour nous a'ttacher. Ces allions , dit tout le mon- de , font des fujets heureifx, Un^ charme feci et nous attache donc fur les imita^f" tion* que les Peintres &C les Poètes en fçavent faire , dans le tems même que la nature témoigne par un frémifTement iiitérieur qu'elle fçfouleve çonti;© fôfï jpropre. plaifir» ' : ■
■ C.oo.jlc
fitr la i^o<fa &fur ia P^nturt. \ J'ofe entreprendre d'édaitcir ce pa- radoxe , & d'expliquer l'origine du plai* fir que nous font les vers & les ta- bleaux. Des eotreprifes moins hardies peuvent paffer pour être téméraires , puifque c'eft "vouloir rendre compte à chacun de fon a^^obatton & de fes dégoûts i c'eft vouloir inftruire les au- tres de la manière dont leurs propres fentinens uaiHent en eux. Ainû je ne fçaurois efpérer d'être aj^rouvé , fi j« ne parviens point à faire reconnoître au leâeur dans mon livre ce qui fe pafle en lui-même , en im mot les mouver mens les plus intimes de Ton cœur. On n*fa£{ite guéces à rejetter comme un mi« roir infidèle k miroir où l'on ne fe rer connoît pas.
■ Les Ecrivains qui raifonnent iùr des matières , s'il étoit^permis de parler ain» ii, moins, paipables , errent fouvent avec impunité. Pour démêler leurs Êiutes , il «Il néceffaire de réfléchir, & fouvent même de s'inftniire ; omis la matière que j'olè traiter eft préfente à tout I« monde. Chacun a chez lui la règle ou le coo^s applicable à mes raifonnemens , r & chacun en fentira l'erreur , dès qu'il* «'écarteioist tant foii pe» de la véri.tç,j Aij ■
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f RljUxlons critîqtut
DHin autre côté , c'eft rertdre un fer»-' vice important à deux Arts que l'on compte parmi les plus beaux omemens des Tociétés polies , que d'examiner ea PhiloJbphe comment il anive que leurs produâions &flient tant d'elFet &r leç hommes. Un livre qiû , poiu* ainfi dire . déployeroit le cœur humain dans l'inlV tant oU il eu attendri par un poëme ^ ou tQuché par -un tableau , donneroit des vues très-étendues & des lumières iuAes à nos Artifans fiir l'effet générai de leurs ouvrages , qu'il femble que la plupart d'entr'eux ayent tant de peine à prévoir. Que les Peintres & les Poè- tes me pardonnent de ks défigner fou- vent par le nom d'Artifan dans le cours de ces Réflexions. La véiiération que j'y témoigne poiu- les Arts qu'ils proief^ ient , leur fera Voir que c'eft unique- ment par la crainte de répéter trop fou- vent la même chofe , que je ne joins pas toujours au nom d'Artifan le mot d'il*, lufee , cniquelqu'autre épidiéte conve- jiable. Le delTein de leur être utile , eft même un des motifs qui m'engagent à publier ces Réflexions , que je donne comme les repréfentations d'un fimple (Itoyen , qui fait ufage des exemple*
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fur U Poèjte & fur la Peinture: ?f tirés des temspaffés ,dans le deffein d« porter fa Réçubliqiie à pourvoir encore mieux aux inconvénieiis i venir. S'il i»*arrive quelquefois d'y prendre le ton de Législateur , c'eft par inadvertance , & non point parce que je me figure d'en avoir rautonté.
SECTION I.
De U rUceffiti d'être occupé pour fuir Cet> nui f & de l'aitrait ^ue les mouvement du pajftons ont pour Us hommes.
J_Es hommes n'ont auCun plaifir na- turel qui He,foit le fruit du befoin ; ôc ■c*eft peut-êtfe (îe que Platon vouloit donner à concevoir , quand il a dit en ion &y\e allégorique , qiie l'Amour éfoit né du mariage du Befoin avec l'Abon- dance. Que ceux qui compofent un cours de Philofophie , nous expofent la fageïFe des {wécautions que la Provi- dence a voulu prendre, & quels moyens «lie a choifi pour obliger les hommes par l'attrait du plaifir à pourvoir à leur fropre conservation ; il me fuffit ouï jette vérité ibit hors de conteilauoa A iij
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^ Réflexions eriiiquu
pour en faire la bafe de mes raîfonne-*
mens.
Plus le befoin eft grand , plus le plai» fir d*y fatisfàire efl ien^le. Dans les
. feâins les plus délicieux , où Ton n'ap<- porte qu'un appétit ordinaire , on ne lent pas un plaifir aiiffi vif qne celui qu'on reffent en appaifant une iàim vé- ntable avec un repas groiEer. L'art fupplée mal ï la nature ; & tous les ra- finemens ne fçauroient apprêter , pour ainfi dire , le plai£r auffî-laen que le be^ foin.
L'ame a Tes befoins comme le corps ; & l'un des plus grands befoins de l'hom- me , eft celui d'avoir refprit occupé. L'ennui qui fuit bien-tôt. Tinaâion de l'ame , eft un mal fi douloureux pouf l'homme , qu'il entïeprend fouvent les travaux les plus pérables , aSn de s'é- pargner la peine d'en être tourmenté.
Il eii fecile de concevoir comment les travaux du corps , même ceux qui femblent demander le moins d'applica-
" tion , ne laiflent pas d'ocaiper l'ame. Hors de ces oecafions , elle ne fçatuoit être occupée qu'en deux manicres : ou t'ame fe livre aux imprelSons que les objets extérieurs font fiu* elle j & c'eft
fur ta Poêp & fur ta Ptîntun. f «e qu'on appelle fentir : ou bien elle s'entretient elle-mênie par des fpécU'* lations fur des matières , foit utiles , ibit ciuieufes ; & c'eA ce qu'on appelle réfléchir Se nîéditâr.
L'aine trouve pénîbk , & foéme im* (>raticable quelquefois , cette féconde manière d£ s'occuper , prînctpaleiBient quand ce n'eu pas un fentiment aduef <^u récent qui eu le fujetdes réflexions^ Il faut alors que Tame faâe des eâbrts continuels pour fuivre l'objet de Ibn attention ; & ces eâbrts rendus fouvent iniruâueux par la difpofîtion préfente , Aei organes du cerveau , n^aboutitfent
Si'à une contention vaine & âérile.- u l'imagination trop aibunée ne pré- fente phis diitinûemen^aucian objet,& une in£nité d'idées fans liaifon & fans rapport s'y fticcédent tumuttueufement Fune àl'autre : ou l'cfprit las d'être teiw ■ du fe relâcbe ; & une râverie morne Se languiflante , durant kçtueUeilnc. jouît préciféntent d'aucun objet, eâ l'unique fruit des efibrts qu'il a &its pour s'oc- cuper lui-même. Il n'eft perfonne qui n'ait éprouvé l'ennui de cet état^où l'on n'a point la force de penfer à rîen ; &: la ■peine de cet autre hz% , ott malgré foi Aiv
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ir ■ Réflexions critiques
l'on penfe à trop de chofes , fans poti— voir fe fixer à ion choijt fur aucune eix -particulier. Peu de perfonnes mêmes font allez heureufes poiu- n'éprouver que rarement un de ces deux états , Sc pour être ordinairement à elles-mêmes une bonne compagnie. Un petit nombre peut apprendre cet art , qui » pour me îervir de l'expreffion d'Horace , fait vî- . vre en amitié avec foi-même : Quod « tihi reddat amicum. Il faut , pour en être capable , avoir un certain tempérament d'humeurs , qui rend ceux qui rappor- tent en naiffant auffi obligés à la Provi- dence que les fits aînés des Souverains! . Il fiiut encore s'être applique dès la ieu- ■neffe H des études & à des pcalçatianS dont les travaijx demandem beaucoujp de méditation : Il kmX. que Tefprit ait contrafté l'habitude de mettreen ordre fes idées & de penfer fur ce qu'il lit ; car laleâure où l'efpritn'agit point, & qu'il ne foutient pas en Jàifant des réflexions Ait ce qu'il lit , devient bien-tôt fujette ■à l'ennui. Mais à force d'exercer fon imagination , on la dbmpte ; & cette fecuité rendue dOcile fait ce cju'on Im demande. On acquiert , à force de mé- ^er, l'habitude de tran^rter à fo^
■,r ..Google
fur U-Po^t &fur la Ptmture. ,-9 ^ë fa penfée d'un objet fur un autre , ' ^u de la fixer fur ut certain objet. Cette converfafion avec foi -mémo met ceiixqui la fçavent faire à l'abri d(i l'état de langueur & de mifcre dont nous venons de parler. Mais , comme je l'ai dit , les perfonnes qu'un fang fans aigreur & des humeurs lâns venin ont prédeftinées à ime vie intérieiu'C fi dou- ce , font bien rares. La fituation de leur efprit eJlmême inconnue au commun " des hommes , qui jugeant de ce que les autres doivent fouffrir de la folitude par ce qu'ils en fouffrcnt eux-mêmes , pcnfent que la folitude eft im mal doit* ioureux poiu" tout le monde.
La première manière de s'occuper dont nous avons parlé, qui eft celle de fc livrer aux impreflions que les objets étrangers font fur nous , eft beaucoup
Î'ius ftcile. C'eft l'unique reflburcc de a plupart des hommes contre l'ennui ; & même les perfonnes qui fçav ent s'oc- cuper autrement, font ODligées,pournc pomt tomber dans la langueur qui fuit la durée de ^a même occupation , de (é prêter aux emplois & aux plaifirs du commun des homm?s. Le changement de travail 6c de plaifir remet en mour A Y
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'f O Rifiexîons cntîqtM
vement les efprits qiii commencent 3 s'appefamir : ce changement femblG rendre à l'imagination épuifëe une nou-* yelle vigueur.
Voilà pourquoi nous voyons les hoi»-: mes s'erabarraffer de tant d'occupations
' frivoles & d'aflàîres inutiles. Voilà ce qui les porte à courir avec tant d'ardeur 'après ce qu'ils appellent leur plaifir , comme à fe livrer à des paffijsns dont ils connoiflentles fuites fScheufes , m^ me par leur propre expérience. L'in- quiétude que les afiàires caufent , ni les mouvemens qu'elles demandent , ne ■fçauroient plaire aux hommes par eux- mêmes. Les pafllons qui leur donnent les joies les plus vives , leur caufent aufli des peines diu-ables & doidoureu- les ; mais les hommes craignent encore plus l'ennui qui fuit l'inaftion , & ils trouvent dans le mouvement des alfid-
■ res & dans ryyreffe des paffions une émotion qui les tient occupés. Les agi- tations qu'elles excitent , fe réveillent encore durant la folitiide ; elles empê- chent les hommes de fe rencontrer tête à tête , pour ainfi dire , avec eux-mê- mes fans être occupés,c'eft-à-dire,de fe trouver dans l'affliaion ou dans l'ennui.
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fur la. Poêjle & fur la Piinture, 1 1 ' Quand les hotnnies dégoûtés de ce qu'on appelle, le monde prennent laré- lolutîon d*y renoncer , il eft rare qu'Us puiflent la tenir. Dès qu'ils ont connu rinaâion , £-tôt qu'Us ont comparé ce qu'ils foudroient par l'embarras des a^ faires & par l'inquiétude des payions , ■avec l'ennui de l'indolence , ils vien- nent à regreter l'état tumultueiix dont ils ëtoîent lî dégoûtés. On les acaife ibuvehtàtortd'avoirfeit parade d'une modération feinte ^ lorfqu'ils ont pris le parti de la retraite. Ils étoient alors de bonne foi ; mais comme l'agitation excefllve leur a fait fouhaiter ime plei- ne tranquillité , im trop grand loifir leur fait regreter le tems oil ils étoient tou- jours occupés. Les hommes font encore plus légers qu'ils ne font diflîmulés ; & îbuvent ils ne font coupables que d'in- conftance , dans les occaiions oti l'on^ les accufe d'artifice.
Véritablement l'agitation oh les paf-- fions nous tiennent , même durant la fo-- Ktude , eft fi vive , que tout autre état eft \\n état de langueur auprès de cette " agitation. Ainfi nous courons par inf- tinft après les dijets qui peuvent excir ter nos paffions , quoique ces objets- A vj
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12. Jiéflcxlom entljueè J
faiTent fur nous desimpreflions mii notîS ■coûtent fouvent des nuits inquiétés Ôc des journées douloureuies : mais les hommes en général foufirent encore plus à vivre fans jpalîîons, que les pal> ■ iîons ne les font fouffiir.
SECTION II.
'J)e fattrait des SpeciacUs propres à exct-i. ter en nous une grande émotion. Des Gladiateurs.
Vj E t t e émotion naturelle qui s'ex- cite en nous machinalement , quand nous voyons nos femblables dans le danger ou dans le malheiu , n'a d'autre
. attrait que celui d'êtreime pàflion dont les mouvemens remuent Tante & la tiennent occupéejcependant cette émo- tion a des charmes capables de la ^ire rechercher , malgré les idées triftes & importunes qui l'accompagnent & qui la fuivent. Un mouvement que la rai- fon réprime mal , iàit coiuir bien des perfonnes après les objets les plus pro- pres à déchirer Je cœin-. On- va voir en
. ^ulç yn fpeftacle des plus afireux que
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fur fi: Poéfit ùfurld TtXntun, 1^ les hommes piiiflent regarder ; je veux dire le fitpplice d'un autre homme qui /ubit la rigueur des loix -(ur un échaf- faud, & qu'on conduit à la mort par des toiirme'ns etfroyables : on dcvroitp'rc- ■Voif néanrnôins j fuppofé qu'on ne le fçCit pas "déjà par fon expérience , que les circonftances du fiippHce , que les semiflemens de ion iemblablc , feront fiirlui , malgré lui-^nême , une impref- iion durable qui le tourmentera long- lems avant que d'être pleinement cm- cée ; mais l'attrait de l'émotion eft plus fort pour bien deS gens que les réfle- xions & que les comeils de l'expérien- ce. Le monde dans tous lespays va voir €ti foule les fpeflacles horribles dont je viens de parler.
C'eft le même attrait qui fait aimer les inquiétudes & les allarmes que eau* fem les périls , oîi l'on voit d'autres hommes expofés , fans avoir part i (leurs dangers. U eft touchant, dit Lu- crèce {a) , de voir' du rivage un vaïf- feati lutter contre les vagues qui le veu- lent engloutir , comme de regarder imâ bataille d'une hauteunl'oti l on voit en pureté la mêlée ; '
. (4) D, K-/. . w. /.i. 1^ - '
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[t4 "Rifitxtons eruiquti
Suatt mari magn» , turban'ihiis «quart pv S Itrrd alttrva magmaaJplUart Uborrm ;
Sua*! «km btlli e
Pfr campoi ûifiruSa , lui Jîniparri piriciU
Plus les toHTS qu'un voltigeur témé-^ raire fait fur la corde font périlleux ^- ptus le conunun des fpeûateivs s'y rend attentif. Quand il fait un faut entre deu:^ épées prêtes à le percer , fi dans la cha- leur du mouvement fon corps s'écartoit d'un point de la ligne qu'il doit décri- re , il devient un objet digne de toute notre auiofité. Qu'on mette deux bâ- tons à la place des épées , que le vot- ■ tigeur faire tendre fa corde à deux pieds de hauteur fur xme prairie,ilfera en vain les mêraesfauts & les mêmes toiu-s;ort ne daignera plus le regarder ; l'attention du fpeÛateur cefleroit avec le danger.
D'oïl venoit le plaifir extrême que les Romains trouvoient aux fpeâades del'amphithéâtreîOnyfaifoit déchirer des hommes vivans par des bêtes féro- ces. Les Gladiateurs s'entr'égorgeoient par troupes fur l'aréne. On rafinoit mê- me fur les inftnimens meurtriers que ces malheureux dévoient mettre en œu- vre pour s'entretuerXe n'étoit point au
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fur la Poêft &fur la Pùnture". t J bazard qu'on avoit armé le Gladiateur Ratairt d'une façon , & le MirmUhn d'une autre ; on avoit cherché entre les armes ofTeniîves & les armes défen£- ves de ces Quadrilles une proportion 'qui rencHt leurs combats plus longs Se plus remplis d'événemens ; on voulcwt que la mort y vînt à pas plus lents & plus atfreux. D'autres Quadrilles com- battoient avec d'autres armes. On vou- loit diverfifier les genres de mort de ces hommes fouvent innocens.On les nour- HfToit même avec des pâtes & des ali- mens propres à les tenir dans l'embon- point y ahn que le fang s'écoulât plus lentement par les blemires qu'ils rece- Vroient , & que lefpeûateur pût jouir ainfi plus long-tems des horreurs de leur agonie. La profeffiond'inftniire les Gladiateurs étoit devenue un art : le goût que les Romains avoient pour ces combats , leur avcnt fait rechercher de la délicatelTe , & introduire des agré- mens dans un fpcftacle que nous ne fçaurions imaginer aujourd'hui fans horreiu-. Il falioit que les Maîtres d'£f- trime (n) qui infbuifoicnt les Gladia- teurs , leur montraient non-feulement
(.) Uni/Il.
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t6 Rifiexîons erulqiué
à fe tMen fervir de leurs armas ; mais 2f falloit encore qu'ils enfeignaffent à ces 'inalheureufesviâimes dans quelle atti>- tude il falloit fe coucher , & quel main- tien il falloit tenir, lorfqu'on étoit bief- a mortellement. Ces Maîtres leyr ap^ prenoient , pour ainfi dire , à expirer de bonne grâce.
Ce fpeflacle ne s'introduifit point h Rome à la faveur de la groffiereté des cinq premiers fiécles qui s'écoulèrent immédiatement après fa fondation • quand les deux Brutus donnèrent auv Romains le premier combat de Gladia- teurs qu'ils euffent vu dans leur ville ^ les Romains étoient déjà civilifés. Mai$ loin que l'humanité & la poHtcfle des fiécles fuivans ayent dégoûté les Ro- mains des fpeâacles barbares de l'am* phithéâtre,au contraire eilesles en ren- dirent plus épris. Les Vierges Veilales avoient lelu- place marquée fur le pre- nûer degré de l'amphithéâtre dans les temsdelaplus grandepolitelTe desRo- . mains, & quand «nhcmimepaflbit pouf ' barbare , S'il faifo'u marquer d'un fer tkaudfon efclave qui avait vole le ii/ige, ^ taille ((z) , crime pour lequel les loi^
(.a) /h I t»tl 1 Sét. 1 4. V, 11. ,
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furiaPoefie&furlaPtmiure: \y ieondamnent k mort,dans h plupart des pays Chrétiens , nos domeftiques qui font des hommes d'une condition libre. ■ Mais les Romains fentoient à l'amphi- théâtre une émotion qu'ils ne trou* voient pas au cirque ni au théâtre. Les combats des Gladiateurs ne celTerent à Rome qu'après que la religion Chré- tienne y fut devenue la rehgion domi- nante , & que Conilantin le Grand les eut défendus par une loi exprefle (a). ' Il y avoit déjà cinq cens ans (*) que les Romains avoient condamna leur gofvt po\ir les fpeflacles de l'arène , en défendant à tous les fujets de la Répu- blique d'immoler aucune viQime hu- maine , torique les condiats dont je par* le , furent abolis. ■
i'altraif dufpeflacle des Gladiateurs 4e fit aimer des Grecs auffi-tôt qu'ils le connurent : ils s'y accoutumèrent, quoi- qu'ils n'euffent point été familiarifés avec fes horreurs dès l'enfance. Les ■'•principes de Morale oîiles Grecs étoient ■alors élevés , ne leur permettoientpas d'avoir d'autres fentimens que des len- 'timÀis d'averfipiff pour un fpeûacie ,
■ iéicod. 'Ht. l'b I. til, 44 (.J, -«IM,
■ (*J >tM . h,jl. W. tfSf "f I.
-tS RifitxioRS Crmquu
oîi , dans le deiïein de divertir Taffem^ blée , en égofgeoit des hommes qui iou- vent n'avoient pas mérité la mort. . Sous le règne d'Antiochûs Epi[Aane ^ Koi de Syrie , les arts & les fcîences qui corrigent la férocité de ITiomine , & qui même quelquefois amoMent trop fon courage , fleuriflbient depuis Jong-t ems dans tous les |sy s habités par les Grecs. Quelques ufages pratiqués autreÊMS dans les jeux fimébres , & qui pouvoient reflembler aux combats oes- Gladiateurs , y éloieat abolis depuis long-tems. Antiochus qui formoit def grands projets , & qui fflettoit en œu- .vre f pour les faire rénflir , le geare de Aiagnilîcence qui eâ pro|»'e à concilier aux Souverains la bienveîUance die» Nations , fit venir de Rome à grands frais des Gladiateurs, pour donner aiUE Grecs, amoureux de toutes les fêtes, un fpeflacle nouveau. Peut-être penfoit-il auffi qu'en afliftant à ces conu>ats. , 00 conçut le mépris de la vie qui avoit reit- du le foldat des Légions plus déternûné que celui des Phalanges , dans les giier-r res , où fon père Antiochus le grand 6c Kiiiippe Roi de Macédoine avoient tté battus par les Romains, D'abord , dit
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fuT tor Poèjie & fur la Ptîniure. 19 •Tîte-Live , Taréne ne parut qu'un ob- jet d'horreur. Qu'on s'imagine ce que les Grecs , toujours ingénieux à fe van- •ter , comme à rabaiflier les Barbares , -purent dire fur la férocité des autres Nations ; Antiochus ne fe rebuta point. Afin d'apprivoîTer peu àpeu les peii|des -avec fon nouveau u)eâacle,il y fit com- -I>attre les Champions ieulemeot jul^ -qM^au premier fans. Nos PfailoTopkes regarderentavec pkific ces ccHi^tsoà- •tigés ; mais bieo^tôt ils ne détoutnereat -puis les yeux des combats à toute ou- trance , & ils s'accoutumèrent à voir tuer des hommes uniquement pour les '^vettar V il feibima siÊrae des Gkdia- teur» dam le paijs. {a) Glad'aaorum mu- Tttts Roma/Kt eoi^uemtéms > primb majort vum ttrrort homman , infuaorum ad taU fptSactiium , quàm ciim vdupiatt Jtdit : • ihittdeftepiùs Jimda , & moJi> vulner'tbtts ■Unia , moJàJïnt miffione ttiam , ùfami- iiare oculis gratumqtu idfptSaatlum fic'rtt ■& armorum fiudium pUrifyat juy*mua ■tuctnàit, Itaque , quiprimh ah Roma ma- gms pramiis paratos Gladiatorts areeffen Jblitus erat , jam fuo , &c.
Nous avoiu dans notre votûnage ua
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iO ■ RéfitxioTis crîtiquei
peuple teHement avare des fouflTance^ des hommes, qu'il refpeûe encore l'hif- •manilé dans les plus grands fcélérafs. fl a mieux aimé que les criminels écha— paffent fouventauxCbâtimensque l'in- térêt de la fociécé civile demanae qu'on leur fafle fubiP", que de permettre qu'un innocent pût être jamais expofé à ces tourmens dont les Juges fe fervent dan^ tes autres pays chréttens pourarracher -aux accufés l'aveu de leurs crimes.' Tous les fupplices dont il permet l'ufa^ ge , font de ceux qui tuent !es condant- nés fans leur faire fouârif d'autre peine ^ue la mort. Néanmoins ce peuple , fi i;elpeâueux envers l'humanité , le plak infiniment à voir les bêtes s'entre-dë^ chirer. II a même rendu capables de fe tiier ceux des animaux à qui la nature a voulu refirier des armes qui puffent felre des bleffnres mortelles a leurs lèmblables ; il leur fournit avec indiif- Erie des armes artïBcielIes qui blelîenc fecilement à mort. Le peuple dont je parle ^ regarde encore' avec tant de plaifir des hommes , payés pour cela-, îè battre jufqu'à fe faire des bleflures «langereufes , qu'on peut croire qu'il aoroit de véritables Gladiateurs L 1%
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fur la Poèjît Ofur la Ptituun. 1 1 Romaine , fi la Bible défendoit un peu' moins pofirivement de verfer le lanç des honunes horsles cas d'une abloluc néceffité.
On peut dire la même chofe d'autres Kations très-polies , &C qui font profef* fion de la religion ennemie de l'cffu- fion dufang humain. Les fêtes les |^us chères à nos ancêtres , les tournois n'é- toient'iis pas des fpeâacles oîi la vi« des tenans couroit un véritable dan- ger ? Il y arrivoit quelquefois que la lance à roquet blelToit à mort aum-bien' que la lance à fer imolu i la France ne Réprouva que trop , quand le Roi Hen- ri U fut-blelTé mortellement dans une es ces fêtes. -Mais nous avons dans nos Annales une preuve encore plus forte eue celle-là , pour montrer qu'il eft fians les fpeâacles les plus cruels «me efpece d'attrait capable de les foire ai- mer des peuples les plus humains. Les combats en champ clos , entre deux ou plufieurs champions , ont été long-tems en ufage parmi -nous , & les petionnes lespluseonfidérables de la-Nation y ti- roient l'épée par un motif plus férieux que ceitïi de divertir l'aff emblée ; c'ér WJ t peur vuidei leurs ^juerelles y c'éioit
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%± Réflexions critiques
pour s'entretuer. On accouroît cepen-? dant à ces combats comme à des £êtes $; & la Cour de Henri U^û polie d'ail- leurs, aniAa dans S. Germain au duel, de larnac & de la Chategneraie. , Les fêtes des taureaux coûtent bien Ibuvent la vie aux combattans. Un gre- nadiern'eftpas phisexpofé à l'attaque d'un chemin couvert , que le font les champions qui combattent ces animaux fiirieux. Les Efpagnols de toute condi- tion montrent néanmoins pour des fô« tes fi dangereufes l'empreifement qu'a- voient les Romains pour les fêtes de l'amphithéâtre. Malgré les efforts des. Papes pour abolir les combats de tau^ reaux , ils fubfiilent encore ; & la na- tion Efpa^nole , qui fe pique de par<à^. tre du moins leur obéir avec foumif- fion , n'a point eu dans ce cas-là de dé- ierence pour leurs remontrances -Qc pour leurs ordres. L'attrait de l'émo- tion fait oublier les premiers principes de l'humanité aux nations les plus dé- bonnaires , & il cache sax plus chré* tiennes les maximes les plus évidentes de leur religion.
Beaucoup de perfbnnes mettent tou^ Ifisjoiu-s ime partie ccto&dérable de leuc
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fur la. Potjîe & fur la Peinture, % f Men à la merci des cartes & des dez ^ ^oiqu'eltes n'ignorent point les mau- vaifes luttes du gros jeu. Les hommes .ennchis par Tes bien^its , (ont comius de toute l'Europe , comme le font ceux aufquels il eft arrivé quelque avanture finguliiere.I^shommes riches & ruinés par le jeu , palTent en noiqbre les gens robuftes ^e tes Médecins ont rendus în&mes. Les fols &: les fripons font les feuls qui jouent par un motif d'avaric9' & dans la vue d'augi^enter leur bien par des gains continuels. Ce n'eft donc point l'avarice , c'eftl'attraitdujeuqui iàit que tant de perfonnes fe ruinent à jouer. En effet un joueur habile doué du talent de combiner aifément une inani- té de circonflances. Se d'en tirer prom^^* •tement des conféquences juAes ; un joueur habile, dis-je, pourroit feire tous les jours un gain certain en ne rifquant fon argent qu'aux jeux où le fuccès dé- pend encore plus de l'habileté des te- nans , que du hazard des cartes 5c des dez ; cependant il préfère par goût les jeux oh le gain dépend entièrement du caprice des dez Se des cartes , & dans iefquels fon talent ne lui donne point fl£ fupériprité fur les AMtres joueurs. La
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t4 Réflexions critiques
raifon d'une prédileûion teUement op^ pofée à fes intérêts , c'eil que les jeux qui laiflent une grande part dans révé- nement à l'habileté du joueur , exigent une contention d'efprit plus fuivîe ; & qu'ils ne tiennent pas l'ame dans une émotion continuelle , ainli que le jeu des Landiquenets , la Bafîette & les au^ très jeux oti les événemens dépendeot «ntiérement du hazard : à ces deniiers tous les coups font décilîis , & chaque événement fait perdre ou gagner quel- que chofe. Ils tiennent donc l'ame dans une efpece d'extafe , & ils l'y tiennent encore fans qu'il foitbefoin qu'.elle.coa- Tribue à fon plaifir par une attention fé- rieufe , dont notre pareffe naturelle, cherche toujours à fe dîfpenfer. La pa- reffe eft un vice que les hommes fur- in<Vitent bien quelquefois , mais qu'ils ti'étouffent jamais : peut-être eft-ce tm ionheurpourla fociété que ce vice ne puiffe pas être déraciné. Bien des gens croyent que lui feul il empêche plus de mauvaifes aÛions que toutes les ver- tus.
Ceux qui prennent trop de vin , ou qui fe livrent à d'autres pallions , en eonnoilTent fouyent les mauvaifes fui-
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fur la Po'èfii &fur la Pemtart: 1 ^ tes bien inieitx que ceux qui leur font des remontrances ; mais le mouvement naturel de notre ame , eAde le livrer à tout ce qui l'occupe , fans qu'elle ait ta peine (Tagir avec contention. Vo.U potvquoiui plupart des hommes f.nt allu)ettis aux goûts & aux inclinations qui font pour eux des occalions fré' quentes d'être ocaipés agréablement par des Tenfations vives & fatisfàifan- tes. Trahit fua qumiqae voluptOS. En CC' la les hommes ont te même but ; mais comme ils ne font pas organifés de ma- rne , ils ne cherchent pas tous les mê- mes plaifirs^
SECTION III.
QiM U mirite principal Jes Po'èmes & âa Tabltaux con^e à imùer Us objets qui " auroitttt excite en nous dtspaj^ons riel- Its. Les paffîons que ces imitations font naître en nous ne font quefuperficUlles, '
Quand les paffions réelles & véri- * tables qui procurent à Tame fes fenfa- licms les plus vives , ont des retours fi fâcheux , parce que les momens heu^ Tome A B
ï? Kifiexlons cmlques
teux dont elles font jouir , font fui vis de j^ournées (î triftes, l'art ne pourroit-il pas trouver le moyen de fëparer les mau- vaifes fuîtes de la plupart des paffions d'avec ce qu'elles ont d'agréable ? L*art ne pourroit-il pas créer, pour ainfi dire , des êtres d'une nouvelle nature ? Ne pourroit-îl pas produire des objets qui excitalTent en nous des palHons artifi. cielles capables de nous occt^er dans le moment que nous les fentons , & inca» pables de nous eaiifer dans la fuite des peines réelles & des affliâions vérita- bles?
La Poëfîe & la Peinture en viennent à bout. Je ne prétends pas foutenir quç les premiers Peintres & les premiers poètes , ni les autres artifans , qui peu- vent faire la même chofe qu'eux , ayent porté fi loin leur idée^ & qu'ils fe foient propofé des vues fi rafinées en travail* Jant. Les premiers inventeiu-s du bain n'ont pas longé qu'il fîit un remède pro* pre à guérir de certains maux , ifs ne s'en font fervis que comme d'un rairaiT chiffement agréable durant la chaleur , lequel on a découvert depuis être utile pour rendre la fanté'dans certaines ma- ladies ; de même les prenûers pQçte^ %;
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fur ht Poêjît &fuT U Pétaturt. 'If les premiers Peintres n'ont fongé peut- ère qu'à flater nos fens & notre ima- gination ; Se c'eû en travaillant pour ce- fa qu'ils ont trouvé le moyen d'exciter dans notre cœur des paflions artificiel- les. C'eil parhazard que les inventiona les plus utiles à la fociété ont été trou- vées. Quoiqu'il en foit,- ces phantômes Ae paflions que la Poëfie & la Peinture fçavent exciter , en nous émouvant par les imitations qu'elles nous préfentent , fatisfait au beioin où nous fommes d'ê- tre occupés.
Les Peintres & les Poètes excitent , en nous ces paflions artificielles , en - préfentant les imitations des objets ca- fwbles d'exciter'Cn nous des paflions vé- ritables. Comme l'impreflion que ces imitations font fur nous eft du même genre que l'impreflion (|ue l'objet imité parle Peintre ou par le Poète feroit fur nous ; comme l'impreflion que l'imita- tion fait n'eft différente de 1 impreflion que l'objet imité feroit , qu'en ce qu'elle êil moins forte , elle doit exciter dans notre ame une pafllon qui reffemble à celle que l'objet imité y auroit pu ex- citer. La copie de l'objet doit , pour pD& dire , exciter eu nous une copia • Bii
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tS Rijfexîons erîtîqu€S-
de la paffion que l'objet y auroit excîV tée. Mais comme rimpremon^ue riini« tation fait n*eft pas auili profonde que l'impreffîon qite l'objet même auroit ^te ; comme rimpreftion faite par Tî. «nitation n'eft pas icrieufe , d'autant «fu'ell^ ae va point jufqu'à la raifon pour laquelle il n'yapoint d'ilLu£on dans ces démâtions , ainli que nous l'ei^que- rons tantôt plus au long ; enfin comme l'impreflion fake parrimitatîonn'affeçi- te vivement que l'ame fenfirive , elie s'efface bien-tôt. Cette impreiîion fîir pedieielle &ite par une iraifâtion , di£- pardit ians avou* des Alites durables ^ comm^ en auroit une imprefilon 6iite -par l'objet même que le Peintre ou Iç Poëte a imité.
On conçoit facilement la raifon de Ix di^ence qui fe trouve entre l'imprefc lion &ite pari'objet même , & l'impreA £oh Ëtite par l'imitation. l^^iontatioQ 1% plus parité n'a qtt'un^tre artificiel , elle n'a qu'une vie empnuitëe , axi Heu ^ue la force & l'aâivité de la nature fa trou vent dans l'objet imité.Cefl en ver^ *ii du pouvoir qii^l tiettf de la nature même que l'objet réel agît fai nous.
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ftirU Poijîe & fur la Pttniurt'. IÇ fiétft naatra ù vent vis : eorurà oamii imUatio^a «/? j dit Quîntilien. (o^
Voilà d'où procède le ptaiûr que la Poëfie & la Peinture font à tous les honv mes. Voilà pourquoi nous regardons avec contentement des peintures dont le mérite conJîlte à nsttreib'us nos yeux des avanturesfi fiineâes , qi^elles nous auroient fait horreur fi nous les avionsr vues véritablement ; car, comme le dit Ariftote dans fa poétique : (^) Dtsmonf-* tns $rdts horaaui morts aa mourtuus ifue nous ri'oferiom ngardêti ou qaenotàs nt verrions qu'avec horreur, nous Us voyons avec plaifir imités dans Us ouvrages des Peintres. Mieux ils fom imités y plus nous les regardons avidement. Il eneft demê" me des imitations qiiefaitlaPoëiie.
Le plaifir qu'on lent à voir les imita- tionsqiie les Peintres- Se les Poètes fçî^ vent faire des objets qui auroient exci- té «n nous des paiTions dont la réalité nous auroit été a charge , efl un plaifir pur, Itn'eftpasfuivi des inconveniens dont les émotions férieufes qui axffoient été caufées par l'objet même ,.feroiea« accompagnéesv
(.1 i«/i„. i,b. 1
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^fl ' Ti.ifiexiom critiques
Des exemples éclairciront encortf' mieux que des raifoimemens une opi- ■ nion que je puis craindre de n'expofer jamais aiTez diftinâement. Le mauacre des Innocens a dû laiiTer des idées bien fiineftes dans rimagination de ceux qtti virent réellement les foldats effrénés égoi^er les enfans dans le fein des me-> res fanglantes. Le tableau de le Brun oh nous voyons l'imitation de cet événe- ment tragique , nous émeut & nous at- tendrit , mais il ne laiffe point dans no- tre efprit aucune idée importune : ce t^leau excite notre compaffîon , fans nousaffligerréellement. Unemorttelle que la mort de Kiédre : ime jeune Prin- ceffe expirante avec des convulfions af- fbeufes , en s'accufant elle-même des crimes atroces dont elle s'eft punie par le poifon , feroit un objet à fuir. Nous ferions plufieurs joiu-s avant que de pou* voir nous diftraire des idées noires Se flineAes qu'un pareil fpedacle ne man- queroit pas d'empreindre dans notre imagination. La tragédie de Racine qui nous prélente l'imitation de cet événe- ment, nous émeut & nous touche fans laiffer en nous la lemence d'une trifteffe- durable. Nous jouilTons de notre émo-
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furlaPo'èJît Cf-furla Ptlntur». Jf tion , fans être' allamiés par la crainte qu'elle dure trop long-tems. C'eft, fans nous attriiler réellement , que la piécQ de Racine fait couler des larmes de not yeux : l'affliôion n'eft , pour ainiî dire , ^e fur la Aiperâcie de notre cœur , SC nous fentons bien que nos pleurs uni- ront avec la représentation de la fiâioti ing^euie qui les fait couler. '
Nouj écoutons donc avec platlîr les hommes les plus malheureux , quand ils nous entretiennent de leurs infortunes par le moyen du pinceau d'un Peintre , ou dans les vers d un Poëte ; mais, com- me le remarque Diogene Laerce , nous ne les écouterions qu'avec répugnance s'ils dépioroient eux-mêmes leurs mal- heurs devant nous. Itaqut eos qui lamen- tationes imitantur Ubemer , qui autem vt' ri lamtntantur , hos jîne voliiptatt autU- mus , dit la Veriion latine, (a) Le Pein* tre & le Poëte ne nous affligent qu'au- tant que nous le voulons , ils ne nous font aimer leurs Héros & leurs Héroï- nes qu'autant qu'il nous plaît : au lieu que nous ne ferions pas les maître? de la meiuré. de nos fentimens ; nous ne fe- rions pas les mûtres de leur vivacité ,
Biv
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tUfitxumt ctiâqiÊta e de leur durée , fi nous avions ixi frappés par les objets mêmes <[ue ■ces nobles ArtHàos ont imités.
n eft Trai que les jeunes gens qiû s'adomiem à la leânre des Romans , dont Tattiait confiile dans des imita- tions poétique?, font filets à être tour- mentés par des affliâions & par des dé- firs très-réels ; mais ces maux ne font pas les foites néceflatres de Témotion artifidelle canfëe par le portrait de Cynts & de Mandane. Cette émotion arti£cielle n'en eft que l'occafion ; elle fomente dans le cœur d'une jeune pei> fonne qui lit les Romans avec trop de coût , les principes des paffions natu- relles qui font deja en elle , &Ia difpo- fe ainfi à concevoir [dus dément des ientimens pallîonnés & férieux pour ceux qui font à portée de lui en infpï- rer : ce n'eft point Cyrus ou Mandane qui font le fojet de fes agitations.
On dit bien encore qu'on a vu des honunes fe livrer de fî bonne foi aux impreflîons des imitations de la Poëfie , que la raifon ne pouvoît plus reprendre ies droits fur leur imagination ^arée. Onfçait l'avanture des habitans d'Ab- dere , qui fiu-em tellement irappés pai
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Jar la Poifit- & fur la Ptttttun' }« îeS' images tr^iques de TAndromede
d'Euripide , que l'imitation fit fur eux une impreiïïon fërieufe Se de même na* ture que Timpreflion que la chofe imi- tée auroit fait elle^nême : ils en perdi- rent le fens pour un tems , comme il poiurroît amveT de le pejjdre à la vue d*événemens tragiques a.rexcè9.0n ci- teau/n un bel efpnt dademîer fîécle^qui trop ému par les peintures de l'Albëe ,. fe cnitleAuxeiTeur de ces Bergers ga- lands, qui n'eurent jamais, d'autre pa- trie que les eftampes & les tapilTeries- Son imagination altérée lui fit &îre des extravagances femblaUes à celles que- Cervantes fait Élire en une folie du ma- rne genre , mais d'une autre efpéce , à fon Don Quichotte , après avoir fup- pofé que la leûure desprouefTes de lai Chevalerie errante avoit tourné la tête: à ce bon GentiHiomme.-
Il eA bien' rare de trouver des boift- mes qpi' ayent en même-tems la cœur fi fenuble & là tête fi foible:; fuppofé qa.'il en foit véritablement de tels , leur petit nombre ne même pas qu'on fàlTer une exception à cette- règle géiierale r que. notre ame demeure- toujours la maitreile: de ces émotions ruperficiellos- B V
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54 Réfiaàons critiqua
que les vers & les tableaux excitent eit<
elle.
On peut même penfer que le Berger vilîonnaire dont je viens deparler,n'au— roit jamais pris ni pannetiere ni hou- lette, fans quelque Bergère q^'il voyoit tous les jours ; il eft vrai ieulemenf que fa pamon n'auroit pas produit des- effets auffi bizarres , fi , pour me fervir de cette expreJHon , elle n'eût été en-^ tée fin- les dùmeres dont la leâure de l'Aûrée avoit ren^lî fon imagination. Car pour Tavanture d'Abdere , le fait , comme il arrive toujours,eft-bien moins- merveilleux dans Tauteur original que dans la narration de ceux qm nous !©■ donnent de la troiliéme ou de la fécon- de main. Lucien raconte feulement (a) que les Abderitains ayant vu la repré- sentation de l'-Andromede d'Euripide durant les chaleurs les plus ardentes de l'été , plufieurs d'entre eux qui tom- bèrent malades Men-tôt après , réci- toient dans le tranfoon de la fièvre des vers de cette tragédie ; c'étoit la der- nière chofe qui eût feit fur eux une grande impreiSon. Lucien ajoute que le froid de lliy ver, dont la propriété ef^ ,
t-) OtuiUmMitrtditTiril'Hifi'itt^
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]ur la Poîfit &fttr U Pànture, j ^ iTt^eindre les maladies épidémiques al. Jumées par l'intempérie de l'été , fit çef- ier la déclamation & la maladie.
SECTION IV.
i^upouvoirqutltsimiuuiofisoatfttrnoss^ éf delà ftuiliti arec laqucUt U cour ^
Personne ne Honte qne les Ppëme* ne puiflent exciter en nous des pallions artificielles ; mais il paraîtra petit-être extraordinaire à bien du monde & mê- me à des Peintres de profeffion , d'en- tendre dire que des tableaux , que de» couleurs appliquées fur une toile y puif- fent exciter en nous des paf&ons : ce- pendant cette vérité ne peut fm^ren- dre cme ceux qui ne ibnt pas d'attcn- tion a ce quife pafle dans eux-mêmes J Peut-on voir le tableau du Pouffin qui repréfente la mort de Gerraanlcus , fans- £tre ému de compalSon pour ce Prînccr & pour fa famille ^ comme d'iodigna' lion contre Tibère î Les Grâces de lac Gallerîe du Liiîcembourg , &c plufieurs aatcea tabkaax n'auioient pas été défi- A v^
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^6 Ré^mom amqua
gurés , fi leurs pofleflenrs les euflent vn^ uns émodoR ; car tous les tableaux ne font pas du genre de cenx dont parl^ Ariftote , quand il dît : Qu'U tfi £ts ta^ tUaux suffi capables de foin rentrer tir tax-mémts les Hommes vicieux , f«« les préceptes de morale dortnès par les FhUoJt>^ fhes. {à\ Les perfonnes délicates fouf^ frent-elles dans leurs cabinets des ta-^ bleaiiz dont les figures font hideufes ,' conune feroit le tableau de Promethée attaché an rocher, Acpeint par Michel- Ange de Caravage? L'imitation d*unoI>-: jet hideux iàit fur elle une imprelHoiT qui approche trop de celle que l'objet même auroit làîte. S. Grégoire de Na- àanze rapporte ITiiftoire d'une Cour- ttfane , qui dans un lien oîi elle n*etoit pas venue pour foire des réflexions fé- rieuTes , jetta lesy^ux par hazard furie portrait d'un Polémon, Philofoplie fa- meux pour Ton changement de vie , le- quel tenoit du miracle , & qui rentra en elle-même à la vue de ce, portrait. Cedrenus raconte qu'im tableau du Ju- gement dernier contribua beaucoup àla converfion d'tui Roi des Bulgares. Ceinc qui ont gouverné les peuples i^is tous
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JurU Peêp &/ur It Pùnturf. \f ■ les tems , ont toujours feit ufage des peintures & des Aatues pour leur mieux anfpirer les fentimens qu'ils vouloient leur donner , foit en- religion, foit ea pditique.
Ces objets ont toujours feit une |ran- de imprefficHi fur ks hommes , pnnci- patement dans les contrées ob coininu> jiémenrife ont le leittinwnta-ès-vif , tel- les que font les Régions- de l'Europe les vius voifînes du Soleil , & les côtes de l'Afie Se de l'Afrique qui font face à ces Régions. Qu'on le Ibuvîennede la dé- feme que les tables de la Loi font aux Juift de peindre & de tai/ler des figures humaines : elles faifoienttrop d'impref- fion fur un peuple enclin par fon carac- tère à fe paâîonner pour tous les objets capables de l'émouvoir. ■ Dans quelques pays Proteftans , oii ,' Ibus prétexte de Réforme , les ftatues fie les tableaux ont été bannis des Eglifes ,' le Gouvernement ne laifTe pas de met- tre en œuvre le pouvoir que la Peintu- re a naturellement ftu- les hommes pour contribuer à tenir le peuple dans le ref- peâ des Loix. On voit au-delTus des pla^fiTds oii ces Loix font écrites , des ta- ^aux repréfentans 1q fupplice auquel
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)S 'Kifioàoia erttîqaA
les infraâeurs qui les violeroient , foi- roient condamnés. Il fant que dans ceC Etat , rempli d'Obfervateurs politiques
Iui étendent leur attention fur bien des lofes aufquelles On ne daigne point fai- re réflexion en d'autres pays , nos Ob— fervateurs ayent remarque que ces ta- bleaux étoient propres à donner {]tK. moins aux en&ns qui dràvent un jour devenir des hommes , plus de crainte des diâtimens prononcés par la Loi, Dans la République dont je parle , on iàitapprendreàlireanxenâns dansdes Ëvres dont l'éloquence efl â la portée de cet âge , & remplis encore d'image» qui repréfenteot des événemens arrivés dans leur propre patrie ^ lesquels font propres à leur infpirer de l'adverfion contre là puilTance de l'Etn'ope qui dans ieteois eu la plus fu^âeàla Républi- que. LorTque le fyAême de TEurope vient à dianger,tmtàitun nouveau li-- ▼re , & on fiàfHtue la Puiflance qui eft devenue redoutable à l'Etat , àla placet ide celle qu'il a ceffé de craindre.
Laprofeffion deQuintilîenétoitd'en- feigner aux honmies- l'art d'émouvoir les autres hommes par la force d^ ix parole : cependant Qtiintilien met eiç '
JurU'Poi^&furla'Pùmart'. Jj fiarallele le pouvoir de la Peinture avec le pouvoir de l'art Oratoire. Sicininti- mos , dit-il en parlant de la Peinture (a) , foieeret affiSus, ut ipfam vim disxndi mon aunquamjuptrare viJeatur.he même Au- teur rapporte (ju*U a vu quelquefois les accufateurs fsixe expofer dans le Tri- bunal un tableau , où le crime dont ils pourfuivoient la vengeance , étoit re- pr^fenté , afin d'exciter encore plus efB> cacement i*indîgnatioa des Juges contre Je coupable. On appelloitla Peinture au fecours de Tart Oratoire en un tems oii cet Art étoit dans fa perfeâion. Ei ipft. aliquandovUi &pi3am taèulam fupra Jo- vem f in imagirtemni eu/as turocitattjudex trot commovendus (A).
Quand on &it attention â la fenfibilî- té naturelle du cœur humain , à fa dif- po£tion pour être ému tellement par tous les objeG dont les Peintres & les Poîtes font des imitations ; on n'eftpas furpris que les vers & les tableaux mê* mes puilTent l'agiter. La nature a voultt mettre en lui cette fenfîbilîté li promp- te & fi ibudaine , comme le premier fon- dement de la fociété. L'amour de foi*
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40 Rifltxîans mâqi^-
même qm fc change prefque toufoaï^ en amour propre immodéré , à mefure que les hommes avancent en âge , les F«nd trop attachés à leurs intérêts pré- fèns Se advenir, & trop durs envers tes autres , lorsqu'ils prennent leur réfolu* tion de fens raâîs. Il étoit à propos que Vas hommes pufTent être tirés de cet état facilement. La nature a -donc pris le parti de nous conflraîre de mxniere que l'agitation de tout ce qui nous ap- proche eût im paiflant empuefur nous ^ alîn que ceux qui ont befoin de notre Hidulgence ou de notre fecours , puA fcntnous ébranler avec^cilité. Ainâ leur émotion^ feule nous touche Subite- ment ; & ils obtieiBient de nons , en nsus attemWffant , ce qu'ils n'obtien- droient' jamus par la v«ie du rHiTonne-» ment & de la conviâion. Les larmes d'an' inconnu nous émeuvent même avant que nous fçachions le fujet quî le fait pleurer. Les cris d'un; homme qui ne^tient-ànousqnepar l'humanité,' nous font voler à îbn fecours par un niouveiHenrniachinal qui précède tou- te délibération- Celui qui. nous abor- de la joie peinte fm- le vifage , excite en nous im fentimeardê jpie^ avant
...Xooyic
far la Petfie & far U Pùmurt, f l que nous foyons informés du iujet d» la fienne :
Vt riitittihiiianHen ,■ iufioutlui tifitat, fîiantuà vttlmi (fi).
Fonrqaoi les A£leurs qui Te pallïon- nent vétitablement en déclamant , ne Hiffent-ils pas de nous émouroir &de nous plaire , bien qu'ils ayent des dé- buts eflentiels i c*eA que les hommes qui font eux-mêmes touchés , nous toi^ cbent fans peine. Les Aâeius dont je parie » font émus véritablement, & cela leur donne le droit de nous émouvoir p quoiqu'ils ne foient point capables d'ex- primer les imffions avec la noblelTe ni avec la pfleife convenable. La nature dont ils font entendre fa voix , fupplée à kur inAiflifance. Ds font ceqnlls peu^ vent ; elle fait le refie.
De tous les talens qui donnem de l'empire fur les autres hommes , Te ta- lent le {^uspuiflàntn'eApas la Aipéiio- > rite d*eforit & de lumières : c'eft le ta- lent de les émouvoir  fon gré ; ce qui fe feit principalement en pasoiffiint foi- méme ému , âc pénétré' des fentimens qu'on veut leur infpirer. C'eftletalent
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4» Réjlexîoru erltlques
d'être comme Catilina , CujusràUhetJi^ ;na^or,. qu'on appellera ,ftonveut, le talent d'être grand Comédiep. Ceux des Anglois qiiî.font le mieux informés de ITiiftoire de leur pays , ne parlent pas d'Olivier Crom'wel avec la même ad- miration que le commun de la Nation ; ils lui refiifent ce génie étendu , péné- trant & fupérieur que lui donnent bien ■ des gens, & ils lui accordent pour tout mente la valeur du iimplefoldat , & la talent d'avoir fçu paroître pénétré des fentimens qu'il vouIoitfeihc&-e, & auffi ému des paflions qu'il vouloit inlpirer aux autres , que sSÎ les avoit fenties vé- ritablement. Xiu-lo'W , ifent-ils , lui ex- pliquoit dans le tems , & comme on i'expKqueàime femme qu'on veut foire agir dans une afiàïre importante , quel- les perfonnes ilfatloitgagnerpourraire réuflir un projet, & par quel endroit il falloir les attaquer. Olivierleurpartoit enfuite fi pathétiquement , qu'il les ga- gnoit. L'Europe Airprife de le voir aé- toumer à fon avantage l'événement qu'on avoit cru le devoir perdre , lui faifoit honneur pour ce fuccès de phi- fieurs vertus qu'il n'avoit pas : c'eft ainlï que fa réputation s'e A établie. Quelque;^
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fur la Poëjte &fur la Pênmrt. 4) Contemporains d'un Miniftre des plus illullres que la France ait eu dans le der- nier fiécle y difoient de lui quelque cho> fe d'approchant.
Quand nous Tommes dans tm de ces réduits ou pliifieurs joueurs font ailîs au- tour de dinérentes tables , pourquoi un infHnâ lecretnous fait-il prendre place anprèsdes joueurs qui riiquent de plus groâes fommes , bien que leur jeu ne foit pas auflî digne de curiofilé que ce- liti qui fe joue fur les autres tables? Quel attrait nous ramené auprès d'eiuc, quand un mouvement de curiolîté nous a fait aller voir ce que la fortune dëcidoit fur les théâtres voifinsîC'eftquel'émotion des autres nous émeut nous-mêmes , fie ceux qui jouem gros jeu nous émeuvent davantage , parce qu'eux-mêmes ils font plus émus.
Enfin il eft facile de concevoir com- ment les imitations que la Peinture fie la Poëfîe nous préfentent , font capables de nous émouvoir , quand on fait réfle- xion qu'une coquille , une fleur , une médaille oii le tems n'a laifl'é que des , phantômes de lettres Se de figures , ex- citent des pafTions ardentes fie inquiè- tes ; le déÛT de les voir , fie l'envie de
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4<| Réfifxîons mtufua
les pofieder. Une grande paflion alEirï mée par le plus petit objet , eft un évé- nement ordinaire. Bien n*eft furprenant dans nos paOlons qu'ime longue durée.
SECTION V.
Çitf Pltuonnthanmt Us Potta tU/aR^
puhUqtu , ipt'à caufe de Vimpnj^on trop grande (fit leurs imittuto/u ptuven» ptirt^
Xj'lMPRESSlOît que Tes imitations
font fur nous en certaines cîrconftances ]»aroit même û forte , & parconféquent fi^dangereiife t Platon , (pt'elle eft caufe de la réfolution qu'il prend de ne point foufïnr l'imitation Poétique ,.ou la Poë- fie proprement dite , dans cette" Répu- blique idéale dont il règle la conftituuon avec tant de plaiiir. U craint que les peintiu*es &les imitations qui font l'eC- îenccde la Poëfie , ne iaffent tropd'et- fet fur l'imagination de fon peuple fa- vori, qu'il fe repréfentoit avec la con- ception auffi vive & d'im naturel auffi ienlîblë que les Grecs fes compatriotes. l^sPoëtes,. dit Platon, ne feplai&n^
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pir U Poëjîe S-farU Peinture. 4^
fouit "k nous décrire la traoquUlité de intérieur d'un homme fage , qui cou* ferve toujours une égalité d'efprità 1*^ m-euve des.peio£$:&:desplaiûrs. Us ne font pas fervir te ^ent de la fiâion à nous peindre la fitiiation d'un homme
Si foufte avec confiance la perte d'un s unique^a). Ils n'intradwiect pas fur les théâtres des perfonnages qui fça- chent &ire taire les palHous devant U ralfon. Les Poètes n'ont pas tort ,fur ce fioint, UnStoïcienjouereitjunrôlehien ennuieux dans une tragédie. Les Poètes qui veulent nous émouvoir , c'efl Platos <pù reprend da parole , préientent des objets bien diâerens ; ils introduifeot dans leurs Poèmes des homraes livrés à des defîrs violens, des hommes en proie à toutes les agitations despafEoos, ou om luttent du moins contre leurs fecoui^ les. En eiTet les Poëtes-fçavem il bien <pie c'eil l'agitation d'un aâew qui nous feit prenike plaifir à rentendre * parler » qu'ils font dii^aroître les perfon- nages dès qu'il ell décidé s'ils feront heureuK ou malheurmx, dès que leur deftinéeeft fixée. Or,fuivant le fenti- ;Dient de Platon y l'habitude d-' fe livrer
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•'J^6 RêJUxions eritiijutf
aiixpaflîons,mêmeàces paffionsardfi' cielles , que la Poëfie excite , affoiblit en nous l'empire de Tame foirituelle , fie nous difpole à nous lamer aller aox mouvemens de nos appétits. C'eft un dérangement de Tordre que ce Philofo-
{thevoudroît établir dans les aâions de "homme qui , félon lui , doivent être réglées par fon intelligence, & non pas eouvemées par les appétits de Tame fen* îitive.
Platon (*i) reproche encore un autre inconvénient à la Poëfie : c'eft que les Poètes, enfc mettant aufll fouvent qu'ils le font à la place des hommes vicieux dont ils veulent exprimer lesfentlïnens, contraflentà laiînies moeurs vîcieufes dont ils font tous les jours des imita' tions. Il eft trop à craindre que leur ef- prit ne fe corrompe à force de s'entre- tenir des idées qui occupent les honunes corrompus. Friqmns imitatio , a dit de- puis Quintilien (Ji) en parlant des Co* médiens , tranjît in mores.
Platon (c) appuie de fa propre expé- rience les raifonnemens qu'il rait furies
W\r>t tefjib. t.f. il".
(*)/y.o-;;i.,.r. ...
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fttrîa Poifit & fur la Peinture, ^y inauvais effets de laPoëfie. Aprèsavoif avoué que fouvent il s'eit trop laifle ie- duire à Tes charmes, il compare la pei- ne qu'il fent à fe féparer d Homère i la peine d'un amant forcé , après bien des combats , à quitter une maîtrefle qui prend trop d'empire iur lui. D l'ap- pelle ailleiu-s le Poète par excellence Se Je premier de tous les inventeurs. Si P/aton exclut les Poètes de fa Républi- que , on voit bien qu'il ne les en exile que par la même raifon qui engage les Prémcateurfi à prêcher contre les fpec- tacles , & quifaifoit chalTer d'Athènes ceux des citoyens qui pîaifoienttrop à leurs compatriotes.
Voilà les motifs qiù font profcrire à" Platon la partie de l'Art poétique qui confiile â peindre & à imiter ; car il confent à garder dans fa République la partie de cet Art qui enfeigne la conf- truaion du Vers & la compofition du Métré ; c'eft la partie de l'Art qu'on nomme fouvent Verfification , & que nous appellerons quelquefois dans ces Réflexions la Mécanique de la Poëfie. Platon vante même aflez cette partie de ï'Art poétique , laquelle fçait rendre un ^cpurs plus pompeux & plus agréable
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40 RljUxions criùquts
à foreille , en introdutfant dans A^ phrafes un nombre &C une hannonie qui lui plaifent plus que la cadenix de laprofe. Selon Lui , les louanges des Dieux & celles des Héros mifes en vers en deviennent plus capablesde plaire & lie fe faire retenir. Le but de Platon eft toujours de conferver dans Jbn état les parties d'un Art qui font prefque inca- pables de nuire , lorfqu'il profcrit celles quihiiiemblenttropdangereufes. C'efl ainfi qu'en bannifTant de fa République ceux o&sMoJes de la Muiique ancienne , dont les chants mois & efFéminés lui fontfitfpeâs,il y conferve d'autres Mo- des dont les chants ne luiparoiflent pas devoir être pernicieux.
On poiuToit répondre à Platon, qu*ufl Artneceflaire & mètneUmpleaieiK uti- le dans la fociété,n'en doit pas être foan^ ni , parce qu'il peut devenir un Art nuî- fible entre les mains de ceux qui en abu- ieroient. On ne doit {H'ofctire dans un Etat que les Arts fuperihis & dai^ereiix en meme-tems , & fe contenter de pren- dre des précautions pour empêcher les Arts utiles d'y faire du dommage : Pla- ton lui-même ne défend pas de cidti- yer la vigne fur les côteaiut de fa Ré- publique ^
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JiirlaPoëfie & fur la Pùneurù -49 publique , quoique les excès du vin faf^ iènt commettre de grands dëfordrcs , 6c ijuoique les attraits de cette liqueur en- gagent Ibuvent d'en prendre au-delà du befoin.
Le bon ufage que pluHeurs Poètes ont fait dans tous les tenis de l'inven- tion Se des imitations de la Poëfie, mon- tre aâèz qu'elle n'eft pas un Art inutile dans la Ibciété. Comme il eft aufG pro- pre par fa nature à peindre les a£bons qui peuvent porter les hommes aux penfëes vertueufes , que les aftions qui peuvent fortifier les inclinations cor- rompues : il ne s'agit que d'en faire un bonidage. La peinture des aâlons ver- tueufes échauffe notre ame ; elle l'élevé en quelque façon au^delTus d'elle-m2- me , £c elle excite en nous des palTions louables y telles que font l'amour de la patrie & de la gloire. L'habitude de ces payions nous rend capables de bien des efforts de vertu & de courage , que la raifon feule ne pourroit pas nous faire tenter. En effet le bien de la fociété exi- ge fouvent des fervices fi difficiles , qu'il eft bon que les paffiôns viennent au fe- xours du pouvoir pour engager un ci- toyen à les rendre. Enfin un bon Poïte Tomil. C
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^9 Jtcjltxîotts erîtîquef
içait dîfpofer de manière lespeintures au*il fait des vices & des pâmons , que [es Leûeurs en aiment davantage la ïa.^ eeffe & la vertu. En voilà fuffifamment I ce fujet , d'autant plus que les Poëûes ' Françoifes , conune nous le dirons dans )a fuite , ne fçauroient prendre le mê- me erapre fur les hommes que celle dont Platon craignoit fi fort les effets. I>*ailleiu-s notre naturel n'eA pas auffi vif , ni aulfi fenfible que l'étoit celui des Athéniens.
Mais Platon fait encore ime autre ob- ïeâion contre le mérite de la Poefie. C'eft que les Poètes ne fpnt que les imitateurs Ôc les copiées des ouvrages & des produâions des autres aitifans. î-e Poète (a) qui fait la defcription d'un Temple n'eft, félon lui , que le copifte de l'Architeûe qui Ta fait élever ; j'en tombe d'accord y & que j'aimerois mieux être , par exemple , l'Architeâe
r' a faitbltu" l'Eglife de Saint Pierre Rome , que le Poëte qui en auroit fait en vers ime belle defcription. }e veux même qu'il y ait plus de mérite à trouver les proportions qui rendent un yaiffeau excellent yoiliçr , qu'ij déçrjfÇ
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fur ta Poëfie &fur ta Peinture, ^f la rapidité de fon vol fur les vaftes p* .I- nes cle la mer. Mais fouvent aufli le m^ rite eft moindre à être l'ouvrier qu'à être rimitateiir ? N'y a-t'il pas plus de jmérite d'avoir peint un vieil livre com- me l'a fait Defpréaux , que de l'avoir relié , 6c imprimé fi Ton veut }
(a),A ceimcu ,ilf«illi un vieil b^nûci
GrofEdctvilîoiii il'Accurle& d'AtcUc,
Inutile lamu de gothique écriiure ,
Dont quatre ûi mil unis rormoieni U conveitoréi
Entourée à demi d'uD vieux pirthcmin noir ,
Où pendait à troii clou* un reftc de fermoir* **
Ici le Copiflevaut mieux que l'Ori-
final. D'ailleurs combien de chofes les oëtes imitent-ils -^ lefquelles ne font pas Toiivrage des hommes , comme le tonnerre ôc les autres météores , en un inot toute la nature , l'ouvrage du Créa- teur. Maisceraifonnememdeviendroît une difcuilion Philofophique qui nous menerolt trop loin ; contentons-nous de dire que la fociété qui exclueroit de fon fein tous les citoyens dont l'art pourroitêtrenuifible,deviendroitbient 0t le féjour de l'ennui.
f/i) Beit. Lulrin. C64nr.|.
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"5 % Rifiextans cmiques
SECTION VI.
J)e la nature desfujets que la Peinture G' Us Poêles traiteru. Qu'ils ne ffouroiene les choifir trop intérejfans par eux-mê'- ffs,
iJÈs querattraitprincipaldelaPoë' fie & de la Peinttire , dçs que le pou- voir qu'elles ont pour nous émouvpïr & pour nous plaire , vient des imita-* tions qu'elles fçavent faire des objets capables de nous intéreffer : la plus grande imprudence que le Peintre ou le Poëte puiffent feire , c'eft de prendre pour l'objet principal de leur imitation des chofes que nous regarderions avec indifférence dans la natiu-e : c'eft d'em- ployer leur Art à nous repréfenter des adions qui ne s'attireroient qu'une at- tention médiocre fi nous les voyions vé* rilablement. Comment ferons - nous touchés par la copie d'un original incaf pable de nous aflefler î Comment fe- rons-nous attachés par un tableau qui repréfente im villageois paflànt fon cne- mm eq copduifant à^wi bêtes de fom*
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furla Po'èfie & fur la Peinture, jj: |ne , 11 raâion qiie ce tableau imite ne peut pas nous attacher ? Un conte en vers qui décrit une avantiu-e que nous aurions vue , fans y prendre beaucoup d'intérêt , nous internera encore moins. U^imîtation agit toujours plus foiblement que l'objet imité (a) : Quid~ qu'id alterijîm'deefl , nccejfe ejl minus Jti , e& quodinutatur. L'imitation ne fçauroit donc nous émouvoir, quand la chofe imitée n*efl: point capable de le faire. Les fujets que Teniers , ■VoTCeritlans & les autres Peintres de ce genre ont re- préfentés , n'auroient obtenu de nous qu'une attention très-légère. II n'eft tien dans l'aftion d'une fête de village ou dans les divertiflemens ordinaires d'un corps-de-garde qui puiffe nous émouvoir. Il s'enfuit donc que l'imita- tion de ces objets peut bien nous amu- fer durant quelques momens , qu'elle peut bien nous raire applaudir aux ta- lens que l'ouvrier avoit pour L'inuta- tion , mais elle ne fçailroit nous tou- cher. Nous louons l'art du Peintre à bien imiter , mais nous le blâmons d'a- voir choifi pour l'objet de fon travail I des fujets qui nous intéreffem fi peu,
C iij
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~t^ Réfix'ions crtii^uiS
Le plus beau payfage , fût-iï du Tv^ tien & du Carrache , ne nous intéreffe pas plus que le feroit la vue d'un canton de pays i&eipc ou riant t il n'eft rien dans, un pareil tableau qui nous entre- tienne , pour ain£ dire ; & comme il ne nous touche guéres , il ne nous attache pas beaucoup. Les Peintres intelligens ont fi bien connu , ils ont fi bien fenti cette vérité , que rarement ils ont Élit des payfages déferts èc fans figures. Ils les ont peuplés , ils ont introduit dans ces tableaux un fujet compofé de plu- sieurs perfonnages dont l'aftion fût ca- pable de nous émouvoir , & par conie- quent de nous attacher. C'eft ainfi qu'en ont ufé le Pouflin , Riibens & d'autres grands Maîtres , qui ne fe font pas con- tentés de mettre dans leurs payfages ua homme qui paffe fon chemm , ou bien une femme qui porte des finaitsauinar- ché. Ils y placent ordinairement des fi- gures qui penfent , afin de nous donner Ëeu de penfer ; ils y mettent des hom- mes agités de paffions , afin de réveiller les nôtres , & de nous attacher par cet- te agitation. En effet on parle plus fou- vent des figures de ces tableaux que de leurs terrafies Se de leurs arbres. Lg
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fur la Potjtt ^ fur ta Peîniurf. ^J Bayfage que le Poulfin a peint pliifieurs lois , & qui s'appelle communément VÀriadie , ne feroit pas fi Tante , s'il Aoit fans figures.
Qui n'a point entendu parler de cettd fâmeufe contrée qu'on imagine avoif ^té durant un tems le fëjour des habi-r tans les i^us heureux qu'aucune terre aitjamais portés ? honunes toujours oc- cupés de leurs plaifirs , & qui ne con-' noiiToient d'autres inquiétudes , ni d'au- tres malheurs que ceux qu'elTuient dans les Romans ces Bergers chimériques dont on veut nous foire envier la con- dition. Le tableau dont je parle «repré- fente le payiage d'une contrée riante. Au milieu 1 on voit le monument d'ime jeune fille morte à la fleur de fon âge ! c'efl ce qu'on connoît par la ftatue de cette fille couchée fur le tombeau , à la manière des anciens. L'infcription fé- pulcnrïe n'eft que de quatre mots La- tins : 7e vivois cependant en Arcadie , Et in Arcadia ego. Mais cette infcrip- don fi courte fait faire les plus férieu- fes réflexions à deux jeunes garçons & à deux jeunes filles parées de guirlandes de fleurs , & qui paroiflent avoir ren- contré ce monument £ trifte en des Çiv
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' *6 Réflexions Critiques
lieiixoii l'on devine bien qu'ils ne cfiet— choient pas un objet affligeant. Un d'en- tre eiix fait remarquer aux autres cette infcripticnen la montrant du doigt, ôc l'on ne voit pltts fur leurs vifages , à tra- vers l'affliûion qui s'en empare , que les reftes d'tme )oie expirante. On s'ima- gine entendre les réflexions de ces jeu- nes perfonnes fur la mort qui n'épargne ni rage , ni la beauté , & contre laquelle les plus heureux climats n'ont point d'a- zile. On fe figure ce qu'elles vont fe dire de touchant , lorfqu' elles feront re- venues de la première fiuprife , & l'on. l'applique à foi-même & à ceux à qui l'on s'intérefîe.
Il en eft de la Poëfîe comme de la Peinture , & les imitations que la Poë- fie fait de la nature , nous touchent feu- lement à proprotlon de l'impreffionque la chofe imitée feroitfur nous , fi nous la voyions véritablement. Un conte en vers' dont le fujet ne feroit point plai- fant par lui-même , ne feroit rire per- fonne , quelque bien verfifié qu'il pût être. Quandune Satire ne met pas dans un beau jour quelque vérité dont j'a- vois déjà un fentiment confiis , quand elle ne contientpasde ces maximes di-v
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Jîtr ïd Peijte &fur U Pàtuure. y/
fnes de pafler incefTaininent en prover- es, à caufe du grand fens qu'elles ren- ferment en abrégé , je puis tout au plus la louer d'être bien ècnte ; mais je n'en retiens rien , & j'ai aufli peu d'envie de la vanter que de la relire. Si le trait de rE-pigramme n'eft pas vif , fi le fujet n'en eft pas tel qu'on l'écoutât avec plai£r ^ quand ciême il feroit raconté eff profe, I Epigramme , quoique bienver- fifiée & rimée richement , ne fera rete- nue de perfonne. Un Poëte Dramati- C]uë qui met fes perfoonages en des fi' tuations qui font fi peu intérefT^ites ^ que j'y verrois réetlemenfcdes perfon- nés de ma connoilTance , fans êtce bien ému , ne m'émeut gnércs en faveur de fes performages. Comm»it la copie me toucheroit-eîlft fi l'original n'eft pas ca- pables de me toucher 2
Ct..
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^S RéfiexloTis crùîquû
SECTION V n.
Que la. Tragédie nous aff^ plus qut lit Comédie ^ à eaufe de la nature des y«^ jets que la Tragédie trait*.
C2 Uand on fait réflexion que la Tra- gédie afFeâe , qu'elle occupe plus une grande partie des hommes que la Corné' oie , il n'eâ plus permis de donto* que les imitations ne nous intéreflè qu'à proportion de l'impreflion plus ou moins grande que l'objet imité auroil feit fur nous. Or il eft certain que les hommes en général ne font pas autant émus par l'aftion théâtrale , qu'ils ne font pas auffi livrés au fpeâacle dînant les repréfen- tatîons des Comédies , que durant cet; les des Tragédies. Ceux qui font leur amufement de la Poëfie Dramatique , parlent plus fouvent & avec plus d'af- feûion des Tragédies que des Comédies qu'ils ont vues; ils fçavent un plus grand nombre de vers des pièces de Corneille & de Racine , que de celles de Molière. Enfin nous fouflrons plus volontiers le médiocre dans le genre Tragique quQ
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ptr Ut Potfie &fitr la Pàntun. ^^ ^s le genre Comique , qui fembIen*a-< Toir pas le même droit fur notre atteat don que le premier ,
hjhtt Conktiit tûito Vha ontnt , giaïao *nâ^ mûmi.
à\(bit Horace, (a) Tous ceux mii tra^ vaillent pour notre théâtre parlent do même ^ & ils afTurent qu'il eu moins dangereux de donner un rendez-vous an pubucpoiu'le divertir en le faifantpleu< rer , que pour le divertir en le f^fant me.
n femble cependant que la Comédie iitt attacher les hommes plus que la Tragédie. Un Poète Comique ne dé^ peint pas anu: rpeûateiu-s des Héros, ou descaraâéres qu'ils n'ayent jamais con- nus que par les idées vagues que leuv imagination peut en avoir formées fur le rapport des Hiftoriens : il n'entretient pas le' parterre de conjurations contre l'Etat, d'oracles ni d'autres événcmens merveilleux, & tels que la plupart des ^peûatenrs , qui jamais n'ont eu part à wsavantures femblables , ne fçauroîent bienconnoîtrefilescitconftane^&: les fuites de ces avantures font expofées
{<•) Itk f ri». Efi |I<f' f rtW,
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(O Rifitxîons critiques
avec vraifemblance. Au contrMre lé Poëte Comique dépeint nos amis , &C les perfomies avec qui noiis vivons tous les jours. Le théâtre , fuivant Platon (a) , ne fubfifte , pour ainfi dire , que des feutes ■oii tombent les hommes , parce qu'ils ne fe connoiâTent pas bien eux-mêmes. Les ims s'imaginent êtte plus puiiTans qu'ils ne ront , d'autres plus éclairés, &c d'autres en£nplus ai- mables.
I^ Poëte Tragique nous expofe les înconvéniens dont l'ignorance de ibi". même eit caufe parmi les Souverains , ôc les autres perfonnes indépendantes qui peuvent fe venger avec éclat , dont le reffemiment eft naturellement violent , & dont les paffions propres à être trai- tées fur la Icéne , peuvent donner lieu à de grands événemens. Le Poëte Comi-
3ue nous expofe qu'elles font les fuites e cette ignorance de foi-même parmi Je commim des hommes , dont lereffen- timent eu alTervi aux loix , & dont les paffions propres au théâtre rte fçauroient produire que des brouilleries , en luk mot des projets & des événemens ordi- naires. ■ ,
(0 11 Tkil. p. ji. , ■
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Jur la Pol/i* ùfuT kt Pànturt. 6t Le Poëte Comique nous entretient Ubnc des avantiu-es de nos égaux , & il nous préfente des portraits dont nous voyons tous tes jours les originaux. Qit'on me pardonne l'expreffion :. il &it monter le parterre même for la fcéne. Les homnœs toujours avides de dëmé- ler le ridiciile d'autnii , 6c naturelle- ment défirexiK d'acquérir toutes les lu- mières qui peuvent les autorifer à moins cfttmer les autres , devroient donc trou- rermieuK leurcompteavecThaliequ'a- Tec Melpomêne : Thalie eA encore plu$ feràle que Melpomêne en leçons k no- tre ufage. Si la Comédie ne corrige pas tous les débuts qu'elle joue , elle eniei- gne du moins comment il feut vivre avec les hommes qui font fujets à ces défauts , & comment il hvt s'y pren- dre pour éviter avec eitx la dureté qui les irrite^ & la bafTe complaifance qui les flatte. Au contraire- la Tragédie re- présente des Héros à qui notre litua- tion ne nous permet guéres de vou- loir refTemblcr , èc fes leçons & fes exemples roulent fur des événemens fi peu femWables à ceitx qui nous peuvent arriver , que les applications que nous pn voudrions feire , fçroient toujoius
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€i Réflexions trixi^uei ^
bien vagues & bien icqtai&itesr
Mais la Comédie , fuÎTant la défiiô* tion d'Ariftote (a) eft l'iioitation du ri- dicule des hommes : & la Tragédie , fui* Tant la fignification qu'on donnoit à ce mot (^) , eft l'imitation de la vie & <hi difcours des Héros , ou des hotmnes ïu- jets par leur élévation aux paffions les plus violentes. Elle eft rimitation des crimes & des malheurs-dés grands hom- mes ; comme des vertus les plus fubli. mes dont ils foient capables. Le Poète Tragique nous fait voir les hommes en proie aux paffions les plus emportées fie dans les plus grandes agitations . Ce font des Dieux injuftes , mais tout-f uiiïans ^
3ui demandent qu'on égorge aux pieds e leurs autels ime jeune PrmcelTe inno- cente. C'eft le grand Pompée , le vain- 3ueur de tant de Nations , & la terreur es Rois de l'Orient , maflacré par de vils efclaves. Nous ne reconnoiffons ^s nos amis dans les perfonnages da Poëte Tragique , mais leurs paffions font
Îilus impétueufes ; Sc comme les loixne ont pour ces paffions qu'un frein très- foible , elles ont bien d'autres fuites quQ
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JurUPoëJîe & fur la Pàmun', ttf les paflîons des perfonnages du Poëte Comique. Ainfi la terreur & la pitii , que la peinture des événemens tragiques excite dans notre ame , nous occupent plus que le lire & le mépris que les incir dens des Comédies excitent en nous.
SECTION VIII.
'Dts £.ffêrens genres de la Poëfe & deleuf^ caraSire.
X L en eft de même de toits les genres de Poëfie , &c chaque genre nous touche àproportionquelobjet, lequelileftde fonenence de peindre & aimiier , eft capable de nous émouvoir. Voilà poui^ quoi le genre Elégiaque & le genre Bu- colique ont plus d'attrait poiu- nous ,' que le genre Dogmatique. Ainfi Us vert que Joupiroit Tibulle & que l'amour lui diéîoit , pourme fervir de l'expreffion de l'Auteur de l'Art poétique , nous plai- dent infiniment toutes les fois que nous les relifons. Ovide nous charme dans celles de fes Elégies oîi il n'a pas fubfti- tué fon efprit au langage de la nature, f erfonne ne quitta jamais par cg dégoût
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ë4 Réfitxlons.erUîqiùi
qui vient de fatiété la lefture des EgloJ gués de Virgile. Elles font encore un plaiûr fenfible , quand elles- n'ont plus rien de nouveau pour nous , & quand la mémoire devance les yeux dans cette lefture. Ces deux genres de Poëlîe nous, font entendre des hommes touchés , & qui nous rendroient très-fenfibles à leurs peines comme à leurs plaifu-s ,, s'ils noua entretenoient eux-mêmes.
Les Epigrammes, dont le mérite, con-' lïfte en j eux de mots , ou dans une allu- fion ingénieufe , ne nous plaïfent gucT- r£S que lorTqu'elles font nouvelles ptoitr nous. C'eft la première furprifequi nous frappe. Le trait eft émouiTé, dès quenous en avons retenu.le fens : mais les Epi-
frammes qui peignent des objets capa* les de nous attendrir , ou de s'attirer line grande attention en quelque maniè- re que ce foit , font toujours impreffion fiu* nous. On les r^lit plulîeurs fois , &c bien des perfonnes les retiennent fans avoir jamais penfé à les apprendre. Pour ne point, mettre en jeu les Poètes mo- dernes , les Epigrammes de Martial , qu'on fçait commiuiément , ne font point celles oii il a joué furie mot , mais î»en les Epigrammes cil il a dégeintu^
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Jurla Poif* &fur la Petruare. gç kbjet capable de nous intérefler beau- coup. Telle eft l'Epigrantme de Martial fur-Arria la femme de Pétiis.
Les Auteurs fenfés qui ont voulu com- pofer des Poëmes dogmatiques , & faire fervirles vers à nous donner des leçons, le font conduits fuivant le principe que îe viens d'expoler. Afin de foutenir l'at- tention du leâeur , ils ont femé leurs vers d'images qui peignent des objets touchans ; car les objets , qui ne font propres qu'à fatisfaire notre curiofité , ' ne nous attachent pas autant que les ob- jets qui font capables de nous attendrir. S'il eft permis de parler ainfijl'efpriteft d'un commerce plus difficilequelecoeur.
SECTION IX.
Comment otî rend les Sujets dogmatiques , intétxjfans.
Quand Virgile compofa Tes Geor- giqiies qui font un Poëme dogmatique y dont le titre nous promet des inftruc- lions fiir l'agriadtare & fur les occupa- tions de la vie champêtre , il eut atten- tion à le remplir d'imitations faites d'ar
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66 Kêfltxiom crimpui
près des objets qui nous auroient attîM chés dans la nature, Virgile ne s'eA pas mime contenté de ces images répan- dues avec un art infini dans tout rou> vrage. Ilplacedansimde ces livres luie differtation feite à l'occafion des préfa- gcs du foleil , & il y traite avec toute Pinvention dont la Poëfie ell capable , le meurtre de Jules Céfar , & les commen- cemens du règne d'Augiifte. On ne pou- voit pas entretenir les Romains d'un fii- jet qui les intéreffât davantage. Virgile met dans une autre livre la Fable mira- cuIeufed'Ariftée, & la Peinture des ef- fets de l'Amour. Dans un autre , c'eil un tableau de la vie champêtre qui for- me un payfage riant & rempli des figu- res les plus aimables. Enfinil infère dans cet ouvrage l'avantiire tragique d'Or- phée & d'Euridice , capable de faire fon- dre en larmes ceux qui la verroient véri- tablement. Il eft fi vrai qtie ce font ces images qui font caufe qu'on fe plaît tant à lire les Georgîques , que l'attentioit fe relâche fur les vers qui donnent les préceptes que le titre a promis. Suppofé même que l'objet , qu'un poème dog- matique nous préfente , fut fi curieux jgu^on ie lût une fois avec plaifu-, on ne
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y«f la Poë^e & fur !a Pemturi. 6y te reliroit pas avec la même fattsfaâîon qu*onrelituneEglogue.L'efpritnefçau- Toit jouir deux fois du plaiur d'appren* dre la même choie ; mats le cœur peut jouir deux fois du plaifir de fentir la mê- me émotion. Leplaîfir d'apprendre eit confommé par le plaifir de fçavoir.
Les Poèmes dogmatiques , que leurs Auteurs ont dédaigné d'embellir par des tableaux pathétiques affez frëquens , ne font gitéres entre les mains du commun des hommes. Quel que foit le mérite de ces poèmes , on en regarde la leflure comme une occupation férieufe , & non pas comme un plaifir. On les aime moins , & le public n'en retient euéres que les vers qui contiennent des ta- bleaux pareils à ceux dont on loue Vir- gile d'avoir enrichi fes Georgiques. U n'eft perfonne qui n'admire le génie fie la verve de Lucrèce , l'énergie de fes expreflïons , la manière hardie dont il pemts des objets , pour lefquels le pin- ceau de la Poëfie ne paroiiToit point rait : enfin fa dextérité pour mettre en vers des chofes , que Virgile hii-même au- roit peut-être défefpéré de pouvoir dire tn langagt des Dieux : mais Lucrèce eft j?ien pitts admiré qu'il n'eft lu, U y a plu4
t
éS Réflexions eritiqius
à profiter dans foo Poëme Dt aatura re^ rum , tout rempli qu'il eft de mauvais raifonnemens, qiie dans l'Enéide de Vir- gile : cependant tout l&monde Ut & re- lit Virgile , & peu de perfonnes font àc Lucrèce leur livre fevori. On ne lit foix ouvrage que de propos délibéré. Un'eit point , comme l'Enride , un de ces livres liir leiquelsun attrait înTenlible tàitd'at- bord porter la nfain quand on veut lire une heure ou deux. Qu'on compare le nombre des traduÔions deLucrece avec le nombre des traduâions de Virgile dans toutes les langues polies , & l'on trouvera quatre traduftions de l'Enéïde de Virgile contre une traduÛion duPoë- rae De natura. rtrum. Les hommes ai- meront- toujours mieux les livres qui les toucheront que les livres qui les inftniî- ront. Comme Fennui leur eft plus à charge que l'ignorance , ils préfèrent le plailu- d'être émus au plaifir d'être int^
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pirla Poêjîe & fur la Peinture, é^
SECTION X.
OhjiSion tirée des Tablttux y O faite pour montrer que Van de l'imitation iniéreffe plus que lefujet même de l'imitation.
vyN poiirrolt objcfter qiic des ta- t/eaux oîi nous ne voyons que l'imita- tion des différens objets qui ne nous auroient point attaches , fi nous les avions vus dans la nature , ne laiflent pas de fe faire regarder long-tems. Nous donnons plus d'attention à des fruits Sc à des animaux repréfeotés dans un ta- bleau , que nous n'en donnerions à ces objets mêmes. La copie nous attache plus que l'original.
Je répons que , lorfque nous regar- dons avec application les tableaux de ce genre , notre attention principale ne tombe pas- fur l'objet imité , maïs bien furrart de rimitateur. C'eft moins l'ob- jet qui fixe nos regards que l'adreiTe de î'Artifan : nous ne donnons pas plus d'at- tention à Tobjet même imit^ dans le ta- bleau , que nous lui en donnons dans la nature* Ces tableaux ne foat point
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yo Réfexïons enth}UCS^
regardés auâi long-tems que ceux oit le mérite du fujet eft joint avec le mé- rite de l'exécution. On ne regarde pas auffi long-tems un [ïanier de fleurs de Baptifte , ni ime fête de village de Te- niers , qu'on regarde un des fept Sacre- mens du Pouffm , ou une autre compo- £tion hiftorique , exécuté avec autant d'habileté , que Baptifte & Temers en font voir dans leur exécution. Un ta- bleau d'hiftoire auffi bien peint qu*un corps-de-garde de Teniers , nous atta- cheroit bien plus que ce corps-de-garde. II iàut toujours fuppoier , comme la raîfon le demande , que Tart ait réuflî également \ car il ne Aifiit pas que les tableaux Ibient de la même main. Par exemple , on voit avec plus de plaifir une fête de village de Temers qu'un de fes tableaux d*miloire , mais cela ne
Çrouve rien. Tout le monde fçait que 'eniers réuflUToit auffi mal dans les compoHtions férieufes , qu'il réufllflbit bien dans les compoiitions grotesques. Or en diftinguant l'attention qu'on donne à l'art d'avec celle qu'on donne à l'objet imité ; on trouvera toujours que j'ai raifon d'avancer que l'imitation no &it jamais fur nous plus d'impreûîon
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JurlaPoêJte &fi^ia Ptînturi. yt tjae l'objet imité en pourroit faire. Cela eH vrai même en parlant des tableaux , <iui font précieux par le mérite feul de I exécution.
L'art de la Peinture e(k û difficile , il nous attaque par un fens , dont l'empire fur notre ame eft fî grand , qu'im ta- bleau peut plaire par les feuls charmes de l'exécution , indépendamment de I'ob;et qu'il repréfente : mais je l'ai déjà dit , notre attention Se notre eftime font alors uniquement pour l'art de l'imita- teiu- qui Içait nous plaire , même fans nous toucher. Nous admirons le pin- ceau qui a fçu contredire li bien la na- ture. Nous examinons comment l'Arti- fan a fait pour tromper nos yeux , au point de leur faire prendre des couleurs couchées fur une luperHcie pour de vé- ritables, fruits. Un Peintre peut donc paiTer pour un grand Artifan , en qualité de delSnateur élégant , ou de coroliAe rival de la nature , quand même il ne fçauroit pas aire ufage de Tes talèns pour repréfenter des objets touchans , & pour mettre dans ks tableaux l'ame & la vraifemblance qui fe font fentir dans ceux de Raphaël oc du Poufïïn. Les tableaux dg l'^çle lombarde font ad-
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yi . Rtjîex'ions critiques
mirés , bien qvie les Peintres s'y foicn* bornés fbiivent à flatter les yeux par la licheffc & par la vérité de leurs cou- leurs , fans penfer peut-être que leur art fut capable de nous attendrir : mais leurs panifans les plus zélés tombent d'accord qu'il manque une grande beau- té aux tableaux de cette Ecole , & que ceux du Titien , par exemple , feroieot encore bien plus précieux , s'il avoit traité toujours des fujets touchans , 6c s'il eût joint plus Ibuvent les talens de fon Ecole aux talens de l'Ecole Romai- ne. Le tableau de ce grand Peintre qui repréfente faint Pierre Martyr , Reli- gieux Dominicain , maflacré par les Vaudois , n'eft peut-être pas , tout admi- rable qu'il eft par cet endroit même , fon tableau lé plus précieux par la ri- cheJTedes couleius. locales; cwendant de l'aveu du Cavalier Ridolfi , l'Hifto- rien des Peintres de l'Ecole de Venifc (a) , c'eft celui qui eft le plus connu ic le plus vanté. Mais l'aftion de ce tableau eft intéreffante , & le Titien l'a traitée avec plus de vraifemblance , & avec une expreffion des pallions plus étudiée que celles de les autres ouvrages.
''^^''^''*'' SECTlOIf
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furlaPotfie SffurU Peinture. 75
SECTION XI.
Que Us beautîs de texéctuion ne rendent pas feuUs un Poème un bon ouvrage , comme elles rendent un Tableau un ou- vrage pricuux^
I
L n'en eft pas des Poctes , qui n'ont d'autre mérite que celui d'exceller dans la verlificalion , fie qui ne fçavcnt pas nous dépeindre aucun objet capable de nous toucher , mais qui , pour me fervir de l'ex^eÛion d'Horace , ne met- tent fur le papier que des niaiferies kar- monteufes , comme des Peintres dont je viens de parler. Lepublicne faitjamais beaucoup de cas ' des ouvrages d'un Poète qui n'a pour talent que celui de réuâlr dans la mécanique de fon Art. On auroit tort cependant d'accufer le Public de rigueur envers les Poctes 6c d'indulgence envers les Peintres. 11 eft tout autrement difficile d'être bon co- lorifte & deffinateur élégant , que grand arrangeur de mots & rimeur exaiï. !^' ailleurs îln'eftpointd'imitaticnd.:l3 nature dans les-compolitions du £mple Tonu I. D
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'^4 Rèjltxions critiqms
verû£cateur , ou du moins , comme je rexpoferai plus au long dans la fuite de cet ouvrage , il eft bien difScile que des vers François imitent aflez bien dans la prononciation le bruit que te fens de ces vers décrit , pour donner beaucoup de réputation au Poète qui ne fçauroit pas faire autre chofe. La rime n'eft pas rimitation d'aucune beauté qui loîc dans la nature : mais , comme je viens de le dire , il eft une imitation préci eufe des beautés de la nature d^ns les ta- bleaux dn Peintre qui ne fçait que bien colorer. Nous y retrouvons la chair des hommes, &c nous reconnoilTons dans fes payfages les difFérens eflets de la lumière 6ç la couleur naturelle de tous le5<^jets.
Dès que le mérite principal des Poèmes & des Tableaux confifte à repréfenter des objets capables de nous attacher & de nous toucher fi nous les voyions véritablement , il eft facile de concevoir combien le choix du fujet eft important pour les Peintres & pour les Poëte^. Ils ne peuvent le choifir trop întéreâant.
Oii ItBa pftnrrr trie rtt ' tticfucanitA itfint tninc , itec btâias orio, (j) {/^ Hotttf d« Arte Poetie.
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fur la Poifie &fur la Ptinture. 7 5
SECTION XII.
Qu'ua ouvrage nous imirtjfe tn deux manières : commt itaju un homme en générât , & comme itaat un eercaia homme en particulier.
UN fujet peut être iotéreffant en deux manières. En premier lieu , il cft intéreffant de lui-même , & parce que fts circonftances font telles qu'elles doivent toucher les hommes en géné- ral. En fécond lieu , it eu. intéreHant par rapport à certaines perfonnes feule- ment , c'eft-à-dire , que tel fujet qui n'eft capable que de s'attirer une atten- tion médiocre de la part du commun des hommes, s'attire cependant une attention très-férieufe de la part de certaines perfonnes. Par exemple, un portrait eft un tableau afTez indifférent pour ceux qui ne connoiffentpaslaper- fonne qu'il repréfente ; mais ce portrait eft un tableau précieux pour ceux qui aiment la perfonne dont il ell le por- trait. Des vers remplis de fentimens pareils aux nôtres , & qui dépeignent Dij
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•j$ Rèfiexioiu critiques
une Jltuatlon dans laquellehousTommes,' ou même une iîtuation dans laquelle nous aurions étéautrefois,ont pour nous un attrait particulier. Le fujet qui ren- ferme les principaux événemcns de l'Hilloîre d'un certain peuple eA plus intéreflant pour ce peiyle-là , que pour une autre Nation. Le uijet de l'Enéîde étoit plus intérelTant pour les Romains qu'il ne l'eft pour nous. Le fiijet du Foëme de la Pucelle d'Orléans e^ plus intéreflant pour nous que pour les ItaUens. Je ne parlerai pas plus au long de cet intérêt de rapport &c par* ticulier à certûns hommes comme à certains tems , d'autant qu'il eft facile aux Peintres & aux Poètes de con- ooître fi les fujets qu'ils entreprennent de traiter intéreâent beaucoup les per*- fonnes devant lefquelles ils doivent produire leurs ouvrages.
Je me contenterai donc de faire deux réflexions à ce fujet. La première eft qu'il eft bien difficile qu'un poème "de quelque étendue , & qui ne doit pas être foutenu par le pathétique de la déclamation , ni par l'appareil du théâ- tre , réu/nfle , s'il n'efl pas compofé fiu- j^n iiij^t qui réunifle les deux intérim;
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fuT la Potjîe & fur la Pe'inturi. 77 je veux dire fur un fujét capcbte de toucher tous les hommes , & qui plaife encore particulièrement aux compa- triotes de l'Auteur, parce qu'il parle des chofes aufquelles ils s'interefTent tê plus. On ne lit pas un poëme pour s'inf- truire , mais pour Ibn plaïllr ; & on le quitte quand il n'a point un attrait ca- pable de nous attacher. Or il eft pref- qire impoflible que le gënie du Poète loit affez fertile en beautés , & que le Poète puiffe les diverfi6er encore avec affex de variété pour nous tenir attentifs , pour ainfi dire , à force d'et prit, durant la lefture d'un Poëme épi- que. C'eft trop ofer que d'entreprendre à la fois d'exciter & de fatisfaîre notre curiofité. C'eft trop hafarder que do vouloir nous faire aimer des perfon- nages qui nous font pleinement indif^ fërens, avec aflez d'afFcûion, pour être émus de tous leurs fuccès & de toutes leurs traverfes. Il eft bon que le Poète fe prévaille de toutes les m- cUnations & de toutes les partions qui font déjà en nous , principalement de celles qui nous font propres comme citoyens d'un certain pays, ou par quel- que autre endioit. Le Poëte qui i;itro-
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78 Réflexions criiiquts
duiroit Henri IV dans un poème éfn- que , nous trouveroit déjà aiFeâionné» à Ton Héros & à fon uijet : fon art s'épuiferoit peut-être en vain , avant qu'il nous eût intéreffés pour un Héros ancien , ou pour un Prince étranger , autant que nous le fommes déjà pour le meilleur de nos Rois.
L'intérêt de rapport , ou rmtërêt qui nous eft particulier, excite autant notre curiolite,il nous difpofe du moins autant que l'intérêt général à nous attendrir , comme à nous attacher, L%nitation des chofes auxquelles nous nous inté- reflbns , comme citoyens d'un- certain pays , ou comme feâateurs d'un certain parti , a des droits tout putlTans fur nous. Combien de livres de parti doivent leur première vogue à l'inté- rêt particulier que prennent à ces livres les perfonnes attachées à la caufe pour laquelle ils parlent ? Il eA vrai que le public oublie bientôt les livres qui n'ont d'autre mérite que celiii de pren- dre l'efTor en certaines conjonâures : il faut que le livre foit bon dans le fond pour fe Soutenir : mais s'il eft tel } 5 il mérite de plaire à tous les hommes, l'intérêt particulier le fait
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JutU Poëjtt Sffur Ut, Ptinture. ^9 connoître beaucoup plutôt. Un bon livre fait, à la âveur de cet intérêt, une fortune & plus prompte & plus grande. D'ailleurs il eft des intérêts de rapport qui iubfifient longtems , & qui peuvent concilier à un ouvrage diu^nt pluûeurs fiécles l'attention particulière d'un grand nombre de perlbnnes. Tel eA l'intérêt que {«'end une Nation au Poème qui décrit les principaux évé* nemens de fon Hiiloire , 6c qui parle des villes , des fleuves & des édifices fans cefle préfens à fes yeux. Cet inté* rêt particulier auroit feit réulïïr la Pu- cellc de Chapelain , lî le Poëme n'eût été que médiocre.
n eâ vrai que toutes les Nations de l'Europe Hfent encore l'Enéide de Vir- gile avec un plailir inlîni , quoique les objets que ce Poëme décrit ne Ibient plus ibus leurs yeux, & quoiqu'elles ne prennent pas le même intérêt à l« fondation de l'Empire Romain que les contemporains de Virgile , dont les plus confidérables fe dUbîent encore defcendus des Héros qu'il chante. Les fêtes , les combats & les lieux dont il parle , ne font connus à plufieurs de fes li^fteurs que par ce que lui-même en Div
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8o Réflexions critiques
raconte. Mais TEnéide , l'ouvrage du Poëte le plus accompli qui jamais aie écrit , a , pour ainlî dire , des moyens de reile de faire fortune. Quoique ce poëme ne nous touche plus que parce que nouslbmmes des hommes , il nous touche encore aiïez pour nous attacher: mais un Poëte ne fçauroit promettre à fes ouvrages unefortune pareille à celle de l'Enéide, qui eft celle -de toucher fans cet intérêt qui a un rapport parti- culier au Leâeur , à moins d'une grande préfomption , principalement s'il com- pofe en François. C'eft ce que je tâche- rai d'expliquer plus au long dans la fuite de cet écrit.
Ma féconde réflexion fera fur l'in- juftice desjugemuos téméraires qu'on porte quelquefois , en taxant de men- îbnge ce que difent les Anciens cotjcer- nant le fuccès prodigieux de certains ouvrages , &c cela parce qu'on ne fait pas attention à Tmlérêt particulier que prenoient à ces ouvrages ceux qui leur ont tant applaudi. Par exem- ple , ceux qui s'étonnent que Céfar ait été déconcerté en écoutant l'Oraifon de Cicéron pour Ligarius , & que le Diâateur fc foit- om>lié lui-m&nç juf<
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furldPoeJîe & fur la Peinture, 8l qu'à lailTer tomber par im mouvement involontaire des papiers qu'il tenoit entre fes mains ; ceux qui difent qu'a- près avoir lu cette Oraifon , ils cher- chent encore l'endroit qui fut capable de frapper aufîi vivement un homme tel que Céfar, parlent en Grammai- riens gui n'ont jamais étudié que la langue des hommes , Se qui n'ont point acquis la connoifiance des mouvemens du cœur humain. Qu'on fe mette en la place de Céfar , & l'on trouvera fans peine cet endroit. On concevra bientôt comment le Vainqueur de Pharfale , qui fur le champ de bataille même avoit embraffé fon ennemi vain- cu comme fon concitoyen , à pti fe laiiTer toucher par la peinture de cet événement que fait Cîcéron, au point d'oublier qu'il fut aflis fur un Tribu- nal.
Revenons à l'intérêt général & aux fufets où il fe trouve, & qui par -là font propres à toucher tout le monde. Les Peintres & les Poètes, je l'ai déjà dit, n'en doivent traiter que de tels. H eft vrai que ces Artifans fçavent en- richir leurs fujets ; ils peuvent rendre les fujets qui font naturellenient dé- •D V
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51 Kejiexions critiques
nues d'intérêt, des fujets intéreffans : mais it arrive plufieurs inconvéniens à traiter de ces fujets , qui tirent tout leur pathétique de l'invention de l'Ar- tifan. Un Peintre , Sc principalement un Poète qui traite un fujetlans inté- rêt, n'en peut vaincre la flérilîté , il . ne peut jetter du pathétique dans l'ac- tion indifférente qu'il imite qu'en'deux manières : ou bien il embellit cette a£lîon par des Epifodes ; ou bien il change les principales circonflances de cette aâion. Si le parti que le Poëte choiiit eft celui d'embellir fon aÛjon par des Epifodes, l'intérêt qu'on prend à ces Epifodes , ne fert qu'à faire mieux fentir la froideur de l'aâion principale , &,on lui reproche d'avoir mal rempli fon titre. Si le Poète change les prin- cipales circonflances de l'aâion , que nous devons fuppofer être un événe- ment généralement connu , fon poëme ceflè d'être vraifemblafale. Un fait ne fçauroit nous paroître vraifemblable , quand nous fommes informés du con- traire par des témoins dignes de foi : c'eft ce que nous expoferons plus au long , quand nous ferons voir que toute forte de fîâion n'eft pas pennife ea
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fm la Potjtt €• fur U Ptinture. J? J Poëfîe , non plus qu'en Peinture.
Que les Peintres & les Poctes exa- nûnent donc férieufement G l'aflion qu'ils veulent traiter nous toucheroit ienfiblement , fuppofé que nous la vif- lîons , & qu'ils foient persuadés que fort imitation nous afFeâera encore moins. Qu'ils ne s'en rapportent pas même imiquement à leur propre difcemc ment, enuneclécilion],tellement impor- tante au fuccès de leurs ouvrages. Avant que de s'afFeftionner à leurs fujets, avant, pour'ainfi dire, que d'époufer leurs perfonnaoes , qu'ils confultent leurs amis : c'eit le tems oîi ils en peu- vent recevoir les avis les plus utiles. L'imprudence eft grande d'attendre à demander at'is fur un bâtiment , qu'il foii dé;a forti de terre , & qu'on ne puilfe plus rien changer dans l'elTenticI de fon plan , fans renvcrfer la moitié d'un édifice déjacortftruit.
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84 Réfiex
SECTION XIII.
Qii'il efi dts fujets propres fpècialement pour la Poëfie , & d'autres fpicialemcnt propres pour la Peinture, Moyens de les reconnoitre,
jN o N feulement le fujet de l'imita- tion doit être intéreflant par lui-même, mais il faut encore le choifîr convena- ble à la Poëfie , quand on veut le trai- ter en vers. Il eft des fujets plus avan< tageux pour les Peintres que pour les Poètes , comme il en eil qui font plus avantageux pour les Poètes que pour les Peintres. C'eft ce que je vais tâ- cher d'expofer, après avoir prié qu'on me pardonne un peu de longueur dans cette difculHon. Il m'a paru qu'il falloic nfétendre pour être plus intelligible.
Un Poëte peut nous dire beaucoup de chofes qu'un Peintre ne fçauroit nous faire entendre. Un Poëte peut ex- primer plufieurs de nos penfées & phi- fieuts de nos fentimens qu'un Peintre ne fçauroit rendre , parce que ni les uns ni les autres ne font pas fuivis
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fur la Poïjîe & fur U Pelncurt. 85 d'aiicim mouvement propre & fpé* cialement marqué dans notre attitude, ni précirément caraftérifê fur notre vi- iâge. Ce (jue Corn.eUe dit à Cëfar, en venant lui découvrir la conjuration qui i'alloit foire périr dans xme heure ,
Ucxeniple ^ue tu dois périroit avc^ loi :
ne peut être rendu par un Peintre. U peut bien , en donnant à Cornelie une contenance convenable à fa âtuation & à fon caraâere , nous donner quel- que idée de fes fentimens , & nous faire connoîire qu'elle parle avec une gran- de dignité i mais la penfée de cette Romaine , qui veut que la mort de l'oppreffeur de la République foit un fupplice qui puiffe épouvanter ceux qui voudroient attenter fur la liberté , Se non pas un crime déteflable , ne donne point de prife au pinceau. 11 n'eft pas d'expreffion pittorefqiie qui puiffe artiaiier, pour ainfi dire, les paroles du vieil Horace , quand il répond à ce- lui qui lui demandoit ce quefon fils pouvoit faire feul contre trois com- battans : Qw'/V mourût. Un Peintre peut bien faire voir qu'un homme eft ému d'une certaine paâion , quand même il.
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86 Rlfltxions emlqius
ne le dépeint pas dans l'aâion , parce, au'îl n'eft pas de paffion de Tame qui ne ioit en même-tems une paffion du corps . Mais ce que la colère iait penfer de fin— gulier , fuivant le caraâere propre de chacun, & fuivant les circonftances où il fe rencontre , ce qu'elle fait dire de fublime , par rapport a la fituation du perfonnage qui parle , il eft très-rare que le Peintre puifTe rexprimer afîez intelligiblement pour être entendu. Par exemple , le Pouffin a bien pu dans fon tableau de la mort de Ger- manicus , exprimer toutes les efpeces d'alHiâion dont fa famille & fes amis furent pénétrés, quand il mourut em- poifonné entre leurs bras : mais il ne lui étoit pas poffible de nous rendre compte des derniers fentimens de ce Prince lî propres à nous attendiïr. Un Poëte le peut faire : il peut lui faire dire : Je ferois en droit de me plaindre d'une mort auflî prématurée que la mienne , quand bien même elle arri- veroit par la faute de la nature ; mais je meurs empoifonné ; pourfuivez donc la vengeance de ma mort , & ne rou- giffez point de vous faire délateurs pour I obtenir : la compaffion du pu-
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fur la Poijîe &fur la Pànturt. 87 JI>Uc Tera du côté de pareils accurateius. Un " Peintre ne fçauroit exprimer la plupart de ces ientimens ; il ne peut encore peindre dans chaque tableau qu'un des fentîmens qii'd lui eftpoffible d'exprimer. II peut bien , pour donner à comprendre le foupçon qu'avoit Ger- manicus que Tibère fût 1 auteiu* de la mort, feire montrer par Germaniais à ia femme Agrîppîne une Aatue de Tibère, avecungelle & avec un air de vifage propres à caraâérifer ce ientir ment ; mais il faut qu'il employé tout fon tableau à l'exprelEon de ce fenti- ment-là.
Comme le tableau qui repréfente une aâi^ , ne nous 6ut voir qu'un inftant de fa durée , le Peintre ne fçauroit atteindre au fublime que les chofes qui ont précédé la fituatîon pré- fente , jettent quelquefois dans imfenti- ment ordinaire. Au contraire la Poéfie nous décrit tous les incidens remar- quables de Taâion qu'elle traite ; & ce qui s'eA palTé jette fouvent du ' merveilleux wr une chofe fort ordi- naire qui fc dit ou qui arrive dans la fuite. C'eft ainfi que la Poëfie peut employer ce merveilleux qui naît des
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8 s Réfitxlons critiques
circonftances , âc qu'on aiçellera,fî l'on veut , un iubibne de rapport. Telle efl la {aillte du Mifantrope gui ren- dant un compte lerieux des raifons qui l'empêchent de s'établir à la Cour, ajoute , après xuie déduÛion des con- traintes réelles &C gênantes qu'on s'é- pargne , en n'y vivant point :
On n'a paiï louer Ictveii d; MeffiEuiiuls.
Cette penfée devient fublime par le ca- raâere connu du personnage qui parle, & par la procédiue qu'il vient d'effuyer, pour avoir dit que des vers mauvais ne valoient rien.
Il eft encore plus facile , fans compa- raifon , au Poëte qu'au Peintrç de nous affeâionner à fes perfonnages , & de nous faire prendre un grand intérêt à leur deftince. Les qualités extérieures , comme la beauté, la ;euneffe , la ma- jefté & la douceiu- que le Peintre peut donner à ces perfonnages, ne Içau- roientnous intérefler à leur deftinée autant que les vertus & les qualités de l'ame que le Poète peut donner aux iiens. Un Poële peut nous rendre pref- qu'aulH fenfibles aux malheius d'un Prince , dont nous n'entendîmes jamais
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furlaPo'éfit & Jur la Peinture. S^ parler , qu'aux malheurs de GermanU cus , & cela par le caraâere grand £c aimable qu'il donnera au Héros incon- nu qu'il voudra nous rendre cher. Voilà ce qu'un Peintre ne fçauroit faire : il eft réduit à fe fervir, pour nous tou- cher , de perfonnages que nous con- noiffons déjà : fon grand mérite eft de nous faire reconhoître sûrement & fe- cilement ces perfonnages. C'eft un chef-d'œuvre du Pouflln que de nous avoir fait^ reconnoître Agrippine dans fon tableau de la mort de Germanicus avec autant d'efprit qu'il Ta feït. Après avoir traité les difFérens genres d'afflic- tion des autres perfonnages du tableau comme des palfions quipouvoient s'ex- primer , il place à coté du lit de Ger- manicus une femme noble par fa taille Ct par fes vêtemens , qui fe cache le vifage avec les mains , & dont l'atti- tude entière marque encore la dou- leur la plus profonde. On conçoit fans peine que 1 affliâion de ce perfonnage doit furpaffer celle des autres, puifque ce grand Maître défefpérant de la re- préfenter, s-'eft tiré d'affaire par un ïi^t d'efprit. Ceux qui fçavent que Germanifius avoit xme femme xmiquer
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^o Réjlexîons erUiques
ment attachée à lui , & qui reçut Tes derniers foupirs , reconnoîffent Agrip- pine aulB certainement que les Anti- quitaires la reconnoiffent à fa coëfiire , &L à l'on air de tête pris d*a{»'ès les médailles de cette Princefle. Si le Pouf- fin n'eft pas rinventeur de ce trait de Poëfîe , qu^il peut bien avoir émpnmté du Grec quipeignitAgamemnonlatête voilée au facrihce d'Iphigénie fa fille ; ce trait eft toujours un cnef- d'oeuvre de la Peinture. Je dis toujours le Pouf- fin , conformément à TuTage établi , bien que ce le dont les Italiens accom* pagnent les noms illuftres, puilTe don- neç à penfer que le Pouflin fut Italien. Nicolas Pouflin , c'étoit fon nom , étoit d'Andeli en Normandie.
Je me fuis étonné plufieurs fois que les Peintres qui ont un fi grand intérêt à nous faire reconnoître les perfonnages dont ils veulent fe fervir pour nous toucher, & qui doivent rencontrer tant de difficultés à les faire recotmoî* tre à Taide feul du pinceau , n'accon^ pagnafTent pas toujours leurs tableaux d'hiâoire d'ime courte înfcription. Les trois quarts des Speûateurs qui font d'ailleurs très-capables de rendre juAice
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fur la Po'éjît Sffur la Peinture. 91 i l'ouvrage , ne font point affez lettrés pour deviner le fujet du tableau. U eft quelquefois pour eux une beUe perfon- ne qui plaît y mais qui parle une langue qu'ils n'entendent point ; on s'ennuye bientôt de la regarder, parce que la durée des plaifu^ , oii l'eiprit ne prend point départ , eft bien courte.
Le fens des Peintres Gothiques , tout grolSer qu'il étoit , leur a &it connoî- tre L'utilité des infcriptions pom l'in- teUigence du fujet des tableaux. Il ell vrai qu'ils ont fait un ufage aitOÎ bar- bare de cette connoiflance que de leurs pinceaux. Ils fâifoient fortir de la bou- che de leurs figures , par une précaution bifarre , des rouleaiix fur lefquels ils écrivoient ce qu'ils pétendoient ftiire dire à ces figures indolentes } c'étoit-là véritablement faire parler ces figures. Les rouleaux dont je parle , ie font anéantis avec le goût Gothique ; mais quelquefois les plus grands Maîtres ont jugé deux ou trois mots néceflaires à l'intelligence du fujet de leurs ou- vrages , & même ils n'ont pas fait fcru- pule de les écrire dans lui endroit du plan de leurs tableaux oii ils ne gâtoient rien. Raphaël &c le Carrache en ont
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91 Réjlexioiis critiques -
ufé ainfi: Coypel a placé de même des bouts de vers de Virgile dans la Gal- lerie du Palais Royal , polir aider à l'intelligence de fes fujets qu'il avoit tirés de l'Enéide. Déjà les Peintres dor^ on grave les ouvrages , commen- cent à fentir l'utilité de ces infcriptîoiu , & ils en mettent an bas des eftampes qui fe font d'après leurs tableaux.
Le Poëte arrive encore f^us certai- nement que le Peintre à l'imitation de fon objet. Un Poëte peut employerpln- , fleurs traits pour exprimer la paSîon & le fentiment d'un de fes perfonna- ges. Si quelques-uns de fes traits avor- tent , s'ils ne frappent point précifé- ment à fon but; s'ils ne rendent pas exaâement toute l'idée qu'il veut ex- primer, d'autres traits plus heureux peuvent venir an fecours des premiers. Joints enfemble , ils feront ce qu'un feul n'auroit pu foire , & ils exprime- ront ainfî l'idée du Poète dans toute fa force. Tous les traits dont Homère fe fert pour peindre l'impétuofité d'A- chille , ne lont [>as également forts ; mais les fbibles font rendus plus fbrts par d'autres , aufquek ils donnent ré- ciproquement plus d'énergie. Tous le*
fur la Poêju 0 fur la Peinture. ^3 traits que Molière employé pour crayonner fon Mifantrope , ne font pas également heureux, maïs les unsajou- tent aux autres ; & prîstous enfemble y ils forment le caraâere le mieux dcfll- né & le portrait le plus parfait qui ja- mais ait été mis fur le théâtre. Il n'en eft pas de même du Peintre , <jui ne peiat qu'une feule fois chacun de fcs perfonnages, & qui ne fçauroit em- ployer qu'un trait pour exprimer ime paffion fur chacune des parties du vi- îage où cette paffion doit être rendue fenfible. S'il ne forme pas bien le trait qui doit exprimer la paHion ; fi , par exemple , lorfqu'il peint un mouvement de la bouche , fon contour n'eft point précifément la ligne qu'il falloit tirer , ridée du Peintre avorte ; Ôi le pet fon- - nage , au lieu d'exprmier une paflion , ne fait phis qu'une grimace. Ce que le Peintre fait de mieux dans les autres parties du vifage , peut bien engager d'excufer ce qu'il a fait de mal en -deffi- nant^la bouche , mais ii ne fupplée pas le trait -manqué. C'eft même Ibuvent en vain qu'il tente de e orriger (à faute ; il recommence fans faire mieux; Se fcmblable à ceux qui cherchent dans
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94 RifiexioTts critiquet
leur mémoire un nom propre oublié , il trouve tout hormis le trait qui pour- roit feul former l'expreffion qu'il veut imiter. Ainfi quoiqu'il foit des carac- tères qu'un Peintre ne puifle pas ex- primer , moralement parlant , il n'en eft pas qu'un Poëte ne puifTe copier. Nous allons voir auffi qu'il eft bien des beautés dans la nature que le Peintre copie plus facilement , & dont il feit des imitations beaucoup plus touchantes que le Poëte.
Tous les hommes s'affligent , pleu- rent & rient ; tous les hommes ref- ren:ent les paflîons : mais les mêmes padîons font marquées en eux à des caraâeres' différens. Les paffions font variées , même dans les perfonnes qui , fuivant la fuppofîtion de l'Artifan , doi- vent prendre un égal intérêt à Paâion principale du tableau. L'âge , la patrie , le tempérament , le fexe & la profef- iîon mettent de la différence entre les fymptomes d'une paflîon.produite par le même fentiment. L'afffiâion de ceux qui regardent le facrifice d'Iphigénie, vient du même fentiment de compaf- lîon; & cependant cette affliâion doit fc manifefter différemment en chaque
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fiir la Vmfit & fur la Peinture. 9 5 fpeâateur , iuivant Tolifervation que nous venons de faire. Or le Poète ne fçauroit rendre cette diversité fenfible dans fes vers. S'il le fait fur la fcène , c'eA k Taide de la déclamation ^ c'eft par le fecours du jeu muet des Ac- teurs.
On conçoit facilement comment lui Peintre varie par l'âge , le fexe , la pa- trie, la profeflion & le tempérament, la doxdeur de ceux qui voient mourir Germanicus ; mais on ne conçoit point comment im Poète Epique , par exem- ple , viendroit à bout d'orner Ton poè- me par cette variété , fans s'embarraf- ferdans des defcriptions qui rendroient fon ouvrage enmiyeux. Il faudrolt qu'il commençât par un détail fetiguant de l'âge , du tempérament , &c même du vêtement des perfonnages qu'il veut introduire à ion a£Hon principale. On ne lui pardonneroit jamais une énumé- ratîon pareille : s'il fait cette énumé- ration dans fes premiers livres , le Leâeitr ne s'en Souviendra plus , & il ne fentira pas les lieautés dont l'intel- lij;ence dépend de ce qu'il aura oublié; s'il ait cette énumération immédiate- ment avant la catallrophe , elle de-
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(■6 Réjlexions critiques
Tiendra un retardement infupportable." D'ailleurs la Poëfie manque d'expref- fions propres à nous inflruïre de la plus grande partie de ces circonAances. A peine la Phyfique viendroit-elle à bout avec le fecours des termes qui lui font propres , de bien expliquer le tempé- rament plus ou moins compofé , 8c le caraâere de chaque fpeÛateur. Pour" feire concevoir tans peine & dittinâe- ment tous ces détails ,' il faut les ex- pofer aux yeux.
Au contraire rien n'eft plus facile au Peintre intelligent que de nous faire connoître l'Age , le tempérament , le fexe , la profelTion , & même la patrie de fes perfonnages , en fe fervant des habillemens , de la couleur des chairs , de celle de la barbe & des cheveux , de leur longueur & de leur épai^eur , comme de leur tournure natiuelle , de l'habitude du corps , de la contenance , de la tigure de la tête , de la phyfio- nomle, du feu, du mouvement & de la couleur des yrux , & de plufieurs autres chofes qui rendent le caraûere d'un peribnnage reconnoiffable par fentiment. La nature a mis en nous vn iiiilinâ f pour faire h difcemement du caraûcre
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fur la P»ëjîe & fur là. Pùàture. 97 eWâÛere des hommes , qui va plus vîte & plus loin que ne peuvent aller nos Inflexions fur les intfices &c fur Jes fi- gaes fenfibles de' ces caraûeres. Or cette diverfité d'expreflion imite mer- veilleufeoient la nature qui , aonob- fiant fon uniformité , eÛ toujoiu-s mar- quée dans chaque fujet à un coin par- ticulier. Où je ne trouve pas cette di- rerfité^ je ne vois plus la nature & je teconnots Tart. Le tableau dans lequel pluûeurs têtes & plulieurs expremons font les mênies , ne fat jamais fait dV près la nature^
. Le Peinfâ-e ne trouve donc aucune oppofition du côté de la mécanique de fon Art à mettre dans fon expref- fîon un caraûerè partictUier. II arrive même fouvent que le. Peintte en opé- rant pomme Poëte, fe fuggere à lui- même cpnuae colorifte & comme det Ënateur des. beautés qu'il n'auroil point jencontrées s'il n'avoit point eu des idées Poétiques à exprimer. Une invention eniaitéclore une autre. Des exemples rendront encore notre réfle- xion plus facile à cpncçvoir.
Tout le monde, conpoît le tableau de Raphaël , QitJefus-Çhrift confirme à Tff/ne /. E
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^(^ Aifoxiont ■erià^uî
S. Pierre le poiiv<HrdeKCle£i enpréfta^ ce des autres Apôtres; c*eftnne des {ùe- ces dt ta^fleries de la tenture des Aâes des Apôtres ^ue le Pape Le<»i X fit faire pour U Chapelle de Sixte I V j & dont les cartons origicmz fe con- ferrent dans la Gallerie du Palais que Marie Stuard Princeiïe d'Orat^e fit bt- cir à Hamptoncourt. Saint Pierre te«- nant ces <le& , efi à eraionil devant Jefus-Cluift, & U imfMt pénétré dV ne émotiofi conforme i U. fituatitm : ^ recoimoifla&ce & ion xele pour ion maître paroiflent reofiblemeot Car foA vifage. Samt Jean ITvangetiile rejH-é^ fente jeune comme il Fétoit , eft dé-
rint avec Paâion d*un jeune hammt ; applaudit avec le mouvement d« franchife fi naturel à fon âge , au <fignc choix que &it fon mutre , & qu <m croit ai^rcev<Mr ^^ eftt îaA lui- même } tant la vivacité de fon awror bation e& bien marquée jntr un au- de viiàge & par un mouvement du ctxpc très^fU'efl'é. L'Apôtre qui eft auprès de bù , femble plus âgé , & montre la phyfionomîe & la contenance d*ua hcnnnie pofé: auffij confiirmément à À>BC?faâerejappla]idit-îlpariui£qipl«,
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fio-laPoi^&furUPàntun, 99 flionvement des bras & de la tête. On âAingue à rextrémité chi grouppe un konune bUtenx & fznguûi ; il a le vi* ^e haut en a>uleur , ta barbe tiranto ka le roux, le iront largi , te nez marti fie tous les traits d'un honuac nurcUleux. U re^rde donc avec d^ dain, & en fronçant le fourcil , imc jprâ&eoce qu'on devine Jnen qu^J trotb- ve ÎBJufle. Les hommes de ce tempéra- inent croient volontiers ne pas valoir id(»fls que les autres. Près de lui eA ^i un autre Apâtre embarrafTé de fa cûntenanceuui ledifceme pourâtred'ua Umpérament mélancolique à la mû* greurdefonvifagelivide^àfabarbenol- » & plate, à l'habitude de fon corps, en- &)i tons les traits que les Naturalises on affilés à ce tempérahiem. U fc coiuW ; 6c les yeox fixement attachés lùrJ. C. ileft dévoré d'une jaloufic stome pour un choix dont il ne Te fdain- <lni point , mais dont il c<Hifervera tengtems *m vif refientiment : enfia On reconnott-là ludas auffi diilinâe- iKent, qu'à te voir pendu auL^fîguier une boune renverfée an col.
le n'ai point prêté d'elprit à Raphaël,' ^ je doute meaie ^'il foit poflîble de
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JOO Réflexions critiques *
pouffer rinvention p6ëti<iue plus loin que ce grand Peintre Fa £tii dans les tableaux de Ton bon tems. Une autre I»éce de la même tenture repréfente iaint Paul annonçaïft aux Athoiiens ce Dieu auquel ils avoient drelTé un au* tel /ans le connoître ; Si . Raphaël a feit de l'auditoire de cet Âpotre un chef-d'œuvre de Poefîe , en fe tenant dans les bornes .de la vraifemblance la plus exaâe. Un Cinique appuyé fur fon bâton , & qu'on reconnaît pour tel à refironterie 6c aux - haillons qui &Ît fuient le caraSere de la Seâe de IMo- eene*, regarde faint Paul avec impur dence. Un aytre Philofophc qu'on ju- ge à fon air de tête un homme ferme 6c même obAiné , a le menton iiir la poitrine; il eft abforbé dans des rér ■ flexions fur les merveilles qu'il entend ^ & l'on croit s'appercevoir qu'il pafls dans ce moment-là de l'ébranlement à la perfuaiion. Un aittre<a la tête jjanchée lur l'épaule droite , 8c il re? garde l'Apôtre avec une admiration purç , qui neparoît pas encore ^ccom? pagnée d'aucun autre fentiment. Unaur tre porté le fécond doigt de fa maili ^oite fva ^nnez , & £ut le gefte d*uii
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'JttrUfoêjù&farla Pthuur't'. io( Jionuhe qui vient d*être enfin éclairé far des vérités dont il avgit depuis longtems une idée confufe. Le Peintre oppofe à ces Philofophes des jeunes
fens âc des femmes qui marquent leur tonnement & leiu* émotion par des fefies convenables à leur âge comme leur fexe. Le chagrin efl peint fur le viiage d'un homme vêtu comme le pouvoient être alors chez les Juifs les gens de Loi. Le fuccès de là prédica- tion de faint Paul devoit produire un pareil effet filr un Mf obdiné. La craiii' te d'être ennuyeux m'empêche de par- ler davantage des perfbnnages de ce tableau : mais il n'en ell aucun qui ne rende compté très-intelligiblement de fes fentimens , au fpeâateur attentif. Palléguerai encore un exemple. La matière eft alTez importante pour cela. Je le tirerai de la Sufanne de Monsieur Coypel , tableau qui fiit très-vanté , même au fortir de defîus le chevalet, Sufanne y comparoît devant le peuple accufée d'adultère , & le Peintre là repréfente dans l'inflant où les deux - vieillards dépofent contre elle. A la phylionomie de Sufanne ^ à l'air de fon .vifage encore ferein , malgré fon af- Eiij
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loi RijUxùHtt cntipus
fiâion, on coniiMt bien que fi i^tor ^ifle les yeux , c*eft par pudeur & mm |K)r remord. La noblêfie & la digmoé «e Ibn vilkge dépofent fi hautenxeot en i^ faveur , qu'on iènt bion que ion premier mouvement ieroit d'ambodre d*^K>rd Paccufëe qui fe préfenteroic avec une pareille contenance. Le Pein> Ire a varié le tempéruient des iàmeinc vieillards ; Tun paroît fangutn , l'autrcr paroît bilieux &mélancolique. Cedeiv nier , fuivant le caraâere propre à ion tempérament, qui eft Toblnnaticm ^ commet le crime avec conftence. On n*apperçoit Tur fcHi vifage que de la lureur & de la rage. Le Janguin paroît attendri , Se Ton voit bien que , va:3i*- gré Ton emportement , il fent d^a des remords qui le font chanceler dans fa réfolution. C'eft le caraâere des h<Hn> mes de ce tempérament. Affez vidcm pour fe venger, ils ne Ibnt point aâec durs pour voir les fuites de leur veik- geance. , làns être émus par des mou- vemehs de compaffion.
Il eft facile de conclure après ce que je viens d'expofer , que la Peinture le plaît à traiter des fujets oh elle puîâe iotroduire un grand nombre de pep;
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furtdPoi^&furUPtintun, to) ibnnages intéreiTés ifââion. Tels font les iuiets dont nous avons parle , tt tels ïcna. enc<MT le meurtre de Céù^^ le Jàcri&e d'^ïhigénis , & plufieun autres qu'il feroit iiiperila d'indiquer. L'émotion des affiâass les lie fumuoi- musnt 1 une aâion , dès que cette ac- ^on les agite. L'ànotion de ces ai^- tans les rend , pour ainfi dire , ({es aâeurs dans un tableau, au lieu qu^tli ne leroicRt que de fimples fpeâa- teurs dans Un poëme. Par «xem> pie , un Pdëte qui traiteroit le facrifice de la fille de Jefdité , ne pourroit &irs intervenir dans fon aôiôii qu'un petit nombre d'azurs très-intëreOTés. Des aâeurs qui ne prennent pas un intérât sflèntiel à l'aâKm , dans lacptelle oit leur fait jouer un rôle , £?nt &oîds i l'excès en Poëfie. Le Peintre au con« traire peut faire intervenir i fbn aâion autant de fpeâateurs qu'il juge conve* naUe. I}ès qu'ils y paroiflent toudiés , on ne demande plus ce qu'ils y font.
La Poëûe ne fçauroit donc fe préva- loir d'un fi grand nombre d'aâeurs. Nous venons de dire qu'un perfonnage qui ne prend ou'un iotàrét ni^ocrs dans l'aâion, devient un perfonnage Eiv
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104 RèjUxians crùi^iui
ennuyeux. S^îl y preod un grand int^-^ rêt , il faut qse le poëme fixe la deGi* née de cet aâeur. Il faut qu'il nous en înftruire. La multitude des aâeurs , que le Poëte tragique employé quel- quefois pour cacher fa flérilité , de vient d'ailleurs très-embarraflante pour lui quand le dénouement s'approche , & quand il feiit s'en défeirc. Il oblige donc ces perfonnages ife défaire eux- mêmes par le fer ou par le. poilbn fuM le premier motif qu'il imagine:-
i.'un mcun vnide de tàog , l'autre plcll de TenÉ.
C'eft un vers de Defpréaux (a) qu''on peut bien appliquer à ces perfonnages , quoiqu'il ne foit pas fait pour eux. On ne demande point ce que* devient ufl mort, on l'enterre. Mais cette réforme fanglante , qui fait de la fcène tragique un champ de bataille , fouleve le fpec- tateur contre tant de meurtres fi peu vraifemblables. Ce n'eft pas la quantité du fang répandu , c'eft la manière dont il ell verfe , qui fait le caraftere dp la Tragédie. D'ailleurs le Tragique outré devient froid , & l'on eft plus porté à rire d'un Poëte , qui croit devenir pa- thétique , à force de verfer du fang ,
' (■) 4rc. Petc, c^ol 4,
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fur U Poêfa if fur la Ptiruurt. I0( <Jii'à pleurer à fa pièce. Quelque efprit malin envoyé lui tlemander la lifte de Tes morts.
Eri continuant de comparer la Poëfic l>amatique ïvec la Peinture , nous trouverons encore qiie la Peinture a l'avantage de pouvoir mettre Tous nos yeux ceux des incidens de l'avion qu'elle traite , qui font les plus propres h làire une grande impreHion fur nous. Elle peut nous faire voir Brutus & CalHiis plongeant le poignard' dans le coéiu* de CéJar , & le Prêtre enfonçant , le couteau dans le fein d'Iphigénie. Le Poëte Tragique oferoit anlH peu nous préfenter ces (Ajets fur la fcene , que la Métamorphofe de Cadmus en Serpent , .& celle de PrognéenHirondelle. Tous ces objets font de ceux dont Horace a dit; ^■■- ■
Ci.'fM girl pnmts infienam , rnndlfu' lAUt E.r ocsilÎ!, qvie mox nanti ficuni'tj ■piafita. fal
Quand bien mime tes loix de la Tra- géi^e , fondées fur de bonnes raifons ^ ne dcfendroient point de mettre fur le théâtre des événemens tels que ceux dont nous avons parlé y le Poète fenl^
li- tiiw. d» Ari.Poù. y. itx.
E V
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10$ RéjUxtons cnà^ttts
éviteroît toajours de les y mettre. Coatme ces événemens ne peuvent prefque jamais y être repréfemés avec vraiiemblance , ni avec décence , ils dégénèrent en nn fpeâacle froid & pué- rile. U n'eft pas atiffi facile d*en impo- ser à nos yeux (ju*à nos oreilles. Certai- nes fiâions réuffifient donc mieux dans le récit que dans le fpeôacle. L'événe- ment , qui pourroit nous toucher , s'il nous étoit raconté avec un choix ingé- nieux de circonfbnces mifes en œu- vre dans nn récit oil la vraifemblance feroit ménagée , devient un jeu de Ma- rionettes , quand on entreprend de les expofer fiir le théâtre. En efiet les Mé- tamorphofes qui fe repréfentent fur la fcene dans les Opéra de France & d'Ita- lie y font lire prefque toujours y quoi- que l'événement foit tragique par loi' même. Voilà pourquoi le Poète qui fait nne Tragédie, eft obligé d'avoir re- cours à lui récit pour nous expoier tous les événemens tels que ceux dont il s'agit ici. Or le récit d'unafteurn'éft, pour ainfidire ,que l'imitation d'une imitation & une féconde copie.
Quoique Faâion qu'on nous mon- tre dans un récit, |X)ur parler ainfi^
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furU Poêfit &fur la Pânture. foy ^i très -touchante par elle • même » elle nous émouvra moins que ne !• feroit une autre aâioa moin» tr^ gique, mais q^ut Te palTeroii Tous no» yeux , & qui i^oit rejH'éfentée devant nous drvnatiquementt, La {n-emiere icene entre Rodrigue & Chimene nou» émeiu plus que le récit de la mort du père de Chimene qu'elle fait au Roi ^ bien que ce récit fe âflè par un perfon- nage qui prend à Tévenement un fi.
g -and uitérêt. Cependant la mort du omte eft uo événement plus tefrible y &C par conlequent bien plus capable d'attacher , que la converution deChi-- mené &c de Rodri^e , quelque intéreC- Êinte qu'elle puiife être.
Les fujets , dont la beauté coAfille principalement dans l'élévation d'efimt que font vc»r des adeurs , dans la no-- blefle de lews ièntimens ,- comme dans des ficuations qtû doivent agiter vio- lemment Hc fam relâche les perfoioies- iitt^âiées» 5c qui doivent ainfi donner lieu à divers femimens très-vi& &c à des entretiens anim^ , font plus heu- reux pour le Poète tragique. Il peut , en traitant d£ pareils Aqets , nous te- nir toujours stteiui&^ &: nous faire E vj
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lo8 Réflexions Crîùquts
voir même tous les principaux événe- mens de fon aâion , fans être réduit an iecours des récits. Ce difcemement des fujets eft extrêmement important , & l'on peut adrefler aitx Peintres comme aux Poètes les vers qu'Horace écrivit pour ces derniers :
Saaàtt iF-i7triim rifirii , çiûJîriHeû , tquim
Soit qiie vous vouliez peindre , foit que vous vouliez compofer des vers , ayez autant d'attention à choifir un iîi- jet qui convienne au pinceau , fi vous voulez foire un tableau , & qui con- vienne pour ainfi dire , à la phune , fi vous êtes Poète , qu'à le choifir conve- nable aiix forces de votre génie parti- cidier & proportionné avec vos talens perfonnels. Nous traiterons plus au long de ce dernier choix dans la finte. ■ Revenons aux fujets fpécialemem pro- pres pour être traités ou dans un poëme, ou dans un tableau.
Le Poëte qui traite un fujet inconnu , généralement parlant , peut faire feci- îement connoître fes perfonnages dès le , premier aûe : il peut même , comme nous avons déjà dit, les rendre intéref- fans. Au contraire le Peintre à qui ces
fur la Poëjîe & fur la: Peincure. lO^ moyens manquent, ne doit jamaisen- treprendre de traiter iin fujet tiré At quelque ouvrage peit connu ; il' ne doit introduire ivà fa toile que des perfon- nages dont tout le monde , du moins le inonde devant lequel il doit produire fon tableau , ait entendu parler. Il faut -que ce monde les connoiffe déjà , car le Peintre ne peut faire autre chofe que delesluifàirereconnoître. NoUsavons parlé de l!indifférence des fpeâateurs pour le tableau dont ils ne connoiflent pas le fujet.
■ Le Peintre doit avoir cette attention fans celle ; mais elle lui eft encore plus nécelTaire , quand il iàît des tableaux de chevalet deftinés i changer fouvent de place comme de maître. Le fujet des frefques peintes fur les murailles, & celui de ces grands tableaux qui de* meurent toujours dans la même place , s'il n'eft pas bien connu, peut le deve- nir. On devine même que le tableau d'autel d'une Chapelle repréfente quel- que «vénement de la vie du Saint fous le nom duquel elle efl dédiée. Enfin la renommée qui inftruit le monde du mé- rite de ces ouvrages , lui apprend en jiîême-tems l'hiftoire que le Peintre y peut avoir traitée.
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Vid RéjUxions cntiqua
11 eâ desfujets généralement connus* U en eA d'aiures qtii ne font lùûn con-^ tnts que dans certains pays. - Les fiqets les plus connus générale' nent dans toute l'Europe ,. font tou» les fujets tirés de rËcritureiainte.Voi'' là peut-être pourquoi Raphaël &L le' Pouffîn ont préfère ces fujets aux au' très , pincipalement quand ils ont iàit des twleaux de dievalet' De c^tre lableaux du Pouffîn , il y en a trois qui repréiflitent une aâiem tirée de la Bible. Les principaux évinemens de' l'hiftotre des Grecs & de celle des Rfv mains , ainiî que les aventures M>uleit-*' fes des Dieux qu'adoroient ces deux Nations , fcmt encore des fujets gôté*- ■ ralement connus. La coutume éËd>li« maintenant chez tous les peuples twlis cle l'Europe , veut qu'on laâe de f'étU' de des Auteurs Grecs Se Romains Toc* cupation la plus ^eufe des enfans. En étudiant ces Auteurs , on fe remplit la tête des ^bles & des hiiloires de leur pays , & Ton oublie dtiEcilement tout ce qu'on peut avoir af^ttis dans renf- once.
n n'en eft pas ainfi de l'hiâoire mo- derne , tant Eccléâaitique que Pr oûne»
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fur ta Poijîe Sfjur la Peinture. 1 1 f Chaque pays a l'es Saints , Tes Rois &c fes grands Peifonnages très-connus , &c que tout le monde y reconnoît ià- cilement, mais qui ne font pas reconnus de même en d'autres pays. Saint Pé- trone vêtu en Evêque , & portant for la main la ville de Boulogne caraâë- xiïi£e par Tes principaux Ëâtimensâc par fes tours, n'eA pas une 6gure connue en France généralement comme elle Teâ en l^mbardte. Saint Martin coupant fon manteau , aâion dans la- quelle les Peiiftres & les Sculpteurs le repréfentem ordinairement, n'cfl pas d'un autre côté une figure aiiffi connue en Italie qu'elle l'eft en France.
Les François fçavent communément l*hiAoire de France depuis deux fiécles. Os ont une idée de Tair du vifaee & des habillemens dç ceux qui ontraitla plus grande figiu:« dans ces tems-là. Mais une tête de Henry IV ne feroit pas deviner le fujet d'un tableau en Italie, comme elle le feroit deviner en France. Chaque peuple a même fes hhlts particulières & les Héros ima-
f inaires. Les Héros du TalTe & de Ariofte ne font pas auflî connus en France qu'en Italie, Ceux de TAftrée
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ni Réjîexîons cruît}UtJ
font plus coftnus aux François qu*àii^ Italiens. Je ne içaïs que Don Quichotte ^ Héros d'un genre particlilier, dont leî proueffes foient aitffi connues des étran-» gers que des compatriotes de l'ingé* nienx Efpagnol qui lui d donné l'être.- Horace pafTe avec raifoni pour le plus judicieux des Auteurs qtii ont donné des enfeignemens aiix Poètes.- Qu^ort voye ce qu'il ne laiffe pas de leur con-- feifler , malgré les fiicilités particulières qu'ils ont_ poiïr faire connoître leurs- perfonnages , & pojir mettre le leÛeuf au Élit de leur fujet ;• '
RiHiat IlUcumarmin d^lucb in aSiii , ÇuAnjî profiira i^nwa iaJicIJîut frimai, (o)'
Vous ferez encore mieux de clioifir" le fujet de votre pièce parmi les évé- nemens de la gûeçre de Troye , fi fouvent mis furie théâtre, que d'imaf- giner à pi^fir l'aûion de votre Tragé- die , ou de tirer de la pouffiere de quel- que livre ignoré des Héros dont le mon- de n'entendit jamais parler, & d'en faire vos perfonnages. Quen'efu pas dit Ho- race aux Peintres , s'il leiu- ayoit adreffé la parole ! (a) Hsrtu, ie An, Putt. V. T19,
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fur ta. Poëjîe & fur la Pdrnurt. II3
SECTION XIV.
Qu'Uefi mètm des fujtts fpiàaliment pro* pris à certains genres de Poefie & dé Ptiniure, Des fujets propres à laTra-
i\ o N feulement certains fujets font plus avantageux pour la Poëfie que pour la Peinture , ou pour la Peinture que pour la Poëiie \ mais il eA encore des fujets plus propres à chaque gem'e de Poefîe & à chaque genre de Peinture , Cfu'aux autres genres de Poëfie & de Peinture. Le facrifîce d'Iplùgénie , par exemple , ne convient qu'à un tableau ott le Peintre puifle donner à Tes fi- gures une certaine grandeur. Un pareil fujet ne veut pas être repr^enté ave« de petites figures deftinées à i'embel- lifiement d'un payfags. Un fujet gro<> tefque ne veut pas être traité avec des figures aufiî grandes que le naturel. Des figures plu» grandes <nie nature , ne feroient point propres a repréfen- ler une toilette de Venus. Qu on ne me demande point les raifoiis phyfi*
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It4 ^ JUflexioas cruiqaa ques de ces convenances , je n'enpofV^ rois allouer d'autres que Tinâinâ qur nous les diâe', & l'exeniple desgrands Peintres qui les ont fenties.
B en eft de même de la Poëfie : les ^vénemeos tragiques ne font point nt^es à être racontés en Epignumne : L'Epigranune peut tout au plus rele- ver & mettre en fon jour quelqae cÎT' confiance brillante de ces événonens ; die peut nous en &îre adnrirer que]" que tnûc, mais elle ne peut nous y îo^ térefler. A peine en corapte-t'on âoq ou fix bonnes parmi les anciemKs fie les modernes qui roulent- fur de pareils fujets. La Comédie ne vent pointtrm* ter des aâions atroces ,. Thatie ne fçauroit faite les imprécabtHis , m impoTer les peines dîtes aux grands oimes. L*Eglogne ne conviem pas aux paffions violentes & lài^uinaires.
Quelques réfleidons que je vais fetre fur les aâÏMis propres à la Tragédie , cnq)êcheront peut-être ceux qui vou- dront bien y nire attention, deiemé* prendre Ittr le choix des fujets qui lui conviennent.
Le but de la Tragédie étant- d'exci* ter principalement en nom la terrenr
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fiiriaFoë^ ^furlttPùjuurê. ir^ fe la conça^on , il faut que le Poète Tragique nous &fle voir en premier tieti des pérfonnages aimables & elH- onfales y Se qu*il nous les reprëfente enfuite en Oïl état véritablemeiit mal- faeureiac. Gommeiicez par faire efH- ner aux hommes ceux qoe tous vou^- tei leur faire plaindre. U e& donc né^ ceflaire que les pérfonnages de la Tr^ gédie ne mutent point d'être malhen- reux , ou du moins d'être auffi maUieo* Kux qu'ils le font. Si leurs malheurs ne font pas ane pare infortune , maii one punition de leur faute , ils en doi^ rem être vnc punition exceillve. D» sioins û ces feutes font de vérîtablei crimes , il ne fitiit pas que ces erimn^ ayent ét^ commis volontairement; ^dîpe ne feroit plus un principal per» fonnage de Tragédie , s^I avoit Cça dans le tems de fon combat , qu'il ti' «oit l'épée contre fon propre père. Les malheurs des fcélémts font peu pro- pres à nous toucher; ils fcmt unjufte lup^ice dont l'imitation ne fçauroit exciter en nous- ni terreur , ni compB& fion véritable.
Un événement terrible eft criui qui nous étonne pc qui nous fuyante à
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'1 1 6 Réflexions cnùqtUS
la fols. Or rien n'eft moins étoiuiatfC
Se le châtiment d'un homme qui par ; crimes irrite le ci«l & la terre. Ce feroit l'impunité des grands criminel) qui poiuToit lîirprendre : leur châti- ment ne fçauroit donc caufet en nous la terreur ou cette crainte ennemie de la préibmptîon , & qui nous fait nous déner de nous-mêmes. La peine due tMx, grands crimes ne nous paroît -pas jk craindre pour nous. Nous fommes iUfEfamnient rafltirés contre la crainte de coQunettre jamais de femblables £)rfaits, par l'horreur qu'ils nous ïnC> pirent. Nous pouvons craindre des &ta- lités du même genre que celles qui ar- rivent à Pyrrhus dans l'Andromaque de Racine , mais non de commettre des crimes auffi noirs que le font ceiix de NarciiTe dans Britannicus. Un fcé- lérat qui fubit fa deftinée ordinaire dans un poëme , n'excite pas autli no- tre coropallîon ; fon fapplice, ii nous le voyions réellement , exciteroit bien en nous une compallîon machinale ; mais comme l'énwtion que les imita- tions produifent, n'eft .pas aufli ty- rannique que celle que l'objet même ^xciteroit j l'idée des . crimes qu'u*
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JurlaPoèfie &furlaPtîntun. 117 perfonnage de Tragédie a commis, nous empêche de fentir pour lui une pareille compaâîon. Il ne lut arrive rien dans la catalbophe que nous ne lui ayons fouhaité plufieurs fois durant le cours de la pièce , & nous appku- dillons alors au Ciel qui & juiliâe enfin de fa lenteur à punir, ■ Pcrfonne n'ignoré qu'on entend en Poëlie par fcélérat im homme qui viola volontairement les préceptes de la loi naturelle , à moins qu'il ne foit excitfé par une loi particulière à fon pays. Le refpeâ pour les loix de la fociéte dont on eil membre , eft une fi grande ver- tu, qu'elle excufe fur la fcene l'erreur qui nous iàit violer la loi naturelle. Ainfî quand Agamenuion veut facrifier fa ^e, il viole- la loi naturelle fans .être en Poëfie un perfbnnage fcëlérat ; si eft excufé par fa rélignation aux loix & à la religioD de fa patrie qui auto* rifoit de pareils meurtres. C'eA la loî de fon p^s qui fe trouve chargée d© l'horreur du crime. On plaint la mifére des hommes df ce tems-là qui ne pou^ voient plus difcerner la loi naturelle  travers les nuages dont les hvSe^ religions l'envcloppoiçnt. Noiij pou»
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t iS Rif exions cnâqites
voas âbe la même chofè des menr- triers de Cétar, parce qu'ils avoieitt été élevés dans- la maxime , que les voies violentes écoient permîtes contre -nu citoyen qui vouloÈt Êiire des -fbjcts As fes égaux ; & qui , pour parler le langage des Romains, M^iSoù Im. ty* rannîe.
' Mais un Aornain conten^orain de Cé&T, qiû Tondroit ËLoifierfa prc^ire fille , ieroit im fcélérat ; il violeKHt un précepte facré de la loi naturelle, ^s être ezcufé par les loix de ik pa- trie : car il y ivait longteais dès Ion que les Romains aroient défendu d« iacrifier dra viâàmes hninxines , Se «u*ils aToient même obligé les peuples libres qui vÎToientfQiis leurproteâioi A garder cette défenfe. Une errear eu- ' cufalde peut donc râi^nltter , pour ainfi £re, le personnage qui commet un grand crime contre la loi naturelle ; snais )e me donnerai bien de gnde de «lonneraux emportemens 8c aux pro- aiiers mouvemens ie droit d'excufer les rnnds crimes , même far te théâtre. Celïii jt oui fes jn'emiers mouvemens peuvent kin commettre de m-ands crimes , eu. toujoitfs va fc^érat, JL'eia-
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Jitr U Pûe^ & fur la Pdniure. iiy ftortement n'excufe point le meurtre volontaire de fa fenune, même ruivant la morale de la Poëliç , la feule dont il s'agit ici , & la plus indulgente de tou< tes. De tels crimes répugnent telle- ment aux cceurs qui ne font pas enti^ Tetnent dépravés , qu'il ne niffit point id*avoir perdu ^elque chofe de la li- berté de fon efpnt pour les commettre^ iàns devenir un fcélérat odieux. Ce n*eA point par réflexion Se en ré£ftant à la tentation qu'un honone à qui il refte encore quelque vertu , ne le& com- met pas , c'eft parce qu*il n'eft pas en lui de mouvement qui le porte jamais k de pareils excès : il eft en lui une hor- reur d'inflinâ , & fi j'»f« dire , machi- nale, contre les aoions dénaturées. S'il 7pouvoit être portéparun premier monyement de colère , un premier mouvement de vertu le retiendroit. Les vertus n*ont-elles pas leurs pre- miers moiivemens ainfi que les pâmons
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Rifiexions crîtîqius
SECTION XV.
Des ptrfonnagts de StêUnits qu'on ptaf introduire dans Us TragédUs,
J>PRfes cela je fuis très-éloigné de dé- fendre d'introduire des peribnnagesfcé- lérats dans une Tragédie. Le principal tleffein_dece Poëme eft bien d'exciter ennouslaterreur&la compaflîonpour i]uélques-uns dç Tes peffonnages , mais «on pas pour tous fes peribnnages, Ain£ le Poëte,pour arriver f4us cenainement à fon but , peut bien exciter en nous d'autres pallions qui nous préparent k ■fenttr plus vivement encore lès deux (qui doivent dominer fur la fcène tra- gitfue , je veux dire la compaâîon Se ia. terreur. i.*indignation que nous con- fevons contre NarcilTe augmente la ■compagnon &c la terreur oîi nous jet- tent les malheurs de Britannîcus. L'hor- reur qu'infpirent les difcoin-s d'CEno- jne y nous rend plus feniibles à la mal* heureufe deftinee de Phèdre ; le mau- vais effet des confeils de cette confi- dente que le Poëte lui foit toujours «donner à Phèdre, quand elle eâ prête à
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Sv-rlaVolfit& JkrUPànum. ij, Ue repentir, rend cette PrincelTc plus â plaindre, & fes crimes plus terribles Nous craignons de recevoir de pareils confeils en defemblables conjonflurcs On peut donc introduire des perfonna- ges Icéléiats dans un poiime , ainli qu'on met des bourreaux dans le tablcaii oui reprtfente le martyre d'un Saint : mjis comme on blâmeroit le Peintre qui dé- peindroit aimables des hommes auf- quels il fait faire une aôion odieufe de même on blâmeroit le Poïte qui donneroit à des perfonnages fcilérlts des qualités capables de leiu concilier ia bienveillance du Tpeflateur. Cette bienveiUancepourroitaUeriufqu'àfkire plaindre le fcelérat , U à diminuer l'hor- reur du crime par la compaffion que donneroit le criminel. Voilà cequi cft entièrement oppofé au grand but de la fragedie , je veux dire à fon deffei» de purger les paflions.
Il ne faut point encore que le princi- pal intérêt de la pièce tombe fur les per- fonnages de fcâérats. Le perfennage dlinfceleratne doit point, être capa- ble dintëreflèr par hii-même ; ainfi le Sieflateur ne fçauroit prendre part à les aventures, qu'autant que ces aven-
lome I, p
111 Réfitxiom cr'utquts
turcs feront les incidens d'un évé- nement oh des personnages d'un autre caraâere auront un grand in- térêt. Qui ^t une grande attention à la mort de Narciile dans Britanni- cus ?
n eft outre cela des Scélérats qui ne devroient jamais paroître fur la fcène, à quelque titre que ce fôt ; ce font les impies. J'appelle ici impiété tous les difcours brutaux que fait tenir une au- dace infenfée contre la Religion en gé- néral , ou contre celle qu'on profeffe, telle que puiffe être cette Religion-là. Ainfi mon fentiment eâ qu'on ne doit point , par exemple , introduire jamais fur le théâtre un Romain encore Païen qui fe moqueroit du feu de Vefta , non plus qu'un Grec qui traiteroit avec in- folence l'Oracle de Delphes de fourbe- rie inventée par les Prêtres d'Apol- lon. Il feroit inutile d'expliquer ici que ceux qui , comme Polieuâe , parlent contre une Religionrouvrage des hom- mes ) parce qu'ils connoiflent la véri- table , ne font pas de ces impies que je .profcris. Les termes de ma propon- tion préviennent tout fujet dç le foup- çonner.
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fur U Poëfie & fur la Peiniun. i j,» Mais, dira-t'on, Phèdre viole vo- lontairement les ïoix les plus faintes du droit naturel ; elle aime le fils de fon mari , elle lui parle de fa palïîon , elle tente tout pour le ietliiire ; enfin ce qui iàit le caraâere le mieux marqué d'un fcélérat , elle accufe l'innocent du cri- me qu'elle-même a commis. Cependant les malheurs de Phèdre ne laiflem pas ti'exciter la compaffion , quand on voit la Tragédie de Racine. On peut dire la même chofe de pluûeurs pièces des an- ciens Tragiques.
Je réponds que Phèdre ne commet pas volontairement les crimes dont elle eft punie ; c'eft un pouvoir divin auquel une mortelle ne fçauroit réfiiler dans le fyftême du Paganifiue , qui là force d'être incefîueufe & perfide. Après ce que Phèdre & fa confidente difent dès le premier aâe fur la haine de Ve- nus contre la poftéritè de Pafiphaé , & fur la vengeance de cette Déeâe , qui détermine notre Princefle infortunée à tout le mal qu'elle fait, fes crimes ne paroiffent plus Être fes crimes , que par- ce qu'elle en reçoit la punition. I^ haine en tombe fur Venus. Phèdre plus malheiu-eufe qu'elle ne devoit l'être , Fij
Coogic
1 14 Rijîexîons critiques
eft un véritable perfonnage de Tra- gédie.
Speroné Speroni , Poôte du dix-ftp- tiéme fiécle , a fiiit unp Tragédie Ita- lienne , intitulée Canac^e (a) , qui da moins peut paUèr pour une des meil- leures Tragédies écrites en Italien. Le goût de déclamation y règne bien moins que dans les Tragédies de fes compa'^ triotes. Le fujet de la Tragédie eft l'a- venture fiinefte de Macarée fils d'Eole , & de Canacée fœur de Macarée. Ve- nus , pour fe venger des perfécutions d*Eole contre Ënee , rend les eoËins d'Eole amoureux i'un de l'autre (^), & Canacée c<Mnmet un incefte avec fon frère. L*aftion de la Tragédie ré- volta contre Spéroné Speroni les beaux efprits d'Italie ; mais on eft obligé de condamner leur délicatelTe , quand oa a lu la differtation que cet Auteur com- jîoia pour jnftifier le choix de fon fu- jet. Or comme la deftinée de Phèdre eft Semblable à celle de Canacée , tout ce que l'Italien allègue pour fa dé- j ■fenfe juftifie le François , & j y renvoyC I «ion Leâeur. '
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'fur laPo'èJîe &farla Pùnture'. iiÇ l\ feroh fuperflu d'avertir ici qu'en lifant une pièce de théâtre , on admet comme véritables les ftippofitions feuffes qui étoiçnl reçues au tems oii raâion eA arrivée ; tout le monde içait bien qu'il faut fe prêter aux opi- nions qui ont été celles des AÛeurs. Pourjuger iainement de leur conduite , il iàut entrer dans leurs idées , & pen- fer comme eux-mêmes ils penlbicnt. Ainfi en voyant la Tragédie jfj.-Phé- dre , on fe prête à la fuppclition qui Êiifoit les Dieux du Pa^anifme les auteurs &c les vengeurs des crimes ; bien que cette fuMwfition révolte encore plus le bon lens , que ne le &it la plus extravagante des Méta- morphofes qu'Ovide a mifes en yen;
SECTION XVI.
De quelques Tragédies dont le fujet efi mai ikoijt.
IN ON feulement il faut que le càraflerc des principaux perfonnages foit inté' relTant ; mais il eil encore néceCTaire F iij
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tï6 RéfêxtoHS eritîques
que les accidens qui leur arrivent^ foient tels qu'ils puiflent affliger tra- 'iquement despenonnesraifonnables y l jetter dans une crainte terrible un homme courageux. Un Prince de qua- rante ans qu'on nous repréfente au dëlefpoir & dans la diijwfition d'atten- ter liir lui-même , parce que fa gloire & fes intérêts robtigent à ie feparer d'une femme dont il eft amonrenx & aimé depuis douze uis , ne nous rend guéres compatiffant à Ton malheur. Nous ne fçaurions le plaindre durant cinq aâes. Les excès de paillons oîi le Poëte ^t tomber fon héros » tout ce qu'il lui &it dire , afin de bien periua- der les fpeÛateurs que l'inténeur de ce perfonnage eft dans l'agitation la plus afireufe , ne fert qu'à le dégrader davantage. On nous rend le Héros io- différent , en voulant rendre l'aâion in- téreflante. L'uTage de ce qui fe palTe dans le monde , ôc l'expérience de nos amis, au défaut de la nôtre» nous apprennent qu'une paffion contente s ufe tellement en douze années, qu'el- le devient une fimfJc habitude. Un Héros y obligé par fa gloire & par l'in- térêt de fon autorité, à rompre cette
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fur la. Poîfît &fur U Peinture, t vf habitude , n'en doit pas être afîez affli- gé pour devenir un perfonnage tragi- que : il cefîe d'avoir la dignité requifc aux perfonnages de la Tragédie, fi fon amiâion vajufqu'au déiè^mir. Un tel malheur ne içaivoit l'abbatre , s'il a un peu de cette fermeté , fans la* quelle on ne fçauroit être, je ne dis pas un Héros , mais même un honunc vertueux. La gloire, dira-t'on, l'em- porte à la fin ; & Titus , de qui Ton voit bien que vous voulez parler , renvoyé Bérénice chez elle.
Je répondrai donc que ces combats que livre Titus ne font pas dignes de lui , ni dignes d'occuper la fcene tra- gique durant cinq aâes. Alléguer qu'à U fin la vertu triomphe de la pafiîon , ce n*efl pas juftifier le caraâere de Ti- tus. Une pareille raîfon pourroit tout au plus jumfier celui d'uqe jeime I^n- celle qui , durant miatre aâes , auroît ait voir la foiblefie que montre cet Empereur, C'eft faire tort à la répu- tation qu'il a laiflée , c'eft aller contre les loix de la vraifemblance fie du pa- thétique véritable , que de lui donner un caraûere fi mol & fi efFéminé. L'Hif- torien, dont Monfieur Racine a tiré le Fiv
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1 18 Ri^exions critiques
fujet de fa pièce , raconte feulement que Titus renvoya Bérénice , & qu'Us le féparerentà regret. Beremcem fiatittt *b urlv dimijît , invitas invitam (a). Cet Auteur ne dit point que Titus le foit abandonné à la douleur exceflive où 11 eA toujours plongé dans ht pièce dont je parle. Quand même l'aventure feroit narrée par Suétone avec les cïrconf- tances dont Monâeur Racine a trouvé bon de la revêtir , il n'anrott pas du la choifir comme un fnjet propre à la fcène tragique. La gloire du luccès ne répare pas toujours fejicmte d'un com- bat oU nous devions remporter l'avan- tage d'abord. Un ennemi bien inégal nous fiu-mome en quelque façon » s'il diipute trop longtems la viâoire con- , tre nous. En effet dix mille Allemands qui n'auroient battu fix mille Ttu-cs en rafe campagne qu'après- un combat de douze heures , feroient honteux de leur propre viâoire. Aufli quoique Bérénice foit une pièce très-méthodi- que & parfaitement bien écrite , le pu- blic ne la revoit pas avec le même goût qu'il lit Phèdre , & qu'Andro- maque. Monûeiu- Racine avoit mal (»J &tt. in Ta, y^fjf. Sta.j.
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fur la Po'èjîe & fur la Peinture, t tgi choifi fon fujet ; & pour dire plus e;aâement la vérité, il avoit eu la foibleffe de s'engager à la traiter fur les inftances d'une grande Princefle. Quand il Te chargea de cette tâche, l'ami , dont les confeils lui fiirent tant de fois utiles , étoit abfent. Defpréaux a dit pltilîeurs fois qu'il eût bien em- pêché fon ami de fe confommer far un îiijct aufli peu propre à la Tragédie que Bérénice, s'il avoit été à portée de le difliiader de promettre qu'il le traiteroit.
Infpirez toujours de la vénération pour lesperfonnages deftinés à faire verfer des larmes. Ne feites jamais chauflTer le cothurne à deshommes in- férieurs à plufieurs de ceux avec qui nous vivons : autrement vous ferez auffi blâmable que fî vous aviez fait ce que Quintilien appelle : Donner le rôle d'Hercule à jouer à un en^t : Ptrfondm Hercutis & eotkumos aptarg infantibus.
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Réflexions critiques
SECTION XVII.
S'il efi à propos tU mettre de tamour dans Us Tragédies.
JVi o N fujet amené ici naturellement deux queitions : La première , s'il eft à propos de mettre de Tamour dans les Tragédies; & La féconde, fi nos Poètes Tragiques ne donnent point trop de part à cette paffion dans les intrigues de leurs pièces.
Tous les hommes que nous trou- vons dignes de notre eltime, nous in- téreifent à leurs agitations comme à leurs malheurs ; maisnous fommes fen- fibles principalement aux in^iétudes comme aux aiffiâions de cswl qui nous reflemblent par leurs paffions. Tons les di&ours qui nous ramènent à nous- même», & qui noue entretiennent de nos propres fentimens , ont poiu- nous un attrait particiUier, Il eft donc na- turel d'avoir de la prédileftion pour les imitations qui dépeignent d'autres nous-mêmes , c'eft-à-dire , des perfon- nages livrés à des paffîons que nous
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fur la Pocfit &fur la Peinture, 131 reflentons aÛuellement , ou que nous avons refTenties autrefois.
L'homme fans paflion eil une chi- mère ; mais Thonime en proie à tou- tes les paillons , n'ell pas un être moins chimérique. Le même tempérament qui nous livre aux unes , nous garantit des autres. Aïnfi il n'y a que certaines pallions qui ayent un rapport particu- lier avec nous, & dont la peinture ait des droits privilégiés fur notre at- tention.
Les hommeï qui ne refTentent pas les mêmes paffions que noixs , ne font pas autant nos femblables que ceux qui les repréfentent ; ces derniers tien- nent à nous par des liens particuliers. Par exemple , Achille impatient de partirpourallerfiiirele fîége de Troye , attire bi«i l'attention de tout le mon- de ; mais il inféreffe bien davantage 4 fa deftinée im jeiuie homme avide de la gloire mUîteire , qu'un homme dont I ambition eft de fe rendre le maître de foi-même , pour devenir di- gne de commander aux autres. Ce der- nier s'intéreflera bien davantage au caraftere que Corneille donne à l'Em- pereiu" Auguile- dais la- Tragédie de
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t$i Réflexions er'uiqaes
Cinna, caraflere qui ne touchera que
foiblement le partilan d'Achille.
Les peintures d'une paffion que nous n'avons pas reflènlie , ou d'une fitua- tton dans laquelle nous ne nous Som- mes pas trouvés, ne fçauroient donc nous émouvoir aiilH vivement que la peinture des pallions & des Htuatîons qui font aâuellement les nôtres, on qui l'ont été autrefois. En premier lieu , l'efprit n'efl: guéres pîqué par Ja peinture d'une paffion dont il ne con- noit pas les fymptômes ; il craint d'être la dupe d'une imitation infidelle. Or refpiit connoît mal les paffions que le coeur n'a pas fenties ; tout ce que les autres nous en racontent , ne fçaiu-oit nous donner ime idée jufte & précife des agitations d'un intérieur qu'elles tyrannifent. En fécond lîeu , il faut que notre cœur ait peu de pente pour les paffions que nous n'avons pas encore éprouvées à vingt-cinq ans. Le cœur a bien plutôt acquis toutes fes forces que l'efprit , & il me paroît prefque impoffible qu'un homme de cet âge n'ait pas encore fenti les mouvemens de toutes les payions aufqueUes ïojq tempérament le .condamne.
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furld Po'éjîe & fur la Pi'mture. ijj Comment ceux qiù n'ont pas de dîf- poGtions à fentir une pafllon , com- ment un homme qiû n'elt point agité par l'objet même , pourroit-il être vi- vement touché par fa peinture ? Com- ment un homme dont l'elprit eft inlen- fible à la gloire militaire , & qui ne regarde ce qu'on appelle vulgairement un grand conquérant , que comme un furieux à charge au genre humain , peut-il être vivement intérefle par les mouvemens inquiets de l'impétueux Achille j quand il imagine qu'on conl^ pire pour l'empêcher de s'aller immor- talifer en prenant Troye ?
L'homme, pour qui les attraits du jeu font fans amorce , eft-il touché de l'afflîâion d'une perfonne qui vient de làire des pertes coniidérablcs , à moins qu'iL-ne prenne pour elle de ces inté- rêts particuliers qui font partager tous les fentimens d'une autre perfonne, de manière qu'on s'afflige de ce qu'elle eft affligée ? Sans un pareil motif l'hom- me qui n'aime pas le jeu , plaindra feu- lement le Joueur d'avoir contrafté l'ha- bimde dangereufe de mettre à la dif- pofition des cartes ou des dez la dou- ceur de fon humeur & .la tranquillité
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134 Réfiexions critiqtus
de fa vie ; c'efl parmi ceux qiii font tourmentés de maux pareils aux nô- tres , que l'inftinû nous feit chercher des gens qui partagent nos peines , & qui nous conlolent en s'affligeant avec nous. IXdon conçoit d'abordune com- paiSon tendre pour Enée obligé de s'enfiiir de fa patrie, parce qu'elle- même avoit été obligée de s'ennûr de la fienne. Elle avoit fenti les mêmes peines qu'éprouvoitEnée , comme Vir- gile le lui fait dire :
îicia ignjtd mali, mifa-îi fuanmr: dî^fo.
II cft encore ordinaire de juger des mouvemens naturels du coeur en gén^ rai , par les mouvemens de fon propre cœur. Ainlî ceux qui n'ont point de pente vers une paâîon, ne conçoivent point que les fiireurs dont le Poëte remplit fes fcénes, èc t^'il expofe comme les fuites naturelles d*un em-
Î)ortement dont ils n'ont jamais fenti es accès , foîent expofées fiûvant la vérité : ou bien les fuites d'une fem- blable paâîon leur paroiflbit les pures iailiîes de l'imagination déréglée d'un Poëte exagérateur: ou bien les perfcwi- nages d'une [ùéce ceflent de les inté-*
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fur Ut Poëfie &fur la Peinture, i j ^ relTer. Ils ne les regardent plus comme des hommes troubles pariine paffion, mais comme des hommes tombés en une véritable démence. Saivant leur fentiment , ce Tont des hommes moins propres à jouer un rôle fur la fcène , qu'a être reclus dans ces maifons oiî les Nations polies renferment une par- tie de leurs fols.
Les tranfports forcenés d'un ambi- tieux , au défefpoir qu'on hii ait pré- féré pour remplir un pofte éminent &£ l'objet de fes defirs , celui de {&$ ri- vaux qu'il méprifoit davantage , peu- vent donc bien intérefler vivement ceux qui fçavent par leur propre expé- rience que la paiuon que le Poète dé- peint peut exciter dans le cœur hu- main ces mouvemens Airieux: Mais toutes ces agitations , que quelques Ecrivains nomment la fièvre d'ambi- tion , toucheront foiblement les hom- mes à qui leur tranquillité naturelle a permis de fe nourrir l'efprit de réfle- xions philofophiques , te qui pluâeurs foh fe font dit à eux-mêmes , que les perfonnes qui diftribuent les emplois fe déterminent fouvent dans tous les pays 6c dans tous les tems par des mo-
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I j6 RéJUxions critiques
tifs injuftes ou frivoles. Ce qu'Us fça- vent du pafle , ce (fu'ils prévoyent de l'avenir, les empêche de s'étonner de ce qu'ils voyent. Peu mortifiés , peu furpris même des préférences les plus bizarres , ils font mal difpofés à entrer avec affeâion dans les peines d'un per- fonnage que la promotion d'un concur- rent fait fortir de fon bon fens. Pour- quoi fe défefpérer fi fort, diront-ils, pour un malheur auffi commun parmi les hommes , que la fièvre ?
Qirtmut iubii mtik'u majariha tegrî.
Tu vinim «I iifcipido ammat PhiJippî. fa)
II n'efi: pas befoin d'être Philofophe pour fupporter un pareil malheur avec confiance. Il fuifit d'être un hcnnme raifonnable.
Ainfi Tonne fçauroit blâmer les Poè- tes de choifir pour ûijet de leurs imita- tions les efiets des pafilons qui font les plus générales , 6c que tous les hom- mes reffentent ordinairement. Or de toutes les paflîons, celle de l'amour eft la plus générale : il n'ell prefque per- fonne qui n'ait eu le malheur de la fen- tir du moins une fois en fa vie. C'en
(n> Jiivta. Sit. 'j.
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fur la Poijîe & farlaPùmur*. \yf eft affez pour s'intérciTer avec affec- tion aux peines de ceux qu'elle tyran- nil e .
Nos Poètes ne pourraent donc être blâmés de donner part à l'amour dans les intrigues de leurs pièces , s'ils le faifoient avec plus de retenue. Mais ils ont pouffé trop loin la complaifance pour le goût de leur iiécle , bu , pour dire mieux , ils ont eux-mêmes fomen- té ce goût avec trop de lâcheté. En renchénffant les uns fur les autres » ils ont fait unt ruellt de la fcène tragique. Racine a mis plus d'amour dans fes pièces que Corneille ; & la plupart de ceux qui font venus depuis Racine , trouvant qu'il étoit plus facile de l'imi- ter par î&s endroits foibles que par les antres , ont encore été plus loin que lui dans la mauvaife route.
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138 Réflexions eritîquts
SECTION XVIII.
Qtu nos voijlta dijint qiu nos Poètes met- tent trop d'amour dans leurs Tragédûs.
V^ o M M E le goût de faire mouvoir par l'amour les refforts des Tragédies n'a pas été le goût des Anciens ; com- me ce goût n'eft pas fondé fur la vé- rité, & qu'il feituncviolaiceprefque continuelle à la vraifemblance , il ne iera point peut-être le goût de nos ne- veux. La poûérité pourra donc blâmer l'abus que nos Poètes tragiques CMit Sait de leiu- elprit , & les ceraurer im joiu" d'avoir donné le caraflere de Tir- ets & de Ptùtene , d'av(»r fait faire toutes chofes pour l'amour, à des per- fonnaces illuftres , & qui vivoient dans des ûectes où l'idée qu'on avoit duca- raâere d'un grand homme n'admet- toit pas le mélange de [oreilles foi- bleffes. Elle reprendra nos Poètes d'a- voir ùiït d'une intrigue amoureufe la caufe de tous les mouvemens qui arri- vèrent à Rome , quand il s'y forma une conjuration pour le rappel des Tar-
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fur la Poëjît &fur la Pànturt, \\t) quins, comme d'avoir reiwéfemé les jeunes gens de ce tems-là fi polis hc même fi timides devant leurs maîtret fes , eux dont les moeurs font connues fuffifanunent par le récit que fait Tite- Live de Taventure de Lucrèce.
Un Poëte très-vanté chez une Na- tion voifine , qui du moins a beaucoup d'émulation pour la nôtre , &it en dif- férens endroits de fes ouvrages plu- fieurs réflexions un peu défobbgeantes pour les Poètes tragiques François. Cet Ecrivain prétend que l'affeâation à met- tre de l^amour dans toutes tes intrigues des Tragédies & dans prefque tous les caraâeresdesperfonnages, a fait tom- ber nos Poètes en pluiieurs fautes. Une des moindres eft de faire fouvent de feufies peintures de l'amour. L'amour n'efl pas une paJTion gaie : le véritable amour , le feul qui foit digne de mon- ter fur la fcène tragique , eft prefque toujours chagrin, fonmre & de mau- vaife humeur. Or , ajoute l'Auteur Anglois, un pareil caraâere déplairoit biemôt, fi les Poètes François le don- noient fouvem à leurs Amoureux, Les Dames Françoifes, aufquelles furtout il Êiut être complaifant , ne trouve-
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I40 Rijîexiom Crîtîquti
roient point ces Héros affez gracieuïr Le véritable amour jette fouvent du ridicule fur les perfonnages les plirs férieiix. En effet le Parterre rit prefque auffi haut qu'à une fcèné de Comédie , à la reprélentation de la dernière fcène du fécond aûe d'Andromaque , oii Monfieur Racine fait une peinture naïve des tranfports &c de l'aveuglement de l'amour véritable , dans tous les dif- coiu-S que Pyrrhus tient à Phœnix fon. confident.
L'Auteur Anglois,quî reprend lapa- rôle , prétend que nos Poètes , afin de pouvoir mettre de l'amour partout,' ont pris l'habitude de donner le nom d'amoiir & de pafllon à l'inclination générale d'un fexe pour l'autre fexe , déterminée en faveur d'une certaine fherfonne par quelques fentimens d'ef- time & de préférence. Ils om donc fait chauffer le cothurne à cette inclination machinale , qui n'eft rien moins qu'une paflion tragique & capable de balancer les autres pallions. Quelques-uns mê- me n'ont pas de honte de donner pour un véritable amour une paflîon qui ne commence que durant le cours de la pièce , quoiqu'il foit contre la vraifenb
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JurtaPotJte &furlaPt'mcure. 141 blance qu'une palTion nailTante puilTc devenu- un jour une palTion extrême. Quand onveut faire jouer unrôleimpor- lant  l'amour , il faut du moins qu'il foit né depuis un tems , qu'il ait eu le loi- lir de s'enraciner dans un cœur , & mê- me qu'ilait eu de l'efpérance. Mais il efi vrai que les bons Poètes François ne nous amuftnt point avec ces pafllons fubites. Voilà ce qui rend les galands des Tragédies Françoifes fi différens des hommes véritablement amoureux. On croiroît que l'amour fût ime palHon caie , àouïr les gentitlelTes que ces ga^ lands difent aux peribnncs qu'ils ai- ment ; ils ornent leurs difcours enjoués de ces traits ingénieux , de ces méta- phores brillantes , en6n de toutes les • expreflîons fieiu-ies cpii ne fçauroient naître que dans une imagination libre. On les entend fans ceiTe s'applaudâ- des fers qu'ils portent, & ils fouhai- tent que leurs chaînes foient ctern^illes ; nouvelle preuve qu'ils n'en fentent point le poids. Loin de regarder leio* amour comme une foibleue des plus humiliantes , ils le contemplent comnje ime vertu glorîenfe dont ils fe fça- yent gré. Ce qui prouve fçul qu'ils ne
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1 4^ Réflexions critiques
font pas véritablement amoureur ; ils prétendent mettre d'accord l'amour avec la raifon , deux choies auffî peu compatibles que la fièvre &c la raifon.
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Nie modum huitt lajui eonfiïium , mcïont nioJoque TraQari ma vult. iBomùrtbirtfintnKda, btUumi Pmx rarfiun, Hxcfi tonpifiaâi fraft mu MiA'dii (scacifiiâtamiifirtt, iabtra Rcddert cent ,Jïbi nihilo plia txplica , oc fi înfilârt fiitt eirtâ rjiiont meioqta. (a)
Les amoureux ne font point concer- tés. En amour on fe querelle fans fujet, onie raccommode iàns raifon. Les idées des amans n'ont point de liaifon fuivie. Le cours de leurs fentimens n'eA pas mieux réglé que le cours de ces vagues
3u'un vent capricieux fouleve à foh gré urant la tempête. Vouloir afluiettir ■ces fentimens à des principes , vouloir les ranger dans un ordre certain , c'eft vouloir qu'im frénétique ait des vifions fuivies dans fes délires. Mais il importe peu qi^ellè foit la fubftance des chofes qu'on préfente à certaines Narions, pourvu qu'elles Ibient affrétées en forme de ragoût.
Un autre inconvénient , ajoute ^AI^■
(a}H^rjt. Sa. i. 1.1»
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fur Ifl^ Poëfit &fur la Peimure. 1 4 j cLois , qui vient de la mauvaife mode de mettre de l'amoiir partout ; c'eft que les Poètes François font amoureux à leur mode des Princes âgés & des Héros qui dans tous les tems ont eu une réputation de fermeté qui nous les représente d'un caraflere bien oppol'é à celui qti'îls leur prêtent. Ces Héros, ainlî défigurés , paroîtrom peut-être aux petits-fîls de ceux qui les admirent tant aujourd'hui , des perfonnages barbouillés exprès pour être rendus ridîcides. Ils prendront pour un genre de la Poëfie biulefque , qui durant un tems fiit en vogue parmi les François , les pièces où Brunis , Arminius Se d'au- tres perfonnages , illuftres par un cou- rage inilexible & même par leur féro- cité , font repréfentés fi tendres 8ç fi galans. Ils mettront ces poëmesWans U même claiTe que le Virgile travefti. Voilà ce qui doit arriver tôt ou tard aux Poètes qui ne s'affujettiffent pas à copier la nature dans leurs imitations , qui ne s'embarraflent point que leurs perfonnages refTemblent à des hommes, & qui. font trop contens , quand ces perfonnages ont je ne fçai quel bon flir. C'eft avoir bien oiitiié la fage le-;
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144 Réf exions critiques
çon que donne Monfieur Defpréaiir dans le troifiéme cliant de (on Art poé- tique , oii il décide judicieufement qu'il fa\it conferver à fes perfônnagçs leur cara£tere national :
'Garaeidcnc de donner, ai nfi ^ucasns Clélie, L'slr & rcfprit Ffançfis i l'smique Italie ; Er fouidci noms BLomxiDcfailiDt noire poriniCi Peindre Cawn ga'.and, & Btutuj dameret.
L'Auteiu- Anglois prétend que l'an- cienne Chevalerie & ies Infantes ont laiflc dans l'efprit de quelques Nations le goût qui leur fait aimer à retrouver partout un amour fans palHon , & ce
Qu'elles appellent galanterie , efpece e politefTe que les Grecs & les Ro- mains fi fpirituels & fi cultivés , n'ont ' jamais connue. Cette galanterie , dit- il, que les François, qui ne s'embar- Taffent pas tant d'approfondir les- cho- ies , n'ont jamais bien définie , cft une afFeâation de témoigner aux femtnes par politefTe , les lentimens d'un anïour <jue l'on n'a pas , mais dont l'apparence ne lailTe point de les flatter. Suivant no- tre Auteur la narion Françoîfe a beau- coup de pente vers l'affeâation ; & dans les tems où elle cefToit d'être grof- ■fiere, fans être encore polie, elle a voulu
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furla Pxiejte &fur'la Peinture. 14Ç voulu montrerplus de eentillefle qu'el- le n'en avoit.Tropfpintuelle pour être encore barbare ^ mais trop peu éclairée pour connoître la dignité des mœurs ^ elle a conçu dans l'amour un mérite que les Nations fenfées n'y trouvent point. Elle a donc imaginé qu*il y avoit une efpecede vertu à dq)en(lre en efclave des volontés , ou pour parler plus fin- cérement, des caprices de quelque In- fante , à lui rapporter tout ce qu'on - feifoii , à ne vivre que pour la fervir. Les CarrOufels & les Tournois ont nourri cette manie , par leurs livrées , leurs devifes & tout leur badinage. Enfin il eft devenu à la mode d'être amoureux dans un pays oîi tout fe dé- cide {uivant la mode , même le mérite des Généraux & celui des Prédicateurs. Delà font nées les extravagances de tant d'amans , dont la plupart n'étoient point amoureux: les uns fe font feit afTommer en écrivant le nom des belles
au'ils penfoient aimer fur les murailles es villes ailiégéesi; d'autres font allés de vie à trépas ^ pour avoir vouki rom- pre dans les portes d'imc ville ennemie leur lance enrichie des livrées d'urte maîtrefle qu'ils n'aimoient point, ou Tome I, G
146 Réflexions triti^uts
qu'ils o^aÎBioient gueres. L'hiâoire &ît foi qu'il eu airivé à phifietirs de ces Memeurs , pour un fi di^ie fujet , le* aventures qui arrivèrent à aotre Hud- dîbras , * quand il courtHt les diai^ pour rétablir un diacun dans fis Ëbcr- tés Se propriétés , taéiat les ours qn^on menait par force danfer aux &>ires. Un Print^e lie fait tuer dws un Tonr* nois y en voulant , difoit'il , ron^jrc ea* (oreiine^lance çni*)i(Q»eivdesOaBes,
•• Cdl le n*m du Héfoi d^MM <l><ca A Po^ tut épique , écrit en Ai^lotsfout le rsgae df Cluikt II , par un honune de la AIai£>n Bn^ let , i ce qu*on croit. H Tuppolê que Ici mazî- nesqoe prëchoient le* Preibjrtérietis (ôr l'ex^ Aiiude de la juAics» imsimc* iaiptsficaUei en ce bas Konde, & qui tous Clnrlci I leur firent iMUiIeverfer l'Angieterre, aSn d'y réparer de
g lits déroTiIres, avoietit toarné la tue à Ton uddjbras, comme ta leâvrc- derKomans d* Chevalerie awû lenveiJÏ la corvette as pan* «re Doffl Quichotie. Huddibraa fè mit don; aux champs pour travailler à rçedre à chacun ifes droits, propriétés & FranchiTss, & même aux ours qu'on menoii danfèr aux foires pour le profit d'astrui , & qu'on avoii »bîtiairemeHC Jéponilléi de leur liberté naturelle, fârw lent avoir &it précédemment le piopés tûivant U loi Se devant leuR Pain, Ses aventures finiSent ordinairement comme cellei ia Hètos au Ce» mat» at de Trivclin^
Coo^tlc
fur laPoijU &JkrU Peinturt. x^f Un autre Veft ims au haeard de fctxnn- p« vingt fois le col , p» ce qu'il trou- voit plus galant de fe gotnder à Ïtàd4 d'une écheHe do c«rde dans l'appurte- ment de fa ftiÊotie , que tPy eatrvr par la porte. Un troifiëme eâ defcciida ^ns une fofie aux lioas, pour en np> porter à & Dams le gand (ju'elte tfy avoir jette que pour PtnrvyaT «he». cher» & ptMir te &ire un fort Ugev hofuteur au péril de la vied'unltoMaMy dont Tentêtemeitt méritmt du «MM de la compaffien. C'eft aSèi parler de ces cajvices <^i ferment prendre lei François , les Eiîttgnols k quel^ie» autres Nations , pour des pcu^s d* fols- par les Grecs du tems d'Alexandre , & par les Romains du tems d'AuguAe » fi , pour me fervir de Texpreffion tant ufitée f les uns fie les autres pou- voient revenir au monde. Les Romans de Chevaleiie 6c de Bergerie ont en« core fomenté chez les Pranç<»s le goftt ifui leur fait demander de Psmour par* tout. Ycdlà la fource de cet amour imaginaire qui fo trouve dans la pht* part de leurs écrits. Les Etrangers-, fiffi font ceux qui* font diétettnin^ trar letrf Juuneurànefe contenter .^e d'image Gij
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14^ Réflexions critîqtus
& de peintures faîtes véritablement d'après la nature , UTent ces endroits fans être émus.
n n'en eftpas de même des peintures de l'amour qui Ibnt dans les écrits des Anciens:eIlestouchenttous les peuples; elles ont touché tous les fiécles , parce que le vrai fait fon effet dans tous les tems. & dans tons les pays. Ces pein- tures trouvent partout des cœurs qui Îeffentçnt les moùvemens dont elles oot des imitations naïves. Ain£ Ta- mour que .les bons Poètes de la Grèce avoient mis dans leurs Ouvrages , tou- çhoit infiniment les Romains , parce que les Grecs avoient dépeint cette paillon avec fes couleurs naturellçs,
' fpfrtif Si^ftiif ariar
Vnnatt ^ rtmrniffi calant ■ Molia-fiàibui paU^,
dit Horace (<i)V en parlant des vers de Sapho, Qu'on voie dans celle des Odes ^ cette nlle que Monlieur Dejpréaux a tournée en François dans fa Traduc- tion de Longin, quels font les fymptô< ines de Tamour^palEon, Les peintures de cette paillon qui font dans le$ Ppç-
(ij Ode 9. I. ^
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fur la Poëfie ù-fur la Peinture. 1 4^ fies des Romains,nous touchent,comme celles qiii font dans les Poëfies des Grecs touchoient les Romains. Les amoureux eue les uns & les autres ont introduits dans leurs Ouvrages , ne font pas de froids galans ; mais des hommes li- vrés , malgré eux , à des tranfports qui les maîtriient , & qui font fouvent des efforts inutiles pour arracher de leur cœur des traits dont la morfurc les défef- pere. Telle eft l'Eglogue de Virgile qui porte le nom de Gallus.
SECTION XIX.
De la galanterie qui tfi dans nos Poèmes* ■
J E vais encore rapporter aux Fran- çois ce ([ue dit un autre Ecrivain An- glois fur la galanterie de nos Poètes, l*s rapports ont un attrait fi piquant,' qu'on ne fçauroit fe défendre d'aimer à les entendre ; & en des matières pa- leiUes à celles dont il s'agit ici , il n eft ni mal-honnête, ni dangereux, de con- tenter la curiofits des perfonnes inté-. reffées.
Giij
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Monfieur Perrault («) avoit neprocEfe^ aux Anciens <]u*ils ne coRoomoieiiX point ce quç nous aj^Uons galanterie ^ Ce ifï'an n'en voroit aucune fleur dans leurs Poètes ; au-lleu que les écrits des Poètes François , Toit en vers, foie at p-ofe , ces derniers écrits font les Ro- nuos , fe trouvent pariêmés de ces geo- ï^eSet. MonfiFiir Woton oui a pns le parti des Adodenies en Ao^terre , fie qui a défètidu cogitre Mylord Orerr a même caufe (çjfi Monueur PenaïuC avoit Toutenue en France , abandonne foa coitq)agn(»i d'arme dans cette lice. Il ne veut point pafler à nos Poètes pour un Btérite , ce ^argop j^eto de ùi- deitr , (elôn lui , qu'on appelle galante- rift. CVft f ajoute PAuteur Aiiglois (A), un fentiment qui n'eft pas dans la na- îur? , une des afFçftations extravagvv- tes que le mauvais goût du fiéde a oiis â la mode. Ovide Se TiUûlevi'ootpcRttt m$ degalaoterie dans leurs écrits. EKia- ^on <^i ils oe connoiâbiem pat le coeur humain , &c les teimiêtes que toutes ie$ louons aowureufes y fçxvtat ex-
ïa) r^t^tUi Al Afirv 6^ é' Volent. Twn- 1. il**-*
'furUPûtJUùfuTia.Pwuuri, \^%
Cîtek- ? L'émotion <}u'on éprouve ea
Ufant leurs vers , ^ bien fentir que
ia nature même sV ex^que en fajvo*
pre langue. Les Poètes & les &iieurt
«le B-oaians, contmue Monfieur 'W^o-
toa C'), comme d'Urfé^Calprenede
£c. leurs femblables, qui , pour avoir
occafioa die £ùiï parade de Leur efprit,
nouspeignentleursperfonnagespleinsft
la fcM d'asour tc d ea)ouëment , & qui
en ibnC des diâxiureurs fi gracieux , ne
Vécanent pas moins de la vraiTemblaiH
ce , que Variilas s'écarte de la vérité.
C^ comme la vérité eu l'ame de Itûf-
toire , la vraifenÀlance eA l'ame de
toute fiâion& de toute Poëûe. C'eflle
vraifemblable qui nous émeut , & qui
ttous fait iàire cas d'un Oitmge ^da
fon Auteur.
Quand je itis <{ae Monfieur 'Voton a défendu la même caufe que Monfietnr Pert^t ; |e dois ajouter que Monûeur "Woloa , en mettuu le fçaroir des M09 demes au-deâits de celui des Anciens danslaphipartdesArtsâcdesSciences, - tombe Raccord néanmoins que dans la poeiie & dans l'éloquence les Anciens ont fiirpailë les Modernes de bien-loin.
W Par- s*.
Giv.
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• 151 Rificxïons critiques
C'eft ainfi qu'il s'en explique loi-même dans le chapitre que j'ai déjà cité. Voi- ci même ce qu'il ajoute : (a) Monjuur Ptrrault n'ftott point ajftiffavani fil n'tff tcndoit point ajfe^ bien U Grec & le Latin pour faire mê^ «»• bon ParaléUe entre FEloquenct & la Poêfiedts Anciens & t£ts Modernes. La digreffion feroit trop longue fifallois entreprendre de faire une iimmé- TOtion 6xa3e dejes bévues ; on mt regar- dait d'ailleurs dans toute l'Europe com- rm un téméraire , jt je me mêlais d'écrire fur ce fujet apris ce que M, Defprlaux vient d'en dire dans fis Réflexions criti~ ques fur Longln, Il y ven^ Us Auteurs illuftret de l'Antiquité, auffi-bien qiCUles fçtut imiter, ■ Pour revenir à la galanterie , un de fes traits énerve fouvent l'endroit d'un poëme le plus pathétique. Il fait cefler pour un tems l'affeâion qu'on avoit prifepourleperfonnage. Renaudaroou- reux malgré lui , & parce qu'il eA fub- jugué par les enchantemeos d'Armide , jn mtérefle vivement àia fituation : je fuis même touché de fa paffion , quand il ouvre la fcéne , en difant à ia maî- ireffe qui le quitte pow im moment:
(a) P^S- il'
:-„r-., Google
fur la PoiJU Sffur la Peinture n j ^rmid* , vous m'alU^ quitter (a) ; Sc lorsqu'il nejui réplique , après qu'elle lui a dit le motif important qui l'oblige à s'éloigner de lui , que les mêmes pa< Toles qu'il lui avoit déjà dites , Armtde^ yous m'alle^ quitter ^ Renaud me paroît alors un homme livré tout entier à l'a- moiu*. L'amour ne fçauroit mieux fe feire fentir que par cette répétition : c'eft.la marque de l'yrreffe de la paf- iion y que de n'entendre pas les raifons qu'on Uiioppoie. MaisuDmomentaprès Renaud devient un amant précieux &; un amoureux afleâé , lorfqu'il répond à la maîtrelTe .qui lui dit , ^oyei^ ta quel luuje vous taiffèy par ce fade compli- ment , Puis-je rien voir que vof appasj^ ^r C'eft en qualité d'Hiflorien mie je rapporte ici ce que nos voifîns difent da nous. Si je fréquente les Nations jétrai^- .geres pour apprendre leurs fentimeps^^ c'eft fans renoncer aux feniimens.de la mienne. Je puis dire comme Senequat j^i) Solto Jstpe in aliéna caÛra tranfire^ non tanquam transfuga , featanquam «■'- plorator. C'eft à nos Poètes d'exami- ner jufqu'â qwel point ils doivent dé^
(a.) OptTi ^Arnâit , A&. s • Sctit. pnrt.
■ -Gy ■
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f J4 Riftxt9HS criants
fërer aux critiques de nos vcàfiiu. Te crois av(Hr traité aâ#2 au long les deux queftiofu, s'il eft à propos de mettre éà l'anuHiF thns les TragMÏes , 6c â nos Poëtes qe hiî donnent pas ime Hop grande paît dans l^intngue de leurs |»éces. Auffi ae me relte-t'il plus que d£ux nots à dire îv» ce fùjet.
SECTION XX.
Dt ^utiques maximes ^'il finit ehjhvtr M traitant des Sujtts trap^uts.
1 L Importe b^ucoup aux Poètes tra- igiques de nous feire adAiirer des per- fonnages dont il &ut ^e les malheiu-s nous cDÛtçnt des larmes , afin que la Tragédie r^uffiffe. Or lesfoiWeffesde Pamour déparent beaucoup de caraâe- res hérolmtçs qui oous Inf^eroient de ta vénération, s'ils n'étoient point avî^ Cs par ces foîblefbs.
La même raUbn qui doit ob^er les Poëtes à ne pas kifl^r prendre à nmour un trop gnuid empire fur leurs Héros ,' doit les eogager auffi à èxn&t teint
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fitrlaPoiJtt&fiarUPiàuun. 15^ Héros dans des tems éloignés d^unc certaine dîftmcc diinôtrc. Af/or^/on- gitt^uo reviruuùt , dh Tadte ; il eA fini &cile de noDS nÉfpirer de la Téaération pour des hommes qui ne nous font c<Hi- nos que pv ce qu'on Ht d'eux dans ThiA tcnre, que pour ceox qui OBtrêcu dans des tems fi peu éloignes dn nôtre, qu'u- ne tradition encore récente nons inf- tniit exaâentent des particularités de leur vie. Nons fçavons des détails fur les petiteflès des grands hommes que BOUS aroBs vus, ou qite nos contem' porains ont pu voir , qui rapprochent fi bien ces grands hoounes des hom- mes or&uiics , que nous ne fçao- rions avoir pour eux la minK véné- ration avec Uqaelle nous fmmnes en habitude de regarder les grands hommes èe Rome tic cenx de k Grèce. Autbtë v'dk tauJamus Httatius {a). Cet apo- phtegme cft encore pfats vétitable en parlant des hommes , qu'en parlant de» ouvrages de Vttt on des merrdUes de la nature.
il ntft point d'homme qtù fok ad- nmtiiilc , tTû n^eft vu d%uie certaine diftance. Dè£q«*OM pettt voir les hom-
ti> f «Mm «k *^
■ Gv,
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1^6 ■ RéfiexioHs triùquis
mes d'atTez près pour difcemer leurs petites vanités & leitrs petites jalou- fies , comme pour démêler les idéali- tés de leur elprit, l'admiration cefle. Si nous fçavions t'hiftoire domeftique de Céfar & d'Alexandre avec autant de détaîL que nous fçavons celle des ^ands hommes de notre fiécle, les noms du Grec &: du Romain ne nous infpireroient plus la même vénération qu'ils nous infpirent. Je foufcris vo- lontiers au livre qui a dit : Que les plus grands «memis .de la gloire des Héros , étoient leurs valets de cham- Bre.Les Héros gagnent toujours à n'être connus que par le récit des Hiftoriens ; la plupart fe phifent à rapporter ces traits naïfs & ces petits &its anecdotes ^i font encore admirer davantage les hommes illuflres ; mais ils tàfent vo- lontiers tout ce qui feroit lui effet con- . traire. Voilà pour les Hiftoriens ortti- naires. Quant à ceux qui veulent dire du mal , ils font bien quelquefois les hommes plus méchans que peut-être 'ùs n'ont été ; maïs il eft très-rare que ces Hifloriens. feflèni les hommes .plus pe- tits. Un Hiftorien met fes talens en évi- dence , il peut même iàice parade de ia,
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furlaPoëfit&JkrlaiPtinèure. iç^ jSrobïté , en racontant . les aftïons d'un grand fcétérat ; mais il fe dégrade lu- même , & il devient un Ecrivain infi- pide , s'il ^t de Tes Aileiirs des hommes trop ordinaires. LePoëte tragique , di- ra-t on , peut fupprimer toutes les peti- tefles capables d'avilir fes Héros. J'en tombe d accord ; mais l'Auditeur s'en fouvient, il les redit lorfquele Héros a vécu dans un tems fi votfm du fien , que la tradition l'ainAruit de ces peti^ tejTes.
D'ailleurs Melpomene fe plaît à i>a- rer fes vîâimes de couronnes & de fcep- tres ; & les Maiibns Souveraines font aujourd'hui tellement enlacées les unes avec les autres par les mariages , qu'on ne fçauroit faire monter prefentement fur la fcène tragique un Prince qui att cegné depuis cent ans dans uii état voi- fin , iâns que le Souverain du Pays oil k piecerèroit repréfentée , s'y trou- vât intéreffé comme parent. L'inconvé- nient s'expinpie affez de lui-même. Ain- £ j'approuve les Auteurs qui, lorfqu'îls ont pris pour fujet quelqu'événement arrivé en Eurc^e dqniis lui fiédc , ont mafqiié leurs peifonnages fous le nom .des anciens Aomains , ou de ' Prince^
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t^S Ai/extoiu erMqtat
Grecs', aufquels perlbmie ne prend plud d'mtéràt. On ne fçauroit mettre fur le théiâe tout ce qu*un Hiftonea peit écrire dam un lirrcLe théâtre efi, pour ainfi dire , un livre deftiné à être lu en puUic ; & les bieafëances dcÀveat être obftrvées , tous les égards d<nvent2tre flardés dans tes ptéoes qu'on y repré- unte, avec encore rius de féverité que dans l'iùftoire la [Hos grave. Qaand MDnfienrCanqxlbtioToulut mettre au théâtre l'avaiiture tragique de Dont Carlos , le fils »né de PhUippe U Roi d*El{»^ie , il traita ce fujet tons le nom d*Aa(bisme. Mais ma%ré le diat^menc du non des perfonnages, la rraréTen' tation de cette Tr^é^e a été defotdue autant Icsigtems dus les Paj^-Bw Ef- pignols.
Les Poëtes Grecs naTOtett pmot cette d^cateffe. Teo tombe d'acccaxL Us cA «ts fur la ft^tie des Sourcnns morts depuis peu de teins , & qnd^pie* fois m✠des Princes virtns. Mab ces Poëtes avtùent été élevés dans l'efprit Républicain qui régnait parmi les Atbé* àens, &(Biicheitbotttoi90ursïpen> dre odieux le gcnvemeatfttt d*kin &uL C'étoit Un mojen d'y iéul£r que de;
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fm U Potjît &JUr la Pànturt. i jy repréfenterlesRofc & les Princesavec un caraâere Tictenk , dans des ipeâa- cles qui deroient avoir encore pnis de pouvoir filr l'imagination des Grecs , qu'ils n'en fcanroient avoir fur rima- eination des peuples Septentrionaux. Voilà poiifqnoi les Poètes Grecs ont défiguré quelquefois le véritable carae- tere des Souverains ; voilà pourquoi ils ont introduit fi fouvent fur la fcène Orefte malheureux 8c pourfoivi des Furies , quoique les Hiftoriens citent ce Prince poor avoir vécu & régné longtems beureufement. FaSum tjus à Dits approbamm fpano vUk & feiiàtate Imperii apparuit , quippt vixit annis no^ naànta , regnav'ufeptuaDrua , dit Pater- cuîus , (jt\ en pariant crOrdle.
Deux Nations voifines de la nètre font encore monter fiir le théâtre des Souverains morts depuis cent ans ou environ. EUes y traitent des éréne- mens tragiques arrivés dans leur pro- pre pays depuis un fiéde. Peut-être eft-ce qn'eHes n'ont point encore une julïe idée de la dignité de la fcène tra- gique : peut-être entre-t^t auffi dans leurs vues quelque trait de la poH- (j) Kifi. lib.frim.
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i 60 RtjUx'ums ctitîquts
tique Athénienne. La Tragédie Fia» mande , dont le fujet eft Te fameux Siège de Leyde que les Efpagnols le- vèrent durant les premières guerres des Pays-Bas (a) , & laquelle , fuivant lafondationd'uaCitoyende cette ville, s'y repréfeote encore tontes les années dans le mois où l'événement arriva , ell pleine des maximes & des Sentences contre les Rois & contre leurs Minif- tres , qui pouvoîent être à la mode dans Rome après Texpulûon des Tar- quins. Jamais aucun Tragique Grec ne tâcha d'e rendre les Souverains odieux, autant que Mylord Comte de Rochef- ter Ta voulu raire dans la Tragédie de yalentlnien.
Ce n'a point été certainement par un pareil motif que nous-mêmes nous avons feit monter furnotre fcène, lors- qu'elle étoit encore grofliere , nos Sou- verains encore vivans. Les François font cités chez toutes les Nations pour refpeÛer naturellement leurs Princes : Ils font même davantage , ils les ai- ment. Auffi juge-i'on facilement par le çaraûere des pièces où les Poètes François ont Introduit leur Souverain
(«/ En IJ74.
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fur la Poifie &furUPtinturt. i5i même , -qn'ils n'ont péché que par grof- fiéreté. Peu de mois après la mort de Henri IV, on représenta dans Paris une Tragédie dont le lujet étoit la mort 6j- nefte de ce Prince ; louis XIII qui ré- gnoit alors , &ifoit lui-même im per- lonnage dans la pièce ; fie de fa loge il pouvoir fe voir repréfcnter iur le théâ- tre oh le Poëte lui faifoit dire que l'étude l'affommoii , qu'un livre lui failbit mal à la tête y qu'il ne poiivoit guérir qu'au fon du tamboiu" , 6c plu- sieurs autres gentilleÛes de ce genre , dignes d'un fils d'Alaric ou d'Attudaric. Mais la raifon ou bien les réflexions nous ont rendu depiûs le peuple de l'Europe le plus délicat & le plus dif- ficile ûir toutes lesbienféances du théâ- tre. Nos Poètes ne peuvent fe tromper impunément aufoto-d'hui fur le choix dit tems , fie du lieu de leurs pièces.
Moniteur Racine foutieiit dans la • Préface de Bajazet , dont la mort tra- gique étoit un événement récent , quand il le mit au théâtre , que Péloi- . gnement des lieux oit un événement eft arrivé , peut fuppléer à la diftance des tems i & gue nous ne mettons prefque point de différence entre ce qui eft ar-
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ï6i Riftxum$ erià^ÊiS
rivé mille ans Avaitt notre teols , tè ce qui elt anivé à mille lieues de ncH tre pays. Je ne Cuis point de foa fenfiment. On ne trouve perfonne quî ait reçu mille ans avant lui ; mais on renc<MUre toiis les jours des gens qui ont vécu dans ce pa^ élowné de nulle lieues, & leurs récits nniient i la^é^ néraâon qu'on prétend nous donner pour ces hommes devenus des Hérot en paflant la mer. D'ailleurs le com- merce entre la France 8cConifauiti« noi^ eA û grand , que nous coo- noiâfons bien nûenx les moeurs 8c les tifages des Turcs par les relations ver« baies de nos amis qui ont vécu avec
eux, que nous ne connointms ceux des Grecs 6c des Romiùas fur le récit d'autenrs morts , & à qm l'on ne fçau- rt»t demander des expbcatimis, qiôad ils font oUcnrs ou trop iiicciiÀs. Un Poëte tnigiqàe ne fçanrott donc ^oler la notion générale que le monde a iiir les mœurs & fin- les coutumes des na- <ions étrangères, fans pr^udicier à h vrat-femUanee de U fnéee. Cependant les régies de notre tfaéitre & les ufa- ;es de notre fcène tragique , qui veu- '-" que les fesmes ayent toujours
...Xooyic
le
Jkr U Paifa ù fur U Pvjitan. itfj Iwtucoup de part dans l'inti^ue, & que l'amour y foit traité fuivant not manières , empêchent que nous ne puiffioDs ' nous coafbrmer aux mœurs & aux coutumes des Nations étran- gères. Il efl vrai que les défauts qû réfuUent de cet embarras ne font re* marqués que par un petit nombre de perfonnes aiTez înAruîtes pour les con- Boitre \ mais il arrive qNe » pour ^re valoir leur érudition , elles exagèrent Couvent l'importance des défauts y & il ne fe trouve que trop de gens qui fe plaifent i répeter leur critique. Je n'a- jouterai plus qu'ua mot à cette obfer* vation : c'eft qu'à l'exception de Ba- jazet Ix. du Cc»Bte d'Eflex y toutes les Tragédies écrites depuis quatre-vin^ ans , dont le fujet étoit pris dans l*hif- toire des deux derniers lîécles, font tombées , leurs noms mimes ibm otH Miés.
La définition qn'Aridote iàit de la Comédie, quand il l'appelle une imi- tation du ridieuk des bonunes , ensei- gne AifEfammmt quels fujets lui font propres . Comme elle n'inflige pas d'au- tre peine aux perfonnages vicieux que le ridicule, <lû u'eft pas laite pourre-
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164 RéfitxUns cnû^tui
, préfenter les aÔions qui méritent des châtimens plus graves. Oo ne doit tra- duire à fon tribunal que des hommes coupables envers la fociété de délits légers.
SECTION XXI.
Du choix des fu/'ets des Comidits. Où il en faut mtttre la Scène. Des Comédies Romaines.
J *A I rapporté plufieurs raifons pour montrer que les Poëtes tragiques doi- vent placer leur {cène dans des tems éloignés de nous. Des raifons oppofées me font croire qu'il faut mettre la fcè- ne des Comédies dans les lieux & dans les tems oti elle eft repréfentée : que fon fujet doit être pris entre les évé- nemens ordinaires ; & que fes perfon- nages-doiventrelTemblerpar toutesfor- tes d'endroits au peuple pour qui 1*00 la compofe. La comédie n'a pas befoin d'élever fes perfonnaees favoris fur des piedeAaux , puifque fon but principal n'eft point de les faire admirer pour les faire plaindre plus facilement : elle
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furUtPoéJtt&furlaPànturt. i6j veut tout au plus nous donner pour eux quelque inquiétude caufée par les contretems fâcheux qui leur arrivent , &qui doivent être plutôt des traverfes que de véritables infortunes , afin que nous (oyons plus fatisfàits de les voir heureux à la fin de la pièce. Eileveut, ennpus faifant rire aux dépens desper- fonnages ridicules y nous corriger des défauts qu'elle joue , aiîn que nous de- ~ venions meilleurs pour la fociété. La Comédie ne fçaiyoit donc rendre le ri- dicule de fesperfonnagestrop feniible aux fpeâateurs. Les fpeâateurs, en démêlant fans peine le ridicule des per- sonnages i auront encore alTez de peine â'y reconnoîre le ridicule qui peut âtre eh eux. *^
Or nous ne pouvons pas reconnoîtrc auffi facilement la nature , quand elle paroît revêtue de mœurs , de manières, d'ufaecs & d'habits étrangers , que lorl- qu'elfc eft mife , pour ainli dire , à no- tre façon. Les bienféances d'Efpagne , par exemple , ne nous étant pas aulS connues que celles de France , nous ne fonimes pas choqués du ridicule de ce^ lut qui les blelTe , comme nous le Te^ lions , û ce peribimage bleHoit. les
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s66 RifiexUns critiques
bienféances en ulàge dans notre p^ trie & dans notie tems. Nous ne fe- xions pas auffi frappés de tous Us traits qui peignent l'Avare , (pie cous le iom- mes , a Harpagon ezerçoit ià léâae fur la dépenfe d'une maifon r^^e lki> yant rceconooûe des nsaifata d'ttalie. Nous reconnoiflbns toujours les hommes dans les Hétoê des tr^é* dies, fott que leur /cène fbit à Rome» ou à Lacédeuone, parce que la Tnu cëdie nous dépeint les grands nces Si les grandes vertus. Or les hommes de tous les pays fie de tous les &îcle$ font plus femblwles les uns aux autres dans tes grands vices 8c ^aas les grandes vertus , ^'ils ne le fout dans les coutumes , dans les ufages ordinaires , en un mot dans les vices & les ver- tus dont la Comédie veut faire le po^ trait. AJnfi les personnages de Comé- die doivent être taillés , pour ainfi di> re , à la mode du pays pour c|ui la Co- médie eft <e.
Plaute & Térence, dirart'on, ont mis la fcène de la plupart de leurs pièces dans un pays étranfcjt pax rap* port aux Romains pour qm ces Conl^ oies jétoient compoféefe L'imrigue d?
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J^ U Poi^ &fur la Pùnlurt. i6f leurs pièces fuppofent les loix Se les moeurs Greç[ues. Mais fi cette raiibn ùàt aoe obgeûioB contre mon fenti* laect , eUe ne Cnffit point pottr prou- ver le fcDtiinent oppofô a celui que l'expoiEè. lyaittenrs )c répondrsi i l'ob* jeûian , qie Plame &c Ténnce ont pA ie tnwner. Quand ils conporereot leurs pièces , h CcoÊoéAt itoit i Rome un poëme d\aï genre nouveau ^ te les Gre<s avoient déjà fàît d'excellentes Comtes. Plante & Térence , qui n'a- voient rien dans la Ism^ latine qui fût leur fervir de guide , imitèrent trop lervilement les Comédies de Ménan- dre 6f d'autres Poètes Grecs, & ils louèrent des Grecs devantlei Romains, Ceux qui tranfplantent quelqu'Art que ce Ibit d'un pays étranger dans leur patrie , en fuivent d'abord la pratiqua de trop près, & ils font la mëprif« d'imiter chez eux les mêmes originaux mie cet Art eft en habitude d'imiter dans les lieux oh ils l'ont appris. Mais l'expérience enfeigne bientôt à chan» ;er l'obiet de l'imitation : auffi les ^ 'oè'tes Romains ne furent pas longtems à connoître que leurs Comédies plai» voïtpt âsivantAp, »'il9 en mettoient
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l68 Réfexiàns cntîquts
la fcène dans Rome , & s'ils y jouoient le peuple même qui devoit en juger. Ces Poètes le£rent,'& la Comédie compofôe dans les mœurs Romaines , fe divifa même en ptufièurs erpeces. On fît aufTi des Tragédies dans les mœurs Romaines. Horace y le plus judi- cieux des Poètes., fçait beaucoup de gt-é à ceux de fes compatriotes qui les premiers introdui£rent dans letu^ Co- médies des pet'fennages Romains, & dui délivrèrent ainfi la {cène Labnc d*une efpece de tyrannie que des per* fonnages étrangers y venoient exer- cer.
Hïï tiarmatum nojln Kjntrt Teitx ; Nie minimvm mtmai itaa ttjUgîa GrMtt Aiffi difirat , (f ccUbnrt dom^icafaÛt , ■ Vd gui PratexiM . *tl jul iaetari Ttgam, (i)
XjSS Romains , en parlant de leurs Poe- fîes dramatiques, ont confondu quel- €|tiefois le genre avec l'efpece. Je crois néanmoins devoir tâcher de débrouil- ler ici cette confiifion, pour faciliter l'intelligence de ce quimerefte encore ^ dire fur le fujet que je traite aftuel- ■lemenr. • * ■
■,r ..Google
furlaPoëJîe & far la Pelnturt. 169 Lx Poëfie dnimatique des Romains ' fe divifoit d'abord en trois g.enres,qui fe fiibdivifoient en plufieurs efpeces. Ces trois genres étoient, la Tragédie, la Satire 6c la Comédie.
LesRomainsavoientdes Tragédies de deux eCpecë^. Us en avoient dont les mceiirs Sclesperfonnages étoientGrecs, ■ & îJs les appelloient Palilata ^ parce' .tju'onfefervoitdeshabitsdesGrecspour, les repréfenter. Les Tragédies" dont les mœurs & lesperfonnages éioient Ro- mains , s'appeltoient Pratexiatte ou Pr«texta,^u nom de rhabrt' i^we les per- fonnes de condition portoient à Rome. - Quoiqu'il ne nous foït demeuré qu'une Tr^édie de cette efpece , VOcfavie qui paflefeuB le nom de Séneque , nous' fçavons néanmoins que- les Romains en avoient un grand nombre. Telles étoient le Brutus qui chaffa les Tar» quins , & le Decius du Poëte Altius. ' La Satire étoit une efpece de Pafto- ralc que quelques Auteurs <liient avoir tenu le milieu entre la Tragédie & la Comédie. Nous n'en rçavons guéres davantage.
La Comédie , ainfi que la Tragédie ,* fc divifoit premièrement en dpuxefpe-- Teme /. H
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1^0 Réfitxlons critiques
ces ; la Comédiâ Grecque ou PaiiiMa ^ & la Comédie R(»iuùne ou Togata , par< ce qu'on y iotroduifcùt or^natremeiit de umples citoyens dont Tbabit étoit le vêtement appelle Toga. Togata fa- buta liîcumur qua fcriftMftuuficttndàm- ritas & habitus homimtm Toffuorutn , id efi Romanoram , dit Dîomede' (a^ ait- cien Auteur , qui a ^àx quand l'Em- (Hre Romain A^ûiloit encore.
La Cooiédie Romaine Te fulxliviroît à ion tour en quatre efpeçes; la Co- médie Tf^iM, fs^opreinent dite , la Comédie Tahtrnaria , les pièces AteU»< i^es S( les Mimes.
Xfis jnéces du premier caraâere étoieot très^ierieufes , & l'on y intro» duifoit même des perionnages de con- ^tîtm , ce qui lesfaitappeller quelque- fois Pnerex/d/A. ApudRomtnos^ dit Dio" mede (i) , PrtUtxtata , Taiernari4-y At~ ttlUna , Planipts, Les pièces du fécond caraâere étoient des Comédies un peif pioins férieufes. Leur nom venoit de Taitrna^ flui iîgnifioit proprement un iieu de rendez-vous propre à raffembler les ppr&nnes^dp conditions difféie^e?,
(al Dt Artt Crtm. U |, c. 4.
fitr la Poëju & fur U Ptïntun. lyt qui puoient un rôle daos ces pièces.
Les Atellanes étoient des pièces telles à peu près que les Comédies halieiines ordinaires , c*eft-à-dire» dont le dialogue n'eft point écrit. L'Ac- leur des Atefîanes jquoit donc fon rôle d^imagination , & il le hrodoit à fon plaifir. Tite-Live , en faifant l'hiftoire du progrès de la Comédie à Rome , dit (pie la Jeunefle de Rome n'avoit pas voulu que cet amufement devînt un Art. Elle fe Tétoit réfervè. Voilà pour- quoi , ajoute-t'il , (n) ceux qui jouent dans les Atellanes , confervent tous les droits des citoyens , & qu'ils fer- vent mâme dans les liions , comme s'ils ne montoient pas fur le théâtre. So infiitucum manet , ut ASores Atdla- nanim me tribu moveaniur , & fiipepJia tanquam expertes artis Ludicra faciant, Feftus dit que les fpeûateurs n'avoient pas le droit de les - faire démafquer , comme ils pouvoient faire démarquer, les autres Comédiens. On fçait bien
S|U'ils n'en étoient pas quitte quelque—,^ ois pour s'ôter le raafqùe, AttUdmiu$ . hahent perfonam rtonponere.Tous ces Co- médiens jouoient chauffés avec cetteef-
W i^t. 7.
H M
171 Réjlix'iom cr'tîqiUS
pecedefouliers particuliers {{u'on appel- ioit Soque. te Çothantt ^toit la chayfliire deceuxquijouoient les Tragédies.
Les Mimes reffembloient à nos far- ces -y & leurs Aâeursjouoient déchauf- fés. Combien , dit Séneque , trouve- t'on de Sentences dans les Poëtes dont, des Philpfophes pourroîent fe faire honneur ? Je ne paf le point des Tragé- dies ni même des Copiédies à longue robe f qui , par la gravité qu'elles gar^^ dent , tiennent le milieu entre les Co- médies plaifantes & la Tragé^e. Mais dans les Mimes mêmes , combien y a<- t^l de maximes de Publîus Synis plus {Propres à être débitées par des Aâeurs montés fur le S^^"** ^ même fur Iç Coikume, que par des A^^urs fans cbaufTurp. Quàm multa Pofta dUum gux à Philofopfus aut diSafunt , aut Ji- cenda. (a). Non aitingam Tragicos ont Togatas jtofiras. Hatcru ti^m kfzc quoqut aii^aîd fivtritatis , & funt iruer Tragc jlias ^ Comtdiof médise, Quamiim fifer-t ^JJùnorwn verfuwn intfr Mimas jacet ? tjUàm multa Putlii y non excaUeafis ,Jid fothurnatisj dictndafuat. Ce Publius Syi- rqs éttfit un Poëte qui feifoit dg ^ti
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furtaPoèjU&furtaPtlmuTt', Xf^ Codiédies appellëesMirhes, & le rival de Laberius. Macrobe par!e beaucoup de leur concurrence dans fes Saturna- les, Diomede achevé de confirmer câ que je viens de dire en écrivant («) î (^uartd Jpceies ejî Planipedia, Greci d'ici' tur Mimos , quod ASores plams pedikuS pfofienium introirent , nan ut Tragîct Ac* torts cum Cothurnis , mqut Ut Comici cunt Saccis. La quatrième efpece de Comé- die eft celle qu'on appelle Comédie dU chauffle^ parce que les Adeurs qui Ul jouent , ne chauJient point le Cothurne^ comme lesAfleurs qui repréfentent les Tragédies , ni le Soque , comme ceux qui repréfentent les Comédies des trois premiers genres. Les Grecs donnent le ïiom de \^mes à cette quatrième efpece de Comédie.
Nous Toyons par l'aventure qui ar- riva aux iùnérailles de Vefparien ^ oii Suétone nous dit que fuivant l'ufa- ge , on jouoit le caractère du défunt dans une pièce de Mimes, quHlyavoit de ces pièces dans les mœurs Romai- nes. L'avarice de cet Empereur n'en avoit pas été moins fcândaleufe , quoi- qu'il règayât ibuvent par de bons mot9,|
W Lit. a. e. 7. Lit. ), Cl.
Hiij
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1 74 Riflexîoas critiques
dont plufîears font venus jnfqti*i nous d). Tout le moade içait, par exemple , le trait dont il fe fervitpour cjtcroquer une ville qui vouloit depen- fer une grande fomme à lui ériger une Statue. Meflieurs,dit'il à Tes Députés» en leur préfentantlajpamnedelamain, voici la Mfe où il raut placer votre Statue. Favor ^rchimmus f c'e&le nova & la profeflion de PAÛeur qui iàifoit . îe rôle de Vefpafîen , ayant demandé aux Direâeurs du convoi , combien coutoit & pompe iimébre , il s'écria , lorTqu^ileitt apprit que ladépenfemon- loit à des millions : Epargnons , Mef- fieiirs , donnez-moi cent mille écus , & iettez mon cadavre dans la rivière. Nous parlerons plus bas des PaJatomî- mes , efpece de" Comédiens qui dccla- inoient fans rien prononcer. Retour- nons à notre fujet.
Nos Poètes L^qiies & nos Poètes Comiques ont &itta même m^rîl£ que Plante & que Tèrence, lorfque notre goût pcrfeâionné par Malherbe & par tes fuccelteurs , devint aflez difficile pour ne s'accommoder plus des an- ciennes farces ; nos Poëtes Comiques . ■WDm.lih.ft.
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fur UPiûJtt&furlaPelntun, 175 François tâchèrent de perfeâionner leur tâche , comme les autres Poè- tes avoient perfeâionné la leur. Ces Poètes Comiques fans modèles, & peut-être fans génie , trouvant que les Efpagnols nos voî£ns ëtoient tleja ri- ches en Comédies, copièrent d'a- bord les Comédies CaffiUanes. Pref- qiie tous nos Poëtès Conkiques les c»it imité , jufques à Molière , qui , après s'être égaré quelquefois, prit enfin pour toujours la route qu'Horace a jugé être la feule qui fôt bonne. Ses dernières Comédies , fi on en excepte celle qu'il fit poiu- jouter contre Plante,' font dans les mœurs Françoifes. Je ne parle point des Comédies héroïque» de Molière , parce qu'il fongea moins ^ en les écrivant , à faire des Comédies , qu'à compofer des pièces dramatiques qui puffent fervir de liaifons aux di- vertjffemcns deftinés à former ces fpeôacles magnifiques que Louis XIV encore jeune donnoit à fa Cour, il dont la mémoire s'eft confervée dans les pays étrangers , autant que celle de fes conquêtes. Le Public , qui ne fort gueres du bon goût , lorfqu'it y eft en- tré, a rejette depuis quelques années Hiv
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1 76 Réflexions eritî^ues
toutes les Comédies con^orées <lans des moeurs étrangères , avec lelquelles on auroit voulu l'amnfer. En effet, à moins que de connoître l*Ëfpagne Se. les Efpagnols ( connoiflance qu'un Poè- te n'eA pas en droj^t d'exiger du ipec- tateiu') on n'entend pas le fia de la plupart des plaifanteries de fes pièces. Combien y a-t'il de ipeûateurs qui ne comprennent pas la moitié des plaifaa- terîes deDomJaphetî celle, par exem- ple f qui roule iur te reproche que les Cailtlîans qui prononcent bien & net- tement , font aux Poitugaîs qui pro- noncent mal , & qui mangent une par- tie des fyllabes : Ce font les guettons fuiparltMi Portugais.
Nous avons eu depuis quatre-vingt ans deux diiFérentes troupes de Comé- diens Italiens établis à Paris. Ces Co- médiens ont été obligés de patier Fran- çois ; c'eA la langue de ceux qui les iwyent. Mais comme les pièces Ita- liennes qui ne font point compofées^ dans nos mœurs , ne peuvent amufer le public , les Comédiens dont je parle ont encore été obligés de jouer des pièces écrites dans les mœurs Fran- ■iSoifes, Les premiers Auteurs Anglois
fur U Poêfit &fur la, Pânture. i "jf
3 uimirent en leur langue les Comédies eMoUere , les tradmilrent mot à mot. Ceux qui l'ont fait dans la fuite , ont accommodé la Comédie Françoife aux mœurs Angloifes. Ils en ont changé la icène & les incidens , & elles en ont plu davantage. C'eû ainli que Mon- fieur 'Wycherley en ufa , lorfgu'il fit du Mifantrope de Molière Ton Homme au franc procédé , qu'il fuppofe être va Anglois & homme de mer.
ISos premiers faiieurs d*Ope«félônC égarés, ainfi que nos Poëtes-Comiques, pour avoir imhé trop Servilement les Opéra des Italiens de qui nous emprun* lions cegcnre de Ipeâade, fans faire at' tention que le gout des François ayant étééleveparlesTragédies de Corneille & de Racine , ainfi que par les Comé- dies de Molière , il exigeoit plus de vraifemblance , qu'il demaodoît plus dcTégularité & plus de dignité dans les Foëmes dramatiques , qu on n'en exige au-delà des Alpes. Aum nous ne fçau- jîons plus lîr» aujourd'hui fans dédain rOpera de Gilbert^ & la Pomone &o l'Abbé Perrin. Ces pièces écrites de- puis foixante-huit ans , nous paroilTent des Poëmes gothiques compofés cinij Hv
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1^5 Réflexions critiqaa ■
bu fix générations avant nom. Mon^ fieiir Quinauk , qui travailla pottr notre théâtre Lyrique après les Auteors que j'ai cités , n'eut pas fait deux Opéra ^ qu'il comprit bien que les perfonnages de bouffons , eflentiels dans les Ope- ta d'Italie , ne convenpient pas dans des Opéra feits ponr des François. Thefëe eft le dernier Opéra oh Mon^ fieur Quinautt ait introduit des bou& fons ; & le foin qu'il a pris d'annoblir leur cAâere , montre qu'il aroit dé^ ia fenti que ces rôles çtoient hors de ienr place dans des Tragédies faitet pour être chantées, autant que datw des Tragédies faites ponr être déda^ mées.
H ne fuffitpas que l'Auteur d'ime Co- médie en place la fcène au milieu du peiiple qiu la doit voir repréfenter ^ il faut encore qitc fon ftijet fmt à la portée de tout le monde , Ci que tout le monde puiffc en conceroir fans pei- ne le nœud, le dénouement , & en- tendre la fîn du dialogue des perfon' nages. Une Comédie qui fotile fiir l6 détail d'une proféfîion particulière , & dont le Public , gënéralement parlant, n'eA pas inflruit, ne fçauroit réu^.
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fur la PogSS &fttT la Pûmurv, r/a Nous avons vu échouer une Comédie , parce tju'il falloit avoir plaidé !ong- tems pour remendre. Ces forces, dont le iiijet étemel eft le train de vie de gens de manvaifes mœurs & d'un cer- tain étage , font autant contre les rè- gles que contre la bienféance. Il n'cft qu'un certain nombre de perfcnnes qui ayent affez fréquenté les originaux dont on expofe des copies , poiu- juger fi les carattercs & les événemçns font traités dans la vraifemblaitce. On fo lafle de la mauvaifo compagnie fur le Aéâtre , comme on i'en lafle dans le monde , & l'on dit dés- Poëtes de pa- reilles pièces, ce^qiie Deïpréaux dit du fatyrique Régnier.
SBC T ï O N XXII.
Qaeijms rema/pusjUr la Poi/t Pafiort^ Sffitr UsBa-ga-s tUé Eg^gues,
JL*4 foène des poëmes Biicolique* doit toujoArs être à la campagne, (In moins elle ne doit être ailleurs que pour quelques momens : En voici ^ Hvi
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.l8o Réfiexions ciin^ut •
raifon. L'eflence des Poëines Bucol^ quçs conûAe emprunter des prés , des bois , des arbres^ des animaux , en un mot^ de tous les objets qui parent nos campagnes , les métaphores , les com- paraitbos &c les autres £giu-es dont le flyle de ces poèmes eft fpécialement formé, n faut donc fuppofer que les In- terlocuteurs des Poëfies Paftorale* ayent ces objets devant leurs yeux. iJe fonds de ces efpeces de tableaux doit toujours , pour ainfi dire , être un payfage'. Ainû les itâions violentes & fanguinaires ne içauroieat être Iciùjet d'une Eglogue. De^peifonnages agités par des paffions fiiriçufes & tragiques doivent être infenfibïes aux beautés rufliques. Il ferait entièrement contre la vraifemblance qu'ils fîffent aflez d'attention filles objets qui fe préfen- tent à la campagne ^■pQur eâ tirer leurs £gures. Un (^néral qui donne udç bataille , 'Ëti^il r^eiôon. fi le terrein
Î|u*il îù.t occuper par ion corp« de ré- erve , feroit propre pour y aueoirune inaifon de campagne ?. ..
Je ne crois pas qu'il foit de l'effencft de l'Ëglogue de ne faire parler que des amoureux. Puifque les Bergeis d'£-r
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jfitr la Po'éjîe & fur UFétUurt. \%t gypte & d'Affyrie font les prenùen Ain-onomes , poorquoi ce qui le trouve de plus facile & ae plus curieux dans rAnronomie ne ieroit-it pas un Aijet propre pour la Poèûe Bucolique î Hous avons vu des Auteurs qui ont traité cette matière en forme d'Églpgue avec un fuccès auquel toute l'Europe a don- né iboapplaudifTement.Le premier livre de ia Pluralité dçs Mondes traduite en tant de-Langues, eft la meilleure Eglo- gue qu'on nous ait donnée depuis cin- <{uante ans. Les defcriptions & les images que font fes Interlocuteurs , font très*convenabks au caraâere de la Poëlîe Pailorale , & il -y a plusieurs ' de ces images que Virgile 9uroit enw ployées volontiers.
J ai dit que les perfoniiages tragi- ques nous intéréffent toujours par le caraâere de leurs paiHoBs & par l'im- portance de leurs aventures; mais il n'en eA pas de même des aventures des Eglc^ues ni de leurs perf(»inages; Ces personnages qui ne doivent point être expofës a de {^ai>ds dangers , nî tomber- dans des malheurs véritable- ment- tragiques & capables par leur nature de nous émouvoir beaucotq) ,
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iit Réfitxiom aitîques
veulent , iuivant mon fentîment , âtre Ciliés d'après ce que nous voyons dans notre pays. La icène des Eglo^es , atnfi que celle des Comédies , doit être placée dans nos camjiagnes , &: leur îlijet doit être une imitation des évé- nemens qui peuvent y arriver.
Il eA vrai que nos Bei^ers & nos Payfans font fi groffiers , qu'on ne fçaic- roit peindre d'après eux les perTonna- ges des Eglogues : mais nos Payfan» ne font pas les feuts qui puilTent em- prunter des agrémens de la campagne les fîgiu'es de leurs difcours. Un jeu- ne Prince qui s'égare à la chxffe , & qui feul , ou bien avec un confident , parle de fa paffion , & qui emprunte les images & fes comparaifons des lieautés rufttques , eft un excellent per- ibdnage pour une I<ËUe. La fiâion ne fe foutient que par fa vraiiefflWance , & la vraifemblance ne fçaurcrit ftU)fif- ter dans un Oitvrage oh Ton n'intro- duit que des peribnnages dont le ca- l^âere eft entièrement omo(é au na- turel que nous avons tok;oars devant Ks yeux. Airtfi je ne fçautoîs i^ptoM* ver ces porte-houlettes doucereux qui «rient tant de choies merveilleufes ea
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furU Poêfie & far la. Pânture^ ï8j tendreâe ficfubliraes en fadeur, dan» qiielques-unes de nos Egloeoes. Ces prétendus. paAeurs ne font point copiés , ni même imités d'après Nature , mais ils font des êtres chimériques inventés â plaiâr par des Poètes qui ne confnL- terem jamais que leur imagination pour les forger. Ils ne refiemblent ea rien aux hamtans de nos campagnes Sc à nos Bergers d'aujourd'hui y malheu- reux Payuns , occupes uniquement ï fc procurer par ks travaux pénibles d'une vie laborienfe , de quoi fubve- inr aux befoins les plus preiTans d'une fitmille toujours indigente. Vkpxeti du cUmat fous ;Iequel nous vivons , les rend groffieis , & les injures de ce cli^ mat multiplient encore leurs befoins. Aînfi les Btrgcis langoureux de nos £gl<»gu«S ne fcmt point d'après Nature i leur genre dévie, dans lequel ils &)nt entrer les ptaifirs Les plus délicats en> tremêlés des foins de la rie champêtre , & furtout de l'attention i bien âîre {KÛtre leur cher troupeau , n'efi pas le genre de vie -d'attcun de nos conc»* loyens.
Ce n'eft point av6c de pareils p^a»- tomes qné Virgile & les autres Poëtcs
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1 §4 Klfitxions crmqaei
de l'Antiquité ont peuplé leurs aima* blés payfages ; ils n'ont&it qu'intro: duire dans leurs Ëglogues les Bet^ers & les Payfans de leur pays Se de leur tems un peu annoblis. Les Bergers Se les Paileurs d'alors étoient libres de ces foins qui dévorent les nôtres. La pliqïart de ces liabitans de la. camp^ gne étoient des eTclaves que leurs maîtres avolent autant d'attention à bien nourrir > qu'un Laboureur en a du moins pour bien nourrir ies cbe* vaux. Le foin des etéaia de ces efcla- -ves regardoit leur maître dont ils fai- foient la rîchefle. D'autres enfin étoîeoc chargés de l'endiaTas de , pourvoir aux néceffités de ces Bergers. Auffi tran? quilles donc fur l'eur fubfiflance que 1« Religieux d'une riAe Abbaye , ils âvoieat la liberté d'e^t neee^^irc pour fe livrer aux goûts quç ^ dou- -ceur du cHnmt , dans les contréesqu'ils habitcnent, ^foient oaitre en eux. L'air vif & prefque toujours ferein de ces régions fubliÛfcnt leur fang , & les •difpo^it à la Muûque, à la Poâle &c aux plaifirs les moins grolSers. Beaur -c»up d'entre eux. étoient enciore nés ou .élevés dans les maifons que leur maître
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furlapMJit &furlaPtîtuuTt. 'i8J avoit dans une ville , & ce maître ne leur avoit pas plaint une éducation tjui tournoit toujours à fon profit , foit qu'il voulût vendre ou garder ces efclâves. - Aujourd'hui même , quoique l*état po- litique de ces contrées n'y kifle point les habitans de la campagne dans la même aifance où ils étoient autrefois; quoiqu'ils n'y reçoivent plus la même éducation , on les v<Ht encore néan- moins fenfibles à des plaifirs fort au- defTus de la portée de nos Payfans. C'eA avec la guitare fur le dos que les Payfans d'ime partie de l'ItaUe gardent leurs troi^>eaux , & qu'ils vont travail- ler à la culture de la terre : ils fçavent encore chanter leurs amoiurs dans des vers qu'ils compofent fiu- le champ, & qu'ils acconwagnent du fon de leurs inllrumens. Us les touchent ^ £nonavec délicatelTe', du moins avec alTez de juilefîe i c'eft ce qui s''appelle improvi- fir. Vida Evêque d'Alba dans le fei- »éme fiécle , & Poëte fî connu par l'élégance de fes vers Latins , nous dé- peint les Payfans (es compatriotes Se les contemporains , tels à peu près que ceux fur lefquels il dit que Virgile avoit moulé lesperfonnages oc fesÉglogues.
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X86 Réfiexiom critiqua
Çim triâm agrvelai ta f4a£ KBU rehftai Ean^t iian iMtt fyri , éammiatpnants Incifiam riies , fiâtmia^t aticrà nntran Fitet bihunt 1 riifflTfiK, fiait Jùi%caâbm, api. ( a )
Quoique nos Payfans foicM infini- ment plus grolEers que ceux 6.e la Si- cile &c d'une partie du Royaume de Naples ; quoiqu'ils ne connoiflent ni vers là guitare , nos Poètes font néan- moins de leurs Berocrs des chantres pluE fçavans & [^us ^licats , ils en font des perffHmages bien plus iid»tils en tendrefle que ceux de Gallus & de Vir- gile. Nos galans porte4ioulettes font paîtris de métaj^yhque amoureufe ; ils ne parlent d'autre cnofe , & les moins délicats fe montrent capables de faire im commentaire fur l'Art qu'Ovide profeffoit à Rome fous AiWfte. Plu- sieurs de nos chanfons feites U y a quatre-vingt ans , & quand le goût dont je parle ici , regnoit avec (rfus d'empire , font infeûées des mêmes niaiferies. S'il en eil: quelques unesoîi la pâflîon parle tonte pure , & dont les Auteurs n'invoquèrent Appollon que pour trouver la rime, combieu
(•) fttt, Ui, I, V. »•.
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furlaPoift&furlaPdttture. 1S7 d'autres font remplies d'un amour fo- phiilîquéqui ne refTemble en rien à ta Nature î Les Auteurs de ces chanfons, en voulant feindre des fentimens qui n'étoient pas les leurs , ni peut-être ceux de leur âge , fe font encore méta- moTphofés en Bergers imaginaires dans leurs froids délires. On fent dans tous leurs vers un Poëte plus glacé qa*un vieil Eunuque.
SECTION XXIIL
Quelques remarques fur le Poème Epique^ OB/iryation toucham le lieu & le ttms où il faut prendre Jbnfujtt.
U N Poëme Epique étant l'ouvrajge le plus diffitnle que la Poë&e Françoife puifle entreprendre , à caufe des rai- ions que nous expoferons en parlant xlu génie de notre langue & de la mefure de nos vers , il importeroit beaucoup au Poëte qui oferoît en corn- pofer un , de choifu- lui fujet oii l'in- térêt général fe trouvât réuni avec l'in- térêt particulier. Qu'il n*efp«e pas d*
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lS8 Réjlixîons erîtîqat»
réuflir , s'il n'entretient point lésFratr- çois des Keux fameux dans leur hîftoi- re , & s'il ne leur parle point des per- fonnages & des événemens aufejueU ib prennent déjà lin intérêt , s'il eft per- mis de parler ainfi, national. Tous les endroits de l'Hiftoire de France qui font mémorables , ne nous intérëfleot
■pa? même également. Nous ne pre- nons im grand intérêt qu'à ceux dont la mémoire eA encore aflez récente. tes autres font prefque devenus pota nous les événemens d'une Hlitoire étrangère, d'autant plus que nous n*a> vons pas le foin de perpétuer le fou- venir des joursheureux a laNation par des fêtes & pardesjeuxanniverfaires, ni celui d*étemifer la mémoire de nos Héros, ainfi que le pratiquoient les Grecs & les Romains. Combien peu y en a-t'il parmi nous qui s'afiëûionnent aux événemens arrives fous Clovis &
"fous la" première race de nos Rois î Pour rencontrer dans notre Hiftoire un fiijet qni nous intéreffe vivement,
■je ne crois pas qu'il fallût remonter plus haut que Charles VII.
Il efi vrai que les railbns que nous avons alléguéçs pour montrer qu'on
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fur la Poeft &Jur la Peî^turt. 1 89 ne ttevoit point prendre une zùion trop récente pour le fujet d'une Tra- gédie , prouvent aufli qu'une aftion trop récente ne doit pas être le fiijet d'un Poème Epique. Que le Poète (hoififfe donc Ton fujet en des tems. qui foient i une diftancc convenable, <le fonfiécle, c'eft-à-dire , en des tems que nom n'ayons pas encore perdus de vue., &C qui {bieot cependant alTez éloignés de nous, pour qu'il puifle don- ner aux car^âeres là nobleue néçeâaî-p Te , Ùlos qu'elle ibit expofée à être dé- mentie par une tradition encore trop léccnte & trop commune. Quand bie;i même il ferolt vrai que no$ mœurs, nos combats,nos fiBtes,nos céré- monies & notre Religion ne foiimîroient point aiix Poètes une matière auffi heu- retïfe que celle que fourniflbit à Virgile te fujct qu'il a trïité , il ne feroit pas jmoins neceflaire d'emprunter de notrç. Hiftoire les fujets des poëntes Epiques, Ce feroit un inconvénient , mais iJ en épargneroit un plus grand , le défaut <f intérêt particulier. Mais la diofe n'cft pas ainfi. La pompe d'un carroufel & Iqs évenemens d'un tournois font des fu" jets plii» n»agnifiqups pweuï-mêniçs
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1^0 Réflexions erîtïqtus ' ^
que les jeux qui Te firent au tombeau d*Anchiie , fie dont Virgile Tçait f^ire un fpeâacle fi fuperbe. Quelles pein- tures ce Poète n'auroit-il pas iàites des effets de la poudre à canon dans les «afférentes op^ations de guert<e donc elleeftle reflbrt? Les miracles de no- tre Religion ont un merveilleux qui n'eft pas dans les fables du Paganifme. Qu'on voie avec quel fuccès Corneil- le les a traités dans Polieuâe , & Ra- cine dans Athalie. Si l'on reprend San- nazar , l'Ariofte & d'autres Poètes , d'avoir mêlé mal-à-propos la Religion Chrétienne dans leurs Poëmes , c'eft qu'ils n*en ont point parlé avec la di- gnité & la décence qu'elle exige ; c'eft qu'ils ont allié les faoles du PaganiOne aux vérités de notre Religion. C'eft qu'ils font , comme dit Defpréaux , follement idolâtres en des fujets chré- tiens. On les blâme de n'avoir pas fenti qu'il étpit contre la raifon , pour ne rien dire de plus fort, de fe per- mettre en parlant de notre Religion , la même liberté que Virgile pouvoit prendre ,. en parlant de la fienne. Que ceux qui ne voudroient pas faire le choix du fujet d'un Poëme Epique,
...Xooyic
]ur la. Poifit &fur la. Ptinture, 191 tel que je le propofe , allèguent donc leur véntable excufe : c*eft que le fe- coius de la Poëiie des Anciens leur étant néceiTaire , pourrendre leur ver- ve féconde , ils aiment mieux traiter les mêmes fiijets que les Poètes Grecs Se les ?oëtes Latins ont traités , que desfujets modernes oh ils ne pour- roient pas s'aider auffi facilement de la Poelie , du ftyle & de l'invention des premiers. Nous dirons encore quelque choie dans la fuite fur ce tujet-là.
SECTION XVIII.
Hts aSiora alUffuiqius & Jtsperfonnagts ^gotiques par rapport â la Peinture.
-iNoTBE matière nous conduit na- turellement à traiter ici des compofi- tions & des perfonnages allégoriques , foitenPoëfie, foit en Peinture. Par- lons d'abord des Allégories Pittoref-
La compofition: allégorique eft de àwtx efpeces. Ûh le Peintre iittroduâ
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ïgl RiJltxloTis crit'iqaes
des perfonnages allégoriques dans une- compoiltion hiftorîque , c'eft-à-dire , dans la repréfenlation d'une aâîon qu'on croit être arrivée réellement , comme eft le iacrifîce d'Iphigénie , & c'eA ce qu'on appelle iaSxt une com- pofition mixte : Ou le Peintre imagine ce qu'on appelle une compofition pu- rement alÉgorique , c'eft-à-dire , qu'il Mivente une aâion qu'on f^ait bien n'être jafnais arrivée réellement , mais de laquelle il fe fert comme d'une emblème, pour exprimer un événe- ment véritable. Avant que de nous itendre davantage far ce fu)«, par- lons des perfonnages allégoriques.
Les perfomiages allégoriques font des êtres qui n exiflent point , mais tu^G l'imagination des Peintres a con- çus , &. qutelle .a enfantés en leur donnant un nom , un corps & des at- tributs. C'eft ainli que les Peintres , ont perfonnifié les vertus, les vices, les royaumes , les provîhces , les villes, les fatfofls , les pallions ^ les vents, Se les fleuves. La France repréfentée fous une figure de femme ; le Tibre repré- ienléfous xme figuire d*homme couché; & la Calopinie fous ime Jîgure .de Satyre,
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fur la Poèfie & fur la Peinture. 19) Satyre , font des perfonoagcs allégo- riques.
Ces perfonnages allégoriques font de deux efpeces. Les uns font nés depuis plufieurs années. Depuis longtems ils ont feit fortune. Us fe font montrés fur tant de théâtres , que tout homme un peu lettré les reconnoît d'abord à leurs attributs. La France repréfentëe par une femme, la couronne fermée en tête , le fceptre à la main , & couverte d'un manteau bleu femé de fleurs de lys d'or : le Tibre reprélénté par une figure d'homme couché, ayant à fe» pieds une Louve qui allaite deux en- fans » font des perfonnages allégoriques inventés depuis longtems , & que tout le monde reconnoît pource qu'îlsfont. Us ont acquis , pour ainii dire , droit dt bourgeoijîe parmi le genre humain. Les perfonnages allégoriquesmodemesfont ceux que les Pemtres ont inventés de- puis peu, & qu'ils inventent encore,; poiu* exprimer leiu-£*idées. Ils les ca-^ raftérifent à leur mode , & ils ■ leur donnent les attributs qu'ils croyent les plus propres à les faire j-econnoître.
Je ne parlerai que des perfonnages al- légoriques de la première efpece ,.c'eft-
Tvme I, I
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'1 94 Rijîexions er'uîques
à-dÏFâ , des aînës ou des anciens. Leurs cadets , qui depuis une centaine d'an- nées font fortis du cerveau des Pein» très , font des inconnus & des gens fans' aveu , qui ne méritent pas qu'on en fàfle aucune mention. Us font des chi& fres dont perfonne n'a la clef, & même peu de gens la cherchent. Jemecontea< terai donc de dire à leur fujet que rin*> venteux fait ordinairement un mauvais ufage de fon efprit , quand il l'occupe à donner le jour à de pareils êtres. I*es Peintres qui paflent aujourd'hui pour fivoir été les plus grands Poètes en peinture , ne font pas ceux qui ont mis au monde le plus grand nombre de perfonnages allégoriques. Il eftvtai que Raphaël- en a produit de cette efr» pece ; mais ce Peintre fi fage ne les employé que dans les ornemens qui feri- vent oe bordure ou de foutien à fes tableaux dans l'appartement de la (i-, gnature. Il a même pris la précaution d'écrire le nom de ces perfonnages ali' légoriques fous leur figure. (<i) Quoi- que Raphaël ftit très-capable de les |'e^dre reconnoi0ables , néanmoins on
(«) Cm f^uns alUgori^uti ont iii ^ravUs par Ç,
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Jhr ia. Po'èfie &fur la Peinture. 195 ne trouve pas que cette précaution Ibit knitile , & l'on fouhaite même quel- quefois qu'il l'eût poufTée jurques à nous donner une explication des Tym- boles dont il les orne. Car bien que rinfcriptïon apprenne leur nom , on a encore beaucoup de peine à deviner la valeur & le mérite de tous les attributs emblématiques dont ils font ornés.
Revenons aux perfonnages allégo- riques anciens , & voyons l'ufage qu'il eit permis d'en faire dans les compo* Étions hiftoriques. Le fentîment des perfonnes habiles eft , que les perfon- nages allégoriques n'y doivent être in- troduits qu'avec une grande difcrétion, puifque ces compofitions font deftinées a repréfenter un événemem arrivé réellement , &c dépeint comme on croît qu'il eft arrivé.Ils n'y doivent même en- trer dans les occaiions oùPon peut les in- troduire , que comme l'écu des armes ou les attributs des perfonnages prin- cipaux , qui font des perfonnages hifto- riques. C'eft ainfî qu'Harpocrate , le Dieu du fdence , ou Minerve , peuvent être placés à côté d'un Prince pour dé- signer fa difcrétion & fa prudence. Je ne penfe pas que les perfonnages iUlé<)
Coo.tlc
rçâ Réfiexlons critiques
goriques y doivent être eux-mêmes des adeurs principaux. Des perfoimagés que nous connoîflbns poiir des phan- tômes imaginés à plailir , à qui nous ne fçaurions prêter des palHons pareilles aux nQtries , ne [>euvent pas nous inté- reffer beaucoup à ce qui leur arrive.
D'ailleurs , la vraifemblaace ne peut être obfervée tropexaûement en Pein- . ture non plus qu'en Poëfie. C'eft à pro- portion de l'exaÛitude de la. vraifem- blance que nous nous laiflbns féduirc plus ou moins par l'imitation. Or des perfonnages allégoriques employés comme aâçurs dans une compofîtioo hiftorique , doivent en altérer la vrai- femblance. Le tableau de la gallerie du Luxembourg qui représente l'arri- vée de Marie de Médicis à Marfeille , eft une compofition hiftorique. LePeirj- tre a voulu représenter Tévenement fui- vant la vérité. La Reine aborde fur les galères de Tofcane. On reconnoît les Seigneurs &(. les femmes de condition qui l'accompagnèrent ou qui la reçu-i rent. Ainfi les Néréides & les Tritons fonnant de leurs w^jbm, que Rubens a placés dans le port , pour exprimer J'gllégrefle avec laquelle cette Viljç
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fur la Poefit & fur la Peinture. 1 97 maritime reÇoil ia nouvelle Reine , ne font point un bon effet , fiiivant mon fentiment. Je fçai bien qu'il ne parut aucune des divinités de la mer à cette cérémonie , & cette efpece de men- songe détruit une partie de Tefièt que l'inùtation faifoit fur moi. Je trouve
3ue Rubens auroit dû embellirfon port 'ornemens plus compatibles avec la vraifemblance. Que ■ les chofes que vous inventez pour rendre votre fujet plus capable de plaire , ibiènt compa- tibles avec ce qui eft de vrai dans ce fujet. Le Poëte ne doit pas exiger du ipeâateur une foi aveugle , & qui fe foumette à tout. Voilà comme parle Horace, (a)
FiSa , volupuiîi ceu^i , Jtra proxîma nrSi , Ntc quoicumjue roUc , pqfiat fibi fabaU crtli.
Je fuis encore perfuadé que le ma- gnifique tableau qui repréfente l'accou- chement de Marie de Médicis , plairoit davantage , fi Rubens , au lieu du Gé- nie 8e des autres figures allégoriques qui entrent dans l'action du tableau, y, avoit Élit paroître celles des femmes de ce tems-là qui pouvoient afTiftex
{•) De Ant piît,
liij
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toS Réjlexîotts er'uîqtus
axix couches de la Reine. On le regar- deroit avec plus de fatis&âion , fi Ru- bens avoit exercé fa Poëfie à repré- fenter les unes contentes , les autres tranfportées de joie, quelques-unes fen- fibles aux douleurs de la Reine, & d'autres un peu mortifiées de vcùr un Dauphin en France. Les Peintres font Foëtes , mais leur Poëûe ne confiâe pas tant à inventer des chimères ou des jeux d'efprit , qu*àbien imaginer quelles paffions & quels fenùmens Ton doit donner aux perfonnages, iiiivant leur caraâere & la fituation oîi l'on les fup- pofe , comme à trouver les expreffions propres à rendre ces palSons fenUbtes, & à faire deviner ces fentimens. Je ne me fouviens pas que Raphaël ni le Pouffin ayent jamais fait Tufage vicieux des perfonnages allégoriques que j'ofe cntiquer dans le tableau de Rubens. ■ Mais , me dira-t-On , les Peintres <Mit £té de tout tems en poâeffion dépein- dre des Tritons & des Nérâdes dans leurs tableaux , quoiqu'on n'en ait ja^ mais vu dans la nature :
'Ç,iiUUla aaitadi fmptr fitit cgiu pù^m.
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Jurta Poéjît &fur là Peinture', tç^ Pourquoi donc rwireiidre Rubens de les avoir introduits dans le tableau qui repréfeme l'arrivée de Marie de Médi- cis à MaHeille ? Le nud de ces Divinités lait un eSet merveilleux dans la com-
Ïiofition , parmi tant de iîgures habil- ées que l'niftoire obligeoit d'y mettre.' Je réponds que cette licence donnée axix Peintres & aux Poètes , doit s'en- tendre , comme Horace l'explique lui- même , fid non ut placidis cotant immi'i lia. C*eft-à-dire , que cette licence ne s'étend point à rauembler en un même tableau des chofes incompatibles , com- me font l'arrivée de Marie de Mé^cis à Marfeille , & des Tritons qui fon- nent de leurs conques dans le port, Ma- rie de Médicis n'a jamais dû fe rencon- trer en un même lieu avec des Tritons,' quand bien même on lupporeroit un Uttt PittoTtfqmy comme Monfieur Cor-' neille vouloit qu'on fupposât un Heu théâtral. Si Rubens avOit befoin de fi- gures nues pour faire valoir fon def- îein 6c fon coloris, il pouvoit intro- duire dans fon tableau des Forçats ai- dans au débarquement , & les mettre en telle attitude qu'il aiiroit voulu. Ce n'eft point que je dîfpute aux liv
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100 Kéfiexions trinques
Peintres le droit qui leur eft acquis de peindre des Sirènes , des Tritons , des Néréides , des Faunes & toutes les di- vinités fabuleufes , nobles chimères dont L'imagination des Poètes peupla les eaux & tes forêts, & enrichit toute la Nature. Ma critique n'eft point fon- dée i'ur ce qu'il n'y eut jamais de Si- rènes & de Néréides , mais fur ce qu'il n'y en avoit plus , pour aînii dire , dans les tems où arriva l'événement qui donne lieu à cette difcuffion. le tomberai d'accord qu'il eft des compo- rtions hiûoriques où les Sirènes & les Tritons, comme les autres Divinités iabuleufes , peuvent avoir part à une aûion. Ce iont les compoûtions qui repréfentent des événemens arrivés durant le Paganiline , & quand le mon- de croyoit que ces Divinités exiftoient réellement. Mais ces mêmes Divinités ne doivent pas avoir part à l'aâion dans les compoûtions ntftoriques qui reçréientent des événemens arrivés de- puis l'extinâion du Paganiline , & dans des tems oii elles avoient déjà perdu Tefpece dVfre, que l'opinion vulgaire leur avoit donnée en d'autres fiecles. £lles ne peuvent être introduites dans
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'far la I^o'èjît ùJurlaPeinturt. loi fees dernières compofitions qiie comme des fîgures allégoriques & des fym- boles. Or ;lous avons déjà vu que les perfonnagâs allégoriques ne doivent entrer dans les compofitions hiftori- ques , que comme des perfomiages hiiloriques.
Le Tpeâateur fe prête lans peine à la croyance qui avoit cours dans leS tems où ï'événement que le Peintre & le Poëte repréfentent , eft arrivé. Ainfi je regarde Iris comme unperfonnagehif- torique dans la tepréfentation de la mort de Didon. Venus & Vulcain font des perfonnages hiiloriques dans la vie d'Enée. Nous Ibmmes en habitude de nous prêter à la fuppoittion que ces divinités ayent exiue véritablement dans ces tems-là , parce que les hom- mes croyoieDt alors Texiitence de ces I>ivinites. Le Peintre qui repréfente les aventures d'un . Héros Grec ou Ro- main, peut donc y faire intervenir toutes les Divinités comme des per- ibnnages principaux. Il peut à fon gré embellir les compofitions avec les Tri- tons & les Sirènes. Il ne fait rien con- tre fon lyAême. Je l'ai déjà dit, les livres qui firent Toccupation de notre
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lOt Kifixwns erùt^ia
JeunelTe y la vraifemblance qu*on trotes ve à voir un Héros iecouru par ks Dieux qu'il adoroit, nous mettent t« ^ difpoiition de nous prêter fans aucune |>eine 4 la fiftion. A force d*entendre parler durant notre enfance des amours de Jupiter & des paflions des autres Dieux , nous fommes en habitude de les regarder comme des êtres qui an- Toient autrefois exifté , ét^nt mjets à des pallions du même genre que les nôtres. Quand nous Ufons liiiftoire de la bataille de Pharfale , ce n'eft que par réflexion que nous difHnguons le genre d'exiftence que Jupiter foxt- droyant avoit dans ces tems-là , d'avec le genre' d'exiftence de Céfar & de Pompée.
Mais ces Divinités changent de na- turc , pour ainfi dire , & deviennent desperfonnages pin^ment all^oriques dans la repréfentation des évenemens arrivés en un fiécle oii le fyflême du Paganifme n'avoit plus cours. Quand on les introduit dans ces évenemens comme des perfonnages véritables , je les comparerois volontiers à ces Saints , les Patrons de ceux qui feifoient pein- dre des fujets de dévotion, & que les
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fuT U Potju&fur la Peinture^ lo J Peintres plaçoient autrefois danis de» tableaux plus dévots que fenfés , fans égard pour la chronologie , ni pour la vraifemblance. On y voyoit faint Jé- TÔme préfent à la Cène , & làint Fran- çois alEâer au Cniciiîment. Cet ufage vicieux eft relégué depuis longtents dans les tableaux de village.
Après avoir difcouru des perfonna- ges allégoii^ques , il convient de re- tourner aux compoûtioRs allégoriques. Une telle compofition eft la repréfen- tatioa d'une aâion qui n'arriva jamais , & que le Peintre invente à plalfu-, pour repréfenter un ou plufieurs évé- nemens merveilleux , cpi'il ne veut point traiter , en s'affujettilTant à la vérité hiftorique. Les Peintres font fervir encore ces compofîtions à peu près au même ufage que les. Egyptien» ençloyoient leurs figiues HiérogUphi- ques , c'eft-à-dire , poiu- mettre fenfi- blement fous nos yeux quelque vérité générale de la Morale.
Les compofîtions allégoriques font de deux espèces ; les unes font pure- ment allégoriques , parce qu'il n'entre dans leur compoUtton que de ces per' fonnages fymboliques éclos du cerveau
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104 RéjUxlons critiques
Jes Peintres Se des Poètes. De ce gen^ re font deux tableaux du Corrége peints en détrempe , &c qu'on peut voirdansle cabinet du Roi.Dans l'un, le Peintre a repréfenté ITiomme tyran- nile par les pâmons ; & dans l'autre , il cxpnme dune manière fymbolique l'empire de la vertu fur les paffions. Les compoiitions allégoriques de la féconde efpece , font celles oîi le Pein- tre mêle des perfonnages hiftoriques avec les penonnages allégoriques. Ainfi rapothéofe de Henri iV, & l'a- vénement de Marie de Médicis à la Régence , repréfentés dans le tableau qui eft au fonds de la gallerie du Lu- xembourg , font une compofition mix- te. L*aâîon du tableau eft feinte , mais !e Peintre introduit dans cette aÛion qui eft le type de l'Arrêt du Parlement ,
far lequel la Régence flit déférée à la -eine , Henri IV & plufieurs autres perfonnages hiftoriques.
U eft rare que les Peintres réuffiffent 'dans les compofilions purement allé- goriques , parce qu'il eft prefque im- poflîble que dans les comporitions de ce genre, ils puiffent faire connoître diftiB^ement leur fujet , & mettre tou-
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ftulaPoeJît&furUPeîiUttrt. lOJ tes leurs Idées à ponëe des ipeâateurs les plus intelligens. Encore moins peu> vent-ils toucher le cœur , peu difpofé à s'attendrir pour des perfonnages chimé- riques , en quelque iituatîort qu'on les repréfente. La compofition purement allégorique ne devroit donc être mife en oeuvre que dans une néceflîté ur- gente , & pour tirer le Peintre d'un embarras dont il ne pourroit fortir par la route ordinaire. Il nefçauroit entrer dans cette compofition qu'un petit nombre de figures , & les figures ne fçauroient être trop feciles à recon- noître. Si l'on ne l'entend pas aifément , on la laiffe comme un vain galimatias. Il eft des galimatias en Peinture auffî- bien qu'en Poefie.
Je ne me fouviens que d'une feule compofition piurement allégorique qui putffe être citée comme un modèle , &: que le Pouflîn & Raphaël vouluflent avoir faite. Je juge ici de leurs fcnti- mens par leurs ouvrages. Il eft vrai qu'il paroît impoffible d'imaginer en ce genre rien de meilleur que cette idée dégante par fa iimplîcité , & fublime par fa convenance avec le lieu ofi elle devoit être placée. Auffi fîit-elle^.
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lOâ Rifitxîom erlàquti
la produûion du Prince de Condé le dernier mort , (-ï) je ne dirai pas le Prince , mais l'homme de fon tems aé avec la conception la plus vive & l'i- magination la plus brillante.
Le Prince dont je parle , feifoît pein- dre dans la gallerie de Chantilly l'hii^ toire de fon père connu vulgàrement en Europe fous le nom du Grand Condé. Il fe rencontroit un inconvé- nient dans l'exécution du projet- l£ Héros , durant fa jeunefle , s étoit trou- vé lié d'intérêt avec les ennemis de l'Etat , & il avoit fait une partie de fes belles aftions , quand il ne portoit pas les armes pour fa patrie. Il fend>Ioit donc qu'on ne dût point faire parade de ces faits d'armes dans la gallerie de Chantilly. Mais d'un autre côté , quel- ques-unes de CQS aâions , comme le fecours de CanÂrai , & la retraite de devant Arras , étoient fi brillantes quTl de voit être bien mortifiant pour un fils amoureux de la gloire de fon père, de les fupprimer dans l'efpece de tern- ie qu'il élevoit à la mémoire de ce Héros. Les Anciens enflent dit que la piété l'avoit infpiré , & que c'étoit elle
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JurtdPoife é'furîaPùmurt. 107 ^lli lui avoit fuggeré le moyen d*^er* niier le fouvenir de ces grandes aâions , en ténvngnant qu'il le vouloit éteindre. il fît donc delTiner la Mule de rHiâoi* re^perfonnage allégorique » mais trèS' connu , qui tenoit un livre , fur le do» auquel étoit écrit , Vit du Prince de Condé. Cette Mufe arrachoit des fèuil' lets du livre qu'elle jettoit par terre , & on lifoît fur ces feuillets , fieours dt Cambrai jftcours de yaliiuiennts j re- traite de devant Arras : enfin le litre de toutes les belles aâions du Prince de Condé durant fonféjour dans les Pays- Bas ^pagnols , aâions dont tout étoït louable , a l'exception de l'écbarpe qu'il portoit , quand il les fît. Malheureufe' ment ce tableau n'a pas été exécuté fuivant une idée fi ingénieufe & lî fimple. Le Prince qui avoît conçu une idée fi noble , eirt en cette occafion un excès de complaifance ; 8c déférant trop à l'Art, il permit au Peintre d'al- térer l'élégance Se la fimplicité de fa penfée par des figures, qui rendent le tableau pluscCmpofé, mais qui ne lui font rien dire de plus que ce qu'il di- foit déjà d*une manière fi fublime. Les compoCtions allégoriques que
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àoS RéjUxîons cr'uiqUes
nous avons nommées des compolîtïons inixtes,fontd*u[i plus grand ufageque les compofittons purement allégoriques. Quoique leur aÛion foitfeinte,ainfi que celle des compofitions purement allégo- riques, néanmoins comme une partie de leiu-s perfonnages ie trouvent être des perfonnageshiftoriquesjonpeutmettre le fens de ces fi£Hons à la portée de tout le monde, &c les rendre ainii ca- pables de nous inftruire , de nous at- tacher &c même de nous intérefier.
Les Peintres tirent de grands iecours de ces comportions allégoriques de ia féconde efpece , ou pour exprimer beau- coup de chofes qu'ils ne pourroient pas &ire entendre dans une compofî- tion hiftorique , ou pour repréfenter en un feul tableau pluiieurs aâîons dont il femble que chacune demandât une toile féparee. La gallerie du Luxem-' bourg & celle de Verfailles en font foi. Rubens & le Brun ont trouvé moyen d'y repréfenter par le moyen de ces fioions mixtes , des ch(^es qu'on ne concevoit pas pouvoir.. être rendues avec des couleurs. Ils y font voir en un feul tableau , des événemens qu'un Hiflorien ne pourroil narrer qu'en plu-.
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fur la Poëjîc &furU Ptinture. 10^ fieurs pages. En voici un exemple.
Enoiiffix cent Soixante 6c douze,' la France déclara la guerre aux Etats Généraux , & les Espagnols , à qiii les Traités fubriftans défendoient de le mê- ler de la querelle , ne lailTerent pas de leur donner des fecours cachés. Mais ces fecours n'apportoient à la rapidité .des conquêtes de la France, que des obfîacles bientôt furmontés. Les Ef^ pagnols , pour s'oppofer plus etScace- ment à ces progrès , levèrent le mafque fie ils fe déclarèrent. Le fuccès de leurs fecours avoués , ne fiit pas plus heu- reux que celui de leurs fecoiirs fecrets. Malgré ces fecours, le feu Roi prît Maurich , & portant enfuite la guerre dans les Pays-Bas Efpagnols , il y en- levoit chaque campagne un nombre des plus fortes places , par des con- quêtes que la paix feule put arrêter. Voilà ce que Monfieur le Brun avoit à repréfenter. Voici comment il a trai- té fon fujet qui paroît plutôt du reflbrt de la Poëfie que de celui de la Peinture. Le Roi paroît fur un char guidé par la Viûoire , & traîné rapidement par des courfiers. Ce char renverfe dans ix courfe les Figures étonnées des Villes
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110 RéJUxîons erîtîquts
& des Fleuves , qui formoient la fron- tière des HoUandois , & chaque %ure fe reconnoît d'abord , ou par. l'écu de fes armes , ou par fes autres attributs. C'eft l'image véritable de ce qu'on vit arriver dans cette guerre , oîi les Con- quérans furent furpris eux-mêmes de leurs propres fucces. Une femme qui reprélente l'Efpagne , Se qui s'annon- ce fufBfamment par fon Lion fie par fes autres attributs , veut ar- rêter le char du Roi en faififlant les guides. Mais au lieu des guides, elle n'attrappe que les traits. Le char qu'elle voiuoit arrêter , l'entraîne elle-même, & le mafque qu'elle por- toit , tombe par terre dans cet ef- fort inutile.
Il feroit fuperflu de prendre beau- coup de peine pour perfuader aux . Peintres qu'on peut faire quelquefois un bon ufage des compofitions Se des perfonnages allégoriques. Us n'ont que trop de penchant à employer l'allégo- rie avec ^xc^ dans tous les fujets ,' même dans ceux qui font le moins fuf* ceptibles de ces embelliflemens. Mais le défaut d'aimer trop à feire ufage du brillant de l'imagination, qu'on appelle
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Jitr la Poëfit& furlaPàntun. m communéinent refprit, eil un défaut général à tous les hommes , qui les fait s'égarer fouvent , même en des pro- femons bien plus lerieufes que la Pein- ture, Rien ne fait dire , nen ne fait faire autant de fottifes , que le déiir de montrer de l'elprit.
Four nous renfermer dans les limi- tes de la Peinture , j'ofe avancer que TÎen n'a plus fouvent écarté les bons Peintres du véritable but de leur Art, Se ne leur a ^t faire plus de chofes hors de propos , que le defir de fe ^re ap> plaudir fur la fubtilité de leiu* imagi- nation , c'efl-à-dire , fur leur efprit. Au lieu de s'attacher à l'imitation des payons , ils fe font plus à donner l'ef- fort àime imagination capricîeufe , &c à foreer des chimères , dont l'allégorie myfterieufe eâ une énigme plus obf^ cure que ne le furent jamais celles du Sphinx. Au lieu de nous parler la lan- gue des pailîons qui efl commune à tous [es hommes , ils ont parlé un langage qu'ils avoient invente eux-mêmes, Sc dont les expreflîons proportionnées à la vivacité de leur imagination , ne font point à la.portée du refte des hom- ises. Ain£ tous les perfoonages d'un.
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ill Réfiexlam Critiques
tableau allégorique font fouvent muets pour les fpeâateurs dont rîmagina- tien n'eft point du même étage que celle du Peintre. Ce fens myftérieux: eft placé fi haut , que perfonne n'y fçau^ roit atteindre. Je Tai dit déjà , les ta- bleaux ne doivent pas être des énig- mes , & le but de la Peinture n'eft pas d'exercer notre imagination , en lui donnant des fujets embrouillés à devi- ner. Son but eft de nous émouvoir , & par conféquent les fujets de fes ou- vrages ne fçauroientêtre trop faciles à entendre.
On voit dans la gallerîe de Verfailles beaucoup de morceaux de Peintiu-e dont le fens enveloppé trop myftérieu- fement , échappe à la pénétration des plus fubtils , éc palTe les lumières des mieux inftruits. Tout le monde eft in- formé des principales 'afHons de la vie du feu Roi, laquelle feit le fujet de tous les tableaux , & rintelligence des cu- rieux eu encore aidée par des infcrip- tionsp lacées fous les fujets principaux : néanmoins il refte encore une inlînité d'allégories & de fymboles que les plus lettrés ne fçauroient deviner. On s'eft. VU réduit à mettre fur les tables de ce
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fur la Poëjtt &fur la Peinture. % i }' magnifique vaîffeau, des livres qui les expliquaflent , & qui donnaffent , pour ainfi dire , le net de ces chifFres. On peut dire la même chore de la gallene du Luxembourg. Les perfomies les mieux informées des particularités de la vie de Marie de Médïcis , comme les plus fçavantes dans la Mythologie & dans la Tcience des Emblèmes , ne conçoivent pas la moitié des penfées de Rubens, Peut-être même qu'elles ne devineroient pas lequartdecequ'a voulu repré(ênter ce Peintre trop in- génieux, fans l'explication * de ces tableaux , qu'une tradition encore ré- cente avoit confervée , quand Mon- fieur Felibien la mit par écrit , & l'in- fçra dans fes Entretie/is fur Us vies Jes Peintres, (a)
Toutes les Nations , 6c les François
* Cette explication a été renouvellée avec iet augmentations aar IVIonfieur Moreau de Mautour dans un Ecrit ^ui fut imprimé Se répandu datif le Public en 1704, lorfijuc Mon- iteur le Duc de Mancoue loeeoit au Palais du Luxembourg , où tout Parît alloit en foule pour voir le Prince Se la belle gallerie de ce Palaisi Peu de tenu apréi elle a paru gtavéet
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114 Rêjtexîom crUïques
principalement , fe laflent bientôt de chercher le Tens des penfées d'un Pein- tre qui l'enveloppe toujours. Les ta- bleaux de la gallerie du Luxembourg, dont on regarde le fujet avec le plus de plaifu* , font ceux dont le fujet eft purement hiftoiîqite, comme le ma- riage & le couronnement de la Reine. Teleil le pouvoir de la vérité , que les imitations & les fiûions ne réiuSileat jamais mieux, que lorfqu'elles l'altè- rent le moins. Après avoir regardé ces tableaux du côté del'Art , on les regarde encore avec l'attention qu'on donneroit aux récits d'un contempo* rain de Marie de Médicis. Chacun trouve quelque chofe qui pique fon
Î;oût particidier dans des tableaux oiï e Pemtre a repréfenté un point d'hit toire dans toute fa vérité , ceft- à-dire, fans en altérer la vralfemblance hifto- ' rique. L'un s'arrête fur. les habits du tems qui ne déplaîfent jamais , lorf- qu'ils font traites par un Artifan , qui a fçu les accommoder à l'air comme à la taille de fes perfonnages ; & leur donner , en les drapp^nt , la grâce dont leur toumiu-e les rendoit fufcep- tlbles. Uo autre examine les traits &c
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h]
/urlaPoîJît & fur ta Peinture, w» \z contenance des perfonnes illuftres. L& bien ou le mal que l'HlAcire en raconte , lui donnoit envie depuis long- tems de connoître leur phylionomie. Un autre s'attache à l'ordre & aux rangs d'une fcéance. Enfin ce que le monde a remarqué davantage dans la gallerie du Luxembourg &L dans celle de Verfailles , ce ne font pas les allé- ;ories Temées dans la plupart des ta* ileaux ,'ce font les exprefltons de quel- ques paflions où véritablement il entre plus de Poëfie cme dans tous les em- blèmes inventés jufques ici.
Telle eil l'expreffion qui arrête les yeux de tout le monde fur le vïfage de Marie de Médicis qui vient d'ac- coucher. On y apperçoit dijftinâement la joie d'avoir mis au monde un Dau- phin , à travers les marques fenfibles de la douleur à laquelle Eve fut con- damnée. Enfîn chacun en convenant que cts galeries, deux des plus riches Portiques qui foient en Europe , four- millent de beautés admirables dans te deiTein & dans le coloris , &: que la compofition de leurs tableaux eft des plus élégantes ; chacun , dis-je , vou- dfoit bien que les Peintres n'y euffcnt
il 6 RiJIexîoTts cmîquti
point introduit un Çi grand nombre de ces figures qui ne peuvent point nous parler comme tant d'aâions qui ne îçauroient nous intéreffer. Or, comme nous le dit Vitruve en termes très-feiv* ies y it ne fufEt pas que nos yeux trou- vent leur compte dans un tableau bien peint & bien deffiné ; l'efprit y doit auffi trouver le lien. Il faut donc que rÂrtifan du tableau ait choiii un fujet , que ce fujet fe comprenne diftinâe- ment , & qu'il foit traité de manière qu'il nous-intéreffe. Jen'eiHme guère, ajoute-t*il , les tableaux dont tes fujets n'imitent pas quelque vérité, (a) Ne- que enim plciuree prohari dtbtm qaœ non funt Jimiles vtr'uati , ntc /i facia funt élé- gantes ab arte , ideb de his débet jiatimjw dicari , niji argumeniatioms certas hahte» Tint ratioms * Jîne offtnjîorùbus expUca- tast Ce paffage m'exemtera de parler de ces ngures qu'on appelle commu- nément des Grotefijues.
Les Peintres doivent employer l'al- légorie dans lestableaux de dévotion , plus fobrement encore que dans les ta- bleaux profanes. Ils peuvent bien dans ïes fujets qui ne repréfentent pas les
(«jFtmme, i. j ,c, j,
Myfteres
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furiaPotfit & fur la Pelnmrt, 117 Myfieres &C les miracles de notre Reli- gion , fe Tervir d'une compoûtion allé- gorique , dont l'aâion exprimera quel- que vérité qui ne fçauroit être ren- due autrement, foit en Peinture , ibtt en Sculpture. Je confens donc que la Foi Ôc l'Efpérance foutiennent un mou- rant , & que la Religion paroilTe affli- gée aux pieds d*un Evêque mort. Mais je crois que toute compofition allégo- rique eft défendue aux Artifans qui traitent les miracles &c les dogmes de notre Religion. Ils peuvent tout au plus- introduire dans leur aâion , qui doit toujours imiter la vérité hiftori- que , quelques figures allégoriques de celles qui font convenables aufujet, comme feroit , par exemple , la Foi . repréiemée à côté d'un Saint qui feroit im miracle.
Les faits fur léfquels notre Reli- gion eil établie , &: les dogmes qu'elle enfeigne , font des fujets où il n'eft pas permis à l'imagination de s'égayer. Des vérités auïquelles nous ne tçau- lions penfer fans terreur fie fans humi;- '■liation,ne doivent pas être peintesavec ■ tant d'efprit , ni repréfentées fous l'em- blème dune allégorie ingénieuTe ïn? TomtL K
t iS Kifitx'i9ns cntlqtus
ventée à plaifir. II eft encore moins peN mis d'emprunter les petibnoages&les fiâions de la Fable pour peindre ces Yérités. Michel-Ange fiit univerfelle- > ment blâmé pour avoir mêlé avec ce qui nous eft révélé du Jugement uni- vcrfel , les fiûions de Taocienne Poi>- fie, dans la repréfentation qu'il en peignit fur le mur du fonds de la Cha- pelle de Sixte IV. Rubens , àmonTens, aura conm^s uoe faute encore plus grande que celle de Michel- Ange , es compofant ^ ainlî qu'il Ta fait, le ta- bleau du maître-Autel des Domini* quaîns d'Anvers. Ce grand Poète y cxf^imç trop inaénieufement , par une compofition all^orique , le mérite de l'intërcelEon des Saints , dont les prie* res procurent fouvent aux pécheurs le tems & les moyens d'appaiier laccdere Je Dieu.
. Jefus-Chrlft fort d'entre ks deux au- tres per^mies de la Trinité , comme .pourçxéçuter l'arrêt de condamnation qu'elle vient de prononcer ctmtre le monde , figuré par un globe placé dans iç bas de ce tableau. Il tient ta foudre jt la main , & dan^ l'attitode du Inpi- ■i/ex 4^ \^ Fable , il paroît pêt à k. lao-
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fuT la Poêjie &fur la Peinture, tif ai fur le monde. La Vierge & plufiatrs Saints placés à. côté de Jefus-Chrift , intercèdent pour le monde , fans que JeAis>Chrift Aifpende fon aâion. Mais, . ce qui convient au lieu où le tableau le trouve placé , Saint Dominique cou- vre le monde de l'on manteau Se du Refaire. Je crois -voir trop d'efprit dans la repréfentation d*un fujet auflî tHii- bie. Les hommes inlpirés pouvoient bien employer des paraboles , pour nous expofer plus fenliblement les vé^ rites que Dieu nous révéloit par leur bouche. Dieu leiu infpiroit lui-même les figures dont ils dévoient fe fervir , & l'application qu'il en feUoit feire. Mais c'eft alTez d'honneur à nos Peintres que d'être admis à rcpréfenter hiftorï- quement ceux des événemens de nos Myfteres , qui peuvent être mis fous nos yeux , Il ne leur eft point permis d'in- venterdes fixions , & de s>n fervir à leur gré , poiu expofer de pareils fujets* Ce que je dis des Peintres , je le penfe des Poètes , & je n'approuve pas plus le Poëme àe Sannazar , fur les couches de la Vierge , ni les vifions de l'Ariofte , que la compofitio* à&M Rubens s'eft
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iiO Rifiexioni erîtl^ms
fervi pour repréfenter le mérite deTin-
terceffion des Saints.
Vous riduifez donc les Peintres à la condition de Amples HiAoriens , m*ob- jeaera-Von,fans foire attention que l'in- vention âc la Poëûe font de l'eflence de la'Peinture ? Vous voidez éteindre dans l'imagination desPeintres ce feu qui mé- rite qu'on les traite quelquefois d'Où- vriers divins , pour les réduire aux fonc- tions d'un Aiuialifte fcmpuleux } 1c ré- ponds que l'çnthoufiafme qui fait les Peintres ^ les Poëtes , ne confifte pas ^ns l'invention des myfteres allégori- quâSjn^ais bien dans le talent d'ennchir tes compolitions par tous les osrnemens que U vraifembl^nce du fujet peutper- mettre, ainfi qu'à donner de la vie à tous ces perfonoages par l'expre^on des paf- ^ons. Telle eft U Poëfie de Raphaël î telle eft la Poëfie du Poulfin &c de le Sueur ; Ôt teUe fiit fouvent celle de Monlîeur le Brlm & de Ruben$.
Il n'çft pas néceffaire d'inventer fon fujet , ni de créer fes perfonoages , pour être réputé ui^ Poëte plein de verve. On mérite le nom de Poëte, en rendant l'ac- tion qu'on traitç capable d'émouvoir, ce qui fe ^t en imaginant quels fçatimens
...Xooyic
. furlaPoèfit&JUrlttPùntun. m
conviennent à deSperfonnagesfuppofés dans iine certaine utuatioA , & en tirant de fon génie les traits les plus propres à bien exprimer ces fentimens. Voilà ce qui diftinguelePoëte^d'un Hiftorien,qui ne doit point orner fes récits de circonf- tances tirées de fon imagination , qui n*inventepas desTitiiations pourrenve les événemens qu'il narre plus intérci^ fans , & à qui même il eft rarement per- mis d'exercer fon génie , en lui faiiant produire des fentimens convenables à les perfoniiages pour les leurprêter. Les dîfcours que le grand Corneille fait te- nir à Céfar dans la mort de Pompée , font une meilleure preuve de l'abondan- ce de fa veine 5c de la^ fublimité de Ton imagination , que l'invention des allé- gories du Prologue de la Toifon d'or. " Il faut avoir une imagination plus fé- conde & plus jufte , pour imaginer 6c pour rencontrer les traits dont laNature ie fert dans TexprelTion des paffîons,que pour inventer des 6giires emblémati- ques. On produit tant qu'on veut de ces iymboles par le fecours dedeux ou trois livres qui font des fources intarilTables de pareils colifichets , au lieu qu'il finit avoir luie imagination fertile , & qui Kii)
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m Réftxions aiù^ues
folt guidée encore par une intelligence fage & judicieure, pour réuffir dans l'ex- preffion des palEons , &: pour y peindre avec v^té leurs fymptômes.
Mais , diront les Partilans de l'efprit , ne doit-il pas y avoir phis de mérite à in- venter des chofes qui ne furent )anuis penfées, qu'à copier la Nature , ainû qiie lait votre Peintre , qui excelle dans l'ex- preflion des paOîons ? Je leur réponds qu'il hMt fçavoir ^re quelque cbole de plus que copier fervilement laNature^ce qui ell déjà beaucoup , pour donner i chaque paffion Ton caraÂere ctxiveoa' ble , âc pour bien exprimer Us fentimens de tous les perlonnages dNui tableau. 11 iaut , pour ainû dire , {çavoir co}Her la Nature lans la voir. Il &ut pouvoir inU'- gineraveçjufteffcquelsfontfesmouve- mens dans des circonAances oît on ne la vit jamais. Eft-ce avoir laNaturc devant les yeux que de defliner d'après un mo- dèle tranquille , lorfqu'il s'agit de pein- dre une têteoù l'on découvre de l'amour à travers la ftu-eur de la (aloufie?On voit bien une partie de la Nature dans fon modèle , mais on n'y voit pas ce qu'il y a de plus important par rapport au fiijet qu on peint. On voit bien le fujetquela
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le
furia Pocjît & fur U Peinture, n^ paffîon doitammer , mais on ne le voit point dans l'état où la palTion doit I9 réduire y & c'eA dans cet état qu'il t« faut peindre. Il faut que le Peintre ap* clique encore à la tête qu'il fait ce qu« .es livres dilènt en général de l'efFet des paffîons fur le vifage , & des traits auf- c]uels elles y font marquées. Toutes les czpreâîoDs doivent tenir du car«âer« de t&equ'on donne auperfonnage qu'on repréfente agité d'une certaine pafTion» U faut dtmc que Tunagination de l'oU' vrier fupléâ à tout ce qu'il a de plus dtf* ficile à raire dans TexprelHon , a moins •qu'il n'ait datis fon attelier un modèle encore plus grand Comédien que Baron,
SECTION XXV.
JDes perfonnagts èf des actions allégori' ^ues f par TuppoTt à la Poèjît.
"arlons prâfentement de l'ufage qu'on peut faire en Poëfte des perfon- nages & des aâions allé^riques. Les perfonnages allégoriques que la Poëfie employé , font de deux efpeces. U en ell de parfaits « & d'autres que nous appel- lerons imparfaits, K iv
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' 1X4 ' Réflexioas critiques
Les perfonnages allégoriques par^ts font ceux que la Poëue créé entiére- meat, aufquels elle donne un cotps Se une sme , & qu'elle rend capables de. toutes Iesaâions,& de tous les fenti- mens des hommes. C'eft aînfi que les Poètes ont perfonifié dans leurs vers la Vîâoire , la Sagefle , la Gloire , en un totot, tout ce que nous avons dit que les Peintres avoient perfonifié dans leurs tableaux.
Les peribnnages allégoriques impar- faits font les Etres qui exifteot déjà réel- lement , aufquels la Poëûe donne la fa- culté de penfer & de parier qu'ils n'ont pas , mais fans leur prêter une exiâence patate , & lâns leur donner un être tel que le nôtre. AinfilaPoëfiefeitdesper^ lonnages allégoriques imparfàîts^quand eUe prête des fentimens aux bois , aux fleuves , en un mot quand elle fait pen- fer & parler tous les êtres inanimés , ou quand, élevant.lesanimauxaudeffiisde leur fphere , elle leur prête plus de rai- fon qu'ils n'en ont , & la voix articulée qui leur manque. Ces derniers perfon- nages allégoriques font le plus grand or- nementdela Poëfie , qui n'eft jamais â. pompeufe , que loriqu'elle anime 6c
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Jur la Potfit &Jur~ta Pànturt', ii 5 ^'elle feJtparlertoutelaNature. C'cft en quoicoimile le fublime du PCeaumé Jnexiitt Ifrael de Egypto , & de quelques autres^ dont les perfonnes de goût font auin touchées que des plus beaiix en- droits de rUiade & de l'Enéide. Mais ces peribnnages imparfaits nefont point propres à jouer un rôle dans Tadion d'un Poëme , à moins que cette aÛîon ne fojt celle d'un Apologue. Ils peuvent feulement comme fpeûateurs , prendre part aux aâîons des autres personnages , ainii que lesChœurs prenoientpart aux Tragédies des Anciens.
Je crois qu'on peut traiter dans la Pcfr* fie les perfonnages allégoriques par- faits , comme nous les avons traités dans la Peinture. Ils n'y doivent pas joiier un des rôles principaux d'une ac- tion , mais ils y peuvent feulement in- tervenir , foit comme les attributs des perfonnages principaux , foit pour ex- primer plus noblement, par le fecours' de la lîâion, ce qui paroîtroit trivial, s*ilétoitdîtfimplement, Voilàpourquoi Virgile perfoni6e la Renommée clans l'Enéide. On remarquera que ce Poëte feit entrer dans fon ouvrage un petit , nombre de perfonnages de cette efpece, Kv
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li5 Réflexions emiques
- 6c je n'ai jamais entendu loiiet Lucaia d'en avoir fait un ufage "^as â-équent. Le Leâeur fera de lui même la réfle- xion^que Venus , rAmour, Mars Sc les autres divinités du Paganifme ,fontdes perfonnages hîftoriques dans i*Ënâde. Lesévénemens dépeuits dans ce Poëme, font arrivés en des tems où le commun ides hommes étoit perfuadé de leur exi- fience. Ces divinités font même des per- fonnages hilioriques dans les Poëmes des Ecrivains modernes qui choifîiTent leur Scène 2f leurs Aâeurs dans les tems du Paganifoie. Ils peuvent donc, en traitant de pareils fujets-, employer ces divinités comme des Aâeurs prin- cipaux ; mais qu'ils obfervent de ne point confondre avec elles les perfonoa- ges f qui , comme la Difcorde & la Re- nommée , n*étoient déjaque des perfon- nages allégoriques dans ces tems-U. Quant aux Poëtes qui traitent des ac- tions qui ne fe font point payées entriC des Payens , ils ne doivent employer les divinités fàbuleufes que comme des perfonnages allégoriques. Ainli Miner- ve , l'Amour^ ôc Jupiter même, ne doi- vent pas y joiier un rôle principal. - Quant aux aÛi<His allégoriques , les
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furUPoifa&furUPèinmrt. 117 Poètes n'en doivent foire ufage qu'avec un grand difcemement. on peut s'en fervir avec fuccès dam lesFables & dans piuûeurs autres ouvrages qui font dcfti^ nés pourinftrairereipritenledivertiii fant , & dans lefquels le Poëte parle en ion nom , & peut faire lui-même l'appli- cation des leçons qu'il prétend non» donner. C'eft à l'aide des aÛions âUégo- Tiques q«e plufieunPoëtes nous ont dit, avec agrément, des vérités qu'ils n'ati- toient pu nous etpoferfans le fecours de cette fiâion; Les converfations que le* FaMes fiippofent entre les animaux , font des aâions allégoriques , & les Fables font un des plus aimables genres de la Poeïie.
^ Je ne crois point qu'une aftion allégo- TÎquefoit im"-fujet propre pour les Poë' mes dramatiques , dont le but eft dé nous toucher par l'imitation des palïïons humaines. Comme l'Auteur ne nous parle point dîreôemeni dans cej fortes de Poëmes , & qu'ainfi il ne fçcvuroit ïious expliquer lui-même ce qu'il veut Jire par fon allégorie , il nous expofe- Toit fouvent à la lire , fans que nous puf- ïfions comprendrefon idée. H faut avoir Érop d'eipritpourdémêler toujoursaveç
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llS RéjUxions critiques
îpiftefle l'application que nous devoni ^re d'une allégorie. Je croîs donc qu'il en iaut abandonner l'ufage aux Poètes cjui raconteht , & qu'elle ne dent point Être employée par les Poètes dramati- ques.
'. D'ailleurs il eft impoâSble qu'une piè- ce , dont le fujet eftune aâîon allégori- que , nous intéreffe beaucoup. Celles que des Ecrivains à qui perfonne ne re- nife de l'efprit , ont hafardées en ce genre-là, n'ont pas .autant réuâî que celles où ils avoient bien voulu être moins ingénieux , & traiter un fujet liilloriquement. Le brillant qui naît d'u- ne aâion métaphorique , les penfées dé- licates qu'elle luggere , &.les tours fiiïs avec lefquels on applique ion allégorie aux folies des hommes , en un mot,tou- tes les grâces qu'im bel efprit peut tirer d'une parâiUe fiâion , ne font pcnnt en leur [dace Air le théâtre. Le piédellal n'eft point fait pour la ilatuë. Notre coeur exige de la vérité dans la iîâioii même : 8c quand on hii préfente une ac- tion allégorique , il ne peut Te refondre^ pour parler ainfi , à entrer dans les feU' tîmens de ces peribnnages chimériques. U les regarde comme des fymboles &
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JkrlaPoêfa&furUiPtlntun. 119 'des énigmes , fous lefquels font enve- loppés des préceptes de Morale , & des traits de Satyre qui font du reâbrt de l'efprit. Or une pièce de théâtre qui ne parle qu'à l'efprit , ne fçaiuoit nous te- nir attentif pendant toute fa durée. C'eft donc principalement aux Poètes dramatiques qu'on peut dire avec Lac- ' tance : Apprenez que la licence Poéti- que a fes bornes , au-delà defquelles il n'eil point permis de porter la fiûion. C'eft à bien repréfenter ce qui a pu véritablement arriver ,&à l'orner par des images nettes & élégantes ,. que «onfifte l'art du Poëte. Mais inventer une aâion chimérique , & créer des per- fonnages du même genre que l'aâion , c'eft être impofteiir plutôt que Poëte. Ntfciuiu homints qui fit Poaicte Uctruia modus ; quoufjueprogretii fingtndoUctai : cùm officium Potia in ta fit t ta ta qua veri geri potutrim ^ in alias fpecits ohliquia figurationibus cum dtcort aliquo converfa traducat Totum aattm quod rtfiras fin- gtre , id ift intpium tjft & mendaetm fo- tins quàm Paetàm.
Je n'ignore pas que les perfonnages de plufieurs Comédies d'Ariflophane, ceux des Oifeaux U des Chœurs des^
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«3© RéjUxtojù eriûqius
Nuées , par exemple , ne foîent allégiv liqucs. Mais on devine aifôment les raifons qu'Ariftophane avoit de traiter ainiî les fujets , quand on fçait que ce Poëte vomoit jouer dans Athènes les hommes les plus confidérables de la Ré* publique , & principalement ceux qui . venoient d*avoir la plus grande part à la guerre du Péloponere. Les Sçavans font tous convaincus que ce Poëte fait fouvent allufion dans ces Comédies à différens événemais arrivés dans cette •guerre , ou à des aventures dont elle avoit été Toccafion. Ariiiophane qiù vouloit attaquer des gens plus à crain- dre que Socrate , ne pouvoit pas donc trop mafmier fesperionnages, ni trop déguifer fes fujets. Ainfi ime aâion & des perfonnages all^oriques étoient I^us propres à fon deuein , que des per- fonnages & une a£Hon à l'ordinaire. D'ailleurs fes trois dernières Comédies, du moins ftiivant l'ordre où elles font arrangées , {Mit pour iùjet une a£Hon hu- maine & vraifemblable. Les François fe font mépris comme les autres , fur la nature du Drame , lorfqii'ils ont com- mencé à faire des pièces dramatiques qui méritaiTent d'avtûrùn nom.
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furlaPoëfit & fut la Pénturt. -15 1 Ils crurent alors quedes aûions allé- goriques poiivoient être des fujets de Comédie. Nous avons encore unePiéce qui fut repréfentée aux noces de Phili- bert Emmanuel Duc de Savoie, & de Ja Sœur de notre RoL Henri II. dont raâroneil purement allégorique. Paris y paroiflbit comme le père de trois filles qu'il vouloit marier, & ces trois filles Âoient les trois principaux quartiers de la Ville de Paris , l'Univerfité , laViUe proprement dite &la Cité, que le Poète avoit perfonifiés. Mais ou la raifon , ou l'inflinfl nous ont fait quitter ce goût très-propre à faire compofer de mau- vaifes pièces par de bons Auteurs ; 8c les Poètes qui depuis quelques années ont voulu le renouveller , n'y ont pas féufli. Les aâions allégoriques ne con- viennent qu'aux Prologues des Opéra deftinés pour fervir d'une efpec» dePré- iàce à la Tragédie , & pour enfeigrter ^application de fa morale. M, Quinault a montré comment il y iàlloit traiter ces aflions allégoriques, & les allufions qu'on y pouvoit laire à des événepiçns récens dans lestems oU les Prologues font repréfentés.
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Ï31 RéjUxions critiques
S E C T I O N^XXVL
■Que Us fujets ne/on: pas épuifés pour Us
Peintres. ExempUs tirés dts Ta~
bltaux du Crucifimeiu.
\J N plaint quelquefois les PeinO-es & les Poètes qui travaillent aujour- d'hui , de ce que leurs prédécefleurs lexu- ont enlevé tous les fujets. Ces Ar^ tifans s'en plaignent fouvent eux-mê- mes ; mais je crois que c'eAà tort. Un 'peu de réflexion fera connoître que les Artifans qui travaillent préfentement , ne doivent point être reçus à s'excuTer .fur la dllètte des fujets « quand on leur reproche quelquefois que leurs nou- veaux ouvrages ne font point nou- veaux. La Natiu'e efl û variée qu'elle fournit toujours des fujets neufs a ceux qui ont du génie.
Un homme né avec du génie voit la Nature,que fonArt imite , avecd'autres yeux que les perfonnes qui n'ont pas de génie. Il découvre une différence infi- nie entre des objets , qui auxyexK des autres hommes {aroillent les mêmes ,
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fur la Poëfie €ffur la Pànture. 13 j & il fait ii bien fentir cette difFérence dans fon imitation , que le fujet le plus rcbatu , devient un Aijet neuf fous fa plume ou fous fon pinceau. U eA pour un grand Peintre une infinité de joies Sc de douleurs différentes qu'il fçait varier encore par les âges , par les tempéra- xnens , par les caraderes des nations & des particuliers , & par mille autres moyens. Comme un tableau ne repré- fente qu'xm inftant d'une aftion , un Peintre né avec du génie , choifit l'inf- tant que les autres, n'ont pas encore fâiû ,- ou s'il prend le même inftant , il Tenrichit de'xirconftances tirées de fon imagination, qui font paroître l'aâion unlujet neuf. Or c'eft l'invention de ces circonftances qui conftituë le Poëte enPeinture. Combien a-t'on fait de cru- cifimens depuis qu'il efl des Peintres ? Cependant les Artifans doués de génie , n'ont pas trouvé que ce fujet fiit épuîfé
far mille tableaux déjà faits. Ils ont fçù orner par des traits de Poëfie nou- veaux , & qui paroiffent néanmoins tellement propres au fujet,qu'on eft fur- pris que le premier Peintre qui a mé- dité (ur la compofition d'un crucïfîment, ne fe foit pas lailî de ces idées.
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1^4 Réfixioas critiques
Tel eft le tableau de Rubens qu*oit Toit au^maître-Autel desRécoltets d'An* vers. Jefûs-Chriû paioît moft entre les deux Larrons qui ibnt encore vivans. Le bon Larron regarde le Cie! avec uae confiance fondée fur les paroles de Je- fus-Chrill , & qui fe &it remarquer à travers les douleurs du fupplice. Ru- bens , fans mettre des diables à côté de fon mauvais Larron., comme l'avoient pradcnié plulieiu's de fes devanciers , n*a pas laiffé d'en iàire un objet d'horreur. II s'eft fervi pour cela de la cîrconilance du fupplice de ce réprouvé qu'on lit dans rEvangile : Que pour hâter fa mort, on lui cslSsl les os. On vc»t par la meurtrilTuTe de la jambe de ce mal' heureux , qu'un boiureau l'a déjà frap- pée d'une barre de fer qu'il tient à la main. L'impreâîon d'un grand coup nom oblige à nous ramaffer le' corps par un mouvement violent & naturel. Le mauvais Larron s'eft donc foulevé fur fon gibet , & dans cet effort que la douleur lui a iàit faire , il vient d'arra- cher la jambe qui areçù le coup, en for- çant la tête du clou qui tenoit le pied attaché au poteau fiinefte. La tête du clou eft même chargée des dépouilles
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fur la Poèfie &fur Ut Pànturt. 13 J bideu(ès qu'elle a emportées en déchi- rant les chairs du pied à travers lequel elle apaifé. Rubens qui fçavoit fi bien en impofer à l'œil par la magie de Son. clair obfcur , &it paroître le corps du Larron ibrtant du coin du tableau dans cet effort , & ce 'corps eA encore la chair la plus vraie qu'ait peint ce grand Colorifte. On voit de profil la tête du fupplicié , & fa bouche dont cette fitua- tion fait e[)core mieux remarquer Tou- vertiu-e énorme , fes yeux dont la pru- nelle eft renverfée , & dont on n'ap- perçoit que le blanc lillonné de veines rougeâtres & tendues ; enfin l'aâion violente de tous les mufcles de fon vifa- ge , font [M-efque oiiïr les cris horribles qu'il jette. On découvre derrière lit Croix des fpeftateurs mù la font avan- cer , & qui femblent tellement enfoncés dans le tableau , qu'à peine ofe-t'on croire que toutes ces figures foient pla- cées fur une même fuperficie.
Depuis Rubens jufqu'à Coypel ,1e fu- jet du crucifiment a été traité pUiûeurs fois; Cependant ce dernier Peintre a rendu fa compofition nouvelle. Son ta- bleau repréfente le moment oii laNature t'émut d'horreur à la mort de J. C, le
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1^6 RéJUxions eritiqaes
moment oh le Soleil s'éclipfa fans Tin- tcq)oiitionde laXune, &ohIesinorts fortirent de leurs fëpulcrâs. Dans Tun des côtés du tableau l'on voitdes hoiU' mes faiûs d'une peur mêlée d'étonné- ment à Tafpeâ du déTordre nouveau oii paroîtle Ciel, fur lequel leurs regards font attachés. Leur épouvante ^t im contrarie avec une crainte mêlée d'hor- reur , dont font frappés d'autres fpec- tateurs , au milieu defquels un mort fort tout-à-coup de Ion tombeau. Cette pen* fée très-convenable à la fituation des perfonnages , & qui montre des acci- dens diflerens de la même paffion y va jufqu*au fublime ; mais elle paroît lî naturelle en même-tems , que chacun s'imagine qu'il l'auroit trouvée , s'il eût traité le même fujet. La Bible qui eil celui de tous les livres qu'on lit le plus , ne nous àpprend-t'elle pas que ta Nature s'émut d'horreiu- à la mort de Jefus-Chrift , & que les morts fortirent de leurs tombeaux î Comment, dirions- nous , a-t'on pu faire un feul tableau du Crucifiment ,fans y employer ces acd- dens terribles , & capables de produire unfi grand effet? Cependant le PouHin introduit dans fon tableau du Crucifi-
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fur la Pocfit & fur U PàiUitrt. 137 mentun mort fortant du féputcre , fans tirer de Tapparîtion de ce mort le trait de Poëfie , que Monfieur Coypel en a tiré. Mais c efl le caraâere propre de ces inventions fublimes que le génie feul fait trouver , que de paroitre tel- lement liées avec le fujet , qu'il fem- blie qu'elles ayent dû être les premières idées qui fe foient préfentées aux Arti- fans, quionttraitéce fujet. On fuë vai- nement f dit Horace , quand on veut trouver des inventions du même genre, lâns avoir un génie pareil à celui du. Poëte , dont on veut imiter le naturel &lafiinpUcité.(a)
Vc JtK pitnr Sfcnt iitm j faia mulnon fiujhaqui Ubom anfié
Le- génie de la Fontaine lui fait ren* contrer dans la compofition de fes Fa- bles une inâmté de traits quiparbiffent finaïfs &c tellement propres à fon fujet , que le premier mouvement du LeÛeijr eftde croire qu'il les eût trouvés auffi lùen que lui « s'il avoit eu à mettre en vers le même Apologue. Cette penfée a ùjt venir domis longtems à quelques Poètes le deueind'inuter la Fontaine ;
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S38 Rifltxions critiques
mais il s'en làut beaucoup qu'en l'îmî-
mitant , Us aient fait comme lui.
SECTION XXV II.
Qm Us fujtts m font ptu ifidJUpour
les Poius. Qu'on ptm tncoTt trouver de aotevuuix
earaàerts Jans UCemétiie.
C_> E que nous venons de dire de la Peinture , fe peut dire auffi de la Poëfie. Non-feulement un Poète né avec du génie , ne dira jamais qu'il ne fçaur(»t trouver de nouveaux Aijets , mais j'ofe même avancer qu'il ne trouvera jamais aucun fujêt épûifé. La {>énétration , compagne ioTéparaMe du génie , Itii ait découvrir des faces ijouvelles dans les fujets qu'on croit vulgairement les plus ufés ; car le génie conduit chaque mor- tel dans festravauxpar une route parti- culière , comme je l'eiqwferai dam la feconde partie de cet oavnige. Aaffiles Poètes guidés chacun parim ^ghit pir> ticulier , fe rencontrent £ rafeinent, qu'on peut dire , que généralement par*
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fur la Poîfit ù fur UPtinturt, 339 lant^ ils ne fe rencontrent jamais. Quand ~ Corneille & Racine ont traité le même flijet ; &, quand ils ont fait chacun une Tragédie de Bérénice , ils ne fe fontpas rencontrés. Rien n'eft fi différent dv plan & du caraâere de 1b Tragédi<e de Corneille , que le plan & le caraâere de la Tragédie de Racine. Les Comé- dies que Molière compofa , quand il eut atteint le période de les forces , ne ref^ femblent aux Comédies de Tétence , que parce qite les unes & les autres font des pièces excellentes, Leur genre de beauté eft bien différent.
Les Artifans nés avec du génie , ne prennent point pour modèles les ouvra- ges de leurs devanciers ,mais la Nature même ; & la Nature eft encore plus fé- conde en fiijets difïérens , que le génie des Artifans n*eft varié. D'ailleurs tous les fujets ne font point à la portée des yeux d'un feul homme. Il ne découvre que ceux qui font convenables à fon talent . & aufquels il fe fent propre pap* ticuliérement. Comme fon génie ne lut fournit pas d'idées frappantes fur les autïeK fujets « ils lui paroifîent ingrats. Une les regarde p(»tit comme des fu* jets propres à réuffir. Un autre -Poëte
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's40 Rifeiàons aiàqtus
les trouve des fujets heureux , parce que ion génie eft d'un cara£tere difie- reot dug^ede l'autre. C'eftainiî que Corneille & Racine ont découvert les liijets convenables à leurs talens , & qu^ds les ont traités , chacun fuivantftm caradere. Un Poëte tragique qui auroit autant de génie qu'eux , trouveroit des fujets a^ leur ont échappé , & il traî- teroit les fujets qu'ilmettroitauTliéâr tre dans im goût auffi dîfôfent du goût de Coroeille tpie le goût de Racine « & auflî éloigné du goût de Racine que le goût de Corneille. Ccxnoie le ditCicé* ron , (a) en parlant de quelques Poëtes dramatiques illuAres dans la Grèce & à Rome : c*efi fans ië reflembler qu'ils ont réuifi également. Aiqueiâprimum^ ia PoeâscaTÙluet^uihuseBproximaeog- /tatto cum Oraiorihis f quàmfi/u uutrft Pacatvius , Ennms , Acciufyue dij^m- U$ , quàmapudGracosEfckyltSt Sopho- (îeSf Earipides t quaiaquàmommiuspar ptrû tous ùi dijjîmiîi goure fcribtndi tri' tuatur.
Les fujets qui CotA encore intaSs nous échappent , oc nous lifons pluJîeurs f<HS ji'hifloire qui les raconte, lansles remar-
f^)I>t Prau lib. ut.
gues;
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Jkr ta Poëfit ù fur la Ptîntan. 141 ^quer , parce que le génie n'ouvre pas nos yeux : mais ceslujets frapperoient d'abord le Poëte qui auroit un génie propre à les traiter. Voilà ooiirquoi le nijet d'Andromaque qui n avoit [K)int frappé Corneille , frappa Racine dès qu'il commença d'être un grand Poëte. L,e fujet dlphigénie en Tauride , qui n'a point frappé Racine , happera de même un jeune Auteur. On peut dire des lii- jets de Tragédie ce que TEfope Latin dit de.s Fables. («)
... Maarii tiittd iiuniat copia , l^hori fihtr ut dl^ , ittn fabro lahoTt
11 eft vrai , me dira-t'on , que les fu- jets ne Içauroient manquer aux Poètes tragiques , qui peuvent faire entrer dans une aflion des perfbnnaees auiquels ils donnent des caraQeres faits à plaifir, & . qui peuvent encore orner leur fable pardes incidens extraordinaires inven- tés à leur gré. Il fuffit aux Poètes tragi- ques de faire de belles têtes , & ils peu- vent , pour les rendre plus admirables , s'écarter à un certain point, des pro- portions que la Nature obferveordmai- rement. Mais il faut que le Poëte co- mique faffe des portraits où nous recou-
Tffml, h
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44* Réftxions critiques •
inoîifions les hommes avec qui nous y^ vons. Nous nous mocquons des carac- tères qu'il donne à' fes perfonnages , fi nous ne reconnoilTons pas ces caraâeres pour être dans la Nature, & Molière, & quelques-uns de fes lucceCeurs^fe ibntfaifis de tous les caraûeresvrais& naturels. Le Poète tragique peut bien inventer de nouveaux caraâeres , mais le Poëte comique ne peut que copier les caraâeres des hommes. Les fujets de Comédie font épuifés.
Je réponds que Molière &c fes imita" teurs n'ont pas mis fur la fcéne laqua» triéme partie des caraâeres propres à faire le fujet d'une Comédie. Il en efl de l'efprit & du caraflere des hommes à peu près comme de leur vifage. Le vifage des hommes ell toujours compo- fédes mêmes parties, de deux yeux, d'une bouche , &c. cependant tous les vifages font dîfFérens, parce qu'ils font compofés différemment. Or les carac- tères des hommes font non-feulement compofés différemment, mais ce ne font pas toujours les mêmes parties , je veux dire les mêmes vices , les mêmes ver- tus, & les mêmes projets qui entrent ^ns la compoûtion de leur caraâere.
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. furUPoëJîe ^farlaPeinturt. 14J J^Hifi les caraâeres des hommes doi- -vent être encore plus variés , plus dif- ierens que les vilages des hommes.
Qui dit un caraâere , dit un mé- lanee , dit im compofé de plufieurs défauts & de plufieurs vertus , dans lequelmélangeceitain vice domine, fi le caraâere efl vicieux ; c'eft une ver- tu laquelle y domine , fi te caraâere doit être vertueux. Ainfi les différens carafteres" des hommes font tellement variés par ce mélange de défauts , de vices, de vertus & de lumières diver- fement combiné , cpje deux caraâeres parfaitement ferabubles font encore plus rares dans la Nature que deux vi- fages entièrement femblables.
Or tout caraûere bien peint fait un bon perfonnage de Comédie. U peut joqer avec fuccès un rôle furla fcene vérita- blement plus ou moins long , & plus ou moins important.Pourquoii'amourfera- t'il une paflion privilégiée , & la feule qui foiimilTe des caraâeres diSërens , à l'aide de la diverfité que l'âge , le fexe & la profeflîon mettent entre les fcn- timens des amoureux } J^e caractère d'un avare ne peut-il pas de même être varié par l'âge , par le fexe , -par d'au- Lij
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144 Réfitxlons Critiques
très paffions & par la profeffion ? Ces caraâeres bien peints n'ennuiroienC point , parce qu'ils font dans la Natu- re, & la peinture naïve de la Nature plaît toujours. C'eft donc parce que les tàifeursde Comédie n'ont pas les yeux affez bons pour bien lire dans la Na- ture, pour Y démêler diitinâement les differens principes des mêmes ac- tions , & pour y voir comment les mêmes principes font agir différemment chaque individu , qu'ils ne fçauroient plus mettre au Théâtre de nouveaux caraâeres. Il s'en (àut bien que tousies ridicules du genre humain ne foient en- core réduits en Comédie.
Mais quels font , me dira-t'on , les caraâeres neu& qui n'opt point encore été traités. Je réponds que j'entrepren- drois d'en indiquer quelques-uns , iî j'avoisun génie approchant de celui de Térence ou de Molière , mais je fuis de ceux dcmt Defpréaux a parlé dans ces Vers: 1
La Ntiure féceadc en birairwponnitf 1)101 chiquE Ame eft marqaéEàil:diJïr-n>tniii( ! Un geAe U découvre , un t\ta U fait piroiire. Ml! lout inoitEl n'a pai d29 yeux )>oiir 11 conoalcre. '
Pour démêler ce qui peut former un ca-
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JuT Ut Poêjîe &fur U Ptinture. 14 J- nâere , il faut être capable de difcer- ner entre vingt ou trente chofes que dit, ou que &it un homme , trois ou «juatre traits qui font propres fpéciale- xnent à fbn caraâere particulier, It faut ramaffer ces traits , & continuant d'é- tudier fon modèle , extraire , pour par- ler ainii , de Tes aâions & de fes dif- cours les traits les plus propres à faire reconnoîtr» le portrait. Ce font ces traits qui fépares des chofes indifféren- tes que tous les hommes difent & font à peu près les uns comme le^utres , qui \ rapprochés & réunis emRible , tonnent un caraâere , ÔC lui donnent,
Ç)ur ain£ dire , fa rondeur théâtrale, ous les hommesparoiflentimiformes, aux efprits bornes. Les hommes pa- roiH'ent différens. les uns des autres aux efprits plus étendus ; mais les hom- mes font tous des originaux particu- liers pour le Poète né avec le gérife de la Comédie.
Tous les portraits des Peintres mé- 'diocres font placés dans la mâme atti- tude^ Us ont tous le même air, parce que ces Peintres n'ont pas les yeux alTez bons pour difcemer l'air naturel qui cA différent dans chaque perfonne, L iij
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i.46 Réflexions critiques
& pour le donner à <^aque perfonit*^ dans fon portrait. Mais le Pemtre ha- bile fçait donner à chacun dans fotr portrait l'air & l'attitude qni lui fonf propres , en vertu de fa conformation. Le Peintre habile a le talent de difcer- rter le naturel qui eft toujours varié. Ainfi la contenance & Taûion des per- (bnnes qu'il peint", font toujours va- riées. L'expérience aide enîore bean- coup à trouver la différence qui eft réellement entre des objets , qni sa pTemi^fc|pup d'œil nous paroiiTent les mêmcs^T^eux qui voyent des Nègres pour la première fois , croyent que tous les vîfages des Nègres font pres- que femhhbles ; mœs à force de les voir , ils trouvent les vîfages des Ne-
fes auffi diâererts entre eux que le- nt les vîfages des hommes blancs. Voilà pourquoi MoKere a trouvé plus d'originaux parmi les hommes^ quand il, a été à l'âge de cinquante ans, qu'il" n'en trouvoit lorfqu'il n'avoit encore que quarante ans. Je reviens àmapro- pofition , c'eft qu'il ne s'enfuit pas qtie tous les itijets de Comédîefoient épui- fés , de ce que les perfonnes qui n'ont point de génie pour la Comédie , & qiti
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JkrlaPotJîe & fur la Puntun, t^f h'ontpas étudié les hommes par le côté qtie la Comédie doit les étudier , n'en peuvent pas indiquer de nouveaux.
Le' commun des hommes eu donc bien capable de reconnoître un carac- tère , lorfgue ce caraôere a reçu fa forme & ia rondeur théâtrale ; mais tant que les traits propres à ce carac- tère, & tjui doivent fervïr à le defli- ner , demeurent noyés &c confondus dans une infinité de difcours & d'ac- tions que les bienféances , la mode , la coutume, la profeffion & l'intérêtfont faire à tous les hommes à peu près du même air, & d'une manière fi uni- forme que leur caraôere ne s'y décelé, qu'imperceptiblement , il n'y a que ceux qiri. fcsit nés avec le génie de la Comédie , qui puiffent les diicerner^ Eux feiris peuvent dire quel' caraâerc •réfulteroit de ceS' traits , fi ces traits étoient détachés des aflions & des dif- cours îndifFércns, fi ces traits rappro- chés les uns des auttes , étoient immé- diatement réunis entr'eiix. Enfin dif- . cerner les carafteres dans la Nature', c'eft invention. Ainfi l'homme quin'eft . pas né avec le génie de la Comédie , 'ne les- fçauroit démêler ; comme celui Liv
2'4d RijLtxiom critiqua
qui n'efl pas né avec le génie de \iA Peinture , n'ell pas capable de di^^cer- ner dans la Nature qaeîs font les objets les plus propres à être peints. Quàm multa virent FiSores in umbris j & ix em'taentia , quœ nos non videmus. Cont* bien de chofes «n Peintre n-'obferve- t'il pas dans un incident de lumière que nos yeux n'aj^erçoivent point , dit Ciceron. (a)
Je conclus donc que les Peintres & les Poètes qui tiennent leur vocatîoa aux Arts qu'ils profeflent , du génie, & non pas de la nécelTité de fublUler, trouveront toujours des fujets neufs dans la Nature. Pour.parlerfigurément, leiu-s devanciers ont encore laifle plus de marbre dans les carrières qu'ils n'en ont tiré pour le mettre en œuvre.
SECTION XXVIII.
De la vrtùfimblanci tn Poijte.-
A I A première règle que les Peintres & les -Poètes foient tenus d'obferver en traitant le fujet qu'ils ont choifij
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fur la Poëjte &fur la Ptinturt. 149 c'eft de n'y rien mettre qui foît contre la vraifemolance. Les hommes ne fçau- roient être guère touchés d'un événe- ment qui leur paroît fenfiblement im- |)oflible. U eft permis aux Poètes com- me aux Peintres qui traitent les feits hiftoriques, de fupprimer une partie de la vérité. Les uns & les autres peu- vent ajouter à ces faits des incidensde leur invention :
FiSa poKi multd slJert vti'a ,
dit Vida. On ne traite point de men- teurs les Poètes & les Peintres qui le font. La fî£tion ne pafle pour menfon- ge qi!e dans les ouvrages qu*on donne pour contenir exaâement la vérité des faits. Ce qui feroit unmenfonge dans l*hiftoire de Charles VU ,-ne Fell pas dans le Poëme de la Pucelle. Ainft le .Poëte qui feînt une aventure honora- ble à fon Héros pour le rendre plus grand , n'eft pas un impolleur , quoi- que l'Hiftorien qui feroit la même chofe , palsât pour tel. On n'a rien à reprocher au Poëte, fi fon invention ne choque point la vraifefflblance , & lî le fait qu'il imagine , eil tel qu'il ait pft arriver véritableménr.. 'Parlons d a*
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%^o Rifiexîons crm<pus
bord du- vraîfemblable en Poëfiè^
Un fait vraifemblable eft iin fait pof^ fible dans les circonfîances où on le- fait arriver. Ce qui eft împoUible en ces circonflances , ne fçaiiroit paroître Traifemblable. Je n'entends pas ici par impoffible'ce qui eft au-deffus des for- ces humaines , mais ce qui paroît im- poflible , même en fe prêtant ^ toutes les fuppofitîons que le Poëte fçauroîf faire. Comme le Poëte eft en droit d'exiger de nous que nous trouvions, poftible tout ce qm paroifToit pof&ble dans les teois où il met fa fcène , Se ©îi il tranfporte en queltpie façon fes leâeurs , nous ne pouvons point , par exemple , l'accufcr de manquer à la vraifemblance , en fuppofant que Dia~ ne enlevé Iphigénie pour la traofpor- ter dans la Taïuide , dans le moment qu'on allolt facrifîer cette Princeffè, L'événement étoit poftîble , fuivant la théologie des Grées de ce tems-là.
Après cela, que des personnes plus hardies que moi, ofent marquer les bornes entre la vraifemblance & le- metveillçux , p^ rapport i chaque ^enre dePo^e,'pdr rapport au teins «h Ton ^{^ofe que l'événement eft;
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fur la ■Poïjii (f far la Peinture. I5Y 4^rivé ; eillîn par rapport à la créduli- té , plus OH moins grande , de ceiix ^our qui le Poème eft compofé. Il me -paroît trop difficile de placer ces bor- nes. D'un côté , les hommes ne font point touchés par les événemens qui . ceffent d'être vraifemblables , parce tp.i'ils font trop merveilleux. D'un au- tre côté , des événemens (i vraifem- tlables qu'ils ceflent -d'être merveil- leux', ne tes rendent guère attentiftï^ Il en eft des fentimens comme des évé- nemens. Les fentimens oh il n'y a rien ■de merveilleux , foit parla nobleffe ^ 'ou par la convenance du fentiment, foit par la précifion d« la penfée , foit ■par la jarteffe de l'expreflion , paroif- fent plats. Tout le monde , dit-on , "auroit penfé cela. D'un autre côté , lés fentimens trop merveilleux paroiffent feux & outrés. Le fentiment que D«- ■rier prête à Scévola , dans la Tragé- ■die qui porte ce nom , quand il Un faif. ■dire , en parlant du Peuple Romain, "que Porfenna auquef il parle , vouloît. aiîàmer :
. Senourrlrid'uivbru, ftcombairraderiUD'e,
devient auiB comique par Texagéra- L vj
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Ijl Rcfiexions erlilpus
tion qu'il renferme ^ qu'aucun traît i9
l'Ariofte.
Il ne me paroît donc pas poiIibI« d'enfeigner l'art de concilier le vrai- femblable & le merveilleux. Cet art n'eft qu'à la portée de ceux qui font nés Poètes & grands Poètes. C'eft à eux qu'il eil rélervé de faire une al* liance du merveilleux & du vraifem- blable , oii l^in & l'autre ne perdent pas leurs droits. Le talent de faire une telle alliance , eâ ce qui dillingue émi- nemment les Poètes de la claffe de Vir- gile, des Veriificateurs fans invention, & des Poètes extravagans. Voilà ce
Ïii dillingue ys Poètes illullres des uteurs plats , & des fiiifeurs de Ro- mans de Chevalerie , tels que font les Amadis. Ces derniers ne manquent pas certainement de merveilleux. Au contraire ils en font remplis ; mais leurs fiûions fans vraifemblance , Sc les évé- nemens prodigieux à l'excès , dégoû- tent les Leûeurs doitf le jugement eu formé,, &c qm connoiflent les Auteurs judicieux.
Un Poëme qui pêche contre la vrai- lèmblance , ell d autant plus ^cieux que fon dé&ut eft fenfible à tout k
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Jhr la Poljlt, Srfur la Peinlure. i J J monde. Nous avons une Tragédie de M. Quinaiilt, intitulée Le /aux Tibt- rinus , où le Poëte fuppofe que Tibe- TÏnus Roy d'Albe , étant mort dans une e7q>édition , tin de les Généraux , alîn <l'empêcher le découragement des trou> ces , dérobe à leur connoiflance U mort du Roi. Pour mieux cacher l'ac- . rident, il firitfoBtenir à fon propre fils le perf onnage du Roi Tibermus , à la iaveur d'une reffemblance parfaite qiû fe trouvoit entre le Roi & Agrippa. -C'efl le nom de^ce fils qui palle pour Tiberînus. Son père fuj^oîe encore , pour mieux cimenter TimpoUure , qn« le Roi mort a fait tuer fécretemenc Agrippa. Tout le Royaume d'Albe s'y méprend un an durant , & le dénoue- ment de la pièce, laquelle fournît d'aâc en afte des fituations merveilleufes » eft encore très-intéreflant. Cependant -on ne comptera jamais cette Tragédie parmi celle qui font l'honneur de notre Théâtre. Elle ne touche que par fur- :prife , 3c l'on defavoue fon émotion propre , dès qu'on fait réflexion à l'ex- travagance de la fuppofition, fur la- quelle toutes les fituations merTeilleti- -&s de la Tragédie font fondées. Oa
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n'a prefque point de plaifir à revoir uiMf pièce qui fu[^ie que la reJTeniblaDce' du Roi Tiberinus & d'Agrippa GiX. ab- iblumeni fi parfeite , même^du côté de l'efprit , que Tamante d'Agrippa , après avoir en de longues converfation* avec lui , continue i le prendre pour Tiberinus-
. J'avouerai cependant qu'un Poëme fens merveilleux, me deplairoit en- core plus qu'im Poëme fondé fur une Â:4)poJîtion ians vraiiemblanee. En ce-- h. )e fuis de l'avis de Monfieur Def- préaux , qui préfère le voyage do. iDonde delaLunedeCyranOrauxPoë'- mes fana invention de Motin èc de Cotin.
. Comme rien ne détruit plus la'vrai- jémblance d'un fait que la connoif- iànce certaine que peut avoir le Spec- tateur que le feit eft arrivé autrement que le Poëte ne le raconte , je crois «lue les Poëtes qui contredifent dans leurs ouvrages des faits hiftoriques très - connus , raiifent beaucoup à la vraifemblance de leurs fiâions. Je fçai bien que le faux eft quelquefois phts -Traifemblabble que le vrai ; mais noie ne ceglons pas notre croyance ^totf-
...Xooylc
fitr Lz Poçft &fur la Pt'mture. \<^ ^ chant les faits fur leur vraîfemblance métaphyilque , ou Air le pied de leur poffibilité : c'eft fur la vraîfemblance niftorique. Nous n'examinons pas c? qui devoir arriver plus probablement, mais ce que les témoins néceffaires » ce que les HiAoriens racontent ; fie c'eft leur récit , & non pas la vrai- semblance qui détermine notre croyan-- ce. Ainii nous ne croyons pas l'eW- nement qui eft le plus vraifemblable* Se le pitis poflible, mais ce qu'ils nous- difent être vëritableraeni arrivé. Leur dépofition étant la régie de notre croyance fur les faits , ce qui peut être contraire à lein* dépofition, ne* fçaiiroit paroître vraifemblable. Or comme la vérité eft l'ame de l'Hif— toire, la vraîfemblance eft l'ame d& U Poëfie.
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X^S RijUxions critiques
SECTION XXIX.
Si Us Poètes Tra^quesfont obligés de fi conformer à ce que la Géographie , VHifioire & la Chronologie nous ap- prenneru pofitivement.
_ Remarques à cefujet fur quelques Tragc- ^dies de CormilU & de Racine.
J E crois donc qu'un Poëte tragique va contre fon Art, quand il péehe troj^ groffierement contre l'Hiftoirc , la Chronologie & la Géographie , en avançant des faits qui font démenas par ces Sdences. Plus le contraire de ce qu'il avance , eft notoire , plus (on erreiU' devient nuifible à fon ouvrage. Le Public ne pardonne guère de pa- reilles fautes, quand il les connoît ; & jamais il ne les excufe fi pleinement qu'il n'en efiiftie un peu moins l'ou- vrage.
U« Poëte ne doit donc pas faire fau- ver la vie à Thomiris par Cyrus, ni feire tuer Brutus par Céfar. Je crois encore qu'il doit à la Fable univerfel- lemeot établie » le même refpeâ qu'à
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fur ta. Peëjii & fur la Peî/iturt. ity PHiiloire. Ce que la Fable nous débite de fes Héros &c de fes Dieux, s'eft acquis le droit de palTer pour vérité dans les Poëmes , &c nous ne Ibmmes plus parties capables de contredire Tes narrations. Un Poète ne doit aufli rien changer, fans une grande néceffité, à ce que rHiftoIre Se la Fable nous ap- prennent des événemens , des mœurs , des coutumes Se des ufages des pays oh il place fa icène.
Ce que je dis ne doit pas s'enten- dre des faits de peu d'importance , Sç conféquemmentpeuconnus. Par exenv pie , -ce feroit une pédanterie que d« reprendre Monfieur Racine d'avoir fait dire à NarcilTe , dans firitannicus , que Lpcufte , cette ^meufe empoîfonneufe mi tems- de Néron , a hit expirer uq Efclave k fes yeux , pour eflayer l'ac- tivité du poîfon qu'elle avoit préparé pour Britannicus , parce que les HiHo- liens racontent que cette épreuve flit faite fur un 'porc. La circonllance que le Poè'te change , n'eft point affez im- portante pour la conferver aux dépens du pathétique que ta vie d'im homme facrifié pour faire une épraive , jette dans te récit , &c de l'embarras qu'il ^
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ï^ Héfiexîom crïtiqutf
auroit à" raconter cet incident , cOnWfcr fe narrent les Hiftoriens. Mais je ne" sondamnerois pas de même celiri qui reprendroii dans cette pièce de Racine beaucoup de chofes pleinement démen- ties par ce que nous fçavcns pofitive— ment des mœurs de ce tems-là & de l'Hiftoîre de Néron.
Junia Calvina , l'amante de Britan-- aicus fur laquelle le Poète («"end foiir de nous inftruîre dans fa Préface , &' qu'il a tant de peur que nous ne confondions avec Junia Sîlana , n'é- «oit point à Rome dans le tems de la tfiort de Britannicus. Il n'çft pas pofE- ble qu'elle air été un perfonnage de Faftion qu'il met fur le théâtre, jtmia Calvina avoit été exilée vers la fin ckt règne de Claude, comme coupable d'incefte avec fon frere,,& Néronne la fappella de.fon exil , que lorfqu^il vou- lut faire un certain nombre d'afKons de bonté , afin- d'adoucir les efprits aï- gris contre lui par le meurtre de fa' mère. Dailleurs le caraflère que Mon- sieur Racine s'eft plù à donner à cette Junia Calvina, eft bien démenti par THiftoire. Il affefle de la peindre com- ÉiË une fille vertueufe en jeune, per-
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, fur laPoëfu&fur [aPtintUTC. ÏJ^g fonne : & plus d'une fois il lui fair dire , en phraies poétiques , qu'elle n'a point vu le monde , & qu'elle ne le- connoît pas encore.
Tacite , qui doit avoir vu Junia Cal- TÏna , puifqu'elle a vécu jufques fous le règne de Vefpafien, dit (a) dans l'Hiftoire de Claudius,' qu'elle étoit une effrontée. Avant que Claudius- ëpousât Agrippine , 8c plus de fept ans- avant ia mort de Britannicus , elle- avoit été mariée à Lucius Vitcilius ,- le frère de Vitellius qui fiit Empereur dans la fuite.- Seneque , dans la Satyre' iiîgénieufe qu'il lîcrivit fur la mort de- l'Empereur Claudius, parle de Juniaj Calvina en homme qui la tenoit réel- lement coupable du crime d'incefte- avec fon propre frère , 8c pour lequel elle avoit été exilée fous le règne de ce Prince. Racine rapporte une partie <lii paffage de Seneque , d'une manière à fîtîre croire qu'il ne l'avoit pas liV tout entier. Il cite bien l'expreflion dont Seneque fe fert pour dire qu'elle étoit la jeune perfonne de fon temsla pllis enjouée ; Feflivifimam omnium puel- ^um. Mais Racine ne nous dit pas ce
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i6o Réficxîons erîàquti
qu'ajoute Senecjue ; Que Junia Calvi» fia paroifToit une Venus à tout le mon- de , mais que fon frère aimoit mieux en faire fa Junon. Perfonne n'ignore que Junon ctoit a la fois la fœur & la femme de Jupiter. Monfieur Racine fuppofe dans fa Préface que l'âge feul de Junia Carvina rempêcna d'être re- çue chez les Veflales , puifqu'il penfe avoir rendu fa réception dans leur Collège vraifemblable , en lui faifant donner parie peuple une difpenfe, d'â- ge, événement ridicule par rapporta ce temsJà , oii le peuple ne falfoit plus les toix. Mais outre ^le l'âge de Junia Calvina étoit trop avancé pour fa ré- ception parmi les Veflales , il y avoit encore plufieurs raifons qui rendoient fa réception dans Teur Coîlége impof^ fible. Enfin ce inÀt eft détruit par tout ce que les Hifloriens nous appren- nent de la vie de Junia Calvina. Je ne penfe pas auIH qu'il fût permis à M. Racine de reflufcîter NarciiTe ,' perfonnage auffi fameux dans l'Hiftoirc Romaine que les Confuls les plus \i- Juftres, pour en faiie un desAâeiirs de fa pièce. Tacite nous apprend que dès les premiers joiu-s du règne de M'
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fur la P0êjzt& fur la Peinture, 16 1' ion, Agrippine obligea cet aliranchi célèbre à le donner la mort.
On trouve dans Britanmcuspliifie,iirs autres fautes pareilles à celles que je viens d'expofer ; mais il y en a encore davantage dans la Tragédie de Béré- nice. Monfieur Racine y feit aggran- dir, par Titus , les Etats de cette Rei- ne. Il eft parlé vingt fois des Etats de Bérénice dans la pièce , & cette Prin- ceffe n'eut jamais ni Royaume , ni Principauté. On l'appelloit Reine , ou parce qu'elle avoit époiifé des Souve- rains,ou parce qu'elle étoit fille de Roi: l'ufage d'appelier Reine les filles de ■îlois, a eu cours dans plufieurs pays, & même en France (a). Racine mp- pofe que fon Antiochus , celui qui tut blefle dans un combat des troupes d'Othon contre celles de Vitellius, & qui avoit mené un fecours aux Ro- mains devant Jérufalem , fut Roi de Commagene fous l'Empire de Titus , quoique les Hiftoriens nous appren- çent que le père de ce Prince infor- tuné , a étç le dernier Roi de Comma- gene. Il fut foupçonné fous l'empire de Vefpafien , le père & le prédécef-
W t'Oï/ifluiiti Orirtt . th. Tj. s. 3t.
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3.6i Réflexions xritiquts
■feur de Titus , d'intelligence avec le» farthes , & il fîit obligé de fe fauver chez eux avec fes fils, dont l'Antio- chus de Racine étoit un , pour éviter de tomber entre les mains de-Cefen- nîus Pœtus qui avoit ordre de les eo- Jever. Pœtus fe mit en poffeflion de la. Commagene , qui fut dèflors réduite pour toujours en Province de l'Empire. Ainfi lors de l'avènement de Titus aa Trône * Anthiocus Ephiphane étoit re- fiigié chez les Parthes , & il n'y avoit plus de Roi de Commagene. Notre Poëte pèche encore contre la vérité > quand il &it dire à Paulin que Titus charge , comme fon confident , de lui parler fur le mariajge de Bérénice: Qu'on a vu
D« fcrt de CIaud[ui Fdlt encore flétiî De dsuxReinei , Seigneur , devcDirteinir!'. El t'ilfaut jnr^u'iu bout que je vaut abéîlTe , Cei deux Reine: éioicnt du fang de ^tirCite-
Ce Félix , fi connu par Tacite & par Jofeph , n'époufa jamais qu'une Reine ou fille d'un fang royal , qui fut Dni- fille. Il eft vrai qu'elle étoit du fang de Bérénice. C'étoit fa propre fœur.
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fur laPoifit&furla Pànturt. i$j .Je, ne voiidrois donc pas acciifer de pédanterie celui qiiî ceniiireroit Mon- fieur Racine d'avoir fait un fi grand nombre de fautes contre une Hifloire autant avérée , &: généralenuînt aulH connue que l'Hiftoire des premiers ;Empereurs des Romains , comme d'êtr-e tombé dans des erreurs de Géogra- phie , qu'il pouvoit aifément s'épar- gner. Telle efl. l'erreur qu'il fait coni#- mettre par Mithridate , en lui faifant dire à fes fils dans l'expofition de fon projet, de pafTer en Italie, & de fur- prendre Rome.
Doutei-voii! (]iie rEimio nemeportcendïui jouii AuxlieuioiileDinubey vkni finit fon cours!
U en pouvoit bien douter , dit un Prin*' ce qui a commandé des Armées furies bors du Danube , & qui , comme Mi- thridate , a confervé la réputation de grand Capitaine dans Time âc dans l'au- tre fortune , puifque la chofe eft réel- lement impomble. L'armée navale de Mithridate , en partant des environs d'Âfaph &C du détroit de CafTa , oii Racine établit la fcène de fa pièce avoit près de trois cens lieues ^ faire avant que de débvquer fux les rives
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164 Réflexions crinqifts
du Danube, Des vaiiTeaiix qui mvî- guent en flotte , ôc (jui n'ont d'antres moyens d'avancer, que des rames & des voiles , ne fçauroient fe promettre de foire cette TCMte en moins de huit ou dix jours, Monfieiu- Racine , iàns crain- dre d'ôter le merveilleux de l'entre- jMÎfe de Mithridate , ponvoit bien en- core accorder fix mois de marche à fon armée , qui «voit fept cens lieues à faire pour arriver à Rome. Le vers qu'il fsLit dire à Mithridate ,
révolte ceux qui ont quelque cotuioil- fance de la dîftance des lieux. Quoi- que les Armées Grecques. & Romai-; nés marchaffent avec phis de célérité que les nôtres, il eft toujours vrai qu'il n'y a point de troupes qui puiffent du- rant trois mois, & fans jamais féjour- ner , faire chaque jour près de huit lieues , furtout en paffant par des pays difficiles & ennemis , ou du moins fiiC- peûs , tels qu'étoient la plupart des •pays que Mithridate avoît a traverferj, Ces fortes de critiques courent dans le monde , furtout quand une pièce eft nouvelle, ôc fouvent on les fait valoir
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fur ta. Poijîe &fur la. Ptlature. 16 5 valoir contre un Poëte -encore plus qu'elles ne devroient valoir.
Monfieur Corneille eft fouvent tom- bé dans la même inattention que Mon- fieur Racine. Je n'en citerai qu'un exemple ; ce que dit Nicomede à Fla- mixiius , rAmbaJTadeur des Romains auprès ou Roi Pnifias Ton père. Nico- mede , après avoir fait reffouvenir r^mbaâadeur qu'Annibal avoit gagné la Bataille de Trafimene fur un Flami- nivis , il ravertit encore de ne pas ou- blier f
Qu'tucrcfoitce^indhomme Comnenfipufon père i triompher de Rome.
I^ais Titus Quintus Flaminius , celui i qui parle Nicomede , &c qui avoit con- traint Annibal d'avoir recours au poi- ibn, n'étoit pas le fils de celui qui per-- dit la bataille de Tralîmene co«re An- nibal. Ils éto|^nt même de maifon fiç- de races diiFérehtef. Flaminius défait à Trafimene, étoit Plébéien; & Flami- nius qui iiit Ambafladeur de la Répu- blique auprès de- Prufias , &c qui fut caufe de la mort d' Annibal , étoit Pa- tricien. D'aUieurs la Bataille de Tra- fimcne ne fut point le pren)i<;r iiiccc^ Tomtl, ' M
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i66 . Réflexions critiques d'Ânnibal en bàiie. EUe avoit été pré- cédée par la Jiataille de la Trébbia , &c ' par le ramenx combat du Téfin que le Général Carthaginois avràt déjà ga- gné , quand il battit Flaminius auprès du Lac de Péroulê. Je ne Tçai pour- quoi il a plû à Moniteur ComeiÛe de faire cette fente , en confondant deux Flaminius , qnandks Sfarans la repo- choient depuis loi^tems à TAuteùr de la vie àx Hofomes lUuftres, qui eft Jbus le ocMB d'AnreUiu Viâor.
II eft vrai que les Tragiques Grecs ont fait quelquefois de lemblables feutes . mais çUes n'excufent point celles des modernes , d'autant plus que VArt devroit du moins être ^ourd*hui plus parfait. D*aiUeuis on a toi^ours repris les Poëtes tragiques de ta Grè- ce de ces' fentes qui oinfent i la viai- femblance de leurs fiqipofitions , en (çunbattant des vérités^certaines &. coofuies. Faterculu (<) reproche mê' me à ces Poëtes , comme une erreur groffiere , d'avoir a[^Ué Tli^alie cette: partie de la Grèce qui fiit »oâ^ pomaiée dans la .fuite, en des temS'' OÙ elle ne port<£tpa5 encore ice'novii
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fur la Poift SffuT la Peiniurt. 167 Orne SMHM oùréri eonvtnit tes , fiu , itiaca componenus ttmpora , de ta regîone ut TktJpiÛa comnumorant ; qitèd eùm alii /aciant Tragicî , fTtqmmiffimï fac'tunt , quitus minime id tonctdtriduW efi , nihll taim fmb perfona Potttt , fid oHinia fub eorum » qui dlo umpore vixtnlnt , dixe- runt. En effet la faute choque d'au- tant fJusdansk Poëte tragicjue , qu'il Ja fait commettre à un perfonnage qui vivoît dans des téifis oti il ne poii- voit point faire cette faute. Nous ptAi- vons encore confirmer notre fentiment
rce qii'Ariftote dit (<i) au fujei de vraifemblance hiftonque qu'il faut garder dans les Poèmes. 11 blâme ceux qui prétendent que l'exaâifude à fe con- former à cette vraifemblance , foitunô affeûation inutile ; & même il reprend Sophocle d'avoir fait atinoncer d^ns la Tragédie d'EIeâre qu'Orefte s'étoit tué aux Jeu» Pythiens , parce qlie' ces jeux ne furent inflitués que phifieur's fiécles après Ore Ae. Mais il aii plus faci- le aux Poètes de traiter cette exaâitude de pédanterie , que d'acquérir les con- ■noiffances néceffaires pour ne point faire de fantes pareilles à l'erreur qu'A- riftote reproche à Sophocle.
{■Dfamc.ch.ii. M ij
.C.<x,8lc
1^8 Réflexions aiùques
SECTION XXX,
P» la vraîfembîanct en Petraure y & des égards que les. Peintres doivent aux TraditioTis reçues^
1 L efl deux fortes tle vraîfemblance en peinture, la vraisemblance poétique & la vraifemblance mécanique. La vfaifemblance mécanique confifte à ne rien repréfenter qui ne foit poâîble, Aiivant les loix de la ûatique , les loix du mouvement, & les loix dç l'op^ tique.
Cette vraifemblance mécanique con- iUle donc à ne point donner à une lumière d'autres effets que ceux qu'elle aiiroit dans la Nature : par exemple , à ne lui point faire éclairer les corps fur lefquels d'autres coriM interpolés l'empêcbent ,de tomber. Elle conAAe jt ne point s'éloigner fenftblement de la proportion naturelle des corps ; à ne point leur donner plus de force qu'il eft vraifemblabk qu'ils en puiflent avoir. Un Peintre pécherojt contre ces loix ^ s'U faifoit lever paç un tupav-
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fur ta Poîfit &furU Peîaiure. 1^9 me t^ù feroit mis dans une attitude , laquelle ne lui laifleroit que la moitié de fes forces , un ferdeau qu\m hom- me , qui peut faire ufaee de toutes fes forces, auroit peine à ébranler. Encore moins faut-il faire porter à utie fieiire iin tronçon de colonne , ou quelque autre tajrdeau d'ime pefanteur exceflî'- ve y & au-deiTus des forces d'im Her- cule. Mais fi Ton Aippofe , dira-t'on , que CES %ures font des Génies bons ou mauvais, dont les forces font plus qu'humaines , alors la vraifemblance n*en fouâiira point. A cela je réplique , que le Peintre aura bien alors la raifon pour lui f mais il aura les fens contre lui. A qui doit-il plaire principalement i ■ Je ne parlerai point plus au long de la vraifemblance médianique , parce qu'on en trouve des règles très-détail- léestlans les livres qui traitent de l'Art de fo Peinture.
La vraifemblance poétique conlifte à donner à fes perfonnages les payions qui leur conviennent, fuivant leur âge , leur dignité , fuivant le tempérament qu'on' leur prête , & l'intérêt qu'on leur hit |Hendre dans l'aâion. Elle confiâe à cbfcTvet dans fon tableau Miij
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ija RéjUxians critiques
ce que les Italiens . appellent // Coflu- mi^ c'eÛà-dire, à s'y conformer à ce que nous fçavons des mœurs, des ha- bits , des bâtiment &c des aimes [^rti- euHercs des peuples qu'on veut repré- fenter. La vraifemblaace poétique, con- fiée enBn à^ donner -aux perionnages d'un tableau leur tête & leur caraÔere connu , quand ila en ont un , foit que ce caraâerç ait été pri«-fur des por- tjaits , Ibit qu'il ait été iangÎBé. Nous parlerons tantôt plus au Ipng de ces caraûeres connus.
Quoique tous l'es ipe^itfeurs dans un tableau deviennent des Ââeurs, leur aûionnéannKîinsnedaitêïirevive qu'à proportion dâ l'intérêt (^ulh preo- n£at à l'événement dant.<Hi les rend témoins. Ainlî le A>ldat qui voit le fa- crifîce d'f phigrâîe doit être énui , mais il ne 'doit point être aulS ému qu'un frère de la viâtme. Une femme qui affîile au ji^emont de Suzaimo , &C qu'on ne reconnoàt point à fon aiv de ^te ou à fes traits pour ^re la iœas ou la mère àa Suzanne , ne doit pas montrer le même degré d'aAlâion, qu'une parente. Il raiit qu'un jeune homme applaudiflè avec plus d'en^ref- fement qu'un vieillard.
fur ta Poêfit & fur la Ptimurt. 17 1 L'attention à la même chofe eft en- core difFérente en ces deux âges. Le jeune homme doit paroître livré plei- nement à tel fpeâacle que l'homme d'expérience ne doit voir qu'avec une légère attention. Le fpeâateur , à qui l'on donne la phifîonomie d'un homme d*efprit , ne doit point admirer comme celui qu'on a caraâérifé par une phy- fionomie ftupîde. L'étorniement d'un Roi ne doit point être celui d'un Som- me du peuple. Un homme qui écoute de loin , ne doit pas fe préienter com- me celui qui écoute de près. L'atten- tion de celui qui voit , eft différente de Tattention de celui qui ne feit qu'entendre. Une perfonne vive ne voit pas & n'écoute pas dans la même attitude qu'une perfonne mélancoli- que. Le refoeô & Pattention qite la Cour d'un Roi de Perfe témoigne pour fcn maître doivent être exprimés par des démonftrations qui ne conviennent • pas à l'attention de la fuite d'un Con- ml Romain pour fon Ma^rat. La crainte d'unEîclave n'eft pas celle d'un Citoyen , ni la peur d'une femme celle d'im foldat. Un foldat qui verroit le ciel s*entrouvrir , ne doit pas même Miy
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271 RèfitxÀons CTiàqms
avoir jïeur comme une perfomie d*iuie autre condition, La grande frayeur peut rendre une femme immobile ; mais le ibldat éperdu doit encore fe mettre en polhire de fe fervir de fes armes, du moins par un mouvement purement machinal. Un homme de tourage , at- taqué d'une grande douleur , laifle bien voir fa fouâiance j>einte fur fon vifagei mais elle n'ydoitpointparoître tejle 'qu'elle fe montreroit fur le vi- fage d'une femme. La colère d'un hom- me bilieux n'elt pas celle d'im homme mélancolique.
On voit au maître-^utel de la pe- tite Eglife de faint Etiemie de Gènes un tableau de Jules Romain qui repré-. fente le martyre de ce Saint. Le Pein- tre y exprime parfaitement bien la dif- férence qui eft entre l'aftion naturelle des perfonnes de chaque tempéra- ment , quoiqu'elles agifleni par la mê- me pallion ; & l'en fçait bien que cette forte d'exécution ne fe faifoit point
fiar des bourreaux payés , mais par e peuple lui-même. Un des Juifs qui lapide le Saint , a, des cheveux rouf- fâtres, le teint haut en couleur , enfin toutes les marques d'im homme bilieux
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far U Poêfie & far la Peiruure. ly 3 & fanguin , & il paroît Iranfporté de colère. Sa bouche & les narines font ouvertes extraordinairtment. Son gefte eft celui d'un furieux ; & pour lancer fa pierre avec plus d'impétuofité , il ne iè foutient que fur \m pied. Un autre hiif placé auprès du premier , & qu'on reconnoît être d'un tempérament mé- lancolique à la maigreur de fon corps , à fontein livide , comme à la noirceur des poils 5 Ce ramaffe tout le corps en jettant ia pierre , qu'il adreffe à la tête du Saint. On voit bien que fa haine eil encore plus forte que cçlle du pre- mier f quoique fon maintien & fon gefte ne marquent pas tant de fureur. Sa coUre contre un homme condam- né par la loi , & qu'il exéaite parpriri-' cipe de religion ,' n'en eft pas moins grande pour être d'une efpece diffé-' rente.
L'emportement d'un Général ne doit pas être le même que celui d'un fmiple îbldat. En&i il en ell de même de tous lesfentimens &c de toiues les paflîons. Si je n'en parle point plus au lon[;, c'eft que j'en ai d^a dit trop pour les perfonnes qui ont réfléchi fur le grand ait des expreflions y quand je n'en fç:ut' Mv
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3.74 Rdfiexi^ns critiques
rois dire alTez pour celles qui n'y oot
pas réfléchi.
La vraifembUnce poétique conHûe enccM'e dans l'observation dçs regif» que nous comprenons, ainfi qi^ les Italiens, fous le mot de Coftumé: oI>- l^rvatiop qui donne un li grand mérite aux tableaux du Pouflîn, Suivant ces ■ règles , il faut repréfenter les lieux oU l'aflion s'eft paffée , teis qu'ils ont été , £ nous en avons connotflance ; âc quand il n'en eft pss demeuré de notion pré- «tife , il faut , en iniagînani leur dif- pofilion , prendre ga^rde à ne fe poiat trouvereBccwti-adiâionavecce qu'on ■ en peut fç9Voir. Les mêmes règles veulent encore qu'on doima aux diffé- rentes Mations qui paroiflent (vdinai- r«mettf fiu- 1^ fcène des tableaux , la couleur de vifage &.1 'habitude de.cprps que l'Hiftoîre a remarqué leur être, propres. Uefi même beau de pouffer la vraifemblance jufqïi'à fuivre ce que nous fçavOQs de particulier des ani- matix de chaque p4ys , qi^nd nous repréfentons un événement arrivé dans ce pays-rlà. Le pQuffin qui a traité plu- . fieurs aûions , dont la fcène efl en Egypte > met prefque toujours dans fes
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fur là Pùifit &fur ia Ptloturt. 17 J tableaux des bâtinwns , des arbres ou des animaux, qui, par dllFérentesm- ibns , font regardés comme étant par- nculiers à ce p^<
Monfieùr le Brun a Aiîvi ces règle» dans Tes tableaux de lUIftoire d'Alexan- dre arec la même poHâttaliré. Les Perfes 8t les IndieAs s'y diftfai^ent des Grecs à leiu* phyfionomie aurant qu'à leurs armes. Leurs chevaux n'ont pas le même corfage que ceux des Macé- doniens. Conformément à la vérité, les chevaux .des Perfes y font repré- fentés plus minces. J'ai entendu dire, à-Monfiellr Perrtuit que fon ami Mon- fKur le Brun avoir fait deffiner à.Alep des chevaux de Perfe , afin d'obferver le Coflami fur ce point-là dans fes ta- bleaux. Il eft vrai qu'il fé trompa fur la tête d'Alexandre dans !e premier qu'il fit. C'efi celui qui- repréf ente les Reines de Perfe auxpieds d'Alexandre. On avoit donné à Moniteur le Brun pour la t£te d'Alexandre une tête de Minerve qui ^oit fur unfrMédaille , au revers 'de laquelle on lifoit le no** d'Alexandre. Ce Prince , contre la vé- rité qui nous eft connue , paroît dbhc- beau comme une femme dans- ce ta< Mvj
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iy6 * Rlfitxhns cfitiquts . "
bleau. Mais Monfieur le Bnui fe cot- rigea , dès qu'il eut été averti de Ta mépriie , & il nous a donné la véri- table tête d'Alexandre dans le tableau du paâàge du Granique ^ & dans celui de Ion entrée à Babylone. U en prit idée d'après le bufte de ce Prince qui £e voit dans. un des bofquets de Ver- failles fur une colonne , & qu'un Sculp- teur moderne a déguîfé en Mars Gau< lois, en lui mettant un coq fur fon cafque. Ce bufte , ainfi qite la colonne qui eft d'albâtre Oriental, ont été ap- portés d'Alexandrie.
La vraifemblance poétique exige aufli qu'on repréfente les Kations avec leurs vâtemeiis , leurs armes & leurs étendarts. Qu'on mette dans les en- feignes des Athéniens, la Chouette; dans celles des Egyptiens , la Cigo- gne ;& l'Aigle dans celles des Eomains ; enfin qu'on fe conforme à celles de leurs coutumes qui ont du rapport avec l'ac- tion du tableau. Ainfî le Peintre qui fera un tableau de la mort de Britanni- cus , ne repréfcntera point Néron & les auues convives aâis autour d'ime ta- ble ; mais bien couchés fur des lits. L'eneur d'introduire dans une aâion
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fur la Potfie &fur U Ptîhtun. 17^ des perfonnages qui ne putent jamais en être les témoins , poiir avoir vécu dans des tems éloignés de celui de l'afiion, eft une etteiir grofllere oiinos Peintres ne tombent plus. On ne voit plus un faim François écouter la prédication de faim Paul, rtiiin Confeffeiir le Cruci- fix en main , exhorter le bon Larton.
Enfin la vraifemblance poétique de- mande que le Peintre donne à fes per- fonnages leur air de tête connu , foit que cet air de tête nous ait été tranf- mis par des médailles , des ftatuës, ou pat desportraits;foit qu'une tradition, dont ne connoît pas la fource, nous l'ait confervé ; ioit même qu'il foit imaginé. Quoique nous ne fçachions pas bien certainement comment faint Pierre étoit fait , néanmoins les Pein- tres & les Sculpteurs font tombés d'ac- . cord par une convention tacite de le représenter avec un certain air de tête & une certaine taille qui font devenus propres à ce Saint. En imitation , Ti- . dée reçue & généralement établie , tient lieu de la vérité. Ce que j'ai dit de faint Pierre , peut aufli le dire de la figure fous laquelle on repréfente phi- fieurs autres Saints, & même de celle
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ayS Rifitxions critiqms
qu'on donne ordinairement à Taînt Paul , quoiqu'elle ne convienne pas trop avec le portrait que cet Apôtre iàit de lui-^ême. Il n'in^rte , la cbofe eA établie ain£. l£ Sculpteur qui re- préfenteroit faint Paul plus petit , plus décharné , & avec une barbe plus courte que faint Pierre , feroît repris, autant que le fiit BandînelU , pour avoir nus à côté de la ftatuë d'Adam qu'il a faite pour le dôme de Florence, une ftatuë d'Eve plus haute que celle de fon mari, (n)
Nous voyons par les Epîtres de Si- donius Apollinaris (i) que les Philofo- phes illimres de l'Antiquité avoient auili chacun Ton air de tête , fa figure & fon gelle qui lui étoient propres en peinture. PerGymnaJîapinguaeurZtu- jîppus ctrvUt fuma, Aratus panda , Ze~ non frontc tontraHa , Epkmus cuu tUfi- tenta , Dî^tnes harbot eoméntt , Sona- tes coma camUnie ^ ArifioteUs brachi» ex* ferto , Xtnocraus crun coUeUo , Heracli-
(t) Ccideni flatuës ne fent flus dam l'EgLfe ciéii- drilc de FlMcnce; ellei ea oui été âréc* en 1711 yu otdre du Grand Duc Corme III , pour Htt tràCcs dam H grande Sile du vieux Paliii. On Icdf » Tubftiiud an «groupe que Michel-Ange avoiCliiA'é impuAiti * mil repréf^ ^i._.n j.r___ . . , ^_. _
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fur la Potjit &fur la Peinture. 17g tus fietu otulis claujîs , Democriius rifu lahrLs spertis , Chryfippus digitis propter numerorum indicia coafiriSis , Eucîides propter menfurarumfpt^a laxatls , Clean- ihts propter utrumque corrojîs. Raphaël s'cft bien fervi de cette érudition dans fbn tableau de TEcoIe d'Athènes. Nous apprenons aiiffi de Qiiintilien (a) que les anciens Peintres s*étoient affujet- tis à donner à leurs Dieux &c à leurs Héros la phylionomie & le même cà- raftere que Zeuxis leur avoit donné , ce qui lui attira le nom de Légidatelir. J/ie verit ita circumfcripjît omnia ut eum iegumlatoremvocent , quia Deorum & He- roum effigies quales abeofunt traditee , ca- teri tanquàm ita.mceffefitjequntur.
L'Obfervation de lavraifemblannce me paroît donc , après le choix du fii- jet , la chofe la plus importante dans le projet d'im poème ou d'un tableau. La règle qui enjoint auxPrintres com- me aux Poètes de faire un plan judi- cieux, & d'arranger leurs idées de ma- nière que4es objets fe débrouillent fans peine , vient immédiatement après la règle qui enjoint d'obferver lavraifero- blancc.
ta) Iliflit. /i>. 11, ex.
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i8o Réflexions tmiques
S E C T ION XXXI.
Dt ia difpojîtion du Plan. Qu'il faut, divifcr C ordonnance des Tableaux en compofition Poétique & en compbfitioa PittoreJ^ue.
JVIes réflexions fur le plan des Poë* mes feront bien courtes, quoique la matière Toit des plus importante:^. Ce oue l'on peut dire touchant les POemes ae grande "étendue , fe trouve déjà dans le Traité du Poëme Epique par le Père le Boflii , dans ta pratique du Théâtre
fiar l'Abbé d'Aubignac , comme dans es diflertations que le grand Corneille a faites fur fes propres pièces. Ce qu'on peut dire touchant les petits ouvrages fle Poëfie , eft très-coiut. S'ils font le récit d'ime aâion , il feut qu'ils ayent , ainfi que les pièces de théâtre , une ex- polition , une intrigue & un dénoue-, ment. S'ils ne contiennent pas une ac- tion , il faut qu'il y ait un ordf e ou len- fible ou cacha ; & que les penfées y fuient dif[>ofées de maiùere que nous lesc oncevions fans peine , & que nous
Coo^jlc
fur la Poijît & fur la Ptîruure. 18 1 imiflîons même retenir la fubftance àe l'ouvrage & le progrès du raîfonne- ment.
Quant à la Peinture , je crois qu'il faut divifer l'Ordonnance ou le pre- mier arrangement des objets qui doi- vent remplir un tableau, en compoii- ùon pittorefque & en compolition poétique.
. J'appelle compofition pittorefque , Tarrangement des objets qui doivent entrer dans un tableau , par rapport à l'effet général de ce tableau. Une bon- ne compoiition pittorefque eil celle dont le coup d'œil fait Un grand effet , fuivant l'intention du Peintre , & le but qu'il s'eA propofé. 11 faut pour ce- la que le tableau ne foit point em- barralfé pa'ï' les figures , quoiqu'il y en ait affez poiu- bien remplir la toile. Il faut que les objets s'y démêlent facilement. Il ne &ut pas que les figures s'cftropient l'une Vautre en fe cachftit réciproquement la moitié de la tête , ni d'autres parties du corps , lefquelles il convient au fujet que le Peintre fkfle voir. Il &ut enfin que les
Êroupes foient bien compofés ; que la imiere leur foit diftribuéc judicieufe-
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iS t Réflexions critiques
ment ; & que Tes couleurs locales «
loin de s'entretuer, foient difpofées
de manière qu'il réfiilte du tout une
harmonie agréable i l'œil par elle>
raâme.
La conu>ofition poétique d'un ta- bleau y c'ea un arrangement ingénieux des fîgiu'es inventé pour rendre l'ac- tion qu'il repréfente', plus touchante & plus vraiiemblable. Elle demande que tous lesperfonnages foient liés par une aâicHi principale ; car un tableau peut contenir plufieurs incidens , à condition que toutes ces aâions par- ticulières fe réuniffent en une aoion principale , &c qu'elles ne fafTent toutes qu'un feul & même ftijet. I^es règles de la Peinture font autant ennemies delà duplicité d'aôion, que ceMes de la Poë- ûs dramatique. Si la Peirttiu'e peut avoir des Epifodes conmie la Poëfie , il £àUt dans les tâUeaux , comme dans les tragédies, qu'ils foient liés arec le fnjet , Se que l'unité d'aâion foît con- fervée dans l'ouvrage du Peintre com- me dans le Poëme.
11 faut encore que les perfonnages foient placés avec dilcemement , & vê- tus avec décence, par rapport à leur
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fur la Poifii' &fur la Ptînturti î8 j dignité comme à Timportance dont ils font. Le père d'Iphigénie , par exem- ple', ne doit pas être caché derrière d'autres figures au lacriâce oîi Ton doit immoler cette Princeffe. II doit y tenir la place lapins remarquable après celle de la Viâime. Rien n'eu plus infui>- portable que des figures indifférentes , placées dans le milieu d'un tableau. Un foldat ne doit pas être vêtu aulÏÏ richement que fou Général , à moins qu'une circonftance particulière ne oemande que cela foil ainfi. Comme nous l'avons déjà dit en parlant de la vraifembiance , tous les perfonnages doivent faire les démonftrations qui leur cçnviennent, & l'exprelTion de chacun d'eux doit être confoxme au caraftere qu'on lui fait foutenir. Sur- tout il ne raut pas qu'il fe trouve dans le tableaii des figures oifeufes , & qui ne prennent point de part à'I'aiHon principale. Elles ne fervent qu'à dif- traire l'attention du fpeâateur. It ne feut pas encore que t'Artifan choque Is décence ni la vraifembiance pour fevorifer fon deifein ou fon coloris , & qu'il facrifie ainli la Poëûe à ta méca- nique de fon art.
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184 Réflexions crînqutî
Le talent de ta compoâtlon poétique & le talent de la compofition pittorel' qiie font tellement fëparés, que nous voyons des Peintres excellens dans l'une, être grofliers dans l'autre. Paid Veronefe, par exemple, a très-bien r^lli dans cette partie de l'ordonnance .que nous appelions compofîtion pîtto- refque. Aucun Peintre n'a fçu mieux
Î[ue lui , bien arranger fur une même cène un nombre infini de perfonna- ges , placer plus heureufement fes £- gures , en un mot bien remplir une grande toile , fans y mettre de la con- fofion. Cependant Paul Veronefe n'a pas réufli dans la composition poétique. Il n'y a point d'imité d'aâion dans ia plupart de fes grands tableaux. Un de les plus magnifiques ouvrages, les no- ces de Cana , qu'on voit au fond du Réfeâoire du Couvent de faïnt Geor* ges à Vdiife-e^rempli de foutes con- tre la Poëfi(^ptttbr5ifâaé'. Un petit nom- bre des perfonnages fans nombre , dont il eil rempli , paroît être attentif aw Miracle de la converfion de l'eau en vin , qui fait le fujet principal. Perfon- ne n'en eft touché autant qu'il le fou- étroit. Paul Veronefe introduit parmi
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fur ta Potjie Sffur la Pdaturt. aSj les conviés des Religieux Bénédiflins du Convent pour lequel il travailloit. Enfîn fes perîbnnages font habillés de caprice » & y comme dans fes autres ta- bleaux , il y contredit ce que nous fça- vons pofitivement des mœiu-s &c des itfages du peuple , dans lequel il choi- fit us Aûeurs.
Monfieur de Kles grand amateur de la Peinture ,^ôc qui mi-même manioit le pinceau , nous a laifTé plufieurs écrits touchant cet Art, qui font dignes d'être connus de tout le monde ; mais un de ces écrits mérite toutes les louanges qui font dues aux livres originaux , c'eû fa balance desPeintres. Onyap- iwend dlilinÛement à quel point démé- rite chaque Peintre , dont il parle , eft parvemi en chacune des quatre parties dans lefquelles l'Art de la Peinture peut fe divifer#Ces parties font la compo- fitîon , le deflein , l'expreflion & le co- loris (a). Après avoir fuppofé que le vingtième degré de fa balance marque le plus haut point de perfeâion où il foit poilible d'atteindre en chacune de fes parties : 11 g»oiis dit à quel degré chaque Peintre eft demeuré. Mais pour
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lS6 RéjUxtotts emiqius
n'avoir pas diAribué l'Art de la Peintm-e en cinq parties , ni dîvife ce qu'on ap- pelle en général Tordoiinance , encom- poâtion pittorefque & en compofition poétique, il tonwe dans des propofî- lions infoutenables , comme eft celle Â& placer au même d^é de Ta balance Paul Veronefe & le Pouffin en qualité <ie Compofiteurs.Cependantles Italiens mêmes tomberont d'accord que Paid Veronefe n'eft nullement comparable dans la Poëlie de la Peîotiire au Pouffin , qu'on a nommé dèsfbn vivant le Peintre des gens d'efprit , éloge le plus flateur ' qu'un Artilan pût recevoir.
Le même Paul Veronefe fe trouve encore placé dans notre balance à côté de Moiweur le Brun , quoique dans la partie de la comparaîfon poétique , la ieule dont il s'agit ici , le Bnm ait peut- Être été àuffi loin que Rapbftl. On voit dans le grand appartement du Roi à Verfailles les deux exceliens tableaux , placés vis-à-vis l'un de l'autre, les Pellerinsd'Emmaiis par Paul Veronefe, & les Keines de Perfe aux pieds d'A- lexandre, parle Bnii%Un peu d'atten- tion fur ces tableaux fera juger que , û Paul Veronefe eft un méchant voi-
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fuT la Poife &fi& la Ptinture, x%y &i pour le Brun quant au coloris , le François eft encore un plus méchant voiûn pour ritalLen, quant à la Poëlîe pittorefque & à l'exprelfion. Il n'eft pasdifficile de deviner à qui Raphaël aii- roit donné le prix: fiiivant l'apparence , Raphaël auroit prononcé en faveur du genre de mérite dans lequel il excelloit, Je veux dire en faveur de Texpreffion , & de la Poëfie. Je confeille à mon Lec- texv/^ï\re dans le premier volume des Parallèles de M. Perrault , {a) le juge- ment raifonné qu'il porte fur ces deux tableaux. Ce galant homme , dont la inémoire fera- toujours en vénération à ceux qui l'ont connu , nonobftant tout ce qu'il peut avoir écrit fur l'antiquité , étoit auffi capable de faire une bonne ComparaifcHi de l'ouvrage de Paul Ve- roneie & decehii de le Bnm , qu'il étoit incapable , iiiivant Monfieur Woton , de faire un bon.paratlele entre les Poë* tes anciens Se les Poètes modernes. '
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Réflexions critiques
SECTION XXXII.
De V importance des fautts que Us Peintres & Us Poètes peuvent fitire contre Ivirs règles.
Vj OM M E les parties d'un tableau font toujours placées l'une* à côté da l'autre , & qu'on en voit VEnfetiÊ^ du même coup d'oeil , les défauts qui font dans fon ordonnancé , nuifem beau- coup à l'effet de fes beautés.. On apr perçoit fans peine fes feutes relatives, quand on a fous les yeux en même teins les objets qui n'ont pas entr'eux le rap- port qu'ils doivent, a voir. Si cette faute confme , comme celle du Bandinelli , dans une figure de femme plus haute qu'une figure d'homme d'égale dignité, elle eft facilement remarquée , puifque ces deux figures font l'unfi à côté de l'autre. I! n'en eft pas de même d'un poème de quelque étendue. Comme nous ne voyons que fucceflîvement un Poëme dramatique ou im Poème épique , & comme il faut employer plufieurs jours à lire ce dernier, les défauts
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/urta PoëJtt& fur ia Peinture. i8j âcfaiits <3fxi font dans l'ordonnance & dans la diftribution de ces Poèmes , ne viennent pas fauter aux yeux , comme y fautent les défauts pareils qui font dans un tableau. Pour remarquer les feutes. relatives d'un Poëme , il faut fe rappeller ce qu'on a déjà vii ou en- tendu , & retourner , pour ainfi dire , furfes pas , afin de comparer les objets qui manquent de rapport ou de pro- portion. Par exemple , il faut fe reflbu- venir que l'incident aui fait le dénoue- ment dans le cinquième Afle , n'aura point été fuffîfamment préparé dans les Aûes précédens ; ou qu'une chofe dite par un perfonnage dans le quatrième Aâe , dément le caraflere qu'on lui a donné dans le premier. Voilà ce que tous les hommes n'obfervent point tou- jours : plufieurs même ne l'obfervenc Jamais. Us ne lifent point les Poèmes pour examiner fi rien ne s'y dément , mais pour jouir du plaifîr d'être tou- chés. Ils lifent les Poèmes comme ils regardent les tableaux '; & ils font cho- qués feulement des fautes qui , pour ainfi-dire , tombent fous le fentiment , & qui diminuent beaucoup leur plai-
Tomt /. a
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loO Réflexions criûquts
D'ailleiirs les &utes réelles qui font dans un tableau , comme une figure trop coiute , un bras eftropié « ou un perfonnage qui nous préfente une gri» mace , au lieu de re:q)reflton naturelle , font toujours à côté de fes beautés. Nous ne voyons- pas ce quç le Peintre a fait de bon , féparément de ce qu'il a fiiit de mauvais. Ainfi le mauvais em- pêche le bon de faire fur nous toute î'impreffion qu'il devroit faire. Il n'en eft pas de même d'un Poème ; fes fiiu- tes réelles , comme une fcène qui forf de la vraifemblance , ou des fentimens
3ui ne conviennent point à la iituatîon ans laquelle un perionnage eft fuppo- fé , ne nous dégoutem que de la partie d'un bon Poëme où elles fe trouvent. Elles ne jettent même fiu* les beautés vpifioes qu'une ombre ïà&ilé^çje.
fur la Poëjïe & fur la Pe'iaturt. ta r
SECTION XXXIII.
De la Pflijîe du Style , dans Uqutlît Us mou fom regardes en tant qfit lesfgnes de nos idées.
Que c^ejl la Poifie du Style qui fait la def tinée des Poïmts,
A I N s I la beauté de chaque partie" du Poëme , je veux dire la manière dont chaque fcène eïl traitée & la manière 4ont s'expliquent les perfonnes , con- tribue plus au fuccès d'un ouvrage , que la juftefîe du plan &c que fa régu- larité , c'efl-à-dire , que l'union & la dépendance de toutes les différentes parties qui compofent un Poëme. Une Tragédie , dont toutes les fcènes prifes en particulier feront belles , mais mal cbiifijes enfemble , doit réuffir plutôt qu'une Tragédie , dont les fcènes bien liées entr'efles , feront froides. Voilà pourquoi nous admirons plufieurs Poè- mes quinc fontrien moins queréguliers, mais qui font foutenus par Tinven tion & par un ftyle plein de poefie , qui
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i,q% Riflexîom critiques
de moment en moment préfente desimaJ ges qui nous rendent attentifs , & nous émeuvent. Le plaifîr fenfible que nous font des beautés renailTantes à chaque période , nous empêche d'appercevoîr une partie des déiauts réels de la pie- ce , & il nous fait excufer l'autre. C'eft qinfi qu'un homme aimable en préfence feit oublier fes défauts ^ & quelquefois fes vices , durant les momens où Ton eft féduît par les charmes de fa çon-r verfatîon. U réuflit même fouvent 4' ijpus les &ire oublier dans la définition générale de fon caraâere.
La Poëfie du ilyle confifte à prêter ' dçs fentimens intérelTans à tout ce qu'on fait parler, comme à exprimer par des figures , & à repréfenter fous des images capables de nous émoU" voir , ce qui ne nous toucheroit pas , s'il étoit <Ht ^plement en âyle pro> ftique,
Ces premières idées qui nailTent dans l'ame, torfqu'elle reçoit ime afieôion vi ve ,& qu'on appelle communément des Jintimens^ touchent toujours, bien qu'ils fpient exprimés dans lestermes les plus fimples. Ils parlent le langage du cœur. Éfluliç intçrefie dpnc, «juahd ellç dit
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fur ta Poêjîe ^fur la Pàntuft. 19J .dans les termes les plus funples ,
J'ume encor plut Cinna qu* )■ ne hali Augii[lE>
Un fentiment celferoït même d'être aufiî touchant, s'il étoit exprimé en termes magnifiques & avec dts figures ambitieufts. Le vieil Horace ne m'inté* refleroit plus autant qu'il m'intérelTe , fi au lieu de dire simplement le fameux Q« 'il mûurât , il exprimoit ce fentiment en ftylè figuré. La vraifemblance péri- Toit avec la fimplicité de l'expreltion. Où j'apperçois de l'afFeftation, je ne reconnois plus le langage du cœur.
dit Horace. Mais les retours que lej Interlocuteurs font fur leurs fentimens & fur ceux des autres , les réflexions du Poëte , les récits , les defcriptions , en un mot tout ce qui n'eft pas fenti- ment, veut, autant que la nature du poëme & la vraifemblance le permet* tent, nous être repréfenté fous des images qui forment des tableaux dans notre imagination.
l'excepterai de cette règle générale les récits ces événemens prodigieux qui ' N ii;
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4.94 Refitxions crùiquts
fe font , lorfquc ces événemens vien- nent d'arriver. Il eil dans la vraifera- blance que le témoin oculaire de pa- reils événemens , & qu'il convient d'empkiyer pour en faire le récit , ak été frappé d'un étonnenient qui dure encore. Il feroit ainfî contre la vrai- semblance qu'il fe fervît dans fon récft des figures qu'un homme faifî , & qui ne fonge point à être pathétique ^ ne trouve pas. D'ailleurs ces événemens jM-odigieux exigent du Poëte de letu- procurer la croyance du fpeâateur , autant qu'il eft pofKbIe ; & un moyen de la leur procurer , c'eft de les faire raconter dans les termes les plus fim- ples & les moins capables.de faire foup- çonner celui qui parle d'exagération. Mais , comme je viens de le dire , il faut que hors de ces deux occafions , le ftyle de la Poëfie foit rempli de fi- gures qui peignent fi bien les objets décrits dans les vers , que nous nepuïf- ■fions les entendre , fans que notre ima- gination foit continuetleoient remplie des tableaux qui s'y fuccedent les uns aux autres , à mefure que les périodes du difcours fe fuccedent les unes aux autres.
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fur la P&ijîe &fw la Peînturt. a 9 5 Chaque genre de Poëme a quelque chofe de particulier dans la Poëfie de fbn ûy\e. La plupart des images , dont il convient que le ftyle de la Tragédie foit nourri , pour ainfi dire , font trop graves pour le flyle de la Comédie. Du moins le Poète comique ne doit-il en faire qu'un ufage très-fobre. II ne doit les employer que pour iùire parler Chrimisy lorfque ce perfonnage entre pour un moment dans une palllon tra- gique. Nous avons déjà dit que les Eglogues emprjjntoient leurs peintures & leurs images des objets qui parent la campagne, & des événemens de la vie niuique. La Poëfîe du ftyle de la Satyre doit être nourrie des images les plus propres à exciter notre bîle. L'Ode monte dans les Cicux , pour y emprun- ter fes images & fes comparaîfons du Tonnerre, des Aflres & des Dieux mê- mes. Mais ce font des chofes dont l'ex- périence a déjà inllratt tous ceux qui aiment la Poëfie,
Il faut donc que nous croyions voir ,' pour ainfi dire , en écoutant des Vers : Ut Piclura Poïfîs , dit Horace. Cléopa- tre s'attireroit moins d'attention , file Poëte lui faifoit dire en ftyle profaïque Niv
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i^S Réfltxîoiu entîques
aux Minières odieux de Ton frere : Ayez peur , méchans ; Céfar qui ell jufte , va venir la force à la main : II arrive avec des troupes. Sa penfée a bien un autre éclat , elle paroit bien plus relevée , lorfqu'elle eft revêtue de figures poeti-
3ues , & lorfqu'elle met entre les mains e Céfar l'inftrutnent de la vengeance de Jupiter. Ce vers (a)
Tremblez, méchant, iremWei: voici venir li fbudre;
me préfente Céfar armé du tonnerre, & & les meurtriers de Pompée foudroyés. Dire fimplement qu'il n'y a pas un gt'an^! mérite à fe faire aimer d'un homme qui devient amoureux facilement , mais qu'il eft beau de fe faire aimer par un homme qui ne témoigna jamais de dif- pofition à l'amour , ce feroit dire une vérité coniinune , & qui ne s'attireroit pas beaucoup d'attention. Quand Mon- iîeur Racine met dans la bouche d'Ari- cie cette vérité , revêtue des beautés que lui prête la Poëfie de fon ftyle , elle nous charme. Nous fommes féduits
far les images dontle Poëte fefertpour exprimer; & la penfée , de triviale qu'elle feroii, devient dans ies Vers
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fur la Poiju 6" fur ta Ptintan. 197 un difcours éloquent qui nous frappe , & que nous retenons (<t).
Pour moi, ie fuit plui6ère, fifubli gloire aiCJe Ctmclur on hommage 1 mille lutrci ofléct ■ Etd'eatrcrdiDiuDcccur «kiouiMpintouTcn. Mais de faire fléchir un courige inllïiible, De porter Sa douleur dans une ame infenfible « D'enïhiiner an captif de rcifèri éioaai, Contre UD joug qui lui plati vainemenc mutioi , VoiUceqiùme pUtt, voiUcequim'îrritei
Ces vers tracent cinqtableauxdansri-- magination.
Un homme qui nous diroit ftmple- ment , Je mourrai dans le même château où )e iiiis né y ne toucheroit pas beau- coup. Mourir , eft la deftinée de tous les hommes ; & finir dans le fein de fes Pénates , c'eft la deftinée des plus heu- reux. L'Abbé de Chaulieu nous préfente cependant cette penfée fous des images qui la rendent capable de toucher infi- niment :
Foncenty , lieux délicieux Oil je vil d'abord la lumière « Bientôt au bout de ma curieto Chez toi je joindrai mei Aycux;
Uurei , qË dini ce lieu chanpttte Avec foin mç litct nourrit ( , Beaux arbres, qui m'avEz vu natcre,' BicDiôt veut me Tetrei moutir<
(t)Phtir..M,n.
Nv
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IçS RifUxîons erîùquts
Ces apoftrophès me font voir le PoStff en converfation avec les Kvinîtés 8c avec les arbres de ce lieu. Je m'imagine qu'ils font attendris par la nouvelle qu'il leur annonce ; & le fentiment qu'il leur prête , fait naître dans mon cœur un îentiment approchant du leur.
L'art d'émouvoir tes hommes & de les amener où l'on veut , confifte prin- .cipalement à fçavoir faire un bon ufage de ces images. L'Ecrivain le plus auile- re , celui' qui &)t ta profi^on la plus férieufe de ne mettre en ceuvre , pour nous perfuader,que la taifon toute nue, fentbientôtque,poiii- nous convaincre, il nous faut émouvoir ; & qu'il &ut , pour nous émouvoir , mettre fous nos yeux par des peintures les objets dont il noiu parle. Un des plus grands par- tifans du raifonnement féirerejqiie nous ayons eu, le Père Mallebranch«,aécrit contre la contagion des imaginations fortes , dont le charme , pom- nous fé- duire , confifte dans leur fécondité en images, & dans le talent qu'elles ont de peinf^re vivement les tAjets (n). Mais qu'on ne s'attende pbint à voir dans fon difcours une precifion féche
(]} Riîherckt di U Và-'ai, lin. i , ftrt, i.
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farlu Pwfit SrfuT U Peinture. 199 qui écarte toutes tes figures capables de nous émouvoir &c de nous l'éduire , nï qui Te borne aux raifons concluantes. Ce djfcours efl rempli d'images & de peintures , &c c'eA à notre imagination qu'il parle contre l'abus de l'imagina- tion.
La Poëfie du ftylë fait la plus grande dîJFérence qui Toit entre les vers &c la profe. Bien des métaphores qui palTe- roient pour des 'figures trop hardies dans le ftyle oratolreïe plus élevé, font re- mues en Poéfie. Les imaees & tes 6gu< res doivent être encore plus fréquentes dans ta plupart des genres de ta Poëfie , que dans les difcours oratoires. LaRé- thorique, qui veut perfuader notre rai- fon , doit toujours conferver un air de modération & de iîncérité. It n'en eApas demêmede]aPoélie,quironge à nous émouvoir préférablement à tou- tes chofeSi âcqui tombera d'accord, fi l'on veut , qu'elle eft fouvent de inauvaife foi. C'eft donc lA Poéfie du ftyle qui fait te Poète , plutôt que la rime & la céfin-e. Suivant Horace , on peut être Poète en un difcours en pi ofe ■, « l'on n'eft fouvent queprofateur dans un difcours écrit en vers. Quintilien Nv)
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300 Réflexions critiques
explique fi bien la nature & l'ufage deS images & des figures dans les derniers chapitres de fon huitième Livre ,• ôc dans les premiers chapitres du Livre fuivant , qu'il ne lailTe rien à Biire que d'admirer ia pénétration & fon grand fens.
Cette partie de la Poefie la plus im- portante , eil en même tems la plus dif- ficile. C'eft pour inventer des images 3ui peignent bien ce que le Poëte veut ire , c eft pour trouver les expreflîons propres à leur donner l'être , qu'il a be- îoin d'un feu divin , & non pas pour ri- mer. Un Poëte médiocre peut , à force de confultations & de travail , faire un plan régulier , & ^ donner des mœurs décentes à Tes perîbnnages ; mais il n'y a qu'un homme doué du génie de l'Art , qui puifle foutenir ies vers par des fic- tions continuelles, & par des images renaifTantes à chaque période. Un hom- me fans génie tombe bientôt dans la froideur qui naît des figures qui man- quent de jufteffe , & qui ne peignent point nettement leur objet , ou dans le ridicule qiù naît des figures , lefquelles jie font point convenables au fujet. Tel- les font , par exemple , les figures que
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furla Poijîe & fur iaPànture. 30! met en œuvre le Carme Auteur du poè- me de la Magdelaine , qui forme ibu- vent des images groterques , oh le Poète ne devoit nous offrir que des images férieufes. Le confeild'un ami peut bien nous ftire fupprimer quelques figures impropres ou mal imaginées : mais il. nepeu/nous infpirer le génie néceflaire pour inventer celles dont il convien- droit de fe fervir. Le fecours d'autniï , comme nous te dirons en parlant dû . génie , ne fçauroit faire un Poëte : Il peut tout au plus lui aider à fe former. Un peu de réflexion fur la deAinée des Poèmes François publiés depiûs quatrevingt ans , achèvera de nousper- iuader que le plus grand mérite d'im poëme vient de la convenance & de la continuité des images & des peintures que fes vers nous préfentent. Le carac- tère de la Poëfie du ftyle a toujours dé- cidé du bon oirdu mauvais fuccès. des poèmes , même de ceux qui par leur étendue femblent dépendre te plus de Tœconomie du plan , de la diflribution de l'aâion & de la décence des mœurs. Nous avons deux Tragédies du grand Corneille, dont la conduite & la plu- part rfes caraûeres font irès-défeâueui.
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30i Réflexions cmlquts
le Cid & la Mort de Pompée. On pour-
roît même dil'puler à cette dernière
f)iece le titre de Tragédie. Cependant e public enchanté par la poëfie du flyle de ces ouvrages , ne fe laffe point de les admirer , & il les place fort au-def- fus de pKifieurs autres, dont les mœurs font meilleures , & dont le plan ell ré- gulier. Tous les raifonnemens des cri- tiques ne le perfuaderont jamais qu'il ait tort de prendre pour des ouvrages ex'cellens deux Tragédies ^ qui depuis qiiatrevingt ans font toujours pleurer les fpeâateuTs. Mais , comme le dit le Poëte Anglois Auteur de la Tragédie de Caton : Les Vers dta Pottcs anglais Jhni fou\enl harmonieux €r pompeux , avec unfens trivial , ou qui ne conjijie qu'en un jeu de mots, lequel ne fait point d'image; au lieu que dans les Tragédies des j4ncienSy einfi que dans celles de Corneille & de Ra- eine , le vers préfente toujours quelque chofe à l'imagination. Leur Poëjîe eji eo- ttire plus belle par lesimages queparl'har- monie.Lefens des mots enrichit leurphrafe, encore plus que le choix & C'a emblage mé- hdietix desfons qui la compofem (n) . La Pucelle de Chapelain & le ClO'*
(i) Sptilattur du 14 AkU 171 >•
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fur laPoïjîe&furla Ptmture, 30 J vis de Defmarets font deux poèmes épi'-i ques , dont la conftitution & les mœurs ■valent mieux fans comparaifon que celles des deux Tragédies dont j'ai par- lé. D'ailleurs leurs incîdens, qui font la plus belle partie de notre Hiîloire , doivent plus attacher la Nation Fran- çoife que des événemens arrivés de- puis longtems dans l'Ëfpagne & dans l'Egypte. Chacun fçait le luccès de ces poèmes épiques , qu'on ne fçaiiroit im- puter qu'au défaut de la poëfie du ftyle. On n'y trouve (M-efque point de fenti- mens naturels capables d'intéreffer. Ce défaut leur eA commun. Quant aux images , Defmarets ne crayonne que des chimères : Se Chapelain , dans ibn flyle Tudefqiie , ne' deflîne rien que d imparfait & d'eftropié ; toutes fes peintures (ont des tableaux Gothiques. De-^à vient le feul défont de la Pucelle , mais dont il feut, fuivant M. Def- préaux, que fes défenfeurs convien- nent : le défaut Qu^on ne la fçauroù liru
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)04 Rifitxîons crîthjtus
SECTION XXXIV.
Du motif qui fait lire Us Focfits : ^ ton n'y cktrclu pas l'infiru3ion commt dans i outra Livres*
J^ ES gens du métier font Us ieuls qiù fe faflent une élude de la leâure des Poètes. On ne les lit plus , nous l'avons déjà dit, que pour s'occuper agréablement , dès qu'on eft forti du Collège y & non pas comme on lit les Hiftoriens & les Philofophes, c'efl-à- dire , pour apprendre. Si l'on peut tirer àes inflniâions de la leâure d'un poè- me, cette inftruâion n'eft gueres le motif qui fait ouvrir le livre.
Nous iâifons donc le contraire en Ut fant un Poète de ce que nous &ifons en lifant un autre livre. En lifant un Hîno- rien , par exemple , nous regardons foa ftyle comme l'acceffoire. L'important, c'eft la vérité, c'eft la fingularité des faits qu'il nous a()prend. En tifant un poëmé , nous regardons les inflruâions que nous y pouvons" prendre comme l'acceffoire. L'important, c'eftleftyle, parce que c'eft du ftyle d'un poëme que
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fur la Poifit Srfur la Peinture. 505 dépend le plainr de ion leâeur. Si la Poëfre di! ftyle du Roman de Téléma- que eût été languilTante, peu de per- lonnes aiiroient achevé la leâure de l'ouvrage, quoiqu'il n'en-eùt pas été moins rempli d'inliruflions profitables. C'eft donc liiivant que la leilure d'un poëme nous plaît que nous le louons. On remarquera que je ne parlcîci que des perfonnes qui étudient ; car celles qui lifenl principalement pour s'amufer, & en fécond heu pours'inftruire (c'eft Tufage cependant que les trois quarts du monde font de la leâure ) aiment encore mieux les livres d'hîftoire dont le flyle eft intéreffant, que les livres d'hiftoire mal écrits , mais pleins d'e- xaâitude & d'érudition. Bien des per- fonnes fuivent même ce goCit dans le choix qu'elles font des livres de Phi- lofophie, & d'autres Sciences encore plus férieufes que la Philofophie. Qu'on
iuee fi le monde ne doit pas trouver que eT)oëme qui fçait le mieux lui plaire , doit être le meilleur.
Les hommes qui ne lifent les poèmes que pour être entretenus agréablement par des fixions y fe livrent donc dans cette leâure auplaifiraâuel. Ilsfelaif-
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^o6 Rif exions aiii^es
fent aller aux imprelTions que fàît fur eux l'endroit du pOëme qui eftfous leim yeux. Lorfquc cet endroit les occupe agréablement , ils ne s'avifent gueres de iiifpendre leur plaifir j poiu- faire ré- flexion s'il n'y a point de fautes con- tre les règles. Si nous tombons fiir une faute groflîere & fenfible , notre plaiiir eft bien interrompu ; nouspouvonsbien alors faire des reproches au Poëte : mais nous nous réconcilions avec lui, dès que ce mauvais endroit du poëme eft paAié , dès que notre plaifir a re- commencé. Le plaifir aâuel qui domi- ne les hommes avec tant d'empire, qu'il leur fait oublier les maux paffés , & qu'illeur cache les maux à venir, peut bien novis faire oublier les fautes d'un poëme qui nous ont choqués da- vantage , dès qu'elles ne font phis fous nos yeux. Quantàcesfeutes relatives, fie qu'on ne démêle qu'en retournant fur fes pas , & en faifant réflexion^ur ■ce qu'on a vu , elles dimrmient très-peu le plaiiir du lefteur & du fpeâateur, quand même il lit la pièce , ou quand il la voit, après avoir été informe de ces fautes. Ceux qui ont lu la Critique du Cid , n'en ont pas moins de plaî£r à voir t^tte Tragédie.
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fur U Poëjtt Srfur la Peinture. 307 En effet , l'événement qu'un Poëte tragique aura trop laiffé prévoir en le préparant grofliérement , ne laiflera point de nous toucher ^ s'il eft bien traité. Cet événement nous intéreffe- ra , bien qu'il ne nous furprenne point réellement. Quoique les événemens de PolleuÛe & d'Athalie ne furprennent pas véritablement tieux qui ont vu plu- fieurs fois ces Tragédies , ils ne laiffent
Îas de les toucher jufques aux larmes. 1 femble que l'efprit oublie ce qu'il fçaît des événemens d'une Tragédie dont il connoît parfeitement la fable , afin de mieux jouir du plaifir de la fur- prîfe que ces événemens caufent , IofT- qifils ne font pas attendus. Il faut bien qu'il arrive en nous quelque chofed'ap- prochant de ce que je dis; car après ■avoir vu vingt fois la Tragédie de Mî- thridate, on eft prefqu'aum frappé du retour imprévu de ce Prince , quand il eft annoncé à la fin du premier AQe , que fi cet incidt de ta pièce furprenoit véritablemenif^^ctre mémoire paroît 'donc fufpendue au fpeflacle ; & il fem- tle que nous nous y bornions à ne fça» voir tes événemens , que lorfqu'on hous les annonce. On s'interdit d'anti*
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308 Réflexions crlùqtus
ciper fur Içs événemcns ; & comme oa oublie ce qu'on a vu à d'autres repré- ■ fentattons , on peut bien oublier ce que l'indifcréiion d'un Poète lui a fait révé- ler avant le tems. L'attrait du plaiiir a- t^il tant de peine à étouffer la voix de la raifcn î
Enfin fi le charme du coloris eft fi puilTant qu'il nous fafie aimer les ta- bleaux du BalTan, nonobAant les fautes énormes contre l'ordonnance & le Aeî- fein, contre la vraîfemblance poétique & pittorefqiie dont ils font remplis ; fi le charme du coloris nous les lait van- ter , bien que ces fautes foient aâuel- lement fous nos yeux , lorfque nous les louons; on peut aifément concevoir comment les charmes de la Poëfte du âyle nous font oublier dans la le^hire d'un poëme les fautes que nous y avons apperçues.
Il s'enfuit de mon expofition , que le meilleur poëme eflceliu dontlale£hire nous intéreiTe davanta^ ; que c'eft ce* lui qui nous féduit atiÇKnt de nous ca- cher la plus grande partie de fes fautes, & de nous faire oublier volontiers cel- les mêmes que nous avons vues , & qui nous ont choqués. Or c'eA à propot';
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furlaPoêJîe Sf fur la Peinture, 300 tion des charmes de la Poefie du ftyle qu'un poëtne nous intéreffe. Voilà pour- quoi les hommes préféreront toujours les poëmes qui touchent , aux poëmes réguliers : voilà pourquoi nous préfé- rons le Cid à tant d'autres Tragédies. Si l'on veut rappeller les chofes à leur véritable principe , c'ell donc par la poëfie du ftyle qu'il faut juger d'un poëme , plutôt que par fa régularité 6c par la décence des mœiu^.
Nos voifins les Italiens ont deux poëmes épiques en leur langue , la Jé~ TufaUm délivrée du Taffe , & le Roland furieux de l'Ariofte , qui , comme l'I- liade & l'Enéide , font devenus des li- vres de la Bibliothèque du genre hu- main. On vante le poëme du Taffe pour U décence des mœurs , pour la conve- nance & pour la dienité des caraûeres, pour l'économie dii plan , en un mot fa régularité. Je ne dirai rien des mœurs, des caraâeres , de la décence & du plan du poëme de l'Ariofte. Homère fut un " Géomètre auprès de lui ; & l'on fçait le beau nom que le Cardinal d'Eft donnii au ramas informe d'Hiftoires mal tiffues enfemble qui compofent le Roland fu- rieux. L'imité d'aâion y ell £t mal ob-
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} 10 RéjUxtons cmîqtics
l'ervée , qu'on a été obligé dans les Editions pcfiérieures , d'indiquer , par une note mife à côté de l'endroit où le Poëte interrompt une hiftoïre, l'endroit du po'ëme où Û la reconnnen'ce , afin que le leâeur puifTe fuivre le fil de cette hiiloire. On a rendu en cela un grand fervice au public ; car on ne lit pas deux fois l'Anofte de fuite , & en palTaot du premier chant au fécond , & de celui-là aux autres fucceffive* ment ; mais bien en fuivant, indépen- damment de l'ordre des livres , les dîf» férentes hifloires qu'il a plutôt incor- porées qu'unies enlemble. Cependant les Italiens, généralement parlant, placent l'Ariofte fort au-deffus du Taffe. L'Académie de la Crufca, après avoir examiné le procès dans les formes , a fait une déciUon autentique qui adjuge à l'Ariofte le premier rang entre les Poètes épiques Italiens. Le plus zélé dé- fenfeur du Taffe (a) confeffe qu'il at- taque l'opinion générale , & que tout le monde a décidé pour l'Ariofte , fé- diiit rar la poëfie de fon ftyle. Elle l'emporte véritablement fur la poèCe de la Jérufalem délivrée , dont les fî-
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fur U Poëfie &furia Pthuure. 311
f lires ne font pas fouvent convenables l'endroit oii le Poëte les met en œu- vre. Il y a fouvent encore plus de bril- lant & d'éclat dans ces figures , que de vérité.Je veux dire qu'elles furprenneat Se qu'elles éblouiffent l'imagination , xnais qu'elles n'y peignent pas dïAInâe- ment des images propres à nous inté- reffer. Voilà ce que Monfieur Def- préaux a déâni le CUnquaru du Tajfc ; &C les Etrangers , à l'exception de (quel- ques compatriotes du dernier , ont louf- crit à ce jugement. Quant au Poïte dont toutes ces menieiUts font tirées , dit Mon- sieur Addifon , en parlant d'un Opéra Italien dont le fujet avoït été pris dans le Taffe , je fuis de l'avis de Monfieur Defpriaux . qu'un vers de Virgile vaut mieux que tout U Clinquant du Tajfe {à), U eft vrai néanmoins , pour continuer la figure , qu'on trouve quelquefois de Ter le plus pur à côté de ce clinquant. On voudroit inutilement faire chan-
Ser de fentiment aux Italiens , & l'on fe oute bien de ce qu'ils répondroient à rétrangerqui s'aviferoit de les répri- mander fur la dépravation de leur f;oùt. Ils feroient ce que firent nos percs,
(IJ SpttIflKW lia s AîarH711.
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3 1 1 RijUxions crmqaa
quand on voulut diminuer leur amour pour le Cid. Les raîfonnemens des au- tres peuvent bien nous perfuader le contraire de ce que nous croyons , mais non pas le contraire de ce que nous Tentons. Or nous Tentons bien quel eft celui de deux poèmes qui nous fàît lé plus grand plaifir. C'eft de quoi je dois parierplusau long à la fin de la féconde partie de cet ouvrage.
L'expreflîon me paroît dans un ta- bleau ce que la poëfie du ftyle eft dans un poëme. le comparerois volontiers le coloris avec cette partie de l'Art poétique qui confifte à choilîr & arran- ger les mots , de manière qu'il en ré- iulte des vers qui foient harmonieux dans la prononciation. Cette partie de l'Art poétique peut s'appeller la méca» nique de la Poëfie.
eT"^
SECTION
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fur la Poejîe & fur ta Ptînturt, 31 j
SECTION XXXV.
Dt la Mécanique de la l'oëjîe qui m re- garde Us mots que comme de Jîmples forts, avantages des Poètes qui ont tompofi en Latin fur ceux qui compojent en François.
V> 6 M M E la Poëfie du Jlyle confiftc dans le choix & dans l'arrangement des mots , considérés en tant que les fignes des idées -, la mécanique de la Poefie confifte dans le choix & dans l'airan- gement des mots, confidérés en tant qiie de (impies ions, aufquels il n'y au- roit point «ne fignificatîon attachée. Ainli comme la Poëfte du ftyle regaide les mots du côté de leur fignification, qui les rend plus ou moins propres à léveiller en nous certaines idées; U mécanique de la Poëfie les regarde uniquement comme des fons plus ou moins harmonieux, & qui étant com- binés- diverfement , compofent des phrafes dures ou mélodieufes dans la
iTononciation. Le but que fe propofe a Poëfie du ftyle, eft de fairedfsima- Tomtl. Q
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}I4 . Rifextonscrîàqius- ges } & de plaire à rîmagination. Le but que la mécaniqiie de la Poëfie fe propofe , eft de jfaire des vers harmo- nieux, & de plaire à l'oreilIê. Leurs intérêts feront fouvent ■oppofés , me dira-t^Mi. J'en tomberai craccord, &C <ju'il faut encore être né Poëte poux les concilier.
Ce que je pourrois avoir à dire de nouveau fur la mécanique des vers Françtûs , fe trouvera dajs le parallèle que je vais faire de la Lai^ie Latine avecjla nôtre , pour montrer ravanta^e que les Poètes Latins ont eu fur les Poètes François en cette partie de TArt poétique. 11 efl bon de prouver en for- me une fois que ceux qui foutieonent que la PoëSe Françoife ne l^auroit éga- ler la Poëfie Latine , ni dans la Poâe du Ayle , ni dans la cadence & lliarmo* nie des vers , n'ont point de tort. Ainfi, après avoir fait voir que le Latin eft plus propre à Ëiire des images que le François , à caufe de fa brièveté & dq l'inverfion , je montrerai encore , par pluâeurs ralfons^que celui qui compofe des vers en Langue Latine , a des racï» lités pour faire des vers nombreux & }iannonieuX| que n*a. point celui qui
furla. Poifit & fur la Piînturt. 315 compofedes vers en Langue Françoife. Le Latiil «ft ^hs court que le Fran- çois , géwflétriqiienient parlant. Si cer- tains mots Latins font plus longs que 1ë5 mots François qui leur Ibnt l'ynony-' mes , il eft aulfi des mots François qui , fontphis longs que tes mots qui leur font relatifs en Latin : en compenfatit les' uns par les autres , le François n'a ri^n' à repi-ocher a« Latin à cet égard. Mais les Latins déelînent leurs mots ^ de ma-' lûere que liiÙfinanee ou ta terminaifon feule dft nom marque le cas où H eff efftployé. Quand bn trouve dans une' jArafe Latine le mot Dominas'i on con-^ noît par fa définance , s'il eft au génitif, au datif, ou à t'accufatif. Le Latin dît Doirùrù au génitif, Dommum à l'accufa- tif. On connoît encore par la définance ^ s'il eft au pluriel ou bien au fingulier : ft qiielquGâ cas ont la même terminai- fon , le régime du verbe, empêche qu'on rie' s*y méprenne. Ainfi lés Latins dé- cliiient leurs noms fanS Je fecoars des articles le, du, 6Cc. que nous fommes obligés d'employer , en déclinant les noms François , parce que nous n'en changeons pas la difiname fiiivant le cas. Il nous fëut dire le Maître , dti Maître , au Maître. Oi) '
}i6 RtjUxiôm erîtlquis'
Le Latin conjuge encore fês verbes^ comme il décline fes noms. La définan- ce marque le tems, la perfonne, le nombre 6c le mode. Si quelques dé^- nances font femblables , le fens de la phrafe levé Tambiguité. A douze ans on ne s'y trompe pas , & à quatorze on n'y héûte plus. On ne conjugue en François la plupart des tems des ver- bes qu'avec le fecoius de deux autres verbes , que pour cela même nous ap- pelions des verbes auxiliaires , fçavotr , I9 varbe poiTeffif Avoir ^ âc le verbe Atblïantif Etrt. Si les Latins étoieiU obligés dç s'aider d'im verbe auxiliaire pouf conjuguer quelque tems du pafTif , nous fommes prefque toujoius obligés d'y en mettre deux. Pour rendre j^am- ■ tus fui f il faut que nous difions , J'ai été aimé. Il eft encore néceflair^ , pour conjuguer les verbes François, que nous ijpus aidions de l'article ,Jcftu, ilj6c du pluriel ds cet ^icle; Scnous ne pouvons pas encore fupprimer la .pré* pofition , comme les Latins le faifoient prefque toujours. Le Latin dit bien, i/lum enft occldit } mais pour dire tout ce qu'il dit en trois mot&, il &ut que le François difc , il U tua avec une éfét.
Coo^jlc
furUPotfie&furlaPùaturt, 317 Ainfî it' eft aiilTi clair que le François eft plus long efiçiuiéllement qiiele Lar tin, qu'il eu clajrrqu'iïh cercla eft plu* . grand qu'un Butre,lorrqu'il faut une plus grande ouverture de compas pour le mefurer.
■ Si l'on allègue qu'il fe trouve des tra- durons Latipes plus longues que les originaux François , je répondrai que cette excédence de la traduftion arrive ou par la nature du fujet, cnù eil traité dans l'original , ou par- la feute du tra- duâeur, mais qu'on n'en fçauroit.rien conclure. contre la brièveté du Latin. , En pi-emier lieu, un traduftBur eft Latin qui fçait igat cçtte langue, ne rencontrant point affei-tôt le mot pro- pre pour figniHer le mot François qu'il veut rendre , au lieu de le cherchet danRunDi^ionnaire.prend le parti d'ea , ejxpiim^r «$i Teps par une pei-iphrafç, C'eA alniî que W thèmes de$ eçQliets font fôuvi$nt plus' lodgs. que lesdifcoiurs François que le Régent lem a diâé. En fécond lieu , il arrive que le tiaduâeur Latin d'un Hiftorien François, qui pour iàire le d^étsi) d'un fiége « d'un cQmlïat naval ou d'une féance du Parlemept , a eu Iqus fa mai|i tous tes termes pro- Oiij
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31? RèjÎLxiùns cfitiqats
près qui font nécdraîres à fa narration', ne pent trou'WT des nK>ts fynonymes dans la Langue Latine. Contme les Ro- mains ne connoiflbient pas. les chofes dont le traduâeur doit parler ^ tes Ro* mains n'avoient point de termes pto- }H%s pour les lignilîer. Ils n'avoient point de mois propres pour tUre-un ^nôrtier , & l'angle fkiltant d^1nc con- trefcarpe , parce qu'ils n'avoient pas ces chofes-là. Le traduôeur eft 4onc réduit à fe fervir de périphrafé , & à ne pouvoir rendre qu'en plufieiirs mots ce que l'Ecrivain François a pu dire par un îetil mot. Mais cette prolixité 'n eft qu'une fn-otixité d'accident , comme feroit la prolixité d'un François qui tra- duiroit le récit d'un repas donné par Lucultus , Ou ta defcription d'un' com- bat de gladiateurs , &'qui par confis- quent (eroit obligé de parler de beau* éoup de chofes <[ui n'ont pas de nom en notre langue. Ainfi lô Làtm vft tOD- jours plus court que le François, dès qu'on écrit fur des fujets pour lefquels les denr langues font également avan- tagées de tenaes ptopres. Or nen ne fert plus à rendte uné'phrafd énei'gi- que^ qttefabnëTeté.-H«Beft'desfflet9
. fur ta Poèjtt &fur la Peinture. 5 19 comme du,métal qu'on employé pour monter un diamant. Moins on y en «let , plus ia pierre fait un bel effet. Une image terminée en fix mots y frap- pe plus vivement, & fiiit plutôt Iba effet, que cdie quin'eft achevée qu'au bout de dix mots. Tous nos meilleurs Poètes m*ont fort affuré que cette vé- rité ne feroit iamais cohteftée par aiw cun Ecrivain fenfé.
Non^feulement le Latin eft plus avan- tageux que le François , par rapport à la PoëCe du ftyle ; mais il eft encore infiniment plus propre que le François poiu réuflir dans la mécanique de la Poëfie , & cela par quatre raifons. Les roots Latins font plus beaux que les mots François à tous égards. Il eft plus aifé de compofer harmonieufemait en latin qu'en François. Les régies de la Poëfie Latine gênent moins le Poète que les règles de la Poëfie Françoife. Enfin l'obiervation des règles de la Poëfie Latine jette plus de beautés dans des vers , que n'y çn jette l'obferva- tion des règles de la Poëfie Françoife. Expofons fommairement ces quatre vé- rités. * En premier lieu les mots Latins font Oiv
Coo^tlc
3 10 Réfltxions cntiqius
plus beaux que les mots François à deux égards : les mots peuvent être re- gardés:, ou coimne les l^nes de nos idées , ou comme de fimples fons. Les mots , comme fignes de nos idées , font fufceptibles de deux beautés différentes, La première eft de réveiller en nous une belle idée. A cet égard les mots de toutes les langues font égaux. A cet égard le mot perturhator qui fonne fi bien à l'oreille , rv'efl pas plus beau en Latin que celui de brouillon en Fran- çois. Ils réveillent la même idée. La féconde beauté, dont les mots font ful^ ceptibles comme fignes de nos idées, c'eil un rapport particulier avec l'idée qu'ils (ignlfient. C'eft d*imiter enquel- . que façon le bruit inaniculé que nous ferions pour ta figoifier. Je m'expli- que.
Les hommes fe donnent à entendre les uns aux autres par des fons artificiels & par des fons naturels. Les fons arti- ficiels font les mots articulés , doniJes hommes qui parlent une même langue, font convenus de fe fervir pour expri- mer certaines chofes. Voilà pourquoi Un mot n'a de fignification qiif parmi un certain nombre d'hommçs. Un inOt
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fur la PoifieSr fur la Peinture. 311 François n'a de fignification qiie pour Ceux qtiî entendent cette langue. Il ne réveille aucune idée , quand on ne la fçait pas. Lorique les hommes ont for- mé ces Tons artificiels , toutes les fois -qu'ils ont fait ime nouvelle langue , ils ont du , fuivant l'inftinfl de la Nature ,' feire ce que font encore aujourd'hui les hommes qui ne fçauroient trouver ' le mot dont ils ont befoin pour expri- mer quelque choie. Ils fe donnent à entendre en contrefaifant le bruit que Élit la chofe , ou en mettant dans le ton imparfait qu'ils forment , quelque ton qui ait le rapport le plus marqué qu'il (oit poflible', avec la choie qu'ils veu- lent donnèt à comprendre, fans pou- voir la'nommer. C'eii ainfi qu'un Etran- ■ ger qui ne fçauroit pas comment le ton- nerre s'appelle en François , fupptéroït àxe mot par un fon qni ïmiteroit , au- tant qu'il feroit poffible , le bruit de ce météore. C'eft apparemment ainJï . quelles anciens Gaulois avoient formé le nom de OKq , dont nous nous fervons aujourd'hui dans la même fignification qu'eux, en imitant dans lefon du mot le fonoubfuit.que cet oifeau fait par- intervalles. C'eft encore ^nfi qu'ils Ov
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ont foniié le mot de bu qui âgiùâorC
la même dic^e chez eux que chez
vous.
. ' Ce$ fons imttatifs autont été mis ep
ufage y principalement cpiand il aura feUu (lonner des noms aux foujûrs , au rire , aux gémifiemens , & à toutes les «xpreffions inarticulées de nos fenti- mens & de nos pa£ons,.Ce n*eil poîat
Car coniefhires, que bous iavons que ^ ;s Grecs en ont uieaiirii. Quintilien (a) Qous dit cxpre^'ément qu'ils Tavoient fait , 6c il les loue de leur invention. Fiagtrc Gracis magis cvnce^um tfi^ quifo- nis quihujtàan & affecUbus non dubitavt-. ruât nomina apfare > non aàâ Ubtruut qaàot qud illi primi ktmi/us reius apfti' laiiones dtdtruM.'<^ tes ^ooi qu^ ces ' mots imitent^ le trouvent être des £•« goes inAitués par laNa^r^même, pour Signifier les payons Se les autres chofes dont ils iirât les figues. C'eft d'ella- iBêihe qu'ib brent leur Hgnificattoa &c. leuréAei^e. EneiFet ilsfoat.àpeuD^ les mêmes partout , femblahles en cela aux cris des animaux. Du moins fi les ions par tefquels les horames marquent leur fiirprife, leur joie, leur douleiff
.Ccoylc
far la Potjîe & fur la Pt'mturt. 315 & leurs autres pafïïons , ne ibnt pas entièrement les mêmes dans tous les pays , ils y font fi femblables que tous tes peuples les entendent ; t/t in tantà per omnts gerues narionffyue lingua di- verjîtate , hic mihi omnium hominum com- munisfirmo viJeatur (a). C'eft , s'il eft permis d'ufer ici de cette expreiïîon , une monnoie-frappée au coin de la Na- ture , & qui a cours parmi tout le genre humain.
■ Ils s'enfuit donc mie les rtots , qui dans leur prononciation imitent le bruit qu'ils iignîfient , ou le bruit que nous ferions naturellement pour exprime^ la chofe dont ils font un figne inûitué, ou qui ont quelqii'autre rapport avec la chofe fîgnifiée , font plus énergique^ que les mots^ qui n'ont d'autre rapport avec la chofe lignifiée, que celui que l'ufage y a mis. Un mot qui a natu- rellement du rapport avec la chofe iignifiée , en réveille l'idée plus vive- ment. Le^wie qui'tient de la Nature même un^^artie de fa force & de fa fignification , eft plus puiffant Sç agit plus efficacement fiir bous , que le figne qui doit au hafard ou au ca-
(a) Jn/îit. Jifr. u. ci.
Ovj
Cooylc
314 . Rifltxîons crinqaes ptice de l'Inftituteur , toute fon énergie. Les langues qu*on appelle langues mères, pour n'être pas dérivées d une autre langue ,'inaïs pour avoir été for- mées du jargon que s'étoient faifi quel- ques hommes dont les cabanes fe trou- voient voifines, doivent contenir un plus grand nombre de ces niots'imita- tifs , que les langues dérivées. Quand les langues dérivées fe forment , le ha- fard, la condition des organes de ceux qui les comppfent , laquelle eft diffé- rente fuivant l'air &c la température de chaque contrée » la manière dontCe fait le mélange de la langue q^u'tls par- loient auparavant avec celle qui entre dans la eompofition de la nouvelle lan- gue ; enfin le génie qui préfide à fa naif- fanCe , font caufe qu'on altère la pro- nonciation de la plupart des mots iroi- tatîfs. Ils perdent amli l'énergie que leur donnoit le rapport naturel de leur fon avec la choie dontils étoient les li- gnes inAihiés, Voilà d'oîi^eiit l'avan- tage dçs langues mères ufllts langues dérivées. Voilà pourquoi , par exem- ple , ceux qui fçavent l'Héûreu , £ont charmés de l'énergie des mots de cette 'langue.
fur la Poêjîe Ofur la Ptîmure. 3 1 Ç Or quoique la langue Latine Toit elle- même utie langue dérivée du Grec ic du Tofcan , néanmoins elle'eâ ime lan^- gue mère à l'égard du François : la plu- part des mots François viennent du i^- tin. Ainfi quoique les mots Latins foient moins énergiques que ceux des langues dont ils font dérivés , ils doivent en- core l'être plus que Jes mots François. D'ailleurs le génie de notre langue elt très-timide, & rarement il ofe entre- prendre de rien faire contre les. règles pour atteindre à des beautés o(t il ar- riveroit quelquefois, s'il étoit moins . fcrupuleiix.
Nous voyons donc que pluficurs mots qui font encore des mots imitatifs en Latin, ne font plus tels en François. Notre mot, hurlemeiit, n'exprime pas le cris du loup , ainfi que celui d*ulu- latus dont il eft dérivé, quand on le
{•rononce ouloulatous , ainU que le font es autres Nattons. II en eft de même àes y fiaguliits , gtmitusy & d'une iniî- nité d'autres. Les mots François ne font pas aiiiU énergiques que les mots Lgtins dont ils furent empnmtés. J'ai donc eu raifon de dire que la plupart d^s mo. s Latins font plus beaux que la
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3 16 Réflexions er'uiqius
plupart des mots François , même en ^examinant les mots entant que ûgrieî Je nos idées.
Quant aux mots confiderés comme de amples fons qat ne fignifieroient tien, il eft hors de doute qu à cetégard les uns ne platfent davantage que les ' autres « & par conféquent que certains mots ne foient plus beaux que d'antres mots. Les mots qui font compofés de fons , qui par eux-mêmes & par leur fiiâlange plaifent davantage à l'oreille , doivent lui être plus agréanles que d'an- tres mots oh les fons ne fèroient pas combinés auffi heureufement , & cela comme je l'ai àxx , indépendamment de leur fignificatîon. Ofera-t'on nier que le mot de compagnon ne plaife plus i l'oreille que celui de collègue , bien que par rapport à leur fignification le mot de collègue fbitphis beau que ce- lui de compagnon } Les fin^)les fol- dats , les ouvriers même ont des corn- pagnons ; mais les Magiftrats feuls ont des collègues. Car, comme le dîtQuin- tîlien (a) ; Nom , ut fylLahx i Utttris mt- liks fnnanàbus clariorcs funt , ita verha i Jyllabis magis vocalia , & jad /jIus qua' (a> h^it. lih. %. txp. S.
...-.Coogic
fur ta Pocfit & fur la Pelnturt, J17 f Ufc fpiritus habet , ta auditu pidchrior. Il y a phis de cesfylhbes foncves dans compagnon que dans collègue, & l'un de nos meilleurs Poètes (a) & en même tems c'eft ce qui fait ici , Tun de nos meilleurs confiruSeun de vers , a mieux aimé fe fervir du mot de com|Mignon que de celui de collègue , en une phrafe où celui de collègue étoit le mot pro- pre. Il s'eA prévalu de la maxime de Ciceron qui permet de facrlBer quel- quefois la régie & même une partie du lens aux charmes de l'harmonie. Jmpt' tratum tfi , dit-ïl , en parlant de quel- ques mots Latins, à confuttudine , ut Jùavitalis causa ptccare licertt.
Or , généralement parlant , les mots Latins foiment mieux dans la pronon^ ciation que les mots François. Les fyi- labes fimlesdesmiotsqui iefont mieux fentir que les autres , a caufe du repos dont elles font ordinairement fuivies , font , générateilient parlant , plus {<>• tiores & plus variées en Latin qu'cft François. Un trop grand nombre de mots François eft terminé par cet e que nous appelions féminin. Les mots Fran- çois font donC) généralement parlant ^
la) M, Itglfjlïtui.
,.,,Cooglc
jl8 RJJtexions etitiques
moins beaux que les mots Latins , foit qu'on les examine comme fignes des idées , Toit qu'on les regarde comme de fimplesfons. C'eû ma première raifoa pour Ibutenir que la langue Latine eil plus avantageufe à la Poëûe que la lan- gue Françoife.
Maieconderaifonefltiréede lafyn- taxe de ces deux langues. La ccMiûruc- (ion Latine permet de renverfer l'or- dre naturel des mots , & de les traol^ poier jufqu'à ce qu'on ait rencontré un arrangement dans lequel ils fe pronon- cent fans peine , & rendent même une mélodie agréable , Mais fuivant notre conftruûion , le cas d'un nom ne fçau- roit être marqué diiWnâeihejtf dans luie phrafe , qu'à l'aide de la fuite naturelle de la coiiilruâion , &c par le rang que le mot y tient. Par exemple , on dit /e ~ perek 1 accufatif ainlî qu'au nominatif^ Si je mets /e/w^e avant \e verbe, quand il ell à l'accufatif , ma. phrase devient «n galimathia». Nous- forantes donc aftreints, lotis peine d'être ininteUigi- bles , à mettre le mot qui doit êfre re- coniu pour le nominatif du verbe , le premier, enfuite le verbe & puis le ncMO qui eft i l'accuiatif. Ainfi ce font les
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furUPoëJie ùfurU Ptinture. 319 règles de la conftmâion , &: non pas les principes de rharmonie qni décident de 1 arrangement des mots dans une phrafe Françoife. Les inver- llons peuvent bien avoir lieu dans no- tre langue en certains cas ; mais c*elt avec deux reftriâions, aiifquelles les Latins n'étoieni point affujettis. Pre- mièrement la Iangue.Françoi('e.ne per* met que l'inverfion des membres d'ime phraie , & non l'inverfion des mois qui compoient ces membres ; il faut tou- jours que l'ordre du régime foit gardé entre ces mots , ce qui n'étoit point nér celTaïre en Latin , où chaque mot pou-* voit être tranfpofé. Secondement nous exigeons de nos Poètes qu'ils ufent en- core avec fobriété des inverfions q\ù leur font permïfes. L'inverfion & les tranfpofitions qui font des licences en François , étoient dans ta langue Latine l'arrangement ordinaire des mots.
Cependant les phrafes Françoifes a«- roient encore plus de befoin de l'inver- fion , pour devenir harmonicufes , que les phrafes Latines n'en avoient befoirs Une moitié des mots de notre langue efl terminée par des voyelles , & de ces voyelles , Vc muet eil la feule 911
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}30 Rifieicioitscmhpus
s'élide , qu'on me permette ce mot ^ contre la voyelle qui peut commencer le mot fuivaot. On prononce donc bien fans peine filtt aimable ; maïs les autres voyelles qui ne s'élident pas contre la. voyelle qui commence le mot fiiîvant , amènent des rencontres de fons def- agréables , dans la prononciation. Ces rencontres rompent fa continuité , 8c déconcertent (on harmonie. Les ex- preffions fuivantes font ce mauvais e^ fet. L'amitié aiamhnrUe , la fiertiopu- UttU f ttnmmi idolmtn. Nous fentons lî bien que la coUiiion du {on de ces voyelles oui s'entrechoquent , efl déf- agréable dans la prononciation, que les règles de notrePoëfîe défendent aujour- d'hui la combinaifon de pareils mots. . Elles défendent la liaifon des mots qui commencent te qui fimlTent par ces voyelles ^ dcmt la prononciation ne fe peut faire fans un laatus. Cette diffi- culté ne fe préfente pas en Latin. En cette langue toutes les voyelles font élifion l'une contre l'autre , lorfqu'un mot terminé par une voyelle rencon- tre un mot qui commence par ime voyelle. Dailleurs un Latin eviteroît facilement cette collifion defagréableà
fur la Ppifitù furlaPtinturt. 55 i 1^ au lieu qu'il is puiffe fortir de édietit. Il trouve Durce que celle 3mpt rharmonie ivent obligé de' énergie du îen^ , 'harmonie. Rien de conferveraii eurs droits ' Iqrf* i , tant on trouve irs intérêts , ea angue.
;rt encore à faire fariélé des fons , insiepUisagréa- çauroit y avoir : dans une phrafe . Les plus oeaux . i ils fe Iticcedent s fois. Qu'on les ; fons , ils paroî- de la phrafo. H Lies fons de blef- vienrientlafrap- près de certains aiiir à l'oreille , ■es d'antres fons. ïs plis que les or-
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)3l Réfitxions critiques
canes qui lerveat à la prononciation ', font obligés de prendre pour amculet certaines lyllabes , ne permettant pa9, à ces organes de k replier" aifément , ainfi qu'il faudroit qu'ils fe pliaiTent pour articuler fans peine les fyllabes luivantes. L'on a remarqué depuis long- tems que .toute prononciation pénible pour la bouche de celui qui parle , de- vient pénible pour l'oreille de celui qui l'écoute. Voilà pourquoi nouiXom- mes choqués machinalement par la pro< nonciation d'un homme qui ivofere avec peine certains mots d'une langue étrangère , & qui ell obligé à forcer fouvent fes organes pour en arracher des fons qu'ils ne font point en habitu- de de former. Notre premier mouve- ment , que la politefTe même à peine à réprimer en beaucoup de pays , eil de jire de lui , & de le contrefaire.
Il eÛ clair par les ra.ifons que nous avons expofées , qu il eft bien plus fa- cile aux Écrivains' Latins de faire des alliances agréables entre les fons , de placer tous les mots d'une phrafe auprès d'autres mots qui fe plaîfent dans leur voirmage.; en un mot ,.de parvenir à ce que Quintilien appelle ino^infam^vtrto'^
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fur la Pocfit & fur la Ptïnmre. 3 ^ J rum copulam, qii'iln'eftpoflîbleaux écri- vains François de le faire. Cette phraTe Françoife le perc tùme fon fils ^ ne fçau- roit être écrite que dans l'ordre où je viens de l'écrire : il faut y fuivre cet arrangement de mots. Mais les mots qui la compofent , lorfqu'elle eft mife en Latin, peuvent être arrangés do quatre manières différentes.
Entroilîéme lieu, les règles, de la Poëûe Latine font plus faciles à prati- quer que les règles de la Poëfie Fran- çoife. Les règles de la Poëfie Latine prefcrivent une figurt particulière à chaque efpece de vers. Cette figure eft f ompofée d'un nombre de pieds déterr miné. La valeurde chaque pieds cftauin réglée. Il eil dit de combien de fyllabes il fera compofé , Ôf la longueur ou la brièveté de ces fyllabes eft auflî défi- gnée,. Quand la règle laide le choix 3*une alternative , c eft-à^dire, la liber- té d'employer xm pied à la place d'un autre dans la figure , elle prefcrit en même tems ce qu'il faut faire , fuivant ïe choix auquel on fe détermine.
En effet , ces règles ne font autre chofe que les obfervations & la prati- que des meilleurs Pçctes Latins rédui-
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}}4 Rifltjàom aiàjpus
tes ea art. Lf!s horames ont a>iiiiiiencé à& &ire des vers , avant qu'il y eût des règles pour en bien faire. Us ont tra- vaillé d'abord > Tans conûitter d'autres règles que l'oreille. Leots r^einoiu fur les vers , dont le nombre & Iliar- tnome plaifbîent > & fur ceux dont la cadence-éttMt deCm-éable , ont produit les loîxdelaTermication. Sum Poéma tttmo duiuaverie hnptriio fuodam iaitio fufum , & aufiian nunfuri & Jbmli~ ttr dtcurrtmium fpatiorum <^faVétio- ne effi gtaeraïufn , mcx ta eo nptrtoî
peJts ^nu inim carmm
orttim efi quàm ohfirtatio eérminis (a). Là Poëfie, comme les autres 'Afts» n'eâ donc qu'un aifemblage lAétbodï^ que de principes arrêtes d'un confen- (ement général, en conféquènce de* obiervations faites fur les effets de laNa- ture. Ntque enim ipft vtrjiis rature- i^ cognltus , JidNaturd gt^ùe finfu quetà dt^ mtnfà ratio docult quid dcciderit. ha «ff- taûù Natura & animadvtrfio peptrit af ttm (A). Tous les péuplesont bien ten- du au même but dansleurpoëfie ; mais tous n'y ont pas tendu par des routes aiiin bonnes.
(4) Qi/Fnt. /n/h'f. ïil. 9, (t) Octra Jn Oralàrt,
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fur la Poijît &fur la Peinture. 3 j y Il eil vrai que les règles de la Poefie Latine ibnt en bien plus grand nombre que les règles de la Poëfîe Françoife , à'caufe qu'elles entrent plus dans le détail de k verfification que les règles de la Poëfie Françoife ; mais comme ces règles fe delSgnent , poiu* ainii dire , comme on en fait ia figure , en fe fer- vant des caraâeres différens qui mar- quent la quantité des fyllabes, elle» tont aifées à comprendre , & faciles à retenir.
Un peu de £gure fait tout compren* dre, dit le Proverbe Italien- Ne voyons- notis pas en effet que les enfans fçavent par cceur , & qu'ils mettent même en pratique les règles de la Poëfie Latine dès l'âge de quinze ans, bien que le Latin loit pour eux une Langue étran- gère , qu'ils n'ont apprife que par mé- thode } Lorfque la langue Latine étoit une langue vivante , ceux qui vc\iloicnt faire des vers en cette langue , connoit , foient déjà par l'ufage la quantité , c'eft- A-dire , la longueur ou la brièveté des fyllabes. Aiyourd'hui même il ne faut iras mettre fiir le compte de la Poëfie Latine la peine d'apprendre cette quan- tité. On doit la (çavoir» pouiêtre ca-
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53 é RtjUxïotu criùtjues
pable de bien parier Latin , comme on doit fçavoir la quantité de fyllabes de fa langue natureUe pour la bien parler.
Dès qu'on fçavoit une fois les règles de la Poëfie Latine , rien n'étoit plus fa- cile que d'arranger les mots fuivant un certajn métré dans cette tangue où l'on tfanipoie les mots à fon gré.
La conftruâion de nos vers François eft affujettie à quatre règles. Nos vers doivent être compofés d'un certain nombre de fyllabes , fuivant l'efpece du vers. Secondement nos vers de qua- tre, de cinq & de fix pieds, doivent avoir un repos ou une céfure. Troifié- mement il faut éviter daps les vers le concours des lettres voyelles Bnales & initiales , lefguelles ne foufFrent pas l'é- lilion. Enfin il faut rimer. Mais la rime feule devient par J'afferviffement des phrafes Françoifes à l'ordre natui^el des mots , une chaîne aufli gênante pour un Poëte fenfé , que toutes les règles de la Poëfie Latine. En effet nous n'apper- cevons gueres dans les Poètes Latins les plus médiocres ^ des épithetes oifcu- fes , & mifes en œuvre uniquement jiour finir le vers ; mais combien en voyons-BOus dans nos meilleures Poë- fies
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fur la Poêfit&furU Ptlnture, 3 J7 (tes que la feule néccHîté de rimer y a mtrodiûtes ? Après c«Ia , que mon lec- teur trouve bon que je le renvoyé fur la difficulté de rimer à l'Epître que Def- préaux adrefla au Roi Louis XIV fur le paflage du Rhin , ainfi qu'à l'Epître que le même Poète a écrite à Molière. On y venamjeiix que je ne pourrois le dire , que fi la rime eft uoe efclave qui , ne doit qu'obéir , il en coûte bien pour ranger cette efclave à Ton devoir.
Nos Poètes font encore chargés du foin d*obferver la céfure , le nombre des fyllabes , & d'éviter , en compo- fant , la rencontre choquante de celles tpii s'entreheurtent. AiifTi voyons-nous ■bien des François qui compofent plus facilement des vers Latins que des vers François. Or moins l'imaginction du Poëte eft gênée par le travail méca- nique, mieux cette imagination prend l'elTor, Moins elle eft refferrée , plus il lui refte de liberté pour inventer. Un Artifan qui peut manier fes inftn.mens fans peine, met xme élégance & une propreté dans fon exécution , que l'Ar- tifan qui n'a point entre fes mains des wiftrumensaufli dociles ne fçauroit met- tre dans la fienne. Ainfi les Ecrivains Tomt I. P
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3î8 Réflexions critiques
Latins , & particulièrement les Poëtes latins (jui n'ont pas été gênés autant que les nôtres, ont pu tirer de leur Jan^e des agrémens & des beautés <]i)*il efi prefque impoffible aux nôtres de tirer de la langue Françoife. Les La- tins ont pu , par exemple , parvenir à faire de ces pnrales, que )'a[^Ileraiici des phrafes imitatives. Il eft des phrafes imitatives , ainfi qu'il eft des mots iini- tatifs.
L'homme quj manque de mots pour exprimer quelque bruit extraordinaire , ou pour rendre à Ton gré le Tentiment dont il çft touché , a recours naturelle- ment à l'expédient de contre&ire ce même bruit , & de marquer Tes fenti- Biens par des fons inarticulés. Nous ibmmes portés par un mouvement na- Ciu-el à dépeindre par ces fons inarti- culés le fracas qu'une maifon aura lait en tombant , le bruit confiis d'une af- femblée tumultueufe , la contenance & les difcours d'un homme tiaofporté de colère , & plufieurs autres chofes, L'inftinft nous porte à fuppléer par ces fons inarticulés à la ftérilité de notre langue , oul>ien à la lenteur de notre imagination. Ceux quiontélevédespit-
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furlaPeifi&furlaPeinturt. 539 fans', fçavcnt combien il faut de loin poLir les corriger du penchant qu'ils ^nt à ie (errir de ces Tom inarticulés , ^ODt aousregardoosruTage comme une snauvaife habitude. Les Jiommes , ea qui la Nature n*a point été redreÂee , les Sauvages & le bas peuple , fe fer- vent fréquemment durant toute leur vie de ces fcns inarticulés.
J'appellerai donc des phrafes imita- tives celles qui font dans la prononcia- tion lui bruit , lequel imite en quelque manière le bruit inarticulé dent nout aoiis fervirioas par inftinâ natiu-el, .pour donner l'idée de la chofe que la phrafe ex;prime avec des mots articu- lés. Les Auteurs Latins font remplis de ces phrafes imitatives , qui ont été ad- mirées & citées avec éloge par les Ecri- vains du bon tenu. Elles ont été louées par les Romains du tems d'Augufte , qui étoient Juges compétens de ces beau- tés. Tel eft le ycrs de Virgile qui dé- peint Poliphéme :
Mor\firum hamnium , iaformt , injno , mi lumm
Ce vers prononcé , enfupprimant les i^llabes qui font éiifion , 6c en &ifani ■ Pij-
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3 40 RéjUxlons crit'ufues
ibnner IV , comme les Romains le faw foient ibnner, devient, pour ainfi par-i ier , un versmonftnieux. Tel eft encore le vers oîi Perie parle d'un homme qui nazille , & qu'on ne fçauroit auffi pro- noncer qu'en nazillant ;
Le changemMit arrivé dans la pro- nonciation du Latin nous a voilé , Suivant les apparences , une partie de ces beautés , mais il ne nous les a poïnt cachées toutes.
Nos Poètes qui ont voulu enrichir leurs vers de ces phrafes imitatives , n'ont pas réuffi au goût des François , comme ces Poètes Latins rëuffiffoieni : au goût des Romains. Nous rions du vers où du Bqjtas dit , en décrivant un comiier , le champ plat bat , aitat. Nous ne traitons pas plus férieufement les vers oii Ronfard décrit en phrafes inù, tatives le vol de l'Alouette;
Elle guindé ia Z^hirc f ublime CD l'air yïre fl£ rtsitf. Et y dédSqat un joli cit'. Qui lir, guéricft lire l'ire . Dïiïfprits.mieuiiiicjeo'icrî».
■ Pafquier rapporte plufieurs autres
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JUrlaPoëfie &furUPttnture: 341 parafes imitatives des Poètes François dans le chapitrede fes Recherches, oit il veut prouver ^ue noire langue Françoi- Jin'ejlpas moins capable, que la Latine t de beaux traits Poétiques (a) ; tnaîs les exemples que Pafquier rapporte , réfli- tent fa propofition.
En effet, parce qu'on aura introduit _ quelques phrafes imitatives dans des vers, il ne s'enfuit pas que ces vers foient bons. 11 faut que ces phrafes imi- tatives y ayem été introduites » fans préjudicier au fens & à la conftruflion grammaticale. Or il ne me fouvient que 3*un feul morceau de Poëfie Fraoçoife qui fort de cette efpece, &qu'onpuiire oppofer en quelque façon à tant d'au- tres vers que les Latins de tous les tems ont loués dans les ouvrages des Poètes
Îui avoîent écrit en langue vulgaire. i'eft la defcription d'un aflaut <yji fe trouve dans l'Ode de Defpréaux fur la prife de Namur, Le Poëte y dépeint enphrafes imitatives & en versélégans le foldat qui gravit contre une brèche , & qui veut,
Sur lei moncEidi Je piqu«f , De ïorpt mont I de locs, de biiquct. S'ouvrir un lar(^ cheniiu
(a) Uv. I. ch, .0. P iij '
CoDgIc
34* Réflexions crhîqnâ
Je demande pardon à ceux de nos Poëtes qui peuvent avoir compofë dans ce goût-là avec autant de fuccès que Monfieiir Defpréaux , de fie les point citer ; c'eft que je ne connois pas leurs vers.
Non- feulement la langue Françoife h'ell pas aufli fufceptîble de ces beau- tés qtre la langue. Latine ; mais il fe trouve encore que nous n'avons pas étudié autant que les Romains l'avoient fait, la valeur des Tons, la combînai- fon (les fyilabes , l'arrangement des mots propres à produire de certains ef- fets , ni le rithme qtti peut féfirfter de la compofition des phrafes. Ceux de nos Ecrivains qui voudroient tenter de faire quelque choie d'approchant de ce que faifoient les Larins , ne feroient point aidés par aucune recherche aii- thodiqiie déjà fiiite fur cette «wfiere-. Leur unique reflburce feroit de con- fiilter l'oreitle ; mais la rtieilleure oreil- le ne ftrffitpas toujours , pmicipalement lorfque , pom- parler ainfi , on ne l'a point cultivée. Pour réuffir eerïaine- inent dans ces tentatives , il faudroit avoir des règles établies qu'on pût con- ililter dans la chaleur de la compofîtion ;
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fur la Po'ép &fur ta Peinture. 34} OU du moins il faudroit avoir fait d'a- vance pluficurs réflexions , en confé- quence dcfqiielles on eût établi quel- ques maximes. Les Anciens avoient cultivé avec foin leur terrein. Us étoicnt encouragés par fa fertilité. Ceux qui feront curieux de voir dans quels dé- tails les Anciens étoïent entrés îiir cette matière, & jufques à quel point ils avoient porté leurs vues , peuvent lire le quatrième chapitre du neuvième livre de Quintilien , l'Orateur de Ci- ceron , & ce que Longin a écrit du choix des mots , du rithme & du métré , dans fon Traité du Sublime , & dans fes pro- légomènes fur l'Enchiridion d'Ephef- tion.
Ma quatrième raifon pour prouver que la mécanique de la Poëfie s'aide mieux de la langue Latine que de la lan- gue Françoife ^ c'eft que les beautés qui réfultent de la fimple obfcryation des règles de la Poëfie Latine , font plus erandes que les beautés qm réfultent de l'obfervationdes règles de la Poëfie Françoife.
L'obfervation des règles de la Poëfie Latine introduit néceflairement le rith- me dans les vers compofés fuivant les P iv
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344 Réflexions critiques
règles As cette Poëfie. La fuite des Tyl- , labes longues & brèves > entremêlées diverfem;nt , fuivant la proportion prefcrite par ' l'Art « amené toujours dans les vers Latins une cadence telle que l'efpece y dont font les vers , la de- mande. Les règles de la Poëûe Latine ne font autre chofe que les obfervatîons & la pratique des meilleurs Poètes La- tins , Au* rarrangement des fyllabes, la- quelle eft néceuaire pour produire le rithme, réduites en préceptes, &puis en méthode. Cesredes, ilellvrai, ne prefcrivent pas queldoit être le fon de chaque fyllabe : Elles fe conteittent de déterminer le nombre arithmétique des iyllabes qui doivent entrer dans cha- que efpece de vers, & de marquer quelles de ces Tyllabes doivent être longues, quelles doivent être brèves, & oit Ton peut mettre ou des longues ou des brèves. Elles difent tûen , par exem^ile, que les deux dernières fyl- Idbes d'un vers hexamètre doivent être longues ; mais elles ne diient pas quel doit être le fon de ces deux dernières fyllabes. Ainft les règles de la Poëfie Latine n'introduifent pas dans les vers Latins Tharmonie , qui n'efl autre cbor
^ Cooyic
fur la fotfit &fur U Peinture. 3 4 y ïê qu'un mélange agréable de difFcrens fons. C'étoit à roreitle du Poëte à cher- cher quel étoit le mélange de ces (bns le plus propre à produire une harmonie a- gréable & convenable au fens des vers. Voilà pourquoi les vers de Properce, f]ui n'avoit pas l'oreille aufïï délicate cjue Tibulle , pour bien juger du mé- lange des fons , font tnoins harmonieux que ceux de TibuUe , dans la pronon- ciation defquels on trouve une /«<ivk^ jîngulitrt. Quant à la différence qui eft entre la cadence des vers ëlégia- ques de ces Auteurs , elle vient de 1 affeâatioii de Properce à imiter la cadence des vers pentamètres grecs j & il ne faut pas la confondre avec la différence qui eft entre l'har- monie de ces deux Poètes. Mais h ]a chute près , leurs vers CHit , poiir parler ainn, la même démarche , quoi- que ceux de Properce ne cheminent pas d'auflî bonne grâce que ceux de Ti- Dulle. Orc'eftdirebeaucoupàla louan- ge des règles de la Poëfie Latine , que de foutemr qu'elles font la moitié Se plus de l'ouvrage, & que l'oreille du Poëte n'y eft chargé que d'un foin ; c'eft à fçavoir, du loin de rendre les Pv
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j4^ RéfUxîonscmî^ues
vers mélcKËeuz par tui heuretixtnélan'^
ge du ion desfyllabes dont ils fontconar*
pofés.
Je vais montrer que l'c^ferTationcles règles de h Poëfie Françoife iw produit ni i'un ni l'autre effet. L't^ièrrationde «es règles ne rend les vers ni nom- breux , m mélodieux. Des vers Fran- çois très-conformes à ces règles , peu- vent être fans rithme & fens hannonte dans la prononciation. .
I,.es règles de la Poiifîe Françoife ne décident que du nombre arithmétique des fyll^es qui doÎTent entrer dans les vers. £[les ne ftatuentrien^in'la qiian* tité , c'eft-à-dire en Poëfie , fnr !a lon- gueur & for la brièveté de ces fyllabes. Mais comme les fyllabes des mots Fran- çois ne laiffent pas d'être quelquefois longues & brèves dans la prononcia- tion , il réfolte phiËeurs înconvéoieBS du filence que nos règles gardent for leur combinaifon. Il arrive en prenrier lieu que des vers François , anfquels les règles n'auront rien à reprodier , ne laifTerom pas de comenir des fuites trop longues de fyllabes brèves ou de fyllabes longïies. Or fi ces fuites durent trop longtemj , elles empêchent qu'on
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fur la Poijle ùfur la Peinture. 3 47 ne fente aucun rithme dans la pro- nonciation des vers.
Le rithme ou la cadence d'un vers confifle dans une alternative de fylla- bes longues & de fyllabes brèves , va- riées fui vant une certaine proportion. Un trop grand nombre de iyllabes lon- gues employées de fuite retarde trop la progreffion du vers dans la pronon- ciation. Un trop grand nombre de fyl- labes brèves employées de fuite, la précipite défagréablement.
En fécond lieu, il arrive fouvent que lorfqu'on veut examiner deux vers ■ Alexandrins François liés enfemble par une rime commune, par rtpportautcms que dure la prononciation de chaque vers , il fe trouve une différence énor- me entre la longueur de ces vers, bien que l'un & l'autre foient compofés lui- vant les règles. -Que dix fyllabes , des douze fyllabes qui compoient im vers mafculin , foient longues ; & que dix fyllabes du vers fuivant foient brèves ; ces vers,qui paroîtront égaux fur le pa- pier,feront dans la prononciation d'une inégalité choquante. Aînfîces vers ré- ciproques & liés enfemble par une ri- me commune, perdront toute la ca- Pvj
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34^ . BÂfiticlons Criii^uts
dence qui poutroît naître de régalhf de leur mefure. Or ce ne font pas les yeux , c'eft Toreille qui juge de Ja ca- dence des vers.
Cet inconvénient , cooune je l'ai déjà dit , n*arrive point à ceux qui con^o- fent des versLatins, les reglesles pré- viennent. Le noDibre arithmétique des fyllabes qui doivent entrer dans la compofition de chaque efpece de vers Latins , efi déterminé avec égard à la longueur ou à la brièveté de ces fylla- bes. Ces règles , qui ont été faites en ■gardant la proportion convenable à chaque efpece de vers entre le nombre arithmétique •& la quantité des fylla- bes , décident en premier lieu que dans tels & tels pieds du vers , il feut met- tre des fyllabes d'une quantité prefcrî- te. En fécond lien-, lorfque ces règles lailTent au Poële le choix d'employer en un certain endroit du vers des fyl- labes longues ou bien des fyllabes bré- ~ ' ves ; elles lui enjoignent , s'il fe déter- mine à y mettre des fyllabes longues , d'y mettre alors xm moindre nombre de fyllabes. Si le Poëte fe détermine en faveur des fyllabes brèves , les rè- gles lui prefcrivent alors d'en mettre
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fm ïa Peêjit &fur l& Pùnture'. 341^ un plus grand nombre. Or comme dans la prononciation une fyllabe longue dure deux fois aiilTi longtems qu'une fyllabe brève ; tous les vers Hexamè- tres Latins fe trouvent être de même longueur dans la prononciation j bien que les uns contiennent un plus grand nombre de Tyllabes que les autres. La quantité de fyUabes ell toujours com- pense par leur nombre arithméti- que.
. Voilà pourquoi les vers hexamètres Latins font égaux dans la prononcia- .tion , nonobftant la variété de leurpro- grefïïon ; au lieu que nos vers Alexan- drins font très-fouvent inégaux, quoi- qu'ils aient prefque tous une progref- iion uniforme. Voilà pourquoi quel- quesCritiques ont penfe qu'il étoit com- me impoflible de niire tm Poëme épi- que François de dix mille vers , lequel réufsît. Il eâ vrai que cette uniformité de rithme n'a point empêché le fuccès de nos Poëmes dramatiques en France & dans les Pays étrangers ; mais ces Poëmes qui n'ont que deux mille vers , font affez bons pour fe foutenir malgré le dégoût. D'ailleurs elle eft moins fen- fible au Théâtre, oii brillent lephisces
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3 JO Riflexîons aitlques
fortes d*ouvrages, parce que les Ac- teurs , qui enjambent prefque toujours fiir le vers fuivant avant que de re- prendre haleine , ou qui la reprennent avant que d'avoir fini le vers , empê- chent qu'on ne fente le vice de la ca- dence trop uniforme.
Ce que notis avons dit des vers hexa- mètres « peut être dît des autres efpe- ces de vers. Les vers qui s'accélèrent, parce qu'ils font ccmpofés de fyllabes Brèves , durent donc autant que ceux qui fe rallentiffent , parce qu'ils font compofés de fyllabes longues. Par . exemple, Virgile a mis des fyllabes brèves partout où les règles du métré hij permettoient d'en mettre dans le vers qui dépeint fi bien un courtier qui galoppe , que la prononciation du vers nous raitprefque entendre te bruit de la courfe :
Quaimplitintlfiaremfiiàtu {uillic ui^a cvnpuni.
Ce vers contient dix-fept fyllabes : mais il ne dure pas plus long-tems dans la prononciation , que le vers fiiivant qui n'en renferme que treize , & que Virgile a fait pour décrire le travail des Cyclopes, qui lèvent leurs bras
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fur la. Po'éjît Sffar la P amure. J j f Hrhiés de marteaux , pour battre fur renclume ; effet que décrit le vers qut le fuit immédiatement :
l\\\ iniirfifi multi »i limchid ralluat Innumciurn, vafmaqui leiucifiirci/l miffamt
Ainlî la cadence des vers n'efl pas rompue par cette affeâaticm d'em- ployer , pour mieux peindre fon objet , ÎpIus de iyllabes brèves ou plus de fyl- abes Iong;ues.
L'art «ï'employer h propos les fylla- bes longues & les iyllabes brèves , art que les Anciens avoient tant culti- vé , fert encore à une infinité d'autre» vues. Pour en dire un mot en paffant , on remarque que Ciceron (a) n'ofant ' pas mettre en œuvre des figures fré- quentes dans le récit du fupplice indi- gne d'un citoyen Romain , que Verres avoit fait battre de verges, & cel» par la crainte de Te rendre fufpeâ de déclamation , trouve une reflburce dans la complaifance de Ta langue , pour arrêter néanmoins durant longtems fon Auditeur fttr l'image de ce fupplice. L'afrocité du fait étoit fi grande , qu'il fiiffifoit que l'auditeur s'y arrêtât. Il
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3ft RêjUxtons trUlques
devoît fuppléer les figures de lui-même.' C'eft l'effet que prodmt la lenteur avec laquelle fe prononcent les expreffions fimples & en apparence fans art , que Ciceron répète pour parler de l'aâion contre laquelle il veut foulever l'ima- gination de l'Auditeur. Catiekaiiir virgis fivis Romanus. On recoonoit l'art dans les (afférentes répétitions de ces mots, qu'il varie pour dégiùfer l'affeâatiofl : Mais revenons à l'ufage de mettre ta œuvre la combinaîfon des fyllabes brè- ves & des fyllabes longues, pourren* dre les phrafes nombreufes & caden* cées.
Les Romains étoient tellement épris de l'effet que le rithme produifoit , que leurs Ecnvains enprofe s'y attachè- rent avec tant d'aaeâion, qu'ils en vinrent par degrés jufques à facriâer le fens & l'énergie du difcours au nom- bre & à la cadence des ^afes. Cice- ron dit (<i) que de fon tems la profe avoitdéjafa cadence mefurée comme les vers. La différence effenttelle qui étoit entre la profe & les vers , ne ve- noit plus de ce que les vers flUTent zî' treints à ime certaine mefure, quand
{») 1(1 OrtL:oTt.
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fuT la Pocjît &fur la Peinture. 3 53 la proie en étoït affranchie ; mais de ce que le métré de la ptofe étoit différent du métré des vers. L'ancienne défini- tion àefoluta & de (îricia oratio ne conf- tituoit plus cette différence. Nom tcietnt Po'ètœ quaftionem attuUrunt^quidnam ejptt illud quo tpfi differrent ab Oratoribus. Nu- mtro vidtbaniur aniea maximi & vtrfu, Hune apud Oratores jam ipftnumtrus in- crebuit. Ciceron traite enfuîte des pieds comme d'une connoiffance aum nc'- ceflaire aux Orateurs qu'aux Poètes mêmes.
Quintilien qui écrivoit environ un fiécle après Ciceron , parle de certains Profatturs de fon tents y qui penfoient avoir égalé les plus grands Orateurs , lorfqu'îls pouvoient le vanter que leurs phrafes nombreufes rendoïent dans la prononciation un rithme iî bien marqué, que la déclamation en pouvoit être par- tagée entre deux perfonnes. L'une pou- voit faire les gefles au bruit de la réci- tation de l'autre , fans s'y méprendre , tant ce rithme étoit fenfime. taudis & gloria & ingenii loco plerique JaSani tan- tari faltarique commentarios fuos (a). Ce que nous dirons fur la réàtatioa des
{«} O'uiag. il O"'
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3 54 Réjlexions critiques
Comédiens , achèvera d'exfrfiquer ce paflTage.
Il faut que les Poètes François, aprb avoir obfervé les règles de notre Poë- iie, déjà plus contraignantes que les rè- gles de la PoëfieLatine, cherchent enco- re avec le feul fecours de l'oreille la ca- dence & rharmonie. On peut juger de la difHaiIté de ce travail , en faifant ré- flexion que l'inverfion des mots n'eft pas permi(e à nos Poètes dans la ving- tiéme partie des occaHons oîi elle étoit permife aux Poètes Latins. Après fêla je fuis bien éloigné de penier qu'il foit impoffible aux Poètes François de faire des vers harmonieux & nombreux. J'ai feulement prétendu foutenir que les Poètes François ne pourroïent pas met- tre autant de cadence & d'harmonie dans leurs vers que les Poètes Latins ; & que ce pen qu^iIs en peuvent intro- duire dans leurs vers , leur coûte plus , que toutes les beautés que les Poètes Latins ont fçu mettre dans les leurs, n'ont coûté à leius Auteurs. Je ne crois pas même qu'aucun Porte moderne de ceux qui ont compofédans les langues qui fe font polies depuis trois fiécles , ait mis plus de cadence &C de mélodie
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far la Poïjît &fur la Peinture. 3^5 que Malherbe en a mis dans les Tiens , apparemment au prix d'une peine ôc d une perfévérance dont il avoit ohli.- gation au pays oit il étoit né. Le lec- teur n'en trouvera j)as moJns dans les vers que j'inférerai ici pour le dclaflcr de tant de difcufTions grammaticales.
Monfieur le Marquis de la Farre que le monde &c la république des lettres regrettèrent comme im de leurs plus beaux ornemens , lorfqu'il mourut en 1 7 1 1 , avoit prié Monfieur l'Abbé de Chaulieu de lui donner fon portrait. Au lieu de paye'' «n Peintre pour le iâire , il le nt lui-même. H y 3 peu de perfonnes capaWes d'une pareille épar-
fre. Voici les premiers (raits de ce Ta- leau qui durera pju» k»igtcms qu'au- cun de ceux du Titien.
O toi 1 qui de mon «ne » U chcrc moitié }
Toi, qnijoiniUdélicatellt
Dei (VDiimcpt d'une mihrtlK A la lblidiié'4'uDcnirc imiiié; LtFare, Uraut^Entàlquc bPirque cruelle
Vienne rompre de û btaux nzuii ;
El nulgié noE crk & no> vaux , fiicniôc nom elfiiU romane abfence éteraelic.
Chaque joui je feni qu'à grindspu J'enTiedinicefcBtierobfi:ur& difficile.
Qui va me conduire U-bas
Rejoiodre Catulle & Virgiltt
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3 j6 RijUxions critiques
I.à , Ttui dei bcrceam UHqotKi rerif ^ Artii à côif de Lcibie , Je leur pirtcrii As tu ver* Er de ton aimiblc génie.
Tb recneilUt fi gaUmmem Li Mule qu'îli avokiK liîBîe , Et comme die r^ut r^emeiu Par ti pireflt latorUëe Préfïrer «ree igrêiiieDi Alt tonr biillioc de la penG^ La ïéril* dn fcnttmcDi , El l'eiprimer G leedremei» Qnt Tibulleencore mainlEDitlt Ed eft iilom dam rslilife.
Je voiidroîs pouvoir ici publier l'otf- vrage tout entier; ficpourpreuve dénia bonne volonté , je vais donner encore au leÛeur deux fragmem d'une lettre écrite par le même Auteur à M. le Prin- ce d'Auvergne.
Aa milieu cepeodint de mea peinei truellcf , DelaSn dcDoijouricompagneitrop fidil1ei> Jerui(iraD']uilUftgi}. QuelbieapluiprJcieas Puii-je erpértr iamaii de la boBt£ det Dieux ï
Tel ^u'un rocher dont U lèce
Egale U Moac Athoi
Voit \ Tei pifdi la tempête
Troubler le calme dei flou ;
LameraiKour bnùt&eroiide, '
Malgré ce< émotlont Str Ton front iltvé règne une paix ptofôndK
Que tant d'agitation*
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fur la Poëjîe OJur la Peînturt. 357
fiiijgs Ifs turcuts di l'onde ftirpcâCDE à l'^'l du nid dci Akiont.
Quoique la fcène du fécond fragment Toit dans les Champs Elifées le centre du pays fabuleux , ce morceau contient néanmoins une louange des .plus véri- tables qu'aucun poëte ait jamais donr née^.
Dans UDï foalc de guerrîerti
VcndûnelW uoetn^MiKe '
^aroli touiomié de liurieri {
yendâne de qui k vùllacte
Fait avouer lux Stipioni Que le Tic de CiTtli*ge & celui de Nutnance
N'obrcurùcpuresBâioii;!
EilailTe àjugei it l'Erpagae &i Ton biiin'y fo puplvienune campagne ^u'iliD'yfiicoccii dix avec vingt LJ£ioai.
Le leâeur qui fe donnera (a peine de prononcer tout haut ces vers de l'Ab- bé de ChaiiHeu , fentira bien que le ïi.tbme qui tient roreille dars une at- tention continuelle , & que l'harmonie qui rend cette attention agréable , & qui achevé , pour ainfi dire , d'affervir roreille , font bien un autre effet que la richelfe des rimes. Peut-ond'ailleurs ne point regarder le travail bifarre de ximer comme la plus baffe ùinâion de
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jcS Rèjîexions erîiiques
la mécanique de la Poëfie ? Mais puif- qiie le Poëte ne fçaiiroit faire faire cet- te beibgne par d'autres, comme le Peintre&itbroyerfes couleurs, il nous convient d'en parler.
SECTION XXXVI.
De la Rime.
J_* A liéceffité de rimer eft la règle de la Poëiie dont l'obfervation coûte le plus , & jett€ le moins de beautés dans les vers. La rime eftropîe fouvent le iens du difcours , & elle l'énervé prêt ^e toujours. Pour une penfée heu- reuie que l'ardeur de rimer richement peut faire rencontrer par haiard , elle fait certainement employer tous les jours cent autres penfees dont on "au- roit dédaigné de fe fervir fans la ri- chelTe ou la nouveauté de la rime que ces penfées amènent.
C ependant l'agrément de la rime n'eft point à comparer avec l'agrément du nombre & de Fharmonie. Une fyllabe terminée par im certain fon , n'ell
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fiirlaPoiJît &furlaPeinturt, 35^
Ïoint une beauté par «llc-même. La eauté de la rime n'cft qu'une beauté de rapport qui coofiftè en une confor- mité de dlfinanu entre le dernier mot d'un vers, & le dernier mot du vers réciproque. On n'entrevoit donc cette beauté qui paffe fi vite , qu'au bout de deux vers , & après avoir entendu le dernier mot du fécond vers qui rime au premier. On ne fent même l'agré- ment de la rime qu'au bout de trois Se de quatre vers , lorfque les rimes maf- culines & féminines font entrelacées , de manière que la première ■& la qua- trième foient mafcultnes , & la féconde â( la trofiémc féminines , mélange qui eft fort en ufage dans plufieurs efpeces de Poëfie.
Mais pour ne parler ici que des vers oîi la rime paroît dans tout fon éclat & dans toute fa beauté , on n'y fent la richeffe qu'au bout du fécond vers. C'eft la conformité de fon , plus ou moins parfaite , entre les derniers mots des deux vers, qui fait fon élégance. Or la plupart des Auditeurs qui ne font pas du métier , ou qui ne font point amou- reux de la rime, bien qu'ils foient du Bii^tier, ne fc fouvicnnent plus de la
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369 RéjUxtons critiques
pemiere rime aflez diftinôemeitt , iorfqu'ils entendent la féconde y pour être bien flattés de la perfedion de ces rimes. Ceft plutôt par réflexion que par lentîment qu'on en connoît le mé- rite, tantlepIaifirqu'ellefeitài'oreUIe cA un platlir mince.
On me dira qu'il faut mi'H fe trouve dans la rime ime beauté DÎen ftipérieu- re à celle que je lui accorde. L'agré- ment de la rime , ajoutera-t'on , s'eft fait fenûr à tontes les Nations. Elles ont toutes des vers rïmés.
En premier lieu , je ne dîfccnviens -pas de l'agrément de la rime; maîsjj tiens cet agrément fort au-defl"ous de celui qui naît du rithme& de l'harmo- nie du vers , & qui te (ait fentir con- tinuellement durant la prononciation du vers métrique. Le rithme & ITiar- monie font une lumière qui luit tou- jours , & fa rime n'eft qu'im éclair qui ^fparoît après avoir jette quelque kteur. En effet , la rime la plus riche ne fait qu'un efF^t bien paflager. A n'eftimer même le mérite des vers que par les difficultés quil faut ftirmonter pour les faire , il eft moins difficile fans comparaifoji de rimer ricbemcnt que de
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furla Poijîe Ofurla Peinture, jâl Je compofer des vers nombreux & rem- plis d'harmonie. On trouve des embar- ras à chaque mot, lorfqu'on veut faire des vers nombreux & harmonieuY. Rien n'aide un Poète François à fiir- monter ces difficultés , que (on génie , fon oreille & fa perfévériince. Aucune- méthode réduite en art , ne vient à fon fccours. Les difficultés ne fe préfentent pas fi fouvent , quand on ne veut que rimer richement , & l'on s'aide enco- re , pour les furmonter , d'un Di^ion- naire de rimes , le livre fiivbri des Ri- meurs féveres. Quoiqu'ils en difent , ils ont tous ce livre dans leur arrière- cabinet.
Je ton^e d*accord en fécond lieu que nous rimons tous nos vers , &c que nosVoifins riment la plus grande par- tie des leurs. On trouve même la rime établie dans l'Afie & l'Amérique. Mais la plupart de ces peuples rimeurs font barbares ; & les peuples rimeurs qui ne le font plus , & qui font devenus des Nations polies , étoîent barbares & prefque fans lettres, lorfque leur poëfie s'eft formée. Les langues ou'ils parloient , n'étoient pas fufceptibles d'une poëfie plus parité , lorfque ces Toiiul. Q
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^6x Rifexîotu critUpus
peuples ont pore, pour ainfi dire, les premiers fondemens de leur poëtique. h eft vrai que les Nations Européen- nes , dontje parle , font devenues dans la l'uite içavatites & lettrées. Mais comme elles ne fe font polies que long* tems après s'être formées en un corps politique; comme les fufages natio» naux étaient déjà établis , & même for- tifîés par le long tems qu'ils avoient <luré, quand ces Nations fe font culti' vies par une étude judideufe de la langue Grecque & de la langue Laii* ne, on a bien poli & reâiâé ces uià* ges, mais il n'a pas été poffîble de les changer entièrement. L'Architeâe , k qui iWdonne un bâtiment gothique à racconmioder , peut bieny &ire quel'^ ques ajuAemens qui le rendent logea* ble ; mais il ne fçauroit corriger les dé-' iàuts qui viennent delà première con£> trufHon, 11 ne fçauroit feire de fon bâ> liment un édifice régulier. Pour cela il ftudroit ruiner l'ancien , pour en élever un tout neuf fur d'autres fondemens.
Ainfi les Poètes excellens qui ont ffavaillé en Fiance & dans les pays Voi^s , ont bien pu embellir , ils ont
bi9P pu f^/tfUftTf ({u'on me psrdonqq
...Xooylc
fur la. Poifie €f fur la. Ptmture, jtf» ce mot , la Poëfie moderne ; mais il ne leur a pas i\i poffible de changer fa pre- mière conformation , qui avoit fon fon- dement dans la nature &; dans le génie des langues modernes. Les tentatives que des Poëtes fçavans ont faites en France de tems en tems pour changer les relies de notre Poëfie , & pour in- troduire l'ufage des vers mefures , à la manière de ceux des Grecs & des Ro- mains , n'ont pas eu de fuccès.
La rime , ainfi que les lîe& & les duels , doit donc Ion origine i la bar- barie de nos Ancêtres. Les peuples , dont defcendent les Nations modernes , & qui envahirent TEmpire Romain , avoieat déjà leurs Poëtes , quoique bar- bares, lorsqu'elles s'établirent dans les Gaules fie dans d'autres Provinces de TEmpire. Comme leslaneues dans leT- quelles ces Poëtes fans étude compo- loient, n'étoient point aflez cultivées- pour être maniées fuivant les règles du .métré ; cpmme elles ne donnoient pas lieu à tenter de le faire , ils s'étoient avifés qu'il y aurait delà grâce à ter- miner par le même fon-, deux {urdes du difcDurs qui fiilTent confécutives ou relatives ficdîune. étendue égaleXemêi' * Qii
^64 RijUxions erltiqius
me ion final , répété au bout <i*un ctti tain nombre de iyllabes , f^ifoitune ef- pece d'agrément, & il fembloitmar* quer,'ou il marquoit , fi l'on veut, queli ■ que cadence dans les vers. C'eflappa-r remment ainfi que la rime s'eft établie, Dans les contrées envahies par les Barbares , il s'eft form^ un nouveau peuple compofé du mélange de ces nouveaux venus & des anciens habi- tans. Les vfages de la Nation domi» nante ont prévalu en plulieurs chofes, & principalement dans la langue comT mune , qui s'eft formée de celle que parloient les anciens habitans,& de cel* le que parloient les nouveaux venus, Par exemple,la langue qui fe forma dam les Gaules , où les anciens habitant par* loient communément Latin , quand les Francs s'y vinrent établir, rie confer* va que des mots dérivés du Latin. La Syntaxe de cette langue fe forma en- tièrement différente ic la Syntaxe de la langue latine , ainfi que nous l'avons dit déjà. En un mot , la langue naiff faute fe vit aftervie à rimer Tes vers , & la rime paiTa même dans la langue Latine , dont l'ufage s'étoit confervé paijqj un ççrt^in jm^ni^Çf Verç le bui«
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yUr la Pùijît &/ur ta Peinture. 365 tiéme fiecle les vers Léonins , qui font des vers Latins r'tmés comme nos vers François , furent en ufage , & ils y étoient encore , quand on fit ceux-ci :
Tingirur hâc lp<ci< bonitarii oJort rtfirtu IJlba Ectiejiitfuniatiir Rtx D:gabmui,
Les vers Léonins difpanirent avec la barbarie , au lever de cette lumière dont le crépufcute parut dans le quin- zième fiecle.
SECTION XXXVIL
Que les mots de notre langue naturelle font plus d'imprtjjîon fur nous que les mots tCune langue étrangère.
Une preuve fans conteftation de la fupériorité des vers Latins fur les vers François, c'eftque les vers Latins tou- chent plus, c'eA qu'ils afFeâent plus que les vers François , ceux des Fran- çois qui fçavent la langue Latine. Ce- pendant l'impreffion que les expreflions d'une langue étrangère font uir nousr^ eft bien plus foible que rinK>reflîon gue font fur nous les exprefuons de
' lin
.C.oogic
^66 Rifiexions crîàques
noB-e langue naturelle. Dès qne le» vers Latins font plus d'impremon fur nous que les vàrs François , il s'enfitit donc que les vers Latins ftmt plus par- faits & plus c^ables de plaire qne les vers François. Les vers Latins n*ont pas naturellement le même pouvoir fur une oreille françoife, qu'ils avoient fur une oreille latine. Ils n'ont pas le pou- voir que les vers Françcns doivent avoir fur une oreille françmfe.
A l'exception d'un petit nombre de mots qui peuvent paffer pour des mots îmîtatifs y nos mots n'ont d'autre liai- fon avec ridée attachée à ces mots , qu'iAie liaifon arbitraire. Cette \aJ£oa m Ve^t du cs^iice ou du ha^A. Par exemple, pna.pu attacl^rdans notre langue l'idée du cheval au motfoËvtau ; êc 1 idée de la [»ece de bois qu'il figm- 6e f au mot ehtval. Or ce n'eu que du- rantlespremieres années denotrevîe» que la liaifon entre im certain mot& une certame idée fe iait A Inen , que ce mot nous partnlTé avc»r une énergie naturelle , c'eft-à-dire , une pn^uieié particulière , pour fignifier la diofe dont il n'eu cependant qu'un ligne inf- titué arbitrairement. Ainû quand nous
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ftiT U PoiJU &fur Id, Pthiturt. 367 avons appris dès I*en&nce la fignifica- tîon du mot aimv , quand ce mot eft le premier que nous ayons retenu pour exprimer la chofe dont il eA le figne , il nousparoît avoir une énergie natu- relle , bien que la force que nous lui trouvons , vienne uniquement de notre éducation, & de ce qu'il s'eft fatfi, pour sinfi dire , de la première place dans notre mémoire.
U arrive même que lorfque nous at>< prenons tme langue étrangère , après que nous fonunes parvenus à un cer- tain âee, nous ne rapportions point immédiatement à leur idée les mots de cette langue étrangère , mais bien aux mots de notre langue naturelle , qm font affociés avec ces idées-là. Ainfî lin François qui apprend l'Anglois , ne lie tx)int immédiatement au mot An- glois God l'idée de Dieu , mais bien au mot Ditu. Lorsqu'il entend enfuite prononcer God, l'idée qui fe réveille d'abord en hù, eft celle de la fignilî- cation que ce mot a en François. L'i- dée de Dieu ne fe réveille en lui qu^en fécond lieu. U femble qu'il lui faille d'abord fe traduire le premier mot à luii même.
Qiv
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g6S RijUxlom .eriàpuf
Qu'on traite , fi Ton veut, cette et- ' plication de fubtilité , îl fera tou)ouis vrai de dire y que dès que DOtre cer- veau n'a pas été habitué dans Tenfance à nous repiéfentcr promptement cet- taines idées, auflî-tôt que certains fom viennent irapper nos oreilles , ces mots font fva nous une impreâlon & plus foible & plus lente que les mots auA
Îiels nos organes font en habitude ohiâi dès Tenfance. L'<x>ération que font {es mots, ell dépentuitte du tti- fort mécanique de nos CM^anes , & par conféquent elle doit dépendre de U iàcilité , comnfe 'de la promptitude de leurs mouvemens. Voilà pourquoi le même difcoùrs ébranle en des tems inégaux tul homme d*un tempérament vif, & un autre homme d'un tempéra- ment lent , quoiqu'ils en viennent en- .£n à prendrèie même intérêt à la chofe dont il s'agît.
L'expérience qui eft plus déciiive dans les faits , que tous les raifonne- menï , nous enfeigne que la chofe eil ainfi. Un François qui ne fçait l'Efpa- gnol que comme une langue étrai^ere , n'eft pas afTeûé par le mot ^uerer , cofflme par le mot aimer ^ quoique
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furUPotJie Sffurta Peinture. 369 ces mots fignifîent la même chofe.
Cependant les vers Latins plaifent plus , ils afTeûent plus que tes vers François. On ne fçauroit recufer le té- moignage des Etrangers à qui Tufage de u langue Françoife eft beaucoup plus familier aujourd'hui que riiTage de la langue Latine. Ils difent tous
3ue les vers François leur font moins e plaifîr que les vers Latins , quoique la plupart ils ayent appris le François avant que d'apprendre le Latin. Les François mêmes qui fçavent affez bien le Latin pour entendre facilement les Poètes qiiiontcompofôdans cette lan- gue, font de leur avis. En fuppofant que le Poëte François &c le Poëte La- tin ayent traité la même matière , qu'ils ayent également réuflî , les François , dont je parle , trouvent plus de plaifif à lire les vers Latins. On fçait le bon mot de Monfieur Bourbon , ^u'il croyait boire de teau , quaitd il Itfoit des vers François. Enfin les François & les Etran- gers , je parle de ceux qui fçavent notre langue aulE-bien que nous-mêmes , & qui ont été élevés un Horace dans une main , & un Defpréaux dans l'autre , ne fçauroient fouiïrir qu'on mette en Qv
3 70 Rifiexioas emi^us
cotnpïraîlbn les vers Latinî & les vers François confidérés mécaniquement. Q faut donc qu'il fe rencontre dans les vers Latins une excellence qui ne folt pas dans les vers François : FEtrangeF qui fait plutôt fortune dans une Cour, qu'un homme du pays ^ eft réinité avoir plus de mérite que celui qu'il a laiffé derrière lui.
SECTION XXXVIII.
Que Us Ptimres du terns de Rapfuûl h'o-^ voieru point d^avanta^ fur ceux d'aU' jourd'hà. Dts Pântns de VAnti- • quiti.
IN OS Poètes François font donc i plaindre', lorsqu'on veinteur Ëùre ef- myer la compsu'aifon des Poètes La- tins qui avoient tant de fecours & tant de ^cilité jKHir fiiire mieux qu'il n'eft poffiWe de faire aux Poètes François. Us poutToient dire ce que ^ùidlien répond,pouf les Poètes Latins* aux Cri- tiques qui avoient voulu ^ï^er des Ëoivains Latins qu'ik touchaHeat au>
.,;..Gooylc,
furlaPoêJît Cf fur la Peinture, jyr tant que les Ecrivains Grecs : Rc4idez donc notre lan^e aiu£ féconde en expreffîons & auHî agréable dans la prononciation , que la langue de ceux que vous prétendez que nous devions ^aler pour mériter votre eftime. Dee iKuhi in loqmnJo tamdem jucuaduatem & panm copiam (à). L'Architeâe qui ne içaur(»t bâtir qu'avec de la brique » ne peut pas élever un édifice qui plaife autant que s'il pouvoit le bfttir avec de la {nerre & avec du marbre. Nos Peintres font en cela bien plus heureux que nos Poètes. Les Peintres qui'tra- vaillent aujourd'hui , employent les mêmes couleurs & les mêmes inftni- mens qu'ont employé les Peintres , dont on peut oppofer les ouvrages à ceux qu ils fbm tous les purs. Nos Peintres , pour ainfi dire , confient dans la même langue que parloiem leurs prédécefleurs. En parlant des Peintre» les prédécefleurs des nôtres , je n*en- tends point parler des Peintres du tems d'Alexandre le Grand , & de ceiix du tems d'Auguâe. Nous ne fçavons pas aflez diftioâementles détails de la mé- canique de la peinture antique , pour
Qvj
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3^1 Rifitxions eritiques
eo faire un parallèle avec la mécaiù- que de la peinture moderne. Par les Peintres predécefleurs des nôtres , j'en- tends parler feulement des Peintres qitî fe font produits depuis le renouvelle- ment des Lettres fie des beaux Arts.
Je ne fçache point qu'il foit venu jufqiies à nous aucun tableau des Pein- tres de l'ancienne Grèce. Ceux qui nous reftent des Peintres de l'ancienne Rome , font en fi petite quantité , & ils font encore d'une efpece telle , qu'il eft bien difficile de juger fur l'infpec- tion de ces tableaux , de l'habileté des meilleurs ouvriers de ce tems-là, ni des coideurs qu'ils employoîent. Nous ne pouvons fçavoir pofitivement s'ils en avoient que nous n'ayons plus;mais il y a beaucoup d'apparence qu'ils n'avoient point les couleurs que nos ouvriers tirent de l'Amérique & de quelques autres pays , avec lefquels l'Europe n'a un commerce réglé que depuis deux fîecles.
Un grand nombre des inorceaux de la peinture antique qui nous refte , eft exécuté en Mofaique , c'eft-à-dire , en peinture faite avec de petites pierres coloriées, fie des aiguilles de verre
■„r .,Coo)glc
furlaPotfit &furldPàrUure. 37J cotnpaiTées & rapportées enfemble , de manière qu'elles imitent dans leur af- femblaee le trait & la couleur des ob- jets quon a voulu rejM-éfenter. On voit , par exemple , dans le palais que tes Barberinsdnt fait bâtir dans la ville de Paleftrine, à vingt-cinq milles de Rome , tm grand morceau de Mofaï- que qui peut avoir douze pieds de longs fur dix pieds de hauteur, & qui fert de pavé a une efpece de grande niche , dont la voûte foutient les deux rampes féparées , par lefquelles on monte au premier palier du principal efcalier de ce bâtiment. Ce Aiperbe morceau eft une efpece de Carte Geo-
' ique de l'Egypte ; & » à ce qu'on
prétend , le même pavé que Sylla avoit fait placer dans le Temple de la For- tune Préneftine, & dont Pline parle- dans le vingt-cinquième chapitre du trente-fixiémc livre de ion HiAoir^, Il fe voit gravé en petit dans le Latium du P. Kircher; mais en 1711 le Cardinal Charles Barberin le fitgraver en quatre grandes feuilles. L'Ouvrier ancien s'eft tervi pour embellir fa Carte » de plu- fieurs efpeces de vignettes , telles que les Géographes en mettent pour rem-
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^74 RiJUxîom erU'upus plir'les places vmdes de leurs carte*.' Cesvignettesrepréfentent des hommes, des ammaux,desbâtimens,'des chaflies, des cérémonies , & plufîeurs points de l'Hifloire morale &C oaturelte de TË- gypte ancienne. Le nc»n des choies qui Y font dépeintes , eu écrit au-deflos en caraâeres Grecs, à peu près comme le nom des Provinces eft écrit dans une carte générale du'^yaume de France.
Le Pouffin s'efi iervi de quelques* unes de ces comportions pour embel- lir plufieiu's de fes tableaux , entre an- tres celui qui repréfente rarrivée de la Sainte Fandlle en ^ypte. Ce grand Peintre vivoit encore , quand cette fu- perbe Mofaïque fiit déterrée des ruines d'un Temple de Serapis , qui devoit être , pour parler à notre manière , vas ChapeUe du Temple célèbre de la For- tune Prtatfiine. Tout le loonde fçaitqne Tancien Préneâéeftlamême vUIe que Paleftrine, Par bonheur elle en fitt ti- rée très-entière & très>bien conTervée ; mais malheureusement pour les cu- rieux , elle ne fortit de fon tcMiibeau que cinq ans après que Monâeur Sua- rez Ëvêque de Vaiffons eut fait im- priiaçr ion livre Precoefies arui^ua Hiri
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furlaPoêJîi ù fur Ut Pàmare. jyj. duoXfi). La carte, <lont je parle, ëtoit alors enfevelie dans les caves de TEvê- ché de Paleftrïne où elle étoit comme învifîble. On en appercevoit feulement quelque chofe à force d'en laver les endrqits qui étoient d^ja découverts , & Ton ne les voyoit encore qu'à la clarté des flambeaux. Ainlî Monfieur Suarez n'a pu nous donner dans fon Ouvrage (^) que la defcription de
3uelques morceaux que le Cavalier el PoMO avoit feit deiîiner fur les ïieux. (c)
On voit encore à Rome & dans plu- fieurs endroits de l'Italie des fragmens de Mofaïque antique , dont la plupart ont été gravés par Pietro Santi Barto- li, qui les a inférés daiK fes différens recueils. Mais pour plufieurs raifons on jugeroit mal du pinceau des Anci^is, fi l'on vouloit en juger fur ces Mofaï- ques. Les curieux gavent bien qu'on ne rendroit pas au Titien la juAice qui lui eft due , fi Ton vouloit juger de fon mérite par celles des Molaïgues de r%tife de Saint Marc de Venife , qui
(«) Jm^'imtt iKtmt tni*il'
lb) frffir/l. Amiq. lib. {Hm. p, jai lç)lbii, lib. *.p. :il.
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furent &itesfuT les defleios de câ M^ tre de-la couleur. U e& unpoffible dl- miter avec les pierres & les morceaux de Terre, dont les Anciens fe font fer- vi pour peindre enMo&îque, toutes les beautés & tous les agrémens que le pinceau d'un habile honune met dans un tableau , oîi il eA maître de voiler les couleurs , & de faire fur cha- que point ph)'iique tout ce qu'il ima- gine f tant par ranrart aux traits que par rapport aux teuites. En efTef , les Molàîques fur lefquelles on fe récrie davantage , celles qu*on prend d'une certaine difiance pour des tableaux faits au pinceau , font des Mofaïques copiées d'après de Itmples portraits. Telle eft le port;;ait du Pape Paul cinquième , qu'on voit à Rome au Palais Borghefe. ■ Il tid réAe dans Rome même qu'un petit nombre depeintiu-es antiques^- tes au pinceau. Voici celles que je me fouviens d'y avoir vues. En premier lieu , la Noce de la Vigne Aldobran- dine , & les Figurines de la Pyramide de Ceftius. Il n'y a point, de curieux, qui du moins n'en ait vu des eftampes. En fécond lieu , les peintures qui font au Palais Barberin ikns Rome, Se qui
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fur la Paëjît &fiirla Peinture. 37^ furent trouvées dans des grottes fou- terreines, torfqu'on jetta- les fonde- jnens de ce Palais. Ces peintures font le Payfage ou le Nymphée dont Lucas Holftenius a publié l'eUampe, avec une explication qu'il avoit faite de ce tableau \ la Venus reAaurée par Carie Maratte , & une. figure de Rome qui tient une Viâoîre. Les connoifTeurs qui ne fçavent pas l'hiftotre de ces deux .Prefques , prennent l'une pour être de Rapmiël , & Tautre pour être du Cor- rege. On voit encore au Palais Far- nefe un morceau de peinture antique , trouvé dans la Vigne de l'Empereur Adrien à Tivoli, oc un refte de plav- fond dans le jardin d'un particulier au- ■ près de Saint Grégoire. On a trouvé- ,- depuis la première édition de cet Oû4 vrage ,-plufieurs autres peintures anti- ques dans la Vigne Farnefe futle Mont Palatin, dans l'endroit qu'occupoit au- trefois le Palais des Empereurs. Ces peintures ornoient le plafond d'une falle de bains ; mais ni Monûe\u- le Duc de Parme à qui elles ont appartenu , ni le Roi des deux Siciles qui les a fait tranf- porter depuis à Naptes, ne les ont point encore ikit graver. Monûcur le Doc;;
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37$ RéjUxions critiqua
teoT Mead, fi connu dans tonte l*£it^ rope par fes talens & par jibn amour pour les Arts a enriclu fon Catmiec d'un morceau de peinture antique , qm s'ell pareillement trouvé dans les im* nés du palais des Empereurs , ic il a fait graver ce précieux fragment. U repraedte , à ce qu'on afujet de crcnre, l'Empereur Auguile , ayant à côté de lui Agrippa , Mecenas Âc quelques au- tres perlonnes, & donnant une cou- ronne à une figure qui ne paroît plus. Monfîeurle Marquis Capponi , qui )oîitt à beaucoup d'érudition uA goût luign- lief pour tout ce qui eft du refîbrt de l'antiquité , a lait encore graver un morceau fingulier de peinture antique de fon Cabmet. C'eft le portrait d'un Architeûe , aujM-ès de qui Ton voit les inilnjmens de fon Art. Cette peinture a été découverte dans un tombeau.
On voyoit il y a quelque tems pïii- fieurs autres morceaux de peintures an- tiques dans les bâtimens ipii font com- pris vulgairement fous le nom des rui* nés des Thermes, de Titus ; mais les uns font péris » comme le tableau qui repréfentoit Coriolan , que fa inere perfuadoit de ne point venir attaquer
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fur U Paêfie ^ fur U Pànmrt. 3 75 Rome , & dont le defTein fait par An- nibal Cairache , &c qui a été gravé , ell aujourd'hui entre les mains de M. Crozat , qui l'a eu du Chanoine Vlt- toria ; les autres ont été enlevés. C*eft de-là que le Cardinal MalTimi avoit tî- ré les quatre morceaux qui paflent pour repréienter l'Hiftoire d'Adonis , & deux autres fragmens. Ces fçavantes reliques font pafTées à fa mort entre les mains du Marquis MaHuni , & l'on en voit les eftampes dans le livre de Monlieur de la ChaufTe , intititlé U Piuwt aneiche deUe Grote di Rama. Cet Auteur a donné dans ce livre pluiieurS deffeins de peintures antiques qui n'a-* voient pas encore été rendus publics , Se entre autres , le deflein du plafond d'une chambre , qui fut déterrée auprès de Saint Etienne in Rotundâ en 1705 , c'ell-à-dire , une année avant l'édition de fon Ouvrage. La figure de femme peinte fur im morceau de iluc qui étoit chez le Chanoine Vîttoria , eft jM"éfen- tement à Paris chez Monfieur Crozat le jeune.
Quant à ce qui relie dans les Ther- mes de Titus, il n'y a plus que des peintures à denûeflàcéesj, lePere {le
:-„r., Google
}8o Réflexions cruî^ti
Montfaucon (a) & François BaRofi nous ont donné (J>) l'eflampe du mor- ceau le plus entier qui s'y voye , 5c qui représente un payfage.
On voyoit encore en 1701 dans les ruines de l'ancienne Capouë , éloignée d'une lieue de la Ville moderne de Ca- pouë , une Gallerie enterrée , en La- tin Cripto^Porficus, dont la voûte étoit peinte , & repréfentoït des figures qui le jouoient dans diâerens ornemeos. En 1709, le Prince Emmanuel d'EI- beuf ^ en tàifant travailler à fa maiiba de campagne , fituée entre Naples &le mont Vefiive , fur le bord de la mer, •trouva un bâtiment orné de peintures antiques ; mais je ne fçache point que perfonne ait publié le delTein de ces peintures , non plus que le deiïeîn de celles de Ja vieille Capouë.
Je ne connois point d'autres pêintu* res antiques feites au fnnceau, Sc-qui fubUftent encore aujourd'hui , que tes morceaux dont je viens de parler. H eA vrai que depuis deux lîecles on en a déterré un bien plus grand nombre, ibit dans Rome , foit dans d'autres en-
....Gooylc
fur la Poëft te fur la Piîntun. 381' droits de l'Italie; maïs je ne fçai par quellç fatalité, la plupart de ces pein- tures ioût péries. & il ne nous en eft demeuré que les defTeios. ht Cardi- nal Maflimi avoit ^it un très-Jîeau re- cueil de ces deiTeins, &pariine aventu- re bifarre, c'étoit d'Efpagne qu'il avoit rapporté à Rome les plus grandesricheC- fes de fon recueil {k\. Durant & Non- ciature , il y avoit fait copier un porte- feuille qui étoit dans le Cabinet dil Roi d'Efpagne , & qui contenoit le deffrfn de plufieurs peintures antiques , qui forent trouvées à Rome, lorfqu'on commença durant le feiziéme fiecle à fouiller avec ardeur dans les ruines , pour y chercher des débris de l'antiqui- té. Le Cavalier de] Pozzo , dont le n<Hn eil fi célèbre parmi les amateurs de la Peinture , le même pour qui le Pouf- fm peignit fes premiers tableaux des fept Sacremens avoit fait auffi un très- beau recueil de deffeins d'après les peintures antiques, que le Pape Clé- ment XI. acheta durant fon'PontifîcBt , pour 1^ mettre dans la Bibliothèque
f(L)CeRtcucU dcDi^fTciM cH piffii dtpult peu en An^lcierie, & eft eouB Ui miiudcM.le Do4teuc Wetd.
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381 Rèftxiûns criûqms
■particulière qu'il s'étoit formée.
Mais prefque toutes les peintures d*après lefquelles ces defleias iïirem ^ts , font péries. Celles du totobeau des Na2ons qu'on déterra près de Pon- temole en 1674. ne fubfiilentdéja plus, n ne nous eft refié des peintures de ce Maufolée , que les copies coloriées qui furent Eûtes pour Mon£eur Col- bert & pour le Cardinal Maffîmi , & les eiUmpcs gravées par Pietro Santi Bartoli, qui font avec les explications du Bellon un volume in-folio imprimé à Rome, (à) A peine demeuroit-il , il y a_ déjà quarante ans , quelques veAi- ge» des peintures ori^nales , quoi- qu'on eut eu l'attention de pafier def- ius une teinture d'ail , qui eft fi propre â çonferver les Frefques. Malgré cette précaution , elles fe font détruites elles- mêmes.
Les Antiquaires prétendent que c'eft la deftinée de toutes les peintures aa- ciennes , qui diuant un grand nombre d'années ont été enterréesen des lieux fi bien étouâés , que l'air exérieur ait été longtems fans pouvoir agir fur elles. Cet air extérieur les détruit au£-
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fuT îàPùëJîe &fur la Ptbaurt. j j j tôt qu*elles ' redeviennent en>ofée$ à fon aâion , au lieu qu'il n'endommage les peintures enterrées en des lieux oti il avoit conSetvé un libre accès , que comme il endommage tous les tableaux peintG à frefque. Ainli les peintiues qu'on déterra il y a vingt ans à la Vi- gne Cpriîni bâtie fur le Janicule , dé- voient durer encore longtems. L'air extérieur s'étoit confervé un libre ac- cès dans les tombeaux dont elles or- noîent les murailles ; mais par la &ute du propriétaire, elles ne iubfifterent pas longtems. Heureufement nous èa avons les eAampes gravées par Barto- li (a). Cette aventure n'amvera plus déformais. Le Papç Clément XI qui ^voit beaucoup de goClt pour les Arts , & qui aimoit les antiqultés-'i n'ayant pu empêcher la deAruâicn des pein- ' tures de la Vigne Corlîni fous le pon- tificat d'un autre, n'a point voulu que Jes curieux puflent reprocher au iien de pareils accidens , qui font pour eux des malheurs fignalés. II fit donc ren- dre un Edit dès le commencement de fon règne par le Cardinal Jean Bap- liAe S^nola , Camerlit^uc du Saint
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)S4 Rifiexîons craiqats
Siège , qui défend à tous tes in'Oprié* taires des lieux où ron aura trouvé quelques veftiges de peinture antique^ de démolir la maçonnerie où elles ie- roient attachées , fans une permijlîon expreffe.
On conçoit bien qu'on ne peut fans témérité entreprendre un parallèle de la peinture antique avec la peinture moderne , fur la foi des iragméns de la peinture antique, qui ne liibfiftent plus qu'endommagés , du moins par le teips. D'ailleurs ce qui nous reHe,& ce qui étoït peint à Rome fur les mu- railles , n'a été fait que longtems après la mort des Peintres, céleWes de U Grèce. Or il paroît par les écrits des anciens , que les Peintres qui ont tra- vaillé à R«me fous Augufte & fous les premiers fucceffeurs , étoient très-ift* férieurs au célèbre Appelle & k fesil- luftres contemporains, Pline qui corn- pofoit fon hiftoire fous Vefpafien, & quand les Arts avoient atteint déjà le plus haut point de perfection od ils îbient parvenus fous les Empereurs, ne cite point parmi les tableaux qu'il compte pour un des plus grands orne- ^ens de la Capitale de l'Univers, aucua
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furîa. Poiju &fmU Peinture. 385 a:nçun tableau qu'il donne lieu de croire avoir été fait au tems des C^lars. On ne fçaurcût donc afleoir fur les frag- m^is de la peinture antique qui nous iffetlent , 8c qui font les débris d'ouvra- ges'^ts dans Rome fous les Empe- reurs , auciui jugement certain concer- nant le degré de perfeâion oti les Crées & les anciens 'Romains pour- roient avoir porté ce bel Art. On ne fçauroit même décider par ces frac- tnens , du degré de perfeÛion où la peinture pouvoit être , lorfqu'ils forent faits.
Avant que de pouvoir juger fur un certain ouvrage, ne l'état où l'Art étoit, iorfque cet ouvrage a été fait , il fau- flroit fçavoir pofitivement en quelle eflime l'ouvrage a été (kns ce tems-là , & s'il y ajâué pour un ouvrage ex- cellent en fon genre. Quelle injufticê , par exemple , ne feroit-on pas à notre fiécle , fi l'on jugeoit un joiu" de l'état où la Poëfie dramatique aiu'oit été de notre tems fur les Tragédies de Pra- don , ou fur les Comédies de Haute- roche ? Dans les tems les plus féconds en Artifans excellens , il fe rencontre encore un plus grand nombre d' Artifans TnJM I. R
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386 Rêfiexions critiques
médiocres. Il s'y fait encoce plus iA mauvais ouvrages que de bons . Or nous coiu-erions le rifquc de prononcer fur la foi d'un de ces ouvrages médiocres, fi, par exemple , nous voulions jug* de l'état où la peinture étoit à Rome fous Augufte , par les figures qui font dans la pyramide de Ce^lius ; quoiqu'il foit très-probable que ces figures pein- tes à frefque , ayent été faites dans le tems même que le Maufolée fut, élevé, & par conféquent fous le règne de cet Empereur. Nous ignorons quel rang pouvoir tenir entre les Peintres de fon tems , l'Artifah qui les fit ; fie ce qui ie paffe aujoiu-d'hui dans tous les pays, nous apprend fuffifamment que la ca- bale fait diftribuer fouvent les ouvra- ges les plus confîdérables à des Arti' fans très-inférieurs à ceux qu'elle feil négliger.
Nous pouvons bien comparer la fculp- tiu-e antique avec la notre , parce que nous femmes certains d'avoir encore aujourd'hui les chefs-d'œuvres de la fculpture Greque , c'eft-à-dire , ce qui s'eft fait de plus beau dans l'Antiquité, Les Romains dans le fiecle de leur /plçndeur , qui fut celui d' Augufte , w
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fur la P^tfit &fur la, P«lnture. 3 87 tf fputerent aux illuflres de la Grèce que lafciencedugouveroemeat. Ilsles reconnurent pour leurs Jiiaîtres dans les arts , & nommément dans TÂn de la iculpture. '
Excuitnt dlii Jfirrattiii moXIiui ma , OnJo tq\âitrn. , rivai ifunnt de niarmtre yultas, Turfgcre inytrio ptputni , Uamara ,'num;m) Hit dbi aum tna, (1)
Pfine eft du même fentiment que Virgile. Mais ce qu'il y avoit de plus précieux dans la Grèce , avoit été ap- porté à Rome , & nous fommcs cer- tains d'avoir encore aujotird'hni les plus beaux ouvrages qtù fuffent dans cette Capitale du monde , après qu'elle eut été enrichie des chef-aœiivres les plus précieux, nés fous le cizeau des Grecs. Pline (^)parle avec diftinÛion de la ilatuë d'Hercule , qui préfentement eft dans la cour du Palais Farncfe , ôc Pline écrivoit quand Rome avoit dé- jà dépouillé l'Orient, l'un des plus beaux morceaux de fculpture qui fiif- fent à Rome. Ce même Auteur nous apprend encore ( e ) que le Làocoon
( » ) Efirid. lib. «.
(bl Plln. Hi^. lih. If.
<cj llilor. lib. i$.
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jSS Réflexions chiques
qu'on voit a}ourd'hui dans une cour ia. Palais de Belveder^ étoit le morceau de fculpturele plus précieux qui fut à R.o* me de fon tems. Le caraâere que Pline donne aux Statues qui compofent le grouppe du l/aocoon , le lieu où U nous dit qu'elles étoient dans le tems qu'il écrivoit, & qui font les mêmes x{ue les lieux oit elles ont été déterrées de- puis plus de deux lîecles , rendent confiant , malgré les fcrupules de quel- ques Antiquaires , que les Statues que nous avons , ibnt les mêmes dont Pline a parlé. Aiofî.jiausibmTnes en état de juger Sx les Anciens nous ont iiirpafies dans l'Art de la fcupltiu:e. Pour me fer. VÎT de cette phrafe . les parties au pro- cès ont produit leurs titres. Gr je n'en, tendis jamais prononcer en faveur des Sculpteurs modernes. Je n'entendis ja* mais donner la préférence au Moîfe de Michel-Ange fur lel-aocoon du 5eA yeder. J'avouerai après cela qu'il ferolt imprudent de foutenir que les Peintres de l'Antiquité Grecque & Romaine , ayent fiirpaffé nos Peintres , parce que les Sculpteiu^ anciens ont furpaffé les Sculpteurs modernes. La Peintnrè Se la Sculpture , il eft vrai , fpnt dev«
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fur la Poifit ùfur la Ptinturt. 3 89 lœurs ; mais elles ne font pas dans une union fi parfaite , que toutes leiu-s def- tinéesleur foient communes. Lafculp- ture , bien que la cadette , peut laifler derrière elle fa fœur aînée.
Il ne feroit pas moins téméraire de décider la queftion fur ce crue nos ta- bleaux ne font point ces effets prodi- gieux que les tableaux des anciens Pein- tres ont fait quelquefois : fiiivant les ap- parences , les récits des Ecrivains qui nous racontent ces effets , font exagé- rés & nous ne fçavons pas même ce 3u'il en faudroit rabattre pour les ré-' uire à l'exaâe vérité. Nous ignorons quelle part la nouveauté de "Art de la peinture peut avoir eue dans Timpref- iion qu'on veut que certains tableaux ayent faits fur les fpéôateurs. Les pre- premiers tableaux , quoique grolBers , ont dû paroître des ouvrages divins. L'admiration pour un Art naifiant , fait tomber aifément dans l'exagération ceux qui parlent de fes produâïons ; & la tradition en recueillant ces ré- cits outrés , aime encore quelquefois à les rendre plus merveilleux qu'elle ne les a reçus. On trouve même dans les Ecriraias wciens des chofes un- Riij
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J ^ RéflexloTts erinqaer
poffibles données pour vraies , & des cbofes ordinaires traitées de prod^es, Sçavons-nous d'ailleurs quel effet au- Toient produit far des hommes aufli ienûbles &C auflî dj^fés à fe paillon- ner, que Tétcwent tes cod^îatriotcs «es . anciens Peintres de ta Grèce , plufieurs tableaux de Raphaët, de Rt^ens &: d'Annibal Carrache?
Enfin on ne fçauroit donner une idée tin peu précîfc des tableaux à ceux qui ne les ont pas vus abrolnment , &c qut ne connoMent la manière dn Pein- tre qui les a faits , que par vt)ies de comparaifon. Nous-mêmes , îorfque noBS parlons à quelqu'un des tableaux d'un Peintre qu'il ne connoît pas , nous fommes poulies par l'inftinâ à nous fervir de cette voie de comparaifoir. Nous donnons l'idée du Peintre incon- "nii , en le conçarant aux Peintres con- nus , & cette vcne e A la meilleure voie de defcription , quand il s'agit des chofes qui tondent fousie feriîiment. Il colorie à peu près comme un tel , dilbns-nous ; il deflùie c<Miime celui- là ; il compofe comme l'autre. Ot nous n'avons pas fin- les ouvrages des an- ciens Peintres de la Grèce, le femiment
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pir la Poifit ùfur la Peinture. 39I iâe perTonne qui ait vu les ouvrages de nos Peintres modernes. Nous ne fça- vons pas même quelle comparaifon on pouvoit faire autrefois entre les frag- mens de la peinture antique qui nous reftent, & les beaux tableaux des Pein- tres de !a Grèce qui ne AibliAent plus. Les Ecrivains modernes qui ont trai- té de la peinture antique, nous rendent - plus fçavans , fans nous rendre plus capables de juger la queftion de la fu- ' périorité des Peintres de l'antiquité îîir les Peintres modernes. Ces Ecri- vains fe font contentés de ramaffer les ftalTages des Auteurs anciens qui par- ent de la peinture , & de les commen- ter en Philologues , fans les expliquer par l'examen de ce que nos Peintres font tous les jours , & mêmes fans ap- pliquer cespàfTages aux morceaux de la peinture antique qui fubfîftent en- , core. Je penfe donc , que pour fe for- mer une idée auflî diftinûe de la pein- ture antique qu'il foit poffible de l'a- voir , il feut confidérer féparément ce eue nous pouvons fçavolr de certain ftir la compofition , fur l'expreffion ÔC fur Je coloris des Peintres de l'Anti- quité.
J^ Réfitxîons critiques
Noos avcMis cm à pr<^s dans cet ouvrage de divifer l'ordonnance ea compolîtion Pittorefque & en compo- Étion Poétique. Quant à lacompofition Pïttorelque , il tàut avoiier que dans les monumens qui nous reflent, les ■ Peintres anciens ne paroiffent pas fu- périeurs , ni même égaux i Raphaël , à Rubens , à Paul Veronefe , m à M. le Bnui. Suppofé que' les Anciens ii*ayent fait rien de mieux dans ce gen- re que les bas-reliefs , les médailles & les peintures qui nous font demeurées , ils n'ont pas égalé les Modernes. Pour ne point parler des autres déiàuts des Compofiteujs ancienG , leur perfpec- tive ell ordinairement manvaiiè. Monfieur de la Chauffe (a) dit, en parlant du payfage des Thermes de Titus : Da quejîa Pitturafi co^iofu cht gli AnticM fono fiaù altretanto infeUd ntUtfprofptttiva j cA* iruditi luldiJigTW, . Quant à la compolition Poétique^ les Anciens fe piquoient beaucoup d'ex- celler dans fes inventions y & comme ils étoient grands defHnateurs , ils avoient toutes fortes de fedlité poiu y téuffir. Pour dernier une idée du pro^
i3) fittur, Ânsick. p. il>
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fur ta Po'ifie &furlaPeîatar€, 39} grès que les Anciens avoïene faits dans cette partie, de la peinture qui com- prend le grand art des exprefllons ,' nous rapporterons ce qu'en diient les Ecrivains de l'Antic|uite. De toutes les parties de la peinture ^ la .compofitiofi Poëtiqtie eft celle dont.il ed plus facile ^ donner une idée avec des paroles*' Ceiï celle qui fe décrit le mieux. . Pline , qui nous a parlé de la pein- ture encore plus méthodiquement que les autres Ecrivains , compte pour un grand mérite dans un Artiun , tes ex- ' preâions & les autres inventions poé- tiques. 11 eÀ fenfitde , par fes récits , que cette partie de l'art étoit en hon- neur chez les Anciens , &c qu'elle y étoit cidtivée autant que dans TEcoIe Romaine, Cet Auteur raconte comme tm point d*hiâoire important v que ce fut unThebain, nommé Ariftide, qui iît voir le premier qu'on pouvoit pein- dre les mouvemens de l'ame , & qu'il étoit poffible aux hommes d'exprimer avec des traits & des couleiu-s les î^a- timens d*uneiîgure muette , en im mot , qu'on pouvoit parler aux yeux. Pline parlant encore d'un tableau d'AriAide qui repréfeatoitimefeDune percée d'uB Rv
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394 Kifltxhns criâqaù
coup de poignard, & dont l'en^nt (û' çoit encore la maouneUe , s'énonce avec autant de goût & de fentûneot que Rubeos l'aurtùt pn faire ^ en -par- tant d'un beau tablean de Raphaël. On voit, dit-il", furie vifage de cette fem- me , abbatue dqa & dans ^es fymptô- jnes d'une mc^ prochaine , les fenti- mens les plus vi& & tes foins les plus eniprefles de !a tendr^e maternelle. L3 crainte que fon eniànt ne ic^ mal en liiçant du fangauiieu de lait., ét<Mt fi bien marquée fiir le vifage de la mère , tonte l'attitude de fon corps ac- compagnoit & bien cette expreffion, qu'il étoit âcile de comprendre quelle - penfée occapoit la mourante.
On ne parte pas de l'expreffion anffi bien que Pline Se les autres Ecrivains de l'Antiquité en ont parlé , quand on n*a pas vu urt grand nombre de taHeaux excellens dans cette partie de la pein- ture. D'ailleurs il felloît bien que dej ilatuës 3 où il fe trouve une expreflion aufîi fçavante & anffi correâe que celle du rtaocoon, du- Rotateur, &c. rendiffentles Aaciehs connoiffeiu^, & mêmes difficiles far l'expreffion. Les Anciens, qui outre les flatuës q^ue i'ai
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'fur la Poëfie &fuTlaPàmurt. 39c fcitées » avoient encore une Inanité d'autres pièces de comparaifon excel- lentes , ne pouvoient pas fe tromper «n jugeant de Texpreffion dans les ta- bleaux ^ ni prendre le médiocre en ce genre pour l'exquis. - Nous lifons encore dans Pline un grand nombre de &its & plufienrs détails , flui prouvent que les Peintres anciens le [ûquoient d'exceller dans l'expref- fion , du moins autant que les Peintres' «le l'Ecole Romaine fe font piques d'y exceller. La plupart des louanges que, les Auteurs atuiiens domient aux ta- bleaux dont ils parlent, ibnt l'éloge de Fex[aeflîon. C'eft par-là qu'Aufonne vante la Médée de Timomache ^ oh Mëdée étoit peinte dans l'inAant qu'elle levoitfe poiaiarcl fur fes enfiins. On voit , dit le Poëte , la ra^e & la com- paffion mêlées enfemblemrfon vifage.' A travers la fiireur qui va commettre un meurtre abominable , on apperçoit encore des reÛes de la tendreue ma- ternelle.
fiB^tra afftltia» mirrîi nt aiaBîgaa'i'
tttJiiltflUtr/ma , tnifiietip. nm eamrfi g
Mtautiam ridietucfiiaàbwart.
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■356 ■ Rifextons critiqua
On fçait avec quelle afiefHon Plinâ vante le trait ingénieux de Tintante^ qui peignit Agamemnon , la tête vm- lee au lacti^ce à'ipbîzémt y pour mar* quer qu'il n'avoit ofé tenter d'expri- mer la douleur du père de cette jetus Viâime; Qùîntilien parle de cette in* vcrttion f comme Pline , fie i^ufieiin Ecrivains de l'Antiquité en parlent corn* me Quintilien (a), l/t/ic t Timarukes..i Nam cum in Ipkigtms immolaiione pui' xijfet trifiem Calckaneem , trijiiortm C/âfi ftm, addidiffit. Mintlao quem fummam poterat efficert aft mœronm : toa/ùmpâl affeSibas , non npoiens quo digai moh patris vultum pojftt txpnmtn , velavil ejus caput , ùfuo cuique anima dédit afii- -mandum. C'eft un trait qu'il proi»ie pour modèle aux Orateurs.
Lucien décrit (^) avec admiration une grande compolition qui reprâen* toit le mariage d'Alexandre & de Ro- xane. 11 eu vrai que ce tableau devoit furpafler \ pour les grâces de l'inven- tion & pour l'élégance des allégories, ce que i'AIbane a fait de plus riant dans le genre des cûmpofitlons galani
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tesi Roxane était couchée for ua Ut, La beauté de cette fîUe^relevée encore' par la pndeur qui lui ^IcMt bailTerles yeux À l'approche d'Alexandre y fixoit Airelle les premiers regards du fpe£U' teur. On la rec<»inomc»t iàns peine
Cur la %Qre principale du tahleaa. 5 amours s'en^reflbient i la fervir. Les tuu prenoieitt fes patins, & lui dtoiem fes habits. Un »ttre amour re- lèvent Ton Toilc , aiîn que fan amant la vit mieux ; & par un fourire qu'il adre^ foit à ce Ptiuce , il le félidtoit fur les charmes de & mattrefle. D'autres amours faiâfibient Alexandre , & le ti- rant par fa cotte d'armes^ ils l'entraî- noient vers Roxane dans la pofture d'un homme qui vouloit mettre foit diadème aux [Heds deFobjet defapaA fion. Epheftion le confident de Tintri-' gue , s appuyoit fur l'hymenée , pour montrer que les fervices qu'il avoit rendus i fon maître', avoient eu pour but de ménager entre Alexandre £s Roxane une union légitime. Une trou- pe d'amours en belle humeur badinoit dans un des coins du tableau avec les armes de ce Prince. L'énigme n'étoit pas bien difficile à comprendre , 5c U
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^9' TtJ/exîcrtï cntiquâ
feroit à roiihaiter que les Peintres tno^ deroes n'euflent jamais inventé d'allé- gorie plus obfcure. Quelques-uns de ces amours ponoient la lance d'Alexandre ^ & ils paroiflbient courbés fous un hi~ deau trop pefant pour eux. D'autres fe iouoient avec ioa bouclier. Ils y aroient fait afleoir celui d'entre eux qui avoit iàit le coup , & ils le portoient en triomphe , tandis qu'un autre amour qui s'étoit mis en eînbulcade dans la cuiiafTe d'Alexandre , les attendoit au palTage pourleur&ire peur. Cet amour embmqué ppuvoit bien reffembler à quelqu autre maîtrefie d'Alexandre , ou bien à quelqu'un des minîflres de ce Prince, qui avoit voulu traverfer le ma- riage de Roxane. Un Poëte dîroitqtie le dieu de l'hymen fe crut obligé de récompenfer le Pôntre (|ui avoit célé- bré fî galamment nn de fes triomphes. Cet Artiiân ingénieux ayant expolé fou tableau dans la folemnité des jeux Olympiques, Pronexides qui devoit être on homme de grande confidéra- tion , puifque cette année-là il avoit l'intendance de la fête , donna fa fille en mariage au Peintre. Raphaël n'a pa$ dédaigné de crayonner le fujet dé^
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fur la Poëfit &fur la. Pùmure. jj J krit par tucien. Son deiïein a été gra- vé par un des difcipies du célèbre Marc- Antoine,
L'Auteur (<i) Spirituel , de qui j'em- pnmte cette niftoire , vante encore prîncipatement îa conrpofition poétique d'un tableau de Zeuxis , repréfentant la £a^1itled^m Gemaure. Mais il efl; fuper- flu de citer davantage les Ecrivains de l'Antiquité. Qui p«ut douter', après avoir vit l'expreffion- des figures du, Grouppe detaocoon, que les Anciens n'ayent excellé dans fart- qui fçait don- ner une ame au marbre & au bronze , ' & qui fçait prêter la parole au» cou- leurs. 11 n'y a point d'amateur des beaux Arts qui n ait vu de* ctTpies d« moins de la figure d'un Gladiateur expirant, laquelle étoh autrefois à la Vigne Lu- dovife, & qu'wï a vue depuis au Pa- lais Clugr.Ce tnalheureax^bleiTé à mort d'un coup d'épée à travers le corps , elî affis à terre , & il a encore la force de fe foutenir fur le bras droit. Quoiqu'il aille expirer, on voit qu'il ne veut pas s'abandonner à fa douleur ni à fa dérail- lance , & qu'il a encore l'attention à ia contenance , que les Gladiateurs Te
(>} LucitndMifoaZfunn
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400 Rcfitxîons erin^us
piquaient de conferver dans ce AineAtf moment. Il ne craint point de mourir ; il craindroit de faire une grimace (^}* , Quis mtéiacris GlaJiator ingemtùt , quis vidtum mutavU unquam , quis nom maJA fiuit , verumttiam detuhait turpittr , dît Ciceron dans l'endroit où il nous ra- conte tant de chofes merr^lleufes fiir la fermeté de ces m^heurenx.ïe reviens au Gladiateur expirant. C'eâunbommc qui fe meurt , mais qui vient de rece- voir le coup dont il meurt. On fent donc que, malgré ta force qui lui relie, ]I n'a plus qu'un moment îhreP-
Firer, & l'on regarde longtems dam attente de le voir tomber en expirant. Qui ne connoît pas le Grouppe célè- bre qu'on voit encore à la V^ne Ludo- vife , & qui repréfej*e un événement célèbre dans' THiftoire Romaine , Ta- ventiu-e du jenue Papirius. (*) Tout le - monde fçait que cet en&nt étant un jour demeuré auprès de fon père diuantune aflemblée du Sénat , la mère hùlît plu< fieurs quelHons à la fortie ; pour fça- voir ce qiù s*y étoit dit, clioft qu'el- le n'efpéroit pas d'af^rendre <ie foa
(a) Gctr. Tafcvl. Qu. 1. 1.
(b) Aid. G<U, lib. pim, (. 1,
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fur iaPocJîtO fur la Peinture: 40 1 mari, les Romains étant encore auffî peu polis qu'ils Tétoient alors. La mère' ne put jamais tirer de fon fils qu'une réponfe , laquelle ne lui permettoii pas de douter qu'il n'éludât fa ciu'ioiité. X-e Sénat , répondit-il , conftamment , a délibéré fi l'on donneroit deux fem- mes à chaque mari , ou deux maris à chaque femme. Cet incident a donné lieu au proverbe latin , Curiat capax Prettexta^ qu'on employé en parlant d'un enfant qui a beaucoup plus de dis- crétion qu'on n'en doit avoir à fon âge. .
Aucun lentiment ne ftit jamais mieux exprimé que la curiofité de la mère du jeune Papirius. L'ame de cette femme paroit Être toute entière dans fes yeux qui percent fon fils en le careflant. L'at- titude de toutes les parties de fon corps concourt avec fes yeux , & donne à connoître ce qu'elle prétend faire. D'u- ne main elle careiTe fon 61s , Se l'autre main ell dans la contraction. C'eA un mouvement naturel à ceux qui veulent réprimer les lignes de leur inquiétude prêts à s'échapper. Le jeune Papirius répond à fa mère avec une complai- faoce apparente j mais il eft fenubls
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401 Rifitxîons criùques
que cette comptaifance n'eftqu'afledée.' Quoique Ion air de tête foît naïf, fjuoî- que fon maintien paroiffe ingénu , on devine à fon fourire malin , qui n'efl pas entièrement formé , parce que le refoeâ le contraint , comme au mou- yement de Tes yeux fenfiblement gêné, que cet enfant veut paroître vrai , mais qu'il n'eft pas fincere. On voit qu'il promet de dire la vérité , & on voit en même tems qu'il ne la dit pas. Qua- tre ou cinq traits que le Sculpteur a fçu placer à propos for fon vîfage , je ne fçai quoi qu'on remarque dans l'ac- tion de tes mams , démentent la naïve- té & la fincerité qui paroitTent d'ail- leurs dans fon gefte & for fon vi- dage. .
On peut donner les mêmes louan- ges à la figure nommée ordinairement le Rotateur ou l'Aiguifeur, déterrée" à Rome , &c transportée depuis foixante ans à Florence , oîi l'on peut la voir dans le cabinet de fon AltefTe Royale. Cette figure repréfente l'efolave , qui ' fuîvant le récit de Tite-live , (a) en- tendit par hazard le projet que feifoient les fils de Brutus , pour rétablir dans
. W Ub.i, wp.-».
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[^r laPoêJte &fur la Pelncun. 403 Home les Tarqiiins , & qiii faiiva la République naiuante, en révélant leur conjuration au Conful.
Tttdita laxJxua pontmm cIiujTni Tyrannit Exulibui j juvcnti ipjïia Cinfu'.ii Cy quoi, (fct Ociutu ad PatrfsproiiaU ciimiiiafimi. Mitnnh lupaisit. (1)
Les peribnnes les moins attentives - remarquent, en voyant làftatue dont je parle , que cet efclave qui fe cour- be , & qui (c montre dans la polhire convenable pour aiguîfer le fer qu'il tient, afin de paroître uniquement oc- cupé de ce travail , eA néanmoins dîf- trait , & qu'il donne fon attention , ' non pas à c& qu'il femble faire , mais à ' ce qu'il entend. Cette diftraâion eft feniiole dans tout fon corps , & princi- palement dans fes mains & dans fa tête. Ses doigts font bien placés , com- me ils le doivent être , pour péfer fur le fer , & pour le preffer contre la pier- 1% k aiguiier ; mais leur aâion eft fuf- pendue. Par im gefte naturel à ceux j3ui écoutent en craignant qu'on ne s apperçoive qu'ils prêtent l'oreille à ce qu'on dit , notre efclave tâche de
- f») Jartittî. Sitt h
.Cooglc
404 Réflexions erutques
lever affez la prunelle Je fes yeuit pour appercevoir l'on objet ians lever la tè- te , comme il la leveroit naturellement , s'il n'étoit pas contraint.
Le talent du delfein donne de gran-
- des facilités pour réufïïr dans les ex- preflîons. Or il Tuffit de voir T Antinous , la Venus de Médicis , & pUifieurs au- tres monumens de l'antiquité, pour être convaincu que les anciens fça- volent du moins , auffi-bien que nous , deâîner élégamment & correâemeiit. Leurs Peintres avoient même plus d'occalions que les nôtres n*en peuvent avoir , d'étudier le nud ; & les exer- cices qui étoient alors en ufage.pour dénouer & pour fortifier les corps , les dévoient rendre mieux conformés qu'ils ne le font aujourd'hui. Rubens , dans lin petit Traité Latin que nous avons de lui fur l'ufage qu'on doit faire en peinture des ftatues antiques , ne doute point que les exercices en ufage chez les Anciens, ne donnaffent aux corps une perfeâion , à laquelle ils ns par* viennent guéres aujourd'hui.
Comme le tems a éteint les couleurs, & confondu les nuances dans les frag-
, jnens qui nous reftent de la peintur»
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fur la Poîfit &fur la Peinture. 40^ antique faite au pinceau , nous ne fçau- rions juger à quel point les Peintres de l'Antiquité ont excellé dans le coloris , ni s'ils ont égalé ou furpaflTé les grands Maîtres de l'ÎÉcole Lombarde dans cette aimable partie de la peinture. Il y- a plus. Nous ignorons u la Noce delà Vigne Aldom-andine , & les autres morceaux , font dhm grand Colorifte ou d'un Ouvrier médiocre decestems-- là. Ce qu'on peut dire de certain fur leur exécution , c'eft qu'elle eft très- hardie. Ces morceaux parciffent l'ou* vrage d'Artîfans , autant les Maîtres de leurs pindeaux , que RiUiens & que Paul Veronefe l'étoient du 'leur. Les touches de la Noce Aldobrandine qui font très-heurtées, & qui paroiffent mêmes groflieres , quand elles font vues de près , font un effet merveilleux quand on regarde ce tableau à la dif- tance de vingt pas. C'étoit apparôm- pient de cette diftance qui'I étoit vu . fur le mur oîi le Peintre l'avoît fait. Il femble que les récits de Pline & ceux de plufieurs Auteurs anciens duf- fent nous perfuader que les Grecs & les Romains excc-Uoient dans le coloris ; mais avant que de fc laifler perfuader.
4o6 RéfUx'ions critiques
il Eut faire réflexion que les hpmmei parlent ordioatremeot du coloris par rapport à ce qu'ils peuveitt avoir vu. Le Colorifte qui aura mieux réuffî que tous les autres Coloriûes qui feront veuus jufques au tems d'un Hiilorien qui parlera de l'état où la peinQu-e fe trouve de fes jours , fera cité par cet HiAoTÎen pour le plus grand Colorifie qui puifle être , pour un homme dont la Nature même eft jaloufe. M^is ii arrive des tems dans la fuite où l'on îaiit mieux qu'on avoît encore &it. Le Colorifte divin des tems palTés, celui que le» Ecrivains ont tant vanté , de* vient un artifan ordinaire en comparât- fon des nouveaux Artifans. On ne fçau- roit décider notre queûion ûir des rér cits. n faut pour la juger , avoir dej pièces de comparaifon. Elles nous nunr quenL
On ne fçauroit former un préjugé contre le coloris des Anciens , de oe qu'ils ignoroient l'invention de dé- tremper les couleurs avec de l'huile, qui ml trouvée en Flandres, il n'y a guéres plus de trois cens ans. On peut très-bien colorier en peignant à fret •gue. La MeiTe du pape Jules > un our
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7î/r ta Poèjù &fur U Peinture. 407 Trage de Raphaël dont nous avons dé- jà vanté le coloris.^ eft peinte à fref- que dans Tappartemem de la Signature au Vatican.
Quant au clair-Kîbfcur & à la diftrî- fcution enchanterefle des lumières & des ombres , ce que Pline £c les autres Ecrivains de l'Antiquité en difent , eft fi pofitif, leiu-s récits- font fî bien cir- conflanciés & fi vraiferablables , qu'on ne fçauroit difconvenir que les Anciens n'égalaflent du moins dans cette par- tie dsTArt, les plus grands Peintres modernes. Les paflages de ces Auteurs que nous ne comprenions pas bien , fjuand les Peintres modernes ignôroient encore quels preAiges on peut faire avec le fecours de cette magie , ne font plus £ embrouillés &: fi difficiles , de- puis que Rubens , fes élevés , Polidore de Caravage , & d'autres Peintres , les ont expliqués bien mieux , les pinceaux à la main , que les commentateurs les . plus érudits ne le pouvoient faire dans des livres.
Il me paroit réfulter de cette difcuf- fion « que les Anciens avoient pouflé la
fartie du deflein , du clair-obfcur , de expreltîon 6; de*l)i ÇQmpoiîtion pge^
' 4oS Rêfiexlons aitiqois
tique du moins auffi loin que les Mo- dernes les plus habiles peuvent l'avoir lait. 11 me paroît encore que nous ne. fçaurions juger de leur coloris , mais que nous connoilTons fuffiiamment par leurs ouvrages , fuppofé que nous ayons les meilleurs , que les Anciens n*ont pas réujC dans la compoiition jûttoref'
?Lie auffi-bien que Raphël , Rubens , aul Veronefe , & quelques autres Peintres modernes.
Le ledeur fe ibuviendra de ce qui a donné lieu à cette digreffion iîir la ca- pacité des Anciens dans TArt de la peinture. Après avoir parlé de favaiH tage que les Poëtes Latins avoient fur les Poëtes François , j'avois avancé que les Peintres des fiécles précédeos n'avoient pas eu le même avantage fur les Peintres qui travaillent aujoiird^ui, ce qui m'a mis dans la néceflité de dire les raïfons pour lefquelles je ne comprenois pas les Peintres Grecs & les anciens Peintres Romains dans ma prt^lition. J'y reviens donc, & je dis , que les Peintres qui ont travaillé depuis la renaiflance des Arts, que Raphaël & Tes contemporains n'ont point eu aucun avantage fur nos Ani- fans.
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JurïaPoiJîe SffurlaPàrkure. 409. fens. Ces derniers fçavent tous les l'e- crets , ils connoiflent tenues les cou- leurs dont les premiers fe font fervis.
SECTION XXXIX. .
En quel fias on peut dire que U Nature fi ' .foit ewichie depuis Raphaël.
A U contraire les Peintres qui tra- vaillent aujourd'hui y tirent plus de fe- cours de l'Art, que Raphaël Se (es cont-emporains n'en pouvoient tiier. Depuis Raphaël, l'Art &la Nature fc ibnt perfeâionnés ; & fi Raphaël reve- noit au monde avec fes talens , il fe- roit mieux encore qu'il ne l'a pu taire danc le tems oiiladefiinée l'avoit pla- cé-» au lieu que Virgile ne pourroit point écrire un Poëme épique enFran- çois , aufïï-hicn qu'il l'a ecrît en La- tin. L'Ecole Lombarde a porté le co-. loris à une p«rfeâion où il n'avoït pas encore atteint du vivant de Raphaël. L'Ecole d'Anvers a fait encore depuis lui plufieurs découvertes fur la niaeie du_clair-obfcur. Michel-Ange de Ca- Temc I. S
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410 R êjlexions crieiquts
ravage Se fes imitateurs ont auffi. fait fur cette partie de la peinture , des dé- couvertes excellentes, quoiqu'on puif- fe leur reprocher d'en avoir été trop amoureux. Enfin depuis Raphaël, la Na-r tiue s'eft embellie. Exphquons ce pa- radoxe.
. Nos Peintres connoiflent préfente- ment une nature d'arbres & une na- tiu-e d'animaux plus belle & plus par- faite que celle qui fiit connue aux dcr vanciers de Raphaël & à Raphaël lui- même. Je me contenterai d'en alléguer trois exemples , les arbres des Paysr Bas , les animaux d'Angleterre & de quelques autres Pays: enfin les fruits, les (leurs & les arbres des Indes , tant Orientales qu'Occidentales.
Raphaël & fes contemporains ont -vécu dans des ternsoùTAfie Orientale & l'Amérique n'étoicnt pas encore dé- couvertes pour les Peintres. Un pays n'en découvert pour les gens d'une certaine profeflîon , ils ne fçâuroient profiter de celles de fes Arhefles , qm font à leur ufage , qu'après qu'il y a palTé des gens de leur profeffion. Xe Bréfil , par exemple , étoit découvert pour les Marchands longtems avantque
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fur la Poëfa &fur la Ptimun. 411 â^être découvert pour les Médecins. Ce n'-a été qu'après que Pifon & d'au- tres Médecins habiles ont été au Bré- fil , que les Médecins d'Europe en ont bien connu les ûmples & les arbres. De même l'Afie Orientale & l'Améri- que étoient déjà découvertes pour les Epitiers & pour les Lapidaires au tems de Raphëi ; mais ce ne n'eft qu'après lui que ces parties du monde ont été dé- couvertes pour les Peintres , & qu'on en a rapporté les defleîns des plantes , des fruits & des animaux rares qui s'y trouvent , 6c qui peuvent lervit à l'em- beiliffement des tableaux.
La température du climat des Pays- Bas , & la nature du fol , y font croître les arbres plus près l'un de l'autre, plus droits , plus hauts & mieux gar- nis de feuilles , que les arbres de la même efpece qui viennent en Grèce, en Italie & "môme en plufieurs Pro- vinces de la France. Les feuilles des arbres des Pays-Bas font non-feulement en plus grande quantité , mais elles font encore plus vertes & plus larges. Ainfi les collines des Pays-Bas donnent l'idée d'un payfage plus vert , plus frais & plus riant que les collines d'I- talie. S ij
j^li, Réflexions eritiquts
Les vaches , tes taureaux , les mou* tons & même les porcs, ont en An- gleterre le corfage bien mieux formé qu^ils ne l'ont en Italie & en Grèce. Avant Raphaël les Marchands Véni- tiens ft-équentoient bien les Ports d'An- gleterre ; les Pellerins Anglois alloient bien à Rome en grand nombre gagner les pardons , iirais les uns & les autres n'étoient pas Peintres, & cequ'ilspon- voient raconter des animaux de ce Pays-là , n'en étoit pas un deffein.
11 eft vrai que Raphaël & fes cos- tempotains n'etudioient pas la Nature feulement dans la Nature même. Os rétndioient encore dans les ouvrages des Anciens. Mais les AncienseuxTinèr mes ne connoiiToient pas les arbres fic les Animaux dont nous venons de parr 1er. L'idée de la belle Nature que les Anciens s'étoient formée (va certains arbres ^ fur certains animaux y en pre^ nam pour modèles les arbres & les animaux de ta Grèce & de l'Italie, cette idée , dis-)e , n'approche pas de ce que la Nature i>roduit,en ce genret là. Pourquoi les beauïr chevaux anti- ques , même celui iur lequel Marc- ^birele eft monté , & à qui Piçrre d?
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Jur la Poejît & fur la Peinture. 415 Cortonne adreHott la parole toutes les fois qu'il palToit dans la cour du C:ipi- tole , en lui diiant par un enthoufiafme pittorefque : Avances donc : nejçais-iu pas tjue tii es vivant ? n'ont pas les pro- portions auili élégantes , ni le coriage &c l'air auâi nobles que les chevaux que les Sculpteurs ont faits depuis qu'ils ont connûtes chevaux du nord de l'Angieterre, & que Tefpece de ces animaux s'eft embellie dans dilfé-; rens pays par le mélange que les Na- tions indufirieules ont fçu faire des races.
■ Les chevaux de Montécavallo , par la proportion vicieufe de différentes parties de leurs corps, & principale- ment par leur encolure énorme , font Itttié à- tous ceux qui connoiflent les chevaiix d'Angleterre & d'Andaloufie. L'infcription mife fous ces chevaux ^ & qui nous affure que l'un eft l'ou- vrage de Phidias , Sc l'autre , l'ouvrage de Praxitèle , eft une impofture. .J'en tombe d'accord. Mais il falloit néan- moins que les Anciens Tes eftimaflent beaucoup , puifque Conftantin les fit venir d'Alexandrie à Rome , comme yok monument précieux dont il vou- Siij
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'4ï4 Rèfiaàons ermqias
toit oraer fes Thermes. La vache ie Myron , cette vache fi fameufe , Sc que les Pallres comptoient pour une pièce de leur bétail, quand il venoit paître autour d'elle , n'approchoit pas , fuivant les apparences, de deux milles vaches,
3Lii lont aujoiu'd'hui dans les Comtés u nord d'Angleterre, puifqu'^elle étoit fi femblable à fes modèles. Du moins nous voyons certainement que les tau- reaux , les vaches & les poixs des bas- reliefs antiques ne font point à compa- rer aux animaux de la même eTpece que l'Angleterre élevé. On remarque dans ces ccmiers une beauté où l'ima- gination des Artifans qm ne les avoîeot point vus , ne pouvoit pas atteindre.
Il faudroit connoître le monde pref- qu'aufÏÏ bien que l'Intelligence qui l'a créé , & qui a décidé de fon arrange- ment , pour imaginer la perieâion où la Nature eft capable d'arriver à la fa- veur d'une combinaifoB de halàrds fe- Torables à fes produâions , & de cîr- conftances heiireufes dans leur nutri- tion. Les connoiâances des hommes fur la conformation de l'Univers , étant auffi bornées qu'elles le font , ils né peuvent , en prêtant à la Ntfure les
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fur la Poijlt ^fur laPànttin. 41 ç beautés qu'ils imaginentjl'annoblir dans leurs inventions autant qu!elle fçait Tan- noblir elle-même à la faveur de certai- nes conjonûur es. Souvent leur imagina- tion la gâic, au lieu de la perfeflionner. Ainii tant que les hommes découvri-" ront des pays inconnus , & que les ob- fervateyrs pourront leur en apporter de nouvelles richefles , il fera vrai de dire que la Nature , confidérée dans les portefeuilles des Peintres & des Sculp- teurs , ira toujours en fe perfeÛtonnant.
SECTION XL.
SI U pouvoir de la Peinture fur Us hommes^ tfi plus grand que le pouvoir de la Poéfie*
J E croîs que le pouvoir de la PeinJ ture eft plus grand fur les homînes , qua celui de la Poëfie , & j'appuie mon fen- ttment fur deux raifons. La première eft que la Peinture agit fur nous par le moyen du fens de la Tuë. La féconde eft que la Peinture n'employé pas des fignes artificiels, ainfi que le fait la Foëûe f mais bien des lignes naturels, Siy
4r6 RcfUx'ums cndques
C'eft avec des fignes naturels qii& la
Peinture fait fes imitations.
'. La Peinture fefert del'œilpouinous
émouvoir. Or , comme le dit Horace ,
Sri' (liai trr'i-.aaz ininwt dtm'ffa per aurcn , Quim ju«/un( acuHifubjtaafiiihtiit.
La vaë a plus d'empire fur l'^ne que les autres fens. La vue eft celui des ■fens en qui l'atae , par an inftinâ: que l'expérience fortifie , a le plus de con- tiance. C'eil au fens de la vue que Fa- mé appelle du rapport des autres fens , lof fqa elle foupçonne ce rapport d'être infidèle. Ainfi les bruits & même les fons naturels ne nous affe&env pas k proportion des objets vilibles. Par exemple, les cris d'un homme U'ejfé que nous ne voyons point , ne nous affeâent pas , bien que nous ayons con- noiffance du iiijet qui lui fait jetter les cris que nous entendons , comme nous affeâeroit la vue de ion fang Se de & bleffure. On peut dire , métaphorique- ment parlant , que l'ceU ell plus près de l'ame que l'oreillç.
i'n fécond lieu , les fignes que la Peinture employé , pour nous parler, ne font pas des fignes arbï:
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fur la Poïjlt & fur la Peinture. 4 1 f Iraires & inftïtucs , tels r[iie font les mots dont la Poiifie (e (en. La Pointure employé des figues naturels dontl'éner- gie ne dépend pas de réducatïon. Ils tirent îeiir force du rapport que laN^a- ture eilc-mème a pris, foin de mettre entre les objets extérieurs & nos or- ganes, afin de procurer notre conier- vation. le parle peut-être mal , quand je dis que la Peinture employé des fi- cnes T c'eft la Nature elle-même que la Peinture met fous nos yeux. Si notre efprit n'y eft pas trompé, nos fens dit moins y foiit abufés. La figure des ob- jets , leur couleur, les reflets de la lu- mière , les Mnbres , enfin tout ce que l'œil petit appercevoir , fe trouve dans un tableau comme nous le voyons dans, la Nature ; eDe le ptéfente dans un ta- bleau fous la même forme où nous la .voyons réellement. Il femble mûme ^ue l'œil ébloui par l'ouvrage d'un grand Peintre ,croye quelquefois apper- -cevoir du mouvement dans fcs figures. Les vers les plus toucRans ne fçau- joient nous émouvoir que par dégrés , .& en faifant Jouer plufîeurs relTorts d'à: notre machine les uns après les autres. Les mots doivent d'abord réveiller les. Sv
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'41 8 Réflexions aîàqua
idées dont ils ne font que des fignes arï bitraires. It &ut enfnite que ces idées s'arrangent dans Fimagination , & qu'elles y forment ces tableaux qui nous touchent , & ces peintures qui nous îméreffeni. Toutes ces opéra- dons , il eil vrai , font bientôt ^tes ; mais il eft un principe inconteAable dans ta mécanique , c'eft que la mul- tiplicité des reuorts afibiblit toujours le mouvement , parce qu'un reflbrt ne communique jamais à un autre tout le mouvement qu'il a reçu. D'ailleurs il eft une de ces opérations, celle qui fe fait quand le mot réveille l'idée dont n eft le iigne , qui ne fe fait pas en vertu des loîx de la Nature, Elle eft ar- tificielle en partie^
Ainfi les objets que les taWeanx nous préfentent agilTant en qualité de lignes , naturels , ils dmvent agir plus promi>- tement. L'impreflion qu^ls font fur nous , doit être plus forte & plus fou- daine que celle que les vers peuvent feire. Quand nous lifons dans Ho- race (a) la defcriplion de l'Amour qui aiguife fes traits enflannnés fur une pierre arrofée de fang , les mois j dpat (aj Lib. i. 01. t.
fur la Poefit &furU Ft'mmre: jfi^ le Poëte fe fert pour faire fa peinture , réveillent en nous les idées de toutes ces chofes , & ces idées forment en- fitite dans notre imagination le tableau où noiïs voyons l'Amour dépêcher ce travail. Cette image nous touche ; mais quand elle notis eft repréfentée dans urr tableau , elle nous touche bien davan' tage. Nous voyons alors en un inftant ce que les vers nous fontjfeulement imaginer , & cela même en plufieurs ïnlîaiis. Ainfi la peinture contenue e» «es vers ,
Fc.i:s & ar^'o- Cixt enterai ,
paroït en quelque façon une Tmage rrorfi Telle à caix qui la voyent à Chantilly dans un tableau. Elle ne les avoit pas- encore frappés atitant qu'elle les frappe alors. Le Peintre s'cu fervi de cette image pour faire îe fond d'un tableau y dont la princïparc figtirc eft le portrait •d'une Princeffefortic du Sang de Fran- ce ; mais qui eff phis illuftre aujourd'hur dans la focîété des Nations , & qui doit être encore plus célèbre dans l'avenir y par fa beauté ^ue par Ton raoE; £c par
.C.oogic
E'
410 RéfiexîoTts critiques
ia naifTance. On voit dans ce tableau des Amours qui tournent une pierre à aiguifer. Un autre Amour qui s'eA pi- qué le bras, darde Ton fang fur cette Merre , où Cupidonaffile des traits dont le fer étincelle.
Enfin il n'y a perfonne qui n'ait eu Toccafion de remarquer pIufieiu-5 fois dans fa vie , combien il étoit plus â- cile de 6iire concevoir aux homme~s tout ce qu'on veut leur faire com- prendre ou imaginer par le moyen des yeux, que par le moyen des oreil- les. Le denein qui repréfente l'élé- vation d'un Palais, nous fait conce- voir en un inftant l'effet de fa mafle. Son plan nous fait comprendre en un moment la diftributiin des apparte- mens. Un discours méthodique d'une heure-,^ quelque attention que nous vouluffions y donner , ne nous le feroit pas entendre auffi-bîen que nous le concevons , pour ainû dire , fur un coup d'œil. Les phrafes les puis nettes fuppléent mal aux defTeins; & il eu rare que l'idée d'un bâtiment que notre imagination aura formée , mê- me fur le rapport des gens du mé- tier, fe trouve conforme au bâtiment.
...Cooyic
fuTla.Poe.fit ùfitrla-Pàxturti jf^) }\ nous arrive fouvent^ quand nous voyons ce bâtiment dans la fuite , de reconnoître que notre imagination avoit conçu une chimère. U en eA de même des environs d'une place de guerre, dn campement d'une armée, d'un champ de bataille , d'une plante Mouvelle, d'un animal extraordinaire, d'ime machine , enfin de tous les ob- jets fur lefquels la curiofité peut s'exer- cer. Il faut des figures pour faire eni> tendre fiu-ement & diuin^temeat les livres les pIuS' méthodiques qui traitent de ces fortes de chofes. L'imagination la plus fage forge fouvent des fantômes, lorfqu'elîe veut réduire en tableau les ^efcriptions ; principalemeat quand . Thomme qui prétend imaginer , h a ja- mais va des chofes pareilles à celles dont il lit ou dont il entend ta defcrij;»* tion. Je conçois bien par exemple.,' que l'homme de guerre peut , fur une defcription , fe former l'image d'un- certain afTaut ou d'un certain campe* ment ; mais celui qui ne vit jamais ni campemens ni alTauts , ne peut s'en faire une juAe image Air des relations. Ce n''cft que par rapport aux chofes que nous avons vues , que nous pou-
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'4li RijUxîons mà^iut
Tons imaginer arec quelque préâ&oii
celles qu'on nous décrit.
Vitruve n'a pas écrit fon livre de l'Architeâure avec autant de méthode & de capacité qu'il l'a fait^fans Vavme •écrit en même tems avec tonte la clar- té dont ion fujet eft fuTceptible. Ce' fondant il eft arrivé que les %ures dont Vitruve avait accompagné tes ex- -ptications , s'étant perdues , la plupart de ces explications paroïflent obfcu' res aujourdTiui. Les fçavarts difputem donc fur le fens d'un grand nombre de paffages de Vitruve ; mais ils tombent ■tous d'accord que fon texte feroit clair, fînousavionsfes figures. Quatre lignes tracées fur le papier, concilieroieqf ce que des volumes entiers de com- ■mentaires ne fçaoroient accorder. Les Anatomiftes les plus experts tombent auili d'accord qu'ils anroient peine à concevoir le rapport d'une nou- •Telle découverte , fi l'on ne joignoit ime figure à ce rapport. Vn des Proverbes Italiens, dont l'ufage eft le plus fréquent , efl qu'on fait tout ■concevoir à l'aide d'un deffein , d'une figure.
Les Anciens prétendoïent que leurs
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fiirlaPoëJîe & fur IttPdmurt^ ^| i£vimt^s avoient été mieux, fervie» par les Peintres & par les Sculpteurs ^ que par tes Poètes. Ce flirent , feloa eux, les tableaux & les ftatues qui condlierent à lein-s dieux la vénéra- tion des peuples, aufquelsils firent faire attention fur les merveilles que les ' Poètes racontoient de ces dieux. L% iUtue de Jupiter Olympien fit ajouter j(bi plus tellement a la fable qui lui iàifbit difpofer du tonnerre.
Si P'ininm Ciuj maquam piaxijfit Âppellrl , Mtrfi fui a^umtit illti Uttrtc aquit. (i)
Pour alléguer des faits plus pofitifs ^ lorfqu'on brûla le corps de Jules Cefar , il nV avoit perfonne dans Rome qui ne fe fut fait raconter les circonfïances. de fatTaffinat de Céfar. Il n-'eft pas croya- ble qu'aucun habitant de Rome igno- rât le nombre de coups dont Céfar avoit été percé. Cependant le peuple fe eon- tentoit de le pleurer. Mais tout ce peu- ple fut faifî de frayeur , dès qu'on eut ' étalé devant lui la robe fanglante dans, laquelle Céfar avoit été mafTacré. It fembloit , dit Quintilien , en parlant du pouvoir de l'œil fur notre ame^
M Ovid. it Artt *m. lib- i-
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414 Réflexions emîqjui
qu*on affaffinât aâuellement Céfar déî Tant le peuple (a). Stiebatur interfe3um tum. yejiis tamenilla fanguinemadens ita rcpreferttavii imaglnem fceUris , uz non oc~ tijits ejft Cajar , ftd tum maximi ocçidi vi~ éeretur.
Dn tems des Romains , ceux qut avoient fait naufrage ^ portoient , en demandant l'aumône , tm tableau , dans lequel leiu* infortune éloient repréfen- tée , comme un objet plus capable d'é- mouvoir la compajTion , & d'exciter à la charité, que les relations les pfus pathétiques qu'ils pouvoient faire de leiirs malheurs. On peut s'en rapporter aux lumières & à l'expérience des hom- mes , dont la fubâftance dépend des aumônes de leurs cpnciKyyens , fur les voies les phis ï«-crpres , fiir les moyens les plus efficaces d'atteodrijr le cœur h[> main.
On peut faire cxmtremonfentïment, ime objeftion dont on conclueroit que les vers touchent plus que les tableaux. C'eft qu'il eft tr^-rare qu'un tableau faffe pleurer ; & que les Tragédies font fouvent cet effet , même fans être des ^hefs-d'œuvres.
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fur la Poëjîe &fur la Peinture. 41% Je puis répondre deux chofes à cette obj eâion. La première , qu'elle ne con- clut pas abfoliiment en faveiu' de la Poëfie. Une Tragédie qu'on entend ré- citer fur le théâtre, fait fon effet à l'aide des yeux. Elle sik aidée par des fecours crrangers dont nous eîtpoieroiis tantôt le pouvoir. Les Tragédies qu'on lit en particulier , ne font guéres pleurer , principalement ceux qui les lifent , fans les avoir entendu réciter auparavant. Car je conçois bien qu'une lefture par- ticulière qui n'eft point capable par elle-même de faire une impreffion , qui aille jufqucs aux larmes , eft capable de rcnouveller cette impreffion, lorf^ qu'elle a été faite une fois. Voilà mê- me, (ïiivant mon opinion, pourquoi ceux qui n'ont fait que tire une Tragé- die, & ceux qui ont entendu réciter la pièce fur le théâtre , font quelque- fois d'un fentiment oppofé dans le ju- gement qu'ils en portent.
Je réponds en fécond Keu , qu*une Tragédie renferme une infinité de ta- bleaux. Le Peintre qui fait un tableau du facrifice d'Iphigénie , ne nous repré- fente fur la toile qu'un inftantde 1 ac- tion. La Tragédie de Racine met foîi^
'4i6 Réfexîoas eiiâques
nos yeux pluHeurs inAans de cette ac- tion , & ces differens incldens fe ren- dent réciproquement les uns les autres plus pathétiques. Le Poëte nous pré- lente {iiccemvement , pour ainii dire, cinquante tableaux qui nous condui- fent , comme par dégrés , à cette émo- tion extrême , qui rait couler nos lar- mes. Quarante Scènes qui font dans une Tragédie , doivent donc nous tou- cher-plus qu'une feule Scène peinte dans un tableau ne fçauroit faire. Un tableau nerepréfente même qu'un int tant d'une Scène. Ainfi un poëme en- tier nous émeut plus qu'un tableau, bien qu'un tableau nous émeuve plus qu'une Scène qui reprêfenteroit le mê- me événement , fi cette Scène étoit détachée des autres, & fi elle étoit lue , fans que nous euffions rien vu de ce qui l'a précédée.
Le tableau ne livre donc qu'un aflaut à notre ame , au lieu qu'un poëme l'at- taque durant longtems avec des armes , toujours nouvelles. Le poëme eft long- tems à ébranler l'ame, avant que de la conduire a l'émotion qui la fait pleu- rer. Racine , pour nous faire frémir d'horreur, lorfqu'Iphigénie fera con^
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fur la Poêfit & fur la Pànture. 417- Alite à l'autel fatal , nous la peint ver- tueufc , aimable & chérie d un amant qu'elle aime. Ce Poète nous fait palTer par diSerens dégrés d'émotion ; &e pour nous rendre plus fenfiblesaux malheur» de la viâime, ilnouslaifTe même ima- jginer durant un tems qu'elle eft échap* pée au couteau du Sacrificateur.
Un Peintre qui repréfente l'inftant OÙ l'on va plonger le fer facré dans la gorge d'Iphigénie , n'a pas l'avanta- ge d'expofer ion tableau devant des îpeâateurs auflî bien préparés , & rem- plis d'amitié , & d'une amitié récente pour cette PrinceiTe. II peut tout au plus nous intéreffer pour elle ; ma;s il ne fçauroit nous la rendre anili chère que le Poète peut le faire. La grandeur 4'ame , |ous les fentimens élevés d'un bon naturel que le Poëte peut nrêter k Iphigénie, nous affeâionncnrhien plus à unperfonnagede Tragédi&,que les qualités extérieures dont unTfein- tre peut orner le perfonnage d'un ta- bleau, ne nous aneûionnent àceper-» fonnage qui ne parle prefque pas. Voi- là pourquoi nous fommes plus émus paruntableauque par un poème, quoi- que la Peinture ait plus d'en^ire fuc BOUS que la Poefie..
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4t8 RiJUxiom critiques
L'efpece de parallèle que je viens de faire , n'eft pas auffi rempli d*éruditîoa que fa comparaîron de la Peintrtre & de la Poëfie qui (e trouve dans le fçavant livre de du Jon te fik , fur la Peinture des Anciens ; mais je m'imagine que mes réflexions vont mieux au fait que l'érudiriondecet Auteiff. (a)
L'induftrie des hommes a trouva quelques moyens de rendre les ta- bleaux plus capables de faire beaucoup d'impreflîon fur nous. On les vemif. On les renferme dans des bordures dorées qui jettent un noirvel éclat fur les couleurs , & qui femblent , en fé- parant les tableaux des objets voifins, réunir mieux entr'elles les parties dont ils font compofés , à peu prés comme il paroît qu'une fenêtre raffemble les diffémns objets qu'on voit par fon ou- verture. Enfin quelques Peintres des plus.iaodernes fe font avifés de placer dans les compofitïons deftinées à être vues de loin , des parties de figures de ï'onde bofl'e qui entrent dans l'ordon- ilance , & qui font coloriées comme les autres figures peintes entre lef- quelles ils les mettent. On prétend qu^
(1} JuaÎBt, il piS' va. l, 4. (• Il '
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fur la Poïfif Sffuria Ptmturt. 4i(^ l'œU gui voit diAihâement ces parties de Tonde bolTe faillir hors du tableau , en foit plus aiiement fcduît par les par- ties peintes , lefquelles font réelle- ment plates , & que ces dernières font ainii plus facilement l'illufion à nos yeux. Mais ceax qui ont vu la voûte Jde l'Anoonciade de Gènes & celle du jefus à Rome , oh l'on a fait entrer des iîgnres en reli^ dans l'ordonnance , ne trouvent point que l'effet en foit bien merveilleux,
L'induftrie des hommes a beaucoup inîeux feivi les vers que les tableaux, pile a trouvé trois manières de leur prêter une force nouvelle pour nous plaire ÔC pour nous toucher. Ces trois
■ manieresïontlafimplefécitation, celle qui eft accompagnée des monvemenj • 4u corps , laquelle on nomme- dççls--
* mation , & le chant.
^ S E C T I O N X L I.
"'j JDe la fimpU ricitation ^ de la diUlamaùont
; .1 y F S premiers hommes qui ont fait ''* dci vers , ont dû s'appercçvoir que Ig.
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'j^yo RiflextoTU eritifus
récitation donnoit une force aux vert qu'ils n'ont pas , quand on les lit foi- même fur le papier où ils font écrits. Ils auront donc mieux aimé réciter leurs ▼ers que de les donner à lire. L'har- monie des vers qu'on récite , flatte Foreille , & augmente le plaifir que le fens des vers cil capable de donner. Au contraire , l'aâion de lire eft eu quelque &çon une peine. Oeft une opération que roeil apprend à fei- re par le fecours de l'Art , & qm n'efl pas accompagnée d'auain ferai- Aient agréable , comme efl celui qm naît de l'application des yeux fur les objets que nous offrent des tableaux.
Ainfi que les mots font les fignes ar- bitraires de nos idées, de même les différens caraâeres qui compofent l'é- criture , font les fignes arbitraires des fons dont les motsfont compofés. Il eff donc néceâaire , quand nous llfons des vers , que les caraâeres des lettres ré- veillent d'abord l'idée des fons dont ils fe trouvent être les fignes arbitraires ; & il fàm enfuite que les fons des mots ,
2ui ne fe trouvent être eux-mêmes que es fignes arbitraires, réveillent les idées attachées à ces mots. Avec quel-
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Jttrla Poijie & fur la Peinture. 43 1 que vîtefTe & quelque ikctlité que ces opérations fe faflent , elles_ ne fçau- roient fe faire aufli promplement qu'u- ne feule opération. C'eft ce qui arrive dans la récitation, oiilemot que nous entendons réveille immédiatement l'idée qui eft liée avec ce mot.
Je n'ignore pas qu'une belle édition,' dont les caraàeres bien taillés & bien noirs , font rangés dans une proportion élégante fur du papier d'un bel œil , ne faue un plaifir fenfible à la vue ; mais ce plaiiir plus ou moins grand , fui» vant le goût qu'on peut avoir pour l'art de l'Imprimerie , eft un plaifir à
fart , & qui n'a rien de commun avec émotion que caufe la Icfture d'un poëme. Ce plaifir ceffe même, dès qu'on applique fon attention à la lec* ture , & l'on ne s'apperçoit plus alors de la beauté de l'impreffion que par la facilité que les yeux trouvent à recon- noître les caractères , & à raffembler les mots. Confidérer le Virgile des Elzcvirs comme un chef-d'œuvre d'im- preiÏÏon , ou lire les vers de Virgile pour en fentir les charmes, ce font deux aâions très-diftinftes & très- diâférentas. Il s'agit ici de la dernière.
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4.J3. Réflexions tr'aîquts
Elle n'eft pas ua plaUir par elle-même^
Elle eft fi peu un plaifir ; elle nous fait fentir fi peu l'harmonie du vers , cju£ rinAiaÛ nous porte à prononcer tout haut les vers que nous ne liibm que pour ■ncus-mêriles , loriqu'il nous lemble que ces vers doivent être nom- breux &c harmonieux. CeA im de ces jugemens que refpnt fait par une opé- ration qui n'eft pas préméditée , & que nous ne coonotiTons même que par une réflexion qui nous fait retourner, pour ainli dire , mr ce qui s'«ft paffé dans nous-mêmes. Telles font ia plu- pari des opérations de l'ame dont nous avons parlé . & la plupart de celles dont nous devons parler encore,
La récitation des vers eft donc un plaifir pour nos oreilles , au lieu que leur le£lure ell un travail pour nos yeux. En écoutant réciter des vers, nous n'avons pas ■ la peine de lire , âc nous Tentons leur cadence &C leur har- monie. L'auditeur eA plus indulgent que le leûeur, parce qu'il eft plus fia- te par les ver^ qu'il entend, que l'autre par ceux qu'il Ht. N'eft-ce pas recon- ^loître que le plaifir d'entendre la réci- tation en impofe à notre jugement, que
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JurlaPoëfie&furUPtmture. 435 qwe de remettre à prononcer fur le mé- tite d'un pqëme qui nous a plû , en l'en- tendant réciter jiifques à la leâure que nous en voûtons faire , comme on dit , l'œil lur le papier ? Il faut , difons-nous , ne pomt compromettre Ion jugement ; 6c fouvent la récitation en impose. L'expérience que nous avons de nés propres fens , nous enfeigne donc que l'œil eftun cenfeur plus févere, qu'il eft pour un preëme un (cmtauur bien
Plus fubtil que l'oreille , parce que œil n'eft pas expoié dans cette occa- fion à fe laifîerféduire, parfonpiaifîr, comme l'oreille. Plus imouvrage plaît, moins on eft enétat de reconnoîire Si de compter fes défauts. Or l'ouvrage qu'on entend réciter , plaît plus que l'ouvrage qu'on lit dans fon cabinet.
Aufli voyons-nous que tous les Poè- tes, ouparinftinâ, ouparconnoiflàn- ce de leurs intérêts , aiment mieux ré- citer leurs vers que de les donner à li- re; même aux premiers confidens de leurs produâions. Ils ont raifon , s'il* cherchent des loiianges plutôt que des confeils utiles.
C'étoit par la voie de la récita- lion f{\xe les anciens Poètes publioieot Tomt /, T.
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4^4 Réflexions crmques
ceux de leurs ouvrages qui n'étoient pas compofés pour le théâtre. On voit par les Satyres de Juvenal (<i) , qu'il fe lormoit à Rome des affemblées nom- breufes pour entendre réciter les poë* mes que leurs Auteurs vouloient don- ner au public. Nous trouvons rnSme dans les ufages de ce tems-Ià une preu- ve encore plus forte du plaifir que don- , ne la ûmple récitation des vers quifoot : riches en harmonie; Les Romains, qui joignoient fouvent d'autres plaifin a" plaifir de la table , faifoient lire quel- quefois durant le repas Homère , in- cite ôc les Poètes eTtcellens , quoi^ la plupart des convives duflentfçavwc
f)ar coeur une partie des vers dont on eur faifoit entendre la leûure. Maïs les Romains conmtoient que le plailif du rithme fie de l'harmonie devoit fup; pléer au mérite de la nouveaiité ^ (nanquoient à ces vers.
Juvenal (i) promet à l'ami qu'il iih vite à venir manger le foir chez luii qu'il entendra lire les vers d'Homère & de Virgile durant le repa^, coiniBB pn promet aujourd'hui aux çopvi't^
t»> Satyr. prim. bftft.
Ikl Satvr T ■ '
iCoojilc
fur la Poëjù &fw ta Peinture. 45 ^f . ime reprife de brelan après le {biiper. Si mon leâeur, dii-il, n'eft pas des plus habiles dans là proféf&on , les vers ' <iu'il nous lira , font fi beaux, tju'ilsner laifleront pas de nous &ire plailîri
WoJIrj iihunt alioi hoiii caMÎvU ludoi , Cjtiavr Rxado) ctiaahimr ncqiu Minini'i Ale^oià, iabiam facitiati carTaÙKtfslaam i ^uii r^fin lalti Krjia fiU vKf Itgioaai
Dés que ïa- fimple -récitation ajoute tant d'énergie au poëme , il eft fecile de concevoir quel avantage les pièces qui fe déclament fur un théâtre , tirent dfe la répréfentation- (a) Scemci ABons cptimis Poïtarum tantkm adjidunt gra- tis t ut nos infinité magii eadtm iUa su~ dîta quàm U^a dthUcnt , & viiiffimis eeiam qutbufdam impétrant aures , ut qaibus rml- lus tjiîn bibliothtcis locus jjît tciam in tkea- .tfis. Si ceux qui trouvent les Comédies deTérence froides , les avoient vu re- piféfenter par des Comédiens , qui met- toient du moins autant de vivacité dans ■ leur aftion que les Comédiens Italiens, ils changeroient de fentiment. Pour re- venir à Quintilien : Qui voudroit met- tre dans fon cabinet Us vendanges de Surent , s'il falloit &ire copier cette (1) la^. Otoc. va, t. u
Tij
43^ JUflexioTts critiqua
Comédie , comme il auroît &Ilu la faire copier de fon tems , que Tart de l'impreffion n'éioit pas encore inven- té ) Cependant la repréfentation de cet- te farce nous divertit.
L'appareilde la Scène nous prépare à être émus , 6c l'aâion théâtrale donne une force merveilleufe aux vers. Com- me Féloquence du corps ne perfuade pas moins que celle des paroles ; les ceAes aident intîniment la voix à faire Ion imprelTion. L'inftinâ naturel nous l'apprend , en nous enfeignant que ceux qui nous écoutent parler , fans nous voir, ne nous entendent qu'à demi. Ea ejFet la nature a alTigné un air de vifa- ge & vm gefte particulier à chaque paf- fion , à chaque fentiment. a ) Ornais grfim m ^tus animi fuum quemdam à rut- turdhaba vuliutHy & funum^ & gefium. Chaque paffion a de même un ton par- ticulier &{. une expreffion particulière fur le vifage.
Le premier mérite du Dcclamateur, efl celui de fe toucher lui-même. L'é- IDOtion intérieure de celui qui parle Jette un pathéti[|ue dans fes tons 8ç dans fes geftes , que l'^rt & l'étudç n'y
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fur la Poèjîe ùfur la Pàtitare. 4 ff tfçaxiroientmettre.On eftprévenu pour l'Afleur qui paroît être éma lui-même. On fe prévient contre celui qu'on re- connoît n'être point ému. Or je ne Içai quoi de fi-oiddans les exclamations , de forcé dans le gefte ôcdegênédanslacon- tenance, décèlent toujours l'Aâeur in-r dolent pourun homme que l'artfetfl fait mouvoir, & qui voudrolt nous faire pleurer , fans reffentir lui-même aucu- ne affliÛion ; caractère odieux , & qui tient quelque chofe de celui d'iinpof- teiu*.
Si vil mtfitrt , ioUnium ifi Primùm ifjî liji. •
Tous ceux qui exercent un de ces arts dont le but eft d'émouvoir les au- tres hommes , doivent s'attendre d'être jugés luivant la maxime d'Horace : que pour faire pleurer les autres, il faut être affligé. On imite mal une pallion qu'on ne feint que du bout des lèvres- Pour la bien expritner , il faut que le coeur en reffente du moinsquelque 14-; gère atteinte, (a) Nu agamus rem ijuafi tUimam , fed ajfumamus panunptr illitm- dolorem.
Je conçois donc que le génie qui for^-
(«) Quùii. Jib. t. Mf.frim,
Coogic
4)8 Rifitjàons criàquts
tne tes excellens Déclamateurs ^ c<ja^ fiAe dans me fenfîbiltté de cœur , qui les fait eiurermachinalement,iBais avec aâeâion, danslesTentimeDsclelenTper' fonnage. 11 cwi&fte dans une difpolitioD mécanique à fe prêter ^citement à ton- tes les payons qu'on veut exprimer. Qutiitilien qui avok cru que ia pro- feiEon d'enfeigner l'art d'être êioqoeat, le niettoit dans l'c^ligation d'étudkr les mouvemens du cœiir humain , du iBoins autant que les règles de la Grammaire , dît que l'Orateur qui tou- che le plus , c'eA cehii qui fe toncbe lui-même davantage, (_a) Imagiaesn- Tum ^uifyuis béni eoA^^erk; is trit ta affccîihus patemiffimus. Dans un. autre «ndroit il dit , en {>arlantde rinùtatÎM 4es mouvenœns des paflîons que &ic J'Orateur dans fa dédaaiation , ou <& ^tffc3ibus qua eJ^aguHUir imitatione; que l'eflentiel pour k Déclamateur * c'ell de s'échai^ï l'imagiBatton , en fe ne- préfeuant vivement à lui-mâme let objets de la Peinture , defquels il pré- tend fe fervir wœ émouvcnr les au- très ; c'eft de ie mettre à la place de ceux qu'il veut &ire parler, [k) Priimim
(•)QuinrJ.«.r.i. ■ (b)£ût.J. II. (.1.
furlaPo'iJît éjîir la Peinture. 459 *fi béni affid , Sf concipere imagims r^
■ rum , & tanquam veris movtrî.
Tous les Orateurs & tous les Co- médiens que nous avons vu réuflîr émi- nemment dans leurs profeffions, étoîent des perfonnes nées avec la fenfibilité dont )e viens de parler. L'Art ne la
■ donne point. Sans elle néanmoins, le beau Ion de voix & tous les autres ta-
■ lens naturels ne fçauroient former un graiid Déclamateur. Onpeut&ire dans tous les tems fur les bons Adeiirs la même obfervation que Quintilien fai- ibit fur ceux qui jouoient de fon tems.
_ C'eft que ces Aâeurs avoient encore ■les larmes aux yeux au fortir de la Scè- ne , lorfqu'ils venoient d*y jouer quel- -que endroit bien intéreirant( £) , Kidi *gofape Hifirioms aiqut Omutt^^cùm ti ^quo graviore a3u perfonam depéfuifféat^ fientes adhuc egredi.
Comme les femmes ont une fenfibilii- té plus foudaine , &: qui eft plus à la dif- pontion de leur volonté , que la feiUî-' bilité des hommes'; comme elles ont,'
i)Oiu'parlerainfi, plus^^fouplefledans e cœur que les hommes , elles réufTif- £flent mieux que les hommes à ^e ce
Tiv
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;44û Rijlexions critiques
que.Qtimtilten exige Ae tous cetntqm veulent fe mêler de déclamer. Elles fe touchent plus facilement qu'eux , des ~ pallions qu'il leur plaît d'avoir. En un mot , les hommes ne lé prêtent pas d'auf- fi bonne grâce que les femmes , aux feiv- timens du perfonnage qu'ils veulent jouer. Ainfi quoique les hommes foient plus capables que les femmes d'une application forte & d'une attentiçm .Ûiivie ; quoique l'éducation qu'ils re^ .çoivent , les rende encore plus pro- pres qu'elles à bien apprendre tout ce que l'art peut enfeigner , on a vii néan- moins depuis foixante ans fur la Scène Françoife un plus grand nombre d'Ac« trices excellentes que d'excellens Ac tgurs. Depuis que le théâtre de TOpe- ra eft ouvert en France", on n'y a point vu d'hommes exceller dans l'art de la déclamation propre pour accom- pagner une récitation ralentie par le chant , autant que Mademoifelle Ro> dio'ix.
fur la foifii &fiir la Pttniare. 44* ,
SECTION XLII.
^e notrt mamere dt ricittr la Tragédie ■ & ta Comidie. 1
X^ u I S Q VE le but de la Tragédie eft. d'exciter la terreur & la compaflion ; pwifqiie le merveilleux eft de l'effence de ce Poëme , il faut donner toute la dignité podlble aux perfonnages qui la repréfentent.Voilàpourquoi l'on ha bille aujourd'hui communément ces perfon- nages de vêtemens imaginés -à plaifir , Se dont la première idée eft pnfe d'a- près l'habit dé guerre des anciens Ro- mains , habit noble par lui-même , &C qui femble avoir quelque part à la gloi- re du peuple qui le portoit. Les habits des Aârices font ce que l'imagination. peut inventer de plus riche & de plus majeihieux. Au contraire on fe lert des habits de vilU , c*eft-à-dire , de ceux quî font communément en ufage ; pour jouer la Comédie.
Les François ne s'en tiennent pas aux liKibits pour donner aux Aâeùrs de la TragéfÙe la noblefie £c ta dignité qui Tv
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441 ~ Rifiexions criaques leur conviennent. Nous voulons eo^ core que ces Aâeurs parlent d'un ton de VOIX pins élevé , plus grave & plus foutenu, que celui iur lequel on parle dans les converiations ordinaires. Tou- tes les négligences que Tufage autorife dans la prononciation des entretiens &- mîliers, leur font înter<tites. Cette ma- nière de réciter eft plus péniUe , à la vérité, que ne le feroit une prononda- ùon ap(»ochante de celtes des conver- fations (H-dinaîres : raais outre qu'elle a plus de dignité y elle eft encore plus avantageufe pour les Ipeâateurs , au par i<m Kioyen , entendent mieux les vers. Les Ipeâateurs , qui la plupart font aâez éloignés du théâtre , auroient trop de peine i iMen entendre des vers tragiques dont le âyle eft %uré , s'ils étoient récités plus vite & ]^us bas , fur- tout IcMfque ces fpeâateurs verroient une pièce pour la première fcns. Une partie des vers lenr ét;lia{^>eroit ; Se ce qu'ils auroient perdu , les en^>êche- rwt fouvent d'être touchés de ce qu^ils entendroient. Il faut encore que les gef- tes des Aâenrs tragiques foient plu^ mefurés & (rfus nobles ; que leurs dé- marches foient grzve&i Se. que leur
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'far la Poêfie &fur la Ptlnture. 44^ tcontenance foitplus lerieufe, que les ^eAes , les démarches & le maintien de? perfonnages de Comédie. Enfin nous exigeons des Aâeurs de Tragé- die , de mettre un air de grandenr & de dignité dans tout ce qu'ils font , commet nous exigeons du Poète qui lés faitpv 1er , de le meOre dam tout ce ^qii'il leur ^t diie.
■ Auffi voyons -nous qu'au {eMimeat général des peuples de l'Europe , les François font ceux qui rénffinent le nûeux aujourd'hui dans la rcpréfema-' tion des Tragédies, (a) Qvotia Mfuffit Mfnuiaiio yfacatdit humaaitas, Leshaliens qui nous rendent juâice fans trop de^ répugnance, quand il s'agit des arts. 6t des talens , oiiils ne fe piquait pas d'ex- celler, difent que notre déclamation tragique Jetir doniie une idée du chant eu de la dédamation théâtrale des An- Àens, que nous avons perdue. En étfety à juger de la déclamation des-ftomains ^ & ^ar conféquent de celle dès Gxec» fsa la Scène , par ce qu'en dit Quinti*^ lien y la récitation des Anciens devoir 'être audqnè chofe d'approchant de no- tre déclamation tragiqift. LaScètie des
.(a) Çirint.I,ïi,Mp.prim. '
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^44 Riftxums amtptti .
Romains, s'était fonnée fur celle deà Grecs.
. C'eâ de qnoi nous parierons plus au,' loi^ dans le traité de la Mufîque dès- Anciens , qu'on ttouvera à la fin de cet Ouvrage.
• Il ellafiezétaUi en Europe, comme. fe l'ai àéja. dit, que les François , qui depuis cent ans comporeot les meilleur res pièces dramatiques qui paroiâent aujourd'hui , ibnt auâi ceux qui réci- tent le nùeux les Tragédies , & qui fça- vent les repréfenter avec le plus de décence. En' Italie , lesAâeurs récitent la Tragédie du même ton & avec les msiKes geAes qu'ils récitent la Ccmié- die. Le Cothu/ne n'y eâ presque pas di& fôrent'du Socque. 0ès que les Aâeurs Italiens veulent s'animer dans les en- droits pathétiques, ils fonCioutrés aui^ fi.-tôt. Le Héros devient ua Capùan,}^' oedirai qu'un jnot des Tragédies des Poètes Italiens faites pour être décla-, mées. Elles font autant au-deiTous deSt pièces de Corneille & de Racine ^ que tes. moins mauvais de nos Poëmes^é^
Sues ibnt au-defib>us du Roland^rksx ; d'Ariofle fic<de la.Jértiff^ lié/ivrée du Taffe. Ou par d?fefpoir d'y réuiEr,
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JuT îa Poëfe Srfur Î4 Pàrtture' 1^^%, bu par d'autres motifs que je ne devine point, il paroît que les Italiens négU-*. gent depuis longtems la Poefie drainar^ tîque. La Mandragore de Machiavel^ l*ime des nieilleures Comédies qiiï ayent été faites d&pnis Térence , 6s. qu'on ne prendroit jamais pour ttnei . produâion d'e^nit née dans le même, cerveau, oh font éclofes tant de r^ flexions ii profondes fur la guerre , fiur la politique , & principalement fur les conjurations , eu demeurée en Italie une piéct unique en fa ctaife. La Cli- tie du même LAuteur lui eft bien infé- rieure, le ne croîs pas que durant le cours du dix-feptiémefiécle , les Préffes d'Italie nous ayent donné plus d'une trentaine de Tragédies faites pour être déclamées; elles, qui dans ce tems-là mirent au jour tant d'ouvrages d^efprft. Du moins n'en ai-je pas trouyé un plus grand nombre dans les Catalogxïes de ces fortes d'ouvrages , que des Italiens illullres dans la R^ublique des Lettres ont donnés depuis vingt ans , à l'occa- fion des difputes qu'ils ont foutenues poiu- l'honneur de leur Nation. •
Les Poètes dramatiques Italiens né-, pompofent plus guéres que des Opéra ^
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^4^5 "^ifivqons criàqua
en comparaÎTon defqueU toute Itx^ roçc ait que les bons Open Françtns ibnt des chef-^'oeuvies d'eijnît^ de bon Tens & de r^ularité. M. TAbbé Gravina £t imprimer à Naples , il y a environ trente ans , cinq Tragédies compoiees & faites pour être décla- mées. Ce font Palamede , Andromède ^ Appius Claudius , Painnien & Servius TuUius. U (e pbàat eicg»nment dans la Préface en vers qu'il mit à la tête de ces Tragédies « que Melpomene , potv «uï la Sc^e fut inventée , n'y panù^ ié [Jus en Italie que oomme une fui- Tante de Polynuiie; enfin qu'elle jk s'y montre plus que comme la vile eiidave de la Peinture , de la Mofique & de U Sculpttire. .
■ E in vraiFaiBfrjrltftirit proprie
■ Debhi le far^t aii^nr it gV ait^i t m Guaeri , Pictfri i Stataarii ,
Di fiuli è iirrma» OTuilla igiutiU *
Clinditfapralorohalfwnnui in^tna, E Safra le Sceni ha minar pane ti il^ma • l^ueltaptriuiltSctntt'i
. Dans une autre contrée de l'Europe , le pathétique de la déclamation tragi- que confiftoit encore îl n'y a que qua- rante ans , en des tons ftuieux, eu mi'
...Xéoylc
fur la Poêjîe &far U Pàntttnl '44^ Maintien Dunionie,oubiene6aré, &
dans des geAes de forcenés. LesAâevirs de la Scène tragique y dont je parle; ^toient dilpenfes de noblefle dans leur geAe y de mefure dans leur prononcia- tion , de dignité dans leur maintien , 6c de décence dans leurs démarches. U fuffiToit qu'ils Meitt parade d'aune mor- gue bien noire & bien fombre', ou qu'ils panifient livrés à des tranfports de f\i- xeuF qui les BlTent éxtravagner. 5ur cc théâtre y il étoit permis à Tuks CéTar «le s'arracher les cheveux , ainfi que 1« feroit un homme de la lie du peuple i pour exprimer fa colère. Alexandre ; pour ihieux marquer fon emportement ^ y pouvoit frapper du pied , démonifa'a- tion que nous ne permettons pas aux Ecoliers qui jouent la Tragédie dans nos Collèges.
Dans un autre pays , tes Héros font entièrement avilis par des choies baf- ies ou indécentes qu'on leur fait &tre fur le théâtre. On voit fur la Scènes dont je parle ici , Scipîon fumer une pipe de tabac , éc boire dans un pot de bière fous fa tente , en méditant le plan de la bataille qu'il va donner auj( Carthaginois,
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^4^ Rijtexhms mtîqua
- Je ne parlerai point ici du théâtre Flamand , parce que dans le tragique ^. il ne fait prefque autre chofe que de copier la Scène Françoife , dès le tems oîi l'on y repréfentoit les Comédies de la PaOion, Les Comédiens Flamands ont uft petit nomtwe dé Tragédies ori- ^nales , ^ leur déclamation eft feule- ment un peu moins chantante Se mcnns Bnimée que celle des Comédiens Fran- çois.
Nonifeulement notre Scène tragique eft noble , mais elle eft encore purgée de tous les appareils fiivoles ; elle eft dégagée de tous les fpeôacles puéri- les qui ne font propres qu'à dégrader Melpomene de fa dignité. Voici com- ment s'explique un des plus grands Poètes tragiques d'Angleterre fur la dé- cence de nos repréfentations. ( <z ) /e m fçaurois trop recommander à mes Com- patriotes, de fe conformer aux ufages da théâtre François. Les Rois & les Reines y liùjfent leurs gardes à la porte de la Scène , 6 ils y entrent fans ce cortège très-emBar- raffant , qui Us fuit far la nôtre. Je fouhtù- terois encore , tju 'à Cexemple des François^ nous voulajjtons bien banwr de nos repri-
ia) Speaauur du II Ai-rUijtt,
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fur la Toîfie &fur la Ptlntare'. 449 ykntations le fracas iaormt qu'y font les tambours, U tocftn^ les trompettes» Sf Jurtaut les cris de joie des moucheurs de chandelle & des autres gagijles revêtus , qui viennent là pour repréf enter le peuple , tintamarre qu'on entend quelque fois à gua.' tre rues delà Comédie.
Monteur Adifon , c'efl lui-même qu* je viens de citer , dit encore bien des chofes dans, cet écrit , Se dans celui
au'il publia huit jours après contre 'autres ufages communs iur le théâtre Anglois , & qui lui paroliTent avec rai" ion des ufages vicieux. Tel eft Tufage . d'y expofer les appareils des fupjdices les plus alireux, & quelauefois le ru|>> plice même. Tel eft l'urage d'y faire apparoître des fpeûres hideux 6c des fantômes horribles. Il eft vrai , fuivant fon fentiment, que les Poètes Fran- çois évitent avec trop d'atFeâation de donner dufpeaacle. Par exemple , U reprend le grand Corneille de n'avoir pas fait tuer fur la Scène Camille Ça}, Corneille , dit-il , afin d'éviter d'enfan- glanter la Scène , rend encore l'adion du jeune Horace plus atroce , en lui donnant le tems de faire quelque ré^
{li Les Ibriiett , AU. 4.
Coogic
'4f(> 'KijUxîons crîtîquà
H6don , fie cela fans fongêr qu'il doit fauver à la fin de la pièce le meurtrier defafœur. Horace feroit mmns odieux, s'il tuoit Camille dans le tems même
$ Telle profère fes imprécations contre ome. Quoiqu'il enfoit de cette ob- fervation , on ne fçauroit difconvenir, que fi la repréfentation des Tragédies teft trop chargée de fpeâacles en An« gleterre , elle n'en foit trop dénuée en France. Qu'on demande à l'Aûrice qui Joue le rôle d'Andromaque(iï), fila Scè- ne dans laquelle Andromaque prête à fe donner la mort , recommande AfHanax, le fîls d'Heaor & le fîen , à fa confi- dente , ne deviendroit pas encore plus touchante en y foifant paroître cet cn- &nt infortimé > & en donnant lieu par fapréfence aux démonflrations les plus èmprefTées de la tendrefTe maternelle qui ne fçauroient paroître &oides en «ne pareille fituation.
Il n'en etl pas de la Comédie comme de la Tragédie. Je ne crois pas qu'on
SuilTe dire que des différentes mameres ont on récite aujourd'hui la Comédie en différens pays « l'une foit meilleure que l'autre. Chaque pays doit avoir ùt,
i») Dans U Tragtdii it Raciati
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'fur la Poëfie & fur la Pùnmrtl ^Jil xnaniere propre de rëclter la CométUçJ D^ns la repréleotatîon des Com^ ^es , il ne s'agit pas de procurer de là vénération aux perfonnages introduits iiir la Scène , mais biea de les rendre reconnoilTables auxipeâateurs. Il faut -donc que les Comédiens copient ce que )eur nation peut avoir de Singulier dans Je geAe , dans le maintien & dans la prononciation. Il faut qu'ils fe mouleid id'après leurs compatriotes. Générale- mejît parlant , il eft des peiqjles qui va« ■^iest davantage leurs tons de voix^ ^ui mettent des accens plus aigus £e ^usiréquens dans leur prononciation^ & qui geAiculent avec plus d'aâivité que d*autr<es. Comme le naturel de certaines nations eu f^us vif que le jiaturel d'autres nations, l'aâion des loies eâ plus vive que l'aâion des au- tres. Leurs fentimens', leurs pafiions s'^bap^>em avec une impétuofité qu'on n'itpper^it pas en d'autres nati<»i$. Les François n'uTent point de c^tain^ ^fles , de certaines d^onArations avec les doigts , ils ne rient point com- aie les Italiens, Les Françcùs ne varient pas leur prononciation par de certains tccen^ ^uî font ordinaires en Italie ,
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ïf ift Rifiaàons entufaû
nême dans les converfations fjunilîe^ Tes. Or un Aâeur de Comédie , qui dans ia déclamation îmiteroit la pronon- ciation & la gefticulation d'an f>euple étranger, pécheroit contre la règle que nous avons rapportée. Par exemple , un Comédien Anglois qui mettroît autant de vivacité dans les geftes ;
3ui marquerait autant d'inquiétude ans fa contenance , autant de ccmten- tion dans Ton vifaee ; qui ptaceroit des exclamations au(n fréquentes dans (& prononciation , qui les feroit auffi marquées qu'un Florentin ; un Comé- dien Anglots en^n qui ioueroît comme un Comédien Italien , joueroit mal. Let Anglois qui doivent lui fervir de mo- dèle , ne ie comportent pas aînfi. Ce qui fuffit pour agiter unltalien,n'eftpasfute. {knt poiu" remuer un Anglois. Un Aa- elois , à qui l'on prononce l'arrêt qui le condamne à la mort, montre mouu d'agitation qu'un Italien que fon juge condamne à un écu d'amende.
Le meilleur Aâeur de Comédie eft. donc celui qui réulfit le mieux dans VU mîtation théâtrale de fesoriginaux, tels que puifTentêtre les originaux qu'il co-- pîe. Si les Comédiens d'un pays plaïfeaç
furlaPoîJît&furlaPeimart. 45 J plus aux étrangers que les Comédiens des autres pays , c'eft que ces premiers Comédiens feront formés d'après une nation, qui natitreilementaura plus de gentillefTe dans les manières , & plus d'agrément dans l'élocutlon , que les autres nations.
SECTION XLIII.
IQ/ze Uplaijtr qut nous avons au Tkiâtn ,* ^UJl point produit par Villujtan,
\j E S perfonnes d'efprit ont cru que l'illufion étoit la première caufe du plaiHr que nous donnent les fpeâacles & les tableaux. Suivant leur fentiment , "la repréfentation du Cidne noiii tlou- ne tant de plaifir que par l'illufion qu'elle nous fait. Les vers du grand Corneille, Tappareil de la S:ène Ôc la <léclamation des Aftetirs nous en tm- pofent affez pour nous faire croire , qu'au lieu d'aflifter à la repréfentation ce l'événement, nous alfiflons à l'é- vénement même , & que nous voyons
(filament l'aâion, & npa pas uns
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^^4 Rlfeiàmts aîàques
imitadon. Cette opinion me paroît in^ ibutenable.
n ne fçauroit y aroir d^ufion dans refprit d'un homme qui eft en ion bon fens , à moins que précédemment fl n'r 3it eu une illubon &ite à fesiens. Or il eft vrai que tout ce que nous voyons au théâtre, concourt i nous émouvoir ; mais rien i^y iàit illufion à nos fens , car tout s*y montre comme imitation. Rien n*y paraît, pour ainfi dire , que comme copie. Nous n'ani* Vons pas au théâtre dans l'idée que nous y verrons véritablement Chime- ne & Rodrigue. Nous n'y apportoiff point la prévention avec laquelle celui qui s'eft laiffé perfuader par un Magi* cien qu'il liû fera voir un fpeftre , en- tre dans la caverne où le phantôme doit apparoître. Cette prévention dif- pofe beaucoup à l'illuuon , mais nous ne l'apportons point au théâtre. L'afS- che ne nous a promis qu'une imitation ùa des copies de Chimene & de Phè- dre. Nous arrivons au théâtre , prépa- rés à voir ce que nous y voyons ; & nous y avons encore perpétuellement cent chofes fous tes yeux , lefquelles ^iaftant en inftant nous font fouveoir
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fuTÎa Poëfie & fur la Peinture. 45^ du lieu oîi nous fommes , & de ce quf nous fommes. Le ipeâateur y conler< ve donc fon bon fens , malgré l'émo- tion la plus vive. C'eft fans exîrava- guer qu'on s'y paflionne. Il i*e peut faire tout au plus qu une jeune perfonne d'un naturel très-fenfible , fera tellement tranfportée par un plaifir encore nou- veau pour elle , que fon émotion £c fa furprife lui feront faire quelque ex» clamation ou quelques geftes involonf taires , qui montreront qu'elle ne fait point une attention afïuelle à la con- tenance qu'il convient de garder dan* une aflemblée publique. Mais bien-tôt elle s'apperçevra cle fon égarement momentanné , ou « pour parler plus )u& te , de fa diflra£lion. Car il n ell ras vrai qu'elle ait cru , durant fon ravine- ment , voir Rodrigue & Chimene. Elle a feulement été touchée prefque aufit vivement qu'elle l'auroit été , fi réel-, lement elle avoit vu Rodrigue aux pieds de fa maîtrefle dont il vient dd tuer le père.
Il en eA de même de la Peinture. Le tableau d'Attila peint par Ra[^ël , ne tiie point fon mérite de ce qu'il nous £0 impofe a0ez poiu- nous féduire ôg
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- %^6 RèJUxhms cnàquts
^ur nous faire croire que nous voyot» véritablement faînt Pierre & faint Paul en Faîr , & menaçant l'épée à la main ce Roi barbare entouré des troupes <pi'itmenoit faccagerRome. Mais dans le tableau dont je parle , Attila repré- fente fi naïvement un Scythe épouvan* té , le Pape Léon qui lui explique cette vilion, montre une afliirance fi noble & un maintien fi conforme .à fa dignité; tous tes al£flans reflemblent fi bien î des hommes qui fe rencontreroieot chacun dans la même cïrconiïance oh Raphaël a fuppofé fes différens per- (bnnages , les chevaux même concou* rent iî bien à l'aftion -principale ; l'imi- tation eft fi vraifemblabLe , qu'elle fait fur tes fpeôateurs une grande partie de l'impreffion que l'événement auroit pu làire fur eux.
On raconte ( a ) un grand nombre d'hifloires d'animaux , d'enfans , & mê- ■ me d'hommes faits qui s'en font laifTé impofer par des tabteaux , au point de les avoir pris pour les objets dont ils n'étoient qu'une imitation. Toutes ces perfonnes , dira-fon , font tombées d^ns l'illuûon que vous regardez cont- ra) piiiu> Ui.j.c>ia.
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fur UPoëfii Sf fur la TUntun, '■i^^y itne impolTible. On ajoutera que plu- lïeurs oifeaux fe font fi'oiffé la tête con- tre la perfpeâive de R«el , trompés par fort ciel , lî bien imîtë qu'ils ont cru pouvoir prendre l'effor à travers. Des hommes ont fouvent-adrelié la [r-arole à des portraits , croyant parler à d'au- tres Jwmmes. Tout le monde fçait l'hif- toîre du portrait de la fervante de Rem- brandt. Il l'avoit expofé à ime fenêtre oit cette fiUe fe tenoit quelquefois , &c les voifms y vinrent tbur à tour pour feire converfation avec la toile.
Je veiTx bien tomber d'accord de tous ces faits , qui prouvent feulement que les tableaux peuvent bien queU quefbis nous faire tomber en illufion , mais non pas que l'illufion foit la four- ce du plaifir que nous font les^ imita- tions Poétiques ou Pittorefques. La preuve eft que le plaifir continue , qiiand il n'y a plus de lieu à la furprife. Les tableaux plaifent fans le fecours de cette' illufion , qui n'cft qu'un inci- dent du plaifir qu'ils nous donnent^ & même un incident affez rare. Les tableaux jrfaifent , quoiqu'on ait pré- fent à l'efprit qu'ils ne font qu'une toile fur laquelle on a placé des cou* ïomeh V
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J^^t Rifexîons enàjtus
leurs avec art. Une Tragédie touché «eux qui connoiflent le plus diflînÔe* ment tous les refibrts que le génie du Poëte & -le talent du Comédien meti tent en oaivre pour les émouvoir.
Le plalfir que les tableaux & les poè- mes dramatiques excelléns nous peu- vent faire , çA même plus grand , lori^ que nous les voyons pour ta féconde fois, & quand il n'y a plus lieu à Til- luûon. La première f<MS qu'on les voit y on eft ébloui de leurs beautés. Notre efprit trop inquiet & trop en mouve- ment pour fe fixer fur nen de par- ticulier , ne jouit véritablement de rien. Pour vouloir parcouiir tout fiC vcMr tout, nous ne voyons rien dif- tinâement. Il n*eft perfonne qui n*ait expérimenté ce que j'avance , £ ja- mais il lui eâ tombé dans les mains quelque livre qu'il fouhaitât avec beau- coup d'impatience de lire. Avant que d'en pouvoir lire les premières pages avec une attention entière , il lui a faWvi parcourir fon livre d'un bout à Tautre. Ainfi quand nous voyons une belle Tragédie , ou bien un beau ta< bteaUf^pour la féconde fois, notre efprit ^A plys capable dç «'arrêter fur les pan»
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fur la Poëjîe ^far la Ftbuurt. 4^ 9 ^es d'an ob^et qu'il a découvert & paiy couru en entier. L'idée générale d^ l'ouvrage a pTÎ>i fon affîette , pour ainJî ^ire , dans l'imagination ; car il faut <ju'une telle idée y demeure quelque lents avant que <l'y bien prendre ia piaf- fe. Alors rârpritfeiivrefànsdiftraâioii -à ce qui le touche. Unctu-ieux d'Archi- Xe£lure n'exaniine une colonne , & 'i ne s'-arrête fur aucune partie d'un Pa- lais , qu*apr^ avoir donné le coup-d'aU À toute la malle dit bâtiment , qu'après avoir bien plaûé dans Ton imaginatioA ridée diiliBâe «le ce Palais.
SECTION X L I Y.
■Çae its Poèmes Ardmàtiquts purgint &* pdffiotts.
J Lfuffit dé bien connc^irelespaffion» violentes, pour defirer rérieufement de p*y jamais Srre affujetti , & pour pren- -dre des réfolutions qui les empêchent, ■du moins , de nous fubjnger fi facile- ment. Un homme qui fçait quelles \n- îqiiîémdes {a palîîon de l'amour eft ca- ■pablie 4e catoer ; un homme qui fçtiit Vij
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^ ËD RijUxîons criûqaa
à quelles extravagances elle conduit les plus Cages , & daos quels périls ella précipite les plus circonfpeâs « defirera trèsférieufementde n'être jamais livré k cette y vreffe. Or les Poëfies drama- tiques , en metunt fous nos yeux les égarcmens où les palSons nous condui- sent , nous en font connoître les fymp- tomes & la nature plus fenlîblement qu'im livre ne fçauroit le faire. Voilà pourquoi Ton a dit dans tous les tems, que la Tragédie purgeoit les paflioos. Les autres Poèmes peuvent bien faire quelque effet approchant de celui de Ja Tragédie : mais comme l'impretSon qu'ils font fur nous , n'eft point à beau^ coup près auâi grande que l'impre^îoa que la Tragédie fait, à l'aide du théâtre, as ne ron^pa^aufEefS,cacesquelaTnh gédie pour purger les paffions.
Les hommes avec qui nous virons i nous laiflent prefque toujours à devi- ner le véritable motif de leurs aâîons, & quel eft le fond de leur cœur. Ce qui s'en échappe au dehors, ^ ce ouj ne paroît qu'une étincelle , vient fdur vent d'une incendie qui fait des rav^
§es affreux dans l'intérieur. Il arrive QPC fouvent q^e pous noii^ trompop;
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fur la Po'èjîe &fur la Peinture, ^ i' Wous-mêmes , en voulant deviner ce que penfent les hommes ; & plus fou- vent encore ils nous trompent eux* mêmes dans ce qu'ils nous difcnt de la fituaticn de leur cœur 6c de leur ef- prit. Lesperfonnages de Tragédie quit- tent le mafque devant nous. Us pren- nent tous les fpeâateurs pour confî- dens de leurs véritables projets & de leurs fentimens les plus cachés. Us ne lailTent rien à deviner aux fpeftatciirs- que ce qui peut être deviné ûirement & facilement. On petit dire la même chofe des Comédies;
D'ailleurs la profeffion du Poëte dramatique , eft do peindre les paffions telles qu'elles font réellement, fans exagérer les chagrin* qui les accMnpa- gnent, & les malheurs qui lés fiiî' vent. C'eft encore par des exemples qu'il nous inftruit. Enfin , ce qwi doit achever de nous convaincre de fa fin- cërité , nous nous reconnoîflbns nous- mêmes dans fes tableaux. Or la pein- ture lîdelle des pallions fiiffit feule pour noiis les faire craindre, & pour nous engager à prendre la réiblution de les éviter avec toute l'attention dont nous ibmmes capables. E n'eft pas befoîa V iîj
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'^1 Ê.if[txwHs criâqua
qiie cette peinture foît charg&. Qiâ peut , après avoir vn le Cid, ne point appr^nder (favoîr hik explication chatouilleuTe dans nn de ces motnens •h nos htuneurs (bat aigries } Quelle Téfolution ne fotme-t'on pas de ne point traiter tes affînres qui nous tiennent trop au cœur, dans ces inilans , oà iteft fi facile que Texi^ication aboutifTe 1 «ne cpierelle J Ne fe promet-on point de fe taïre , du moins dans toutes les occaiions oà notre imagination trop «mue peut nous &ire dire quatre mots , que nous voudrions racheter par un fi- lence de fîx mois ? Cette crainte des pafTions ne hifle pas d'avoàr quelque effet.
tl n'eft gu^res depaffion qui ne fbic un petit fe» diuis Ton commencement , Se qui ne s*éteigmt bientôt , fi une fufte défiance de nous-mêmes nous faiibit fait les objets capables de Fattifer. Phè- dre criminelle , malgré elle-même , eft une fable comme celte de ta naiffiuoce de Baccbus 8c de Minerve*
Qu'on ne me 6iffe pomt dire après oela , que ks Poemeis dramatiques font un remède fouverain & univerfel en morale; je fuis trop ékugné de rien
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furlaPoëfit&fwiaPiù'nturt. 4fij
E enfer d'approchant : je veux dire feu- ;ment que les Poëntes dramatiques corrigent quelquefois les hommes , 6c ' ^e fouvent iû leur donnent l'envia d'être meilleurs. C'eft ainfi que le fpec» tacle imaginé par les Lacédemoniens , pour infpirer l'averûon de l'yvrogne» rie à leur }euneâ« , faifoït ion effet, li'horretu- que la manie & l'abrutifle- inentdes eklaves,qu'onexpofoityvTi;s fiir un théâtre, donnoit aux ipeÛa- teurs , laiiToient en eux une ferme léfo* lution de réfifter aiuc attraits de ce vice.. C^lt& réfoluiion empêchoit quelques, jeunes gens de prendre du vin avec excès , quoiqu'elle ne fût point cap»< ble d'en retenir ^ufîeurs autres. 11 eA 4es hommes trop fougueux pour être retenus par des exen^es , & des pa& £ons trop allumées pour être éteintes- «tr des réflexions philoibphiques. Lx Tragédie pui^e donc les payions ï peu près comme les reme<les guériffent,. & comme les armes défeniîves garan- tiflTent des coups des armes c^enlivcs, La chofe n'amve pas toujours^ nuls .elle arrive quelquefois.
Tai (vtyooÇé, dans tout ce que je £iens de dire , la morale des pièces de Viv
...Xooyic
J^4 Kifitxtxms erîihptef
théâtfc au£î bonne qu'elle doit l'être; Les Poètes dramatiques dignes d'écrire pour ie théâtre , ont toujours regardé ^obligation d'inlptrer la haine du vice Ce l'amour de la vertu , comme la pre- mière obligation de leur Art. Ce qu* j* puis affitrer^ dit.Monfieur Racine à ce fujet (d) , c'tfi qacjf n'ai point, fait dt Tragédit où la vertu fait plus imfe aa jour qui dans celle-ci. Les moindres fiuuet y font févt>emtm punies, La feuk penfU du crime y efl regardée- avec auiant d'hôr" reur que le crime mime. Les fottlejfis d* l'amour y pajfent pour de véritahUs ffù" bleffes. Les pafflons n'y font préftniéts aux .yeux , tjue pour montrer le defordre doni-
dhs font caufe ; & le vice y efl peint par-- toutavec des couleurs qui en jont connoîtrA & kaîr la difformité. Cefi-là- proprement: h but que tout homme qui travaille pom I4 théâtre , doitjepropofer , & c'ejl et que la premiers Po'éies tragiques avaient en vue ffir toute ckofe. Leur théâtre était une école- ou la vertu rCétott pas moins hien enjeigné^ $ue dans les écoles des Philofophes, ■ Les Ecrivains qui ae veulent pas comprendre comment la Tragédie pur- ge les pafCons , allèguent, pour juftmer
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fur la Pvêjte &fier la Pànture. 46^ ïéur fentiment , que \t biit de la Tra- gédie eft de les exciter. Un peu de- réflexion leiir auroit fait trouver l'é- ' clairciffement de cette ombre de diC- ficulté , s'ils avoieni daigné !e cher- cher.
La Tragédie prétend bien que toii- " tes les pâmons , dont elle fait des ta- bleaux, nous émeuvent; mais elle ne- Veut "pas toujours que notre affeGion foit la même que l'aflèâion du perfon- nage tourmenté par une paflïon , ni que nous époufions fes fentiiDens. Le plus fouvent fon but eft d'exciter en nous des fentimens oppofés à ceiijc qu*eUe prête à fes perfomiages. Par exemple , quand la Tragédie nous dé- peint Médée qui fe venge par le meiir- we de fes propres enfans, eUe difpofe fcn tableau , de manière que nous pre- nions en horreur la paffion de la ven- feanfce, laquelle eft capable de porter des excès fi fimeftes. Le Poète pré- tend feulement nous infpirer les fenti- mens qu'il prête à ceux des pei-fonna- ges qu'il dépeint vertueux , & encore ne veut-il nous feire époufer que ceux de leurs- fentimens qui font touabîcs. Or epand on dit q*ie la.- Tragédie piit- V V
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'i^ Réfiexùms aitîqius ' ee lev pa^ns , chi entend parler feu-^ leHienc des paâioos vicieufes Se pr^u- diciaUes à la Ibcieté. Une Tragédie qm donneroit du dégoût des pâmons utiles àla fociété, telles que fctfUramoar de la patrie , Tamour de la gloire , la crainte du deshonneur , &c. feroit auffi TÎcieufe qu'une Tragédie qui reodrok le vice lûmable.
Il eft vrai qu'il eft des Poètes dra- matiques ignorans dans leur Art, & qui, fans connoilTance des mœurs, re- pi^fentent fbuvem le vice comme une grandeur (Pâme , Se la vertu comme unepetiteffed'erprit 5cdec(xur. Maïs cette faute doit être imputée i Tigno- rance, ou bien k la dépravation de rArtifan , £c non point à l'Art. On dit du Chirm^ien qui eâropie ceiK qu'il faigne , qu'il ell un mal-adroit ^ mais fa faute ne décrie point laiàjgoéâ, âc ne ^crédite pas la Chirurgie. Un Au* leur étoin-di fait une Comédie qui dé- truit un des principaux élémens de la fociété , je veux dire la perfuafîon oh doivent être le$ enâns que leurs pa- rens les aiment encore plus que ces parens ne s'aïmem eux-mêmes. Il fait rouler l'intrigue de iâ pièce fur la rufe
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fttrlaPoëjîe&furlaPâmurt:. 4S7 d'un père qui met en œuvre la fourbe- rie la plus rafinée , pour feire^ enfer- mer fes enfans qui (ont bien nés , afin de s'approprier leiu- bien , & d'en jouir avec fa maîtreffe. L'Aute\ir domie par- le , expofe ce myftere d'iniquire fur la Scène comique , fans le rendre plus ©dieux qiie Terence cherche à rendre odieux les tours de jeune ffe des Efchi- nes & des Pamphiles , que le bouillant de l'âge précipite , malgré leurs re- mords , dans des foiWeffes que le moit» ^e excufe , de dont les pères eux-m^ mes ne font pas toujoiu^ aitifi défafpé^ rés qu'ils le difent. D'ailleurs l'intri- gue des pièces de Térence finit par un cÙnouement qui met le fils en état de fatisfaire à la fois fon devoir & ftMi ii> clination. La tendreffe paternelle com- battue dans le père par la raifon ; les agitations d'un enfent bien né ,. tour- menté par la crainte de déplaire à feS parens , ou de perdre fa, maîtreffe , don- nent lieu à plufieurs incidens intérêt- Éiiis , dont il peut réfulter une morale mile. Mais la barbarie d'un père qui veut facrifier fes enfans à une pafiîon j que la jenneffe ne fçaurœt plus excofer en lui , ne peut être regardée ^e corn» Vyj
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4)S8 Réfixwm aîàqueÈ
me un crime énorme , & tel à peu pris que celui de Médée. Si ce crime peut être expofé fur le théâtre, s'U peut y doner heu à une morale utile , c*eft ea cas qu*il y paroifle dépeint avec Us cou- leurs tes plus noires» & qu'il y ibil «nfin puni des châtimens les ^us fére- tes que Melpomene en^loye , mais dont Thalie ne peut pas fe fervir^ Il efl contre les bonnes mœurs- de donner Tï- dée que cette aâion n*eft qu'uoe faute ordinaire , en la &ifant iervir de fujet à une pièce Comique. Qu'on âétrilTe donc cette pièce odieufe ; mais qu'on tbn^e d'accord en même fems que les Comédies de Térence , & la plupart de celles de Molière font propres à pur- ger les paUions.
S E C T r ON XLV. Delà MttfiqucpropnnKnt dite,
J. L noits refte à parler de laMufiqfie f comme du troifieoie des moyens que les hommes ont inventés pour dernier ime nouvelle force â la Poeûe , & pour la mettre en état de faire fur nous luç
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fur Ut ^oëjîe & Jhr la Piînturt. 4^9 t^us grande impreffion. Ainfi qtie le Peintre imite les traits & les couleurs de la nature , de même le Mnâcien imite les tons , les accens , les foupirs i les inflexions de voix , enfin tous ces fons, à f aide defqiiels la nature mêmej exprime fes fentimens & fes pafïtonsj Tous ces fons, comme nouS l'avons déjà expofé , ont une force merveil- leufepoiir nous émouvoir , parce qu'ils font les lignes des paflions , inftitué* par la nature dont ils ont reçu letu? énergie; au lieit qUe les mots articu- lés ne font que des f^nes arbitraires des paflions. Les mots articulés ne ti- rent leur lignification & leur valeur cjue de riniiitution des hommes , qui n'ont pu leur donner cours que dans un certain pays,
■ La Muûque", afin de rendre l'inîita- tîA qu'elle fait des fons naturels plus. ' capabfle de jrfaire & de toucher, ]'» réduite dans ce ^ant continir qu'on appelle le fujet. Cet art a trouve en- core deux moyens de rendre ce cirant plus capable de nous plaire & de nous émouvoir. L'un eftrharmonie , & l'au- tre eflle rithme. Les accords dans lefquels )^naQ*
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470* Réflexions mâqius
nie confifle , ooc un grand channe poo^ J'oreille ; £c le concours des ^fferen> tes parties d'une coii^Kïlîtioa muûcale qui font ces accords, contribue enccve 9 FexprelBon du bruit que le Muficiea prétend inûter. E^ bafie continue 5c les 9utres parties aident beaucoup le diatit à exOTÏm» i^us parCittement le fuiet de Tinutation.
Les anciens a[^H(Ment rithme en taufique , ce que nous aroellons mefmt ^ mottvemem. Or la mefitre & le mou- vement donne l'ame , pour ain& dire, aune compofitionmulicale. Lafcience «lu rithme , en montrant à varier i propo» la raefure, ôte de la imifi<)ae cette uniformité de cadence, -qm fe- roit capable de la rendre bientôt eo- auyeufe. En fécond lieu , le ridune içait mettre une nouvelle vraifegi- Mance dans Tinûtation que peut îmc une compofîtion muficale , parce que le rithme lui fait imjler encore la (Mt>- greâion & le mouvement des bruits & des fons naturels qu'elle imitoît dé* )z par le diant & par Ilurmonie. Ain- u le rithme donne une vr^femblaoce de plus à l'imitation.
La Muiique Ëit donc fes inûtatioDS
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fur la Pocft &fur la Ptînture, ^% par le fecours du chant , de l'hannonie & du rithme. In earuu triapracipuino^ tandafunt , karmonia , Jerma & rilkmas» JHarmonia vcrfatur circa fonum ; Strmo . àrca irutUeéium verhorum â* enuntiaùo^ nem difiinciam : Rithmus circa conùnnun» - «a/jr/ci'mofa/n.C'eftainllqne la Peinture ^it les inûtâtions p%r le fecours du trait, duclair-obrcur, ÔC des couleurs locales.
Les lignes naturels despalHons que la Musqué ralTentble , & quelle emptoye avec art pour augmenter l'énergie des paroles qu'elle met en chant, doivent donc tes rendre plus capables de nous toucher , parce que ces lignes naturels ont une force merveilleuïe pour nous émouvoir, fis la tiennent de la nature même. NihUeJi enim tam cognatum men-r tibus nofiris , quàm numeri alque voces y quièus V excitamur j & incendimur > ^ lenimur^ & languefcimus , dit un des plus judicieux obfervateurs des affec- tions des hommes (a). C'elï ainfi que le plaillr ds l'oreille devient le plailîr du cœur. De-là font nées les chanfons ; $C robfervation qu'on aura faite , que les paroles de ces chanfons avoicnt
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af^*' Tlijiexlons ctîàques
IJien une autre énergie , lorfqu'on les entendoit chanter, que lorfqu'on les entendoit déclamer, a donné lieu à mettre des récits en mufique dans les ipeftacles , & l'on eft venu fucceffive- vement à chanterune pièce dramatique en entief. Voilà nos Opéra.
Il eft donc une vétité dans les récits des Opéra; & cette vérité confifte dans l'imitation des tons, des accens, des foupirs , & des fons qui font pro- pres naturellement ainr fentimens con- tenus dans les paroles. La même véri- té peut fe troirver dans l'harmonie & dansle rithtne de toute la compofîtion.
La Mufique ne s'eft pas contentée d'imiter dans fes chants te langage in- articulé de l'homme , & tous les fons naturels dont il fe lêrt par inftinit. Cet Art a voulu encore faire des imitations de tous les bruits qui font les plus ca- pables de faire impreffion fur nous^ îorfque nous les entendons dans la na- ture. La Mulîqiie ne fe fert qtie des inftnunens pour imiter ces Bruits, dans lefquets il n'/ a rîen d'articulé ; & nous appelions commimement ces imîta- iions , des fymphonies. Cependant les fympho;nes ne laiffent pas de jouer ,
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Jur la Po'èjît & fur ta Pelmun. 473Î *p<y\iT atnfi dire , difïerens rôles dans nos Opéra, & cela avec beaucoup de fuccès,'
■ En premier lieu , bien que cette Mu- fique foit purement inftrumeotale , elle ne laiflTe pas de contenir une imitation véritable de la nature. En fécond lieu 9 U y a pluTieurs bruits dans la nature capables de produire un grand effet fur nous , quand on nous les &it en» tendre à propos dans les Scènes d'une pièce dramatique.
■ La vérité de l'imitation d'une fym- phonie confifte dans la reffemblance ce cette fymphonie avec le bruit qu'el- le prétend imiter, fl y a de la vérité clans une" fymphome , compofée pour imiter une tempête , lorfque le chant de la fymphonie, fon harmonie & fou lithme nous font entendre im brnit pa- xeii au ,fracas que les vents font dans Vair& au mugiffement des flots, qm s'entrechbquent , ou quife brifent con- tre des rochers. Telle eft la fymphonie qui imite une tempête dans l'Opéra d'AIcione de M. Marais;
Ainfi , quoique ces*- fymphonies né BOUS faffent pas entendre aucun fon ar- ticulé , elles ne laiffent pas de pouvoir JQuer des rôles dans ^s pièces dn^
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4^4 Rifitjdons amquts
natiques , parce qu'elles coatribneiit S nous intérefier à l'aâion, en fàïTanl ùa nous une impreffion approchante 4e celle que feroit le bruit même dont «lies font une imitation , fi dous enten< 4ions ce bruit dans les mêmes circons- tances que nous entendons la fympbo- nie qui limite. Par exemple , l'imita- tion du bruit d'une tempête qui va jiibmei^er un perfonnage , à qui le Poëte nous fait prendre aâuellement un grand intérêt, nous aflfeâe comme BOUS affederoit le bruit d'une tempête
Eête à fubmerger une perfonne poof quelle nous nous intéreflerions avec chaleur , fi nous nous trouvions à por- tée d'entendre cette tempête véritable. U feroit inutile de répéter ici que ru»- peffion de la fympbonie ne içaurcHt être auffi férieufe que rimpre^onqœ la tempête véritable feroit fur nous • car j'ai déjà dit plufieurs fois , que l'im- preflîon qu'une imitation fait fur nous eft bien moins forte que l'impreffioa feite par lajrhofe imitée, {a) Sine du^ èio lit omm re vincit imitatiantm vtritas. ■ Il n'eft donc pas furprenant que les fyini^nies nous touchent beaucoup.
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Jufla Poèfii&fitrlaPàTitare. jpfH. I^ioîqiie leurs fous , comme te dît Lon- gin (a) , ntfoiitnt qut dcjimplti imitations • éfun Brait inarticulé , & , i ^il faut parler i»injî , deifons qui n'ont qut la moitU d0^ tiur éire , & une dem-vit.
Voilà pourquoi l'on s'eft fervi , dan» tous les pays êc dans tous les tems , du chant inarticulé des inllrumens pouf remuer le cœur des hommes , & pour mettre certains femimens en eux , prin- cipalement dans les occafions otï. l'on' ne fçauroit leur inlî»rer ces ientimens en fe fervant du pouvoir de la parole. tes peuples civilifés ont toujours fait lifage de la Mufique inilrumentaîe dans leur culte religieux. Tous les peuples <}nt eu des inflrumens propres à la guer* Té , Jk ils s'y font fervi de leur chant inartieulé, non-feulement pour faire entendre A ceux qui de\'oient obéir les ordres de leurs Commandans , mais encore pour animer le courage des combattans , & m£me quelquefois pmiT le retenir. On a touché ces inf- ■ trumens différemment, fuivant l'effet qu'on vouloit qu'ils fiiTent , & on a cherché à rendre leur bruit convenable à Pufage auquel cHi le dèftinbil.
(al TraitiiuSuU.cb,ii.
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Jfj6 ' Réfiexîons'critt^ui ' ■ Peut-être anrionS'notis étudié Fart de toucher les inlbiimens militaires au- tant que les Anciens Tavoient étncUé, fi le Â-acas des armes à feu laiffoit nos combattans en état cTentendre dii^ rinâement le fon de ces inftrumens. Mais quoique nous n*ayons pas travail* té beaucoup à perfeâionner nos infiru" jïiens militaires ;-& quoique nous ayons fi fort n^ligé Tart de les toucher » qui donnoit tant de confidération parmi les Anciens ■ que nous regardons ceux qui exercent cet art aujourd'hui , comme la partie la plus vile d'une armée, nous ne laiflbns pas de trouver les premiers principes de cet art dans nos camps. Nos trompettes ne fonnent point la charge , comme ils fonnent la retraite. Nos tambours ne battent poim^ la cha- made du même mouvement dont ils battent ta charge.
Les fymphomes de nos Opéra , & ' principalement les fymphomes des Opéra de Lulli', le (dus grand Poëte en ftiufique dont nous ayons des ouvra- ges , rendent vraifemblables les effets les ^us furprenans de la mufique des Anciens, Péut-^tre que les bruits de guerre deThefée^lesiburdiaesd'Arî
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fur la Poijît &fur la Peinture. 47;^ fandc » 5c pliifieurs autres fymphcftiie^ du même Auteur auroient produit de ces effets qui nous paroifToient fabuleux dans le récit des Auteurs anciens , fion les avoit fait entendre à des hommes d'un naturel auflî vif que des Athép niens; & cela dans des fpeflacles oh âls eulTent été émus déjà par l'aflion d'une -Tragédie. Nous-mêmes ne fen- tons-nous pas que ces airs font fur nous rimprelTion que le Mulîcicn a eu l'intention de leur faire produire ? Ne ientons-nous pas que ces fymphonies nous agitent , nous calment , nous at- tendriffent ; enfin qu'elles agiffent fur flous , à peu près comme les vers de Corneille & ceux de Racine y peuvent agir ?
Si J'Auteur anonyme du Traité De Poëtnatum cantu & \iribus Ritkrmi , quç je crois êtM Ifaac Voffius , parce que içs amis mel'cnt dit , & parce que cet ■ouvrage eft rempli des préventions eri iaveur de la Chine & des Chinois , c;uç tout le monde fçait bien avoir été par- :ticulieres à Ce fçavant homme ; fi , dis- je , cet Auteur avoit pu entendre les P^eï-a fleLuUi, ^ principalem nt le» derniers , avant que d'écrire le Traita
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47^ JtifitxîoBS crm^ues
dont je parle , il n'auroh pas dit , com^ me il Ta lait , 'a) que la Mufique mo-* dcme n'avoit rien , ni de la force ni de rénei^ie de la Mufique ancienne. Faut' il s'étonna* , c'eft le iens de Ces pa- tôles , que notre Mufique ne ^Sc point les effets que celle des Anciens içavoit faire , puisque les chants les plus variés & t harmonie la plus riche ne font que des fadaife» fonores &des niaiferies hannonieulès i quand le Mu* £cien ne fçait pas Étire un ufage iéafi de ces chants &c de cette harmonie , jwur bien-exprimer fon fujet ; & qnaeé il ne fçait pas animer encore fa com- pofition par un rithme convenable à et iîijet , de manière que cette compofr- tion exprime quelque chofe , & qiiVU* l'exprime bien? Qui/>pecùmomms<afuus £f harmonia , ^uantumvis elegans ', fi & i/trhoTum intelUSus & motus^Jînt-aliquii Jipiijuanus , nUiU tùfi intmtm comineiit Jbnumy nemini mirum videri tU^et aht^ ^kodUrndmuJùâvirtutem, qita tamoftri ta veieri pradkatur.
Si quelque Mufique moderne manque du mérite dont parte ici Monfieur Vof- jfius, ce n'efi: point calle d« Lulli, C^
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furUPoîjif& furU. Peinture. 47^ qu'il appelle ici yertorum inulU3um \ ou rexprefTion, eft parfaite dans ce Mulîcien. Les perlbnnes qui ne içavent pas le François , devinent les fentimeiw &C les paflions des Aâeurs qu'il fait dé- clamer en mufique. Qu'on fe figure donc quelle comparailbn VolIî\is auroit Ëiite des cantates & des fonates de» Italiens avec les fymphonies & les ré- cits de LulK , s'il les eût connus , lorf- qii*il écrivit le livre dont je parler Mais il paroît par la date mife au bas de la Pré&ce (o) , qu'il l'avoît faite dès 1671 f précifément quand LuUi travail* loit àfon premier Opéra.
Les fymphonies convenables au fu- Jet & bien caraftérifées, contribuent donc beaucoup à nous faire prendre in- térêt dans l'aèion des Opéra , oîi Tort peut dire qu'elles jouent un rôle. La[ fiûion qui feîl endormir Atys , & qui lui préfente enfuite des objets fi diver* iifiés durant fon fommeil , devient plut vraifemblable Se plus touchante par l'imprefHon que font fur nous les fj-oi* phonies de diffërens citraâeres qui pré- cèdent le fommeil , & les airs qui fe fiiccedent à propos pendant fa duréei
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4^4 lUjUxioas iMtîquts
La fymphonte de l'Opéra de Rolanj j' qu*oa appelle communément LogiiUl- le , joue très-bien fon rôle dans raâion où elle eA introditite. L*a^on du cin- quième a£te où elle eâ placée , confîlle k rendre la raifon à Roland, qui eit; Torti furieux de la Scène à la fin du quatrième afte. Cette belle fymphonie donne même l'idée de celles dont Ciceron'& Quintilien difent que les Pythagori- ciens fe fervoient pour appailer , avant que de mettre la tête fur le chevet , les idées tumultueufes que les mouvemens de la iournée laiiTent dans TiniagiDa- tion , de même qu'ils employoient des fymphonîes d'un caraâere oppofé , pour mieux mettre Ids elprits en mou- vement , lorsqu'ils s'éveilloient , 8e pour fe rendre ainfi plus pro{M-es à l'ap- plication, (a) Pythagorais certè moris fiùtj &cùm evigilajftm animas ad fyram. excitare , qub cjfent ad agendam ere3i^ r« ,* & t:ùm fomrzum peurtrU ad eamdtm, prias lenire mtntes ,ut,Jî quidfuijfa'tttr-- bidorum negoùorum , componcrttu. Pour le dire en paffant , Is premier air dan- fant du Prologue d'Amadis, celui qui yient après la fin du ibmmeil , donne
rid2ç
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fur la foïjîe ^ fur la PeirHure, 48 1 l'idée de ces airs , au ion defqiiels les Pythagoriciens achevoient de s'éveil- ler.
Pcrnr revenir à la fyinphonie de l'O- péra de Roland , qui nous donne une jdéc des airs, au ton deftjiiels les Py- thagoriciens fe difpofoient an fommeil , «Ile- eft entièrement dans la vérit-é de 4'iniitation. Il eil vraifemblable qu'elle puifle produire l'effet poiu lequel la Poëfie du Muficien la deftine. Le fenti- 4nent nous enl'eicne d'abord <iit'eHe cft ■très-propre à calmer les agitations de -l'efi»-!! ; & comme ime dilcufiion bien ■faite , piftifie toujours le fentiment , îious trouvons en l'examinant , par ■quelies raifons eUe eft fi propre à faire 1 inwreilîon que nous avons dé\a fentic.
Ce n'eft point le filence qui calme le mieux ime imagination trop agitée. L'expérience Se le railbnnemem nous «nfeignent qu'il eft des bruits beaucoup plus propres k la calmer , que le filence même. Ces bruits font ceux , qui , com- me celui de Logijîille, continuent long- tems dans un mouvement prefque tou- jours égal, &c fans que les fonsfuivans ibient beaucoup plus aigus ou plus gra- ves, beaucoup plus lents Ou pKis vîtes Tcml. X
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481 RèJUxions eriàquis
que les fons qui les précédent , de ma- nière que la progrellion du chant fe falTe le plus Ibuvent par les intervalles moin- dres. Il fembie' que ces bmits qui ne s'accélèrent ou ne fe retardent , quant à rintonnation & quant au mouvement,
J[ue fuivant une iwoportion lente ôc uni- orme y fbient plus propres à faire re» [>rendre aux efpritsce cours égal, dans equel conGfte la tranquillité » qu'un fî- lence qui les laifferoii iiiivre le cours forcé Se tumultueux , dans lequel ils auroient été mis. Un hon^ne qui parle longtems fur le même ton , endort les autres , & la preuve que leur afloupit- fement vient de la continuation d'ua bruit qui fe foutenoit toujours à peu près le même , c'eft que l'auditewr Tq réveille en furfaut , ii l'Orateur cefle tout'à-coup de parler , ou s'il lui arrive de faire quelque exclamation fur un ton beaucoup plus haut que le ton fur lequel il déclamoit auparavant. On voit tous les jours despenonnes travaillées d'infoimnie , ne pouvoir s'endormir qu'au bruit d'une leâure ou d'une con- verfation. Dès que le bruit celfe , elles fe réveillent.
il çi^ donc unç vraifemi>lajice çq
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furlA Poipe &furîaPeiaiurè, 483 fymphonic , comme en poëfie. Comme le Poète elt alUijetti dans fes fîâions i ie conforoter à la vérité de convenan- <fe , de même le Muficien doit fe con- former à cette vérité dans la compofî- tion des (es fymphonies. Je m'expUtjue, Les Mtdicuns compofent fbuvent des^ iymp^onies pour exprimer des In-uits que nous n'avons jamais entendu, âc <[tti peut-être ne fiirent jamais dans la> nature. Tels font le mugiâement de lu terre , quand Pluton fort des Enfers ï le ûâement des airs, quand Apolloa inrpire la Pythie, le bruit que fait ua ombre en ibrtant de fon tombeau , Sc le frémifTeroent du fenillage des chê- nes de Dodone. Il efl: une vérité de convenance pour ces fymphonies. Le donvtniaitia finge d'Horace a lieu ici comme dans la'Poéfie. On connoît quand la vrai'femblance requife s'y ren- contre. La vraifemblance- s'y trouve certainement, quand elles font un ef- fet approchant de l'eiFet que les bruits qu'elles imitent , auroient pu faire , & quand elles nous paroiffent confor- mes à ces bruiis ijODuis , mais dont nous ne laifTons pas de nous être formé une idée confufe par rapport à d'autres Xij
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'4^4 Rifitxions endqttts
bruits que nous avons entendus. Oit dit donc des fymphonies de cette efpe-r ce , ainfi quede celles qui peuvent îmi-r ter des bruits véritables, qu'elles ex-» priment bien, ou qu'elles n'expiîment pas. On loue celle du tombeau d'Àma-r dis , & celle de l'Opéra d'iilé, en di? iànt qu'elles imitent bien le naturel, quoiqu'on n'ait jamais vu la nature dans les circonfla^ces oii ces fynipho- nies prétendent la copier. Âin£ , bien que ces fymphonies foient en un ceiv tain feas inventées à plaiûr, elles ai- dent beaucoup néanmoins ~à rendre le fpeâacle touchant, & Taâion patheT tiqite. Par exemple , les accens funér bres de Ja fymphonie que Monfieur da Luili a placé <^ns la Scène de l'Oper^ d'Amadis (a) , oîi l'OmBre d'Ardan fort du tombeau , font autant d'impreffion fur notte oreille que le fpe£hicle S>L I3 déclamation en font fur nos yeux. Notre imaginarioR attaquée en même tems par l'organe de la vue & par l'ofr gane de l'ouïe , eÛ beaucoup plus émue ce l'apparition de l'Ombre , que fi nos yeux feuls étoient féduits. La fymphof pie par laquelle Monfieui' de^Tppch^S
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furlaPolp&furlaPiîheurt. 48 c Ikit précéder l'Oracle que rendent les chênes de Dodone j produit un effet iemblable (o). Le trémiâement du feuillage de ces arbres qu'elle imite par fon chant , parfon harmooie & par ion lithme » tÛfpore à trouver de la vrai- femblance dans la fi^pofîtion qui va leur prêter la parole. Il paroît croya- ble qu'un bruit approchant de celui da cette fymphonie ait précédé , qu'il ait [«réparé 1^ fons articulés que l'Oracle proféroit.
Enfin ces fyrtipfionïes qui nousfem- blent fi belles , quand elles font em- ployées comme I imitation d'un certain bruit y nous paroitroient inûpides , el- les nousparoitroient mauvalles , û l'on les amployoit comme l'imitation d'un autre bruit. La fymphonie de l'Opéra d'IlTé dont je viens de parler y femble- roit ridicule, fi l'on la mettoit à la place de celle du tombeau d'Amadis. Ces morceaux de mufîque qui nous émeuvent fifenfiblement y quand ils font une partie de l'aâion théâtrale ,
ftlairoient même médiocrement y fi l'on Bsfaifoit entendre comme des Sonates^ pu des morceaux de fymj^onies déta^
Xiij
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■486 Rifltxîons critiques
cfiés , à ime perfonne qui ne les atiroJf iamais entendiics i l'Opéra , & qui en pigeroit par coniequeot faas ccMinoïtre leur plus grand mérite ; c*eA-à-<lîre , le rapport qu'elles ont avec faâion , oii ^ pour parler ainfi , elles joiient un rôle.
Les premiers principes de k Mufi» que , lont donc les mêmes que ceux ée la' Poëâe & de la Peinture. Aiofi que la Poëfie & la Peinture , la Mnfi- «ue eft une imitation. La Mulique ne içauroit être bonne , fi elle n'eil pas conforme aux règles générales de ces deux Atts fur le choix des fnjets , fur la vraifemblancë , & fur ^trfienrs au- tres points. Commele(litCîceron(<i): Omnti Anes qutt ad Aamaaitatem ftrù- ntnt y habtnt qaoddam tommuae vinat- lum & quttfi cognatiotu quadam tour fi eontinaanmr.
Comme il eft des perfonnes qui ibnt plus touchées du coloris des tableaux que de rex^effi<m despafCons, il eH de même des perfonnes , qui dans la Mufique ne fcmt fenfibles qu'à l'agré- ment du chant , ou bien à la richefle de Pharmonie , & qui ne font point afléz d'attenti^i ^ fi ce chant imite bien
W Fn Arià..
...Xooylc
farlaPoêp^fufUPtmturt. 4S7 le bruit qu'il doit imiter, ou s'il eft convenable au fens des paroles auf-* quelles il eft adapté. Elles n'exigent poiijt du Muficien , qu'il aflbrtine fa mélodie avec les fentimens contenus dans les paroles qu'il met en chant. Elles Te contentent que les chants foient variés , gracieux , ou même bi- garres , & il leur Tuffit qu'ils expriment en paffant, quelques mots du récit. Le nombre des Muficiens qui fe confor- ment à ce goût , comme (\ la Muiique étoit incapaole de fuite rien de mieux ^ n'eft que trc^ grand. S'ils mettent en chant, par exen^lè, celui des verTets du Pfeaume Dixtt Doimmts , qui com- mence par ces mot , Dt torrtntt in vîd biba , ils s'attachent uniquement à l'ex- preâion de la rapidité du torrent dans fi. courfe , au lieu de s'cUtacher au fens de ceverfet, qui comientime prophé- tie fur la Paffion de Jefus-Chrift, Ce- pendant Texpreffion d'un mot ne fçau- roit toucher autant que TexpreJlion ^'un fentîment , à moins que le mot ne contînt feul un fentiment. Si le Mufi- cien donne quelque chofe à l'expref- fion d'un mot qui n'eft que la partie d'une phrafe , iJ faut que ce foit fans Xnr
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4S8 Ré^exions eriiique§
perdre de vue le' fens général de I«
p^hrafe qu'il met en chant.
Je placerois volontiers la Mufique où le Compofiteur n'a point fçu faire fervir fon art à nous émouvoir ^ au rang des tableaux qui ne Ibnt que bien coloriés , & des poèmes qui ne font que bien verfifiés. Comme les beautés de l'exécution doivent fervir en Poë- iie , ainli qu'en Peinture ^ à mettre en œuvre les beautés d'invention & les traits de génie qui peignent la nature qu'on imite , de même la richefle & la variété des accords , les agrémeos Sc la nouveauté des chants , ne doivent fervir en muûque que pour faire & pour embellir l'imitation du langage de la nature 6c des payons. Ge qu'on ap- pelle la fcience de la compomion ell une fervante , pour ufer de cette cxpreflion, que le génie du Mufîciea doit tenir à fes gages , ainfi que le gé- nie du Poëte y doit tertir le talent de rimer. Tout eft perdu , qu'on ine par- donne cette figure, fi-î'efclave ferend la maîtrelTe de la maifon , & s'il lui eft permis de l'arranger à fon gré , comme un bâtiment qui ne feroit fait que pour elle. Je crois même que tous les Poëtes
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fur la Pocjîi & fur la Pebuure. 48^ & que tous les Muôciens feroient de mon fentiment , s'il n'éiott pas plus fa- cile de rimer févéremcnt , que de fou- tenir un Ayle poétique, comme de trouver , fans fortir du vrai , des chants qui foient à la fois naturels ôC gracieux. Mais on ne fçauroit être pathétique itans avoir du génie , 6c il fuifit d'avoir profefle l'Art , même quand on s'y fe- roit appliqué fans génie , pour conipo- fer fçavamment en mufique , ou pour rimer richement enpoëfie.
SECTION XLVI.
Quelques réflexions fur la Mufique des Italiens. Que les Italiens rCont cultivé cet Art qu'aprïs les François ù les Ilamands,
Vj E difcours paroît me conduire na- turellement à parler de la différence du goût des Italiens , & dii goût des Fran- çois fur la mufique. Je parle du goiit des Italiens d'aujourd'hui beaucoup plus éloigné du goût des François , qu'il ne l'étoit fous le Pontificat d'Urbain y II I. Quoique la nature ne change Xv
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490 ' RéJUxîons critiques
point , & quoiqu'il femble par conie- quent que la muliqne ne dût point clianger de goût , elfe en change néan- moins en Italie depuis un tems. 11 eft en ce pays-là une mode pour la mufi- que , comme il en eft une en France pour les habits & pour les équipages. Les Etrangers trouvent que nouseiv tendons mieux que les Italiens , le mouvement jSc la mefure , & qu'ai nfi nous réuffiflons mieux que les Italiens dans cette partie de la muliqne , que les anciens nommcùent le lîtbme. Ea eâèt les plus habiles violons d'Italie exécuteroient mal, je ne dis pas tes fym- phonies caraflériiées de Monfîeur de Lulli , mais mâme une gavotte (a). Iraii longioribus utunturjtextbus , imde rùkn- tar à GaUis , veiati /fui uno formajuh pfalmitte utrumquc exhaurium pulmonim. Gain prœierea infuo cantu rithmum maps «bfervant quàm Italî , unde fit tu apad d- los complura cccurant canàca qua concài* nos & eUgames admodum baient matus^ Quoique les Italiens étudiait beau- coup la mefure , il femble néanmoàns qu'ils ne connoiiTentpas lerithms ,& qu'ils ne fçachent pas s'en fervir pour U) ^4*' ^c^ocm. Canif. III.
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far la. Po'ijîe & fur la Tttntare. 491. rexpreffion, ni l'adapter au iiijet de- Pimitation , aulH-bienque nous. - Si Monfieur l'Abbé Gravina ne loue. pas , comme Monfieur Vollîiis , la mu- sique Françoile , du moins , dit-il en- core plus de mat que lui de la mufique Italienne a). Voici fes propres paroles^ Correper ^ thtatria di nojlriuna mufica fieriU di talieffetij ( l'Auteur vient do parler des effets merveiUeuK de la mu- iique des anciens ) epercio da qutUa ajfai difformt, efitfaltApirlo piùqueil' armo' nia ) laquait quanta allatagli a/iimiStm* ptrati e diffona^t , tanto lacera coloro ck^ danno a guidar ilftnfo a la ragione ; ptr ehe in camb'w dit tfprimtre td imitart , fuoVpik tofto tfiinguert e canctllart ogni Jimbicn^a ai vtrita : fe par n»n godiamo^ che in tamiio di tfprijtwe fentimenti tpafi ^ni umanf td' imitar le nofirt atlioni t eofiumi , fomigli td tmià corne fafaventt ■conquà triUi tantç ammirati , la Lecora &l Canario : Quantumqut à di noftri vada Jôrgendo qualche dtfiro Modulai >rt il qua- U contro la commun carruttella da natunU giudii^io e proportion ' di mente portata \ imita ancJufpeJfo la natura^ à cai pià fi uviccinarebie , fe l'antica arte mufica po^ (1) DtlU Trtg. p, 70.
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49* RiJUxlons critiques
itjfe da jt Iwf^u e foUt untbre al^are î£ topo. Ne ci dothiamo mara vigliarcfi cor- rotta la poefia , fe ï anche corrota la rau- fica , perclu corne ne la Ragion Poetîca accennammo , tate le arti imitativt hanns itna iita commune dalla eui ahcratione fi alteraao tutte , & partiaslarmaue la mu- fica doit altération délia poefia fi can^ corne d^ corpo Combra, Onde cotrotta la poefia da i foverehi ornamemi e dalla co^ j>ia délit figure , ha communicato il fuo morio anche alla mufisa ^ onmùtantofi- gurata che ka perduia quafi la naiurtU cf- prefitone. Nepvche rteca diiftto ait orchio , ferciofidei convenêvole alla Tragtdiare~ putart ; poiche il dUttto proprio délia mu- fica Dramatica i quelh cke nafce dalla imkaiione. Ma Upiaeer preftme najce pri- ma dalla mancania délia vent idea , e poi per accidente da quella qitalfifia modulor- tione di voce ch» lu/înga e notice la paru animale , cioè il/enfi>fido/eni[a coneorf» délia ramone corne fa qualfi yoglia cant» di un CardeUo ^o diun Ufignuolo ; e co- pie dalla vive^^ e varietà de i eolori dilet- tano t ftn^a imitatione di verità , fe Pit- ture Chenefi. C'eft-à-dire : La mtifique «ue nous entendons aujourd'hui fur nos théâtres, çfi bien éloignée de pro^
Coogic
furlafoifit OfurlaPtinture. 4gif diiire les mêmes elFets que celle des anciens. Au Heu d'imiter & d'expri- mer le fens des paroles , eHe ne ferf Sii'à l'énerver, qu'"à rétoiiffcr. Aullî éplaït-elle autant à ccax qui ont de la jufteffe 'dans le goitt, qu'elle trfaît â ceux qui ne font point d'accord avec la raifon. En effet , le diant des paro- les doit imiter le tangage naturel des paHîons humaines , plutôt que le chant des Tarins & des Serins de Canarie,' ■ lequel notre mufique s'attache tant à contrefaire avec fes paffages & Tes ca- dences fi vantées. Néanmoins nous avons un Mttfïcien, qui cft â la fois grand Artifan & homme de fentiment , lequel ne fe laiffe pas entraîner au tor- rent (*i). Mais notre poëfie ayant ét^ corrompue par l'excès de's ornemens & des figures , la corruption a pafTé de-là dans notre mufique. C'eft la def- tinée de tous les Arts , qui ont une origine & tm objet commun, que l'in- feâion paffe d'un Art à l'autre. Notre mufique eft donc aujourd'hui fi char- gée de colifichets, qu'à peine y re- connoît-oii quelque K'ace de l'expret^
(a) L'Auttur, ih-9H, tactnUic garltr et Buwu:
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^94 Rificxîottâ critlfius
jGon naturelle. Ainfi elle n'en cft poîiK
Elus propre à la Tragédie , parce qu'el- : flatte l'oreille , puifque l'iiniiatiort. & rexprefllon du langage inarticulé 4es paJEons font le plus grand mérite de la mufique dramatique. Si notre mu- fique nous plaît , c*eil parce que oous ne connoiâbns pas rien de mieux , 6c parce (juelle chatouille les fens, ce qui lui ell commun avec le ramage oes Chardonnerets & des Roffignols. Ellp ell femblable à ces peintures de ta Chine , qui n'imitent point la natu- re , & qui ne plaifent que par la vi- vacité & par û variété de lem-s cou- leurs.
^ Mais je ne veux point entrer davan- tage dans l'examen du mérite de la mulique Frahçoife & de la mufique Ita- lienne. C'ell un fujet traité depuis un trop petit nombre d'années par des penonnes d'esprits. D'ailleurs je cx&a qu'il faudroit la commencer par une queAion préliminaire > dont la dilcuf- fion ferolt trop longue. Je voudrois donc examiner d'abord le femimem d'un Anglois , homme de beaucoup d'eA prit , qui foutient , enreprochant à fes compatriotes le goût que beaucoi^
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Jar U Poëjtt &fur la Pdnture, 49^ d'eux croyent avoir pour les Opéra d'Italie , qu'il eft une miifique conve- nable particulièrement à chaque lan- gue , èc fpécialement propre à cha- aue nation (a). Suivant lui ^ le genre e la mufique Françoife eft aulu bon que le genre de la ntufique Italien- ne. La mufiqut Françoife , continne- t-il , efi tris-bien adaptée au fan Jes mots , & convient fort avec la prononciation de la langue. Elle rend trh-bien Us accens , dont les François accompagnent lear pronoruia* tion. Les diffirtm airs de leurs Opéra «:- primtju À merveille les mouvement de gens natarelUment gais & éveillis ^ comme h font les Français, CTefi dommage qu'on les écoute mal , & que le Parterre y fa^e ^ Jouvent Choras avec le théâtre. Souvent la vaixde .' ASeur efi couverte par celle des Auditeurs , qai ne lui laijftnt chanter feul jqitt les premieru paroles de fin air. Je me figurais , quand fe rrCyfids trouvé ^ voirum Clere de nos Paroijfes , qui n'a pas fltSt tmonné-U premier vtrfet du Pfeaume * qta tout rauditeirt fe met à ckanur y fi hiem qu'on ne r entend plus.
Je me contenterai donc de faire quel- 'f]ues remarques hîAoriques touchant la (1} S^t^actur du j Avril 1711.
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HtfC RcjUxîons enûquêt '
mufîque Italienne. L'Autetir d'un Po3-^ me en quatre chants (k) fur la mufique , où l'on trouve beaucoup d'efprît & de talent , prétend , que lorfque le genre humain commença , vers le feiiiéme fiécle , à fortir de la barbarie , Sc à cultiver les beaux arts , les Italiens fu< rem les premiers Muficiens, & que la fociété des Nations ptofita de leurs lu- mières pour perfeâionner cet Art. Le fait, ne me paroît pas véritable. L'Ita- lie fut bien alors le berceau de l'Archi- teÛure , delà Peinture & de la Sculp- ture, mais la mufique renaquit dans les Pays-Bas , ou pour mieux dire elle y fleurifTott déjà depuis tongtems, avec un fuccès , auquel toute l'Europe ren- doit hommage. Je pourrois alléguer en preuve , Commine & plusieurs antres Ecrivains , mais je me contenterai de citer un témoin fans reproche , & dont la dépofitipn eft tellement circonftan- ciée , qu'elle ne laifTe plus aucun lieu au doute. C'ell: un Florentin , Louis Guichardin , neveu du fameux Hifto- rien François Guichardin. Voici ce qu'il en dit dans un difcours fur les Pays- Bas en général , qui fert de Préface
(a) Imfrlmiea f]ii.
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fur la Po'éfit &fur la Ptïntun. 497 à fa defcription de leurs dîx-fept Provin- ces , livre très-connu & traduit en plu- fieiirs lanf;ues (n). Nos Btlgesfom Us Pa- triarckes de la mu/ique qu'ils ont fait renaî- trt , & qu'ils ane portée à un grand point de perfeélion. Ils naij/int avec un génie heu- reux pour la cultiver , & leurs lalens pour Vexerctrfontjî grands que les hommes & les femmes de ce pays chantent prefque tous naturellement avecjufieffe commeaveegra- ce. En /oignant enfuite l'art avec la na- ture , ils parviennent àfefaireadmirtrpar la compojition, comme par l'exécution <& leurs çhanfons # de leur Jympkonies /ioas toutes les Cours de la Chrétienté , oà leur mérite leur fait faire de ft belles fortunes* Je ne nommerai que ceux qui font morts depuis peu , & les vivans. Au nombre des premiers , font Jean Teinturier de Nivelle , dont le rare mérite m'obligera de faire ci- deffous une mention particulière , Jo£» JJaprat ; Aubère Ockeghuem , Richefort y Adrien Filiart , JeanMouton , Verdtlot , Gombert , Laup-Louvart , Courtier , Cré- quillon , Clément , Corneille Hont. On compte parmi les vivans ^ Cyprien de la Rofée , Jean Cuick , Philippe du Mont , Roland Laffé , Mancicourt , JfJJê Bafion j^
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49^ Rifitxîons critiqués
Chnfiitn HoUand , Jac^tus Vas , Sort' marcht^ , Sevefla Corna , Pierrt Hot , Gtrard Tomhoiu , Hubert VaUrandy Joi- nts Btrdutas d' Aavtrs ^ André Ptvtr- fiage , CoratU/e Verdonk , & plufiturs au- tres répandus dans toutes Us Cours de la Chrétienté t oà ils font combUs de biens (f d'honneurs tomme Us Maîtres de cet Art. £o effet la poftéritéde Moutoo& celle de Verdelot ont été célèbres en Fran- ce dans la musqué jttTqu'à nos jours. On obfervera que Louis Guichardïn , oui mourut (a) Vannée de révénemeoC de notre Roi Henri IV à la Courqnne , ^ parte de la pofleflîon où étoient tes Pays-Bas, de fournir l'Europe deMu- ficiens , ainfi que l'Italie le rait aujour- d'hui concurremment avec la Fiance , comme d'une pofleâion qui duroit de- puis longtems.
Lltalie etle^même , qui penfe main- tenant que les autres peuples ne fçaTcnt en muâque que ce qu'ils ont appris d'elle , faifoit venir les Muficiens de nos contrées avant le dernier fiécle , & payoit alors le même tribut à l'art 4es Ultramontains , qu'elle prétend re- cevoir aujourd'hui de tous les peuples
(») En tit9.
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fur la Toîfit &fur ÛPànturc. 499 de l'Europe, l! me fouvient bien d'a- voir lu dans les Ecrivains Italiens plu- iîeiirs paflages qui le prouvent , mais je crois devoir épargner au leâeur la peine de les lire , & à moi celle de les retrouver. Je ne penfe pas qu*ii demande d'autres preuves que le partage de Guîchardin que j'ai cité. Je me contenterai dcmc d'alléguer encore un pâffage du Corio , qui nous a doiv né une Hiftoire de MiUn fi curieuie Se fi connue de tous tes Cçavans. Dans le récit que le Corio fait de la mort du Duc Galeas Sforce Vifcomti » qui fut aiTaâiné en 1476 dans t'Eglife de faint Etienne de Milan , il dit ; (a) Le Du€ aimait beaucoup la Mujiqui , & mime U ttaoit à/es gages une trentaine deMujîcieia Ultramontains, aiifyuels il dojinoit dt gros appointtmens. t/n ttenx nomme Cordiér ^ touckoit du Prince eint ducats par mois. L*erreur de croire que les Italiens foffent les reflaurateurs de la Mufiquft en Europe , a jette le Poëte , dont je prie , dans un autre erreur ; c'eft de faire un Italien de Roland Laffé , un des Muficiens des Pays-Bas , loué par Guichardin. Ce Poëte le cite donc foos
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'^oo ' RiJUxîons aiti^ttO le ftom d'Orlando Laffo , & il nous dîc qu'il fut un des premiers réparateurs de la MuGque. M^s cet OrlandoLaf- ib t quoiqu'on le trouve danS' quelques Auteurs mal informés avec les deux noms terminés à l'Italienne , n'en étoit pas phis halien cjue le Feniioando Fer- dinoTidi de Scarron, qui étoit natif de Gaën en France, La méprife vient de ce que Rc^and Laflé a pris à la tête de pluneurs œuvres dont les paroles font Latines , le fumotn ^OrUmdus Laffm , en lattnifant foR iumom fuivant Tu- fage de ce tems-Ià. Quelqu'un préve- nu que tout bon Muficien devoit être Italien aura donné i ces deiix noms Ix terminaifon Italienne, en les tradui- fant en François. Rcdand LafTé étoit François , ainô que la plupart des Mu- ficiens cités par Guichardin ; à prendre le nom de François dans fa fignilîcation la [dus naturelle, qui efi de âgnifier tous les peuplesdont la laïque maternelle eft le François , fous quelque domination qu'ils foient nés. Comme un honune né à Strasbourg , eft Allemand y quoi-
Îu'il fcHt né fujet du Roi de France , e même un homme né à Mons en Hai- na'ult eft François , <]uoiq^u'il foît né fu:
far ta. Po'ijîf Srfur la ■Peîruun. çot iet d'un autre Prince , parce que la langue françolTe eu dans le Hainault la langue naturelle du pays. Or Roland X^alTé^ qui mourut fous le règne de no- tre Roi Henri IV , étoit de Mons , com- me on le peut voir dans l'Hiftoire de Monfieur de Thou , qui fait lui éloge alTez long de ce Muiicien (<i). On ne fçauroit même dire que Laffe puiffe être xéputé Italien , parce que l'Italie auroit été ia patrie d'éleûipn. Après avoir demeuré en dif^rens endroits de l'Eu- rope» il mourut au fervice de Guillau- me Duc de Bavierre , & ii fut enterré 1^ Munich. Enfin ce Muficien eft poftéf rieur à Gaudimelle & à phifieurs autres Muficiens célèbres du tems de Henri II & de François premier.
Revenons aux Opéra &c à l'énergie que le chant donne aux vers. Ce que 1 art du Muficien ajoute à l'art du Poè- te , fupplée en quelque façon à la vrai- femblancç, laquelle manque dans ce ^peâacle. Il eu contre la vraifemblan- ,ce y me dîra-t'on , que des Aâeurs par- lent tcwjours en vers Alexandrins , xom^eilsje font dans nos Tragédies (Ordinaires, l'en tombe d'afcord; mais
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50i Ri^ixtons aiùtjties
la Traifemblance eA encore bien ptus choquée par des Aâcitrs qui traitent' leurs pamoQE, leurs querelles & leurs intérêts en chantant. Le plailîr que nous fait la muûque , répare néanmoins ce défaut. Ses expreffions rendent aux Scènes des Opéra le pathétique <^ie le manque de vraifemblance devroit leur dter.
On ^e\ire donc aux Scènes touchan- tes des Opéras , ainfi qu*»ix Scènes touchantes des Tragédies qui fe dé* clament. Les adieux d'Iphigénic i Cli- teinnelire , ne firent jamais verfer plus de larmes à l'Hôtel de Bourgogne , que la reconnoilTance d'ipbigénte & «FOreflc en ont fait répandre à l'Opé- ra. Defpréaux auroit pu dire de TAc- trice qui faifoit le perfonnage d'ïphigé- . nie dans l'Opéra de Duché, il y a quelques années , ce qu'il a dit de l'Aûrice qui faifoit le même perfbnna- dans la Tragédie de fon anû.
Jimiîs Iphlf àii; en Anlidc îiniPoUe N'i coulé tiDt de pkufiàl'GricciiirtmU^, Cire d»ns FheuMUX {ftitKU à nos yf ui étali , En a fait foui Ton nom vcrfei la Chinintm. ^a)
{>) £p2:n i Raciac.
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fur la Po'èjît & fur U Peinture. ÇOJ .. Enfin les <ens font fi flattés par le chant des récits , par l'harmonie qui les ac-> compagne ■, par les chœurs par les fym- phonies £c par le fpeôacle entier , que l'âme qui fe laifTe facilement féduire à leur piaifir , veut bien être enchantée par une lîâion dont l'illulion ell palpa- We , poiu" ainfi dire. Ex ^oluptau Jides fiafciair.
Je parle du commun des hommes. Ainfi qu'il eft plufieurs perfonnes , qui pour être trop fenfible à la muftque., 6*en tiennent aux agrémens du chant, comme à la richeiTe des accords, & qui exigent d'un compofîteur qu'il fa- crifie tout à ces beautés ; il eil auifi des hommes tellement infenfibles à la mufique ^ & dont l'oreille ^ pour me ■fervir de cette expreffiori , eft telle- ment éloignée du coeur , que les chants les plus naturels ne les touchent pas. Il eu jufte -qu'ils s'ennuy enta l'Opéra. L'art du Muficien ne fçauroit compen- ser le plaifir que leur fait perdre le dé- faut de vraifemblance ; défaut elTentiel pour un Poëme , & cependant iniepa- «ble de l'Opçra.
.Cooyic
^04 RIfitxîons croiras
SECTION XLVII. Quels vers font Us plus propres à être mis
y\ PR ks cela j'oferai décider quegéné- ralement parlant, lamuâque eil beau- coup plus efficace que la Ample décla- mation , que la muÂcpe donne plus de force aux vers que la déclamation , quand ces vers font propres à être mis en inufique. Mais il s'en 6iBt inBniment que tous les vers y foient également propres , & que la mufique leur puiflê prêter la même énergie.'*
Nous avons dit, en parlant de lapoë- fie duîlyle , qu'elle devoit exfirmter avec des termes {impies les fentîmens; .mais qu'elle devoit noui préfemer tcrui Jes autres objets, dont eile par^e, ■ibusdes images &des peintures. Nous -avons expoié , en parlant de la mu- fique , qu elle devoit imiter dans feï ■chants les tons, les foupîrs , les ac- cens , & tous ces Tons inarticulés de la voix , qui font les fignes naturels de nos fentimens & de nos palCons. Il •eft
fuT la-PpéJie &fur la Pttniure, jo'y ,éff trèi-alfé d'infërer de ces deux vé- -Tités, qne les vers qui contiennent des fentimens , font très propres à être mis ■eii miriique ; 8c que ceux qui contien- nent des peintures , n'y font pas bien ■propres.
■ La nature fournit elle-même, pour • ainfi dire , leschants propres à exprimer . les fentimens. Nous ne fçaiu-ions même -^ononcer avec àfFeÛron les vers qui ■contienneirt des fentimens tendres & . rouchans;, ùm& faire des foupirs , fans employer d£S àccenis Se des ports de voix qu'un hoipme doué du génie de la mufique, réduit facilement en un chant continu. Je fuis certain que Lullî n*a pas cherché longtems le chant de ces vers que dit Medée dans l'Opéra de „théfée.- ■ ■ •
Il y a plus. L'homme de génie , qui compofe fur des paroles femblables^ trouve qu'il a faît^ des chants . variés » même fans avoir penfé à les diverfi- .fier. Chaque femiment a fes tons , fes accens & fes foupirs propres. Ainfi le Muficien, en cgmpofant fur des vers ,
Totml, - Y
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~50â RifUxions eriàpus
tels que œiut dont nous parlons i<3,- fùt oes cli9nt5 auffi variés que la n»* ture même efl variée.
Les vers qui contiejaoent des pein- tures & des images ,6c ce qu'on ap- pelle fouvent par excellence de la -jKMÛe t ne donnent pas au Mu£cieo U miine âcilité de Inen &ire. La nature ne foi^t prefque rien i Texis-effioii. L'art feul aide 1« Mufiden qui va»' drwt mettre en chant des vers teb que feux oii ComeiUe ^t une pôntweâ ^itagnifique duTtiiuiTirat.
i^ n^Eianc pir le ptîi lu crime cocoon^, \.K tegà iUdi foB Ik pir & fcmme i%m^ : 1« 61stoiitd%Dat«iitdp«ic«ni«deI(»pcrB Et&titeàU miindtiMftibaifiiafil^irc fte.
En effet , le Mufîcien obligé de mt^F tte en mufique de pareils vçrs , ne trouveroit pas beaucoup de refiburçe pour fa mélodie dans la déclamattcm naturelle .des paroles. Il &ut donc ^*il fe jette dans dçs chants , plutôt celles & impoians qu'expreffin ; fif parce que la nature ne lui aide pas i Varier ces chants,, il hut encore qu*3s deviennent à la fti uniformes. C(>mme ia mufique n'ajoute |»efque point ^é:
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fkr la. P«^ &fur Ut Ptinture. ^Of «lei^te aux vers , <lont la beauté con- iîfte dans des images , quoiqu'elle ea ^moulTe la force en rallentiuant leur prononciatioa. Un bon Poète Lyri- <[ue , quelque ridie que fa veine puif- ie être , ae mettra guéres dans fes ou- vrages de vers pareils à ceux de Cor- neille que j*ai âtés. Ainfi le reproche <]u*on faifoit à M, Quînault , quand il compofaiespremiers Opéra: Que fes vers étoient dénués de ces images Sc '>de ces peintures qui font le fublime de 3a Poëâe , fe trouve un reproche mal- fondé. On coftiptoit pour un défaut dans fes vers ce qui enfeifoit le mé- rite. Mais on ne connoiffoit pas ett- eore en France en quoi confifte le mé- rite des vers faits pour être mis en xnufique. Nous n'avions encore com- pofé que des chanfons ; & comme'ces
fetits Poëmes ne font deftinés qu'à exprefllon de quelques fentïmens , ils n'avoient pas donné lieu à faire fur la Poëfie Lyrique les obferva- tâons que nous avons pu faire depws. Dès que nous avons eu fait des Opé- ra, l'efprit philofophique , qui eft ex- cellent pour mettre en évidence la ItétUé , potuTu qu'il chemine à la fuite Yij
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1J08 RéjUxions trâl^ua
de Texpérience , nous a ùàt ttaavtl que les Ters les plus remplis d'images; ocgénéralement parlant les plus beaux, ne font pas les plus propres à réuffir «n mufique. 11 n'y a pas de comparai* foB entre les deux Strophes que je vais citer, quand elles font déclamées. La {n-emiere eft de TOpera d«>Thefëe écrit par Quinault.
Dont lepM, iniM»iite pùz. Heumut . hcarcni un taac qd ne toui p«(di jawll L'impîiof abic amour m'i taojODri pouriiiînc , ' N'ftoit-tepwntiflèiduinaaiqa'ila'avah&itiï Pourqutice Dicncnid trecdciuiiiTCiiixtnîu, .Vient-il ÇDCMc irouUci k lefte de lU vie )
La féconde cil de ndille de Çceanx^ par Racine.
Df }■ gcoBdolcDt lei horrible! toofierrci Pir qui Ibut bàlii les rcmpacu , Déjà maichait devMit lei éiendaru Bellone Ict cheveux jpui, Et Te flinoii d'^ioifer lei gnerm Que rci fureuri fooffloient de loutei pini^
Il s'en faut beaucot^ que ces deta Strophes n'ayent réuu paiement en muûque. Trente perfonnes ont retenu la première pour une qoi aura retemi Jaiecondç, Ce^ieadan^'une âfj'autr^
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fur la Patjù &fur la Peinture', fo^ Jbnt mifes en chant par Lullî , qui même, avoit dix années d'expérience de plus , lorfq'uil compofa l'Idille de Sceaux. Mais les premiers renferment les fenti- mens naturels d'un cœur agité d'uiK nouvelle paffion. Il n'y entre qu'une image des phis fîmples , celle de l'a- mour qui jlécoche Tes traits fur Me- dée. Les v^s de Racine contiennent les images les plus magnifiques dont la Poëfie le puiffe parer. Tous ceux qui pourront oublier un moment l'effet que font ces vers , lorfqu'ils.font chantes , jH-éféreront , avec raifon , Racine i Qiiinault.
On convient donc généralement aU' jourd'hui que les vers Lyriques de . Quinault font très-propres à être mis en muftque , par l'endroit même qut les faifoit critiquer dans les commen- cemens des Opéra ; je veux dire par le caraâere de ta Poëfie de leur flyle. Que ces vers y fojent très-propres par la mécanique de la compofition , ou par l'arrangement des mots régardés en tant que de ûmples fons , c'eft de quoi il a fallu convenir dans tous le4 , tems, .
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f lO JUfejiàms triti^aa
SECTION xLvnr,
Dts Zpimfcs Sr its Peiiiu$ m projet
J E comparcFois volontiers les Es- tampes , oh l'on retrouve tout le ta- bleau , à Texception du coloris , aux Romans en profc , où Ton retrouve la fiaion & le ftyle de la Poëfie. Ib font des Poëmes à la mefnre & à la rime près. L'invention des EAampes & celle des Poèmes en profes , font également heureuiès. Les Eftampes multi[^!ent à rmffnî les tableaux des grands Maîtres. Elles mettent à por- tée d'en jouir ceur qne la diflânee* des lieux condamnoit à ne les v<»r jamais. On voit de Paris par le fe- cotirs d'une Eftampe , les plus grao*- des beairtés que Ka^ttaA ait petntes fur les murs du VaticaUi Un partîcn^ lier peut même mettre dans fon ca- binet tout fefpi-it & tonte la poëfie qui font dans des chefe - d'oeuvres ^ dont les beautés fembloient réfervée* pour les cabinets des Princes ^ ou de ceux qui fc Ibnt rendus aulTi riches
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fur la Po'ifii & fur la Ptînture. 5 1 1" qii^eux , . en maniant leurs finances. De même nous avons l'obligation à U Poëfie en profe , de quelques ouvra-
fes remplis d'avantures vraifembla- les & mervèilleufes à la fois ; cora^ tnc de préceptes fages & praticables en même-tems , qui n'auroient peut- être jamais vu le ]our , s'il eût fallu fliie les Auteurs enflent affujctti leur gé- nie à la rime & à la mefnre. Les Auteurs de la Princeffe de Cleves & de Télé* irtaqiie , ne nous aufoient peut-être jamais donné ces Ouvrages , s'ili avoiem dii les écrire en vers. Il eil Ae beaux Poëmes fans vers , comme il eft de beaux vers (ans poëfie , & dé beaux tableaux fans im riche co- loris.
■ Qu'on ne dife point que c'eft la par- tie dw coloris qui conflîtiie le Peintre ,' & qu'on n'cft Peintre qu'autant qu'on fçait colorier. C'eftall^uer pourpreu- re une queftion que je crois même de- voir demeurer fans décifion. Expli-' goons-nou».
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{Il Ré/lexîoas eriilqius
SECTION XLIX.
Qu'il tft inutiU de dijpuur Jî la partit Ja àeffdn & de l'txprtj^a tfi préférabl* à celle du coloris.
1 / A perfeûion du deffein & celle du coloris font des chofes réelles , & fur Jefquelles on peut dilputer &. conve- nir à l'aide d'un compas ou de lacoai' paraiibn. Ainâ les peribiuies intelli- gentes conviendront bien entre elles du rang que le Bnui tient entre les Compoûtetirs & les Deûînateiirs , comme du rang du Titien entre les Co- Ibriftes. Mais la quefHon , ii le Brua eft préférable au Titien ; c'eft-à-dire, £ la partie de la compofitîon poétique & de l'expreffion efl préférable à celle du coloris , &c laquelle de c^s parties- cft fiipérieure à l'autre : je tiens qu'il çft inmile de Tagiter. Jamais les per- sonnes d'un fentiment oppofé , ne içau- roient s'accorder fur cette prééminent ce dont on juge toujours par rapport à foi-même. Suivant, qu'on eft plus ou moins fenûble au coloris , ou bien i
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fut ta Poêjîe &fur la Peînturt. J i J , la Poëâe pittorefque , on place le Co- Iprifte au-defTiis du Poète , ou le Poëte au-deffns du Colorifte. Le plus grand Peintre pour nous eft celui dont les cuivrages nous font lu plus de plailir.
, Les hommes ne font pas affeflés également par le colons , ni par l'ex- preflîon. Il en eft qui , pour ainfi dire , ont l'œil plus voluptueux que d'autres. Leurs yeux font organifes , de ma- nière que l'harmonie & la vérité des couleurs y excite un fentimcnt plus - vif que celui qu'elle excite dans les yenx des autres. Un autre homme , clont les yeux ne font point conformés auflî heureufement , mais dont le cœur eA plus fenfible que celui du premier , trouve dans les expreflions touchantes un attrait fupérjeur au plalfir que lui donnent l'harmonie & la venté des couleurs locales. Tous les hommes n*ont pas le même fens également dé'^ licat. Les uns auront le fens de la vue meilleur à proportion que les, autres fens. Voilà pourquoi les uns' préfèrent le Pouflin au Titien ,
?uand d'autres préfèrent le Titien au' ouffin.
. Ceux qui jugent fens réflexion,' Y V
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fi4 Rlfltxîans cmtqms
ns manquent pas de Tuppofer y en faifant leurs jugemens , que les objets affeftent înténeurement les autres , amfi qu'eux-mênres ils en font affec- tés. Celui qui défend la fupériorité du PouiSn, ne conçoit donc pas qu'oa ptrifle mettre an-deflns d'un Poëte, dont les inventions lui donnent nn plaifir fenâble , un Artifan qui n*a içu que dîrpofer des couleurs , dont ITiarmonie & la richeffe lui font un plailn- médiocre. Le partifan du Titien de Ton câté » plaint le partifan du Pou£En , de préférer un Peintre qui n'a pas fçu charmer les yettx ; &: ce- la pour quelques inventions do« il jnge que tous tes hommes ne doivent pas être beancpiip touchés , parce que lui-même il ne l'eft que médiocrement. Chacun opine donc en fuppofant , comme une chofe décidée, que ta partie de la peimra-e qui lui plaît da- vantage , eft U partie de FArt qui doit avoir le pas fur tes autres ; & c'eft' en fiiivant le même principe , que les hommes iè trouvent dlin avis oppofé, trahît fua qutm^iu voluftas. Ils anroient raifon , û chacun fe contentoit de ju-- ger pour foi. Lem* tort efl de vou^
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furtaPoifie &furlttPiîntuTe. yVf loir juger pour tout le monde. Mais les hommes çroyent natiireltement que ■ leur goût eft le bon goût ; & par con- ftqiicnt ils penfent que les perfonnes' qui ne jugent pas conrmc eux, ont les organes impariàits , ou qu'elle» fé laiffent conduire à des préjugé» qiti les gouvernent , fans qrfellej- mêmes s apperçoivent du pouvoir de : la prévention.
Qu'on change les organes de ceux à- qtit Pon vondrott faire changer de fcntinrent fur les chofes qui font pu- rement de goftt ; on ^ pour mieux dire , mie draain demeuredans fon opinion , fans blâmer l'opinion des autres. Vou- loir pcrfuader à un homme qui préfére le caloris à l'expreffion , en-ïuivant fou
firopre fentiment, qn'il a tort: c'eft: ni vouloir perfiiader de prendrepIiTS de plaifir à voir les tableaux du Poiif- fin que ceux du Titien. La chofe ne! dépend pas plus de hti qu'il dépend <i*un homme dont !e palais eft confor- mé, de manière que le vin de Cham- pagne lui fait plus de p!aifir qtre le vin ' çl*Efpagne , de changer de goût , &' d'aimer mieux le vin d'Efpaghe que Tautre.
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Yl6 Rifitxtoas crhiquti
La prédile^ion qui nous fait donner la préférence à une partie de la pein- ture fur une autre partie , ne depen4 flonc point de notre raifoo , non plus que la prédileûion qui nous fait aimer un genre de poëfle préférablement aux autres. Cette prédileâioji dépend de notre goût , Se notre goût dépend de notre organifatioo , de nos inclina- TÎons preientes & de ta iituatioD de notre efprit. Quand notre goût change , ce n'en point parce qu*on nous aura perfuadé d^en changer; mais c'éft qu'il eft arrivé en nous un changement phy- sique. Il eft vrai que fouveni ce chan- gement nous a été infeniible , & que nous ne pouvons même nous en ap- percevoir qu'à l'aide de la réflexion , parce qu'il s'efl fait peu à peu &(. im- perceptiblement. L'âge & pluGeurs autres caufes produiient en nous ces fortes de changemens. Une paflîontrif- te nous fait aimer durant im tems des livres aflbnis ànotre Inimeiu- préfente. Nous changeons de goût aufli-tôt que nous fommes confoles. L'homme , qui durant fon enfance , frouvoit plus de plailtr à lire les Fables de la Fontaine , que les Tragédies de Racine , leur pré-:
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furU Poêjû & fur ÎAftlmure. ^17. ftre à trente ans ces mêmes Tragédies, Je dis préférer & aimer mieux , & non pas louer & blâmer : car en préférant la leûiire des Tragédies de Racine à celle des Fables de la Fontaine , 01^ né laifTe p%& de louer & même d'ai- mer toujours ces Fables. L'homme ,, dont je parle , aimera mieux à foixante" ans les Comédies de Molière » qui lui, remettront iï bien devant les yeux le. monde qu'il a vu , & qui lui fourniront des occafions fi fréquentes de faire des réflexions fur ce qu'il aura obfervé dans le cours de fa vie , qu'il n'aimera-. les Tragédies de Racine » pour lef- mielles il avoit tant dégoût, lorfqu'it etoit occupé des paffions que ces piè- ces nous dépeignent. Mais ces goûts particuliers n'empêchent pas les nom-, mes de rendre juftice aux bons Au-, leurs , ni de faire le difcernement de , ceux qui ont réuflî , même dans le genre , pour lequej ils nont point de prédilec-- tion. C'eft fur quoi nous nous éten- drons davantage à la 6n de la fecondd partie de cet Ouvrage.
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yi8 Rifiexîons cntîqnei
SECTION L.
10e ia Sculpture , Ja talent qu'elle Je-' ' mande 3 & de l'Art da Bas-reliefs,
X o u T ce qtie nous avons dît tou- chant rordonnance 8c Texpreffion des tableanx , pent aufli s'appliquer à la Sculpture. Le cizeau ett capable d'i- miter , & dans les mains d'un homnw de génie, il fçait intérefler prefqu'aii- tant que le pinceau. II eft vrai qu'on; pËW être lu» bon Sculpteur, fans avoir autant d'invention qu'il en faut pour être un excellent Peintre; mais fi la Poëfie n'eft pas fi nécefîaire au Sculp- teur, un Sculpteur ne laiffe pas d'en faire un ufage qui le met fort au- defliis de fesconcurrens. Nous voyons «îonc par plnfieurs produ£Hons de la Sculpture , qu'entre les mains d'un homme de génie , elle eft capable des ^us nobles opérations de la Peinture. Telle étoit l'hiftoire de Niobé , repré- fentée avec quatorze ou quinze fta- tuës liées entre elles par une même aâion. On voit à Rome dans la Vigne
fur ta Poêfie &fur ta Psnturt. y ! çf cTc Médicis, les fçavantes reliques de cette compofitlon antique. Tel ^toic le Grouppe d'Alexandre bleffé , & foutenu par des foldats , dont le Pat- miin & le Torfe^ de Belveder font des figures. Pour parler de la Sculpture moderne , teïs que font le tombeait du Cardinal de Richelieu « & Ten- levement de Proferpine par Girar- don , la Fontaine de la Place Na- vonne , & l'extafe de Sainte Thë- refe par le Bernin, comme le grand bas-relief de l'Algarde qui reprefente Jaint- Pierre 6c faint Paul en l'air menaçans Attila , qui venoit à Rome pour la faccager. Ce bas-relief fèrt d'e tableau à un des petits Autels d& la Bafilique de faint Pierre.
Je ne fçai point même s'il ne faut, pas plus de génie pour tirer dn mar- bre «ne compofîtion pareille à celle de l'Attila , que pour la peindre fiir une toile. En effet , la poëlte & les e^prelKons en font atim touchantes que celle du Tableau oti Raphaël a traité le même ftijet ; & l'exécution ùa Sculpteur qui femble avoir trouvé le clair-obfcur avec fon cifeau , me paroît d'un pluigrand mérite. que celle ■
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^XO Kéfoxîons enùqmr
du Peintre. Les figures qui font fv^ le devant de ce fuperbe morceau font prefque de ronde bo0e. Elles font de véritables ftatues. Celles qui font der- rière, ont moins de relief, & leurs traits font plus ou moins marqués , félon qu'elles s'enfoncent dans le loia- btin. Enfin la composition finit par plu* fieurs figures , deffînées fur la fuperfi- çîe du marbre par de fimples iraits. Je ne prétends pas louer l'Algarde , d'avoir tiré de fon génie la première idée de cette exécution , ni d'être l'in- venteur du grand art des bas-reliefs ; mais bien (Tavoir beaucoup perfec- tionné par l'ouvrage , dont il s'agit ici , cet art déjà trouvé par les Mo- dernes.
Nous ne voyons pas du moins dans les morceaux de la Sculpture Grec- que ou Romaine qui nous font reliés, que l'art des bas-reliefs ait été bien connu des Anciens, Leurs Sculpteurs ne fçavoient que couper des figures de ronde bofie par le milieu ou par. le tiers de leur epaifleur , & les pla- quer ^ pour aînfi dire , fur le fond du bas-relief, fans que celles qui s'en- fonçoient , fiiflent dégradées de lu-
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Jurla Poéfie ^ fur la Pihiture. 511% miere. Une toiir mû paroît éloignée de , cinq cens pas du devant du bas-relief; , à en juger par la proportion d'un foldat , monté iiir la tour , avecles perfonnages : placés le plus près du bord du plan ; ; cette tour, dis-je eft taillée, comme fî, Ton la voyoit à cinquante pas de dif- tance. On apperçoit diftinâement l^ jointure des pierres, & l'on compte les tuilles de la couverture. Ce n eft pas aînli que les objets Ce préfentent a nous dans la nature. Non-feulement- ils paroilTent plus petits , à mefiire qu'ils s'éloignent de nous; mais ils fe confondent encore , quand ils font à une certaine diAance, à caufe de l'inter- pofition de la maffe de l'air. Les Sculp-. teurs modernes , en cela mieux inAniîts que les anciens , confondent les trait» des objets qui s'enfoncent dans le bas-,- relief, & ils obfervent ainû la perfpec- tive aérienne. Avec deux ou troispou- ces de relief, ils font des figiu-es qui paroiïïent de ronde boffe , & d'autres qui femblent s'enfoncer dans le loin- tain. Ils y font voir encore des pay- sages artillement mis en perfpeûivë par une diminution de traits, lefquels étant non7fculement plus petits, maî^^
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511 RÂJtésiUlts eritiqtm
encore ffioins marquas » & fe con^n»^ dam même dans Téloigneroent , pn>* duifcnt i peu près le même effet ea Sculpture ,q ue la dégradation des cou' leurs fait dans un tableau. On peut donc dire que' les anciens n'avoîent point l'art des bas-reliefs , aalE parfit que nous l'avons aujourd'hui, qurâ-
3u*on voye des figures admirables dans es bas-reliefs antiques. Telles font les Danfeufes du Louvre copiées d'a- près le bas-retief antique qtii eft àRome^ & que tant de Sculpteurs hatntes ont I»ires pour étude.
Je ne trouve donc pas que larécoffl* penfe de l'AIgarde , à qui le Papcinno* cent X donnartrente mille écns pour ibn bas- relief, ait été exceffire* Je k- to\s voir encore que le Cavalier Ber- inn & Girardon ont mis atnant de poë- fie que lui dans leurs ourraws , fije ne craignois d'ennuyer mon leCTcnr. Je de raponerai donc de toutes les inven- tions du Bernin , qu'un trait qu'il a placé dans fa Fontaine de la place de Navonne , pour exprimer une circonf- tance particuRere au cours du Nil ; que fa fource foit inconnue , & que , cont- re le dit Liicain^ la nature n'ait pa;
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furlaPoi^t tffittUPtîntun. f i^ TOulu qu'on ait pût voir ce ficuve foiu) lafimne d'un nulTeaur
Ârcanum ruvwa tfifut non protuf il alli , tftc lukir pefulU paryum et, Nlli, tiiai,
La ftattte qui repr^r«nre le Nil , SC qne le fiemin a rendue recotlnoilTable par les attributs que les Anciens onf alHgn^s à ce 6euve , fe couvre la tête d'un voile. Ce trait qui ne fe trouve pas- clans l'antique , &c qui appartient au Sailpteur , exprime ingénieiilemenr l'inutilité d^un grand nombre de tenta- tives, qwe tes Anciens Scies Modernes- avoient faits pour parvenir jiil'qu'aux iburces du Nil , en remontant l'on ca- nal. L'allégorie du fiernin déligne no- blement que le Nil a voulu cacher la' foarce. Voilà ce qu'on croyoit encore coromuRément à Rome fous le Pontifi- cscd'imiocentX., quand leBeminfitHi Fântaine. Il eft vrai que les perfonnes curieufes T dévoient avoir déjà con- noiffance des décotivertes du Père Ma- nuel d'Alm^a & du Père Hieronimo Lobo , quoique l'hifloire de la haut» Ethiopie du Fere Tcllez , qui le pre<> niier a donné ces découvertes au pu- blic^ ne fût pa5 encore imprimée. ËUç
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f44 Rifexions eriuquts
qe parut que fix ans après la mort d*Ià^ nocem X (a.\ Mais les relations parti- culières que les Jéfuites Portugais avoient envoyées à Rome , & ce qu'en avoit raconté ceux d'entre eux qui ëtoient repafl<£ en Europe « dévoient y avoir appris déjà aux curieux comment Soient faites tes Cources du Nil C ^ ) qu'on avoit enfin découverte» oans PAbyffinie.
Les &tts merveilleux font encore vé- ritables pour les Poètes de tout genre, longtems après qu'ils ont cefle de l'être pour les Hiftoriens & [>our les autres Ecrivains , dont la vérité eft le premier objet. Je penfe même que fur beau- coup de faits de Phyiîque , d'Aflrono- mie & de Géographie , les Peintres , les Poètes & les Sculpteurs doivent s'en tenir i l'opinion communément reçue de leur tems , quoiqu'elle foit contre- dite avec fondement par les Sçavans. Âinlî le vol de l'hyTondelle qui rafe la terre « fera pour le Poète un vol timi- de , quoique ce vol foit très-hardi pour Borelli, & pour 'les autres Sçavans, 1^ ont étudié les mouTemens desani;. |
fur la Poljît &fur la Pànture. 515 maux. La femelle d'une ruche d'Abeil- les fera le roi de l'eflain , & on lui at- tribuera encore tout ce qui peut avoir été dit d'ingénieux fur ce roi prétendu qui ne porte point d'aiguillon. Je ne difconviens point que ces vérités de- venant plus communes avec le tems , il ne faille un joiu- que les Poètes s'y conforment. Mais ce n'eft point à eux de les établir , ni de choquer , pour les établir , Topinion vulgaire, a moins qu'ils n'écriviflent de ces Poèmes que nous avons appelles des Poèmes dog- matiques.
FIN du prmur Tome't
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