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JOHNA.SEAVERNS

LE MARQUIS DE L'AIGLE

RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

SUR

LA CHASSE DU CERF

PREFACE PAR LE COMTE D'HAUSSONVILLE

DE L ACADEMIE FRANÇAISE

PARIS

MANZl, JOYANT & C'S éditeuhs-impiumeurs 24, boulevard des Capucines, 24

RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

SUR

LA CHASSE DU CERF

PA.R

LE MARQUIS DE L'AIGLE

PREFACE PAR LE COMTE D'HAUSSONVILLE

DE L ACADEMIE FRANÇAISE

MANZI, JOYANT.& C'S éditeurs-imprimeurs 24, boulevard des Capucines, Paris

PRÉFACE

Voici un livre de belle humeur française, écrit avec gaieté, bonne grâce, d'une langue excellente et claire, amusant pour tout le monde, utile pour quelques-uns.

Nul n'était mieux préparé pour l'écrire que le marquis de L'Aigle. Il est, en effet, maître d'équi- page depuis 1893. Cet équipage qu'il dirige, il l'a reçu de son père; il le transmettra à son fils. S'il est, en effet, un goût atavique, c'est celui de la chasse à courre. « C'est dans le sang », comme disent les gens du peuple. Les preuves en abon- dent. Les grands équipages de l'Ile-de-France, de la Normandie, de l'Anjou, de la Touraine, de la Vendée, du Poitou ceux des... Boisgelin, des Ghezelles, des Puységur, des d'Andigné, des Ghampchevrier, des du Luart, bien d'autres que je pourrais citer sont tous héréditaires. Ils ont passé de père à fils, souvent de grand-père à petit- fils. Parfois l'héritage remonte plus haut; ainsi la première chasse de l'équipage de L'Aigle a eu

H REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

lieu en 1790. Chez ceux qui, pour une raison ou pour une autre, n'ont pas conservé l'héritage, le goût est resté. Après ces grands noms de la vénerie française, je n'ose parler de moi, obscur. Je ne puis cependant me retenir de dire que mon arrière-grand-père a été le dernier grand louve- tier de France, que mon grand-père et mon père ont eu un équipage, et que j'avais sept ans lorsque j'ai vu forcer mon premier sanglier. C'est sans doute à cause de cela que, de tous les plaisirs de la vie, le plus enivrant, aussi long- temps que j'ai pu le goûter, le plus regretté depuis que j'ai y renoncer, a toujours été pour moi la chasse à courre. 11 n'y a que la musique que je mettrais en balance.

Le goût, ce n'est pas assez dire, la passion de la chasse à courre n'est pas seulement héré- ditaire chez les maîtres d'équipage : elle l'est aussi chez les piqueux, pour commencer à parler la langue de la vénerie. Il y a des dynasties de piqueux. A vingt-trois ans, j'ai chassé avec un Gho- pelin qui dirigeait l'équipage Boisgelin d'autre- fois; c'est encore un Ghopelin qui dirige l'équipage Boisgelin d'aujourd'hui. Le vieux père Lefort, originaire de Seine-et-Marne, qui avait été valet de chiens chez mon grand-père, et qui a fini garde-chef chez M. Alfred Sommier, au château de Vaux-le-Vicomte, a peuplé de ses fils et petits- fils les équipages de l'Ile-de-France. Il en est de

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même des Cauvain de l'Oise. Je suis certain qu'en Poitou, en Vendée, on pourrait citer d'autres exemples de ces dynasties. Formés ainsi à la chasse dès leur enfance, entrés dans un équipage dès leur jeunesse, successivement valet de chiens à pied, valet de chiens à cheval et piqueux, ayant vieilli dans le métier, ces hommes arrivent à une expérience, à un flair, à une sorte de divination auxquels ne sauraient croire ceux qui ne les ont pas vus travailler. Ils ne le cèdent en rien à ces Indiens suivant leurs ennemis à la piste dont parlent les romans de Gooper et dont les prouesses enchantaient notre enfance.

Je me souviens, entre autres, d'un certain Basseville avec lequel j'ai chassé d'abord en forêt de Villefermoy avec l'équipage du comte Gref- fulhe, et ensuite en forêt de Fontainebleau avec l'équipage Lebaudy. Je lui ai vu faire, un jour, quelque chose que j'ai jugé tout à fait remar- quable. Deux ou trois chiens rapprochaient un cerf qui avait vidé l'enceinte il avait été rem- buché, avant qu'on ne vînt frapper à la brisée. Ces choses-là arrivent. Les chiens chassaient froidement : ils semblaient balancer. Basseville, à cheval, se mit à faire à l'œil la route qui bordait l'enceinte. C'était une route ferrée, à peine humide. Tout à coup il s'arrêta. « Notre cerf passe », s'écria-t-il. Un valet de chiens à pied s'appro- cha : « Non, dit-il, j'ai fait la route ce matin ;

IV REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

c'est une des voies du relevé. Je vous dis que c'est lui, répliqua Basseville. Cet animal-là ne passe pas d'assurance; il passe d'effroi, appelez les chiens. » Il voulait dire par qu'il ne passait pas tranquillement, au pas, comme un animal qui va, le matin, au gagnage, mais au galop, comme un animal poursuivi. On appela les chiens; cinq minutes après, l'animal qui s'était tapi dans l'en- ceinte voisine bondissait devant eux. Ainsi, du haut de son cheval, sur une route ferrée, Basse- ville avait reconnu de quel train marchait un animal. Un Huron ou un Mohican n'aurait pas fait mieux. L'hérédité, l'instinct, l'éducation, l'expérience, qu'il s'agisse d'un maître d'équipage ou d'un piqueux, il ne faut pas moins que toutes ces conditions réunies pour faire un bon veneur.

*

A quels instincts secrets de notre nature répond chez l'homme le goût de la chasse à courre ? J'aime autant ne pas trop approfondir la ques- tion. 11 faudrait, je le crains bien, reconnaître que c'est à un instinct un . peu carnassier, quelque chose qui n'est pas, après tout, très différent de celui de la bête féroce qui poursuit sa proie lors- que celle-ci cherche à se dérober par la fuite. J'aime mieux chercher une explication plus noble.

Pour moi, ce que j'ai toujours passionnément

PREFACE V

aimé dans la chasse à courre, c'est la part d'im- prévu, d'inconnu, j'oserai presque dire d'aven- lure, qui en est inséparable, ce n'est pas assez dire, qui en est le fond même. On sait comment une chasse à courre commencera, à quelle heure, dans quel endroit. On ne sait ni où, ni comment elle finira, quelles en seront les péripéties, dans quel pays elle vous conduira. Ce que j'écris amènera peut-être un sourire sur les lèvres de ceux qui, de leur vie, n'ont assisté, en fait de chasse à courre, qu'à une brillante Saint-Huberl en forêt de Chantilly ou de Rambouillet, voire même de ceux qui chassent habituellement le cerf avec les équipages des environs de Paris. Je reconnais, en effet, que, depuis quelques années, surtout depuis que non seulement des voitures, mais des automobiles suivent les chasses et sont toujours pour ramener les invités au train de cinq heures, après l'hallali ou même aupa- ravant, la part d'inconnu et d'aventure a singu- lièrement diminué. Mais, dussé-je me donner le ridicule, assez fréquent chez les vieilles gens, de parler de ce qui se faisait de leur temps, je pense surtout à la chasse telle qu'on la pratiquait autre- fois, et ceci me contrairit à un aveu qui, aux yeux des grands veneurs, me fera peut-être quelque tort.

Je reconnais que la chasse au cerf est la plus belle de toutes, la plus noble, la plus royale. C'est

VI REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

la chasse à courre par excellence, parce qu'elle est la plus difficile de toutes, sauf, me suis -je laissé dire, celle du chevreuil qu'on pratique sur- tout dans l'Ouest et que je n'ai jamais chassé; mais cependant je suis obligé de confesser que je préfère la chasse au sanglier. Je reproche à la chasse au cerf d'être un peu monotone et de man- quer précisément d'imprévu, sauf dans les pays de petites forêts coupées par des débuchés. Qu'il y ait dans la forêt un étang, c'est là, neuf fois sur dix, que la chasse finira. La chasse au sanglier est, au contraire, plus variée : plus mouvementée à l'attaque, plus incertaine dans son parcours, plus dangereuse parfois à la fin. Je demande la per- mission de dire comment on chassait le sanglier dans mon jeune temps, c'est-à-dire quelques années avant la Guerre, et cela non pas dans quelque province reculée, mais en Seine-et- Marne et dans l'Yonne, pays j'ai beaucoup chassé autrefois.

On partait le matin, vers huit ou neuf heures, suivant que le rendez-vous était plus ou moins loin, à cheval, au pas, suivant les chiens que précédait un valet de chiens à pied, menant par- fois soi-même en main les chevaux des hommes qui étaient partis de grand matin pour faire le

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bois, et qui ne devaient monter à cheval qu'au rendez-vous. On y arrivait vers dix heures. On entendait le rapport des hommes. Ils mangeaient le déjeuner froid qu'on leur avait apprêté, s'ha- billaient et montaient à cheval à leur tour. On allait alors frapper à la brisée dont le maître d'équipage avait fait choix et l'on entrait en chasse vers onze heures.

Souvent l'attaque ne se passait pas sans inci- dents. Si l'animal détourné était seul, dans une enceinte un peu fourrée, s'il était bien armé, on ne savait jamais s'il ne renverrait pas les quel- ques chiens qu'on avait déhardés d'abord pour le mettre sur pied, et s'il ne faudrait pas, pour l'obliger à vider l'enceinte, découpler la harde tout entière. Il n'y avait pas moyen de faire autre- ment si les animaux étaient en compagnie, ce qui était le cas le plus fréquent. Les valets de chiens à pied, parfois le second piqueux qui avait donné son cheval à tenir, entraient sous bois avec les chiens pour voir ce qui allait se passer. Tout à coup on entendait un hourvari formidable. C'étaient tous les chiens se recriant à la fois parce qu'ils étaient tombés sur la compagnie de sangliers. Si un cri aigu dominait, c'était un chien blessé, et le maître d'équipage, resté dans l'allée, se désespérait déjà, ne doutant pas, souvent avec raison, que ce ne fût le meilleur. Ou bien c'étaient des vagisse- ments d'enfant; les chiens étaient en train de

VIII RÉFLEXIONS D'UiN VIEUX VENEUR

dévorer un marcassin. Cependant les sangliers se dispersaient; ils sautaient les allées bordant l'en- ceinte, les uns celle-ci, les autres celle-là; c'était au maître d'équipage à rapidement faire choix de celui sur lequel il voulait rallier les chiens, au pre- mier piqueux de veiller à ce qu'il n'y eut pas plu- sieurs chasses. Mais souvent les chiens s'étaient ralliés d'eux-mêmes, et la chasse commençait.

Parfois elle avait, je le reconnais, l'inconvé- nient d'être trop courte. Si l'animal était un peu lourd, si c'était un solitaire, trop tôt il faisait tête aux chiens, généralement dans un endroit de la forêt un peu épais. On entendait les abois ;*c'était le moment critique; les péripéties de l'hallali commençaient. Piqueux, maître d'équipage, tout le monde mettait pied à terre pour se porter au secours des chiens. Lorsqu'on arrivait, il y en avait déjà parfois quelques-uns de blessés qui gisaient àterre, les entrailles pendantes. Quelque- fois, à la vue des hommes, le sanglier, ayant repris haleine, repartait. Il fallait suivre les chiens à pied, non sans peine, dans le fourré. Quelque- fois, au contraire, il se dégageait des chiens et chargeait les hommes : ceux qui n'étaient pas armés tâchaient d'aviser quelques branches aux- quelles ils se suspendaient et laissaient passer l'animal sous leurs pieds. Ceux qui avaient une carabine l'attendaient de pied ferme et le visaient venant sur eux , mais il fallait que la balle

PREFACE IX

l'atteignit à la tête ou au cœur, sinon il n'en devenait que plus dangereux. Il n'était pas sans exemple que les choses finissent mal. C'est un de mes souvenirs d'enfance d'avoir vu revenir à Gurcy chez mon père, une charrette, il y avait un gros sanglier mort, deux chiens qui n'en valaient guère mieux et un homme assez grièvement blessé à la cuisse. Le plus souvent une balle bien placée mettait fin au drame. Mon père, qui était un admi- rable tireur à balle, se chargeait généralement de la chose; ou bien, si les chiens tenaient le san- glier coiffé, un homme hardi le servait au couteau. Parfois, au contraire, la chasse tournait tout autrement. Qu'un bon ragot, un peu léger, ou même un sanglier à son tiers an eût commencé par fatiguer les chiens dans les fourrés, et gagné ainsi un quart d'heure, voire une demi-heure d'avance, il prenait le contre-vent et filait en ligne droite. Les chiens, obligés de se coller à la voie, qui était haute, ne le menaient pas vite et il augmentait encore son avance. A la suite des chiens, on faisait parfois ainsi deux ou trois lieues en ligne directe, surtout si l'animal cherchait à gagner quelque forêt lointaine d'où il était venu, car le sanglier est un animal très voyageur qui change souvent de forêt, et l'on traversait des pays peu connus. Parfois, surtout s'il débuchait, et tra- versait des terrains lourds, les chiens le rejoi- gnaient, et le forçaient en plaine. C'était un hallali

X REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

Jji'illant qui rassemblait les paysans des villages environnants. Parfois, au contraire, à la tombée de la nuit, vers cinq heures, tout espoir étant perdu, il fallait arrêter les chiens. On mettait pied à terre; on sonnait des requêtes pour rassembler ceux qui avaient pu rester en arrière. On les couplait tous, puis on faisait retraite, au pas, toujours au pas, c'était un principe absolu, et, d'ailleurs, il le fallait bien, car les chevaux étaient fatigués. La retraite durait ce qu'il fallait de temps pour regagner le logis, deux heures, trois heures. On rentrait quel- quefois à huit ou neuf heures du soir. Combien souvent, étant enfant, je me souviens qu'on s'est mis à table sans mon père. Arrivé à quelque dis- tance du chenil, l'équipage prévenait de son approche; il sonnait, suivant les circonstances, ou l'hallali et la retraite prise ou la retraite manquée, plus généralement, la rentrée au chenil, les hommes n'aimant pas beaucoup à sonner la retraite manquée. Toute la maisonnée s'avançait sur le perron. Le maître d'équipage et ses invités mettaient pied à terre; ils étaient un peu transis, mais, lors même qu'il avait fallu sonner la retraite manquée, personne ne songeait à se plaindre. On avait été entraîné très loin : donc on avait fait une belle chasse.

Jeunes gens, jeunes gens, qui, à partir de cinq heures, commencez à chasser le train, voilà com- ment nous chassions quand j'avais vingt ans.

PREFACE XI

Dites si, dans la chasse ainsi pratiquée, il n'y avait ni imprévu, ni inconnu, ni aventure.

*

Qu'on ne me croie pas cependant hobereau à ce point de ne pas apprécier la chasse au cerl. Je reconnais que, lorsqu'un beau dix-cors, por- tant haut la tête, saute une allée, serré de près par toute la meute, lorsque, n'étant pas encore sur ses fins, il traverse, les chiens nageant après lui, un étang, dont il ressort, il y a un spectacle d'une élégance, d'une noblesse, que la chasse au sanglier n'ofFre jamais. Il y a aussi, dans la chasse au cerf, un charme : c'est le train. Lorsque, dans une forêt un peu claire, comme par exemple Chantilly ou Gompiègne, un cerf file en ligne droite et sans faire de retours, vigoureusement poussé par des chiens très vites, lorsque vous avez entre les jambes un cheval bien allant, qui ne tire pas, mais qui n'a pas besoin d'être poussé, lorsque les chiens sont bien gorgés et crient à pleine voix, lorsque les hommes sonnent presque sans interruption des bien-aller, ce sont des moments d'excitation, d'ivresse même, dont la mémoire ne se perd jamais et peut revenir inopinément dans des circonstances assurément très différentes.

Qu'on me pardonne un souvenir très personnel.

xu REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

J'ai pris part à toutes les opérations du siège de Paris comme officier d'ordonnance du général Princeteau qui commandait l'artillerie du corps d'armée du général d'Exea. La veille de la bataille de Ghampigny, j'avais couché avec mes camarades de Fétat-major, jjar terre, dans une petite maison délabrée qui était contiguë au fort de Nogent. Je passai une nuit assez agitée. Pourquoi ne l'avouerai-je pas? Je n'avais jamais vu le feu et j'avais peur d'avoir peur. Nous montâmes tous à cheval de grand matin, mais je fus laissé en arrière pour convoyer une batterie qui s'était égarée et la remettre dans son chemin. L'ordre que j'avais reçu étant exécuté, j'étais pressé de rejoindre mes camarades; je piquai un temps de galop. J'avais un excellent cheval que nous avons depuis surnommé dans la famille : le cheval porte- veine, car il a fait sous mon beau-frère, le marquis d'Harcourt, une campagne en Afrique et la pre- mière campagne de France, ReichshofFen, Sedan, sous moi, toutes les affaires du siège de Paris, de- rechef, sous mon beau-frère, toute la Commune et jamais aucun de ceux qu'il a portés n'a reçu la moindre égratignure. Ce cheval était très allant et il fallait plutôt le retenir. Je me souviens très nettement qu'en tournant au galop, sur la bonne jambe, la route qui descend du fort de Nogent à la Marne, j'eus un ressouvenir de chasse à courre; je ressentis une sorte d'excita-

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tion, d'ivressejoyeuse et, instinctivement, je fre- donnai entre mes dents un bien-aller. A partir de ce moment je fus tranquille et j'eus la certitude que tout irait bien. Je pourrais être tué, mais je n'aurai pas peur. *

*

Dans la chasse à courre, il y a encore une chose que j'aime : c'est un legs du passé. Les traditions de la vénerie française remontent à l'Ancien régime. Il est surprenant qu'elles aient pu traverser notre époque démocratique sans subir la moindre altération et qu'elles soient plus respectées que jamais. Les principes, les préceptes, les usages de la chasse à courre, sont les mêmes que ceux expliqués par du Fouilloux, dans son célèbre Traité de la Vénerie dont la première édition est de 1560.

La langue est demeurée intacte, et c'est une. langue à part qu'il faut connaître pour la com- prendre. Qui saurait, par exemple s'il n'a été élevé dans la vénerie, que la nappe d'un cerf, la paroi d'un sanglier, veut dire sa peau ; qu'un pavé est toujours une grande route, lors même qu'elle est dépavée depuis longtemps, que : se /^zeyM^er signifie, pour un animal, avoir une allure irrégulière et qu'on dit toujours : en forêt de... et non pas : dans la forêt de... La langue de la vénerie, comme la paume, a fourni au langage

XIV REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

courant bien des métaphores usuelles dont chacun se sert, sans en savoir l'origine. « La République est aux abois! » dit un jour à la tribune, M. Baudry d'Asson, le fougueux député de la Vendée qui était un veneur émérite, et Gambetta, du haut du fauteuil présidentiel, répliqua assez drôle- ment : « J'engage M. Baudry d'Asson à se servir d'expressions moins cynégétiques », mais il ne savait probablement pas que, lorsqu'un animal est forcé, les chiens qui l'entourent aboient d'une façon particulière à laquelle l'oreille d'un veneur ne se trompe pas un instant. Mon père, qui était aussi un grand joueur de paume, expliquait sou- vent à ses confrères la signification de certaines comparaisons qui ont passé de la langue du jeu de paume dans la conversation courante, ainsi l'expression : peloter en attendant partie. Depuis la mort de M. le duc d'Aumale qui s'y entendait comme il s'entendait en toute chose, j'ai la spé- cialité de leur expliquer les termes de vénerie qui se rencontrent souvent dans le dictionnaire de l'usage. C'est ainsi qu'à la lettre B, lorsque nous en sommes arrivés au mot brisée, non seu- lement, je leur ai expliqué doctement ce que c'était qu'une brisée, mais j'ai ajouté, pour leur édification, qu'un valet de limier faisant suite d'un animal et rencontrant la brisée d'un cama- rade qui l'avait dépisté avant lui devait inter- rompre sa quête et ne pas « aller sur la brisée »

PREFACE XV

du camarade. D'où la métaphore bien connue. La vénerie française a également hérité de l'ancien régime certaines traditions de politesse, de cérémonie, au maintien desquelles on reconnaît tout de suite un équipage héréditaire, ou encore un équipage nouveau formé par quelqu'un qui sait son affaire. Je n'en citerai qu'un exemple. Les piqueux et valets de chiens à cheval devant tou- jours suivre au plus près des chiens, sont obligés, en galopant dans les allées, de dépasser les invités; c'est à ceux-ci à les laisser passer, de même qu'ils ne doivent jamais devancer le maître d'équipage. Mais les hommes d'un équipage bien stylé ne dépasseront jamais un cavalier, fût-ce à plein galop, sans se découvrir et mettre un instant leur cape à la main. Parfois même les hommes d'équipage puisent dans l'éducation qu'ils ont reçue, non seulement d'excellentes manières, mais un véritable esprit d'à-propos. J'ai beaucou[) chassé avec un certain Hourvari qui avait été formé à l'équipage du duc de Valençay et qui avait passé ensuite à celui de M. le duc d'Aumale. On voit qu'il avait été à bonne école. Hourvari avait l'allure et les manières d'un père noble de la Comédie-Française. Il a fini à l'équipage Lebaudy qu'il menait admirablement. Un jour, c'était en forêt de Fontainebleau, le cerf venait de sauter une allée : les chiens n'étaient pas encore passés. Quelques cavaliers impatients se prépa-

XVI REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

raient à partir au galop, sans s'inquiéter de fouler la voie ou d'enlever les chiens. D'un geste, sa cape à la main, Hourvari les arrêta : « Messieurs, leur dit-il, tant que le premier piqueux n'a pas passé, personne ne doit passer; ce n'est pas l'homme, c'est la fonction. » A combien de circonstances de la vie, à combien de visites offi- cielles, cette formule ne s'applique-t-elle pas? Je me souviens qu'il y a plus de vingt ans, alors que j'avais l'honneur de représenter M. le comte de Paris, je dus, comme directeur de l'Académie, rendre visite au jour de l'an à M. Carnot, alors président de la République. Quelques royalistes en furent scandalisés et prirent la peine de me l'écrire. J'aurais pu leur répondre, comme Hour- vari : « Ce n'est pas l'homme, c'est la fonction. »

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Je me suis laissé entraîner par mes impressions personnelles et mes souvenirs trop loin du livre de M. le marquis de L'Aigle. J'y veux revenir avant de terminer pour redire encore combien ce livre est agréable et utile. Ceux qui ont la pré- tention de savoir un peu ce que c'est que la chasse à courre, on a pu s'apercevoir que je suis du nombre, y trouveront encore beaucoup de choses qu'ils ignoraient; ceux qui ont tout à apprendre y feront leur éducation. Ils ne sauraient

PREFACE xvir

se mettre à Fécole d'un meilleur maître, ni dont les leçons soient plus attachantes, car elles sont entremêlées d'anecdotes spirituellement contées. Je ferai cependant à M. de L'Aigle un reproche que les auteurs prennent rarement en mauvaise part : son livre est trop court. 11 y manque un chapitre sur les fanfares.

Les fanfares ne sont pas seulement la gaieté de la chasse à courre. Elles en sont aussi la poésie et en accompagnent les épisodes. Parfois elles sont entraînantes et vous emportent avec elles, ainsi le débuché. Parfois elles sont écla- tantes comme un chant de triomphe, ainsi l'hallali; parfois elles sont lamentables, ainsi la retraite manquée. 11 en est même qui ont une certaine mélancolie, comme les Adieux des Pique ax ou les Adieux à Chantilly^ fanfares de fantaisie, je le reconnais, mais qui, bien sonnées et dans l'es- prit des paroles, car toute fanfare a des paroles, font penser au vers de Vigny :

Dieu! Que le son du cor est triste au fond des bois,

Vigny n'était pas un veneur. Il faut lui par- donner d'avoir dit le cor, au lieu de : la trompe.

Il appartenait à un maître comme le marquis de L'Aigle de dire quand il faut sonner, ce qu'il faut sonner, et aussi quand il ne faut pas sonner. Il y a là, dans son livre si complet, une petite

xviii REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

lacune. Pour ceux qui veulent véritablement s'in- struire, cette lacune peut être heureusement com- blée par une charmante petite plaquette due à Madame la duchesse d'Uzès que je me permettrai d'appeler la « grande maîtresse de la vénerie française », et qui, en fait de connaissance de la chasse à courre, pourrait le disputer au marquis de L'Aigle. Je renvoie à cette plaquette les jeunes veneurs qui voudraient compléter leur éducation. Ce qui achève de faire de l'ouvrage de M. le marquis de L'Aigle une publication tout à fait rare, ce sont les illustrations. Le marquis de L'Aigle n'est pas seulement un veneur, il est encore un aquarelliste. Il ne manie pas seulement la plume mais aussi le pinceau, et, le pinceau à la main, de prosateur il devient poète. Rien de joli, de vivant, de bien vu, comme les aquarelles qui, presque à chaque page, reproduisent quelques épisodes du texte ainsi replacés dans leur cadre, quelques scènes de chasse auxquelles on croit assister. M. de L'Aigle a un sentiment très juste de la nature, des échappées de forêt, des débuchés, des quêtes du matin quand l'aube se lève à peine, des bat-l'eau quand le soleil se couche, des passages de rivière, des étangs. Tout est rendu avec des couleurs vives et sobres, avec un art qui n'enlève rien à la vérité. Gomme on a le sen- timent, en lisant le livre, que Fauteur raconte ce qu'il sait, de même en regardant les illustrations

PREFACE XIX

on a le sentiment que l'aquarelliste peint ce qu'il a vu. L'amateur d'art qui feuilletera ce livre éprouvera un plaisir égal à celui du veneur qui le lira. Les vieux aimeront à se souvenir, les jeunes à s'instr,uire, et, comme le veneur se double chez moi d'un académicien qui a le droit d'être un peu pédant, je terminerai par ce vers que tout le monde connaît et dont peu de personnes savent l'auteur :

Indocti discant et ament meminisse periti.

AVANT-PROPOS

«Ak

ART du conteur est de réduire l'action à ce qu'elle a d'origi- nal et d'intéressant, rien que cela ; soyez original, soyez intéressant et vous serez un conteur charmant, nous dit Marmontel, et, après lui, tous ceux qui onl le goût de la lecture. Seu- lement, si beaucoup s'exercent dans ce genre hérissé de difficultés, combien peu y réussissent! Original ! Je crains fort qu'en parcourant les lignes qui vont suivre, l'on vienne répéter ce mot de Ghamfort : « Les livres d'à présent ont l'air d'être faits en un jour avec les livres faits de la veille. »

Qu'est-ce, en effet, que l'œuvre du plus beau génie, sinon la plus vaste des compilations, la plus condensée et la plus éblouissante? Gom- ment, si l'on veut parler chasse à courre, ne

XXII RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VEXEUR

pas suivre la voie que nos ancêtres nous ont tracée avec tant d'autorité !

II faut bien se résigner à répéter les doctrines que nous ont enseignées les du Fouilloux, les Salnove, les Sélicourt, les Gaffet de la BrifFar- dière, les Leverrier de la Conterie, les d'Yau- ville et autres célébrités non moins estimées des veneurs. Leurs sages préceptes ont si peu changé depuis lors.

« Tout est dit, et Ton vient trop tard depuis tant d'années qu'il y a des hommes et qui pensent. »

« Nous ne faisons que nous répéter les uns les autres », avait déjà écrit Montaigne avant La Bruyère. Paroles décourageantes, mais toujours vraies.

L'on raconte qu'un jour Renan proposa à un jeune homme désireux de faire une thèse le sujet suivant :

De quibusdam ineditis jam editls.

Ce mot d'esprit paraphrase l'axiome classique français :

« Rien n'est nouveau sous le soleil » et sauve- garde un peu, je l'espère, la tâche téméraire que j'ai entreprise aujourd'hui de mettre sur pied ce petit livre.

Cependant, si j'ai eu l'audace de ne pas garder pour moi seul les « réflexions d'un vieux veneur», c'est qu'il m'a paru original, pour le coup, de

AVANT -PROPOS xxiii

jeter en marge, au fur et à mesure que ma plume courait sur le papier, quelques croquis sans pré- tention, susceptibles d'animer et d'égayer un texte souvent banal, à force d'avoir été publié, qui n'en- seignera rien de nouveau aux fidèles disciples de saint Hubert.

De plus, ce titre que j'ai choisi avec intention me permettra de sortir, à l'occasion, des limites étroites d'un « traité de vénerie », pour divaguer à mon aise en marge de mon sujet.

Au fond, « la meilleure science que nous pou- vons apprendre (après la crainte de Dieu), n'est- elle pas de nous tenir et entretenir joyeux, en usant d'honnestes et vertueux exercices, entre lesquels je n'ay trouvé aucun plus utile et plus recommandable que l'art de la vénerie ? »

Ainsi s'exprimait au xvi^ siècle Jacques du Fouilloux, notre premier maître, et c'est sous ses auspices que son élève respectueux se place pour se faire pardonner ce modeste opuscule et les illustrations qui accompagnent le texte.

Marquis de L'AIGLE.

I

LE CHENIL ET LA NOURRITURE DES CHIENS

' -^ ^ ' UELs que soient les anciens

livres de chasse que vous ouvriez, vous en trouverez peu, sauf d'Yauville, les auteurs aient pris la peine de décrire l'installa- tion d'un chenil modèle. Pourtant, les conditions hygiéniques sont aussi nécessaires au chien qu'à l'homme, et il tombe sous le sens que, pour avoir des animaux vigoureux et sains, il convient de ne rien négliger aussi bien à l'égard de leur propreté qu'à celui de la salubrité de leur logement. Sur ce dernier point, l'architecte le plus dis- tingué commettra erreurs sur erreurs, s'il n'est pas dirigé par un chasseur ayant acquis assez d'expérience pour déterminer l'empla- cement et la disposition du logis destiné à un équipage.

2 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

Si on laisse à l'artiste, qui ne connaît ni les mœurs, ni les habitudes des chiens, ni les travaux usuels de ceux qui les soignent, la liberté absolue de ses conceptions, tantôt il mettra le chenil des mâles à côté de celui des chiennes, tantôt la cuisine et ses dépendances seront placées à l'opposé de la cour ils prennent leurs repas ou bien le valet de chiens, par le choix de son logement , ne pourra exercer sur eux aucune surveillance. L'habile homme croira répondre à vos recommandations de salubrité en construisant des bancs en marbre, faciles à laver, il est vrai, mais dont l'inconvénient, auquel il n'aura pas songé, sera d'infliger des rhumatismes à vos animaux. S'agit-il des fenêtres, il oubliera que ces der- niers sont munis de jambes à ressorts d'acier, et il pratiquera des ouvertures dans le mur à la hauteur convenable pour qu'ils puissent aisé- ment prendre la clef des champs. Toujours en vue de l'hygiène, il construira la salle ils cou- chent dans des proportions si vastes, si élevées que les pauvres bêtes gèleront en hiver. Je n'en finirais pas d'énumérer les bévues d'un archi- tecte auquel on aurait l'imprudence de laisser son entière liberté d'action. Son excuse est que ses études n'ont pas été dirigées en vue d'un

LE CHENIL 3

travail aussi spécial. Je crois donc rendre ser- vice aux veneurs appelés à construire un chenil, en leur donnant le plan détaillé d'une installa- tion complète. Celui du Franc- Port, que j'ai fait édifier récemment, me servira de type, car, à l'usage, j'ai constaté si pratiques ses dispo- sitions qu'à quelques années de distance, je n'en modifierais aucun détail.

Avant de se lancer dans la construction d'un chenil, il est nécessaire de le propor- tionner au nombre d'animaux et d'hommes qui devront l'habiter. Dans l'espèce, le chiffre sup- posé en hommes sera de quatre et en chiens de quatre-vingts.

Quant à son exposition, la meilleure sera l'est ou le sud, car le nord, avec ses vents froids, convient mal au tempérament du chien, toujours friand de la chaleur qui lui est salu- taire quand il repose. De plus, l'on doit choisir un endroit un peu élevé, dont le sol ne soit pas marécageux.

Peu importe que les matériaux employés soient en briques, en pierres, en ciment ou en plâtre même , pourvu que l'emplacement soit sec et bien orienté. Mais ce que l'on doit rechercher à tout prix, c'est une cana- lisation d'eau abondante, permettant de laver

4 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

largement cours et salles dorment les chiens, et servant à alimenter les bassins con- tenant leur boisson. A cet effet, ces cours et ces salles seront briquetées, bétonnées ou pavées, sans quoi, la terre vite imprégnée d'urine exhalerait des odeurs fétides nuisibles à leur santé. Seule, la cour d'ébats restera dans son état naturel, pour que les chiens, en jouant, ne glissent pas et ne puissent se blesser.

La construction principale comprendra le grand chenil, à côté duquel habitera un valet de chiens, afin d'être à portée des batailles qui viendraient à surgir pendant la nuit. Une lucarne percée dans le mur de séparation est obligatoire, et, la plupart du temps, la voix de l'homme suffit à faire renaître le calme, sans qu'il lui soit- nécessaire de quitter son lit pour séparer les combattants.

Sur trois côtés de cette grande salle s'élè- veront, à 30 centimètres au-dessus du sol, des bancs en chêne de 1 m. 50 de largeur, percés de trous. Ils seront garnis d'un rebord capable de maintenir la paille destinée au couchage des chiens, et doivent être installés de telle manière que l'on puisse facilement les remuer pour les nettoyer, soit en les relevant, soit en les déplaçant.

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Pour compléter d'une façon sommaire l'en- semble des dispositions à prendre dans le grand chenil, il est important de revêtir les murs auxquels sont adossés les bancs d'un lambris en bois, qui isolera les chiens de la fraîcheur de la pierre, et de donner aux dalles qui recouvrent le sol une pente suffisante pour que l'eau provenant du lavage s'écoule dans le trou pratiqué au centre de la pièce.

Enfin, le détail suivant, nullement obliga- toire, n'est cependant pas à dédaigner, surtout quand la chaleur de l'été devient accablante. Je veux parler d'un appel d'air dans le plafond, qui sert aussi, lorsqu'on a pris soin de placer le grenier au-dessus du chenil, à faire des- cendre directement par cet orifice les bottes de paille destinées à la litière.

Du côté opposé du bâtiment se trouveront cinq ou six petits chenils donnant accès sur des cours en proportion avec eux, séparées les unes des autres par une grille . C'est que seront relégués les chiens malades ou blessés et les chiennes en chaleur. Dans chacune de ces grilles de séparation sera pra- tiquée une porte qui permettra, le jour ce sera nécessaire, de laisser la circulation libre entre les différentes cours et de servir de pas-

6 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

sage à une plus vaste, située à l'autre extré- mité. Tous ces petits chenils, garnis chacun de leur banc, sont adossés à un couloir d'où il est aisé d'exei^cer une surveillance par des lucarnes munies de barreaux et de volets. Avez-vous un chien dont la maladie soit assez suspecte pour qu'il soit imprudent à un homme de l'approcher, vous pourrez, par cette ouver- ture, l'observer sans danger.

Une partie du bâtiment sera occupée par le logement du piqueur ; une autre servira aux visiteurs, qui trouveront un abri en cas d'averse ; enfin , il est indispensable de prévoir un petit chenil dont l'utilité ne se fait sentir que pendant le temps de la chasse. A cette époque, il arrive souvent que, le soir, des chiens manquent à l'appel, soit que, fati- gués, ils se soient couchés en rond au pied d'un arbre, attendant un peu de repos pour ren- trer au bercail, soit que, égarés, ils retrouvent leur route avec peine , soit, encore, qu'ayant chassé un animal autre que celui de meute, ils aient été entraînés au loin. Dans la nuit, ces retardataires opèrent leur retraite vers leur logis, et, par la porte de ce petit chenil, dans le panneau de laquelle une ouverture a été prati- quée, ils viennent se coucher sur le banc, après

LE CHENIL

avoir trouvé, à côté, un bon souper qu'ils s'em- pressent de déguster avant de s'endormir.

Une autre construction, séparée seulement de celle que je viens de décrire par un large couloir, renferme la boulangerie, le four à pain, la chaudière servant à cuire la viande, le garde- manger, la pharmacie, la pièce sont rangés trompes, couples, fouets, brosses, etc., le bûcher et la salle le per- sonnel lave son linge.

8 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

Au-dessus du fourneau, il est sage de mettre le réservoir d'eau qui alimente le chenil en entier, afin que la chaleur de la chaudière, qui montera par la cheminée le long de ses parois, empêche, en hiver, le liquide qu'il con- tient de se geler.

La description d'un établissement quel- conque ne se comprend facilement qu'à la condition d'être accompagnée d'un plan à l'appui. Je crois donc utile de donner celui du rez-de-chaussée, le reste ne présentant guère d'intérêt pour le but que je poursuis.

COMMENT DOIT-ON NOURRIR LES CHIENS ?

Autrefois, on leur donnait du pain de fro- ment. D'Yauville préconise le pain d'orge, et il a raison. « Ce pain, dit-il, se fait exprès, tous les jours, avec de la farine d'orge dont on n'a pas séparé le son...

« Il ne faut pas que le pain soit trop tendre ni trop rassis ; ce dernier inconvénient est beaucoup moins à craindre que le pre- mier. Le poids de la farine augmente à peu près de deux cinquièmes pour l'eau que l'on y met pour le pétrin, de sorte qu'un setier de farine pesant cent soixante-quinze livres doit rendre environ deux cent quatre-vingt-dix livres

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10 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

de pain, ou trente-quatre pains de huit à neuf livres chacun. Les chiens seront suffisamment nourris lorsqu'on leur donnera habituellement deux livres et demie ou tout au plus deux livres trois quarts de pain chacun par jour, divisées en deux repas. »

D'Yauville, on le voit, prétend qu'il faut chaque jour pétrir le pain. Cela me semble exagéré. Mettons que Ton procède trois fois par semaine à cette laborieuse opération pour 80 chiens, et ce sera suffisant. Par exemple, sa recommandation de travailler la farine avec peu d'eau, afin qu'il devienne « rassis », qu'il soit le plus dur possible, est une excellente mesure.

On s'est donc fourni de farine d'orge brute de très bonne qualité, et, trois fois dans la semaine, on la pétrira. Pour chaque fournée, il faudra utiliser 250 à 300 kilogrammes de farine. Réduite en pâte, on lui donnera une forme en mettant dans une sébile la quantité voulue pour la remplir. Cette écuelle, dont le diamètre est de 35 centimètres environ, con- tient une douzaine de kilogrammes de pâte. Ainsi, avec ces 250 à 300 kilogrammes de farine pétrie, on remplira une trentaine de sébiles, après quoi, les pains ainsi préparés

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et sortis de leur moule seront mis dans le four chauffé avec 18 ou 20 grosses faguettes ou bourrées. Une fois cuits et rangés sur une planche dans la boulangerie, une partie, cassée par petits morceaux, sera, chaque jour, jetée dans des auges pour être mélangée aux cent kilogrammes de viande de cheval, vache ou bœuf, dont l'ensemble constituera le repas du matin et du soir.

Pour faire cette soupe, la « mouée », selon le terme employé dans les anciens temps, on la commence la veille au soir. Les valets de chiens font cuire la viande, à petit feu, dans des chaudières, pendant toute la nuit ; le len- demain, ils augmentent le feu. Lorsque la viande est bien cuite, ils cassent le pain dans les auges (1 kil. 500 gr. environ par tête de chien), en arrosent les morceaux avec le bouil- lon dans lequel ils les laissent tremper, de même que procèdent nos ménagères pour leur pot-au-feu, puis coupent la viande en tranches menues qu'ils mêlent au pain avec des pelles. Avant que les chiens ne mangent la « mouée » ainsi préparée, il est nécessaire de s'assurer qu'elle est tiède ; autrement, ils risqueraient, en se jetant dessus avec leur voracité habi- tuelle, de se faire beaucoup de mal.

12 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

La viande viendrait-elle à manquer un jour, l'emploi du pain de créions, résidu des pellicules recueillies après la fonte des graisses de boucherie et de charcuterie, peut la rem- placer sans inconvénient.

L'expérience a démontré que telle était la meilleure nourriture à donner aux chiens courants en temps ordinaire. Cependant, la veille des jours ils chasseront, la soupe du soir subira une modification. Au lieu du mélange du pain avec la viande, ils devront se contenter du pain sec légèrement arrosé de bouillon, juste assez pour leur faciliter le moyen de le manger. Un repas aussi abon- dant que d'habitude les rendrait lourds et leur couperait l'haleine.

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II

LES CHIENS

E choix des chiens pour for- mer un équipage de cerf n'est pas chose indifférente, bien que toutes les races, qu'elles soient françaises ou étrangères, puissent pro- duire des sujets remar- quables. Seulement, une fois qu'il s'agit de réunir, dans l'ensemble de sa meute , un imposant contingent des qualités maîtresses recherchées par le veneur, la tâche devient singulièrement difficile, et, avant d'obtenir ce résultat, il n'est pas trop de passer par trois saisons de chasse pour voir ses efforts cou- ronnés d'un plein succès . Après la première année, on élimine les nullités; puis, vient la seconde ; c'est au tour des médiocres à dis- paraître, et, lorsqu'on arrive à la troisième étape, les quelques bons chiens qui ont appris

14 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

à chasser depuis la formation de l'équipage entraînent avec eux les jeunes recrues.

O vous qui débutez dans la vénerie, écoutez la voix de l'un des vôtres qui a, lui aussi, passé par les mêmes tribulations !

Surtout, ne perdez pas courage. Vous son- nerez retraite manquée sur retraite manquée, peu importe. Vos chiens chasseront en dépit du sens commun, laissez le public clabauder à son aise, et soyez convaincus que tous les nou- veaux équipages, sans exception, ont éprouvé semblables déboires. Croyez-moi : avec de la patience et de la ténacité doublées d'auxiliaires intelligents, vous ne vous distinguerez bien- tôt plus de vos confrères, dont le récit des prouesses, corné à vos oreilles par les taquins et les malveillants, a le don de vous exaspérer.

Faites, pour commencer, un choix judicieux de vos chiens. Que devez-vous rechercher, d'abord, dans la sélection à laquelle vous allez vous livrer ? Un bon tempérament, la finesse du nez, la souplesse du caractère, le train et le fond, une belle gorge, toutes qualités diffi- ciles, il est vrai, à reconnaître de prime abord.

En dehors de ces dons de la nature, que l'on trouve réunis quelquefois dans le même animal, il existe encore le côté esthétique, celui

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LES CHIENS

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qui flatte l'œil et que l'on aime à rencontrer dans les chenils, c'est-à-dire l'élégance des lignes, un beau port de queue, la finesse de la peau et du poil, le rein harpe, la poitrine profonde, les membres solides, les oreilles bien attachées, la tète intelligente et nerveuse, le museau allongé, une longue encolure.

Si à ce type parfait se joint, pour tous les chiens, une couleur semblable, soit trico- lore, soit noire et blanche, ainsi qu'une taille à peu de chose près égale , vous aurez con- stitué le plus bel ensemble d'équipage que puisse rêver un chasseur à courre.

Pour atteindre ce but, les éleveurs fran- çais ont, depuis cinquante ans, multiplié leurs efforts et sont parvenus à créer une race répondant au type recherché par les connais- seurs. Je veux parler des bâ- tards du Haut- Poitou dont on doit la création au comte E. de la Besge, l'un de nos plus célèbres veneurs et sur les traces duquel ont marché, depuis, le comte de Jous- selin, M. Ghevallereau, etc..

16 REFLEXIONS D UN VIEUX VENEUR

Ces chiens fins de nez, grands, dociles, bien gorgés, vîtes, habiles dans le change, me sem- blent plus appropriés à la chasse du cerf qu'à aucune autre. Bien gorgés, oui, ils le sont ! mais à la condition, toutefois, que le train ne les étouffe pas, ainsi que cela se passe sous les futaies de Fontainebleau, de Compiègne ou de Villers-Cotterets. En cela, ils ne diffèrent guère d'autres, car il est impossible de leur

demander de crier à l'allure désordonnée ils empaument la voie, sous les arbres sécu- laires de nos forêts. Viennent, au cours de la chasse, des hautes fougères, des buissons d'épines ou de ronces qui les obligent à ralentir leur marche en prenant une coulée identique, vous les entendrez donner de la voix presque autant que les chiens anglais, auxquels on reproche pourtant un mutisme devenu pro-

LES CHIENS 17

verbial. A cet égard, ceux qui ont chassé cerf et sanglier avec des Anglais ont eu tout le loisir de s'en rendre compte. N'étant pas poussés hors de leur train, ils crient beaucoup, non sur le ton sonore et o-rave du chien fran- çais, mais de la petite voix aiguë, propre à leur race. Mettez-les sur la piste d'un cerf qui, au contraire du sanglier, recherche, en raison de l'embari'as que lui suscitent ses bois, les parties de la forêt les plus découvertes, ils ne diront plus rien : d'où je conclus qu'il est téméraire de prétendre de façon formelle qu'ils soient absolument muets. La vérité gît entre les deux. Peu bavards de leur nature, ils par- lent modérément, et, en cela, ils se rappro- chent de leurs maîtres d'outre-Manche, qui, on le sait, sont peu loquaces. En revanche, les nôtres, sous l'influence, sans doute, de la nationalité à laquelle ils appartiennent, ont une tendance à jaser sur tout avec excès, à ne pas résister au plaisir de délier leur langue, quand ils devraient avoir la sagesse de garder le silence. D'autres reproches injustes ont été formulés à l'ég-ard des chiens anglais et de leur manière de chasser. Si la voie est haute, dit-on, ils n'ont pas assez de finesse de nez pour la débrouiller ; si elle n'est pas droite, ils

18

REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

ne savent que faire pour la retrouver. Il leur arrive, dans les défauts ou les retours, de filer « à l'anglaise » sur leur cerf, sans que l'on puisse soupçonner leur disparition. Le piqueur les arrête difficilement, tant ils sont peu dociles. Ils détestent les fourrés et, cou- pant au court, prennent volontiers les che- mins pour rejoindre les chiens de tête. Enfin, moins que sûrs quand le change paraît, ils

n'hésitent pas, au premier embarras, à se lancer à la poursuite de n'importe quel animal qui se présente à leurs yeux. Voilà, certes, de nombreux et sérieux g-riefs relevés à leur actif. Voyons ce que valent ces critiques. En France, nous jugeons les chiens anglais de la façon la plus sévère, parce qu'il ne nous est permis d'établir notre opinion que sur le

LES CHIENS 19

rebut des chenils de nos voisins britanniques. Croit-on vraiment que leur amour de 1' « en- tente cordiale » irait jusqu'à se priver de leurs élèves les meilleurs pour nous être agréables? J'espère que nous ne sommes pas assez naïfs pour supposer qu'ils gardent pour eux leurs produits les plus médiocres et qu'ils mettent à notre disposition leurs plus beaux spécimens. Renversons les rôles, et qui oserait dire, alors, que nous n'agirions pas de même ? Qu'on ne s'y trompe pas ; si les chiens qui nous sont envoyés d'Angleterre ne possèdent pas les qualités essentielles que nous recherchons pour la chasse à courre, la raison vient de ce qu'ils font partie du lot inférieur que les « masters of hounds » écartent de leurs che- nils comme indigne de leur meute. Voilà ceux qui servent à fixer notre opinion. Est-ce vrai- ment logique ? Non, sans doute, et j'ajouterai, pour ébranler davantage la conviction de nos veneurs, qui, pour leur excuse, n'ont vu à l'œuvre d'autres animaux que les sujets expé- diés chez nous par les marchands de Londres, que j'ai suivi un équipage entièrement com- posé de chiens anglais, chassant admirable- ment le cerf, mais de chiens choisis avec soin de l'autre côté du détroit et recrutés à la

2b REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

source même de leur production, chez les grands propriétaires. Je veux parler de l'équi- page de fox-hounds avec lequel le duc d'Au- male courait le cerf en forêt de Chantilly. Là, on aurait cherché en vain les défauts que j'ai signalés plus haut, et, ainsi que d'Yauville l'a écrit dans son traité de vénerie, je répé- terai après lui, m'étant rendu compte par moi-même de l'exactitude de ses réflexions, cette appréciation si juste des qualités que l'on trouve chez les chiens anglais : « Je conviens qu'ils ne crient pas aussi bien et ne mettent pas aussi régulièrement le nez à terre que nos chiens français ; mais, en général, ils sont plus légers et plus vigoureux ; ils prennent leur parti et se servent d'eux-mêmes ; ils passent et repassent les rivières chaque fois que l'occasion s'en présente, et, enfin, ils chassent et rapprochent au moins aussi bien que les chiens de tout autre pays. Bien plus, si, dans les grandes chaleurs, le chien anglais est obligé de s'arrêter pour souffler, il reprend haleine en peu de temps et chasse ensuite jusqu'à la fm du jour, au lieu que le chien français se rend et souvent met bas sans ressources. » Cette résistance à la fatigue qui provient de son fond, de sa santé, de la téna-

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- LES CHIENS 21

cité de son caractère est tellement appréciée des amateurs et de nos éleveurs qu'ils n'ont pas hésité à glisser ce sang précieux dans les croisements qu'ils entreprennent et qui ont formé des sous-races remarquables, qui por- tent le nom de bâtards poitevins, saintongeois, vendéens, gascons et normands, dont la célé- brité autant que l'excellence font aujourd'hui l'admiration de tous les chasseurs à courre. Il ne reste plus qu'à souhaiter que le type reconnu le meilleur pour la chasse du cerf, celui du Haut-Poitou, se conserve dans l'état actuel, qu'il ne dégénère pas avec le temps et que ses qualités naturelles de nez et de gorge, sa grande taille, sa puissance de reins, la profondeur de sa poitrine, ses muscles si vigoureusement sortis se perpétuent pour le plus grand bien de la vénerie française.

III

LES TÊTES

'^i: VANT de décrire les différentes têtes que porte le cerf, au fur et à mesure qu'il avance en âge, il est important de connaître les termes de vénerie employés pour désigner chaque section ou partie de ses bois.

On sait que, chaque année, au printemps, les cerfs mettent bas et refont leur tête, les vieux d'abord, puis les jeunes. A la mi-mai, la moitié des bois est poussée, et ils sont à l'état normal, en juillet, enveloppés d'une peau veloutée dont les morceaux tombent ensuite en lambeaux et disparaissent par leur frot- tement contre les arbres.

Ceci dit, voici les étapes de la vie d'un cerf, avec les noms qu'on lui attribue aux différentes périodes de son existence.

24

REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

Pendant les six premiers mois, le jeune cerf, qui n'a pas encore de dagues, s'appelle « faon », et, pendant les six autres, « hère ». Puis son front se pare, à la seconde année, de petits bois en forme de dagues, qui ne sont que la continuation des pivots et ne se

1 . Massacre. Crâne du cerf.

2. Pivots ou bosses. Gros-

seurs qui paraissent sur l'os frontal, quand l'ani- mal a un an. Elles servent de bases aux bois qui ne pousseront que l'année suivante, et ne tombent jamais. Leur partie infé- rieure est plus large que leur sommet, et, chaqne fois que les bois dispa- raissent au printemps, les pivots deviennent plus larges. Quand le cerf est

arrivé à un âge avancé, les bosses sont entièrement rasées et la meule qui est au-dessus paraît même s'enfoncer dans la tète.

3. Meule. Rond pierreux d'où sort la perche sur laquelle viendront plus

tard se greffer les andouillers . Les daguets n'ont point de meule. Elle ne commence à paraître qu'à la seconde tète et se rapproche du crâne, à mesure que l'animal vieillit.

4. Pierrui-es. Ilugosités ou inégalités des meules.

5. Andouillers . Branches qui sortent du bas du merrain et qui forment

aussi l'empaumure.

6. Surandouiller . Second andouiller du cerf, au-dessus de l'andouiller.

7. Merrain. Tronc ou perche duquel sortent les andouillers. Selon qu'il

est grêle ou bien nourri, on dit : le merrain est fort ou il est grêle.

8. Chevillure. Andouiller qui pousse sur le merrain au-dessus du sur-

andouiller.

9. Perlures. Inégalités perlées qui sont le long du merrain et des

andouillers.

10. Empaumure. Haut de la tête du cerf.

LES TETES

25

composent que d'une seule perche. Il devient alors « daguet ».

Quelquefois, il se forme, en

haut de la perche, un petit andouiller : d'où

le nom de « daguet fourchu »

qu'on lui donne.

A sa troisième année, le cerf

jette ses dagues

et pousse un

bois dont chaque

perche a deux

ou trois andouil-

1ers. « A leur tiers-an, » écrit du Fouilloux, « les cerfs doivent porter quatre, six ou huit cornettes. » On croit souvent que les daguets sont devenus, d'une année à l'autre, troisième tète, sautant ainsi par-dessus la

26

RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

seconde, en raison de la multiplicité, parfois

extraordinaire, des andouil- 1ers, qui leur donne l'aspect d'un animal plus âgé.

La troisième tête qui a quatre ans porte de six à dix andouillers.

Les quatrièmes tètes, selon du Fouilloux, « à leur cinquième an, portent dix ou douze cornettes ». Mais, comme souvent les troi- sièmes leur ressemblent d'une manière frappante, ce sont la hauteur des pivots et la distance des meules par rapport au mas- sacre qui, seules,

pourront définir l'âge de l'un et de l'autre animal.

Entre la quatrième tète et le cerf dix-cors se trouve la classifica- tion intermédiaire du cerf (( dix- cors jeune-

LES TETES

27

ment ». Il touche à sa sixième année, quand

on le désigne ainsi.

Enfin, à sept ans, les cerfs sont dix-cors,

puis, à partir de neuf ans, vieux cerfs. Alors, les an- douillers se multiplient à l'empaumure , mais, en France, quand on en compte d'un côté 7 ou 8 au maximum , ce qui revient à dire que l'ani- mal porte 20 ou 24, le

fait n'est pas commun.

Pour que la nomenclature des têtes soit complète, il convient de parler des têtes « bizarres », celles qu'en vénerie on ap- pelle (( bizardes », je ne sais pourquoi.

La nature s'est complu à donner à cer- tains bois des formes sortant de l'ordinaire, mais, le plus souvent, l'origine de ces anomalies remonte à des acci- dents ou à des blessures survenus pendant

28

REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

leur croissance. Un cerf, par exemple, effa- rouché, s'est jeté, durant cette époque, la tête en avant, dans un entreillagement ; un arrêt momentané de la végétation s'ensui- vra. Du coup, quelque difformité détruira la régularité de ses bois. De même, si un bra- connier envoyait des chevrotines dans une tête en formation, on peut être certain qu'il en résulterait , dans la suite , quelque sin-

gularité. Cependant, il arrive que, sans motif connu, un cerf puisse avoir une « tête bi- zarde ». A l'exposition internationale de la chasse, qui eut lieu à Vienne en 1910, les murs étaient tapissés de ces trophées curieux. J'en ai remarqué, entre autres, un particu- lièrement intéressant, n'en ayant jamais ren- contré de semblable au cours de ma vie. Sur l'une des deux meules étaient greffées deux

LES TÊTES

29

perches garnies d'andouillers , et la grosseur des merrains indiquait que l'animal était parvenu à un âge respectable.

Etait-ce la vieillesse qui fut la cause de cette éton- nante végétation ? je Tignore, mais rien n'indiquait qu'elle provînt d'un accident ou d'une blessure. t/.'

J'étais curieux de savoir comment, dans un cas pareil, les Autrichiens faisaient le décompte des andouillers ; mais ces exceptions de la nature, m'a-t-il été répondu, restent en dehors de tout calcul. Je pense que nous agi- rions de même.

Quant aux têtes régulièrement constituées, voici la façon adoptée en France, selon la tradition des véneries roj^ales, pour les définir.

Comme les cerfs dix-cors portent presque toujours de chaque côté de leurs bois les trois andouillers classiques, « andouiller, sur- andouiller et chevillure », en tout, par con- séquent, six, on ne s'attardait pas à les énu- mérer un par un.

L'on se contentait de prendre à pleine main l'une des deux perches et l'on disait

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REFLEXIONS DUN VIEUX VENEUR

six. Puis, tous les andouillers d'un côté de l'empaumure comptaient pour deux, étant admis qu'il y eût parité avec l'autre. On ajoutait alors au chiffre six précédent le total ainsi obtenu.

S'il n'y avait pas égalité dans les empa'u- mures, soit cinq andouillers à droite et quatre à gauche, on additionnait, toujours en les doublant, les andouillers pris sur le côté le plus fourni, avec le chiffre six, qui, lui, demeurait en toute hypothèse immuable. On ajoutait alors au total ces mots « mal semés ».

Voici, par exemple, la tête d'un cerf qui porte dix-huit « mal semés ». C'est-à-dire que, sur l'un des côtés de ses bois, on trouve que l'empaumure est garnie de six andouillers,

tandis que l'autre n'en est pourvu que de quatre.

D'après le prin- cipe ci-dessus énon- cé, on doublera les six andouillers d'en haut, ce qui don- nera douze, et à ce total viendra s'ajouter le chiffre habituel

LES TETES 31

de six. Cet animal portera donc (12-|-()) dix- huit mal semés.

Il est à remarquer que sur la tête ci- dessus dessinée Ton aperçoit à peine la nais- sance de l'un des andouillers de l'empau- mure. Or, il est admis par l'usage que tout embryon d'andouiller, auquel peut être sus- pendue « la corde d'une poire à poudre », selon l'expression ancienne, entre en ligne de compte.

Toutes ces têtes ont leur fanfare remon- tant au règne de Louis XV. Elles nous ont été transmises par Serré de Rieux, con- seiller au Parlement, qui les publia à Paris dans un poème médiocre, paru en 1733 et intitulé :

« Les dons des enfants de Latone, la mu- sique et la chasse du cerf, poèmes dédiés au Roy. »

On apprend, dans ce recueil, les détails suivants qui ne manquent pas d'intérêt.

La (c Reine », composée par le marquis de Dampierre à l'occasion du mariage du roi (1725), marque que Ton court un daguet.

La « Discrette », écrite « après la petite vérole du roi », accuse un cerf à sa seconde tête.

32 RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

La « Dauphine », faite à l'occasion de la naissance du dauphin (1729), est sonnée pour la troisième tête.

La « Louyse Royalle », composée par le roi lui-même à Fontainebleau, fut attribuée au cerf à sa quatrième

tête.

La «Petite Royalle», dont l'auteur, M. de Dampierre, « a jugé à propos de la faire plus courte pour la facilité ..^Sz-^-^^ des veneurs galoppants » , est réservée au dix-cors jeunement.

Enfin, l'on sonne pour un cerf dix-cors « la Royalle », fanfare écrite par M. de Dam- pierre « la première fois que le roi courrut (sic) le cerf dans le bois de Boulogne » (1722 ou 1723).

Cette extravagante richesse de végétation qui, en quatre mois, fait pousser sur la tête d'un vieux cerf les bois énormes que nous admirons surtout en Allemagne et en Au-

LES TETES

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triche, n'est certes pas l'un des moindres phénomènes que nous offre la nature. Aussi en recueille-t-on partout et toujours avec res- pect les plus beaux spécimens, soit pour s'en servir comme trophées, soit pour orner les châteaux, les chenils ou les maisons de gardes.

L'habitude de ce genre de décoration nous vient de loin, si nous en croyons la légende qui, ainsi qu'on va le voir, donne une tout autre signification au goût qu'ont les hommes d'accrocher aux murs de leurs demeures les têtes de cerfs.

Au xii^ siècle, dans l'empire byzantin, pa- raît-il, ceux qui avaient le droit de chasse dans le domaine impérial pla- çaient les bois au-dessus de leurs maisons, pour indiquer ce privilège dont ils étaient très fiers.

Or , l'empereur An- dronic P'^ Comnène, le dernier de sa famille qui ait régné à Gonstan-

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34 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

tinople, avait un faible pour le beau sexe, et, aux maris des jolies femmes qui lui avaient accordé les suprêmes faveurs, comme juste compensation, il accordait le droit de chasse dans les forêts de la couronne.

Ils mettaient alors au-dessus des portes de leurs habitations des bois de cerf, et l'on disait à Constantinople en parlant d'eux : « Leurs femmes leur ont procuré le droit de placer des cornes de cerf au-dessus de la porte de leurs maisons » ou tout sim- plement : « Grâce à leurs femmes, ils ont des cornes. »

Depuis, l'expression a porter des cornes et être dix-cors » a fait son chemin. Je préfère la vieille formule byzantine à cette autre explication, découverte par certains veneurs, qui consiste à dire que les dix-cors allant au rut les premiers et le quittant de même, sont remplacés peu à peu par les cerfs moins âgés auprès des biches, si bien que ce sont eux qui sont trompés le plus de fois.

Les bois de cerf de notre pays sont, sans contredit, moins gros, moins fournis en an- douillers que ceux d'Allemagne et d'Autriche. Cependant leur origine est commune. Après la grande Révolution , la destruction des

LES TETES

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grands animaux de nos forêts fut si radi- cale que Napoléon P', désireux de reconsti- tuer une vénerie sur le modèle des véneries royales, dut en faire venir d'Autriche, qui, lâchés dans Gompiègne, Fontainebleau, Ram- bouillet, etc., firent souche, se propagèrent

vite et devinrent les ancêtres de ceux qu'au- jourd'hui on chasse à courre. Alors, pourquoi cette différence si sensible de développement entre les bois de nos cerfs et ceux d'Autriche? Tout simplement parce que, tandis qu'à l'étran- ger on s'attache à leur donner une nourriture

36 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

substantielle, en rapport avec le but que l'on se propose, on néglige, en France, de leur appliquer les méthodes connues susceptibles d'amener un résultat identique. C'est ainsi que dans les « Thiergarten » ou parcs con- sacrés à la chasse à tir des grands animaux sont parsemés en abondance de gros blocs composés d'argile, de sel gemme et de chaux, que les cerfs viennent lécher et dont ils sont très friands. De plus, les gardes leur distri- buent à profusion des marrons d'Inde, dont les propriétés nutritives sont non moins pro- fitables à la croissance des bois. Il est à remarquer que, si l'on voulait élever sur un sol pauvre et dépourvu de végétation de beaux animaux, l'on n'y parviendrait jamais sans avoir recours à des moyens artificiels. Pre- nez la forêt de Fontainebleau, les rochers rendent la terre aride, et vous constaterez que les cerfs dix-cors n'ont nullement des tètes en rapport avec leur âge. Allez en Ecosse, le lichen, la bruyère et autres plantes sèches sont les seules qu'ils trouvent à brouter, et vous serez étonné que leurs bois n'aient pas plus d'ampleur que les qua- trièmes tètes qui habitent les contrées fer- tiles et plantureuses de notre pays.

LES TETES 37

J'ai eu l'occasion de me rendre compte de ces détails intéressants lors d'un voyage que je fis, en juin 1910, dans la capitale de l'Autriche, pendant l'exposition internationale de chasse organisée, sous le patronage de l'empereur, pour fêter l'anniversaire de ses quatre-vingts ans.

Des pavillons pittoresques avaient été éle- vés en grand nombre dans une enceinte réservée du Prater, le bois de Boulogne de la ville, par les diverses nations du globe, par certaines provinces de l'Autriche-Hongrie et par de grands seigneurs indigènes. Sur leurs murs se dressaient en nombre incal- culable les tètes les plus étranges de cerfs, les plus invraisemblables aussi par l'enver- gure de leurs bois, par la grosseur des mer- rains et, surtout, par la multiplicité des an- douillers formant leur empaumure.

Quand, en France, nous venons de forcer un cerf portant en haut cinq andouillers, nous nous extasions, non sans raison, sur ce magni- fique animal. Chacun, à l'hallali, tient à le contempler de près, à le toucher, à en fixer la forme dans sa mémoire, tant est rare pareille aubaine. Pensez donc ! un cerf por- tant seize! Eh bien! là-bas, pareilles têtes

38 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

passeraient inaperçues à côté de leurs rivales, autrement impressionnantes par la couronne fabuleuse d'andouillers qui les dominent. C'est par centaines que l'on pouvait compter celles qui en portaient huit, dix, douze à l'empaumure. J'en ai vu une, provenant du parc de Moritzbourg appartenant au roi de Saxe, qui avait, d'un seul côté, dix-sept an-

douillers, formant ainsi un véritable nid d'une excep- tionnelle curiosité. Ce cerf portait donc quarante ! Ah ! qu e nous voilà loin de nos pauvres bois français! Mais, comme notre caractère nous incite toujours à envisager les choses, dans ce bas monde, sous l'angle le plus favorable à nos goûts et à nous consoler de notre mieux de nos déboires, je me disais in petto qu'assurément pareils monstres ne dureraient pas un quart d'heure devant mon équipage, et que, si la nature avait gratifié les forêts je chasse de bêtes obligées de porter sur leur tête un fardeau pareil, je pré- férerais découpler mes chiens sur un simple

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LES TÊTES 39

daguet qui, lui, au moins, saurait leur résister et me fournir une belle randonnée. J'ai dit un quart d'heure, et que l'on ne crie pas à l'invraisemblance, car j'ai assisté à des chasses de l'empereur Napoléon III, en forêt de Com- piègne, des cerfs dix-cors, des gnomes en comparaison de ceux d'Autriche, étaient pris, sans être forcés, dans ce court espace de temps. Bien mieux, un jour que la véne- rie impériale avait attaqué trois gros cerfs accompagnés, ils se firent chasser ensemble, ne voulurent jamais se séparer et, au l)out de vingt minutes de course, pas davantage, allèrent battre l'eau de concert dans un grand étang, d'où il fut impossible de les faire sor- tir. De ce qui précède, je tire cette conclu- sion : si, à la chasse, l'aspect d'un animal d'une taille anormale flatte les yeux du public, au point de vue de la vénerie, il n'est pas désirable que pareille éventualité se produise. Mais je m'empresse de dire qu'il n'y a rien à craindre à cet égard, nos maîtres d'équipage se chargeant d'y mettre bon ordre, en ne permettant pas aux cerfs de vieillir outre mesure.

Cette exposition de Vienne, si curieuse à tant de points de vue, ne m'avait procuré,

40 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

en somme, que le plaisir d'admirer des bois superbes, il est vrai ,* mais fixés au mur. Combien ce serait plus intéressant, me disais- je, si quelque circonstance heureuse venait à se présenter, qui me permît de contempler ces tètes magistrales sur Tanimal vivant! Or, dans ce pays hospitalier chacun s'ingénie à rendre à l'étranger qui le visite le séjour agréable, il n'est besoin que de formuler un désir pour qu'il soit aussitôt exaucé. Ce fut le grand veneur de l'empereur , le comte Thun-Hohenstein, qui m'offrit le régal que je convoitais. « Soyez prêt, me dit-il, demain matin à 4 heures. Je viendrai vous chercher pour explorer ensemble le Thiergarten de la Lobau, j'espère réussir à vous donner le spectacle auquel vous souhaitez d'assister. Si je vous prie de partir de si bonne heure, c'est en raison des moustiques qui pullulent dans ces parages , à cause des nombreux marais formés par les débordements du Da- nube, et qui tourmentent tellement les ani- maux, dès que la chaleur monte, qu'ils cher- chent un refuge dans les fourrés les plus épais nos yeux ne sauraient les décou- vrir. » Hélas! Il avait raison. Bien que le Thiergarten fût bondé de cerfs et de biches,

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LES TÊTES 41

un soleil ardent , malgré l'heure matinale, avait déjà réveillé ces odieux petits mouche- rons, qui avaient mis les animaux en fuite, et je constatai douloureusement qu'ils n'avaient pas tort de se cacher.

Toutefois, j'eus la bonne fortune d'aper- cevoir, à peu de distance de l'entrée du parc, six énormes cerfs se désaltérant dans un ruisseau formé par l'eau du fleuve. Leurs têtes, encore en velours , mais arrivées presque à leur apogée, s'étaient relevées au bruit de notre voiture. A l'aide d'une jumelle, je pus compter, à travers la futaie qui nous séparait d'eux, les andouillers du plus gros se détachant sur le ciel. D'un côté, il en portait à l'empaumure huit et sept de l'autre ! Et alors, majestueusement et en file indienne, ils longèrent les fourrés de la rive, pour en gagner de plus épais à cent mètres plus loin. A ce moment du jour, la brume vaporeuse du matin se dégage et estompe les couleurs dans un décor grandiose de théâtre, des arbres séculaires descendent jusqu'au bord de l'eau, on se figure sans peine l'effet féerique de ce spectacle merveilleux.

L'heure avançait et, sauf une harde de 200 biches et quelques autres disséminées

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REFLEXIONS D UN VIEUX VENEUR

çà et là, que notre présence ne troublait nullement, aucun animal à tête n'était visible; les cerfs s'étaient cachés et mis à la reposée. « Il n'y a plus qu'à s'en retourner à Vienne, » me dit le grand veneur tristement, « mais demain je vous emmène à Lainz, l'autre Thier- garten impérial. »

Là, par exemple, toutes mes espérances furent dépassées. On me conduisit dans un endroit dénudé par le piétinement perpétuel des animaux habitués à s'y rendre, chaque jour, pour y chercher leur nourriture; puis, le garde-chef me pria d'entrer dans une petite cabane percée de lucarnes et de m'armer

de patience pour quelques instants. L'attente ne fut pas longue , en effet. A peine le « Jaeger » s'était-il avancé en secouant vigou-

LES TÊTKS 43

reusement une vanne pleine de marrons d'Inde qu'un, deux, six, vingt cerfs dix-cors, mais quels dix-cors ! ! attirés par le bruit, accou- rurent sur la plate-forme, et tellement appri- voisés qu'ils se mirent à manger dans le panier que leur tenait le garde. Ils ne s'effa- rouchèrent même pas de notre présence, quand il nous fut permis de sortir de notre gîte. Alors, je pus à loisir admirer les têtes de ces splendides animaux. Tous portaient entre 22 et 25 ! Mais celui qui me causa le plus de surprise fut le plus gros de la harde, d'une part, à cause de l'épaisseur de ses bois et de leur envergure, et, de l'autre, en raison d'une singularité dont je ne crois pas avoir jamais vu en France la semblable. Les deux andouillers de massacre, déjà d'une longueur et d'une largeur peu ordinaires, se divisaient en deux à leur extrémité pour former des fourches de chaque côté. Ces quatre petites pointes, auxquelles je serais bien embarrassé de donner un nom, pouvaient mesurer de dix à quinze centimètres. « Il doit être bien vieux ? demandai-je » au garde-chef ; « vingt ans au bas mot, n'est-ce pas « Détrom- pez-vous, Monsieur, » me fut-il répondu, « il a neuf ans. » Neuf ans ! Je n'en revenais pas;

44 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

et le grand veneur de m'expliquer que ce résultat étonnant s'obtenait surtout par le simple procédé dont j'ai parlé plus haut, qui aiguise la faim des animaux.

Poursuivant notre route à travers ce parc magnifique de Lainz, d'une contenance de 4.000 hectares, formé de côtes boisées et de vallées garnies de prés aménagés avec intelli- gence pour servir de gagnages aux cerfs et aux sangliers qui y abondent, je remarquai, de distance en distance, une sorte de tri- bune en bois, élevée à trois mètres du sol, à laquelle était accotée une échelle rudimen- taire. « C'est dans cet abri, » me dit le comte de Thun, « que se place l'archiduc François- Ferdinand, héritier de la couronne d'Autriche, pour tirer à balles les animaux que les bat- teurs lui amènent. Car l'empereur déteste ce genre de chasse, qu'il est heureux de mettre à la disposition de son neveu , et , comme celui-ci préfère être seul à en jouir, vous avez pu observer qu'il n'existe qu'une tribune, la sienne, dressée dans les passages les plus fréquentés par les animaux. » Sur ma demande relative au chiffre moyen des victimes abat- tues par le prince en une seule journée, il me répondit : a Prenons , comme point de

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comparaison, la dernière battue de cette an- née, qui eut lieu en janvier. Au tableau étaient alignés, en plus des sangliers, cent dix cerfs à tête, la plupart dix-cors ! ! » Ainsi que doit le penser, sans doute, l'empereur François- Joseph , je répéterai ce proverbe connu : « Chacun prend son plaisir il le trouve, les goûts varient à l'infini. » Un charmant esprit, qui avait nom Charles Nodier, nous a ensei- gné, dans un de ces délicieux morceaux lit- téraires dont il avait le secret, combien il fallait être indulgent pour son prochain, les hommes les plus célèbres, eux-mêmes, ayant eu souvent de par la tête des idées singu- lières. On me pardonnera cette citation, qui s'écarte tant soit peu de mon sujet, mais elle est si joliment tournée :

« C'est un sot besoin de l'homme vulgaire que celui de trouver des faiblesses, des bizar- reries et des ridicules dans le grand homme ; mais nous sommes tous plus ou moins hommes sur ce point. Nous ne pardonnerions pas au génie de porter sa tête si haut dans le ciel, s'il ne tenait à la terre par les pieds, et Dieu sait alors avec quelle sollicitude nous nous attachons aux moindres défauts, dans ce qui tombe sous nos yeux, de ce géant inacces-

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RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

sible. Seulement, il nous est défendu, comme au cordonnier dont il est question dans l'his- toire d'Apelle ou de Parrhasius, d'aller plus haut que la chaussure.

(( Qui croirait qu'Épaminondas prit plaisir à chanter dans les fêtes de village ? Il y a loin de ces rondes de Béotiens aux champs de bataille de Leuctres et de Mantinée.

« Dans ces deux hommes qui s'amusent à faire des ricochets sur la mer avec des petits cailloux, qui reconnaîtrait Scipion et Lelius, nonchalamment et puérilement baguenaudant, dit Montaigne, pendant que le potage cuit, dit Horace? H y a loin aussi de ces diver- tissements d'écoliers aux victoires d'Afrique et aux comédies de Térence.

(( Je comprends très bien Agésilas et

Henri IV chevauchant sur

un bâton pour amuser

leurs enfants, et je ne

comprendrais même pas

le contraire. Pour

être roi et même un

grand roi, on n'en

est pas moins capable

de se souvenir quelque- fois qu'on est père.

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LES TETES 47

« Mais je voudrais bien savoir avait l'esprit ce pauvre Jean, roi de Chypre, qui ne fit presque autre chose, durant son règne, que de dévider de la laine.

« On pardonnerait volontiers à Charles IX le plaisir qu'il prenait à composer des vers et à ferrer des chevaux, s'il n'avait fait que cela. Son affection pour ses fameux chiens greffiers , au dernier desquels il eut peine à survivre, ne marque qu'un bon naturel ; mais la Saint-Barthélémy gâte tout.

« Chez deux de nos rois contemporains, dont l'un aimait à forger les serrures et l'autre à vendre le poisson de sa pêche, il n'y avait peut-être que philosophie. Les rois n'ont pas grand'chose à faire de mieux quand les peuples sont les maîtres.

« Auguste montre tant de regret de la perte d'une caille qu'il avait élevée qu'on ne l'aurait pas vu plus triste, s'il avait perdu la bataille d'Actium, et Honorius fut si sen- sible à la perte d'une poule nommée Roma, qu'il aurait volontiers donné Rome elle-même pour la racheter; mais Alaric l'avait déjà prise.

« Tout le monde connaît l'antipathie hos- tile de Domitien pour les mouches ; elle est au moins plus facile à concevoir que celle du

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RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

chevalier Bacon pour les roses. Passe encore si Bacon avait pu lire les vers coquets et par- fumés du xviii" siècle. Il y a de quoi rendre les roses odieuses à tout jamais..

« Alexandre Sévère, qui fit dans son Pan- théon privé une si belle collection de dieux exotiques et qui les choisit parmi les sages, connaissait une jouissance plus vive encore et plus difficile à expliquer. C'était de faire com- battre des chiens barbets contre de petits pourceaux.

« 4?^^^^ cela, trouvez mauvais avec les

beaux esprits de la Fronde que Mazarin se soit pris d'affection pour un singe, comme si

LES TETES 49

l'on n'avait jamais vu des ministres qui pla- çassent plus mal leurs bienfaits.

« Encore vaut-il mieux caresser un singe, comme le faisait Mazarin, que de cribler ses domestiques des balles d'une sarbacane, comme avait fait Richelieu.

(( Gustave - Adolphe , le grand Gustave - Adolphe, était plus traitable pour les pages. Il jouait à colin-maillard avec eux, pendant que Tilly et Pappenheim lui taillaient une glorieuse besogne dans la plaine de Breiten- feld.

(( Je crois tenir ce fait de l'illustre Bayle, qui savait se mettre, comme Gustave, au- dessus des stupides mépris du vulgaire, et qu'on vit souvent arrêté pendant deux heures devant la loge nomade des marionnettes.

« Je n'ai point d'objection contre les diver- tissements de Bayle, moi qui abandonnerais bien vite la page commencée, si j'entendais grincer, dans la rue de Sully, la pratique aigre, criarde et réjouissante de Madame Gigogne. Quoique j'en sois un peu rebuté depuis qu'elle a pris des chats pour comparses ; mais il ne faut pas disputer des goûts, surtout quand on n'a pas reçu d'un autre genre de renommée le privilège des goûts bizarres. Les chats, et

50 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

quels chats, grand Dieu ! faisaient les délices de Grébillon qui fut, de par Madame de Pom- padour, l'émule heureux de Voltaire.

(( Voltaire, c'est autre chose. On n'a pas su

qu'il aimât les chats,

quoiqu'il eût avec eux

plus d'un trait de

sympathie. Son cœur

de fer ne s'est jamais

amolli qu'en faveur de

deux sottes créatures

du genre animal, un

grand vilain aigle des

Alpes, encore plus maigre que son maître, et

la petite Pampette Dunoyer qui ne manquait

point d'embonpoint ; mais c'était tout.

« Il y a des hommes dans lesquels la fausse vocation d'un talent étranger à leur talent peut passer pour une manie, comme celle de Voltaire lui-même pour la comédie, de Boi- leau pour l'ode, de Chapelain pour l'épopée, de Girodet pour la musique et de Grétry pour la philosophie. On ne parlerait pas de Cicéron, s'il s'était obstiné à faire des vers. Ceci soit dit sans affront pour les jolis des- sins du maestro Gherubini. »

Nodier aurait peut-être ajouté un alinéa

LES TÊTES 51

de plus à cette charmante page, s'il avait vécu de nos jours.

Tuer à la carabine, de ses propres mains, cent dix cerfs dans son après-midi , ne lui aurait pas semblé plus extravagant que de se mettre à trente ou quarante personnes mon- tées sur des chevaux, hurlant et tirant, au galop, des sons étranges de leur trompe, aidées, en plus, de quarante à cinquante chiens, à la poursuite d'un pauvre animal, jus- qu'à ce qu'exténué de fatigue, il tombe mort devant eux.

Ce qui revient à dire qu'il ne faut s'éton- ner de rien dans ce monde et que, si j'éprouve une répulsion prononcée pour un sport qui consiste à abattre, du haut d'une cage, les bêtes superbes qui font l'ornement de Lainz, et que des traqueurs poussent en masse com- pacte à la boucherie, l'archiduc Ferdinand, de son côté, aurait belle de m'exprimer en termes énergiques son profond dégoût pour un plai- sir aussi barbare, à ses yeux, que celui de la chasse à courre.

IV

LA FAÇON DE JUGER UN CERF

VA NT d'être capable de don- ner à courre un cerf avec une q II a s i - c e r t i t u d e , le valet de limier a besoin d'un long apprentissage pour savoir distinguer le sexe et l'âge des animaux qu'il aura à travailler, et j'ajoute que ce n'est pas dans l'étude seule des traités de vénerie qu'il acquerra les connaissances nécessaires à l'exercice de son métier. Sans doute, il y apprendra les notions élémentaires de cette science, mais il n'arrivera à se perfectionner qu'avec la pratique ; il ne parviendra à dis- tinguer les vieux cerfs des plus jeunes et à ne pas confondre une biche avec un daguet, même avec une troisième tête, qu'en allant souvent au bois pendant la morte saison et en se donnant de la peine ; d'autant plus que,

54 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

selon le pays il opérera, les volcelets d'animaux du même âge varient du tout au tout. Ici, la nature marécageuse du sol, les gagnages de riche culture font pousser la corne des pieds, dont les bords ne s'usent pas et restent tranchants. Là, au contraire, dans une région de pierres et de rochers comme Fontainebleau et Ermenonville, les empreintes subissent l'effet que le terrain dur produit sur les pinces et le talon. Aussi, un valet de limier, cependant expérimenté, qui arriverait sans défiance dans un pays inconnu pour lui, ris- querait-il fort de se tromper, de juger des cerfs pour des biches ou de rembucher une troisième tête, alors que ce ne serait qu'un daguet. D'où cet axiome qu'il ne faut pas s'en rapporter à la grosseur seule du pied pour éclairer sa religion.

La première et la plus importante des connaissances à acquérir, pour un novice, con- siste à distinguer le sexe des animaux, parce qu'en France, l'on ne court jamais que les mâles, et qu'un valet de limier qui commettrait l'erreur de détourner une biche, au lieu et place d'un cerf, aurait ensuite toutes les peines du monde à se réhabiliter aux yeux de son maître et deviendrait la risée du public.

LA FAÇON DE JUGER UN CERF

55

La biche a le pied long, creux, étroit. Son talon est si petit qu'il n'y a point de cerf d'un an qui n'en ait un aussi gros, et, chose caractéristique, quand elle marche d'assurance, c'est-à-dire au pas, contrairement aux allures

DIX-CORS

TÊTE AVEC CONNAISSANCE

du mâle, elle se « méjuge » presque toujours, expression qui signifie qu'elle met son pied de derrière tantôt adroite, tantôt à gauche de celui de devant. De plus, elle a des os petits, tournés en dedans, différents en cela de ceux du cerf, et piquant perpendiculairement dans la terre.

56 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

Mais, encore une fois, malgré toutes ces observations résultant de l'expérience, rien ne vaut la pratique, et, s'il fallait s'en tenir seule- ment à la théorie que les livres nous enseignent, les méprises succéderaient aux mécomptes sans interruption. Aussi, je n'insiste pas sur un sujet que certains auteurs, comme d'Yau- ville, ont traité avec une conscience digne d'un meilleur sort, mais qui ne sont pas par- venus à changer mon opinion, surtout depuis le jour j'ai assisté à la déconvenue d'un valet de limier de premier ordre, qui avait eu le malheur de donner à courre une biche pour une troisième tête. Ainsi, voilà, me suis- je dit alors, un homme d'une érudition incontestable dans sa partie, qui, d'ailleurs, depuis longtemps, a fourni des preuves nom- breuses de son savoir-faire, qui, passionné de son métier, sait résoudre toutes les difficultés qui surgissent sous ses pas, quand il va au bois, et cet homme, pourtant, après tant d'an- nées d'expérience acquise, est encore capable de se tromper ! Gomment expliquer pareille anomalie ? Voici les raisons de son erreur, et j'affirme que bien d'autres, dans le même cas, en auraient fait autant.

On était en fin de saison de chasse, au

LA FAÇON DE JUGER UN CERF 57

mois d'avril, à la veille de l'époque cette malencontreuse biche allait mettre bas . En raison du poids qu'elle portait dans ses flancs, elle paraissait avoir plus de pied que ses semblables n'en ont à l'ordinaire ; elle appuyait sur le talon en marchant, ouvrait les pinces et mettait le pied de derrière moins en avant que celui de devant. Pourvue abondamment de lait, elle était, en outre, obligée de mar- cher les cuisses écartées, ce qui bouleversait les allures habituelles à son sexe et la for- çait à les avoir plus réglées et plus croisées. Déjà, il y avait de quoi embarrasser un valet de limier. Mais ce n'est pas tout. Pour mettre tranquillement au monde son faon, elle s'était séparée des autres animaux et réfugiée dans un endroit solitaire. Enfin, pour comble de déveine, un bûcheron avait signalé la veille à notre homme la présence d'une troisième tête dans ces mêmes parages. Aussi les détails du volcelet, ceux des allures de l'animal et de ses habitudes coïncidant avec le renseignement donné, tout cet en- semble de faits avait fini par le convaincre, après toutefois une certaine hésitation, que son instinct avait eu de la peine à détruire, qu'il était bien en présence d'un cerf dont il

58 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

pouvait, sans crainte, faire le rapport à son maître.

De ce jour, j'ai compris combien il fallait être indulgent pour ceux qui ont la tâche difficile de détourner des animaux, puisque je venais de toucher du doigt le moyen de commettre l'erreur la plus grossière en vénerie, sans cependant en imputer la faute à per- sonne.

La fatalité ! ah ! comment l'éviter? comment parer à cette série de contretemps variés, de hasards, que nous avons tous connue pour l'avoir éprouvée au cours de notre existence, pouvoir inexorable, funeste, agissant par une suite d'opérations qu'enchaînent des liens indissolubles et occultes pour le malheur de l'homme ?

Il y a lieu de remarquer que, lorsque la biche se trouve dans son état normal, son volcelet est assez semblable à celui du daguet ; mais, avec de l'expérience, on ne s'y laisse pas tromper. Le daguet marche avec les quatre pieds ouverts et place ceux de derrière en avant de ceux de devant, sensiblement plus grands que les autres. Chose curieuse, plus un cerf est âgé, plus il « se retarde », autre- ment dit, plus il met son pied de derrière

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LA FAÇON DE JUGER UN CERF

59

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et les vieux, car, plus les cerfs avancent en âge, plus leurs os se rapprochent du talon, au point que, pour un dix-cors, vous ne pourriez même plus mettre votre pouce en travers.

On comprendra qu'il soit impossible de définir ici les divergences qui existent entre les os, les pinces, les talons, les allures d'une troisième tète et ceux d'une quatrième . Les traités de vénerie nous les enseignent, il est vrai, mais je répète que bien naïf serait celui qui

BICHE

60

REFLEXIONS D UN VIEUX VENEUR

se croirait capable de détourner un cerf, après s'être livré à une étude approfondie des du Fouilloux , des Goury de Champgrand , des d'Yauville et d'autres écrivains érudits . Le

mieux pour s'instruire est encore d'accom- pagner un homme du métier qui, en quelques leçons, vous inculquera les notions élémen- taires du début, avec les exemples à l'appui ; après quoi, vous volerez de vos propres ailes, vous trompant souvent, donnant des buissons creux comme tous les apprentis, et même les plus malins, rembûchant même un daguet pour un plus gros cerf ; puis, petit à petit, à force de ténacité dans vos efforts, vous vous

LA FAÇON DE JUGER UN CERF

61

passionnerez tellement pour une science qui met en mouvement toutes les facultés de votre intelligence, qu'avant peu vous serez étonné d'être classé parmi les plus fins valets de limier.

V

L'ART DE DETOURNER UN CERF

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A vieille expression « détour- ner un cerf » signifie le manœuvrer jusqu'à ce qu'on le trouve resté dans une enceinte, en faisant tous les détours successifs nécessaires.

Qu'il puisse un tel cerf détourner, C'est qui puisse endroit le contour Du boys le cerf est, Un tour faire du limmier.

Telle est la définition que, déjà en 1394, le « Trésor de la vénerie » donne à ses adeptes de ce terme employé journellement à la chasse à courre.

Gaston Phœbus, d'autre part, écrit que c'est faire « un grand tour par aucunes voyes et sen- tiers, et si le valet de limier voit qu'il ne

64 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

passe hors de son tour, il le peut servir pour destourné »,

Il semble, en lisant ces lignes, que la chose soit d'une simplicité telle que le premier venu, aidé d'un bon chien, doive pouvoir rembûcher sans peine un animal.

Faites le tour d'une enceinte, et, si vous ne l'en trouvez pas sorti, vous pouvez de con- fiance aller l'y attaquer. Aucun doute, en effet, ne subsiste à cet égard : il y est bel et bien détourné. Et voilà... Rien de plus aisé... en théorie. Mais nous savons qu'il y a loin de la coupe aux lèvres, et ceux qui ont pra- tiqué le métier vous diront que, la plupart du temps, au cours de leur travail, ils se sont heurtés à des obstacles aussi ardus à franchir que des problèmes de géométrie à résoudre. D'Yauville écrit dans son traité que « les désagréments et les contradictions que l'on éprouve sont tels que ce serait un métier de galérien, si on n'était pas excité et soutenu par l'amour-propre ». C'est, sans doute, en raison de cet effort intellectuel et de la vive satis- faction qu'engendre la difficulté vaincue que les veneurs ont toujours éprouvé un attrait irrésistible à « aller au bois » pour détourner un cerf. Brantôme, parlant de Charles IX, nous

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dit: « Pour quant à l'exercice de Diane, il y était violemment adonné fut à courir et à piquer après le cerf, fut à beau pied, à le détourner avec le limier, et y était si affectionné qu'il en perdait le dormir, étant à cheval avant le jour pour y aller. »

Voyons de près en quoi consistent ces diffi- cultés.

Pour aller au bois, il convient de se munir d'un bon limier, en d'autres termes, d'un chien doué des qualités appropriées au genre d'exer- cice auquel on le soumet. Il n'est pas besoin d'expliquer longuement pourquoi il doit être (( muet ». Avec des animaux sauvages tou- jours en éveil, toujours à l'affût du danger, le moindre aboiement, même le plus léger siffle- ment des limiers, les mettrait incontinent en fuite, et Dieu sait s'il serait jamais possible de les rembûcher, une fois « mis sur pieds » et effarouchés. A cet égard, de rudes correc- tions apprennent vite au chien qu'il faut se taire, et, plus tard, une légère saccade sur le (( trait » suffit pour le rappeler à son devoir. De même, on arrive à lui faire comprendre, mais avec plus de peine, qu'il ne doit pas rester en arrière dans les jambes de son maître, mais marcher toujours en avant de lui et tirer

GG REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

sans cesse sur la corde désignée sous. le nom de « trait », appelée ainsi, dit-on, parce qu'il « bande le trait en tirant comme un cheval sur ses traits ».

Comme la seule fonction du chien consiste à indiquer à celui qui le mène le passage des animaux sur la route qu'il suit, ce but ne serait plus atteint s'il demeurait dans les talons de son maître et, par conséquent, hors de sa vue. Mais ce dernier, malgré tous les talents dont il dispose, reste impuissant, c'est pour donner au limier ce que, seule, la nature a le pouvoir de lui octroyer, la finesse du nez, qualité précieuse, indispensable pour détourner un cerf.

Nul n'ignore que les grands animaux ont l'habitude de chercher leur nourriture pendant la nuit et que, dès la pointe du jour, ils se « rembuchent », c'est-à-dire qu'alors, pour se reposer et se soustraire à la vue des passants, ils choisissent un endroit retiré, les bran- ches et les broussailles les protègent contre les indiscrétions du public et les mettent, croient-ils, à l'abri de leurs ennemis, les chas- seurs. Précaution superflue, si le valet de limier est habile et s'il est doublé d'un chien possé- dant les qualités requises. En effet, bien que

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LART DE DETOURNER UN CERF 07

le cerf ait terminé son repas de bonne heure, bien qu'il se soit, dès l'aube, pourvu de son gite , un chien dont le nez est fin et qui croise la voie de l'animal deux heures , trois heures même après son passage , ne doit pas la « sur- aller », autrement dit, doit se rabattre sur la piste, et, selon la manière de la flairer, faire comprendre à son maître si elle est de plus ou moins récente date . Car l'œil le plus exercé ne saurait, à lui seul, découvrir si telle voie remonte à plusieurs heures, si telle autre est « saignante », selon l'expression consacrée. Le chien seul peut, en cette circonstance, gui- der le valet de limier. Et combien cet auxi- liaire devient-il indispensable, quand, en hiver, sur les chemins recouverts d'une épaisse couche de feuilles mortes collées par la pluie, s'efface toute empreinte indiquant la refuite des ani- maux !

Enfin, pour en finir avec ces détails, l'on ne conçoit pas un limier qui ne soit pas vigou- reux, capable de tirer sur le trait six ou sept heures durant, comme le fait peut se produire quand on est aux prises avec des cerfs fuyards et difficiles à rembucher. Rien n'est plus décou- rageant, rien de plus écœurant que de traîner à la remorque, après une heure de travail, un

68

REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

limier fainéant, sur lequel on ne peut plus compter, alors que le moment décisif est venu de redoubler de courage et que l'on sent qu'il

ne faudrait plus que quelques instants d'énergie pour détourner un bel animal.

A ces différentes qualités essentielles vien- nent s'en ajouter d'autres, obtenues par la pra- tique et le temps. Non moins précieuses que les précédentes, elles facilitent singulièrement la tâche du valet de limier. Dans les grandes

L'ART DE DETOURNER UN CERF 69

forêts où, en plus des cerfs, abondent diverses sortes de gibier, telles que sangliers et che- vreuils, un jeune chien sans expérience ou insuffisamment dressé ne se fait pas faute de se rabattre, à chaque instant, sur les voies qu'il croise et fait ainsi perdre à son maître un temps incalculable. Il faut s'arrêter, cher- cher à en revoir, découvrir de quelle espèce d'animal il s'agit, et, souvent, quand la terre est gelée ou recouverte de feuilles, la solution du problème est longue à obtenir. Or, pen- dant l'hiver, alors que le jour ne se lève pas avant huit heures et qu'il faut être de retour au rendez-vous avant onze heures, on peut se rendre compte du tort que produit la moindre perte de temps occasionnée par un limier qui, s'arrètant sur toutes les pistes, quelles qu'elles soient, vous oblige à chercher le volcelet et à en découvrir la nature.

Les vétérans, ceux qui, depuis longtemps, ne travaillent que le cerf, ne tombent pas dans ce travers. Ils passent sans broncher sur les voies les plus récentes des animaux que leur éducation leur a appris à mépriser ; il en est même qui ne se rabattent jamais que sur la voie des cerfs mâles, ne faisant pas la plus petite attention à celle des biches.

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REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

Le valet de limier commence donc son travail à la pointe du jour ; mais, pour en décrire toutes les péripéties éventuelles, il faudrait y consacrer plusieurs chapitres. Je connais trop les égards que je dois au lecteur pour allonger mon récit outre mesure ; je l'abrégerai donc en me bornant à suivre mon homme au cours d'un rembuchement palpitant d'intérêt, les difficultés semblent naître

sous ses pas, rendant sa tâche presque insur- montable.

Parti, la veille au soir, du chenil avec son

L'ART DE DETOURNER UN CERF 71

chien pour aller coucher dans une auberge située à plusieurs kilomètres de là, afin de ne pas perdre une minute de son temps, le lendemain matin, il se trouve à la portée de la (( quête » que le maître d'équipage lui a désignée. Il est important de bien préciser les limites de chaque « quête » ou canton d'une contenance variable selon le pays, afin d'éviter les empiétements d'un valet de limier sur le terrain de son camarade, cause souvent de querelles et de jalousies difficiles à apaiser dans la suite.

Je reprends mon récit.

Au lever du jour, notre homme longera les confins d'une plaine, dans l'espoir qu'un cerf, selon son habitude, y aura séjourné la nuit, attiré par l'appât de seigles ou de blés à peine sortis de terre. Ses pronostics se réa- lisent. Une quatrième tète a été au gagnage et rentre seule dans les demeures fourrées qui bordent les champs (1). L'ardeur de son limier lui prouve que la voie est, à n'en pas douter, de fraîche date. Après s'être bien assuré du sexe de l'animal, de son âge, de sa manière de marcher (de ses « allures » en terme de vénerie), des « connaissances » que comporte peut-être le pied, c'est-à-dire de

Itinéraire du valet de limier Voie du cerf

L'ART DE DÉTOURNER TIN CERF 73

certaines marques ou signes particuliers des pinces qui, laissant sur le sol une empreinte différente de celles de ses congénères, lui donneront, au besoin, s'il surgit une diffi- culté, une indication utile, son premier soin sera de caresser son chien sur la piste, en l'encourageant de la voix, afin qu'il la goûte et que, dans la suite, il ne néglige pas de se rabattre quand il aura l'occasion de la rencontrer.

Puis, le valet de limier « enveloppera », par le chemin le plus proche, l'enceinte dans laquelle le cerf est entré, et où, fatigué par sa randonnée de la nuit, l'animal a des chances de s'être mis à la reposée. Mais, est-ce parce que le vent mal placé lui a permis de deviner le danger ou qu'une branche cassée sous le pied de l'homme lui a signalé la présence de l'ennemi, toujours est -il que, brusquement mis sur pied et in- quiet, il décampe pour chercher dans d'autres parages un refuge plus sur. Le chien qui a rencontré la voie nouvelle (2) veut entraîner son maître sous bois, tant elle est chaude, et lui indique, par sa fougue, ce qui vient de se passer. Premier déboire ! Il lui faudra main- tenant redoubler de précautions, car, une fois

10

74

REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

parti, l'animal effarouché, toujours aux écoutes, ne s'arrêtera plus que lorsqu'il se sentira en parfaite sécurité. Que faire ? Inutile de pro-

céder de la même façon, en se portant à la route suivante pour s'assurer que le cerf l'a traversée. Ce serait le meilleur moyen de le rendre plus fuyard encore. Savoir changer de tactique à l'instant propice, selon les événements, constitue, en général, l'un des éléments les plus certains du succès. Les Italiens ont une façon originale d'exprimer cette pensée : niettere ta coda dove non va il capo^ « mettre la queue la tète ne passe pas ». Aussi bien que l'homme de guerre, le valet de limier avisé doit se pénétrer de cette doctrine pour réussir. Celui dont nous suivons le travail, imbu sans doute de ces principes,

L'ART DE DETOURNER UN CERF 75

se dit : « Prenons les grands devants. Enve- loppons plusieurs enceintes et nous saurons ainsi quelle est sa refuite. Si, dans nos grands devants, nous n'en avons nulle part connaissance, nous le (( raccourcirons » pour le détourner dans l'enceinte il a se mettre à la reposée. » Et voilà notre homme reparti avec son limier comme guide, qu'il tient, par la parole, constamment en éveil, afin que, le nez à terre, il n'ait pas un soupçon d'inattention, sachant bien qu'une fois la voie « surallée », le fâcheux et humiliant buisson creux le guette, quand, plus tard, l'on viendra frapper à sa brisée.

Mais le temps presse ; déjà 8 heures ! A peine s'est-il engagé dans la route suivante (DA), que son chien se rabat derechef. Mais sur quoi ? Impossible de découvrir sur le sol durci en cet endroit par la gelée le moindre vestige de volcelet ! G ' est à désespérer ! Est-ce la voie d'un sanglier, d'un chevreuil ? Pourtant son limier n'est pas un novice. Peut- être bien alors est-ce son animal ? mais qui affirmerait que ce n'est pas un autre cerf? Allons, avant d'aller plus loin, il convient d'éclaircir le mystère. Et alors, brisant une branche qu'il pose à l'endroit même (3) a

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r?:flexions dun vieux veneur

surgi l'embarras, il prend le parti de pousser la voie sur le contre-pied, certain de la sorte de ne nuire en rien à son travail. Ainsi, pense-

t-il, je rencontrerai quelque part sur mon chemin une taupinière, une place à charbon, en un mot, un terrain propice l'animal, dont je ne puis définir l'espèce, aura laissé la trace visible de son passage.

Le limier entraîne donc vivement son maître au contre-pied et, à une centaine de mètres de la branche cassée, sur les bords amollis d'une mare (4), il lui est facile de juger par le volcelet qu'il n'y a plus d'erreur

L'ART DE DÉTOURNER UN CERF 77

à redouter et que c'est bien le même cerf qui traverse la route. Il est superflu d'insister davantage. Le plan est de retourner aussitôt à la brisée (3) et de reprendre ses grands devants au plus vite.

A un kilomètre plus loin (5), nouvel arrêt, nouvelle incertitude ! Cependant il est aisé, cette fois, de s'apercevoir qu'il ne s'agit plus d'un seul animal, mais de plusieurs ; une traînée, qu'ils ont laissée derrière eux sur les feuilles, ne permet pas Tombre d'une hési- tation. Probablement une harde, dérangée par les allées et venues suspectes précédentes, a pris peur, est sortie de l'enceinte que le cerf traversait et a créé cet incident ; mais notre animal se serait-il par hasard accom- pagné avec elle? Non. Le revoir est là, suf- fisamment bon pour que l'on puisse distinguer l'empreinte des animaux. Ce sont dix biches, un daguet, un cerf dix -cors, rien de plus. Pas traces apparentes de la quatrième tête, qui ne s'est donc pas jointe à eux. Dans la crainte, toutefois, d'une erreur toujours pos- sible, le valet de limier prudent casse une branche sur la voie de la harde, se réservant d'y revenir, s'il ne retrouve pas ailleurs la refuite de son animal. Voici comment il rai-

78 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

sonne : « Il peut se faire, après tout, que, par la même coulée outrageusement piétinée par la harde, mon cerf se soit faufilé en tête de la bande. Dès lors , suivant un parcours identique, elle a pu effacer tout vestige de ses pas, me mettant dans l'impossibilité d'en rien découvrir. Mieux vaut donc poursuivre mon chemin, et, si la malchance veut que je n'aie nulle part connaissance de sa A^oie, j'aurai toujours la ressource , dans le cas les camarades n'auraient pas au rendez-vous des rapports satisfaisants, de venir attaquer ces animaux, que je retrouverai sans peine grâce à mes branches. » *

Mais il ne s'est pas trompé. Le cerf ne s'était pas hardé aux autres. A peine, en effet, le valet de limier eut-il tourné le carre- four suivant, que son chien portait le nez au vent (G) et l'entraînait vers la lisière du bois où, sur le rebord du fossé, un volcelet parfaitement formé le réconfortait et lui re- donnait courage. C'était bien le même pied, avec ses pinces tranchantes, dont l'une, celle de gauche, plus courte que l'autre d'un centi- mètre, ne permettait aucune hésitation.

De nouveau, il enveloppe à la hâte quatre grandes enceintes G. E. F. G. H. B., car

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L'ART DE DETOURNER UN CERF 79

l'heure avance, et, ne trouvant pas la voie du cerf, il peut affirmer, si son chien ne l'a pas surallée, qu'il est là, dans ce grand massif de bois dont il a fait le tour. « Est-il prudent, maintenant, de le « raccourcir » ? pense-t-il (opération qui consiste à le rembucher dans le plus petit espace possible). Voilà un animal qui, sans aucun doute, est inquiet. Vais-je risquer de le faire partir en voulant le serrer de trop près ? Il peut éventer mon chien, et, bernique ! je rentrerai bredouille au rendez-vous. » Cependant, l'amour-propre l'emporte sur la sagesse. Donner à courre un cerf « dans un mouchoir » , n'est-ce pas le chef-d'œuvre du genre? « Ma foi! je tente la chance », se dit-il. Une fois sa décision prise, il suit avec des précautions minutieuses une sente (1) qui coupe en deux les enceintes d'où les grands devants lui ont permis de s'as- surer que l'animal n'était pas sorti, et, tout joyeux, il constate bientôt que sa peine et sa persévérance vont être couronnées de succès. Il ne faut pas croire, cependant, que ce succès il l'obtiendra sans avoir à résoudre encore quelques difficultés. A peine s'est-il engagé dans le chemin de traverse (B. G.), qu'il rencontre une voie (7) sur laquelle,

80 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

comme d'habitude, il « brise » et dépose une branche. Quelques pas plus loin, nouvelle rencontre (8), mais dans un sens inverse. En examinant de près l'un et l'autre de ces volcelets, il lui semble bien reconnaître son animal, mais la terre est si dure qu'il se méfie de lui-même. Gomment ne serait-il pas perplexe ? Tout au plus peut-il définir le sens dans lequel le cerf dirige ses pas, et, s'il y parvient, c'est en grande partie grâce au ter- rain herbu sur lequel « la foulée » se perçoit, la pointe de l'herbe étant toujours couchée du côté la bête a la tête tournée. Si, toutefois, par hasard, c'était un autre animal? Il est vrai qu'il n'en a pas eu connaissance en prenant ses grands devants , qu'il a marcher la nuit pour « viander », bref, qu'il serait bien étrange qu'il fût resté, depuis la veille, dans les mêmes demeures. Non, ce n'est guère probable ; mais ne savons-nous pas que « le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable » ? Décidément, le mieux est de s'assurer de la chose. Ici apparaît l'utilité des brisées jetées sur chaque piste rencon- trée. En suivant le contre-pied de la seconde voie, il est clair que, si son chien le ramène à celle (7) qu'il a croisée peu d'instants

L'ART DE DETOURNER UN CERF 81

avant dans la même route, et sur laquelle il a eu soin de placer une branche, il aura acquis la preuve qu'il s'agit dans les deux cas d'un seul et même cerf, le sien, qui, avant de se mettre à la reposée, a fait un « faux rembûchement », ruse bien connue dont se servent les animaux qui ont déjà été attaqués et que l'on a manques.

D'autre part, si le limier, contrairement à cette éventualité, l'entraîne dans une direc- tion opposée, tous les doutes disparaissent également. Il n'y a plus lieu de s'occuper de cette seconde voie, qui est celle d'un autre cerf.

Voilà donc le valet de limier lancé sur le contre-pied, débrouillant les allées et venues de l'animal à travers les fourrés. Ses espé- rances se réalisent. Après bien des détours, il revient à ses premières branches , et sa manœuvre lui indique que, toujours inquiet, le cerf qu'il travaille depuis le matin a cher- ché, au moyen d'un faux rembûchement, à se garer d'un danger qu'il soupçonne, et qu'il est revenu brusquement sur ses pas, avant de se mettre sur le ventre sous une touffe de fougères ou une cépée de bois.

Cependant, il reste une dernière précau-

11

82 REFLEXIONS D UN VIEUX VENEUR

tion à prendre, afin d'éviter toute erreur. Qui nous dit qu'en voulant le « raccourcir », le cerf, serré de trop près, n'a pas éventé le chien et ne s'est pas empressé de déguerpir ? Aussi, avant de quitter la place, le valet de limier devra-t-il s'armer de courage et re- prendre, une fois encore, ses fastidieux de- vants, si le temps le lui permet, car déjà il est onze heures, et il lui faut compter quatre kilomètres pour gagner le rendez -vous, et il faut qu'à midi il ait déjeuné , qu'il soit habillé pour la chasse et prêt à communiquer son rapport à son maître. Le désir de bien faire l'emporte sur ses hésitations passagères, et, après s'être assuré à la hâte que le cerf est bel et bien rembuché , il casse cette fois deux branches (5) , signe du terme de ses laborieuses pérégrinations, branches qu'il met sur la dernière rentrée l'on amènera, dans la suite, les rapprocheurs.

On voit, par les détails qui précèdent, l'im- portance prépondérante que joue à la chasse à courre le valet de limier. Qu'il donne un buisson creux, soit par sa négligence, soit qu'il ait manqué de Ilair, soit à la suite de contretemps imprévus , il n ' en faudra pas davantage pour que les chiens rentrent au

L'ART DE DETOURNER UN CERF 83

chenil sans être découplés de la journée. Je ne parle pas de riiumiliation qu'éprouve de son échec Thomme véritablement amou- reux de son métier. Cependant, plus qu'ail- leurs, l'indulgence est de mise, en présence des buissons creux, et, seuls, les veneurs qui n'ont jamais été au bois peuvent être portés à accabler injustement un valet de limier malheureux, parce qu'ils ignorent les embarras incessants auxquels il est en butte. 11 y a tant de raisons de leur pardonner une erreur à ces braves serviteurs, qui emploient à leur travail leur énergie et leur intelli- gence. Je sais bien qu'il existe des excep- tions, comme dans tout ce qui relève de la nature. Je n'ignore pas que, parfois, il s'en trouve qui, au lieu de remplir leur devoir, fréquentent les cabarets et affirment imper- turbablement au rendez-vous qu'ils n'ont eu connaissance d'aucun animal dans leur quête. Il en est d'autres qui préfèrent détourner, plutôt qu'un cerf, des jeunes bûcheronnes... de leur travail. L'un de mes amis, très bon veneur et maître d'équipage, avait la répu- tation de se livrer à ce genre spécial de « détournement ». Dame ! l'occasion, l'herbe tendre... Bref, il résistait peu à la tentation.

84 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

Un jour qu'il avait attaché son limier à un arbre, préférant sacrifier au culte de Vénus celui de Diane, il s'était entendu apostropher de cette façon par la jeune femme attendrie : « Ah ! si pourtant votre maître vous voyait ! » Mais je me hâte de dire que l'attrait de rembùcher un bel animal, que l'on attaque ensuite, est si passionnant que l'on peut classer parmi les exceptions ceux qui négligent leur quête pour recourir à d'autres distractions. Aussi, les maîtres d'équipage devront - ils toujours user d'indulgence, si, après avoir foulé en vain l'enceinte un cerf a été donné à courre, ils sont obligés d'aller frapper à une autre brisée ou de reprendre le chemin du logis, car, souvent, ce sont des circonstances imprévues qui ont causé leur mécompte. Par exemple, qui peut vous assurer qu'entre le moment le cerf a été détourné et celui l'on part du rendez-vous pour l'attaquer, des ramasseurs de bois mort, des chercheurs de champignons ou de noisettes, etc., ne sont pas venus le mettre sur pied ? Et les mouches, donc ! Que le soleil vienne à tourner quand il est à la reposée et que ses rayons ardents l'enveloppent tout à coup, une nuée de ces irritantes petites bestioles affluent sur

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lui, et, pour s'en préserver, d'un bond, il se lève affolé et court chercher un autre refuge à quelques enceintes seulement de là, il est vrai, mais il n'en faut pas davantage pour que l'équipage, deux heures plus tard, fasse buisson creux.

De même, un garde forestier peut avoir été visiter son chemin d'assommoir, qui tra- verse de part en part les fourrés le cerf est couché, en battre les fougères pour relever ses pièges, agrainer des faisans, etc. Il n'en faut encore pas davantage pour que l'animal se sauve et soit loin, quand il s'agira de l'atta- quer. Quoi de plus naturel aussi qu'une harde d'animaux, venue à l'improviste, entraîne au passage le camarade avec elle ?

J'ai assisté, lorsque la vénerie de l'em- pereur Napoléon III chassait en forêt de Gom- piègne, à une scène souverainement injuste, provoquée par l'un de ces accidents imprévus devant lesquels l'homme le plus habile de- meure impuissant. L'on était allé attaquer un cerf seul à sa tète, mais, après avoir foulé l'enceinte dans tous les sens, il n'en était sorti qu'une vieille biche. Le premier veneur, convaincu que le valet de limier s'était gros- sièrement trompé, qu'il avait mal jugé l'ani-

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REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

mal, qu'en un mot son cerf n'était réellement qu'une biche, le mit à pied sans commen-

taires, alors qu ' il était permis de croire qu'une substitution d'animaux s'était produite pendant l'intervalle de temps personne ne pouvait s'en douter.

Bien d'autres cas analogues peuvent se produire, indépendants de la volonté humaine et devant lesquels la sagesse est de s'in- cliner.

Que de fois ne m'est- il pas arrivé, au début de la saison, alors qu'il fait chaud et que les fourrés sont inextricables, de fouler une enceinte avec six rapprocheurs pendant plus d'une heure, sans pouvoir attaquer le cerf qui y était rembuché, et, découragé, d'aban- donner la partie, puis d'apprendre, dans le cou- rant de la journée, qu'à peine j'avais eu le

L'ART DE DETOURNER UN CERF 87

dos tourné, il avait été vu par corps, sortant tranquillement de cette même enceinte.

Parlerai -je de la méchanceté de certains valets de limier jaloux ? Hélas ! ces vilenies se voient et se verront encore. N'en a-t-on pas connu qui poussaient la traîtrise jusqu'à entrer sous bois, quand le camarade, après avoir détourné son cerf, regagnait le rendez- vous, dans le but perfide de faire sortir l'animal et de provoquer ainsi le buisson creux, ou bien encore jusqu'à semer de fausses brisées sur la route, afin d'induire en erreur ? Le récit de l'un de ces procédés inqualifiables me fut raconté, à l'époque, par la victime elle-même. On avait gardé avec le plus grand soin, pour une solennité qui devait avoir lieu pendant le déplacement de Napoléon III à Compiègne, un très vieux cerf qui avait élu domicile dans le voisinage de la ville. Chaque matin, pendant des jours et des jours, le valet de limier auquel était dévolue cette quête en avait connaissance et ne doutait pas une minute de le rembucher sans peine, quand le moment serait arrivé. Par malheur pour lui, il avait parmi les hommes de la vénerie un ennemi acharné, Lafeuille, le « Grand La- feuille », ainsi qu'on l'appelait, connaissant

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RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

supérieurement son métier qu'il avait appris chez le comte Frédéric de Lagrange. Il s'était promis de lui jouer un tour de sa façon et il se tint parole. Au jour dit, mon Lafeuille se lève dès l'aube, prend son chien, n'a pas de

peine à trouver, dans l'une des routes abou- tissant à Compiègne, la voie du gros cerf et dépose dessus, en guise de branche, com- ment dirai-je ? un souvenir sui generis de son passage, dont l'effet odoriférant ne devait pas manquer de se faire sentir, c'est le cas de le dire, quelques instants plus tard. Son camarade, sûr d'avance de l'honneur qu'il va recueillir en donnant à courre le plus

L'ART DE DETOURNER UN CERF 89

magnifique dix-cors de la forêt, tout joyeux à cette pensée, ne se presse pas et se met au travail en toute sécurité. Comme d'habi- tude, il trouve le cerf rentrant de la plaine, le brise sur une route, puis sur une autre. Tout va bien jusque-là. Son chien le lui donne à plein trait, quand, soudain, le nez à terre, il s'arrête : « Viens donc, feignant ! » lui dit son maître en l'entraînant, sans se douter qu'en cet instant critique se jouait pour lui la partie suprême. 11 n'en fallut pas davantage pour que le pauvre homme ayant, en cet endroit maudit, surallé le cerf, ait acquis la conviction qu'il s'était mis à la re- posée et qu'il pouvait sans crainte le donner à courre. Il se fiait trop à son chien et pas assez à l'imprévu. S'il avait pris ses derniers grands devants, il aurait retrouvé, quelque part, une voie qui l'aurait empêché de com- mettre une sottise, qu'il paya chèrement en- suite. Assurément, il méritait une réprimande. Mais que l'on se mette à sa place. Voilà un homme qui, pendant des mois, avait surveillé les allées et venues d'un animal , qui en connaissait, par conséquent, à merveille les habitudes et les demeures, qui pouvait presque dire sous quelle cépée il se couchait chaque

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90 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

jour après avoir fait sa nuit, et l'on com- prendra que l'on soit tenté de l'excuser de ne s'être pas entouré des précautions élé- mentaires consacrées par l'usage.

Ce qui précède m'amène à dire qu'à toutes les qualités de métier que l'on est en droit d'exiger d'un valet de limier, il est impor- tant que, dans l'intérêt de l'harmonie qui doit régner dans un équipage, viennent s'ajouter le bon caractère et la conciliation dans ses rapports avec ses autres camarades, au bois surtout, les motifs de discorde se pré- sentent fréquemment. Il est de règle, je le répète, que le maître d'équipage attribue à chacun de ses hommes une certaine étendue de terrain qui constitue sa quête. Bien que le valet de limier soit maître dans son domaine, il arrive parfois qu'il rencontre un cerf qui le conduit dans celui de son voisin. Va-t-il continuer à le travailler ou devra-t-il l'abandonner ? Dans l'intérêt de la chasse, il est évident que l'hésitation n'est pas per- mise. Mais comment le camarade envisa- gera-t-il cet empiétement sur son terrain ? Rembucher un animal dans la quête qui lui appartient, c'est presque l'accuser de ne pas l'avoir faite. On conçoit la mauvaise humeur

L'ART DE DETOURNER UN CERF 91

qui peut résulter de semblables procédés. Un principe existe, il est vrai, dans cette conjoncture. S'il y a une brisée sur la voie qui va d'une quête à une autre, le valet de limier doit se retirer : « On ne va pas sur les brisées d'un autre. » N'empêche que, lorsqu'il n'y en a pas et que, faisant suite d'un animal, il le détourne dans la quête limitrophe, il se crée des animosités dont souffrent les maîtres et leurs chasses et dont ils sont les premières victimes.

Sur la jalousie qui peut naître de ces manœuvres, d'Yauville a écrit les lignes sui- vantes : (( Si le valet de limier trouve, dès le matin, un cerf sorti de sa quête et passé dans celle de son voisin, il doit le rayer, le briser et passer son chemin, parce qu'il est à présumer que le voisin, prenant les devants de sa quête, doit aussi trouver le cerf ; mais s'il s'aperçoit, sur le haut du jour, que son voisin, par quelque cause que ce soit, n'ait point eu connaissance de ce cerf, il doit le houper (manière d ' appeler que le mot ex- prime). L'usage est que, si, après avoir houpé trois fois, le voisin ne répond pas, on doit aller après ce cerf pour le détourner; mais, si le voisin paraît , celui qui a brisé le cerf

92 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

le mène au rembûchement, lui en fait revoir, puis se retire ; cependant, par procédé, le veneur qui est dans sa quête propose ordi- nairement à son camarade de l'accompagner pour détourner et faire rapport du cerf en- semble. C'est dans ces occasions l'on juge des caractères ; l'ambitieux ne se pique pas de tant d'honnêteté ; il est jaloux de faire rapport seul, pour avoir seul la gloire de laisser-courre. Tels gens sont ordinairement méprisés de leurs camarades, qui s'en méfient et les observent rigoureusement, parce qu'ils sont toujours prêts à faire quelques tours de leur métier. »

Méchancetés et mécomptes, le valet de limier doit donc s'attendre à en supporter les conséquences au cours de sa vie. Dans le nombre, il y a des déboires qui, heureusement, provoquent le rire. Je n'en citerai qu'un seul, datant de loin, de l'époque mon père, dans la pénurie d'animaux résultant de la guerre de 1870-71, découplait indiffé- remment ses chiens sur les cerfs et les san- gliers de la forêt de Gompiègne. En raison de leur rareté, on pense quelle randonnée les valets de limier étaient obligés de fournir avant de trouver de quoi chasser, et, quand

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L'ART DE DETOURNER UN CERF 93

leur chien se rabattait sur une voie, ce qui n'arrivait pas tous les jours, leur excitation s'en trouvait décuplée. Or, une fois, l'un d'eux, le baron de S..., veneur émérite, pour qui le plaisir de détourner un animal n'équi- valait à aucun autre, avait déjà arpenté sa quête de long en large, sans avoir trouvé l'occasion de caresser son chien sur la moindre piste, et retournait, l'oreille basse et la mine déconfite, au rendez-vous, quand, soudain, il bondit de joie, au tournant d'une route empierrée, en sentant le trait de son limier se tendre d'une façon désordonnée. Il avait plu dans la nuit et l'humidité du sol rendait le revoir admirable. Aucun doute ne pouvait subsister : un volcelet, parfaitement formé, était aussi visible sous ses pieds que le nez au milieu du visage. C'était celui d'un ragot de cent trente livres, du plus désirable des ragots, d'un amour de sanglier !

S'attacher à ses trousses jusqu'au moment il pourrait s'écrier triomphalement : « Il est ! » lui semblait, à cette heure, le bon- heur suprême.

La route bordait le pâtis de bois qui servait de clôture à la Faisanderie et, chose bizarre, l'animal, au lieu de la quitter pour

94 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

se rembucher, tantôt sautait sur les talus voisins, tantôt enfilait la chaussée.

Le chien ne balançait pas une seconde sur la voie chaude qui l'emmenait bon train vers Gompiègne. « Ah çà ! se demandait le baron, va-t-il pénétrer dans la ville ? »

En effet, le sanglier ne semblait pas vou- loir s'écarter de cette direction. Déjà, il approchait de l'octroi, prélude des premières habitations. Encore quelques mètres et le préposé n'allait-il pas exiger de lui qu'il se déclarât et payât la taxe d ' entrée réservée aux denrées comestibles ?

Toujours à sa suite, on pouvait voir le baron, plein d'ardeur et d'espoir, pendu à son chien dont les yeux sortaient de la tête, mais ne comprenant rien à un parti si peu conforme aux habitudes des bêtes noires.

Tout à coup, plus rien, plus de voie. Le sanglier s'était-il enfin décidé à gagner les demeures fourrées pour se mettre à la bauge ? Hypothèse d'autant plus vraisemblable qu'une voiture de marchand ambulant, d'un rem- pailleur de chaises, arrêtée sur le bord de la route, lui avait sans doute causé la frayeur qui avait motivé ce brusque écart. Comme il n'est jamais inutile de se renseigner et

L'ART DE DETOURNER UN CERF

95

que la Providence nous a munis d'une langue pour nous en servir, le baron, fidèle à la tra- dition, s'était approché du bonhomme en train de travailler l'osier d'une corbeille devant la porte de sa maison roulante et s'apprêtait à lui crier les paroles sacramentelles : « N'avez- vous pas vu... ? » quand, avant qu'il ait eu le temps d'achever sa phrase, un aboiement formidable se faisait entendre, puis , plus vite que je ne mets à l'écrire, une trombe noire fonçait sur lui, le culbutant au passage. Le limier, de son côté, décampait à toute allure, la queue entre les jambes, poursuivi par le ragot qui, heureusement pour ses deux

victimes, n'était qu'une laie... sans défense. On devine le reste. Le rempailleur, venu de Villers-Gotterets le matin, voyageait ac- compagné de cette béte, qu'il avait apprivoisée

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REFLEXIONS D UN VIEUX VENEUR

dès son jeune âge. Partout il allait, elle le suivait, galopant aux côtés de la voiture, et, dès que l'on s'arrêtait, elle s'empressait de s'enfouir dans une caisse garnie de paille, suspendue entre les deux roues. C'est de cette bauge improvisée, qu'agacée de la visite inopinée et indiscrète du baron et de son acolyte, elle s'était précipitée furieusement, chargeant homme et chien, aussi surpris l'un que l'autre de cette apparition inattendue. Avant de clore ce chapitre, il me reste

à signaler une autre manière d'aller au bois, parce que je l'ai vu pratique r dans certains équipages. Je me hâte de dire qu'elle est la négation de la vénerie, de l'art du valet de limier, et qu'elle demeure l'apa- nage des pares- seux et des inca-

L'ART DE DETOURNER UN CERF 97

pables. Elle consiste à se munir d'une bonne jumelle et à attendre, de grand matin, dans les parages que les animaux fréquentent, leur pas- sage dans les routes ou les clairières de forêt. Inutile, dans ce cas, de se précautionner d'un chien, qui ne devient même qu'une gêne ; la lorgnette remplace tout. Certes, il serait impar- donnable avec ce modem style ^ qui eût fait bondir d'indignation nos ancêtres, de donner à courre un jeune cerf pour un vieux, à moins d'être aveugle; mais, aussi, que de buissons creux attendent les imprudents qui le mettent en pratique ! Il ne suffit pas d'avoir vu par corps un animal traverser un chemin pour le croire rembûché dans l'enceinte suivante. Gomme il s'en va d'assurance, observant, l'oreille tendue tout en marchant, et surtout dans la traversée des routes, s'il n'est pas quelque embûche, quelque danger qui le menace, comme sa vue perçante lui permet de se rendre compte à une longue distance des moindres objets dont il n'a pas connaissance dans l'habitude de la vie, on peut être certain que , la plupart du temps , un cerf ainsi aperçu, même de loin, ne se mettra pas de sitôt à la reposée. Et, alors, on se figure le résultat inévitable de cette manœuvre. Revenu

13

98 REFLEXIOxNS D'UN VIEUX VENEUR

au rendez-vous, notre homme pourra sortir un rapport flamboyant à son maître, mais, quand il s'agira, deux ou trois heures plus tard, de découpler les chiens à la voie, s'il fait « mauvais chasser », ils ne rapprocheront sous aucun prétexte ou se rabattront sur d'autres animaux de rencontre. Ces valets de limier-là n'en portent que le nom, et le jour où, en déplacement, ils seront appelés à faire le bois dans une forêt fourrée et mal percée, leur jumelle ne leur rendra pas plus de service qu'un cautère n'en rend sur une jambe de bois. Hontes de la vénerie, ils ne sauraient aimer leur métier et ne pourraient jamais remplir les conditions exigées pour devenir un piqueur entendu et capable.

VI

LE RENDEZ-VOUS ET L'ATTAQUE

ES valets de limier rentrés au rendez-vous se dépêchent d'endosser leur tenue de chasse et de déjeuner, en attendant le moment ils feront connaître au maître d'équipage le résultat de leur travail. Trop souvent ce dernier ne s'in- c[uiète pas assez des conditions hygiéniques ses hommes se trouveront pour manger et se vêtir, ne se préoccupant pas de savoir s'ils auront même un abri contre les intempéries de la saison. C'est un tort. Que de fois l'homme qui s'est attardé pour rembucher un cerf est obligé de gagner le lieu du rendez-vous en courant. Il y arrive en nage, et comme, à l'époque l'on chasse, le froid est de mise, comme un vent glacial souffle généralement, quand il ne pleut pas à verse, il risque fort,

100 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

ainsi exposé au grand air, d'attraper bron- chites, fluxions de poitrine, rhumatismes, toutes maladies dangereuses qui le cloueront au lit pendant de longues semaines. Or, qui en pâtira le plus après le pauvre diable, victime de son amour de la chasse et de son devoir ? Le maître d'équipage. Aussi ce der- nier doit-il ne rien négliger à l'égard des pré- cautions à prendre, lorsqu'il s'agira de fixer le rendez-vous, afin d'assurer à ses hommes le moyen de se préserver du froid et de l'hu- midité pendant le temps qu'ils y resteront. Rien de plus simple pour atteindre ce but, quand une auberge ou une maison de garde ne se trouve pas à proximité, que de se pourvoir d'une petite tente démontable et de quelques sièges pliants que l'on dépose dans la carriole qui apporte au rendez-vous leurs vêtements de chasse et leurs victuailles. Ces détails, fruit d'une longue expérience, que plus d'un maître d'équipage traite un peu trop cavalièrement, méritent toutefois une attention plus sérieuse qu'il ne semble de prime abord. Il est midi. Les invités arrivés au rendez- vous attendent, pour partir, le résultat des pourparlers engagés entre le piqueur et son maître sur le choix de la brisée et le meil-

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LE RENDEZ-VOUS ET L'ATTAQUE 101

leur endroit devront être placés les chiens de meute. Le rapport est tel que toute incer- titude est vite levée. L'un a rembûché une harde de plusieurs cerfs à tête, autrement dit une harde dont sont exclus les daguets ; un autre a deux brisées à son actif. La plus favorable comprend des biches accompagnées d'un daguet, d'une troisième tête et d'un gros cerf. Ah ! si Ton était sûr que les chiens sépa- rassent de cette harde le dix-cors, il faudrait sans hésitation aller « frapper à cette brisée ». Oui, mais, une fois sur dix, pareille aubaine se produira. C'est étrange, mais c'est ainsi. Pourquoi, me demandera-t-on ? Parce que les vieux cerfs s'arrangent toujours pour se défiler au moment propice, soit en se rasant subi- tement dans un buisson épais et en laissant passer, à côté d'eux, toute la meute emportée sur le reste de la harde, soit en obligeant, à force de coups d'andouillers appliqués dans Tarrière-train, un plus jeune cerf à s'écarter d'eux, à se séparer et finalement à se livrer aux chiens.

Je sais bien qu'on pourrait arrêter les chiens, s'ils sont d'une docilité à toute épreuve, et les ramener à la voie du plus gros cerf; mais, à mon sens, la manœuvre est à éviter. Les

102 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

chiens ont-ils démêlé un animal au milieu d'autres, ont-ils goûté quelques instants seu- lement sa voie, tant pis, il faut le leur laisser chasser. La leçon qu'on leur donnerait en les empêchant de continuer serait détestable, car ce serait leur apprendre à tourner sur le change.

Dans ces conditions, il vaut mieux donner la préférence au troisième valet de limier, qui croit avoir rembuché une quatrième tête accompagnée de cinq biches. Autant dire que le cerf est seul, car, dans un équipage bien créance, pas un chien ne s'occupera d'elles, et tous, sans exception, devront en séparer le mâle.

On s'est donc décidé à frapper à cette brisée. Quant aux autres, le parti le plus sage est de les écarter, car l'on risquerait de former , en découplant les chiens de meute, plusieurs chasses qui gêneraient dans la suite, si les valets de chiens ne parvenaient pas à les ramener vite sur une seule voie.

De plus, les branches sont près du rendez- vous, et, si les animaux n'ont pas bougé de l'enceinte, ils seront promptement attaqués. Mais que vois-je! La nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre dans l'assis-

LE RENDEZ- VOUS ET L'ATTAQUE 103

tance ; chacun a son idée et tire des plans abracadabrants pour mieux voir. Les amis et invités sont déjà en route pour devancer la meute, et, si l'on n'y met bon ordre aussitôt, ils ne se feront pas faute de mettre les ani- maux sur pied avant l'arrivée des chiens. Oh ! ces invités ! ce Chasseurs qui ne viennent que pour faire briller leurs chevaux, de l'éloge desquels ils ne cessent de vous ennuyer; un tas de bavards, de hâbleurs, de porteurs de trompe qui causent, courent et sonnent sans cesse, sans savoir ni pourquoi ni comment, ces prétendus connaisseurs qui, à l'aide de quelques termes de l'art, dont ils savent à peine la signification, vous font des récits qui n'ont pas le sens commun. » (Goury de Champ- grand.)

Leverrier de la Conterie, cïe son côté, dans son langage original, a tracé de main de maître quelques caricatures des veneurs de son temps. Les uns, « charlatans de vénerie », que rien ne semble capable d'arrêter, et qui, dès que le cerf est lancé, se « rembuchent au pied d'un baliveau » pour ne le quitter qu'en entendant sonner l'hallali ; les autres , « farauds bien galonnés, chargés de poudre et de musc, qui arrivent au rendez-vous en cabriolant, et vont

104 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

frapper à la brisée en faisant des sauts de mouton ».

Eh bien ! malgré les critiques de ces auteurs célèbres, peut-être parce qu'aujourd'hui ils sont plus disciplinés qu'autrefois, les invités ne méritent pas des reproches aussi acerbes. J'irai plus loin. Chasser seul, sans amis aux- quels on confie ses impressions, avec lesquels on puisse plaisanter, me semblerait aussi insi- pide que de vivre en tête-à-tête avec moi- même dans l'habitude de l'existence. Souvent l'on se plaint d'eux. On leur reproche de fouler la voie, d'enlever les chiens, de sonner mal à propos, de donner de faux renseignements, etc. D'accord, mais soyons francs ; ils nous ser- vent bien quelquefois pour excuser nos fautes, en un mot, comme disent les Chinois, pour sauver la face. La chasse à courre réclame du bruit, autrement elle est morne. Il faut qu'elle soit accompagnée des cris des hommes et des chiens, du bruit de la trompe , de ce mouvement qu'elle fait naître à son passage, sans quoi, la tristesse et l'ennui envahissent les fidèles eux-mêmes.

Par exemple, mon indulgence ne s'étend pas jusqu'aux automobilistes, la plaie du jour. Ah ! contre ceux-là mes imprécations n'ont

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LE RENDEZ-VOUS ET L'ATTAQUE 105

pas de bornes. L'odeur que leurs machines dégagent, l'effroi qu'elles causent aux che- vaux, les accidents qu'elles occasionnent aux cavaliers, leurs courses désordonnées dans tous les sens, le bruit de leurs moteurs qui em- pêche de rien entendre, les chiens qu'elles

écrasent, tout cet ensemble me les fait haïr au suprême degré. Je ne conçois même pas comment les personnes qui usent et abusent de ce moyen de locomotion à la chasse n'ont pas le tact de comprendre à quel point elles gâtent le plaisir des autres et n'y renoncent pas. Elles y trouveraient même leur compte.

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106 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

car je les défie bien, en roulant, d'entendre les chiens et de savoir la direction que prend la chasse.

Quelle doit être l'attitude d'un bon veneur?

Goury de Ghampgrand va nous le dire : « Le vrai chasseur se rend tranquillement à la brisée, sans tracasser ni fatiguer son cheval, qu'il ménage pour le besoin ; il cherche à prendre des connaissances de l'animal que l'on va attaquer, pour s'en servir dans un défaut, dans le change ou dans un accom- pagnement ; il suit les piqueurs, sans s'em- porter avec trop d'ardeur, de peur d'enlever les chiens ou de fouler la voie dans un retour; il parle peu, pour mieux écouter ; s'il voit les piqueurs embarrassés ou balancer et qu'il ait quelque connaissance qui puisse les remettre sur la voie, il leur en fait part. »

Certes, voilà le type de l'invité modèle, auquel on aime à faire partager les joies d'un laisser-courre. Souhaitons que, stylés par un maître d'équipage entendu, ils rentrent tous dans la catégorie que décrit Goury de Champ- grand.

Les chiens sont amenés en silence au pied de l'enceinte. Ils sont quarante, maximum de ce que l'on peut découpler pour bien chasser le

LE RENDEZ-VOUS ET L'ATTAQUE 107

cerf. Six suffisent pour attaquer. On les sépare de la meute et, s'ils ne sont pas assez souples pour être mis en liberté, on les confie au A^alet de limier qui donne à courre. Le reste est divisé en quatre bardes de huit, pas davan- tage, car il faut tout prévoir. Les animaux ont pu remuer depuis l'instant ils ont été

détournés, et les bommes éprouveraient les plus grands embarras du monde à avancer des bardes de dix ou de douze cbiens, qui se mêlent en marcbant au point de s'étrangler. Si l'équipage est monté sur un pied assez luxueux pour avoir plusieurs valets de cbiens à pied en tenue, ils seront cbargés de mener

108 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

ces quatre hardes ; mais, comme se borne leur rôle pendant la chasse, sauf en ce qui regarde les chiens perdus qu'ils reprennent quand ils les rencontrent, il est généralement admis de laisser à des hommes qui viennent au rendez-vous pour leur plaisir la charge de ces chiens de meute, dont ils n'auront plus à s'occuper, une fois qu'ils les auront découplés.

Les dispositions ainsi prises, un valet de chiens à cheval (1) se porte vivement au côté opposé de l'enceinte pour observer, pendant que le piqueur, accompagné de l'autre homme et de ses six chiens, va frapper aux branches.

Il y eut un temps l'attaque se faisait d'autre manière, à «trait de limier». On pous- sait la voie jusqu'à ce que l'animal eût bondi. En 1726, on procédait encore de la sorte et l'on fît bien d'y renoncer, en présence des inconvénients que cette méthode multipliait. Les valets de limier retournaient au rendez- vous avec leur chien, aussitôt que le cerf était

(1) Aujourd'hui, les valets de limier à cheval, ainsi appelés parce qu'ils vont au bois, ne diffèrent pas des valets de chiens qui, eux aussi, remplissent le même rôle. Par conséquent, l'on peut indiffé- remment se servir de l'une ou de l'autre expression. Dans les véne- ries royales et impériales, il en était autrement. Il y avait, en outre des valets de limier à cheval, des valets de limier à pied qui, eux, ne montaient jamais à cheval et dont la mission consistait à aller au bois avec un autre homme et à garder les animaux rembùchés, pendant que ce dernier rentrait au rendez-vous.

LE rendez: VOUS ET L'ATTAQUE 109

lancé. Or, il arrivait souvent, quand il faisait chaud, que le limier, qui était excédé du tra- vail du matin, n'était plus en état de suffire à celui du laisser-courre. Ajoutez à cela que débrouiller les allées et venues d'un animal

dans une enceinte, avant qu'il se fût mis à la reposée, prenait un temps considérable, en raison des fourrés que l'on devait traverser, et rendait le travail extrêmement difficile, le trait se prenant aux branches à chaque pas et s'entortillant autour des ronces et des épines.

C'est d'Yauville qui, le premier, imagina de découpler à la brisée quelques chiens vieux ou trop lents pour être tenus en relais, et de

110 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

fouler avec eux. « Cette propositon ne trouva », dit-il, (( que très peu de partisans, l'usage et le préjugé présentant toujours des obstacles que les idées neuves ont bien de la peine à ren- verser... Il est certain, en effet, que lorsque ces vieux animaux sont dans l'habitude de fouler, ils mettent le nez à terre en entrant dans l'enceinte, qu'ils rapprochent si les voies sont encore bonnes, et que souvent ils vont lancer un cerf dans une autre enceinte, s'il est sorti de la sienne depuis peu de temps. » Les six chiens d'attaque mis aux branches entrent dans le bois avec le piqueur à cheval, si le terrain le permet, tandis que l'autre valet de chiens, imitant son camarade, demeure dans les parages de la brisée pour observer égale- ment. Mais voilà les chiens encouragés par la voix de leur maître qui se récrient, et, tout à coup, la fanfare de l'accompagnement résonne de l'autre côté de l'enceinte. Les rapprocheurs sont arrêtés sur la voie et recouplés ; il n'y a plus qu'à sonner des appels aux hardes qui, sans se presser, avanceront dans leur direction. Pour tout veneur passionné de son sport, le moment est délicieux. Ce tohu-bohu qu'en- gendre le découpler est et restera toujours un spectacle inoubliable : qui a vu ces chiens

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aux yeux ardents aboyer de joie, ces têtes expressives qui demandent en suppliant qu'on leur donne la liberté, leur départ désordonné sous bois en criant à gorge déployée, con- servera à jamais le souvenir de ce tableau gravé dans sa mémoire.

Il convient d'agir vite, mais avec précau- tion, quand on découple les chiens. Tout d'abord, les bardes devront être attachées aux arbres, afm de laisser aux hommes la facilité de leurs mouvements, puis le piqueur appel- lera les chiens à la voie, les vieux et les meilleurs en premier, de crainte que les jeunes ne reprennent le contre-pied ou n'enlèvent les autres en perçant l'enceinte, sans mettre le nez à terre ; enfin, comme il est nécessaire d'éviter que la meute ne soit égrenée , il faut opérer aussi promptement que possible.

Quant aux chiens d'attaque, le valet de chiens à pied, auquel ils auront été confiés, suivra la chasse de son mieux, et, s'il a l'occa- sion de les redonner quand le cerf tirera sur ses fins, il ne manquera pas de leur procurer le plaisir peu fatigant d'assister à l'hallali et de participer à la curée.

Certains maîtres d'équipage suivent une autre tactique après le lancer. Ils estiment

112 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

qu'au lieu de découpler les chiens de meute sur des animaux accompagnés, il est préfé- rable d'attendre qu'un cerf se sépare, afin, disent-ils, qu'ayant goûté cette voie seule les chiens puissent la démêler ultérieurement dans le change, et, en second lieu, que l'on ne soit pas exposé à chasser un daguet, alors que dans la harde se trouve un dix-cors. Le duc de Bourbon suivait cette méthode. Qu'en résul- tait-il ? Souvent il arrivait que les animaux se faisaient chasser ensemble un temps infmi, jouant devant les vieux chiens d'attaque, qui ne parvenaient pas à en séparer un. Mon père m'a raconté que le prince, inexorable sur ce point, mettait ses valets de chîfens à pied à une rude épreuve. C'étaient, il est vrai, de grands et solides gaillards qui, entraînés par l'exercice, couraient en dératés. Mais, à ce métier, beaucoup, avant d'avoir atteint la cin- quantaine, souffraient d'une maladie de cœur et abandonnaient la vénerie. Il n'était pas extraordinaire de les voir arpenter la forêt, deux heures durant, à toute allure, avant qu'ils pussent découpler. Pendant ce temps, les cerfs s'échauffaient tous également, et, lorsque, à la longue, on parvenait à en déharder un, sur lequel enfin les chiens de meute étaient

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LE RENDEZ-VOUS ET L'ATTAQUE 113

donnés, il refuyait dans la même direction que ses camarades, prenait les mêmes buis- sons qu'il connaissait pour les avoir fréquentés ensemble, les retrouvait, et, dès cet instant, il devenait impossible aux chiens, même les plus sûrs dans le change, de distinguer des autres celui qui était le leur. Premier incon- vénient. En outre, malgré leur courage et leur bonne volonté, quand les valets de chiens avaient couru pendant une quinzaine de kilo- mètres, le souffle leur manquait ; ils étaient obligés de ralentir leur marche, et, entre le moment les chiens d'attaque étaient arrêtés et celui les hommes arrivaient à la voie, il s'écoulait un long laps de temps qui permet- tait au cerf de chercher le change, de s'accom- pagner, détruisant ainsi, en quelques secondes, l'avantage si laborieusement conquis.

Enfin, il n'était pas aisé de suivre six chiens, que l'on risquait de perdre sur un parcours aussi étendu, surtout quand les ani- maux prenaient un grand parti et se faisaient chasser dans des côtes coupées de ravins, que les chevaux avaient peine à grimper et à des- cendre.

Il n'est pas besoin d'en dire si long sur cette manière, évidemment défectueuse, de

15

114 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

chasser. Que l'on vienne à découpler sur une harde d'animaux se trouvent réunis un jeune cerf et un dix-cors, je suis le premier à reconnaître qu'il y a grande chance pour que les chiens tournent de préférence sur le premier, le plus vieux s'arrangeant presque toujours, avec une adresse surprenante, de

façon à parer au danger, en se blottissant dans un buisson au moment propice ou en obli- geant son « écuyer », à coup d'andouillers, à se livrer aux chiens. Mais ce système pré- sente de tels avantages que, pour ma part, je n'hésite pas à lui donner la préférence. Vous n'aurez plus besoin de traîner à la harde vos malheureux chiens, qui, arrivés essoufflés à la voie, ont perdu leur premier feu. Vous leur enseignez à chasser ensemble, car ils

LE RENDEZ-VOUS ET L'ATTAQUE 1L5

prennent Tliabitude de rallier tous sur le même animal et de ne pas se diviser. Je suis convaincu que leur laisser l'initiative de cueillir, si je puis m'exprimer ainsi, au milieu d'une harde de cerfs, celui qui leur plaît, est pour eux la meilleure école de change que l'on puisse espérer. Et, si quelques-uns, de carac- tère indépendant, venaient à faire bande à part, les valets de chiens à cheval ne sont- ils pas pour les arrêter et les ramener au gros de la meute ? C'est leur rôle principal et non celui de piquer, ainsi qu'ils en ont la tendance si l'on ne les rappelle pas à leur devoir, rôle très important à jouer, afin d'éviter que d'autres chasses ne se forment qui, dans le courant de la journée, viendraient se jeter à la traverse de la bonne et causer un gra- buge difficile à démêler.

Bref, découplez vos chiens sur les ani- maux accompagnés. Les avantages des deux écoles mis dans les plateaux de la balance, celle que je préconise l'emporte de beaucoup sur l'autre.

VII

LES RUSES DU CERF

A. Fontaine dans l'une de ses fables, a parlé, en ces termes des ruses du cerf :

Que de raisonnements pour conserver

[ses jours ! Les retours sur ses pas ; les malices,

[les tours, Et le change et cent stratagèmes Dignes des plus grands chefs, dignps [d'un meilleur sort!

Ces stratagèmes rentrent dans les quatre grandes catégories suivantes : la fuite, l'accom- pagnement ou le change , l'eau et la double voie.

Pressé par les chiens , le cerf croit se débarrasser d'eux par une fuite désordonnée. Il a confiance en ses jambes agiles, qu'il se figure assez solides pour mettre entre ses ennemis et lui un espace tel qu'il leur sera impossible de jamais le rejoindre. Cruelle illusion ! La pauvre bête, dont le fond n'égale

118 REFLEXIONS D UN VIEUX VENEUR

pas la vitesse, est vouée sans rémission à devenir la proie des poursuivants. 11 est vrai que cette course folle, sans répit, sans défaut, toujours en ligne droite, constitue ce que l'on est convenu d'appeler en France un beau parti et, en Angleterre, « a splendid run ». Mais, est-ce bien de la vénerie ? A quel moment a-t-on pu jouir du travail de ses chiens, les aider à sortir d'embarras ? A peine pouvait- on les suivre ! Ah ! je sais bien que, pour une certaine catégorie d'amateurs, une telle course au clocher suffit à leur bonheur. Rien ne les horripile plus que les laisser- courre il est

nécessaire de déployer sa science. Pourvu que, deux heures durant, ils galopent à tombeau ouvert, sans avoir

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la notion de ce qui se passe, sans apercevoir ni la queue d'un chien, ni celle de l'animal, mais que le cerf soit porté bas assez à temps

LES RUSES DU CERF 119

pour qu'ils prennent le train sacramentel de cinq heures, qui leur permettra de faire une partie de bridge au cercle avant le dîner, qu'ils arrivent à temps « en quelque assem- blée où le bal se tient ou à quelque festin il est convié ou s'est convié lui-même (1) » ; pourvu que ces conditions, à leurs yeux essen- tielles, soient remplies, on peut être certain, sans risque de se tromper, qu'ils se vante- ront d'avoir assisté à la plus belle chasse du monde. Eh bien ! moi, ainsi que Jean de Ligniville, je dirai non. « Ce n'est pas estre veneur ; vous courez les ragoûts à la mode,

les vins muscats ! » Vous ne courez pas le

cerf. Un drag répond tout aussi bien à cette course au clocher qui vous passionne. Rien de mieux, si tel est votre bon plaisir, mais ne venez pas nous soutenir que pareille randonnée soit une admirable chasse ; dites une superbe galopade, une promenade à fond de train, d'accord, mais dont toute science de vénerie est exclue. Qui de ceux venus dans les forêts claires de Compiègne, de Fontainebleau, etc., n'a pas assisté à ces refuites vertigineuses où, depuis l'attaque jusqu'à l'hallali, le cava- lier, debout sur ses étriers, fend l'air, les clie-

(1) Jean de Ligniville (xvii" siècle).

120 RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

veux au vent, n'a aucune connaissance de ce qui se passe, s'informe, pour ne pas s'égarer, de la direction à suivre auprès d'un laboureur ou d'un bûcheron, en lançant un rapide : (( Par va la chasse?... Avez-vous vu les

chiens?... », ne s'attarde même pas à écouter la réponse, tant il est pressé, court de ren- seignements à renseignements, s'il n'a pas eu la chance de s'accrocher à la queue d'un che- val de piqueur, dévore ainsi vingt-cinq à trente kilomètres sans avoir rien aperçu, rien en- tendu, sauf les abois qui ont mis fin à cette chevauchée digne des fameuses messagères d'Odin, les Walkyries ?

Quant au cerf, si, en fuyant de la sorte, il a procuré une grande jouissance à certains

LES RUSES DU CERF 121

de ses poursuivants, il a choisi, de toutes les ruses dont il a le secret, celle qui lui est la plus néfaste. Fatalement, il doit succomber, nul sujet de résistance ne venant entraver la marche des chiens , autrement pourvus de fond que la pauvre bête.

Au risque de faire bondir d'excellents amis, dont je respecte les sentiments pour ces ran- données endiablées, je déclare que mon goût est tout autre que le leur, que je préfère infi- niment une chasse moins vive, la chasse cap- tivante d'un animal qui cherche à me donner du fil à retordre et qui, pour toute ressource, ne pense pas à se sauver à toutes jambes, droit devant lui. Là, du moins, on reconnaît à l'œuvre les vrais veneurs, les piqueurs avi- sés ; on a du plaisir à les voir manœuvrer avec l'aide des chiens au milieu du réseau de diffi- cultés que le cerf s'est plu à leur tisser. Quels délicieux moments on passe, quand il est venu se jeter au milieu d'une harde d'animaux, s'attache à elle comme une sangsue et ne l'abandonne que contraint et forcé ! Quelles sensations d'angoissante inquiétude n'éprouve- t-on pas, lorsque surgit devant la meute l'obstacle si redouté : le change ! Parviendra- t-on jamais à détacher de ces quinze à vingt

lu

122 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

animaux, qui s'enfuient affolés, celui que 1 on a attaqué ? De prime abord, la chose semble impossible. « Ils sont trop », s'écriera d'un air sceptique le débutant. Mais patience, tout se débrouillera comme par enchantement, à trois conditions toutefois : 1" Que les chiens soient soumis, « sous le fouet », selon l'ex- pression usuelle ; que l'on puisse compter parmi eux un ou plusieurs réfractaires au change, qui restent quand même « collés à la voie », incapables de se laisser entraîner par les jeunes, les étourneaux, qui, manquant d'expérience, courent en criant sur le premier animal venu ; que le piqueur puisse être à proximité de ses chiens.

En effet, s'il est incapable de les arrêter lorsqu'ils commettent une sottise, mieux vaut ne pas chasser, mais rentrer au chenil, aurait- on même sous la main cet oiseau rare que Ton nomme le chien de change. Pour réussir, il faut de toute nécessité qu'ils soient mania- bles. Autrement, qu'arrive-t-il les trois quarts du temps ? Le cerf, qui s'est accompagné, comprenant le danger, s'effondre brusque- ment dans un bouquet de fougères, dans un roncier, le long d'une corde de bois, sous un rocher, au fond d'un ruisseau, et la meute,

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entraînée par la vue des animaux qui se sauvent terrifiés devant elle, cherche à les rejoindre, le nez au vent, sans s'apercevoir de la ruse de celui qu'elle a laissé quelquefois tapi bien loin en arrière.

Les choses ne se passaient pas autrement au xvi^ siècle, à l'époque de Charles IX. (( Le Cerf », écrit Jacques du Fouilloux, a va chercher les bestes à leurs reposées et les boute et fait valoir devant eux ; puis se jette sur le ventre en leur lict et laisse passer les chiens outre, lesquels n'en peuvent avoir le vent ne sentiment, à cause qu'il met les quatre pieds soubs son ventre et aspire son haleine en la fraischeur et humidité de la terre ; tellement », ajoute-t-il, « que j'ay veu plusieurs fois les chiens passer à un pas près de luy, sans en avoir le vent, ne le sentir aucunement. »

Dans les pays de futaie les arbres clair- semés n'obstruent pas leur vue, les chiens, dans leur ardeur, sont plus portés qu'ailleurs à s'emballer à la poursuite d'animaux fraî- chement mis sur pied et traversent ainsi enceintes sur enceintes, sans se douter qu'ils n'ont plus devant eux, depuis longtemps, leur cerf de meute; peu à peu les plus malins,

124 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

vieux routiers, habitués de longue date à ces sortes de ruses, se ralentissent, aban- donnent leurs camarades et reviennent aux carrefours ou se mettent derrière les chevaux. C'est alors qu'un piqueur médiocre, qui n'est pas maître de ses chiens, qui n'a pas su les dresser à être aussi dociles que ceux d'arrêt, compromet, en un instant, une jour-

née bien commencée. S'il est impuissant, quand il s'aperçoit que l'animal de meute s'est dérobé, à les rappeler tous, à les rame- ner en arrière à la recherche de la voie per- due, avant peu, un autre animal, frais celui-là, se séparera de la harde et fournira une course

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nouvelle, jusqu'au moment pareille aven- ture recommencera. Mais, me dira-t-on, il arrive que certains bons chiens, résistant à l'entraînement général, ne commettent pas la même erreur que leurs camarades et s'at- tachent à leur cerf. Oui, assurément ; le cas se produit fréquemment dans les bois touffus ils ne voient pas par corps les animaux et seule la finesse du nez leur sert de guide ; mais, hélas ! que de fois le contraire n'a-t-il pas lieu ! Il faut donc les arrêter à tout prix sur le change, sans quoi, ils se gâte- raient, retrouver pendant ce temps la voie et, quand elle 'aura été découverte, attendre patiemment un quart d'heure, une demi-heure s'il le faut, que les volages soient ramenés à la bonne piste qu'ils empaumeront ensemble.

Il tombe sous le sens que si, lorsque le change paraît, aucun veneur ou piqueur n'est présent au grabuge qui se prépare, que si per- sonne n'est pour prendre les décisions que la situation comporte, les embarras ne feront que croître et embellir, au point de devenir insurmontables. «Donc», écrit Gaston de Foix dans son langage imagé du xiv® siècle, « doit le veneur, quant tous les chiens seront passés, se mettre à chevauchier menée cueue et cueue

126 RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

de ses chiens ; quar c'est le droit de bon veneur de tousjours chevauchier menée par il le pourra fere par trop de rayson. Quar, s'il chevauche tousjours menée et est avec ses chiens, il sera ses chiens faudront et jusques ils aront chassie. Et donc les puet-il aidier à faire redressier le cerf ; et sara les quieulz chiens sont les mieulz requerans et rechassans et ressentans et redressans et les plus roides et les meilleurs et les plus puissans et les plus foysonnant et les plus sages ; et s'il n'estoit avecque eulz, il n'en sauroit rien ; ne aussi ne sauroit-il requérir son cerf ; quar il ne sauroit ses chiens l'aroient failli. »

Comme corollaire de ce qui précède et de la nécessité absolue pour un piqueur de les quitter le moins possible de sa vue, j'ai lu quelque part qu'un chien appartenant au comte de Brionne s'en retournait au logis, comme honte « de n'estre pas secouru au change » .

Cette question du change m'amène à parler du chien qui possède l'instinct, si peu commun, de le discerner assez pour ne jamais se trom- per. Gaston Phœbus proclame que « Chien baud doit mettre à mort la beste sur quoy

LES RUSES DU CERF 127

il est découplé quelle que soit sans changier ». Je n'en disconviens pas, mais ce n'est admirable qu'en théorie, rien qu'en théorie, et « chien baud » reste et restera toujours de la plus grande rareté.

Celui que Mgr le duc d'Aumale appelait « mon bienfaiteur » (1), M. le duc de Bourbon, assurait que, sa vie durant, il n'avait connu qu'un chien véritablement de change. D'autres l'étaient par intermittence ; celui-là seul était infaillible. Je n'en suis pas surpris. Que ce soit par l'influence de la température ou par l'odeur similaire que dégagent les animaux, quand ils ont couru un certain temps, ou encore par la légèreté des veneurs trop pressés d'appuyer sans discernement les chiens au moment du change,, peu importe la raison, il est de fait que le chien le mieux créance peut, à un jour donné, vous surprendre par son manque d'instinct et d'intelligence. Errare humaïuun est. Si l'homme se trompe, à plus forte raison doit-on excuser son plus fidèle ami.

Jacques de Brézé cite dans son Livre de la

(1) En 1830, à la mort du duc de Bourbon qui avait épousé une princesse d'Orléans, ce prince laissa Chantilly, par testament, au duc d'Âumale.

128 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

chasse du grand Sénéchal de Normandie^ comme une merveille, son chien Souillart.

« Pour prendre cerf à force n'est chien qui fust mieux duict, ait fait plus grandes traites

et moins failly de cerfs. » Souillart était telle- ment de change, paraît-il, que Robertet, gref- fier de l'ordre de Saint-Michel, le fit accou-

LES RUSES DU CERF 129

pler avec sa chienne braque d'Italie, blanche et orange, Bande, et leur descendance fit l'admiration de Salnove, en maintenant, dit- il, le droit au milieu de cinq ou six cents autres cerfs, jusqu'à ce qu'il l'eût porté par terre. Hum !... Démêler son cerf de meute dans cinq ou six cents autres cerfs me semble un tanti- net exagéré. Salnove eût parlé de biches... et encore ! Cinq ou six cents, quel troupeau ! Tout Vendéen qu'il était, aurait-il, par hasard, fréquenté la Canebière ? Tout s'expliquerait alors.

De toutes les ruses du cerf, c'est le change qui lui est le plus profitable et qui donne aux veneurs le plus de soucis.

Peut-être, au train vont les choses, les inventions modernes rendront-elles leur tâche facile, trop facile à l'avenir. Maintenant que les hommes sont parvenus à piloter ces grands oiseaux mécaniques au-dessus des plaines, des monts, des fleuves, des agglomérations, en franchissant les quelque huit cents kilomètres de cette invraisemblable randonnée du circuit de l'Est, personne n'oserait affirmer qu'avant qu'il soit longtemps, du haut d'un aéroplane docile à la main d'un valet de chiens, celui- ci ne suivra pas les évolutions de la chasse et,

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130 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

de sa petite nacelle, ne signalera pas le change et ses conséquences aux cavaliers.

Jusqu'ici l'on assistait aux prouesses des hommes volants. Rien de ce qu'ils tentaient et réussissaient ne nous restait étranger. On admirait leurs efforts et l'on y applaudissait. Nous les regardions, à notre manière, comme des « surhommes », comme des exceptions à notre mortelle espèce. On voyait de ces iso- lés, dont le nombre irait grandissant, mais ne dépasserait jamais une fort petite moyenne. Aujourd'hui, il n'est plus possible de douter. Le circuit de l'Est a marqué la glorieuse étape vers la réalisation des espérances jugées hier encore impossibles, et le nombre des hommes volants s'est accru, en ces derniers temps, dans des proportions telles qu'il est permis d'envi- sager le moment où, du haut du ciel, partira une voix stridente criant : « Attention! Votre animal s'est séparé. Les chiens ont tourné sur un daguet. Arrêtez-les et retournez sur le contre-pied. Tenez, votre cerf passe au C'***, se dirigeant vers ***. Je ne vais pas le quitter de vue. » Et, là-dessus, nous enten- drons retentir dans les nuages la fanfare de la Royale ! Folie, me dira-t-on. Folie peut- être, mais ce rêve est-il donc impossible ?

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LES RUSES DU CERF 131

Certes, nous n'en sommes pas encore ; nous sommes même loin de ce point de per- fection relative, le meilleur type est reconnu et adopté, les modèles se fixent, au moins dans leurs grandes lignes, comme il est arrivé pour l'automobile. Nous sommes encore dans la bataille, la bataille contre l'élément le plus insaisissable, le plus capricieux et le moins connu de tous ceux auxquels l'audace de l'homme s'est attaquée.

Mais nous ne pouvons fermer les yeux à l'évidence et au progrès. Des êtres humains se sont élancés vers les nues. Maintenant ils y séjournent, reviennent et repartent, tout cela par les simples moyens du bord. Leur fragile appareil peut lutter contre le vent, la pluie et les bourrasques, combattre victorieu- sement la tempête et arriver au but, malgré les éléments déchaînés.

Et vous voulez que je n'envisage pas une éventualité non seulement possible, mais pro- bable ! Vous ne voulez pas que j'émette cette pensée téméraire qu'un jour ou l'autre nous verrons des hommes volants planer au-dessus de nos forêts et sonner des bien-aller !

Ne croyez pas, cependant, que cette per- spective m'enchante. Non, je souhaite, au

132 RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

contraire, ne jamais voir se réaliser un pareil progrès, à la chasse bien entendu, car, du coup, il détruirait l'imprévu qui fait l'un des principaux charmes de nos laisser-courre.

Redescendons sur terre, et, puisque le moment n'est pas encore venu d'utiliser au profit de la vénerie les procédés nouveaux de la science aérostatique, voyons comment, avec les ressources dont nous disposons actuellement, nous pouvons arriver à mainte- nir le cerf de meute, alors qu'il s'est accom- pagné.

Tout d'abord, le piqueur qui connaît les qualités et les défauts de ses chiens se guide sur la façon d'enlever la voie, et, d'après leur manière de la suivre, il se rend compte faci- lement de ce qui se passe.

Il arrive parfois, dans certains équipages, que tous les chiens, soit par dégoût, soit par crainte, ne veulent plus chasser quand le change paraît et reviennent aux routes, der- rière les chevaux. Rien n'est plus découra- geant , rien n'est pire que cette mauvaise habitude. Il n'y a plus qu'à rentrer au chenil, car il ne subsiste aucune espérance de déhar- der le cerf, alors qu'ils mettent tous bas avec ensemble.

LES RUSES DU CERF

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M. le Comte Le Couteulx a cent fois raison quand il dit : « Qu'ils marquent l'accompagné,

très bien ; qu'ils y chassent plus froidement, très bien encore, mais qu'ils lâchent leur cerf dans l'accompagné, c'est détestable, attendu que dans les forêts il y a beaucoup d'ani- maux, vous arriverez à ne jamais prendre. » (Manuel de la Vénerie française.) Heureuse- ment, le cas est rare, et il reste, le plus souvent, quelques bons chiens tenaces qui sauvent la situation. Mais il faut prendre garde aussi que les chiens reviennent volon- tiers aux cavaliers, quand ils s'aperçoivent

134 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

que leur animal ne se trouve plus devant eux, qu'il s'est « déhardé » à leur insu. C'est dans une occasion pareille qu'est indispensable le coup d'œil d'un bon piqueur qui, connais- sant les aptitudes de chacun de ses chiens, saisit en une minute ce qui se passe et sait ce qu'il convient de faire pour retrouver la voie. « Le veneur, » écrit Ligniville, « qui ne cognoist et recognoist toutes les actions de ses chiens servants à la chasse et qui ne cognoist la voix de tous ses chiens, il n'est pas capable de les faire chasser à propos, ny de les secourir selon leurs actions aux désordres de chasse ; donc, cognoistre bien les chiens est très nécessaire à leur faire bien forcer leur droit à tel différend de voye double. Si mes vieux chiens parlent, je les secours subitement, à cause qu'ils ne crient jamais que le droit n'aille et soit à eux ; mais si se sont chiens d'un degré moings sages qui crient à tel temps ou qui ont quelque deffault en leur façon de chasser, je les secourre plus médiocrement. » Il est amusant de penser que Jean de Ligniville, grand veneur du duché de Lorraine et de Bar, écrivait ces lignes entre 1602 et 1632, et qu'à près de trois cents ans de distance, il n'y a pas un

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mot à retrancher de ses appréciations . Les allures des chiens dignes de confiance, quand naissent les difficultés, sont, en effet, curieuses à observer. Celui-ci tourne et retourne sur lui-même, introduit son nez dans chaque vol- celet, sans parvenir à reconnaître la bonne piste de la mauvaise. Celui-là, plus entrepre- nant, se détache de ses camarades, « enve- loppe », revient sur ses pas à la recherche de son cerf; un autre, expressif dans ses gestes, explique au veneur qui Tencourage, en levant la patte de derrière sur la voie de l'animal de change, qu'il ne convient pas d'insister plus longtemps. « Tous les chiens n'ont pas mêmes manières lorsqu'il paraît du change », ditBellier de Villiers; « tel chien continue à être en meute qui suivra sans crier. Tel autre, par ambi- tion, se laissant enlever, rallie les chiens qui ont tourné au change, chasse quelque temps, puis met bas et revient derrière les chevaux. Celui-ci s'en va franchement et hardiment sur le droit ; il le maintiendra tout seul et quand même... Celui-là, timide, tâte à la branche à chaque instant pour s'amuser, il siffle plutôt qu'il ne crie et il travaillera ainsi jusqu'à ce que, l'animal séparé, il défile sa voie à beau bruit. Enfin, un autre viendra de suite vous

136 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

retrouver ; il s'arrêtera bien pour écouter les autres chiens chasser, mais il ne témoignera pas l'ardeur de rallier. Lui parlez-vous ? il s'approchera pour vous caresser, en se plai- gnant, comme s'il réclamait votre aide. »

Et Goury de Champgrand, de son côté, remarque qu' « ils restent derrière et tour- noyent d'un air triste et inquiet, la queue basse ; vous avez beau les encourager, ils ne font que balancer et chasser avec crainte ».

On voit combien il est important, pour un piqueur, d'étudier à fond les menées de chacun de ses chiens de confiance, afin d'être fixé sur la situation, dans les moments critiques. Aussi, est-il permis de sourire, quand des affiches et prospectus annoncent pompeuse- ment, lors de grandes A^entes, que tel numéro est (( garanti chien de change ». Oui, il l'est, en effet, mais à la condition d'être sous la direction du piqueur qui, l'ayant vu de près à l'ouvrage, a étudié sa façon de travailler. Qu'on le livre à un maître nouveau qui l'ignore ou qui chasse dans un pays si cou- vert, si marécageux qu'il lui soit matérielle- ment impossible de se trouver présent à l'instant psychologique, le fameux chien de change, vendu avec toutes les herbes de la Saint-

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vraiment l'on est en droit de se montrer indulgent, c'est quand un accompagnement vient à se prolonger outre mesure. Comment, alors, demander à nos pauvres toutous, même aux meilleurs, de reconnaître leur animal de meute, si, une heure durant, comme le fait se produit parfois, le cerf galope de concert avec d'autres animaux, qui finissent par être tout autant échauffes que lui? La distinction entre l'odeur de l'animal qui a couru et celle des autres n'existant plus, on serait injuste, vraiment, de trop compter sur leur sagacité pour qu'ils demeurent imperturbablement col- lés à la voie primitive.

Cet accompagné prolongé donne lieu à des surprises, que l'on peut expliquer à sa façon et qui n'en sont pas moins très claires, si, mettant son amour-propre de veneur à l'écart, l'on veut rester sincère. Pourquoi s'étonner, par exemple, de la puissance de résistance qu'offre un cerf dans certains cas ? Pris après cinq heures de chasse le change s'est montré à plusieurs reprises, n'est-il pas natu- rel de penser que, dans le cours de la journée, une substitution d'animaux se soit produite sans que personne ne s'en doute ? On a décou-

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138 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

plé sur une troisième tête et c'est une troi- sième tète, identiquement pareille, qui a été portée bas ; mais qui nous dit que c'est la même ? Les chiens n'ont à aucun moment témoigné d'hésitation, ils n'ont pas balancé une seconde au milieu du change.

Dès lors, il n'était guère possible de soup- çonner qu'ils aient abandonné leur animal pour un autre. Quelques auteurs disent qu'on a la ressource du pied dont on peut tirer parti pour connaître si l'on est ou non dans la bonne voie. Entre un cerf dix-cors et un jeune cerf la différence est telle, en effet, que le volcelet donne une indication qu'il ne convient pas de mépriser. De même, si l'ani- mal attaqué a une « connaissance », c'est- à-dire si l'une de ses pinces a une différence caractéristique avec l'autre, il ne sera pas difficile de se prononcer à coup sûr. Mais, en dehors de ces deux éventualités, c'est un leurre que d'espérer, par la seule vue d'un vol- celet, pouvoir reconnaître l'animal de meute de celui qui ne l'est pas. Ne vous y attardez pas, car vous y chercherez, en vain, le secret que vous désirez découvrir, et vous n'obtien- drez que ce beau résultat : perdre votre temps et la chasse.

LES RUSES DU CERF

139

La troisième ruse du cerf est de dérouter les chiens en suivant les cours d'eau, qu'il sait devoir emporter, au fd du courant, l'odeur qui se dégage de son corps, ou bien de se

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jeter dans un étang garni de joncs épais, qui le dissimuleront à la vue de ses assaillants. Si le cours d'eau est une rivière, le plus souvent fatigué, à bout de forces, il résiste difficilement au flot et préfère le descendre. Aussi, quand il est parvenu à atteindre l'eau avec une avance appréciable sur la meute, se dépèche-t-il de nager à toute vitesse, et, emporté par le courant, ne tarde-t-il pas à mettre entre lui et les chiens, qui arrivent à la bero-e d'où il s'est élancé, un intervalle suffisant pour les plonger dans l'embarras.

140 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

Quelques-uns traversent alors la rivière, tan- dis que les autres hésitent à affronter l'eau ; ne trouvant pas la voie sortante sur la rive opposée, ils ne sauraient que devenir, si le piqueur ne se hâtait pas, tout en sonnant, de longer le bas côté en aval, de telle sorte que, dans toutes les éventualités, l'animal ne pût leur échapper. S'est-il rasé le long des osiers, des souches d'arbres, des aspérités qui sillonnent les bords, en procédant ainsi, ils l'éventeront et le relanceront. L'on ne saurait scruter avec assez d'attention les replis des berges, tant il est aisé de passer à quelques mètres d'un cerf malin, bien dissi- mulé, dont les bois sont couchés sur le dos et dont le museau seul sort hors de l'eau ; les chiens mêmes le côtoient sans l'apercevoir et sans accuser sa présence le moins du monde.

Dans les étangs un peu A-^astes, les joncs poussés en abondance permettent à l'animal de se cacher et empêchent les bateaux de circuler librement dans tous les recoins, il arrive que l'on soit obligé de l'y abandonner, même après les recherches les plus minu- tieuses. A ce propos, je me rappelle qu'une fois, étant resté plus de deux heures dans une

LES RUSES DU CERF

141

barque à sonder les parties fourrées d'une pièce d'eau, sans parvenir à découvrir nulle

part le cerf que je savais y être entré, je m'apprêtais à renoncer à mes tentatives, quand j'aperçus deux yeux brillants à mi-hauteur des roseaux. La lune éclairait bien le pay- sage, mais il m'était impossible de les appro- cher, la vase formant un obstacle insurmon- table aux efforts du rameur. Ma foi, je pris ma carabine, et, grâce à la clarté relative de l'atmosphère, je pouvais encore distinguer le guidon. Pan ! je tirai une première balle, une seconde, puis une troisième. L'animal ne bougeait pas, et les deux yeux brillants, comme ceux d'un chat, continuaient à me fixer d'une façon impertinente. J'avais pourtant assez d'expérience pour être persuadé qu'au moins un de mes projectiles devait avoir

142 RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

atteint le but. En désespoir de cause, je continuai mon exercice, mais, au quatrième coup, j'obtins un résultat différent cependant de celui auquel je m'attendais. L'un des deux yeux était éteint. L'autre tenait bon quand même et continuait à me narguer. Il fallut alors se rendre à l'évidence et reconnaître que, derrière les deux yeux, il ne pouvait exister d'animal vivant. Ce n'étaient, en effet, que deux vers luisants, posés côte à côte sur la pointe d'un roseau ! Après cette fusillade nourrie, il ne restait plus qu'à laisser le cerf hallali et à sonner la rentrée au chenil.

Il n'y a pas que les rivières et les pièces d'eau qui soient recherchées par les cerfs pour dépister les chiens. Les petits ruisseaux, que l'on désigne sous le nom de « rus », sont fréquemment visités par eux au cours de la chasse, et ce genre de ruse met souvent les veneurs dans un terrible embarras, car, dans un ruisseau, toute trace de son passage dis- paraît. Les vieux chiens ne se laissent pas prendre à ce stratagème et, d'eux-mêmes, bordant les deux berges, ils suivent, le nez à terre, les fluctuations que décrit le fossé, jusqu'au moment oij ils retrouvent la voie et l'empaument de nouveau joyeusement.

LES RUSES DU CERF

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La ruse qui les trouble davantage et leur

fait perdre un temps précieux est celle de la double voie, surtout quand elle se produit

144 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

dans les petits cours d'eau. Un cerf vient-il à prendre de l'avance sur eux, à se « forlon- ger », selon l'expression employée en cette occasion, il a recours à ce moyen ingénieux qui consiste à galoper dans le fond d'un fossé plein d'une eau courante, puis à rebrous- ser brusquement chemin en suivant son con- tre-pied. On devine les effets infaillibles de cette manœuvre. Les chiens qui suivent les rives du fossé, ainsi que je l'ai dit plus haut, ne trouvant, et pour cause, aucune voie en sortant, iraient indéfiniment ainsi, tournant le dos à la vraie piste, si le piqueur, qui connaît son métier, ne s'empressait de les rappeler en arrière sur le « contre » et ne relevait le défaut qui menacerait, autrement, de se prolonger.

Cette double voie dans les rus se produit souvent sur terre. Mais, encore, des chiens bien créances prennent d'eux-mêmes leur retour, sans qu'il soit besoin de leur prêter appui. Le seul danger qui peut se présenter provient de chiens légers qui, dans une allée et venue du cerf, ne discernant pas la vraie voie de la mauvaise, entraînent les autres sur le contre-pied. Pour ces chiens-là, pas de pitié. Ils sont bons à pendre, car, en les gardant.

LES RUSES DU CERF 145

on a vite fait de gâter un équipage tout entier. J'en ai connu qui, hurlant à pleins poumons, ont ainsi emmené meute, cavaliers et piqueurs à des kilomètres, sans que l'on puisse soup- çonner l'erreur.

En plus de cet accident qui, dans les doubles voies, peut survenir, il en existe un. autre, beaucoup plus fréquent, à la légèreté impardonnable de certains invités, et dont, pour ma part, j'ai été souvent le témoin exas- péré. Un cerf, par exemple, est parvenu à dis- tancer les chiens, et, profitant de son avance, quitte les fourrés pour suivre un chemin il peut détaler à l'aise sans embarrasser ses bois dans les branches. Il va ainsi à perte de vue, puis revient sur son contre-pied pen- dant 500 mètres, avant de se jeter de côté. Cette manœuvre bien connue serait facile à déjouer si les cavaliers, enflammés par le spec- tacle enchanteur de la meute fdant à belle allure sur la route, ne s'attachaient à la queue des chiens, criant et les encourageant de la voix et de la trompe. Or, quand ils sont arri- vés au point l'animal a fait demi-tour, un défaut est inévitable, et les cinquante cavaliers qui ont galopé ainsi ont si bien foulé la voie, qu'il devient impossible de la relever. Allez

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140 RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

donc demander aux chiens de découvrir un volcelet sur le chemin qu'ils ont parcouru, quand deux cents sabots ont labouré la terre! On perd, par la faute de l'assistance, beau- coup de temps à retrouver la refuite du cerf, qui profite de cette maladresse pour se livrer à loisir à des ruses nouvelles et pour créer un tel embarras à ses poursuivants qu'ils sont obligés, à la nuit, de l'abandonner et de sonner la retraite manquée. i

Il existe encore, pour le cerf, plusieurs façons de dérouter les veneurs au cours de la chasse. Je n'en citerai que deux, avant de clore le chapitre relatif à ce sujet.

Quand il est fatigué, l'animal porte la tête basse ; mais aperçoit-il quelqu'un, aussitôt il s'empresse de la relever et d'affecter un air dégagé, qui donne l'illusion d'un autre cerf venant seulement de bondir. Sa tactique est bonne, et l'on s'y laisse prendre volontiers ; même après avoir fourni une longue ran- donnée, il peut sembler si frais, si vigoureux que l'on serait tenté de le regarder comme du chanere et d'arrêter les chiens.

Son instinct bien naturel de conservation lui suggère encore cette autre idée, que l'on aurait de la peine à croire possible, si, dans

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Car es déduiz les aventures Souvent y aviennent si dures Que jamais cil ne le croiroit Qui des déduiz rien ne savoit (1).

Nous chassions dans les bois d'Ourscamps, depuis deux heures, un cerf dix-cors qui, sen- tant ses forces s'épuiser, cherchait à gagner la rivière d'Oise. Il en était distant de plu- sieurs centaines de mètres, mais, pour l'attein- dre, il lui fallait traverser un petit pré, semé d'arbres et traversé par un cours d'eau étroit. A ce moment précis, je débouchais de la route en cet endroit découvert, sur lequel déjà il s'était engagé. Subitement, m'aper- cevant, il s'arrête et, aussi tranquille que l'eût été un cerf n'ayant pas été chassé, il se met en demeure de brouter l'herbe devant mes yeux. J'aurais juré qu'il venait de quitter sa reposée pour manger, tant il semblait frais et dispos. Sa supercherie, malheureusement

(1) Gace de la. Bigne. « Le Deduicl du roi Jean » (xiV siècle).

148 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

pour lui, ne lui fut d'aucun secours, car la meute survenue quelques instants plus tard l'obligeait à reprendre sa course, et, cinq minutes après, il battait l'eau, entouré par les chiens qui le noyaient aussitôt.

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î,-«*"PRÈs avoir décrit la manière d'aller au bois, d'attaquer, de déjouer les ruses prin- cipales du cerf, j'arrive au moment les chiens découplés ont pris la voie où, en un mot, la chasse propremeut dite commence.

Tout le monde se précipite, tous les ve- neurs et invités, surexcités par la vue de cette meute compacte, emportée dans son ardeur, galopent à sa suite ; le maître d'équipage, le piqueur ont beau s'escrimer à les calmer pour qu'ils ne devancent pas les chiens, qu'ils ne les « enlèvent » pas, qu'ils attendent que les derniers aient traversé le chemin pour continuer, vains efforts ! On les voit, malgré des objurgations répétées , couper et fouler la voie, sillonner les enceintes dans tous les

150 RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

sens. Pour un rien, on croirait qu'ils ont l'in- tention de forcer le cerf à eux tout seuls. Ah ! que d'Yauville avait raison, quand il s'élevait contre cette catégorie d'amateurs néfastes « partant à toutes jambes, en criant et sonnant et en faisant plus de bruit que les chiens... Ont-ils vu passer le cerf à une route, ils courent aussitôt à la route d'après, pour le revoir encore ; ils ne s'inquiètent pas si les chiens viennent ou s'ils ont manqué de voie ; quelquefois, ils veulent bien attendre les premiers chiens; mais, du moment qu'il y en a deux ou trois de passés, rien ne les arrête. Le cerf voudrait- il passer la route dans laquelle ils galopent, ils le forcent à faire un retour ; les chiens qui viennent dans la voie sortent à la route et courent après les chevaux qu'ils voient devant eux. » Et lorsque, par leur faute, les chiens ne savent plus donner de la tête, que les piqueurs s'évertuent à retrouver la voie, que, dans ce but, ils se décident à fouler quelques en- ceintes, « chacun y entre franchement, mais bientôt, l'un trouve un chemin qu'il suit, l'autre un faux-fuyant qu'il ne quitte plus ; un autre se tient au frais au milieu d'un planitre et sonne de temps en temps un

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Quel maître d'équipage oserait taxer d'exa- gération ces observations si fines de d'Yau- ville ?

Nous les avons vus à l'œuvre ces mau- dits « coureurs », ainsi qu'il les appelle, qui ont sur la conscience plus d'un cerf man- qué par leur faute. La déveine veut qu'en plus d'un gosier puissant, certains portent une trompe dont ils font un usage déplorable, sonnant hors de propos, pour le seul plaisir, je le crois vraiment, de faire du bruit. Un exemple, entre mille, me vient à l'esprit. Il était cinq heures du soir. Le jour commençait à baisser lorsque le cerf que nous chassions s'accompagna dans le Mont Saint-Marc (forêt de Compiègne), au-dessus des étangs de Saint- Pierre. Les bons chiens mettent bas. Il n'est

152 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

pas douteux que l'animal s'est séparé de la harde ; mais le retrouver ? On retourne en arrière, on prend les grands devants, on traverse les enceintes, mais en vain; et la nuit avançait rapidement. On s'apprêtait, de guerre lasse, à envelopper dans une autre direction, quand, tout à coup, une fanfare retentit au loin. C'était le bat-l'eau. Grande joie ! Vite on rameute les chiens, on se pré- cipite aux étangs de Saint-Pierre, on s'enquiert auprès du veneur qui avait perlé sa fanfare avec une maestria incomparable.

(( est-il ? Est-il sorti ? » lui crie-t-on de toutes parts.

Penaud, et il y avait de quoi, il avoue timi- dement qu'ayant aperçu dans le lointain un sillage dans l'eau, produit par un animal dont il ne pouvait distinguer la forme à cause du manque de lumière, il avait cru nous rendre service, sachant l'embarras nous nous trouvions, en nous avertissant que le cerf battait l'eau. Il n'y avait qu'un malheur à ce récit : son cerf n'était autre que trois canards qui, à l'extrémité de l'étang, déam- bulaient paisiblement à la queue leu leu. Un rire inextinguible suivit cette découverte et nous consola de l'erreur commise, tout en

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pestant, une fois de plus, contre les veneurs improvisés ou imprudents.

Dieu préserve, en chassant, toute sage personne, D'un porteur de huchet qui mal à propos sonne.

Ces « fâcheux », que Molière a fustigés de si jolie façon, ont existé à toutes les époques. Il s'en trouve même parmi les piqueurs qui tombent, eux aussi, dans le travers d'abuser de la trompe ou de s'en servir mal à propos, loin de la chasse, par exemple, pour faire croire qu'ils sont avec leurs chiens.

Le duc de Bourbon mettait ces hommes à l'amende de 10 francs pour calmer leur ardeur, et il n'avait pas tort. On ne se fait pas idée, en effet, combien les chiens ral- lient facilement à la trompe de leurs maîtres, et, par conséquent, sont disposés à quitter la voie, s'ils entendent le piqueur sonner. Ils croient qu'il appuie une autre chasse et abon- donnent la leur pour le retrouver.

En plus des « coureurs » qui se disent veneurs, de ceux qui lancent sans discerne- ment dans les airs des « vues » et de gais « bien- aller », il existe encore une autre source d'ennuis que je qualifierai de plaie, parce qu'elle se renouvelle sans cesse et que

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154 RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

nul ne peut l'éviter. Je veux parler des don- neurs de renseignements, certes, pleins de bonne volonté, mais au dire desquels il est prudent de n'ajouter foi qu'avec la plus grande circonspection. Je ne vais pas jusqu'à pré- tendre, comme Goury de Champgrand, qu'il « ne faut jamais rien tabler de certain sur leurs propos, car ils imaginent souvent avoir vu le contraire de ce qu'ils ont vu réellement, et qu'il y en a même quelquefois d ' assez malins pour vous tromper de gaieté de cœur » ; non, je ne croirai jamais à de si noirs des- seins ; mais, cependant, on ne saurait trop se montrer méfiant, car ils vous induisent si souvent en erreur que l'on devient scep- tique, que l'on finit par douter de leur parole, alors même que leur renseignement mérite une entière créance. Que de fois n'avons-nous pas entendu, dans un défaut, corner à nos oreilles des propos de ce genre : « Vous êtes sur du change depuis dix minutes. J'en suis certain. Vous voyez bien que les chiens balancent. J'ai vu votre cerf, n'en pouvant plus, couché dans une mare à quatre pas d'ici. Venez avec moi, je vais vous le montrer. » Et l'on y va, et l'on fait bondir un animal frais ! Une autre fois, autre guitare. Tous les

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n'est pas possible», vous récriez-vous. « Ecou- tez-moi bien », reprend votre interlocuteur. ((. J'étais au carrefour X, quand défile sous mes yeux, aussi distinctement que je aous vois, une barde de cinq biches. » « En êtes- vous certain ? » lui demandez-vous anxieux et surpris. « Voyons, mon cher », ajoute-t-il, presque froissé que vous sembliez émettre un doute sur ce qu'il avance, « je ne suis pas aveugle ; je vous dis que je les ai vues à vingt pas de moi, qu'il n'y avait aucun cerf avec elles et que, derrière, venaient, à une centaine de mètres, tous les chiens sans ex- ception. » Une déclaration aussi formelle, émanant d'un veneur qui connaît la chasse, a le don d'ébranler, il faut l'avouer, les plus endurcis. Cependant cette réflexion vient à votre esprit : « Tricolore, Cajeolant, Baliveau et tant d'autres excellents chiens ne chassent pas les biches. Ils mettraient bas...» Et alors, si, devant votre ami pétrifié de tant d'audace, abasourdi de votre entêtement indécrottable, vous poursuivez votre chemin et cherchez à éclaircir le mystère, que finissez - vous par découvrir ? Simplement ceci : que les biches ont suivi la même coulée que le cerf, à

156 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

quelques minutes d'intervalle, et que, arrivé juste au moment du passage des biches, le donneur d'avis n'a pu apercevoir le cerf qui les avait précédées.

Voilà comment, à la chasse, on peut com- mettre des erreurs irréparables sur de faux renseignements.

Toutefois, quand l'on touche à la fm de mars, il faut se méfier de ses chiens, même des plus sages à l'ordinaire. Pourquoi, à cette époque, les meilleurs se laissent-ils aller à chasser des biches ? Je ne me charge pas de l'expliquer. Mon père, pour excuser cette faute de lèse-vénerie, pour échapper à cette (( honte », se contentait d^énoncer cette for- mule : « Que voulez-vous ? mes chiens ont le nez si fin, que vous pouvez être assurés que la biche qui est devant eux porte un cerf mâle dans ses flancs. » Et comme l'on n'y allait pas voir, le public émerveillé restait bouche bée.

Donc , la plupart du temps , en fin de saison, Tinvité qui avait constaté les écarts fâcheux de quelques bons chiens avait raison, et (( Tricolore, Gajeolant et Baliveau », pivots de l'équipage, se déshonoraient ce jour-là.

Il y a des cas les excuses sont admises

LA CHASSE ET L'HALLALI

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à l'égard des personnes qui vous donnent des renseignements, tant il est aisé d'être induit en erreur dans les circonstances suivantes, auxquelles j'ai moi-même assisté plusieurs fois dans ma vie.

On découple les chiens d'attaque sur un magnifique cerf dix-cors, dans les premiers jours de mars. Un cri d'admiration s'échappe de l'assistance quand il sort de l'enceinte, à quelques pas du carrefour. Majestueux , il

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s'arrête un instant dans la route pour re- garder tout ce monde assemblé, ce qui donne le temps à chacun de bien l'envisager. « Il

158 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

porte douze », dit l'un. « Non, quatorze », réplique l'autre. « J'ai vu à l'empaumure cinq andouillers », ajoute un troisième. Bref, on est d'accord sur la beauté et l'envergure de ses bois. Les chiens de meute découplés, la chasse suit son cours deux heures durant, quand, arrivé à un carrefour avec un groupe de veneurs, je vois distinctement passer à deux cents mètres environ de moi une harde d'animaux; et aussitôt, dans un accord una- nime, chacun de s'écrier : « Notre cerf n'y est pas ! » En effet , comme eux, j'avais re- marqué son absence, qui, du reste, n'était pas difficile à constater, aucun animal de la harde n'ayant de bois sur la tête, et ceux du cerf de chasse devant singulièrement émerger au-dessus des autres. Pourtant, les chiens suivaient la voie sans la moindre hési- tation. Ils étaient presque à vue des animaux. On croyait, à les entendre, que l'on allait bientôt sonner l'hallali. Déjà, circulaient au- tour de moi des bribes de conversation dans ce genre : « Ce sont des biches, et il n'arrête pas les chiens ! Nous le laissons au carre- four X, j'en suis sûr », etc., propos qui sem- blaient assurément fondés, et j'allais com- mettre la fâcheuse gaffe de rappeler les chiens,

LA CHASSE ET L'HALLALI

159

lorsqu'un récri formidable m'annonça les abois. « C'est une biche blessée. Peut-être un san- glier qu'ils abuttent », s'écrie-t-on autour de moi. Un instant après, tous ces pronostics

tombaient à plat. Notre cerf forcé tenait aux chiens... Seulement, au lieu de ces bois qui, à l'attaque, avaient causé l'admiration de l'as- sistance, il n'avait plus rien sur la tète. En traversant les taillis, en se faufdant dans les gaulis épais, il les avait perdus tous deux en route.

Bien souvent encore, si l'on écoute les renseignements donnés par des personnes manquant d'expérience et même en ayant acquis, on est sujet, dans un défaut, à mettre les chiens sur du chancre, sur un animal frais qui vient d'être vu par corps et qui, chose

160 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

étrange , semble exténué , car rien ne res- semble plus à un cerf pris qu'un cerf qui a couru un quart d'heure. Il a suffi que la chasse ait passé auprès de lui, qu'il ait été effarouché, qu'il soit parti au galop poursuivi par un ou deux chiens et qu'il croise, quelques instants après, la véritable chasse, pour que l'on se figure, en le voyant, que l'animal de meute n'est autre que lui. De là, cris, appels forcés, auxquels on a la faiblesse de céder. On enlève les chiens mal à propos pour les mettre sur cette voie nouvelle, et, cette faute capitale, ils vous la font sentir par leur mollesse à la suivre.

Que l'on se rappelle ce principe : enlever les chiens est pour eux une détestable leçon. Nous avons une tendance marquée à oublier qu'ils sont pourvus d'un instinct dont nous sommes totalement sevrés, qui les guide mieux que nous ne pouvons le faire. Ne nous créons donc pas bénévolement des difficultés; n'embrouillons pas de gaieté de cœur la situa- tion. Les Espagnols ont une façon pittoresque d'exprimer cette idée : « No metere, » disent- ils, « en camisa de once varas », ce qui signifie : « Ne marchez pas avec une chemise flot- tante plus longue (|ue vous. »

LA CHASSE ET L'HALLALI 161

C'est également l'avis de d'Yauville, qui l'expose ainsi : « On ne doit jamais enlever les chiens quand ils sont dans la voie ; on a souvent bien de la peine à résister aux cris redoublés qui y invitent, mais il ne faut pas se laisser entraîner. Comme un ancien veneur disait que le moyen le plus sûr pour ne pas perdre la chasse était de ne pas quitter les chiens, le moyen le plus certain de ne pas perdre la voie du cerf est de ne le pas quitter, autant que cela se peut. Rien, je le répète, ne rend les chiens plus volages et plus libertins que de leur faire quitter la voie quand ils chassent. Un équipage dans lequel on aurait cette mauvaise méthode ne serait certainement jamais ni sage ni docile. Les chiens que l'on enlève habituellement courent au moindre cri et au premier son de trompe, aussitôt qu'ils sont à bout de voie, et même sans qu'on les appelle ; du moment qu'ils ont quelque embarras, ils sortent tous aux routes et courent après tous les chevaux qu'ils aperçoivent. »

Cependant, il serait absurde de s'entêter outre mesure, quand les chiens, totalement désemparés, ne parviennent pas à surmonter un long défaut. C'est affaire de tact, et s'aven-

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162 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

turer à les faire chasser il leur est de- venu impossible de relever la voie, à les laisser tourner et retourner en rond dans les mêmes parages sans aucune chance de succès, c ' est vouloir terminer la journée par une retraite manquée.

Le bon veneur, dans ces conjonctures, prend un parti décisif : il emmène la meute derrière son cheval et enveloppe, au petit trot, à une assez grande distance, sur la refuite présumée du cerf, en observant ses chiens et en leur parlant pour les engager à ne pas suraller la voie de l'animal.

Au cours de cette manœuvre, il se peut qu'ils en rencontrent d'autres, qu'ils s'arrêtent pour les flairer, mais les vieux malins in- diquent tout de suite qu'il ne faut pas persis- ter, que c'est du change, et l'on n'aura qu'à continuer jusqu'au moment où, cette fois, tous se récriant à l'unisson annonceront avec entrain que le cerf de meute est retrouvé : instant délicieux, qu'apprécient aussi bien les veneurs véritables que les plus indifférents.

Il n'y a pas que les renseignements des assistants dont il faut se méfier ; ceux des paysans, des a alleurs au bois », des ouvriers employés dans la forêt sont également sus-

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ceptibles de faire perdre la chasse aux plus clairvoyants. Pourtant, leurs indications sont

souvent précieuses à recueillir, et, quand on ne sait dans quelle direction tourner ses pas, l'on aurait grand tort de les négliger. Je n'en veux citer qu'un exemple, parce qu'il est amusant. Après une randonnée superbe à tra- vers la forêt de Compiègne, le cerf, un dix-cors, était parvenu à mettre l'équipage en défaut. Tous nos efforts pour le retrouver demeu- raient stériles. Une seule chance de salut subsistait, pensais-je, parce que j'avais remar- qué que trois des meilleurs chiens, plus malins

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que les autres, avaient disparu et devaient avoir su vaincre les difficultés inextricables nous nous débattions. Il fallait les retrou- ver à tout prix, et, dans ce but, enve- lopper vite du pays avec l'espoir d'en avoir quelque part connaissance. Cette ma- nœuvre, je désirais y procéder sans donner l'éveil. J'y réussis et embarquai mon cheval au galop. Mais, bientôt après, tout le monde me suivait à grande allure, sans parvenir à me rattraper. Ils en étaient réduits à suivre le volcelet de mon cheval, et, comme je ne m'arrêtais nulle part, ils en concluaient que j'avais eu l'heureuse chance d'avoir re- trouvé les quelques chiens qui maintenaient l'animal. Enfin, haletants, toujours suivant ma piste, ils arrivent au passage à niveau d'une ligne de chemin de fer. « Holà ! Mon- sieur, » crie l'un d'eux au garde-barrière. « Y a-t-il longtemps qu'il est passé? » « Environ cinq minutes. » Et tous, réjouis d'apprendre que le cerf n'a plus d'avance sur eux, ne doutent pas qu'ils ne rejoignent la chasse avant qu'il soit longtemps. « Est-il grand?» veut préciser l'un des veneurs. « Je crois bien, » lui répond l'employé qui, de longue date, connaît ma haute taille ; et, non content

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de cette nouvelle qui accentue l'exactitude du renseignement, puisque l'animal était un vieux dix-cors, il exige plus de détails encore. (( Il avait chaud? » « Dame! il était en nage. » Il n'en fallait pas plus pour donner courage à mes amis. Un grand cerf ruisselant de sueur, c'était bien une indication pré- cieuse. Repartis au galop, ils passent, suivis de la meute presque entière, d'un chemin à un autre , d'un sentier à une route ferrée, toujours à la poursuite de leur fuyard in- visible, sans toutefois entendre ni chiens ni trompe. « S'il ne sonne .pas, » se disent-ils, « c'est qu'il est épouffé, et, si les chiens ne crient pas, c'est qu'ils sont peu nombreux. » Enfm, ils m'aperçoivent arrêté au carrefour, la toque à la main, prêtant l'oreille aux échos de la forêt. Coup sur coup les cjuestions s'entre-croisent : « Eh bien ! Vous les avez perdus ? sont-ils « Qui, quoi ? » inter- rogeai-je à mon tour. « Mais la chasse ! » me hurle-t-on. - « La chasse ? Je ne l'ai jamais rejointe depuis le défaut, » fmis-je par avouer. « Cependant », répond la troupe en chœur, « elle ne doit pas être loin d'ici, puisque le garde-barrière nous a affirmé avoir vu le cerf et nous en a même fait la descrip-

166 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

tion : très grand, ayant extrêmement chaud. Comment n'avez-vous rien entendu ? » Les plus avisés, comprenant sans peine le qui- proquo, prirent le parti de se taire, et voilà comment des renseignements, topiques à pre- mière vue, demandent à ne pas être accueillis trop à la légère.

Donc, amis veneurs, vous ne sauriez trop prendre de précautions à cet égard, si vous ne voulez pas tomber d'un embarras momen- tané dans un gâchis complet.

Qu'il me suffise d'ajouter qu'à côté de ces cavaliers qui galopent en tous les sens, qui sonnent sans rime ni raison, qui donnent de faux renseignements, il y en a d'autres, en revanche, qui préfèrent garder un mutisme désolant et une réserve excessive, plutôt que de nous venir en aide, tant est grande leur crainte de se tromper. Ils ont parfaitement vu ce qui se passait, ils ont assisté à la faute que vous commettiez, et, au lieu de vous éclai- rer d'un mot, ils se taisent, aimant mieux contribuer au grabuge général, en ne vous parlant pas franchement.

En quoi le « juste milieu », si cher au roi Louis-Philippe, est aussi difficile à atteindre à la chasse à courre qu'en politique.

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LA CHASSE ET L'HALLALI 167

Heureusement que, le plus souvent, quand le temps est propice et que la voie est bonne, l'on n'a qu'à laisser les chiens tranquilles. Ils s'acquitteront mieux de leur besogne à eux tout seuls qu'avec le secours de qui que ce soit ; mais, comme il est impossible de demander à ceux qui sont âgés, je veux dire aux chiens qui ont de cinq à sept ans, de conserver le même pied que les jeunes, il est bon de prendre les deux mesures sui- vantes : en premier lieu, formez un relais de ces vétérans qui n'ont qu'un tort, celui de n'avoir pu conserver leur train, mais qui sont encore susceptibles de rendre service après une heure de chasse, alors que la fougue de leurs cadets se sera dissipée. Ils ne seront ainsi plus dominés par eux, et, si l'on parvient à les donner à propos, on aura, dans les moments critiques, d'excellents auxi- liaires.

Autrefois, les maîtres d'équipage avaient la funeste habitude de ne pas s'en tenir à ces sortes de relais ; on en créait d'autres, composés de jeunes chiens, que l'on disper- sait dans la forêt, pour être découplés lorsque la chasse venait à passer dans leur voisinage. Qu'en résultait-il? Les bons chiens, fatigués

168 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

d'avoir couru depuis l'attaque, se dégoûtaient de se trouver avec des camarades qui, tout Irais émoulus, prenaient la tête, les épuisaient, et ils finissaient, ne pouvant plus les suivre, par lâcher pied petit à petit. D'autre part, ceux qui venaient d'être découplés partaient comme des écervelés , et, n ' ayant aucune connaissance de l'animal chassé, tournaient promptement sur le change. Cette détestable méthode se pratiquait encore à la vénerie impériale de Napoléon III. Je crois que la raison qui l'avait fait adopter provenait du désir que l'on éprouvait en haut lieu d'abréger le plus possible un sport que le souverain n'aimait pas. Ce système de relais à jet con- tinu avait l'avantage d'essouffler en 20 ou 25 minutes un animal nullement forcé. Quand je dis un animal, je me trompe, car bien sou- vent la journée ne se passait pas sans qu'il y eût plusieurs cerfs hallali, et il ne pouvait en être autrement avec cette multitude de chiens qui battaient les coins les plus reculés de la forêt.

Le but, toutefois, était atteint. L'on était certain d'avoir la curée aux flambeaux, spec- tacle splendide que l'Empereur tenait en particulière estime.

LA CHASSE ET L'HALLALI 169

En dehors de ce relais de vieux chiens, qui a son utilité à l'occasion, l'autre moyen de chasser avec toute la meute groupée en un seul faisceau consiste à arrêter de temps en temps la tête, afin que les derniers ral- lient aux premiers, puis, une fois réunis, à les laisser reprendre la voie ensemble. Con- trairement à la chasse du sanglier, ou agir de même est une faute capitale, ou il est indispensable de les rallier en portant tou- jours en avant les traînards, la chasse du cerf autorise cette manœuvre, à la condition, toutefois, que l'on en fasse un emploi judi- cieux. Déjà, en son temps, Jean de Ligni- ville recommandait cette tactique, tout en usant de prudence dans la pratique : « Or, » écrivait-il, « avant que repartir, je diray aux jeunes veneurs que arrester les chiens en chassant est chose belle et plaisante et bonne et faict d'admirables effets de vénerie, pourveu qu'ils soient arrestez à propos et en lieu propre et convenable pour les arrester. »

De son côté, d'Yauville nous dit « qu'un des meilleurs moyens de rendre les chiens dociles et de les accoutumer à se rallier, est de les arrêter de temps en temps dans la voie du cerf, et de les y tenir pendant

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170 RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

quelque temps sous le fouet. Cette méthode, » ajoute-t-il, a a beaucoup d'avantages pour la bonté d'une meute et pour l'agrément de la chasse. Les chiens s'accoutument à entendre leur nom et à s'arrêter; ils se calment pen- dant qu'on les tient sous le fouet et chassent plus sagement après; le cerf prend de l'avance et ils se servent plus de leur nez pour chasser une voie plus froide; ils s'accoutument à démêler les retours que le cerf aura faits plus fréquents, étant moins pressé. On chasse avec plus de chiens, parce qu'on rallie tous ceux qui, commençant à se fatiguer, suivent de loin dans la voie, ceux qui sont essoufflés et qui suivent les chevaux le long des routes, ceux qui, embarrassés par le change, ne le chassent que mollement; ils viennent se rallier aussitôt qu'ils entendent le bruit que font les autres qu'on tient sous le fouet, les cavaliers se rallient aussi, et les chiens et les chevaux reprennent haleine. »

La divergence essentielle qui existe entre cette méthode de ralliement employée à la chasse du cerf et celle en usage pour forcer un sanglier me permet de dire qu'il ne faut pas s'attendre à chasser également bien ces animaux avec le même équipage. Assurément,

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LA CHASSE ET L'HALLALI 171

les chiens qui auront goûté de la voie du sanglier, plus chaude que celle du cerf, l'em- paumeront avec vigueur, et, s'ils sont peu sous le fouet, c'est-à-dire peu dociles, s'ils s'affranchissent de la timidité qui sied, au contraire, à l'autre genre de chasse, ce sera à merveille. Ils donneront entière satisfaction à leur maître. Mais que vous tombiez sur un sanglier qui tue vos meilleurs chiens de change pour le cerf, si difficiles à dresser, quel désastre, alors, le jour vous voudrez décou- pler sur ce dernier animal. Il est évident que les inconvénients de ce « dualisme » dispa- raissent, en partie, dans les pays clairsemés d'animaux, puisque les chiens, au cours de la chasse, n'ayant qu'une seule piste sous le nez, sont bien obligés de s'attacher à elle. Mais, dans les bois les cerfs abondent, il est indispensable d'avoir des chiens presque craintifs pour réussir, tout l'opposé, en somme, des qualités exigées pour chasser le sanglier, je ne m'avance pas en disant qu'il est impos- sible de courir convenablement ces deux espèces d'animaux avec le même équipage, je suis même tenté d'écrire deux sortes d'ani- maux, quels qu'ils soient.

Gomme en toutes choses, l'on cite des

172 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

exceptions. Ainsi, Dangeau raconte que « le 10 juillet 1700, le Roi courut le chevreuil

avec les chiens de M. le comte de Toulouse et, dès que le chevreuil fut pris, il fait attaquer un daim par les mêmes chiens et le prit aussi ». De môme , en 1863, l'ex- I collent équi- page de M. Des- vigne, qu i chassait alors dans la forêt de Chantilly, prit un cerf et un chevreuil le môme jour avec les mômes chiens, ce qui excita l'admiration générale des veneurs.

Moi-même, j'assistai à l'hallali d'un san- glier et d'un cerf portés bas l'un après l'autre, dans la môme journée, par l'équipage de mon père en forêt de Compiègne, à cette époque dégarnie d'animaux à la suite de la guerre de 1870-71. Aujourd'hui qu'elle est repeuplée, la tentative serait risquée. Que prouvent ces exemples? Que l'on peut, il est vrai, forcer deux animaux de race différente dans la même

LA CHASSE ET L'HALLALI 173

journée avec les mêmes chiens? Oui. Mais il conviendrait de nous éclairer sur la manière dont ils ont été pris, car tel est le point délicat. Un chien, à lui tout seul, est capable d'amener un cerf, un daim et un chevreuil à l'hallali, mais il n'en résulte pas pour cela que l'on puisse se vanter d'avoir assisté à un brillant laisser-courre.

Cette digression sur les divers animaux chassés avec le même équipage m'a un peu écarté de mon sujet. J'en étais resté aux avantages indiscutables que présente l'excel- lente habitude d'arrêter la tête des chiens, afin de laisser aux retardataires le temps de la rallier.

Je sais bien que les amateurs dont le seul but de la chasse à courre consiste à galoper n'apprécient guère ces charmants instants de répit où, sous la futaie, le piqueur, au simple signe de son fouet levé, tient en respect toute une meute, qui manifeste son impa- tience par des aboiements furieux. Pas un des chiens ne bouge; les yeux fixés sur leur maître, ils semblent le supplier de leur rendre la liberté au signal convenu qui leur per- mettra de reprendre leur course. Quel plus beau spectacle, en vérité, peut-on demander?

174 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

Mais le fouet s'est abaissé, et voilà tous les chiens repartis, exprimant à leur façon leur joie extrême. La conséquence de cet arrêt ne tarde pas à se faire sentir. Le cerf ayant pris de l'avance, la voie est devenue plus froide et l'allure de l'équipage se ralentit. On peut, dès lors, suivre les chiens sous bois pas à pas, et rien n'égale cette fin de chasse où, mêlés à eux, les veneurs jouissent de leur travail, sonnant « bien-aller » sur « bien- aller ». Tout à coup un « Taïaut » retentit et le bruit assourdissant de la meute redouble. Le cerf vient d'être relancé.

Si c'était du change? L'anxiété se dessine sur les visages. Mais non, les bons chiens chassent; aucune crainte n'est de mise; c'est bien lui. Dès cet instant, la pauvre bête se fait battre, comme le ferait un lapin, de buisson en buisson. On sent qu'elle est parvenue au bout de ses forces. De temps à autre, un silence se produit. Rasée dans un paquet de fougères, elle a dérouté les chiens qui ont passé à ses côtés sans l'aper- cevoir. Mais ils ne tardent pas à découvrir sa retraite, et maintenant, hallali courant, elle cherche une corde de bois, un arbre, un mur , une maison pour s'y acculer et

LA CHASSE ET L'HALLALI

175

défendre sa vie de son mieux. Mais la nature, qui Ta dotée d'armes terribles, ne l'a pas rendue méchante de caractère, et, bien qu'elle

fonce sur ses assaillants quand ils se mon- trent trop audacieux ou les frappe de ses pieds de devant, elle en blesse peu et en tue rarement.

Je dis intentionnellement « pauvre bête )), car, autant les divers épisodes qui précèdent riiallali sont captivants, autant je voudrais supprimer ses derniers moments, si pénibles aux cœurs compatissants. Au moins, dans cet ordre d'idées, convient-il, à mon sens, de les abréger le plus possible et de ne pas pousser la cruauté jusqu'à les faire durer outre mesure, ainsi que cela se passe dans de nombreux équipages. Je n'ignore pas que, pour rester dans les traditions séculaires de

176 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

la vénerie, l'on croirait donner une entorse à ses principes en servant l'animal autre- ment qu'avec le couteau. Mais, malgré la meilleure bonne volonté du monde, il arrive parfois que l'on soit dans l'impossibilité abso- lue de raccourcir la fin de ces interminables hallalis. Vient-il à tenir dans un endroit découvert, sans abri pour se garer au besoin, on risque fort, en s'approchant, de recevoir sa visite et d'être victime de l'un de ses andouillers. L'on attend alors qu'il se déplace, pour profiter d'un moment plus favorable, et le temps s'écoule ainsi lentement, d'au- tant plus lentement que la crainte de rece- voir un mauvais coup paralyse vos mou- vements. Prudence est mère de sûreté, dit le proverbe ; ne serait-elle pas un peu cou- sine germaine de la peur ? Dans les Soirées de Saint-Pétersbourg, Joseph de Maistre re- marque que Charles-Quint se moqua plai- samment de cette épitaphe, qu'il lut en pas- sant : « Ci gît qui n'eut jamais peur », et il continue : « Et quel homme n'a jamais eu peur de sa vie ? » sentiment si difficile à définir, tant il varie de nature suivant les individus et les circonstances.

Octave-César Auguste, par exemple, « maître

LA CHASSE ET L'HALLALI 177

de soi comme de l'Univers », manquait de cœur lorsqu'il entendait les roulements du tonnerre. A l'approche de l'orage, il jetait sur ses épaules une j>eau de veau marin, courait se cacher sous terre et restait blotti jusqu'à ce que le ciel se fût rasséréné.

Pascal est plein d'épouvante.

Qui ignore que Voltaire avait peur de toutes les maladies et peur de la mort? Pen- dant toute sa vie il a tremblé pour sa santé; il a passé quatre-vingts ans à se voir mourir.

Frédéric II tombait en faiblesse à l'idée de porter un nouveau vêtement. Il n'eut, pendant tout son règne, que trois habits, disent les uns ; que deux, disent les autres.

Bernardin de Saint-Pierre ne pouvait tra- verser la Seine en bateau sans éprouver des anxiétés intolérables. S'il passait seulement dans un jardin public, près d'un bassin plein d'eau, il éprouvait des mouvements de spasme et d'horreur.

Mozart avait peur de certains instruments de musique. Il suffisait de lui montrer une trompette pour le mettre en fuite. Il s'éva- nouit un soir qu'un corniste ivre ou imbécile l'avait poursuivi en cornant.

Ces faiblesses de caractère que Ton trouve

178 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

chez tant d'hommes célèbres excusent, il me semble, notre manque de témérité en pré- sence d'un cerf qui tient aux chiens.

Pourtant, de son naturel, il n'a en lui aucune méchanceté. Il ne cherche pas, comme le sanglier, à courir sur l'homme qu'il aper- çoit. Dame ! ainsi que tous les animaux, quand on semble menacer sa vie, son ins- tinct l'invite à la défendre ; il baisse alors la tète et fonce en avant, et gare à ceux qu'il rencontre sur son chemin. En pareil cas, on est évidemment en mauvaise posture, et l'un de ses andouillers a vite fait de vous frapper, de vous jeter à terre et même de vous causer une sérieuse blessure. Mais, avec des précautions, on peut l'approcher très près sans crainte. Il en est tout autrement quand il s'agit d'un cerf enfermé seul dans un petit parc. Là, il est dangereux et les acci- dents sont toujours à redouter. Bien impru- dents sont les présomptueux qui pénètrent dans l'enceinte close sans méfiance; il leur en coûte parfois l'existence, ainsi que le fait s'est produit vers 1880, à la Grande Com- mune, chez mon beau-frère le comte Gref- fulhe. Pendant plusieurs années, le cerf que l'on y avait enfermé jeune n'avait jamais

LA CHASSE ET L'HALLALI

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donné le moindre signe de mauvaise humeur. Il vivait paisiblement dans son enclos, chaque matin un garde lui apportait sa nour-

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riture. Avec le temps, de daguet il était devenu dix-cors, et, malgré son âge, il demeu- rait l'animal doux et apprivoisé que l'on avait toujours connu, au point de venir tirer le foin quotidien de la main du garde. Un jour de septembre, cet homme ne rentra pas au logis déjeuner. L'après-midi se passa ainsi. L'inquiétude grandissant d'instant en instant,

180 RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

on se mit à sa recherche et Ton trouva le malheureux étendu par terre sur un amas de branches et sans vie, littéralement déchi- queté, percé de part en part, et les vête- ments en lambeaux. Il n'était pas difficile de reconstituer le drame. Le cerf s'était rué sur lui dès son entrée dans l'enclos, l'avait ren- versé, piétiné et, dans sa rage, s'était acharné sur le corps, jusqu'à ce qu'il fut complète- ment inanimé. '

Il faut des circonstances exceptionnelles, le moment du rut, par exemple, pour pousser l'exaspération d'un cerf au point de le rendre fou furieux. Mais, en chasse, peu d'accidents se produisent, et c'est pour moi un sujet d'étonnement toujours nouveau que d'assister à ces hallalis il circule, en galopant, au milieu des cavaliers, des piétons et des voi- tures, sans en renverser au passage et sans amener, dans la bousculade que provoquent ses allées et venues, aucun malheur.

Je ne puis classer dans la catégorie des cerfs méchants celui à la prise duquel j'as- sistai dans ma jeunesse, et dont le souvenir est resté gravé dans ma mémoire comme l'un des événements les plus tragiques de ma vie de veneur.

LA CHASSE ET L'HALLALI 181

A Tune des premières chasses de l'em- pereur Napoléon III à Gompiègne, le 21 octobre 1853, les valets de limier étaient rentrés au rendez-vous sans avoir connaissance de cerfs, alors très clairsemés. Le premier veneur donna l'ordre, faute de mieux, d'aller atta- quer une quatrième tête enfermée dans le parquet de la Landeblin, d'une contenance d'environ seize hectares, précisément dans ce but. Elle avait été panneautée à Marly ou à Saint- Germain six mois auparavant. Les portes en furent ouvertes, et tout faisait espérer que, poursuivie par les chiens, elle ne tarderait pas à gagner, par l'une d'elles, la forêt; tentative vaine. Il fallut abattre une partie du mur pour la décider à sortir enfin de l'enclos par cette brèche. Les chiens de meute découplés lui firent faire une courte randonnée autour du parquet, puis, arrivée à l'entrée principale qui donnait sur la cour de l'habitation du garde forestier, elle s'y engouffra avec toute la meute. Ne trouvant d'issue nulle part, elle s'accula le long du mur, nullement forcée, seulement essoufflée, et, par conséquent, encore pleine de vigueur. Derrière les chiens pénétrèrent également dans la cour l'Empereur, l'Impératrice, les

182 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

invités du château, les piqueurs et valets de chiens et les nombreux invités ou curieux qui assistaient à la chasse. On pense si l'em- placement fut vite bondé de monde. Le pre- mier veneur s'approcha du cerf, son couteau à la main, mais, au lieu de lui couper le jarret ou de l'enfoncer sans hésiter dans la poitrine, il ne fit que le piquer. Rendu furieux par ce coup d'épingle, l'animal se précipita en avant la tète baissée, sans viser personne en particulier. Le premier qui reçut son choc fut M. Delarue, garde général, qui fut renversé sous son cheval blanc éventré, puis ce fut le tour de M. Achille Fould, ministre de la maison de l'Empereur. L'effa- rement était à son comble. Impossible de se mettre en sûreté dans un espace si res- treint où chiens, chevaux, piétons culbutaient pêle-mêle, les uns sur les autres. A ce mo- ment, le cheval que montait Madame Amédée Thayer, fille du grand-maréchal comte Ber- trand, pris de peur, se cabra et se renversa sur la voiture de la princesse Mathilde d'une façon si malheureuse que le pied de l'ama- zone, engagé dans les ressorts de la calèche, fut brisé. La pauvre femme eut beaucoup de peine à se remettre de cet accident.

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L'Empereur, qui tirait très bien, mit fin à cette scène tragique en prenant la carabine des mains du prince de la Moskowa.

Une autre fois, au mois de février 1866, le baron Lambert, lieutenant de vénerie, vou- lant servir un cerf à Fontainebleau, lui envoya une balle dans la mâchoire qu'elle fracassa. Exaspéré, l'animal sauta sur lui, le renversa, lui perça le bras gauche de part en part, avec l'un de ses andouillers, en lui démet- tant l'épaule. encore, il n'était devenu méchant que parce qu'il avait été blessé.

Je me rappelle que, vers cette époque, je fus témoin d'une scène qui aurait pu mal se terminer et qui, en somme, n'eut qu'une fin vraiment comique. On avait chassé un gros cerf, qui était venu tenir aux chiens dans une partie assez touffue de la forêt. Le baron Lambert, à titre de gracieuseté, s'empressa d'offrir sa carabine au baron d'Of- fémont, châtelain des environs de Compiègne qui portait l'habit de la vénerie impériale. S'étant approché suffisamment près de l'ani- mal, il crut pouvoir lui loger une balle à coup sûr; mais, soit qu'il fût essoufflé d'avoir couru sous bois, soit qu'il eût mal ajusté, toujours est-il qu'il le manqua net et qu'il

184 RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

n'eut que le temps de se jeter derrière une cépée garnie d'un fort baliveau pour éviter le cerf. Aussitôt des cris répétés de « au secours ! » retentirent. Je sautai à bas de mon cheval et emboîtai le pas derrière un piqueur dans la direction de ces appels. Ce que nous vîmes alors n'avait rien de banal. Le baron, juché dans l'arbre, s'y cramponnait à trois mètres de terre environ, ne pouvant avec regret grimper plus haut, la tige étant trop faible pour supporter son poids, et, de la pointe de son empau- mure, le cerf, dressé sur ses pieds de der- rière, chatouillait les parties char- nues de son

LA CHASSE ET L'HALLALI 185

corps. Un lambeau de la culotte blanche flottait déjà au vent. On aurait dit que l'animal était en train de gauler des pommes avec sa tête. Le piqueur se hâta de mettre fin à cette scène, qui n'eut pas d'autre suite tragique, sauf en ce qui concernait le vêtement intime du baron, glorieux trophée de cette mémorable équipée.

Pour en revenir à la mise à mort du cerf, si l'on veut le servir au couteau^ qu'on le fasse vite, afin de ne pas prolonger un supplice odieux et inutile. Qu'on lui coupe le jarret, si la tradition de l'équipage le réclame, soit, mais que l'opération soit rapidement menée.

Pourquoi tout simplement ne pas user de la carabine ? Qu'y a-t-il donc dans son emploi de si répréhensible, de si incorrect au point de vue vénerie? Je suis encore à me le deman- der. Prenez les auteurs qui font autorité en la matière, aucun ne rejette de prime abord l'arme à feu; quelques-uns même la préconi- sent. Consultez Gaffet de la Briffardière; il admet « qu'à l'extrémité » et quand un cerf est trop méchant, il soit permis de « l'expédier d'un (( coup de fusil » . a La plus belle chasse cepen- dant, » ajoute-t-il, « est toujours de tuer le cerf avec les armes blanches et de lui couper les jarrets avant qu'il rentre dans l'étang. »

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186 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

Dans l'eau, Goury de Champgrand conseille « de lui tirer un coup de carabine » et d'Yauville, lui, beaucoup plus radical, déclare franchement que « depuis très longtemps on a recours au fusil ; cette méthode plus sûre et plus prompte épargne la vie de bien des chiens », tandis que l'autre, celle d'aller lui couper le jarret, « n'est qu'une bravade meur- trière pour les chiens et souvent dangereuse pour les hommes ». '■

Dès lors, mon choix est fait, le maître des maîtres ayant parlé ainsi, et je n'hésite pas à préconiser le moyen de mettre fin à la torture, déjà trop longue, que l'on inflige à un animal durant la chasse, en lui envoyant une balle dès qu'il fait tête aux chiens.

Puisque je parle de tradition, il en existe une qui, du moins, celle-là, ne fait de mal à personne, si ce n'est à la bourse des invités de distinction qui assistent aux laisser-courre : il s'agit des « honneurs du pied ».

On prétend que cette coutume remonte à saint Louis, qui accorda les premières per- missions de chasse ; les bénéficiaires de cette faveur étaient, paraît-il, tenus à payer aux seigneurs sur les terres desquels ils chas- saient un cuissot de la bête prise. Plus

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tard, on se contenta d'offrir le pied ; c'était un droit. Aujourd'hui, ce n'est plus qu'un hommage, une preuve de considération pour la personne à laquelle on l'offre, et, si elle est généreuse, elle se rappellera que c'est à saint Louis qu'elle est redevable de cette haute, mais chère marque de distinction.

Je m'incline devant d'aussi augustes sou- venirs et, respectueux de nos vieux usages, je me garderai de leur jeter un blâme déplacé. Cependant, et pour des raisons trop longues à énumérer, cette solennité a toujours été supprimée par ma famille dans l'ordinaire de la vie ; nous ne retournons à la tradition que dans les occasions exceptionnelles . J'ajoute que l'on ne saurait croire dans quel embarras se trouve souvent placé un maître d'équipage, quand il s'agit, au milieu d'une grande assis- tance, de choisir l'heureux, ou l'heureuse, élu. Rien que pour ce détail, insignifiant en appa- rence, mais plus sérieux qu'on ne croit, j'ai con- tinué à maintenir les habitudes déjà anciennes de mes ancêtres, habitudes qui ont l'avantage de couper court aux multiples ennuis que les honneurs entraînent avec eux.

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UTILITE DE LA CHASSE A COURRE

A^^s le courant de ma vie, j'ai quelquefois entendu des intellectuels, de parti pris hostiles aux exercices de sport, déblatérer en par- ticulier contre la chasse , ,, .. . à courre, dont ils ne de- vaient, certes, connaître ni le charme ni l'utilité.

Pas plus hier qu'aujourd'hui , je ne m'ef- forcerai de les ramener à mes idées, sachant de longue date que je ne parviendrai jamais à les convaincre par mes propres raisons et que je n'arriverai même pas à les persua- der par les leurs. Cette tâche ingrate, je l'abandonne donc à de plus combatifs que moi. Mais, en dehors de ces irréconciliables, d'autres, moins prévenus, désireux môme de s'éclairer, voulaient bien prêter leur atten-

190 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

tion à la réfutation de théories lancées à la légère. Voici les trois points sur lesquels ils prétendaient surtout me réduire au silence : La chasse à courre, disaient-ils, est un plaisir frivole d'aristocrate et sans utilité. Frivole, ce sport si éminemment français, qui pos- sède l'avantage de soustraire l'homme qui l'adopte aux regrets, aux déceptions et aux préoccupations de la vie ! N'est-ce pas déjà un résultat appréciable ? Et puis, qui donc pourrait nier que tout ce qui passionne est sérieux, que la valeur des choses s'établit par la somme des jouissances qu'elle peut procurer? « Le bonheur des uns », ai-je lu quelque part, « consiste à émarger au Grand Livre, à empiler dans un tiroir ces papiers généralement malpropres qui sont des titres ; d'autres s'en soucient moins; ils trouvent leur plus grande joie à peloter congrûment des perdreaux, à faire exécuter le manchon à un lièvre. Il ne manque pas de gens qui pré- fèrent culbuter une bécassine dans ses cro- chets à la gloire d'être appelé M. le con- seiller de n'importe quoi, gloire pour laquelle tant de dignes citoyens renoncent à leur tranquillité et à d'autres choses encore. Je ne nierai point qu'il puisse y avoir un cer-

UTILITE DE LA CHASSE A COURRE 101

tain charme à conduire son ministère à son hallali ; mais lorsque, tenant les abois, ce

ministère est servi par un vote bien placé, le cœur des veneurs parlementaires ne bat ni plus fort ni plus agréablement que ne fait le nôtre, quand, après une menée labo- rieuse, émaillée de mille émotions poignantes, l'animal de la chasse tombe sous la balle d'une carabine, au milieu des chiens qui le couvrent, et que les sons éclatants de la trompe annoncent la victoire aux échos, »

Frivole, la chasse à courre ! Pourquoi le serait-elle plus que la passion de collection-

102 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

ner des faïences, des timbres-poste, des bou- tons de guêtres, des pots à tabac, que sais- je ? Non, cherchez un argument plus pro- bant pour saper mes goûts de veneur. Alors de guerre lasse, on me sortait un grief qui semblait plus sérieux par le temps actuel. (( Votre chasse à courre », me lançait-on, (( n'est plus de mise aujourd hui la démo- cratie coule à plein bord », comme disait jadis Royer-Collard. « C'est plaisir d'aris- tocrate. » Halte-là ! l'objection vaut la peine que l'on s'y arrête.

J'admets que, avant la Révolution, la dureté des lois sur la chasse et le régime oppres-

sif des capitaineries aient pu soulever, dans les populations rurales, des ressentiments

UTILITE DE LA CHASSE A COURRE 193

contre les grands seigneurs, contre les classes privilégiées, seuls détenteurs d'équipages.

A cette époque lointaine, il y avait des subdivisions de lieutenances, de cantons et une hiérarchie d'ofhciers qui avaient chacun leur juridiction dans leur territoire. Sous le nom des princes, des courtisans impérieux, et sous les ordres de ceux-ci, des valets insolents commettaient une foule de vexations.

Dans l'étendue de Ces capitaineries, les propriétaires n'avaient pas le droit d'établir des clôtures nouvelles qui eussent garanti leurs champs des atteintes d'une partie des bêtes nuisibles. L'enclos, le jardin des parti- culiers, dans lesquels ceux-ci ne pouvaient détruire aucun gibier, sous des peines graves, devaient être ouverts aux officiers de chasse, lorsqu'ils le requéraient, et, malheureusement, il faut en convenir, tous ces droits étaient exercés avec une sévérité, une dureté qui les rendaient odieux. On attachait à tout ce qui concernait les chasses une importance qui ne doit appartenir qu'aux choses les plus graves. Par une conséquence ordinaire à toutes les tyrannies (car, on doit le dire, c'en était une), une multitude d'actions, indifférentes par elles-mêmes, étaient devenues des délits qui

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194 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

se punissaient souvent comme des crimes. L'enceinte des capitaineries était un sanc- tuaire dont la profanation était punie, non seulement par des amendes, mais même quel- quefois par des peines réservées aux mal- faiteurs.

Cet état de choses dura jusqu'au 11 août 1789, époque le droit de chasse fut ac- cordé à tous les citoyens. Aujourd'hui, tout le monde le sait, il n'est plus l'apanage de la noblesse. Source de jalousie perpétuelle autrefois, il est tombé dans le domaine pu- blic. Pourvu que l'on ait la bourse bien garnie, afin d'être à même d'acheter chiens et chevaux, que l'on puisse payer quelques piqueurs, les habiller, les nourrir et se ren- dre adjudicataire d'une forêt de l'Etat, vous voilà sacré, je ne dirai pas veneur, mais chasseur.

Si, d'autre part, vos moyens ne vous per- mettent pas ce luxe qui, je le reconnais, n'est pas à la portée de tous, rien ne vous em- pêche d'en restreindre le développement et de vous contenter de courir le cerf, le che- vreuil et le lièvre, avec quelques chiens seu- lement.

A cet égard, on m'a raconté qu'un cer-

UTILITE DE LA CHASSE A COURRE 195

tain garde général de la forêt de Compiègne, grand amateur de chasse à courre et très bon veneur, s'était follement amusé pen- dant une saison avec deux chiens, que soi- gnait l'un de ses sous-ordres. C'était après 1830. Le gouvernement avait décidé de dé- truire les animaux de toutes les forêts dépen dant de la couronne, et la vénerie royale avait été démontée; bien entendu, notre garde général se rendit acquéreur, le jour de la vente des équipages du Roi, des deux meil- leurs chiens connus pour ne jamais tourner sur le change. Ainsi outillé de façon rudi- mentaire, il attaqua et chassa successivement tous les plus beaux cerfs de la forêt de Com- piègne, sans en manquer un seul. Armé d'une carabine, dès qu'ils faisaient tête à « sa meute », il les mettait à bas. Il en prit ainsi un nombre considérable, ce qui prouve que, même avec un très modeste attirail de chasse, on peut forcer un cerf et qu'il n'est nullement besoin d'avoir un train et un apparat de grand seigneur pour se livrer à ce sport. Il me semble que rien n'était moins aristocra- tique que le plaisir de cet agent des forêts. Bien mieux, il serait plus juste de dire que la chasse à courre est démocratique, ainsi

196 RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

que le ministre de l'Agriculture, en personne, l'a proclamé, lors de l'ouverture du ]:)remier congrès de la chasse qui eut lieu à Paris, en 1908. Oui, plaisir de tous, par consé- quent, plaisir non réservé exclusivement aux riches, mais aux commerçants, aux indus- triels, aux simples ouvriers, tel était le sens des paroles de M. Ruau. Pour s'en convaincre, on n'a besoin que d'aller assister à une chasse à courre dans les environs de Paris, pendant une période de vacances, soit au jour de l'an, soit un lundi de Pâques les magasins chôment, les employés pren- nent un coneé, les hommes et les femmes ont déposé les uns la pioche, les autres l'ai- guille. Vous y verrez le plus curieux assem- blage de gens, que les maîtres d'équipage accueillent avec la meilleure grâce, heureux de l'occasion de procurer à cet intéressant petit monde une distraction saine et écono- mique, un spectacle unique dans un cadre merveilleux, un délassement aux travaux jour- naliers et enfin un regain de santé à l'air vivifiant des bois. Ici, c'est le père et la mère emmenant avec eux leurs petits enfants déjeuner sous les ombrages des grands arbres, dans les environs du rendez-vous ou des

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UTILITE DE LA CHASSE A COURRE 197

étangs ; là, passe à belle allure une kyrielle de bicyclettes portant des ouvriers décidés à rivaliser d'entrain et de vitesse avec les cava- liers. Voici plus loin une carriole à deux roues, attelée d'un cheval, voire même d'un àne, et contenant plusieurs jeunes fdles lançant dans l'air les éclats de rire de leurs vingt ans. Viennent enfin ceux auxquels les moyens de transport sont objets de mépris et qui, préfé- rant l'exercice des jambes, se dirigent à longs pas vers le rendez-vous. Ceux-là, nous les retrouverons l'après-midi, courant comme des échevelés à travers les fourrés ou discutant gravement, aux carrefours, sur les ])éripéties de la journée. J'ai assisté, dans la forêt de Villefermoy , mon équipage se rend en déplacement chaque année, à des hallalis de cerfs l'on pouvait compter, au bas mot, plus de deux mille personnes accourues des environs, et que j'avais la plus grande joie à voir se divertir. Et l'on viendrait dire, après cela, que la chasse à courre n'est pas un plaisir démocratique ! Allons donc ! mais je n'en connais pas un qui le soit davantage, aucun qui soit plus accessible à tous et à si bon compte. Allez-vous aux courses de chevaux, il faut payer pour y assister. La

198 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

chasse à tir ? Mais elle est le monopole de quelques-uns seulement et elle coûte cher en permis et en cartouches. Il a fallu long- temps pour s'apercevoir de ces vérités. Aujour- d'hui, elles finissent par s'accréditer dans le public, et l'on a entendu même un ministre de la République lancer ces paroles carac- téristiques, que tout incrédule devrait médi- ter : « Si la chasse à courre n'existait pas, il faudrait l'inventer. » Pourquoi M. Ruau a-t-il prononcé ces paroles mémorables ? Parce qu'il savait qu'elle est, pour la France, une source importante de produits et que toute parcelle de la richesse publique doit attirer l'atten- tion des pouvoirs établis. Voilà son utilité, et je la prouve par des chiffres. Le relevé du mouvement d'argent occasionné chaque année, dans notre pays, par la chasse à courre fut minutieusement étudié par les soins de la société de vénerie et présenté, en 1908 après enquête poursuivie dans toutes les régions de nos provinces, au congrès dont je viens de parler.

Quel est-il ce chiffre ? Il est intéressant de le connaître, sans entrer dans les détails consignés à l'appui dans le rapport officiel : soixante-treize millions de francs en chiffres

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UTILITE DE LA CHASSE A COURRE 199

ronds, et je passe sous silence l'élevage et le commerce des chiens, qui créent encore une source de revenus importants dans nombre de départements se tiennent des foires spéciales.

Après cet exposé, l'on serait mal venu de prétendre que le gouvernement n'a pas le devoir impérieux et patriotique non seulement de favoriser, par tous les moyens dont il dis- pose, le maintien sur notre sol de ces équi- pages qui répandent à profusion dans le com- merce et l'industrie les bienfaits de leur exis- tence, mais encore de chercher à encourager la formation de nouveaux centres de chasse. Certaines grandes villes, telles que Pau et Biarritz, ont compris les avantages qu'elles tirent de la présence chez elles d'équipages de chiens courants, et leurs édiles intelli- gents n'hésitent pas à leur voter des subven- tions annuelles pour les conserver. Mais, hélas! je suis obligé de convenir que, la plupart du temps, les corps élus n'envisagent pas de cette façon leur véritable intérêt, et les Con- seils généraux, qui pourraient agir avec tant d'efficacité en cette matière, loin d'entrer dans cette voie, entravent même par des mesu- res inopportunes les bonnes volontés de nos

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REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

jeunes veneurs. Quelques-unes de nos assem- blées départementales, soit à l'instigation d'esprits jaloux et bornés, soit par ignorance, soit par une fausse interprétation de l'éga- lité, n'ont-elles pas voté la fermeture de la chasse à courre du lièvre et du chevreuil en même temps que celle à tir ? On leur a dit, probablement, pour motiver pareille mesure, qu'il n'était pas juste que les uns eussent la jouissance de ces animaux, alors que les autres en étaient sevrés. Eh bien ! du moment qu'il s'agit d'égalité, que l'on veuille bien compter les jours il est loisible au chasseur au fusil de sortir, depuis l'ouverture jusqu'à la

fermeture, et que l'on en fasse autant pour les veneurs. Tandis que les premiers peuvent arpen- ter les plaines et les bois, sans entrave et à l e 11 r

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UTILITÉ DE LA CHASSE A COURRE 201

guise, cinq mois durant, c'est-à-dire 150 fuis environ, les seconds, s'il ne survient pas de gelées empêchant les chevaux de marcher, si les étangs ne sont pas recouverts de glace, ne découplent leurs chiens que deux fois par semaine, pendant quatre mois au lieu de cinq, car les chaleurs du mois de septembre leur interdisent tout laisser-courre. C'est donc au total une trentaine de journées qu'il con- vient de mettre en regard des 150 précédentes. Veut-on aussi, puisqu'il s agit d'égalité, compa- rer le chiffre des animaux détruits, pendant le même laps de temps, j)ar les chasseurs à tir et par ceux à courre ? Personne n'ignore que les veneurs ne cherchent jamais à tuer plus d'un animal, quand ils découplent leurs chiens, et encore, leur arrive-t-il de rentrer bre- douilles. En revanche, nulle limite n'arrête le tireur qui peut occire à son gré tout gibier qu'il rencontre. donc est, encore, cette fameuse égalité de traitement que l'on fait miroiter aux yeux des naïfs ? Que prétend-on aussi pour chercher à imposer le même régime aux deux intéressés ? Je cherche et je ne trouve plus rien, si ce n'est l'application du pro- verbe connu : « Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage. »

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202 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

Serait-ce le but que l'on se propose : dégoûter de leur sport favori, par des taqui- neries mesquines, les chasseurs à courre ? C'est possible, surtout si, à ces difficultés qu'on cherche à leur créer dans quelques départements, s'ajoutent les réclamations exa- gérées des cultivateurs, relatives aux dégâts que les animaux causent à leurs récoltes. Ils savent bien, cependant, que l'on fait toujours droit à leurs requêtes, lorsqu'elles sont fon- dées, et que les articles du code civil qui établissent la responsabilité du propriétaire d'un bois ou du locataire d'une chasse sau- vegardent leurs intérêts. Ils n'ignorent pas qu'aux termes de ces articles « tout fait quel- conque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer )i et, en outre, que chacun est responsable du dommage qu'il a causé, non seulement par son fait, mais aussi par sa négligence et son imprudence.

Dans le voisinage des grandes forêts de l'Etat, la protection des récoltes jouit d'une garantie en plus. Le cahier des charges dressé en vue des locations réserve à l'administra- tion forestière les droits les plus étendus en ce qui touche la destruction du gibier dont

UTILITE DE LA CHASSE A COURRE 203

la surabondance pourrait nuire aux proprié- tés riveraines. Lorsque ce cas se produit, le conservateur des forêts met en demeure le fermier de la chasse, par une sommation régu- lière, de détruire, dans un délai déterminé, les animaux dont le nombre et l'espèce lui seront indiqués. Si le fermier ne satisfait pas à cette mise en demeure, il est pro- cédé d'office à la destruction par les soins du service forestier.

Il me semble que ce sont des mesures suffisamment défensives pour donner entière satisfaction aux cultivateurs, d'autant plus que, lorsqu'il s'agit d'indemnités, les maîtres d'é- quipage ne lésinent pas sur la somme d'ar- gent que l'on réclame de leur équité et paient toujours rubis sur l'ongle. Il arrive même que l'on abuse souvent de leur générosité et aussi de leur candeur. Un exemple en pas- sant. Je reçus, il y a quelques années, une lettre anonyme m'invitant à me rendre sur la lisière de la forêt de Compiègne, en un endroit qui m'était désigné, « afm de contem- pler », me disait-on, « un spectacle qui me surprendrait ». Piqué par la curiosité, j'en- fourchai un cheval et, d'un temps de galop, j'arrivai au lieu en question. Ce que je vis

204 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

valait, en effet, la course. Qu'on en juge : un gros baudet, attaché par une corde à un pieu planté au beau milieu d'un chamj) recou- vert de blé vert, y broutait tranquillement. Le plan, d'une simplicité élémentaire, consis- tait, après que maître Aliboron se fût acquitté de sa besogne en conscience dans toutes les parties de la pièce de terre et qu'une pluie abondante eût effacé toute trace de ses pas, à appeler mon expert pour lui faire constater le dégât attribué aux prétendus grands animaux. Qui ne connaît cette autre malice, pratiquée dans certaines contrées ? Le cultivateur se garde de mettre aucun engrais sur sa propriété, sauf sur deux mètres carrés qu'il a soin d'entourer d'un grillage élevé, à l'abri de la dent des cerfs ou des chevreuils. Naturellement, une magnifique végétation sort de terre dans le petit réduit, tandis qu'à côté la récolte est minable. « Vous voyez », dit notre homme, « ce que produirait mon champ au printemps, si ces maudites bêtes n'y avaient pas élu domicile. Ici, le blé a poussé en abondance, parce qu'ils n'ont pu y toucher, et là, il est perdu en totalité. » Et l'on a la naïveté de transiger pour conser- ver la paix. Qu'il s'agisse donc d'inégalité

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de traitement entre les chasseurs à tir et ceux à courre, de déeâts causés aux récoltes par le passage de cavaliers ou par des ani- maux sauvages sur les terres ensemencées, les explications ci-dessus doivent éclairer tout homme de bonne foi et l'inciter à s'élever, en toute occasion, contre les tracasseries nui- sibles à l'intérêt général. Autrement, l'ex- tension de ces ennuis empêchera de nou- veaux petits équipages de se fonder, qui répandraient chez les commerçants de leurs alentours la richesse et le bien-être, et même finira, si l'on n'y prend garde, par décourager les veneurs actuels, au point de les amener à liquider progressivement chiens et chevaux. Cette disparition, au point de vue local, aurait, de plus, une répercussion directe et sensible sur les finances des communes par la suppres- sion des taxes sur les chiens, qui rapportent jusqu'à dix francs par tête à leur budget.

Enfin, qui donc, en France, peut aujour- d'hui se désintéresser du sort de notre armée, sauvegarde de la patrie ? Le cheval en est l'un des principaux éléments. Or, tout le monde est d'accord pour reconnaître que le type le meilleur est celui qui convient aussi bien à nos troupes qu'à la chasse à courre.

206 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

Léger, allant et vite, possédant beaucoup de fond, robuste de membres, résistant à la fatigue, il répond admirablement à ces deux services. On devine quels précieux auxi- liaires de l'armée seront, au jour de la mobi- lisation, tous ces animaux employés à la vénerie. D'où cette conclusion qui s'impose : que plus les pouvoirs publics encourageront la formation d'équipages de chasse, plus les éleveurs se livreront au trafic qui profitera au recrutement des chevaux en temps de guerre. Combien nous sommes loin, à cet égard, de nos voisins d'Angleterre qui, en 1907, d'après les calculs recueillis par un grand journal sportif, The Field (numéro du 22 août 1908), en utilisaient, en chiffres ronds, pour la chasse et les services qui en dépen- daient, deux cent mille. Je relève au pas- sage, dans cet article, un détail intéressant : « Un maître dont l'équipage ne chasse que deux fois par semaine nous a dit avoir pris la peine de compter combien de chevaux étaient exclusivement employés pendant l'hi- ver avec son équipage, tant pour la chasse que pour venir au rendez-vous, et en avoir trouvé, en tout, de 450 à 500. »

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UTILITK DE LA CHASSE A COUKRE 207

tagne on comptait, en 1907, 369 équipages (1), il est aisé de comprendre que l'estimation de 200.000 chevaux n'est pas exagérée.

Quels services de tels contingents, s'ils existaient en France, rendraient à notre pays dans un moment critique il faudrait faire appel à toutes les forces vitales dont il dispose! Nous n'en sommes pas là, hélas ! et pourtant, le gouvernement a entre les mains le pouvoir d'atteindre ce résultat. Qu'il encourage les bonnes volontés qui ne demandent qu'à mar- cher, qu'il donne des ordres à ses préfets pour diriger les conseils généraux dans cette voie, en n'entravant plus l'exercice de la vénerie par des mesures vexatoires, et nous verrons éclore, comme par enchantement, cette pépi- nière de chevaux dont la nécessité n'est plus à démontrer, depuis que leur nombre dimi- nue de jour en jour , ainsi qu'en témoigne une statistique émanant du ministère de la Guerre et publiée en juillet 1910.

Il n'est pas douteux, en effet, que la trac- tion automobile est en train de tuer le che- val de trait léger. Elle règne en maîtresse

(1) En plus de ces 369 équipages, il y en avait 67 de harriers et de beagles menés à pied et 20 de chiens de loutre, donnant un total général de 456 meutes.

208 REFLEXIONS D'UX VIEUX VENEUR

dans les villes, dans les grandes villes surtout; elle en chasse peu à peu le cheval, qu'elle fait disparaître de notre sol. A Paris, le nombre des chevaux a baissé de moitié en ces di\ dernières années. De 1909 à 1910, on constate une diminution de 17 pour 100 (91,261 en 1909 contje 75,4()o en 1910), qui porte principalement sur les gi-andes entreprises de transport. Quelle ])eut donc être, alors, celle de la France entière ?

Le dangei' saute aux yeux, et tout le déficit ])orte précisément sur l'espèce d'animaux em- ployés à la chasse à courre : chevaux de maître, de remise et de fiacre, rangés par l'armée dans ses catégories 1, 2, o et 4 (cuirassiers, dra- gons, chasseurs et artilleurs, trait léger).

Si l'on veut réagir contre ce véritable j)éril, il ne faut pas s'endormir plus longtemps. Il ne faut j)as que les éleveurs aient com- plètement abandonné la ))artie ; la diminu- tion des milliers de demi-sang depuis 1908 démontre assez clairement, je pense, qu'ils ont déjà commencé. Il faut leur réserver des acheteurs en protégeant la chasse à courre, et c'est le devoir des ministres de la Guerre et de l'Agriculture de prendre leurs mesures en conséquence.

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UTILITE DE LA CHASSE A COURRE 209

Pour me résumer, à moins d'être dépourvu de sens commun, on saisit maintenant sans peine la portée des paroles de M. Ruau, lors du Congrès de 1908 : « Si la chasse à courre n'existait pas, il faudrait l'inventer. » Il ne reste plus au gouvernement qu'à mettre ses actes d'accord avec la pensée de l'ancien ministre, et tout sera parfait.

27

X

CONCLUSION

E grand attrait que ressentent pour la chasse à courre ceux qui ont pratiqué ce beau sport provient de la multiplicité des jouissances qu'elle entraîne avec elle. Aimez-vous la nature? Vous êtes servi à souhait. Les admirables futaies de nos forêts sous lesquelles se fau- filent les rayons mobiles du soleil, le paysage qui, tantôt verdoyant, tantôt teinté de rouge, se déroule sous vos yeux, les points de vue que l'on découvre du haut d'une colline et qui se perdent dans l'horizon brumeux des bois, les rubans argentés des rivières et des torrents serpentant dans des vallées riantes, toute cette richesse de splendides et rares tableaux dont votre sentiment artistique ne se lasse pas , vous les savourez au cours

212 RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

d'une journée de chasse. « J'aime les forêts », écrit Messire Jean de Ligniville, « les lieux solitaires, les déserts ; c'est je suis en contemplation de l'art de la vénerie, c'est j'ai subject d'admirer les œuvres de Dieu; là, rien ne m'oste la veûe de cette voûte azurée ; je voids au naturel les sources d'eau vive ; les torrents bruiants à val des rochers, les cavernes, les antres de la terre me sont manifestés. Vous faites des grottes, des rochers artificiels, des inventions d'eau, des dégoise- ments et chants d'oiseaux fort ingénieusement représentez dans les déserts. Je vaids partout, tantost aux forts, plus loing aux fustayes, dans les vallées ; plus loing, je me trouve sur la cime d'une montagne, c'est alors que je con- sidère à mon aise ce grand flambeau céleste, le soleil, qui sort de son orient ; je le veoids au midy, au couchant, septentrion, bref j'ay entière cognoissance de ces tours et contours. J'ay mil plaisirs à veoir toutes les sortes d'ar- bres, de plantes, de fleurs, bien qu'elles soient les unes au plus cœur des vallées, en my coste, sur la crouppe des montagnes ; néantmoings tout cela tire au Zenith. »

Tandis que l'âme charmée s'exalte devant ces panoramas de la nature, les forces phy-

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siques se développent et les hommes qui, d'habitude tremblant sur leurs membres, sont incapables d'endurer la moindre fatigue, devien- nent par l'exercice de la chasse, vigoureux et susceptibles de supporter à cheval les ran- données les plus prolongées.

La santé, dans le monde, étant le premier bien, Un homme de bon sens n'y doit ménager rien.

C'est Ronsard qui nous donne ce conseil. Suivons-le ; il émane d'un sage.

Donc, chassons à courre pour éloigner de nous le spectre hideux des maladies éven- tuelles, et nous obtiendrons, en outre, l'avan- tage de détendre nos nerfs que crispent, trop souvent pour notre malheur, les soucis iné- vitables de l'existence.

Rien n'influe mieux sur le caractère d'un homme qu'une bonne journée d'activité au grand air, et, si Boileau avait été veneur, il eût écrit, au lieu du vers célèbre que nous connaissons :

La chasse, qui change tout, change aussi nos humeurs.

Mais elle ne s'en tient pas là, notre pro- tectrice, et les passionnés d'équitation ne me contrediront pas, si je leur rappelle les mo-

214 REFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

ments délicieux qu'ils ont passés en galopant derrière les chiens, en franchissant arbres et fossés, en se sentant portés, à toute allure, à travers monts et ravins, sur un cheval solide, vite, léger, doué d'une bonne bouche sans être trop sensible, pourvu d'un fond à toute épreuve et enfin d'une grande sûreté de jambes.

Quant au maître d'équipage, aux avantages ci-dessus énoncés, plaisir des yeux, santé, équitation, s'ajoute pour lui le charme de diriger, de dresser, de perfectionner sa meute, de pré- voir les épisodes variés qui se produisent au cours de la journée, de réparer les fautes commises, de saisir à l'improviste les déci- sions conformes aux événements, de faire acte d'autorité au moment opportun, toutes choses intéressantes au premier chef pour un veneur épris de la chasse à courre.

Je ne veux pas non plus oublier de clas- ser parmi les attraits que comporte son rôle celui de recevoir ses amis, de constater le plaisir qu'il leur procure en les conviant à ses laisser-courre et de leur en faire les hon- neurs. Il ne peut non plus être indifférent à la joie qui se manifeste autour de lui dans ce monde de piétons accourus à la fête, et dont l'enthousiasme se traduira par un regain

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TABLE DES MATIÈRES

PAGES

PRÉFACE I

AVANT-PROPOS xxi

I. LE CHENIL ET LA NOURRITURE

DES CHIENS 1

II. LES CHIENS 13

III. LES TÊTES 23

IV. LA FAÇON DE JUGER UN CERF. . 53 V. L'ART DE DÉTOURNER UN CERF. 63

VI. LE RENDEZ-VOUS ET L'ATTAQUE . 99

VII. LES RUSES DU CERF. 117

VIII LA CHASSE ET L'HALLALI 149

IX. UTILITÉ DE LA CHASSE A COURRE. 189

X. CONCLUSION 211

28

TABLE

DES ILLUSTRATIONS HORS TEXTE

PAGES

Le Chenil du Franc-Port, on regard de ...... . 4

La Soupe des Chiens les veilles de Chasse, en

regard de 10

Un nouvel Équipage, en regard de 14

Le duc d'Aumale a Chantilly, en regard de 20

Une Chasse de la Vénerie impériale, en regard de . 38

Dans le ThIERGARTEN de la LobAU, en regard de . . . 40

Une Chasse DE l'Archiduc HÉRITIER, en regard de . . 44

Aux Renseignements, en regard de 58

Charles IX au Bois, en regard de 64

Cerfs au GaGNAGE, en regard de 66

Il ne s'est pas trompé, en regard de 78

VÉNUS ET Diane, en regard de 84

HOUPER TROIS FOIS..., en regard de 92

Le Rapport, en regard de 100

Oh! ces Invités ! en regard de > . . . 104

La Fanfare de l'Accompagnement, en regard de. . . 110

Le Découpler, en regard de 112

Ils sont trop! en regard de 122

Le Change, en regard de 124

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TABLE DES ILLUSTRATIONS 219

PAGES

Chasse de l'Avenir, en regard de 130

Geste expressif, en regard de 134

Vente publique, en regard de 13G

Bien-Aller, en regard de 14G

Ruse de Cerf, en regard de 148

Les Amateurs, en regard de 150

Un Bat-l'eau malheureux, en regard de 152

Le Donneur de Renseignements, en regard de ... . 154

Ne pas quitter la Voie, en regard de 162

Le Quiproquo, en regard de 164

Fin du Quiproquo, en regard de 166

La Chasse du Sanglier, en regard de 170

Hallali de Cerf, en regard de 182

Carabine ou Couteau? en regard de 186

En 1830..., en regard de 196

Vers l'Attaque, en regard de 198

Fabrique de Délits, en regard de 204

Le Cheval DE Guerre, en regard de 206

Élevage de Chevaux de Chasse et de Guerre,

en regard de 2Uo

J'aime les Forêts, en regard de 212

Moments délicieux, en regard de 214

LES

RÉFLEXIONS D'UN VIEUX VENEUR

SUR

LA CHASSE DU CERF

ont été imprimées

ET

LES PLANCHES EN ONT ÉTÉ GRAVÉES ET TIRÉES

PAR

MANZI, JOYANT & G^^

A Asnières-sur-Seine

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MARQUIS

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