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ŒUVRES COMPLE'I i
STENDHAL
IMJBI.IKES SOUS LA DlRECTlOxN DE PAUL ARBELET >
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ET EDOUARD CHAMPION
ROME, NAPLES
ET FLORENCE
TOME SECOND
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PARIS
LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION
EDOUARD CHAMPION
5, Qlai Malaquais, VI'
1919
ŒUVRES COMPLETES
STENDHAL
IM: B L I É E s sous LA DIRECTION DE
PAUL ARBELET ET EDOUARD CHAMPION
ŒUVRES rOiMPLETES
STENDHAL
ROME, NAPLES ET FLORENCE
TOME SECOND
Il a été tiré de cet ouvrage :
Dix exemplaires sur papier de Chine, numérotés de I à 10, contenant une double suite des planches hors texte tirées sur Japon Impérial.
Vingt-cinq exemplaires sur papier des manufactures impé- riales du Japon, numérotés de 11 à 55, contenant une double suite des planches hors texte tirées sur Japon Impérial.
Cent exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de 36 à 135, contenant une double suite des planches hors texte tirées sur Japon Impérial.
Onze cents exemplaires sur papier velin pur fil des Pape- teries Lafama, de Voiron, numérotés de 136 à 1235.
Exemplaire A"
047
REPRODUCTIOK INTERDITE
ROME,
NAPLES, AND FLORENCE,
IN 1817.
SKIETCHES
OF THE
PRESENT STATE of SOCIETY, MANNERS, ARTS, LITERATURE, âfc.
IN THESE
CELEBRATED CITIES,
BY
THE COUNT DE STENDHAL.
LONDON :
PRINTED FOR HENRY COLBURN, PUBLIC LIBRARY, CONDUIT STREET, HANOVER SQUARE.
.1818. Titre de la traduction anglaise de 1818.
STENDHAL
ROME, NAPLES
HT FF.OHKXCK
TEXTE ÉTABLI ET ANNOTÉ I^ A R
DAMEL MULLER
PRÉFACE DE
CHARLES MAURRAS
TOME SECOND
AVEC TROIS FAC-SIMILE HORS T K X T E
PARIS
LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION
EDOUARD CHAMPION
5, Quai Malaqlais, VT
1919
-De
ROME, XAPLES
ET
FLORENCE
Naples, 24 mars 1817. — La belle Écossaise, madame la comtesse R..., me disait ce soir : « Vos Français, qui brillent tant le premier moment, n'en- tendent rien à faire naître les grandes passions. Le premier jour, il ne faut que réveiller l'attention : ces beautés brillantes, qui éblouissent d'abord, et qui ensuite perdent sans cesse, ne régnent qu'un instant. — Voilà, dis-je, qui m'explique la manière très froide dont je vais me séparer de Saint-Charles. »
Un prince napolitain, qui est là, se récrie beau- coup. Il réfute nos objections à la manière italienne, c'est-à-dire en répétant, et criant un peu plus, la phrase à laquelle on vient de répondre. Je regar- dais dans la salle, espérant le faire finir faute d'écou- teur, lorsque je m'aperçois qu'il répète à tous mo- ments le mot baroque Agadaneca. C'est un opéra superbe, protégé par le ministre, dédié d'avance au
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 STENDHAL
roi, et que l'on répète depuis cinq mois. Tout le monde annonce que l'on aura enfin un spectacle digne de Saint-Charles.
Salerxe, l*^"^ avril. — Voulez-vous trouver * les procédés les plus révoltants ? Voyez l'intérieur des ménages * de la Calabre. Anecdotes incroyables qu'on m'a racontées ce matin. Je lisais à Bologne les historiens originaux du moyen âge, Capponi, Vil- lani, Fiortifiocca, etc. Je trouvais à tous moments des anecdotes telles que le massacre de Césène par Clément VII, antipape ^ Et cependant, au bout du compte, on se sent plein de respect et presque d'amitié pour ces figures colossales, les Castruccio, les Guglielmino, les comtes de Virtù. Dans les histoi- res du xviii^ siècle, il n'y a aucune de ces horreurs, et à la longue on se sent soulever le cœur de mépiis ^. Je ne puis mépriser le Calabrais ; c'est un sauvage croyant également à l'enfer, aux indul- gences et à la jettatura (sort jeté par un magicien) *.
2 ai>ril. — Ce que j'ai vu de plus curieux dans mon voyage, c'est Pompéia ; on se sent transporté dans l'antiquité ; et, pour peu qu'on ait l'habitude de ne croire que ce qui est prouvé, on en sait sur-le-
1. Poggii Hist., lib. II, la Cronaca Sanese: »E il Cardinale disse a messer Jovanni, » etc., etc. (1817.)
2. Lacrelelle, Duclos, Bezenval, Saint-Simon, Rulhière, le Prince de Ligne, Mackintosh, Bclsham, Hobhousc (1817) *.
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champ plus qu'un savant. C'est un plaisir fort vif que de voir face à face cette antiquité sur laquelle on a lu tant de volumes *. Je suis retourné aujour- d'hui à Pompéia pour la onzième fois. Ce n'est pas le lieu d'en parler. On a découvert deux théâtres ; il y en a un troisième à Herculanum ; rien de plus entier que ces ruines. Je ne comprends pas le ton mystique avec lequel M. Schlegel vient nous parler des théâtres anciens ; mais j'oubliais qu'il est Alle- mand *, et apparemment moi, malheureux Fran- çais, je manque du sens intérieur. Le monde ayant commencé pour nous par des républiques héroïques, il est simple que leur produit paraisse sublime à des âmes étiolées par la plate monarchie *, comme Ra- cine.
Je sors de Saiil, au théâtre Nuovo. 11 faut que cette tragédie (d'Alfîeri) agisse sur la nationalité intime des Italiens. Elle excite leurs transports. Ils trouvent de la grâce tendre, à VJmogène, dans Michol *. Tout cela m'est invisible, de manière que j'ai fait la conversation avec le jeune marquis libéral, qui m'a prêté sa loge. Nous avions à côté de nous une jeune fille dont les yeux peignaient l'amour tendre et heureux avec une énergie que je n'ai jamais vue. Trois heures ont volé avec la ra- pidité de l'éclair. Son promis était auprès d'elle, et la mère souffrait qu'il lui baisât la main.
Mon marquis me disait qu'on ne permet ici que trois tragédies d'Alfieri ; à Rome, quatre ; à Bo-
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logne, cinq ; à Milan, sept ; à Turin, point. Par con- séquent, l'applaudir est une affaire de parti, et lui trouver des défauts est d'un ultra.
Alfieri manqua d'un public. Le vulgaire est né- cessaire aux grands hommes, comme les soldats au général. Le sort d' Alfieri fut de rugir contre les préjugés et de finir par s'y soumettre. En poli- tique, il ne conçut jamais l'immense bienfait d'une révolution * qui donnait les deux Chambres à l'Europe et à l'Amérique, et faisait maison nette *. Alfieri est peut-être l'homme le plus passionné qu'il y ait eu parmi les grands poètes. Mais, d'abord, il n'eut jamais qu'une passion ; et, en second lieu, ses vues furent toujours extrêmement étroites en politique. Il ne comprit jamais (voir les derniers livres de sa Vie ^) que, pour faire une révolution, il faut créer de nouveaux intérêts, id est de nouveaux propriétaires. D'abord, il n'avait pas d'esprit en ce genre ; en second lieu, il était noble, et noble piémontais ^. L'insolence de quelques commis de la barrière * de Pantin, en lui demandant son passe- port, et le vol de douze ou quinze cents volumes,
1. Dans l'original, car la police de Buonaparte a mutilé la traduction. Son portrait est celui de toutes les grandes âmes de l'Italie actuelle : plus de rage que de lumières. (1817.)
2. Il n'a jamais su apprécier la bonté des souverains de l'auguste maison de Savoie. Des souverains tels que ceux qui occupent actuellement les trônes de Naplcs, de Florence et de Sardaigne sont faits pour réconcilier à la monarchie les esprits les plus égarés par l'orgueil. (1817.)
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trouvant dans son cœur tous les préjugés nobi- liaires, l'empêchèrent à jamais de comprendre le mécanisme de la liberté *. Cette âme si haute ne vit pas que la condition sine qua non, pour écrire quelque chose de passable en politique, c'est de s'isoler des petits frottements personnels auxquels on peut avoir été exposé. Sur la fin de sa vie, il disait que, pour avoir du génie, il fallait être né gentilhomme ; enfin, méprisant la littérature fran- çaise jusqu'à la haine, il n'a fait qu'outrer le sys- tème étroit de Racine. Il n'y a peut-être rien au monde de plus ridicule, pour un Italien, que la pusillanimité de Britannicus ou la délicatesse de Bajazet. Dominé par la défiance *, il veut voir, et toujours on lui fait des récits. Si son ardente ima- gination n'est pas nourrie par beaucoup de spec- tacle, elle se révolte et l'emporte ailleurs : aussi bâille-t-on beaucoup aux tragédies d'Alfieri. Jus- qu'ici, ce qu'il y a encore de plus adapté à l'Italie, c'est Richard III, Othello, ou Roméo et Juliette. M. Niccolini, qui continue Alfîeri, est sur une fausse route. Voir Ino e Temisto *.
3 ai^ril. — ■ Agadaneca, grand opéra. Je n'ai jamais rien ouï de plus pompeusement plat : cela n'a duré que depuis sept heures jusqu'à minuit et demi, sans un seul moment de relâche, et sans le plus petit chant dans la musique. J'ai cru être rue Lepele- tier. Vivent les pièces protégées par la cour ! Ce
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qu'il y a de mieux, c'est une salle de l'appartement de Fingal (car nous sommes dans Ossian), garnie de tous les petits meubles à la mode inventés de- puis peu * à Paris. J'ai obtenu la faveur d'aller sur la scène. Les pau\Tes petites danseuses de l'école disaient : ( Travailler cinq mois pour se voir sifEées de la sorte ! » Je faisais un compliment de condoléance à mademoiselle Colbran * : « Ah ! monsieur, le public est bien bon ; je m'attendais qu'on nous jetterait les banquettes à la tête. » En effet, les auteurs, que je ne croyais que plats, sont de plus sots *. Elle m'a montré leur dédicace au roi, imprimée dans le li\Tet. Us ressuscitent tout simplement, à ce qu'ils disent, les grands effets de la tragédie grecque,
La musique du troisième acte, qui est une espèce de ballet en danse p^Trhique, est de M. de Galen- berg. C'est un Allemand * établi à Naples, et qui a du génie pour la musique à danser : celle d'aujour- d'hui ne vaut rien : mais j'en ai entendu dans César en Egypte et dans le Che^'alier du Temple, qui re- doublait cette espèce d'i\Tesse produite dans la danse. Cette musique doit être une esquisse bril- lante, la mesure y acquiert une grande importance ; elle n'admet pas les détails d'orchestre où Haydn triomphe * ; les cors y jouent un grand rôle. Le moment où César est admis dans la chambre à cou- cher de Cléopâtre a une musique digne des houris de Mahomet. Le génie mélancolique et voluptueux
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du Tasse n'aurait pas désavoué l'apparition de l'ombre au chevalier du Temple. Il a tué sa maî- tresse sans la reconnaître. La nuit, égaré dans une forêt de la terre sainte, il passe près de son tombeau ; elle lui apparaît, répond à ses transports en lui montrant le ciel, et s'évanouit. La figure noble et pâle de la Bianclii, la tête passionnée de Molinari, la musique de Galenberg, formaient un ensemble qui ne sortira jamais de la mémoire de mon âme *.
4 ai^ril. — Je vais au théâtre Xiio^'o. La compa- gnie de Marini y donne sa cent quatre-vingt-dix- septième représentation. Le gros Vestris est le meilleur acteur d'Itahe et du monde 4 il égale Mole et Iffland * dans le Burbero benefico (le Bourru bienfaisant), dans VAjo nelV imbarazzo. et dans je ne sais combien de mauvaises rapsodies qu'il fait valoir. C'est un homme à voir vingt fois de suite sans ennui. Si mademoiselle Mars joue un rôle de folle ou de sotte, un petit regard fin, qui séduit un public vaniteux, avertit qu'elle est la première à se moquer de son rôle et des gestes sots qu'elle va se permettre. A oilà un défaut que n'ont jamais Vestris ni madame Pasta *.
Les Italiens, et surtout les Italiennes, mettent au premier rang de Marini, que je %*iens de voir dans îi Baroni di Felsheim, pièce traduite de Pigault- Lebrun, et dans les Deux Pages. Pour des raisons à moi connues, le naturel simple ne plaît pas dans
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les livres en Italie ; il leur faut toujours de l'enflure et de l'emphase. Les Eloges de Thomas, le Génie du Christianisme, la Gaule poétique, et tous ces écrits poétiques qui, depuis dix ans, font notre gloire, semblent faits exprès pour les Italiens. La prose de Voltaire, d'Hamilton, de Montesquieu, ne sau- rait les toucher. Voilà le principe sur lequel est fondée l'immense renommée de de' Marini. Il suit la nature, mais de loin ; et l'emphase a encore des droits plus sacrés sur son cœur. Il a ravi toute l'Ita- lie dans les rôles de jeunes premiers ; maintenant il a pris les pères nobles. Ce genre admettant l'en- flure, il m'y a fait souvent plaisir.
La naïveté est une chose fort rare en Italie *, et cependant personne n'y peut souffrir la Nouvelle Héloïse. Le peu de naïveté que j'aie jamais rencon- tré, c'est chez mademoiselle Marchioni, jeune fille dévorée de passions, qui joue tous les jours, sou- vent deux fois : vers les quatre heures, au théâtre en plein air, pour le peuple ; le soir, aux lumières, pour la bonne compagnie. Elle m'a touché jusqu'au saisissement, à quatre heures, dans la Pie Voleuse, et, à huit, dans la Francesca da Rimini *. Madame Tassari, qui joue dans la troupe de de* Marini, n'est pas mal dans ce genre. Son mari, Tassari, est un bon tyran.
Blanès, avant qu'il se fût enrichi par un mariage, était le Talma d'Italie. Il ne manquait ni de natu- rel ni de force : il était terrible dans V Almachilde de
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Rosmunda. Cette reine, si malheureuse et si pas- sionnée, était représentée par madame Pelandi, qui m'a toujours ennuyé, mais qui était fort ap- plaudie.
Pertica, que j'ai vu ce soir, est un l)on comique, surtout dans les rôles chargés. Il m'a fait bâiller à outrance dans le Poeta janatlco, une des plus ennuyeuses pièces de Goldoni, qu'on joue sans cesse. Cela est i'rai, mais cela est si bas ! et cela dégrade, aux yeux des gens grossiers, l'être le plus distingué de la nature : un grand poète. Il a été fort applaudi dans le caractère de Brajidt, et a mérité son succès, surtout à la fin, lorsqu'il dit à Frédéric II : « Je vous écrirai une lettre. »
Ce qui m'a frappé, c'est le public : jamais d'atten- tion plus profonde ; et, chose incroyable à Naples, jamais de silence plus complet. Ce matin, à huit heures, il n'y avait plus de billets : j'ai été obligé de payer triple.
Je vois deux exceptions * au patriotisme d'an- tichambre : la supériorité que les Italiens accordent à la danse française, et la curiosité d'enfant avec laquelle ils gobent les traductions de toutes les niaiseries sentimentales du théâtre allemand.
Applaudir à la danse française, c'est dire qu'on a fait le voyage de Paris. Ils ont une sensibilité si profonde et si vraie, et ils lisent si peu, qu'un ro- man dialogué quelconque, pourvu qu'il y ait des événements, est sûr de toute la sympathie de ces
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âmes vierges. Depuis trente ans il n'a pas paru un roman d'amour en Italie. Il paraît que l'homme, fortement occupé * d'une passion, n'est pas sen- sible même à la peinture la plus aimable de cette passion. Ils n'ont pas de feuille littéraire. Le spiri- tuel Bertolotti, l'auteur (Tliiès de Castro, me disait *: « Donnez-moi une forteresse, et j'oserai dire la vé- rité aux auteurs. «
On donnait pour petite pièce la Jeunesse de Henri V, comédie de Mercier, corrigée par M. Du- val *. Pertica a beaucoup fait rire le prince don Léopold, qui assistait au spectacle : mais, bon Dieu ! quelle charge comparé à Michaut ! Un prêtre ita- lien, assis à côté de moi, ne pouvait concevoir le succès de cette pièce à Paris. « Vous vous arrêtez aux mots, et n'arrivez pas jusqu'aux caractères : Henri V n'est qu'un niais. » Le comte Giraud, Romain, le Beaumarchais de ce pays *, a fait deux ou trois pièces comiques : VAjo nelV imbarazzo, le Disperato per eccesso di huon core. L'avocat Nota, Sograiî, Federici, tombent sans cesse dans le drame, et même leurs comédies comiques sont faites joour une société moins avancée que la nôtre. iSIolière est à Picard ce que Picard est à Goldoni *. Chez ce poète, le maître de maison qui invite à dîner est toujours obligé d'envoyer emprunter six couverts, parce qu'il a mis son argenterie en gage. Il faut se rappeler que Goldoni écrivait à Venise. Les nobles Vénitiens l'auraient enterré sous les plombs s'il
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s'était avisé de peindre leur manière de vivre devant leurs sujets. Goldoni n'a pu exercer son talent que sur des malheureux de mœurs si basses, que je ne puis admettre avec eux nulle comparaison. Je ne puis rire à leurs dépens. Ce poète avait toute la vérité d'un miroir, mais pas d'esprit. FalstafF manque tout à fait de bravoure personnelle ; et, malgré son étonnante lâcheté, il a tant d'esprit, que je ne puis le mépriser : il est digne que je rie à ses dépens. Falstafï est encore meilleur lorsqu'on le joue devant une nation triste, et qui tremble au seul nom du devoir auquel le gros chevalier manque sans cesse. Supposez que l'Italie, d'accord avec la Hongrie, arrache les deux Chambres au pouvoir, elle n'aura plus d'attention au service des beaux- arts : voilà ce qu'Alfieri et autres déclamateurs n'ont pas prévu. Si jamais les Italiens inventent un genre de comique, il aura la couleur du Philinte, de Fabre d'Eglantine, et la grâce du qua- trième acte du Marchand de Venise, de Shakspeare, qui n'est pas celle de la comédie des Grâces, de Saint-Foix.
5 avril. — Je viens de faire trente milles inutiles. Caserte n'est qu'une caserne dans une position aussi ingrate que Versailles *. A cause des tremble- ments de terre, les murs ont cinq pieds d'épaisseur : cela fait, comme à Saint-Pierre, qu'on y a chaud en hiver et frais en été *. Murât a essayé de faire finir
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ce palais : les peintures sont encore plus mauvaises qu'à Paris, mais les décors sont plus grandioses.
Pour me dépiquer, je vais à Portici et à Capo di Monte, positions délicieuses, et telles qu'aucun roi de la terre ne peut en trouver. Jamais il n'y eut un tel ensemble de mer, de montagne et de civili- sation. On est au milieu des plus beaux aspects de la nature ; et, trente-cinq minutes après, on entend chanter le Matrimonio segreto par Davide et La- blache *. Constantinople et Rio-Janeiro fussent-ils aussi beaux que Naples, voilà ce qu'on n'y verra jamais. Jamais le bon habitant de Montréal ou de Tornéa ne se fera l'idée d'une jolie Napolitaine formée par l'esprit à la Voltaire. Cet être charmant est encore plus rare que de jolies montagnes et une baie délicieuse. Mais, si je parlais plus longtemps de madame C..., je ferais naître le rire amer de l'envie ou de l'incrédulité *. Portici est pour Naples ce que Monte Cavallo est pour Rome. Les Italiens, qui ont la conviction intime et sans cesse démontrée que nous sommes des barbares pour tous les arts, ne peuvent se lasser d'admirer la fraîcheur et l'élé- gance de nos ameublements.
Comme je sortais du musée des peintures an- tiques de Portici, j'ai trouvé trois officiers * de la marine anglaise qui y entraient. Il y a vingt-deux salles. Je suis parti au galop pour Naples ; mais, avant d'être au pont de la Madeleine, j'ai été rejoint par les trois Anglais, qui m'ont dit le soir * que ces
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tableaux étaient admirables et l'une des choses les plus curieuses de l'univers. Ils ont passé dans ce musée * de trois à quatre minutes.
Ces peintures, si considérables aux yeux des vrais amateurs, sont des fresques enlevées à Pompéia et à Herculanum. Il n'y a point de clair-obscur, peu de coloris, assez de dessin et beaucoup de facilité. La Reconnaissance d'Oreste et (T Iphigénie en Tauride, et Thésée remercié par les jeunes Athéniens, pour les ùi'oir délii'rés du niinotaure, m'ont fait plaisir. Il y a beaucoup de simplicité noble, et rien de théâ- tral. Cela ressemble à de mauvais tableaux du Domi- niquin, en observant qu'il y a des fautes de dessin qu'on ne trouve pas chez ce grand homme. On trouve à Portici, parmi des quantités de petites fresques effacées, cinq ou six morceaux capitaux, de la grandeur de la Sainte Cécile de Raphaël. Ces fresques ornaient une salle de bain à Hercula- num. Il faut être sot comme un savant pour pré- tendre que cela est supérieur au xv^ siècle : ça n'est qu'extrêmement curieux ; cela prouve l'existence d'un style très élevé, comme les papiers de ten- tures fabriqués à Mâcon prouvent l'existence de David *.
6 avril. — Le Journal de Naples défend le théâtre de Saint-Charles contre la Gazette de Gênes. Je crois que tous les dieux et déesses de la mythologie et tous les poètes latins sont cités dans cet articlcy
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qui a beaucoup de succès : c'est d'ailleurs un tissu de mensonges. J'ai presque envie de le transcrire pour punir le lecteur, s'il en est, qui ne croit pas aveuglément à toutes mes histoires et aux consé- quences que j'en tire *.
Le Martin Scriblerus * d'Arbuthnot est oublié à Londres, comme une comédie qui a tué son Ridicule. Scriblerus est de 1714. L'Italie est à point pour cette comédie, en 1817 *.
L'abbé Taddei (le rédacteur du Journal des Deux-Siciles) est bien plus ridicule que les M... et les G... de Paris ; mais il n'est pas odieux. Le géné- ral autrichien lui a défendu d'appeler les gens mau- vais citoyens *. Le bon sens germanique de ces braves Autrichiens a sauvé cette fois de grandes horreurs à Naples.
7 avril. — Je retourne chez de' Marini. Ils ont des habits superbes, toute la dépouille des séna- teurs et des chambellans de Napoléon, que ceux-ci ont eu la lâcheté de vendre *. Ces habits font la moitié du succès ; tous mes voisins se récrient. Je reçois de drôles de confidences. La meilleure recommandation actuellement en Italie, c'est d'être Français, et Français sans emploi.
Sur les minuit, je vais prendre du thé avec des Grecs qui étudient ici la médecine. Si j'avais eu le temps, je serais allé à Corfou. Il paraît que l'opposi- tion y forme des âmes.
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Les choses qu'il faut aux arts pour prospérer sont souvent contraires à celles qu'il faut aux nations pour être heureuses. De plus, leur empire ne peut durer : il faut beaucoup d'oisiveté et des passions fortes ; mais l'oisiveté fait naître la politesse, et la politesse anéantit les passions. Donc il est impossible de créer une nation pour les arts. Toutes les âmes généreuses désirent avec ardeur la résurrection de la Grèce ; mais on obtiendrait quelque chose de sem- blable aux Etats-Unis d'Amérique, et non le siècle de Périclès. On arrive au gouvernement de l'opi- nion ; donc l'opinion n'aura pas le temps de se passionner pour les arts. Qu'importe ? la liberté est le nécessaire, et les arts un superflu, duquel on peut fort bien se passer *.
P^STUM, 30 avril. — Il y aurait trop à dire sur l'architecture des temples de Paestum et des choses trop difficiles à comprendre. Mon compagnon de voyage, l'aimable T..., qui compte des parents dans les deux partis, et n'avait que quinze ans en 1799, lors de la révolution de Naples, vient de me conter cet événement bizarre :
« Une femme de génie régnait à Naples. D'abord admiratrice passionnée de la Révolution française par jalousie contre quelqu'un, bientôt elle comprit le danger de tous les trônes et la combattit * avec fureur. « Si je n'étais pas reine à Naples, dit-elle « un jour, je voudrais être Robespierre. » Et l'on
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voyait, dans un des boudoirs de la reine, un im- mense tableau représentant l'instrument du sup- plice de sa sœur *.
« Saisi de terreur au bruit des premières victoires de Bonaparte, le gouvernement des Deux-Siciles implora et obtint la paix. Un ambassadeur répu- blicain arriva à Naples, et la haine redoubla chez le faible humilié.
« Un vendredi, le roi vint au théâtre des Floren- tins voir Pinotti, le célèbre acteur comique. De sa loge, qui était à l'avant-scène, il remarqua le citoyen Trouvé, placé précisément en face. Le citoyen am- bassadeur portait le costume de sa cour : les che- veux sans poudre et le pantalon collant. Le roi sort,, effrayé de voir des cheveux sans poudre. S. M. avait remarqué au parterre quinze ou vingt têtes noires. Elle dit un mot à l'officier de service *, qui appela le fameux Cancelieri, factotum de la police militaire. Le théâtre des Florentins fut cerné ; «t, à la sortie des spectateurs, Cancelieri demanda à chacun : « Êtes-vous Najîolitain ? » Sept jeunes gens, appartenant aux premières familles de l'Etat, et qui n'avaient pas de poudre, furent conduits au fort Saint-Elme. Le lendemain on les revêtit de la capote de soldat ; on attacha au collet de leur ha- bit * une queue postiche longue de dix-huit pouces, et on les embarqua en qualité de simples soldats pour un régiment qui servait en Sicile. L^n jeune Napolitain, d'une naissance illustre, fut condamné
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aux fers, pour avoir joué un concerto de violon avec un Français.
« Le Directoire de la République française venait d'exiler en Egypte les meilleures troupes et le plus grand général de la nation *. La nouvelle de la défaite d'Aboukir arriva à la cour de Naples, qui fit illuminer ; et, bientôt après (12 septembre 1798), ce gouvernement fit une levée de quarante mille hommes. Les deux tiers du numéraire effectif du royaume étaient déposés dans six banques, qui émettaient des billets de reconnaissance (fedi di crédita). Cette confiance, ridicule sous le despo- tisme, finit comme il était naturel. Le roi s'empara des fonds déposés ; on mit en vente le bien des luoghi pii (achetés avec empressement), et bientôt une armée napolitaine, forte de quatre-vingt mille hommes, se trouva sur les frontières de la république romaine, occupée alors par quinze mille Français ; mais le roi ne voulait attaquer qu'après l'Autriche. Un courrier supposé arriva de Vienne avec la nou- velle de l'attaque. On découvrit, peu après, que ce courrier était Français de naissance, et l'on fit massacrer ce témoin dangereux sous les yeux mêmes du roi, qui, rempli de terreur à la vue des menées jacobines, envoya l'ordre d'attaquer. Son armée s'empara de Rome ; mais cette armée fut mise en déroute, et, le 24 décembre 1798, Ferdinand s'em- barqua pour la Sicile, laissant à Naples l'ordre de détruire les blés, les vaisseaux, les canons, la poudre,
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etc., etc. La peur de la cour était prématurée : le général Mack capitula avec le général Championnet, et conserva Naples. Mais bientôt cette ville s'in- surge : les lazzaroni massacrent et brûlent le duc de Terre et son frère, le savant don Clément Filo- Marino. Les patriotes effrayés appellent Champion- net, qui répond qu'il marchera quand il verra l'étendard tricolore flotter sur le fort Saint-Elme. Les patriotes, ayant M. de Montemiletto à leur tête, s'emparent du fort Saint-Elme par stratagème, et, le 21 janvier 1799, le général républicain attaque Naples à la tête de six mille hommes. Les lazzaroni se battent avec acharnement et le plus grand cou- rage. Championnet entre à Naples le 23 janvier, et nomme un gouvernement provisoire, composé de vingt-quatre personnes, auxquelles il dit : « La « France, maîtresse de Naples par le droit des « armes et par la désertion du roi, fait don de sa « conquête aux Napolitains, et leur donne à la fois « la liberté et l'indépendance. » Tous les impru- dents se crurent libres : les provinces partagèrent l'ivresse de la capitale. La plupart des évêques pro- testèrent officiellement de leur attachement à la république, et le clergé, revêtu de son costume, assista partout à la plantation de l'arbre de la li- berté. Cependant le cardinal Ruffo, le seul homme de tête du parti royal, n'avait pas abandonné le sol de l'Italie : il était à Reggio de Calabre, à cent cinquante li^^ues de Naples, prêt à s'embarquer si
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le péril devenait trop pressant, mais ne perdant pas un moment pour organiser une Vendée contre la république j^arthénopéenne. Le cardinal Ruffo avait sa fortune à faire : non seulement il promit le paradis à tous les braves qui trouveraient la mort dans cette croisade ; mais, ce qui est plus adroit, il eut l'art de se faire croire. Les Anglais avaient occupé l'île de Procida, à six lieues de Naples ; ils inquiétaient la côte par des débarque- ments. Les patriotes faits prisonniers étaient envoyés à Procida et condamnés à mort par un tribunal dont la cour de Naples avait donné la présidence à l'alfreux Speziale. Les troupes françaises, en fort petit nombre, entreprirent quelques excur- sions assez imprudentes, et toutefois dissipèrent et fusillèrent tous les partisans du cardinal RufTo qu'on put rencontrer. Le régime républicain n'exis- tait réellement que dans les murs de Naples et dans quelques provinces plus ou moins protégées par cette capitale. Mais l'enthousiasme était à son comble parmi tout ce qui savait lire. Les Français firent détruire les armes qui auraient pu servir à leurs amis les républicains, et leur défendirent de lever des troupes. Bientôt arriva la fatale nouvelle des victoires de Suwaroff en Lombardi î -, et l'armée française, sous les ordres du général Macdonald, donnant, suivant l'usage, de faux prétextes à son mouvement, se rendit à Caserte, abandonnant Naples et la nouvelle république. L'humanité eût
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fait une loi aux Français d'avertir quelques heures d'avance les patriotes napolitains et de leur donner les moyens de se sauver. Loin de là, les patriotes envoyèrent une députation au citoyen Abrial, com- missaire du Directoire, alors à Capoue : « Avouez- « nous, par grâce, si vous nous abandonnez, dirent « les patriotes ; nous allons tous quitter Xaples. « — Abandonner les républicains ! s'écria le citoyen « Abrial : je vous emporterais plutôt tous sur mes « épaules ! « Et il fit le geste du pieux Enée. Ce mot a retardé de trente ans la civilisation du royaume de Naples.
« Six semaines après le départ des Français, cette ville tomba au pouvoir de l'armée alliée, composée de royalistes napolitains, d'Anglais, de Russes et de Turcs. Les patriotes, après s'être assez bien battus, se réfugièrent dans les forts. Celui d'Avi- gliano, près du pont de la Madeleine, défendu par les élèves en médecine, fut le premier à capituler. En y entrant, les vainqueurs se mirent à égorger les patriotes. Sur-le-champ, ceux-ci se dévouent à une mort glorieuse, mettent le feu aux poudres : quatre cents royalistes et tous les patriotes, à l'exception de deux, périssent par cette explosion.
« Pendant ce temps, les horreurs les plus révol- tantes et les plus singulières étaient exercées dans les rues de la ville par la populace révoltée et par les royalistes. Des femmes de la première distinc- tion étaient conduites nues au supplice : la célèbre
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duchesse de Popoli en fut quitte pour la prison, où on la mena nue en chemise, après lui avoir fait subir les plus infâmes plaisanteries. Les patriotes occu- paient encore dans la ville les forts de Castel Nuovo, de Castel del Ovo, et le petit fort de Castellamare, à six lieues de Naples. Ce fort se rendit au Commo- dore Foote, nom encore respecté à Naples après dix-sept années et tant d'événements. Foote fit exécuter la capitulation. Cet exemple décida les défenseurs des deux forts de la ville, qui, manquant de vivres et de munitions, se résignèrent à capituler avec les « troupes du roi des Deux-Siciles, du roi d'Angleterre, de l'empereur de toutes les Russies et de la Porte ottomane, » Tels sont les propres termes de l'article 1^^ de la capitulation du 3 mes- sidor an VII, approuvée par le trop fameux chef de brigade Méjan, commandant français du fort Saint-Elme, et signée par le cardinal Rufîo, Edward James Foote, et les commandants russe et turc. L'article 4 porte : « Les personnes et les proprié- tés de tous les individus composant les deux gar- nisons (de Castel Nuovo et de Castel del Ovo) seront respectées et garanties. » L'article 5 est ainsi conçu : « Tous lesdits individus auront le choix de s'embarquer sur des bâtiments parle- mentaires qui leur seront fournis pour se rendre à Toulon, ou de rester à Naples, sans y être in- quiétés, ni eux, ni leurs familles. »
« Les royalistes ont longtemps nié l'existence de
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cette capitulation : malheureusement pour les bons principes, l'original s'en est retrouvé.
« Quinze cents patriotes appartenant à la gar- nison des deux forts déclarèrent l'intention de quitter leur pays ; malheureusement, tandis qu'ils attendaient les bâtiments qui devaient les trans- porter à Toulon, le lord Nelson arriva devant Naples avec sa flotte, sur laquelle se trouvaient l'ambassa- deur anglais et sa femme, la fameuse lady Hearth Hamilton.
« Le soir du 26 juin, les patriotes se rendirent sur les navires qui leur étaient destinés ; le 27, sous l'inspection d'ofTiciers anglais, chaque transport fut amarré sous le canon d'un vaisseau anglais. Le jour suivant, tout ce qu'il y avait de marquant parmi les patriotes fut transporté à bord du vais- seau amiral de lord Nelson. On remarquait parmi eux le célèbre Domenico Cerilli, qui avait été pen- dant trente ans l'ami et le médecin de sir William Hamilton. Lady Hamilton monta sur le pont du vaisseau de son amant, pour voir Cerilli et les autres rebelles, à qui on venait de lier les pieds et les mains. Là se trouvait, non seulement l'élite de la nation, mais, ce qui doit être plus considérable pour un pair d'Angleterre, tout ce qu'il y avait de plus noble parmi les grands seigneurs de la cour. Après qu'on eut passé la revue de ces illustres victimes, on les distribua sur les vaisseaux de la flotte. Enfin, le roi Ferdinand HI arriva de Sicile sur une frégate
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anglaise, et s'empressa de déclarer, par un édit, que jamais son intention n'avait pu être de capituler avec des rebelles. Par un second édit, les biens des- dits rebelles furent confisqués. Le commodore Foote, l'honneur de sa nation et de l'humanité, voyant ainsi exécuter un acte qu'il avait revêtu de sa signature, donna sa démission (conduite non imitée à Gênes *).
« Les patriotes adressèrent à lord Nelson un placet écrit en français et rempli de fautes d'ortho- graphe : ils réclamaient l'exécution de la capitula- tion. Lord Nelson leur renvoya le placet avec ces mots écrits de sa main au bas de la dernière page :
« / hâve shown your paper to your gracions king ; « who must be the best and only juge of the merits « and demerils of his suhjects. »
Nelson.
« J'ai montré votre placet à votre gracieux sou- « verain, qui certes est le meilleur et le seul juge des « mérites et des démérites de ses sujets. »
Nelson.
« L'éj^ithète de gracieux^ donnée au roi de Naples dans une telle circonstance, montre tout le ridi- cule de l'aristocratie anglaise. M. de TallejTand * aurait dit d'une telle réponse : « Je ne sais si c'est un crime ; mais cela est bien sot. »
« De toutes parts le vaisseau de l'amiral Nel on,
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sur lequel s'était rendu le roi Ferdinand, se trouvait environné de felouques, tartanes et autres bâtiments servant de prison pour les patriotes. On les y avait entassés comme des nègres : dépouillés de leurs habits par les lazzaroni qui les avaient arrêtés, abreuvés avec de l'eau pourrie, chargés de vermine, ils étaient exposés aux rayons d'un soleil brû- lant ; ce qui incommodait le plus ces malheureux, c'était le manque de chapeaux. Les députations de lazzaroni, qui venaient sans cesse contempler le roi, les accablaient d'imprécations. Tous les matins, par les écoutilles de leur prison, les patriotes voyaient lady Hamilton partir avec lord Nelson pour aller visiter Baja, Pouzzoles, Ischia et les autres sites délicieux de la baie de Naples ; le yacht magnifique qui la portait était manœuvré par vingt- quatre matelots anglais chantant : Rule Britannia. Le libertinage de Nelson et le sentiment du même genre qui unissait lady Hamilton à ... décidaient de leur sort. Miss Hearth, depuis lady Hamilton, était renommée pour sa rare beauté, et avait long- temps servi de modèle à Rome, où elle coûtait six francs aux élèves en peinture. Le premier acte de «évérité tomba sur saint Janvier, accusé d'avoir protégé la république : le roi ordonna la confisca- tion de ses biens. Saint Janvier fut remplacé par «aint Antoine, et le canon hérétique des Anglais célébra la promotion de saint Antoine.
« Bientôt les plus distingués d'entre les patriotes
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furent transférés dans les cachots des forts. Presque chaque jour il y avait une nouvelle visite à bord des navires servant de prison, et tout s'exécutait avec la coopération des officiers anglais.
« A son arrivée dans la baie, l'amiral Nelson avait fait afTicher une proclamation, par laquelle il or- donnait à tous ceux qui avaient accepté des emplois de la république, ou qui s'étaient montrés favorables à ses principes, de se rendre à Castel-Nuovo. Là, ces malheureux devaient donner leur nom et leur adresse, ainsi que le détail de ce qu'ils avaient fait pendant la durée de la république. L'amiral Nelson promettait de protéger et de mettre à l'abri de toute poursuite ceux qui feraient ces déclarations. Un nombre considérable de dupes donna dans le piège tendu par l'Anglais. Trois magistrats, également célèbres par leur science et leur probité, et respectés de tous les partis, vinrent se faire inscrire : ce furent Dragonetti, Gianotti et Colace ; le dernier fut bien- tôt pendu.
« Le 12 août 1799, on permit à cinq cents pa- triotes, qui se trouvaient encore dans les navires- prisons, de faire voile pour Toulon. Ils signèrent avant de partir un acte singulier, mais légal à Naples : chacun individuellement promit de ne jamais mettre les pieds dans les Etats du roi, et ce, sous peine de la vie ; reconnaissant dans ce cas, à tout sujet du roi, le droit de les mettre à mort sans pouvoir être poursuivi.
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« Jusque-là les craintes inspirées à la cour de- Naples par l'armée de Joubert l'avaient empêchée de répandre le sang. Peu à peu on s'enhardit ; l'on commença par les patriotes non compris dans la capitulation, et le prince Caracciolo fut une des premières victimes. Comme cet homme d'esprit était la gloire de la marine napolitaine, vous n'ôte- riez pas de la tête aux gens de ce pays que, comme pour les victimes de Quiberon, ses talents hâtèrent sa mort. Je ne m'arrêterai pas à raconter l'anecdote si connue de la peur que causa son cadavre à une personne auguste *.
« On apprit que les Français avaient été vaincus
à Novi, et rien ne retint les fureurs de *. La
prudence m'empêche de donner des détails qui feraient pâlir Suétone. Naples perdit par la main du bourreau presque tous ses hommes distingués : Mario Pagano, le rédacteur de la constitution napo- litaine, Scoti, Luogoteta, Buffa, Troisi, Pacifiée^ les généi-aux Federici et Massa, l'évêque Natali, Falconieri, Caputi, Baffi, Mantone, Pracelli, Con- forti, Rossi, Bagni, On eut un plaisir particulier à faire pendre Eléonore Fonseca, femme remar- quable par le génie et la beauté : elle avait rédigé le Moniteur républicain, le premier journal qui ait jamais paru à Naples. Parmi les hommes de qualité mis à mort à la honte de l'honneur anglais, on re- marque le duc d'Andria, le prince de Strongoli, Mario Pignatelli, son frère, Colonna, Riario, et le
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■marquis de Genzano ; ces deux derniers, à peine -âgés de seize ans, mais au-dessus des préjugés d'une naissance illustre, avaient déclaré hautement leur amour pour la liberté. Genzano et le célèbre Matera, •couverts de l'uniforme français, avaient été livrés par le chef de brigade Méjan. Ces hommes illustres furent pendus al Largo del Mercato. C'est là que * Masaniello commença sa révolution.
« Ils moururent le sourire sur les lèvres, et pré- disant que, tôt ou tard, Naples serait libre, et leur mort 71071 pas <engée, mais utile à leur pays en l'éclairant. Parmi tant de victimes, la mort de la charmante San Felice excita un intérêt particulier. Pendant la courte durée de la république, se trou- vant un soir dans une société de gens de la cour, elle apprit que, deux jours après, les frères Bacri devaient organiser un soulèvement de lazzaroni, et égorger les officiers d'un certain poste de la garde nationale. L'amant de la San Felice faisait partie de ce poste. Au moment où il allait s'y rendre, elle se jeta à ses pieds pour le retenir chez elle. « S'il y a du danger, dit l'amant, c'est une raison de plus pour que je n'abandonne pas mes cama- rades. » Il obtint de l'amour de son amie la révéla- tion du complot. Par la suite, la princesse loyale elle-même ne put obtenir la grâce de la San Felice. Je ne rechercherai pas à combien de milliers s'éleva le nombre des victimes de ces événements. Les sup- plices, et, ce qui est peut-être plus triste pour l'hu-
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manité, la réclusion dans des prisons dont le séjour est mortel, ne cessèrent qu'à l'époque du traité de Florence (1801). Cette philosophie napolitaine a un caractère remarquable de sublimité et de sérénité. Par ces deux caractères, elle me semble fort au- dessus de tout ce qui se dit en ce genre en Italie et en Allemagne. Je m'empresse d'avouer que je n'ai vu que des copies imprimées des pièces que j'ai citées, »
J'ai supprimé avec soin dans le cours de ce récit les détails atroces. Robespierre n'avait pas été l'ami de la plupart de ses victimes ; il les immolait à un système faux sans doute, mais non pas à ses petites liassions personnelles. *
Otrante, 15 mai. — Je suis venu ici par Potenza et Tarente. J'aurais le malheur d'arriver à un troi- sième volume * si je donnais la description des pays peu connus que j'ai traversés. Je voyageai à cheval avec un parasol et trois de mes nouveaux amis. Pour fuir les insectes, nous avons couché sur de la paille dans huit ou dix métairies appartenant à eux ou à leurs amis, et j'ai eu le plaisir de faire la conversation avec les riches fermiers. Ceci ne ressemble pas plus à Florence que Florence au Havre.
M. le marquis Santapiro, un ancien ami de Mos- cou, que je rencontre à Otrante, s'est trouvé assez considérable avec trente mille livres de rente et
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deux ou trois coups de sabre reçus en bon lieu, pour ne jamais flatter ni mentir. Je croyais cette originalité impossible ici ; Santapiro me détrompe. Après avoir promené trois ans en Italie ce joli petit caractère, Santapiro a généralement passé pour un monstre. Cet honneur l'a gâté. Il s'est mis à dire que la musique l'ennuie, que les tableaux dans un appartement lui donnent l'air catafalque ; qu'il aime mieux un pantin de Paris, qui tourne les yeux et tire la langue *, qu'une statue de Canova ; et il a donné des concerts à Naples qui lui ont coûté deux ou trois fois le prix ordinaire, parce qu'il n'a voulu que des airs de Grétry, de Méhul, etc.
Santapiro a mis des échasses à son caractère. S'il fût resté dans le vrai, il eût été bien plus intéressant pour nous, mais bien moins homme d'esprit pour le vulgaire. C'est un être très gai, très imprévu, qui fait passer devant vous une foule d'idées, et nous en jugeons quelques-unes auxquelles, sans lui, nous n'eussions jamais songé.
Pendant la grande chaleur d'hier, couchés cha- cun sur un divan de cuir, dans une immense bou- tique qu'il a louée et fermée avec des rideaux de calicot vert, nous prenions des sorbets. Je me suis moqué de ses échasses, et lui de la délicatesse qui m'a empêché de remettre mes lettres de recomman- dation à Florence. Santapiro vient d'y passer deux ans. Tout ce qui en Russie a quelque bon sens et de la fortune se croit obligé de voir un hiver à Florence.
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On y trouve aussi beaucoup d'Anglais opulents et, tous les soirs, quatre ou cinq maisons ouvertes. M. D... fait jouer par sa troupe, fort bien choisie, ce qu'il y a de plus joli parmi les charmantes esquisses de M. Scribe : c'est l'homme le plus bienfaisant d'Italie, et qui possède les reliques les plus authentiques. Il a des choses fort précieuses de saint Nicolas. On joue la comédie française dans deux ou trois sociétés : c'est un plaisant contraste avec l'esprit italien, qui les écoute * et n'en com- prend pas le quart.
« A Florence, j'avais un palais, dit Santapiro, huit chevaux, six domestiques, et je dépensais moins de mille louis. En passant l'Apennin, les belles étrangères laissent de l'autre côté des monts cette pruderie qui a réduit à Vécarté les salons de Paris et fait de l'Angleterre un tombeau. Un amant est agréable, mais un titre vaut encore mieux *. Je ne conçois pas comment tout marquis français qui a vingt-cinq ans et cent louis de rente, n'arrive pas à Florence avec sa généalogie. Il trouvera vingt jeunes miss fort jolies, fort riches, fort sages, qui le prieront à genoux de les faire marquises. A Flo- rence, j'ai vu chaque hiver six mille étrangers passer sous mes yeux. Chacun apportait de son pays barbare une anecdote curieuse et trois ridi- cules. Toutes les anecdotes de cette aristocratie tendaient à se moquer des rois.
« Aimez-vous les arts ? Voyez comment on vient
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d'arranger la galerie Pitti. Le souverain a profité des sottises romaines, et compris que Florence doit être le bal masqué de l'Europe. Le vieux prince Neri voudrait, avant de mourir, y faire entrer les gendarmes ; mais M. Fossombroni s'y oppose. » Santapiro a fini par sept ou huit anecdotes déli- cieuses, qu'il serait infâme d'imprimer.
Quand les princes lorrains débarquèrent en Tos- cane (1738) *, les Florentins virent arriver à leur suite une quantité de pauvres diables, une canne à la main : de là le mot canna jo, que j'avais pris pour une traduction de canaille en l'entendant prononcer à Florence avec l'accent guttural du pays ; au lieu de Santa Croce, on dit Santha Hroce.
Santapiro finit par une étrange calomnie, qui me fera appeler stivale (botte) : c'est qu'à Florence il n'y a qu'un seul homme de lettres qui ait de l'esprit ; mais il en a comme un ange, comme un Talleyrand *, comme un Voltaire : c'est l'auteur du Disperato per eccesso di buon cuore. M. le comte Giraud descend d'un Français qui vint à Rome avec le cardinal Giraud *.
Crotone, 20 mai. — Je viens d'être bien étonné, en retrouvant ici, au bout du monde, le brave capi- taine* Joseph Renavans, que j'ai vu simple dragon en 1800. a J'étais, dit-il, dans le 34^ régiment de ligne toujours écrasé, et où j'ai vu passer vingt mille hommes. Toujours silencieux, froid, et craignant
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l'insolence avec mes supérieurs, j'ai obtenu mes trois grades par hasard, et de la main de Napoléon. Mon bataillon vint à Naples, et pendant trois ans j'ai fait une honible guerre contre les* brigands. Je pourchassais le fameux Parella, qui se moquait de nous. Un jour le ministre Salicetti me fit appeler à Naples : « Tenez, me dit-il, voilà trois cent cinquante mille francs * ; mettez à prix la tête des brigands ; employez tous les moyens : enfin il faut en finir, car ceci prend une couleur politique. » Je fis annoncer par les curés, continue M. Rena- vans, que je donnerais quatre cents ducats de la tête de Parella. Trois mois après, je me trouvais dans mon cantonnement sur le midi, mourant de chaud, et ma chambre fort obscure, quand mon sergent m'annonce qu'un inconnu me demande. Bientôt entre un paysan ; il dénoue son sac, en sort froidement la tête de Parella et me dit : Donnez-moi mes quatre cents ducats. Je vous jure que de ma vie je ne fis un tel saut en arrière. Je courus à la fenêtre pour l'ouvrir. Le paysan mit la tête sur ma table, et je la reconnus parfaitement pour celle de Parella. (' Comment en es-tu venu à bout, lui dis-je ? — Signor commandant, il faut savoir que depuis douze ans je suis le barbier, le domestique et l'homme de confiance de Parella ; mais il y a trois ans, le jour de la Pentecôte, il fut insolent envers moi. Depuis, j'ai entendu notre curé dire à son prône que vous donneriez quatre cents ducats pour la tête
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de Parclla. Ce matin, se trouvant seul avec moi, ■et tous nos amis étant sur la grande route, il m'a dit : (c Voilà un moment de trantiuillité, j'ai la barbe horriblement longue ; rase-moi, ça me rafraî- chira. )) J'ai commencé à faire cette barbe ; parvenu à la moustache, j'ai pu regarder derrière ses épaules ; j'ai vu que personne ne venait, et crac, je lui ai coupé le c6u. )) Dans la suite de la conversation, M. Renavans me dit : « On m'a tout ôté en France ; je suis venu voir si la femme d'un apothicaire, autrefois jolie et aimée de moi, me reconnaîtrait ; elle est veuve, et je crois que je vais l'épouser et devenir apothicaire. »
« Savez-vous ce qui m'étonne ? me dit Renavans. C'est que, lorsque Salicetti me remit ces trois cent cinquante mille francs sans reçu *, et qu'en six mois je dépensai toute cette somme par petits paquets de cinquante ou cent louis, jamais je ne m'en adju- geai un centime ; au contraire, j'y ai mis du mien, une couple de louis. Aujourd'hui, en pareille occur- rence, je n'hésiterais pas à gagner cent mille francs, si je pouvais. » (Voilà la différence de 1810 à 1826, et l'explication des *
•)
Catanzaro, 23 iiiai. — Je viens de voir une pay- sanne en colère jeter son enfant contre un mur, à deux pas de distance, et de toute sa force. J'ai
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cru que l'enfant était tué : il peut avoir quatre ans, et jette * des cris horribles sous ma fenêtre ; mais il n'a pas d'accident grave.
A mesure qu'on avance en Calabre, les têtes se rapprochent de la forme grecque : plusieurs hommes de quarante ans ont tout à fait les traits du fameux Jupiter Mansuetus *. Mais aussi, quand ces gens-ci sont laids, il faut avouer qu'ils sont vraiment extraordinaires.
Brancaleone, 25 mai. — Nous nous sommes fait accompagner par trois paysans armés, pendant notre visite aux ruines de Locres. Jamais brigands n'eurent de plus épouvantables figures ; mais, dans ces têtes, il n'y a rien de ce qui me fait horreur : la dissimulation doucereuse dans la forme, et sèche au fond, de la famille Harlowe (de Clarisse, roman de Richardson).
Rien au monde n'est peut-être plus pittoresque qu'un Calabrais que l'on rencontre au détour d'un chemin, dans l'éclairci d'un bois. Le long étonne- ment de ces hommes armés jusqu'aux dents, en nous voyant plusieurs et bien armés, était à mourir de rire. Quand le temps menaçait d'un orage, leur figure, comme agitée d'avance par le fluide élec- trique, avait un aspect bouleversé. Chez un voya- geur accoutumé à la douceur et à l'urbanité des mines françaises, celles-ci n'eussent produit que de l'horreur. Presque toujours, nous cherchons à
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acheter quelque chose de ces Calabrais, pour avoir l'occasion de faire un peu de conversation. Près de Gerace, nous avons trouvé le paysan le plus éton- nant, et qui nous a fait les plus singuliers récits.
Près de Mélito, 28 mai. — H y a quelques mois qu'une femme mariée de ce pays, connue par sa piété ardente * autant que par sa rare beauté, eut la faiblesse de donner rendez-vous à son amant, dans une forêt de la montagne, à deux lieues du village. L'amant fut heureux. Après ce moment de délire, l'énormité de sa faute opprima l'âme de la coupable : elle restait plongée dans un morne silence. « Pourquoi tant de froideur ? dit l'amant. — Je songeais aux moyens de nous voir demain ; cette cabane abandonnée, dans ce bois sombre, est le lieu le plus convenable. » L'amant s'éloigne ; la malheureuse ne revint point au village, et passa la nuit dans la forêt, occupée, ainsi qu'elle l'a avoué, à jirier, et à creuser deux fosses. Le jour paraît, et bientôt l'amant, qui reçoit la mort des mains de cette femme, dont il se croyait adoré. Cette malheureuse victime du remords ensevelit son amant avec le plus grand soin, vient au village, où elle se confesse au curé, et embrasse ses enfants. Elle retourne ensuite dans la forêt, où on la trouve sans vie, étendue dans la fosse creusée à côté de celle de son amant.
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Reggio de Calabre, 29 mai. — Une jolie petite fille aimait beaucoup une certaine poupée de cire dont on lui avait fait cadeau. La poupée ayant froid, elle la mit au soleil, qui la fondit, et l'enfant pleura à chaudes larmes l'anéantissement de ce qu'elle aimait : voilà le fond du caractère national de cette extrémité de l'Italie, un enfantillage pas- sionné. Ces gens-ci mènent une vie fort douce ; jamais l'idée du dei^oir ne leur apparaît ; leur reli- gion est bien loin de contrarier leurs penchants : elle consiste dans une suite de dévotions qui leur sont particulières. Ils font ce qui leur plaît, et, deux ou trois fois par an, vont bavarder sur leur passion^ dominante, et croient ainsi gagner le ciel.
Une femme disait dans la rue hier : « C'est à la Saint- Jean que mon fils a eu un malheur (c'est-à- dire, c'est le 24 ce juin que mon fils a assassiné son ennemi). Mais si la famille ne veut pas être raison- nable et recevoir de don Vincenzo ce que nous pou- vons faire, malheur à eux ! Je veux revoir mon fils. » La famille offrait vingt ducats au père de l'assassiné. On n'a de force de volonté qu'autant que, dès la plus tendre enfance, on a été forcé à faire des choses pénibles. Or, excepté dans la terre de Labour, où l'on cultive fort bien, et où l'on remue la terre à la pelle carrée, rarement un jeune Napolitain de quatorze ans est forcé à faire quelque chose de pénible. Toute sa vie, il préfère la douleur de man~ auer à la douleur de tra<^ailler. Les sots venus du
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Nord traitent de barbare le bourgeois de ce pays-ci, parce qu'il n'est pas malheureux de porter un habit râpé. — Rien ne paraîtrait plus plaisant à un habi- tant de Crotone que de lui proposer de se battre pour obtenir un ruban rouge à sa boutonnière, ou que son souverain s'appelle Ferdinand ou Guil- laume *. Le sentiment de loyauté ou de dévouement à une dynastie, qui brille dans les romans de sir Walter Scott, et qui aurait dû le faire pair, est aussi inconnu ici que de la neige au mois de mai. En vé- rité, je n'en trouve pas ces gens-ci plus sots. (J'avoue que cette idée est de bien mauvais goût.) Tôt ou tard le Calabrais se battra fort bien pour les inté- rêts d'une société secrète, qui lui monte la tête depuis dix ans *. Il y a déjà dix-neuf ans que le cardinal RufTo eut cette idée : peut-être même ces sociétés existaient-elles avant lui.
J'ai vu, sur le rivage de l'Océan, près de Dieppe, <les bois de haute futaie assez étendus. Les paysans me disaient : « Monsieur, si nous avions le malheur de les couper, les arbres ne reviendraient plus. Les vents terribles de l'Océan brûlent les nouveaux plants. » C'est par la même raison que le courage militaire ne peut pas se développer parmi les Napo- litains. Au moindre signe de vie, on verse sur ce malheureux pays trente mille Gaulois ou trente mille Hongrois, de temps immémorial fort bien formés aux batailles. Comment veut-on que deux mille paysans des Calabres osent affronter de telles
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troupes ? Pour que de nouvelles levées puissent s'aguerrir, il faut beaucoup de petites rencontres ; et, en les conduisant à la première, il faut qu'il y ait quelque espoir de succès. Faute de descendre à la considération de ce mécanisme, la diplomatie de l'Europe dit de grandes pauvretés sur ce pays. Ce peuple a deux croyances : les rites de la reli- gion chrétienne *, et la jettatura (l'action de jeter un sort sur le voisin, en le regardant de travers). Une certaine chose, nommée justice * et gouverne- ment, est considérée comme une vexation que l'on renverse tous les huit ou dix ans, et que l'on peut toujours éluder. L'essentiel pour le paysan est d'avoir pour confesseur * ou pour compère un iratone (ou moine puissant), ou bien une jolie femme dans la famille. Dans la bourgeoisie, l'aîné se fait prêtre, marie à son frère cadet la jolie fille qu'il aime ; et il règne beaucoup d'union dans ces familles. A Tarente, à Otrante, à Squillace, nous avons trouvé parmi ces prêtres, frères amés de famille, une connaissance profonde de la langue latine et des anti- quités. Ces gens-ci sont fiers d'habiter la Grande- Grèce. Un homme de bon sens de ce pays fait de Tacite sa lecture habituelle. Dès qu'on se méfie de quelque étranger, on se met à parler latin. Un exem- plaire de Voltaire ou du Compère Mathieu est un trésor en ce pays. Il y en avait un dans la barque qui nous a amenés d'Otrante à Crotone. On se le prêtait ainsi à quarante lieues de distance. Ces gens-
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ci n'ont pas la moindre idée de la conversation. Souvent ils sont éloquents : mais malheur à vous si vous les mettez sur un sujet qui leur tient au cœur : ils parlent une heure, et ne vous font pas grâce du moindre détail. J'ai cru reconnaître l'élo- quence des harangues de Tite-Live. Un prêtre de Brancaleone mit deux bonnes heures à nous dé- velopper cette idée : « Je suis fâché, comme chré- tien et comme philosophe, de tout ce qui va arriver de cruel en Espagne et en Italie ; mais la terreur, et la terreur inspirée par les évêques *, est néces- saire à ces peuples, que Napoléon n'a pas assez profondément réveillés. L'assassinat et les tortures frapperont à leur porte : alors ils comprendront que la justice mérite qu'on fasse quelque c]?ose pour l'acheter. A moi qui vous parle, dans ce malheu- reux pays, que me fait la justice ? Si je n'avais pas des amis et du crédit personnel, je serais écrasé. Quel service la justice m'a-t-elle jamais rendu ? Ne vois-je pas tous les jours violer les serments les plus sacrés ? (L'archevêque, fils d'un ministre du pacha d'Egypte, a été jeté ici par la tempête ; on lui a promis protection, et on ne l'en a pas moins livré à la cour de Rome. On le dit au fort Saint-Ange ; Dieu sait ce qu'on en fait.) La crainte de la mort, ajoute don Francesco, étant la passion la plus cons- tamment puissante sur l'homme, même le plus abruti, c'est en travaillant sur cette passion * que l'on peut espérer de donner des lumières aux peuples:
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de là, vous voyez dans les desseins de Dieu l'utilité des assassinats et des vexations d'Espagne. Et quel malheur si le bon parti (celui de la liberté) eût été obligé d'avoir recours à ces moyens ! etc., etc., etc. * » On s'occupe sans cesse de l'Espagne en ce pays.
Les tournures de la langue qu'on emploie en Calabre passeraient en France pour de la folie. Un jeune homme qui cherche à plaire à toutes les femmes s'appelle un cascamorto (un homme qui feint de tomber mort, par l'excès de passion, en lorgnant une jolie femme).
Ce qui est l'antipode de ce pays, c'est le ton dé- goûté de la vie, dont, parmi nous, le René de M. de Chateaubriand a été à la fois la copie et le modèle. Ces gens-ci tiennent pour certain qu'à moins de circonstances proclamées extraordinaires par le cri public de tout un pays, le degré de bonheur est à peu près le même dans toutes les situations de la vie. Il y a au fond de cette modération une grande dé- fiance du destin, provenant peut-être de la méchan- ceté des gouvernements. Ils ont les tours de phrase qui indiquent ce que l'on ne trouve jamais en Ca- labre, le désespoir. Si l'on redoute un accident, l'on dira : Mancherebbe anche questa ! (Il nous manquait encore ce malheur !) L'on dit d'un grand bonheur : Ah che consolazione !
Don Francesco me raconte que, du temps de la révolution de 1799, le jeune prince Montemiletto fut envoyé à Londres pour négocier en faveur de
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la liberté. M. Pitt le paya de vaines paroles, et enfin se mo(iiia ouvertement de lui, en traitant avec une autre personne comme envoyé de Naples. Le jeune prince se plaignit. « On n'est pas diplomate, lui dit Pitt, sans barbe au menton. » Là-dessus Montemi- letto rentre chez lui et se brûle la cervelle. Un vrai Calabrais se fût moqué du propos de Pitt, ou l'eût tué. D'un bout de l'Europe à l'autre, à Naples comme à Pétersbourg, les classes privilégiées ont cette extrême politesse qui ôte l'énergie dans les cas imprévus.
Je sens désagréablement que je n'appartiens pas à ces classes privilégiées * : le défaut de passe-port m'empêche de passer à Messine, dont je compte les maisons de ma fenêtre. J'aurais désiré passionné- ment voir les ruines de Sélinonte et de la sculpture d'une antiquité bien plus reculée que tout ce que je connais.
J'ajoute de mémoire quelques faits que je n'osai pas écrire à Naples. Pendant la course en Calabre dont il s'agit, j'entendis parler, chez les fermiers d'un de mes compagnons de voyage, de vols sans nombre exécutés par la troupe de V Indépendance. Il y avait du talent, et une bravoure turque dans l'exécution. Je ne fis nulle attention à tout cela : c'est l'usage. J'étais tout yeux pour les mœurs de ce peuple. Je fis l'aumône à une pauvre femme enceinte, veuve d'un militaire. L'on me dit : « Oh ! monsieur, elle n'est pas à plaindre, elle a la ration
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des brigands. » L'on me fit un récit que je trans- cris, en supprimant les détails de bravoure et d'audace.
« Il y a dans ces environs une compagnie composée de trente hommes et quatre femmes, tous supérieu- rement montés sur des chevaux de course. Le chef est un maréchal des logis di Jachino (du roi Joa- chim), qui s'intitule chef de V Indépendance. Il ordonne aux propriétaires et aux massari de mettre tel jour telle somme au pied de tel arbre : sinon mort affreuse et incendie de la maison. Lorsque la compagnie marche, l'avant-veille tous les fermiers de la route ont avis de tenir prêts, à telle heure, des repas pour tant de personnes, suivant leurs moyens. Ce service est plus régulier que celui des étapes royales. »
Un mois avant l'époque où l'on me donnait ces détails, un fermier, piqué de la forme impérative de l'ordre pour le repas, a envoyé avertir le général napolitain : une troupe nombreuse de cavalerie et d'infanterie a cerné les Indépendants. Avertis par les coups de fusils que les soldats napolitains ti- raient au hasard *, ils se sont fait jour en couvrant le terrain de cadavres ennemis, et pas un d'eux n'est tombé. A peine échappés, ils ont fait dire au fer- mier d'arranger ses affaires. Trois jours après, ils ont occupé la ferme, ont institué un tribunal ; le fermier, mis à la torture, suivant l'usage du pays avant les Français, a tout avoué. Le tribunal,
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après avoir délibéré à huis clos, s'est avancé vers le fermier, et l'a lancé dans une grande chaudière qui était sur le feu, et où l'on faisait bouillir du lait pour les fromages. Après que le fermier a été cuit, ils ont forcé tous les domestiques de la ferme à man- ger de ce mets infernal.
Le chef pourrait facilement porter sa troupe à mille hommes ; mais il dit que son talent pour com- mander ne s'élève pas à plus de trente personnes. Il se contente de tenir sa bande au complet. Il reçoit tous les jours des demandes d'emploi ; mais il exige des titres, c'est-à-dire des blessures sur le champ de bataille, et non des certificats de complaisance : telles sont ses propres paroles. (2 mai 1817.)
Ce printemps, la disette faisait souffrir les pay- sans de la Fouille. Le chef des brigands distribuait aux malheureux des bons sur les riches. La ration était d'une livre et demie de pain pour un homme, une livre pour une femme, deux livres pour une femme enceinte. Celle qui m'inspira de la curiosité recevait six bons de deux livres de pain par semaine, depuis un mois.
Du reste, l'on ne sait jamais où se trouvent les Indépendants. Tous les espions sont pour eux. Du temps des Romains, ce brigand eût été Marcel- lus *.
Naples, 16 juin. — Au retour de mon voyage de Calabre, j'ai eu quelques inquiétudes : on a, dit-on,
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eu peur de moi, et moi, j'ai eu peur d'être chassé de Naples. C'est un danger que ne courent pas les Suédois, les Saxons, les Anglais, etc. ; mais ils ne sont pas reçus comme un ami par tout ce qu'il y a de distingué, sur la seule indication de Français non protégé par son ambassadeur. Un excellent homme, dont jamais je n'oublierai ni ne prononcerai le nom, m'a ofîert de me cacher dans sa maison. Je le voyais pour la cinquième ou sixième fois, et lui-même est fort mal noté, ^'oilà de ces traits qui attachent à un pays. A Bologne, j'aurais demandé ce service à cinq ou six personnes : mais Bologne n'a pas eu deux ans de supplices, de 1799 à 1801, C'est bien à la légère que les polices me pourchasse- raient : je les méprise un peu, sans doute ; mais, en supposant que j'eusse trouvé légitimes les projets formés contre elles *, j'aurais considéré que les menées politiques sont un peu sujettes à être décou- vertes dans ce siècle-ci, et qu'en cas d'irréussite, la vanité nationale, blessée, n'eût pas manqué d'attri- buer tout le mal à un étranger.
Du reste, j'ai la plus haute vénération pour les patriotes napolitains. On trouvera ici l'éloquence de Mirabeau et la bravoure de Desaix. Il est hors de doute à mes yeux qu'avant 1840 ce pays aura une charte. Seulement, comme la distance est im- mense entre un homme du mérite de M. Tocco et le bas peuple, la haute classe fera plusieurs fois nau- frage avant de donner la liberté à son pays. Voir les
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mœurs antiques clans Gli sposi prornessi, roman de M. Manzoni *.
19 juin. — J'ai acheté un bou([uin sur le Largo di Castello, près de ce singulier théâtre construit dans une cave, et auquel on entre par les troisièmes loges. Mon livre est intitulé Délia Superiorità in ogni cosa del sesso amahilissimo, etc., 1504. Pour peu que l'on ait étudié l'histoire des femmes, on. sait que François I^'" les appela à la cour en 1515. Avant cette époque, le château de chaque noble ressemblait au quartier général d'un despote, qui veut des esclaves obéissants et non des amis ; sa femme n'était qu'une esclave sur laquelle il exer- çait le droit de vie et de mort. Etait-elle poignardée, cet accident passait pour la punition de la foi violée. Ce coup de poignard était l'effet d'un mouve- ment de colère chez un sauvage jaloux de la supé- riorité morale ; ou bien il fallait la mort de la dame châtelaine pour obtenir une autre femme, qu'on ne pouvait avoir qu'en l'épousant. Dans les cours galantes de François I^^ et de Henri II, les femmes furent utiles à leurs maris pour l'intrigue ^ ; leur
1. Voir dans la bibliothèque de monseigneur le duc d'Or- léans le Recueil des chansons étonnantes chantées par les filles d'honneur de la reine Catherine de Médicis. Chaque volume, magnifiquement relié, avec des ferm^oirs d'argent, porte le nom imprimé de la jeune personne de qualité chargée de chanter de telles chansons. Leur incroyable indécence démontre toute la fausseté des mœurs peintes dans la Prin- cesse de Clèves. Les Mémoires de madame la duchesse d'Or-
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condition fit des pas rapides vers l'égalité, et cela à mesure que l'on voyait diminuer la place que la crainte de Dieu occupait dans le cœur. Les femmes n'étaient que des servantes en France durant le XVI® siècle, et en Italie l'un des thèmes traités le plus souvent par les littérateurs à la mode alors, c'est la supériorité du sexe aimable sur les hommes. Les Italiens, plus portés à l'amour-passion, moins grossiers, moins adorateurs de la force physique, et moins guerroyants et féodaux, admettaient volon- tiers ce principe.
Les idées des femmes n'étant pas fondées sur les livres, car heureusement elles lisaient peu, mais prises dans la nature des choses, cette égalité des deux sexes a introduit une masse étonnante de bon sens dans les têtes italiennes. Je connais cent prin- cipes de conduite que l'on est encore obligé de prou- ver ailleurs, et qui, à Rome, sont invoqués comme des axiomes. L'admission des femmes à l'égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisa- tion ; elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain et ses chances de bonheur *. Les femmes sont beaucoup plus voisines de l'égalité aux Etats-Unis d'Amérique qu'en Angleterre. Elles possèdent légalement en Amérique ce que leur pro- curent en France la douceur des mœurs et la crainte
téans, mère du régent, prouvent que l'on était moins poli à la cour de Louis XIV que chez le plus petit fabricant de calicot de l'an 1826 ; mais on y avait plus d'esprit. (1826.)
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du ridicule. Dans une petite ville d'Angleterre, le marchand qui gagne deux cents louis par son com- merce est maître de sa femme comme de son cheval. Parmi les marchands d'Italie *, la considération, la liberté et le bonheur d'une femme, sont propor- tionnels à son degré de beauté. A Rome, ville où le pouvoir est exercé par des célibataires, vous entrez dans une boutique et demandez l'estampe du pro- phète Daniel, de Michel-Ange. « Monsieur, nous l'avons ; mais il faudrait la chercher dans les porte- feuilles : repassez quand mon mari y sera. » Voilà l'excès contraire à celui de l'Angleterre. Pour at- teindre à l'égalité, source de bonheur pour les deux sexes, il faudrait que le duel fût permis aux femmes : le pistolet n'exige que de l'adresse. Toute femme, se constituant prisonnière pendant deux ans, pourrait, à l'expiration de ce terme, obtenir le divorce. Vers l'an 2000, ces idées ne seront plus ridicules *.
25 juin. — Je ne puis rapporter un bon mot qui fait l'admiration de Naples : peut-être n'aurait-il pas autant de succès à Paris. Tout le monde connaît ce mot d'une mère dont une des fdles était à l'ago- nie. Dans l'égarement de sa douleur, la malheu- reuse mère s'écrie : « Grand Dieu ! laissez-moi celle-ci, et prenez toutes les autres. » Un des gendres, qui était dans la chambre, s'approche et lui dit : « Madame, les gendres en sont-ils ? » Propos qui fit rire tout le monde, et même la mourante.
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Voilà un mot bien français : la plaisanterie est excellente. Mais, malgré la gravité des circonstances, il y a intention de plaire, on cède au besoin de plai- santer. Ce bon mot du gendre eût indigné en Italie. Ce n'est pas légers ou piquants que sont les mots italiens, mais plutôt d'un grand sens, comme ceux des anciens. Un homme d'Etat florentin soutenait seul par son génie la république, qui, dans le mo- ment, courait les plus grands dangers. Il fallut envoyer quelqu'un à une ambassade de la plus haute importance. Le Florentin s'écrie : S'io vo, chi sta ? 5' 10 sto, chi va ? (Si je vais à cette ambas- sade, qui restera ici, à la défense de la patrie ? Si je reste, qui va ?) Les Italiens sont le peuple moderne qui ressemble le plus aux anciens. Beau- coup d'usages ont survécu même à la conquête par les Romains. Ces gens-ci ont moins subi que nous l'inoculation de la féodalité et du grand sen- timent des modernes (leur véritable et seule reli- gion), le faux honneur des monarchies, bizarre mélange de vanité et de vertu * (utilité du plus grand nombre).
Le plus respectable des savants * de Paris se trou- vait ici il y a quelques années : on parlait beaucoup dans la société d'un vase étrusque magnifique et d'une dimension colossale, que le prince Pignatelli venait d'acheter. Notre savant va voir le vase avec un Napolitain ; le prince était absent ; un ancien valet introduit les curieux dans une salle basse, où,
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sur un piédestal en bois, ils trouvent le vase an- tique. L'antiquaire français l'examine avec soin, admire surtout la finesse du dessin, le coulant des formes ; il tire son carnet, et essaye de copier deux ou trois groupes. Au bout de trois quarts d'heure de l'admiration la plus profonde, il se retire en donnant au valet un excellent pourboire. « Si leurs Excel- lences veulent repasser demain, avant midi, dit le valet en remerciant, le prince y sera, et Elles pour- ront voir l'original. )> Ce que le savant avait tant admiré n'était qu'une copie faite par un artisan de la ville. Le Français conjura le Napolitain son compagnon de ne rien dire de son accident, qui, le lendemain, fit la nouvelle du jour. Je pourrais nommer le savant illustre ; plusieurs contemporains de cette anecdote sont à Paris en ce moment. Si j'étais méchant, je citerais la découverte de la base de la fameuse colonne de Phocas, à Rome, attribuée à un fort haut personnage, et qui remonte à 1811 et aux travaux ordonnés par l'intendant de la couronne à Rome *. Mais laissons en paix les vanités.
A propos de vases étrusques ou ainsi nommés, j'ai vu à Naples, aux Studj, la collection de madame Murât. Dès qu'un vase est bien dessiné, c'est une contrefaçon moderne. — Mensonges ordinaires des journaux ! Il y a deux ans qu'on a assigné mille ducats pour les armoires destinées à recevoir ces vases. Le conservateur n'a encore pu en accrocher
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que six cents ; mais Tadei met des zéros à tout cela. Et pourquoi un Tadei ne mentirait-il pas ? J'ai bien eu tort de ne pas parler de la statue drapée d'Aristide aux Studj : mais la curiosité fait qu'on s'épuise en sensations ; quand on rentre, on est mort.
Cet Aristide, vraiment admirable, est dans le style non idéal, comme le buste de Yitellius à Gênes. Il a un peu de ventre *, il est drapé. D'ailleurs ce pauvre honnête homme a été tellement calciné par la lave d'Herculanum, qu'il est presque en chaux ; un rien peut l'anéantir. Il est sur une plinthe. Les Anglais, après dîner, prennent leur élan et sautent sur la plinthe : un faux mouvement peut faire qu'ils se retiennent à la statue, et elle est en poudre. J'ai su que cette difficulté a beaucoup embarrassé les directeurs : comment articuler un tel sujet d'in- quiétude ? Enfin on a eu l'heureuse idée de s'in- former de l'heure du dîner de ces messieurs ; on a su qu'ils ne buvaient jamais avant deux heures, et les Studj sont fermés à deux heures au lieu de quatre. J'ai parfaitement vérifié ce fait ; plusieurs gardiens m'ont fait voir le bord de la plinthe, à trois pieds de haut, dégradé par les bottes *.
2 juillet. — Le hasard m'a conduit ce matin chez don Nardo *, le plus fameux avocat de Naples ; j'ai trouvé dans son antichambre une corne de bœuf immense qui peut avoir dix pieds de haut ;
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cela sort du plancher comme un clou. Je suppose qu'elle est faite avec trois ou quatre cornes de bœuf. C'est un paratonnerre contre la jeltatura (contre le sort qu'un malin peut jeter sur vous par un regard). « Je sens le ridicule de cet usage, m'a dit don Nardo en me reconduisant : mais que voulez-vous ? Un avocat est sujet à faire des mécontents, et cette corne me rassure. »
Ce qui vaut mieux encore, c'est qu'il y a des gens qui croient avoir le pouvoir de jeter un sort. Le grand poète, M. le duc de Bisagno *, passe dans la rue ; un paysan qui portait sur sa tête un grand panier de fraises le laisse tomber, elles courent sur le pavé ; le duc court au paysan : « Mon cher ami, lui dit-il, je puis t'assurer que je ne t'ai pas regardé. »
Je me moquais ce soir de la jettatura avec un homme du premier mérite : « Vous n'avez pas lu le livre sur la jettatura, par Nicolas Volitta, me dit -il. César, Cicéron, Virgile y croyaient ; ces hommes-là nous valaient bien... « Enfin, à mon inexprimable étonnement, je vois que mon ami croit à la jettatura. Il me donne une petite corne de corail que je porte à ma montre. Quand je craindrai un mauvais regard, je l'agiterai, en ayant soin de tourner la pointe contre le méchant.
Un négociant fort maigre, et qui a de beaux yeux un peu juifs, arrive à Naples ; le prince de ... l'in- vite à dîner. Un de ses fils place à côté du négociant un certain marquis *, et, au sortir de table, lui dit :
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« Eh bien, que dites-vous de votre voisin ? — Moi ? Rien, dit le marquis étonné. — C'est qu'on le dit un peu jettatore. — Ah ! quelle mauvaise plaisan- terie ! dit le marquis pâlissant. Mais il fallait au moins m'avertir un moment plus tôt : je lui aurais jeté ma tasse de café à la figure. »
Il faut rompre la colonne d'air entre l'œil du nécromant et ce qu'il regarde. Un liquide jeté est très propre à cet effet : un coup de fusil vaut encore mieux. C'est en qualité de jettatore qu'un serpent ou un crapaud regarde fixement un oiseau qui chante au haut d'un arbre, et de chute en chute le force à tomber dans sa gueule. Prenez un gros crapaud, jetez-le dans un bocal rempli d'esprit-de-vin, il y meurt, mais les yeux ouverts. Si vous regardez ces yeux dans les vingt-quatre heures de son décès, vous avez la jettatura, et vous tombez en syncope. J'ai offert de me mettre en expérience, on m'a ré- pondu que j'étais un incrédule.
Voici un fait de 1824 : Don Jo, directeur du musée de P..., et homme de mérite*, a le malheur de passer pour jettatore. Il sollicitait du feu roi de Naples, Ferdinand, une audience que ce prince n'avait garde de lui accorder. Enfin, cédant, après huit ans, aux sollicitations des amis de don Jo, le prince reçoit le directeur de son musée. Pendant les vingt mi- nutes que dure l'audience, il est fort mal à son aise, et agite entre ses doigts * une petite corne de corail. La nuit suivante, il est frappé d'apoplexie.
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L'on me dit une fois, auprès des falaises de Dou- vres, qu'une personne nerveuse (jui se trouve sur l'ex- trême bord d'un précipice, éprouve la tentation de s'y jeter *.
On croit à la jettatura en Norwége tout comme à Naples. Grands éloges du roi Francesco *.
15 juillet. — Soirée de madame Tarchi-Sandrint à Portici. Salon délicieux à dix pas de la mer, dont nous ne sommes séparés que par un bosquet d'orangers *. La mer brise avec mollesse ; vue d'Ischia ; les glaces sont excellentes. Je suis venu de trop bonne heure ; je vois arriver dix ou douze femmes qui semblent choisies parmi ce que Naples a de plus distingué. Madame Melfi vient de partager pendant trois ans l'exil de son mari ; elle a passé tous les hivers à Paris ; elle est arrivée escortée de * vingt ou trente caisses de modes. On l'entoure, on l'écoute. « Un joli jeune homme, dit-elle, et fort bien né *, me fit cette confidence à Paris : « Je ne m'en- « nuie plus tant dans la société depuis que j'ai cessé « de danser. L'embarras de faire danser la maîtresse « de la maison, de retenir une place, de s'assurer un (c vis-à-vis, m'inquiétait toute la soirée. » Image frap- pante et véritable de la civilisation parisienne : le plaisir étouffé par les formes qu'on lui impose.
« Quand un de mes amis entre chez moi, dit ma- dame Melfi, je vois tout de suite s'il vient me voir par projet ou par brio, parce que l'idée lui en est
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venue à l'instant même en passant près de mon pa- lais. Il paraît que cette immense difïérence reste invisible à vos dames françaises : elles n'ont jamais que des visites par projet ; bel effet de la sévérité sur le costume.
« En Angleterre, l'éducation rend égal ; il ne reste plus à un fils de pair, pour se distinguer du fils de M, Coutts, que Vaffectation. Ce vilain défaut va vous arriver en France ; vos libéraux nigauds croient que tout est avantage dans le gouverne- ment de l'opinion. Je disais un jour à une de mes bonnes amies de Paris : « Quelle jolie chose que vos boulevards ; quelles drôles de mines on y rencontre I — Oui, répondit-elle avec une imperceptible nuance de pédanterie ; mais il ne faut pas s'y promener. » Je ne pus me contenir. « Il ne le faut pas, dis-je, quand on imite. Mais vous, ma chère, fille d'un pair, née au sein d'une grande fortune, je voudrais vous voir l'orgueil de n'imiter personne. Qui sera mo- dèle, si vous ne l'êtes pas ? Quelque impertinente sans droits. »
« Autrefois le brillant duc de Bassompierre ne songeait pas à conserver son rang en allant se pro- mener. Il y a du parvenu au fond du sentiment actuel. Bassompierre eût répondu à la règle qu'il ne faut pas promener au boulevard : « Je vais où « il me plaît, et j'ennoblis tous les lieux où je vais. » La peur du ridicule (la peur, ce vilain sentiment) vole leur jeunesse à la moitié des jeunes gens de Paris.
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« J'ai VU un jeune homme refuser d'aller à un joli concert donné par toutes les voix à la mode, et où, par hasard, il n'y avait rien d'ennuyeux ; sa raison fut : « On y verra des femmes de la rue « Saint-Denis. » Je lui dis le lendemain : « Ne me « faites plus la cour ; vous me semblez ridicule. » La reine Marie-Antoinette prenait un fiacre quand cela l'amusait : vous riiez en 1786, et vous ne vous ven- diez pas, a dit madame Melfi en m'adressant la parole. Quand je voyais, il y a six mois, quarante hommes de la haute société réunis dans un salon, je me disais : « Trente-six sont vendus ou à vendre, « et ces messieurs nous appellent bas, nous autres « Italiens ! » Admirable douceur des mœurs pari- siennes ! Les chats, si méchants à Londres, sont doux et civilisés dans les boutiques de Paris : cela fait l'éloge de vos ouvrières. La douceur des chiens pari- siens fait l'éloge des hommes.
« Mais que de peines vous vous donnez pour apprendre la vanité à vos petits garçons de quatre ans ! Quels habits affectés ! Dans vingt ans, le paraître sera tout pour un Français. Vous com- mencez à avoir des rites sévères ; je crains que vous ne deveniez tristes comme des Anglais ; vous ne pourrez plus vous moucher sans craindre de man- quer à un devoir.
« Ce qui me plaît dans vos vieux jacobins, c'est qu'ils étaient au-dessus de ces petitesses : pour les déraciner du cœur de la jeunesse, ils inventèrent
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^e costume négligé de Marat. Vos jeunes gens de vingt ans me font l'efTet d'en avoir quarante. On dirait que les femmes leur sont odieuses : ils semblent rêver à établir une religion nouvelle. Vos très jeunes femmes me semblent éprouver de même un mouvement d'éloignement pour les hommes : tout cela annonce une dizaine d'années bien gaies. »
Madame B... disait un jour* • « La musique ne saurait rendre la sécheresse, qui est la source prin- cipale de l'ennui que l'on éprouve à la cour. Le baume, pour cette douleur, c'est Vopera séria traité à la Métastase. Ce poète, ainsi que la musique, donne de la sensibilité et quelque générosité, même à ses plus cruels tyrans. Le courtisan aime Vopera séria, parce qu'il est bien aise que le public voie son état en beau. »
« En arrivant à Paris, dit madame Melfi, une chose me frappa extrêmement : au bal, toujours la peur donnait des mouvements convulsifs aux doigts des danseurs. La joie si naturelle à la jeunesse, ou même la gaieté, était à mille lieues. »
— « Voilà qui est plaisant, a dit le colonel T... : ■dans la société française, chacun consent à être victime, dans l'espoir d'être bourreau à son tour ; car, enfin, pourquoi faire la cour à la peur du ridi- cule ? Est-ce quelque potentat qui distribue des pensions ou des cordons * ? »
— « Ce que la bonne compagnie de Paris abhorre
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par-dessus tout, dit don Francesco, c'est Vénergie. Cette haine est masquée de cent façons : mais soyez convaincu qu'elle règle tous les sentiments.
« L'énergie crée de l'imprévu, et devant l'imjjrévu l'homme vain peut rester court : voyez quel mal- heur ! »
— « Je fus un jour d'un pique-nique aux bains ■d'Enghien, dit madame Melfi ; un des convives, homme d'esprit, s'amusa, par envie, à glacer l'esprit et la folie de ses voisins. Voilà ce que nous n'au- rions jamais souffert en Italie. J'étais outrée de ■colère ; mais vos femmes ont si peu de pouvoir en France ! Elles laissèrent faire ce sot, que, chez moi, d'un mot, j'aurais mis à sa place en le plaisantant ferme sur un de ses ridicules : et notre pique-nique fut gai comme un catafalque. »
Don Francesco coupe court aux critiques de sa femme en s'écriant : « La i'ie morale n'existe qu'à Paris ; ce n'est que là que, chaque jour, on a trois ■ou quatre idées nouvelles ; tout m'a paru insipide au sortir de Paris. Vous devez cette vie morale, me dit-il, à votre situation plus centrale que celle <le Londres, et ensuite à ce que rien n'est établi cliez vous. Serez-vous Dieu, table ou cuvette ? Tels que vous êtes, un mélange aussi séduisant de bonté, d'esprit et de raison n'exista jamais. Mais vous êtes si flexibles, si dévoués à la mode, que tout cela tient à un fil. Qu'un de vos princes légitimes s'avise d'avoir le génie de Napoléon ou la grâce de Fran-
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çois I^r *, et VOUS devenez des esclaves contents de l'être, comme en 1680 *. Que vos jeunes gens fassent un pas de plus dans le mysticisme allemand, et l'on peut revoir chez vous des colloques de Poissy et des Saint-Barthélémy.
« Vos femmes me semblent négligées, et malheu- reuses par ennui. Mais quoi ! c'est la mode ; il serait de mauvais ton de songer à détrôner l'écarté, et il faut qu'elles restent solitaires et délaissées dans un coin des salons.
« J'étais bien jeune, en 1785, quand j'allai à Paris comme ablégat du pape Pie VI. Alors la vie de vos femmes était admirable de gaieté, de mouve- ment, d'entrain, de piquant ; elles me semblèrent toujours occupées de quelque partie de plaisir folle : les étrangers accouraient en foule d'Allemagne, d'Angleterre, etc. Notez qu'en 1785 on savait encore moins s'amuser qu'aujourd'hui en Allemagne et en Angleterre ^.
« Mais l'étranger qui, depuis le grand roi, copie et connaît toujours la France à cinquante ans de dis-
1. Non : la séparation du continent, de 1792 à 1814, a augmenté à Londres l'énergie du principe triste ; l'aristocra- tie a eu une profonde peur ; elle a éprouvé, elle a excité de la haine. (Vie de Bagge, par sir Walter Scott.) La croyance que Napoléon était un ogre mangeant les petits enfants, et ne sachant pas lire, a diminué le bon sens, et par là le bon- heur. Burke disa.t à la crédulité aristocratique qu'en France l'étroit espace laissé entre la guillotine et le peuple était loué à un bateleur, qui y faisait danser des chiens savants les jours d'exécution. (1826)
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tance, va répétant les louanges accordées à votre société par le marquis Caraccioli, le prince de Ligne, l'abbé Galiani. Le bégueulisme mine votre gaieté ; la peur du ridicule, en 1785, n'empêchait pas d'oser ; vous êtes pétrifiés maintenant. »
Madame Melfi, qui a laissé trois ou quatre bonnes amies à Paiis, cherchait à excuser le méthodisme des jeunes femmes, qui nous prive de tous les jolis contes qu'on faisait en 1790. « Vous vous figurez, madame, qu'une femme redoute un mot trop libre qui pourrait choquer ses principes. Ah ! que vous n'y êtes pas : elle redoute d'être obligée de rester silencieuse et morne, après que vous avez parlé, et ainsi d'avoir l'air, pour un moment, de manquer d'esprit. »
— « On ne vit qu'à Paris, et l'on végète ailleurs », s'est écrié don Francesco.
— « Oui, pour vous, hommes, dit la princesse, qui ne vivez que de politique et d'idées nouvelles. »
— « Mais, au lieu de vos idées politiques, dit monsignor Cerbelli, vous trouvez parmi nous les jouissances des beaux- arts. »
— « C'est comme si vous me proposiez, reprend don Francesco, de dîner avec du café et des sorbets. Le nécessaire de la vie, c'est la sûreté individuelle, c'est la liberté : les arts, au xix® siècle, ne sont qu'un pis-aller. Le livre le plus rétrograde, publié à Paris, se fait lire parce qu'il est obligé d'ad- mettre certaines vérités que l'écrivain le plus libé-
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rai n'ose aborder parmi nous. Il faut, pour n'être pas pendu, qu'il les entoure de formes dubitatives, qui s'opposent à ce qu'il en peigne les nuances ; et il m'ennuie. Le siècle des beaux-arts et de la poésie est passé, parce que l'habitude de la discus- sion avec les gens du parti contraire ôte à nos têtes le pouvoir de se laisser aller à une douce illusion. Voyez en preuve la physionomie un peu plate,
mais rassurante, du héros du xix^ siècle, W
Nous ne sommes plus assez heureux pour demander le beau ; nous ne désirons, pour le moment, que Vutile. La société va passer je ne sais combien de siècles à la chasse de l'utile.
« Paris a de plus que tous les autres pays la bonté et la politesse de ses habitants : c'est la capitale de la pensée ; car ses philosophes sont bien en avant des Anglais : comparez le Constitutionnel au Morning- Chronicle des Anglais. Que lui manque-t-il ? Des peintres, des poètes, des sculpteurs ? Et nous- mêmes, en avons-nous ? »
— « Mais, dit le colonel T..., la tristesse prude des salons de Paris, et l'éternel écarté ! »
— ({ Eh bien ! mon cher ami, soyons assez d'Ita- liens et d'Espagnols, à Paris, pour passer les soirées entre nous. »
— « Cette tristesse, dit madame Bel..., ne serait-elle point une compensation qui suit la li- berté ? Voyez les salons anglais et américains. »
— « Mais tout cela est au Nord, dit don Fran-
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cesco ; peut-être que l'on sera gai dans les salons de Mexico et de Lima. »
Le misanthrope D... reprend avec sa sévérité ordinaire :
(c L'éducation couleur de rose et si remplie de douceur, que les Français donnent à leurs enfants, ôte à ceux-ci l'occasion d'oser et de souffrir. Cette éducation parisienne anéantit la force de vouloir, qui n'est que le courage de s'exposer au danger. Les vexations auxquelles est en butte la jeunesse de Milan et de Modène me sont précieuses, si je les compare à la douceur du gouvernement français, qui, à Paris, glisse inaperçu : elles nous conserve- ront la supériorité dans la force de vouloir. Les dan- gers du xiii^ siècle nous valurent les grands hommes du xiv^ *. »
20 juillet. — Ce soir, après un serment fort sé- rieux d'être à jamais discret, j'ai vu des marion- nettes satiriques. J'ai retrouvé ici une famille de gens d'esprit, mes anciens amis, extrêmement pru- dents en apparence, mais, au fond, se moquant de tout ce qui est risible, et fort gais. Le résultat de la confiance qu'on a dans ma discrétion a été de me faire admettre à une comédie satirique, dans le goût de la Mandragore de Machiavel, jouée par des marionnettes. Dès les premières scènes, la pièce m'a rappelé le délicieux proverbe de Collé, intitulé la Vérité dans le vin. Mais ici il y a un feu,
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une vie dramatique, une énergie burlesque, un mépris pour le style, un respect pour les situations caractéristiques, qui laisse bien loin les proverbes spirituels et fins, mais un peu froids, de Collé et de Carmontelle.
La farce d'hier soir est intitulée : Si farà si o no un segretario di stato ? (Aurons-nous un premier ministre ?)
Le premier rôle est rempli par un non moindre personnage qu'Innocente Re, lequel n'aime point son premier ministre, don Cecbino *, vieillard de quatre-vingt-deux ans, autrefois libertin fort adroit et grand séducteur de femmes. Maintenant il a presque tout à fait perdu la mémoire : ce qui ne laisse pas de faire un singulier effet dans la place de premier ministre. La scène dans laquelle don Cecliino donne audience à trois personnes, un curé, un marchand de bœufs, et le frère d'un carbonaro, qui lui ont présenté trois pétitions différentes, qu'il confond sans cesse en leur répondant, est déli- cieuse de vérité et de comique. L'embarras du mi- nistre, qui, sentant bien qu'il a oublié les pétitions^ feint sans cesse de se les rappeler parfaitement, est amusant. Son Excellence parle au marchand de bœufs de son frère, qui a conspiré contre l'Etat, et qui subit une juste punition dans un château fort, et au malheureux frère, de l'inconvénient qu'il y aurait à admettre dans le royaume deux cents têtes de bœufs provenant de l'Etat du pape : cette
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scène est digne de Molière *, et avait ce soir pour nous un genre de mérite que n'a pas Molière. Tandis que nous assistons à cette scène, jouée avec des marionnettes, il n'est aucun de nous qui n'ait la conscience qu'une scène aussi plaisante dans les détails se passe actuellement à deux cents pas du salon où nous rions aux larmes. Mes amis ont même le soin de ne représenter sur leur théâtre de marion- nettes que des scènes qui ont eu lieu réellement, au vu et au su de toute la haute société. En voyant l'embarras comique de ce petit personnage de douze pouces de haut, revêtu du costume de premier minis- tre, et auquel nous tous nous avions fait la cour le matin, le rire prenait une telle énergie chez la plu- part d'entre nous, que trois fois il a fallu suspendre la représentation. Je crois que le danger de ce petit plaisir innocent en augmentait encore l'intérêt. Nous n'étions que dix-huit : c'étaient aussi des gens de la société qui faisaient parler les marionnettes.
Le cadre de cette comédie {Vossatura) a été fait par un abbé fort malin, qui me semble l'amant d'une des maîtresses de la maison. Or un abbé n'ou- blie jamais, en Italie, qu'il peut avoir un moment de fortune et parvenir au chapeau.
Je vois que le cadre de la petite comédie est tou- jours convenu d'avance entre les acteurs, ou, pour mieux dire, entre les personnes qui doivent parler pour les marionnettes. Le papier où est le plan est fixé dans la coulisse sur un pupitre éclairé par deux
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bougies. Il y a autant d'acteurs dans la coulisse, parlant pour les marionnettes, qu'il y a de person- nages dans la pièce. L'actrice qui parle pour l'amou- reuse de la comédie est toujours une jeune personne. Le dialogue improvisé des marionnettes est plein de naturel et riche d'inflexions. Les acteurs n'ayant à s'occuper, ni de leurs gestes, ni de l'expression de leur physionomie, parlent bien mieux que s'ils étaient en scène.
Cet avantage est surtout précieux dans la comédie satirique, telle que celle où je viens de voir figurer * le premier ministre, le fameux banquier Torlonia, duc de Bracciano *, l'ambassadeur d'une haute puissance, et plusieurs autres grands personnages. Les jeunes gens qui les faisaient parler, et qui les avaient vus le matin ou la veille, imitaient, à s'y méprendre et à mourir de rire, leur accent et la tournure de leurs idées. J'ai même vérifié que trois ou quatre des spectateurs avaient passé le commen- cement de la soirée avec les grands personnages qu'ils avaient le délicieux plaisir de retrouver sur la scène avant de la finir. Ne pourrait-on pas impor- ter à Paris ce genre de plaisir ? Quand l'on ne tombe pas dans le plat défaut d'être méchant et trop sati- rique, et qu'on sait rester gai, naturel, comique, de bon ton, c'est, suivant moi, l'un des plaisirs les plus vifs que l'on puisse goûter dans les pays despo- tiques *.
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MoLA Di Gaeta, 25 juillet. — Plusieurs jeunes femmes de ma connaissance vont à Rome pour assister à une cérémonie magnifique qui doit avoir lieu dans quelques jours. J'ai vu Naples à peu près : je n'étais pas sans inquiétude du côté de la police. On dit qu'un homme qui porte un nom assez sem- blable au mien a été au service de Murât. Hier soir, à neuf heures, je me suis esquivé. Je voulais passer par Aquino et Frosinone, route très pittoresque ; je m'y hasarderai quand j'aurai un bon passe-port.
Rome, l^'' août. — Je sors de la fameuse Chapelle ^Sixtine * ; j'ai assisté à la messe du pape, à la meil- leure place, à droite, derrière le cardinal Consalvi ; j'ai entendu ces fameux castrats de la Sixtine, Non, jamais charivari ne fut plus exécrable * : •c'est le bruit le plus offensant que j'aie rencontré depuis dix ans. Des deux heures qu'a duré la messe, j'en ai passé une et demie à m'étonner, à me tâter, à sentir si je n'étais point malade, à interroger mes voisins. Malheureusement c'étaient des Anglais, gens pour qui la mode est un tyran. J'interrogeais leur sensation : ils me répondaient par des pas- sages de Burney *.
Mon parti bien pris sur la musique, j'ai joui des mâles beautés du plafond et du Jugement dernier de Michel-Ange * ; j'ai étudié la physionomie des cardinaux : ce sont de bons curés de campagne ; le premier ministre Consalvi s'est bien gardé d'appeler
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des gens capables de le remplacer. Beaucoup ont l'air malade ; quelques figures expriment la hau- teur. Il est impossible, à cinquante ans, d'être plus bel homme que le cardinal Consalvi. J'ai vu, par sa place à la Chapelle Sixtine, qu'il n'est pas prêtre ; il n'est que diacre. Voir le joli tableau de M. Ingres *.
8 août. — J'ai accroché deux artistes bolonais * ; je me suis fait mener à la Sixtine. Je leur ai persuadé qu'ils m'en faisaient les honneurs. Ma sensation sur ce concert de chapons enroués est la même. Ils en sont convenus a(^ec beaucoup de peine, et m'ont renvoyé aux cérémonies de la semaine sainte. Ma foi *, j'ai bien l'air de manquer à l'ajournement. Des gens qui pourraient chanter, qui sauraient chanter juste, une fois de leur vie, ne pourraient se souffrir criant à tue-tête et déchirant l'oreille. Mais Rome est un drôle de pays : n'ayant rien au monde à quoi s'intéresser, ils portent l'esprit * de parti dans les arts. Des gens d'esprit * me sou- tiennent que tel barbouilleur au-dessous des nôtres est excellent, uniquement parce qu'il est de Rome. — On ne saurait siffler trop fort : point de grâce pour la médiocrité ; elle diminue notre sensibilité pour les beaux-arts.
14 août. — Enfin j'ai trouvé des gens de bon sens, mais c'est parmi les ambassadeurs. Ils pensent exactement comme moi. Tout ce qui est sot, me disait
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€n allemand. M. ..., ne peut pas se dépêtrer des toiles d'araigJiée des voyageurs, et admire sur parole. Il me mène cliez l'avocat N... : à Rome, c'est la classe instruite ; rien de bête comme leurs princes. J'en- tends de fort bonne musique ; je trouve des gens extrêmement savants, raisonnant fort bien, tou- tefois, jusqu'à ce que le patriotisme les prenne à la gorge. Ici, tout ce qui a rapport à la musique est familier, comme à Paris les jugements * sur Racine et Voltaire. Retiré dans un coin, je raisonnais, avec plaisir, avec un gros homme, qui m'a appris beau- coup de choses: c'est un tailleur enrichi. Ici on trouve beaucoup de jeunes gens fort gros *.
15 août. — J'assiste * à la superbe cérémonie de Saint-Pierre : tout en est auguste, excepté la musique. Ce vénérable j^ontife, vêtu de soie blanche, porté sur le fauteuil que lui ont donné les Génois, et dis- tribuant des bénédictions dans ce temple sublime, forme un des beaux spectacles que j'aie vus. J'étais sous un amphithéâtre construit en planches, à la droite du spectateur, et où se trouvaient deux cents dames. Il y avait deux Romaines, cinq Allemandes, et cent quatre-vingt-dix Anglaises. Dans le reste de l'église, personne, excepté une centaine de pay- sans d'un aspect horrible. Je fais, en Italie, un voyage en Angleterre. La plupart de ces dames étaient si émues de la beauté de la cérémonie, que leur cœur avait quelque peine à sentir le ridicule
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des chapons sacrés qui chantaient cachés dans une cage. 11 en est de même à la Sixtine. Je pense qu'ils- sont censés ne faire que soutenir le chant des offi- ciants.
18 août. — Je viens de jouir d'un des spectacles- les plus beaux et les plus touchants que j'aie ren- contrés en ma vie. Le pape sort de Saint-Pierre, porté par ses estafiers sur un immense brancard ; on le voit à genoux devant le Saint-Sacrement, Heureusement il ne fait pas trop chaud : nous avons ce qu'on appelle une journée ventillata. Dès le grand matin les avenues de la place de Saint-Pierre sont sablées, nettoyées, les maisons tendues de tapisse- ries : cela se voit partout ; mais cî qu'on ne voit qu'à Rome, ce sont des figures persuadées que le pontife qui va paraître est le souverain maître de leur bonheur ou de leur malheur éternel *. Il y a des^ chaises et des échafauds le long des deux immenses colonnades qui entourent la place. Dès le matin les toilettes les plus recherchées, comme les costumes- les plus sauvages, marchandent les meilleures places ; le paysan des Abruzzes, pour peu qu'il ait deux carlins dans la poche, s'y trouve assis à côté du haut et puissant prince romain ; et l'argent est, dans ce séjour de l'égalité, la seule aristocratie reconnue et privilégiée. J'ai vu en Angleterre le peuple, qui se rendait à un meeting où Cobbet devait parler, ne pas oser se placer sur les charrettes qui
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avaient amené les denrées au marché. Le cordonnier anglais disait avec un profond respect : « Ces places sont réservées pour les gentlemen. » Commodément assis au premier rang, voici ce que j'ai vu : sur un pavé sablé et jonché de feuilles de laurier, ont défdé d'abord cinq ou six ordres de moines gris, blancs, noirs, bruns, pies, de toutes couleurs enfin, qui, la main armée d'un large flambeau, et l'œil oblique- ment fixé vers la terre, chantaient à tue-tête des hymnes inintelligibles. Ils cherchaient évidemment à captiver l'attention de la multitude par une humble démarche, que trahissait sans cesse l'or- gueil de leurs regards. Venait ensuite le clergé régu- lier des sept grandes basiliques, séparé en sept corps différents par de grands pavillons rouge et jaune à demi tendus, que portaient des hommes vêtus de blanc ; et chacun de ces pavillons, d'un aspect tout à fait oriental, était précédé par un instru- ment bizarre, surmonté d'une cloche d'où l'on tirait un tintement unique de minute en minute. Enfin sont arrivés les hauts fonctionnaires de l'Eglise et les cardinaux, la tête couverte de leur bonnet pointu. Tout à coup tout le monde fléchit le genou, et, sur une estrade entourée des plus riches étoffes, je vois paraître une figure pâle, inanimée, superbe, enveloppée elle-même de draperies jusqu'au-dessus des épaules, et qui ne me semblait former qu'un tout avec l'autel, l'estrade et le soleil d'or devant lequel elle était comme en adoration. « Tu ne m'avais
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pas dit que le pape était mort, » disait à mes côtés un enfant à sa mère. Et rien ne peut mieux rendre l'absence totale de mouvement de cette étrange apparition. A ce moment il n'y avait que des croyants autour de moi, et moi-même j'étais d'une religion si belle ! L'attitude du pape est de tradition : mais, comme elle serait fort gênante pour un vieil- lard, souvent infirme, on dispose les draperies de manière à ce que Sa Sainteté ait l'air d'être à genoux, tandis qu'en réalité Elle se trouve assise dans un fauteuil *.
25 août. — Bal charmant chez une dame anglaise. L'un des libéraux les plus marquants de Rome me prend à part pour me dire : « Monsieur, il y a un livre sublime, un livre qui, selon moi, contient le bonheur des peuples et des rois : c'est le Dictionnaire de Chalmers *. » Et ainsi de tout ce que j'ai rencon- tré passé Bologne ; mais les génies percent : Alfieri, Canova. Ce n'est pas qu'ils ne gardent une forte teinte de préjugés. En Angleterre, un demi-sot fait souvent vm bon livre. Ici, un homme de talent * comme Foscolo s'amuse à faire un pamphlet latin contre ses ennemis ^. Beaux yeux * de miss Ju- lia G...
1. Didymi clerici EpistoJœ, Lugano, 1816. Foscolo, le premier poète d'Italie après Monti et Manzoni *, est auteur des Tombeaux et d'Ajace. Comme Monti, il ne pense pas beaucoup, mais il versifie supérieurement *. (1817)
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26 août. — L'on nie mène à l'église des Jésuites, à côté du palais de Venise. Je sens un peu de ce respect qu'inspire le pouvoir, même le plus scélérat *, lorsqu'il a fait de grandes choses. — L'église est remplie de la plus infâme canaille ; nous renvoyons nos montres à l'hôtel. Mauvais goût du président de Brosses, qui s'extasie à propos de l'autel de saint Ignace. L'ignoble et le ridicule de cette sculpture sont incroyables : c'est au j^oint que je n'ose dire en quoi «lie est ignoble ; mais l'on était si barbare en France vers 1740, qu'il faut tout pardonner en faveur de tant d'esprit. Enfin la musique commence : ce sont des orgues, placées en divers endroits de l'église, et qui se répondent. Cela est fort agréable ; mais, comme partout, le musicien abuse de la richesse de cet instrument. J'ai entendu mille fois mieux en Allemagne : cependant je passe deux heures fort bien. Chose étonnante ! je vois deux ou trois Anglais vraiment touchés. Nous avons vu arriver huit ou dix cardinaux amis des Jésuites. C'est à Rome que cet ordre célèbre a les ennemis les plus puissants : les Dominicains et les Capucins sont furieux *. Honneurs militaires rendus aux cardinaux. Belle tenue des troupes romaines. On sent tellement à quelle canaille on a affaire, que chaque chapelle €st gardée par une sentinelle, la baïonnette au bout du fusil : outre cela, d'autres sentinelles se promènent au milieu de la foule agenouillée. Bon trait, dans le centre de la religion qui prétend retenir les hommes
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par le moral, que l'on sente cependant la nécessité de la baïonnette, plus qu'à Paris, où l'on nous dit que nous sommes impies ! Ces soldats revenant de France, et couverts encore de ce noble uniforme français, chantent à demi-voix le psaume avec le peuple. Rome serait encore la capitale des arts, pour peu qu'elle eût un moral passable. Ce chant du peuple est excellent. Ici la musique et l'amour font la conversation d'une duchesse comme de la femme de son coifîeur : et, quand celle-ci a de l'es- prit, la différence n'est pas fort grande : c'est qu'il y a des fortunes différentes, mais il n'y a pas de mœurs différentes. Tous les Italiens parlent des mêmes choses, chacun suivant son esprit : c'est un des traits frappants de l'état moral de ce pays ; la conversation du plus grand seigneur et celle de son valet de chambre sont la même *.
29 août. — Je jouis de ma loge au théâtre d'Ar- gentine. Ce n'était pas la peine de tant s'intriguer. L'on nous donne le Tancredi de Rossini. La pièce n'aurait pas été achevée à Brescia ou à Bologne. L'orchestre est pire que les chanteurs : mais il faut voir le ballet. La troupe de danseurs qui charme Rome avait grand'peine à se faire souffrir, il y a six mois, à Varèse, petite ville de Lombardie.
Ici, chacun orne sa loge à son gré : il y a des ri- deaux en baldaquin, comme pour une fenêtre à Paris, et un devant de loge en étoffe de soie, velours.
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mousseline : il y en a de bien ridicules, mais la variété est agréable. Je remarque trois ou quatre draperies qui rappellent de loin une couronne : on m'ex- plique que la vanité des pauvres têtes couronnées qui habitent Rome y trouve une consolation. Tout est décadence ici, tout est souvenir, tout est mort. La vie active est à Londres et à Paris. Les jours où je suis tout à la sympathie, je préférerais Rome : mais ce séjour tend à affaiblir l'âme, à la plonger dans la stupeur ; jamais d'effort, jamais d'énergie, rien ne va vite. La plus grande nouvelle de Rome, c'est que Camuccini vient de finir un tableau. Je vais voir cette Mort de César : c'est du mauvais David. Ma foi, j'aime mieux la vie active du Nord et le mauvais goût de nos baraques.
Il est vrai que rien ne serait supérieur à la vie active entremêlée, dans les repos, des jouissances de sympathie produites par ce beau climat de Rome.
Ce qui achève de me mettre en colère, c'est que, dans toutes les loges où je vais, on trouve très beau cet indigne spectacle. Les Romains ont une vanité bien comique ; ils disaient ce soir : Quel cantar è degno di una Ronia ! C'est leur tournure empha- tique pour nommer Rome ; ils n'en emploient jamais d'autre. Je me retire navré de cet avilisse- ment complet. Je cherche un volume de Montes- quieu ; je me rappelle enfin qu'hier on me l'a con- fisqué à la douane comme un auteur des plus dé- fendus. Je découvre dans un recoin de mon écritoire
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une Grandeur des Romains, in-32. Je lis quelques chapitres ; j'ai du plaisir à augmenter l'humeur sombre qui me possède ; vers les deux heures, je suis à la hauteur d'Alfieri. Je lis tout Don Garcia avec un vif plaisir : il ne m'arrive pas de sentir cet auteur quatre fois par an.
M. Nystrom, homme d'esprit et architecte de la plus haute espérance, a bien voulu visiter avec moi la place de la colonne Trajane. Trajan fit élever cette colonne dans une sorte de cour fort étroite, auprès d'une basilique. Les travaux admirables exécutés de 1810 à 1814, par H..., intendant de la couronne à Rome *, marqueront plus dans la pos- térité que les travaux de dix pontificats des plus actifs. Napoléon a consacré dix millions aux embel- lissements de Rome. Il avait le projet de faire enlever les douze pieds de terre qui gâtent le Fo- rum *.
30 août. — J'arrive de trop bonne heure au théâtre Valle : mais toutes les places du parterre sont numérotées ; quand l'on n'est pas des premiers, l'on n'entend pas. Je m'amuse à lire le règlement de police. Le gouvernement connaît son jjcuple : ce sont des lois atroces. Cent coups de bâton, admi- nistrés à l'instant sur l'échafaud qui est en perma- nence à la place Navone, avec une torche et une sentinelle, pour le spectateur qui prendrait la place d'un autre ; cinq ans de galères pour celui qui élève
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la voix contre le portier du théâtre (la maschera), qui distribue les places. Le jugement a lieu ex inqui- sitione, suivant les douces formes de l'inquisition *. Tout ce que je vois des spectateurs, l'absence totale de politesse, d'honneur, d'égards, l'extrême inso- lence à côté de l'extrême bassesse dès qu'on ré- siste *, tout me confirme ce que madame R... me disait hier *, que Tibère Pacca, gouverneur de Rome, est homme de talent et qui sait son affaire. Je fais copier * son ordonnance de police : ce sera une des pièces justificatives de mon voyage, pour qui m'accusera de trop mépriser le despotisme ecclésiastique.
La musique commence enfin ; elle est d'un nommé Romani, qui s'intitule sur l'affiche Figlio di questa gran Ronia. Il est digne de sa patrie : sa musique n'est qu'un centon de Cimarosa ; par ce moyen, quoique sans le moindre génie, elle m'amuse.
La prima donna de Valle est cette même madame Giorgi que j'ai vue à Florence : la musique de Rossini lui allait mieux ; elle n'est plus ici qu'une faible copie de la Malanotti. Il y a un bouffon de la bonne école, point musqué, et qui fait rire ; mais il est bien vieux.
La pièce est une traduction des Jeux de V amour et du hasard. Le traducteur y a ajouté des coups de bâton, et un bailli de village qui compose une ha- rangue à son seigneur à l'aide du Dictionnaire des rimes. Il y a longtemps que nous sommes convenus
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que la musique ne peut peindre l'esprit : elle est obligée de prononcer lentement, et le degré de rapidité de la repartie donne presque toujours une nuance à l'idée *. La musique ne peint que les pas- sions, et que les passions tendres.
Depuis Mozart et Haydn, tandis que le chant peint une passion, des traits d'orchestre peignent d'autres nuances de sentiment, qui, je ne sais com- ment, viennent se confondre dans notre âme avec la peinture de la passion principale. Mayer, Winter, Weigl, Cherubini *, abusent de l'accessoire, ne pouvant atteindre au principal. Mais jusqu'ici, malgré cette découverte, la musique ne peut encore atteindre * Vesprit.
1®^ septembre. — Je retourne à Valle.
Des gens parfaitement heureux, ou des gens par- faitement insensibles, ne pourraient souffrir la musique : c'est pour ces deux raisons que les salons de Paris, en 1779, lui étaient si rebelles. Mozart fit bien de quitter la France ; et, sans la Noui'eUe Héloïse, le Devin de Jean- Jacques eût été sifflé *.
Pourquoi a-t-on du plaisir à entendre chanter dans le malheur ? C'est que, d'une manière obscure et qui n'effarouche pas V amour- propre, cet art nous fait croire à la pitié chez les hommes : il change la douleur sèche du malheureux en douleur regret- tante * ; il fait couler les larmes : sa consolation ne va pas plus loin. Aux âmes tendres, qui regrettent
ROME, NAPLES ET FLORENCE //
la mort d'un objet chéri, il ne fait (jue nuire et que hâter les progrès de la j)htisie *.
21 septembre. — Je viens de passer cinquante jours à admirer et à m'indigner. Quel séjour que la Rome antique, si, j)our dernier outrage, sa mauvaise étoile n'avait j)as voulu qu'on bâtît sur son sol la Rome des prêtres * ! Que ne seraient pas le Co- Jysée, le Panthéon, la basili([ue d'Antonin, et tant de monuments démolis pour faire des éghses, res- tant fièrement debout au milieu de ces collines désertes, le mont Aventin, le Quirinal, le Palatin ! Heureuse Palmyre !
Saint-Pierre excepté, rien de plus plat que l'ar- chitecture moderne, si ce n'est la sculpture. Ce mot rappelle Canova, seule exception. Il fait mettre les bustes des grands artistes au Panthéon, lieu si cher aux âmes tendres, par la tombe de Raphaël. Tôt ou tard on lui ôtera le nom d'église, qui jadis- le protégea contre le génie du christianisme : ce sera un musée sublime. La plupart des bustes commandés^ par Canova * sont bien médiocres : un seul est de lui, on lit sur la base :
A DOMENICO CIMAROSA ERCOLE CARDINALE CONSALVI, 1816.
Accident arrivé vers 1823. Un certain parti deve- nant le plus fort, tous ces bustes ont été exilés dans certaines petites salles obscures au Capitole.
JO STENDHAL
Le tombeau de Raphaël, élevé à ce grand homme aussitôt après sa mort (1520), et sur lequel le car- dinal Bembo fit mettre ces deux jolis vers :
llle hic est Raphaël, timuit qiio sospite vinci Rerum magna parens et moriente mori,
était orné de son buste. Le tombeau a été mutilé, et le buste relégué au Capitole *.
En France, comme les convenances gémiraient de l'inscription du buste de Cimarosa ! Je ne m'étonne plus de l'inclination secrète qui me faisait aimer le cardinal Consalvi *. C'est le plus grand des ministres existant en Europe, parce que c'est le seul honnête homme. L'on sent bien que je fais une exception formelle pour les ministres du pays où ce voyage paraîtra.
Cet homme rare est abhorré par ses trente-trois collègues. On mutile tous ses plans, on le force à laisser tous les détails en pâture à la sottise : c'est pour cela que l'on m'a confisqué Montesquieu. Il ne peut attaquer l'étable d'Augias de la seule manière sensée, en fondant une Ecole polytechnique.
Je compte dans mon journal plus de vingt anec- dotes sur ce grand ministre, et toutes à sa louange. Il est simple, raisonnable, obligeant, et, pour finir par un grand trait presque incroyable en France, il nest pas hypocrite *.
24 septembre. — C'est d'une huître malade que
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l'on tire la perle. Je désespère des arts depuis que nous marchons vers le gouvernement de Vopinion, parce que, dans toutes les circonstances possibles, ce sera toujours une absurdité que de bâtir Saint- Pierre. N'y avait-il donc pas vingt manières cent fois plus utiles de dépenser cinq cents millions ? N'y avait -il pas deux cent mille malheureux à secourir, la moitié de la campagne de Rome à mettre en culture, les majorats à acheter à huit ou dix grandes familles de Rome et à distribuer à deux cent mille paysans, qui ne demandaient qu'un champ à cultiver pour n'être plus brigands ?
Vers 1730, le gouvernement papal, je ne sais par quel hasard, avait un million à dépenser. Valait-il mieux faire la façade de Saint- Jean-de-Latran, ou un quai qui remontât le Tibre de la porte du Peuple au pont Saint-Ange ?
La façade est ridicule: mais peu importe à la ques- tion. Le pape se décida pour la façade ; et Rome attend encore un quai qui peut-être diminuerait la fièvre qui dévore ces quartiers depuis les pre- mières chaleurs de mai jusqu'aux premières pluies d'octobre. Croirez-vous qu'on m'a montré dans le Corso, près de Saint-Charles-Borromée, la maison au delà de laquelle la fièvre ne passe jamais? Cette année le kinine fait des merveilles. Un chimiste célèbre, M. Manni *, le fabrique aussi bien qu'à Paris.
On me disait hier : « Quel dommage que Fran- çois I^^ n'ait pas fait la France protestante ! »
"SO STENDHAL
J'ai fort scandalisé l'apprenti philosophe en répondant : « C'eût été un grand malheur pour le monde ; nous fussions devenus tristes et raison- nables comme des Genevois. Plus de Lettres per- sanes, plus de Voltaire, surtout plus de Beaumar- chais. Avez-vous pensé au degré de bonheur d'une nation chez laquelle les Mémoires de Beaumarchais occupent toutes les attentions ? Cela vaut peut-être mieux que le révérend M. Irving mettant sa montre «n gage. H y a tant de maladies et de choses tristes dans la vie, que rire n'est pas raisonnable. Les jésuites à la manche large, les indulgences, la reli- gion telle qu'elle était en Italie vers 1650, valent beaucoup inieux, pour les arts et le bonheur, que le protestantisme le plus raisonnable. Plus il est rai- sonnable, plus il tue les arts et la gaieté. »
(L'état de la liberté de la presse *, en 1826, s'op- pose à ce que j'envoie à l'imprimeur :
1° La Vie de Pie VII, très favorable cependant •à ce vénérable pontife ;
2° La Vie du Cardinal Consalvi ;
3'' La Description du mécanisme du gouverne- ment romain. Les choses vont à peu près comme en 1500 : c'est un morceau curieux d'antiquité ;
4° L'Histoire du conclave de 1823, pendant le- quel je me trouvais à Rome. Chaque soir nous avions chez madame N... le détail du vote émis dans le •conclave par chaque cardinal ;
5° L'Histoire du secrétaire employé par Pie VI
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pour son travail sur les évêchés d'Allemagne ; le tour joué à ce secrétaire par le cardinal Consalvi ; les amours de madame la générale Pfiffer *).
Castel-Gandolfo, 1^^ octobre. — Je suis établi depuis un mois à Castel-Gandolfo ; je passe ma vie sur les bords du lac Albano et à Frascati. Ce serait être injuste envers ces sites délicieux que de les décrire en moins de vingt pages. — Anecdote du jeune paysan de Frascati, contée hier à la villa Aldobrandini. Ce climat inspire je ne sais comment V adoration pour la beauté. Mais je n'ai déjà que trop parlé de ce qui tient à la beauté : j'ennuierais les gens du Nord. Voici de la philosophie morale. A Rome, je vais presque chaque jour chez M. Tam- broni, au palais de Venise ; là je trouve son aimable femme, née à Chambéry, Canova, ami de la maison, et deux ou trois philosophes, tels, pour l'im- partialité et la profondeur de leurs jugements, que jamais je n'ai rencontré rien qui en approche.
Voici l'extrait de mes notes du mois dernier. Je vais à Rome ; mais la peur de la fièvre me ramène coucher à Castel-Gandolfo.
Les gens du Nord envisagent l'existence d'une manière grave, sérieuse, profonde si l'on veut. On a peut-être autant d'esprit à Rome qu'à Edim- bourg, et l'on y envisage la vie d'une manière vive, passionnée, remplie de sensations fortes, et un peu désordonnées si vous voulez. Dans la première
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hypothèse, le mariage et les liens de famille sont couverts de l'inviolabilité la plus emphatique. A Rome, le prince Colonna ou tout autre ne considère le mariage que comme une institution destinée à régler l'état des enfants et le partage des propriétés. Un Romain à qui vous proposeriez d'aimer toujours la même femme, fût-elle un ange, s'écrierait que vous lui enlevez les trois quarts de ce qui fait qu'il vaut la peine de vivre. Ainsi, à Edimbourg la famille est le principal, et à Rome V accessoire seulement. Si le système des gens du Nord engendre parfois la monotonie et l'ennui que nous lisons sur leurs figures, souvent aussi il procure un bonheur calme et de tous les jours. Ce qui est plus capital à mes yeux, peut-être le système triste a-t-il quelque secrète analogie avec la liberté et tous les trésors de bonheur qu'elle promet aux hommes*. Le système romain n'admet pas cette quantité de petits états qu'on appelle familles ; mais aussi chacun peut cher- cher le bonheur comme il l'entend.
Si je ne craignais de me faire lapider, j'ajouterais qu'il est un pays dont les habitants ont im- porté pour leur usage presque tout ce qu'il y a de mauvais dans le système triste des protestants et dans la manière voluptueuse de l'Italie.
Excepté parmi les personnes qui ont plus de quatre cent mille francs de rentes ou une très haute naissance, le lien conjugal est à peu près inviolable en Angleterre. A Rome, quand on célèbre un ma-
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riage dans une église, cette idée d'inviolabilité et de fidélité éternelle n'entre dans la tête de personne. Comme le mari sait cela d'avance, comme c'est une chose reçue et convenue, à moins qu'il ne soit épris lui-même, ce qui le placerait dans la situation d'un amant à l'égard de sa maîtresse, il ne s'inquié- tera guère de la conduite de sa femme après les premières années.
Il est un pays, où le mariage n'est qu'une affaire de bourse ; les futurs ne se voient que quand les deux notaires sont bien d'accord sur les articles du contrat. Mais les maris n'en prétendent pas moins à toute l'inviolable fidélité qui se rencontre dans les mariages anglais, et à tous les plaisirs qu'offre la société italienne. On voit, dans les a-parte des bals anglais, que les jeunes filles se choisissent un époux*.
Je vais dire des choses qui nuiront à mon livre ; j'ai besoin de courage ; je vais parler des mœurs romaines. Rome est italienne par excellence, bien supérieure à Naples, déjà un peu francisée, et à Bologne, qui quelquefois est petite ville. A Rome, tous les dix ans, on élit un roi : ce roi n'a peut-être pas été sans passions durant sa jeunesse. Quelle source d'intérêt * !
A Rome, point de gêne, de contrainte, point de ces façons convenues, dont la science s'appelle ailleurs usage du monde. Quand on plaît à une femme, rarement elle cherche à le cacher. Dite a... che mi piace est une phrase qu'une Romaine ne se
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fait pas scrupule d'employer. Si l'homme qui a le bonheur de plaire partage le sentiment qu'il inspire, il dit : Mi voleté bene ? — Si. — Quando ci wedremo ? Et c'est d'une manière aussi simple que commencent des attachements qui durent fort longtemps, huit ou dix ans par exemple. Une relation qui se rompt après un an ou deux fait peu d'honneur à la dame : on parle d'elle comme d'une âme faible qui n'est pas sûre de sa propre volonté *. La parfaite réci- procité de devoirs qui existe entre l'amant et sa maîtresse ne contribue pas peu à affermir la cons- tance. Au reste, dans ce pays où la politique est si fine, toute dissimulation est mise de côté. J'ai vu dernièrement, au bal magnifique donné par le ban- quier Torlonia, duc de Bracciano, qu'une femme ne danse qu'avec les personnes agréées par son amant. Osez-vous demander la cause des refus d'une jolie femme, elle répond avec simplicité : « // mio amico non lo ^'uole. — Domandate al mio amico. »
Et il se trouve chaque année * un ou deux Alle- mands qui ont la bonté d'aller demander à Vamico la permission de danser avec sa maîtresse.
Les jolies Romaines ont un tort grave : c'est celui de se moquer des Françaises, qui, à leur dire, ont plus de coquetterie que d'amour, et, après mille façons, finissent par arriver au même point. Je ne donne ceci que comme un exemple des jugements ridicules que les nations portent les unes sur les autres.
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On demandait à une Romaine ce qu'elle ferait si son amant lui était infidèle ; cet amant était pré- sent. Sans répondre, elle se lève, ouvre la porte, sort un instant, puis reparaît en tâtonnant, comme si elle s'avançait dans un lieu obscur. Chacun la regardait avec étonnement, quand on la vit, tou- jours avec la même pantomime, s'approcher de son ami, qui n'y concevait rien lui-même, et lui briser sur la poitrine son éventail qu'elle tenait à la main.
Ce fut là toute sa réponse. Que de jolies phrases une de nos femmes à la mode n'eût-elle pas débitées en pareille occasion !
4 octobre. — M. le marquis Ga..., amant de madame Bo..., l'une des plus belles femmes de Rome, se trouvait avec elle chez M. de Blacas *. La comtesse de Florès pria Ga... de chanter, en ajoutant d'un ton qui fit apparemment ressortir le calembour : « Cantate tanto bene, Galli * ! » A ces mots, la Bo... se lève furieuse : « E che sapete voi se canta bene ? — Si, lo so benissimo, » reprend madame de Florès d'un grand sang-froid : là-dessus, silence complet dans le salon ; et la plus terrible querelle s'engage entre ces dames. L'amant, fort bel homme, présent à la bataille, n'osait rien dire. Des amis firent avancer les voitures de ces deux dames, leur représentèrent combien il était inconvenant de se livrer à de pareils débats dans la maison d'un étran- ger, et ils eurent beaucoup de peine à leur faire
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quitter les salons de l'ambassadeur, chacune de son côté.
Une Romaine est capable de faire de ces sortes de scènes à son amant : elle lui donnera un coup de poignard ; mais jamais, quelque tort que celui-ci puisse avoir avec elle, ne redira ce qu'il lui aura con- fié dans des moments d'épanchement. Elle le tuera peut-être, et en mourra de chagrin ; mais ses secrets mourront avec elle. Le coup de poignard est fort rare dans la haute société, mais fort commun parmi le peuple, où il est assez rare qu'une femme se console de la perte de son amant. Je serais trop immoral si je racontais sept à huit autres anecdotes également de notoriété publique.
Chaque soir, à Rome, il y a réception, pour la haute société, dans les salons de M. l'ambassadeur d'Autriche, de M. l'ambassadeur de France, ou chez quelque prince romain. Le seconda ceto ne pénètre point dans ces salons, où règne un ton un peu francisé. C'est * dans les soirées données chez de riches marchands, qui sont à la tête du seconda ceto, que l'étranger trouvera les mœurs romaines dans toute leur énergie. On rencontre toujours * huit ou dix cardinaux chez les ambassadeurs... Mais ici je me souviens, à propos, de la jolie retraite où l'on a envoyé l'aimable et spirituel Santo- Domingo *.
Malgré tout ce que le vulgaire dit sur l'Italie, un homme qui joue la comédie est aussi rare dans la
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société à Rome ou à Milan, qu'un homme naturel et simple à Paris. Mais, à Rome, on ne dit pas de mal de la religion ; c'est comme à Paris un homme bien né ne prononce pas des mots grossiers dans un salon. Vous croyez que l'Italien est un hypocrite consommé, toujours mentant et dissimulant *, et c'est l'être le plus naturel de l'Europe, et qui songe le moins à son voisin. Vous le croyez un conspirateur profond, l'être prudent par excellence, un Machiavel incarné : voyez l'innocence vertueuse et girondine des conspirateurs du Piémont et de Naples *. Le Romain me semble supérieur, sous tous les rapports, aux autres peuples de l'Italie : il a plus de force de caractère, plus de simplicité, et incomparablement plus d'esprit. Donnez-lui un Napoléon pendant vingt ans, et les Romains seront évidemment le premier peuple de l'Europe. C'est ce que je prou- verais facilement s'il me restait assez de place. Si cette brochure a une autre édition, je donnerai dix anecdotes prouvant l'assertion qui précède.
10 octobre. — Hier soir, j'ai couché à Rome. Vers les neuf heures, je sortais de ces salles magnifiques voisines d'un jardin rempli d'orangers, qu'on ap- pelle le café Ruspoli : vis-à-vis le café se trouve le palais Fiano. Un homme, à la porte d'une espèce de cave, disait : Entrate, o signori 1... (Entrez, entrez, messieurs ; voilà que ça va commencer). J'entre, en effet, dans ce petit théâtre, pour la
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somme de vingt-huit centimes. Ce prix me fit re- douter la mauvaise compagnie et les puces. Je fus bientôt rassuré. Je m'aperçus, au ton de la conver- sation, que j'avais pour voisins de bons bourgeois de Rome : vingt-huit centimes sont, en ce pays, une somme assez importante pour écarter la canaille du dernier ordre. Le peuple romain est peut-être celui de toute l'Europe qui aime le mieux la satire fine et mordante. Son esprit extrêmement fin saisit avec avidité et bonheur les allusions les plus éloi- gnées. Ce qui le rend beaucoup plus heureux que le peuple de Londres, par exemple, c'est le désespoir. Accoutumé depuis trois siècles à regarder ses maux comme inévitables et éternels, le bourgeois de Rome ne se met point en colère contre le ministre, et ne désire point sa mort : ce ministre serait remplacé par un être aussi méchant. Ce que le peuple veut avant tout, c'est se moquer des puissants et rire à leurs dépens : de là les dialogues entre Pasquin et Marjorio. La censure est plus méticuleuse que celle de Paris, et rien de plus plat que les comédies. Le rire s'est réfugié aux marionnettes qui jouent des pièces à peu près improvisées.
J'ai passé une soirée fort agréable aux marion- nettes du palais Fiano, quoique les acteurs cependant eussent à peine un pied de haut : le théâtre sur lequel ils promènent leur petite personne enluminée peut avoir dix pieds de large et quatre de hauteur. Ce qui prépare le plaisir, et j'oserai dire l'illusion, c'est que
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les décorations de ce petit théâtre sont excellentes. Les portes et les fenêtres des maisons qu'elles repré- sentent sont soigneusement calculées pour des acteurs qui, au lieu de cinq pieds, ont douze pouces de haut.
Le personnage à la mode parmi le peuple romain, celui dont il aime surtout à suivre les aventures, c'est Cassandrino *. Cassandrino est un vieillard coquet de quelque cinquante-cinq à soixante ans, leste, ingambe, à cheveux blancs, bien poudré, bien soigné, à peu près comme un cardinal. Du reste, Cassandrino est rompu aux affaires, il ne se fâche point : à quoi bon dans un pays sans insolence mili- taire ? Il brille par l'usage du monde le plus parfait ; il connaît les hommes et les choses ; il sait surtout ménager les passions du jour. Sans toutes ces qua- lités, le peuple romain l'apjjellerait inllano (paysan) et ne daignerait pas rire de lui *. En un mot, Cassan- drino serait un homme à peu près parfait, un Gran- disson sexagénaire, s'il n'avait pas le malheur de tomber régulièrement amoureux de toutes les jolies femmes que le hasard lui fait rencontrer ; et, comme c'est un homme du Midi qui ne s'amuse pas à rêver l'amour, il veut les séduire. Vous conviendrez que ce personnage n'est pas mal inventé pour un pays gouverné par une cour oligarchique, composée de célibataires, où, comme partout, le pouvoir est aux mains de la vieillesse. Qui songerait à prendre ombrage de Cassandrino * ? Il y a cent ans que ce
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personnage est à la mode. Il va sans dire qu'il est séculier ; mais je parierais que, dans toute la salle, il n'y a pas un spectateur qui ne lui voie la calotte rouge d'un cardinal *. ou au moins les bas violets d'un monsignore. Les monsignori sont les jeunes gens de la cour du pape, les auditeurs de ce pays : c'est la place qui mène à toutes les autres. Le car- dinal Consalvi, par exemple, a été monsignore, et a porté des bas violets trente ans de sa vie. Rome est rempli de monsignori de l'âge de Cassandrino, qui n'ont pas fait fortune aussi jeunes que le cardinal Consalvi et qui recherchent des consolations en attendant le chapeau.
La pièce de ce soir s'appelle Cassandrino allievo di un pittore (Cassandrino élève en peinture). Un peintre célèbre a beaucoup d'élèves et une sœur fort jolie. Cassandrino, beau petit vieillard de soixante ans, avec la mise la plus soignée, arrive chez elle, et ne manque pas de se donner en entrant toutes les grâces modestes d'un jeune cardinal *.
L'arrivée de Cassandrino sur le théâtre des ma- rionnettes, et les trois ou quatre tours de salon qu'il fait en attendant sa belle, que la cameriera di casa est allée avertir, après avoir reçu un paoletto d'étrenne, suffisent pour mettre les spectateurs en belle humeur, tant les mouvements de cette poupée imitent avec fidélité le genre d'affectation d'un jeune monsignore. La jeune sœur du peintre arrive enfin, et Cassandrino, qui n'a pas encore osé, à cause
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de son âge, hasarder une déclaration trop claire, la prie de lui permettre de chanter une cavatine qu'il vient d'entendre dans un concert, et dont il est encore charmé. Tout le piquant du personnage consiste dans cette timidité prudente fondée sur son âge, et dans la foule de petits moyens adroits qu'il met en usage pour faire oublier ses cheveux blancs. Cette cavatine a été chantée à ravir : c'est un des plus jolis morceaux de Paisiello. Elle a été applaudie avec transports ; l'illusion était un peu écartée : car les spectateurs s'écriaient à tout mo- ment : hraça la ciahattina ! (Cette cavatine était chantée dans la coulisse par la fdle d'un savetier, qui a une voix superbe.)
Cet air fort passionné fait déclaration pour le tendre Cassandrino. La sœur du peintre lui réioond par des compliments infinis sur la fraîcheur de sa toilette et sur sa bonne mine ; compliments que le vieux garçon reçoit avec délices. Il lui raconte à cette occasion l'histoire de son habit. Le drap en est venu de France ; Cassandrino parle ensuite de son pan- talon qui arrive d'Angleterre, de sa superbe montre à répétition (il la tire et la fait sonner), qui lui a coûté cent guinées chez le meilleur horloger de Londres. Cassandrino, en un mot, étale tous les ridicules d'un vieux garçon ; il nomme par des so- briquets d'intimité tous les marchands à la mode de Rome, indique par ses gestes les fats célèbres étrangers, et il y en a toujours un ou deux que
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l'excès de leurs ridicules fait connaître du peuple de Rome. A chaque mot, il approche sa chaise de celle de la jeune fille. Tout à coup un si agréable tête à tête * est interrompu par le jeune peintre, frère de la demoiselle, qui paraît avec des favoris énormes et des cheveux bouclés fort longs. C'est le costume obligé des gens de génie.
Le jeune peintre prie brusquement Cassandrino de ne plus honorer sa sœur de ses visites, et il lui rend une miniature qu'il en avait reçue pour la restaurer.
Au lieu de se mettre en colère, Cassandrino accable de compliments et de choses flatteuses le jeune homme qui le chasse. Celui-ci, resté seul * avec sa sœur, lui dit : « Comment avez-vous l'im- prudence de recevoir en tête à tête * un homme qui ne peut pas vous épouser ? » Ce trait fort clair a été applaudi à tout rompre. Nous avons eu ensuite un monologue fort plaisant de Cassandrino dans la rue. Rien ne peut le consoler de l'impossibilité de voir sa belle. Il se plaint tour à tour de quelque petite incommodité de son âge, et des tourments que lui cause * l'excès de sa passion. Des éclats de rire interrompaient à chaque phrase le silence de la plus profonde attention. Les raisonnements qu'il se fait pour se déguiser ses soixante ans, sont d'autant plus comiques, que Cassandrino n'est point un sot : c'est au contraire un homme de beaucoup d'expérience et même d'esprit, qui ne fait des folies
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que parce qu'il est amoureux. Il se résout enfin à s'habiller en jeune homme, et à se présenter chez le peintre comme un jeune élève de dix-huit ans.
Au second acte, on le voit arriver chez le jeune peintre. Il s'est mis d'énormes favoris noirs ; mais, dans son empressement, il a oublié d'ôter ses boucles poudrées à blanc sur l'oreille. Il parvient à voir sa belle, et la scène d'amour avec la jeune fdle est excellente de ridicule : il l'adore, et c'est bien l'amour d'un vieux garçon. Il parle toujours de sa fortune, et finit par la proposition de la partager avec elle : « Nous vivrons heureux, lui dit-il, et personne ne connaîtra notre bonheur. » A ce trait, les rires et l'enthousiasme du public ont interrompu la pièce pendant deux minutes. Comme il est aux genoux de sa belle, il est surpris par une vieille tante de la jeune fille, qui l'a connu quarante ans auparavant à Ferrare, où il était employé ; elle lui rappelle qu'il lui parla d'amour, et le persécute tellement, que Cassandrino, de désespoir, se sauve dans l'atelier du peintre. Il reparaît bientôt, comme un autre Pourceaugnac, suivi par tous les jeunes gens qui se moquent de ce nouveau camarade à favoris noirs ■et à cheveux blancs. Arrive le jeune peintre qui renvoie ses élèves, et a un long dialogue fort sérieux avec Cassandrino, Celui-ci sent le voisinage du poignard. Cassandrino meurt de peur, non d'être battu, mais de faire un éclat ; autre trait dont la sagacité romaine jouit avec délices.
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Enfin, le jeune peintre, après s'être assez amusé de Cassandrino, qu'il persiste à prendre pour un voleur, le reconnaît enfin : « Vous êtes venu, lui dit-il, pour prendre une leçon de peinture. Je vais vous la donner : je commencerai par le coloris. Mes élèves vont vous dépouiller de vos habits, après quoi ils vous peindront le corps de la tête aux pieds d'une belle couleur rouge (allusion à un grand costume) : et, parvenu ainsi au comble de vos vœux, ils vous promèneront dans le Corso. » Effroi de Cassandrino : il consent à épouser la tante, à la- quelle il a jadis fait la cour à Ferrare. Cette tante lui saute au cou. Il s'approche de la rampe, et dit en confidence aux spectateurs : « Je renonce au rouge : mais je vais devenir l'oncle de l'objet que j'adore, et... » Il feint, à ce moment, que quelqu'un l'appelle, tourne la tête, et les spectateurs le cou- vrent d'applaudissements.
Après la fin de la pièce, un enfant s'est avancé sur le théâtre pour arranger les lampes ; deux ou trois étrangers se sont récriés. Il nous a fait l'effet d'un géant, tant l'illusion avait été complète, et si peu nous songions à la petite taille ou aux têtes de bois des personnages qui nous faisaient rire de- puis trois quarts d'heure.
Nous avons eu ensuite un ballet, le Puits enchanté, tiré des Mille et une Nuits ; plus étonnant, s'il se peut, que la comédie pour le naturel et la grâce des mouvements des danseurs. Je me suis enquis
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auprès de mes voisins du mécanUme de ces char- mantes figures de Lois. Les pieds sont garnis de plomb. Les fils qui les font mouvoir passent dans l'intérieur du corps et sortent sur le haut de la tête ; ils sont tous renfermés dans un tuyau noir qui con- tient aussi les fils particuliers qui font mouvoir la tête ; les fils qui donnent le mouvement aux bras sont seuls un peu \asibles. C'est pourquoi la meil- leure place est à cinq ou six pas du théâtre. Les yeux se meuvent aussi, mais au hasard, suivant que la tête penche plus à droite ou à gauche.
Ce que je ne puis vous peindre, c'est l'extrême adresse avec laquelle on imite la nature par des moyens qui, à les voir décrits dans ma lettre *, me semblent à moi-même si grossiers.
18 octobre. — Ce soir, au milieu de la conversa- tion chez madame Crescenzi, un fort bel homme de trente-six ans, avec des yeux plus sombres en- core que ceux qu'on rencontre d'ordinaire à Rome, a tout à coup pris la parole. Il a parlé tout seul pendant cinq minutes *, et assez bien ; après quoi il est retombé dans un morne silence. Personne n'a répliqué à ce qu'il avait dit, et la conversation a repris comme si elle avait été interrompue par un accident.
Voici l'histoire de la princesse Santa Valle, qui, du reste, est imprimée partout, et que le lecteur est engagé à passer, s'il la connaît. Une belle com-
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tesse, née en Allemagne, une de ces femmes cosmopo- lites fort protégées par la diplomatie du xix^ siècle, vivait à Naples avec le plus grand luxe, et recevait toute la société. On voyait sur les genoux de la jeune comtesse une jolie petite fdle de huit à dix ans ; la comtesse passait sa vie à l'embrasser dans des transports de tendresse, ou à lui donner des coups de pied et à la mordre. La petite fdle, au désespoir, obtint de sa protectrice, par le moyen d'un jeune prêtre, ami de la maison, d'être mise au couvent de Sorrento, la patrie du Tasse, et le plus beau lieu de la terre. Ses charmes se développèrent avec son esprit. A peine âgée de seize ans, on la citait comme la jeune fdle la plus distinguée de Naples. Un homme vain, le prince Santa Valle, avait alors les plus beaux chevaux, les voitures les plus nou- vellement importées de Londres : il pensa que la plus belle femme de Naples compléterait son luxe. La pauvre Emma, qui redoutait un peu les folies de la comtesse sa protectrice, qui lui disait l'avoir adoptée en la trouvant orpheline dans une auberge, la pauvre Emma se trouva trop heureuse d'épouser l'être d'Italie qui savait le mieux de combien de lignes la manchette de la chemise doit dépasser l'habit. Elle devint princesse. La négociation fut conduite avec beaucoup d'adresse par le comtesse cosmopolite. Quand le prince fut tout à fait engagé, elle lui avoua qu'Emma était sa fdle, et qu'elle avait pour père le jeune prêtre romain qu'on voyait
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jchez elle. Ainsi se trouva expliquée la ravissante beauté de cette enfant, fruit de l'union contractée entre une fort jolie femme du Nord et l'un des plus beaux hommes du Midi. Peu de mois après le mariage d'Emma, les événements politiques for- cèrent le prince de Santa Valle à quitter Xaples. La jeune princesse vint à Rome, où elle fut reçue magnifiquement par le fameux princî Antoine Borghèse, homme de mérite. Elle habitait depuis longtemps le palais Borghèse, lorsque le bruit de la mort de son mari se répandit à Rome. La jeune veuve se hâta de prendre le deuil : et il y eut au monde deux cœurs heureux de plus. Emma aimait avec passion un jeune noble romain, mais jusque-là ne l'avait vu qu'en présence d'une vieille duègne de la maison Borghèse. qu'elle avait prise à son service, aussitôt qu'elle se fut laissée aller à la faiblesse de recevoir son amant chez elle. A peine €ut-elle pris le deuil, que le futur mariage du jeune Romain ne fut plus un secret dans la société. Après une année, la plus heureuse de la vie de la pauvre Emma, elle allait enfin épouser son amant, et le voir hors de la présence de la duègne, quand arriva la nouvelle qu'elle n'était pas veuve. Bientôt le prince Santa Valle parut à Rome. Peu de jours après on trouva la jeune femme morte sous un berceau de fleurs dans le beau jardin Farnèse, qui domine le Forum. Le mari, fort bon homme, et point jaloux, ne fut nullement soupçonné. On supposa
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que la jeune princesse avait cédé à une idée inspirée par son origine allemande, « Son amant est devenu presque fou, ajouta la personne qui me parlait ; et vous avez pu en juger : c'est ce pauvre homme que vous venez de voir. Quand il est seul, on l'en- tend faire la conversation avec la princesse Santa Valle ; il croit qu'elle lui répond, et il lui parle des préparatifs de leur prochain mariage *. »
FIN DE ROME, NAPLES ET FLORENCE
TABLE
TOME PREMIER
Berlin.. |
7 |
||
Ulm . . . |
7 |
||
Munich |
8 |
||
JVIlLAN. . |
— Le théâtre de la Scala SolHva |
8 |
|
— |
12 |
||
La tyrannie |
14 |
||
Le Dante, Raphaël, Cimarosa. . . L'amour |
15 15 |
||
Le balcon |
17 |
||
L'échelle de corde Rassi Leinate |
18 20 92 |
||
Desio |
23 |
||
Madame Catalan! La beauté anglaise |
27 32 |
||
Le taroc La colère au jeu |
36 37 |
||
Le Français |
28 |
||
Le Casin de San Paolo Une belle maison |
39 40 |
||
Architecture |
41 |
||
Un fat milanais |
44 |
||
Rai à San Paolo Les mœurs |
45 52 |
||
Danger John Scott |
52 53 |
100 STENDHAL
Milan — Le Dôme de Milan 54
— Prina 60
— Les ciceroni 62.
— Les nains 64
— Les vice-rois 6S
— Rossini 66
— • Saint-Charles Borromée 68
— Les curés du Milanais 68
— Musée de Brcra €9'
— Mme de Staël 70
— Silvio Pellico 72
— M. Gioja 72.
— - Nelson 73
— Soirées à la Scala 74
— Société de Venise 75
— Mœurs de Brcscia 77
— Le comte Vitelleschi 77
— Musique des régiments allemands. 80
— Canova 81
— Appiani 83
— Histoire de Milan 85
— Le carnavalon 87
— ■ Les bals masqués 88
— Le duel 88
— Incrédulité du vulgaire 91
— La probité politique 91
— L'opinion en Italie 92.
— Absence de toilette 93
— Visites 9i
— Le vestibule de la Scala 9*
— L'éducation 95
— - Viganô 97
— De Brosses et Mistress Radcliffe. . 98
— Beccaria et Verri 9^
— De la plaisanterie 100
— Parini 101
— Pian d'Erba 102
ROME, NAPLES ET FLORENCE 101
Milan — Jansénisme do l'Autriche 102
— Le maréchal do Bcllegarde 103
— La croix de la Couronne de fer. .. . lO't
— Insolence dos Français 105
— Airs boufîes 10'>
— Gaîté 107
— Monuments de Milan 107
— Peinture 108
— Institut 109
— Vanité des artistes 110
— Madame Vieillard 110
— Le Corso 111
— Plan de conduite 114
— Beauté lombarde 115
— César Beccaria 119
— Portraits de cent Italiens illustres. 120 Théâtre patriotique 121
— Les sopranos 122
— Le rire en Italie 1 23
— Le tempérament bilieux 124
— Mœurs de Milan 1 25
— Jean de Mûller 1 27
— La Mandragore 128
— L'abbé itahen 129
— La Zecca 1^0
— Rues de Milan 130
— Les cours d'Italie 133
— Gouvernements d'Italie 134
— Le lazzarone et le devoir 135
— Le peuple à Naples 135
— La peine de mort 136
— Les femmes en Italie 137
— Modène 141
— Le départ d'un Italien 142
— Présentation à un Français.... 142
— Un sous-lieutenant du Midi.... 143
— Un pauvre amoureux 144
Rome, Naples et Florence, II 7.
102
STENDHAL
Milan.
Plaisance ,
Reggio. . .
Samoggia. Bologne..
Métaphysique des arts 148
La pierre de touche 149
Les âmes arides 150
Poésie milanaise 151
Le départ 152
Grossi 154
PeUico 154
Les employés 158
L'apparition du devoir 15^
La force de caractère 161
Les voleurs 162
Vérités démontrées 163
Pavie 164
Les étudiants de Pavie 165
Pétrarque 166
Le jeune Parisien 167
Les Visconti 169
Le paysan italien 171
Héroïsme de voleur 173
Fresques du Corrège 173
M. Bodoni 174
Le collège de Modène 175
Galeries de Bologne 177
Malheur d'artiste 177
La Garisenda 179
Les Carrache 180
L'affectation 181
Ecole de Bologne 183
Pie VI 184
Liberté des propos 185
Affaire Lepri 186
Gouvernement papal 1S7
Personnel des gouvernants 188
Pas d'opéra 190
Aventure napolitaine 192
Patriotisme véritable -03
Patriotisme d'antichambre -04
ROME, NAPLES ET FLORENCE 103
Bologne — Blâme imprime avec la censure. , . 205
— Manque de politesse 20G
— Susceptibilité 207
— Nouvelle langue 208
— Imitation de Louis XIV 203
— Pudeur anglaise 209
— Exagération italienne 210
— Les issimo 211
— La société à Bologne 212
— La première visite 213
— Les regards 21 4
— Etre aimable 21 5
— Le dolce far nienle 216
— Les façons 217
— La méfiance 217
— Danger sous Louis XVI 218
— Précautions 21 9
— Anecdotes 220
— Le valet de cœur 221
— Anecdote française 222
— Misanthropie 223
— L'homme d'esprit de la famille.. 224
— Les sots 225
— Le Rocolo 226
— Vers de Properce 227
— Etat précaire 227
— L'honneur sous le gouvernement
vénitien 228
— Le gouverneur vénitien 229
— Bergame 230
— La tasse de café 231
— Histoire d'Italie 233
— Vengeance de l'orgueil 234
— Bains de la Poretta 235
— Un emprunt 239
— Les brou-brou 240
— On achète au 12 pour 100 241
104
STENDHAL
Bologne — Ennuis d'un propriétaire 241
— Pas de fats 2^2
— Prix des moindres préférences. . . 242
— Rareté du fat 243
— Rareté de l'humeur revêche 244
— Rareté des devoirs 245
— Agrément du jeu sans affectation. 246
— La tribune française 248
— La Logique à Ravenne 218
— Amour italien 249
— Itinéraires 250
— L'anecdote italienne 251
— Rareté des suicides 252
— Faire fortune à Bologne 254
— Mécanisme social 256
— Rosenfeld et Frédéric II 258
— Les miracles 259
— Les Anglais en Italie 260
— Impossibilité de l'esprit 262
— Prudence italienne 262
— Curiosités morales 263
— Prudence 264
— Esprit italien 265
— Mépris pour les menaces 266
— Parisina 267
— Société de Bologne 268
— Salons de Bologne 269
— Les émotions 271
— Manque de sécurité 272
— Expérience sur une armée 273
— Absence de logique 273
— Le comte Albareze 274
— Inquiétudes 276
— Etat précaire 277
— Le vulgaire de la littérature 278
^ Charlatanisme 278
— M. Maio, bibliothécaire du Vatican 279
ROME,
NAPLES ET FLORENCE 105
Bologne — Intrigues à l'Institut 280
- — Prétentions des Florentins 281
— Traductions impossibles 283
— Supériorité de Florence en 1400. . 283
— Soirée littéraire 28G
— L'Arioste et Catulle 287
— Supériorité morale des gens de
lettres italiens 288
— Le comte Perticari 288
— M. Pietro Giordani 290
— Moralité des artistes 291
— Mort des Visconti 292
— Les bourgeois de France 293
— Tombeau de Machiavel 293
— Le piquant inintelligible 294
— Les quatre amours 295
— La comtesse Valamara 296
— Paris vu par un étranger 298
- — - Le marquis Pepoli 104
— Les Bentivoglio 304
— Essais de constitution 305
— Santi Bentivoglio.; 307
— • Séductions monarchiques 308
— Agitation des xiii^, xiv^ et xv®
siècles 309
— Bulles d'Innocent VI 311
— L'Auguto 312
— L'ambassadeur de Bologne à
Rome 313
— Economies de la noblesse 314
— Les jeunes nobles 315
— Désappointement 316
— La Montagnola 317
— M. le cardinal Spina 318
Pietra-Mala. — Route de Florence 319
— Aspect des Apennins 319
— Bonheurs de l'ignorance 320
106
STENDHAL
— Voleurs de l'Apeimin 321
Florence. . . — Sania Croce 324
— Arcades semi-gothiques 327
— Présence du danger 328
— Palazzo Vecchio 329
— Dureté du Florentin 331
— Rossini 332
— Caractère toscan 333
— Caractère florentin 334
— Paysans de la Toscane 338
— Sagesse des Toscans 338
— Gens inexaltables 339
— Les Cascine 340
— Fra Bartolomeo 341
— Epigrammes 342
— M. Benvenuti 342
— Un philosophe juif 343
— Un théâtre de marionnettes 344
— Cosimo, domestique 347
— Bourgeoisie de Toscane 348
— Ferdinand III 348
— Election des mciires 349
— Sonnet de Monti 350
— Volterre 352
— Murs cyclopéens 352
— Castel Fiorentino 354
— Paysans de Castel Fiorentino.... 354
— Italien de Como 357
— Monomanie de l'auteur 357
— Départ de Florence 358
— Procès de Napoléon 359
ToRiNiERi ... — Un curé toscan 360
— Administration française en Italie. 361
— Impiété des paratonnerres 362
— Villes de l'antique Etrurie 363
— Beautés célèbres 364
— Jamais de Louis XIV 365
ROME, NAPLES ET FLORENCE 107
— Le marquis Filorusso 365
— Vengeances italiennes 3G6
Rome — Archevêque ministre de la guerre. 368
— Murât 369
— Les inscriptions 360
— Les Romains 370
— Saint François d'Assise 372
Terracine 372
Capoue 375
Naples — Théâtre des Florenllns 376
— Ouverture de San Carlo 379
— Le prince Corvi 387
— Histoire de Ghita 388
— Caractères singuliers 388
— Ballet de CendriUon 389
— Perfection de la danse 390
— Deux écoles de danse 391
— Les jésuites excellents pour les arts. 392
— Susceptibilité 392
— Le Chêne de Bénévent 393
— Yiganô restera obscur 3.4
— Chute des arts au xix^ siècle. . . . 396
— L'ermite du Vésuve 397
— Joconde de Vestris III 397
— M. Blanchi de Lugano 400
— S. François-de-Paule 400
— Rossini 401
— Paër et M. de Chateaubriand.... 403
— Ischia 409
— Les Anglais 411
— San Carlo 412
TOME SECOND
Salerne — La Calabre 2
— Pompeï 3
— Alfieri 4
108
STENDHAL
Otrante.
Catanzaro. . . —
Naples
Rome ,
Agadaneca, M. de Galcnberg. . . . 5
De' Marini 7
jMiie Marchioni 8
Pertica 9
La Jeunesse de Henri V 10
Goldoni 11
Portici 12
L'abbé Taddei 14
Les arts et la liberté 15
Révolution de 1799 18
Restauration de 1799 20
Atroce calomnie 31
Le brigand 32
Désintéressement de 1810 33
Les Calabrais 34
Un suicide 35
Les Indépendants 41
Inquiétudes 43
Les femmes sous François I^'. . . . 45
Supériorité du beau sexe 46
Beauté des femmes du peuple. . . 47
Bons mots italiens 48
Anecdote 48
Aristide 50
Une corne de dix pieds 50
La jeilatura 51
Soirée à Portici 53
Paris vu de Portici 53
Paris 55
Marionnettes satiriques 61
Aurons-nous un premier ministre? 62
* Messe à la Sixtine 65
* Les chapons sacrés 68
* Saint-Pierre 68
* Le Dictionnaire de Chalmers.. 70
* La canaille romaine 71
Baïonnettes à l'église 71
(
ROME, NAPLES ET FLORENCE lO'J
Rome — * Le théâtre d'Argentine 72
— * La colonne Trajane 74
— Le théâtre Valle et les sévérités
de la police 7'i
— * Les consolations de la musique. . 76
— * Les bustes exilés 77
— * Un ministre pas hypocrite 78
— * Le protestantisme et les arts.. 80
— Fragments refusés par l'impri-
merie ^0
— Le mariage au Nord et au Midi. . 81
— Les Romaines et l'amour 83
— Les Marionnettes 87
— Cassandrino 89
— La princesse Santa- Yalle *... . 95-
APPENDICE
NOTE DE L'EDITEUR
L'édition de 1854 donne, à la suite de Rome, Naples et Florence, sous le titre d' « Appendice, fragments de la pre- mière édition de 1817 » (pages 325 à 432), la plupart des pas- sages non réimprimés par Stendhal dans l'édition de 182G, avec la note suivante que nous reproduisons intégralement :
« La première édition de Rome, Xaples el Florence a été « publiée par Stendhal en 1817. A cette époque il n'avait « fait qu'un seul voyage en Italie, et avait écrit son livre « d'après les premières impressions reçues d'un séjour assez « peu prolongé dans les principales villes de la Péninsule. « Quand depuis, en 1826, l'auteur entreprit de publier une « seconde édition de son ouvrage, il avait résidé longtemps « au delà des Alpes, et eut l'occasion de revenir sur sa « première opinion : aussi cette seconde édition fut-elle pour « ainsi dire une nouveau livre, dans lequel idées, juge- « monts, observations, dates même, tout fut changé et « remanié. On comprendra que nous ayons choisi pour modèle « de notre texte cette seconde édition, beaucoup plus déve- « loppéc que la première et qui contient les idées définitives « de Stendhal sur l'Italie. Toutefois, comme nous avons « remarqué dans l'édition de 1817 des passages importants « qui ne se trouvent en aucune façon reproduits dans celle « de 1826, nous avons cru ne pouvoir nous dispenser de faire « figurer dans ce recueil des Œuvres complètes de Stendhal « ces passages importants qui donneront au lecteur une idée « des premières sensations éprouvées par l'auteur dans sa « jeunesse. Ce sont ces fragments qui forment l'appendice « du volume de Rome, Aaples et Florence.
« On ne sera pas surpris, après ce que nous venons de dire, « de trouver dans cet appendice des opinions peu conformes
Rome, Naples et Florence, II 8
114 STENDHAL
« à celles exprimées dans le volume et une singulière discor-
« dance dans les dates. L'auteur avait sans doute voulu
« éviter qu'on pût fondre ensemble les deux éditions : c'est
« pour cela que, respectant sa pensée, nous avons, tout en
« reproduisant tous ses textes, fait de ces deux versions
« deux parties bien distinctes du même livre. »
Les scrupules manifestés par Colomb sur la « documenta- tion » de la première édition de Rome, Naples et Florence, sont assez plaisants. Sans compter les voyages antérieurs de 1800 à 1813 (voir le Journal), Stendhal venait de vivre en Italie, d'une façon à peu près continue ', du mois d'août 1814 au mois d'avril 1817, soit pendant deux ans et demi '- c'est ce que Colomb appelle « un séjour assez peu prolongé ». On peut trouver tout de même que c'est un séjour suffisant pour écrire une brochure sur l'Italie : de nos jours, on écrit des livres sur les pays étrangers, après des séjours beaucoup moins prolongés, et parfois sans y être presque allé. Il faut surtout se rappeler que Stendhal vivait en Italie, non pas avec des bandes de touristes, parcourant au galop, en caravanes plus ou moins économiques, les cités et les cam- pagnes, mais isolé de tout compatriote et se mêlant avec délices aux hommes et aux choses d'Italie ; le plaisir naïf et, en quelque sorte, animal qu'il éprouva à rencontrer une société et des mœurs si différentes de celles qu'il connaissait a été, de nos jours, retrouvé par quelques Européens dans les pays exotiques.
Lorsqu'il rédigeait sa note de 1854, Colomb oubliait sans doute que lui-même, après un voyage de trois mois et douze jours seulement en Italie et en Suisse, s'était cru suffisam- ment « documenté » pour écrire et publier un in-octavo com- pact de 484 pages 2, dédié d'ailleurs au célèbre ^I. Jay de Grenoble, un des compatriotes de Stendhal. Il est vrai que c'est le journal sans prétention d'un rond-de-cuir souffre- teux qui cherche uniquement dans un voyage en Italie le soulagement à « des maux de tête accompagnés de tous les petits malaises qui forment leur cortège habituel ».
Combien voyait plus juste Duvergier de Hauranne qui, dès 1829, écrivait les hgnes sviivantes : « ... Si quelques
1. Sauf une courte absence en 1816.
2. Dont, à la vérité, plus de cent sont de Stendhal.
ROME, NAPLES ET FLORENCE 115
t théories de M. de Stendhal ont passé de mode, si plusieurs « de ses idées ont vieilli, il lui reste encore une mine abon- « dante et riche, une mine qui lui convient, et qui de long- « temps ne sera épuisée. Cette mine, c'est l'Italie, que per- « sonne ne connaît et n'aime plus que lui. Et quand noua « disons l'Italie, nous ne parlons pas seulement du pays et a des monuments, mais des hommes, c'est-à-dire de ce que t la plupart des voyageurs passent assez sottement sous c silence. Un beau paysage est sans doute une admirable « chose, mais le faites-vous voir en le décrivant ? Comment « aussi reproduire par la parole l'Apollon du Beh'éd^re, et t la Vierge à la chaîne, Saint-Pierre de Rome et le Colisée ? « Tout au plus pourrez-vous éveiller vaguement quelques- « unes des émotions que vous avez ressenties, ou, par une « dissection philosophique, donner l'idée de chaque partie, « mais sans exprimer l'ensemble. Peignez au contraire un « homme ; et tout homme vous comprendra, tout homme t du moins qui voudra sortir de son cercle habituel et se « replier su» lui-même. Or, pour M. de Stendhal, l'homme « en Italie est inséparable du climat et des arts. Ses senti- « ments simples et vrais, ses passions énergiques et naïves, « ses mouvements spontanés et francs, sa vie même, molle « et mal réglée, mais douce, mais libre d'entraves, mais « sans cesse parée par l'imagination, animée par l'enthou- « siasme, échauffée par la passion, tout séduit M. de Sten- « dhal, tout l'entraîne, tout lui fait, pour ainsi dire, prendre « au delà des Alpes des lettres de naturalisation. Et ce «t n'est point, comme tant d'autres, de fantaisie qu'il peint. « Dix ans de sa vie se sont passés chez les Italiens. Là, il « y a pu observer leurs mœurs, et, ce qui vaut mieux, s'y e associer. Assurément nous n'approuvons pas toujours ce « qu'il approuve, nous n'excusons pas ce qu'il excuse ; mais, « du moins, pouvons-nous avee lui nous former un jugement « impartial. Pour bien apprécier les gens, il faut commencer « par les comprendre, et c'est à quoi trop souvent on songe a peu. Que seraient les plus beaux siècles du moyen-âge, 0 que serait l'antiquité elle-même, si on la jugeait comme « la plupart des voyageurs jugent aujourd'hui l'ItaUe ^ ?... a
1. Le Globe, du 24 octobre 1829, n° 85, article sur les Promenades dan» Rome, signé 0 (Duvergier de Hauranne). L'article sur Rom», Naples et Florence, annoncé par le Globe du 7 avril 1827 (voir l'Avant-
116
STENDHAL
Quoi qu'il en soit, l'idée de Colomb de respecter la phy- sionomie propre des deux éditions de 1817 et de 1826 nous paraît excellente ; c'est pourquoi nous l'avons reprise. Nous réimprimons donc l'appendice de 1854 dans la présente édition. Nous avons dû corriger les nombreuses et grossières fautes qui fourmillent dans cet appendice, et dont on se fera une idée en consultant nos notes critiques. Nous avons d'autre part complété l'appendice en y rétablissant les frag- ments, assez nombreux, que Colomb a laissés de côté, sans qu'on en voie la raison. Nous mettons entre crochets [ ] les passages qui ne figurent pas dans l'édition de 1854.
Nous avons dressé la table de concordance ci-dessous des deux itinéraires supposés de l'édition de 1817 et de celle de 1826 :
Édition de 1817.
Berlin : 4 octobre 1816. Munich : 25-26 octobre. Milan : 4-30 novembre. Parme : 1^' décembre. Bologne : 2 décembre. Florence : 5-8 décembre. Viterbe : 9 décembre. Rome : 10 décembrc-8 jan- vier 1817.
Édition de 1826.
Berlin : 2 septembre 1816.
Munich : 15 septembre.
Milan : 24 septembre-13 dé- cembre.
Parme : 19 décembre.
Bologne : 20 décembrc-19 janvier 1817.
Florence : 20 janvier-l^' fé- vrier.
Propos) ne parut pas; ce n'est qu'en 1829 que Duvergier de Hau- ranne profita des Promenades dans Rome pour formuler, dans la première partie de son article, un jug^ement d'ensemble sur l'œuvre de Stendhal. Rien ne manque à cet article, pas même le fameux Milanese. 11 se poursuit, pendant quatre grandes colonnes du Globe, sur le même ton de critique élevée. On se persuade, en le lisant, que, contrairement à ce que l'on a dit et écrit maintes fois, Stendhal, de son vivant, a été apprécié à sa juste valeur, même en France, par des critiques qui ne parlaient pas encore de « chefs-d'œuvre », qui voyaient et blâmaient les défauts de ses livres, mais qui en louaient, par contre, les qualités singulières et rares. Dès VHisioire de la Peinture en Italie, et Rome, I\'aples et Florence en 1817, Stendhal fut regardé par les connaisseurs comme un des esprits les plus curieux de son temps. Que les connais- seurs aient été, sous la Restauration, comme ils le sont encore main- tenant, en petit nombre, c'est ce qui est évident.
ROME, NAPLES ET FLORENCE
117
Tcrracino : 9 janvier.
Capouc : 10 janvior.
jXaples : 11 janvicr-B mars.
Capoiie : D mars.
Velletri : 12 mars.
Rome (2e séjour) : 13-26 mars.
Pcrovisc : 29 mars.
Florence (2^ séjour): 30 mars- 11 avril.
Bologne : 12 avril- l't mai.
Lorette : 30 mai.
Padoue : 7-20 juin.
Venise : 21-26 juin.
Milan (2^ séjour) : 10-17 juil- let.
Lac de Comc : 18 juillet.
Iles Borromées : 28 juillet.
Genève : 2-10 août.
Lausanne : 10 août.
Francfort : 28 août 1817.
Bolsena : 5 février.
Rome (traversée seulement) i 6 février.
Terracine : 6 février.
Capoue : 8 février.
Naples : 9 février.
Salerne : l^"" avril.
Pœstum : 30 avril.
Otrante : 15 mai.
Crotone : 20 mai.
Catanzaro : 23 mai.
Brancaleone : 25 mai.
]\Iélilo : 28 mai.
Reggio de Calabre : 29 mai.
Retour à Naples : en juin.
Départ de Naples : 24 juil- let.
Mola di Gaeta : 25 juillet.
Rome : l^r août-18 octobre 1817.
(Le voyage s'arrête brusque- ment).
Cette table, jointe aux notes où nous avons indiqué le plus clairement possible les emprunts faits à l'édition de 1817 pour celle de 1826, permettra aux lecteurs de reconstituer exactement l'édition de 1817.
Nous imprimons, dans tout cet appendice, Buonaparte, avec un u, conformément à l'édition de 1817 ; c'est à propos de cette orthographe que Stendhal, sur un exemplaire qui faisait partie de la collection Stryienski, a écrit au crayon la note suivante : « L'imprimeur imprime Buonaparte au « lieu de Bonaparte. Alors, en 1817, ce u caractérisait l'homme « qui pense bien. Je voyais souvent des prêtres autour du « comptoir de M™^ Egron » [Vie Littéraire de Stendhal, de M. Paupe, page 84).
D. M.
Rome, Naples et Florence, II
[PRÉFACE
DE L'ÉDITION DE 1817
Cette esquisse est un ouvrage naturel. Chaque soir j'écrivais ce qui m'avait le plus frappé. J'étais souvent si fatigué que j'avais à peine le courage de prendre mon papier. Je n'ai presque rien changé à ces phrases incorrectes, mais inspirées par les choses qu'elles décrivent : sans doute beaucoup d'expressions manquent de mesure.
La musique est le seul art qui vive encore en Italie. Excepté un homme unique, il y a là des peintres et des sculpteurs, comme on en trouve à Paris et à Londres *. La musique, au contraire, a encore un peu de ce feu créateur qui anima successi- vement, en ce pays, la poésie, la peinture, et enfin les Pergolèse et les Cimarosa. Ce feu divin fut allumé jadis par la liberté et les mœurs grandioses des républiques du moyen âge.
On verra la progression naturelle des sentiments de l'auteur. D'abord il veut s'occuper de musique : la musique est la peinture des passions. Il voit les
120
STENDHAL
mœurs des Italiens ; de là il passe aux gouverne- ments qui font naître les mœurs ; de là à l'influence d'un homme sur l'Italie. Telle est la malheureuse étoile de notre siècle, l'auteur ne voulait que s'amuser, et son tableau finit par se noircir * des tristes teintes de la politique.
Parme, 1^^ décembre 1816. — Je m'arrache à Milan. Je ne m'arrête qu'une heure à Parme, pour les fresques sublimes du Corrège. La Madone bénie par Jésus, à la Bibliothèque, me touche jus- qu'aux larmes.
Bologne, 2 décembre. — J'ai passé trente-six heures ici, vu dix galeries superbes, et entendu deux concerts. Peu de science et beaucoup de sentiment. Une jeune fdle de dix-huit ans chante mieux ici que les plus grands professeurs en France ; le moindre pianiste français en sait plus que les Ita- liens les plus renommés. Il n'y a pas de spectacle. Je suis présenté aux savants ; quels sots ! En Italie, ou des génies bruts qui étonnent par leur profon- deur ou leur inculture, ou des pédants sans la plus petite idée
Florence, 7 décembre. — La comtesse P*** me <lit, en me montrant le jeune duc Mel*** : « Il ne
ROME, NAPLES ET FLORENCE 121
vit que pour aimer le beau idéal dans tous les genres ; mais, séduit par les formes, il suppose la perfection morale inséparable de la beauté ! » J'ai soutenu la conversation, pendant trois heures, avec ce jeune duc qui a deux cent mille livres de rente et vingt-deux ans, et il ne m'a pas fait com- prendre qu'il était duc. On dira en France que j'exagère
ViTERBE, 9 décembre. — S'il est une route abomi- nable au monde, c'est celle de Florence à Rome, par Sienne. Les voyageurs se moquent bien de nous, lorsqu'ils nous parlent de la belle Italie. La route de Florence à Rome m'a fortement rappelé la Champagne ; seulement, la plaine aride se change en collines désolées
Rome, 12 décembre. — J'ai intrigué toute la journée pour avoir une loge au théâtre àWrgentina : pas moyen ; les Anglais qui sont en force ici les ont toutes accaparées.
13 décembre. — J'obtiens, par grâce, un quart de loge. Comment vous donner une idée juste de mon bonheur ? Il y a longtemps que Paris n'a plus de taudis comparables à ces fameux théâtres àWr- gentina et de Voile, consacrés par les Pergolèse et les Cimarosa. Qu'on se figure de misérables théâtres de sapin. A Valle, le bois n'est pas même recouvert
122
STENDHAL
par un papier peint. Nos sous-préfectures de pro- vince ont mieux que cela. La toile, le plafond, tout ce qui est peinture, est d'un degré de mauvais et de mal dessiné dont je n'ai pas vu d'exemple, même en Allemagne.
15 décembre. — Grâces au Ciel, je ne me suis jamais mieux porté ; je n'ai jamais eu moins de sujets de chagrin. Il faut que je vous jure tout cela ; autre- ment, à voir mes jugements noirs sur Rome, vous me croiriez malade comme Sharp et Smollett *...
3 janvier 1817. — Avec quelle avidité j'ai fixé les yeux sur les traits du Molière de l'Italie ! C'était un gros garçon ; les muscles du visage, tous sail- lants et marqués, cachent le grand homme à qui n'a pas une longue habitude de la science de Lava- ter. C'est une figure ouverte et gaie. Le sentiment est dans ce qui entoure l'œil *
5 jam'ier. — Je cours les petits théâtres de Rome : c'est là souvent où se réfugie la bonne musique. Les amateurs d'Italie sont engagés dans un fâcheux détroit ; ils ne peuvent souffrir toute musique qui a plus de deux ans de date : tous les auteurs morts sont pour eux comme s'ils n'existaient pas ; d'un autre côté, ils sifflent la musique insignifiante et faible, et les théâtres d'Italie comptent autant de
ROME, NAPLES ET FLORENCE 123
chutes que de nouveautés. Les entrepreneurs sont punis de la disette des génies ; le marquis C*** me montre des lettres où je vois qu'excepté à Venise, l'opéra du carnaval a fait fiasco partout *. A Turin, l'on a sifflé ; à Milan, l'on bâille encore de V Achille de Paër ; en général, Paër et Mayer commencent à ennuyer ; Rossini et Mozart sont les gens à la mode.
Je trouve à Capranica madame la marquise B***. Je passe une heure dans sa loge, sans le moindre instant de langueur. Dans la haute société, les femmes sont charmantes et bien supérieures aux hommes. Je n'ai rien trouvé dans aucun pays de plus poli et de plus aimable que ma dame de ce soir ; elle m'invite à un concert (accademia) pour demain.
Quels yeux j'ai vus à ce concert ! Dans ce genre, le reste de l'Europe est un tableau effacé. Je veux pouvoir oublier, en regardant de beaux yeux, et leur forme et leur couleur, pour ne sentir que l'âme dont ils sont les interprètes. Les gens timides qui ont connu l'amour savent que l'on peut suivre une conversation tout entière sans d'autre secours que celui des yeux. Il y a même des nuances de senti- ment et non de pensée, qu'eux seuls peuvent rendre * : peut-être cela n'est-il vrai qu'en Italie.
On chante ce soir des morceaux qu'on applaudit à outrance ; je demande le nom du compositeur : personne ne le sait. La vanité française attacherait plus d'importance au nom de l'auteur : j'aurais eu
124 STENDHAL
vingt jugements sur son compte. Le bel air de Crescentini :
Ombra adorata, aspettami.
remplit de larmes tous ces beaux yeux. Aussi est-il chanté d'une manière un peu différente de celle de madame Catalani. On me parle beaucoup de ce miracle de la nature, et de M. Sgricci, autre miracle qui improvise des tragédies : c'est un centon des auteurs grecs qui ravit les pédants et m'a scié à fond. M. Sgricci évite adroitement les sujets modernes où l'on ne peut pas mettre des chœurs grecs : très inférieur à Gianini *.
J'apprends les grands succès de madame Eiser, cette excellente chanteuse, au congrès de Vienne. Je trouve au concert trois ou quatre dames pour lesquelles j'avais des lettres de recommandation ; encouragé par l'amabilité de la maîtresse du logis, je me présente. Là, comme ailleurs, 1° la politique envahit toute la conversation, 2° rien de plus opposé que la conversation et les journaux. — Gherardo de Rossi * a bien peint les mœurs de Rome, mais il avait peur. Les comiques italiens ne devraient pu- blier qu'après leur mort ^.
Il y a quatre petits théâtres à Rome, outre les deux principaux, Valle et Argentina. Les jeux de paume les plus enfumés, qui, dans quelques petites
1. Voir la Prima sera delV Opéra, comédie.
ROME, NAPLES ET FLORENCE 125
villes de France, gardent encore le nom de salles de spectacle, n'ont rien à envier à Rome. Sous les Français, les Romains ont entrevu la civilisation : ces barbares leur ont donné une promenade pu- blique et une salle assez jolie (Teatro d'Apollo).
J'ai trouvé dans un de ces taudis (Teatro del Mondo) une chose bien étrange, une comédie qui peint juste l'état actuel des mœurs de l'Italie. Le souverain des marais d'Orbitello, en Toscane, visite, déguisé, la seconde ville de ses Etats, qui a trois mille habitants. Le peuple est occupé à célé- brer les vertus de son premier magistrat. Ce sous- préfet, d'accord avec l'homme le plus riche de l'en- droit, condamne et envoie aux galères tout ce qui ne l'aide pas dans ses friponneries. Le rôle d'un cabaretier, bonhomme, qui, quand il a bu, ose dire la vérité au prince déguisé, et qui, au retour de son bon sens, meurt de peur de son imprudence, est excellent, parfaitement dans la nature : c'est une idée profonde, digne de Molière. Au moment où l'on arriverait à Vodieux, un dialogue plaisant dis- trait. Le prince, qui est un très jeune homme, s'amuse du cabaretier et ne s'indigne point trop. Trait frappant en Italie ! Le prince est un bon- homme, sous le règne duquel on commet, sans qu'il s'en doute, les horreurs les plus infâmes ; telle est la comédie intitulée : Un Giorno del Principe nelle Maremme di Siena.
Le prix d'entrée, à ce théâtre, était de huit ba-
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joques (neuf sous) ; il fallait voir l'attention étonnée du peuple. C'est en vain que j'y suis retourné ; je me suis toujours trouvé dans les plus sentimen- tales traductions du français et de l'allemand.
6 janvier. — J'ai rencontré un vrai talent à Rome : c'est le directeur des marionnettes de bois, les seuls acteurs que, pour l'intérêt des mœurs, le parti ultra laisse paraître ici pendant dix mois de l'année. C'est en vain que le premier ministre et le gouverneur demandent au souverain le changement de cette résolution toute chrétienne ^.
7 janvier. — Nouvelle pièce à VArgentina : Quinto Fahio. C'est ici que la vanité romaine a éclaté dans tout son ridicule. Ces sauvages avilis s'appliquent sans façon tout ce qu'on dit des anciens Romains, comme nous pourrions applaudir à ce qu'on dit des armées de Turenne ou du maréchal de Saxe.
Naturellement, je ne suis pas haineux ; depuis mon premier brevet d'ofhcier, à dix-sept ans, je me suis fait à la vue des despotes imbéciles et des peuples rendus scélérats par la bêtise de leurs chefs ; malgré tout cela et toutes mes résolutions, je pars de Rome en colère : je mérite moins de confiance.
Le poème et la musique de Quinto Fahio, et une
1. Ils viennent de l'emporter (avril 1817).
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Allemande qui chante habillée en homme, ont un succès d'enthousiasme : cela serait sifflé à Como ou à Crema ^.
L'ambassadeur de... me faisait remarquer hier avec quelle fureur ce peuple applaudit au mot de patrie. Ce sentiment jacobin vient sans doute d'Al- fieri et des Français. Nous sommes adorés d'un bout de l'Italie à l'autre : les peuples n'aiment que par haine.
Que dirai-je de deux matinées passées tout en- tières dans l'atelier du marquis Canova, jusqu'à avoir un mal à la tête fou ? Pour le sentiment du beau, dans les arts et dans la nature, en France, l'on tire le meilleur parti possible d'un petit filet d'eau : ici, c'est un fleuve immense ; il est vrai que les arbres plantés sur ses bords ne sont pas alignés. Les Adieux d'Adonis et de Vénus : voilà enfin de la sculpture expressive sans cesser d'être sublime de beauté *.
Le soir, l'on me mène à une académie de beaux- arts : l'ennui m'assomme ; quand ces nigauds ver- ront-ils que les beaux-arts sont le produit charmant d'une fermentation générale et profonde dans un peuple * ? Imiter, par des moyens artificiels, les signes extérieurs qui couvrent cette fermentation, et en attendre les mêmes effets, c'est faire des aca- démies...
1. Villes de 6.000 âmes, en Lombardie.
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Naples, 13 janvier. — Dès qu'on parle de Ferdi- nand : « Il a rebâti Saint-Charles », vous dit-on : tant il est aisé de se faire aimer du peuple ! Il y a une fibre adorative dans le cœur humain. Moi-même, quand je songe à la mesquinerie et à la pau<^reté prude des républiques que j'ai vues, je me trouve tout royaliste
20 jam'ier. — Le plafond peint sur toile, absolu- ment dans le goût de l'école française, est l'un des plus grands tableaux qui existent. Il en est de même de la toile *. Rien de plus froid que ces pein- tures. C'est notre coloris plâtreux, notre sécheresse de contours, nos figures dures, copiées de l'antique, notre disposition en bas-relief, l'absence de tout clair-obscur, nos couleurs crues ; en un mot, un art charmant privé de tous ses charmes.
En revanche, la sécheresse fait que l'œil comprend facilement ces grandes machines. Je songe, malgré moi, au plafond du Palais Barberini, à Rome : quel parti n'eût pas su tirer un Pierre de Cortone de tableaux si grands, si bien éclairés, et si souvent regardés ! Ah ! il n'y a plus de peinture ! Peut-être M. Gros, de Paris, eût-il su profiter d'une si belle occasion ! Immense avantage pour les arts d'illusion, de ne pas avoir la lumière naturelle du soleil !
Au cintre, entre les colonnes de l'avant-scène, bas-relief d'argent de grandeur colossale. Au centre, le Temps montre du doigt l'heure sur un cadran
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mobile. Chose singulière avec l'acharnement du Gouvernement pour tout ce qui est français ! Cette horloge est la seule de la ville qui donne les heures à la française. Que dira le patriotisme italien ?...
23 janvier. — Au lieu de jouir, mes Anglais di- saient : « Qu'est-ce que ce grand monument ? Du malheur fixé ?» — Non, c'est du travail fixé ; et de plus le peuple n'est guère malheureux que parce qu'il ne trouve pas de travail...]
8 mars. ■ — ■ .Je pars *. Je n'oublierai pas plus la rue de Tolède que la vue que l'on a de tous les quartiers de Naples : c'est, sans comparaison, à mes yeux, la plus belle ville de l'univers. Il faut ne pas avoir le moindre sentiment des beautés de la nature pour oser lui comparer Gênes. Naples, malgré ses trois cent quarante mille âmes, est comme une maison de campagne placée au milieu d'un beau paysage. A Paris l'on ne se doute pas qu'il y ait au monde des bois ou des montagnes ; à Naples, à •chaque détour de rue, vous êtes surpris par un aspect singulier du mont Saint-Elme. de Pausilippe ou du Vésuve. Aux extrémités de toutes les rues de l'an- cienne ville, on aperçoit, au midi, le mont Vésuve, et, au nord, le mont Saint-Elme.
Cette baie, si belle, qui semble faite exprès pour le plaisir des yeux, les collines derrière Naples,
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toutes garnies d'arbres, cette promenade au village de Pausilippe par le chemin en corniche de Joa- chim, tout cela ne peut pas plus s'exprimer que s'ou- blier. [Joachim, malgré sa bêtise, est très regretté (conversation avec mon cocher) ; mais on rend jus- tice à l'esprit du ministre qui a fait le dénouement de cette comédie.]
A Naples, la grossièreté de ce peuple demi-nu, qui vous poursuit jusque dans les cafés, me cho- quait un peu ; on sent à mille détails qu'on vit au milieu de barbares. Ces barbares * sont friponneaux, parce qu'ils sont pauvres, mais ne sont pas mé- chants ; les vrais méchants-bilieux de l'Italie sont les Piémontais ; c'est une des empreintes les plus profondes que j'aie jamais rencontrées. Le Piémon- tais n'est pas plus Italien que Français ; c'est un peuple à part. J'ai reconnu un trait observé sous la tente noire de l'Arabe bédouin. Une fois que le Piémontais vous a dit : Sem amiz *, vous pouvez tout attendre de lui. Le Piémont et la Corse peuvent encore donner des grands hommes ; Alfieri est le type. Son valet lui tire un cheveu en le frisant, il lui donne un coup de couteau ; le soir même il s'endort à côté de ce valet de chambre.
Capoue, 9 mars. — J'ai vendu ma voiture pour être sûr de ne plus succomber à la tentation de voyager tête à tête avec mon valet de chambre. Je suis en voiturin, soumis, avec trois Anglais, mes
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■compagnons, à toutes les friponneries du génie napolitain.
Velletri, 12 mars. — Conversation avec un prétendu homme d'esprit. C'est ce ridicule de la noblesse que nous rencontrons quelquefois en France ; on demande aux gens ce qu'ils sont, ils répondent par ce qu'ils furent ; ils m'assomment de ce que Velletri fut sous les Romains.
Rome, 13 mars au soir. — En arrivant, j'ai eu la certitude qu'un homme tout puissant dans un des principaux Etats de l'Europe s'est abstenu d'un crime qui l'aurait comblé d'aise, par cette considé- ration : tout est plein de sots qui écrivent leurs mémoires.
J'ai eu l'idée d'imprimer ce journal. J'ai vu les petits ministres despotiques de Modène chercher à se justifier aux yeux des Anglais qui passent. Qui eût dit à Napoléon et à ses courtisans de se voir * imprimés tout vifs dans l'excellent recueil Buonaparte, sa Cour et sa Famille ? Il est plus que probable que tous les ministres de 1817 seront imprimés en 1827 *.
14 mars. — Un littérateur des plus savants de Rome ignorait qu'Alfieri eût écrit sa vie. C'est précisément le seul livre moderne italien que j'aie jamais vu traduit chez les libraires de Londres ou
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de Paris. Un homme considérable engageait Ca- muccini, le peintre, à faire un tableau. « On m'ac- corde à Paris, sur mon budget, deux cent mille francs pour les artistes romains. Le tableau que je vous demande sera payé trente mille francs. — Et que dira l'Europe lorsqu'elle saura que Camuccini fait un tableau pour trente mille francs ? »
15 mars. — Madame C... me fait appeler en toute hâte à une heure après minuit. Je pense que la police m'honore d'un moment d'attention. Rome étant au milieu d'une couronne de quatre lieues de désert dans tous les sens, échapper ne me paraît pas difficile. Je suis agréablement surpris lorsque madame C... me dit qu'elle va me faire lire Maci- rone *. C'est un roman qui se vend deux cents francs, ou plutôt qu'on ne peut avoir, quelque argent qu'on en offre. Ce sont de inauvaises copies manuscrites pleines de non-scnse qui se vendent deux cents francs. Nous avons passé la nuit à lire l'original ; c'est un volume français de cent trente-six pages, imprimé. à Londres. M. Macirone, né en Angleterre, et aide de camp de Murât, raconte les six derniers mois de la vie de son maître ^. Je ne sais si cela est vrai : mais ce récit est plus intéressant qu'aucun roman. La reconnaissance dans une bastide près
1 Plût au Ciel que tous les usurpateurs eussent trouvé le même châtiment !
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Marseille servira de thème aux Shakspeares futurs, et nous la verrons sur la scène quand nous aurons des cheveux blancs.
Comment veut-on que nous ressemblions à nos pères ? Il y a trente ans (ju'un homme appelé par une jolie femme au milieu de la nuit aurait eu assu- rément toute autre idée que de prendre un passe- port faux, de l'or, des pistolets et un poignard ; et il y a trente ans qu'une belle Romaine n'auiait pas réuni trois jeunes gens, à l'insu de toute sa maison, pour lire un pamphlet politique. Entre nous quatre, nous n'avions pas cent ans.
16 mars. — Rien pour la musique à Rome pen- dant le carême. Je ne trouve dans mon journal que des observations sur la comédie et sur les mœurs qui tiennent de trop près à la politique. Mon respect et mon admiration pour le cardinal Consalvi * redoublent à mesure que je vois mieux par quelle abjecte canaille il est entouré. Dieux ! pourquoi l'Angleterre n'a-t-elle pas un tel ministre ?
Le pape veut faire son salut ; et, croyant en cons- cience que le cardinal Consalvi a plus de Calent que lui pour gouverner, il lui a remis le despotisme civil. Le despotisme religieux est entre les mains du parti ultra, qui a pour chef le vertueux cardinal Pacca. Deux ou trois fois par mois, ce parti, en travaillant avec le pape pour les affaires de la religion, lui expose que les mesures du cardinal Consalvi
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tendent à augmenter le nombre des damnés parmi les sujets de l'Eglise. Alors le pape, les larmes aux yeux, a une explication avec son ministre.
Celui-ci répond par cette maxime : « Je juge des crimes secrets par les crimes qui arrivent à la con- naissance des tribunaux, et non par les rapports des confesseurs. Un souverain est responsable, aux yeux de Dieu, de tous les crimes que ses lois laissent commettre. Les crimes et l'esprit général de fri- ponnerie étaient diminués des deux tiers sous le gouvernement français. La pem^ersité a reparu sous le gouvernement ultra qui m'a précédé. Je reviens aux mesures françaises. J'ai déjà trois cents assassinats de moins par an ; ce qui fait probable- ment six cents damnés de moins. »
Comme rien n'est au-dessus de la modestie et du désintéressement de ce grand ministre, le véné- rable pontife finit ordinairement par l'embrasser en pleurant et en lui recommandant les âmes de ses sujets.
Les trois quarts des cardinaux sont très pieux ; mais, comme nos grands hommes d'Etat, ils nont que V expérience de la solitude. Ce qu'ils savent des hommes, ils l'ont appris dans l'histoire du xvi^ siècle. Ils ne se doutent pas du leur : tout ce qui est jeune à Rome sent fort bien qu'il faut donner une autre forme au principe religieux. Si la forme continue à choquer le fond, la source tarira, et, se faisant jour par des conduits secrets, ira former les supersti-
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tiens les plus extravagantes. Les jeunes prélats qui ont voyagé sont convenus avec moi que le seul pays du monde où il y ait encore de la religion, c'est l'Angleterre *.
Je ne sais si le cardinal Consalvi voit ce sujet d'aussi haut. Ce qui est certain, c'est que, s'il est pape, nous verrons la religion reprendre une nou- velle vigueur : si c'est le père Fontana ou le car- dinal Pacca, les âmes pieuses auront à gémir des plus fausses mesures. Le cardinal Consalvi est abhorré de tous ses collègues pour avoir introduit les laïques dans l'administration, et, encore plus, pour le fameux préambule de son ordonnance. Au reste, c'est un portique magnifique qui conduit à une chaumière.
Un prélat, que je prenais d'abord pour un vil ambitieux, me persuade à la fin qu'une constitu- tion libérale serait ici le signal de la plus sanguinaire anarchie. Il convient avec moi que si cet homme ver- tueux est blâmable, c'est de ne pas essayer d'une constitution en trois articles.
« Les dix-sept provinces nomment chacune dix députés, parmi lesquels le gouvernement en choisit cinq pour former la Chambre des communes.
« La Chambre des pairs est nommée, chaque an- née, par le gouvernement, et composée des deux tiers des cardinaux et de dix riches propriétaires.
« Ces deux Chambres votent l'impôt. »
Mais l'ignorance est si crasse dans la classe éclai-
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rée, et la scélératesse si profondément enracinée chez le peuple, que même cette constitution est peut-être une imprudence *. Il leur faudrait un Titus qui eût lu Delolme.
Les sots qui ne savent que ce qui est imprimé dans les livres vulgaires, croient que c'est le même chris- tianisme qui règne en France et en Italie.
En Europe, autant de religions que d'Etats. A Rome et à Naples, la seule loi en vigueur, c'est la religion. Gens impartiaux ! jugez du génie du chris- tianisme * par Rome et Naples.
Les dix-neuf vingtièmes de la civilisation de la France, de l'Angleterre et de la Prusse sont dus à la liberté de la presse, et ici elle ne dit que des men- songes. J'ai trouvé toute la société de Rome occupée d'un nouveau miracle. Un serviteur de Dieu se présente un vendredi dans une auberge. On lui sert un chapon rôti : il se met en oraison, fait un signe de croix, et le chapon se change en carpe. (Voyez le Diario di Roina, n° ...)*. Sa Sainteté, touchée de cette marque de l'attention de la Divinité, a élevé à la béatitude le saint personnage qui avait mangé la carpe et qui depuis est mort. Landi, peintre célèbre, a été chargé de peindre le miracle pour le pape, et j'ai vu le tableau au Vatican.
Je m'attends que, dans la société, on va me nier le fait du chapon, et je compte gagner de gros paris.
Penser est une peine ; il faut que la société ré- compense par des louanges. Ici, penser est un dan-
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ger ; et comme dans nos villes de province, une fois qu'on passe pour homme d'esprit, à quoi bon de nouveaux eiïorts ? On peut faire l'amour comme on veut ; mais il ne faut pas qu'on puisse citer une plaisanterie incrédule. Sans la religion, que serait Rome ?
Par la même raison, on obtiendra tout d'un ou- vrier romain, excepté le travail. Il est accoutumé à vivre d'aumônes, et il voit l'intrigue faire les grandes fortunes. L'essentiel pour lui n'est pas d'établir une fabrique utile et de la faire prospérer, mais d'être le cousin d'un des laquais du pape ou du cardinal-ministre. Ces espérances seraient peu fondées en 1817, je le sais ; mais c'est le gouverne- ment des deux derniers siècles qui a donné à un peuple très fin ces funestes maximes de conduite. Tous les artisans qui font fortune à Rome sont étrangers.
Je ne puis obtenir au café du palais Ruspoli, en payant bien à chaque fois, de me faire essuyer la table sur laquelle on me sert : les garçons servent comme par grâce ; ils se regardent comme les plus malheureux des hommes d'être obligés de remuer. Tout cela n'empêche pas les Romains de citer cet antre comme le premier café de l'Europe, parce qu'il y a dix-sept salles enfumées qui occupent tout le rez-de-chaussée d'un grand palais. Jamais un Parisien ne pourra se faire d'idée de la saleté ro- maine. Il y a là des bustes, des marbres, des fenêtres
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grillées sur un jardin rempli d'orangers chargés d'oranges (février 1817). Tout ce grandiose, couvert de toiles d'araignée et de poussière, jette l'âme dans le tragique.
Tous les palais de Rome ont la même physiono- mie, et font par conséquent le plus parfait contraste avec Monte Caçallo *, meublé et restauré par les Français. « Voilà, disais-je aux Romains, à quoi nous ont servi vos tableaux. Voyez nos monnaies, voyez notre papier marqué * ; jamais vos âmes ne tireront rien de nouveau de ces chefs-d'œuvre. La bonté de l'archet n'y fait rien, c'est le corps de l'instrument qu'il faut renouveler. « Tous les ta- bleaux pris à Paris sont réunis au jialais du Vati- can * dans la salle Borgia.
17 jnars. — Je suis tout étonné de n'être pas ré- veillé tous les matins, à trois heures, par un détes- table concert, composé d'une cornemuse et d'une petite flûte droite ; on m'apprend que ce sont des paysans qui viennent des Abruzzes, quinze jours avant Noël. Comme de pareils musiciens se trou- vaient dans l'étable où naquit Jésus-Christ, les dévots les payent pour réveiller tout le quartier. Au fond, leur musique peu variée est très originale et très juste ; mais il est ennuyeux d'être réveillé *. A peine on se rendort que les vendeurs d'eau-de- vie, avec leur petit cri singulier et bref, vous ré- veillent de plus belle. Un cardinal me disait qu'il
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était très pi'obable que ce sont identiquement les mêmes airs et les mêmes instruments qui char- maient les Romains clans les fables atellanes ; il en est de même des caractères d'Arlequin et de Pantalon. Il n'y a pas jusqu'à nos cuissards et nos brassards du moyen âge qui ne se retrouvent dans les tombeaux grecs des Calabres à côté des vases étrusques *.
Ici, à Rome, j'ai vu le Sénèque du Prince de la Paix *, à la villa Mattei. Voilà ce philosophe cé- lèbre, que je méprise assez, débarrassé de l'horrible figure que nous lui connaissons ; il a la face d'un très galant homme, et même belle. C'est l'air grand seigneur de nos vieux courtisans.
J'ai vu Thorwaldsen ; c'est un Danois qu'on a voulu ériger en rival à Canova ; c'est un homme de la force de feu Chaudet * : il a une frise qui n'est pas mal au palais Quirinal, et chez lui quelques bas- reliefs, entre autres le Sommeil. Le marquis Canova a cent trente statues et l'invention d'un nouveau genre de beauté. Il sacrifie la lèvre supérieure, qu'il fait très courte, à la beauté du nez ; ce qu'il perd de physionomie par là, il cherche à le regagner par la beauté des fronts et la grosseur des têtes d'enfant.
Mais Canova est trop grand pour qu'il n'y ait pas un parti contraire. Il a, par exemple, le malheur de déplaire fort à tous les jeunes artistes français. Il a eu la bonté de me montrer la gravure d'un
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tableau qu'il a peint pour l'église du village où il est né (Possagno, 1757). Non seulement il a inventé un nouveau beau idéal pour la figure de l'Etre suprême qui n'est plus un vieillard, mais il a trouvé un moyen singulier et juste d'exprimer son immensité. Ce moyen est trop long à décrire ; je vais me coucher : achetez l'estampe.
Encore une idée que je me reproche depuis long- temps de ne pas écrire. Notre fatuité ne connaît nullement les anciens. Indécence unique d'un tom- beau dans la cour des Studj : un sacrifice à Priape sur un tombeau ! Autres exemples : le Faune et le jeune Joueur de flûte, le Faune et la Chèvre qui re- vient de Palerme, où il gît emballé avec les tableaux du Corrège depuis seize ans. Il n'y a rien de plai- sant comme tous nos raisonnements sur les anciens et leurs arts. Comme nous ne lisons que de plates traductions, rognées par la censure, nous ne voyons pas que chez eux le nu obtenait un culte : parmi nous il repousse. Le vulgaire, en France, ne donne le titre de beau qu'à ce qui est féminin. Chez les Grecs, jamais de galanterie ; à chaque instant un amour odieux aux modernes. Quelle idée se forme- rait de nos arts un habitant d'Otaïti, pour qui tout ce qui tient chez nous à la galanterie serait invisible * ?
Pour connaître l'antique, il faut voir et étudier des foules de statues médiocres. Partout ailleurs qu'à Rome et à Naples, cette étude est absolument
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illusoire. Il faut lire en même temps Platon et PIu- tarque en entier.
Le plaisant, c'est que nous prétendons avoir le goût grec dans les arts, manquant de la passion principale qui rendait les Grecs sensibles aux arts.
18 mars. — Je ne comprends rien à tout ce que je lis des agréments de la société de Rome dans de Brosses ^ et dans Duclos. Il n'y a pas trace de so- ciété. Ce soir, j'ai été réduit à faire un whist avec des Anglais.
Il faut que les droits que chacun porte dans le monde soient tellement assurés par le laps de temps, qu'il y ait de la grâce à jouer avec eux ; l'ennui y force. Aujourd'hui, à la suite du boulevari généi'al, il est occupant de soigner le maintien de ses droits.
Le cardinal, avec ses deux haridelles et son vieux carrosse à train rouge, veut trouver dans la société les respects qu'on accordait aux Bernis et aux Acqua- viva. Le prince, qui a six cent mille livres de rente, se moque de lui. Mais il trouve le colonel d'un des régiments du pape ; autrefois c'était une espèce de laquais, aujourd'hui c'est le colonel de la Mojaïsk et de Montmirail. On se regarde ; personne n'est sûr de garder le rang qu'il occupe. D'un bout de l'Europe à l'autre, le mécontentement est général "^.
1. 3 vol. in-8°, Ponthieii, rue des Mathurins, n° 330^ ail VII (manuscrit volé *j.
2. Mercure du 15 juin 1817 *.
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J'ai trouvé les mêmes propos dans la bouche du Batave et du Romain ; partout les discussions fi- nissent par ces mots : Qui peut prévoir ce qui se passera d'ici à vingt ans ? La société, telle qu'elle était à Rome sous Benoît XIV, est un amusement de gens oisifs ; or les peuples ne seront oisifs que vingt ans après avoir obtenu les libertés qu'ils demandent.
La France perd beaucoup, et l'Italie presque rien. On y fait toujours l'amour, et avec plus de passion qu'il y a trente ans.
Dimanche 20 mars. — Les femmes ne peuvent pas être présentées au pape ; mais, tous les dimanches, à une heure, Sa Sainteté se promène dans le jardin du Vatican, et trouve sur Son passage les dames étrangères. Aujourd'hui, il y avait soixante An- glaises, dont trois ou quatre de la première beauté ; elles avaient l'air emprunté 1 Tout s'est fort bien passé. Pour moi, je suis amoureux du pape, et indépendamment de mon respect pour le gouver- nement du cardinal Consalvi, je voudrais qu'il vécût un siècle.
Hier, je me promenais dans ce même jardin du Vatican avec un prélat de mes amis. Nous avons rencontré Sa Sainteté : j'ai mis le genou en terre sans aucune répugnance. A vingt pas de nous, nous avons vu une figure d'hypocrite se précipiter aux genoux du pape ; j'ai cru qu'on demandait la grâce
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de quelque condamné. Pas du tout : la figure noire demandait une bénédiction ; ces choses-là ne font plus d'effet. Mon prélat m'a dit aussitôt : « C'est un usage ancien, et que Sa Sainteté voit avec beaucoup de peine, que, lorsque quelqu'un Lui a été présenté, Sa livrée va le lendemain se réjouir avec la personne qui a eu cet honneur. Cette cérémonie déplaisait beaucoup à une certaine nation ; il y a eu abonne- ment. Chaque personne présentée donne une somme fixe pour la livrée ; mais cette rétribution est remise dans les mains de la personne qui pré- sente... » J'ai vu que rien ne peut être secret à Rome.
Je connais à Paris un homme très fin, qui, lors- qu'on lui demande quelque renseignement, fait une lieue pour venir le donner de vive voix. Lors- qu'on s'en étonne, il répond froidement : « Il ne faut jamais écrire. » Cela est volé aux Romains. Mon prélat me disait que, lorsqu'une affaire se pré- sente, la première question, et c'est la plus longue à décider, est : « E un affar da scrwere si o no ? n
Je me console de ne pouvoir imprimer ce qu'il y a de politique dans mon journal. J'ai rencontré aujourd'hui un membre du parlement d'Angleterre, M. H..., bien autrement en état que moi de traiter cette partie. Ce n'est qu'en Angleterre qu'on peut trouver un jeune homme aimable, avec soixante mille livres de rente, sacrifiant son temps et sa for- tune à la passion de connaître la vérité, quelle quelle
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soit. La reconnaissance s'est faite chez un bouqui- niste : nous recherchions tous deux les actes impri- més du gouvernement du général Miollis. Il paraît que la même idée est venue à beaucoup de per- sonnes : on nous a vendu cela fort cher. La question est celle-ci : Quelle a été l'influence de Buonaparte en Italie? Nous sommes d'accord, M. H... et moi, sur les sommes qu'il a consacrées aux embellis- sements de Rome : douze millions. En même temps, les agents subalternes de ses finances volaient trois ou quatre millions aux particuliers, que cela mettait au désespoir. Buonaparte, ne faisant la conversa- tion avec personne, ne pouvait connaître les gens qu'il employait : Florence avait eu par hasard des magistrats aimables ; ceux de Hambourg et de Rome auraient fait abhorrer Titus.
Je viens de rencontrer une longue file de soixante- deux petits prémontrés en robe blanche et chapeau à trois cornes ; le plus âgé n'avait pas quinze ans ; la plupart à peine dix, plusieurs sept ou huit. Sans cette manière de prendre la jeunesse, les ordres mo- nastiques s'éteindraient.
Aujourd'hui dimanche, j'ai été sur le point de mourir de faim. Je m'étais laissé emporter, dans les environs du Colysée, à observer la chapelle de Saint-Grégoire et les charmantes fresques du Guide, notamment le Concert des anges. Je rentre mourant de faim dans la Rome habitée ; j'arrive au grand café Ruspoli, fermé, parce que c'est l'heure des
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vêpres. — « A quelle heure ouvrira-t-il ?» — « A cinq heures. » — Le danger était pressant *, je tombais de faim ; tous les boulangers, tous les traiteurs étaient fermés. Heureusement mon cocher m'offre de me mener chez lui ; j'y ai trouvé des caroubes (c'est un fruit qu'on donne aux chevaux) et du pain mouillé qui m'a semblé excellent. J'ai remarqué chez ce cocher que la Bejana remplace à Rome le loup-garou. Les enfants frémissent à ce seul nom. C'est la Befana qui est supposée leur faire des ca- deaux le jour de l'an.
22 mars. — Après Smolensk, la plus jolie position que j'aie vue pour une ville non maritime, est celle de Rome. C'est en même temps le peuple le moin-; civilisé. Je crois fermement, d'après deux cents anecdotes que je ne transcris pas et pour cause, qu'il y a moins à travailler pour faire un peuple civi- lisé des sauvages du lac Erié, que des habitants du patrimoine de saint Pierre.
L'ambassadeur de ..., que j'ai trouvé ce soir chez le duc de Torlonia, banquier, et auquel je faisais part de ces idées charitables, m'a dit que je serais bfen plus scandalisé de rEsjDagne, et cepen- dant l'Espagne a produit un Auguste * Arguelles. Quant à la bravoure, l'armée française a vu une centaine d'ofTiciers romains dignes des Fabius et des Scevola, le colonel Ner..., le général Pal....
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26 mars. — Je ferais cinquante lieues avec plai- sir, pour voir un homme aussi fort pour la féodalité que M. Brougham pour les idées libérales. La conver- sation de ce grand homme d'Etat fait mon bonheur, mais il ne parle pas souvent ; la sagacité romaine a su l'apprécier. Les hommes supérieurs de l'An- gleterre ont une simplicité dans les manières et un naturel bien admirables. Chez nous, dès qu'un homme a gagné une bataille, il se croit obligé de jouer un rôle. Je suis présenté au maréchal ... ; j'avais la tête pleine de ses victoires. Il m'assomme d'idées de politique et d'administration. Je sors avec l'idée d'un petit homme qui se dresse sur la pointe des pieds pour tâcher de paraître de la taille des gens dont on fait des ministres.
Civita-Castellana, 27 mars. — Sans la liberté, Rome va mourir, h' aria cattiva avance tous les ans. Les lieux qui étaient réputés les plus sains il y a trente ans, commencent à être attaqués, la viUa Borghese, le sommet du Monte Mario, la villa Pan- fili. Rome, qui avait 166.000 âmes en 1791, n'en comptait plus que 100.000 en 1813. On veut faire honneur de cette difîérence à l'administration du pape. Je n'en crois rien : ce pape était un soviverain comme Louis XIV ; tout ce qui était d'apparat marchait bien ; mais la justice, ce premier besoin des peuples, n'allait pas : donnez-vous la peine d'étudier l'affaire Macirone. Quant à Varia cattiva,
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il faut OU la liberté, ou un homme despote supé- rieur. En 1813, M. Prony allait réduire les marais Pontins à ce qu'ils étaient sous les Romains ; la campagne de Rome allait être plantée. Ce sont de pareils traits qui font illusion aux Italiens sur l'homme atroce.
Pérouse, 29 mars. — A notre sortie de Pérouse, un ministre du saint Evangile, anglais, élève pieu- sement les yeux au ciel, et fait le vœu que la terre s'entr'ouvre pour engloutir les habitants de Naples et de Rome, cela très sérieusement. Pourquoi ne pas voir que la civilisation s'arrête à Florence ? Rome et Naples sont des barbares habillés à l'eu- ropéenne. Il faut voyager là comme en Grèce ou dans l'Asie Mineure, seulement avec plus de précau- tions, les Turcs étant beaucoup plus honnêtes que les Européens de Naples ^.
Florence, 30 mars. — Je sors d'Eçelina, chantée par les Monbelli. Cette musique divine a chassé tout le noir que m'avaient donné mes compagnons
1. Un homme pense avec Pope que the proper study of man is mankind ; il note les diverses dispositions morales des peuples. Souvent, à ses yeux, ces dispositions sont des symptômes de maladie morale. Accusera-t-on le médecin de partager les maladies qu'il observe ? Si le hasard lui fait rencontrer des jacobins, l'accusera-t-on de penser comme Marat, parce qu'il dit : « Là il y a des jacobins »? *
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de voyage anglais et la politique. Soirée délicieuse, quoique je fusse Lien fatigué.
31 mars. — D'ordinaire, l'on entend de la musique sublime mal chantée. \J Evelina est une anecdote d'Ossian, revêtue d'une musique imitée de Rossini par Coccia et assez commune, mais si divinement chantée qu'elle atteint aux plus grands effets que puisse produire cet art.
Esther Monbelli est la fdle du roi d'une des îles d'Ecosse. Il la marie au chef d'une île voisine, guer- rier sanguinaire et puissant, et lui ordonne d'oublier le jeune Sivar. Anna Monbelli, qui fait le jeune amant, débarque ; il est surpris par son rival et condamné à mort ; les amants ont une entrevue. Anna Monbelli chante à sa sœur :
Non è vero, mio ben, ch'io mora, S' io rwwo in te.
Ce sont les mouvements les plus beaux et les plus tendres d'une âme généreuse qui va à la mort, peints avec une fidélité, et je dirais même une clarté dont je n'avais pas d'idée : cela seul vaut le voyage en Italie. — Je ne sais comment peindre la sensa- tion de bonheur vive et profonde dont j'ai été pé- nétré.
Je suis bien intimement convaincu, d'après l'exemple de mes Anglais, que, hors de l'Italie, on dirait, en voyant les deux Monbelli : « N'est-ce que
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ça ? » Se méfiant du ])ul)lic, ces pauvres petites filles n'auraient plus ces élans sublimes.
Je les ai vues en société : comme Mozart, elles sont bien faibles et bien maigres, et n'y portent que du silence et de la modestie.
7 ai'ril. — Depuis huit jours, mes soirées ne sont occupées que d'Ei^elina et du Demetrio e Polihio,. où Anna Monbelli chante ces airs divins * :
Pien di contento il core, et
Questo cor ti giura amore.
Sa sœur Esther est faite pour les grands mouve- ments de passion. La musique n'a tout son charme pour moi qu'à la cinquième ou sixième représenta- tion. Je cherche à m'expliquer son pouvoir. Ces voix me transportent au delà de tout ce qu'il y a de commun dans la vie. C'est la pureté de Raphaël dans les madones de sa première manière ; souvent aussi c'est sa faiblesse. La voix de ces jeunes filles n'est pas très forte ; elle produit tous ses miracles par la manière dont elle est conduite. Comparées- aux cantatrices modernes, c'est le style de Fénelon et les phrases de Demoustier. J'ai tout lieu de croire que c'était la méthode en vogue il y a trente ans, quand la musique régnait en despote sur tous les cœurs. J'ai entendu une fois l'inimitable Pacchia-
RoME, Naples et Florence, II 10.
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rotti, j'ai reconnu le style des Monbelli. Elles ont eu pour maître leur père, qui est encore ce célèbre Monbelli que nous trouvons dans les anciens voyages en Italie ; il a la faiblesse de cbanter. La musique de Demetrio e Polibio est de Rossini et de lui.
8 avril. — - Conversation dans la loge de la Ghita (car c'est ainsi qu'on appelle en Italie les plus grandes dames par leur nom de baptême) avec monsignore Louis de Brème *.
Le philosophe qui a le malheur de connaître les hojnmes méprise toujours davantage le pays où il a appris à les connaître. Le patois de mon pays me présente toutes les idées basses : un patois inconnu n'est pour moi qu'une langue étrangère. Ce second principe rend beaucoup d'Italiens injustes envers leur patrie, surtout les âmes généreuses. Au pre- mier aspect, l'étranger pourrait les croire haineuses, mais elles ne haïssent que par excès d'amour. L'avilissement de ce qu'elles adorent leur fait jeter un cri.
10 a<;>ril. — Je viens de me promener trois heures aux Cascine avec des gens d'esprit. Je les ai fuis pour ne pas perdre mes idées.
Au xiv^ siècle, plusieurs pays d'Italie, Venise, Florence, Rome, Naples, Milan, le Piémont, par- laient des langues différentes. Le pays qui avait la liberté eut les plus belles idées, c'est tout simple,
ROME, NAPLES ET FLORENCE 151
et sa langue l'emporta. Malheureusement ce vain- queur n'extermina pas ses rivaux. La langue écrite de l'Italie n'est aussi la langue parlée qu'à Florence et à Rome. Partout ailleurs on se sert toujours de l'ancien dialecte du pays, et parler toscan dans la conversation est ridicule.
Un homme qui écrit une lettre ouvre son diction- naire, et un mot n'est jamais assez pompeux ni assez fort. De là, la naïveté, la simplicité, les nuances de naturel, sont choses inconnues en ita- lien ^. Dès qu'un homme a des sentiments de ce genre, il écrit en vénitien ou en milanais. On parle toujours toscan aux étrangers ; mais, dès que votre interlocuteur veut exprimer une idée énergique, il a recours à un mot de son dialecte. Les trois quarts de l'attention d'un écrivain d'Italie portent sur le physique de la langue. Il s'agit de n'employer aucun mot qui ne se trouve dans les auteurs cités par la Crusca. Le diable, c'est lorsqu'il faut expri- mer des idées inconnues aux Florentins du xv^ siècle. Les écrivains d'Italie tombent alors dans le ridi- cule le plus outré. M. Botta, dans son Histoire d'Amérique, dit toujours : Il convento de" Domeni- cani (le couvent des Dominicains), pour le congrès des habitants de la Dominique.
On n'a jamais de feu qu'en écrivant la langue
1. Excepté les anciens historiens toscans : Istorie Piafo- lesi, Vie de Castruccio ; Ammirato, Cronica Sanese, Cronica Pisana ; les trois Villani, Capponi, Buoninsegni, Fiorlifiocca.
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qu'on parle à sa maîtresse et à ses rivaux. Pour «omble de maux, l'un des deux pays où le toscan est indigène, Rome, est condamné depuis trois siècles à une enfance éternelle. Même pour les livres de philosophie, ne pas écrire la langue qu'on parle est un immense désavantage ; plus de clarté.
On ne peut parler vite en italien, défaut irrémé- diable. En second lieu, cette langue est essentielle- ment obscure : d'abofd parce que, depuis trois siècles, personne n'a d'intérêt à écrire clairement sur des sujets difiiciles ; ensuite parce que chacune des langues vaincues a apporté des synonymes à la langue triomphante, et Dieu sait quels synonymes ! Ils ont souvent des sens opposés. En croyant parler italien, les gens des provinces parlent encore leur dialecte. Les choses les plus simples ont des noms différents. Une rue s'appelle via à Rome, à Florence strada, à Milan contrada. Villa, à Rome, veut dire maison de campagne ; à Naples, ville ; bien plus, les tournures par lesquelles on exprime les nuances de sentiment tout opposées : un ami, à Milan, me disait tu, à Rome i'oi, à Florence lei. Si mon ami de Milan m'eût dit voi, j'en aurais conclu qu'il était brouillé avec moi.
Alfieri lui-même a écrit dans une langue morte (pour lui ^) ; de là ses superlatifs, et il est venu for-
1. Ed. io gliel dico, clie il verho vagire
Non è di Cnisca ; iiso il Salvin vagito ; Ma ad ogni modo vagir non si puô dire.
Sat. / Pedanti.
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tifier l'enflure dont on a vu la cause. Il faut ajouter qu'un Vénitien, un Bolonais, un Piémontais, mettent le plus vif amour-propre à bien écrire le toscan. Pour comble de ridicule, les écrivains sérieux étu- dient le toscan dans les Canti carnavaîescJii, dans la Tancia de Buonarroti, et autres livres qui amu- saient la plus vile canaille de la république de Flo- rence. C'est comme si Montesquieu avait emprunté le langage des perruquiers de Paris ^.
Un Vénitien, un Bolonais, écrivent des mots ita- liens, mais les tournures sont de leur pays. Cela m'a été démontré ce soir par deux ou trois cruscanti (puristes). Les plus sensés ont emprunté la clarté de la langue française ; ceux-ci sont les plus méprisés ; par exemple, VHistoire de Toscane de Pignotti, le
1. M. Botta, magistrat cligne de la considération de l'Eu- rope, et qui, après avoir régné, n'a pas mille écus de rente, écrit Virnbeccare et î7 date la spogliazza pour predare.
Il parle des ghiribizzatori che vanno girandoUindo arzigogoli per trar la pecunia dalla horsa del popoïo.
Il écrit conficcare et ribadire pour dire oslinazioiic, pecunia pour moneta, il moiniere pour il corligiano, tamburini pour parlamentari, petizio)ii injlammalive pour acriiti sediziosi, il ben voglieiile pour beuevolo, linjuocolare pour inaspriie, con- jortarsi cogli aghelti pour conjortarsi con baje, et enfin le parte deretane dell'isola pour le nord de l'île. A tout moment la pensée, qui veut être imposante, se revêt des mots les plus bas. Je crains que ce ridicule ne soit trop fort pour le xix^ siècle. Je n'ai garde de parler des phrases de trente lignes ; M. Botta me répondrait qu'on voit bien que je suis étranger, et que les Italiens ont d'autres poumons que nous. Je dirais même à nos grands écrivains de France : quoi de plus absurde que de vouloir innover dans une chose qui ne peut être que de convention !
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seul livre qui, depuis Alfieri, puisse supporter la tra- duction. Au contraire, ils portent aux nues les Nuits romaines et la Vie (T Erostrate du comte Yerri, le Chateaubriand de l'Italie.
On voit pourquoi la froideur académique glace les livres du peuple le plus passionné de l'univers. Ce peuple ^jeut le disputer aux Français pour l'es- prit ; et son esprit imprimé serait sifflé même au boulevard. Comparé à l'esprit italien, Scarron est plein de noblesse ; les dialogues de Fénelon sont intraduisibles en toscan : rien de plus aisé que de les mettre en vénitien ou en milanais. La prose poé- tique de nos grands écrivains du jour, au contraire^ est de l'italien tout pur.
Parler de tout ceci à Florence, c'est justement parler de corde dans la maison d'un pendu. Je trouve Florence en arrière de la Lombardie : d'abord le pretismo, comme on a dit tout le temps de la promenade, tyrannise les petites villes : Prato, Pistoja, Arezzo, Sienne ; et la Lombardie avait été préparée par les suppressions de Joseph II et par le comte de Firmian : on voit déjà Beccaria et Parini très supérieurs à leurs contemporains de Florence ; en second lieu, Florence, département français, a révolté avec raison les habitants. L'orgueil de la langue fait la moitié des conversations : quoi de plus choquant que des affiches en français !
Florence n'a donc pas pris ce qu'il y avait de libé- ral dans les mesures de Buonaparte ; la Lombardie
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au contraire. Dans ce moment, il y a vine espèce de liberté de la presse à Pise. L'impression de Pi- gnotti, qui, emporté par les crimes qu'il raconte, va jusqu'à injurier les papes, n'eût pas été tolérée à Turin et peut-être à Milan ; mais jamais un Bolo- nais n'eût écrit l'histoire des palais de Toscane de M. Anguilesi ^.
Qu'arrivera-t-il de l'Italie ? Question fort difficile. Si ce peuple avait promptement les deux Chambres, les diseussions parlementaires sauveraient l'italien, la littérature de la capitale viendrait à l'appui ; sinon, la haine s'envenime tous les jours entre la clarté française et la langue du xiii® siècle. La plu- part des livres qui se publient sont comme la prose poétique de Bernardin de Saint-Pierre ou de M. Marchangy, qui serait parsemée de mots gaulois exhumés de Ronsard. Un Milanais, homme char- mant, que j'ai trouvé chez madame d'Albany, m'assurait qu'il est inutile de traduire les livres fran- çais pour Milan. On a traduit le Congrès de Vienne, duquel on n'a pas vendu vingt exemplaires ; tout le monde achetait la contre-façon française de Lugano ^. Voilà la maudite clarté française qui envahit la Lombardie.
1. En voir l'extrait dans la Bibliothèque universelle. Exem- ple curieux de servilité ! cet auteur flatte les Médicis éteints depuis cent ans.
2. On peut remarquer, en passant, l'avantage d'avoir un gouverneur homme d'esjjrit. On se rappelle ce que le livre de M. de Pradt contient sur l'Italie et l'Autriche. M. de
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Ce pays est à un siècle en avant de Rome et de Naples, et à trente ans au moins en avant de Flo- rence. Dans vingt ans, lorsque les vieillards élevés par les jésuites ne seront plus, la nuance sera encore plus tranchée ; d'un autre côté, l'on publie en milanais des ouvrages du premier mérite ^.
Saurau n'a pas hésité à en permettre la vente et la traduc- tion. On voit bien qu'il n'y a pas de justice en ce pays.
1. EL DI D' INCŒU
VISION
L'éra ona noce di più indiavolaa
Scur corne in bocca al lofj ; no se senliva
Una pedana
E'I pover merilt cJie l'è nnnga don,
Te me Vhann costringittu là in d'on canton *.
II y a plus de véritable poésie dans cet ouvrage que dans tout ce qu'on a publié en France depuis les Métamorphoses de M. Lemcrcier. Jamais satire contre un gouvernement ne fut plus sanglante, plus méritée, et, l'on peut dire, plus dangereuse. Comme ce poème est aussi frappant par le pittoresque de la fiction (l'ombre de Prina apparaît à un bourgeois qui traverse le cimetière où il repose, et lui demande ce que Milan a gagné à l'avoir assassiné), que par le mordant des épigrammes, il s'en répandit deux mille copies en huit jourj.
« Si la police, disait-on, a quelque preuve contre le mal- heureux poète, il ira pourrir, le reste de sa vie, dans un cachot de Mantoue. » L'auteur, qui est fort jeune, faisait le nigaud tant qu'il pouvait dans le monde. Il commençait à respirer, lorsqu'un beau jour on arrête deux de ses amiis. Ils sont convaincus d'avoir distribué les premières copies de l'ouvrage, et vont être punis comme auteurs. Le gouver- neur fait alors appeler le pauvre jeune homme, et lui fait sentir adroitement l'infamie dont il se couvre en laissant conduire ses amis en prison. Il n'hésite pas à tout avouer :
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Que va donc devenir le pauvre italien tiraillé par trois impulsions : l'imitation du Dante et du xiii^ siècle, l'amour de la clarté française, le plaisir que donnent le naturel et la vivacité de la langue indigène ? Il y a au moins (en 1817) vingt patois différents en Italie. A Naples, cela va jusqu'à avoir des dialectes particuliers pour chaque quartier de la ville, tant est grande la sensiblité. Le roi ne parle que napolitain ; je trouve qu'il a raison : pourquoi ne pas être soi-même ?
Aucun Italien n'est assez mon ami pour que j'ose le consulter sur les réflexions précédentes : c'est tout ce qu'il y a de plus délicat. J'ai voulu, chez madame ..., à minuit et demi, quand nous n'étions plus que sept à huit, donner une tournure littéraire à la question. J'ai avancé « que, pour arriver à un nouveau Dante, il fallait commencer par semer des Delolme et des Benjamin Constant, que jamais homme n'a été plus lui-même que le Dante, qu'Al- fieri n'était pas lui pour la langue, que même pour
« J'ai cru, disail-il devant moi, le jour même de l'événement, me jeter en prison pour le reste de ma vie ; quelle a été ma surprise de voir Son Excellence me dire : « Monsieur le « gouverneur est moins méchant que vous ne le croyez ; « vous aurez la ville pour prison ; et je m'en vais moi-mêmc « demander votre grâce au conseil aulique. » Deux mois après, le jeune poète est appelé de nouveau. Il fait ses arran- gements, croyant ne plus rentrer chez lui. Il arrive tout pâle chez le gouverneur qui lui dit : « Sa Majesté pardonne à votre « jeunesse, et vous invite désormais à faire un meilleur usage •« de vos talents. » *
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les idées il était bien moins lui qu'il ne croyait. » J'ai été sifflé en quatuor : quatre personnes sur sept parlaient à la fois pour me terrasser ; après m' être assuré que l'expérience était impossible, je suis bien vite convenu de mon tort.
Ce qu'il y a d'afïreux, c'est que ce défaut de la langue rend le comique impossible. Il n'y a pas de tournure affectée qui ne soit naturelle dans quelque coin-"-. Il restait la pauvre commedia delV arte, Arle-
1. Le ton de critique de la Motte, vieilli d'un siècle chez nous, serait à cinquante ans en avant de l'Italie. Les plai- santeries sur les mots âne, bête, et sur les idées d'argent, reviennent sans cesse. Voir les journaux littéraires et les pamphlets de 1816 et 1817. On vient de me faire acheter à Florence Genovesi, Vico, VLomo morale de Longano ; les Saggi politici de Mario Pagano.^qui mourut pour ses opi- nions ; le Platone in Italia de M. Cuoco, la Monarchia cos- tituzionale d'un professeur de Milan. J'aurais été charmé de trouver cela bon.
Il y a une douzaine de citations latines qui reviennent toujours : Quandoque bonus dormitat Homerus... Quousque tandem, etc., etc. Voici une phrase qu'on a voulu rendre piquante, comme Geoffroy, et qui est toute copiée des tour- nures d'esprit de la canaille florentine au xiv® siècle :
« Ei roda pure i chiavistelli, che i muccini hanno aperto gli occhi, e i cordovani sono rimasi in Levante, anzi non è più tempo che Berta filava, e i paperi menavan l'oche a bere. »
Tout cela fait allusion à des idées qui avaient été mises en vogue par les Romains du xii® siècle. On voit qu'il y a de l'érudition.
Si on rassemble sur une même tablette les meilleurs ou- vrages qui ont paru depuis 1770, en anglais, allemand, français et italien, on verra qu'avoir posé l'équation c'est l'avoir résolue. La littérature italienne est la plus niaise, et cependant :
« La pianta uomo nasce più robusta in Italia che in qua-
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quin et Pantalon * ; les convenances les ont fait pros- crire ^.
Bologne, 12 avril. — Délices du retour à la civi- lisation, comme en revenant de province à Paris. A ma première question, en arrivant à Bologne : « Y a-t-il opéra ? — Oui, monsieur, la Clémence de Titus. » Je vole au théâtre ; l'ouverture commence comme j'entre.
Ronconi, dans le rôle de Titus, excellent chanteur, la même école que les jMonbclli et Pacchiarotti, un accent qui va au cœur ; que n'a-t-il vingt ans de moins ! Il est encore fort agréable dans une petite salle. La bonté de Titus m'émeut jusqu'aux larmes. Quelle tragédie que la Clémence traduite par Ra- cine ! Pour moi les modulations de Ronconi expri- ment encore mieux la bonté réunie à la puissance que l'harmonie des vers de Racine, particulière- ment dans ce passage :
lunque altra terra, gli stessi atroci delitti che vi si commet- tono ne sono una prova*. » (Alfieri.)
Je compte dans mon journal onze anecdotes de gens de la haute société qui, depuis cinq ou six ans, ont tué leur maîtresse et se sont ensuite donné la mort. Et l'Italie n'a pas un roman. Les Lettere di Jacopo Ortis ne sont qu'une imitation de Werther. C'est dans la froide Ecosse, et ce n'est pas dans la belle Lombardie, que paraissent Waverley et les Taies of my Landlord.
1. Ordonnance de Léopold, grand-duc de Toscane. Voir cette mesure préconisée dans les Influeiize morali de Sche- done. On jugera du degré de niaiserie où est tombée la litté- rature italienne.
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Questo, o Romani, è fabbricarmi il lempio.
(Act. I, se. V.)
Quelques personnes sentiront que si ces paroles étaient chantées par une voix de basse, au lieu de l'être par une belle voix de ténor, elles perdraient ce qu'elles ont de céleste. Un poète qui ferait très bien les vers français, et qui ne pourrait inventer la tragédie, devrait s'emparer de ce sujet. Il aurait un grand succès ; car nous savons tous qu'Auguste était un vil coquin. On remplacerait le rôle d'Anio^ fade en tragédie, par un Thraséas, un Corbulon, quelque vieux général à cheveux blancs, qui ne pourrait aimer Titus parce qu'il est empereur, mais qui rendrait justice à ses grandes actions. Il aurait assez de sens pour voir que la république est im- possible, et s'en prendrait aux dieux du désir de liberté qui le dévore, sans que son esprit puisse trouver les moyens de créer les intérêts qui la font naître. Le Titus de Métastase me produit le même effet qu'une bonne comédie de VOptimiste* : il ra- fraîchit le sang.
Vitellia, l'Emilie de Corneille, la Bonini, jeune élève du Conservatoire de Milan. Elle a du jeu, de la méthode, et une assez jolie voix de tête (primo soprano), qu'elle conservera, car elle est laide *.
Paraît enfin Cinna (Sesto) ; c'est ce Tramezzani dont j'ai tant entendu parler à Londres, et que je n'avais jamais pu voir *. Les femmes anglaises
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IGl
■oubliaient toutes les règles de la pruderie en parlant de ce Lel homme ; ici le mot : Il fait fureur, serait faible ; il est impossible d'avoir une plus grande quantité de grâces ; il est toujours en mouvement, toujours gracieux jusqu'à l'afféterie la plus outrée. Il exprime la haine la plus féroce par les roulements d'yeux les plus tendres. Pour moi, j'aime à le re- garder, et surtout à regarder les femmes dans les loges. C'est un très joli homme de quarante ans, qui a encore un peu de voix. Il a besoin de s'échauf- fer. Il chante très bien le dernier air du second acte. Les dames trouvent sa voix magnifique : elles sont de bonne foi.
Tramezzani fait tout oublier, même la haine. C'est une manière de vivre bien flatteuse que celle d'un beau chanteur. Il disait ce soir que jouer ne le fatigue pas plus que la conversation. La seule néces- sité de l'entendre fait cesser les applaudissements ; et comme cependant il a quelques jaloux, chaque soirée a pour lui l'intérêt piquant d'un drame. Je lui ai répondu que si j'avais à choisir, j'aimerais mieux être lui que les héros qu'il représente. Ce n'était point un compliment.
20 avril. — Je viens enfin de découvrir un Ita- lien qui a un peu de génie original. Le mot imiter semble avoir été créé en faveur de ce pays. Depuis qu'ils ont laissé refroidir le feu que déposa dans leur sein la liberté du xiv^ siècle, et cette jeunesse
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des âmes sentant le beau après dix siècles de bar- barie, circonstance unique et qui ne se présentera plus, ils sont tombés dans le dernier degré du marasme. Le poète imite le Dante, le prosateur, les périodes de Boccace, l'historien, le style de Ma- chiavel ^. Mon homme est tout bonnement un faiseur de lihretti ^ pour les théâtres. Ordinairement ses pièces n'ont que deux représentations, parce qu'à la seconde la police les défend. Il a fait rire depuis trente ans aux dépens de tous les ridicules qui ont paru en Italie. Il commença par se moquer des Français qui emportaient des statues. II n'a guère de réputation, parce que son genre n'admet pas le pédantisme. J'ai failli me faire lapider ce soir chez madame M..., en osant dire la moitié de ce que je viens d'écrire. J'en pense encore plus. Ce génie ignoré * est l'avocat Anelli, de Desenzano. Il y a dans sa manière du Dancourt, du Gozzi, et un peu du Shakspeare. Les Français, surtout les gens moulés sur Laharpe, ne trouveraient que de la bouffonnerie la plus basse. Tel est l'excès de notre vanité. Nous voulons savoir, avant de rire d'un trait plaisant, si les gens de bon ton le trouvent tel. Mais V imprévu est la condition principale du co- mique. Que faire ? Ne plus rire qu'au théâtre où l'on rit sans conséquence *. Voilà tout le secret
1. Monti, Verri, Botta.
2. Ce mot vaut mieux que de les appeler des poèmes.
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-de la fortune des Variétés. Le peu de comédie qui végète encore en France s'est réfugié au théâtre où il y a trois cent soixante-cinq nouveautés par an *. Le plaisir que les jeunes gens trouvent aux Fran- çais n'est pas la joie du théâtre, c'est le plaisir d'un cours de littérature bien fait, le plaisir des souve- nirs classiques. Ces jeunes gens sont réduits aux jouissances des vieux pédants. Jamais un Français vulgaire ne comprendra le talent d'Anelli ; c'est la muse comique courant des bordées contre la monar- chie la plus soupçonneuse.
N'a-t-il pas eu la hardiesse de se moquer, sous Buonaparte, de la nullité du sénat d'Italie ? C'est là tout le secret des longues scènes de Papatacci dans Vltaliana in Algeri ^.
Aujourd'hui, il vient de tourner en ridicule Tramezzani au milieu de son triomphe dans ce joays ; c'est un trait d'esprit, mais c'est encore plus un acte de courage. Telle femme le haïra encore dans dix ans.
A en juger par mes Anglais, les étrangers quittent l'Italie sans même se douter des mœurs de ce pays. Ceux qui commenceront à les entrevoir doivent lire Vopera buffa en un acte intitulé / Virtuosi di
1. Mangiar, hère e lasciar fare.
On passe ces scènes à Paris, où d'ailleurs ce pauvre opéra est gâté de toutes les manières. En 1816 il était donné à Milan avec une pompe orientale. Il fallait voir Galli dans le rôle du Bey, Paccini Kaïmakan et la Marcolini dans Vlta- liana *.
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teatro. Ce sont les mœurs des coulisses d'Italie. Cela n'a nul rapport avec nos théâtres, les troupes ici ne durant jamais que trois mois. Dans la farce- d'Anelli, le frère de la première danseuse a une dis- pute avec le père de la prima donna. Il reste seul avec celle-ci, qu'il trouve jolie. Pour faire connais- sance, il lui propose de chanter un duo de l'opéra célèbre VEroe smorfioso (le Héros doucereux). Ici commence la plus drôle de critique du héros Tramez- zani. Il était, ce soir, dans une loge, faisant bonne mine contre mauvais jeu. Paccini, qui fait l'amou- reux de la cantatrice, imite jusqu'aux moindres gestes du héros. A un passage très pathétique,. il s'interrompt pour dire à sa belle : « Ici, ma chère, je te montre les dents, ne pouvant te montrer mon' âme. » C'est qu'une des grâces les plus répétées de Tramezzaui consiste à découvrir des dents superbes. Je crois que de ma vie je n'ai tant ri. La musique est de Mayer. Les Virtuosi di teatro alternent avec- la Clémence de Titus. Les femmes sont furieuses, et peut-être communiqueront-elles leur colère à la police. A Paris, une plaisanterie n'est qu'une plai- santerie ; chez un peuple étiolé j)ar la monarchie- absolue, un homme qui souffre la plaisanterie, est un homme que le pacha abandonne, est un homme perdu.
21 avril. — La Clemenza di Tito, pour la dernière fois. Au total, faible contre-épreuve du génie de:
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Mozart. Je revois avec plaisir que ce grand homme n'a pas toujours eu un style tendu, comme nos tragiques ennuyeux. Il y a plusieurs motifs gais. — Il est des âmes que le moindre appareil effarouche, et que Vopera séria ennuie. Elles ne sympathisent avec le tendre que lorsqu'il vient après le comique. Michaut les fait toujours pleurer dans Henri V.
22 m'ril. — Comment parler musique sans faire l'histoire de mes sensations ? On me les niera. Je pense que mes adversaires seront souvent de bonne foi ; tant pis pour eux.
23 ai'ril. — La haute société de Bologne a un peu de la couleur de celle de Paris ; elle est animée par quelques-uns de ces êtres charmants qui offrent la réunion si rare de l'esprit, de la beauté et de la gaieté. Madame Martinetti ferait sensation, même à Paris.
24 ai'ril. — En France, les gens de province n'en- tendent pas raison sur la înoralité de Vendrait ^. L'on est un peu moins bête en Italie : c'est la gloire de la wille qu'il est sacrilège de diminuer par la moindre critique. J'ai voulu suivre cette idée dans le salon de madame M... avec des gens qui se
1. Procès de mademoiselle Aniche, de Bordeaux, contre ie Mercure (juin 1817).
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prétendent philosophes ; j'ai vu que les nations sont entre elles comme les jeunes gens riches mal élevés. Les Italiens sont, de plus, perdus de flatterie par les patriotes à la de Belloy (voir la Biblioteca italiana de Milan). De cinquante ans cette nation ne souffrira la vérité. Je ne crois pas qu'elle trouve beaucoup de voyageurs qui l'aiment autant que moi, et, ce soir, toutes les mines me regardaient comme ennemi *.
30 avril. — Je viens de passer quatre jours en viUeggiatura, chez le prince V....
Les maris n'ont pas en Italie la centième partie de la jalousie de ceux de France. Je n'ai pas pu découvrir la cause du sigisbéisme autre part que dans la nature. Quelques philosophes, qui étaient avec nous, m'ont dit qu'à la fin du moyen âge, quand il y eut en Italie des foules de petits tyrans cherchant à donner de la dignité à leur cour en singeant l'étiquette espagnole, les particuliers riches prirent d'eux l'usage de donner un écuyer à leurs femmes.
Oserai-je joarler du fond des mœurs ? Suivant les récits de mes camarades, je crois qu'il y a autant de maris malheureux à Paris qu'à Bologne, et à Berlin qu'à Rome. Toute la différence, c'est qu'à Paris l'on pèche par vanité, et à Bologne à cause du soleil. Je ne trouve d'exception que dans les classes moyennes en Angleterre, et dans toutes les classes
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de Genève. Mais, ma foi ! la compensation d'ennui est trop forte ; j'aime mieux Paris, Oh gai !
1^^ mai. — Je descends de cheval ; on en trouve de très bons à louer dans ce pays, petits et de mau- vaise mine, mais malins, méchants et d'une rapidité charmante. Je viens de San Michèle in Bosco. C'est un couvent situé dans une position pittoresque, comme tous ceux d'Italie ; ce vaste édifice couronne la plus jolie des collines couvertes de bois, auxquelles Bologne est adossée ; c'est comme un promontoire ombragé de grands arbres qui avance sur la plaine. Mes amis m'ont conduit là pour voir les anciennes peintures de l'école de Bologne ; ils mettent un grand prix à la priorité dans les arts ; ils veulent, à ce qu'il m'a paru, détrôner Cimabue, le plus ancien barbouilleur de l'école de Florence. Dieu vous garde de jamais voir ses ouvrages !
Nous trouvons sur cette colline cet air frais, Vaura de Procris, dont on ne peut connaître le charme que dans les pays du Midi. Couchés sous de grands chênes, nous goûtons en silence une des vues les plus étendues de l'univers. Tous les vains intérêts des villes semblent expirer à nos pieds ; on dirait que l'âme s'élève comme les corps ; quelque chose de serein et de pur se répand dans les cœurs.
Au nord, nous avons devant nous les longues lignes des montagnes de Padoue, couronnées par
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les sommets escarpés des Alpes, de la Suisse et du Tyrol. Au couchant, l'immense océan de l'horizon n'est interrompu que par les tours de Modène ; à l'est, l'œil se perd dans des plaines sans bornes ; elles ne sont terminées que par la mer Adriatique qu'où aperçoit les beaux jours d'été * au lever du soleil ; au midi, autour de nous, sont les collines qui s'avancent sur le front de l'Apennin ; leurs sommets couverts de bouquets de bois, d'églises, de villas, de palais, déploient la magnificence des beautés de la nature, secondée par ce que les arts d'Italie ont de plus entraînant. Le bleu foncé de l'atmosphère n'était altéré, par quelques légers nuages d'une éclatante blancheur, que tout à fait à la ligne de l'horizon.
Nos cœurs, pleins d'émotion, jouissaient en si- lence de tant de beautés, quand tout à coup un de nos compagnons se lève, et, du ton le plus impé- tueux, récite le sonnet suivant, fait par un habitant de Bologne, à la première nouvelle du passage du Saint-Bernard par Varmée de réserve :
SONNET
Vidi V Italia col crin sparso, incolto. Cola dove la Dora in Po déclina, Che sedea mesta, e avea negli occhi occollo Quasi un orror di servitù vicina.
Ne V altéra piangea : serbava un volto Di dolente bensi, ma di reina ; Tal forse appar^'e allor, che il piè discioUo A' ceppi offri la libertA latina.
ROME, NAPLES ET FLORENCE IGD
Poi sorger lieta in un balen la i'idi,
E fiera ricomporsi al fasto usato,
E quinci, e quindi minacciar pin lidi.
E s' udia l'Apennin per ogni lato Sonar d' applausi, e di jestosi gridi : Italia, Italia, il tuo soccorso è nalo ^.
Et des cris se sont fait entendre sur cette der- nière branche de l'Apennin, mais combien diffé- rents de ceux de 1800 ! Les Italiens ont raison, Marengo avança d'un siècle la civilisation de leur patrie, comme une autre bataille * l'a arrêtée pour un siècle.
Un prince de Bologne, croyant à la délivrance de l'Italie par Murât, leva en vingt-quatre heures un régiment de quinze cents hussards, dépensa deux cent mille francs, l'équipa en trois jours, et le quatrième, était en ligne à la tête de sa troupe.
Cela, et le refus de la loi sur le timbre à Buona- parte dans tout l'éclat de sa puissance, sont des traits que la France n'égalera jamais.
2 mai. — Ce soir, en revenant du concert de madame G..., où Yelluti a chanté, j'ai reçu les confidences d'un de mes nouveaux amis ; il vient de me tenir, sous ces beaux portiques qui con- duisent au théâtre, jusqu'à deux heures du matin. Il y a un an qu'il a quitté sa maîtresse ; il se déses-
1. Recueil du P. Ceva, p. 264. Manfredi *.
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père et ne peut l'oublier ; il se plaisait à me raconter les moindres circonstances de leurs amours. J'ad- mirais qu'un homme de trente-cinq ans, riche, bien fait, militaire, pût avoir tant de faiblesse ou tant d'amour : rien de plus commun en Italie, Il se couvrira de ridicule, du moins dans nos idées françaises, en reprenant sa maîtresse, et il la repren- dra ou il mourra fou. Elle, piquée de l'éclat d'une rupture où il n'avait que trop raison, le fera passer par les conditions les plus dures. J'ai déjà rencontré sept à huit de ces désespoirs. Il me semble que cela donne de la dignité à l'amour italien.
Comme un roman n'est intéressant qu'autant qu'on a le temps de le raconter tout au long, et que je meurs de sommeil, je n'écrirai que ce qui est observation philosophique :
1° Rien n'égale l'air froid et simple de cet homme qui me parlait, et a fait des folies inouïes en amour et à la guerre. On ne concevra jamais à Paris la bonhomie de la société italienne, et particulièrement l'air simple des militaires. Cette vanterie égoïste et grossière, que nous appelions blague, parmi les officiers subalternes des régiments, et qui donnait tant d'avantages, y est absolument inconnue.
2° Un étranger qui a passé par une grande ville d'Italie est moins connu par son nom que par celui de la dame qu'il servait. Essere in servitù est le mot, comme amicizia pour : amour, et awicinare una donna pour : lui faire la cour.
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3'' L'homme qui a fait le malheur trop évident de mon ami est un Florentin ; s'il lui faisait une scène, jamais leur maîtresse ne le reverrait. Mon Bolonais me disait : « Etes-vous allé à Florence ? au petit théâtre d^Ogni Santi ? — Oui. — Y êtes- vous allé un jour où Stenterello jouait ? — Certai- nement. — Avez-vous remarqué ce caractère ? C'est l'homme le plus mince et de la figure la plus sèche que vous ayez jamais vu ; il arrange avec toute l'élégance possible son habit troué ; le prin- cipal fondement de sa cuisine, ce sont des tranches de concombre à la glace ; du reste, vaniteux comme un Castillan, peu lui importe de mourir de faim, pourvu qu'on ne le sache pas. Si on ne lui donne pas de Vella ^ *, il est au désespoir. Surtout, il est beau parleur et se pique de ne s'exprimer que dans les termes les plus toscans. Il lui faut trois phrases pour vous demander quelle heure il est. Les Flo- rentins vous ont dit que c'est le caractère du peuple de leur pays ; la vérité est que c'est celui de toute la nation. Par exemple. M, ..., etc. »
Cette sortie de mon amant malheureux m'a fait rassembler plusieurs observations faites à Florence. Tous les Florentins sont maigres ; on les voit au café faire leur unique déjeuner avec un verre de café au lait et le petit pain le plus exigu, ce qui leur
1. La plus respectueuse des quatre manières d'adresser la parole : Tu, voi, lei, et à Florence : ella *.
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coûte trois gratz (vingt et un centimes). Le soir, chez Vigne, ils dînent pour deux paules et demi ou trois paules (le paule vaut cinquante-cinq centimes). Leur manière de se vêtir a quelque chose de singu- lier ; c'est plutôt un habit bien brossé qu'un habit neuf. Rien chez eux qui ne respire l'économie la plus sévère. En tout c'est l'opposé des Milanais : jamais de ces faces épanouies et heureuses. A Milan, la principale affaire est de bien dîner ; à Florence, de faire croire qu'on a dîné. On cite par la ville beaucoup de gens qui vont à la cour et qui dînent en famille avec deux plats ; mais l'ambassadeur d'aucune puissance, à Paris, n'a autant de galon sur les habits de ses gens.
Les Français qui étaient à Florence avaient fait enseigner au limonadier du café militaire, vis-à-vis la statue équestre, à faire la bistecca (le bifteck) ; ils allaient y déjeuner. Le peuple les voyait manger de la viande dès le matin et dépenser magnifique- ment vingt-trois sous. Rien n'a peut-être plus con- tribué à faire respecter les Français *. J'ai encore trouvé dans Florence le proverbe : Gran Francesi, grandi in tutto. Un Florentin se rappelle, au bout d'un an et avec reconnaissance, que vous lui avez fait accepter une tasse de chocolat. Cette excessive économie s'explique fort bien par l'histoire. Flo- rence, dans le moyen âge, fut immensément riche par le commerce ; de république agitée, elle devint monarchie absolue, perdit son commerce, et garda
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son économie, la première vertu du commerce. La Florence d'aujourd'hui est un port ouvert aux gens ruinés. Venise est bien plus gaie et bien plus- aimable, mais il faut s'accoutumer à n'avoir pour toute })romenade que des rues larges de quatre pieds, et un jardin uni((ue, grand comme les deux tiers des Tuileries.
3 }nai. — J'ai à me confesser d'une grande erreur.. L'étranger qui ne voit d'abord que les littérateurs et les gens qui passent pour des esprits, est étonné de la sottise de ce peuple. Au contraire, il n'y a rien de si fin et de si spirituel au monde. Les gens d'esprit sont ceux qui n'en font pas métier. Dès qu'ils veulent se cultiver, ils deviennent pédants. Des jeunes gens étonnants par la finesse et la saga- cité de leur esprit forment des collections d^auteiirs classiques, c'est-à-dire cités par la Crusca, et leur grande affaire devient de ne plus employer de mots- dans la conversation, qu'ils ne puissent montrer dans les Cantl carnawaleschi ou autre platitude imprimée au xv^ siècle. Au premier abord, il vous faut essuyer toute cette science. C'est là que mon courage m'avait abandonné à mon premier pas- sage ; depuis, j'ai découvert que, quand ces gens-là sont naturels et ne veulent plus faire d'esprit, ils sont divins.
L'esprit, à Paris, manque de sagacité et s'allie souvent à la badauderie sur les grandes questions
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de la vie ; il veut trop paraître. Un de nos petits auteurs, charmant le premier jour, montre le tuf* dès le second. En un dîner il vous parle de tout ce dont on peut parler. Ici, un jeune homme distin- gué, pédant le premier jour, est enchanteur dès qu'il ne songe plus à l'être. Les satires de Voltaire sont plates, si on les compare aux petits poèmes sati- riques qui ont couru en ces derniers temps, à Bo- logne, Venise, Milan : c'est la naïveté et la force de Montaigne réunies à l'imagination de l'Arioste.
4 mai. — H y a ici sept à huit Polonaises char- mantes. Pour moi, c'est l'idéal des femmes. Elles courent les peintures toute la journée ; elles ont imaginé de se faire faire un cours de peinture par un Danois qui, malheureusement, paraît beaucoup trop aimable à la plus jolie d'entre elles. Le lieu des leçons est la galerie de cet aimable comte Mares- calchi que nous avons vu nous donner de si jolies fêtes dans sa maison des Champs-Elysées. Je suis allé aujourd'hui à ce cours, non pas à cause du professeur ; mais, pour me mettre bien avec lui, je lui ai demandé la copie de sa leçon. Après avoir lu cinq ou six pages d'écriture, il s'est mis à nous expliquer les très beaux tableaux de i\L Mares- calchi *. L'appartement dont se compose la galerie est garni de meubles de Paris, et il y a une chambre où l'on ne voit que des chefs-d'œuvre.
« Vous savez que l'école de Florence se reconnaît
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à un dessin hardi, qui, sur les pas de Michel-Ange, outre un peu la partie saillante des muscles.
« Raphaël eut l'expression, le dessin, l'imitation de l'antique. Sa perfection est dans les figures d'apôtres et de vierges. Il fut un peu froid et un peu sec dans les commencements, comme le Pé- rugin, son maître. Le Frate lui apprit le clair-obscur, où il fut toujours faible. Ce fut une grande âme.
« Le Corrège a la grâce séduisante, le clair-obscur, les raccourcis ; son âme était faite pour réinventer l'antique ; mais il l'a peu imité *. Ses tableaux, chefs-d'œuvre de volupté, sont à Dresde et à Parme.
« Le Titien et tous les Vénitiens, ont la vérité de la couleur. Giorgione, grand homme, moissonné à l'en- trée de sa carrière, en eut l'idéal.
« L'école de Bologne est presque, dans tous les genres, la perfection de la peinture.
« Le Dominiquin eut l'expression, surtout des affections timides, le coloris, le clair-obscur, le dessin. Pour l'expression, après Raphaël et lui, vient le Poussin.
« Le Guide, âme française, eut la beauté céleste dans les figures de fenmies. Ses ombres peu fortes, sa manière suave, ses draperies légères, ses contours délicats, forment un contraste parfait avec le style de Michel-Ange de Caravage.
« Le Guerchin fut un ouvrier doué d'un singulier coup d'oeil pour rendre le clair-obscur. Il copiait tout simplement les paysans du bourg de Cerito,
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OÙ il travaillait à la toise. Ses figures semblent se détacher de la toile, et conviennent aux gens qui Jouent, dans la peinture, V illusion.
« La galerie Farnèse, de Rome, met Annibal Car- rache au rang des plus grands peintres. Beaucoup de gens disent : Raphaël, le Corrège, Titien et Anni- bal. A Bologne, on lui préfère Louis Carrache.
« L'Albane, homme froid, a bien peint les enfants et les corps de femmes, mais non leur âme ; il n'en avait pas, l'envie l'occupa beaucoup. * »
6 mai. — Nous sommes allés, trois voitures, à Correggio, pour visiter la patrie du grand homme. Tout ce que nous avons trouvé de lui, ce sont ses madones avec leurs beaux yeux si tendres, qui courent les rues déguisées en jeunes paysannes. Je me suis aperçu que je passe à Bologne pour sou- verainement illibéral. La chute du tyran n'a pas valu à l'Italie notre admirable constitution de 1814, chef-d'œuvre de génie et de bonté dont les nations étrangères savent admirer l'auteur, mais le réta- blissement de toutes les vieilleries. Voilà pourquoi l'homme souverainement dissimulé, qui abhorrait tant la liberté qu'il n'a pas su se parer de ses cou- leurs, même lorsqu'elle était son seul moyen de salut, trouve encore des partisans en Italie, parmi les amants passionnés de cette liberté * : les Ita- liens d'une certaine portée m'ont souvent répété que les plus bas des hommes étaient les gens de
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lettres ^. Ils partent de là pour négliger tous les livres et l'étude du mécanisme de la liberté. Ils s'imaginent qu'un ange la leur apportera un beau matin.
Beaucoup de jeunes gens, voyant la Chambre des pairs d'Angleterre appuyer aveuglément le minis- tère qui s'est moqué d'eux à Gênes, rêvent encore à la république. C'est là ma grande dispute * avec eux. Le plus sûr chemin du despotisme militaire, c'est la république. Pour avoir une république, il faut commencer par se faire île. Parmi les modernes si corrompus, le rouage le plus nécessaire à la liberté, c'est un roi : voyez Berne.
Si je savais un coin du monde où l'on ne parlât pas plus politique qu'en 1770, j'y volerais, fût-il aussi loin que les jardins d'Armide. Notre partie, toute composée de jeunes femmes et de militaires, a tourné à la politique ; c'est-à-dire qu'au lieu de rire et de profiter de nos beaux jours, nous avons eu le plaisir de nous indigner.
8 moi. — Veut-on le portrait des belles miladys que nous avons ici, fait de main de maître ?
« Milady R... a vingt-six ans, elle n'est pas vi- laine ; elle est très douce et assez polie, et ce n'est pas sa faute de n'être pas plus amusante ; c'est
1. Cela n'est pas exact : ce sont les hoiizards de la liberté, ils sont tous les jours au feu ; il faut bien qu'ils reculent quelquefois.
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faute d'avoir rien vu, car elle a du bon sens, n'a nulle prétention et est fort naturelle ; son ton de voix est doux, naïf même et un peu niais. Si elle avait vécu en France, elle serait aimable. Je lui fais conter sa vie ; elle est occupée de son mari, de ses enfants, sans austérité ni ostentation : si elle ne m'ennuyait pas, elle me plairait assez. »
9 mai. — Admirables portraits de M. Palagi. Un écuyer du roi d'Italie, banquier millionnaire, s'est fait peindre en écuyer *. Le gouverneur l'a mandé et tancé vertement ; à quoi l'autre a ré- pondu qu'il était maître de se faire peindre avec tel habit qu'il voudrait, et que d'ailleurs il ne rou- girait jamais du costume rappelé par son portrait.
10 mai. — Rien ne peut distraire les Italiens et surtout les Bolonais, de leur politique enragée, qu'Alfieri. J'ai passé la soirée avec deux personnes qui ont vécu avec lui dans l'intimité, ou plutôt, car sa hauteur ne permit jamais l'intimité, qui l'ont vu très souvent les dernières années de sa vie. L'un de ces messieurs lui ressemble ; et avec beau- coup de grâce, car il était malade, il nous a donné pendant un quart d'heure une représentation d'Alfieri ; c'est un grand homme maigre, à cheveux rouges ; sa physionomie, ses yeux surtout, sont d'un dictateur de Rome. Il est entré dans le salon, et, à tout ce qu'on a pu lui dire, n'a répondu qu'en
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siiïlant. Tout le monde se récriait sur l'étonnante ressemblance.
Quand le comte Neri est rentré, il nous a conté, entre cent traits d'originalité, de hauteur et d'en- nui, que le comte Alfieri ayant été présenté à ma- dame d'Albany, à la galerie de Florence, remarqua qu'elle s'arrêtait avec plaisir devant un portrait de Charles XII ; elle dit même que l'uniforme singulier de ce prince lui paraissait extrêmement bien. Deux jours après, Alfieri parut dans les rues de Florence exactement vêtu et coiffé * comme le monarque suédois, à la grande consternation des paisibles habitants.
Le comte Neri, quoique soumis en apparence à toutes les faiblesses des mœurs italiennes, ou, pour parler clair * (car pourquoi diable me gênerais-je ?), quoique le plus esclave des cavaliers serventi, et pour une femme qui le trompe assez souvent, est un philosophe. Probablement, il en sait autant que nous sur sa maîtresse ; mais telle qu'elle est, avec tous ses défauts, c'est encore pour lui la femme la plus aimable de la terre, et rien ne pourrait rem- placer le bonheur de passer avec elle huit heures de toutes ses journées ; d'ailleurs, le mari est le meilleur garçon d'une ville qui est pleine de gens de ce caractère. Je comprends fort bien le bonheur du comte Neri, et, malgré la vanité française, j'échangerais volontiers mon sort contre le sien : sa maîtresse est une des plus jolies femmes d'Italie,
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et si capricieuse, avec des fantaisies si étranges et si gaies, qu'il faudrait être bien sot pour trouver l'ennui auprès d'elle.
Le comte Neri m'a pris en particulier, au fond du jardin, pour que je lui fisse le récit de la campagne de Moscou, la carte sous les yeux. J'ai pris avec moi deux officiers qui avaient été là-bas. Je lui ai dit qu'il n'y avait rien eu de si simple, et que ce n'était qu'à Paris que j'avais commencé à me figurer que je venais d'échapper à un grand péril. Tant que nous sommes morts de faim jusqu'à la Bérésina, il ne faisait pas trop froid : dès qu'il a gelé à pierre fendre, nous avons trouvé de quoi vivre dans les villages polonais. Du reste, si le prince Berthier avait eu le moindre esprit d'ordre, si Buonaparte avait eu le courage de faire fusiller deux soldats chaque jour, il n'aurait pas perdu six mille hommes dans toute la retraite. Je parle deux heures.
Pour me récompenser de cet acte de complai- sance, qui me rappelait des souvenirs si pénibles, le comte me dit : u Vous paraissez curieux de l'eflet produit par les tragédies d'Alfieri sur les cœurs italiens ; demain je vous apporterai un petit com- pendio (abrégé) que je n'ai jamais montré à per- sonne, même à la Gina. »
11 mai. — Traduction du cahier du comte : « Alfieri haïssait les rois dans sa jeunesse, parce qu'il n'était pas né roi. Lorsqu'il se mit à lire et à
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s'instruire, il resta fidèle à sa haine, et se fit illusion sur son origine.
« Il se croyait républicain, et dans le fait ne dé- sira jamais qu'une république sur le modèle de celle de Rome, où il y aurait des patriciens aussi bien que des plébéiens, et où un homme de talent pou- vait toujours espérer de devenir dictateur. Il ne pouvait souffrir les rois, parce que c'étaient les seuls êtres auxquels il fût né inférieur ; mais il avait la plus haute vénération pour la noblesse, d'abord parce qu'il était né noble, et que le pouvoir absolu sur les inférieurs, qui appartient à cet ordre en Piémont, lui était fort agréable ; quand il fut de- venu philosophe, il ajouta : parce que ce pouvoir pouvait être exercé par une grande âme, d'une ma- nière utile à ces inférieurs *.
« Après avoir été réveillé du sombre ennui de sa jeunesse par la lecture de Plutarque, après avoir parlé avec les transports de la haine la plus féroce du gouvernement modéré des princes de la maison de Savoie, après avoir imprimé qu'il n'était pas digne d'un homme libre de se marier et de s'exposer à avoir des enfants sous le joug de tels tyrans ; après avoir dit de cent manières qu'il répandait des larmes de rage d'être né au milieu d'un peuple avili ; après avoir donné son bien à sa famille pour ne pas vivre au milieu de ces esclaves * ; en un mot, après avoir écrit le livre forcené de la Tiran- nide, le hasard l'amène sur le champ de bataille,
Rome, Xaples et Floremce, II 12.
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OÙ un peuple, rempli de nobles sentiments ^ et enthousiaste de toutes les vertus, cherche à con- quérir sa liberté. On s'attend qu'il va partager l'ivresse de toutes les âmes généreuses ; rien moins que cela : dans ce moment décisif pour son carac- tère, n'étant plus offensé par la majesté du trône, le noble l'emporte, et Alfieri n'est qu'un ultra. Son mépris, ou plutôt sa haine masquée en mépris, pour la nation héroïque qui vient de dévoiler son cœur, ne trouve pas de termes assez forts. De ce moment il hait encore plus la France et les Fran- çais que les rois. Quand même ce pays fût parvenu à se donner la liberté, il eût encore écrit le Miso- gallo.
« L'ennui, joint à la haine pour les heureux, est le grand trait de la vie d' Alfieri, et sur le trône il eût été Néron. A la férocité près, mademoiselle Edgeworth a fait son portrait d'avance dans son comte de Glenthorn. Au reste, cet homme singulier fut si impérieusement subjugué par ses penchants, que sa vie entière peut être abrégée en deux mots : il fut la victime d'une passion pour les chevaux, d'une passion pour la gloire littéraire, et d'une haine furieuse des rois, qu'il appelait amour de la liberté. Il porta tout cela à un degré d'énergie qui ne s'est peut-être jamais rencontré dans un cœur d'homme, depuis les fureurs du moyen âge.
1. 1789.
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« Sur les Mémoires d'Alfîeri, je dirai : Les bulle- tins de Buonaparte sont intéressants, parce qu'il sortait un peu du ton de dignité. »
Les anecdotes des dernières années qu'Alfîeri a passées à Florence offrant souvent le nom d'une dame de la plus haute naissance qui avait bien voulu lui accorder sa main, il serait peu délicat de les publier. Il y a d'excellents portraits d'Alfieri, par M. Fabre, jeune peintre français qui habitait la même maison.
JUGEMENT LITTÉRAIRE
« La simplicité de l'intrigue, le petit nombre des personnages, la marche directe de l'action, l'uni- formité et la gravité travaillée de la composition, font des tragédies d'Alfieri ce que les modernes ont produit de plus semblable à l'antique. Infini- ment moins déclamatoires que les tragédies fran- çaises, elles ont moins de brillant et de variété, mais, en revanche, une teinte plus profonde de dignité et de naturel. Comme Alfîeri n'a pas adopté les odes sublimes du théâtre grec, que nous appe- lons chœurs, au total ses tragédies sont moins poétiques. Toutefois on sent dans tous les détails le travail d'une main savante. On peut même dire que le désir ardent qu'eut l'auteur de se garantir des personnages de pure ostentation, et sa haine extrême pour les tirades à prétention, qui lui sem-
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blaient avilir un dialogue constamment soutenu par un intérêt profond ou rempli des accents d'une passion brûlante, l'ont souvent entraîné dans une diction trop sentencieuse. A tout moment l'on trouve des morceaux écrits d'une manière pesante •et qui sent l'effort. Il s'est rappelé trop constam- ment que le premier devoir d'un écrivain drama- tique est de tenir ses personnages dans la direction <le l'affaire et des intérêts qui les occupent. Aveuglé par sa haine pour un peuple voisin, chez lequel on voit les personnages abandonner leurs intérêts les plus pressants pour faire des description: mo- rales ou poétiques des émotions qui les agitent, il •oublie quelquefois que certaines passions sont dé- clamatoires dans la nature comme au théâtre, l'amour, par exemple ; qu'elles ne doivent pas s'exhaler toujours en des phrases concises et scru- puleusement exactes, mais s'échapper quelquefois à des manières de parler qui semblent hyperbo- liques et mêmes fausses aux yeux du profond phi- losophe.
« La principale beauté, comme le plus grand défaut du dialogue d'Alfieri, c'est que chaque mot •est employé en conscience à pousser en avant l'action de la pièce par un argument suivi, une nar- ration nécessaire, ou l'expression exacte et géomé- trique d'une émotion naturelle. Ici, point de di- gressions, point de conversations épisodiques, et jamais de maximes, si ce n'est d'une admirable
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brièveté. Ces finalités, poussées à l'extréiiio, don- nent un certain air de solidité à toute lu struc- ture de la tragédie qui fatigue un lecteur ordinaire ; le lecteur homme d'esprit prévoit trop ce qu'on va dire. Rien d'éclatant, rien d'entraînant : dès (]u'on a lu trois ou quatre de ces tragédies, les autres ne surprennent plus. C'est un livre comme Milton, <]u'on prend par devoir et qu'on quitte sans peine.
« J'ai fait les remarques précédentes, en ma qua- lité de littérateur instruit ; quant à ma sensation particulière, je j)ense que les personnes à qui il a été donné de comprendre Shakspeare ne seront jamais touchées jusqu'à un certain point par les compositions d'aucun autre écrivain dramatique. Shakspeare ne ressemble pas plus à Alficri (pi'à tout autre poète. Alfieri, Corneille et tous les autres considèrent une tragédie comme un poème. Shak- speare y a vu une représen'.ation du caractère et des passions des hommes, qui doit toucher les spectateurs, en vertu de la sympathie, et jion jiar une vaine admiration pour les talents du ])oète. Chez les autres tragiques, le style et la couleur générale du dialogue, la distribution et l'économie des diverses parties de la pièce sont les princijiaux objets : pour Shakspeare, c'est la vérité et la force de l'imitation. Les poètes classiques sont satisfaits s'il y a dans leur ouvrage assez d'action et de pein- tures de caractères pour empêcher la composition de tomber dans la langueur, et pour amener, d'une
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manière à joeu près convenable, les dialogues élégants dont elle se compose. Shakspeare était satisfait si sa fable se trouvait assez bien ménagée pour ne pas choquer trop fortement cette disposi- tion à l'illusion que le spectateur apporte au théâtre. Il croyait avoir assez fait pour son style quand il avait évité tout ce qui pouvait être ridicule. Dans le monde, quand nous parlons à nos rivaux ou à nos amis, sommes-nous affectés par ce qu'ils nous disent, ou par le plus ou moins d'élégance de leur toilette ?
« Alfîeri ne vit point les choses de si haut. Il ne vit point d'un côté les actions des hommes, et de l'autre les diverses manières de les peindre qui ont fait les diverses écoles dramatiques. Il partit du genre français, le seul qu'il connût. Il prit ses souve- nirs pour le résultat de ses observations. Avec un peu plus d'esprit, il se fût rendu la justice qu'il n'avait jamais fait d'observations. L'école qu'il a suivie admet beaucoup moins de ces choses prises dans la nature qui me charment chez le poète an- glais. Dans ce genre étroit, Alfieri est excellent. Ses fables sont admirablement imaginées et déve- loppées avec tout le génie possible : tous ses carac- tères expriment des sentiments naturels, avec une grande beauté et souvent une grande énergie d'expression. Pour moi, c'est une faute que la fable soit trop simple et les incidents trop rares ; c'est une faute que tous les caractères expriment leurs
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«entiments avec une égale force et une égale élé- gance ; que tous dirigent leurs intérêts et leurs prétentions opposées avec une politique également profonde. Mon âme ne peut perdre de vue qu'un auteur ingénieux a versifié ces dialogues si parfaits et ces tirades si dignes de Tacite. Je ne puis jamais, même pour un moment, avoir l'illusion que j'en- tends de véritables personnages discutant entre eux ce qu'ils croient être leurs intérêts les plus chers. Il peut y avoir plus d'éloquence et de dignité dans le système d'Alfieri ; il y a tous les charmes de l'illu- sion dans celui de Shakspeare. J'ai passé bien des nuits à lire Shakspeare ; je ne lis Alfieri la nuit que quand je suis en colère contre les t\Tans.
« Je ne conçois pas comment les poètes de Paris n'ont pas suivi l'exemple de M. Lemercier. En affai- blissant une tragédie d'Alfieri, il reste encore une tragédie française de la première force. Sa JMérope, par exemple, est bien supérieure à celle de Vol- taire ^.
« Pour le style, on sent toujours qu'il a coûté beaucoup d'efforts à un homme d'un grand génie. Toujours par l'usage de tournures aussi concises que magnifiques, l'auteur travaille à donner à son vers une sorte de force factice et d'énergie. Pour enfermer beaucoup de sens en peu de mots, il accumule les interrogations, les antithèses, les
1. Voir à l'Appendice * la liste des tragédies d'Alfieri.
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maximes courtes et exprimées dans un ordre in- A'erse, singulier dans la langue.
« Sous tous ces rapports, aussi bien par la gravité correcte des sentiments que par la parfaite propriété et la sage modération de toutes les peintures des passions, ses tragédies sont exactement le con- traire de ce qu'on pouvait se promettre du carac- tère enflammé et indépendant qui distingua leur auteur. D'après ce que je lui ai vu faire pen- dant sa vie, et ce qu'il nous avoue dans ses conscien- cieuses confessions, on devait s'attendre à voir dans ses tragédies une grande véhémence dans les ac- tions ; et dans le dialogue une éloquence aussi irrégulière que sublime ; des sentiments extrava- gants, mais ravissants par leur énergie et leur nou- veauté : des passions allant jusqu'à la frénésie, et une poésie enflammée, approchant de l'emphase brillante de l'Orient.
« Au lieu de cette nouveauté entraînante, — et ce que le xix® siècle demande surtout aux arts, ce sont des sensations nouvelles, — nous avons une représentation exacte et concise des catastrophes célèbres de l'histoire, des discours énergiques, des passions, non pas éclatantes, mais profondes, et un style si sévèrement correct et si scrupuleusement correspondant à l'idée, que le lecteur le plus atten- tif ne peut pas ne pas s'apercevoir de l'immense travail qu'il a coûté. Fidèle à son caractère de patricien, Alfieri s'imagina être plus respecté en
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prenant ce parti. 11 eût peut-être été plus grand, et certainement plus original, en étant lui-même. Mais quel homme que celui qui a pu se tromper dans un tel choix, et se placer encore à la tête de tous les poètes classiques * ! »
Imola, 15 mai. — Je voyage en sediola au clair de lune. J'aime l'aspect des Apennins éclairés par l'astre des nuits. Une sediola, comme le nom l'in- dique, est une petite chaise fixée au milieu de deux très hautes roues. On guide soi-même un cheval qui va toujours le grand trot et fait trois lieues à l'heure. 11 faut un chemin superhe, et tel que celui d'Arona à Ancône ; autrement l'on verse. Hier, j'ai versé trois fois ; mais c'était ma faute, et non celle de la route. Mon cheval faisait près de quatre lieues à l'heure. L'attention étant forcément fixée sur le paysage, on ne peut plus oublier les pays qu'on a parcourus en sediola. Mon cheval vient de Padoue.
Ferrare, 17 jnai. — Il a fallu m'arracher à Bologne, après y avoir passé quinze jours de plus •que je ne comptais. Paccini est un excellent bouffe plein de verve. Chaque soir il change quelque chose à son rôle, et Bologne, pour l'esprit, est la ville la plus remarquable de l'Italie. Les grandes pensées viennent du cœur.
Me voici à Ferrare, qui fut une grande ville, tant
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qu'elle sut garder sa nationalité ; depuis qu'elle est au pape, le légat pourrait nourrir un demi- régiment de cavalerie avec l'herbe qui croît dans les rues. Les gens riches vendent leurs terres et vont s'établir à Milan. On peut acheter ici douze mille livres de rente pour cent mille francs. Il est vrai que, lorsqu'un homme va un peu trop souvent dans une maison où se trouve une jolie femme, le légat le fait appeler pour lui rappeler le neuvième commandement de Dieu. Un laquais est-il mécon- tent de ses maîtres, il va un vendredi porter un os de poulet au légat *, qui aussitôt mande l'impie ^. D'ailleurs il n'y a point de spectacles. Je me hâte de quitter cette ville aimable *. J'avais presque oublié le tombeau de l'Arioste ; j'y vais en sédiole. Est-ce bien ici que ce grand homme récitait l'his- toire de Joconde à la cour du souverain ?
Cesène, 20 mai. — J'éprouve une sensation de bonheur de mon voyage en Italie, que je n'ai trou- vée nulle part, même dans les jours les plus heureux de mon ambition. Je me surprends cinq ou six fois la journée avec des idées vagues de donner ma dé- mission et de me fixer en ce pays. Les premiers mois, j'étais un peu étonné par tout ce que je voyais de nouveau ; maintenant mon âme est plus calme. Je vois nettement l'ensemble des mœurs italiennes ;
1, Historique.
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elles me semblent bien plus favorables au bonheur que les nôtres. Je crois que ce qui me touche, c'est la bonhomie générale et le naturel.
Voici un petit détail insignifiant que j'ai oublié d'écrire à Bologne. La femme la plus capricieuse et la plus belle de la ville est souvent à la Monta- gnola, la promenade à la mode, avec une petite robe anglaise de dix-huit francs. Elle en a vingt dans ses armoires, du plus grand prix. Tous les mois elle en fait faire deux ou trois qu'elle ne porte jamais. Il est si ennuyeux de s'habiller !
Le fat le plus célèbre de Bologne, M. P..., me disait : « Ma foi ! moi, je mets ma cravate le matin, et ne m'habille plus. Tant pis pour qui me trouve mal. »
RiMiNi, 21 mai. — Comme chaque quartier de Naples a une langue, ici, chacune de ces petites villes voisines, Ravenne, Imola, Faenza, Forli, Rimini, a des mœurs différentes. Les uns sont prompts, emportés, vindicatifs, libertins ; les autres, rangés, tranquilles, allemands. Je n'ai pas trouvé les conversations montées sur le ton important de nos provinciaux gémissant sur les scandales de l'amour et sur la difficulté de trouver des domes- tiques fidèles : chacun n'y parle pas toujours de ses intérêts d'argent ; l'amour et la musique viennent jeter quelque variété dans ces monotones idées de la province. Au reste, comme chez nous, les bour-
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geois font la police les uns sur les autres. Par ce triste moyen, peut-être y a-t-il un peu plus de mœurs cjue dans les grandes villes. — Il y a beau- coup de caractère. Les lois n'étant autrefois, sous le gouvernement des prêtres *, qu'une mauvaise plaisanterie à l'usage des sots, les gens d'ici se font justice eux-mêmes. Par là ils sont un peu moins insipides que nos bourgeois de petite ville, et la force physique est un avantage très prisé chez les jeunes gens.
République de Saint-Marix, 22 mai. — Goethe, voyageant en Italie, trouva dans ces montagnes un officier des troujoes du pape, homme tout uni, qui lui dit dans la conversation : « Nous savons de bonne part cjue votre Frédéric le Grand, que tout le monde parmi vous considère comme hérétique *, est, dans le fond, un excellent catholique ; mais il a obtenu de Notre Saint Père le pape une dispense pour tenir sa religion secrète. Il n'entre jamais dans aucune de vos églises hérétiques. Il a une cha- pelle souterraine où il entend la messe chaque jour, le cœur brisé de douleur de ne pouvoir con- fesser notre sainte religion. S'il ne suivait que son zèle, les Prussiens sont une race d'hérétiques si furieux qu'ils le massacreraient sur l'heure ^. »
Cette finesse du clergé italien existe encore ; je
1. Aus meinem Lcben, 1816, tome IV.
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ROME
NAPLES ET FLORENCE
PAR M. DE STENDHAL.
TROISIÈME ÉDITION.
Ah! monsieur, comment peul-on élre Persan?
Lettret Persanes.
TOME PREMIER.
PARIS,
DELAUNAY, LIBRAIRE, PALAIS -ROYAL. 1826.
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ROME, NAPLES ET FLORENCE 103
viens d'en avoir la preuve à Saint-Marin par trois ou quatre anecdotes (pic je ne dirai ])as.
Pesaro, 24 mai. — Ici les gens ne passent pas leur vie à juger leur bonheur. Mi piace ou non mi piace est la grande manière de décider de tout *. La vraie patrie est celle où l'on rencontre le plus de gens qui vous ressemblent. Je crains bien de trouver toujours en France un fond de froid dans toutes les sociétés. J'éprouve un charme, dans ce pays-ci, dont je ne puis me rendre compte ; c'est comme de l'amour ; et cependant je ne suis amoureux de personne. L'ombre des beaux arbres, la beauté du <3iel pendant les nuits, l'aspect de la mer, tout a pour moi un charme, une force d'impression qui me rappelle une sensation tout à fait oubliée, ce que je sentais à seize ans, à ma première campagne ; je vois que je ne puis rendre ma pensée, toutes les circons- tances que j'emploie pour la peindre sont faibles *.
Toute la nature est ici plus touchante pour moi ; elle me semble neuve ; je ne vois plus rien de plat at d'insipide. Souvent, à deux heures du matin, ■en me retirant chez moi, à Bologne, par ces grands ])ortiques, l'âme obsédée de ces beaux yeux que je venais de voir, passant devant ces palais dont, par ses grandes ombres, la lune dessinait les masses, il m'arrivait de m'arrèter, oppressé de bonheur, pour me dire : Que c'est beau ! En contemplant
Rome, Naples et Florence, II 13
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ces collines chargées d'arbres qui s'avancent jusque sur la ville, éclairées par cette lumière silen- cieuse au milieu de ce ciel étincelant, je tressaillais^ les larmes me venaient aux yeux. Il m'arrive de me dire à propos de rien : Mon Dieu ! que j'ai bien fait de venir en Italie !
Urbin, 25 mai. — Singulière vivacité des habi- tants de cette petite ville de montagne ; grands monuments dont elle est remplie. Elle eut un prince, le duc Guidobaldo, le rival des Médicis.
Le bon ton consiste assez, en France, à rappeler sans cesse, d'une manière naturelle en apparence, que l'on ne daigne prendre intérêt à rien. Les pauvres Italiens sont bien loin de songer aux jouis- sances de vanité ; au milieu de l'absence de toute loi et de toute justice (on parle de ce qui existait autrefois), ils cherchent celles de la sûreté. Est-ce leur faute s'ils sont féroces ? Si, sous des gouverne- ments souvent cruels, parce qu'ils ont toujours peur, et si faibles qu'ils n'ont de force que par l'astuce, ils n'étaient pas féroces, ils seraient détruits, si ce n'est par le pacha, du moins par le sous-pacha ou par le cadi.
Comme chez le malheureux fellah de la basse Egypte, la méfiance retient à chaque instant la sympathie la plus vive et la plus enflammée. De là vient qu'à la vue de la douleur et de l'injustice.
ROME, NAPLES ET FLORENCE 195
s'ils sortent de leur apparente froideur, c'est par des actions d'une chaleur forcenée ^.
Ancône, 26 mai. — Tout ce pays, qui a entrevu la civilisation sous le régime français, est bien en arrière de la Lombardie. Ils disent qu'il n'y a rien de pis que le gouvernement des prêtres *. Les pro- priétaires de Bologne et de Ferrare donneraient vingt millions d'avoir pour gouverneur le comte de Saurau *. M. G.., était le meilleur homme du monde, et il n'est pas d'intrigue avilissante qui, sous son gouvernement, ne se soit développée avec succès. Le temps des tyrans odieux est passé ; il n'y a plus que des imbéciles qui laissent faire le mal par qui a intérêt de le faire. L'air de férocité augmente rapidement depuis Ravenne. Au milieu de tous ces changements de gouvernements et de gouverneurs, on voit redoubler la défiance, cette base immuable du caractère italien, et ils ont rai- son ; ici l'on ne saurait troj) soupçonner. Cette circonstance favorise la musique. Un Italien ne peut chercher ni plaisir ni distraction dans la conver- sation ; un mot indifférent aujourd'hui peut le perdre dans dix ans. Voici une lumière qui éclaire les profondeurs du sujet.
1. Les abus qu'on est forcé de rappeler, pour être peintre fidèle, n'existent plus sans doute, mais leurs conséquences subsistent encore dans les cœurs pour un siècle.
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27 mai. — Je rencontre, à Saint-Cyriaque, la cathédrale et l'ancien temple de Vénus, dont j'ad- mirais la belle vue sur la mer, un général russe, un ancien ami d'Erfurt, qui vient de Paris. Quand un ministre, en France, a fait les visites et dit toutes les paroles gracieuses auxquelles les convenances l'obligent, le pauvre homme n'en peut plus. Il signe machinalement quatre cents dépêches ; pour dis- cuter leur contenu, pour même en prendre une idée, fût-il un ange, cela lui est impossible.
Un ^rait du physique des Français, qui a beau- coup choqué mon Russe, c'est l'eiïrayante maigreur de la plupart des danseuses de l'Opéra. En effet, je m'aperçois, en y réfléchissant, que beaucoup de nos femmes à la mode sont extrêmement sveltes ; elles ont fait passer cette circonstance dans l'idée de beauté. La maigreur est, en France, nécessaire à l'an' élégant. En Italie, l'on pense avec raison que la première condition de la beauté est l'air de la santé, sans laquelle il n'est point de volupté.
Mon Moscovite trouve que la beauté est la chose la plus rare parmi les dames françaises ; il assure que les plus belles figures qu'il ait vues à Paris sont anglaises.
Si l'on prend la peine de compter, au Bois de Boulogne, cent femmes françaises, quatre-vingts sont agréables, et une à peine est belle. Parmi cent femmes anglaises, trente sont grotesques, quarante décidément laides, vingt assez bien, quoique maus-
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ROME, NAPLES ET FLORENCE H)7
sades *, et dix des divinités sur la terre, par la fraî- cheur et l'innocence de leur beauté.
Sur cent Italiennes, trente sont des caricatures avec du rouge et de la poudre à poudrer sur le visage et sur la gorge ; cinquante sont belles, mais sans autre attrait que l'air voluptueux ; les vingt autres sont de la l)eauté antique la plus ravissante, et l'emportent, à notre avis, même sur les plus belles Anglaises. La beauté anglaise paraît mesquine, sans âme, sans vie, auprès des yeux divins que le ciel a donnés à l'Italie.
La forme des os de la tête est laide à Paris : cela se rapproche du singe, et c'est ce qui empêche les femmes de résister aux premières atteintes de l'âge. Les trois plus belles femmes de Rome ont certainement plus de quarante-cinq ans. Paris est plus au nord, et cependant jamais un tel miracle n'y a été observé. J'objecte à mon général russe que Paris et la Champagne sont les pays de France où la charpente de la tête est la moins belle. Les femmes du pays de Caux et les Arlésiennes se rap- prochent plus des belles formes de l'Italie ; ici, toujours quelque trait grandiose, même dans les têtes les plus décidément laides. On peut en prendre une idée par les têtes de vieilles femmes de Léonard de Vinci et de Raphaël. Mais la France reste tou- jours le pays où il y a le plus de femmes passables. Elles séduisent par les plaisirs délicats que promet leur manière de porter leurs vêtements, et ces plai-
RoME, Naples et Flobence, Il 13.
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sirs peuvent être appréciés par l'âme la plus dénuée de passions. Les âmes arides ont peur de la beauté italienne.
Quant à la beauté des hommes, après les Italiens, nous donnons l'avantage aux jeunes Anglais, quand ils peuvent éviter l'air lourd.
Un jeune paysan italien, qui est laid, est ef- frayant : le paysan français est niais, l'anglais gros- sier.
LoRETTE, 30 mai. — Avant-hier, comme je levais à la boussole un croquis de la bataille de Tolentino, je remarquai une figure militaire, aussi à cheval, qui suivait mes mouvements. Nous nous trou- vâmes le soir à l'auberge de Macerata, et l'ennui, ce grand mobile des gens d'esprit, fit que le colonel Forsyt m'adressa la parole. Voyant un homme âgé, je lui offris une copie de mon plan ; il accepta. Je montai dans ma chambre pour la lui faire. Accoutumé à ce travail dans les états-majors, j'eus bientôt dépêché ma petite carte. Sensible à cette marque d'attention, mon colonel, qui m'avait suivi dans ma chambre, voulut être aimable pour moi, et parla presque autant qu'un Français. Il devait partir ce matin pour Naples, par les Abruzzes, et moi pour Ferrare. Nous nous promenons le long du golfe de l'Adriatique, sur ces collines singulières, couvertes de verdure, et desquelles, par un accident des plus bizarres que j'aie vus, on plonge tout à coup
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sur la mer. Tantôt, pendant deux ou trois milles, le chemin suit la crête d'une montagne ; à droite et à gauche, on a une descente rapide en face du golfe ; tantôt il plonge dans une vallée profonde, et l'on se croirait à cent lieues de la mer ; car ses ri- vages n'ont rien ici de cet aspect désolé qu'ils pré- sentent dans le Nord.
Sûrs de nous quitter demain, probablement pour toujours, nous nous hâtons, mon colonel et moi, de nous dire en peu de mots tout ce que nous avons de plus intéressant.
Je lui parlais de l'ancien Paris, et de la société française avant la Révolution ; il me dit : « Vous la jugez avec humeur. Il faut convenir que l'échan- tillon que vous en avez a un peu perdu de ses grâces. Pour moi, je suis venu sept fois en France avant la Révolution, et, pour la première de toutes, en 1775, â vingt ans ; ma famille était liée avec Horace Wal^jole, et j'eus une lettre de lui pour madame du Defîand. J'allai chez madame la duchesse de Choi- seul ; j'y voyais l'abbé Barthélémy, le président Hénault, Pont-de-Veyle ; je fus présenté à d'Alem- bert, ce modèle des sages ; à madame de Flamarens, ce modèle des grâces ; et, après avoir combattu à Waterloo, j'ai quitté le service, et suis venu passer quinze mois à Paris, en 1815. Jamais l'histoire d'aucun peuple ne présentera de contraste aussi amusant : jamais des pères ne se virent remplacés par des enfants si différents d'eux-mêmes. » Trou-
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STENDHAL
vant le colonel parfaitement impartial, et même, chose rare parmi les gens de son âge, voyant qu'il préférait presque la France actuelle, je l'ai engagé à me peindre cette société si aimable et désormais si impossible à retrouver. Ainsi, jouissant de la douce br-ise du printemps, allant au pas de nos che- vaux sur le bord de l'Adriatique, et nous inter- rompant de temps à autre pour admirer ses aspects singuliers, nous avons passé six heures à cheval et dans les salons de Paris en 1775.
TROIS CIRCONSTANCES
« Indépendamment de la plus grande gaieté que vous tenez du ciel, vous autres Français, il me semble que votre société se distinguait de la nôtre, en An- gleterre, par trois circonstances : l'exclusion de toutes les personnes d'une naissance inférieure ; l'élégance de l'éducation des femmes et la culture de leur esprit ; l'absence d'occupations et d'anti- pathies politiques.
PREMIER PRINCIPE
« Par l'effet de la première de ces circonstances, la société de Paris, dans ma jeunesse, offrait infi- niment plus d'élégance, d'aisance et de naturel, qu'il n'y en a jamais eu en Angleterre. L'exclusion générale des bourgeois éloignait sans doute tout ce qui est vulgaire dans la vie ; mais elle avait un bien
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autre avantage : elle rendait impossibles ces senti- ments de jalousie nuituelle et de mépris, cet état de guerre perpétuel entre l'orgueil de la naissance et les richesses accumulées par le travail, dont aujourd'hui l'on ne peut prévenir les effets que par un système général de réserve et de silence.
« Là où tout est noble *, tous sont égaux.
« Il ne saurait y avoir de prétentions : chacun est à sa place partout, et les mêmes manières étant familières, dès l'enfance, à chaque membre de la société, les manières cessent d'être un objet d'atten- tion. Personne ne craint le ridicule de l'air commun, et l'absence de ce défaut n'inspire de vanité à per- sonne. Les petites particularités qui distinguent les individus ne sont pas attribuées à l'ignorance du bel usage, au manque d'esprit, mais au caprice, au tempérament. On ne songe pas toujours, avant de remuer, à la loi qui règle chaque mouvement ^. La terrible peine du ridicule n'étant pas encourue à chaque moment, il n'y a nulle roideur dans le monde, chacun se livre à sa disposition. C'est ainsi que la plus haute société du peuple le plus poli de l'imivers se rapprochait infiniment de la liberté de la société des paysans, et par les mêmes causes.
« En Angleterre, nous n'avons jamais eu cet arrangeinent. Les çrrandes richesses de la classe
1. Voir la Journée d'un fashionable dans V Angleterre et les Anglais de M. Dickinson, tome II.
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mercantile, et le droit qu'a chacun d'aspirer à toutes les places, ont toujours prévenu toute sépa- ration entre les gens de haute naissance et les bourgeois, même dans la société la plus intime. Des millions, ou de grands talents, suffisant pour élever un homme aux premières places, il faut bien que ces avantages lui servent aussi de passe-port pour arriver à la haute société. Par là, elle se trouve mélangée de caractères si discordants, et quelque- fois si bizarres, que l'aisance et souvent même la tranquillité y deviennent difficiles à maintenir. L'orgueil de la bourse, l'orgueil de la naissance et l'orgueil des manières s'y provoquent à tous mo- ments. C'est ainsi que des vanités qui ne se faisaient pas apercevoir, tant qu'elles étaient universelles, deviennent bientôt visibles, et remplissent tout le champ du tableau, dès qu'elles rencontrent des vanités contraires. A Londres, la société, dès qu'elle n'est pas formée en club par des associations dis- cutées d'avance et décidées par un scrutin, se trouve divisée, au bout d'une heure, par toutes les petites jalousies, et ne peut durer qu'autant qu'elle se constitue en un état perpétuel de contrainte, d'in- sipidité et de réserve. Des gens qui se rencontrent par hasard, et qui arrivent de toutes les extrémités de la vie, craignent d'être mal interprétés et dé- sespèrent de se faire comprendre. La conversation est abandonnée à quelques bavards de profession ; tout le reste se tait et méprise son voisin. Telle était
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aussi votre société sous Buonaparte. De là l'usage forcé de nos rout où nous rassemblons sept à huit cents personnes ; il faut là le même usage du monde que dans un café.
SECOND PRINCIPE
« Quant au second de vos avantages, la plus grande culture de l'esprit des femmes, vous lui devez encore plus. Depuis la civilisation de l'Eu- rope par le commerce et la chevalerie, au sortir du moyen âge, les dames françaises se sont toujours trouvées beaucoup plus près du niveau intellectuel avec les hommes, que celles d'aucun autre pays. Depuis plus de deux siècles, elles sont les arbitres du goût en littérature, et les agents de ces intrigues légères qui, chez vous, distribuaient toutes les places, depuis celles de M. le duc de Choiseul et de madame Dubarry jusqu'à l'épaulette du moindre mousquetaire. Les femmes, à Paris, étaient en état de parler de tout ce dont les hommes pouvaient désirer de parler. C'est ainsi que votre conversation prit une couleur à la fois moins frivole et moins uniforme que la nôtre,
TROISIÈME PRINCIPE
« Mais la grande source de la différence entre la haute société de France et celle d'Angleterre, c'est que chez vous les hommes n'ont pas autre chose à
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faire que de paraître avec avantage dans le monde. Tout ce qui, en Angleterre, se fait remarquer par le rang ou par les talents, est constamment accaparé par les affaires politiques. Ainsi, pas de loisir pour la société ; ou, si les hommes marquants y paraissent, c'est pour y chercher un délassement et non des succès. D'ailleurs ils ont acquis des habitudes de penser et de parler beaucoup plus propres aux débats de la Chambre des communes, ou à raisonner sur les affaires, dans quelque comité, qu'à faire passer une heure agréable dans un salon. Parmi nous, les gens de la plus haute naissance ont aussi à remplir les plus hauts devoirs. S'ils veulent de l'importance, c'est-à-dire de la considération, il faut, quels que soient leurs titres, qu'ils consacrent leurs jours et leurs nuits à l'étude et à la pratique des affaires ; des mots gracieux ne leur suffiraient pas : il faut qu'ils apprennent l'art de conduire les hommes, il faut qu'ils acquièrent de l'influence sur ceux avec qui et par qui ils doivent agir. Sous peine de mépris, il faut qu'ils se distinguent dans ces dis- cussions hardies, et souvent dangereuses, par les- quelles le gouvernement d'une nation libre est perpétuellement embarrassé et maintenu vivant. En France, au contraire, lorsque j'y arrivai en 1775, sortant de la maison de mon père, qui ne rentrait jamais du Parlement qu'à trois heures du matin, que je voyais occupé toute la matinée à corriger les épreuves de ses discours pour les journaux, et qui,
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après nous avoir embrassés à la liate et d'un air distrait, courait, à six heures, à un dîner politi({ue ; en France, dis-je, je trouvai les hommes de la j)lus haute naissance jouissant du plus beau loisir. Ils voyaient les ministres, mais c'était pour leur adres- ser des choses aimables et en recevoir des respects. Du reste, aussi étrangers aux affaires de France qu'à celles du Japon, la plupart occupaient leur loisir par les agréments d'une société très polie. Si, vers cinquante ans, dégoûtés de la galanterie, quelques idées d'andîition leur passaient par la tête, le seul chemin qui se présentât à eux, c'était la faveur des favoris et des maîtresses, personnages dont on gagne plus la bienveillance par les charmes d'une conversation légère et par des assiduités de tous les moments, que par aucun service rendu à l'Etat- L'homme qui se fût avisé de mériter les places pour les obtenir, se fût couvert d'un ridicule affreux, et, j'irai même plus loin, eût paru odieux ^.
« Je vis d'abord que vos salons étaient mieux remplis que les nôtres, parce que vous n'aviez pas de Chambre des communes à remplir. Je ne fus pas jaloux de vos soirées infiniment plus brillantes que celles de Londres, de vos petits soupers pleins de feu et de délicatesse ; je vis qu'il n'y avait pas d'autres débouchés pour les talents et l'esprit. Cela ne me fit pas d'autre peine que de me montrer un
1. M. le comte de Brodie.
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petit inconvénient de notre adorable liberté. La conversation, chez nous, est abandonnée à des jeunes gens qui sortent du collège, ou à des ci- dei^ant jeunes hommes, mais non, comme vous le dites toujours, messieurs les Français, que nous manquions d'hommes de talent et de goût ^. Nous n'avons qu'à fermer les Chambres, et nous aurons, au bout de vingt ans, une société comme la vôtre. Pour moi, il me semble qu'on ne devrait pas tant se vanter d'avoir de si jolis jardins anglais, lors- qu'on leur sacrifie toutes les terres labourables.
« Lorsque je vins en France, les Français trou- vaient, dans l'agréable constitution de leur société, une compensation qui me semblait alors fort grande pour le manque d'un gouvernement libre ^. J'eus la même sensation à Venise ; mais il fallait que <;ela durât toujours. On citait alors, à Paris, le joli mot de Louis XV : Cela durera plus que moi. Il a eu raison tout juste.
« Chez nous, il ne faut pas s'attendre qu'un gros marchand de bière, ou qu'un maire de Londres, qui vient d'acheter son rotten-horough (bourg- pourri), et qui n'est entré que d'hier dans la Chambre basse, donne sa voix et son influence à aucune brigue de lords ou de ministres, si ceux-ci ne con-
1. Correspondance du duc de Nivernois en 1763.
2. Sous Louis XVI, en 1781, le contrôleur général des finances Joly de Fleury définit le peuple français : un peuple ■serf, corvéable et iaillable à merci et miséricorde.
ROME, NAPLES ET FLORENCE 207
sentent à le recevoir, lui et toute sa famille bour- geoise, clans leur société intime, et ne le traitent pas en tout comme un égal. La même scène, qui scandalise l'orgueilleuse duchesse dans son châ- teau gothique, descend jusque sous la chaumière du pauvre. Ainsi l'aisance et la gaieté françaises sont bannies de la société bretonne par une suite immédiate du principe qui défend nos libertés à la Chambre des communes, et qui empêche nos rois de faire des révocations de l'édit de Nantes.
« C'est à la même noble origine que j'attribue la froideur gauche et l'ignorance de nos femmes. Je sais bien que, officiellement parlant, les dames n'ont aucune fonction politique * dans aucun Etat de l'univers ; mais dans le fait, en 1775, les femmes gouvernaient beaucoup plus * l'Europe que les hommes. Vous n'avez qu'à voir l'incroyable traité de 1758, qui réunit l'Autriche à la France, et que le prince de Kaunitz arrangea, à Paris, par les femmes de finance ^.
« Dès qu'un homme est ministre, il ne pense plus qu'à deux choses : à garder sa place et à s'amuser. Vos ministres n'étaient-ils pas des gens prédestinés, que ces deux occupations n'en fissent qu'une seule ? Les femmes avaient de l'importance, même aux yeux de la vieillesse et du clergé ; elles étaient familiarisées d'une manière étonnante avec la
1. Rulhière, Mackintosh, Histoire du dix-huitième siècle.
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marche des afTaires : elles savaient par cœur le caractère et les habitudes des ministres et des amis du roi.
« A mesure que vous allez devenir plus constitu- tionnels, vos femmes deviendront moins aimables ; je crois même avoir déjà remarqué cette nuance. Vous avez beaucoup plus de bonnes mères de fa- mille qu'en 1775 ; et il n'y a rien d'ennuyeux au monde comme une bonne mère de famille. Vous sentez que chez nous, où rien ne se fait sous la che- minée du ministre, mais où tout est discuté à fond, ■et souvent trop à fond *, les femmes ne songent guère à captiver le premier ministre ; à quoi bon ? Lorsque j'arrivai en France, le règne de M. de Choiseul venait seulement de finir. La femme qui pouvait lui paraître aimable, ou seulement plaire à la duchesse de Grammont, sa sœur, était sûre de faii'e tous les colonels et tous les receveurs généraux ■qu'elle voulait.
« Une suite irrémédiable de la liberté est donc de faire considérer les femmes comme des êtres d'un esprit moins élevé, et, qui pis est, de donner quelque fondement à ce préjugé. Un duc qui revenait de Versailles dans son château, parlait à sa femme de tout ce qui l'avait occupé ; chez nous il lui dit un mot sur ses dessins à l'aquarelle, ou reste silencieux •et pensif à rêver à ce qu'il vient d'entendre au Par- lement. Nos pauvres ladys sont abandonnées à la société de ces hommes frivoles qui, par leur peu
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d'esprit, se sont trouvés au-dessous de toute ambi- tion, et par là de tout emploi (les dandys).
« Une autre source de votre supériorité dans le salon, c'est la position différente de vos gens de lettres. Je rencontrais, à Paris, les d'Alembert, les Marmontel, les Bailly, chez les duchesses ; c'était un immense avantage et pour eux et pour elles. Nos auteurs anglais vivent dans la poussière de leurs cabinets et dans la société de quelques amis ins- truits ou de quelques jeunes professeurs qui at- tendent d'eux leur avancement. C'est ainsi qu'ils achèvent une vie sombre, triste, laborieuse et inélé- gante ; rien de moins attrayant. Quand un homme se met à faire des livres chez nous, on le considère comme renonçant également à la société des gens qui gouvernent et à la société des gens qui rient. Il suit de là que la société des gens gais est extrême- ment frivole, et que la société des gens actifs a beaucouj) de lourdeur. Nos hommes de génie peuvent être admirés par la postérité, mais ils finis- sent leurs jours d'une manière bien triste, sans con- naître d'autres êtres au monde * que des auteurs, des libraires et des journalistes ^. A la vanité litté- raire près, la vie de vos d'Alembert et de vos Bailly était aussi gaie que celle de vos seigneurs.
« Cela est encore une des mauvaises conséquences
1. Le peu d'agrément de notre société explique notre amour pour les déplacements.
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de notre liberté. Nos politiques sont trop affairés pour voir nos gens de lettres, et nos oisifs trop bêtes et trop frivoles. La vanité blessée, ce vice rongeur des savants, s'en augmente, et les discours prononcés dans notre Parlement, beaucoup plus raisonnables que les vôtres, sont infiniment plus ennuyeux et plus lourds. C'est un grand bien que l'on ose rire à votre tribune.
« La rencontre du talent et de l'oisiveté est tou- jours avantageuse à tous les deux. Si les littérateurs donnent des idées aux gens du monde, l'art de vivre, qu'ils apprennent en revanche, les rend plus rai- sonnables, plus aimables et plus heureux. Les gens de lettres apprennent la véritable valeur de la science et de la sagesse, en voyant combien ces choses peuvent contribuer au gouvernement et à l'embellissement de la vie. Ils découvrent qu'il est des sources de bonheur et d'orgueil bien plus impor- tantes, et surtout bien plus abondantes, que le mé- tier de lire, de penser et d'écrire. Quel est l'homme qui ne préférerait pas la vie de Fox à celle d'Ad- dison ? Au reste, chez vous les gens de lettres sont si gens du monde qu'ils n'ont pas le temps d'écrire ; chez nous ils savent tant de grec et de latin qu'ils oublient que la première condition est de se faire lire.
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CONCLUSION
« Je trouvai en 1775, et à mes autres voyages en France, beaucoup à admirer et beaucoup à m'éton- ner, mais je vous l'avouerai, peu à envier. Des sociétés aussi brillantes ne se représenteront ja- mais à l'étonnement des hommes ; mais je puis vous assurer que les membres les plus distingués de ces sociétés me semblaient bien moins heureux que vous ne pourriez le croire. L'amusement ne fait pas le bonheur, et l'on vivrait fort mal si l'on était réduit à ne vivre que de glaces ou de biscuits. Un fond d'occupation et d'intérêt manquait tou- jours ; c'est ce qui fait que vos magistrats étaient plus heureux que vos seigneurs, et qu'à Versailles ^on désirait toujours la guerre. Il me semble qu*on vivait trop en public ; il n'était pas permis de fer- mer son salon, même pour mourir. On n'avait pas d'idée des plaisirs domestiques ; aujourd'hui c'est le contraire. On oubliait trop que le manque de sympathie est le grand chemin du gouffre de l'en- nui. Ce n'est pas que les Français manquent de sensibilité, comme l'ont dit quelques sots Anglais ; les grandes passions à part, vous êtes la nation de l'Europe la plus sensible. Mais alors la sensibilité de chacun était distraite, et, si j'ose m'exp rimer ainsi, dépensée en petits paquets par le grand nombre de personnes qu'on voyait chaque jour. La sym-
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pathie est comme toute autre chose, elle s'épuise. L'homme qui a cent amis ne peut pas les aimer tous comme s'il n'en avait que deux. Le Français d'alors portait la plus grande franchise et le plus parfait abandon dans l'amitié ; il aimait de tout son cœur ses cent amis. Mais un homme qui a cent amis doit se résoudre à en voir chaque jour un ou deux très malheureux. Il fallait prendre la chose au tragique ; mais alors on aurait manqué de politesse envers les quatre-vingt-quinze amis heureux. Ce n'était pas faute d'avoir un excellent cœur, si une certaine philosophie gaie était excitée également chez les Français, et par les folies et par les malheurs de leurs compagnons de vie. A l'exception de quelques petits accès de galanterie, on ne voyait guère de sympathie pour les malheurs des amis les plus intimes. Il s'agissait de tirer de tout de l'agrément et des épigrammes, et les gens qui ne disaient pas de bons mots sur les malheurs de leurs amis, étaient bien aises du moins de les oublier dans la société de ceux qui en disaient. De là un système de raison porté dans la douleur ; et c'est de très bonne foi que madame du Defïand, arrivant souper en grande compagnie chez madame de Marchais, lorsqu'on lui parle de la perte du président Hénault, le plus ancien de ses amis, répond : Hélas ! il est mort ce soir à six heures / saîis cela, vous ne me verriez pas
*
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Pesaro, 2 inin. — Je visite les jardins du comte Mosca avec les fils du marquis B,... Un jeune Français élevé à Paris dans les meilleures maisons d'éducation, y trouve de bons professeurs qui l'in- troduisent dans les sciences, à la suite des savants de Paris et de Londres, qui sont les premiers du monde. Il a]>prend la chimie avec Davy, l'économie politique avec Say, l'art de penser avec Tracy ; mais il pense beaucoup à sa cravate. Entre-t-il enfin dans le monde, sa grande affaire est d'acoir de Vesprit. Il lit et oublie mille volumes, et au bout de deux ou trois ans, prend un état. Un jeune Ita- lien est élevé dans quelque collège superstitieux^ avec les livres du xvi^ siècle ; il sort de la société des prêtres, sauvage, silencieux, souverainement défiant. Pendant deux à trois ans, il travaille beau- coup ; mais, au lieu de lire Delolme ou Montes- quieu, il lit Vico ou tel autre auteur suranné. En économie politique, il en est encore à Condillac ;. ainsi de tout. Au bout de deux ou trois ans, il de- vient cai'alier servant;, l'amour, la jalousie, les passions s'emparent de lui, et de sa vie il ne rouvre un volume.
Charmante société de madame la comtesse Per- ticari ! C'est la fdle du célèbre Monti ; elle sait le latin mieux que moi.
RoviGO, 4 juin. — Enfin je suis hors des Etats du pape. A Bologne, le caractère ferme des habi-
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tants fait qu'ils ne sont pas tout à fait à la merci <le leurs laquais et des prêtres *. D'ailleurs, le car- dinal Lante * est un homme d'esprit qui prétend qu'il ne sait jamais rien de tout ce qu'il apprend par les confessions. Un de ses prélats me disait : « L'individvi le plus éclairé n'est pas toujours le plus heureux ; il n'en est pas de même d'une nation dont presque tout le malheur vient de semer dans ses citoyens des désirs contradictoires. )i M. Voyer d'Argenson n'eût pas mieux dit ^.
5 juin, minuit. — Je viens de rire aux larmes pen- dant deux heures. L'actrice la plus séduisante que j'aie vue depuis mademoiselle Mars, chantait la Coniessa di colle ombroso, opéra charmant de Gene- rali. Quelle physionomie ! quel jeu ! quels yeux ! Quelle soirée pour qui a connu l'amour ! Je n'ou- blierai pas Caterina Liparini. Dès qu'elle quittait la scène, je me trouvais dans les idées les plus éle- vées du beau idéal, confirmant ou détruisant les
1. Comme, de dix pages qu'on lit en 1817, ailleurs qu'on France, cinq sont composées par des écrivains vendus, trois par des gens qui aspirent aux places ou aux croix, et près de deux par des gens qui ont des ménagements à garder, les curieux doivent rechercher tous les écrits d'opposition, même ceux que leur exagération condamnerait à l'oubli si les délits de la presse étaient soumis au jury. Il fallait toutes ces phrases pour que je pusse conseiller le livre de M. Gorani sur l'Italie, 3 vol., 1798. A Londres, tous les jeudis, il y a conseil d'avocats chez M. Murray, pour savoir ce qu'on peut imprimer.
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principes par ce charmant exemple. Le Guide disait qu'il avait cent manières de faire regarder le ciel par une belle femme. J'ai vu ce soir l'amour, le dépit, la jalousie, le bonheur d'aimer, exprimés aussi de cent façons diiïérentes
Un tel feu d'artifice du sentiment le plus vif et de la gaieté la plus folle doit bientôt s'éteindre. La Liparini est une belle blonde aux traits délicats ; il faut qu'elle soit laide ou froide d'ici à trois ans. Quelle folie, quelle excellente scène de comédie que le terzetto de la Didone ahhandonata, qu'elle prend l'idée de faire chanter à ses deux amants sur un mot de dépit que lui dit l'un d'eux, et qui est dans la Didon ! Voilà la folie de la jeunesse ; voilà ce qui manque à la comédie française.
6 juin. — Je crois que je deviendrais fou de cette belle femme ; sa taille est svelte, ses yeux divins ; elle a reçu la meilleure éducation à Milan. Je viens de la voir jouer, de refuser de lui être présenté, et je pars à l'instant même, minuit sonnant, par une tempête superbe. Toutes mes idées de bon sens, tous mes principes sur l'Italie commencent à s'obscurcir.
Padoue, 10 juin. — Il n'est pas de contraste plus frappant ciue celui des terres du pape et des Etats de Venise. Ici, la volupté est en honneur ; tous les fronts sont épanouis ; tout le monde rit,
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plaisante et parle haut. Les gens à qui j'ai présenté hier mes lettres de recommandation sont aujour- •d'hui de vieux amis ; cette ouverture de cœur est hien remarquable en Italie. On me présente à toutes les dames, qui de huit à neuf * se réunissent au ■café del Principe Carlo. En voyant cette société brillante de naturel et de gaieté, et cela dans la plus pauvre ville du monde, je me rappelle la pru- derie de Genève, et ces gens-là se croient les sages ! Depuis que je suis ici, l'on me fait souper tous les soirs, à trois heures du matin, chez l'excellent restaurateur Pedrocchi *. Le temps coule pour moi ; je vis doucement avec vingt ou trente amis intimes, dont la figure ne m'était pas connue il y a huit jours. Le soir, je vais dans la loge de Pacchiarotti parler des beaux jours de la musique ; il me raconte qu'à Milan on lui faisait répéter jusqu'à cinq fois le même morceau. Il a encore tout le feu de la jeu- nesse : on voit que l'amour a passé par là ; et comme •on sait, c'est un castrat ; il a eu la recherche d'ap- porter ici les plus beaux meubles de Londres. Il a, dans son jardin anglais, au milieu de la ville, f^ntre Sainte-Justine et le Santo, la tour où le car- dinal Bembo passa les plus belles années de sa vie à écrire son histoire sur les genoux de sa maîtresse. Cette ame qui pétille dans tous les traits de Pac- chiarotti, et qui, à son âge de soixante-dix ans, le rend encore sublime quand il veut se donner la peine de chanter un récitatif, écorne un peu la
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théorie. J'ai plus appris de musique eu six conver- sations avec ce grand artiste, que par tous les livres ; c'est l'àme qui j)arle à l'àme *.
18 juin *. — Je viens de passer quatre jours dans les inonti Euganei, à Arqua, le séjour de Pétrarque, à la Bataille, lieu célèbre par ses bains. C'est aux eaux que se déploie tout le bonheur du caractère vénitien. J'y ai rencontré M. le comte Bragadin, l'un des hommes les plus aimables que j'aie jamais vus ; rien d'appris, rien de pédantesque, rien de touché par le souffle desséchant de la vanité, dans cette amabilité folle des Vénitiens. C'est la saillie du bonheur, et du bonheur, malgré les circonstances ordinaires de la vie. Par exemple, le comte Bra- gadin, d'une des quatre familles les plus nobles de l'Europe, n'a pas remis les pieds à Venise depuis la chute de sa patrie. Se figure-t-on un de ces volti- geurs toujours grogneurs, souvent méchants, les portraits de la fatuité vieillie ? On est aux anti- podes de la manière d'être de l'aimable Vénitien.
Les Vénitiens et les Milanais se détestent autant que des gens très gais et des gens très bons peuvent détester. Ces haines générales et réciproques sont le trait marquant des villes d'Italie, la suite des tyrannies du moyen âge, et le grand obstacle à la liberté ; c'est la compensation de leur originalité ; en France, il n'y a que Paris ; Paris écréme tout. Si Arras ne déteste pas Lille, c'est faute de ^te, et
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beaucoup aussi, grâce au gouvernement juste dont elles jouissent depuis vingt-cinq ans. Pour moi, un& fois que je ne suis plus à Paris, j'aime autant Va- lence que Lyon. En Italie, l'acteur, le livre, l'homme puissant, qui sont portés aux nues à Brescia, sont siffles à Vérone. Como, petite ville à trente milles de Milan, vient de bâtir à ses frais un théâtre de huit cent mille francs, plus beau qu'aucun de ceux de Paris, et siffle bien fort les grands acteurs de Milan qui viennent y chanter. Il faut toujours répéter : La planta uomo nasce più rohusta qui che altrove.
On ne plaisante que dans le royaume d'Italie ; partout ailleurs, le langage sérieux, exact, méfiant, que donne le voisinage du pacha, à Rome surtout. En arrivant, ma pratique constante est d'aller au spectacle et de me placer près de l'orchestre, de manière à suivre la conversation des musiciens. A Turin, ils se regardent d'un air en dessous, parlent peu, souvent un sourire amer * ; ils plaisantent sans cesse entre eux à Milan, du ton de la plus parfaite bonhomie. On se raconte en détail le dîner qu'on a fait à Vosteria, il y a quinze jours, ou l'on s'apitoie sur le sort d'un ami malade ; tout cela d'un air tranqviille, heureux, posé, ians laisser le moindre sous-entendu dans les idées. Tandis que le Milanais entretient un ami, il fait de la main vingt signes de tendresse aux amis qui passent. A Venise, ce sont vingt signes plaisants ; tout est sous-entendu, vif.
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joyeux, allègre. Le fils du doge est aussi gai que le gondolier ; ses intrigues sont aussi publiques. En vous donnant des nouvelles de quelqu'un, on ne manque jamais de nommer la dame qu'il sert. Lorsqu'on cite une partie faite, il y a dix ans, à Fusina ou à l'île de Murano, on ne manque jamais de rappeler, même devant les maris, qu'alors la Peppina était servie par un tel ; que c'était l'époque où la Marietta était jalouse de Priuli, etc. ; à Venise et à Boston, la gaieté et le bonheur sont en raison inverse de la bonté du gouvernement ^.
La vue du bonheur produit le sourire ; c'est la vue soudaine d'un de nos avantages sur le voisin qui produit le rire. A mon grand étonnement, c'est le sourire qui règne dans le Milanais ; en France, «'est le rire. La vanité donne une tendance générale à la plaisanterie ; le paysan français fait des plaisan- teries, même tout seul, et il s'en amuse * ; mais l'envie gâte tout.
Cependant, je crois la France le pays le plus heu- reux de l'Europe ; c'est-à-dire on y a tout le maté- riel du bonheur ; le règne des partis empêche peut- être un peu de le sentir. Je souhaiterais aux Fran- çais la bonhomie de la Lombardie *.
Le grand trait du bonheur de la France, c'est que
1. On peut dire que le gouvernement ne passe dans les mœurs qu'au bout de cent ans. Boston sent encore les effets du hideux esprit de secte. Ce fut la première législation de l'Amérique.
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l'industrie y est bien et sûrement récompensée. En Italie, un manufacturier élève un bâtiment, achète des ustensiles, met dehors un capital consi- dérable ; c'est autant de prise qu'il donne au pacha voisin ; il en est plus esclave *, il faut qu'à tout prix il se mette bien avec le pacha. L'Italie, n'ayant presque pas eu de domaines nationaux, n'a pas, comme la France, à s'enorgueillir du bonheur de dix millions de paysans heureux, parce qu'ils sont petits propriétaires. Le peuple de France est déjà arrivé à une conséquence ; quand un homme obtient une place, la première question est : Qu'a-t-il fait pour la mériter ? La loi sur les élections, loi sublime qui est un grand pas vers ce que le gouver- nement d'un pays à frontières doit être, V aristocratie proportionnelle de la propriété ; cette heureuse loi, dis-je, pour peu qu'elle dure, augmentera l'orgueil de la propriété et toutes les vertus qui tiennent à l'orgueil.
La chose la plus estimable en France, les dix millions de paysans petits propriétaires, est la plus scélérate en Italie. A Parme, mon conducteur de sédiole me contait, sans nulle vergogne, comme quoi il avait gagné les vingt-sept napoléons avec lesquels il avait acheté cheval et sédiole au métier de voleur. Nous passâmes dans trois endroits où il me dit en toute simplesse qu'il avait assailli des voyageurs. Au contraire, l'horreur du vol est extrême chez le paysan français. A quoi doit-il ses vertus ? A ce que
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nos méprisables journaux maudissent tous les ma- tins.
Le trait marquant du paysan français, c'est le bonheur ^ ; du paysan italien, c'est la beauté. Le peu de Leauté qu'il y a en France est gâté par l'affectation ; l'air simple, froid et passionné, quand la circonstance le porte, est naturel au paysan ita- lien, ce qui ne veut pas dire que, les trois quarts du temps, il n'a pas l'air féroce du sujet du despotisme. Il y a exception complète pour le P..., où le pay- san * est au même degré d'avilissement moral qu'en 1787. Entendez toujours par avilissement moral, malheur et scélératesse. Le scélérat qui vous fait horreur comme assassin, vous ferait pitié comme père de famille.
L,a sympathie est facilement réveillée en France ; ce qui veut dire, en d'autres termes, qu'elle est rarement profondément réveillée. Quant à la sym- pathie dans les Etats de Rome et de Xaples :
Première charité commence par soi-même.
Tout à fait au bout de l'Italie, à l'extrémité des Calabres, on rencontre quelques vertus des peuples sauvages, mais empoisonnées par la superstition, la seule loi qui y soit en 'ligueur.
Que je voudrais pouvoir ôter toutes ces conclu-
1. Le tiers de la nation anglaise est à l'aumône : cela com- pense la liberté de la presse.
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sions vagues et mettre les anecdotes dont je les tire ! Parmi celles dont j'ai enrichi mon journal ces jours-ci, l'histoire de M. de la Fontaine me semble assez innocente.
En 1810, M. de la Fontaine, jeune capitaine français, de la figure la plus intéressante, nous arriva à Florence, (C'est un Florentin qui parle au café de la Bataille.) Il s'établit chez Schneider, achète des chevaux, fait une grande dépense ; il va dans le monde, et y traite même assez légèrement la cour de madame Elisa ; il ose, dans un bal mas- qué, plaisanter madame de Montecatini * sur une découverte récente due au génie de cette dame. Le lendemain il reçoit l'ordre de partir ; alors il avoue à M. Dutertre * qu'il est horriblement blessé d'un coup de pistolet chargé avec des clous ; il a offensé des gens d'Udine qui l'ont assassiné. La princesse oublie son ordre ; le jeune capitaine était de nouveau reçu dans le monde, lorsqu'un matin il se présenta tout pâle à M. Dutertre : « Je viens de reconnaître les gens qui m'ont assassiné à Udine. — Ne craignez rien, lui dit le sage commissaire ; je vous sauverai, quoique je n'ignore pas pourquoi l'on vous en veut. » Le capitaine avait trempé dans une petite conspiration contre Buonaparte, et, trouvant les ressources des conjurés ridicules, il le leur avait dit en ajoutant qu'il ne se mêlait plus de rien. M. de la Fontaine s'amuse à Florence encore quelques mois, et guérit de ses blessures.
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Il part pour Naples, et a soin de se tenir toujours avec les aides de camp du roi. Un matin, qu'il est à la chasse avec eux, on l'entend appeler au secours à vingt pas dans le bois. On accourt pour le voir tomber de deux coups de fusil, l'un lui casse le bras, l'autre la cuisse, et l'on poursuit vainement les assassins qui ont le temps de faire entendre ces paroles : « Au revoir. »
19 juin. — J'ai rencontré un grand beau jeune homme, Allemand, riche, blond, grand seigneur.
Il m'a parlé avec enthousiasme d'un pantalon
large qu'ils veulent établir en Allemagne. S'ils peuvent parvenir à restaurer un costume national, ils ne doutent pas que l'Europe ne leur accorde d*être une nation. Ce pauvre comte ! Il met beau- coup d'importance à ce pantalon ; il l'estime bien plus que vingt journées comme Hohenlinden ou Marengo. Ces pauvres Allemands meurent d'envie d'avoir du caractère. Dans le monde, c'est la marque à laquelle on reconnaît les gens qui n'en ont point ^.
Il est savant ; voyant que je manque du sens inté- rieur nécessaire pour comprendre le sublime de la
1. Quoique ces détails soient exacts, je ne les aurais pas rappelés si je n'avais encore un peu d'humeur des grosses sottises que nous a dites un de ces grands hommes d'Alle- magne dont le nom ne peut pas passer le Rhin, l'auteur du Mercure de Coblentz.
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redingote courte, des cheveux longs et du pantalon large, il me prouve au long les beautés de leur litté- rature. Je vois que les fiers Germains sont suscep- tibles comme des parvenus.
Les Allemands n'ont qu'un homme, Schiller, et deux volumes à choisir parmi les vingt tomes de Goethe. On lira la vie de ce dernier, à cause de l'excès de ridicule d'un homme qui se croit assez imi^ortant pour nous apprendre, en quatre vo- lumes in-8°, de quelle manière il se faisait arranger les cheveux à vingt ans, et qu'il avait une grand'- tante qui s'appelait Anichen. Mais cela prouve qu'on n'a pas en Allemagne le sentiment du ridicule, et quand on n'a pas ce sentiment, et qu'on veut à toute force faire de l'esprit, on est bien près de tomber dans ce qu'on ne connaît pas ; et quand on s'avise de juger de l'esprit des autres et de décider, du haut de son tribunal tudesque, que Molière n'a fait que des satires tristes, on est bien près de faire rire l'Europe à ses dépens.
En littérature, les Allemands n'ont pas de pré- tentions : eux aussi ne seront quelque chose qu'après la liberté ; mais c'est le contraire des Italiens ; ils veulent y arriver avec tant de science qu'ils y parviendront les derniers. Ce sont les brochures du colonel Massenbach * qui forment une langue, parce qu'au lieu de songer à montrer qu'il a bien de l'esprit, il ne songe qu'à expliquer clairement des idées qui l'intéressent vivement.
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Je remarque que, dans tout ce que font les Alle- mands, ils sont beaucoup plus influencés par un vain désir de faire effet que i»ar aucun transport d'imagination ou ])ar la conscience d'une âme extraordinaire. Le iroùt se détermine tout seul vers le sujet pour lequel on se sent du talent :
// est (tes nœuds secrets, il est des synipcitliies *...
Mais ces choses-là ne sont pas à l'usage des Alle- mands ; leur affaire est de déclamer contre Vesprit, ■et l'esprit est un despote qu'ils adorent jusqu'à la duperie. Ils écrivent, non pas parce qu'ils sont tour- mentés par leurs idées sur un sujet, mais parce qu'ils pensent avoir trouvé im sujet sur lequel, en prenant les peines convenables et faisant les re- cherches nécessaires, l'on peut parvenir à imaginer quelque chose de brillant : c'est dans ce sens qu'ils lisent et méditent. A la longue, ils parviennent à quelque point de vue étrange et paradoxal ; alors l'œuvre du génie est faite ; il ne s'agit plus que de l'établir avec toute leur artillerie d'érudition et de philosophie transcendante. Mais, dans tout ce tra- vail courageux, ils n'ont pas à se reprocher l'ombre d'une opinion à eux ; si on les voit toujours travail- lant comme des forçats, c'est pour arriver à prou- ver le système qu'ils trouvent brillant. Du reste, aucun sujet ne leur semble au-dessus de leur portée. Moins ils ont à dire, plus ils étalent leur grand maga- sin de principes logiques et métaphysiques.
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Dans le fait, c'est un peuple bon, lourd et lent, qui ne peut être mis en mouvement que par quelque impulsion violente et souvent répétée. Leurs au- teurs, par exemple, lorsqu'ils en sont à leur second volume, perdent tout jugement, tout pouvoir sur eux-mêmes, et rien ne peut les empêcher de tomber dans les absurdités les plus outrées. La vérité n'est plus pour eux ce qui est, mais ce qui, d'après leur système, doit être.
Le plaisant, c'est leur philosophie, dans laquelle,, dès l'abord, ils proscrivent V expérience sous le nom d'empirisme. Après ce petit mot, on peut aller loin sans avancer ; je n'avancerai pas, moi, car je sens que je m'ennuie moi-même. Que serait-ce, si je rapportais les preuves de détail de tout ceci que je recueille * depuis sept ans que j'habite l'Alle- magne ?
A l'exception des deux grands poètes que j'ai cités, tous les Allemands ne doivent leur célébrité douteuse qu'à Vohscurité de leurs écrits. Il est aussi difficile de trouver un Italien qui ne soit pas verbeux qu'un Allemand qui soit clair. Ils ne veulent pas comprendre qu'avant d'avoir des chefs-d'œuvre littéraires, il faut avoir de belles mœurs : or, on peut voir les mémoires de madame la margrave de Bai- reuth, la sœur du grand Frédéric. Ce qu'il va de pis pour les beaux-arts dans les barbares ^ que décrit
1. Voir le Mercure du Rhin.
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«ette princesse, c'est qu'ils manquent de naturel. Aussi manquent-ils de belle prose, et c'est la prose qui est le thermomètre des progrès littéraires d'un peuple. La Guerre de Trente Ans de Schiller est d'une emphase ridicule ; il y a loin de là à Hume et à Voltaire *.
20 juin. — Je me sépare enfin de mes chers Padouans, les larmes aux yeux. Je promets de revenir à la fête du Santo, au mois d'août ; alors la population est doublée. Quant à mes Anglais, ils «ont établis à Venise depuis quinze jours ; ils ont déclaré que Padoue était le plus triste trou de luni- Aers. Ils ont raison, pour qui ne voit pas le moral. Pour moi, je dirai toujours : Vive le despotisme de l'ancien gouvernement de Venise !
Je trouve un voyageur français qui m'est recom- mandé. Quels singuliers êtres ! Pour que le rôle de fat fût passable, il faudrait qu'au lieu d'affecter la satiété de toutes les jouissances, ils en eussent les transports. Les Français passent par là dans leiu- jeunesse ; il leur en reste un vernis de satiété. Les Italiens, au contraire, se livrent avec transport à la jouissance présente, et les transports de mon voisin augmentent les miens ; il y a sans doute un effet nerveux. Mon Français m'a séché à fond pendant trois jours. J'ai été ravi de le voir partir. Sa pré- sence est le plus grand malheur qui me soit arrivé fendant mon voyage. J'étais dans les cieux ; il me
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tiraillait de toutes ses forces pour me ramener à terre. J'écris ceci dans la barque courrière, vis-à-vis- de Stra. Je m'arrête pour voir ce joli palais volé aux Pisani par Buonaparte ^.
Venise, 21 juin. — Mon cœur est malade ; Vopera séria, et Vopera séria joué par des cantatrices ■]
froides, ne peut que m'intéresser faiblement. Je V
m'amuse à voir déraisonner mes Anglais ; tout leur fait horreur dans ce pays ; je parle à des puri- tains. »
22 juin. — Rien à écrire : tout m'ennuie. Oserai-je vous le dire ? Vingt fois par jour je suis tenté ds faire un paquet de toutes mes lettres de crédit, de les renvoyer à Berlin, de ne me réserver que deux cents louis, et de voler à Rovigo. Après tout, que puis-je })erdre en Italie ? De l'argent. Je me sur- prends avec cette dangereuse maxime : Huit jour*
1. Je ne sais pourquoi Buonaparte voulait écraser les- nobles de Venise, qui sont les meilleurs gens du monde, et faisait tant d'avances aux Picmontais, qui se moquaient de lui. Il avait si peu lu, que je parie qu'il était trompé par ce mot de république. Les nobles de Venise étant maîtres de l'Etat se faisaient grâce de l'impôt. Buonaparte eut l'idée de réclamer tout cet arriéré *. Les Pisani se trouvèrent devoir une somme énorme, et on leur prit leur beau palais de Stra.
On me présente à M. Brocchi de Milan, le premier géolo- gue de l'Italie. Pour connaître parfaitement le physique de ce singulier pays, il faut lire la Conchiliolo^ia fossile do M. Brocchi, et le Voyage d'Arthur Young, si mal traduit.
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de bonheur valent mieux que dix ans de cette vie insipide que je mène avec mon ministre.
23 juin. — La Marcolini chante ici le Tancredi. Elle fait admirer les restes d'une belle voix et d'un jeu ferme. Le moment d'enthousiasme pour la gloire,
Aima gloria
va au cœur. Cet opéra de Tancredi est digne qu'on prenne la peine d'en corriger les paroles. ^L Pre- vida, homme d'esprit, et rédacteur du journal, me dit qu'on joue à la fois Tancredi à Barcelone et à Munich. L n jour, il dit, à Vienne, dans la so- ciété, que Buonaparte était un grand général. On l'envoya servir trois ans, comme simple soldat, dans un régiment qui faisait la guerre. Il ne voulut jamais déserter.
24 juin, à trois heures du matin. — Je viens d'en- tendre M. le duc de ..., qui joue supérieurement bien de la harpe. Je suis étonné de ses jugements sur la musique ; madame Al... se moque de moi. C'est une chose convenue, en Italie, que, mieux on joue d'un instrument, moins on est juge de ce qu'on joue. J'y vois trois raisons :
1° La longue société avec les croque-notes ; 2° On est habitué à entendre sans enthousiasme les plus belles choses qu'on joue ;
Rome, Naples et pLonENCE, II. 15.
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STENDHAL
3° Le difficile auquel on fait attention n'est pas le difficile d'émouvoir les cœurs. Je me rappelle l'anecdote racontée par Collé, de ce secrétaire si bête, qu'il écrivait, sans s'en douter, une lettre où l'on parlait de lui ; il songeait à former de beaux caractères. Le cœur d'un homme fort sûr de son instrument * est différent du mien ; il trouve du plaisir dans cette harmonie compliquée qui montre la science du compositeur, et fait paraître l'habileté de l'exécutant. Plaire aux sens ou toucher les cœurs n'est rien pour lui ; mais son plaisir n'en existe pas moins et peut être fort vif. — Pour la musique, j'éprouve des différences, de jour en jour, aussi sensibles qu'un accès de fièvre.
24 juin. — Ce soir, au café de Florian, sur la place Saint-Marc, vers les une heure, il y avait quarante ou cinquante femmes de la haute société. On me conte que, dans une tragédie, au théâtre San Mose, on voyait un t\Tan qui présente son épée à son fils, et lui ordonne d'aller tuer sa bru. Ce peuple heureux ne jjut j^as supporter la force de cette touche de clair-obscur ; toute la salle poussa de grands cris, et ordonna au tyran de reprendre l'épée qui était déjà dans les mains de son fds. Ce jeune prince s'avança vers l'orchestre, et eut beaucoup de peine à faire sa paix avec le public, en lui assurant qu'il était loin de partager les senti- ments de son père ; il donna sa parole d'honneur,
ROME, NAPLES ET FLORENCE 231
que, si le public Acculait lui accorder seulement dix minutes, il le verrait sauver sa femme *.
Les comédies de Goldoni en dialecte vénitien sont des peintures flamandes, c'est-à-dire pleines de vérité et d'ignoble, des mœurs du petit peuple de l'époque de volupté et de bonheur qui précéda l'anéantissement de la république. Les mœurs de la haute société auraient donné d'excellentes comédies; mais il fallait au peintre le génie de Collé dans la Vérité dans le vin, et la force sublime de d'Eglantine dans VOrange de Malte : un évoque voulant * enga- ger sa nièce à être la maîtresse d'un prince, tout en lui faisant des remontrances.
Je ne puis absolument pas conter l'anecdote du juif dans le lit pour ravoir les diamants ; de la jolie femme revenant de chez le patriarche, pour sauver un malheureux injustement condamné, et trouvant son amant au sortir de sa gondole. L'excuse qu'elle lui fait est ce que j'ai vu de plus divin dans aucune anecdote ; c'est comme le doge Mocenigo * prenant à part le jeune prince allemand Ancîi a mi. J'en sais une trentaine de ce genre ; c'est ce qu'il y a de plus fou, et jamais la moindre teinte (V odieux. On aperçoit dans tous les caractères, depuis la simple fantesca jusqu'au doge, l'habitude des dis- positions qui font le bonheur *. Je ne connais rien qui fasse plus enrager les Anglais gens d'esprit, que ces anecdotes-là. Sans le dire, ce peuple heureux
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savait, depuis cent ans, qu'il n'y a de vicieux que ce qui nuit.
Le Baruffe Chiozotte, Ser Brontolon, sont d'excel- lentes comédies bourgeoises, s'il peut y avoir de Vexcellent au théâtre, sans grandiose dans l'âme du poète.
25 juin. — Je reçois à la fois toutes les lettres qu'on m'a écrites de Paris, depuis quatre mois. Plaisir bien doux, diversion profonde !
Je vois que, depuis cette belle loi des élections que nous devons tout entière au génie ferme de notre roi, la nation s'avance au galop vers le bon sens américain *. L'année 1816 sera marquée dans l'histoire par cette note marginale : Education de la France.
Avec la retraite de Fleury va disparaître l'ancien bon ton français. IJ' Ecole des bourgeois sera inin- telligible dans trente ans. Que deviendront les arts au milieu de cette déroute générale de toutes les idées gothiques ? La peinture fera des progrès, la musique tombera ; il y a un élément raisonnable dans la peinture ; et la raison va centupler de force. Il faut un certain repos de l'âme, une certaine mélancolie pour goûter la musique ; c'est ce cjue donne un soleil brûlant :
/ nm never nierrij when I hear s'>veel niusic.
Shakspeare.
ROME, NAPLES ET FLORENCE 233
Or il va y avoir en France une prodigieuse activité des esprits. Chaque degré qui nous sépare du hou sens anglais sera emporté par une bataille ; et, pen- dant six mois, cette bataille paraîtra la plus grande chose du monde. Quand la vie active est trop forte, elle comprime, elle étouiïe les beaux-arts. C'est Edimbourg qui est la capitale de la pensée en Angle- terre. Quand il n'y a plus de vie active, les arts tombent dans le niais, comme à Rome. Ce qui rend précieux le désert moral de T Italie, c'est que, même avec les discussions des deux Chambres, ce pays mettra toujours son bonheur dans les beaux-arts. Le théâtre Saint- Charles a attaché les Napolitains à leur roi, plus que la meilleure constitution.
Il est impossible que les Français sentent jamais la musique. Dans ce genre, ils ont le métalent le plus marqué ; ils applaudissent à ce qui est jaux et laissent passer les beautés en disant : C'est com- mun. Ceci paraîtia incroyable, je le sens. Allez, en 1817, à leur opéra qui coûte sept cent mille francs à la nation [Fernand Corfez, Œdipe à Colone, juin 1817) : voyez comme ils se laissent mystifier par madame Catalani pour leur théâtre italien. Cette troupe qui coûte cent soixante mille francs serait sifïlée à Brescia. Avec cette somme et les recettes, rien de plus facile que d'avoir un opéra aussi bon que Milan ^. Mais je m'arrête ; de tout temps on les
1. Galli, trente mille francs, Donzelli, quinze ; Monelli, dix ; Remorini, douze ; Paccini, dix ; la Fabre, seize ; la
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fâcha en leur parlant musique ; c'est le seul article sur lequel ils soient hêtes. Assurément cela vaut mieux que d'être puritains comme les Anglais, ou pédants comme les Italiens.
Il n'y a plus d'acteurs à Paris depuis qu'il n'y a plus de sifflets. En Italie, l'on n'a pas encore trans- porté au théâtre la loi qui régit la littérature.
26 juin, à une heure du matin, au pai^illon du jardin fait par le vice-roi. — Je n'ai pas le cœur à écrire. Je regarde cette mer tranquille, et au loin cette langue de terre qu'on appelle le Lido, qui sé- pare la grande mer de la lagune, et contre laquelle la mer se brise avec un mugissement sourd : une ligne brillante dessine le sommet de chaque vague : une belle lune jette sa paisible lumière sur ce spec- tacle tranquille ; l'air est si pur que j'aperçois la mâture des vaisseaux qui sont à Malamocco, dans la grande mer, et cette vue si roinantique se trouve dans la ville la plus civilisée. Que j'abhorre Buona- parte de l'avoir sacrifiée à l'Autriche ! — En douze minutes, ma gondole me fait longer toute la riva dei Scliiavoni, et me jette sur la Piazzetta, au pied du lion de Saint-Marc. — Venise était plus sur le
Marcolini (Fedele), douze : voilà po«r cinq cent mille francs une troupe telle qu'il n'en exista jamais en France. En veut-on wne autre ? Davide le fils, vingt m.ille francs ; le castrat Velluti, vingt-cinq; Pellogrini, quinze; de Grecis, quinze, les Monbelli, vingt-cinq : nous ne sommes qu'à cent mille francs *.
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chemin de la civilisation que Londres et Paris. Aujourd'hui, il y a cinquante mille pauvres. On offre le palais Vendramin, sur le grand canal, pour mille louis. Il en a coûté à bâtir vint-cinq mille, et en valait encore dix mille en 1794.
Où trouver ailleurs qu'à Venise des gens comme Giacomo Le... ? Cette société me plaît trop, je suis malheureux. Les plus brillants salons de Paris sont bien insipides et bien secs comparés à la so- ciété de madame Benzoni. Cela est vrai pour moi et serait probablement très faux pour les trois quarts de mes amis de Paris. Plus on est aimable, moins on sent la musique et les grâces de la société véni- tienne.
Quelle gaieté que celle de la société avec laquelle je dîne au Pellegrino ! Chacun a des fonctions ridi- cules et imposantes adaptées à ses ridicules et prises des Animali parlanti de Casti. — Poésies de ce jeune Bolonais établi à Venise. Que je serais heu- reux de ne jamais quitter ce pays ! Quelle soirée délicieuse que celle passée dans le jardin de M. Cor- naro !
27 juin. — L'on m'a présenté au spectacle à lord Byron. [C'est une figure céleste ; il est impossible d'avoir de plus beaux yeux. Ah ! le joli homme de génie ! Il a à peine vingt-huit ans, et c'est le pre- mier poète de l'Angleterre et probablement du
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monde. Lorsqu'il écoute la musique, c'est une figure digne de l'idéal des Grecs.
Au reste, qu'on soit un grand poète, et de plus le chef d'une des plus anciennes familles d'Angle- terre, c'en est trop pour notre siècle ; aussi ai-je appris avec plaisir que lord Byron est un scélérat. Quand il entrait dans le salon de madame de Staël à Coppet, toutes les dames anglaises en sortaient. Ce pauvre homme de génie a eu l'imprudence de se marier ; sa femme est fort adroite, et renouvelle à ses dépens la vieille histoire de Tom Jones et de Blifil. Tout homme de génie est fou, et de plus imprudent ; celui-ci a eu la noirceur de prendre * une actrice pendant deux mois. S'il n'eût été qu'un sot, on eût à peine remarqué qu'il suivait l'exemple de tous les jeunes gens riches ; mais on sait que M. Murray, libraire, bon calculateur, donne à celui-ci deux guinées pour chaque vers qu'il lui envoie. C'est absolument la contre-partie du comte de Mirabeau : les féodaux d'avant la Révolution, ne sachant que répondre à l'aigle de Marseille, découvrirent qu'il était un monstre *.
Le Provençal s'en moquait : il paraît que le Breton a pris la chose au tragique ; l'injustice de la société anglaise le rend, dit-on, triste et misan- thrope. Grand bien lui fasse ! Si à vingt-huit ans, quand on a déjà à se reprocher six volumes de beaux vers, on pouvait connaître le monde, il aurait vu que pour l'homme de génie, au xix^ siècle, il n'y
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a pas d'alternative : ou c'est un sot, ou c'est ua monstre.
En tous cas, c'est le plus aimable monstre que j'aie jamais vu ; en poésie, en discussions littéraires, il est simple comme un enfant : c'est le contraire d'un académicien. Il parle le grec ancien, le grec moderne, l'arabe. Il apprend ici l'arménien d'un papa aiménien qui travaille à un ouvrage important sur le lieu précis où était situé le Paradis terrestre. Le lord, dont le génie sombre adore les fictions orientales, traduira ce Paradis en anglais.
A sa place, je me ferais passer pour mort, et je recommencerais une nouvelle vie comme M. Smith, bon négociant à Lima *.]
FusiNA, 27 juin. — Je me précipite hors de Ve- nise. Je ne veux plus m'occuper que d'idées sèches.
Milan, 10 juillet. — Je n'ai rien écrit. Les opéras, la musique, les tableaux, Venise, Trévise, Vicence, Vérone, Brescia, tout cila a passé devant mes yeux comme un songe.
Par devoir, cependant, je cherche à me rappeler quelques observations ; je me souviens qu'à Vérone je trouvai au café, vis-à-vis l'amphithéâtre^ Vestri, cet excellent acteur. Il me dit en d'autres termes le fameux sonnet de Lope de Vega *, relatif aux six clefs sous lesquelles il enfermait Térence : « J'arrive de Brescia ; le premier jour j'ai donné
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de la bonne comédie ; on est resté froid ; le lende- main, j'ai fait le polichinelle, on nous a portés aux nues, et nous avons eu six cents francs de recette tous les jours, tous frais faits. «
Le soir, drame abominable traduit de l'allemand ; nos perruquiers siffleraient cela, et jamais peut- être ce grand acteur ne m'a fait plus de plaisir. Il jouait ce lieu commun si ancien, un père qui par orgueil ne veut pas donner sa fille à un jeune lord dont le père a perdu la vie sur l'échafaud. Ce n'était point du naturel plat à la Goldoni ; il donnait de nouvelles idées, et cependant ne sortait pas de la nature.
Le lendemain Vestri parut dans il Disperato per ^ccesso di buon core ; c'est un de ses triomphes, il y est aussi supérieur que dans VAjo neW imbar- razzo et dans le Bourru bienfaisant. Tout cela est invisible à l'étranger qui ne s'est pas fait à la ca)i- iilena du dialogue italien : je fus trois mois en Angle- terre avant de m'accoutumer au chant de la langue anglaise ; pour le nôtre, il paraît que les étrangers ne peuvent pas s'y faire ^.
A Brescia, on donne une comédie où l'on badine la mode des cavaliers servants et des maris qui ferment les yeux pour avoir de bonnes entreprises dans les fourrages. L'auteur, qui est maladroit et
1. Milady Morgan, qui, du reste, a si bien vu la France, jugeant le Tartufe et madenaoiselle Mars.
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sans nul talent, tombe à tous moments dans des grossièretés incroyables, mais fort amusantes pour l'étranger, car elles sont vraies. Ce qui est plus amusant, c'est ce que m'a dit en projires termes le fils de mon banquier : « Il serait plaisant que nous vinssions au théâtre pour nous voir tourner en ridicule. Ce soir, au théâtre, comme j'entre dans une loge, j'entends une réplique de la soubrette, qui sem])lait faite exprès pour moi : tout le monde me regarde ; je ne savais quelle contenance tenir ; et il faudrait applaudir à un tel genre ! Des sifflets, per Dio, des sifflets ! »
Cela seul, et le malheur d'avoir la peinture des mœurs écrite dans une langue morte, suffit pour empêcher la naissance de la comédie. Quant à Ves- tri, il a deviné le dialogue italien ; un prince qui aimerait les arts, le ferait bien vite professeur dans un conservatoire. Un tel homme aurait la plus heureuse influence sur le récitalif obligé, qui est aujourd'hui la seule ressource qui reste aux belles voix pour toucher les cœurs. Ce n'est que dans ces morceaux qu'on entend encore ce chant spianato, qui est le sublime des efforts d'une belle voix, et que l'on prend en France pour le chant d'un com- mençant.
La musique est une peinture tendre ; un carac- tère parfaitement sec est hors de ses moyens. Comme la tendresse lui est inhérente, elle la porte partout, et c'est par cette fausseté que le tableau^
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<]u monde qu'elle présente ravit les âmes tendres et déplaît tant aux autres. L'écueil du comique, <)'est que les personnages qui nous font rire ne nous semblent secs, et n'attristent la partie tendre de l'âme ; c'est ce qui, pour certaines gens, rend le •charme d'un bon opéra buffa si supérieur à celui d'une bonne comédie ; c'est la réunion de plaisirs la plus étonnante. L'imagination et la tendresse sont actives à côté du rire le plus fou *.
Le comte T... de Brescia me fait remarquer qu'il y a bien moins d'amateurs de musique en Italie que je ne l'imaginais. Beaucoup d'âmes fortes disent que c'est un plaisir d'esclave, et sont pour la comédie et surtout pour la tragédie ; il ajoute : « Vous connaissez trop tôt les grands modèles ; chez vous l'émulation est réprimée par le désespoir : remarquez que la plupart des auteurs originaux •ont presque entièrement manqué d'éducation. On ne va loin que quand on ne sait où l'on va : ainsi notre Alfieri se jeta dans la poésie drama- tique, sachant aussi peu ce que c'était que poésie que ce que c'était que drame ; il écrivit sa première pièce ^ sans savoir même l'orthographe de la langue dans laquelle il prétendait se faire admirer. Une fois que son caractère de fer eut donné dans cette idée, il attaqua les difficultés avec toute la véhémence ■de son orgueil : mais, s'il eût mieux connu les mo-
1. Cléopâtre.
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dèles, il n'eût jamais mis là son orgueil. Le défaut contraire étouffe peut-être la moitié des génies qui naissent à Paris. >»
Nous parlions de poésies à propos de M. Cesare Aricci, jeune poète de Brescia, connu par un poème champêtre. M. Aricci n'a pas inventé un nouveau style dans la Jérusalem détruite, poème épique qu'il achève ; mais il imite admirablement les styles des grands poètes italiens. On se dit en le lisant : Telle octave est du Tasse, telle autre de Monti ; mais la lecture ennuie. Quel succès aurait un tel poète en France !
PENSEES QUI ME SONT RESTEES DE VENISE
Les yeux ont leurs habitudes, qu'ils prennent de la nature des objets qu'ils voient le plus souvent. Ici, l'œil est toujours à cinq pieds des ondes de la mer, et l'aperçoit sans cesse. Quant à la couleur, à Paris tout est pauvre, à Venise tout est brillant : les habits des gondoliers, la couleur de la mer, la pureté du ciel que l'œil aperçoit sans cesse réflé- chie dans le brillant des eaux. Le gouvernement encourageant la volupté et éloignant des sciences, le goût des nobles pour avoir de beaux portraits, telles sont les autros causes du caractère de l'école de Venise. Comparez le ciel de V Entrée de Henri IV et le ciel des Xoces de Cana de Paul ^'éronèse.
Rome, Naples kt Florence, II 16
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* * *
Pendant que leurs maris et leurs amants sont à la pêche, les femmes de Malamocco et de Pellestrina chantent sur le rivage des stances du Tasse et de l'Arioste ; leurs amants leur répondent du milieu des eaux par la stance suivante.
* * *
« La volupté, me disait le comte C..., et le peu d'habitude de lire, font qu'on accorde si peu d'at- tention, qu'il faut dans la prose italienne tout expliquer avec le plus grand soin. Au moindre sous-entendu qui n'est pas palpable, on ferme le livre comme obscur : de là l'impossibilité du pi- quant. Je ne connais pas chez nous une seule phrase dans le genre des Lettres persanes. »
Ce même comte me fait une observation que je n'approuve pas, mais que je rapporte pour mon- trer combien ce peuple, qui a des passions, et qui n'a point eu de Louis XIV, est plus près de la na- ture. Il me montrait à Trévise, qui par parenthèse a la physionomie d'une synagogue, il me montrait, pour me le faire admirer, un tableau de cet excel- lent coloriste, Paris Bordone. Hérode écoute froi- dement saint Jean qui le prêche avec tout l'enthou- siasme de l'inspiration : mais un grand chien har-
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hone, qui est couché au pied du roi, et un petit chien de Bologne, qu'on aperçoit sous le bras d'Hérodias, aboient au prophète. En effet, tous les êtres animés correspondent par le langage des yeux ; cela rappelle saint Bernard prêchant en latin aux Germains qui n'y comprennent pas mot, et les convertissant par milliers. De nos jours, Kant a recommencé ce miracle.
* * *
Je rencontre à Venise, chez lady B..., une jeune Anglaise, héritière de huit cent mille livres de rente, qui est partie toute seule de Londres pour venir ici voir son père. Un de ses tuteurs s'est opposé à une idée si singulière ; l'autre, par respect pour la liberté, lui a remis mille guinées qu'elle a pla- cées en or effectif dans son sac à ouvrage. Elle a pris des habits foi't simples, et toute seule, sans savoir dix mots de français, est montée dans la diligence. De diligence en diligence, et toujours toute seule, elle est arrivée à Venise, d'où son père s'était embarqué trois jours auparavant pour Cons- tantinople. Tant de tendresse filiale méritait un plus heureux hasard. Elle a écrit à son père pour lui demander la permission d'aller le joindre. C'est une personne assez jolie et de la plus admirable simplicité : j'ai eu un vrai plaisir à faire la conver- sation avec elle. Cette course exige plus de courage
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STENDHAL
que pour un homme faire deux ou trois fois le tour du monde. J'indique cette jeune Anglaise à nos beaux de Paris ; certainement elle épousera qui saura lui plaire, et elle a déjà d'assuré plus de huit cent mille livres de rente. — De pareils traits me font aimer la nation anglaise *.
* * *
Rien de singulier comme des familles anglaises de VHigh life, parlant toujours de la santé de Son Excellence ou de l'honneur qu'on a eu d'être pré- senté à Son Altesse, et cela avec un ton de respect religieux, ridicule en France, même au faubourg Saint-Germain. Les fashionables anglais sont plus efféminés que la plus aimable petite-maîtresse du temps de madame Dubarry ; une araignée les fait évanouir.
*
Sur les tableaux d'apparat dont j'ai vu une quan- tité prodigieuse à Vérone et à Vicence : un tableau d'apparat, comme V Entrée de Henri IV, est la peinture d'une comédie ; un tableau d'idéal, comme Enée et Didon, est la peinture de ce qu'il y a de plus intéressant et de plus vrai dans le cœur hu- main.
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* * *
Conversation étonnante avec deux nobles Pié- montais à Dezenzano, promenant sur le lac de Garde. Si j'étais roi, tous mes ambassadeurs se- raient Piémontais : c'est le peuple le plus sagace de l'univers. Tout ce qui est frivole ne les arrête pas un instant : ils mettent sur-le-champ le doigt sur la plaie ; en cela, bien supérieurs aux Français qui s'amusent à chercher les facettes épigramma- tiques. L'un d'eux rajeunit dans son dialecte par une expression plus belle que Tacite, tant elle montre de disinganno de tout, cette vieille vérité : « Le gouvernement de la grande île de Madagascar est aussi illibéral et plus, que celui d'aucun petit royaume despotique ; seulement il est forcé à plus d'hypocrisie. » Il finit par cet excellent mot de M. Say : « Jugez un gouvernement par ceux qu'il
place. »
*
* *
A Venise, Y... ne voulait pas applaudir Mozart, parce qu'il est Allemand * ; on voit l'esprit général que je suis loin d'approuver,
*
* *
Il y a à Venise un Anglais qui a enlevé sa belle- sœur, et l'a ensuite épousée. Cette petite plaisan-
RoME, Naples et Florence, II 16é
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tcrie lui a coûté trente mille livres sterling ^ ; il a remercié dans les journaux le mari malheureux de lui avoir fourni cette occasion de prouver son amour. A Venise, aucune Anglaise ne reçoit cette dame ; mais, comme elle est aimable, on la rencontre dans toutes les sociétés italiennes. Jamais l'imagination la plus glacée ne pourra se figurer les détails de Vintérieur de ces deux amants passionnés. II n'y a pas le moindre nuage, mais bien des détails de froideur et d'apparente indifférence qu'une Fran- çaise ne supporterait pas une demi-journée, fût-ce d'un roi. Je sais ce dont je parle à n'en pas douter, et je ne puis rassasier mon étonnement : j'attribue cela à la morgue nationale. Un Anglais se croirait déshonoré si un être quelconque pouvait croire qu'il est nécessaire à son bonheur.
*
A Vérone, l'on m'a montré de loin un des deux marquis Pindemonti. C'étaient deux nobles de terre ferme : l'un avait plus de culture, il est mort depuis peu ; l'autre a plus de génie naturel ; je pense que ce sont de ces poètes dont le mérite ne s'étend pas au delà de la langue qu'ils ont écrite. Je n'ai pas eu la patience de lire toutes les tragédies d'Hip-
1. Il est ignoble de prendre cet argent ; on en fait un hôpital, qui, par son nom, perpétue la vengeance.
}
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polyte Pindemonti. J'ai trouvé, ce me semble, une scène ou deux dans sa Genef^ièf^e. C'étaient des gens du meilleur ton, fort aimables et fort aimés des dames *.
15 juillet, dans le jardin anglais de la villa B.... — J'ai traversé Padoue sans m'arrêter ; je n'avais pas envie de parler. Je me retrouve à Milan depuis huit jours, mais je suis mort pour les arts ; ce qui me plaît me fait mal ; à peine les intérêts les plus sé- rieux de la politique ont-ils quelque prise sur moi. Je vous ai juré de ne pas vous ennuyer des cris de la philosophie contre le despotisme ; je n'ai rien à vous dire. J'ai lu le Déserteur de Sedaine. Je com- prends qu'on déserte et qu'on aime à dire : Oui, je déserte !
16 juillet. — Je ne manque pas une soirée au théâtre de la Scala, et j'y retrouve ces sensations délicieuses que j'avais à Bologne, augmentées de tout le charme des regrets.
Ce soir, j'ai vu la première représentation de la Gazza ladra (la Pie voleuse), musique de Rossini ; de la Mirra ou la Vengeance de Vénus, ballet hé- roïque de Viganô, et de la Magie dans les bois, ballet comique ; tout cela a été donné le même jour. Je manque de termes pour exprimer le plaisir que m'ont fait les décorations, MjNI. Perego, Landriani, Fuentès, Sanquirico sont des peintres, et de grands
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peintres *. Chaque décoration peinte à la colle n'est payée que vingt sequins (deux cent quarante francs) ; mais l'administration s'engage à en de- mander vingt chaque année à chacun de ces mes- sieurs. Ce soir, jour de prima recita, toutes les femmes étaient en grande parure dans les loges ; c'est-à-dire les bras et la gorge nus, avec de grands chapeaux garnis de plumes immenses et très belles ; il faut cela, autrement l'on ne serait pas aperçu du parterre. Le silence a été extrême ; l'on ne fait pas de visites la prima sera ; j'ai remarqué la très mau- vaise disposition du parterre ; il est si horizontal que l'on ne peut pas voir les jambes des danseuses ; on devrait imiter celui de l'Opéra de Paris.
Les premières représentations sont toujours le samedi au théâtre de la Scala, parce que le vendredi est le jour de repos. Il n'y a pas de spectacle les jours anniversaires de la naissance et de la mort des derniers souverains de l'Autriche, ce qui déplaît fort.
Le spectacle de ce soir a duré cinq grandes heures, et tout était nouveau.
Rossini a voulu se rapprocher du fracas de la musique allemande. Avec une imagination aussi au- dacieuse que brillante, et les inspirations d'un génie vraiment original, quelque genre qu'il prenne, il est sûr de plaire, pourvu qu'il veuille accorder un peu d'attention à son ouvrage. On l'a fort applaudi, les motifs de ses airs sont nobles ; l'idée dominante,
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chose si nécessaire à la musi((n(! jxmr (m'elle puisse être comprise, l'idée dominante est admirablement rappelée dans les morceaux d'ensemble ; il les con- duit en homme supérieur. Les jdirases (ju'il rejette feraient la fortune d'un compositeur ordinaire ; mais il se méfie trop du public, sans cesse il sacrifie à la manie de briller les choses qui ne sont que rai- sonnables et justes ; ainsi telle phrase de chant, qu'il met dans la bouche d'un jardinier, ne serait point trop peu brillante pour le comte Almaviva ou tel autre jeune seigneur de la cour. On a couvert d'acclamations un terzetto, un duelto et un quintello. Les commencements de ces morceaux sont superbes ; mais pour plaire aux amateurs du genre savant, la stretta n'est plus dramatique ; c'est un morceau de symphonie qu'on dirait volé à Beethoven. Les sons les plus étranges sont combinés et amenés avec beaucoup d'adresse, mais certainement n'ajoutent rien à l'expression des paroles passionnées que pro- noncent les personnages.
Pour arracher les suffrages des amateurs du style noble, qui, par tous pays, sont ceux qui sont le plus loin de la nature *, Rossini annonce l'arrivée de Gianetto, par exemjjle, le soldat fils du fermier et amoureux de la servante, comme l'entrée de César ou d'Alexandre *.
Du reste, cet ojDéra a le défaut des grands maîtres, le? personnages sont toujours en scène. Madame Belloc ne quitte pas le théâtre ; les terribles accom-
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pagnements à l'allemande ne peuvent étouffer sa voix et encore moins celle de Galli. Dès que les accents admirables de ce srand acteur se font en- tendre, ils couvrent toutes les parties, orchestre comme chanteurs. Galli fait un père malheureux ; on retrouve l'acteur étonnant, qui a fait verser tant de larmes dans VAgnese (c'est le caractère de Lear), et dans le prince hongrois de la Testa di bronzo. La jeune Galianis, avec sa belle voix de contralto, qui n'a que cinq ou six notes, mais d'une force et d'une pureté étonnantes, a été extrême- ment applaudie ; elle a une figure aussi belle que son chant. Un débutant, le signor Ambrosi, a fait beaucoup de plaisir ; c'est un homme de la société. Mais il y avait trop de plaisirs. Je suis mort de fatigue ; ce qui m'a empêché de rire d'un usage français et ridicule qui s'introduit ici. Après la pièce, lorsqu'on a demandé les acteurs, Galli et Rossini se sont embrassés tendrement sur la scène *.
17 juillet. — Ce grand poète muet, Viganô *, n'a point suivi les traces d'Alfieri dans sa Mina. L'action commence par le choix d'un époux que Cynire destine à Mirra ; peu à peu cette fdle mal- heureuse paraît en proie à son fatal amour, et sa mort trop prévue termine l'action. Malgré le malheur du sujet, jamais spectacle ne fut plus plein de vie ; quand on en sort, on est poursuivi par dix ou douze ensembles de groupes qui remplissent l'imagination
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comme le souvenir de beaux tableaux. A chaque représentation, on aperçoit de nouveaux détails enchanteurs : le mouvement des masses frappe par la singularité, l'ordre, la variété ; et quoique tout surprenne, rien ne semble sortir de la nature. L'œil accoutumé à ce qu'il y a de plus sublime dans le beau pittoresque ne peut s'empêcher de reconnaître le génie d'un grand peintre. Les spectateurs s'atten- daient à un plaisir extrême, ils n'ont eu que les sensations que comporte ce sujet malheureux. On peut juger si Viganô a travaillé con ainore ; la Palle- rini faisait le rôle de Mirra.
Il a dirigé la distribution des couleurs dans les vêtements qui sont magnifiques, et, ce qui est bien plus rare, qui font plaisir à l'œil. Tout le monde con- venait hier, et encore plus ce soir, que jamais on n'avait vu une si piquante variété unie à tant d'har- monie : mais quelque grand que Viganô ait été dans le coloris des costumes, M. Sanquirico me semble le surpasser par ses divines décorations. Elles sont telles, que ce soir nous remarquions que personne ne peut même imaginer rien de mieux. C'est la per- fection d'un art.
Au milieu de l'enthousiasme excité par cette belle production pittoresque, la musique a paru faible, les pas de danse n'ont pas semblé réunir la grâce à la nouveauté. Les amateurs regrettaient Paris, non certes pour l'action des ballets qui, négligeant le dramatique, ennuient bientôt et ne peuvent se
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comparer à ceci, même pour un instant. Mais si Paul, Albert, mademoiselle Bigottini, mademoiselle Bias paraissaient dans le ballet de ce soir, il offrirait l'ensemble parfait de ce que l'état actuel de l'art peut offrir de plus enchanteur. Les femmes, palpi- tantes d'intérêt pour les souffrances de la pauvre Mirra exposées avec un art si charmant, imposaient silence ce soir, même aux doux commentaires de la galanterie. A la lettre, on ne respirait pas dans les loges.
Du reste, on était fort en colère contre Rossini et Yiganô, qui, tout occupés de leurs plaisirs, font attendre le public depuis deux mois. Ils sont ai- mables, et ne peuvent jamais se résoudre à refuser une i'illeggialura aux colli di Brianza, ou sur les lacs.
J'ai été présenté ce soir au respectable comte Moscati, le Daubenton de l'Italie. Milan, dans ses beaux jours, avait plusieurs hommes célèbres qu'elle se plaisait à comparer aux nôtres. Le comte Paradisi, président du sénat, était le prince de Bénévent * ; le général Teulié, le Desaix ; le comte Dandolo, si connu par le perfectionnement des vers à soie, le Chaptal de l'Italie ; Monti, célèbre par l'éloquence noble et délicate de ses adresses, était le comte Fontanes : l'archevêque de Ravenne, Codronchi, grand aumônier, rappelait par son esprit et l'adresse de sa conduite, monseigneur de Bou- logne. L'éloquence et les talents justifiaient ces
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parallèles flatteurs pour les deux nations ; du reste, la France n'a eu ni un homme aussi vertueux que Melzi, ni un ministre aussi fort, dans le sens despo- tique du mot, que le comte Prina. Désormais Milan est liée à la France par la chaîne des opinions, et la force de cette chaîne est incommensurable ; cette sympathie est d'autant plus solide, qu'elle a été précédée par une jalousie bien jirononcée. A notre dernière retraite d'Italie, le comte Grenier ayant eu occasion d'envoyer un colonel de mes amis au général autrichien, ce colonel français, qui le croirait ? eut besoin d'invoquer le secours des hussards ennemis pour traverser des villages qui se trouvaient sur sa route et qui voulaient l'écharper. J'ai vu sa calèche percée de cent coups de fourche ; le lieu de la scène était les bords du Pô, près de Plai- sance.
J'oubliais la dernière représentation du Mahomet de Winter ; c'est une imitation de Mozart ; l'ouver- ture est superbe. L'opéra languit faute de chant ; l'auteur a soixante-dix ans et est Allemand. Il y a un terzetto singulier ; Zopire prie pour ses enfants au fond du temple ; Seïde arrive pour le mettre à mort, accompagné de Palmire. On a fait répéter ce terzetto avec transport ; les Milanais trouvent ce chant superbe ; il n'y en a pas, ce n'est que de l'harmonie. La magnifique voix de Zopire-Galli fait la basse, la voix claire de mesdames Bassi et Festa, sur le devant du théâtre, forme une opposition
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frappante. L'accompagnement de violoncelle et de cor ébranle l'âme, une décoration magnifique et sombre achève de donner la couleur au sujet. Galli chante au premier acte :
La patria sarà sempre illesa.
On applaudit avec fureur ; les larmes me \^ennent aux yeux.
Je vais passer quelques heures à Bergame, à cause de la belle vue ; je prends ma route par Monza, Monticello et Montevecchio. On peut courir les deux mondes sans trouver rien de comparable.
A Bergame on a encore la fureur des musiques d'église ; j'ai cru voir les Italiens de 1730.
Les beautés de la musique sont presque toutes de convention, et, quoique Français, je ne puis me faire au chant à tue-tête. Rien ne coûte aux Ber- gamasques pour satisfaire leur passion : elle est favorisée par deux circonstances : le célèbre Mayer habite Bergame ainsi que le vieux Davide. Marchesi et lui furent, à ce qu'il me semble, les Bernin de la musique vocale, de grands talents destinés à amener le règne du mauvais goût. Ils furent les précurseurs de madame Catalani, et Pacchiarotti, le dernier des Romains.
Mayer eût pu trouver un sort plus brillant, mais la reconnaissance l'attache à ce pays. INé en Bavière, le hasard l'amena à Bergame, et le chanoine comte Scotti l'envoya au conservatoire de Naples, et l'y
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soutint plusieurs années ; dans la suite, on lui ofTrit la chapelle de Bergame, et quoiqu'elle ne soit que de douze ou quinze cents francs, les offres les plus brillantes n'ont pu l'attirer ailleurs. Je lui ai ouï dire à Naplcs, où il a fait la cantate de Saint- Charles, qu'il ne voulait plus voyager ; en ce cas, il ne composera plus. Il faut toujours en Italie que le compositeur vienne sur les lieux étudier la voix de ses chanteurs et écrire son opéra. Il y a quelques années que l'administration de la Scala offrit dix mille francs à Paisiello ; il répondit qu'à quatre- vingts ans l'on ne courait plus les champs ; et qu'il enverrait sa musique. On le remercia *.
Mayer, comme on voit *, est dû à la générosité d'un riche amateur ; il en est de même de Canova, il en est de même de Monti. Le père de Monti ne lui envoyant plus d'argent, il allait quitter Rome en pleurant : il avait déjà arrêté son vetturino. L'avant- veille, il lit par hasard quelques vers à l'académie des Arcades : le prince Braschi le fait appeler : « Restez à Rome, continuez à faire de beaux vers, je demanderai une place pour vous à mon oncle. » Monti fut secrétaire des commandements du prince.
Il trouva dans une maison un moine, général de son ordre, plein d'esprit et de philosophie ; il lui proposa de le présenter au prince son neveu ; il fut refusé. Cette modestie si singulière piqua le prince : on usa de stratagème pour lui amener le moine, qui, bientôt après, fut le cardinal Chiaramonti.
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Le patriotisme est commun en Italie ; voyez la vie de ce pauvre comte Fantuzzi de Ravenne, que l'on m'a contée à Bergame ; mais ce patriotisme est dégoûté de toutes les manières et obligé de se perdre en niaiseries,
A Bergame, Mayer et Davide dirigent une mu- sique d'église, on leur donne un oro, c'est-à-dire une pièce d'or.
Le comte P... me dit : « Bologne est la ville la moins avancée dans le marasme, elle mérite d'être la capitale de l'Italie *. Si, à la résurrection de ce pays, on met la capitale à Rome, tout est perdu ; les plus lâches intrigues attacheront la gangrène au gouvernement. Le peu d'énergie qu'il y a à Rome est dans les femmes, qui rappellent souvent la Sempronia de Salluste. »
17 juillet. — L'on me présente à M. Morosi, di- recteur de la Monnaie ; c'est un homme de génie dans le genre de M.... L'hôtel de la Monnaie de Milan l'emporte sur tous ceux de l'Europe, Paris y compris, non seulement par la simplicité des pro- cédés, mais encore pour la beauté des espèces frap- pées. Les bords et le champ de la pièce étant relevés, les empreintes dureront deux ou trois siècles de plus que les nôtres. Ce matin, 17 juillet 1817, l'on fabriquait des pièces de cinq et de quarante francs. Quel a été mon étonnement d'y voir encore l'effigie du ci-devant roi d'Italie ! L'empereur François,
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étant venu à la Zecca (la Monnaie), trouva le por- trait fort ressemblant et en fit compliment au gra- veur. Le millésime de ces monnaies est 1814 *.
Villa Melzi, srn le lac de Come, ISfuIllcI. — Pour redoubler ma mélancolie, il fallait r[ue je fusse engagé par cette jolie contessina ^'alcnza *, dont j'ai connu le mari à Smolensk, à l'accompagner sur les lacs. Rien dans l'univers ne j)eut être comparé au charme de ces jours brûlants d'été passés sur les lacs du Milanais, au milieu de ces bosquets de châ- taigniers si verts qui viennent baigner leurs branches dans les ondes.
Ce matin, à cinq heures, nous sommes partis de Como dans une barque couverte d'une belle tente bleu et blanc *. Nous avons visité la villa, de la princesse de Galles, la Pliniana et sa fojitaine in- termittente ; la lettre de Pline est gravée sur le marbre. Le lac devient, en cet endroit, sombre et «auvage ; les montagnes se précipitent presque à pic dans les eaux. Nous avons doublé la pointe de Balhianin, non sans peine, nos dames avaient peur ; cela est d'un aspect aussi rude que les lacs d'Ecosse. Enfin, nous avons aperçu la délicieuse plage de Tramezzina et ces charmantes petites vallées qui, garanties du nord ])ar une haute mon- tagne, jouissent du climat de Rome ; les frileux de Milan viennent y passer l'hiver ; les palais se mul- tiplient sur la verdure des collines et se répètent
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dans les eaux. C'est trop de dire palais, ce n'est pas assez de les appeler des maisons de campagne. C'est une manière de bâtir élégante, pittoresque et voluptueuse, particulière aux trois lacs et aux colH di Brianza. Les montagnes du lac de Como sont couvertes de châtaigniers jusqu'aux sommets. Les villages, placés à mi-côte, paraissent de loin par leurs clochers qui s'élèvent au-dessus des arbres. Le bruit des cloches, adouci par le lointain et les petites vagues du lac, retentit dans les âmes souf- frantes. Comment peindre cette émotion ! Il faut aimer les arts : il faut aimer et être malheureux.
A trois heures, nos barques s'arrêtent dans le port (darsena) de la casa Sonimarwa, vis-à-vis la villa Melzi. Nos dames avaient besoin de repos ; trois officiers italiens et moi nous avions tourné au sombre ; nous laissons le reste de la troupe ; nous traversons le lac en dix minutes ; nous voici dans les jardins de la villa Melzi, nous voici à la casa Giulia, qui donne sur l'autre branche du lac : vue sinistre. Nous nous arrêtons à la villa Sfrondata, située au milieu d'un bois de grands arbres, sur le promontoire escarpé qui sépare les deux branches du lac : il a la forme d'un y renversé ( xj). Ces arbres bor- dent un précipice de trois cents pieds *, donnant à pic sur les eaux. A gauche, sous nos pieds, et de l'autre côté du lac, nous avons le palais Sommariva ; à droite, VOrrido di Bellan, et devant nous, dix lieues de lac. La brise apporte de temps en temps jusqu'à
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nous les cluiuts des paysans de l'autre rive. Nous avons ce soleil d'aplomb de l'Italie et ce silence de l'extrême chaleur ; seulement un petit venticello de l'est vient de temps en temps rider la face des eaux. Nous parlions littérature, peu à peu nous dis- cutons l'histoire contemporaine : ce que nous avons fait, ce que nous aurions dû faire, les folles jalousies qui nous divisèi^ent : « J'étais là à Lutzen. — Et moi aussi. — Comment ne nous sommes-nous pas vus ? etc., etc. ))
Une conversation montée sur ce ton de franchise ne laisse pas dissimuler. Après trois heures rapides, passées au bord des précipices de la villa Sjrondata, nous voici à la villa Melzi. .Je m'enferme dans une chambre du second étage * ; là, je refuse mes yeux à la plus belle vue qui existe au monde après la baie de Naples, et, arrêté devant le buste de Melzi, tout transporté de tendresse pour ritalic, d'amour de la patrie et d'amour pour les beaux-arts, j'écris à la hâte le résumé de nos discussions.
On ne peut plus, au milieu de la grande révolu- tion qui nous travaille, étudier les mœurs d'un peuple sans tomber dans la politique. La révolution qui commença en 1789, finira en 1830 par l'établis- sement universel des deux Chambres, aussi bien en Europe qu'en Amérique. Les Français seront alors regardés comme les fils aînés de la Raison ^.
1. Par les profusions de Pitt, qui, en 1794, sauvèrent l'aris- tocratie, tout Anglais qui n'a pas cent louis de rente est
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Tout le monde est jaloux de la France : grande preuve de supériorité et peut-être la seule bonne, puisque la flatterie ne saurait la contrefaire. A Paris, la partie plate de la nation est la seule qui s'agite, la seule qui paraisse ; de loin, on nous juge * par nos Traty. nos Gouvion-Saint-Cyr, nos Grégoire, nos Lanjuinais, nos de Broglie *.
L'Italie morale est un des pays les plus inconnus ; les voyageurs n'ont vu que les beaux-arts et n'étaient pas faits pour sentir que les chefs-d'œuvre viennent du cœur. Je voudrais parler de la littéra- ture, mais je n'ai pas le temps. Le savant Ginguené, malgré sa bonne volonté, était encore un produit de l'ancienne éducation, et n'est pas à la hauteur de son sujet. Sismondi est travaillé par deux sys- tèmes opposés ; admirera-t-il Racine ou Shak- speare ? Dans ses perplexités, il ne nous dit pas de ([uel |)arti est son cœur ; peut-être n'est-il d'au- cun parti *. Son livre devait être V Esprit des lois des gouvi-rnements successifs de l'Italie, et il y a eu dans ce pays-ci beaucoup plus de gouvernements que de lois, et le gouvernement y a toujours eu la couleur du iiouvernant.
condamne', par sa naissance, an plus inévitable malheur : la faim, qui moissonne les ouvriers de Birmingham, en 1817, nous venge des horreurs de Commune-ajfrancine. (Voir les discours de M. Brougham.) Si les nations réfléchissaient,, elles feraient banqueroute au plus vite, et déclareraient que les dettes contractées par un prince ne sont pas obligatoires pour son successeur.
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Le caractère italien, comme les feux d'un volcan, n'a pu se faire jour que par la musitjuc et la vo- lupté. De 1550 à 1796 *, il a été écrasé par la masse énorme de la tyrannie la plus soupçonneuse, la plus faible, la plus im])lacable. La religion, venanl au secours de l'autorité, achevait de l'étouiïer : de là la défiance; tout ce qui paraissait de lui n'était pas lui*.
Le 14 mai 1796 fera une épo([ue remarquable dans l'histoire de l'esprit humain. Le général en chef Buonaparte entra dans Milan ; l'Italie se ré- veilla, et, pour l'histoire de l'esprit humain, l'Italie sera toujours la moitié de l'Europe ^.
Mais ici je ne puis parler, mon portefeuille peut être saisi. Comment s'est-elle réveillée ? Quelles cir- constances ont influé sur les pas de géant qu'a faits ce jeune peuple ? Quels hommes ont réglé son destin ?
Quand Buonaparte entra à Milan, l'archiduc Ferdinand d'Est, prince faible et aussi bon que peut l'être un homme faible, y était le timide préfet du conseil aulique de Vienne. Une digue se rompait- elle, il fallait écrire à Vienne, et quand, au bout de deux mois, la somme nécessaire était allouée, le
1. Après la chute de ce grand peuple inconnu dont nous 110 savons autre chose, sinon qu'il exista, l'Etrurie, la pre- mière, cultiva les arts et la sagesse. L'Italie a de plus l'âge d'Auguste, et le siècle de Léon X. La peinture, la musique, la sculpture ne peuvent peut-être exister que là. Un jour l'Amérique méridionale, après deux siècles de gouvernement représentatif, ayant le soleil, la liberté et les richesses, pourra rivaliser avec la terre du génie. Les cruautés de 1817 donnent de l'énergie aux Péruviens.
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dommage était centuplé ; le conseil aulique le savait mieux que personne ; mais l'esclave est telle- ment vigoureux, qu'on ne saurait trop l'encliaîner.
Joseph II, tôte étroite, élève de Raynal, venait de supprimer les moines et d'ôter à la noblesse tous les privilèges dont elle jouissait comme ordre. Toute l'armée italienne se composait alors de quatre- vingt-seize gardes de ville, habillés en rouge, qui faisaient le service dans Milan.
Cette capitale du plus riche pays de l'univers comptait quatre cents familles à cent mille Hvres de rente, et vingt à un million, qui ne savaient que faire de leur opulence. Tout était à \àl prix à Milan, et un Italien n'a pas le quart des besoins d'un habi- tant de Paris. Ainsi, le général prince Belgiojoso, qui s'était gorgé d'or au service de l'Autriche, faisait jeter tous les matins vingt livres de poudre dans un cabinet, et venait s'y promener un masque sur la figure ; il prétendait que c'était la seule manière d'être poudré convenablement ; ensuite il passait dans son sérail, où de jeunes danseuses, vctues comme la Vénus de Médicis, exécutaient des ballets devant Son Excellence. Parini se moquait de lui dans il Mattino, satire digne de Pope. Le prince voulait le faire bâtonner ; le gouverneur * le proté- geait. A côté de Parini, Beccaria et Verri éclairaient l'Europe. Le soir, princes, savants, littérateurs, millionnaires, tous se trouvaient au théâtre. Mar- chesi, l'enchanteur, ravissait tous les cœurs. Les
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femmes portaient à la fois cinq portraits de Mar- cliesi : un à chaque bras, un au cou suspendu à une chaîne d'or, et deux sur les boucles de chaque sou- lier. Jamais les riches d'aucun pays n'ont mené une plus douce vie. Toutes les passions haineuses étaient exclues, presque pas de vanité, et comme alors les nobles étaient bonnes gens, le peuple par- tageait leur bonheur.
Chaque métairie, en Lombardie, produit du riz, du fromage et de la soie, dont on vend pour des sommes considérables ; outre cela, elles ont toutes les productions des nôtres ; c'est un pays inruiuable, et tout y est pour rien.
Cette tranquillité voluptueuse commençait à dégénérer en apathie, quand le coup de tonnerre du 14 mai vint réveiller les esprits. Les tranquilles Milanais ne pensaient pas plus à la France qu'au Japon.
Ce peuple, si loin de nous par les idées, crut à la liberté, et s'en trouva plus digne que nous. Le corps législatif de Milan refusa à Buonaparte, dans tout l'éclat de sa puissance (en 1806, je crois), une loi essentielle (l'enregistrement). Jamais corps législatif français n'osera seulement regarder en face une telle inconvenance. Celui du royaume d'Italie ne fut plus convoqué, et Buonaparte chercha là, comme en France, à masquer le despotisme par le culte de la gloire. A Marengo, l'Italie n'avait qu'un seul homme qui osât marcher au canon (le général
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Lechi) ^. Neuf ans après, à Raab, elle avait une armée de soixante mille hommes aussi braves que les Français *. Elle avait un Almanach royal aussi gros que le nôtre, et tout plein de noms italiens. Les routes étaient et sont vingt fois plus belles qu'en France. Tout s'organisait, tout marchait, les fabriques se multipliaient, le travail se mettait en honneur, tout ce qui avait de l'intelligence faisait fortune. Le moindre garçon pharmacien, travaillant dans l'arrière-boutique de son maître, était agité de l'idée que, s'il faisait une grande découverte, il aurait la croix et serait fait comte. Ce ressort, si approprié aux temps modernes, égalait par sa puissance celui qui porta jadis les Romains à l'empire du monde. Sous le gouverne- ment de IVIelzi, le royaume d'Italie fut plus heu- reux que ne l'a jamais été la France. Il marchait franchement à la liberté. Melzi aima tendrement cette source de tout bonheur : mais il avait les défauts de l'éducation ancienne, il manquait de vigueur. Il ne profita pas de l'année de sa vice- présidence pour créer de nouveaux intérêts. Au reste, le pouvait-il ? Je le crois, car Buonaparte n'eut jamais de plan fixe : il était alors occupé de la France, Washington lui-même eût été embar- rassé sur le degré de liberté politique qu'il convenait de confier à un peuple coupable de tant d'égare-
1. Son combat à Varallo avec la légion de Rohan.
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ments, qui avait si peu j)rofité \niT l'expérience, et qui, au fond du cœur, nourrissait encore tous les sots préjugés donnés par une vieille monarchie : c'étaient les îlotes de cette monarchie qui avaient fait la Teneur.
Au reste, aucune des idées qui auraient occupé Washington n'arrêta l'attention du César moderne ; ses vues étaient toutes personnelles et égoïstes. Donner d'abord au peuple français autant de li- berté qu'il en pouvait supporter, et graduellement augmenter l'importance du citoyen à mesure que les factions auraient perdu de leur chaleur et que l'opinion publique aurait paru plus éclairée, n'était pas l'objet de sa politique ; il ne considérait pas combien de pouvoir on pouvait confier au peuple sans imprudence, mais cherchait à deviner de com- bien peu de pouvoir il se contenterait. La preuve qu'il avait la force * nécessaire pour établir la liberté, c'est qu'il put empêcher les réactions.
Tandis cju'il était plongé dans ce problème, pour peu que l'Italie lui eût fait peur, elle était libre. Melzi ne vit pas qu'une nation n'a jamais que le degré de liberté auquel elle force.
Buonaparte, rassuré, leva le masque et marcha au despotisme ; il essayait en Italie les mesures qu'il voulait pratiquer en France ^.
1. L'histoire du royaume d'Italie, de 1794 à 1814, est le plus beau sujet des temps modernes : l'idéal s'y joint au positif.
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jNIelzi vint pleurer la patrie dans la belle villa où j'écris ; il ne fallait plus qu'un instrument, et le comte Prina devint le Vasconcellos de son maître. Ce Piémontais fut un grand homme, plus grand que Colbert ; car, comme lui, il a exécuté presque tout ce qui s'est fait de grand sous un despote ; et cela, malgré les intrigues de la cour du vice-roi et de tout le Conseil d'Etat. Colbert est mort laissant d'im- menses richesses : lorsqu'on eut tué Prina, le 20 avril 1814, on fut bien étonné de ne lui trouver pour trésor que les deux tiers des appointements qu'il avait reçus ^.
Mes jeunes officiers reprochent amèrement aux Français de ne pas leur avoir donné la liberté ; mais cela s'accordait-il avec les intérêts du maître ? Les Etats sont entre eux comme les particuliers. Depuis quand voit-on un homme faire la fortune d'un autre à propos de botte ? Tout ce qu'on peut espérer de mieux, cest que les intérêts s'accordent.
Quant à moi, je pense que Buonaparte n'avait nul talent politique ; il eût donné des constitutions libérales, non seulement à l'Italie, mais partout, et mis des rois illégitimes comme lui, mais pris dans les familles régnantes. A la longue, les peuples l'auraient adoré pour ce grand bienfait. En atten-
1. Le comte Marcscalchi m'a dit que toutes les pièces relatives aux assassins de Prina se trouvaient, en 1817, dans les archives de la police de Milan. On sait leurs noms et leurs motifs *.
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dant qu'ils le comprissent, leur force se serait usée à arracher une liberté complète, et non à envahir la France ^.
Le prince Eugène, si aimable dans le salon de la Malmaison, fut petit sur le trône d'Italie. Il dit une fois à son quartier général, sur l'Isonzo, qu'il se moquait des poignards italiens : ce propos n'était que la plus grande sottise possible. D'abord il n'y avait pas de poignards ; un seul Français a été assassiné depuis 1800 ; et en second lieu, quand ils auraient hérissé toutes les mains, depuis quand gouverne-t-on un peuple en l'insultant ? Ce prince aimable, galant avec les dames, de la plus belle bravoure, et quelquefois général, avait si peu de racines dans l'opinion, que, depuis la chute de sa maison, il est venu passer trois jours à Milan. Il y fait autant d'effet qu'un lord anglais qui traverse la ville pour aller à Rome.
Il était dans son caractère d'être toujours mené ; deux ou trois aides de camp avaient cet honneur, et ces messieurs étaient Français. Ce qu'il y a d'heu- reux, c'est que ces Français si odieux n'avaient jamais rien fait de bas ni de déshonorant.
Après la bataille de Leipsick, un homme de génie
1. On sent que dans cette supposition il ne pouvait être question pour l'usurpateur du grand principe qui assure maintenant le bonheur des peuples : la légitimité. On parle de ce qu'il y avait de mieux à faire dans une position mau- vaise en soi *.
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pouvait préparer en Italie les éléments d'un trône : après l'abdication de Fontainebleau, il pouvait y monter, inais il fallait ouvrir le parapluie et parler constitution. Les meneurs du vice-roi étaient mi^-me au-dessous de cette idée. Pour lui, il ne fut que chevalier français, le plus brave et le plus loyal des hommes ; il avait offert à son bienfaiteur l'ar- mée d'Italie, que celui-ci eut l'aveuglement de refuser (février 1814).
Après l'abdication, le vice-roi songea enfin à la couronne. Il s'imagina qu'elle était entre les mains des sénateurs de Milan, et envoya un homme à lui acheter chez Manin, le premier bijoutier de la ville, quarante-deux tabatières de vingt-cinq louis cha- cune, pour corrompre les quarante-deux sénateurs. Cette manœuvre adroite fut suc dans Milan un quart d'heure après, et... Ici, mon copiste me regarde en riant : « Monsieur, le temps présent est l'arche du Seigneur ^. d *
Le hasard ayant interrompu en 1814 la marche de ce jeune peuple, que va devenir le feu sacré du
1. A cette époque (avril 1814), le prince avait encore une très bonne ligne militaire ; on vient de me répéter ce fait sur tous les tons. J'ai de nouveaux motifs pour ne point y croire. L'homme qui, après la retraite de Moscou, a fait la campagne de Magdcbourg, et, avec une faible avant-garde, a arrêté le débordement des Russes et des Prussiens furieux, doit être supérieur au rôle politique qu'on lui fait jouer ici. « Le vice-roi n'a jamais été parmi nous qu'un marquis fran-^ais, » disent mes ofiicic^rs *.
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génie et de la liberté ? S'éteiiitlra-t-il ? Et l'Italitî se rcmettra-t-elle à faire des sonnets imprimés sur du satin rose ])our les jours de noces ? Toutes mes pensées, tous mes re<^ards ont été pour la solution de ce fjrand problème.
Il n'y a ])oint eu d'émii^ration et presque pas d'ac({uéreurs de domaines nationaux. Là, comme parmi nous, la fusion des nobles avec la nation était à moitié faite en 1807. Ce fut Buonaparte ([ui leur apprit qu'ils étaient quelque chose de mieux que de grands propriétaires. Maintenant que la guerre est déclarée, elle ne peut finir que dans la Chambre des pairs.
DES ARTS
L'Italie peut être éloignée de la gloire et du bon- heur par des moyens dont on ne peut que parler. Telle est l'âme de ce peuple, que, dès qu'il sera heu- reux, il produira des chefs-d'œuvre, et voilà pour- quoi il est plus près de mon cœur que les Améri- cains, par exemple, qui, depuis qu'ils sont heureux, ne produisent que des dollars.
Une cause peut éloigner les Italiens de la perfec- tion, et empoisonner pour eux les bienfaits de la poudre à canon, c'est le pédantisme. Dans les arts
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de la pensée il faut étudier l'art, et sur-le-champ abandonner le maître et être soi-même. Les auteurs italiens, qui sont presque tous prêtres, veulent à toute force continuer le Dante et Virgile. Cela fait deux sectes de pédants, les pédants d'idées : Verri, Micali, etc. ; les pédants de style : Botta, Giordani, Rosmini, etc.
L'Italie reprochera toujours à son père de ne pas lui avoir donné une Ecole polytechnique, oii l'on n'eût admis que des jeunes gens nobles pour la plupart, et ayant douze cents francs de rente. On leur aurait enseigné Jérémie Bentham, Adam Smith, Say, Tracy, Cabanis, Malthus, Montesquieu ; on leur eût fait lire Corneille, Shakspeare, Molière, Schiller, Racine, Rousseau, Helvétius, Voltaire, Bossuet et les grands poètes nationaux.
Croit-on que les réjDubliques du Mexique et du Pérou vont s'amuser à se tramer lentement de préjugé en sottise, et de sottise en erreur moins gros- sière, sur tous les progrès de notre lente civilisation, où chaque vérité a été achetée par dix ans de travail de l'auteur, et ensuite par six mois de Bastille ?
Non ; leurs écoles se transporteront sur-le-champ à la frontière de la science. Pourquoi apprendre la physique dans Nollet, si on peut la voir dans Biot ? Leur jeune énergie partira du point où la vieille Europe est arrivée haletante de fatigue et rendue. Or, voilà ce que les pédants italiens ne veulent pas ; ils prétendent qu'il ne faut rien ap-
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prendre que dans des auteurs nés en Italie et y ha- bitant ^.
Montesquieu disait de la Ilenriaile : Plus Voltaire est Virgile, moins il est Virgile. Le grand génie qui entraîne les Italiens dans l'erreur fut celui de tous les hommes qui l'abhorra * le plus. Personne ne fut plus lui-même que le Dante ; mais comme Alficri manquait un peu d'esprit, il n'a pas vu cela, et à sa suite se précipite toute la jeunesse italienne.
L'Italie, ne pouvant plus espérer cette Ecole polytechnique qui aurait mis la noblesse du côté des idées libérales, il lui faut faire son éducation, mais la faire avec les gens les plus différents d'elle- même. Cela facilitera le moment du départ ^.
Elle est du Midi, il lui faut des maîtres du Nord ; elle est éminemment catholique, il lui faut des maîtres protestants ; elle a dans le sang trois siècles de despotisme, il lui faut des maîtres constitution- nels : tout cela lui indique l'Ecosse et l'Angleterre. Les Français lui ressemblent trop ; elle ne doit prendre que les livres indisijensables pour ne pas tomber dans la philosophie ridicule de la sympathie, qui donne pour base à nos volontés autre chose que le plaisir du moment. A cela près, le régime anglais est le seul sain pour les Italiens, parce qu'après
1. ... Pallas quas condidit arces
Ipsa colat ; nobis plnceant ante oninia sUvas. On voit que ce principe du mauvais goût est dans Virgile.
2. Terme de chimie.
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avoir appris à exprimer leurs idées et à tirer des pensées des circonstances qui les entourent, dominés par les différences de climat et d'organisation, ils enverront un jour leurs maîtres à tous les diables ^ et oseront être eux-mêmes.
Or, c'est ce qui n'arrivera jamais tant qu'ils étudieront Horace et Virgile : le Dante et Machiavel sont surtout dangereux. Ces hommes immortels ont vécu dans une république, et comme c'est tout •ce qu'ambitionne l'Italie, les jeunes gens ne peuvent, sans une force d'originalité bien rare à vingt ans, renoncer à les imiter.
Une nation n'est heureuse que quand il n'y a }dus d'autres intérêts contradictoires dans son sein que ceux nécessaires au maintien de la constitution. Elle n'est éclairée que quand il y a des millions de gens médiocres instruits suivant des méthodes judicieuses ; enfin elle n'a jamais que le degré de liberté que la fermeté de son caractère et ses lu- mières forcent à lui donner. L'Italie est plus près de la liberté, parce qu'elle est infiniment moins dupe de l'hypocrisie ; elle croit tous les hommes en pouvoir méchants et leur dit : « Prouvez le con- traire. » Elle doit tendre à se donner rapidement des lumières. Pour cela, il faut commencer par souffrir la vérité. Tous les livres imprimés dans ce beau et
1. Voilà ce que j'appelle l'opération du déparl.
ROME, NAPLES ET FLORENCE 273
malheureux pays, depuis l'an 1600, peuvent se réduire à dix volumes.
Voilà la triste vérité fju'il faut que les jeunes Ita- liens supportent ; mais ils n'en sont pas encore à ce premier pas. Je crains bien que pendant cinquante ans encore ce mot n'excite que de la colère ; il est dur de se dire à vingt ans : « Tout ce que je sais ma été enseigné par des gens qui aidaient le plus pressant intérêt à me tromper. Il faut refaire toutes mes idées sur tout. »
Riva, 20 juillet. — Nouvelle conversation avec mes officiers italiens dans le bateau ^. Milan l'em- porte sur Bologne. Comme individus, les Bolonais l'emporteraient peut-être ; mais :
10 Milan est plus grande ville (130.000 âmes), et, partant, beaucoup plus de sottises y sont mé- prisées, et l'exemple des temps passés y a moins de force. Il y est déjà ridicule de parler de ses affaires d'intérêt.
2° Milan a été quatorze ans la capitale d'un vaste royaume ; on y a vu les grandes affaires de près et le jeu des passions. Pendant ce temps-là, Bologne était jalouse ; il est vrai que, dans cette mauvaise
1. Il faut remettre toute idée claire sur l'histoire d'Italie, depuis vinc^t ans, au jour où les délits de la presse seront jugés par douze jurés ayant chacun trente mille livres de rente *. Jusque-là, restons dans le vague. Voyez l'ouvrage de M. Benjamin Constant sur les jugements de 1817.
Ro.ME, Naples et Florence, II 18
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carrière, elle montrait de l'énergie. Elle se révoltait (1809).
3° Milan est près de la Suisse, qui fournit des livres à la haute société ; il y a un exemplaire du Morning-Chronicle qui coûte trois mille francs au moins au noble qui le fait venir. Il y a dix ans, on n'eût pas trouvé deux personnes qui lussent les journaux ; actuellement, on voit les domestiques qui vont les chercher au bureau les lire dans les rues *.
L'éducation de quatorze ans (1800 à 1814), don- née par hasard sous un despote qui ne craignait au monde que l'éducation, y avait produit des héros. Qu'aurait-ce été de l'éducation donnée par un prince philosophe ! Tout ce qui est grand a des droits particuliers sur le cœur de ce peuple. Beau- coup plus méfiant que les Français, il est meilleur juge de la grandeur dans ses princes. Un demi- siècle de l'ordre de choses qui l'a si rapidement élevé en quatorze ans n'aurait pas remué une autre nation. La Lombardie se regarde pour le degré de liberté publique comme un appendice de la France ; on y suit avec le plus vif intérêt les discussions de nos Chambres.
La fièvre du mécontentement brûle ce pays-ci comme tous les autres, cependant je les ai priés de considérer trois petites choses :
1° Dans tout le royaume d'Italie, depuis 1814, il n'y a eu que vingt-trois personnes d'arrêtées ;
ROME, NAPLES ET FLORENCE 275
2° Il n'y a pas eu l'ombre d'une réaction, pas une goutte de sang. Le gouverneur Bellegarde jetait les dénonciations au feu ;
3° Ils ont pour gouverneur un homme d'esprit de l'école de Joseph II, c'est-à-dire nullement dupe des prêtres et des nobles. Un curé de Milan s'avise de faire faire des miracles par un jeune homme ; le gouverneur, voyant le but des miracles, les en- voie tous deux en prison. « Je pense bien, leur dit-il publiquement, que demain l'on vous trouvera en liberté ; ce petit miracle de plus ne vous coûtera rien et sera très utile pour confondre les incrédules ; quant à moi, je m'engage à ne plus vous faire ar- rêter. »
Il est "\Tai que, tous les deux mois, quatre-vingt- cinq chariots chargés d'argent partent pour Vienne sous bonne escorte, et que la Lombardie ne jouit plus de l'espèce de constitution que lui avait donnée Marie-Thérèse.
Pliniana, 21 juillet *. — Nous voulons revoir la Pliniana : il y fait si frais ! La contessina A... me parle des arts ; mon attention est tellement absor- bée que, si l'on m'eût demandé « Où êtes-wous ? », je n'aurais su que répondre.
La femme qui a eu quatre amants, et qui a aimé passionnément, ne sait pas en France, parce que personne ne le lui a dit, qu'elle est tout près des arts, et qu'il faut jeter au feu, au plus vite, tous les
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traités pédantesques qu'impriment les gens de l'Académie. — Mais je prévois une objection invin- cible : quelle est en France la femme qui a eu quatre amants ?
En France, défaut d'originalité par le despotisme du ridicule et d'une grande capitale. Ici, Brescia, Cfui est à vingt lieues de Milan, ne songe pas plus à imiter Milan que Philadelphie. Toutes les familles, toutes les aventures galantes se connaissent d'une ville à l'autre ; mais pas la moindre trace d'imita- tion.
MoATicELLo, 23 juillet. — De Como, nous allons à Lecco ; mauvais voyage ; le paysage ne signifie rien. Nous venons à Monticello ; vue admirable de la casa Cavaletti. Je n'ai jamais rien rencontré de semblable : à l'horizon, on aperçoit le dôme de Milan, et plus loin, une ligne bleue dessinée dans le ciel par les montagnes de Parme et Bologne. On est sur une colline ; à droite, vue superbe, plaine fertile et rochers, deux ou trois lacs ; à gauche, autre vue magnifique, et qui, dans tous ses détails, est l'opposé de la première ; des collines, la Madonna di Montevecchio ; en avant, on a cette belle Lombardie avec tout le luxe de sa verdure et de ses richesses, un horizon sans bornes, et l'œil se perd à trente lieues de là dans les brouillards de Venise * : c'est la contre-partie de la vue de Sau Michèle in Bosco. Dans ce ciel immense, on aperçoit souvent une noire
ROME, NAPLES ET FLORENCE lii
tempête avee ses tonnerres mugissants dans un coin de cinq à six lieues, tandis que tout le reste est serein. On voit la tempête s'avancer, reculer, s'anéantir, ou en peu de minutes elle vous envi- ronne. L'eau tombe à torrents ; des tonnerres aiïreux ébranlent les édifices ; bientôt l'admirable pureté de l'air vient auj^menter les plaisirs. Tout cela vient de nous arriver depuis deux heures : maintenant, nous distinguons les fenêtres d'une maison à huit lieues d'ici. — Politesse noble du propriétaire, ancien écuyer du roi d'Italie. Nous sommes arrivés chez lui comme une bombe, comme des enfants f[ui s'approchent d'une image.
24 juilh'f. — Nous couchons à Monza. Mauvaise architecture du palais. Jardin insignifiant. Nous allons à Varèse, petite ville, dont toutes les maisons se sont, depuis dix ans, transformées en palais.
Nous allons au Casino. — Politesse extrême des habitants de Varèse ; ils nous mènent à une Acca- demia que madame Grassini donne à ses compa- triotes. Elle chante
Ombra adornta, aspetiami et le duetto
Si'enami
des Horaces : on pleure, et le cœur applaudit. Il y avait là les plus jolies femmes de Milan, entre autres madame Litta, née à Gênes, d'une famille
Rome, Naples et Florence, II 18,
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alliée dans le xiii^ siècle à celle de B*** ; superbes figures des officiers italiens ; pâleur extrême ; grands yeux noirs, moustaches et cheveux châtains, cra- vates noires, traits antiques, simplicité et bonhomie dans les manières dont on ne peut avoir même l'idée en France. Je vois qu'ils sont presque tous in serçitù, mot du pays fort expressif. Chacun est avec sa maîtresse. — Je suis i^résenté à ce brave général Severoli qui a perdu une jambe contre cet indigne Murât, quand il attaquait son bienfaiteur ; je vois le général Bertoletti, si connu en Espagne ; Monti, le plus grand poète d'Italie ^ ; le jeune Melzi, héritier d'un grand nom, et, dit-on, digne de son oncle.
Milan est la capitale de la littérature en Italie. Mais au xix® siècle, qu'est-ce qu'une littérature sans liberté ? On y imprime beaucoup de livres
1. Outre la Bassvilliana, ou lui doit la meilleure traduc- tion de V Iliade qui existe et quatre volumes de beaux vers qui un jour seront bien étonnés de se trouver ensemble. Ce n'est pas par modestie que Virgile voulait, en mourant, qu'on brûlât son Enéide ; les plus beaux morceaux en étaient déjà connus. Quelle difîcrcnce pour sa gloire si tout ce qu'il y a de faible pour sa gloire manquait ! Pour bien écrire l'ita- lien, il faut commencer par savoir supérieurement le latin. Voilà deux idées que je dois à ma présentation à ce grand poète. Il m'a paru avoir la haine la plus orthodoxe pour le genre romantique, et, quand il a été grand, il a été romanti- que. Il nous dit un sonnet sur les désastres de la campagne de 1813, où il rappelle l'idée de Judas, treizième apôtre. On voit que l'auteur a été élevé à Rome. Né dans un pays plus généreux, il eût quelquefois fait parler son âme.
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de médecine, et de temps en temps quelque tra- duction du français. On a osé y faire paraître, mais avec l)on nom])re de notes atténuantes, Tracy, Schlegel, Corinne, V Allemagne. Il y a deux jour- naux littéraires ; cela est aussi amusant que le Magasin encyclopédique ; les hommes sont très supérieurs aux livres.
Le soir, nous montons à la Madonna del Monte ; ce sanctuaire doit avoir coûté bien des millions. J'écris ceci à l'auberge de Berinetti ; nous sommes fort bien. En montant, plusieurs ânes se sont abat- tus sur ces pavés glissants, et nos dames ont fait des chutes qui n'ont été que plaisantes ; nous nous arrêtions à tout moment à quelqu'une des quinze ou vingt chapelles pour nous retourner et jouir de la vue. Ensemble magnifique ; au coucher du soleil, nous apercevions sept lacs. Croyez-moi, mon ami *, on peut courir la France et l'Allemagne sans avoir de ces sensations-là. Parmi nous, il y a deux Fran- çais qui s'ennuient, car personne n'écoute leur es- prit ; un Anglais qui à tout moment tire son carnet et arrête les paysans pour avoir l'orthographe pré- cise du nom de l'endroit ; cinq ou six olïiciers à demi-solde, silencieux, et cinq femmes, dont deux au moins de la beauté la plus noble, la plus simple, la plus touchante. N'ayant pas le temps d'être amoureux d'aucune d'elles, je le suis de l'Italie. Je ne puis vaincre ma mélancolie de quitter ce pays. Je vois d'ici le lac Majeur sur les bords du-
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quel m'attend ma calèche. — Partie charmante, parce que, à l'exception de nos gens aimables, nous sommes à notre aise ensemble.
Ce soir, Berinetti nous a dit qu'un des frères du couvent touche de l'orgue. Nous passons deux heures dans son église, nous lui indiquons quelques morceaux de Mozart. Voilà de ces sensations que j'allais chercher à Naples, et qui rendent muet pendant huit jours.
25 juillet. — Nous pénétrons dans un couvent îioble, situé sur ce rocher isolé. — Politesse de ma- dame Staurenghi, l'abbesse, je crois. Les marches dans l'intérieur du couvent sont en marbre noir ; je remarque qu'elles sont presque entièrement usées par les souliers de corde de ces pauvres reli- gieuses. Que de beaux yeux ont brillé en vain et perdu leur éclat dans cette pompeuse prison ! — Nous allons pêcher du pesce persico * sur le lac de Varèse, de là à Pallanza. Nous prenons une barque et nous voici aux îles Borromées.
A Pallanza, sur le lac Majeur, je rencontre un exilé. Admirable modération de ses idées ; il est vingt fois moins exagéré que les gens du pays. — On devrait faire en France des lois qui considé- rassent le citoyen par la quantité d'impôt qu'il paye. Ainsi, tout homme payant mille francs, pourrait publier un pamphlet par an, sans être soumis à d'autre justice que celle du jury. En suivant cette
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idée, on pourrait parvenir à diminuer le nombre des procès ; on })rotégerait le citoyen contre sa propre colère. — On j)ourrait ne soumettre qu'au jury les journaux publiés en langue étrangère.
Iles Borromées, 28 juillet. — Nous y sommes depuis deux jours ; je n'en puis rien dire, sinon (ju'on m'y eût appris que je venais d'obtenir le plus beau grade, que je ne me serais pas seulement donné la peine d'ouvrir la lettre.
Nous allons voir le colosse de Saint-Charles, près d'Arona. Au retour, je prends une barque, et je vais à Belgirate, à un quart d'heure des îles ; j'y trouve ma calèche, et je passe le Simplon comme un enfant.
[Genève, 2 août. — A Genève, j'ai été réveillé par les ridicules de la liberté. Est-ce qu'ils n'ont pas fait dire à M. Roum, un des membres célèbres du parlement d'Angleterre, qui discutait dans les sociétés la liberté de la presse dont les journaux de France étaient pleins, qu'il ferait bien de se mo- dérer ? Les termes de l'Avertisseur officiel étaient ce que j'ai vu de mieux depuis la déclaration de feu Tartufe *.
3 août. — La pruderie des femmes * est un article incroyable à force de ridicule et d'ennui. J'ai remar- qué qu'elles disent exactement la même chose à
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chacun des étrangers qu'on leur présente. Etre aimables, povir elles, c'est répéter la formule d'ama- bilité que leur a montrée leur bonne : rien ne peut les faire sortir de ce cercle ; elles croiraient manquer à la vertu. Ainsi, vivacité, naturel, aperçus nou- veaux, laisser-aller, qui font le charme de la société, tout cela est pétrifié à Genève. Je viens de m'aper- cevoir que c'est la caricature des Anglaises. Pour comble d'insipidité, la conversation est toujours guindée sur les grands sujets de liberté, d'amour, de bonheur domestique, de peinture des passions, etc. ; et là-dessus, ces dames ont leur leçon faite et apprise par cœur, qu'elles vous débitent, tou- jours la même. Il faut voir la mine qu'on vous fait si vous vous avisez d'être naturel dans ces discus- sions interminables. L'autre jour, pour avoir admis la possibilité de l'amour hors du mariage, à la soirée de la maison P..., madame C..., qui m'avait présenté, m'a fait de gros yeux ; toutes les demoi- selles ont rougi : j'ai vu que j'avais dit une sottise que j'ai raccommodée de mon mieux, et assez mal. Or, comme on sait, la possibilité de l'amour hors du mariage est en effet une chose inouïe.
Il faut toujours discuter les grands intérêts de la vie, et être toujours hypocrite dans la discussion. Là-dessus, je dis : A la bonne heure se gêner à la cour, où l'on gagne des titres ou du pouvoir ; mais se gêner à Genève !
Les femmes y sont belles ; mais cette incroyable
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pruderie, dont jiorsonnp, 30 crois, n'a parlé, se re- trouve jusque dans l'air des visages ; cela donne aux figures un fond de froideur et de désintérêt qui repousse la sympathie. Je prends pour bonnes toutes ces vertus de Genève ; c'est la ville où il y a le moins de maris trompés, et je ne voudrais pas pour tout l'or du monde être marié à Genève. Mal- gré mon horreur pour la vie morale de Naples, je la préférerais à celle de Genève : il y a au moins du naturel *.]
4 août. — On vient de me raconter que le grand et le petit Conseil de la république s'étaient assem- blés pour prendre en considération les malheurs qui pourraient trouver leur source dans le manque de subsistances. La question a été débattue sépa- rément dans les deux Conseils, avec cet esprit de calme et de prudence et cette liberté de pensées qu'on trouve si rarement ailleurs que dans les répu- bliques. Les magnifiques Conseils n'ont point dé- daigné les lumières du siècle ; ils ont consulté un ouvrage justement célèbre (Malthus), qui a trouvé un digne traducteur dans le corps si respectable des professeurs de Genève. Ils ont cherché à se ga- rantir surtout de cet esprit de légèreté qui a causé tant de malheurs chez une nation voisine ^. Après
1. Ce sont les propres termes de la proclamation aux habitants de la partie du pays de Gex réunie à la république.
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trois semaines de délibérations assidues, le grand Conseil, considérant qu'il est urgent de pourvoir à la disette, a décrété qu'à compter de ce jour le spectacle serait fermé ^.
Considérant de plus que ce n'est pas tout faire que d'assurer l'arrivage des grains, mais qu'il faut encore donner à la classe ouvrière et malheureuse les moyens de s'en procurer à des prix qui ne soient pas au-dessus de ses moyens présumés, les Conseils ont décidé :
Que le fastueux monument en brique élevé à la mémoire de Jean- Jacques Rousseau dans la rue où il est né serait démoli sans délai ;
Que cette rue, nommée Jean- Jacques Rousseau pendant l'usurpation, reprendrait le nom ancien et si respectable de rue du Chevelu.
5 août. — Je voudrais bien savoir quel est le voyageur qui a dit le premier qu'il y avait de la liberté en Suisse. A Genève, à Berne, vous avez quatre cents surveillants dont chacun veut faire parade de son pouvoir. Si vous les choquez par la manière de mettre votre cravate, ils vous persé- cutent. Chose ridicule à dire. Je crois qu'on est plus libre à Paris (août 1817) ; je ne dis pas en pro- vince. Nos philosophes ont assez déclamé contre cette ville de houe et de fumée. Quelle voix éloquente
1. Historique.
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s'élèvera yxniv nous montrer que les grandes villes forcent l'homme et les gouvernements à plusieurs vertus ^. Dans les arts le vrai beau ne peut naître {[ue là. Je n'oublierai jamais la musique de Genève ; c'est un des spectacles les plus singuliers que m'ait donnés mon voyage ; ces jeunes femmes posant leur tricot, s'a])prochent du piano, et se mettent à chanter les duos passionnés des grands maîtres !
6 août. — On me raconte qu'il y a eu, cet automne, sur les bords du lac la réunion la plus étonnante ; c'étaient les états généraux de l'opinion européenne. Pour que rien n'y manquât, on y a vu jusqu'à un roi *, qui peut-être y a jiris quelques leçons de savoir-vivre. Ai-je besoin de nommer le personnage étonnant qui était comme l'âme de cette grande assemblée ? A mes yeux, ce phénomène s'élève jusqu'à l'importance politique. Si cela durait quelques années, les décisions de toutes les acadé- mies de l'Europe pâliraient ^. Je ne vois pas ce qu'elles ont à opposer à un salon où les Dumont, les Bonstetten, les Prévôt, les Pictet, les Romilly, les de Broçrlie, les Brouçrham, les de Brème, les
1. Le style du mérite d'un homme suit la proportion du nombre d'habitants de sa ville. Un homme simple et grand comme Roum est perdu dans une ville de dix mille âmes. Un sot vernissé doit, au contraire, chercher une telle ville. Son habit répond pour lui.
2. L'Académie française est une loi contre la liberté de la presse.
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Schlegel, les Byron discutent les plus grandes ques- tions de la morale et des arts devant mesdames Necker de Saussure, de Broglie, de Staël.
Les auteurs écriraient pour être estimés dans le salon de Coppet. Voltaire n'a jamais eu rien de pareil. Il y avait sur les bords du lac six cents per- sonnes des plus distinguées de l'Europe : l'esprit, les richesses, les plus grands titres, tout cela venait chercher le plaisir dans le salon de la femme illustre que la France pleure ^. On osait plaisanter un grand prince.
[8 août. — J'ai trouvé à Genève le même patrio- tisme d'antichambre qu'en Italie. A propos de leur lac, ils se fâchent dès qu'on veut le mettre à sa place, c'est-à-dire fort au-dessous des lacs du Milanais, et même du lac de Thun.]
Lausanne, 10 août. — Je trouve plus d'idées nou- velles dans une page anglaise que dans un in-octavo français. Rien ne peut égaler mon amour pour leur littérature, si ce n'est mon éloignement pour leurs personnes. Si vous faites une prévenance à un An- glais, il en profite pour placer un signe de hauteur. Timides en société avec tout ce qui passe pour supé- rieur, ils sont presque insolents avec tout ce qui a
1. Lorsqu'on ne peut éteindre une lumière, on s'en laisse éclairer.
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l'air (le céder. Il faut être juste, il y a chez ces gens-Ki un principe de malheur ; ils tirent du venin des choses les plus indifférentes. Ce sont les plus insociables des hommes, et peut-être les plus mal- heureux. En Italie, l'affaire de Gênes a commencé à en dégoûter. Leur incroyable mesquinerie achève de les faire mépriser même des garçons d'auberge ^. Si j'entre dans des détails bas, ce sont les couleurs du tableau. A Naples, ils se faisaient dire des sot- tises tout haut par les garçons du restaurateur Villa, en leur offrant gravement, après dîner, un sou ou deux. A Monza, ils se font montrer la couronne de jer, ce qui exige un petit cérémonial et occupe deux gardiens pendant une demi-heure : ils donnent vingt-cinq centimes. Je viens de lire ce passage de ma lettre à quatre Anglais de Vliigh-life, en les priant d'attaquer la véracité de mes assertions : ce qu'ils n'ont pu faire. Pour être considéré d'un Anglais, il faut jouer au plus froid. Lavater seul indique ce procédé ; on le lit sur leurs figures de bois. L'Anglais est comme le provincial en France : ne jamais paraître intéressé par ce qu'on lui dit ^.
1. Si c'est un devoir d'être poli, il est niais de ménager les insolents. M. Scott, lord Blaincy, le prêtre Eustace, ont dit sur les Français des choses plus fortes et qui ne sont pas fondées sur les faits. Eustace appelle le Musée du LouA're une écurie. Cela va bien aux gens qui ont placé leurs pauvres marbres d'Elgin sous un hangar.
2. Ils font trop de mouvement pour avoir beaucoup d'esprit.
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Toute ville au-dessous de cinquante mille âmes n'est pas digne de mon attention. Il faudrait y passer trois mois pour arriver jusqu'au vrai mérite, s'il y en a. Les habitudes repoussent le voyageur. La seule démarche désoccupée des gens d'une petite ville me conduit à la poste pour demander des chevaux. Ils n'ont pas de motif pour agir vite. Lausanne est la seule exception pour moi.
20 août. — Avant de quitter tout à fait, du moins par mes souvenirs, la terre du génie pour m'enfoncer dans le sombre septentrion, il faut que j'écrive deux ensembles d'idées : 1° une étude faite d'après une bande de voleurs du pays de jXaples ; 2° l'état du Parnasse musical italien.
Je n'ai pas le temps d'écrire l'enterrement de la princesse Buoncompagni, à Rome, et mon étonne- ment mêlé d'horreur lorsque je trouvai à l'église des Apôtres cette jeune et superbe femme de dix- neuf ans, avec du rouge, couchée sur son cata- falque, et entourée de sept à huit prêtres à moitié endormis, vers les minuit *.
L'Eglise cherche tous les movens d'augmenter l'horreur de la mort. Elle a réussi, du moins pour moi. La mort, qui sur le champ de bataille ne m'avait jamais paru qu'une porte ouverte ou fermée, et qui, tant qu'elle n'est pas fermée, est ouverte, me poursuit d'une image horrible depuis que j'ai vu cette figure céleste avec son rouge. Que dirais-je de
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l'horreur du leiuleuiain, lorsque, ù la nuit toniLante, je la vis portée dans les rues, étendue sur un lit de repos, et toujours la tête découverte ? Le jeune prince Buoncompagni l'avait épousée par amour, et la famille, qui ne l'avait pas voulu reconnaître, venait de pardonner depuis peu. Elle avait été longtemps réfugiée dans un couvent ; leurs amours furent toujours inallieureuses. C'est un des jilus sombres souvenirs que je ra]q)orte d'Italie *.
PARNASSE MUSICAL d'iTALIE EN 1817.
Madame Catalani, — MM. Galli, — Crivelli, — Tachinardi, — Yelluti, castrat, — Davide, le fds.
Ténors.
Nozzari, — Ronconi, — Donzelli, — Monelli, — Bonoldi, — Curioni, — Pasta, — Ambrogetti.
Cantatrices.
Mesdames Correa, — Festa, — Fabre, — Colbran,
— Chabrand, — Bassi (la comtesse), — Bassi •{Eleonora), — Manfredini, — Belloc, — Pasta, — Crespi-Bianchi, — Ester Monbelli, — Anna Mon- belli, — Eiser, — ■ Bonini, — Xapollon, — Liparini,
— Morandi, — Camporesi, — Paer, — Marcolini (Fedele).
Rome, iSaplf.s et Flijrence, II 19
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Contraltos.
Mesdames Grassini, — Gaforini, — Malanotti.
Chanteurs bouffes
De Grecis, — Zamboni, — Paccini, — Bassi, — Casaciello, — Liparini, — Marcolini, — Giorgi.
Basses mezzo-carattere.
Pellegrini, — Remorini.
Vétérans.
Pacchiarotti, — Marchesi, — Crescentini, — madame Billington.
Nota. Les quartiers généraux des gens de théâtre sont Milan et Bologne. Une centaine de noms mé- diocres, que je ne transcris pas, ne trouvent d'em- ploi que dans le carnaval. L'admirable Crivelli et madame Camporesi sont à Londres. En 1817, l'Opéra de Londres a été aussi bon que celui de Paris est mauvais. UAgnese, Don Juan et la Clc' menza di Tito y ont été exécutés aussi bien qu'à Milan. Le charme a été si fort, que ce spectacle est devenu à la mode. La salle est une antique copie de celle de Milan. Chaque loge coûte deux cent cin- quante guinées pour soixante-deux représentations, et le billet de paiterre douze francs. L'orchestre est assez bon, les décorations presque aussi mau-
I
ROME, NAPLES ET FLORENCE 291
vaises que celles de France, les vêtements mesquins. On dit que l'année i^rochainc on fera venir un peintre de Milan, Fuentès ou Sanquirico. Pour la musique, Londres est plus sur la voie que Paris. Les Anglais n'ont pas de inétalent. Ils ont un goût passionné pour entendre chanter ; mais ils aiment également le bon et le mauvais. Nous n'en sommes pas encore là en France *.
COMPOSITEURS.
Rossini, né à Pesaro vers 1793, Tancredi, V lia- liana in Algeri, il Turco in Italia, Otello, la Cova- cenere (Cendrillon), la Gazza ladra, etc., — Pavesi, — Zingarelli, — Fioravanti, — Mayer, — Winter, - — Weigl, — Le chevalier Carafa, — Paccini fds, • — Mosca, — Mosca (Joseph), — Generali, — Fari- nelli, — Nazolini, — Coccia, — Orlandi, — Gnecco, Piémontais, mort, avait plusieurs parties de l'homme de génie, — Paganini, violon génois, égal aux Français pour l'exécution *, supérieur pour le feu et l'originalité.
Francfort-sur-le-Mein, 28 août. — Mon congé était originairement de quatre mois ; mais, comme je n'ai rien à faire dans ma place, on l'a prolongé de deux mois et demi. Ainsi je savais bien que j'étais en retard * ; mais j'espérais, parce qu'on espère quand on est heureux. Depuis huit jours, le cœur serré par la laideur du Nord, je voyais les choses
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plus en noii' ; ce matin j'ai trouvé, en arrivant, des lettres des ministres ; c'est tout ce qu'il y a de plus malheureux. Non seulement les ministres sous les ordres desquels je suis paraissent irrités, mais le ministre qui m'aime paraît dégoûté de me protéger. Au milieu de tout cela, j'ai manqué une distinction à laquelle j'avais toutes sortes de droits, et qui seule, depuis trois ans, maintenait mon ambition vivante.
J'ai couru tout Francfort ; ces petites maisons de bois avec le premier étage avancé de deux pieds sur la rue, ces animaux grossièrement sculjîtés en bois sur les boutiques, le gothique pauvre des édifices, le soleil voilé, tout me dit que les beaux jours de l'Italie sont finis pour moi. Au lieu de beaux-arts, je vais être condamné à entendre parler de nouveau de cet éternel traité de Westpha- lie. — Il faut l'avouer franchement, c'est un des moments les plus malheureux de ma vie. Il y a tous les détails ; par exemple, des collègues que je mé- prise ont obtenu les distinctions dont je suis plus éloigné que jamais. Ma réputation de mauvaise tête va être augmentée, et tout ce qu'il peut y avoir de bon en moi me sera compté comme faute ! Il faudra cent dîners, en bas de soie, avec des sots à rubans, et cinq cents parties de whist avec de vieilles femmes pour faire oublier un peu mon équipée ; et, pour comble de malheur, pas la moindre illusion, sentir que ces gens-là sont des sots, que dans dix ans
ROME, NAPLES ET FLORENCE 293
on les méprisera tout haut, et cependant perdre ma vie avec eux : je suis très malheureux ^.
J'y ai réfléchi, je recommencerais mon voyage si c'était à refaire : non pas que j'aie rien gagné du côté de l'esprit ; c'est l'âme qui a gagné. La vieillesse morale est reculée pour moi de dix ans. J'ai senti la possibilité d'un nouveau bonheur. Tous les ressorts de mon âme ont été nourris et fortifiés ; je me sens rajeuni. Les gens secs ne peuvent plus rien sur moi ; je connais la terre où l'on respire cet air céleste dont ils nient l'existence ; je suis de fer pour eux *.
1. L'auteur, qui n'est plus Français depuis 1814, est à un service étranger.
FIN DU JOURNAL
Rome, Xai'i.ss et Florence, I
APPENDICE
Le comte Alfieri, né à Asti en 1749, mort à Flo- rence en 1803, a laissé vingt-deux tragédies :
Filippo, 1789 ; scène : le palais de Madrid.
Polinice ; scène : le palais royal de Thèbes.
Antigone, représentée à Rome en 1782 ; scène : le palais de Thèbes.
Virginie ; scène : le Forum à Rome.
Agamemnon ; scène : le palais d'Argos.
Oreste ; scène : le palais des rois lombards, à Pavie.
Rosmunda ; scène : le palais des rois lombards à Pavie.
Octavie ; scène : le palais de Néron, à Rome.
Timoléon ; scène : la maison de Timophane, à Corinthe.
Mérope ; scène : le palais de Mécène.
Marie Stuart ; scène : le palais d'Edimbourg.
La Conjuration des Pazzi ; scène : le palais du Gou- vernement, à Florence.
Don Garcia ; scène : le palais de Côme P'", à Pise.
ROME, NAPLES ET FLORENCE 295
Saûl ; scène : le camp des Israélites, à Gelboë ; tragédie mêlée de musique.
Agis ; scènes : le Forum, et ensuite la prison pu- blique de Sparte.
Sophonisbe; scène: le camp de Scipion, en Afrique.
U Ancien Brutus ; scène : le Forum.
Mirra ; scène : le palais de Cynire, à Chypre.
Brutus Second ; scènes : le temple de la Concorde et la curie de Pompée, à Rome.
Alceste Première, traduite du grec.
Alceste Seconde.
Cléopâtre, première tragédie de l'auteur retrouvée depuis sa mort.
Comme le grand Corneille, il a fait l'examen de chacune de ses pièces. L'édition complète de ses œu^Tes a trente-neuf volumes in-S'^ ; à Padoue, chez Bettoni.
Je supplie que l'on ne juge pas de ces chefs- d'œuvre par la traduction française qu'on vend à Paris ; c'est le perruquier du coin traduisant Tacite.
Je viens de passer la soirée avec une douzaine d'enthousiastes du Dante, qui me l'ont gâté de toutes leurs petitesses. Ils voient tout dans le Dante, par exemple, une plus grande variété de caractères que dans Shakspeare. Ils criaient à tue- tête et tous ensemble. Ici, tout ce qui peut être quelque chose est imitateur du Dante. Jamais engouement ne fut moins absurde : mais son style
296 STENDHAL
sublime encourage le défaut qui corrompt toute l'Italie : une misérable enflure vide de pensées.
On voit que la même cause de décadence règne à peu près également des deux côtés des Alpes : chez nous, l'enflure tendre et niaise des souvenirs gothiques ; en Italie, l'enflure énergique et répu- blicaine des souvenirs romains. On nous prêche les Rogations et leurs touchantes processions ; en Italie, c'est la honte d'être asservi par les barbares.
Au reste, mes Italiens m'ont fort bien prouvé que, comme style tragique, le Dante est souvent fort supérieur à Racine. — Quoi donc ! on aurait eu meilleur goût à Florence, en 1300, qu'à la cour de Louis XIV, en 1660 ? — Oui, par la simple raison que Florence était vertueuse et républicaine, et qu'il fallait être spirituellement bas à la cour du grand roi ^.
*
* *
Chose évidente pour moi, les êtres qui sentent la musique sont séparés, par l'immensité, de nos littérateurs élèves de l'Université de Paris.
1. « Dieu m'a fait la grâce, madame, en quelque com- pagnie que je me sois trouvé, de ne jamais rougir de l'Evan- gile ni du Roi. » (Lettre de Racine à madame de Maintenon.) Comparez cela aux Mémoires de Capponi.
ROME, NAPLES ET FLORENCE 297
*
* *
Plus un Français est aimable, moins il sent les arts.
* * *
Manque de chaleur et aiïectation, voilà ce qu'on trouve en musique dès qu'on quitte l'Italie.
LE SOLDAT ITALIEN- ÉTUDE
Je remarquai près d'Osimo un homme couvert de haillons, mais d'une taille magnifique, qui travail- lait dans un champ. La fierté et la force de ses mou- vements annonçaient un militaire. En eiïet, c'est un sergent de grenadiers du huitième d'infanterie, presque tout composé de Romains. Il était élève en sculpture ; il déserta, fut pris, et allait être con- damné au boulet, lorsqu'il fut sauvé par l'intendant de la couronne, à Rome, un des hommes les plus faits pour faire chérir le nom français. Je passe cinq heures avec mon grenadier ; je voulais voir l'intérieur de ces cerveaux italiens qui ont connu la gloire, quoique fils de la superstition. Il me montre, dans sa chaumière, son uniforme entier ; il met du blanc sur sa bufïleterie tous les dimanches. Plutôt que d'user la moindre partie de son uniforme, il
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aime n:iieux paraître couvert de haillons, et les jambes nues et brûlées du soleil, comme tous les paysans italiens. J'acquiers sa confiance en me supposant à toutes les batailles où il s'est trouvé.
— Le courage français est une transformation de la vanité. Ce motif n'existant pas en Italie, il est remplacé en grande partie par la colère ; et, après le combat, ils x'iennent souvent jusqu'au milieu de leurs officiers égorger leurs prisonniers. Les blâmerai-je ? Non : je vois seulement qu'ils n'ont eu ni Louis XIV, ni chevalerie. Du reste, un revers les irrite au lieu de les décourager. — J'ai occasion de présenter à mon grenadier un Anglais de ma connaissance. Je vois bien distinctement que le sentiment des Anglais à notre égard est la jalousie de V infériorité qui se coyinaît. Ils méprisent souve- rainement les Allemands, les Italiens, les Espa- gnols. Au contraire, les moindres détails sur la France leur sont précieux, et ils blâment avec hypocrisie et rage concentrée les mêmes choses qu'ils portent aux nues un instant après, lors- qu'elles sont présentées en thèse générale. Mon Anglais, par exemple, accablait les Italiens du plus outrageant mépris, parce qu'au moral ce sont les fils de la France ; il parle de leur superstition.
— « Ignorez-vous, monsieur, qu'à Londres il paraît vingt ouvrages de théologie par semaine ? C'est plus que dans toute l'Italie. » L'Italie a les yeux sur la France, et il sera bien difficile de l'empêcher de
ROME, NAPLES ET FLORENCE 299
régler ses mouvements sur ceux de cet heureux pays. Mon soldat me fait les questions les plus détaillées sur nos généraux.
LA SOCIÉTÉ A ROME.
J'ai passé la soirée du jeudi avec le comte N***. C'est un homme très pieux et d'infiniment d'esprit. Il me dit iju'il n'a plus retrouvé la Rome de sa jeu- nesse.
Il parait que sous Pie \ l, qui, à la cruauté près ^, a été le Louis XIY de ce pays-ci, on s'amusait beau- coup. La com'ersazione de la princesse Santa Croce, connue à Paris par ses diamants, et celle de notre aimable cardinal de Bernis étaient des centres d'activité. Les Romains sont bien loin de cet heu- reux temps.
La société est une fleur de plaisir qui ne peut naître que lorsque l'eau de la source, troublée par la tempête des révolutions, a déposé le limon de l'esprit de parti et repris peu à peu sa première apparence. Le pape a hérité de l'excellente armée de Napoléon *. Les officiers, fiers des grandes choses qu'ils ont vues, n'ont plus ce respect servile pour le moindre monsignore. Les princesses romaines pré- fèrent un colonel à un cardinal *. Les sarcasmes des
1. Voyez RulliièrCj Histoire de la ré^'ocalion de l'édit de Nantes.
300 STENDHAL
philosophes donnent des mœurs à ceux-ci. Leurs maîtresses ne sont plus citées dans la Gazette à la main ^. Le peuple n'a plus cette aveugle soumission, parce qu'il n'y a plus de faste. Deux mauvais che- vaux attelés à un carrosse à train rouge, voilà le luxe d'un cardinal : autrefois leurs maisons effa- çaient celles des princes.
Le cardinal N... m'a invité à une cérémonie qui m'a fort amusé. Le jeune prince Rus..., âgé de vingt-deux ans, ancien aide de camp de Joachim, a été touché de la grâce, s'est fait prêtre, et j'ai assisté à sa première messe, après laquelle son père et sa mère ont été admis à l'honneur de lui baiser la main. Cette affaire a étonné. La révolution des mœurs dure encore à Rome : on ne sait pas trop ce qu'on fera ^. En attendant, la défiance ferme toutes les maisons, et il y a moins de société, infi- niment moins qu'à Padoue. Sans les jolis bals de
1. Comme du temps de de Brosses et du cardinal Alhani, 1740.
2. Voir Rome en 1814, par M. Guinan-Laoureins ; Bru- xelles, 1816.
« Ce n'est pas parce que les Anglais payent de grands « subsides qu'ils sont libres et riches, mais c'est parce qu'ils « sont libres jusqu'à un certain point qu'ils sont riches, et « c'est parce qu'ils sont riches qu'ils peuvent payer de « grands subsides ; c'est parce qu'ils ne sont pas assez libres « qu'ils en payent d'énormes, et c'est parce qu'ils en payent « d'énormes qu'ils ne seront bientôt plus ni libres ni riches. » (Commentaire sur l'Esprit des Lois de Montesquieu, p. 267 ; Liège, 1817) *.
ROME, NAPLES ET FLORENCE 301
milady ..., les étrangers auraient été réduits à faire des whist entre eux. Le banquier Torlonia, duc de Bracciano, a bien donné quelques fêtes, mais l'escompte dos billots de ban([uo a paru cher à plusieurs Anglais, et rien ne ressemblait moins aux com'ersazioni du cardinal de Bernis. Dans la bourgeoisie, certains esi)ions volontaires glacent tout. Il y a un cabinet littéraire chez l'imprimeur Cracas, au Cours. C'est là (jue nous nous donnions rendez-vous. Mais nos amis romains, quoique brû- lant de lire la Gazette de Lugano et le Constitutionnel, n'osaient s'y hasarder. Le gouvernement approuve cet établissement ; on dit même qu'il l'a conseillé ; mais certaines gens qu'on ma fait voir s'y rendent assidûment et prennent des notes sur les personnes qui viennent, pour les dénoncer dans un meilleur temps. J'ai vu un Romain se faire apporter les gazettes le soir ; son domestique allait les prendre dans une rue écartée, et ce descendant des Fabius mettait le plus grand soin à ce qu'on ne découvrît pas son stratagème.
A Naples, il y a aussi un cabinet littéraire, Con- trada di San Giacomo; mais l'abbé Taddei, qui fait la gazette du pays, et qui prouve trois fois par mois que nous sommes tous des Marat et des Robes- pierre, a été offensé, dit-on, des répliques du Journal des Débats, qu'il calomnie, et dont il obtient la suppression comme trop libéral, quatre fois la semaine.
302
STENDHAL
Il est vrai que ledit abbé laisse venir la Gazette de Lausanne. Je n'ai pas besoin de dire quels livres j'ai vus chez les libraires, les Préparations à la mort y sont en abondance. Parmi les trois cent quarante mille habitants de Naples, il peut y avoir trente penseurs de la force de l'abbé Galiani, mais ils se rappellent la fin de Cirillo.
* * *
Je n'ai plus que deux idées. — J'allais supprimer plusieurs expressions dures envers l'Italie, lorsque je me suis souvenu du Misogallo et des injures que les journaux littéraires prodiguent à la nation des simio-tisres *.
* * *
Dans cette petite brochure, tous les noms sont changés, les dates bouleversées, de manière à ne compromettre personne.
* * *
[J'apprends que la belle manufacture de M. Tais- saire à Troyes, dont les métiers avaient été brisés, s'est relevée plus florissante que jamais, et donne maintenant du travail à plus de huit cents ouvriers. Ainsi, ce beau pays de France, respirant des folies
ROME, NAPLES ET FLORENCE 303
du despotisme sous l'égide du plus sage des rois, fait des pas rapides dans la carrière du bonheur. La France étonne ses voisins ; elle va bientôt sur- passer l'Angleterre en prospérité. Depuis trente ans, nous avons gagné de la gloire et une constitution ; l'Angleterre a gagné des dettes et perdu son Ilaheas corpus. Une seule des lois que nous devons à la fer- meté de notre monarque arrêterait la chute de l'An- gleterre, qui se précipite rapidement vers l'abîme d'une révolution *.]
FIN.
TABLE DE L'APPENDICE
Préface 119
Bologne 120
Rome 121
Buste de Cimarosa au Panthéon 122
Singulière comédie 1 25
Atelier de Canova 127
.Xaples 128
Inconvénients de San Carlo 128
Retour à Rome 131
Eloge du cardinal Consalvi 133
Miracle nouveau 136
Thorwaldsen et Canova 139
Mœurs inconnues des Grecs 140
Société à Rome 141
L'auteur est sur le point de mourir de faim 144
Gouvernement de Pie VI et aria caltwa 146
Souhait anglais 147
Florence et les Monbelli 147
Etat de la langue italienne 150
Bologne et la Clémence de Titus 159
Tramezzani et Anelli 1 60
Les maris italiens 166
Vue de l'Apennin 167
Les amants d'Italie 169
Caractère florentin 171
Les principaux peintres 175
Les femmes an<ïlaises 177
:
UOME,
NAPLES ET FLORENCE 305
Caractère d'AlIicri 180
Jugement littéraire sur les tragédies d'Alficri 18.'!
Fcrrare cl ses agréments 189
Saint-Marin et le grand Frédéric 192
Urbin, férocité, défiance 194
De la beauté en France, en Italie, en Angleterre ... 196
Collines de Lorettc 198
L'ancien Paris 1 99
Pesaro 213
Pays de Venise 213
Rovigo 213
La Liparini 215
Pacchiarotti 216
Chaque ville est soi 217
Caractère vénitien 219
Bonheur de la France 219
Le paysan est vertueuv 220
La sympathie en Italie 221
Vengeance 222
Un costume national 223
Vie de Gœthe 224
Le Mercure du Rhin 226
Littérature de la féodalité 226
Un voyageur français 227
Venise 228
Un grand harpiste 229
Mœurs de Venise 230
Lord Byron 235
De l'envie 236
Comédie italienne 238
Souvenirs 241
Caractère piémontais 245
Caractère anglais 245
Les Pindemonti 246
La Scala 247
Ballet dramatique 250
Almanach royal de Milan 252
Rome, Naples et Florence, II 20
306 STENDHAL
Winter 253
Bergame 254
Mayer 255
Les amateurs d'Italie 255
Hôtel des Monnaies 256
ViUa Mehi 257
La Tramezzina 257
Villa Sfrondata 258
Italie morale 259
Renaissance de l'Italie 261
La Lombardie sous Joseph II 262
Progrès de l'Italie 263
Reproche 266
Grande faute 267
Chute 268
Sort futur de l'Italie 269
Pédantisme 269
MUan 273
Compensations 274
Les arts en France 275
Monticello 276
Varèse 277
Madonna del Monte 279
Genève 281
Société de Genève 282
Salon de Coppet 285
Des Anglais 286
Amabilité anglaise 287
Lausanne 287
La naort à Rome 288
Parnasse d'Italie 289
Parnasse musical 291
Retour 291
Appendice * 294
SUPPLÉMExNT
XOÏE DE L'ÉDITEUR
Los fragments inédits qui composent le présent supplé- ment j)roviennent des sources suivantes :
l" ASECDOTE DE LADDIXA
Nous donnons, sous ce titre, le texte du carton de huit pages, annoncé par le Journal de la Librairie de mars 1827, qui devait remplacer l'anecdote de Filorusso imprimée pri- mitivement dans l'édition non cartonnée de 1826. L'anec- dote de Laodina étant bien plus longue que celle de Filo- russo, l'imprimeur a dû employer des caractères plus petits, ce qui produit dans l'édition cartonnée un effet peu élégant. Colomb, ayant ignoré les cartons de 1827, a purement et simplement reproduit l'histoire de Filorusso. L'anecdote de Laodina, que nous réimprimons, est précédée de quelques paragraphes sur la Toscane qui ne se trouvaient pas non plus dans l'édition non cartonnée et que nous réimprimons également.
2» ASECDOTE DE GIXA
3° LES MARIOySETTES SATIRIQUES DE NAPLES
4» LES MARIOXXETTES DE ROME
Ces trois fragments sont tirés, comme la préface inédite, du volume de manuscrits, faisant partie de l'ex-collection Chéramy, et, actuellement, de la bibliothèque Cham- pion. Ils sont entièrement et très lisiblement écrits, au recto de feuillets in-folio, de la main de Stendhal, avec de nombreuses ratures et corrections ; l'anecdote de Gina est sur quatre pages, les marionnettes de Naples sur sept pages, les marionnettes de Rome sur douze pages. Stendhal parle de ces fragments dans une lettre à Mareste du 8 août 1824.
Rome, \aples et Florence, II 20.
310 STENDHAL
Il les a introduils dans l'édition de 1826 : on les trouvera aux dates des l^r octobre 1816, 20 juillet et 10 octobre 1817, mais avec des changements notables. Les pages suivantes constituent donc le premier jet de morceaux imprimés plus tard ; c'est à ce titre que nous les reproduisons : elles fourni- ront aux lettrés un exemple curieux de la méthode de tra- vail et de rédaction de Stendhal. Nous ne donnons d'ailleurs ci-après que les passages qui offrent des différences avec la rédaction définitive de 1826.
5° LES MARIOyXETTES TRAGIQUES
Nous donnons, sous ce titre, un fragment que nous avons eu la bonne fortune de retrouver dans le Globe de 1824. On sait que le premier numéro de cet intéressant journal littéraire (qui devint quelque temps plus tard philoso- phique et littéraire et, à partir du 18 août 1828, philosophique, politique et littéraire, pour cesser de paraître en 1832), fut mis en vente le 15 septembre 1824. Les n°s 9 et 12, des 2 et 8 octobre 1824, contiennent, sous le titre : « Italie. Les Fantoccini à Rome (Lettre) », un long article, qui est évidem- ment de Stendhal, quoiqu'il ne soit pas signé, sur les ma- rionnettes comiques, les marionnettes tragiques et les ma- rionnettes satiriques. La partie concernant les marionnettes comiques et satiriques est, à peu de choses près, le texte que nous allons publier sous les n°s III et IV du Supplément, et que l'on retrouvera incorporé, avec de nouvelles corrections, dans Rome, Naples et Florence, édition de 1826 : nous sommes donc en présence, pour ces deux anecdotes, de trois versions différentes : le premier jet (n°® III et IV du Supplément), une deuxième rédaction (texte du Globe, que nous ne réim- primons pas, mais auquel les curieux pourront se reporter), et la rédaction définitive telle qu'elle parut en 1826 dans le tome II de Rome, Naples et Florence. Nous nous bornerons à réimprimer, sous le présent numéro, toute la partie con- cernant les marionnettes tragiques (que Stendhal a aban- donnée en 1826), et la fin de l'article du Globe contenant d'intéressants renseignements sur les marionnettes de Giro- lemo à Milan. C'est presque de l'inédit, personne encore, à notre connaissance, n'ayant signalé cet article du Glohe^ qui rapporta sans doute quelques louis à Stendhal.
ROME, NAPLES ET FLORENCE
111
Ajoutons que notre auteur se servit une qiialricme fois de ses souvenirs sur les Marionnettes pour un article inséré en 1827 dans h- yew Monlldy Ma'^azine de Londres, et reproduit dans la Revue lirilannique de Paris sous le titre suivant : « Les Marionnettes. Comédie. Tragédie. M. Cassan- drino. Temisto. Ballet. Los Monsignori. » (Décembre 1827, ■nP 30, pp. 317-337). C'est le cinquième article d'une très jolie série intitulée : Souvenirs de V Italie, sur laquelle nous aurons à revenir dans notre édition des Promenades dans Rome.
6" DESCRIPTION DU MÉCANISME DU GOUVERNEMENT ROMAIN
Ce morceau, qui ne put, faute de place, être inséré, ni dans Rome, Naples et Florence, ni dans les Promenades dans Rome (voir notre note à la page 80 du tome II), a été heureusement recueilli par Romain Colomb, qui le casa dans son Journal d'un voyage en Italie (Paris, 1833, pp. 279-335). Il est probable que Stendhal le céda à son cousin et ami, en témoignage de reconnaissance pour sa collaboration au travail de mise au point des Prometiades < il lui céda également la description des Arazzi de Raphaël (pp. 191-202 du Journal de Colomb) et l'histoire du brigandage en Italie (pp. 228-259), sans compter mainte anecdote ou digression sur les mœurs, les femmes ou l'état politique de l'Italie ; ces quelque cent pages sont le seul attrait du livre de Colomb, par ailleurs insipide et plat. Le morceau sur le mécanisme du gouvernement papal nous a paru avoir sa place tout indiquée dans ce Supplément. Sa paternité ne saurait être mise en doute ; les lecteurs re- connaîtront, tout le long de ces curieuses pages, l'esprit, l'ironie et l'impiété de Stendhal, déguisés sous la froideur voulue d'une succession de petits faits secs et précis, tirés vraisemblablement d'ouvrages spéciaux, par exemple ceux de Pottcr et de Tamburini. « Cela n'est peut-être pas très amusant, dit Stendhal {Promenades dans Rome, 28 novembre 1828) ; mais, faute de cette connaissance positive, le voya- geur est exposé à se laisser persuader de singuliers men- songes. » Stendhal est trop modeste : le ton pince-sans-rire du morceau et l'abondance des traits sont d'une remarquable modernité ; Voltaire n'eût pas mieux dit, ni peut-être mieux
312 STENDHAL
écrit. Suivant un procédé favori de notre auteur, c'est un Italien qui est censé parler. On pourra au reste compléter cet aperçu de mœurs en grande partie disparues par les « croquis biographiques » contenus dans la lettre du 24 no- vembre 1835 (Corresp., tome III, p. 151).
Signalons enfin qu'à en croire Colomb (appendice iné- dit à sa Notice, publié par M. Casimip Stryienski dans les Soirées du Stendlial-Club, l''^ série, page 339), Stendhal aiirait publié dans la Replie de Paris de mars 1832 (tome XXXVI, p, 209) un article intitulé Rome et le pape en 1832. Cet article, qui occupe les pages 209 à 228, est ter- miné par la mention ; Blackwood-Magazine [sic). Nous avons trouvé en effet dans le Blackwood's Edinburgh Magazine de mars 1832 (tome XXXI, n» 192, pp. 535-550) un long article sur doux colonnes, intitulé : The papal government, et non signé. Les deux articles ont donc paru simultanément en France et en Angleterre; mais celui de la Revue de Paris n'est qu'une traduction, sensiblement abrégée, du Blackwood's Magazine. Il est possible que le fragment inséré par Colomb dans son Journal et que nous réimprimons, représente les notes rédigées par Sten- dhal dans la période 1824-1826, et dont il se serait servi, en 1832, pour écrire un article de revue : nous aurions donc encore ici une sorte de premier jet de cet article.
D. M.
ANECDOTE DE LAÛDINA
ToRiNiERi, 3 février 1817. — ... Les filles d'un aubergiste à son aise sont beaucoup moins séparées de la société ici qu'en France ; personne en Italie n'a jamais songé à copier les manières d'une cour brillante. Quand Ferdinand III paraît au milieu de ses sujets, il ne produit d'autre elFet que celui d'un particulier fort riche, et par là peut-être très heureux. On juge librement son degré de bonheur, etc. Il n'entre dans la tête de personne d'imiter ses manières. Tout le monde chérit le grand-duc et son gouvernement.
A Paris, quelques jeunes gens, nés depuis la Révo- lution, se sont avisés qu'on s'ennuyait quelquefois à ces tragédies de Racine, qui semblaient ravis- santes aux courtisans du grand Roi vers 1670, Il faut, disent-ils, que les tragédies de 1827 s'adres- sent aux sentiments qui, en 1827, font battre tous les cœurs.
Si l'on voulait appliquer le principe romantique aux gouvernements, on trouverait peut-être qu'il
314 STENDHAL
n'en est point d'égal à celui de Toscane. Il ne se passe pas de jour que je n'entende bénir la sagesse et la justice de l'administration du grand-duc ; l'on porte aux nues la bonté et la modération du souverain. Ferdinand et Léopold ont trouvé la seule manière de rendre une révolution impossible ; ils se sont concilié l'amour de tous.
Rien de plus modéré et de plus sage que l'esprit qui anime la plupart des nobles toscans. Il y a beau- coup de raison dans ce pays ; elle n'est pas triste comme en Amérique, ou sujette, comme à Paris, à changer suivant la mode. Les rêveries de Platon ou de M. de Maistre ne feraient pas fortune ici ; la Toscane est le pays de la bonne logique.
Près Bolsena, 5 février, pendant une longue montée. — Mon compagnon dort à mes côtés ; j'abrège l'anecdote suivante qu'il vient de me ra- conter.
]\Iarco Rimini, me disait-il, est un marchand de Milan qui, il peut y avoir trois ans, maria sa fille Laodina à un jeune homme nommé Teranza, aussi négociant, et dont il était tuteur *. Laodina eut deux enfants ; elle était sage et pieuse autant que belle. Je ne sais plus qui me la fit remarquer, en passant par la place du Dôme, comme la plus jolie des riches marchandes, qui conservent encore l'ancienne habitude de passer chaque jour quelques heures à leur comptoir. Je ne manquais jamais de
I
ROME, NAPLES ET FLORENCE 315
in'arrêter devant cette boutique ; et quelquefois, à travers les châles et mousselines exposés en montre, je parvenais à voir cette figure angélique. Laodina n'était pas grande ; elle avait des cheveux blonds, un œil modeste ; elle était fort pâle ; l'ensemble de sa figure avait quelque chose de sérieux et de tendre. Il peut y avoir six mois que son mari la soupçonna d'aimer Valterna, jeune marchand qu'elle connaissait depuis longtemps. Le mari, jaloux, défendit à Valterna l'entrée de sa maison, et même lui fit donner, par deux buli, une volée de coups de bâton. Le mari finit par avoir recours à la police, pour qu'elle prescrivît à Valterna de ne plus passer sous ses fenêtres. Le 18 janvier, il y aura jeudi trois semaines, Laodina alla au théâtre de la Canobhiana, où l'on donnait Paul et Virginie. Son amant était au parterre, et la regardait beaucoup ; elle avait la loge n<^ 5, à la première file. Laodina se montra plus gaie que de coutume ; seulement on s'^est sou- venu qu'à un certain passage de la pièce, elle dit : « C^est ainsi que finissent les i'rais amants. »
Dès le matin, Laodina avait envoyé ses enfants chez sa mère. De retour chez elle, vers minuit, elle présenta à son mari un verre d'agro di cedro (sorte de limonade), où elle avait mis un peu d'opium ; elle en prit un elle-même, où il y avait du poison. Les époux se couchèrent : il paraît que quand Lao- dina vit son mari endormi, elle l'enferma à clef dans sa chambre, et introduisit son amant Valterna
316 STENDHAL
dans la première pièce de leur petit appartement. Vers les trois heures, les voisins entendirent une explosion ; mais, tout restant tranquille, ils se ren- dormirent.
Le lendemain, à dix heures du matin, le beau- frère de Teranza, qui avait ouvert sa boutique, étonné de ne pas le voir paraître, fit tant de bruit, qu'il parvint à l'éveiller. Transporté de jalousie en ne voyant pas sa femme à ses côtés, Teranza enfonce d'un coup de pied la porte de sa chambre. Quelle n'est pas son horreur, quand il aperçoit sa femme et son amant étendus morts près l'un de l'autre ! Ils avaient deux paires de pistolets, l'une à capsule, l'autre à pierre ; ils avaient fait usage de la première. Laodina n'était pas du tout défigu- rée par le coup de pistolet, qu'elle s'était tiré au fond de la bouche. Elle portait au cou le portrait de son amant ; elle avait les bagues qu'il lui avait données. Elle tenait de la main gauche un second pistolet chargé et armé, dont elle n'avait pas eu besoin. Teranza, sans dire un mot à qui que ce soit, ferme sa porte à clef, et se rend à la police pour annoncer cette catastrophe. Sa jalousie était con- nue ; on le retient prisonnier jusqu'à ce que le rapport des oiliciers de santé ait constaté le sui- cide. Comme les Allemands ont lu Werther, ils ont permis que les deux amants fussent enterrés en- semble dans le Campo Scellerato. Le surlendemain, on a fait de la musique sur leur tombe *.
KOME, NAPLES ET FLORENCE 317
Probablement on publiera leurs lettres. On y voit que jamais Laodina n'a manqué à la foi jurée à son mari. Un combat cruel entre sa vertu et son amour l'a déterminée à se donner la mort, et son amant n'a pas voulu lui survivre. Ils étaient déter- minés à mourir dès le 25 octobre ; divers événe- ments domestiques, et entre autres la mort du père de ^'alterna, ont retardé la catastrophe jus- qu'au 18 janvier. Dans plusieurs de ses lettres, Valterna veut persuader à sa maîtresse de fuir avec lui ; en réponse, elle lui reproche son manque de courage. « En fuyant, lui dit-elle, pauvres, vous et moi, nous ne pouvons éviter de tomber dans la misère, qui, peut-être, nous portera à commettre des actions honteuses : la mort vaut mieux. » On trouve les lettres de Laodina admirables ; toute la Lombardic discute les détails de cette anecdote *.
II
ANECDOTE DE GIN A
Un homme fort riche, Zilietti *, banquier de Milan, arrive un jour à Brescia : il vole à l'opéra, il y voit une jeune femme d'une figure frappante. Il lui parle ; elle s'appelait Gina ; son mari était le coiffeur à la mode de Brescia. Ici la musique et l'amour font toute la conversation d'une duchesse comme de la femme de son coiffeur ; et, quand celle- ci a de l'esprit, la différence n'est pas fort grande. Il y a des fortunes différentes, mais il n'y a pas de mœurs différentes. Tous les Italiens parlent des mêmes choses, chacun suivant son esprit. C'est un des traits frappants de l'état moral de l'Italie : la conversation du plus grand seigneur et celle de son valet de chambre sont la même *. C'est qu'vme cour dédaigneuse ne s'est pas amusée pendant deux siècles à créer des mots ou des manières ignobles.
Zilietti, qui ne devait que passer à Brescia, s'y arrête trois jours ; le quatrième, il enlève la femme du coiffeur *.
Il \at ici avec elle depuis seize ans ; elle est encore fort belle ; elle en a trente-cinq, et je lui ai été pré- senté ce soir dans sa loge, où pour la première fois de ma vie j'ai joué au tarocco.
320 STENDHAL
Il y a six mois, son amant était malade, car, depuis deux ans, elle a un amant, Radaelli *, ce charmant poète qui ressemble si peu à nos poètes de l'Académie et qui est maître de langue pour vivre. Zilietti, toujours amoureux à la folie, — après seize ans, notez bien, — est jaloux comme un tigre, et nullement par vanité ; il ne va plus dans te monde depuis seize ans qu'il aime Gina. Celle-ci, hors d'elle-même de savoir son amant en danger, se procure des habits d'homme, et, ne voulant pas se compromettre avec ses gens, invente de des- cendre de son balcon dans la rue, c'est un premier étage fort élevé à Vltalienne. Elle descend par une échelle de corde, et, à deux heures du matin, elle va chez son amant habillée en homme. Celui-ci est ravi : il n'était triste de mourir que parce qu'il ne pouvait espérer de la voir encore une fois avant ce dernier moment
Certainement, rien au monde ne semblerait plus ridicule aux belles dames de Paris et de Londres, et moi qui admire une telle équipée, je m'attends bien à partager le ridicule.
Tout cela m'a été conté par un ami intime de Gina qui ce soir m'a présenté à elle. Je ne prétends pas approuver de telles mœurs, mais je suis atten- dri, exalté ; demain, il me sera impossible de ne pas approcher Gina avec respect ; mon cœur battra comme si je n'avais que vingt ans. Or voilà ce qui ne m'arrive plus à Paris ou à Londres.
III
LES MARIOSXETTES SATIRIQUES DE AAPLES
Naples, le
Je VOUS ai parlé des marionnettes conii([iies, des marionnettes tragiques * ; il me reste une tâche bien plus difficile : c'est de vous décrire une représenta- tion qui m'a fait un plaisir bien autrement vif.
Après un serment fort sérieux d'être à jamais discret, j'ai vu des marionnettes satiriques. Il faut savoir cjue j'ai retrouvé ici une famille de gens d'esprit, mes anciens amis, extrêmement dévots en apparence, mais au fond carhonari s'il en fut. Le résultat de la confiance qu'on a dans ma discrétion a été de me faire admettre à une comédie satirique, dans le goût de la Mandragore de Machiavel, jouée par des marionnettes. Dès les premières scènes, la pièce m'a rappelé le délicieux proverbe de Collé intitulé : La Vérité dans le vin. Mais ici il y a \xn feu. une vie dramatique, une énergie baroque dans les situations et dans le style, qui laisse bien loin les proverbes spirituels et fins, mais froids et décolorés, de Collé et Carmontelle.
Rome, ><aples et Florence, II 21
322
STENDHAL
La farce d'hier soir est intitulée : Si farà si o no un Segretario di Stato ? (Aurons-nous un premier mi- nistre ?)
Le principal rôle est rempli par un non moindre personnage que Pie VII, le pape actuellement ré- gnant, qui abhorre son pro- segretario di Stato (son premier ministre par intérim), le cardinal délia Roçere *, vieillard de quatre-vingt-deux ans, autre- fois libertin fort adroit et grand séducteur de femmes^ mais qui a presque tout à fait perdu la mémoire : ce qui ne laisse pas de produire un singulier effet dans la place de premier ministre
J'ai remarqué avec plaisir que le manque de respect envers S. S. Pie VII se bornait à le faire paraître sur la scène. Le rôle qu'on lui prête n'est pas ridicule, j'oserais même dire que ce rôle est l^lus beau que nature. Ce prince, affaibli par l'âge, n'a plus de volonté ; on retrouve au contraire quelques restes d'énergie dans la comédie dont le cadre (Vossatura) a été fait par un abbé fort malin qui me semble l'amant d'une des maîtresses de la maison. Un abbé n'oublie jamais en Italie qu'il peut avoir un moment de fortune et devenir car- dinal.
Ai-je besoin de vous rappeler que le cadre de la petite comédie est toujours convenu d'avance entre les acteurs, ou, pour mieux dire, entre les personnes qui doivent parler pour les marionnettes. Ce cadre est fixé dans la coulisse sur un pupitre éclairé par
ROME, NAPLES ET FLOP.EXCE 323
deux bougies. Il y a autant d'acteuvs dans la cou- lisse, parlant pour les marionnettes, (ju'il y a do personnages dans la pièce.
L'actrice qui parle pour l'amoureuse de la comédie est toujours une jeune personne. Je me souviens qu'un jour à Rome, au théâtre du palais Fiano, je ne trouvai de place qu'au parterre, tout à fait près de la rampe. Malgré moi, je voyais la jeune fille qui parlait pour l'amoureuse, et ce malheur détruisit sur-le-champ ce faible degré d'illusion nécessaire pour que le plaisir dramatique soit pro- duit. Je sortis bien vite ; mais, avant que de quitter le théâtre, je remarquai les gestes de la jeune fille parlant dans la coulisse : ils étaient aussi animés et bien plus naturels que si elle-même se fût trouvée en scène ; et je me souviens qu'elle déplorait la mort de son amant, et avec tant de naturel et de vérité, que trois ou quatre fois le public l'interrompit pour l'applaudir.
En général le dialogue improvisé des marion- nettes est plein de naturel et riche d'inflexions, les acteurs parlent bien mieux que s'ils étaient eux- mêmes en scène : ils n'ont à s'occuper ni de leurs gestes ni de l'expression de leurs physionomies
Ce genre de comédie, quand il ne tombe pas dans le plat défaut d'être méchant et trop satirique, mais quand il reste gai, naturel, comique, de bon ton, est suivant moi l'un des plaisirs les plus vifs que l'on puisse goûter dans les pays despotiques.
324 STENDHAL
Je voudrai;; qu'on introduisît ce genre de plaisir à Paris. Il serait plaisant, au sortir de l'audience d'un ministre, de retrouver Sa Grandeur avec sa toge sur un théâtre de marionnettes.
A propos de despotisme, j'ai oublié de dire à Rome que le premier acteur du théâtre de marion- nettes du palais Fiano va régulièrement en prison trois ou cjuatre fois par an. Il paye les deux ou trois espions que la police entretient pour faire un rap- port sur l'indécence de l'improvisation de chaque soir. Mais, au lieu de les payer après, il leur compte leur argent avant la représentation, et d'ordinaire les pauvres gens, à demi ivres, sont hors d'état de faire un rapport bien sévère. Ce qui caractérise bien un pays despotique, c'est qu'à Rome, le direc- teur des marionnettes et son associé, le mécanicien qui les fabrique, soldent chaque soir toutes les dépenses du théâtre, comme s'il ne devait jamais rouvrir et se trouver fermé le lendemain. Ils se re- tirent chaque soir, m'a-t-on assuré, avec un béné- fice net de cinq écus (vingt-huit francs) *.
IV
LES MARIOyyETTES DE ROME
Rome, 11'
Il pleut à verse ; impossible de faire notre course au cirque de Caracalla, que M. Nystrom, cet homme d'esprit, Suédois, voulait bien nous démon- trer. Je vais, mon cher ami, ^ ous parler des Marion- nettes : c'est une des choses les plus singulières que j'ai vues dans ce pays.
Il y a quinze jours, à cinq heures et demie, je sortais du café Ruspoli. Ce café, situé sur le Corso, le Bondstreet, la rue à la mode de Rome, se com- pose de huit salles magnifiques, ornées de peintures à fresque sur les voûtes et de marbres antiques le long des murs. Dans la plupart de ces salles, les peintures se détachent sur un fond d'or. Elles ont de grandes portes-fenêtres qui ouvrent de plein pied sur un jardin rempli d'orangers dont les oranges sont jaunes et prêtes à cueillir. Tout cela est magni- fique, dircz-vous. Hélas ! tout cela est garni depuis dix ans de je ne sais combien de milliers de toiles •d'araignée, qui portent le témoignage de la paresse
Rome, Xaples et Florence, II 21,
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des Romains, et de leur horreur pour le travail. Les gens du Nord, faibles, blonds, étiolés, ont hor- reur de ces toiles d'araignée ; elles leur cachent tout à fait la magnificence de ce palais, que dix laquais avec des balais rendraient fort propre en une demi- journée.
Je sortais donc avant-hier soir * de ces salles magnifiques et pourtant si choquantes pour nous qui sommes habitués à la propreté de Londres. Vis-à-vis le café, se trouve le palais Fiano : un homme à la porte d'une espèce de cave disait : Entrate, o signori !... (Entrez, entrez, Messieurs, voir la farce, ça va commencer). J'entre en effet dans ce singulier spectacle pour la somme de vingt- huit centimes
Le peuple de Rome est peut-être celui de toute l'Europe qui aime le mieux la satire fme et mordante. Son esprit extrêmement fin saisit avec avidité et bonheur les allusions les plus éloignées. Ce qui le rend si fort au-dessus du peuple de Londres par exemple, c'est le désespoir. Accoutumés depuis longtemps à regarder leurs maux comme inévi- tables et interminables, les bourgeois de Rome ne se mettent point en colère contre le pape ou contre son ministre, ils ne désirent pas leur mort : ces mi- nistres seraient remplacés par d'autres également méchants. Ce qu'il veut avant tout, c'est se moquer d'eux, rire à leurs dépens : de là les dialogues si if
célèbres en Europe de Pasquin et Marjorio. L'on
ROME, NAPLES ET FTORENCE 327
ne saurait rire aux dépens des puissants du jour dans les comédies qui passent à la censure la plus méticuleuse avant d'être représentées ; le rire s'est donc réfugié aux Manonr^ettcs. qui jduent toujours des pièces improvisées. J'avais besoin, mon cher ami, de cette longue préface, faute de laquelle vous n'auriez pas manqué de vous écrier : « Mauvaise tète ! Esprit romanesque ! »
Je vous dirai donc, sans craindre vos plaisan- teries, que j'ai passé une soirée délicieuse aux ma- rionnettes du palais Fiano
Vous avez à Londres la manière à la mode, pour un officier des gardes, de se promener dans Bond- street ; ici, un jeune monsignore de grande maison, par exemple monsignor Spada, a une certaine ma- nière de marcher et d'entrer dans un salon qui sur- le-champ fait deviner le rang qu'il occupe
Les spectateurs s'écriaient à tous moments : brai'a la ciabattina ! On savait que cette cavatine était chantée dans la coulisse par la fdle d'un save- tier qui a une voix superbe et à qui V imprésario des marionnettes donne un écu (cinq francs soixante centimes) chaque soir pour chanter un air
Cassandrino en un mot étale tous les ridicules d'un vieux garçon, nomme par des sobriquets tous les marchands à la mode de Rome, indique jiar ses gestes les fats célèbres ou l'étranger (et il y en a tou- jours un) qui par l'excès de ses ridicules parvient
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à se faiio connaître du peuple de Rome. A chaque mot, il approche sa chaise de celle de la jeune fdle. Mais une si agréable visite est interrompue par le jeune peintre, frère de la demoiselle, qui paraît avec des favoris énormes et des cheveux bouclés fort longs : c'est ici le costume obligé des gens de génie ; je crois qu'il a été inventé par le peintre Bossi de Milan, un des charlatans les plus heureux de ces derniers temps *
Celui-ci, resté seul avec sa sœur, lui dit : « Com- ment avez-vous l'imprudence de recevoir en tête-à- tête un homme qui ne peut pas vous épouser ? » Ce trait fort clair et qui désigne l'état de Cassan- drino a été applaudi à tout rompre, apparemment par des maris vexés de voir des prêtres chez eux
Voilà l'esquisse imparfaite d'une farce délicieuse qui constamment a fait rire les spectateurs à gorge déployée, ou leur a donné cette sorte de rire inté- rieur et contenu encore plus agréable
LES MARIOXXETTES TRAGIQUES
Mon cher V..., vous insistez pour que je vous dise quelque chose de la Ville éternelle, que j'ai habitée pendant quelques mois ; mais quelle partie de son bizarre aspect, moitié antique, moitié mo- derne, pourrais-je choisir pour texte, qui n'ait été rebattue par les innombrables voyageurs de tout pays, de tout sexe, de toute condition, qui s'y sont succédé depuis dix ans ? Rêvant au choix d'un sujet, comme je descendais le Corso, je fus tiré de mes idées par les vociférations d'un homme qui, à l'entrée d'une espèce de cave sous le palais Fiano, criait à tue-tête : « Entrate, o signori, etc. Entrez, Messieurs, entrez, on va commencer ! » J'entrai, et je trouvai ce que je cherchais pour vous, xm sujet encore vierge. En payant trente-huit cen- times, je pus assister à un spectacle de marion- nettes *
Ce ne fut que trois jours après, que je pus trouver une soirée libre pour revoir mes chers fantoccini du palais Fiano ; mais alors la nature du spectacle avait changé du doux au grave, du plaisant au
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sévère. On nous donna tout simplement en prose une tragédie intitulée Temisto, et je crains presque de vous faire rire, en vous avançant que ce soir je pleurai presque autant que j'avais ri la première fois. Voici la tragédie de Temisto, qui produisit tant d'émotion, bien que représentée par des ac- teurs de douze pouces. L'action se passe en Grèce pendant la célébration des fêtes de Bacchus. Le roi Cresphonte fut d'abord marié à Temisto, dont il eut un fils, nommé Phlistène. Erista, femme aussi méchante que belle, ayant conçu une passion vio- lente pour le roi, lui persuada que Temisto lui était infidèle ; bientôt après, la reine outragée disparut, et fut, par les intrigues d' Erista, vendue comme esclave à quelques Egyptiens, qui l'emmenèrent avec eux dans leur pays. Le roi alors épousa Erista. Dix ans après, Temisto revint d'Egypte sous un autre nom, et, comme elle était profondément versée dans les mystères mythologiques de cette contrée, elle fut élevée à la dignité de grande-prê- tresse de Bacchus, et devint confidente de la méchante reine Erista. Cette exposition, qui pourra vous paraître longue à la lecture, fut improvisée d'une manière claire et rapide aux Fantoccini : le style avait du naturel et du mouvement. A la vérité, l'histoire était légèrement altérée, et on voyait bien que c'était un Italien du xix^ siècle, et non un Grec des temps héroïques, qui parlait ; mais ce défaut était compensé par l'extrême viva-
ROME, NAPLES ET FLORENCE 331
cité du dialogue, qui devint quelquefois si pressé, c[ue les interlocuteurs s'interrompaient l'un l'autre, sur quoi une salve d'applaudissements éclatait dans l'assemblée. A l'ouverture de la tragédie, la reine Erista veut assassiner Phlistène, et, dans ce dessein, elle s'adresse à la grande-prêtresse de Bacchus, qu'elle charge de l'exécution du meurtre, comme pouvant aisément l'accomplir au milieu de la licence des Bacchanales. Temisto, quoique saisie d'horreur à la proposition de détruire son propre fils, feint d'y consentir, de peur que la reine ne confie cette exécution à d'autres mains. Il serait trop long de suivre en détail le développement de cette tragédie. Le fond du sujet et la manière dont l'action se noue m'ont rappelé la Mérope de Voltaire. J'ajouterai seulement que, dans la der- nière scène, l'émotion des spectateurs fut portée à son comble, et que j'ai vu rarement, pour ne pas dire jamais, couler des larmes aussi vraies et aussi abondantes à une représentation tragique donnée par des acteurs de chair et d'os.
Après vous avoir parlé des fantoccini tragiques et comiques, je terminerai cette lettre, beaucoup trop longue, par quelques mots sur les fantoccini satiriques. Ayant rencontré ici une charmante famille que j'avais intimement connue à Naples, sous le règne de Murât, je fus invité à une représen- tation particulière d'une comédie satirique dans le genre de la Mandragola de Machiavel. Dans cette
332
STENDHAL
pièce, les mœurs actuelles de quelque^ grands de Rome sont retracées avec une fidélité étonnante. Dès la première scène, on se rappelle les proverbes français de Carmontelle, et l'admirable vérité avec laquelle cet écrivain, trop peu apprécié, a peint les mœurs des Français sous Louis XVI. La pièce que je vis dans cette circonstance avait pour titre :
Fera-t-on ou non un Secrétaire cTEtat * ?
J'oubliais de vous dire que le principal acteur, ou, pour parler plus justement, le principal orateur du palais Fiano, va régulièrement trois ou quatre fois par an en prison pour quelque atteinte aux bienséances morales ou politiques qui lui échappe dans la chaleur de l'improvisation. Il y serait encore plus souvent envoyé, sans le directeur, qui a soin de payer les deux ou trois espions chargés par la police de surveiller les représentations des fantoccini, et de ra2:)porter les indiscrétions impromptu dont ils peuvent se rendre coupables. Ce directeur, homme sage dans son espèce, au lieu de graisser la patte à ces argus après la représentation, le fait d'avance, en sorte qu'ils sont généralement à moi- tié ivres au lever de la toile. Une autre circonstance non moins curieuse, c'est que le directeur de ce théâtre et son associé, qui est un charpentier, font chaque nuit leurs comptes, et satisfont à toutes les demandes, comme si l'entreprise était finie. Je me suis laissé dire que leur profit net, une soirée dans l'autre, était d'environ quarante francs à
lîO.MK, N.VPI.nS ET FLOniINCt: 333
chaque représentaliuii. (jiroleino, directeur du théâtre des fantoccini à Milan, est mort il y a peu de temps, après axoir amassé une fortune de trois cent mille francs ; il est vrai qu'il la dut en grande partie à l'excellence de ses ballets. Il eût fallu voir, pour y croire, le degré de grâce et de moelleux qu'il savait donner aux ronds de jambes et aux entre- chats de ses petits figurants de bois. Il n'était pas rare d'entendre dire à Milan que la première marion- nette de Girolemo valait mieux que le premier danseur de la Sccila. Le prin(;ipal personnage co- mique des pièces de Girolemo n'était pas, comme à Rome, Cassandrino. Dans un pays où le gouverne- ment n'est pas exclusivement entre les mains des célibataires, un pareil caractère eût manqué de sel. Granduja, personnage comique inventé par Girolemo, est un valet piémontais qui, étonné des mœurs et des usages du bon peuple de Milan, fait là-dessus les plus drôles observations dans le patois de son pays. Il y a quelque gaieté dans l'idée d'un tel personnage qui, surpris de tout ce qu'il voit, en demande la raison, ou se l'explique à lui- même par les suppositions les plus burlesques et les plus caustiques. Les Italiens aiment beaucoup dans leurs comédies impromptu ces caractères invariables, dont les habitudes sont de tradition et connues d'avance. Ils épargnent l'ennui d'une exposition ou d'une explication : de là la vogue d'Arlequin, de Pantalon, de Brighella, et il paraîtrait,.
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d'après quelques découvertes faites dernièrement à Naples, que des personnages semblables étaient employés dans les pièces atellanes qu'on jouait avant et sous les Romains, à Capoue et dans les villes voisines. Les fantoccini sont une ressource unique pour la comédie satirique. J'ai entendu parler d'une comédie de ce genre, jouée dernièrement à Naples, et qui était d'une nature si dangereuse, que les acteurs et le public ne faisaient en tout que six personnes, dont trois spectateurs. A la seconde représentation, les spectateurs changèrent de rôles avec les acteurs, afin que ceux-ci pussent s'amuser à leur tour, etc. *
YI
DESCRIPTION DU MÉCANISME DU GOUVERNEMENT ROMAIN
Après un petit séjour à Rome, et lorsqu'on a vu une certaine quantité de monuments et d'objets d'art, un autre genre de curiosité vous saisit. On veut connaître l'esprit général et les principaux rouages d'un gouvernement chez lequel l'union de la puissance temporelle et spirituelle, fortifiée du dogme de l'infaillibilité, rend le pape le plus absolu de tous les souverains, d'un gouvernement dont la durée est l'un des plus grands miracles du catholicisme.
Or ce n'est pas chose facile que de satisfaire ce désir. Jamais les journaux de Rome ne disent mot sur de semblables sujets, et une peur, qui n'est que trop justifiée par les châtiments et les supplices politiques, fait qu'on ne s'en occupe jamais dans les conçersazioni. En tête-à-tête, il règne également une très grande circonspection ; car l'oppression qui pèse sur l'Italie a singulièrement développé cette méfiance naturelle au caractère italien.
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Le sort m'a favorisé ; et je tiens d'un dotllssimo de précieux documents sur l'esprit et la marche du gouvernement papal sous Léon XIL Les choses, au reste, vont à peu près comme en 1585, époque à laquelle Sixte-Quint renversa toutes les barrières qui pouvaient contrarier le despotisme pur établi sous son règne.
Voici ces renseignements tels que je les ai recueil- lis dans plusieurs entretiens ; c'est mon ami qui parle :
« Vous savez que la fatalité qui dirige tant d'af- faires de ce monde, établit la puissance de la cour •ecclésiastique romaine, en quelque sorte par les mains des barbares qui détruisirent l'empire ; elle s'est fortifiée par la foi catholique, par l'aveugle- ment de l'espèce humaine, par l'assentiment des rois et des nations, et enfin par la sanction du temps. Cette suprématie spirituelle touchait à son apogée vers le milieu du xii^ siècle ; alors une bulle passait pour une révélation du ciel. Cette étrange crédu- lité donna lieu à d'exécrables abus ; l'Eglise de Rome défendit trop souvent par la violence l'em- pire qu'elle avait acquis par la fraude. Dans les Pays-Bas seuls, plus de cent mille des sujets de Charles-Quint furent livrés à la main du bourreau, uniquement pour dissidence religieuse.
« Rome conserva jusqu'à Constantin les préro- gatives de la capitale de l'empire; mais lorsque cet empereur l'abandonna pour aller fixer son séjour
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à Byzance ^, elle déclina insensiblement. L'éloigne- rnent de Constantin et celui de ses successeurs furent un coup mortel pour la grandeur de Rome ; ils favorisèrent déjà l'établissement de la puissance des papes qui acquirent peu à peu, à l'ombre de la religion, l'autorité que les empereurs laissaient échapper. Sous le règne si court de Jovien, en 363, le christianisme obtint une victoire facile et déci- sive ; le paganisme, relevé et soutenu par Julien, tomba dans la poussière pour ne s'en relever jamais, et sa destruction totale eut lieu de 378 à 395. Toutefois, sous le règne d'Anthemius (467-472), les chrétiens célébraient encore tous les ans, dans le mois de février, la fête des lupercales, à laquelle ils attribuaient une influence secrète et mystique sur la fécondité du genre animal et végétal. Le pape Gélase I^^ parvint, vers la fm du v^ siècle, à extirper ce reste d'idolâtrie.
« Une première remarque à faire sur le gouverne- ment ecclésiastique, c'est qu'il enchaîne le peuple par une multitude d'exercices de religion, qui l'em- pêchent de trop réfléchir sur le mieux-être temporel, et aussi par une foule de confréries qui le livrent aux moines ; or les moines, plus accrédités que les prêtres, sont à la discrétion du pape.
« L'administration pontificale est ce qu'il y a de
1. Constantin jeta les fondements de Constantinople en 314, et y transféra le siège de l'empire en 330.
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plus difficile à comprendre ; car jamais on ne vit une machine aussi absurdement organisée.
« Tout ce gouvernement théocratique, précieux reste du xv^ siècle, est d'autant plus curieux à observer, que d'ici à une douzaine d'années, il sera probablement changé : non pas qu'il le veuille ou qu'il s'en doute, car chacun sent fort bien ici que toute réforme serait mortelle à l'unité de la foi et à la grande existence du pape ; mais la main de fer d'une divinité terrible va moissonnant la génération qui, en France, se nourrissait d'idées gaies en 1780, qui voulut le bien sincèrement en 1789, et qui a sollicité le poing coupé en 1825. Il faut aussi recon- naître que si le crédit du souverain pontife s'en va déclinant chaque jour, c'est que l'opinion qui l'avait enfanté a totalement changé. Les nonces ont encore la préséance sur tous les ambassadeurs ; mais cette vieille prérogative n'est plus qu'une simple poli- tesse. Dans un siècle où tout est favorable à la diffu- sion des lumières, quelle considération voulez-vous que l'on ait pour un gouvernement dont le chef toujours vieux, de courte existence, souvent inca- pable de rien faire par lui-même, est environné de parents ou d'autres ambitieux très pressés de faire leur fortune ?
« Nous sommes bien loin des temps où, tout schismatique qu'il était, le czar de toutes les Russies, le terrible Ivan IV, envoyait, en 1580, un ambassa- deur à Grégoire XIII, pour le supplier d'interposer
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sa médiation entre lui et le roi de Pologne. Malgré sa répugnance bien naturelle, ce représentant d'un souverain qui, lui-même, était chef spirituel dans ses vastes Etats, se soumit à baiser les pieds du pape, dont, au reste, il reçut un fort bon accueil, et dont l'intervention rétablit la paix entre la Russie et la Pologne.
« Le bon sens des Romains leur fit très bien com- prendre, en 1814, qu'ils étaient le prix du marché entre les rois et le pape, afin que le pontife aidât la Sainte-Alliance à exécuter le projet insensé de faire reculer à la fois les hommes et les événements. Pie VII, en rétablissant les jésuites par la bulle du 7 août 1814, divulgua le secret.
« Les fins politiques de Rome prévoient un chan- gement total vers 1850, quand l'Europe sera gou- vernée par ceux qui avaient dix ans au moment où la Bavière, le Wurtemberg, les Pays-Bas ont reçu une constitution. Car l'esprit du gouvernement des deux Chambres, qu'il soit modéré par un roi ou par un simple président, comme en Amérique, porte à l'examen : or il ne peut rien y avoir de plus mortel pour l'absolutisme papal.
« Rome n'existe qu'en faisant persuader à chaque fidèle par ses agents (qui vivent au moyen de cette persuasion), qu'elle a tout pouvoir sur son bonheur éternel. Cependant la population des catholiques en France, en Belgique, dans l'Amérique méridio- nale, va diminuer sensiblement d'ici à vingt ans.
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Partout la loi de la nature s'accomplit ; les vieil- lards s'en vont, les jeunes gens arrivent ; et, à au- cune époque de l'histoire, il n'y eut autant de diffé- rence entre les idées des vieillards et celles des jeunes gens.
« En 1828, le ministère français fait encore sa cour au pape : il lui députe un magistrat ^ pour l'implorer de faire rentrer dans le devoir quelques évêques récalcitrants. Verra-t-on de telles missions dans vingt ans ? Cela n'est guère probable. Rome alors rompra avec de telles absurdités ; et le gou- vernement temporel des deux millions de sujets de l'Etat ecclésiastique en sera notablement mo- difié.
« Dès que le pouvoir civil se montrera moins sévère envers l'esprit d'examen, l'Eglise en souf- frira. Les bonnes actions entreront pour une plus forte part dans l'art de faire son salut que le prêtre italien enseigne à ses compatriotes ; l'importance des rites diminuera d'autant ; le demi-protestan- tisme français apparaîtra. Xos gouvernants pensent que les Français, avec leurs idées libérales appli- quées à toutes les spéculations de l'esprit, sans se détacher positivement de la communion romaine, sont plus à redouter que des hérétiques déclarés. Pie VI disait en 1791 : « Je le prévois, la France ça m*échapper. »
1. M. L..., ayant exercé la profession d'avocat à Rome, pendant roccupation française.
ROME, NAPLES ET FLORENCE 341
« A Rome, on a trop d'esprit pour nier ce qui est de la dernière évidence ; la (vénération croyante disparaît incessamment, et une foule de causes se- condaires hâteront la grande réforme que ciiacun entrevoit dans un avenir peu éloigné.
« La France a commencé sa révolution en 1789 ; quelques hommes s'y vendent bien au pouvoir, quel qu'il soit, mais l'immense majorité est pour les idées nouvelles. Dès 1840, tout ce qui, en France, aura cinquante ans, sera hostile aux opinions qui font encore vivoter la Rome actuelle. Or, depuis Voltaire et Rousseau, la France est, aux yeux de Rome, plus de la moitié du monde civilisé. La bonne compagnie de toute l'Europe lit vos grands écrivains ; l'Etat ecclésiastique lui-môme est inondé de la Logique de M. de Tracy (traduite et imprimée à Milan en 1818).
« L'Espagne et le Portugal, ces deux grandes espérances de la cour pontificale, ne lui envoient plus d'argent. Ces puissances écrivent beaucoup ; mais, depuis l'invasion de Napoléon, elles sont rui- nées ; d'ailleurs les peuples de la péninsule com- mencent à s'éclairer.
« Le cardinal Consalvi, qui a régné en quelque sorte pendant tout le pontificat de Pie VII, n'a appelé au cardinalat que des hommes sans capa- cité. Rome aurait besoin cependant des plus grands talents pour l'œuvre si difficile de persuader au Mexicain comme au Normand qu'elle dispose de
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son bonheur. Où prendre ces talents, si ce n'est dans la jeunesse romaine ? Mais depuis 1816 elle dévore tous les journaux ou écrits libéraux de France, pour lesquels on parvient à tromper la vigilance des douaniers.
« On sait que l'autorité spirituelle des papes repose uniquement sur la croyance que Jésus a dit à Pierre ces paroles : « Tu es Pierre, et sur cette « pierre je bâtirai mon assemblée, mon Eglise. »
« Maintenant, quel est l'homme sensé, qu'il soit né sur les bords du Tibre ou sur ceux de la Seine, qui puisse admettre l'authenticité d'un pareil jeu de mots, d'un si méchant calembour, de la part du Sauveur des hommes ?
« Et que devient l'exercice non interrompu de cette autorité si, comme l'affirment beaucoup d'écrivains, saint Pierre n'a jamais été évêque de Rome, n'y a même jamais mis les pieds, et si une femme a réellement occupé le siège du vicaire de Jésus-Christ ?
« D'autres paroles de Jésus à saint Pierre sont également le titre primordial de l'autorité tempo- relle du souverain pontife : u Je te donnerai les <( clefs du royaume des cieux. »
« Quelques fanatiques soutinrent que, les cieux entourant la terre, et Pierre ayant les clefs du con- tenant, il avait nécessairement la propriété du contenu.
« De là l'importance que l'on a mise, lors de la
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construction de la coupole de Saint-Pierr3, à asso- cier les paroles de Jésus au chef-d'œuvre de l'archi- tecture moderne. Vous avez vu cette inscription en lettres de quatre pieds et demi et exécutée en mosaïque, sur la frise du pourtour de la coupole : Tu es Petrus, et super liane petram œdificabo eccle- siam meam, et tibi dabo clai>es regni cœlorurn.
« Le pouvoir temporel des papes a donc aussi une origine divine ; mais l'époque à laquelle ils ont commencé à l'exercer ne date guère que de 755, sous le pontificat d'Etienne III.
« Ce pouvoir reçut sa principale sanction des donations que Pépin le Bref et Charlemagne firent au pape, de l'exarchat de Ravenne et d'autres petits pays ; car, vers le milieu du xv^ siècle, on reconnut la fausseté de la prétendue donation de Constantin. L'ancien patrimoine du vicaire de Jésus-Christ, consistant en maisons et métairies, fut transformé, par les libéralités des deux monar- ques français, en une souveraineté temporelle sur des villes et des provinces. Ne voulant pas être en reste de générosité envers Charîemagne, un pape (Léon III) lui donna l'Empire, et détacha ainsi Rome et l'Italie de celui d'Orient.
« Le 8 février 590, Grégoire I^^ (le Grand) monta sur le trône pontifical, par les suffrages unanimes du clergé, du sénat et du peuple ; cependant il n'exerça sa juridiction qu'en qualité d'évêque de Rome, de primat d'Italie et d'apôtre de l'Occident.
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(c Les persécutions de l'empereur Léon III (l'iconoclaste) contre les images et les moines pro- duisirent la révolte de l'Italie (728). Les services que le pape Grégoire III rendit à la cause commune accoutumèrent les Romains à le regarder comme le premier magistrat ou le j^rince de Rome, et le malheur des temps augmenta peu à peu cette dis- position. Toutefois, jusqu'au couronnement de Charlemagne (800), l'administration de Rome et de l'Italie fut toujours au nom des successeurs de Constantin.
« Vers 930, Albéric, bâtard de la célèbre Marozzia, se fit prince de Rome, et en nomma, pour ainsi dire, les papes. Après la mort de ce tyran, les Ro- mains élevèrent sur le trône pontifical son fils Octavien, âgé de dix-huit ans. Il régna sous le nom de Jean XII. Cette élection concentra dans la même main le spirituel et le temporel. Un mari trompé, ayant surpris Jean XII avec sa femme, le tua dans les bras de l'infidèle.
« Lorsque Othon, roi de Germanie, rétablit et s'appropria l'em'pire d'Occident (962), deux maximes de jurisprudence politique furent ad- mises :
« 1° Le prince élu dans une diète d'Allemagne acquérait au même instant les royaumes subordon- nés d'Italie et de Rome.
« 2° Il ne pouvait pas légalement se qualifier d'em- pereur et d'Auguste, avant d'avoir reçu la couronne
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des mains du pontife de Rome. De son côté, l'Em- pereur exerçait une influence réelle sur l'élection ilu pape, dont le sacre n'était légal qu'avec son approbation et son consentement.
« Cette puissance temporelle, si longtemps con- testée, si souvent suspendue, s'établit et se déve- loppa insensiblement, on le voit, au milieu des guerres, des troubles, et d'une foule de circons- tances qui, toutes, secondèrent cette persévérance obstinée dont le catholicisme a fourni tant de preuves.
« Grégoire VII afl'rauchit définitivement l'élec- tion du pape de l'influence des empereurs et du peuple romain. Sous Innocent III (1198-1216), les papes atteignirent au dernier degré de leur gran- deur. Martin V reprit en 1417 le droit de fabriquer la monnaie, que le sénat avait exercé durant près de trois siècles ; il y fit mettre son image et son nom, et c'est à lui que commence la suite des mé- dailles des papes.
a Le premier couronnemeiit du })ai)e comme souverain temporel s'est fait au milieu du xi^ siècle. Toutefois, jusqu'à Innocent VIII (1484-1492), qui se rendit maître du château Saint-Ange, les papes ne jouirent point dans Rome d'une souveraineté véritable. L'infâme Alexandre VI, son successeur, établit pleinement la suprématie du saint-siège sur toute l'Italie. Telle était alors la disposition des esprits, que le pontife, en affranchissant son pays
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de la tutelle de l'empereur d'Allemagne, fut con- sidéré comme le libérateur de Rome.
« Ce qui distingue et caractérise la papauté, c'est son indépendance de toutes les règles de la puissance terrestre ; son gouvernement est une véritable aristocratie religieuse.
« Le territoire pontifical ne s'est guère augmenté depuis la donation de Charlemagne. Il consiste encore dans les trois légations de Bologne, Ferrare et Ravenne, dans le patrimoine de Saint-Pierre, rOmbrie, Spolette, Pérouse, et quelques autres possessions peu importantes. Ce que les hommeî éclairés de ces jjays demandent avant tout, c'est cjuc l'administration spirituelle de l'Eglise soit entièrement séparée de l'administration temporelle du domaine pontifical.
« Au surplus, l'évêque de Rome, en exerçant le pouvoir absolu d'un monarque, a toujours affecté de conserver les formes d'une république.
LE PAPE
« Le nom de pape vient d'un mot grec qui signifie père, ancien, prêtre. Depuis le xi^ siècle, il est exclu- sivement attribué au souverain-pontife : Gré- goire VII le décida dans un concile.
« Le jour de son couronnement, et celui de la cérémonie du possesso, le pape se montre au peuple, la tête couverte de la tiare. Elle a été ornée successi-
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vement de trois couronnes, pour indiquer la réunion des trois genres de puissance, impériale, pontificale, paternelle.
« Au surplus, cet absolutisme qui caractérise la triple autorité du pontife ne laisse pas que d'être tempéré par diverses causes inhérentes à l'époque tardive où les papes ceignent généralement la tiare. Leur âge avancé, le calme des passions, l'amour de la tranquillité, si naturel aux vieillards, la longue expérience qu'ils ont faite de l'égalité dans l'état de sujet, la honte de paraître injuste et dur sur un trône de sainteté, sont autant de contre- poids à l'esprit despotique auquel leur position est si favorable.
« La dignité du souverain-pontife exige qu'il mange seul : elle lui interdit le jeu, la chasse, le spectacle, et toute société de femmes.
« Cette étiquette sévère imposée au pape en sa qualité de premier des évêques, cette obligation de restreindre à un très petit cercle le nombre des personnes qu'il peut voir, rendent sa vie des plus tristes. Presque toujours seul, accablé d'affaires de toute espèce, s'il veut s'y livrer, surchargé de fonctions ecclésiastiques, environné de gens qui, pour la plupart, attendent et désirent sa mort, ses rares plaisirs se réduisent à quelques courses sous prétexte de stations et de dévotions, et à des au- diences données à des étrangers. Privé de tous les plaisirs de la vie, il n'en sent que plus vivement
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STENDHAL
les peines. Il n'ignore point d'ailleurs qu'un long pontificat devient pour les cardinaux et pour le peuple un grief contre le pape qui règne trop long- temps ; les uns veulent jouir du pouvoir à leur tour ; le peuple aime le changement et les fêtes qu'occa- sionnent la mort et l'intronisation d'un pape. En un mot, rien n'égale la tristesse attachée à la papauté, et le nombre des pontifes qui y ont échappé est fort petit ; ce respect que les catholiques témoignent au Saint-Père perd bientôt de son charme par l'ha- bitude d'en recevoir l'hommage.
« Outre bien des misères absolument inconnues aux autres hommes, les papes sont exposés à toutes ces catastrophes qui atteignent particulièrement les souverains. Vingt d'entre eux ont péri de mort violente, ou en prison. Etienne VI mourut par la main d'un bourreau ^.
« L'élection d'un pape est une affaire fort impor- tante dans la chrétienté. La manière de donner ce chef à l'Eglise a éprouvé, comme toutes les choses de ce monde, de nombreuses modifications.
« Saint Pierre désigna Linus, ou saint Lin, pour son successeur ; Anaclet, Clément et Evariste en
1. Papes empoisonnés : Victor III, Benoît XI, Paul II, Alexandre VI, Pie III, Léon X, Adrien VI, Marcel II, Inno- cent XIII, Clément XIII, Clément XIV.
Papes assassinés : Jean VIII, Jean X, Léon VI, Etienne VII Jean XII, Lucc II, Sixte-Quint.
Papes morts en prison : Léon V, Christophe, Jean XI.
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usèrent de même. Mais il paraît qu'après ces quatre pontifes, les chefs spirituels de Rome furent élus pendant quelque temps par l'assemblée des chré- tiens, composée du peuple et du clergé !
« Lorsque le siège de rem})ire fut transféré en Orient, l'élection du pape eut lieu en public, et se fit par le peuple romain. Plus tard, un clergé qui se formait insensiblement s'empara de l'élection de l'évcque de Rome. Cette petite révolution paraît s'être opérée après la mort de Jean XVII, qui ne régna que cinq mois, en 1003. Mais le souverain dédaigna bientôt de tenir son autorité de simples prêtres ; il voulut que les cardinaux seuls concou- russent à sa nomination. Ce ne fut toutefois que sous le pontificat de Nicolas II, Hildebrand étant son premier ministre, que les cardinaux furent exclusivement investis du droit d'élection.
« Trois siècles après intervint la décision qui or- donne de choisir le pape parmi les cardinaux.
« L'avènement d'un pape au trône pontifical exige » trois conditions : l'élection, l'intronisation ou le couronnement, le possesso. Ces deux dernières sont le complément de la première, et une suite obligée du conclave.
« Rome n'a, à proprement parler, ni souverain pontife, ni roi, qu'après le couronnement de l'élu, et la prise de possession de la basilique de Saint- Jean- de-Latran. L'élection seule ne confère ni la pléni- tude de la puissance apostolique, ni la juridiction.
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« Le couronnement solennel du pape a lieu ordi- nairement une huitaine de jours après l'élection; il se fait au balcon de la façade de Saint-Pierre (la Loggia), à la vue du peuple réuni sur la place.
« Pendant les xm^, xiv^ et xv^ siècles, surtout, le Saint-Siège a éprouvé des vacances quelquefois très prolongées. Il y en eut une de vingt et un mois après la mort de Célestin IV, en 1243 ; une de deux ans, à la mort de Clément IV, en 1268 ; une de deux ans et trois mois, après Nicolas IV, en 1292 ; une de deux ans et quatre mois, à la mort de Clément V, en 1314 ; enfin, une de deux ans et cinq mois, après la déposition de Jean XXIII, en 1415,
c( L'hommage que l'on rend au pape est de lui baiser les pieds ; les rois, les princes, les princesses, les ambassadeurs, personne n'en est exempt.
« Ceux qui veulent être admis à l'audience de Sa Sainteté sont présentés par le prélat maître de la chambre. Ils doivent déposer les épées, cannes et chapeaux. De génuflexions en génuflexions, ils arrivent auprès du fauteuil du Saint-Père, baisent la croix d'or, brodée en relief sur la mule en satin rouge, du pied droit, restent seuls avec le pape, et se retirent lorsqu'un coup de sonnette, donné par Sa Sainteté, les avertit que leur audience est ter- minée.
« Le pape ne gouverne par lui-même que les provinces voisines de Rome ; celles de Bologne, Ferrare, Ravenne et Forli, appelées Légations, sont
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gouvernées par des cardinaux, espèces de vice- rois ; et les autres, sous le titre de Délégations, sont placées sous l'autorité de prélats. Chaque province a, en outre, un général pour le commandement des troupes, et chaque ville un gouverneur, que le pape nomme, ainsi que les officiers des forteresses, châ- teaux et ports.
« Tout cardinal-légat est à la fois législateur, administrateur, juge et général en chef ; il n'a plus d'ordres à recevoir de personne ; sa règle, c'est sa volonté. Le cardinal-légat abolit ou suspend, selon son caprice, les lois et les règlements ; il crée des tribunaux d'exception, si la fantaisie lui en prend ; il envoie un homme aux galères, sans être tenu d'en donner le motif.
« En 1789, le peuple jouissait, dans les Etats de l'Eglise, d'une certaine liberté, La plupart des villes avaient des statuts délibérés par leurs délégués, au temps des républiques du moyen âge. Plus tard, le pays fut pendant dix-huit ans en jouissance des libertés françaises ; mais, après le congrès de Vienne, Pie ^ II déchira toutes ces chartes ; et de- puis 1814, le pape nomme les conseillers municipaux. Si donc ces conseils représentent quelque chose, ils ne représentent que le pouvoir dont ils émanent.
« Le trône pontifical est entouré de plusieurs grandes charges, dont les attributions ont été ré- glées par une suite de hasards. Les titulaires sont tous des cardinaux ou des prélats ; mais ces prélats
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STENDHAL
ne sont pas tous prêtres. Figurez-vous une immense hiérarchie qui, du plus obscur sacristain, s'élève jus- qu'au pape, et vous aurez une juste idée du gouver- nement romain.
« Depuis Luther, et surtout depuis Voltaire, et les succès européens de la plaisanterie française, le pape, en sa qualité de chef de l'Eglise, voit son pou- voir en grand péril.
« La cour de Rome maintient tout ce qui est ancien : elle espère ainsi concilier à ses prétentions le respect des peuples. Cette manière de voir a passé du gouvernement de l'Eglise à celui des Etats du pape. On voudrait bien ne rien changer aux attri- butions des grandes charges dont je vais vous par- ler ; mais l'opinion publique a fait un pas immense, même à Rome, depuis 1814, et chacun sent qu'il faudra modifier beaucoup de choses.
« Il n'y a pas de pièce d'antiquité plus curieuse à observer, que le gouvernement civil qui, à Rome, seconde le pape. C'est également Sa Sainteté qui, par l'assistance de ses nombreux agents, règle le moral de toute l'Italie.
ESSAI d'une papauté FEMININE
« Une femme, Guillelmine, essaya dans le xiii^ siè- cle de fonder un apostolat, d'avoir des successeurs de son sexe comme saint Pierre, et de remplacer le pontificat romain par une papauté féminine.
ROME, NAPLES ET FLOUENCE 333
Enterrée comme une sainte en 1282, dans le cime- tière de Chiaravalle, ]»rès de Milan, Guillelmine fut déterrée comme sorcière en 1300, et brûlée avec deux de ses sectaires vivants. L'une de ces malheureuses était l'abbesse Maifreda, relij^ieuse de l'ordre des Umiliate, que Guillelmine avait laissée après elle comme son vicaire, avec les mêmes pou- voirs que le vicaire de Jésus-C.hrist. Cette triste folie compta donc deux martyres.
LES CARDINAUX
« Les cardinaux sont les premiers personnages <le la cour de Rome, les conseils ordinaires du pape, les dépositaires et les ministres de son autorité. Ne pouvant choisir le souverain-pontife que dans leur corps, chaque cardinal nourrit en secret l'es- pérance de porter un jour la tiare.
« Les cardinaux partagent avec les curés le pou- voir exorbitant d'arrêter et de retenir en prison un individu, sans en rendre compte à personne. Ces princes de l'Eglise reçurent, en 1244, le chapeau Touge, qu'Innocent lY ajouta à leur costume.
« Le corps des cardinaux s'appelle sacré collège.
« Le nombre des cardinaux n'était pas d'abord déterminé, et il a beaucoup varié. En 1517, le ^acré collège ne comptait que douze cardinaux ; Léon X leur donna trente-un nouveaux collègues en une seule promotion. En 1586, Sixte-Quint
RoMB, Natles et Floremce, II 23
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fjixa définitivement le nombre des cardinaux à soixante-dix, et établit que quatre d'entre eux seraient toujours pris parmi les moines. Six ont le titre de cardinaux-évêques ; cinquante ont celui de cardinaux-prêtres, et quatorze celui de cardinaux- diacres.
« Les cardinaux qui ne sont pas dans les ordres peuvent résigner leur dignité et même se marier, comme ont fait quelques-uns.
« Le pape accorde une petite pension au cardinal qu'il fait de proprio motu ; la famille du nouvel élu en ajoute une seconde. Malgré tout, plusieurs de ces princes de l'Eglise ont bien de la peine à entre- tenir deux chevaux et trois domestiques ; ainsi que vous avez pu vous en apercevoir hier *, ils louent quelques laquais le jour de l'Ascension, afin de pouvoir se montrer sous la colonnade de Saint- Pierre avec deux voitures et un certain étalage. Quand les cardinaux sortent en cérémonie, ils sont en longue robe de moire rouge, et le carême en violet. Leur vêtement ordinaire est en abbé, avec des bas et la calotte rouges.
« Le cardinal Pandolfi, autrefois vice-légat dans les environs de Bologne, célèbre par sa piété et son manque absolu d'idées, avait été obligé, par sa pauvreté, de se mettre en pension chez des moines ; ce qui n'a pas empêché que ses obsèques n'aient été fort belles.
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LE CONCLAVE
« Le conclave est la réunion des cardinaux assem- blés pour élire un pape. On les enferme dans des cellules préparées au Vatican ou à Monte Cavallo. Grégoire X établit cet usage en 1274, pour prévenir l'inconvénient qui se présenta à Viterbe, en 1268, après la mort de Clément IV ; les cardinaux y furent divisés en tant de factions, qu'ils se séparèrent sans avoir fait choix d'un pape.
« Alexandre III décida, en 1179, que le consente- ment des deux tiers des cardinaux présents au con- clave serait nécessaire et suffirait pour l'élection du pape.
« D'après la bulle de Grégoire X, l'élection devait se faire en trois jours, sinon les reclus étaient ré- duits, pour toute nourriture, à un seul mets ; après cinq autres jours, on ne leur donnait plus que du pain et du vin. Un semblable régime ne pouvait avoir une longue durée.
«'L'élection du souverain-pontife peut avoir lieu de cinq manières :
« Le scrutin par bulletins fermés, est le premier mode essayé et celui qui, presque toujours, amène la conclusion.
« Uadhésion a lieu dans la séance de l'après-midi, lorsque le scrutin du matin n'a produit aucun ré-
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STENDHAL
sultat. Les électeurs accèdent alors à l'élection d'un membre porté à ce scrutin.
« Par le compromis, les cardinaux divisés délèguent à une commission choisie parmi eux le droit de nommer un pape au nom de tous.
« L'inspiration, sorte de spontanéité d'hom- mages, équivaut à un scrutin régulier. Dans ce mode, c'est au Saint-Esprit que semble appartenir plus particulièrement l'honneur de la nomination. Une fraction puissante du conclave se prosterne aux pieds d'un cardinal et le proclame à haute voix par une sorte d'acclamation : les dissidents n'osent pas se déclarer, et reconnaissent le favorisé des zelanti.
« Lorsqu'un concile réuni dépose un pontife, il délègue le droit d'élection à une commission de son choix. Ce dernier mode, usité très rarement, a été pratiqué par les conciles de Bâle et de Constance.
(c Dans le conclave, quatre puissances ont le droit de donner Vexclusion à un cardinal qui va être élu pape. Mais cette prérogative ne peut s'exercer qu'une seule fois pendant la durée de chaque conclave. Ces puissances sont : l'Autriche, la France, l'Es- pagne, le Portugal. Actuellement, il n'y a que les deux premières qui aient une véritable influence. Chacune de ces quatre puissances a auprès du Saint- Siège un cardinal-protecteur, comme agent pour les affaires ecclésiastiques et bénéficiales, et en parti- culier pour celles qui ne se décident qu'en consis-
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toire ; sa fonction principale est de solliciter l'expé- dition des bulles et de proposer des sujets pour les abbayes et évèchés à la nomination du souverain qu'il représente.
« On désigne sous la dénomination de cardinaux des couronnes, ceux de ces princes de l'Eglise qui ont obtenu leur chapeau sur la demande des souverains des quatre ])uissances ayant le droit d'exclusion. Tout le sacré collège est divisé en factions, et autant il y a de cardinaux de pontificats différents, autant il y a de factions.
« Les cardinaux de chaque couronne forment également entre eux une faction. Les chefs de ces factions sont ceux qu'il plaît au souverain de nom- mer pour avoir son secret. Le cardinal chargé du secret de son gouvernement, intrigue dans le con- clave en faveur de celui de ses collègues qu'il plai- rait à son maître de voir sur le trône pontifical, et prononce l'exclusion du candidat qui, par contre, pourrait lui déplaire. Les cardinaux appartenant à l'Etat ecclésiastique étant toujours en grande majorité, on ne nomme jamais un étranger. Depuis Adrien VI, élu en L'321, tous les papes sont nés en Italie.
CHARGES PRINCIPALES
« Tous les emplois de la magistrature, de la haute administration et de la diplomatie sont ré-
RoME, Xaples et Florence, II 23.
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serves aux gens d'Eglise, dans les Etats pontifi- caux ; c'est un prelato qui est ministre de la guerre. On ne laisse aux laïques que quelques fonctions obscures, dont le produit donne à peine de quoi vivre.
« La dignité la plus éminente de la cour de Rome, en apparence, est celle de camerlingue ; il remplit l'office de ministre des finances ; il est le chef de la chambre apostolique ( rêver endissima caméra), tri- bunal administratif, civil et criminel, chargé de la direction suprême des branches principales du revenu public. Rien n'égale le désordre de cette partie de l'administration. En voici un petit exemple : le cardinal Albani, parent de M. de Metter- nich, cousin et conseiller du duc de Modène, jouit du privilège exclusif de fabriquer les épingles et de faire du papier pour le duché d'Urbin et la province de Pesaro ; ce papier est détestable ; chacun le re- connaît et s'en plaint, mais il est défendu d'en em- ployer d'autre.
« Le camerlingue est le chef du gouvernement, pendant l'espace de temps qui s'écoule entre la mort du pape et la réunion des cardinaux ; il jouit conséquemment de grands pouvoirs, de hautes prérogatives ; il fait battre monnaie à ses armes et à son profit ; et comme le bénéfice en est assez considérable, le président des monnaies (délia Zecca), pour faire sa cour, ne manque pas de dé- ployer une grande activité. Le camerlingue ôte
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l'anneau du pêcheur, du doigt du pape défunt. Le cardinal Galeffi est actuellement pourvu de cette charge, qui est à \'ie.
« Le trésorier, jiersonnage fort important, est toujours un prêtre ; en cette qualité il ne doit aucun compte au pays, ni de l'argent qu'il reçoit, ni des finances qu'il administre. Le trésorier a une auto- rité à peu près absolue sur tout ce qui regarde les impôts et peut en abuser impunément. Comme toutes les autorités romaines, il unit aux attributions administratives les pouvoirs judiciaires au civil et au criminel. Trois substituts, entre lesquels tout l'État ecclésiastique est partagé, l'assistent. Le commissaire de la chambre apostolique est sous les ordres immédiats du trésorier, aujourd'hui ]\L Beli- sario Cristaldi.
« Le secrétaire d'Etat est réellement le premier ministre. Placé à la tête de l'administration, il cor- respond avec les nonces apostoliques et les légats ; il rend compte au pape des affaires ecclésiastiques et pohtiques. Il est le représentant du souverain, et son organe légal, tant auprès des cours étrangères qu'auprès de ses peuples. Enfin, le choix de ce fonctionnaire intéresse vivement les sujets du pape, ainsi que les chancelleries des Etats catholiques. Ordinairement le secrétaire d'Etat est un homme beaucoup moins aveuglé par les préjugés que ses autres collègues ; tel a été le cardinal Consalvi. Le secrétaire d'État actuel, M^^ Bernetti, ne manque
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STENDHAL
pas d'un certain talent ; mais ce cardinal a beaucoup de dettes, et, dans sa position éminente, c'est un malheur.
« Le dataire, aujourd'hui M^ le cardinal Pacca, préside à la nomination aux bénéfices et à l'expédi- tion des titres. Je vous prie de remarquer un sin- gulier exemple de respect pour les vieux usages : lorsque cette charge était occupée par une personne, cjui n'avait pas la dignité de cardinal, et qui était supposée l'exercer à défaut d'un cardinal, on l'ap- pela pro datario. Le dataire avait autrefois la fonc- tion d'apposer la date aux provisions des béné- fices.
« On compte en Italie deux cent quatre-vingts évêchés et un nombre infini de bénéfices. Le roi de Naples nommait à vingt-six évêchés de patronage royal ; mais le concordat de Terracine, conclu en 1818 entre les cours des Deux-Siciles et de Rome, a rendu au pape la nomination de tous les hauts fonctionnaires ecclésiastiques. Depuis Joseph II (1782), l'empereur d'Autriche * confère tous les bénéfices et toutes les charges ecclésiastiques : le grand-duc de Toscane présente quatre candidats. Avant la révolution commencée par les Français, tous les bénéfices étaient à la disposition du pape. De là, les richesses et le luxe étalé par les cardinaux et les prélats, qui avaient établi entre eux un mode pour la répartition de ces bénéfices.
« A propos de bénéfices, le pape Sixte IV en insti-
f
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tua qui ne paraîtraient ])as fort orthodoxes main- tenant. Ce saint vieillard (c'est ainsi que Jacques de Volterre l'appelle) introduisit légalement les maisons publiques de débauche dans Rome • il érigea le libertinage en branche d'industrie, exigea un jule par semaine, de chaque prostituée ; et cette taxe rapportait parfois au Saint-Siège plus de vingt mille ducats au bout de l'année. Sixte IV accordait aux prélats, comme un bénéfice ecclésiastique, la perception du droit sur un certain nombre de ces malheureuses filles. Afin que tous les genres d'obscé- nités reçussent une sanction légale, il autorisa la s... pendant trois mois do l'année, à la demande de ses neveux. Ce vénérable pontife mourut d'épuise- ment et de débauche.
« J'ai vu donner la place de pro datario au cardinal Severoli qui, en 1823, allait être élu pape, lorsque l'Autriche lui donna l'exclusion. M^ Severoli, étant nonce à Vienne, lors du mariage de Napoléon avec Marie-Louise, déclara à l'empereur d'Autriche cju'il ne pouvait, en conscience, donner sa fille pour femme à un homme marié *. Ce n'est point impu- nément que l'on se voit privé du bonheur de monter sur le trône le plus absolu de l'univers ; le cardinal Severoli supporta son exclusion avec beaucoup de décence et de courage, mais peu après il mourut.
« Le chapitre des dispenses est dans les attribu- tions du dataire. Vous ignorez peut-être les rap- ports assez curieux qu'eut avec ce grand fonction-
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naire l'auteur de V Esprit des Lois : je vais vous les faire connaître.
« Au moment de quitter Rome, Montesquieu alla prendre congé de Benoît XIV. Ce pontife, qui aimait sa personne et son esprit, lui dit : « Mon cher président, avant de nous séparer, je veux que vous emportiez quelque souvenir de mon amitié ; je vous donne la permission de faire gras, pour toute votre vie, à vous et à toute votre famille. » Montesquieu remercie le pape et lui fait ses adieux. Un secré- taire le conduit à la daterie ; là, on lui expédie des bulles de dispense, et on lui présente une note un peu élevée des droits à payer pour ce singulier privilège. Montesquieu, effrayé du montant, rend au secrétaire son brevet en l'accompagnant de ces paroles : « Je remercie Sa Sainteté de sa bienveil- lance ; mais le pape est un si honnête homme ! Je m'en rapj^orte à sa parole, et Dieu aussi. »
« Le chancelier porte le titre de vice-cancelliere di santa chiesa ; c'était jadis le premier personnage de l'Etat, Chaque habitant des pays catholiques, croyant le pape tout puissant sur son salut, s'adres- sait au chancelier pour consulter Sa Sainteté sur les matières de discipline et de foi. Maintenant cette charge ne rapporte que peu de chose au titulaire, M^ délia Somagha.
« Le cardinal-vicaire exerce les fonctions épisco- pales dans Rome, fait les ordinations, donne les pouvoirs et examine les curés. Il est, en outre, un
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juge revêtu d'autorité temporelle et d'une juridic- tion, tant civile que criminelle, qui s'étend aux laïcs comme aux ecclésiastiques. Son tril)unal est com- posé du vice-gérant, de lieutenants civils et crimi- nels, et de beaucoup d'autres officiers. M^"" Zurla, actuellement pourvu de cette charge importante, prétend, dit-on, à la papauté ; il était moine de l'ordre des Camaldules, et a publié des ouvrages estimés sur la géographie du moyen âge.
« Le vicaire connaît des contestations entre mari et femme, attribution qui lui assure de grands ménagements de la part de la bonne compagnie. Il est chargé de vexer les Juifs, sur lesquels on venge à Rome le jugement et la mort de Jésus- Christ. Lors de la rentrée de Pie VII dans ses Etats, le gouvernement fit rétablir les portes du Ghetto, et renferma de nouveau ces pauvres diables dans leur sale quartier, près la place de la Juiverie. D'après un édit barbare de Pie VI, les Israélites ne pouvaient se montrer dans Rome que de jour, et, sous peine de mort, ils devaient rentrer le soir dans le Ghetto. Chaque année le nombre des Juifs s'accroît ; il s'élève aujourd'hui à trois mille cinq cents, et cependant on n'élargit pas leur prison, où ils sont entassés sans pitié par la haine religieuse. Tous les soirs, au coucher du soleil, on les y met sous clef, excepté, je crois, le jour du sabbat. Il est résulté de cette vexation, inventée par Paul IV et supprimée par Napoléon, que tous les Juifs riches
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des Etats romains sont allés s'établir à Livourne, sous la protection du gouvernement très doux du grand-duc de Toscane. Je vous dirai, à ce propos, que l'Italie est amoureuse de votre charte ; mais avec bien moins que cela on la rendrait heureuse ; il suffirait de lui donner les codes français, ainsi qu'une administration toute composée de laïcs.
« Le vicaire a pour lieutenant nn prélat çice- gerente, ordinairement évèque in partibus ; c'est le vice gerente qui envoie des reliques à toute la catholicité.
« Le Maître du sacré palais a dans son départe- ment la censure des livres qui sortent des presses de l'Etat ecclésiastique ; il remplit les fonctions de votre directeur de la librairie ; cette place est toujours confiée à un dominicain. Le Maître du sacré palais a son tribunal, et condamne aux ga- lères et à d'énormes amendes les marchands qui vendent des livres ou des estampes prohibés ; il ordonne des visites domiciliaires, selon son bon plaisir.
« On choisit généralement parmi les prélats ou monsignori l'Auditeur, le Secrétaire des brefs ou lettres pontificales, et le Secrétaire des mémoires.
« Les monsignori sont à peu près ce qu'étaient en France, sous l'Empire, les auditeurs au Conseil d'Etat. Il n'y a pas nécessité pour eux d'être engagés dans les ordres sacrés ; il suffît qu'ils soient célibataires. Tout jeune homme bien né, justifiant
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de 1.500 écus romains de revenu (à peu j)rès 8.000 fr.) obtient, avec quelque recommandation, le titre de nions i gnore . Leur nombre est illimité, et monte assez ordinairement de 200 à 250. Le gouverne- ment ne s'engatfe à rien en accordant le brevet. Le pape régnant et le cardinal Consalvi ont été monsignori. Ces prélats portent habituellement de» bas violets, et ont, en général, une mise soignée. Quelques-uns mettent à leur chapeau un ruban vert ou violet, qui indique certaines fonctions ; en ville, ils sont suivis, à un pas de distance, par un laquais en livrée.
« U Auditeur, qu'on appelle pro auditore, peut être regardé comme le chef de la justice. Il exerce une juridiction équivalente à celle du lord-chancelier d'Angleterre ; il est le juge suprême dans les causes civiles, mais il n'est point obligé de suivre les règles ou de se renfermer dans les limitations imposées aux autres tribunaux. Souvent, quand un procès paraît terminé, et que l'une des parties l'a gagné deux ou trois fois, Vauditore santissimo interrompt les causes, le cours de la justice, impose silence au bon droit, et change tout l'aspect de l'affaire. Il casse ou réforme les jugements qui ont force de chose jugée. Son droit ne se prescrit jamais, et tout à coup un vieux jugement est annulé, un autre est rendu, sans nouvelle procédure, sans qu'il y ait de sentence motivée. Ceci sera hautement nié, mais faites-vous raconter par un avocat quelque
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procès célèbre jugé dans l'année. Il serait trop long d'indiquer, même sommairement, la jurisprudence de l'auditeur ; sa législation est un chaos inextri- cable, où les lois romaines sont modifiées par le droit-canon, par les décrets des conciles, par les bulles des papes, par les décisions de la rote et par les ordonnances des légats.
« Il est toujours facile de retarder de quinze ou vingt ans le dénouement d'un procès. Or une famille puissante peut espérer d'avoir dans quinze ou vingt ans un de ses membres cardinal ou moiisignore influent.
« La moitié des malheurs d'argent qui affligent les familles romaines serait épargnée par la mise en vigueur des codes français. Il faut entendre, à ce sujet, les jeunes avocats romains. Ceux qui ont de l'esprit doivent le cacher soigneusement. On a vu ici, comme à Florence, des juges faire perdre toutes les causes à un avocat qui avait montré trop de talent. Bientôt les plaideurs s'aperçoivent du malheur de l'avocat ; on ne lui apporte plus de causes ; il est ruiné. La prudence m'interdit de nommer quelques avocats pris en guignon par les juges.
« L'auditeur examine le mérite des ecclésiastiques proposés pour l'épiscopat. Le titulaire actuel est Msr Francesco Isola,
« Le secrétaire des brefs, maintenant M^^ Albani, est chargé des affaires qui n'exigent pas le sceau
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en plomb de la chancellerie et de la daterie, mais qui s'expédient par des brefs ; telles sont les dis- penses d'âge, de temps, etc., etc. Il signe les brefs que le pape adresse à différentes personnes ; il a sous ses ordres deux prélats, l'un chargé des lettres aux princes, et l'autre des lettres latines *.
« A la tête des subsistances est placé le préfet de Vannona, charge de l'approvisionnement de Rome. Ce fonctionnaire a le droit de faire cultiver pour le compte de la chambre apostolique les ter- rains en friche. L'établissement de Vannona fait éprouver aux propriétaires les plus criantes vexa- tions ; il tue l'agriculture dans l'Etat ecclésias- tique.
« Il y a des emplois ( cardinalizj ) que l'on ne quitte jamais sans devenir cardinal ; ce sont, entre autres, ceux de nonce à Vienne, à Paris, à Madrid, à Lisbonne ; de gouverneur de Rome ayant la police •*■ ; de majordome ^, ou surintendant et grand maître de la maison du pape ; de maître de la chambre ^ ; de trésorier * ; de secrétaire de la con- sulte ; de président du duché d'Urbin. Après ces grands fonctionnaires vient la foule, composée de tous les agents secondaires, pour les finances, la guerre, la police, etc., etc.
1. Capeletti.
2. Marazzani Visconti.
3. Benedetto Barberini.
4. Belisario Cristaldi.
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CONGREGATIONS
« On compte à Rome un grand nombre de con- grégations, entre lesquelles le gouvernement poli- tique, civil et religieux est réparti. Ces commissions, ou conseils, sont composés de cardinaux et de pré- lats. Le secrétaire, sur lequel roule principalement le travail, est toujours choisi et nommé par le pape. Une femme adroite et belle, telle que feu madame la princesse de Santa-Croce, a souvent une influence immense sur les décisions de ces congrégations ; et il est bien rare qu'un jeune monsignore qui jouit d'une semblable protection perde un procès, ou n'avance pas rapidement. Cette ancienne maîtresse du cardinal de Bernis avait à la fois pour amants, en 1790, le cardinal Busca et Pierre-Paul de Médi- cls ; leur rivalité donna Heu à des scènes fort co- miques.
« Sixte-Quint, dont on retrouve le nom à côté d'un grand nombre de choses utiles, établit en 1587 la congrégation de la Consulte. Elle exerce une autorité judiciaire et administrative sur tous les sujets du Saint-Siège, excepté sur ceux de la ville de Rome : ils restent sous la juridiction des gou- vernements locaux. Li Consulte reçoit les plaintes des peuples contre les gouverneurs des villes ; on y examine les qualités et titres de ceux qui demandent à être admis à la noblesse ; on y dresse les règle-
ÉTAT PuÉCAIUn. !l8l
que l'on n'y adore pas assez le cardinal Con- salvi et le bon pape Pie VII , qui s'occupe de beaux-arts et de nomjner des évéques. Je sou- tiens des thèses en faveur de ce souverain, ce qui n'est pas sans danger : c'est un étranger libéral qui a peuplé les cachots de INIantoue. L'Italien, si méfiant individuellement, pousse la confiance jusqu'à la duperie dès qu'il com- plote : société des Régénérateurs en Suisse, sous le ministère de M. ***. ^^^j<^
6 jançier. — Le ton vantard et gascon qui , dans les armées de INapoléou , était si utile , et s'appelait la blague j a peu gâté les officiers italiens. Le jeune et beau capitaine R*** est aussi simple, aussi naturel dans .ses façons, que si de sa vie il n'eût appliqué un coup de sabre , ni mérité une croix. Ce n'est que bien rarement que l'on entrevoit que , si on le fâche, il se fâchera; celte simplicité de si bon goût, ce me semble, nie rappelle le brave comodorc américain Moris. Je m'accoste volontiers du capitaine R.***, et il voit tout le plaisir qu'il me cause quand il veut bien me faire une histoire. Hier soir, à deux licures du matin, en nous
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ments nécessaires pour maintenir la tranquillité publique ; ou y prononce en dernier ressort sur les procès criminels de toutes les provinces. Depuis la tentative d'assassinat faite l'année dernière sur le cardinal Rivarola, la Consulte n'a eu que trop d'occasions d'exercer ses terribles fonctions. En novembre 1827 et en mai dernier, on a pendu plu- sieurs carhonari à Ravenne. Le plan de M. de Metter- nich étant, depuis bien des années, d'elTrayer tous les souverains d'Italie du carbonarisme, on sent quelle importance la Consulte a dû acquérir. Elle est présidée par le Secrétaire d'Etat en personne. De 1824 à 1827, ce fut ^W le cardinal délia Soma- glia ^, âgé de quatre-vingts ans, et, dit-on, fort sourd. Ainsi que je vous l'ai dit déjà, M^"^ Bernetti remplit aujourd'hui la charge de Secrétaire d'État. Il fut longtemps un des habitués les plus spirituels de la princesse Doria, qui, à ce que l'on assure, est honorée de la haute bienveillance de Sa Sainteté Léon XII.
« Plusieurs cardinaux sont membres de la Con- sulte ; il y a huit monsignori ponenti (rapporteurs) : chacun est chargé de plusieurs provinces ; l'un d'eux remplit les fonctions de secrétaire, emploi qui mène à tout, parce que le secrétaire voit souvent le pape pour lui rendre compte des délibérations. Cette
1. Mort le 2 avril 1830, étant doyen du Sacré Collège, secrétaire de la congrégation du Saint-Ofiice, préfet de la congrégation des Rites et cérémonies.
Rome, Naplf.s et Florence, II 24
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commission s'assemble le mardi et le vendredi. Lorsque le siège est vacant, le secrétaire fait son rapport aux trois cardinaux capi cVordine, chargés du gouvernement de l'Etat. Ces cardinaux sont pris dans les trois ordres de cardinaux, évêques, prêtres, diacres ; leurs pouvoirs ne durent qu'un jour ; après quoi, ils cèdent la place à d'autres, et ainsi de suite, jusqu'après l'élection.
« La congrégation del huon Governo examine les projets de dessèchements et d'améliorations de culture, ceux concernant les octrois de villes, et toutes les causes civiles ou criminelles qui y ont rapport hors de Rome ; elle prend connaissance des revenus, des dépenses, des dettes des communautés. Outre les cardinaux, cette congrégation compte douze prélats rapporteurs.
« La congrégation de V Inquisition a douze car- dinaux, indépendamment d'un cardinal-secrétaire. Un grand nombre de jurisconsultes et de théolo- giens sont attachés à l'inquisition, comme consul- teurs. Le général des Dominicains et le maître du sacré palais sont consulteurs-nés. Malgré ce luxe de membres, l'inquisition romaine ne fait guère périr que deux ou trois pauvres diables par siècle. Il y a un avocat pour la défense des accusés ; mais les formes de la procédure devant ce tribunal sont terribles ; le plus profond secret est prescrit aux juges.
« L'inquisition connaît de tout ce qui intéresse la
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religion et la foi, hérésies, blasphèmes, mauvaises doctrines, mauvais livres, profanations, abus des sacrements, accusations de sortilèges. Il y a un livre curieux de Menchini, intitulé : Sacro arsenale, ovvero pratica delV ufficio délia sacra inquisizione, Rome, 1730, Le Manuale Consultorum, de Bordoni, contient un curieux chapitre sur les tortures infli- gées aux accusés.
« Le saint-office a été d'une immense utilité à la religion romaine. Les meilleurs catholiques ne se trouvent-ils pas en Espagne et en Portugal ? h^ Histoire de r Inquisition, ipaT le chanoine Llorente, en fait foi.
« La théorie de la persécution religieuse fut éta- blie par l'empereur Théodose I^^, vers 385, et l'of- fice d'inquisiteur de la foi, si justement abhorré, date en réalité de son règne.
« En 1204, Innocent III donna naissance à l'in- quisition, en envoyant des religieux en Espagne, pour punir les Albigeois, dont l'hérésie commençait à s'y répandre. En 1231, Grégoire IX profita de la ferveur qui animait les Dominicains, dont l'ordre venait de s'établir, pour les charger seuls des procès à intenter aux hérétiques. En 1483, Sixte IV établit une inquisition en Espagne ; ce ne fut qu'en 1531 que le Portugal eut son inquisition, qui se distingua surtout à Goa ; la relation de ce qu'elle y fit est curieuse. Enfin Paul III Farnèse établit à Rome le principal siège de l'inquisition, et institua la
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congrégation dont je viens de vous parler : il lui donna le pouvoir de créer des inquisitions dans toute la chrétienté. Ce pape semblait rechercher tous les titres de la réprobation publique. Marié clandestinement, l'histoire l'accuse d'avoir été l'amant de sa propre fille, d'avoir vécu en concubi- nage avec sa sœur, qu'il livra à la luxure d'Alexan- dre VI pour en obtenir des honneurs, et enfin d'avoir empoisonné sa mère.
« La congrégation de l'inquisition s'assemble trois fois par semaine : le lundi, dans le palais du saint-office, près Saint-Pierre, où sont ses prisons ; on prépare les affaires ; le mercredi, les treize car- dinaiix se réunissent à la Minerve, pour entendre le rapport ; enfin, le jeudi, la congrégation s'as- semble en présence du pape, et l'on décide du sort des accusés. L'intervention obligée du souverain- pontife impose souvent une certaine modération à ce tribunal.
« Celui que les poursuites de l'inquisition effraie a le moyen de s'y soustraire, mais en ouvrant sa bourse : c'est de s'adresser à la Pénitencerie. On y connaît de tous les péchés, de tous les crimes pos- sibles, de tous les cas réservés, et on les absout au moyen de sommes d'argent. Les pénitenciers obtiennent, sur une supplique, la permission d'ab- soudre, qu'on leur expédie par un bref où le nom du pécheur reste en blanc. Ce tribunal est présidé par le Grand-Pénitencier, charge que M^"^ le cardinal
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Castiglioni ^ occupe actuellement. Aux fêtes solen- nelles, le Grand-Pénitencier va_dans une des basi- liques de Rome, pour y entendre la confession des cas réservés.
« Les taxes de la pénitencerie furent établies vers 1330 par un pape français, Benoît XII. Pie II, à la faveur de cette fiscalité catholique, retira des sommes immenses de la vente des indulgences et des dispenses ; leur scandaleux trafic excita les plus vives clameurs contre le Saint-Siège. Chaque péché avait son prix fixe, et pour 20.000 ducats on se pro- curait une indulgence plénière.
« Le tarif des taxes de la chancellerie aposto- lique, inventé en 1320 par Jean XXII, égaleTment votre compatriote, comprenait une nomenclature de trois cent quatre-vingt-cinq cas pardonnes pour de l'argent. Chose singulière, le prêtre qui enterrait un excommunié en terre sainte, ou qui célébrait l'office dans un lieu interdit, sans le savoir, payait autant qu'une sorcière ou une empoisonneuse, c'est- à-dire plus qu'un laïc qui avait tué son père, sa mère, sa femme, son enfant. Le dernier tarif en usage dans l'Eglise romaine, et approuvé par elle, parut pour la première fois à Rome, en 1514 ; réimprimé diverses fois depuis, son titre est : Taxse cancellarise apostolicse et taxse sacrse peniteu' tiarise. Le tarif comprenait trente-sept articles,
1. Devenu pape en 1829, sous le nom de Pie VIII. Rome, Naples et Florence, II 24^
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dont la plupart des titres offensaient tellement les mœurs, qu'il serait impossible de les reproduire. Les pères du concile de Trente mirent ce tarif à l'index. Clément XI sut tirer un grand profit des dispenses : il poussa l'avidité jusqu'à vendre à un Espagnol la permission d'épouser sa sœur.
« Il faut en convenir, jamais la crédulité humaine ne fut mise à une plus rude épreuve que par la création de semblables impôts.
« La congrégation délia Propaganda reçoit les relations des missionnaires des diverses parties du monde. Elle recrute cet apostolat, et le fournit de livres imprimés dans toutes les langues, à sa propre imprimerie. Ces recrues, originaires du pays où sont les missions, viennent jeunes à Rome, y sont élevés aux frais du Saint-Père, et renvoyés ensuite façonnés au joug. La propagande de Londres, représentée par la Société biblique, ne laissera bientôt rien à faire à sa sœur de Rome. Celle-ci veut des chrétiens pour étendre les domaines de saint Pierre : les biblistes de Londres veulent des pro^ sélytes pour en faire insensiblement des colons qui défrichent au profit du commerce anglais, et qui consomment les produits de ses fabriques. C'est Grégoire XV qui institua la propagande en 1622.
« La congrégation de l'Index (delV Indice) jouit en France d'une certaine célébrité par son ridicule. U Index est un catalogue de vingt à vingt-cinq
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mille ouvrages, dont la cour de Rome condamne l'esprit ou les maximes *. La première édition, publiée en 1559, forme un volume in-octavo fort épais. Il y en a une nouvelle édition du xvii*^ siècle ; on n'y trouve plus l'article des livres condamnés uniquement parce qu'ils soutenaient le mouvement de la terre autour du soleil, ce qui était impie, à cause de ces paroles de Josué : Sta, sol (soleil, arrête-toi) ; on a ainsi fait grâce à Copernic, Boer- haave, Galilée.
« Croiriez-vous que le préfet de cette congréga- tion accorde des permissions de trois ans pour lire des livres mis à l'index, et que la permission peut être renouvelée à son expiration ? Rien de plus vrai cependant.
« Paul IV passe pour être l'inventeur de l'Index ; mais ce fut saint Pie V, dont vous avez vu le tombeau à Sainte-Marie-Majeure, vis-à-vis celui de Sixte- Quint, qui établit la congrégation chargée de scruter les travaux de l'esprit ; le Maître du sacré palais en fait partie. L'Index, tombé en désuétude sous l'administration du cardinal Consalvi, est redevenu inquiétant pour les Romains, dès 1826. Sa rigueur s'exerce principalement sur les livres pouvant bles- ser l'autorité ecclésiastique ; si on ferme quelque- fois les yeux, c'est plutôt sur les écrits licencieux, car il vaut mieux cent fois que l'esprit soit occupé de semblables sujets, que de matières de foi,
« Je craindrais de vous ennuyer en vous parlant
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de toutes les congrégations ; mais cependant je ne veux pas terminer leur chapitre sans vous dire quelque chose de celle des Rites, à cause du culte du Sacré-Cœur de Jésus et de la canonisation des saints. A la congrégation des Rites appartiennent, en outre, l'inspection des cérémonies religieuses, l'approbation des rubriques, des bréviaires, des missels, et même des processions. Elle seule accorde aux paroisses, aux cités, aux provinces, les j^atrons qu'on lui demande.
u Le culte du Sacré-Cœur de Jésus est d'une immense importance, en France surtout. Beaucoup de personnes ici ont la simplicité de croire qu'il peut amener la conversion de ce royaume : car, ainsi que je vous l'ai dit, les gens éclairés de Rome vous regardent comme plus qu'à-demi protestants. Le culte du Sacré-Cœur de Jésus tend à persuader à chaque fidèle qu'il doit laisser diriger l'afTaire de son propre salut uniquement par le pape, et ne con- sulter en rien sa raison. Le savant abbé Grégoire a donné l'histoire de ce culte, envers lequel je le trouve bien sévère ; car c'est la seule arme qui reste ■au pape contre ce damné de Voltaire, et contre cette maudite logique.
« On pense à Rome qu'il faut faire de temps en temps de nouveaux saints, parce que le crédit des anciens s'affaiblit, se perd même entièrement. Il me semble que, depuis l'avènement de Léon XII, on ■en a fait * un ou deux par an.
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« Lorsqu'il s'agit, dans la coiigréifalion tles rites, de traiter de la (canonisation de (juckiiie bienheu- reux, on tient des assemblées préparatoires ; un avocat, nommé l'avocat du diable, ])laidc contre le saint, pour prouver qu'il n'y a rien d'extraordi- naire dans tout ce qu'il a fait. Les chirurgiens et médecins-vérificateurs examinent ce (ju'il peut y avoir de naturel et de physique dans les faits ({ue l'on produit comme miracles ; des théologiens sont entendus. Si l'avocat perd sa cause, la congrégation se réunit sous la présidence du pape, qui ordonne la cérémonie de la béatification. Ce grand acte du catholicisme n'a lieu ordinairement que cinquante ans après le décès du bienheureux qui en est l'objet. Charles Borromée, par une honorable exception, fut canonisé trente ans seulement après sa mort. Il est probable qu'on ne connaissait pas encore alors ces paroles remarquables du vertueux prélat, adressées à un de ses amis : « Si tu veux te damner, « fais-toi prêtre. »
« Toute canonisation donne lieu à des réjouis- sances publiques et à des cérémonies religieuses. Il n'en peut être autrement, car c'est une des plus grandes solennités de l'Eglise. Par sa vertu, par sa piété, quelquefois par son habileté, une simple créature est devenue un intermédiaire entre Dieu et la terre ! Si la famille du bienheureux est riche, s'il avait rang parmi les puissants de ce monde, sa canonisation est fort coûteuse. On a vu de semblables
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cérémonies occasionner jusqu'à 100.000 écus ro- mains de dépense (535.000 francs) ; ce sont de riches tentures, des menuiseries pour échafaudages, des orchestres, des luminaires, des illuminations, l'ar- tillerie du château Saint-Ange.
« Quelquefois un individu, prévoyant qu'il pourra être canonisé, laisse par testament la somme nécessaire pour subvenir aux frais de la cérémonie. Si l'homme déclaré saint est mort sans fortune, et que personne ne veuille faire la dépense qu'en- traînerait sa béatification, on y pourvoit par des quêtes. Le peuple aime beaucoup ces sortes de fêtes ; elles répandent de l'argent et produisent du mouvement dans Rome. A l'exception d'un petit nombre de cas, les cérémonies des grandes canoni- sations se sont faites, de tout temps, dans l'église de Saint-Pierre.
« La plus ancienne canonisation est celle de saint Uldaric, faite par Jean XV, en 993.
« Parmi les bienheureux dont les titres, quoique non constatés par la cérémonie, n'en sont pas moins authentiques, il en est auxquels on attribue des miracles bien prodigieux ! Saint Goar, qui vivait à la fin du xvi® siècle, suspendait son manteau à un rayon de soleil à défaut de clou. Quant aux miracles, les protestants pensent que le don en a été enlevé à l'Eglise chrétienne, vers le temps de la conversion de Constantin. Les théologiens raisonnables ne sont pas disposés à admettre les miracles du iv^ siècle.
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tandis que les théologiens crédules ne veulent pas rejeter ceux du v^.
« Au nombre des papes qui ont le plus aimé à béatifier, on cite Benoît XIII (Orsini) ; il était fort pieux, très faible, d'autres ajoutent fort sot ; il n'avait pas de plus grand amusement au monde, qu« de faire des saints. Profitant de cette heureuse disposition, on lui proposa Grégoire VII, qu'il adopta tout aussitôt. En France, le parlement fit un' éclat à propos de l'office que l'on introduisit dans le bréviaire pour le nouveau saint.
« Parmi les dernières canonisations, l'une des plus curieuses est celle de ce Julien que Léon XII sanctifia en 1825 ; son principal miracle avait été de ressusciter des mauviettes embrochées et rôties.
CONSISTOIRES
« Le consistoire est l'assemblée des cardinaux réunis en présence du pape. Il y en a de trois sortes : les uns secrets, d'autres publics, et enfin d'autres- demi-publics.
« C'est dans le consistoire secret que se traitent les affaires importantes et délicates. Le pape y fait appeler un petit nombre de cardinaux ; on en choisit ordinairement cinq ou six remarquables par leurs talents, et deux ou trois fort vieux, fort pieux, et surtout fort sourds. Le despotisme a fait de tels progrès à la cour de Rome, que même ce conseil
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si restreint n'est plus consulté. Le pape lui annonce la création des cardinaux et la nomination des nonces, des légats, des évêques, l'érection des églises, etc., etc. Sa Sainteté, le secrétaire d'Etat, le confes- seur du pape même, décident des nominations im- portantes.
« Le consistoire public est l'assemblée générale des cardinaux, et se tient ordinairement tous les mois, pour donner le pallium à un archevêque, ou pour déclarer la béatification de quelque saint ; tout le monde peut y entrer.
« Dans le consistoire public, les cardinaux sont assis sur des banquettes ; ils portent le rochet ; mais le rochet étant une marque de juridiction, ils le couvrent de leur manteau lorsque le pape paraît. Le souverain-pontife, en chape et en mitre, se place sous un dais, dans un fauteuil à dossier fort élevé. S'il s'agit d'introduire un nou- veau cardinal, quatre cardinaux vont chercher le récipiendaire. En entrant, il va se mettre à genoux aux pieds du pape, pour les baiser ; le pape le re- lève en l'embrassant. La joie du nouveau cardinal le trouble d'ordinaire tellement, que souvent il est sur le point de tomber. Il quitte le trône du pape, pour aller donner le baiser de paix à tous les car- dinaux, les uns après les autres. Il n'y en a guère qui, en l'embrassant, ne l'arrêtent pour lui dire quelques mots agréables et lui serrer les mains. C'est chose curieuse à voir que la manière dont le
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récipiendaire compose et décompose son visage, pour paraître gai lorsqu'il embrasse un cardinal, reprendre son air grave après qu'il l'a embrassé, et faire sur-le-cliamp une nouvelle démonstration de joie quand il embrasse le suivant.
« Après le baiser de paix, le nouveau cardinal se repose un instant ; puis il va se prosterner auprès du pape, qui lui donne le chapeau rouge, en lui disant que sa couleur est le signe du sang que Jésus-Christ a répandu pour nous, et de celui qu'il doit toujours être prêt à verser pour la foi.
« Pendant les trois jours qui suivent la réception d'un cardinal, on illumine les palais et les maisons de tous les ambassadeurs et de tous ceux qui prennent une part quelconque à sa promotion.
« Le consistoire demi-public est celui où l'on a besoin de la présence momentanée, soit des avocats consistoriaux, soit de quelques prélats ou ambassa- deurs ; force est bien alors de les y admettre.
CONCILES
« Les conciles ont été un des grands leviers de l'administration spirituelle des papes ; le jugement des conciles généraux, en matière de foi, sert encore de règle aux fidèles,
« Le concile est une assemblée de pasteurs de l'Eglise et de docteurs en théologie, réunis pour
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traiter et juger les matières qui concernent la foi, la religion et la discipline ecclésiastique.
« Il y a des conciles généraux et œcuméniques ; c'est la réunion de tous les évêques de la chrétienté, soit présents, soit convoqués ; des conciles nationaux, composés de tous ou du plus grand nombre des évêques des différentes provinces de l'Etat ; des conciles provinciaux, composés des archevêques et des évêques suffragants.
« Les conciles tenus depuis la fondation du chris- tianisme sont en trop grand nombre pour être cités ici. Le dernier de tous a eu lieu en France, en 1811, sous le pontificat de Pie VII, le cardinal Maury étant archevêque de Paris. M. l'abbé de Boulogne, si connu depuis par son intolérance dans le diocèse de Troyes, y prononça un discours qui déplut à Napoléon, et le concile fut dissous, sans avoir rien décidé sur les objets qu'il était appelé à examiner.
TRIBUNAUX DE ROME
« Si la multiplicité des tribunaux assurait^la bonne administration de la justice, nulle ville^au monde ne serait plus favorisée que Rome : car, indépendamment de tous ceux auxquels on donne ici le nom de congrégations, différentes charges confèrent une juridiction plus ou moins étendue,
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dont plusieurs sont suprêmes et vont jusqu'au droit de mort. Si vous vous sentez assez de courage et de patience pour en prendre une connaissance approfondie, lisez le livre intitulé : Lo stato présente délia aorte di Roma, di Andréa Tossi. Vous y verrez que les biens, la liberté, l'honneur, la vie des sujets du pape, tout est à la merci de juges ecclésiastiques. Quant à moi, je me bornerai à quelques observa- tions sur les tribunaux ordinaires, véritables com- missions comme celles qu'établissait, sous Louis XIII, votre cardinal de Richelieu. Au surplus, le code pénal romain offre dans toutes ses parties l'empreinte du caractère ombrageux et cruel qui distingue le despotisme théocratique.
« Ces tribunaux sont au nombre de cinq : celui du Sénateur, celui du Vicaire, celui du Gouverneur de Rome, celui de l'Auditeur de la Chambre ou de Monte Citorio, et celui de la Rote.
« Ce qui distingue les trois premiers, c'est que celui du Gouverneur concerne plus spécialement les laïcs et la police de sûreté ; et celui du Vicaire, les ecclésiastiques et la police des mœurs. Quant au tribunal du Sénateur, il est le plus limité de tous : ses attributions se réduisent à peu près au maintien des statuts de la ville, et à l'expédition des brevets des notaires du Capitole.
« Ce n'est pas sans motif qu'on a toléré l'exis- tence d'un magistrat portant le titre de Sénateur de Rome ; ce nom rappelle des idées de gloire et de
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grandeur que le chef du catholicisme a voulu entre- tenir. Il sait quelle puissance de souvenirs la répu- blique romaine exerce encore sur les esprits. Eh bien ! son habileté l'a porté à conserver, sous des formes théocratiques, le simulacre d'un gouverne- ment qui fit de si grandes choses. Le Sénateur, aujourd'hui M. le prince Altieri, habite un beau palais au Capitole. Ce juge séculier est toujours étranger. Assisté de ses trois lieutenants, il tient des audiences ; connaît, en première instance, des causes dont l'importance ne s'élève pas au-dessus de 500 écus romains ; fixe le prix hebdomadaire de la viande de boucherie ; fait rembourser les petites dettes ; ne s'occupe que de causes de laïcs, et, le cas échéant, les envoie dans ses prisons, en vertu d'une constitution donnée par Benoît XIV, le 4 janvier 1746. Jusqu'au xi^ siècle, le Sénateur fut indépendant de l'empereur et du pape ; mais depuis, il est aussi soumis au pouvoir de la tiare que tous les autres fonctionnaires. Dans les céré- monies publiques, il est habillé en ancien sénateur, et porte une robe qui traîne jusqu'à terre.
« L'infâme tribunal du Vicaire procède selon les formes de l'inquisition ; tout le monde peut être arrêté sans motif ; un délateur obscur, une femme de chambre mécontente, vous dénoncent, il suffit : la nuit, avec des échelles, on pénètre dans votre domicile, ou bien l'on entre avec de fausses clefs ; ensuite intervient un procès, qui n'admet pas de
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•défenseur j)()ur l'accuse. Malheur alors à riioinme sans protecteurs !
u Les tribunaux du Sénateur, du Vicaire et du Gouverneur ont cela de commun entre eux, que leur juridiction ne s'étend pas au delà de Rome et des ([uarante milles d'alentour, qui forment son district : leur com]>étence est restreinte à une somme très modicjue en matières civiles, et presque illimitée dans les causes criminelles. Ils ne peuvent prononcer en dernier ressort (jue sur un litige de 25 écus ; et ils disposent, sans appel, de la liberté et de la vie des hommes !
« Le tribunal de l'Auditeur prononce sur les causes, tant sacrées que civiles, dont l'objet ne dépasse pas la somme de 500 écus. Toutefois, on peut se pourvoir en cassation de ses arrêts, aux deux tribunaux de Justice et des Grâces.
« Le célèbre tribunal de la Rote a quelque ana- logie avec vos anciens parlements. Il est composé de douze prélats de différentes nations catholiques, revêtus du titre d'auditeurs. Ces juges connaissent de toutes les aiïaires ecclésiastiques de la chré- tienté, et il faut trois jugements semblables pour rendre l'arrêt irrévocable. Jugez de la patience et de l'argent à dépenser, pour arriver à la solution définitive d'un procès !
(( Les douze auditeurs de Rote sont ainsi ré- partis : trois Romains, deux Espagnols, un Fran- çais, un Allemand, un Vénitien, un Milanais, un Bo-
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lonais, un Ferrarais et un Toscan ou Péruginois. Ainsi, c'est quatre ultramontains contre huit Ita- liens, dont six, ou au moins cinq, sont des Etats du pape : le plus ancien est de droit président.
« La Segnatura est un tribunal de révision ou cassation. Il met au néant tout acte judiciaire ou sentence pour défaut de formes, juge les questions de compétence entre les tribunaux, décide si les jugements rendus en première instance doivent être provisoirement exécutés nonobstant appel. Investi d'un pouvoir arbitraire, ce tribunal ne suit aucune règle fixe dans l'exercice de sa juridiction.
« Une exception remarquable existe en faveur des prêtres et des femmes ; la peine capitale ne leur est jamais appliquée ; ils ne peuvent encourir qu'une réclusion plus ou moins longue.
« L'usage de plaider n'existe plus à Rome ; il n'y a pas d'audiences publiques ; la défense s'établit maintenant par factum ou mémoire ^.
CONSERVATEURS DE ROME
« Un respect apparent pour les formes républi- caines a fait décorer du nom de Conservateurs de
1. La réforme judiciaire, décrétée en 1831 par Grégoire XVI, tout incomplète qu'elle est, présente des améliorations notables. L'édit du 5 octobre ne concerne que la justice civile, celui du 8 novembre suivant règle la justice criminelle.
ROME, NAPLES ET FLORENCE 387
Rome trois magistrats municipaux (jui sont censés représenter le peuple romain. C'est d'eux que Mon- taigne reçut, le 13 mars 1581, ces belles lettres qui lui conféraient le titre de citoyen romain, afin, y est-il dit, « de procurer quelque lustre et quelque avantage à notre république ».
« Au surplus, les Conservateurs représentent les consuls de l'ancienne Rome, à peu près comme les Cordeliers à' Ara Cœli tiennent la place des prêtres du temple de Jupiter Capitolin. Ces Conservateurs se garderaient bien de lutter d'autorité avec les curés ^, dont le pouvoir va jusqu'à faire jeter en prison celui dont ils croient avoir à se plaindre.
« Les statuts indiquent, plutôt qu'ils n'établissent, le droit exercé par le pape, de nommer le Sénateur et les Conservateurs ; ces derniers ne sont brevetés que pour six mois.
FONCTIONS
« On donne à Rome le nom de funzioni à toutes les cérémonies civiles ou religieuses qu'accompagnent la pompe et l'éclat.
« La plus brillante des fonctions est celle du pos- sesso 2 ; c'est le cortège du pape, lorsque, après son
1. Les paroisses à Rome sont au nombre de cinquante- quatre.
2. Après seize mois de règne, Grégoire XVI a pris enfin possession du saint siège, le 31 mai 1832. Cette cérémonie.
388 STE^•DHAL
couronnement, il va prendre possession de l'église Saint-Jean-de-Latran, regardée comme la première des églises de Rome et comme la mère de toutes celles de la chrétienté. Dans aucune circonstance le pontife ne se montre entouré de tant de magni- ficence. A la chute du jour, les trois palais du Capi- tole sont superbement illuminés en bougies. Pen- dant fort longtemps, l'usage a exigé que, le jour du possesso, le pape s'assît sur la fameuse chaise per- cée ; vous savez pourquoi.
« Rien de plus humiliant que l'obligation à la- quelle les malheureux Juifs étaient soumis jadis, lors du possesso. Vers l'arc de Titus, dans un lieu paré et décoré à leurs frais, les rabbins et les anciens se présentaient au passage du pape, dans sa marche du Vatican à Saint-Jean-de-Latran. Là, ils lui offraient, à genoux, le Pentateuque, dans un bassin rempli de pièces d'or et d'argent. Le pape donnait un coup de baguette sur le bassin, et un autre sur la tête ou sur les épaules du premier rabbin ; ce qui indiquait que Sa Sainteté acceptait l'hommage des Juifs et qu'Elle leur permettait de rester à Rome pendant son pontificat.
« Aujourd'hui les choses se passent d'une manière moins offensante ; les Juifs font tapisser le chemin entre l'arc de Titus et le Colysée ; le rabbin le plus
entourée ordinairement d'un si grand appareil, a eu lieu, pour ainsi dire, comme à la dérol)ée ; les seuls cardinaux y ont assisté.
ROME, NAPLES ET KLORENCE 389
considérable, en tète de ses coreligionnaires, offre à Sa Sainteté une bible hébraïcjue ; le pape la reçoit et les engage à ne plus attendre le Messie que ce livre leur annonce, puisqu'il y a plus de dix-huit cents ans qu'il est venu ; Sa Sainteté ajoute quebjues exhortations pour amener les Juifs au giron de l'Église.
« Vous remarquerez que le lieu choisi pour l'acte d'obédience ajoute encore à ce que la démarche a d'humiliant ; car vous savez (jue parmi les bas- reliefs de l'arc de Titus, il en est un qui représente des Juifs chargés de chaînes et figurant au triomphe de leur vainqueur. Les Israélites qui habitent Rome, par un vieux reste de patriotisme et d'amour pour leur religion, ne passent jamais sous l'arc de Titus ; ils se sont pratiqués un petit chemin à côté, pour aller au Campo Vaccino, lorsque leurs affaires les y appellent.
« Entre autres vexations inventées pour ces pauvres Juifs, en voici une assez curieuse : Gré- goire XIII imagina de les soumettre, tous les same- dis, à une prédication spéciale ; elle a lieu dans l'église de Santa Trinità de' Pellegrini, voisine du Ghetto. Les Juifs, sous peine d'amende au profit de l'église des Catéchumènes, sont obligés d'en- voyer au sermon cent hommes et cinquante femmes; mais comme le sommeil les gagne bientôt, un bedeau, armé d'une longue baguette, va de rang en rang réveiller ceux que le sermon assoupit. Pie Via plus
Rome, Naples et Florence, II 25.
390 STENDHAL
qu'aucun de ses prédécesseurs appesanti le joug de l'intolérance sur ces malheureux.
« Une fonction qui ne le cédait à aucune autre pour le ridicule, c'était Vhommage de la haquenée.
« Charles I^^, roi de Sicile, avant de recevoir la couronne des mains d'Urbain IV, prêta serment de fidélité au pape et à ses successeurs dans l'église de Saint-Pierre, et promit d'y offrir chaque année une redevance de 40.000 florins. En 1472, Sixte IV obligea Ferdinand, roi de Naples, à payer un tribut plus élevé et à y ajouter la présentation de la ha- quenée.
« Tous les ans, la veille de la fête des apôtres saint Pierre et saint Paul, le connétable du roi de Naples offrait, au nom de son souverain, dans l'église de Saint-Pierre, une haquenée et une bourse contenant le tribut, en signe de vassalité. Ferrée en argent, couverte d'un harnais d'un même métal, la haque- née était parée de magnifiques panaches. Aussi longtemps qu'elle pouvait se tenir sur ses jambes, c'était toujours la même ; car la pauvre bête avait un rôle à jouer, et qu'on ne parvenait à lui ap- prendre qu'avec de grandes difficultés ; elle devait s'agenouiller devant le pape, tout comme les fi- dèles.
« La dernière présentation a eu lieu en 1787. Le prince Colonna y figurait comme connétable de Naples. La cérémonie se fit avec toute la pompe accoutumée. Le pape, assis sur un trône, à l'entrée
ROME, NAPLES ET FLORENCE 391
de l'é^rlise de Saint-Pierre, reçut du connétable la bourse contenant le tribut ^, ainsi ([ue la haque- née.
« Le roi des Deux-Siciles, qui dei)uis longtemps contestait la légitimité de cette redevance, la sup- prima l'année suivante (1788). Pie VI, douloureu- sement affecté de ce refus, adressa des réclama- tions dans l'objet, à la cour de Naples ; on les reçut avec aigreur ; mais la révolution française s'avan- çant à grands pas, le gouvernement napolitain se hâta de terminer cette petite querelle : il s'engagea à payer 500.000 ducats, en forme de i)ieuse of- frande à Saint-Pierre, à l'avènement de chaque roi au trône des Deux-Siciles. Rome consentit, à ces conditions, à l'abolition du tribut annuel, ainsi qu'à celle de la cérémonie humiliante de la haquenée et du vasselage.
« En 1818, les gouvernements de Rome et de Naples conclurent un nouvel arrangement, duquel résultait pour la couronne des Deux-Siciles l'affran- chissement de tout tribut ; le traité fut signé à Terracina par M. de Medici et par le cardinal Con- salvi.
« La cour de Rome paraît, au surplus, avoir fait tout dernièrement de nouvelles démarches pour rétablir l'exercice de son droit de souveraineté ; mais il n'y a guère d'apparence que le roi de Naples
1. II était de 6.000 ducats, équivalant à 63.400 francs.
392 STENDHAL
satisfasse à cette prétention ^.
« Au reste, depuis le congrès de Vienne (1814), le pape proteste tous les ans contre l'abandon d'Avi- gnon (réuni à la France en 1791), de Parme et du royaume de Naples.
« Je terminerai par quelques mots sur la plus grande fête de l'année, celle de Saint-Pierre ; elle attire à Rome beaucoup d'étrangers. Outre la solen- nité et la pompe qui accompagnent l'office du jour, le soir la coupole de Michel-Ange est entièrement illuminée, et l'on tire un feu d'artifice sur le château Saint-Ange ; il est du plus brillant effet, et coûte ordinairement 500 écus romains (2.700 francs). Quant à l'illumination de la coupole, c'est la plus belle chose que l'on puisse voir dans ce genre, et je ne saurais, par de simples paroles, vous donner une idée de sa magie. Cette illumination, ainsi que le feu d'artifice du château Saint-Ange, se répètent deux jours de suite, la veille et le jour de la fête du
1. Dans un consistoire secret, tenu en mars 1831 par Grégoire XVI, Sa Sainteté a annoncé aux cardinaux la mort do François II, roi de Naples, ainsi que l'avènement de Ferdinand II, son fils, au trône des Deux-Siciles. Le souve- rain pontife a annoncé, en même temps, qu'il allait donner l'investiture au nouveau monarque, et lui réclamer le tribut ; toutefois, il n'a pas été offert le 29 juin 1831. — L'origine de l'investiture du royaume de Naples, que donnait le pape, date réellement de la transaction de Léon IX avec les Normands, à la suite de la défaite et de la captivité du pontife, le 18 juin 1053.
ROME, NAPLES ET FLORENCE 393
patron de la cité sainte.
« A propos de saint Pierre (Simon Barjone), le spirituel Erasme faisait une singulière remarque ; c'est que le chef de la religion chrétienne commença son apostolat i)ar renier Jésus-Christ, et que le premier pontife des Juifs (Aaron) avait commencé son ministère par faire un veau d'or et par l'adorer. »
NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS
TOME PREMIER
Page 3. Préface. — Ce morceau, daté de Montmorency, le 30 juillet 1824, sur sept pages in-folio, écrites au recto seulement, entièrement de la main de Stendhal, avec quelques additions ou variantes au crayon d'une autre main, figure dans un des volumes de manus- crits qui appartenaient au pasteur Maystre, de Genève : acquis en 1900 par M. Chéramy, ce volume a été adjugé à la vente de 1913 à M. Edouard Cham- pion. C'est de ce même volume que nous avons tiré trois fragments de notre Supplément (voir page 309 du présent volume). Cette préface avait été écrite par Sten- dhal au moment où, d'actifs pourparlers étaient déjà engagés avec des libraires parisiens pour une nouvelle édition de Rome, Naples et Florence (voir notre Aifant- propos) ; c'est très probablement le morceau au sujet duquel l'auteur demande l'avis de Jacquemont, dans une lettre du mois d'août 1824, et que Jacquemont trouva détestable en septembre 1824 (voir lettre à Jac- quemont du 24 décembre 1825, signée Tempête) ; fina- lement l'édition de 1826 parut sans la préface. Colomb comptait la donner dans son édition de 1854, comme le prouve le prospectus de Michel Lévy frères (Rome, Naples et Florence, avec une préface inédite) ; puis il projeta, ainsi que le montre une note de sa main
396 ROME, NAPLES ET FLORENCE
annexée au manuscrit, de l'insérer dans le volume de Mélanges (Vart et de littérature annoncé dans le même prospectus ; mais ce volume ne parut pas à cette époque. Les Mélanges publiés en 1867 ne con- tiennent pas cette préface.
C'est pourtant un morceau curieux, dont on peut s'étonner qu'il n'ait pas été publié plus tôt. Stendhal y cite in extenso la lettre de Mongie du 3 avril 1824, qui contient le fameux mot sur le livre de V Amour. On sent que notre auteur a été sensible à la nuance insolente de cette lettre, et il réussit, en quelques mots, â faire partager à ses lecteurs sa juste rancœur. Les innombrables éditions de V Amour ont aujour- d'hui vengé Stendhal de la raillerie commerciale de Mongie.
On remarquera que Stendhal a incorporé dans l'édition de 1826 les deux derniers paragraphes de cette préface.
Le manuscrit porte, en tête : Préface de la troi- sième édition ; en marge, une note à la plume : A co- pier le plus tôt possible, 4 août [1824].
Page 3. ... j'avais en horreur V affectation... — Variante, en marge, au crayon, d'une autre main : [Tavais^ une telle horreur pour V affectation que je tombais sou- vent dans Vexcès contraire.
Page 4. ... la société à la mode,... — Variante au crayon, d'une autre main : la société jeune.
Page 4. ... change si fort en sept ans ! — Les ratures n'empêchent pas de lire la phrase primitive ainsi con- çue : « Hélas ! ces motifs n existent plus. Le monde change si fort en sept ans. La plupart de mes amis sont morts en prison ou exilés, ou ne m'aiment plus. » Sten- dhal avait en outre piqué la note suivante qui est restée inachevée : « Le lecteur rencontrera peut-être ici avec quelque plaisir une phrase de lord Byron. Ce grand poète rn écrivait le... 1822... » Allusion sans doute à la lettre de Byron à Stendhal du 29 mai 1823, publiée par
NOTES ET ÉCLAinCISSEMENTS DU TOME I 397
le Globe du 2 novembre 1824, puis par Romain Colomb, dans sa Notice sur Bei/Ie, et où se trouve un passage concernant les amis disparus : « Tant « de changements ont eu lieu depuis cette époque dans « le cercle de Milan, que j'ose à peine en rappeler le « souvenir... La mort, l'exil et les prisons autri- « chiennes ont séparé ceux que nous aimions... Le « pauvre Pellico ! J'espère que, dans sa solitude « cruelle, sa Muse le console quelquefois... pour nous « charmer encore un jour, quand son poète sera rendu « avec elle à la liberté. »
Page 4. ... m' engager à donner... — Variante au crayon (au heu de : m' engager à faire'), que nous adoptons.
Page 4. ... de franchise,... — Variante au crayon : de naturel.
Page 4. ... au café Tortoni. — Rédaction primitive de Stendhal : « La plupart des voyageurs reviennent de Rome mourant d'ennui, sans avoir parlé à trois femmes d'Italie, et le plus beau moment de leur voyage est celui où ils revoient le café Tortoni. » Le correcteur a modifié au crayon le commencement de la phrase de la façon suivante : « La plupart des voyageurs qui vont à Rome pour jouir de la belle Italie et se donner une année de délices, en revien- nent, etc. » Stendhal, s'inspirant de cette addition, a remanié tout le passage et adopté le texte que nous imprimons.
Page 5. Je ne ferai point... ■ — -Variante au crayon : Je ne ferai pourtant point.
Page 5. ... comme le dit élégamment M. Mongie,... — ■ Variante de la main de Stendhal : Comme le dit l'érudit AI. Mongie. Variantes au crayon, d'une autre main : Comme le dit poliment M. Mongie et : Comme le dit avec tant d'érudition M. Mongie.
Page 6. ... moins humiliante.., — Variante au crayon : moins pénible.
398 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 6. ... que je désire. — Addition au crayon, d'une
autre main : C'est un pays fort doux à habiter. Page 6. ... imprime sur Vltalie,... — Cf. page 86,
tome II, Rome, 4 octobre 1817. Page 6. ... toujours dissimulant,... — Addition, d'une
autre main, au crayon : Toujours songeant à tromper
quelquun. Page 6. ... Vêtre prudent... — Variante au crayon,
d'une autre main : sagace. Page 6. ... du Piémont et de Naples. — Suit une phrase
barrée à l'encre : « Ils se sont laissé détruire {?) pour
n avoir pas osé dans le principe souiller leur cause en
répandant le sang innocent. »
Page 7. ... battements de cœur. — Ed. 1817 : Quels trans- ports de joie, quels battements de cœur !
Page 7. ... à vingt-six ans ! — Ed. 1817 : à trente ans. Né en 1783, Stendhal avait 30 ans en 1813, date à laquelle il fit effectivement un voyage en Italie.
Page 7. ... durera trois semaines ? — Cf. lettre à Pauline Beyle de Vienne, 1809 : « On ne sait pas plus à Vienne quà Grenoble si le monde durera encore trois semaines. » (Corresp., tome I, p. 349.) C'est le mot de Figaro (Barbier de Séi'ille, acte III, scène 5.)
La Revue d'Edimbourg, dans son article de novem- bre 1817, citait ce premier paragraphe in extenso, et qualifiait l'auteur de flippant (léger et un peu impertinent). On voit par la Correspondance que Stendhal fut sensible à ce reproche ; dans une lettre du 20 novembre 1818, parlant d'un projet de nouvelle édition de Rome, Naples et Florence, il dit à Mareste : « Les additions sont d'un genre plus solide, plus sérieux, méritant moins l'accusation de flippancy. » L'épithète de flippant est une des plus profondes qui aient été trouvées pour caractériser le talent de Stendhal, et cela dès 1817.
Page 7. ... sur les plaisirs de la neige. — Dans l'éd. de
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I 399
1817, ces six lignes sont réduites à ceci : « Rien pour le cœur. Le froid m' empêche d'avoir du plaisir, »
Page 8. ... au service de France. — Ed. 1854 : au ser- vice de la France.
Page 8. ... pouvait fort bien conduire... — Ed. 1854 : pouvait fort bien faire conduire.
Page 8. ... au violon. — Ce paragraphe est ainsi rédigé dans la 1^® édition de 1817 : « Tai trouvé l'auberge de Af°^® Catalani pleine d' ambassadeurs et de cordons de toutes les couleurs : la tête tournerait à moins. Aventure singulière. L[e] R[oi] est vraiment un galant homme. Par hasard, je trouve cette aventure racontée sans mensonges dans ce jésuite de Journal des Débats. » La traduction anglaise imprime bravement : L. R. is indeed an honest man.
L'anecdote de M'"® Catalani a été tirée effective- ment par Stendhal du Journal des Débats, n^ du 13 no- veinbre 1816. De grandes fêtes eurent lieu à Munich, fin octobre, à propos du mariage de la princesse Char- lotte de Bavière avec l'Empereur d'Autriche Fran- çois I^i", ou plutôt avec son frère, le prince Charles, qui l'épousa... par procuration, le 29 octobre à 6 h, 1/2 du soir. Le correspondant des Débats, dans une lettre datée de Munich, 1^"^ novembre, raconte ainsi l'aventure de la Catalani : « Il paraît que nous n'aurons pas le plaisir d'entendre M™® Catalani, quoiqu'elle se trouve ici depuis huit jours. Elle avait pénétré, le jour de la bénédiction, au palais de l'Impé- ratrice, dans la chapelle royale (qui est très petite), et prit place sans façon, avec M. Brazzi qui lui donnait le bras, à la tribune destinée aux jeunes princesses de Bavière. Elle en fut renvoyée par un maître de céré- monies lorsque les princesses arrivèrent, et obligée de se retirer dans une galerie supérieure. Le jour suivant, étant chez la Reine où elle devait chanter dans un concert particulier, elle se plaignit amèrement de ce procédé, en disant qu'elle était accoutumée à être
400 ROME, NAPLES ET FLORENCE
assise aui^rès des princesses, que le prince régent d'An- gleterre et le Roi de Prusse l'avaient souvent placée au premier rang. La Reine, qui est d'une bonté angé- lique, tâcha de la calmer, et lui dit en riant que s'il y avait eu à Saint- James ou à Berlin une grande céré- monie dans un si petit local, elle n'aurait peut-être pas trouvé une place aussi commode. Mais la canta- trice devint toujours plus passionnée, et déclara enfin, en fondant en larmes, qu'elle ne pouvait pas chanter. Alors le Roi, qui était survenu, la fît renvoyer et lui fit défendre de chanter à Munich. Depuis cette affaire, M'"^ Catalani a essayé plusieurs fois d'obtenir la per- mission de chanter à la cour ; mais elle lui a été re- fusée. )>
Page 9. ... de velours ou de satin. ■ — Ed. 1817 : Von a fait 1.085 habits de velours ou de satin.
Page 10 à la Scala,... — Ed. 1854: Aous nous recevrons
à la Scala.
Page 10. ... au pied des Alpes. — Ce paragraphe n'existe pas dans l'édition de 1817. — Mélilde allait souvent à Desîo, car sa cousine M"^^ Traversi y possédait une villa. C'est ce qui explique sans doute le souvenir ému que Stendhal garde de Desio en 1826.
Page 10. ... réfléchie par les décorations. — Ed. 1817 : qui vient des décorations.
Page 10. ... que fai promis de garder... — Ed. 1817 : que je me suis obligé à garder.
Page 11. ... surtout pas de gravité. — Ed. 1817 : Je suis présenté dans sept ou huit loges. Je trouve des manières pleines de naturel et une gaieté douce. — Note sur l'ex. de Civila-Vecchia : // y a un peu de trivialité dans ce pays-là.
Page 11. ... de la première beauté .'» — Cf. Histoire de la Peinture en Italie, chap. cxxx, note.
Page 11. ... qu'il faut faire... — Ed. 1817 : qu'il faut donner.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I 'lOl
Page 11. ... par exemple ... — • Ed. 1817 : surtout.
Page 11. ... pour se faire exhumer. — - Ed. 1817 : donne contre la voûte pour se faire ouvrir.
Page 12. ... la plus enflammée,... — Ed. 1817 : la plus pleine de feu.
Page 12. ... depuis longtemps. — Ed. 1817 : de ma vie.
Page 12. ... qui commence à percer en ce pays ;... — Ces mots n'existent pas dans l'édition de 1817.
Page 12. Est-ce une œuvre de génie? — Ed. 182G : est-ce un œuvre de génie ?
Page 12. C'est une œuvre de génie. — Ed. 1826 : C'est un œuvre de génie. Dans la Vie de Rossini, Stendhal avouera avec beaucoup de bonne grâce qu'il s'est trompé.
Page 13. ... pour apprendre à déclamer... — Ces mots n'existent pas dans Téd. de 1817.
Page 13. ... le grand acteur... — Ed. 1817 : le grand artiste.
Page 13. ... cest là le sublime. — Ed. 1817 : cest du sublime.
Page 13. Les meilleures tragédies... — Ed. 1817 : Les tragédies.
Page 13. ... Il syjicope... — Cette expression, en musique, a un sens très précis qui n'est pas évidemment celui que veut lui donner l'auteur ici ; Stendhal veut sim- plement faire entendre qu'au lieu de composer de longues phrases, Solliva ne donne que de petites phrases concises. Dans la Vie de Rossini, Stendhal dira de même que Rossini syncope à chaque instant des phrases de Cimarosa.
Page 13. ...la musique en a fait... — Ed. 1817: il est.
Page 13. ... de la profondeur aux sentiments. — - L'édition de 1817 ajoutait ici : Voilà l'avilissante monarchie.
Page 14. ... notre trésor. » — Cette conversation a été ajoutée en 1826.
Page 14. ... par des Italiens. — Les trois dernières phrases n'existent pas dans l'éd. de 1817. — Note
Rome, Naples et Florence, II 26
402
ROME, NAPLES ET FLORENCE
de l'ex. de Civita-Vecchia : Eji Lomhardie, les pires ennemis de la liberté sont les nobles prétendus libéraux, qui tendent à faire avorter la présente révolution des esprits et veulent l'oligarchie. C'est la même tendance quen Angleterre (Por\r6], Con\Jalioneri^) .
(Ce passage a été barré par Stendhal, après coup, et il a ajouté en travers : Us sont en prison et en fuite).
Napoléon, 3 juillet 1818. Pour bien comprendre et bien faire sentir V influence de Napoléon en Lombardie, il faut voir ce qu était ce pays fertile en 1795. Marie- Thérèse avait commencé à être tolérante. Mais ce pays était encore empoisonné par V abominable gouvernement de Philippe IL II fallait un remède énergique. Joseph II tomba sur les prêtres et les nobles vers 1783. Mais le remède n était pas encore assez énergique. Napoléon vint... On peut prendre des lumières sur la Lombardie en 1780 dans les Vies de Pietro Verri, homme supérieur, et de Beccaria, écrites par Pietro Custodi (?) dans la plate collection de Custodi.
Page 15. ...du moyen âge. — On reconnaîtra ici quelques phrases ajoutées en 1826 et tirées de la Préface de l'édition de 1817. (Voir Appendice, tome II, page 119.)
Page 15. ... vers 1780;... — Ed. 1817 : vers 1740.
Page 15. ... r harmonie... — Ed. 1817 : la symphonie.
Page 15. ... ce beau climat ; ... — -Voir tome I^^, page 236, la citation italienne d'AIfieri (la pianta uomo).
Page 15. ... ailleurs, on nen a que la copie. — L'éd. 1817 ajoute : Le vrai sentir fut fait pour eux.
Page 15. Je sors cVune loge... — Toute cette fm du journal du 1®^ octobre ajoutée en 1826.
Page 16. ... quelque femme de leurs amies,... — Ed. 1854 : quelques femmes de leurs amies.
Page 16. ... Malaspina, ce poète... — Voir le Supplé- ment, nP II, où Stendhal nomme Radaelli, avec qui il fut en relations suivies (voir plus bas, page 141, et de V Amour, chap. xxxi, petite ode de S. Radael,
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMEiNTS DU TOME I 403
citée en note). M. II. Cordier, dans sa Bibliographie stendlialienne, page 63, cite, d'après M. Paul Arbelet, un article du Prof. F. Novali (dont la date n'est pas indiquée) sur Radaelli.
Page 17. ... ces habits dlioinme... — Ed. 1854 : ses habits d'homme.
Page 18. ...le danger de Malaspina. » — Dans une lettre à Mareste (Correspondance, édition Paupe, tome II, page 331), Stendhal fait allusion à cette anecdote : « Pour 1.200 francs, je donnerai... cent pages d'addi- tion ; le conte fort vrai de Gina (le banquier s'appelait Soreri ; elle était de Novare) est un échantillon. » — L'anecdote de Gina était, dans la 1^*^ édition de 1817, réduite aux lignes suivantes : « Je voyais ce ballet à côté d'une femme, belle encore, qui, il y a quel- ques mois, ayant son amant malade, et gardée de près par son cavalier servant, s'habillait en homme, sortait par la fenêtre, et entrait chez son amant, aussi par la fenêtre. Elle le veillait toute la nuit, et rentrait chez elle à cinq heures du matin. On comprend quil y a dans ces physionomies-là certains mouvements qu'on ne voit pas chez ?ios belles Parisiennes. » Voir au Supplé- ment, tome II, page 319, la rédaction première de l'anecdote développée de Gina.
Page 18. ... à partager le ridicule. — Ed. 1856 : à par- tager le même ridicule.
Page 18. ... son second ouvrage... — Note de Stendhal sur l'exemplaire Le Petit : « Solliva n'a plus rien fait que de l'harmonie. »
Page 19. ... très travaillée,... — Ed. 1854 : très variée, qui n'a pas beaucoup de sens.
Page 19. ... toujours le même... — Ajouté en 1826.
Page 19 : ... maestro,... — Ed. 1817 : musicien.
Page 19. ... soprano Velluti. — Ed. 1817 : castrat Vel- luti.
Page 20 à mademoiselle Cinti,... — Ed. 1817 : à ma- demoiselle Festa.
404 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 20. ... du duc de Hongrie. — Ed. 1817 : du prince hongrois.
Page 21 que serais- je?)) — Tout ce paragraphe, depuis:
en France, un homme d'autant d'esprit, a été ajouté en 1826.
Page 21. ... il faut un cœur froid. — L'éd. 1817 ajoute-: c^est Vun des grands principes de la science de Lavater. Cf. Vie de Haydn, page 384.
Page 21. ... sur le baron allemand Kœnigsfeld,...
Correction de Stendhal sur un exemplaire de 1817 de l'ex-coUection Stryienski : chez le baron allemand Kœnigsfeld.
Page 21 un peu d'esprit:... — L'éd. de 1817 dit simple- ment : choquent les sots.
Page 21. ... des talents appris ;... — Ed. 1817 : des tcdents dus à V art plutôt qu à la nature.
Page 21. ... des attaques de nerfs aux femmes. — Ed. 1817 : Les instruments attaquent timidement la note. Rien ne tue le plaisir comme cela. Au lieu d'être dans les nues, on songe à un écolier. Il est conduit par ce M. Rolla, que la police a fait prier de ne plus jouer de l'alto ; il donnait des attaques de nerfs aux dames. Ceci est un fait. On parle d'un autre chef, M. Cavinati, qui donne plus de fermeté aux effets.
Page 22. ... reproduite par Paisiello. — Paragraphe ajouté en 1826. — Note de Stendhal sur l'ex. Le Petit : « Ceci n'est pas trop exact ; cela n'est bon que pour un barbare qui arrive. »
Page 22. ... M. le duc Litta... — Le marquis Antonio Litta (1745-1820) avait été fait duc par Napoléon. 11 était grand chambellan de l'empereur, grand offi- cier de la couronne, grand dignitaire de Tordre de la Couronne de fer, sénateur du royaume d'Italie. La duchesse Litta était dame d'honneur de la vice- reine. Ne pas confondre ce Litta avec Pompeo Litta, auteur des Famiglie celebri d' Italia, que Stendhal citera plus bas.
NOTES ET ÉCLAIUCISSE.MENTS DU TOME I 405
Page 23. ... (F un certain escalier... — Ed. 1854 : c/'j/n escalier.
Page 23. ... si.r jets (F eau me sont partis entre les jambes. — Voir dans les Lettres de Ch. de Brosses (édition. Colomb, 183G, tome II, pages 313-316) d'amusants détails sur ces jets d'eau facétieux, qui ont été long- temps à la mode.
Page 23. An Gernietto... — • Ou plutôt : au Gergnetto.
Page 23. ... du fameux dévot Mellerio... — Le comte Giacomo Mellerio (1777-1847), grand partisan de l'ancien régime, célèbre pour sa piété. Voir sur lui J. Mellerio, La famille Mellerio. Paris, 1893.
Page 23. ... (la Scie de Lecco). — Cf. lettre du 31 octo- bre 1823 (Corresp., tome II, page 312), et Vie de Henri Brulard, tome II, page 191. C'est le Monte Resegone di Lecco des cartes ; Stendhal l'écrit en dialecte milanais.
Page 23. ... comme celle de Paris,... — Carton 1827 : comme celle de
Page 24. ... ainsi que les balcons... — Ces quatre mots sont ajoutés dans un carton de 1827.
Page 24. ... at^ec le duc Litta. — Tout ce fragment du 4 octobre a été ajouté en 1826.
Page 24. ... au sestetto du second acte. — Note de Stendhal sur l'exemplaire Le Petit : « Lord Byron aidait les plus beaux yeux du monde en écoutant ce sestetto. » Cf. Lord Byron en Italie (Racine et Shakspeare, éd. Lévy, page 279), et lettre à M"^^ Belloc (Corresp., tome II, p. 342i.
Page 24. ... quil a pillé quelque part:... — Ed. 1817 : quon lui a donné.
Page 24. ... mais il n'y a rien. — Ed. 1817 : mais il ny a rien que le vide qu'on y éprouve.
Page 25. ... (règne de Napoléon, de 1805 à 1814^. — Cette parenthèse est de 1826, ainsi que la fm du paragraphe.
Rome, Naples et Florence, II 26«
406 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 25. ... jamais de figure sèche et désespérée. — Ajouté en 1826.
Page 25. ... V empereur d'Autriche. — Cette phrase a été ajoutée en 1826. — On sait que Stendhal s'obstine à appeler empereur d' Autriche l'empereur d'Alle- magne.
Page 26. ... dans V intérieur des maisons. — Ed. 1817 : qui a les plus belles rues et les plus belles cours.
Page 26. ... i^i?igt mille... — Ed. 1817 : quatre ou cinq mille.
Page 26. ... comme tout le Nord. — Ces dernières lignes depuis : On les tire, ont été ajoutées en 1826. — Les carrières de Baveno sont toujours exploitées.
Page 26. ...et est remonté. — Anecdote ajoutée en 1826.
Page 27. ... plus bavard que Cicéron. — L'article de VEdinburgh Review, en citant ce passage, constate, d'un ton un jdcu pincé, que les Anglais sont en bonne compagnie.
Page 27. ... cent mille livres de rente,... — Ed. 1817 : de gens à cent ou deux cent mille livres de rente.
Page 28. ... six cent mille francs... — Ed. 1817 : 800.000 frajics.
Page 28. ...si commode. — Les deux dernières phrases n'existent pas dans l'éd. de 1817.
Page 28. ... je me mets en expérience. — Dans l'édition de 1817, on trouve ici le paragraphe suivant : « Je ne vous parle pas des ballets ; pour expliquer ces jouissances d'imagination, il faut de longs détails qui tuent r imagination. Par exemple, dans le petit ballet de ce soir, l'Elève de la nature, un bal avec des airs écossais donné, pendant la nuit, sur le pont d'un vaisseau qui cingle vers la patrie, à travers l'immense Océan. » Vient ensuite, en huit lignes, l'anecdote de Gina (voir plus haut, note à la page 18).
Page 28. ... quatre cents spectateurs tout au plus... — Ed. 1817, 1826 et 1854 : quatre cents personnes environ. Nous tirons cette variante d'un carton de 1827.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I -107
Page 31. ... chez la riche bourgeoise. — Celle anecdole n'existe pas dans l'édition de 1817.
Page 32. C'est une âme sèche. — Ces mots ont été ajoutés en 1826.
Page 32. ... En sortant,... — L'édition de 1817 ajoutait ici : « J'ai trouvé six pouces de neige. »
Page 32. ... près d'une demi-lieue. — Ed. 1817 : près de trois quarts de lieue.
Page 32. ... l'expression des passions. — Dans l'édition de 1817, ici finit la partie consacrée à Milan (4 octo- bre-30 novembre 181G). Suivent deux courts para- graphes datés de Parme et de Bologne, 1^"^ et 2 dé- cembre 1816 (voir Appendice), et l'auteur nous trans- porte à Florence : Je vole au théâtre du Hhohhonœro (tome I, page 331, de la présente édition).
Page 32. ... l'expression fine des nuances de sentiment. — Voir, dans V Essai sur l'inégalité des races humaines du comte de Gobineau, un intéressant développement de cette idée délicate à propos de l'air de Paolino du Matrimonio Segreto <; Pria che spunti in ciel l'au- rora ».
Page 32. ... lady Fanny Harley. — Ed. 1826 et 1854 = lady Fanny Har***. Le nom complet est donné par un carton de 1827.
Page 33. ... l'absence de la force. — CL Histoire de la Peinture en Italie, chap. cxv.
Page 34. ... d'une certaine nation — - La France, on
le devine.
Page 36. ... la fortune, la înort, etc. — Voir dans les Lettres de Ch. de Brosses (tome II, pp. 207-210) une description détaillée du jeu de taroc, qui, d'après de Brosses, comprend 97 cartes, dont 56 des quatre couleurs ordinaires, avec quatre figures au lieu de trois, 40 cartes spéciales et le matto, ou fou. En réalité le taroc comprend 78 cartes.
Page 36. ... M. Reina... — Francesco Reina (1770-
408 ROME, NAPLES ET FLORENCE
1825), célèbre bibliophile, éditeur des œuvres de Parini. Stendhal en reparlera plus loin.
Page 39. ... une affectation ridicule. — M. Mal*** res- semble singulièrement au comte d'Erfeuil, de Corinne. « Le comte d'Erfeuil ne faisait aucune attention à « l'Italie, et rendait presque impossible à lord Nervil « de s'en occuper ; car il le détournait sans cesse de « la disposition qui fait admirer un beau pays et eu « sentir le charme pittoresque. » (Livre I, chap. m). C'est le même d'Erfeuil qui, lorsque les postillons lui signalent à l'horizon la coupole de Saint-Pierre, s'écrie : « On dirait le dôme des Invalides ! » ; c'est lui qui, ne comprenant rien à ce que dit Corinne en italien ou en anglais, lui glisse ces mots galants : « Belle Corinne, parlez français ; vous en êtes digne » ; lui qui, fatigué des ruines, des tableaux, des églises de Rome, se promet d'en clabauder à son aise en France : « J'en dirai mon avis quand je reviendrai à Paris ; il est temps que ce prestige de V Italie finisse ! « ; ou qui, lorsque Corinne meurt de son amour pour Nelvil, lui répète sans cesse, en guise de consolation : « Je pous Valais bien dit ! » Ce déluge d'épigrammes, qui fait presque du comte d'Erfeuil une caricature (perdue d'ailleurs dans le fouillis de Corinne), laisse bien loin derrière lui les petites pointes de Stendhal contre les Français. L'excuse de M'"^ de Staël, c'est qu'elle était Genevoise.
Page 39. ... Madame Marini... — Sur M™^ Marini, voir le Journal cï Italie, page 32, avec la note de M. Arbelet.
Page 39. ... en parlant milanais serré,... — Cf. lettre à Honoré de Balzac, du 30 octobre 1840, Correspondance, tome III, page 257.
Page 40. ... passagères... — Ed. 1854 : fréquentées.
Page 40. ... du moyen-âge. — Cf. note de Stendhal sur l'ex. de Civita-Vecchia : « Il faut chercher toute l' Italie actuelle dans le moyen-âge. Tous les usages que ?ious
NOTES KT ÉCLAinCISSEMENTS DU TOME I 409
voyons ne sont que des conséquences. C'est un vieillard glacé par Vàge, et presque retombé en enjance, qui conserve encore, sans s'en douter, les habitudes des heureux jours de sa jeunesse. »
Page 41. ... madame Bignami rcjusu... — Ed. 1826 et 1854 : Madame Big*** refusa. Il s'agit bien de ]yjme Bignami, femme du riche banquier milanais. Le mot a été complété j)ar Stendhal sur l'ex. Le Petit.
Page 44. ... une église catholique,... — Cartiui 1827 : une église
Page 44. ... un fat milanais penché sur son cheval... — C'est un carton de 1827 qui ajoute : penché.
Page 45. ... Carline Porta... — Sur Porta, voir notre note infra à la page 105.
Page 46. ... quune promesse de bonheur. — Cf. De Vamour, chap. xvii.
Page 46. Miss Bathurst... — Carton 1827 : Miss BatJi
Une note au crayon, de l'ex. Le Petit, paraissant d'une autre main que celle de Stendhal, ajoute ce détail : since drowned in the liber near the Ponte Molle (noyée depuis dans le Tibre, près du Ponte Molle). Sur la fin tragique de Miss Bathurst, voir le Globe du 30 janvier 1828.
Page 47. Le général Bubna... — Le comte de Bubna (1772-1825), feld-niaréchal autrichien, ambassadeur à Paris en 1813, puis gouverneur de la Loinbardie après la chute de Napoléon.
Page 48. ... disais-je à M. Cavaletti... — Le baron Fran- cesco Cavaletti, chevalier de la Légion d'Honneur et de la Couronne de fer, écuyer de Napoléon ; s'était distingué en Espagne.
Page 49. È una sciocca... — C'est encore, nous dit M. Paul Arbelet, un mot qu'on entend aujourd'hui dans la société milanaise.
Page 51. ... jolies femmes du bal... — D'après une note de l'ex. Le Petit, M™e Ag*** serait M"^e Agosti,
410 ROME, NAPLES ET FLORENCE
née Barrai, et la belle Espagnole M^^ L*** serait Mme Lechi.
Page 51. ... M. Izimbardi... — D'après une note de l'ex. de Civita-Vecchia, M. Izimbardi, ou Isimbardi, était directeur de la Monnaie de Milan.
Page 54. ... de Léonard de Vinci,... — Les initiales M*** Y*** désignent évidemment Métilde Vis contini.
Page 55. ... un beau trait du tombeau de Jean- Jacques de Médicis,... — Ed. 1854 : un beau trait de Jean- Jacques de Médicis.
Page 55. ... qui prêche un enfer éternel. — Carton 1827 : qui éternel.
Page 61. ... en mars 1815... — Ed. 1826 et 1854 : en mars 1814, erreur évidente, l'assassinat de Prina ayant eu lieu au mois d'avril 1814.
Page 62. ... Lettere sirmiensi. — Ed. 1826 et 1854 : Lettere sirmienze. Il n y a aucune raison pour repro- duire des faute ; qui sont imputables peut-être autant à l'imprimeur qu'à Stendhal.
Page 63. ... son apothéose de Napoléon... — Carton 1827 : soti apothéose de
Page 63. ... le grand diamètre de V ellipse. — L'édition de 1826 ajoute ici un petit dessin représentant la piste en ellipse, avec la spina au milieu.
Page 64. Un prince nest quune cérémonie,... — Carton
1827 : un prince nest quune Note de Stendhal
sur l'ex. Le Petit : « Cela est plus ancien que Louis XV L Un cardinal dit le mot à Louis XII ou François I^^. »
Page 65. La vue des Alpes dans le lointain,... — Ed. 1826 et 1854 : La vue des Alpes, à partir. Nous ajoutons : dans le lointain, d'après un carton de 1827.
Page 67. ... chez Vaimable Bianca Alilesi... — Célèbre femme de lettres milanaise.
Page 67. ... Rossini... — Ed. 1826 et 1854 : R**\ Nous rétablissons le nom entier, évidemment celui de Rossini. Il figure d'ailleurs en marge de l'ex. Le Petit.
NOTES ET ÉCLAIRCISSE:\IENTS DU TOME I 411
Page 67. Ainsi isolé... — Ed. 1854 : ainsi isolée, qui n'a
pas de sens. Page 68. ... la force dans le caractère milanais. — Ed.
1854 : la force de son caractère milanais, qui est un
non-sens. Page 68. ... ont eu des maîtresses. — Carton 1827 : ont eu
des
Page 69. Ils ne sont pas mariés. — Carton 1827 : Ils ne
sont pas
Page 69. ... qui fut célébrée par un prêtre son amant. —
Carton 1827 : qui fut célébrée
Page 69. ...le sacrement serait valable. — Carton 1827 :
Cela est conforme au quia déclaré que si
le diable lui-même se déguisait en
, le serait i^alable.
Page 69. ... des prêtres français émigrés. — Carton 1827 :
Dans ce cas on se moque d'eux, et on les .,.,....
.... émigrés.
Page 70. Avant eux,... — Ed. 1817 : avant.
Page 70. ... fils de son ministre de r intérieur. — Voir dans la Correspondance, tome II, page 500, un magni- fique portrait de Louis de Brème. «... Il avait beau- coup de hauteur, d'instruction et de politesse. Sa figure élancée et triste ressemblait à ces statues de marbre blanc que Ton trouve en Italie sur les tom- beaux du XI® siècle. Il me semble toujours le voir montant l'immense escalier du vieux palais sombre et magnifique dont son père lui avait laissé l'usage. » C'est très probablement le prototype de Fabrice, après le mariage de Clelia, dans la Chartreuse de Parme.
Page 71. ... les délicatesses monarchiques de Racine,... — Carton 1827 : les délicatesses de Racine.
Page 72. ... d'avoir... — Ed. 1826 : de voir, faute d'im- pression évidente.
412 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 72. ... de la prison du Spielberg... — Ed. 1826 : du Spitzberg, amusante coquille.
Page 73. ... est menacé de la prison. — Un exemplaire de l'édition cartonnée de 1826 de Rome, Naples et Florence, appartenant à M, Barbery, de Nice, con- tient la curieuse note suivante, de la main d'un inconnu : « Elle (la prison) ne lui a pas manqué, et il y est resté près d'un an sans savoir les motifs. Il en est sorti de même sans être plus instruit. On lui avait laissé un espion qui ne le quittait pas, qu'il appelait son ange gardien, et qu'il me fit voir par la fenêtre : « Il m'attend quand je sortirai. »
Page 73. ... de V esprit à Naples. — Voir, tome II, page 15,. le récit de la révolution de Naples, et le rôle de Nelson dans cette affaire.
Page 73. ... Crisostomo Berchet... — Ed. 1826 et 1854 : Grisostomo Bercheti. Son vrai nom était : Giovanni Berchet (en italien Berchetti). Crisostomo n'était qu'un pseudonyme.
Page 74. M. Trechi... — Il s'agit du baron Sigismond Trechi (1781-1850), ami de Foscolo et de Manzoni ; il était, vers 1817, célèbre à Milan par son élégance et son train de vie princier, mais jiassait pour inca- pable d'aucune idée sérieuse ; ce qui ne l'empêcha pas de se compromettre avec les Carbonari ; il s'en- fuit de Milan en 1820, et habita Paris et Londres. L'ex. Le Petit donne le nom complet.
Page 74. ... nos discussions littéraires. — Sur tous ces noms cités par Stendhal, Louis de Brème, Guasco, Silvio Pellico, Pietro Borsieri, Confalioneri, Ermès Visconti, Berchet, Rasori, Romagnosi, Grossi, Monti, voir l'ouvrage de Cesare Cantù (Il Conciliatore e i Carbonari, episodio. Milan, 1878), et les nombreuses études plus récentes sur la question, publiées en Italie. Tous ces Italiens étaient carbonari. Stendhal fréquentait assidûment ce milieu libéral, et naême révolutionnaire, qui finit par le compromettre.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I ^ll3
Quoique son d<'-part de Milan au uiilitMi de 1821 ait eu aussi d'autres raisons, et quelque obscure que soit encore cette jiartie de la vie de Stendhal, on remarquera (jue le distucco arnaru suivit de près l'ar- restation des Carbonari ((in 1820). La police autri- chienne avait l'œil sur Stendhal ; dès le mois de juin 1820, pour le brouiller avec les Milanais libé- raux, elle avait, par une audacieuse calomnie, répandu le bruit (pie c'était un espion du gouvernement de Louis XVIII. Il serait indispensable d'étudier à fond cette ]iériode, pendant laquelle vraisemblable- ment Stendhal commit certaines imprudences ; il ne faudra pas perdre de vue, au cours de cette étude, que Stendhal s'était fait alFdier à la franc-maçonnerie en 1806, et qu'il signait hardiment quelques lettres à certains Milanais : « Freethinker (libre-penseur) autant que vous n.
Page 74. ... de fameux peintres à l'huile. — Sur la Nina, voir plusieurs lettres de la Correspondance : elle fut un des grands enthousiasmes de Stendhal. Cf. éga- lement tome I, page 403. Sur l'ex. de Civita-Vecchia, Stendhal a consigné en marge la note suivante, en guise de journal : « 31 mars 1818. Dîner with Nina. Chansons vénitiennes, deux de Perruchini. Nous sor- tons de chez elle à 1 heure [du matin], et accompa- gnons this wije amoureuse de son mari, Adélaïde Cressotti. J'en sors à 2 h. 1/2, Bussi et moi, avec un lumicino in mano. De 4 h. [du soir] à 2 h. 1 /2 [du matin], très gai, et tout cela pour 5 francs. La Paris- sini (?) frappée de la vraie déclamation de Dom[i- ni]que, et le montrant du doigt à plusieurs reprises à la Nina. »
Page 75. ... Madame B... — 11 s'agirait, d'après une note de l'ex. Le Petit, de M"^^ Bensoni.
Page 76. ... M. le colonel Corner. - — Sur le comte Andréa Corner, voir Souvenirs d'Egotisme, chap. ix. L'éd. de 1826 donne seulement : Cor
414 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 76. M. Ancillo... — Ed. 1826 : M. A***. L'ex. Le Petit donne le nom complet.
Page 78. ...et puis mourir ! — Ed. 1854 : puis mourir.
Page 79. ... marche gravement au confessionnal. — Cf. Vie de Napoléon, édition 1854, pages 140 et sui- vantes. Il s'agit du comte Lechi. Sur les Lechi, voir Journal cV Italie, page 85, note.
Page 83. M. Cattaneo... — Il s'agit de Gaetano Cattaneo {1771-1841). grand ami du poète milanais Porta, le fameux auteur des satires en vernacolo.
Page 83. ... il ne se vendit pas comme un homme de lettres. — Ed. 1826 : il fut le contraire d'un homme de lettres. Nous tirons notre texte d'un carton de 1827.
Page 87. ... M. de Goury... — Du proverbe de M. Le- clercq, ajoute Stendhal sur l'ex. Le Petit. Il s'agit du Château de cartes.
Page 87. Le carême... — Ed. 1827 : le carnaval, faute d'impression évidente.
Page 90. ... à la pension Fellenberg... — Ed. 1826 et 1854 : Fellemberg. — Sur M. de Fellenberg et ses procédés d'éducation, voir un article du Globe (n° 12 du 20 décembre 1827), avec une curieuse lettre de M. de Fellenberg lui-même.
Page 91. ... tomber une tête.''... — Carton 1827 : tomber une
Page 91. ... l'auteur des derniers volumes de Grimm, — Meister a en efTet publié un Voyage de Zurich à Zurich par un vieil habitant de cette ville (Zurich, Orell et C^^, 1818 — 2e édition en 1825).
Page 92. ...la peur de V enfer. — Carton 1827 : la peur de Ve
Page 92. ... Madame Annoni... — L'éd. de 1826 donne seulement M^^ A.... Le nom complet est dans un carton de 1827. Stendhal ajoute sur l'ex. Le Petit : « Uauteur ne nomme que des gens que ne peut plus atteindre la police autrichienne. »
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I 415
Page 92. ... qui n"a point d'amant... — Cf. note de Stendhal sur l'cx. de Civita-Vecchia : « 23 septem- bre 1818. La honte unique pour une femme milanaise est de ne point avoir d'amant. (Speaking to Gina). »
Page 92. ... élevées dans les couvents. — Carton 1827 : élevées dans les c
Page 96. ... croient à la sainte \'ierge... — Carton 1827 : croient à la
Page 96. ... peut avoir du crédit. — Carton 1827 : peut avoir du
Page 96. ... l'écho de la Simonetta. — - Voir Journal (19 septembre 1811) et Journal d'Italie de M. Paul Arbelet, p. 169.
Page 96. ... damazz de Lombardia. — .4 la marquise Paola Travasa, une des premières dames de Lombardie, (La nomination du chapelain. ) Voir notre note, infra, sur Carline Porta.
Page 97. ... à Madame Pasta. — Sur l'ex. Le Petit, Stendhal ajoute : « M^^ Pasta s est formée par l'étude de M^® Pallerini et de A/™^ Grassini. »
Page 99. ... cest un ennemi. — Carton 1827 : le servir avec zèle est car cest un
Page 101. ... et il vole ; — Carton 1827 : et il
Page 101. ...di far altrimenti. — Il serait bien fou de faire autrement.
Page 102. ... la maison d' Autriche... — Rayé sur Tex.
Le Petit, et en marge : V oligarchie autrichienne. Page 102. ... revenir au despotisme... — Carton 1827 :
revenir au
Page 102. ... qui sont brouillés... — Carton 1827 : qui
sont
Page 103. ...le clergé,... — Ed. iS26 et 1854: lec... Il
n'y a aucune raison pour ne pas rétablir le mot en
entier.
Page 103. ... par la suite,... — Ed. 1854 : par suite.
416 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 103. ... de détresse... — Ed. 1826 et 1854 : de malheur. Nous corrigeons d'après un carton de 1827.
Page 104. ... vengo adesso di Cosmopoli. — Voir Prome- nades dans Rome, 15 novembre 1828. Le mot est tiré de Topéra-boulTe : / pretendenti delusi, de Mosca.
Page 105. ... ce charmant petit poème. — Les lecteurs, qui désireraient connaître le poème entier, ainsi que les sonnets et autres pièces de vers de Porta cités plus bas par Stendhal, les trouveront, très bien édités, accom- pagnés d'excellentes notices et de traductions en italien courant des passages les plus difficiles, dans le volume intitulé : Poésie édite, inédite e rare di Carlo Porta (Florence, Barbera, 1884). L'orthographe phonétique du patois milanais diffère d'ailleurs selon les éditions. On peut consulter aussi : Poésie scelte di T. Grossi et di C. Porta, Milan. 1817 (2e édition en 1827) et le recueil plus récent : Poésie milanesi di Carlo Porta e Tommaso Grossi (Milan, 1903). C'est là qu'on trouvera le texte complet de la fameuse Vision de Prina de Grossi (El di d'incœu) qui enthousiasmait à juste titre Stendhal (voir Appendice, page 156 du tome II).
Page 105. ... par des Italiens renégats... — Carton 1827 : par des Italiens
Page 106. M. Locatelli...— ¥.à. 1826 et 1854: M. Lo*'\ Il s'agit évidemment de Locatelli (voir plus bas, page 121).
Page 109. Je vous assure... — Conforme à l'édition de 1826. L'exemplaire de Rome porte une correction de Stendhal : je i>ous jure, dont on ne voit pas l'intérêt.
Page 110. ... que Vâme fût immortelle... — Ed. 1826 et 1854 : Que je voudrais que Va., fût immortelle !
Carton 1827 : Que je voudrais que et qu'il pût
nous entendre.
Page 110. Vieillard, traiteur français,... — Ce restaura- teur, réputé parmi les Milanais pour son excellente cuisine française, a eu les honneurs du Conciliatore,
NOTES ET ÉCLAIHCISSEME.NTS DU TOME I ^Lil
IN0US trouvons, dans les Idée clcmentdri snlla pncsia romantica d'IOiiiiès Visconti (fJ^ article, ])aru dans le n° 28 du journal carbonariste, le jeudi 6 décem- bre 1818), l'amusant passage suivant ; il s'agit d'un dialogue entre un classiciste et un romantique au sujet •des ballets :
Lf. Romantique.
... Je vous prio de remarquer que la beauté essen- tielle et principale des ballets consiste dans le pitto- resque et dans l'émotion. Viganô a réalisé cette con- dition : vous ne pouvez lui demander plus ; car on ne peut demander à un art que ce qu'il peut donner. Irez-vous demander à Vieillard de vous guérir de la fièvre ?
Le Classiciste.
Voilà vraiment une comparaison qui vient à propos ! Tenez, si j'étais un de ceux que vous savez, je vous dirais que c'est une comparaison roman- tique !
Le Romantique.
Et moi, si j'en étais un autre, je vous répliquerais que vous répondez comme un classiciste : vous décidez de tout sans avoir rien entendu. Ecoutez plutôt. Je suppose que quelqu'un aille trouver Vieil- lard et lui tienne ce langage : « Monsieur Vieillard, je ne comprends pas que vous ne vendiez que des poulets, des légumes et des truffes, toutes choses qui ne guérissent ni de la fièvre ni du mal de tête ! » \ ieillard ne manquerait pas de lui répondre : « Mon- sieur, je ne suis pas apothicaire ! », puis il appellerait un de ses garçons pour mettre ce fou à la porte, de peur d'un mauvais parti. Eh bien ! Viganô ne pourrait- il vous dire de même : « Quand, dans un ballet, j'ai composé de beaux groupes et excité des émotions fortes, j'ai réalisé le sublime de l'art ! Je l'ai fait dans
Rome, >s'.iPLES et Florence, II 27
418 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Mirra. Comment pouvez-voiis me critiquer d'avoir choisi un sujet mythologique ? »
(Traduction inédite).
Page 111. ... Melzi d'Eril, duc de Lodi. — Francesca Melzi (1753-1816) fut un des plus grands hommes d'état italiens sous la période napoléonienne ; c'est lui qui négocia avec le pape le concordat de 1803, et essaya en 1814, après l'abdication de Napoléon, d'assurer la couronne au prince Eugène.
Page 112. ... un petit salut... — Ed. 1827 et 1854 : un signe. Nous corrigeons d'après un carton de 1827.
Page 113. ...de leurs confesseurs,... — Carton 1827 : de leurs
Page 113. ... qui garnit... — Ed. 1854 : qui garnissent.
Page 113. ... dans les Mémoires de Madame Campan. —
Carton 1827 : Se rappeler le menuet bleu
Campan.
Page 114. ... Dan Giidio P... — Il s'agit évidemment de Pagani. Voir d'Ancona, Nuoça Antologia, 16 jan- vier 1899, p. 211.
Page 117. ... la comtesse Aresi. — Sur M"^^ Arese, voir la Jeunesse de Stendhal, par Paul Arbelet, II, 113-116.
Page 117. ... beltà Guidesca... — Ed. 1854 : la beltà dui- desca, non-sens.
Page 117. ... les têtes de Niobé. — D'après les notes de l'ex. Le Petit, M^e R*** = M^e Ruge ; M^e Ghir- lan*** = Mme Ghirlanda ; M^e A*** = M'^e Annoni. Mme N*** n'est pas identifiée.
Page 118 un empereur pour amant. — M°^e Lamberti,
maîtresse de Joseph II. Cf. Vie de Napoléon, édition Lévy, page 140. — L'exemplaire de M. Barbery, de Nice, dont nous avons déjà parlé, porte, d'une main inconnue, l'annotation suivante : « M"^^ Lamberti, qui a épousé depuis 1830 un des comtes Lechi. Elle m'a questionné souvent sur M. de Stendhal, qu'elle connaissait aussi sous son nom véritable. M. Bevle. »
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I 419
Stendhal lui avait été présenté. Cf. Journal d'Italie, p. 126.
Page 118. ... la pureté crame d'une jeune fille. — Ne s'agirait-il pas, dans les quinze lignes qui précèdent, d'un portrait, réel ou supposé, de Métilde ?
Page 122. ... me croient ministériel. — Stendhal a écrit sur l'ex. Le Petit : « Note prudente et fausse, pour ne pas compromettre M. Locatelli, qui est i'ivant. »
Page 124. ... Wideman... — Sur ce militaire, voir le Journal d'Italie de M. Paul Arbelet, page 138, note.
Page 126. £ camhiar spesso. — En avoir beaucoup, j
avec un seul, et en changer souvent.
Page 127. ... nous disait à Cassel... — Stendhal a passé à Cassel en 1806 ; il a pu effectivement y voir Jean de Mûller, l'historien suisse, mort dans cette ville en 1809. Auteur de plusieurs ouvrages estimés, notamment d'une Histoire des Suisses, Jean de Mûller fut nommé par Napoléon ministre secrétaire d'Etat, puis directeur de l'instruction publique dans le royaume de Westphalie.
Page 128. ... envoyés... — Ed. 1854 : envoyées, qui forme non-sens.
Page 129. ... du marquis dWdda... — Ed. 1826 : du mar- quis d'Ad***. Ed. 1854 : du marquis d'A***. Le nom entier figurant dix lignes plus loin, il n'y a aucune raison pour ne pas le donner dès maintenant.
Page 130. ... de lire un voyage frivole,... — Ecrit en 1826; voir la brochure de Stendhal intitulée : D'wi nouveau complot contre les industriels.
Page 130. ... des plus jolies femmes,... — Carton 1827 : étant ricJies, gais et
Page 130. ... la peur du diable... — ■ Carton 1827 : la peur du
Page 131. Quant aux pluies du tropique,... — Voici la deuxième fois que Stendhal parle du tropique ; il y a là un peu d'exagération. Milan n'est après tout pas plus près du tropique que Bordeaux.
420 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 132 une certaine chose qu il désirait. — Sans doute,,
la liberté.
Page 133. ... en sopranos dévots. — Carton 1827 : en sopranos
Page 133. ... des jolies processions. — Carton 1827 : des
jolies — Sur l'ex. Le Petit, Stendhal note :
« Des jolies processions, notamment celle de S^-Jean ; toute la ville est jolie de plaisir. »
Page 134. ... est le catholicisme,... — Carton 1827 : est le
Page 134. La morcde... — Carton 1827 : la
Page 134. ... que la crainte et V adoration du dieu saint Janvier. — Ed. 1826 : que la crainte et l. adoration du d... saint Janvier. Carton 1827 : que la crainte et V ado- ration du Ed. 1854: que la crainte dud...
saint Janvier.
Page 135. ... aux pieds du moine qui le confesse. — Carton 1827 : aux pieds du
Page 135. ... Montesquieu, Œuvres diverses. — Voir Grandeur et Décadence des Romains, chapitre xiv, in fine : « Il y a aujourd'hui à Naples, etc. »
Page 136. ... au midi de Naples. — Une note de l'ex. Le Petit nous apprend qu'il s'agit du général Manhès (1777-1854). Capitaine en 1806, Manhès suivit Murât en Espagne et à Naples, où il devint général de divi- sion. Il quitta Naples, après la défaite et la fuite de Murât, le 20 mai 1815, avec sa fenime, fdle du prince Pignatelli-Cerchiara. Il se rallia ensuite aux Bour- bons.
Page 137 le jeu italien par excellence ;. .. — Cf. Souvenirs
d'égotisme, chap. vi, in fine. Stendhal y raconte qu'il faisait le pharaon le soir, chez M"i*^ Pasta, plongé dans une rêverie profonde.
Page 138. ... de Lampugnani. — Sur l'ex. Le Petit, Stendhal a, en marge, amorcé le vrai nom de M™^ L* * * par un R (sic), et celui de Lampugnani par don (sic).
NOTES ET ÉCLAIUCISSEMENTS DU TOME I 421
Page 138. ... les (iinduLs qui se condiusenl nui!. — - Cf. De rAmoiir, édition 1S54, Fraj^ments divers, XIV.
Page 139. ... Lettres de Jacofx» Ortis... — Roman de Foscolo, traduit en français par Alexandre Dumas (Paris, Gosselin, 1842).
Page 139. ... la marquise Octavie... ■ — Svir Tex. Lo Petit, Stendhal note en marge : « Du Cad » ou « du Caily » (?).
Page 141. ... rien de plus ridicule que la tolérance. — Les mêmes lignes de points existent dans l'édition de 1826, le carton de 1827, l'édition de 1854. Il est assez facile de rétablir par la pensée les mots su])primés ; la dernière phrase ne hiisse aucun doute à cet égard. C'était un des paradoxes favoris de Stendhal de sou- tenir que brûler les hérétiques, c'était leur rendre le plus grand des services. Cf. lettre à Romain Colomb du 26 octoljre 1823, Corresp., tome II, page 306. — Sur l'ex. Le Petit, Stendhal ajoute d'ailleurs en marge : « J'ai oublié ceci... Cela prouvait qu'on a raison de brûler un hérétique et de lui infliger une douleur de deux heures avec un feu mortel, pour lui éviter une douleur de deux cents ans avec un feu plus chaud, car il est divin, n
Page 146. (Voir les mémoires de Casanova). — Ce dernier membre de phrase, qui ne figure ni dans l'édition de 1826 ni dans celle de 1854, est tiré d'un carton de 1827.
Page 147. ... ajoutait-il gravement. — Texte tiré d'un carton de 1827, légèrement diiïérent de celui des éditions de 1826 et de 1854 : Stendhal y a introduit quelques heureuses corrections de style.
Page 148. ... le vieux 3/. S***... — D'après une note de l'ex. Le Petit, M = moine.
Page 149. ... débordé... — L'éd. 1854 corrige : abordé. Nous maintenons le texte de 1826.
Page 150. Jésus per lu !... — // est mort, le peintre Bossi. Que Jésus soit avec lui ! Les fidèles chrétiens s' exclament et passent. Les curés se frottent joyeusement les mains
Rome, Naples et Florence, II 27,
422 ROME, NAPLES ET FLORENCE
et disent : Bon ! Un cierge de plus !, etc. Voir toute la pièce dans le recueil des œuvres de Carlo Porta cité plus haut.
Page 151. ... on asen corne lu. — -Voir la pièce inti- tulée la Preghiera et le sonnet Sissignor dans le recueil des poésies de Porta.
Page 151. ... El di d'incœu :... — Le jour d'aujourd'hui ; c'est la célèbre Vision de Prina de Grossi. Les éditions de 1826 et de 1854 mêlent les deux vers de la Vision a ceux du sonnet que vient de citer Stendhal ; nous les remettons à leur vraie place.
Page 152. ... contrarie e lente. — Je dus enfin quitter ces collines, où sont réunies toutes les beautés de la nature, notant dans mon cœur tous les pas lents que je faisais à regret.
Page 153. ...le morceau du Dante sur Hugues Capet. — Cf. Purgatoire, chant XX.
Page 155. ... un homme d'esprit... — Sans doute Scribe.
Page 155. ... M. de V... — Sans doute, M. de Villèle.
Page 155. ... qui ont eu peut-être... — Ed. 1854 : qui ont peut-être.
Page 158. ... saui'é la patrie comme Danton et Carnot. —
Carton 1827 : sauvé la patrie comme Note
de Stendhal sur l'ex. Le Petit : « Louis XVIII ren- trant en France en 1795 ?ieût pas donné la Charte, mais la potence à tout le monde ».
Page 158. ... les saint Charles Borromée... — Ed. 1826 et 1854 : les s...t C s B....mée.
Page 158. ... une sorte de terreur... — • Carton 1827 : une sorte de
Page 159. ... et refait le t — Conforme aux éditions
de 1826 et 1854. Nous pensons qu'on peut lire tyran, ou encore trône, comme l'indique l'ex. Le Petit (le mot est écrit thrône).
Page 159. ... ses employés... — Ed. 1854 : Les fils de ces employés.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I 423
Page 160. ... Sept malheureux... — Ex. Le Petit : Onze en 1826.
Page 160. ... Tremaine. — Les Mémoires de Miss Wilson obtinrent à Londres en 1825 un succès prodigieux. Matilda, a taie uf the day, roman de lord Norniainhy, traduit en français en 1826 (Paris, Denain, 4 \ol. in-12) sous le titre de Mathilde ou les Anglais en Italie. Voir l'avant-propos (ÏArmance où le roman est cité. Tremaine ou les Raffinements d'un homme blasé, roman anglais de Ward, traduit en français en 1830 (Paris, Barbezat, 4 vol. in-12).
Page 160. ... les années 1820 à 1826. — Lire naturelle- ment : 1814 à 1821.
Page 161. ... M. Appert... — Philanthrope français, né en 1797, auteur de nombreux ouvrages sur le régime pénitentiaire, dont deux avaient paru dès 1822, époque à laquelle il avait été emprisonné lui- même sous l'inculpation d'avoir fait évader deux détenus politiques.
Page 162. ... M. Millin, membre de tant d' Académies. — Voici, à titre de curiosité, et pour justifier la fine épigramme de Stendhal, le relevé des titres dont était suivi le nom de M. Millin sur la couverture du Magasin Encyclopédique dont il était directeur : « Membre de l'Institut, Chevalier de la Légion d'Hon- neur, Conservateur des médailles, des pierres gravées et des antiquités de la Bibliothèque du Roi, Profes- seur d'archéologie ; des Académies impériales de Moscou, de Vilna, de Corfou ; des Curieux de la Nature à Erlang ; des Sociétés royales de Dublin, de Munich, de Turin, de Gœttingue, de Berlin ; des sociétés Lin- néenne de Londres, Minéralogique d'Iéna, des Sciences physiques de Zurich, Pontanienne et d'Encourage- ment de Naples, d'Agriculture de Treja : des Beaux- Arts, Colombaire et de celle d'Agriculture de Florence; de celles de Pistoja et du \ aldarno ; de celles des Antiquités de Copenhague, d'Archéologie de Rome ;
424 ROME, NAPLES ET FLORENCE
de celles de Lyon, Rouen, Abbeville, Boulogne, Poi- tiers, Niort, Nîmes, Marseille, Avignon, Alençon, Caen, Grenoble, Colmar, Nancy, Gap, Strasbourg, Mayence, Trêves, Francfort, Nantes, Soissons, Lille, Evreux et Màcon. »
Page 163. Si Von admet des miracles... — Carton 1827 : Si Von admet des
Page 166. ... è brève sogno. — Les commentateurs italiens ne partagent pas l'enthousiasme de Stendhal au sujet de ce sonnet, auquel ils reprochent « le voi du premier vers, la dureté du quatrième, la cacophonie du onzième, l'allure prosaïque du treizième». En voici la traduction :
« 0 vous qui écoutez dans ces rimes éparses le son de ces soupirs dont fai nourri mon cœur dans ma première erreur juvénile, quand, en partie, fêtais un autre liomme que je ne suis !
« Pour le style varié dans lequel je pleure et je rai- sonne au milieu des vaines espérances et des vaines douleurs, chez tous ceux d'entre vous qui, par e.rpérience,. pourront comprendre l amour, f espère trouver la pitié, non moins que le pardon.
« Mais je le vois maintenant, moi qui ai été long- temps la fable de tout le peuple (souvent j'en suis arrivé Cl me mépriser moi-même).
« Quel fruit ai-je retiré de ces folies ? De la honte, des remords, et de voir clairement que ce quon appelle le plaisir nest en réalité qu'un songe éphémère. »
Page 167. ...et avec des gens... — Ed. 1826 et 1854 : et
pour des gens. Nous corrigeons d'après un carton
de 1827. Page 167. ... aux bals du faubourg Saint-Honoré. —
Ed. 1826 et 1854 : aux bals de la Chaussée d'Antin.
Nous corrigeons d'après un carton de 1827. Page 168. ... font le même effet sur lui. — Ed. 1854 r
fait le même effet sur lui.
NOTES F.T ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I 'l2.")
Page 170. ... M. Creuzô de Lesser. -— Liltôrateur fran- çais (1771-1839), préfet en 1815. baron en 1818. Auteur d'un Voyage en Italie et en Sicile fait en 1801- 1802 (l'aris, Didot, 1806, in-S»). « Je ne vois rien de si sot que le Voyage de M. Creuzé, « écrivait Stendhal en 1811 (Journal d'Italie, p. 62).
Page 172. ... (Rome. 1814, C. Alh.). — Il s'apit du cardinal Alhano. et de la rentrée du pape Pie VII à Rome en mai 1814. Stendhal ajoute en marge sur l'ex. Le Petit : « Le cardinal Albano, le seul coquin, voulait la terreur. Par sa méchanceté, Rome fut 24 heures sans gouvernement. Heureusement, les Transtévérins ne s'en aperçurent pas. sans quoi des torrents de sang : d'abord tous les amis des Français, 2° tous les riches. « Cf. Promenades dans Rome, 4 juin et 16 octobre 1828.
Page 173. ... au plus plat sous-préfet. — Ed. 1826 : au.
plus plat sous-p Carton 1827: au plus plat sous
Ed. 1854 : au plus plat général. Nous rétablissons le texte de 1826, quoique le mot général puisse s'expli- quer par la fin du paragraphe, et qu'il soit écrit en marge de l'ex. Le Petit.
Page 173. ... Ghino di Tacco, voleur célèbre,... — Car- ton 1827 : L n pape fit chevalier , ,
par admiration, etc.
Page 174. ... ni sa pose passionnée — Ed. 1826 :
ni la pose passionnée.
Page 175 auquel,... — Nous suivons le texte de
1826 et 1854. Un carton de 1827 donne : sans lequel, qui se comprend peu.
Page 175. ... surtout pour les majuscules. — ■ Cf. Racine et Shakspeare, page 23 (édition 1854j. Sur l'ex. Le Petit, Stendhal ajoute : « M. Firmin-Didot avait envoyé sa tragédie f/"Annibal à Bodoni et lui en deman- dait son avis en passant à Parme. »
Page 175. ... M. le Comte Paradisi... — Le comte Gio- vanni Paradisi (1760-1826;, président du Sénat d'Italie en 1812, resta dévoué jusqu'à la fin au parti
426 ROME, NAPLES ET FLORENCE
napoléonien. Il se retira en 1814 à Reggio, sa ville natale.
Page 175. M. Botta... — Auteur d'une Histoire d'Italie de 1789 à 1814 (Paris, 1824, 5 vol.). Après une vie poli- tique des plus agitées, cet Italien devint sous la Res- tauration recteur de l'Académie de Nancy, puis de Rouen ; fut disgracié en 1822.
Page 177. ... et d'un gouvernement — Il est facile
de deviner les qualificatifs que Stendhal a remplacés par ces points, qui existent dans l'édition de 1826 et que Colomb a maintenus en 1854.
Page 179. ... jaire barons les savants célèbres,... — Allusion sans doute au baron Cuvier, chez qui Stendhal fréquentait, mais à qui il reprocha toujours sa manie des titres.
Page 179. ... le plus libre... — En marge de l'ex. Le Petit, Stendhal écrit : le plus sage.
Page 180. ...le président de Brosses... — Voir les Lettres de De Brosses, XXI. Stendhal a cité le passage dans la Vie de Haydn, Mozart et Métastase (voir notre édition dans la présente collection, page 352), en le dénaturant audacieusement par une légère correction de son crû ; il imprime en effet : « Mais le premier et le plus essentiel de tous ses devoirs (du cardinal Lambertini)... » alors que le texte porte simplement « de tous les devoirs (des Bolonais)... » Stendhal veut faire croire que Lambertini allait trois fois par semaine à l'Opéra. C'est à cette citation fantaisiste qu'il va faire allusion plus bas, quand il parlera des prêtres « si amis de l'Opéra en 1740. »
Page 180. ... de me servir de guide. — Ed. 1826 et 1854 : de me conduire. Nous corrigeons d'après un carton de 1827.
Page 180. ... delà Psyché de M. Gérard! — Ed. 1826 et 1854 : de la Peste de Jafl'a de M. Gros ! Nous corri- geons d'après un carton de 1827.
Page 183. ... {M. Delandine à Lyon). — Voir les bio-
I
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I '127
graphies de ce bibliothécaire lyonnais. On y raconte que, lors du retour de Napoléon en 1815, M. Delan- dine ne manqua pas d'écrire ses dernières volontés et de composer son épitaphe. La seconde rentrée de Louis XVIII dissipa heureusement ses terreurs, mais sa santé resta gravement altérée, et il mourut en 1820... de la peur qu'il avait eue pendant les (lent- Jours.
Page 183. M. Bysshe-Shelley,... — Ed. 182G et 1854 : M. Bishe-Shelleij. Voir plus haut notre note à propos des Lettere sirmiensi. Cette allusion au poète Shelley, dans un livre paru en 1826, n'a pas empêché M. Stryienski, à propos d'un passage de Stendhal écrit en 1832 et oîi le nom de Shelley est également cité, de prévenir le lecteur que « c'est sans doute la première fois qu'un Français écrivait le nom du grand poète anglais. » (Souvenirs d'égotisme, page 6, note).
Page 184. ... aucun des rois actuels... — Carton 1827 : aucun des actuels.
Page 185. ... la suite des hasards qui,... — Carton 1827 : la suite de qui.
Page 185. Le hasard qui fit pape... — Carton 1827 : le qui fit pape.
Page 185. ... les cardinaux Alhani et Mattei,... — Carton 1827 : les cardinaux
Page 185. ... pour l'ambition de tous les prêtres. — Cf. Promenades dans Rome, édition 1854, tome II, pages 231-232. — Note sur l'ex. Le Petit : « La calotte rouge donnée par r enfant d'un an. »
Page 187. ... le plus exécré de l'Europe. — Ed. 1826
et 1854 : qui devrait être le plus ex de l'Europe.
Carton 1827 : qui devait être le plus de l'Europe.
Page 188. ... tout se fait par miracle... — Carton 1827 : tout se fait par
Page 188. ... à se payer de vaines paroles... — Carton 1827 : à se payer de
428 ROME, >'APLES ET FLORENCE
Page 188. ... ce prêtre reste sot... — Ed. 182G et 1854 : ce p reste sot.
Page 188. ... Tel vieux légat est imbécile ; — Carton 1827 : tel vieux est imbécile.
Page 188. ... qui ont pour légat un fripon énergique ! — Carton 1827 : qui ont pour un fripon énergique.
Page 190. ... philosophes ou mystiques,... — Carton 1827 : philosophes ou
Page 190. ... des pompes ecclésiastiques. — Carton 1827 : des pompes
Page 191. ... non écrites par des laquais,... — Carton 1827 : non écrites par des
Page 196. ... vers les une heure. — Ed. 1854 : vers une heure.
Page 197. ... infâme cour de***. — D'après une note de l'ex. Le Petit, la cour de Naples.
Page 202. ... de renverser le grand crucifix d'ivoire: — Carton 1827 : de renverser le ; . ;
Page 203. ... tous les entremis. — Stendhal ajoute sur l'ex. Le Petit : « Ceci est historique, comme dit 3/"^^ de Genlis. »
Page 204. .'.. dans cent ans. — Stendhal fait ici allusion à la fin de sa brochure D'un nouveau complot contre les Industriels, parue en décembre 1825 : « Il va six mois que Santa-Rosa s'est fait tuer dans Navarin ; il n'y a pas un an que lord Byron est mort en cherchant à servir la Grèce. Où est l'industriel qui ait fait à cette noble cause le sacrifice de toute sa fortune ?
« La classe pensante a inscrit cette année Santa- Rosa et lord Byron sur la tablette où elle conserve les noms destinés à devenir immortels. Voilà un soldat, voilà un grand seigneur ; pendant ce temps, qu'ont fait les industriels ?
« Un honorable citoyen a fait venir des chèvres du Thibet. »
M. von Oppeln-Bronikowski croit, en s'appuyant sur des références à M. Lumbroso (Stendhal e Xapo-
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I ^l2!J
leone), que la note de Slcndhai ncst ((ii'iine réminis- cence d'un article qu'il aurait écrit en janvier 1823 dans le New Monthhj Magazine sur la traduction de Platon de Victor Cousin, « dédiée, dit-il, à la mémoire de Santa-Rosa ». Ni le critique allemand, ni le critique italien n'ont vu exactement à quelle brochure faisait allusion Stendhal. M. Lumbroso insinue même que Stendhal a menti : « Ni M. dAncona, ni M. Stryienski, ni moi-même, dit-i!. n'avons pu retrouver le passage, sicchè il fatto non deve esser vero «, ce qui est une con- clusion assez plaisante. Au reste, il est tout à fait faux que Victor Cousin ait dédié sa traduction de Platon à Santa-Rosa. Les 13 volumes de cette traduction s'échelonnèrent de 1822 à 1840 (chez Bossange, Pichon et Didier, Pichon, Rey et Gravier, Rey, in-8o); les sept premiers sont dédiés à des personnalités différentes : par exemple, le 1^^ (de 1822, celui sur lequel Stendhal fit son article) à Viguier, le 2^ à Manzoni, le 3*^ à Hegel, etc. C'est le 6^ volume seu- lement qui est dédié à la mémoire de Santa-Rosa (longue dédicace de trois pages et demie, emphatique et déclamatoire : Stendhal a bien mieux dit en deux lignes). Or ce volume ne parut que le l^"" septem- bre 1827, c'est-à-dire neuf mois après Rome, JSaples et Florence... et deux ans trois mois après la mort de Santa-Rosa.
Page -!04. ... les Santa-Rosa et les Rossarol. ■ — Carton
1827 : les Une note de i'ex.
Le Petit complète ainsi : les Santa-Rosa et les Confa- lonieri.
Page 204. ... ante omnia silvse. — Cf. une note de Sten- dhal du 24 octobre 1815, sur les pages blanches de la fin d'un volume de Benjamin Constant (Un peu de Stendhal inédit, par M. Blanchard de Farges, Corres- pondant du 25 septembre 1909 1. — Cf. aussi une note de l'édition de 1817 (Villa Melzi, 18 juillet 1817 ; voir Appendice, tome II, page 271).
430 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 206. ... synonyme de sot. — Cf. Racine et Shaks- peare, passim.
Page 207. ... n était point exempte de ce défaut. — Il s'agit probablement encore de Métilde.
Page 210. ... çoit ma lettre,... — Il faut voir là un reste de la rédaction primitive de plusieurs des additions à la 1^^ édition de Rome. Naples et Florence, qui étaient écrites sous la forme de lettres. « Monsieur votre oncle » désigne probablement le roi de France ; on sait que Stendhal l'appelait quelquefois aussi : « Votre frère »,
Page 210. ... recevoir la récompense de leurs vertus. — Carton 1827 : sont allés ;
Page 212. ... par un censeur actuel. — Il s'agit de Lémontey et de sonpetit ouvrage de circonstance : Irons-nous à Paris ou la Famille du Jura, publié à l'occasion du couronnement de Napoléon I^^.
Page 217. ... un de mes amis... — Lui-même.
Page 217. ... promenant... — Promenant pour se pro- menant. Il s'agit d'un de ces provincialismes (ou archaïsmes) assez fréquents chez Stendhal.
Page 219. ... au lieu de maître Pernot. — Nous rétablis- sons, d'après l'éd. de 1826, toute cette note suppri- mée par Colomb dans l'éd. de 1854, probablement parce qu'elle se retrouve dans V Amour, page 130 de l'édition de 1854. Il s'agit de M. de Chabriant, comme on le voit dans Grimm, et comme le porte une note de l'ex. Le Petit.
Page 221. ... à traiter à Versailles. — D'après une note de l'ex. Le Petit, la duchesse de Poitiers ^ la duchesse de Polignac ; le comte de Canaples = le comte de Coigny ; M"^^ de Luz = M™® de la Suze. L'histoire du valet de cœur, transposée, forme le dénouement de la nouvelle de Scribe, le Roi de carreau (publiée d'abord dans le Siècle, puis dans le volume des Pro- verbes et Nouvelles, 1840).
Page 222. ... M. le duc de Sône... — Ce serait le duc de
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I '131
Chaulnes, d'après l'ex. Le Petit. Cf. Promenades dans Boiup, 5 juin 1828.
Page 223. ...la Lombardie sous François d' Autriche. —
Carton 1827 : la Lombardie sous L'ex.
Le Petit ajoute en note : « Ceci nest pas assez expliqué. L'oligarchie viennoise est jalouse de Milan. En ce sens. V empereur François nest quune griphe (sic). »
Page 223. ... des i'ertus de son métier ! — Cf. Histoire de la Peinture en Italie, Introduction.
Page 223. ... Dieu nous accorde un Napoléon,... — Car- ton 1827 : Dieu nous accorde un
Page 22(j. ...le talent de 3/'"e Radclijjc... — Stendhal avait lu les romans d'Anne Radcliffe (cf. Corresp., lettre à Pauline Beyle, tome I, p. 122, et Journal d'Italie, p. 224).
Page 228. ... de M. Pasquier. — Carton 1827 : de M. P.... Sur l'ex. Le Petit, Stendhal note en marge : « Un M. Renamont de Brivasac, espion de P[asquier'\, dupa la plupart des patriotes italiens réfugiés en Suisse. Il les créait chevaliers de la Régénération universelle, et puis leur disait : « De vrais frères nont pas de secrets les uns pour les autres : dites-moi tout. » Et ils disaient. » (Voir le fac-similé, tome IL)
Page 228. ... Radichi... — Ed. 1854 : R***. L'édition de 1826 donne le nom complet. Note de l'ex. Le Petit : « Scotti vers 1769. »
Page 229. ...un homme qui reçoit un soufflet. — Cf. Vie de Rossini, chap. xix, note in fine.
Page 230. ... à Trévise. ■ — Note barrée sur l'ex. Le Petit, et, en marge, « Prudence ».
Page 230. Le général Bertoletti... — Sur ce général, ainsi que sur Lechi, Pino et Zucchi, voir les recueils spéciavix ; nous renonçons décidément à recopier les états de services de ces officiers qui, pour être bril- lants, n'apprendraient rien de plus au lecteur sur Stendhal.
432 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 231. ...la finesse des prêtres. — Ed. 1826 et 1854 : la finesse des p
Page 232. ... dix millions à M. de Metternich ? — Ed. 1826 et 1854 : dix millions à M. M*". Il s'agit évi- demment de Metternich. Le nom est d'ailleurs donné pa! l'ex. Le Petit.
Page 233. ... V épisode Mahasia,... — Sans doute le cardinal Malvasia ; voir les Promenades dans Rome, édition 1854, tome II, page 232.
Page 233. ... Carlo Verri... — Stendhal a voulu dire Pietro Verri.
Page 234. ... je payai un moine... ■ — Carton 1827 : je payai un L'ex. Le Petit donne : prêtre.
Page 235. ... une de ces figures superbes,... ■ — - Note sur l'ex. Le Petit : « Elle ressemblait à la statue de Marie Stuart couchée sur son tombeau, qui est à Westminster. »
Page 235. ... contour noble et tendre. — Note sur l'ex. Le Petit, d'une autre main, nous semble-t-il : « Incliné vers la tombe. Chateaubriand. »
Page 235. ...et l'on na plus eu de ses nouvelles. — Toute l'anecdote a été supprimée par l'éditeur de 1854 et remplacée par cette ligne : « Tai été frappé de l'aven- ture de Camille dans les bois de la Sesia », avec une note renvoyant à l'Amour, page 68 de l'édition de 1854. Il nous a paru qu'il n'y avait aucune raison pour ne pas rétablir intégralement le texte de l'édition de 1826.
Page 235. ... une provision de miracles... — Carton 1827: une provision de
Page 236. ... des rites... — Carton 1827 : des
Page 236. ... un Xapoléon... — Carton 1827 : un
Page 237. ... ce dont les prêtres... — Ed. 1826 et. 1854 : ce dont les p
Page 237. ... pétrie par les moines mendiants,.., — Car- ton 1827 : pétrie par les
Page 237. Force messes furent dites, force scapulaires
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I 433
portés par les bûcherons ;... — ■ Clarion 1827:
portés par les bûcherons.
Page 23S. ... // faut un Napoléon ... — Carton 1827 : il faut un
Page 240. ... Gretna-Green. — Sur les mariages de Gretna-Green. voir Planiol, Traité de droit civil, tome I, page 281.
Page 240. ...à un prêtre qui les marie... — Ed. 182G et
1854 : à un p qui les marie. Carton 1827 : à un
qui les marie. L'ex. Le Petit donne : à un habitué
de paroisse.
Page 240. ... car quel que soit le prêtre, la dignité du sacrement... — Ed. 1826 et 1854 : car, quel que soit
le p , la dignité du sacrement. Carton 1827 : car,
quel que soit le , la dignité du
Page 241. ... impôts payés... — Cf. lettre à Mareste du 28 mars 1820 (Corresp.. tome II. p. 184).
Page 241. ... ce qui se passe à six lieues de Ferrure ! — ■ Le n° du Journal des Débats des 27-28 mars 1826 (marqué par erreur 26-27 mars) contient en effet un article non signé de deux colonnes sur l'exode des grands propriétaires fonciers vers la capitale. En voici un extrait :
« Comment vivre en France à soixante lieues de Paris !... Embarrassé de l'intérêt que vous montrent de bons voisins de campagne qui ont deviné la cause de vos tribulations, qui se félicitent de ne pas les éprouver et qui les envient, vous dites adieu à l'aris- tocratie territoriale, au bonheur, à la considération, au profit qu'elle procure, et vous fixez votre domicile à Paris, Sans doute, on ne peut se passer d'une terre ; mais il ne faut pas qu'elle soit à plus de huit lieues de la capitale... »
Page 245. ... des prêtres qui i'iendraient pour dîner. — Note de Stendhal sur l'ex. Le Petit : v. Il y a une nuée de prêtres très pauvres en Italie qui se font corri' plaisants des vieilles femmes dévotes. »
Rome, Naples et Florence, II 28
434 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 246. ... e di più v'è il gusto — Ici se termine, dans l'édition de 1826, le premier volume.
Page 249. ... cest la royauté qui a perdu... — Ed. 1826
et 1854 : cest la qui a perdu. Nous complétons
d'après l'exemplaire de Rome où Stendhal a indiqué le mot entier. Le mot est également porté en note sur l'ex. Le Petit, et Stendhal ajoute : « Napoléon seul pouvait contenir les chambellans. »
Page 250. ... à la fin du premier volume du président de Brosses, page 350. — Dans la première édition des Lettres, qui comprend 3 volumes (Paris. Ponthieu, 1800). Dans l'édition de Colomb (Paris, 1836, 2 vol.), les pages sur Bologne se trouvent dans le 1®^ volume, pages 231-265.
Page 250. ...et Duclos (1760). — Voir, sur ces voyages et itinéraires, des renseignements détaillés dans Mélanges d'art et de littérature, pages 256 à 260, article daté du 3 avril 1835 sur le Journal d' un voyage en Italie de Romain Colomb (Paris, 1833). Voir aussi notre Avant-propos.
Page 251. ... Pecorone... — Recueil de cinquante nou- velles de Fiorentino (xvi^ siècle). Shakspeare a tiré de l'une d'entre elles le sujet du Marchand de Venise.
Page 251. ... Vie de Benvenuto Cellini. — Retrouvés seulement au commencement du xix^ siècle, les Mémoires de Cellini n'ont pas tardé à être traduits en français (Paris, 1822, et Paris, Labitte, 1847j.
Page 252. Malheur de cet homme. — L'éd. 1854 ponctue ainsi : « Suivez-moi... malheur de cet homme. », ce qui n'offre guère de sens.
Page 252. Le cardinal Lante a été. — Ed. 1826 et 1854 : Le c L*** a été.
Page 253. ... plus de raciness italienne,... — Ed. 1854 : plus de racines italiennes, qui n'a pas de sens. Colomb n'a pas vu qu'il s'agissait du mot anglais : raciness. Il a cru à une erreur d'impression dans l'édition de 1826!
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I 435
Page 255. // est un pays... — Toujours la France.
Page 258. ... Lucas Cranagh.... — ■ Ou Cranach, peintre et graveur allemand (1472-1553), ami de Martin Luther.
Page 260. ... A/*^"" le prince de H***, sans prodige visible. — Sans doute, il faut lire IJohenlohe. — Il s'agit du célèbre thaumaturge allemand (1794-1849). Ordonné prêtre en 1815, il entra à Rome dans la Société du Cœur de Jésus. Dès 1821, on lui attribuait le don des miracles.
Page 260. ... sir Hudson Lowe. — Ed. 1826 et 1854 : Sir H. L....
Page 262. ... cela pourrait me faire remarquer. — Cf. De r Amour, édition 1854, Fragments divers, LIV.
Page 262. ...à la police... — Carton 1827 : à la
Page 263. ... dans F état de Cincinnati ."* — Cf. lettre du 24 décembre 1825 (Correspondance, tome II, p. 427).
Page 264. ... i'os épigrammes. — Cf. La Rochefoucauld, Maximes, 140 : « Un homme d'esprit serait souvent bien embarrassé sans la compagnie des sots. » Shakes- peare avait déjà dit : « La stupidité d'un sot sert à l'esprit de pierre à aiguiser. » (As you like it, acte I, scène 2).
Page 265. La royauté... — Carton 1827 : la
Page 266 ... attracted every eye, ... — Bientôt tous les yeux se portèrent à nouveau sur la fatale beauté de Pari- sina. (Parisina, XV.)
Page 267 ... /'Ave Maria ! — Cf. De V Amour, Fragments divers, LXVI, Bologne, 17 avril 1817.
Page 267. ... beneath the moon away. — C'est V heure où, dans les branches, le rossignol commence à égrener ses notes cristallines ; cest l'heure où les amants mur- murent de tendres serments, où les mots sont si doux ; cest Vheure où la suave musique de la brise et des eaux enchante Voreille du rêveur solitaire. La rosée a humecté chaque fleur ; les étoiles commencent à scintiller ; le bleu des flots se fait plus profond, le vert de la feuille
436 ROME, NAPLES ET FLORENCE
se fait plus sombre ; partout ce clair-obscur, si doux, si pur, qui suit le déclin du jour, au moment où le cré- puscule va se fondre avec le pâle éclat de la lune. Nous ne prétendons pas donner une traduction de ces beaux vers qui fornient la l'"^ strophe de Parisina.
Page 270. ... que sera-ce des princes actuels... — • Car- ton 1827 : que sera-ce des actuels. Stendhal a indi- qué, sur l'exemplaire de Rome, le mot rois. Mais l'éd. de 1826 donnait princes, que nous maintenons.
Page 270. ... depuis la société de la Vierge,... — Ed. 1826
et 1854 : depuis la société de la V Carton 1827 :
depuis la Société de la Stendhal a indiqué le
mot sur l'exemplaire de Rome. Cf. Le Rouge et le Noir, chapitre xvii, in fine.
Page 271. ...de deux quintaux de chaînes. — Note sur l'ex. Le Petit : « Il balaye les rues à Lintz. »
Page 271. ... les princes ne se sont crus aimés. — Cf. Correspondance, tome II, page 379.
Page 276. ... de Paris à Saint-Cloud. — Cf. Mercier, Tableau de Paris, Amsterdam, 1783, chap. xxvi, Des parfaits badauds. Mercier cite des extraits d'une brochure intitulée : Le Voyage de Paris à S^-Cloud par mer et le retour de S^-Cloud à Paris par terre (par Néel et Lottin l'aîné), qui, selon lui, peint d'après nature « l'imbécillité native d'un véritable parisien ». C'est plutôt une caricature ; mais Stendhal a évi- demment gardé un souvenir amusé de cette lecture ; en outre, l'expression « voyageurs de Paris à Saint- Cloud » était sans doute devenue presque prover- biale.
Page 277. ... contribuent à payer. — Pour éviter la répétition contributions-contribuent, Stendhal, sur l'exemplaire de Rome, a indiqué la correction sui- vante : que les impôts payés par ma petite terre contri- buent à payer. Mais il tombe ainsi dans une autre répétition : payés-payer. Nous maintenons donc le texte de 1826 et de 1854, faute de mieux.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I 437
Page 277. ... /(/ f>eur les dn'ore,... — Voir le prince de la Chartreuse de Parme.
Page 277. ... dans les environs de Ihdogne. — Sur rexem- plaire de Rome, Stendhal a ('crit ici en marge : « Assas- sinat politique de Besini, le chef des espions de Mo- dène. Ln ])oignard inconnu l'atteint, comme il se promenait entre deux de ses aides-de-camp, liesini mourait de peur tlepuis un an. )> Voir Promenades dans Rome, 20 novembre 1827.
Page 278. ... est d'un charlatanisme extravagant ;... — Ed. 1826 et J854 : ici le vulgaire des gens de lettres est d'un charlatanisme extravagant. Sur l'exemplaire de Rome, Stendhal a ])orté une addition que nous incor- porons au texte ; M. Paolo Costa avait lu « de petites places », mais M. Paul Arbelet nous dit (jue Stendhal a écrit « dix petites places ».
Page 279. ...le délicieux pamphlet de M. Courier,... — Lettre à M. Henouard, libraire, sur une tache faite à un manuscrit de Florence (Tivoli, 20 septembre 1810), Un peu plus bas, Stendhal fait allusion à la Lettre à Messieurs de l' Académie des Inscriptions et Belles- Lettres (l'aris, 20 mars 1819). L'admiration de Sten- dhal pour Paul-Louis Courier n'était pas de fraîche date. Dès son retour de Milan, Stendhal, en oc- tobre 1821, avait envoyé à Courier, alors en prison à Sainte-Pélagie, ses deux volumes de VHistoire de la Peinture en Italie, avec cette dédicace : Hommage au peintre de Jean de Broë (Cf. lettre de Courier à sa femme, du 14 octobre 1821).
Page 280. ...à cinq cents francs par mois ! — Sur l'exem- plaire de Rome, Stendhal a écrit en marge un nom propre : Rivière, suivi de quelques mots illisibles où M. Paolo Costa a cru voir : des Corseurs ou des Cor- saires, et où M. Arbelet propose de lire : des Censeurs. Peut-être s'agit-il du duc de Rivière, ami personnel du roi Charles X.
Page 284. ... journal romantique publié ci Milan vers 1818,
Rome, Naples et Florence, II 28.
438 ROME, NAPLES ET FLORENCE
— Il Conciliatore, foglio scientifico-letterario, parais- sait sur 4 pages de papier bleuté à Milan le jeudi et le dimanche de chaque semaine ; son premier numéro est daté du jeudi 3 septembre 1818 ; il fut interrompu par la police autrichienne, au 118^ numéro (dimanche 17 octobre 1819). Tous les amis libéraux et carhonari de Stendhal y collaboraient : le comte Porro (articles sur l'agriculture), Louis de Brème (histoire de la civilisation), Silvio Pellico (littératures étrangères), Berchet (Lettres à son oncle chanoine), Borsieri, Romagnosi, Rasori, Ressi, etc. Stendhal s'intéressait surtout aux articles littéraires d'Ermès \isconti, aux- quels peut-être il collabora, et qui sont les suivants :
1° Idée elementari sulla poesia romantica [x\9^ 23 à 28 du Conciliatore), six articles tirés à part, en décembre 1818, en une petite brochure de 61 pages in-8^, chez Vincenzo Ferrario, imprimeur du journal j Stendhal envoie cette brochure à Mareste (Cf. Corres- pondance, tome II, page 54, lettre datée, à tort, de 1818 ; elle est en réalité du 2 février 1819) ;
1^ Dialogo sulle imita drammatiche di luogo e di tempo (nOs 42 et 43 du Conciliatore), deux articles tirés à part en une petite brochure de 31 pages in-8°, fin janvier 1819 ; Stendhal envoie également cette bro- chure à Mareste (cf. Correspondance, tome II, page 55, lettre datée à tort de 1818 ; elle est en réalité du 8 février 1819). Ce dialogue a été traduit par Claude Fauriel ; on le trouvera aux pages 313-358 de sa tra- duction du Comte de Carmagnola et à'Adelghis, tra- gédies de Manzoni (1 vol. in-8° de xx-491 pages, Paris, 1823, chez Bossange frères).
3° Paralello delV Alceste d' Al fier i con quella di Euripide (n^ 56) ;
4° Une étude sur la Pucelle d'Orléans de Schiller {nos 63 et 65) ;
5° Une étude sur VHistoire des Croisades de Mi- chaud (nos 72, 77, 82 et 107).
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I 439
6° Une élude sur la Fiancée de Messine de Schiller (nO 113).
Les articles de Visconti étaient signés K. V.
Pour contrebalancer l'influence de la feuille des carhonari, la police autrichienne a^ait tenté tout d'abord de lancer un journal, du même format que le Conciliatore, mais sur papier rose : il s'appelait : UAccattabrighe, ossia classico • romantico - macchia, giornale critico-letterario ; les rédacteurs étaient le professeur Bernard Bellini, et le comte Trussardo Caleppio, commissaire de police. II parut pour la première fois à Milan, en novembre 1818 ; mais il n'eut que 13 numéros. Page 285. ... comme Voltaire et Pascal. — Ce n'était vrai qu'en partie. On connaît le vers fameux : Guerre à la rhélorique, et paix à la syntaxe.
Page 288. M. le Comte Perticari... — Le comte Perticari (1779-1822), littérateur, épousa la fille de Monti, la cé- lèbre Constance Monti ; il collabora avec son beau-père à l'ouvrage sur la Grammaire (Alcune correzioni ed aggiunte al vocahidario délia Crusca, Milan, 1817-1824, 6 vol.), dont Stendhal parle dans sa Correspondance.
Page 290. ... dei pesi civili comuni. — Il est véritable- ment heureux pour Pesaro que Rossini n'ait pas pris à la lettre ce galimatias du comte Perticari. Né à Pesaro, Rossini a toujours cru que Pesaro était sa patrie ; et c'est à Pesaro qu'en mourant il a légué sa fortune. Au reste, nous n'avons pas trouvé ce passage dans l'édition des œuvres de Perticari que nous avons eue entre les mains.
Page 293. ... gli Sepolcri,... — Voir plus bas, page 325,
Page 294. ... bue, stivale et somaro ' — Bœuf, botte et âne.
Page 295. ... pour un bourgeois. — Cf. De V Amour, livre L chap. i^^. Sur la cristallisation, voir ibid., chap. II.
Page 298. ...et les vexations de sa police,... — Carton 1827 : et les
440 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 298. Les gouvernants ne veulent ni faire, ni laisser faire. — Carton 1827 : ces mots sont remplacés par des points.
Page 299. ... mon diamant de cinq cents louis,... — Sur l'exemplaire de Rome, Stendiial a ajouté en marge, au crayon : [si] je donnais un déjeuner magnifique, ce qui est, non pas, comme le croit M. Paolo Costa, une réflexion personnelle de Stendhal, mais une addi- tion à la conversation de don Tommaso. L'ex. Le Petit porte en marge : Si je donnais un grand déjeuner chez Brunet.
Page 301. (Ceci est de moi). — Nous pensons que cette parenthèse s'applique à tout le paragraphe.
Page 301. ... changerait votre position. — C'est là une des sources du malheur d'Octave de Malivert, le héros compliqué tVArmance.
Page 302. ... en 1790,... — Nous savons par M. Chuquet ( Stendhal- Beyle, p. 324, note) que Murât n'était pas vaguemestre du Royal-Cravate en 1790.
Page 302. ... cent autres,... — Ed. 1826 et 1854 : mille autres. Exemplaire de Rome : cent autres (correction de Stendhal).
Page 302. ... comme disent les théologiens. — Sur l'exem- plaire de Rome (page 73) figure ici une note en marge que M. Paolo Costa n'a pu déchilïrer.
Page 313. ... la famine. — Ces deux anecdotes sur l'Auguto ont été empruntées par Stendhal à Pignolti, Storia di Toscana, livre IV, pp. 211-212.
Page 315. ... tout mouvement généreux. — Sur l'exem- plaire de Rome, Stendhal note en marge : Ah ! il fallait placer ici une anecdote pour reposer de cette métaphysique. 10 avril.
Page 316. ... deux fois plus d'impôts quen 1789. — Car- ton 1827 : qui n avaient su conquérir
Page 318. ... tous gens chez qui la fausse culture... — La plupart des chroniques de ces vieux historiens ont clé réunies par Muratori, dans sa collection des
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I A\i
Rerum iudicaruni scriplores (Miltm, 2/ ma^nuri'iiics volumes in-folio, 1723-1751). C'est là (|ue Stendhal, si friand des récits naïfs et dépourvus d'emphase, avait pu les lire, ou tout au moins les parcourir. Les curieux trouveront cette belle collection à la Biblio- thèque Nationale, salle de travail, V, 8-35.
Page 318 sur la tête des su jets.. . . — Carton 1827 : malgré
la peur des on bâtit à Bologne. Addition de
Stendhal sur l'exemplaire de Rome : malgré la peur des rois, qui retombe en tyrannie sur la tête des peuples. Nous adoptons le texte de 182G.
Page 320. ... M. Scipion lireislak... — Géologue, né à Rome en 17(j8, mort à .Milan en 1826. Nommé par Napoléon inspecteur des poudres et salpêtres du royaume d'Italie.
Page 320. ... du Jung-Frau. — - (Conforme aux éditions de 1826 et de 1854.
Page 323. ... les lois... ■ — Ed. 1826 et 1854 : les droits. Nous adoptons la correction de Stendhal : les lois, portée sur Te-xemplaire de Rome.
Page 326. ... amor di patria... — Fragment du poème d'Ugo Foscolo, intitulé les Tombeaux (I Sepolcri), composé en 1807 à l'occasion d'une loi sur les cime- tières, « six cent vers, dit Stendhal dans une lettre à Mareste du 9 avril 1819, qui sont ce qu'il y a de mieux depuis vingt ans. » Voici la traduction du fragment : « Quand je i>is le tombeau de ce grand homme qui, retrempant le sceptre des rois, en arrache les lauriers et montre aux peuples de quelles larmes et de quel sang il est sillonné (Machiavel) ; — quand je vis le cercueil de celui qui éleva à Rome un nouvel Olympe à la Divinité (Michel-Ange), — et de celui qui, le premier, vit tournoyer, sous le pavillon éthéré, plusieurs mondes éclairés par les rayons d'un soleil immobile (Galilée), et déblaya les voies du firmament à r Anglais (Newton) qui devait y déployer ses ailes : O heureuse Florence, niécriai-je, ton air divin est
442 ROME, NAPLES ET FLORENCE
imprégné de vie ! U Apennin te verse de ses monts ses eaux fraîches et pures ; la lune sereine enveloppe de lumière limpide tes collines bruyantes de joyeuses ven- danges ; de tes vallées s'élève un parfum de fleurs sem- blable à un encens, au milieu des maisons et des oliviers qui les couvrent ! 0 Florence, cest toi qui la première entendis le chant qui soulagea la colère du proscrit gibelin (Dante) ; tu donnas ses parents et sa langue à ce doux enfant de Calliope (Pétrarque; qui, cou- vrant d'un voile candide V Amour, nu jadis en Grèce et à Rome, le remit au sein de la Vénus céleste. Mais mille fois plus heureuse es-tu de renfermer en un seul temple toutes les gloires italiennes, les seules peut-être, depuis que les Alpes, mal gardées, et la toute puissance des vicissitudes humaines nous ont ravi armées, ri- chesses, autels, patrie, tout enfin, sauf le souvenir !.., Souvent, près de ces tombeaux de marbre, Victor (Alfîeri) venait chercher son inspiration : irrité contre les dieux de la patrie, il errait en silence, sur les bords les plus solitaires de V Arno, regardant passionnément la campagne et le ciel ; et, comme aucun aspect vivant ne venait adoucir son tourment, il se réfugiait ici, et Von voyait, sur son visage austère, la pâleur de la mort et V espérance. Maintenant, près de ces grands génies, il dort du sommeil éternel, et l'amour de la patrie fait encore frémir ses ossements. »
Page 328. ... pour égotiste. — Ed. 1854 : pour un égotiste.
Page 328. ... n'a aucune passion; ... — -Ed. 1854: les bour- geois de Florence d'aujourd'hui nont aucune passion^
Page 330. ... sans vices ni vertus. — C'est le mot de Tacite : magis extra vitia quam cum virtutibus (Hist., I.)
Page 331. Je vole autliéâtre du Hhohhomero,... — ■ Ici re- prend le récit, dans l'édition de 1817, du 5 au 8 décem- bre 1816. Sur la prononciation florentine, qui n'a pas varié, voir le Jourrwl d' Italie, 27 septembre 1811.
Page 332. ... qui fait le primo buffo. — L'histoire de cet officier qui s'est fait acteur par goût, choque furieuse-
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I 443
ment l'auteur de l'article de VEdlnhurgh Rei^iesv en novembre 1817.
Page 332. ... V honneur à la Louis XIV. — Ed. 1817 : la noblesse.
Page 332. ... pillé de Cimarosa. — Stendhal ajoute en 1817 : Rossini écrit un opéra, comme une lettre. Quel génie sHl se fût donné la peine d' apprendre sa langue !
Page 332. ... d'absolument nouveau,... — Ed. 1817 : Il ny a de remarquable.
Page 332. ... Rosine, Almaçiva et Figaro. — • Stendhal veut parler de la coda du grand trio du 2^ acte, sur les paroles Zitti, zitti (Allegro, fa majeur, 93 mesures), au moment où Figaro vient de donner l'alarme aux deux amoureux (Voir Vie de Rossitii, analyse du Barbier de Séville). C'est en effet le seul morceau inté- ressant du trio. Dans le Barbier, le génie finit, on peut le dire, après le quintette de Bazile ; de plus, il manque, au 2^ acte, un finale développé, faisant pendant à celui du 1®^ acte. A ce point de vue, le Barbier est une pièce qui manque d'équilibre.
Page 333. ... qui me plaisait tant à Milan. — • Ed. 1817 : je ne sais pourquoi.
Page 333. Toucher à un ouvrage de Paisiello ! — Sur l'exemplaire de Rome, Stendhal a noté en marge à la plume : Edinburgh Review. Allusion sans doute à l'article de 1817, dans lequel le passage sur Rossini est cité ; après avoir indiqué que, d'après le « baron Stendhal »,. Rossini aurait refait le Barbier de Paisiello, l'auteur anonyme de l'article ajoute : « Cette audace de toucher au chef-d'œuvre d'un des plus grands musiciens de tous les teinps est considérée par notre auteur comme la marque d'un vrai génie ; mais il y a beaucoup de gens, selon nous, qui appelleront cette audace: de rimpudence. » M. Paoîo Costa, faute d'avoir lu l'article de la revue anglaise, paraît s'être tout à fait mépris sur le sens de l'annotation de Stendhal.
444 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 333. Je suis Lindor. — Dans la délicieuse scène du balcon, traitée divinement par Paisiello, et escamotée par Rossini, qui désespérait peut-être d'y égaler son rival :
Sai)er brainute, Bella, il mio nome : Ecco ascollale, Ve lo dira, lo son Lindoro, Di basso slato, etc.
Page 333. ... s'en est bien i'ite emparée :... — Ed. 1817 ; Rossiiii, dont cela abrégeait la besogne, s'est empressé de le prendre.
Page 333. ... de plus froid ;... — Ed. 1817 : de plus plat.
Page 333. ... Bologne et Florence. — La dernière phrase ajoutée en 1826.
Page 334. ... serait bientôt détruite. — La partie con- sacrée à Florence dans l'édition de 1817 finit ici, après une courte conversation avec la comtesse P*** (voir Appendice). On saute à Rome (page 65, tome II de la présente édition), après quelques lignes datées de Yiterbe, 9 décembre (voir Appendice).
Page 335. ... dajis la Cetra Sp — La Cetra Sperma-
ceutica, chanson licencieuse du comte Giraud. Voir Correspondance, tome II. page 171, lettre du 3 mars 1820.
Page 336. ... aux Cascine... — Ed. 1826 : au Cacine. Ed. 1854 : au Cascine.
Page 336. ... le pouvoir immense du prêtismc. — Ed. 1826
et 1854 : le pouvoir immense du p e. Nous indiquons
le mot entier d'après l'exemplaire de Rome complété par Stendhal.
Page 339. ... de la princesse Elisa,... — Ed. 1826 et 1854 : la sévérité du préfet, déconcertant d'un mot les petits moyens employés par les chambellans de la princesse Elisa. Nous adoptons les corrections indiquées par Stendhal sur l'exemplaire de Rome.
Page 340. Les fameuses Cascine.... — Dans son Voyage
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I ■\\o
en Italie, \\. (.dlomlj ilt'cnt ainsi les Cascine : « Je ne connais ])as de jjionienade plus af^rcahlc que celte longue suite de pelouses, de bosquets, davenues, de fourrés, de gazons, bordés d'un côté par l'Arno, et de l'autre par le canal (pii a son embouchure dans ce fleuve ; la pronieiuule a au moins deux milles de longueur ; elle est couverte d'é({uipages et de cava- liers ; aux toilettes et à la forme des voitures, on se croirait aux Champs-Elysées ; seulement, ici, il y a plus d'équipages à un seul cheval... Les faisans courent devant nous dans les allées. « (Pages 37-38.)
Page 34i. ... servent de texte... — lui. 182(i : sert de texte.
Page 341. ... la comtesse d' Albaiiy,... — Ed. 182G : la comtesse d'Albanie.
Page 342. ... de Brosses a dit cent fois mieux... — Dans l'édition de Colomb, de 1836, ces descriptions se trouvent au tome I®'", pages 265 et suivantes. Sten- dhal cite l'édition de 1800 en 3 volumes.
Page 346. ... pour donner à dix-huit fakirs le plaisir de se mortifier. — Carton 1827 : pour donner à dix- huit
Page 347. ... {Ferdinand III) rendu sage par l'exil,...
— Carton 1827 : Ferdinand III Une
ligne plus bas, l'ex. Le Petit corrige cinq mille en neuf mille.
Page 349. ... et de prctisme... — Ed. 1826 et 1854 : et de p e.
Page 349. ... la Grèce en 1825, par H. Lauvergne. — L'ouvrage de IL Lauvergne a pour titre : Souvenirs de la Grèce pendant la campagne de 1825, ou Mémoires historiques et biographiques sur Ibrahim, son armée, Khourchid, Sève, Mari, et autres généraux de U expédi- tion d'Egypte en Morée. (1 vol. in-8o de viii-240 pages, chez Avril de Gastel et Ponthieu, Paris, 1826.) On y trouve en appendice, pages 232 à 240, une très curieuse Note sur Lord Byron, rédigée d'après des conversa-
446 ROME, NAPLES ET FLORENCE
tions qu'a eues l'auteur avec le père Paul, du couvent des Franciscains d'Athènes. C'est à cette note que fait allusion Stendhal. Le Globe venait, dans ses deux n^s des 6 et 9 mai 1826, de publier un long frag- ment du livre nouveau.
Page 352. ... (F un voyageur genevois... — LuUin de Chateauvieux, auteur de : Lettres écrites d'Italie, en 1812 et 1813, à M. Charles Pictet, dans lesquelles, dit Colomb, l'auteur « s'est proposé principalement de décrire l'aspect champêtre de l'Italie, ainsi que ses procédés d'exploitation rurale ».
Page 353. ... à la sauce piquante. — Vers tirés de la Gastronomie, chant l^'", à propos du turbot de Domi- lien :
l.e sénat mil aux voix cette affaire iinporlatUe, El le turbot fut mis à la sauce piquante.
Page 361. ... M. de Fontanes. — Carton 1827: M. ...
Page 365. ... soti degré de bonheur,... — A partir d'ici jusqu'à la page 367 (Velletri, 6 février), le carton de huit pages annoncé par le Journal de la librairie en mars 1827 donne un texte tout à fait différent du texte primitif de 1826 reproduit par l'édition de 1854 et par la présente édition. Nous donnons dans le Supplément le texte du carton, où lanecdote de Filorusso a été remplacée par celle, beaucoup plus anodine, de Laodina.
Page 365. Le gros marquis Filorusso,... — Il s'agit du marquis Marucci, « grec d'origine, espion russe, ultra enragé ». Sa campagne sur la place San-Fedele consiste en ceci : lors de l'assassinat de Prina, le 20 avril 1814, sur la dite place, il criait à la canaille : Achevez-le ! (Voir Correspondance, tome II, lettre 429, pages 417- 418.)
Page 367. ... Satire admirable de Al. Buratti. — Dans sa Notice sur H. Deyle (page lui), Colomb a inséré un fragment de lettre inédite de Stendhal au sujet
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I 4'l7
de BuraLli, de VEle/aiiteide, cl du marquis Marucci î il rappelle en même temps le petit article sur Buratti que Stendhal fit paraître dans la Biographie de Furne (Biographie universelle, ou Dictionnaire histo- rique par une société de gens de lettres, sous la direction de M. Weiss, ])ibliothécaire à Besançon, 6 vol. in-S^, Furne, Paris, 1832, — 2e édition : 1838-1842). Voici, à titre de curiosité, cet article : aussi bien, devait-il avoir sa place, quelque part, dans la nouvelle édition des œuvres complètes de Stendhal :
« BuRATTi (Joseph), le plus pittoresque, mais le
• plus indécent des poètes satiriques d'Italie, né à Bologne, vers 1778, d'un négociant fort riche, fut déshérité par son père, qui ne voulait pas qu'il fît des vers satiriques et libertins. Cependant il vivait à Venise dans une grande aisance. L'indépendance de ses opinions le fit mettre en prison fort souvent. Aucun poète peut-être n'est arrivé à faire aussi plai- samment le portrait des personnages dont il se moque. h'Elefanteide, la Strefeide, sont des satires beaucoup plus amusantes que tout ce que l'on a fait dans ce genre depuis plus[ieurs] siècles. On a osé imprimer à Lugano, vers 1822, les moins indécents de ces poèmes, dont les copies manuscrites, qui cir- culent dans le pays de Venise, forment 4 vol. in-4°. Buratti est mort en 1832. »
Page 368. ... au-dessous de Ventrée à Paris... — L'édi- tion de 1817 ajoute : ci mille lieues au-dessous de Berlin.
Page 368. ... de la ville éternelle. — Ces quelques lignes, depuis : Nous sommes entrés à Rome, existent dans l'édition de 1817, ainsi que, quelques lignes plus bas, la phrase : « Pour ménager les mœurs si pures ...» En 1817, le séjour à Rome est daté du 10 décembre 1816 et jours suivants (Voir Appendice, et tome II, page 65, Rome, l^^ août 1817 et jours suivants). Dans l'édition de 1826, au contraire, Stendhal com-
448 ROME, NAPLES ET FLORENCE
bine son itinéraire de façon à sauter de Florence à Naples, en ne faisant, comme de Brosses, que tra- verser Rome, où il ne sera censé séjourner qu'à son retour de Naples, six mois après.
Page 369. ... à être seul. — Ed. 1826 et 1854 : étant seul. Nous adoptons la correction que Stendhal a portée sur l'exemplaire de Rome.
Page 369. ... après le Trasimène... — Ed. 1826 et 1854 : après Trasimène. Stendhal corrige sur l'exemplaire de Rome. On dit en effet : la bataille du Trasimène.
Page 370. ... m'a donné des nerfs. — Sur l'exemplaire de Rome, Stendhal a noté en marge au crayon : Ah ! hene ! Souvenir, sans doute, de la lettre que lui avait écrite Mareste le 22 décembre 1817 (voir Paupe, Vie littéraire de Stendhal) au sujet de la première édition de Rome, Naples et Florence : Mareste lui reprochait d'avoir maltraité injustement Florence et Rome ; Stendhal avouait, dans une lettre du 3 janvier 1818, qu'il await eu des nerfs à Rome.
Page 370. ... détester les aristocrates ;... — Carton 1827 :
les aristocrates. L'exemplaire de Rome porte de la
main de Stendhal : haïr. Nous maintenons détester d'après l'édition de 1826.
Page 371. ...le pire des poisons,... — Carton 1827 : qui sont maintenant Stendhal, sur l'exem- plaire de Rome, complète : la pire des absurdités. L'éd. de 1826 donne : le pire des poisons, que nous mainte- nons.
Page 371. ... d'un ordre de chevalerie dont on vendrait la croix. — Ed. 1826 : d'un ordre de chevalerie dont on la croix. Carton 1827 : d'un ordre de chevalerie
Page 372. ... les assassinats de Xtmes,... — Ed. de 1826 et 1854 : les a s de Xîmes.
Page 372. ... de Trestaillons et de Trufémi. — Cf. Corresp., tome II, page 85, projet d'article pour rendre compte des Considérations sur les principaux événements de la
NOTES I:T KCLAIRCISSKMF.NTS Dr TOMi: I ''l'in
lici'olution ]r(in[aise, de M'"'' de Suiël. ((".<>!(iiii!) (loime, à son habitude, ce frapiiiciil jxmr une lettre ([ui lui aurait été adressée le 17 juin 1818 par Beyle.)
Page 372. .Vows avons trompé... — Ici repi'end le texte de Tédition de 1817 : « Enfin, je quitte Hume, et f entre dans une vallée charmante, etc. »
■Page 372... ce Pie VI qui savait régner — Va\. 1817 :
dans l'auberge superbe bâtie par Pie \ I.
Page 373. ... ni de ses nombreux plagiats. — Dans l'éd. de 1817, Stendhal ne parle pas encore des ])lagiats.
Page 373. ... deu.r mille francs. — - Ed. 1S17 : mille Jratics.
Page 374. ... dans u?i vieux pot de pommade. — Voir dans la 1 le de Rossini une description plus pittoresque encore de la manière dont le maestro composait et faisait rc})éter ses oju'i'as dans les petites villes d'Italie.
Page 374. Je lui disais... — VA. 1817: Je lui parlais de.
Page 374. ... qu'à Paris les tragédies de Ducis. — Ed. 1817 : que le sont à Paris les tragédies de Marmontel.
Page 374. ... ses vingt opéras? — Ed. 1817 : ses trente opéras.
Page 374.... and grows old. — Citation à dessein ine- xacte : le texte dit : three good men unhanged in En gland and one of them is fat and grows old ; mais Stendhal devait nécessairement substituer great men à good meti et poor à fat pour que sa citation trouvât ici son application. « // ?i'y a pas trois grands hommes en Angleterre, et l'un d'eux est pauvre et devient vieux. » La traduction anglaise de 1818, en faisant remarquer avec pédanterie l'inexactitude de la citation, n'a pas vu que l'inexactitude était a oulue. et que, bien plus, elle témoigne d'vme certaine connaissance de la langue anglaise.
Page 375. ... est un seigneur amoureux... — Ed. 1817 : Depuis Florence et le Barbier de Séville, voilà la pre-
RoME, Xaples et Florence, II 29
450 ROME, NAPLES ET FLORENCE
mière musique qui me fasse plaisir. C'est un seigneur^ etc.
Page 375. ... de Napoléon;... — Ed. 1817 : de
Les deux dernières phrases ont été ajoutées en 1826.
Page 376. ... deux ou trois mille... — Ed. 1817 : sept à huit cents.
Page 376. ... comme Louvois. — L'éd. 1817 ajoute : à Paris.
Page 377 ...le Potier... — Ed. 1817 : le Brunet.
Page 377. ... comme dans un roman de Pigault-Lehrun, — Ces mots n'existent pas dans l'éd. de 1817.
Page 377. ... il rn amusait moins. — Ed. de 1817 : it ni ennuyait.
Page 377. ... part difficilement. — Toute la phrase a été ajoutée en 1826.
Page 377. ... et la froideur. — L'éd. 1817 ajoute : Il chante exactement comme AP^^ F esta.
Page 378. ... glacial,... — Ed. 1817 : très froid.
Page 378. ... comme celle de Capoue. ■ — Ed. 1854 : comme celles de Capoue.
Page 379. ... quon me passe ce mauvais mot si pitto- resque. — Ed. 1817 : quon me passe ce terme de coulisse, qui est si pittoresque.
Page 379. ... Guglielmi... — L'éd. de 1817 porte la note suivante : On dit que Guglielmi est mort en mars 1817.
Page 379. ... fai perdu les deux basques de mon habit. — Ed. 1817 : les deux basques de mon habit so?it déchirées.
Page 379. ...la force de critiquer. — L'éd. de 1817 ajoute : Ce premier jour de San-Carlo, un des grands buts de mon voyage, (chose unique pour moi !) na pas été au-dessous de mon attente. Mais je dois cela à quelque fermeté de caractère.
Page 379. ... effrayer les spectateurs. — Ed. 1817 : A demain les drôles de sensations qui troublaient les spectateurs. Les éd. 1826 et 1854 portent ici l'indication suivante entre parenthèses : (12 J.),
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I 451
sans doute (12 jarwier). Les deux para(j;raplies, datés en 1826 du 12 février, étaient", dans l'édition de 1817, datés du 12 janvier ; l'indication (12 J.) avait proba- blement été portée par Stendhal sur la page de l'exem- plaire de 1817 remis à l'imprimeur pour la nouvelle édition, à titre de simple mémento. Il n'y avait aucune raison pour la maintenir ; nous la supprimons, comme étant une erreur d'impression de 1826. — Pour toute la description de San Carlo, Stendhal n'a fait que reproduire l'édition de 1817, à l'exception de quel- ques courts fragments que l'on trouvera à V Appen- dice.
Page 380. ... une idée de ceci. — L'éd. de 1817 ajoute : Je vois dans les loges des dames auxquelles je puis être présenté ; foime mieux ma sensation, et je reste au parterre.
Page 380. ... plus que cette constitution... — Ed. 1817 : plus que la meilleure loi.
Page 380. ... içre de bonheur. — Ed. 1817 : iVre de pa- triotisme.
Page 381. ... les petites loges incognito... — Ed. 1817 : les petites loges oii l'on peut être incognito.
Page 381. ... à remarquer... — Ed. 1817 : à observer.
Page 381. ... fumée obscure. — Ed. 1817 : fumée noire.
Page 382. ... on allait s'y précipiter. — Ed. 1817 : Je me retournai vers mes compagnons, voyageurs anglais : je trouvai des figures de bois qui regardaient la fumée.
Page 382. ... dans la recherche des moyens... — Ed. 1817 : dans les moyens.
Page 382. ... que je m'aperçus de... — Ed. 1817 : que je me mis à sentir.
Page 382. ... les femmes... — Ed. 1817 : les dames.
Page 382. ... l'on n entend pas. — Ed. 1817 : l'on n'en- tend absolument pas.
Page 382. ... dans plusieurs loges ;... — Ed. 1817 : Je cours les loges.
452 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 382. ... ce reproche incroyable. — - L'éd. de 1817 ajoute : Il est fort réel.
Page 383. ... presque aussi maui>aises que celles de Paris. — Ed. 1817 : du dernier mauvais.
Page 383. Il y a dans ces décorations... — Ed. 1817 r Il y a, entre autres.
Page 383. ... on çoit... — Ed. 1817 : de manière quon voit.
Page 383. ... ce quelles font. — Ed. 1817 : à qui elles appartiennent.
Page 383. ... à sa très jolie femme. — Ce n'est pas l'avis de l'annotateur inconnu de l'exemplaire appartenant à M. Barbery de Nice : il écrit en elTet en marge : « Une grande poupée miince, sans grâce, blanche comme un satin neuf, physionomie aussi bête que l'était le colonel corse échappé du service français depuis l'abdication de Bon[apartel. Elle était fille d'une maîtresse de pension de Milan ayant été femme de chambre française émigrée. » Nous remercions vivement M. Barbery de l'obligeance avec laquelle il nous a communiqué ces curieuses notes, dont il nous avise qu'il a à peu près identifié l'auteur : ce serait Sergent, beau-frère du général Marceau.
Page 383. ...de mon ambassadeur. — Paragraphe ajouté en 1826.
Page 383. ... nous savons donner... — Ed. 1817 : nous donnons.
Page 383. ... journal payé à M. Acerbi... — Sur Acerbi, voir notre édition de la Vie de Haydn. Appendice, nO VII. — La note de 1817 finit à : Voyez la Biblioteca italiana, de Milan. En 1826, Stendhal ajoute : journal payé, etc. Un carton de 1827 donne : journal payé à M. Acerbi par
Page 384. ... au cabinet littéraire. — Stendhal ajoute en marge sur l'exemplaire de Rome : Rue San-Giacomo (Napoli). Voir le fragment de la 1''^ édition, Appen- dice, page 301 du tome II.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DV TOME I 453
Page 384. ... comme trop libéral (1817). — Les éd. 1826 et 1854 ne portent ])as cette date ; mais elle a été ajoutée dans un carton de 1827.
Page 384. ... sont des Lyon renforcés. — Ce paragraphe du 20 février a été ajouté en 182G.
Page 384. ... sera pitoijable. — L'cd. de 1817 ajoute : Rien de plus juste.
Page 385. ... milanais et fort bel homme,... — Ces mots ont été ajoutés en 1826.
Page 385. ... mademoiselle Colbran. — Ed. 1826 et 1854 : mademoiselle C***. Il s'agit évidemment de la Col- bran, la future M""^ Rossini (voir Vie de Rossini). Il n'y a plus aucune raison pour maintenir l'initiale. L'édition de 1817 donnait le nom entier.
Page 385. ... quatorze ans. — Ed. 1817 : dix-sept ans.
Page 3-^5. ... Tachinardi s'éteint, et Crivelli se glace. — Ed. 1817 : après Tachinardi.
Page 385. ...de Favart,... — Ed. 1817 : de VOdéon.
Page 385. ... et la misère... — Ajouté en 1826.
Page 385. Madame la princesse Belmonte remarque... — Ed. 1817 : La duchesse de C*** me fait observer.
Page 386. ... chez madame Formigini... — ■ Ed. 1817 : chez la duchesse.
Page 386. ... des missionnaires méthodistes. — Para- graphe ajouté en 1826.
Page 3S7. ... pour ne pas i'ivre avec une impie. — Ces mots ont été ajoutés en 1826.
Page 387. ... qui a voyagé de Paris à Saint-Cloud... — Ed. 1817 : le lecteur qui fie connaît, etc.
Page 388. ... et quelle aime peut-être encore,... — Ed. 1826 et 1854 -.et qu elle aime encore. Stendhal a ajouté peut-être sur lexemplaire de Rome.
Page 388. ... fort commun ;... — Ed. 1817 : fort plat.
Page 388. ... on pilerait... — Le traducteur anglais de 1818 ne manque pas d'imprimer : you might pillage .' Il a compris : on pillerait ! Ce non-sens
RoMD, Naples et Florence, II 29,
454 ROME, NAPLES ET FLORENCE
existait d'ailleurs dans l'édition de 1817 ; mais Verrat.
corrigeait : on pilerait. Page 388. ... un caractère de cette profondeur et de cette
énergie. — Ed. 1817 : un tel caractère. Page 388. ... rn étonne toujours. — Ed. 1817 et 1826 :
dans certains caractères de femmes m'étonne toujours.
Sur l'exemplaire de Rome, Stendhal a ajouté : de ce
pays, que Colomb a également ajouté en 1854. Toute
la fin du paragraphe depuis : Tout cela est caché, est
de 1826.
Page 389. ... on pourrait la leur faire entendre. — Sur l'exemplaire de Rome, Stendhal ajoute en marge : Et d^ ailleurs le fond du tableau est triste; même s'il est gai, le tableau sur lequel se détachent les m,ouve- ments de passion est triste.
Page 389. ... Stone-Henge... — Groupe de monuments mégalithiques, dans la plaine de Salisbury, en Angle- terre.
Page 390. ... comparable à madame Pasta... — Cette allusion à M^^^® Pasta ajoutée en 1826.
Page 390. ... courtisanesques... — Ajouté en 1826.
Page 390. ... des heures entières. — Ces deux dernières phrases ajoutées en 1826.
Page 390. ... de comparable. — Cette restriction : ou du moins, n'existe pas dans l'édition de 1817.
Page 391. ... séduits... — Ed. 1817 : charmés.
Page 391. ... une chose de convention,... — De Brosses (Gênes, l^J" juillet 1739) disait déjà : « Après tout, qu'est-ce que l'indécence dans Icc usages, si ce n'est le défaut d'habitude de ces usages mêmes ? »
Page 391. ...le prêtre de rendrait. — Ed. 1817 : cela dépend de la pruderie. La dernière phrase a été ajoutée
en 1826. Carton 1827 : inspiré parle de l'endroit
(page 186 marquée par erreur 168).
Page 392. ... toutes les cent lieues. — Cette dernière plirase ajoutée en 1826.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I ^io3
Page 392. ... état passager et violent. — - La parenthèse ajoutée en 1826.
Page 393. ... M. de Rocca-Romana ? — Ed. 1826 et 1854 : M. de Roc* Rom* ? Une note de l'ex. Le Petit donne le nom complet.
Page 393. ... depuis quil adore Saint Janvier ? — Ed.
1826 et 1854 : depuis qu'il ? La fin de la
phrase est ajoutée par Slcndlial sur l'exemplaire de Rome, ainsi que sur l'ex. Le Petit. Ce qui précède, depuis : ils se sont crus mystifiés, n'existait pas dans l'édition de 1817.
Page 393. ... ou la Forêt des Ardennes... — Ed. 1817 : que la Tempête ou le cinquième acte des Femmes de Windsor.
Page 393. ... par écrit,... — Ed. 1817 : par ht parole.
Page 393. Au château de B***, en France,... — Ed. 1817 : Au château de Vizile, en France.
Page 393. ... jusqu'à trois heures du matin. — Ed. 1817 : nous faisait passer une partie des nuits.
Page 394. ...et des Nouvelles Castillanes,... — Ed. 1817 : pleine des souvenirs des romans et du théâtre.
Page 394. ... les jouissances des beaux-arts. — Dans l'éd. de 1817, ce développement est ainsi conçu : « Chaque imagination fait parler à sa manière ces personnages qui se taisent. Ce genre singulier va peut-être s'éteindre ; il eut son développement à Milan, dans les temps bril- lants du royaume d' Italie. U faut de grandes richesses, et le pauvre théâtre de la Scala na peut-être plus que deux ou trois ans de vie. »
Page 394. ...en Europe. — Cette dernière phrase ajoutée en 1826.
Page 394. ... est glacé par les... — Ed. 1S17 : ne com- prend rien aux.
Page 395. ... dans cette tête. — Ed. 1817 : // se trouve dans cette tête le génie du peintre joint à celui du musi- cien.
Page 395. ...de ne jamais parler de Vigano. — Ed. 1817 :
456 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Environné de quatre-iàngts clonseurs sur la scène de Milan, ayant ù ses pieds un orchestre de soixante musiciens, il fait impitojjahlement recommencer, toute une matinée, deux mesures que l'on ne danse pas à son idée.
C'est de ce passage sur Viganô que Stendhal disait à Mareste : « L'article sur Viganô, c'est mon cœur et nion sang, comme dit Parny. » (Lettre du l^"" décem- bre 1817, Correspondance, tome II, p. 44). On sait l'admiration furieuse que Stendhal professait pour ce compositeur de ballets ; la Correspondance de 1816 à 1820 fourmille de détails enthousiastes. Au retour de son voyage en France, en septembre 1819, Sten- dhal avait même rédigé, sur Viganô et le ballet des Titans, un article qu'il destinait au Journal de Paris et qui ne vit jamais le jour (voir lettre à Mareste du 2 novembre 1819, Corresp., tome IL pages 163 et 165). Stendhal note cependant, à Milan, le 22 décembre 1819, après un dîner avec Rossini : « Rossini me fait voir un défaut dans Viganô : trop de pantomime, pas assez de danse. Oter l'armure à un héros. » (Correspondant, 25 septembre 1909, article de M. Blanchard de Farges, p. 1098.)
Page 395. ... un horizon du plus beau sombre. — Ed. 1817: Cela aussi est un effet à la Viganô. — Note sur l'ex. de Civita-Vecchia : « Le 4 février 1817, fêtais à Pouz- zoles. Donc fai vu Naples en même temps que M. de Stendal (sic) que je trouve très menteur. C'est un libéral jacobin. »
Page 396. ...de claquer... — Ed. 1817 : d'applaudir.
Page 396. ... sans doute à Paris. — Ed. 1817 : de grand cœur dans la rue de Richelieu.
Page 396. ...et rit de leurs griffes vertes. — Cette note de 1817 a été légèrement modifiée p; r Stendhal pour figurer dans l'édition de 1826. Elle commençait ainsi : « J\P^^ Digottini est un exemple à peu près par- fait de ce beau idéal ; Paul et Albert s'en approchent
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DL' TOME I 'l57
souvent, larulis ijiir M^^^ h annij Bias est le genre fran- çais dans toute sa pureté. Les ballets de (îardeL etc. » et finissait par une ])arenthèse : (liepnse de Psyché, 1817). An lieu (le Shakspeare, on lisait : Aljieri.
Page 397. ... trois fois par semaine au moins. — Ce paragraphe depuis : Je suis monté hier au V'ésui'e, est de 1826.
Page 397. ... on ne savait pourquoi. — ■ En marge de ce développement, Stendhal écrit sur l'exemplaire de Rome : Ceci est-il ennuyeux .-^ Supprime-le donc {apos- trophe adressée à Colomb ou à Crozet).
Page 398. ... tous les torts. — Ed. 1817 : tous les reproches.
Page 398. ... ait eu le temps d'entrer... — Ed. 1826 et 1854 : pour que la révolution pût entrer dans l'art. Stendhal a corrigé sur l'exemplaire de Rome : ait eu le temps d'entrer ; nous adoptons naturellement cette excellente correction.
Page 398. ... la musique française ;... — Cette phrase est précédée, dans l'éd. de 1817. des mots suivants : « Quelquefois j'entre en doute de mes idées les plus fondamentales. »
Page 398. L'auteur n'est pas Français. — Ed. 1817 : Le patriotisme d'antichambre, comme disait M. Turgot à propos du Siège de Calais, va se soulever contre moi.
Page 399. ...y tenir. — Ed. 1826 et 1854 : s'en tirer. Nous corrigeons d'après un carton de 1827.
Page 399. ... mais elle est bien jolie. — Ed. 1817 : Les plus grandes des jeunes élèves, surtout la Pepina et la Merci, sont déjà des danseuses fort agréables. Peut- être la Pepina ira-t-elle au grand ; sa danse a une physionomie.
Page 399. Aujourd'hui 14 mars,... — Ed. 1826 : Aujour- d'hui, 14 février, erreur évidente, corrigée en 1854. Ce paragraphe, qui n'existe pas dans l'édition de 1817, avait été ajouté par Stendhal, pour l'édition de 1826, à la suite sans doute de la feuille imprimée de 1817 ;
45S ROME, NAPLES ET FLORENCE
or, en 1817, cette partie du journal était datée du 14 février : c'est ce qui explique l'erreur.
Page 400. ... en proscriptions (1799-1822). — La phrase, depuis : Le maître de la maison, n'existe pas dans l'édition de 1817.
Page 400. ...se rapproche de... — Ed. 1826 et 1854 : deçient celui d'espion. Nous corrigeons d'après un carton de 1827.
Page 400. ... chez Al. Bianchi... — Ed. 1817 : i>oir les dessins de Ai. Bianchi.
Page 400. ... lequel ennoblit. — La fui du paragraphe depuis : Comment nos artistes, ajoutée en 1826.
Page 400. ... huit ou dix ans. — Ed. 1817 : deux ou trois ans.
Page 401. Et que les hommes aient été... — Les éd. de 1826 et 1854 portent ces deux lignes de points. Nous pen- sons qu'on peut rétablir ainsi la suite des idées : Et que les hommes aient été assez niais pour abandonner une pareille religion, cest ce quil est assez difficile de comprendre. Mais Vamour du nouveau, etc. Cette partie du développement, depuis : la religion des Grecs, n'existait pas en 1817.
Page 401. ... les plus remarquables du royaume,... — Ed. 1826 et 1854 : les plus forts du royaume. Stendhal a, sur l'exemplaire de Rome, substitué le mot remarquables au mot forts, jugé sans doute par lui un peu plat.
Page 401. ... le conseiller d'Etat Cuoco. — Auteur notamment d'un Essai historique sur la résolution de Naples, traduit en français par Barrère, et qu'avait probablement lu Stendhal.
Page 402. ... lago... — Ed. 1826 et 1854: Sagor, non- sens. C'est l'exemplaire de Rome qui nous donne cette intéressante correction.
Page 402. ... chanteuse :... — Ed. 1817 : actrice.
Page 402. ... à ces grands hommes. ■ — Voir dans la Vie de Rossini, l'analyse de VOtello, et la critique du
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I 459
livret. Dans réditiou de 1817, le paragraphe sur Otello se borne aux lignes suivantes : Rossini l'a très bien secondé. J'ai essuyé cinq fois cette rapsodie. Notez que Desdemona (AD^^ Colbran) a beaucoup du physique de Mlle Maillard.
Page 403. ... est un ténor divin. — - Ed. 1817 : ni a fait plaisir.
Page 403. ... vî étonnent. ■ — Ces deux dernières phrases sur Chateaubriand et Paër ajoutées en 1826.
Page 403. ... entre autres le duo du premier acte entre les deux femmes. — Ces mots ont été ajoutés en 1826. L'édition de 1817 ajoute : Voilà la i^éritabte forme des théâtres chantants : cest un cercle. La ligne du théâtre est une perpendiculaire élei^ée à V extrémité du dia- mètre (Théâtre des Variétés, de Paris), ou mieux encore vers le tiers de ce diamètre.
Cette question de mathématiques décidera du sort futur de la musique dramatique. Les grands théâtres, etc.
Page 403. ... il Travaso delV anima. — Note barrée sur l'ex. Le Petit, et en marge : Faux. La hiondina in gondoletta.
Page 404. ... M. le comte Galenberg. — Ed. 1826 et 1854 : AL le comte Gallenberg. II s'agit du comte de Galenberg, compositeur de ballets, dont parie Sten- dhal dans une lettre du 6 avril 1822 (Corresp., tome II, page 243). Cet Allemand avait épousé la célèbre Giulietta Guicciardi, que Beethoven a immortalisée en lui dédiant son admirable sonate en ut dièse mineur (sonata quasi una fantasia dedicata alla mada- migella contessa Giulietta di Guicciardi), op. 27, nO 2.
Page 404. ... la premiers tempistes du monde. — • Ajouté en 1826 depuis : On se plaint de voir Crivelli.
Page 405. ...du côté des spectateurs ? — Ed. 1817 : vers les spectateurs.
Page 405. ... les vagabondages de V imagination. — Les deux dernières phrases ajoutées en 1826,
4G0 ROME, XAPLES ET FLOUENCE
Page 406. ... ny forme quiin spectacle intéressant. — L'édition de 1817 ajoute : et ne s'y fait connaître que par des bienfaits, et, en note : -Vos princes viennent de consacrer plus de cinquante millions au soulagement des peuples en 1817. C'est là ce que Stendhal appelait « les notes pieuses et révérencieuses » (voir notre Avant- propos).
Page 406. ... qu'un atome... — Ed. 1817 : qu'un petit citoyen.
Page 406. ... fait un sacrilège de votre applaudissement. — • Ed. 1817 : vous en empêche.
Page 406 sont égo'istes et bonnes gens,... — Ed. 1817 :
sont très respectables.
Page 407. ... centre de police et de vexation. — Carton
1827 : centre de L'ex. Le Petit porte
en note : centre de tracasserie et de vexation. Voir Turin.
Page 407. Ce genre d'ennui, inconnu à Paris,... — Ed. 1817 : Je le dis si?icèrement, cela est tout à fait inconnu à Paris ; mais, dans les petits états d' Italie, cest la vexa- tion de tous les moments. De plus, une note, au mot Paris, dit : et plus que jamais en 1817, sous le ministère d'un homme supérieur (le duc de Richelieu).
Page 407. Que veut-on que fassent toute la journée... — Ed. 1826 et 1854 : que veut-on que fassent huit ou dix ministres. Un carton de 1827 ajoute : toute la jour- née.
Page 407. ... et meurent d'envie d'administrer .>* — Ajouté en 1826.
Page 407. ... deux ou trois millions... — Colomb, en 1854, ajoute : de revenu, qui est inutile, et qui est même un contre-sens.
Page 408. ... à charge de revanche ;... — Ajouté en 1826.
Page 408. ...et leurs nez immenses. — Ed. 1826 et 1854 : avec tout le poids de leur grandeur et de leur habit brodé. Nous adoptons la correction portée par Sten-
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME I ^iGl
dhal sur l'exemplaire de Home : l'addition et leurs nez immenses est tout un taldeau. L'édition de 1817 dit siniplenient : avec tout le poids de leur grandeur.
Page 408. ... pour obtenir une armée courageuse. — Car- ton IS'll : f ai pensé qu' il jidiait tout ce
pour obtenir, etc.
Page 408. ... des plaisirs de la descente. — Ed. 1817 : de Vagrément.
Page 409. ... au eu je :... — lui. 1854 : dans un ca/'é, qui forme contre-sens ; car il s'agit de la buvette du théâtre.
Page 409. ... tout essoufflé. — Stendhal ajoute en marge, sur l'exemplaire de Rome : Histoire de la tête du G"' Murât que le r[oi] F[erdinatid] ne reconnaît pas ; j'ai à penser à ce sujet. La lecture des derniers mots est douteuse.
Page 410. ... autre que... — Ed. 1817 : si ce )i'est.
Page 410. ... que de F émotion.... — Ed. 1817 : que cette dernière.
Page 410. Cet amateur délicat... — Cette dernière phrase ajoutée en 182G.
Page 410. ... trace de civilisation :... — L'éd. de 1817 ajoute ici : Cet aspect, et le mouvement de la mer, me ramènent au bon sens.
Page 410. ...le papisme et ses rites font... — Ed. 1826 et
1854 : le p et ses r.... font. L'exemplaire de Rome
et l'ex. Le Petit donnent les mots complets.
Page 411. ... la gaieté d'un méthodiste anglais. — Toute la fm depuis : grand avantage quand le papisme^ ajoutée en 1826.
Page 411. ... lord Chichester,... — Ed. 1826 et 1854 : lord Chiches*** . Nous indiquons le mot complet d'après l'éd. de 1817.
Page 411. Oui, mais... — Ed. 1817 : Si vous échappez à la révolution que la vanité blessée de Canning et de Lord Castelreagh vous prépare, les Américains, etc.
462 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 412. ... il se réi^oltera onze. — Carton 1827: on le
dix fois, et il onze. Stendhal, complétant la
phrase dans l'exemplaire de Rome et dans l'ex. Le Petit, a écrit : conquerra, au lieu de vaincra, qui exis- tait dans l'éd. de 1826 et que nous maintenons.
Page 412. ... V orgueil de la noblesse. — Toute cette fin de paragraphe, depuis : Parmi les épigrammes, a été ajoutée en 1826.
Page 412. ... en soupirant. — 11 s'agit sans doute de lord North, père de la célèbre lady Douglas Glan- bervie, femme d'un lord irlandais, qui va être citée plus bas, en même temps que la marquise Lansdowne, femme du ministre anglais.
Page 412. Milady Douglas, milady Lansdowne. — Ed. 1826 et 1854 : Milady Dou***, milady Lansd***. L'édition de 1817, la traduction anglaise de 1818 et l'ex. Le Petit donnent les noms complets.
Page 412, ... vint briser tous les métiers. — Voir à ce sujet, à V Appendice (tome II, page 302), un fragment de la 1^^ édition que Colomb n'a pas reproduit en 1854.
Page 413. ... manqué trois riches mariages. — La fin, depuis : cet amant me parlait, ajoutée en 1826.
TOME SECOND
Page 2. Voulez-vous trouver... — Ce paragraphe, daté dans l'édition de 1817 de Naples, 25 février, commence ainsi dans cette édition : « Je reviens de Pœstum. Route pittoresque. Voulez-vous, etc. »
Page 2. ... des ménages... — • Ed. 1854 : des manèges, coquille regrettable.
Page 2. ... par un magicien)... — La dernière phrase ajoutée en 1826.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II ''l63
Page 2. ... HohJiouse (1817)... — Note de 1817 non
reproduite en 182fi (sans doute oubliée). Colomb lu
laisse égalenienl de coté en 1854. Page 3. ... on a lu tant de isolâmes. — Sur l'exemplaire
de Rome, Stendhal a écrit en marge : Taime cette
caserne avec les mots écrits au charb[on] par un soldat
(la suite illisible). — Le passage, depuis : pour peu quon
ait l'habitude jusqu'à : tant de volumes, a été ajouté
en 1826. Page 3. ... mais foubliais qu il est Allemand,... —
L'édition de 1817 dit simplement : apparemment que
je nai pas le sens intérieur. Page 3. ... la plate monarchie,... — Ed. 1817 : la
monarchie. Carton 1827 : la plate
Page 3. ... dans Michol. — - Voir notre Avant-propos. Page 4. ... V immense bienfait d'une révolution... —
Carton 1827 : V immense bienfait d'une
Page 4. ... faisait maison nette. — - L'éd. de 1817
ajoute ici : Même dans son art, il ne vit pas en quoi
péchait Racine. Page 4. ... de la barrière de Pantin,... — Ed. 1826 et
1854 : de la douane de Pantin. Stendhal a substitué
barrière à douane sur l'exemplaire de Rome. — Sur
l'épisode de la barrière de Pantin, voir les Mémoires
d'Alfieri, partie IV, chap. xx. Page 5. ... de comprendre le mécanisme de la liberté. —
Ed. 1817 : de comprendre l'histoire de Hume et le
mécanisme de la liberté. Page b. Dominé parla défiance,... — ^ Ed. 1826 et 1854 :
plein de défiance. Nous corrigeons d'après un carton
de 1827. Page 5. Voir Ino e Temisto. — La fin, depviis : Il
n'y a peut-être rien, ajoutée en 1826. Page 6. ... depuis peu... — Ed. 1817 : depuis dix ans, Page 6. ... à mademoiselle Colbran : ... — Ed. 1817 :
à la première chanteuse. Ed. 1826 et 1854: à M''^ C***.
L'ex. Le Petit porte en marge : Merci.
4G4 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page G. ... sont de plus sots. — Ed. 1826 et 1854 : sont (les plus sots. Faute évidente. L'édition de 1817 donne bien : sont de plus sots.
Page 6. C'est un Allemand... — Ed. 1817 : Un gentil- homme allemand.
Page 6. ... où Haydn triomphe ; ... — Ed. 1817 : le triomphe de Haydn.
Page 7. ... de la mémoire de mon âme. — L'éd. de 1817 ajoute ici : A Milan, la musique de Gallemberg est sur tous les pianos, et continue : 2 mars 1817. — - Je ne saurais dire combien je suis attristé de quitter Naples sans avoir eu une seule jouissance musicale. Je vais au théâtre, etc.
Page 7. ... Iffland... — Ed. 1826 et 1854 : Island. L'édition de 1817 donne bien : Iffland.
Page 7. ... ni madame Pasta. — La fin, depuis : Si Âfii'^ Mars, ajoutée en 1826. — L'édition de 1817 con- tient ici un paragraphe, supprimé en 1826 : Après Vestris, je place Galli le chanteur ; Vliomme qui, dans la même semaine, fait le prince hongrois de la Testa di bronzo, Legerezza, petit poète romain au service d'un lord de mauvaise humeur dans Teresa e Claudio, et le bon paysan suisse de la Folle par amour de Weigl, a reçu du ciel le talent de la comédie.
Page 8. ... une chose fort rare en Italie,... — Sur l'exemplaire de Rome, Stendhal ajoute en marge : dans le goût littéraire, voir l'emphase de tous les prosa- teurs vivants.
Page 8. ... Francesca du Rimini. — - Léd. de 1817 ajoute : tragédie de M. Pellico.
Page 9. — Je vois deux exceptions... — • Ed. 1817 : Le patriotisme d'antichambre de M. Turgot,qui aujourd hui n'existe plus en France que pour la musique, est le grand ridicule italien. Chaque ville défend avec fureur ses plus mauvais écrivains. Baretti leur reprochait déjà ce faible, il y a trente ans. Je vois deux exceptions, etc.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II 465
Page 10. ... fortement occupé... — L'éd. 1817 dit simplement : occupé.
Page 10. ... me disait ... — Kd. 1817 : M. /?*** me disa it.
Page 10. ... corrigée pur M. Du^'ul. — La Jeunesse de Henri V est en efl'et une amusante comédie tirée par Alexandre Duval d'une pièce ol)scène, attribuée à Mercier et intitulée : Charles II, roi d'Angleterre, en certain lieu, comédie très morale, en cinq actes très courts, dédiée aux jeunes princes, et qui sera repré- sentée, dit-on, pour la récréation des Etats Généraux^ par vm disciple de Pythagore (Venise [Paris], 1789, in-80).
Page 10. ... le Beaumarchais de ce pays,... — Ces naots ajoutés en 1826.
Page 10. ... ce que Picard est à Culdoni. — La fin ajoutée en 1826 depuis : Chez ce poète, le maître de la maison. L'édition de 1817 termine ainsi : Encore dans ce genre il ?iy aura rien en Italie qu après les deux Chambres. Ils n osent pas être eux-mêmes, et en sont encore au traité du poème épique du P. Bossu. Le comique italien aura la couleur du Philinte de d'Eglantine.
Page 11. ... que Versailles. — - Aussi bien les guides appellent-ils toujours Caserle, à cause de son château royal. « le Versailles de Naples ».
Page 11. ... chaud en hiver et frais en été. — - Ed. 1817 : quon y a toujours chaud. Aujourd'hui les tliermomètres dans les appartements étaient à 16 degrés.
Page 12. ... par Davide et Lahlache. — Ed. 1826 et 1854: par Davide et Nozzari. Stendhal a substitué le nom de Lablache à celui de Nozzari sur l'exemplaire de Rome.
Page 12. ... de V incrédulité. — Tout ce développement depuis : Jamais il ny eut, ajouté en 1826. L'édition de 1817 reprend à : Partie i est pour Naples.
Page 12. ... trois officiers... — Ed. 1817 : trois capi' taines.
Rome, Naples et Florence, II 30
466
ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 12. ... qui m'ont dit le soir... — Ed. 1817 : par mes ti'ois capitaines, qui in ont dit que, etc.
Page 13. Ils ont passé dans ce musée... — Ed. 1817 : Ils y ont passé.
Page 13. ... r existence de David. — Cette dernière phrase ajoutée en 1826.
Page 14. ... que j'en tire. — Cette phrase ajoutée en 1826.
Page 14. ... Martin Scriblerus... — Ed. 1817, 1826 et 1854 : Martin Scriblerius. Il s'agit d'une satire sur les abus de l'érudition, qui figure dans les œuvres de Pope sous le titre de : Mémoires de Martinus Scri- blerus. On croit qu'elle est en réalité du célèbre méde- cin écossais Jean Arbutfinot, ami de Pope et de Swift. — La traduction anglaise de 1818 écrit bien : Martinus Scriblerus.
Page 14. ... pour cette comédie, en 1817. — Ed. 1817 : J'ai donc raison de dire que, dans tout ce qui n'est pas beaux-arts, l' Italie est à un siècle en arrière de l'Angle- terre.
Page 14. ... mauvais citoyens. — Cf. Histoire de la Peinture en Italie, note à la fin de l' Introduction.
Page 14. ... que ceux-ci ont eu la lâcheté de ç>endre. — Ajouté en 1826.
Page 15. ... peut fort bien se passer. ■ — • Sur l'exem- plaire de Rome, Stendhal a écrit en marge la pointe suivante contre sa bête noire, M. Villemain : M. Ville- main ferait dix pages de ceci, et ensuite deux articles pour pousser ces dix pages. — Ici s'arrête la partie Naples dans l'édition de 1817 ; les pages qui suivent, jusqu'à la page 65, sauf deux courts fragments que nous indiquons, ont été ajoutées en 1826. Voir la suite de l'édition de 1817, dans V Appendice, 8 mars 1817. L'édition de 1817 donne, pour ce paragraphe, une fin un peu différente, que voici : Donc il est impossible de créer une nation pour les arts, ce qui semble être le problème des gens qui veulent rétablir la Grèce. Les
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II 4G7
soui'enirs (V Alliènes et de Sparte ne feraient que donner une couleur particulière à la sotte uanité de la nation. Si l'on recréait la Grèce, on n obtiendrait que des New- York et des Pliiladelphie, pays rebelles aux arts. Qui le croirait ? Ces Grecs ont déjà de la vanité. Dans les jeunes gens, c'est la rouille qui empêche de croître. Ces pauvres Barbares ridicules n'accordent de supériorité à l'Europe que dans la mécanique.
Page 15. ... la combattit... — Ed. 182G et 1854 : les combattit, faute d'impression évidente.
Page 16. ... l'instrument du supplice de sa sœur. — Un carton de 1827 remplaçait presque tout ce paragraphe par plusieurs ligues de points.
Page 16. ... un mot à l'officier de service,... — Ed. 1826 et 1854 : On remarqua au parterre quinze ou vingt têtes noires. S. M. dit un mot, etc. Nous corrigeons d'après l'exemplaire de Rome.
Page 16. ... on attacha au collet de leur habit... — Ed. 1826 et 1854 : On leur attacha une queue postiche. Nous corrigeons d'après un carton de 1827.
Page 17. ... le plus grand général de la nation. — ■ Ed. 1826 et 1854 : de la république. Nous corrigeons d'après un carton de 1827 ; l'auteur a voulu évidem- ment supprimer la répétition du mot : république.
Page 23. ... conduite non imitée à Gênes. — Par l'amiral Bentinck.
Page 23. M. de Talleyrand... — Ed. 1826 et 1854 : M. de T***. Un carton de 1827 supprime le nom propre et donne : Un Français aurait dit.
Page 26. ... à une personne auguste. — Au roi Ferdi- nand. C'est à cette anecdote que Stendhal fait allu- sion dans une note du chapitre xli de la Vie de Ros- sini : « Les amiraux Nelson et Carracciolo ; anecdote du cadavre debout sur la mer. »
Page 26. ... les fureurs de — Conforme aux éditions
de 1826 et 1854. Nous pensons qu'il faut lire la réaction, ou, comme l'indique l'ex. Le Petit, la reine.
4bb nOME, NAPLES ET FLORENCE
Page 27. Cest là que... — Ed. 1826 et 1854 : Cest le lieu où. Correction de Stendhal sur l'exemplaire de Rome : c^est là que ; nous l'adoptons.
Page 28. ... ses petites passions personnelles. — Les détails de cette tragique aventure, où Nelson, Hamil- ton et l'ancien modèle dont il avait fait sa femme jouent un si triste rôle, ont été vraisemblablement tirés par Stendhal de récits contemporains, notam- ment de Cuoco. Voir le livre tout récent de MM. Joseph Turquan et Jules d'Auriac : Lady Hamilton, ambas- sadrice d'Angleterre, et la Révolution de Naples, Paris, 1913, librairie Emile-Paul. Voir aussi la 1^^ partie du roman de M. de Latouche : Fragoletta, Xaples et Paris en 1799 (Paris, 1829).
Page 28. ... à un troisième volume... — Ed. 1854 : un deuxième volume. L'édition de 1826 avait deux vo- lumes, celle de 1854, im seul. Cette correction donne la mesure de l'esprit de Colomb.
Page 29. ... et tire la langue,... — Addition faite par Stendhal sur l'exemplaire de Rome.
Page 30. ... de Saint-Nicolas. — Il s'agit bien certai- nement de M. Demidolf. \o\t Correspondance, lettres du 23 janvier 1824 et du 5 décembre 1826 (ou plutôt 1823) ; Promenades dans Rome, 15 janvier et 2 juil- let 1828 ; Journal d'un voyage en Italie de Colomb (p. 81) ; Voyage d'Italie de la comtesse Potocka (Paris, Pion, 1899, p. 32). La fameuse Juliette Drouet faisait partie de la troupe de AL DemidofT (voir Victor Hugo et Juliette Drouet de AL Louis Guim- baud, Paris, Blaisot, 1914).
Page 30. ... qui les écoute... — Ed. 1854 : qui l'écoute. Nous préférons la leçon de 1826.
Page 30. ... un titre vaut encore mieux. — Sur l'exem- plaire de Rome, Stendhal a écrit en marge une longue note dont AL Paolo Costa a pu déchiffrer les mots sui- vants : (( Preuve pour moi... Les écuyers Seller... à Milan... dans le blés... (?) Ils sont fort silencieux.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II 4G9
A Florence, M. Luclierini est le premier anuint de toutes les vertus an^luises. »
Page 31. ... débarquèrent en Toscane... — Sur l'exem- plaire de Rome, Stendhal écrit en marge : « Ces princes sont despotes de droit et de fait ; mais les mœurs s'op- posent à ce quils soient tyrans. L'extrême volupté rend peut-être ces maisons (?) trop peu compactes (?) pour s'opposer à un Lorrain qui se mettrait en tête de faire le Ferdinand VIL «
Page 31. ... comme un Talleyrand,... — Ed. 1826 et 1854 : comme un T*** . M. Paolo Costa note ici des cor- rections de Stendhal, assez obscures, qui paraissent aboutir simplement à supprimer: comme un T***. — Ces trois mots sont d'ailleurs barrés sur l'ex. Le Petit.
Page 31. ... le cardinal Giraud. — ■ Note sur l'ex. Le Petit : « Excusez les sottises. Toute cette fin a été imprimée pendant que rauteur était en Angleterre. L'imprimeur a supprimé les anecdotes dangereuses suivant lui. »
Page 31. ... le brave capitaine... — ■ L'ex. Le Petit donne en note le mot colonel.
Page 32. ... trois cent cinquante mille francs. — - L'ex. Le Petit donne en note : 600.000 francs.
Page 33. ... sans reçu,... — ■ Ed. 1826 et 1854 : sans quittance. Stendhal, sur l'exemplaire de Rome, rem- place excellemment quittance par reçu, qui est le mot propre.
Page 33. ...et l'explication des... — Conforme aux édi- tions de 1826 et 1854. Stendhal pensait sans doute aux fortunes amassées par les hommes au pouvoir, ou, comme l'indique l'ex. Le Petit, « aux millions perdus en Espagne. »
Page 34. ... jette... — Ed. 1826 et 1854 : jeta. La correction jette est portée par Stendhal sur l'exem- plaire de Rome.
Page 34. ... Jupiter Mansuetus. — Cf. Histoire de la- Peinture en Italie, chap. lxxxvi, note.
Rome, Naples et Florence, II 30.
470 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 35. ... par sa piété ardente... — Carton 1827 :
par sa ardente.
Page 37. ... Ferdinand ou Guillaume. — Carton 1827 :
se battre pour obtenir L'ex.
Le Petit ajoute : « pour que son roi s^appelle Joseph
ou Ferdinand (quelque chose comme ça) ».
Page 37. ... depuis dix ans. — Carton 1827 : se battra
fort bien pour L'ex.
Le Petit ajoute : « pour ne pas être méprisé par les carbonari de sa campagne (quelque chose comme cela) ».
Page 38. ... les rites de la religion chrétienne,... — Car- ton 1827 : les rites de la Sur l'exemplaire
de Rome, Stendhal a ajouté : superstition, alors que l'édition de 1826 portait religion chrétienne.
Page38. ... nommée justice... — Carton 1827: nomm.ée
Page 38. ... d\n>oir pour confesseur... — Ed. 1826 et 1854 : d^ avoir pour c
Page 39. ... la terreur inspirée par les évêques,... —
Ed. 1826 et 1854 : inspirée par les e Carton 1827 :
inspirée par les L'ex. Le Petit donne : rois.
Page 39. ... en travaillant sur cette passion... — Car- ton 1827 : en sur cette passion.
Page 40. ... à ces moyens ! etc., etc., etc. — Carton 1827 : Vous voyez dans les desseins de
etc., etc., etc.
Page 41. ... à ces classes privilégiées : ... — Ed. 1826 et 1854 : aux classes privilégiées. Exemplaire de Rome, corrigé par Stendhal : à ces classes.
Page 42. ... les coups de fusils que les soldats napoli- tains tiraient au hasard,... — ■ Ed. 1826 et 1854: avertis par les coups de fusil, ils se sont, etc. L'addition est de la main de Stendhal, sur l'exemplaire de Rome.
Page 43. ... ce brigand eût été Marcellus. — Toute
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II 471
l'anecdote des Indépendants, depuis : J'ajoute de mémoire quelques faits, est tirée de l'édition de 1817, où elle ligurait à la lin, avant le Parnasse musical d' Italie en 1817. Voir Appendice, page 289.
Page 44. ... les projets formés contre elles... — Ed. 1826 et 1854 : les projets contre elles. Nous corrigeons d'après un carton de 1827.
Page 45. ... roman de AI. Manzoni. — Nous tirons ce dernier membre de phrase : ]'oir les mœurs antiques, etc., d'un carton de 1827.
Page 46. ... ses chances de bonheur. — Ed. 1826 et 1854 : ses probabilités de bonheur. La correction : chances est portée par Stendhal sur l'exemplaire de Rome.
Page 47. Parmi les marchands (F Italie — Ed. 1826
et 1854 : Dans cette classe, en Italie. Nous corrigeons d'après un carton de 1827.
Page 47. ... ne seront plus ridicules. — On rapprochera ce paragraphe sur les femmes des chap. liv, lv et lvi de V Amour. Miss Gunnell, dans son Stendhal et l'An- gleterre, a montré que Stendhal s'était servi, pour ces chapitres, d'un vieux n*^ de V Edinburgh Review.
Page 48. ... et de vertu... — Le mot n'était pas souligné dans l'édition de 1826 (pas plus que dans celle de 1854). Un des cartons de 1827, non marqué *, (pp. 271-272) a été tiré spécialement pour souligner ce mot, comme il doit l'être, et comme nous le faisons dans la présente édition.
Page 48. Le plus respectable des savants... — Ex. Le Petit : « M. le Comte de Clarac (histoire du savant). »
Page 49. ... l'intendant de la couronne à Rome. — Ex. Le Petit : « Voyage de M, le Comte de Forbin. [Décou- verte] attribuée à M. de Blacas par M. de Forbin. La gloire, si gloire [î7] y a, est à M. le Baron M[arti^^al Daru. »
Page 50. // a un peu de ventre,... — La traduction anglaise de 1818 supprime, sans doute comme indé- cent, ce détail pourtant si caractéristique.
472 ROME, NAPLES ET FLORE.NCE
Page 50. ... dégradé par les hottes. — Ces deux derniers paragraphes, depuis : A propos de vases étrusques, iiguraient, dans l'édition de 1817, sous la date de : Rome, 17 mars 1817. Voir Appendice, page 139.
Page 50. ... don Nardo... — Ex. Le Petit : Bernardo.
Page 51. ... M. le duc de Bisagno... — Ex. Le Petit : Ventignano, le Baour de Naples.
Page 51. ... un certain marquis... — Ex. Le Petit : M. de Blacas, u?i des attachés à V ambassade.
Page 52. ... homme de mérite... — D'après lex. Le Petit, il s'agirait de don Jorre, directeur du musée de Portici.
Page 52. ... et agite entre ses doigts... — Ed. 1826 et 1854 : et tient une petite corne de corail. Nous corri- geons d'après un carton de 1827.
Page53. ... de s'y jeter. — On retrouve quelques phrases tirées de ce développement sur la jettatura, ainsi que de celui concernant les romans en Italie (Milan, 8 décembre 181G), dans une curieuse brochure, parue en 1829 et intitulée : Le Coui>ent de Baïano, chronique du xvi^ siècle, extraite des Archives de Naples et
traduite littéralement de l'italien par M. J... C o,
précédée de Recherches sur les couvents au xvi^ siècle par M. P. L. Jacob, bibliophile (in-8°, chez Fournier jeune). L'ouvrage est annoncé dans le Globe du 19 août 1829, Bulletin littéraire. Il contient égale- ment à la fm une citation de M. de Stendhal sur la San-Felice de Naples.
Page 53. Grands éloges du roi Francesco. — Nous ajou- tons ces cinq derniers mots d'après un carton de 1827.
Page 53. ... par un bosquet d'orangers. — Ed. 1826 et 1854 : dont nous sommes séparés par. — La correc- tion ne... que... est portée par Stendhal sur l'exem- plaire de Rome.
Page 53. ... elle est arrivée escortée de... — Ed. 1826 et 1854 : elle est arrivée avec. Nous corrigeons d'après un carton de 1827.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS Dl" TOME II 473
Page 53. ... ci fort bien né... — Kd. J82G el 1854 : Un joli ]eune homme., dit-elle, à Ui fleur de l'âge. .Nous corrifreons d'après un carton de 1827.
Page 5(J. ... disait un jour... ■ — D'ajtrès le.x. Le Petit, Mme B*** = .M'"e Aresi.
Page 56. ... des pensions ou des cordons .-' — D'après l'ex. Le Petit, le colonel T*** = le colonel Tecco.
Page 58. ... ou la grâce de François 1^^,... ■ — Ed. 1826 . d'avoir le génie de N*** ou la grâce de François 1^^:
Carton 1827 : d'avoir
L'ex. Le Petit ajoute : « d'avoir de la grâce comme François 1^^ et de monter à cheval comme Diane de Poitiers (quelque chose comme cela). »
Page 58. ... comme en 1680. — Carton 1827 : et vous devenez des , comme en 1680.
Page 61. ... les grands hommes du xiv^. — Ce jour- nal du 15 juillet, que Stendhal appelle, dans sa table : Paris vu de Portici, semble avoir été introduit dans l'édition de 1826 pour remplacer le Paris d'autrefois, de l'édition de 1817 (voir Appendice. page 199) que l'auteur a prudemment éliminé.
Page 62. ... don Cechino... — D'après l'ex. Le Petit, Innocente Re ^= Léon XII, et le ju-emier ministre = le cardinal délia Somaglia.
Page 63. ... cette scène est digne de Molière,... — Ed. 1826 et 1854 : de l'Etat du pape est digne de Molière (sic). Les deux mots oubliés, cette scène, sont portés par Stendhal sur l'exemplaire de Rome.
Page 64. ... de voir figurer... — • Ed. 1826 et 1854 : de vous figurer, texte qui n'olTre pas grand sens. Nous conjecturons : voir.
Page 64. ... duc de Bracciano,... — Ed. 1826 : le fa- meux banquier T***, duc de Bra*'*. Colomb a com- plété dans son édition de 1854. Sur Torlonia, voir Promenades dans Borne, 11 décembre 1827.
Page 64. ... dans les pays despotiques. — Voir, au
474 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Supplément, n'^ III, le premier jet des Marionnettes satiriques.
Page 65. ... de la fameuse Chapelle Sixtine ;... — Ici reprennent les emprunts au texte de 1817 : ils sont datés, en 1817, du 15 décembre 1816 et jours suivants.
Page 65. ... exécrable. — Ed. 1817 : dégoûtant.
Page 65. ... des passages de Burney. ■ — • Le D^ Burney avait, outre sa célèbre Histoire générale de la musique, publié en 1784 un recueil intitulé : La musica che si canta annualmente nelle funzioni délia settimana sauta nella cappella ponteficia.
Page 65. ... de Michel- Ange ;... — C'est un carton de 1827 qui ajoute : de Michel-Ange.
Page 66. Voir le joli tableau de M. Ingres. — Nous tirons ces derniers mots d'un carton de 1827. Ils ne figurent pas dans les éd. de 1826 et 1854. Toute la fin du paragraphe, depuis : ce sont de bons curés de campagne, a été ajoutée en 1826.
Page 66. ... deux artistes bolonais ;... — Ed. 1854 : ... deux artistes français.
Page 66. Ma foi,... — Ed. 1817 : Mais.
Page 66. ... ils portent l'esprit... — Ed. 1854: il porte r esprit.
Page 66. Des gens d'esprit... — Ed. 1817 : Appliquez cela à toutes les i>illes d' Italie, dernier vestige de patrio- tisme, mais patriotisme bien ridicule. Des gens pleins d'esprit, etc.
Page 67. ... les jugements... — Ed. 1817 : les éloges et les jugements.
Page 67. ... jeunes gens fort gros. — Nous tirons cette dernière phrase, qui n'existe ni dans l'éd. de 1826 ni dans celle de 1854, d'un carton de 1827.
Page 67. J'assiste... ■ — Ed. 1817 : Jour de Noël, 25 décembre. — Le plus beau soleil ; à Paris, ce serait un jour frais du commencement de septembre. J'as- siste, etc.
NOTES ET ÉCLAinCISSEMENTS DU TOME II 475
Page G8. ... leur malheur éternel. — Carton 1S27 : ce sont des figures persuadées que
Page 70. ... assise dans un fauteuil. — Ce fragment du 18 août n'existe pas dans l'cdilion do 1817 ; il a été ajouté en 1826.
Page 70. ... le Dictionnaire de Chalmers. — Ed. 1826 et 1854 : le Dictionnaire de Chambers. Nous .suivons le texte de l'éd. de 1817 et de la traduction anglaise de 1818. Il s'agit bien évidemment du grand dic- tionnaire de Chalmers qui venait de paraître {General biographical Dictionary, containing an historical and critical account of the lives and writings of the most eminent persons in every nation, etc., by Alexandre Chalmers. Londres, Nichols, 1812-1817, 32 volumes).
Page 70. ...de talent... — Ed. 1817 : de génie.
Page 70. Beaux yeux de miss Julia G*** . — Ces derniers mots sont tirés d'un carton de 1827.
Page 70. ... et Manzoni,... ■ — ■ Ces deux mots ajoutés dans un carton de 1827.
Page 70. ... il i^ersifle supérieurement. — La note de 1817 ajoute : // est officier à la demi-solde, et retiré en Angleterre.
Page 71. ... même le plus scélérat,... — Carton 1827 : même le plus
Page 71. ... les Capucins sont furieux. — Ed. 1817 ; Je vois deux ou trois Anglais vraiment touchés. Les Jésuites font cette musique pour remercier Dieu d'avoir fini Vannée sans encombre. Ceux des cardinaux qut sont leurs amis viennent les voir. Honneurs militaires, etc.
Page 72. ... sont la même. — La lin du paragraphe depuis : Ici la musique et V amour, ajoutée en 1826 ; voir le Supplément, n^ IL
Page 74. ... intendant de la couronne à Rome,.., — Mar- tial Daru. Les éd. 1826 et 1854 portent : H***, sans doute faute d'impression pour M***.
476 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 74. ... qui gâtent le Forum. — Ce paragraphe sur la colonne Trajane a été ajouté en 1826.
Page 75. ... les douces formes de U inquisition. — Cf. Voyage en Italie, de Romain Colomb (Paris, 1833)^ page 342.
Page 75. ... dès quon résiste,... — • Ce membre de phrase, depuis : V extrême insolence, ajouté en 1826.
Page 75. ... madame R*** me disait hier,... — Ed. 1817 : la princesse G*** me disait hier.
Page 75. Je fais copier... — Ed. 1817 : Je copie.
Page 76. ... une nuance à Vidée. ■ — Ed. 1817 : la nuance de Vidée.
Page 76. ... Cheruhini,... - — Ajouté en 1826.
Page 76. ... atteindre... - — Ed. 1817 : peindre.
Page 76. ... eût été sifflé. — Est-il besoin de noter que Stendhal paraît croire ici que le Dei'in du village est postérieur à la Nouvelle Héloïse, alors qu'il lui est antérieur de plusieurs années.
Page 76. ... en douleur regrettante ;... — Ed. 1817 r par lui, la douleur sèche du malheureux devient la douleur du regret.
Page 77. ... de la phtisie. — Cf. Histoire de la Pein- ture en Italie, chap. cxxv, note.
Page 77. ... la Rome des prêtres... — Ed. 1826 et 1854 r la Rome des p Le mot est complet dans l'édi- tion de 1817.
Page 77. ... commandés par Canova... ■ — • Ed. 1817 et 1854 : commandés à Canova. La correction par est indiquée sur Tex. Le Petit.
Page 78. ... relégué au Capitole... — Ces quelques lignes depuis : Accident arrivé vers 1823, ont été ajoutées en 1826. Voir d'autre part, dans V Appendice, à la date du 3 janvier, un intéressant paragraphe sur l'expression du buste de Cimarosa.
Page 78. ... le cardinal Consalvi. — Ed. 1826 : le C G***.
Page 78. ... il n'est pas hypocrite. — Ici finissent les
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II 477
emprunts faits à l'rdiliou de 1817 (voir à V Aj)pendice la fin du journal de Rome (jue Stendhal n'a pas reprise en J82(i). — Notes de Tex. de Civila-Vecchia à propos de Home :
« Boloi^ne, l'erraro, Ancône sont civilisées. Tout le reste a le plus pressant besoin de la conquête. La constitution de la Pologne. M. de Richelieu pour gouverneur, le général Radet pour commandant de la gendarmerie, et quelque bonheur pourrait renaître dans ce pays de la haine et du malheur. Tout autre remède est im emplâtre sur une jambe de bois.
(( La liberté dont jouissait la France sous le règne de Louis XIV serait un bienfait immense pour les sujets du pape.
« Le naturel se voit partout. La bonhomie ne se trouve guère au midi du Pô. Tout cela est caché d'abord par la méfiance. Ce qui n'empêche pas que les habitudes de ce peuple, au milieu desquelles plonge le voyageur, ne soient extrêmement favorables au bonheur.
« Sans doute tous les princes actuels sont bons. Mais les conséquences des scélératesses des gouver- nements passés existent encore dans les mœurs pour un siècle... Pour la sûreté et la justice, il vaudrait mieux être chez les Turcs [qu'à Rome] ; mais les Turcs n'ont ni Canova ni Rossini.
« Comme les anirnaux des forêts devant l'homme, les sujets ici ne forment qu'une société fugitive devant les gouvernements...
« Pour voir comment les étrangers jugent cette Italie que j'habite, j'achète Eustace, 3 vol. Petit Radel, 3 vol.
Rome en 1814, par Laoureins, 1 vol, et Rome en 1817, 1 vol. A mesure que je lis ces ouvrages, je note les princi-
478 ROME, NAPLES ET FLORENCE
pales erreurs ; je les refais pour ainsi dire, sans doute substituant mes erreurs à celles des autres. Drôles d'idées qu'on a dans un palco le 26 janvier 1818 au sujet du présent livre. 29 janvier 1818.
« Quoi qu'il en soit, une ville malsaine [Rome] et qui a le moral pollué par les prêtres ne conviendra pas pour capitale à une nation de 18 millions d'habi- tants qui naîtra dès que la France lui enverra 4 régi- ments. »
Page 79. M. Manni... — Sur l'apothicaire Agostino Manni, voir Corresp., tome II, page 399, lettre du 11 novembre 1825. Cette lettre doit d'ailleurs être antérieure à 1825 ; car Stendhal y dit avoir fait une visite à Canova, lequel est mort en 1822.
Page 80. L'état de la liberté de la presse,... — Dans le premier volume (voir tome I, page 186), Stendhal a raconté tout au long l'anecdote du pape Pie VI et de l'héritage Lepri, dont la censure aurait eu beaucoup plus de raisons pour demander la suppression. Aussi bien pensons-nous que c'est beaucoup moins le censeur que le libraire qui a empêché Stendhal de donner tous ces morceaux, et nous ne saurions partager l'avis de M. Chuquet qui accuse Stendhal d'avoir, dans l'édi- tion de 1826, « tiré à la ligne », ce qui est bien le re- proche le plus étrange qu'on puisse adresser à notre auteur. Delaunay avait traité pour un volume de 500 pages environ, ou 30 feuilles, et nous en sommes déjà ici à la feuille 39 ! Il dut, sans aucun doute, invi- ter l'auteur à s'arrêter : sans quoi, l'ouvrage aurait eu trois volumes au lieu de deux, ce qui ne faisait pas l'afîaire du libraire. La fm du livre se ressent de cette invitation, tant au point de vue de la composi- tion qu'au point de vue de la rédaction : la dernière anecdote notamment (la princesse Santa-Valle), fut bâclée si vite, que Stendhal jugea nécessaire, une fois le livre paru, de la refondre à peu près complètement Jf,
dans deux cartons (voir plus bas, page 98). Quant à la
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II 479
composition, on remarquera que le livre ne finit pas ; l'auteur, parti de Berlin le 2 septembre 1816, nous quitte brusquement le 18 octobre 1817, à Rome, dans le salon de M^"® Crescenzi.
Comme autre preuve de la hâte avec laquelle les dernières pages du livre ont été composées et corri- gées, signalons qu'à partir de la page 293 du second volume, les titres courants du haut des pages ne changent plus : on y lit seulement le nom de Rome, quarante-deux fois répété sur les quarante-deux der- nières jiages de texte ; de même, la table des matières contient simplement l'indication : Rome, pour toute la fin.
Rappelons enfin que Delaunay, qui, pour le prix convenu, avait dû déjà imprimer 41 feuilles, au lieu de 30 (sans compter les titres et brochages de 2 volu- mes au lieu d'un seul), dut encore, pour comble de mésaventure, réimprimer au moins 220 pages, pour satisfaire la censure ! (voir notre Avant-propos) . Stendhal n'était évidemment pas un client ordinaire.
Au reste, pour un auteur rien n'est perdu. Les mor- ceaux sacrifiés dans Rome, Naples et Florence, Sten- dhal les casa un peu plus tard dans les Promenades dans Rome, toujours chez Delaunay, qui, malgré tout, sentait venir le succès. On les retrouvera en partie, dans le tome II de l'édition de 1854, pp. 173-190, 230, 279 et 303 ; ajoutons que, lors de l'impression des Promenades, Delaunay dut encore mettre un frein à la fureur stampante de Stendhal ; on en voit les preuves amusantes en maint endroit (voir notam- ment aux dates des 28 novembre, 3, 20 et 23 décem- bre 1828), et le morceau sur le mécanisme du gouver- nement papal, jouant de malheur, ne put encore voir le jour : nous le trouvons heureusement aux pages 279-335 du Journal d'un voyage en Italie de Romain Colomb (Paris, 1833), dont il forme un des meilleurs chapitres, imprimé d'ailleurs entre guille-
480 ROME, NAPLES ET FLORENCE
mets : rauteur déclare tenir ces renseignements d'un ami. Nous le publions dans le Supplément.
Page 81. ... Pfiffer. — Ed. 1826 et 1854 : les A... de Madame la générale Pfif... Nous complétons d'après l'ex. Le Petit, qui ajoute en marge : « Jardin de S^- Georges, et le tour qu'il joua à M^^ délia Genga, depuis Léon XII. Cette histoire de Léon XII sous le nom du cardinal Banti aurait remplacé vingt pages sur la danse. » L'anecdote de Léon XII a été publiée par M. Chuquet, dans la Revue du l^r janvier 1913.
Page 82. ... quelle promet aux hommes. — Ed. 1826 et 1854 : quelle verse sur les hommes. Nous corrigeons d'après l'exemplaire de Rome.
Page 83. ... se choisissent un époux. — Texte d'un carton de 1827, avec une légère correction tirée de l'exemplaire de Rome. (Le carton porte : oti voit au bal en Angleterre, et Stendhal a corrigé : on voit dans les a-parte des bals anglais). Les éditions 1826 et 1854 donnent, pour ces deux paragraphes et le commence- ment du suivant, le texte ci-dessous (nous soulignons les passages modifiés) :
« Excepté parmi les personnes qui ont plus de deux « cent mille livres de rente ou une très haute nais- « sance, le mariage est presque inviolable en Angle- « terre. En Italie, quand on célèbre un mariage dans « une église, cette idée d'inviolabilité et de fidélité « éternelle n'entre dans la tête de personne. Comme « le mari sait cela d'avance, comme c'est une chose « reçue et convenue, à moins qu'il ne soit épris lui- « même, ce qui le placerait alors dans la situation « d'un amant à l'égard de sa maîtresse, il ne s'in- « quiétera nullement de la conduite de sa femme.
K II y a un troisième pays, où le mariage n'est « absolument qu'une affaire de bourse ; les futurs ne « se voient que quand les deux notaires sont convenus a des articles du contrat. Mais les maris de ce pays « n'en prétendent pas moins à toute l'inviolable
NOTES ET Ér.L.\IRCISSE:\IENTS DIT TOME II 481
« fidélité qui se rencontre dans les niariafies anglais, « et à tons les plaisirs qn'olïre la société italienne. <( Leur intérieur est aussi rempli des jouissances de « Vdme que leurs salons sont gais.
« Je suis humilié du rôle que je vais jouer ; je vais « scandaliser ces salons en disant un mot des mœurs « romaines. »
Ajoutons que la dernière phrase du deuxième paragraphe ci-dessus est ainsi imprimée dans les édi- tions de 182(3 et de 1854 : « Leur intérieur est aussi rempli des jouissances de l'àme que leurs salons sont gris. )) Nous pensons qu'en tout cas il fallait lire : gais au lieu de gris. L'épithète gais donne seule à cette fm de phrase sa pleine ironie stendhalienne.
Stendhal a profité du carton de 1827, dont nous incorporons le texte dans la présente édition, pour faire imprimer, en haut des deux pages du carton, des titres courants : le mariage en Italie (page 315) et l'amour à Rome (page 316) ; ce sont les seuls de ce genre qui figurent dans les 42 dernières pages du tome II. Page 83. Quelle source d'intérêt .' — Note en marge sur l'ex. Le Petit : « Le libraire ri a pas osé imprimer V empoisonnement de l'Espagnole.^) (Cf. infra, note à la page 98). Page 84. ... sûre de sa propre volonté. — Texte tiré d'un carton de 1827. Les éditions 1826 et 1854 donnent un texte Tm peu différent : « A Rome, point de gêne, de « contrainte, point de ces grimaces convenues, dont « la science, etc.. Et c'est d'une manière aussi « simple que commencent des attachements qui « durent des années. Huit ou dix ans sont Ié terme « moyen : une passion qui ne dure qu'un an ou deux fait « mépriser la femme comme une âme faible, etc., etc. » Page 84. ... chaque année... — Ed. 1826 et 1854 : Il se trouve chaque année. Ln carton de 1827 donne : Et il se trouve, que nous adoptons.
Rome, IS'aples et Florence, II 31
482 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 85. ... M. de Blacas. — Ed. 1826 : M. de Bla**\ Colomb a complété le nom en 1854.
Page 85. ... Galli !... — Ed. 1826 et 1854 : Gatti, qui supprime le calembour ; nous rétablissons Galli d'après un carton de 1827. L'ex. Le Petit ajoute en note : « Ceci est public à Rome, comme la comtesse Octavie à Paris. » D'après une autre note, Galli =: Gallo, et Mme Bo*** = M^e Bonacorsi.
Page 86. C'est dans les soirées... — Ed. 1826 et 1854 : Ce sont dans les soirées.
Page 86. ... On rencontre toujours — Ed. 1826 et 1854 : On trouve toujours. Nous corrigeons d'après un carton de 1827 ; Stendhal a supprimé la répétition du mot trouver à une ligne de distance.
Page 86. ... Santo-Domingo. — Santo-Domingo (le comte Joseph Hippolyte), auteur de nombreux pam- phlets politiques, fit paraître en 1824 les Tablettes Romaines, contenant des faits, des anecdotes et des obser- vations sur les mœurs et les usages, les cérémonies, le gouvernement de Rome, par un Français qui a récem- ment séjourné dans cette ville (Paris, 1824, in-8°, chez les marchands de nouveautés, avec 2 planches lithographiées). Une nouvelle édition augmentée parut à Bruxelles en 1829 (2 vol. chez Wahlen et Tarlier). Le livre, en 1824, fut saisi et condamné par les tribunaux. Santo-Domingo publia fm 1824 la plaidoirie qu'il prononça à cette occasion (Plaidoirie de Santo-Domingo, auteur des Tablettes Romaines, devant la Cour Royale. Paris, 1824, in-8°, chez les principaux libraires). Dans la 2^ partie de Racine et \
Shakspeare (éd. Lévy, page 164), Stendhal parle de ^'
la saisie des Tablettes romaines. «'
Page 87. ... toujours mentant et dissimulant,... — Ed. f
1826 et 1854 : toujours dissimulant. Correction de Stendhal sur l'exemplaire de Rome : toujours mentant et dissimulant, que nous adoptons.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II 483
Page 87. ... du Piémont et de tapies. — Voir la Préface
inédite, in fine. Page 89. ... cest Cassandrino. — Note sur l'ex. Le
Petit : « Turcaret était en 1750 l'homme de finances
en France y à Rome, Cassandrino est le cardinal. » Page 89: ... ne daignerait pas rire de lui. — Ed. 182G
et 1854 : ne dédaignerait pas de rire de lui, qui n'a
aucun sens. Nous corrigeons d'après l'exemplaire de
Rome. Page 89. ... à prendre ombrage de Cassandrino ? —
Ed. 1826 et 1854 : aux mains de la vieillesse qui
songerait (sic). Nous corrigeons d'après l'exemplaire
de Rome. Page 90. ... la calotte rouge d'un cardinal,... — Ed. 182G :
la c d'un c
Page 90. ... d'un jeune cardinal. — - Ed. 182G et 1854 :
d'un jeune c... » L'ex. Le Petit donne en nute le mot
cardinal. Page 92. ... un si agréable tête à tête... — Ed. 1826
et 1854 : une si agréable visite. Nous adoptons tête à
tête, indiqué par Stendhal sur l'exemplaire de Rome. Page 92. ... resté seul... — Exemplaire de Rome, de la
main de Stendhal : se trouve seul, correction dont
nous ne voyons pas la portée. Page 92. ... recevoir en tête à tête... — Ed. 1826 et 1854 :
recevoir tête à tête. Nous rétablissons : en tête à tête,
d'après le manuscrit de la collection Chéramy. (Voir
au Supplément, n° IV, page 328). Page 92. ... que lui cause... — Ed. 1826 et 1854 : que
lui donne. Nous adoptons : que lui cause, donné par
l'exemplaire de Rome, ainsi que deux autres petites
corrections de détail. Page 95. ... (/ans ma lettre,... — Souvenir évident delà
première forme dans laquelle fut conçue l'histoire
des Marionnettes de Rome. Voir Supplément, n^ IV. Page 95. ... cinq minutes,... ■ — Ed. 1826 et 1854 : dix
minutes. L'exemplaire de Rome corrige : cinq minutes.
484 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 98. ... leur prochain mariage. — Nous donnons le texte de cette dernière anecdote d'après deux cartons de 1827, qui différent sensiblement du texte de l'édi- tion de 1826 réimprimé par Colomb, en 1854, avec des fautes qui défigurent l'anecdote : Stendhal a introduit dans ces cartons d'importantes améliora- tions de rédaction. Nous faisons de plus bénéficier notre texte d'intéressantes corrections de Stendhal portées sur l'ex. Le Petit et sur l'ex. de Rome. Voici les fragments du texte de 1826-1854 qui sont modifiés daps la présente édition (nous soulignons les passages modifiés) :
« La pauvre Emma, qui redoutait peu les folies « de la comtesse... La négociation fut conclue avec « beaucoup d'adresse... Elle lui avoua qu'Emma était « sa fille, et qu'elle avait pour frère le jeune prince « romain qu'on voyait chez elle. Ainsi se trouva « expliquée la ravissante beauté de cette enfant, fruit « de l'union contractée entre une fort belle femme du « Nord et un Itomme du Midi... La jeune princesse « fut indifférente au sort d'un tel mari, vint à Rome... « La jeune princesse Santa-Valle habitait depuis^ « longtemps... Emma aimait à la passion un jeune « noble romain, mais jusque-là ne l'avait jamais reçu « qu'en présence d'une vieille duègne... Après « plusieurs mois, les plus heureux de la vie de la pauvre « Emma... Bientôt le prince Santa Valle parut à Borne.. « On trouva la jeune Emma morte sous un berceau « de fleurs dans le beau jardin Farnèse, qui domine le « Forum romain. Le mari, fort bon homme et point « jaloux, ne fut point soupçonné. On supposa que la « jeune personne avait cédé à une idée inspirée par « son sang allemand. « Son amant est devenu presque- « fou, ajouta la personne qui nous parlait ; et vous « avez pu en juger : c'est ce pauvre homme que vous « venez de voir. Quand il est seul, on l'entend faire la « conversation ai'ec son Emma ; il croit qu'elle lui
NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS DU TOME II aO.J
« réponJ. et il lui jiarîo toujours des i>réparatifs de leur « prochain inariafie. »
On trouve, collée intérieurement sur la couverture du tome II de l'exemplaire de Rome, la note suivante de Stendhal, écrite sur un fragment de papier jaune paraissant provenir de la couverture d'un autre livre :
« J'aurais dû supprimer les articles : danse à Naj)les, « et prendre trente pages à la lin du volume [de la] « première édition.
« L'assassinat de l'Espagnole par le mendiant ; son « amant puni parce qu'il appartenait à l'Espagne : « colère de l'ambassadeur borgne (?) ; placer cela dans « la 4^ édition, s'il y en a une.
« Pour délasser du cliquetis, placer dix descriptions « d'une page ou d'une demi-page. »
Cette note, qui est datée du 21 mars 1827, est de beaucoup antérieure aux autres annotations portées par Stendhal sur ce même tome II, et que nous avons toutes indiquées d'après M. Paolo Costa.
L'anecdote du mendiant et de l'Espagnole a été casée par Stendhal dans les Promenades dans Rome ; on l'y trouvera sous la date du 12 octobre 1828. Page 109. — La princesse Santa-Valle. — Cette table, qui figure à la fin de l'édition de 1826, est la série des titres courants qui sont imprimés en haut des pages. Nous avons complété le détail de : Rome, qui, comine nous l'avons indiqué plus haut, n'existe pas dans l'édi- tion de 1826. Huit des sous-titres de cette rubrique sont de Stendhal (ils sont pris, soit dans l'édition de 1817, soit sur l'exemplaire de Rome, où Stendhal a amorcé la série). Les onze autres sont de nous : ils sont indiqués par un astérisque précédant le sous-titre. Page 119. ... comme on en trouve à Paris et à Londres. — Ed. 1817. Comme il y en a à Paris et à Londres. Le texte que nous donnons provient d'une correction de Stendhal sur un exemplaire de 1817 (ex-collec- tion Sîryiensld).
Rome, Xaples et Florence. II 31.
486 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 120. ... se noircir... — Ed. 1817 : être noirci. \Jerrat. donne : se noircir.
Pag 122. ... Sharp et Smollett... — Auteurs de voyages en Italie, parus en 1766 ; Sharp et Smollett étaient célèbres par leur bile. Sterne disait de Smollett : « De Boulogne à Paris et de Paris à Rome, il vit tout à travers le spleen et la jaunisse. »
Page 122. ... dans ce qui entoure l'œil... — Il s'agit du buste de Cimarosa, l'auteur du Mariage Secret.
Page 123. ... a fait fiasco partout. — Sur l'ex. de Civita- Vecchia, Stendhal a remplacé le marquis C*** par V avocat N***. Des notes de ce genre doivent rendre prudent pour l'identification des noms propres.
Page 123. ... queux seuls peuvent rendre. — - Stendhal note sur l'ex. de Civita-Vecchia : Voilà pourquoi la peinture l'emporte de si loin sur la sculpture.
Page 124. ... Gianini. — Voir Journal d Italie, pp. 318 et 320.
Page 124. ... Gherardo de Rossi... — Voir Journal d'Italie, page 170, note de M. Arbelet.
Page 127. ... sublime de beauté. — Stendhal avait pré- paré ici, dans l'ex. de Civita-Vecchia, sous le titre de Pages pour Stendhal, une copie de six pages tirées du livre de Guinan-Laoureins, Tableau de Rome en 1814 (Bruxelles, 1816, et Paris, 1821) et contenant une description de la Mort d'Adonis et des Trois Grâces de Canova, d'ailleurs fort bien tournée. Sten- dhal y a fait quelques légers changements et l'a introduite dans les Promenades dans Rome (2 dé- cembre 1827).
Page 127. ... une fermentation générale et profonde dans un peuple ? — Cf. lettre à Louis Crozet du 15 novem- bre 1816 : « En un mot, Monsieur le chimiste, cette « espèce d'écums qu'on nomme beaux-arts est le pro- « duit nécessaire d'une certaine fermentation » (Corr., tome II, page 16).
Page 128. ...la toile. — C'est-à-dire le rideau.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II 'l87
Page 129. Je pars... — Ici comiiieiicc ï Appendice dans
l'édition de 1854. Page 130. Ces barbares... — Ed. 1854 : Les barbares. Page 130. Sem amiz,... — Nous sommes amis.
Page 131. ... de se voir. ... — Ed. 1854 : quils se ver- raient. Il ne s'agit pas, ici, d'une erreur d'impression, mais certainement d'une expression vicieuse qui existait dans le manuscrit. Un retrouve en effet dans l'édition de 1817 de V Histoire de la Peinture en Italie, chap. CLXXVII, la phrase suivante : « Qui lui eût dit, dans le temps de la Chapelle Sixtine, de pleurer un jour Bramante et Raphaël, m De pleurer = quil pleurerait, comme, dans Rome, Xaples et Flo- renee, de se voir = quils se verraient. Nous ignorons l'origine de cette tournure étrange, qui ne peut être qu'un provincialisme, comme on en trouve beaucoup dans les premières œuvres imprimées de Stendhal.
Page 131. ... seront imprimés en 1827. — Ces deux para- graphes du 13 mars sont supprimés par la traduction anglaise de 1818.
Page 132. ... me faire lire Macirone. — Ed. 1817 : Mar- cirone ; mais Verrat, corrige. Macirone (Francis), colonel, aide de camp du roi Joachim, chevalier de l'ordre des Deux-Siciles, etc. « Interesting facts relative to the fall and death of Joachim Murât, King of Naples, the capitulation of Paris in 1815 ; and the second restoration of the Bourbons ; original letters from King Joachim to the author, and of his persécu- tion by the French government », 2^ édition, Londres, 1817. (D'après la Bibliotheca britannica, or a gênerai index to british and foreign literature. Londres et Edimbourg, 1824, tome II). Une l""^ édition aurait été publiée à Londres en 1816 (Quérard, la France litté- raire).
Page 133. ... le cardinal Consalvi... — Ed. 1817 : Le cardinal G***.
488 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 135. ... cest F Angleterre. — Tout ce passage, depuis : Je juge des crimes secrets, était cité par V Edlnhurgh Rei'iew dans l'article de 1817.
Page 136. ... est peut-être une imprudence. — Note de Stendhal sur l'ex. de Civita-Vecchia : « // est difficile de concevoir la bassesse et la friponnerie de la bour- geoisie de Rome. Cette teinte infcmie se retrouve jusque dans les caractères des artistes. J'ai souvent trouvé en Italie de jeunes artistes romains qui se faisaient entre- tenir par les femmes. Voilà les mœurs de la ihéocratie : l'honneur n'est qu'un péché. »
Page 136. ... jugez du génie du christianisme... — Ed. 1854 : jugez du christianisme.
Page 136. ... Diario di Roma, n° ...). — Stendhal s'est abstenu de citer le numéro exact du Journal de Rome, où aurait été raconté ce miracle, ou bien il a oublié de compléter son texte lors de la correction des épreuves. On trouvera, dans V Histoire de la Peinture en Italie, plusieurs oublis de ce genre, qui ne peuvent s'expliquer que par une grande négligence. En marge de l'ex. de Civita-Vecchia, Stendhal a noté : « Du 10 décembre [1816] au 22 janvier 1817 ». Cf. Prome- nades dans Rome, 28 septembre 1827.
Page 138. ... avec Monte Cavallo,... — Ed. 1817 : avec le palais de Monte Cavcdlo. Mais Verrat, donne : avec Monte Cavallo.
Page 138. ... notre papier marqué:... — Cf. Histoire de la Peinture en Itcdie, chap. cxxix, note.
Page 138. ... du Vatican... — Ed. 1817 : du Quirinal. Ij'errat. donne : du Vatican.
Page 138. ... d'être réveillé. — Sur les pifferari, voir Promenades dans Rome, 21 décembre 1827 et les Mémoires d'Hector Berlioz, chap. xxxix.
Page 139. ... à côté des vases étrusques. — Ici se plaçaient, dans l'édition de 1817, deux paragraphes sur les vases étrusques et la statue d'Aristide, que Stendhal a repris pour l'édition de 1826 (voir supra, page 49).
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II 48!)
Page 139 Prince de la Paix,... — Sur Ciudoïou Godoy,
Prince de la Paix. « le plus stupidc co(juin de l'Eu- rope )>, voir Correspondance, tome II, pages 88 et sui- vantes.
Page 139. ... feu Chaudet. — Statuaire français (1763- 1810), qui ne mérite peut-être pas le dédain que semble manifesler Stendhal.
Page 140. ... serait invisible ? — • Tout ce paragraphe et les deux suivants sont nuturellemciil supprimés par la traduction anglaise.
Page 141 (manuscrit volé)... — A la suite de cette note
Colomb, dans son édition de 1854. a cru utile de caser deux lignes de réclame pour Téditiou des lettres de Ch. de Brosses qu'il avait donnée en 1836 chez Leva- vasseur, probablement d'après les conseils de Sten- dhal. La parenthèse : (manuscrit volé) fait allusion aux incidents de la publication de la première édition de 1800. De Brosses, à son retour en France, avait fait établir cinq ou six manuscrits de ses lettres, pour les donner à ses amis ; pendant la Révolution, un de ces manuscrits suivit les bagages d'un émigré et tomba entie les mains de Sérieys, qui traita avec le libraire Ponthieu pour l'impression (voir la notice du Comte Ernest de Brosses, fils du président, en tête de l'édi- tion Colomb).
Page 141. Mercure du 15 juin 1817. — Ce n° n'existe pas ; le Mercure de France paraissait le samedi ; les n°s de juin 1817 sont ceux des 7, 14, 21 et 28. Peut- être s'agit-il du Mercure du Rhin.
Page 145. Le danger était pressant,... — La même aven- ture arrive à Colomb (Cf. Voyage en Italie, 18 mai 1828, page 351). Il est vrai qu'en 1814, Bombet vola bien une fièvre à Carpani.
Page 145. ... Auguste... — Ou plutôt Augustin.
Page 147. Là il y a des jacobins ? — Dans l'édition de 1817, cette note est placée sous le paragraphe daté de Civita-Castellana ; il y a là sans doute une erreur
490 ROME, NAPLES ET FLORENCE
qu'a corrigée Colomb en 1854 en plaçant la note sous
le présent paragraphe : nous pensons qu'il a eu raison,
et nous l'imitons. Page 149. ... ces airs divins. — Ed. 1817 et 1854 : ces
airs divers. Nous proposons la conjecture : divins. Page 150. ... Louis de Brème. — Ed. 1817 et 1854 :
r*** rj*** r>*«*
Page 156. ... là in d'on canton. — Fragments de la fameuse Vision de Prina de Grossi, Le jour d'aujour- d'hui. Voici la traduction : « C'était iiud nuit des plus épouvantables, obscure comme dans la gueule du loup ; on n'entendait pas le bruit d'un pas... Et le pauvre mérite qui n'est pas don, ils vous l'ont forcé à se réfugier là dans un petit coin obscur. » Cf. lettre à M. Stritch du 30 novembre 1825 et l'article ano- nyme de Stendhal paru dans la Revue de Paris de 1832, tome XXXVI, pp. 65-70. Voir notre note à la page 105 du tome P^.
Page 157. ... un meilleur usage de vos talents. — Dans l'édition de 1854, Colomb incorpore à tort cette note dans le texte.
Page 159. ... et Pantalon; ... — Ed. 1817 : et le Pan- talon. U errât, donne : et Pantalon.
Page 159. ... ne sono una prova. — Voir la citation plus exacte, tome I, page 235.
Page 160. ... de r Optimiste. — Il s'agit de la comédie de Colin d'Harleville, qui enthousiasmait déjà Sten- dhal en 1804 (voir lettre à sa sœur du 18 prairial an XII, Corresp., tome I, page 88).
Page 160. ... car elle est laide. — Cf. Vie de Haydn, page 384 : « Dans mon système, un certain degré de passion détruit la voix chez les hommes ; et, chez les femmes, une certaine fraîcheur dans les attraits. » Système qui n'est pas aussi paradoxal qu'il en a l'air au premier abord.
Page 160. ... que je n avais jamais pu voir. — Ed. 1854 : que je nai jamais pu voir.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II 401
Page 162. Ce génie ignoré... — A propos de celle supc- riorité des poètes naturels comparés à ceux formés par les règles, Stendhal écrit sur l'ex. de Civita- Vecchia : « Excellente ligne de V Edinburgh Refiew, n'^ XXIII, p. 74. Ce sont de ces choses qui, une fois dites, ne me sortent plus de la tête. C'est là pour mol le bon effet de VEdinhurgh Reciew. A chaque phrase que je lis, je songe to M. [à Mélilde], à ma situation avec elle, aux auteurs qu'il me reste à dévorer, jusqu'à ce que je sois arrivé à 7 heures [l'heure où il voyait Mélilde]. 5 novembre 1818. »
Page 162. ... où Von rit sans conséquence. — Ed. 1854 : Ne plus rire qu'au théâtre, où l'on rit sans conséquence. La virgule est un contre-sens. Stendhal veut en effet parler du théâtre des Variétés par opposition avec la Comédie- Française.
Page 163. ... noui^eautés par an. — Ed. 1817 et 1854 : s'est réfugié là. Nous suivons le texte que donne Verrat, de 1817.
Page 163. ... dans V Italiana. — L'Italienne à Alger, opéra buffa de Rossini, probablement son chef-d'œu- vre. L'extrême difficulté du grand rôle d'Isabelle, qui exige une chanteuse doublée d'une actrice accom- plie, fait qu'on n'a plus repris la pièce depuis fort longtemps en France : on manque aussi d'une bonne traduction. Cet opéra, dont la verve comique est ini- mitable, dont la figuration et les décorations sont un régal pour les yeux, serait, pour les Français, un spéci- men bien autrement caractéristique du génie de Rossini et des opéras-bouffes italiens, que le Barbier de Séville. Les livres et dictionnaires répètent à satiété que l'orchestration du Barbier est ravissante, bril- lante, étincelante, etc., etc. ; c'est exact ; mais elle ressemble en cela à celle de tous les opéras-bouffes de Rossini, et l'orchestration de Y Italienne à Alger mérite les mêmes épithètes que celle du Barbier. Il n'y a dans le Barbier (qui ne contient guère de psy-
492 ROME, NAPLES ET FLORENCE
chologie et dont un ou deux airs sont des contre-sens) rien d'analogue aux trois grands rôles de Y Italienne (Isabelle, la grande coquette ; Thaddée. l'amant ridicule ; et Mustapha, le mari excédé de sa femme et tombant dans les pièges de la coquette) que Rossini a développés dans des airs ou dans des ensembles de tout premier ordre.
Page 166. ... comme ennemi. — Ed. 1854 : comme un ennemi. — Note sur l'ex. de Civita-Vecchia : « C'est partout ce même patriotisme ridicule dont j'ai sou- vent parlé et qui caractérise si bien les descendants ruinés de gens immensément riches, qui empêche les Italiens d'entrer franchement dans la ligue générale contre le faup. ou Vignoble. »
Page 168. ... les beaux jours d'été... — Ed. 1854 : les jours d'été.
Page 169. ... une autre hataille... — Waterloo. Cf. His- toire de la Peinture en Italie, piéface inédite publiée par Colomb en tête de son édition de 1854 : « Léqui- table postérité pleurera la bataille de Waterloo, comme ayant reculé d'un siècle les idées libérales. » Il faut, pour apprécier ce jugement qui a paru ridi- cule à certains commentateurs peu avertis, se replacer en 1817 et relire l'histoire, et, à l'occasion, quelques pamphlets de Paul Louis Courier. Les historiens modernes confirment aujourd'hui le jugement de Stendhal, en présentant Napoléon comme le continua- teur et le metteur en œuvre des principes de la Révo- lution de 1789 : la Restauration, au contraire, voulait revenir à l'ancien régime ; et les libéraux, comme Stendhal, pouvaient fort bien croire, en 1817, que les conquêtes de la Révolution allaient être définitive- ment perdues. La tentative évidente de retour en arrière que constituent les gouvernements de Louis XVIII et de Charles X donne pleinement raison à Stendhal.
Page 169. Recueil du P. Ceva, p. 264. Manfredi. — Ce
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TO.MK II 493
sonnet a ôlé en rôalilô composé en 1(J99 par le \F Eus- tachio Manfredi, de Bologne, à l'occasion de la nais- sance d tin j)rince du l'iénionl ; nous l'avons retrouvé à la page 197 du vieux recueil du I'. Teobaldo Ceva, intitulé : Choix de sonnets, avec diverses observations critiques, et une dissertation sur le sonnet en général, (4^ édition, Venise, 1775). Stendhal indique sa source : on n'a qu'à s'y reporter. Voici la traduction de ce sonnet :
J'ai ('(( V Italie les citeweitx éparx, en désordre, où la Dora des- cend vers le Pô ; elle élail assise, <if]lis,Ée ; elle a<,>ait dans les yeux comme une horreur de la servitude voisine ; l'orgueilleuse ne pleu- rait pas ;' elle s;ardait dans sa douleur un air de reine ; telle elle apparut peut-être, lorsque, jadis, elle offrit aux fers son pied jusque-là libre. Puis je la vis dans un éclair se lever joyeuse, et, fièrement, se souvenir de sa vieille gloire et menacer les rivages des alentours. Et l'on entendait de tous côtés l'Apennin retentir d'applaudissement'i et de cris joyeux : Italie, Italie, ton vengeur est né !
Page 171. ... de relia,... — - Ed. 1817 : du lei. \Jerrat. corrige : de Vella.
Page 171. ...et à Florence : ella. — Ed. 1817 : la plus respectueuse des trois manières d'adresser la parole : Tu, voi, lei. \J errât, complète la note comme nous l'imprimons. — Il est impossible de ne pas se rappeler ici la plaisante anecdote racontée par Prosper Méri- mée : « Un soir, à Rome, il TBeyle] me conta que la « comtesse *** venait de lui dire voi au lieu de lei, « et me demanda s'il ne devait pas la violer. Je l'y « exhortai fort. « (H. B. par un des Quarante).
Page 172. ... respecter les Français. — Cf. Correspon- dance, lettre à Mareste du 20 novembre 181S : « Re- faites-moi ce conte, ainsi que celui de la histecca : gran Francesi, grandi m tutto, et ajoutez-le au manuscrit (de la 2^ édition projetée), quand il passera sous vos yeux. »La histecca disparut de l'édition de 1826, Mareste n'ayant pas obéi à l'invitation de Stendhal, qui excel- lait pourtant à faire travailler ses amis.
Page 174. ... montre le tuf... — Cf. note de Stendhal du
494 ROME, NAPLES ET FLORENCE
22 juillet 1817 dans un exemplaire de VHistoire de la Peinture en Italie (Vie Littéraire de Stendhal de M. Paupe, page 27).
Page 174. — M. Marescalchi. ... — Ed. 1817 et 1854 : de M. M* * *. Il n'y a aucune raison pour ne pas donner le nom entier, qui est imprimé quelques lignes plus haut. Voir Journal d'Italie, pp. 186-187.
Page 175. ... il Va peu imité. — Ed. 1854 : mais il ne Va pas imité.
Page 176. ... V envie V occupa beaucoup. — Ce petit cours de peinture du « professeur danois » était cité in-extenso dans l'article de V Edinhurgh Review.
Page 176. ... parmi les amants passionnés de cette liberté .. — Cette phrase, pourtant parfaitement claire, sur Napoléon n'a pas été comprise par le traducteur anglais, qui écrit le galimatias suivant : « Thus it happens that the most projound dissemblers, even they who, wken they abhorred liberty the most, rangea themselves under its banners as their only means of safety, still find partisans in Italy ; nay find them among the greatest enthusiasts for liberty. »
Page 177. ... ma grande dispute... — - Ed. 1854 : une grande dispute.
Page 178. ... s'est fait peindre en écuyer. — UEdinburgh Review, dans son article de 1817, ne manque pas de se moquer de ce millionnaire qui se fait peindre en écuyer.
Page 179. ... vêtu et coiffé... — Ed. 1854 : coiffé et vêtu.
Page 179. ... pour parler clair... — Ed. 1854 : pour parler franchement.
Page 181. ... ces inférieurs. — Ed. 1854 : ses inférieurs.
Page 181. ... ces esclaves ; ... — Ed. 1854 : ses esclaves.
Page 187. ... à V Appendice... — Stendhal parle ici du petit appendice qui terminait l'édition de 1817. Voir tome II, page 294. Colomb imprime : Voir plus loin, etc.
Page 189. ... à la tête de tous les poètes classiques l —
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II 495
Contrairement à ce que dit M. Stryienski dans les Soirées du Stendhal Club (1^® série, Les dossiers de Stendhal, p. 14), l'article de la Revue d' Edimbourg de novembre 1817 ne faisait aucune allusion à ce pas- sage sur Alfieri. C'est seulement dans une note de l'article sur VHistoire de la Peinture en Italie (octo- bre 1819, n» 64, tome XXXII, page 321) que la revue prévient ses lecteurs que « ces dix pages sur Alfieri sont littéralement traduites d'un article paru dans le volume XV, pages 295-297. » Il s'agit d'un article sur les Mémoires d' Alfieri remontant au mois de janvier 1810 (n" 30 de V Edinburgh Review).
Remarquons, à la décharge de Stendhal, que tout ce 2:)assage est imprinaé entre guillemets, et donné, non comme original, mais comme une traduction... du cahier du comte. Il y a déjà moins de désinvolture dans ce procédé qu'en 1814, lors de la préparation de la Vie de Haydn.
Au reste, Stendhal ne cachait pas à ses amis la vraie source de son jugement sur Alfieri. Cf. Corres- pondance, lettre du 1^^" décembre 1817 à Mareste. De plus, il n'est pas exact que ce passage soit littérale- ment traduit de la revue anglaise. Voir, dans la thèse de M. Richard Kùhnau (Quellen-Vntersuchungen zu Stendhal- Beyle' s Jugendwerken, Marburg, 1908, page 29) un relevé exact des additions de Stendhal.
Page 190. ... au légat,... — Ed. 1817 : au l***. L'édition de 1854, trois mots plus loin, imprime : r inique, au lieu de : l'impie.
Page 190. ... cette ville aimable. — Voici une note que Stendhal a portée sur l'ex. de Civita-Vecchia, et que nous pouvons reproduire, puisqu'il est entendu que l'italien, comme le latin, brave l'honnêteté : « Voici les mœurs de Ferrure vers 1790. D avide le père y chan- tait, le cardinal Belmonte y gouvernait, et le public répétait :
A quel che di Golia nippe la jronle Rompe le cliiappe il cardinal Belmonte. »
496
ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 192. Page 192. . hérétique Page 193. . Paee 193. .
, des prêtres,... — Ed. 1817 : des pr***. comme hérétique,... — Ed. 1854 : comme un
. de tout. — Ed. 1854 : de tous.
. sont faibles. — Dans le dernier chapitre de Henri Brulard, Stendhal dira plus tard que le sujet surpasse le disant, souvenir, d'ailleurs, des vers de François I^^' sur le tombeau de la Laure de Pétrarque :
Car la parole est toujours réprimée Quand le sujet surmonte le disant.
Cf. De Brosses, lettre II, Avignon.
Page 195. ... des prêtres. — Ed. 1817 : des pr***.
Page 195. ...le comte de Saurau. — Ed. 1817 : le comte de S.
Page 197. ... quoique maussades,... — La traduction anglaise de 1818 ne manque pas de dire simplement : twenty çery well, en passant sous silence la maussa- derie.
Page 201. Là où tout est noble,... — Ed. 1854 : Là, tout est noble.
Page 207. ... aucune fonction politique... — Ed. 1854 : aucune fonction publique.
Page 207. ... gouvernaient beaucoup plus. — Ed. 1854 : gouvernaient plus.
Page 208. ...et souvent trop à fond,... — ■ L'éd. de 1854 omet ces cinq mots.
Page 209. ... d'autres êtres au monde. — Ed. 1817 : d. autres hommes. Mais Verrat, donne : êtres.
Page 212. ... vous ne me verriez pas ici. — Tel est le fameux passage sur la France d'autrefois, que nous avons reproduit avec ses curieuses divisions typogra- phiques. L'article de VEdinburgh Review sur Rome, Naples et Florence (novembre 1817) s'exprimait ainsi à propos de ce passage : « A Lorctte, (le baron Sten- dhal) rencontre un vieux colonel anglais qui, ayant été beaucoup en France avant la Révolution, lui
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II 497
tient un discours en trois points, avec introduction et conclusion, sur les mœurs françaises et anglaises. Cela dure environ vingt pages ; et, comme aucun tiers n'assistait à l'entretien, on est assez embarrassé pour se rendre compte si cet entretien est fidèlement rap- porté. A supposer même que le colonel n'ait jamais existé, cela ne ferait que reculer d'un pas la difïlculté ; car les remarques contenues dans ce passage sont, comme style et comme portée, considérablement au-dessus des observations habituelles de notre baron. » Cet extrait donne une idée très exacte du ton général de tout l'article ; on remarqueia en outre que, si vraiment l'auteur de l'article n'avait pas aperçu déjà en 1817 les emprunts faits par Stendhal à la revue anglaise, il a fait preuve d'une remarquable perspicacité.
Deux ans plus tard, en octobre 1819, dans l'article sur l'Histoire de la Peinture en Italie, la Revue d'Edim- bourg dénonçait le plagiat à ses lecteurs, en les ren- voyant à un article sur les lettres de M™® du Defîand et de W-^^ de Lespinasse, paru en janvier 1810 (n° 30), et invitait aimablement le « baron » à mettre dorénavant plus de soin à indiquer ses sources, — ce qui n'empêchait pas la revue de consacrer vingt pages compactes à l'analyse de V Histoire de la Pein- ture. Voici le passage de l'article, assez plaisant pour que nous le citions in extenso : « La' commune renom- mée désigne, comme auteur (de YHistoire de la Pein- ture en Italie), le baron Stendhal, dont le livre sur Rome, Naples et Florence a fait l'objet d'un compte- rendu de notre part, dans un précédent numéro. Si ce bruit est fondé, nous craignons d'être obligé de restreindre considérablement les éloges que nous avons faits, il y a deux ans, de son originalité, par peur de retomber dans l'erreur où nous ont déjà fait tomber une fois les étranges plagiats de cette pre- mière publication. On se rappelle que nous avions
Rome, Naples et Florence, II 32
498 ROME, NAPLES ET FLORENCE
signalé particulièrement un passage de ce livre (la conversation du colonel anglais sur la France d'autre- fois) : or nous ne fûmes pas peu surpris de découvrir peu après que le passage que nous avions loué était une traduction littérale d'un fragment d'un article paru dans un vieux numéro de notre Revue. Quand un auteur a recours à de pareils expédients, personne n'est sûr, à aucun moment, de ne pas lire dans ses œuvres l'œuvre d'un tiers ; mais telle était notre bizarre destinée : nous devions lire sans le savoir, et louer très innocemment, et peut-être injustement, notre propre Revue. » Et, en note, le rédacteur donne la liste des trois passages de Rome, Naples et Flo- rence où Stendhal s'était inspiré de la Revue <ï Edim- bourg, puis ajoute : « II est certainement flatteur pour nous de trouver nos sentiments sur la littérature et les mœurs du continent adoptés par un écrivain continental de grande vivacité d'esprit et de hautes prétentions ; mais il nous serait encore plus agréable qu'il eût eu la bonté d'indiquer un peu la source où il avait puisé ses observations. »
Sans parler de la remarquable façon dont Stendhal a mis en œuvre les matériaux de la Revue d'Edim- bourg, constatons à nouveau, à la décharge de notre auteur, que les observations sur la France avant la Révolution sont données, non comme originales, mais comme la simple mise au net d'une conversation avec un... colonel anglais. On sera frappé en tout cas de la parfaite bonne grâce avec laquelle la Revue constate les emprunts qui lui ont été faits (qui n'a d'égale que la parfaite bonne foi avec laquelle Sten- dhal les avait faits), et on pourra comparer le ton du grand organe européen avec celui, par exemple, des lettres de Carpani à propos de la Vie de Haydn. Il n'y a pas d'ailleurs traduction littérale. Voir dans la thèse de M. Richard Kûhnau, déjà citée, le relevé des nombreuses additions ('e Stendhal.
I
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU T0:ME II 499
Enfin, on n'a pas oiu-oïc fait (iliscrxcr que Slcndhal, en comparant dans ce passajjc la France et l'Angle- terre, a voulu bien plutôt comparer la l-'rance d'avant la Révolution et la France de 1817.
Note sur l'ex. de Civila-Vecchia : « Four lancieu Paris, jirendre 2 lignes page SO du n" 23 de VEilin- burgh Review. »
Page 214. ... des prêtres. — Ed. 1817 : des pr***.
Page 214. ...le cardinal Lante... — Ed. 1817 et 1854 : le cardinal L***.
Page 216. ... de huit à neuj... — Ed. 1854 : de huit à neuf heures.
Page 216. ... Pedrocchi. — Ed. 1817 et 1854 : Pedrntti. Le restaurant existe encore.
Page 217. ... cest l'âme qui parle à l'âme. — Cf. Vie de Rossini, chap. xxxiii, note, et Introduction, II.
Page 217....18/um. — Ed. 1817 et 1854: .4/-</«a, 10/«ùj. Erreur évidente d'impression ; ce chapitre du journal ne doit pas être daté d'Arqua. puisque l'auteur est revenu déjà à Padoue ; il ne peut pas non plus porter la date du 10 juin, puisque le chapitre précédent est déjà du 10 juin. Nous proposons de lire : 18 juin.
Page 218. ... souvent un sourire amer ;... — Ed. 1854 : souvent avec un sourire amer.
Page 219. ... il s'en amuse:... — Ed. 1854 : il s'en accuse.
Page 219. ... la bonhomie de la Lombardie. — Ed. 1854 : la bonhomie de La Fontaine.
Page 220. ... il en est plus esclave,... — Ed. 1817 : Il est plus esclave. Mais Verrat, ajoute : en.
Page 221. ... pour le P***, où le paysan... — Ed. 1854 : pour le prêtre, où le paysan..., ce qui n'a aucun sens. Nous suivons le texte de l'éd. de 1817. Stendhal veut sans doute dire : le Piémont.
Page 222. ... madame de Montecatini... — Ed. 1817 et 1854 : Mine de Montecati**.
Rome, Naples et Florence, II 32.
500 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 222. ... M. Dutertre... — Ed. 1817 et 1854 : M. Duter***.
Page 224. ... du colonel Massenbach... ■ — Chrétien de Massenbaclî, historien et colonel prussien (1758- 1827). Poursuivi, pour incapacité, après la campagne d'Iéna, il écrivit pour se justifier des Considérations sur les éi>énements des années 1805 et 1806. Auteur de divers mémoires sur l'histoire de la Prusse, il fut con- damné en 1817, quelque temps avant l'apparition de Rome, Naples et Florence, à quatorze ans de prison. Il ne fut gracié qu'en 1826, un an avant sa mort.
Page 225. ... des sympathies. — Citation de Corneille, Rodogune, I, 5.
Page 226. ...de tout ceci que je recueille... ■ — Ed. 1854 : de tout ce que je recueille.
Page 227. ... à Hume et à Voltaire. — Ce passage sur Schlegel et les Allemands est inspiré d'un article paru dans la Reflue d'Edimbourg de février 1816 (tome XXYI, p. 67), ainsi que la revue l'annonce à ses lecteurs en octobre 1819, en rendant compte de VHistoire de la Peinture en Italie. Il est significatif que les trois passages inspirés par VEdinburgh Review aient disparu de l'édition de 1826 et aient été remplacés par des morceaux beaucoup plus ori- ginaux. Rappelons pourtant que Stendhal avait lu et annoté Schlegel, avant d'avoir lu la Revue d'Edim- bourg (Cf. Correspondant, n^ du 25 septembre 1909).
— Note de Stendhal sur l'ex. de Civita-Yecchia : « L'amour allemand à prendre dans Gassicourt. » (Voir V Amour, chap. xlviii).
Page 228. ... cet arriéré. — Ed. 1817 : cet arriéré des
impôts. Mais Verrat, supprime les deux derniers mots.
Page 230. ... d'un homme fort sûr de son instrument...
— Ed. 1817 : d'un homme fort de son instrument. Uerrat. ajoute : sûr.
Page 231. ... sauver sa femme. — Cette anecdote est
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II 501
tirée de Gœthe, Voyage en Italie, comme celle de Frédéric-Ie-Grand catholique.
Page 231. ... un évêque voulant. . . — Ed. 1817 : un év**" voulait. Uerrat. donne voulant.
Page 231. ... Mocenigo... — Voir Journal d Italie, p. 174.
Page 231. ... V habitude des dispositions qui font le bon- heur. — Ed. 1817 : l'habitude de dispositions qui sont le bonheur. Mais Verrat, corrige.
Page 232. ... américain. — Ed. 1817 et 1854 : anglais. Mais Verrat, de 1817 donne bien : américain.
Page 234. ... quà cent mille francs. — L'étl. de 1854 incorpore à tort cette note dans le texte.
Page 236. ...de prendre... — Ed. 1817 : d'avoir. Uerrat. donne : de prendre.
Page 236. ... un monstre... — Ed. 1817 : un scélérat. Uerrat. donne : un monstre.
Page 237. ... bon négociant à Lima. — Ce passage inté- ressant sur Byron, supprimé sans raison par Colomb dans l'édition de 1854, était traduit in extenso dans l'édition anglaise de 1818, mais avec la note suivante du traducteur : « En reproduisant ce passage tel qu'il existe dans loriginal, nous n'entendons offenser aucune des parties intéressées ; nous voulons simple- ment montrer comment les particularités des individus de notre nation deviennent un sujet de haine contre nous parmi les étrangers ; ceux-ci, comme d'ailleurs certains de nos nationaux, prennent souvent la liberté de s'ériger en juges de ce qui ne les regarde pas, et de décider péremptoirement, quoique ne connais- sant qu'imparfaitement les pièces du procès. »
On remarquera combien des notes de ce genre, ainsi que les notes que nous avons reproduites dans la Vie de Haydn (traduction anglaise de 1817), donnent raison à Stendhal dans ses observations sur l'Angle- terre.
Page 237. ... le fameux sonnet de Lope de Vega,... —
502 ROMi:, NAPLES ET FLORENCE
Allusion, non pas au sonnet, mais au petit poème de Lope de Vega intitulé : « Art nouveau de faire des comédies )', et qui contient le passage suivant : « Et lorsque j'ai à écrire une comédie, je renferme les principes sous six clefs ; je chasse de mon cabinet Plaute et Térence, pour ne pas entendre leurs protesta- tions : car la vérité parle même dans les livres muets. Et j'écris suivant la manière inventée par ceux qui recherchaient les applaudissements du vulgaire : c'est le vulgaire qui paye, il est juste de lui parler son langage pour lui donner du plaisir. » Plaire ou public, telL est la poétique de Lope de Vega.
Page 240. ... à côté du rire le plus fou. — Cf. Hiitoire de la Peinture en Italie, chap. CXXV, note. — La traduction anglaise de 1818 supprime sans raison tout ce paragraphe.
Page 244. ... aimer la nation anglaise. — Dans son article de novembre 1817, V Edinhurgh Revie^v cite cette anecdote et en nie l'authenticité.
Page 245. ... parce qu'il est Allemand ; ... — Ed. 1817 : parce quil est All***d.
Page 247. ... jort aimés des dames. — Quelques rémi- niscences de Gœthe dans les trois premières pensées de Venise. Voir dans Chuquet (Stendhal-Beyle, pp. 330-333) un résumé des emprunts divers que Stendhal a faits à Gœthe, à de Brosses, à M""^ de Staël. Voir aussi la dernière partie de l'excellente thèse de M. Richard Kûhnau. 11 est certain que Stendhal doit beaucoup, notamment à M^e ç\q Staël, dont, malgié certaines réservv^s, il admirait sincèrement les œuvres : il avait lu et relu Corinne et V Allemagne. Voici un fragment inédit, que nous devons à l'obligeance de M. Débraye, et qui nous montre Stendhal rédigeant quelques impressions après une lecture de Corinne : ce fragment date vraisemblablement de 1814.
« 27 mai. — M. Bombet vient de me dire : Il me « semble que les anciens n'étaient que des commcn-
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II r)03
« çants dans la connaissance du cœur humain. Des « gens qui ont plus de sensibilité et dimagination « que de connaissance du cœur humain nous les « citent sans cesse pour modèles. Je conçois qu'un « homme sensible soit louché des pensées vierges de « petitesse des anciens. Cette pureté vient de deux « causes : [1°] leurs gouv[ernements] leur rendaient « l'âme plus forte, et 2° ils ne pouvaient se souiller « de petitesses qu'ils ne connaissaient pas.
« M. Bombet ajoute : J'ai senti plusieurs fois « leurs sentiments peints dans les pages 97, 98, 99 « et 100, tome l'^'', de Corinne, surtout la page 97.
« Je me fixerai en Italie, mais il est bien dommage « qvie mon art ait ses modèles en France (voir Corinne, « I, 335). Les peintres sont plus heureux, mais leur « gloire est inférieure.
« Chamfort dit : Le matin, quand vous devez voir « la société, avalez un crapaud. Je traduis cela : Lisez « 50 pages de Pétrone. C'est le cri d'une société plus « laide, quoique moins basse, que la nôtre. Pétrone « m'a fait vivement sentir le malheur dune vie dont « toutes les actions ne sont pas liées par leur tendance « à un centre. A good book for a comic bard. [Excellent « livre pour un poète comique.]
« ^L Bombet a ajouté : Mon ami naturel, c'est un « peintre homme de génie, adorant par conséquent « l'Italie.
« Je retrouve mes idées et jusqu'à mes expressions « favorites dans ce que M"^"^ de Staël dit de l'Italie « (page 122)... )) (Bibliothèque de Grenoble, R 5896, tome XV, folio 192).
L'art « qui a ses modèles en France », dont parle ici Stendhal, est très probablement l'art du poète comique. On sait que Stendhal s'est cru longtemps des aptitudes pour la comédie : quelques malheureux essais dans ce genre nous ont été conservés. Mais autre chose est de voir, même distinctement, les ridicules,
Rome, Xaples et Florence, II 32..
504 ROME, XAPLES ET FLORENCE
autre chose est de les mettre en action dans une œuvre dramatique.
Page 248. ...et de grands peintres. — L'édition de 1854 omet ces quatre mots.
Page 249. ... ceux qui sont le plus loin de la nature,... — Ed. 1817 : ceux qui en sont le plus loin dans la nature. Nous suivons le texte de Colomb.
Page 249. ...de César ou d'Alexandre. — La traduction anglaise de 1818 supprime toute la fin du paragraphe précédent, et tout le présent paragraphe. A chaque instant, ce sont des coupures semblables. Cette tra- duction n'est fidèle que d'une façon très relative.
Page 250. ... tendrement sur la scène. — Voir, dans la Vie de Rossini, l'analyse détaillée de la Gazza ladra.
Page 250. ... Vigano... — A propos de Viganô, on relève cette note curieuse dans l'ex. de Civita-Vec- chia : « Je m'aperçois, à mon grand étonnement, writing to Vigano [en écrivant à Viganô], que je pense en italien, je revêts de couleurs italiennes ma pensée. Cela ne nuira-t-il point au style français ? »
Page 252. ... le prince de Bénévent ; — Ed. 1817 et 1854 : le prince de Ben***.
Page 255. On le remercia. — C'est ce passage sur Mayer que Goethe fit copier et envoya à son ami Zelter le 18 mars 1818, avec son appréciation, souvent citée, sur Stendhal et sur sa « manière libre et hardie » (seine jreie und freche Art und Weise). « Il attire, il repousse, il intéresse, il impatiente ; on ne peut s'en séparer » (Er zieht an, stosst ah, interessiert und argert, und so kann man ihn nicht loswerden) . U faut avouer qu'on ne saurait caractériser mieux le talent très particulier de Stendhal ; et, quand on songe que ces lignes datent de 1818, on doit reconnaître qu'il n'y a encore que les grands hommes pour se juger entre eux.
Page 255. ... comme on voit,... — Ed. 1854 : comme on le voit.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TOME II 505
Page 256. ...de V Italie. — Ed. 1817 : d'Italie.
Page 257. ... est 1814. — Ed. 1854 : est de 1814. — Noies sur l'ex. de Civila-Vecchia : « Je ne voudrais pas pour tout l'or du monde me trouver pour longtemps à Rome ou à Turin, et jhaLiterais volontiers Milan. ...On y parle de politique (dans les loges de la Scala), mais c'est une politique héroïque, toute de guerre, d'exécution... et pas de chiffres, d'impôts, comme en Angleterre, donc une politique qui s'accorde avec la musique et l'amour. » — « 14 mai 1818. Je vois l'entrée du Vice-Roi. C'est le Car[actère] de Nap[oléon]. Je vois avec plaisir ce prince si éclairé et si sage, ce modèle des rois constitutionnels. Je ris de la colère vraiment patriotique de 7 ou 8 nobles que le Gouv* actuel s'obstine à négliger. Ils cherchèrent en 1814 à accélérer la chute de Napoléon (10 avril 1814) et peut-être ont fait manquer une occasion unique. Aujourd'hui, ils jouissent du mépris du G* et du mépris des libéraux. La moindre petite croix les gagnerait du reste. Mais on s'habitue à trouver qu'ils n'en valent pas même la peine... Depuis la chute de Nap., un noble, quoi qu'il en dise, ne peut plus être libéral. Il y a une guerre à mort contre les privilèges, et peut-on attendre de cœurs plus froids, et même en général d'aucun homme, d'agir contre ses inté- rêts... »
Page 257. ... Valenza,... — Ed. 1854 : Valcuza. L'édition de 1817 et la traduction anglaise de 1818 donnent bien : Valenza.
Page 257. ... hleu et blanc. — Ed. 1854 : bleue et blanche.
Page 258 ...de trois cents pieds,... — Ed. 1817 : cinq cents. Stendhal a corrigé sur un exemplaire (collec- tion Stryienski) : trois cents, correction portée dans l'édition de 1854.
Page 259. ... du second étage;... — Ed. 1854 : du deuxième étage.
Page 260. ... la seule qui paraisse ; de loin, on nous juge...
506 ROME, XAPLES ET FLORENCE
— Ed. 1854 : la seule qui paraisse de loin ; on nous juge. Nous ne notons pas spécialement toutes les erreurs de ponctuation qui pullulent dans l'édition de Colomb, erreurs cpii souvent dénaturent complète- ment le sens et que nous corrigeons d'après l'édition de 1817.
Page 260. ... nos de Broglie. — La h-aduction anglaise de 1818 supprime bien entendu tout ce paragraphe.
Page 260. ... d'aucun parti. — Note sur l'ex. de Civita- Yecchia à propos de Sismondi : « 27 mars 1818. Cet auteur m'assomme ; j'aime mieux Pignotti. »
Page 261. De 1550 à 1796,... — Ed. 1817 : de 1650 à 1796, faute corrigée par Stendhal sur un exemplaire de l'ex-coUection Stryienski.
Page 261. ... tout ce qui paraissait de lui n était pas lui. — Ed. 1854 : tout ce qui paraissait lui n était pas lui.
Page 262. ...le gou^'erneiir... — Ed. 1854 : le gouverne- ment. Voir Histoire de la Peinture en Italie, chap.
CXXXI,
Page 264. ... aussi braves que les Français. — Sur les légères inexactitudes que contient ce paragraphe, voir le livre de M. Chuquet, Stendhal- Beyle, page 324, note.
Page 265. ... quil avait la force... — Ed. 1817 : quil avait peut-être la force. \Jerrat. supprime : peut-être.
Page 266. ... leurs noms et leurs itwtifs. — L'éd. de 1854 incorpore à tort cette note dans le texte.
Page 267. ... dans une position mauvaise en soi. — L'éd. de 1854 incorpore à tort cette note dans le texte.
Page 268. ... Varche du Seigneur ... — Cf. Le Rouge et le Noir, épigraphe du chapitre xxvii.
Page 268. ... disent mes officiers. — L'éd. de 1854 incor- pore à tort cette note dans le texte.
Page 271. ... Vahhorra... ■ — Ed. 1854 : Vahhorrent. — Note sur l'ex. de Civita-Vecchia : « Allieri, comme Byron, un ultra mécontent, et fou d'orgueil, mais
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS DU TO.ME II 507
sans !^")ùl pour la voliiplt- oiioiilalc. coiiinie le Pair aiijilais. »
Pa<fe 273. ... trente mille livres de rente. — - Cf. lettre du 1"^^ janvier 1817 à M. Didot, imprimeur à Paris : «... Pourquoi les délits de la presse ne sont-ils pas « jugés par un jury, et les membres désignés par le « sort lorjalement ? » (Corresp., tome II, p. 20).
Page 274. ... les lire dans les rues. — Passage cité par l'article de Y Edinhurgh Review.
Page 275. ... 21 juillet. — L'éd. de 1817 imprime par erreur : 21 juin ; l'erreur se continue jusqu'à la lin : Francfort, 28 juillet, au lieu de : 28 août. Colomb a réimprimé Terreur, que nous corrigeons.
Page 276. ... à trente lieues de là dans les brouillards de Venise :... — Ed. 1854 : à trente lieues de là. Dans les brouillards de Venise. M. von Oppeln-Bronikowski reproduit cette faute, sans la corriger.
Page 279. Croyez-moi, mon ami ... — Il faut voir ici un reste évident de la rédaction du journal, ou dune lettre à un ami.
Page 280. ... pesce persico... — Le pesce persico ou pesco ■est une espèce de poisson des lacs et rivières de l'Italie supérieure, dont la chair est très estimée.
Page 281. ...la déclaration de jeu Tartufe. — Paragraphe supprimé dans la traduction anglaise de 1818.
Page 281. La pruderie des jemmes... — Tout ce morceau du 3 août est cité in extenso par l'article de V Edinburgh Review.
Page 283. ... du naturel. — Ce journal des 2 et 3 août a été omis par Colomb. Cf. Mémoires d'un touriste, tout le passage sur Genève.
Page 285. ... jusquà un roi,... ■ — ■ Ed. 1817 et 1854 : un R***. M. von Oppeln-Bronikowski fait remarquer qu'on ne sait quel était ce roi qui fréquentait en 1816 le salon de M™^ de Staël. — Note sur l'ex. de Civita- \'ecchia : « 12 janvier [1818]. Lu de longs fraginents du dernier ouvrage de M™^ de Staël. L'aristocratie
508 RO:^IE, INAPLES ET FLORENCE
ne trouve rien de mieux pour empoisonner les peuples que les paroles d'un transfuge. « Cf. Corresp., tome II, p. 81.
Page 288. ... sept à Jiuit prêtres à moitié endormis, vers les minuit. — Ed. 1817 : sept à huit prêtres endormis, vers les minuit. Uerrat. ajoute : à moitié. Colomb en 1854 imprime : vers minuit.
Page 289. ... que je rapporte d' Italie. — Ici se trouvait, dans l'édition de 1817, l'anecdote des Indépendants que Stendhal a replacée dans F édition de 1826 (voir page 41, tome II de la présente édition). Nous met- tons deux lignes de points pour Findiquer.
Page 291. Nous nen sommes pas encore là en France. — C'est une des idées favorites de Stendhal qu'il vaut mieux, en musique, avoir mauvais goût que pas de goût du tout. Cf. Vie de Rossini, chap. xxvii. Les Anglais, dit Stendhal, en sont déjà à la période du mauvais goût ; il y a donc quelque espoir à fonder sur eux. La France, au contraire, n'en est même pas encore à cette période préliminaire.
Page 291. ... égal aux Français pour l'exécution.... — Stendhal est vraiment trop aimable pour les Français.
Page 291. ... je savais bien que j'étais en retard;... — Parti de Berlin dans les premiers jours d'octobre 1816, pour un congé de quatre mois, prolongé de deux mois et demi, soit en tout six mois et demi de congé régu- lier, M. de Stendhal rentre fin août 1817 ; il n'est donc en retard que de quatre mois et demi, détail évidem- ment insignifiant pour un fonctionnaire pratiquant le heyhsme. Son eunuque de ministre est irrité, son imbécile de protecteur le lâche, ses niais de collègues, restés à leur poste, ont été décorés : voilà de quoi étonner M. de Stendhal et le faire crier à l'injustice.
Page 293 — je suis de fer pour eux. — Cf. Correspondance, lettre du 21 mars 1818 à Mareste : « Vous souvient-il du mépris que Stendhal témoigne quand il est à Francfort? C'est un morceau de mon journal de Paris.»
NOTES ET ÉCLAinCISSE:MENTS DU TOME. II 509
C'est à cette fin, pleine de mélancolie, où le mot : malheureux est répété conp sur conp trois fois, que Mareste, dans sa lettre à Stendhal du 22 décembre 1817 (cf. Vie Littéraire de Stendhal de M. Paupe, page 22), faisait allusion lorsqu'il appelait plaisam- ment Stendhal lui-même : notre malheureux ami. Page 299. ... Napoléon. — Ed. 1817 et 1854 : N***. Page 299. ... un colonel à un cardinal. — Ed. 1817 et
1854 : à un c***. Page 300. ... Liège, 1817. — Cet extrait de Destutt de Tracy est ajouté par Verrat, de 1817. Le titre exact de l'ouvrage de J. B. Guinan-Laoureins (et non Lau- rens, comme le porte l'édition de 1817 ; Colomb a indiqué le nom correct en 1854) est : Tableau de Rome vers la fin de 1814. Une deuxième édition parut à Paris en 1821 sous le titre : Tableau de Rome en 1814 (chez Rosa, 3 vol. in-12''). Dans la Vie de Rossini, chapitre xxii, note, in fine, Stendhal citera de nou- veau cet auteur en estropiant son nom : Laorens, Tableau de Rome ; mais, encore une fois, ces erreurs peuvent être imputées aussi bien à l'imprimeur qu'à l'auteur. Page 302. ... les simio-tigres. — Voir les Mémoires
d'Alfieri, partie IV, chap. xx. Page 303. ... vers V abîme d'une révolution. — En fait de « notes révérencieuses », celle-ci est évidemment la meilleure. Colomb l'a supprimée dans son édition de 1854. Sur l'ex. de Civita-Vecchia, Stendhal l'avait d'ailleurs barrée, en inscrivant en marge : passe- port. Page 306. Appendice. — Cette table, qui est de Stendhal, est celle de l'édition de 1817 ; elle est composée, comme celle de l'édition de 1826, de tous les titres courants qui figuraient au haut des pages dans le cours du vo- lunae. Nous avons seulement fait disparaître les rubriques ayant trait à des passages que Stendhal a reproduits dans l'édition de 1826.
510 ROME, NAPLES ET FLORENCE
Page 314. ... dont il était tuteur. — Sur l'ex. Le Petit, on lit la note suivante : « Marinoni le père, le mari, Vamant Doria, la jeune femme Claodine Doria. >'
Page 316. ... sur leur tombe. — Note sur l'ex. Le Petit : « On a fait de la musique 12 ou 15 fois. — 18 janvier 1827. On porte des chapeaux à la Claodine et des mou- choirs rouges à la Doria. »
Page 317. ... les détails de cette anecdote. — Dans une de ses Chroniques StendJialiennes de l'Ermitage (juin 1906), M. ColTe a reproduit tout ce paragraphe daté de Bolsena, 5 février.
Page 319. ... Zilietti,... ■ — Note de Colomb : Soreri, véritable nom.
Page 319. ... sont la même. — Cf. tome II, page 72 (26 août 1817).
Page 319. ... la femme du coiffeur. — Cette femme de coiffeur est devenue, dans la rédaction définitive, la femme d'un noble fort riche.
Page 320. ... Radaelli,... — Malaspina, dans la rédac- tion définitive.
Page 321. ... des marionnettes tragiques... — Nous n'avons plus le manuscrit des marionnettes tragiques, et cette partie a disparu dans l'édition de 1826 ; nous avons du moins l'article du Globe de 1824 ; voir au Supplément, n° Y.
Page 322. ...le cardinal délia Rovere,... — On remar- quera que, dans la rédaction définitive, Stendhal a supprimé les noms propres, et y a substitué des noms de convention.
Page 324. ... (vingt-huit francs). — En face de ce dernier paragraphe, sur le verso resté blanc du feuillet précé- dent du manuscrit, une multiplication de la main de Stendhal : 5 fr. 60 (valeur de l'écu) X 5 = 28 francs.
Page 325. Rome, le... — En marge, à l'encre : Corrigé le 7 août 1824. Titre raturé : Lettres de Rome. N° 1. Les Marionnettes.
Page 326. ... avant-hier soir... — Stendhal a oublié de
NOTES F.T KCI.AIHCISSK.MKN I S U l lOMI-, Il f) J i
raturer tnuiitl-liier suir cl. de le remplacer par : // // a quinze jours, eomiiie il l'avait fait im peu plus luuil.
l'af;e 328. ... de ces derniers temps... — Stendhal avait (l'aljord écrit : « C'est ici le costume obligé des gens lie génie, qui cherchent à imiter Lord Bijron, dont Ut personne est fort popidairi: en Italie, depuis surtout quil est allé aider les (îrecs de sa bourse et de sa per- sonne. »
Page 329. ... à un spectacle de marionnettes... -- Suit l'analyse de Cassandrino, élève en peinture et du Puits enchan'é, texte à ]ieu près semblable à celui du 11° IV du Supplément.
Page 332. ... un Secrétaire d' Etat .^ ... — Suit l'analyse de la pièce, texte semblable à ]ieu de choses près à celui du n" III du Supplément.
Page 334. ... à leur tour, etc.. — L'arîiolc du 67o/>e se termine par cet etc. peu élégant ; sans doute, le rédacteur en chef a coupé la fin de la lettre de Stendhal, comme trop longue. On arrivait d'ailleurs juste à la fin de la colonne du Globe.
Page 354. ... ainsi que cous avez pu vous en apercevoir hier,... — Ce fragment est daté, dans le Journal de Colomb, du 16 mai 1828, lendemain de l'Ascension.
Page 360. ... r empereur d'Autriche... — - M. Chuquet ( Stendhal-Beyle, page 341) relève avec raison, clans les Promenades dans Rome, l'erreur par laquelle Stendhal appelle Joseph II empereur d'Autriche, au lieu d'em- pereur d'Allemagne. Voici la même erreur : c'est une jireuve de plus de l'authenticité du morceau.
Page 361. ... donner sa fille pour femme à un homme marié. — Cf. Promenades dans Rome. Lettre du 25 dé- cembre 1824 à Sir William D*** sur le conclave de 1823.
Page 367. ... des lettres latines. — L'auteur a ouldié de nous parler du secrétaire des mémoires.
Page 375. ... l'esprit ou les maximes. — Il est inutile d'ajouter que, malgré l'absence du présent frag-
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512 ROME. NAPLES ET FLORENCE
ment, les deux volumes de Rome, Naples et Florence de l'édition de 1826 furent condamnés (Décr. du 4 mars 1828), comme aussi le Rouge et le Noir, « et ejusdem auctoris similia » (Décr. du 20 juin 1864). Cf. Index lihrorum prohibitorum, Romœ, ex typo- graphie polyglotta S. C. de propaganda fine, 1881, page 320. Page 376. ... on en a fait... — • Ed. 1833 : on en en fait.
TABLE DES GRAVURES
UU TOME SECOM)
Titre de la traduction anglaise de 1818. Frontispice
Fac-similé de la colverture de l'édition
DE 1826 192-103
Une page de l'exemplaire Le Petit. . . . 3G8-3C9
TABLE DES MATIERES
DU TOME SECOND
Rome, Naples et Florence ^suile et fin) 1
Table détaillée 99
Appendice I H
Table de l'appendice 304
Supplément 307
Notes et éclaircissements 395
Table des gravures 513
IMPRIMERIE
F. PAILLARÏ
ABBEVILLE
3
PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
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