SERMONS
D E
M MASSILLON
MYSTERES.
SERMONS
D E
M MASSILLON^
É V E Q U E
DE CLERMONT ^
Ci-devant Prêtre de l'Oratoire ^ Vun des Quarante de V Académie Françoife^
MYSTERES.
A PARIS y Rue S. Jacques^
La Veuve Estjenne & Fils , à la Vertu* Chez ^ ET
/£^N Hérissant , à S. Paul 3c à S. Hiiaire*.
M. Dec LXIX
Avec Approbation 0 Privilège du. R^!^
AVIS
AU LECTEUR.
NOus n'avons rien de particu- lier à dire fur les Sermons qui compofent CQ Volume. L'on y retrouvera le P. Maflillon toujours femblable à lui- même , maigre' la dif- férence des fujets qu'il entreprend de traiter ; Ton y admirera fur- tout cette fe'condite' de ge'nie qui ne s'épuife jamais, & qui paroiflant avoir tout dit fur une matière, fait la repre'fenter fous une forme nou- velle , toujours e'galement intérêt fante. L'inftruftion fur les œuvres de miféricorde , & le petit Difcours fur le renouvellement de la ferveur des premiers Chrétiens , n'ont été placés à la fuite des Myfteres , que parce que nous n'avions point d'au- tre place plus convenable à leur donnen D'ailleurs nous étions bien-*
aifes de groflîr un peu ce Volu- me , qui > réduit aux huit Difcours fur les Myfteres , n eût point eu alîez de proportion avec les au- tres.
SERMONS
Contenus dans ce Volunae.
p
OUR la Fête de la Purification de la Sainte Vierge , Sur la foumijjion à la volonté de Dieu , Page l
Pour le même Jour , Sur Us dlfpofitions nécejaires pour fc confacrcr à Dieu par une - nouvelU vie , 49
Pour la Fête de l'Incarnation , 87
Sermon fur la Fajfion de Notre Seigneur fus-Chrlfl, lii
Sermon fur la Réfurreclion de Notre Seigneur Jefus-Chrijl , I75
Pour le Jour de la Pentecôte , Sur les caraBeres de VEfprit de Jefus-Chrijl ^ & de Uefprit du monde , 214
Pour la Fête de l'Affomption , Sur les confolations & la gloire de la mort de lafainte Vierge , 243
Pour la Fête de la Vifitation de la fainte Vierge , ^ i^?
Difcours fur les œuvres de miféricorde 5 prononcé dans une AfTemblée de Cha- rité : Dans quel efprit il faut les prati- quer , ^ . 3 ^4 Dilcours prononcé dans la cérémonie de rAbfoute 5 Pour rappeller lefouvenir de la ferveur des premiers Chrétiens y 345
APPROBATION.
J'Ai lu par ordre de Monfeigneur le Chancelier , les Sermons fur les Myjleres, & les Panégyriques , prêches par feu M MASSILLON , Evêque de Cler^ mont* Les lujets de morale ne font pas les feiils où ce grand homme a excellé; fes Difcours fur lesMyf- teres , & les Panégyriques , ne font pas moins ca- pables d'inftruire, d'édifier & de plaire , que les pre- miers qui ont enlevé les fuffrages du Public avec un fuccès auffi intéreflant pour la Religion , qu'il eit honorable à la mémoire de leur illuftre Auteur. A Paris , ce i6 Février 174s.
MILLET, Docieur en Théologie , de la Fa- culté de Paris , & Cenfeur Royal,
Le Privilège eji à la fin du Volume de l^Avent*
SERMON
SERMON
POUR LA FETE
D E
LA PURIFICATION
DE LA Ste. vierge.
Sur la foumijjion à la volonté de Dieu.
Poflquam impie ti funt dies purgationis Mari» , fecundùm legem Moyfî , tulerunt Jefum in Jerufa- lem , ut fifterent eum Domino.
Le temps de la Purification de Marie étant accom- pli , félon la loi de Moyfe , ils portèrent V Enfant à Jérufakm pour le préfenter au Seigneur, Luc. 2. 21.
A foumifiîon à la volonté de Dieu eft la grande vertu , dont Marie nous donne aujourd'hui l'exemple , dans le myftere que l^Eglife propofe à la piété des Fidèles. Quoique toute la vie de cette Myjleus, A
^ PURIFIC. DE LA ViERGE.
Vierge fainte ait été une conformité conti- nuelle aux ordres du Ciel , un acqiiief- cement univerfel aux vues & aux delFeins de Dieu fur elle ; il femble cependant que c'eft cette difpofition qui domine le plus dans l'oblation qu'elle fait aujourd'hui de fon Fils au Temple ; & que c'eft dans ce Myftere , que le facrifîçe qu'elle fait à la volonté de Dieu de fes lumières eft plus en- tier & plus héroïque : & c'eft cette vertu principale qne nous allons vous propofer pour modèle.
En effet , fans elle la vertu n'eft plus qu'une humeur , ou une recherche conti- nuelle de nous-mêmes : fans elle les illu • fions de notre efprit deviennent notre feule loi ; les inconfiances de notre cœur , no- tre feule règle ; la bizarrerie de nos defîrs , notre feul frein , & l'unique relTort de no- tre conduite; nous devenons en un m.ot , notre divinité nous-mêmes.
C'eft la conformité à la volonté de Dieu , qui fait tout le prix de nos facrifices ; qui donne du mérite à nos fouffrances ; qui fandlifîe nos joies ; qui ôte à nos afflic- tions leurs amertumes, à nos profpérités leur venin ; qui fixe nos irréfolutions ; qui calme nos craintes ; qui foutient nos décou- ragemens ; qui règle nos efpérances ; qui fait la fureté de notre zèle , la confolation de nos dégoûts ; en un mot , qui alTure toutes nos vertus , 5c qui nous rend uti- les nos imperfections mêmes.
C'eft elle qui infpire \qs bons confeils ;
SUR LA Soumission , &:c. 3 qui nous répond du fuccès de nos entre- prifes ; qui nous rend maîtres des événe- mens ;qui fanâ:ifîe tons les états -, qui ré- gie tous les devoirs ; qui maintient la fu- bordination des peuples , l'autorité des Empires", la majefté des Souverains , la fidélité des Sujets , l'inégalité des condi- tions 5 toute rharmoniedu corps politique ; & qui fait que chacun à fa place , ne re- garde pas avec envie la defiinée d'autrui , & ne penfe qu'à remplir & fan(^ifîer les de- voirs de Ton état propre.
C'eft elle , Sire (a) , qui fait régner les Rois avec piété & avec juftice ; & qui corrige en eux , & l'orgueil des prof- pérités , & l'amertume des difgraces , en leur faifant adorer dans la volonté du ibu- verain difpenfateur des événem.ens , la four- ce commune d'où ils partent.
D'où vient donc , mes Frères , que cette foumiflion fi nécelTaire & fi confolante , eft fi rare parmi les Fidèles ? d'où vient qu'au milieu de la viciflîtude des chofes humaines , nous vivons prefque tous com- me s'il n'y avoit point d'Etre fouverain au- defîus de nous , qui en fût le modérateur , comme û le hazard étoit le feul Dieu de l'univers , ou que nous fuiîions nous-mê- mes ks artifans du bonheur ou du malheur de nos defcinées ?
Souffrez donc qu'en vous propofant au- jourd'hui l'exemple de la foumifiîon de Marie , je vous entretienne fur une mn-
(n) Louis XIV,
4 PURIFIC. DE LA ViERGE.
tiere fi importante. Comme par les fuites de votre rang , de vos places & de votre naifiance , vous tenez la plupart aux plus grands événemens qui fe palîent ici-bas ; foufTrez que je vous apprenne à les rame- ner à leur fource , & à reconnoître un Dieu dans i'universjfeul difpenfateur des bons & des mauvais fuccès.
Premièrement , quelles font les fources
fecrettes de notre révolte contre la volonté
de Dieu ? Secondement , quels font les
avantages qui accompagnent la loumiffion
■ à fa volonté fainte ?
C'cîl-à-dire , d*où vient que nous ne voulons jamais ce que Dieu veut ? d'où vient cependant qu'il y a tant de douceur & de cor, relation à ne vouloir que ce que Dieu veut ? Implorons , &c. Ave , Maria,
I T .
p^^!j,^j. -L-i Es principales fources de notre révolte contre la volonté de Dieu , font : premiè- rement, une vaine raifon qui rappelle tou- jours les oeuvres du Seigneur au jugement de fes propres lumières ; qui veut appro- fondir ce qu'elle devroit adorer , & qui condamne tém^érairement tout ce qu'elle ne peut comprendre.
Secondement , un fonds d'amour pro- pre qui fait que nous rarrienons tout à nous-mêmes ; que nous nous regardons comme fi nous étions feuls dans l'univers , & que tout îùt fait pour nous ; de forte que tout ce qui n'entre pas dans le plan
SUR LA Soumission , &c. 5 de nos vues & de nos pallions , nous ré- volte.
Troifîémement enfin , une fauHe vertu qui fous prétexte de chercher Dieu ne ie cherche qu'elle-même , & fiibitinie tou- jours les defîrs inutiles d'un bien que le Seigneur ne demande pas de nous , aux devoirs que fa volonté fainte nous irnpore. Or 5 voilà ce que l'exemple de Marie nous apprend à facriiîer aujourd'hui aux ordres du Ciel.
Premièrement 5 une vaine raifon.-que, de doutes , que de difficultés , dit faint Bernard , ne pouvoit-elle pas oppofer à Tordre de Dieu , qui l'obligeoit de venir fe purifier dans le Temple ? que de raifonne- mens rpécieux?rien d'im.pur n'avoit fouillé. fon enfantement ; elle étoit même devenue plus pure en devenant mère : qu'étoit-il befoin d'aller fe purifier d'une fouillure qu'elle n'avoit pas conuaStée ^ & racheter par une vile oiTrande , celui qui venoit ra- cheter tous les hommes de lafervinidedu démon &: du péché ? Cependant elle obéit ; &: facrifiant ics lumières aux raifons éter- nelles & toujours jufies de la fa^;'eire di- vine 5 elle nous apprend que CQ-à au Sei- gneur à vouloir , & à la créature à obéir & à fe foumettre.
Cependant , mes Frères , nous voulons toujours faire rendre com.pte à Dieu de fa conduite. Vaines créatures nous ofons fans ceffe appelîer le Seigneur eu jugement avec nous ; nous voulons être fages contre
A s
<> PURIFIC. DE LA VlERGE,
Dieu même; & foit qu'il s'agiiTe de (es voies générales fur le falut de tous les hommes ^ ou de fes deileins éternels fur nos deftinées particulières , nous ne trou- vons jamais qu'il ait raifon ; & nous op- pofons toujours nos foibles raifonnemens aux abymes profonds de fa fageffe cc de fa raifon éternelle.
Je dis , foit qu'il s'agifTe de fes voies gé- nérales fur le falut de tous les hommes. Eh ! qu'entendons nous tous les jours dans le monde , que des réflexions iufenfées fur ies voies de Dien ? on lui demande fans cciTe raifon de la fageife incompréhenfible de fes confeils & des profondeurs de fa Providence ; pourquoi il laiffe tant d'infi- dèles fur la terre ? pourquoi tous les hom- mes ne (ont pas fauves ? pourquoi il a ren- du le falut fi difficile ? pourquoi il a fait les homm-es fi foibles? pourquoi il n'a pas parlé plus clairement fur la plupart des chofes que nous devons croire ? pourquoi il per- met tant d'événem.ens fi funefi:es à la Foi &c à la gloire de fon Eglife ? que fai-je i des quefîicns éternelles , où Ton voit 1 hom- m.e fe jouer de Dieu : le vil efclave vou- loir faire rendre compte au Maître fouve- rain , le vafe de boue demander à l'ou- vrier fouverain , ^^pourquoi il l'a fait ainfi ? le ver de terre rampant dans cet exil , où un abyme immenfelefépare de fon Dieu , ofer lever le yeux au ciel pour changer ce qui s'y paffe ; donner des confeils au Seigneur ; fournir à fa fageiîe de nouvelles
SUR LA Soumission , &c. ' 7 vues ; condamner l'econoinie de la Reli* gion ; s'en former un plan fpécieux & plus plauiîble ; ofer réformer ce grand ouvrage , qui eft la Un de tous les delfeins de Dieu ; & lui fubftituer les chimères de fon propre efprit 5 &: un ouvrage de confufion & de ténèbres.
Et certes , mes Frères , fi les Princes eux-mêmes dans la conduite des affaires publiques , & dans les reiTorts infinis qi>i font mouvoir tout le corps des Etats ôc àts Empires , ont des fecrets que nous ne faurions approfondir ; voulons- nous que Dieu dans Tes voies éternelles fur le falut & les deftinées de tous les hommes n'en ait point pour Ces créatures ? fi le gouver- nemient d'un Etat feul demande des con- feils cachés , & des mefures inconnues , qui fouvent nous révoltent parce que nous n'en voyons pas les raifons & les utilités fecrettes : quoi ! nous voulons que le gou- vernement de Tunivers ; que la conduite univerfelle de tous les hommes & de tous les fîecles, depuis la naiffance du monde jufqu'à la fin , n'ait pas à notre égard cer- tains fecrets 5 & des obfcurités dont les raifons éternelles échappent à nos foibles lumières ? S'il y a des mylleres dans le confeil des Souverains , félon l'expreflion des Livres faints , n'y en auroit-il point dans les confeils de Dieu ? & s'il faut, dit l'E- criture , refpe«E^er le fecret des Rois dans la conduite de leurs peuples , & ne pas fair« de vains raifonnemens fur des dé-
A4
8 PURIFIC. DE LA ViERGE.
marches dont nous ignorons toujours les motifs ; le fecret du Koi des Rois dans la difpenfation des chofes humaines feroit-il moins refpe^^able ; & ferions- nous moins téméraires de mêler nos frivoles réflexions a fes confeils éternels , dont les caufes pro- fondes font toujours cachées en lui feul , & dont nous ne connoiifons jamais que K):e qu'il veut bien nous en manifefter lui- hiême ?
Adorons les fecrets de Dieu , mes Frè- res. Si ce que nous connoilîbns de fes œu- vres nous paroît fi divin & fi admirable , pourquoi ne pas conclure que ce que nous n'en connoiflbns point , l'eft aufîî ? s'il eft fi fage lorfqu'il agit à découvert , pourquoi fe démenî-iroitril lorfqu'il fe cache ? fi la ftru6ture du monde que nous voyons eft un ouvrage fi plein d'harmonie , de fagefi!e , Se de lumière ; pourquoi l'économie de la Religion , que nous ne faurions voir , & qui eft le chef d'œuvre de tous fes deffeins , feroit-il un ouvrage de confufion &: de té- nèbres ? & s'il a réglé avec tant de poids & de mefure les chofes vifibles , qui doi- vent périr, comment auroitil laiifé dans le défordre les chofes invifibies , qui dureront autant que lui-même?
J'ai dit encore , foit qu'il s'agifle de fes deffeins éternels fur nos deftinées parti- culières : car non-feulement nous con- damnons fa conduite dans fes voies éter- nelles fur tous les hommes , mais en- core fa conduite à notre égard. Nous
SUR L.\ Soumission , &c. 9 nous en prenons à fa Providence de nous avoir placés en certaines fituations , où no- tre foibleiie trouve des écueils inévitables : nous le blâmons de nous avoir fait un^ dellinée incompatible avec les devoirs qu'il nous impofe : nous nous plaignons que la Cour 5 que les armes , que les emplois où notre rang & notre naiffance nous at- tachent 5 nous éloignent du falut , & nous le rendent comme im.pofiible : il nous Tem- ple que nous nous ferions fauves dans une vie privée & loin des grandes tentations : nons réformions le plan éternel de fa Pro- vidence à notre égard ; & nous nous for- mons une deftinée plus sûre à notre gré 9 que celle que fa fageile adorable nous a form.ée.
Nous ne penfons pas que Dieu propor- tionne les grâces aux états ; que toutes les fituations où fon ordre nous place , loin d'être des écueils y peuvent devenir des moyens de falut pour nous; q'ùe la plupart des dangers & des occalîons , dont nous nous plaignons , font plus dans nos pafîions que dans nos places. Nous ne penfons pa? que la même foibleiie qui nous fait trouver des écueils au milieu du monde & de la Cour, nous auroit fait une tentation delà retraite même ; que nous portons par-tout avec nous la fource de nos crimies 6c de nos malheurs ; & qu'^ainfi il ne faut pas attendre notre sûreté des dehors cf de la fituRtion , mais de la feule vigilance que nous devons avoir fur nous-mêm.es« Nou« ne penfons
A-,
'10 PURIFIC. DE LA VlERGE.
pas que tous les états ont leurs dangers ; que les faints , dans quelque fituation qu'ils aient été , à la Cour ou dans les déferts , ne fe font alTuré le falut que par des violen- ces inouïes ; que c'eft une erreur de croire qu'il y ait quelque fituation fur la terre , où le falut ne coûte pas de grands eiforts ; que notre imagination ne nous promet une sûreté dans les états où nous ne faurions être 5 que pour nous calmer fur les infidé- lités où nous vivons dans notre état pré- fent ; que l'amour-propre nous donne fans cefTe le change ; & que pour adoucir à nos yeux les égaremens de notre vie , il fait que nous nous en prenons à notre fitua- tion 5 pour nous empêcher de nous en prendre à nous-mêmes.
Enfin 5 nous ne penfons pas que fi les périls font plus grands dans l'élévation où nous fommes nés , les biens que nous pou- vons y faire font aufii plus étendus & plus confidérables ; que s'il y a plus d'occa- lions de chute , il y a aufii plus d'occafions de mérite & de vertu ; que les objets fédui- fans & les grands fpedacles qui nousenvi^- tonnent , font bien moins des pièges que des inftru6tîons ; que la Cour , où notre deftinée nous attache , nous oiTre tous les jours elle même de quoi nous en défabufer & nous en déprendre ; que fes dégoûts arment le cœur contre (es périls ; que {es amertumes détrom.pent de fes plaifirs ; que fes inconfiances & fes révolutions refroidif- fent fur fes efpérances y que le vuide &
Sun LA JcuMissiox 5 8cc. rr Tenniii de fes amufeineiis , nous rappelle comme de lul-m.ê.ne à une vie plus fé- rieufe & plus folide ; que la perfidie & la faufTeté de fes aminés , nous fait chercher en Dieu feul un ami éternel & fidèle : ea un mot 5 que nous trouvons le remède dans le mal mêm.e ; & que la fageife de Dieu a pourvu avec une difpenfation fi ad- mirable au falut de tous les hommes , que dans chaque état les périls ont leurs com- penfations , & fourniflenî , pour ainfi dire , les furetés ; & que les mêmes objets qui font la plaie ^ ont pour nous des retours qui la guériffent.
O mon Dieu ! vous êtes un Juge fi pa- tient & û miféricordieux de nos œuvres ^ & nous fomm.es les cenfeurs féveres oc éternels des vôtres ! nous vous appelions fans cefTe en jugement , 8c vous fufpender le nôtre ! nous vous demandons tous les jours compte de vos deiTeins adorables y, & V0U5 différez le compte terrible que nous avons à vous rendre de nos inten* tions & de nos démarches ! O mon Dieu !! que deviendroit l'hommie , fi vous preniez à [on égard les mêmes difpofitions qu'il a pour vous ; fi vous vous faifiez un plaifir de le trouver coupable , comme il femble s'en faire un de vous condamner ;&fivous; examiniez fes fautes avec cet csii de fé vé- rité avec lequel il examine vos m.erveilles ? Première fource de notre révolte contre la: volonté de Dieu ; une vaine raifon.
La féconde ,c'eft l'amour excefiif& dé-
A6
12 PURIFIC. DE LA VlERGE.
réglé de nous-mêmes ; &c'eftici le fécond facrifice de foumifTion à la volonté de Dieu y dont Marie nous donne aujourd'hui l'exem- ple. En eifet , à ne confulter que les fen- timens humains , tout lui eût fourni à^s prétextes pour fe fouftraire à la volonté du Dieu de fes pères. Les intérêts de fa maternité divine ; le prodige de fon enfan- tement ; la honte même de fa pauvreté , êc de la médiocrité de fon offrande; tout fembloit révolter fon cœur contre la fon- miffion que Dieu demandoit d'elle ; mais elle n'écoute point la voix du fang & de la chair, perfuadée que le premier facrifice que Dieu demande de nous , c'eille facri- fice de nous-mêmes ; & que ce qui nous coûte le plus à offrir , eft d'ordinaire la feule offrande qu'il exige.
Et voilà , mes Frères , d'où vient en fécond lieu ce fonds de révolte , que la volonté de Dieu trouve toujours dans no- tre cœur. Comme nous rapportons tout à nous-mêmiC , car c'efl le vice des Grands fur-tout ; que nous faifons fervir tout ce qui nous environne à nous feuls , comme fi tout étoit fait pour nous ; que nous ne comptons tout ce qui fe paffe dans le mon- de que par rapport à nous : en un mot , que nous vivons comme fî nous étions feuls dans l'univers , 8^ que l'univers entier ne fût fait que pour nous feuls, nous voudrions que Dieu ne fût occupé que de nous feuls ; qu'il entrât dans le plan de notre amour propre \ qu'il n'agît que pour nous feuls i
SUR LA Soumission , &c. 13 qu'il rapportât tout à nous feuls ; qu'il ne difpofât des chofes d'ici bas , que par rap- port à nous feuls ; & qu'au lieu d'être Je modérateur de l'univers , & le Dieu de tou- tes les Créatures , il ne fût que le Dieu de nos pafîions & de nos caprices. Ainiî , mes Frères , nous qui malgré notre rang 5 no- tre élévation , notre naiffance , ne fommes qu'un atome imperceptible au milieu de ce vafle univers, nous voudrions en faire mou- voir toute la machine au gré de nos feuls defirs;que tous les événemens s'accom- modaifent à nos vues ; que le foleil ne fe levât & ne fe couchât que pour nous feuls ; enfin , nous voudrions être la fin de toutes les voies & de tous les deiTeins de Dieu , comme nous nous établiflbns nous-mêmes la fin unique de toutes nos voies & de tous nos projets fur la terre.
Et de-là 5 premièrement , Tafflic^ion ne nous trouve pas plus foumis à Dieu que la profpérité ; & nous ne jugeons que par rapport à nous-mêmes , de tous les évé- nemens qui nous environnent. Ainfi tout ce qui trouble un feul inftant nos plaifirs , tout ce qui dérange l'orgueil .& Fambitioii de nos projets & de nos efpérances , nous aigrit &. nos révolte -, le plus léger con- tretemps nous accable: nous nous plaignons de Dieu ; nous croyons qu'il a tort à notre égard & qu'il nous maltraite : nous , mes Frères , qui dans l'élévation & Tabon- dance où nous fommes nés ne fouffrons prefque rien ; nous , dont les peines lé-
J4 PURîFIC. DE LA ViERGE,
gères font compenfées par tant d'endroits capables de contenter l'amour propre ; nous , qui ne connoilîbns pas , comme dit le Prophète , les travaux & les amertumes qui afrligeut le refte des hom.mes , & dont les momens les plus triftes feroient des momens de félicité pour mille malheureuXl^ Ah i tout ce que nous avons à craindre dans notre état , c'eft que Dieu ne mêle pas aifez d'amertume à tous les pîaifirs qui nous environnent ; c'eft qu'il permette que nous foyons trop heureux fur la terre ; c'eft qu'il nous laifle jouir trop tranquille- ment de tous les avantages au milieu def- quels nous fommes nés , & qu'il ne dai- gne pas nous viftter quelquefois par des aftlidions dans fa grande miféricorde. Il faut que Dieu foit bien irrité contre nous , lorfque tout favorife nos paftions ; que nos plaiftrs ne trouvent point d'obftacle : que tout rit à nos penchans ; & que les deîîrs feuîs de notre amour propre , femblenî -décider de tout ce qui nous regarde. Qu*il eft terrible alors à notre égard , mes Frè- res ! il nous traite comme des vié^imes qu'on engrailfe & qu'on orne de fleurs , ^ parce qu'on va bientôt les conduire fur le bûcher , & qu'on les deftineau facrifice.
De-là , fecondement , comme nous nous aimons beaucoup nous-mêmes , & que nous ne mettons point de bornes à nos de^ firs 5 nous ne fommes jamais contens de notre état , de notre élévation , de nos places : nous trouvons toujours qu'il maïak
SUR LA Soumission , &c. 15
que quelque chofe à Tavidité de notre amour propre. Si nous n'avons pas tout ce que nous defirons , nous ne comptons pour rien tout ce que nous avons ; nous nous épuifons en vues ^ en prétentions , en projets , en mefures ; nous ne faurions jouir paîfiblement , chrétiennement de ce que la Providence nous offre. Ce qui nous manque nous inquiète plus , que ce que nous poffédons ne réufTit à nous fatisfaire ; tant que nous voyons devant nous quelque chemin à faire j nous ne faurions nous en tenir à ce qui eft déjà fait : Notre orgueil Pf. 7?. monte toujours , comme dit le Prophète : ^5- femblables à un pilote qui marche en haute mer , quand nous fommes arrivés tout îe plus loin que nos yeux & nos efpérances pouvoient s'étendre, nous découvrons de ce nouveau point de vue , de nouveaux pays & des efpaces immenfes , qui rani- ment nos prétentions : plus nous nous éle- vons 5 plus nos vues s'étendent ; plus nous avançons , plus nous voyons de chemin a faire. Le terme de nos defirs quand nous y fommes arrivés , n'eft plus que la voie qui nous conduit à d'autres : notre état préfent n'eft jamais celui qui nous plaît : la deftinée que Dieu nous fait , n'eft jamais celle que nous nousfaifons à nous mêmes : nous fommes ingénieux à nous rendre malheureux ; nous conjurons fans ccife contre notre propre repos ; nous ne fau- rions vouloir ce que Dieu veut ; & pour nous dégoûter d'un bien que nous avons
l6 PURIFIC. DE LA ViERGE.
long-teins defîré , il fuffit enfin que la Pro- vidence nous l'accorde.
De- là 5 troifiémement , comme notre amour propre s'eft emipajé de tout l'uni* vers y & que nous regardons tout ce que nous defirons comme notre partage ; les places & les honneurs qui échappent à notre cupidité , & qui fe répandent fur les autres , nous les regardons comm.e des biens qui nous appartenoient , & qu'on nous ravit injuftement. Tout ce qui brille au-deflijs ou à côté de nous , nous éblouit & nous blefTe : nous voyons avec des yeux d'envie Télévation de nos Frères ; leur profpérité nous inquiète ; leur fortune fait notre malheur; leurs fuccès forment un poifon fecret dans notre cœur , qui répand l'amertume fur toute notre vie ; les ap^ pîaudifîemens qu'ils reçoivent font comme des opprobres qui nous humilient ; nous tournons contre nous tout ce qui leur eft favorable : nous nefaurions vouloir ce que Dieu veut ; & peu contens àes malheurs qui nous regardent, nous nous faifons en- core une infortune du bonheur de nos frères.
De-là enfin, comme nous croyons feuîs avoi*r la fagefîe en partage , tout ce qui ne s'ajufte pas à nos vues & à nos lumières dans l'arrangement des chofes d'ici- bas , trouve auprès de nous fa condamnation & fa cénfure. Nous voudrons que les places & les dignités fulTent difpenfées à notre
SUR LA Soumission , &c. 17 gré ; que nos vues & nos conieils réglal- fent la fortune publique ; que les faveurs ne tombalTent que fur ceux à qui notre fuffrage les avoit déjà dellinées ; que les événe- mens publics ne fuifent conduits que par les mefures que nous aurions nous-mêmes choifies. Nous blâmons tous les jours le choix de nos maîtres , nous ne trouvons perfonne digne des places qu'il occupe ; nous ne refpeâ:ons pas aifez l'ordre de Dieu dans l'ordre extérieur de ce monde vifibîe , ni fa volonté fainte dans la volonté ou le caprice même des Souverains , qui n'ont en mainlapuifl^nce & l'autoritéjquepour être les premiers Miniftres de fa Providence. Nous ne faurions vouloir ce que Dieu veut; nous trouvons de i'injudice , de Thumeurj de l'imprudence dans la difpenfation des places &: des faveurs ; il fe peut faire que les hommes aient tort, & faiîent des choix iniuftes ; m.ais Dieu a toujours raifon , & il fe fert de leurs méprifes , pour accomplir les delTeins éternels de fa providence fur les peuples & fur les empires.
Que le monde eu grand , mes Frères ! qu'il eil magnifique ! que le gouvernement des Etats & des Empires offre à nos yeux d'ordre , de fageile , de magnificence , quand nous y voyons un Dieu invifîble , fouverain modérateur de l'univers, qui dif- pofe de tout depuis une extrémité jufqu a l'autre avec poids , avec nombre , avec mefure ; fans l'ordre duquel un cheveu m.ê- me ne tombe pas de nos têtes ; par la vclcii-
l8 PURIFIC. DE LA ViERGE.
té de qui tout fe fait, qui voit les événemèns les plus éloignés dans leurs caufes ;qui ren- ferme dans fa volonté les caufes de tous les événemèns ; qui donne au monde des Prin- ces & des Souverains , félon fes defleins de juflice ou de miféricorde fur les peuples ; qui donne la paix , ou qui permet les guer- res , félon les vues de fn fagefîe fur Ces Elus & fur fon Eglife ; qui donne aux R.ois des Minières fages ou corrompus , des Am.ans ou des Mardocliées , ou pour punir les pé- chés des peuples , ou pour exercer la foi de {es ferviteurs ; qui difpenfe les bons ou les méchans fuccès , félon qu'ils devien- nent plus utiles à la confommation de fon ouvrage ; qui règle le cours des paiTicns humaines; & qui par des ménagemens inex- plicables 5 fait fervir aux deffeins de fa mi- féricorde la malice miême des hommes !
Que le monde , mes Frères 5 confidéré dans ce point de vue , & avec l'ouvrier fouverain qui le conduit , eft plein d'or- dre , d'harmonie, 8c de magnificence ! que c'eft un fpeâ:acîe digne de la Foi ! Mais fî vous en féparez Dieu ; mais fi vous le re- gardez tout feul ; fi vous n'y voyez plus que les pafîîons humaines , qui femblent mettre tout en mouvement ; fi vous n'y voyez plus la volonté éternelle du Sei- gneur , qui en eft le reffort invifibîe , 8c qui donne le mouvem^ent à tout : ah ! ce n'eft plus qu'un cahos , un théâtre de con- fufion & de trouble ; où nul n'eil à fa place : où l'impie jouit de la récofrpenfs
SUR LA SoifMlSSION , &C. ïç
de îa vertu ; où le Jufte a fouvent pour partage , l'abjeâiion & les peines du vice ; où les paAloiis font les feules loix conful- tées : où les hommes ne font liés entr'eux , que par les intérêts mêmes qui les divifent ; où lehazardfemble décider des plus grands événemens ; où les bons fuccès font rare- ment la preuve & la récompenfe de la bonne caufe ; où Tambition & la témérité s'élèvent aux premières places , que le m.érite craint , ou qu'on refufe au mérite' : enfin , où l'on ne voit point d'ordre ^ parce qu'on n'y voit que l'irrégularité des mou- vemens , fans en comprendre le fecret 6c l'ufage.
Voilà le monde féparé de Dieu ; & voilà comme nous le regardons. Nous n'y voyons pas une fageffe fouveraine qui fe joue pourainfi dire , dans l'univers, en ren- verfant les Etats & les Empires , & en élevant d'autres fur leurs ruines ; en chan- geant fans ceffe les noms & les fortunes des hommes , & laiflant les chofes d'ici- bas dans une inconftance Se une révolution éternelle , pour nous apprendre à nous attacher à lui feul , qui ne paife point , 6c qui feul eft toujours le même,
11 ell vrai que fouvent nous refilions à Dieu , fous prétexte de le chercher. Der- nière fource de notre révolte contre la vo- lonté de Dieu : une faulTe vertu ; & der- nier écueil que l'exemple de Marie nous apprend à éviter.
En effet > fi elle n'eût confulté que fou
20 PURIFIC. DE LA ViERGE.
zele pour Ja gloire de fon Fils , les intérêts de fa naiiTance divine , & les ohftacles que fa purification fembloit mettre au fruit de fon Miniftere , en confirmant l'incrédulité de fon peuple , & le faifant pafTer pour le fîmple Fils de Marie & de Jofeph ; fi elle n'eût confulté que ces frayeuis nées de fa piété m.ême , Marie devoit , ce femble , le fouftraire à la loi commune ; & ne pas venir dans le Temple donner à fon Fils un caraâ:ere de fouillure &: de péché , qui le confondcit avec les autres enfans de Juda. Mais elle fe défie d'un zele qui n'eft pas dans Tordre de Dieu : elle ne veut le falut des hommes , & la gloire de fon Fils , qu'autant que Dieu le veut lui-même ; & rien ne lui paroît sûr , mêïne dans la ver- tu , que de fe conformer à fa volonté fainte.
Oui , mes frères , rien n'eft bon pour nous que ce que Dieu veut ; toute piété qui n'a pas pour fondement une conformité continuelle à fa volonté fainte , eR une fauffe vertu ; eft bien moins un culte de Dieu 5 qu'une recherche fecrette & dan- gereufe de nous-mêmes, C'eft par-là ce- pendant que la piété manque prefque tou- jours : nous ne voulons jamais aller à Dieu par les voies que fa main même nous a frayées ; &: nous faifons confifter la vertu , non à vouloir ce que Dieu veut j mais à nous fuivre & nous écouter nous-mêmes.
Premièrement , les devoirs de notre état ne nous plaifent jam*ais : nous leur fubfti-
SUR LA Soumission 5 &c. ir tuons toujours des œuvres arbitraires que Dieu ne demande pas de nous. Eft-on -en- gag: dans le lien facré du mariage ? on prie- roit avec goût ; on courroit avec plaifir à toutes les œuvres de miféricorde ; on paf- feroit les jours entiers , fans s'ennuyer , dans la retraite & à des leâ:ures faintes ; on aimeroit à foulager les malheureux : mais ce qui déplaît , mais ce qu'on n'aime pas , c'eft la foumiflion , la complaifance , la douceur mutuelle ; cette déférence qui unit les cœurs , & fi recommandée par l'A- pôtre aux femmes chrétiennes ; cette con- defcendance qui rapproche les humeurs , & qui lie les efprits ; cette patience qui défor- me la férocité , & qui fe concilie Teftime & la tendrefle ;ces foins & ces attentions do- meftiques , qui établiffent l'ordre dans les familles , confervent la paix 5 préviennent les déréglemens &: le fcandale des diflen- fioHs 5 & font que Dieu habite au milieu d'une race fidèle. On aime tout ce que Dieu ne demande pas de nous ; ce qu'il veut , on ne l'aime point ; & fouvent la piété de la femme fidèle , qui devroit être la fource de la paix , de la douceur , de la confola- tien d'une maifon fainte & ram.ener le mari infidèle , l'éloign^êt l'aigrit , faute d'égards & de com^aifance , devient la fource des antipathies & des divifions . & fait craindre la vertu , dont la paix eft le fruit 5 comme û elle étoit le fignal infailli- ble des aigreurs & des troubles dans les familles.
21 PURIFIC. DE LA ViERGE.
Secondement , Ci Dieu nous lailTe dans un état d'infirmité habituelle , nous nous en prenons à cet état . de notre tiédeur , &: de nos infidélités dans le fervice de Dieu : nous nous figurons qu'avec une fanté mieux établie , no'.:s rem.piirions mille pratiques de pieté aufquelles nous nous trouvons in- habiles : nous ne faurions comprendre que fe foumettre à Dieu , & faire un ufage faint de l'état où il nous lailFe , c'eft prier , c eft fe mortifier , c'eft opérer des œuvres de miféricorde ; qu'en ce point tout eft renfermé ; que le Seigneur fait mieux ce qui nous convient que nous-mêmes ; que ce n'eft pas à nous à nous choifir notre voie ; &: que ne vouloir que ce que Dieu veut 5 c'eft toute la perfeÔion de la Foi j & toute la sûreté du Fidèle.
Troifiémement , nous foufFrons impa- tiemment nos propres imperfections : nous nous femmes à charge à nous-mêmes : les infidélités où nous nous furprenons tous les jours 5 nous jettent dans des inquiétudes d'amour propre , & nous dégoûtent de la vertu : nous voudrions n'avoir rien à nous reprocher ; vivre contens de nous-mêmes ; nous applaudir en fecret de notre vertu , & jouir du témoignage flatteur de notre conf- cience : nos fautes nous inquiètent , & nous rallentiffent dans les voies de Dieu , parce- qu elles troublent cette paix toute humai- ne ; qu'elles humilient cet orgueil fecret qui chercheroit au- dedans de nous une vai- ne compkifance : nous ne faurions regar-
SUR LA Soumission , &c. 23
der nos fautes dans l'ordre de Dieu , & en tirer l'utilité que fa fageffe fe propofe. Dieu veut que nous opérions notre ialut avec crainte & tremblement; &: nous voudrions l'opérer avec une fécurité entière : Dieu veut nous conduire par la Foi , & nous voudrions aller à lui par la lumière : Dieu veut que nous vivions toujours incertains , fi nous fommes dignes d'amour ou de hai- ne ; &: après quelques foibles démarches de pénitence & de piété , nous voudrions être afTurés qu'il s'eft rendu à nous : Dieu veut que nous vivions dans une dépendance continuelle de lui ; & nous voudrions pou- voir trouver un appui de chair au-dedans de nous : Dieu veut que nous laifTions no- tre fort entre fes mains ; & nous voudrions le tenir dans les nôtres : en un mot , Dieu veut que notre faîut dépende de lui ; &^ nous voudrions qu'il dépendît uniquement de nous-mêmes.
Quatrièmement , fi les pécheurs , revê- tus de l'autorité publique , mettent quelque obftacle à notre zèle , fufcitent des contra- dirions à des entreprifes utiles à la piété , nous ne gardons plus de mefure de charité avec eux : nous croyons être en droit de déclamer contre leurs mauvaifes intentions ; de découvrir leurs vices ; de les faire paf- fer pour des ennemie publics de tout bien &: de toute juflice. Sous prétexte de gémir fur leur aveuglement , nous nous aveu- glons nous-mêmes ; & loin de demander à Dieu dans le filence qu'il change leur
24 PURIFIC. DE LA ViERGE.
cœnr , & laifier entre les mains les inté- rêts de fon Eglife, qu'il faura bien proté- ger malgré la malice &: la puiffance des hommes , nous nous perfuadons que le ti- tre de proteâ:eurs de la piété, nous autori- fe à violer les règles de la piété même.
Enfin 5 les deréglemens de nos proches, de nos égaux , de nos maîtres avec qui nous avons à vivre , nous font infupportables. Nous nous faifons une faufTe vertu de les cenfurer , de les décrier , de les aigrir : nous nous plaignons de notre deftinée , qui nous unit par des liens de devoir & de fo- ciété , avec des perfonnes qui vivent com- me des payens , &: fdns aucun fentiment de religion & de piété ; il nous paroîtroit bien plus doux de vivre avec des âmes fidèles qui penferoient comme nous ; & par nos aigreurs & l'ainertume de notre fociété , nous leur rendons la piété aufTi odieufe que nous-mêmes. Nos cenfures leur rendant nos exemples inutiles , ils fe figurent- la vertu faite comme nous fommes ; c'eft- à-dire , dure , fâcheufe , impitoyable , pleine de fiel & de préfomption ; & loin de les attirer en les fupportant , nous les éloignons en les méprifant , & paroiffant plutôt triompher de leurs vices , que com- patir avec douceur & avec religion à leurs foibleffes.
La conformité à la volonté de Dieu , mes Frères , nous rend , fi l'on peut parler ainfi , le pécheurs refpeâ:ables : elle nous fait rentrer dans les dcfleins de fa fageife fur
euxj
SUR LA Soumission , &c. 25 e'tîs , laquelle fait les rendre utiles au falut de Tes Elus , <k les mener fou vent à la pénitence & au falut, par la voie même de leurs déré- glemens. Ainiî la véritable vertu regarde les pécheurs entre les mains de Dieu ; les fouffre avec charité , puifque Dieu Iqs fouffre lui- même ; les aime avec tendreffe , puifqu'ils peuvent devenir les amis de Dieu , & qu'ils font utiles aux deiîeins de fa Providence ; attend peur eux les momens de la grâce , adore les vues éternelles de celui qui a marqué des bornes aux paffions des hom> m^s , comme à Timpétucfité des flots de la mer. Vouloir ce que Dieu veut ou per- met à l'égard des autres , comm.e à l'é- gard de nous-m.êmes , eft inféparable de la vertu. Les vices doivent nous aiTliger; mais les pécheurs doivent toujours uous être chers.
Ainfî , mes Frères , rien n'infpire plus de douceur, de charité , d'humanité en- vers les hommes , que de confidérer fans cefTe la volonté de Dieu fur eux. Ils font fans doute haïUables en eux-mêmes 5 dès qu'ils font pécheurs ; mais dans l'ordre de Dieu 5 ils font toujours dignes de notre amour & de notre refpeét. Ils fervent à fon ouvrage ; ils font peut-être deftinés pour y entrer un jour : nous devons donc voir leurs pafTions avec douleur , mais avec patience ; les reprendre s'ils nous font fou- rnis 5 mais les fouffrir avec charité ; ic-u- haiter leur converfîon avec ardeur , mi^is l'attendre fans inquiétude ; & ne pas faire
PARTIE
26 PURIFIC. DE LA ViERGE.
confifter notre vertu dans l'éloignement des pécheurs , mais dans le defir fincere de ieur pénitence.
Telles font les trois fources de notre révolte contre la volonté de Dieu 5 &: les trois facrifices dont Marie nous donne au- jourd'hui l'exemple ; mais après vous avoir marqué les obftacles qui s'oppofent en nous ànotxe foumiiTion à Dieu ,11 faut vous expo» ferles avantages &les confolations qui nous facilitent la (bumiflion à fa volonté fainte.
^}'^^^ JL Pvois fources fécondes de chagrins for- ment tous les malheurs & toutes les inquié- tudes de la vie humaine : les vaines pré- voyances f.ir l'avenir ; les agitations infi- nies fur le préfent , & les regrets inutiles fur le paffé. L'avenir nous inquiète par fes craintes &: par {qs efpérances : le préfent nous agite par fes embarras & par fes con- tre- temps : enfin , le palfé même nous tour- mente, en rendant comme préfens , par un fâcheux fouvenir , des maux que le temps devroit avoir fait oublier. Voilà ce qui rend tous les hommes , qui ne vivent pas de la Foi & dans la dépendance de Dieu , malheureux fur la terre.
Or 5 la foumiflion feule à la volonté de Dieu 5 nous fait attendre l'avenir fans in- quiétude ; nous fait voir le préfent avec tranquillité ; rappeller le paffé avec fruit ; & dans toutes ces fituations , nous fait trouver en Dieu & dans une conformité continuelle à fes ordres , la paix ôc la con-
SUR LA Soumission , &c. 27 foîation , que le pécheur iit' faurcit jamais trouver dans Tes pallions &: dans lui-même. Je dis premièrement , que cette fou- million nous fait attendre , comme aujour- d'hui à Marie , l'avenir fans inquiétude. Car 5 mes Frères , quelles allarmes la pré- di£^ion du vieillard Siméon fur la deftinée future de fon Fis , ne devoit-elle pas jctter dans fon ame fainte ? On lui annonce qu'un glaive de douleur percera fes entrailles maternelles ; que cet Enfant fera expofé , comme un but , aux traits des méchans & à la contradiéiion de fon peuple ; & qu'il eft établi pour la perte , comme pour le falut de plufieurs : quelle foule de craintes 5 d'inquiétudes , de défiances , dévoient alors troubler la paix de fon cœur ! Cependant elle jette , comme le Prophète , toutes fes penfées & toutes fes frayeurs dans le fein de Dieu r elle ne voit l'avenir que dans l'ordre fage & immuable de fes vo- lontés éternelles : elle adore par avance les deffeins du Père célefte fur cet Enfant : elle s'y foumet , fans vouloir les approfon- dir & les connoître ; & s'en remettant à , Dieu feul de tout ce qui la regarde , fa I tranquillité eft parfaite , parce que fa fou- mifîîon eft entière.
Oui 5 mes Frères , les inquiétudes fur l'avenir forment le poifon le plus amer de la vie humaine ; & les hommes ne font mal- heureux 5 que parce qu'ils ne favent pas fe renfermer dans le moment préfent. Ils hâ- tent leurs peines & leurs foucis ; ils vont
Ri
/
Z^ .PURÎFIC. DE LA VîERGE. chercher dans l'avenir de quoi fe rendre niaiheure'jx , comme fi le préfent ne fiif- fîioit pas à leurs inquiétudes : ils fe for- ment des chimères pour Ce faire peur à eux- mêmes 5 corn, me s'ils n'avoient pas allez de chagrins réels : ils fe tourmentent fans celle fur le lendemain , comme fi à chaque jour ne fuffifoit pas fa malice : ils n'ont plus de lumières que les autres , que pour fe former plus d'inquiétudes : ils ne voient plus loin que pour voir plutôt leurs mal- heurs: ils ne font plus fages que pour être plus inquiets & plus timides : ils ne font plus prévoyans que pour être de pire con- dition , & moins tranquilles que les impru- dens & les infenfés. A ces traits , vous vous reconnoiifez 5 mes Frères ;car qu'eft- ce que la vie de la Cour ? qu'une agita- tion éternelle fur l'avenir ; qu'une révolu- tion fatiguante de craintes , de précautions , d'efpérances. De craintes ; tous les évé- nemens nous offrent prefque de nouvelles terreurs ; l'élévation d'un concurrent nous fait craindre notre difgrace: la faveur d'un ennemi nous montre de loin notre perte corn. me alTurée : un air moins gracieux du maître nous fait déjà entrevoir notre oubli & notre ruine. De précautions ; nous pre- nons fans ceffe des mefures , ou pour ob- tenir des grâces qui ne viendront jamais , . ou pour prévenir des dégoûts & des cha- grins qui viendront. Enfin , d'efpérances ; un avenir pompeux nous flatte toujours ; mais pour y parvenir , il faut facrifier le
SUR LA Soumission , &c. 29 repos & toutes les douceurs du préfent : la félicité n'eft jamais que dans l'idée , qui fe la promet ; les alTuiettiiTemens & les peines font dans le cœur , qui les fent 6c qui les dévore.
Mais une ame foumife à Dieu n'éprouve point ces troubles , ces frayeurs , ces fou- cis 5 qui agitent les enfans du fîecle. Elle fait que l'avenir eft arrêté dans les confeils éternels de la Providence; que nos in- quiétudes & nos foucis 5 ne pouvant chan- ger la couleur même d'un feul de nos che- veux 5 ne changeront pas 5 à plus forte rai- fon , l'ordre de fes volontés immuables ; qu'on ne riique rien en fe confiant à lui fur tout ce qui doit arriver ; qu'il eft mê- me confolant de favoir qu'un Dieu daigne fe mêler de ce qui nous regarde ; encore plus confolant de lire dans les Livres faints, qu'il nous ordonne de nous en remettre à lui feul ; & qu'enfin , il fe charge de l'a- venir, & ne nous commande que de fanc- tifier par la Foi l'ufage du préfent.
Ce n'eft pas que la Religion autorife îa pareiTe ou l'imprudence ; & que pour être fournis à Dieu fur l'avenir , il faille telle- ment s'en rapporter à lui , qu'on abandon- ne tout foin 5 & qu'on méprife toute pré- voyance. Le Fidèle fe confie en Dieu \ mais il ne le tente pas : il travaille comme fi tout dépendoit de lui ; il eft tranquille fur l'événement , parce que tout dépend de Dieu : il fait que la raifon doit fournir les précautions & les mefures / m.ais il fait eu
B?
50 PVRIFIC. DE LA ViERGE.
core mieux que la Foi attend le fuccès lie Dieu feul : il eft prudent dans le choix des moyens ; mais il eft fimple & fournis dans l'attente des événemens : en un mot, la prudence eft commune au Fidèle & au mondain ; la paix & la tranquillité n'eft que pour le Fid-ele.
Et quand je dis commune , mes Frè- res 5 c'eft le nom feul de prudence qui leur eft commun : car d'ailleurs , quelle différence entre les caraâeres d'une pru- dence chrétienne & foumife à Dieu , & les caraé^eres d'une prudence toute hu- maine ! c'eft l'Apôtre S. Jacques qui nous les marque.
Premièrement , la prudence du' Fidèle , dit cet Apôtre , eft chafte & innocente : £p.Jac» Primîim quidem pudica : il ne connoît de ^' ' mefures légitimes , que celles que la conf- eience permet & que la Religion approu- ve : le crime ne lui fert pas de voie pour arriver à {es fins ; & toute prudence in- compatible avec le falut , lui paroît la dernière des folies. Celle du pécheur au contraire , eft corrompue & criminelle ; il trahit fa confcience pour arriver à {es £ns : il ne compte pour rien les crimes , ou les démarches obliques , qui lui répon* dent du fuccès : il cherche à réuftir aux dépens même de fon ame ; & tout ce qui peut lui être utile , lui paroît bien tôt in^ nocent.
Secondement , la prudence du Fidèle eft tranquille & amie de la paix : Ddnde
SUR LA Soumission , Sec. 31 quuicm pacifica : fes mefures font toujours paifibles 5 parce qu'elles font toujours^ fou- inifes à la volonté de Dieu : il ne fouhaite le fuccès qu'autant que Dieu même le fou- haite ; & dans les précautions qu'il prend , il cherche plutôt à obéir à Dieu qui les de- mande de lui 5 qu'à fe fatisfaire lui-même* Celle du pécheur au contraire , eft tou- jours agitée , parce qu'elle n'eft jamais foiï- inife : il attache fon bonheur 9 non à l'or- dre de Dieu , mais au fuccès de fes me- iures : il attend la pain de révénement , & non de fa foumiîllcn : 6c fa prudence c(i elle-même la fource de fes chagrins & de fes inquiétudes.
Troifiémemenî , la prudence du Fidèle eft modefle ; Modejla : il s'interdit les pro- jets ambitieux ; ifn'a que des vues coa- formes à fon état ; il fait mettre àes bor- nes à fes defirs : il penfe moins à s'élever 0 qu'à fe rendre utile ; & fa modération eft Je tréfor , d'où il tire la fource de la paix, & la sûreté de fon innocence. Celle du pécheur eft infatiable : il prend toujours ) de nouvelles mefures , parce qu'il forme toujours de nouveaux projets : fa cupidité ne connoît point de bornes : tout ce qji le flatte , lui convient : les poUes les plus pé- rilleux n'ont rien qui l'effraye : les périls qui relèvent celTent d'être des pér Is ; le mauvais fuccès de fes mefures efl l'unique danger qu'il craint ; & il ne compte pour rien d'expofer fon falut , pourvu qu'il allure fa fortune.
B4
32 PURIFIC. DE LA VlEUGE.
Quatrièmement , la prudence du Fidèle eft humble & docile : Suadlbilis : il fe défie toujours de fes propres lumières : il compte plus fur le fecours du Ciel , que fur toutes les mefures de la prudence hu- Xîîaine ; & en ne négligeant rien , il attend tout de Dieu feul. Celle du pécheur au contraire , eft pleine d'orgueil : il ne comp- te que fur rhabileté de ies^ mefures : il fo confie en fa propre fagelfe : il n'attend le fuccès que de fes foins j ce agit tout feul , comme s'il n'y avoit point de Dieu qui fe m^jlât des chofes îiumaincs.
Cinquièmement 5 la prudence du Fidèle n'ell point foupçonneufe : Non jiidicans : il ne cherche point fa sûreté dans la dé- £ance continuelle de fes frères : il croit dif- £cilemient le mal ; & aime encore mieux tomber dans leurs picgcs 5 que juger té- mérairement leurs intentions & leurs pen- fées. La prudence du pécheur ne trouve fa sûreté que dans fjs foupçons & dans fes défiances. Commie fon cœur ell corrom- pu 5 tout lui paroît corruption &: duplicité dans les autres : il regarde tous les hom- mes comme fes ennemis : il foupçonne le mal 5 où il ne le voit pas r il fe perfuade que pour juger sûrement , il faut toujours juger mal de (es frères ; 8c toute fa pru- dence fe réduit à fuppofer dans tous les hommes , tout ce dont il efl capable lui- mêmie. .
Sîxiémem.ent y la prudence du Fidèle n'eft point diffimulée : fine fimidatione : il
SUR LA Soumission , &c. ^53 ne met point fon habileté dans fes artifices. Comme il ne veut tromper perfonne , il n'a que faire de fe déguifer ; & toute fon adrefle eft dans fa candeur & dans fa fiocé- rité. Ceile du pécheur au contraire n'eft qu'une duplicité éternelle : fes lèvres dé- mentent toujours fon cœur : Ton vifage eft toujours la contradiction de fes fentimens : il croit être plus habile à mefure qu'il eft plus faux : toute fa vie n'eft qu'un fonds de baiTefle & de mauvaife foi ; & fa pru- dence eft toujours pénible , parce qu'elle^ l'oblige toujours à fe contrefaire.
Enfin, la prudence du Fidèle eft pleine^ de miféricorde & des fruits de bonnes œu- vres : PUna miferlcordiâ , &'fruciibus bonis :: il joint aux moyens humains , les pratiques^- de la vertu & les fecours de la prière : ill affurele fuccès de fes mefures, par Tabon- dance de fes largefles & par les mérites de^ la miféricorde ; & trouve dians les devoirs; de la Religion , les principales reflburces; & le feul appui de fa fortune. Le pécheur au contraire , regarde la piété comme uni obftacle à fon élévation ; il fuit les maxi- mes de la Religion comme incommodes ai fa fortune ; & s'il a recours quelquefois; aux apparences de la vertu, c'eft pour en abufer , & y trouver un chemin plus sûr de parvenir à ce qu'il defîre.
Aufîi 5 continue l'Apôtre de qui' j ai tiré tous ces caraâ:eres , la prudence du Fidèle- eft une femence & une fource^ continuelle* de paix dans fon cœur : Frucîus autcm inf-' ^^^* J^-
R ^; "^"
34 PURIFIC. DE LA ViERGE.
îidœ in pacc fiminatur ^Jacicntihus pacem. Mais la prudence du ùecle qui ne vient point du Ciel , mais de la corruption du pécheur & du fonds de fes paffions , eft une révolution éternelle de craintes , de defîrs , de chagrins ; & comme elle eft l'ouvrage de fss pafTions , elle ne fauroit être plus tranquille que fes pa/Tions mê- ^'.15. mes : Non eji ijîafapicntia defurfum defcen^ dens à Paire luminum yfid terrena , animai lis , diabolica,
La féconde fource des inquiétudes hu- maines y font les événemens préfens , Se ce qui fe pafTe tous les jours à nos yeux. Rien n'arrive prefque jamais félon nos de- firs : ce que nous aimons 5 nous échappe ; ce que nous fouhaitons , nous fuit ; ce que nous craignons , nous arrive. Nous ne fom- mes jamais heureux de tout point : fi la fortune nous rit ^ la fanté nous abandonne ; fî nous jouiffons de la fanté , la fortune nous manque ; fi la faveur du maître nous élevé; Tenvie du courtifan nous flétrit & nous dé- grade ; fî l'envie nous épargne , & que nous l^uiflions compter fur les fuffrages publics , ik maître nous néglige : enfin , dans quelque situation que nous foyons , il manque tou- jours quelque chofe à notre bonheur ; & ce qu'il y a de trifte pour l'homme , c'eft qu'un feul chagrin rem^porte pour lui fur mille plaifîrs ; & que ce qui lui manque , quelque léger qu'il puilTe être , empoifonue^ toujours tout ce qu'il poilede.
Mais uneame fidèle trouve, comme auV
SUR LA Soumission , &c. 35 jourd'hui Marie , dans une foumiffion en- tière aux ordres de Dieu , une reiîource toujours prête aux embarras de fa fituation préfente. Toutétoit incompréhenlible dans- les delleins de Dieu fur elle ; la baflefTe de fou Fils , & la grandeur future qu'on lui annonce ; le glaive qui doit percer fbn cœur , & toutes les nations qui doivent pourtant l'appeller heureufe ; l'abjecèioii q,ui l'environne , & les grands événemens qui l'attendent : mais la volonté de Dieu eft le feul dénouement de fes doutes y 6e. la grande confolation de fes peines.
Oui 5 mes Frères , ce qui rend la fou'- miiïion à la volonté de Dieu û confoiante- dans les fîtuations les plus difficiles où il^ nous place , c'eft premiérernsnt , que c'ed. la volonté d'un Dieu tout-puifTant à qui tout eft aifé ; maître des événemens ; qui d'un feul regard peut finir nos peines ; au- près de qui tout trouve d^s reffoiirces ; quî- n'a qu'à dire , & tout eft fait. Ah ! les-hom- mes auxquels nous nous livrons , ne fau- roient nous tirer des embarras Se des pé- rils où ils nous engagent. Oh voit tous les jours les amateurs du monde tomber avec l'eurs protecteurs , & avec ces appuis de* ehair & de fang , ^^n qui ils mettoient une? vaine confiaiice : femblables , dit le Prophè- te ^ à ceux qui vont chercher un foibJe fou^ tien contre la muraille de boue déjà pan- chée & prête à tomber , ils font tôt ou- tard écrafés , & enfeVelis fous fes ruines : TanqUiirn parUti inciinato y 0 maccri(d de- ^J*^^""
36 PURIFIC. DE LA ViERGE.
j/ulfa. Il eft mille iitr.ations où les homm?s,. avec toute leur puiiTance , ne peuvent rien pour nous : iis nefauroient du moins nous faire à nous-mêmes une félicité plus entière que celle dont ils jouiflent ; & comme ils ne font jam.ais qu'à demi heureux , nous ne devons pas nous attendre qu'ils rendent notre condition meilleure que la leur , ni qu'ils fallent pour nous ce qu'ils ne peu- vent pour eux-maêmes.
Mais la grande confolation d'une ame foumife à Ijieu , c'elt de fe pouvoir dire à elle même : Dieu eft airezpuifTant pour me foutenir : je ne rifque rien à le laifTerfiîire ; il a des rcfTources pour tous mes befoins :. ce qui paroît dcfefpéré aux hommes , eft facile à fa puifl'ance : il veut qu'on efpere contre l'efpérance même ; & plus les fe- cours humains paroiffent inutiles , plus il vient à notre fecours , pour nous accoutu- îner à attendre tout de lui , & à ne pas met- tre notre confiance dans les hommes.
Secondement , c'eft à la volonté d'un Dieu fage que nous nous foumettons ; qui a fes raifons éternelles dans les événemens qu'il nous m^énage ; qui voit les différentes utilités des fi^uations où il nous place ; qui lie fajt rien au hazard ^ &: qui connoît les événemens avant même de prendre des incfure?. Hélas ! nous pouvons nous in- quiéter furies iltuations que nous nous m^é- nageons à nous- mêmes , parce que nous ne nous connoiflbns pas aiTez^pour décider liîrfce qfji nous convient =, ^ que d'ordi-
suB. LA Soumission 5 &c. 17 naire dans nos choix, nous confultons plus les intérêts de nos pafîions que ceux de notre ame ; rnais ce qui confole Famé fidèle fouinife à Dieu , c'eft la fagefïe de celui en qui elle met fa confiance. Dieu a fes raifons ^ fe dit fans ceffe l'ame ficiele , dans les fituations où il me place ; & quoi- qu'elles me foient inconnues , elles n'en font pas moins juftes & adorables : je ne dois pas mefurer fes vues incompréhenfi- blés fur mes lumières foibles & bornées. Je ne vois pas où peuvent me conduire les. voies par où il me mené ; mais puifque c'eft fa main qui les a frayées , il n'y a qu'à marcher fans rien craindre : il mené fou- vent à la terre de promefie , par les cir- cuits pénibles 6>: arides du défert , &: nous cache prefque toujours Ces voies , pour nous îaiiFer tout le mérite de la foumilîion & de la confiance.
Enfin j non-feulement parce qiie c'eft à la volonté d'un Dieu puifTant & fage , que nous nous foumettons ; mais encore d'un Dieu bon , tendre & miféricordieux , qui D0U5 aime , qui ne veut que notre falut. Les hommes cherchent fouvent à nous nuire 5 en faifant femblant de nous favori- fer : nous ne leur fommes chers qu'autant que nous leur fommes utiles ; & ils veulent plutôt nous faire fervirà leur bonheur, que nous rendre heureux nous-mêmes.
Mais Dieu n'a que notre falut en vue : tout ce qu'il veut par rapport à nous , il ûÊ le veut que pour nous : nos intérêts
38 PURIFIC. DE LA ViERGE.
éternels feuls règlent fes démarches à no* tre égard : s'il nous frappe , c'eft pour nous lauver : s'il nous humilie , il ne fe propofe que notre falut : s'il nous élevé , ceft notre falut encore qui le fait agir : enfin , en quelque fituation qu'il nous place, c'eft toujours un Père qui nous conduit , un ami qui nous gouverne , un prote(R:eur qui nous foutient , un guide qui nous pré- cède & qui nous montre les voies. Hélas ! mes Frères ! nous nous croyons fi fort en sûreté , quand nos intérêts & notre for- tune font entre les mains d'un ami fidèle depuis long-temps éprouvé , & fur lequel nous com.ptons comme fur nous-m.êmes : nous ne daignons pas même nous informier des raifons qu'il a dans les partis qu'il prend par rapport à nous : tout ce qu'il fait , nous l'approuvons , nous y foufcrivons ,- nous le trouvons bon pour nous. Et voilà la confolation d'une ame Rdeh qui a mis fon fort entre les mains de Dieu : elle n'examine pas les raifons que ià bonté pa- ternelle a pu avoir dans les fituations qu'elle lui ménage : il lui fuffit de favoir que c'efl un Dieu qui n'a que des vues de bonté & de m.iféricorde pour fa créature ; un père qui ne fe propofe que le falut de fon enfant ; un ami tendre & fidèle , & qui n'a rien tant à cœur que les intérêts de ce qu'il airne. Quelle fituation , mes Frè- res ! en eft-il ici-bas même de plus defira- ble pour la créature ? & quand la Reli- gion n'àurôîtque ce fèul avantage, le pafll
SUR LA Soumission , 8cc. ^9 du Jufte & du Fidèle , ne feroit-il pas le plus heureux 6c le plus fenfé , que rhom- me pût choifir fur la terre ?
Enfin , les regrets fur le pafle forment fe dernière fource des inquiétudes humai- nes. Nous ne rappelions les événemens fâcheux de notre vie , qu'avec des retours amers qui en empoifonnent le fouvenir : nos pertes paflees nous tourmentent en* core par les réflexions inutiles fur les me^ fures qui auroient pu nous^ les épargner : nous nous reprochons fans celle d'avoir été nou5- mêmes les auteurs de notre infor- tune: nous nous redifons éternellement qu'une telle précaution prife cous eûtépar* gné bien des larmes & des chagrins : nous ajoutons à nos malheurs de les attribuer à nos irnprudences : nous nous repréfentons après coup les moyens de les éviter très- fa- ciles , comme pour fentir plus vivement le defagrément d'y être tombés ; & loin d'y voir la fagefle & la volonté de Dieu ,- qui ont tout conduit , & qui feules de- vroient nous faire oublier nos peines , nous- n'y voyons que nos méprifes, qui augmen- tent nos regrets , & qui rendent nos pei* nés éternelles.
Or , c'efl encore ici que la foumi/îlon' de Marie eft pour nous un modèle. Elle ne voit que Dieu feul dans tous les événe- mens de fa vie pafTée , dans l'ambafTade de l'Ange y. dans le prodige de fon enfante- ment 5 dans la foi des Pafteurs , dans l'a- doiation des Mages : elle compare 5 dit
40 PURIFIC. DE LA ViERGE.
l'Evangile , & coiiferve dans fou cœur toutes fes merveilles , & toute la conduite paflee de Dieu fur elle : l'attente & le lan- gage prophétique de la veuve Anne & du jufte Siméon , lui rappellent tout ce que le Seigneur a ftiit jufqu'ici de grand Luc» I. pour elle & pour cet enfant : Conferens 19. in corde fuo : elle n'y voit rien d'humain ; tout y eft de Dieu ; & ne pouvant douter que la main du Très-Haut feule ne l'ait juf- qu'ici conduite , elle n'a pas de peine à fe perfuader que c'eft lui-même qui la con- duit au Temple , & à fe foumettre au fa- orifice & à l'humiliation qu'il demande d'elle.^
Voilà , mes Frères , la grande fcience de la Foi : le pafTé devroit être pour nous ime inflru£lion continuelle , où nous de^ vrions étudier les ménagemens & les vo- lontés adorables du Seigneur 9 fur les def- tiiiées des hommes. Nous devrions rap- peller fans ceffe tout ce qui s'efl pafie à nos yeux , à la Cour fur-tout , où nous v.i- vons 5 & qui eft comme le théâtre des ré- V;plutions humaines ; tant de changemens fpudains ; des morts û terribles , & fï peu attendues ; des accidens fi funeftes ; les profpérités ou les malheurs de l'Etat ; 1 e- îévation ou la décadence de ceux qui oc- eupoient les premières places : que fai-je ? tant de variations dans la faveur , dans les fortunes , dans le crédit , dans la chiite ou raggrandifiement des familles : nous ne de- vrions , dis- je 5 le rappeller que pour y
SUR LA Soumission , &c. 41 .voir la fageffe de Dieu , qui fe joue fans cefTe des paflious humaines , & qui élevé ou renverfe en un inftant , pour nous faire fentir la fragilité de tout ce qui palTe , ^\ nous apprendre que toute la fageffe hu- maine ne fauroit nous fauver du m.oindre contre-temps , & qu'il n'y a point de confeil contre les confeils de Dieu*
Cependant le fouvenir du paffé , loin de nous inftruire , nousféduii , & ne fait que réveiller en nous des paillons injuftes. Nou-s rappelions la décadence de ceux que nous avions vu à la tête de tout & les arbitres de la fortune publique ; & ce fouvenir, loin de nous défabufer de tout ce que nous avons vu fondre & s'éclipfer en un inftant , & nous appreudre que les profpérités tem- porelles ne font rien ^ li l'ufage chré; tien qu'on en fait ne les rend immortelles , réveille plus notre ambition 5 par les obfta- cles qu'avoit toujours mis à notre fortune leur grande autorité , qu'il n'inftruit notre foi par l'inconfcance qui en un clin d'ceil l'a renverfée. En£n , nous ne voyous Dieu nulle part; toutpalTe y tout difparoît , tout s'écroule à nos yeux. Un nouveau monde s'élève infenfiblement fur les débris de celui que nous avons vu en y entrant : une nouvelle Cour reparoît à la place de celle que nos premières années ont vue : de nouveaux perfonnages font montés fur le théâtre : de nouvelles fcenes occupent tous les jours l'univers : nous nous trouvons prelque feuls & étrangers au milieu dii
4l PraiFIC. DE LA VlERGJE,
monde , parmi des hommes que noirs avons vu naître ^ féparés de ceux avec qui nous avions d'abord vécu ; tout nous échap- pe , tout fuit y tout court rapidement fe précipiter dans Je néant ; & au milieu de ces révolutions éternelles , oij Dieu feui , qui ne paffe point , paroît il grand : où Dieu feul, qui changeant fanscefTe la face de l'univers j demeure toujours le même, paroît fi digne de nos hommages ; nous ne le voyons pas r nous ne nous élevons ja- mais julqu'à lui : nous tenons encore aux débns d^un monde qui s'eft déjà à demi écroule entre nos mains ; nous rappelions même par rimaginatlon ce qui nous eu efi échappé : nous donnons de la réalité à ce qui n'eft plus ; nos premières années fouil-
, ? V «^^^^ "^^^^ ^^^^ P^^ ^^^s fouvenirs Jalcifs & injuftes : nous faifons fans cefle reyivre nos jours paffés , en ce qu'ils ont eu de criminel ril femble quela vie eft trop courte pouT ofFenfer Dieu ; nous revivons i^ns celfe par des images qui renouvellent nos iniquités pafTées ; c'eft à-dire , nous vivons doublement pour le crime , n ayant jamais vécu un inftant pour la vertu. Ainfi le paifé nous fouille ou nous féduit , loin de nous détromper & de nous inftruire : nous «y voyons que les révolutions humaines ; nous ne remontons pas plus haut , & nous vivons comme fi lehazard conduifoit l'uni- vers 5 & qu'il n'y eût point d'autre raifon de ce qui arrive , que l'événement lui-même. Ah ! mes Frères ! les Patriarches , dont
SUR LA Soumission , &c. 4? lavie étok fi longue fur la terre 5 n'avoient point d'autre occupation , que de méditer, dans les grands événemens qui avoient rem- pli leur longue carrière , les merveilles du Seigneur , & Tordre de fes volontés adora- bles. Ils repafîbient fur les différentes voies par où fa fageffe les avoh conduits : ils y ad- miroient les ménagemens ineffables de fa providence : c'étoit là le livre où ils étu- dioient fan s cefTeles grandeurs de Dieu & fes iciféricordes envers les créatures : c'étoit la plus douce confolation de leur pèlerinage. Ils voyoient Dieu par-tout : l*invifible étoit comme vifible pour eux dans tous les acci- liens divers & merveilleux , qui avoient partagé leur vie : ils ne voyoient que Dieu dans l'univers ;& ne comptoient pour rien les hommes , dont fa fageffe fefervoit pour accomplir fes deffeins adorables*
Et voilà 5 mes Frères , la grande fcience que nous apprennent nos divines Ecritu- res. Dacs les autres hiftoires que les hom- mes nous ont laiffées , on n'y voit agir que les hommes : ce font les bommes qui rem- portent des viâoires , qui prennent des Villes 5 qui fubjuguent des Empires , qui détrônent les Souverains , qui s'élèvent eux-mêmes à la fuprême puiffance : Dieu n'y paroît nulle part ; les hommes en font les feuls ad^eurs. Mais dans l'hifloire des Livres faints , c'efl: Dieu feul qui fait tout ; Dieu feul qui fait régner les Rois , qui les place fur le trône , ou qui les en dégrade ; DieH feul qui combat les ennemis y qui ren-
44 PURIFIC. DE LA ViERGE.
verfé les Villes , q:ji difpofé des Etats 5î des Empires , qui donne la paix , ou qui fufcite les guerres : Dieu feul paroît dans cette hiiloire divine ; il en eii , fi je lofe dire ^ le feul héros; les Rois & les Con- quérans n'y paroiffent que comme les Minières de fes volontés faintes ; enfin , ces Livres divins tirent le voile de la Pro- vidence. Dieu 5 qui fe cache dans les au- tres événemens rapportés dans nos hifloi- res 5 paroit à découvert dans ceux-ci; & c'eft dans ce Livre feul , que lefprit de Dieu a laiifé à la terre , que nous devons apprendre à lire les hiftoi^es que les hom- mes nous ont laiifées ; à fuppléer par la foi ce que l'efprit humain a omis ; & à ne re- garder les différentes révolutions qui ont agité^ l'univers , que comme l'hiftoire des delTeins & des volontés du Seigneur fur les hommes.
Telles font les inftruôions que trouve une ame fidèle dans le fouvenir du pafTé. AufTi une des plus grandes confolations des Saints dans le ciel , fera de voir à décou- vert Tordre adm.irable des volontés du Sei- gneur dans tous les événemens de leur vie pafîée : l'éuigme fera alors dévoilée ; ils verront comment tout ici-bas fe rap- portoit à leur falut ; avec quelle bonté 6c quelle fagefle adorable. Dieu faifoit toutfer- viràla fan^lificaîion desfiens; c'eft-à-dire , toutcequife palToit fur la terre; toute Vh\C- toire de leur fieclc; la piété ou îe déré^^le- rpent des Princes ;le gain ou la perte des ha-
SUR LA Soumission , &:c, 4^ tailles ; le bonheur ou l'infortune publique : ils veront comment tout cela , par des rap- ports fecrets&: merveilleux , qui leur feront alors clairement connus, devoit contribuer à la confommation des Elu^ ', & comment , jufqu'à leurs chûtes mêmes , tout devoit être utile à leur falut.
Au contraire , la furprife la plus défef- pérante des pécheurs , fera de voir , que dans le temps même qu'ils croyoient vivre fans joug , & fans Dieu dans ce monde , ils étoient entre les mains de fa fagelfe ,qui fe fervoit de leurs égaremens mêmes pour raccomipliiîement de fes deifeins éternel ; qu'en croyant vivre pour eux (euls , ils n'é- toient entre le^ mains de Dieu , que des inftrumens utiles à la fandification des Juf- t-es ; qu'ainfi leurs aâ:ions les plus écla- tantes étoient utiles aux deifeins de Dieu , mais inutiles à eux-mêmes ; que les grands fpeâacles qu'ils ont donnés à l'univers, 5c qui flattoient fi foit leur vanité , n avoient aucun rapport avec eux ; qu'ils n'ont vécu que pour les Elus ; & qu'ils font les feuls à n'avoir aucune part à tous les grands évé- nemens dont ils ont été les principaux ac- teurs , & qui rendront leur nom célèbre dans les hiftoires ; en un mot , qu'ils ont fait beaucoup de bruit dans l'univers ; mais que c'étoit Dieu qui fe glorifioit par eux , & qu'ils n'ont rien fait pour eux-mêmes : fem.blables au tonnerre qui donne un grand fpe£tacle à la terre 5 & fait fentir aux hom- mes la grandeur &; la puiiTance de Dieu ;
4"^ PURIFIC. DE LA ViERGE.
mais qui n'eft lui-même qu'un vain fon , &C ne iailfe après lui que Finfe^èion de la ma* tiere dont il étoit le feul ouvrage.
Et c'eft cette réflexion . mes Frères , qui devroit rappeller tous les hommes à une foumiffion continuelle aux volontés du Seigneur. Car enfin , qu'ils fefoumettent ou non à fa volonté fainte , il eft certain qu'ils agiifent toujours fous la main de Dieu ; qu'ils ne font que ce que permet le fouve- rain Difpenfateur ; qu'ils ne viennent à bout de leurs delfeins , qu'autant que ie trouve à propos fa fageife adorable ; qu'ils ne peuvent fe fouflraire aux ordres de fa puiifance ; &: qu'en fe révoltant contre lui , ris ne changent pas les événemens , ils ne font que multiplier leurs crimes.
Voilà les avantages que trouve le Fidèle dans fa foumifîîon aux ordres de Dieu. Non , mes Frères , tournez- vous de tous les côtés ; il n'y a dans toute la vie hu- maine que ce point ûxe f que cette confo- lation folide ; fe fou mettre à Dieu 5 ne vouloir que ce que Dieu veut : c'eft là le grand fecret de la piété chrétienne , le plus précieux avantage de la Foi , & la grande fcience du fidèle. Hors de là , mes Frè- res 5 qu'efl-ce que la vie humaine 5 qu'une mer furieufe & agitée , oii nous fommes fans ceife à la merci des flots , & où cha- que inftant change notre iituation , & nous donne de nouvelles aîlarmes ? Que font les hommes eux-mêmes , que les trilles jouets de leurs paffions infenfées ^ & de la vieif
SUR LA Soumission ^ 5cc. 47 fitude éternelle des événemcns ? Liés par la corruption de leur cœur à toutes les chofes pré fentes 5 ils font avec elles dans un mouvement perpétuel : femblabies à ces figures que la roue rapide entraîne , ils n'eut jamais de confîftance affurée. Cha- que moment eft pour eux une fituation nouvelle ; ils flottent au gré de l'inconf- tance des chofes humaines ; voulant fans cefTe fe fixer dans les créatures , & fans ceffe obligés de s'en déprendre ; croyant toujours avoir trouvé le lieu de leur re- pos 5 & fans ceiFe forcés de recommencer leur courfe ; lafîes de leurs agitations, & cependant toujours emportés par le tour- billon : ils n'ont rien qui les fixe , qui les confole , qui les paye de leurs peines , qui leur adouciffe le chagrin des événemens ; ni le monde qui le caufe, ni leurconfcience qui le rend plus amer , ni l'ordre de Dieu contre lequel ils fe révoltent. Ils boivent jufqu'à la lie toute l'amertume de leur ca- lice : ils ont beau le verfer d'un vafe dans une autre vafe , dit le Prophète ; feconfoler d'une paffion par une palîion nouvelle ; d'u- ne perte par un nouvel attachement ; d'une difgrace par de nouvelles efpérances : l'a- mertume les fuit par-tout : ils changent de fituation , mais ils ne changent pas de fup- plice : Et inclinavit ex hoc in hoc ; verum- PA 74» tamen fcx ejus non eft cxinanita.
Grand Dieu ! pourquoi mon ame ne vous feroit-elle donc pas foumife ? iVonne Pf*^^* Dio fuhjccia mt anima mea ? Etes- vous *'
4S PuPviFic. DE LA Vierge. donc un maître fi cruel , qu'on rifque de lailTer la deitinée entre vos mains ? que puis- je craindre , grand Dieu! en merepo- fant fur vous feul de tout ce qui me regar- de ? ah ! tandis que j'ai voulu être moi-mê- me l'arbitre de ma deftinée , je me fuis con- fondu dans mes propres projets ; les évé- nemens n'ont jamais répondu à mes fouhaits & à mes m.efures ; je n'ai réulTi qu'à rrie for- mer tous les jours à moi-même de nouveaux embarras & de nouveaux chagrins : en vou- lant chercher des sûretés , je me creuibis des précipices : ce que je regardois comme mon appui , fe tournoit enfuite contre moi- même : vous vous piaillez , grand Dieu ! à renverfer l'édifice à m.efure que je féle- vois : vous vouliez m'apprendre qu'eu vain la main de l'homme édifie la maifon , & que fi votre main adorable ne la foutient & ne i'éleve 5 il ne fe prépare que de trilies nu- «es ! qu'il eft bien plus sûr , ô mon Dieu ! de vous laifier faire tout feul , ou de n'agir que fous vos ordres ! que d'inquiétudes je me ferois épargné , fi j'avois été fidèle à ce devoir ! ma defiinée auroit été femblable ; mais m.es chagrins n'eulTentpas été les mê- mes ;& j'aurois trouvé dans ma foumifi^on à votre volonté fainte , la paix que je n'aî jamais pu trouver dans le monde , ni dans mon propre cœur ; &: erfiiite la récom- penfe que vous promettez à ceux qui n'ont fouhaité fur la terre 5 que l'accomplilfement de vos volontés éternelles.
Alnfifoit-il,
SECOND
49
T
;»;x?<:« . .^i* *+++++■' ô^, • ï ■■il
li^- -^
£-
°^- -'^ ^*-^jy^
SECOND
SERMON
?OVR LA FETE
D E
LA PURIFICATION
DE LA Ste. vierge.
Sur Us difpofidons nécejjaires pour fi confdcrer à Dieu par une nouvelle vie.
Pollquam impleti funt dies purgarionis Marias , fecundiim legem Moyfi » nilerunt Jefum in Jeriira- km , ut liltereat euin Domino.
Le temps de la Purification de Marie étant accom- pli , félon la loi de Moyfe , ils portèrent V Enfant à JéruJaUm pour le pré/enter au Ssigneur, Luc. 2. 22.
CE n'eft pas feulement pour fatisfaire à la loi qui confacroit au Seigneur tous les enfans premiers nés y que Jelus^ Myjlcres. C
50 PURIFÏC. DE LA ViERGE.
Chrift paroîî aujourdliui dans le Temple ; c'eft aiiÏÏi pour en accomplir la figure : i! ne vient pas feulement fe foumettre à une ordonnance qui n'avoit pas été faite pour lui ; il vient encore développer les myile- res d'une cérémonie qui ne fe rapportoit qu'à lui.
Pourquoi en effet , mes Frères , le Sei- gneur avoit-il ordonné que les premiers- nés des hommes & des animaux lui fuf- fent offerts , comme pour racheter par cet- te offrande la vie & la fervitude de tous les autres? Pourquoi ces prémices des fruits de la terre , que la loi de Moyfe lui avcit refendes ? N'efî-il pas également maître de tous nos biens ? ci le facrifîce du fo ir lui eft-il moins dû que celui du matin ? Pour- quoi ces figures ? c'eft parce que Jefus- Chrifi: le premier-né d'entre fes frères , devoiî s'offrir un jour pour les délivrer tous de la condam^naticn d'Adam : c'eft encore parce que Jefus-Chrift , ce fruit fubiime delà terre , comme Tappeile un Prophète , devoit être préfenté dans le Temple ; par cette oblaîion fanc^ifier toute la nature , & rendre à riiom.m.e le droit d'ufer des biens qu'elle produit , dont un abus injuHe l'avoit privé.
Ce n'étoient donc là que les ombres de l'avenir : voilà pourquoi les Prophètes ne ceiîoient de nous annoncer, que l'éclat de l'ancien Temple céderoit à la majefcé du nouveau. Ce ne font plus eneffet des nuées de gloire qui defcendent du ciel pour cou-
Sur les dispositions , &c. çr vrlr lefanâuaire : elles y enfantent aujour- d'hui le Juile : ce n'eft plus l'Ange du Seigneur , qui du fond du propitiatoire an- nonce Tes volontés au peuple ; c'cd le Sei- gneur du Temple lui même , qui vient ea perionne iailruire les hommes dQs vérités éternelles du falut ; ce ne font plus des Princes 6c des conquérans profanes , qui attirés par la majeilé & par la réputation de ce lieu faint , viennent y adorer le Dieu des armées , & charger fes autels d'of- frandes magnifiques ; c'eft le Prince de la paix , le Roi immortel des fiecîes , k con- quérant de Juda , revêtu des dépouilles des nations , qui vient les offrir toutes à fon Père, commxe le trophée de fa victoire : ce n'efl plus la fumée des encenfemens , qui monte avec raaiefcé vers le trône cé- îefle ; ce font les prières & les fupplica- tions du Chrift , toujours exaucé à caufe de fon excellence ; ce n'ef: plus le fang de mille victimes qui coule fur l'autel ; c'eft l'oblation fanglante du Plédem.pteur dlf- raël qui s'y accomplit par avance : enfin , ce n'ed plus un premier-né offert par la Synagogue & racheté en même temps , comme incapable de la purifier de fes fouil- lures ; c'eft l'Eglife elle-même , figurée dans Marie , qui va offrir fon chef, fon premier né , les prémices de ceux qui dor- jTient dans le fein d'Abraham, pour être par cette oblation fainte rendue fans tache & fans ride , & préparée à jamais au Sei- gneur 3 comme une Vierge pure , & feule
Ci
20 PCJRÏFIC. DE LA ViERGE.
digne d'entrer avec lui dans le fauftuaire éternel.
Or 5 comme c'eft ici la première mar- que piiblique de culte que Jefus-Chrift donne à {on Père , fans doute il veut nous y apprendre les difpofitions dans lefquelles il faut entrer pour fe confacrer à lui par une vie toute nouvelle. Recueillons donc les circonftances principales de ce myllere , oc nous y trouverons une efprit de facrifice dans Jefus- Chrift qui s'oifre à fon Père , ot un efprit de fidélité dans Marie qui l'of- fre. Or , voilà hs deux difpofitions qui rendent la converfion (incere & durable , & loffrande de nos cœurs agréable à Dieu : un efprit de facrifice qui ne réferve rien en s'offrant ; un efprit de fidélité qui ne fe dément plus fur rien en le fervant. implorons , &c. Ave Maria,
P4KTIE -fi-^E premier hom.mage que Famé fainte de Jefus Chriit entrant dans le monde , rendit à la jufiice & à la grandeur de fon Père , fut une oblation d'elle-même , dit l'Apôtre ; & le fein de Marie devint com- me le premier temple , où cet holocaufie pur fut d'abord immolé. Mais il manquoit à ce facrifice invifible l'appareil àQs céré- îTaonics fenfibles : il falloit que la viâ:ime parût fur l'autel : que le prix qui l'avoit ra- chetée 5 fût porté dans le temple ; qu'elle fût livrée entre les mains du Pontife de la loi ; que les Juftes & les faintes femmes fe trouvalfent à ce nouveau Calvaire ; que
Sur les dispositions , &c. 53 Marie eile-mêiiie fûtpréfenîe au racrifîce ; que le glaive de douleur qui devoit percer {on cœur y brillât par avance : en un mot y que tout y retraçât aux yeux de fon Père les circonftances de la Croix , & rhiiloire anticipée de ce grand facrifice.
Il femble en effet j mes Frères , que fon heure n'étant pas encore venue , Jefus- Chrift neparoît aujourd'hui' dans le temple que pour fe hâter d'y aller tracer en atten- dant , les préludes & les reffemblances de fon immolation fanglante ; & que comme avant fon union à notre chair , il prenoit plaifir 5 dit TertuUien , à le maniferter aux Patriarches fous une forme fenfible , pour fatisfaire , ce femble , Timpatience de fou amour, par ces eilais &c ces fymboles d^in- carnation; de même avant d expirer fur la croix, il fe plaît à donner à fon Père des re- préfentations anticipées de ce grand facrin- ce 5 comme pour contenter par avance le defir qui le prefTe d'être baptifé de ce bap- tême de fang5& de le glorifier par fa morv.
Mais quoique ce ne foit ici qu'une imcige du Calvaire , l'oblation n'en efl pas iTiOins réelle , dit faint Bernard ; première condi- tion que nous propcferons pour modèle, la réalité de l'offrande. Les autres premiers- nés qu'on venoit mettre entre les mains du Pontife , on les préfentoit au temple , pliî- tôt pour les racheter que pour les confacrer au Seigneur : ce n'étoit là qu'une offrande fur.ulée & apparente ; des vid^imes de pa- rade qui ne mouroient jam.ais à fautel ;' 6c
C3
54 PURîFîC. DE LAViERG^E.
qci remplacées à l'inflant par un vil animal, TiC retenoieiît pour elles que les dehors & tout l'appareil du facrifîce.
Mais 5 Jeflis-Clirift entrant aujourd'hui <^ans le temple , livré entre les m.ains du Pontife , & placé fur Tautel ; me voici , dit- il à fou Père : les hofties de la loi n etoient pas dignes de vous ; mais vous m'avez for- mé un corps , & la loi de mort que vous ave2 prononcée contre moi , eft le defir le plus ardent de m.on cœur* Dès-lors il ac- cepte ëc fouffre par avance tout ce qu'il doit fc'UfFrir un jour pour fon Père : déjà fâ préfentent à lui tous les travaux futurs dâ ion miniftere ; les humiliations de fa vie cachée à Nazareth ; les courfes pénibles de fa vie publique ; l'inutilité de fcs prodiges & de fa do£lrine ; les calomnies des Prê- tres & des Pharifiens ; tout le détail d'un fupplice infâme : déjà il voit dans le Tem- ple le lieu d'où fera tiré le prix de fa m,ort ; déjà il démêle dans la foule des Prêtres qui environnent l'autel , les pères de ceux qui feront aiTis un jour pour le juger comme un criminel : déjà porté dans les rues de Jérufalem entre les bras de Marie , il en- tend ce Peuple féditieux demander fa mort avec des cris affreux : déjà il voit le che- min fatal , où fes traces fangfantes feront em.preintes , &: par où chargé de la croix , & couvert d'épines , il montera fur le Cal- vaire ; & quoiqu'il ne foit pas encore livré à fes ennemis , fon amour commence le facrifice que leur fureur confommera fur la croix.
Sur LES DISPOSITIONS 5 &c.- 55 Première iiîftruâ:ion ; Dieu devroit fans doute exiger de nous le facrifice de notre vie 5 puifque tout pécheur eft indigne de vivre 5 &: que nous devenons enfans de mort 5 dès que nous devenons enfans de péché ; mais fa clémence a remplacé cette peine ; &: le facriiice continuel de la vie des fens 5 eà devenu la loi de mort impofée à tout Fidèle. C'eft cette loi que nous avons tous acceptée far les Fonts facrés ^ lorf- qu on vint nous offrir au Seigtiêur dans îâ Temple '. c'ëfl cette hoftif qu'on nous a ctàonné d'immoler à notre place , pour êtra déchargés de la malédlftion commii- VQ 5 ô^ acquérir le droit d'être aiTociés au pt uple df 'Dieu ; c'eft là cg martyre de la Foi j que nous avons tous voué ; ce niar- tyra , dit faint Cyprien , qui n'attend p^s (tes tyrans 6c des fupplices ; 6c qui trouva dans la tranquillité du culte , par les vio- lences contiauelles faites aux paillons , une paix plus amere môme & plus djuloureufe que le trouble de fes perfécutions & de fes ibuftrances ; c'eft là le grand témoignage que nous devons tous rendre à la Foi chré' tienne , en confefTant la vérité de fes pro- meiîes , par le facrifice continuel que nous leur faii'bns de nos feus &c de nos paf- fions ; & c'efl en ce fens que tout Chrétien eft le témoin 5 c'eft-à-dire , le martyr de Jefas Chriil : Eritis mihi ujles, A^* i»
Voilà 5 mes Frères , la vie chrétienne une vie de renoncement & de facrince ; cependant fe confacrer à Dieu , pour la
C4
£,
5(5 PURIFIC. DE LA VîERGE.
plupart des aines , qui revenues des égare- jiieiîs du monde , veulent le fervir , c'eft iîmplement étaler des dehors plus reli- gieux ;fe faire des liaifons plus faintes ; ne plus fuir le commerce des gens de bien ; aller quelquefois loin du monde refpirer l'air de la retraite ; ne pas rougir des oeu- vres publiques de miféricorde ; fe choiiir un guide facré , & ne plus vivre dans un oubli entier des Sacremcns. Mais f\ vous -Oî'êîes ni moins am.bitieux , ni moins at • taclié , ni moins fenfuel , ni moins fenfible , ni moins jaloux , ni m.oins vain ; vous vous oiîrez au Seigneur comm.e les premaiers-nés d'ïfraël ; c'eft-à-dire , vous vous mettez entre les mains du Pontife, vous paroillez aux pieds de l'autel; mais vous ne devenez pas le partage du Seigneur; vous n'oiîrez k votre place qu'un vil animiaî , que des œu- vres extérieures , que des apparences delà piété; vous fuppofez que Dieu fe contente de cet échange 5 & qu'il acceptera au lieu de votre cœur & de vous-même , une of- frande étrangère.
Cependant la plupart des converfions , à la Cour fur-tout , font de ce caractère , Se fubfîftent encore avec toutes les paf- fions moins marquées à la vérité , m.ais toujours aufTi réelles. On s'efl donné au Seigneur ; mais les foins les plus vifs Si les plus périlleux de la fortune ne font point rallentis ; m.ais les envies , les animofités , les concurrences , les iiaifons humaines ne nous trouvent pas plus infenfibles ; mais
Sur les dispositions , &c. 57 Teftime , l'amitié des Grands , les diftinc- tions publiques , les spplaudiiremens des hommes, la faveur du maître fur tout . n'a rien perdu de ion prix dans notre cœur , êieft peut-être entrée pour beaucoup dans le plan de notre nouvelle vie. On s'eil don- né au Seigneur : mais on fait de la piété une vie douce S: tranquille , exempte feu- lement des foucis & des inquiétudes des grandes painons : une fim.ple indifféren- ce pour les agitations des plaifîrs y où il entre plus d'indolence que de vertu ; une vie renfermée dans un certain cercle d'oc- cupations , innocentes à la vérité 5 mais ai- fées &: paifiblcs ^ une vie d'ailleurs toute naturelle , fouvent oifeufe , où l'on ne re- fufe aux fens que les excès grolïiers , Sc où fouvent plus de féparation du tumulte & des grands plaifîrs , ne fait que laiffer plus de loifir aux attentions & aux àéli^ catelîes du corps & de la fanté. On s'eft donné au Seigneur : mais quoiqu'on foit revenu des défordres d'un engagement cri- minel , on n'en a pas encore rom.pu le lieu fatal ; on cultive encore les triftes reftes d'une pafTiOn qu'on croit éteinte , parce qu'on en a fini les emportemens ; on aime encore à voir ces objets , ces lieux eu l'on a tant de fois péri : femblables à Ra- chel , on ne rend plus à {qs idoles des lien- neurs publiques; mais en ne peut fe réfou- dre à s'en féparer , ni à les perdre de vue. En un mot , on s'eft donné au Seigneur: mais tout ce qui plaifoit 5 plaît encore , ou
Cs
58 PURÎFÎC. DE LA VlERGE,
n'a point fait de facrifice : on s'eft contenté d'ôîer la peau de la victime ^ de changer les dehors , de dépouiller un extérieur laf- cif & profane ; mais on n'a pas touché au refte : on n'a pas coupé la vï^ïme , com- me la loi l'ordonnoit ; 6c le glaive de la Foi n'y a fait aucune féparation douîou- Levît, reufe : Dctradâquc pelle lioftia: , anus in 2» ^' fi'ufiTd concides.
Cependant comme on perfévere dans l'ufage des chofes faintes , comme on vit exempt de grands crimes , comme on fuit prefque les mêmes routes que les Juftës , peu s'en faut qu'on ne fe croie Jufle com- me eux : ce n'eft pas ici une hypocrifie ; on eft dans l'erreur de bonne foi. Au commencement & dans les premiers temps de la converfion ^ plus frappés idors du fouvenir encore récent de *30s défordres , & des réparations de pénitence dont ils nous rendoient redevables à la jufîice di- vine 9 nous fentions que nous n'avions en- core rien fait pour Dieu ; nous ne prenions qu'avec une forte de confufion le nom de ferviteurs de Jefus-Chrift ; &: tandis que le monde trop prompt fouvent à donner aux plus légères démarches de change- ment , le nom de vertu & de fainteté ; tan- dis , dis- je , qu'il nous méconnoiflbit , nous ne nous méconnoifTions pas encore nous-mêmes. Mais infenfiblement nous nous fommes fam,iliarifés avec cet état; les dehors de la juilice nous ont caché no- ire véritable mifere ; les louanges des
SVK LES DISPOSITIONS , &c. 59 hommes fur notre prétendue vertu , nous ont perfuadé qu'elle étoit véritable , & que le Seigneur n'en demandoit pas da- vantage de nous : à force de nous regar- der avec les yeux d'autrui , nous avons réufn à nous prendre pour ce que nous ne fommes pas ; & fans avoir jamais fait à Dieu aucun facrifîce réel & douloureux de nos fcns , d^ nos penchans , de nos ef- pérances , de nos incommodités , de nos antipathies ^ de nos haines fecreîtes , de notre orgueil 5 de notre am.bition , nous croyons nous être confacrés au Seigneur, avoir renoncé au monde , & fait le facri- fice que Dieu demandoit de nous.
La piété , mes Frères , n'eft donc que le facrifîce de notre cœur : mais ce n'ed pas affez que J'offrande en foit réelle , il faut encore qu'elle foit univerfelle ; CsccnàQ condition. Jefjs-Chrift, dit faint Bernard 5 facrifîe aujourd'hui à fon Père tous fes ti- tres 5 toute fa gloire , fon innocence me» me ; il ne réferve rien , pour nous appren- dre 5 dit ce Père ^ que l'intégrité du facri- fîce en fait d'ordinaire tout le mérite : Of- S.Bern. ferentcs illi utiquc quod fumus nofmetipji.
Or, on veut bien retourner â'Dieu 8c com.mencer une nouvelle vie ; mais on ne veut pas tout d'un coup faire un divorce univerfel avec le monde : on fe figure aue fi l'on vouloit tout entreprendre d abord ^ on ne feroit rien ; qu'il faut fe gagner peu à peu fur certains points avant que d'en ve- nir aux autres j que dans de foibles corn-
Dô
Co PuRiFic. DE L^ Vierge.
mencemens , le Seigneur ne ciéfappronve pas quon accorde encore bien de chofes a la foibleiie ; qu'il faut s'effayer fur J.
n:OHifircs ennemis, pour attaquer plus hcu- reufeir.ent les plus forts; & que David vai.quoit les lions & les ours , avant que dofer attaquer Goliath. ^
Ainfi on fe retranchera fur u'i jeu outré • lirais on ne veut pas encore toucher aux autres plaifirs : on rompra un engagement rie crime ; mais on ne veut pas d'abord bannir les fpectacîes, les entretiens dange- reux, les lia;fons inutiles & fufpeacs l-s foins exceflifs de la parure. On fe dit 'à foi-memequechaquechofeaurafon temps qu II faut infenfiblement accoutumer le monde & s accoutumer foi- même ■ on craint de trop fe prcfTer , & l'on donne à Ja foibleffe le nom de pjudence. Mais dès commencemens lî ménagés ne font jamais heureux & ne vont jamais loin : il n'en eft pas de la converfion , comme des ouvra- ges des _homn-.es : elle n'eff point , lorf- qu elle n eft pas entière ; & tout eft encore a taire , tandis qu'il en refte encore un feul point : toutes les paftlons n'en forment qu isne oans lame : en vain les attaquez- «oiis fcparement ; vous coupez les têtes de J Jiydrc qui rcnaifient , & la grâce ne con- iioit point de viftoire partagée.
Il eft vrai que Ja piété a {es progrès • quelle le perfectionne de jour en jour ; & qu .1 tal ut Je travail de quarante années , pour relever & mettre dans fa yerfeaioi
Sur les dispositions , 8cc. 6î les murs & le temple de la fainte Jcrufalem^ figure de Tame fidèle. Mais le monde , Se tout ce qu'il a de criminel , doit être d'a- bord détruit dans notre cœur ; mais tout ce qui eft incompatible avec la vie chré- tienne , doit celTer tout d'un coup ; & dès que le Seigneur a fait retentir fa voix dans un cœur , la criminelle Jéricho doit tom- ber toute entière à {es pieds , & ne plus rien conferver de ce qu'elle étoit , que fes débris & fes ruines.
Et certes , mes Frères , Jefus-Chrlfè pouvoit fans doute * en venant s'offrir au- jourd'hui à fou Père aux pieds de l'autel , comme le m^aître du temple , y laiiîer briller quelque rayon de fa gloire & de fa piiif- fance, com.melorfqu'il en chafTa les profa- nateurs : mais tout partage bleilé fon rur.Gur. Il eft le Pontife éternel d'une nou- velle alliance ; lui feul a droit d'entrer dans le fanéiuaire véritable ; & il facrifie cette augufte qualité , en venant acheter le droit d'entrer dans le temple figuratif: il eil le Rédempteur de Sion ; & lui-même eft ra- cheté comme uneviftime vulgaire: c'eftle légiflateur des peuples ; & il vient fe fou- mettre à une loi dont il efi: lui-mêmiC l'ac- complilfement : enfin , il eft le libérateur tant de fois promis ; & il ne refufe pas d'être délivré delà fervitude commune par l'of- frande d'un vil animal : il fait un facrifice univerfel à fon Père de tous les titres dont fon Père même l'a revêtu.
Mais c'eft ici fur- tout , où il eft raie de
(^l PURIFIC. DE LA ViERGE.
ne pas ufer de referve , & de faire au Sei- gneur un facrifîce fincere de toutes ces vai- nes diftindions qui nous élèvent aux yeuK des hommes. Lors mêmes que défabufé du monde , on revient des égaremens des pafTions , on ne revient guère de la vanité , &: de l'entêtement du rang &: de la naiflan- ce 5 & Ton veut que fes titres entrent , pour ainfi dire , dans tout ce qu'on fait pour le Seigneur. Si l'on confacre des dons au tem- ple 5 les marques fuperbes du nom & des dignités en immortalifent la mémoire : fi l'on élevé des afyles de miféricordê' 5 ces maifons deviennent des monumens publics delà grandeurde celle de leurs bienfaiteurs; & les fignes de la vanité font prefque tou- jours la première chofe qui paroît dans les œuvres faintes. Telle eft la foibleffe des Grands fur-tout : les hommages obfcurs ne plaifcnt pas ; les œuvres de Religion qui nous confondent avec la foule , ne font ja- mais de notre goût : il faut que tout ce que nous faifons pour le ciel porte le caradere de ce que nous fommes fur la terre. On entre dans des œuvres de miféricorde ; mais on en veut les premiers honneurs : on s'abaiflé jufques aux minifteres les plus vils de la charité ; mais on s'abaifle avec falle ; & dans cet abaiffement mêmiC on fait fen- tir qu'on eft grand ; on fe trouve dans des lieux fecrets ^ confacrés aux exercices hu- milians de la miféricorde ; mais on s'y fait •annoncer par des diftinctions de vanité , 8c il femble qu'on ne veut pas courir le rifc^ue
Sur les dispositions , &c. 6^ de rhumiliatioii , fans s'être préparé le dé- dommagement des éloges.
On ne connoit plus cette humilité ingé- nieufe , dont des Saints diftingués dans le monde , nous ont lailTé tant d'exemples. Quelle joie pour eux lorfque pouvant fe dérober aux regards publics , & fe dépouil- ler pour un temps du poids de leur gran- deur 5 ils alloient inconnus , ou foulager leurs frères , ou s'expofer à des outrages , ou honorer le Seigneur dans quelqu'autre œuvre obfcure de Religion ! quelle fainte induftrie pour trouver ces momens heu- reux ! c'eft alors qu'ils fe croyoienî vérita- blement grands : c'étoit dans ces momens d'humiliation , qu'ils fe regardoient avec une fainte complaifance, parce qu'ils retrou- voient en eux les traits les plus reffemblans de leur divin Maître , dépouillé aujourd'hui de tous fes titres devant la grandeur de fon Père , & confondu par une cérémonie hon- teufe avec les autres enfans d'Ifraël : c'eft alors que fe trouvant comm.e foulages du fardeau de leur élévation , ils marchoient avec plus d'ardeur & de légèreté dans les voies de la juftice : c'eft alors enfin , que le Seigneur fe communiquoit à eux plus abondamment, &: qu'ils goûtoient des dou- ceurs que le cœur humain ne peut com« prendre. Ainfi dès que Moyfe s'eft dépouil- lé du titre faftueux de fils de la fille de Pha- raon , & eft venu dans le défert , comn:e un homme obfcur & inconnu , garder les troupeaux de Jéthro ; c'eft alors que le
64 PURIFIC. DE LA ViERGE.
Seigneur fe montre à lui dans le buiflon & verfc dans fon ame des confolations inef- fables 5 qui le dédommagent avec ufure de toute la pompe de l'Egypte , qu'il vient de facrifier à l'opprobre de Jefus-Chrift.
Mais non-feulement Jefus-Chrift facrifîe aujourd'hui à fon Père toute la gloire de {es titres: afin que rien ne manque à l'inté- grité de fon facrifice , il lui en fait un même de fon innocence. Il paroît dans le temple comme un pécheur ; il y eft racheté com- me un efclave & un enfant de colère ; il prend fur lui toute la honte du pèche dont il eft exempt : & dans les facrinces que Dieu demiande de nous , nous vouions tou- jours fauver line vaine réputation d'inno- cence & de probité que nous avons per* due.
Vous craignez qu'en reftituant des biens mal acquis , vous n'informiez le public de vos injuftices fecrettes. Mais vous vous trompez , fi vous avez cru jufqu'ici votre réputation ià-deffus hors d'atteinte : depuis long temps on dit tout haut dans le monde, que ces équipages pompeux , ces édifices fuperbes , cette opulence domeftique eft le bien de la veuve &: de l'orphelin ; que vous avez élevé votre fortune fur la mi- iere publique ; & qu'une profpérité fi prompte n'a pu être innocente : le monde lui-même eft bleffé de vos profufions , &C ne vous regarde plus qu'avec une forte d'indignation & de mépris ; & loin que des démarches publiques de repentir miffent
Sur les dispositions , Sec. 6^ votre réputation en danger , il ne vous refte plus que cette voie pour recouvrer celle que vous avez perdue. Vous dites que {î vous rompez brufquement ce commerce 5 l'éclat fera penfer qu'il n'étoit pas innocent. Mais depuis long-temps le public mur- mure fur ces afiiduités que vous croyez ignorées : c'eft un fcandale , & vous vous flattez qne c'eft un fecret : les gens de bien en gémiffenî ; le monde , loin d y donner des interprétations favorables , va peut-être encore au-delà de la vérité ; car les erreurs fur ce point font toujours plu- tôt des erreurs de malignité que de bonté ; & une rupture foudaine n'eft plus pour vous un éclat à craindre , mais une démar- che aufil néceffaire à votre honneur qu'à votre falut : vous reifemblez à Saiil , qui exigeoit de Samuel des ménagemens &: des honneurs publics qui confervailent fa gloire & fa réputation dans l'efprit du peuple \ lui , dont les infidélités avoient déjà iî fort éclaté dans tout Ifrael : mais d'ailleurs , quand il s'agit d'obéir à la loi de Dieu , il ne faut plus craindre les démarches les plus humiliantes 5 que le falut rend indifpen- fables.
Enfin • mes Frères , Toffrande de Jefus- Chrift eft une offrande toute volontaire ; dernière condition. C'eft un hommage de furcroît 5 pour ainfi dire , qui ne trouvé pas {es motifs dans l'obligation de la loi , mais dans le feul amour de celui qui l'of- fre ; & l'ouvrage du falut des hommes 5
66 PURIFIC. DE LA ViERGE.
dont fon Père l'avoit chargé , pouvoit être confominé 5 fans qu'il ajoutât aux oppro- bres & aux travaux futurs de fon minif- tere la honte de cette première démarche.
Mais il vouloit accomplir toute juftice , & nous apprendre qu'un ame , qui reve- nue des égaremens du monde fe confacre à Dieu , ne peut d'abord fe refufer à elle- même de faints excès ; ne s'avife pas de compter avec fon Seigneur ^ pour favoir au jufte ce qu'elle lui doit ; ne trouve tien de trop pour fa douîêur , & pour la viva- cité de Ion repentir ; & loin que la tiédeur de fon zèle attende toujours l'obligation inévitable du devoir pour agir , elle te fait un devoir de tout ce qu'un zèle faint lui înfpire.
Or , mes Frères , où font les âmes de ce caraftere ? Lorfque touché de la grâce , on veut revenir à Dieu ; le premier foin cft de chercher, de toutes les maximes de le fervir , la plus douce & -la moins dure à l'amour propre ; loin d'embraffer des ri- gueurs de furcroît , on étudie d'abord juf- qu'où on peut pouffer la condefcendance 5 pour s'en tenir à ces bornes dangereufes ; on fe fait d'abord un plan de vertu , où le monde entre prcfque autant que l'Evan- gile : loin de fe propofer les phis gens de bien pour modèles , on déclare d'a- bord qu'on ne veut pas poufîer Iqs cho- fes à l'extrémité comme eux ; qu'on ne vent pas donner dans le ridicule de la fin- gularité , tk dans les travers d'une piété
Sur les dispositions , Sec. 6^ outrée : loin de chercher dans leurs exem- ples ce qu'on doit imiter , on y cherche ce qu'on doit fuir ; & l'on veut être à Dieu en commençant à condamner ceux qui le fervent. Ainli on ne donne à Dieu que ce qu'on ne peut lui refufer ; & l'on traite avec lui , non comme avec \\\\ père irrité qu'on veut appaifer , mais comme un ennemi , envers qui on ne fe relâche qu'à regret de ce qu'on eft forcé de lui accorder. Oui j mes Frères , qu'on aime peu fou Dieu 5 quand on peut fe prgfcrire à foi- même la mefurê de l'aimer ! qu'on eft peu touché de fes crimes , quand on peut d'à- bord chercher des adoucilFemens à h pé- nitence ! que la converfion eft fufpeae y lorfque l'on commence par y mettre des bornes ! &c que le cœur eft peu changé ^ lorfqu'il a encore le loifir de fupputer les premières démarches de fon changemiCnt ! Les commencemens de la pénitence ne fauroient être fi Janguiffans & fi ménagés ; le cœur alors ne pouvant prefque porter \t% premières imprciTions du Dieu qui le rem ■ plit 5 ne cherche qu'à foulager fa douleur : les larmes ne coulent jamiais avec afi^ez d'a^ bondance ; la componftion n'eft jamais af- fez vive. Quelles inquiétudes fur l'état dé- plorable où il a vécu , la grâce n'opere- t-elle pas dans l'ame d'un véritable péni- tent! quelle fainte indignation fait- il pa- roitre contre les difiblutions de fes premiè- res mœurs , & le fcandale de fa vie pafiée ! quelles raifcns n'a-t-ilpas à nous oppofer ,
68 PuRiFîC. DE LA Vierge. lorfque nous voulons modérer l'excès de fon zèle , & confoler ramertume de fa douleur ! quelle crainte de ne pas trouver auprès de Dieu toute l'indulgence que nous lui promettons ! quel delir de réparer le temps perdu dans les erreurs du fiecle , de mettre à profit ce qui lui refte de vie , & de ne plus perdre de vue le bienfait ineili- mable qui vient de Tappeller à la connoif- fance & à l'amour de la vérité ! quelle fainte jaloufîe envers ceux de fes frères qui ont eu le bonheur de le donner à Dieu avant lui ! & qu'il lui paroît trille d'avoir aimé fi tard celui qui feul efl digne de uoire amour ! quel zèle à venger fur fa chair les iniquités dont elle s'étoit fouillée ^ & à faire fervir à la juftice les membres qui avoientfervi au péché !
Voilà , mes Frères , les converfîons que la fuite ne voit jamais fe relâcher , ni fe dé- mentir. Mais ce jeune homme de l'Evan- gile , qui appelle par Jefus-Çhrid , com- mence par difputer s'il eft obligé de renon- cer à tout pour le fuivre ; mais cet autre , qui 5 en fe donnant à lui , veut encore fe réferver le droit d'aller rendre les derniers devoirs à fon père; mais toutes ces con- verfîons mitigées & imparfaites ;mais tous ces facrifices où Ton commence par mêler du m.iel contre l'ordonnance de la Loi , le Seigneur les rejette; & pour être dignes de fes regards , il faut que la réalité de l'immolation en fan£^ifie l'offrande ; que l'intégrité la perfe£lionni2 ; 6c enfin , que la
Sur les dispositions ,&:c. ^9 ferveur & la furabondance de zèle la coii« fomme , & la falTe monter en odeur de fua- vité jufqu'au trône de la majefté fainte: telle eft la Loi du facrifice : hœc eft Lœx Leviu Sacrificii. Mais fi le défaut de ces condi- ^* ^4. tiens rend la plupart des converiions peu finceres , le défaut de fidélité les rend auilî peu durables ; & c'efl fur quoi l'exemple de Marie va nous inftruire.
Esinfidélitéslesplusordinairesoùnous ^^' tombons dans les démarches du falut que Dieu demande de nous , ont leur fource , ou dans une prudence de la chair , tou- jours ingénieufe à trouver des inconvé- niens aux delfeins de la grâce fur notre ame,oudans un orgueil & une complai- fance fecrette , qui trouve dans les dons même de l'Efprit faint , l'écueil de la ver- tu ; ou enfin , dans un découragement dan- gereux 9 qui , à la vue des maux dont il eft menacé , fe confulte trop foi-même , & fait de fa foibleile la mefure de fes de- voirs.
Or, la fidélité de Marie dans ce myftere nous fournit de grandes règles , pour évi- ter ces trois écueils : docile , elle ne rai- fcnne pas ; humble , elle ne s'élève pas: généreufe , elle ne fe décourage pas. Sui- vez , s'il vous plaît cet ordre j <k m'hono- rez de votre attention.
Docile , elle ne raifonne pas : car 5 que ne pouvoit-elle pas fe dire à elle-même , pour fe difpeiifer de la Loi commune de
70 PURÎFIC. DE LA ViERGE.
la Purification ? Quand les raifons tirées de fa propre gloire , n auroient pas été capa- bles de la toucher , pouvoitelle être indif- férente à la gloire de fon Fils ? En fe con- fondant avec les autres mères , par fa fou- mifîionà une cérémonie honteufe , ne fem- bioit-elle pas le confondre aufîi avec les autres enfans d'Ifraël ? & pouvoit-elle fe dégrader publiqueinent de Thonneur de fa divine maternité , fans dérober à fon Fils la gloire de fon éternelle origine , & pré- parer de loin des preuves à l'incrédulité , & aux blafphêmes de fes ennemis ?
Mais elle avoit appris dans fa retraite de Nazareth que l'œil de la grâce efl: fimple ; que trop de raifon , quand il s'agit des voies de Dieu , eft un excès de lumière , qui éblouit , & qui égare ; que la vie de la Foi lailfe toujours des ténèbres & des dif- ficultés , pour ne pas ôter à l'ame jufte le mérite de fa docilité ; & qu'il y a un œil de fcandale qu'il faut arracher , & jetter loin de foi de peur de regarder trop avant dans les voies où la grâce nous appelle. Elle fe foumet avec fimplicité , & adore dans l'ordre de Dieu les de/Teins éternels d'une démarche qui femble n'offrir à la rai- fon que des inconvéniens inévitables.
Mais que l'exemple de Marie a peu d'i- mitateurs parmi ceux même qu'on régarde comme juiles , & qui vivent dans la prati- que de la vertu ! Oui , mes Ficres , nous prenons prefque toujours dans les intérêts ■de la gloire de Dieu ^ des prétextes poui*
Sur les dispositions , &c. 71 nous dilpenfer de fa Loi fainte ; & nous trouvons le fecret de nous déguifer à nous- mêmes nos pafllons fous le nom de la piété, Ainii 5 on fe retrancheroit fur bien des cho- {es que la Loi de Dieu demande de nous ; mais on ne veut pas rendre la piété odieufe, par des fîngularités aufquelles le monde ne manqueroit pas de donner du ridicule : on feroit certaines démarches qui refient à faire , pour n'avoir plus rien à fe repro- cher ; mais les inconvéniens qu'on en craint paroiflent plus dangereux , que le mal même qu on eft obligé de fe permettre : on feroit mioins fenfible à une injure ; mais on eft revêtu d'un caractère facré , dont on eft obligé de venger l'honneur : on fou ffriroit la calomnie fans fe plaindre ; mais l'œuvre de Dieu s y trouve inîérefîee , & fî l'on ne démafque l'impoileur , la crédu- lité publique fera féduite , & une entreprife de mifericorde renverfée : on garderoit contre cet Ecrivain les règles de la chari- té , & de la poiitelTe même Chrétienne ; m-ais le zèle de la vérité qu'on défend ne permet pas cette jufte modération ; & con- tre l'erreur , il ne faut pas amplement adou- cir £%: changer fa voix , comme autrefois l'Apôtre en écrivant contre les abus d'une Eglife fidèle , mais fonner de la trompette comme les Prêtres de la Loi contre Jéricho. Ainfî , la Religion elle-même fert fouvenî d'afyle &: d'appui à des paîTions injuftes.
IVIais lailfons à Dieu , mes Frères , le foin de venger fa gloire : défendons la vé-
72 PURIFIC. DE LA ViERGE.
rite avec les armes de la charité : comb^it- tons l'erreur avec cet efprit de douceur §i de modeftie , feul capable de ramener ceux qui errent : découvrons le mal fans aigrir le malade ; & n'ajoutons pas au fcan- dale des doctrines perverfes , celui des emportemens qui les combattent. N*in- téreilons pas la gloire de Dieu à nos trans- greiïîons : accomplirons la Loi , qui eft claire. Que les inconvéniens douteux que nous croyons appercevoir de loin , ne nous retardent plus : c'eft l'affaire de ce- lui qui nous ordonne d^obéir ; &: puifque ces raifons ne l'ont pas encore obligé de changer fa Loi, elles ne doivent rien chan- ger aufli à la fidélité de notre obéiffance. D'ailleurs , vous qui paroiiTez fi fenfible aux intérêts de la gloire de Dieu , & qui peut-être confondez ce fentiment de la Foi avec une vivacité toute humaine uir votre gloire propre ; favez-vous où le Seigneur la trouve , fa gloire ? Vous croyez que c'efi: dans le fuccès d'une oeuvre d'éclat utile à la piété , dans la confufion &: dans le décri d'un ennemi de la vertu : vous vous trompez. C'eft fouvent dans la pa« tience d'un JuÛq perfécuté ; c'eft dans le iîlence d'une ame fidèle que l'on calomnie : ces actes pénibles & fecrets de la Foi ont quelque chofe de plus grand à fes yeux , Êc de plus digne de fa gloire , que les hon- neurs le plus pompeux rendus à la vertu ; & peut-être que ceux de ïfraéiites deve- nus fidèles ôC fervens dans la captivité ?
ihonoroient
Sur les dispositions , ^c. 7^ riionoroient davantage le long des fleuves de Babylone , par les gémiflemens fecrets, par les defirs faints &: ardens , par les trif^ tes CiAntiques qu'ils faifaient monter fans cefle vers le Trône du Dieu de leurs Pè- res 5 par la patience avec laquelle ils fup- portoient les rigueurs de leur fervitude ôc le joug des incirconcis , que n'auroit pu faire la ruine entière des ennemis d'ifraèl , la gloire de Jérufalem rebâtie , & la m.a- gnificence de Ton Temple & de fes Sacri- fices. Ce n'efi: pas toujours en attirant des honneurs à la vertu ; c'eft le plus fouvent , en exerçant le Juile par des opprobres , que le Seigneur fait fe glorifier iui-inêirie. Une autre inftrucirion que nous donne ici la docilité de Marie , c'eft qu'élevée su degré le plus fubiime de la grâce , unie à Dieu par les dons les plus excellens de TEfprit faint , elle ne dédaigne pas une cé- rémonie vulgaire du culte ; elle n'aiTcile pas des voies plus {ubiimes , plus fpiri- tuelles 5 &: plus parfaites. Car cet écueil cil à craindre pour la piété : fouvent on croit avoir une dévotion plus éclairée , &C de meilleur goiit , en laidant au peuple iinipîe & groilier , ou aux âmes moins ins- truites 5 tout ce qui ne paroît établi que pour le culte extérieur , & les pratiques les plus communes de la Religion , que la piété publique a autorifees , & dont la (im- plicite femble les de/liner à la multitude ignorante: on néglige ces fecours inno- cens ^ comme fi une Foi plus éclairée pou-
j\1yjicrcs. D
74 PURÎFIC. DE LA ViERGE.
voit s'en paiîer : en croit en donnant moins aux fens & à la chair, qui ne fert de rien , agir plus félon TeTprit qui eft utile à tout : on fe relâche fur mille ufages faints & fenfîbles , qui répandoient au commen- cement de notre pénitence , une on6i:ion fecrette dans nos cœurs , & foutenoient la fidélité de notre piété nailTante : on fe per- ftiade qu'il y a une voie plus excellente ; Se cependant , depuis qu'on eft infidèle à ces ufages , on eft tombé dans le relâche- ment & la fécherelfe ; on ne fent plus ces confolations faintes , qui étoient la récom- penfe & le foutien de la vertu ; en négli- geant ces œuvres fi peu utiles , on a peu- à-peu i>ëgiigé les plus elfentielles ; & l'on eû. devenu tout charnel depuis qu'on n'a plus voulu fe conduire que félon Fefprit.
Ainfî 5 m.cs Frères , tout aide à la véri- table piété ; tout réveille fa foi , tout per- fedionne fon amour , tout confole fon ef- pérance : rien n'eft imiparfa.it pour elle que les œuvres qni manquent de ferveur ; & les pratiques les plus fîm.ples lui paroiifent aufiî élevées devant Dieu que les plus pu- 3CS contemplations des Séraphins , dès qu'elles en ont l'amour & le zèle. La per- feâ:ion de la vertu ne confifte pas dans la fublimitc des devoirs que l'on remplit , mais dans la grandeur de la foi , qui peut accompagner les œuvres Iqs plus vulgai- res. Souvent on ne fe croit plus avancé , que parce qu'on vacque à des fonctions plus relevées , à des leftures plus fpirituelles ,
Sur les oisposîtîons , 8cc. 75 à des méthodes plus parfaites. Mais fi vous portez à ces méthodes fubiimes les défauts des foi blés &c des imparfaits , vous êtes , comm.e les Apôtres , m.onté fur le Tha- bor , pour y contempler la gloire du Sei- gneur ; mais vous y confervez encore , comm.e eux , un goût de chair & de fang 5 &: penfez encore à vous bâtir fur la terre un Tabernacle & une Cité permia- nente.
En fécond lieu , humble , Marie ne s'é- lève pas. Car , mes Frères , qui peut dou- ter qu'elle n'eût été éclairée d'en haut fur toute la fuite du mjniftere de fon Fils , elle qui en avoit dévelappé les merveilles d'une manière fi fubiime dans fon divin Canti- que ; &: que l'élévation de fes lumières ne repondit à celle de fa grâce 6c de fa di- gnité ? Cependant elle veut bien recevoir les avis du juile Sim.écn ; elle ne dédaigne pas d'être inftruite par le faint Vieillard fur les fuites de fa deftinée & de celle de fort Fils : elle paroit apprendre ce qu'une plé- nitude d'efpriî & de grâce lui avoit déjà appris : elle ne s'emprefTe pas de raconter à fon tour les grandes chofes que le Sei- gneur avoit opérées en elle , & tout ce que l'Ange lui avoit révélé dans fa retraite de Nazareth ; & comime d le cantique du Vieillard Siméon lui eût découvert fur cet enfant j des myfteres qu'elle eût jufques-là ignorés , elle écoutoit fcs paroles , dit l'E- vangile , avec une admiration de refpe£t &: de furprife ; Erat FaUr 2Jus & Maîzr Lu:, z.
•j6 PURIFÎC. DE LA ViERGE.
mirantes fuper his cpicz dicchantur de illo. Or , rien de plus rare , même dans la piété , que cette fage & modefte retenue , qui va à cacher Tes propres dons , & à ma- nifeiler ceux à^s autres. Souvent enflés de quelques foibles lumières , qu'on croit avoir puilees dans des leâ:ures plus recherchées , on veut tout inilruire fans connoiilance , tout régler fans vocation , tout entrepren- dre fans talent , tout décider fans autorité. A peine trouve-t-on de guide alfez éclairé pour fe conduire : tout paroît au-defTous de ce qu'on croit être foi-même : il faut des Pauls defcendus du Ciel ; encore ne parlent- ils pas afîéz la fagefîe Aqs parfaits : la fmipliciié , i'onclion , la plénitude de l'Efprit de Dieu ne paroifîent plus que des talens defiinés à fauverles âmes vulgaires : on veut pour foi un certain goût , des lu- mières rares , des dons éclatans , &: quel- que chofe de plus que la fcience de Saints ; & la vanité paroit jufques dans le choix qu'on fait de celui de qui on veut appren- die l'humilité chrétienne.
Souvent encore on conferve dans un miniftere faint, com.me ces Fidèles de Co- rînthe , un efprit d'émulation pour les dons eis'térieurs. Tout ce, qui brille plus que nous 5 nous blelfe : tout ce qui nous eiface ou nous obfcurcit , nous trouve inexora- bles : que Jefus- Chrift en foit plus glorifié , fi nouslefommes m.oins nous-mem.es , nous devenons les cenfeurs de l'œuvre de Dieu dans Iqs dons de nos Frères : nous n'avons
Sur les dispositions , &c. 77 de zèle que pour les miniileres éciatans; nous laiirons aux autres les plus utiles aus Peuples ; nous fuyons en travaillant à l'é- difice du Seigneur 5 ces foins obfcurs & pénibles , qui ne font que préparer les voies en fecret, & qui laiilent aux autres la gloire publique du fuccès , & tout Thonneur de l'ouvrage: peu femblables à David, qui fe contenta d'avoir amaile avec des iGÏns in^ croyables , tous les matériaux du Temple 5 & laifla à ion fils Saîomon la gloire immor- telle de l'avoir élevé , &i tout l'honneur de cet ouvrage célèbre. Cependant ^ tout eft à craindre lorfque l'orgueil S: la yaine compîaifance fe mêlent avec les talens . & les dons extérieurs de l'Efprit faint : c'eft une rouille qui les infeâe , & qui en anéan- tit le fruit oC l'ufage : vous arrofez , & le Seigneur ne donne pas raccroifFement ; vous travaillez , & vous femez du vent : Dieu ne bénit pas un inftrum.ent qui n'agit pas fous fa main ; & vous devenez coupa- ble , ck des dons que vous avez reçus • &: des fruits que le Seigneur avoit attachés à i'ufage faint que vous en deviez faire.
Enfin , généreufe , Marie ne fe décou- rage pas. On lui annonce qu'un glaive de douleur percera fou ame ; que cet enfant qu'elle vient offrir y fera expofé com.me un but aux traits de la contradiction & de la calomnie ; on ne préfente à fon efprit que des images triftes & efFrayantes ; on ne lui fait entrewir de loin que des malheurs , dont la penfëc feule fait frémir fa tcndreife °
7^ PURÏFÎC. DE LA ViERGE.
cependant à des préfages fi funeftes , elle oiire une foi généreufe & foiimife. Fille d'Abraham , elle en imite la fidélité & le courage ; elle voit déjà la montagne fainte , le bûcher fatal drelTé , &: le véritable Ifaac prêt à être immolé , fans que fon amour arrête le bras qui va frapper. Elle entre dans^ les difpcfitions divines de fon Fils , uniiiant fa foumiinon à la fienne ; elle tire de lui toute fa force ; & comme ils offrent la même hoftie , ce n'efl , pour ainfî dire , que la même obéiHance qui en confomme & en fanéiiiie i'ûblaîion.
Or 5 c'eft ici où Texemiple de Marie cft peu imité. La piété n'arrache pas toujours du cœur des parens les plus chrétiens , Fa- inour charnel & déréglé des enfans ; & l'on n'offre pas toujours au Seigneur, com- me elle 5 ni ce qu'on a de meilleur, ni peut- être ce qu'il demande de nous. Si l'on dé- mêle dans un enfant les premières efpéran- ces de ces talens qui font réuflîr dans le monde ; s'il paroît plus propre que les au- tres à foutenir la gloire de fon nom & l'ef- time publique , on le fépare pour la terre ; on le regarde comme confacré & deftiné au fiecle par fa naiffance ; le Seigneur n'a plus de droit fur lui. En vain mille traits d'une vocation fainte paroiffent déjà fur fa perfonne ; en vain mille defirs de fépara- tion & de retraite , que la grâce opère déjà dans fon ame , laiffent comprendre les def- feins de Dieu fur lui ; en vain , comme Moyfe , préférant l'opprobre de Jefus<
Sur les dispositions , Scc. 79 Chrift aux richelTes de l'Egypte , fe déro- be-1- il, peut-être même pour s'enfuir au défert : on réfille à l'ordre de Dieu ; ou regarde les plus {ainls mouvemens de la grâce comme des légèretés de reafance ; on ne le croit pas encore capable de le clioi- fir une voie , & on lui offre celle du fiecle : on ne veut pas le détourner ouvertement d'un deffein louable; mais fous prétexte d'éprouver la vocation , on la fait perdre; on exige qu'il connoillc le monde aupara- vant, & on attend qu'il l'nit ainin : on veut Jaifier mûrir la raifbn , ôc on lalilc flétrir l'innocence ^ fortifier les pallions : on fe perfuade qu'il faut l'engager dans des plai- firs qui éprouvent fa réf^ilution ; & on le met dans des occafions qui ccrroîiîpent foa ame : 6c com.me Noé , mais avec des in- tentions bien différentes , on envoyé il fou- vent fur une terre inondée d'iniquités , cette chaire colombe , pour eifayar fi elle pourra s'y arrêter , qu'à la fin elle y relie , &: ne revient plus dans le faint afyle où is Seigneur l'avoit appellée.
Ce n'eft pas que je prétende ici blâmer les précautions d'une prudence chréticane , mais je blâme les vains prétextes de la chair Bc du fang. Et en effet , lorfquc vous trouvez les mêmes deiirs de retraite dans ceux de vos enfans , qui par l'ordre de leur naiffance , ou par la médiocrité de leurs talens , fe trouvent moins propres au mon- de , & à féconder la vanité de vos projets ; êies-vcus' il difficiles Ôc fi circonfDeéis ?
D4 '
So PURIFIC. DE LA ViERGE.
prenez-vous tant de mefures , pour éprou- ver il ceR le boa efprit qui les pouiTe ? inettez-vous leur vocation à des épreuves il périlleufes ? Ah ! loin de vous défier de leur âge &: de leur enfance , vous en abu- fez : loin de leur repréfenter les inconvé- lîiens d'un choix téméraire , vous le leur inrpiVez : loin de leur foire connoître les plaillrs du monde , pour éprouver leur vocation ^ votre grande attention efl de les en éloigher, èl de leur en faire des pein- tures afircufes : au lieu de leur préfenter avec neutralité le ilecle & la retraite, vous les placez dans des fiîuations où tout leur fait entendre ce que vous n'ofez leur dire : vous faites de leur éducation une voie qui les conduit à vos fins : fous prétexte de les éloigner des dangers , vous dérobez de bonne heure le monde à des yeux, devant lefquels vous craignez qu'il ne paroiffe trop aimable : vous ne les traînez pas comme des viâ:imes infortunées à Fautel , mais peut-être vous leur rendez la retraite un afyie fouhaitable , par les févérités & les traitemens injuilcs qu'ils ont à eiîuyer au- près de vous. Après cela vous venez nous dire que vous êtes heureux dans l'établiA fement de votre famille. Vous êtes heu- reux ; mais vos enfans le font-ils ? &: pou- vez-vous appeller un bonheur pour vous , leur infortune , &: Finhumanité qui vous les a fait facrifier à l'idole de votre ambi- tion ? Mais de plus , la honte de vos familles
Sur les DIS?osITî0^^5: , oîc. 8r devient aiiiii le partage du Seigneur. Aind. les vafes de rebut , que vous n'avez pas trouvés dignes d'être placés dans votre rnaifon , vous les choi/ilFez pour être les vafes d'honneur du Temple du Dieu vi- vant ! ainli ces pierres inutiles , que vous rejetiez , comme incapables d'entrer dans redihce profane de votre fortune , vous les réfervez pour être les pierres de l'angle , & les colonnes de la Maifon du Seigneur ! Eh quoi ! mes Frères , l'art des arts , le gouvernement des âmes dcmande-t-il moins de talens , que les occupations frivoles & les inutilités de la terre ? Quoi [ l'interpré- tation des myfteres de la Foi , la défenfe de la vérité & de la docl:rine , l'inllru^ion des peuples , la difpenfation des grâces de l'Eglife ; des devoirs û fublimes , ne doi- vent-ils donc être abandonnés qu'à des ta- lens inutiles , &: à des efpriîs vulgaires 8c médiocres ? Quoi ! la force , pour réiiPœT à l'erreur; îa lumière & l'élévation , pour la découvrir 2>c la confondre ; le zèle ^ pour combattre le mionde , avec fes abus & Tes maxim.es ; îa fainteté , pour les cor- riger ; la plénitude de refprit de Dieu , pour le toucher ; l'éloquence fainte , pour le convaincre ; l'intrépidité , pour ne pas le ménager ; la grandeur d'ame , pour être au defilis de fes menaces & de fes proiiief- fes ; font ce-Là des minifteres vulgaires Sc rampans ? & faut-il , pour d-2s fonctions u élevées , être nés m.oins heureufeinr'nt que pour les amufemens du monde , 8c les
8z PURÎFIC. DE LA. ViERGE.
a^<T/itations puériles qui en font les plus fé- rierifes occupations !
Mais vous exigez vous-mêmes de nous tant de qualités rares & fublimes ; vous voulez que nos mœurs foient irrépréhen- fîbles , èl que nous brillons par la fainteté de notre vie , comme des aftres , au milieu des ténèbres & de la corruption générale dn monde : vous voulez que nous éclair- ciinons vos doutes , que nous redrelîions vos égaremens , que nous foutenions vo- tre foibleiie . que nous confolions vos af- iiicrions : vous voulez que nous foyons les dépoiîtaires de la doâ:rine & de la vérité , les oracles de la terre , toujours prêts à rendre raifon de notre foi , & à humilier toute hauteur qui s'élève contre la fcience de Dieu. Mais ceft vous-mêmes , mes Frères . qui nous avez donnés à TEglife ; ceCi de vos manis que le Seigneur nous a reçus ; & fi vous ne préfentez au Temple y que ce que vous avez de pire & de plus défe£lueux , comment y trouverez- vous ce qu'il y a de plus rare & de plus excel- ieuî fur la terre ?
Vous faites après cela vous-mêmes , mes FrCi-es , du dérèglement ou de l'igno- rance des perfonnes ccnfacrées à Dieu , le fujet le plus ordinaire &: le plus agréable de vos dériuons & de vos cenfures : mais n'e{î-ce pas l'oîivrage de votre orgueil & de vos iiitércîs fordides , que vous trou- vez il digne de rifée ? ne font -ce pas l^s îiiaiiis de votre cupidité 5 qui ont placé fur
Sur les dispositions , &c. S3 l'autel ces idoles nicprifables que vous in- fultez ? S'il n'y avoit point dans l'Eglife de parens avares , ambitieux , injuTies * y verroit-on beaucoup de miniftres mon- dains 5 fcandaleux , ignorans 1 û le Sei- gneur fe choihiroit lui-même fesviclimes, ieroienî elles û indignes de lui ? & les aiy- les faints cacheroient-ils tant de dégoûts , de foibleffe & de murmures ? Eh ! pleurez plutôt fur des défordres , dont vous êtes les feuls auteurs , & que la juilice de Dieu vous imputera un jour : couvrez plutôt du voile du filence , des plaies que vous avez faites vous-mêmes à l'Eglife : tournez con- tre vous mêmes vos propres cenfures : que les fcandales du SanÔuaire vous rap- pellent uniquement Finjuilice de vos deili- nations fur vos enfans : nos égarem.ens font toujours ou la peine , ou le fruit des va- très.
D'ailleurs , que pourroit il vous arriver de plus heureux , que de confacrer au Sei- gneur ce qu'il y a de plus heureufement né dans vos familles ? de fournir à l'Eglife des Miniftres éclairés , des ouvriers puilTans en œuvre & en parole ; qui ramènent les pécheurs , qui confolent les Juftes , qui fortifient les foibles , qui foient établis , comme aujourd'hui Jefus-Chtift , pour le falut de plufieurs , pour être la gloire de leur peuple ^ la lum.iere des nations , la cca- foîation de TEglife j le foutien de leurs Fra- ies ? &: quand même le Se!=;neur vous de- nianderoit , comme autrefois à Abraham 3
Do
H.hr.
H.' 21
84 PURîFîC. DE LA ViERGE.
& aujourd'hui à Marie , le feul héritier des prcmeiles , le (eul rucceiîciir de vos titres &: de votre nom , ne feroit- ce pas une grâce nciivelle dent il vous favoriferoit ? Le niondç Taiiroit infedc ; & le Seigneur îe mettra à couvert dans îe fecret de fon Ta- bernacle ; vous eu liiez été peut-être le père infortuné d\riiQ pollérité maudite ; &l vous purez la confolation d'y voir un Elu , que Jeliis - Chriil vous rendra dans le ciel. Peut-être même confacré au Seigneur , Sc revêtu d'un caradere de dignité dansFE- giife 5 recevra- 1- il vos derniers foupirs fur la terre ; fera- 1- il l'Ange tutelaire de votie mort ; vous fortifiera- 1- il dans cette der- nière licure par les paroles de la Foi , êi les derniers remèdes des m.ourans : peut- êrre bai lierez- vous fous fa main facrée y devenue rinfcrumenr de votre réconcilia- tion 5 votre tête déjà détaillante ; & com.m.e le vieillard Jacob mourant , aiTîfté de fon fils Jofeph élevé en dignité dans T'Egypte , vous aurez la confolation , comime lui , d'a- dorer le bâtcn de fa puifancepaftorale , èc la marque facrée de fon autorité : Adoravlt jhjïlgium. virgœ ejus, F h ! que vous fert d'avoir fur la terre des fiicccifcurs de votre nom 5 Icrfqu'une fois vous dcrmiirez dans la poufiicre du tombeau ? Il n'y a pour nous, dit faint Ambroife , de véritable pof- tériîé 5 que celle qui nous fuivra dans le Ciel : ceux de notre race , que la juftice de Dieu aura féparés de fes Saints , & attachés i;us flammes étemelles , feront pour nous
Sur les disposition's , S^c, 85 comme s'ils n'avoienî jamais été , dit TEf- prit de Dieu Nati fant quajl non nati ; & E^-cli. nous ne devons compter parmi nos neveux , 44- 9. que ceux qui nous feront unis dans la fainte Jérufalem , par les liens immortels de la charité. Illa enim vera pojlcritas , qiiœ non s.Amh, in tcrrh , fcd in ccvlo cfL de in-
Voilà les confolations temporelles , dont ^-'^' ^* Dieu récompenieroit ici-bas même votre ^* facrifîce : au lieu que ces vocations ména- gées de loin , infinuées , infpirées , com- mandées ; ces facrifices forcés de la cupi- dité 5 portent d'ordinaire , ici- bas m.ém.e y la calamité & la défolation dans les famil- les , en éteignent le nom , font fécher la racine d une orguciiîeufe poUérite , voient périr la gloire & la defcendance des mai- fons dans les débauches d'un emiporîé , au- quel on avoit facriiié tous fes frères , Se font une fource de chagrins amers , & de confufions éclatantes. On voit fis enfans , que la chair ^ le fang avoient placés fur l'autel 5 deshonorer leur miniilere , deve- nir l'oprcbre de FEglife ; que fai je ? tom- per quelquefois dnus i'^bym.e , fecouer le joug & perdre la foi , après avoir perdu îa pudeur & finnocence. Et fi les intérêts de î'Eglife & de votre falur font trop foibles pour vous infpirer de l'horreur d'un abus il déplorable & i\ barbare , du moins que vos propres intérêts , & le fcin de votre gloire cl de celle d^e votre nom , vous ar- létenî ; & fous un Prince fur-tout (i reli- gieux fur le choix des fujets qu'il place
h
g(5 PURIFIC. DE LA ViERGE.
dans le Sati6i:uaire ; (î peu touché du nom , des titres , de la naiilance , des fervices rendus à l'Etat, & de tous les autre? genres de mérite , fi celui de la do6brine , des ta- lens & de la piété ne les affortit ; & qui cft fi attentif à ne pas donner à l'Eglife des Miniftres qu'elle rejette , & qui ne fe font pas donnés eux-mêmes.
Telles font les inftruâ:ions que la Foi dé- couvre dans ce myftere. Confacrons-nous donc aujourd'hui au Seigneur avec Jefus- Chnft , mais confacrons- nous fans réferve ; ces offrandes défeâ:ueufes , ces conver- fîons imparfaites , forment quelquefois un état plus dangereux que le crime même. Répondons avec fidélité , comme Marie , aux deifeins de Dieu fur nous ; foutenons- nous 5 comme elle , dans la voie où la grâce nous a fait entrer ; ne traverfons ja- mais par des cupidités injufles , cachées fous des prétextes faints , les vues de la Providence fur nos deftinées. Vivons fous la main de Dieu ; & joignons au facrifice de notre cœur , cette fidélité qui le renouvelle fans ceife , qui l'étend à tout ce que Dieu demande de nous , & qui conferve jufqu'à la fin le tréfor de la juflfce , pour en trouver la confomimation dans le Ciel.
AinJlfohiL
«7
SERMON
POUR LA FETE DE L'INCARNATION.
Loquimur Dei fapientiam in myfterio , qua? abfcondita eft , quam nemo Principum hujus fieculi cognovir.
Nous annonçons la fagejje de Dieu cachée dans fan myjiere , que nul des Princes de ce monde n'a (onnue. i. Cor. i. 7. 8,
SI les voies de Dieu font d'ordinaire éloi- grées de celles de l'hemme , & n dans fes deiieins , la fageile éternelle fe plaît toujours à confondre les vains préjugés de la iligeile hniraine , c'eft principalement dans le Myilere qne l'Eglife honore en ce jour. Oui 5 mes Frères , un Dieu qui defcend de fa gloire peur nous y élever ; qui ie charge de nos infirmités & de nos fouiîrances , pour nous en fouiager ; qui s'unit à rhomme , pour réconcilier l'hom- me à Dieu ; a été dans tous les temps un fcandaie j ou ime folie 5 à ia prudence de la
88 P O U R L A F F. T E
chair ; & encore aujourd'hiii , la fageiTe de Dieu dans ce MyfLere , eft tout- à-fait in- connue au fîecle : Loquimur Del fapierLtiam in myftcrlo , ([uœ ahfcondita ejl^ qiiam ncmo Priiicipum hujus fœculi cognoviu
En efTet , ie monde ne connoît de vérita- ble grandeur , que celle qui frappe les fens : le mO!'de ne compte de vrai bonheur , que celui de vivre dans les plaifirs & dans Ta- bondance : le monde ci-oit avoir feul la raiion en partage , & rappelle toujours au jugement de Tes propres lumières , les œu- vres du Seigneur.
C'efi: fur ces trois erreurs que rculoît toute la fageiïe des hommes , avant qu'il plût au Très-Haut de les vifiter dans fa mi- féri corde. Les Juifs ne foupiroient qu'après la gloire & la grandeur temporelle d'un MeifTie charnel , qui devoiî fubjuguer tous les Empires , & rendre toutes les Na rions tributaires de Jérufalem : les Philofophes n'attendoienî le remède de -leurs maux , que des vains etforts d'une raifon malade : les Princes , les puiiTans & le peuple , cherchoient dans les plaifirs des fens , ce que TAuteur de la nature n'y a point mis , & la félkité la plus indigne de l'homme. Et tel eft cncovQ , après raccomplilTcment du grand Sf\'ri:ere de piété , l'état déplorable du monde.
Mon dellein donc aujourd'hui, efl de montrer comment la fagelle^de Dieu , ca- chée dans ce myftere , confond ces trois erreurs principales , oui foriïien: propre-
DE L* I N C A R N A T I O N. 89
ment toute la fagelle humaine. Première- ment , le Verbe s y anéantit ; & cet anéan- tiilement nous apprend que l'homme ne peut plus aimer l'élévation fans injuftice. Secondement , le Verbe s'y charge de nos douleurs & de nos fouffrances ; & ce mi- nillere nous découvre que Ihomme ne peut plus aimer les plaifirs fans crime. En- fin 5 le Verbe s'y unit à notre chair ; & en nous propoiant cette union incompréhen- fîblê , comme l'objet de notre cuhe & îa feule reiîburce de nos maux , il nous lalife comprendre mis l'homme ne peut plus compter fur la raifcii fans témérité. Un Dieu anéanti rend les humiliations hono- rables : un Dieu charge de nos douleurs rend les fouffrances aimables : un Dieu uni à l'homme fait taire la raifon , & rend la Foi même raifonnable. Développons ces trois vérités : elles renferment toute la doc- trine du grand Myftere de piété. Ave 9 IShria.
J—i 'Orgueil a été de tout temps îa plaie la partie plus dangercufe de l'homme. Né pour être grand Si maître de toutes les créatures , il a toujours conCervé au-dedans de lui ces premières impreffions de fon origine. Trouvant fans ceiîe dans fon cœur , je ne fais quels fcntim.ens fecrets de fa propre ex- cellence 5 que fa chiite n'a point effacés , il fe prêta d'abord à des penchans û doux ; il ne chercha plus qu'à s'élever de degré en degré j tk ne rencontrant rien ici-bas qui
f)o PourlaFete
put fatlsfaire la grandeur d'une ame , la- quelle n'avoit été créée que pour régner avec fon Dieu , il monta jufques au-delTus de nuées , & fe plaça à côté du Très- haut. De-là l'homme fe fît rendre les hon- neurs divins ; l'homme fe rendit à rhomm.e même , & l'univers adora , comme fes au- teurs, des infenfés que l'univers avoit vu naître , & qui étoient venus tant de fîecles après lui.
Cependant l'homme , depuis le péché , n'eft plus qu'un vil efclave : tout ce qui l'élevé 5 le tire de fa fituation naturelle , ^4 ^iiifque l'honneur n'efl dû qu'à l'innocence , Ik que rabje6tion doit être le partage du vice ; ck s'il lai reile encore quelque efpoir de recouvrer fa première grandeur , ce ne peut être que dans l'humble aveu de fa baffeife.
Mais comment perfuader au monde une vérité fi nouvelle , démentie par la doctrine de toutes les Seâ:es , par les préjugés de toutes les Nations , & par les fentimens les plus vifs du cœur humain ? les Juftes, dans ces temps reculés , qui précédèrent l'avéne- ment du Libérateur , en avoient , je l'a- voue 5 lailTé de grands exemples aux hom- mes. Qu'eft-ce que l'homme , ô mon Dieu ! s'écrioit un faint Roi , que vous daigniez vou-s abaifTer jufqu'à lui , & le vifiter? avez-vous oublié que je fuis devant vous comme une bête fans raifon , & que le néant eft le feul appui fur lequel toutes mes forces fe foutienneat ?
DE l'Incarnation. 91
Mais ce n'étoient-là que des inftru6lions , 2>c il falloit à l'homme des remèdes : des modèles étoient infuffifans. Car outre que les hommes ne pouvoient pas infpirer Ta- mour d'une vertu , dont ils étoient eux- mêmes touchés ; un coupable qui s'humi- lie 5 peut à la vérité faire haïr fes crimes, mais il ne fait pas aimer Tes humiliations : l'orgueil humain avoit donc befoin d'un exemple 5 qui fût en même temps fon re- mède ; il falloit l'inftruire & le guérir tout à la fois. Et voilà , mes Frères , le grand Myftere que la fageffe de Dieu , après l'at- tente de tant de ficelés , les vœux de tant de Juftes , les oracles de tant de Prophè- tes, opère aujourd'hui à Nazareth dans le fein de Marie.
Or 5 fouffrez que pour tirer de ce Myf- tere adorable les inftru6lions importantes que la fagefle divine y a cachées , je vous fafle remarquer quels font les principaux cara£leres de l'orgueil humain , & Toppo- fition qu'ils ont avec l'anéantiiTement du Fils de Dieu , dans fon union avec notre nature.
Le premier caractère de l'orgueil eft cette erreur qui fait que nous fbrtons , pour ainfi dire, de nous-mêmes ; & que pour nous étourdir fur le fentiment inté- rieur & humiliant de notre mifere , nous cherchons avec complaifance dans les cho- {es qui font hors de nous ; dans les biens , les titres , les dignités , la réputation , l'é- clat de la naiifance ; une gloire dont la
çz PO U R LA Fe T E
iburce ne devoit être que dans nous-mê- mes.
Or ^ ines Frères , les circonfrances exté- rieures de l'incarnation du Verbe , corri- gent les hommes de cette première erreur. En effet , ne fembloit il pas qu'im Myile- re , dont les figures mêmes avoient été il pompeufes , les préparatifs fi auguftes , les promefiés fi magnifiques , les ombres 9 pour âinfi dire , fi brillantes , auroit dû s'accomplir dans la plénitude des temps ^ avec encore plus d'éclat qu'il n'avoit été promis ; & que puifque des fignes fi ijiuf- tres avoient annoncé dépuis tant de fiecles aux hommes, que le Très-Haut devoit les vifiter , fa venue auroit dû être accompa- gnée de tant de gloire & de majefté , qu'on n'eût pu le méconnoître ?
Cependant rien de plus obfcur aux yeux des fiîns , que ce qui fe pafie aujourd'hui à Nazareth. La fiiintc Fille , préférée à tou- tes les autres filles de Juda , & dans le fein de qui s'opère le fccret inefTable de Tabaifi^ement d'un Dieu , n'a rien qui la diilinguc dans fa Tribu , que fa pudeur 2>c fon innocence. L ec^atdu fang qu'elle tire de David , efl obfcurci par la baiiélîé de fa fortune : {on obfcurité a prefque fait oublier fon origine. Les Cieux ne s'ou- vrent pas , comme autrefois furie Mont Sinaï , pour frayer une route de lumière au Dieu qui deicend fur la terre : les An- ges ne l'environnent pas pour annoncer aux hommes fon avènement au bruit des
DE l'Incarnation. 9^
éclairs & des trompettes : les montagnes ne retentifîent pas : des nuées de gloire ne s'abailient pas pour enfanter le Jufte : la maifon même de' Marie ne s'ébranle pas jufqu'aux fondemiens , comme un autre Cénacle , pour marquer la fainte horreur dont elle eft faifie à la prélence du Dieu qu'elle reçoit. Un feu! envoyé du Ciel , invifible à tous les hommes , apparoit à Marie dans le filence , fous la iimplicité d'une forme humaine , comme pour hono- rer lui itiême , en cachant fa gloire , l'a- néantiiîement du Dieu dont il eil le Minif- tre. Nazareth , la plus méprifable ville de Juda , èl d'où l'opinion publique étoit , qu'il ne pou voit rien fortir qui fit honneur à la Judée ; Nazareth , dis-je , où ce Myf- tere fe conlpmme , n'en eft pas plus inllrui- te que Jérufalem. Jofeph lui-m.éme ignore le fecret de rAmibaifade célefte ; & le ré- duit , où Marie cïï cachée , ei\ le feul ccnfiJent d'un prodige où le m.onde entier a tant de part. Dans tous les autres Myf- teres , les abaifTemeiis du Verbe font mê- lés cVéd'dt & de grandeur : ici tout eft obfcur ; rierr ne parle aux fens 5 parce qu'ici le delléin de la Sagelîé divine eil d'en cor- riger les erreurs , 6c de fubuituer les nou- velles vues de la Foi , aux anciennes illu- fions de la fageiTe humaine.
En effet , mes Frères , jufques-là les hom.mes avaient cru que les profpérités temporelles étoient des faveurs du Ciel ; que ia réputation étoit un bien foiide , que
94 P O U R L A F E T E
les grands talens étoient d'heureux regar.ds d'un Dieu favorable ; que les diftinÛions du rang & de la naifTance avoient un éclat véritable , & n'étoient pas indignes des foins & de l'eftime des hommes. Mais dans ce Myftere , la fagefle de Dieu nous découvre un nouvel ordre de chofes ; elle étale à nos yeux un monde nouveau tout fpirituel ; de nouveaux biens , de nou- veaux honneurs , une gloire nouvelle ; & réformant nos jugemens , elle nous ap- prend que l'innocence & la vertu font les feules richelîes de l'homme ; que tout le mérite de Tam-C fidèle eft caché dans (on cœur ; qu'un feul degré de charité élevé plus haut le Chrétien , que l'empire du monde entier ; que la patience , l'humilité , la douceur , font les plus grands talens d'un Difciple de Jefus-Chrift ; que fe vain- cre foi- même fous les yeux de Dieu feul , eft une gloire plus folide & plus immor- telle , que la conquête des Provinces tz des Royaumes ; & qu'enfin , la grandeur qui eii hors de nous , n'ell qu'un preflige qui nous joue , &: qu'on n'eit grand qu'au- tant qu'on efi faint. *
Or , mes Frères , n'ed ce pas là encore aujourd'hui une fageffe inconnue au iiecle ? Dcifapknîlam , quam nsmo Principum hii- jus faculi cognovit. Où font ceux qui re- gardent avec des yeux chrétiens le vain ipedacle de la gloire humaine , & qui ré- iervent toute leur admiration pour les dons de la grâce & ie méiite de la faintcté l
DE l'Incarnation. 95
Qui s'attire plutôt nos hommages , ou un ambitieux , qui à la tête d'un peuple d'hom- mes armés , remporte des viâ:oires , & remplit l'univers du bruit de fon nom & de fa vanité ; ou un Jufte environné de fa feule innocence , qui fait fouifrir une in- jure , foutenir une humiliation , étouffer un reflentiment ; qui fait combattre & vaincre pour le Ciel ? Par où cherchons- nous à nous diilinguer nous-mêmes de nos frères ? efl ce par une charité plus vive ; par une foi plus abondante ; par une conf- cience plus pure ; par une fidélité plus in- violable à tous nos devoirs ? Hélas 1 nous nous élevons d'une naiffance ilhiflre , com- me fî la gloire de nos ancêtres nous appar- tenoit , & qu'elle ne devînt pas un oppro- bre &: une roture pour nous , dès que nous portons un nom vuide de leurs ver- tus. Nous comptons nos titres &: nos ex- ploits militaires , comme des diftin6i:ions glorieufes , qui nous élèvent au-deffus des autres hom.mes ; &: nous ne voyons pas ' que le hazard , la faveur , la tém.érité , les conjondlures ont eu plus de part à ces honneurs que le devoir & la vertu. Nous nous parons des dignités éminentes qui nous diilinguent dans notre peuple ; & nous ne comprenons pas que les plus gran- des places font de plus grands écueils , & qu'elles multiplient nos devoirs , fans aug- menter notre mérite. Nous nous glorifions de la fupériorité de nos lumières & de nos talens i 6c nous ignorons que les connoif-
ç6 PourlaFete
fances les plus vaftes de refprit humain font des lumières puériles , û elles fe bornent aux chofes préfentes , & nous font perdre de vue hs éternelles. Oui , mes Frères , les grandeurs & les diftinâ:ions de la grâce &: de la Foi ne touchent perfonne ; ce qui eft éternel , nous le regardons comm.e s'il n'étoit pas. Mais qu'im.porte au Chré- tien d'être obfcur ou de briller aux yeux des hommes , puifqu'il n'eft réellement que ce qu'il eft devant Dieu , & que la Foi nous dépouille de tout ce qui eft hors de nous , & ne voit de nous que ïious- mêmes.
Cependant , le fécond caraâere de Tor- gueil humain eft cette foiblefTe qui ne compte pour rien le mérite de la vertu même , tandis qu'il ell caché , & qui ne hait du vice que la confufion & l'oppro- bre ; comme ii le vice & la vertu n'cîoient que des opinions , & que l'homme ne pût être grand ou méprifable que dans l'idée des autres hommes.
Or y ranéantîîrem.ent du Verbe dans ce Myftere confond cette vaine attention aux jugem.ens humains.' Et certes le Fils de Dieu ne defcendoit fur la terre , que pour glorifier fon Père 5 £i reprendre dans le cœur des hom^nes , les homm.ages que les créatures lui avoient ravi. Ce deilcin de- mandoit , ce femble , qu'il fe montrât à eux dans toute fa gloire , refplendiilant comme fur le 1 habor , & qii'il leur parût auili glorieux 6$. auili digne de leurs hommia-
DE L'InCARN ATIOM. 97
ges , qu'il fe lailTa voir alors aux Difcipîes enchantés de la douceur de ce rpcètacle. C elt alors qu'il eût tout attiré après lui ; 8c que Jérufalem incrédule n'eût pas vu fes Citoyens fe partager fur la vérité de Ces prodiges , & fur la fainteté de fa dodrine 6c de fon ininilliere.
Néanmoins , ce n'eil pas par l'éclat & la majefié qu'il veut triompher de nos xœurs ; c'eft par ks humiliations & hs opprobres ; i] cache tout ce qu'il efl ; il ne donne pas fa gloire à un aut.e ; mais il la dérobe , pour ainfi dire , à lui-même. Rien de ce qu'il avoit de grand dans le fdn de ion Père , ne l'accompagne aux yeux des iens dans celui de Marie ; fa puilfance fe change en foibleffe ; fa Cage^Q infinie n'eft plus qu'une raifon naiifante & enveloppée ; fon immenfité paroit renfermée dans les bornes d'un corps mortel ; l'image de la fubitance du Père eft cachée fous la vile forme d'ef:lave ; fon éternelle origine corn.- * ' mence à compter des temps & des momens ; enhn , il paroit anéanti dans tous Ces ti- tres.
^^ Au/Ti , dès qu'il paroîtra dans la Judée 1 mcreciulite va lui ,difputer la fuprême au- torire de fon Sacerdoce : Quel cH celui-ci , Luc'.r. cnra-t-on , qui vient remettre les péchés î La 49. erainre des Puijfances de la terre rcfufera de le reconnoitre pour Roi ; & on lui fera payer le tribut comme à un efclave. La , prudence de la chair prendra fa fageiîè di- vine ponr une folie i fe5 proches eux-irê - Myjkres, r
oS Po UR LA FeTE
mes le regarderont comme un infenfé ; Marc. Quonlam in furorcm ver fus ejl. L'envie le • ^^* dégradera de fa naiiïance divine ; &: fes Ci- toyens vont publier qu'il n'eft que le Fils de Marie & de Jofeph. Enfin , un faux zele lui ravira Téternité de fa durée ; & il fera prefque lapidé , pour avoir ofé dire feule- ment qu'il étoii avant Abraham.
Mais l'opinion des hommes ne changera rien à l'obicurité apparente de fon minif- tere. Il fe manifeftera affez à la vérité , pour être connu des Juifs fpirituels & fi- dèles ; fes œuvres , fa do£lrine , Moyfe , les Prophètes , les divines Ecritures ren- dront témoignage de lui ; & à qui aimera la vérité , il ne fera pas poilible de le mé- connoître. Mais il ne fe manifeftera pas alTez pour éviter le mépris des Juifs char- nels : l'éclat de fon miniftere fera fenfible à un cœur humble & innocent ; l'obfcu- riîé de fon miniftere révoltera l'orgueil & l'incrédulité : il y mêlera aftez de ténèbres , pour recompenfer la Foi de ceux qui croi- ront , C.I allez de lumières pour punir Tin- crédulité de ceux qui refuferont de croire en lui.
D'où vient , mes Frères , une conduite fî furprenante ? Après s'être caché durant tant de f ecîcs , Dieu ne fe montre-t-il en- fin aux hommes que pour n'être pas connu d'eux ? Que ne venoitil dans toute fa gloi- re 5 s'il vouloit nous fauver en fe décou- vrant à nous ? L aillons- là les autres rai- fons de Tobfcuriîé de fon miniftere , qui
DE l'Incarnation. 99- ne font pas de notre fujet : mais celles qui noiiS regardent ici , c'eft premièrement , qu'il vouloit nous apprendre à nous , qui fommes chargés de la difpenfation de fon Evangile , à ne rien changer aux ordres de Dieu dans les fondions de notre minif- tcre 5 fous prétexte de concilier plus fa- cilement à fa parole , les fuffrages des hom- mes ; à ne pas croire que Dieu foit plus glorifié par la gloire qui nous revient à nous-mêmes ; à ne pas intéreffer le Sei- gneur , pour ainfi dire , dans notre pro- pre caufe 5 & nous perfuader qu'il a atta- ché le.fuccès de fon Evangile , aux applau- diffemens qu'il reçoit par notre bouche. Les contradidions qu'éprauve le miniftre , font fouvent toute la gloire & tout le fuc- cès de fon miniftere. Annonçons les véri- tés que l'Eglife nous a confiées ; n'y mê- lons ni nos opinions , ni nos propres pen- fées. Plantons , arrofons , & lailfons au Sei- gneur l'accroiffement : fa parole ne retour- nera pas à lui vuide , & elle fera toujours ou la condamnation de l'incrédule , ou la confolation du Fidèle.
Secondement 5 il vouloit vous appren- dre à vous 5 m.es Frères , que les' juge- mens^ des hommes ne doivent jamais dea- der de vos devoirs ; qu'il ne faut pas s'en tenir dans le fervice de Dieu , à ce que le monde approuve , mnis à ce que Dieu de- mande de nous ; que les cenfures & les dé- rifions font toujours la récompenfe de la piété véritable; qu'il neft pas' poînble de
Èz
lOO POURLA FeTE
plaire aux hommes , & d'être Serviteur de Jefuî-Chrift ; que le zèle qui voudroit con- cilier les fuifrages publics à la vertu , n'eft qu'un orgueil déguifé , qui cherche à fe les concilier à ibi-même ; que Tinjuftice du monde envers les gens de bien fait ici - bas toute leur sûreté ; que robfcurité eil le plus sûr ajyle de leur vertu ; que ce n'eft pas ici le temps de leur manifeftation ; & qu'ils n'auront droit de paroître à dé- couvert 5 que lorfqu'iîs paroîtront avec Jefus-Chrift dans fa gloire.
Cependant , fi nous y prenons garde , quelque juiles que nous foyons d'ailleurs , nous com.ptons les homm>es pour beau- coup : ficus ne vivons prefque que pour les autres : ce que nous fommes à nos yeux & aux yeux de Dieu , nous intérelfe peu ^ nous ne paroiirons touchés , occupés que de ce que nous fommes aux yeux des hommes ; & moins fenfibles au '^foin de notre pcrfeftion , toute notre attention fe borne à embellir cette idée chimérique de nous-miémes , qui eft dans l'efprit des au- tres. AufTi il ne nous arrive guère de nous demander à nous-mêmes ,' ce que nous fommes réelicmiCnt ; mais nous nous de- mandons fans ccffe ce qu'on croit que nous foyons : aiiifi , toute notre vie eft imagi- naire & fantaftique. L'erreur même qui nous prend pour ce que nous ne fommes pas 5 flatte notre orgueil : nous nous laif- fons toucher par des louanges que notre cœur défavoue ; nous nous faifons hon-
DE L'I?;C A RNA'TîO.V. IOI
neiir de la méprife publique ; & nous fommes plus flattés par Terreur qui nous prête de faulles vertus , que nous ne fem- mes humiliés par la vérité , qui nous fait fentir nos défauts & nos iniferes vérita- bles.
Aufîi le dernier caractère de Torgueil eft cette impofture de vanité , qui cherche la gloire dans les humiliations même ; 6c qui ne paroît s'avilir aux yeux des hom- mes 5 qu'afin que leurs applaudiffemens ail- lent la placer encore plus haut que n'étoit le lieu d'où elle étoit defcendue. Et certes y mes Frères j il n'eft prefque point d'hu- milité fincere : on ne fe cache , que pour être découvert ; on ne fuit Féciat , qu'afin que l'éclat nous fuive ; on ne renonce aiix honneurs , que pour être lionoré ; on ne fouffre le mépris , que lorfqu'ii nous cil: glorieux d'être méprifés. L'orgueil a mille dédommagemens imperceptibles à nous- m.êmes ; & rien n'eil plus rare qu'une hu- miliation volontaire 5 qui ne conduit qu'à l'humilité.
Or 5 voilà recueil que les anéantiïïerj'i'ns du Verbe dans ce myltere , nous appren- nent à éviter. Il fe revêt de la reiTemblan- ce du péché , mais c'eil pour en porter toute la honte : il fe charge de nos ini- quités , mais pour en être la victime : il veut paffer pour un Sam.arirain ^ pour un ennemi de la Loi , mjais c'efi: pour être pu- ni comme un féducbeur : enfin , il fe cache lorfqu'on veut le reconnoitre pour Koi y
Es
101 Pour LA Fe TE
ir.ais c*efî pour mourir comme un efclave.
Les outrages les plus honteux vont être
la récompenfe de fes anéantiiîemens : les
hommes le méconnoîtront jufqu'à la fin ;
& il mourra avec tout le mérite de Ton
humilité.
Pour nous , mes Frères , fi la calomnie nous trouve patiens , c'eft parce que nous prévoyons que la vérité va la confondre , & qu'elle tournera à notre gloire. Les œuvres.huniiliantc9 ne nous plaiient , que parce que notre rang ne permet pas d'igno- rer que nous nous abaiflions : nous aimons les opprobres palîagers , & où notre vani- té voit des reilburces promptes ; & aux âmes les plus fidèles , il faut quelqu'auîre attrait qui leur adoucilTe le mépris , que le plaifir d'être méprifé. On pardonne , mais en faifaut fentir qu'on eft l'ofFenfé, & qu'on fe relâche de fon droit ; on fait une avance de réconciliation ; mais on n'eii pas fâché qu'on fâche que la piété toute feule a part à cette démarche ; on dit du bien de ceux qui nous calomnient \ mais c'eft peur ôter toute créance à leurs calomnies. Enfin 5 il eft ditlicile de ne pas fe chercher foi-même , ^ e*2Core plus dans l'humilia- tion que dans l'éclat, parce que plus l'hom- me femble s'oublier , plus l'orgueil eil at- tentif à faire enforte qu'il fe retrouve.
Rou giflons de noïl^ foiblefie , m.es Frères ; jetions fcuvent les yeux fur no- tre modèle : adorons les premières dif- pofitions de TAmiC faintc du Verbe incar-
DE l'Incarnation. 103 né 5 dans fes nouveaux anéantiiTemens : penfons quelquefois que l'orgueil eft prcf- que notre feul crime ; & que u nous pou- vions une fois nous oublier tout-à-fait nous- méines , nous ferions exempts de mille ta- ches fecrettes « que nous ne connoilîonspas , & qui éloignent Dieu de notre cœur. Re- prochons - nous fans celle cette alliance monrtrueuCe de nos rniferes avec nos va- nités ; cette fource de corruption que nous fentons en nous , avec ces dcfirs de gloi- re 5 qui entrent dans toutes nos œuvres ; cette loi de la chair qui nous humilie , avec ces lentimens d'élévation qui nous enflent ; en un mot , ce que nous fommes , avec ce que nous voudrions paroître. Et après être convenus que depuis rar.eantiiTement d'un Dieu , rien n'eft plus iniuile pour l'homme que de vouloir s'élever ; écou- tez comment depuis qu'im Dieu anéanti s'eft chargé de nos douleurs & de nos in- firmités , rien n'eil plus honteux à Thom- me . que de chercher une vie douce 3c heureufe fur la terre.
•'Homme innocent devoit mener une IL vie heureufe & tranquille. La terre n'a- tartie voit reçu la fécondité . qie pour fournir à fes chaftes délices : fes feus n'étoient defli- nés qu'à le porter à la confervation de fon être 5 par des imprefTions douces &: agréa- bles. Toutes les créatures dévoient fe^-virà fa félicité , puifque dans le deffein de leur Auteur , elles avoient été toutes rappor-
E4
104 Pour la Fête
tées à fou ufage ; & fous un Dieu jufte , rien ne pouvoir le rendre malheureux , ni troubler fes plailîrs , tandis que rien ne donneroit atteinte à fon innocence. Mais l'homme pécheur eft né pour fouffrir : tout plaiiîr dans la vie eft interdit à un coupa- ble , qui ne mérite pas même de vivre ; la douleur eft l'état naturel du défordre ; & c'eft une injuftice , que les créatures fervent au bonheur d'un infortuné qui en a abufé , & qui s'eft révolté contre le Sou- verain à qui elles appartiennent.
Cependant , le plaifir eft encore le pen- chant domiinant de cet homme criminel : malgré fa tranfgrefiion , il veut vivre heu- reux ; & la faute qui lui en a fait perdre le droit & l'efpérance , n'a pu lui en faire paf- fer le defir : les travaux qui font devenus la peine inféparable de fon crime , n'ont pu devenir le choix libre de fon amour ; & condamné à fouffrir , il n'a jamais pu aimer les fouffrances. Il falloit donc qu'un grand exemple lui rendit aimable , ce qui lui étoit devenu néceftaire , & qu'un Dieu fouftrît tout pour fauver Fhomme , afin que l'homme apprît & aimât à fouffrir pour appaifer fon Dieu.
Aufli le miniftcre du Verbe incarné , eft un miniftere de croix & de fouffrance. Dès le premier inftant de fon union avec notre nature dans le fein de Marie , il re- nonce à la joie fenfible dont il pouvoit jouir , dit l'Apôtre , &: embrafte la croix que la juftice de fon Père lui préfente :
DE l'Incarnation. tc^ clés- lors , vi(fliir!e de nos péchés , il baifTô foncheffacré fous la verge de la colère divine , &: fent les premiers coups de la févérité due à Thoinme pécheur. Mais des rigueurs plus réelles l'attendent encore au fortir de cet humiliant féjour, A peine fes yeux s'ouvriront à la -lumière , qu'on en verra déjà couler des larmes précieufes ; fes travaux croîtront avec fes années ; la faim 5 la foif , la laiTitude , qui font les peines de notre crim.e , deviendront l'exer- cice de fon amour ; il n'annoncera que des croix Se des tribulations ; il ne promettra fon Royaume qu'à la violence ; il maudira les plaifîrs ; il n'appellera heureux que ceux qui fouffrent ; &: de peur que dans la fuite des temjps , les homm^es toujours ingénieux à fe flatter , ne donnent à fes maximes des interprétations favorables à leur amour propre , il expirera entre les bras de la douleur , & fa dodbine ne fera que le récit de fes exemples.
Or , je dis , que depuis que le Verbe incarné , pour nous montrer la voie du Ciel , & fatisfaire pour nous à la Juftice divine , eft venu miener ici-bas une vie trif- te & fouffrante -jle Chrétien ne peut plus fans crim.e vivre au gré de fes fens ^ & fe flatter d'arriver au fnlut par des routes dou-^ ces & aifées. En eftet , depuis que par ce iT.^llere, Je fus-Ch rifl: eft devenu aouveau Chef d'un Peuple faint , cl fource d'une nouvelle vie , nous ne pouvons prétentfre au falut q^ue comme membres de Jefua-
■ E 5
106 POURLA FeTE
Chrift : c'eft-à-dire , comme faifant une portion de ce corps myftique 8c divin , qu'il eft venu former fur la terre ; car ce corps myftique tout feul , pénétrera les CieuK , dit l'Apôtre , & entrera avec fon Chef & fon Pontife dans le véritable Sanc- tuaire. Or mes Frères , qu'eft-ce qu'ê- tre membre de Jefus-Chrift ? c'eft être animé de fon efprit ; c'eft vivre de fa vie ; c'eft n'agir que par fes impreflions ; c'eft ne for:ner au- dedans de foi que fes defirs Philip. 8c fes fcntimens : Hoc fcntitc in vobis quod • 5» (j in Chr'ifio Jcfu, C'eft , en un mot , fui- vre la deftinée du Chef, 8c lui être con- formes ; mourir à tout avec lui, être cru- cifié avec lui ; ne pas chercher fa confola- tion en ce monde comme lui.
Or , je vous dem^ande , mes Frères , languir toute la vie dans des mœurs indo- lentes &. fenfuelles ; fe livrer fans ccfTe à tous fes goûts , pourvu qu'ils n'offrent point de crime ; n'être occupé qu'à égayer l'ennui de la vie mondaine , par la variété des plaifirs & des fpe£tacles agréables aux fens 5 &: couler doucement fes jours fans autres foucis que ceux qui naiftent de la fa- îiété eile-rrtmxe 8c de l'abondance , eft-ce être membre de Jefiîs-Chrift , 8c animé de fon efprit ? Eh : qu'a de commun l'ef- prit de Jefus-Chrift avec cette fageiîe de la chair , qui n'eft ingénieufe qu'à fe juftifler à elle-même , la moilefte des mœurs : qu'à condamner l'obligation des fouftrances , comme une invention humaine ^^ une loi
DE L' I N C A R N A T I O N\ 107
injufte ; qui réduit toutes les maximes de l'Évangile à n'être ni impie , ni ravilleiir , ni fornicateur , ni adultère ; qui confond la nature avec la grâce , & regarde la Croix de Jefus-Clirill comme un objet étranger à la foi & à la piété ?
Ah ! ce n'eil pas ainii que ces hom.mes Apolloliques , qui les premiers vinrent an- noncer Jefus-Chrift à nos Pères , leur en parlèrent , mes Frères : Non iîa dldicijVs Ephef, Chrijlnm, L'efprit de Jefus-Chriil eft une 4. zo. fainte avidité de fouffrances; une attention continuelle à mortifier Famour propre ^ à rompre la volonté , à réprimer fes defïrs , à retrancher à fes fens tous les adoucilTe- mens inutiles: voilà le fonds .'u Chriilia- nifme &: l'ame de la piété. Si vous n'avez pas cet eiprit -, vous n'appartenez pas à Je- fus-Chriil , dit TApôtre : en vain vous n'ê- tes pas du nombre de ces impudiques & de ces facriîeges , qui n'auront point de part à fon Royaume; vous n'en êtes pas moins étrangers par rapport .à lui : vosfen- timens ne font pas les Tiens, vous vivez encore fous la nature ; vous n'appartenez pas à la grâce du Sauveur : vous périrez donc 5 puifque c'ell en lui feul , dît l'Apô- tre , que le Père a mis le faluî de nous tous.
On fe plaint quelquefois que nous ren- dons la piété rebutante tk impraticable , en interdifant mille pîaifirs que je mvonde autorife. Mais , mes Frères , que vous difons-nous ? Permettez vous tous les plal- firs que Jefus-Chrift lui-même fe fût per-
E6
io8 Pour la Fête
mis , la Foi ne vous en, permet point d'au- tres : mêlez à la piété tous les adoucilTe- mens que Jefus-Chrift lui-même y eût pu mêler ; l'Evangile ne poulie pas plus loin la condefcendance : fuivez tous les ufages que Jelus-Chrifl lui-même eût pu fuivre ; la Religion n'a point d'autre règle : tout ce qui n'eft pas expreiTion des mœurs de Jefus-Chrift , tout ce qui n'eft pas impref- lion de l'Elprit de Jeius-Chrift , n'eft pas toujours 5 à la vérité , une œuvre qui don- ne la mort ; mais ne fauroit être auHi une œuvre de vie , & efl du moins toujours une démarche étrangère à fes membres j de laquelle il leur fera rendre com.pte.
Voilà, î *cs Frères , le fondement de toute piété ; l'Evangile du Courtifan , com- me du Solitaire ; du Prince ^ commie du peuple : voilà la fource principale des rè- gles des mœurs , & où il faudroit remon- ter pour trouver le point fixe , qui refont toutes les difficultés que vous nous propo- fez fans celTe pour autorifer tous les abus de la vie mondaine. C'eft par votre con- formité avec Jefus-Chriil , qu'il faut dé- cider fi votre état eft chrétien ou profane , innocent ou criminel : toute autre règle eiî fau/fe pour vous , puifque Jefus-Chrift feul ell votre voie : les ufages- , les change- roens des mœu»'s 8? àQS fiecles , les opi- nions des homr/ics ne changent rien à cette legle 5 puifque Jefus-Chrift étoit hier , eft aujourd hui & fera toujours le mêmie, Mon Dieu ! que les décifions du monde fur les
DE l'Incarnation. 109 devoirs feront un jour étrangement ren- verfées ! & qu'on verra la probité , la ré- gularité mondaine , qui raffure ici- bas tant d'ames abufées par une apparence de ver- tu , bien changer de nom, , lorfqu'on les placera à côté de Jefus-Chrift crucifié , qu'on y cherchera fa reifemblance , & qu'on le jugera fur ce modèle !
Il ell: vrai que ce qu'il y a ici de con- folant pour nous , mes Frères , c'eft que Jefus-Chrift en nous faifant une loi , par îe caractère feul de fon miniftere , de la vio- lence & du renoncement , nous rend en même-tem.ps aimable la croix dont il nous charge. Souffrir ici-bas étoit pour nous un fort inévitable ; mais fans lui , Thommeeût fouffert fans confolation & fans mérite : il vient donc adoucir & fanâ:ifier nos fouf- frances ; & loin de nous infpirer un nou- veau joug , il vient rendre doux & léger celui fous lequel nos pères gémiiîbient de- puis tant de fiecles.
Premièrement , fon exemple ôte aux fouffrances tout ce qu'elles avoientd'abje^l & d'humiliant : il eft beau de fouitrir après lui ; il eft glorieux de marcher fur fes tra- ces. Jefus-Chrift a pleuré : les larm^es font donc honorables à fes difciples : Jefus- Chrift a fouffert la faim & la foif ; les fain- tes rigueurs de l'abftinence confacrenî donc le corps du fidèle : Jefus-Chrift a été hu- milié 5 calomnié , méprifé ; les faintes hu- miliations des difciples de la Crois font donc devenues de titres d'honneur j &
iio Pour la Fête
îl eft des ignominies fouffertes pour la Juf- tice 5 plus glorieufes même devant le mon- de , que toute la gloire du monde même.
Secondement , Tonâiion de fa grâce adoucit ce que la violence & le renonce- ment avoient d'amer. Je conviens que fe renoncQr fans ceffe foi-même ; fe difputer tout ce qui flatte ; régler par la loi rigou- reufe de l'efprit , les defirs les plus inno- cens de la chair ; être né vain , magnifique , faftueux 5 & fe réduire à une modeflie fim- ple &: chrétienne ; aimer la joie , les plai- lîrs j les amufemens de la fociété & d«es commerces , & renfermier la vivacité de ces penchans dans le filence , dans la prière & dans la retraite ; avoir reçu de la nature un caractère mou , indolent , ennemi de la contrainte , exceflîvement amoureux de foi même , & affervir une chair qui fe re- fufe au joug , aux devoirs les plus gênans & les plus triftes : je conviens , dis-jé , que cette fituation eft pénible ; & que cet état de violence , s'il n'étoit mêlé d'aucun adou- cifTement , lalferoit bientôt la foibieiTe de l'homme.
Mais la fource des plaifirs véritables n'ed pas dans les fens ; elle eft dans le cœur : or , c'eft là que Jefus-Chrift porte le remède & la douceur de fa grâce. Tandis qu'au dehors tout paroît trifle , rebutant , douloureux pour l'âme fidèle , un Confolateur inviiible remplace ces amertumes par des délices que le cœur de Ihomme charnel n'a jamais goûtées, & lui dit fans ce (Te au fond du
DE L'I N C ARN AT \ ON. Iii
cœur , comme autrefois le père de Samuel difoit à Ton époufe affligée : Pourquoi vous lailleriez- vous abattre par des maux qui ne font qu'apparens ? retenez vos foupirs , & elTuyez vos larmes : ne puis-je pas moi feul vous tenir lieu de tout ce qui vous manque , & ma tendrefTe pour vous ne vaut-elle pas mieux que tout ce que vous pleurez ? Anna , j. Rgg, cur fies ? numquid non ego melior t'ibi fum , i. 8. qiiàm dccem filii. En un mot, les plaifirs des fens la laiiroient toujours trille , vuide , inquiète ; les rigueurs de la Croix la ren- dent heureufe ; les pointes de la pénitence qui percent fa chair , portent avec elles leur remède ; & femblabie à ce buiiTon myfté- rieux , tandis qu'elle ne paroit offrir aux yeux des hommes , que de ronces & des épines 5 la gloire du Seigneur eft cachée au dedans , & avec lui il n'eft plus rien qu'el- le ne poifede. Saintes douceurs des larmes &: de la trifleffe de la pénitence ! divin fe- cret de la grâce , que n'étes-vous plus con- nu de l'homme pécheur !
Troifiémement enfin , les promeffes de Jefus-Chrift ôtent aux fouffrances tout ce qu'elles avoient d'inutile & de défefpérant. Avant fa manifeftation dans notre chair , on fouffroit pour la gloire , pour la patrie , pour la fortune , pour l'amitié ; mais l'or- gueil étoit un foible dédommagement dans les fouffrances , pour l'homme fur- tout qui veut être heureux : les applaudiffemens publics pouvoient charmer la douleur dans ces premiers momens , où î'ivreffe &: la
112 Pour la Fête
nouveauté de la gloire &: d'un vam héroiT- me furprend Tame , & la tire comme d'el- le-miême ; mais l'ivrefTe pafrée , l'homime fentoitbien fou malheur & fa folie : loin des regards publics , tous ces héros de para- de 5 ces m.ajtyrs de la vanité , rcîomboient fur eux-mêmes , & cherchoient d'autres adoucilTemens à leurs m.aux , que ceux de la réputation & de la gloire : ainfi l'hom^me foufFroit alors fans reiiburce , parce qu'il ce fcuffroit que pour les hommes.
Mais le Rdele qui fouffre , qui fe punit lui-miême , qui porte fa croix , qui l'îior- tine fes fens &: réprimée fes defirs , a un avenir éternel pour lui. Quand m.éme fes peines feroicnt ici-bas fans confoktions , l'efpérance feule , qui -eft cachée dans fon fein , les adouciroit : un coup d'csil fur les années éternelles , rend à l'inftant la joie & la férénité à fon amiC affligée : un Dieu ma- iiifefté en chair , eft le garant de fa confian- ce : en Jefus-Chrifî , fes foufxrances trou- vent un prix & un mérite digne de Dieu : par Jefus-Chrifl , elles font préfentées comme un facrifîce de bonne odeur au Père céleûe : avec Jefus-Chrift , elles ont dé]à reçu en fa perfonne la gloire & l'im- mortalité qu'il leur a promife.
Que ces vérités ccnfolantes vous fouticn- nent , vous , mes Frères , qui êtes entrés depuis long-temps dans les voies de la juftice & du falut : ne lailTez point rallenrir votre foi- fous la péfanteur de la Crois que vous avez embraifée : iie vous découragez pas
DE l'Incarnation. 113
des rigueurs &: de la durée du chemin : ne vous laifez pas dans ces routes faintes. Ah ! les jours de votre pèlerinage vont bientôt finir : vous touchez déjà à la couronne im- mortelle : ces momens rapides de tribula- tion palleront comme un éclair : attendez encore un peu ; le Seigneur ne tardera pas ^ &: il va paroître : vous le voyez aujourd'hui defcendredans notre infirmité ; ah ! vous le verrez bientôt venir dans fa y^oirc. Qu'eft- ce que le court efpace de quelques jours de larmes & de deuil , qui vont auln-tôt fe perdre & s'anéantir dans l'abyme de l'éter- nité ? mais que dis- je , fc perdre , fe chan- ger en une vie nouvelle , en un jour ferein & éternel , où le larmes feront elîuyées & le deuil confolé ? Rien ne périt pour le Jufte : vivez donc de la Foi : attendez Fin- vifible comme fi vous le voyiez déjà : pen- fez que toutes vos violences les plus fecret- tes font remarquées parle Témoin fidèle que vous avez dans le ciel ; que toutes vos œuvres les plijs légères font comptées : que toutes vos peines font mifes en dépôt dans les Tabernacles éternels , & que vos fou- pirs fervens font conlervés parmi fes par- fums précieux, que les vieillards préfentent autour de F Autel. Ainfi plus vous avancez vers le terme , plus vous fentez votre ardeur croître & vos forces fe renouveller. Quel bonheur de voir dans peu , & comme en un clin d'œil , ce nuage de notre rnortalité difparoître 5 & le jour de l'éternité corn,- mencer !
114 P ou R LA Fe TE
Nous n'avons pas les mêmes paroles de confolation pour vous , mes Frères , qui vivez encore félon la chair : il feroit inutile de vous montrer des biens à venir , que vous ne goûtez pas , que vous ne connoif- fez pas , que vous ne croyez peut-être pas. Il auroit donc fallu ici vous affermir dans la dodlrine de la Foi , & finir en vous mon- trant que l'union incompréhenlible de l'homme avec Dieu dans ce i\Î5l'l:ere, con- fond la raifon humaine , & rend la Foi , ^ non-feulement néccflaire , mais encore rai- fonnable : mais j'abrège.
III. 17
PARTIE X_vN eifet 5 mes Frères , ce n'étoit pas aiTez que la fageffe de Dieu dans ce Myftere , eût confondu l'orgueil de l'homme , en ne lui faifant trouver fon falut que dans les humiliations & l'abailTement : qu'elle eût mis un frein aux defirs déréglés de fa chair , en ne lui laiifant pour partage que les croix & les foulfrances : il falloit encore pour re- médier à toutes fes plaies , qu'elle captivât fa raifon , ( qui depuis tant de fiecles favoit fait fi triftement égarer dans fes penfées , ) en lui propofant pour l'objet unique de fon culte, de fon efpérance , de fa confolation , de fa fcience , &: de fa fageffe , l'union du Verbe avec notre chair ; c'eR-à-dire , Jefus- Chrift la folie de la raifon humaine , & de toutes les contradictions la plus incompré- henfible , & la plus infenfée en apparence. Le mioyen le plus sûr d'arrêrer ces defirs infatiabies & inutiles , de tout favoir & de
DE l'Incarnation. 115 tout comprendre , qui jufques-là avoient abufé les maîtres tant vantés de la fagefle humaine; cette vaine confiance qui promet- toit la découverte de la vérité aux feuls ef- forts de i'efprit ; cette licence effrénée , qui tous les jours enfantoit de nouveaux monf- tres , en croyant trouver de nouvelles vé- rités ; le moyen , dis- je, le plus sûr de l'arrêter , étoit la folie de l'Evangile ; je veux dire le verbe fait chair , & la fageffe de Dieu inconnue aux puifTans & aux fages du fiecle dans ce Myftere.
Par-là , vous comprenez d'abord , ô homme ! que l'Auteur de votre être ne veut pas vous fauver par la raifon , mais par la Foi ; qu'il fe cache à vous ; qu'il ne faut plus le chercher par les vains efforts de I'efprit , mais par les mouvemens du cœur ; que la vérité qui doit vous délivrer , ne vous eft ici bas montrée qu'en énigme , & qu'il faut croire pour comprendre : Crédite & intel^ ligctis. Ce n'efi: pas que la Religion ne nous propofe que des Myfteres qui nous paffent , & qu'elle nous interdlfe tout ufage de la raifon : elle a fes lumières comme fes ténè- bres , afin que d'une part l'obéiiîlince du fi- dèle foit raifonnable , &: que de l'autre , elle ne foit pas fans mérite. Nous voyons affez pour éclairer ceux qui veulent connoître ; nous ne voyons pas affez pour forcer ceux qui refufent de voir : la Religion a affez de preuves pour ne pas laiffer une ame fidèle fans affurance & fans confolation ; elle n'en a pas affez pour laiffer l'orgueil & l'incrédu-
îi6 Pour la Fête lité fans réplique. Ainiî la Religion par Ton côté lumineux , confole la raifon ; & Ton côté obfcur lailTe à la Foi tout fon mé- rite.
Cependant tout eft plein aujourd'hui de Chrétiens philofophes , & de fidèles ju- ges de la Foi. On adoucit tout ; on donne un air de raifon à tout : en retenant le fonds de la dofbnne chrétienne , & de l'efpé- rance en Jefus-Chrift , on croit fe faire une religion plus faine , en fe la faifant plus clai- re & plus intelligible : tout ce qui tient tant foit peu du prodige & du furprenant , on s'en défie : on forme des doutes fur ces flammes éternelles que la juflice divine a préparées à Fimpudique & à Timpie : on veut entrer dans les deifeins de Dieu fur les deftinées des hommes ; & par des idées toutes humaines de fa bonté , réformer ce qu'ils ont , ou d'efirayant , ou d'incom- préhenfible : on ofe examiner fi nous pou- vons être les héritiers de la faute ou du châ- timent de nos pères ; & fi notre profonde corruption n'eft pas l'ouvrage de la nature , plutôt que du péché : on demande fans ce- lé 5 pourquoi des penchans de plaifirs , qui femblent être nés avec nous, peuvent nous être imputés comme des crimes : on trouve des inconvéniens dans l'hiftoire vénérable de nos Livres faints : on s'érige en cenfeur de ces faits éclatans &: merveilleux , que des hommes infpirés nous y ont confervés , &: que le bras du Seigneur opéra autrefois pour la délivrance de fon peuple : on cher-
DE l'Incarnation. 117
che cointnent il a pu créer un monde qui n'étoit pas ; exterminer toute chair dans les eaux du déluge; fauverla race des hommes & des anirriaux dans un feul afyle ; ouvrir ôc fermer la mer , pour faciliter la fuite àfon peuple ; le nourrir dans le défert d'un pain miraculeux ; le conduire dans une nuée éclatante ; & ordonner même au Soleil de prolonger fa courfe , pour achever de le rendre vainqueur des ennemiis de fon nomi : que dirai- je ! on veut trouver dans les for- ces delà nature , la pofTibilité de ces pro- diges éclatans , où la foi de nos Pères a tou- jours reconnu le doigt de Dieu ; & l'on change l'hiftoire de la Religion , & des ma- nifeiiations du Seigneur aux hommes , en des événemens prefque tous naturels , & des monumens trop vantés d'une prudence toute humaine. C'eft ainfi , ô mon Dieu î nue l'homme infenfé fe difpute à lui-même la confolation de croire que vous avez opé- ré des merveilles en fa faveur , & qu'il fe fait une étude d'infirmer les plus beaiix ti- tres de fa gloire &: de fon efpérance.
Mais , m.es Frères , depuis que vous adorez un Dieu fait homm.e , c'eit une fo- lie 5 dit un Père , de vouloir raifoaner fur tout ce que la Religion nous propofe d'inacceiïible à la raifon. îl n'eft plus rien d'incompréhenfihîe que Jefus - Chrift Homme-Dieu n'applaniffe , & ne rende croyable : ou renoncez donc à Jefus- Chrift 5 ou avouez que Dieu peut faire ce que vous ne pouvez comprendre : ou
12. 2
ii8 Pour la Fête
blafphêmez avec l'impie qu'il n eft plus que le Fils de Marie ou de Joieph ; ou Ci vous confefîez avec la piété qu'il eft le Chrift Fils du Dieu vivant , ceflez de trouver des difficultés dans les autres Myfteres de la Foi : un Chrétien ne doit plus raifonner fur les voies de Dieu , s'il raifonneconféqucm^ ment. Ainfi TApôtre appelle Jefus-Chrift l'Auteur & le Confommateur de notre Heh. Foi : Aucîorem fidei & confummatorem Je- fiim : il en eft l'Auteur , parce qu'il nous rinfpire ; il en eft le Confommateur , par- ce qu'il en eft , pour ainfi dire y la perfec- tion & le plus haut point ; & qu'après lui , la Foi ne peut rien nous propofer de plus élevé , & de plus inaccellible à la raifon humaine.
Méditons donc fans cefTc , mes Frères , le myftere de Jefus-Chrift Homme Dieu : en lui nous trouverons le dénouement de toutes les difficultés , parce qu'en lui nous trouverons un noeud encore puis inexplica- ble : il éclaire notre raifon en achevant de la confondre , & nous conduira à l'intelli- gence 5 en nous faifantfcntir la néceffité de la Foi. Imitons la docilité de Marie , de- venue aujourd'hui la Mère du Verbe in- carné. L'envoyé du Ciel lui annonce qu'elle fera vierge & féconde ; que ce qui îiaîtra en elle , fera le Fils du Très-haut , & l'ou- vrage unique de i'Efprit- faint : quoi de plus propre à révolter la raifon toute en- tière ? cependant fans héfiter, fans exami- ner , fans demander de figne pour garant
DE L'Incarnation. 119 d'un Myftere û incroyable , elle croit &: adore la puillance 6c les deffeins de Dieu fur elle. Zacharie avoit trouvé dans l'âge & dans la ftérilité d'Elizabeth , des raifons fpécieufes pour douter de la promefle di- vine ; & malgré les exemples célèbres de Sara & de la mère de Samuel , il héfite & fe défie. Marie au contraire , dans un Myftere ou tout eft nouveau & incom- préhenfible , où elle ne trouve rien dans l'hiftoire des merveilles du Seigneur , qui puilfe la raffurer par la re/Temblance , ne veut point d'autre garant de fa foi , que la toute-puiflance & la vérité de celui qui l'exige. Une Vierge Cmple & innocente , croit fans héfiter : un Prêtre inftruit dans la Loi , doue & fe défie de la promeire di- vine. Les grandes connoilTances ôtent tou- jours quelque chofe à la fimplicité de la Foi ; &:par un deflin inévitable à la recher- che des fciences humairiCS , inféparable d'ordinaire de complaifance & d'orgueil , la foumiifion qui nous rend fidèles , femble perdre d'un côté , ce que les lumières qui nous rendent habiles , gagnent de l'au- tre ; comme fi plus on ctoit éclairé , phis on ne devolt pas voir clair dans la foibleiîe de la raifon , & dans rincertituds & YohC curité de {qs lumières.
Et certes , mes Frères , que fervent les vaines réflexions fur la doctrine fainîe ? Si le falut étoit le fruit de la raiicn , vous au- riez fujet de vous défier de tout ce que vous ne pouvez comprendre. Mais la juf-
I20 Pour la Fête
tice vient de la Foi , &: fe perfedionne par la Foi : pourquoi craignez-vous donc , comme un écueil , de faintes obfcurités , qui font devenues votre voie & votre re- mède ?
Vivez donc de la Foi , mes Frères ; commencez par purifier votre cœur ; l'in- nocence eftla fouice des véritables lumiè- res : rappeliez Jefus-Chrift au dedans de vous ; avec lui vous avez tous- les tréfors dz la doctrine &: de la fagelTe : établifTez- vous dans la charité ; c'eil le feul moyen de trouver la vérité : on ne connoît Dieu , que lorfqu'on l'aime. Souvenez vous qu'un cœur corrompu ne fauroit avoir une raifon faine & épurée ; que plus vous approche* rez de Dieu par la grâce 5 plus vous parti- ciperez à fes lumières ; plus vous avance- rez dans la voie de fes commandemens , plus vous croîtrez de clarté en clarté ; plus enfin y vous fentirez s'éclaircir dans votre efpritces vérités divines , que nous verrons un jour à découvert 5 lorfqne nous lui fe- rons devenus femblables, comme il devient aujourd'iiui fcmblable à nous»
Aiifl fiit-il.
SERMON
^ ^"T",^,. ■ ,^
lÉllil^î^tïfE^ïîllil
SERMON
SUR LA PASSION
DE NOTRE SEIGNEUR JESUS-CHRIST.
Ego in hoc natus fum , & ad hoc veni in mun- dum , ut teiliraonium perhibeam veritati.
Cejl pour cela que je fuis né , & que je fuis venu dans le monde , afin de rendre témoignage à la ve- rité, Joan. 18. 57.
L 'Opposition à la vérité a tou- jours été le caraâere le plus efTentiel du monde , & la peine la plus univerfelle du péché. Depuis que l'homme eût effacé de fon cœur la loi éternelle , que la main du Seigneur , en le formant , y avoit gra- vée pour l'éclairer et pour le conduire ; & qu'il eut fubflitué à cette lumière divi- ne , née avec lui , fes paifions & fes té- nèbres ; il fe forma entre lui & la vérûé , Uyjlcus. F
m Sur LA Passion
une oppofitioii invincible , qui alloit tou- jours croUrant à mefure que le monde , tous les jours plus corrompu , s'éloignoit de la pureté de fa fource , & que la malice des hommes fe multiplioit fur la terre.
11 efl: vrai , mes Frères , qu'au milieu àQS ténèbres qui couvroient la face de l'u- nivers 5 Dieu faifoit luire encore de temps en tem.ps fa vérité & fa lumière. De fîecle en fîecle paroilToient des hommes juftes fufcités d'en haut , paur rendre témoi- gnage à la vérité &: empêcher \qs erreurs & les pafiions de prefcrire contre elle. Depuis le fang d'Abel jufqu'à Jean-Bap- tifte , le Giel avoit fourni à la terre une tradition non interrompue de Prophètes , de Martyrs , & de témoins de la vérité : les uns avoient rendu témoignage à la vé- rité par leur fang com.me Abel ; les autres par leur Religion , comme Enos ; quel- ques-uns par leur innocence , comme Noé ; d'autres par la foi , comme Abra- ham ; Ifaac par fon obéifîance ; Job par fa patience ; Moyfe par fes prodiges ; enfin , pour rendre le monde inexcufable , la vé- rité eut dans tous les lîecles des témoins & des défenfeurs , qui s'élevèrent contre le inonde , &: qui conferverent parmi les hommes le dépôt de la doé^rine & de la vérité 5 que le monde , malgré {qs précau- tions , n'avoit jamais pu éteindre tout-à- fait fur la terre.
Cependant cette nuée de témoins , com-
I
DE Notre Seigneur, u, me parle l'Apôtre , qui de fiecle en fiecle avoit rendu témoignage à la vérité avoientbien pu , je l'aviue , condamner lé monde par la vérité ; mais ils n'avoient pas délivre le monde par elle. La vérité avoit donc befoin d'un plus grand témoignage : il talion que celui qui eft la fageffe & la lu- mière du Père , vînt lui-même nous ren- dre témoignage de ce qu'il avoit vu : qu'il confirmât la doftrine par fon fang ; que fa doctrine purgeât la terre des erreurs , qui l"[q" alors l'avoient inondée ; & que Jerus. Chrift crucifié fût jufqu'à la fin des fiecles , le grand témoin de la vérité contre l'aveu- glement du monde & l'erreur de fes maxi- m.es.
, Le^myftere des douleurs & des ignomi-
mes du Sauveuj , nous offre donc auiour- d hui deux fpectacles biens différens -d'un cote le monde Ci aveugle , & fi oppofé à la vente , qu après avoir rejette dans tous les iiecles , le témoignage des Juftes & des Prophètes , il rejette encore aujourd'hui celui de Jefus-Chrift lui-même ; d'un au- tre cote Jefus-Chrift fur la croix devenu le grand temom de la vérité , pour con- fondre jufqu a la fin l'aveuglement du mon- de ; ceft-a-dire, la mort de Jefus-Chrift devenue la plus grande preuve de l'oppo- lition du monde pour la vérité , & le nJuc grand témoignage de Ja vérité contre le monde.
O mon Sauveur ! jufques ici nous avons offert comme le monde, un cœur rebelle
Fi
124 Sur la Passion
à la vérité de votre dodeline : nous avons écouté votre parole fainte , durant ces jours de pénitence &: de falut , avec la mêine infenfibilité que Jérufalem vous écouta autrefois durant les jours de votre miniilere. Mais aujourd'hui , Seigneur , où vous ne parlez plus que par vos dou- leurs & par vos opprobres , où vous ne faites plus entendre que la voix de votre fan g ; aujourd'hui où attaché à ce trône d'ignominie , vous êtes devenu le grand témoin de la vérité contre le monde , ne permettez pas qu'une inftrué^ion fi nou- velle ^ £1 touchante , nous trouve encore infenfibles. Nous venons mettre aux pieds de votre croix , des cœurs à la vérité en- core pleins depafîions & d'attachemens in- juftes ; mais laiffez couler fur nous une feule goutte de ce fang , que vous offrez aujourd'hui pour nous à votre Père , & nous ferons purifiés : jettez fur nous , comme fur ce pécheur heureux , qui ex- pire à vos côtés , un regard de miféricor- de , & nous ferons fauves : délivrez-nous par la vérité 5 dont vous êtes aujourd'hui le grand témoin , & nous pafierons de la fervitude du monde & du péché à la fainte liberté des enfans de Dieu. C'eft ce que nous vous demandons profternés aux pieds de votre croix : 0 Crux , ave.
DE Notre Seigneur, us
E monde n'a jamais aimé la vérité ^partie parce que la vérité a toujours condamné le monde : les homm.es veulent jouir tranquil- lement de leurs erreurs & de leurs cri- mes ; & comme cette faufle tranquillité ne peut durer , qu'aufli long-temps qu'ils peu- vent réuiïir à s'aveugler eux-mêmes , toute lumière qui ouvre leurs yeux à la vérité , les blefTe & les révolte.
De-là les Juftes & les Prophètes , que le Seigneur dans fa miféricorde , fufcita de fîecle en fîecle à la terre , pour être les témioins de la vérité , furent toujours odieux aux hommes , & réprouvés d'un monde dont ils venoient condamner les maximes. Ifaïe , malgré le fang des Rois dont il étoit illu , vit tout Jerufalem conf- pirer fa perte , & vouloir éteindre dans fon fang , la vérité qui ne mieurt pas avec les Juftes qui meurent pour elle. Jérémie ne fut pas plus favorablement traité de fon peuple ; & les chaînes & les prifons de- vinrent pour lui le prix de la vérité , dont les perfécutions des méchans font toujours ici-bas la recompenfe. Elle ne trouva dans Ifraël que dss cœurs rebelles à la vérité , & les montagnes les plus inacceffibles , purent à peine lui fervir d'afyle contre les embûches des im.pies. Enfin , le monde toujours oppofé à la vérité s'eil toujours élevé contre ceux qui venoient le troubler dans la poifeiTion paifible où il étoit de {es erreurs & de fes maxirues.
F3
126 SurlaPassion
Cependant il eft vrai que c'efl par la condamnation & la mort de Jefbs-Chrift > que le monde donne aujourd'hui la plus grande & la plus éclatante preuve de fon oppofition pour la vérité ; c'eft-à-dire , pour la vérité de fa doâ:rine , des Ecritu- res , de Tes miracles , de fon innocence j & de fa royauté ; fuivons toutes ces cir- conilances.
Je dis 5 premièrement , une oppohtion à la vérité de fa doârine ; & c'ôfl le refpeé^ humain qui la form:e , cette oppofition , même dans fes Difcipîes. En vain le .Sau- veur les avoiî préparés au fcandale de fa croix 5 en leur annonçant fouvent qu'il faî- loit que le Chrift foulTrit , qu'il entrât ainn dans fa gloire ; qu'ils ne dévoient fe promettre de part à fon Royaume , qu'au- tant qu'ils en auroient à l'amertume de fon calice ; & que bienheureux ceux qui fouf- frent ^ qui font perfécutés : en vain toute fa doctrine n'étoit qu'une préparation aux croix & aux fouffrances. Dès que le mon- de fe déclare contre lui ; que les Prêtres s'alTemblent ; que les Doreurs confpirent ; que le peuple murmure ; que tout Jérufa km le rejette , ilschancelent , ils font dé- couragés ; & voici jufqu'où le refpeâ: hu- main ^ & la crainte du monde les aveugle fur la vérité de fa doâ:rine.
Dans Judas elle forme un perfide , qui trahit fon divin Maître , &: qui fe joint à fes ennemis pour le perdre. Ce Difciple in- fortuné j intimidé par le déchaînement des
DE Notre Seigneur. 127 principaux de Jérufalem contre le Sau- veur , ne fe contente pas de l'abandonner ; il s'adrefle aux Princes des Prêtres : il devient le principal miniftre de leur jaloufie & de leur fureur : Que voulei'VOiis me doni j^^^^j^^ ner , leur dit-il , ù je vous le livrerai ? 26. i5« Mais que peut vous donner le monde , Difciple infidèle , qui puiiTe remplacer ce que vous allez perdre , & ce que vous aviez reçu de Jeius-Chriil: ? Quoi ! la gloire & Teftime des hommes ? mais votre nom étoit écrit dans le Ciel , &: il va de- venir à jamais Topprcbre & Thorreur de toute la terre : le monde autorife le vice ; mai? au fond il n'eilime que la vertu. Quoi ! des titres & des honneurs ? mais Jefus-Chrift vous avoit établi Pafteur de fon troupeau , colomne de fon Eglife , Prince d'un nouveau peuple ; &: pour rem- placer ces titres auguftes , le monde va vous dégrader jufqu'aux minifteres les plus vils & les plus infâmes : qu'on eft grand , quand on eft à Jefus-Chriil ! & qu'on eft méprifable & dévoué à tout ce qu'il y a de plus bas & de plus lâche , quand on eft ef^ clave du monde ! Quoi ! des biens & des richeffes ! mais JeUis > Chrift vous avoit confié les tréfors du Ciel ; il vous avoit donné toute la terre pour votre partage : tout étoit à vous ; & le monde ne vous paye en échange que d'un vil prix qu'il vous fait attendre long-temps , &: dent le premier inftant de poiîefiion vous dégoûte : le monde promet beaucoup , & ne donne
F4
îiS SurlaPassion
rien ; Jefus - Chrift donne toujours au- delà de ce que nous attendons , & fes dons furpalTent toujours fes promefTes, Quoi encore ! des plaifirs réels & une félicité durable ? mais Jefus-Chrift vous auroit laifie la paix du cœur qui efl l'hé- ritage de ies Difciples , & la feule fource de vrais plaifirs ; & le monde ne va vous laiffer que des remords cruels , un affreux défefpoir 5 & tout le poids de votre cri- me : le monde mené par les plaifirs aux amertumes des paiTions ; Jefus - Chrift mené par les croix à la paix du cœur , & aux plaifirs tranquilles &: folides de l'inno- cence. Que voulez-vous donc que vous donne le monde ? comme on n'en peut rien efpérer 5 on n en devroit auffi rien craindre.
Mais la crainte des hommes qui avoit été la première fource de la perfidie de Judas 5 devient celle de la défection des autres Difciples. Le Palpeur frappé , les brebis font difperfées. Ils Tavoient fuivi généreufement tandis qu'ils l'avoient vu maître de la mort & de la vie , & attirer après lui les Grands & le peuple par l'éclat de {es prodiges : il leur paroiifoit beau alors d'être de ce petit nombre de Difci- ples qu'il avoit choifis ; ils ne rougiifoient pas de lui appartenir , & ils s'en faifoient même une gloire devant les hommes. Mais dès qu'il eft faifi , lié , méprifé 5 ils ie cachent ; ils ne le connoiffent plus ; fa fcibleiTe les fcandalife ; fes opprobres tant
DE Notre Seigneur. 129 de fois annoncés les découragent. La vertu applaudie , honorée , favorifée , ne manquç jamais de fectateurs ; la vertu méprirée ou perfécutée ne trouve plus perfonne qui ofe fe faire un honneur de fe déclarer tout haut pour elle.
Pierre lui-même , qui loin des dangers, fe promettoit tout de fon courage , n'efî pas à l'épreuve d'une Ci dangereufe tenta- tion. On lui demande s'il n'eft pas DïCci- pie de cet homme : Numquid & tu ex Dlf- y^^^ cipulls es hominh IJiius 1 c'eil-à-dire , s'il 18. 17, n'eft pas du petit nombre de ces hommes heureux , à qui le Père célelte avoit ré- vélé le m.yftere du Chrift ; c'eft-à-dire , s'il n'eft pas de ces dépodtaires de fa puiiTance , auxquels il a confié les clefs du Ciel & de l'enfer ; le pouvoir de marcher fur les fer- pens 5 & de difpofer à leur gré de toute la nature ; c'eft-à-dire , s'il n'eft pas de ces fondateurs de fon Evangile , qui vont planter la Foi au m.ilieu ûqs ténèbres de l'idolaîrie 5 conquérir tout Tunivers , ren- verfer tous les autels profanes , confondre, toutes \q.s feâes , éclairer toutes \qs na- tions ., rendre muette toute la fcience des Philofophes , foumettre les Cefars , por- ter le falut à toute la terre ; & qui doivent à la fin paroître au miilieu des ;iirs fur douze trônes de lumière , pour juger l^s douze Tribus d'Ifraël : c'eft-à-dire enfin , s'il n'eft pas de ces nouveaux miiniftres de fon Sacerdoce 5 qui vont être ]qs premiers Pafteurs de fon Eglife ^ les Pontifes des
^ S
130 SurlaPassion biexTS véritables , les Melchifedechs d'un peuple faint , les médiateurs d'une alliance nouvelle , les conciliateurs des hommes avec Dieu , aux pieds defquels les Princes & les Rois de la terre viendront courber leurs têtes fuperbes , & mettre leurs fcep- tres & leurs couronnes ? Niimquid & tu ex Difcipulls es hominis [film ? Ed-ce donc d'avouer tant de grandeur , tant de gloire & de magnificence , que vous rouglifez j folble Difcip'e ? Numquid & tu ex Difci- pulls es hominis ijlius ? Quelle folie de fe faire une honte devant les homim.es du titre de Difciple de Jefus-Chrift ! Le mon- de avec toute fa gloire a-t-il rien de fi grand , de (ï haut , de fi eftimable , de Ci digne de la raifon , que la vertu véritable? Cependant Pierre n'ofe s'avouer Difci- ple du Sauveur ; une lâche timidité l'aveu- gle ; il déclare qu'il ne connoît point cet Maîîh. hcmime : Non novi homimm : il affeâ:e d'i- lO. 72. gnorer jufqu'au nom de Ton divin Maître. Lâche Difciple ! Mais c'cft là ce Jefus , qui de pêcheur de poiiTons , vous avoit fait devenir pêcheurs d'homimes ; & qui pour votre barque & vos filets , vous avoit éta- bli le chef & le principal miniftre de fon Eglife : Non novi hominem : il ne le connoît plus. Mais c'eil là ce Fils au Dieu vivant que vous aviez confelTé fi généreufement , il pour qui vous aviez tant de fois proteôé que vous étiez prêt de m.ourir : Non novi hcmincm : il ne veut plus le connoître. Mais c'eft ià ce bon Maître qui vous avoit
DE Notre Seigneur 131 honoré de fa plus tendre familiarité : qui vous avoit admis à fes plus fecrettes fa- veurs , & toujours préféré à tous les autres Difciples : il affefte d'en ignorer jufqu'au nom : Non novl homimm. Mais c'eft là ce Seigneur qui vous foutenoit flir les flots ; à qui les vents & la mer obéilToient , cl que vous aviez vu fur le Thabor environné de tant de gloire & d'immortalité : il ne le connoît plus : Non novi hominem. Mais enfin c'efl là le Chrift , à qui tous les Pro- phètes ont rendu témoignage ; cet Agneau de Dieu , que Jean-Baptifte vous a mon- tré ; que tous les facrifices avoient figuré ; que tous vos pères avoient demandé ; que les hommies appelloient , il n'y a qu'un mo- ment 5 les uns Elie , les autres Jean-Bap- tifte , ou quelqu'un d'entre les Prophètes ^ & que vous aviez reconnu vous-mêxme , pour le Fils & l'Envoyé de Dieu , qui feul avoit les paroles de la vie éternelle : il ne le connoît plus :,Non novi hominem. Il oublie fes bienfaits , fes miracles , fa doc- trine. Jufqu'où le refpe^t humain n'aveu- gle*t-il pas un cœur foible &: timide î & quand on craint encore les hommes , de quoi peut- on répondre de foi-mêmie à Je- fus-Chrift ?
Quelle foibleffe , mes Frères ! craindre les yeux du monde , quand on obéit à Dieu ! fe glorifier de fervir les Rois de la terre , & avoir honte dn fervir celui que les Rois eux-mêmes {ervQr.t y 8>C par qui feuls ils ont droit de régner ! avoir eu la
F 6
132 s U R L A P A s s I O N
force de vieillir dans le fervice d'un monde miférable , d'en foutenir les amertumes , les caprices , les alFujettiflemens , les dé- goûts ; & n'avoir pas le courage de confa- crer publiquement à Jefus-Chrift Iqs ref- tes d'une vie mondaine ; & de remplir à la vue des hommes , la grandeur des de- vçirs qu'il nous impofe , & la nobleffe de fes maximes. Quelle foibleiîe ! s'être fait honneur de facrifier au monde & fouvent à des maîtres injuftes & bizarres , Ton re- pos 5 fa fauté 5 fa confcience ; & n'ofer pas même facrifier du monde à Jefus-Chrilt , fes difcours frivoles & fes vaines cenfures 1 O mon Dieu ! le monde aura- 1 il toujours des partifans déclarés de fes illufions pué- riles? & la fublime fagelfe de votre doc- trine , ne trouvera-t elle jamais que des Difcipîes tremblans &: timides ? FoibleiTe & timidité dans les Difcipîes , qui les aveugle lur la vérité de la dod^rine de Je- fus ChrilL
En fécond lieu , jaîcufîe dans les Prê- tres & les Doâeurs y qui les aveugle fur la vérité des Ecritures* C'eft là que Jefus- Chrift les avoit fouvent renvoyés , comme au témoignage le moins fufpeâ: de la vérité Jo&n»'» ^^ ^^" miniftere : Lifi:( tes Ecritures leur ^Q, ' difoit-il fouvent; ce font elles qui rendent témoignage de moi. Le fceptre de Juda entre les mains d'un étranger ne leur per- tnettoit plus de douter que les temps mar- ques ne fufTent arrivés ; & que celui qui âevcit être envoyé , ne dût enfin paroître ;
DE Notre Seigneur. 133 les aveugles éclairés , les boiteux redrefTés , les pauvres évangélifés , & mille autres traits de fon miniftere , leur difoient aflez que c'étoit de hii dont Ifaïe & les autres Prophètes avoient parlé , Icrlqu'ils avoient annoncé le Chrilt. Mais l'envie qui les aveugle , l'emporte fur la vérité qui Iqs éclaire : la grande réputation de Jefus- Chrilt, & fon zèle contre leur hypocrifie j forme en eux un aveuglement de jaloufie , qui ferm.e leurs yeux à tout ce qu'ils doi- vent à la vérité : plus la fainteté de Jefus- Chrift éclate , plus leur injufte pafiion s'ai- grit &: s'allume ; & en voici toutes les dé- marches & tous les carafteres.
Premièrement , la mBuvaife foi : Que Joan. ferons-nous , difent-iis ? car cet homme fait ii'47. plujîeurs prodiges , G* tout le peuple court après lui, lis ne peuvent fe diiTimuler à eux-mêmes la vérité de Ces miracles : Quia hic homo mulîa Jï gna facit : ils en convien- nent enfemble ; mais c'eft cela même qui les aigrit & les aveugle : ils fe fentent diminuer dans i'eftime du peuple , à mefure que la réputation de Jefus-Chrift s'établit & s'aug- mente : que ferons-nous , difent-iis ? Quid facimus ? Aveugles , & conducteurs d'a- veugles ! ce que vous ferez ? c'eft de vous écrier avec le peuple : Que le Seimeur a 7-.,^ „ vijite IJraet ^ Cf quun grand Frophete a ete lû. fufcité parmi vous : c'eft de lui dire avec le Scribe inftruitdans le Royaume desCieux: Maître , nous favons que vous êtes envoyé 7^^ ^ de Dieu ; car perjonne ne peut faire tes 2.
134 Sur LA Passion ceuvrcs que vous faites , fi Dieu nejl avec lui. Quid fcicimus ? ce que vous ferez ? Joan. c'eft de dire avec TAveugle ^né : Sci- 9. 58. * gncur , nous croyons que vous êtes le Fils Matth, de Dieu , avec une femme Tyrienne : Fils 25. 21» de David , ayc^ pitié de nous ; avec le Luc 1. jufts Siméon : ]\ous mourrons en paix 29. 50. maintenant , puifque nos yeux ont vu le fa- Joan, ^^^ ^^ Dieu ; avec les. Difciples : A qui 6. 69. pourrions nous aller déformais , puifque vous avei les paroles de la vie éternelle ? Enfin Marc, du moins avec les Démons : Nous [avons ^' ^4. qui vous êtes , 6 faint de Dieu î Quidfaci- mus ? ce que vous ferez ? Ah ! Tyr & Sidon , où il n'a jamais opéré de prodiges , pourroient dire : Que ferons-nous ? & qui nous montrera le falut promis à la ter- re i Les Nations qui le defiroient depuis tant de fiecles auroient eu droit de dire : que ferons-nous ? nous avons attendu la lumière , & nous voici encore dans les ténèbres. Les Rois & les Prophètes , qui avoient tant fouhaité de le voir , auroient pu s'écrier • Que ferons- nous , puifqu'il tarde tant de venir ? & qui nous apprendra le jour de fon arrivée ? mais vous à qui la grâce de Dieu notre Sauveur a apparu ; vous dont les yeux ont été aflez heureux , pour voir ce que tant de Prophètes avoient prédit, ce que tant de Juftes avoient de- firé , ce que tant de nations avoient atten- du , ce que le Ciel avoit promis depuis tant de (lecles à la terre; vous à qui le Père célefie a montré fou Fils bien-aimé y
DE Notre Seigneur. 135 que pourriez-vous avoir à faire que de l'écouter 5 &£ recevoir le falut depuis long- temps promis à vos pères ?
Et voilà !e premier caraftere d'une in- jufte jaloufie ; la mauvaife foi. On dif- pute tout haut à ceux dont on regarde l'élévation avec des yeux d'envie , des ta- lens & des qualités louables , qu'on eft forcé de leur accorder en fecret : on trou- ve à leurs vertus mêmes un mauvais côté , quand on ne peut les traveftir en vices : la même jaloufie nous éclaire fur ce qu'ils ont d'ellimable , & nous les fait méprifer : on . eil ravi de mettre le public contre eux, tan- dis que notre confcience mieux inftruire les juftifle ; ainfi le plaifir qu'on a de tromper les autres à leur égard , n'eft jamais par- fait 5 parce qu'on ne fauroit réulîîr à fe tromper foi- même.
. Secondement j la bafleffe. Ils cherchent eux-mêmes en fecret un faux témoignage contre Jefus-Chrift , & ils n'en fauroient trouver : Et quœrcbant falfum tefîimonium Matth» contra Jefum , & non invencrunt. S'ils en ^^' 5^* euifent cherché de véritable , ah ! tout eût répondu en faveur de l'innocent : le peu» pie fe fût écrié : Que Dieu n avait jamais Matth» donné une telle puijfance aux hommes. Tant 9' 8. de morts relTufcités , tant de malades gué- ris auroient protefté , Quil ejl la réfurrec- J»an, tion (s la vie. Tant de pécherelles conver- ^^' -5* ties auroient publié qu'on ne peut réfifler aux paroles de grâce & de falut qui Jortent Luc, 4. de fa bouche, hes. pierres elles-mêmes du ^^^
î7
136 Sur LA Passion
temple auroicnt crié à leur manière : Que Joan, 2. Iq :i^qIq ^q [a maifon de fin Père le dévore. Que de lumiere-s'ils avoient voulu voir ! ÔC fur combien de vérités faut-il s'aveugler , & à combien de bafîelTes eft-on réduit à fe livrer , quand on s'eft une fois livré à cette paillon injufte !
Et c'en eft le fécond caraftere. Les voies que prend la jaloufie pour nuire , font toujours fecrettes , parce qu'elles font toujours bafîes & rampantes. On fe glo- rifie des autres partions : un ambitieux fe fait honneur de fes prétentions & de fes efpérances : un vindicatif met fa gloire à faire éclater fon reffentiment : un volup- tueux fe vante de fes excès & de fes dé- bauches. Mais il y a je ne fais quoi de bas dans la jaloufie , qui fait qu'on fe la cache à foi-même : c'eft la paflion des âmes lâ- ches ; c'eft un aveu fecret qu'on fe fait a foi-même de fa propre médiocrité ; c'eft un aveuglement , qui nous ferme les yeux fur tout ce qu'il y a de plus bas & de plus indigne : on eft capable de tout, dès qu'on peut être ennemi du mérite & de l'inno- cence.
Troifiémement , la duretés Ces Juges corrompus livrent le Sauteur à l'infolence & à la fureur de leurs ferviteurs &: de leurs minières ; & la jaloufie toujours cruelle , leur fait voir avec un plaifir inhu- main les opprobres & les crachats dont on le couvre : le fanâ:uaire même de la Juf- tice , &: la majeflé du tribunal fur lequel
DE Notre Seigneur. 137 ils font aflîs , ne peut fervir d'aryle à un innocent , contre les indignités & les ou- trages. Ah ! l'Arche d'Ifraèl fut en sûreté daxis le temple même de Dagon ; & 11- dole elle-même refpe6^a, en tombant à fes pieds , la majefté & la gloire de celui qui rélîdoit en elle ; & Jefus-Chrift , l'Arche du Nouveau Teftament , eft aujourd'hui outragé au milieu même de fon fanfbuaire & de fes Minières ; & fi l'on tombe à {qs pieds 5 en fe profternant devant lui , ce font des hommages de dérifion , qui infultent à fes douleurs & à fes ignomi- nies.
Qu'il refte peu de fentiment d'humanité dans un cœur , lequel après avoir regardé d'un œil d'envie & de triftelTe , la proipé- rité de fon frère , voit fes malheurs d'un œil d'allégrefle & de complaifance ! troi- fieme caraâ:ere de cette injufte pafîion ; la dureté. Elle endurcit le cœur , & le ferme à tous fentiments de piété & de tendrelTe : on voit avec une joie fecrette les malheurs & la décadence de Ces frères : on ne peut être heureux que par leur infortune. Un air de jubilation oC de réjouilTance étoit répandu dans la maifon dAman , au feul fpe6^acle des malheurs & du fupplice de Mardochée. C'eft la pafiion d'un mauvais cœur ; & c'eft pourtant ce qui fe palTe tous les jours à nos yeux , & la pafTion dominante des Cours : cette palTion cruelle fait de la fociété un théâtre affreux , où les hommes ne favent paroître enfemble
19. iS
Joan, 8 55.
138 Sur l a Passion
que pour fe dévorer & fe détruire , & où la décadence des uns fait toujours le triom- phe & la viâ:oire des autres. Quel aveu- glement pour des Chrétiens , qui doivent fe regarder comme frères , & comme hé- ritiers des mêmes biens & des mêmes pro- mefles !
Quatrièmement enfin , le facrifîce des intérêts de la patrie. Nous n'avons point Joan, d'autre Roi que Céfar , s'écrient-ils : ISJos Rcgem non habemus nifi Cœfarem. Eux qui fe vantoient auparavant de n'avoir jamais été fujets ni efclaves de perfonne : Nemlni fervlvimus unquam ; qui déteftoient le joug des incirconcis ; qui avoient l'avantage d être le peuple de Dieu , & de n'avoir que le Seigneur pour Roi & pour Père ; eux qui regardoient le fceptre des nations comme une tyrannie , & qui croyoient que tous les Rois &: tous les peuples devien- droienî tributaires de Jérufalem , ils facri- fîent cette gloire , ces avantages qui les diftingucient de tous les autres peuples de la terre , au plaifir affreux de voir périr celui 9 avec la réputation duquel , une fe- crette jaloufie les rendoit irréconciliables : Nos Regcm non habemus , nijï Cœfarcm ; ils renoncent à la gloire d'être le Royau- me du Seigneur , à refpérance d'Ifraël ^ & aux promefles faites à leurs pères , pourvu que l'innocent périiTe. O pafîion détéftable , comment êtes-vous née dans le cœur de l'homme ? & faut-il que la ruine du peuple & de la patrie vous tou-
DE Notre Seigneur. 139
que le plaifir affreux de vous fatisfaire.
Oui 5 mes Frères , c'eft ici Ton dernier cara6^ere. On facrifie tout , la Religion , l'Etat , les intérêts publics , la gloire de la patrie à la bafleiTe de fon refîentiment. Tout ce qui favorife les perfonnes que la jaloufie nous rend odieiifes , nous devient odieux : s'ils propofent des avis utiles aux peuples & à l'Etat , nous les rejettons : s'ils en re- jettent d'injuftes & de précieux , nous les approuvons. Cette paflion aveugle fe glille jufques dans le fanftuaire des Rois & dans le confeil des Princes : divife ceux que rintérêt commun , le bien public , l'amour du Prince & de la patrie devoit réunir : on cherche à fe détruire aux dépens des affaires & des nécelîités publiques : les malheurs publics ont pris mille fois leur fource dans les jaloufîes particulières : on oublie tout ce qu'on doit à la Patrie & à foi-même , & il n'eft plus rien de facré pour un cœur que la jaloufie aigrit &: infec- te. Telle eft l'oppofition que la jaloufie des Prêtres met dans leur cœur aux promeifes & à la vérité des Ecritures.
En troifieme lieu , l'ingratitude , pouffée jufqu'à la fureur , m.et dans le peuple une oppofition infenfée à la vérité des miracles du Sauveur. Témoins de tant de prodiges qu'il avoit opérés à leurs yeux , ils paroif- foient en foule à fa lliite avec fes Difci- ples ; ils l'avoient même accompagné de- puis peu dans fon entrée triomphante à
140 Sur la Passion
Jérufalem , faifant retentir les airs d'accla- mations & de louanges ; & couvrant le chemin de branches d'olivier , comme pour en faire un trophée au Roi pacifique , qui venoit porter la paix &: le falut dans Sion : cependant ce même peuple en fu- rie fe déclare aujourd'hui contre Jefus- Chrift , le fuit comme un féditieux , & de- mande fa mort à Pilate. Qu'il foit cruci- Luc. 19. fié , s'écrient-ils : Nous ne voulons pas que '4» celui-ci règne fur nous. Quelle ingratitude ! ils vouloient l'établir Roi fur eux dan^s le défert , lorfqu'il les rafTalioit d'une nourri- ture miraculeufe ; 8c au milieu >de Jéru- falem 5 ils ne le connoiiîent plus , & re- gardent fon joug comm.e une indigne fer- vitude.
C'e/l l'ingratitude , mes Frères , qui forme toutes nos inconftances dans les voies de Dieu. Touchés quelquefois de fa grâce , & des bienfaits finguîiers dont il nous a comblés en particulier 5 en nous ménageant mille événemens heureux pour notre falut , nous avons voulu le faire ré- gner fur notre cœur ; nous l'avons fuivi quelque temps ; nous avons été touchés de reconnoillance fur les attentions de préfé* rence & de bonté qu'il avoit eues pour nous. Mais le monde, mais notre fcibleife, mais des occafions pas affez évitées , ont bientôt effacé ces fentimens de notre cœur ; nous avons oublié fes bienfaits & nos pro- m.effes ; & comme l'ingratitude & l'abus des grâces en va toujours tarir la fource
DE Notre Seigneur. 141 d^ns le fein de Dieu , il nous a livrés à tou- te la corruption de notre cœur ; nous nous fommes déclarés fans ménagement contre lui ; nous n'avons plus gardé de mefure dans le défordre \ & pour étouffer les reftes de nos anciens fentiments de vertu , nous avons montré une nouvelle audace dans le crime.
Ainfi j mes Frères , l'inconftance dans les voies du falut , eft le plus grand obfta- cle que la grâce trouve à combattre dans nos cœurs. Nous ne fommes jamais un inf- tant les m.êmes : tantôt touchés de Dieu , tantôt enivrés du monde ; tantôt fornant des projets de retraite , & tantôt d'ambi- tion ; tantôt fatigués des plaifirs 5 tantôt fen- tant renaître un nouveau goût pour eux. Notre cœur nous échappe à chaque inf- tant : rien ne l'arrête ; rien ne le fixe : notre inconftance nous devient à charge à nous- mêmes. Nous voudrions pouvoir fixer no- tre cœur , & lui faire prendre une confif- tence durable dans le vice ou dans la vertu ; & le premier objet le faifit & l'entraîne : nous vivons dans une variation perpétuelle , fans règle , fans maxime , fans principe ; ne pouvant nous répondre de nous-mêmes pour un moment ; & ne prenant que dans les inégalités de l'humeur & de l'imagina- tion les règles de notre conduite.
Et voilà ce qui nous rend fi peu capables de vérité & de vertu ; c'efl que la vertu de- mande une vie uniforme , & facrifie conf- tamment à l'ordre & au devoir 5 les inconf-
Î42 SurlaPassion tances d'une imagination légère & variable. Nous avons beau nous lafTer de notie pro- pre inconftance ; nous nous lafîbns encore bien plus de l'uniformité de la vertu : une vie toujours la même ; toujours aflujettie aux mêm.es loix ; toujours foumife aux mê- mes règles ; toujours gênée par les mêmes devoirs ; nous décourage &c nous rebute. Ah ! s'il ne falloit pour être faint 5 que faire une a6lion héroïque de vertu , un facrifice éclatant , une démarche généreufe , il en coûteroit moins à la démarche des hom- mes : on trouve en foi afTez de réfôlution pour fe faire une grande violence d'un mo- ment : toutes les forces de l'ame femblent fe réunir alors ; & la courte durée du com- bat, en adoucit & en foulage la douleur. Mais ce qui lafle dans la vertu , c'eft qu'un facrifice fait , il s'en offre un autre qu'il faut faire ; c'eft qu'une palîion vaincue , renaît aufii-tôt 5 & qu'il faut encore de nouveaux efforts pour la vaincre. Pierre aujourd'hui trouve en lui affez de générofité pour tirer le glaive , & défendre fon Maître contre les facrileges qui l'infultent ; mais dès que la tentation recommence y il fe décourage , & fuccombe : il eft aifé d'être en certains momens héroïque & généreux ; ce qui coûte 5 c'eft d'être par-tout confiant &: fi- dèle. Aveuglement d'ingratitude 8c d'in- conftance dans le peuple , qui refille à la vérité des m.iracîes du vSauveur.
En quatrième lieu , aveuglement d'am- bition dans Pilate , qui refiile à la vérité dé fon innocence.
DE Notre Seigneur. 145 Le Sauveur du monde eft traîné devant ce Magiftrat infidèle : tout prouve à Pilate fon innocence : il avoue lui-même qu'il ne trouve pas cet homme digne de mort ; mais on le menace de Céfar : Non es amicus Cœ- Joan, faris. Et voici tous les obftacles qu'une la- ^9» ï2. che ambition met dans fon cceur à la vérité qu'il connoît , & qu'il ne peut fe cacher à lui-même.
^ Premièrement 5 un obftacle dedifTimuIa- tion & de mauvaife foi. Ne pouvant s'a- veugler fur l'innocence du Sau\^ur à la- quelle fon filence , {qs réponfes , Ifes accu- fations des Juifs , les fonges mêmes de fa propre femme , tout enfin rendoit témoi. gnage ; mais d'un autre côté ne voulant pas fe mettre en danger d'exciter une fédition dans Jérufalem , qui auroit pu déplaire à Céfar 5 & lui attirer fa difgrace : il propofe des expédienspour fauver Jefus-Chrift ; il veut fe fervir de la circonftance de la Pâ- que 5 où c'étoit la coutume d'accorder au peuple la vie d'un criminel ; & par-là il leur fait entendre contre les lumières de fa conf- cience , que Jefus de Nazareth a bcfoia de grâce ; & qu'il efl digne de mort , fi les fuiîrages du peuple ne font tomber fur lui l'indulgence toujours accordée au temps de la Pâque.
Premier obftacle que l'ambition met dans un cœur ; elle nous rend faux 5 lâ- ches , timides , quand il faut foutenir les intérêts de la juftice & de la vérité. Oa craint toujours de déplaire j on veut tou-
144 SuRLA Passion
jours tout concilier , tout accommoder ; on n'eft pas capable de droiture , de can- deur ; d'une certaine noblelTe , qui infpire l'amour de l'équité , & qui (eule fait les grands hommes , les bons fujets , les Mi- niflres hdeles , les Magiftrats illuftres, les Héros chrétiens : on met en parallèle Jefus & Barabbas , toujours prêta facrifierrun ou l'autre , félon que le temps ou les occa- fins peuvent le demander. Âinfi on ne fau- roit compter fur un cœur en qui l'ambition domine : il n'a rien de sûr , rien de ûxe , rien de grand ; fans principe , fans maxime , fans fentimens : il prend toutes les formes ; il fe plie fans ceffe au gré des pafllons d'au- trui ; il dit fans ccfle , com.me Pilate :
ly.Ti/ Q^^^ ^^^^^^ ^^^^^ ^^ duohus dimittl ? Le- quel voulez-vous que je délivre ou que je perde ? Prêt à tout également , félon que le vent tourne , ou à foutenir l'équité , ou à prêter fa prote6^ion à rinjuftice. On a beau dire que l'ambition eft la pafllon des l^randes âmes ; on n'eft grand que par l'a- mour de la vérité , & lorfqu'on ne veut plaire que par elle.
Secondement , un obftacle de haine pour la vérité , qui fait qu'elle nous eft à charge. La préférence que les Juifs donnent à Ba-
Ib'd -ù ^^bbasfur JefusXhrift , embarralTe Pilate :
lu Que fcrai-je donc de Jefus , qu'on appelle le
Chrifl 5 leur difoit-il ? Le Sauveur eft pour
lui un embarras ; fon innocence lui pefe ; il
^ voudroit bien que les Juifs en fîflent tout
Joaru ,£g^|g Yq^x aiîaire : Tollite eum vos , & Ce-
cundum
DE Notre Seigneur. 145
cundum Icgcm vcjlram judicatc ; la caufe de l'innocent lui eft odieufe.
Second obftacle que l'ambition met dans un cœur ; elle nous rend la juftice Se la vé- rité odieufe. On eft embarrallé du bon droit ; on voudroit que ceux qu'il faut per- dre 5 pour plaire , eulfent toujours tort ; on regarde comme un malheur d'être chargé de leur caufe ; on cherche \qs moyens de s'en débarraffer ; & loin d'embralfer avec joier©cca{ion de prêter fon miniftere à l'in- nocent ; on fuit la gloire d'une belle action, com.me on devroit fuir l'infamie d'une baf- feffe.
Troifiémement , un obftacle d'hypocri# fie , qui fait fervir la vérité même aux vues de l'ambition. Pilate ayant appris que Je- fus étoit Galiléen le renvoie à Hérode , fous prétexte que la Galilée obéi/Tant à ce Prince , c'étoit à lui à juger de la caufe de JefusChrift. Ce n'eft pas le defir de con- ferver la vie à un innocent , qui détermine Pilate à cette démarche ; c'eft pour recou- vrer l'amitié d'Kérode qu'il avoit perdue : il fait fervir Jefus-Chrift à Ces fins 5 & le met à profit pour fa propre utilité.
Troifieme obftacle ; un cœur ambitieux eft d'autant plus éloigné de la vérité , qu'il femble faire plus d'oftentation de l'aimer & de la fuivre. C'eft ce vice qui fait toutes les fauifes vertus ; & fous un règne fur-tout , où la vertu eft devenue la route sûre des fa- veurs & des grâces , on fe fert , comme Pilate , de Jefus-Chrift pour gagner la Myjîens. ' Q '
14^ Sur LA Passion
bienveillance du Prince : après avoir tenté toutes les autres voies , c'eft la dernière rciîburce que l'ambition infpire ; elle em- ploie tout ce qu'il y a de plus faint & de plus facré , les apparences du zèle & de la vertu. Quel m.alheur , quand on eft afTez corrompu pour tourner Jefus-Chrift même à fa propre perte ; pour faire de la vertu la voie des paiTîons èc l'attrait du vice ; pour employer la Religion à favorifer les deiirs du fiecle qu'elle condamne ; pour changer les refTources mêmes de la piété en des mo- tifs de cupidité , & les armes mêmes. de la vérité 5 en des inflnimens de duplicité & de menfonge ! Qu'il refte peu d'efpérance de falut aune ame qui peut abufer du don de Dieu , & ne faire point d'autre ufage de Jefus-Chrift , le Juge & l'ennemi du mon- de , que de l'employei à parvenir aux hon- neurs & à la bienveillance du monde mêm.e ! Enfin dernier obftacîe ; un obftacle de faufle confcience , qui fait qu'en facrifiant . la vérité à des intérêts humains , on croit encore n'avoir rien à fe reprocher. Pilate voyant que fes délais & fes tempéramens ne fervent qu'à aigrir & allumer de plus en plus la fureur des Juifs , livre enfin le Sau-
Luc.zi' veur à leur vengeance : Tradidit voluntcti
25* corum ; mais en même temps il lave fes mains : il confent qu'on lefaife mourir ; & il déclare qu'il n'eftpas coupable de la mort
Matth. ^s ce Jufte : înnocens e^o fum à fojiguirx
27. 24* jiLJli hujus.
Dernier obftacle que l'ambition oppofe
DE Notre Seigneur. 147 à la vérité ; on fe fait une faufTe confcience ^ur la plupart des démarches les plus oppo- fées au devoir &:à la règle ; onie perfuade que la nécefîiîé , les conjondures , les in- térêts publics 5 les raifons d'Etat , les bien- féances du nom , le devoir des places , en rendant certaines tranfgrefîîons , comme inévitables , les rendent en même temps in- nocentes. Ainfi les complaifances qu'on a contre fa confcience & fon devoir font tou- jours néceflaires , dès-là qu'elles nous font utiles : elles ont toujours certains côtés , par où elles ne nous offrent que les dehors de la fagefle & de la prudence ; enfin , tout ce qui fert à nos projets eft bientôt inno^ cent : Innoccns ego fum»
Aufîî l'ambition , ce vice qui forme tant de haines , de jaloufies , de bafleires», d'injuftices ; ce vice , qui fe gliffe jufques dans nos vertus , & dont les plus juiles font à peine exempts ; ce vice , qui infeéle toutes les Cours , & qui en eil comme l'a- me 5 & le grand reilort qui donne le mou- vement à tout : ce vice . dis-je , ell celui fur lequel on a le moins de remords , &: qu'on ne s'avife jamais de porter aux pieds du Tribunal de la Pénitence. Les fuccès de l'ambition nous ralTurent contre l'injuPâce de fes voies ; & il fuffit d'avoir -été heu- reux 5 pour fe perfuader qu'on n'eft pas coupable.
J'ai dit en dernier lieu 5 un aveuglement d'impiété dans Hérode , qui tourne en ri- fée la Royauté de Jefus-Chrift. Il ne peut
G z
148 Sur LA Passion
fe diiîimuler à lui-même qu'il ne foit ufur- pateur du Trône de David , & étranger dans l'héritage de Sion : les frayeurs de fon PrédéceiTeur , fur la nailfance du nouveau Roi des Juifs , que les Mages venoient adorer , n'étoient ni fî anciennes , ni fi ou- bliées , & avoient été même marquées par des traits trop publics & trop fanglans, pour qu'elles ne fuilent pas venues jufqu'à lui. Mais l'impiété traite toujours la vérité de fuperftition &: de crédulité ; & voici ce qu'elle produit en Hérode.
D'abord , un mouvement de curîofité : il fouhaitoit de voir cet homme , dont la renommée publioit des chofes fi merveil- leufes : il fe promettoit d'en être lui-même le témoin , & de voir quelqu'un des pro* diges que le Sauveur avoit opérés dans la Luc.i^, Judée : Sperabat fignum aliquod vidcre ah eoficri : il ne cherche pas des inftruifbions ; il ne veut qu'un fpeâacle. Il fait à Jefus- Chrift mille queftions inutiles fur fa doc- Ibid. f. ^j-jj^g ^ f^^ Çq^ miniftere : Interrogabat au- 1 ^' tem eum multis fcrmonibus ; mais ce n'eft ]
pas pour connoître la vérité , c'eft pour en i faire des dérifions , & fe confirmer dans -1 fon -incrédulité. Démarches ordinaires de l'impiété : on voudroit des miracles pour croire : on ne fe rend point à la voix de tous les fiecles & de tous les peuples , qui publient les prodiges éclatans , auxquels î'Eglife doit fa nailîance & fon progrès : on ne veut pas voir que l'Evangile reçu , & fubfiftaat dans l'Univers , eft le plus grand
DE Notre Seigneur. 149 miracle que Dieu ait pu opérer fur la terre : on veut être Chrétien par les fens ; & on ne peut l'être que par la Foi. On fouhaite de voir 5 comme Hérode , des hommes célè- bres par la fîngularité de leurs lumières , & par une réputation publique de zèle & de vertu ; mais ce n'eft pas pour s'inflruire ; c'eft pour propofer , comme Hérode , des doutes fans fin , & des queftions vaines & frivoles : Intcrrogabat autem eum multis fer^ monibus. On fe fait un bon air d'avoir des difficultés fur la croyance commune : on cherche à difcourir fur la vérité ; mais on ne cherche pas la vérité : on parle toujours de Religion , & on n'en a point : Interro- gahat autcm eum multis fermonibus.
Ceux qui interrogeoient Jefus-Chrift pour s'inftruire , fe conteiitoient de lui de- mander : Maître , que faut-il faire pour mé- riter la vie éternelle ? ils en venoient d'à- ^''^* bord aux devoirs : ils couroient au remède de leurs maux les plus preiles : ils vouloient qu'il leur apprît d'abord à vaincre leurs païïions 5 à pratiquer les préceptes de la Loi 5 & à trouver la voie qui conduit à la vie : Quid faciendo , vitam œternam poffl- debo ? Ils vc'jîoient aller à la vérité par les devoirs , & non pas douter de îa vérité , pour fe difpenfer des devoirs. Ceux-ci au contraire , ne fe propofent dans leurs quef- lions & dans leurs doutes, que de fe dire à eux-mêmes 5 qu'au fond tout eft incer- tain ; qu'on n'a rien de fatisfaifant à leur ré- pondre ; & avoir l'audace de douter de la
150 S u R LA Pas SI ON "
vérité 5 eft pour eux une preuve décifive contre elle. C'eil ainfi , ô mon Dieu ! que votre Jufcice punit Torgucil d'une foible raifon , en la livrant à {es propres ténèbres. A la curiofité Hérocîe mêle la dérifion : n'ayant pu même tirer de Jefus-Chrift une feule parole , il le m.éprife , & toute fa Luc -^z» ^our fuit fou exemple : Sprevlt autem il- 12. *" lum Hcrodes cum exerciîu fuo. Le filence du Sauveur , fa modeilie , fa patience dans les humiliations dont il efl: couvert , fon humilité qui lui fait cacher fes talens divins & fes œuvres admiirables devant Hérode ; tout cela qui auroit dû être auprès de ce Prince autant de preuves éclatantes de la fainteté de Jefus-Chrift . ne fert qu'à le fai- lepafTer pour un homme d'un efprit foible, & d'une raifon égarée : on le revêt d'une robe blanche , comme un infenfé , & on le ibid, renvoie à Pilate : Et illujît indutum vefls alhâ.
Et voilà , mes Frères , comme Jefus- Chi'iftdans fes ferviteurs , eil tous les jours îraité dans le monde , & fur-tout à la Cour des Rois. Si les gens de bien s'y difpenfent de certains plaifrs ; s'ils fe taifent à certains difcours ; s'ils ne fe conforment pas à cer- tains ufages ; s'ils fe font un fcrupule de certains abus , que l'exemple commun au- torife ; loin d'admirer en eux la force de la grâce , & la grandeur de la Foi , qui peut réfifter au terrent des plaiiirs & des exem- ples , on traite leur piété , & la magnani- mité de leur vertu ^ de petiteife d'efprit.
DE Notre Seigneur. 151 On les regarde comme des hommes oifeux & bornés , qui manquent d'élévation & de courage , & incapables de fuivre des rou- tes plus brillantes ; on croit qu'il faut laifler im certain détail de dévotion à ceux qui j par la médiocrité de leurs taîens , n'ont rien de mieux à faire : on s'applaudit de ne pas leur reflembler : on s'eftime trop foi- mê- me , peur fe croire en état de remiplir les devoir fublimes de la Religion : on fe croit né pour de plus grandes chofes , que pour fervir Dieu , que pour fauver fou ame , que pour mériter un Royaume immortel , que pour être reçu dans cette Cité éternelle , où tous les Citoyens feront Rois , & où toute grandeur anéantie , ils jouiront feuls de l'immortalité & de la gloire.
Monde profane ! vous mépriferez tou- jours Jefus-Chrift , parce que Jefus-Chrift vous condamnera toujours ; fa croix vous paroîtra toujours une folie , parce qu'elle confondra toujours votre fauiie fagelTe. Monde réprouvé ! vous rejetterez toujours Jefus-Chrift , parce que Jefus-Chrifl vous a rejette lui-même de fon héritage : vous traiterez toujours fes Difciples d'infenfés , parce que leur conduite vous fait fans ceffe fentir que vous l'êtes vous-mêm.e. Monde miférable ! vous livrerez toujours Jefus- Chrift , parce que Jefus-Chrift vous in- commode 5 & vous emibarrafte : vous fa- crifierez toujours la confcience & le devoir à des intérêts vils &: rampans , parce que vous ne connoilTez pas Dieu 5 & que vous
G4
I5Z Sur l a Pa ssion
n'aurez jamais d'autre divinité qu'une for- tune de boue , qui vous coûte beaucoup , & qui ne peut jamais réufîîr à remplir vos defîrs & votre attente. Monde injufte ! vous perfecuterez toujours Jelus-Chrift , parce que Jefus-Chrift n'eft venu que pour détruire votre empire : vous foupçonnerez toujours l'innocence , la vertu , la droiture de fes ferviteurs , parce qu'il vous impor- tera toujours de vous perfuader que la ver- tu n'eft qu'une feinte , & que les plus gens de bien vous refTembknt. Monde infenfé ! vous rougirez toujours de Jefus-CJirift , vous vous cacherez toujours de la piété/ comme d'une faibleffe , parce que vous pré- férerez toujours la gloire des hommes à celle de Dieu. La vérité ne vous délivrera jamais , parce que vous la retiendrez tou- jours dans l'injuftice ; & Jefus-Chrift trou- vera jufqu'à la £n au milieu de vous ^ com- me aujourd'hui à Jérufalem , un aveugle^ ment de rei^?eâ: humain , qui réfiftera à la vérité de fa do(Strine ; un aveuglement de jaloufîe , qui réfiflera à la vérité des Ecri- tures ; un aveuglement de légèreté & d'in- gratitude , qui réfilîera à la vérité de fes miracles ; un aveuglement d'ambition^ qui véfîftera à la vérité de fon innocence : en- ûn j un aveuglement d'impiété , qui réfif- tera à la vérité de fa Royauté. C^eft ainfi :ue le monde fait éclater aujourd'hui toute on oppolition pour la vérité , en condam- ant Jefus-Chrift : il faut voir comment « ?fus Chrift fur la Croix devient aujour-
DE Notre Seigneur. 153 d'hui le grund témoin de la vérité , pour condamner le monde par e^Ie.
J-jA mort de Jefus Chrift eft le grand ^^' témoignage de la vérité contre les erreurs &: les préjugés des pafTions humaines ;& c'eft aujourdhui proprement que le Père a établi fon Fils , com.me il eft dit dans Ifaïe , le témoin de la vérité pour condamner le »^ - monde qui la rejette : Ecce tejlem populis 55.4/' dedl eum.
Or , nous avons vu que le monde , en rejettant aujourd'hui Jefus-Chrift , s'a- veugle fur la vérité des Ecritures , qui ren- doient témoignage de lui ; fur la vérité de fa do£^rine , qu'il lui avoit tant de fois an- noncée ; fur la vérité de fes miracles , dont il avoit été témoin ; fur la vérité de fon in- nocence , dont il étoit convaincu ; & enfin , fur la vérité de fa Royauté , qu'il avoit au- paravant reconnue. Jefus-Chrift lur la Croix condamne aujourd'hui le monde , en ren- dant un grand témoignage à toutes ces vé- rités ; à la vérité des Ecritures , en les ac- complilTant par fa mort ; à la vérité de fa doctrine , en la confirmant par fes fouifran- ces ; à la vérité de fes miracles , en les re- nouvellant fur le Calvaire ; à la vérité de fon innocence , en priant pour fes bour- reaux ; enfin 5 à la vérité de fa Royauté , en établift^ant fa puinance 5 & conquérant le monde par la Croix. Et c'eft ainfi qu'il n'étoit venu dans le monde que pour ren- dre témoignage à la vérité : Ego in hoc na- ^^^n. «.
G 5 57.
154, Sur la Passion
tus Jum j & ad hoc vcnl , ut tejlimonium perhibeam vcritatL
En premier lieu, à la vérité des Ecri- tures 5 en les accoinplifîant par fa mort. Oui 5 mes Frères , la mort de Jefus Chrift devient aujourd'hui la grande preuve de la vérité des Ecritures : c'eft elle feule , qui en juftifîe les Prophéties ; qui en développe les prédirions ; qui en éclaircit les obfcu- rités ; qui en explique les figures : c'eft la clef facrée , qui ouvre les fept fccaux de ce Livre fermé. Sans le dénouement de ce grand facrifice , les Livres faints font in- compréhenfibles ; les ténèbres des Prophé- ties deviennent impénétrables ; le détail du culte & des cérémonies de la Loi pa- roît puérile ; une nuit épailTe eft répandue fur ce Livre divin ; mais la mort de Jefus- Chrift y répand un nouveau jour; à la faveur de ce myftere préordonné avant tous les fiecles , on voit clair dans toutes, fcs figu- res : on découvre l'efprit de toutes fes cé- rémonies ; on entre dans le fens de toutes fes Prophéties ; on fent la vérité & la di- vinité de nos Livres faints. C'efi: ici cet Agneau occis depuis l'origine du monde ; cet Abel , qui expire fous les coups d'une indigne jaloufie ; cet Ifaac , obéillant juf- qu'à la mort , & prêt à être immolé fur la Montagne fainte ; ce Jofeph , livré par fes propres frères , & devenu le Sauveur de l'Egypte ; ce Job , rhom.me de douleur , &: méritant par fa patience , & par fes af- fiiâ:ious 3 de rentrer en poirefîicn de fes
DE Notre Seigneur. 155 biens & de fa gloire ; ce David cliaffé de Jérufalem , montant fur la montagne cou- vert de honte & d'ignominie , accompagné des anathêmes & des dérifions de fon Peu- ple 5 qui l'outrage & qui l'infulte ; ce Jo- nas enfeveli durant trois jours dans le fein de l'abyme , & reflufcité pour fauver Ni- nive. Enfin depuis le commencement des chofes , il femble que Dieu n'eft attentif qu'à préparer les hommes à ce myftere fan- glant 5 éc en tracer de loin dans les Livres faints 5 les fymboles & les figures. L'al- liance de Sinaï , confirmée par le fang, nous annonçoit que le fang de JefusChrift rati- fieroit l'alliance nouvelle , que le Seigneur devoit contracter avec les homm.es. L'a- mertume des eaux de Mara , adoucie par le bois myftérieux , nous figuroit la corrup- tion des Nation? , purifiée par le bois facré de la Croix. Le Serpent d'airain élevé , & devenu le remède des plaies du Peuple ^ n'étoit que le fymbcle de Jefus-Chrift éle- vé en Croix; & devenu le remède de nos plaies & de nos fouillures. Enfin , on trou- ve que jufqu'aux moindres circonflances de la mort de Jefus-Chrift , touteft prédit dans les Livres faints , & dès le commen- cement annoncé aux hommes ; le fiel dont il devoit être abreuvé ; les crachats dont on le couvre; les doux , qui percent fes mains^ & {es pieds facrés ; le fort , qui partage fes vêtemens ; la perfidie du Difciple , qui le livre 5 &: qui décheoit de fon Apoftoîat ; les deux malfaiteurs 5 au milieu defquels il
G6
156 Sur LA Passion expire ; la lance qui ouvre ion côté ; fcs os , qui ne font pas brifés , la forte clameur qu'il poulî'e vers fon père ; de forte que les Prophéties ne paroifTcntplus qu'une hifcoire claire & anticipée des douleurs & des op- probres de la Croix.
Ceft ainfi que la mort de Jefus-Chrift confirme tout , comme dit l'Apôtre , ac- complit tout 5 juftifie tout. Ceft ainfi que ce Myftere , qui révolte fi fort la raifon , & qui eft la folie du Gentil , & le fcandaîe du Juif 5 eft pourtant lui-même la preuve de notre Foi , la certitude de nos Livres faints 5 & la confufion de l'incrédulité. Ceft ainfi qu'il falloit que le Chrift fouffrît , & mourût 5 afin que les Ecritures fufient accomplies ; que les Peuples tém.oins de cet acccmplifTem.ent , fe foumâlfent à leur autorité ; que ce livre divin fe répandît dans toutes les Nations , & qu'il fiit jufqu a îa fin des fiecles , le garant de notre Foi , le fondement de nos efpérances , la régie immuable de notre culte , le rocher myfté- rieux , où tous les efforts de l'orgueil hu- main , & toute la violence des fuperftitions & des Se6^es , viennent fe brifer ; & enfin le monument éternel des mjféricordes du Seigneur fur les hommes. Que de gran- deur dans la balTeiTe de nos Myfteres ! C'eft ainfi 5 ô mon Dieu ! que vous avez toujours voulu confondre Torgueil de la raifon , & vous jouer de la vaine fageffe des hommes en cachant la fageffe & la fublimité de vos voies j fous des apparences viles & infen-
ïi
DE Notre Seigneur. 157 fées 5 en nous conduifant à la vérité par /y l'hu milité , & révoltant les foibîes lumières ^ d'une vaine raifon , pour en éclaircir les té- nèbres. Premier témoignage que Jefus- Chrift rend aujourd'hui à la vérité des Ecri- tures , en les accompliirant par fa mort.
Il rend en fécond lieu , un témoignage à la vérité de fa doâ:rine , en la confirmant ar {qs opprobres & par fes fouffrances. 1 nous avoit appris que bienheureux ceux qui fouffrent , & que la violence qu'on fe fait à foi-même étoit l'unique reffource du falut : toute fa do(î:l:rine fembloit fe réduire à humilier i'efprit & à mortifier les fens. Or 5 nul Philofophe jufqu'à lui n'avoit an- noncé aux homm.es qu'il fallût aller à la fé- licité par les humiliations & par les fouf- frances : c'étoit-là ce fecret du Royaume des Cieux , jufques-là inconnu aux enfans du {îecle. Il talioit donc que fon exem.ple con- firmât la nouveauté de fes préceptes ; qu'il ne relTemblât point à ces faux fages qui Tavoient précédé , lefquels , en préchant pomipeufement le mépris de tout , jouif- foient avec plaifir de tout ; & que les humi- liations & les douleurs de fa mort , devinf- fent le grand témoignage de la vérité de fa doctrine.
Je dis les douleurs de fa mort ; & quel- les douleurs ! le fiel & l'abfynte , dont on l'abreuve ; Tinfeé^ion des crachats , dont on couvre fon vifage adorable ; les coups de fouet , qui déchirent fon corps facré ; les foufflets barbares y qui le meurtrilfent ; la
158 Sur l a Pas sion couronne d'épines , qui le perce ; la pe- fanteur de la Croix , qui l'accable ; les doux j qui l'y attachent ; les efforts inhu- mains , qui le crucifient. Quelles douleur ! fon efprit affligé , par l'horreur de nos cri- mes ; ion cœur contriftc , par l'inutilité de fes fouffrances ; fon amour accablé , par l'ingratitude de fon peuple , & par les mal- heurs qui vont fondre fur cette nation Ci chérie. Voilà le grand modèle qu'on nous montre aujourd'hui , du haut de la mon- tagne fainte ; & la réponfe décifîve à tous vains prétextes.
Car , mes Frères , que peut oppofer notre impénitence à ce grand exemple ? Quoi ! notre innocence ? une vie régulière , exempte de certains excès , Se, qui femble nous difpenfer de cette vie de larmes & de m.ortification , qui ne paroît deflinée qu'à punir les grands crimes ? Mais Jefu.sXhrift faint , innocent , féparé des pécheurs , ne remplit fon miniRere , que par les fouitran- ces ; n'opère notre falut 5 que par la Croix ; ne devient homme , que pour devenir l'homme de douleurs : ne fuffit-il pas d'être fon difciple , pour ne pouvoir fe difpenfer de marcher far fes traces ?
Mais d'ailleurs, votre innocence? Grand Dieu ! vous nous connoilfez : vous avez compté nos pas dès le fein de nos m.eres : vous avez fuivi les routes les plus fecretîes de nos paflions : vous avez prévu nos coû- tes 5 avant m.ême que nous fuillons tombés : nos premières mœurs & nos dernières»
DE Notre Seigneur. 159 voles , tout eft également préfent à vos yeux: Tu cognovijîi omnia ^ novijjlma & Ff'iit. antiqua;Sc vous favez , grand Dieu ! quelle 5* vie nous offrirons un jour à votre juftice , quand le voile fera tiré ; & que ce phan- tôme de vertu qui nous abufe , tombera & s'évanouira devant la lumière ^ l'éclat ter- rible de vos jugemens & de votre juftice.
Quoi encore ? notre rang & l'élévation où la Providence nous a fait naître ? Mais Jefus-Chrift , le fuccefîéur de tant de Rois , le Roi immortel des fiecles , a-t-il cherché dans la grandeur de fes titres , des raifons qui le difpenfaiîent de la Croix & de la violence ? Au contraire , il veut ibufFrir avec toutes les marques de fa grandeur; Ton fceptre , fa pourpre , fa couronne ; comme pour nous apprendre que la pénitence eft en- core plus neceifaire aux Grands qu'au peu- ple , parce qu'ils onîplus de crim,es à pleurer, plus de paillons à vaincre , plus de fcan- dales à réparer 5 plus de voluptés à ex- pier ; que les marques mém.es de leur grandeur ne font que les fources & les inftrumens de leurs fouifrances ; & que le privilège de leur état n'eft pas de jouir de plus de plaifirs , mais d'en avoir plus à fa- crifier que le commun des Fidèles.
Quoi encore? la foiblelTe de la ianté , & la délicateffe du tem.pérament ? Mais le corps de Jefus-Chrift, form.é par TEfprit faint 5 & le plus fenfible à la douleur qui eût jamais paru fur la terre , eft m.eurtri & brifé pour hous. Mais d'ailleurs 5 quelle ei!
l6o S U R L A P A s s I O N
cette foibleiTe de tempérament , qui a tant de force pour foutenir la fatigue des paf- iîons 5 & pour courir dans les voies de l'iniquité ; & qui n'eft foible &: fans cou- rage , que lorfqu'il faut aller à Dieu , & faire un feul pas dans les voies de la juftice.
Quoi donc ? la bonté de Dieu , qui n'eft pas un Maître fi cruel , & qui nous aime trop 5 pour exiger que nous nous rendions malheureux pour lui plaire ? Mais nous aime-t-il plus qu'il n'a aimé fon Fils unique , & dans lequel feul nous fommes dignes de fon amour ? Et cependant , quel calice lui a-t-il ordonné de boire ? par quelles tribulations l'a-t-il fait pafTer ? Si le Jujfte cft traité avec tant de rigueur , referve- ra t'il toute fon indulgence pour les cou- pables ?
Quoi enfin ? les rigueurs & les difficul- tés de la pénitence ? Mais , mes Frères , comparons la violence que la Religion nous impofe , aux fouffrances de Jefus- Chrift ; & foutenons , fi nous pouvons, ce parallèle. Hélas ! nos violences confif- tent plutôt à nous priver de quelques plai- firs 5 qu'à fouffrir quelque peine ; à retran- cher quelques fuperfluités , qu'à nous im- pofer des privations douloureufes ; à ne pas tout accorder aux fens , qu'à les mor- tifier : & encore ces privations légères , par combien d'endroits font-elles adou- cies ? la grandeur qui nous environne , labondance qui nous fuit , l'élévation qui
DE Notre Seigneur. 161
nous flatte , la magnificence qui nous éblouit 5 tous les avantages au milieu def- quels nous fommes nés. Que fouffrons- Jious 5 mes Frères ? & fi nous ne foufFrons pas, que pouvons nous prétendre aux pro- mefîes qui ne fi^nt faites qu'à ceux qui fouf- frent ? Second témoignage que Jefiis- Chrift , fijr la Croix , rend à la vérité de fa doctrine , en la confirmant par fes hu- miliations & par fes fiDuffrances.
II rend en troifieme lieu , fur la Croix , témoignage à la vérité de {qs miracles , en les renouvellant. Mais ce n'eft pas tant en ouvrant les tombeaux , en brifant les ro- chers j en obfcurcilfant le foleil , & cou- vrant toute la terre de ténèbres 5 qu'il con- firme aujourd'hui fa puifTance , & qu'il rend témoignage à la vérité de tous fes miracles : c'eft en convertiifaut un fcélérat qui expire à fes côtés : c'eft en changeant le cœur du Centenier même , qui préfide à fon fupplice , Se le forçant de confelTer tout haut fa puifTance & fa divinité : c'efl en touchant les fpe^tateurs de fa miOrt , & les obligeant de s'en retourner , frappant leur poitrine , & répandant des larmes de componction &: de pénitence : Et reverte- bantur percutientcs peclora fua. Voilà le grand miracle de la mort de Jefus- ^^' ^ * Chrifl ; la converfion des grands pé- cheurs j & remarquez en eiïez , dans le caractère des pécheurs qu'il convertit fur la Croix , la grandeur de fa puiflauce dans fa foiblefle.
Luc,
i6i SurlaPassion
Le premier eft un fcélérat qui expire , lequel jufques-là avoitvécu fans Dieu dans ce monde , & n'avoit point apporté d'au- tre difpofition à la mort , que les horreurs de la vie la plus criminelle. Cependant cet heureux pécheur 5 dans ce dernier moment où la converfîon eft prefque toujours dé- fefpérée ; 011 les miarques de repentir qu'on donne , on les donne plutôt à la punition qu'on craint , qu'aux crimes qu'on détefte ; où le pécheur eft eftrayé , mais où le cœur lî'eft prefque jamais changé : dans ce der- nier moment où Dieu jufques-là méprifé , méprife à fon tour , & îe retire ; où la mefure eft comblée , où les grâces de re- pentir font d'ordinaire refufées : dans ce dernier moment où le pécheur eft déjà ju- gé , & où la furprife de fa mort eu. d'or- dinaire la jufte punition de l'impénitence , &: du défordre de toute fa vie : dans ce dernier moment , cet heureux pécheur trouve la grâce &: le fab^t^-La premnere afperfion du fang de Jefus-Chrift, qui coule de la Croix 5 purifie en un inftant toutes les fouillures de fa vie : il reconnoît la gloire & la divinité de fon Libérateur , tout chargé d'opprobres qu'il le voit : après une vie toute de crimes , il reçoit en mourant , de la bouche m.ême de Jefus- Chrift , raffurance du pardon , & le der- nier moment où il expire , devient le prix de fon falut éternel.
Voilà 5 mes Frères , le grand miracle de la mort de Jefus-Chrift i la converfîon
DE Notre Seigneur. 163 d'un pécheur mourant ; & cependant il n'eft point de pécheur , qui ne fe promette le même prodige en ce dernier moment. On croiroit être infenfé d'attendre que le Soleil s'éclipsât encore ; qu'on vît encore les tombeaux s'ouvrir , les morts refîuf- citer 5 le voile du Temple fe déchirer ; que tous les miracles qui s'opèrent alors , fe renouvellalTent encore : quelle folie donc de fe promettre le miracle de la con- verfion opéré fur un pécheur mourant ; prodige plus grand & plus merveilleux , que tous ks autres miracles qui fe palTent fur le Calvaire ! Il falloit que ce grand fa- crifice , prédit dans tous les fiecles & iî nécefTaire au genre humain , fût marqué par des circonitances uniques , & jufques- là inouies ; que tout y fïit fingulier ; que tout y rendît témoignage par fa nouveauté , à la gloire & à la divinité du Fils de l'hom- me. Mais Jefus-Chrift mort une fois , il ne meurt plus , dit TApôtre ; les rochers nefe brifent plus ; les morts ne reiTufcitent plus ; toute la terre ne fe couvre plus de ténèbres ; le voile du Temple ne fe déchire plus ; les pécheurs mourans ne fe couver- tiflent plus ; &: les converfîons au lit de la mort 5 n'ont que cet exemple & ce pro- dige pour elles.
Le fécond pécheur , dont Jefus-Chrift fur la Croix , opère la converfion , eft un pécheur incrédule ; un Centenier Gentil , qui jufques-là n'avoit regardé Jefus-Chrift qu'avec dérifion , & fa doftrine comme
i64 SurlaPassion
une impofture. Cependant l'incrédulîté 5 qui ferme Je cœur à toutes les grâces , qui rend inutiles tous les fecours de la Religion , & change en poifon les remè- des mêmes , l'incrédulité devient aujour- d'hui le triomphe de Jefus-Chrift mou- rant. Ce Centenier eft frappé des merveil- les de fa mort : ce n'eft pas en demandant des miracles 5 comme quelques-uns des fpeâ:ateurs , qu'il arrive à la connoiiTance de la vérité ; c'eft en confidérant Jciiis- Chrift 5 fa puilfance dans fes opprobres , fa douceur envers fes ennemis , fa patience & fa majefté dans les tourmens , fon amour pour les hommes 5 l'innocence de fes mœurs , la fainteté & la divinité de fes maximes : voilà le grand miracle qui le touche. Il comprend que l'impofteur n'au- roit pas eu recours à un moyen fi trille & fi rebutant , pour féduire les hommes ; qu'elle auroit flatté , ou leurs pafTions , ou leur orgueil ; qu'elle leur auroit propofé , comme les autres Philofophes , > une doc- trine agréable aux fens , ou flatteufe à ïeC- prit & à la curiofité : mais qu'il n'y avoit que le Fils de Dieu ^ qui pût fe faire des difciplespar la Croix ; attirer les homm.es 5 en ne leur propofant que des perfécutions & des foufFrances ; en leur interdifant tous lesplaifirs, & ne leur promettant ici- bas point d'autre récompenfe de leur atta- chement à fa dodrine que les larmes , les croix 5 & les violences : mais qu'il n'y avoit que. le Maître des cœurs qui pût préten-
DE Notre Seigneur. 165 dre d'attirer tous les hommes par une loi févere & humiliante , qui les alloit tous révolter , & venir établir un nouveau culte par les voies les plus propres à le renyerfer & à réteindre : Verc Filius Dci crat ijle. Matth,
Enfin , la troifieme forte de pécheurs , ^^* 54- que Jefus Chrift convertit fur la Croix , eft une troupe inutile de fpe<^ateurs , que la feule curiofîté avoit attirés fur le Calvai- • re. Libres des pafîîons qui animoient les Scribes & les Pharifiens , & n'oppofant point d'autre obftacle à la grâce , qu'une indifférence coupable pour le falut , pref- que toujours plus difficile à furmonter , que les paffions les plus criminelles ; tou- chés du fpeâ:acle des fouffrances du Sau- veur , & des grâces abondantes qui cou- lent avec fon fang , ils fentent tout d'un coup leur cœur changé & brifé d'une fainte componâion : Et rcvcrtebantur percudcii' Luc tes pccîora fua. 25. 4^.
L'oferai-je dire , mes Frères ? dans le caraâ:ere de ces trois fortes de p écheurs , ne retrouvons-nous pas l'image de ceux qui viennent affifter au récit & au fpeâacle des fouffrances du Sauveur ? Des pécheurs fcandaleux , & chargés de crimes , comrne les deux fcélérats qu'on attache à la croix à côté de Jefus-Chrift , qui ne viennent aujourd'hui fur le Calvaire , & à ce faint fpeftacle renouvelle dans nos Temples , que comme à un fupplice ; qui regardent ces faints jours, ces jours heureux que i'Eglife confacre aux myileres douloureux
ï66 S u R L A Passion
de Jefus-CIirift , & où la liberté des plal- firs pjblics eft fufpendde , comme un joug odieux qu'une vaine religion leur impofe ; qui en murmarent , &L en comptent tous les momens ^ comme s'ils étoient fur la croix eux-mêmes : des pécheurs incrédu- les, & qui n'afîiftent 5 comme le Cente* nier 5 à ce fpeâiacle de Religion , que pour fatisfaire aux devoirs d'une Charge , pour remplir les bienféances de leur rang , pour ne pas manquer à ce que tout le mon- de lui-même exige d'eux ; mais qui en fe- cret , regardent la Croix comme une folie ; & infultent peut-être aux fouffrances de Jefus-Chrift, &: à la piété & au deuil pu- blic des Fidèles : enfin , des pécheurs mon- dains & oileux, que la feule curiofité at- tire au récit de la mort du Sauveur , qui n'y apportent ni foi , ni componélion , ni defir d'une vie plus fainte ; qui fuivent la multitude , & ne viennent fur le Calvaire , que comme fpeâ:ateurs , que parce que la foule y court , 6c que le monde lui-même les y entraîne.
Renouveliez donc aujourd'hui à leur égard , ô mon Sauveur ! les miracles du Calvaire : le moment où vous expirez , eft le moment des grâces & des miféricordes. Il fort de votre côté ouvert , des fources de bénédiâiions capables de purifier les âmes les plus fouillées & les plus rebelles. Tout eft favorable aux pécheurs aux pieds de votre Croix: vos mains étendues pour les recevoir ; votre cœur ouvert 8c prêt à
DE Notre Seigneur. ï6j leur pardonner ; la fbif extrême que vous avez de leur falut; la forte clameur que vous pouifez pour eux vers le Trône de votre Père. C'eil aujourd'hui , ô mon Dieu ! le jour de vos miféricordes. Du haut de ce Bois facré , jettez encore quel- ques-uns de ces regards puiflans fur les pé- cheurs qui vous environnent ; & confa- crez la mémoire de ce grand jour par quel- ques-unes de ces converfîons éclatantes , qui faifent fentir la vertu de votre fang , & la perpétuité de votre facrifîce ! Troifieme témoignage que Jefus-Chrift , fur la Croix , rend à la vérité de fes miracles , en les re- ncuvellant.
Il rend en quatrième lieu , témoignage à la vérité de fon innocence & de fa fainteté , en priant pour fes ennemis. En effet , mes Frères , le caractère le moins équivoque de la fainteté , c'efl d'aimer ceux qui nous outragent , de prier pour le falut de ceux qui veulent nous perdre , Se de combler de biens ceux qui nous chargent de malé- dictions & d'opprobres. Or , voilà le grand témoignage que Jefus-Chrifc rend aujourd'hui à fon innocence : il m.eurt pour ceux qui le crucifient ; il meurt en deman- dant grâce à fon Père pour fes ennemis. Il ne méprife pas leur fureur & leurs outra- ges -, c'eût été foufîrir en Philofophe : il ne leur reproche pas fes bienfaits &: leur in- gratitude ; c'eût été fouffrir en homme foi- bie : il ne les menace pas de fa puLTance ; c'eût été fouffrir en homme vain : il ne fe
1(58 Sur LA Passion confole pas par refpérance de leur puni- tion ; c'eût été fouffrir en homme piqué & fenfible : il ne fe plaint pas même de Fexcès de leur barbarie ; c'eût été fouffrir en homme vulgaire. Il prie pojr eux ; il n'eft occupé que de leur falut : il femble oublier , dans ce dernier moment , Tes Dif- ciples les plus fidèles ; il ne demande rien pour eux à fon Père : il ne penfe qu'à fes ennemis ; il ne prie , il ne parle que pour eux. Il ne demande que pour eux des grâ- ces à fon Père ; & c'efl fouffrir en Homme- Dieu : ils le maudiffent , &: il les bénit : ils demandent fa mort , & il demande Icut grâce : ils veulent prendre fur eux & fur leurs enfans , le crime de fon fang répanduj & il ne veut pas qu'on le leur impute. 2;^^^ Père ! par donner- leur , dit- il , parce qu'ils zj. 54* ^^ fdvent ce quils font. Souvenez- vous , ô mon Père ! que le fang de cette nou- velle alliance , qu'ils répandent aujour- d'hui , les met au nombre de vos enfans ; que par le prix du facrifîce que je vous offre , mes bourreaux deviennent mes cohéritiers & mes frères ; que vous n'ctes plus un Juge armé pour les perdre , mais un Père toujours prêt à les fauver ; & qu'en m'attachant à la Croix , ils fe font élevés un afyle , qui doit les mettre à couvert de vos foudres &: de vos vengeances : Pater , dimitte illis. Ne regardez pas les mains qui m'ont percé ; ne regardez que le fang qui coule de mes plaies , pour appaifer votre juftice , 8c effacer le crime de ceux
qui
DE Notre Seigneur. î6ç qui m'immolent : Pater dlmitte illis. Ils ignorent encore que c'eft vous qui m'avez envoyé ; pardonnez à des aveugles , qui croient rendre gloire à votre nom , en me mettant à mort. Ils ne favent pas que ce fang qu'ils répandent , va fanâ:ifîer tout l'univers ; que cette viclime qu'ils immo- lent 5 efl le prix du falut de tous les hom- mes ; que cette Croix , où ils m'ont atta- ché 5 va devenir la vie & la réiiirredtion de ceux qui dorment dans les ombres de la mort j le remède des maux du genre humain ; qu'elle va répandre dans toute la terre j la connoifTance de votre nom , êc vous form.er parmi tous les peuples , des adorateurs en efprit & en vérité. Père faint ! mais vous ^ qui voyez les grands, avantages que le mionde va retirer de ma Croix 5 ne leur imputez pas une faute fî heureufe ; & pardonnez- leur le criîne de ma mort , en faveur des biens inellimables qui vont en revenir à la terre : Non cnim fciunt quid faciunt» Ils ne favent pas qu'en me faifant mourir , ils vont me rendre à moi-même la gloire de l'immortalité; qu'en effaçant mon nom de la terre des vivans , ils vont l'élever au delTus des Principautés & des Puilfances ; qu'en m.e rejettant , ils vont me faire connoître de tous les peu- ples ; qu'en refufant de me faire reconnoitre pour Roi 5 ils vont m'établir Prince du liecle à venir , Juge de toutes les Tribus , Seigneur de toutes chofes , & m'airurer toute puilfance dans le ciel & fur la terre.
Myjlercs. H
lyo Sur la Passion
Père faint ! mais vous , qui avez attaché la
gloire que vous m'avez prom.ife , à mes op- probres & à mes fouiTrances , pardonnez à ÀQS aveugles qui fervent , fans le favoir , à Texaltation de mon nom , &: à l'aggrandif- fement de mon Royaume : 'Non enim fciunt quidfaciunt. Ils ne favent pas que le crime de ma mort va combler la mefure de leurs pères ; que vont venir des jours fur eux , où l'on appellera heureufes , celles qui n'ont point enfanté ; où Jerufaîem va devenir une alîreufe folitude ; où fon autel fera détruit , fon temple abandonné , & devenu une trifte mazure ; fes citoyens , errans & fugitifs ; & votre héritage qu'ils ont fouillé du fang innocent , livré à une malédidion éternelle. Père jufte ! mais vous qui leur préparez ces jours de vifite & de colère , contentez-vous de ces cala- mités temporelles dont vous allez les aiîli. ger : fauvez les reftes d'Ifraèl ; épargnez les branches d'une racine fainte ; fauvez un peuple que vous avez choifi ; ne perdez pas pour toujours mes frères félon le fang , les os de mes os , &: la chair de ma chair : ne retirez pas votre falut de Juda , d'où le falut eft forti : épargnez les enfans des Saints : ralTemblez enfin un jour les difper- fions d'Ifraèl : réunilfez-les dans les der- niers temps au trône dont ils fe font féparés : rappeliezles dans l'enceinte de la véritable Jéruf-^lem , afin qu'il n'y ait plus qu'un ber- cail & qu'un Pafteur , & qu'ils vous of- frent avec toutes les nations , non des
DE Notre Seigneur. 171 boucs & des taureaux , mais le renouvel- lement & les lignes myftiques du Prand lacnfice , que j'oftVe aujourd'hui à 'votre gloire, Quatrième témoignage que Jefus- V^hrilt, (urla Croix, rend à la vérité de fon innocence , en priant pour {es ennemis.
£-iifin , il rend en dernier lieu , témoi- gnage à la vérité de fa royauté , en con- quérant le monde par la Croix. Le monde lui avoit difputé la réalité & l'éclat de fa Koyaute : il ne l'avoit traité de Roi que par derifion : toutes les marques de fa Koyaute avoient été de nouveaux oppro- bres : le fceptre , un vil rofeau ; la pour- pre , une robe d'ignominie ; la couronne , une couronne de douleur ; le trône, un bois infâme, & le lit de fes opprobres & de les louftrances. Mais aujourd'hui ces marques honteufes d'une Rovauté fi humi- liante , deviennent les figues glorieux de fa puiffance & de fon empire. Ce foible rofeau qui lui fert de fceptre , va renver- 1er tous les autels profanes , abattre tou- tes les idoles , confondre toutes les fecles , anéantir tous les Empires , fraoper les geans de la terre , & détruire toute' fcience qui s eleve contre la fcience de Dieu. Cette couronne , qui le couvre de douleur & de contuuon , va orner les têtes des Céfars plus pompeufcment , que les lauriers & les diadèmes les plus fuperbes ; & un Roi du premier trône du monde , & du fans? le plus auaufte de l'univers , ira expofer fa vie & fa liberté , pour en rapporter en
172. Sur LA Passion triomphe , les débris précieux dans fa pa- trie ; plus glorieux d'avoir enrichi fon Royaume de ce faint & précieux tréfor , que s'il avoit conquis un Empire. Ce trône d'ignominie 5 où il eft attache , fera bientôt un trône de gloire, aux pieds duquel les Princes & les Souverains viendront cour- ber leurs têtes fuperbes ; un trône de puif- lance & d'autorité , fur lequel il jugera toutes les nations de la terre ; un trône de grâce &: de miféricorde , aux pieds duquel tous les peuples trouveront la vie &t le falut^; un trône de fcience &: de doc- trine , fjr lequel il inllruira jufqu'àla fin tous les hommes 5 &: leur apprendra les vérités de la vie éternelle ; enfin , un trône de fagelTe & de confeil j d'où ce nouveau Salomon gouvernera tous les peuples dans la juilice . dans la paix & dans l'abondance. La puiiîance & le règne des Rois de la terre finilFent avec eux ; le règne de Jefus- Chriil ne commence à éclater que par fa niorc 5 &: fes opprobi'es iont la première fource de fes grandeurs & de fa gloire. Père faint ! votre Fils & véritable Jofeph , que nous pleurons , vit donc encore : la malice de fes frères , qui l'ont livré , n'a donc fervi qu'à faire éclater fa grandeur & fa puiiTance : il eft fort! du puits fatal où l'envie l'avoit enfeveli ; & tous les peuples de l'Egypte & l'univers entier, reconnoitfa domination & fon pouvoir fuprême : Filius Gen.40* f""^ v/rft , ^ ipfi dominatur in omni tcrrâ
DE Notre Seigneur. 173 Mais 5 mes Frères , tout reconnoît au- jourd'hui la fouveraineté de Jefus-Chrift : fa Croix triomphe du Ciel &: de l'Enfer ; de l'aveuglement des Juifs y de l'incrédu- lité des Gentils , de la barlDarie des bour- reaux 5 de Tendurciflement môme d'un pécheur mourant. Toute la nature le con- felTe 5 toutes les créatures le reconnoificnt; hi nous lui ferm.erions tout feuls notre cœur 5 & nous nous obftinerions tout feuls à dire : Nous ne voulons pas que celui-ci règne fur nous : Nolumus hune regnarc fu- Luck). pcr nos» Les morts entendent aujourd'hui ^4» fa voix ; & fortent de leurs tcm.be aux ; 6c nous demeurerions encore enfeveîis dans l'abyme de nos dilTolutioos , quoique fa voix puiilante nous crie aujourd'hui aafond de nos cœurs , du haut de fa Croix : Le- vez-vous j ô vous ! qui dormez d'un fcm- meil de mort ; f>rtez de la profondeur de vos crimes & de vos ténèbres ; & ce Je- fus que vous voyez crucifié pour vous ^ vous rendra la vie & la lumière que vous avez perdue : Surge , qui dormis , & exurge I^P^'^^f* à mortuls , & illuminahh te. Chrijlus. Les ^ rochers fc î^ifcnt , & nos cœurs plus in- fenfibles ne fauroient s'amollir ? le voile du Temple fe déchire ; & le voile impénétra- ble , qui eft fur notre ccnfcience , fur ce fanc^ruaire d'iniquité . &: qui uous empêche depuis fi long- temips d'^n mianifefier au Prê- tre les fouillures fecrettes , ne peut s'ou- vrir & fe déchirer ; & nous tenons encore cachés au-dedans de nous ces myiieres d'à-
H3
5. 14.
174 ^^UR LÀ Passion de N. S. bomination , qui font de notre cœur le temple des démons , Faiyle des efprits im- mondes 5 & un théâtre affreux de re- mords 5 de confufion & de trouble ? Ne fortirons-nous pas enfin de ce Royaume de ténèbres , où nous vivons , pour entrer dans un Royaume de lumière ? ne nous laiTeronsnous pas enfin d'avoir été jufques ici les efclaves miférables d'un monde , qui n'a point de droit fijr nous , qui n'eft pas digne de nous , qui ne peut rien faire pour nous? &: refuferons-nQus de pren- dre Jefus Chrift , qui vient de m.ourir pour nous , pour notre Roi & notre Seigneur véritable ? O mon Sauveur ! quelles ref^ fources peut-il refter à vos miféricordes infinies pour les pécheurs , fi tout ce que vous faites aujourd'hui pour eux n'excite pas leur amour , leur componction & leur reconnoilFance ; & s'ils obftinent en- core à périr , malgré la voie que vous leur ouvrez aujourd'hui par votre fang , pour arriver à la vie éternelle ?,
Alnji foiî-îL
'75
fC ^^ ^^ ri—-—^^ ^ '^^^
i SERMON
SUR
LA RESURRECTION
DE NOTRE SEIGNEUR.
Traditus ei\ propter delifta nolira , 6c refurrexit prcpter jufliiicatiûnem iiofiram.
Il a été livré à la mort pour nos péchés , & il çjl rejjiifàté pour notre juflification, P\.om. 4. 2;.
C'E S T avec raifon , mes Frères , que TEglife a célébré dès le commence- ment le grand Myfrere que nous hono- rons , comme le plus heureux de les jours , & fa folemnité par excellence. C'cft au- jourdliui le grand jour du Seigneur , es jour que le Seigneur a fait 5 ^ qu'il a fait plus glorieux pour lui & pour fou Eglife , que tous les autres jours. Oui , m.es Frè- res 5 c'eft en ce jour que le fcandale eft ôté y que tous les myfteres ignominieux
H4
176 Sur la Résurrection de Jefus-Chrifl fe développent ; que le fe- cret de fes foiiffrances eft écJairci ; que Vohfcunté de fes paraboles efl comprile , Ôc le lens àes Ecritures manifcrcé. C'eR en ce jour que fa miiTion eft autorifée , fou miniflere reconnu 5 fes promeiTes confir- mées , fes prédiâ:ions accomplies , fa doc- trine juftifîée 5 tous fes travaux couron- nés. C'efl aujourd'hui que les Difciples chancelans fe raîTurent , que leur trillefîe fc change eu joie , que leur incrédulité eft guérie , que les ennemis de la Religion font confondus 5 que la Foi de tous les fie- cles eft établie , que la vérité de nos Myfte- res eft prouvée , que TEglife fort avec fon Libérateiir triomphante du tombeau , que la docilité de tous les peuples du monde eft préparée , ^ tous les efprits d'erreur , qui doivent s'élever un jour , convaincus de contradi£i:ion ou d'impofture. C eft aujour- d'hui enfin , que rimjnortaîité npus eft alfu- ré:: ; les tribulations de la chair adoucies ; les foufthnices de notre exil confolées ; & une vie toute fpirituelle propbfée aux Chré- tiens.
Oui 5 mes Freies^ Jefus-Chrift étoit mort pour crucifier le vieil homme ; il reC fufcitc pour former le nouveau : il étoit mort pour délivrer des efclaves ; il rtiTuf- cite pouf apprendre aux enfans à ufer fain- tement de leur liberté : il étoit mort pour payer nos dettes ; il rellufcite pour nous combler de fes grâces : il étoit mort pour flîuver des coupables j il reftufcite pour
DE Notre Seigneur. 177 inftruire & perfe6l:ionner des Juiîes : il étoit mort pour fermer les portes de l'En- fer ; il relliifcite poiîr nous ouvrir celles du Ciel : en un mot , il étoit mort pour nos péchés ; il reflufcite pour notre juflilîca^ tion : Traditus eji propter dclicîa nojlra , G" refiirrcxit propter jiijlijîcat'ionem nQftram,
Pourquoi cela 5 mes Frères ? pour deux raifons que je vous prie d'écouter avec at- tention. Premjiérement 5 il reilufcite pour notre justification ; parce que fa réfurrec- ticn renferme les miotifs les plus- prellans que la Religion puille nous fournir , pour perfévérer dans la grâce de la juftiiicaîion , que nous venons de recevoir dans les Sa- cremens ; c'eft miOn premier point : en fé- cond lieu , parce que fa réfurreélion nous propofe les moyens les plus sûrs d'y per- févérer ; c'eft le fécond. La rciurreétiou de .Teius-Chrift nous anime à perfévérer dans la grâce reçue ; nous apprend à y per- févérer ; elle ei\ le motif & le modèle de notre perfévérance. Voilà le fens des pa- roles de mon texte : Traditus eft propter dcllcici nojlra , (s rcfurrcxit propter jufiifi" cutîonem nojlram : c'eft là tout le fujet de ce difcours.
ï . ^•
J— i Es principales fources de l'inconftan- partie
ce des hommes dans les voies de Dieu , font ou dans un affbibliilement de la foi , qui commence à s'éteindre , Se à jetter une efpece de nuage fur les vérités de la doc- trine fainte • ou dans la tiédeur de l'efpé.-
H 5
ly^ Sur la Résurrection rance , qui n'ouvre plus le fein de la gloire à leurs yeux , & ne réveille plus en eux le deiir des biens éternels. Or, la piété chré- tienne trouve dans le MyRere de la réfur- reé^ion , des préfervatifs contre ces deux ecueils; & des motifs très-puiflans pour perfëvérer dans la grâce , où la participa- tion aux faints Myfteres a dû vous établir en ces jours, folemnels.
En effet , en premier lieu , fi l'afFûiblifTe- ment de la Foi efî d'ordinaire la première fource de nos rechûtes ; s'il y a toujours une forte d'incrédulité qui devance le cri- me ; s'il faut que l'efprit doute en quelque mianiere des vérités que le cœur abandon- re ; & que la Religion s'aHbiblille dans une amje , où la piété s'éteint; qui peut douter que la réfiirreclion de Jefus-Chrifr ne foit le grand témoignage delà Foi chrétienne , & que tous les autres Myfteres ne trouvent en celui-ci leur vérité & leur certitude ? En effet 5 fi Jefus-Chrift n'efi pas reillifcité , difoit autrefois l'Apôtre aux Fidèles de Corinthe , notre prédication eil: inutile , votre foi efi: vaine, & nous fommjes nous- mêmes des im-pofieurs. Mais par une rai- fcn contraire , fi Jefus-Chriii eft reiiûfcité , notre mjiniftere vient donc du Ciel , votre foi eft certaine . la do£lrine de l'Evangile eft divine , fés promiefTes font infaillibles. Oui , mes Frères , fi la vertu du Père a délivré Jefus-Chrift d'entre les morts , Je- iu?-Chrift éioiî donc un Envoyé du Ciel , pour annoncer aux hommes la dcftrine dw
DE Notre Seigneur. 179 falut. Le Dieu véritable & fidèle n'auroit pas voulu autorifer Timporture , en la revê- tant du caradlere de la vérité , S: Tliono- rant d'une grâce , dont jufqu'à Jefus-Chrii! aucun homme mortel n'avoir été favorifé , puifqu'il reiîufcite pour ne plus mour-ir ; prodige que Jefus-Chrift lui-même avoit promis à fes Difciples & à fes ennemis , comme le témoignage le plus décifif de la vérité de fon miinillere. Donc , fa réfurrec- tion une fois établie 5 tous fes Myfteres font prouvés, dit S.Auguftin, 6c la foi des Chî-étiens n'a befoin que de ce feul témoi- gnage : Rifurrcxlt Chrifluî , abjoluta rzs S.Aug,
Or 5 commie je parle ici à un peuple fidè- le , qu'il faut édifier , & non pas convain- cre , je ne m'arrête pas à vous montrer que tout établit aujourd'hui îa vérité du miracle éclatant de la réfurreâ:ion du Sauveur. Pre- mièrement , les précautions mem.es de fes ennnemis : ils avoient fcelîé le tombeau ; ils Tavoient environné de foldats ; ils n'avoient rien oublié pour éviter une furprife. Ils fe fôuvenoicnt que ce Jefus qu'ils ont crucifié, avoit prédit qu'il refluiciteroit le troificme jour ; ils ne paroiiToient attentifs qu'à em- pêcher les Difciples d^enîever le corps de leur divin Maître : des e.inemis fi puilians, fi vigilans , fi intéreifés'à n'être point fiir- pns 5. n'avoient garde de fe lailfer furpren- dre. Secondement , la dépofition des Sol- dats : ils leur font publier , que pendant qu'ils dormoient , les Difciples font venus
H 6
iSo Sl'r la Résurrection enlever le corps de leur Maître. Mais fl un proiond fcmmeil ne leur a pas permis de ]^ voir, con^ment peut-il leur permettre de axiurer? Bailleurs une^-ultitude de fateî- lites deinnes à veiller fur le fepukhre & à le garder , peuvent-ils tous de concert & ea mêiTie temps , s'être livrés au fommeii , & à un fommeii fi profond & fi durable , qu e- tant prefque afiis fur la pierre qui fermoit
î^r^- 1 ^"'^ ' ^^^ ^^^"^ ^^""^ ^^ ^en^Ps aux l>iiciples de l'ouvrir , d'en tirer le corps
^fL^^rr-'^-Jf' ^^"s qu'un ouvrage fi long, fi
di.iicile , fl impraticable, fans bruit & fans
agitation , n'ait éveillé quelqu'un des Sol-
dats 5 & déconcerté une entreprife {{ témo.
raire & fi mfenfée ? De plus , ces Difciples
coûtent eux-mêmes : ils n'efperent plus
1 accomphiTement àcs promefies de Jcfus-
Chrixt; ils refufent même de s'en rapporter
au témoignage des ùûntes Femmes : des
efpriîs fi groillers & fi incrédules , font
bien éloignés de publier ce qu'ils ne croient
pas eux-mêmes. Troifiémement , ks ap-
paritions du Sauveur. Ce n'efi pas une
•leule fois qu il fe montre à fes Difciples •
on eût pu fe défier de riiluficn ; c'efi fort
iouvent : ce n eftpas en palfant ; l'imagina-
îion irappce peut pour un peu de temps ,
.upplcer a la vérité par fes images , & tranf-
porter au dehors fes propres fonges ; c'efi
pen(îant quarante jours : ce n'eft pas de
loin , & au milieu des airs , où le prefti^re
tut ete probable ; c'eft au' mii.jeu d'eu^ ,
mangeant , buvant avec eux. fc laifiant voir
DE Notre Seigneur. i8i de leurs yeux &: toucher de leurs mains , &. les inftruifant , & leur parlant du Pvoyau- ine de Dieu : ce n'eft pas à un feuî; il eft des efprits plus crédules que les autres ; c'eft à tous en commun , & à pluiieurs en particulier : ce n'eft pas fous une figure nou- velle : le changement eût été fiifpeâ: ; c'eft avec Tes plaies, & tous les traits aufquels on pouvoit encore le reconnoitre. Enfin , le martyre des Apôtres , pour rendre té- m.oignage à la vérité de ce miracle , dont ils avoient été témoins: Cujus nos omnes tcjïcs Acï, 2, fumus. Quel intérêt ont-ils de le publier , ^^* û Jeius-Chrift n'eft pas reirufcité i Quoi ! ils vont s'expofer aux plus cruels tourmiens pour établir une doctrine qu'ils croient eux-ménies fauilé ; ils vont tromper le gen- re humain , fans attendre d'autre prix de leur inipoflure que les feux , les roues & les gibets ! Une faulTe perfuafion , en ma- tière de Religion fur-tout , peut poufler des efprits fimiples & crédules à des excès & à des démarches extraordinaires. Mais que des pêcheurs grofîîers , que des hom- mes fans lettres , & de la lie du Peuple , entreprennent , de fang froid . d'aller fé- duire l'univers , & de braver tous les gen- res de mort les plus afireux , pour publier que leur Maître eft reïïbfcité , & qu'ils foient perfuadés qu'il ne Teft pas ; c'eft une forte d'extravagance dont les hommes ne font pas capables , & qui deviendroitun plus grand prodige , que tous ceux mêmes que i'incr.édulité contefte à la foi des Chrétiens.
i82 Sur la Résurrection
D'ailleurs ces Difciples ont abandonné Jefus-Chrift pendant la vie , tandis qu'ils le regardoient encore comme le Libéra- teur promis à leurs pères, & le Chrift Fils du Dieu vivant ; & ils le confefiérent gé- néreufementfur les échafauts après fa mort, lorfqu'ils ne doivent plus le regarder que comme un fédu^leur , qui n'eft pas reiTuf- cité félon fa promelie ? ils verferont tous leur fan g pour un ho mime qui a abufé de leur crédulité ' ils fe répandront dans tout l'univers , com.me des défefpérés , pour débiter un fait qu'ils croient fabuleux ? &C parmi tous ces hommes foibles & timides , aucun d'eux ne fe démentira , &: ne confef- fera au milieu des tourm^ens , fa fureur ni fon extravagance ? Mais je fens que j'in- fifte trop long- temps fur une vérité fi écla- tante 5 & que votre religion eft bleffée des foins que je fembie prendre pour la jufti- fier.
Or voilà , mes Frères , comme la réfur- rcétion du Sauveur foutient la foi de l'hom- me jufte : il voit dans ce Myftere toute la Religion allurée ; les châtimens dont elle menace ^ certains ; fes promicflés , infailli- bles ; fes préceptes 5 néceffaires ; fes con- feils , importans ; fes obfervances , refpec- tables ; le plus fimple détail de fon culte , digne de nos hommages. Dès-là que Jefus- Chrift eft refTufcité , ah ! dès- lors je ne trouve plus rien de (1 grand que la vertu ; lien de plus à craindre que le vice ; rien de plus infenfé que de négliger le foin de fon
DE Notre Seigneur. 183 ame ; rien de plus fage que de facrifîer <m falut. Des-là les dérifions des impies fur la fainteté de nos Myfteres , font des extra- gances que j'ai peine à comprendre , & des blafphémes dont j'ai horreur; les réflexions des lages du monde fur les faintes obfcuri- té de la Foi , des difcours d'enfant. Dès- là l'Evangile me paroît ma feule règle ; les exemples de Jefus-Chrift , mon modèle ; les terreurs de la piété , des dons de Dieu; la fécuriîé des libertins , une fureur déief- péréc ; en un mot , l'infidélité aux grâces reçues, & les rechûtes Idans les premiers défordres , le plus grand des malheurs , & le caraâ:ere des réprouvés.
Or 5 mes Frères , quoi de plus propre à mettre un frein à Finconftance du cœur de l'homme , &: à l'établir dans une piété folide & durable , que ces grandes véri- tés ? Ah ! aufii les Difciples , tém^oins de la réfurreclion de Jefus-Chrift , ne fe dé- mentent plus ; ils perfeverent tous jufqu'à la fin dans la prière , & dans le miniftere de la parole fainte ; il ne fe trouve plus parmi eux de Judas , qui abandonne la vé- rité connue. Dès que le Seigneur a apparu à Pierre , c^t Apôtre ne retombe plus , 8c confirme même fesfreres. Apeine Thomas a-t-ii touchés les cicatrices gîorieufes de fes plaies , qu'il adore fon Seigneur &c fon Dieu 5 &: demeure à jamais fidèle. Les Difciples dEmm.aiis ne l'ont pas plutôt re- connu à la fraction du pain , qu'ils retour- nent à Jerufalem fe réunir aux autres Dif-
i?4 Sur la Résurrection ciples. Ah , mes Frères ! ne fommes-nous pas tous ici les témoins de la réfurredion de Jçfus-Chrift? ne fommes-nous pas les enfans des Saints ^ qui le virent & qui i'a- dorerent fur la montagne de Galilée? Nous avons vu de leurs yeux , & touché de leurs mains : nous avons même fenti , en ces jours heureux 5 Jefus-Chrift reiîufcité au dedans de nous parla grâce des Sacremens. Eh ! pourquoi retournerions -nous donc encore en arrière ? pourquoi rentrerions- nous dans nos premières voies ? Si ce Myf- tere rend notre foi inébranlable, pourquoi laifferoit-il encore des inconftances à notre cœur ? S'il feroit monftreux , après tant de preuves , dit S. Auguftin , de ne pas croire ; Feft-il moins de croire , & de vi- vre comme (i Ton ne croyoit pas ? Un Fi- dèle perfuadé qu'il relTufcitera pour jouir d'un bonheur éternel , ou pour être livré à àes flammes éternelles , peut-il oukiier un fi grand intérêt , durant le feul inftant qu'il paroit fur la terre ? & fi les biens fu- gitifs , qui n'ont rien de réel y & que nous ne goûtons qu'un moment , peuvent nous féduire , la véritable félicité , des biens ,fansfin&fansmefure5une éternité de gloi- re , de magnificence , de vrai bonheur , qui nous eft aujourd'hui montrée , ne fau- roit-elle nous détromiper , & diHiper pour toujours l'erreur.qui nous a fait prendre le change , prendre l'ombre pour la vérité , la terre pour le ciel , & un temps qui fe pré- cipite & qui va finir demain , pour Téternité
DE Notre Seigneur. 185 Second motif que je prends dans ceMyf- tere , pour nous animera conferver la grâ- ce reçue en ces jours faints. Non- feulement ce Myftere aiîermit notre foi , mais encore premièrement 5 il ralFure notre efpérance ; iecondement , il la conlble -, troifiémement il la corrige. La réfurredtion de Jefus- Chrift railure notre efpérance. Nous fa- vons 9 dit TApôire , que nous lui ferons un jour femblables 5 & que nous fuivronsla deftinée de notre Chef; nous favons qu'é- tant le premier né d'entre fes frères , il ne doit être que les prémices heureufes de ceux qui dorment pour relfufciter ; & qu'u- ne portion de notre nature n'a été délivrée en lui de la mort &: de la corruption , que pour fervir de g^^g^ k rcfpérancê de îa na- ture entière : nous favons que fa réfurrec- tion feroit inutile , fi nous ne devions pas rcirufciter avec lui ; qu'il feroit dans le Ciel, fans Eglife , fans facerdoce , fans facri- fice ; & qu'il n'y feroit pas notre Pontife éternel , s'il n'oifroit pas éternellement fon corps myRique à fon Père. Ainiî nous fa- vons que nos frères , qui nous ont précédés avec le figue de la Foi , & qui dorment en Jefus-Chriil dans le fommeil de la paix & de l'unité , n'ont pas péri fans reffource ; qu'il ont difparu à nos yeux , mais qu'ils attendent la bienheureufe efpérance ; que leurs corps ont été brûlés , tramés , dé- chirés 5 mis en poufliere , la pâture des oi- feaux du ciel , ou des animaux de la terre ; mais que celui qui appelle les chofes qui ne
i26 Sur la Résurrection font pas 5 comme celles qui font , rafTem- blera des quatre vents les portions difper- fées de leur chair ; démêlera dans toutes les créatures ce qui appartient à fes Elus ; reprendra.leurs reftes précieux que la révo- lution des tem.ps , & la viciÏÏitude des cho- fes a confondus , & qui font connus de lui feul 5 & que pas un cheveu de leur tête ne périra.
Or 5 dans ce fouvenir , mes Frères , que de puilTans motifs pour affermir une aine dans la grâce & dans le fervice de Dieu ! Je relfufciterai avec cette chair que je vais deshonorer ; je la porterai aux yeux -de Jefjs-Chrift & de fes Anges j encore mar- quée des taches honteufes de mes ini- quités. Hélas ! fi tout devoit mourir avec moi 5 je pourrois tout permettre à mes defirs corrompus : mais l'impie relfufcitera comme le Jufte : la trompette fatale éveil- lera 5 fans égard , tous ceux qui repofe- ront fous l'empire de la m.ort : il faudra re- paroitre fur la fcene à la face de tout l'uni- vers ; & voir revivre des œuvres de ténè- bres 5 que je croyois enfevelies dans un éternel oubli. Quoi ! pendant toute l'éter- nité 5 la honte de l'adlion que je vais com- mettre 5 me fera reprochée ? ni les fiecles , ni les années , ni les tourmens , n'efface- ront jamais cette circonftance honteufe de ma vie ? un plaiiir fi rapide . qui n'eft déjà plus lorfque je le goûte , &: dont je me difpute moi-même , en le goûtant , la fauffe douceur, par des remords &: ùqs agita-
DE Notre Seigneur. 187 tlons fecrettes ; ce moment fî fugitif fera écrit dans le Livre des vengeances du Sei- gneur en caractères immortels ; fera fcellé dans les tréfors de la colère divine , & du- rera autant que la juftice de Dieu même ? Grand Dieu ! puifque mes afbions , mes paroles , mes penfées , mes defirs , doi- vent vivre à vos yeux pendant les années éternelles , foute nez m.a foiblelTe ; & fai- tes entendre à mon cœur 9 qu'un Chrétien ne doit plus rien fe permettre 5 qui ne foit digne de l'éternité !
En fécond lieu 5 la réfurreâion de Jefus- Chrift confole notre efpérance. Car , mes Frères , fi la piété a fes douceurs , elle a aufTi fes amertumjes ; & les combats éter- nels 5 ou qu'il faut fe livrer à foi-même , eu qu'il faut foutenir du côté de prefque tous les objets qui nous environnent , en font les épines & les violences. La vertu ne fe conferve que par des facrifîces conti- nuels ; & fi vous vous relâchez un mo- ment 5 vous êtes perdu ; les pafîions re- nailfent , ce femble , de leur propre dé- faite : vous croyez avoir réfifté jufqu'au fang 5 & rem.porté la victoire , qu'il faut recom.mencer le combat. Or, on fe laiTe d'être toujours aux prifes avec foi même , de porter toujours un Royaum.e divifé au- dedans de foi : on panche naturellement à vivre d'intelligence avec fon propre cœur , &: à jouir tranquillement de foi-même ; & voilà lafource la plus commune de nos rechûtes.
i88 Sur la Résurrection
Or 5 dans ces dangereufes épreuves , rien ne foiitient & ne confole Famé fîdele , comme refpérance de la rédiredion : elle fait que ce corps de pcché qui l'appefantit , fera bientôt conforme à la refTemblance de celui de Jcfus-Chrill glorieux & relTufcité. Ainfi loin de s'abattre' fous le poids de fa chair , elle fcnt que fa délivrance s'appro- che : p]us Fange de Satan la prclTe , plus le defir d'être délivrée de ce corps de m.ort , augmente : plus l'aiguillon du péché fe fait fentir , plus elle fouhaite fa dilTolution ^l fa réunion avec Jefus-Chrift : elle trouve dans fa foiblefle une nouvelle force ;,fe3 tentations portent avec elles leur remède ; &: tous les mouvemens qui FavertiiTent du fond de fa corruption 5 la confolent par l'efpérance de l'immortalité , qui la déli- vrera de toutes fes miferes.
Dans les tribulations qui arrivent au
Jufte 5 du côté des créatures , il n'en eil
aucune que cette efpérance n'adouciile.
Job 5 fur fon fumier , voit tranquillement
Joh.^o, foncorpo tomber en pièces : Je fais , dlt-il,
25' 26. q^Q ^Q^ Rédempteur ejl vivant ; que je ref-
fufcitcrai de la terre au dernier jour ; que je
verrai mon Dieu & mon Sauveur avec cette
même chair , dont les vers & la pourriture
Ihid t' ^^"^ ^'^'^'^ ^^^'^ "^ cadavre. Cette douce efpé- 17. * ' rance ejl cachée dans mon fein. Et il ne faut que cela , mes Frères , pour confoler toute la rigueur de fes peines : Repojïta ejî hœc fpes mea in finu meo. Nous nous ré- jouilfons dans les tribulations , difoient les
DE Notre Seigneur. 189 premiers Fidèles , parce que nous atten- dons JefiisChrirt du haut du ciel , qui ré- formera la bairclie de notre corps , afin de le rendre femblable à la gloire & à la clar- té du fien , & que notre efpérance eft cer- taine. Dans cette attente , on nous maudit , & nous béniiîbns : on nous charge di chaînes , & nous fommes libres : on nou:; foule aux pieds , & nous ne fommes poinr abattus ; & nous avons toujours la tête levée pour voir notre délivrance qui appro- che. Ainfi parloient autrefois, par la bouche de l'Apôtre , des Fidèles opprimés , per- fécutcs , profcrits , traînés dans les pri- fons & fur les échafauds ; il n'étoit plus de tourmens û afircux qui ne leur paruffent doux , dans la vue de la bienheureufe ef- pérance.
AufTi , mes Frères , ils crcyoient fans ceffe voir arriver Jefus-Chrift du haut des airs : ils croyoient que chaque jour alloit être le jour tant defiré de fon avènement : c'étoit une erreur d'amour. On croit tou- jours toucher à ce qu'on defire avec ardeur ; & les Apôtres avoient befoin de toute leur autorité , pour caLmer là-deiÏÏis la vive im- patience de ces faints Difciples. Jefus- Chrift lui-même avoit cru devoir prévenir les pièges qu'on pouvoir tendre un jour far ce point à la vivacité de leurs emprelTe- mens , & à leur crédulité . en les averîif- fnnt de n'ajouter pas foi trop facilement à ceux qui viendroient leur annoncer qu'il alloit paroître : Nolitc crcdcre, D^~la au
ipo Sur la Resurrectio!^ milieu des tourmens , ils défioient , avec une fainte fierté , la barbarie des tyrans : Vous pouvez bien déchirer nos corps , leur difoient ils , le Spedateur célefte de notre confeifion nous les rendra plus glorieux 8c plus éclatans : les plaies cruelles , dont vous défigurez nos membres , fe change- ront en des rayons de lumière ; & votre inhumanité augmentera notre gloire. Tel étoit l'eTprit de ces fiecles heureux : une vaine fpiritualiîé n'avoit pas encore interdit ces divines cocfolations à la vertu : on n'a- voit pas encore fermé le fein de la gloire aux Fidèles , pour les en rendre plus di- gnes : on n'avoit pas encore fait une per- feâ:ion monfiriieure d'être indifférent aux promefies de la Foi , pour y arriver plus furemenf.on auroit en horreur de penfer que le falut dût être le fruit affreux du dé- fefpoir , ou de l'indifférence pour le falut même ; & la bicnheureufe efpérance étoit alors toute la piété & toute la perfedion des Fidèles.
En effet , le Jufie feroit à plaindre s'il n'y avoit pour lui d'eipérancé qu'en cette vie. Si Jefiis-Chrifl n'eft point reffufcité , difoit autrefois l'Apôtre , & que nous n'ef- pérlons en lui que pour cette vie , nous fom.mes les plus malheureux de tous les I. Cor, hommes : Si in hac vita tantàm in Chriflo ^ ^ * ^^' fpcrantes fumus , mifcrabiliores fumu; omnU busIiGminibiis ; telle eil la deftinée du Chré- tien. L'Evangile en un fens ne fait que des malheureux félon le monde ; fes maximes
DE Notre Seigneur. 191 font triftes , & ne promettent rien de trop agréable ici- bas ; & s'il n'y a plus rien à efpérer après cette vie , rien n'égale Tinfor- tune d'un difciple de Jefus-Chrilî. Or , fur cette vérité inconteftable , vous n'avez , mon cher Auditeur , qu'à vous décider vous même , pour connoître (i vous êtes difciple de Jefus-Chrifl , ou enfant du fie- cle 5 & par conféquent enfant de mort Sc de perdition : la règle eft sûre. Sil n'y avoit point de réfurrection à efpérer, fe- riez-vous à plaindre ? Si vous n'attendiez qu'un anéantilfement éternel après cette vie 5 vous faites-vous affez de violence en celle-ci , prenez- vous allez fur vous-même , mortifiez-vous afîez tous vos defirs , cru- cifiez-vous afiéz votre chair , fouffrez-vous alTez les mépris &: les injures , fuyez-vous aifez les plaifirs , vivez-vous alfez féparé du monde , veillez-vous afTezfur vos fens, êtes-vous affez détaché de la gloire , des Liens périffablcs , pour dire avec l'Apôtre : Si nous n'efpérons en Jefas-Chrijl que pour Ihid, cette vie , nous fommes les plus malheureux de tous les hommes. Quand la Religion fe- roit un fonge , qu'y perdriez- vous ? quand tout ce qu'on nous dit de la réfurre6tion à venir , &: des promieffes de la Foi , fe- roient de fables , feriez-vous fort trempé dans vos mefures ? quand tout mourroit avec vous , auriez- vous de grands repro- ches à vous faire au lit de la mort , fur ce que vous n'auriez pas fait votre bonheur de la vie préfente ; fur les plaifirs dont vous
1^1 Sur la Resurrectiom vous y êtes abitenu ; fur les facrifîces , les violences , les auftérités , les privations que vous avez fouffert pour une éternité & une avenir chimérique ? Si l'on venoit vous déclarer que la Foi des Chrétiens eil une invention humaine , trouveriez- vous beau- coup à changer dans vos mœurs , dans vos projets , dans vos affaires , dans toute votre conduite ? Ah î les premiers Fidè- les avoient droit de dire , que fi Jefus- Chrift n'étoit pas reiTufcité , tout étoit perdu pour eux. Des infortunés qui facri- fioient tout à cette efpérance , qui fouf- froient la faim . la foif , la nudité , l'exil , l'infamie , la perte des biens & de la vie pour lui plaire^ &: dans la feule efpérance S.Ignat. d'aller jouir de lui : Tantiim ut Chriflo Mdvt. fruar ; des hommes qui n'avoient aucune confolation fur la terre ; qui fe difputoient les plus légers plaifirs ; qui regardoicnt la vie préfente comme un exil , comme une vallée de larmes ; ces hommes pouvoient aiîurer hardiment , que s'il ne devoit point y avoir de réfurre6^ion , rien n'égaloit leur malheur fur la terre. Mais vous à qui la Foi en Jefus-Chrift ne coûte rien ; vous qui ne facrifiez à fespromeifes , ni plaifirs , ni goûts 5 nifuperfluités, ni penchans ;vous qui fous FEvangile vivez aulli doucem.ent , aufTi agréablement , aufii mollement , que fai-je ? auHi licencieufement peut-être , qu'on vit parmi ces nations infidèles , où fon nom n'eit point connu ; qu'il foit relfuf- cité 5 ou qu'il ne le foit pas , vous n'en
■ êtes
DE Notre Seigneur. 193 êtes ni plus ni moins à plaindre; la fai-uTeté ou la vérité de fes promeiîes , ne change rien à votre deilinée ; & dès- là vous n'êtes plus Chrétien ; vous n'appartenez plus à Jefus-Chrift ; vous n'avez plus de droit à fon efpérance.
Et voilà en dernier lieu , comme la ré- furre(B:ion de Jefus-Chriil: , non- feulement allure o^confole , mais encore corrige notre efpérance , en nous propofant les moyens, qui feuls nous donnent droit d'efbérer ; en nous faifanî entendre qu'il nciï pus poffible de chercher fa félicité fur la terre , & d'ef- pérer en Jefus-Chrifl , & que le iid2lQ qui ne fouiTre rien ici-bas , ne fauroit auili rien efpérer pour l'avenir.
Mais ce n'eil pas par cet endroit feul que la réfurrediion de Jefus-Chrifl corrige no- tre efpérance. En eiTet , une àes caufes les plus ordinaires de nos rechûtes après la fo- îemnité , eft de nous perfuader que le retour à la grâce eft facile , & ainfi d'efpérer con- tre ïefpérance. Or , le Myitere de la ré- furrection de Jefus-Chriit corrige cette er- reur fi commune &: Il dangerenfe ; car le bienfait de la réfurrecticn n'a été en lui que le prix du plus douloureux de tous les fa- crifices ; &: il n'a mérité fa délivrance du tombeau, qu'en devenant l'homme de dou- leurs. Or la réfurrecticn de Jefus-Chrifl e(l le m.odele de la nôtre ; c'erL-à-dire j cme Çi nous retombons 5 il faudra palferpar de terribles épreuves 5 pour arriver au renou- vellement de la pénitence. Si je retombe , Myflerc. I
194 Sur la Résurrection ô Dieu ! que ce plaifir rapide & frivole va ine coûter cher ! quel calice à boire , pour recouvrer la vie & l'innocence que je vais perdre ! Je ne fai déjà que trop moi-même ce qu'il en coûte pour revenir à Dieu , quand on a eu le malheur de s'éloigner de lui ; & ce que les commencemens d'une converfion ont de terrible pour le cœur : eft- ce qu'après une rechute , cette entre- prife aiiroit moias de difficulté ? Mais mes mauvais pcnchans feront encore plus diffi- ciles àfurmonter, mes chaînes fe feront for- tifiées , mes foibles defîrs de falut refroi- dis , le yeux du public même plus redou- tables 5 par les inégalités de ma conduite ; tout demandera de nouveaux efforts , tout deviendra plus dégoûtante plu* pénible: or , h j'ai eu tant de peine à faire une pre- mière démarche que tout fembloit facili- ter ; commicnt pourrois-je fi fort compter fur une féconde , où tout m'offrira de nou- veaux obfiacles ? Ainfi s'affermit dans la perfcvérance une ame fidèle.
Mais 5 d'ailleurs , la grâce d'une féconde pénitence vous fera-t elle accordée ? Se- conde raifon que nous fournit ce Myfîere. Sa^ez vous bien ce que c'ell que la grâce de la converiion ; cette grâce qui nous fait pafîer de la m.ort du péché à la vie & à la réfurrection de la Juftice ? Ecoutez l'A- pôtre, qui va vous l'apprendre : La mê- me vertu furéminenîe de Dieu « dit^iî , qui a opéré fur Jefus-Chrifl pour le déli- vrer d'entre les morts , doit opérer fur
DE Notre Seigneur. 195 nous ; pour nous retirer des voies des la mort & de la perdition , pour nous faire revenir à la vie de la grâce ; c'eft-à-dire , qu'il eft vrai que la réfurreé^ion fpirituelle du pécheur , eft un ouvrage aufîi grand pour Dieu que la réfurreclion corporelie de Jefus-Chrift , que le miracle ell: ici égal ; qu'il a befoin d'une vertu auiîi éclatante pour l'un que pour l'autre ; & que s'il y a quelque différence à faire , c'eft qu'en rcA fufcitantron Fils , il commande à la mort , & il eil obéi , & la mort qui entend fa voix ne réfifte point à fes ordres ; au lieu qu'ea refRifcitant le pécheur , il commande à un cœur corrompu , &: ce cœur fe défend ; & ce cœur ou ne veut pas l'entendre , ou même après l'avoir entendu , réfidQ k fes ordres , &: repouffe la main , qui vient le retirer du tombeau , ôc des ombres de la mort. Or , étes-vous en droit d'attendre de lui une féconde fois une faveur auiïî fignalée ? pouvez-vous vous flatter qu'il opé- rera encore une fois pour vous un prodi- ge 5 qu'il n'a opéré qu'une fois en faveur de fon Fils ? Qui ctcs-vous donc pour vous promettre témérairement des coups il miraculeux de la Puiffance divine ? De toutes les grâces , celle de la converfion , eft la plus rare ; & vous la regarderiez com- me une faveur de tous les jours ? Que fa- vez-vous fi le Seigneur , après avoir fait une fois éclater fur vous les merveilles de fa miféricorde , en rompant les chaînes de Ja mort &: du péché qui lioient- votre ame,
I 2
196 Sur la Résurrection
& en vous f a ifant revivre avec Jefus-Chrift refTufcité d'une vie nouvelle , ne manifef- tera pas à l'avenir en vous la févérité de fa Juilice , en vous livrant pour toujours aux defirs de vos pafTions infenfées ? Nous lifcns bien dans les Livres faints que La- zare 5 que la fille de Jaïre , que le jeune lioîr.me de Naïm furent reirufcités ; mais cous ne lifons pas qiHî ce bienfait fignaîé leur ait été encore accordé. La féconde mort fut pour eux la dernière ; &: dans cette image 5 on veut nous faire compren' dre . que le miracle d'une féconde réfur- redion efl rarement accordé au pécheur. Confervons donc précieufement , mes Frères , un îréfor fi difficile à recouvrer 5 (î nous avons été ailez heureux que de ref- fufciter avec Jefus-Chrift dans la partici- pation des faints Myfteres. Ah ! îi vous connciîîiez , mes Frères , ce que vous per- dez en perdant la grâce fan6^ifîante : fi vous faviez que la perte de l'Univers entier n'eft rien à fon égal : fi vous penfiez que c'efi: le prix du Sang de Jefiis-Chrift , & le feul fruit des fouffrances dont vous venez d'ê- tre témoin : fi vous faifiez réflexion que c'eil la dragme précieufe dont on acheté réte rniîé : fi vous pouviez comprendre que vous perdez tout ce que vous pouvez per- dre de plus grand; tout ce que les créa- tures 5 & le monde entier ne fiuroit vous remplacer; que vous perdez ce que vous ne pouvez plus recouvrer de vous-mê- me 5 ce que celui feul que vous ofFenfez
DE Notre Seigneur 197 peut vous rendre ; que vous perdez ce que tant de réprouvés fouhaiteront pendant toute l'éternité , ce qui fera la félicité de tant de Juftes dans le Ciel , ce qui eft re- fufé à tant de pécheurs fur la terre : û vous le pouviez comprendre , fans doute ce fou- venir vous animeroit à perfévérer dans le fervice de Dieu , où la grâce des Sacre- mens vient de vous faire entrer. Vous ve- nez d'en voir les motifs dans la réfurrec- tion de Jefus-Chrift ; il faut vous en décou- vrir les moyens que nous fournit le même myftere.
ji
PARTIE
Efus-Chrijl rejfufcité d'entre les morts , ne ^^l:^ meurt plus , dit l'Apôtre : la mort n'a plus d'empire fur lui , parce que fa Réfurre£tion Kom. renferme un renouvellement entier & par- ^' ^' fait ; qu'il n'a plus rien de terreftre au for- tir du tombeau ; & que la mort a été abfor- I- Cor, bée dans fa propre victoire. Or voilà le mo- ^^* 54* dele & le moyen de notre perfévérance. Voulez- vous donc ne plus retomber , mes Frères ; il faut que tout ce qui éîoit en vous de terreftre & de m.ortel foit détruit ; pour ainfî dire , & que vous foyez un homme tout renouvelle & tout célefte. Une paf- fion négligée conferve toutes les autres ; une feule plaie flattée attire fur elle les mau- vaifes humeurs de tout le corps. Ainfî vo- tre attention doit redoubler , votre vigilan- ce croître ; & comme Jefus-Chrift n'a compté fes travaux finis , & fa viéioire af- iurée 5 que lorfque la mort a été entière-
13
198 Sur la Résurrection ment abforbée en lui , & qu'elle n'a plus eu ni armes , ni aiguillon , pour parler avec TApôtre ; tandis qu'il vous reliera des paf- iîons à combattre , des defîrs à réprimer , des vertus à perfeâionner , vous devez re- garder votre réfurredion comme impar- faite 5 & avancer fans cefle dans la reiTem- blance de l'homme nouveau.
Cependant , l'erreur commune regarde le temps Parcal comme un temps de relâche, ment 5 de repos , de liberté , & de plaifîrs. Mais je le répète , fî vous voulez conferver la grâce de la réfurredion , il doit être pour vous un temps de renouvellement & de fer- veur ; en voici les raifons ; elles me pa- roiffent dignes de votre attention.
En premier lieu , il n'eft que trop vrai que la plupart des Fidèles croient avoir droit de fe déîaffer , & de donner moins de foins à leur falut éternel , quand une fois ils font arrivés au bout de cette carrière de pénitence ; qu'ils ne font confiner le privilè- ge de la réfurreéiion que dans des m^œurs plus douces 5 dans un ufage plus libre des plaifirs de la table , du jeu , des fpedacles , & dans la rareté des prières publiques Se des autres devoirs de la Religion. Or , pour faire fentir d'abord l'illufion d'une er- reur fi vulgaire , & injurieufe à la fûnteté de ce temps , il fuffiroit de vous dire que l'alIégrefTe de l'Eglife en ces jours heu- reux 5 n'eft fondée que fur la victoire que Jefus-Chrift &: tous les Fidèles avec lui , remportent aujourd'hui fur le péché ; que
DE Notre Seigneur. 19.9 votre retour à la grâce fait tout le fujet de fes cantiques de joie ; & que fi vous êtes encore dans le péché , elle eil: encore cou- verte d'un deuil invifible , & gémit , en fe- cret devant fon Epoux : qu'ainfi . elle ne paroît en ce jour triomphante & environ- née de gloire , que pour célébrer le triom- phe de la grâce fur vos cœurs ; & qu'elle vous regarde comme autant de captifs , qu'elle vient de délivrer de l'empire de la mort 5 &: de la puillance àes ténèbres. En un mot 5 c'eft la dellinée de votre confcien- ce qui décide toujours de fa joie • on de fatriflelTe. Car d'ailleurs le temps de la vie préfente n'eftpas le temps de fa joie ; étran- gère 5 éloignée de fon EpouK , déchirée par les fchifmes & les contentions . dcsho- norée par les fcandales , afiligée par les chûtes de (qs enfans , elle gémit fans celTe ; elle foupire après fa délivrance ; 6c fes chants de joie ne fauroient être que des de- firs d'éternité , & de vifs empreffemens d'être réunie à i'Eglife du Ciel , dont fon Epoux elt le Pontife viable. Mais lailFons- làles raifons qui la regardent elle-fcule ; & arrêtons-nous à celles que nous fourniffent nos propres difporiticns.
En effet j, en fécond lieu . iî après des mœurs céfordonnécs 5 ce une vie toute criminelle , vous avez été allez heureux , pour recouvrer en ces jours votre inno- cence par la grâce des Sacremens y & vous réconcilier avec Dieu , vous êtes donc de nouveaux enfans de la grâce ,
I A
200 Sur la Résurrection vous ne faites que de naître dans la juftice &: dans la fainteîé : or , dans cet état d'en- fance & de foiblede , comme vous êtes plus aifé à féduire & à ébranler , il vous faut auiïl plus de précautions , & plus de fecours poui vous foutenir. D'ailleurs , {î vous ne faites que de fortir de vos mœurs criminelles , vous n'avez donc encore rien £iik pour les expier : vous avez gémi au Tribunal , il eft vrai ; vous vous y êtes dé- claré pécheur ; vous y avez porté des {en- timens vifs de componâ:ion , & une dc- teftaticn fincere de vos crimes : nous y avons eiïiiyé vos larmes , recueilli vos fou- pirs , & conf^olé votre douleur , qui nous rempliflbit nous-mêmes de confolation ; mais ioin-CQ là les fculs fruits de la péni- tence ? une vie entière dcplaiiirs & de dif^ fipation feroit-elie effacée par quelques larmes paîTagercs ? & le péché feroit-il expié dès qu'il eft remis ? Or, ii vous êtes un nouveau Pénitent , eh ! où font ces tranf- ports de zcle ,. cette indignation contre foi- niême , cette avidité de fouifrance , qui font toujours les prémices dé l'Efprit de Dieu dans un cœur touché ? Vous n'avez pas encore corn nencé , 2^ vous voulez vous permettre des adouciilemens , que les plus juil-es , après de longues années de pénitence , n ofcroient encore s'accor- der ? Eil-ii temps de fe repofer à l'entrée même de la carrière ? Il peut arriver quel- quefois que fur la fin de la courfe , on fe lelache i & que la ferveur fe rallentiife
DE Notre Seigneur. 201 après pîuiieiirs années d'aufléritc : mais du moins les commencemens ont été fer- vens. Le Roi de Ninive fe met fous la cendre , déchire fes vêtemens , afllige fa chair par le jeûne & par le cilice : c'ell le cara^lere de la première grâce ; hs efforts qu'elle infpire d'abord font héroïques ; '6c c'eft alors que le pécheur nouvellement touché , a beioin de frein , & qu'il faut que la ?age{fe d'un condudeur m.odere les fîiil- lies , Se arrête l'impétuoiité du zeîe , èi de l'efprit qui l'anime.
Mais vous , mon cher Auditeur , iî vous comm.encez par la chair , comment finirez-vous par l'efprit ? û vos premiè- res démarches commencent par être îic- des & lanp,uiirantes , comment foutien- drez-vous les fecoulfes , les ennuis , les dégoûts inféparables des fuites & de la durée ?
De plus . votre propre expérience vous apprendra que les tentations ne font jamais plus violentes , que dans un com.mence- mient de nouvelle vie. C'eft alors que le démon furieux d'avoir laiile échapper fa proie 5 met tout en œuvre pour la recou- vrer : c'eft alors qu'il multipiie les atta- ques , qu'il change tout en pièges , qu'il reveille toutes les payons encoie à demi vivantes , qu'il répand des dégoûts cc des am.ertumes fur toutes nos démarches, qu'i-l raflembie tous les obftacles , qu'il groilit les difficultés ; en un m.oî y qu'ilépuife t©i2$ fes artifices , pour rentrer dans la mai Ibud^
Ï5
202 Sur la Résurrection notre ame avec fept efprits impurs encore plus méchans que lui. Or , li les tenta- tions font d'un côté plus vives , la piété de l'autre ell alors plus foible. C'eft une étin- celle à peine allumée , 8?" qu'il faut entre- tenir à force de foins & de m.énagemens : c'eft une jeune plante que le vent le plis léger eft capable d'abattre ; la moindre ardeur des tentations, de faire féchcr. En quel temps donc la fidélité & la vigiiarice furent jamais plus nécelfaires ? Seriez-vous fage de nepcnferqu'à vous rcpofcr & de n'être point fur vos gardes , dans une con- jon^iure où tout fe difpofe à vous atta- quer ? N'eil-ce pas alors que la retraite^ la prière, l'éloignement du monde & des plaiiirs , le commerce des gens ce bien , la pratique des œuvres de miféricorde, la leâure des livres faints font pîu^ que ja- mais de faifon ; & qu'aller expofer i;n tré- for 5 que vous portez dans un cœur , fi peu inflruit encore à fe défendre , c*eft vouloir sûrement le perdre.
Enfin , je n'ajoute pas que l'Eglife en cefaint temps , fournilîant moins de fecours extérieurs à la piété des fidèles , vous de- vez remplacer ce défaut par un renouvelle- ment de zele & d'attention. En effet, dans les jours de pénitence , dont nous venons de fbrtir , il fembl© que la foi & la piété étoient fcutenues par les dehors tout feuîs du cuite. L'aiîiflance plus aiîidue à nos Temples ; îa parole de l'Evangile plus fouvent & en plus de lieiix annoncée j les
DE Notre Seigneitr. 203 prières de l'Eglife plus longue- & pîjs fo- leninelles ; tout cet appareil de deuil & de triftefie dont elle éroit couverte; le Touvc- nir des MyHeres douloureux qu'elle nous rappelloit ; la loi des jeûnes & des abili- iiences ; les plaifirs publics fufpendus ; la liberté des tables modérée ; le crime obli- gé prefque de fe cacher , ou du moins de le ménager ; le devoir Pafcal , auquel , fî vous exceptez un certain nombre de pé- cheurs invétérés , &: abfolument abandon- nés de Dieu , tout le relie fe mettoit en état de fatisfaire ; tout cela pouvoit fervir de foutien à une piété naifTante. Mais dans le temps où nous allons entrer .la vertu ne trouve prefque plus rien dans \qs dehors de la Religion , qui l'aide , qui la réveille j qui la défende : toute la beauté de la Fille du Roi eft , pour ainii dire , au dedans.. L'Eglife fuppofant que nous fommes de- venus des hommes tout fpiriiucls & cé- leRes par la réfurreclion , fournit à notre piété moins de fecours fenubles; les jeûnes celîent ; les prières publiques dimj'nuent ; les chaires chrétiennes fe taifeat ; les céré- monies du culte font plus unies & plus (im- pies; les folemnités finifTent ; la révolution des Myfteres s'accomplit ; l'Eglife de la terre reiTufcitée eft une image de celle du Ciel 5 où l'amour 5 l'adoration , l'adlion de grâces & le filence tiennent lieu d'hymncsi & de cantiques , & forment toute fa reli- gion & tout fon culte.
Or 5 pour vous 5 qui êtes encore foibk
16
2C4 Sur la Resurrfctïcn caiis la foi, cette privation de fccours fcn- Jibjes , cette vie intérieure Si parfaite à les dangers. Il eil: à craindre que ne trouvant plus autour de vous les appuis extérieurs de la piété , vous ne puiiTiez vous foutciiir tout feul : il efl à craindre que la fin des abilinences ne foit pour vous lin attrait d'intempérance ol de volupté ; que l'é- loignerrent des chofes faintes ne vous jette dans l'oubli de Dieu ; que l'ufage plus libre dies plailirs ne vous fraye le che- irin au crime ; que la rareté des prières publiques ne vous défaccoutume d'élever votre cccur à Dieu ; que le fiîence des chaires chrétiennes ne vous endorire 'fur les vérités du faluî ; en un ir.ot , que la fainte liberté de ce teirps ne foit pour vous une cccalicn ce rechute & de libcrti-
Et pour lîiieuK vous développer cette vérité 5 ( car on ne fauroit trop vous Kiire entrer dans refprit de TEglife iiîr Tordre & fur la f.n de les folemnités & de Tes Myi^ teres ; puifque c'eil là toute la piété de cet exil o: de notre pèlerinage : ) 'remarquez , je vous prie , mes Frères , que depuis la naiflance du Sauveur , jufqu'à fa réfurrec- îioîî, & à ïeÛuiion de fon Efprit faint qiie nous attendons , l'Eglife vous a tenu fous ics Villes ,. pour ainfi dire , commie des pe- tits qu'elle enfatitoit , & qu'elle vouloit former à Jefus-Chrifî ; elle vous a fait croître fuccefnvement par Ja grâce de chaque my^ieiQ ; elle ne vciîsa point peidu
DE Notre Scigneur. 205 de vue , & vous a donné tous fes foins. IVÎais déformais les myfteres de îa réfur- re^lion , & de reiiufion de rEfprit faint. accomplis , elle regarde fon ouvrage com- me a/:hevé en vous ; elle f.ippofe que vous êtes des hommes célefles , remplis de tous les dons d'en haut , parvenus à la par- faite reiTembîance de Jefus-Chrift glorifié , ik qui n'avez pkis befoin des fecours dont elle avoit iufques-là fcutenu votre enfsnce. Elle vous lailfe à vous-mêmes , elle fe re- tire dans le fecret de fon Sanduaire ; elle îie propofe plus à votre piété , que le myf- tere ineffable derunité de l'eiTence divine^ &: de la Trinité des Perfonnes , qui fait la feule occupation , tout le- culte , toute la religion des Efprit céleftes , & des Bien- heureux dans le Ciel : elle croit que me- nant déformais fur la terre une vie toute célefte 5 elle ne doit plus CiTrir à votre piété que le même objet que l'Eghfe du ciel offre à fes Elus , & qu'elle n'a plus qu'à vous oflrir le fcin de la gloire , & le myftere ineffable de la Trinité , loin de vous iuivre encore , & de vous fecourir , comime elle a fait jufqu'ici , au milieu des périls & des écueils qui font fur la terre. Jugez fi ces jours de perfection , de gloi- re 5 de vie célefte , de plénitude de ïEf- prit faint pour des Chrétiens , peuvent de- venir des jours de relâchement & de li- cence ; & fi vDus devez vivre félon les fens , dans un tem^ps où TEglife fuppofe que votre vie eft enfin toute cachée en Dion avec Jefus-Chrill;,
2o6 Sur la Resurrectiom
Mais après tout , quand une vie molle y fenfuelle , moins attentive , moins accom- pagnée de toutes les précautions &i de toutes les violences de la piéié , ne feroit pas dangereufe après la fainte foîemnité j elle feroit du moins injufte pour la plupart de vous 5 mes Frères , qui m'écoutez. Et certes , mes Frères , ces jours de péni- tence dont nous venons de forîir , ont-ils afîez exténué votre chair , pour vous don- ner droit à vous délalTer de vos peines? qu'avez- vous fouffert durant ce temps con- facré par TEglife à la mortification & aux fouffrances de Jefus-Chrift ? en quoi l'a- vez-vous diftingué des autres temps de Tan- née ? Avez-vous paru dans nos Temples fous la cendre & fous le cilice ? avez-vous mêlé votre pain avec l'amertume de vos larmes ? a-t-on vu plus de prières , plus de retraite , plus d'au Hérité 5 ou du moins plus de régularité dans vos mœurs ? avez- vous feulement fatisfait aux loix de TEgli- fe , & fait gémir fous le devoir auftere du jeûne , accompli dans toute fon étendue , un corps que vous ne fauriez trop châtier? Ah ! le Jufte arrivé au bout de cette car- rière , a droit d'elTuyer fes larmes , de la- ver fon vifage , de parfumer fa tète , de fe revêtir de fes vêtemens de gloire & d'allé- greffe ; de prendre part à la joie publique de l'Eglife , &: de goûter avec elle les con- folations fenlibles de ce faint temps ; lui qui, loin de fe difpenfer de la févérité de fes loix 5 y a ajouté des rigueurs de furcroit.
DE Notre Seigneur. 207 Mais vous qui , au lieu d'avoir été péni- tent j avez été prévaricateur de la loi com- mune même de la pénitence , vous qui portez au myllere de la Réfurredl:ion une chair auffi rebelle , des pafTions aulîi vives & aufli entières qu'elles l'etoient avant ces jours de macération & d'abftinence. Ah [ loin de vous permettre aujourd'hui des délaflemens que vous n'avez pas mérités , vous devez vous mettre en état de reparer votre lâcheté paiîée , d'accomplir ce qui a manqué à votre pénitence , de changer ce temps de joie en un temps de deuil & de trifteife , & de commencer une carrière que vous n'avez pas encore fournie.
Et fi vous fouhaitez d'apprendre avant que je iîniiTe , en quoi conlîfte ce renou- vellement qu'on vous demande , & quels font en détail les moyens de conferver la grâce de la réfurrection , ce qui doit être le fruit de tout ce Difcours ; Je vous ré- ponds que la grâce ne peut fe conferver y que par les mêmes voies par où on l'a re- couvrée ; que les fentimcns d'amour , de componction , qui l'ont attirée dans votre ame , feuls peuvent l'y entretenir ; & qu'il en efl de l'homme fpirituel commue de rhom.me terreftre , c'eft à-dire que fa ccn- fervation n'a rien qui ne refîemble à fa pre- mière formation. Or , je vous demande , comm.ent vous y êtes- vous pris en ces jours folem>nels , pour recouvrer la grâce de la fatisfaètion , s'il eft vrai que vous l'ayez recouvrée ? quelles font les voies
2o8 Sur la Résurrection par où vous êtes arrivé à cet état heureux? ks larmes , la componction , une vive horreur de vos fautes , un éloignement in- fini des occafions qui vous avoient féduit , une conviction fincere de votre foiblelfe , & du befoin que vous aviez de prière & de vigilance , un dégoût véritable du monde &. de fes plaifirs , un goût de Dieu & de tous les devoirs de la piété , une crainte effective de mourir enfin dans votre péché. Eh bien , mon cher Auditeur , voilà le plan de vos devoirs jufqu'à la fin. Suivez toujours ces routes heureufes , qui vous ont conduit à votre délivrance ; voilà vo- tre voie. Souvenez-vous que votre pro- pre corruption combattant fans celTe en vous la grâce de la fainteté , il fnut faire les mêm.es eiforts pour la conferver, que vous avez fait pour li retrouver; âc qu'ainfi vous relûcher , c'eil tout perdre , & riiquer tout le fruit de vos travaux pafles.
Voilà , mes Frères , les motifs & les mo3'ens de perfévérance que nous fournit aujourd'hui la rérurreâ:ion de Jefus- Chrift. Souffrez donc , mes Frères , que je finilTe ce difcours , cette carrière fainte , & l'ouvrage de mon miniflere , en vous adreflant les mêmes paroles que l'Apôtre adreflbit autrefois aux Fidèles nouvelle- ment convertis à la Foi. Mes Frères , leur difoit-il, demeurez donc fermes , & ne vous rengagez plus fous le joug de la ^ , dure fervitude dont la grâce de Jefus- 1. s.^" Chriit vient de vous délivrer : Staic ^ &
DE Notre Seigneur. 209 nolitc iterum jugo fcrvituîis contineri» Tout ce que vous venez de fouffrir pour puri- fier votre confcicnce , pour en éclaircir les abymes au Tribunal facré ; ces larmes, cette honte , ces aveux qui ont tant coûté à votre foiblelfe , ces déchiremens du cœur; tout cela , Tauriez-vous fouffert en vain? ,,., Tantii paffi ejîis fine eau fa ? N'allez donc 4. '^' plus reprendre des chaînes , dont vous n'avez pu vous-même foutenir la pefan- teur : ne faites plus i^enaitre au milieu de votre cœur ce ver dévorant , que vous n'avez jamais pu calmer : ne rentrez plus dans ces voies ameres de l'iniquité , que vous avez trouve vous-même fi trilles &: fi difficiles : Stats & nolite iurum jugo fer- yitutis contimri. Comparez l'état où la grâce des Sacremens vient devons établir , à celui où vous étiez avant que d'en ap- procher. Ne fenîez-vous pas une joie fe- crette au fond de la confcience : une dou- ceur 5 une paix , que le monde & Tes par- fions ne vous avoient jamais donnée : vos troubles ne font-ils pas calmés , vos re- mords appaifés ? Ne revoyez-vous pas avec plus de plaifir ce temple , ces autels , tous ces fpectaclcs pompeux que l'E^^^life étale aujourd'hui à vos yeux ? n'entendez- vous pas ces chants d'allégrelle , &: fon in- nocente harmonie , comme un prélude du cantique éternel de la célefte Sion ? N'é- coutez-vous pas la parole du falut qu'on vous annonce , avec une coniblation fenfi- ble , au lieu qu'elle étoit auparavant pour
110 Sur la Résurrection vous un glaive perçant , qui portoit 1 ef- froi & Ja douleur jufqu'au fond de votre ame ? Rappeliez vos jours de diflblution & de ténèbres : ont-ils rien de compa- rable à ce que vous fentez aujourd'hui? N'eft-ce pas ici véritablement pour vous 5 ce jour y ce grand jour que le Seigneur a fait ? & en avez-vous jamais vu dans la ré^» gion de la mort 5 dont vous venez de for- tir 5 de fi ferein , de û heureux & de fi au- gufte ? Demeurez donc fermes dans les voies du Seigneur , où vous venez d'en- trer ; & ne vous laffez jamais d'un joug , qui fait tout le bonheur & toute la conlb- lation de ceux qui le portent : 5ti2t^. , Ù noiitc iteriim jugo fervitutis continerL Vous êtes devenus des enfans de lumière ; fou- tencz cet heureux titre : vous venez d'être faits héritiers du Ciel ; méprifez avec une fainte fierté tout ce qui eft au delTous d'une fî magnifique efpérance : vous voilà deve- nus la Vi^lcire de Jefus-Chrift , le fruit de fa mort , & le trophée de fa réfurrecftion ; ne diminuez pas la gloire defon triomphe , en vous rengageant encore fous la fervi- tude dure & honteufe de fon ennemi : State , & noiitc iteràm jugo fervitutis con- tineri. Que dirai-je de plus , m.es Frères ? Les Anges qui environnent le trône de l'Agneau dans le Ciel , & vos frères , qui vous ont précédés avec le figne de la Foi ; les faints Proteâ:eurs de cette Monarchie , qui ont annoncé Jefus-Chriil: à nos pères , vous regardent avec joie du haut de la
DE Notre Seigneur. 211
demeure célefte : ils célèbrent dans le fé- joiir de l'immortalité votre délivrance , votre heureux retour à la grâce , & votre réunion avec eux & avec toute l'Eglife du Ciel : ils chantent aux pieds du trône le Cantique de louange & d'aâ:ions de grâce. Voudriez-vous fermer encore les Cieux fur vous , vous féparer encore de la cha- rité des Citoyens de la Jérufalem célefte , & rom.pre des liens fi heureux &: fi deli- rables pour vous. Demeurez donc fermes ; & ne pafiez plus de la fainte liberté des en- fans de Dieu , à l'efclavage affreux du dé- mon & du péché : State 5 & nolitc iterùm jugo fervitutis contineri. Que puis- je vous dire enfin? Vous avez même réjoui les Anges de la terre , les Minières de l'E- glife , qui ont été les témoins de vos lar- mes 5 de vos foupirs , de la douleur de vo- tre confeiîîon , de la fîncérité de votre pé- nitence : ils vous ont appliqué avec joie le fang de l'Agneau , &: le remède de vos fouillures : ils vous ont réconcilié avec rAuîel5& avec le Dieu qu'en y adore : ils vous ont dcîiné le baifer de paix : ils vous regardent comme leur ouvrage en Jefus-Chrift . com^me des enfans de la Foi qu'ils viennent d'enfanter, &: de former pour le Ciel , par leurs prières , par leurs gémiiTemens 5 & par les douleurs les plus vives du zèle facerdotal. Voudriez-vous remplir leur cœur d'amertume , par une indigne spoftafie ; les obliger de gémir encore entre le veftibule 6c l'Autel , de
lïi Sur la Résurrection de N. S. demander à Dieu contre vous la vengeance de fon Sang profané ; & au lieu que vous êtes leur couronne , leur joie & leur con- folation , devenir la plaie la plus doulou- reufe de leur cœur ? Ne rendez donc pas , mes Frères 5 les foins de leur zèle , & les travaux de votre pénitence , inutiles iStaîe ^ Ù noUte iterùmjugofervitutîs contineri, Con- fervez letréfor que vous venez de recevoir, jufqu'au jour du Seigneur , afin que vous puifliez le lui préfenter à la réfurrec^ion générale , comme le gage & le prix de la bienheureufe immortalité.
Alnfi foit'iU
AVIS.
z.
E DlfcGurs fulvant cjl une mjînicîion familière , faite dans quelque Afjemblée de charité le jour de la Pentecôte. Il neft pas écrit dans le goût des Sermons ; mais il neft ni moins folide , ni moins touchant ; & peut-être que Vair de /implicite qui y règne ne le déprifcra point aux yeux des connoif^ feurs.
m
=:^
s E R M O
POUR LE JOUR DE LA PENTECOTE.
Sur les camclcres de VEfprit de Jefiis-Chrijl G* de refprit du monde.
Nos autem , non fpiritum hujiis mundi accepimus , fed Spiritum qui ex Deo elt.*^^
Poj/r noiij , nous n'avons point reçu Vefprit du monde , mais Vefprit qui vient de Dieu. i. Cor. &> iz.
L'E S p R I T de Dieu & refprit du inonde , dit S. Augiiftin , forment ici- bas deux cités , Babylone & Jérufalem , qui ont chacune leurs loix , leurs maxi- mes 5 leurs citoyens , & qui s'élevant de- puis le commencement du monde fur la terre , ont toujours féparé invifibîement ôc aux yeux de Dieu , les enfans du Ciel , des enfans du (iecle.
DE LA Pentecôte, 215 Ces deux efprits partagent tout l'uni- vers , les villes , les empires , les fiiinilles : ils font répandus fur tous les états , les Grands & le peuple ; dans tous les lieux , le monde &: la retraite , la Cour &: les cloîtres. Qui que vous foyez , vous qui m'écoutez , vous appartenez à l'un de ces deux efprits : vous êtes citoyen de l'une de ces deux cités ; c'eft-à-dire , que vous appartenez , ou à Babylone , ou à Jéru- falem : vous êtes animé , ou de Tefprit de Jefus-Chrift, ou de Tefprit du monde. Il eft impcffible d'être en même temps à tous les deux , dit Jefus-Chriil : il eft encore plus im.poflible de n'être ni à l'un ni à l'au- tre : on ne peut ni fe partager , ni ne pas fe donner; & comme il faut nécelfaire- ment qu'un domine dans notre cœur , il eft nécelTaire que notre cœur appartienne à un maître , à l'amour du m.onde, ou à l'amour de Jefus-Chriil.
Voilà la utuation de tous les hommes ; nous avons tous opté entre ces deux par- tis. Nous fommes encore confondus en- femble , à la vérité , par des dehors qui nous font communs ; par des devoirs ex- térieurs que nous rempliiroas tous égale- ment ; par les nécefliîés corporelles auf- quelles nous fommes tous encore affùjettis : mais un efprit invi(ib!e nousfépare & nous diltingue : nous portons au dedans un homme intérieur bien différent ; le prin- cipe qui nous pouiTe & qui nous anime , n'eil pas le même ; & Dieu qui ne juge de
ii6 Le Jour
nous 5 que par ce que nous femmes au de- dans , fait bien déuiêler dans cette confu- fîon où nous vivons , ceux qui ne font pas à lui , de ceux qui lui appartiennent.
Il s'agit donc aujourd'hui de nous dé- mêler nous-mêines : & de nous demander à qui nous appartenons ; de quel côté efl no- tre cœur; quel eft l'amour dominant ré- pandu fur nos aérions , fur ne s defirs , fur nos penfées ; en un mot , fî nous vivons de l'Efprit du monde , ou de l'Efprit de Jefus-Chrift.
Il eft fi aifé de fe faire illufion à foi nie - me 5 &: de fe calmer fur quelques appa- rences de bien , fur Féloignemcnt de cer- tains excès , fur la participation même des faints ?vlyfteres , tandis que le cœur eft mondain , corrompu , mort aux yeux de Dieu ; que nous ne faurions trop réveiller là-deifus nos craintes & notre défiance.
Or mes Frères , pour nous juger nous- mêmes 5 félon les règles de la Foi , & éviter de nous féduire , nous n'avons qu'à examiner ici ce que c'eft que l'Efprit de Jefus-Chrift , &: ce que c'eft. que l'Efprit du monde ; & en rembarquant les caractè- res difterens que les Livres faints leur attri- buent , décider auquel des deux nous ap- partenons 5 & Cl nous pouvons dire en ce grand jour avec la même coniiance que l'Apôtre : Pour nous , nous n'avons pas reçu l'efprit du monde , mais i'Efpiit qui vient de Dieu.
Le
DE LA Pentecôte. 217
E premier caraftere de rEfprit de Je- j> ^• fus-Chrill j c'eft d'être un Efprit de fépa- ratioii , de recueillement & de prière. A peine les Apôtres en ont été remplis , qu'ils renoncent à tous les autres foins extérieurs , pour ne vaquer plus qu'à la prière , & au miniftere faint de fa parole. Ces hommes, qui auparavant ne pouvoient foutenir une heure entière de recueillement avec Jefus- Chrill; qui ignoroient même comment il falîoit s'y prendre pour prier ; qui méri- toient même que Jefus-Chrift leur repro- chât , que jufques là ils n'avoient rien .de- mandé en fon nom : ces hommes , dès que l'Efprit de JefusChrift eft defcendu fur eux , & qu'il a pris poiTefTion de leur cœur, ils perféverent , dit faint Luc , dans la prière avec les Fidèles ; ils fe rendent af- iiduement au Temple aux différentes heu- res de la journée , pour y lever leurs mains pures au Ciel. Si la Sinagogue les perfécuîe , ils trouvent dans la prière la confolation la plus folide de leurs peines : il Ton Iqs enferme dans des prifons , ils font retentir ces lieux d'horreur , de can- tiques d'allégrelle &: d'aftions de grâces : fî Pierre , dans les liens & enlevé au trou- peau y leur fait craindre que le Payeur frappé 5 les brebis ne fe difperfent , ils ont recours tous enfemble à la prière; &: ce font , dit faint Luc , leurs fupplications ' ferventes & contiauelles , qi:i obtiennent Myjlcrcs. K
2iS Le Jour
de Dieu la délivrance de cet Apôtre. Eiî- £n 5 ces hommes fi charnels , fî diiîîpés , û ennemis du recueillement & de la con- trainte 5 deviennent tout d'un coup des hommes de prière, des hommes intérieurs, fpirituels , recueillis , dont la converfation eil'dans le Ciel ; &: qui font au milieu de Jérufalem , aufîi occupés de Jefus-Chrift , aufîi pleins de Tes merveilles & defes bien- faits , que s'ils étoient encore fur la mon- tagne de Gaiilée.
Voilà 5 mes Frères , le premier chan- gem.ent que l'Efprit de Dieu opère dans lîne am.e. Com_me il prend la place de Vef- prit du m.onde dans fon cœur ; qu'il change îés defirs y fes vues , fes inclinations , fes pepfëes ; qu'il lui rend , ou indifTérens , ou odieux 5 tous les objets qui l'environnent, fur lefqueîs auparavant elle trouvoit tant de plaifirs à fe répandre , & qu'il rappelle dans fon cœuï le Dieu de paix & de confola- tion 5 qui jrifques-là en avoit été banni ; il lui fait trouver tout fon bonheur & tout fcn plaifir en elle même : la plus douce occ'jpaîion de cette ame que l'Efprit de Dieu pouile & remplit , c'eft de fe rap- peller à elle-même. Comme c'eft au de- dans d'elre qu'elle trouva fon Dieu , elle n'en fort qu'à regret , pour ainfî dire ; elle y levient fans celFe au milieu mêm.e des difiipations Se des devoirs extérieurs , que la bienféance rend inévitables , & qui de- vroient ^ ce femible , l'en diftraire : elle fe fait au milieu même du tumulte & des en-
DE LA Pentecôte. 210
tretiens du fiecle , une folitude fecrette dans ion cœur, où elle s'entretient fans celle avec le Seigneur qui y fait fa demeure ; ou elle fe plaint à lui de la trifte néce/îité qm 1 engage encore en des occupations & des bienfeances mondaines ; où elle lui fait réparation par des retours continuels d'à- niour & de zele , de tous les outrages dont elle ed forcée d'être témoin : où elle en appelle à fa Loi & à fa vérité , de toutes les fauffes maximes qu'elle entend lans ceiie débiter parmi les liQmmes ; où enfin , elle vit & réiide bien plus que dans les difîipations extérieures où {on état l'engage , mais où (on cœur ne fe trouve pas.
Et voilà pourquoi S. Paul appelle l'hom- me Chrétien , l'homme fpirituel & inté- rieur ; &: l'homme mgndain & pécheur l'homme extérieur. C'eft-à-dire , que dès .qu'une ame a reçu l'Efprit de Dieu , & qu'elle en eft véritablement animée , toute fa vie ell prefque invifible & intérieure ; tout ce qu'elle fait , part de ce principe divin & inviiible qui la remplit. Les ac^ tions même les plus communes deviennent faintes par la Foi fecrette qui les purifie* qu'elle mange , qu'elle fe réjouiife , qu'elle pleure , qu'elle foit dans l'élévation ou dans l'obfcurité , dans l'abondance ou dans Ja mifere , dans la fauté ou dans la mala- die , elle trouve dans tous fes états , des lources de réflexions faintes. Tour ce qu^elle voit , elle ne le voit plus qu'a^/ec
K2
110 Le Jour
les yeux de la Foi. Les événemens & les viciflitudes du monde ; les révolations àes Etats & des Empires ; la décadence ou l'élévation des familles ; l'abondance ou le malheur 'des fiecles ; la licence ou le renouvellement des mœurs ; les chûtes des Juftes ou la converfîon des pécheurs ; î'affoiblilTement ou le règne de la vérité parmi les hommes ; la difFenfion ou la paix des Payeurs &: des Eglifes ; les difgraces ou la faveur des particuliers ; enfin , toutes ces révolutions éternelles , que la figure du monde offre fans celle à nos yeux , & qui ne réveillent dans les âmes mondaines, que les paillons du monde , & des penfées de chair &i de fang , font des inftruc- tions fecrettes & continuelles à une anie remplie & anim^ée de l'Efprit de Dieu. Tout la rappelle aux vérités de la Foi ; tout lui montre dans un nouveau jour , le néant des chofes humaines . & la grandeur des biens éternels : le monde entier n'eft plus qu'un livre ouvert , où elle découvre, fans celle les merveilles de Dieu , & l'a- veuglement prodigieux de prefque tous les hommes.
Ce n'eft pas que les objets des fens ne puiifent quelquefois la furprendre & la fé- duii e ; qu'elle ne fe laiiTe en certains mo- mens , emporter au torrent; que fa foi mclus attentive ne cède quelquefois à l'im- preHlon des préjugés & des maximes hu- maines ; & que les diffipations du monde ne Ferriporteiit fouvent hors d'elle-même ,
DE LA Pentecôte. m & ne lui faflent perdre de vue la préfence du Dieu qu'elle porte dans fon cœur. Mais ce ne font là que des furprifes & des ab- fences d'un moment , pour ainfi dire : aver- tie d'abord de fon égarement par les repro- ches fecrets de TEfprit de Dieu qui habite en elle , elle recueille aufli-tôt fon cœur éga- ré ; elle rentre dans fon ame , d'où le monde i'avoit Qpmme tirée ; elle revient dans ce fan(B:uaire domeltique , y faire réparation à fon Dieu de ce moment d'abfence & de diiUpation , par des gémilfemens fecrets , & par des aveux touchans & finceres; que plus elle fe répand au dehors , plus elle trouve que le monde n'eft qu'un grand vuide; & qu'un cœur où Dieu habite , eft la fource des vrais plaifirs.
Voilà cet efprit de Foi , de recueille- ment S: de prière , qui zc'J5 rend îchîui- gnage que nous avons reçu l' efprit de Dieu , & qu'il habite en nous : voilà cette vie in- térieure 6c fpirituelle qui diftingue les Juf- tes des mondains , & qui eft le caractère le plus effentiel de la piété chrétienne.
Aufîi les Juftes, dans les Livres faints , font ceux qui vivent de la Foi ; dont /la converfation eft dans le Ciel ; qui n'ont de goût que pour les chofes d en haut ; qui lifent de ce monde comme s'ils n'en uibient pas ; qui le regardent comme une figure qui paffe ; qui n'arrêtent pas leurs yeux fur les chofes viiîbles , mais qui attendent les invifibles comme s'ils les voyoient déjà : qui ne jugent pas de tout ce que les hom-
K S
222 Le Jour
mes eftiment fur ce qui paroît , mais fut la vérité qui ne paroît pas ; qui font étran- gers & voyageurs fur la terre ; qui font citoyens du.fiecle à venir ; qui rapportent tout à cette Patrie éternelle vers laquelle ils marchent fans ce/Te ; & ne comptent pour rien tout ce qui paiîe , & ne doit pas demeurer toujours.
En effet , dès que l'Efprit de Dieu eft devenu Fefprit dominant qui nous conduit & qui nous anime , il doit régler nos defîrs , réform.er nos jugemens , renouveller nos afFeâ:ions , fpiritualifer nos vues , nous ren- dre à nous mêmes : nous ne devons plus voir que par les yeux de l'Efprit ; agir que par rimpre/Tion de cet Efprit ; ne plus de- iîrer que les biens fpirituels : enfin , toute notre vie doit être fpirituelle , & comme ia vie de Dieu en nous. Car un cccîâvre animé par un efprit étranger, n'a de mou- vement que par lui ; point d'impreffions que les fiennes ; point de penfées que cel- les que Fefprit qui Thabite , forme en lui : il n eitpius à lui , pour ainfi dire ; il efl à refprit qui le remplit & qui le pofTede.
C'eft à nous maintenant , mes Frères , à nous juger fur cettte règle. Trouvons- nous en nous-mêmes ce premier caraâ:ere de l'Efprit de Dieu ? Exaniinons ce qui domi- ne dans nos jugemens, dans nos defîrs, dans nos affetftions , dans nos vues , dans nos projets , dans nos efpérances , dans nos joies , &: dans nos chagrins : enfin , dans tout le détail de notre vie. Je ne demande
DE LA Pentecôte. 223 pas fi refprit du monde nous féduit quel- quefois. Hélas ! où ell: l'ame fîdele , qili au milieu des périls dont nous fommes en- vironnés , ne fe laiffe fouvent furprendre par fes illufions & par {es artifices ? Pvlais je demande , ii c'eft FEfprit de Dieu , ou Telpritdu monde , qui nous pollede & qui domine en nous.
Et quand je dis que je le demande , ce n'eft pas que je l'ignore ; ce n'efl que pour vous obliger à vous le demander à vous- même : car d'ailleurs , les règles de la Foi ne me permettent pas de douter que la vie de la plupart des perfonnes qui m'écoutent , de celles mêmes qui vivent dans la pro- fefTion extérieure de U ^«3^3 ^ -3 f^j^ ^^^ vie toute pleine de l'efprit du monde , & parconféquent, vuide de l'Efprit de Dieu , indigne du falut & des promefiés éter- nelles.
Premièrement 5 parce que c'eft une vie toute extérieure , qui fe paffe toute hors de notre cœur , &: par conféquent, loin de Dieu. Les bienféances nous amufent , les devoirs nous occupent , les plailirs nous diflipent , les affaires nous inquiètent , l'inu- tilité nous lafTe , rien de tout cela ne nous rappelle à nous-mêmes & à notre cœur. Les œuvres mêmes de la piété ne fauroient fixer la dilîipation de notre ame : notre cœur eft au monde , tandis que nous confa- crons notre corps à des exercices pieux : notre efprit erre fur mille vains objets, tan- dis que notre bouche s'ouvre pour réciter
K4
224 Le Jour
de faints cantiques : notre imagination cft pleine dephantômes dangereux , tandis que îîous voulons y retracer le fouvenir des •myfteres du falut : enfin , dans des mœurs ré- glées au dehors , & louables aux yeux des hommes , nous fommes toujours pourtant étrangers à nous-mêmes : nous nous fuyons nous-mêmes ; nous cherchons les amufe- mens qui nous difîipent : nous craignons de nous retrouver avec nous-mêmes ; marque infaillible que Dieu n'y habite pas. Car fi Dieu habitoiî en nous 5 nous nous plairions avec nous-mêmes ; nous ne craindrions pas notre cœur , ou nous trouverions notre tré- for & le Dieu de toute notre confolation : hôus siîrions de iapciûC r.zême à nous quit- ter 5 parce que nous ne trouverions rietî au dehors qui pût remplacer la préfence du Dieu dont nous nous éloignons^ Mais comime en revenant à nous , nous n y trou- vons que nous-mêmes ; c'eft à-dire , un cœur vuide de vrais plaifirs & de biens folides , plein de pafiions , de defirs & d'in- quiétudes , nous ne pouvons durer avec nous mêmes ; & de-là nous juftifions les inutilités & les plaifirs qui nous aident à nous oublier ; nous foutenons qu'ils font innocens , parce que nous en banifibns tout ce qui peut aller au crime ^ mais nous ne voyons pas que nous en retenons tout ce qui dilTipe &: emipêche le recueillement , & que c'eft là notre grand crime.
Secondement , je dis que notre vis eit une vie pleine de l'eiprit du monde , &
DE LA Pentecôte. 215
vuide de l'Efprit de Dieu ; non-feulement parce que notre vie n'eft pas intérieure & recueillie , mais encore parce que c'efl l'e^ prit du monde qui en forme les defirs , qui en conduit les afFecTtions , qui en règle les jugemens , qui en produit fes vues , qui en anime toutes les démarches, ^ur toutes les chofes qui nous environnent , fur tous les événemens qui nous frappent-, fur tous les objets qui nous intéreffent, nous pen- fons comme le monde; nous jugeons com- me le monde ; nous fentons comme le mon- de ; nous agiiFons comme le monde. Les affligions nous rebutent , les profpérités nous élèvent , les mépris nous révoltent , les honneurs nous flattent. Ceux qui réuC- fîflent dans le monde , nous les appelions heureux; ceux qui échouent , nous paroif- fent dignes d'être plaints. Nous envions la fortune ou la faveur de nos fupérieurs ; nous fouffrons impatiemment celle de nos égaux ; nous regardons avec mépris la condition de ceux que la nature nous afTu- jettit. Les talens que le monde admire , nous les admirons dans les autres ; nous nous les fouhaitons à nous-mêmes : la va- leur 5 la réputation , la naiïïance , les agré- mens du corps & de l'efprit , nous le* en- vions 5 s'ils nous mancfuent : nous nous en applaudifTons , fi nous les avons: enfin 5 nos vues 5 nos jugemens , nos maximes j nos defirs , nos eipérances font toutes m.ondaî- nes. Il fe peut faire que nous parlions du nioade avec m.épris ) mais dans le détail de
K5
zi6' Le Jour
la conduite , nos vues , nos jugemens, nos Effeâions font toujours mondaines. Il fo peut faire même que nous y mêlions quel- ques fentim.ens chrétiens ; qu'en certaines occafions nous ayons des vues conformes à celles de la Foi ; que fur certains événe- mens , nos difpofitions foient chrétiennes & fpirituelles : mais ce ne font là que des étincelles de Foi , pour ainfî dire , qui nous échappent ; que des intervalles de grâce qui n'interrompant que pour un inftant le cours de nos difpofitions mondaines. Ce qui domine dans la conduite , ce qui fait Gom.me le corps de toute notre vie , ce que nous fommes, même indépendamment de nos réflexions , & lorfque nous agilfons Baturellement ; en un mot , le principe conllanî & comme univerfel de tous nos fentimens intérieurs èi de toutes nos de- marches extérieures , c'eft l'efprit du mon- de : nous n'avons qu'à fonder notre cœur pour en convenir. Or , l'Efprit de Dieu ïî'eft point où règne l'efprit du monde : il Kous pou ITe peut-être , il nous excite , il nous, infpire de faints defîrs , il reveille notre peu de foi ; m.ais il ne règne pas dans notre CŒur ; il heurte à la porte ; mais rous ne l'avons pas encore reçu : il laiffe tomiber fur notre am^e quelques étincelles cle fcn feu divin ; mais il n'y eft pas encore t'enu lui-raêrre.
Nous appartenons donc encore au mon- . de & à fon efprit. Sous des dehors reli- gieux ôc réglés 5 notre cœur eH donC/ eji-
DE LA Pentecôte. 127 core mondain ; avec des apparences de vie , nous demeurons donc encore dans la mort & dans le péché : voilà fur quoi on ne s'examine guère. On juge de foi par la' conduite extérieure qui eii irréprochable, par certaines œuvres de Religion aufquel- les le monde attache le nom &: la réputa- tion de la piété ; mais on ne s'avife guère de fe demander à foi-même : Eft-ce Felprit du monde , ou l'Efprit de Jefus-Chrift , qui me conduit & qui m'anime? reiTcmblai- je encore au monde par mes defirs , par mes vues 5 par mes jugemens , parmes joies , pat mes chagrins , par mes envies , par mes ani- mofîtés 5 par mes délicateiies , par mon or- gueil ; enfin , par toutes les difpolitions de mon cœur ? Je n'appartiens donc pas à l'Efprit de Jcfus-Chrift ; le monde eil: donc encore l'Efprit invifible , qui m/anime & qui me poiTede. Si mon cœur ne change ck ne fe renouvelle , je périrai doue avec le mon- de ; puifqu'il eft déjà jugé , que le falut n'eft pas pour lui , & que fa condamnation eil iaféparable de la m.ienne ^ tandis que nous« ne formerons qu'un m.ême efprir & ua même tout avec lui. Première Réflexion,,
E fécond caraétere de FEprit de Dieu , j^vZ;, c'ed qu'il eft un efprit de renoncement & de pénitence ; & ce cara£lere eft une faite, néceftaire du recueillement , & de la vie; intérieure dont nous venons de parier.
En effet , mes Frères , dès que l'Efprit de Dieu nous rappelle à nous-mém.es ♦•&
2.28 L E J O U R
. qu'il nous fait habiter dans notre cœur , il nous découvre nous-mêmes à nou&-^îéx»€s. Il nous montre toute l'horreur de nos mœurs paiTées ; il nous fait appercevoir en Kous mille paflions & mille miferes , que la dilTipation & l'aveuglement de la vie mondaine nous avoient cachées ; il nous développe toute la corruption de nos pen* chans , toute l'enflure de notre cœur , toute î'oppofition que nous portons en nous au bien &: à la juftice , toutes les plaies que le monde & les paflions ont faites à notre ame ; 11 nous convaint que nous fom^mes dans un défordre univerfel , par rapport aux biens véritables; que notre volonté, notre efprit , notre imagination , nosfens, notre corps , que tout eft déréglé en nous , & révolté contre l'ordre , la vérité & îa îoan P^^^^ • -^•''g"^^ mundum de peccaîo , dit 8.46,* Jefus-Chrlft.
Or 5 il eftimpofTible qu'en nous décou- vrant ce dérèglement fecret &: univerfel de toutes les facultés de notre am;e, il n'opère en nous deux difpofitions : la première , de rétablir l'ordre que le péché a troublé en nous ; la féconde , de venger la juftice de Dieu que ce défordre a outragée.
Je dis premièrement 5 de rétablir l'ordre que le péché a troublé en nous : car les lumières dont l'Efpriî de Dieu remplit un cœur 5 ne font pas des lumières ftériles ; ce font des lumières vives & efficaces ; il operQ par- tout où il eft ; il fait aimer les vé- Jtikés qu'il enfeigue , parce qu'il change le
DE LA Pentecôte. 119 cœur qu'il éclaire. Les aines mondaines peuvent à la vérité connoître le dérègle- ment de leur cœur , 5c la corruption de leurs penchans ; mais elles ne laconnoifTent que par rapport à leur repos qui en foufFre , & non pas à l'ordre qui en eft troublé ; & comme ces lumières ne font que des re- proches fecrets de leur amour propre , elles leur font bien haïr leurs maux ; mais elles ne leur en font pas aimer le remède.
Mais une ame que TEfprit de Dieu a renouvellée , hait en elle tout ce qu'elle y découvre d'oppofé à la vérité & à la jufti- ce. Les lumières nouvelles qui lui mon- trent prefque fur chaque aftion le dérègle- ment de fes affections & de (es penchans, l'animent du faint zeîe , pour les rapp>ro- cher de l'ordre & de la règle.
Ainfi , à mefure qu'elle fenî dans le dé- tail de fa conduite , que fon cœur encore corrompu par l'orgueil , fe révolte contre la plus légère humiliation , elle les cherche & lui en ménage ; qu'il fe livre à des anti- pathies & à des animofités fecrettes, elle le punit par des marques extérieures de complaifance & de charité ,aufquelles elle fe condamine ; qu'il a un goût violent pour les diffipations &: po^ur les pîaifirs , elle le châtie par le recueillement & par la retrai- te ; qu'il conferve encore des attachemeas vils & frivoles , pour la parure & pour la vanité , elle le réduit par la fimplicité & par la modeftie ; que les defirs de plaire infec- ter tprefque encore toutes fes aâions , elle
230 L E J O U R
en fuit les occafions , ou elle en néglige les moyens ; que certains devoirs le trouvent toujours indocile & rebelle , elle y ajoute même des œuvres de furcroh , afin qu'en l'obligeant d'aller môme au delà , elfe lui rende la règle plus fupportable.
Enfin , toute fon a^ention eil de réta- blir dans fon cœur , par des violences con- tinuelles 5 l'ordre que des paflions injuftes y avoient troublé ; elle ne fe pardonne rien ; ce qu'elle ne peut encore corriger , elle le détefte ; elle a recours aux gémifle- mens , quand le foins & les efforts font inutiles ; & elle fouffre plus des miferes qu'elle ne peut encore guérir , que des violences qu'elle fe fait pour fe délivrer de celles dont la grâce la purifie.
Voilà la première difpofition de cet ef- prit de renoncemicnt & de pénitence , que l'Efprit de Dieu opère en nous ; 8^ de-îà ^ il eil aifé de juger fi nous l'avons reçu y ou fi nous vivons encore de 1 efprit du monde.
Car refprit du monde efl un efi^rit de pareiTe & d'immortincation ; un efprit d'in- dulgence pour tous nos penchans déré- glés ; d'attention à les fatisfaire , d'habi- leté à les juftifier 5 d'amour propre qui les règle & le^ retient fur les tranfgreiTions efiéntielles , pour s'en épargner les rem.ords, mais qui fur tout le relie s'y livre & s'y laifTe entraîner. Car il ne faut pas croire que reprit du monde nous porte toujours aux défordres grofiîers & déclarés 3 c'-€iî
DE LA Pentecôte. 231
un efprit artificieux qui , comme l'Efprit de Dieu , fait prendre différentes formes : Multiformis fpiritus : ce qu'il cherche , c'eft de corrompre le cœur & de le déré- gler ; pourvu qu'il y réufTifTe , il lui eft égal que ce foit par des paffions grofTieres , ou par une multitude de penchans mondains , qui quoique féparément peut-être , & cotir fidérés chacun en foi , ne foient pas cri- minels , tous enfemble néanmoins , & fub- fiftant habituellement dans le cœur , en font un cœur mondain , & y forment un état de mort & de péché , qui nous fépare de Dieu &: nous prive de fon Efprit , com- me la vie la plus criminelle.
Ainfi j'appelle un cœur mondain & vui- de de l'Efprit de Dieu , dans une vie mê- me d'ailleurs réglée , un cœur immiortifié^ ennemi de la violence , & qui fur tout ce qui regarde fes defirs , ou indifférens , ou légèrement mauvais , ne cherche qu'à fe fatisfaire , & ne fauroit rien prendre fur lui-même : un cœur qui ne veut s'interdire que ce qui l'éloigné vifiblement de Dieu y & qui encore fur les devoirs efTentiels , pouiîe la parelTe & l'indulgence pour ks pafTions , jufqu'aux dernières .bornes qui rapprochent du crime & de la tranfgreiHon, fi même elles ne forment pas la tranfgreiiion aux yeux de Dieu : un cœur qui fe livre à fes animofités & à fes antipathies , pourvu qu'elles n'aillent pas jufqu'à une haine ame- re 8c furieufe ; à fes impatiences & à fon luin^eur, pourvu qu'il ne les parte pas juf-
4
17,1 L E JO U R
qu'à l'éclat & au fcandale ; aux difTipations & aux plaifîrs , pourvu qu'on en bannifle les excès & le crime ; aux defîrs de plai- re , pourvu qu'ils n'aient pas de fuite mar- quée & criminelle ; à l'amour de l'éléva- tion & de la fortune , pourvu qu'on n'y emploie pas des mefures , ou odieufes , ou injufles ; à la recherche des aifes & des commodités , pourvu qu'on n'y miêle pas des voluptés coupables ; à la vanité & à la magnificence, pourvu que le monde lui- même n'en foit pas blefTé , & qu'on y ajoute quelques largefTes faintes ; enfin , à tous les adouciiîemens poÏÏibles fur les de- voirs 5 pourvu qu'on paroifTe fauver les devoirs eux-mêmes.
Voilà ce que j'appelle un cœur mon- dain 5 &: oii l'Efprit de Dieu n'habite pas , j3arce que tous les penchans du monde y îubfiftent ; au lieu que FEfprit de Dieu fait en nous , dit l'Apôtre , des divifîons & des réparations douîoureufes ; retranche , cou- pe jufqu'au vif , va jufques dans les plus fe- crets penchans de notre cœur féparer la chair de Tefprit , les affeclic-ns humaines des mouvemens de la Foi l'artifice des psîlîons, des opérations de la grâce: Vi- Hehr* y^^ (^ efficax , pertingens ufque ad divifio • ^^ncrn anima: ac fpirhus.
Or , eft-ce là l'efprit que nous avons reçu ? Notre vie efl préfentement exemip- te de grands- crimes ; mais quelle violence faifons-nousà tous nos penchans? que nous ep €Oute-t-iI pour oous combattre à tous
DE LA Pentecôte. 2^^
momens , & pour nous vaincre? que re- fufons nous à notre cœur &: à nos defirs ? qu'avançons-nous par Tufage de la piété dont nous faifons profeflion , fur nos^ incli- nations mondaines & déréglées ? où pla- çons nous les facrifices & les violences dans ^ le détail de notre vie ? Le monde nous en ménage; la fituation de notre fortune nous en fait naître ; la malice des hommes nous en fournit des occafions : où font celles que nous nous ménageons à nous-mêmes i où font celles que la Foi nous rend néceflaires , & où rÊfprit de Dieu nous pouiTe ? que fouffrons-nous pour être à Dieu ? qu'en coûte-t'il à nos palTions , à nos commo- dités , à notre pareffe ? La régularité de nos hiCÊurs eftpeut-étre une fuite du tempé- rament , ou une bienféance que l'âge & le monde lui-même nous impofe ; nous n'a- vons eu rien à prendre fur nous pour en venir là : ainfi , ne refufant rien d'ailleurs à toutes nos inclinations , toute notre vie eft une vie d'immortifîcation & de pareffe ; nulle violence , nul renoncement , nul fa- crifîce de nos aiTe6lions mondaines ; & par conféquent nous appartenons encore au monde , &: rEfprit de Dieu n*eft point en nous.
La féconde difpofition de cet efprit de renoncement & de pénitence , qui eft le cara(9:ere de l'Efprit de Dieu , eft de ven- ger la juflice de Dieu , que le défordre de nos pallions a outragée : c'eft- à-dire , que ce qui aous rend la violence indifpenfable,
46
2M L E J O U R
ii'eftpas feulement le befoin que nous avons de régler & de réformer notre cœur, en réprimant fes aifecTtions déréglées ; mais encore l'obligation où nous femmes de fa- tisfaire à la juftice de Dieu que nous avons irritée par le dérèglement de nos affec- tions. AuHi eft-ce le premier fentiment que l'Efprit de Dieu opère dans une am.e re- nouvellée : il la fait entrer dans les inté- rêts de la juftice divine contre elle-même ; il la pénètre de la crainte de fes jugemens ; il l'anime d'un faint zèle contre une chair qui a fervi à l'iniquité. L'efprit que je vous promets, difoit Jefus-Chriil à fes Difci- Joan,d, î^les , Convaincra le monde touchant la juf- tice & touchant le jugement : Arguct mun- i^uffi ae jujntia & judiclo ; c'elt» a- aire , il fera connoître aux hommes combien ils font devenus redevables à la juftice de Dieu par leurs égaremens ; ce qu'ils doi- vent fouffrir pour la fatisfaire ; ce que j'ai fouffert moi-même pour les réconcilier avec_ elle , & jufqu'où la juftice demande qne Je pécheur fe punilîe iui-même , pour expier fes crimes , & pour prévenir la fé- vérité des Jugemens du Seigneur qui ne peut les laiifer impunis : Argua mundiirn de jujlitia & judicio.
Pour connoître donc fî nous avons reçu l'Efprit de Dieu , il ny. a qu'à rentrer dans notre cœur. Sentons-nous ce zèle de pé- nitence 5 que les larmes , que les gémiife rnens , que les violences ne faiiroient fa- tisfaire 5 parce qu'il ne croit jamais Ini-mêv
DE LA Pentecôte. 235 me avoir afTez fatisfait à la juftice de Dieu ? Faifoiis nous des devoirs de notre état , des incommodités inféparables de la vie humai- ne 5 de toutes les créatures qui nous envi- ronnent, autant d'occafîons de facrifices & de fouffrance ? Nous plaignons-nous de- vant Dieu de la foibkffe de notre chair , &: de ne pouvoir en faire par des fatisfaftions rigoureufes , rinftriiment de notre péni- tence , comme elle l'a été de nos crimes ? La punillons nous du moins félon fes for- ces , fi notre lâcheté & fafoibleffe ne nous permettent pas daller au-delà ? Nous re- gardons-nous comme àes crim.ineîs à qui tous les plaifirs font interdits , & qui ne peuvent éviter la morféteinelle qu'ils ont encourue par leurs crirnes , qî}'^i) fe COIX- fiîlî'rin^nt i une mort temporelle j c'ell-à- dire , en mourant tous les jours par la pé- nitence au monde , à leur chijir , à fes de- firs & à toutes les créatures ?
Kéîas ! tous nos foins fe bornent à flatter une chair que la juftice de Picil ne regarde plus qu'avec horreur , & d'un œil d'indi- gnation & de colère: nous ne fomnies ingé- ^nieux qu'à nous juftifier à nous-mêmes no» tre immortification &: notre molleiTe : nous regardons l'obligation de la pénitence , que nos crimes paiTésnous rendent fi néceffaire & fi effentielle , comme une obligation in- différente & de furcroît. Loin d'être ani- més d'un faint zèle contre notre corps , nous avons horreur de tout ce qui le gêne & le mortifie ; loin d'entrer dans les iuté-
1^6 Le Jour
rets de la juftice de Dieu , nous plaidons fans cefTe pour nous contre elle-même. Nous trouvons mauvais qu'elle exige tant de notre 'foiblefTe ; nous foutenons qu'on poufTe trop loin la /evérité de {es préten- tions ; nous adoucifîbns la rigueur de {qs maximes ; nous leur donnons des interpré- tations favorables à notre amour propre ; nous diminuons fes droits pour augmenter ceux de notre cupidité ; enfin , notre corps nous eft plus cher que la juftice de Dieu qui demande fa punition ; & l'efprit qui nous anime , n'eft pas un efprit de zèle & de pénitence , infcparable de l'Efprit de Dieu ; c'eft un efprit de chair & de fang , qui ne pofTédera famais le Royaume pro- mis à la croix &. à la violence.
Refl. -tl/Nfin 5 le dernier cara<B:ere de rEfprit de Dieu , c'eft d être un Efprit de force & de courage. Comme c'eft un Efprit qui a vaincu le monde , qui a renverfé les Ido- les , anéanti les fuperftitions , confondu les préjugés 5 condamné les erreurs & les fentes , combattu les payions ; en un mot y comme c'eft un Efprit plus fort que le mon- de 5 il ne craint pas le monde. AufTi les Apôtres , auparavant foibles & timides ; eux que la voix d'une femme avoit intimi- dés ; eux que ia mort de Jefus-Chrift avoit difperfés ; & qui cachés dans Jérufalem , n'ofoienî s'expofer à la fureur des Juifs , & rendre témoignage à l'innocence de leur Maître , &: à la vérité de fa doSrine : dès
DE LA Pentecôte. 2.37 que rEfprit de Dieu eft defcendu fur eux, ils ne connoiffent plus ces timides ménage- mens; ils paroifTent avec une fainte fierté au milieu de Jérufalem ; ils annoncent devant les Prêtres & les Dodleurs, ce Jefus dont ils n'ofoient auparavant fe déclarer lesDif- cipîes. Non feulement ils ne craignent plus les difcours publics ; mais ils méprifent les menaces ; ils bravent les fupplices ; ils ré* pondent hardiment qu'il eft plus jufte d'o- béir à Dieu qu'aux hommes ; & com.me fi la Judée n'avoit pas offert allez de périls & afiez de pcrfécutions à leur courage, ils fe répandentdanstout l'univers ; & la férocité des peuples les plus barbares , 8c l'horreur des tourmiens , & la cruauté des tyrans , & l'attente de la mort la plus affreufe ; & le monde entier révolté contr'eux , ne fait qu'augmenter leur fermeté & leur conf- tance.
Telle eft une ame pleine de TEfprit de Dieu. Cet efpritqui humilie ou qui élevé à fon gré les perfonnes ; qui fe joue des Grands & des PnifTans ; quirenverfe ou qui affermit les noms & les fortunes ; qui for- me ou qui détruit les Royaumes & les Em- pires ; cet efprit , fource de toute grandeur dans le ciel & fur la terre 5 & devant lequel tout eft néant , élevé une ame qu'il remplit, 7ai-deffus d'elle-même : il la fait participer à fa grandeur & à fa fouveraineté ; il im- prim.e en elle fescaraâ:eres divins de liberté ^v d'indépendance : il va la placer jufques dans le fein de Dieu 5 d'où cette ame jet-
238 Le Jour
tant les j'^eux fur cet univers , les grandeurs & les puifîauces de la terre ne lui parollFent plus qu'un vain atome incapable de Tinti- mider , & indigne même de ks regards ôc de (es attentions.
Rien n'approche donc de l'élévation , de la noblelFe , de la fermeté d'une ame que l'Efprit de Dieu polFede. L'élévation t^ la fermeté que le monde donne , eil toujours mêlée de ménagement & de bairefîe , par- ce qu^elle ell toujours foumife au monde, & par quelque endroit dépendante de lui : au- tant que nous tenons au monde, nous crai- gnons le monde. Mais une ame jufte ne le craint plus, parce qu'elle n'y tient plus : ùs jugem.ens lui font indilTérens ; fes difcôurs & fes déridons ne Tébranlent pas plus que. le fon d'une cymbale retentiifante : elle fait gloire de la vertu devant ceux mêmes qui la méprifent : elle ne défère qu'à la vérité ; elle ne ménage que la charité ; elle n'a point de ces timides complaifances dont la piété fouffre ; & qui loin d'édifier les pécheurs qui les exigent de nous , les confirment dans leurs erreurs injuftes. Voyez aujour- d'hui les Difciples ; on traite leur zeie d'i- vreife , & leur zèle ne fait que s'enflam- mer ; on les prend pour des infenfés , & Finjuftice des difcôurs publics ne fert qu'à les confirmer dans leur fainte folie; on les regarde comme des féduâieurs , & ils ne font rien pour mettre le monde de leur cô- té , que ce qu'ils ont fait pour le révolter contr'eux ; c'eft-à-dire , le condamner , l'édifier &: le reprendre.
DE LA Pentecôte. 239 L^efprit du monde eft un efprit de fou- pleffe & de ménagement. Comme l'a- mour propre en cil le principe , il ne cher* che la vérité , qu'autant que la vérité lui peut plaire ; il ne fe déclare pour la piété , qu'autant que la piété trouve des paniians favorables j il ne le fait honneur de la ver- tu 5 que dans les lieux où la vertu Thonore, Et voilà l'efprit qui nous régit , & qui nous gouverne ; un efprit de timidité & de com- plaifance : on craint d'être à Dieu , & dans toutes les occafions où il s'agit de jfe dé- clarer pour lui 5 on mollit & on fe mé- nage ; & des qu'il faut s'expofer pour fa gloire à la déri{îon& à la cenfure des hom- miCs 5 on recule , & on fe fait de fa lâcheté une faufle prudence ; & dès qu'il eft quef- tion de déplaire pour ne pas manquer au de- voir , on en croit la tranfgrefTion légitime ; & la première chofe qu'on examine dans les dém.arches que Dieu dem^ande de nous , c'eft fi le monde y donnera fon fuffrage; 6c pour ne pas perdre l'eftime du monde, on paroît encoîe mondain ; on parie fon lan- gage , on applaudit à {es maximes , on s'aiTujettit à fes ufages ; ^ pour éviter mê- me d'être ennuyeux , on entre dans fes plaifirs , on eft de fes difîipations 5 on par- ticipe peut-être à fes crimes.
Nous n'avons qu'à nous juger de bonne foi , pour convenir que c'eft là notre ca- radlere. Toute notre vie n'eft qu'une fuite de ménagemens & de complaifances , que la Loi de Dieu réprouve : par-tout nous fa*
Z40 I- E Jour
crifions les lumières de notre confcîence aux erreurs & aux préjugés de ceux avec qui nous vivons. Nous connoifTons la vé- rité , & cependant nous la retenons dans l'injuftice ; nous applaudifTons aux maxi- mes qui la combattent ; nous n'ofons réfîfter à ceux qui la condamnent ; nous donnons tous les jours à la flatterie & au defir de ne pas déplaire , mille chofes que notre conf- cience nous reproche , & d où notre goût même nous éloigne : en un mot , no^is ne vivons pas pour nous-mêmes & pour la vérité ; nous vivons pour les autres & pour la vanité : nous voulons plaire ; nous ne pouvons nous pafTer du monde ; nous te* nous à lui par des vues de gloire , de for- tune , d'etablilTement , de crédit , de répu- tation 5 d'amufement , mêm,e d'amitié & de fociété ; & de-là vient que dès que la vérité eft en concurrence avec quelqu'une de ces pafTions , & qu'il faut leur donner atteinte en fe déclarant pour elle , nous l'a- bandonnons ; nous nous ménageons , nous dilTimulons , nous nous faifons de faufles maximes pour juftifier nos tem.péramens injufles ; nous nous perfuadons que la vie du monde, oùnousfommes engagés , nous les rend inévitables. Ainfi toute notre vie fe pafTe à déférer aux autres , à nous ac- commoder à leurs pallions , à fuivre leurs exemples , à confentir à leurs maximes : nulle fermette , nulle réfiftance , nul cou- rage ; tout nous ébranle , tout nous en- traîne j la complaifance eft le grand reiîbrt
de
DE LA Pentecôte. 141 cîe toute notre conduite , & n'ayant peut- être point de vices à nous 5 nous devenons coupables de ceux de tous les autres j àC nous ne pratiquons aucune vertu.
Cependant comme nous confervons dans le cœur un relie d'amour pour la vérité j que nous ne nous livrons au monde qu'à re- gret j que nous en évitons les égaremens y que nous nous diftinguons de lui par les ac- tions extérieures de la piété , nous croyons ne pas lui appartenir comme cqs âmes mon- daines qui en font enivrées ; mais nous nous trompons ; il eil sûr du moins que nous n'appartenons pas à TEfprit de Dieu ; que ce n'eft pas lui qui nous conduit & qui nous poflede. Car cet efprlt divin eft un Eiprit de force , de fermeté , de courage : il ne craint pas le nîonde j parce qu'il mé- prife le monde : il ne veut pas plaire au monde .5 parce qu'il eft crucifié au monde : il ne recherche pas les fuifrages du monde ^ parce qu'il jugç les jugemens du monde : il ne ménage pas l'amitié du monde , parce qu'il eft ennemi du monde : il ne fe laift*e pas ébranler par les exemples du monde , parce qu'il a vaincu le monde. Le cara(fbere le plus oppofé à i'Efprit de Dieu , c'eft ce caradiere de la lâcheté & de la complaifaii* ce ; & la marque la plus sûre que Dieu n'eft pas dans un cœur, & qu'on eft encore au monde , c'eft lorfqu'on le craint plus que la vérité , qu'on le ménage aux dépens de la vérité , qu'on veut lui plaire malgré la véri- té 5 & qu'on lui facrlÊe fans celle la vérité* MyJUrcs. JL
242- Le Jour de la Pentecôte.
Grand Dieu ! répandez aujourd'hui dans nos cœurs ce triple efprit de recueille- ment , de renoncement , de fermeté , qui répandu autrefois fur vos Difciples , en fit des hommes nouveaux , les vainqueurs du monde, & les témoins delà vérité : anéan- tiiîez en nous cet efprit du monde , cet ef- prit de difTipation , d'imm.ortification , de complaifance & de lâcheté y qui ferme de- puis fi long-temps dans nos cœurs l'entrée â votre Efprit divin : renouveliez en ce jour aoos defirs , nos affeâiions , nos fentimens , nos penfées. Venez , Efprit de vérité j dans nos cœurs , prendre la place du monde miférable qui nous déplaît , & auquel nous n'avons pas la force d'ofer déplaire ; Se «près avoir établi ici-bas en nous votre demeure j faites que nous devenions les temples éternels de votre gloire & de votre vérité.
Ainji foit'iU
î4î
^>
-=Sîa:
%
A :x;:;<:::-::>:^>:>:>:::
l:/!''^^.
XijrJ'
•SE
SERMON
POUR LA FETE DE L'ASS OMPTIO Jf
DE LA Ste. vierge.
Sur les confoladons & la doire de la mort de la fainte yiergc.
tndica mihî i quem diligit anima mea , ubi pafcas i ubi cubes in meridié.
O vous qui êtes le -bien- aimé de mon ame t inontrei-mQi-oÎL e/î le lieu de votre repos é de vos pâturages éternels. Cant. i. 6,
TE L eft le langage de lame fîdele fur la terre. Eloignée de {on époux , que les nuages de la mortalité lui dérobent en- core ; ne trouvant rien ici-bas qui puiile confoler fon amour de cet éloigaement ^ que l'efperance de le voir bientôt finir; foupirant fans ceffe iiprès cet heureux mo«»
L 2
244 L'Assomption
ment , qui doit lui ouvrir les Cieux , ^ lui montrer TEpoux immortel qu'elle aime; &: faifant de la durée & des amertumes de fon exil , l'exercice de fon amour , & tout le mérite de fa foi & de fa patience : O vous , s'écrie- 1- elle fans cefTe , qui êtcsk hUn-aimé de mon cœur , montrez-moi ou ejl le lieu de votre repos , & de vos pâturages éternels. Maiscom^me les illufîons des fens mêlent toujours à la foi des âmes les plus pures mille attachemens inévitables > qui parta- gent ici-bas leur amour ; qui rallentiffent -en elles le defir des biens éternels , & qui font 5 félon TApôtre ^ qu'elles voudroient bien à la vérité être revêtues de l'immorta- lité 5 mais fans être dépouillées de lamor- n Cor, talité qu'elles aiment encore : Nulumiis *• ^* cxfpoliari ^fedfupervefliri : on peut dire que cette difpofition de détachement univerfel de la vie &: de toutes les créatures ^ cette trifteife fùif la longueur de cet exil , cette joie & ce tréifaillement à la vue de la mort, ^ de l'heureufe délivrance j n'a été parfai- te que dans Marie ; & qu'elle feule , en ce jour confacré pari'Eglife à fa fortie de la terre , & à fon exaltation dans le Ciel , a droit 5 comme la véritable époufe , de te- nir ce langage d'amour : O vous qui êtes le hien-aimé de mon cœur ^montrei-moi où efllc lieu de votre repos & de vos pâturages eter^ nels.
En effet , les amertumes & les abaifîe- nens de fa vie mortelle trouvent aujour- iJ'hui dans fa mort , & dans {on heureufe
DE LA Sainte Vierge. 2^45 AfTomption, leurconfolation & leur gloire. A lexemple de fon cher Fils , la terre avoit été pour elle un lieu d'opprobres & de fouf- frances. Fille de douleur ; dégradée de tous fes titres ; inconnue dans tous Tes dons; confondue avec les autres mères de Juda , il étoit jufte enfin que la gloire de fon Fils fût réparée en fa perfonne ; & que toujours femblable à lui ^ les merveilles de fa mort corrigeaflént lobfcurité de fa vie.
Ce font donc les confolations 8c la gloir« de la mort de Marie , que nous allons dé- velopper aujourd'hui , &: qui renferment tout le Myftere que l'Eglife propofe à la piété des Fidèles. Les confolations de fa mort , qui compenfent les amertumes inté- rieures dont fon ame fainte avoit toujours été affligée durant fa vie ; la gloire de fa mort , qui répare les humiliations qui Ta- voient toujours accompagnée fur la terre : voilà tout le fujet de ce Difcours. Nous avons befoin de fon entremife pour obtenir les lumières de TEfprit ùi'mt, Ave , Maria*
o
N peut dire que Marie avoit éprouvé j trois fortes d'amertumes durant le cours P4KTIE de fa vie mortelle ; & que ç'avoient été là comme les trois traits qui avoient percé fon cœur 5 & confommé le facrifice de fes dou- leurs & de fes peines : une amertume de déîailfement , une amertume de zèle , & une amertume de defîrs. Or à ces troi^ amertumes , répondent trois confolations à fa mort , qui vont nous développer la
L3
'Z4<^ L'ASSOMPTIOM
première circonftance de ce Myftere : une . confoiation de force & de courage ; une .confolaîion de paix &: de joie ; une con- iblaîion de polIeiTion & de jouifTance. En- trons dans le détail , & m'honorez de vo- tre attention.
J'appelle en premier lieu l'amertume de délaiirement que Marie avoir éprouvée , J'indifférence & les rigueurs apparentes dont Jefus-Chrift avoit toujours femblé payer fa tendreiîe & fes plus faints empref- iemens. Nous ne voyons nulle part qu'il Ja diiiingue par les égards & les tendres attentions , que fembloit demander l'au- torité qu'elle avoit fur lui., &c l'amour qu'il avoit pour elle. Caché dans le Temple à l'âge de douze ans , il paroît blâmer l'in- quiétude où Tavoit jcttce la crainte de l'a-» voir perdu ; & loin d être touché des al- larmes & des emprellemens de fon amour ^ il ne lui parle que du Père qu'il a dans le ciel , comme s'il avoit oublié qu'il eût une inere fur la terre. Aux noces de Qana , de peur , ce femble , que Marie ne partageât iîvec lui dans Tefprit des conviés la gloire du prodige qu'il ailoit opérer , il déclare qu'il n'a rien de commun avec elle , & que c'eft à fon Père feiil à lui marquer les temps i^ les momens où il doit fe manifef- ter ,par des miracles , comme c'eft de lui feul qu'il tient la puiifance de les opérer. Si les femmes de Jérufalem appellent heu- reufe les entrailles qui l'ont porté , il fem- hk ravir à Marie.wie louange que. l'Ange
DE LA Sainte Vierge. 247 lui-même lui avoit donnée , & leur annon- cer qu'il n'y a d'heureux fur la terre , que ceux qui obfervent la Loi de Dieu. Si dans une autre occafion on le fait fouvenir que fa mère & fes frères l'attendent avec impatience , il répond , qu'il ne reconnoit peur fa mère & pour fes frères , que ceux qui font la volonté de fon Père qui eft dans le Ciel. Enfin par-tout elle paroit oubliée , & toures les fois que les Evangéliiles noug en parlent dans l'hiftoire de fon Fils , c'eft pour nous rapporter quelque rigueur ap- parente de Jefus-Chrift envers elle.
Telle avoit été la conduite de Dieu fux cette fainte fille de Juda. Toujours éprou- - vée par des délaiffemens & par des rigueurs de la part de Jefas-Chrift ; toujours co*i- d-jire par des voies dures &: rigoureufes , elle devoit fervir de modèle & de confola» tion aux âmes que Dieu éprouve , aufquel- les il ne fait jamais fentir un feul trait de confolation dans ToLfervance de fes corn- jTiandcmens ; & qu'il livre à tous les dé- goûts & à toutes les féchereffes d'une ver- tu trifte &: amere. Elle devoit leur appren- dre que cette voie de délailTement, fi pé- nible au goût des fens & de la nature , a foii mérite & fes avantages aux yeux de la Foi ; que c'eft d'ordinaire la voie des âmes pures & parfaites ; que les goûts fenfibîes font fouvent les appuis de la foibleffe , plu- tôt que les fruits de la vertu ; que la Foi feule des promefTes doit foutenir l'ame fi- dèle ; que fuivre Jefus-Chrift par le feul
L4
t4* L'Assomption
' attrait des confolations attachées à fon joug^ c'eft courir après foi-même ; que le carac- tère de Ja Foi eft d'attendre , de foupirer & de foiifFrir ; que le temps de la vie pré- fente eft le temps des privations 5 & non des confolations ; que le Seigneur cfl ici- bas un Dieu caché ; & que plus il veut «unir une ame par une Foi vive & ferven* te 5 plus il la prive de ces confolations hu- maines , pour lui rendre cet exil encore plus infupportabîe ; pour allumer chaque jour en eile le defir de cette patrie immor- telle , où pleins du Dieu qui nous rendra heureux , nos cœurs ne pourront plus goû- îer que ce bien ineftimable ; & où la vé- rité vue à découvert , paroîtra toujours ai- mable 5 parce que nous la verrons toujours teik qu'elle eft.
Et en effet , Tétat de la Foi où nous vi* vous, ne connfte pas feulement dans la foumiffion de Tefprit à des vérités qui ne nous font pas encore montrées par des lu- mières claires & évidentes ; mais encore par l'adhérence du cœur à des biens invi- îibîes & éternels , dont la beauté ne fe fait pas encore fenîîr à nous par des goûts & Ses plaifirs fenfibles. La Foi renferme donc •deux privations elfentielles , uiie privation de lumières & une privation de plaifir : il faut pouvoir croire ce qu'où ne voit pas , & aimer, pour ainli dire 5 ce qu'on ne fent pas encore. C'eil l'état de la patrie de voir toujours la vérité , & de fentir tou- jours qu'elle eft aimable : mais il faut mé-
DE LA Sainte Vierge, i4f rîter cet état heureux , en facrifiant fansr cefle nos propres lumières , aux lumières & aux vérités que nous ne voyons pas , & les plaifirs fenfibles qui nous environ- nent , aux plaifirs invifibles & feuîs dignes du cœur , que nous ne fentons pas en* core.
Ce n'eft pas que le Seigneur n'avance quelquefois à des âmes juftes & privilé- giées ces dons ineffables qui leur font pré- parés dans le ciel. Il en efl qu'il favorife- de lumières extraordinaires , & aufquelles, il révèle comme à Paul , des fecrets 8c, des myfleres , qu'il n'efl pas prefque per- mis à l'homme de publier. Il en eft d'au-- tres fur lefquelles il verfe abondamment ces plaifirs fecrets & indicibles , que le cœur de l'homme n'a jamais goûtés , 8c qui ne pouvant porter la plénitude du DieUr de toute confolation qui les remplit j font, obligés de lui demander qu'il fu^endc l'a^ bondance de fes dons , ou qu'il les modère., Mais ces faveurs fortent de la voie com-p mune de la Foi : fillufion même y efi à^ craindre : notre fiecîe & les flecles. pafTés, en ont fourni de triftes exemples. Les fin-^ gularités de la piété dégénèrent fouvent eut îanatifme. Tout efprit ne vient pas de Dieu;: fouvent ccg lumières extraordinaires qu'oa croit venir du Ciel , font des lueurs trom-^ peufes , qu'une imagination échauffée SÇv féduitc produit , & qu'une vanité fecretté , confacre; & les Prifcillçs nous ont inflruitS;, à Aous.défiçx d'une voie^ qui fous préte^t^
t5
2"5o L'Assomption
de nous mener à la perfeâion , nous con- duit dans le précipice : fouvent ces goûts feniib-es- ^ aboridans , qu'on croit être le fruit ' de-lir grâce- 5 i font des fentimens hu-. mùins , qu\ine tendreiîe naturelle excite, & qui fiattent la cupidité fans coriiger la vertu ; & tandis qu'on fe croit plein de Dieu ^ on n'eft rempli que de foi-même. La voie des privations eft toujours la plus sûre 5 parce qu elle eft la plus conforme à l'état ordinaire de la Foi. Ainfi loin de fe décourager des dégoûts qu'on éprouve dans les voies de Dieu , & de fe perfua- der que nos hommages ne lui plaifent pas , parce que nous n'y trouvons aucun plaifir nous-même ; il y a bien plus de lieu de préfunier que plus les devoirs que nous iùîrendphs, nous coûtant, plus ils ont de 2îlérite-à^ fés yeux ; & que les mêmes de- points qui font la peine & la trifteife de notre vertu , en font en même temps la su- lété & l'excellence.
' y^ilà' les délaiifemens que Marie avoit ^fyrbi^vés fur la terre. Il étoit donc jufte <|ue la préfei^ce vifible de J. C.fût la pre- Jîîière cènfolation de fa mort ; qu'il Rit le ^eftateur de ce dernier combat-; qu'il vînt îafoutenir dans cette dernière heur€ ; qu'elle fît entre fes bras le facrifîce de fa vie ; qu'il fûtlui:iï]êînè fon Angéconfolateur; & qu'il" /ê'hâ^aîd^'aptànt plus de venir fe montrer à' c?tte aniéîrnpatiente d'être réiïhie à lui , qfi'ilavoitp^mprefqûetou jours fërefufer & • i^àà^îierj^ pourâinfitifrej à elle fui' la terre#^
DE LA Sainte Vierge, Z51 La féconde amertume que je remarque dans la vie de la fainte Vierge , eft une amertume de zèle. Avec quelle douleur yoyoit - elle l'iautilité des prodiges , des inftruftions ^i de tout le miniftere de Jefus- Chrift dans la Judée ! Les pièges que le» Scribes & les Phariliens dreiToient à fon in- nocence ; la défe£lion même de Tes Difci- pies; fa mort cruelle & ignominieufe ; l'in- gratitude & l'endurciffement d'un peuple qui le rejettoit ; toutes les promefTes faites à leurs pères , tous les foins que le Sei» gneur avoit pris autrefois de Jérufalem , terminés par fa réprobation & par fa perte. Le malheur de (es frères félon la chair fai- foit fon occupation la plus trifte & la plus ordinaire : elle offroit fans ceffe pour eujç les vertus de leurs ancêtres , des Abra» hams 5 des Davids , des Prophètes , pour appaifer la colère de Dieu & adoucir par la mémoire de ces hommes fidèles , les crimes de leurs defcendans. AufTi dans l'Evangile on nous la repréfente par-tout , recueillie , occupée àes malheurs de Jé- rufalem & des deffeins de colère que le Seigneur alloit &ire éclater fur cette ville infidèle.
Il falloit qu elle apprit aux âmes jufies , & à celles fur-tout qu'un faint afyle met à couvert des périls du monde , à s'occuper fouvent aux pieds des autels des maux 8ç des befoins de l'Eglife ; à gémir fur lef fcandales qui la deshonorent ; à folliciter les grâces du ciel pour leurs ùçies feloa ia
h6
152 L As SOMPTIO N
chair , que îe torrent des plalfirs & cîcs tentations humaines emportent , & qui vi- vent dans un oubdi entier des chofes du Ciel.
Ce fut un des principaux motifs qui dé- termina le faint Fondateur des Vierges * ferventes qui m'écoutent , à élever ces pieux afyles , on elles répandent aujourd'hui avec tant d'édification fur toute l'Eglife la bonne odeur de Jefus- Chriir. Il voulut af- fembler fous les mêmes loix de la charité & du déponillement religieux des âmes innocentes , qui cachées dans le fecret du Sanétuaire , puifent gémir , comme la co- lombe 5 fur les maux qui affligent l'Eglife ; demander tous les jours au Seigneur , des Pafteurs vigilans pour la conduire , des Dc(5l€urs éclairés pour la défendre ; des Prêtres irrépréhenfibles & zélés pour l'édi- fier ; des Princes religieux pour la proté- ger & pour l'étendre : demander l'extinc- tion des fchifmcs & des erreurs ; le triom- phe de la vérité ; la ceffation des conten^ tions & des tr&ubles ; l'établilTement de la paix & de la charité : dcinander des lu- mières & des £ècGurs puifTans pour les Mi- nières de la parole qui font chargés de l'œuvre de Dieu , & qui travaillent à rap- peller les pécheurs de leurs voies égarées ; enfin être auprès du Seigneur comme les médiatrices cominuelles des Fidèles y les relfources des maux de l'Eglife , les vi£li-
"^ Les Keligkufes de la Vijïtat'wn de Chatllot ^ pu étoit in Reinç d'AngUterre*
DE LA Sainte Vierge, 255 mes des péchés d'autnii ; & dans les lar- mes &les privations de leur retraite , pren- dre fur elles-mêmes les iniquités de leurs frères. C'eft ce zèle de la gloire de Dieu ^ du progrès de la Foi & de la piété , ce de- fir de la converfion des pécheurs &J de Tac- croilfement du règne de Jefus-Chrift fur la terre , qui eil comme l'ame & le caractère particulier de ce faint Inilitut. D'autres fe dévouent aux faintes rigueurs & aux ma- cérations continuelles de la pénitence; ici on fe confacre aux gémiifemens de la priè- re , & aux faintes amertumes du zèle & de la charité.
Et voilà cette amertume de zele & de douleur , qui avoit toujours occupé le cœur de Marie dans tous les états de fa vie mortelle. Elle ne comptoit pour rien {a propre gloire , fon élévation de grâce , de lumière & de dignité , tandis qu'elle voyoit le nom. de fon Fils hlafphémé par ibn propre peuple, fon miniftere rejette , fcs prodiges foupçonnés d'impoiiure, fes' Difciples per- fécutés , & Ifraèl périr fans refîburce. Car l'amour , lorsqu'il eft parfait 5 eft moins touché de fes propres intérêts , que des in- térêts de l'objet qu'il aime. Vous recon- noiifez à ces traits , Vierges faintes , la foi & le zele ardent de la pieufe * Princeffe qui vous anime ici par fes exemples ; l'égare- ment & l'incrédulité de fes peuples la tou- che plus que leur révolte &: leurdéfeâion ; & elle gémit bien plus fur la perte de leur
!^ La Reine d'Angleten^
254 L'As SOMPTION
foi , qr.e fur celle de fa couronne.
Ilfaiîoit donc que ce zèle d'amertume &: de douleur , qui avoit rempli tout le cours de la vie de Marie , fe changeât à fa mort en une confolation de paix &: d'allégrefTe. C'eft alors que les nuages de fa mortalité étant déjà dilîipés , & fon ame fainte en- trant déjà dans la lumière inacceflible des confeils de Dieu , elle voit à découvert les raifons profondes & adorables de la fageife divine fur les événemens de fa vie , qui avoient tant contrifté fon zèle & fa tendref* fe. Elle voit l'utilité qui devoit revenir aux hommes des opprobres de fon Fils , & de l'en du rcilTe ment des Juifs ; les grands avan- tages que l'Eglife alloit retirer de leur haine envers Jefus-Chrift ; ce nombre in- fini de Martyrs qui rendoient gloire à Dieu par leurs tonrmens & par leur patience ; cette multitude de Fidèles , qui rempla- cera abondamment la Jerufalem incrédu- le 5 & qui croîtra du fang même des Mar- tyrs ; les Tyrans défarmés par la foibleïïe de l'Evangile ; les Céfars convertis par l'opprobre de Jefus-Chrift ; les Philofo- phes ramenés par la folie de la Croix ; la pompe & la magnificence de l'Eglife fuc- céder à i'obfcurité de ces triftes commcn- cemens ; la gloire de fon Fils rejaillir fur elle-même , & fon culte devenir une des plus confolantes reifources de la piété des Fidèles.
C'eft ainfi qu'une ame jufte au lit de la mort découvrira avec confolation toutes
DE LA Sainte Vierge. 255 les raifons de la fageffe divine dans les di- vers événemens de fa vie. C'elt alors qu'elle commencera à voir les rapports fecrets que ces difgraces , ces atfiiâ:ions , ces fitua- tions défagréables où elle avoit prefque toujours vécu , avoient avec fa fan6^ifica- tion éternelle. C'eft alors que Tordre des defTeins éternels fur elle lui étant d'avance manifefté , elle verra que tout avoit {es raifons & fes utilités dans les voies par où la main de Dieu l'avoit conduite ; que tout à fon infçû coopéroit à fon falut que les contradiâiions mêmes qu'on fufcitoit à fa piété , étoient des miféricordes de Dieu fur elle; que la malice & la perfidie qu'elle avoit éprouvée de la part de ceux mêmes qui lui dévoient une inviolable fidélité , n'étoit qu un moyen dont Dieu fe fervoit pour purifier fa foi; que ces événemens fi triées , & qui en renverfant fa fortune, pa. roiiibient en même tem.ps fi funeftes à la Religion , n'étoient que des voies sûres & fecrettes , par où Dieu vouloit la fenftifier ; & que la juilicede Dieu facrifioit des peu- ples & des royaumes entiers qu'il livroit à un efprit d'erreur & de révolte , qu'elle les facrifioit , dis je , àfa sûreté & à fa fanâ:i- fication particulière. Elle verra que la pro- pagation du fchifme 6c de l'erreur 5 qui avoit fi fort contrifté fon zèle & fa piété ^ fervoit à fortifier dans la Foi un petit nom- bre d'ames juftes , qui vivoient au milieu de la contagion , fans en être infeâées ; que les maux de l'Eglife ; dont elle gémiiToit^
1^6 L* Assomption
contribuoîent àfa gloire & à fon triomphe ; & qu'enfin en n'exauçant pas les defirs de fon cœur , le Seigneur les accomplif- foit d'une manière plus glorieufe à la Foi y & plus utile à fon falut.
Hélas ! mes Frères , on regarde pré- fentement robfcurité où vivent les âmes juftes 5 leur éloignement du monde , de fes intrigues , de fes prétentions , de fes efpérances , de tout ce qui réveille les paf- fions humaines 5 on le regarde comme une vie rampante , inutile , oifeufe : on regarde les œuvres de miféricorde 5 & les faintes agitations , dont elles fe font des affaires férieufes , comme de pieufes inquiétudes que la vivacité ou la fimplicité de leur zèle confacre. Mais dans ce dernier moment tout ce que nous aurons fait de plus écla- tant pour le monde y nous paroîtra infenfé & puérile ; ces aérions célèbres que les feom^miCS avoient fî fort admirées ; ces en- treprifes conduites avec tant de jfecret & de fageffe ; ces victoires , ces fuccès , ces talens éminens qui nous feront jouer un fî grand rôle dans nos hiftoires , tout cela nous ne le regarderons plus alors que comme des fcenes puériles , & des amufemens d'enfant. Toute notre vie nous paroîtra une enfance continuelle : tout ce que nous avons fouffert pour le monde , ces foins pour acquérir une vaine réputation ; ces efforts pour parvenir ; ces complaifances & ces affujettiffemens qui avoient tant coûté à noue fierté y ces attentions pour
DE LA Sainte Vierge. 15^ àes maîtres , qui en avoient fi peu pour nous , de toutes ces peines il ne nous en reflera que le regret inutile de les avoir perdues. Nous verrons que tous nos de- fîr& & tous nos foins n'avoient pour objet que des phantômes ; que nous courions comme des infenfés après une fum.ée qui s évanouit ; & que l'accompliflement mê- me de nos defirs auroit été la plus terrible de nos infortunes. Nous nous dirons alors à nous-mêmes : Falloit-il tant s'agiter pour ne rien faire ? hélas \ falloit-il mener une vie fi laborieufe , pour ne trouver au bout que le chagrin de s'être trompés 5 & rcf- fembler à ceux qui fe font fatigués en fui- vant une fauife route , êc qui ne feravifent enfin que lorfque les forces leur manquent, & qu'il n'eft plus temps d'en chercher une nouvelle ? Que ne placions-nous mieux nos foins &nos peines ? Les faveurs de la terre fe font éloignées de nous à mefure que nous courions après elles ; les faveurs du Ciel , les biens éternels 5 il fuffifoit de les defirer pour les obtenir.
Àufii la dernière amertume de la vie de Marie fur la terre, avoît été une amertume de defir. Depuis fur-tout que fon cher Fils eût quitté la terre , tous les defirs de fon cœur le fuivirent dansleféjour de rim.mor- talité : elle ne regarda plus cette vie mor- telle que comme un long & trifie.exii : fé- parée de l'objet unique de fon amour , tous fes vœux , toutes fes penfées , tout ion cœur fut dans le Ciel. Ainfi étrangère fur
25^ L' A s s O M P T I O N
la terre , cachée aux yeux des hommes , inconnue au monde , elle difoit fans celle comme TEpoufe : 0 vous , le bien aimé de mon cœur , montrei-moi oii efi le lieu de l'o- trc repos & de vos pâturages éternels. Sans celle 5 comme le Prophète , elle fe plai- gnoit de la durée de Ton pèlerinage : fans celte elle difoit comme lui : Quand irai-je , o mon Dieu , dans votre demeure éternelle ? quand pcroîtrai-je devant la face de mon Seigneur ? iMorte à toutes les créatures ; plus unie à fon Fils par les efforts vifs & continuels d'un cœur qui s'élevoit fans ccfTe vers le Ciel , qu'attachée à la terre par les foiblcs liens qui l'y retenoient encore ; dé- chirée 5 pour ainfi dire , & par le mouve- ment rapide qui portoit fans celle fon ame vers fon Seigneur , &: par le poids d\ni corps terreftre qui Farrêtoit encore ici-bas , elle mouroit tous les jours d'amour & de trifteife ; &: la véhémence de fes delirs , qui faifoit la plus parfaite de Ces vertus , faifoit aufîi la plus vive de fes amertumes. Nous ne fentons pas jufqu'où peut aller Texcès de cette peine , nous que mille liens attachent encore à la terre ; nous qui tenons encore à tout ce qui nous environne , aux monde , à nos biens , à nos proches , à nos amis , à nos dignités , à notre for- tune 5 à nous-mêmes. Nous ne fentons pas ce que fouifre une ame , qui n'aime plus rien ici-bas , qui ne vit plus que pour fon Dieu 5 &: qui eft obligée de vivre loin de lui dans ce lieu de larmes & de tentations j
DE LA Sainte Vierge. 25^ /ans cefTe expofée à le perdre , & jamais sûre de le pofféder. Nos dégoûts de la vie font des dégoûts de nos pafTions ; font des inquiétudes fccrettes de nos crimes ; fout des mécontentemens d'un monde qui nous a trompé ; font un relTafiement de toutes les créatures, dont nous avons abufé; font des recherches de nous - mêmes. Nous fommes fâchés de ne rien trouver ici- bas , qui puifTe nous rendre heureux ; & nous voudrions , parmi les objets fenfibles qui nous environnent, en rencontrer quelqu'un où notre cœur pût fe repofer , & qui fût capable de le fixer & de le fatisfaire.
Parmi les âmes mêmes confacrées au Seigneur , il en eft peu qui fentent la trif- tefîe de cet exil , & Féloignement où nous y vivons de Dieu. On fent la dureté de la croix qu'il faut porter pour être difciple de Jefus-Chrift ; on fent la triftelTe &c les amertumes de la vertu : mais on ne fent pas la privation des biens ineffables que Dieu a préparés à ceux qui l'aiment ; on ne. fent pas les ténèbres d une raifon déchue de fa dignité , toute enveloppée dans les feus , & qui ne voit plus que confufément les lumières éternelles de la vérité , en quoi confiftoit toute fa félicité &: toute fon ex- cellence : on ne [qui pas la foibleife &rim- puilfance d'une volonté née pour jouir de Dieu 5 & qui a befoin de fe faire une vio- lence continuelle pour fe défendre de l'a- m.our injufte des créatures , & pour aimer l'Etre fuprême ; on ne fent pas en un mot ,
l6o UAsSOfTPTÏÔîT
cette contrariété de defirs entre la loi det membres &: la loi de refprlt , qui rend îa fervitude du corps R humiliante oL Gl infup- portabîe à Famé fidèle. Ces grandes four* ces des larmes & de la trifteile des Saints fur la terre , & qui forment proprement l'état & la vie de la Foi ^ n'entrent pour rien dans notre piété ; & la raifon en cft ^ qu'avec le nom & les apparences de la ver- tu , nos cœurs font encore fur la terre. Mille attentions étrangères nous occupent encore ; mille attachem.ens frivoles parta- ient > afFoibliiTent encore l'amour que nous devons à Dieu ; mille erreurs , qui nailfent de la foiblefle de notre foi , nous font per- dre de vue les vérités éternelles. Et ce qu'il y a de plus triôe , c'eft que fouvent la charité étouffée par cette multitude d'a- mours injuftes ^ le defir des biens éternels abfolument éteint 5 parmi tant d'objets fen- fibles qui nous occupent & qui nous atta- chent, nous perdons la grâce à notre infçû. Nous fommes morts devant Dieu , que nous nous croyons encore vivans , & fans que nous fâchions par quel endroit la mort eft entrée dans notre ame.
Mais l'a me fainte de Marie ne trou voit plus rien en elle , qui ne vînt de la grâce t plus de defîrs que pour le ciel ; plus de mouvement que pour fon Dieu ; plus de joie que dans l'efpérance de voir fon bien- aimé. Cette ame pure , dont le cœur n'é- toit pas répandu comme le nôtre fur mille objets vains & injuftes , & toute recueillie
DE LA Sainte Vierge 2<5i dans la charité ^ fentoit toute la défolation qu'infpire un amour violent , lonqu'il cil fépaT^ de ce qu'il aime. Auïîi fa inort n'efl: que le temie de ics foupirs , la confolatioa de fa tendrefTe , le but de tous fes defirs. Elle retrouve ce qu'elle avoit comme per- du : elle va rejoindre ce cher Fils , que la malice des hommes , ou plutôt les ordres rigoureux de fon Père avoient fépare d'elle. Mais ce n'eft pas feulement fon<:œur qui XSL fe réunir à ce qu'elle aime ; fon amour ii*a plus rien à délirer ^ on rend fa félicité entière & accomplie. On ne laiffe pas at- tendre à fon corps la rédemption parfaite fous l'empire de la mort 4 on lui avance ce moment heureux de délivrance , qui n'eft marqué pour les Elus qu'au jour de la ré- vélation ; & elle va voir dans fa chair fon Sauveur , qui en étoit le chafte fruit* Quel- les furent alors les confolations ineffables de cette union fi long-temps defîrée ! & qui pourroit exprimer ici les tranfports du cœur de Marie à la vue de fon Fils glo» rieux & immortel , adoré des Anges & ^es Saints , & lui découvrant les richeifes incompréhenfibles de fa divinité & de fa gloire ? Mais ce font là des fecrets que l'œil n'a jamais vu , & que le langage de l'homme ne fauroit faire comprendre.
Ce qui nous regarde , mes Frères , c'eft que la mort n'a rien que de confolant pour une ame.jufte. Elle ne la .fépare que de ce qu'elle n'avoit jamais aimé d'un monde ^ gu.elle avoi^ u.ouvé plein d'eajouis & dg.
%6i L' Assomption
pièges ; d'une terre , où elle avoit toujours vécu comme étrangère; d'un corps , qu'elle avoit toujours haï, combattu, crucifié, & qui avoit été la matière de toute fes ten- tations & la fource de toutes fes peines ; de toutes les créatures , qui en foulageant (qs befoins , les multiplioient , & aggravoient fa fervitude. Elle s'applaudit d'avoir mé- prifé à^s biens qui vont lui échapper ; dô n'avoir pas mis fa confiance dans des hom-'- liies qui ne peuvent plus rien pour elle ; ' de ne s'être pas bâti une cité permanente dans un monde qui va périr ; à de n'avoir pris de mefures que pour une autre vie , où les conditions ne changeront plus. Elle touche enfin à ce moment heureux , qui va la rendre à fon Seigneur , en qui feul elle avoit toujours mis toute fa confiance : à ce moment, qui va finir une vie trifte, morti- fiée, péri lieu fe , lugubre, & commencer le jour ferein de rÉternité.
Oui 5 mes Frères , le véritable fecret de trouver la mort douce & confolante , c'eft de fe détacher par avance de tout ce qu'elle nous enlèvera ; c'eft de mourir chaque jour à quelqu'un de ces attachemens fi chers qu elle rompra : c'eft de s'accoutu- me à vivre feul avec Dieu au milieu de toutes les créatures qui nous environnent :* puifque'la mort n cft que la folitude éter- nelle de l'ame kvec Dieu. Le pécheur meurt bien plus , pour ainfi dire , qne le jiifte : il meurt à tout ce qui l'environne, i>aic« qu'il teaoit à tout. Autant de Uea»
DE LA Sainte Vierge. i6^ qu'il faut rompre , autant de morts parti- culières qu'il endure : il meurt à fon corps , qu'il avoit toujours idolâtré : il meurt à Ces biens & à fes places , qui avoient fait Tuni- que objet de Tes foins & de fes defirs : il meurt à fes plaifirs , dont il étoit l'efclave ; à fes cfpérances , fur lefquelles il s'ap- puyoit ; à fes édifices fuperbes , au milieu defquels il croyoit s'être fait une demeure éternelle ; à toutes les créatures prefque , qui fervoient toutes à fes pallions. Quel déchirement, quand il faut rompre tout à la fois tous ces liens injùftes , qui ratta- chent encore à la terre ! Il fouiîre mille morts dans une feule : toutes ces fépara* •^tions portent chacune leur nom particu- lier dans fon am* ; & le Prophète a rai- fon de dire , que la mort du pécheur eft la plus douloureufe &: la plus amere de toutes.
Heureufe donc Tame qui , comme Ma- rie 5 morte à tout depuis long-temps , n'é- prouve alors de nouveau que le plaiîîr de n'avoir plus rien à facrifier à l'Epoux cé- leftej & qui habitant déjà par le cœur dans le ciel , ne laille fur la terre que les exem- ples d'une vie fainte , & le fouvenir d'une mort précieufe. Mais fi la mort de Marie fut toute remplie de confolations , qui la dédommagèrent des amertumes qu'elle avoit éprouvée durant fa vie , elle fut auflî accompagnée d'une gloire qui répara les abaiffemcns qu'elle avoit foufferts fur Id terre.
2/54 L' A s s O M P T ï O ?î
Paktie -t Lus le Seigneur veut élever une ame- à un degré fublîme de grâce , de lumière 6c de dignité, plus il TabailFe Ôc l'avilit aux yeux des hommes; & comme s'il étoit ja- loux que fes ferviteurs brillalient d'un au- tre éclat que du fien , il eft , ce femble , attentif à les dépouiller de cette grandeur que le monde donne , pour les rendre plus dignes de cette grandeur véritable , qui eft le fruit tout feul de la juftice & de la fain- teté.
Les ahaiffemens de Marie fur la terre font une preuve de cette vérité. Comme ks defleins de Dieu fur elle lui préparoient la plus haute élévation où la fimple créa- ture puifTe atteindre , les voies par où elle y eft conduite , font des voies d'humilia- tion & <i'obfcurité. Or je remarque trois fortes d'abailfemens dans la vie de la faintc Vierge ; un abaiflement de privation , un abailTement de dépendance , & un abaille* ment de confufion 6c de mépris : 8c je diî que fon AfTomption dans le Ciel , lui rend aujourd'hui une triple gloire , proportion- née aux abaifTemeus de fa vie mortelle ; une gloire d'élévation & d'excellence , une gloire de puiifance & d'autorité , une gloire de vénération 5c d'hommage. Continuez à tn'honorer de votre attention.
Plus on confidere la vie de la fainte Vier- ge fur la terre , plus on y découvre une fuite non-interrompue de privations triftes &. himiiliajites : première forte d'abailFe-,
DE LA Sainte Vierge. 2*55 ment. Aucune créature n'avoit jufques-là reçu du Ciel des litres plus auguftes &: plus fublimesque cette fainte fîHe de Juda. Elle étoit née du fang de David ; le privi- lège de fa grâce avoit prévenu même celui de fa naifTance ; elle étoit Vierge dans fa fécondité ; enfin Taugufte qualité de Mère de Dieu, rehauflbit en elle tous les autres titres qu'elle tenoit de la naiiTance & de la grâce : & cependant aucun de ces titres pompeux n'a paru en elle , tandis qu'elle a vécu fur la terre. Sa naiiTance fut toujours ©bfcurcie par la médiocrité de fa fortune : l'excellence de fa grâce fut toujours cachée fous une viejîmple & commune : l'éléva- tion de fa dignité , & le titre augufte de Mère de Dieu fut comme démenti par la reffemblance de l'homme que fon Fils avoit prife; la Judée la regard^mplement com- me la m.ere de Jefus de Nazareth ; rien ne la diftingue des autres mères de Juda. Elle lailTeles hommes dans l'ignoraficc des grandes chofes que le Seigneur avoit opé- rées en elle : elle ne s'emprefîe pas de les détromper , & de découvrir les m.erveilles de Dieu : elle fouffre la privation de tout ce qu'elle a de grand , c'eft-à-dire , de la plus grande gloire qui puifîe être commu- niquée à une pure créature : elle porte ce dépouillement avec joie ; il ne lui échappe rien , pas un mot ^ pas une démarche qui pvifle trahir le fecret de fon humilité; & ravie de vivre dans ccne privation , elle fouhaite feulement que h gloire de fon Myjlcres. M
266 L'Assomption ^
fils fôit connue, 6c fon Royaume établi
fur la terre.
C'eft aiîifi que par des privations conti- nueîles 5 la fagefle de Dieu préparoit cette aine célefle à la gloire où elle eft en ce jour élevée. 7^out jfon foin avoit été de fe cacher aux yeux des hommes , &: de fe confondre avec les autres mères d'Ifraël ; & il fembie que l'attention unique de Dieu eft de la glorifier au jour de fa mort , 6c de la diftinguer par un privilège fingulier , & qui devoir rendre témoignage dans tous les (îeclcs à fon augufte qualité de Mère de Dieu. Son corps pur 6c facré , com.mc celui de fon Fils , ne voit pas la corruption : la vertu du Père la délivre d'entre les incrts : les Cicux s'ouvrent pour la rece- voir, comme Jcfus-Chrift , triomphante 6c gloneufe : client du tombeau environnée de lumière , pour aller prendre pofrelîioîi de f-3 gloire à la droite de fon Fils , avec la niéme chair qu'elle lui avcit fournie pour civrir le Ciel à tous les hommes ; elle eft placée au-deffus de toutes les Principautés &: de toutes les Puiilances. C'eft cette Ar- che d'Ifraèl 5 dit le faintEvêque de Genè- ve 5 qi:i après avoir été quelque temps fous des tCLtes dans le défert ; c'eft*à-dire , dai'sun état obfcur & peu digne d'elle , eft enfin introduite avec pomipe 6c avec éclat par le véritable David dans la Jérufalcni cékfte.
U fcmible en effet que Jefus-Chrift n'au- rciî pas lefTufcité tout entier , 6c qu'une
DE LA Sainte Vierge. i(yj partie de fa chair adorable auroit été alTu- j^ttie en fa fainte Mère à la corruption , (î Marie n'eût participé au privilège de fa réfiirre(ftion glorieufe. Etoit - il convena- ble qu'on laifsât fousTempire de la mort , k mère de celui qui étoitla réfurreâ:ion 8c la vie ? Etoit-il jufte qu'une chair , de la- quelle avoit été formée la.vidlime qui vç- iioit d'ouvrir le Ciel aux hommes , n y fût pas d'abord elle-même introduite? qu'un corps qu'elle avoit préfervé par une grâce fiîiguUerc à.%^ fouillures inévitaMes aux en- t^ius d'Adain , p3i"ticipât à leur malédictiou^ & devînt la proie des vers & de la pourri- ture? qu'un corps* qui avoit été fur la terre le fallut u aire vivant du Verbe fait chair, ne fût pas d'abord reçu lui-même clans le fanc- tuaire éternel ? 8c c'ei^ pour honorer cette mort •& cette refurrcâiion miraculeufe , & -fatisfaire à la piété des Fidèles , que TE- gliie a depuis long-temps inftitué la Fête qui nous alTembJe. Voilà le prix que la magnificence de Dieu réfervoit aux priva- tions humiliantes de l^^ie de Marie. C'eft en foufFrant avec joie que le£ hommes aient ignoré jufqu'à fa mort tout ce que la grâce avoit opéré en elle de grand , que le Sei- gneur le fait éclater par un privilège , qu'une tradition fainte a rendu vénérable à toute i'Eglife , & que la piété de nos pères a fait paffer jufqu'à nous, comme le gage im- mortel de leur zèle 5c de leur refpeft pour Marie.
Po;:T nous ^ ries Frères , Vv.w d(^ ibufFrir
2-58 L' A s s O M P T I O N
avec joie les privations qui nous humilient , & qui JaifFcnt ignorer aux hommes ce que nous fbmmes : hélas ! tout notre foin eft de nous montrer : toute notre vie eft une étude de vanité , qui nous montre toujours par les endroits par où nous croyons nous diftinguer & plaire. Lors même que tou- chés de Dieu , & revenus de nos égare- mens 5 nous avons pris le parti d'une vie chrétienne , nous voulons que le monde conferve encore le fouvenir destalens mal- heureux & des vains avantages que nous avons facrifiés en rompant avec lui. Nous fommes flattés qu'on fafTe encore valoir par-là tous les jours notre facrifîce ; qu'on nous falFe honneur de ce que nous avons jugé nous-mêmes digne de mépris. Nous nous en élevons même en fecret au defTus des autres , comme û nous avions plus donné à Dieu ; comme fî , plus nous pa- roifîions nés pour le monde & pour les plaifirs, plus il n'avoit pas fallu que la grâ- ce , qui nous en a dégoûté , fut forte & abondante ; comme fî les miféricordes du Seigneur fur nous pouvoient^ devenir le titre de notre ingratitude , & nous faire oublier nos miferes. Ainfî ce qui a été l'oc- cafion de nos chûtes & de nos malheurs, devient fouvent dans la piété même le motif de notre vanité déplorable : ce qui devroit nous rendre plus méprifables à nos yeux , lîe fert fouvent qu'à nous infpirer du mé- pris pour nos frères. Ainfî nous voulons participer en même temps à la gloire du
DE LA Sainte Vierge, ^6^ monde & à la gloire de la vertu : nous voulons qu'on loue en nous &Jes merveil- les de la grâce , &: les taleiis de la vanité ; & loin de cacher , comme Marie , aux yeux des hommes ce que nous fommes, nous voulons même qu'ils voient encore en nous ce que nous fomm.es fâchés d'avoir été.
Oui 5 m.es Frères , rien de plus rare que de vouloir iîncérement que les hommes oublient ce qui peut nous faire honneur dans leur efprit. Nous regardons cet ou- bli comme une injure : nous voudrions que tout le monde lût fur notre front , pour ainiî dire 5 nos talens 5 nos vertus , notre rang& notre naiiîance ; & jufques dans ces afyles faints 5 où l'on amis au pied de l'autel les dépouilles du monde & de toute fa gloire , on reprend fouvent d'une main tout ce vain étalage , qu'on avoit femblé facrifier de l'autre. On étale encore , fous Tobfcurité du voile faint , le faux éclat du mon-de & de la nailTance : on remonte en- core fur une vaine boue , qu'on avoit foulée aux pieds : on veut retrouver dans le lieu de l'humilité 5 les diftinâions qu'on avoit mépriféçs dans le monde ; & dans le fanc- tuaire même de l'Epoux , on fe fait valoir par d'aujres titres , que par le titre fublime de fon hpoufe.
Mais s'il eft rare de porter avec foi cet abaiffement de privation , dont Marie nous donne l'exemple , il l'eft encore plus de foutenir avec courage l'abaiffement de dé-
M3
270 L'Assomption
pcndance où elle vécut toujours. Toujours Ibumife fur la terre , & dans tous les états de fa vie mortelle , elle avoit toujours ref^ peâ:é cette voie de dépendance , comme celle par où la grâce vouloit la conduire : tantôt vivant dans une foumiflion entière aux volontés de Jofeph ; tantôt attachée aux ordres & à la deftinée de fon Fils ; tantôt confiée au Difciple bien- aimé , & le regardant comme le maître de fes aidions & l'arbitte de fa conduite ; tantôt enfin paroifiant à la fuite des Difciples , après la mort de Jefùs-Chrift, comme une des au* très fem.mes fidèles ; ne paroifTant entrer en rien ; ne s'attribuant rien; ne voulant pas partager arec les Apôtres le gouvernement de l'Ëglife naiflante ; fe fôumettant à leurs loix & à leur autorité ; n'affeélant aucune prééminence dans cette fainte affemblée; tout s'y paffant fans qu'il foit fait aucune mention d'elle ; fans qu'elle afîeélât aucune autorité ; & fe comportant comme une lîmple fille xie l'Eglife, elle qui en étoit la prote<^rice & la mère. Oui , Marie com- blée de tous les dons & de toutes les lumie- tes; revêtue de la dignité éminente à la- quelle une pure créature ait jamais pu pré- tendre ; le plus ferme appui fur la terre de- puis la mort de fon Fils, de TEglife naif- fante , en laifTe tout le foin aux Apôtres , & neferéferve que la gloire de fe foumettre la première à leurs décifions. Quelle leçon pour réprimer l'orgueil & l'inquiétude des Fidèles , qui fans participer à l'éminence
DE LA Sainte Vierge. 271 de fes dons & de Tes lumières, ne peuvent imiter fa foumiilion & fa dépendance !
Pour nous , mi es Frères , ce n'eftpasia foumiiîîon àTEglife qui nous coûte : cette foumiiïion ne bleiîe , ni notre orgueil , ni nospenchans, ni notre ambition, ni notre fortune. Ce qui nous bleire , c'eft de dé- pendre de ceux que nous croyons fort au- deflbus de nous , c'eft de porter le poids dune autorité qui paroît mal placée. Nous adoucilfons mêm.e les dépendances les plus inévitables de notre état,, par le mépris fecret de ceux de qui nous dépendons : nous nous vengeons de leur élévation p^jr nos cenfures : notre orgueil , forcé de leur obéir, fe.confole en les mépri Tant : leurs ordres nous rendent ingénkux à dé- couvrir leurs défauts ; & il eft rare que nos fupérieurs & nos maîtres , aient fur notre cteur la même autorité qu'ils ont îur notre perfonne.
Auflî le fécond cara^lere dé gloire , a laquelle Marie eft aujourd'hui élevée , op- pofé à ce caractère de dépendance qu'elle avoit tant aim.é , efl une gloire d'autorité & d'empire. Elle reprend aujourd'hui dans le ciel, à la droite de fon Fils cette puif* fance qu'elle n'avoit pas voulu exercer fur la terre : elle rentre dans tous {es droits : elle eft établie fous Jefus Chrif^, la mé- diatrice des Fidèles, le canal des grâces j l'efpéranee & le foutien de l'Eglife , fafyle des pécheurs , la protectrice des Juftes , larelfoiirce des peuples & des Em pires >
M 4
271 L'Assomption
la Reine du ciel & de la terre. Oui, mes Frères , la puifTance de Marie n'a point d'autres bornes , que celles de l'amour de fon Fils pour elle. Il partage , pour ainfî dire , avec elle Ton autorité : il la rend la diftributrice de {es grâces ; il veut que nous nous adre/Tions à elle , û nous vou- lons tout obtenir de lui ; & rien n'eft plus éloigné de refprit de la Foi , que de croire honorer la puilîance de Jefus-Chrift, en diminuant celle de fa fainte Mère. C'eiî lui que nous honorons en elle : ce font Tes dons que nous exaltons , en exaltant les dons ineffables de Marie : p'efl fa puif- fance que nous réclamons , en réclamant celle de fa fainte Mère : & elle & nous , nous ne fommes ce que nous fommes , que par lui ; & notre confiance en elle ne perd fa fource , que dans les merveilles que Jefus - Chrift veut bien opérer par elle.
Ce n*eftpas , mes Frères , qu'il fuffife de fe mettre fous la protedlion de Marie , 6c de lui rendre quelques hommages , pour afîurer fon falut : le falut éternel eft le prix de lobfervance feule de la Loi de Dieu. Quiconque aime le monde, qui- conque fe livre aux delîrs de la chair , qui- conque ne rompt point Ces pafllons cri- minelles 5 il a beau fe déclarer ferviteur de Marie , elle ne le connoît pas : elle le re- garde comme l'ennemi de fon Fils : elle détefte la confiance qu'il met en elle , com- me injurieufe à la Religion , & fur-tout
4
DE LA Sainte Vierge. 273 à la gloire de Jefus-Chrift. Elle aide de fon entremife les pécheurs qui veulent re- venir de leurs égaremens ; mais elle fol-^ licite elle-même la punition ^e ceux qui fe font de fon entremife une fécurité 5c une raifon pour y perfévérer.
Et certes , mes Frères 5 fi Jefus-Chrift lui-même ne reconnoît pour fa mère, & fes frères , que ceux qui font la volonté du Père célefte ; Marie reconnoîtj^y,Qjle pour fes enfans j les tranfgrelTeurs de cette fainte volonté, &: les ennemis de la doc- trine & de la Croix de fon Fils ? Si Je- fus-Chrift 5 malgré les acclam.ations popu- laires des femmes de Juda , ne fait pas confiner le bonheur de Marie dans l'hon- neur qu'elle a eu de le porter dans fon chafte fein , mais dans fa fidélité à écoa- .ter la parole de vie , & en obferver les faintes maximes, nous nous croirions heu- reux 5 nous 5 en portant fur notre corps des marques confacrées au culte de Ma- rie , fans avoir l'amour de Jefus-Chrift & de fa vérité, gravé dans notre cœur ? Ma- rie ne feroit donc plus que la protectrice des pafTions que fon Fils condamne ? fa puiiTance renverferoit donc Tceuvre de l'Evangile , & ouvriroit aux hommes une autre voiedefalut, que celle que Jefus- - Chrift lui-même leur a frayée ? Quelle iiîu- fion , mes Frères , de prendre dans le ref- pe(ft que l'Eglife nous infpire euvers Ma- rie , le motif de notre fécurité dans le crime , & de fe perfuader qu'il fufiit de
.M5
274 L'Assomption
fe confier en fa prote£i:ion 5 pour obtenir après une vie toute de crimes & de paf- fions j la grâce du repentir & du pardon à la mort! Eh! quoi mes Frères , notre con- fiance en Jefus-Chrift lui-même , qui efl Fauteur de la vie & du falut , feroit vaine, fi nous ne vivions pas comme fes Difci- î^les , & notre confiance en Marie feroit plus puilTante , quoique nous marchions dans les voies du monde & des pafTions? T oiSrceux qui diront à Jefus-Chrift lui- iTiême, -Seigneur 5 Seigneur, n'entreront pas pour cela dans le Royaume des Cieux ; & tous <:eux qui diroient à Marie , notre Rein€ , notre refuge , notre efpérance , fe- Toient admis dans la gloire que Jefus-Chrift n'a promis qu'aux obfervateurs de fa Loi fainîe ? Tous ceux même qui ont publié la gloire de Jefus-Chrift fui la terre , qui ont prophétifé en fou nom , qui ont annon- cé fa dodrine & aggrandî fon Royaume , ine feront pas pour cela comptés parmi' ces ©uvriers fidèles , qu^l couronne de juftice , a la fainteté de leurs mœurs n'a foutenu celle de leur miniftere ; & nous croirions que tous ceux qui ont publié la. gloire de Marie , qui ont paru zélés pour fon culte , qui en ont augmenté l'éclat & la magnifi- cence , & chargé peut-être fes autels de dons & d'oftrandes , feraient comptés par- mi ces ferviteurs vigilans, à.qui la récom- penfe des Juftes eft promife , fi l'innocence de leur vie & la pureté de leur cœur^n'a iauâifié la po$npe de eeshoûimages ? Noa ^
DE LA Sai\^te Tierce. 275 mes Frères 5 FEglife a toujours regardé Marie comme le foutien de notre foiblcire^, & non comme l'afyle de nos ps/lions ^ comme la reUburce de nos nécefîités , & non comme la protedriee de nos crimes. Marie ne compte pour fiens que ceux qui appartiennent à Jefus-Chriil : elle ne re- garde dans les hommages qu'on lui rend ^ que la pureté & la fidélité du cceur qui les lui offre , & n'aime dans {es ferviîeurs que l'innocence , la foi , la charité , & toutes les vertus qui la rendirent elle-mê- me agréable aux yeux de Dieu. Ceil ainfî que fa puilfance & fon autorité dans le ciel 5 couronnent aujourd'hui l'abaifîément de dépendance où elle avoit toujours vécu fur la terre.
Enfin , le dernier abaiifement de Marie pen-dant fa vie mortelle, avoit été in abait fement de mépris & de confufion. Soup» çonnée par Jofeph , elle avoit porté dans lefilence toute la honte d'un foupçon à hu> miliant & û trif^e. Elle adoroit en fecret les ordres du Seigneur fjr elle ; & fans dé- couvrir à Jofeph le myflere ineffable qui venoit de s'opérer dans fon fein ^ elle iaif- foit à la fageffe du Très Haut le foin de manifefler l'innocence de fa fen'ante. Elle ufliffoit cette humiliatioi> à celle que le Ver- be fait chair commençoit à éprouver dans fes chaftes entrailles : elle fe foumettair comme lui , à porter quelque temps la refl femblaiice du péché , à faire un C^rn£çQ de ùm inaocence aux ordres inconnus/ k
M 6
z'jô L'Assomption
adorables de la fageiTe divine , & à Te ré- jouir même par avance de l'utilité qiie Dieu fauroit bien retirer pour l'accomplif- fement de fes delTeins éternels , de fon humiliation & de fon opprobre.
Telle étoit la difpofition de Marie ; & voilà pourquoi fa mort eft fuivie dune l^loire de vénération & d'hommage : der- nier caraôere. Tous les peuples & toutes les nations ont entendu parler des merveil- les de Dieu en elle : par- tout où la gloire de Jefus-Chrifta trouvé des adorateurs, la iîenne a trouvé des honneurs 6c des hom- mages. A peine eut-elîe difparu de la terre, que les hommes Apoftoliques lui adrefle- rent des vœux : ces fiecles heureux & fî honorables à la Foi , furent les premiers dépofitaires du refpeâ: des Fidèles envers Marie ; & il falloit bien que TEglife ^ en- core jiaiflante , rendît déjà des honneurs foleminels à cette Reine du ciel ; puilqu'il s'éleva dès-lcrs , parmi les Fidèles , àes hom.m.es ignorans & fuperftitieux , qui frappés de féminence de îa gloire & de fa dignité , changèrent la piété en fuperftition & en idolâtrie ; lui offriient ôlqs facrifices, ha lui rendirent à^s honneurs qui ne font dûs qu'à rEternel. Ainiî à mefure que la foi fe répandit , le culte de Marie s'établit fur la terre : à mefure que l'Eglife , favo- rifée par les Céfars , vit l'éclat & la mia- gnificence , accompagner la fainteté de fes myfteres ; les hommages rendus à Marie devinrent plus pompeux & plus foleranels.
DE LA Sainte Vierge. 177 En vain parurent alors des efprits inquiets & fuperbes , qui oferent lui difputer l'au- gufte qualité de Mère de Dieu. Leurs blafphêmes ne fervirent qu'à réveiller la piété des Fidèles : de toutes parts s'élevè- rent des autels & des Temples magnifi- ques 5 confaçrés fous fa protedion & fous fon nom , à la gloire de fon Fils : la Reli- gion des peuples oppofa des monumens publics élevés à l'honneur de Marie , aux fecrettes entreprifes de (es ennemis ; des Conciles s'aiTemblerent pour lui conferver fes droits auguftes, & laiiîér à la pcftérité dans leurs décifions , les titres vénérables de leur r.efpeâ: , &c de celui de leurs pères envers Marie ; & l'erreur , comme il ar- rive toujours 5 ne réuflit qu a établir avec plus d'éclat la vérité.
Que dis-je , mes Frères ! les Villes & les Empires fe mirent fous fa protection puiiTante : de faintes Sociétés aiîémblées à fon nom , & dévouées à fon culte , s'é- levèrent de toutes p^yts : les fléaux pu- blics ceflerent par les vœux & les hom- mages qu'on lui adreffa : nos Villes & nos Provinces , frappées de la main de Dieu , virent tomber par fon entremife , le glaive qui les châtioit ; & un de nos Rois , dont la mémoire nous fera toujours chère , par* ce qu'il futun Roi jufte & clément, fit pour immortalifer le fouyenir d'un bienfait Ci fi- gnaié, un hommage public à cette Reine des cieux 5 de tout fon Royaume qu'elle venoit de conferver & de délivrer de la plaie , qui
27? L* Assomption
fembîoit annoncer fa défôlation Si fa ruine. L'Angleterre elle-même , avant qu'un fchifme infortuné en eût fr^it un Royaume de trouble & d'erreur , fe diftingua par fa piété envers Marie : fes Rois la regardè- rent comme la protedrice de leurs Etats : {es plus faintsEvéques furent les défenfeurs les plus zélés de fon culte : c'eft un dépôt facré qu'ils avoient reçu de ces hommes Apofloliques , qui fous les ordres du grand Pontife faint Grégoire, vinrent établir dans cette Ifîe célèbre, la Foi de Jefus-Chrift fur les ruines de l'idolâtrie. La fcience qui diftingua bientôt cette Eglife fiorifTante , loin de refroidir fon zèle envers Marie , le rendit plus fervent & plus folemnel ; fa piété augmenta avec fes lumières : l'orgueil & les pafTions feules ont détruit ce qu'une foi humble & éclairée avoit d'abord édifié. Le Seigneur a retiré fon Efprit du milieu de cette Eglife infidèle : il l'a livrée à un efprit de menfonge &: de révolte , mais fes châtimens ne font jamais fans miféricorde. Il a voulu la punir ; il ne veut pas l'aban- donner & la perdre : il s'eil encore réfervé ffu m.ilieu d'elle un petit nombre d'Ifraéli- tes Bdelesj que la contagion générale n'a pas infedés , &. qui n'ont pas iléchi le genou devant Baal : cette fainte fem.ence que la èontédeDieulaiife encore au milieu de ces Villes rebelles, fruârifiera en fon temps, & les empêchera d'éprouver le môme fort que Sodome & que Gomorre. Et encore tous les jours une grande Reine , plus il-
DE LA Sainte Vierge. 279 -^ luftre par les couronnes qu elle a facrifiées ' àlà*conftance de fa foi , que par lapuilfance & les grandes qualités qui les avoient mifes fur fa tête , trouve ici aux pieds de Marie y la plus douce confoiation de iç.s peines ; lui offre fans celle un Royaume que l'héréfie a infedé, des fujets que l'efprit de rébellion j toujours inféparable de l'héréfie, a fafcinés; avance aux pieds ào^s autels , les momens de la miféricorde ; & contribue plus à la converfion de fes peuples & au rétabliffe- inent de la Royauté indignement violée , par les foupirs fervens q^u'elle ne ceiTe de» répandre dans le fecret du Sanduaire , que toutes les Puiffances de la terre ne fau- roient y contribuer par la fageffe de leurs confeils & par la for-ce de leurs armes.
Voilà , mes frères , le comble de gloi- re où les humiliations paffageres ont con- duit Marie ; & telle eft prefque toujours la deftinée des Juftes , qui oi>t éprouvé des revers & des humiliations fur la terre» Chaque fiecle en fournit des exemples ; 6c encore fous nos yeux un Roi * détrôné 5 expofé pendant fa vie à la cenfjre des in- fenfés ; lui q\ii avoit vu fa foltaxée de foi- bleffe , fon zèle d'imprudence , & fes mal- heurs im-putés à lui feui., reprend après fa mort le droit qu'il, avoit furl'eftime & fur la vénération publique ; & s'attire des hom- mages mille fois plus éclatans , que ceux quûavoient environné fon trône.
Pour lufurpateur qui s'eft élevé par deî * Jasqxkii Ih Roi d'Angleterre.
i8o L* A s s O M P T I O N
voies injuftes ; qui a dépouillé l'innocent & chafTé l'héritier légitime pour fe mettre à fa place & fe revêtir de fa dépouille ; hélas ! fa gloire fera enfevelie avec lui dans le tombeau ; fa mort développera la honte de fa vie. C'eft alors que la digue qu'oppo- foient aux difcours publics fes fuccès 6c fa puiflance , étant ôtée , on fe vengera fur fa mémoire des fauffes louanges qu'on avoit été contraint de donner à fa perfonne : c'eft alors que tous les grands motifs de crainte & d'efpérance n'étant plus , on tirera le ^voile qui couvroit les circonftances les plus honteufes de fa vie : on découvrira le motif fecret de fes entreprifes glorieufes , que l'adulation avoit tant exaltées ; & on en çx- pofera l'indignité & la bafTeife. On regar- dera de près ces vertus héroïques , que l'on ne connoiiToit que fur la bonne foi des élo- ges publics ; 6c on n'y trouvera que les droits les plus facrés delà nature & delà fociété , foulés aux pieds : on le dépouille- ra alors de cette glpire barbare 6c injufte , dont il avoit joui : on lui rendra l'infamie 6c la mauvaife foi de fes attentats , qu'on avoit bien voulu fe cacher à foi- même. Loin de régaler aux héros, on l'appell-era un fils dé- naturé ; un de ces hommes , dont parle faint Paul , fans culte, fans afFeâ:ion 6c fans principe ; fa faulTe gloire n'aura duré qu'un inftant , 6c fon- opprobre ne finira qu'avec les fiecles : la dernière poftérité ne le connoî- tra que par fes crimes; que par la piété filia- le foulée aux pieds à la face des Rois 6c des
DE LA Sainte Vierge. 281 nations, qui ont eu la lâcheté d'applaudir à fon ufurpation ; enfin , par l'attentat qui lui a fait détrôner un père & un Roi jufte , pour fe mettte à fa place. Les hiftoires , fî. deles dépofitaires de la vérité , conferve- ront jufqu'à la fin fon nom avec fa honte ; & le rang où il s'eft élevé aux dépens des loix de l'honneur & dé la probité , en le faifant entreç fur la fcene de l'univers , ne fervira qu'à immortalifer fon ambition & fon ignominie fur la terre.
Quelle inftrud^ion pourrois-je vous laif- fcr-à vous , mes Frères , en finiffant cet éloge de la mort & de l'exaltation de Marie , finon de l'oppofer encore à la mort du pécheur? Oui,. mes Frères, la mort finit toute la gloire de l'homme qui a oublié Dieu pendant fa vie ; elle lui ravit tout , elle le dépouille de tout , elle l'anéantit dans tout ce qu'il étoit de grand aux yeux des hommes ; elle le laiffe feulfans force , fans appui , fans reffource , entre les mains d'un Dieu terrible. Ce nombre d'amis , de flat- teurs , d'efclaves , de fujets , au milieu defquels il fe croyoit immortel , ne peu- vent phis rien pour lui : femblables à ceux qui voient périr de loin un homme au mi- lieu des flots 5 ils peuvent tout au plus , ac- corder des larmes à fon malheur , ou faire des vœux inutiles pour fa délivrance. Ainfi feul aux prifes avec la mort , il tend en vain les mains à toutes les créatures qui lui échappent. Le pafié ne lui paroîtplus qu'un inftant fugitif, quin'a fait que briller & dif-
28z L'Assomption, &c. paroître ; l'avenir eft un abyme immenfe , où il ne voit ni fin , 'ni ilTue , & où il va fe perdre & s'engloutir pour toujours , in- certain de fa deltinée. Le monde qu'il croyoit éternel, n'eft plus qu'un phantôme qui fe diïïipe ; l'éternité qu'il regardoit comme une chimère , eft un objet affreux qu'il a fous les yeux , & qu'il touche déjà de fes mains. Tout ce qu'il avoit cru réel & folide , s'évanouit : tout ce qui lui avoit paru frivole & chimérique , fe montre & fe réalife ; & fon malheur lui donne de nouvelles lumières , mais ne lui donne pas de nouveaux penchans , & un nouveau cœur : il meurt détrompé fans mourir changé ; il meurt défefpéré , & ne meurt pas pénitent.
Mais i'ame jufte , ah ! elle voit alors le monde & l'éternité , des mêmes yeux qu'elle les avoit toujours vus : rien ne change , rien ne finit pour elle dans ce der- nier moment, que fes humiliations & fes fouffrances. Ainfi libre de tous les attache- mens du monde & de la vanité , pleine de bonnes œuvres , foutenue de îa foi des pro- melTes , mure pour le Ciel , elle fcrm.e les yeux fans regret à tous les vains objets qu'elle n'avoit jamais vus qu'avec peine ; elle s'envole dans le fein de Dieu , d'où elle étoit fortie , & où elle avoit toujours habité par fes defirs ; & rentre avec paix & avec confiance dans la bienheureufe Eternité.
Ainfi foit'iL
'- — ^^%:r — ==^
SERMON
POUR LA FETE DE LA VISITATION
DE LA Ste. vierge.
Exurgens autem Maria in diebus illis , abiit in montana cum feflinatione , in civi- tatem Juda.
Un peu aprh , Marie partit avec prompt titude , & s\n alla dans les montagnes de Judée , en une ville de la Tribu de Juda, Luc. I. 39.
'eau prodige , mes le timide j foible , un Pare , dans le S* Amh. calme & dans la pudeur de la retraite , elle , qui n'a guère , ne pouvoit foutenir ,- lans trouble & fans embarras , ja^^réfence même d'un Ange , fe montre aujourd'hui en public , s'expofe à la vue des hommes , & ne compte même pour rien , les allarm.es & les périls d'un long & pénible voyagp.
284 La Visitatton
Incrédule , veut elle avoir pour garant de fa maternité , le miracle de la fécondité ^'Elizabeth ? incertaine , vient - elle lui confier le fecretde FambalTade de Gabriel, pour favoir ce qu'elle en doit croire ? fîere de fa nouvelle dignité , fe hâte-t-elle par un des ces fecrets empreifemens qu'infpire une vaine joie , d'en aller annoncer la nou- velle à fa Coufine?
Ah ! s'écrie faint Ambroife , tout j^u- blie ici la foi& ITiumiiité de ?vlarie. Con- vaincue que le Tout-Puiifant fe plaît à faire de grandes chofes 5 elle fait qu'il ne lui eft pas plus difficile d'allier la fécondité avec la virginité , qu'avec une honteufe ftérili- té._ Elle commence à découvrir que Thif- toire des Saras & des Annes , n'avoit été qu'un prélude de ce qui fe paiTe à fes yeux; & rentrant dans fon néant , à me- lure que Dieu s'approche d'elle pour l'éle- ver , Mère du Libérateur de Sion , que tant de fiecles avoient promis , que tant de Juftes avoient annoncé , que tant de Rois & de Prophètes avoient fouhaité , cUq va rendre à Elizabeth les mêmes de- voirs, que fon Fils doit un jour rendre à Jean-Baptifte ; & comme lui , elle fe croit . Matth. obligée d'accomplir toute juftice : Sic enim «• is» decet nos implere omnem jujîitiam.
Ni la-bienféance , continue ce Père , fur laquelle fonfexe eft fi délicat, & quifi fou- vent lui tient lieu de vertu; ni la difficulté des chemins , ni la longueur du voyage n'allarment pas fa délicateife ; peu attentive
DE LA Sainte Vierge. 185 à tous les obftacles que ramour propre grofTit & multiplie toujours avec tant d'art & de fuccès , elle fe livre au divin pen- chant qui l'entraîne , & fuit fans balancer les impreffions du Dieu qu'elle porte dans fon fein : Non à puhlico virginitatis pudor 5 5, ^^5^ non àjludio afpcritas montium , non ah of- ficLO prolixitas itincris rctardaviu
Souffrez , mes Frères , que je m'arrête à ces trois réflexions. Si je n'approfondis pas le myftere , c*eft que nous avons en- core plus befoin d'être touchés , que d'ê- tre inftruits. Ces faits miraculeux fur quoi la Religion eft fondée , confolent à la vé- rité la raifon , & la mettent prefque d'in- telligence avec la Foi ; mais d'ordinaire ils laiifent au cœur toute fa tranquillité : ce font des lueurs qui nous réjouiifentpour un moment , félon l'expreiîîon de l'Evangile, mais qui ne nous embraffent prefque ja- mais. Ramenons donc à l'édification de nos mœurs toutes les circonftances de ce myftere.
Quels font les obilacles que notre amour propre oppofe prefque toujours à la grâce ? c'eft premièrement , une fauffe bienféance qui nous fait ménager le fiecle & nous em- pêche de nous déclarer tout haut pour Jefus-Chrift ; c'eften fécond lieu , la diffi- culté de la vertu qui nous allarme ; enfin, c'eft la durée du chemin qui rallentit notre zèle , & nous perfuade qu'on peut ufer d'à» doucifiémens, & chercher des feutiers dé- tournés & commodes , pour aider notre
x^6 La Visitation foibleffe. Or , Marie entreprenant ce voya- ge toute feule , nous confond fur ces rai- fons infinies de bienféance , qui ne nous permettent pas de fuivre l'attrait du Ciel î c'eft ma première réflexion. Marie , mal- gré la delicateffe de fon âge & de fon fexe, allant joindre Elizabeth à travers les mon- tagnes & les chemins lesplus difficiles, con- damne notre lâcheté , que la difficulté de la vertu effraye & retient dans le vice : c'efl ma féconde réflexion. Enfin , Marie fe hâ- tant toujours malgré la longueur du voya- ge , nous apprend à ne pas ufer de détours y ni adoucir par nos lenteurs & nosm.énage- lîiens , les rigueurs de la voie évangélique : c'efl: ma dernière réflexion. Voilà tout le delfein de ce difcours. Demandons au Saint-Efprit fes lumières par l'entremife de cette Vierge fainte. Ave , Maria,
D
E toutes les erreurs qui ont aujour- Partie d'htii cours dans le monde , il n'en ell pas de moins contagieufe que celle qui attache de la gloire au vice , & de la honte à la ver- tu. Je le fais , mes Frères , & je ne veux pas ici prêter au fiecle des defordres imagi- naires. L'iniquité, m.algrc tout le dérègle- ment du cœur humain , n'a pu encore trou* ver parmi nous uns protection publique : on ne voit guère de ces âmes défefpérées , qui fe fallent honneur de leur confufion , coirmie dit l'Apôtre , & qui mettent leur gloire dans lear infamie : le crime traîne toujours après foi certaine baifeife , dont
DE LA Sainte Vierge. 187 C13 eft bien aife de dérober le fpeftacle au public ; & je ne faisparquels reftes de droi- ture le fîecle lui-même ne peut s'empêcher de condamner tout haut , ce que fa cor- ruption lui fait autorifer en fecret.
Mais il eft des vices moins odieux , des défordres plus heureux , ^Qs crimes polis , fî je lofe dire , qui femblent avoir prefcrit contre l'Evangile , que le (îecle place ho- norablement parmi les vertus, & qui tout- à-coup n'offrant rien de trop noir , retien- nent toute la malignité du vice 5 fans en retenir la honte & les horreurs.
Or 5 je dis que c'eft de la fauffe idée qu'on attache à ces prétendues vertus , qui font 5 hélas ! dés vices trop réels , que naif- feut ces égards fi peu chrétiens, ces frayeurs coupables qui font que nous rougilfons de Jefus-Chriil : je dis que de-là vient que nous faifons tant d'a(ftions , malgré 'le cri fecret de la confcience ; que nous en om.et- tons tant d'autres dont nous fentons au de- dans de nous la nécelhté \ le tout , pour ne ptis choquer le monde. Comment ne pas fe conformer, dit on , à des ufages qui ont prévalu ? comment s'élever au-dclTus de la multitude qui ne s'en fait point de fcrapule ? Il eil clair que le mouds ne blâme point telle chofe : eft-il aufli clair que TEvangile la réprouve ? faut-il que je condamne tout le monde par mes fîugularités ? De-là il ar- rive que la pieté craintive &: tiniide , cher- che les ténèbres ; ou bien elle eft obligée d-'^ s'ajiîftcr aux' i....-iieres ùqs mondains 5
zS8 La Visitation
& de fe contrefaire comme David dans la Cour du Rois Acbis : elle n'ofe prefque ja- mais paroître tout ce qu'elle eft , tandis que le vice applaudi aFeé^e Téclat , loin de craindre de fe montrer. Eh ! n'étoit-ce pas alTezquelafoibleiTe & la corruption de no- tre cœur 5 nous rendit la vertu pénible & dégoûtante? falloit-il que lè dérèglement de l'efprit y attachât encore de la honte 5c du mépris ?
Trouvons aujourd'hui dans la conduite de Marie de quoi confondre le fîecle fur un point au{îi important. Quel efl le motif qui l'éloigné de Nazareth ? Un Ange vient de lui annoncer qu'Elizabeth, malgré fon âge & fa ftérilité , étoit devenue féconde ; qu'elle-même avoit été remplie de la vertu du Très-Haut, & que l'Emmanuel promis depuis tant de fiecles , defcendu dans fon fein 5 alloit enfin être la lumière des na- tions & la gloire d'Ifraël. Mais cette am- baffade fi augufte , fi extraordinaire , eft un fecret pour le public Peut -elle compter d'en être crue fur fa parole ? ne. doit-elle pas s'attendre aux. difcours des infenfés , & aux railleries des efprits qui fe piquent de raifon ?
D'ailleurs , fortie du fang des Rois de Juda , & depuis peu illuftrée par la quali- té de Mère de Dieu , ne paroît-il pas con- tre la bienféance , & n'eft-ce pas trop avi- lir ce nouveau rang , que de s'aller abaiifer jufqu'aux offices les plus vils envers une femme qui étoit fi fa/t au-deiîbus d'eîièi
Enfin 5
DE lA Sainte Vierge. iS^
Enfin j les loix d'une auRcre padeur
'accommodent-elles bien ave c les halards
ôc les contre-temps allez inévitables dans
un long voyage ?
Ainfi s abule , ô mon Dieu ! une raifon malade : ainfi trop ingénieiifes à fe rrom- per , fe flactenc tous les jours ces âmes foi- bles;, qui ont afiez de foi pour fouhaiter d'atteindre à ces montagnes faintes de la Tribu de Juda , mais qui nen ont pas af- fwz pour entrer dans les voies qui peuvent les y conduire !
Que de raifon ne fe dit- on pas à foi- même pour s'étourdir! dans combien de' mauvais prétextes lamour propre ne fe rerrancbe-t-ri pas!
Un Grand gémit du tumulte qui l'envi- ronne ; & livré aux foins de fa fortune , aux-^devoirs de fa charge , aux bienfcances ' de ion état . il oppofe fes foibles raifons à la VOIX du Qel qui l'appelle ; veut mettre Ditn même dans les intéras de fa foibîefTe; ^ croit que laiTuiettilTement à des loix que le caprice ou la vanité des hommes ont inventées , eft une bonne raifbn aux yeux ae Dieu , pour le difpenfex des loix divines ae l'Evangile.
Je ne faurois me donnrr des airs de fin- gularité , m me condamnera une retraite exernelie , vous d/ra une femme Chrétien- ne : je voudrois bien que Vufage autorisât une vie picis obfcure &c plus retirée dans
les ptrfonnes de mon rang, ^^ que le monde nous fit pas une loi de certain tracas.
ipo La Visitation
dont je me palTerois, fans beaucoup de pei- ne ,' mais quelle apparence que je me don- ne du ridicule par desmanitres firgulicres, &: que par piété j'aille devenir extraordi- naire f
Mais dans le jour terrible de vos ven- geances j5 ne jugez-vous pas les Grands ôc le peuple fur le même Evangile , ô mon Dieu ^ une fauiîe bienféance qui étouffe dans tant de cœurs les femences de grâce que vous y jettez j cette loi du fiecle , cet Evangile des mondains , fera-t-il une ex- ception dans les maximes générales de l'E- vangile de Jefus-Chrift ^ Hh ! fi votre juf- tice pouvoir fouffrir des adouciflem.ens dans une loi dont vous avez prédit l'accom- plifiem-ent jufqu'au point le plus léger j, fe- roit-ceen faveur des PuifTans du fiecle que vous vous relâcheriez ^ eux qui vous ont difputé la plus mince mortification j & qui pour TamiOur de vous n'ont jamais pu fe re- trancher fur un feul plaifir ; ou en faveur de ces inforrunés , qui parles ménagemens fe- crets de votre Providence , en proie ici-bas^ à la faim , à la (oif ôc à tant d'autres cala- mités 5 accablés fous la pefanteur du joug , n'ont pu toujours polTéder leurs âmes dans leur patience ^
Quel efl ici , mesPrçres y notre aveu- glement ! on ne veut pas d'une piété qui fe fafle remarquer y & qui nous mette fur le pied d'homme extraordinaire. Mais fi la contagion eft univerfelle 3 pouvez-vous VOUS en fauver fans être finguUer i mais û
DE LA Sainte Vierge. 191 !a foule entre dans la voie large , coai- njenc voulez-vous fuivre le iencier évan- gélique j 3c n'être pas remarqué f Eh quoi 1 parce que l innondation ailoic être géné- rale ) Noé ne devoir donc pas bâtir une Arche y ôc fe fauver avec fa feule familier* Il falloir donc que Loth^ pour éviter la fin- gularité, attendit tranquillement l'incendie de Sodome ? Détrompez-vous ;, mes chers Auditeurs; les Saints ont toujours* palTé pour gens finguliers : nous fommes deve- nus, difoit autrefois faint Paul , un fpeda- cle aux Anges & aux hom.mes : la vie commiUne ne fauroit être une vie chré- tienne ,& Ton fe damne à coup sûr , quand on ne veut fe fauver qu'avec la multitude parce que la multitude ne connoît& ne fré- quente que cette voie large & fpacieufe , qui mené à la perdition. Lt ne fentez-vous pas vous-mêmes , mes Frères , fi vous êtes de bonne foi là-deflus;) l'dlufion' de la créa- ture ^ Quoi ! il y aura toujours des rafons pour elle d'ofFenfer fon Dieu , &c de vivre pour le monde que nous devons haïr & dé- tefter , comme notre plus cruel ennemi 5 &ilnyen aura jamais de revenir à ce Dieu fî bon ) fi tendre pour nous , f\ bienfaifanr, ëc de le fervir ', tandis que tout nous crie , que n'étant faits que pour Dieu , ce n'eft que pour Dieu que nous devons vivie ? Chaque âge , chaque état fe fera des bien- féances incompatibles avec l'Fvangile i Une grande jeunefle fervira de prétexte à celui-ci j une vieillefle infirme & languif-
i^2 La V I S I T A T 1 O îs^
faute à un autre ? Si tout nous rir , on s'ex- cufcra furie tumulte & fur les embarras de la fortune ? h la main du Seigneur s'ap- pefantit fur nous j plus occupés de nos malheurs^ que d-es crimes qui nous les ont attirés^ on remettra fa converlîon à des temps plus calmes ^ plus tranquilles : Jouit-on d'une fanté parfaite ^ il faut four- nir à mille foins, fe prêter aux bienféances & aux dilTipations de fon rang & de fon €t3t.Eft-on frappé d'une infirmiité qui nous arrache au commerce du m.onde ^ ce ne font que foucis & mefures pour la fanté, X'affaire de l'Eternité demande trop d'at- tention ; on n'efc capable de rien , dit-on : on a îur la confcience des abimiesqui n'ont jamais été bien approfondis> 6c qui dem^an- dent du loifir ôcdc la liberté d'efprit: enfin, on craint de n'aigrir fes maux parlesréflexi- onsmêmes qui feules devroient les foulager. Ainfi nous échappent tous les momens de la grâce : ainfi repoulfons-nous la main falutaire qui frappe à la porte de notre cœur : & Ton eft fi ingénieux dans le fic- ck à ne pas lailler échapper ces conjonc- tures favorables qui nous offrent des ef- pérances de fortune & d'établiffement ! Les Grands ont leurs moments ) dit-on ; & le point } c'eft de favoir les prendre : m.ais la clémence divine n a-t-elle pas les fiens i Eh! quoi! mesFrereS;, croyons-nous que notre Dieu foit un Dieu de toutes les heu- res ; qu'il diftribue fes grâces félon nos ca- prices j de que mille fois rebuté ^ lorfqu'il
DB LA Sainte Vierge. 293 s^eft offert à nous , il ne fe lallera pas enfin de no, délais 6c de nos mépris ^ Ah ! di- fons-le à notre honte ; les enfans du fiecre font plus prudens que les enfans de lumiè- re : rien n'échappe aux premiers , parce que leur cupidité eft vive & agilEnite ; ôc nous j nous l?.i (Tons perdre les occafions les plus favorables , parce que notre cha- rité eftfoible de languillante.
Carj, ô mon Dieu [combien de fois m'a- vez-vous averti , follicité y importuné :> d'entrer dans vas voies ! combien de fois au fortir même du crime , loin de lancer fur moi les foudres de votre iuftîce , m'a- vez-vous tendu une main favorable , Se profité du moment , où la pafïîon fatisfaice 6c plus calme , lailToit à la raifon la liberté des réflexions y pour m'expofer les fuites terribles d'une vie criminelle I Âh ! l'hom- me 4e plus barbare fe Ldfferoit attendrir, fi dans le temps même qu'il nous enfonce le poignard dans le fein , nous prenions des melures pour fa fureté ; & mon ame tou- jours rebelle Ôc toujours animée a pu tenir jufques-ici contre tous les efforts de votre tendreiTe ^
Mais ne vouslafferez-vous pas enfin de vos pourfuites & de mes rebuts ^ ferez- vous toujours y Seigneur , à la porte de mon cœur pour en folliciter l'entrée i ma converfion dépend-elle de vous ou derfToiY & ces grâces offertes que je refufe y pour- rai-je les r'avoir à mon gré ^ ne m'avertif- fcz vous pas qu'un temps viendra où je vou5
Nj
1^4 l'A Visitât lOîî chcicherai , & où je ne vous rrouveraî plus y Ôc qu'une mort funefte , en finiiTanc mts crimes , commencera entin mon éter- nel lupplice ^
Mais encore y dites-moi , ô homme fi éclairé fur les bicnféances l lorfque par vos dilîolutions de votre vie licencitufe 3 vous criez le fcancale de votre Ville , la b;en- féance étoit-elle un frein alTez puilîant pour vous arrêter i lorfqu'oubliant votre carac- tère 5 Miniftre du Seigneur , vous dcfccn- diez de 1 autel facré pour vous donner en fpc6lacle au public j &c violer vous-rnême des loix dont vous étiez le dcpofuaire &c le protecteur :, les difcours publics vous ont-ils jamais coûté un feul plaifirf" lorfque des cngagemens d éclat ;, &i une conduite peu régulière :, rendoient cette femme la fable de fon quartier & la honte de fa fa- mille ,' que les amis d<. les proches lui en faifoient des ouvertures fi touchantes ; qu un mari juftement irrité en frémiiïbitj qu'un ménage en tomboit à vue d'œd en décadence , régloit-elle fes emportemens fur ces loix gênantes & trop aufteres de la bienféance ^ ah ! la paHion alors la plus forte la rendoit infenfible à tout. Ce n'efl: qu'avec vous , ô mon Dieu l que Ton efl: timide Se circonfped : on n excède en pré- cautions j, que lorfqu il s'agit de vous fer- vir : on pefe alors fur tout ; on eft fenfible à tout , on épaiffit même de vaines ombres, ôc l'on tremble à l'afped des phancômts que l'on s'eft formés.
DE LA Sainte Vierge. i^f Ah ! je fens là-deflus toute l'injuftice de ma conduite. Quand il a été queftion de vousofFenfer , on m'a vu la tête levée , me faire honneur de mes défordres , 3c erre pécheur d:r bonne foi : tranquille alors furies intérêts de mon honneur, de ma fortune , de ma confcience , de l'amitié , je facrifiois fans fcrupule ma réputation :, mes biens ^ mes amis , mon faiut. Faut-il revenir à vous f faut-il de certe région de ténèbres , pafTer à une région de lumière ^ ah ! route ma force m'abandonne i je fens expirer au premier obftacle tous mes pro- jets de converfion ; je crois enfoncer com- me Pierre , lors même que vous me tenez par la main : ah I c'eft que votre amour ne domine pas dans mon cœur , comme y dom.inoit alors la pafïîon. Lorfqu'ila établi ion empire dans un cœar , cet amour fa- cré , il n'ed plus de difficulté qui rebute j .les peines même font délicieufes ; & fain- tement féduit par le divin attrait de la grâ- ce , loin de fe grolTir à foi- même les obfla- cies, le cœur devient ingénieux à fe les cacher. Tel eft l'exemple que nous donne aujourd'hui Marie ; les vaines raifons de la chair & du fang ne larrêcent pas : Exur- gens ahitt. La difficulté même des chemins, les montagnes les plus inacceffibles n'alar- ment pas fa foi: féconde inftrudion pour ceux que la difficulté du falut empêche d'entrer dans la voie évangélique : c'eft ma féconde réflexion.
N4
1^6 La Visitation
j I^ JLL règne dans le (îecle deux erreurs fort
Pautie. oppoftes j mais ég?.lement dangereufes,
fur la difficulté du falut j & c'eft à ces deux
erreurs qu'il faut rapporter les vices & les
fau(res vertus des Chrétiens.
La première erreur , & celle que je combats m.aintenant j eft de ceux qui vive- ment frappés de Tidée qu'ils fe font de la perfection chrétienne , effrayés au feul af- pe(5t de la montagne évangélique , en croient la route inacceffible -, Ôc fansfe fou- venir que ce qui eft impodible aux hom- mes ne Teft pas à Dieu ^ ils ne vieillifTent dans l'iniquité y que parce qu'ds ne comp- tent pas pouvoir jamais atteindre à la véri- table juftice : illufion dangereufe qui ou- trage la grâce du Sauveur.
Or 5 la conduite de Marie nous fournit aujourd'hui de quoi détromper le fitcle fur cette première illufion. Infpirce d en- haut fur la route qu'elle doit tenir ;, les montagnes les plus inaccertibles n'alar* ment pas fa foibleife : yîbiit in montant. Eh ! dit faint Ambroife , quelle autre roure pouvoit-elle choifir f* la grâce approche toujours le cœur de ces montagnes éter- nelles où fe trouve notre t ré for : Quo emn jam Deo pleria , nifi ad juperlora CQyifcende" ret ç' Voilà Tinftrudion qui s'adreffe à ceux, qui comptant trop peu fur la grâce , déSti- perent de pouvoir jamais atteindre à cette fainre Cité fituée fur la miontagne.
Je fens toute ma foibleife , me dites-
DE LA Sainte Vierge. 15)7 vous; j'ai de l'horreur pour le crime \ ÔC je ne voudrois pas avoir fait tort à mon prochain : mais il y a mille chofe que le Prédicateur foudroie tous les jours en chaire , de fur quoi je ne fauroîs me ga- gner, jfe conviens qu'à vivre fur le pied de l'Evangile , il faudroit s'y prendre d'u- ne toute autre manière : je fais que Jefus- Chrift menace d'une éternité de peines , ceux qui n'en fouffrent point ici-bas ; que ceux qui cherchent trop à ménager leur ame ? la perdent ; qu'il faut porter fa eroix , & fe renoncer loi-même, pour être fon difciple ; que la vie chrétienne eftune profeilion publique de pénitence ; & que comme on ne peut avoir accès auprès de Dieu :> fans être incorporé en Jefus-Chrift, on ne peut être incorporé en Jefus-Chriftj, fans être crucifié avec lui: je le fais , ôc c'eft juftement ce qui me fait défefpérer d'être jamais homme de bien. Audi je fuis de bonne foi ; je ne m'abufe point là-def- fus. Je connoîs toute l'étendue de mes obligations j Se fi j'embraflbis le parti de la vertu j) je ne l'embraffèrois pas à demi ,* je n'imiterois pas tant d'autres qui veulent al- lier Dieu Se le monde , l'Evangile Se les pkifirs ; Se qui pour vouloir être , & au fiecle Se à Jefus-Chrift^ ne font au goûç ni de l'un ? ni de l'autre.
Mais 5 Q homme ! quel eft ici ton éga- ïement ! Tu fens ta foiblefle , & ton im-> puifTance : maisignorcs-tu que la gracê eft le remède de la foibleiTe ? n'entends-tu pjii
Ni
298 Î-A Visitation ces paroles confolanrcs du Sauveur des hommes : Venez, a fnoi ^ vous tous qui êtes folhles & fatigués y & je vous fonUgerai ^ l! nous déclare y il efl: vjrai ^ que fans lui nous ne pouvons rien faire: mais n'eft-ce pas nous aifurer en même rems qu'avec lui, il n'efl: rien que nous ne puidions ;, & qu'il n'efl: point d'obftacle que fa grâce ne fur- monte 5 & point de foiblcfte qu'elle ne guérJlTe^ Voilà , ô homme i où tu dois chercher la force qui te manque. Qiie pen- feroit-on d'un m.alade y qui , atteint d'une langueur dangereufe y ne voudroit plus prendre de mefures pour fa fanté j feule- ment parce qu'il fe feroit ap perçu qu'il eft malade ^ eh ! c'eft la maladie elle-même qui vous avertir qu'il faut avoir recours à l'art ^ aux remèdes.
La difficulté de l'entreprife vous arrête, mon Frère ^ Ah ! s'il falloir , com.me au- trefois , vous expofer à la fureur des ty- rans ! fouffrir U perte des biens ;, de Thon- neur, de la vie pour la Foi de Jefus-Chr:ft> vous auriez quelque fujet de trembler à la vue de votre foiblen^.- , quoique vous duf- fîez dire alors avec TApôrre : Je puis tout en celui qui me fortifie .-mais Dieu n'en exi- ge pas tant. Tranquille au milieu de vos 'proches & de vos amis ; ne craignant 3 ni pour votre fortune , ni pour votre vie j, que -vou«'. dem.ande-t on ^lefcul facrificede vos paflionsjl élo^qnemcntduvice, lahainedu monde &' de fes maximes , la pratique des . vertus évangéiiques j un peu plus d'habi-
DH LA Sainte Viergf. 199 tude avec la prière , plus d'amour pour la retraite j, plus de ferveur dans la fréquenta* tion de nos Sacremens j un ufage plus chrétien de votre temps ; plus d'attention fur vous-mêmes ; moins d'horreur pour la croix de Jefus-Chrifl: : & rebuté , alarme , découragé , vous n'ofez tenter cette entre- prife ^ Ôc vous facrifiez follement l'efpé- rance d'une éternité de bonheur , à votre molle (Te 3c à votre lâcheté ^
Généreux Fidèles des premiers temps , hélas ! les plus cruels fupplices ne pou- voient vous féparer de la charité de Jefus- Chrift : vous auriez tremblé pour votre vertu , & vous auriez douté de votre amour pour lui , fi cet amour ne vous eût coûté tout votre fang : on vous regardoic comme ce qu'il y a de plus infâme fur la terre ; & votre plus douce confolation étoit de n'en avoir point ici- bas , de d'être jugés dignes de fouffrir des opprobres pour le nom du Sauveur. Et en ces derniers temps on croit qu'il encoûtetrop pour être Chrétien , quand il en coûte un feul plaifir : le Ciel, à ce prix-là, paroît trop cher. Sommes-nous les fuccefleurs de votre Foi^ avons-nous une efpérance différente de la vôtre i 5c\e Dieu que nous adorons , eft- il devenu moins digne de nos emprefle- mens ^
Et d'ailleurs , Chrétiens y vous vous fi- gurez des amertumes dans le parti de la vertu : mais fans parler des divines confo* Utions que Dieu prépare ici-bas mêms^
Né
3C0 La Visitation
à Cfux qui Taiment -, fans parler de cette paix intérieure , fruit de la bonne confcicn- ce 5 qu'on peut appeller en même temps , &c un avant-goût & le gc-ge de la félicité qui efî réfervee dans le c.el aux âmes fidè- les j fans vous dire avec TApotre , que tout ce qu'on peut fouffrir fur la terre n'eft pas digne d'être comparé avec la récompenfe qui nous attend : (i vous étiez de bonne foi , de que vous voululTiez nous expofer ici naïvement tous les défagrémens qui ac- compagnent la vie du fiecle ', que ne diriez- vous pas j (Sc.quene dit-on pas tous les jours ià-defius dans le iîecle même ^ Beata cfUA credldifti i s'écrie-t-on , comme autre- fois EJizabeth 5 quand on voit une ame dé- fabufée du monde : Qu'un tel ell; iieureux ! il. (ait fe paOer de ce que la Keligion nous oblige de haïr ; il ell fage ; il penfe à une autre vie , il choidc la meilleure part ; que n'avons-noos le courage de faire comme lui 1 c'eit bien-ll ce qu'il y a de plus folide; tout le refte n'eft qu'amufem.ent : Se on n'y trouve point de plaifir qui ne fe fafieache- îer v^r mille chagrins.
En effet :> quelles font les fureurs d'un mariage mal aiforti :, d'une paiTion m.épri- fée 5 d'un jeu malheureux , d'un établiffe- mcnt m.anqué 5 d'une amitié trahie :, d'un lang perdu , d'une réputation fiétrie , d'un procèi douteux, d'une faifon cruelle, d'une taxe qui vous abîme , d'une alliance qui . vous déshonore , d'un nom qui va s'étein- dre ^ d'une mort qui vous enlevé une per«
DE LA Saiî^tf Vierge. ^di fonne , ou chère , ou néceilaire ; d'une famille mal élevée , d'une dilgrace encou- rue :> d'une préférence iniuile ?
Avez-vous évité cous ces conrre-temps î ah '. vous ne fauriez vous éviter vous-me^ me. Car enfin , 6 mon Dieu , le pécheur a beau s'érourdir r un relie d'éducation chrétienne plaide long-tcmspourvousdans le fond de Ton cœur , &c empoi Tonne fes douces joies ron fent le vuide du plaifir ; il ert des momens de réflexion qui vous tuent : le coeur , fait pour une félicité plus folide , s'amufe :, mais ne fauroic fe fa- lisfaire, il voltige aucour des créatures y mais il ne peut s'y fixer ;il porte par-tout un fond d'inquiétude & d'ennui ^ qui le re- veille même au milieu des joies &i desamu- femens^ enfin , on trouve fon remède dans le mal même, le dégoût daîis la jouifTance ; &L Ton ne fent de vivacité pour le plaifir , que dans le moment qui le précède.
C'eft là-*ie(îus que roule le fiecle ; on le fent 5 on s en plaint , 6c on s y aime : on fe famifiarife avec des chagrins que rien ne parcage , dont rien ne dédommage ; & on frém-it au feul foavenir des faintes rigueurs de IT vangiie, que la Foi confole , que i'ef- pérance fioutienc , que la charité adoucit: Eh l que ne puis-je à mon tour vous expo- fer ici le cœi^r d'un Jufte ^ Se vous y faire rem.arquer cette chafte volupté , cette pai- fible félicité qui fuit l'innocence I Quelles fecrettes délices netrouve-t-il pas à vivre de la Foi ^ à fe regarder comme étranger
;oi La Visitation fur la terre , à foupirer fanscelTe après fa patrie ! quels tranfporcs durant le cours de ces prières ferventes y où les vues de la Foi plus vives lui rapprochent l éternité ,& ne luilaid'oientplus voir qu'en éloignementle fîecle & fa figure l Quel dégoût au fortii* de-là pour les vaines joies des mondains I il les plaint :, il déplore leur égarement , il les regarde comme des frénétiques qui rient au lit delà mort:,ou comme des cou- pables deftinés au fupplice , & qui fans le lavoir 5 feréjouiflent , tandis qu'on les y conduit.
Maisquene pouvez-vousledireicià ma place j) Vierges faintes qui m'écoutez 1 inf- truites fur ceschaftes délices qui accompa- gnent l'innocence &c la piété , que de mer- veilles de la grâce nous découvririez-vous ? eh 1 que pourroit oppofer le fiecle à un exemple (î confolant ^ L'âge , le fexe , la nailîance , prétextes fi frivoles &: fi fou- vent allégués , feroient ici confondus : puifqu'on y voit Tâge le plus tendre :, le fexe le plus délicat , la naifTance la plus diftinguée ^ ajouter mêm^e aux rigueurs de l'Evangile des rigueurs de furcroît , 3c trouver dans la fainte pratique des vertus rehgieufes plus de véritables douceurs^que le fiecle tout entier n'en peut offrir à fes plus déclarés partifans.
Et c'eft ici où jeveuxconfondre l'iniqui- té par l'iniquité même. Un homme livré à l'ambition fe laiffe-t-il rebuterpar les difE- cultes qu'il trouve fur fon chemin i 11 fe
DE LA Sainte Vierge. ^05
refond , il fcmétan'iOrphofe , il force (on naturel , & l'afluieint à fa pafïion. Né fier 3c orgueilleux ^ on le voit d'un air timide cC fournis 5 effuyerles caprices d'un Miniftre ; mériter par mille baffe ifes la protediond'un fubalterne en crédit , Ôc fe dégrader juf- qu à vouloir être redevable de fa fortune à la vanité d'un Commis , ou à l'avarice d'un efclave : vif &: ardent pour le plaifir , il confume ennuyeufement dans des anti- chambres , 6c à la fuite des Grands ^ des momens qui lui promettoient ailleurs mille agrémens ,* ennemi du travail & de l'em- barras, il remplit des emplois pénibles, prend non feulement fur fes ai Tes j> mais encore fur fon fommeil & fur fa fanté , de quoi y fournir ; enfin d'une humeur ferrée èc épargnante;, il devient libéral ^ prodi- gue m.ême ', tout efl: inondé de (ts dons ; 8c il n'eft pas jufqu'à l'affabilité êc aux égards d'un Dom.eftiquej, qui ne foient le prix de fes large ffes.
A-t-on un engagement profane^ vous le favez 5 ah ! on ne connoîr plus d'obftacîes : rien ne coûte , quar.d il s'agit de fatisfaire une palïîon : les difficultés mêmes ragoû- tent 5 piquent , réveillent. Ce n'eft que dans l'affaire du falut , où l'on fe fouvient que 1 on eft foible , & où Ton trouve des montagnes inaccefhbles.
Ah ! m.es Frères , le voluptueux , l'am- bitieux s'élèveront contre nous au jour du Seigneur \ ôc par le fouvenir de toutes les peines quils ont effuyées pour fatisfaire
^04- La Vis itation
leur cupidicé, ils nous confondront devant le tribunal de Jefus-Chritl: , fur les excu- fes que nous allé^^uons pour iuftiher notre foiblefTe.
Eh ! difons-nous donc à nous-même dès- à-préfenc ce que cette voix du ciel difoic autrefois à S. Auguflin effrayé 3 comme nous ) de la difficulté du falut : Tu non po- îeris quod ijfl& ijïa ^ & pourquoi ne pour- rois'je pas faire ce que tant d'autres ont fait avant moi ^ & font encore tous les jours! Faut-il que je me traîne, ô mou Dieu , dans le fiecle 5 & que je me laiffe emporter au torrent y tandis qu'à mes yeux tel 3c telle échappent au naufrage ;, & mar- chent heurtufement vers le port ? n'étes- vous pas mon Dieu comme le leur ? mon ame n efl-elle pas fortie de vos mains ^ Se lavée dans le iang de votre Fils ^ n'ai-je pas U même efpérance ? ne fuis-je pas ap- pelle au même héritage ? Ah ! il n'eft que ma lâcheté qui m'cmpcchc de fuivre : mille fois votre grâce m'a fait faire le prem.ier pas f mais rebuté par les plus petits obfta- cles 3 je fuis rentré dans mes voies. Or- donnez-moi ^ Seigneur^ encore une fois d'aller à vous ; mais ordonnez-le-moi de cette voix forte de puiffante à laquelle un cœur dur ne réfifte pas ^ & , comme Pierre;, me dépouillant de tous ces vête- mens qui m'embarralTènt ôc m'arrêtent , ribre & dégagé j'irai vous joindre , même à travers les flots de la mer : oui , Sei- gneur } j'irai à vous à travers les orages du
DE LA Sainte Vierge. 50J
fiecle i où les écueils font fi glifTans , les naufrages fi ordinaires , & le falut fi diffi- cile.
I j E monde ed fujet a une antre erreur m. fur la difficulté du falut j bien différence de P^rtiEi celle que je viens de combutre j & cette erreur , quoique moins fpécieufe , eft ce- pendant plus univerfelle ^ &C moins aifée à corriger : or , voici en quoi elle confifte. S'il eLl des gens que la fcvérité des maxi- mes évangéliques rebute ^ &c empêche d'entrer dans la voie qui conduit à la vie , comme nous venons de le voir ; il en eft aulTi qui aiment à fe perfuader que le falut ne renferme pas de fi grandes difficulté?. Ces perfonnes nées avec un çara6tere tran- quille (5c uni :, ne croient rien trouver dans l'Evangile ;, qui gêne trop l'amour propre. elles fe font un plan de vertu , où entrent fous des noms déguifés l'ambition? le luxe, la moUeiTe y la vanité ;, & d'autres pafnons encore plus délicates : leur régalarité con- fiée bien plus dans la fuite du mal , que dans la pratique du bien ; & tranquilles fur leur falut ? elles plaignent Tégarem^ent des pécheurs qui refufent de fe fauver prefqu à moins de f:ais que l'on ne fe dam.ne : illu- fion groffirre ? injurieufe à la croix de Jefus-Chrift, & que l'exemple de Marie va pareillement confondre.
En effet , elle n'examine pas fi l'on peut arriver à la cité de Juda par des chemins moins rudes & moins fluigans : elle choi-
^o6 La Visitation.
fit , fans différer :, la voie la plus pénible ; & c'eft dans la difficulté qu'elle trouve fa sûreté. Telle efl l'inftrudlion que Marie donne par fon exemple à ceux qui vou- droient arriver à la célefte Jérufalem par des voies comihodes& applanies, ôc lans franchir les nnontagnes {aintes,fur lefquel- les elle eft fondée. En effet, détrompons- nous 5 mes Treres ,* il faut qu'il en coûte pour fe fauvcr ; & le royaume des cieux ne peut être le prix que des violences conti- nuelles que nous aurons exercées fur nous- mêmes. Cependant le monde eft plein de ces fauffes maximes en matière de religion. Uauftérité des Cloîtres eft faince :, dit on y mais il ne feroit pas raifonnable d'en faire une obligation à ceux que le ciel n'y ap- pelle pas : il y a plufieurs demeures dans la maifon du Père célefte ; & pour ne pas mériter les prem.ieres , il ne s'enfuit pas qu'on doive être exclus de toutes les au- tres : enfin il eft des joies honnêtes que l'E- vangile n'ordonne pas de s'interdire.
Lt là-deffus , qu'une femme ne donne point d'atteinte à la foi conjugale ; qu'elle ne foutienne pas un jeu outrée qu'elle évite certains excès y dont le monde poli même ne s'accommode pas ; que dans (es difcours elle ne forte jamais de cette bienféance de fi bon goût dans fon fexe ; qu'elle paroifie dans nos temples aux jours folemnels pour y participer à la chair facrée de l'Agneau j qu'elle fe foit réglée à certaines libéralités pour le foulagement des membres de Je-
DE LA Sainte Vierge. ^ .^cy fus-Chrift ; la voilà calme fur TafFaîre du fâlut : un Confefleur n a plus rien à faire , & tout revêtu qu'il eii de Taucorité de Je- fus-C.hrift i il ne feroit pas bien reçu à vou- loir déconcerter ce train de vie. Mais elle eft fur fon rang d'une^ délicate (Te à ne rien paficr ; mais elle aime le fafte ôc l'éclat j mais elle cultive des amitiés tendres ; elle fournit à des converfarions vives ; elle fourit à un profane qui enveloppeagréable- m.ent une ordure; 3c en faveur de l'efprît ^ elk fait grâce à la corruption du cœur. Mais elle a fur fa beauté des délicattlfes ridi- cules ; pour fa parure dts foins , que vous payeriez , 6 mon Dieuj dune éternité de bonheur 3 s'ils éto'ent employés à parer l'amc des vertus cék (les. Mais l'abnégation de foi-m.êm.e eft un nom cu'c le ne conr.oit même pas , & il n- lui eft peut-être jamais arrivé de fe gagner pour Jefus-Chnft fur un feul defir \ ôc enfin toute fa religion fe réduit aux intérêts de fon honneur 6c ?.ux foins de ce corps de boue qu'eiie idoiâtre. Ou l'Evangile eft une loi outrée > ou cette perfonne n'eft pas chrétienne. Car , quoi de m.oins compatible avec l'Evangile , par conféquentavecleChriftianifme;, que cette molleiie , cette fierté ;, cet amour- propre, cette délicarefiTe dont elle ne fait aucun fcru- pule ! N'importe ; Tuf^^ge veut qu'elle fe radure , & qu'elle fe croie dans le bon chemin , parce qu'elle n'eft pas encore au fond du précipice.
Tel eft aujourd'hui l'entêtement du fie-
3c8 La Vis iTATio K
cle :, àe s'y faire des plans de religion ; d'i- maginer une morale de bon goûc , qui ré- concilie Jefus-Chrift avec Bélial ; qui ente fur un fonds chrétien les plus pures maxi- mes du paganiime; qui retienne du monde les plaifirs , Tinucilité , la moUeiTe , l'am- bition y &c de l'Evp.ngile une foi morte ôc inutile jc'eft-à-direjqui d'une part retran- che les crimes :, &c de l'autre les vertus.
Et c'eft là-deffus qu'on vit tranquille- ment dans le fiede > & qu'on attend fans frayeur , 6 mon Dieu ^ votre jugement redoutable : tandis que le Jufte , au fond d'un réduit obfcur , le vifage pâle &z dé- fait 5 le corps afFoibli Se exténué par les travaux d'une longue pénitence y le cœur purifié par tant d'oraifons ferventes ^ vous conjure avec le Prophète de n'entrer pas en jugement avec lui , repafe dans l'amer- tume de Ton cœur quelques fautes légères que fa piété lui groffît , & que la feule fur- prife a arrachées de fa foiblelfe, &c ne peut fe raiïurer ni fur le tréfor infini de vos mi- féricordes :, ni fur le pénible amas de tant d'œuvres faintes en qui fa foi découvre des taches. Qtdd ifia CAchate tenebrofius ^ s e- crie S. Chryfoftome. Le crime conduit quelquefois au repentir ,* mais cette vie mondaine aboutit toujours à une triflc & funefte impénirence.
Sur quoi l'efprit humain ne peut-il pas fe féduire, puifqu'il a pu prendre ici le chan- ge ! Que pouvoit-on ajouter, ô mon Dieu, aux précautions que votre fagefle avoic
DE LA Sainte Vierge. 509 prifes pour faire fentir aux hommes que les crcMx ik ic-s (ouifranccs leur font auili indif- penfables , que le Sacremenc qui les régé- nère ; & qu'il ert auffi peu poffible d'être un vrai chrétien fans fouffrir ;, qu'il eft pcf- fible d'être chrétien fans erre baptifé? A quoi fe réduit l'Evangile tout entier qu'à cette vérité? Combien de fois y eft-elle répétée ^ fous combien d'images fenfibles Ty avez- vous enveloppée -1
Et après cela la Religion , dit-on , n'in- terdit pas tous les plaifirs. Mais pratiquez, mon Frère ;, toutes les auilérités qu'elle or- donne j & on vous permettra les plaifirs qu'elle ne défend pas. Grimpez-vous fur la montagne comme Marie ? Puifque fans la pénitence & la mortification il n'y a point de ialut 5 cet œil qui vous fcandalife, l'ar- rachcz-vousf cette croix qui vous accable? la portez-vous <? cette volonté propre qui vous tyrannife , la rompez-vous ^ cette chair qui voks eft fi chère , la châtiez- vous ^ ce calice dont il faut boire pour être alTis à la droite de Jefus-Chrift, en buvez- vous ^
Mais que le fiecle s'abufe fur ce point , Je n'en fuis pas furprisitout y roule fur l'er- reur ôc le menfonge; & de tout temps il eft en polfeilion de juger peu fainement de ce qui concerne le falut. Mais cette illufion trouve des partifans parmi ceux même qui font profclTion de piété ; de l'on peut dire ici que les Elus tomberoient prefque dans cxcte erreur ^ s'il étoit poflible.
510 I>A Visitation
Ttl depuis une converfioii d'cclac , vi: de bonne foi fur fa réputation de pièce j, qui encore livré à tous Tes défauts ;, vif j coiere , vain , attaché , n'a pour route ver- tu , qu'un train de vie mêlé de foiblefl'es ÔC de bonnes œuvres , de tiédeur &c de dé- votion j de grâce & d'amour-propre , de facrennens & de rechûtes.
Telle croit avoir renoncé au monde & à fes pompes , qui n'a renoncé qu'au tumjulre & à l'embarras. Elle s'interdit les parties û éclat -, mais elle en alTortit tous les jours de moins tumultueufes & de plus délicates: elle n'eft plus livrée au public , ôc expofée à tous les importuns d'une ville j mais au milieu d'un monde choifi elle goûte tout le plaifir de la converfation , fans en goûter les défagrémens: elle a banni un jeu ourré ; mais elle n'a pas banni l'inutilité ^ la perte du temps: elle n*a plus des empreflem.ens profanes pour fe faire aimer j mais elle n'eft pas fâchée de plaire : enfin le feul nom de paflion alarme fa vertu ; mais peut-être n'eft-ce que du nom dont elle s'alarme.
Une autre croit avoir déjà le Ciel en engagement , qui parmi fes vertus re fau- roit gueres compter qu'un Diredteur de parade , quelques confcfTions réglées , ÔC fon nom écrit dans toutes les alTemblées pieufes d'une ville.
Enfin celle-ci fe figure avancer à pas de géant dans la voie de lajuftice^ qui n'y mar- che que par caprice. Elle fe hâte à certai- nes reprifes j tantôt c eft une aumône ^ puis
BH LA Sainte Vierge. ;ii '■
une auftéricé , une autre fois une retraite : |
Dieu a les intervalles , fi je l'ofe dire y ôc le monde a le fond. Il ienibie que votre ici, j
ô mon Dieu , plus durable que le ciel de la 1
terre , foit une loi fou pie &c variable. Oa y retranche , on y ajoute à (on gré ; on Ta- !
jufte à 1 humeur , à l âge , à letat : en un J
mot , chacun fe fait un Lvangile à part , où ;
il trouve le fecrec de faire entrer fes foi- '.
bieiîis. ... ;
Oui , m.es Frères , Tefprit de la religion J
efl: peu connu de ceux même qui pafTenc pour en pratiquer les maximies j & le re- proche que Jefus-Chrift faifoit autrefois à i fes Apôtres ^ on peut le faire encore au- ] jourd hui à la plupart de ceux qui font pro- ^; feiîion de le fui vie : Nejchls cujus fpirittis Luc. 6» * efiis : Vous ne favez à quel efprit vous êtes SS» •' appelles. •;
Ah ! que l'exemple de Marie les înf- j
truife. Que fa fidélité nous apprenne que '
ce n'eft pas une portion de nous-mêmes > 1
des intervalles de notre temps ;, quelques '
accès de ferveur , que Dieu demande de nous; mais tout notre cœur ^ m.ais tous nos defirs , mais toutes nos adtions , en un mot } une entière conformité avec TEvan- gile :, qui doit être notre règle en ce mon- de y puifqu'il fera notre juge dans l'autre. Oui , mes Frères , foyons fidèles à Dieu j après cela efpéronstout de fa miféricorde. Voyez de comibiende bénédictions la fidé- lité de Marie eft fuivie : le Verbe commen- ce fon miniilere , 6c fanftifie Jean-Baptif-
^%i La Visitation te 5 le Précurfcur trefTaillit avant que de naître : Eiifâbeth prophétife : Marie elle- même , ju(ques-là li retenue fur les iTier- Vtilies que Dieu avoit opérées en elle , les d'écouvre par un faint tranfport :, 5c exalte la puiffance & la miféricorde du Seigneur.
Quand fera -ce donc , ô mon Dieu , qu*ayant franchi à fon exemple ces mon- tagnes fatales qui me féparent de vouS;, je pourrai:, comme elle, célébrer les mer- veilles de votre grâce ? Honteux de ma tiédeur & de ma négligence 3 je fais de vains efforts pour m'approcher de vous ; mais y hélas ! à peine me fuis-je gagné fur Uïie foibleffe , qu'afîoibli par la victoire même, je retombe fous mon propre poids, & me laifTe entraîner par une autre. Laflé <i'être toujours aux prifes avec m.oi-meme:, je compofe enfin avec mon amour-propre; Se pour être tranquille fur m.es payons y je ne leur refufe que le crime, ôc leur aban- donne tout le Tefte.
Et encore > Seigneur 1 cette averfion qui me refte pour le crime , vient-elle de votre grâce "i Ah 1 Ci le fou venir d'un plaifir' profane pouvoit périr avec le plaifir miême; il je pouvois me vaincre fur ces retours cruels que traîne après foi 1 ofFcnfe mortel- le :, Si devenir tranquillement pécheur ; que fais -je ce qu'une occafion n'arracheroit pas de ma foiblelT- ? que fais je fi tous mes projets de vertu n'y vicndroient pas trifte- ment échouer } Non , ce n'eft pas le crime ' qjÀQ je haisic eil ma tranquillité que j'ai me.
Ahl
DE LA Sainte Vierge, 315 'Ali î Cl vGCie grâce étoit le principe facré de ma haine , je baïrois toui: ce qui vous ciépiaîc: on ne me verroit pas de propos dcl'béré tomber tous les jours en tant d'in- fidélités , qui donnent des atteintes fi fenfî- bks à votre amour jon nem'entendroit pas m'informer fi Touvent ^ s'il y a de l'offente mortelle à me permettre un tel plaifir ; il mt fuffiToit de (avoir qu'il vous déplaît. Non encore une fois , ce n'efl pas 1 inno- cence que je cherche ; c'eft l'inquiétude que je fais : heureux fi de cette paix fauijè êc périileufe , je ne paffe pas à un trôubîç, éternel , banni pour toujours de la paix vé- ritable qui accompagne la félicité de vos .Sainte 1 Je vous la fouhaice.
Ahfifo'it'îL
'Myflcï^^* O
é
Il ^Si.y.* ^/#- *x;i>:* Il
U ' ^^
DISCOURS
SUR LES ŒUVRES
DE MISERICORDE,
Prononcé dans une Affemblée de Charité.
Z)ans quel efprlt î faut Us pratiquer*
Si Spirîtu vivîmus , Spiritu 5c ambulemu^'
Si nous vivom "par VEfprît , conàulfons-nou^ ^ar VEfprit, Gai. 5. 15.
CE n'eft pas feulement pour vous ex4 hortcc à la miféricorde . , & vous cxpoler fur cette vertu les obligations de îa piété chrétienne , que je viens ici vous entretenir , Mefdames : il me paroît peu utile de borner tout le fruit de ce Difcours & établir un devoir que vous accomplifle:& àé']^f ^ aimoncer U loi de k charité à de$
^ DE M î s E R î C O îl D E. f i j
Colonnes que la châiicé eile-méms affrm- ble.
Lorfquenous parlons au commun des Fidèles , nous pouvons leur monrrer dans les Livres falnts ces maximes décifives qui nousordonnenr de fecourir nos freies affli- gés ;, parce que la plupart d'enrr'èux les ignorent: nous pouvons leur redire ces anathémes terribles que TEfprit de Dieu y prononce contre ceux qui ne font pas de leur abondance un afyîe & une reilburcc aux malheureux y parce qu'il sV trouvée des âmes dures & impitoyables, qu'il f-auc ébranler par ces vérités étonnantes : nous pouvons leur ouvrir le Çtm de la gloire :Ôl' en leur faifant voir un Royaume éternel devenu la récompenfe d'un veire d'eau froide, étaler tout le. prix du plus léger oftce de m/iféricorde , parce que parmi ceux qui nous écoutent , il en e(t toujours dont la charité tiède & indolente abefoin d'être ranimée.
Mais ici , Mefdames , où !a miféricorde eft une vertu commune , il feroic inutile d'entreprendre de Imfpirer : ici , ou ion porte des cœurs fenlibles aux calamités de nos frères , ces maximes effrayantes des Livres faints contre l'inhumanité envers les pauvres , feroient mal placées : ici enfin ou la charité fe foutien t par une fociété de zele, & s'anime parde faints exemples , on peut e difpenfer de l'encourager ; il n'eft pref- ^ue plusbefoin que de l'indruire. .Èloa deffeiD donc aujourd'hui , Mef.
f^\5 Sur lis (E u v r e s ^
dames , efi de vous entretenir fur refpriC de la Foi dans la pratique des œuvres de miféricorde , perfuadé que ces oeuvres , dans la plupart des âmes , ne font pas tou- jours les fruits de cette charité qui n opère jamais en vain ; que les mécomptes de la- mour-propre détruifent fouvenc à notre infu ce que la piété édihe j que l'œuvre du Seigneur , entre les mains de l'homme , y contrade plus comimunément qu'on ne croit 5 je ne fais quoi d'humain & de défec- tueux 3 capable d'en anéantir tout le mé- rite \ & qu il n'arrive que trop fouvent y hélas ! que nos foibleffes ont la meilleure part à nos vertus.
Je vais donc ramener à trois règles prin- cipales tout Tefprit de la piété chrétienne fur les ofiices de la miféricorde ,* & en op- pofant ces règles évangéliques^ aux abus que la cupidité ne cdïc d'y mêler , faire ledifcernement de lor davec la paille v féparer ce que l homme y met du fien^ d'avec ce que la charité toute feule opère ; Se établir des marques infaillibles, afin, qu'on ne puiffe pas s'y méprendre.
^* La première règle fur Vefprit dans le^ ^'^'^^^' quel on doit pratiquer les œuvres de mile- ricorde , c'eft qu'il faut les regarder comme des devoirs que nous acquittons
En effet , Mcfdames , une méprde a (lez ordinaire parmi les perfonnes confacrees AUX œuvres faintes , eft de fe figurer que çss pieufes occupations ne font pas renkr-i
DE Miséricorde. ^17 inces dans le devoir ; ôc de les envifager plutôt comme des pratiques louables qu'au- ne charité abondance embrafle :, que com- me des obligations réelles qu'une loi indif. penfabie nous impofe. L'amour-propre fa- vorife d'autant plus cette erreur , que l'ac- complillementdu devoir tout feul n'a rien qui nous flatte, parce qu'il n'a rien qui nous diftingue : au lieu que les œuvres fur-ajou- tées , en nous laifîant plus de lingularité > nous laifTenc aulTi plus de complaifance. On aime à fe'dire en fecret que le Juftc ne borne pas fa fidélité aux feuls préceptes de la loi 5 que fon zèle doit aller au-delà , de que ces bornes imparfaites n'ont été mifes, comm.e ditl'ApÔtre , que pour la foibleife de 1 homme encore charnel : ainfi l'on fe perfuade qu'on eft arrivé à la perfedrion des-confeils, de l'on s'applaudit prefque tout Das comme fi l'on en faifoit de reîle. Cependant , Mefdamies , il s'en faut bien que la Foi ne mette les offices de charité rendus à nos frères , au rang de ces œuvres arbitraires que la religion laifie au choix des Fidèles; & parmi tous les devoirs de votre état , la doctrine de Jeius-ChriO: n'en connoît prefque pas de plus facrés & de plus inviolables.
Car vous n'ignorez pas , premièrement, que tout chrétien eft chargé du foin de foa fr^re affligé, & que la loi quinousordonne de l'ajmer, nous fait en même temps un de- voir de le fecourir ; puifqu'on n'aime pas, lundis qu'on peut être infenfible aux mal-
O 3
^î8 Sur lis (E u vr e s heurs de ce qu'on aime. En effet ;> Mef- darnes , le précepte de lamour du pro- chain , h folcmnel dans i'Evangile , /i ef- feiuiel à la Foi y fi infcparable de la piété chrétienne ^ ne fe borne pas à nous défen- dre feulement de ravir ce qui appartient à nos frères 3 de blelTer leur réputation j de nuire à leur fortune -, d'attenter à leur per- ionne , de troubler leur repos. Les païens S< les peuples les plus barbares ont eu des lo}x quilesobiigeoientden'étre niinjuftes j> ni ravilTeurs ^ ni fourbes , ni cruels : ce font-làdesdevoirs qui fuivent la nature :> 6c )ufquv.s-là vous n êtes pas encore chré- tien.
La loi de la charité ^ particulière à la Religion de Jefus-Chrift , va donc encore plus loin. Ce ntiï rien pour elle de ne point haïr :, il faut qu'elle aime : ce n'efl pas aiTez de ne pas nuire , il faut qu'elle aide : c'effc peu d'avoir les mains pures du biend'au- trui , il faut qu'elle donne le fien. Ceft-à- dire , que vous êtes injufte,> Ci vous n'êtes pas bicnfaifant ; que vous haïiTez votre fre^ re alrligé, fi vous ne le foulagez pas , lors- que vous le pouvez j que vous devenez l'auteur de fon infortune^ lî vous n'en êtes pas l'afyle ; en un mot :, que vous ufurpez ce qui lui appartient ^ Ci vous lui refufez votre bien propre.
Ce n'eft donc pas ici une œuvre de fur- croît : dont le zèle puifTe s'applaudir ; c'eil une loi com*mune , impofée à toute ame fidelie. Car , Mefdames , par la grâce qui.
"DE Miséricorde. 5191 dans le Baptême nous alTocia â l'aflemblée des Saints j nousdevinmestousles membres d'un mcme corps socles enfans d'un même père. DèS"iors nous contradâmes des liai- fons intimes 3c facrées avec le refte des Fi- dèles : dès-lors nous ne fûmes plus étran- gers à leur égard ) &: ils ne le furent plus au nôtre :_ dès-lors ils ne furent plus pouc nous ni efclaves , ni nobles y ni roturiers , ni riches , ni indigens ; ils furent nos frè- res : dès-lors leurs calamités devinrent les nôtres , & leurs befoins nos befoins : dès- lors j'augufte qualitédeChrétien, qui nous unilioit à eux , ôta ce mur orgueilleux de réparation , ôc ces différences vaines de rang , de titres , de naifTance , que la na- ture } ou les loix dufiecle , avoient mifes entr'eux &: nous : tout ce qui arriva dans le corps facrédesFideles j devintnotre affaire propre : dès-!ors^ qu'un membre fouffrit , nous dûmes fouffrir auffi j & fansrenoncer a ce liendivin quinousunittousfous JefuG^ Chrifl norre chef, & qui efl: le feul fonde- ment de notre efpérance & de notre droit aux promeffes éternelles , nous ne pûmes plusrefufer aux befoins communs, nos. foms , notre attention , & notre miniftere. AufTi les premiers Fidèles ne pofféderene d'abord rien en propre , parce que depuis leurvocationàrEvangile n'étant plus qu'un cœur & qu une ame enfemble , il leur pa- rut inutile de demeurer poffeffcurs particu- liersdes biens, qui étoîentdevenus les biens de leurs frères , & dont la néceflîté toute Icule devait régler lufage.
O4
2. CO'»
310 SUR.LES (SuVRtS
Je ne vous dis pas en fécond lieu ) que plus vous êtes élevés dans le (îecle , plus votre obligation eft ici rigoureufe ; de fans entrer dans les grandes raifons qui étab'il- fent cette maxime^ fouffrez que je me bor* ne à une réPiexion toute feule. La profpé- rité êc l'abondance des biens de la terre ne nous difpenfent ni de la frugalité , ni de la fimplicité ) ni de la violence évangélique. En vain avons-nous amafîé;, comme ces Ifraélites 3 plus de m?.nne que nos frères , nous n'en pouvons réferver pour notre ufli- ge que la mefure prefcrite par la loi : Qiil multiîm non abundavit : Si\xittmtv\x. J-efus- f /is". Chrift n'auroit défendu la mollelTe, le luxe & les plaidrs qu'aux pauvres Se aux m^al- heureux , à qui l'infortune de leur condi- tion rend cette défenfe aflez inutile.
Or :, Mefdames , cette grande vérité fuppofée y (\ félon la règle de l*£vangile , il ne vous efl: pas permis de faire fervir vos richelTes à la félicité de vos fens , & de jouir de votre abondance j fi le riche efl obligé de porter fa croix , de ne chercher pas fa confolation en ce monde , & de fe renoncer fans cefTe foi-même comme le pauvre -, quel a pu être le delTein de la Pro- vidence en répandant fur vous les biens de la terre ^ & quel avantage peut-il vous ea revenir à vous-mcm.es ^ Seroic-ce de four- nir à des paffions désordonnées ç^mais vous n'êtes plus redevables à la chair pour vivre J félon la chair. Seroic-ce de foucenir lor^ \
D ï M î S E R I C 0 R B Ë. ^ ^ ir
gueil du rang & de ia nailTancef mais votre vie doit être cachée en Dieu avec Jefus- Chrift. Seroir-ce d'anialTer pour vos ne- veux ^ mais vous ne devez plus théfaurifer que pour le Ciel. Seroir-ce de couler vos jours avec plus de tranquillité & d'indo- lence ^ mais h vous ne pleurez pas , (i vous nefoulTrez. (i vous ne combattez paS;> vous êtes perdus. Seroit-ce de vous attacher plus à la terre ? mais le Chrétien n'eil pas de ce monde , il eft citoyen du (îecle à ve- nir. Seroit-ce d'orner plus fuperbement vos palais ? mais cette vaine magnificence ed réprouvée dans le riche de i'Hvanglle. Se- roii-ce de charger vos tables de mets plus exquis i mais la chair de le fang ne polléde- ront pas le royaumje de Dieu ; &: h vous ne faites pénitence , vous périrez. Seroit-ce de vous élever à de nouvelles dignités dans le m.onde ? mais cette élévation ;, félon les vues de la Foi , n'eft que le haut d'un pré- cipice. Seroit-ce d'aggrandir vos poiref- fions de vos héritages ? mais vous n'aggran-» diriez jam.ais que le lieu de votre exil ,• ÔC le gain du monde entier vous feroit inutile. Cl vous veniez à perdre votre ame. Repafiez fur tous les avantages que vous pouvez re- tirer, félon le monde , de votre profpérité; ils vous font prefque tous interdits par U loi de Dieu.
Ce n'a donc pas été fon defîein de vous les ménager , en vous faifant naître dans l'abondance : ce n'cft donc pas pour vous<» raêmes que vous êtes nés grands : ce n eft
*5iî ''Sur iesCSuvre^ pas pour vous , comme le difoit autrefois le fage Mardochée à la pieufe Eflher , que le Seigneur vous a élevée à ce poii:: de grandeur qui vous environne : c'eft pour vos frères ; c efl pour fon peuple affligé , c'eft pour être la protectrice des infortu-- nés : Et quls fiov'it 3 utrùm idcîrco ad reg'^ A \1^^' ^i^'f^i veneris , ut in tali t empare parjreris f Si vous ne répondez pas aux deiieins de Dieu fur vous , il fe fervira de quelqu'autrc qui lui fera plus fidèle ; il tranfporcera cette gloire ôc cette couronne qui vous étoit deuinée. Ah l il faura bien pourvoir par quelqu'autre voie à la délivrance de fon peuple j car il ne permet pas que les fiens périllent : mais vous 5c la maifon de votre père périrez : Per al'iam occafionem libéra'^ *^''^- buntur Jiiddl ; & tu ^ & domus patris tuî > peribitis. Vous n'êtes donc dans les deffeins de Dieu, que les miniftresde fa providence envers les créatures qui foufFrent ; vos grands biens ne font donc que des dépots facrés , que fa bonté a mis entre vos mains comme pour y être plus à couvert de Tu- furpation &c de la violence , &c confervés plus sûrement à la veuve & à l'orphelin : votre abondance n'eft donc que la portion de vos frères : votre élévation dans l'ordre de la fagelTe éternelle , n eft donc deftinee qu'à leur fervir d'afyle ; votre autorité qu'à les protéger ; vos dignités ^qu'à venger leurs intérêts ; Véclat de votre nom qu'à les confoler par vos offices ,' votre rang qu'à leur adoucir l'inégalité de la condiûon&l«
DE M I S E R I € O R D ë.. f t*
malheur de lear deftinée , en vous abaif- fanc juiqu'à leur rendre les plus vils minif- teres ; vos exemples qu'à les afermir dans la Foi :, ôc dans la foumifTion au Dieu qui les frappe. En un mot , tout ce que vous êtes 5 vous ne leces que pour eux. Votre élévation ne feroit plus l'ouvrage de Dieu> ôc il vous auroit réprouvés en répandant fur vous ks biens de la terre , s'il vous les avoir donnés pour un autre ufage.
Et certes , MefdameSj, lorfque des in- fortunés voient une ame fidelle j> malgré la. nailTance ^ les biens , le crédit y les digni- tés qui la diftinguent , renoncer aux plaifirft qui rendent la profpérité fi digne d'envie , fuir un monde qui la cherche , fe dérober aux honneurs qui l'environnent , percée f ufques dans leurs plus fombres retraites , ôc là faire de leur lèpre même un fpe(flaclc agréable à Tes yeux , abaifler fes mains cha- ritables jufquàleurs plus dégoûtantes mi-% feres 5 verfer de Vhuile fur leurs plaies^ refpe6terleur chair hideufe comme le teca- ple de l'Efprit faint , foulager kur douleuç- par des paroles de confolationjCalmerleuj impatience parles maximes de la Foi ^ pré- venir leur honte de leurs befoins par de faints artifices ? les tirer de l'occafîon de dut péril par de fages ménagemens ; & eniir^ tout fouffrir , ou pour adoucir leurs pei*. nés > ou pour aflurer leur falut : ah i c'eft- alors qu'ils lèvent les yeux au Ciel y qu'ib reconnoiflent un Dieu fage , difpenfateuî ^çs çhofe^ (i'içi-bas > ^ père commua d»
06
314 S tJ R I H s (E IT V R F 5 '
pauvre comrr.e du riche ;c>il alors qu'ils publient les merveilles de fj. providence, Qjae vous êtes riche en miféricorde > Sei- gneur ! lui difent-îls ; vous n'abandonnez jamais ceux qui efperenr en vous; votre eell attentif aux befoins de vos créacures , ne permet jamais qu'elles fouiFrent au-delà de leurs forces. Ceft alors qu'ils regardent kur infortune avec des yeux chrctiers ; & qu'ils commencent à comprendre combien Dieu eft grand , & digne d être fervi , puif- qu il peut fe formaer au milieu même de la corruption du grand monde ôc des périls de la profpérité :, des fervireurs il fidèles. Voilà , Mefdam.es 3 à quoi la naillance ÔC les biens doivent fervir : vous n'êtes puif- fans fur la terre , que pour faire bénir par ceux qui fouffrent ? la bonté de Dieu ik les richelTes de fa miféricorde y qui leur a mé- nagé dans votre abondance des reflources ^fi confolanres.
Mais i-e laiHe ces grandes maximes , (î foiivent fans doute ici repérées ; & je dis , en troifieme lieu ^ que quand même on ii'auroit aucun égard aux obligations com- munes qu^impofe là-deflusla Religion > Ô€ le rang que vous tenez dans le monde, ■pour vous en particulier qui" m'écoutez > les faintès occupations de la miféricorde ^ •& l attention particulière à l'œuvre qui nous afTfmble , ne irroient pas moins dts devoirs indifpenfables. Renouveliez ^ je vous prie , votre âttenrion. - Car , premièrement ^ qui que vous
D ï M I S E U I C O R D î. 5 1 f
foyez , qui marchez aujourd hui dans des voies fâintes , & quidérrompés des erreurs du monde te des pallions , ne connoiilez plus rien de folide que la crainre du Sei- gneur & la gloire de ie fervir j vos mœurs o-u-elies toujours éré réglées par la loi f* vos exemples n'onc-ils pas été autrefois ua modèle de luxe , de plaidr , Ôc de mol- lelle f* En repalTant fur vos jours de ténè- bres y de fur ces premières années où vous ne connoilTiez pas encore le don de Dieu , n'y trouvez -vous rien à vous reprocher iur les (oins d'une vaine beauté, fur des attei> . tions déplorables à corrom.pre les cœurs , fur des indécences de parure dont la piété des amcs juftes gémilîoic alors, fur àçs licences que le miOndeautorife ;, & où vos -frères ont tant de fois trouvé Técueil de leur innocence f* que fais-je ^ fur dts foi- blelfes qui font aujourd'hui devant Dieu le fuiet de vos foupirs !k la niatiere de votre pénitence ? Vos citoyens , vos proches , vos amis , vos domeliiques n'ont-ils pa-s mille fois péri fous vos yeux < votre rang ne donnoit-il pas du crédit à vos pallions & à vos exemples ^ Combien d âmes ;> lorfque vous fuiviez des routes injuftes , avez-vous entraînées , à votre infu , avec vous dans le précipice?
Eh ! ne faut-il donc pas qu'aujourd'hui des exem.ples contraires réparent le fcan- dale ? ne faut-il pas que vous foyez ur,Q odeur de vie pour vos frères , comm.e vous avez été une odeur de mort f ne faut-il pas
^iG Sur tEsCEtrvREs que vous leviez :, pour aînii dire , fans rîeft craindre , Téteiidart de la piété , comme vous aviez levé autrefois celui du monde- ôc des plailirs ? Une vertu obfcui e de pri- vée peut-elle remplacer des maux publics î & quand les offices d'une charité publique ne feroient pour les autres que des prati- ques arbitraires d'une piété édifiante , ne deviennent-ils pas pour vous des devoirs^ indifpen fables ?
Secondement : Autrefois , lorfque vous ne connoifliez rien de grand que le monde & fes vanités , n'aviez-vous pas peut-être donné du ridicule à la piété par des déri- fionsinjuftes ^n'aviez-vous pas regardé les offices publics de miféricorde , comme des indifcrétions de zèle ^ ou des empreffe- mens de vanité ^ loin de refpeâicr les per* fonnes qui s'y confacroient , n'aftedliez- vous pas d'en faire le fujetle plus ordinaire de vos cenfures ^ ne di(iez-vous pas d'elle» comm.e autrefois Pharaon desifraélites qui vouloienc aller facrifier dans le défertj que c'étoit roifivecé toute feule , & une vie inutile qui leur faifoic chercher ces fortes d'occupations & ces pieux amufemens ^ Exod, jy^acatis otlo , & îdcïrco dïcîtls : Eamus , S» ^7» ù* facrt jïcemu S Domino ^ Ne difiez-vous pas comme ces Gouverneurs des Provinces voifines de Jérufalem y lorfqu'ils voyoienc Néhémias & les principaux du peuple de Dieu, occupés à rebâtir le Temple: A quoi a. r/Hr, s'amufent les foibles Juifs ^ ^uid Jud<tl 4^ 2. ' f/idunt imbeclUes i prétendeiu-il§ donc que
le monde leslaille faire;, ôc qu'on ne parle pas d'une conduite fi bizarre Ôc fi fingu- liere i Num dlmitîcnt eos genres f veulent- Ibld^ ils donc tout faire à la fois , ëc gagner le Ciel en un feul jour j* Num [acrificabmu j, ihiâ. & cowplebunt in una die ? vealcnt-ils que les cendres de leur ville fe changent tout d'un coup en des bâtimens fuperbes , ÔC palTer en un inftant d'une extrémité à l'autre ^ Numquid ddljicare poterunt lapi- des de acervîs pulveris qui ccmbulîi funt ^ '^'^# Car tels font encore aujourd'hui , ô mon Dieu l iesdifcours infenfés du monde con- tre la vertu. N'étoient-ce pas là autrefois les vôtres f II faut donc que vos œuvres publiques rendent à la piété l'honneur que vos dérifions profanes lui avoient ôté ; il faut donc quevous pratiquiez vous-mêmes ee que vous avez Ç\ injuftementbiâmé dans les autres Fidèles : il faut défavouer la té- mérité de vos cenfures , en vous expofant vous-mêmes à celles du monde ; & réparer le tore que vous avez fait à la vertu , en donnant des m.arques éclatantes de la vé* nération que vous avez pour elle.
Troifiémement -.Quel ufagefaifiez-vou:» autrefois de vos richeiTes ^ vos biens im- menfes pouvoient-ils fuffîre aux jeux , au luxe } aux caprices y aux pallions ^ Vous faifiez fervir les dons de Dieu à l'iniquité : or tout ce que vous employez à des ufages iniuftes, vous l'ufurpiez fur le pauvre ôc fur l'affligé. Eh ! comment voulez-vous réparer cette injuftice, que par des fainteç
^i% SURLES (EUVRES
profuiîons ôc des largefles plus abondan- tes ^
Quatrièmement enfin ^ cette première faîlon de votre vie que vous avez confa- crée au monde & à Tes erreurs , vous l'a- vez paflee dans les plaifirs ÔC dans une mol- le indolence : la félicité de vos lens étoic alors votre unique affaire : vous n'étiez attentives qu'à réveiller tous les jours par de nouveaux artifices le dégoût & la fatié- té inféparable de tout ce qui plaît hors de Dieu : vous ne viviez que pour votre corps»
Ah ! unevertuoifeufe^ douce ^ aifée ^ ne feroit donc plus pour vous qu'une illufion dangereufe. Vous avez ménagé à vos fens tout ce qui pouvoir les flatter : il faut donc vous appliquer à les crucifier ; aller dans ces lieux de miféricorde j où la piété ap- pelle tant d'ames faintes ; vous approcher des Lazares puans & couverts de plaies ; re pas refufer votre miniftere & le fecours de vos mains à leurs befoins extrêmes ; dc malgré les frémiflemens fecrets de la natu- re, accoutumer votre délicatefle à ces œu- vres de religion ,• de furmonrer par votre foi 3c par lardeur de votre amour , la foi- blelîe d'une chair qui a fi fouvent triom- phé de vous-mêmes. Vous croyez , en vous confacrant à des exercices charita- bles , aller au-delà de vos devoirs i ôc vous voyez que vous n'avez pas encore rendu un pour mille , & qu'il s'en faut bien que la compenfatîon ne foit égale.
Ce qui vous abufe ici , Mefdames p vqu«
DE Miséricorde. 519 ^ue la miféricorde de Jefus-Chrift a dé- trompées du monde &appeUées à fou fer- vice , & qui fait que vous comptez fi fore fur le mérite de vos œuvres iaintes ; c'eft y premièrement , qu'une erreur fecrette dc délicate de vanité vous perfuade que les ti- tres qui vousdiil:inguent5 donnent un nou- veau mérite devant Dieu à vos œuvres de religion ; que leur prix croît à proportion de votre rang ,* que les démarches les plus légères de piété font illuftrées , pour ainlî dire , aux yeux du Seigneur par Téclat qui vous environne. On fe repofe fur cette vai- ne complaifance , que d injudies adulations nourrilTent ; on fait entrer dans Tidée que l'on a de fes œuvres , celle qu'on a de foi- même ] Se onfe perfuade que ceux qui font nés dans la foule , en faifant mille fois plus que nous , méritent encore moins. Com- me fi la charité toute feule ne difcernoit pas nos mérites j comme Ci en Dieu il y avoit acception de perfonnes ; com.m.e i\ ceux qui ont plus reçu , n'écoient pas ceux donc on demande davantage. Secondem^-nt , c'eft que vous ne jetcez d'ordinaire les yeux fur vous-mêmes , qu'en vous oppofant à ces perfonnes mondaines de votre état & de votre rang , livrées aux plaiiirs ;, aux paffionsjnfcnfées ;> à leurs propres égare- mens , & qui négligent rout-à-fait le foin de leur falut. Alors ce parallèle grolTi!: à vos yeux votre propre mérite : vos œu- vres comparées à leurs inutilités & à leurs plaifus 3 vous paroiflent des abondances de
5^0 Sur les (S u vr es juftice : tout ce que vous faites pour le falut su-deflus d'elles :, vous croyez le faire au-delà de vos devoirs ; ôc la tiédeur oà vous vivez y oppofée à leur dérèglement > {échange à vos yeux en vertu héroïque. Semblables à cet Evêque de TApocalypfe, qui malgré la tiédeur & l'indolence de fes. mœurs , fe croyoit riche en bonnes œu- vres } parce qu'il jugeoic fans doute de fa vertu par la chute & les excès des faux Dodeurs qui enfeignoient la doéVrine de Balaam , & en fuivoient les voies honteu* fes ; lui qui étoit aux yeux de celui qui eft un témoin fidèle & véritable ';, pauvre y niiférable , nud , ôc far le point d'être re- jette de fa bouche.
Cette règle eft donc dangereufe. Ce ii*eft pas par ces parallèles trompeurs qu'il faut mefurerce que nous fommes devant Dieu ; c'eft par la fainteté de la loi ; ct(k par la fublimité de nos devoirs j c'cfl: par l excellence de notre vocation yc'cù. par la grandeur du maître que nous fervons ; c'efl parla multitude desiniquités que nous avons à expier ; c'eft par les foibleflTes jour- nalières que notre tiédeur voit multiplier à l'infini fans aucun changement ; en un mot j) ce n'eft pas en nous comparant aux pécheurs , qu'il faut faire honneur à nos foibles vertus j c'eft en nous oppofant aux Saints qui nous ont précédés , aux âmes juftes qui marchent à nos yeux, Se quinous^ laiflent fi loin après elles dans la voie, qu'il faut confondre notre langueur ôc notre im^
ni MiSîRiCORDï. 5^1
pénitence. Si la Pécherefle de Jérufalem eut jugé de la profulion de fes parfums, ôc de l'abondance de fes larmes , par Tinfen- fibilité des autres femmes mondaines de la Paleftine , ah 1 fans doute , elle n'eût pas eu tant de honte de fe préfenter devant le Sauveur :> ôc n'eût pas choiil [t:s pieds com- me pour dérober à fes yeux les faints mi- nifteresde.fa charité , qui lui pcroifToienc fi difproportionnés aux défordresde fa vie:, ii la femme Cananéenne eût oppofé fa dé- marche fi pleine de foi à l'aveuglement des autres femmes de Tyr , fans doute elle ne fe fût j.am.ais comparée à un vil animal : iî David lui-même n'eût jugé de fa péniten- ce 5 de fes jeûnes , de fes larmes de de fes macérations , que par la molleflc des au- tres Cours Se l'exemple des Rois fes voi- fins 5 plutôt que par fes crimes ^ ah 1 fans doute il n'eût pas prié le Seigneur de n'en- trer pas en jugement avec lui. Les déré- glemens de nos frères n'ajourent donc rien au mérite de nos œuvres ; ôc nous pou- vons être plus juûes que le monde , fans l'être encore aflèz pour Jcfus-Chriii.
L
A féconde règle à obferver dans la Re&l^
pratique des œuvres de miféricorde , eft que non feulement il faut les regarder comme des devoirs que nous acquittons > mais encore en faire des remèdes journa- liers contre nos foiblefîes de tous les jours.. Je m'explique. Vous le favez :> Mefda-. jnes j les oeuvres extérieures de la piété
^;i Sur les (Euvres n'ont de mérite devant le Seigneur :, qu'au- tant qu'elles fervent à perfectionner notre homme intérieur : car le Royaume de Dieu efl: au-dedans de nous ; & tout ce que nous faifons pour le falut efl inutile , s'il ne fe rapporte au règlement du coeur } & à Tentiere mortification des vices & des defirs ;, qui mettent encore obflacle en nous à la grâce de notre parfaite délivran- ce. Or 5 fur cette maxime de la Foi , fou- lagernos frères :, les revêtir j, les vifiter^ lesconfoler ^ les fervir même ) n'efl enco- re que le corps de la piété : ce font les offices du Chrétien -, ce n'efl; pas le Chré- tien lui-même. Il faut donc que la vertu croiile & fe purifie dans ces devoirs pu- blics de miféricorde ; que nos im.perfec- tions y trouvent leur remède : & que cha- que œuvre fainte ferve à aftoiblir en nous quelqu'une de nos pafTions : c'eft-à-dire , Mefdames , que pour encrer dans refpric de la Foi fur la pratique des œuvres chari- tables 5 il faut 5 avant que de s'y engager , mettre notre ame fur nos mains , Fenvifa- ger aux pieds de Jefus-Chrift ; & dans la lumière de fa grâce , examiner fous fes yeux quels font encore nos penchans dé- réglés 3 & choifir les offices de miféricorde qui leur font le plus oppofés , &c qui pa- roiiïent les plus propres à les déraciner de notre cœur.
Ainfi vous aimez encore le monde , les plaifirs j, les diffipations des jeux &c àes commerces : préférez les œuvres qui vous
n "E M I S E R I CO RD ?. 5?^
en fcparent le plus , ik qui vous renferment plus fouveiK dans la prière , dans le filencs ^ dans la retraire. Vous ères nées avec des difpofirions de molle iTe (?^ d'indolence que vous ne fauriez prefque furmonter ,* vous ne prenez jamais rien fur vous-mêmes; votre vertu n'eft prefque qu'un éloigne- ment naturel du tumulte ôc des agitations du monde que vous n'aimez pas , ôc une vie plus douce & plus oiieule qu'on ne la mené d'ordinaire dans le fiecle : ah ! les œuvres les plus dures , les plus pénibles de la miféricorde , les foins les plus dé- £oûrans , les miiferes les plus hideufcs y c'eft-îà votre partage. Vous aimez dans la vertu même tout ce qui éclate , tout ce -qm diftingue , tout ce qui attire les re- gards publics : entrez dans les œuvres les •plusobfcures , qui vous confondent le plus avec le peuple , les plus expofées aux dé- riiions des infenfés : laiffez aux autres le premier rang Ôc tout l'honneur des encre- prifcs de piété, de réfervez en pour vous ies foins &: les fatigues. Vous retombez fans celle dans les m.êmes vivacités ; tout vous bleffe ; tout vous allum.e ; &z vous décriez dans l'efprit de ceux qui vous ap- prochent 5 la vertu par des foibleiTes qui vous font propres : choififiez les œuvres où il faut plus de douceur , plus de patien- ce , être redevable aux fages & aux fous ^ ôc fupporter m.ême les plaintes , les cha-^ grins , les humeurs , les outrages quelque- j^ois de .ceux qu'on veut foulager. Vgus
154 Stra LES (]EurREj kntez des éloignemens injuftcs , &" dei antipathies fccretces fur lefquelles vous traitez votre cœur avec trop d indulgence ; vous bornez prcfque toute votre vertu à fuir ce que vous ne pouvez aimer ^ recher- chez les œuvres qui vous rapprochent , qui vous donnent de nouvelles liaifons avec les perfonnes que leur piété toute feule devroit vous rendre chères ,* & accou- tumez ainfi votre cœur à voir avec plaîfir ce qu'il doit aimer fans feinte. Enfin , faites de vos a^uvres de miféricorde les exercices des vertus qui vous manquent.
Zachée , après avoir réparé fes injufti- Ces y fit des largefles abondantes , 6c fa inaifon même devint l'afyle de fon Libé- rateur : mais c*eft qu'il vouloit par ces pro- fufions achever d'éteindre dans fon cœur cette foif infatiable des richeiies , qui juf- ques-là l'avoit tyrannifé , & qui ne s'éteint pas d'un feul coup. Magdelaine répandit des parfums, & effuya de fes cheveux le$ pieds facrés de fon Maître : mais ceft qu'elle fentoit encore fans doute un rede d'attachement pour les inftrumens déplo- rables de fes vanités & de fes plaifirs , & que fon amour fe hâtoit d'en achever le facrifice. Les femmes des ifraéHtes offrî-» rent pour la conftrudion du Tabernacle , ce qu'elles avoient de plus précieux : mais c'eft que ces dépouilles dePharaon , donc le Seigneur les avoit revêtues , étoient ua écueil pour leur foiblefle ^ & leur faifoient Iregretter encore tous les jours la pompe fc les uéfors de l'EgypcCa
Ce m I s e r I c o r b î , ^ff Les œuvres extérieures de la piété ne font iainres ;, Mefdames y qu'autant qu'el- les nous lanûifient j &c elles ne nous lanc- tifient ;, qu'autant qu'elles nous corrigent. Cer fi Jefus-Chriû eft la fin de la Loi;, tous les devoirs qu'elle nous impofe ne tendenc donc qu'à former Jefus-Chrift en nous : l'accomplidement de chaque précepte doit donc ajouter comme un nouveau trait à cet homme fpirituel. Nos œuvres ne font comptées que par les progrès de cet ou- vrage divin. S'il n'avp.nce pas, en vain nous couvrons ^ nous vifirons ^ nous confolons nos frères , nous ne faifons rien aux yeux de Dieu ; parce qu'il ne voit de nous que notre rtfTemblance avec fon Fils , & que jc'eft en Jefus-Chrill: feulem>ent que nous fommes dignes de fes regards ; tout ce qui ne perfedionne pas cette reflemblance » n'ajoute rien à notre mérite. Or y Jefus- Chrift ne croit en nous que fur les ruines du vieil Adam : il faut que l'un diminue , iîifin que l'autre croifle ; il n'eft que ce qui mortifie les inclinations de la chair y qui augmente la vie de Tefprit ; il n'eft que ce qui contredit la nature corrompue , qui conduife à fa perfeétion l'être chrétien j il n'eft que ce qui-&ffoiblit ces penchans infi- I nis qui s'oppofent encore en ngus à la Loi de Dieu 3 qui donne de nouvelles forces aux inclinations de la grâce. Tout eft pref- I ique facrificedans la vie du Chrétien , Met I dames ; car il vit de la Foi j & tout ce qui I çart de la Foi coûte , parce ^u il çonuedi^
.'i^G SVK L E s (E V V R E $
toujours la vie des fens. Ainfi les œu- vres de miféri corde doivent être comme les facrifices journaliers de l'ame fidelle ; l'Apôtre lui-même ne leur donne pasd'su- tre nom : c'efi: par de telles hoTcies , di:- il en exhortant les Fidèles aux pieux offi- ces de la charité envers leurs Frères , qu'on fe rend Dieu favorable : Talibus enhn bol-- Kf Jr.13. ^y^^ promereîHY Detis.
Or y on viole cette règle de la piété ea deux manières. Premièrement :, de tous les offices de miféricorde , nous choihf- fons prefque toujours les plus conformes à notre goût;) à notre caractcre, à nos penchans.On eft vif, adif :> entreprenant , ennemi du repos, du recueillement ;> 6c de la retraite : on entre dans toutes les en- treprifes de piété ; on veut avoir part à tout ; on a des foins de toutes les fortes ; on ne vit pas un mom.ent pour foi s de ce- pendant 5 on auroit befoin de recueillir plus fcuvent fon ame aux pieds de Jeius- Chrift , pour y réparer les dommages in- féparables dès Minifteres tumultueux , Sc renouveller les forces que les diUipations les plus faintes ne laiffent pas d'affi^iblir.
On a apporté en naiffiant un coeur terr-
dre & miféricordieux -, on aime à foulager
ceux qui fouffrent ^ par une compaiTîoa
toute humaine. On eft né chagrin y aufte-
re 5 impérieux ; on embralTe des miniftereit
• qui nous écablitTent fur les autres , & qui
-nous rendant arbitres de leur conduite ^
•fourniflent à l'amour-propre l'occafion dç
fatisfairf
■deMisericordf. 5^7
fatisfaire ce penchant nacurel qu'on a de corriger 3c de reprendre. On a plus de ^ouc pour une œuvre ;, ou pour un écablif- lemenc ; cous les autres bcioins nous trou- vent infentibles. Eniîn j, pour éviter ici trop de détail , il l'on s'examine de près^ on verra que nos penchans déréglés ne foufFrent jamais rien de ces exercices re- ligieux ; que jufques dans la piccé , on évi- te tout ce qui gêne ÔC qui déplaît ; que Von ne fait que fe prêter à foi-même, lorf- qu on s'imagine opérer des œuvres de fa- lut y Se qu'on n'eft encore qu'homme , tan- ■dis qu'on croit être Chrétien.
Ce n'eft pas qu'il faille rélider à ces penchans heureux qui inclinent notre ame à la miféricorde ; ou qu'on rempliile ces pieux devoirs fans mérite , dès qu'on les remplit fans répugnance. Non , Mefda- ines ) la Foi fait faire fervir la nature à la grâce ; & ces difpofitions favorables que nous portons en naifTant par la vertu^ font des dons du Créateur , lefquels dans fes <le(reins de miféricorde fur nous , doivent jêcre comme les prémices de notre fanclii- ^îcation. Mais il faut prendre garde de ne .pas borner-là tous nos efforts > la piété va plus loin que la nature. On peut fuivre ce que nos penchans nous infpirenc de louable : mais fi vous en demeurez- là > vous n'avez encore rien fait ; vous n'êtes qu'au commencement de la voie : car elle ^fl rude êc difficile ; & quelqu'heureur «g[ue fo\ent vos penchans ^ vous n'y eiuxe- Myflerçs, p
f';8 StrR LFS (ÊUVREg
rez jamais bien avant > tandis que vous ne fertz que vous prêter à eux , 6c les fui- vre : cependant le tempérament feul fait prtTque toute la vertu de la plupart de ceux qui en font proiSriHoyi. La règle donc, c'eil que les offices extérieurs de pieté , qui nous laiifent toujours auiïî fenfuels , auffi immortiiiés^auiïi imparfaits que nous fom>mes , n'en ont que l'apparence, & n'en peuvent avoir la force & la vertu.
La féconde manière dont on viole cette règle eft encore plus coupable. Non feu- lement on fe borne à une vertu toute na- turelle ;, & les œuvres de miféricorde que l'on choi(ît font toujours celles qui ne coû- tent rien à l'amour-propre ^ & qui ne nous corrigent jamais de nos foiblcdes ; mais encore elles ne fervent fouvent qu'à nous y entretenir.
En effst 5 combien de ces âmes abu* fées , qui dans une vie toute mondaine , toute fenfuelle;) toute profane , ferafTurenc fur quelques pratiques de miféricorde ;, & fur l'abondance de leurs largeffes ? Ce font de ces Filles de Tyr dont parle le P-o^ phete, qui vivant dansTiiifidélité > croient appaifer la juftice du grand Roi ^ en mê- lant à leurs plaiiirs quelques pieux offices de charité , & le mérite de quelques libé- ralités & de quelques offrandes : FHit rf' 44- j'yrl ifi inuneribus vulîu.m ttium deprecahun^ *^* tUY, On feperfuade que la miféricorde fup- plée à tout ; que la prière , la retraite , le |:enoncemecic à foi-même ^ la haine du
DE M I s E» I C O R D E. 555
fnonde , Li fuite des pUifirs, la garde des fcns , & toutes les maximes les plus Iîî- violablcs de la vie chrétienne; Coût des de. voirs que l'on peut racheter , pour ainii dire , à prix d argent j que la Foi connoïc ces forces de ccmpenfations ; & qu'une indolence miféricordieufe ne fera pas dif- tinguée de la vertu & de la judice. Mais , 6 mon Dieu ! que votre Croix feroic d: u- ce ! que votre dodrine fcroit favorc^ble aux ftns î que la voie qui conduit a la vie feroic aifc'e 1 <Sc que la couronne de Tim- irortaiité feroit un prix attaché h de légers cfïorts , s'd n'en coûtoît pour l'obrenir que quelques laTgeills , donc nos plaillrs mê- mes , nos paillons , notre luxe , notre C^ïi' iualité ne fouffrent rien !
Non , Mefdames :, le Seigneur n'a pas befoin de nos biens ; mais il demmde no-' tre ccrur. La mifériccrde aide à expier les crimes dont on fe rcpent , il e(t vrai ,* mx-'.is • elle ne juftiFiC pas ceux qu'on aim.e : elle eft le fecours de la pénitence , je le fais : mais elle n'ed pas l'excufc de la volupté ; €Île fupplée aux foibles efforts du pécheur qui revient à Dieu ; la Foi nous l'apprend; ' mais elle ne m.et pas en siiceré rame mon- daine qui réfute de fe convertir à lui ; en im m.ot 3 elle eft le fruit de la vertu , 8c non pas la reffource du vice. Car ce qu'il y a ici de déplorable , c'eft que des mcrurs qui nous paroitroient dangereufes; G elles r'ctolent accomp:jgnées dequelquesofîtces ^ 4e piété , perdent à nos yeux tout ce
P 2
^4^ Su R t E s (È U V R E s
qu'elles ont de doiueux j dès-que ces œa- vres extérieures les fouciennenr. Et iî quel- quefois les vérités du falut entendues ;, ou la grâce plus forte trouble cette faulTepaix, & jette des terreurs dans la confcience ; ah ! la nudité couverte ^ la faim radaiiée , la mifere cdifolée , l'innocence protégée s'oiirent à Tinftant , & calmentcet heureux orage. Ce font des fignes de paix qui dif- Tipent à Tinrtant nos alarmes ; c'eft cet arc ofée 7. i^ï^onopeur dont parle le Prophète , yircus t6. dolojus 0 lequel au milieu des nuages & des tempêtes heureufes , que le doigt de Dieu commençoit à exciter dans le cœur , vienc nous promettre une faulTe férénité ; ôc di- vertit notre efprit de l'image préfente du danger. On s'endort dans ces triftes débris de Religion , pour ainfi dire > comme s'ils pouvoient nous fauver du naufrage ; & des œuvres chrétiennes qui devroient être le prix de notre falut, deviennent Tocca- C\ox\ de notre perte éternelle.
Ah! Seigneur 5 éclairez ces âmes abu- fées. Si parmi tant de perfonnes pieu Tes qui m'écoutentj il s'en trouvoit quelqu'une de ce caraéiere ; ne permettez pas que la niiféricorde , qui délivre , qui fauve i qui purifie j fc change jamais pour nous en voie de perdition & de fcandale. Défen- dez vous-même des illufions delà cupidité, une vertu que vos Livres faints nous ont rendue (î chère -, & en nous donnant ce cœur miféricordieux & fenfible aux mife- res de no$ frètes , doixaez-u.ous ea mémo
DE M I S E RI C OR D F. ^ 34!
temps ce cœur chrécieii:) qui ne fait , ni dJifimuler , ni fe pardonner fes miferes propres.
Je ne dis rien de la troifieme règle qui confifte à prendre garde qu'il ne (e mcle rien d'humain dans rinrention , &c que la vue des hommes cachée au fond de nos cœurs 5 & prefque im.perceptible à nous- mêmes , ne nous falTe perdre devant Dieu tout le mérite de la miféricorde.
Je finis en vous difanc feulement avec faint Auguftin : Vous êtes ici devant Dieu; interrogez votre cœur! yiïite Deiim es ; S.Aug. huerroga cor tuum : ne vous en tenez pas à la furface de vos defirs qui vous trom.- pe p en ne vous offrant rien que de loua- ble : allez à la fource :> fondez-en les vues les plus fccrcttes ; îrit:)$ 'vide ; & là , m^, voyez ce que vous avez fait jufqu'icî , 3c quels en ont été les m.otifs les plus réels de les plus enveloppés dans le cœur : Plde jv--, quid fecifti & quid appetifii. Voyez fi les œuvres obfcures> Se qui n'ont pour témoin que l'œil invifible du Père célefte, réveillent aufTi vivement votre zèle, quecelles qui font publiques , & expofées aux regards Se aux louanges des hommes : f^ide , &c. Voyez fi dans celles où l'éclat efl: inévitable;, vous êtes bien aife qu on vous oublie y qu'on vous confonde dans la foule des perfonnes qui s'y emploient ; & fi votre chari:é ne fe refroidit point5dés que vous n'en avez p^s les premiers honneurs ^ ride , &c. Voyez fi les entreprifes picufes que le monde
^42- Sur LES OUVRES blâme 5 ne vous trouvent pas un peu plus îndiftérente i & (î les œuvres privées de l'approbation des hornmes y ne vous en font pss un peu moins chères : f^/de j C^T. Voyez h le fuccès qui les fuit vous bleffe^ c?c h vous ères îngénieufe à en rejerter toute la gloire fur les autres : Fide 3 &c^ Voyez ertîn , il vousn'agiliez que fous les yeux de Dieu ; fi les hommes font pour • vous comme s'ils n'étoient pas : h vous êtes auÇCi aifeque le Seigneur foit glorifié pnr vos opprobres , que par votre répu- tation i il c'efl: vous-même ^ une vaine gloire:, ou votre falut , que vous cherchez : S. Aug. r-^^de qu'idjecifiï ; & quld appetijil y falutem îiidm an laude?n hmnanam.
Bon Dieu i s écrie ce Père ^ que d'œu- vres (aintes fur l^n^vjelles nous ccmprons ici-bis y Grronî un jour rejettées ^ îorfque le S^ig-ieur viendra juger les juftices ! que de fruits de la chariié , lorlque nous croi- rons en paroître devant lui les mains plei- nes 5 fe trouveront gâtés par le ver fecret d'une dangereuie complaifance L &c qu'il nous reftera peu de choie , lor''que le Juge de nos adions ne noas laiffant pour notre partage éternel ;, que les œuvres qui au- ront été les fruits & les dons de fa grâce , nous aura dépouillés de toutes cciies qui paroiiîoient lui appartenir , mais qui n'ap- parrenoientqn'à nous-niêmies^Et ne croyez j)as , Mefdames , que les règles de la Foi liir les offices de la charité , telles que je viens de les expofer ^ qui femblent demau-
DE MiSERICORDÏ. ^ 345
dtv des précautions lî pénibles 5 foienc ca- pables de dégoûter les âmes fidelles de ces pieufes pratiques. Ah ! rien au contraire n'ell plus propre à foutenir la vertu y à ranimer le zèle , à confoler la piété &c la miféricorde. Car que vous dîfoas-nous ^ que ces pratiques faintes font des devoirs ; que vous ne devez pas les regarder comme des œuvres de furcroit , & que la miféri- corde eil: la vercu la plus nécedaire à ceux qui naiifent d^ms l'abondance f mais quoi de plus perfaafiF pour vous la rendre aimable < Le commandement de Jefus- Chritt lui ôteroit-il quelque chofe de Tes cl-!armesç^& feroit-elle moins cliere à fcs DiPjîpl.s :, pour i*avoit été davantage à leur Maître ?
Que vous dlfons-nous? que les oeuvres de miiéricorde doivent être les remèdes jour- naliers de vos foiblefies de tous les jours ? lAàh que peut-on dire de plus confolant , que de vous découvrir dans ces ofnces religieux j une nouvelle fource de méiite , Se des tréfors cachés que la plupart dts Fidèles n'y cherchent point f que peut-on vous découvrir de plus heureux pour vous; que de vous apprendre qu'ils peu- vent fervir d'exercices à toutes les vertus qui vous m.anqutrnt ; que tous vos maux peuvent y trouver leurs remèdes ,* que la patience:» la pudeur , Thumiliré ) la dou- ceur j l'am.our de la prière & de la retraite, f\ vous voulez ■> naîtront de la m^iféricorde; ôc que danc un fcul devoir de piété ^ vous
P4
ri 44 Sur les (E u v r e 5, recueillerez le mérite de tous les autres^ Que vous ûilons-nous enfin ? qu'il fuuc agir fous les yeux de Dieu feul;, & ne compter pourrit-n l'approbation ou la cen- jure des hommes ? Mais que font devant Dieu tous hommes enfemble , qui puilïe mériter que î'ametideilefafie des attentions fur eux f L'eftime du monde qu^elle mé- prife y qu'tlle fuit j auquel elle a renoncé, lui paroîtroit-elle un prix digne des ac- tions qui peuvent lui valoir une félicité éternelle ^ F-ft-ce ralentir fa charité , de lui appr- ndre que le monde entier n'eft pas digne d!elle j que Dieu feul mérite d être fpedateur de^> œuvres que lui feul peut ré- compenfer \ & que pour les mettre en sû- icic , il fuffit de n'y chercher point d'autre gloire que celle qui ne périra jamais ? Ah î 1 efprit de la Loi n'eft point oppofé à la Loi même. Plus on avance dans la vérité, plus on croît dans la chariié ; plus on con- noît la Loi de l'amour , plus on iViime. L'erreur perd infailliblement quand ou l'approfondit ; mais la vérité n'en étale que de nouveaux charmes. Ainfi ce fera lorfque nous la verrons telle qu'elle ell: , que nous l'aimerons fans tiédeur } fans mélange , fans retout 5c fans inconftance.
il #/»:# -^^^ ^yy^^ ti
DISCOURS
PROx\ONC É DANS LA CEREMONIE
DE VABSOUTE,
Pour rappeller le fouvenir de la, ferveur des premiers Chrétiens ^
Rememoramini autem priftinos dies.
Rappelle:^ en votre mémoire Us premUr^ temps, Hebr. lo, 32,
IL n'en edpas de la naiffancedePEglife^ mes Freres;, comme de celledes fuperf* titions & des iedtes. Leur origine a cou- jours quelque chofe de honteux. Comme lorgueil & la licence en furent les pre- mières fources , il faut tirer le voile fur ces premiers temps, qui les établirent par- mi les hommes. On y voit les pafïîons les plus honçeufespréfidey à la naiitance de ces
54<5 S U R LA F F R V E U R
ouvr^îges de ténèbres ; leur donner la for- ine , raccroiflement d< le progrès : & fem- biabies à ces enfans infortunes ,-. qui font le trifïe fruit du criîr.e de leurs pères , il ne fanr pourles couvrir de confuiion , que les lappeller à leur origine.
Mais pour nous , mes Frères , nous pou- vons vous dire avec confiance : Rappeliez^ les anciens jours: Remcmoranv.nl autem prif» îhios aies. Les premiers âges de l'Eglife font les âges de fa ferveur & de fa gloire.
Souvenez-vous de ces temps heureux y où la Foi encore naiiTante formoit tant de Morryrs généreux > tant de Pénitens aufte- res ;> tant de Vierges pures , tant de Paf- teurs fidèles y tant de Miniftres irrépréhen- fib'es: RemcmoYaminl y &c.
Rappeliez ces (îecles d'or , où l'Eglife encore animée des prém^ices de rEfpric qui venoit delà former , paroiffoit fans ta- che 6^ fans ride ; fous des dehors tri (les de obfcurs, brilioit d'un éclat célefte & divin; empruntoit toute fa m.ajefté de (qs oppro- bres & de fes fouffrances \ & foulée aux pieds de ^ts perfécuteurs ^ devenoit pour- tant un fpedacle digne des Anges & des hommes : Ranemoram'înt , &c.
Souvenez-vous de ces jours glorieux , où le ChridianiTme ne comptoir que des S?ints au nom-bre de fes enfans; où fes va- fes les plus fragiles éroient plus forts que toute la force d'un fiecle profane ; & où "là Foi formoit parmi les (impies & les îgnorans , ces Sages & ces Héros , que la
t>ÏS rRn.lîERS Chrïtîfn'?. 547
philofophie n'avoic fait: jafqaes-ià , ou q^u'imaginer ) ou que promeccre : Ronie^ hforumJni autcm pîjlinos dus.
Rappeliez cette ferveur primitive 3 où l'innocence des mœurs étoit , j'ofe le dire , le crime auquel on reconnoifTolt les Chré- tiens \ ou ils ne devenoient fufpecls aux tyrans , qu'en paroilTant peu conformes au monde corrom.pu ,* & où la fuite des plai- iîrs publics écoir le feul indice dont on fe fervoit pour dénoncer les Fidèles : Reme» 7noraminî autem prifiinos dles.
Rappeliez cette rigueur de difcîpline , où leschutes publiques ne s'expioient que par des châtimens publics; où le fpedfcacle de la pénitence effaçoit le fcandale du cri- me ; où la longueur ôc la févérité des ex* piations^ paroiiToient encore une indulgen» ce dans la rém.ifïîon des fautes ; où les pé- cheurs regardoient la pénitence la plus ri- goureufe :, comme une grâce , où ils folli« citoient eux-mêmes le droit de punir leurs crimes , & de les pleurer ; & où , proder- iiés aux portes de nos Temples :, couverts de cendre & de cilices , féparés de Tautel faint; après avoirlong-temps gémi dans cet état d'humiliation & de peine ^ ils rece« voient le bienfait de la paix & de la récon» cUiation ;. non pas comme le prix de leurs longs travaux;, mais comme le fruit de la charité ôc de la clémence de l'Eglife ; Re-* menioYtimin} atitempr'tflînos die s.
Au fûuvenir de ces jours heureux ; à la l^ue de ces foibles vertiges que la cérémo*»
P 6
54S* Sur la Ferveur me d'aujourd'hui nous en retrace *, à l'im- nienfe difproportion que nous trouvons en- tre nos pères Se nous -, entre leur ferveur êc notre létargie -, leur innocence & nos déréglemens ; leurs auftérités & nos mœurs fenfuelles •, les larmes & les expia- tions de leur pénitence :, & les démarches languiifantes de la notre : dans quelles d:f- poiitions de terreur & de confufion ne de- vons-nous pas entrer ? Ceft la réflexion !a plus naturelle que nous fournit cette cé- rémonie ^ & la feule à laquelle je m'ar- rête.
L'Fgiife n'exige plus > il eft vrai , ces épreuves longues de publiques par où il f.illoit paflcr pour obtenir k pardon de Cts fautes. Nous ne voyons plus ces différens dégrés de pénitens féparés du refte des Fidèles 5 &c admis fuccefTîvemem & pu- bliquement 5 à la paix & à la réconcilia- tion , f.'lonla mefure de leur ferveur , ou la durée de leur pénitence. La difcipline extérieure a changé ; le nombre des pé- cheurs croiiTanr avec celui det. Fidèles , il n'a plus été polTible de les fcparer tous^ ^ de les foumetire aux peines canoniques, l'iélas l m.es Frères , que refteroit-il, dans Failemblce fainte , fi l'on- en léj aroit en- core aujcurd hui , comme autrefois;, les immondes , les fornicateurs , les adultè- res , les raviffturs , 8c tous les pécheurs fournis alors à la pénitence publique ^
Mais ,mes Frères , les changemcns anu 1res à lapolice de TEglifen ont rien change
DÎS PREMIERS ChRSTIENS. 54 çf
à fou cfpric. La ferveur des Fidèles a pa fe relâcher j la mukirade des coupables a pu rendre impoiïible la durée de la publi- cicé des peines ; la néctiXiié des temps a pu fufpendredes loix que la néceiliré avoic d'abord établies ; en un mot , la prudence a pu changer au dehorSj, ce que le premier zèle avoit d'abord ordonné: mais il y a une loi fupérieure fixe& invifible, qui ne chan- ge point i une obligation de pénitence in- leparable de l Evangile ^ qui eft comme lui 5 de tous les temps & de tous lieux, Se que le relâchement des mœurs , loin d af- foiblir , rend encore plus indifpenfable.
ToutChrénendoit crucifier fa chair avec fes defirs ,* tout pécheur doit être puni : foit que vous regardiez ce que vous devez àlafainteré de la foi par votre Baptême, ou à la juftice de Dieu par vos crimes , la pénitence eil pour vous l'unique voie du falut. Si vous ne vous renoncez pas fans cefTe vous-même 5V0US n'êtes pas difciple de Jeius-Chnft ; (i vous ne lavez pas dans le fang delà pénitence le vêtement de juf- tice que vous avez fouillé , vous n'entrerez pas dam leRoyaume deDieu; deux vérités immuables. En un mot j, fans la pénitence^ vouspérireztousi c'eft unarrêtquin'cxcepte perfonne^ & dont il n'eft permisàperfonne d'appeller. Or, quelle eft cette pénitence <*
Si vous la m.efurez par l'Evangile, renon- cez-vous fans cefle vous-même ,* portez votrecioix chaque jour; appeliez heureux ceux qui pleurent 6c qui font affliges ; nf
5 f O S U R L A F E R V E U R
cherchez point votre consolation en ce raonde -, perdez votre ame pour la fauver; arrachez l'œil qui vous fcàndalifcine comp- tez pour rien votre corps ; n'attendez le Royaume de Dieu que de la violence ; re- gardez votre chair comme l'ennemi le plus dangereux de votre falut : aimez ceux qui vous haïffent ; fouvenez-vous que les ab- jedions &c les opprobres font le caradlere des enfans de Dieu ^ mettez la coignée à la racine de vos pafTipns , Se coupez jufqu'au vif tout ce qui occupe en vain la terre de votre cœur ; faites cela & vous vivrez.
Voilà la pénitence que vous impofe le titre feul de Chrétien. A ce titre , vous avez ajouté celui de pécheur. Il ne s'agit plus de con'battre .& de fe faire violence pour éviter de perdre la grâce ; c'eft le devoir de toute ame fidelle , c eft la péni- tence des innocens : il s'agit d'expier vos crimes palTés ; il s'agit de pleurer des chû- tes innombrables , ôc de déraciner àcs paf- fions invétérées : nouveau genre de péni- tence qui vous regarde j la pénitence des pécheurs. Voilà des règles que le change- jnent des temps n'a point changées.
Or 5 montrez-nous dans vos mœurs la pénitence même des innocens. Je fuppofe quevous n'avez point d'excès àpleurer^point <ie voluptés profanes à expier^vous êtes dif- ciple de Jefus-Chrift : cela fuffit. Or , vi- vez-vous conformément à fon Evangile f
Renoncez-vous à tout ce qui flatte les fens ^ vous difputez-vous une parole même oifeufef* regardez-vous les afïliâ;ions coni-»
me des grâces ? éres-vous doux & humble de cœur V aimez-vous ceux qui vous ca- lomnient ? portez-vous la mortification de Jefus-Chrift fur votre chair : haïffcz-vous le monde comme l'ennemâ de Dieu < veil- lez-vous, 3c priez-vous fans cefle ? choi* filiez- vous la dernière place ^ & ce qui eft. élevé aux yeux des hommes ^ eft-il mépri- fable à vos yeux ^ ■ Telle eft la pénitence des innocens. Sans elle , fans cette conformité avec l'£vangile> vous feriez plus chafte que Sufanne , plus irrépréhenfible que Judith , plus charita- ble que Corneille j vous êtes perdu.
Et cependant mes Frères , vous n'avez été ni chaftes , ni tempérans , ni irrépro- chables : vous êtes pécheurs , vous le fa- Ycz: la pénitence des innocens ne fuffit plus pour vous : vous devez à la judice de Dieu des réparations infinies. Que de plaiiîrs injuftes & honteux à expier 1 que de fcan- dales à réparer 1 que d'horreurs à effacer 1- quelle confcience m.onfirueufe à purifier l livousfaut encorelapénitencedespécheurs. Ma'S en quoi connfte cette pénitence f
Ah ! fi vous la mefurez par la juftice'de Dieu qui l'exige y regardez la fainreté & la majeflé de celui que vous avez outragé ; regardez la terreur de fes jugemens , exer- cés autrefois fur des prévarications que vous compteriez à peine parmi vos fautes r regardez l'univers entier innondé par le dé- luge ; des villes coupables livrées à un feu vengeur ; des murmurateurs engloutis j un
"5Ç1 SuRLA Ferveur fîmpleviolement duSabbatfrappédemortj une légère défiance de Moyfe punie par rexcluiion de la terre promiTe : regardez fon propre Fils devenu la vitl;me de nospé- chés;>& quels châcimens fa juftice a tx.gés de celui en qui il avoir misroure fa complai- fance : regardez; & faites félon ce modèle.
Si vous en jugez par les règles que TE- glife obfervoit envers les pécheurs qu'elle foumetcoit à la pénitence publique -, pa- roilFez ici , illuftres pénicens qui gémiiïiez autrefois des années entières à la porte du Temple , fous la cendre & fous le cilice ; ôc par tout ce que l'Eglife exigeoit alors de vous j, de jeûnes, de macérations j, de privations a des prières ^ apprenez aux Fi- dèles qui m'écoutent , ce qu'elle exigeroic encore aujourd'hui , fi lafaintetéde fou efprit décidoir de la févérité de fes règles.
Voilà la pénitence de ces pécheurs, L'Eglife ne fait plus de cette pénitence une poHce publique ; mais la juftice de Dieu y qui eft immuable, vous difpenfe-t-elle de la pénitence fecrettCf'L'Eglife elle-même, qui ne s'eft relâchée qu'à regret de la difcipline extérieure , en conferve toujours l'efprit ; elle vous charge encore de vous impofer en fecret des peines proportionnées à vos fautes j de d'être à vous-même votre juge.
Et certes , mes Frères , de bonne foi ; pourquoi croiriez-vous aujourd hui ; fur le devoir de la pénitence ^ votre condition plus favorable que celle des Fidèles des premiers temps ^
Eft-c©
DF.S PREMIERS CHRETIENS. ^f^
Efi-ce que la juftice de Dieu à changé (es règles i Mais vous favez qu'en Dieu , Un'y a ni mutation , ni viciiTicude ; que tout change autour de lui, mais qu'il demeure toujours le même.
Hft-ce que vos crimes font moins énor- mes que ceux de css premiers Fidèles^ Hé- las 1 lis ne connoifToîent pas même les hor- reurs que vous avalez comme l'eau. Une feule chute en faifoit quelquefois des péni- tens pubhcs ) &: après une vie entière de fouiilures & d'iniquités ;, vous voudriez êcre plus déchargés qu'eux de l'expiation ëi de la pénitence.
Eil-ce que dans ces premjiers temps les crimes étoient moins excufables; & mé- r-.toient par-là des peines plus rigoureufes ^ -^^i^-'-l -iolâtriedoù forieoient cez premiers d'iciples ; les dilTolurions du paganifme dans leiquelles ils avoienc été élevés ; les excès autorifés par la religion même qu ils avo:ent fuccée avec le lait ; tout cela fem- bloic rendre après leur converfion ;, leurs chutes plus dignes d'indulgence ôc de gra. ce : au -lieu que vous , nourris des paroles de la Foi :, blanchis par la grâce de la régé- nération au fortir du fein de vos mères , élevés dans une difcipline fainte , affermis contre l'horreur du crime par les fecours de la Religion & par les exemples des Juf- tes, vous ne pouvez jaftiher vos chutes que par un excè d'ingratitude & de corruption, qui les rend plus criminelles ; 8c dignes d'un châtiment plus long ôc plus févere*
I f 4 î> u R LA Ferveur . Eft-cequela malice ayant prévalu , Ie5 crimes devenus plus comm.uns ^ font deve- nus plus pardonnables ? Mais la m.ultitude des coupables ne change rien à la nature des crimes. Tous les hommes qui avoienc corrompu leur voie du temps de Noé:> ne furent pas moins frappés de Dieu 5 cC en- gloutis fous les eaux , que l'infortuné Àchsii 3 qui chargé contre Tordre du Ciel de quelques dépouilles de Jéricho , Te trouva le (eul ansthême au milieu d'ifrael: de d'allieurs le grand nombre de crimiinels irrire encore plus la vengeance divine ; 6< c'eil: une folie de prétendre qu'à miefure que Dieu eft plus outragé , il deviendra plus indulgent & plus favorable.
Eft- ce en hn que la ferveur de ces pre- TTAzrz rcmps rcndo:: les Fidtltfs pUi.^ pro*. près à fouteair les rigueurs de la pénitence plublique j au-lieu que nous , nés dans dts fiecles plus relâchés ^ nous ne fommes plus en état de les porter , ni 1 Eglifeen droit de les exiger de notre fciblclTc ?
QiK)i , mjes Frères , la ferveur des pre- miers Fidèles auroit arm^é Ttglife à leur égard , de rigueur ôc de févériré j ôc TE- gbfe auroit réfervé :> pour notre molleflè ôc pour nos dcréglemens , Ton indulgence &c fes grâces ? Les premiiers temps Tau- roient donc vue une miere rigoureufe en- vers des enfans zélés & fidèles; & elle deviendroit en nos jours , pour des enfi^ns rebelles 3c corrompus , une mère com-» plaifaïue (Se facile ^ Ses châtimens écoiejii
r>n PREMiET^s Chrétien». ^sf
donc réfervés à des fieclesoù l'onfe repen»
toiu encore fi vivtment de fes fautes ; Ôc
pour les pénicens tiedes de nos jours , elle
n'auroiL plus que des faveurs &c des récom-
penfes ^ Cetoii: donc un malheur pour ct$
premiers difciples de la Foi , que Tabon-
dance de leur componction i puifqu'elle
leur atriroit une abondance de peines f leur
ferveur qui faifoit tout leur mérite , fai(oic
donc aufTi toute leur infortune j & notre
lâch-té fait tout notre bonheur, quoiqu'elle
falfe tout notre crime ? Et depuis quand
donc la vertu efl-elle devenue un titre oné'«
reux;, de le vice un privilège favorable f
Non y mes Frères y comparez-vous de lionne foi à ces premiers difciples ^ vos crimes à leurs crimes , &: leur pénitence à îa vôtre. La Reiigiori ne change point ; l'efprit deTEglife efi: encore le m.êm.ej Dieu regarde toujours le péché des mêmes yeux: fa jullice exige toujours les mêmes répara- tions ; l'Evangile nous propofe encore les mêmes maximes; le changem.ent des temps ne change point les règles de les devoirs j furquoipouvez-vcus donc croire que vous ferez quitte devant Dieu de vos crimes ^ à meilleur marché , C\ je lofe dire;» que cqs premiers Fidèles ^ S'il y avoir des ditte- rences à mettre ;, vous le voyez y elles fe tourneroient contre vous.
Et cependant comparez votre pénitence à la leur : vous favez jufqu'ou eft montée la mefure de vos crim.es ? que faites-vous pour les expiera Croyez -vous que quel-'
'^j6 Sur la Fervîtjr ques légères prières imporées parunMinif- tre 5 peu éclairé , ou trop indulgent ;, effa- ceront devant Dieu ce cahos d'iniquités > ou votre ame a prefque toujours été aby- mée < croyez vous que confeffer fimple- ment Tes crimes aux pieds du Prêrre , ce foit les punir; & que des fautes qui ne s'ex- pioientautrefoisquepar des années entières de gémiffemens & de macérations , feront expiées aujourd'hui j dès-qu'on s'en fera déclaré coupable ^ croyez-vous qu'une vie entière de volupté fera purifiée parla ii.m- pleabfolutiondu Prêtre trop facilement ac- cordée 3 tandis qu'une feule chute deman- doit autrefois une vie entière de larmes de de pénitence ^ Croyez-vous que la voie ait été étroite pour les Fidèles des premiers temps, 5»: qu'elle foît devenue fpacieufe Sc commode pour vous f que le Royaume du Ciel ait été pour eux le prix de la feule vio- lence:) &c qu'il le foit devenu pour vous dç» plaifirs Se de la parefTe ^ que le Seigneur ait exigé d'eux jufqu'au dernier obole y 8c qu'il vous remette à vous toute la dette ^ en un mot 3 que leurs crim^es rares &c peu fréquens , expiés fous la cendre & fous le eilice 3 pleures avec une foi vive & une eompondtion abondante , aient irrité la juftice de Dieu ; & que les vôtres plus in- nombrables & plus honteux 3 fans être punis Ôc expiés 3 vous attireront fa miféri- corde , &: vous feront les garans de fa bonté & de fa clémence?* Et cependant où font vos larmes , vos
r>FS prfmiïrS Chrétiens. 5 57 tîlaccrations , vos jeunes;» vos privations , & la perfévérance de vos prières r où eft cec efpric de compon6tion & d'humiliation qui imprime à toutes nos actions un carac- tère de pénitence ^ Que louiïVfrz-vous ? de quoi vous privez-vous pour ioutenir le titre de pénitenc^le feui titre qui vous reftc pour prétendre au falut ^
Mais quedis-je , mes Frères < loin d'ê- tre pénitens , êtes vous Chrétiens f Quand vous n'auriez que les devoirs communs de l'Evangile à remplir 5 fans avoir de cri- mes à expier , n'auriez- vous rien à crain- dre de la juftice de Dieu? Quelle vie que votre vie ! quelles m.ceurs que les vôtres l Quel fîecle a jamais pourfe plus loin le faite , les plaifirs , l'oifiveté , la mollelTeÔC la bizarrerie des excès ik des ufages ? quels temps ont jamais été plus malheureux ;, ÔC cependnnt plus outrés fur tout ce qui fait la félicité des fens & les joies des enfans du fiecle ? Choififfez les plus hommes de bien d'entre vous j ces hommes vertueux que le monde c«nonife ; ces femmes régulières que la multitude approuve; ces Elus du. fiecle , comme paris faint Auguftin , donc la conduite au dehors eft irréprochable : ôC voyez fi vous trouverez dans leurs maoeurs des vertiges même de la première fainteté des Chrétiens ; voyez fi vous y retrouve- rez un feul de ces traits de la vie évangéli- que j qui tous enfemble font feuls le carac- tère des enfans de Dieu j voyez fi leur vie foutiendra un feul des engagemens do
^5? Sur I â F e rv e .u r leur Eapcême ; ii vous y reconnoîtrez déS dilciplcs de Jefus- Chrill: , des enfans de la Foi 3 des Citoyens du Ciel, des ennemis du monde , des ho n:îmes crucifiés , des étran- gers fur la terre ; & fî de tout ce petit nombre d'hommes même en'.emble , que le monde approuve le plus ? vous en pour- riez former un feul Chrétien.
Ainfi nos devoirs font encore les me-^ mes qu'autrefois ; & les mœurs feules onc changé : ainfi la Religion fubfide encore pour nous juger ; 6^ la Foi qui dévoie nous fauver, s'eft éteinte; ainfi l'Evangile a paflé de nos pères à nous , & ne nous fert plus que de condamnation , après leur avoir fervi de règle : ainfi le corps du ChriiVianifme fe foutient ;, ik lefpric qui vivifie eil éteint dans nos cccurs; ôc tout l'avantage que nous avons fur les in-- fidèles 3 c'eft que fortis d'une racine fainte, rous fommes devenus des rameaux fauva- ges qui ont dégénéré j &: que nous avons enté fur l'olivier franc le gerrhe de linfidé- lire , &z les moeurs corrompues du païen ^ de 1 idolâtre.
Ne regardez donc pas , mes Frères , les mœurs publiques comme un titre qui vous rafiure -, c'eil le fiuit de cette infcruc- tion. Rappeliez vous fans ce (Te aux règles ëc aux devoirs : ne vous croyez pas en «lueré 5 parce que vous êtes ia multitude ; comme fi votre conformité avec le monde, qui fait le caradtere des réprouvés , pou- VQzc devenir le cicre de voire innocence»
Ï)Ë5 î'RrMîF.RS ChRîTIINS. t, f^
tr pour vous, mes FrereS;, qui revenus des palïîons infenfées ? ères entrés depuis long- tcms dans les voies de la componction ôcdu {ciiur, rapprochez les foibles efforts de votre pénîrence^duzcle&de lalainteaudéricé de ces premiers pénitens : loin de vous énor- gueliir de vos juftices défcélueufes , qui dans un fiecle aufîi corrompu , parodient des fingularités ^ des prodiges de vertu y parce qu'elles mettent entre vos mœurs «Scies mœurs du refle des hom.mjes , tous pervers &: corrompus , une différence infinie , hu- miliez-vous par ce qui vous refte de che* miin à faire , pour approcher de la péni- tence de de la ferveur des premiers temps; Ôc penfez qu'il y a encore plus loin de vous à ces premiers Fidèles , qu'il n'y a aujour- d hui du refte des hommies à vous.
Ainfi , que les pécheirs tremblent , ÔC que les juives fe raniment ; que les uns for- tent de leur létargie, que les autres renou- vellent fans celle leurs ferveurs ; que les premiers aient horreur d'eux-mêmes ; que les féconds ne fe regardent pas avec com- plaifance j en un m.ot , que les uns foienc f appés de leurs crimes , que les autjres ne fe rafTurenr pj^s fur leurs vertus y afin que tons enfembie ils puiiîent un jour écre réu* nis dans iT-glife du Ciel , & y jouir de la t>îenheureu(e immortalité.
ANALYSES
DES SERMONS
Contenus dans ce Volume.
LE JOUR DE LA PURIFICATION.
De la foumiffîon à la volonté de Dieu,
DIVISION. L Quelles font les four ce s fc^ crettesde notre révolte contre la volonté de Dieu, IL Quels font les avantages qui ac^ compagnent la foumiffîon à fa volonté fainie, I. V' SKTIE, Les principales four ces de notre révolte contre la volonté de Dieu , font , pre- iniérement , une vaine raifon qui rappelle toujours les voies du Seigneur au jugement de ies propres lumières : fecondement , \n\ fond d'amour- propre, qui fait que nous ramenons tout à nous mêmes : troifiéme- lîient 5 une faufTe vertu , qui fous prétexte de chercher Dieu , ne fe cherche qu'elle* mêuîe.
I. Une vaine raifon. Marie pou voit op- pofer bien de doutes à Tordre de Dieu, qui l'obligeoit de venir fe purifier dans le Tem- ple ; cependant elle obéit , & nous ap- prend par-là que c'ell au Seigneur à vou' 4oir , &: à la créature à fe foumettre. Pour
nous^
Analyfis des Szrmons, 5^1
nous 5 nous voulons toujours faire rendre compte à Dieu de la conduite. S'agit-il de fes voies générales fur le falut de tous les hommes? on n'entend tous les jours dans le monde que des réflexions infenféeslà-deifus: Pourquoi tous les hommes ne font- ils pas fauves ? pourquoi Dieu a-t il rendu le falut fi difficile? pourquoi a-t-il fait les hommes (î foibles ? &c. Mais s'il y a nécefTairemcnt des myfteres incompréhenfibles au refte des Su- jets, dans ie confeil des Souverains , pour- quoi n'y en auroitil point dans les confeiîs de Dieu , & s'il faut , dit l'Ecriture , refpec- ter le fecret des Rois dans la conduite de leurs peuples , le fecret du Roi des Rois dans la difpenfation des chofes humaines , feroit-il moins refpectable ? Si ce que nous connoif- fons de [qî œuvres nous paroit fi divin & fi adm.irable , concluons que ce que nous n'en connoiifons pas , Feft aulTi. Mais ce n'ell pas tout. S'agit il des deffeins éternels de Dieu fiir nos deflinées particulières ? nous condam- nons fa conduite à notre égard : nous nous en prenons à fa providence de nous avoir placés en certaines fituations où notre foiblcife trou- ve des ecueils inévitables ; & nous ne pen- fons pas que Dieu proportionne les grâces aux états ; que toutes les fîtuations où fon ordre nous place , loin d'être des écueils , peuvent devenir des moyens de falut pour nous ; & que la plupart des daiigcrs & des occafions dont nous nous plaignons , font plus dans nos paffions que dans nos places. z. Un amour exceiTif6c déréglé de nous- Myjtcrcs. Q
3^2, Analyfzs des Sermons,
mêmes. Marie nous donne encore ici rexem- pie de ia ioiimifîion à la volonté de Dieu. A ne ccnfulter que les fentimens humains , tout lui eût fourni des- prétextes pour s'y fouftrai- Te 5 & refufer de venir au Temple s'afTujettir à la loi de la purification ; les intér^s de fa maternité divine , le prodige de Ton enfante- ment 5 la honte même de fa pauvreté , & de la nicdicité de fon offrande : mais elle n'écou- te point la voix du fang & de la chair ; per- fuadée que le premier facrifîce que Dieu de- mande de nous , c'eft le facrifîce de nous- mêmes. Pour nous , comme nous rapportons tout à nous-mêmes , & que nous vivons com- me fi Tunivers entier n'étoit fait que pour nous fculs 5 nous voudrions que Dieu ne fût occu- pé que de nous feuls; qu'il entrât dans le plan de notre amour propre ; & qu'au lieu d'être le modérateur de l'univers & le Dieu de toutes les créatures, il ce fût que le Dieu de nos pafTions & de nos caprices. De- là , premiè- rement , l'affiiction ne nous trouve pas plus foumis à Dieu que la profpérité ; & tout ce qui trouble un feul inftant nos plaifirs , notre orgueil , nos projets , nous aigrit & nous ré- volte. De là , fecondem:cnî , comme nous nous aimons beaucoup nous-miêmes , & que nous ne mettons point de bornes à nos defirs, nous ne fommes jamais contens de notre état, de notre élévation , de nos places ; & parce que nous n'avons pas tout ce que nous défi- ions 5 nous comptons pour rien tout ce que nous avons. De- là 5 troifiém^ement , comme nous regardons tout ce que nous defirons com-
Analyfcs des Sermons. ^6^
tr.e notre partage ; les places & les honneurs qui échappent à notre cupiditç , oc qui fe ré- pandent fur les autres, nous le regardons comiiie un bien qu'on nous ravit injuilement. De ià , quatrièmement , comme nous croyons avoir feuls la fagefle en partage, tout ce qui ne s'ajufte pas à nos vues & à nos lumières dans rarrangementdes chofesd'ici bas , trou- ve auprès de nous fa condamnation & fa cen- fure : nous ne faurions vouloir ce que Dieu veut .-nous trouvons.de l'injuftice , de l'hu- meur, de l'imprudence dans la difpenfation des places & des faveurs ; fans psnfer qu'il fe peut faire que les hom.mes aient tort, & faf. fent des choix injuftes ; mais que Dieu a tou- jours raifon, & fe fert de leurs miéprifes pour ac- complir les deffeins éternels de fa providence. Penfons de la forte : alors le monde , le gouvernement des Etats & des Empires of- frira à nos yeux un ordre & une fageiTe admi- rable , parce que nous y verrons uii Dieu invi- fible , fouverain modérateur de l'univers, fans Tordre duquel un cheveu même ne tombe pas de nos têtes ; parla volonté dq qui tout fe fait ; & qui par des ménagemens inexplica- bles , fait fervir aux deifeins de fa miféricorde , la m^hce même des hommes. Mais fi vous fé- parez Dieu du fpeaacle de l'univers , fi vous
Pi y voyezplusîa volonté éternelle duSeigneur qui en eft le reffort invisible , le monde n'eft plus qu'un cahos , un théâtre de conflifion 8^ de trouble , où l'on ne voit point d'ordre • par ce qu'on n'y voit que l'irrégularité des rjouve- mens , fans en comprendre le fecret & ïu^^ao.
3^4 Analyfes des Sermons.
^. Une faulTe vertu , qui réfifte à Dieu fous prétexte de le chercher : dernier écueil , que l'exeinple de Marie nous apprend à év^iter. En effet , û elle n'eût confulté que fon zcle pour la gloire de fon Fils , elle devoit , ce iemble , fe fouftraire à la loi de la purification , qui ne paroilibit propre qu'à confirmer l'incré- dulité de fon peuple, en le faifant pafTerpour lefimple fils de Marie &c de Jofeph. Mais Ma- rie fe défie d'un zelc qui n'eftpas dans Tordre de Dieu ; & rien ne lui paroît plus sûr même dans la vertu , que de fe conformer à fa vo- lonté fainte : & véritablement rien n'eft bon pour nous , q^e ce que Dieu veut ; & toute piété qui n'a pas pour fondement une confor- mité continuelle à fa volonté fainte , eft une fauffe vertu. C'eft par-là cependant que la piété manque prefque toujours ; & nous ne voulons jamais aller à Dieu par les voies que fa main même nous a frayées. Prem,iérem.ent les devoirs de notre état ne nous plaifcnt ja- mais : nous leur fubftituons toujours des œu- vres arbitraires que Dieu ne demande pas de nous. Secondement , fi Dieu nous laille dans im état d'iiinrm.ité habituelle, nous noi^sen prenons à cet état , de notre tiédeur 5c de nos infidcliiés dans le fervice de Dieu. Tscifié- mement , nous fouffrons impatiemmcntnos propres imperfections : nous voudrions n'a- voir rien à nous reprocher & vivre contens de nous-mêmes. Quatriémem.ent , fi les pécheurs revêtus de l'autorité publique , mettent quel- que obilacle à notre zèle ; nous ne gardons plus de meuiie de charité avec eus. Cinquié-
Analyfis des Sermons, 365
mement , les clerc glor^cns de nos proches , de nos maîtres, CiC nos égaux avec qui iious avons à vivre. îicus foîit iiiuipportables ; & nous noJsTaiijr.5 une faulTe vertu de les cen- furer, de les décrier , <k de les aigrir ; au lieu que h 'ix-rkable vertu regarde les pé- cheurs cîTtre 'les^mains de Dieu ; les fouffre avec charité^, puilque Dieu ies fouîlre lui- jr.ér-ne ; &: les ainic avec vendreiie , puirqu'ils peuvent devenir les ani's de Dieu, & qu'ils ibiit utiles auxxielleins de fa providence,
II. Parti e. Les avanîagcs qui accom- pa^nerJ la fouml£lon, à la vrAonié de Dieu» Trois fources fécondes de chagrins forrjient tous les malheurs &toi:tes les inquiétudes de la vie huniaine : les vaines prévoyances iiir l'avenir 5 les agitations inîinies furie préfent , & les regrets mutiles ^jr le paile.
Or î. la fburçifîion à la volonté de Dieu nous fait attendre , comme Marie , l'avenir fdns inquiétude. Quelles allarmes la prédic- tion du vieillard Siméon furladeftinée future de fon Fils , ne dcvoit-eîlepas jettcr dansicn ame fainte ? Cependant , comme le Prophète-^ elle jette toutes Tes penfées & toutes fes fra3/eurs danslefein de Dieu ; & fa tranquilli- té eft parfaite - parce que fa foumifTioneil en- tière. Pour nous , les inquiétudes fur l'avenir forment le poifon le plus amer de notre vie ; & nous ne fommes malheureux , que parce que nous ne favons pas nous renfermer dans le momentpréfenf.nous nous tourmentons fans celTe fur le lendemain , comm.e fi à chaque jour ne fuffifoit pas fon mal. Toute notre vie
^66 Analyfes des Sermons.
n'eft qu'agitation , que trouble, que craintes , que précautions : mais une ame foumife à Dieu 5 n'éprouve point ces troubles , ces frayeurs , ces foucis , qui agitent les enmns du (îecle ; parce qu'elle fait que l'avenir eil: ar- rêté dans les confeils de fa providence ; & que nos inquiétudes & nos foucis , ne pou- vant changer la couleuymême d'un feul de nos cheveux , ne changeront pas , à plus forte raifon , l'ordre de fes volontés immuables ; que d'ailleurs on ne rifque rien, en fe con- fiant à lui fur tout ce qui doit arriver. Ce n'eft pas que la Religion autorife la pareffe & l'im- prudence : le Fidèle travaille comme fi tout dépendoit de lui ; mais il eft tranquille fur l'é- vénement , parce que tout dépend de Dieu. Ainfi la prudence eft commune au Fidèle 8c au mondain; mais la paix &: la tranquillité n'eft que pour le Fidèle. Et quand je dis que la prudence leur eft com.mune , c'eft le nom feul qui leur eft commun ; car il y a bien de la différence entre une prudence chrétienne & foum.ife à Dieu , & une prudence toute hu- . maine. La prudence du Fidèle, dit faint Jac- I ques , eft , premièrement , chafte &: innocen- te ; elle ne connoît de mefures légitimes que celles que la confcience permet , & que la Ke* ligion approuve : celle du pécheur au con- \ traire ne compte pour rien les crimes ,pour'l arriver à fes fins. Secondement , celle du Fi- dèle eft tranquille , & amie de la paix ; fes mefures font toujours paifibles , parce qu'elles font toujours foumifes à la volonté de Dieu : celle du pécheur au contraire eft toujours agi-
Andyfes des Sermons, 367
tée,parcequ'elle ii'eft jamais foumife. 3. Celle du Fidèle eft modefte ; il s'interdit les projets ambitieux, &: n'a que des vues conformes à fon état: celle du pécheur efl infatiable. Qua- trièmement 5 celle du Fidèle eft humble ;il fe défie toujours de fes propres lumières : celle du pécheur au contraire eft pleine d'orgueil ; il ne compte que fur l'habileté de fea meili- Tçs, Cinquièmement , celle du Fideie n'eft point foupçonneufe ; il aimeroit encore mieux tomber dans le piège , que de juger témérai- rement les intentions & les penfées de fes frères : la prudence du pécheur ne trouve fa sûreté que dans {qs foupçons & dans (es dé- fiances. Sixièmement , celle du Fideie n'eft point didimulée ; comme il ne veut tromper perfonne , il n'a que faire de fe dégiiifer : celle du pécheur n'eft q-u'une duplicité éter- nelle. Septièmement , enfin celle du Fideie eft pleine de miféricorde , &: des fruits des bonnes œuvres ; il joint aux moyens humains les pratiques de la vertu , & les fecours de la prière : le pécheur au contraire regarde la piété comme un obftacle à fon élévation.
2. La féconde fource de nos inquiétudes , eft une agitation infinie fur le préfent. Rien n'arrive prefque jamais feloa nos deiirs: maisr une ame fideie trouve , comme aiijonrd'huî Marie 5 dans une foumifiion entière aux or- dres de Dieu , une refîource toujours prête aux embarras de fa fîtuation préfente. Tout étoit incompréhenfible dans les deîTeins de Dieu fur elle : mais la volonté de Dieu eft le feul dénouement de fes doutes y &: la grande
Q4
560 Analyfes des Sermons,
conîcjr:ticiî de ies peines. Or , ce qui rend la foumiffion à Ih volonté de Dieu fi confolante dans les fituaîioiiS les plus diiiiciies où il nous place . c'eil . premièrement .que c'eft la volonté d*ûn pieu tout puiiTtint , à qui tout eft aifé ; feconJenTèrit 5 d'im Dieu fage 5 qui ne fait rien aii îiazard ^ qui voit ]es dilTérentes utilités cet fiîO actions cù il nous place ; troiiiémement , d'un 'Didi bon , tendre &. mifericordieux , qui nous aime 5 & qui ne veut qiie notre faîut. ?. Les regrets fur le pafTé forment la der- nière fouree des inquiétudes humaines. Nous ne rappelions les événemens fâchtux dç.notre vie 5 qu'avec des retours amicrs qui en empoi- fcnnent le fou venir mous nous reprochons fans ceiïe d'avoir été nous-mêmes les auteurs de notre infortune. Or , x:'eft encore ici que la fcùniifîîcii de Marie ei! pour nous un modèle. Comme elle ne peut douter que la main du Très-Haut feul ne Fait jufqu'ici conduite , elle n'a pas de peine à fe perfuader que c'efl-lui- mèiViQ qui la conduit aujourd'hui au Temple, 5c à fe foumettre au facrifice 5: à l'humiliation que Dieu demande d'elle. Voilà la grande fcitnce de la Foi. Le pafTé devroit être pour nous une inftrudion continuelle , où nous de- vrions étudier les volontés adorables du Sei- giicuruirlcs deltlîîées des homm.esicependant le fou venir du pafie , loin de nous inflruire , nous féduit , '6c ne fait que réveiller en nous des pafllons injures. Tout paiTe , tout difpa- roît j tout s'écoule à nos yeux ; & nous ne voyons Dieu nulle part : nous n'y voyons que les révolutions humaines. Les Patriarches 5
Analyfes des Sermons. 26c}
bien dlfFérens de nous , voyoient Dieu par- tout ; & rep.îlîant fansceffe fur les différentes voies , par où fa fagelFe les avoit conduits, ils y admiroientles ména^gemens ineffables de fa providence ,&: l'ordre de Tes volontés adora- bles. Et voilà la grande fcience que nous ap- prennent nos dnines, Ecritures : dans les au- tres hifcoires 5 on n'y voit agir que les hom- n:es;jnais dans l'hilloire des Livres faims, c'efl Dieu feul qui fait tout. Aulîi nous ap- prend-elle à ne regarder les différentes révo- lutions qui ont agité l'univers 5 que comme rhifloire des delFeins <k des volontés du Sei- gneur fur les hoinines ; & c^eft l'inirructioa que trouve à préfent une ame ûdch dans le fouvenir du paffé , comme ce fera une des grandes^confolations des Juftes dans le ciel , de voir a découvert l'ordre admirable des vo- lonîés du Sei;:^neur dans tous les événemens de leur vie pailée.-Ils verront avec quelle bonté & quelle fagelTe Dieu faifoit tout fervir à là lanaiEcation des liens ; tandis aue les d^- cheursicrontilirpris & déieîpérés de voir mîe croyant vivre fans joug & fans Dieu en 'ce monde, ilsctoientnéanm.oins ' ' - i^-p'^nl ae la lagefîe , qui Ici^ivci: c tc^ire^
mens 5^ ^;aurracca:r)pî;;Iemeju de t^i defi^rios éternels.Kéflexioqqui jf^ule devrolt rau^-llsr tous Iè3 hommes à uiie fou^r.iinon conîîî.ueî^ le 9'jx^voiontés du Seigneur : ^JiiKquo: , qu'Us fe foumeiî.entou non^'à fa vofontéfaînte, il eft certain qu'ijs agiffent toujours fous la main ae Dieu: auifi en fe ré.vo]tant contre lui , ils ne chanj^ent point les évémmens,: ils ne fbnt que muiîiplier leurs crimes. Q ^
370 Anaïyfcs des Sermons,
S^^ =^^ ==^
LE JOUR DE LA PURIFICATION.
îl. Serm. Sur les difpojîtions nécejjaires pour^ fc confacrcr à Dizu par une nouvelle vie.
DIVISION. 'Nous apprenons dans ce myf- tere , les difpofitions dans kfqucllcsilfaut entrer pour fc confacrer à Dieu par une vie toute nouvelle : nous y trouvons un efprit de facrifice dans Jefus-Chrifi , qui s'offre à fon Père ; &• un efprit de fidélité dans Marie qui Voffre, Or voilà les dieux difpofitions qui rendent la con- verfion fincere ù durable , & Voffande de nos coeurs 5 agréable à Dieu, L Un efprit de facrifi- ce j qui ne réferve rien en s'offrant, ÎL Un ef- ^rit de fidélité y qui ne fi dément plus fur rien en le fervant,
I. Partie. Un efprit de facrifice qui ne ré- fkïve rien en s'ofrant. Quoique Jefus-Chrift ne foiî pas irr-irolé aujourd'hui dans le Tem- ^ pie , le facrifice qu'il fait de lui-mêine à fon/ Pere^, n'en eftp2s moins réel ; bien différent en cela des autres premiers-nés qu'on venoit lîieffre entre les mains des Pontifes^ & qu'on préfentoit au Temple - plutôt pour les rache- ter , que peur les confacrer au Seigneur. Pour Jeflis-Chrift . dès qu'il entre dans le Temple , dès-lors il accepte &: fouffre par avance/iout ce qu'il doit fouffrir un jour pout fon Père» Ainfi quoique ce qui fe pafîe au- jourd hui dans le Temple , ne foit qu'une iiçage du Calvaire ^ i'oblation n'en eli pas moins réelle ^ dit famt Bernard^
Analyfes des Sermons. ^Ji ^
I. Et telle doit être la première condition de notre facrifice, lorfque nous voulons nous donner à Dieu , la réalité de l'offrande. La clémence divine qui depuis le péché , pourroit exiger de nous le facrifice de notre vie , a rem- placé cette peine ; & le facrifice continuel de la vie des fens, eft devenu la loi de mort im- pofée à tout Fidèle : loi que nous avons tous acceptée fur les fonts facrés , lorfqu'on vint nous offrir au Seigneur dans le Temple. Voiià la vie chrétienne ; une vie d^ renoncement 8c de facrifice. Cependant y qu'eft-ce que fe con- facrer à Dieu pour la plupart àes âmes , qui revenues des égaremens du monde , veulent le fervir ? c'eft fimplement étaler des dehors plus religieux , & ne plus vivre dans un oubli entier de Dieu & de la Religion. Mais fi vous n'êtes ni moins ambitieux , ni moins attaché ^ ni moins fenfuel , ni moins fenfible , &c. vous vous offrez au Seigneur comme les premiers- rés dlfraël , qui étant rachetés auffi-îct , ne devenoient pas fon partage ; c'eft à-dire 5 que vous n'offrez à Dieu à votre place, qu'un vil animal , des œuvres extérieures , une appa- rence de piété , au lieu de votre cœur & de vous-m.ême : Dieu ne fauroit fe contenter de- cet échange ; il faut que le facrifice foit réeî* Cependant la plupart des converfions y à I3 Cour fur-tout , font de ce caractère , tL ûib* fiftent encore avec tautes les paillons , moins marquées à la vérité , m.ais toujours aoi/H jéeîies. On s'eft donné au Seigneur ; mais to\it ce qui plaifoit , plaît encore ; dès-lors on n'a point fait de iacrilice ; oa s'eft conteiité d'ôter
Q6
7p.^ Analrfis des Sermons,
la. peau de la viâime , d'en changet les dehors ; irais on u'a pas touché ^u reilc ; & comme on perfévere dans Tiifage des chofes fâintes , comnye on vit exempt de grands crimes, comme on.fuitprefqiie les mêmes routes que les Jiiiies^ peu s'en faut qu'on ne fe croie Jldlfc©i:c^m^le eux ; èl ce n'eft pas par hypo- crite : on.eft daiis Terreur de bonne foi ; on cioit avoir fait à Dieu le facrifîce qu'il de- rnandoit de nous ^ - quoique nous ne lui ayons jamais fait aucun facrifice réel &: douloureux de nos C^as^ de nos peochans , de nos efpé- rances , de nos com.m.odités , de nos anti- ■psthies, &c. Détrompons nous ; c'eft le fa- crifice du cœur , que Dieu dcm.ande ; tout autre facrifice , n'efl: pas un facrifîce réel.
. 2. Mais ce n'efl pas afTez que l'ofFrande de notre cœur fcit réelle : la féconde condition , c'ed qu'elle/oit univerfcJJe. Jefus-Chrift , dit Saiiît Bernard, iaçri£e aujourd'hui à; fon Pe rc y teus fes titres , toute fa [^loiie y fon inno- cence même : il ne fe réferve rien , pour nous apprendre, dit ce Père , que. l'iutégrité du facrifioe en fait d'ordinaire tout ie mérite.
Pour nous , nous voulons bien retourner à Dieu; mais nous ne voulons pas tout à-coup . faire uii divorce univenel avec le monde : nous nous figurons qu*il faut nous gagner fur cer- .' tains points , avant que d'en vejiir aux autres. Maisdeacommerïcemens fî m.énagés ne font jamais heureux , & ne vont jamais loin. Il n'eu eft pas de la ccnverflon , comme des ouvrages des homm:es; elle n'eft point, lorfqu'elle n'eft point entière* U ed vrai que la piété a Tes pro-
Analyfis des Sermons. 375
grès 5 & qu'elle fe perfe£lioniie de jour en jour ; mais : le monde , & tout ce qu'il a de crimuiei, doit être d'abord détruit dans notre cœur; & tout ce qui eft incompatible avec la vie chrétienne , doit ceiTer tout d'un coup. Je- fus-Chriil facrifîe aujourd'hui à fon Père tous fes titres & toute fa gloire ; lui qui eft Je Pon- tife véritable , & le rédempteur d'Ifraèl; vou- lantbien achetcrîe droit d'entrer dans le Tem- ple, & être racheté comme un enfant ordi- naire. Mais pour nous , qu'il eft rare que nous n'ufîons pas de réferve , lorfqu'il eft queftion fur-tout de faire au Seigneur un iacrifice de toutes les vaines diftinâ:ions qui nous élèvent aux yeux des hommes ! Nous voulons que nos titres entrent , pour ainfi dire , dans tout ce que nous faifons pour le Seigneur ; & les œu- vres de religion qui nous confondent avec la foule , ne font jamais de notre goût.
Jefus-Chrift lacrifie aujourd'hui à fon Père fon innocence même , ann que rien ne man- que à l'intégrité de fon facriilce.llparoîtdans le Temple comme picheur , & prend fur lui toute la honte du péché dont il eft exempt; &: dans les facrifices que Dieu demande de nous , nous voulons toujours fauver une vai- ne réputation d innocence & de probité que nous avons perdue*
3. La troiftem.e condition de notre offran- de, c'efl qu'elle foit volontaire comme celle de Jefus-Chrift. En effet, lefàcrifice que fait aujourd'hui J. C. à fon Père , eft un homma- ge de furcroîî , pour ainfi dire : ce n'eft point un devoir nécejSaire puifque l'ouvrage du
374 Analyfes des Sermons,
falut des hommes 5 dontfon Père l'avoit char- gé , pouvoir être confommé ^ fans qu^il y ajoutât la honte de cette première démarche. Mais il vouloit nous apprendre qu'une ame qui revenue des égaremens du monde , fecon- facre à Dieu , ne peut d'abord fe refufer à el- le même de faints excès , & ne s'avifepas de compter avec fon Seigneur , pour favoir au jufte ce qu'elle lui doit; & loin que la tiédeur de fon zèle attende toujours l'obligation iné- vitable du devoir pour agir , elle fe fait un devoir de tout ce qu'un zèle faint lui infpire. Mais où font les âmes de ce caraftere ? Lorfque touché de la grâce , on veut revenir à Dieu, le premier foin eft de chercher de toutes les manières de le fervir , la plus dou- ce & la moins d^ure à l'amour propre. Loin d'embraffer des rigueurs de furcroît , on étu- die d'abord jufqu'où on peut pouiTer la con* defcendance , pour s'en tenir à ces bornes dangereufes. Mais qu'on aime peu fon Dieu , lorfqu'on peut fe prefcrire à foi-m.ême la mefure de l'aimer ! les commencemens de la vraie pénitence ne fauioient être ni û lan- guiffans , ni û ménagés. • IL Partie, La féconde difpojîtion d'une ame qui veut fe donner à D'ieu^ doit être un efprit de fidélité qui ne fe dément plus Jur rien en lé fervant ; & c'eft ce que nous apprend l'exem- ple de Marie,
. Nos infidélités ont leur fource, premiére- ïRent 5 ou dans une prudence de la chair tou> jours ingénieufe à trouver des incorivéniens- aux deiïeins de la grâce fur notre ame ; fe-
Analyfes des Sermons, 375
condement, ou dans un orgueil & une com- plaifance fecrette , qui trouve dans les dons même de l'Eforit faint , Fécueil de la vertu ; troiiîémement , ou enfin dans un décourage- ment dangereux, qui à la vue des maux dont il eft menacé, fe confulte trop foi- même, 8c faitdefafoibleflelamefure defes devoirs. Or , la fidélité de Marie dans ce myftere nous four- nit de grandes règles pour éviter ces écueils. I. Docile , elle ne raifonne pas. Elle n'écou- te rien de ce qu'elle pou voit fe dire pour fe dif- penfer de la loi de la purification ; que c'étoit îè dégrader publiquement de Thonneur de fa divine maternité , & dérober à fon Fils la gloire de fon éternelle origine , &c. Elle avoit appris dans fa retraite , que trop de raifon ^ quand il s'agit des voies de Dieu , eft un excès de lumière qui éblouit & qui égare ; & que la vie de la Foi lailTe toujours des ténèbres & des difficultés , pour ne pas ôter à l'am.e jufte le mérite de fa docilité. Mais l'exemple de Ma- rie a peu d'imitateurs , parmi ceux m.ême qu'on regarde comme juftes. Nous prenons prefque toujours dans les intérêts de la gloire de Dieu , des prétextes pour nous difpenfer de fa loi fainte ; & nous trouvons le ^ecret de nous déguiferà nous-mêmes nos paflîons fous le nom de la piété : en un mot , nous trouvons des inconvéniens infinis , dès qu'il s'agit de faire le bien ; & nous ne penfons pas quciuo- tre devoir eft d'accomplir la loi qui eft claire, & qu'après cela les inconvéniens douteux que nous croyons appercevoir de loin , ne nous re- gardent plus : c'eft l'affaire de celui qui nous
37^ Analyfes des Sermons.
ordonne d'obéir ; & puifque les inconvé- niens que nous croyons appercevoir 5 ne l'ont pas encore obligé de changer fa loi , ils ne doivent rien changer aufîi à la fidélité de notre obéifTance.
Une autre inftruâ:ion que nous donne ici la docilité de Mafie , c'eil qu'élevée au degré le plus fublime de la grâce , elle ne dédaigne pas une cérémonie vulgaire du culte ; ellen'afFed:e pas des voies plusfublimes , plus rpirituelles , & plus parfaites. Or , cet écueil eft à crain- dre pour la piété : fouvent on croit avoir une dévotion plus éclairée & de meilleur goût , enlaiiîant au peuple fîmple & grofner Iqs pra- tiques les plus communes de laReligon , que la piété publique a autorifées , & dont la /im- plicite femble les deftiner à la multitude igno- rante : on croit , en donnant moins aux fens & à la chair qui ne fert de rien, agir plus fe» Ion l'efprit qui eflutile à tout; & on ne penfe pas que tout aide à la véritable piété , & que rien n'eft petit & imparfait pour elle que les œuvres qui manquent de ferveur.
2. Marie humble , ne s'élève pas. On ne peut douter qu'elle n'eût été éclairée d'en haut fur toute la fuite du miniflere de fon Fils^fon divin cantique en eft une pi;euve : cependant elle ne dédaigne pas d'être iniiriiite par le faint vieillard Siméon: elle ne s'ej^iprefTe. pas de ra- conter à fqn tour les grandes chofes que le Seigneur /^yoit opérées en elle. -Or, lien de plus rare, même dans la piété-, que cette fage & modefle retenue , qui va à cacher fes pro- pres dons 5 & à maaifeiler ceux des autres.
Ahhlyfes des Scrmàm'. \ ijj
5. Marie générenfe ui fe cîccôurags pirs. On lui annoiîce qu'un glaive de douleur per- cera fon ame ; que cet enfant qu'elle vient of- frir 5 fera expofé comme un but aux traits de la contradiction & de la calomnie: en ne pré- fente à Ton efprlt que^ des images triftes Se: ef- frayantes : cependant à tles préfàges fi funef- tes elle offre une foi généreufe & foumife; fille d'Abraham, elle en imite la fidélité &ie courage : or , c'efl ici où Texemple de Marie eft peu imité. La piété n'arrache pas toujours ducœurdes parens les plus chrétiens l'amour charnel & déréglé des enfans; 8t Ton n'offre pas toujours au -Seigneur , comme elle , ni ce qu'on a de meilleur , ni peut être ce qu'il de- mandoit de nous.; Si un enfant paroît plus propre que le§ autres à fontenir la gloire de ion nom & i'^Rime publique , on le fépare pour la terre : en vain mille traits d'une voca- tion fainte, paroilfent^ déjà fur fa perfonne; on réfîfte à l'ordre de Dieu : on regarde les pkis faints mouvemens de la grâce , comme des légèretés de l'enfance ;• &: fans le détour- lier ouvertement d'un deffein louable , fous préteste d'éprouver fa' vocation , On la lui fait perdre. Ce n'eft pas que je prétende ici blâ- mer les précautions d'une piudence chrétien- ne Venais je blâme les vains prétextes delà cliàir-& du i*ang. En effet , lorfque les îném.es defirs de retraite fe trouvent dans ceux" de vos çnfàns , qui par Tordre de leur nailîance , ou par la médiocrité de leurs tulens, font moins propres au monde , & à féconder la vanité de vos projets ; vous n'êtes pas (î difficiles & fi
37^ i---^ ^njZ)//e5 des Sermons. circoiïfpé^ts : loin de leu r repréfenter les încon- véafens d'un choixtéméraire ; c'eft vous-même qui fe leur infpirçz. Aufli arrive-t il de-là que la honte âe vos familles devient le partage du Sei- gneur. Après cela vous êtes allez injuiles pour faire du dérèglement & de l'ignorance des per- fonnes confacrées à Dieu , le fujet le plus or- dinaire de vos dérifions & de vos cenfures ; mais ne font-ce pas les mains de votre cupidi- té qui ont placé fur FAutel , ces idoles mépri- fables que vous infultez ? S'il n'y avoit point dansFEglife tantde parens avares , ambitieux , injuftes , on n'y verroit pas tant de Miniflres mondains , fcandaleux , ignorans. Telles font les inftruftions que la Foi découvre dans ce Myftere. Confacrons-nous donc aujourd'hui au Seigneur avec Jefus-Chriil ; mais confa- crons-nous fans referve j & répondons avec fidélité 5 comme Marie, aux deffeins de Dieu fur nous. m ========^==========^^
L E MF S T E RE
DE L* Incarnation.
DIVISION. Le monde ne connoît de véritable grandeur^ que celle qui frappe lesfens ; de vrai bonheur , que celui de vivre dans lesplaifirs \ de raifon , que lafiznne : ce font là les trois er- reurs principales 5 qui forment proprcm-ent toute lafagejfe humaine , & que confond la fageffe de Dieu cachée dans le Myftere de l'Incarnation, L Un Dieu anéanti , rend les humiliaiions hono' râbles. IL Un Dieu chargé de nos douleurs ,
Analyfis des Sermons, 379
rend les fouffrances aimables, 111, Un Dieu uni à Vhomme , fait taire la raifon 5 & rend la foi même raifonnahle.
L Partie, Un Dieu anéanti^ rend les humi- liations honorables. Pour le comprendre , re- marquons quels font les principaux cara<£leres de Torgueil humain ; voyons enfuite Toppoii- tion qu ils ont avec ranéantillement du Fils de Dieu , dans fon union avec notre nature.
I. Le premier caraétere de Forgueil , efl cette erreur qui fait que nous fortons , pour ainfi dire , de nous- mêmes , & que pour nous étourdir fur le fentiment intérieur & humiliant de notre mifere , nous cherchons avec com- plaifance dans les chofes qui font hors de nous, les biens , les titres , la naiffance , &c. une gloire dont la fource ne devroit être que dans nous-mêmes. Or les circonftances extérieures de l'incarnation diî Verbe , corrigent les hom- mes de cette première erreur. De tous les^ Myfleres ^ celui de l'Incarnation avoit été an- noncé delà manière la plus éclatante & laplus pbmpeufe; cependant rien de plus obfcur aux yeux des fens, que ce qui fe pafTe aujourd'hui à Nazareth : c'eft un feul Ange qui eft envoyé , & encore fous la (implicite de la figure humai- ne ; il eft envoyé à une Fille qui n'a rien qui la diftingue dans fa tribu , que fa pudeur & (on. innocence ; Nazareth, où^emyftere s'accom- plit , eft la ville de Juda la plus méprifable : perfonne, Jofeph lui-même l'époux de Marie, n'eft informé de l'ambalTade céîefte. Dans tous les autres myfteres , les abaiiîemens du Verbe font mêles d'éclat & de grandeur ; ici tout efl
5 8o Analyfcs des Sermons.
obfcur : rien ne parle aux fens ; parce qu'ici le delleiii delà fagelle divine efid'cii corriger les erreurs, & de fubfiitûer hs nouvelles vues de îa Foi aux anciennes illufions de la fageîfe hu- maine. En e^cî 5 dans ce Myileie nous appre- nons queTinnocence &la verîu font les feules licheiles de riiomn-e ; que tout le mérite de Tame £ds]e eii caché dans Ton cœur ; eu un mot . que la grandeur qui n'eft que hors de nous 5 neû qu'un preilige qui nous joue i èl qu'on n'eft grand qu'autant qu'en clt fainî : mais pIÛL-à-Di»ii que ce ne fût pas là encore aujourd'hui une fageife inconnue au fieclô^l
2. Le fécond caractère de rorgueil humain, eft cette forbleffe qui ne compte p'our rien le mérite de la vertu memç,, tandis qu'il eit ca- ché 5 8c qui ne liait du vice que l'a confufîon & ropprobre ; comme û les hommes ne pou- voient êtres grands ou méprifables, que dans ridée des autres hommes : or , Tanéantiffe- ment du Verbe dans ce Myflere , confond cet- te vaine attention aux jugemens humains. Le Fils de Dieu ne dcrfcendant fur la terre que pour glorifier fon Pcfe , & reprendre dans le cœur des hommes leshomm.agesqueles créa- tures lui avoient ravis , ce deiîein dem.andoit, ce femble , qu'il fe montrât à eux dans toute fa gloire : cependant ce n'efl pas par î'éclat & la majeflé , qu'il veut triompher de nos cœurs ; c'eft par les humiliations & les opprobres : il cache tout ce qu'il QÎï ; en un mot , il paroît anéanti dans tous fes titres. D'où vient;uiie con- duite fi furprenante? Laiffons les autres raifons de Tobfcurité de fon miniftere j celles qui nous
Analyfcs des Sermons, 381
regardent , font , premièrement , qu'il vou- loir apprendre aux Minières chargés de la dif- peniation de l'Evangile , à ne rien changer à Tordre de Dieu dans les fonctions de leur mi- nidere,, fous prétexte de concilier plus facile- ment à fa parole U^ fuffrages des hommes , & à ne pas croire qi:e Dieu ibit plus glorifié par la gloire qui leur revit^nt à eux-mcmes. Seconde- ment , il vouloit apprendre aux Fidèles , que les jugemens des hommes ne doivent jamais décider de leurs devoirs ^qu'il ne faut pas s'en tenir dans le feryice de Dieu à ce que le mon- de approuve, mais à ce que Dieu demande de nous ;qae i'obfcurité ed le plus sûr afyle delà verni : cspendant prenons- y garde , les gens de bien même comptent les hommes pour beau- coup : C'^. qu ils loin à. leurs yeux & aux yeux dz Dieii . ks intéreiie peu : ils ne paroilTent touçliis qjîe de ce qu'ils font au:^ yeux des hôTTiipc", : &ç Us {çnî fouvenî, hélas ! plus nat- tas dé^&nfî'e? v^f^^s cJ.J'oa leur atJtribue , qu'ils np 'r7;ith.«iTjilié?-:ps^ 13 vérité qui leur fait.fen- tir^kuîî§4é|ar«jtsi&' leurs mifcr^s réeUes.
^. Ls iler^ii:^jÇ^x"a61:ere de l'orgueil^ eilcet- t ^ i rn p oûu r§ ^X^z va n i té q u i c h e rc h e la gl o : re Gans:jes, lKîi::!r;iIi^ti#;s mêmeç: car il n'eiiipref- que, po^*.t(4il''*TyiÀté;ré*>lUs)i^& rien n'eft plus W^S'V.Ç'lie Ji|tf2ii?i2f feu M^Jontaire ,quL ne con- duj-t,qj:jV: l'hu9>jrwicQrc.>vçilà .réliueil. que les aViéanî..i:feK^.^s du Verhe dans ce yi-yCiere nous up^>renîjen,t:i: éviter.: il fe, revêt de k rclTem- blancQ du ;péçhé vlîisk , c'cit pour en porter toute la hoLitc : il fe charge de nos iniquités , mais pour eu être la vi-ctime : il veut paffer pour
381 Analyfes des Sermons,
un Samaritain & pour un ennemi de la Loi , mais c'eft pour être puni comme un fédu6î:eur: enfin il fe cache , lorfqu'on veut le connoître pour Roi ; mais , c'efl pour mourir comme un efclave. Pour nous , hélas ! les œuvres humi- liantes ne nous plaifent prefque jamais , que parce que nous efpérons qu'elles tourneront à notre gloire : cependant depuis l'anéantifle- ment d'un Dieu , eft-il rien de plus injuile pour l'homme , que de vouloir s'élever de quelque manière que ce foit ?
II. Partie. Un Dieu chargé de nos douleurs doit nous rendre lesfouffrances aimables. L'hom- me innocent devoit mener une vie heureu- se & tranquille , mais l'homme pécheur eft né pour fouffrir ; cependant le plaifir eft encore le penchant dominant de cet homme crimi- nel , & condamné à fouffrir ; il n'a jamais pu aimer les fouffrances. Il falloit donc qu'un grand exemple lui rendît aimable ce qui lui étoit devenu néceflaire , & qu'un Dieu fouffrît tout pour fauver Thomme , afin que l'homme apprit & aimât à fouffrir pour appaifer fon Dieu. Aufîi le miniflere du Verbe incarné 5 ell un miniftere de croix & de fouffrances : il n'an- nonce que des croiK & des tribulations ; il n'appelle heurei^^ que ceux qui fouffrent ; & depeur qu'on ne dbnnâtun jour à fes maximes des interprétations favorables à l'amour pro- pre 5 il a voulu expirer entre les bras de la dou- leur ; & fâ doârine n'eit que le récit de fes exemples. Puis donc que le Verbe qui ne s'eft incarné que pour nous montrer la voie du Ciel , & fatisfaire pour nous à la juilice divine , eft
Analyfcs des Sermons, 383
venu mener ici- bas une vie trifte&fouffrante, le Chrétien ne peut plus fe flatter d'arriver au falut par des routes douces & aifées ; car rhomine Dieu étant le chefdes Chrétiens, nous ne pouvons prétendre au falut que comme fes membres : ck qu'eft-ce qu'être membre de Jefijs-Chriil:? c'eft fuivre la deftinée du chef, & lui être conforme. On languit toute fa vie dans des mœurs indolentes & fenfuelles \ & fe livrer fans ceffe à tous fes goûts, pourvu qu'ils n'offrent point de crime , eft ce être confor- m.e à Jefus-Chrift , & vivre comme il a vécu ? eft-ce être animié de fon efprit ? Ce n'eft pas ainfi que ces hommies apoftoliques , qui les premiers vinrent annoncer Jefus-Chrift à nos pères , leur en parlèrent : TEfprit de Jefus- Chrift eft une fainîe avidité de fouffrances , une attention continuelle à mortifier l'amour propre , & à retrancher à fes fens tous les adoucilfemens inutiles. Voilà le fond du Chrif- tianifme , &: l'Eforit de Jefvis Chriit; {[ vous n'avez pas cet efprit , eu vain feriez-vous cxem.pî des crimes grofners . vous n'apparte- nez pas à Jefus-Chrift, & vous n'aurez point de part à fon royaume.
Mais ce qu'il y a de confolant pour nous ; c'eft que Jefus-Chrift en nous faifant une loi par le caraâ:ere feul de fon miiniftere ^ de la violence îkdu renoncement, nous rend en miême temps aimiable la croix dont il nous charge. Souffrir " ici-bas étoitpour nous un fort inévitable ; mais fans Jefus-Chrifirhomme eût fouifert fans con- foîation & fans mérite. Il eft donc venu adou- cir &fan£lifier nos fouffrances.Premiérem.çnt, . fon exemple leur ôte tout ce qu'elles avoient
3^4 Analyfes des Sermon^;.
d'abje6^& d'haimiliant: il eft beau de fouffrir après lui ; il ell glorieux de marcher fur Tes tra- ces. Secondement , l'oniftion de fa grâce adou- cit ce que la violence & le renoncement avoient d'amer. Je conviens que fe renoncer fans celfe foi- même ; que ne point aimer le faile , la m.a- gnilicence , la joie , les plaifirs , & fe réduire à une m.odeflie fimple ^<. chrétienne , & ren- fermer tous tes penchans dans le iilence , dans la prière & dans la retraite , eft quelque chofe de très-pénible ; mais la fource des plailirs vé- ritables n'eft pas dans les fens , elle eft dans le cœi;r : or , c'eft-îà que Jefus-Chrift porte le re- mède 5 & la douceur de fa grâce ; tandis qu'au dehors tout paroît trifte, rebutant, douloureux pour une am.e fidèle , un confolateur invifîble remplace ces amertumes par des délices que le cceur de Ihomme charnel n'a jamais goû- tées. Troifiémiement , les promefTes de Jefus» Chrift ôtent aux fouiîrances tout ce qu'elles avoient d inutile & de déferpérant*' Avant fa manifeftaticn dans notre chair , on fouiFroit pour la gloire , pour la patrie , &c. mais l'or- gueil étoit un foible dédommagement dans .es foufiVances , pour l'homme fur-tout qui veut être heureux ; miaisle Fidèle qui fouffre « qui fe punit lui m.ême, qui porte fa croix^ a un ave- nir éternel pour lui ; quand môme fes peines feroient ici bas fans confolation , l'efpérance feule qui eft cachée dans fon fein , les adou-» ciroit. Un Dieu manifefté en chair , eft le garant de fa confiance : en Jefas- Chrift fes fouitrances trouvent un prix & un mérite digne de Dieu j en faut- il d'avantage pour nous
les
Analyfcs des Sermons. 385
les rendre aimables ?
III. Partie. Un Dieu uni à Vhomme fait taire la raifon , & rend la Foi même raifonna- ble. Tout eft plein aujourd'hui de chrétiens philofophes 5 & de fidèles juges de la Foi : on adoucit tout 5 on donne un air de raifon à tout; on veut entrer dans les delFeins de Dieu , fur les deftinées des hommes ; on trouve des inconvéniens dans Fhlftoire vénérable de nos Livres faints , &c. Mais depuis que nous ado- rons un Dieu fait homme , c'eft une folie, dit im Père , de vouloir raifonner fur tout ce que la Religion nous propofe d'inaccelFible à la raifon: il n'eft plus rien d'incompréhenfible que Jelus-Chrift homme-Dieu n'apolanilfe & ne rendre croyable. Ou renoncez donc à Jefus- Lhriltjou avouez que Dieu peut faire ce que vous ne pouvez comprendre. Après le Myfte- re de 1 Homme-Dieu , la Foi ne peut rien nous propofer de plus élevé , & de plus inacceUi- ble a la raifon humaine. Méditons donc ce Myftere de Jefus-Chrift Homme-Dieu : il éclairera notre raifon en achevant de la con- fondre , & nous conduira à fintelligence , en nous faifant fentir la nécciTité de la Foi. Imi- tons Marie , qui dans un Myftere où tout eft nouveau & mcompréhenfible , où elle ne trou-
. . -'" î'-^-^'-^'ii^iv- 5 uu Clic 11c irou-
ve nen dans 1 hiftoire des merveiHes du Sei- gneur qui puHVe Ja railurerpar la reffemblan- • ce , au lieu de dc:;'.er comme Zacharie , ne ■ veut point d'autre garant de fa Foi , que la I toute-puilTance & la vérité de celui qui .l'exige.
Myjlires. r
3S6 Analyfes des Sermons.
■ t. ■■■■■' . .1 ' '*
LE VENDREDI SAINT.
Sur la Pajfion de Notre Seigneur Jefus-Chrlfl.
DIVISION. Voppofition à la vérité , a toujours été le caractère le ]dus ejjenticl du monde ; mais la mort de Jefus-Chrijl e/î la plus <rrande preuve de Voppofition du monde pour Id vérité 5 & en même temps le plus grand témoi- gnage de la vérité contre le monde.
I. P A R T I E. La mort de Jefus-ChriJl ejl ta plus grande preuve de Voppofition du monde pour la.vérité ^ c eft-à-dire , pour la vérité de fa doariiie , des Ecritures , de fes miracles , de fon innocence & de fa royauté.
I. Oppofition à la vérité de fa doârine ; & c'eft le refped humain qui la forme cette op- pofition même dans fes Difciples. Qu'étoit-ce que fa doârine , finon une préparation aux croix & aux fouffrances ? Cependant dès que le monde fe déclare contre lui , les Difciples chancelent , & font découragés ; & voici ]ul- Gu où le refpea humain & la crainte du monde les aveugle fur la vérité de fa do^rine. Dans Judas , elle forme un perfide qui trahit fon di- vin Maître & qui fe joint à fes ennemis pour le perdre. Le même refpeft humain eft caufe de la défe^ion des autres Difciples ; & Pierre lui- même qui loin des dangers , fe promettoit tout de fon courage , n^eR pas à l'épreuve d u^ jnc fi danpereufe tentation : ilsP'ofe s avouer le Difciple du Sauveur , & affeÛe d'ignorer juf- qu'au nom de fon divin Maître : Non novi
hcminem, . . , , 1- •
2. Oppofition à la vérité des Ecritures ,
Andyfcs des Sermons, 387
& c'eft ce que produit la jaloufie dans les Prê- tres & dans ks Doreurs. Jefus - Chrift les avoit fouvent renvoyés aux Ecritures , comme au témoignage le moins fufpea de la vérité de ion miniftere. Ce témoignage étoit clair, puiC- que les prédirions des Propketes étoieiit ac- complies : mais l'envie qui Iqs aveugle , l'em- porte fur la vérité qui les éclaire ; &: voici tous les caraé^eres de cette injufte pafîion. Pre- mièrement, la mauvaife foi : ils ne peuvent fe diflimuler à eux-mêmes la vérité de fes pro- diges ; & au lieu de le reconnoitre pour le MefTie , ils fe' demandent à eux-mêmes : Que ferons- nous ? Quid facimus , quia hic homo mulîafignafacitl Secondement, la baffeife : ils cherchent eux-mêmes en fecret un faux té- moignage contre Jefus- Chri/l.Troifiémement, la dureté : ces Jugescorrompus livrent le Sau- veur a 1 infolence& à la fureur de leursServi- teurs & de leurs Minières. Quatrièmement , enhn le facrifice des intérêts de la patrie : eux qui deteiloient le joug Aes Incirconcis, qui fe yantoient auparavant de n'avoir jamais été fu- jets m enclaves de perfonne , protègent qu'ils n ont point d'autre Roi que Céfar.
3- Oppofiiion à la vérité des miracles du Sauveur; & c eH l'ingraritude pouifée jufqu'à la fureur , qui la met dans le peuple. Témoins de tant de prodiges qu'il avoit opérés à leurs yeux, li paioiiToient en fouîe à fa fuite avec lesOi.cip.es; ils avoieut voulu l'établir Roi* fur eux dans le défert , loriqu'il les rafTafioit dune nourriture miracuîeufe ; & ce même
^^Ù:^''^ ' ^^''^'''' aujourd'hui con^ treJefas-Ciinft, le fuu comme un féditieux
Kl '
15 S8 Analyfes des Sermons»
& demande fa mort à Pilate.
4. Oppofîtioii à la vérité de fon innocence ; & c'eft ce que produit dans Pilate une ambi- tion aveugle. Le Sauveur du monde eft traîné devant ce Magiftrat infidèle : tout prouve à Pi- late fon innocence; illa reconnoît lui-même : mais on le menace de la difgrace deCéfar; & voici tous les obftacles qu'une lâche ambition met dans fon cœur à la vérité qu'il ne peut fe cacher à lui-même Premiéremient , un obfta- cle de difîimulation & demauvaife foi : au lieu de renvoyer abfolument Jefus-Chrift , il pro- pofe des expédiens pour le fauver , & fait en- tendre contre fa confcience, qu'il a befôin de grâce. Secondement , un obftacle de haine contre la vérité , qui fait qu'elle lui eft à char- ge ; embarraffé de la préférence que les Juifs donnent à Barrabbas , il demande ce qu'il fera donc de ce Jefus qu'on appelle le Chrift. Troi- fiémement , un obftacle d'hypocrifîe , qui fait fervir jla.véribté^ même aux vues de l'ambition : il renvoyé Jefus à Hérode 5 non pour>con- ferver la vie à un innocent , mais pour reçour vrer l'amitié de ce Prince , qu'il avoit perdue. Quatrièmement , un obftacle de fauffe conf- cicnce , qui fait qu'en facrifiant la vérité à des intérêts humains , on croit encore n'avoir rien à fe reprocher : Pilate voyant que les tempéra- inens ne fervent qu'à allumer de plu^ en plus la fureur des Juifs , livre enfin le Satiyeur à leur vengeance ; mais en même temps il lave Ces mains : il confent qu'on le faife mourir , & il déclare qu'il n'eft pas coupable de la mort de ce Jufte.
5. Oppojfîtion à la vérité de fa royauté ; &
Analyfcs des Sermons, 389
c^eftceque produit dansHérode fon impiété : d'abord par un mouvement de curiofité , il fou- haite de voir cet homme dont la renom.mée publioit des chofes fi merveilleufes ; il fe pro- met d'en être lui-même le témoin; il fait à Jefus-Chrifl mille queftions inutiles ; m.ais en- fuite 5 ne voyant aucun miracle , &: n'en pou- vant même tirer une feule parole , il le mé- prife , & toute fa Cour fuit fon exemple.
IL P A R T I E. La mort de Jefus-Chrijl ejl le plus grand témoignage de la vérité con- tre le monde.
1. La mort de Jefus Chrift rend témoi- gnage à la vérité des Ecritures : c'eft la clef fa- crée qui ouvre les fept fceaux de ce livré fer- mé ; carfans le dénouem.ent de ce grand facrifi- ce , hs livres faints font incompréhenfibles; mais la mort de Jefus-Chriit y répand un nouveau jour. A la faveur de ceMyftere on voit clair dans toutes les figures , on découvre l'ef- prit de toutes les cérémonies , on entre dans le fens de toutes les prophéties , on fent la vérité 6c la divinité de nos Livres faints,
2. Elle rend tém.oignage à la vérité de fa do6lrine , en la confirmant par fes opprobres & par fes foufFrances. Toute la doctrine du Sauveur fembloit fe réduire à humilier l'efprit & à mortifier les fens : or comme nul Philo- fophe jufqu'à lui ^ n'avoit annoncé aux hom- mes , qu'il falloit aller à la félicité par les hu- miliations &: par lesfcuifiances 5 il falloit que l'exemple du Sauveur confirmât la nouveauté de fes préceptes ; & c'efl ce qu'il a fait parles humiliations & les douleurs de fa mort: auffi notre impénitence n'a-t-elle rien à oppofer au
390 Analyfes des Sermons.
grand exemple qu'il nous donne aujourd'hui.
3. Jefus-Chrift rend témoignage fur la croix à la vérité de fes miracles , en les renou- vellant. Et ce ned pas tant en ouvrant les tom- beaux^en brifant les rochers , en obfcurciflant le foleii, &:c. c'eii en converti/Tant un fcélérat qui expire à fes côtés ; c'eft en changeant le cœur du Centenier même qui préfide à fon fupplice 5 & le forçan'i de confeiîer tout haut fa puilfance &: fa divinité ; c'eft en touchant les fpeâ:ateurs de fa mort. Voilà le grand mi- lacle de la mort de Jefus-Chrift; la conver- sion des grands pécheurs.
4. Jefus Chrift rend témoignage fur la croix à la vérité de fon innocence & de fa fainteté , en priant pour (es ennemis. En effet ^ it Cijriiâer'd le îTiCins équivoque de la fainteté, c'eil d aimer ceux qui nous outragent , & de prier pour le falut de ceux_qui veulent nous perdre : or voilà le grand témoignage que Je- fus-Chrift rend aujourd'hui à fon innocence. Il meurt pour ceux qui le crucifient 5 & il meurt en demandant grâce- à fon Père pour fes ennemis : Père , panhnnei-Uur , parce rquih ne favcnt ce qu'ils font,
5. Jefus-Chrift rend témoignage à la vë- lité de fa royauté , eu conquérant le monde par fa croix. Le monde lui avoit difputé Té- clat &: la réalité de fa royauté ; il ne l'avoit traité de Roi que par dérifion : toutes les mar- - ques de fa royauté avoient été de nouveaux opprobres ; m.ais aujourd'hui ces marques honteufes d'une royauté fi humiliante , devien- nent les fignes glorieux de fa puiiîance & de fon empire. Mais au lieu que la puiffance & le
Analyfcs des Sermons, 391
règne des Rois de la terre , finifTent avec eux, le règne de Jefus-Chrift ne commence à écla- ter que par fa mort ; & {es opprobres font la première fource de fes grandeurs & de fa gloire. En effet , depuis qu'il ed mort , tout reconnoît fa fouveraineté : fa croix triomphe du ciel & de l'enfer , de l'aveuglement des Juifs 5 de l'incrédulité des Gentils , de la Bar- barie des bourreaux , de i'endurciffement même d'un pécheur mourant.
LE JOUR DE PAQUES.
Sur la Rijurrcciion de Notre Seigneur,
DIVISION. Jefiis-Chrijl mort pour nos pé- chés 5 refpdfcite pour noue nidification. Comment IL parce que la réjlirrecîion de Jefus- Chrijl nous anime a perfévcrer dans la grâce reçue : IL Parce truelle nous apprend à y perfé^ vérer, La réfurrecîion de Jefus- Chrijl eji le motif £* le modèle de notre perfévérance,
L Partie. La réfurrecîion de JefusXhrljl nous animt à perfévérer dans la grâce reçue. En effet , les principales fources de i'inconftan- ce des hommes dans les voies d^ Dieu , font ou dans l'affoifoliiTement de la foi , ou dans la tiédeur de l'efpérance : or , la piété chrétien- ne trouve dans le myftere de la rcfurredion , des préfervatifs contre ct^s deux écueils , &: des motifs très puiffans pour perfévérer dans la grâce.
I. La piété trouve dans la réfurreélion de Jefus -Chrift , tles préfervatifs contre l'affoi-
R4
392- Anallfis des Sermons.
blifTeinent de la Foi , & cette forte d'incré- liulité que devance prefque toujours le cri- me : car ce myftere eft le grand témoigna- ge de la Foi chrétienne ; c'eft en lui que tous lesautresmyfteres trouvent leur vérité & leur certitude ; puifque , fi Jefus-Chrift eft refiuf- cité j iiotte foi eft certaine , la do£lrine de l'Evangile eu divine , fes promeffes font infail- libles. En effet , û Jefus-Chrift eft relfufcité , il étoit donc un envoyé du Ciel , pour annon- cer aux hommes la doctrine du falut : car Dieu véritable & fidèle n'auroit pas voulu . autorifer Tim.pofture , en la revêtant du caraç- j tere de îa vérité : denc tout ce qu'il nous a ' annoncé j eft véritable. Or , Jefus Chrift eft relTufcité : nous prouvons ce grand miracle aux incrédules , premièrement , par les pré- cautions mêmes que Cqs ennemis prirent d'a- bord après fa mort; fecondement, parla dé- pofition des foldats ; îroifiémement , pà'r les apparitions du Sauveur ; quatriémiem.ent , par le doute des Apôtres , avant de croire ce miracle , & par tout ce qu'ils ont fouifert en- fuite pour rendre témoignage à la vérité. Et voilà ce qui foutient la foi de l'homme jufte : il voit dans le myftere de la réfurreâ:ion , tou- te la Religion alfurée; leschâtimens dont elle menace , certains ; fes promeffes infaillibles 9 & fes préceptes néceffaires, &c. Or , quoi de plus propre à mettre un frein à rinconftance du cœur de l'homme , & à l'établir dans une piété folide & durable , que ces grandes véri- tés ? Aufîi les Difciples , témoins de la réfur- reélion de Jefus-Chrift, ne fe démentent plus, & perféverent jufqu'à la fin dans ïa prière , &
Analyfcs des Sermons, 393
dans le miiiiflere de la parole faintCo
Mais nous fommes les enfans des Saints qui virent Jefus-Chrift reflufcité , & qui ladoie- rentfur la montagne de Galilée : nous avons vu dé leurs yeux , & touché de leurs mains : pourquoi retournerions-nous donc encore en arrière ? Si ce Myfîere rend notre foi certaine & inébranlable , pourquoi laifTeroit il encore des inconftances à notre cœur ? S'il feroit monftrueux , après tant de preuves , dit faint Auguftin , de ne pas croire , l'eft-il moins de croire , & de vivre comme lî Ton ne croyoit pas ?
z. La piété trouve dans la réfurreftion de Jefus-Chrift des préfervatifs contre la tiédeur de refpérance : car ce myftere , première- ment, ralTure notreefpéranceyfecondement^ il la confole ; troifiémement , il la corrige.
Premièrement , la réfurre6^ion de Jefus- Chrift rafîure notre efpérance , parce que nous favons , comme dit l'Apôtre , que nous lui ferons un jour femblabies , & que nous fuivrons la defîinée de notre chef; que fa ré- furredion feroit inutile 5 fî nous ne devions pas relTufciter avec lui : nous favons nue nos frères qui nous ont précédés avec le figne de la Foi 5 & qui dorment en Jefus-Chriiî dans le fomm.eil de la paix , n'ont pas péri fans reffource, quoiqu'ils aient difparu à nos yeux. Or , dans le fouvenir de ces vérités , que de puiflans motifs pour affermir une ame dans la grâce & dans le fervige de Dieu 1 puifque nous re (Tu fc itérons pour ne plus mourir, nous ne devons donc rien nous permettre q\n uq foit digne de l'éternité bienheureufe.
R5
394 Analyfes des Sermons.
Secondement 5 elle confole notre efpéraiice. Si la piété a Tes douceurs , elle a aufCi (es amertumes- 5 puifque la vertu ne fe conferve que par des combats & des facrrfices conti- nuels ; & fi vous vous re^âchez un moment , vous êtes perdu. Or , dans ces dangereufes épreuves , rien ne foutient &. ne confole l'amiC jfïdele , comme refpérance de la rérurreâ:ion : ce corps de péché qui Fappéfantit , elle fent qu'il fera bientôt conforme à celui de Jefus- Chrift glorieux & refiiifcité : dans les afflic^ons qui lui arrivent du côté des créatures , il n'en eft aucune que cette efpérance n'adouciffe. C'eft par cette efpérance , que Job fur fon fu- mier voyoit tranquillement fon corps tomber en pièces : c'eft par cette efpérance que les Apôtres '& les premiers Fidèles fe réjouif- foient dans leurs tribulations : ils croyoient fans cefî'e voir arriver Jefus-Chriftdu haut des airs ; auÏÏi , au milieu des tourmiens , ils dé- ficient avec une fainte fierté la barbarie des t^'rans. Tel étoit l'efprit de ces (iecles heu- reux : une vaine fpiriîualité n'avoit pas enco- re interdi ces divines confolations à la ver- tu. En effet , le jufte feroit bien à plaindre , t"û n'y avoir pour lui d'efpérance qu'en cette vie,' L'Evangile , en un fens , ne fait que des •malheureux felcn le monde ; & s'il n'y a plus rien à efpérer après cette vie , rien n'égale l'infortune d'unDifciple de Jefus-Chrift. Auf- ^ T:>oint de règle plus sûre que celle ci , pour CDnnoître li l'on eft véritablement difciple de ^Jeftis-Ghrift , ou enfant du ficcle : feriez- vous «à^plaindre, s'il n'y avoir point de réfurreâ:ion à efpérer Ift vous n'attendiez qu'un anéantiife-
Analyfes des Sesrmons, 395
ment éternel après cette vie , vous faites-vous allez de violence en celle-ci 5 pour dire avec l'Apôtre : Si nous ncfpérons en Jcfus-Chrijï qu2 pour cette vie , nous fouîmes les plus mallieureux de tous les /lommdi.Quand la Religion ne feroit qu'un fonge , feriez-vous fort trompé dans vos mefures ? Les premiers Fidèles avaient droit de dire , que (i Jefus-Chrift n'étoit pas relTuf- cité, tout étoit perdu pour eux ; eux qui facri- fîoient tout à cette éfpérance ; eux qui n a- voient aucune autre confolation fur la terre : mais vous qui ne facriiiez aux promeiles de la Foi 5 ni plaifîrs , ni goûts, ni fuperfluités ; que Jeflis-Chrift foit relîufcité , ou qu'il ne le (bit pas , en étesvous plus ou moins à plaindre ? dès-là cependant vous n'êtes plus Chrétien.
Troifiémement , elle corrige notre éfpé- rance , parce qu'elle nous propofe les moyens ^ui feuls nous donnent droit d'efpérer , en nous apprenant qu'il n'eft pas pofTible de cher- 'Cher fa félicité fur la terre , & d'efpérer en Jefus-Chrift. Mais de plus , comme une des ^taufes ordinaires de nos rechûtes après la [o- lemnité , eft de nous perfuader que le retour ;à la grâce eft facile , & ainfi d'efpérer contre l'efpérance , le myftere de la réfurreélion de JefuS'ChrlR corrige cette erreur fî commune &: fi dangereufe. Car , puifque le bienfait de la réfurrcdion n'a été en Jefus-Chrift que le prix du plus douloureux de tous les facrifî- ces , &: que fa réfurrec^ion eft le modèle de la nôtre , nous devons en conclurre , que fi nous retombons , il faudra palier par de ter- ribles épreuves , pour arriver au renouvelle- .meûî^^ie la péritene-e 5 êc mêm^ la grâce d'une
R6
59^ Andlyfcs des Sermons.
lecoude pénitence nous fera- telle^ accordée, cette grâce qui eft rare ? Confervons donc prétieufement mi tréfcr Ci difficile à lecou- vrer. >
II. Partie. La réfunecHon de Jefus-Chrijî nous apprend a perfévérer^ elle ejl le modèle de notre perféverance. Jejus-Chrijl rejTufcité d'entre Us^ morts ne meurt plus , dit l'Apôtre , la mort na plus dkmp ire fur lui ; parce que fa réfurredion rdifenne un renouvellement en- tier & parfait ; qu'il n'a plus rien de terreftre au Ibrtir du tombeau ; &}que la mort a été ah- forhée dans fa propre victoire. Voilà le modèle & le moyen de notre perfévérance. Voulons- nous ne plus retomber? il faut que tout ce qui étoit en nous de terreftre & de mortel foit dé- truit , &: que nous foyons des hommes tout renouvelles & tout céleftes. Cependant l'er- reur commune regarde le temps Pafcal comme un tem;ps de relâchement & de repos ; mais c'eft tout le contraire. Si vous voulez confer- ver la grâce de la réfurredion , il doit être pour vous un temps de renouvellement & àe ferveur ; en voici les raifons.
I. Si vous croyez pouvoir vous permettre des mœurs plus douces , & un ufagie plus li- bre des plaifirs dans le temjps Paical , *parce que TEglife paroît dans l'allégreiîe en ce faint temps 5 faitesiréfiexion que l'allégreiTe dé l'E- glifen'eft fondée que fur laviâoire qne-Jefus- Chriil , êc tous les Fidèles avec lui , rempor- tent aujourd'hui fur le péché ; qu'a^infî , fi vous êtes encore fous l'empire du péché, elle cft encore couverte d'un deuil'^nvifible, & gémit en feciet devant fon Epoux. D'ailleuis
Analyfcs des Sesrmons, ' 397 Je temps de la vie préfente n'eft pas le temps de fa joie : elle y gémit fans cefle \ elle foupi- re fans cefTe après fa délivrance ; & fes chants de joie ne fauroient être que des defiis dëter- nité , & de vifs empreffemens d'être réunie à l'Eglife du Ciel. Voyez fi vous entrez dans TeC prit de l'Eglife , en faifant confifter le privi- lège de la réfurre6èion dans un ufage plus li- bre des plaifirs , & dans la rareté des prières & des autres devoirs de la Religion.
2. Si après une vie criminelle , vous avez été affez heureux pour recouvrer en ces jours votre innocence par la grâce des Sacremens 9 vous êtes donc de nouveaux enfans de la grâ- ce : or dans cet état d'enfance &c de foiblelTe j plus faciles à féduire , ne vous faut-il pas plus de fecours & de précautions pour vous foute- nir ? D'ailleurs fi vous ne faites que de fortir de vos mœurs criminelles , vous n'avez donc encore rien fait pour les expier. Vous avez gé- mi au tribunal , il eft vrai ; mais ce ne font pas là \^% feuls fruits de la pénitence. Vous n'avez donc pas encore commencé à expier vos cri- mes ; & vous voulez vous permettre àçs adou- ciflemens ? eft-il temps de fe repofer à l'entrée même de la carrière \ Il peut arriver quelque- fois qu'à la fin de la courfe , on fe relâche»; mais les commencemens doivent être fervens : c*eft là le caraftere de la première grâce. Si donc vous commencez par la chair , comment fînirez-vous par l'efpwt ? De plus , votre pro- pre expérience vous apprendra que les tenta- tions ne font jamais plus violentes que dans un commencement de nouvelle vie ; parce> qàe le Démon , furieux d'avoir lailTé'écbapjîeip ii
^98 Analyfes des Sermons.
proie y tnQt tout en œuvre pour la recouvrer. Les tentations étant donc alors plus vives , & la piété plus foible , n'eft-il pas évident que la fidélité & la vigilance ne furent jamais plus fiécefTaires que dans ces commencemens ?
3. Puifque l'Eglife , en ce faint temps , four- nit moins de fecours extérieurs à la piété des Fidèles , vous devez remplacer 'ce défaut par un renouvellement de zèle & d'attention ; car pour vous qui êtes encore foible dans la Foi , cette privation de fecours fenfibles a fes dangers. Il eft à craindre que ne trouvant plus autour de vous les appuis extérieurs de la piété , vous ne puifîiez vous foutenir tout feul ; & que la fainte liberté de ce faint temps 5 ne foit pour vous une occafion de •chute & de libertinage. D'ailleurs entrez dans l'efprit de l'Eglife: depuis la naiffance du Sau- veur jufqu'à fa réfurreôion, & à l'efFufion de •fon Efpriî faint que nous attendons , ellevous a tenus fous fes ailes , pour ainii dire , corn- •'me des petits qu'elle enfantoit , & qu'elle vouloir formera Jefus-ChrilLMais déformais, •ces Myfteres étant accomplis , elle regarde Con ouvrage comme achevé en vous ; & vous legardant coinme des hommes tout eélelies , fclie fe retire dans le fêcret de fon fanâ:uaire , '*& ne propofe à votre piété que le myftere ine^ftable de-l*unité de l'elTence divine , & de 4a Trinité desperfonnes, qui fait toute l'occu- -pation 8t tout le culte des Bienheureux ;.par- -ce qu'elle croit que vous mènerez déformais 4ine vie toute célefte. Jugez fî vous devez vi- •vre feîon les fens , dans un temps où l'Eglife fupp^fe -que ^vaire vie eft^nfia tpute^caûhée
Anâlyfc^ des Sermons. 3:99
en jy'tcu avec Jefus-Chrift.
4. Mais fuppofons qu'une vie molle & moins attentive ne fût pas dangereufe pour la piété après lafolemnité fainte , elle feroit du moins injufte pour la plupart des Fidèles. Le Jufte arrivé au bout de cette fainte Quarantaine , a droit d'eiîuyer fes larmes, & de goûter avec rEglife les confolations fenfibles de ce faint temps ; lui , qui loin de fe difpenfer de la fa- vérité de fes Loix , y a ajouté des rigueurs de furcroit. Mais ceux qui au lieu d'avoir été pé- nitens pendant le Carême , ont été prévarica- teurs de la loi commune même de la péni^ tence ; qui ont porté au myftere de la Réfiir* recèion des paffions au/Ti vives & aulîi entiè- res qu elles Tétoient avant ces jours de ma- cération & d'abftinence; ah ! ceux-là , loin de fc permettre aujourd'hui des délalTem.ens , doivent fe mettre en état de réparer leur lâ- cheté palTée , & changer ce temps de joie en un temps de deuil & de trifteffe.
Au refte 5 la grâce ne peut fe conferver que par les mêmes voies par où on Fa recou- vrée. Vous avez employé , pour la recouvrer , les larmes , la componâ:ion , une vive hor- reur de vos fautes , l'éloignement des occa- fions , une conviâ:ion fincere de votre foi- hlelïe , & du befoin que vous aviez de prière & de vigilance , la fuite du monde & de fes plailîrs , &c. Voilà le plan de vos devoirs jufqu'à la fin : fuivez toujours ces routes heu- .reufes , qui vous ont conduit à votrç délivran- ce 5. Se vous perfévérerez. Vous relâcher, ce feroit tout perdre , & rifquer tout le fruit de vos travaux paffés.
400 Analyfes des Sermons.
LE JOUR DE LA PENTECOTE.
Caraclcres de VEfvrlt de Jefus-Chrijl y ù de Vcjprit du monde.
L T ^ premier caraélere de
Caractère. JLj refprit de Jefus-Chrift , c'eft d'être un efprit de iéparation , de recueil- lement & de prière. A peine les Apôtres en ont été rempHs , qu'ils renoncent à tous les autres foins extérieurs , pour ne vacqiier plus qu'à la prière , & au miniftere faint de la pa- role ; eux qui auparavant étoient (i charnels & fi di/Tipés , & ignoroient même comment il falloit s'y prendre pQur prier. Voilà le pre- mier changement que l'Efprit de Dieu opère dans une ame : au lieu du plaifir qu'elle trou- voit auparavant à fe répandre fur les objets extérieurs , la plus douce occupation d'une ame que l'Efprit de Dieu pouffe & remplit , c'eft de fe rappeller à elle-même , parce que c'eft au dedans d'elle qu'elle trouve fon Dieu : aufîi n'en fort- elle qu'à regret ; & au milieu même du tumulte & des entretiens du fieclcj elle fe fait une folitude fecrette dans fon cœur, \où elle s'entretient fans ceffe avec le Seigneur. Voilà pourquoi l'Apôtre appelle l'homme chrétien , l'homm.e fpirituel & intérieur ; & l'hom.me mondain & pécheur, l'homme exté- rieur 5 pour nous apprendre que dès qu'une ame a reçu l'Efprit de Dieu , & qu'elle en eft véritablement animé , toute fa vie eft pre/que invifible ôt intérieure ; fes aftions les plus
Analyfes des Sermons, 401
communes deviennent faintes par la foi fe- crette qui les purifie ^ l'Efprit faint i;^gle fes defirs , réforme fes jugemèns , renouvelle fes affections , fpiritu^life fes vues : t^out qe qu*el* le voit , elle ne le voit plus qu'avec les yeux de la Foi ; le monde entier n'ed plus qu'un li- vre ouvert , où elle découvre fans ceffe les mer- veilles de Dieu , & laveuglement prodigieux de prefque tous les hommes.
Ce n eft pas que les objets des fens ne puif- fent quelquefois la furprendre &: la féduire ; mais ce ne font là que des furprifes & des abfences d'un moment. Avertie d'abord de fon égarement par les reproches fecrets de l'Efprit de Dieu qui habite en elle , elle ren- tre auHî-tôt en elle-même , d'où le monde l'avoit comme tirée. Voilà cet efprit de foi , de recueillement 6c de prière , qui nous rend témoignage que nous avons reçu l'Efprit de Dieu : auffi les Juftes , ^lans les Livres faints, font ceux qui vivent de la Foi ; qui étrangers & voyageurs fur la terre , & citoyens du fie- cle à venir , rapportent tout à cette patrie éternelle , vers laquelle ils marchent fans ceiTe , & ne comptent pour rien tout ce qiji fe pafle.
C'effà nous maintenant à nous juger fur ce^- te règle. Trouvons-nous-en noiis-mêmes ce premier caractère de l'efprit (de Dieu ? Exa^- minons ce qui domipe dans nos jugemens t, dans nos defirs , dans nos affections , dans nos vues 5 dans nos projets , dans nos efpérances , dans nos joies & d^ns nos chagrins. Héla,s! notre vie eft une yie toute extérieure , qui fe paffe toute hors de notre coeur , par confé*
401 Analyfes des Sermons,
quent loin de Dieu. C'eftrerprit du monde qui forme nos defîrs , qui conduit nos affeé^ions , qui règle nos jugemens, qui produit nos vues, qui anime toutes nos démarches. S'il arrive qu'en certaines occafîons nous ayons quelque fentimens chrétiens , & des vues conformes à celles de la Foi ; ce ne font là que des étincel- les de foi 5 pour ainfi dire , qui nous échap- pent; que des intervalles de grâce , quinlnter^ rompent que pour un inftant le cours de nos difpiofitions mondaines ; & ce qui domine dans la conduite ,ce qui fait le corps de toute notre vie 5 ce qui e^ le principe de tous nos fenti- mens , c'eft refpiit du monde. Or , l'Efprit de Di^u ne règne point où règne Tefprit du inonde : nous appartenons donc encore an inonde & à Ton efprit; & fous des dehors religieux & réglés , notre cœur eft encore mondain.
1 1. Caractère. Le fécond caraiftere de refprit de Di^u , c'ejft qu'il eft im efprit de re- noncement 6>c de pénitence ; & ce caractère eftune fuite néceifaire du renoncement , & de la vie intérieure dont nous venons de parler. En effet , dès que l'Efprit de Dieu nous rap- pelle à nous-mêmes , il nous découvre bien- tôt que notre cœur , notre efprit , notre ima- gination 5 nos fens , notre corps en un mot , que tout eft déréglé en nous ^ & révolté contre Tordre , la vérité & la juftice. Or , il eft impofîrble qu'en nous décoirvrant ce dérè- glement univerfel , il n'opère en nous deux dif- politions ; la première, de rétablir l'ordre que le péché a troublé en nous ; la féconde , de venger la juftice de Dieu que ce défordre a ou- tragé.
Analyfcs des Sermons. 40^
h Difpojîtion. Rétablit l'ordre que le péché a troublé en nous. Caries lumreres dont l'Ef- prit de Dieu remplit un cœur , ne font pas des lumières flériles : il fait aim.er les vérités qu'il enfeigne. Ainfî une ame que TEfprit de Dieu a renouvellée , hait en elle tout ce qu'elle y dé- couvre d'oppofé à la vérité & à la juftice , &C s'anime d'un faint zèle pour rapprocher fes af- fe£^ions & fes penchans , de l'ordre & de la re* gle. Il eftaifé de juger là delfus û nous avons reçu l'Efprit de Dieu , ou fi nous vivons encore de l'efprit du monde : car au lieu que l'ame que TEfprit de Dieu poffede , met toute fon atten- tion à rétablir dans fon cœur par des violences continuelles 5 l'ordre que des payons injuiics y avoient troublé 5 ^ qu'elle ne fe pardonne rien ; l'efprit du monde au contraire -eu un ef- prit de parefTe & d'immortification , un efprit d'indulgence ponr^tous nt)s penchans déré- glés 5 d'attention à les fatisfaire 5 d'habileté à les jufiifrer , d'amour propre qui les TcgÏQ 5 & îesretientfur les tranTgreflionsefTentielles pour s'en épargner les remords , mais qui fur tout le refle s'y livre , & s'y laiffe entraîner. Si donc nous ne faifons aucune violence à nos penchans ; s'il ire nous en coûte rien poirr nous combattre &: peur nous vaincre ; fi nous ne foufFroiîs rien pour être à Dieu ; fi la régularité de notre vie eil peut-être fimplemcnt la fuite de notre tempérament, ouunebienféanceque l'âge & le monde lui-mêmiC nous impofe , &c. nous appartenons encore au monde , & TEf- prit de Dieu n'efl point en nous.
1 1, Difpofiîion, Venger la juftice de Dieu que le défordre de nos pîîfîions a outragée ; 8c
404 Analyfes des Sermons,
c'eft là le premier fentiment que rEfprit de Dieu opère dans une ame renouvellée. Il la fait entrer dans les intérêts de la juftice divine contre elle-même ; il la pénètre de la crainte de fes jugemens; il Tanime d'un faintzele contre une chair qui afervi à Tiniquité. Pour connoître donc fî nous avons reçu refprit de Dieu , il n'y a qu'à rentrer dans notre cœur. Sentons- nous ce zèle de pénitence , que les larmes , que les gémilTemens , que les violences ne lauroient fatisfaire, parce qu'il ne croit jamais lui-même avoir afTezîatisfait àlajuftice de Dieu ? Hélas 1 tous nos loins fe bornent à flatter une chair que la Juiîice divine ne regarde plus que d'un œil d'indignation & de colère ; loin dentrer dans les intérêts de la juftice de Dieu , nous plaidons fans cefTe pour nous contre elle-même; c'eft donc un efprit de chair & de fang qui nous poiTede , & l'efprit de Dieu n'habite point en nous.
1 1 I. C A R A c T E R E. Le dernier carac- tère de rEfprit de Dieu , c'eft d'être un efprit de force & de courage. Comime c'eft un efprit qui a vaincu le monde, & quieft plus fort que le monde , il ne craint pas le monde. Auifi dès que l'efprit de Dieu eft dèfcendu fur les Apô- tres auparavant foibles & timides , ils annon- cent avec une fainte fierté devant les Prêtres .& les Dodeurs , ce Jefus dont ils n'ofoient auparavant fe déclarer les difciples : ils fe ré- pandent dans tout l'univers ; & le monde en- tier révolté contre eux , ne ifait qu'augmenter leur fermeté & leur conftance. Et telle eft une ame pleine cje l'Efprit de Dieu : cet Efprit l'é- levé au-defTus d'elle- même j il imprime en elle
Analyfcs des Sermons, 405
fes cara£teres divins de liberté & d'indépen- dance ; il lui fait regarder les grandeurs & les puiiîances de la terre comme un vain atome, indigne même de Tes attentions. Aufli rien n'approche de l'élévation , de la fermeté , de la noblefié d'une ame que refprit de Dieu poC. fede : comme elle ne tientplus aumonde 5 elle ne le craint plus; Tes jugemens &fes déridons lui font inditïérens : elle ne défère qu'à la vé- rité; elle n'a point de ces timides complaifan- ces , dont la piété fouffre 11 fort. L'efprit du monde au contraire eft un efprit de fouplefle & de ménagement ; comme l'amour-propre en eft le principe , il ne cherche la vérité , qu'autant que la vérité lui peut plaire; il ne fe fait honneur de la yertu , que dans les lieux où la vertu l'honore. Si donc l'efprit qui nous régit l-i qui nous gouverne , ei\ un efprit de timidité, & de; compIaifance;fî nous craignons d'être à Dieu ; fi dans toutes les occafîons , où il s'agit de fe déclarer pour lui , nous mollif- fon^ , npusnous ménageons ; fi dès qu'ileft queftion de déplaire pour ne pas manquer au devoir^ nous croyons la tranfgrefîîon légiti- me ; fi la première chofe que nous examinons dans les démarches que Dieu exige de nous , c'eft Cl lemonde y donnera fon fuffrage ; fi nous paroilfons encore mondains , pour ne pas per- dre l'eftime du monde ; fi nous parlons fon lan- gage ; Cl nous applaudilfons à fes maximes ; û nous nous alfujetti'Tons à fes ufages , en vain iious nous flattons de conferver dans le cœur un reile d'amour pour la vérité ; en vain nous paroiifons ne nous livrer au monde qu'à regret : détrompons-uous ;> ce n^eft pas i'Ef-
4^6 ^ Analyfcs des Sermons,
prit de Dieu , c'eft refprit du monde qui nous
conduit & qui nous poiTede.
g^ ^ • ^
LE JOUR DE UASSOMPTWN DE LA Sainte vierge.
Sur les confolations & la gloire de la mort de la Sainte Vierge,
DIVISION. L Les confolations de la mort de Marie compcnfent les amertumes dont fin ame fainte avoit toujours été affligée, IL La gloire de la mort de Marie répare les hu- miliations qui Vavoient toujours accompagnée fui la terre,
L Partie. A trois fortes d'amertumes qu'avoit éprouvées Marie , répondent trois fortes de confolations ; à une amertume de délailfement , une confolation de force & de courage ; à une amertume de zèle , une con- folation de paix & de joie ; à une amertume de defir , une confolation de poiTeiïîon & de jouiffance.
I. Jefus-Chrift avoit femblé indiiférent en- vers Marie. Au Temple il paroît blâmer fon inquiétude , & oublier qu'il a une mère fur la terre ; à Cana il lui déclare qu'il n'a rien de comm.un avec elle. Qu'on appelle heureufes les entrailles qui l'ont porté, il annonce qu'il n'y a d'heureux que ceux qui entendent la pa- role de Dieu , & la pratiquent ; qu'on lui dife que fa mère &: Çqs frères l'entendent, il répond qu'il ne reconnoîî pour fa meie & pourfes £re-
Analyfes des Sermons. 407
res que ceux qui font la volonté de Dieu. Nous voyons par-tout Marie éprouvée par des délaif- fèmens ; elle devoit nous apprendre que cette voie fî pénible à la nature , eft la voie ordinaire des âmes pures & parfaites , & que plus Dieu veut fe les unir par une foi vive & fervente , plus îi les prive des confolations humaines ; mais il étoit jufte que la préfence vifible de Jefus-Chrift fût la première confolation de Marie à fa mort ; & qu'il fe hâtât d'autant plus de venir fe montrer à elle , qu'il avoitparu prefque toujours fe refufer à fes empreffe- mens,
1, Le zèle de Marie lui caufoit une féconde forte d'amertume. Elle voyoit avec douleur l'inutilité des inflru^tions & des miracles de Jefus-Chrift , les pièges que lui tendoient fes ennemis , la défection de fesdifciplesmêmiCs , l'end urcilfement des Juifs , leur réprobation &leur perte; il falloit quelle apprît aux âmes judes à s'occuper aux pieds des autels des maux & des befoinsde TEglife , &: àfolliciter les grâces du Ciel pour leurs frères pécheurs & impénitens ; mais ce zèle de douleur qui avoit rempli le cours de la vie de Marie , de- voit fe changera fa mort en une confolation de paix & d'allégrefTc. Elle voit à découvert les raifons de la fagefie divine fur les événemens qui avoientcontrifté fa tendreilé 5 l'utilité des opprobres de fon Fils , les avantages de la haine même des Juifs envers lui , les Gentils appelles , les Rois convertis , les Philofophes déCabuiés j la P.eligion trioniphante. C'efl ainfi qu'au lit de la niort une an:ie jufte voit que tout avoit fon utilité dans les voies par où
4o8 Analyfes des Sermons,
Dieu Ta conduite; que les difgraces , les afflic- tions, les contradidions , les perfidies , &c. tout étoit pour elle entre les mains du Seigneur des moyens de fan£i:ification; alors au con- traire ceux qui n'ont travaillé que pourle mon- de 5 reconnoilUent que leur vie n'a été qu'une enfance continuelle , ^ fe repentent , mais trop tard , d'avoir fi mal placé leurs foins & leurs peines.
3. La dernière amertume de Marie avoit été une amertume de defir. Séparée de Jefus- Chrift 5 l'unique objet de fon am.our , tous fes vœux 5 toutes (es penfées , tout fon cœur fut dans le Ciel : fans celfe elle fe plaignoit de la durée de fon pèlerinage , elle mouroit tous les jours d'amour & de trifteiTe. Nous ne fentons pas jufqu'où alloit l'excès de fes peines 5 nous que mille liens attachent encore à la terre ; nos dégoûts de la vie font des dégoûts de nos paf- fîons , des recherches de nous-mêmes , un dépit de ne pouvoir trouver dans le monde aucun objet capable de fatisfaire notre cœur. Parmi les âmes mêmes confacrées à Dieu , il en eft peu qui fentent la trifteffe de cet exil ; on fent la durée de fa croix & la triftelTe de la ver- tu ; les grandes fources des larmes des Saints n'entrent pour rien dans notre piété Mais l'ame pure de Marie fentoit toute la défolation qu'infpireun amour violent lorfqu'il eft féparé de ce qu'il aime : auffi fa mort n'eft que le ter- me de fes foupirs , la confolation de fa ten- drefîe ; fon cœur va fe réunir à l'objet de fon amour ; elle va voir dans fa chair fon Sauveur, qui en étoit le chafte fruit. Quipourroit expri- mer les tranfports da cœur de Marie à la vue
de
, - _ A^<^lyfif des Sermons. 409
de fon FiJs glorieux ! ce font des fecrets que le langage des hommes ne peut faire compren- dre : ce qui nous regarde , c'eft que la moi t ne lepare le Juite que de ce qu'il n'avoit jamais aime ; & que dès-lors il meurt , pour ainfi di- re , bien moins que le Pécheur, qui mourant a rnille objets auxquels il étoit attaché, fouffre mille morts dans une feule.
IL Partie. A trois fortes d'abaiffemens remarquables dans la vie de Marie fuccede aujourd'hui une triple gloire : à un abailfe- ment de privation , une gloire d'élévation & d excellence ; à un abailTement de dépendan- ce , une gloire de puifîance & d'autorité ; à un abailTement deconfuiion & de mépris, une gloire de vénération & d'hommage.
I. On voit dans la vie de Marie une fuite non interrompue de privations triftes & humi- liantes. Elle étoit née du fang de David ; le privilège de fa grâce avoit prévenu celui de fa naiffance , qWq étoitvierge dans fa fécondité : enfin elle étoit Mère de Dieu : aucun de ces titres n'a paru en elle tandis qu'elle a vécu fur la terre ; ilsonttousétéouobfcurcis , ou igno- res , ou même démentis en apparence : qWq porte avec joie ce dépouillement ; & il ne Ipi échappe rien qui puilfe trahir le fccrer de foa humilité. Tout fon foin avoit été defeconfoa. dre avec les autres mères dlfraèl ; aujourd'hui toute 1 attention de Dieu efî de la àiïtiiiou^r par un privilège fingulier. Sa chair n éprouve point la corruption ; elle monte au ciel triom- phante & glorieufe , pour s'y affeoir à côtéde ion f^ils au-dejllis de toutes Iqs Principautés 6c de toutes les Pulifances ; voilà le jui^eprix que
4IO Analyfcs des Sermons. ]
Dieu réfervait aux privations humiliantes de la vie de Marie. Hx^ias ! nous n'imitons point fon humiliié perfévérante : nous nous mon- trons par tous les endroits propres à nous dif- tinguer : lors même que revenus de nos égare- inens , nous avons pris le parti d'une vie chré- tienne , nous voulons que le monde conferve lefouvenirde nos talens & de nos avantages: nous fommes flattés qu'il faiTe valoir par-là no. tre facrifice : & nous aimons à voir louer en nous , avec les merveilles de la grâce , les ta- lens de la vanité jufques dans les Cloîtres : on reprend d'une main un vain étalage qu'on âvoit femblé facrifîer de l'autre ; & on veut retrouver dans le féjour de l'humilité , les dif- tincrions qu'on avoit méprifées dans le monde. 2. Marie pendant fa vie mortelle avoit tou- jours chéri la dépendance: foumife aux volon- tés de Jofeph, attachée aux ordres & à ladef- tinée de fon Fils , confiée au Difciple bien- aimé , & le regardant comme l'arbitre de fa conduite ; paroiifant à la fuite des Difciples après la mort de Jefus-Chrift comme une autre aes femmes fidèles , n'affe^ant aucune préé- minence , aucune autorité , fe comportant comme une fimple fille de TEglife^elle qui en étoit la protedrice & la mère. Aujourd'hui elle reprend dans le Ciel la puillance qu'elle n'avoit pas voulu exercer fur la terre , elle eft établie fous JefusChriftla médiatrice des Fidèles, la dil^ributrice des grâces ; il veut que nous nous adrefTions à elle pour tout obtenir de lui. Ce n'eft pas qu'il fuffife de lui rendre quelques hommages pour affurer fou falut : le falut eft le prix de l'obiervance feule de la Loi de Dieu.
Anaiyfis des Sermons, 41 î
Marie regarde comme ennemis de Ton Fils ceux qui aiment le monde , qui fe livrent aux defirs de la chair^, qui tranfgreiTent fes volon- tés faintes , qui n'ont point gravé dans le cœur l'amour de ce divin Fils & de fa vérité. Marie ne peut être contraire à Jefus- Chriil : fa puif- fance ne peut renverfer Tœuvre de FErangile : cllaeftla relTource de nos néceilités ;mais elle n'eiîpas la protedrice de nos paflions : elle n'airne dans fes ferviteurs que les vertus qui la rendirent elle-même agréable aux yeux db Dien,
3. Le dernier abailTement de Marie avoit été'un abaiffement de mxpris Sc-de confuaon. Elle avait porté dans le liîence la honte dû foupçon de Jofeph : elle s etoit foumife com- me J. C. à porter quelque temps la reffem-
^•blaace du péché, & à faire un facriiSce de fou innocence a.ux ordres inconnus & adora- bles de la fageiTe divine. Voilà pourquoi fa
..rnort efl fùivie d une gloire de vénération &:
d'hommage. Les hommes Apofloliques lui
adrelTerent des vœux : fon culte s'établit à
mefure que la foi fe répandit fur la terre.
,En vain Terreur lui difputa l'auguilè qualité
^de Mère de Dieu ; des Conciles s'aiTem.bÎp- lentpour îaiiTer à lapoflérité dans leurs décl. fions les titres de leur refpeft envers Marié. Les Villes & les Empires fe mirent fous fa' protedion : nos Provinces frappées de la main de Dieu , virent tomber par fon entremife le
. glaive qui les châtioit ; & un de nos Rois fit ,
.pour immortallfer ce bienfait, un hommage public de tout fon Royaume à cette Reine des
: Cieux qui veiioit de le confervcr. Que la mort
Si
412, Analyfes des Sermons,
du pécheur eft différente de celle de Marie ! elk lui ravit tout ; elle le dépouille de tout : feul aux prifes avec elle , il tend en vain les mains aux créatures qui lui échappent ; tout ce qu'il avoit cru réel & folide s'évanouit ; tout ce qu'il avoit cru frivole & chimérique , fe montre ^ fe réalife ; fon malheur lui donne de nouvelles lumières, mais ne lui donne pas un nouveau cœur ; il meurt détrompé , fans mourir changé.
S^ 1 S3S^== g»
LE JOUR DE LA VISITATION.
Sur les ohjhidcs que notre amour propre oppofc à la grâce,
IvisioN. Notre amour propre oppofe prefque toujours trois obftacles à la grâ- ce : premièrement, une faufTe bienféance ; fe- condement , la difficulté de la vertu ; ou bien troiiiémement, une faulfe perfuafion que nous pouvons ufer d'adouciffemens dans la voie du falut. Or Marie entreprenant ce voyage toute feule 5 nous confond , premièrement , fur ces raiibns infinies de bienféances qui ne nous per- mettent pas de fuivre l'attrait du Ciel. Marie, m.algré la délicateffe de fon âge , de fon fexe , allant joindre Elizabeth à travers les monta- gnes &les chemins les plus difficiles, condam- ne , fccondement , notre lâcheté , que la dif- ficulté de la vertu effraye & retient dans le vi- ce. Enfin Marie fe hâtant toujours malgré la longueur du voyage , nous apprend , troifîé- mement , à ne pas adoucirpar nos lenteurs 5c
D
Analyfcs des Sermons, 413
nos ménagemens la rigueur de la voie évan- gilique.
I. Partie. Premier obftacle que nous op« pofons à la grâce, une faulTe bienféance. Il eft dès crimes dont le monde lui-même rougit, & qu'il condamne hautement ; mais il eil: des vi- ces moins odieux, des défordres plus heureux, qui femblent avoir prefcriî contre l'Evangile, & que le fiecle place honorablement parmi les vertus. Orceft de lafauiTe idée qu'on attache à ces prétendues vertus , que naiiTent ces égards li peu chrétiens, ces frayeurs coupables qui font que nous rougiflbns de Jefus-Chrift : on n oie ne pas Ce conformer à des ufages qui ont prévalu : on ne veut point condamner le monde par des Tingularités attestées. La con- duite de Marie a de quoiconfondie le monde fur un point auiVi important : ellequirte Naza- reth pour aller rendre viiite à Eiizabeth : com- bien de raifons une fauiîe bienféance &c la crainte des difcours du monde lui eût- elle fug- gérées pour fe diipenfer de ce voyage. Pre- miérem.ent , elle n'eft inftn:ite de la groirefie d'Eiizabeth que par un Ang:- ; or croira-t-on fur fa parole qu'elle ait reçu cette ambalîade célefte? Secondement, fortie du fang des Rois de Juda , & depuis peu devenue Mère de^ Dieu , n efi-il pas contre la bienféance qu'elle aille s'abaidér envers une femme fi fort au-deilbus d'elle? Troifiémement , les loixde la pudeur ne s'oppofent-elles pas à un voyage fi long & û périlleux ? mais ces raifons n'ar- rêtent pas Marie. Pour nous , hélas ! nous n'en cherchons pas même de fi plaufibles pour Dous étourdir ; &: les plus mauvais prétextes
S3
414 Analyfes des Sermons.
iuMcnt à notre amour- propre. La crainte de nous donner du ridicule dans refprit du monde efttoujourspournousuneraifonfufîifantepour nous difpenfer des loix de FEvangiie : mais quel ell notre aveuglement ! nous ne voulons pas d'une piété qui fe faffe remarquer , & qui nous mette fur le pied d'homm.e extraordi- naire ? mais fi la contagion ell univerfelle , pou- vons-nous nous en fauver, fans être finguliers? Détrompons-nous : les Saints ont toujours pâl- ie pour gens finguliers , parce que la vie corn- mune ne fauroit être une vie chrétienne ; cl c'eftune illufion groffiere de s'imaginer que l'on a toujours des raifons d'oJTenfer Dieu, & qu'on n'en a iamais de revenir à lui & de le fervir : de-là il arrive que tous les momens de îa grâce nous échappent. Mille fois Dieu nous a avertis , follicités , importunés ; nous n'a- vons eu que la crainte des vains difcours dii monde à lui oppcfer : craignons qu'il ne felalfe
enfin de fes pourfuites & de nos rebuts. Notre converfion ne dépend pas de nous , mais &c Dieu ; & nous ne fommes pas aiîurés de r a- voir à notre gré les grâces offertes que nous aurons refufées. Mais de plus , nous qui fom- mes fi éclairés fur les bienféances , lorfque par nosdiiîblutions nous étions lefcandale de no- tre Ville , la bienféance étoit-elle un frein aiiez puiiTant pour nous arrêter ? Ce n'eft donc qu'a- vec Dieu que nous fommes timides oc cir- confpefts ; & nous n'excédons en précautions que lorfqu'il s'agit de le fervir ! Sentons la- delfus toute finjuiftice de notre conduite ?
II. Partie. Difficulté de la vertu :^ fé- cond obftacle que l'amour propre oppofe à la
Analyfes des Sermons, 415
grâce. Il eft des gens qui vivement frappés de l'idée qu'ils Te font de la perfection chrétienne , ne vieillirent dans l'iniquité, que parce qu'ils ne comptent pas pouvoir jamais atteindre à la véritable juftice : illufion dangereufe qui ou- trage la grâce du Sauveur ; comme (i quel- que chofe lui étoitim.pofTible. Or la conduite de Marie nous fournit aujourd'hui de quoi dé- tromper le iiecle fur cette illufion. Sans trop réfléchir Cuv fd propre fûibleife , elle va à tra- vers les montagnes les plus inacceiîlbles lAbiit in montiina.
Je Cqus toute ma foibîefTe , dites-vous; je fais que la vie chrétienne cii une profeiîion publi- que de pénitence , qu'il faut porter fa croix & le renoncer fci-meme pour être Difciple de Jeflïs-Chriit ; je le fais ^ & c'eit juitcment ce qui me fait défefpérer d'être j.unais homme de bien 5 parce que je fens que quoique j'aie hor-- reur du crime , je ne faurois jamais me gagner là-delïïis. Mais , ô homm.e ! quel eu: ici ton égarement ! tu fens ta foibleiîe & ton impuif- fance ; mais entends ces paroles du Sauveur : Ventià mol , vous tous qui ctcsfoihles ùfitti- gués ^ & je vous fouUigsniL Voilà où tu ciels chercher la force qui te manque.
C'eflla difficulté de l'entreprife, dit2s-vous , qui vous arrête. Ah ! s'il falloiî comme au- trefois vous expofer à la fureur des Tyrans pour la foi de Jeais-Chriil, vous auriez quel- que fujet de trembler à la vue de votre toi- bleife 5 quoique vous duiTiez dire alors avec l'Apôtre : Je puis tout en celui qui me fortifia. Mais qu'exige-t-on de vous à préfent ? le (eut facrifîce de vospaHions : & vous facrifîez foi-
S4
41^ Analyfes des Sermons.
lement Vefpévance d'une éternité de bonheur à votre molleile & à votre lâcheté , bien dif- férent en cela des Fidèles des premiers temps, que les plus cruels fupplices ne pouvoient fépa- rer de Tamour de Jefus Chrift , & maaintenant ou croit qu'il en coûte trop pour être Chré- tien 5 quand il en coûte un feul plaifir , comme fi le Dieu que nous adorons étoit devenu moins digne de nos empreiTemens.
Et d'ailleurs vous vous figurez des amertu- mes dans le parti de la vertu : mais fo}ez de bonne foi : expofez-nous naïvement tous les défagrémens qui accompagnent la vie du fie-- de ; que ne direz- vous pas , & que ne dit- on pas en effet là-defTus tous les jours dans le m.onde ? à combien de chagrins alFreux la vie du fîecle n'expofe-t-ellc pas ? Et quand on parviendroit à les éviter , le pécheur peut-il s'é- viter lui-miême ? il a beau s'étourdir ; il porte partout un fonds d'inquiétude qui le reveille même au milieu des joies & des amufemcns : c'eft là-defTus que roule le fîecle ; on le fent , on s'en plaint , & on s'y aime : on fe familiarife avec des chagrins que rien ne partage , dont rien ne dédommage ; & on frémit au feul fou- venir des faintes rigueurs de l'Evangile , que la foi confole , que refpérance foutient , que la charité adoucit.
Mais pour confondre l'iniquité par l'iniquité elle- m^ême, dites-moi, je vous prie, un homme livré à l'ambition ou à la volupté , fe laifTe t-il rebuter par les difficultés qu'il trouve fur fon chemin ? Ah ! craignons que l'ambitieux & le voluptueux ne nous confondent devant le tri* bunal de Jefus- Chrift , furies excufes que nous
Analyfes des Sermons, 417
alléguons pourjuftifier notre foibleffe dès qu'il s'agit du falut.
III. Partie. Une autre erreur qui règne dans le monde fur la difficulté du falut , c'eil de fe perfuader que le falut ne renferme pas de il grandes difficultés. Des perfonnes nées avec un caractère tranquille & uni , ne croient rien trouver dans l'Evangile qui gêne trop l'amour propre ; & tranquilles fur leur falut 5 elles plaignent l'égarement des pécheurs qui refufent de fe fauver prefqu'à moins de fiais que l'on ne fe damne. Illufion grof- fîere , injurieufe à la croix de Jefus-Chrift , & que l'exemple de Marie confond pareille- ment , puifque fans examiner fi Ton peut arri- ver à la Cité de Juda par des chemins moins rudes &c moins fatiguans ,elle choilit fans dif- férer la voie la plus pénible : par-là elle nous apprend qu'il faut qu'il en coûte pour fe fau- ver , & que le Royaume des Cieux ne peut être le prix que des violences continuelles que nous aurons exercées fur nous-mêmes. Ce- pendant le monde eft plein de ces fauifes ma- ximes en matière de religion , que l'auftérité des Cloîtres eft fainte , mais que tout le monde n'y eft pas appelle ; que puifqu'il y a plufieurs demeures dans la maifon du Père célefle , pour ne pas mériter les premières , il ne s'enfuit pas qu'on doive être exclus de toutes les autres ; enfin , que l'Evangile ne défend pas les joies honnêtes : & là-deflus , pourvu qu'on ne donne pas dans les excès les plus crians , on fe croit dans le bon chemin, parce qu'on n'eftpas en» core au fond du précipice.
Mais fur quoi l'efprit humain ne peut-il pas
412, Andlyfes des Sermons,
du pécheur eft différente de celle de Marie ! elle lui ravit tout ; elle le dépouille de tout : feui aux prifes avec elle , il tend en vain les mains aux créatures qui lui échappent ; tout ce qu'il avoit cru réel & folide s'évanouit ; tout ce qu'il avoit cru frivole & chimérique , fe montre & fe réalife ; fon malheur lui donne de nouvelles lumières, mais ne lui donne pas un nouveau cœur; il meurt détrompé , fans mourir changé.
^'.
=«^:
^
LE JOUR DE LA VISITATION.
Sur les objhicks que notre amour propre oppofc à la grâce.
DIVISION. Notre amour propre oppofe prefque toujours trois obftacles à la grâ- ce : premièrement, une faufle bienféance ; fe- condemenî , la difficulté de la vertu ; ou bien troifiémement, une faulTe perfuafion que nous pouvons ufer d'adouciffemens dans la voie du falut. Or Marie entreprenant ce voyage toute feule , nous confond , premièrement , fur ces raifons infinies de bienféances qui ne nous per- mettent pas de fuivre l'attrait du Ciel. Marie, m.algré la délicateffe de fon âge , de fon fexe , allant joindre Elizabeth à travers les monta- gnes &les chemins les ^us difficiles, condam- ne , fccondement , notre lâcheté , que la dif- ficulté de la vertu effraye & retient dans le vi- ce. Enfin Marie fe hâtant toujours malgré la longueur du voyage , nous apprend , troifié- mement , à ne paè adoucirpar nos lenteurs &
mh
kl:.
^i
IShqm
'• -rr^/^
Analyfes des Sermons, 413
nos ménagemens la rigueur de la voie évan- gélique.
I. Partie. Premier obftacle que nous op- pofons à la grâce, une faufTe bienféance. Il eil des crimes dont le monde lui-même rougit, & qu'il condamne hautement ; mais il eit des vi- ces moins odieux, des défordres plusheurenx, qui femblent avoir prefcrit contre l'Evangile, & que le fiecîe place honorablement parmi les vertus. Or c'eil de lafauiTe idée qu on attache à ces prétendues vertus , que naiffent ces égards lî peu chrétiens, ces frayeurs coupables qui font que nous roiigifTons de Jefus-Chrift : on n'ofe ne pas fe conformer à des u/lîges qui ont prévalu : on ne veut point condamner le monde par des linguiarités aiîe<9:ées. La con- duite de Marie a de quoiconfondielc m.onde fur un point au Ifi important : elle quitte Naza^ reth pour aller rendre viiîte à Eiizabeîh : com- bien de raifons une fauiîe bienféance & la crainte des difcours du monde lui eût- elle fug- gérées pour fe difpenfer de ce voyage. Pre- rniérem.ent , elle ned inftrnite de la grolFeffe d'Elizabeth que par un Ange ; or croira-t-on fur fa parole qu'elle ait reçu cette ambalîade célefte ? Secondement, fortie du fang des Rois de Juda , & depuis peu devenue Mère de Dieu 5 n'eft-ii pas contre la bienféance qu'elle aille s'abaiffer envers une femme fi fort au-deflbus d'elle? Troifiémement , les loixde la pudeur ne s'oppofent-elles pas à un voyage fi long &: fi périlleux ? mais ces raifons n'ar- rêtent pas Marie. Pour nous , hélas ! nous n'en cherchons pas même de fi plaufibles pour BOUS étourdir i &: les plus mauvais prétextes
S3
414 Analyfes des Sermons.
fnffifent à notre amour-propre. La crainte de nous donner du ridicule dans refprit du monde cft ton jours pour nous une raifonfufîifante pour nous difpenTer des loix de TEvangile : mais que] eft notre aveuglement ! nous ne voulons pas d'une piété qui fe faiîè remarquer , &. qui nous mette fur le pied d'homm.e extraordi- naire ? mais fi la contagion eit univerfelle , pou- vons-nous nous en fauver, fans être fmguliers? Détrompons-nous : les Saints ont toujours paf- ié pour gens finguliers , parce que la vie com- mune ne fauroit être une vie chrétienne ; & c clt une iliufion grofTiere de s'imaginer que l'on a toujours des raifons dVJTenfer Dieu, & qu'on n'en a jamais de revenir à lui & de le fervir : de-là il arrive que tous les momens de îa grâce nous échappent. Mille fois Dieu nous a avertis , fcllicités , importunés ; nous n'a- vons eu que la crainte des vains difcours du monde à lui oppcfer: craignons qu'il ne fe lafFe enfin de fes pourfuites & de nos rebuts. Notre coHverfion ne dépend pas de nous , mais d'C Dieu ; & nous ne fommes pas alTurés de r'a- voir à notre gré les grâces oifertes que nous aurons refufées. Mais de plus , nous qui fom- mes fî éclairés fur les bienféances , lorfque par nosdifîolutions nous étions le fcandale de no- tre Ville 5 la bienféance étoit-'elle un frein alTez puiifantpour ncusarrêter ? Ce n'eil donc qu'a- vec Dieu que nous fom.mes timides & cir- confpeâ:s ; & nous n'excédons en précautions que lorfqu'il s'agit de le fervir ! Sentons là- deffus toute l'injuftice de notre conduite ?
II. Partie. Difficulté de la vertu : fé- cond obftacle que l'amour propre oppofe à la
'^J-^
-:^^î
Analyfcs des Sermons, 415
grâce. Il eft des gens qui vivement frappés de l'idée qu'ils fe font de laperfeârion chrétienne , i^e vieillilTeiit dans l'iniquité, que parce qu'ils ne comptent pas pouvoir jamais atteindre à ia véritable juftice : illufion dangereufe qui ou- trage la grâce du Sauveur ; comme (i quel- que choie lui étoit im.pofTibie. Or la conduite- de Marie nous fournit aujourd'hui de quoi dé- tromper le iiecle fur cette illulion. Sans trop réfléchir fur fa propre foibleile , elle va à tra- vers les montagnes les plus inacceiîibles lAbiit in montana.
Je fens toute ma foiblefTe , dites-vous; je fais que la vie chrétienne eii une profe/îion publi- que de pénitence , qu'il faut porter fa croix ^ le renoncer foi-même pour être Difciple de Jefu's-Chriit \ je le fais , oC c'eit juflcment ce qui me fait défefpérer d'être jamais homme de bien 5 parce que je fens que quoique j'aie hor-- reur du crim.e , je ne faurois jamais me gagner là-dellus. Mais , 6 homm.e ! quel cit ici ton égarement ! tu fens ta foibleiîe & ton impuif- fance ; mais entends ces paroles du Sauveur: Verie:(à moi , vous tous qui ctcsfoihles &f(tïi' gués j & je vous fouhigerai. Voilà où tu dois chercher la force qui te manque.
C'efl la difficulté de Tentrcprife, ditss-voiis j qui vous arrête. Ah ! s'il falloiî comme au-' trefois vous expofer à la fureur des Tyrans pour ia foi de Jeius-Chi-if]:, vous auriez quel- que fu jet de trembler à la vue de votre toi" bleife 5 quoique vous duiliez dire alors avec l'Apôtre : Je puis tout en celui qui me fortifi:. Mais qu'exige- t-on de vous à préfent ? le feul facrifîce de vospadions : & vous facrifîez fol-
S4
m
j^i6 Analyfes des Sermons,
lement refpérance d'une éternité de bonheur à votre mollelTe & à votre lâcheté ; bien dif- férent en cela des Fidèles des premiers temps, que les plus cruels fupplices ne pouvoient fépa- rer de l'amour de Jefus Chrift , & maaintenant on croit qu'il en coûte trop pour être Chré- tien 5 quand il en coûte un feul plaifir , comme il le Dieu que nous adorons étoit devenu moins digne de nos empreiTemens.
Et d'ailleurs vous vous figurez des amertu- mes dans le parti de la vertu : mais fo}ez de bonne foi : expofez-nous naïvement tous les défagrémens qui accompagnent la vie du fie- cle ; que ne direz-vous pas , 8c que ne dit- on pas en effet làdefius tous les jours dans le m.onde ? à combien de chagrins aiFreux la vie du fiecle n'expofe-t-ellc pas ? Et quand on parviendroit à les éviter , le pécheur peut-il s'é- viter lui-même ? il a beau s'étourdir ; il porte partout un fonds d'inquiétude qui le réveille même au milieu des joies & des amufemcns : c'eft ià-deffus que roule le fîecle ; on le fent , on s'en plaint , & on s'y aime : on fe familiarife avec des chagrins que rien ne partage , dont rien ne dédommage ; & on frémit au feul fou- venir des faintes rigueurs de l'Evangile , que la foi confoîe , que l'efpérance foutient , que la charité adoucit.
Mais pour confondre l'iniquité par l'iniquité elle-miême, dites-moi, je vous prie, un homme livré à l'ambition ou à la volupté , fe laifTe t-il rebuter par les difficultés qu'il trouve fur fon chemin ? Ah ! craignons que l'ambitieux & le voluptueux ne nous confondent devant le tri* bunalde Jefus- Chrifl, furies excufes que nous
■^ t-
i
k:-:
Analyfes des Sermons, 417
alléguons pourjuftifier notre foibleffe dès qu'il s'agit du falut.
Il I. Partie. Une autre erreur qui règne dans le monde fur la difficulté du falut , c'efl de fe perfuader que le falut ne renferme pas de fî grandes difficultés. Des perfonnes nées avec un caraftere tranquille & uni , ne croient rien trouver dans l'Evangile qui gêne trop l'amour propre ; & tranquilles fur leur falut 5 elles plaignent l'égarement des pécheurs qui refufent de fe fauver prefqu'à moins de fiais que l'on ne fe damne. Illufion grof- fîere , injurieufe à la croix de Jefus-Chrift , & que l'exemple de Marie confond pareille- ment , puifque fans examiner fî Ton peut arri- ver à la Cité de Juda par des chemins moins rudes & moins fatiguans ,elle choifit fans dif- férer la voie la plus pénible : par-là elle nous apprend qu'il faut qu'il en coûte pour fe fau- ver , & que le Royaume des Cieux ne peut être le prix que des violences continuelles que nous aurons exercées fur nous-mêmes. Ce- pendant le monde eft plein de ces fauiTes ma- ximes en matière de religion , que l'auftérité des Cloîtres eft fainte , mais que tout le monde n'y eft pas appelle ; que puifqu'il y a plufîeurs demeures dans la maifon du Père célefle , pour ne pas mériter les prem.ieres , il ne s'enfuit pas qu'on doive être exclus de toutes les autres ; enfin , que l'Evangile ne défend pas hs joies honnêtes : &c là-delTus , pourvu qu'on ne donne pas dans les excès les plus crians 5 on fe croit dans le bon chemin, parce qu'on n'eftpas en» core au fond du précipice.
Mais fur quoi i'eiprit humain ne peut-il pas
f
41 8 Analyjes des Sermons^
feféduîre5puirqu'il a pu prendre ici le change? Car enfin on ne peut rien ajouter aux précau- tions que la fagefTe divine a prifes, pour faire fentir aux hommes que les croix & les fouf- frances leur fontaufliindirpenfables que le fa- crement qui les régénère. Ce qu'il y a d'éton- nant, c'eft que non-ieulementle fîecle, mais ceux mêmes qui font profeiTlon de piété 5 fe font illufion ià-deifus , & chacun fe fait un Evangile à part où il trouve le fecret de faire entrer {es foibleiTes , parce que Fefprit de la Religion eft peu connu par ceux mêmes qui paflent pour en pratiquer les maximes.
^ , ^ g;^— __, ■— S^
DISCOURS
Sur Vefprit dans lequel il faut pratiquer les œuvres de miféricorde,
POur bien pratiquer les ouvres de miféri- corde 5 il y a trois règles à obferver, I. Règle. Cejl quilfaut les regarder com- me des devoirs que nous acquittons, "Etï e^tt y c*eft une méprife alTez ordinaire parmi les per- fonnes confacrées aux œuvres fainîes, de fe fi- gurer que ces pieufes occupations ne font pas renfermées dans le devoir. L'amour propre favorife d'autant plus cette erreur , que Tac- compliffement du devoir tout feul n'a rien qui nous flatte , parce qu'il n'a rien qui nous diftingue ; au lieu que les œuvres furajou- tées 5 en nouslaifiant plusdefingularité , nous laiiîent auflî plus de compiaifance. Cependant
Analyfcs des Sermons, 419
il s'en faut bien que la Foi ne mette les offices de chanté rendus à nos frères , au rang des œuvres furajoutées ; elle ne connoît pas de devoirs plus facrés & plus inviolables. En ef- fet , premièrement , le précepte de l'amour du prochain , fi eiïentiel à la Foi , ne fe borne pas à nous défendre feulement de nuire à nos frères : ce n'eft rien pour la loi de la charité , de ne point haïr ; il faut qu elle aime ; c'eft-à- dire, que dans la Religion de Jefus-Chrift vous êtes injufte , fi vous n'êtes pas bienfai- fant ; vous haïfTez votre frère affligé , fi vous ne le fbulagezpas , lorfque vous le pouvez. Ce ne{^ donc pas ici une œuvre defurcroîî, dont le zèle puilTe s'applaudir ; c'eft une loi com- mune impofée à tout Fidèle , qui par les liai- ions intimes & facrées que nous avons coii' traélées au baptême avec tous les Chrétiens, ne lui permet plus d'en regarder aucun comme étranger à fon égard , mais l'oblige de les re- garder tous comme Ces frères , comme l^s membres d'un même corps , dont aucun ne peut fouffrir , fans qu'il fouffre avec lui. Se- condement 5 plus vous êtes élevés dans le fiQ- cle 5 plus votre obligation efi ici rigoureufe. La profpérité & l'abondance des biens de la terre ne vous difpenfe ni de la frugalité , ni de la fimplicité , ni de la violence évangélique ; cette vérité fuppofée , quel a pu être le def- fein de la providence , en répandant fur vous les biens de la terre ? Seroit-ce de vous four- nir les moyens de fatisfaire toutes vos pafiions? Non , fans doute : vous n'êtes donc dans les defTeins de Dieu que les minifires de fa pro- vidence envers les créatures qui fouffrent :
4^0 Analyfes des Sermons.
votre abondance n'eft donc que la portion de vos" frères affligés ; & Dieu vous auroit ré- prouvés 5 en répandant fur vous les biens de la terre , s'il vous les avoit donnés pour un au- tre ufage que pour le foulagement des mal- heureux. Troifîémement , pour vous en par- ticulier qui m'écoutez , indépendamment de I obligation que vous impofe là-deffus la Re- ligion 5 & le rang que vous tenez , les faintes occupations de la miféricorde n'en font pas rnoins des devoirs indifpenfables. En premier lieu , qui que vous foyez , qui marchez aujou- d'hui dans des voies faintes , vos mœurs ont- elles toujours été réglées par la Loi ? vos exemples n'ont-iîs pas été autrefois un modèle de luxe , de plaifir & de miOlîeiTe ? Eh ! ne faut- il donc pas qu'aujourd'hui des exemples contraires réparent le fcandale? En fécond lieu, lorfque vous ne connoifliez rien de grand que le m.onde & fes vanités , n'avez-vous pas peut- être donné du ridicule à la piété par des dé- ridons injuftes ? n'avez-vous pas regardé les offices publics de m.iféricorde , comme des indifcréîions de zeîe , ou comme des empref- femens de vanité , loin de refpe61er les per- fonnes qui s'y confacroient ? Il faut donc que vos œuvres publiques rendent à la piété l'hon- neur que vos déridons profanes lui avoieiit été; & que vous pratiquiez vous-même ce que vous avez Ç\ injuftement blâmé dans les autres Fidèles. En troifieme lieu , vous faifiez fervir autrefois vos richelTes , qui font des dons de Dieu , à l'iniquité ; comment voulez- vous réparer cette injuftice , que par de fain- tes profufions & des largeifes plus abondantes ?
Analyfcs des Sermons. 411
enfin 5 dans cette première faifonde votre vie que vous avez confacrée au monde & à fes er- reurs , la félicité de vos fens étoit alors votre unique aftaire : il faut donc aujourd'hui vous appliquer à les crucifier ; aller dansces lieuxfe* crets , dans ces maifon défolées , où l'indi- gence cache tant de mifere ; vous approcher des La2arespuans& couverts de plaies; & malgré les frémiflemens fecrers de la nature , ne pas refnfer votre miniftere & le fecours de vos mains à leurs befoins extrêmes.
La II Règle à ohfcrver dans la pratique des œuvres de mifcricorde j ejî que non-feulement il faut les regarder comme des devoirs que nous acquittons , muiis encore en faire des remèdes journaliers contre nos foihleffes de tous les jours. En effet, les œuvres extérieures de la piété n'ont de mérite devant le Seigneur , qu'autant qu'el- les fervent à perfectionner notre homme in- térieur. Cela étant , fouîager nos frères , les revêtir , les vifiter , les confoler , les fervir même , n'eft encore que le corps de la piété : C€ font les offices du Chrétien ; ce n'eft pas le Chrétien lui-même. Il faut donc que la vertu croifle &: fe purifie dans ces devoirs publics de miféricorde , & que chaque œuvre fainte ferve à affoiblir en nous quelqu'une de nos paffions ; c'eft-à-dire 5 que pour entrer dans l'efprit de la Foi fur la pratique des œuvres charitables , il faut , avant de s'y engager , examiner fur les yeux de Dieu quels font en- *core nos penchans déréglés , & choifir les /'ceuvres de miféricorde les plus propres à les déraciner de notre cœur ; en un mot , faire '^ de ces œuvres les exercices des vertus qui
4Z2. Analyfcî des Sermons,
nous manquent. Car les œuvres de la piété nafont faintes , qu'autant qu'elles nous fan(^i- fient i & elles ne nous fan<^ifîent qu'autant qu'elles nous corrigent.
Or 5 on viole cette règle de la piété en deux manières : premièrement, de tous les offices de miféricorde^nous choifiiTons prefque toujours les plus conformes à notre goût , à notre ca- ra£îere , à nos penchans. Ce n'eil pas qu'il faille rélifter à ces penchans heureux , qui in- clinent notre ame à la miféricorde ; ou qu'on remplille ces pieux devoirs fans mérite , dès qu'on les remplit fans répugnance : au con- traire 5 la Foi fait faire fervir la nature à la grâce. Mais il faut prendre garde de ne pas borner tous nos efforts à fuivre ces penchans ; car la piété va bien plus loin que la nature. Secondement , la féconde manière de violer cette règle , eft encore plus coupable : non- feulement on fe borne à une vertu toute na- turelle 5 & les œuvres de miféricorde que l'on choifît , font toujours celles qui ne coûtent rien à l'amour propre , & qui ne nous corrigent ja- mais de nos foibleffes ; mais encore elles ne fervent fouvent qu'à nous y entretenir. En ef- fet, combien de ces âmes abufées , qui dans une vie toute mondaine , toute fenfuelle , tou- te profane , fe raifurent fur quelques pratiques de miféricorde , & fur l'abondance de leurs largefies. Ah 1 le Seigneur n'a pas befoin de nos biens ; mais il demande notre cœur, La miféricorde aide à expier les crimes dont on fe repent -, mais elle ne juilifie pas ceux que l'on aime.
La III Règle ccnfijlc à prcndrs garde
Analyfcs des Sermons, 423
qull ne fc mêle rien cV humain dans rintentionj Ù ({ue la vue des hommes , cachée au fond de nos cœurs y (j prefque imperceptible à nous- mêmes , ne nous faffe perdre devant Dieu tout le mérite de la miféricorde.
Je vous dis avec faint Auguftin : Vous êtes ici devant Dieu ; interrogez votre cœur ; fon- dez-en les vues ies plus fecrettes , 6c voyez quels ont été jurqu'ici les motifs les plus réels de toutes ces actions extérieures. Voyez fi les œuvres fecrettes réveillent auiîi vivement vo- tre zèle , que celles qui font publiques. Voyez fi dans celles où l'éclat eft inévitable , vous êtes bien aife qu'on vous oublie & qu'on vous con- fonde dans la foule des perfonnes qui s'y em- ploient. Voyez Il les entreprifes pieufes que le monde blâme , ne vous trouvent pas un peu indifférent ; en un mot , fi c'ell vous même, la gloire des hommes, ou votre falutque vousy cherchez. On ne fauroit croire , conîimie faint Augullin 5 combien d'œuvres faintes , fur lef- queîies nous comptons ici-bas , feront un jour rejettées^lorfque le Seigneurviendra juger les juflices ; combien de fruits de la charité , lorf- que nous croirons en paroître devant lui les mains pleines,, fe trouveront gât s par le ver fecret d'une dangereufe complaifance.
Fin des Analyfes,
sTî
■m
1
A
?:\W^
'i^ri
31^
!■ |
1 |
i |
i ■■■ |
WSM |
||
^^^m^ |
îgif^' |
m |
' ■ |
||||
s |
1 |
||||
1 iii 3 |
4 |
M' m' 60INCH V |
6 |
^^^m^^^^^^^^^i
^y<-]
0 1
— CM |
^ - m — w |
^ |
[ |
^z |
O |
||
^ |
— |
— |
|
— |
:^ |
ro |
|
_^ |
|||
1 |
o |
||
^ |
— |
u> |
|
— |
o |
||
— |
|||
— |
=; |
||
^ |
— |
^ |
|
ro — |
1 |
o- cn |
|
o |
|||
— O |
— |
:= |
|
H |
:= |
O) |
|
j- |
o |
||
^ |
— |
■vl |
|
— |
^ |
O |
|
co — |
— |
||
— Oi |
- |
= |
00 |
= |
o |
||
^ |
— |
||
1 — |
o |
||
- |
= |
-8- -§- ■g- o ■g- |
|
^^ |
|||
— 00 |
|
— ■ |
|
^ |
— |
||
— |
|||
p |
^ |
^ |
|
— |
|||
en — |
— |
||
— r^ |
— |
i^ |
|
— |
= |
||
— |
= |
||
- |
— |
= |
|
— |
— |
||
ai~^ |
— |
||
HZ |
1