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SERMONS

D E

Mo MASSILLON-,

E V É QU E

BE CLERMONT,

Ci' devant Prêtre de t Oratoire ,

VUN DES (lUARANTE DE l'ACADÉMII

Françoise.

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C A R £ M E. TOME TROISIÈME

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4^

A PARIS, RUE 5. JACdUESy

EUVE ESTIENNE & FiLS , à la Vc E T

Hérissant , à S. Paul & à S. Hilaîr»;

C LA Veuve Estienne & Fils , à la Vertu; Cbez C et

C Jean

M. DCC. LX IX. Av4Ç Approbation & PriviUgi du Rçi»

SERMONS

CONTENUS DANS CE TROISIÈME. VOLUME.

POuR le Jeudi de la IIL Semaine de Carême , Sur V incertitude de la. juftice dans la Tiédeur , Page i

Pour le même jour , Sur la certitude d'une chute dans la Tiédeur. 3 S

Pour le Vendredi de la IIL Semaine , La Samaritaine» 7^

Pour le IV. Dimanche de Carême , Sut V Aumône. lii

Pour le Lundi de la IV. Semaine , Sur la Médifance. idi

Pour le Mardi de la IV. Semaine , Des Doutes fur la Religion, 208

Pour le Mercredi de la IV. Semaine, Sur tinjufiice du monde enyers les gens de iien > 251

Pour le Jeudi de la IV, Semaine , Sur h mon. 298

Pour le Vendredi de la IV. Semaine ; Homélie Sur r Evangile de Laiare , 336

Pour le même Jour , Sur Us Fautes lé- gères. 383

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SERMON

SERMON

POUR LE JEUDI

DE LA TROISIEME SEMAINE

DE CAREME.

^Sur i* incertitude de laju/lice dans la tiédeur^

Surgens Jefus de Syiiagoga , iiitroivitin. domum Simonis ; focrus autem Simoai» tenebatiir magnis febribus.

Jefiis étant forti de la Synagogue , enîra^ dans la maifcn de Simon , dont la hslle-mere éiyoit une grojje fiéyre, Luc. 4 38.

I E N ne repréfente plus au naturel l'état d'une ame tiède ÔC languiflante , que l'état d'in- firmité , eu l'Evangile nf.us dépeint aujourd'hui la belle- Uiere de Saint Pierre. On peut dire que la Carèmç ^ Tome IIL A

2 Jeudi de la III. Semaine/ tiédeur 6c rindolence dans les voies de Dieu , ""accompagnée (Time vie' d'ailleurs exempte de grands crimes , efl une forte de £évre fccrcîte ÔC dangereufe, qui mine peu à peu les forces de Tame, qui altère toutes fes bonnes difpofitions , qui affoiblit toutes fes facultés, qui corrompt infenfiblement tout l'intérieur, qui change fes goûts 5cfes 'f)enchans , qtii répand une amertume uni- veifelle fur tolis les devoirs , qui la dégoûtô de tout bien , 6c de toute nourriture fainte ti utile , qui confume de jour en jour fa vie Se fa fubUance , 5c finit enfin par un© cxtindion entière , 5c une mort inévitable.

Cette langueur de l'ame dans les voie» dufalut,eft d'autant plusdangereufe qu'elle eftmoinsapperçuë.L-'exemtiondudéfordre dans cet état d'infidélité nous railure : la régularité extérieure de la conduite, qui - nous attire de la part des hommes tous les •éloges dûs à la vertu , nous flâte : le paral- lèle fecret que nous faifons de nos mœurs- avec les déréglemens de Ces pécheurs dé- clarés que le monde 6c les pafiions entraî- nent , achève de nous aveugler ; 6C nous regardons notre état,comme un état moins parfait , à la vérité , mais toujours sûr pour le falut , puifque la confcience ne nous y reproche qu'un fonds de pareffe , de négli- gence dans nos devoirs, d'immortification, d'amour de nous-mêm.es, 6c des infidélités légères qui ne donnent pas la mort à l'amiC»

Cependant,puîfque les Livres faintsnous repréîenteiit comme ésaiementrejettéesde

Sur Tiédeur; y

Dîelt , 8c lame adultère ÔC Tame tiède , Sc qu'ils prononcent le même anathême , &C contre celui qui méprife l'œuvre de Dieu , ÔC contre celui qui la fait avec négligence; il faut que l'état de tiédeur dans les voies de Dieu , foit un état fort douteux pour le falut , 5c par les difpofitions préfentes qu'il met dans l'ame , & par celles tôt ou tard il ne manque pas de la conduire.

Je dis , premièrement , par les difpofî- tions préfentes qu'il niet dans l'ame ; fa» voir , un fonds d'indolence ^ d'amour de foi-même , de dégoût de la vertu , d'infî- , délité à la grâce, de mépris délibéré de tout ce qu'on ne croit pas elTentiel dans les devoirs : difpofitions qui forment un état fort douteux pour le falut.

Secondement, par celles la tiédeur nous conduit tôt ou tard , qui font l'oubli de Dieu , ÔC une chute groiîiére 6c dé- clarée.

C'eft-à-dire , que je me propofe d'établir deux vérités capitales en cette matière , qui font fentir tout le danger d*une vie tiède ÔC infidèle , ÔC qui , par leur importance, nous fourniront le fujet de deuxdifcours difFè- rcns. La première, c'eft qu'il eft fort dou- teux que l'ame tiède confervedans cet état habituel de tiédeur , la grâce fanftiiiante , êc la juftice qu'elle croit conferver , 6C fur laquelle elle fe raffure. La féconde , c'eft que quand même il feroit moins dou- teux fi elle conferve encore devant Dieil ia grâce faii£iifiante , ou fi elle l'a perdue.

I . Joan

4 Jeudi de la III. Semaine.

il eft certain du moins qu'elle ne fauroit

la conferver long-tems.

L'incertitude de la juftice dans la tié- deur : cette première vérité fera le fujet de ce difcours.

La certitude de la chute dans la tiédeur , féconde vérité fur laquelle je vous inilruirai dans le difcours fuivant. Implorons , 5Cc»

ij i ^ous dijivns que nous femmes fans /e'- ché y dit un Apôtre, nous nous féduifcns nous-mêmes y Ô' la réritc ncjî point en nous* La vertu la plus pure n'eft donc jamais ici- bas exemte de taches : l'homme , plein de ténèbres & de paifions depuis le péché , ne fauroit être toujours, nifi attentif à l'ordre, qu'il ne fe méprenne quelquefois , 6c ne s'en écarte ; ni ii touché des biens véritables & invifîbles , qu'il ne fe laifFe quelquefois furprendre'par les biens apparens , parce qu'ils font nir nos fens des imprefTions vi- »es 6c promptes , 6c qu'ils trouvent dans nos cœurs des penchans toujours favora- bles à leurs dangcreufes fédudions.

La fidélité que la Loi de Dieu exige des âmes juftes-, n'exclut donc pas mûlleimper- fe£lions inféparables de la condition de no- ire nature , & dont la piété la plus attentive ne peutfe défendre ; mais il en eft de (XQuyi fortes : les unes qui échappent à la fragilité, qui font bien moins des infidélités que des furprifes , le poids de la corruption a plus de part que le choix de la volonté ,5< ^QUe le Seigneur , dit S. Auguftin y laiffe

Sur la Tiédeur: 5

aux âmes les plus fidèles, pour nourrir leur humilité , pour exciter leurs gémiiTemens,' pour rallumer leurs déiirs , le dégoût de leur exil , & Tattente de leur délivrance : les autres font celles qui nous plaifent- que nous nous juftifions à no^is-mêmes, auf- quelles il ne nous paroit pas poffible de re- noncer , que nous regardons comme des adouciiïemens nécelTaires à la vertu , nous ne voyons rien de criminel , parce que nous n'y voyons point de crime , qui entrent dans le pkn délibéré de nos mœurs & de notre conduite , 6c qui forment cet état d'indolence 5c de tiédeur dans les voies de Dieu , qui damne tant de perfonnes , ÔC dans le monde 6c dans les cloîtres , hqqs •d'ailleurs avec des principes de vertu, une horreur du crime , un fond de Religion 5C de crainte de DieUi , ÔC des difpofîtions heureufes pour le falut.

Or , je dis , que cet état de relâchement -6c d'infidélité;cette négligence foutenuë ÔC tranquille fur tout ce qui ne nousparoîtpas elTentiel dans nos devoirs ; cette molle in- dulgence pour tous nos penchan?,dès qu'ils ne nous offrent point de crime ; en un mot, cette vie toute naturelle , toute d'humeur, de tempérament , d'amour propre, û com- ;niune parmi ceux qui fontprofelTîon publi- que de piété , fi sûre en apparence ,îi glo- rieufe même devant les hommes , & à la- quelle l'erreur générale attache le nom de vertu ôc de régularité ; je dis que cet état •«ft un état fort douteux pour le falut , qu'il

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^ Jeudi de la ÏII. SEMAmg. prend fa foiirce dans un cœur déréglé, l'Efprit Saint ne domino^lus , Sc que toutes les régies de la foi nous conduifent à penfer, qu'une ame de ce caraé^ère eft déyk déchue fans le favoir , de la grâce ôc de la juitice qu'elle croit conferver encore : Première- ment , parce que le défir de la perfeâ:ion , eflentiel à la piété chrétienne , eft éteint dans Ton cœur. Secondement , parce que les régies de la foi , qui diftinguent le crir me de la (impie ollcnfe , toujours prefque fort incertaines à l'égard des autres pé- cheurs , le font infiniment plus envers l'ame tiède 5c infidèle. Troiiiémement , enfin , parce que de toutes les marques d'une cha* rité vivante ÔC habituelle , il n'en efl plus aucune qui paroilTe en elle. Suivons ces vé- rités ; elles foat dignes de votre attention. Toute ame chrétienne cd obligée de ten- dre à la perfedlion de Ton état. Je dis obli- gée : car quoique le degré de perfe£^ion ne foit pas renfermé dans le précepte ; ten- dre à la perfection , travailler à la perfec- tion , eft néanmoins un commandement 5C un devoir efTentiel pour toute ame fidèle. .Soyez parfaits , dit Jefus-Chrill: , parce que le Père célefte que vous fervez , eft parfait. Je ne vois qu'un feul point d'efTen- 'tiel, difoit S. Paul; c'eft d'oublier tout ce -que j'ai fait jufqu'ici ;6c qu'oublioit-il , mes 'Frères ? fes travaux infinis , fes fouffrances continuelles , fes courfes apoftoliques, tant de Peuples convertis à la Foi,tant d'F>glifes illuûres fondées , tant de révéiatiaxis ôC dd

SuRLATiEDEUR' jr

prodiges : &. d'avancer fans celTe vers ce qui me refte de chemin, à faire. Le déiirde la perre£èion , les efforts continuels pour y parvenir , les faintes inquiétudes fur les obftacles innombrables qui nous arrêtent fur notre route , non-feulement ne renfer- ment donc pas un fimple confeii , Sc une pratique réiervée aux cloîtres 6c aux dé- îerts ; mais ils forment fétat eifentiel du Chrétien , ôc la vie de la foi fur la terre. Car la vie de la foi dont le Jufte vit , if cil qu'un défirnon interrompu que le ré- gne de Dieu s'accomplilfc dans notre cœur, un faint emprelfement de former en nous la reifemblance parfaite deJefus-Chriftj&de croître jufqu'à la plénitude de l'homme nouveau ; un gémiirementcoatinuel, excité par le fçntiment intérieur de nos propres miféres , 5c par ce poids de corruption qui appefantit notre ame , &: lui fait encore porter tant de traits de l'homme tcrreftre ; im combat journalier entre la loi de îefprit , qui voudroit fans cefTe nous élever au-def- fus de nos affections fenfuellcs ; & la loi de la chair, qui fans cefie nous rt^n traîne y erj nous-mêmes : voilà l'état de la foi & de l^i juftice chrétienne. Qui que vous foyez ^, Grand , Peuple , Prince , Sujet, Solitaire ^ Courtifan, voilà la perfeôion vous êtes appelle : voilà le fonds 6c l'efprit de votre vocation. On ne demande pas de vous Tauftérité des Anachorètes , le fiîence ÔC la folitude des déferts , la pauvreté des cloî- tres j ruais ou demande que vous travailliez

A4

-8 Jeudi de la III. Semaine. chaque jour à reprimer les défîrs qui s'op- paient en vous à la* Loi de Dieu , à morti- iîer ces penchans rebelles qui ont tant de peine à plier fous le devoir & fous la régie; en un mot , à avancer votre parfaite con- form.ité avec Jefus-Chrift : voilà la me- fure de perfeâ:ion la grâce chrétienne vous appelle, ÔC le devoir le plus effentiel à Tame jufte.

Or dès-là que vous vous prêtez à tous T'os penchans , pourvu qu'ils n'aillent pas jufqu'à rinfraélion vifible & grofliére du précepte ; dès que vous vous bornez à l'ef-. ientiei de la Loi , que vous vous faites comme un plan &. un état de la tiédeur ô€ de la négligence , que de propos délibéré vous ne voulez pas pouffer plus loin votre fidélité ; que vous dites vous-même , que Vous ne iauriez foutenir une vie plus re- cueillie cZ plus exacte ; dès-là vous renon- cez au déiir de votre perfection : vous ne vous propofez plus d'avancer fans celli pour atteindre à ce point de juftice ÔC de fainteté Dieu vous appelle , 6c fa grâce ne celle de vous poulTer en fecret : vous ne gémifl'ez plus fur ces miféres 6c ces foibielTes qui vous retardent fur votre route: vous ne fouhaitez plus que le régne de Dieu s'accompliiTe dans votre cœur. Donc dès-là vous abandonnez le grand ouvrage delà fainteté, auquel il vous eft ordonné de travailler : vous négligez le foin de vo- tre ame ; vous n'entrez pas dans les def- fciiis de la grâce , vous eu arrêtez les fainr

Sur LA Tiédeur. ^ ^ tes împrefTions ; vous n'êtes plus Chrétien : c'ell-à-dire , que cette difpofitioii toute feule , ce deiTein formel de fe borner à rellentiel , 6c de regarder tout le refte comme des excès louables ôc des œuvres de furcroit , eil un état de mort 5c de pé- ché , puifque c'eft un mépris déclaré de ce grand commandement qui nous oblige d'être parfaits , c'eft-à-dire , de travailler à le devenir.

Cependant , quand nous venons vous inflruire furlaperfe6^ion chrétienne , vous la regardez comme le partage des cloîtres 5C des folitudes, &: à peine écoutez-vous là-deiïïis nos inftruèlions. Vous vous trom- pez , mes Frères : les âmes retirées em- brafîent à la vérité certains moyens de pur confeil , des jeûnes , des auftérités , des veilles pour parvenir à la mortification des pallions , à laquelle nous Tommes tous ap- pelles : elles s'engagent à une perfeâ:ion de moyens qui neit pas de notre état , je l'a- voue ; mais la perfection de la fin ces moyens conduifent , qui eft le règlement des a{Te£i:ions , le mépris du monde , le détachement de nous-mêmes , la foumûf- iiondes fens 5c de la chair à TeTprit , le renouvellement du cœur , eft la perfeâ:ion de tous les états , l'engagement de tous leg Chrétiens , le vœu de notre Batême : donc , renoncer à cette perfeâ:ion , en fe bornant par choix ÔC par état à une vie douce , tranquille , fenfuelle, mondaine , exempte feukmejat de chute groffiére , c'ell renon-

lo Jeudi de la ÎII. Semaine.'

cer à la vocation chrétienne , OC changer la grâce de la foi , qui nous a fait membres de Jefus-Chrift , eu une indigne parelTe, Première rai Ton.

Mjis quand cet état de tiédeur ne feroit pas il doutei.ix pour le l'alut , par rapport au défir de ia perfection , elïentiel à la vie chrétienne , ÔC qui cil éteint dans l'ame tiè- de 5C infidèle , il le feroit par Timpuillance il nous laiile , 6c il la met elle-mê- me , de difccrner dans fa conduite, les infidélités qui peuvent aller au crime , de celles qui demeurent de fimples offenfes.

Car , quoiqu'il foit vrai que tous les péchés ne font pas des péchés à la mort , comme dit Saint Jean , 6c que la morale chrétienne reconnoiile des fautes qui ne font que contriiler en nous TEfprit-Saint , )6C d'autres qui l'éteignent tout-à-fait dans rame : néanmoins, les régies qu'elle nous fournit pour les difcerner , ne fauroient être toujours ni sûres ni univerfelles , du mo- ment qu'on les applique : il s'y trouve d'or- dinaire par rapport à nous des circonftan- ces qui leur font changer de nature. Je ne parle pas ici des tranfgrefîions formelles & manifeiles des préceptes marqu.és dans la Loi , 5c qui ne lailfent aucun doute fur l'énormité de l'ofFenfe : je parle de mille tranfgrelTions douteufes & journalières de haine ; de jaloufie , de médifance , de fenfualité , de recherche de foi-méme , de vanité , de vivacité , de pareffe , de duplicité , de négligence dans la pratic^ue

Sur LA TieDéur. li

Ses devoirs , de d^fir de parvenir ou de plaire, il efl mal-aifé de définir jurqiies à quel point le précepte eft violé ; or je dis , que c'eil par la difpofition du cœur toute feule , qu'on peut décider de la me- fure Se de la malice de ces fortes de fautes ; que les régies y font toujours incertaines , & que fouvent ce qui n'eft que fragilité ou furprife dans le Julie , eft crime ÔC cor- ruption, non-feulement dans le pécheur, mais aufîi dans l'ame tiède ÔC infidèle. En voulez-vous des exemples tirés des Livres faints ?

Saiil , malgré les ordres du Seigneur, épargne le Roi d'Amalec , 6c tout ce qu il y a de plus précieux dans la dépouille de ce Prince infidèle, La faute ne paroît pas confidérable ; mais comme elle part d'un fonds d'orgueil , de relâchement dans les voies de Dieu , 6c de vaine complaifance en fa victoire , cette démarche commence fa réprobation , 5c l'Efprit de Dieu fe re- tire de lui. Jofué au contraire trop cré- dule , épargne les Gabaonites , que le Sei- gneur lui avoit ordonné d'exterminer , il ne va pas le confulterdevant l'Arche avant de faire alliance avec ces impofteurs. Mais comme cette infidélité eft plutôt une .précipitation & une furprife , qu'une défo- -béilTance , ÔC qu'elle part d'un cœur en- core fournis , religieux , fidèle , elle eft légère aux yeux de Dieu , ÔC le pardon fuit de près la faute. Or fi ce principe eft incouteftable , fur qugi vous fondez-vous,.

ïi Jeudi de la III. Semaine.

lorfque voiis regardez vos infidélités joill*- naliéres oC liabituolles comme légères ? Connoiirez-vQiis toute îa corruption clevo- tre cœur d'où elles partent ? Dieu la con- noît, qui en eille fcriuatev.r &. le juge ; & fes yeux font bien différens de ceux da rhomme. Mais s'il eft permis de juger avant le tems , dites-nous fi ce fonds d'indolence 6C d'infidélité qui eil en vous , deperféve- rance volontaire dans un état qui déplaît à Dieu , de mépris délibéré de tous les devoirs que vous ne croyez pas elTentiels, d'attentioiî à ne rien faire pour Dieu que lorfqu'il ouvre l'enfer fous vos pieds;dites- nous fi tout cela peut former à fes yeux un état fort digne d'un cœur chrétien , 5c àcs fautes qui partent d'un principe fi cor- rompu peuvent être légères ÔC dignes d'in- dulgence ?

Auln , mes Frères , Paul cet homme miraculeux , ÔC à qui les fecrets du Ciel avoient été révélés ; Paul qui ne vivoit plus lui-même , mais en qui Jefus-Chrift tout feul vivoit ; Paul qui fouhaitoit tous les jours la diilolution du corps terreftre pour être revêtu de l'immortalité ; cet Apôtre toujours prêt à donner fa vie pour Ton Maître , & d'être im.molé fur le facrifîce de fa foi ; ce vafe d'élection à qui la conf«^ cience ne reprochoit rien , ne favoit pour- tant s'il étoit digne d'amour ou de haine ; s'il portoit encore au fond de fon cœur le tréfor inviiible de la charité , ou s'il Tavoit cperdu i ôc dans ces triftes perplexités , le

Sur la Tiédeur; r î-

^molgnage de fa coiifcience ne pouvoit calmer fes frayeurs 5c fesincertitiides. Da- vid , ce Roi i\ pénitent , qui faifoit fes dé- lices de la méditation continuelle de la Loi du Seigneur , & que TEfprit-Saint appelle im Roi félon le cœur de Dieu ; David tremble cependant que la malice de fes fautes ne hiifoit pas allez connue ; que la corruption de fon cœur ne lui en cache toute rénormité : il le figure des abîmes inconnus dans fa confcience , qui lui font répandre un torrent de larmes devant la fainteté de fon Dieu , 5c demander qu'il l'aide à fe purifier de fes infidélités cachées en les lui îaifant connoître : Et ab occultis pj^^ ^^^ meis manda me. Et vous qui ne veillez pointas- fur votre cœur , vous qui dans des m.œurs tiédes &: fenfuelles , vous permettez tous les jours de propos délibéré , mille infidé- lités, fur la malice defquelles vous igno- rez le jugement que Dieu porte. Vous qui éprouvez tous les jours ces mouvemens douteux des paffions , malgré toute vo- tre indulgence pour vous-même, vous avez tant de peine à démêler fi le conj^entement if a pas fu ivi le plaifir , 6c û vous vous en êtes tenu à ce degré périlleux qui fépare le crime de la fimple offenfe : vous dont tou- tes les aérions font prefque douteu fes , qui êtes toujours à vous demander à vous- même fi vous n'avez pas été trop loin ; qui portez des embarras 5c des regrets fur la confcience, que vous n'éclairciilez jamais à fond : vous qui flottez éternçlleineut en-

t4 Jeudi de la III. Semaine; ^

tre le crime 6c les pures fautes , ÔC quîtotlt

au plus pouvez dire que vous n'êtes jamais

féparé que d'un petit degré de la mort ,

V. Reg, imo tantum gradu , ego morfquz divii'imur :

JW' vous malgré tant de juftes fujets de crain- te ; vous croiriez que l'état de votre conf- cience vous eft parfaitement connu ; que les décifions de votre amour propre fur vos infidélités , font les décifions de Dieu mê- me , 6c que le Seigneur que vous fervez avec tant de tiédeur 6c de négligence , ne vous livre pas à vos propres erreurs , Se ne punit pas vos égaremens en vous les faifant méconnoître ? vous croiriez confer- ver encore la juftice ôcla grâce fanâ:ifiante? 6c vous vous calmeriez fur vos infidélités vifibles 5c habituelles , par une prétendue habitude invifible de jufiice , dont vous ne voyez au- dehors aucune marque ?

O homme ! que vous connoiiTez peu les îllufions du cœur humain, 5C les jugemens terribles de Dieu fur les âmes qui vous rellemblent ! Vous dites : je fuis riche, ja fuis comblé de biens ; ( c'eft ce que le Sei- gneur reprochoit autrefois à une ame tiède èc infidèle ; ). ÔC vous ne voyez pas , ajoû- toit-il , ( car le caractère de la tiédeur , c'eft l'aveuglement 6c la préfomption : ) vous ne voyez pas que vous êtes pauvre, miférable, aveugle , & dénué de tout à mes yeux : Et nefcis quia tu es ml fer , & mife^

^PQ.'iAj. rahilis , & paiiper , & cœcus , & nudus^ C'efi: donc la oeflinée d'une ame tiède 5C infidèle de vivre dans rillufion, de fe croire

s UR LA Tiédeur.* î^

jiifte 6c agréable à Dieu , ^ d'être déchue devant lui , fans le favoir , de la grâce ôC de la juftice.

Et une réflexion que je vous prie do faire ici , c'efl que la confiance des ames dont je parle , eft d'autant plus mal fondée, qu'il n'efl perfonne qui foit moins en état rie juger de fon cœur , que l'ame tiède ÔC infidèle. Car le pécheur déclaré ne peut tfe difîimuler à lui-même fes crimes , &C il fenî bien qu'il efl mort aux yeux de Dieu; le JuHq , quoiqu'il ignore s'il efl digne d'a- mour ou de haine , porte du moins une confcience qui ne lui reproche rien : mais l'am.e tiède & infidèle efl toujours un myf- tère inexplicable à elle-même. Car la tié- deur affolblillant en nous les lumières de la foi, & fortifiant nos palfions , augmente nos ténèbres ; chaque infidélité efl comme un nouveau nuage répandu fur l'efprit 6C fur le cœur , qui obfcurcit à nos yeux les vérités du falut : ainfi votre cœur peu à peu s'enveloppe, votre confcience s'embarralfe , vos lumières s'affoibliilentivous n'êtes plu§ cet homme fpirituel qui juge de tout. In- fenliblement vous vous faites en fecret des maxim^es qui diminuent à vos yeux vos propres fautes ; Taveuglem.ent augtnente à proportion de la tiédeur. Plus vous vous relâchez , plus vous voyez d'un œil diffé- rent les devoirs 6c les régies : ce qui pa- roilToit autrefois elfentiel , ne parolt plus qu'un vain fcrupule: les omifiions furlef- £[uelles on aurait fenti dans le tems de la

id Jeudi de i^a III. Semaine.' ferveur , de vifs remords , on ne les re? garde plus même comme des fautes : les principes , les jugemens , les lumières ; tout ell changé.

Or , dans cette fituation , qui vous a dit que vous ne vous trompez pas dans le ju- gement que vous portez fur la nature de vos infidélités, ÔC de vos chiites journa- lières ? qui vous a dit , que ce qui vous pa- roît léger > l'eft en effet, 6>C que les bor- nes reculées que vous marquez au crime , 6c en deçà defquelles tout ce qui en ap- proche vous femble véniel , font en effet les bornes de la loi ? Hélas ! les guides les plus éclairés eux-mêmes , ne fauroient voir clair dans une confcience tiède ÔC in- fidèle : ce font-làdeces maux de langueur, pour ainfi dire , l'on ne connoît rien , les Maitres de Tart ne fauroient parler sûrement , ôc dont la caufe fecrette eft tou- jours un énigme. Vous-même, dans cet état de relâchement, vous fentez bien que vous portez fur le cœurje ne fais quel em- barras qui ne s'éclaircillent jamais allez à. votre gré : qu'il vous refle toujours au fond de la confcience je ne fais quoi d'inex- plicable^ de fecret, que vous ne mani- feflez jamais qu'à demi. Ce ne font point des faits ; c'eit l'état Sc le fond de votre ame que vous ne faites point connoîîre ; vous fentez bien que la confefîion exté- rieure de vos fautes , ne reflemble jamais bien à vos difpofitions les plus intimes, 6C ne peint pas votre intérieur tel qu'il ell en,

effei^

SuRLA Tiédeur. 17

effet ; 5c qu eiinii » il y a toujours dans votre cœur quelque chofc de plus coupa-: ble que les infidélités dont vous venez vous accufer.

Et en effet , qui peut vous affurer que dans ces recherches fecrettes & éternelles de vous-même ; dans cette molleffe de mœurs qui fait comme le fonds de votre vie j dans cette attention à vous ménager tout ce qui flàte les fens , à éloigner tout ce qui vous gêne , à facrifier toujours ce qui ne paroit pas effentieldans vos obliga- tions à la parelTe 5c à l'indolence ; Tamour de vous-même n'y eft pas monté jufqu'à ce point fatal , qui fuffit pour le faire do-% miner dans un cceur, 6>C en bannir la cha- rité ? Qui pourrait vous répondre, dans ces infidélités volontaires èc fréquentes , raffuré par leur prétendue légèreté > vous refiliez à la grâce qui vous en dé- tourne en fecrçt, vous étouffez la voix de la confcience qui vous les reproche , vous «igillez toujours contre vos propres lu- mières ; fi ce mépris intérieur de la voix de Dieu , Ci cet abus formel âc journalier des lumières 5c des grâces, n'cll pas un outrage fait à la Bonté divine , un mépris criminel de les dons , une malice dans i'é- garement, qui n y l^^iffe plus d^excufe.una préférence donnée de propos délibéré à vos pçnchans §C à vous-même fur Jefus- Chrift , qui ne peut partir que d'un cœur çû tout amour de Tordre &C de la juftic^ ^ft éteint l Qui pourroit vous dire, dans

Carême j Toiuq III, B

i8 Jeudi de la m. Semaiîce. ces penfées , votre efprit oifeiix a rap* pelle mille fois des objets ou des évé- nemens périlleux à la pudeur , votre len- teur à les combattre n'a pas été criminelle^, Se (i les efforts que vous avez fait enfuite, ji'ont pas été un artifice de l'amour pro- pre , qui a voulu après coup vous dégui- îer à vous-même votre crime , 5c vou* calmer fur la complaifance que vous leur aviez déjà accordée ? Qui oferoit décider enfin , fi dans ces antipathies 6c ces animo- iités fccrettes, fur lefquelles vous ne vous gênez jamais que foibîement, & toujours par bienféance plus que par piété , voua vous en êtes toujours tenu à ce pas glif- faut , au-delà duquel fe trouve la haine 2)C la mort de Tame ? fi dans cette fenfibi- iité outrée qui accompagne d'ordinaire vos affligions , vos infirmités , vos pertes,, vos difgraces , ce que vous appeliez (en^ timens inévitables à la nature , ne font pa* lui dérèglement de votre cœur , ÔC une révolte contre les ordres de la Providen* ce ? fi dans toutes ces attentions Sc ces emprefiemens dont on vous voit fi occupé pour ménager , ou les intérêts de votre fortune , ou les foins d'une vaine beauté , il n'y entre pas autant de vivacité qu'il ea faut pour former le crime de l'ambition ^ ©u autant de complaiiance en vous-même & de défir de plaire , pour fouiller votre cœur du crime de la volupté ? Grand Dieu l gui a bien dvictrné , comme difoit autre.- ^ià vQire ferviieur Job , ces homes fatar

Sur L A Tiédeur.' ^ ify îes , qui réparent dans un cœur la vie de la mort , 5C la lumière des ténèbres ? Ce font-là des abîmes fur lefqueis l'homme peu inftruit ne peut que trembler , 6c dont vous réfervez la manifeftation au jour ter- rible de vos vengeances : Seconde raifon tirée de l'incertitude des régies ; qui laif- fent l'état d'une ame tiède fort douteux , tK qui la mettent elle-même dans Timpuif^ fance de fe connoître.

Mais une dernière raiion qui me paroît encore plus dècinve', 6c plus terrible pour l'ame tiède ; c'efl qu'on ne voit plus rien en elle qui puifTe même faire préfumer qu'elle conferve encore la grâce fanftifiante , ÔC que tout conduit à penfer qu'elle l'a per- due ; c'eft-à-dire , que de tous les caractè- res d'une charité habituelle &C vivante > il n'en eft plus aucun qui paroifle en elle.

Car , mes Frères , le premier caraftère de la chanté , c'eft de nous remplir de cet efprit de l'adoption des enfans , qui nous fait aimer Dieu comme notre père, aimer fa Loi bi la juftice de fes conimandemens^ & craindre plus la perte de fon amour ^ ^ue tous les maux dont il nous menace.

Or cette attention toute feule qu'apporte une ame tiède , à examiner une ofFenfc eft vénielle ou elle va plus loin ; à diTpu» ter à Dieu tout ce qu'elle peut lui refufesf fans crime ; a n'étudier la Loi que pour connoître jufqu'à quel point il eil permis de la violer ; à prendre fans eelfe les inté* X€U la cupidité contre ceux de la era^

20 Jeudi DE la III. Semaines. ce , 5c jiillifier éternellement tout ce qitï flatte les pafîions , contre la févérité des régies qui Tinterdifent ; cette attention , dis- je, toute feule , ne peut partir que d'un fond vuide de foi 6c de charité , d'un fond TEfpritde Dieu , cet efprit d'amour 6c de dileclian ne paroit pas régner. Car il n'eft que les enfans prodigues qiù chica- nent ainfi avec le Père de famille , qui veuil- lent ufer de leurs droits à la rigueur , ÔC prendre tout ce qu'il leur appartient.

Et pour donner à cette réflexion tonte fon étendue: cette difpofîtion qui fait qu'on fe permet délibérément toutes les infidéli- tés qu'on ne croit pas dignes d'une peine éternelle , eft la difpofition d'un efclave ÔC (d'un mercenaire; c'eft-à-dire , que fi l'oa pouvoit fe promettre une pareille impuni- té , 5c une même indulgence du côté de Dieu , pour la tranfgrel?ion des points ef- fentiels de la Loi , on les violeroit avec la même facilité qu'on viole les moindres , c'efl-à-dire ,que fi une vengeance déclarée, une calomnie noire y un attachement cri- minel > ne dévoient avoir d'autres fuites pour l'avenir , qu'un léger felfentiment , qu'un difcours de malignité & de médi- fance , que des déiirs de plaire , 6c trop de foin &. d'attention fur foi- même , ou n'auroit p is plus d'horreur pour l'un que pour l'autre : c'eft-à-dire , que lorfqu'oa eft Bdéh a k Commandemens , ce n'efl: pas la juftice que l'on aime, c'ell la peine ^ue Toû cxiûiit j ce n eft pas à Tordre &. è

Sur L A T ÎE DEUR.'

loi q'-Toa s'ailnjettit , c'eit à fes châti- mens ; ce n'eft pas le Seigneur qu on fe propofe, c'eil: foi-même. Car tandis que la gloire toute feule y elî intéreffée , qu'il ne doit nous revenir aucun dommage de nos infidélités par leur légèreté , nous ne craignons pas de lui déplaire ; nous nous juftifions même en fecret ces fortes de tranf- greiTions , en nous difant que quoiqu'elles oifenfent le Seigneur , 5c lui foient défa- gréables , elles ne donnent pas cependant la mort à l'ame , ÔC ne damnent perfonne. Ce qui le regarde, ne nous touche pas ; fai gloire n'entre pour rien dans le diîcerne- ment que nous faifons des œuvres permi- fes ou défenduè's;c'eft notre intérêt tout feul qui régie là-deffus notre fidélité ; SCrien ne réveille notre tiédeur que les flammes éternelles. Nous fommes même ravis de l'impunité de ces fautes légères , de pou- voir flitisfaire nos irfclinations lans qu'il nous en arrive d'autre malheur que d'avoir déplu à Dieu : nous aimons cette malheu- reufe liberté , qui femble nous laiiTer le droit d'être impunis ÔC infidèles ; nous ea fommes les apologiftes ; nous la pouffons même plus loin qu'elle va en eff^t : nous voulons que tout foit véniel ; les jeux , les plaifirs , les parures , les fenfu alités , les vivacités , les animofités , les inutilités , les fpeûacles ; que dirai- je ? nous, voudrions que cette liberté fut univerfeile ; que riea de ce qui plaît , ne fut puni : que le S^i^ gneuraefût ni juftej tii veugeur dql luiqui^,

il Jeudi de la IÎI. SEM/\mE-,

, ÔC que nous puiiTians nous prêter 5 tous ï\oi penchans , 5c violer la fainteté de fa Loi , fans craindre la vérité de fa juftice. Pour peu qu'iuie nme tiède rentre en elle-même , elle fentira que c'efl-là le fond de (on cœur , 6C fa véritable difpofî- tion.

Or y je vous demand'e ^ eft-ce la fitua- tion d'une ame qui conferve encore la grâce 5cla charité ianélifiante; c'efl-à-dire,

d'une ame qui aime encore fon Dieu plus que le monde , plus que toutes les créa-

' tures, plus que tous les piaifirs , plus que toutes les fortunes , plus qu'elle-même ? d'une ajne qui r^e trouve de joïe qu'à le poiTéder , qui ne crain.t que de le perdre ^ qui ne connoit de malheur que celui de lui avoir déplu. La charité que vous croyez confcrver encore ^ cherche-t'eîle ainfi fes propres intérêts ? Ne compte-f elle pour rien de déplaire à ce qu'elle aime , pour- vu que fes infidélités foient impunies ? S'a- vife-t'elle de fupputer comme vous faites tous les jours , jufqu'a quel point on peut ruffenfer impunément , pour prendre là- à^î(i)s fes mefures y. t^ fe permettre toutes les tranigreffions aufquclles Fefpérancede l'impunité e(t iittachée r Ne voit-elle riea d'aimable dans fon Dieu , 6C de propre à lui gagner les ' œ'^rs , que ^es chatifnens ? Quand il ne feroit pas un Dieu terrible vengeur ;^ en feroit-elle moins touchée de fes mifir- cordes infinies , de fe? beautés cternclles , de ik Ytîrité ^ dfe la feiat-^îé-j^cfe &k fag-lTo. I

s a R L A T I E D E U R. Z$

Ah î vous ne l'aimez plus , amc tiède ÔC infidèle ! vous ne vivez plus pour lui ; vous n'aimez plus, vous ne vivez plus que pour vous-même. Ce refte de fidélité qui vous éloigne encore du crime , n'eft qu'un fonds de pareffe , de timidité, d'à- mour-propre. Vous voulez vivre en pai» avec vous-même; vous craignez les em- barras d'une paflion ÔC les remords d'un© confcience fouillée ; le crime eft pour vou» une fatigue , ÔC c'eft tout ce qui vous dé* plaît : vous aim.ez votre repos ; voilà toute votre Religion : l'indolence eft la. feule barrière qui vous arrête , ÔC toute votre vertu borne à vous-même. Et certes vous voudriez favoir fi cette iiifid-é- litè eft une OiTenfe vénielle , ou fi elle va' plus loin. Vous favez qu'elle déplaît à -Dieu ; car ce point n'eft pas douteux ; 5C cela ne fuffitpas paur vous l'interdire? àC vous vaudriez fçavoir encore Ci elle lui dé- plaît jufqu'à mériter une peine éternelle? ÔC tant votre foin eft de vo.us informer fi c'eft un crime digne de l'enfer ? Ah ! vousr voyez bien que cette recherche n'aboutit plus qu à vous-même ; que votre difpofitioii va à ne compter pour rien le péché, en tant qu'il eft OiTenfe de Dieu ,. 8c qu'il lui dé- plaît : motif effentiel cependant , qui doit vous le rendre haïlTable ; que vous ne fer- vez pas le Seigneur dans la vérité , 5c dant la charité que votre prétendue vertu u'eft plus qu'un nature', timide ,. qui n'ofe s'ex- f ofer- aii^ minaj^es. t'iiribieâ de. k loi ;.. c^ue

t4 Jeudi de la III. SexMaine^ vous n'êtes qifiui vil efclave à qui il faut montrer des verges pour le contenir ; que vous reîTemblez à ce ferviteur infidèle qui avoit caché Ton talent , parce qu'il favoit que fon maître étoitfévere, mais qui hors de , Teût dilTipé en folles dépenfes : 6C que dans la préparation du cœur à laquel- le feule Dieu regarde , vous haVfTez fa loi fainte ; vous aimez tout ce qu'elle défend. Vous n'êtes plus dans la charité; vous êtes un enfant de mort 5c de perdition.

Le fécond carat^ère de la charité , dit faint Bernard , c'eft d'être timorée , &: de groffir nos fautes à nos propres yeux : elle augmente , elle exagère tout, dit ce Père » Sed aggravât , fed exagérât univerja. Ce n eft pas que la charité nous trom.pe , £^ nous cache la vérité ; mais c'eft que déga- geant notre ame des fens , elle épure la vue de la foi , 6c la rend plus clairvoyante fur les chofes fpirituelles ; 6c que d'ailleurs tout ce qui déplaît à l'objet unique de no- tre amour , paroît férieux 5c confldérable à rame qui aime. Ainfi la charité ell: tou- jo.irs humble , timide , défiante ; fans ceiîb agitée par ces pieufes perplexités qui îa lailTent dans le doute fur fon état : toujours allarmée par ces délicateffes de la grâce , qui la font trem.bler fur chaque action qui lu: font de l'incertitude elles îa laillent, une eipèce de martyre d^amour qui la pu- rifie. Ce ne font pas ici ces fcrnpules vaiixs ÔC putriles que nous blâmons daiîs les âmes foibks j ce font ces pieufes frayeurs delà

gruc^

s U R L A TiEDEU R; 2^

grâce 8>C de la charité , inleparables de toute ame fidèle- Elle opère fon faliit avec crain- te ôc tremblement ; ÔC regarde qiielque- fbis comme des crimes , des aérions qui devant Dieu fouvent font des vertus , ÔC prefque toujours de pures foibleiles. Ce font-Jà ces faintes perplexités delà charité qui prennent leur fource dans les lumières mêmes de la foi ; cette voie a été la voie des Juftes de tous les crimes.

Et cependant c'eft cette prétendue cha- rité que vous croyez conferver encore au milieu d'une vie tiède, Se de toutes vos in- fidélités , qui vous les fait paroitre légè- res : c'eftla charité elle-même que vous fuppofez n'avoir point perdue , qui vous rauure , qui din-iinuè vos fautes à vos yeux, qui vous établit dans un état de paix & de fécurité;enun mot qui non-feulement ban- nit de votre cœur toutes ces allarmes pieu- fes , toujours infèparables delà piété, mais qui vous les fait regarder comme les foi- biclles ÔC les excès de la piété même. Or , dites- moi , je vous prie , fi ce n'eft pas une contradiftion ; fi la charité fe dément ainfi elle-même , ÔC fi vous pouvez beau- coup compter fur un amour qui reffemble fi fort à la haine ?

Enfin le dernier cara6i:ère delà charité, c eft d'être vive 6c agi liante. Lifez tout ce que l'Apôtre lui attribué d'adlivité ôC de fécondité dans un cœur chrétien : elle opè- re par-tout elle eft ; elle ne peut être 0H-J:ife , difeirt le? S^i-îp. Ui:!X y.:i '-î cl-

2:6 Jeudi de la III. Semaine.

îefte que rien ne peut empêcher d'agir 5C de le produire : il peut être à la vérité quelquefois couvert 5c comme rallenti par la multitude de nos foibleiles ; mais tandis •qu'il n'eft pas encore éteint, il en fort tou- jours , pour aind dire , quelques étincelles, des vœux , des foupirs , des gémiiTemens, des efforts , des œuvres. Les Sacremens la raniment,lesMyilèresfaintsraîtendriflent, les prières la réveillent , les leélures de piété, les inftru6^îons de falut , les fpeâ:a- clés de Religion , les faintes infpirations , les affligions mêmes , les difgraces , les in- firmités corporelles , tout la rallume lorf- qu'elle n'eft pas encore éteinte. Il eft écrit au fécond Livre des Maccabées , que le feu facré que les Juifs avoicnt caché du- rant la captivité , fe trouva au retour cou- vert d'une moulTe épaiffe , ÔC parut com- me éteint aux e'nfans des Prêtres , qui le retrouvèrent fous la conduite de Néhé- mias. Mais comme ce n'étoit que la fur- face feule qui étoit couverte , ÔC qu'au de- dans ce feu facré confervoit encore tout® fa vertu ; à peine feut on expofé aux rayons du foleil , qu'on le vit fe rallumer à 1 inftant , ÔC offrir aux yeux un éclat tout V M h ^^^^^^^^^ ^ ^"^ a£livité furprenante : ^r- i\^, 'ccnfiis ejl igais magnus ^ ita ut omnes ml-- rarentur.

Voilà Timage de la tiédeur d'une ame véritablement jufle , 8c ce qui devroit vous arriver fi la miultitude de vos infidélités , n'avoir fait que couvrir, SCrailentir, pour

SurlaTiedètjr. 27 ^infî-dire , en vous le feu facré de la cha- rité fans l'éteindre : voilà , dis-je, ce qui devroit vous arriver , lorfque vous appro- chez des Sacremens , 6c que vous venez entendre la parole fainte. Lorfque Jefus- Chriil , le foleii de juftice , lance fur vous quelques traits de fa grâce 6c de fa lu- mière , ôC vous infpire de faints défifs , on devroit alors voir votre cœur fe rallumer , votre ferveur ferenouveller : vous devriez alors parojtre tout de feu dans la pratique de vos obligations ^ 6c furprendre les té- moins les plus coniidens de votre vie , par le renouvellement de vos mœurs 6c de votre zèle : Acccnfus efl ignis magnus , ita ut omnes miraraitur^

Et cependant rien ne vous ranime. Les Sacremens que vous fréquentez , vous laif- fent toute votre tiédeur ; la parole de l'E- vangile que vous écoutez , tombe fur vo- tre cœur , comme fur une terre aride , ou elle meurt à Tinihut ; les fentimens du fa- im que la grâce opère au dedans de vous ^ n ont jamais de fuite pour le renouvelle- ment de vos m.œurs ; vous traînez par-tout la même indolence' 5c la même langueur ; vous fortez du pied des autels auiïi froid ,' aufTi infenfible que vous y étiez venu ; on ne voit point en vous de ces renouvelle- mens de zèle & de ferveur , fi familiers aux âmes juftes , ÔC dont elles trouvent les motifs dans leurs propres chute* .• ce que vous étiez hier , vous Têtes encore aujourd'hui , mêmes infidélités & mêmes

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aS Jeudi de la III. Semaii^î;

foibleflcs ; vous n'avancez pdsd'un feulde*-' gré dans la voie du falut. Tout le feu du ciel ne fauroit plus rallumer cette préten- due charité cachée au fond de votre cœur, & fur laquelle vous vous rafllirez. Ah ! mon cher Auditeur , que je crains qu'elle ne foit éteinte , 5c que vous ne foyez mort aux yeux de Dieu ! Je ne veux pas ici pré- venir les Jugemens fecrets du Seigneur fur les confciences; mais je vous dis que vo- tre état n'efi: point sûr ; je vous dis même que fi l'on en juge par les régies de la foi , vous êtes dans la difgrace & dans la haine de Dieu : je vous dis encore qu'une tié- deur fi longue , fi conftante , fi durable , ne peut fubiiiler avec un principe de vie . furnatureîle , qui de tems en tems du moins , lailTe paroître îiu-dehors des niou- vemens 6c des (îgnes , s'élève , s'anime , prend fon effort , comme pour fe dégager des liens qui l'appefiintiffent ; 6c qi l'une charité fi muette, il oifeufe, ôc fi conilam- ment infenfible , n'eft plus.

Mais fi le grand danger de cet état , c'efl qu'une ame tiède n'a pas même là-deilus de fcrupule ; elle fent bien qu'elle pourroit poulfer la ferveur 6c la fidélité plus loin : mais elle regarde ce zèle 6c cette exactitude " comme une perfeé^ion 6c une grâce réfer- véeà certaines âmes , 6c non comme un devoir : ainfi on fe fixe dans ce degré de tiédeur Ton efl tombé ; on n'a fait aucun progrès dans la vertu , depuis les premiè- res ardeurs, d'une converiion d'éclat. Il

s U R L A T I ED EU R. 1^

femble que lOL^tL- la tervcur emoulTée con- tre les p^îdions criminelles qu'on avoit eu d'abord à combattre , croit qu'il n'y a plus qu'à jouir en paix du fruit de fa viftoire : mille débris qui relient encore du premier naufrage , on ne penfe point à les réparer , mille foibblelTes, mille inclinations corrom- pues que nous ont lailfé nos premiers défor- drcs , on les aime , loin de les réprimer. Les Sacrem.ens ne ranim>ent plus la foi ; ils l'amufent : la converfion n'eft plus la fin qu'on fe propofe ; on la croit faite : les confelhons ne font plus que de rédites SC des peintures qui fe relfemblent : fe con- felfer n'ell plus fe propofer un changement; car que trouveroit-on à changer dans un train de vie oii tout paroît à fa place , 5c nulle faute groiliére de conduite ne frappe les fens ? c'efl s'acquitter fîmplement d'un devoir de piété , & venir amufer le Miniftre de Jefus-Chrift du récit de q 'e - ques fautes légères dont on ne fe repent point , tandis qu'on eft foi-même un crime que Ton ignore. Auiîi la vertu de notre Mi- niftère délivre encore quelquefoisde grands pécheurs ; 6c nous voyons encore tons les jours avec confolation des âmes touchées après une vie entière de dilToîution 5c de crime , venir fe jetter à nos pieds ; ÔC , le cœur brifé de douleur , le vifage baigné de larmes , nous furprendre par la gran- deur de leur foi , nous attendrir par l'a- bondance de leurs foupirs , 6c la vivacité de leurcompondioii,& fortir de nos pieda

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Jeudi de la ÎII. Semalve, juftiiîéei ; tandis que ces âmes tiédes ÔC in- fidèles dont je parle , fans celle réconci- liées 5c jamais pénitentes, portent toujours au tribunal les mêmes foiblelTes dont elles ne reçoivent jamais le pardon , parce qu'elles ne les déteftent jamais comme il faut , &. prouvent qu'il eil plus aifé depaf- fer du crime à la vertu , que de la tiédeur à la pénitence.

Hélas ! peut-être que le guide facré de votre confcience ,,à qui vous ne venez re- dire fans celle que de légères foibleiTcs, 5C qui ne iluiroit voir la corruption du cœur d'où elles partent, peut-être par un juge- ment terrible de Dieu fur vous , qu'il efi tranquille comme vous fur votre état : il croit feuleinent que vous dormez , que vous vous relâchez ; il fe contente d'animer- votre négligence , de réveiller votre tié- deur: il penfe de vous ce que les Difciples.

Jotfn.ii.pgnfoient autrefois de Lazare : Si dormit ,.

*** falvus crit ; qu'au fond ce fommeil , cette- indolence dans les voies de Dieu , cette tiédeur ne vous conduiront pas à la mort,. Mais Jefas-Chrifl: qui vous voit tel que- vous êtes , 5c qui ne juge pas comme rhom"- me ; Jefus-Chrifl déclare que vous êtes mort déjà depuis long-tems à fes yeux i:

j... Tune Jejus dixit eis manifejlè : La^arus ^ ^^^ymortuus eJLll le dit ouv Qrie ment y ma nifejlé, c'efl-à-dire , que la chofe n'étoit pas nou- velle ôC que Lazare , qu'il s croyoient feu- lement languilTant , étoit mort depuis trois jours : c'efl-à-dire , que loffqu'une. thutç-.

Sur la Tiède ur, 31 grofTiére 6c déclarée termine enfin la tié- deur d'une anie infidèle , la mort qu'elle portoit déjà depuis long-tems dans for^ cœur , ne fait que fe manifeller. Elle n'eft nouvelle que pour les hommes , qui ne Toyoient pa? ce qui fe palfoit au-dedans ; mais devant Dieu , elle étoit morte comme Lazare , depuis le jour prefque qu'elle fut languilFante : Tune Je fus dix it eis manifef- ; Laiarus mortuus ejh

On s'abufe fur ce que la confcienc?e ne reproche rien de criminel ; 6c on ne voit pas que c'eft cette tranquillité même , qui en fait tout le danger, 5c peut-être aufîl tout le crime. On fe croit en sûreté fur fon état, parce qu'il offre plus d'innocence ÔC de régularité que celui des am.es défcrdon- nées : 6c on ne veutpaS comprendre qu'un's vie toute naturelle ne fauroit être la vie de îa Grace^SC-de la Foi ; 5c qu'un état conf- tant de pareffe Si d'immortification , eft un état de péché 5c de mort dans la vie chré- tienne.

Ainfi , mon cher Auditeur , vous , que ce difcours- regarde , renouveliez - vous fans cefTe dans f'efprit de votre vocation : refTufcitez tous les jours , félon l'avis de TApôtre , par la prière , par la mortifica- tion des fens , par la vigilance fur vos paf- fîons, par une vie intérieure, par un retour continuel vers votre cœur, cette première grâce qui vous retira des égaremens du monde , & vous fit entrer dans les voies de Dieu. Comptez que la piété n'a de sûr

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32 Jeudi de la III. Semmni.

6C de conlolant que la lîdeiite ; qu'en vous relâchant vous augmentez vos peines > par- ce que vous multipliez vos liens ; qu'en re- tranchant de vos devoirs le zèle , la fer- veur , l'exadtitude , vous en retranchez toutes les douceurs ; qu en ôtant de votre état la fidélité , vous en ôtez la sûreté ; 5c qu'en vous bornant à éviter le crime , vous perdez tout le fruit de la vertu.

Et au fond, puifque vous avez déjà fa- crifîé refTenticl , pourquoi tiendriez-vous encore à des attachemens frivoles ? 5c faut- il qu'après avoir fait les démarches les plus pénibles 5c les plus héroïques pour votre lalut , vous périlliez pour n'en vouloir pas faire de plus légères ? Lorfque Naaman , peu touché de ce que le Prophète ne lui ordonnoit pour guérir de fa lèpre , que d'aller fe baig'ner dans les eaux du Jour- dain , fe retiroit plein de mépris pour l'homme de Dieu , comme (i fa guérifon n'eût pu être attachée à un remède fi facile, ceux de fli fuite le firent revenir defon er- reur , en lui difant : Mais , Seigneur , fi l'homme de Dieu vous eût ordonné des chofes difficiles , vou<î auriez lui obéir: vous avez abandonné votre patrie , vos dieux 5c vos enfans,pour venir confulter le Prophète , vous vous êtes expofé au péril d'un long voyage, vous en avez fou- tenu toutes les incommodités , pour recou- vrer la fanté que vous avez perdue ; 6c après tant de démarches pénibles, refufe- riez-vous de tenter un expédient auiTi aifé

s U R L A T I E D E U R; 3.J

que celui ^tie vous propoie Thomme de Dieu ? Ltji rem grandctn àïxijfa tïbi Pro- 4' ^^^ pheta ^ cenè faccre dcbucras, quatito ma- S' '3' gis quia nujic dixit tibi : Lavare j & mun- daberis*

Et voilù ce que je vous dis en finiflant ce difcours. Vous avez abandonné le monde , 5c les idoles que vous y adoriez autrefois ; vous êtes revenu de liloin dans la voie de Dieu ; vous avez eu tant de pafïïon à vain- cre , tant d'obftacles à furmonter , tant de chofesà facriiîer , tant de démarche diffi- ciles à faire ; vous avez foutenu les peines , les dégoûts , les difcours infenfés , infépa- rables d'une converfion d'éclat , il ne vous refle plus qu'un pas à faire; on ne vous de- mande plus qu'une vigilance exacte fur vous-même. Si le facrince des pallions cri- minelles n'étoit pas encore fait , 6c qu'on Texigeât de vous , vous ne balanceriez pas un moment ; vous le feriez quoiqu'il en dût coûter : Et /i rem grandem dixïjjatibl Vropheta , ccrtè facere debueras : Sc m.ani- tenant qu'on ne vous demande que de fim* pies purifications , pour ainfi dire ; qu'on ne vous demande prefque que les mêmes cho- fes que vous faites ; mais pratiquées avec plus de ferveur , plus de fidélité , plus de Foi, plus de vigilan-ce ; étes-vous excufable de vous en difpenfer ? quamb magis quia nunc dixit tibi : Lavare , & mundaberis* Pourquoi rendriez-vouspar le refus d'une chofe fi aifée , tous vos premiers efforts mutiles ? pourquoi auriez- vous renoncé au

54 Jeudi de la III. Sem Ami^ monde & aux plaifirs criminels, pourtrou- ver dans la piété le même écuèil que vous aviez cru éviter en fuyant le crime ? ÔCne feriez -vous pas à plaindre , fi après avoir facrifîé à Dieu k principal , vous alliez vous perdre pour vouloir lui difputer en- core mille lacrifîces moins pénibles au cœur ÔC à la nature ? Qucnto mugis quia mine dixit tibi : Lavare , Ô* mundaberis*

Achevez donc en nous, ô mon Dieu,- ce que votre grâce y a commencé : triom- phez de nos langueurs 5c de nos foibleiles » puifque vous avez déjà triomphé de nos crimes : donnez-nous un cœur fervent ôC fidèle , puifque vous nous avez déjà ôté un cœur criminel 6c corrompu : infpirez-nous cette bonne volonté qui fait les Juftes ,- puifque vous avez éteint en nous cette vo- lonté déréglée qui fait les grands pécheurs:: ne laiifez pas votre ouvrage imparfait ; ÔC puifque vous nous avez fait entrer dans la jainte carrière du falut, rendez-nous di- gnes de la couronne promife à ceux qiii auront légitimement combattu»

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SERMON

POUR LE JEUDI DE LA TROISIEME SEMAINE

DE CARÊME.

Sur la certitude (Tune chute dans la Tiédeur i

Surgens Jefus de Synagoga , întroivit in do mum Simonis j focrus autem Simonis^ tencbatuEr Biagnis febribus.

Je/us étant forti de la Synagogue entra, dans la maïfon de Slmon^ dont la belle-mers avait une groj/e fiéyre, Luc. 4. j8^

~zjf%^5 UiSQUE Simon jiigea la pré- ' 1 i - j fencc de Jefiis-Chrift. néceffai^ \ re , pour la guérifon de fa bel-

^^1 le-mere, il falloit fans doute mes Frères, que le mal fût pref-

fant, ôc menaçât d'une mort prochaine ; il ÊUloit que les reiiièdos oi-dinaires fuiTent

3^ Jeudi de la III. SemaiÎT^.

venus iniitiies , 5c qif il n'y eut qu'un mira- cle qui pût opérer fa guérilon , 5C la tirer des portes de la mort : cependant TEvan- gile ne l'a dit attaquée que d'une limple fièvre. Par-tout ailleurs on n'a recours à J. C. que pour reilufciter des morts, gué- rir des paralytiques , rendre la vue 6c Toùie à des fourds &. à des aveugles denaillance, en un mot , pour guérir des maux incura- bles à tout autre qu'au fouverain Maître de la mort 6c de la vie des hommes : ici on l'appelle pour rendre feulement la fanté à un fébricitant. D'où vient que la toutc- puiilance cil employée pour une infirmiîé fi légère ? c'eft que cette fièvre étant 1 i- mage naturelle de la tiédeur dans les voies de Dieu , TEfprit faint a voulu nous faire entendre par-là , que cette maladie fi légè- re en apparence , 6c dont on ne craint pas le danger ; cette tiédeur fi ordinaire dans la piété, eft une maladie qui in- manquablement tue l'ame , 5c qu'il faut un miracle pour qu'elle ne conduife pas à la mort.

Oiii , mes Frères , de toutes les maxi- 'mes de la Morale cnrétienne, il n'en efè point fur laquelle l'expérience permette moins de s'abufer , que fur celle qui nous afiiire que le mépris des moindres obliga- tions , conduit infenfiblement à la tranf- grefiion des plus effentielles ; 6c que la né- gligence dans les voies de Dieu , n'eft ja- mais loin de la chiite. Celui qui méprife les petites chofes , tombera peu à peu > dit

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rEfprit faint: celui qui les méprife , c'elt- à-dii^j , qui les viole de propos délibéré , qui en fait comme un plan 6c un état de conduite : car fi vous y manquiez feule- ^ ment quelquefois par fragilité , ou par fur- prife , c'efi: la deiîinée de tous les Juives , & ce difcours ne vous regarderoit plus : mais les méprifer dans les fens déjà expli- qué , 6c qui ne convient qu'aux âmes tié- des 6C infidèles , c'eH: une voie qui aboutit toujours à la perte de la juliicc. Première- ment , parce que les grâces fpéciales , né- celTaires pour perfévérer dans la vertu , n'y font plus données. Secondement, parce que les pafTions qui nous entraînent au vice, s'y fortifient. Troifiémement enfin , parce que tous les fecours extérieurs de la piété y deviennent inutiles.

Développons ces trois réflexions : elles renferment des inftniclions importantes fur tout le détail de la vie chrétienne : utiles , non-feulement aux âmes qui fontprofeffion d'une piété publique 6c déclarée , mais en- core à celles qui font confifter toute la vertu dans une bonne conduite , & dans wvvQ, certaine régularité que le monde lui- même exige. Implorons , 5Cc. Ave y Muria,

\JE s r une vérité du falut , dit Saint p^J^^^^ Auguftin , que l'innocence même de plus juiles , a befoin du fecours continuel delà grâce. L'homme livré au péché par le dé- règlement de la nature , ne trouve preiqiie plus en lui que Ôlqs principes d'erreur, ÔC

;^ JeDDÎ I^E la m. SEMAÎN^t. Ses fources de corruption: la juilice 5c I^ Térité ; nées d'abord avec nous , nous iont devenues comme étrangères : tous nos penchans révoltés contre la Loi de Dieu , nous entraînent comme malgré nous vers les objets illicites ; de forte nue pour ren- trer dans Tordre , &C Ibumettre notre c^ur à la Loi ; il faut que nous réfiftions fans <:eire aux impreilions des fens , que nous rompions nos inclinations les plus vives , & que nous nous roîdifTions fans relâche contre nous-mêmes. 11 n'eftplus de devoir qui ne nous coûte , plus de précepte mar- qué dans la Loi , qui ne combatte quel- qu'un de nos penchans; plus de démarche dans la voie de Dieu , à laquelle tout notre cœur ne fe refufe.

A ce poids de corruption , qui nous rend le devoir û difficile , 5c rinjuftice fi na- turelle ; ajoutez les pièges qui nous envi- ronnent, les exemples qui nous entraînent, les objets qui nous amolliffent , les occa- fiôns qui nous furprennent, les complai- fances qui nous afFoiblilTent , les afFii£tions qui nous découragent , les profpérités qui nous corrompent, les fituations qui nous aveuglent, les bienféances qui nous gênent, les contradiftions qui nous éprouvent , tout ce qui eft autour de nous , qui n'eft pour nous qu'une tentation continuelle.

Je ne parle pas même des miféres qui îfDus font propres , 6c des oppofirions par- ticulières que nos mœurs paflces 6c nos premières paillons ont laiiTé dans notre

s U R L A T lÎE D E U R.

tœuT à Tordre 5c à la j uftice : ce goût pour îe monde 6c pour (qs plaifirs ; ce dégoût pour la vertu ÔC pour fes maximes ; cet empire des ftns fortifié par une vie volup- tueufe ; cette parefTe invincible à qui tout coûte , ÔC à qui tout ce qui coûte devient prefque impofTible ; cette fierté qui ne fait 'ni plier ni fe rompre ; cette inconflance du cœur qui fe lafTe bien-tôt de lui-même , in- capable de fuite 5c d'uniformité , qui ne peut s'aiTujettir à la régie , parce que la ré- gie eft toujours la miême ; qui veut , 6C qui ne veut plus ; qui p aile en un clin d'ceil d'un abattement exceffif à une joye vaine -ÔC puérile T ^ ne met qu'un infiant entre la réfolution la plus fincère^ 5c Tinfidé- îité qui la viole.

Or, dans une fîtuation fimiférable^eh i -que peut l'homme le plus, jufie , ô mon Dieu ! iivTé à fa propre foiblelle , à tous les pièges qui l'environnent, portant dans fon cœur la fource de tous les égaremens , dC dans fon efprit le principe de toute illufion? La grâce de Jefus Chrill: toute feule peut <lonc le délivrer de tant de miferes , l'é- clairer au miliejj de tant de ténèbres , le foutenir contre tant de difficultés , le rete- nir fur des penchans fi rapides , l'affermir contre tant d'attaques : fi on lelailTeun mo- ment à lui-même , il tombe, ou il s'égare; il une main toute- puiffante celle un inftant de le retenir , le courant l'emporte : notre confifiance dans la vertu efl donc un mira» cle continuel de la grâce ; tgutes uos dé-

^o Jeudi de la III. Semaine

marches dans la voie de Ditii , font cîonc de nouveaux mouvemens de rEfprit-faint ; c'eft-à-dire , de ce Guide invifîble qui nous pouffe &C qui nous mené : toutes nos ac- tions de piété font donc des dons delà mi- féricorde divine , puifque tout bon ufage de notre liberté vient de lui , Sc qu'il cou- ronne fes dons enrccompenfant nos méri- tes : tous les momens de notre vie chré- tienne, font donc comme une nouvelle créa- tion dans la foi ÔC dans la piété ; c'eit-'a-dire ( cette création fpirituelle ne fuppofe pas dans le Jufte un néant , mais un principe de grâce ÔC une liberté qui coopère avec elle ) c'eft-à-dire donc , que comme dans l'ordre de la nature , nous retomberions dans le néant , fi le Créateur celToit un inf- tant de conferver Têtre qu'il nous a donné; dans la vie de la grâce; nous retomberions dans le péché 5c dans la mort, fi le Répa- rateur ceiToit un feul moment de nous con- tinuer par de nouveaux fecoursledon delà juftice ÔC de la fiiinteté dont il a embeli no- tre ame : telle ell la foiblelfe de l'homme , 6c fa dépendance continuelle de la grâce de Jeius-Chrill. La fidélité de l'ame jufte eft donc les fruits des fecours continuels de la grâce ; mais elle en efl aufli le principe : c'eft la grâce toute feule qui peut opérer la fidélité du Julie ; ÔC c'eft la fidélité du Jufte toute feule qui mérite la confcrvation 6c l'accroilTementde la grâce dans fon cœur. Car , mes Frères , comme les voies de Dieu fur nous font pleiiics d'éqir'té & de-

SurlaTiedeur. 4l

fagefle , il faut qu^il y ait un ordre dans la diitribution de les grâces &C de fes dons: il faut que le Seigneur fe communique plus abondamment à Tame qui lui prépare plus fidèlement les voies dans fon cœur ; qu'il donne des marques plus continuelles de fa protection 6c de les miféricordes au Jufte , qui lui en donne de continuelles do: fon amour ôc de fa fidélité , ÔC que le Ser- viteur, qui fait valoir fon talent , foit ré- Gdmpenfé à proportion de Tufage qu'il erï a faire : il ell ji'.fte au contraire qu'une ame tiède ÔC infidèle , qui fert fon Diea avec négligence ÔC avec dégoût , le trou- ve dégoûte 6c refroidi envers elle ; 5c comme elle n'offre* plus rien à fes yeux que de propre à- le rebuter , il n'eft pas» furprenant qu'il la rej,ette de fa bouche^ félon Texpreffion de l'Efprit-faint , avec I2 même cîegoi'.t 6c le miên:e foiîlevement: qu'on rejette une boiilon tiède 6C deg-QÛ- taprte. La peine inf^parable de la tiédeur eil donc 1j privation desgraces de protec» tion. Si vous vous refroidiiTez , Dieu fe; refroidit à fon tour : fi vous vous bornes à fon égard à ces devoirs effentiels que vous ne pouvez lui refufer fans crime , il fe borne à votre égard à des fecours gé^ néraux avec lefquels vous n'irez pas loin : il fe retire de vous à proportion que^voiiy vous retirez de lui ; 5c votre fidélité à le fervir efl la mefure de celle qu'il apporte lui-même à vous protéger.

Rien de plus jufte que cette conduite : Carême j Tome ilL D

Jeudi de la III. Semaine. car vous entrez en jugement avec votre Dieu. Vous négligez toutes les occafions vous pourriez lui donner des marques de votre jfîdélité ; il laiiTe paiTer toutes cel- les où il pourroit vous en don ner de-fa bien- veillance : vous lui difputez tout ce que vous ne croyez pas lui devoir : vous êtes en garde pour ne rien faire pour lui de fur- croît : vous lui dites, ce femble , com- me il difoit lui-même à ce ferviteur in- jufte: Prenez ce qui vous appartient, 6C MctL ^'^^ demandez pas davantage: n'étcs-vous 13. ^. P3S convenu du prix avec moi : Toile çuod tuum ejl : nonne ex denario convcnijîi me" cum ? Vous comptez avec votre Dieu , pour ainfi dire : toute votre attention eft de prefcrire des bornes au droit qu'il a fur votre cœur ; 5c toute fon attention auiTi eft d'en mettre à ion tour à fes mifé- ricordes fur votre ame , 6c de vous re- fufer, s'il eil permis de parler ainfi, tout ce- qu'il peut fe difpcnfer de vous accorder : il paye votre inditîerence de la fienne. L'a- mour eft le prix de l'amour tout feul ; 6c Ç\ vous ne fentez pas allez toute la terreur ÔC retendue, de cette vérité ,.fouffrez que je vous en développe les conféquences.

La première , c'cfl; que cet état de tié- deur ÔC d'infidélité , éloignant de l'a me îîéde les grâces de proteâion, ne lui laif- fant plus que les fecours généraux, la lailTe^,, pour ainfi dire , vuide de Dieu , ÔC com-- me entre les mains de fa propre foibleile : elle peut encore fans doute avec ces facours.

Sur la Tiédeur. 45

communs qui lui reftent, conferverla fidé- lité qu'elle doit à Dieu : elle en a toujours alTez pour pouvoir fe foutenir dans le bien : mais {3 tiédeur ne lui permet pas d'en faire ufage : c'eft-à-dire , elle eft encore aidée de ces fecours avec lefquels on peutperfé- vérer : mais elle ne l'eft plus de ceux avec lefquels on perfévére infailliblement: ainlL il n'eft plus de péril qui ne falTe fur cette ame quelque impre/Tion dangereufe , b^ qui ne l'approche d'une chute. Je veux qu'un naturel heureux , qu'un refle de pu- deur 6c de crainte de Dieu , qu'une c5nf- eience encare effrayée du crime , qu'une réputation de vertu à conferver , la défende- quelque tems contre elle-même ; néan-- moins comme ces relfources, prifcsîa plu- part dans la nature, ne fauroient aller loin; que les objets des fens au milieu defquels elle vit , font tous les jours de nou\elles plaies à fon cœur , 5c que la grâce moins- abondante ne répare plus ces pertes jour- nalières : ah ! les forces de jour en jour s'affoibiilTent , la foi fe relâche , les vérités s'obfcurciilent; plus elle avance , plus elle empire : onfent bien foi-même qu'on ne fort plus du monde ÔC des périls auiîi inno- cents qu'on en fortoitautrefois;qu'on pouf- fe plus loin la foiblelfe ÔC la complaifance ; qu'on paiTe certaines bornes qu'on avoit jufques-là refpeêlées ; que les difcours li- bres nous trouvent plus indulgens , les mié- difances plus favorables , les occafions plus^- feciles , les plaifîrs moins retenus , le mon-

Di

'44 Jeudi de la llî. Semaine

de plus emprcirés ; qu'on en rapporte iiit cœur à demi gagné , 5c qui ne tient plus qu'à de foiblesbienféances ; qu'on fentfes pertes , b^ qu'on ne fent plus rien qui les répare; en^n que Dieu s'ertprefque retiré, èC qu'il n'y a plus entre nous & le crime , d'autre barrière que notre foiblelTe. Voilà vous en êtes : jugez vous en ferez en peu de tems.

Je fais que cet état de relâchement 5c d'infidélité vous trouble 5c vous inquiète: que vous dites tous les jours que rien n'eft plus heureux que de ne tenir plris à rien,8C que vous enviez la dcftinée de ces âmes qui fe donnent à Dieu fans réferve , & qui ne g.irdent plus de mefures avec le monde. Mais vous vous trompez : ce n'eft pas la foi & la ferveur de ces âmes fidèles que vous enviez : vous n'enviez dans leur deftinée que la joye 5c le repos dont elles joùiiTent dans le fervice de Dieu , 5c dont vous ne fauriez joiiir vou.s-même : vous n'enviez quel'infenfibiritéôc Ttieureufe indifférence elles font parvenues pour le monde , ^ pour tont ce qiie le monde eftime , dont Famour fait tous vos troubles , vos re- inords , vos peines fccrettes .• mais vous n'enviez pas les facrifices qu'il leur a fallu faire pour en venir : vous n'enviez pas les violences qu'elles ont eu à dévorer pour s'établir dans cet état heureux d0 paix 6c de tri'uquiliité : vous n'env'ez pas^ ce qu'il leur en a coûté , pour mériter Ife 4on dïuiQ foi vive &L fervente : vous ea^

SurlaTiedeurI 4.^

viez le bonheur de leur état ; mais vous ne voudriez pas qu'il vous en coûtât riiluCon & la mollelle du vôtre.

AuiTi la féconde conféquence que je tire des grâces de proteftion refufées à Tame tiède , c'eft que le joug de Jefus-Chrift devient pour elle un joug dur, accablant , înfupportable. Car , mes Frères , par le dérèglement de notre nature ,. ayant perdu le goût de la juflice 5c de la vérité, qui fcûloit les plus chères délices de Thomm.e innocent , nous n'^avonsplus de vivacité 6C de fentiment , que pour les objets des fens ÔC des pafîions. Les devoirs de la Loi qui nous rappellent fans cefTe des fens àrefprit, 6»C qui nous font facrifîer les impreffions préfentes des plaifirs , à refpérance des promelTes futures ; ces devoirs , dis-je , lalTent bientôt notre foibleiTe , parce que ce font des eiForts continuels que nous fai- fons contre nous-mêmes : il faut donc que l'onâion de la grâce adoucilTe ce joi;g ;, qu'elle répande de fecrettes confolations fur fon amertume , & qu'elle change la triflelTe des devoirs en une joye fainte 5C fenfible.

Or , Tame tiède , privée de cette onc- tion , n'a plus pour elle que la pefanteur du joug , fans les confolations qui radoucif- fent ; le calice de Jefus-Chriil ne lui fait plus fentir que fon amertume.Ainfi tous les devoirs de la piété vous deviennent infipi- des ; les pratiques du falut , enniiyeufes :- votre confcience inquiète 6c embari-alTèe

4^ Jeudi de la III. Semaine. par vos relâchemens 2>C vos infidélités, dont vous ne pouvez vous juftifier l'innocence, ne vous laille plus goûter de paix 6c de joye dans le fer vice de Dieu : vous fentez tout le poids des devoirs aufquels un refte de foi & d'amour du repos vous empêche d'être infidèle ; ÔC vous ne fentez pas le- témoignage fecret de la confcience , qui Tadoiicit ÔC qui foutient Tame fervente : vous évitez certaines fociétés de plaifir, l'innocence fait toujours naufrage ; &. vous ne trouvez dans la retraite qui vous en éloi- gne qu'un ennui mortel , 6c un goût encore plus vif 5c plus piquant des mêmes plaifirs que vous vous etîbrcez de vous interdire : vous priez ; ôc la prière n'eft plus pour vous qu'un égarement ou une fatigue : vous vous employez à des œuvres de miféricorde ; 6c à moins que l'orgueil ou le tempéram.ent ne vous y foutienne , tout ce qui s'y trouve de mortifiant vous devient infupportabîe ;- vous fréquentez des perfonnes de vertu ; ÔC leur faciéré vous paroît d'un ennui à vous dégoûter de la vertu même : la pliis légère violence que vous vous faites pour le Ciel, vous coûte de fi grands efforts , qu'il faut que les plaifirs ÔC les amufem.ens du monde viennent vous délalTer d'abord de cette fa- tigue pafi^agére : la plus petite mortification aJbbat votre corps ,..i^^^^ l'inquiétude ôcle chagrin dans votre humeur , 6c ne vou^- conloîeque parla prompte réfolution d'en inteirompreàl'infiant la pratique: vous vi- vez malbeureux &. fans fioufolation, parce

Sur LA Tiédeur. 47

que vous vous privez d'un certain monde que vous aimez , ÔC que vous fubftituez à Ùl place des devoirs que vous n aimez pas: toute votre vie n*eft plus qu'un trifte ennui^ &. un dégoût perpétuel de vous même : vous relTemblez aux Ifraèlites dans le dé- fert; dégoûtés., d'un côté , de la manne dont le Seigneur les obligeoit de fe nour- rir ; ô( de l'autre , n'ofant plus revenir aux viandes de l'Egypte qu'ils aimoient encore,. 6c que la crainte d'être frappés de Dieu ^ les portoit à s'interdire.

Or, cet état de violence ne fauroit du- rer , on fe laile bientôt d'un refte de vertu qui ne calme point le cœur , qui ne fou* lage pas la raifon , qui ne contente pas même l'amour propre ; on a bientôt fe- coûé un refte de joug qui accable , 5c qu'on ne porte plus que par bienféiance , 5c non par amour. Il eft il trifte de n'être rien j. pour ainfi dire ; ni julle, ni mondain ; ni au monde , ni à Jefus-Chrift ; ni dans les plaifirs des fens , ni dans ceux de la grâce ; qu'il eft impo-Hlble que cette fîtuation en- nuyeufe d'indifférence Ôc de neutralité foit*- durable. Il faut au cœur , ÔC à des cœurs- furtout d'un certain caractère , un objet: déclaré qui les occupe ÔC qui les intérefle;. ce n'eft pas Dieu , ce fera bientôt le mon- de : un cœur vif , emporté , extrême , tel q le l'ont la plupart des hommes ^. ne fau- roit être (îxé q.ie par des fentimens ; ÔC être conftamment dégoûté de la vertu , c'eft. oifrir déjà un cœur fenfible aux attraits du: vke.

4^ Ieuui de la m. Semaikf.

Je fais , premièrement , qu'il eit des âmes parelleiifes 6c indolentes qui paroiilent fe maintenir dans cet état d'équilibre ÔC d'in- fenfibilité ; qui n'offrent rien de vif ni au monde ni à la vertu ; qui femblent égale- ment éloignées par leur caraélère, &C des ardeurs d'une piété fidèle , 6c des excès d'un égarement profane ; qui confcrvent au milieu des plaifirs du inonde , un fond de retenue 5c de régularité qui annonce en- core la vertu , ^-C au milieu des devoirs de la religion ,un fond de molleire&. de relâ- chement qui refpire encore l'air ÔClcs ma- ximes du monde : ce font des coeurs tran* quilles &. pareffeux , qui ne font \ ifs fur rien, à qui l'indolence tient prefque lieu de vertu ; SC qui pour n'être pas à ce point de. piété qui fait les amcs fidcles, n'en viennent pas pour cela à ce degré d'abcindonnement,. qui fait les amcs égarées &C criminelles.

Je le fais , mes Frères : mais je fais auiîî que cette pareffe de cœur ne nous défend que des crimes qui coûtent, ne nouséloi- gjie que de certains plailirs qu'il faudroit acheter au prix de notre tranquillité , b(. que l'amour du repos tout fejl peut Jious. interdire. Elle ne nous lailTe vertueux qu'aux yeux des hommes ,. lefquels con- fondent l'indolence qui craint l'embarras ^ avec la piété qui fuit le vice : mais elle ne nous défend pas contre nous-mêmes, con- tre mille défirs illégitimics , mille complai- fances criminelles , mille paffions plus fa- crgites 5c moins pénibles, parce qu'elles

s UR LA TiEDE UR. 49

fe renferment dans le cœur; Hes jaloiilies qui nous dévorent; des animo/ités qui nous aigrilTent ; une ambition qui nous domine; un orgueil qui nous corrompt ; un délir de plaire qui nous polFéde ; un amour excefiif de nous-mêmes qiii eft le principe de toute notre conduite , ÔC qui infecte toutes nos adlions ; c'efl-à-dire , que cette indolence nous livre à toutes nos foiblelles fecrettes , en même-tems qu'elle nous fert de frein contre dQS pailions plus éclatantes Sc plus tumultueules , 5c que ce qui ne paroi t qu'indolence aux yeux des hommes , eft toujours une corruption 6c une ignominie fecrette devant Dieu.

Je fais , en fécond lieu , que le goût de la piété , 6c cette onclion qui adoucix la pratique des devoirs cil un don fouvcnt re- lufé aux âmes mêmes les plus faintes 6cles plus fidèles. Mais il y a trois différences elTcVitielles entre l'am.e fidèle à qui le Sei- gneur refufe les confolations l'en (îbles de la piété , ^ Famé tiède 5c mondaine que la péfanteur du joug accable , 5c qui ne fau- roit goûter les chofes de Dieu.

La première , c'eft que l'ame fidèle mal- gré fa répugnance 6c îes dégoûts , confer- vaut toujours unefoi ferme Scfolide, trou- ve (on état 5c Texemtion du crime , elle vit depuis que Dieu l'a touchée, mille fois plus heureux encore que celui elle vivoit , lorfqu'elle étoit livrée aux ègare- mens des paffions ; & pénétrée de l'horreur de fes excès palIès , elle ne voudroit pas

Carême j Tome llh E

^o Jeudi de la III. Semaine. pour tous les plailirs de Ja terre , changer la deftinée 8c le rengager dans fes premiers vices : au lieu que Tame tiède 5c infidèle , dégoûtée de la vertu , regarde avec envie les plaifirs 6c la vaine félicité du monde ; 6c comme fes dégoûts ne font que la fuite ÔC la peine de la fciblelTe 5c de la tiédeur de fa foi , le crime comm.ence à lui paroî- tre la feule relTource des ennuis 6c de la triflcile de la piété.

La féconde différence , c'efl que Tame fidèle au milieu de fes dégoûts 5c de fes . aridités , porte du moins une confcience ' qui ne lui reproche point de crime ; elle eft du moins fouteimë par le témoignage de fon propre cœur , 6c par une certaine paix de Tinnocencc qui , quoiqu'elle ne foit pas vive 5v fenfible , ne laifîe pas d'établir au dedans de nous un calme que nous : n'avions jamais éprouvé dans les voies de l'égarement : au lieu que l'ame tiède ÔC in- fidèle, fe permettant contre le tém.oignage de foti propre cœur , mille tranfgrcflions journalières dont elle ignore la malice , •porte toujours une confcience inquiète 5C ' douteufe ; 6C n'étant plus foutenuè , ni par i le goût des devoirs , ni par la paix 6c le i témoignage de la confcience , cet état d'agitation & d'ennui finit bientôt par la i paix funefte du crime.

Enfin la dernière différence , c'eft que les dégoûts de l'ame fidèle n'étant que des épreuves dent Dieu fe fert pour la purifier, il fupplèe aux confolations fenfibles de la i

J!

Sur LA Tiédeur. ^j

vertu , qu'il lui refufe , par mille endroits qui les remplacent , par une protection plus puiffante , par une attention miiericor- nieule à éloigner tous les périls qui pour- roient la féduire , par des fecours plus abondans de la grâce : car il ne veut pas la perdre 5c la décourager ; il ne veut que réprouver 5c lui faire expier par les amer- tiunes ÔC les aridités de la vertu , les plai- ffrs injultes du crime. Mais les dégoûts de Tame infidèle ne lont pas des épreuves ; ce font des pimitions : ce n'eft pas un Dieu miféricordieuxquifurpendlesconiolations delà grâce , fans fuCpendre la grâce elle- même ; c'eft un Dieu févére qui fe venge 5c qui fe retire : ce n'eft pas un père ten- dre , qui fupplée par la folidité de fa ten- drede , ÔC par des fecours effedlifs , aux rigueurs apparentes dont il eft obligé d'u- 'fer , c'eft un Juge févére qui ne commence à priver le criminel de iniile adouciffe- mens , que parce qu'il lui prépare un ar- rêt de mort. Les aridités de la vertu trou- veirt mille reflburces dans la vertu mê- me ; celles de la tiédeur n'en fauroient trouver ailleurs que dans les douceurs trompeufes du vice.

Voilà ,, mes Frères , la deflinée inévita- ble de la tiédeur , le malheur de la chute. Venez nous dire après cela , que vous vou- - lez vous faire une forte de vertu qui dure ; que ces grands zèles ne fe foutiennent pas ; qu'il vaut mieux ne pas le prendre fi haut , & aller^jufqu-au bout jièC qu'on ne va pas

E L

5^ Jeudi de la III. Semaine.

loin , quand on fe met hors d'aleine dès

Iqs premiers pas.

Je fais que tout excès , même dans la piété, ne vient pas de l'Efprit de Dieu , qui eft un efprit de difcretion 6c de fagelle ; que le zèle qui renverfe Tordre de notre état & de nos devoirs , n'efi: pas la piété qui vient d'en haut , mais une illufion qui liait de nous-mêmes ; que Findifcrétion efl une fource de faulles vertus ; ÔC qu'on don^ ne fouvent à la vanité , ce qu'on croit don- ner à la vérité. Mais je vous dis de la part de Dieu , que pour perfévérer dans fes voies il faut fe donner à lui fans réferve : je vous fîis que pour fe foutenir dans la fidélité aux devoirs elfentiels, il faut fans celle afîbiblir lespalfionsqui nous en éloignent fans cefTe; ^ que les ménager , fous prétexte de n'al- ler pas trop loin , .c'eft fe creufer à foi- mê- me fon précipice. Je vous dis qu'il n'y a que les âmes fidèles ÔC ferventes , qui non contentes d'éviter le crime, évitent tout qui peut y conduire ; qu'il n'y a , dis-je , que ces âmes qui perfévérent , qui fefou- tîennent, qui honorent la piété par une conduite foutenuè , égale, uniforme; 5C au contraire qu'il n'y a qite les amcs tiédes èc molles , les am.es qui ont commencé leur pénitence par mettre des bornes à la piété , &L à l'accommoder avec les plaifirs & les maximes du monde ; qu'il n'y a que ces âmes qui reculent , qui fe démentent, qui reviennent à^eur vomiffement , 6c qui deshonorent la piété par des inconftances

s U R L A T I E D E U R. 53

Se des inégalités d'éclat , 6c par une vie mêlée , tantôt de retraite 5c de vertu , tan- tôt de monde b^ de foibleiTe. Et j'en ap- pelle ici à vous- mêmes , mes Frères : quand vous voyez dans le monde une ame fe re- lâcher de fa première fen-eur , fe rappro- cher un peu plus des fociétés ÔC desplaifirs qu'elle s'étoit d'abord fi févérement inter- dits , rabattre infenfiblement de fa retraite, de fa modeilie , de fa circonfpeclion , de fes prières , de l'exa^litude à fes devoirs; ne dites-vous pas vous-mêm.es qu'elle n'eft pas loin de redevenir tout ce qu'elle étoit autrefois ? Ne regardez- vous pas tous c. s relâchemens , comme les préludes de la chiite ? 5c ne comptez-vous pas que la ver- tu efl prefque éteinte , dès que vous la voyez affoiblie ? En faut-il tant même pour réveiller vos cenfiires 5c vospréfages finiftres 6c malins contre la piété ? Injulles que vous êtes , vous condamnez une vertu tiède ÔC infidèle , 6c vous nous condam i?7 nous-mêmes, quand nous exigeons uvc vertu Bdéh 6c fervente : vous prétendez qu'il ne faut pas le prendre fi haut pour fe foutenir , ÔC vous pronhétifez qu'on va tomber , dès qu'on s'y prend avec plus de tiédeur ÔC de négligence !

C'eil donc dans le relâchement tout Ceu\ qu'il faut craindre les retours ôc les chûtes : ce n'eil donc pas en fe donnant à Dieu fans rèferve , qu*on fe dégoûte de lui, ôc qu'il nous abandonne ; c'eil en le fervantavec lâcheté : le moyen de fortir glorieux du

11.

Partie

54 Jeudi dj: la III. Semaine combat > n'eft donc pas de inénager Ten- iiemi ; c'efl de le vaincre : le fecret pour n'être pas furpris , neil donc pas de s'en- dormir dans la parelTe ÔC dans l'indolence; c'eft d'être attentif far toutes fes voies : il ne faut donc pas craindre d'en trop faire, de peur de ne pouvoir fe Soutenir; au con- traire , pour mériter la grâce de fe fou- tenir, il faut d'abord ne laiiTer rien à faire. Quelle illufion , m^es Frères ! on craint le zèle comme dangereux à la perfévérance , èc c'eil le zèle feul qui l'obtient ; on fe retranche dans une vie tiède ^ commode, comme la {^uIq qui peut durer , ^ c'eft la feule qui fe dément ; on évite la fidélité comme Técueil de la piété y & la piété fans fidélité n'elt jamais loin du naufrage.

C'eft ainfi que la tiédeur éloigne de famé infidèle les grâces de proteèlion ; 5c que ces grâces éloignées ôtantà notre foi toute fa force , au joug de Jefus-Chrift toutes fes confolations , nous laiiTent dans un état de défaillance 6c de dépériiTement , il ne faut à l'innocence pour fuccomber que le malheur d'être attaquée. Mais fi la per- te de la jnih'ce eft inévitable dans la tié- deur , du côté des grâces qui s'éloignent ; qUs l'eft encore du côté des paiTions qui fe fortifient.

V^E qui rend la vigilance fi néceffaire à la piété chrétienne , ceû. que toutes les paffions qui s'oppofent en nous à la loi de DiQd y ne mcareut, pour ainfl dire , qu'a-

Sur LA Tiédeur. _ 55

vec nous. Nouspouvons bien les niToibîir par le feconrs de ia grâce 6C d'une foi vive te fervente, maisles penchans ^v les raci- nes en demeurent toujours dans le cœur ; nous portons toujours au dedans de nous les principes des mêmes égaremens , que nos larmes ont eftacés. Le crime peut être mortdans nos cœurs ; n^ais le péché , com- mue parle TApôtre , c'efl-à-dire , les incli- nations corrompues qui ont formé tous nos crimes , y habitent oC y vivent encore ; 5C ce fond de corruption qui nous avoit éloi- gné de Dieu, nous eil encore laiiTé dans notre pénitence , pour fervir d'exercice continuel à la vertu ; pour nous rendre plus dignes de la couronne par les ocça- fions éternelles de combat qu'il nous fiif- cite ; pour humilier notre orgueil ; pour nous faire fouvenir que le tems de la vie préfente efl un tems de guerre 6c de péril ; ÔC que par une deiliriée inévitable à la con- dition de notre nature , il n'y a pref^fie jamais qu'un pas à faire entre le relâche- ment cC le crimie.

Il efl vrai que la graçe de Jefus-Chri/l, nous tft donnée pour reprimer cespenchans corrompus qui furvivfnt à notre conver- fîon : mais comme nous venons de le dire , dans la tiédeur , la grâce ne nous offrant piefque plus que des fecours généraux, 6c toutes les grâces de protection dont nous nous fommes rendus indignes , étant ou plus rares ou lufpenduès , il eft clair que de cela même , les pallions doivent

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$6 Jeudi de la ÎII. Semaine. prendre de nouvelles forces. Mais je dis que non-feuJcinent les paillons fe fortifient dans la vie tiède ^ infidèle , parce que les grâces de proteélion qui les affoiblif- fent y font plus rares , mais encore par rétat tout feul du relâchement 5c de la tié- deur elle-même ; car la vie tiède & infi- dèle n'étant qu'une indulgence continuelle pour toutes nos paillons ; une molle faci- lité a leur accorder ians celle jufqu'à un certain point tout ce qui les flâte ; une at- tention mêmie d'amour propre à éloigner tout ce qui pourroit , ou les réprimer , ou les contraindre ; un ufage perpétuel de tout ce qui efl le plus capable de les en- flammer : il eli clair qu'acnés doivent tous les jours y prendre de nouvelles forces.

En eirct , m.es Frères , il ne faut pas fe figurer qu'en ne pouffant notre indulgence pour nos pafllons , que jufqu'à certaines bornes permifes , nous les appaifions , pour ainfi dire , nous leur en accordions sfTez pour les fatisfaire, ÔC pas affez pour fouil- ler notre am,e y 6c mettre le trouble & remord dévorant dans la confcience ; nous figurer que nous puifîions jamais ar- river à un certain état d'équilibre entre le crime Sc la vertu , d'un côté nos paf- fions foient contentes par les adouciffe- mens que nous leur permettons , ^l de l'autre notre confcience foit tranquille par la fuite du crime que nous évitons. Car voilà le plan que fe forme l'ame tiède , fa- vorable à fon indolence ôC à fa pareiTe ^

Sur LA Tiédeur. 57

parce qu'il bannit également tout ce qu'il y a de pénible dans le crime 5C dans la ver- tu , qu'il refufe aux pafTions tout ce qui troubleroit la confcience , Sc à la vertu tout ce qui gêneroit ôC mortifîeroit trop Tamour propre; mais cet état d'équilibre & d'égalité eil une chimère. Les paiTions ne connoillent pas mêm.e de bornes dans le crime ; comment pourroient-elles^ s'en tenir à celles de la tiédeur ? Les excès ne peuvent les fatisfaire 6c les fixer ; com- ment de fimples adouciilem.ens les fixe- roient-ils ? plus vous leur accordez , plus vous vous mettez hors d'état de pouvoir rien leur refufer. Le véri^nble fecret pour les appaifer n'eft pas de les favorifer juf- qu'à un certain point ; c'^eft de les combat- tre en tout : toute indulgence les rend plus fiéres 6c plus indomptables ; c'eft un peu d'eau jettée dans l'incendie , qui , loin de Tappaifer , l'augmente ; c'efi: un peu de pâture préfentce à un lion dévorant, qui , loin de calmer fa faim , la rend plus vive 6C plus violente : tout ce qui flâte les paf- fions , les aigrit 5c les révolte.

Or , tel eft l'état d'une ame tiède 8c in- fidèle : toutes les animofités qui ne vont pas jufqu'à la vengeance déclarée , elle ie les permet : tous les plaifirs l'on ne voit pas de crimaC palpable, elle fc les jurtifie; toutes les parures &C tous les artifices^ l'indécence n'cft pas fcandaleufe , il n'entre ni paflion , ni viiè marquée , elle les recherche : toutes tes vivacités fur l'avan*

58 Jeudi de la IIÎ Semaine. cernent 6c fur la fortune qui ne nuifent à perfonne , elle s'y livre fans réferve : tou- tes les omillions qui paroilTent rouler fur des devoirs arbitraires , ou qui n'intéref- fent que légèrement des devoirs eifentiels , elle n'en fait pas de fcrupule: tout l'amour du corps & de la perfonne , qui ne mène pas direâement au crime , elle ne le comp- te pour rien : toute la délicateiTc furie rang & fur la gloire , qui peut compatir avec une modération que le monde lui-même demande , on s'en fait un mérite. Or , qu'arrive-t'il de ? voulc7-vor.s le favoir ? le voici , &. je vous prie d'écouter ces réflexions.

Premièrement, c'efi: que tous les pcn- chans qui s'oppofent en nous à la régie 5C au devoir , s'étant fans ceffe fortifies , la régie 6c le devoir trouvent enfuite en nous des difficultés infurmontables ; de forte que , les accomplir dans une occafion ef- fentielle, la loi de Dieu nous y oblige, eft une eau rapide qu'il faut remonter mal- gré le courant qu'il nous entraîne , un che- val indompté & furieux qu'il faut arrêter tout court fur le bord du précipice. Ainfî votre fenfibilité fur les injures toujours trop écoutée , a pouffé votre orgueil à un tel point , que dans une occafion décifive , vous croirez votre honneur eilentielle- ment intéreilé , & il s'agira de pardon- ner , vous ne ferez plus maître de votre reifentiment , 6c vous abandonnerez votre cceur à toute la vivacité de la h^ine ôc de

SuRL A Tiédeur. 5f^

ia vengeance : ainfî , ces foins &C ces em- prelîcmens à cultiver reflime des hommes, ont il bien fortifié dans votre cœur le déiir de mériter leurs louanges <X de vous con- ferver leurs fufFrages , que dans une cir- conftance elTentielle il faudra facrifier la vanité de leurs jugemens au devoir , 5C s'expofer à leur cenfure 5c à leiu* dérifîon , pour ne pas manquer à votre ame ; les in- térêts de la vanité l'emporteront fur ceux de la vérité , 6c le refpecl humain fera plus fort que la crainte de Dieu : ainfi , ces vi- vacités fur la fortune ÔC fur l'avancement , nourries de longue m^ain , ont rendu l'am- bition fî fort maitrefTe de votre cœur , que dans une conjonâure délicate, il fau- dra détruire un concurrent pour vous éle- ver , vous facriflerez votre confcience à. votre fortune , 8c ferez injufte envers vo- tre frère, de peur de vous manquera vous- même : ainfî , enfin , pour éviter trop détail , ces attachemens fufpeéls , ces en- tretiens trop libres , ces complaifances trop poufTées , ces défirs de plaire trop écoutés , ont mis en vous des difpofitions fi voifines du crime ôc de la volupté , que vous ne ferez plus en état de réfifter dans un péril il s'agira d'aller plus loin ; la corruption préparée par toute la fuite de vos démarches palTées , s'allumxera à i'inf- tant ; votre foibleffe l'emportera fur vos réflexions ; votre cœur fe refufera à votre fierté , à votre gloire , à votre devoir , à vous-même. On a'eil pas long tems fidèle,,

6o Jeudi de la III. Semaine. quand on trouve en foi tant dedifpofitions a ne l'être pas.

Anifi, vous ferez furpris vous-même de votre fragilité : vous vous redemanderez , que font devenues ces difpofîtions de pu- deur Se de vertu , qui vous infpiroient au- trefois tant d'horreur pour le crime : vous ne vous connoîtrez plus vous-même: vous ientirez en vous une pente malheureufe ^C violente , que vous portiez à votre infçu dans votre ame : peu à peu cet état vous paroîtra moins affreux. Le cœur fe jufliHc biQntot tout ce qui le captive: ce qui nous plaît , ne nous allarme pas long-tems ; 6c vous ajouterez au malheur de la chiVe , le malheur du calme 6c de la fécurité. . Telje efl la deftinée inévitable de la vie tiede 5C infidèle: des pafTions qu'on a trop ménagées ; des lionceaux , dit un Prophé- te , qu'on nourrit fans précaution , croif lent enfin , Se dévorent la main indifcrette c[ui les a elle-même aidés à fe fortifier , Sc a devenir redoutables : les pafîîons venues a un certain point, fe rendent les maîtref les. Vous avez beau alors vous ravifer ; il n eft plus tems : vous avez couvé le feu profane dans votre cœur ; il faut enfin quil éclatte : vous avez nourri ce venm au dedans de vous; il faut qu'il gagne, 6c Il nelt plus tems de recourir aîi remède. 11 talloit vous y prendre de bonne heure ; les commencemens du mal n'étoient pas encore fans reflource ; vous l'avez laiifé tortiher ; vous l'avez aigri par tout ce qui

Sur LA TiEDÈu R. 6i

poiivoit le rendre plus incurable ; il faut qu'il prenne le deltus ; 6c que vous vous trouviez la victime de votre indifcrétion 6c de votre indulgence.

Aulfi ne nous dites vous pas vous-même tous les jours , mes Frères , que vous avez les meilleures intentions du monde , que vous voudriez mieux faire que vous ne faites , 5c qu'il vous femble que vous défirez fincérement de vous fauver ; mais qu'il arrive mille conjonftures dans la vie, l'on oublie toutes fes bonnes réfolutions, 6c il faudroit être un Saint pour ne pas fe lailler entraîner : &C voilà juftement ce que nous vous difons , que malgré toutes vos bonnes intentions prétendues , fi vous ne fuyez , fi vous ne combattez , fi vous i>e veillez , fi vous ne priez , fi vous ne pre- nez fans cefife fur vous-même , il fe trou- vera mille occafions vous ne ferez plus le m.aître de votre foiblefi'e : voilà ce que nous vous difons , qu'il n'eft qu'une vie mortifiée êc, vigilante qui puiile nous met- tre à couvert des tentations & des périls ; que c'efi: un abus de croire qu'on fera fi- dèle dans ces momens l'on efi: violem- ment attaqué , lorfqu'on y porte un cœur afFoibli , chancellant , 5c déjà tout prêt à tomber : qu'il ny a que la m^aifon bâtie fur le roc , qui rëlifle aux vents 5c à l'orage; qu'il n'efi: que la vigne entourée d'un vafte fofi'é, 6c fortifiée d'une tour inaccefilble, qui ne foit pas expofée aux infultes des pallans j §C qu'en lui mot, il faut être faiut

6i Jeudi de la III Semaine.

6c folidemeiit établi dans la vertu , pour

vivre exemt de crime.

Et quand je dis qu'il faut être faint : hé- îas! mes Frères , les âmes les plus^ ferven- tes 5c les plus fidèles elles-mêmes avec des penchans mortifiés , une chair exténuée par les rigueurs de la pénitence , une ima- gination purifiée par la prière , un efprit nourri de la vérité 8>C de la méditation de la loi de Dieu , une foi forti-fiée parles Sa- cremens ÔC par la retraite , fe trouvent quelquefois dans des iîtuations fi terribles , que leur cœur fe révolte , leur imagi- nation fe trouble 6(. s'égare ; qu'elles fe voyent dans ces trifles agitations elles flottent long-tems entre la mort 5c la vic- toire , 6i femblables à un navire qui fe défend contre les flots au milieu d'une mer irritée , elles n'attendent de sûreté , que de celui qui commande aux vents &C à l'orage : &. vous voudriez qu'avec un cœur déjà à demi féduit , avec des pen- chans voifins du crim^e , votre'foibleiTe fût à l'épreuve des occalions , 6c que les ten- tations les plus violentes vous trouvailent toujours tranquille 6c inaccefïïble ? vous voudriez que dans des mœurs tiédes , fen- fueiles , mondaines, votre ame offrit aux occafions , cette foi , cetfte force que la piété la plus tendre êv la plus attentive quelquefois ne donne pas elle-même? vous voudriez que des paffions flâiées , nourries , ménagées , fortifiées , derneu- raffeut dociles , immobiles , froides en pr^-

SurlaTiedeur. 63

fence des objets les plus capables de les allumer; elles qui après des longues macé- rations , 6C une vie entière de prière 6C de vigilance ,, fc réveillent quelquefois tout d'un coup , loin même des périls , 5c font fentir aux plus julles par des exemples funeftes , qu'il ne faut jamais s'endormir , 6c que le plus haut point de la vertu n'eft quelquefois que Tinilant qui précède la chute r Telle eil notre dclH- née , mes Frères , de n'être clairvoyans que fur les périls qui regardent notre for- tune ou notre vie , ÔC de ne pas connoî- tre même ceux qui menacent notre fal'.it. Mais défabufons-nous ; pour éviter le cri- me, il faut quelque chofe de plus que la tiédeur Sc l'indolence de la vertu ; tC la vigilance ell le feul moyen que Jefus- Chriil: nous ait iaillé pour conferver l'in- nocence. Première reflexion.

Une féconde réflexion qu'on peut faire fur cette vérité ; c'efc que les paillons fe fortifiant de jour en jour dans la vie tiède Se infidèle, non-feulemeat le devoir trouve en nous des répugnances infurmontables < mais encore le crime s'applanit, pour ainlî dire , Sc on n'y fentpas plus de répugnance que pour une (impie faute. En eltct , le cœur, par ces intidélitès journalières infè- l^arables de la tiédeur , arrivé enfin com- me par autant de démarches infenfibles juf- qu'à ces bornes périlleufes , qui ne féparent plus que d'un point la vie , de la mort , le crime , de l'innocence , franchit le dernier

64 Jeudi de la III. Semaine. pas , fans prefque s'en appercevoir : com- me il lui refloit peu de chemin à faire , 6c qu'il n'a pas eu beforn d'un nouvel effort pour palfer outre , il croit n'avoir pas été plus loin que les autres fois : il avoit mis en lui des difpofitions fi voifinesdu crime , qu'il a enfanté l'iniquité fans douleur , fans répugnance, fans aucun mouvement mar- que , lans s en appercevoir lui-men:ie j lem- blableàun mourant queles langueurs d'une longue 5c j^énible agonie , ont fi fort appro- ché de fa fin , que le dernier foupir relfem- hle à ceux qui l'ont précédé , ne lui coûte pas plus d'cifbrts que les autres , 6c lailfe même les fpe^lateurs incertains fi fon der- nier moment eil arrivé , ou s'il refpire en- core : 5c c'efl ce qui rend l'état d'une ame tiède encore plus dangereux , que d'ordi- naire on y meurt à la grâce fans s'en ap- percevoir foi-même ; on devient ennemi de Dieu , qu'on vit encore avec lui comme avec un ami ; on cft dans le commerce des chofes faintcs , ÔC on a perdu la grâce qui nous donnoit droit d'en approcher.

Ainii , que les amcs que ce difcours re- garde, nes'abufent point elles-mêmes , fur ce que peut-être elles font jufqu'ici dé- fendues d'une chiite grofliére : leur état n'en efl fans doute que plus dangereux de- vant Dieu : la peine la plus form.idable de leur tiédeur , c'eft peut-être que déjà m.or- tes à fes yeux , elles vivent fans aucune chute marquée : c'eft qu'elles s'endorment tranquillement dans la mort fur une appa- rence

SurlaTiedeur, 6^

reHCe de vie qui les raiïure : c'eft qu'elles ajoutent au danger de leur état , une fauire paix qui les confirme dans cettte voie d'il- Uifion ôC de ténèbres : c'eft enfin que le Seigneur, par des jugemens terribles ÔC fecrets , les frappe d'aveuglement, 6c pu- nit la corruption de leur cœur , en permet- tant qu'elles Tignorent.Une chute grofiiére feroit , fi j'ofe le dire , un trait de bonté 6c de miféricorde de Dieu fur elle : elles ouvriroient du moins les yeux alors : le crime dévoilé &C apperçu , porteroit du moins le trouble & l'inquiétude dans leur confcience : le mal enfin découvert les fe- roit peut être recourir au remède : au lieu que cette vie réglée en apparence les endort 5c les calme ,, leur rend inutile l'e- xemple des âmes ferventes , leur perfuade- que cette grande ferveur n'eft pas nécef» faire , qu'il y entre plus de tempérament que de grâce , que c'eft un zèle plutôt qu'un devoir ; 6c leur fait écouter comme de vaines exagérations , tout ce que nous difons dans ces chaires chrétiennes , fur Iqs chûtes inévitables dans une vie tiède ÔC iufidéle. Seconde réflexion..

Enfin , une dernière réflexion à faire fur- cette vérité , c'eft que telle efl la nature de notre cœur , de demeurer toujours fort au- deffous de ce qu'il fe propofe. Nous avons- fait mille fois des réfolutions faintes ; nous^ avons projette de poulTer jufqu'à uncer» taint point le détails des devoirs ôc de lai conduite ; mais l'exécution a toujpiirK

Carême , Tome IIL F

66 Mardi de la III Semaine. beaucoup diminué de T^ardeur de nospra*" jets , 6c eft demeurée fort au deiïbus du degré 011 nous voulions nous élever : ainfî une ame tiède ; ne fe propofant pour le plus haut point de fa vertu , que d'éviter le crime ; vifant précifément au précepte ,, c'eil- à-dire , à ce point rigoureux 6c pré-' cis de la Loi , au defTous duquel fe trouve immédiatement la mort &. la prévarica- tion ; elle demeure infailliblement au def- fous , 6c ne va jamais jufqu'à ce point ef- fentiel qu'elle s'étoit propofé : c'eft donc une maxime inconteftable , qu'il faut beau- coup entreprendre pour exécuter peu , ÔC vifer bien haut pour atteindre du moins au îîiilieu. Or cette maxime fi. siire à l'égard inême des plus juftes jl'eft infînimentpliis à l'égard d'une ame tiède &C infidèle : car la tiédeur aggravant tous fes liens, 6c augmen- tant le poids de fa corruption ÔC de les mi- féres;c'ei£ elle principalement qui doitpren- dre un grand eïïbrpour atteindre du moins au plus bas degré , 6c fe propofer la per- fe£^ion des confeils , fi elle veut en demeu- rer à Tobfervance du précepte ; c'efl à elle fur-tout qu'il eft vrai de dire , qu'en ne vi- fant précifément qu'à éviter le crime, char- gée comme elle eft du poids de fa tiédeur 5C de fes infidélités y elle retombera toujours fort loin du lieu elle a voit cru arriver ; ÔC comme au-deflbus de cette vertu com- mode 6c fenfuelle , il n'y a immédiatement «jue le crime , les mêmes efforts qu'elle cxojoit faire pour l'éviter ^ ne ferviront

s u R LA Tiédeur. 67

qu'à l'y concluire. Voilà des raifons toutes prifes dans la foiblelTe que les paflions for- tifiées laifTent à Tanie tiède 5c infidèle , êC qui la conduilent inévitablement à lachiite. Cependant , Tunique raifon que vous nous alléguez pour perfévérer dans cet état dangereux , c'eil que vous êtes foible , ôC' que vous ne fautiez foutenir un genre de vie plus retiré , plus recueilli , plus morti- fié , plus parfait. Mais c'eft parce que vous êtes foible , c'eft-à-dire , plein de dégoût pour la vertu, de goût pour le monde , d'af- fiijettiiremens à vos fens ; c'eft pour cela même qu'une vie retirée y mortifiée , vous devient rndifpenfable : c'ell: parce que vous êtes foible , que vous devez éviter avec plus de foin les occafions 6c les périls ^ prendre plus far vous-mêm^e , prier , veil- ler , vous refufer les plaifirs les plus inno- cens , 6c en venir à de faints excès de zèle 6c de ferveur , pour mettre une barrière à votre foibleife. Vous êtes foible ? Et parce que vous êtes foible , vous croyez qu'il vous efl permis de vous expofer plus qu'un autre , de craindre moins les

I périls , de négliger plus tranquillement les remèdes , d'accorder plus à vos fens , de conferver plus d'attachemens pour le m.on- de , ÔC pour tout ce qui peut corrom- pre votre cœur ? Quelle illufîon ! Vous faites donc de votre foiblefle le titre de votre fécurité ? vous trouvez donc dans le befoin que vous avez de veiller 5c de prier,. le privilège ^ui vous en difpenfe ? Et de-

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6s Jeudi de la IIî. Semaine. puis quand ies malades iont-ils autorifés à fc peraiettre plus d'excès , bî. uler de moins de précautions, que ceux qui jouillent d'une fjnté parfaite ? La voie des privations à toujours été celle des foibles 6c des infir- mes ; 6c alléguer votre foiblelle , pour vous difpenfer d'une vie plus fervente 6c plus chrétienne ; c'eft alléguer vos m.aux pour nous perfuader que vous n'avez pas befoin de remède. Seconde raifon tirée des paf- iions qui fe fortifient dans la tiédeur , ÔC qui prouve que cet état finit toujours par la chute ôc par la perte de la jultice.

A toutes ces raiions , je devois en ajou- ter une troifiéme tirée des fecours exté- rieurs de la Religion, néceiTaires pour foii- tenir la piété , 5c qui deviennent inutiles à Tame tiède &C infidèle..

Les Sacremens non-feulement ne lui font plus d'aucune utilité ; mais ils lui devien- nent même dangereux , ou par la tiédeur avec laquelle elle en approche , ou par la vaine confiance qu'ils lui infpirent : ce ne font plus pour elle des relTources ; ce font des remèdes accoutumés , ufés , fi j'ofe parler ainfi , qui amufentfa langueur ; mais qui ne la guérilTentpas : c'efi: la viandes des forts , qui achevé de ruiner un efiomac foible y loin de le rétablir : c'eft un fouffle de l'Efprit-Saint^ qui ne pouvoit rallumer le tifon encore fumant, achève de l'étein- dre : c'eil-à- dire , que la grâce des Sacre- mens reçue d^nsun cœur tiède & infidèle^ D'y opérant plus un accroillement de \i^

SurlaTiedeur. 69^

5c de force , y opère tôt ou tard la mort 2>C la condamnation y toujours attachée à l'abus de cqs divins remèdes.

La prière , le canal des grâces ; cette nourritare d'un cœur fidèle ; cet adoucif- femient de la piété ; cet azile contre toutes les attaques de Tennemi ;. ce cri d'une ame touchée y qui rend le Seigneur fi attentif à fes befoins : la prière fans laquelle Dieu ne fe'^fait plus fentir à nous , fans laquelle, nous ne connoilTons plus notre Père, nous lie rendons plus grâces à notre Bienfai- teur , nous n'appailons plus notre Juge , nous n'expofons plus nos plaies à notre Médecin , nous vivons fans Dieu dans ce monde , la prière enRn , il nécellaire à la vertu la plus établie, n'elr plus pour Tam.e tiède qu'une occupation oifeufe d'un efprit égaré , d'un cœur fec ÔC partagé par mille affections étrangères. Elle n'y trouve plus ce goût , ce recueillement , ces confola- tions qui font k fruit d'une vie fervente 6C fidèle : elle n'y voit plus comme dans un nouveau jour ks vérités faintes , qui con- firment une ame dans le mépris du m.onde, 5c dans l'amour des biens éternels ,. Sc qui au fortir delà , lui font regarder avec un nouveau dégoût , tout ce que les hommes infenfés admirent : elle n'en fort plus rem- plie de cette foi vive , qui ne comipte plus pour rien les dégoûts 6C les obflacles de la vertu , 6c qui en dévore avec un faint zèÏQ toutes les amertumes : elle ne fent j)oint au fortir de plus d'amour pour le

70 Jeudi de la III. Semaine. devoir, plus d'horreur pour, le monde, plus de réfolution pour en fuir les périls , plus de lumière pour en connoître le néant & la mifére , plus de force pour fe h air &. pour fe combattre elle-même , plus de terreurs des Jugemens de Dieu , plus de compon(^ion de {qs propres foiblelTes : elle en fort feulement plus fatiguée de la vertu qu'auparavant,plus remplie des phantômes du monde , qui , dans ce moment ou elle a été aux pieds de fon Dieu , ont ce iemble agité plus vivement fon imagination flétrie de toutes ces images ; plus aife de s'être acquitées d'un devoir onéreux , elle n'a trouvé rien de plus confolant , que le plai- fir de le voir finir ; plus empreifée d'aller remplacer par des amufemens ÔC des infi- délités , ce moment d'ennui ôc de gêne ; en un mot, plus éloignée de Dieu , qu'elle vient d'irriter par l'infidélité 6c l'irrévé- rence de fa prière : voilà tout le fruit qu'elle en a retiré. Enfin , tous les devoirs exté- rieurs de la Religion qui foutiennent la piété & qui la réveillent , ne font plus pour î'ame tiède , que des pratiques mortes ÔC inanimées , fon cœur ne fe trouve plus, il entre plus d'abitude que de goût 6c d'efprit de piété , 6c , pour toute difpofition , on n'y porte que l'ennui de faire toujours la même chofe.

Ainfi , mes Frères , la grâce dans cette ame , fe trouvant fans ceiÏQ attaquée 5c af- foiblie , ou par les tifages du monde qu'elle fe permet , ou par ceux de la piété dont

Sur LA Tiédeur. 71

elle abufe ; ou par les objets des fens qui nourrilTent fa corruption , ou par ceux de la Religion qui augmentent fes dégoûts ,- ou par les pbâfirs qui la diffipent , ou par les devoirs qui la lalTent ; tout la faifant pencher vers fa ruine , 5c rien ne la foûte- nant: hélas! quelle dellinée pourroit-elle- fepromettre ? La lampe qui manque d'huile peut-elle éclairer long-tems ? Tarbre qui ne tire prelque plus de fuc de la terre , peut-iî tarder de fécher , 5c d'être jette au feu? Or telle eft la fituation de Famé tiède : toute livrée à elle-même , rien ne la foutient ; toute pleine de foiblelTe 5c de langueur, rien ne la défend;toute environnée d'ennuis ÔC de dégoûts , rien ne la ranimer tout ce qui confoleTame jufte , ne fait qu'augmen^ ter fa langueur;tout ce qui foutient une ame fidèle , la dégoûte 5c Taccable; tout ce qui rend aux autres le joug léger , appefantit le lien ; & les fecours de la piété ne font plus que fes fatigues ou fes crimes. Or , dans cet état ! ô mon Dieu ! prefque abandonnée de votre grâce, lailée de votre joug, dé- goûtée d'elle- m.ême autant que de la vertu,, affoiblie par fes maux ôc par les remèdes j^, chancelante à chaque pas , un fouffle la ren- verfe ; elle-même penche vers fa chute ,. fans qu'aucun mouvement étranger la pouf- fe , 5c pour la voir tomber il ne faut pas même la voir attaquée.

Voilà les raifons qui prouvent la certitu- de d'une chute dans la vie tiède 6c infidèle» Maisfaudroit-il tant de preuves , mon cher

7i Jeudi De la îïl. Semaimî. Auditeur , vos propres malheurs vous ont fi triftemeut inftruit ? Souvenez-vous d'où vous êtes tombé , comme le difoit autrefois TETprit de Dieu à une ame tiède:. '^T^^'^^'r-Memor eflo undc excideris'. Remontez a la fource des défordres vous croupifTez encore : vous la trouverez dans la négli-

fenceSc dans Tinfidélité dont nous parlons. )i\Q naiffance de pafllon trop foiblement. rejettée , une occaîion de périls trop fré- quentée , des pratiques de piété trop fou- vent omifes ou méprifées , des commodi- tés trop fenfuellement recherchées, des dé- firs de plaire trop écoutés , des le£lures~ dangereufes pas allez évitées : la fource eft prelque imperceptible; le torrent d'iniquité qui en eii forti , a inondé toute la capacité de votre ame : ce n'étoit qu'une étincelle qui a allumé ce grand incendie : ce fut un peu de levain , qui , dans la fuite , a aigri 6c corrompu toute la maffe. Mentor eji iinde excideris. Souvenez-vous-en : vous n'auriez jamais cru en venir vous en êtes : vous écoutiez toutce qu'on difoit là-de/Tus com- me des exagérations de zèle 6c de fpiritua- lité : vous auriez répondu de vous-même, pour certaines démarches , fur lefqucllea vous ne fentez prefque plus de remords,- Memor exto unde excideris- Souvenez-vous d'où vous êtes tombé: confidérez La pro- fondeur de l'abîm.e vous êtes : c'eft le relâchement , ÔC des infidélités légères , qui vous y ont conduit comme par degrés^ Souvenez-vous-en , encore une fois j 6l

voyez

SurlaTiedeur. 73

Toyez û l'on peut appeller un état sûr , ce qui a pu vous conduire au précipice ?

Tel eft Tartifice ordinaire du démon : il ne propofe jamais le crime du premier coup ; ce feroit apprivoifer fa proie , 6c la mettre hors d'atteinte à Tes furpriles : il connoît trop les routes par oii il faut entrer dans le cœur : il fait qu il faut ralTurer peu à peu la confcience timide contre l'horreur du crime , ÔC ne propofer d'abord que des fins honnêtes , 6c certaines bornes dans le plaifir : il n'attaque pas d'abord en lion ; c^eft en ferpent : il ne vous mène pas droit au gouffre; il vous y conduit par des voies détournées. Non , mes Frères , les crimes re font jamais les coups d'elTai du cœur. David fut iiidifcret 5c oiieux, avant d'être adultère : Salomon fe laifTa amollir par la magnificence 5Cpar les délices de la Royau- té, avant de paroître fur les hauts lieux au milieu des Femmes étrangères : Judas aima l'argent avant de mettre à prix fon Maître: Pierre préfama avant de le renoncer. Le vice a {qs progrès comme la vertu : comme le jour inllruit le jour , dit le Pro- phète ,^ ainfi la nuit donne de triftes leçons à la nuit ; & il n'y a pas loin entre un état quifufpend toutes les grâces deproteâion, qui fortifie toutes les palTions , qui rend inutiles tous les fecours de la piété . ÔC mx état elle efl enfin tout-à-fait éteinte.

^ Qu'y a-t'il donc encore , m.on cher Au- diteur , qui puilTe vous raffurer dans cette vie de négligence 6c d'iu/idéliîi ? Sorc'it- C^rômj j t orne [il. G

74 Jeudi de la III. SexMaine. ce Texemption du crime , vous vous, êtes jufqu'ici confervé ? Je vous ai mon- tré, ou qu'elle eft un crime elle-même, ou qu*elle ne tarde pas d'y conduire. Se- roit-ce l'amour du repos ? Mais vous n'y trouvez , ni les plaifirs du rnonde , ni les confolations de la vertu. Seroit-ce l'affu- rance que Dieu n'en demande pas davan- tage ? Mais comment l'ame tiède pourroit- clle le contenter 6c lui plaire , puifqu'il la rejette de fa bouche ? Seroit-ce le dérègle- ment de prefque tous ceux qui vous envi- ronnent , ôC qui vivent dans des excès que vous évitez ? Mais leur deftinèe eft peut-être moins à plaindre ôc moins dè- îerpérée que la vôtre : ils connoifTent du moins leurs maux , 6c vous prenez les vô- tres pour une fanté parfaite. Seroit-ce la crainte de ne pouvoir foûtenir une vie plus vigilante, plus mortifiée, plus chrétienne? Mais puifque vous avez pu foûtenir juf- qu'ici un refte de vertu ÔC d'innocence fans les douceurs 5c les confolations de la grâce , ôC malgré les ennuis 6c les dégoûts que votre tiédeur répandoit fur tous vos devoirs : que fera- ce , lorfque l'efprit de Dieu vous en adoucira le joug , 6c qu'une vie plus fidèle 6c plus fervente vous aura rendu toutes les grâces ÔC toutes les con- folations dont votre tiédeur vous a privé ? La piété n'eft trifte 5c infupportable , que lorsqu'elle eft tiède 6c inhdéle.

Levez-vous donc , dit un Prophète î ame lâche &. pareiTeufe ; rompez le char-

Sur LA Tiédeur. tne fatal qui vous endort & qui vous en- chaîne a votre propre pareffe. Le Seigneur que vous croyez fervir , parce que vous ne joutragez pas a découvert, n'eft pas le JJieu des lâches, mais des forts : il n'eft pas le rémunérateur de l'oifiveté Sc de l'in- doJence mais des larmes , des veilles Sc des combats ; il n'établit pas fur fes biens e^lurfaCite éternelle le ferviteur inutile, mais le ferviteur laborieux &: vigilant; 8c chaiî^vTT'' ^l^i'Apôtre, n'eftpa^la Z^^ ^ ^£^"S ' <: eft-à-dire , une indigne molleire & une vie toute dans les fens ; mais la force de la vertu de Dieu ; c'eft-à- tin,!;n "^ foi agiffante, une vigilance con- tinuelle , un facrifice généreux^de tous nos penchans , un mépris confiant de tout ce qui paffe , & un défîr tendre & enflammé de ces biens invifibles qui ne pafferont ja- mais, ceft ce que je vous fouhaite. '

^in/î foit - il.

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SERMON

POUR LE VENDREDI DE LA TROISIEME SEMAINE

DE CARÊME.

La Sa

maritaine.

Venît Jefus in civitatem Smaiiae quîe dici- tur Sichar.

^efus vint en une ville de Samarie , nommée Sichar, Joan. 4. 5,

E S voi'es de la grâce dans la converlîon des pécheurs ne font pas toujours les mêmes , mes Frères. Tantôt c'eft un ra- yon vif 5c perçant , qui forti du fein du Père des lumières , éclaire , frappe , abbat , emporte le cœur ; tantôt c'eft une clarté plus tem.pérée , qui a fes progrès bC fes fuccefiions , qui femble difputer quel- que tems de la viftcire avec les nuages qu'elle veut diiîiper, ^ qui ne prend ne-

La Sa m a r i t a i n e. 77

finie cîefllis qu'après que mille alternatives 'ont fait clouter à qui des deux demeure- roit rhonneur du combat. C'ell quelque- fois un Dieu fort , qui d'un feul coup ren- verie les cèdres du Liban : quelquefois c'eil: un Dieu patient , qui lutte avec un fimple fils d'Abraham , ÔC lui laiiTe faire aflez long- tems un triile effai de fes forces , ou pour mieux dire de fa foibleiTe.

Sous dQs conduites û différentes , vous êtes pourtant toujours le même , ô mon Dieu 1 Quoique vous nous laifiiez toujours entre les mains de notre coiifeil , par-tout vous agilTez comme le maître des cœurs ; 6c a les doutes 5c les délais d'un Apôtre rendirent autrefois plus de gloire à la vé- rité de votre Réfurreâion, que la promipte foumiiTion des autres Diiciples ; on peut dire que les réfiflances 6c les oppofitions d'une femme de Samarie , font prefque plus éclater aujourd'hui la puifTance de vo- tre g^race , que les foudaines converlioik des réchereiles 5c des Sauls. Du moins , mes Frères , lorfque le Seigneur triomphe d'-un cœur fans combattre , il femble qu'il ne triomphe que pour lui-même ; ce font des prodiges ; Sc il veut feulement qu'on admire fa puifTance , &C l'empire qu'il a [ut nos cœurs. Mais lorfque la converfion d'une ame criminelle ed le fruit des efforts réitérés de fa grâce , c'eft pour nous alors qu'il triomphe ; ce font des leçons ; 6c fon defleiri eft de nous faire fentir qu'il ne fait rien en nous fans nous ; 5C que la grâce ne

t

'8 Vendredi de la III. Semalv^. [ui ramènera jamais notre cœur , notre cœur ne fe donne lui-même. En effet , pourquoi celui qui n'eût befoin que d'une parole pour enlever les fils de Zébédée à leurs filets , Lévi à fon bureau , Zachée à fes injuftices , ménageroit-il û long-îems aujourd'hui les pallions 5c les préjugés d'une femme étrangère , s'il n'avcit voulu nous tracer dans les défaites ÔC les réfif- tances dont elle ufe avant que de fe ren- dre , l'image de celles que nous oppofons tous les jours à fa grâce.

Or , je remarque trois excufes princi- pales qui lui fervent comme de rempart contre toutes les inftances miféricordieu- fes de Jefus-Chrift.

L'excufe de l'état. Elle efi: femme Sa- maritaine ; ôC par elle fe défend d'ac- corder au Sauveur ce que fa bonté de-

,ld.'j^.(^, mande d'elle : Quomodo bïhero. à me ^ofcis qux fum mulicr Samaritana ?

L'excufe de la difficulté. Le puits eft profond , 5c on n'a pas de quoi puifer l'eau :

'^^ ^^' Puteus altus ejl ^ neqm in quo haurias ha-^ bes»

Enfin , l'excufe de la variété des opi- nions ÔC des do£^rines > qui lui perfuade qu'étant douteux s'il faut adorer à Jérufa- lem ou à Garizim , elle peut fe difpenfer de croire cet étranger qui lui parle , & de- meurer dans l'état déplorable elle fe trouve : Patres nojîri in monte hoc adora-

f. 20. verunt , & vos dicitis quia Jerofoljmis ejl Locus ubi adorarc o^ortet*.

La Samaritaine. 79

Or , dans les exciifes qii'oppofe cette femme aux inftances de Jeiiis-Chrift , reconnoiflbns , dit Saint Auguftin , celles que nous oppofons tous les jours à fa grâ- ce : Audiamus ergo in illa nos : & in Ula agnofcamiis nos»

L'exeufe de l'état. On trouve dans l'état cil la Providence nous a fait naître , des prétextes pour autorifer une vie toute mondaine.

L'exeufe de la difficulté. On en trouve dans l'idée impraticable qu'on fe forme de la vertu.

Enfin , l'exeufe de la variété des opi- nions ÔC des dodlrines fur les régies des mœurs. On trouve dans ces incertitudes & ces contradictions prétendues des mo- tifs de fécurité qui nous calment fur nos tranfgreflions les plus manifeftes. Confon- dons ces trois excufes , en vous expofant l'hilloire de notre Evangile. C'eft ce que je me propofe , après avoir imploré , àc. ^ve ^ Maria»

1 OuT eft myflère Sc inftruaion , dit^^'-^'t* ' S. Auguftin, dans la conduite du Sauveur envers la femme de Samarie , Sc dans les oppositions que cette femme femble met- tre à toutes les miféricordes du Sauveur fur elle. En effet, d'un côté Jefus-Chrift voulant, ce femble, ménager la foibleiTe Se les paflions de cette pécherefTe , ne l'at- taque pas d'abord à découvert. Il s'accom- mode à ks préjugés , pour k$ mieux conv-

go Vendredi de la III. Semaine. battre : il parle le langage de fes erreurs r pour avoir occafion d'inlinuer la vérité : il diïïlmule quelque tems Tes miféres : pour la préparer à les mieux connoître , 5c de peur que fon cœur ne fe révolte contre la main qui va la guérir : il ufe de précautions & lui cache , pour ainfi dire , tout l'appa- reil 6c toute la rigueur des remèdes : Faw latlm Intrat in cor-

- Mais , d'un autre côté , cette pécherefTe en garde , ce femble , contre toutes les avances miiericordieufes de Jefus-Chrift n'oppole à la bonté 5c à la {iîgelTe de fes précautions que des évafions 5c des arti- fices ; 6C aufTi ingénieufe à échapper à la grâce , que la grâce paroît attentive à la pourfuivre , elle n'oublie rien ou pour co- lorer fes refus , ou pour différer le mo- ment de fa délivrance.

La première excufe qu'elle oppofe à Jefus-Chrift , eft celle que nous avons ap- peilée fexcufe de l'état. Elle fe perfuade qu'étant femme. Samaritaine , il n'a pas droit d'exiger d'elle les offices qu'il ea exige : Quornodo bibcre à me pofcis , (]uce fiim mulier Samaritana ? 5c quel'ufage ads- tout tems interdit à Samarie , ôc que cet in- connu femble vouloir aujourd'hui lui prefcrire : l^on enim coutuntur Judœi Sa^ mar'itanis»

Or voilà la première excufe qu'on nous oppofe tous les jours pour juftifier des mœurs profanes 5c toutes mondaines. Lorf- que nous vous propofoiis le modèle d'une

La Samaritaine. Si

conduite chrétienne; que nous voulons en- treprendre de réduire un jeu outré ôc éter- nel à un honnête délailement , de bannir les fpeftaclcs , d'occuper la mollelTe 6c Toifiveté , de ramener à la inodeftie le fafte 5c l'indécence des ufages , d'interdire certains plaifirs , de corriger certains abus, de coniéiller Tufage de la prière , l'amour de la retraite , les le£^ures faintes , le tra- vail des mains , les œuvres de miféricor- de , la fréquentation des Sacremens , les foins domeftiques , les prières communes , en un mot tout le détail des mœurs chré- tien'nes : vous nous répondez que cette grande exactitude ne fauroit convenir à des perfonnes attachées comme vousà la cour & engagées dans le 'monde: Quomoda bh- bere à mepqfcis , çuœju/n mulicr Samarita^ na ? que nous confondons vos obligations avec celles des cloîtres 6c des déferts ; 6C qu'iln'eft pas polTible d'allier la vie que nous confeillons , avec les mœurs que l'ufag» prefcrit : I^on enim coutuntur Judœi Sama" rltanis. On fe plaint que nous condamnons le monde fans le connoître ; que l'idée qu« nous donnons de la vertu , eft unefingula- rité ridicule ; qu'il faut que chacun fe fauve en vivant conformément à fon état, 5c qu'il feroit peu raifonnable d'exiger de ceux qui ont à vivre à la Cour 6c au mi- lieu du monde , tout ce qu'on pourroit exiger de nous-mêmes.

mais , mes Frères , premièrement , Ut '" Religion ne diiliiigue que deux fortes de

82 Vendredi de la ITI. Semalvé. devoirs. Les uns fuivent l'état , il eft vrai , & ne conviennent qu'à ceux qui l'ont em- braflé. Ainfi les devoirs du Prince , du fu- jet , de rhomme public , du père de fa- mille, du Miniftre appliqué à l'Autel faint , font différens. Les autres font inféparables du Batême, 5c communs à tous ceux qui ont été régénérés en Jefus-Chriftfans dif- tinâ:ion de Juifs 6c de Gentils, de Prince 5c de fujet, de Courtifan 5c de Solitaire. Ce principe fuppofé , je vous demande , mes Frères, pour être du monde ou de la Cour en êtes-vous moins chrétiens? y a-t'il une autre efpérance , un autre Evangile , un sutre Batême pour vous , que pour ceux qui habitent les déferts ? en êtes-vous moins membres de Jefus-Chrift , difciples de la Croix , étrangers fur la terre ? que peut ajouter ou retrancher votre état de gens du monde ou de la Cour , aux obligations ef- fentielles de la foi ? Jefus-Chrift a-t'il donné un Evangile à part à la Cour 6c au monde? a-t'il marqué dans le fien des ex- ceptions favorables au monde? a-t'il décla- ré qu'il ne prétendoit pas comprendre le monde dans la rigueur de fcs maximes ? Il a dit , à la vérité , que le monde les com- battroit , ces maximes faintes , 6c qu'il fe- roit jugé par elles : or ce qui nous juge, c'eft notre Loi ; 6C nous ne ferions pas jugés comme tranfgreffeurs de ces maximes , ces maximes n'étoient pas nos devoirs. Vous êtes du monde? Mais la Péchereïïe de l'Evangile étoit du monde ; fe crut-elle

La SamaritaIxVE.

dîfpenfée de faire pénitence , 6c de pleurer le reile de fes jours les égaremens du pre- mier Sage ?, David étoit du monde 6c aflis fur le Trône , fe perfuada-t'il que ce titre dût modérer l'abondance de fes larm.es , ôC la rigueur de fes auftérités ? lifez-en le dé- tail dans ces Cantiques divins , qui en fu- rent les fruits , &L qui en feront les monu- micns immortels. Les Judits , les Efthers , les Paules , les Marcelles , étoient du mon- de 6c forties d'un fang illuftre : furent-elles mondaines , voluptueufes, environnées de fafte , de molleiTe , d'indécence ? de plaifir ? vous le favez ; 6c il eft inutile de vous rap- porter ici ce qui eft venu jufqu'à nous de leurs mœurs éc de leur conduite.

D'ailleurs , mes Frères , d'où eft venue dans TEglife cette dijftin£lion de ceux qui font du monde , d'avec ceux qui n'en font pas? n'-eft-cepas de la corruption des mœurs èC du relâchement de la Foi?Diflinguoiton entre les premiers Fidèles ceux qui étoient du monde , de ceux qui n'en étoient pas ? Ah ! ils avoient tous renoncé au monde. Les Miniftres de l'Autel , les faints Con- feffeurs , les Vierges pures , les Femimes partagées entre Jefus-Chrift ÔC les foins du mariage , les (impies Fidèles , ceux mê- mes qui étoient de la Maifon de Céfar , ils vivoient tous féparés du monde ; ils n'a- voient rien de commun avec le monde, ils favoient tous que le falut n'étoit pas pour le^ monde ; être Chrétien 6c n'être plus du monde , étoit alors la mé$UQ chofe , & fur

S4 Vendredi de la III Semaine. ce point il n'y avoit entre eux aucune diffé- rence. Vous êtes du monde , mon cher Au- diteur ? mais c'eft votre crime , & vous en faites votre excufe ? Un Chrétien n'eft plus de ce monde , c'eft un citoyen du ciel ; c'eft un homme du fiécle à venir ; c'eft le juge &C Tennemi du monde. Il n'y a plus de monde pour Tame fidèle ; tout ce qui fe pafTe , eil déjà pafTé pour elle : tout ce qui doit périr , neii déjà plus à fes yeux. Vous n'êtes venu , ô mon Dieu ! que pour con- damner le monde; ÔC nous prétendons que notre conformité avec lui deviendra le ti- tre de notre innocence , ÔC nous juftiiîera contre votre Loi même !

De plus , quand vous nous dites que vous êtes du monde, que prétendez-vous dire ? Que vous êtes difpenfés de faire pé- nitence ? Mais fi le monde eft le féjour de l'innocence, l'azile de toutes les vertus, le proteâ:eur fidèle de la pudeur , de la fainteté , de la tempérance ; vous avez rai- fon. Que la prière eft moins néceiïaire ? Mais fi dans le monde les périls font moins fréquens que dans les folitudes , les pièges nioins à craindre , les fèdu<ftions moins or- dinaires, les chutes plus rares , 5c qu'il faille moins de grâce pour s'y foutenir ; je fuis pour vous. Que la retraite n'y fauroit être un devoir. Mais fîlesentretiens y font plus faints , les affemblées plus innocentes; fi tout ce qu'on y voit , qu'on y entend, élève à Dieu, nourrit la'foi , réveille la piété , fert de foutien à la grâce : je ie veux.

La Samaritaine. 85

Qu'il en doit moins coûter pour fe fauver ? Mais fi vous y avez moins de pafiions à combattre , moins d'obftacles à furmonter; le monde vous facilite tous les devoirs de l'Evangile , Thumilité , l'oubli des injures, le mépris des grandeurs humaines, la joie dans les affliâ:ions , l'ufage chrétien des ri- chefTes ; vous dites vrai , ÔC on vous l'ac- corde. O homme ! tel eft votre aveugle- ment , de compter vos malheurs parmi vos privilèges ; de vous perfuader que ce qui multiplie vos chaînes ; augmente votre li- berté ; 6c de faire votre sûreté de vos pé- rils mêmes.

Mais au fond , direz- vous , il faut pour- tantfaire des différences ; ôc il fera toujours vrai que ceux qui vivent dans les cloîtres font obligés à plus de perfe£tion que ceux qui vivent dans le monde. Et je vous dis que vous vous trompez , ÔC qu'il faut être plus ferme dans la foi , plus folidement enraciné dans la charité , plus à l'épreuve des dangers , pour fe foûtenir dans le mon- de , que dans la folitude : 5c je vous dis que il vous ne veillez avec plus de foin fur tous les mouvem.ens de votre cœur , que le Solitaire ÔC l'Anacoréte ; fi vous ne priez avec plus de ferveur ; vous ne réfiftez avec plus de fidélité ; fi vous n'attirez fur .yous plus de fecpurs d'en haut , vous êtes .j>erdu^ Cyfi fîifltles dangers 4'un état , qui (décident cîe la mefure de la vertu qu'il de- mande de nous : les vertus foibles trouvent du moins un azile ôc des reffources dans la

86 Vendredi de la III. Semaine. sûreté des cloîtres ÔC dans les fecours d'une fainte difcipline ; au lieu que les vertus les plus folides ne trouvent dans le monde que des écuèils elles fe brifent , ou des fé- duélions qui les afFoiblilTent.

Et pour confondre ici une bonne fois une erreur Ci univerfelle 6c fi injurieufe à la piété chrétienne ; dites-moi je vous prie , vous qui voulez qu'on mette une il grande différence entre les devoirs de votre état , êC ceux des cloîtres & des déferts ; quel- les furent les vues de ces Saints Fondateurs qui afiemblerent les hommes dans des foli- tudes , 6c les affujettirent aux loix d'une difcipline févère ? prétendirent-ils propofer à leurs difcipies un nouvel Evangile , ou ajouter des rigueurs inutiles aux maximes que Jefus-Chriil propofe au commun des Fidèles ?

Ecoutez-le , mes Frères. Tandis que les Chrétiens formoient encore au milieu du monde une alTemblée de Saints , dont le monde lui-même n'étoit pas digne ; que les^ femmes annonçoient la piété par leur pu- deur 6c leur modeftic ; que les Fidèles brilloient comme des aftres purs au milieu des nations corrompues ; 5c que les Payens eux-mêmes refpeâ:oient dans la pureté de leurs mœurs ; la fainteté de leur morale ; alors il eût été inutile de fe retirer dans des folitudes ; 6c l'aflemblée des Fitléles étoit encore l'azile de la vertu ; 6c la vie com- mune , la voie qui conduifoit au falut. Mais depuis que la foi commença à s'afFoiblir ,

La Samaritaine. ^7

en commençant à s'étendre , 6c que le monde devenu chrétien porta avec lui dans l'Eglife fa corruption & fes maximes , alors ceux que TEiprit de Dieu voulut préferver, voyant les iniquités ôc les contradiftions des villes ; que la vie commune n'y étoit plus la vie chrétienne , ÔC que les ufages avoient prévalu fur la loi , cherchèrent un azile dans la retraite , élevèrent des lieux de sûreté au milieu des déferts , a/Temble- rent des hommes pour les y mettre à cou- vert de la corruption générale ; mais ils ne fe propoferent que d'y renouveller les an- ciennes mœurs des Chrétiens fort altérées, 6c fort difficile à pratiquer dans le mon- de ; qu'à faciliter à leurs difciples l'obfer- vance de l'Evangile , régie propofée à tous , 5c que tous font obligés d'obferver ; de forte que toutes les précautions de re- traite , de filence , d'auflérité , que nous regardons comme il éloignées de notre état , ne furent pourtant que des moyens , que ces faints pénitens crurent nécelTaires pour obferver des devoirs qui leur étoient communs avec nous. Ils fe prefcrivirent des pratiques particulières , dont TEvangile , je l'avoué* : ne vous fait pas un précepte , mais ils ne voulurent , par le fecours de ces pratiques particulières, qu'arriver plus sûrement à l'obfervance même des pré- ceptes. Ainfi ils renoncèrent au lien facré du mariage , pour fe faciliter la pudeur 6C la chafteté ordonnée à tous les Fidèles ; ils fe foumirent aux loix d'un filençe xigou*

tS Vendredi de la III Semaine. xeux , pour éviter plus sûrement les dif- cours de vanité , d'oifiveté , de malignité , de dilîblution , interdits au refte des Chré- tiens ; ils renoncèrent réellement aux biens 6c ai:>^ efpérances du monde , pour en venir plus aifément à ce renoncement de cœur , à ce mépris de tout ce qui pafTe , commandé à chacun de nous dans TEvan- gile ; ils fe renfermèrent dans l'enceinte d'une retraite auflère , pour s'éloigner fans retour des plaifîrs ÔC des pompes du mon- de auxquelles nous avons tous renoncé dans notre Baptême ; ils s'impoferent le joug des jeûnes , des veilles , des m.acé- rations , pour dompter une chair que vous êtes tous obligés de crucifier fans ceiTe, ôc fe faire comme une loi domeftique de la pénitence , dont l'Evangile vous a fait à tous une loi indifpenfahle.

Or, que conclure de-là? qu'avec moins de fecours qu'eux , nous avons pourtant les n:êmes obligations à remplir qu'eux ; que fans toutes les facilités que donne la pratique des confeils pour ob.ferver le fond de la Loi , nous fommes pourtant obligés d'en accomplir tous les préceptes ; que fans renoncer à tout comme eux, nous devons pourtant être pauvres de cœur comme eux , t^ ufer de ce monde comme nous n'eii ufionspas; que vivant au milieu de tous les attraits de la chair, bC dans le lien honora- ble des noces , nous devons pourtant pof- féder com.me eux le vafe de notre corps avec fainteté , ôc faire un pade avec nos

yeux

La Samaritaine. g^

^ux pour nepas même penfer à des objets dangereux ; que dans l'ufage des viandes 6c la liberté des repas , nous devons ufer d une cenfure rigoureufe envers nos fens ^ 5C conferver, comme l'Anacoréte le plus pénitent, toute la frugalité évangelique ; que fans le vœu ôc la religion du filence , nous devons mettre une garde de circonf- peaion fur notre langue , afin qu'il ne nous échappe pas même une parole oifeufe , 6c que tous nos difcours foient des di4:ours de Dieu ; que dans une vie com^niune', il faut pourtant trouver le fecret de porter fa croix , fe renoncer fans cq{[q foi-même , être difciple de Jefus-Chrift 6c le fuivre ; fans le fecours d'une retraite extérieure, porter.au m.ilieu des entretiens 6c des com- merces, une folitude , un calme au fond de votre cœ-ir^où le Dieu de paix puiiTe habiter'; fans fortir du monde, y renoncer en effet, le mipnfer &: le hair; fans être revêtu de poil de chameau, comme le So- litaire , porter fous l'or &: fous la foie, un homme pénitent, ÔC un corps revêtu de la mortification de Jefus-Chrill ; ÔC en un mot , que fans vous interdire tout ce qui peut fiàter les fens , vous vous interdifiez pourtant toute complaifance fenfuelle.

Venez nous dire après cela , dit Saint Chryioftôme : il faut donc fe retirer fur les montagnçs , 5c dékrter les villes. Eft-ce que l'Evangile ii'ed plus que pour les Soil- taires ? eft-ce que la chaileté , la tempéran» ce , la pauvreté du cœur , le mépris du

Carêm&j Tome IIL H

ço Vendredi laJIL Semaîn'E. monde, le renoncement à Toi-même, pe font plus que les vertus des cloîtres 6C des déferts ? Quelle erreur donc des gens du monde , de renvoyer aux Solitaires 8C aux perfonnes retirées , toutes les auftérités de la vie chrétienne ? Ah ! il en coûte bien plus au Fidèle de fe fauver au milieu du monde , qu'au Solitaire au fond de fa re- traite. Il efî: bien plus difficile d'être chaile au milieu des dangers ; humble dans les diftinftions du rang Sc de la nailTance; tem- pérant dans la liberté des repas ; pauvre dans l'abondance des biens de la terre ; pé- nitent dans des occafions éternelles de mol- leile 6c de plaifir; doux ÔC patient dans les concurrences infinies des intérêts 5c des pafilons ; ÔC cependant Ci vous n'êtes tout cela y vous êtes perdu. Mon Dieu ! les. faintes rigueurs d'une difcipline févère fe- roient bien plutôt inutiles au fond des dé- ferts , l'éloignement des dangers fem- ble demander moins de précautions ; au Heu qu'elles deviennent indifpenfables dans le monde > la vertu plus expofée ne peut fe foûtenir qu'à la faveur des plus fé- vères attentious..

Cependant j. mes Frères , malgré toute îa sûreté des cloîtres ôc des déierts , ÔC toutes les précautions que le zèle §C l'ex- périence des faints Fondateurs a pu pren- dre , pour préferver l'innocence , ceux qui habitent ces pieux aziles ne laiiientpas de tout craindre de leur foibleffe , 8c d'êtrç iàns ceffe attentifs , de peur que renneicî

La Samaritaine. çr ne les furprenne : ils ont de la peine à fe dé- fendre contr'eux-mêmes , 5c tx'-ouvent dans le lieu même de la paix ÔC de la sûreté , des combats ÔC des agitations , ils fe voyent mille fois à la veille de perdre en un inftant le fruit d'une vie entière de recueillement 2«C de pénitence ; ÔC vous , au milieu des périls , vous croiriez que votre privilège eft de vivre avec plus de fécurité 5c d'in- dulgence pour vous-même ? vous , envi- ronné fans celle de tout ce qui eft le plus capable de corrompre le cœur , vous , dans un état tout eft piège 5c tentation , vous croiriez que l'avantage de cet état eft une indolence profonde ; une inutilité de vie dangereufe même à la plus auftére re- .traite \ une im.mortification , qui loin des périls, deviendroit un péril elle-même? Et depuis quand , ô mon Dieu l ceux qui font expofés au milieu des flots font- ils moins obligés de veiller à leur falut , que ceux qui jouilfent du calme £>C de ia su-- reté d'un faint azile ?

Lorfque David , caché dans les àé(Qr\% 8c dans les montagnes de la Judée , pour fe dérober à la fureur de Saùl : propofa à ceux qui l'accompagnoient de fortir de leurs antres & de leurs bois y pour aller attaquer les Philidins : Quoi ? lui répondi- rent-ils, nous ne fommes pas en sûreté re- tranchés dans ces forêts 5c fur ces monta* gués ; nous nous voyons à tous momens fur le point de tomber entre les mains de »atre ennemi > 5c que fera- ce , fi nous en

91 Ven^dredi de la III Semaine.

ibrtons , &C que nous defcendions dans la I plaine pour aller attaquer les Philiftins ? Jtég' uEcce nos hic in Judea conjijîentes timemus ; 3- çnantô ma^is fi ierimus adversiis agmina J^hiliftinoTum ? Et voilà ce que je pourrois vous' dire ici : Quoi ? nous craignons , nous au fond de nos retraites ; nous nous fommes à nous-mêmes une tentation continuelle dans la sûreté des aziles la Providence nous a conduits depuis le premier âge ; nous y opérons notre falut avec tremble- ment ; nous prions , nous gémilTons , nous fentons que la retraite elle-même devien- droit un écuëil pour nous , fi nous ne tra-- vaillons fans ceiTe au recueillement des fens , & à la mortification des pafTions : Ecce nos hic in Judea conjijlmtes timemus , êc vou-s voudriez nous perluader que nous aurions moins à craindre ; que nous aurions, befcin de moins de vigilance , de moins de précautions , de moins de prière , fi nous . vivons comme vous au miilieu du monde ,. environnes de cettte foule de pièges , de féduftions , d'illufions , d'exemples ; ea un mot , d'ennemis qui vous environnent? Quanta mau^ij Ji ierimus adver fus agmina î^hilijîinoriimli^'à. pénitence toute feule fait la sûreté de nos retraites ; 6c vous croiriez que la molleile & les plaifirs ne feroient j)lus un danger au milieu du monde même? Mais après tout , mes Frères , ne com- parez plus , fi vous voulez , les dangers ix^- Snis que vous trouvez dans le monde, SC fe précautions de violence ^ de prière ,.dfe:

La Samaritaine. r^

facrlfîce , de vigilance y qu'ils exigent de vous , à la sûreté des cloîtres 5c des dé- ferts , qui femblent en demander moins ; comparez feulement l'hiftoire de votre vie ^ les diiîolutions de vos mœurs pafTées, avec celle des faints pénitens qui les habitent ; les fatisfa£^ions que vos devez à Dieu ^ avec celles qu'ils lui doivent eux-mêmes» Quoi ? vous prétendez que des âmes reti- rées ÔC innocentes , qui portent le joug du Seigneur depuis une tendre jeunefle ; qui élevées dans le fecret de Ion Tabernacle , n'ont même jam.ais connu la corruption du monde , loin d'en avoir été infedrées , 6C dont les fautes les'plus criminelles feroient prefquedes vertus pour vous ; vous pré- tendez que c'eft leur partage de gémir tou- te leur vie fous la cendre & fous le cilice^ de refiîfer tout à leurs fens , de ne vivre que pour mourir chaque jour ; tandis que vous , dont les crimes ont , pourainfi dire^ prévenu les années ; vous qui n'ofez pref> que ouvrir les yeux fur les horreurs d'une vie paffée , dont les abîmes 5c les embar- ras vous font tantbalanctrf.ir une pRemiére démarche de changement ; vous , dis- je ^ vous nous foutiendrez que vos obligations font moins auftéres ; que les jeux , les plaifiTS y les fpeclacles , les profn lions , les fenfualités , les excès de la table ^ vous font moins interdits; que le Ciel doit bien moins vous coûter qu'à ces amies pures 6C innocentes ; que les lai mes , les jeûnes ,, ks veiller , les macérations font leur affai-

94 Vendredi de la ÎIÎ. Semaine. res Se non pas la vôtre ; que c'eft à elles à fouiFrir , à prier , à gémir , à fe morti- fier, 6C à vous à vivre dans l'indolence SC dans l'ufage de tout ce qui flâte les fens ? Grand Dieu ! que les hommes , rapprochés de la vérité , paroîtront un jour injuftes > infenfés , ÔC téméraires !

La Femme de Samarie s'abufoit donc ^ en oppofant à la grâce de Jefus-Chrift , fa qualité de Samaritaine. Si elle eût été fille d'Abraham ÔC née dans Jérufalem , le

, fecours du Temple 5c des facriiîces, les inf- truâ:ions de la Loi ÔC des Prophètes , l'a- vantage d'être fortie d'un peuple faint , ôC à qui les promefles avoîent été faites , tout cela auroit pu la porter à fe faire de fon

-état une excufe ÔC une raifon de fécurité. Mais que dit-elle, en difant qu'elle eft Sa-

. maritaine , iinon qu'elle habite au milieu d'un peuple réprouvé, dans une terre le culte du Seigneur eft corrompu , les ufa- ges font des abus, les exemples des écuèilsj les maximes àes erreurs ; en un mot, dans une condition qui l'éloigné du falut , ÔC l'enveloppe dans la condamnation générale prononcée contre tous les adorateurs de Garizim ? Et voilà quelle eft votre illufion. Vous vous défendez fur ce que vous êtes du monde ? Mais fi vous vivez dans le fond d'une maifon fainte 5c retirée , vous auriez bien plus de raifon de vous faire de votre état un prétexte de fécurité , &. de croire qu'ainfi éloigné des périls , vous n'avei .pas befoiu de taat 4'auftérité & de vigilau-.

La Samaritaine. 95 ce ; mais d'alléguer que vous êtes du mon- de , c'eft regarder les difficultés de falut attachées à votre état , comme des adou- cifTemens qui vousrapplanilTent.Vousnous direz peut-être que ce font ces difficultés mêmes qui vous arrêtent ; ÔC que nous fai- fons la voie il difficile ^ que vous perde? courage ; féconde excufe que la Femme de Samarie oppofe à Jefus-Chrift ^ la difficulté de Teutreprife.

In, L n'eft prefque point de pécheur ^ quel-PAUTig» que déplorée que (oit fa vie , qui ne comipte fur une converfion à venir , comme fur une dém-arche aifée ÔC facile, 5c qui là-deiîus ne fe calme 6c ne vive tranquille dans fes crimes : il n'en eft aucun , qui ^ lorfqu'ii s'agit enfin de fe convertir , ne regarde cette entreprife comme un ouvrage im- poiTible , & qui là-delTus ne recule &. ne perde courage. Or , voici le nouveau pré- texte que la Femme de Samarie oppofe aux nouvelles inftances de la grâce. File fe fi- . gure des difficultés infurm.ontabks dans les promeiTes de Jefus-Chrift ; la profon- deur du puits , le défaut de moyens pour y atteindre , tout la conduit à fe perfuader que le bienfait dont on la fiàte eft une chi- mère : Futueus altus ejî ^ iieque in quo hau* rias h abc s.

Et voilà , mes Frères , Texcufe qu'on oppofe encore tous les jours aux mouve- mens fecrets de la grâce qui nous follicitent à ua changemeat de vie ; le défaut de

96 Vendredi de la IîI. Semaine. moyen , rimpofTibilIté de l'entreprife. En premier lieu , on a des abîmes fur la conf-

' cience ; depuis fi long-tems on vit dans la diiTolution , fans foi , fans culte, fans Sa- cremens; comment fe réfoudre à éclaircir ce cahos , 6C à creufer dans ces fatales profondeurs ? Puteus altus eJL D'ailleurs on eft d'un caractère fragile ; on a porté en naiilant des inclinations fi vives pour le plailîr ; on ne p'aroît pas pour la dévo- tion ; comment changer de tempérament ÔC fe refondre tout entier? Puteus altus efî. Enfin la vie chrétienne , telle que nous la dépeignons , eft une entreprise qui fait peur : le moyen de fe condamner à la re- traite ; pafler les jours à la prière , à la lec- ture , aux œuvres de miiéricorde ; morti- fier les fens , fe difputer tout ce qui fait

/ plaifir , rompre avec tout Tunivers î heu- reux ceux qui en ont la force ! mais il n'eit pas donné à tout le monde de l'avoir ?

^ Puteus altus eft-

Mais revenons fur tous ces prétextes. Premièrement , vous avez des abîmes fur la confcience ; vous ne favez par vous y prendre pour commencer. Mais n'eft-ce pas cet état déplorable lui-miême qni de- vroit vous porter à tout entreprendre ? Quoi } la connoilTimce que vous avez de vos maux , vous éloigne du remède ? vous regardez votre délivrance comme une pei- ne ? vous reilemblez à un efclave qui refu- feroit fa liberté , parce qu'il gém.iroit fous lin ancien efclavage, 5c fous le poids d'une

infiiiité

La Samaritaine. 97

infinité de chaînes. Mais vous eft-il moins pénible de porter ce fardeau d'iniquité fur rotre cœur ? fouifrez-vous moins en ca- chant vos plaVes, que fi vous les alhez dé- couvrir aii Médecin charitable qui les gué- rit ôc (^ui les purifie ? Que vous propofe- t'on de fi difficile? d'écîaircir une confcience <iont vous ne pouvez plus calmer les re- mords ; d'en faire fortir des ferpens qui vous déchirent, de vous ouvrir à un Mi- ciftre de Jefiis-Chriit qui mêlera fes lar- mes aux vôtres ; qui fera plus touché de vos m.alhcurs , que fcandalifé de vos foi- blefies ; qui ranimera votre efpérance , en vous redifant avec bonté , qu'il y a des pé- cheurs plus coupables que vous , dont la grâce a fait de grands Saints : qui vous ai- dera par {es prières ôc ks gémllfemens , â fortir de Tétat déplorable ou vous éte-s ; qui vous confoiera dans votre douleur ; qui vous foutiendra dans votre foiblefie ; qui vous ralTurera dans votre confufion ; 2c qui fera moins le juge de votre confcience , que l'ami de votre adverfité , 5c le confi- dent charitable de vos peines. Ah ! vous- n'aui-ez pas plutôt ouvert ce cœur que vous ne pouvez plus porter , que vous fentirez la joye &C la férénité renaître au-dedans de vous : ce glaive, qui vous perce , arraché : ce poids , qui vous accable , tombé , ce ver , qui vous ronge , expiré ; ces penfées iombres , qui vous noircillent l'efprit ,dif- paroîtront ; vous bénirez cent fois le mo^ ment heureux qui vous a vu prendre une Carms , Tqhic iiU I

çS VexVdredi de la IIî. Semaîxe. réfoliition fi nëceilaire à votre ialut, 5C an repos même de votre ^'ie. Toute la diffi- culté que je trouve ici , eil de vivre dans la iîtuation vous êtes ; de vous défendre, 6C contre la voix du Ciel quivous appelle, ÔC contre la voix de votre confcience qui vous condamne ; de vous fupporter vous- même ennemi de Dieu depuis que vous avez pu le connoître ; éloigné des Sacre- mens , des confolations de la grâce, vi- vant ieul avec vous-même , c'eft-à-dire , avec votre confcience blvos crimes : voilà la peine. La converfion qu'on vous pro- poie n'en eil que radouciilemeiit , & le plus affuré remède.

Mais en fécond lieu , vous ne paroiiTez point pour la pieté , dites-vous ; vous ne vous gagnerez jamais fur certains points, par cependant il faudroit commencer ; toutes vos inclinations fe trouvent juile- ment à l'autre extrémité de ce qu'on appel- le vertu Se dévotion : Futeus altus ejî. Mais premièrement , quand il devroit vous eu coûter un peu plus qu'à un autre , n'avez- vous pas plus qu'un autre de crimes 5c de voluptés à réparer ? D'ailleurs , l'éternité ne mérite-t'elle pas que vous vous fatîiez quelque violence ? ne vous en êtes- vous ja» mais fait pour le monde? cespenchansque vous nous donnez pour 11 invincibles , ne les avez-vous pas mille fois furmontéspar des motifs de fortune , de gloire , de bienféance ? ce malheureux tempéram.ent que vous nous alléguez li fouvent , ne vous

L A s A M A R I T A I M E. 99

trouvez-vous pas tous les jours dans des fituations il faut le gêner , le contrain- dre ? ÔC qu'eft la vie du inonde , ÔC de la Cour fur-tout , qu'une éternelle contrainte une gêne qui ne finit point ; une fuite d'oc- cupations oppofées à vos penchans ; une fcèneoii il laut toujours jouer le perfon- nage d'un autre ? Ah ! ce n'eft pas à vous fur-tout qui habitez les palais des Rois, à venir nous alléguer des inclinations défac- coûtumées de tout joug, 6c qui par un long ufage d'indépendance , ne fauroient plus ie contraindre : vous avez appris à prendre fur vous-même, 6càfacrifier tous lesjourg vos penchans à des intérêts plus forts ; de- puis que vous avez dss pafTions , il a pres- que toujours fallu , ou les furmonter , ou les contrefaire ; flâter ceux que vous mé- prifez : careiler ceux que vous haïllez ; ramper devant ceux aufquels votre orgueil eftinconfolable d'être forcé de céder : laif- fer le plaifir pour le devoir : ah ! Je monde vous a inftruits pour la vertu ; 6c les con- traintes de la Cour 5c des pafTions , vous ont difpofé plus que vous ne croyez à celles de l'Evangile.

Que dirai-je encore ? peut-être vous en auroit-il plus coûté de vous vaincre dans, •une grande jeuneiTe : les pafllons alors plus vives , les réflexions moins férieufes 6C moins triftes , les plaiilrs plus féduifans par leur nouveauté , lailfoient peut-être alors à votre foiblelTe moins de liberté do s'en défeadre ; mais à l'heure qu'il eft , quQ

I i

îoo Vendredi de la III. Semaine.

lafle par votre propre expérience , vous eti avez connu le vuide 6c ramcrtume ; àTheii- te qu'il eft queTâge , les emplois , les bien- ■féances marnes du monde , exigent de vous des mœurs plus férieufes 5c plus ré- glées : à riieure qu'il eft que des dégoûts, des contretems, l'épreuve mille fois faite de la légèreté , de la faulTeté , de la per- fidie même des créatures , vous ont appris ce qu'il falloit attendre des pafTions 6c des engagemens profanes ; à riicure qu'il eft que moins propre au monde , il commence à fe refroidir à votre égard , 5c à vous avertir qu'il cCt tcms de vous faire d'autres pîalfirs 5c d'autres occupations que les iiennes ; à l'heure qu'il eft que vous ne traî- nez plus au milieu de fes amufemens , qu'une confcience inquiète , qu'un ennui mortel que rien ne fauroit plus égayer , parce qu'il prend fa fource dans la trilleffe - êc la maladie de votre ame que Dieu feul peut fouiager; ah ! il vous en coûtera moins que vous ne croyez de vous paiTer du mon- de , de l'oublier , de le mépnfer : vous portez déjà au dedans de vous les femences de ces heureufes difpofitions ; vous ne l'ai- mez déjà plus par raifon , par dégoût , par l'inconli-ance toute feule du cœur ; que fera- ce quand la grâce aidera ces prépara- tions, de la natiu-e , que vous le haïrez par un principe de foi 6c de piété , 6c que la lu» miére au Ciel vous en aura découvert toute la corruption , tous les périls , tout le néant ÔC toute la mifére ï

La Samaritaine. ioî

Enfin , ne feinble-f il pas que vous ne devez compter que fur vous-même ? Ta" voue que fi l'ouvrage de la converiion étoit l'ouvrage de Thomme feul , vous devriez en déferpérer : mais ignorez-vous que ce qui n'elt pas poflible à Thomme feul , l'eft à l'homme aidé de Dieu ; que rien n'eft difficile à la grâce, que les cœurs les plus fragiles 5c les plus corrompus , font ceux quelquefois elle opère de plus grandes chofes , ÔC que Textrêmité de nos miféres eft fouvent la plus favorable difpofiLion à l'excès de fes mifcricordes ? Hélas 1 laPé- chereife de la Cité , étoit fragile , enivrée du monde, pleine de paillons, ti. ne pa- roiiToit pas née pour la vertu ; cependant fut-il jamais d'amour plus vif pour Jefus- Chrift , de pénitence plus prompte , plus fervente, plus durable que la fiennep Au- guftin étoit foible ; hélas ! fes défirs , fes rechûtes , fes perplexités , fes agitations , fes elïbrts impuillans pour s'arracher à la boiie, & le poids fatal qui Tyrentraînoità l'inftant , vit-on jamais tant de foiblelTe ? êC cependant TEglife a-t'elle vu de converlion plus glorieufe à la grâce de Jefus-Chrill ? Et pour ne pas fortir de notre Evangde , la Femme de Samarie étoit foible ; la multi- tude de fes mariages n'avoir piî la ramener à des mœurs plus régulières , 6c fon mau- vais caradère l'emportoit toujours : ce- pendant le Sauveur ne triomphe-t'il pas aujourd'hui de toute fa foibleiTe ? Ah ! c'eft que la grâce change les inclinations , cor-

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toi Vendredi de la III. Semaine. tige le tempérament , forme un nou\«eaii cœur , renouvelle tout l'homme; c'eft que les vafes de boiie entre les mains de TOu- vrier tout-puiilant, deviennent bientôt des vafes d'élite , plus folides que l'airain , plus hrillans que la lumière , plus purs que le métal le plus précieux : c'eft en un mot , que la grâce eft plus forte que la nature*

Mais en dernier lieu, les rigueurs d'une vie chrétienne vous épouvantent : car vous ne vous flâtez point ^ dites-vous ; fi vous preniez le parti de la vertu , vous ne vou- driez pas le prendre à demi comme tant d'autres : fi vous vous déclariez une fois : vous voudriez que ce fût tout de bon , fans ménagement 5c fans réferve : mais c'efi: cela même qui fait peur. AuiTi on ne fait , ajoutez-vous , comment les chofes iront après cette vie; mais l'Evangile exac- tement accompli , ne femble pas fait pour des hommes aufil foibles que nous le fom- mes : Puteus altus cjl , neqm in quo hau* ri as habes.

A cela , on n'a qu'à vous répondre d'a- bord : fi vous croyez que l'Evangile eft une Loi donnée de Dieu , vous devez fup- pofer qu'elle porte les caractères divins de fon Légiilateur ; que c'ell une Loi fa- ge , équitable , m.odérée , conforme à nos befoins , proportionnée à notre foiblefie, utile à nos miféres ; que c'efi: un remède , 6C non pas un piège ; le fecours , 6c non ledife^poir de notre infirmité. Le Seigneur n'eft pas un tyran bizarre , qui nefalfedes

La Samaritaine. 105

loîx que pour trouver , dans riinpofllbilité de les obferver , des prétextes de nous perdre : c'eft un Père miféricordieux , qui ne penfe qu'à faciliter à fes enfans les voies de la vie éternelle : c'eft un Maître géné- reux , qui dans les ordres mêmes qu'il nous prcicrit , a bien plus d'égard à nos intérêts , qu'à fa propre gloire. Quelle idée vous faites-vous donc de fa Loi fainte ? c'eft une Loi raifonnable , confolante , feule capable de remédier à nos peines , &. d'établir une paix folide dans notre cœur. Et quel autre intérêt , que le nô- tre, auroit pu porter le Seigneur à don- ner une Loi aux hommes? A-t'il befoin de nos hommages ? lui revient- il quelque cho- fe de nos vertus ? fa félicité efl-elle inté- relTée à notre fidélité? Eft-ce une gloireà lui , de s'alTujettir les hommes par des loix capricieufes , l'on puilTe dire qu'il ne cherche que l'honneur de fe faire obéir , ÔC de dominer furies confciences par les ter- reurs &. les menaces dont il accompagne fes préceptes ? Il n'a donc cherché que no- tre intérêt §C notre confolation , en nous prefcrivantles ordonnances admirables de fa Loi farnte- En ne donnant point de loi aux hommes , & nous laiiïant vivre au gré de nos paiïions , il eût nourri parmi les hommiCs la fource de tous les troubles > l'origine de tous les malheurs : il eût fait de la fociété une confuiion afFreufe , fans liens, fans régie , fans équité , fans dépen- dance ; les feules payions , qui arment

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104 Vendredi de la III. Semain^è. les hommes les uns contre les autres , les auroient liés enfemble ; nos feuls défirs auroient décidé de nos droits. En mettant des bornes à nos penchans , il en a donc mis à nos peines : en nous marquant nos devoirs , il nous a donc montré nos remè- des : en ne nous lailTant point à nous-mê- mes &. entre les mains de nos paillons , il nous a donc empêché d'être nos propres tyrans i en nous afiiijettilïant à fa Loi , il n'a pas voulu tyrannifer notre cœur , mais en fixer les inquiétudes.

Mais tel eft l'artifice du démon , dit A'igiiltin : à la nailTance de la foi il tâchoit de renverfer l'œuvre de Dieu^ ÔC d'anéan- tir TEvangile , en rendant Jefus - Chrif^ mépriuible. Qui adorez-vous , diioit-il aux Chrétiens par la bouche des Sages du Pa- ganifme , un Juif ? un mort ? un crucifié ? vii\ homme de néant y. 6>C qui n'a pu fe dé^ livrer lui-même delà mort ? Anteà çuid diccbat ? quem colitis ? Judcum ? mortuum ? truafixum ? nullius mcmenti homlmm , qui non poîuiî à fe morteni dcpellcrc ? Quand il a vu que ce moyen étoit inutile , continue ce Père ; que ces blafphêmes n'étoient plus écoutés qu'avec horreur ; que les peu- ples en foule couroient adorer ce Cruci- fié ; que malgré la puilTance des Céfars , la fureur des tyrans y la fagelTe des Philofo- phes , l'ancienne prefcriptioa deTidalatrie ioutenuè delà iViajefté des loix de l'Em- pire , de la crédulité de tous les fiécles ^ ^ de la magnificence des fuperilitions , Içs

La Samaritaine. ^ io| Temples profanes ëtoient détruits , les Idoles renverfées , la folie de la Croix triomphante de tout l'univers : &C qu'un fi grand événement , fi favorable tout feul à la caufe des Chrétiens , fi marqué par des caraftères de divinité , au-deflus de la poiiibilité de toutes les entreprifes humai- nes ; ayant encore pour lui Taccompliffe- ment des prophéties , ne laifToit plus rieiî à dire contre la vérité de TEvangile : il s'^eft tourné d'un autre côté; il n'a plus ofé traiter la doftrine de Jefus - Chrift de fable ÔC d'impofture ; il eft convenu de fa fainteté , de fa fublimitc , de la perfedion de fes maximes. La Loi chrétienne , a-t'il dit par la bouche des mondains , eft une Loi admirable , fainte , divine ; il faut en convenir : rien de fi beau ÔC de fi élevé que les préceptes de. Jefus-Chrift ; mais qui les pratique ? Mais commienî les ob- ferver ? mais cette grande perfection eft- elle pofîible en cette vie ? mais la foibleile humaine peut-elle aller jufques-là ? mais s'il y a eu autrefois des homn-;es qui ayent fuivi à la lettre tout ce que lEvangile pref- crit , fans doute ils étoient faits autrement que nous ne le fommes. ? Cœpit à fide alio me do dcrerrere. Magna lex ejl chriftiana ; j)otens hx illa , divina , ine^abilis : fcd quis illam impUt ? Les blafphémes de l'im- piété font tombés d'eux mêmes ; ceux de rimpofllbilité trouvent encore aujourd'hui des partifans 5c des apologiftt^s au milieu d'un monde profane , 5c qui ie glorifie du ûom Chrctien.

to6 Vendredi r>E la III. Semaine.

D'ailleurs , ce qu'il y a ici d'injufie dans'ies préjugés que l'on fe forme con- tre la polTibilité de la vie chrétienne , c'eft que ceux qui s'en plaignent n'en ont jamais fait l'épreuve : ils adoptent là- delTus un langage qu'ils ont trouvé éta- bli dans le monde ; ÔC fans connoître de la piété que le fentiment de la corrup- tion qui les en éloigne , ils prononcent que les maximes de Jisus - Christ ne font pas polTibles parce qu'ils le fouhai- tent. Mais nous aurions droit de vous dire : Eflayez de la vertu , avant de vous en plaindre. Si vous aviez , félon la parole de l'Evangile , commencé l'édifice , ÔC que vous n'euHiez pu l'achever ; quoique le mauvais fuccès de l'entreprife dut être at- tribué à votre imprudence , fclon J. C. , & au défaut de précaution j ; néanmoins vous pourriez nous dire que Tentreprife pafle vos forces. Mais vous n'avez jamais fait de démarche fincére de falut ; vous avez jufqu'ici mené une vicfenfuelle, dif- fipée , pleine de pafiioas 5c d'inutilités ; pourquoi décidez-vous donc fur ce que vous ne fauriez connoître ? Prononcez ; à la bonne heure , fur la vie du monde , fur le vuide & l'amertume defes plaifirs , fur l'inquiétude 6c les fureurs de les revers ÔC de fes injuftices , fur les agitations 6c le tourment de fes efpérances , fur la perfidie 6c l'inconftancede fes amitiés 6c de fes pro- inefTes ; vous le pouvez; vous êtes là-def- iiis , à la Cour fur-tout plus que partout

La Samaritaine. 107 ailleurs , juges légitimes : décriez , exa* gérez les difficultés , les peines , les dé- goûts de la vie du monde 6C de la Cour, on vous le permet , 6c votre propre expé- rience vous en a affez inflruit pour nous l'apprendre : mais pour la vie chrétienne, ce n eft pas à vous à parler de fes rigueurs bc de fes ennuis , c'eil un point que l'ex- périence feule peut décider : effayez-en premièrement; rompez avec le monde; finilTez vos pafiions ; commiCncez à vivre pour l'éternité : vous nous direz alors Ci le joug de Jefus-Chrift eft aufli accablant qu'on fe le figure , le vice eft plus aima- ble que la vertu : nous vous écouterons alors : mettez-vous feulement en état de décider ; voilà tout ce que nous deman- dons : peut-être céderez-vous d'abord à la difficulté ; 5c alors vous nous reproche- jez l'cftentation de nos promefles : peut- être auffi vous en coiitera-t'il moins que vous ne croyez ; ÔC fi cela eft , n êtes-vous pas à plaindre , de refufer à votre falut des efforts auffi légers que ceux qu'on vous demande ?

Lorfque les Ifraèlites , fur le point d'en»- trer dans la terre de Canaan , parurent re- butés des difficultés de l'entreprife; 6c que refufant d'avancer, ils ne celToient dédire que ces villes étoient imprenables , ces peuples invincibles , ÔC que cette terre étoit Joute couverte de monftres 6c de géans , qui dévoroient fes habitans : Ne- j^^f^^f^ quaquam ad hune fO£ulum yalemus afcçTi-iz-n^

îo8 Vendredi de la III. Semaine.

éere , quia jortior nob'is cjl ; terra dévorai habitiitores fiios : Jofué ÔC Caleb qui ve- noienî de vifîter cette terre heureiife , ÔC qui en corinoilToient les douceurs ^ les agré- mens , 5c l'abondance , leur parlèrent de la forte : enfans dlfraèl , venez voir vous- mêmes cette terre délicieufe que le Sei- gneur vous propofe, & qui doit être votre polTelTion éternelle : vous verrez que le lait 6c le miel y coulent de toutes parts : vous dévorerez ces peuples terribles ^ qui allar- ment tant votre foibleile , comme on dé- vore le pain qiri fert tous les jours de nour- riture à rhomme : vous y trouverez le termje de vos travaux , le délalTement de vos fatigues , la confolation de vos pei- nes , le repos que vous cherchez en vain depuis tant d'années , ?< enfin des dou- ceurs que vous n'avez jamais goûtées , ni dans la ferviîude de l'Egypte, ni dans les voies arides 6C pénibles du défert : nous l'avons nous-mêmes parcourue; & nous ne venons ici aux pieds du tabernacle faint, & devant toute l'allem^biée d'Ifraèl , que pour être les témoins de la vérité , 5c les garans des prom.efTes que le Seigneur a 'Num,^, faites à nos pères : Terra cjuam circuivimus 7. 8. valdè bona ejl \ & tradet JJominus humum lucie C^ m elle manantem.

Et voilà, mes Frères, ce que nous pour- rons vous dire ici, nous qui par les enga- gemens d'un état faint , &. un Icngufagc du joug de Tefus-Chrifi: , devons connoi- ire quelles en font les douceurs ôc les coii:

La SAMARltAINE. lOf

folatîons , ÔC qui du moins pouvons rendre témoignage à la vérité de Dieu , ÔC à la gloire de ia grâce. Pourquoi vous laiflez- vous décourager par des difficultés que vous n'avez pas encore éprouvées ? Venez voir vous-mêmes ce qui i'e palTe dans cette terre heureufe vous vous figurez des difficultés fi infurmontables. Loin d'y trou- ver ces monftres qui vous épouvantent, ÔC que Terreur de votre imagination s'y figure; d'y trouver ces ennuis, ces dégoûts, ces horreurs que vous craignez tant 5c qui vous arrêtent ; vous verrez que le lait 5c le miel y coulent en abondance , vous y trouve- rez des fources de confolations foli'des : le repos que vous cherchez depuis fi long- tems ; la paix du cœur , que le monde ÔC les paffions ne donnent pas , ÔC que vous n'avez pas encore trouvée ; toutes les rcf- fources de la ^race, dont vous avez été julqu ICI prives : nous en avons nous-mê- mes fait une heureufe expérience, & nous ne paroilTons ici devant l'autel faint ^ dans l'aflemblée des Fidèles , que pour rendre témoignage aux miféricordes du Seigneur furies âmes qui reviennent à lui par une fincére pénitence ; Terra quam circuivimus raliè hona ejl 3 & tradeî Dominus hunium laâe & mcllc man^inum.

Oui , mes Frères , fi vous connoiiTiezle don de Dieu , comme le dit aujourd'hui le Sauveur à \^ Femme de Sam^arie ^Ji feins Jom,4, domuji Dci ; fi vous pouviez comprendi*e'^^ quelle joye la grâce répand fur les devoirs

jîô Vendredi de la III. SemaimeJ

les plus rigoureux de Ja vie chrétienne J ^ &. quelles font les confolations fecrettes qui accompagnent les facrifices les plus pé- niBles qu'on fait à Dieu : Si/cires : (i l'oii pouvoit vous faire fentir d'avance com- bien les hommes , les plaifirs , les préten- tions , les efpérances , ÔC tout cet amas de vanité 6c de fumée devient peu de chofe à une ame touchée de Dieu : Si/cires : (i vous pouviez comparer les inquiétudes qui vous déchirent , les difficultés qui traver- fcnt vos pa/rions,à la tranquillité dont vous jouiriez dans la vertu , 6c aux facilités que la grâce y ménage à notre foiblelTe ; en un mot, Feau du puits de Jacob , figure des plaifirs du monde , à l'eau que le Sauveur promet à la Femme de Samarie , image des douceurs de la vertu : Si/cires : vos yeux pouvoient s'ouvrir, 6c connoître quel don Dieu fait à une ame , lorfqu'il la dé- livre de ks paffions , 8c qu'il met en leur place dans fon cœur , la paix , la charité , la jullice : Si fcires donum Dd ; ah ! fans doute , loin de différer encore , vous n'au- riez pas affez de tout votre cœur pour de- mander ce don célefle ; pas affez de larmes pour pleurer les jours 5c les années que vous en avez été privé. La fource de nos craintes eft dans notre cœur ; 6c la vertu n'efl appréhendée , que parce qu'elle n'eft pa§ connue.

Mais tout le monde n'en parle pas com- me vous , dit- on; ÔC ce que nous femblons faire fi aifé , d'autres le font difficile, Der-

La Samaritaine. m

lîîére excufe que lu Femme de Samarie oppofe aux inft.inces de Jefus-Chrill: , la variété des opinions 6C des doctrines : patres nojlri in monte hoc adoraverunt ; ^ ros dicitis quia Jerofolymis ejî Ipcus ubi adorare oportet* Ce devoit être ici ma dernière Partie.

En effet , Jefus-Chrift avoit conduit infenfiblement cette Péchereffe au point eflentiel de fa converHon ; à cette pallion honteufe , qui feule s'oppofoit à la grâce dans fon cœur : il lui avoit découvert tout le fecret crimûnel de fa diffolutionôC de fa conduite ; elle ne pouvoit plus difîî- muler des égaremens dont elle voyoit le Sauveur trop inllruit : le trouble , la honte , les remords commicncent à naître dans fon ame : mais ce n'étoient-là que de foiblcs commencemens ; la Cœur n'étoit point en- core rendu, levais bien que vous êtes un ihid^-^ Frophète ^ lui dit-elle ; voilà tout le fruit /j, qu'elle femble retirer de la vérité qui la condamne. Semblable à la plupart de ces am.es m.ondaines , lefquellesau fortir d'un difcours ou le zèle du Miniilre aura déve- loppé toute la honte de leurs foibleff^s les plus fccrettes , 5c tracé la peinture de leur cœur comme fi elles-mêmes l'avoient inf- truit de tout ce qui s'y pafFe , fe conten- . tent de dire que c'eft un Prophète : yideo (]uia Propheta es tu j qu'on (e reconnoît loi-même à tout ce qu'il dit ; qu'on diroit qu'il voit dans les cœurs ÔC dans les plus lecrets penchans de ceux qui Técoutem :

riz Vendredi DE LA III. Semaine. mais voilà tout. On lui donne des louan- ges qu'il méprife 6c dont il gémit devant Dieu : ôc on ne fe corrige point ; ce qui feroit fa gloire , fa confolation ÔC fa cou- ronne.

Nos pcrcs y continué la Pécherefle , ont adoré fur cette montagne ; ô" vous dites mie Jerufalem eft le lieu ou il faut adorer* Nouvel artifice dont elle s'aviie. Pour dé- tourner la queftion de fes moeurs , qui lui déplaît 5c qui l'embarraile , elle fe jette ha- bilement fur une queftion de doctrine : les conteftations entre Jerufalem ÔC Garizim , fur la vérité de leur culte & fur la fainteté de leur Temple , n'avoient pas fini depuiç que le traître 8c l'ambitieux Manafsès ^ avoitélevéTautelfacrilège fur la montagne de Sa marie ; 5c chacun foutenant la gloire de fa maifon &. la majefté de {i^s facrifeces , ï\s s'accufoient mutuellement , comme il arrive prefque toujours , de fuperftition & d'idolâtrie.

Or , voilà ce qui donne lieu à la ré- ponfe de la Femm.e de Samarie : il femble qu'elle veut par cette variété d'opinions 6C de dodrines , juftiner iis défordres ; 6C que l'incertitude elle prétend qu'on eft lur le lieu 6c fur les régies du véritable culte , fiiffit pour autoriier fa tranquillité dans l'état déplorable elle fe trouve. Ainfi c'eft comme fi elle répondoit à Jefus- Chrifl: iMais Seigneur, à quoi s'en tenir ? vous Juifs , vous prétendez qu'il faut ado- rer à Jerufalem , 5c u'avoir point de com- merce

l

La Samaritaine. ir^ înerce avec Samaric : nos pères ont tou- jours adoré fur cette montagne ; ils nous ont permis ce que vous condamnez. Pour qui fe déclarer dans cette diverilté de lea- timens ? Convenez premièrement des de- voirs que le Seigneur exige de nous , du Temple 6c de l'autel qu'il a clioifis ; 6C après cela j'écouterai vos inftruclions , 5C je pourrai m'en tenir à la fageiTe de vos confeils & de vos iiTaximes^

Et voilà le prétexte dont on fert en- core tous les jours dans le monde pour s'étaurdir fur les vérités les plus terribles du falut,la variété des Q;jin ons fur les ré- gies des mœurs. On ne faîtà qui en croire ^ nous dit-on tous, les jours ; les luis vous damnent, les autres vous iàuvent ; ici on. vous palfe certains points ,, ailleurs y on îes condamne ici vous obfervez la Loi eit TadouciiTant ,.aillem's vous ne radouciffez qu'en la tranfgrelTant ; ici on a des raifons pour défendr - , ailleurs on croit en avoir pour permettre , eji un mot , ici vous êtes tin Saint j. ici vcais navez pas encore corn- ineiicé à être Clirétieji. Et là-deiTus , 6 mon Dieu ! le. pécheur infenfé conclut qu'il n a qu'à vivre tranquille, dans fjs égare- mens ; que l'Evangile ne renferme que d/es opinions, 6c des prohlcme^; ; que cha- cun le tourne félon Les préventions de foiî propre: e:fprrt ;. &C qu'au fond il n'y a riea de, trop affuré dans tout ce que: n<5us ieu^ dfons de votre Loi fc-iite,

Mais^Cins apporter i.ci tout Qe qui pour-

114 Vendredi de la III. Semaine.

roit confondre un prétexte fi injurieux i Ja vérité & à la piété chrétienne , fouffrez que je me contente de vous demander : Ne tient-il qu'à l'uniformité des fentimens, que vous fortiez de vos pafîions honteufes? eft-ce à vous à venir nous alléguer la varié- té des opinions 6c des do£irines fur les ré- gies des mœurs ? Des âmes religieufes , ti- morées , craintives , pourroient nous op- pofer ces perplexités 5c ces incertitudes : comme elles ne croyentjamaismarcherpar im chemin alTez sûr ; que leurs devoirs paroifTcnt fouvent incompatibles avec leur fîtuation ; & que la décifion n'en efl pas toujours facile ; il fe peut faire qu'elles trouvent quelquefois dans le San6î:uaire , ici une indulgence qui les ralTure , ailleurs une févéritéqui lesallarme; 5c qu'elles de- meurent incertaines de la route qu'il fau- droit tenir. IVlais pour vous , avez-vous jamais trouvé une grande variété de fenti- mens furie dérèglement de vos mœurs , ÔC fur l'indignité de vos paiTions ? nos déciiîons font-elles bien différentes fur la honte de votre état ? n'avez-vous pas oui partout là- delTus les mêmes oracles , que les fornica- teurs , les adultères, les impudiques, les adorateurs dldoles ne poiTéderont pas le Royaume de Dieu ? Cette uniformité d'o- pinions vous ramené f elle à la vérité que vous ne faurîez vous diffimuler à vous-mê- me ? Cependant c'eft vous feul qui vous plaignez qu'on ne fait à quoi s'en tenir; car c*eil le moade le plus déréglé qui tient es

La Samaritaine, langage , & vous êtes le feul que tout fe réiinit pour condamner.

Vous imitez la Femme de Samarîe. II lî'éîoit pas queilion pour elle de favoir s'il falloit adorer à Jérufalem ou à Garizim ; puifqr.e le tems étoit venu, comme lui ré- pond Jefus-Chrift , que cène feroit , ni à Garizim, nia Jérufalem , mais par toute la terre , que {on Père auroit des adora- teurs en efprit ÔC en vérité : ce différend ne la regardoit pas, pour ainfî dire ; ce point pouvoit être douteux pour elle , 6c on ne lui faifoit pas encore un crime del'i- gnorer. Mais le dérèglement de fa con- duite &: de fes commerces criminels étoit clair pour elle ; il n'y avoit là-deffus ni à Jérufdem , ni à Garizim même , aucune -Loi quipûtTautorifer: elle connoilfoit fur ce point fes obligations , 6c on demandoit qu'elle les remplît. Mais au lieu de com- mencer par le devoir qui étoit clair, ÔC qui la regardoit toute feule , elle va chercher des prétextes dans une variété de fentimens qui ne la regardoient plu^. Commencez par retrancher de vos mœurs tout ce que vous yconnoiirez de vifiblement contraire à la Loi de Dieu : tout ce que les fentimens 6c toutes les opinions d'un commun accordy condamnent : après cela vous aurez droit devons plaindre de nos contentions pré- tendues ; après cela vous nous reproche- rez, tant qu'il vous plaira , la ditference des décifions 5c d^s conduites. De quoi VOUS avifez-vous de nous reprocher qu'oa

Kl

iî6 Vendredi DE la IîI. SeMai^^.

ne fait , pour ainfi dire , il fautadorer^ ni à qui s'adreiler pour marcher sûrement & coiinoître ce que Dieu demande de nous ? Vous n'en êtes pas encore- ; ce doute eft trop pieux & trop élevé pour vous : iaiflez. ïa des dilLnlions qui vous font ihut les, &C renoncez à des défordres , qui non feulementn'ont pour eux aucun fuf* frage, mais que vous ne pouvez pluivou» jurtifîer à vous-même ; en un mot, foyez adorateur en efprit ÔC en vérité , comme le dit aujourd'hui Jefus-Chrift à la Femme de Samarie , alors toutes les cantentioirS humaines vous deviendtont indiffc-rentes;; vous trouverez Dieu par- tout , parce que vous ne chercherez que Dieu par-tout: la variété des décidons vous fera feulemen-t diplorer la trille deftinée de la vérité, tou- jp 1rs expofée ici-bas à la contradiction'; c'eft à dire , ou à la févérité indiicrettc, ou à l'indulgence exceiTive des hommes : vous en gémirez cfévant le Seigneur ; vous lui demanderez qu'il manifefte la vérité à la terre ; qu'il répande un efprit de paix ÔC de fagelfé fur ceux à qui la Foi , Finflruc* tion & la dbflrine , font confiées ; qu'il pa» cifîe, qu'il réunilFe , qu'il protège fon EgH- fe :.qif il lui fufcite des Pafteurs fidèles pour Ta go.uverner ; des Dofteurs éclairés pouf l'injiruire ; dés Prêtres faints 5t zélés pour rédifîer ; des Princes religieux pour la dé-- fendre :.que d's-je? qu'il prolonge les jours d'i Prince- glorieux qui en b'innit les fcan- dales , q;ù ei> caîm^ les dilTenfions , qui-hes

La Samaritaine. 117

prévient même par fa prudence , qui en ré- pare les ruines , qui en foutientla gloire 6C la majefté qui en fait la gloire lui-même ; & qu'il donne à nos neveux des Rois qui Fimitent , puifqu'ils ne feront pas alfez heu? IQUK pour en avoir qui lui reilcmblent.

Voilà les difpofitions que la raifon 5c la religion demanderoient de vous : mais fur Tafîciire du falut ^ on ne fe pique pas de prudence ; on ne fait ce qu'an ad-ore , comme le reproche J. C. à la FemmiC de Samarie : ^os adoratis qucà nelcuis : on veut retenir le fond de la Religion , de fcs pères comine les Samaritains ; on veut y mêler comm.e eux des ufages profanes & favorables aux paillons : on fent bien qwQ la confcience ne ratifie pas ce mélange , ÔC qu'on n'eiV pas d'accord avec foi-même; mais pour fe calmer on fuppofe que iious- Biêmes ne le fommes pas Q,i\tTQ nous : on fait de nos dilTenlions prétendues, une raifon infenfée de, paix ÔC de fécurité ; oti eft bien aife que la^ vérité foit conteftée-, embrouillée , obfcurcie pour pouvoir fe perfuader prefque qu'elle n'eft plus ; ^ nous fommea contens de nous-micmes : quand nous avons pu ajouter à nos crimes le malheu.r d'y être plus tranquilles.

Telle étoit la difpofition. de la Femme da-S-amarie : ne pouvant plus défen- dre, ni contre 1>3S. inftances du Sauveur , ni contre les remords de fa propre conf- cience ; fr-appée de fes. égaremens.paffés , JUtirse par les coafokîions ^aorvluipro^

^.42i

iî8 Vendredi de la III. Semaine. met dans des mœurs nouvelles ; elle vou* droit encore renvoyer fa converllon à un tems plus favorable. Quand le Mcjfie/cra,

f' aj. 'i;enu , répond-elle à Jelus-Chrift , iL nous annoncera toute chofe. Voilà tout le fruit qu'elle paroît tirer des paroles de Jefus- ^ Chrift ; un vain projet d'un changement à T^enir ; un efpoir frivole , qu'un tems enfin viendra elle renoncera tout de bon à fes dcréglemens : & c'efl-là que fe ter- mine d'ordinaire tout le fruit de nos inftruc- tions. Nous excitons les confciences , nous ne les changeons pas : nous infpirons des défirs , nous ne perfuadons pas les œu- vres : nous entendons beaucoup de projets, nous ne voyons prefque jamais de démar- che. Mais le Sauveur ne permet pas à cette Pécherellede s'abufer fur un point dangereux. C'eft moi-même qui vous par- le , lui dit-il , n'attendez point d'autre Pro- phéte ; voici celui que le Ciel vous en- voyé , pour vous retirer de vos voies éga- rées ; ne renvoyez pas à un autre tems : i\ je fors des frontières de Samari-e ; i\ vous lailfez perdre ce moment heureux ; fi je m'éloigne de votre cœur , vous périlTez

5f. 26. fans relTource : Ego fum qui loquor tecum* Et voilà ce qu'il vous dit ici en fecret à vous feul , mon cher Auditeur : voici ^xi' fin le don de Dieu , l'heure de votre fa- , lut , le moment de ma miféricorde ; n'en attendez point d'autre ; il y a fi long-tems q' e vous difffrez , que vous vous trompez vt?us-méme par des retardemens Sc des

La Samaritaine. 119 projets inutiles de converfion : à mefure que vos années avancent , vos defTeins de changemens reculent 6c s'éloignent de vous. Vous comptiez que Tâge vous fe« roit revenir ; tC Tâge , en changeant tout le refte , n'a pas changé votre cœur : vous vous promettiez qu'une Situation plus tran- quille , vous lailTeroit plus de loifir de penfer à votre falut ; le loifir efl venu , ÔC la volonté de me fervir eft à venir encore : vous vous difiez à vous-même , que cer- tains engagemens rompus , que certaines bienféances infinies , vous mettriez tout de bon ordre à votre confcience ; ces enga- gemens ne font plus ; ces bienféances ont fini , ÔC vos paîrions font encore les mê- mes. Ah ! juiques à quand ferez-vous le jouet de vos vaines efpérances ? Ne ren- dez pas inutile ma grâce , qui aujourd'hui vous trouble 6c vous rappelle : n'eft-cepas déjà une faveur bien fignalée , que je vien- ne vous chercher jufques dans une terre infidèle ; que je vienne vous infpirer des défirs de converfion jufques dans le palais des Rois , dans le centre des plaifirs 5c des paflions humaines. Si vous connoifiiez le don de Dieu ; fi vous faifiez attention que dans le tems même que des ténèbres pro- fondes font répandues fur tout ce qui vous environne , ÔC que mon nom eft a peine connu de ceux avec qui vous vivez, vous feule êtes recherchée, éclairée, touchée; ah ! loin de diffirer encore , vous regarde- xki ce moment ^ comme le moment décl-.

120 VËiVDREDT DE LA ÏIÎ. SEMAINE, fif de votre éternité ; c'eft-à-dire , ou le comble de mes miféricordes éternelles fur votre ame , ou le terme fatal de ma bonté & de ma patience.

Grand Dieu ! diiîîpez doîic y comme la pouinére , les vains obfîacles que j'oppofe encore à votre grâce : foutenez mes for- ces chancelantes, 6c mes réfolutions tant de fois infidèles : ne permettez plus que ma foiblelTe triomphe de votre puilTance: ne combattez plus avec moi que pour vaincre: 6c reprenez vous-même un cœur qîie j'ai bien pu vous ravir tout feul : mais que je ne faurois plus tout feul vous ren- dre ; afin que redevenu la conquête de votre grâce , je puiife bénir mon Libé« latsur dans tous les fiécles.

A-inJi fait - iL

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ÎEBJVtON

^ Sî^ Ic-^ éà -t^ ^^ S"* iiti S€Sê ^ AJ». ^ S€§€ I

SERMON

POUR

LE QUATRIEME DIMANCHE

DE CARÊME

Sur V Aumône.

Accepit ergo Jefus panes"; Sc cûm gra- tîas egiilet., diftribuit difcumbentibus.

Je/î/J' f r/r les fains ; ^*2nf /-«/Zi/w gra:^ ces , i/ /ei" dïjlrïbua aux Dijclples , C^ les Dif- cibles à ceux gui étoient ajjls, Joan, ù, ii.

E n'eu pas fans myflére que !• C. alTocie aujourd'hui les Dif- cipl^s au prodige de la multi- plication des pains , 6c qu'il fe lert de leur miniftèrepour dif- trlbuer la nourriture miraculeufe à un peu- ple prellé de faim &Cdc mifére. Il pouvoir fans doute encore faire pleuvoir la manne dans le défert , 6c épargner à fes Difcipies le foin d'une pénible.diftribution.

iii IV- Dimanche de Carême.

Mais ne pouvcit-ii yas aufl., après ovoïf refliifcité Lazare , ne point employer leur fecours pour le ciclitr ? fa voix tonte pnif- fante qui vcnoit de brifer les chaînes de la mort , auroit-elîe trouvé quelque réiif-r tance dans de foibles liens que la inain de l'homme avoit formés ? c'eft qu'il vouloit leur tracer par avance dans cette fonction , l'exercice lacré de leur mmiftèrc; la part qu'ils alloient avoir déformais à la réfur- reftion fpirituelle des pécheurs ; 6c que tout ce qu'ils délieroient fur la terre , fe- roit délié dans le ciel.

Il pouvoit encore , lorfqu'il fut queftion de payer le tribut à Céfar , fe paifer des £lets de Pierre , pour-chercher une pièce d'argent dans les entrailles d'un poilfon ; lui qui des pierres mêmiCS , pouvoit fufci- ter des enfans d'Abraham , auroit pii à plus forte raifon , les changer en un mé- tal précieux , ÔC y trouver le prix du tri- but dû à Céfar ; mais en la perfonne du Chef (le l'Eglife , il vouloit inftruire tous fes Minières à refpeder ceux qui portent le glaive; 6c à donner , en rendant l'hon- neur 5c le tribut aux PuilTances établies de Dieu , un exemple de foumifiion au reile des Fidèles.

Ainfî , en fe fervant aujourd'hui de l'en- tremife des Apôtres , poiir d'ftribuer aux troupes le pain miraculeux, fon deffein e(ï d'accoutumer tous fes Difciples à la mifé- ricorde & à la libéralité envers les malheu- reux : il vous établit les Miniftres de fa

s UR L*A U M Ô Nf E. 12 J

Providence ; 6c ne multiplie les biens de îa terre entre vos mains , qu'afîn que delà ils fe répandent fur cette multitude d'ia» fortunés qui vous environne.

Il pourroit, fans doute , les nourrir lui» même ; comme il nourrit autrefois les Pauls & les Elies dans le défert : il pourroit , fans votre entremife , foulager des créatu- res qui portent fon image ; lui dont la main invilîble prépare la nourriture aux petits corbeaux mêmes, qui l'invoquent dans leur délaiffement : mais il veut vousaffocier au mérite de fa libéralité ; il veut que vous foyez placés entre lui 6c les pauvres , com- me des nuées fécondes , toujours prêtes à répandre fur eux les rofées bienfaifantes que vous n'avez reçues que pour eux.

Tel eft l'ordre de fa Providence : il falloit ménager à tous les hommes des moyens de falut : les richeifes corromproient le cœur , fi la charité n'en expioit les abus : l'indigence laiïeroit la vertu , fi les fecours de la miféricorde n'en adoucilfoient l'amer- tume : les pauvres facilitent aux riches le pardon de leurs plaifirs , les riches animent les pauvres à ne pas perdre le mérite de leurs fouffrances.

Appliquez - vous doiic , qui que vous foyez , à toute la fuite de cet Evangile. Si vous gémiflez fous le joug de l'indigence , la tendrelF^i ÔC l'attention de Jefus-Chrift fur les befoins d'un peuple errant 5c dé- pourvu , vous co ifolera : fi vous êtes dans Topuleace , l'exemple des Difciples

L i

124 IV. Dimanche de CARtME. va vous inftriiire. Vous y verrez en pre* mier lieu , les prétextes qu'on oppofe au devoir de l'aumône , confondus : vous y apprendrez en fécond lieu , quelles doivent en être les régies. C'eft-à-dire , que dans la première Partie de ce difcours , nous établirons ce devoir contre toutes les vai- nes excufes de la cupidité ; dans la féconde, nous vous inftruirons fur la manière de l'ac- complir , contre les défauts mêmes de la charité : c'eft Finftruélion la plus naturelle que nous préfente l'hiftoire de notre Evan- gile. Implorons le fecours de l'Efprit-faint par l'entremife de Marie. Ayt , Maria*

Fartxe. vJIn ne met guéres en queflion dans le monde , fi la Loi de Dieu nous fait un pré- cepte de l'aumône : l'Evangile eft fi précis fur ce devoir ; l'efprit 6c le fond de la Reli- gion y conduifent naturellement ; la feule idée que nous avons de la Providence , dans la difpenfation des chofes temporel- les , laiffe u peu de lieu fur ce point à l'o- pinion &. au doute , que,quoique pluiieurs ignorent toute l'étendue de cette obliga- tion , il n'eft perfonne néanmoins qui ne convienne du fond &C de la régie.

Qui l'ignore en effet , que le Seigneur , dont la Providence a réglé toutes chofes avec un ordre fi admirable , 5c préparé leur nourriture même aux animaux , n'au- roit pas voulu laiffer des hommes créés à fon image , en proie à la faim ÔC à Tindi- gence , tandis qu'il répandrait à pleines

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Sur l'A umô n e. t2$

mains fur un petit nombre d'heureux , la rofée du ciel 6>C la graiiTe de la terre ; s'il n'avoit prétendu que l'abondance des uns fuppléât à la néceirité des autres p

Qui l'ignore , que tous les biens appar- tenoient originairement à tous les hon"imes en commun ; que la (impie nature ne con- uoilToit , ni de propriété , ni de partage ; ÔC qu'elle laiiToit d'abord chacun de nous en polfeiTion de tout l'iniivers ? mais que pour mettre des bornes à la cupidité , 6c éviter les diffentions & les troubles , le commun confcntement des peuples établit que les plus fages, les plus miféricordieux, les plus intégres, feroicnt aufli les plus opii- lens ; qu'outre la portion du bien que la na- ture leur deftinoit , ils fe chargeroient en- core de celle des plus foibles , pour en être les dépofitaires , ÔC la défendre contre les ufurpations ôcles violences ; deforte qu'ils furent établis par la nature même , comme les tuteurs des malheureux; 5c que ce qu'ils eurent de trop , ne fut plus que l'héritage de leurs frères , confié à leurs foins 5c à leur équité ?

Qui l'ignore enfin , que les liens de la Religion ont encore relTerré ces premiers nœuds que la nature avoit formés parmi les hommes ; que la grâce de Jefus-Chrid , qui enfanta les premiers Fidèles , non-feu- lement n'en fit qu'un cœur 5c qu'une ame , mais encore qu'une famille , d'où toute propriété fut bannie ; & que l'Evangile ^ nous faifant une loi d'aimer nos frères com-

ti6 IV. Dimanche de Carême.

me nous-mêmes , ne nous permet plus , ©Il d'ignorer leurs befoins , ou d'être in- lenfibles à leurs peines ?

Mais il en eft du devoir de l'aumône , comme de tous les autres devoirs de la loi : en général , en idée on n'ofe en con- tredire l'obligation ; lacirconftance de l'ac- complir eft-elle arrivée ? on ne manque ja- mais de prétexte , ou pour s'en difpenfer tout-à-fait , ou pour ne s'en acquitter qu'à demi» Or, il femblequel'Efprit de Dieu a voulu nous marquer tous ces prétextes dans les réponfes que font les Difciples à Jefus- Chrift , pour s'excufer de fecourir cette multitude affamée qui l'avoitfuivi au dé- fcrt.

En premier lieu , ils le font fouvenir qu'à peine ont-ils de quoi fournir à leurs propres befoins , & qu'il ne leur relie que cinq pains d'orge , ÔC deux poilTons : iji puer unus hic , çid habct quinque panes

- ' ^' hordeaccos & duos pifces ; & voilà le pre- mier prétexte que la cupidité oppofe au devoir de la miféricorde. A peine a-t'on le nécellaire , on a un nom 6c un rang à fou- tenir dans le monde , des enfans à établir ^ des créanciers àfatisfaire , des fonds à dé-?, gager , des charges publiques à fupporter, mille fraix de pure bienféance aufquels il faut fournir ; or , qu'eft-ce qu'un revenu qui n'eft pas infini , pour des dépcnfes de

Idid. tant de fortes ? Sed hœc quid inter tantos ? Ainfi parle tous les jours le inonde , 6<: le mondele plus brillant ÔCle plus fomptueux.

Sur l'Aumône. 127

Or, mes Frères , je fais que les bornes du iiéceiraire ne font pas les mêmes pour tous les états ; qu'elles augmentent à pro- portion du rang ÔC de la naillance -, qu'une étoile , comme parle l'Apôtre , doit diffé- rer en clarté d'une autre étoile ; que mê- me, dès les fiécles Apoftoliques , on vo- yoit dans l'aiîemblée des Fidèles des hom- mes rei^êtus d'une robe de diiHnclion , ^ portant au doigt un anneau d^ , tandis que les autres d'une condition plus obicure, fe contentoient de fimples vétemens pour couvrir leur nudité ; qu'ainfi la Religion ne confond pas les états ; §C que fi elle dé- fend à ceux qui habitent les palais des Rois la moUefle des mœurs 6c le faite indécent des vétemens , elle ue leur ordonne pas aufli la pauvreté 8C la fimplicité de ceux qui vivent au fond des chamips , ÔC de la plus obfcure populace : je le fais.

Mais , mes Frères ^ c'eft une vérité inconteftable , que ce qu'il y a de fuperflu dans vos biens ne vous appartient pas ; que c'eft la portion des pauvres ; 5c que vous ne devez compter à vous de vos revenus , que ce qui eft nécelTaire pourfoutenir l'é- tat où la Providence vous a fait naître. Je vous demande donc , eft-ce l'Evangile ou la cupidité , qui doit régler ce nécelfaire : Oferiez-vous prétendre que toutes les va- nités dont Tufai^e vous fait une loi , vous fulfent comptées devant Dieu comme des dépenfes inféparables de votre condition ? prétendre que tout ce qui vous flâ.^e , vous

L4

12.8 IV. Dimanche de Carême. accommode , nourrit votre orgueil , Satis- fait vos caprices , corrompt votre cœur-, vous foit pour cela néccflaire ? prétendra que tout ce que vous facrifiez à la fortune d'un enfant pour relever plus haut que fes ancêtres ; tout ce que vous rifquez à un jeu €xcefljf ; que ce luxe, ou qui ne convient pas à votrenaiilance , ou qui en eftun abus^ iaient des droits inconteftahles qui doivent être pris iur vos biens avant ceux de la cha^ rite ? prétendre enfin , que parce qu'un père obfcur £<: échappé de la foule vous aura laiiTé héritier de fes tréfors , 5C peut-être auili de ùs inj.u/lices y il vous fera permis d'oublier votre peuple ÔC la maifon de VC:- tre père , vous mettre à côté des plus grands noms , 6c foutenir le mêm.e éclat ^ parcs que vous pouvez fournir à la même dé- penfe ?

Si cela eft aînfî , mes Frères ; fi vous ne comptez pour fuperflu que ce qui peut échapper à vos plaisirs y à vos profulions, à vos caprices , vous n'avez donc qu'à être voluptueux , capricieux ^ diilolu , prodi- gue , pour être difpenfé du devoir de Taur mône. Plus vous aurez de paillons à fatisr . faire , plus l'obligation d'être charitable diminuera ; 5c vos excès que le Seigui^ur vous ordonnoit d'expier par la miféricorde, feront eux-mêm.es le privilège qui vous ea décharge. Il faut donc qu'il y ait ici une ré- gie à obferver ,. ÔC des bornes à fe prefcri- re , différentes de celles de la cupidité : 6C la voici la régie de la foi. Tout ce quinjB

Sur l'A um ôk e. 12^

tend qu'à nourrir la vie d^s fens , qu'à flâ- ter les pafîîons , qu'à autorifer les pompes & les abus du monde ; tout cela eft fuperflu pour un Chrétien ; c'eii ce qu'il faut retran- cher ÔC mettre à part; voilà le fonds ôcThé- ritage des pauvres ; vous n'en êtes que le dépofitaire , ÔC ne pouvez y toucher fans ufurpatian ÔC fans injuftice. L'Evangile ^ mes Frères , réduit à peu le nécefTaire du Chrétien , quelque élevé qu'il foit dans le monde ; la religion retranche bien des dépenfes ; ÔC li nous vivions tous félon les régies de la Foi > nos befoins > qui ne fe- Toientplus multipliés par nos payions , fe- roient moindres ; nous trouverions la plus grande partie de nos biens inutile ; & com- me dans le premier âge de la foi , l'Eglife ne verroit point d'indigent parmi les Fi- dèles. Nos dépenfes augmentent tous les jours , parce que tous les jours nos paf- fîons fe multiplient ; l'opulence de nos pères n'eft plus qu'un état pauvre 6c mal- aifé pour nous ; 6c nos grands biens ne peuvent phis fuffire , parce que rien ne fuffit à qui ne fe refufe rien.

Et pour donner à cette vérité toute l'é- tendue que le demande le fuiet que nous traitons ; je vous demande en fécond lieu mes Frères , l'élévation &C l'abondance vous êtes nés , vous difpenfent-elles de la /implicite ^ de la frugahté , de la modeftie , de la violence évangélique ? Pour être nés grands , vous n'en êtes pas moins Chré- tieas. Eu vain ^ comme ces Ifraèiites daii&

130 IV. DlMAÎCCHE DE CaREME. le défert avez-voiis amailé plus de manne que vos frères ; vous n'en pouvez garder pour votre ufage , que la mefure prefcrite 2. Cor. parla Lqj . q^i multiim : non abunciavit* '^^* Hors de-là , Jefus-Chrift n'auroit défen- du le fafte, les pompes, les plailirs , qu'aux pauvres &. aux malheureux ; eux à qui l'infortune de leur condition rend cette défenfe fort inutile.

Or , cette vérité capitale fuppofée : fi félon la régie de la foi , il ne vous eft pas permis de faire fervir vos richelfes à la fé- licité de vos fens ; fi le riche eft obligé de porter fa croix ^ de ne chercher pas fa confolation en ce monde , &C de fe renon- cer fans celle foi-même comme le pauvre; quel a pii être le delTein de la Providence , en répandant fur vous les biens de la terre, & quel avantage peut-il vous en revenir à vous mêmes ? Seroit-ce de fournir à vos paflions défordonnées ? mais vous n'êtes

Î)lus redevables à la chair , pour vivre fe- on la chair. Seroit-ce de foutenir Torgueil du rang ^CdelanailfanceFmais tout ce que vous donnez à la vanité , vous le retran- chez de la charité. Seroit-ce de rhéfaurifer pour vos neveux ? mais votre tréfornedoit être que dans le ciel. Seroit-ce de pafler la vie plus agréablement ? mais fi vous ne pleurez , fi vous ne fouffrez , vous ne combattez, vous êtes perdus. Seroit-ce de vous attacher plus à la terre ? mais le Chré- tien n'eftpas de ce monde, il ell citoyen du fiécle à venir. Seroit-ce d'aggrandir vos

Sur l'Aumône. 137

poffefnons 5c vos héritages ? maïs vous n'aggrandiriez jamais que le lieu de votre exil ; ÔC le gain du monde entier vous fe- roit inutile , vous veniez à perdre votre ame. Seroit-ce de charger vos tables de mets plus exquis ? mais vous favez que l'E- vangile n'interdit pas moins la vie fenfuelle 6c voluptueule au riche , qu'à l'indigent , Rcpallez fur tous les avantages que vous pouvez retirer félon le monde de votre profpérité, ils vous font prefque tous in- terdits par la Loi de Dieu.

Ce n'a donc pas étéfon deffcin de vous les ménager , en vous faifant naître dans ^ l'abondance ; ce n'eft donc pas pour vous y que vous êtes nés grands: ce n'ell pas pour vous , comme le difoit autrefois IVlardo- chée à la pieufe Efther , que le Seigneur vous a élevée à ce point de grandeur 6c de profpérité qui vous environne ; c'eft pour Ion peuple affligé ; c'ell: pour être la pro- teélrice des infortunés : Et quis novit utrum ad regnum veneris y ut in tali tcmrore pa- ^MeA rareris ? Si vous ne répondez pas à ce def- ^' ''^^ fein de Dieu fur vous, coîitinuoit ce fage Juif, il fe fervira de quelque autre qui lui fera plus fidèle; il lui tranfportera cette cou- ronne qui vous étoit deftinée ; il faura bien pourvoir par quclqu'autre voie , à l'afflic- tion de fon peuple ; car il ne permet pas que les fiens périlTent ; mais vous 8c la maifon de votre père , périrez : Per aliam occajiomm liberabuntur Judœi ; & tu , & domus patris tulperibitis .Vous n'êtes donc ua^

Ï3i IV. DlxMANCHE DE CaREME. dans les deiTeins de Dieu , que les Miniflres de fa Providence envers les créatures qui fou£Frent : vos grands biens ne font donc que des dépôts facrés que fa bonté a mis entre vos mains , pour y être plus à cou- vert de Tufurpation <5c de la violence , ÔC confervés plus sûrement à la veuve Sc à Torphelin : votre abondance dans Tordre de fa fageife , n'eil donc deftinée qu'àfup- pléer à leur néceflité ; votre autorité , qu'à les protéger ; vos dignités , qu'à venger leurs intérêts ; votre rang , qu'à les con- foler par vos offices : tout ce que vous êtes , vous ne l'êtes que pour eux ; votre éléva- tion ne feroit plus l'ouvrage de Dieu , 5c il vous auroit maudit en répandant fur vous les biens de la terre , s'il vous les avoit donnés pour un autre ufage.

Ah ! ne nous alléguez donc plus , pour cxcufer votre dureté envers vos frères , des befoins que la Loi de Dieu condamne; jufliiiez plutôt fa Providence envers les créatures qui fouffrent ; faites-leur con- noître, en rentrant dans fon ordre, qu'il y a un Dieu pour elles comme pour vous ; & bénir les confeils adorables de fa fagelle dans la difpenfation des chofes d'ici-bas ^ qui leur a ménagé dans votre abondance des refTources û confolantes.

Mais d'ailleurs ^ mes Frères , que peu- vent retrancher à ces befoins que vous nous alléguez tant, les largeiTes modiques qu'on vous demande ? Le Seigneur n'exige pas de VOUS une partie de vos fonds &. de vos hd-

Sur l'A u mône. 135

rîtages , quoiqu'ils lui appartienent tout entiers , & qu'il ait droit de vous en dé- pouiller : il vous laiile tranquilles poiTef- feurs de ces terres , de ces palais , quî vous diftinguent dans votre peuple , 6C dont la piété de vos ancêtres enrichiffoit autrefois nos Temples : il ne vous ordonne pas comme à ce jeune Homme de l'E- vangile 5 de renoncer à tout, de diftribuer tout votre bien aux pauvres , &. de le fui- vre : il ne vous fait pas une loi , comme autrefois aux premiers Fidèles , de venir porter tous vos tréfors aux pieds de vos Pafteurs : il ne vous frappe pas d'anathême , comme il frappa Ananie 6c Saphire , pour avoir ofé feulement retenir une portion d'un bien qu'ils avoient reçu de leurs pères , vous qui ne devez peut-être qu'aux malheurs pu- blics , & à des gains odieux ou fufpedîs , l'accroiiTement de votre fortune : il confent que vous appelliez les terres de vos noms, comme dit le Prophète , & que vous tranf- mettiez à vos enfans les poflefTions qui vous font venues de vos ancêtres : il veut feulement que vous en retranchiez une lé- gère portion pour les infortunés qu'il laifTe dans rindigence : il veut que tandis que vous portez fur l'indécence 5>C le f afte de vos parures , la nourriture d'un peuple entier de malheureux , vous avez de quoi couvrir la nudité defesferviteurs qui n'ont pas repofer leur tête : il veut que de ces tables voluptueufes , vos grands biens peuvent à peine fuffirc à votre îenfua-

fî4 IV. Dimanche de Carême.

lité ; 6C aux profufions d'une délicateffe infenfée ; vous laifliez du moins tomber quelques miettes pour foulager des La- zares preilés de la faim 5c de la misère : il veut que tandis qu'on verra fur les murs de vos palais des peintures d'un prix bizarre &: excefîif , votre revenu puille fuffire pour honorer les images vivantes de votre Dieu ; il veut enfin que tandis que vous n'é- pargnerez rien pour fatisfaire la fureur d'un jeu outré ; ÔC que tout ira fondre dans ce gouffre , vous ne veniez pas fupputer votre dépenfe , mefurer vos forces , nous allé- guer la médiocrité de votre fortune , 6C l'embarras de vos affaires , quand il s'agira de confoler i'afïlidion d'un Chrétien. 11 le veut ; 6c n'a-t'il pas raifon de le vouloir ? Quoi ] vous feriez riche pour le mal , 6C pauvre pour le bien ? vos revenus fufîî- Toient pour vous perdre , 6c ils ne fufîî- roient pas pour vous fauver , ÔCpour ache- ter le ciel ? ÔC parce que vous outrez l'a- mour de vous même , il vous feroit per- snis d'être barbare envers vos frères ?

Mais , mes Frères , d'où vient que c'eft ici la feule circonflance , vous dimi- nuez vous-mêmes l'opinion qu'on a de vos richefles ? Par-tout ailleurs , vous voulez qu'on vous croye puifTans; vous vous don- nez pour tels ; vous cachez même quel- quefois fous des' dehors encore brillans , dus affaires déjà ruinées , pour foutenir cette vaine réputation d'opulence. Cette rauité ne vous abandonne doac , c|.ue lorf-.

Sur l' Aumône. ijj

qu'on vous fait foiivenir du devoir de la miféricorde : alors peu contens d'avouer la médiocrité de votre fortune , vous l'e- xagérez ; 6C la dureté l'emporte dans votre cœur , non-feulement fur la vérité , mais encore fur la vanité. Ah ! le Seigneur re- prochoit autrefois à un Evêque dans TA- pocalypfe : l^ous dites ,Jc fuis riche, je fuis ^P^^' comblé de bilans ; Ô^ vous ne fave^ pas que ^' '^* vous êtes pauvre , nud j ^ miférable â^ mes yeux. Mais il devroit aujourdhui chan- ger ce reproche à votre égard , §C vous dire : O ! vous vous plaignez que vous êtes pauvre, ôc dépourvu de tout; ÔC vous ne voulez pas voir que vous êtes riche , comblé de biens , &C que dans un tems ou prefque tous ceux qui vous environnent louiirenî , vous feul ne manquez de rien k mes yeux.

Et c'eft ici le fécond prétexte qu'on op- pofe au devoir de l'aumône; la mifére gé- nérale. Aufli les Difciples répondent en fé- cond lieu au Sauveur pour s'excufer de fe- courir cette multitude affamée, qu.e le lieu eft défert ôc ftérile , que l'heure eft déjà palTée , 5c qu'il faut renvoyer le peuple, afin qu'il aille dans les bourgs, ÔC dans les maifons voiiînes , acheter de quoi le nour- rir .• JJeferîus eft locus hic , & jam hora MarcÈ prcsteriit. Nouveau prétexte dont on fe fert^* 33» pour fe difpenfer de la miféricorde : le malheur des tems ; la flérilité ôC le dé- ranî^ement des faifons.

Mais premièrement Jefus-Chriil n'au-

Ï3-5 IV. Dimanche de Carême. roit-il pas pu répondre aux Difciples , dit 5. Chryfoftôme : C'eft parce que le lieu eft défert & fiérile & que ce peuple ne fau- joit y trouver de quoi foulager fa faim , qu'il ne faut pas le renvoyer à jeun , de peur que les forces ne lui manquent en che- min. Et voilà , mes Frères , ce que je pourrois auiîi d'abord vous répondre : Les tems font mauvais ; les faifons font fâcheu- £qs : ah ' c'efl pour cela même que vous de- veZ| entrer dans des inquiétudes plus vives tf. plus tendres fur los befoins de vos frè- res. Si le lieu eft défert ÔCftérile pour vous, que doit-il être pour tant de malheureux ? vous vous reilentez du malheur des tems , ceux qui n'ont pas les mêmes reifources que vous , que n'en doivent-ils pas fouf- frir ? les plaies de l'Egypte entrent juf- ques dans les palais des Orands 6c de Pha- raon même , quelle fera la défolation de la cabane du pauvre ÔC du laboureur ; fi les Princes d'Ilraèl , dans Samarie affligée , ne trouvent plus de refTource dans leur aire , iii dans leur prefToir, félon l'expreiTiondu Prophète, quelle fera l'extrémité d'une po- pulace obfcure , réduite peut-être , com- me cette mère infortunée , non à fe nour- rir du fang de fon enfant , mais à faire de fon innocence ÔC de fon ame , le prix fu- nefte de fa néceHité ?

Mais d'ailleurs , ces fléaux dont nous fommes affligés , ÔC dont vous vous plai- gnez , font la peine de votre dureté envers les pauvres j Dieu venge fur vos biens l'in- -

juftc

Sur l' Au m ô n e. 137 jufie lîfag.e que vous en faites ; ce fontles^ cris ÔC les gémiffemens des malheureux^ que vous abandonnez, qui attirent l'indi- gnation du Ciel fur vos terres ÔC fur vos campagnes. C'eft donc dans ces calamités publiques , qu'il faut vous hâter d'appaifer la colère de Dieu par l'abondance de vos largefles ; c'eft alors qu'il faut plus que ja- mais intérefler les pauvres dans vos malr- heurs. Ah ! vous vous avifez de vousadref- fer au Ciel, d'invoquer par dos fupplica- tions générales , les faints Protefteurs de cette Monarchie ,,pour obtenir des faifons.

Elus heureufes , la ceffation des iléaux pu- lies , le retour delaférénité &de l'abon- dance : mais ce n'eu pas feulementqu'il. faut porter vos vœux & vos prières : vous^ ne trouverez jamais les Saints fenfibles â vos peines, tandis que vous ne le ferez pas;-** vous-mêmes à celles de vos frères rvous avez fur la terre les maîtres des vents ôC des faifons ; adrelTez-vous aux pauvres , ce font eux qui ont , pour aînfi dire yles clefs- du Ciel; ce font leurs vœux , qui. règlent les tems êC les faifons; qui nous ramènent" des jours fereins ou funeiles; qui iiifpen- dent au qui attirent les faveurs du Ciel : car l'abondance n'eft donnée à la terre que. pour leur fouragement ; 5c ce n'eii que.* par rapporta eux,, que: le Ciel vous punit^^ Qu que le Ciel, vous favorife..

Mais pour achever de vous confondre^j;; lïous ,. mes Frères , qui" nou^ alléguez fil fcrtle malheur, dès tems :.la. rigueur pr6^

Çaî^ètm X Tome. UL* M

158 IV. Dimanche de Carême.

lendue de ces tems retranche-t'elle qneî- <[ue chofe à vos plaifirs ? que fouffrent vos pafTions des miféres publiques ? Si le mal- heur des tems vous oblige à vous retran- cher fur vos dépenfes , retranchez d'abord tout ce que la Religion condamne dans l'u- fage de vos biens ; réglez vos tables , vos parures , vos jeux , vos trains ^ vos édifi- ces fur le pied de l'Evangile ; que les re- tranchemens de la charité ne viennent du Tnoins qu'après tous les autres ; retranchez vos crimes , avant que de retrancher vos devoirs. C^eû le deffein de Dieu, quand il frappe de ftérilité les Provinces 6c les Royaumes , d'ôter aux Grands 6c aux PuiiTans , les occaGons des diffolutions ÔC des excès : entrez donc dans l'ordre de fa juftice & de fa fageffe ; regardez - vous comme des criminels publics que le Sei- gneur châtie par des punitions publiques y dites-lui , comme David ^ lorfqu'il vit la main de Dieu appéfantie fur fqn peuple : C'eft fur moi , Seigneur , qui fuis le feul coupable , qui ai attiré votre indignation fur fon Royaume en abufant de ma profpé- rité , ÔC en me livrant à des pafTions hon- teufes ; c'eft fur moi feul , que doit tomber la fureur de votre bras : lArtatur , ob/ecro, J^^l-^f' fnanus tua contra me : mais cqXIq populace obfcure 5C affligée ; mais ces infortunés ^ qui dans une condition pénible , ne raan- geoient leur pain qu'à la fueur de leur fronti eh ! qu'ont-ils fait , Seigneur , pour être; expoiés au glaive de votre vengeance î

s U R L'A U M ô N E. Î39

Egofum qui peccavl ; c^o inique egi : ijli qui oves funt quid f'ccerunt ? ^

Voilà votre modèle : faites ceffer , en finillant vos défordres , la caufe des mal- heurs publics ; offrez à Dieu , en la per- fonne des pauvres , le retranchement de vos plaifirs 6c de vos profufions , comme le feul facrifîce de juftice , capable de dé- farmer fa colère ; & puifque ces fléaux ne tombent fur la terre que pour punir l'abus que vous avez fait de l'abondance , portez- en auiTi tout feuls , en retranchant ces abus , la peine ôC Tamertume. Mais qu'on ne s'ap- perçoive des malheurs publics , ni dans l'orgueil des équipages , ni dans la fenfua- lité des repas , ni dans la m^gnilicence des édifices , ni dans la fureur du jeu ÔCl'entê- tement des plaifirs , mais feulement dans votre inhumanité envers les pauvres ; mais que tout au- dehors , les fpeâacles , les af- femblées profanes, les jouiflances publi- ques , que tout aille même train , tandis que la charité feule fe refroidira \ mais que le luxe croiil'e même de jour en jour, 6C que lamifericorde feule diminue ; m.ais que le monde &. le démon , ne perdent rien au malheur des tems , tandis que Jefus-Chrift tout feul en foufFre dans fes membres affli- gés ; mais que le riche , à couvert de fon opulence , ne voye q^.\Q de loin les effets de la colère du Ciel , tandis que le pauvre ÔC l'innocent en deviendroitla trifte viclime* Grand Dieu ! vous ne voudriez donc frap- per que les malheureux en répandant de$

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14©^ TV. Dimanche de Carsme; fléaux fur la terre ? votre unique dcÏÏein fé^ roit'cionc d'achever d'écrafer ces infortunés fiir qui votre main s'étoitdéjàfî fort appe- fantie, en les faifant naître dans l'indigence & dans la mifére? les puiiTans deTEgypte feroientdonc épargnés-par l'Ange extermi- nateur-, tandis que toute votre fureur vien- droitfondre.furrîfraèlite affligé , fur fou toit pauvre 5c dépourvu, ÔC marqué mê- me du fang de rAgneau ? Gui , mes Fre^ res , lés, calamités publiques ne font deili* nées qu'à' punir les riches ÔC les puiflans ; & ce font-le^ riches 6c les puilîans tout feuls quin'en fouffrent rien ; au cantraire. en multi^liant-les malheureux , elles leur- fourniiTent un nouveau prétexte de fe dif-- penfer du devoir-de la miférieorde.

Dernière excufe des Difeiples , fondés fur le grand nombre de perfonnes qui ont fuivi le Sauveur au déiert : Ce peuple cih en fi grand nombre, difent-iis, que quand nous achèterions pour^deux cens deniers de pain , ,cela ne fufiiroit pas. Dernier pré- texte qu'on oppofe au devoir ne l'aumône y la multitude des pauvres. Oui , mes Frè- res, ce qui devroit ranimer la charité , réteint: la multitude des malheureux vous, endurcit à leurs miféres: plus le devoir aug-«. mente > plus vous vous en, croyez déga^ gés ; 6c vous devenez cruels , pour avoiîJ- trop d'occafions d-être charitables.

Mais en premier lieu ^_ d'où vient , je.? vous prie, cette multitude de pauvres dont: ncQUS-vo us plaignez ? Je fais que. le. malheur

SvK l'A u ivrô ne. t^i

ies tems peut eu augmenter le nombre r jnais les guerres , les maladies populaires ,. les dércglemens de5 iaifons que nous, éprouvons , ont été de taus les fîécles : les. calamités que nous voyons y ne font, pas^ nouvelles ,. nos pères les ont vâes^& ils. en ont vu même de plus triftes ; des diden- fions civiles , le père armé contre, l'enfant j,, le frère contre le frere> les campagnesr ravagées par leuri propres habitans ; le: Royaume en- proie à des nations ennemies;, perfonne en sûreté fous fon propre, toît :. nous ne voyons pas c^s malheurs ; mais ont- ils vil ce que nous voyons.? tant de miféres? publiques 6c cachées ? tant de familles dé- chues ? tant de citoyensautrefoisdillingués aujourd'hui fur la poufllére , ÔC confondus, avec le plus vil peuple? les arts devenus prefqueinutiles? l'image de la faim 6cdela mort répandue fur les villes 6cfur les cam., pagnes ? que dirai- je ? tant de défordres fe* crets qui éclatent tous les jours , qui for* tent de leurs ténèbres ,.& où. précipite le défefpoirSc l'aiFreufenéceffité? D'où vient cela , mes Frères In'eft- ce pas d'un luxe qui engloutit tout, &. qui étoit inconnu à nos pères ? de vos dépenfas qui ne connoif? fent plus de bornes , 6c qui entraînent né- ceffairement. avec, elles le. refroidilTement- de l'a- charité?

Ah' ! l'Eglife-naiiTante n'étoit-eile pas perfécutée ,. défolée.,. affligée ? les mal-- îleurs de nos fîécîés approchent-ils ceux îâ? Oii jr foufFroitla profcriptiou des bien^t.

142 IV. Dimanche de Carême. l'exil , la prlfon , les charges les plus oné* leufes de l'Etat tomboient fur ceux qu'on foupçonnoit d'être Chrétiens; en un mot , on ne vit jamais tant de calamités : 6c ce- pendant il n'y avoit point de pauvres parmi Idci, 4-34' eux y dit S. Luc : Nec çuifçuam egens erat inter illos. Ah ! c'eft que des richeffes de fimplicité fortoient du fonds de leur pau- vreté même , félon Texpreffion de TA» pôtre ; c'eft qu'ils donnoient félon leurs forces ôC au-de ; c'ell que des Provinces les plus éloignées , par les foins des hom- mes Apoftoiiques , couloienî des fleuves de charité, qui venoient confoler les frères ailemblés à Jérufalem , 5c plus expofés que les autres à la fureur de la Synagogue» Mais plus encore que tout cela : c'eft que les plus puiiTans d'entre les premiers Fidé^ les étoient ornés de modeftie ; 5c que nos grands biens peuvent à peiriC fuffire au faftemonftrueux dont î'ufage nous fait une loi: c'eft que leurs feftins étoient des repas de fobriété bi de charité ; 5c que la fainte abftinence même que nous célébrons , ne peut modérer parmi nous les profufions ÔC les excès des tables 5c des repas : ctO: que n'ayant point ici bas de cité permanente , ils ne s'épuUbient pas pour y faire des éta- blillemens briilans, pour iliuilrer leur nom, pour élever leur poflérité > &C ennoblir lelir oblx:urité ÔC leur roture ^ ils ne pen- foienî qu'à s'alTurer une meilleure -condi- tion dans \i patrie céleftè ; ÔC qu'aujour- d'hui nui n'eft content de fon état j chacun

Sur L'Aumône. ^ 143 veut monter plus haut que fes ancêtres ; & que leur patrimoine n'eft employé qu'à acheter des titres ÔC des dignités qui puif- fent faire oublier leur nom 6c la bairelîe de leur origine : en un mot , c'eft que la di- minution de ces premiers Fidèles , comme parle l'Apôtre , faifoit toute la richelTe de leurs frères affligés , 6c que nos profufions font aujourd'hui toute leur mifére bL leur indigence. Ce font donc , nos excès , mes Frères , 5C notre dureté , qui multiplient le nombre des malheureuxrn'excufez donc plus là-deffus le défaut de vos aumônes ; ce feroit faire de votre péché même votre excufe. Ah ! vous vous plaignez que les pauvres vous accablent y mais c'ell de quoi ils auroient lieu de fe plaindre un jour eux- mêmes : ne leur faites donc pas un crime de votre infenfibilité , 5c ne leur reprochez pas ce qu'ils vous reprocheront fans doute un jour devant le tribunal de Jefus-Chrift, Si chacun de vous , félon l'avis de l'A- pôtre , mettoità partuue certaine portion de Tes biens pour la fubfiftance des mal- heureux ; dans la lupputation de vos dépenfes 6c de vos revenus , cet article étoit toujours le plus facré 6c le plus in- violable ; eh ! nous verrions bientôt dimi- nuer parmi nous le nombre des affligés : nous verrions bientôt renaître dans l'Egli- fe la paix , rallegrelTc , l'heureufe égalité des premiers Chrétiens ; nous n'y verrions plus avec douleur cette monftrueufe dif- proportion , q^ui élève les uns Ç»C ks çhç^

144 rv. Dimanche de Carême. fur le faîte de la profpérité & de Topi!-^ lence, tandis que les autres rampent fur la terre , ôC géiniiïent dans l'abîme de l'indi- gence 6C de Tafflidion l'û n'y auroit par- mi nous de malheureux que les impies ;, point de miféres fecrettes, que celles que le péché opère dans les âmes ; point de larmes, que des larmes de pénitence ; point de foupirs que pour le Ciel; point de pau- vres que ces heureux Difciples de l'Evan- i»ile, quirenon<:ent à tautpour fuivre leur , Vlaître :. nos villes feroient le féjour de; 'innocence 6c de la miférieorde ; la Re-^ ; igion , uncommerce de charité : la terre ^ .'image du ciel, dans diiî^reîites me- :'ures de gloire, chacun ei^ également heu- reux ; 6c les ennemis de la foi feroient encore forces , comme autrefois , de ren» dre gloire, à Dieu , 6c de convenir qu'il y a quelque chofe de divin dans une Religioa qui peut unir les hommes d'une manière nouvelle- Mais ce qui fait ici la méprife , c'efl que dans la pratique perfonne ne regarde l'au- Hiônecomme une des plus efTentielles oblir gâtions du Chriftianifme ; ainfi on n'a rien de réglé fur ce point : fi l'on fait quelque liargelTe , c'eii: toujours d'une façon arbi^ traire ; 54 quelque légère qu'elle pui iTe- être, on eft content de foi-même , com^ me fî, on venoit. de faire une œuvre de: furcroîtk

Car d'ailleurs-, mes Frères ,- quand vous> fréteudez exciifer 1^ niadicité de. vo^.aut-

môxiei»

Sur l' a u m ô n e- 14$ laônes , en difant que le nombre des pau- vres eft infini ; que croyez-vous dire par- ? vous dites que vos obligations à leur égard font devenues plus indifpenfables ; que votre miféricorde doit croître à me- fureque les miféres croiiTent ; 5c que vous contractez de nouvelles dettes, en même- tems qu'il s'élève de nouveaux malheureux fur la terre. C'efl alors, mes Frères ; c'eft dans ces calamités publiques , que vous devez vous retrancher même fur des dé- penfes^ qui hors de-là vous feroient per- uiifes év. peut-être néceffaires : c'eil alors que vous ne devez plus vous regarder que comme le premier pauvre , 5c pren- dre , comme une aumône tout ce que vous prenez pour vous-même : c'efi: alors que vous n'êtes plus ni grand, ni homme en place-, ni citoyen diitingué, ni femme de naiiTance ; vous êtes fîmplement Fidèle, membre de Jefus-Chrift ^ frère d'un Chré- tien affligé.

Et certes dites-moi : tandis que les villes Se les campagnes font frappées de cala- mités ; que des hommes créés à l'image de Dieu ^ ÔC rachetés de tout fon fang , broutent l'herbe comm.e des animaux , ôC dans leur néceflité extrême^ vont chercher à travers les champs , une nourriture que la terre n'a pas faite pour l'hom.me, ôc qui devient pour eux un.e nourriture de mort; auriez-vous la force d'y être le feul heu- reux ? Tandis que la face de tout un Rovau- ^'"/'^^^

ftl ' ç^ -y , prononcé

changée, 5C que tO Ut retenti^ de >/i ijo^i.

146 IV. DixMANCHE DE CaRÈME. cris 5c de gémilTemens autour de votre demeure fuperbe ; pourriez-vous confer- ver au-dedans le même air de joye , de pompe , de férénité , d'opulence ? Sc feroit rhumanité , la raifon , la Religion ? Dans une république payenne , on vous regarderoit comme un mauvais citoyen ; dans une ibciété de fages Sc de mondains , comm.e une ame vile , fordide , fans no- blelle , fans génërofité , fans élévation ; 6C dans l'Eglife de Jefus-Chrift , fur quel pied voulez-vous qu'on vous regarde ? eh ! comme un monftre indigne du nom de Chrétien que vous portez , de la foi dont vous vous glorifiez , des Sacremens dont vous approchez, de l'entrée même de nos Temples vous venez , puifque ce font- les fymboles facrés de l'union qui doit être parmi les Fidèles.

Cependant la main du Seigneur eft éten- due fur nos peuples dans les villes ^ dans îes campagnes ; vous le favez , 6c vous vous en plaignez : le Ciel eft d'airain pour ce Royaume affligé ; la mifére , la pau-» vreté , la défolation , la mort marcnent partout devant vous. Or , vous échappe-t'il de ces excès de charité , devenus mainte-- nant une loi de difcrétion ÔC de juftice l prenez-vous fur vous-même une partie des calamités de vos frères ? vous voit- on feu- lement toucher à vos profufions 6c à vos voluptés , criminelles en toute forte de tems , mais barbares 5C puniflables même p^r -les loi? des hommes en celui-ci ? Que

Sur l'Aumône. 147

dlrâî-]e?ne mettez-vous pas peut-être à profit les miféres publiques ? ne faites- vour pas peut-être de l'indigence comme une occafion barbare de gain ? n'achevez-vous pas peut-être de dépouiller les malheu- reux, en affeftant de leur tendre une main fecourable ? 2>C ne favez-vous pas l'art in- humain d'apprétier les larmes ÔClesnécef» dtés de vos frères ? Entrailles cruelles! dit l'Efprit de Dieu , quand vous ferez raffafîéj vous vous fentirez déchiré : votre félicité fera elle-même votre fupplice ; Sc le Sei- gneur fera pleuvoir fur vous fa fureur 6c fa guerre.

Mes Frères , que îa préfence des pauvre» devant le tribunal de Jefus - Chrift fera terrible pour la plupart des riches du mon« de ! que ces accufateurs feront puiffans i ê>C qu'il vous reftera peu de chofe à répon- dre , quand ils vous reprocheront qu'il fal- loit fi peu de fecours pour foulager leur indigence ; qu'un feul jour retranché de vosprofufions, auroit fuffi pour remédier aux befoins d'une de leurs années ; que c'eft leur propre bien que vous leur refufiez, puifquc ce que vous aviez de trop leur ap- partenoit ; qu'ainfi vous avez été non-feu- lement cruels , mais encore injufies en le leur refufant ; mais enfin que votre dureté n'a fervi qu'à exercer leur patience , ÔC les rendre plus dignes de l'immortalité , tandis que vous alors , dépouillés pour toujours de ces mêmes biens que vous n'avez pas VQulu mettre eu sûreté dans le feiii de^

N ft

148 IV. DlMAN'CHE DE CaREME. pauvres , n'aurez plus pour partage que la î"nalédi6i:ion préparée à ceux qui auront vu Jefus-Chriil fouffrant la faim, la foif , la nudité dans fes membres , 5c qui ne Matth. l'auront pas foulage : l^udus eram , & non *^' '♦3* cooveruiftis me. Telle eft Fillufion des pré- textes dont onfefertpour fe difpenfer du devoir de Taumone; établilTons mainte- nant les régies qu'il faut obferver en Tac- complilfant : 6c après avoir défendu cette obligation contre toutes les vaines excufes de la cupidité , tâchons de la fauver auflî ûts défauts même de la charité.

Ni

E point fonner de la trompette pour s'attirer les regards publics dans les offices de miféricorde que nous rendons à nos frères ; obferver Tordre de la jufticc même dans la charité , ÔC ne pas préférer des be- foins étrangers à ceux dont nous fommes chargés ; paroitre touchés de l'infortune , & favoir confolcr les pauvres paf notre af- fabilité autant que par nos dons ; enfin éclairer même par notre vigilance , le fe- cret de leur honte : voilà les régies que nous prefcrit aujourdhui l'exemple du Sau- veur , dans la pratique de la miféricorde. . Premièrement , il s'en alla dans un lieu défert 8c écarté , dit l'Evangile ^ il monta fur une montagne il s'aiïit avec fes Dif- ciples. Son delTein , félon les faints Inter- prêtes , étoit de dérober aux yeux des villes voifines le prodige de la multiplica-» tion çles pains ] ôc de n'avoir ppur témoins

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Sur l' a u m ô x\ e." !40

de fa miféricorde , que ceux qui dévoient en reilentir les effets. Première inftruction, 5>C première régie : le fecret de ta charité.

Oui , mes Frères , que de fruits de la miféricorde 5 le vent brûlant de Torgueil bi de la vaine coinplaifance, flétrit tous les jours aux yeux de Dieu ! que d'aumônes perdues pour Téternité ! que de tréfors qu'on croyoit en sûreté dans le fcin des pauvres, &C qui paroitrontun jour corrom- pus par le ver & par la rouille I

A la vérité , il eft peu de ces hypocrî- fies groiTiéres ÔC déclarées , qui publient fur les toits le mérite de leurs œuvres fainîes ; l'orgueil eft plus habile , 6c ne fe démafque jamais tout-à-fait: mais qu'il eft encore moins de véritables zèles de chari* , qui cherchent comme Jefus-Chrift , les lieux folitaires 6c écartés , pour y ca* cher leurs faintes profufions ! on ne voit prefque que de ces zèles failueux , qm n'ont des yeux que pour des miféres d'é- clat ; 5c qui veulent pieufement mettre le public dans la confidence de leurs largelTes: on prendra bien quelquefois des mefures pour les cacher; mais on n*ell pas fâché qu'une indifcrétionles trahilTe: on ne cher- chera pas les regards publics ; mais on fera ravi que les regards publics nous furpren- nent ; 6c l'on regarde prefque comme per- dues les libéralités qui font ignorées.

Hélas ! nos Temples 6c nos autels n'éta% lent-ils pas de toutes parts avec leu rs dons, les noms & les marques de leurs bienfai*

150 IV. DlMAKéMÊ DE CARE^rE; teurs, c'eft-à-dire, les monumens pubIiiJ«r tlela vanité de nos pères ÔC de la nôtre ? Si l'on ne vouloit que l'œil invifible du -Père célefte pour témoin , à quoi bon cette vaine oftentation ? Craignez-vous que le Seigneur n'oublie vos offrandes ? faut-il que du fond du Sanftuaire , nous Tado- rons , il ne puille jetter fes regards fans en retrouver le fouvenir ? Si vous ne vous propofez que de lui plaire , pourquoi ex- pofer vos largeiTes à d'autres yeux qu'aux liens ? pourquoi fes Miniftres eux-mêmes , dans les fondrions les plus redoutables du Sacerdoce , paroîtront-ils à l'autel , ils ne devroient porter que les péchés du peu- ple , chargés ÔC revêtus des marques de votre vanité ? pourquoi ces titres ÔC ces infcriptions qui immortalifcnt fur des mur» facrés vos dons 5c votre orgueil ? N'étoit- £Q pas allez que ces dons fulfent écrits de la main même du Seigneur dans le livre de vie ? pourquoi graver fur le marbre qui périra , le mérite d'une action que la cha- rité avoit pu rendre immortelle ?

Ah ! Salomon , après avoir élevé le Temple k plus pompeux & le plus ma- gnifique qui fût jamais , n'y fit graver que le nom redoutable du Seigneur ; 6c n'eut garde de mêler les marques de la grandeur de fa race avec celles de la majeilé éter- nelle du Roi des Rois. On donne un nom de piété à cet ufage ; on fe perfuade que ces monumens publics follicitent les libé* lalités des Fidèles. Mais le Seigneur a-t'il

Sur l'A u Mo n e, 151

chargé votre vanité du foin d'attirer des largelFes à fes autels ? 6c vous a-fil per- mis d'être moins modeftes, afin que vos frères devinffent plus charitables ? Hélas î les plus puiffans d'entre les prem iers Fidèles portoient fimplement , comme* les plus obfcurs , leur patrimoine aux pieds des Apôtres : ils voyoientavec une fainte joye, leurs nomsôc leurs biens confondus avec ceux de leurs frères qui avoient moins of- fert qu'eux : on ne les diftinguoit pas alors dans l'affemblée des Fidèles à proportion de leurs largefTes : les honneurs 6c les pre- féances n'y étoicnt pas encore le prix des dons 6c des offrandes ; bL Ton n'avoit garde de changer la récompenfe éternelle qu'on attendoit du Seigneur , en cette gloire fri- vole , qu'on auroit pu recevoir des hom- mes : & aujourd'hui l'Eglife u'a pas affez de privilèges peur fatisfaire la vanité de fes bienfaiteurs ; leurs places y font mar- quées dans le fanftuaire ; leurs tombeaux y paroilTent jufques fous l'autel , ne de» vroient repofer que les cendres des Mar* tyrs ; on leur rend même des honneurs qui devroient être réfervès à la gloire du Sa- cerdoce ; 6c s'ils ne portent pas la main à l'enccnfoir , ils veulent du moins partager avec le Seigneur l'encens qui brûle furfes autels. L'ufage autorife cet abus , il eft vrai ; mais l'ufage ne juflifîe jamais ce qu'il autorife.

La charité , mes Frères ; eft cette bonne odeur de Jefus-Chrift qui s'évanouit ÔC

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I?2 IV. DlMAN^CHË DE CARLME." s'éteint du moment qu'on la découvre. Ce n'eil pas qu'il faille s'abflenir des offices pu- blics de mJféricorde : nous devons à nos frères l'édification &: l'exemple : il eft boa qu'ils voyent nos œuvres ; mais il ne faut pas que nous les voyions nous-mêmes ; ôC notre gauche doit ignorer les dons que ré- pand notre droite : les aérions mêmes ; que le devoir rend les plus éclatantes, doi- vent toujours être fecrettes dans la prépa- ration du cœur : nous devons entrer pour elles dans une manière de jalouiîe contre les regards étrangers; &C ne croire leur in- nocence en sûreté , qiîe lorfqu'elles font fous les yeux de Dieu feul. Oui , mes Frères , les aumônes qui ont prefque tou- jours coulé en fecret , arrivent bien plus pures dans le feia de Dieu même , que celles qui, expofées même malgré nous aux yeux des hommes , on été comme grolïïes 6c troublées fur leur courfe par les complaifances inévitables de l'amour propre , 5c par les louanges des fpe6la- îeurs : femblables à ces fleuves qui ont prefque toujours coulé fous la terre , 6C qui portent dans le fein de la mer des eaux vives 6c pures , au lieu que ceux qui ont traverfé à découvert les plaines ôC les cam- pagnes , n'y portent d'ordinaire que àes eauxbourbeufes,5c traînent toujours après eux les débris , les cadavres , le limon qu'ils ont amalTé fur leur route. Voilà donc la première régie de charité que nous pref" ■crit aujourd'iuûle SauveBJ ; éviter ig h&9

Sur VAvMost: isj

5c roftcntation dans les œuvres de mifé- ricorde ; ne vouloir y être remarqué . par le rang qu'on y tient, ni par la gloire d'en être le principal auteur , ni par le bruit qu'elles peuvent faire dans le monde ; 6C ne point perdre fur la terre ce que la cha-\ rite n'avoit amaffé que pour le Ciel.

La féconde circonftance que je remarqua dans notre Evangile , c'eft que nul de toute cette multitude qui s'offre à Jefus-Chriil , n'eft rejette : tous indifféremment font fou- lages ; & on ne lit pas que le Gauveur ait ufc à leur égard de diilinôion èC d€ préfé- rence. Seconde régie ; la charité eft univer- felle : elle bannit ces libéralité; de goût 8C de caprice , qui ne fem.blent ouvrir le cœur à certaines miféres, que peur le fer- mer à toutes les autres. Vou* trouvez des perfonnes dans le monde, qui fous pré- texte qu elles ont leurs aumônes réglées ôC des lieux deftinés pour les recevoir , font infenfibles à tous les autres befoins. Envain vous les avertiriez qu'une famille va tom-« ber faute d'un léger fecours ; qu'une jeunç perfonne eft fur le bord du précipice , fi Ton ne fe hâte de lui tendre une main fe-» courable ; qu'un établiiTement utile va manquer , fi un renouvellement de chanté nelefoutient : ce ne font pas-là des mifé- res de leur goiit ; & en plaçant ailleurs quelques largelTes , elles croyent acheter le droit de voir d'un œil fec , & d'un cœur indifférent , toutes les autres infortunes. Je ùà$ que la charité a feu Qxdre &C A

154 IV. Dimanche de Carême. mefure qu'elle doit iifer de difcernement; 6c que la juftice veut que certains befoins foient préférés : mais je ne voudrois pas cette charité méthodique , s'il eft permis de parler ainf], qui fait précifément à quoi s'en tenir ; qui a fes jours , fes lieux , fes perfonnes , fes bornes ; qui hors de-làeft Larbare, & qui peut convenir avec elle- même de n'être touchée qu'en certains tems, 6c à l'égard de certains befoins: Ah ! eft- on ainfi maître de fon cœur , quand on aime véritablement fes frères ? peut- on u fon gré fe marquer à foi-même les momens d'ardeur 6c d'indifférence ? La charité , ce faint amour efl-il fi régulier quand ilern- brafe véritablement le cœur ? n'a-t'il pas , il je l'ofe dire , fes faillies 6c fes excès ? ÔC ïie fe trouve-fil pas des occaiions (i tou- chantes , quand vous n'auriez qu'une étincelle de charité dans le cœur , elle fe fait fenîir , ôC ouvre à finitant vos entrail- les 6c vos richelTes à votre frère ?

Je ne voudrois pas cette charité dure- ment circonfpe£le , qui n'a jamais aifez examiné , &: qui fe défie toujours de la vérité des befoins qu'on lui expofe. Voyez fi dans cette multitude que Jefus-Chrift raffafie aujourd'hui , il s'attache à difcerner ceux que la pareffe 6c l'efpérance toute feule d'une nourriture corporelle, avoient pu attirer au défert, ÔCqui auroienteu en- core affez de force pour aller chercher à manger dans les villes voifines : nul n'eft excepté de ks divins bienfaits. N'eil-ce

Sur l'A um 6 né. 15$

pas déjà une allez grande mifére, que d'ê- tre réduit à feindre même qu'on eft mal- heureux ? Ne vaut-il pas mieux encore donner à de faux befoins , que courir rifque de refuferà des befoins véritables ? Quand un impofteur féduiroit votre charité , qu'en feroit-il ? n'eft-ce pas toujours J. C. qui la reçoit de votre main ? & votre récom- penfe eft-elle attachée à l'abus qu'on peut faire de votre aumône , ou à l'intention elle-même qui l'offre ?

De cette régie il en naît une troifiéme^ marquée encore dans l'hifloire de notre Evangile : c'eft que non-feulemens la cha- rité dcit être univerfelle , mais douce , af- fable, compatiflante. Jefus-Chrift voyant ce peuple errant ôC dépourvu au pied de la montagne , eft touché de pitié : Mifertus -^nf^ ejl eis\ ce fpeftacle l'attendrit; la mifére ;^,i^» de cette multitude réveille fa compafîion & fa tendreile. Troifiéme régie : la dou- ceur de la charité.

On accompagne fouvent la miférlcorde de tant de dureté envers les malheureux ; en leur tendant une main fecourabie , on leur iriontre un vifage dur ÔC fi févère , qu'un fimple refus eût été moins accablant pour eux , qu'une charité fi féche 5c fi fa- Tpuche: car la pitié qui paroît touchée de nos maux , les confole prefque autant que la libéralité qui les foulage. On leur re- proche leur force , leur parelle , leurs mœurs errantes 5c vagabondes : on s'en prend à eux de leur indigence ÔC de leia

Ï56 IV. DiMAxCHî- Caremë. n"iilëre ; 6c en les fecoiirant , on acheté le droit de les infiilter. Mais s'il étoit per- mis à ce malheureux que vous outragez , de vous répomlre : îi rabjeftion de fon état ii'avoit pas mis le frein de la honte 6c dti refpe£l iiir fa langue : Que me reprochez- vous , vous diroit-il ? une vie oifeufe , 6c des m.œurs inutiles 6c errantes ? mais quels font les foins qui vous occupent dans vo- tre opulence? les foucis de Fambition , les iiiquiétudcs de la fortune, les mouvemens des paillons , les rafinemens de la volupté: je puis être un ferviteur inutile; mais n ê-- tes-vous pas vous-m.ême un fervii:eur infi- dèle ? ah ! fi les plus coupables étoient les plus pauvres & les plus malheureux ici-bas, votre de/tinée auroit-elîe quelque chof« au-deilus de la mJgnne ? vous me repro» chez des forces dont je ne me fers pas ; mais quel ufage faites-vous des vôtres ? je ne devrois pas manger , parce que je ne tra- vaille point; mais êtes- vous difpcnfé vous- inêmede cette loi ? n'êtes- vous riche que pour vivre dans une indigne mollelTe ? ah ! le Seigneur jugera entre vous 6c moi ; devant fon tribunal redou.tabie , on verra vos voluptés ôC vos profulions vous étoient plus permifes , que Tinnocent artifice dont ^e nie fers , pour trouver du foulagement a mes peines.

Oui, mes Frères, offrons du moins aux malheureux des cœurs fenfibles à leurs miféres ; adoucillons du moins par notre humanité le joug de Tindigence , la aie-.

Sur l'A u Mo ne: ïSy

«îîocnté de notre fortune ne nous permet pas d'en foulager tout-à-fait nos frères. Hélas ! on donne dans un fpediicle pro- fane , corn me autrefois Auguftin dans fes égarcmens , des larmes aux avantures chi- mériques d'un perfonnage de théâtre ; on honore des malheurs feints , d'une vérita- ble fenfîbilité; on fort d'une repréfentation, le cœur encore tout ému du récit de V'm^ fortune d'un héros fabuleux : &1 un micm- bre de Jeius-Chrift , &: un héritier du Ciel , & votre frerc que vous rencontrez au fortir de-là couveit de pîayes , 5c qui vous veut entretenir de l'excès de fes pei- nes , vous trouve infenfiblc ? & vous dé- tournez vos yeux de ce fpeâacle de reli* gion ? 6c vous ne daignez pas l'entendre ? Bc vous l'éloignez même rudement, 6C achevez de lui ierrer le cœur de triftefle ? Ame inhum.aine ! avez-vous donc lailTé toute votre fenlibilitë fur un théâtre infâ- me ? le fpeâacle de Jefus*Chrift fouf* frant dans un de fej membres , n'offre-t'il rien qui foit digne de votre pitié ? ÔC faut- il faire revivre pour vous toucher , l'ambi- tion , la vengeance , la volupté , £>C toutes les horreurs des fiécles Payens ?

Mais ce n'eft pas encore alTez d'offrir des cœurs fenfibles aux miféres qui s'of- frent à nous ; la charité va plus loin : elle n'attend pas que le hazard lui ménage des occafions de miféricorde ; elle fait les cher- cher & les prévenir elle-même. Dernière xégk ; la vigilance de la charité. Jefvis^

1^%^ IV. Dimanche de Carême.' Chrift n'attend pas que ce peuple indigent s'adreiTe à lui , ÔC vienne lui expofer fes Jnan, c. befoius ! il les découvre le premier : Cum ^'- fublevaffet oculos Jésus ^ & 'vidijfet ; à

peine les a-fil découverts , qu'il commence a chercher avec Philippe les moyens d'y remédier. La charité qui n'eft pas vigilante, inquiète fur les calamités qu'elle ignore , îngénieufe à découvrir celles qui fe ca- chent, qui a bcfoin d'être follicitée, pref- fée, importunée , ne reffemble point à la charité de Jesus-Christ : il faut veiller , & percer les ténèbres que la honte oppofe à nos largeiTes : ce n'elt pas ici un iimple confèil ; c'eft une fuite du précepte de l'aumône. Les Pafteurs , qui font les pères des peuples , félon la foi , font obliges de veiller fur leurs befoins fpirituels ; 5c c'eft- une des plus effentielles fondions de leur ininiflère ; les riches 6c les puilTans font établis de Dieu les pères .ôc les Pafteurs des pauvres , félon le corps ; ils doivent donc avoir les yeux ouverts fur leurs mi- féres ; fi faute de veiller elles leur échap- pent , ils font coupables devant Dieu de toutes leurs fuites qu'un fecours offert à propos auroit prévenues.

Ce n'eft pas qu'on veuille exiger que vous découvriez tous les befoins fecrets d'une Ville ; mais on exige des foins 6C des attentions : on exige que vous , qui dans un quartier , tenez le premier rang , ou par vos biens , ou par votre naiffance , ae loyez pas eiiviromié à votre infçû ,

Sur L'AvMÔ>fE. î^^

■mille malheureux qui gém i lient en fecret, dont les yeux font tous les jours bielles la pompe de vos équipages ; 6C qui outre leur mifére , fouffrent encore , pour ainfi dire , de toute votre profpérité : on exige que vous , qui au m.ilieu des plailirs de la Cour , ou de la Ville , voyez couler dans vos mains les fruits de la fueur bC des tra- vaux de tant d'infortunés qui habitent vos terres ÔC vos campagnes ; on exige que vous connoilîlez ceux que les fatigues de l'âge 6c de leurs labeurs ont épuifé , 8C qui traînent au fond des champs les reiles de leur caducité 5c de leur indigence ; ceux qu'une fanté infirme rend inhabiles au travail , la feule relTource de leur mifé- re ; ceux que le fexe 5c l'âge expofcntàla féduftion , ÔC dont vous pourriez préferver l'innocence. Voilà ce qu'on exige , ôc ce qu'on a droit d'exiger de vous : voilà les pauvres dont Dieu vous a chargé , ÔC dont vous lui répondrez ; les pauvres qu'il ne laiffe fur la terre que pour vous , 5c aux- quels fa Providence n'a aiïigné d'autres reffources que vos biens ÔC vos largelTes. Or , les connoiffez-vous feulement ? chargez-vous leurs Pafleurs de vous les faire connoître ? font-ce les foins qui vous occupent , quand vous paroilTez au milieu de vos terres 6c de vos polfelîions? Ah ! c'eft pour exiger de ces malheureux vos droits avec barbarie ; c'eft pour arra- cher de leurs entrailles le prix innocent de leurs travaux 5, fans avoir égard àlewruii*

îdo IV. Dimanche DE Carême' fére, au malheur des tems que vous noiî* alléguez , à leurs larmes fouvent &. à leur défefpoir : que dirai-je ? c'eft peut-être pour opprimer leur foibleiïe , pour être leur tyran , ôc non pas leur Seigneur 6C leur père. O Dieu I ne maudiffez-vous pas CCS races cruelles , ÔC ces richeffes d'ini- quité? ne leur imprimez-vous pas des ca- ractères de malheur & de défolation , qui vont tarir la fource des familles ; qui font fécher la racine d'une orgueilleufe pofté- tité ; qui am.énent les divifions domefti- ques , les difgraces éclatantes , la déca- dence ÔC l'extinâion entière des maifons. Hélas ! on eft furpris quelquefois de voir les fortunes les mieux établies , s'écrouler tout d'un coup ; ces noms antiques 5c au- trefois fi illuftres , tombés dans robfcurité, ne traîner plus à nos yeux que les triftes débris de leur ancienne fplendeur; êC leurs terres devenues la poire-îion de leurs con- currens , ou de leurs efclaves. Ah ! fi l'on pouvoit fuivre la trace de leurs malheurs ; il leurs cendres ÔC les débris pompeux, qui nous reftent de leur gloire dans l'or- eueil de leurs maufolées,pouvoieiit parler: Voyez-vous , nous diroient-ih , ces mar- ques lugubres de notre grandeur? ce font les larmes des pauvres, que nous négîi-. gions , que nous opprimions , qui les ont minées peu à peu , 6c enfin entièrement renverfées : leurs clameurs ont attiré fur nos palais la foudre du Ciel : le Seigneur a foufflé fur ces fuperbes édifices &C fur no- tre

Sur l' a u m ô n e. ï6i

tre fortune , 6c Ta diilipée comme de la poLiiliére : que le nom des pauvres foit ho- norable à vos yeux , Ci vous voulez que vos noms ne périiTeiit jamais de la mémoire des hommes : que la miféricorde foutienne. vos maifons , fi vous voulez que votre pof* térité ne foit pas enfevelie fous leurs rui* nés : devenez fages à nos dépens ; 5C que nos malheurs , en vous initruifant de nos fautes , vous apprennent à les éviter.

Et voilà , mes Frères , ( pour en dire quelque chofe avant de £nir , ) le premier avantage de l'auniône chrétienne : des bé- nédi£lions même temporelles. Le pain que' j£SUS- Christ bénit fe nuiltlplie entre les mains des Difciples qui les diilribucnt ^ cinq mille hommes en font ralTalîés ; 6C douze corbeilles peuvent à peine contenir les relies qu'on enlève : c'eft- à-dire , que les largelTes de la charité font des biens de bénédiction , qui fe multiplient à mefure qu'on les dilirihue ^ ÔC qui portent avec eux dans, nos maifons une fource de bon- heur 5c d'abondance ; c'eft- à-dire , que c'eft ici ce levain de charité caché dans trois facs de farine, qui étend , grolht ; 5c aug- mente toute la pâte. Oui , mes Frères ^ raumône eftun gdin ; c'eft une ufure fainte; e'eft un bien qui rapporte ici-bas même au centuple» Vous vous plaignez quelquefois du coîitretems de vos aftaîres ; rien ne vous réullvt; les hoftimcs vous trompent ;: vog; conçurrens vous fupplantent ; vos m.aitres: yoMS oublient l les éiéiueins vous coatra-î-

i6i IV. Dimanche i>e Carême, lient ; les inefures les mieux concertées échouent : ailociez-vous les pauvres ; par- tagez avec eux raccroiiTement de votre fortune ; augmentez vos largefTes à mefure que votre profpérité augmente ; croiffez pour eux comme pour vous : alors le fuc- €ès de vos entreprifes feraTafTiirede Dieu même ; vous aurez trouvé le fecret de Tin- téreiler dans votre fortune ; 5c il préfer- vera , que dis-je? il bénira , il multipliera des biens ou il verra mêlée la portion de fes membres affligés.

C'eft une vérité confirmée par Texpé- TÎence de tous les fiécles : on voit tous les jours profpérer des familles charitables : une Providence attentive préfide à leurs affaires : les autres fe ruinent y elles s'enrichiflent : on les voit croître ^ 6c l'on ne voit pas le canal fecret qui porte chez elles î'accroiiTement : ce font de cestoifons de Gédéon , toutes couvertes de la rofée du Ciel ; tandis que tout ce qui les envi- ronne > n'eft que ftérilité & féchêrefTe» Vous-même qui m'écoutez , peut-être que les grands biens dont vous faites aujour- d'hui un ufage fi peu chrétien ^ peut-être que les titres 6c les dignités > dont vous avez hérité en nailTant, font les fruits delà charité de vos ancêtres : peut-être vous re- cueillez les bénédictions promifes à la m^ féricorde , 5c vous moiflbnnez ce qu'ils ont femé ; peut-être que les largeiFes de îa charité ont jette les premiers fondemensdft f otre grandeur &I0& le monde , & con^

Sur l' a u m ô n e. i6^

mencé votre généalogie ; peut-être c'eft elles du moins qui ont fait pafTer jufqu'» nous les titres de votre origine.

Car , je vous prie , mes Frcres , qui a confervé à la poilërité la defccndance de tant de noms illuftres que nous refpeftons aujourd'ui, fi ce ned les libéralités que Jeuî-s ancêtres firent autrefois à nos Eglifes ? C'eil dans les aâes de cqs pieufes dona- tions , dont nos Temples ont été dépofi- taires , 6c que la reconnoiiïance feule de l'Eglife, 6c non la vanité des Fondateur» a confervés , qu'on va chercher tous les jours les plus anciens 5c les plus alTurés nionum.ens de leur antiquité ; tous les au- tres titres ont péri ; tout ce que la vanité feule avoit élevé a prefivetout été détruit; Iqs révolutions des tems ÔC des maifons ont anéanti ces annales domeftiques , étoit marquée la fuite de leurs ayeux , ôc la gloire de leurs alliances ; &, vous avez per- mis , o mon Dieu î que les moiiumens de la miféricorde fubfiftalTent ; que ce que la charité avoit écrit ne fût jamais effacé , 6c que les largcfTes faintes fuifent les feuls ti- tres qui nous reftent , de leur ancienneté 6c de leur grandeur devant les hom.mes, ^ Tel eft le premier avantage de la mifé- ricorde. Je ne dis rien du plaifir même qu'on doit fentir àfoulager ceux qui fouf. frent , à faire des heureux , à régner fur les cœurs , à s'attirer l'innocent tribut de leurs acclamations 6c de leurs actions de grâces. Eh 1 quaad il ne nous reviendrok

164 IV, DlMAS'CHE RE GaREM^; que le feu] plaifir de nos largeiïes , ne fe* Toient-elles pas alTez payées pour un boîi cœur ^ 5c qu'a de plus délicieux la maiedé même du Trône , que le pouvoir de faire cîes grâces ? les Princes feroient-ils fort tauchés de leur grandeur ôc de leur puif- lance, s'ils étoient condamnés à en joiiir tout feuls ? Non , mes Frères , faites fer- vir tant qu'il vous plaira vos biens à vos plaifirs , à vos profufions , à vos capri- ces ; vous n'en ferez jamais d'ufage , qui vous laiiTe une joyo plus pure 6c plus digne du cœur , qu'en foulageant des malheu- reux.

Quoi de plus doux en effet , que de pouvoir compter qu'il n'e/tpas un moment dans la journée , des âmes afrligées ne îéventpour nous les mains au Ciel , 5c ne fcéniifent le jour qui nous vit naître ? Ecou- tez cette multitude que Jefus-Chrift vient. de ralfafier ; les airs retentifTent de' leura bénédictions 8c de leurs avions de grâce;, ils s'écrient que c'eil un Prophète; ils'veu* lent rétablir Roi fur eux. Ah ! fi les bornâ- mes fe donuoient des m^aîtres , ce ne fe- raient ni les plus nobles , ni les plus vaiî- lans qu'ils choifiroienf; ce feroient les plus miféricordieux , les plus humains, Xes plus bienfaifans , les plus tendres * des maîtres qui fuilent en même - t^ms leurs pères.

Enfin , je n'ajoute pas que l'aumône: chrétienne aide à expier les crimes de l'a-

s U R L' A U M ô N E. iSi

Voie de falut que la Providence vous ait îTiénagée , à vous qui êtes nésdanslaprof- péritc. Siraumône ne pouvoit pas fervir à racheter nos ofFenfes , nous nous en plain- drions, dit S. Chryfoftôme ; nous trouve- rions mauvais que Dieu eût ôté aux hom- mes un moyen fi facile de fahit : du m.oins dirions-nous , fi à force d'argent on pou^ voit fe faire ouvrir les portes du Ciel , ÔC acheter de tout fon bienla gloire des Saints^ on feroit heureux. Et bien , mon Frère ^ continue S. Cryfoftome, profitez de ca privilège puifqu'on vous l'accorde ; hâtez- vous , avant que vos richeffes vous échap- pent, de les mettre en dépôt dans le feia des pauvres . comme le prix du Royaume éternel : la malice des hom.mes vous les aUf roit peut- être enlevées; vos paillons les aur roient peut-être englouties ; les révolu- tions de la fortune les auroient peut- être fait- pafTeren d'autres mains ; la mort du moins vous auroit forcé tôt ou tard de vous en fé- parer : ah ! la charité {^uIq hs met à cou^ vert de tous les accidciis;.el4e vous en rend éternellem.ent polTeiTeur ; elle les m.et en sûreté dans les Tabernacles éternels , ^ vous donne le droit d'en aller jouir dans le. fein de Dieu mjéme.

N'êtes -vous pas heureux de pouvoir vous aiïïirer l'entrée du ciel par des moyens fi faciles ? de pouvoir , en revêtant ceux qui font nuds , effacer du livre de la juflice divine les immodeilies , le luxe , les nu-

«iUis ^ k§L iadéçoiGes de vos gremieiei au-

î66 IV- Dimanche de Carême; nées ? de pouvoir , en rafTafîaiit ceux qui ont faim , réparer tant de Carêmes mal ob- fervés ; les abftinenccs , dont l'Eglife vous fait une loi , prefque toujours violées , 6C toutes les ienmalités de votre vie? de pou- voir enlîn , en mettant l'innocence à cou- vert dans des aziles de miféricorde , faire oublier à Dieu la perte de tant d'ames , pour iqui vous avez été un écuèil 5c une pierre de fcandale ? Grand Dieu 1 quelle bonté pour l'homme , de nous faire un mérite d'une vertu qui coûte fi peu au cœur ! de nous tenir compte des fentimens d'huma- nité dont nous ne faurions nous dépouiller, qu'en nous dépouillant de la nature même ! de vouloir accepter pour le prix du Royau- me éternel des biens fragiles que nous te- nons de votre libéralité ; que nous n'au- rions pu toujours conferver ; 6c defquels , après un ufage court 5c rapide , il auroit fallu en£n fe féparer ! cependant la miféri- corde eft promile à celui qui l'aura faite: un pécheur encore fenfible aux calamités de les frères , ne fera pas long-tems infenfî- hle aux infpirations du Ciel : la grâce fe ré- ferve de grands droits fur une ame la charité n'a pas encore perdu les liens ; un bon cœur ne fauroit être long-tems un cœur endurci : ce fond d'humanité tout feul , qui fait qu'on eft touché des miféres d'autrui , eft comme une préparation de falut oC de pénitence ; 6c la converfîoii n*eft jamais défefpérée , tandis que la cha-»

fité u'eft pas eûcgie ét^iat^ Aimez dom

Sur l'Aumône. 167

les pauvres comme vos frères ; fecoiirez* les comme vos enfans ; refpeftez-les com- me Jefus-Chrift lui-même, afin qu'il vous dife au grand jour : Venc^ ^ Us bénis de Matû^ mcn Pere , pcj^ede^ le Royaume qui vous^'}^* étolt -préparé \ parce qu^ j avoïs faim ^ C5» rous m^ave^ rajjajlé ; féîois malade , 'yoiis m^avei foulage : car ce que vous avei fait au moindre de mes ferviteurs , vous Vave:( fait à moi-même, C'eft ce que je vous fouhaite.

/iinji folt'ih

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SERMON

POURLELUNDI

DE LA QUATRIEME SEMAINE

DE CAREME.

Sur la Médifance.

Ipfe autem Jlsus non çredebat femetîp^ ;fiim eis^

MiîsJesxjs. m fejïoît poiM i eux^lo^n^ s. 24,

pf 'Et OIENT CQs mêmes Pha- rifîens qui venoient de décrier dans refprit du peuple la con*-- duite de Jésus - CxHRIst , ôC d'envenimer Tinnocence & la falnteté de fes paroles , qui font iemblant de croire en lui, 6c de fe ranger parmi fes^ Difcipics. Er tel eft , mes Frères ^ ie carac- tère du chtraé^eur de cacher fous les de-- hors de l'eftime ôi les douceurs d-e l'ami--

lié 3, k fid £c rameitume da la médifance.

Sur la Médisance- 160

Or , quoique ce foit ici le feul vice que

nulle circoiilhnce ne fauroit jamais excu-

H ' .^'^^ r^^^^ ^^^'^^^ ^^ ^^ P^"s ingénieux a fe aeguifer à roi-même , & à qui le mon- de 5C la pieté font aujourd'hui plus de grâ- ce. Ce n'elt pas que le caradère du médi- ^lant ne ioit odieux devant les hommes , comme^ il cfl abominable aux yeux de Dieu , félon rexpreiïion de TE^prit-faint , mais on ne comprend dans ce nombre que

certains médifans d'une malignité plusnoire &: plus groOiére , qui médiient fans art ÔC fans ménagement; & qui avec a/Tez de ma- lice pour cenfurer, n'ont pas allez de cet efpnt qu'il faut pour plaire : or , les médi- lans de ce caractère font plus rares ; ÔC Ion n'ayoit à parier qu'à eux , il fuffiroit d expoier ici ce que la médifance a d'indi- gne de la raifon & de la religion , 6c en mfp^rer de l'horreur à ceux qui s'en recon- noillent coupables.

Mais il eft une autre forte de médifans qiii condamnent ce vice , & qui fe le per- mettent ; qui déchirent fans égard leurs treres , ÔC qui s'applaudiilent encore de leur modération ÔC de leur réferve ; qui portent le trait juf:îu'au cœur ; mais , parce qu il eft plus brillant 6c plus affilé , ne vo- yent pas la plaïe qu'il a f^iite. Or , ce genre de medifant eft répandu par- tout; le monde en eit plein ; les aziles faints nen font pas exemts : ce vice Uq ks affemblées des pé- cheurs; il entre fouvent dans la fociété mê- me des Jufies : 6C l'on peut dire ici que

Carême. Tcmc /. P

tyô Lundi de la IV. SexMainë.

tous fe font écartés du droit fentier , S qu'il n'eu eil pas un leul qui ait confervé langue pure 5c fes lèvres innocentes.

Il importe donc , mes Frères , de déve- lopper aujourd'hui Tillufion des prétextes dont on fe fert tous les jours dans le mon- de pour jiiftifier ce vice, ÔC de l'attaquer dans les circonlîances vous le croyez le plus innocent : car de vous le dépeindre en général avec tout ce qu'il a de bas , de cruel , d'irréparable , vous ne vous recon- noitriez point à des traits il odieux? 6>C loin de vous en infpirer de l'horreur , je vous aiderois à vous perfuader à vous-mêmes que vous n'en êtes pas coupables.

Or , quels font les prétextes qui adou- cilTcnt , ou qui judiifient à vos yeux le vice de la médiiance ? C'eft premièrement la lé- gèreté des défauts que vous cenfurez : on le periiiade que comme ce n'eft pas une af- faire d'en être coupable, il n'yapasaufîî grand mal d'e4i être cenfeur. C'eil en fé- cond lieu îa notoriété publique , qui ayant déjà instruit ceux qui nous écoutent de ce qu'il y a de répréhenfible dans notre frère , fait que fa réputation ne perd rien par nos dilcours. Enfin le zèle de la vérité 6c de la gloire de Dieu , que ne nous permet pas de nous taire fur les déréglemens qui le déshonorent. Cr , oppofons à ces trois prétextes trois vérités inconteftables. Au prétexte de la légèreté des défauts s qiie plus les défauts que vous cenfurez font lé- gers , plus la médifance cil injuilc : pré*.

Sur la Medisancie. . 171 IViîéré vérité. Au prétexte de la notoriété publique ; que plus les défauts de nos frè- res font connus , plus la médiiance qui les Cenfure eft cruelle: féconde vérité. Au pré- texte du zèle ; que la même charité qui nous fait hai'r faintement les pécheurs , nous fait couvrir la m.uititude de leurs fau- tes : dernière vérité. Implorons , 5(.c. Avx ^

X-jA langue , dit un Apôtre, eft un feu Partie. dévorant; un monde 6c un aflemblage d'i- niquité ; un mal inquiet; une fource pleine d'un venin rportel : Lingiia Ignis e/l ; uni' ^^'^o^- »• verjïtas ïniquitatis ; inquiQtum maluni ; jsh^ ' * fia yeneno rnortijero. Et voilà ce que j'appli- querois à la langue du médifiint, fi j'avois entrepris de vous donner une idée juile ÔC naturelle de toute l'énormité de ce vice : je vous aiirois dit que la langue du détracteur eu. unieu dévorant, qui flétrit tout ce qu'il touche ; qui exerce fa fureur fur le bon 'grain , comipe fur la paille , fur le profanç c;ombe fur lefacré ; qui ne laiile partout ila palIé,, que îa ruine ?k la défolation ; qui creufe ju'fques dans les entrailles de la terre , 5c va s'attacher aux chofes les plus cachées; qui change en de .viles cendres ^ ?^^:fflV "°H- ^^^iî P^ru il n'y' a qu^ui mo- îîxeatfî précieux Sc fi brillant ; quTdansIe iems^hiênië qu'il paroit couvert 6c prefque /éteint*, agit avec plus'de ylolence Sc de Hangçr que jamais ; ^qui noircit ci^qu'il ne peut confumer; & qui fait plaire Sc briller

i7i Lundi de la IV. Semaine.

quelquefois avant que de nuire : LingU/t ignis ejî. Je vous aurois dit que la Médi- fance eft un affemblage d'iniquités : un or- gueil fecret qui nous découvre la paille dans Toeil de notre frère , 6c nous cache la poutre qui eft dans le nôtre : une envie baife , qui bleiTée des talens ou de la prof- périté d'autrui , en fait le fujet de fa cen- lure , 5c s'étudie à obfcurcir Téclat de tout ce qui relface : une haine déguiféc , qui ré- pand fur fes paroles J'amertumecachée dans le cœur : uiïe duplicité indigne , qui loue en face ôc déchire en fecret: une légèreté honteufe , qui ne fait pas fe vaincre ÔC fe retenir fur un mot , 5c qui facrîHe fouvent fa fortune Sc fon repos , à l'imprudence d'une cenfure qui fait plaire : une barbare de fang froid , qui va percer votre frère abfent : uri fcandale , vous êtes un fiijet de chute 5c de péché à ceux qui vous écoutent : une injuflice , vous raviflez à votre frefe ce qu'il a de plus cher: Lingua vniverjïtas ini^^uitatls. Je vous aurois dit que la médifance eft un mal inquiet , qui trouble la fcciété ; qui jette la dilTenfioii dans les Cours 6c dans les villes ; qui défu- îiît les amitiés les plus étroites j qui eft la fource des haines 5c des vengeances ; qui remplit tous les lieux elle entre de dé* fordre 8i*de confufion y par tout enneinlè de la paix, de la douceur,, de la politeffê chrétienne: Li/i^w^ inqnletum malurn»^n^it î'aurois ajouté que c'eft une fource pleine d'un veuiu niond ', que tout ce qui en part

Sur la Médisance. 175 eft infe6lé , 5c infedle tout ce qui renviron- 11e ; que fes louanges mêmes font empoi- fonnées ; fes applaudilTemens malins ; fou filence criminel ; que fes geftes , fes mouve- mens , fes regards ; que tout à fon poifon , 6c le répand à fa manière ; Lingua plena. yeneno mortifero»

Voilà ce que j'aurois vous dévelop- per plus au long dans tout ce difcours , fi je ne m'étois propofé que de vous peindre toute riiorreur du vice que je vais com- battre : mais je Tai déjà dit ; ce font de ces inveftives publiques , que perfonne ne prend pour foi. Plus nous repréfentons le vice odieux , moins on s'y rcconnoit foi- même : ÔC quoiqu'on convienne du prin- cipe , on n'en fait aucun ufage pour fe,? mœurs; parce qu'on trouve toujours dans ces peintures générales, des traits qui ne nous reflem.blent pas. Je veux doîic me borner ici à vous faire fentir toute l'injufticc de ce qui vous paroît le plus innocent dans la médifance : 5c de peur que vous ne vous méconnoi/Iiez à ce que nous en dirons , ne l'attaquer que dans les prétextes dont vous vous fervez tous les jours pour la juflifier.

Or , le premier prétexte , qui auîorife dans le monde prefque toutes les médifan- ces , 6C qui fait que nos entretiens ne font plus que d^s cenfures éternelles de nos frè- res , c'eft la légèreté orétendue des vices que nous cenfurons. On ne voudroit pas perdre un homme de réputation , ÔC ruïner fa fortune , en le déshonorant dans le mon-

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1.74- Lundi de la IV. Semaine, de ; flétir une feaime fur le fonds de fa conduite , 6c en venir à des points eifen- tielss cela feroit trop noir 5c trop groilier : mais fur mille défauts qui conduiient nos jugemens aies croire coupables de tout le tcIIq y mais de jetter dans Tefprit de ceux qui nous écoutent , mille foupçons qui laif- fent entrevoir ce qu'on n'oferoit dire ; mais de faire des remarques fatyriques qui dé- couvrent du myftère perfonne n'en, voyoit auparavant ; mais de donner du ri- dicule , par des interprétations empoifon- nées , à des manières qui jufques n'a- voient pas réveillé Tattention ; mais de laif- fer tout entendre fur certains points , en proteftant qu'on n'y entend pas finelfe foi- inême , c'eft de quoi le monde fait peu de fcrupule ; 6<: quoique les motifs , les cir- coiiftances , les fuites de ces difcours foient très-criminelles, la gaité en excufe la ma- lignité auprès de ceux qui nous écoutent,. èc nous en cache le crime à nous-mêmes. Je dis premièrement les motifs. Je fais que c'eft par l'innocence de l'intention fur- tout , qu'on fe i^ûifie; que vous nous di- tes tous les jours ^ que votre delTein n'eft pa? de flétrir la réputation de votre frère ,. inais de vous réjoiiir innocemment lur des défauts qui ne le déshonorent pas dans le monde. Vous réjouir de fes défauts , mon cher Auditeur ! Mais quelle eil cette je 12 cruelle qui porte la trifteffe 6c famertume dans le cœur de votre frère ? mais eft l'innocence d'un plaifir , lequel prend fa

Sur LA Médisance. 175 iburce dans des vices , qui devroient vous iafpirer de la compailioii 5c de ia douleur ? mais il Jefus-Chrifl nous défend dans TEvangile d amufer l'ennui des converfa- tions par des paroles oifeufes , vous fera- t'il plus permis de Tégayer par des déridons 6c dQs cenlures ? mais i\ la loi maudit celui qui découvre la honte de fes proches , ferez- vous plus à couvert de la malédiélion , vous qui ajoutez à cette découverte y la raillerie & riîi fuite ? mais il celui qui appelle fou frerc d'un terme de mépris , eft digne , feloa Jefas-Chrift , d'une punition éternelle ; celui qui le rend le mépris ÔC le jouet d'une alTemblée profane , évitera-t'il le même fupplice ? vous réjouir de fes défauts ! Mais la charité fe rejouit-elle du mal ? mais eft- ce-là fe réjouir dans le Seigneur ^ çomiP.^ l'ordonne l'Apôtre ? mais fi vous aimez vô- tre frère comme vous-même , pouvez- vous vous rejouir de ce qui l'afflige ? Ah I TEglifeavoit horreur autrefois des fpefla- clés des gladiateurs, ÔC ne croyoït pas que des fidèles élevés dans la douceur &C dans la bénignité de Jefus-Chrifi: pulTent inno- cemment repaitre leurs yeux du fang 5c de la mort de ces infortunés efclaves , 5c fe faire un délaflement innocent d'un plaiflr fi inhumain. Mais vous renouveliez vous mê- mes des fpeâacles plus odieux pour égayer votre ennui": vous amenez fur la fcène , non plus des fcélérats deftinés à la mort , mais des membres de Jefus-Chrift , vos , frères; 5c vous réjouiilez les fpeûateurs,

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I

ï7<5 LuKDi DE LA IV. Semaine.

des plaies que vous faites à leur perfonne

conlacrée par le batême !

Faut- il donc qu'il en coûtcà votre frère pour vous réjouir ? ne fauriez- vous trouver ce joie dans vos entretiens , s'il ne fournit pour afnfi dire, Ton propre fang à vos plai- îirs injuftes ? Eninez-voiis les uns les autres, dit S. Paul , par des paroles de paix 6c de charité, racontez les merveilles de Dieu fur les Juftes , i'hiftoire de fes miféricordes fur les pécheurs : rappeliez les vertus de ceux qui nous ont précédés avec le ligne de la foi : faites vous un faint delà ile ment du récit des pieux exemples de vos frères avec qui vous vivez : parlez avec une joie reli- gieufe des victoires de la foi ; de Faggran- diiTement du régne de Jefus-Chriit ; de l'établifTement de la vérité ; de Textintlion des erreurs ; des grâces que Jefus-Chrift fait à Çon Eglife , en lui fufcitant des Paf- teurs fidèles , des Docteurs éclairés , des Princes religieux ; animez-vous à la vertu par la vue du peu de folidité du monde , du vuide de fes plaifirs , 5c de la mifére des pécheurs qui fe livrent à leurs pafilons dé- réglées. Efl-ce que ces grands objets ne font pas dignes de la jo'"e des Chrétiens ? c'eft ainfî pourtant que les premiers Fidèles fe réiouiffoient dans le Seigneur, 5c faifoient de la douceur de leurs entretiens, une des plus faintes coTifolations de leurs calamités temporelles. C'eil notre cœur , mes Fie- res , qui décide de nos plaiiirs : lui cœur corrompu ne trouve de joie que dans tout

Sur la Médisance. 177

ce qui lui rappelle Timage de fes vices : les joies innocentes ne conviennent qu'à la vertu.

En effet , vous excufez la malignité de vos cenlures fur l'innocence de vos inten- tions. Mais approfondiiTons le fecret de votre cœur : d'où vient que vos cenfures portent toujours fur cette perfonne , 6c que vous ne vousdélaffez jamais plus agréable- ment 5C avec plus d'efprit , que lorfque vous rappeliez fes défauts ? ne feroit-ce point une jaloufie fecrctte ? fes talens , fa fortune , fa faveur, fon pofte , fa réputa- tion , ne vous blelferoient-ils pas encore plus que fes défauts ? le trouveriez-i^ous fi digne de cenfure , s'il avoit moins de qua- lités qui le miCttent au dellus de vous ? fe- riez-vous fi aife de faire remarquer fes en- droits foibles , fi tout le monde ne lui en trouvoit pas de fort avantageux ? Saùl au- roit-il redit fi fouventavec tant de complai- fance , que David n'étoit que le fils d'Ifaï, s'il ne l'eût regardé comme un concurrent plus digne que lui de l'Empire ? D'où vient que les défauts de tout autre vous trouvent plus indulgent ? qu'ailleurs vous excufez tout ; ÔC qu'ici tout s'envenime dans votre bouche ? Allez à la fource ; n'y a-t'il pas quelque racine fecrette d'amertume dans votre cœur ; 6c pouvez-vous juftifier par l'innocence de vos intentions , des difcours qui partent d'un principe fi corrompu ? Vous nous afl'urez que ce n'efi ni haine ni jaloufie contre votre frère ; je le veux :

îyS Lundi de la IV. Semiane. mais n'y aiiroit-il pas peut-être dans vos fatyres des motifs encore plus bas oC plus honteux ? n'aifeélez-vous pas de cenfurer votre frère devant un Grand qui ne Taime pas ? ne voulez-vous pas faire votre cour , & vous rendre agréable , en rendant vo- tre frère un objet de rifée ou de mépris ? ne facrifîez-vous pas fa réputation à votre fortune ? 6c ne cherchez- vous p<is à plaire , en donnant du ridicule à un hompe qui ne plait pas ? Les Cours font (i remplies de ces fatyres d'adulation bi de bas intérêts ! Les Grands font à plaindre dès qu'ils fe livrent à des averfions injuftes : on a bien- tôt trouvé des vices dans la vertu même qui leur déplaît.

Mais ennn , vous ne vous fentez point coupable , dites-vous , de tous ces lâcheâ motifs ; 5C s'il vous arrive quelquefois de médire de vos frères , c'cft en vous pure indifcrétion 6c légèreté de langue. Mais cft-ce donc par-là que vous vous croyez plus innocent ? la légèreté ÔC Tindifcrétion ; ce vice fr indigne de la gravité du Chré- tien , fi éloigné du férieux 5c de la folidité de la foi , fi fouvent condamné dans les Livres faints , peut-il juilifier un autre vice? Eh I qu'importe à votre frère que vous dé- chirez , que ce foit en vous indifcrétion ou malice? un dard décoché imprudemment, fait-il une plaie moins dangereufe 5c moins profonde que celui qu'on a tiré à deifein? le coup mortel que vous portez à votre frère, eftil plus léger, parce que c'eft

Sur la Médisance. ij^

rimprudence 5c la légèreté qui l'ont lancé? 5c que fait Tintention de Tintention l'aftion eft un crime ? mais d'ailleurs , n'en efl-ce pas un , d'être capable d'indifcré- tion fur la réputation de vos frères ? y a-t'iî rien qui demande plusdecirconfpeftion 6C de prudence ? tous les dev^oirs du Chriftia- nifme ne font-ils pas renfermés dans celui de la Charité r n'eft-ce pas-là , pour ainiî dire , toute la Religion ; ÔC n'être pas ca^ pable d'attention ilir un point aulîi elTen- tiel , n'elt-ce pas regarder comme un jeu tout le reile ? Ah ! c'efl ici il faut met- tre une garde àc circonfpe<El:ion fur fa lan- gue ; peler toutes les paroles , les lier dans fon cœur , comme dit le Sage , &C \zs laifTer mûrir dans fa bouche. Vous échappe t'il jamais de ces difcours indif- Ece. tf^ crets contre vous-même? manquez-vous -^' -*3*. quelquefois d'attention fur ce qui intéreffe- \'otrc honneur 6c votre gloire f Quels foins infatigables ! quelles mefures 1 qu'elle induftrie î dans quel détail vous voit-oa defcendre pour la ménager ÔC l'accroître ? S'il vous arrive de vous blam.er c'efl tou- jours avec des circonflances qui font vôtre éloge: vous ne cenfurez en vous que des défauts qui vous font honneur ; 6c en avouant vos vices , vous ne voulez que raconter vos vertus ; l'amour de vous- même ramène tout à vous. Aimez votre frère comme vous vous aimez , 5c tout vous ramènera à lui; ÔC vous ferez inca- pable d'indifcrétion fur fes intérêts, ÔC'

ïSo Lundi de la IV. Semaikf. vous n'aurez plus hefoin de nos inftni8:ions fur ce que vous devez à fa réputation ÔC à fa gloire.

Mais fi ces médiiances que vous appel- iez légères, font criminelles dans leurs mo- tifs , elles ne le font pas moins dans leurs circonftances.

Je pourrois d'abord vous faire remar- quer que le monde familiarifé avec le cri- me ; &C qui à force de voir les vices les plus crians devenus les vices de la multi- tude , n'en eft prefque plus touché ; appela légères les médiiances qui roulent lur les foiblefTes les plus criminelles 5C les plus honteufes : les foupçons d'infidélité dans le lien facré du mariage , ne font plus un dé- cri formel ^ une flétrilTure elTentielle ; ce font des difcours de dérifion 6c de plai- fanterie : accufer un courtifan de perfidie b(, de mauvaife foi , ce n'efl plus attaquer fon honneur , c'efl donner du ridicule aux proteflationsdefîncérité dont il nous amu- îe : rendre fufpefte d'hypocrifie la piété la plus fîncère , ce n'efl pas outrager Dieu dans fes Saints , c'efl un langage de déri- fion que l'ufage a rendu commun : en un mot , hors les crimes que l'autorité publi- que punit, 6c qui nous attirent, ou la dif- grace du maître, ou la perte dss biens 6c de la fortune ; tout le refle paroit léger , 5c devient le fujet ordinaire des entretiens & des cenfures publiques.

Mais ne pouffons pas plus loin cette ré- flexion. Je veux que les défauts que vous

Sur la Médisance. i8î publiez de votre frère foient légers : plus ils font légers , plus vous êtes injulle de les relever , plus il mérite que vous ufiez d'indulgence à fon égard : plus il faut fup- pofer en vous une malignité d'attention à qui rien n'échappe ; une dureté de naturel , qui ne fauroit rien excufer. Si les défauts de votre frère étoient elTentiels , vous l'é- pargneriez ; vous le trouveriez digne de votre indulgence ; la politelTe Sc la reli- gion vous feroient un devoir de vous taire : eh ! quoi ? parce qu'il n'a que de légères foibielTes , vous le trouverez moins digne de vos égards ? ce qui devroit vous le ren- dre refpeâ:able, vous autorife à le décrier? N'êtes-vous pas devenu au-dedans de vous, dit l'Apôtre , un juge de penfées injuftes? ÔC votre œil n e(t-il donc méchant , que parce que votre frère ell: bon ?

D'ailleurs , les défauts qu.e vous cenfu- rez font légers : mais en auriez-vous la m,^me idée , Ci l'on vous les reprochoit à vous-même ? Quand il vous eft revenu cer- tains difcours tenus en votre abfence , iei- quels , à la vérité, n'attaquoient pas eilen- tiellement votre honneur 5c votre probité ; mais qui répandoient dans le public quel- ques-unes de vos foibleiTes , quelles ont été vos difpofîtions ? Mon Dieu ! c'efl alors que l'on groïTit tout ; que tout nous paroît elTentiel ; que peu content d'exagérer Ja malice des paroks , on fouille dans le fe- cretde l'intention, ôC qu'on veut trouver des motifs encore plus odieux que les dif-

t?2 Lundi h'e la IV. Semaine. cours mêmes. O a beau nous dire alorf que ce font-là des reproches qui n'intéref- ftnt pas l'efTentiel , & qui au fond ne fau- roieiit nous faire tort : on croit avoir été infulté ; on en parle ; on s'en plaint ; on éclate; on n'eil plus maître de fon reiTen- timent; 5c tandis que tout le monde blâme Texcèsde notre fenfîbilité, feuls nous nous obiîinons à croire que l'affaire eu. férieufe, ^ que notre honneur y eil intérelTé. Ser- vez-vous donc de cette régie dans les dé- fauts que vous publiez de votre frère: ap- pliquez-vous l'offenfe à vous-niême: tout ed léger contre lui ; 5c fur ce qui vous touche , tout paroît eflentiel à votre or- gueil , 6c digne de vengeance.

Enfin , les vices que vous cenfurez font légers , mais n'y ajoutez-vous rien du vô- tre ? les donnez- vous pour ce qu'ils font? ne mêlez-vous pas au récit que vous en faites la malignité de vos conjeâures ? ne les mettez-vous pas, en un certain point de vue, qui les tire de leur état naturel ? n'embellillez vous pas votre hiftoire ? 8c pour faire un héros ridicule qui plaife," ne le faites-vous pastel qu'on le fouhaite , 5c' non pas tel qu'il eft en effet ? ffaccompa- gnez-vous pas vos difcours de certains geftes qui laiffent tout entendre ? de. cer- taines expreffions qui ouvrent l'efprit de ceux qui vous écoutent à mille foupçons téméraires ôc flétriffans? de certain (ilençe même qui donne plus à penfer que tout ce que vous auriez pu dire ? Car » qu'il etf

Sur la Médisance. li^

difficile de fe tenir dans les bornes de la vérité , quand on n'eft plus dans celles de la charité ! plus ce qu'on cenfure ell léger , plus l'impoihire eft à craindre : il faut em- bellir pour fe faire écouter ; 5c Ton de- vient calomniateur , oùronn'avoitpascru jnéme être médifant.

Voilà les circonftances qui vous regar- dent ; mais fi à cet égard les médifances que vous croyez légères font très-crimi- nelles , le feront-elle moins par rapport aux perfonnes qu'elles attaquent?

Premièrement , elle eft peut-être d\m fexe , fur certains points principale- ment , les tâches les plus légères font ef- fentielles; tout bruit eft un déshonneur public ; toute raillerie eft un outrage ; tout foupçon eft une accufation en un mot, n'être pas loiié , eft prefque uu af- front 5c une infamie. AulFi S. Paul veut que les femmes chrétiennes foient ornées cie pudeur ÔC de modellie ; c'eft-à-dire , il veut que ces vertus ibient auHl vifibles en elles , que les ornemens qui les couvrent ; 6c le plus bel éloge que TEfprit faint falTe de Judith, après aroir parlé de fa beauté , de fa jeuneffe ^ de fes grands biens , eft qu'il ne s'étoit jamais trouvé perfonne dans tout Ifraèl qui eût mal parlé de fa con- duite ; ÔC que fa réputation répondoit à fa vertu.

Secondement , vos cenfures s'en pren- nent peut-être à vos maîtres ; à ceux que la Providence 4 établis fur vos têtes , H

ïÏ4 Lundi de la IV. Semaine. aufquels la Loi de Dieu vous ordonne de rendre le refpeâ: 6c la foumifllon qui leur eft due. Car l'orgueil qui n'aime pas la dépendance , fe dédommage toujours en trouvant des foibleffes Sv des défauts dans ceux aufquels il eft forcé d'obéir : plus ils font élevés , plus ils font expofés à nos cen- fures ; la malignité même efl bien plus éclairée à leur égard: o i ne leur pardonne rien : ceux quelquefois qui font les plus accablés de leurs bienfaits , ou les plus ho- norés de leur familiarité , font ceux qui publient avec plus de témérité leurs im- perfections 6c leurs vices ; ÔC outre le devoir facré du refpeâ: qu'on viole , on fe rend encore coupable du crime lâche ÔC honteux de l'ingratitude.

Troifiémement , c'eft peut-être une per- fonne conficrée à Dieu ; établie en dignité dans TEglife, que vous cenfjrez ; laquelle engagée par la fainteté de fon état à des mœurs plus irrépréhenfibles , plus exem- plaires 6c plus pures , fe trouve déshono- rée Se flétrie par des cenfures , qui ne fe- roient pas le m.ême tort à des perfonnes engagées dans le monde. Aufli le Seigneur, dans l'Ecriture , maudit ceux qui ne fe- ront même que toucher à fes oints. Cepen- dant les traits de la médifance ne font ja- mais plus vifs , plus brillans ; plus applaudis dans le monde , que lorfqu'ils portent fur les Miaiftres des faints autels : le monde indulgent pour lui-même , femble n'avoir coflfervé de févérité qu'à leur égard ; &

il

Sur la Médisance. 185 il a pour eux des yeux plus cenfeurs , 5c une langue plus empoifonnée que pour le refte des hommes. Il eft vrai, ô mon Dieu ! que notre converfation parmi les peuples n'eft pas toujours fainte 6c à cou- vert de tout reproche ; que nous adoptons fouvent les mœurs , le fafte , l'indolence , roifiveté , les plaifirs du monde , que nous aurions com.battre ; que nous mon- trons aux Fidèles plus d'exemples d'or- gueil & de négligence que de vertu ; que nous fommes plus jaloux des prééminen- ces , qu€ des devoirs de notre état ; &C qu'il eft difficile que le monde honore ua cara£lère que nous déshonorons nous- m.êmes. Mais je vous l'ai dit fouvent , m.es Frères , nos infidélités devroient faire le fujet de vos larmes , plutôt que de votre joïe 8<: de vos cenfures : Dieu punit d'or- dinaire les déréglemens des peuples par la corruption des Prêtres : & le plus terri- ble fléau dont il frappe les Royaumes 5C les Empires , c'eit de n'y point fiifciter des Pafteurs vénérables &. des Miniftres zélés , qui s'oppofent au torrent des diiTo- lutions ; c'efl de permettre que la foi ÔC la Religion s'afFoibliiTent jufqu'au milieu de ceux qui en font les défenfeurs 6c les dé- pofitaires ; c'eft que la lumière qui étolt deftinée à vous éclairer , fe change en té- nèbres ; que les coopércteurs de votre fa- hit aident par leurs exemples à votre perte^ que du Sanftualre même d'où ne devrait fortir que la bonne odeur de Jefjs-Chrift Carême, Jçmç, UL Q

iS6 LvKDi DE LA IV. Semaine. il en forte une odeur de mort 6c de fcan-- dale ; &. qu'enfin l'aboinination entre juf- ques dans le lieu faint. Mais d'ailleurs , que change le relâchement de nos mœurs à la fainteté du caradère qui nous confacre ? les vafes facrés qui fervent à l'autel , pour être d'un métal vil , font-ils moins digne? de votre refpect ? ÔC quand le Miniftre mé- riteroit vos mépris , feriez vous moins fa- criiége de ne pas refpe£ter fon minilière.. Que dirai-je enfin , vos détraquions ôC Tos cenfures attaquent peut-être des per- fonnes qui font une profefiion publique de piété , & dont ceux qui vous écoutent ref- pedoient la vertu. Vous leur perfuadez donc qu'ils en avoient trop cru : vous les autorifez à penfer qu'il y a peu de vérita- bles gens de bien fur la terre ; que tous ceux qu'on donne pour tels , examinés de près ,. relTemblent au refte des hommes ; vous confirmez les préjugés du monde contre la vertu , ôc donnez un nouveau crédit à ces difcours fi ordinaires ÔC fi in- jurieux à la Religion , fur la piété des fer- viteiirsde Jefus-Chrift. Or, tout cela vous

faroît-il fort léger ? Ah ! mes Frères , les uftes font ici- bas comme des Arches fain- tes , au milieu defquelles le Seigneur ré- fide , 6c dont il venge rigoureufement Iqs. mépris & les outrages : ils peuvent chan- celer quelquefois dans la voie , comme l'Arche d'Ifraèl , conduite en triomphe, d'ans Jérufalem , car la vertu la plus pure- &.U}j1u3 bxillmîç y a fei t^chei & f&s^.

Sur la Médisance. 187 cclipfes ; ÔC la plus fblide ne fe foutieiit pas par-tout également : mais le Seigneur s'indigne , que des téméraires , femblablcs à Oza , fe mêlent de les redrefler ; 6c à peine y touchent-ils, qu'il les frappe d'ana- thême: il prend fur lui les plus légers mé- pris dont on déshonore fes ferviteurs ; ÔC ne peut foutfrir que la vertu , qui a piî trouver des admirateurs parmi les tyrans mêmes S>C les peuples les plus barbares , ne trouve fouvent que des cenfures ÔC des dérifions parmi les Fidèles. Aufîi les enfans d'irraèi furent dévorés fur Theure» pour avoir infulté par des railleries le petit nombre de cheveux de l'homme de Dieu, ÔC cependant ce n'étoient-là que des indlf- crétions puériles fi pardonnables à cet âge^ Le feu du Ciel defcendit fur lOfficier de l'impie Ochozias 6c le confumaà Tinftant ^ pour avoir appelle par dérifîon Elie j l'hom- me de Dieu ; & cependant c'étoit un courti- fan de qui ondevoit exiger moins d'egartis^ pour l'auftérité 6c la funpliwité d'un Pro- phète , ÔC pour la vertu d'un homme ruf- tique en apparence ÔC odieux à fon maître* Michol fj: frappée de ftérilité pour avoir trop aigrem.eht cenfuré les faints excès de joie ÔC de la piété de David devant l'Arche ; ÔC cependant ce n'étoit qu'une délicateiïe de femme. Mais toucher à ceux qui fervent le Seigneur , c'efî: toucher , dit. l'Ecriture, à la prunelle de fon œil : il maudit invifiblement ces cenfeurs témé- raireis de la piété 5 &C s'il ne. les frappe p«ia

Q z

iSS Lundi de la III. Semaine. de mort à Tiiiftant , comme autrefois , il les marque fur le front dès cette vie d'un caractère de réprobation , 6c leur refufe pour eux-mêmes le don précieux de la grâce &: de la fainteté qu'ils ont méprifé dans les autres : bi cependant ce font les gens de bien qui font aujourd'huile plus en butte à la malignité des difcours publics ; ÔC l'on peut dire que la vertu fait dans le monde plus de cenfeurs que le vice.

Je n'ajoute pas , mes Frères , que fi ces médifances , que vous appeliez légères , font très-criminelles dans leurs motifs ÔC dans leurs circonftances , elles le font en- core plus dans leurs fuites : je dis leurs ■fuites , toujours irréparables , mes Frères. Vous pouvez expier le crinie de la volup- té par la mortification 6c la pénitence ; le crime de la haine , par l'amour de votre en- nemi ; le crime de l'ambition , en renon- çant aux honneurs §C aux pompes du fié- çle ; le crime de l'injuftice , en reftituant ce que vous avez ravi à vos frères ; le crime même de Fimpiété Sc du libertinage , par un refpe£l religieux OC public ; pour le culte de vos pères : mais le o ime de la détra£lion , quel remède , quelle vertu , peut'il le réparer ? Vous n'avez révélé qu'à un feul les vices de votre frère : je le veux : mais ce confident infortuné en aura bientôt à fon tour plufîeurs autres , qui de leur côté ne regardant plus comme un fecret , ce qu'ils viennent d'apprendre , en inftruiront les premiers venus : chacun

Sur la Médisance. 1^9 en les redifant y ajoutera de nouvelles cir- conilances ; chacun y mettra quelque trait envenimé de fa façon ; à mefure qu'on les publiera , ils croîtront , ils grofliront : lem- blable , dit S. Jacques , à une étincelle de feu , qui portée en différens lieux par un vent impétueux , embrafe les forêts 6c les campagnes ; telle eft la deftinée de la dé- tra£tion. Ce que vous avez dit en fecret , n'étoit rien. d'abord , ôc paroiiToit étouffé & enîeveli fous la cendre ; mais ce feu ne couve que pour fe rallumer avec plus de fureur ; mais ce rien va emprunter de la réalité en paffant par différentes bouches: chacun y ajoutera ce que fa paffion , {on intérêt , le caraâère de fon efprit 6c de fa malignité , lui répréfentera comme vrai- fem.blable : la fource fera prefque imper- ceptible : mais groffe dans fa caurfe par mille ruiffeaux étrangers , le torrent qui s'en formera inondera la Cour , la Ville > la Province; 5c ce qui n^étoit d'abord dans fon origine qu'une plaifanterie fecrette ÔC imjprudente , qu'une fimple réflexion j> qu'une conjeciiure maligne, deviendra une affaire férieufe, un décri formel 5c public > le fujet de tous les entretiens , une flétrif- fure éternelle pour votre frère. Et alors reparez, vous pouvez , cette injuftice ÔC ce fcandale ; rendez à votre frère Thonneur que vous lui avez ravi. Irez-vous vous op- pofer au dcchaînemicnt public , & chanter tout feuî fes loiiangçs ? m^ais on vous pren- dra pour un nouveau venu , qui ignorez ca

ipo Lundi de la IV. Semaine, qui fe pafTe dans le monde ; êc vos louan- ges venues trop tard , ne ferviront qu'à lui attirer de nouvelles fatyres. Or , que de crimes dans un feul ! les péchés de tout un peuple deviennent les vôtres : vous médi- îez par toutes les bouches de vos citoyens : vous êtes encore coupable du crime de ceux qui les écoutent. Quelle pénitence peut expier des maux auxquels elle nefau- roit plus remédier ? 6c vos larmes pour- ront-elles effacer ce qui ne s'effacera ja- mais de la mémoire des hommes ? Encore fi le fcandale finiiToit avec vous, votre mort, en le fîniffant , pourroit en être devant Dieu l'expiation & le remède. Mais c'eft im fcandale qui vous furvivra ; les hiftoires fcandaleufes des Cours ne meurent jamais avec leurs héros : des écrivains lafcifs ont fait palier jufqu'à nous les fatyres , les dé- réglemens des Cours qui nous ont précé- dés ; ÔC il fe trouvera parmi nous des Au- teurs licencieux qui inftruiront les âges à venir , des bruits publics , des évenemiCns fcandaleux , 8c des vices de la nôtre.

O mon Dieu ! ce font-là de ces péchés dont nous ne connoilfons ni l'énormité, ni l'étendue : mais nous favons qu'être une pierre de fcandale à nos frères , c'cft dé- truire par rapport à -eux , l'ouvrage de la miffion de votre Fils , & anéantir le fruit de fes travaux , de fa mort Sc de tout fon miniftére. Telle eft fillufion du prétexte que vous tirez de la légèreté de vos mé- difances ; les motifs n'en font jamais inao-

Sur la Médisance. 191 cens ; les circonftaaces toujours crimi- ijelles ; les fuites irréparables. Examinons fi le prétexte de la notoriété publique fera mieux fondé : c'eft ce qui me refte à vous développer*

DUT, 'Ou vient, mes Frères, que la plu- ^^^^^^ part des préceptes font violés par ceux- mêmes qui s'en difentobfervateurs, ÔC que nous avons prefque plus de peine à faire convenir le monde de fes tranfgrefîions ,. qu'à l'en corriger ? C'eft qu'on ne prend jamais les idées des devoirs dans le fond de la Religion ; qu'on n'entre jamais dans l'efprit pour décider fur la lettre ; ÔC qua peu de gens remontent au principe , pour éclaircir les doutes que la corruption for» me fur le détail des conféquences.

Or, pour appliquer cette maxime à mon fujet: quelles font les régies de l'Evangile qui font aux Difciples de Jefus-Chrift un crime de la médifance ? C'eft première- ment le précepte de l'humilité chrétienne, qui devant nous établir dans un profond mépris de nous-mêmes , 5C ouvrir nos yeux fur la multitude infinie de nos mifé- res , doit les fermer en même tems à celles, de nos frères : c'eft en fécond lieu le de- voir de la charité , cette charité fi recom- mandée dans l'Evangile ; le grand précepte: de la Loi ; qui couvre les fautes qu'elle ne peut corriger , qui excufe celles qu'elle ne peut couvrir , qui ne fe réjouit point du mal , 6c qui le cxoit difficilement y parce

ICI Lux\Di DE LA IV. Semaine.

qu'elle ne le fouhaite jamais : enfin , c'eft la régie inviolable de la jr.ftice , laquelle ne permettant jamais qu'on fafle à autrui ce qu'on ne voudroit pas fouffrir foi-même , condamne tout ce qui fort de ces bornes équitables. Or , les difcours de médifance, qui roulent fur les fautes que vous appeliez publiques , bleïïent ellentieilement ces trois régies : jugez par-là de leur innocence. Premiiérement , ils bleflent la régie de l'humilité chrétienne. En effet , miOn cher Auditeur , û vous étiez vivement touché de vos propres miféres , dit S. Chryfofto- me ; fi vous aviez fans celle votre péché devant vos yeux, comme ce Roi pénitent il ne vous refteroit , ni affez de loifîr , ni aflez d'attention , pour remarquer les fautes de vos frères. Plus elles feroient publi- ques , plus vous béniriez en fecret le Sei- gneur d'avoir détourné de vous cette in- famie : plus vous fentiriez votre reconnoif- fance fe réveiller , fur ce qu'étant tombé peut-être, dans les mêmes égaremiCns , il n'a pas permis qu'ils fuifent publiés fur les toits , comme ceux de votre frère ; fur ce qu'il a laiilé dans l'obfcurité vos œuvres de ténèbres , qu'il les a , pour ainfi dire, couvertes de fes ailes ; 5c m^énagé devant les hommes un honneur 6c une innocence, que vous aviez tant de fois perdue devant lui : vous trembleriez en vous difant à vous-même, que peut-être il n'a épargné votre confufion en ce monde , que pour la rendre plus amére ÔC plus durable dans Tautre. Telles

Sur la Médisance 195

Telles font les dirpofitions de l'humilité chrétienne fur les chutes publiques de no» frères : nous devons en parler beaucoup à nous-mêmes , ÔC prefque jamais aux au- tres. Aulfi lorfque les Scribes ik. les Pha- rilîens viennent préfenter au Sauveur une femme furprife en adultère, S>C qu'ils veu- lent le preifer d'en dire fon fentiment ; quoique la faute de cette Péchereile fût publique , Jefus-Chrift garde un profond îllence ; ÔC à leurs malignes 5c prelTantes iiiilances de s'expliquer , il fe contente de, * répondre : {Jue celui a entre vous qui eji /ans péché , jette contrelle la première pier- re ; comme s'il vouloit leur faire enten- dre par-là que ce n'étoitpas à des pécheurs comme eux , à comdamner ïi hautement le crime de cette femme ; ÔC que pour avoir îdroiî de jetter contr'elle une feule pierre, il falloir être foi-mêm^c exemt de tout ■rep;-oche. Et voilà ce que je voudrois vous dire aujourd'hui , mes Frères : la mauvaife conduite de cette perfonne vient d'éclater : feh-bien î que celui d'entre vous qui eft fans péché, jette contr'elle la première _ pierre ; Qui fine peccato eJl vejîrum , pri- mus inillam lapidem mittat : devant Dieu vous n'avez rien de plus criminel peut être a vous reprocher ; parlez librement, con- ^ rfan^nez févérement fa faute, lancez con- tr'elle les traits les plus piquans de la dé- rifion 6c de la cenfure ; on vous le permet. Ah ! vous qui en difcourez (1 hardiment, vous êtes plvis heureufe qu'elle ; mais êt^-

C^rêmç, Tome JJL ' R

194 LiJNDi DE LA IV Semaine. vous plus innocente ? on vous croit plus de vertu , plus d'amour du devoir ; mais Dieu qui vous connoît , en juge-t'il comme les hommes ? mais fi les ténèbres qui cachent votre honte venoient à fe difliper , les pierres que vous jettez , nefe tourneroient- elles pas contre vous-même ? mais fi un événement imprévu trahifibit votre fecret , Taudace 5c la joie maligne avec laquelle vouscenfurez ,n'ajoûteroit-ellepas un nou- veau ridicule à votre confufion 6c à votre Opprobre ? Ah ! vous ne devez ce phantôme de réputation , dont vous vous glorifiez , qu'à des artifices ÔC à des ménagemens , que la juftice de Dieu peut confondre ÔC déconcerter en un inftant : vous touchez peut-être au moment oii il va révéler votre honte ; ÔC loin de rougir dans le fecret 6c dans le filence, lorfqu'on publie des fautes qui font les vôtres , vous en parlez , vous les racontez avec complaifance ; ÔC vous fourniffez au public des traits dont il fera peut-être ufageun jour contre vous-même: c'efi: la menace ôc la prédi(^ion du Sau- Matth, ^^^^ Tous ceux qui s'arment du glaive ^ 2C, ;2. périront par le glaive : vous percez votre frère avec le glaive de la langue ; vous ferez percé du même glaive à votre tour ; Se quand vous feriez exemt des vices que vous blâmez fi témérairepient en autrui , le Dieu jufte vous y livrera.

La honte eft toujours la punition la plus

^ ordinaire de l'orgueil. Pierre , le foir de la

^éne ne pouvoit fe lailer d'exagérer le

Sur la Médisance. 195 crime du Difciple qui devoit trahir fon Maître : il étoit le plus ardent de tous à s'informer de fon nom , ÔC à détefter fa perfidie : &C au fortir de , il tombe lui- même dans l'infidélité , qu'il venoit de blâ- mer avec tant de hauteur 6c de confiance. Rien ne nous attire tant la colère ÔC l'a- handon de Dieu, que le plaifir malin avec lequel nous relevons les fautes de nos frè- res ; 6C fa miféricorde s'indigne que ces exemples affligeans , qu'il ne permet que pour nous rappeller à notre propre foi- blelTe, 6c réveiller notre vigilance, fia- ient notre orgueil , ôC ne réveillent que nos dérifions ôC nos cenfures.

Vous fortcz donc des régies de l'humî- lité chrétienne , en ccnfurant les fautes de votre frère , quelques publiques qu'elles puiflent être : mais vous blellez encore ef- lentiellement celles de la charité; car la''^or*it\ charité nagit pas en vain , dit l'Apôtre. '*' Or , il les vices de votre frerc font con- nus de ceux qui vous écoutent , il eft donc inutile de venir de nouveau les raconter. En effet , que pourriez-vous vous propo- fer ? de blâmer îa conduite ? Mais n'en por- te-t'il pas déjà affez la confufion ? voulez» vous accabler un malheureux , 6c achever de donner le dernier coup à un homme déjà percé de mille traits m.ortels ? Il y a déjà tant d'efprits noirs 5c malins , qui ont exagéré fa faute , 6c qui la répandent avec des couleurs capables de le noircir à ja- mais i n'eft-il pa§ alfez puni? il eft digne de

Ri

t()6 Lundi de la IV. Se^îatke. ■votre pitié ; il ne Vcd plus' a^ vos cenfît- res. Que vous propoferiez-vous donc ? de plaindre fou infortune ? Mais qu'elle m mi- nière de plaindre un malheureux, que de rouvrir fes plaies ? la compalilon elî-elle fi barbare? v^'-^^ encore ? de venir juiHfier vos prophéties & vos foupçons précédens fur la conduite? de venir nous dire , que vous aviez toujours crû que tôt ou tard il (En viendroit-là ? Mais vous venez donc triompher de fon malheur? vcois venez vous jipplaudir jde fa chute ? vous venez vous faire honneur de la malignité de vos juge- înens? Qiiellegloirejpour un Chrétien d'a- voir pii ibupçonncr Ion frère ; de Tavoir cru coupable avant qu'il le parût ; 6c d'a- voir pu lire témérairement fes chutes dans l'avenir , nous qui ne devons pas même les voir lorsqu'elles font arrivées ? Ah 1 vous prophétifcz fi jufte fur la deilinéed'autrui i Toyez Prophète dans votre propre patrie ; prévoyez les malheurs qui vous menacent: pourquoi ne vous prophétifez-vous pas à vous-même, que û vous ne fortcz de cette pccafion 6c de ce péril , vous y périrez ? que fi vous ne rompez cette liaifon , le public , qui en murmure déjà, éclatera enfin , 5C qu'il ne fera plus tems de remédier aufcan- dale? que fi vous ne revenez de ces ex- cès , Femportemient de l'âge 5c une mauvaii^ éducation vous ont jette, vos af- faires 5c votre fortune vont tomber fans relTource ? c'eft ici il faudroit exercer yotre ^rt des conjefturçs. Quelle folie

Sui^XA Med'isance. l^f ct'étre foi-iné*Re eiïvironné de précipices ,. êc de regarder au loin ceux qui menacent nos frères !

D'ailleurs , plus les chutes de votre frère font publiques ^ plus vous devez être tou- ché du fcandale qu'elles cauient à rEglife^ de l'avantage c^wo. les impies 6c les liber- tins en tireront , pour blafphèmer le nom- Seigneur , s'alîernTÎr clans le libertinage, ù perfuader que ce font-là les foiblelTes de tous les hommes ^ 6c que les plus vertueux- foiit ceux qui favent mieux les cacher : plus vous devez être affligé de roccafioii que ces exemples publics d-e dérèglement donnent aux âmes foibles de t-omiber dans^ les mêmes défordr^s : plus la charité vous oblige de gémir : plus vaus devez fau- haitcr que le fouveiur de ces fautes périffe ; que le jour &C les lieux elles ont éclaté' foient effacés de la mémoire des hommes ; plus enfin par votre fîlence-, vous devez*, contribuer à les alToupir. Mais tout le monde en parle , dites-vous ; votre filence; n emipéchera pas les difcours publics ^ainfi vous pouvez bien en parler à votre tour. La conféquence eit barbare : parce que vous ne pouvez pas remédier au Icandale ,• il V0U3 fera permis de l'augmenter ? parce- qiie vous ne pouvez pas fauver votre frère de l'opprobre, vous achèverez de le couvrir de boue S>v. d'infamie ? parce que tous pref-

tque lui jettent la pierre , il fera moins cruel de la jetter à votre tour , ÔC de vous join- dre à ceux qui le lapident 5c qui l'écrafent l

198 LuNiJi DE LA IV. Semaine. Il eft beau , la Religion même à part, lie fe déclarer pour les malheureux ! il y a tant de dignité 5c de grandeur d'ame , à prendre fous fa proteâ:ion ceux que tout le monde abandonne ! &. quand les régies de la charité ne nous en fcroient pas ua devoir , les fentimens feuls de la gloire 6c de rhumanité devroient ici fuffire.

Aufll en troifîéme lieu , non-feulement vous violez les régies faintcs de la charité; mais de plus , vous êtes infra6):eur de cel- les de la juftice. Car les fautes de votre frè- re font publiques ; je le veux : mais placez- vous dans la même fituation ; exigeriez- vous de lui moins d'égards 6c moins d'hu- manité , parce que votre chute ne feroit plus un myftère? croiriez- vous que l'exem- ple public donnât à votre frère contre vous , un droit que vous en prenez contre lui-même ? recevriez-vous , pour juftiiîer fa malignité ; une excufc qui vous la ren- droit encore plus odieufe tk plus cruelle ? D'ailleurs , que favez-vous fi le premier auteur de ces difcours public , n'eft point un impofteur? il court tant de faux bruits dans le monde , ÔC la malice des hommes les rend crédules fur les défauts d'au- trui; que favez-vous ce n'efl pas un en- nemi , un concurrent , un envieux , qui a répandu cette calomnie par des voyes fe- Crettes , pour détruire celui qui traverfoit^ ou fes palfions , ou fa fortune ? ces exem- ples font- ils fort rares ? ce n'efl pas un imprudent , qui a donné lieu à tous ces

Sur la Médisance. ï95

difcours par rindifcrétion d'une parole lâ- chée fans attention 5C recueillie avec ma- lice ? ces méprifes font-elles impolTibles ? fi ce n'ell pas une conje£lure débitée d'abord comme t-elle , 6c donnée enfuke comme une vérité ? ces altérations ne font-elles pas du caraâ:ère des bruits publics ? Qu'y avoit-il de plus vraifemblable parmi les enfans de la captivité , que le dérèglement prétendu de Sufanne ? les Juges du peuple de Dieu , vénérables par leur âge &C par leur dignité , dépofoient contr'elle ; to^^^t le peuple on parloit comme d'une époufe in- fidèle ; on le regardoit comme l'opprobre dlfraèl : cependant c'étoit fa pudeur mê- me, qui lui attiroit ces outrages ; &C s'il ne fe fût trouvé de fon tems un Daniel , qui osât douter d'un bruit public , le fang de cette innocente alloit fouiller tout le peu- ple. Et fans fortir de notre Evangile , les difcours facriléges , qui traitoient Jefus- Chrift d'impolleur ÔC de Samaritain , n'é- toient-ils pas dei^enus les difcours publics de toute la Judée ? Les Prêtres & les Pha- rifiens, gens à qui la dignité de leur carac- tère ÔC la régularité de leurs mœurs , atti- roient le refpeft 6c la confiance des peu- ples , les appuyoient de leur autorité : ce- pendant voudriez-vous excufer ceux d'en- tre les Juifs , qui fur des bruits fi com- muns , parloient du Sauveur du monde comme d'un féduâ:eur , qui impofoit à la crédulité des peuples ? Vous vous expofez donc à ia calomnie envers votre frère ;

R4

loé tuKDl DE LA IV. SeMAîNê; quelque répandue que foient les cenfuref qu'on fait de lui , fa fsute dont vous n'avez pas été témoins , eft toujours douteufe pour vous ; ÔC c'efc une injufticeque vous lui faites , d'aller publiant ^ comme vrai .y ce que vous ne favez que par des bruits publics , fouvent faux , 5c toujours témé- raires.

Mais je vais plus loin : quand même la chute de votre frère feroit certaine , ôc que la malignité des difcours n'y auroit jien ajouté ; d'où pouvez-vous favoir (i la honte même de voir fa faute publique ne Ta pas fait revenir à lui , S>C ii un repentir iincére 5c des kr nies abondantes , ne Tonî pas déjà effacée & expiée devant Dieu ? il lie faut pas toujours des années à la grâce pour triompher d'un cœur rebelle : il ell des victoires qu'elle ne veut pas devoir au- îems ; 5c une chute-publique eft fouvent le moment de miféricorde qui décide de la converfion du pécheur. Or , fi votre frère s'efl repenti., n'êtes-vous pas injufle ÔC cruel , de faire revivre des fautes que fa pénitence vient d'effacer, 5c que le, Sei- gneur a oubliées ? Souvenez-vous de la Péchereffe de l'Evangile: fes défordres étoient publics , puifqu'elle avoit été la Péchereffe de la Cité ; cependant lorfque le. Pharilien les lui reproche ,. fes larmes 5C fon amour les avoient effacés aux pieds dit Sauveur : la bonté de Dieu lui avoi-t remis» fa faute , 6^ la malignité des hommes na pouvoit encore l'en abfoudre,.

Sur la Médisance. toi

Enfin , la chute de votre frère étoit pu- blique: c' cil- à^- dire ^on favoit confufémenî que fa conduite n'éfoit pas exemte de re- proche ; ÔC vous venez en détailler les cir- conitances , en éclaircir les faits , en dé- velopper les motifs y. en expliquer tout le myftére ; confirmer ce qu'on ne favoit qu'à demi ; apprendre ce qu'on ne favoit point du tout ; Se vous applaudir même d'avoir paru plus inftruit que ceux qui vous écou- tent , fur le malheiu: de votre frère : il luî leftoit encore du moins une réputatioa €hancelante ; il confervoit encore du moins un reftè d'honneur , une étincelle de vie , bC vous achevez de l'éteindre. Je n'ajoute pas que peut-être on tenoit ces bruits pu- blics de certaines perfonnes fans aveu; gens qui n'étoient ni d'ua poids . ni d'un carac- tère à perfuader ; on n'ofoit encore y ajoiV ter foi fur des rapports fi peu folides ; mai» vous , qui par votre rang , votre naiflance^ vos dignités , vous êtes acquis de l'autorité fur les efprits , vous ne lailTez plus de lieu au doute 5c à Fincertitude ; votre nom feut va fervir de preuve contre l'innocence de votre frère ; ôc l'on va vous citer défor» mais pour juftifier la vérité des difcours. publics. Or , quoi de plus injufte 5c de plus dur , 6c par Le tort que vous lui faites ,. ^ par le bien que vous manquez de lui fai- re ? votre filence feul fur û faute ^ eut peut- être arrêté ladiffamation publique, & l'oa vous eût cité pour purifier fon innocence ;., eomnie on vous cite pour la noircir : 5C

102 Lundi de la IV. Semaine.

quel ufage plus refpeâabJe aiiriez-vous pi*i faire de votre rang 6c de votre autorité ? Plus vous êtes élevé, plus vous devez être religieux ÔC circonrpe6l fur la réputation de vos frères ; plus une ijoble décence doit vous rendre réfervé fur leurs fautes , on oublie les difcours du vulgaire ; ils meurent en naiiïant : les paroles des Grands ne tom- bent jamais en vain; & le public eft toujours l'écho fidèle , ou des louanges qu'ils don- nent, ou des CQnfures qui leur échappent. Mon Dieu ! vous nous apprenez , en difîî- mulant vous-mêmes les péchés des hom- mes , à les difîîmuler à notre tour ; vous attendez avec une patiencemiféricordieufe, pour révéler nos fautes , le jour les fe- crets des cœurs feront manifeftés ; & nous prévenons par une téméraire malignité , le terns de vos vengeances; nous qui fommes intéreiTéi que vous ne découvriez pas encore les abîmes de nos cœurs Sc les myf. téres des confciences.

Ainfi , mes Frères , vous fur-tout que le rang 6c la naiffance élève au-deifus des autres , ne vous contentez pas de mettre un frein à votre langue; offrez encore aux difcours de la médifance , un vifage trifte & févere , félon l'avis de l'efprit Saint , im (îlence de défaveu &: d'indignation : car le crime eft ici égal , & dans la malignité de celui qui parle , ÔC dans la complaifance de ceux qui écoutent. Entourons nosoreii- les d'épines pour ne pas les laiiTer infeder par des difcours empoifonnés ; c'eft-à-

Sur la'Medisakce. 20? ^Ire , ne les fermons pas feulement à ces paroles de fang 5c d'amertume ; mais re- jettons-les fur leur auteur d'une manière aigre 5c piquante. Si la médifance trouvoit moins d'approbateurs , le Royaume de Jefus-Chrift feroit bientôt purgé de ce fcandale : on plaît en m.édifant ; ÔC un vic^ qui plaît, devient bientôt un talent aima- ble : nous animons la médifance par no* appIaudilTemens ; Sc comme il n'eft per- fonne qui ne veuille être applaudi , il n'eft prefque aucun auffi qui ne fe faiTe un art 8C un mérite de médire.

Mais ce qu'il y a ici de furprenant , c'eft que la piété elle-même fcrt fouvent de pré- texte à ce vice que la piété fincére déteile, & qui fappe les premiers fondemens de la- piété. Ce devoit être la dernière Partie de ce difcours ; mais je n'en dirai qu'un mot. Oui , miCS Frères , la médifance trouve fouvent dans la piété même , des couleurs qui la juftifient : elle fe revêt tous les jours des apparences du zèle : la haine du vice femble autorifer la cenfure des pécheurs ; c^ux qui font profefîion de vertu croyent fouvent honorer Dieu ÔC lui rendre gloire, en déshonorant 6c décriant ceux qui l'of- fenfent ; comme Ci le privilège de la piété, dont l'ame eft la charité , étoit de nous difpenfer de la charité même. Ce n'eft pas que je veuille ici juftifier les difcours du monde , 6c lui fournir des nouveaux traits contre le zèle des gens de bien ; mais je ne dois pas aufli diifimuler , que la liberté

ZC4 Lundi de la III.. Semalvî. qu'on fe donne de cenfurer la conduite d& fes frères , eft un des- abus les plus ordi- naires de la piété.

^ Qr , mon cher Auditeur , vous que ce ^difcours regarde , écoutez les régies ciue TEvan-gile prefcrit fur le zèle véritable , & ne les oubliez jamais. Souvenez-vous pre- mièrement , que le zèle qui nous fait gé- mir des fcandales qui déshonorent TEglife ^ fe contente d'en gémir devant Dieu , de le prier qu'il fefouvienne de fes miféricordes anciennes ; qu'il jette des regards propices fur fon peuple ; qu'il établiffe (on régne dans tous les cœurs ; 6c qu'il ramène ks pécheurs de leurs voies égarées. Voilà une manière fainte de gémir fur les chu.tes de vos frères : parlez-en fouvent à Dieu ; 6c oubliez- les devant les hommes.-

Souvenez-vous fecondement ^ que la" piété ne vous donne pas un droit d'empire ^ d'autorité fur vos frères : que fi vous la'êtes pas. établi fur eux, ÔC refponfable de leur conduite , s'ils tombent ou s'ils de- meurent fermes , c'eft l'affaire an Seigneur. ^ non pas la vôtre : qu'ainii vos plaintes publiques & éternelles fur leurs défordres^ partent d'un fond d'orgueil , de malignité, de légèreté , d'inquiétude ; que lEglife a fes Pafreurs pour veiller fur le troupeau ; que l'Arche à {es Minières qui la foutien- nent , fans qu'un, fecours étranger ÔC témé. raire s'en mêle ; ÔC qu'enfin , loin de cor- riger par-là vos frères , vous déshonorez m piété ; vous juftifîez les difcours des

Sur la Médis an ce. lof . impies contre l'homme de bien ; ^ vous les aiitorifez à dire , comme autrefois dans îa Sagefle : Pourquoi celui-ci croit-il avoir droit de remplir les rues ^ les places pu- bliques de plaintes 5c de clameurs contre notre conduite ? 5c fe fait-il un pt)int de vertu de nous diffamer dans Tefprit de nos frères ? Impropcrat nohis peccdta iegis , ^^f^^* diffamât in nos peccata dl/ciplinœ nojîrœ.

Souvenez-vous troiliémement , que le 7èl€ qui eft félon la Science , cherche le fa- lut, 6C non la diffamation de fon frère; qu'il veut édifier , mais qu'il n'aime pas à ■nuire ; qu'il s'étudie à fe rendre aimable , pour fe rendre plus utile ; qu'il ell: plus touché du malheur ^ de la perte de fon frère , qu'aigri 5c fcandalifé de fes fautes ; qu'il voudroit pouvoir fe les cacher à ioi- inême , loin (le les aller publier devant les autres ; K que le zèle qui les cenfurc , loin de diminuer le mal , ne fait qu'augmenter le fcandale.

Souvenez vous quatrièmement , que ce zèle cenfeur que vous faites paroître contre votre frère lui efl inutile , puifqu'il n'en efl pas témoin , qu'il eft même nuifîble à la converfion , que vous reculez en i'aigrif- fant par vos cenfures , s'il vient à les ap- prendre ; nuifible à fa réputation que vous bleffez , à la piété que vous décriez ; nui- fible enfin à ceux qui vous écoutent ; qui refpeâ:ant votre prétendue vertu, necroyent pas qu'on puilfe s'égarer en fuivant vos tra- cer , 5C ne mettent plus la médifanee au-

2o6 Lundi de la IV, Semaine. nombre des vices. Le zèle eft humble, SC il n'a des yeux que pour fes propres mi- féres : il eft fimple , ôc il lui eft plus ordi- naire de croire trop facilement le bien que le mal ; il eft miféricordieux , 6c les fautes d'autrui le trouvent toujours aufîi indul- « gent , que fes propres fautes le trouvent

levére ; il eft délicat & timoré , 6c il aime fouvent mieux manquer de blâmer le vice, que s'expofer à cenfurer le pécheur.

Ainfi , vous , mes Frères , qui revenus des égaremens du monde , fervez le Sei- gneur, fouRrez que je fînifle en vousadref- fant les mêmes paroles que Saint Cypriea adreffoit autrefois à des ferviteurs de Jefus- Chrift , lefquels , par un zèle indifcret , ne faifoient pas de fcrupule de déchirer leurs frères. Une langue qui a confellé Jefus- Chrift ; qui a renoncé aux erreurs 6c aux pompes du monde ; qui bénit tous les jours le Dieu de paix aux pieds des autels ; qui eft fouvent confacrée par la participation des Myftères faints , ne doit plus erre in- quiète , dangereufe , pleine de fiel ÔC d a- merîume contre fes frères : c'eft une igno- minie pour la Religion , que d'abord après avoir offert au Seigneur des prières pures , ÔC un facrifice de louanges dans raflemblée des Fidèles , vous alliez lancer les traits venimeux du ferpent , contre ceux que l'union de la foi , de la charité , des Sacre- inens ; que leurs propres égaremens mê- mes devroient vous rendre plus chers ôC ?. cypr, P^U^ refpeûables: Lingua Chryjlum confegé

Sur la Médisance. 207

non Jlnt maUiiCii , non turbulent ci \ non conviais perjlrepens audiatur ; non contra fratres & Dd facer dotes , pojl verba laU" dis 3 ferpentis venena jaculetur*

Otons , par la fageffe 6c la modération de nos difcours , aux ennemis de la vertu, toute occafion de blafphêmer contr'elle ; corrigeons nos frères , plus par la fainteté de nos exemples , que par Taigreur de nos cenfures : reprenons-les en vivant mieux qu'eux , 5C non pas en parlant contre eux: rendons laverturefpedablepar fa douceur? encore plus que par fa févérité : attirons à nous les pécheurs , en compatilTant à leurs fautes , oC non en les cenfurant : qu'ils ne s'apperçoivent de notre vertu , que par notre charité ÔC notre indulgence ; ôc que notre attention charitable à couvrir 5c ex- cufer leurs vices , les porte à les condam.- ner , 6c à s'en acculer plus févérement eux-mêmes : par-là nous gagnerons nos frères ; nous honorerons la piété ; nous confondrons l'impiété ÔC le libertinage: nous ôterons au monde ces difcours fi com- muns 6c fi injurieux à la véritable vertu; -& après avoir ufé de miféricorde enver^ nos frères, nous irons avec plus de con- fiance nous préfenter aU Pjere des miféri- 'Cordes , 6c au Dieu de toute confolation, Se la demander pour nous mêmes.

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SERMON

POUR LE MARDI DE LA QUATRIEME SEMAINE

DE CAR È M JE.

Des doutes fur la Religion,

Sed hune fcimus unde fît ; Christus aute». CUm vcnerii , nemo fcit unde fie

Nous favons d'où çtluUcl vient ; mais pffui le Christ , brfqu'il paroitra , perfannc ne faU' ra d'où il vient* Joan 7. 27.

OiLA le grand.\prétêiite. que Tin crédulité des Juifs appDfôit à la do(^rine 6c au mtiiditere:d^ Jésus-Christ : tdesrdo-utes Smx la 'vérité de Mitîiou. .Nous favons qui vousétes-, 6c d'où vou^lyeiiôZ;, lui difoient-ils : mais le Christ que nous attendons , quand- il p^rcôtra , nous nefau- irons d'où il vient. R n'eft donc pas clair que vous foyez le Meffie promis à nos pè- res

Doutes sur la Religion. 209 *

r^ ; peut-être eft-ce un elprit iinpoftaur ? qui opère par vous despreftiges à nos yeux, 5c qui impofe à la créduiité du vulgaire : tant de fédu61:eurs ont déjà paru dans la JudéQ , Icfquels en fe difant le grand Pro- phète qui doit venir , ont trompé les peu- ples, 5c fe font enfin attiré la punition due iV leur impofture. Ne tenez plus nos efprits en fLifpens : Quo ufrnie animam noflram^^^'^* ^' toUiti 6c vous voulez que nous'vous^^* croyions le Christ, montrez-nous que ^

vous Têtes , d'une manière qui ne lailTe- plus de lieu au doute ^ à la méprife.

Je n'oferois le dire ici , mes Frères , fi- le langage des doutes fur la foi ii'étoit de-- venuli commun parmi nous, que nous n'a-- vons plus befoin de précaution pcurentre-- prendre de le combattre : voilà le prétexte- prefquele plus univerfel dont on fe fert tous fes jours dans le monde , pour s'autorifer' dans une- vie- route criminelle. Tout eft" plein au jourd'hui de ces pécheurs , qui nous- difent froidement qu'ils fe convertiroient ,- s ils étoient bien sûrs que tout ce que nous^ leurs dîfoiïsdô la Religion fm véritable ;- queiTeut-étreiin'y a rien après cette vie ; qu'il^ORtdes doutes & des difficultés fur- nos >IVlyiîères , auxquelles ils ne trouvent-' point de-réponfe qui les fatisfaile ; qu'au" fond, tout paroît alîcz incertain; ÔC qii'a-- rantde s'emrbarquer à fu ivre toutes les ma-- ximes févéres d^ l'Evangile ,. il faudroit^ être bien aiTuFé- qu& nos peines lïe feronr pas perdues.- . f

210 Mardi de la IV. Semaine.

Or , je ne veux pas aujourd'hui confon- dre rincrédulité par les grandes preuves qui établilTent la vérité de la foi chrétien- ne : outre que nous les avons déjà établies ailleurs , c'eft un fujet trop vafte pour un difcours , 5c qui n'eft pas même fouvent à la portée de la plupart de ceux qui nous écoutent j c'eft faire fouvent trop d'hon- neur aux objections frivoles de prefque tous ceux qui fe donnent pour efprits forts dans le monde, que d'employer le férieux de notre miniftère à les réfuter ÔC à les combattre.

Il faut donc aujourd'hui tenter une voie plus abrégée 5c plus facile. Mon delTein n'eft pas d'entrer dans le fond des preuves qui rendent témoignage à la vérité de la foi i je veux feulement vous découvrir faux de l'incrédulité : J€ veux vous prou- ver que la plupart de ceux qui fe difent incrédules ^ ne le font pas ;. que prefque tous les pécheurs , qui nous vantent , qui îiQus allèguent fans celle leur» doutes > comme le feul obi^açle à leur converfion ^ ne doutent point ; Sc que de tous les pré- textes dont on fe fert pour ne pas changer de vie, celui des doutes fur la Religion j. qui eft devenu le plus commun y eil le nioîns vrai 5c le moins fi ne ère*

Il paroit d'abord étonnant que j'entre- prenne de prouver à ceux qui croyent avoir des doutes fur la Religion ^ 6c qui nous les Oppofetit fans celle ,, qu'ils ne doutent point ea effet : cependgiat pour peu que Ton cou-

Doutes sur la Religion, ut UoIiTe les hommes , ÔC qu'on faffe atten- tion fur-tout au caraftère de ceux qui fe vantent de douter , rien n'eft plus aifé que de s'en convaincre. Je dis à leur caractère , entre toujours le dérèglement , l'igno- rance , ÔC la vanité ; ÔC voilà les trois four- ces les plus ordinaires de leurs doutes : ils en font honneur à l'incrédulité qu'il n'y a prefque point de part.

C'eft premièrement , le dérèglement qui les propofe , fans ofer les croire. Première réflexion.

C'eft en fécond lieu , l'ignorance quî les adopte , fans les comprendre. Secon- de réflexion.

C'ell enfin la vanité qui s'en fait hon» neur , fans pouvoir parvenir à s'en faire une relTource. Dernière réflexion.

C'eft-à-dire que la plupart de ceux quî fe difent incrédules dans le monde , font aflez déréglés pour defirer de l'être ; trop ignorans pour l'être en effet , 6c allez vains cependant pour vouloir le paroître. Déve- loppons ces trois réflexions devenues par* mi nous d'un fi grand ufage ; & confon* dons le libertinage plutôt que l'incrédulité , en le découvrant à lui-même. Ave, Maria,

Il faut d'abord convenir, mes Frères jParx^i^ 6c il eft trifte pour nous que nous devions cet aveu à la vérité : il faut , dis-je , con- venir que notre fiècle 5c ceux de nos pères ont vu de véritables incrédules. Dans la dépravation des mœurs nous vivons »

Si

il 2, Mardi de la IV. Semainf.

€c au milieu des fcandales qui depuis fi long-tems affligent l'Eglife, il n'eft pas fur"» prenant qu'il fe foit trouvé quelquefois des hommes qui n'ayent plus voulu connoître de Dieu; 8C que la foi affoiblie dans tous , fe foit enfin en quelques-uns tout-à- fait éteinte. Gomme dans tous les fiécles paroifi'ent certaines âmes choiiies ôc ex- traordinaires , que le Seigneur remplit de fes grâces , de fes lumières , de fes dons les plus éclatans , 6c en qui il prend plaifir de verfer à pleines mains toutes lesricheffes de fa miféricorde : on en voit aufîi en qui riniquité eft , paurainfi dire , confommée j èc que le Seigneur femble avoir marquées ^ pour faire éclater en elles les jugemens les plus terribles de fa juftice , 6c les effets les plus funeftes d€ fan abandon ÔC de fa colère..

L'Eglifé, oii tous lés fcandales doivent croître jufqu'à la fin , ne peut donc fe glo- rifier d'être tout-à-fait purgée du fcandal© de rinerédulité : elle a de tems en tems fes aftres qui Téclairent , ^ fes monftres qui -la défigurent ; ^' à côté de ces grands hommes ; célèbres par leurs lumières 5c par leur- fainteté , qui lui ont feryi de foii> tien 5c d'ornement dans chaque.fiècls , elle a viï s'élever auffi un€ tradition d'hommes impies , dont les noms font encore aujour- d'hui rhorreur- de l'univers , lefquels par des écrits pleins de blafphême &C d'impiété, '•ont ôfé attaquer les Myftèr^s Dieu , niéî; ie falut^ ôç les promeffes faites à zios pères >.

nOUTE5 ÇUR LA RELIGION. 213* reiiverfer le fondement de la foi , ôC prê- cher le libertinage parmi les Fidèles.

Je ne prétends donc pas , mes Frères ,'. que parmi tant de libertins qui parlent au milieu de nous le langage de rincrédulité,. il ne s'en trouve quelqu'un d'afiez corrom- pu dans l'efprit &. dans le cœur , d'aiTez- abandonné de Dieu , pour être en effet ÔC réellement incrédule : je veux feulement* établir que ces hommes impies-, 6c fermées- dans rimpiëté , fontrares ; £c que parmi: tous ceux qui vous vantent tous les jours^ leurs doutes ÔC leur incrédulité , di qui en font une déplorable oflentation , il n'en efî pas peut-être un feul fur le cœur duquel la foi ne conferve encore fes droits , àc qui ne craigne encore en fecret le Dieu qu'il fait femblant de ne vouloir pas connoître^ Pour confondre nos prétendus incrédules^- il n'eft pas toujours nécelTaire de les com^- battre ; fouvent on ne combat que des phantômes : il faut feulement les montrer tels qu'ils font : Taffreufe décoration d'in- crédulité dont ils fe parent , tom.be bien- tôt ; 5c il ne leurrelle plus que leurs paf- fiojns & leurs débauches.

Et voilà la première raifon fur qtîoi j'ai établi lapropoiition générale , quQ la plu- part de ceux- qui fe vantent d'avoir des doutes, ne doutent point en effet; c'eft que leurs doutes font des doutesde dérè- glement, 6c non pas d'incrédulité. Pour* quoi , mes Frères? parce que c'eft le dé- régleaieût qui a foriîié leurs doutes,, &>.

2Î4 Mardi de la IV. Semaine. non pas leurs doutes le dérèglement ; parce qu'a(^uellement, c'eft à leurs paiTions , ÔC non pas à leurs doutes , qu'ils tiennent , parce qu'enfin ils nattaquent d'ordinaire Oe la Religion , que les vérités incommo- des aux pallions. Voici des réflexions qui me paroillent dignes de votre attention ; je vais vous les expofer fans ornement , ôC dans le même ordre qu'elles fe font offer- tes à mon efprit.

Je dis en premier lieu ; parce que c'ellle dérèglement qui a formé leurs doutes , 6C non pas leurs doutes le dérèglement. Oiii , mes Frères , on n'a point encore vu de ces hommes , qui affectent de fe dire incrédul- les , lefquels ayent commencé par des dou- tes fur les vérités de la foi , ÔC qui des dou- tes foient tombés dans la débauche : on commence par les paiïions ; les doutes vien- nent enfuite: on fe laille d'abord emporter aux égarem.ens de Tâge , 6c aux excès de la débauche; ÔC quand on y a fait un cer- tain chemin , & qu'il ne paroît plus pofîl- ble de retourner fur fes pas , on fe dit à foi- même pour fe calmer , qu'il n'y a rien après cette vie , ou du moins on eft ravi de trouver des gens qui nous le difent. Ce n'eft donc pas le peu de certitude qu'on trouve dans la Religion , qui fait conclure qu'il faut s'abandonner au plaifir , & qu'il eft inutile de fe faire violence , puifque tout meurt avec nous , c'eft l'abandonnement au plaifir qui jette dans l'incertitude fur la Religion , & qui nous rendant la violence

Doutes sur la Religion. 21$ comme impofTihle , nous fait conclure qu'aufTi-bieu elle eft inutile. La foi ne de- vient donc fufpeâ:e que lorfqu'elle com- mence à devenir incommode : 6C jufqu'icî l'incrédulité n a point fait de voluptueux; mais la volupté a prefque fait tous les incrédules.

Et une preuve de ce que je dis , vous que ce difcours regarde , c'eft que tandis que vous avez vécu avec pudeur ôc avec innocence , vous n avez pas douté. Rappel- iez ces tems heureux les painons n'a- voient pas encore gâté votre cœur , la foi de vos pères ne vous offroit rien que d'au- gufte ôC de refpe6lable ; la raifon plioit fans peine fous le joug de l'autorité ; vous ne vous aviliez pas de vous former à vous-mê» mes des difficultés 6c des doutes ; dès que les mœurs ont changé , les vues fur la Re- ligion n'ont plus été les mêmes. Ce n'eft donc pas la foi qui a trouvé dans votre raU fon de nouvelles difficultés; c'eft la prati- que des devoirs qui a rencontré dans votre cœur de nouveaux obftacîes. Et vous nous dites que vos premières impreffions il favorables à la foi , ne venoient que des préjugés de l'éducation 8<. de l'enfance; nous vous répondrons , que les fécondes favorables à l'impiété , ne vous font ve- nues que des préjugés des pallions ÔC de la débauche ; §C que préjugés pour préjugés ,, îl nous fem.ble qu'il vaut encore mieux s'ea tenir à ceux qui font formés dans Finno- ceuce y ôc qui nous portent à la vertu ^

ti& Wardi de la IV. Semaine.'

qu'à ceux qui font nés dans rinfamie deT pafTions , 6c qui ne prêchent que le liber-- tinage ê< le crime.

Ainfi rien n'ell plus humiliant pour Tin- crédulité , que de la rappeller à fon origi- ne : elle porte un fau^; nom de fcience 6C de lumiiére ; 6c c'eft un enfant de crime 6c de ténèbre. Ce n'ell donc pas la force de la raifon qui a mené nos prétendus in- crédules : c'eft la foiblelTe d'un cœur cor- rompu qui n'a pu furmonter fes penchans ks plus honteux ; c'eft même une lâcheté de courage, qui ne pouvant foutenir 6c regarder d'un œil ferme les terreurs 6c les- menaces de la Religion , tâche de s'étour- dir , en redifant fans celle que ce font des frayeurs puériles : c'efl un homme qui a peur la nuit, 5c qui chante en marchanf- tout feul dans les ténèbres , pour fe raffu- rer lui-même : la débauche nous rend tou- jours lâches 6c craintifs ; 5C ce n'eft qu'un excès de peur des pei«es éternelles , qui fait- qu'un libertin nous prêche 6>C nous chante fans ceûe qu'elles font douteufes : il trem- ble , 5c il veutfe rairurercontrelui-mêmer il ne p£ut pas foutenir en même-tems la: vue de fes crimes ÔC celledu fupplice qut lès attend: cette Foi ]([ vénérable , 5c dontj- il parle avec tam de mépris, l'effraye pour- tant , le trouble encore plus que les autres*: pécheurs, qui fans douterde fes châtimens, ire lailTenî pas fouvent d'être infidèles à fes préceptes : c'eft un lâche qui cache fa peur lous-uiiefaiiiTe- oitentation de bravoure;.

Non . .

Doutes suh la Religion. 217 Non , mes Frères , nos prétendus efprits forts fe donnent pour des hommes fermes ÔC courageux : fuivez-les de près ; ce font les plus foibles 5c les plus lâches de tous les hommes.

D'ailleurs , il n'eil pas étonnant que le dérèglement nous mené à des doutes fur la Religion : il faut appeller Tincrédulité au fecours des paîTions ; car elles font trop foibles ÔCtrop injufïes pour fe [outenir tou- tes feules. Nos lumières , nos fentlmens , notre confcience , tous les combats au de- dans de nous : il faut donc leur chercher un appui , 5C les détendre contre nous-mê- mes ; ( car on efl bien aife de fe juiHfîer à foi-même tout ce qui plait. ) On ne veut pas que des palTions qui nous font chères , loient criminelles , ni avoir à foutenir ians ceiTe les intérêts de fes plaiflrs contre ce ix de fa confcience : on veut jouir tranquille- ment de fes crimes , 5C fc délivrer de ce cenfeur importun , qui prend fans celfe au dedans de nous le pnrti de la vertu contre, nous-mêmes. Ce n'elt jouir qu'à demi de {es pallions , tandis que les remords nous en difputent le plaifir : c'elt acheter trop chèrement le crime , que de Tacheter au prix même du repos qu'on y cherche : il faut , ou finir fes débauches , ou tâcher de s'y calmer ; 5c comme il en coûteroit trop de les finir , dC qu'on ne fauroit s'y calmer qu'en doutant dQs vérités qui nous trou- blent , on fe les donne à foi-même com- me douteufes ; 6c pour parvenir à être

Carême, Toms ilL T

2i8 Mardi DE LA ly. Semaine. tranquille , on s'efforce de fe perfuader qu'on eft incrédule.

C'efc-à-dire, que le grand effort du dérè- glement eft de nous conduire au défir de l'incrédulité : on voudroit pouvoir arriver à l'affreufe fécurité de l'incrédule ; on re- garde cet état d'endurciflement entier com- me ua état heureux , on fe fait mauvais gré d'être avec une confcienceplus foi- fcle 6c plus craintive : on envie la deftinée de ceux qu'on croit fermes 6c inébranlables dans l'impiété ; lefquels peut-être à leur tour , livrés en fecret aux remords les plus triftes, 5c fe faifluit honneur d'une fermeté qu'ils n'ont point , regardent notre fort avec envie , parce que ne jugeant de nous que par les difcours de libertinage que nous tenons , ils nous prennent pour ce qu'ils paroilTent eux-mêmes être à nos yeux , c'efii-a-dire , pour ce que nous ne ïbmmes pas , 6c pour ce que 6c eux & nous voudrions être. Et c'eft ainfi , ô mon Dieu ! que ces f-j-x héros de Timpiété vi- vent dans une iliufion perpétuelle, fe don- nent fans ceiT^ le change à eux-mêmes, ÔC ne paroilTenî ce qu'ils ne font pas , que parce qu'ils fouhaitent de l'être : Us vou- droient bien que la P»-eligion fût un fonge ; ils difent dans leur cœur qu'il n'y a point ff, 13 i.de Dieu : Dixit in/îpiens in corde fiio : l^on ejl Dms ; c'eft-à-dire , ce langage impie eft le délir de leur cœur : ils délireroient qu'il n'y eût point de Dieu ; que cet Etre fi grand 5c û iiéceflaire fût une chimère j

Doutes sur la Religiom. h^ qu'ils fuirent eux feuls les maîtx*-es de leur dcftinée ; qu'ils n'eulTent à répondre qu'à eux-mêmes des horreurs de leur vie 5c de l'indignité de leurs pafîions ; que tout finît avec eux ; ê»C qu'il n'y eût point au-delà du tombeau du Juge fupréme ôC éternel , ven- geur du vice , & rémunérateur de la vertu ; ils le défirent ; ils TanéantifTent autant qu'ils peuvent par les fouhaits impies de leur cœur ; mais ils ne peuvent effacer du fond de leur être , l'idée de fa puilTance 6c la crainte de fa juftice : Dixit injipiens in cor* de fiio , 'Non ejl Deiis,

En effet , il feroit trop trifte 6c trop vulgaire pour un homme vain , abîmé dans la débauche , de fe dire en fecret à lui- même : Je fuis encore trop foible ÔC trop abandonné au plaifir , pour en fortir & mener une vie plus régulière 5c plus chré- tienne. Ce prétexte lui laifferoit encore tous fes remords : c'eft bien plutôt fait de fe dire à foi-méme : Il ell inutile de mieux vivre , parce qu'il n'y a rien après la vie. Ce prétexte efl bien plus commode , parce qu'il finit tout ; c'eft le plus favorable à la pareffe , parce qu'il nous éloigne des Sa- cremens 6c de tous les autres affujettiffe- mens de la Religion. Il eft bien plus court de fe dire à foi-méme qu'il n'y a rien , ôC de vivre comme fi en effet on en étoit per- fuadé : c'eft fe délivrer tout d'un coup^ de tout joug ÔC de toute contrainte: c'eft finir toutes les mefures gênantes que les pé- cheurs d'un autre caraûêre gardent encore

T z

220 Mardi de la îîL Semaime. avec la Religion ôc avec l:i confcience. Ce prétexte d'incrédulité , en nous pcrfuadant que nous doutons en effet, nous laifTe dans im certain état d'indoiciice fur tout ce qui regarde le falut, qui nous empêche de nous approfondir nous-mêmes , éc de faire des réflexions trop trlfles fur nos pafilons: nous nous lalilons mollement entraîner au cours fatal qui nous emporte , {ur le préjugé gé- néral , que nous ne craignons rien : nous avons peu de remords , parce que nous nous fuppofons incrédules , ôC que cette fuppolition nous laillc prefque la même fécurité que l'impiété véritable: du moins c'eft une diverfion qui émoulTe ÔC qui fuf- pend la fenfibiiité de la confcience; & en faifant , que nous nous preno.ns toujours pour ce que nous ne foinmes pas , elle lait que nous vivons , comme il nous étions ©n eftet ce que nous de/irons d'être.

C'eft- à-dire, qu'il hv.t regarder le parti delà plijpart de ces prétendus efprits forts , ^ de ces iDcré-didcs de débauche ^ de li- bertinage , comme un parti d'hommes foi- bles , diifolus , di flip es , lefquels n'ayant pas la force de vivre chrétiennement , ni la fermeté même d'être impies, demeurent dans cet état d'éioignement de la Religion, comme le plus commode à la parelTe ; £< comme ils ne font rien pour en fortir , ils croyeat y tenir en effet: c'eft une elpéce de neutralité entre la foi & l'irréligion , dont rindclence s'accommode ; parce qu'il faut du mouvement pour prendre un parti , ôC

Doutes sur la Relîgion\ 221 que pour demeurer neutre , il n'y a qu à ne point penfer , êv vivre d'habitude : ainiioa ne s'approfondit 6(. on ne fe décide jamais foi-meme. L'impiété ferme , déclarée, a je ne fais quoi qui fait horreur : la Reli- gion , d'un autre côté , offre des objets qui allarment , 5c qui n'accommodent pas les pallions. Que faire entre ces deux cxtrêm.i* lés , dont l'une révolte la raiibn , &. l'au- tre les fens ? on dem.eure indécis ÔC chan- celant ; on jouit en attendant , du calme que cet état d'indécilîon 6c d'indifférence nous laiffe : on vit fans vouloir favoir ce qu'on eft ; parce qu'il eft plus commode de n'être rien , ÔC de vivre fans penfer & fans fe connoitre. Non , mes Frères , je le ré- pète ; ce ne font pas ici des incrédules , ce font des homm^es lâches qui n'ont pas la force de prendre un parti ; qui ne favent que vivre voluptueufement , fans régie , fans morale , fouvent fans bienféance ; 5c qui fans être impies, vivent pourtant ilins religion , parce que la religion demande de la fuite , de la raifon , de l'élévation de la fermeté , de grands fentimens , £C qu'ils en font incapables. Voilà pourtant les héros dont Timpiété s'honore; voilà les fuiTrages dont elle fe fait un rempart , &C qu'elle oppofe à la religion en nous inful- tant ; voilà les partifans avec lefquels elle - fe croit invincible : 6-C il faut bien que {es reffourcesfoientfoibles 5C miférables,puif- qu'elle ell réduite à les chercher dans des homm.es de ce caraftcre.

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222 Mardi de la IV. Semaine.

Première raifon qui prouve que ce ne font pas les doutes qui jettent dans le dé- règlement ; mais le dérèglement tout feuî qui nous jette dans les doutes, La féconde raifon n'eft qu'une nouvelle preuve de la première : c'efl qu'aduellement Ton ne change point de vie , ce n eft pas à fes doutes que l'on tient, c'eft à les feules pafîions.

Car je ne vous demande ici que de la bonne foi , à vous qui nous alléguez fans celle vos doutes fur nos Myftères. Lorfque vous penfez quelquefois à fortir de cet abîme de vice ÔC de débauche vous vivez ; & que les pafTions plus tranquilles vous permettent quelque retour fur vous- même, vous oppofez-vous alors vos incer- titudes un la Religion ? vous dites-vous à vous-même : Mais fi je reviens , il faudra croire des chofes qui paroiflent incroya- bles ? eft-ce-là la grande difficulté? Ah î vous vous dites en fecret à vous-m.ême : Mais il je reviens , il faudra finir ce com- merce , m^nterdire ces excès > rompre ces fociétés , éviter ces lieux y en venir à des démarches que je ne fouticndrai jamais^. & prendre un genre de vie auquel toutes mes inclinations répugnent. Voilà à quoi vous tenez ; voilà le mur de féparation qui vous éloigne de DieiT. Vous parlez tant aux autres de vos doutes ; d'où vient que vous ne vous en parlez point à vous-même? ce n'eft donc pas ici une affaire de raifon & de croyance , c'eft une affaire de cœiu"

Doutes sur la Religion. 223 Se de dérèglement : 6c le délai de votre converfion ne prend pas fa iource dans vos incertitudes fur la foi , mais dans le doute feul oûvous laiiîe la violence 5c l'empire de vos pafllons , de pouvoir jamais vous affranchir de leur fervitude 5c de leur in- famie. Voilà mes Frères , les chaînes véritables qui lient nos prétendus incrédu- les à leurs propres miféres.

Et ce qui confirme encore cette vérité , c'efl que la plupart de ces hommes qui fe donnent pour incrédules , vivent pourtant dans des variations perpétuelles fur le point même de l'incrédulité.En certains momens les vérités de la Religion les touchent : ils fe fentent agités de vifs remords ; ils cherchent mémQ des hommes habiles 8>C renommés , dss ferviteurs de Dieu , pour s'entretenir avec eux 6c s'inlîruire: eji d'au- tres , ils fe moquent de ces vérités j ils traitent les ferviteurs de Dieu avec déri- fîon , & la piété elle-même de chim^ : il n'efl guéres de ces pécheurs , de ceux même qui font le plus d'oflentation de leur incrédulité , que le fpectacle d'une mort inopinée , qu'un accident funefie , qu'une j)erte douloureufe ; qu'un renverfement de fortune , qu'une difgrace éclatante , n'ait quelquefois jette dans des réflexions triflis fur fon état , Sc dans des déiirs d'une vie plus chrétienne ; il n'en eil guéres , qui dans ces fituations affligeantes , ne cher- chent de la confolation auprès des gens de bien, ne faffent quelque démarche qui lailTe

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224 Mardi de la IV. Sem.m.vs. erpérer une forte d'amandeinent. Ce n'efl pas à leurs compagnons d'impiété , de li- bertinage , qu'ils ont recours alors pour fe confoler ; ce n'eft pas dans ces railleries impies de nos Myiîères , & dans cette philofophie affreule , qu'ils cherchent un adoucilîement à leurs peines : ce font-là les difcours de la joie & de la débauche , êc non pas de Tafflièlion 6c de la douleur: c'en: la religion de la table , des plaiiirs , des excès ; ce n'eft pas celle du férieux des contre- tems 6c de la triftefle : le goût de l'impiété tomibe pour eux avec celui des pîaifîrs. Or , fi leur incrédulité avoit fou fondement dans des incertitudes réelles fur la Religion , tant que ces incertitudes fub- fifteroient , l'incrédulité fcroit toujours la même ; mais comme leurs doutes ne naif- fent que de leurs paiîions , & que leurs paflîons ne font pas toujours les mêmes , ni également vives ÔC maîtrefles de leur cœur , leurs doutes changent fans cefTe commue leurs paillons; ils croilTent , ils diminuent , ils s'éciipfent , ils reparoiffent, ils font dans laméme volubilité 5c toujours dans le m.cme degré que leurs pafîions ; en un mot , ils fui\ ent la deftinée <ies paf- fjons , parce qu'ils ne font que les paflions elle*- miêmes.

En effet , mes Frères , pour ne lailTer plus rien à dire fur ce fiijet , 6c achever de vous faire fentir combien cette profeflion d'incrédulité , dont on s'honore , eft mé- prifable ; c'eft que répondez à toutes les

Doutes sur la Religion. 225 ditTicultes cl^in pécheur qui le vante d^être incrédule ; reduiiez-le à n'avoir plus rien à vous répliquer , il ne ie rend pas encore; vous ne Pavez pas encore pour cela gagné: il le renferme en lui-même , comme s'il avoit encore des raifons plus accablantes qu il ne daigne pas mettre en avant : il tient bon, & oppofe un air myilérieux ôC décidé , à toutes les preuves qu'il ne peut réfoudre. Vous avez pitié alors de fa fu- reur 5C de fyn entêtement : vous vous tromipez ; ne foyez touché que de fa vie libertine & de fa mauvaife foi : car qu'une maladie UiOrtellc le frappe au fortir de-là ; courez autour du lit de fa douleur ; ah ! vous trouvez ce prétendu incrédule con- vaincu ; fes doutes cellent, fes incertitudes finiffent , tout cet appareil déplorable d'in- crédulité s'évanouit &: fe déconcerte ; il n'en eft plus même queftioii ; il a recouri ati Dieu de fes pères ; il redoute fes juge- miCns qu'il faifoit femblant de ne pas croire. Le Minière de Jefus-Chrift appelle n'a pas befoin d'entrer en conteftation pour le détromper de fon impiété : le pécheur mou- rant prévient là-delTus fes foins 5C fon rni- niftère: il a honte de fes blafphêmes pailés; il s'en repent ; il en avoiie le laux 6c hi mauvaife foi ; il en fait une réparation pu- blique à la majeilé R à la vérité de la Re- ligion : il ne deniande plus de preuves ; il ne dem:ande que des confolations. Cepen- dant cette maladie ne lui a pas donné de nouvelles lumières fur la foi ; le coup , qui

ii6 Jeudi de la IV. Sex\îal\e. frappe fa chair , n'a pas ëciairci les cloutes de ion efprit : Ah! c'eft qu'il touche fou cœur ; c'eft qu'il finit fes dérëglemens ; c'eft en un mot , que fes doutes étoient dans {es paftîons ; 5c que tout ce qui va éteindre les paillons , éteint en même-tems fes doutes.*

Il peut arriver, je l'avoue, qu'il fe trou- ve quelquefois des pécheurs , qui pouiTent jufqu'à ce dernier moment leur fureur 6c leur impiété; qui meurent en vomiiTant, avec leur am.e impie , des bldfphémes con- tre le D'iQu qui va les juger, & qu'ils ne veulent pas connoître. Car, ô mon Dieu î vous êtes terrible dans vos jugen:ens , 6C vous permettez quelquefois que l'impie meure dans fon impiété. Mais ces exemples font rares ; & vous favez vous-m.êmes , mes Frères , qu'un fîëcle entier fournit à peine un de ces afîreiix fpeâ:acles. Mais voyez dans ce dernier moment tous les au- tres, qui s'étoient fait honneur de leur in- crédulité dans l'opinion publique ; voyez au lit de la mort.un pécheur, quijufques- avoit paru le plus ferme dans l'impiété , 2>C le plus déterminé à ne rien croire ; il devancç lui-m.éme la prcpcfition qu'on al- loit lui faire de recourir aux remèdes de l'Eglife ; il lève les mains au Ciel ; il donne des marques écktantes , fincéres d'une Re- ligion qui ne s'étoit jamais effacée du fond de fon cœi r ; il ne rejette plus , comme des terreurs puéri'es , les menacis ÔC les châtimens de la vie future j que dis-je ? ce

Doutes sur la Religion. 227 pécheur autrefois fi ferme , (1 fier dans fa prétendue incrédulité, (i fortau-deflus des frayeurs vulgaires , devient alors plus foi- hle , plus timide , plus crédule, que Tame la plus populaire ; fes craintes font plus exceffives , {a religion même plus fuperfii- tieufe , fes pratiques de culte plus fimples ■plus vulgaires , plus outrées que celles du îlmple peuple ; & comme un excès n'eft jamais loin de l'excès qui lui ell oppofé , on le voit pafier en un moment , de l'im- piété , à la fiiperfiition ; de la fermeté du philofophe , à la foibltlTe de Tignorant ÔC du fimple.

Et c'efi: ici ou je voudrais en r.ppeller , avec Tertullien , à ce pécheur mourant, & le faire parler ici à ma place contre l'incrédulité : c'efi ici ou , à 1 honneur de la Religion de nos pere^ , je ne voudrois pas d'autre témoin de la ioiblciTe & de la mauvaife foi de Tinipie , que cet am.e qui expire , ôc qui ne peut plus parler que le langage de la vérité : c'cit ici je vou- drois ailembler tous les incrédules autour du lit de fa mort ; ôc pour les confondre par un témoignage qui ne fauroit leur être fufpeé^ , lui dire avec Tertullien : O ame 1 avant que vous fortiez de ce corps ter- refire , dont vous allez vous détacher , fouffrez que je vous appelle ici en témoi- gnage : Ccnji/Ie in mcdio , anima : parlez Tem^ dans ce dernier moment vous ne don- nez rien à la vanité , & vous devez tout H la vérité ; dites-nous Ci vous regardez le

228 Mardi de la IV. Semaine, Dieu terrible , entre les mains duquel vous allez torrber , coiimie un être chimérique dont on fait pe-'r aux efprits foibles 6C crédules ? dites-iiOUS il tout diiparoillant à vos yeux , n toutes les créatures re- tombant pour vous dans le néant , Dieu ieul ne vous paroit pas immortel , immua- ble , l'Etre de tous les ilécles ÔC de Tétcr- nité , ÔC qui remplit le Ciel 6c la terre ? Nous conientons maintenant , nous que vous avez toujours regardés comme des eiprits fuperltititu.x K vulgaires, nous con- fcDtons que vous fby.ez le juge entre nous 5c rincrédulité , à laqr.elle vous avez tou- jours paru 11 favorable : ^^ te tcftlmonium flùgitant Chi'.Jiiani , ab extranea advcrsiis tues. Quoique vous ayez été jufques ici étrangère par rapport à la foi , ÔC enne- mie de la Religion , la Religion s'en rap- porte à vous contre ceux que le lien af- freux de rimpiété vous avoit fi étroitement unis : A te tejtimonium ftagitant Chrijliani , . ab extranea adversus tuos. Si tout meurt avec vous , pourquoi la mort vous pafoit- elle fi fort à craindre : Lur in totum times mortem ^Jî nïhil ejî tibi tlmendum pojl mor- tem ? Pourquoi ces mains fuppliantes vers le Ciel , s'il n'y a point ae Dieu qui puilTe felaiifer toucher à vos gémillemens 5c écou- ter vos prières ? fi vous n'êtes rien vous- même , pourquoi démentez-vous donc le néant de votre être , ÔC tremblez- vous fur les fuites de votre defiinée r Si nîhil es ij?Ja, cur mcmiris in te ? D'où vous viennent

Doutes sur la Religion. 22^

dans ce dernier moment, ces fentimens de crainte , de reipe£t pour TEtre luprême ? n'eft-ce pas parce que vous les aviez tou- jours eus , que vous aviez impole au pu- blic , par une faulTe oftentation d'impiété, 6c que la mort ne fuit que développer les difpofitions de foi êv de religion , que vous aviez toujours confervces pendant votre vie A te tefiLmonLum Jiagitant Chriftiani , nh extranca adversus tuos*

Oui, m.es Frères, fi nous pouvions dé- truire les pallions , nous aurions bientôt ramené tous les incrédules : ^ une der- nière raifon qui achevé de le dém.ontrer , c'eft que s'ils paroilTent fe révolter contre rincompréhenlibiiité de nos myitères , ^ce n'eft que pour en venir au point qui les touche , 6C pour attaquer les vérités qui intércilent les pafiîons ; c'efc-à-dire , la vérité d'un avenir, & leternité des peuîes futures ; c'eft toujours ià-le fruit 6L la con- clufion favorite de leurs doutes.

En eff:t , (1 la religion ne propoioit que des my itères qui pallent la r^ ion , ians y ajouter des maximes & des vérités qui gê- nent les palTions, nous pouvons ailurer har- diment que les incrédules feroient raresj les vérités ou les erreurs abitraites, qu'il eitia- différent de croire ou de nier , n'uitérellent prefque perfonne. Vous trouverez peu de ces hommes épris de la feule venté, qui deviennent partifans &C défenfeurs zélés de certains points de pure fpéculation , 5C ^ui n'ont rapport à rien , feulement , par-

7' 30 Mardi de la IV. Semaine. ce qu'ils les croyent vrais. Les vérités abf- traites des mathématiques ont trouvé ea nos jours quelques fe£lateurs zélés ÔC elli- niables , qui fe iont dévoilés à développer ce qu'il y a de plus impénétrable dans les fecrets infinis 6c dans les abîmes profonds de cette fcience ; mais ces fe^lateurs ont été quelques hommes rares bc uniques : la contagion n'étoit pas à craindre ; aufil n'a-t'elle pas gagné ; on les admire , mais on feroit bien taché de les imiter. Si la Re- ligion ne propofoit que des vérités aufîî ablèraites , aulTi indifférentes à la félicité des fens , aulFi peu intéreirantes pour les paiîions ÔC pour l'amour propre ^ les im- pies feroient encore plus rares que les ma- thématiciens. On en veut aux vérités de la Religion , parce qu'elles nous m.enacent: on ne s'élève point contre les autres , parce que leur vérité , ou leur faufleté , ne dé- cide de rien pour nous.

Et ne nous dites pas que ce n'efl: pas par intérêt propre , mais par amour tout ieul de la vérité , que l'incrédule ne le rend point à des myièères que la raifon rejette. Je fais bien que le prétendu incrédule s'en vante , 5c voudroit nous le faire accroire : mais qu'importe la vérité à des hommes qui ne la cherchent pas , qui ne l'aiment pas , qui ne la connoifTent pas , qui ne veu- lent pas même la connoître , 6c qui m dé- firent que de fe la cacher à eux-mêmes ? que leur importe une vérité qui les paiTe , à laquelle ils n'ont jamais donné un ieul

Doutes sur la Religion. £31

moinent l'érieux ; qui n'ayant rien qui flàte les pafllons , ne fauroit interelTer ces hom- mes de chair ôc de iang , 5c plongés dans une vie voluptueufe ? il leur importe de » vivre au gré de leurs déiirs déréglés , ÔC cependant de n'avoir rien à craindre après cette vie ; voilà la feule vérité qui les in- téreffe : palTez-leur ce point \ robfcurité de tous les autres myflères ne les occu- pera pas feulement : ils conviendront de f tout , pourvu qu'on les lailTe jouir tran- quillement de leurs crimes.

AuiTi la plupart des impies qui nous ont lailTé par écrit les triftes fruits de leur im- piété , fe font attachés à prouver qu'il n'y avoit rien au-delfus de nous ; que tout mouroit avec le corps , &C que les peines ou les récompenfes futures , étoi.T-nt des fables : il falloit commencer par mettre les paffîoas dans jeur intérêts pour fe faire des fectateurs. S'ils ont attaqué les autres points de la foi , ce n'a été que pour en venir-ià ; pour conclure qu'il n'y avoit rien après cette vie ; que les vices : ou les vertus, étoient des noms que la politique avoit inventés pour contenir les peuples ; & que les pafîions n' étoient que des pen- chans naturels 6C innocens , que chacun pouvoit fuivre, parce que chacun les trou- voit en foi.

Voilà pourquoi les impies , dans la Sa- geife , & les Saducéens eux - mômes , dans l'Evangile , qu'on peut regarder com- me les pères ôc les prédéccfleurs de no«

232 Mardi de la ÎV. Seivîaine. incrédules , ne s'amiifoient point à réfuter la vérité des miracles rapportés dans les li- vres de Moyie , 6c que Dieu opéra autre- fois en faveur de fon peuple ; ni la pro- mcile du Médiateur faite à leurs pères : ils n'attaquoient que la réfurreârion des morts ^ rimmortalité des âmes : ce point déci- doit de tout pour eux. L'homme meurt comme la béte , diioient-ils dans la Sa- gelTe : nous ignorons il leur nature eCt dif- férente : mais toujours leur fin t< Leur def- tinée eft égale ; ne nous inquiétons donc point de l'avenir qui n'eft point ; jouilTons de la vie ; ne nous refufons aucun plaifir-: le tems eft court ; hâtons nous de vivî-e , parce que nous mourrons demain , 5c que tout mourra avec nous. Non , mes Frè- res , les paflîons ont toujours été le léul berceau de rincrédulité , on ne fecouè le joug de la foi , que pouir fécouer le joug des devoirs ; bi h\ Religion n'auroit jamais eu d'ennemis, fi elle n'avoit été l'ennemie du dérèglement 6c du vice.

Mais il les doutes de nos incrédules ne font pas réels , parce que c'eit le dérègle- ment feul qui les forme ; ils font encore faux , parce que c'eit l'ignorance qui les adopte fans les comprendre , 6c la vanité qui s'en fait honneur , fans pouvoir s'en faire une reffource : c'eft ce qui nous refte à développer.

Parti E-x^N" pourroit faire à la plupart ceux qui nous vantent fans cciTe leurs doutes

fur

Doutes sur la Religiov. 235

fur la Religion , & qui trouvent que tout eft plein de contradiftions dans ce que la foi nous oblige de croire : on pourroit , dis-je , leur faire la même réponfe que Tertullien faifoit autrefois aux Payens fur tous les reproches qu'ils formoient contre les myfléres 5c la do£trine de Jefus-Chrift, Ils condamnent , difoit ce Père , ce qu'ils n'entendent pas ; ils blâment ce qu'ils n'ont jamais examiné , Sc qu'ils ne connoif- feiit que par oui-dire ; ils blafphêment ce qu'ils ignorent ; 6c ils l'ignorent , parce qu'ils le haïlTent trop , pour vouloir ie don- ner la peine de l'apprciondir & de le con- noître. Malunt nef cire y quia, jam oàerunt. Or , rien n'eft plus indécent 8c plus infenfé > M

continue ce Père, que de décider fièrement fur ce que l'on ignore ; 5c tout ce que la Religion demanderoit de ces hommes fri- voles ScdilTolus, qui s'élèvent fi fort con- tr'elle, c'ell qu'ils ne la condamnaflent pas avant de l'avoir bien connue : Unum gejiit interdum , ne ignorata damnetur^^

Voilà , mes Frères , en font prefque tous ceux qui fe donnent dans le monde pour incrédules : ils n'ont jamais appro- fondi , ni les difficultés , ni les preuves ref- peélables de la Religion ; ils n'en favent pas même alTez pour en douter. Ils la haif- fent ; car comment aimer ce qui nous con- damne; 6c cette haine eft la feule fcience qui forme leurs doutes , 6C qui leur ap- prend à la combattre : Malunt ne/cire, quia jam oderum.

Carême , Tome* 11 L V-

234 Mardi de la IV. Semaine.

En effet , quand je vois d'un coup d'œiî tout ce que les fiëcles chrétiens ont eu de plus grands hommes , de génies plus éle- vés , de favans plus profonds ÔC plus éclai- rés , lefquels après une vie entière d'étude , & une application infatigable, fe font fou- rnis avec une humble docilité aux myftères de la foi : ont trouvé les preuves de la Religion (i éclatantes , qu'il leur a paru qpe la raifon la plus fiére 6c la plus indo- cile , ne pouvoit refufer de fe rendre ; l'ont défendue contre les blafphêmes des Payens; ont rendu muette la vaine philofophie des Sages du fiécle , 6c fait triompher la folie de la croix , de toute la fagefle 6c de toute l'érudition de Rome ou d'A- thènes ; il me femble que pour revenir à combattre des myiléres depuis fi long- tems ÔC fi univerfellement établis ; que pour être y j'ofe m'exprimer ainfi , reçu appellant de la foumiffion de tant de fiécles^ des écrits de tant de grands hommes , de tant de viâ:oires que la foi a remiportées , du cônfentement de l'univers , en un mot , '^d'''une prefcription fi longue ÔC fi bien af- fermie ; il £audroit, ou de nouvelles preu- ves qu'on n'eiit pas encore confondues , ou de noiivelles difîicultés dont perfonne î>e fe fût encore avifé , ou de nouveaux moyens qui découvrilTent dans la Religion un foible qu'on n'avait pas encore décou- vert. 11 me fem.ble que pour s'élever tout feul: contre tant de témoignages , tant de jiodiges y tant de fiécles , tant de monu-

Doutes sur la RELicroN. 235

mens divins , tant de perfonnages fameux , tant d'ouvrages que les tems ont confa»- crés , que toutes les attaques de Fincrédu- lité ont rendu d'âge en âge plus triom- phans & plus immortels , en un mot , tant . d'événemens étonnans , ÔC jufques-là înouis , qui établilFent la foi des Chré- tiens ; il faudroit des raifons bien décilives & bien évidentes , des lumières bien ra- res & bien nouvelles , pour entreprendre ou d'en douter , ou de la combattre. Hors de-là on aura droit de nous regarder com- me un infenfé , qui vicndroit tout feul dé- fier de loin une armée entière , leulement pour faire oftentation de fon vain défi , ÔC îe parer d'une fauffe bravoure.

Cependant lorfc^ue vous approfondilTez la plupart de ces hommes qui fe difent in- crédules , qui fe recrient fans celle contre les préjugés populaires , qui nous vantent leurs doutes ^ ÔC nous défient d'y fatisfaire 6c d'y répondre ; vous trouvez qu'ils n'ont pour toute fcience , que quelques doutes ufés &C vulgaires, qu'on a débités dans tous les tems , 6c qu'on débite encore tous les jours dans le monde ; qu'ils ne favent qu'un certain jargon de libertinage qui paile de main en main , qu'on reçoit fans l'examiner 5c qu'on répète fans l'entendre: vous trouvez que toute leur capacité £c leur étude fur la Religion , fe réduit à cer- tains difcours de libertinage , qui courent les rues r s'il eii permis de parler aihfi ; à certaines maximes rebattues , &. qui à for--

V 2.

27,6 Mardi de la IV. Semain'e. ce n'être redites , commencent à tenir de la baiTeife du proverbe. Vous n'y trouvez nul fonds , nul principe , nulle fuite de doctrine , nulle connoiiîance de la Religion qu'ils attaquent : ce font des hommes dif- iipés par les plaifirs , 6c qui feroient bien fâchés d'avoir un moment de refte , pour examiner ennuyeufement des vérités qu'ils xic fe foucientpas de connoitre , des hom- mes d'un caractère léger Sc fuperficiel , in- capables d'attention 5c d'examen , 6c qui ne fauroient foutenir un feul inftant de fe- lieux Se de méditation tranquille ôcrainfe;, difons-le encore, des hommes noyés dans la volupté , 6c en qui la débauche a peut- être même abruti Sc éteint ce que la na- ture pouvoit leur avoir donné de pénétra- tion 6c de lumières.

Voilà les ennemis redoutables que l'im- plété oppofe à la fcience de Dieu : voilà les hom.mes frivoles , dilTipés , ignorans y qui ofent taxer de crédulité , ÔC d'ignoran- ce , tout ce que les iîécles chrétiens ont eu & ont encore de Docteurs plus con- fojTimés , bu de perfonnages plus habiles & plus célèbres : ils ne iàvent que le lan- gage des doutes , mais ce font des doutes qu'ils ont appris ; ils ne les ont pas for- înés ; ils répètent ce qu'ils ont ouï ; c'eft une tradition d'ignorance&Cd'impiété qu'ils ont reçue : aulTi ils ne doutent pas ;■ ils ne font que conferver à ceux qui les fuivront , Je langage de l'irréligion & clés doutes : iteii.e font jpas incrédules ; ils se. font ^ae-

Doutes sur la Religion. 2^7 les échos de rincrédiilité : en un mot , ils favent ce qu'il faut dire pour douter , mais ils n'en favent pas allez pour douter eux- mêmes.

Et une preuve de ce que j'avance , c'eft que dans tous les autres doutes , on ne doute que pour s'éclaircir; on cherche tout ce qui peut cpnduire à la vérité qu'on ne voit encore qu'à demi. Mais ici on ne dou- te que pour douter ; preuve que le doute ne nous intérefTepasplusquela vérité qu'il nous cache : on feroitbien fâché qu'il fallut fe donner la peine d'éclaircir le vrai ou le faux des incertitudes qu'on prétend avoir fur nos Myftères. Oui , mes Frères , fi la peine de ceux qui doutent étoit une obli- gation indifpenfable de chercher la vérité ^ nul ne douteroit ; nul ne voudroit acheter à ce prix le plaifir de fe dire incrédule ; nul peut-être même n'en feroit capable : preuve décifive qu'on ne doute point ; qu'on n'eft pas plus attaché à fes doutes , qu'à la Reli- gion ; ( car on n'efi: guéres plus inftruit fur l'un que fur l'autre ; mais feulement qu'on a perdu ces premiers fentimens de retenue 6c de foi , qui nous lailloient, encore uii refte de refpeâ: pour la Religion de nos pères. Aiuii on fait bien de l'honneur à des hommes ii dignes en mêmje-temjs , 5c de pitié & de mépris , de croire qu'ils ont pris un parti , qu'ils ont embralTé un fiflême : on leur fait bien de l'honneur de les ranger parmi les impies fe£tateurs d'un Socin , de les q^u^Ufier des titres affreux de Déiftes qm

238 Mardi de la IV. Semaine. ^ d'Athées : hélas ! ils ne font rien ; ils ne tiennent à rien ; du moins ils ne favent eux- mêmes ce qu'ils font , ils ne fauroient nous le dire; ÔC ce qu'il y a ici de déplorable , c'eft qu'ils ont trouve le fecret de fe former un état plus méprifable , plus bas, plus in- digne de la raifon ; que celui de l'impiété ; ÔC que c'eft les honorer , de leur donner le titre odieux d'incrédule , qui avoit été juf- ques ici la honte de Thumanité , ÔC le plus grand opprobre de Thomm.e.

Et pour finir cet article par une réfle- xion , qui confirme la même vérité , 6c qui eft bien humiliante pour nos prétendus in- crédules , c'eft qu'eux qui nous traitent fi fort d'efprits foibies &. crédules ; eux qui vantent tant la raifon , qui nous accufent fans celTe de nous faire une religion des pré- jugés populaires , 6c de ne croire que parce que ceux qui nous ont précédés ont cru i eux , dis- je , ils ne font incrédules & ne doutent, que fur i'autorité;déplorabIe d'un libertin à qui ils ont oui dire fouvent , que tout ce qu'on leur prêche d'un avenir n'efl qu'un épouvantai! pour allarmer hs enfans & le peuple , voilà toute leur fcience 5c tout l'ufage qu'ils ont fait de la raifon. Ils font impies , fans examen & par crédu- lité , comme ils nous accufent d'être fidè- les ; mais par une crédulité qui ne peut trouver d'excufes que dans la fureur 6C dans l'extravagance : c'efi: l'autorité d'un feul difcours im.pie , prononcé d'un ton ferme ôc décifif , qui a fubjugué leur rai-

Doutes sur la Religion. 239 fon , 5c qui les a rangés du côté de rim- piété. Ils nous trouvent trop crédules de nous rendre à l'autorité des Prophètes , des Apôtres > des hommes infpirés de Dieu , des prodiges éclatans opérés pour établir la vérité de nos myftéres , ôc à cette tradition vénérable de faints Paileurt qui nous ont tranfmis d'âge en âge le dé- pôt de la do£lrine 5c de la vérité , c'eft-à- dire , à la plus grande autorité qui ait ja- mais paru fur la terre ; 5c ils fe croyent moins crédules , & il leur femble plus di- gne deraifon, de déférer à l'autorité d'un impie , qui dans un moment de débauche ,. prononce d'im ton ferme qu'il n'y a point de Dieu , & ne le croit pas peut-être lui- même. Ah ! mies Frères , que Thomme s'avilit 6c fe rend méprifable , quand il fe fait une fauile gloire de n'être plus foumis à Dieu !

Aufîî , mes Frères , pourquoi croyez- vous que les prétendus incrédules , dont nous parlons , fouhaitent fi fort de voir des impies véritables , fermes &. intrépides dans rimpiété ; qu'ils en cherchent, qu'ils en attirent même des pays étrangers, com- me un Spinofa , fi le fait eft vrai qu'on l'ap» pella en France paur le confulter 5c pour l'entendre ? c'efl que nos incrédules ne font point fermes dans l'incrédulité , ne trou- vent perfonne qui le foit , 5c voudroient pour fe rafi'urer , rencontrer quelqu'un qui leur parût véritablement affermi dans ce parti affreux ; ils cherchent dans l'autorité

240 Mardi de la IV. Semaine. des relToiirces ôc des défenfes contre leur propre confcience ; ÔC n'ofant devenir tout leuls impies , ils attendent d'un exemple ce que leur raifon 5c leur cœur même leur refufe ; 6c par-là ils retombent dans une crédulité bien plus puérile 5c plus infen- fée , que celle qu'ils reprochent aux Fidè- les. Un Spinofa , ce m.onltre , qui après avoir embralTé différentes religions , finit par n'en avoir aucune , n'étoit pas emprefle de chercher quelque impie déclaré qui raffermît dans le parti de Tirrcligion 6c de rathëïfme : il s'étoit form.é à lui-même ce cahos impénétrable d'impiété , cet ouvrage de confuiion ÔC de ténèbres , le feul déCiT de ne pas croire en Dieu peut fou- tenir l'ennui ÔC le dégoût de ceux qui le lifent ; hors l'impiété tout eft intelligi- ble ; ÔC qui à la honte de l'humanité , fe- roit tombé en nailfant dans un oubli éter- nel , 6c n'auroit jamais trouvé de Ieâ:eur^ s'il n'eût attaqué TÇ^tre fuprême : cet im- pie , dis-je , vivoit caché , retiré , tran- quille ; faifoit fon unique occupation de fes productions ténébreufes , Sc n'avoit befoin pour fe raffurer que de lui-même. Mais ceux qui le cherchoient avec tant d'emprellement , qui vouloient le voir ,- l'entendre, le confulter , ces hommes fri- voles ôc diflolus , c'étoient des infenfés , qui fouhaitoient de devenir impies ; &: qui ne trouvant pas dans le témoignage de tous les iîécles , de toutes les nations , ôC de tous les grands hommes que la Reli-

DOVTES SUR LA RELIGION. 241 ^vQn a eus , afiez d'autorité pour demeurer fidèles , cherchoient dans le témoignage feui d'un homme obfcur, d'un transfuge de toutes les religions , d'un m^onflre obli- gé de fe cacher aux yeux de tous les hom- mes , une autorité déplorable 6c moni- trueufe qui les affermit dans l'impiété , 6c qui les défendît contre leur propre con- fcience. Grand Dieu ! que les impies fe ca- chent ici de honte 6c de confufion ; qu'ils celTent de faire oftentation d'une incrédu- lité qui eft le fruit de leur dérèglement 6C de leur ignorance , Sc qu'ils ne parlent plus qu'en rougilTant contre la foumilTion du Fidèle. C'ell: un langage de mauvaife- foi ; ils donnent à la vanité , ce que nous donnons à la vérité : Erubefcant impii . . . {juce loçuunthr adyersiis JuJIu/n iiîiçiùtatem ^J'> in fuperbia & in ahujîom, ' ^*

Je dis la vanité ; 5c c'eil la grande 5c la dernière raifon qui fait léntir encore mieux tout le faux & tout le foible de l'incrédu- lité. Oui , mes Frères , tous nos prétendus incrédules font de faux braves , quife don- nent pour ce qu'ils ne font pas : ils regar^ dent rincrèdul:{é comme Uh bon air : ils fe vantent fans celle de ne rien croire ; 6c à force de s'en vanter , ils fe le perfuadent à eux-mêmes : fembhbles à certains hommes nouveaux que nous voyons parmi nous , lefquels touchent prefque encore à Tobf- curité ôc à la roture de leurs ancêtres , ÔC veulent pourtant qu'on les croye d'une ïiaiiTance liluftre & defcendus à^s plus

Carême , Tom^ ÎIL X

i.

24i Mardi de la IV. Semaine. grands noms , à force de le dire , de raiïu- rer , de le publier, ils parviennent ps^fque à fe le periuader à eux-mêmes. Il en efl ain(î de nos prétendus incrédules : ils ton? client encore , pour ainfi die , à la foi qu'ils ont reçue en naiiTant, qui coule en- core avec leur iang, 6c qui n'eft pas eiTa- cée de leur cœur : mais c'eftpour eux une manière de roture ê>C de baffeiTe dont ils rougiilent ; à force de dire qu'ils ne croyent rien , de Fallurer , de s'en vanter , ils croyent ne rien croire , 6c en ont bien meilleure opinion, d'eux-mêmes.

Premièrement, parce que cette profef- fion déplorable d'incrédulité fuppofe des lumières non communes , de la force & de la fupériorité d'efprit , 6c une fingularité qui plaît ÔC qui flâte : au lieu que les paf- lions'ne ruppofenî que du dérèglement 6c de la débauche, ÔC que tous les hommes font capables de dérèglement , mais ne le font pas de cette fiipériorité m.erveilleufe que la vaine impiété s'attribue.

Secondement , parce que la foi cfl fi éteinte dans le (iécle nous vivons ; qu'on ne fauroit prefque trouver dans le monde fies homimes qui fe piquent d'efprit , 6C d'un peu plus de lecture ÔC de connoiffan- ces , que les autres , lefquels ne fe per- mettent fur nos Myflères &C fur ce que la P^eligion a déplus augulleScdeplus facré, des objections 5C des doutes. On auroit donc honte de paroitre religieux 5c fidèles avec eux: ce font des hommes que feilime

DoUTieS SUR LA ReLIGIOM. ' 24Î

publique élève , 5>C auxquels il paroît beau de relTéftibler : on croit qu'en adoptant leur langage, on adopte leurs talens &. leur ré- putation : 6c ilfenible que ce leroit faire un av^eu public de foiblelTe t<. de médiocrité, de n'ofer , ou les imiter , ou du moins la contrefaire : vanité miférabie Sc puérile. D'ailleurs, parce que l'on a oui dire que certains grands hommes, fameux 6c fort eftimés dans leur liécle, ne croyoient pas , 6c,que le fou venir de leurs talens 6c de leurs grandes actions , n'eft venu jufques à nous, qu'avec celui de leur irréligion ; on fe fait honneur de ces grands exemples; il paroît glorieux de ne rien croire d'après de fi il- Ir.ftres modèles ; on a fans ceiÏQ leurs noms dans la bouche : c'eft un faux relief qu'on fe donne, il entre moins d'incrédulité que de vanité rifible 5c depetitelled'efprit; puifquerienn'eft fipetitScii miférabie, que de fe donner pour ce qu'on n'efl pas , & fe faire honneur du perfonnage d'un autre.

Tioifiém-ement enfin , parce que c'ell d'ordinaire une fociété de libertinage, qui nous fait parler le langage de rim.piété ; qu'on veut paroître tel que ceux à qui les plaifirs ÔC la débauche nous lient , 6c qu'il leroit honteux d'être dilTolu , Scdeparoitre croire encore , devant les témoins ÔC les complices de nos défordres. Le parti d'un débauché qui croit encore , Q(i un parti foible 5c vulgaire ; afin que la débauche foit de bon air , il faut y ajouter l'impiété 5c le iibertiaage ; autrement ce feroit être dé-

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244 Mardi de la IV. Semaine.

bauché en novice , il faut Fêtre en impie ^ en fcélérat : on laiiïe à ceux qui ne font point exercés dans le crime , à craindre encore un enfer 5c fes peines ; ce refte de Religionparoît fe fentir encore un peu trop de l'enfance ÔC du collège. Mais quand on a fait un certain chemin dans la débauche, ah ! il faut fe mettre au-delTus de ces foi- bleffes vulgaires : on a bien meilleure opi- nion de foi , quand on a pu perfuader aux autres qu'on n'en efr plus : on fe miOque même de ceux qui paroiiTent encore crain- dre : on leur dit d'un ton d'ironie ÔC d'im- piété , comme autrefois la femme de Job à cet homme Jufte : Adhuc tu permancs in Jimplicitatc tua ? Et quoi vous en êtes encore-là ? vous êtes allez limple pour croi- re tous ces ccmtes dont on vous a fait peur quand vous étiez encore au berceau ? vous ne voyez pas que ce font-là des vifions d'efprits foibles , ^ que les plus habiles qui nous prêchent tant pour nous le prou- ver , n'en croj^ent rien eux-mêmes ? Adhuc tu permancs injtrnplicitate tua*

O mon Dieu ! que l'impie , qui femble vous mépriier avec tant de hauteur , eH petit 6<: méprifable lui-même ! C'eft un lâche , qui vous infulte tout haut, 5C qui vous craint encore en fecret ; c'efî: un glo- jîeux ; qui fe vante de ne rien craindre , 6v qui ne nous dit pas tout ce qui fe pafle dans fon cœur ; c'eil un impofleur , qui voudroit Tious impoiér , ÔC qui ne peut réuflir à fe tremper lui-même \ c'eft un infexifé qui

Doutes sur la Religion. 14$ prend fur lui toutes les horreurs de l'im- piété , 5C qui ne peut parvenir à s'en faire une trifte relTource ; c'eft un furieux , qui ne pouvant arriver à l'irréligion , ni étein- dre les terreurs de fa confcience , éteint en lui toute pudeur ÔC toute décence , ÔC tâche au moins de s'en faire un honneur impie devant les hommes ; que dirai- je en- fin ? c'eft un homme ivre & emporté ,5C qui facrifie fa Religion qu'il conferve en- core , fon Dieu qu'il craint , fa confcience qu'il fent , fon faiut éternel qu'il efpére , à la déplorable vanité deparoître incrédule. Quel abandon de Dieu ! ÔC quel abîme de fureur ÔC d'extravagance !

Ce que je fouhaiterois , mes Frères ,' X'ous qui confervez encore du refpe£^ pour la Religion de nos pères, 6c c'eft ici le fruit de tout ce difcours ; ce que je fou- haiterois , c'eft que vous fentifîiez combien tous ces hommes , qui fe donnent pour ef- prits forts , 5c que vous eftimez tant q le'- quefois , font méprifables ; c'eft que vous comprifîiez enfin , que la profeŒon d'in- crédulité, qui eftprefque devenue un bon air parmi nous , eft de tous les cara£lères le plus frivole , le plus lâche , le plus di- gne de rifée ; c'eft que vous puifliez con- noître ce que cette oftentation d'impiété , que la corruption de nos mœurs a rendu fi commune aujourd'hui même aux deux fexes , cache de tout ce qu'il y a de plus bas ôc de plus honteux , félon le monde iTiême.

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246 Mardi de la IV. Semaine.

Premièrement , de dérèglement. On n'en vient-ià que lorfque le cœur efl pro- fondement corrompu ; qu'on vit actuelle- ment en fecret dans la plus honteufe dé- bauche ; 5c que fi Ton étoit connu pour ce qu'on eft , on feroit â jamais déshonoré . même devant les hommes^*

Secondement , de bafleile. On fait le philofophe &C Tefprit fort , êc on eft en fecret le pécheur le plus rampant , le plus dilTolu , le plus foible , le plus abandonné , Je plus efclave de toutes les pafTions indi- gnes de la pudeur 6c de la raifon même.

Troiiiémement , de mauvaife foi ^ d*imipo(lure. On joue un perfonnage em- prunté; on fe donne pour ce qu'on ri'ell point ; 5c tandis qu'on déclame ii fort con- tre les gens de bien , S>C qu'on les traite d'hypocrites 5c d'impofteurs , on eft foi- m.ême le fourbe qu'on décrie , &C l'hypo- crite de rimpiété ÔC du libertinage.

Quatrièmement , d'oftentation 6c de muuvaife vanité. On fait le brave , 6c 011 tremble en fecret ; t< au premier fignal de la mort , on fe trouve plus lâche & plus timide que le fimple peuple ; on fait fem- blantd'infuîter tout haut un Dieu que l'on craint encore en fecret , ÔC qu'on efpére de fe rendre un jour favorable : caradère puérile 6c fanfaron , 6c que le monde lui- même a toujours regardé comme le der- nier , le plus vil &C le plus rifible de tous les caractères.

Cinquièmement, de témérité. On ofe

Doutes sur la Religion. 247

fans fcience , fans doftrine , faire Thabile fur ce qu'on n'entend pas ; condamner tout ce qui a paru de plus grands hommes dans chaque (iécle ; êc décider fur des points importans aufquels on n'a jamais donné, &C on n'eft pas m.ême capable de donner un feul moment d'attention férieufe : caractère indécent, 5c qui ne convient qu'à des hom- mes qui du côté de l'honneur n'ont plus rien à perdre.

Sixiéme'.nent , d'extravagance. On fe fait une gloire de paroitrc fans Religion : c'eit-à-dire , fans caractère , fans mœurs, fans probité , fans crainte de Dieu ÔC des hommes : capable de tout , excepté de vertu 6c d'innocence.

Septièmement , de fuperftition. Nous avons vu ces prétendus efprits forts , qui refufent de confulter les oracles des faints Prophètes , confulter des Devins , accor- der aux hommes la fcience de l'avenir qu'ils refufent à Dieu ; donner dans des crédulités puériles , tandis qu'ils fc révol- tent contre la majefté de la foi : attendre leur élévation ÔC leur fortune d'un oracle impofleur , 6c ne vouloir pss efpérer leur falut des oracles de nos Livres faints ; 6C en un mot , croire ridiculement aux dé- mons , tandis qu'ils fe font un honneur de ne pas croire enDieu,

Enfin , ce qu'il y a ici de plus déplorable c'eft que tous ces caractères forment ua état il n'y a prefque plus de reffource de falut. Car un impie de bonne foi , s'il en

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248 Mardi de la IV. Semaîne. eft quelqu'un de ce caraélère , peut-être tout d'un coup frappé de Dieu , 6c être comme accablé fous le poids de la gloire 6c de la majefté qu'il blafphémoit fans la connoitre : le Seigneur , dans fa miféri- corde , peut encore ouvrir les yeux à cet infortuné ; faire luire la lumière dans Tes ténèbres , ÔC lui découvrir la vérité qu'il ne combat , que parce qu'il l'ignore ; il Y a encore en lui des relTources : la droi- ture , de la fuite , des principes , d'erreur & d'illufion , je l'avoue , mais du moins des principes : il fera de bonne-foi à Dieu, dès qu'il le connoitra , comme il a étéfon ennemi avant de le connoitre. Mais les in- crédules dont nous parlons , n'ont prefque plus de voie pour revenir à Dieu ; ils in- fultent le Seigneur qu'ils connoilfent ; ils blafphémentla Religion qu'ils confervent eiîcore dans le cœur ; ils réiiiîent à la ccn- fcience qui prend en fecret le parti de la foi contre eux-mêmes : la lumière de Dieu a beau luire dans leur cœur; elle ne fertqu'à rendre la mauvaiie foi de leur impiété plus inexcufable. S'ils étoient abfolumentavei> gles , ils feroient dignes de pitié , 6c leur péché feroit moindre , dit Jefus-Chrift : mais maintenant ils voyent ; & c'eft ce qui fait que le crime de leur irréligion n'eft plus qu'un blafphême contre i'Elprit-faint, qui dcm.eure à jamais fur leur tête.

Réparons donc, mes Frères, par no- tre rei'pe6^ pour la Religion de r.os pères ; ' par une reconnoillance continuelle envers

Doutes sur la Religion. 249

le Seigneur qui nous a fait naître dans la voie du faluî , dans laquelle tant de peu- ples 6c de nations n'ont pas encore été ju- gé dignes d'entrer: réparons, dis- je , le icandale de Fincrédulité fi commun dans ce (îécle , Il autorifé parmi nous ; &C qui devenu plus hardi par le grand nombre ôC la qualité de fes partifans, ne fe renferme plus dans ces ténèbres obfcures la crain- te le retenoit , 6c oie fe montrer prefqu à vifage découvert, bravant en quelque forte la Religion du Prince CC le zèle des Paf- t2urs. Ayons horreur de ces hommes im- pies 5c méprifables , qui mettent leur gloi- re à tourner en rifée la.nrajefié de la Re- ligion qu'ils profelTent : fuyons-les comme des montres indignes de vivre , non-feu- lement parmi les Fidèles , mais encofe parmi des hommes que l'honneur , la pro- bité 5c la raifon lient enfemble : loin d'ap- plaudir à leurs difcours impies , couvrons- les de confufion par le mépris dont ils font dignes. Il eil fi bas &C fi lâche , félon le monde même , de déshonorer la Reli- gion dans laquelle on vit: il eft li beau , §C il y a tant de dignité à fe faire un honneur de la refpec^er ÔC de la défendre même avec un air d'autorité 6c d'indignation , contre les difcours infenfés qui l'attaquent. Otons à rincréduHté, en la méprifant , la gloire déplorable qu'elle cherche : les in- crédules feront rares parmi nous dès qu'ils feront méprifés ; 5c la même vanité qui forme leurs doutes,les aura bientôt anéaa-

r^o Mardi de la IV. Semain^f. tis ou cachés , dès que ce fera parmi nous un opprobre de paroître impie , êc une gloire d'être Fidèle. C'eft sin/i que nous verrons finir ce fcandale , 6«C que nous glorifierons tous enfemble le Sei- gneur dans la même foi , ^ dans Tat- tcnîe des promefî'es éternelles.

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SERMON

POUR LE MERCREDI

DE LA QUATRIEME SEMAINE

DE CAREME

Sur l'injujiice du monde envers les gens de bien.

Da gloriam Deo ; nos fcimus quia hîc homo peccator eft,

Rendei g^^^^^^ ^ Dieu ; nous /avons qili cet homme efi un pécheur, Joan. ^. 24.

Ue peut fe promettre la vertu la plus pure Sc la plus irrépré- henfible de Tinjudice du mon- de , puifqu'il a pu trouver au- trefois dans la fainteté miém.e de Jefus-Chrift , des fu jets de kandale 6<- de cenfiire ? S'il opère aux yeux des Juifs des prodiges éclatans , s'il rend aujourd'hui la vue à un^ aveugle ; ils l'accufèut d'être

2^1 Mercredi de la IV. Semaine.

vioiateur du Sabbat; d'opérer ces miracles au nom de Béelzebuth , plutôt qu'au nom du Seigneur , 5c de ne vouloir par cespref- tiges qu'anéantir 5c détruire la Loi de

5. ^r"' Moyfe : Non ejl hU homoà Deo , qui Saè- batum non cvjiodit ; c'eft-à-dire , qu'ils at- taquent fes intentions , pour rendre Tes œu- vres fu fpeâies ÔC criminelles.

S'il honore de fa préfence la table des Pharifiens , pour prendre de-là occafion de les rappeller ôc de les inflruire , ils le regardent comme un pécheur , & comme uu homme de bonne chère Ecce homo Mattk, ^,Qj-^y; ^ potator vinl ; c'eft-à-dire , qu'ils

^'* '^* lui font uu crime de les œuvres, lorfqu'il leur importe de ne pas examiner la droi* turc de fes intentions.

Enfin , s'il paroît dans le Temple armé de zèle 5c de févérité , pour venger les profanations qui déshonorent ce lieu faint , le zèle de la gloire de fon Père qui le dé- vore , n'eft plus dans leur bouche qu'une ufurpation injufte d'une autorité qui ne lui appartient pas , c'eft-à-dire , qu'ils fe jet- tent fur des reproches vagues 6c fans fon- dement , quand ils n'ont rien à dire contre fes intentions 6c contre fes œuvres.

^ Je le dis en gémiifant , mes Frères , la piété des gens de bien ne trouve pas aujour- d'hui plus d'indulgence parmi nous , que la fainteté de Jefus-Chrift en trouva autre- fois dans la Judée. Les Juftes font devenus l'objet des dérifîons & de la cenfure publi- que \ ôc dans un lîécie ou les défordres

Injustice du monde , 5cc. 255 font fi communs , 011 les excès 6c les fcan- dales fournilTent tant de matière à la ma- lignité des difcours 5c des cenfures , on fait grâce à tout , excepté à la vertu 5c à l'in- nocence.

Oiii , mes Frères , fi ce qui paroît de la conduite des gens de bien eft irréprocha- ble , ÔC ne donne point de prife à la cen- fure ; vous vous retranchez fur leurs inten- tions , qui ne paroiiTent point ; vous les accufez d'aller à leurs fins , ÔC d'avoir leurs defi'eins 6c leurs viies. Non eft hic homo à peo*

Si leur vertu femble fe rapprocher de vous quelquefois , 5c rabbattre de fa févé- rité pour nous attirer à Dieu , en fe confor- mant à nos mœurs 6c à nos manières ; fans vous mettre en peine de leurs intentions , vous leur faites un crime des com.plaifances les plus innocentes , 5c des relâchemens les plus dignes d'indulgence : Eca homo vordx C^ potator vinL

Enfin, fi leur vertu, embrafèe d'un feu divin , ne garde plus de micflires avec le monde , Sc ne lailTe rien à dire , ni contre leurs intentions , ni contre leurs œuvres , vous vous répandez en difcours vagues , en reproches fans fondement , Contre leur zèle 5c leur piété même.

Or , foufFrez , mes Frères , que je m'é- lève une fois ici contre un abus fi honteux à la Religion , H injurieux à TEfprit qui forme les Saints , il fcandaleux parmi des Chrétiens, û capables d'^ttixeî biX nous ces

^54 Mercredi de la IV. Semaine''. malédiélions éternelles qui changèrent 3lT' tr-efois Théritage du Seigneur en une terre déferte 6c abandonnée , & fi digne du zèle de notre miniftère.

Vous attaquez les intentions des gens de bien quand vous n'avez rien à dire contre leurs œuvres ; ÔC c'eft une témérité. Vous exagérez leurs foibleiles, 6c vous leur fai- tes des crimes des imperfections les plus légères ; ôc c'eft une inhumanité. Vous tournez même en ridicule leur ferveur 5C leur zèle , 6c c'eft une impiété. Et voilà, ines Frères, les trois caractères de l'injuf- tice du m.onde envers les gens de bien. Une injuftice de témérité qui foupçonne tou- jours leurs intentions. Une injullice d'in- humanité qui ne fait point de grâce à leurs plus légères imperfe£lions. Une injuilice d'impiété , qui fait de leur zèle ÔC cîc leur fainteté , un fujetde mépris ÔC de dérilion. Puiilent cqs vérités , ô mon Dieu ! rendre à la vertu l'honneur &. la gloire qui lui font dues , 5c forcer le m.onde lui-mcmc à ref- peârer des Juiles qu'il n'eit pas digne de poiTéder ! ^ye , Maria.

ï- JlVÎen n'eft plus grand , 5v plus digne Partie. ^^ refpeâ: fur la terre , que la véritable vertu : le monde lui-même eu. forcé d'en convenir. L'élévation des feniimens , la noblelfe des motifs , l'empire fur les paf- fions , la patience dans les adverfités , la douceur dans les injures , le mépris de ibi-mèmc dans les louanges , le courage

Injustice du monde , Scc. 155 dans les difficultés , Tauftérité dans les plaifirs , la fidélité dans les devoirs , l'éga- lité dans tous les événcmens de la vie; en un mot tout ce que la Philofophie a fait entrer dans l'idée de fon Sage , ne trouve fa réalité que dans le Difciple de TEvangiie. Plus même nos mœurs font corrompues, plus nos (iécles font dilTolus ,plus une ame juite , qui fait conferver au milieu de la corruption générale mjuftice &C fon inno- cence , inérite Tadmiration publique ; 5c il les Payens eux-mêmes refpectoient fi fort les Chrétiens dans un tems tous les Chrétiens étoient faints , à plus forte rai- fon ceux des Chrétiens , qui font encore juftes parmi nous , font dignes de notre vénération 5c de nos hommages , aujour- d'hui où lafainteté eft devenue fi rare parmi les Fidèles.

Il eil donc bien trille pouj notre minif- tère , que la corruption de nos mœurs nous oblig;^ à faire ici ce que les premiers défenfeurs de la foi faifoient autrefois avec, tant de dignité devant les tribunaux Payens; c'eil-à-dire , l'apologie des ferviteurs de Jefus-Chrift ; & qu'il faille apprendre à des Chrétiens à honorer ceux qui font pro- feiïion de l'être : cependant rien n'eft plus néceilaire ; 6c ce qui paroît le plus dominer aujourd'hui dans le langage du monde, ce font les cenfures ôclesdérifions de la piété. J'avoue que le monde femble refpeÔerla vertu en idée ; mais il méprife toujours ceux qui en font prgfeffigu ;U convient quG

1^6 Mercredi de la IV. Semaine. fienn'eft plus eflimablequ'une piétéfolide ÔC fîiicére ; mais il fe plaint qu'on ne la trouve nulle part; 5c en féparant toujours la vertu de ceux qui la pratiquent , il ne fait femblant de refpe<Sler le phantôme de la fainteté ÔC de la juftice , que pour avoir

?lus de droit de méprifer ÔC de cenfurer le ufte. Or , le premier objet fur lequel tom- bent d'ordinaire les difcours du monde contre la vertu , c'efl fur la droiture des intentions des gens de bien. Comme ce qui paroît de leurs allions donne d'ordinaire peu de prife à la malignité 5c à la cenfure , on fe retranche fur leurs intentions : on pré- tend , aujourd'hui fur-tout , fous un Prince aulTi grand que religieux , la vertu autrefois étrangère ÔC moquée à la Cour, y eft devenue la voie la plus sûre des grâ- ces 5c des récompenfes ; on prétend que c'eil-là vifent ceux qui en font une pro- feilion publique ; qu'ils ne veulent qu'aller à leurs fins , Sc que ceux qui paroifîent les plus faints 6c les plus déiinterefles , n'ont par deiïïis les autres , que plus d'art 6c plus d'adreffe : li on leur fait grâce fur la bailefle de ce motif , on leur en prête d'autres auifi indignes de l'élévation, delà vertu &C de la fincérité chrétienne. Aufîi , qu'une ame touchée de fes égaremens re- vienne à Dieu ; ce n'eft pas Dieu qu'elle cherche , c'efl le monde par une voie plus fine 5c plus détournée : ce n'eft pas la grâ- ce qui a changé fou cœur , c'eft l'âge qui

commence

Injustice du monde , 8cc. 257 commence à effacer fes traits , ÔC qui ne la retire des plaifirs , que parce que les plaifirs commencent à la fuir eux-mêmes. Si le zèle embralfe des œuvres de miféri- corde , ce n'eft pas qu'on foit charitable ; c'eft qu'on veut devenir important : (i l'on fe renferme dans la prière ôC dans la re* traite , ce n'eft pas la piété qui craint Iq^ périls du monde , c'eft une iingularité ÔC une oftentation qui veut s'en attirer les fuf- frages : enfin , le mérite des plus faintes a£lions eft toujours déprifé dans la bouche des mondains , par les foupçons dont ils noirciifent les intentions.

Or , je trouve dans cette témérité trois caraftères odieux qui en font fentir tout le ridicule 6c toute Tinjuftice : c'eft une té- mérité d'indifcrétion , puifque vous jugez, vous décidez fur ce que vous ne pouvez connoître ; c'eft une témérité de corrup- tion , puifque d'ordinaire on ne fuppofe dans les autres que ce qu'on fent en foi- même : enfin une témiérité de contradic- tion , puifque vous trouvez injuftes 6c in- fenfés à votre égard , les mêmes foupçons qui vous paroiifent bien fondés contre votre frère. Ne perdez pas , je vous prie ^ la fuite de ces vérités.

Je dis d'abord , une témérité d'indifcré- tion. Car , mes Frères , à Dieu feul eft réfervé le jugement des intentions 6c des penfées : lui feul qui voit le fecret des cœurs , peut en juger: ils ne feront mani^ feftés que dans ce jour redoutable fa

258 Mercredi de la îV. Semaine;

lumière kiira dans les ténèbres. Un voile inipènétrable eft répandu ici- bas fur les profondeurs du cœur humain : il faut donc attendre que le voile foit déchiré ; que les paffions honteufes qui fe cachent, comme parle l'Apôtre foient manifeftées; 6c que le myftère d'iniquité , qui opère en fecret, foit révélé : jufqucs*là , ce qui fe paile dans le cœur des homnes , caché à notre connoifTance , eft interdit à la témérité de nos jugemens ; lors même que ce que nous voyons de la conduite de nos frères ne leur eft pas favorable > la charité nous •oblige de luppofer que ce que nous ne voyons pas le re^lifie & le répare, êcd'ex- cufer les défauts des aérions qui nous blef- fent , par l'innocence des intentions qui nous font cachées. Or, fi la Religion doit nous rendre indulgen» ôc favorables , mê- me à leurs vices , louffriroit-elle que nous fuflions cruels ÔC inexorables , même à leurs vertus ?

En effet , mes Frères , ce qui rend îcî votre témérité plus injuile , plus noire > plus cruelle , c'eft la nature de vos foup- çons. Car fi vous ne foupçonniez les gens de bien que de quelqu'une de ces foibleifes inféparables de la condition humaine ; de trop de fenfîbilité dans les injures ; de trop d'attention à leurs intérêts , de trop d'infle- xibilité dans leurs fentimens ; nous aurions droit de vous répondre , comme nous di« ions dans la fuite , que vous exigez des gens de bien une exemption de tout dé-

Injustice du monde, 6cc. 25^) faut , ôc un degré de perfection qui n'eil: pas de cette vie. Mais vous n'en demeurez pas-là .- vous attaquez leur probité &: la droiture de leur cœur ; vous les foupçonnez de noirceur , de difllmulation, d'hypocri- fie ; de faire fervir à leurs vues ÔC à leurs paiïions , les chofes les plus faintes ; d'être des impofteurs publics , 6c de fe jouer de Dieu & des hommes , 6c cela fur les feules apparences de la vertu. Quoi, mes Frè- res ! vous n'oferiez , après le crime k plus éclatant , porter d'un criminel convaincu, un jugement (i cruel 6c fi odieux ; vous regarderiez plutôt fa faute comme un de ces malheurs qui peuvent arriver à tous les hommes , 5c dont un méchant miCment peut nous rendre capables ; 5c vous le por- tez d'un homme de bien ? &C vous foup» çonnez du Juile fur une vie fainte 6c loua- ble , ce que des moeurs fcandaleufes ÔC criminelles n'oferoient vous faire fcupçon* ner d'un pécheur ? 5c vous regardez com- me un bon mot contre les lerviteurs Dieu , ce qui vous paroitroit uïiq barbarie contre un homme flétri de mille crimes ? Faut-il donc que la vertu foit le feul crime qui ne mérite point d'indulgence , qu'il fuf- fife de fervir Jefus-Chrift pour être indi- gne de tout ménagement ; 6c que les fain- tes pratiques de la piété, qui auroient di\ attirer du refpe6^ à votre frère , deviennent lesfeuls titres qui les confondent dans votre efprit avec les fcélérats 6c les impies ? Je conviens que Thypocrite elt digne d.^

i6o Mercredi de la IV. Semaine. l'exécration de Dieu 5c des hommes : que l'abus qu'il fait de la Religion efl le plus grand de tous les crimes ; que les dériiions 5c les fatyres font trop douces pour dé- crier un vice qui mérite l'horreur du genre humain ; 5c qu'un théâtre profane a eu tort de ne donner que du ridicule à un carac- tère fi abominable,fi honteux 6cli affligeant pour l'Eglife ; ÔC qui doit plutôt exciter les larmes ÔC l'indignation , que la rifée des Fidèles.

Mais je dis que ce déchaînement éternel contre la vertu ; que ces foupçons témé- raires qui confondent toujours Thomme de bien avec l'hypocrite ; que cette malignité, qui , en faifant des éloges pompeux de la juftice , ne trouve prefqu'aucun Juile qui les mérite : je dis que ce langage , dont on fait Ç\ peu de fcrupule dans le monde , anéantit la Religion , & tend à rendre toute vertu fufpecle : je dis que par-là vous fournixTez des armes aux impies , dans ud fiécle tant d'autres fcandales n'autori- fent que trop l'impiété. Vous leur aidez à croire qu'il n'y a plus de Julles fur la terre ; que les Saints même qui ont autrefois édi- fié l'Eglife , & dont nous honorons la mé- moire , n'ont donné aux hommiCs que le fpeâ:acle d'une fauife vertu y dont ils n'a- voient que le phantôme ÔC les apparences ; 6c que l'Evangile n'a jam.ais formé que des Pharifiens ôc des hypocrites. Comaprenez- vous , mes Frères , tout le crimje de ces dériiians infeiifées ? vous croyez rire delà

Injustice du monde , 5cc. i6î fauffe vertu , & vous blafphémez contre la Religion. Je le répète ; en vous défiant de la fincérité des Juftes que vous voyez , rimpie conclut que ceux qui les ont précé- dées ôc que nous ne voyons pas , leur étoient femblables ; que les Martyrs eux- mêmes , qui couroient à la mort avec tant de fermeté , ÔC qui rendoient à la vérité le témoignage le plus éclatant &C le m.oins fut peft que l'homme pu ilTe lui rendre, n'é- toient que des furieux qui cherchoient une gloire humaine par une vaine oftentation de courage 6c d'héroïfme ; 5c qu'enfin , la tradition vénérable de tant de Saints , qui de fiécle en fiécle ont honoré &L édifiéTE- glife , n'eft qu'une tradition de fourberie ÔC d'artifice. Et plût à Dieu que ce ne fût ici qu'un emportement de zèle 5c d'exagé- ration 1 ces blafphêmes, qui font horreur, ÔC qui auroient être enfévelis avec le paganifme , nous avons encore la douleur de les entendre parmi nous. Et vous-mê- mes , qui en frémiiTez , vous les mettez pourtant fans le vouloir , dans la bouche de l'impie ; ce font vos cenfares éternelles de la piété , qui ont rendu en nos jours rim.piété Cl commune ÔC fi impie.

Je n'ajoute pas que par-là tout devient douteux ÔC incertains dans la fociété. Il n'y a donc plus , ni bonne foi , ni droiture > ni fidélité parmi les hommes. Car s'il ne faut plus compter fiir la fincérité 6c fur la vertu des Jultes ; fi leur piété n'eft que le Zîiafque de leurs paflions ^ nous ne compte-

262 Mercredi de la IV. Semaine.

rons pas fans doute plus fur la probité des pécheurs ÔC des mondains ; tous les hom* mes ne feront donc plus que des fourbes 6C des fcélérats dont il faudra fe défier; 5c ne vivre avec eux , que comme avec des en- nemis d'autant plus à craindre , qu'ils ca- chent fous les dehors de l'amitié & de l'hu- manité , le delTein , ou de nous tromper > ou de nous perdre. Il n'y a qu'un cœur profondément mauvais 6c corrompu , qui puilTe fuppofer tant de noirceur £c de cor- ruption dans les autres.

Et voilà le fécond cara£lère de cette té- mérité dont nous parlons. Oui , mes Frè- res , ce fond de malignité , qui voit le crime à travers même les apparences de la vertu , &C qui attribue à des œuvres faintes des intentions criminelles , ne peut partir que d'une ame noire ^ corrompue. Com- me les paflions vous ont gâté le cœur , à vous que ce difcours regarde ; que vous êtes capable de toute duplicité ÔC de toute balTefTe ; que vous n'avez rien de droit , rien de noble , rien de (ineére : vousfoup- çonnez aifément vos frères d'être ce que vous êtes : vous ne fauriez vous perfuader qu'il y ait encore des cœurs fimples , fincé- res ÔC généreux fur la terre : vous croyez voir partout ce que vous fentez en vous- même : vous ne pouvez comprendre que l'honneur , la fidélité , la fincérité , ôC tant d'autres vertus toujours faulles dans votre cœur , ayent quelque chofe de plus, vrai ÔC de plus réel , dans le cœur des

Injustice du monde , 5cc. 16^ perfonnes mêmes les plus refpedlables par leur élévation ou par leur caractère : vous relTemblez aux courtilans du Roi des Am- monites ; comme ils n'avoient point d'autre occupation que d'être fans celle attentifs à fe fupplanter les uns les autres , & à fe drefler mutuellement des pièges , ils n'eu- rent pas de peine à croire que David n'al- loit pas de meilleure foi avec leur maitre. Vous croyez , difolent-ils à ce Prince > que David penfe à honorer la m.émoire de votre père , en vous envoyant des députés qui viennent vous confoler fur fa m.ort : Futas qucd pTCpter honorem patris tin mi- t. Re^ fera David ad te conjolatores ? ce ne font^^' 5^ pas des confolateurs qu'il vous envoyé , ce font des efpions , c'eft un ïowrhe qui fous les dehors pompeux d'une ambaOade ha- norable ÔC pleine d'amitié , vient faire exa- miner les endroits foibles de votre Royau- me , ÔC prendre des mefures pour voua furprendre : Et non ideo m inveftigaret & €xploraret civitatcm, C'eft le malheur des. i^M} Cours fur-tout : comme on y eft 6c qu'on y vit dans le faux , on croit le voir dans la vertu au in- bien que dans le vice : comme c'eli: une fcène chacun joueua perfonnage emprunté , on croit que l'hom- me de bien ne fait qu'y jouer le perfonnage de la vertu : la fincérité rare ou inutile , y paroît toujours impoiTible.

Un bon cœur ^ un cœur droit , fîmple 6c fincére , ne peut prefque comprendre qu'il y ait des impofleurs fur la terre ; il

204 Mercredi de la IV. Semaine.

trouve dans fon propre fonds Tapologie de tous les autres hommes , & mefure , par ce qui lui en coûteroit à lui-même pour n'être pas de bonne foi , ce qu'il en doit coûter aux autres. Aufli , mes Frères , exa- minez ceux qui forment ces foupçons af- freux ÔC téméraires contre les gens de bien: vous trouverez que ce font d'ordinaire des hommes déréglés 6c corrompus, qui cher- chent même à fe calmer dans leurs diflblu- tions , en fuppofant que leurs foibleffes font des foiblelTes de tous les hommes , que ceux qui paroiflent les plus vertueux , n'ont par deilus eux que plus d'habileté pour les cacher ; ôc qu'au fond , fi on les voyoit de près , on trouveroit qu'ils font faits comme les autres hommes : ils font de cette penfée injufle une relTource af- freiife à leurs débauches. Ils s'afFermiiTent dans le défordre , en y aflbcianttous ceux que la crédulité des peuples appelle gens de bien : ils fe font une idée affreufe du genre humain , pour être moins effrayés de celle qu'ils font obligés d'avoir d'eux- mêmes ; & tachent de fe perfuader qu'il n'y a plus de vertu , afin que le vice plus commun leur paroifTe plus cxcufable ; comme fi , ô luon Dieu ! la multitude des crimifnels pou\oit ôter à votre juflice le droit de punir le crime.

Mais on a vu tant d'hypocrites , dites- vous , qui ont abufé fi long-tems le mon- de , qu'on regardoit comme des Saints ôC des amis de Dieu , ôC qui cependant n'é-

toieiit

Tnjiïstice du moî^de , 8cc. 265 tCnent que des hommes pervers 5c cor- rompus.

Je l'avoue avec douleur , mes Frères : mais que voulez-vous conclure de ? que tous les gens de bien leur reffemblent ? la conféquence efl affreufe : 5c en feroit le genre humain , il vous raifonniez ainfî fur tout le refte des hommes. On a vu tant d'époufes infidèles: ny a-t'il donc plus do pudeur ÔC deêdélité dans le lien facré du mariage ? tant de Magiilrats ont vendu leur honneur 5C leur miniftère : la juftice- ÔC l'intégrité font-elles donc ba'^nies de tous les Tribunaux ries hiftoires nous ont confervé le fouvenir de tant de Princes perfides , difîimulés , fans foi , fans hon- neur ; également infidèles à leurs ennemis^ à leurs alliés , à leurs fujets : la droiture » ia vérité , la Religion n'environnent- elles donc plus le trône ? Levez les yeux , 6c re- gardez le Prince grand ôc refpe^table , qui l'honore 6>C qui le remplit. Les fiécles paffés ont vu tant de fujets diftingués par leurs noms , par leurs charges , par les bienfaits de leur Souverain , trahir le Prince 6C la patrie , ÔC entretenir avec l'ennemi des in- telligences criminelles : trouveriez-vous le maître que vous fervez avec tant de zèle 6C de valeur, équitable, fi là-deiTus la fi- délité d'un chacun de vous lui devenoitfuf- pe£^e ? Pourquoi donc un foupçon qui fait horreur envers tous les autres hommes , ne fera-t'il fupportable que contre les gens de bien ? pourquoi une coiiféquence ridiculô

Çfirême , Ym§ lU^ Z

266 Mercredi de la IV. Semaine.

par-tout ailleurs , ne feroit-ellefenféeque contre la vertu ? La perfidie d'un feul Ju- das vous fait-eîlc conclure que tous les au- tres Difcipks fufTent des traîtres 5c des in- fidèles FThypocrifie de Simon le Magicien prouve-t'elie que la converfion de tous les autres Difciples qui embraflbient la foi , ne fût qu'un artifice pour arriver à leurs fins ; ÔC qu'ils ne inarchafTent pas droit , comme lui , dans la voie de Dieu ? Quoi déplus injufle 6c de plus iufenfé , que de faire à tous un crime de la faute d'un feul.^ il efi: difficile, je l'avoue , que le vice ne fe pare quelquefois des apparences de la vertu ; que Tange de ténèbres ne fe transfi- gure quelquefois eii Ange de lumière ; 6C que les paillons , qui mettent tout en œu- vre pour réuffir , ne s'avifent pas quelque- fois d'appeller à leurs fecours les apparen- ces mêmes de la piété , fous un régne fur- tout la piété honorée . eft preique le chemin de la fortune 6c des grâces. Mais c'eft une extravagance de faire retomber fur toute vertu Tuiage impie que quelques- uns peuvent faire de la vertu même ; & de croire que quelques abus découverts dans une proîefTion fainte ôc vénérable , désho- norent généralement tous ceux qui l'ont embraflee. C'eft , mes Frères , que nous haillons tous les hommes qui ne nous ref- femblentpas ; 5c que nous fommes ravis de pouvoir condamner la vertu , parce que la vertu elle-même nous condamne. Mais on y a été fi fouvent trompé , dites-

Injustice du monde , 8cc- i6j

Vous. Je le veux : mais je vous réponds ; quand même vous vous tromperiez , en ne voulant pas foupçonner vos frères , 8c en rendant à une fauffe vertu Teftimie 6c Thon- neur qui ne font dus qu'à la vertu véritable; qu'en feroit-il ? que vous arriveroit-il de fi trifte , de Ci honteux , de votre crédulité ? vous auriez jugé félon les régies de la cha- rité , qui ne croit pas facilement le mal , & qui fe réjouit même des apparences du bien ; félon les régies de la juftice , qui n'eft pas capable envers les autres d'une malignité dont elle ne voudroit pas qu'oa usât à fon égard ; félon les régies de la prudence , qui ne juge que fur ce qu'elle voit, & laiffe au Seigneur le jugement des intentions & des penfées ; enfin , félon les régies de la bonté 6c de l'humanité , qui préfume toujours en faveur de fes frères. Et qu'y auroit-il dans cette méprife qui -dût tant vous allarmer ? il eft fi beau de fe tromper par un motif d'humanité ôc d'in- dulgence : ces erreurs font tant d'honneur à un bon cœur : il n'y a que des hommes vrais ÔC vertueux qui en foient capables ; mais comme vous ne l'êtes pas , vous ai- mez encore mieux vous tromper , en dé- gradant l'homme de bien de l'honneur qui lui eft , qu'en courant rifquc de ne pas couvrir d'hypocrite de la confufion qu'il mérite.

Mais d'ailleurs , d'où vous vient ce zèle &ce déchaînement contre l'abus quel'hy- pQCrite fait de la vertu véritable ? prenea-

Z i

268 Mercredi de la IV. Semalve;

vous Cl fort à cœur les intérêts de la gloîfè de Dieu , que vous veùilliez le venger de ces impofteurs qui le déshonorent p que vous importe que le Seigneur foit fervi avec un cœur double ou fincére , vous qui ne le fervez 6c qui ne le connoilTez même pas ? qu'y a-t'il qui vous intérelTe fi fort dans la droiture oudans rhypocrifiedefes adorateurs , vous qui ne favez pas même comment on Tadore ? Ah ! s'il étoit le Dieu de votre cœur , vous l'aimiez comme votre Seigneur 5c votre Père , il fa gloire vous étoit chère , on pardonneroit du moins à un excès de zèle, l'audace avec laquelle vous vous élevez contre l'outrage , que fait à Dieu 6^. à Ton cuite, la vertu iîmulée de l'hypocrite. Les Juftes qui Taiment 6c qui le fervent , auroient , ce femble , plus de droit d'éclater contre un abus fi inju- rieux à la piété fincére. Mais vous qui vi- vez comme les payens qui n'ont point d'efpérance , abimé dans le défordre , ÔC dont toute la vie n'efl qu'un crime conti- nuel ; ah î ce n'efl pas à vous à prendre les intérêts de la gloire de Dieu contre les faulles vertus qui font tant de tort ÔC tant de peine à i'Eglife : qu'il foit fervi de bonne foi , ou par pure grimace ; ce n'efl pas une affaire qui vous regarde. D'où vient donc lui zèle fi déplacé ? Voulez-vous le favoir ? ce n'eft pas le Seigneur que vous voulez venger , ce n'efl pas fa gloire qui vous in- térelle , c'efi: celle des gens de bien que , rous cherchez à flétrir : ce n'efl pas l'hy-

Injustice du monde , 5cc. 269 pocrifie qui vous bkffe , c'eft la piété qui vous déplaît : vous n'êtes pas le cen- feur du vice ; vous n êtes que rennemi de la vertu : en un mot, vousne haïllez dans rhypocrite , que la reffcmblance de l'homme de bien.

En effet , il vos cenfures partoient d'un fonds de religion 6c de zèle véritable , ah f vous ne rappelleriez qu'avec douleur l'hif- toire de ces impofteurs qui ont pu quel- quefois réulTir à tromper le monde : que dis- je ? loin de nous alléguer ces exemples avec un air triomphant , vous gémiriez dit fcandale dont ils ont affligé rÈglife ; loin de vous applaudir lorfque vous nous en renouveliez le fouvenir, vous fouhaiteriez que ces trilles événemens fulTent effacés de la mémioire des hommes, La Loimau- diiToit celui qui découvroit la honte 6c la turpitude de ceux qui lui avoient donné la vie ; mais c'eft la honte 5c le déshonneur de l'Eglife votre mère, que vous expofez avec plaifîr à la dérifion publique. Prenez- vous foin de rappeller certaines circonf- tances humiliantes pour votre maifon , 5C qui ont déshonoré autrefois le nom 6c la vie de quelqu'vui de vos ancêtres? ne vou- driez-vous pas effacer ces traits odieux des hiftoires qui les ont confervés à la poftériîé ? Ne regardez-vous pas , comme les ennemis de votre nom, ceux qui vont fouiller dans les fiécles paffés , pour y déterrer ces endroits odieux , 5c les faire revivre dans la mémoire des hommes ?

Z3

zyo Mercredi de la IV. Semaine. ïi'oppofez-vous pas à leur malignité cette ïnaxime d'équité , que les fautes font per- fonnelles ; &: qu'il eft injufle de faire re- tomber fur tous ceux qui ont porté votre nom , la mauvaife conduite d'un feul qui l'a déshonoré ?

Appliquez-vous la régie à vous-même : l'Eglife eft votre maifon ; les Juftes feuls font vos proches , vos frères , vos prédé- ceifeurs, vos ancêtres ; eux feuls compo- fent cette famille des premiers nés à la- quelle vous devez être éternellement réuni, tes impies feront un jour comme s'ils n'a- voient jamais été ; les liens du fang , de la nature , de la fociété qui vous unifient â eux , périront ; un cahos immenfe ÔC éternel les féparera des enfans de Dieu ; ils ne feront plus , ni vos frères , ni vos ayeux , ni vos proches ; ils feront rejet- tes , oubliés , effacés de la terre des vi- vans , inutiles aux defleins de Dieu , re- tranchés pour toujours de fon Royaume, 6c ne tenant plus par aucun lien à la fociété des Juftes , qui feront alors feuls vos frè- res , vos ancêtres , votre peuple , votre tribu. Que faites-vous donc en décou- vrant avec complaifance l'ignominie de quelque faux jufte qui déshonore leur hif- toire ? c'eft votre maifon , votre nom , vos proches > vos ancêtres que vous dés- honorez ; vous venez flétrir l'éclat de tant d'aftions glorieufes qui ont rendu leur mé- moire immortelle dans tous les fiécles , par l'infidélité d'un feul , qui portant le même

Injustice du mond^ , 8cc. 271 nom qu'eux , l'avilit par des mœurs ÔC une conduite fort diffemblable : c'eft donc fur vous-mÔJi:e que retombe cet opprobre ; à moins que vous n'ayez déjà renoncé à la fociété des Saints , & que vous n'aimiez mieux choiflr votre partage éternel avec les impies 6C les infidèles.

Mais ce qu'il y a ici de plus bizarre dans cette témérité qui veut toujours juger 6c noircir les intentions fecrettcs des gens de bien, c'eft qu'en cela vous tombez en con- tradiâion avec vous-mêmes : dernier ca- raftère de cette témérité.

Oui , mes Frères, vous les accufezd*al- 1er à leurs fins , d'avoir leurs vues dans les actions les plus faintes, ^ de ne jouer que le perfonnage de la vertu. jMais vous fied- il , à vous qui vivez à la Cour , de leur faire ce reproche ? toute votre vie ell une- feinte éternelle ; vous jouez par-tout im rôle qui n'eft point le vôtre ; vous flâtez ceux que vous n'aimez pas ; vous rampez devant d'autres que vous méprifez ; vous faites rem.preflé auprès de ceux de qui vous attendez des grâces , quoiqu'au fond vous regardiez leur faveur avec envie , & que vous les croyiez indignes de leur élévation ; e-i un mot, toute votre vie eft un perfonnage continuel. Par-tout votre cœur dément votre conduite ; par-tout votre vifage eil la contradi£lion de vos fentimens ; vous êtes les hypocrites du monde , de l'ambition , de la faveur , de la fortune , ôc il vous appartient bien après

Z 4

ayi Mercredi de la IV. Semaine. cela de venir accnferles Jiiftes des mêmes feintes, & de faire fonner fi haut leiirdif- fimuîation 5c leur prétendue hypocrifie : quand vous n'auriez rien à vous reprocher là-delTus , on écoutera la témérité de vos cenfiires ; ou plutôt vous avez raifon d'être jaloux de la gloire des artifices 6c des baf- feiles , 6c de trouver mauvais que les Juf- tes veuillent fe mêler d'un art qui vous appartient 8C qui vous eft propre.

D'ailleurs , vous vous récriez û fort lorfque le monde > trop attentif à vos dé- marches , interprète malignem.ent certai- nes vifites marquées , certaines aiTiduites fufpe^les , certains regards affectés ; voiis dites n haut alors , que fi cela eft ainfi y perfbnne ne fera plus innocent; qu'il n'y aura plus de femme régulière dans le mon- de ; que rien n'efî fi aifé que de donner un air de crime aux chofes les plus innocen- tes ; qu'il faut donc fe bannir de la fociété ^ & s'interdire tout commerce avec le genre humain : vous déclamez alors fi vivement contre la malignité des hommes , qui fur des démarches inditïérentes , vous prêtent des intentions criminelles. Mais les Juftes donnent-ils plus de lieu à la témérité des foupçons que vous formez contr'eux ? ÔC s'il vous eft permis d'aller chercher en eux le crime fous les apparences même de îa vertu , pourquoi trouvez-vous û mauvafs que îe monde ofe le fvippofer en vous , *ÔC vous croire criminel fous les apparences du crime {nême ?

t

Injustice du monde , Sec. ÎJ$

Enfin , lorfque nous vous reprochons , femmes du monde , votre afîiduité aux fpe£tacles , 6c aux lieux Tinnocence court tant de rifques ; l'indécence ÔC Tim- modeitie de vos parures ; vous nous ré- pondez que vous n'avez point de mauvai- les intentions , que \ous ncn voulez à per- fonne ; vous voulez qu'on vous pafTe des mœurs indécentes 5c criminelles fur la pré- tendue innocence de vos intentions que tout dément au- dehors ; 5c vous ne (au- riez palTer aux gens de bien des mœurs faintcs &. louables fur la droiture de leur cœur , dont tout parolt au- dehors vous répondre. Vous exigez qu'on juge voâ intentions pures , Icrique vos œuvres ne le font pas ; 6c vous croyez avoir droit de vous perfuuder que les intentions des gens de bien ne font pas innocentes , lorf- que toutes leurs aftions le paroifTent. Cef- fez donc , ou de nous faire l'apologie vos vices , ou la cenfure de leur vertu.

C'efl ainfi , mes Frères, que tout s'em- poifonne entre nos miains , 6c que tout nous éloigne de Dieu : le fpeÛacle mêm.e de la vertu , devient pour nous un prétexte de vice; & les exemples eux-miémes de la piété , font les écuèils de notre innocence. Il femble , ô mon Dieu ! que le monde ne nous fournit pas allez d'occafions de nous perdre ; que les exemples des pécheurs ne fufKfent pas pour autorifer nos égare- mens : nous allonsleurchercher un appui jufques dans les vertus mêmes des Juiles,

274 Mercredi de la IV. Semaine.

Mais vous nous direz que le monde n'a pas il grand tort de cenfurer ceux qui fe donnent pour gens de bien , qu'on en voit tous les jours qui font plus vifs que les autres hommes fur la fortune , plus em- preiTés pour le plaifir , plus délicats fur les injures , plus fiers dans rélëvation , plus attachés à leurs intérêts. C'eft ici la féconde injuflice du monde envers les gens de bien : non-feulement on interprète ma- lignement leurs intentions , ce qui eftune témérité ; mais encore on examine leurs plus légères imperfeâions , 6c c'eft una inhumanité.

fARTiE. vJ^N peut dire que le monde eft envers les Juiles un cenîeur plus févére que TE- vangile même ; qu'il exige d'eux plus de perte£lion , 5c que leurs foibleiTes trou- vent devant le tribunal des hommes moins d'indulgence , qu'elles n'en trouveront un jour devant le tribunal de Dieu même.

Or 5 je dis que cette attention a exagé- rer les défauts les plus légers des gens de bien , féconde injuftice le monde tombe â leur égard , eft une inhum.anité , par rap- port à la foibleïïe de Thomme , à la diffi- culté de la vertu , 6c enfin aux maximes du monde même. Ne vous laifez pas , mes Frères , de m'écouter.

Une inhumanitépar rapport à la foibleffe de rhomme. Oui, m.es Frères, c'efî une illuiion de croire qu'il y ait parmi les hom- mes des vertus parfaites ; ce n'eft pas h

V.

Injustice du monde , 8cc. 275 Condition de cette vie mortelle : chacun prefqiie porte dans la piété fes défauts , fes humeurs £>C fes propres foibleiTes : la grâce corrige la nature , mais ne la détruit pas; l'Efprit de Dieu , qui crée en nous un homme nouveau , y laiiTe encore bien des traits de l'ancien ; la converiîon finit nos vices , mais n'éteint pas nos paflions : en un mot, elle forme en nous le chrétien , mais elle nous laiiTe encore l'homme. Les plus Juftes confervent donc encore bien des reftes du pécheur : David , ce mo- dèle de pénitence ^ mêloit encore à {qs vertus trop d'indulgence pour fes enfans, & des regards de complaifance fur la mul- titude de fon peuple ÔC fur la profpérité de fon régne : la mère des enfans de Zébédée , mialgré la foi qui Tattachoit à Jefus-Chrift , n'avoit rien perdu de fa vivacité pour Télévation de (es enfans, ÔC pourleur alTurer les premières places dans un Royaume terreftre : les Apôtres eux- mêmes difputoient encore entr'eux des rangs & des préféances : nous ne ferons parfaitement délivrés de toutes ces mifé- res , que lorfque nous ferons délivrés de ce corps de mort qui en eft la fource. La vertu la plus éclatante a donc toujours ici- bas fes tâches 5c fes difformités , qu'il ne faut pas regarder de trop près j &. il y a toujours dans les plus Juftes des endroits par ils reffemblent au refte des hom- mes. Tout ce qu'on peut donc exiger de la foibleffe humaine, c'eft que les vertus

27<5 Mercredi de la IV. Semaine . remportent fur les vices , le bon fur le mauvais ; c'eft que reffentiel foit réglé , & qu'on travaille fans celle à régler le rcfte.

Et certes , mes Frères , pleins de paf- fions , comme nous fommes , dans la con- dition miferable de cette vie ; chargés d'un corps de péché qui appéfantit notre ame; efclaves de nos fens & de la chair ; portant au- dedans de nous une contradiction éter- nelle à la Loi de Dieu ; en proie à mille défirs qui combattent contre notre ame ; les jouets éternels de notre inconftance ôC de rinftabilité de notre cœur ; ne trouvant rien en nous qui favorife nos devoirs ; vifs pour tout ce qui nous éloigne de Dieu ; dégoûtés de tout ce qui nous en approche ; n'aimant que ce qui nous perd ; ne haïlfant que ce qui nous fauve: foibles pour le bien; toujours prêts pour le mal ; ÔC en un mot, trouvant dans la vertu Técuèil de la vertu même ; doit-il vous paroître étrange , que des hommes environnés ,paîtris de tant de miféres , en lailîent encore paroître quel- ques-unes ; que des hommes fi corrompus ne foient pas toujours également faints ? 6C f\ vous aviez de Téquité , ne les trouveriez* vous pas plus dignes d'admiration d'avoir - encore quelques vertus , que dignes de cenfure pour conferver encore quelques vices ?

D'ailleurs , Dieu a fes raifons en laiiTant encore aux plus gens de bien certaines foi- bielles fenûbles , qui vous frappent ÔC qui

LvjusTî?;e du momde , 5Cc. iff vous révoltent. Premièrement , il veut par-là les humilier , ôc mettre leur vertu plus en sûreté en la leur cachant à eux-mê- mes. Secondement , il veut ranimer leur vigilance ; car il ne laifle des Amorrhéens dans la terre de Canaan , c'eft-à-dire , d€s palTions dans le cœur de fes ferviteurs , que de peur que délivrés de tous leurs en- nemis, ils ne s'endorment dans roifiveté , Se dans une dangereufe confiance. Troifié- raement , il veut exciter en eux un défir continuel de la patrie éternelle , ÔC leur rendre Texil de cette vie plus amer , par le fentiment des miféres dont ils ne fauroient obtenir ici-bas une entière délivrance. Qua- trièmement , peut-être aulTi pour ne pas décourager les pécheurs par le fpeftacle d'une vertu trop parfaite , 5C à laquelle ils croiroient ne pouvoir jamais atteindre. Cinquièmement , c'eft pour ménager aux Juftes une matière continuelle de prière 6C de pénitence , en leur lailîant une fource continuelle de péché. Sixièmement, pour prévenir les honneurs exceflifs que le mon- de pourroit rendre à leur vertu , fi elle étoit 11 pure ôC {\ éclatante , 6c de peur qu'elle ne trouvât fa récompenle ou fon écueil , dans les vaines louanges des hom- mes. Que dirai-je enfin ? c'eft peut-être encore pour achever d'endurcir & d'aveu- gler les ennemis de la piété ; vous con- firmer , vous qui m'écoutez , par les foi- blelTes des gens de bien , dans l'opinion iafenfée qu'il n'y a point de véritable ver^

278 Mercredi de la IV. Semaine;

tu fur la terre ; vous autorifer dans vos dé* fordres , en leur en fuppofant de fembla- feles ; 5c vous rendre inutile tout exemple de la piété des Juftes. Vous triomphez des foiblefles des gens de bien ; ÔC leurs foi- blelTes font peut-être des punitions de Dieu fur vous , & des moyens dont fa juftice fe fert pour nourrir vos préventions injuftes contre la vertu , 6c achever de vous en- durcir dans le crime. Dieu eft terrible dans fés jugemens ; & la confommation de Fini- quité eft d'ordinaire la fuite de l'iniquité même.

Mais en fécond lieu, quand la foiblefle de l'homme ne rendroit pas barbares Sc in- humaines vos cenfures fur les défauts qui peuvent refter encore aux gens de bien , elles le feroient par rapport à la difficulté toute feule de la vertu.

Car , de bonne- foi , mes Frères , vous paroît-il Çi aifé de vivre félon Dieu , ôC de marcher dans les voies étroites du falut , que vous deviez être fi impitoyables en- vers les Juftes , dès qu'ils s'en écartent un feul moment ? Eft-il û naturel de fe renon- cer fans cefle foi-même, d'être toujours en garde contre Cou propre cœur , d'en vain- cre les antipathies , d'en reprimer ks pen- chans , d'en abattre la fierté , d'en fixer Tinconflance ? Eft-il fi facile de retenir les faillies de Tefprit , d'en modérer les juge- mens , d'en défavouer les foupçons , d'en adoucir l'aigreur , d'en étouffer la maligni- té ? Eit-ce une aifaire fi aifée d'être Ten*

Injustice du monde , 8cc. 179 ïiemi éternel de fon propre corps , d'en vaincre la parelFe , d'en mortifier les goûts , d'en crucifier les défirs ?Eft-il fi naturel de pardonner les injures , de foufirir les mé- pris , d'aimer & de combler de biens ceux qui nous font du mal . de facrifier fa for- tune pour ne-pas manquer à fa confcience, de s'interdire des plaifirs 011 tous nos pen- chans nous entraînent , de réfifier aux exemples , de foutenir tout feul le parti de la vertu contre la multitude qui le con- damne ? Tout cela vous paroit-il fi aifé , que ceux qui s'en écartent d'un feul point, ne vous femblent dignes d'aucune indul- gence ? que nous dites-vous vous-mêmes tous les jours fur les difiîcultés d'une vie chrétienne , lorfque nous vous propofons ces régies faintes ? Eft-il fi étonnant qu'ua homme qui marche depuis (i long-tems par des chemins rudes 6c efcarpés, chancelle ou tombe même quelquefois de lafiitude ou de foiblelTe ?

Barbares que nous fommes ! 6c cepen- dant la plus légère imperfection dans les gens de bien , anéantit dans notre efprit toutes les qualités les plus eftimiables ; ÔC cependant , loin de faire grâce à leurs foi- blefi[es en faveur de leur vertu , c'efl leur vertu elle-même qui nous rend plus cruels ÔC plus inexorables envers leurs foiblefies. 11 luffit, ce femble , d'être Jufie , pour ne mériter plus d'indulgence : nous avons des yeux pour leurs vices ; nous n'en avons que pour les vertus ; un moment de foi',

iSo Mercredi de la IV. SëxMAimê.' biefTe efface de notre fouvenir une vie en*. tïére de fidélité ôc d'innocence.

Mais en quoi , mes Frères , votre in- juftice envers les gens de bien eft plus cruelle , c'eft que ce font vos exemples , vos défordres , vos cenfures elles-mêmes qui les ébranlent, qui les afFoibliflent , qui les forcent quelquefois de vous imiter ; c*eft la corruption de vos mœurs , qui de- vient tous les jours le piège le plus dange- reux de leur innocence ; ce font Iqs déri- ilons infenfées que vous faites fanscelfe de •la vertu , qui les obligent fouvent pour les éviter de le couvrir des apparences du vi- ce. Et comment voulez-vous que la piété des plus juftes fe conferve toujours pure au milieu des mœurs d'aujourd'hui ; dans im monde pervers , les ufages fout des abus , les bienféances font des crimes, ^11 les paiïions font les feuls liens de la fo- ciété , 6c les plus fages &C les plus ver- tueux font ceux qui ne retranchent du cri- me que le fcandale ? Comment voulez-vous que parmi ces dérifions éternelles , qui jettent un ridicule fur les gens de bien , qui leur font honte delà vertu , qui les forcent fouvent de contrefaire le vice ; comment voulez-vous qu'au milieu de tant de défor- dres , autorifés par les mœurs publiques , par des applaudiifemens infenfés , par des exemples que le rang ÔC les dignités ren- dent refpeÔables , par le ridicule dont on couvre ceux qui ofent en faire fcrupule, enfin , par la foiblefle même de leur cœur ;

comment

Injustice du monde, &c. 381 comment voulez-vous que les Tulles réfiA tent toujours à ce torrent fatal ; ^ qu'obli- gés de fe roidir fans ceile contre ce cours rapide 5c impétueux , qui entraîne tout le relie des hommes , la force ou rattention leur manquant un inftant , ils ne s'y lailTent pas quelquefois aller eux-mêmes ? Vous êtes leurs féduâeurs ; 6c vous trouvez mauvais qu'ils fe laiiTent feduire ? Ne leur reprochez donc plus vos fcandales qui af- foibliffent leur foi, 6c qu'ils vous reproche» ront devant le tribunal de Jefus-Chrift ; bi. ne triomphez plus de leurs fo.iblelTes qui font votre ouvrage y & doat ils de- manderont un jour vengeance contre vous> mêmes.

Aufîi j'ai dit en dernier lieu y que par rapport à vos maximes mêmes , votre in- jiiilice envers les gens de bien , ne fauroit être ei^cufée de dureté ou d'extravagance ^ jugez-en vous-même. Vous dites tous les jours qu'un tel avec fa dévotion ne laiffe pas d'aller à fes fins ; qu'un autre eft fort exaft à faire fa caur ; qu'un autre encore a une vertu fi fenfible 5>: il délicate, qu'urie- piqaûre le blelTeôCle révolte ; que celui-ci ne pardonne point ; que. celle-là n'eH pas; fâchée encore de plaire ; qu'une autre a une vertu fort commode , ôc mène une vie douce 5c agréable ; qu'une autre enfiii eft toute paîtrie d'humeur 5c de caprice , ÔC que dans l'enceiiite de fa inaifon , perfbnn-e ne peut compatir avec elle i que fai-)e ï car les difcours 8c les fatyresn^finiirent paalîUK:

282 Mercredi de la IV. SemawS.

cet article ; 5c là-deiTus vous décidez fié-. rement qu'une dévotion mêlée de tant des défauts ne fauroit jamais en faire des Sainta & les conduire au falut :■_ voilà vos maxi- mes. Et cependant lorfque nous venons nous-mêmes vous annoncer ici que la vie mondaine , oifeufe , fenfuelk , difllpée ^ & prefque toute profane que vous menez , ^e fauroit être une voie de falut , vous noua foutenez que vous n'y voyez point de mal ; vous nous accufez de dureté ,6c d'outrer les régies 5c les devoirs de votre état ;, vous ne croyez pas qu'il en faille davan* tage pour fe fauver. Mais ,. mes Frères , ûe quel côté ici la dureté , ÔC l'injuftice? ajoutent à kur piété quelques endroits qui vousreffemblent ; parce qu'iJs mêknt quel- ^les.uns de vos défauts à une infinité de vertus 5c d^ bonnes œuvres > qui ks repa- ient; & vous vous croyez dans la Voie du falut , vous qui n'avez que ces défauts , fans la piét^ eîle-mêm.e qui les purifie ? O homme ! qui êtes-vous donc pour fauver ceux que le Seigneur condamne , 5c poi;r condamner ceux qu'il juôifie.

Ce n^eil pas. aiTes ^ & vous allez voÎ3^ encore combien peu fur ce point ^ vous vous accordez avec vous-mêmes. En effets lorfque \qs gens de bien vivent dans une re- traite entière x qu'ils ne gardent plus de mefures avec monde ; qi>ils fe cachent yoiir toujours aux yeux du public ; qu'il*, ^ittejit jûiêçie cextakes glaces dQ faysiiX

Injustice du moxde , 8cc. 2S3

êC de dirtinâion : qu'ils fe dépouillent de leurs charges 6C de leurs dignités , pour vaquer uniquement à leur {al\t ; qu'ils mé- cent une vie de larmes , de prière , de mor- tification , de lilence ; ( 6c ces exemples , rotre fiécle a été aflez heureux pour vous en fournir ; ) qu'avez-vous ditalors? qu'ils -pouiToîent les chofes trop loin; qu'on leur donnoit des confeils violens ^ que leur 2èle n'était pas félon la fcience ; que fitout îe monde les im^itoit ^ les devoirs publics feroient négligés ;queperfonneuerendroit plus à la patrie Sc à l'Etat , les fervices dont il ne peutfe paffer; qu'il ne faut point tent de (ingiîîarité ; ÔC que la véritable dé- votion y c'Q'à de vivre uniment , & de remplir lesde\oirs de l'état Dieu nous a plactîs : voilà vos maximes. Mais d'un autre côté^lorfque les gens de bien ac- cordent avec la piété les devoirs de leur état, ÔC les intérêts innocent de leur for- tune ; qu'ils gardent encore certaines me- fures de bienféance ÔC de fociété avec le inonde ; qu'ils paroillent aux lieux d'où leur rang ne leur permet pas de fe bannir; qu'ils participent encoj^e à certains plaifirs publics que la lituation ils fe trouvent leur rend inévitables ; en un mot, qu'ils font prudens dans le bien , & fimples dans le mal ; ah î vous dites alors qu'ils font faits com.me les autres hommes ; qu'à ce prix-là il: vous pa* roit fort aifé defervir Dieu ; qu'il n'y a rien dans leur dévotion qui vous falTe peur ; 5C ^Ufi VQUi fsii^ibkntdtuu grand Samt ^ s'il

Aa i

2^4 Mercredi de la IV. Semaî^^e; n'en falloir pas davantage. La vertu a beau paroître fous différentes faces , il fuffit qu'elle foit vertu ^ pour vous déplaire 6C mériter vos cenfures. Accoxdez-vous donc avec vous-mêmes : vous voulez que les gens de bien foient faits comme vous , 6C vous les condamnez dès qu'ils vousiefTern- blent..

Vous renouveikz.rtnjuftice 8c la dureté des Juifs de notre Evangile. Lorfque Jean- Baptifte parut dans le défert , revêtu âb poil de chameau V ne mangeant ni ne bu- vant ,. 8c donnant à la Judée le fpe£lacle d'une vertu plus auftère que celle de tou-S les Juftes & de.tous les Prophètes qui l'a- voient précédé; ils regardaient^ dit Jefus- Chrift , l'auitérité de iès mœurs commç l'illulion d'un efprit impofîeur , qui k fér duifoit 5c ne lepouffoità ces excès , qu^ pour lui faire trouver dans la vanité le dé- dommagement de fa pénitence. Le fils de l'Homme au contraire , vint enfuite, con- tinue le Sauveur ,. mangeant 6c buvant ; leur propofanî dans fa conduite le modèle d'une vertu plus à portée la. foiblelTc humaine ; 5c pour fe.rvir d-exemple à tous, menant une vie limple 5c commune que tous puiiTenî imiter :ell-il plus à couvert de leurs cenfures ? ah ! ils le font palier pouj" un hom.me de plaliir 5c de bonne chère , 6c la condefcendance de fa vertu n'eii phis dans leur efprit , qu'un relâchement qui îa. flétrit ÔC la déshonore. Les vertus les plus diifeiobiabks oe réuffiffent qu'à s'attireils^^

Injustice du mo.vde , Scc. iS"^ mêmes reproches. Ah ! mes Frères , que les gens de bien feroient à plahidre ,. s'ils avoieiitàêtre jugés devant le Tribunal des hommes ! mais ils favent que le monde qui ks juge eft déjà lui-même jugé.

Et ce qu'il y a ici de plus déplorable-, mes Frères , dans la févérlté avec laquelle vous condamne-'z les plus légères imperfec- tions des gen-s de bien ^ c'elè que un pé- cheur célèbre 5c fcandaleux y après unt vie entière de crimes S>C d'excès , donne feule- ment au lit de la mort quelques foibles man- ques de repeaîir ; s'il prononce feulement le nom d'un Dieu qu'il n'a jamiais connu , êC qu'il a toujours blafphêmd: s'il confenten- fin , après bien des délais 6c des répU'- gnaiices , à recevoir les grâces & les der- niers remèdes de l'Egliie , qu'on n'ofoit même lui propofer ; ah ! vous le rangez parmi les Saints : vous dites qu'il a fait une mort chrétienne ,.qu*ils'eû reconnu , qu'il a dem.andépardon à Dieu ; & là-delTus vous êfpérez tout de fon falut , 5c vous ne dou- tez plus que le Seigneur ne lui ait faitmifé* licorde ? quelques marques forcées de re- ligiou qu'on lui a, arrachées, fuffifent, félon vous , pour lui alTurer le Royaume de Dieu , rien de fouillé n'entrera ; fuffi- fent ,. dis- je , malgré les défordres 6^ les abominations de toute fa vie ; 6c une vie entière de vertu ne fuffitpas dans votre et prit pour l'aifurer aune ame fidèle, dès qu'elle y mêle les plus petites infidélités.: ïQiis. iauv^z rimpièfui ks Jig.ae.s.k5.gius fri^

286 Mercredi DE LA IV. Semaine.^ ^ voles 6c les plus équivoques de la piété ; .& vous damnez le Juûe fur les marques les plus légères 6c les plus excufabies de Thu- znaiMté'^C de la foiblefle*

Je pourrois ajouter, mes Frères , qu^à ne confulter même que vos propres inté- rêts , les imperfeiSions des gens de bien ^evroient vous trouver plus indulgens 5C plus favorables. Car, mes Frères , eux feuls vous épargnent , cachent vos vices ^ adouciflent vos défauts , excufent vos fau- tes , relèvent ee qu'il y a de loiiable dans vos vertus* Tandis que le monde , que vos égaux , que vos envieux , que vos con- eurrens , que vos amis prétendus peut-être diminuent vos talens ôc vos fervices , par* îent avec mépris de vos bonnes qualités , donnent du ridicule à vos défauts , comp- tent vos malbeurs parmi vos fautes , exa- gèrent vos fautes mêmes , empoifonnent vos difcour-s 5c vos démarches les plus in* lîocentes > les gens de bien tout feuls vous excufent ^ vous juiiiiient, font les apolo>- giftes de vos vertus , ou ks fages diEim.ula- teurs de vos vices ; eux feuls rompent les entretiens , votre gloire 5c votre répu- tation font attaquées ; eux feuls ne fe joi- gnent point au public contre vous ; ÔC ils font les feuls pour qui vous manquez d'hu- manité y 5C à qui vous ne pardonnez pas même les vertus qui les rendent eiiimables* Ah î m.es Frères, rendez- leur du moins ce: qu'ils vous prêtent ; épargnez vos protec* teurs ôC vos aj^^ologiftes y. ôc ii'infiiiBezjgaâj

Injustice du monde , Scc. iff en les décriant , les feuls témoignages favo* râbles qui vous reftent parmi les hommes. Mais je n en dis pas allez mon- feulement les gens de bien ne fe joignent point à ïa malignité du public contre vous , mais evix feuls font vos amis véritables ; eux feuls font touchés de vos maux ^ fenfibles à vos égarem.ens , occupés de votre falut ; ils vous portent dans le cœur; en excufant vos pafTions ÔC vos défordres devant les hommes > ils en gémiifent tous les jours de- vant Dieu ; ils lèvent les mains au Ciel pour vous -, ils foliicitent votre çonverlion ; ils demandent grâce pour vos crimes ; 6C . vous ne fauri^z rendre juftice à leur vertu & à leur innocence ? ah! ils peuvent faire- au Seigneur contre vous ks mêmes plain- tes que lui faifoit autrefois le Prophète Je- îémie contre les Juifs de fon tems y cen- feurs injuftes de fa piété 6c de fa conduite* Seigneur , difoit cet homme de Dieu ^ écoutez Les difcours 6c les cenfures que les eaneniis de votre nom répandent contre ^

moi : \^tt£nde ,, Domina , ad me, & audif^'^"^ 'Vccem adverfariorum meorum* EQi-ce ainfi , ô mon Dieu ! qu'ils me rendent le bien poui? le mal, qu'ils payent d'ingratitude ÔC d'in- humanité la fincérité de ma tendreffe pour eiix y & q^^e les pièges q^u'lls me tendent tmis les jours , font le feul prix de mon ïèle pour leur falut? Numquidredditurpro Zdid.ti èono malum yqiiia fod^runt foveum anlmœ^^'-^ meie ? Vois m'êtes témoin , Seigneur ,^ que jeae j^arois eiiygue gràfejQGe g^uepoi^

2SS Mercredi de la IV. Semaine. vous parier en leur faveur ; vous favez qus mes iarmes ne coulent devant vous que pour effacer leurs crimes ; que mes prières ne montent jufqu'à votre Trône que pour attirer fur eux vos miféricordes éternelles: vous vous fouvenez , Dieu de nos pères , de tous les foupirs que j'ai répandus à vos pieds , pour détourner votre colère prête à éclater fur leurs têtes , avec quelle douleur je les ai viîs courir à leur perte , 5c com- bien leurs prévarications m'ont toujours trouvé plus fenfibte que leur mépris êC leurs dérifronsinjulks r Recordare quoifle- terim in confpcB.u tuo , ut laquer er pro eis konurn , d* avertcrem indignationein tuant ab eis.

Vous fentez fans ck)ute îà-delTus y mes Frères , toute i'injuftice de votre condui- te : mais que feroit-ce, (r en achevant ce que je m'étois d'abord propofé , je vous montrois que non feulement vous donnez aux bonnes œuvres des gens de bien , des motifs corrompus ; ce qui cft une témérité: non-feulement vous exagérez leurs plus légères foiblelfes ; ce qui efl: une inhuma- Bité : mais encore quand vous n'avez rienà dire contre la droiture de leurs intentions y 6c que leurs défauts ne donnent point de prife à vos cenfures , vous vous retranchez à donner du ridicule mêrsie à leur vcîim $. ce qui eli une impiété»

Oui , mes Frères , une impiété. Vous faites de la Religion un jeu , une fcène co- 3mquc.j. vcus ia,tiaduifsi euQQre comme

Injustice du monde , 8cc. 2.89 autrefois les payeiis far un théâtre infâme ; & vous expofez à la riféc àQS fpe£la- teurs fes myftères faints , ôc ce que la terre a de plus facré ÔC de plus refpeâable^ Vous pouvez excufer vos paflions fur la foibleife du tempérament , 6c fur la fragi- lité humaine ; mais vos déridons de la vertu ne fauroient trouver d'excufe que dans un. mépris impie delà vertu même: cependant ce langage d'irréligion 5c de blafphême autorifé dans le monde , n'eft plus qu'un enjouement , un jeu d'efprit , un langage dont la vanité elle-même s'honore.

Mais , mes Frères , par-lâ vous perfé- cutez la vertu , ÔC vous vous la rendez inu- tile à vous-même ; vous déshonorez la vertu , ÔC vous la rendez inutile aux au- tres ; vous tentez la vertu , ^C vous la ren- dez infouîenable à elle-miême.

Vous perfécutez la vertu , 6c vous vous la rendez inutile à vous-mêmes. Oui , mon cher Auditeur , l'exemple cIqs gens de vbien étoit un moyen de falut que la bonté de Dieu vous avoit préparé : or , fa juftice indignée des dériiions que vous faites de fes miféricordes fur fes fcrviteurs , les re- tire à jamais de vous ; ÔC il vous punit du mépris que vous faites de la piété, en vous refufant le don de la piété mêm.e. Les Rois de la terre vengent avec éclat les injures qu'on fait à leurs ftatuès; parce que ce font des monumens publics 6v. facrés qui les re- préfentent , 6c qui expriment au naturel la ma j elle de leurs traits & de leur vifage.

Carême , Tom^ UL B b

290 Mercredi de la III. Semaine. mais les Jiilles font ici bas les ftatiiè's vi- vantes du grand Roi , les images véritables d'un Dieu laînt ; c'efl en eux qu'il peint la majeflé de Tes traits les plus purs &C les plus brillans ; ê»C il frappe toujours d'un anathê* me éternel le^^riléges qui ofent en faire le fujet de leurs dérilions ÔC de leurs ou- trages.

D'ailleurs , quand même le Seigneur , pour punir vos dérifions de la piété , ne vous refuferoit pas le don ineftimabledela j)iété même, elles vous form.ent an rclpecl: humain invincible , qui ne vous permettra jamais d'en prendre le parti. Car , je vous prie; fi jamais lalTé du monde , de vos dé- îbrdres , de vous-même , vous voulez re- venir à Dieu , i^ fauver votre ame que vous perdez , comment oferezvous vous déclarer pour la piété , vous qui en avez fait i\ fouvent des plaiKmteries publiques tfC profanes ? comment pourrez-vous vous faire une gloire des devoirs de la Religion ; vous à qui on entend dire tous les jours , qu'on perd l'efprit dès qu'on devient dé- vot ; qu'un tel 6c»une telle avoient mille bonnes qualités , qui les faifoient fouhaiter par-tout ; mais qi-e la dévotion les a gâtés à unpoint qu'ils font devenus infupportables ; qu'ils alTe^lent de fe donner du ridicule ; qu'il iemble qu'il faut renoncer au fens com- mun dès qu'on a levé l'étendart de la piété; que le Seigneur vous préferve de cette ma- nie ; que vous tâchez d'être honnête hom- me; mais que Dieu merci , vous n'êtes pas

LVJUSTICE DU MONDE , 5Cd. IÇÎ ^évot. Quel langage ! c'eft-à-dire , que Dieu merci , vous êtes ma^ué d'avance du caractère des réprouvés , que vous pou- vez bien vous répondre que vous ne chan- gerez point, ÔC que vous mourrez tel que vous êtes. Quelle impiété !'^ c'eft parmi des Chrétiens , qu'on tient tous les jours ces difcours avec oftentation 6c avec com- plaifance !

Ah , mes Frères ! pq-mettez ici une ré- flexion à ma douleur. Les Patriarches , ces hommes vénérable» , fi puiflans , même félon le monde , ne fe faifoient connoître aux Rois Se aux peuples des différens pays l'ordre du Seigneur les conduiioit, que par ces termes religieux : Je crains le Seigneur : Tlmeo Deum* Ils ne fe renom- moient pas par la grandeur de leur race , dont l'origine touchoit encore à celle de Tunivers , par la gloire de leurs ancêtres , par l'éclat du fang d'Abraham , de cet homme le vainqueur des Rois , le modèle de tous les Sages de la terre , S>C le feul hé- ros dont le monde pouvoit alors fe glori- fier. Nous craignons le Seigneur, c'étoit- leur titre le plus pompeux, leur no- blefle la plus augufte , le feul caractère par ils vouloient être diftingués de tous les autres honimes ; c'étoitle ligne magnifique qui paroiflbit à la tête de leurs tentes & de leurs troupeaux , qui brilloit dans leurs étendarts , 5c qui portoit par-tout avec eux la gloire de leur nom 5c celle du Dieu de leurs pères. Et nous , mes Frères , noui

Bb z

2^2. Mercredi de la IV. Semaine; nous défendons de la réputation d'homme jufte 6c craignant Dieu > comme d'un titre de honte ÔC d'infamie : nous étalons avec orgueil les vaines dillin^lionsdurang 5c de la naiiTance : les marques frivoles de nos noms 6c de nos dignités , nous précédent , nous annoncent par-tout; 5c nous cachons le figne glorieux du Dieu de nos pères , 6c nous nous glorifions même de n'être pas du nombre de ceux qui le craignent 5C qui l'adorent. O Dieu ! laiiTez donc à ces hom- mes infenfés une gloire afFreufe : con- fondez leur extravagance Sc leur impiété , en permettant qu'ils fe glorifient jufqu'à la fin de leur confufion Sc de leur ignominie. Ce n'efi: pas tout , mes Frères , non- feulement par ces dérifions déplorables vous vous rendez la vertu inutile à vous- mêmes , vous la rendez encore odieufe 6C inutile aux autres ; c'eft-à-dire , non-feule- ment vous vous fermez à vous-mêmes toutes les voies de votre retour à Dieu , vous les fermez encore à une infinité d'a- mes que la grâce prelTe en fecret de fortir de leurs crimes & de vivre chrétienne- ment ; qui n'ofent fe déclarer de peur de s'expofer à vos railleries profanes ; qui ne craignent dans une nouvelle vie que le ridi- cule que vous donnez à la v^ertu ; qui n'op- pofent en fecret que ce feul obftacle à la voix du Ciel qui les appelle ; 5c balancent dans la grande affaire de l'éternité , entre les jugemens de Dieu & vos dérifions in- fenlées.

Injustice du monde , 5cc. 293 C'eil-à-dire , que par-là vous anéantif- fez le fruit de l'Evangile que nous annon- çons, 6C rendez notre miniftère inutile* vous ôtez à la Religion fa terreur 5c fa ma- jefté , 6C répandez fur tout l'extérieur de la piété , un ridicule qui retombe fur la Religion même : vous perpétuez dans le monde les préjugés contre la vertu , 6C m.aintenez parmi les hommes rillufion la plus univerfelle dont le démon fe fert pour les féduire , qui efr de traiter la piété de travers &C de folie : vous autoriiez les bla£- phêmes des libertins 6c des impies : vous accoutumez les pécheurs à fe faire du vice 6c du dérèglement , un fjjjet d'cftentation & de gloire ; 6c à regarder la débauche comme un bon air, en Toppofant au ridi- cule de la vertu. Que dirai-je enfin ? par vous la piété devient la fable du monde , le jouet des impies , la honte des pécheurs , le fcandale des foibles , l'écuèii même des Juftes : par vous le vice eft en honneur , la vertu eft avilie , les vérités s'affoibliffent, la foi s'éteint , la religion s'anéantit , la corruption gagne ; 5c comme le Prophète l'avoit prédit, la défolation perfévére juf- qu'à la confommation 6c la fin.

Ajoutons encore ; par vous la vertu de- vient infoutenable à elle-même : vos déri- fîons deviennent Técueil de la piété même des Juftes ; vous ébranlez leur foi ; vous découragez leur zèle ; vous fufpendez leurs bons délirs ; vous étouffez dans leur cceur les plus vives imprelîions de la gra*

Bb 3

294 MexRCRedi de la IV. Semaine.

ce ; vous les arrêtez fur mille démarches de ferveur & de vertu , qu'ils nofent ex^ pofer à Timipiété de vos cenfures ; vous les oLligez mjalgré eux de fe conformer encore à vos ufages &. à vos m.aximes qu'ils détef- tent , à rabattre de leur retraite , de leurs aufléritës , de leurs prières ; & à ne confa- crêr à ces devoirs que des momens déro- bés qui puillciit échapper à vos regards & à vos railleries ; 6c par-là vous privez TE- glife de l'édification de leurs exemples ; les loibles , du fecours qu'ils y trouveroient , les pécheurs , de la confufion qui leur en reviendroit ; les Juftes , d'une confolation qui les foutiendroit ; 5c la Religion , d'un fpectacle qui l'honore.

Hélas , mes Frères ! les tyrans ne fai- foient autrefois des dérifîons publiques des Chrétiens , qu'en leur reprochant leurs fu- perilitions prétendues : ils fe moquoient , des honneurs publics qu'ils leur voyent rendre à Jefus-Chrift , à un Crucifié , 6C de la préférence qu'ils lui donnoient fur Jupiter ôc fur les Dieux de l'Empire , dont la pompe 5c la magnificence des Temples & des autels , l'ancienneté des loix , & la majeilé des Céfars , rendoient le culte ref- peâable ; du refte : ils donnoient des élo- ges publics à leurs mœurs ; ils admiroient leur modeitie , leur frugalité , leur charité, leur patience , leur vie innocente 6c mor- tifiée , leur éloignement des cirques 6c des plaiiîrs publics , ils ne pouvoient s'empê- cher de regarder avec vénération les mœurs

Injustice du monde , &c. 295 fàges , retirées , pudiques , douces , bien- faifantes de ces hommes fimples ÔC fidè- les. Vous au contraire plus infenfés , vous ne trouv^ejpas mauvais qu'ils adorent Jefus-ChriftT^^^ qu'ils mettent dans le myftère de la Croix leur confiance 6c leur faîut ; mais vous trouvez ridicule qu'ils s'interdifent les plaifirs public ; qu'ils vi- vent dans la pratique de la retraite, de la mortification , de la prière ; mais vous les trouvez dignes de vos dériiions &C de vos cenfures , parce qu'ils font humbles , fim- ples , chafles 6c modefles ; 5c la vie chré- tienne qui a pu trouver des admirateurs jufques parmi les tyrans , ne trouve auprès de vous que des traits moqueurs 6c des railleries profanes.

Quelle folie , mes Frères ! de ne trou- ver dignes de rifée dans un monde , qui n'eft lui-même tout entier , qu'un amas de niaiferies 6c d'extravagances ; de n'y trou- ver dignes de rifée que ceux qui en con- lîoifTent le frivole , & qui i:e penfent qu'à fe mettre à couvert de la colère à venir ! quelle folie de ne mcprifer dans les hom- mes que les feules qualités qui les rendent agréables à Dieu , refpe6^ables aux An- ges , utiles à leurs frères ! quelle folie de croire qu'un bonheur ou un malheur éter- nei nous attend , t\. de trouver ridicules ceux qu'un grand intérêt occupe !

Refpeâ:ons la vertu , mes Frères ; elle feule lur la terre mérite notre admiration & nos hommages. Si nous fommes encore

Bb 4

^9^ Mercredi de la IV. Semalve;

trop foibies pour en remplir les devoirs 1 foyons aiïez équitables pour en eftimer l'é- clat ÔC riiinocence ; fi nous ne pouvons pas vivre comme les Juftes , fouhaitons de le devenir , envions leur deftinée ; fi nous ne pouvons pas encore imiter leurs exemples , regardons les dérifions de la vertu , non- feulement comme des blafphêmes contre l'Efprit-faint , mais comme des outrages faits à l'humanité, que la vertu toute feule honore : reprochons-nous les vices qui ne nous permettent pas de relfemibler aux gens de bien , loin de leur reprocher les vertus qui nous les rendent dillemblables ; en un m.ot , par notre refpcci: véritable pour la piété , méritons d'obtenir un jour le don de la piété même.

Et vous, mes Frères , qui fervez le Sei- gneur , fouvenez-vous que les intérêts de la vertu font entre vos mainj ; que les foi- LlefTes , que les taches que vous y mêlez , dev'ennent , pour ainfi dire , les taches de la Religion même; comprenez tou.t ce que le monde attend de vous , 5c quels en- gagemens vous contraé^ez envers le public lorfque vous vous déclarez pour le parti de la piété ; 6c avec quelle dignité , quelle fidélité , quelle élévation vous devez fou- tenir le caraâ:ère 5c le perfonnage de fer- viteur de Jefus-Chrift. Oui, mes Frères , foutenons avec majeflé les intérêts de la vertu , 5<. les regards de ceux qui la mépri- fent : achetons le droit d'être infenfibles à leurs ceafures , en n'y donnant point de

ÎNJUSlritl DU MONDE , &C. ^^*f iîeii: forçons le monde de refpeaer ce qu'il ne fauroit aimer : ne failons pas de la profefllon fainte de la piété , un gain ior- dide , un vil intérêt , une vie ^1 n'^in-.eur 5C de caprice , un titre de moilefle ^ d oïli- veté , une luigularité qui nous honore , im entêtement qui nous flàte un eiprit de divifion qui nous fépare : f?^^^^^^^-^^^^ P'^^ de r éternité, la voie du Ciel , la règle de nos devoirs , la réparation de nos crimes , un efprit de modeftie qui nous cache , une componaion qui nous humilie, une dou- ceur qui nous rapproche de nos treres , une charité qui les fouffre , une indulgence qui les attire , un efprit de paix qui nous les lie : & enfin , une union de coeurs , de défirs , d'affeaions , de biens ^ de maux fur la terre, qui fera l'image K 1 efperance de cette union éternelle , que la chant® ^oit coufumer dans le cieL

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SERMON

POUR LE JEUDI DE LA QUATRIEME SEMAINE,

DE CARÊME.

Sur la Mon.

Com approquinquaret Jefus porta? civitâtisj; ^ ccce defuLdus efferebatur fiiius unicus matiis fuse.

]efus étant près de la porte de la Ville , il ar* tiva quon portoit en terre un mort , qui étoit U fils unique de fa mère» Luc. 7. ii.

^^^SjAiMAis mort fut -elle accom-

lîpagnée de circonftances plus

^j touchantes ? C'eft un fils uni-

1 que , le feul fuccelTeur du nom ,

des titres , de la fortune de fes

ancêtres , que la mort enlève à une mère veuve 6c défolée : elle le lui ravit dans la fleur de Tâge, 6c à Tentrée prefque de la vie; en un tems échappé aux accidens de Tenfance, 6>c parvenu à ce premier degré de

Sur la Mort. 299

force 8c de raifon , qui commence Thom- me, il paroilToit le moins expofé aux iiir- prifes delà mort, 6c lailToit enfin refpirer Ja îendrelle maternelle de toutes les frayeurs qui fuivent les progrès incertains de l'édu- cation. Les citoyens en foule accourent -mêler leurs larmes à celles de cette mère défolée : ailidus à fes cotes , ils cherchent à diminuer fa douleur, par la confolation de ces difcours vagues 6c communs , qu'une trifteffe profonde n'écoute guéres ; ils entourent avec elle le trifle cercueil ; ils parent les obféques de leur deuil ÔC de leur préfence : Tappareil de cette pompe funèbre efl pour eux un fpeétacle ; mais eft-il une inftruâion ? ils en font frappés, attendris ; mais en font-ils mioins attachés à la vie ? ÔC le fouvenir de cette mort ne va t'il pas périr dans leur efprit, avec le bruit &. la décoration des funérailles ?

A de femblableé exem.ples , mes Frè- res, nous apportons tous les jours les mê- mes difpofitions. Les fentimens qu'une mort inopinée réveille dans nos cœurs ; font des fentimens d'une journée, comame la mort elle-même devoit être l'affaire d'un jour. On s'épuife en vaines réflexions fur rinconltance des chofes humaines ; mais l'objet qui nous frappoit , une fois difparu, le cœur redevenu tranquille fe trouve le même. Nos projets , nos foins , nos atta- chemens pour la terre , ne font pas moins vifs , que fi nous travaillons pour c\qs an- nées éternelles : êc au fortir d'un fpeclacle

%oô Jeudi de la IV. Semaine.

lugubre, l'on a vu quelquefois la naif- fance , la jeunefTe , les titres , la réputation fondre tout d'un coup , 6c fe perdre pour toujours dans le tombeau , on rentre dans le monde, plus occupé , plus empreilé que jamais de tous ces vains objets , dont on vient de voir de Tes propres yeux , Se tou- cher prefque de fes mains le néant &C la poufTiere.

Cherchons donc aujourd'hui les raifons d'un égarement fi déplorable. D'où vient que les hommes s'occupent fi peu de la mort ; 6c que cette penfée fait fur eux des impreflions fi peu durables ? Le voici : l'in- certitude de \îi mort nous amufe , 6c en éloigne le fouvenir de notre efprit ; la cer- titude de la mort nous effraye , ÔC nous oblige à détourner les yeux de cette trifte image : ce qu'elle a d'incertain , nous en- dort 5c nous raffure ; ce qu'elle a de ter- rible 5c de certain , nous en fait craindre la penfée. Or , je veux aujourd'hui com- battre la dangéreufe fécurité des premiers , & l'injufle frayeur des aiitres. La mort eft incertaine ; vous êtes donc téméraire de ne pas vous en occuper , ÔC de vous y lailTer fiirprendre: la mort eft certaine ; vous êtes donc infenfè d'en craindre le fou- venir , 5c vous ne devez jamais la perdre de viië. Penfez à la mort , parce que vous ne favez à quelle heure elle arrivera ; pen- fez à la mort , parce qu'elle doit arriver ; c'eft le fujet de ce difcours. Implorons ^ êCe. yiye j Maria*

Sur la Mort. 30^

HjE premier pas que Thomme fait ^^^^p^^'^^^ la vie , eft aufli le premier qui l'approche du tombeau : dès que fes yeux s'ouvrent à la lumière , l'arrêt de mort lui eft pro- noncé ; 5c comme li c'étoit pour lui ua crime de vivre , il fuffit qu'il vive , pour mériter de mourir. Ce n'étoit point no- tre première deftinée : l'Auteur de notre être avoit d'abord animé notre boue d'un fouffle d'immortalité : il avoit mis en nous un germe de vie , que la révolution des tems 6c des années n'auroit , ni aftbibli , ni éteint : Ton ouvrage étoit concerté avec tant d'ordre , qu'il eût pii délier la durée des fiécles , 5c que rien d'étranger n'en eût pu jamais diiloudre , ni altérer même Tliar- monie. Le péché feul fécha ce germe di- vin , renverfa cet ordre heureux , arma toutes les créatures contre l'homme ; 5C Adam devint mortel , dès qu'il devint pé- cheur : Ccjl par le péché ^ dit l'Apôtre , Rom, fi que la mort ejî entrée dans le monde.

Nous la portons donc tous , en naiffant, dans le iein : il fembie que nous avons lucé dans les entrailles de nos mères , un poifoa lent , avec lequel nous venons au monde , qui nous fait languir ici-bas , les uns plus , les autres moins ; mais qui finit toujours , parle trépas : nous mourons tous les jours; chaque inilant nous dérobe une portion de notre vie , ÔC nous avance d'un pas vers le tombeau : le corps dépérit, la fanté s'ufe, tout ce qui nous environne nous détruit;

302 Jeudi de la IV. Semaine.

les alimens nous corrompent , les remèdes nous affolbliiTeiit j ce feu fpirituel qui nous anime au dedans , nous confume , ÔC toute notre vie neft qu'une longue ÔC pénible agonie. Or , dans cette fituation , quelle image devroit être plus familière à l'iiom- me , que celle de la mort ? Un criminel condamné à mourir, quelque part qu'il jette les yeux , que peut- il voir que ce trifte objet ? ÔC le plus ou le moins que nous avons à vivre , fait-il une différence affez grande , pour nous regarder comme im- . mortel fur la terre ?

Il eft vrai que la m.efure de nos deftî- nées n'eft pas égale : les uns voyent croître en paix jufqu'à l'âge le plus reculé , le nombre de leurs années , 6c héritiers des bénédi£^ions de l'ancien tems , ils meurent pleins de jours, au milieu d'une nombreufe poftérité ; les autres , arrêtés dès le milieu de leur courfe , voyent , comme le Roi Ezéchias , les portes du tombeau s'ouvrir 3^' en un âge encore floriiïant , & cherchent en vain , comme lui j le refie de leurs années \ enfin , il en eft qui ne font que fe montrer à la terre , qui finilTent du matin au foir , &: qui femblables à la fleur des champs , ne mettent prefque point d'intervalle entre rinftant qui les voit éclore , 6C celui qui les voit fécher ôC difparoître. Le moment fatal m.arqué à chacun , eft un fecret écrit dans le livre éternel que l'Agneau feul a droit d'ouvrir. Nous vivons donc tous , incertains de la durée de nos jours; ôt

SurlaMort. 30Î

cette incertitude , fi capable toute feule de nous rendre attentifs à cette dernière heu- re , endort elle-même notre vigilance. Nous ne fongeons point à la mort , parce que nous ne favons la placer dans les différens âges de notre vie. Nous ne regar- dons pas même la vieillelle comme le ter- me du moins sur 8c inévitable : le doute fi Ton y parviendra , qui devroit , ce fem- ble , borner eu deçà nos efpérances , fait que nous les étendons même au-delà de cet âge. Notre crainte ne pouvant pofer fur rien de certain , n'eft plus qu'un ientiment vague 6c confus , qui ne porte fur rien du tout ; de forte que Tincertitude qui ne de- vroit tomber que fur le plus ou le moins , nous rend tranquilles fur le fonds même. Or je dis d'abord , m.es Frères , que de toutes les difpoiitions , c'eft ici la plus té- méraire 5cla moins {Qn{ée : j'en appelle à vous-mêmes. Un malheur qui peut arriver chaque jour , eft-il plus à méprifer qu'un autre qui ne vous menaceroit qu'au bout d'un certain nombre d'années ? Quoi ? par- ce qu'on peut vous redem.ander votre ame à chaque inftant, vous la polTéderiez en paix , comme il vous ne deviez jamais la perdre ? parce que le péril eft toujours pré- fent , l'attention feroit moins néceffaire? ÔC dans quelle autre affaire que celle du fa- lut, l'incertitude devient-elle une raifon de fécurité ôc de négligence ? La conduite de ce ferviteur de l'Evangile , qui fous pré- texte que fon maitre tardoit de revenir ,

fo4 Jeudi de la IV. Semaine.

6c qu'il ignoroit 1 lieiire de fou arrivée^ ufoit de Tes biens , comme n'en devant plus rendre compte , vous paroît-elle fort pru- dente ? De quels autres motifs Jefus- Chrifl s'eft-il fervi pour nous exhorter à veiller fans celle ? ôc qu'y a t-il dans la Re- ligion de plus propre à réveiller notre vigi- lance , que rincertitude de ce dernier jour ? Ah , mes Frères ! 11 Fheure étoit marquée à chacun de nous ; le Royaume de Dieu venolt avec obfervation : Il en nailTantnous portions écrit fur notre front , le nombre de nos années 6c le jour fatal qui les verra finir , ce^point de vue fixe 5C certain, quel- que éloigné qu'il pût être , nous occupe- roit , nous troubleroit , ne nous lailleroit pas un moment tranquilles : nous trouve- rions toujours trop court l'intervalle que nous verrions encore devant nous : cette image toujours préfente malgré nous à no- tre efprit , nous dégoûteroit de tout; nous rendroit les plaidrs inlipides , la fortune iudilïerente , le monde entier à charge 6C «nnuyeux : ce moment terrible , que nous ne pourrions plus perdre de vue , réprime- roit nos paiTions , éteindroit nos haines , défarmeroit nos vengeances , calmeroit les révoltes de la chair , viendroit fe m.éler à tous nos projets; 5c notre vie ainil déter- minée à un certain nombre de jours précis ÔC connus , ne feroit qu'une préparation à ce dernier moment. Sommes-nous fages, mes Frères ? la mort , vue de loin à un point sûr 2>C marqué , nous effrayeroit ;

nous

Sur la Mort. 3^5.

iious détacheroit du monde 5C de nous* mêmes , nous rappelleroit à Dieu , nous occuperoiî fans cefTe; &C cette même mort incertaine, qui peut arriver chaque jour , chaque inilant ; ÔC cette mort qui doit nous furprendre , qui doit venir quand nous y penferons le moins ; Sc cette mort qui e(è peut-être" à la porte , ne nous oc- cupe point , nous laifTe tranquilles : que dis-je ! nous laiiïe toutes nos paiTions , tous nos attachemeiîs criminels, toute no- tre vivacité pour le monde , pour les pîai- firs , pour la fortune , 5c parce qu'il n'eft pas sûr nous ne m.ourrons pas aujour- d'hui , nous vivons commue fi nos années devroicnt être éternelles.

Remarquez en effet , mes Frères , quo cette incertitude eft accompagnée de toutes les circonftances les plus capables d'allar^ mer . ou du moins d'occuper un homme fage , & qui fait quelque ufage de fa rai-» fon. Premièrement , la furprife de ce der» nier jour , que vous avez à craindre , n'eft pas un de ces accidents rares , uniques, qui ne tombent que fur quelques malheureux, & qu'il ell: plus prudent de méprifer que de prévoir. H ne s'agit pas ici , pour que la mort vous farprenne , que la foudre tombe fur vous , que vous foyez enfeveîis fous lt?5 ruines de vos palais , qu'un nau- frage vous engloutiffe fous les eaux , ni de tant d'autres, malheurs , quç leur lingula- rité rend plus terribles, &C cependant m.oins appréhendés: ç'eft un m^alheur familier;.

tujS* 12, J9^

jo6 Jeudî de la IV. Semaine. il n'eft pas de jour qui ne vous en four-' nlfTe des exemples ; prefque tous les hom- mes font furpris de la mort ; tous l'ont vu approcher , lorfqu'ils la croyent en- core loia ; tous fe difoient à eux-mêmes , comme Tinfenfé de l'Evangile : Mcn ame^ repcfe^-vous » vous kive^ du bien pour plujieurs années. Ainfi font morts vos pro- ches , vos amis , tous ceux prefque que vous avez vil mourir ; tous vous ont lailTé vous-même étonné de la promptitude de leur mort : vous en avez cherché des rai- fons dans Timprudence du malade , dans rigno/ance de 1 art , dans le choix des re- mèdes ; mais la m^eilleure 5c la feule, c'eft que le jour du Seigneur nous furprend toujours. La t^rre eft comme un vafte champ de bataille Ton efî tous les jours aux prifes avec l'ennemi : vous en êtes Ibrtiheureufemçnt aujourd'hui ; mais vous y avez vu périr des gens qui fe promet- toient d'en fortir comme vous : il faudra demain rentrer en lice ; qui vous a dit que le fort, fi bizarre pour les autres , fera toujours conûamment heureux pour vous feul ? ÔC puifqu'eniîn vous devez y périr y êtes-vous raifonnable d'y bâtir une de- meure ftnbh ôC permanente , fur le lieu même deftinée peut-être à vous fervir de fépulture ? Mettez- vous dans telle fitua» tion qu'il vous plaira , il n'eft point de mo-, ment qui ne puiffe être pour vous le der- iiier , 6c qui ne Tait été à vos yeux de> quelques-uns. de vos. fireres ; f oint d'oa^*^

SurlaMort. 307

tioîî d'éclat qui ne puiffe être terminée par les ténèbres éternelles du tombeau ; t<. Hérode eft frappé au milieu des applau- di ffcmens infenfés de fon peuple : point de jour foiemnel qui ne puille finir par votre pompe funèbre ; 5c Jézabel fut précipitée le jour mêm>e qu'clî^voit choifi pour fe montrer avec plus d?îàfte 6c d'oftentation aux fenêtres de Ton palais : point de feflin délicieux qui nepuiife être pour vous une nourriture de m.ort : ^ Baltazar expire autour d'une table fomptueufe : point de fommeil qui ne puiffe vous conduire à un fommeil éternel : 5c Holopherne au milieu de fon armée , vainqueur des R-oyaumiCS & des Provinces y expire fous le glaive d'une (impie fcn^ne d'Ifraèî : point de crime qui ne puilfe finir vos crimes ; 6C Zamibri trouve une mort infâme dans les tentes mêmes des filles de Madian : point de maladie qui ne puiflç être le terme fatal de vos jours , 6c vous voyez tous les jours les infirmxités les plus légères tromper les conj e^èures de Tart 6c Tattente des malades, 6c tourner tout d'un coup à la mort 1 ea im mot , repréfentez-vous dans quelque circonflance de votre vie ^ vous puiffiez jamais vous trouver , à peine pourrez-vous compter ceux qui y ont été furpris ; ÔC rien ne peut vous garantir que vous ne le krez pas vous-même. Vous le dites? vous en con- venez ; & cet aveu fi terrible n'cft qu'ua difcours que vous donnez à Tufage , Sc ne vous coudait jamais à une feule précautioa^

Ce 2

3oR Jeudi î)e la ÏV. Semaîne.

qui puiffe vous mettre à couvert du pérîL Secondement ,. fi cette incertitude ne rouîoit que fur l'heure , fur le lieu , ou fur le genre de votre mort y elle ne paroî- troit pas fi aifreufe : car enfin , qu'importe au Chrétien , dit Saint Auguilin , de mou- rir au mùlieu de fcs proches ^ ou dans des. contrées étrangères ; dans le lit de fa dou- leur , ou dans le fein des ondes ? pourvût qu'il meure dans la piété ôc dans la jufticee. Mais ce qu'il y a ici de terrible , c'efl qu'il eil incertain fi vous mourrez dans le Sei- gneur , ou dans votre péché f c'eft que. vous ignorez ce que vous ferez dans cette, autre terre , les conditions ne change- ront plus ; Qntre les mains de qui tombera votre ame , feule , étrangère , tremblante , au fortir du corps ; fi elle fera environnée de lumière^ & portée aux pieds du Trône fur les ailes des Efprits. bienheureux , ou enveloppée d'un nuage affreux , ÔC pré- cipitée dans les abîmes : vous êtes entre, ces deux éternités ; vous ne favez à la- quelle des deux vous appartiendrez : la îriort feule vous découvrira ce fecret ; 5C dans cette incertitude^ vous êtes tranquil- le ? 6c vous la laiffez venir indolemment^, comune fi elle ne devoit décider de rieu pour vous ? Ah , mes Frères , fi tout de- voit finir avec nous y l'impie auroit encoi"e. tort de dire : Ne penfons point à la fin do: îiotre vie ; mangeons êc bûvoiis , nous, mourrons demain : plus il trouveroit de douceur à vivre >, plus, il auroit raifon à^

Sur la Mort. 309

craindre la mort , qui ne fcroit plus pour lui cependant qu'une celTation entière de fon être. Mais nous à qui la foi découvTe au delà , des peines ou des réconipenfes éternelles; nous qui devons arriver à la mort incertains fur cette terrible alterna- tive , n'y a-t'il pas de la folie > que dis-j^e ? de la fureur; (en ne tenant pas à la vérité le même difcours que l'impie : Mangeons ÔC buvons , nous mourrons demain ; ) mais de vivre comme fi nous penfious com.me lui ? Eh ! pouvons-nous être un feul instant fans nous occuper de ce moment décifif , 6c fans adoucir par les précautions de la foi ce que cette incertitude peut jetter de trouble ÔC de frayeur dans une ame qui n'a pas encore renoncé à fes efpérances éter- nelles ?

Troifiémement , dans toutes les autres incertitudes , ou le nombre de ceux qui partagent avec nous le même péril , peut BOUS ralTurer ; ou des reflburces dont nous pouvons nous fîâter , nous laiiTent pius tranquilles ; ou enfin ^ tout au pire , la iur> prife n'eit qu'une iniliudion > qui nous ap- prend , à nos dépens ,. à être une autre fois plus fur nos gardes. Mais dans l'incertitude terrible dont il s'agit , miCs Frères ^ le nombre de ceux qui courent le niéme rif- que que nous , ne diminue rien au nôtre i toutes les refiburces dont nous pouvons nous flâter a.u lit de la mort, font d'ordi- naire desillufions ; & la Religion elle-mê- me qui les faut nitiU en efp ère prefque rien i

310 Jeudi de la IV. Semaine.

enfin y la fiirprife cil fiins retour ; nous ne mcurons qu ime fois ; ÔC nous ne pouvons plus mettre à profit notre imprudence pour une autre occafion. Notre malheur nous détrompe , il efl vrai ; mais ces nouvelles lumières qui difîipent notre erreur ^ deve- nues inutiles par rimmutabilité de notre état, ne font plus que des lumières cruelles qui vont nous déchirer éternellement , ÔC faire îa matière la plus douloureufe de notre fupplice , plutôt que des réflexions fages qui puiîTent nous conduire au repentir.

Surquoi pouvez-vous donc juftifier cet oubli profond 5c incompréheniîble , dans lequel vous vivez de votre dernier jour ? fur la jeunefTe qui femble vous promettre encore une longue fuites d'années ? La jeu- nelle ? mais le fils de la veuve de Naïm ëtcit jeune ; la mort refpe£le-t'elle les âges & les rangs ? La jeunelFe ? mais c'eft juge- ment ce qui me feroit craindre pour vous ; des mœurs licencieufes , des plaifirs extrê- mes ; des pafîions outrées , les excès de la table y les mouvemens deTambition y les dangers de la guerre , les défîrs de la gloire , les faillies de la vengeance ; n efl- ce pas dans ces beaux jours que la plupart des hommes MnilTent leur courfe ? Adonias eût vieilli , s'il n'eût été voluptueux ; Ab- falom y s'il eût été libre d'ambition ; le fils du Roi de Sichem , s'il n'eût pas aimé Dina ; Jonathas , fi la gloire lïe lui eût creufé un tombeau fur les montagnes de Gdboé» La ieimeile l mais faut-ii reu^m-

SùrlaMort. 31Î

veller Ici la douleur de la nation , 5c redou- bler des larmes qui coulent encore ? faut- il. aigrir la plaie qui faigne encore ÔC qui faignera long-tems dans le cœur du grand Prince qui nous écoute ? Une jeune Prin- ceffe , les délices de la Cour ; un jeune Prince , l'efpérance de FEtat ; l'enfant même , le fruit précieux de leur tendreffe 6c des vœuK publics ; la cruelle mort ne vient- elle pas de les moifîbnner tous en- femble en un clin d'œil ? ÔC cet augufte palais rempli , il y a peu de jours y de tant de gloire , de majefté , de magnificence i ncR-ïl pas devenu , ce femble , pour tou- jours une maifon de deliil 5c de triilelTe ? La jeuneiTe ? que la France feroitheureufe^ il Ton eût pu compter fur cette relTource \ hélas ! c'eit la faifcn des périls , &v lécueil Je plus ordinaire de la vie.

Sur quoi vous rafTurez-vous donc en- core ? fur la force du tempérament ? Mais qu'eft-ce que la fanté la mieux établie? une étincelle qu'un fouffle éteint : il ne faut qu'un jour d'infirmité pour détruire le corps le plus robuile du monde. Je n'exa- mine pas après cela fi vous ne vous flâtez point même là-defTus; fi un corps ruiné par les défordres de vos premiers ans , ne vous annonce pasau-dedans de vousunerépoiife de mort ; Ci des infirmités habituelles ne vous ouvrent pas de loin les portes dutora- bea-i ; fi des indices fâcheux ne vous mena- cent pas d'un accident foudain : je veux gue vous prolong^iez vo^jaurs au-delà œè»

512 Jeudi de la ÏV. Semaine:

me de vos efpérances. Kéias , mes Frères ce qui doit finir , peut-il vous paroître long ? regardez derrière vous ; l'ont vos premières années ? que lailTent-elles de réel . dans votre fbuvenir? pas plus qu'un fonge de la nuit : vous rêvez que vous avez vécu: voilà tout ce qui vous en refte : tout cet intervalle qui s'ed écoulé depuis votre iiaiilance juiqucs aujourd'hui , ce n'eft qu'un trait rapide qu'à peine vous avez vu pailer : quand vous auriez commencé à vivre avec le monde , le pailé ne vous pa- roitroit pas plus long ni plus réel ; tous les fiécles qui ont coulé jufqu'à nous, vous les regarderiez comme des inilans fugitifs : tous les peuples qui ont paru 6c difparu dans l'univers; toutes les révolutions d'Em- pires &C de Royaumes ; tous ces grands ëvénem.ens qui embéliffent nos hilloires , ne feroient pour vous que les diftëremes fcènes d'un Tpeûacle que vous auriez vu finir en un jour. Rappeliez feulement les victoires , les prifes de places , les traités glorieux , les magnificence^, les événe- mens pompeux des premières années de ce régne ; voiis y touchez encore : vous en avez été la plupart , non-feulement fpe6ta- îeurs, mais vous en avez partagé les périls ÔC la gloire : ils paiTerantd^s nos annales jufqu'à nos derniers neveux ; mais pour vous,cen'efl déjà plus qu'un fonge ^ qu'un éclair qui a difparu , 5c que chaque' jour efface même de votre fouvenir? Qu'efl-ce doac ^ue le peu de chemin qui vous rcfte.à

Sur L A Mort. 315

faire? croyons-nous que les jours à venir ayent plus de réalité que les paiTésp les an- nées paroilTent longues quand elles font en- core loin de nous ; arrivées , elles difpa- roilTent , elles nous ëchapent en un inftant ; & nous n'aurons pas tourné la tête , que nous nous trouverons , comme par un en- chantemeet, au term.e fatal qui nous paroît encore Ci loin , & ne devoir jamais arriver. Regardez le n-i^nde tel que vous lavez vu, dans vos premières années , & tel qu© V0US le voyez aujourd'hui : un€ nouvelle Cour a fuccédé à celle que vos premiers ans ont vue; de nouveaux perfonnages font m.ontés fur la fcène , les grands rôles font remplis par de nouveaux acieurs ; êç font de nouveaux événemens , de nouvelles intrigues , de nouvelles paflions de nou- vaux héros dans la vertu , comme dans le vice » qui font le fujet des louanges, des dériiions , des cenfures publiques : un nouveau monde s'eft élevé infeniible* ment , ÔC fans que vous vous en foyez ap-. perçu , fur hs débris du premier : tout paife avec vous ÔC comme vous : une rapi- dité que rien n'arrête , entraine tout dans les abîmes de l'éternité : nos ancêtres nous en frayèrent hier le chem.in ; 6c nous allons le frayer demain à ceux qui viendront après nous. Les âges fe renouvellent ; la figure du inoode paffe fans celle ; les morts 6c les vivans fe remplacent 6c fe fuccédent conti- nu.ellement ; rien ne dem.eure ; tout chan- ge., tout s'ufe, tout s'éteint; Dieu feul Carême, ^ Tome UL D. d

314 Jeudi de la IV. Semaine. demeure toujours le même , le torrent des fiécles qui entraîne tous les hommes , coule devant fes yeux ; 5c il voit avec indigna- tion , de foibles mortels , eniportés par ce cours rapide , Tinfulte en panant ; vouloir» faire de ce feul inftant tout leur bonheur ; èC tomber au forîir dc-là entre les mains de fa colère 6c de fa vengeance. font maintenant parmi nous les Sages , dit TA- pôtre ? 6c un homme , fut-ii capable de gouverner l'univers , peut-il mériter ce nom , dès qu'il peut oublier ce qu'il ell ÔC ce qu'il doit être ?

Cependant , mes Frères , quelle impref" lion fait fur nous rindabilité de tout ce qui paiTe ? la mort de nos proches , de nos amis , de nos concurrens , de nos maîtres ? Nous ne penfons pas que nous les allons fui- vre de près ; nous ne penfons qu'à nous re* vêtir de leurs dépouilles : nous ne penfons pas au peu de tems qu'ils en ont joiii ; nous îie penfons qu'au plaifir qu'ils ont eu de les polTéder ; nous nous hâtons de profiter du débris les uns des autres : nous relTem.blons à ces foldats infenfés , qui au fort de la mêlée , ôc dans le tems que leurs compa- gnons tombent de toutes parts à leurs cô- tés fous le fer 6c le feu des ennemis , fe chargent avidement de leurs habits ; ÔC à peine en font-ils revêtus, qu'un coup mor- tel leur, ôte avec la vie cette folle décoïa- -tion-dont ils venoient de fe parer. Ain^ le £ls fe revêt â.Qs dépouilles du père , lui ferme les yeux , fuccéde à fon rang , à fa

Sur LA Mort. ^15

fortune, à fes dignités , conduit Tappareil de fes funérailles , 6c fe retire plus occu- pé, plus touché des nouveaux titres dont il eft revêtu , qu'inftruit des derniers avis d'un père mourant ; qu'affligé de fa perte , ou du moins défabufé des chofes d'ici-bas par un fpeclacle qui lui en met fous lesyeux le néant, 6c qui lui annonce inceffamment ia mxême deftinée. La mort de ceux qui nous environnent n'eft pas pour nous une inftru6lion plus utile ; un tel laiiTe un pofte vacant , 5C on s'empreffe de le demander ; un autre vous avance d'un degré dans le fervice ; celui-ci finit avec lui des préten- tions qui vous auroient incommodé; celui- vous laiiTé l'oreille ÔC la faveur du maî- tre , & c'étoit le feul qui pouvoit vous la difputer : ùii autre enfin vous approche- d'une dignité , 8c vous ouvre les voies à inie élévation vous- n'auriez pu préten- dre qu'après lui ; ÔC là-delïïis , on fe rani- me , on prend de nouvelles mefures , on fait de nouveaux projets ; 5C loin defe dé- tromper par l'exemple de ceux que l'on voit difparoître , il fort de leurs cendres mêmes des étincelles fatales qui viennent rallumer tous nos défirs , tous nos attache- mens pour le monde ; 5c la mort cette ima- ge Il trifte de notre mifére , la mort rani- me plus de paiTions parmi les hommes , que toutes les illufions mêmes de la vie. Qu'y a-t'il donc qui puiffe nous détacher de ce monde miférable , puifqiie la mort même ae fert qu'à reilerrer les liens , ôc nous

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3ï6 Jeudi de la III. Semaine affermir dans Terreur qui nous y attache ?

Ici, mes Frères, je ne vous demande que de la raifon. Quelles font les confé- quences naturelles , que le bon fens tout feul doit tirer de Tincertitude de la mort ?

Premièrement , Theure de la mort efî incertaine ; chaque année , chaque jour , chaque moment peut être le dernier de no- tre vie : donc c'eit Une folie de s'attacher à tout ce qui doit pafTer en un infiant, 5c de perdre par-làleieulbien qui nepallerapas: donc tout ce que vous faites uniquement pour la terre doit vous paroitre perdu , puifque vous n'y tenez a rien , que vous n'y pouvez ccmipter fur rien ^ & que vous n'en emporterez rien que ce que vous aurez fait pour le Ciel : donc les Royaumes du monde &: toute leur gloire, ne doivent pas balancer un moment les intérêts de \otre éternité , puifque les grandes fortunes ne vous afliirent pas plus de jours que les mé- diocres ; 5c que l'unique avantage qui peut vous en revenir , c'ell un cliagrin plus amer , quand il faudra au lit de la mort s'en féparer pour toujours ; donc tous vos foins , tous vos mouvemens , tous vos dé- firs doivent fe réunir à vous ménager wne fortune durable , un bonheur éternel que perfonne ne puilfe plus vous ravir.

Secondem.ent, l'heure de votre mort eft incertaine : donc* vous devez miOUrir cha- que jour ; ne vous permettre aucune aélion dans laquelle vous ne voululliez point être furpris ; regarder toutes vos démarches ;

Sur la Mort. ^17

comme les démarches d'un mourant qui at- tend à tous mom.ens qu'on vienne lui rede- mander Ton ame ; faire toutes vos ceu\res comm.e fi vous deviez à l'inilant en ailer rendre compte ; & puifque vous ne pou- vez pas répondre du tems qui fuit , régler tellement le préfent , que vous np.yei^pas befoin de Tavenir pour le réparer.

Enfin , rheure de votre mort eft incer- tauie : donc ne différez pas votre pénitence; ne tardez pas de vous convertir au Sei- gneur , le tems prelfe ; vous ne pouvez pas même vous répondre &un jour , & vous renvoyez a un avenir éloigne k incer- tain. Si vous aviez imprudeinîrjentavaléun poifon mortel , renverriez- \ ous à un tems éloigné le remède qui preffe , & qui feul peut vous conferver la vie ? la mort quz vous porteriez dans le fein , vous permet^ troit-elle des délais ÔC des remifes. Voilà votre état. Si vous ctes fage , .prenez à Imitant vos précautions : vous portez h mort dans votre sm.e , puifque vous y por- tez le péché : hâtez- vous d'y rem.cdier ; tous les iMlîans font précieux à qui ne peut fe repondre d'aucun : le brcuviwe emi^oi. ionne qui mte^be votre ame , ne fauroit vous mener loin ; la bonté de Dieu vous offre encore le remède , hâtez^vou>, en- core une fois , d'en ufer , tandis qu'il vous en laiffe le tems. Faudroit-il des exhorta- tions pour vous y réfoudre ? ne devroit-il pas luffire qu'on vous montrât le bienfait de la guenfon ? faut-il exhorter un infortuné

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3iS Jeudi de la IV. Semaine. que les flots entraînent , à faire des efforts pour fe gérantir du naufrage? devriez-vous avoir befoin là-dellus de nos miniftère ? Vous touchez à votre dernière heure; vous allez paroitre en un clin d'oeil devant le Tribunal de Dieu. Vous pouvez employer utilement le moment qui vous reï^c. Pref- que tous ceux qui meurent tous les jours à vos yeux le lailfent échapper , ÔC meurent fans en avoir fait aucun ufag'e : vous imitez leur négligence ; la m.eme furprife vous at- tend ; vous mourrez comme eux avant que d'avoir commencé à mieux vivre. On le leur avoit annoncé , & nous vous l'annon- çons : leur malheur vous laiiTe infenfibles, ê>C le fors infortuné qui vous attend ne tou- chera pas davantage; ceux à qui nous l'an- noncerons un jour : c'éil une fucceiîion d'aveuglem.ent qui paile des pères aux en- fans §C qui fe perpétue fur la terre : nous voulons tous mieux vivre , 6c nous mou- rons tous avant d'avoir bien vécu.

Voilà, mes Frères, les' réflexions fa- ges ÔC naturelles , doit nous conduire l'incertitude de notre dernière heure. Mais de ce qu'elle eft incertaine, vous êtesim- prudens de ne pas vous en occuper davan- tage , que fi elle ne devoit jamais arriver j ce que fa certitude à de terrible 5c d'ef- frayant , vous excufe encore moins de fo- lie, d'éloigner cette trille image , com.me capable d'empoifonner tout le repos ÔC toute la douceur de votre vie. C'ell ce qui xne relie à vous expofer.

Sur la Mort. 2ip

JL/'Homme n'aime pas à s'occuper de n. fon néant 6c de fa baffeffe : tout ce qui lePAiinjt^ rappelle à Ion origine , le rappelle en mê- me tems à fa fin ; bleile fon orgueil , inté- relle Tamour de fon être , attaque par le fondement toutes fes pallions , & le jette dans des penfées noires & funeftes. Mou- rir ; difparoitre à tout ce qui nous environ- ne ; entrer dans les abimes ^de rëternité ; devenir cadavre , la pâture des vers , l'hor- reur des hommes , le dépôt hideux d'un tombeau; ce fpectacîe tout feul fouléve tous les fens , trouble la raifon , noircit l'imagination, empoifonne toute la douceur de la vie : on n'ofe fixer {qs regards fur une image fi affreufe : nous éloignons cette penfée comme la pl4istrifie 6c la plus amere de toutes ; tout ce qui nous en rappelle le fouvenir, nous le craignons , nous le fu- yons, comme s'il devoit hâter pour nous cette dernière heure. Sous prétexte de tendrefie , nous n'aimons pas même qu'on nous parle des perfonnes chères que la mort nous a ravies ; on prend foin de dérober à nos regards hs lieux qu'elles habitoient , les peintures leurs traits font encore vî- vans, tout ce qui pourroit réveiller en nous avec leur idée , celle de la mort qui vient de nous les enlever. Que dirai-je ? nous craignons les récits lugubres ; nous pouffons là-deffus nos frayeurs jufqu'aux plus puériles fuperftitions ; nous croyons voir par-tout des préfagcs finiftres de notre

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32^0 Jeudi de la IV. Se^v^alve. mort, dans les rêveries d'un fonge , dans le chant na6liirne d'un oifeau , dans un nombre fortuit de convives , dans des évé- nemens encore plus ridicules: nous croyons la voir par tout , 6c c'efl pour cela même que nous tâchons de la perdre de vue.

Or , mes Frères , ces frayeurs excefîî- ves étoicnt pardonnables à des Payens pour qui la mort étoit le plus grand des malheurs , puisqu'ils n'attendoient rien au- ^elà du tombeau ; & que vivant fans efpë- lance , ils mouroientfans confolation.Mais on doit être furpris que h mort foit û terri- ble à des Chrétiens , 5c que la terreur de cette image leur ferve même de prétexte pour l'éloigner de leur penfée.

Car en premier lieu , je veux que vous ayez raifon de craindre cette dernière heu- re ; mais comme elle eft certaine , je ne comprends pas , q::e parce qu'elle vous pa- Toit terrible , vous ne deviez pas vous en occuper 5c la prévenir: il me femble au con- traire , que plus le malheur dont vous êtes menacé eft affreux , plus vous devez ne pas le perdre de vue , &: prendre fans ceffe des mefures pour n'en être pas furpris. Quoi ? plus le péril vous frappe &: vous épouvante , plus il vous rendroit indolent & inappliqué ? les terreurs outrées de vo- tre imagination vous guériroient de cette crainte fage même qui opère le falut , 5c parce que vous craignez trop , vous ne penferiez à rien ? Mais quel eft l'homme jque l'idée trop v;ve du danger caljne 8C

Sur LA Mort. ^u

faiïiîre ? quoi ? s'il falioit marcher par iiA fentier étroit ^ efcarpé , entouré de toutes parts des précipices , ordonneriez - vous qu'on vous bandât les yeux pour ne pas voir le danger , &C de peur que la profon- deur de l'abîme ne vous fit tourner la tête? Ah ! mon cher Auditeur , vous voyez vo- tre tombeau ouvert à vos pieds , cet objet affreux vous allarmiC ; 6v au lieu de prendre dans la fageffe de la Religion , toutes les précautions qu'elle vous offre pour ne pas tomber inopinément dans ce gouffre , vous vous bandez vous-même les yeux pour ne le pas voir; vous vous faites des diverfîons réjoùiffantes peur en effacer Fidée de votre efprit ; ôc femblable à ces viâimes infortu- nées du paganifm.e, vous courez au bûcher les yeux bandés , couronné de fleurs , en- vironné de danfes êc de cris de joïe , potir ne pas penfer au terme fatal cet appareil vous conduit , & de peur de voir l'autel , e'eft-a-dire , le lit de la mort , vous al- lez à l'inllant être immolç.

De plus , fi en éloignant cette penfée, vous pouviez aufii éloigner la mort , vos frayeurs auroient du moins une excufe. Mais penfez-y, ou n'y penfez pas , la mort avance toujours ; chaque effort que vous faites pour en éloigner le fouvenir , vous rapproche d'elle ; ÔC à l'heure m.arquée , elle arrivera. Qu'avancez-vous donc en détournant votre efprit de cette penfée ? Diminuez-vous le danger ? vous l'augmen» Jez ; vous vous rendez la furprife iuévi$a*

312 Jeudi de la IV. Semaine. hle, Adoiiciirez-voiis l'horreur de ce fpec- tacle en vous le dérobant ? ah ! vous lui lailTez tout ce qu'il a de plus terrible ? Si vous vous rendiez la penfce de la mort plus familière , votre efprit foible 6c timide s'y îiccoûtumeroit infenfiblement ; vous pour- riez peu à peu fixer vos regards , &. l'en- vifager fans trouble , ou du moins avec réfignation ; au lit de la mort , elle ne fe- roit plus pour vous un fpecStacle nouveau. Un danger prévu de loin n'a rien qui éton* ne: la mort n'eft formidable que la pre- iniére fois qu'on en rappelle le fou venir ;' 6c elle n'eft à craindre que lorfquelle eft imprévue.

Mais d'ailleurs , quand cette penfée vous troubleroit , feroit fur vous des impreHions de frayeur 6c de triftelTe , feroit l'in- convénient r n'êtes-vous fur la terre qiie pour y vivre dans un calme indolent, 6c ne vous y occuper que d'images douces ôC riantes ? On en pcrdroit la raifon , dites- vous , il l'on y penfoit tout de bon. On eA perdroit la raifon ? mais tant d'ames fidèles qui mêlent cette penfée à toutes leurs ac- tions , 5c qui font du fouvenir de cette dernière heure le frein de leurs pallions ^ & le plus puifiant motif de leur fidélité ; mais tant d'illuf-ires pénitens , qui s'enfer- moient tout vivans dans des tombeaux , pour ne pas perdre de vue l'image de mort ; mais les Saints qui mouroient tous les jours ; comme l'Apôtre , pour ne pas anourix éternellement , en ont-ils perdu la

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i^aifon ? Vous en perdriez la raifon ? c'eS là-dire , vous regarderiez le monde , com- me un exil ; les plaifirs comme une ivref-' fe ; le péché , comme le plus grand des malheurs ; les place? ^ les honneurs , la fa- veur , la fortune, comme des fonges ; le falut , comme la grande ÔC unique affaire: eft-ce-là perdre la raifon ? HeureuTe folie ! ÔC que n'êtes- vous dès aujourd'hui du nom- bre de ces Sages infenfés ! Vous en* per- driez la raifon ? oui , cette raifon faulfe , mondaine , orgueilleufe, charnelle, infen- fée qui vous féduit ; oui , cette raifon cor- rompue qui obfcurcit la foi , qui autorife les paffîons , qui nous fait préférer le temsi à Téternité , prendre l'ombre pour la vé- rité , 5c qui égare tous les hommes'; oui , cette raifon déplorable , cette vai'ne phi- lofophie , qui regarde comme une foibleffe de craindre un avenir , 5c qui parce qu'elle le craint trop , fait femblant , ou s'efforce de ne le pas croire. Mais cette raifon fage, éclairée, modérée-, chrétienne : m.ais cette orudence du ferpent^fi recommandée dans ! ^Evangile, c'eft dans ce fouvenir que vous .a trouveriez ; mars cette fageffe préféra- ble , dit l'Efprit-faint , à tous les tréfors. ÔC à tous les honneurs de la terre ; cette fageffe fi honorable à l'homimie , &C qui l'é- léve fi haut au'-deffus de lui-macm.e ; cette fageffe qui a formé tant de héros Chré- tiens , c'eft l'image toujours préfente de votre dernière heure , qui en em,Lellira votre, aine. Mais pette penfée , ajoutez-

5 M Jeudi de la IV. Semaine. vous ; ii Fou s'étoit mis en tête de Tappro^ fonciir 5c de s'en occuper fans ceiTe, leroit , capable de faire tout quitter , 6c ne jettcr ^ans des réfolutions violentes ÔC extrêmes : C*eft-à-dire , de vous détacher du monde , de vos vices , de vos pallions , de l'infa- mie de vos déiordres , pour vous faire mener une vie chalte, réglée , chrétienne , feule digne de la raifon : voilà ce que le }r\onàe appelle des réfolutions violentes 5C, extrêmes. Mais déplus, fous prétexte d'é- viter de prétendus excès , vous ne pren- driez pas même les réfolutions les plus né- cefîaires ? commencez toujours: les pre- miers tranfports fe rallentiifent bien-tôt; 5C il e(ï bien plus aifé de modérer les excès de la piété , que de ranimer fa langueur iS>C fa pare/Te. Mais d'ailleurs , ne craignez rien de la ferveur exceifive &. des empor- temens de votre zèle , vous n'irez jamais trop loin de ce côté là. Un cœur indo- lent , fenfuel , comme le vôtre , nourri dans les plaifirs 5c dans la pareffe , fsns goiit pour tout ce qui regarde le feivice de Dieu , ne nous promet pas de grandes in- difcrétions dans les démarches d'une vie chrétienne : vous ne vous connoiffez pas vous-m.ême; vous n'avez pas éprouvé quels obftacles toutes vos inclinations \ont mettre aux pratiques les plus communes de la piété. Prenez feulement des me- fures contre la tiédeur 6c le décourage- ment : voilà le feul écueil que vous avez à craindre. Vous vous rappeliez Thifloire

Sur la Mort. 32I

fie Pierre , qui fe fît ordonner de remet- tre le glaive, comme fi ion zèle eût le mener trop loin; 6c qui au fortir de-là vint échouer contre la voix d'une lîmple fem- me , 5c trouva dans fa lâcheté , la tenta- tion qu'il ne fembloit craindre que de fa ferveur ÔC de fon courage. Quelle illulion! de peur d'en faire trop pour Dieu , on ne fait rien du tout: la crainte de donner trop d'attention à fon falut, nous empêche d'y travailler , êc Ton fe perd de peur de fe fauver trop sûrement : on craint les excès chimériques de la piété , t< on ne craiiït point l'éloignement 6c le mépris réel delà piété elle-même. La crainte d'en trop faire pour votre fortune 6c pour votre éléva- tion , ÔC de la pouffer trop loin , vous ar- rête-t'elle ? refroidit-elle la vivacité de vos démarches 6c de votre ambition ! n'cft-c-e pas cette efpéranCe elle-même qui les fou- tient 6c qui les animer Rien n'eft dg trop pour le monde ; 5c tout eft excès pour 'Dieu: on craint 6c on fe reproche de n'en faire pas aflez pour une fortune de boue ; 6c on s'arrête de peur d'en faire trop pour la fortune de fon é^rnité.

Mais j8 vais plus loin , 5c je dis que c'eft à vous une ingratitude criminelle envers Dieu , d'éloigner la penfée de la mort , feulement parce qu'elle vous trouble ÔC vous allarme : car cette imprefîîon de crainte 5c de terreur , efl une grâce (ingu- liére dont Dieu vous favorife. Hélas î com- bien eft-il d'impies qui la méprifent , qui fe

ii6 Jeudi de la IV. Semaine.*

font un mérite affreux de la voir appf ochef avec fermeté , ÔC qui la regardent comme l'anéantillement entier de leur être ? com- bien de Sages bi de Philofophes dans le Chriflianiime , qui , fans renoncer à la foi bornent toutes leurs réflexions , toute la fupériorité de leurs lumières à la voir arri- ver tranquillement ; 5c ne raifonnent toute leur vie , que pour fe préparer en ce dernier moment, à une confiance 5c à une férenité d'efprit , aulTi puérile que les frayeurs les plus vulgaires, ÔC qui elt Tufage, le plus infenfé qu'on pu ille faire delaraifon même? ■combien de ces hommes follement amou- reux de la valeur ÔC de la gloire , qui , au milieu des combats , vont au danger com- me à un fpe6):acle , fans remords , fans in- quiétude , fans réflexion fur les fuites de leur dellinée ? ( cette témérité , la valeur de la nation la rend encore plus familière parmi nous; que par-tout ailleurs ; ÔC je parle devant une Cour ceux qui la com- pofent , font en polleflion d'en donner l'e- xemple aux autres : ) combien de pécheurs dans la tranquillité des villes ÔC dans Foifi- veté d'une vie privée , livrés à i'endurcif- 'fement ^< à un fens réprouvé , ne font plus touchés de cette image ?_combien d'autres , enfin , qui par les fuites d'un caractère trop vif, trop frivole , trop léger , ÔC peu ,. propre aux réflexions trifles &C férieufes ,

.paifent toute leur vie fans avoir penfé une

fois feulem.ent qu'ils dévoient mourir? •- C'eft donc une grâce fignalée que Dieu

Sur la MorT; 227

fous fait , de donner à cette penfée tant de force oC d'afcendant fur votre ame :. c'eft donc vrai-femblablement la voie par . laquelle il veut vous ramener à lui : il vous fortiez jamais de vos égaremens , vous n en fortiez que par- : votre falut paroit at^ taché à ce remède. Que faites vous donc en éloignant cette penfée , parce qu'elle v^ous jette dans des frayeurs falutaires ? vous vous privez du feul fecours qui peut vous faciliter votre retour à Dieu : vous rendez inutile une grâce qui vous ell pro- pre : vous favez , pour ainfi dire , mauvais gré à Dieu de vous en avoir favorilé ; 6C vous vous reprochez à vous-même d'y être trop feniible. Tremblez , mon cher Auditeur , que votre cœur ne fe ralfure contre fes frayeurs falutaires ; que vous ne voyiez d'un œil tranquille les fpeâacles les plus lugubres ; que Dieu ne retire de vous ce moyen de falut , ÔC qu'il ne vous endur- ciiTe contre toutes ces terreurs de reli- gion. Un bienfait non-feulement m>éprifé , mais regardé même comme une peine , eft bientôt luivi de l'indignation , ou du moins de rindiîîerence du bienfaiteur. Alors l'i- mage de la mort vous laillera toute votre tranquillité : vous courez à un plaifîr au fortir d'une pompe lugubre : vous verrez des mêmes yeux , ou un cadavre hideux , ou l'objet criminel de votre pafTion : alors vous en viendrez même jufqu'à vous fa- voir bon gré de vous être mis au-delTus de ces craintes vijgaires j jufqu'à vous ap-

5^8 j£U5i DE LA III. Semaine;

plaiidir d'un changement fi terrible pOUf votre faliît. Mettez donc à profit pour le règlement de vos mœurs , cette fenfibilité, tandis que Dieu vous la laiiTe encore: rap- prochez de vous tous les objets propres à retracer en vous cette image, tandis qu'elle peut encore troubler la fauife paix de vos pafiions : venez quelquefois uir les tom- beaux de vos ancêtres , méditer eii pré- fence de leurs cendres fur la vanité de« choies d'ici-bas : venez les interroger quelquefois fur ce qui leur refie dans le fé- jour ténébreux de la mort , de leurs plai- firs , de leur dignité 5c de leur gloire : venez vous-même ouvrir ces trifi:es de- meures , &C de t©ut ce qu'ils ont été autre- fois aux yeux des hommes : voyez ce qu'ils font maintenant : des fpe6lres dont vous ne pouvez foûtenir la préfence , des amas de vers ôc de pourriture ; voilà ce qu'ils fout aux yeux des hommes : mais que font- ils devant Dieu ? Defcendez vous-même en efprit dans ces lieux d'horreur Sc d'in- fection , 6c choifilTez-y d'avance votre pla- ce : repréfentez«vous vous - même dans cette dernière heure , étendu fur le lit de votre douleur , aux prifes avec la mort , vos membres engourdis , 6C déjà faifis d'un froid mortel ; votre langue déjà liée des chaînes de la mort ; vos yeux ûxqs , im- inobiles , couverts d'un nuage confus , de- vant qui tout commence à difparoître ; vos proches 6c vos amis autour de vous , fai- ia^t des vœux inutiles j)Our votre fanté.;

redoublant

Sur LA Mort. 319

tèdoiiblant votre frayeur 5c vos regrets , par la teiidrelle de leurs foupirs 6c Tabon- dance de leurs larmes ; le Minifire du Sei- gneur à vos côtés , le iigne du falut , alors votre feule reiTource entre fes mains , des paroles de foi , de miféricorde 5c de con- £ance à la bouche. Rapprochez ce fpec- taclc il inflruciif , fi intt^relTant : vous mê- me alors dans les triftes agitations de ce dernier combat , ne donnant plus de mar- ques de vie que dans les convuHions qui annoncent votre mort ; tout le monde anéanti pour vous ; dépouillé pour tou- jours de vos dignités &L de va^ titres ; ac- compagné de vos feules œuvres , 5c près de paroîîre devant Dieu. Ce n'efl pas ici une prédiâ:ion ; c'eft Thiftoire de tous ceux qui meurent chaque jour à vos yeux , 6c c'eft davance la vôtre. Rappeliez ce mo» ment terrible : vous y viendrez, 6c le jour peut-être n'ell pas loin , 6c peut-être y tou- chez-vous dîjà. Mais enfin , vous y vien- drez ; 6c quelque loin qu'il puiife être , ce fera demain , 6c vous y arriverez en un infiant ; 5c la feule ecnfc'ation que vous aurez alors , fera d'avoir fait de toute votre vie l'étude , la reflource ÔC la prépa» ratiûu de votre mort,

Enfin , K c'eft ma derpîére raifon , re- montez à la fource de ces frayeurs excef- Cves qui vous rendent l'image Si la penfee de ia inort d terribles , vous h trouverez faus doute dans leii embarras: d*unc conf- çience criminelle : ce n'çft pas la mort qu$

r

350 Jeudi de la IV. Semaine. vous craignez , c'eft la jnftice de Dieu qui vous attend au-delà , pour punir les infi- délités 5c les défordres de votre vie : c'eft; que vous n'êtes pas en état de vous préfen- ter devant lui tout couvert des plaies les plus honteufes , qui défigurent en vous fon image ; 5c que mourir pour vous dans la. fituatlon vous êtes , ce feroit périr pour toute la durée des fîécles. Purifiez donc votre confcience ; finilTez 5c expiez vos palTiOîis criminelles ; rappeliez Dieu dans, votre cœur : n'offrez plus rien à fes yeux digne de fa colère & de fes châtimens ;; mettez- vous en état d'efpérer quelque' chofe de fes miféricbrdcs infinies après la mort , alors vous verrez approcher ce der-. jiier moment- avec moins de crainte &^ de fai(]lTement ; ÔC le facrifice que vous aurez, déjà fait à pieu du monde 6c de vos paf- ■fions, non-feulement vous facilitera, mais Tbus rendra même doux 6c confolant , le. facrifice que vous lui ferez alors de votre vie.

Car dites- moi , mes Frères , qu'à la mort- de fi effrayant pour une ame fidèle? de quoi la fépare-t'elle ? d'un monde qui pé-* rira , ^ qui efi: la patrie des réprouvés ; de fes richeifes qui rembarrafîeut , dont l'ufa- ge efi: environné de périls , 2>C qu'il lui étoit défendu de faire fervir à la félicité de fes fens ; de fes proches , de fes amis j qu'elle ne fait que devancer , ÔC qui vont bientôt fuivre ; de fon corps ^ quiavoit été juf~ ^^ues-l.à j ou l'éçueil de ion iiinQçeîiç.e:,>.Qa.

Sur la Mort. jjt

FGbfi:acle perpéti-ei de Tes faints défirs ; de fes maitres 6c de (es fujets , dont les pre- miers exigeoient fouvent d'elle des corn- pLafances criminelles, Sc les autres la ren- doient refponiable de leurs infidëlltës 5c de leurs crimes ; de les places & de fes digni- tés , qui en multipliant fes devoirs , au- gmentoient fes périls ; enfin de la vie , qui n'étoit pour elle qu'un exil , ÔC un défir d'en être délivrée. Que lui rend la mort pour ce qu'elle lui ôte ? elle lui rend des: biens imimuables,5c que perfonne nepourrav plus lui ravir ; des plaifirs éternels , 5C qu'elle goûtera fans crainte êc fans amer* tume ; la polTeiTion de Dieu même ,. af- furée 6c paifible , 6c dont elle ne pourra plus déchoir; la délivrance de toutes fes: paillons ,. qui a voient été pour elle une lource continuelle d'inquiétudes 6c de pei- nes ; une paix inaltérable , qu'elle n'avoit jamais pu trouver dans le mond*e ; la. dif- folution de tous les liens qui L'attach oient à la terre , êc qui; l'y retenoient comme: captive ; enfin la fociété des Juftes 6c des; Bienheureux , pour celle des hommes pé- cheurs dont elle fe fépare. Et qu'y^at'il: donc de fi doux dans cette vie , ô mom Dieu , pour une ame fidèle , qui puiiTe ly- attaciierf C'eft pour elle une vallée de lar- mes,. les périls font infinis , les combats; journaliers , les vidloires rares , les chûtes; ijiévitables ; les violences doivent être? continuelles ;; il faut tout refufex à fes^ ieiis i tout. uûus. tente ^, 6c tout nous, dk

3Î^ Jeudi de la IV. Semain^e, Wterdit ; ce qui plaît le plus , eft ce ^u il faut le plus fuir ôc craindre ; en un ^ot y vous ne foufFrez ^ fi vous ne pleurez, fi vous ne refiliez jufqu'au fang il vous ne combattez fans celte , il vous ne vaus haïfiez vous-même , vous êtes perdu. Q^e trouvez-vous de il aimable y de fi- attirant, de fi capable d'attacher une ame- chrétienne? ÔC mourir,, n'eft-ce pas un triomphe & un gain pour elle ?

Aufii , mes Frères , la mort eil le feut point de vue ^ la feule confolation qui loutientla fidélité des Juftes. Gémiifént-ils d'ans, r'aîiîiélion ? ils favent que leur fin efl: pr-ociie ; que les tribulations courtes 5C paflagéres de cette vie, feront fuivies d'urr poids de gloire éternelle; 5c dans cette penlée ils trouvent une fource inépuifable de patience, de fermeté ,.d'allegrcire. Sen- tent-ils la loi des membres s élever contre lalbi: de refprit , §C exciter en eux ces mou- yemens dangereux, quiportentFinnocence |ufques iiir le bord du précipice ? ils n'i- gnorentpas qu'après la diilokition du corp». terreilre ,. on le iewr rendra célefie 5c fpi- xitL^eL; & qu'alors délivrés de toutes ces :miféres ,. ils feront femblables aux Anges dit Ciel ;.ÔC ca fou venir les foutient 8c Iqs fQrti&. Sont- ils accablés fous la pefanteuF du JAUg de Jefus-Chrili ; ôc leur foi^ plus foible , ed-elle fur le point de fe ralientir ,. ©îj de fiiccGraber fous le poids des. devoirs. aurllères de l' Evangile ?: akl la jaur du Sel*

Sur la Mort. ^33

ïleureufe récompenfe ; & la fin de leur courfe qu'ils voyant déjà , les anime , 6C leur fait reprendre de nouvelles forces. Ecoutez comme TApôtre confolq^it autre- fois les premiers Fidèles : Mes Frères, leur difoit-il , le tems eft court , le jour appro- che , le Seigneur eft à la porte , &. il ne tardera pas : réjouilTez-vous donc; je vous. le dis encore , réjouifTez-vous. C'étoit-là toute la confolation de ces hommes perfé-^ -cutés , outragés, profcrits , foulé aux pieds, regardés comme les balayures du monde , l'opprobre des Juifs , 5c la rifée des Gen- tils. Ils favoient que la mort alloit eiTuycr leurs larmes ; qu'alors il 11 *y auroit plus pour eux , ni deuil , ni douleur , ni fouf- îrance ; que tout y feroit nouveau i 6c cette penféeadoucilToit toutes leurs peines. Ah l qui eût dit à ces généreux Conteifeurs de la foi que le Seigneur ne leur feroit pas goû- ter la mort , 6c qu'il les lailleroit vivre éternellement fur la terre , eût ébranlé leur foi , tenté leur conftance ; 6c en leur ôtant cette efpérance, on leur eût ôté toute leur confolation.

Vous n'en êtes pas fans doute furprîs , mes Frères ; parce que pour des hommes affligés Se malheureiix» comme ils étoieilt, la m.ortdevoit paroître unerelTource. Vous vous trompez ; ah ! ce n'étoient pas leurs perfécutions &C leurs fouifrances qui fai« foient leur malheur Sc leur trifteiTe; c'étoit» , leur joie., leur confolation , îeup gloire: 419US AQiu glorifions dans ks tri^^ilâùoi^^î

5^4 J^UDI DE LA IV. SeMATKE. Rom. ;. ciifoient-ils : Gloriamur in tribulationibus t ^* cétoit réloignement ils Vivoient encore

de Jefiis-Chriil ; c'étoit-là la fource de' leurs larmes , oC tout ce qui leur rendoit la mort fi défirable. Taudis que nous fommes, dans le corps , difoit 1 Apôtre , nous iom- mes éloignés du Seigneur ; 6c cet éloigne- mentétoit un étattrifte êv violent pour ces hommes fidèles ; toute la piété confifte à fouhaiter notre réunion avec Jefus-Chriil notre Chef , à foupirer après l'heureux mo- rnent qui nous incorporera avec tous les Elus dans ce corps myflique , qui fe forme depuis la naiffance du monde , de toute langue , de toute tribu ; de toute- nation ;. qui eft la fin de tous les delTeins de Dieu ,, & qui doit le glorifier avec Jefus-Chrift dans tous les fiécles. Nous fommes ici bas comme des branches féparées de leur fep ; comnye des ruifleaux éloignés de leur four- ce ; comme des étrangers errans loin de leur patrie ; comme des captifs enchaînés dans une prifon qui attendent leur déli- vrance ; comme des enfans bannis pour qr.elque tems de l'héritage 5C de la niaifon paternelle ; en un mot, comme des mem- bres féparés de leur corps. Depuis que; Jefiis-Chrift notre Chef, eft monté aui Giel , ce n'eft plus ici le lieu de notre de- meure j. nous attendons la bienheuieufe; efpéî-ance ÔC Tavénement du Seigneur: ce: defir fait toute notre piété 6c notre confQv lation :. 5c ne pas défirer cet heureux mor- mont gcmr un. Chriiieii,, &JeLCxamdre.>

SurlaMort. ' 555^ 5c regarder même comme le plus grand des malheurs , c'eit dire aiiathém.e à Jefiis- Chrift ; c'eft ne vouloir avoir aucune part avec lui^ c'eft renoncer aux promeiTes la foi , 6c au titre glorieux de citoyen dit Ciel ; c'eft chercher notre bonheur fur la t^rre,, douter d'un" avenir , regarder lai Religion comme un fonge. , 5c croire que tout doit finir avec nous..

Non , mjes Frères y la mort n'a rien que de doux 6c de defirable pour une ame jufte : arrivée à cet heureux mioment ,.elle voit fans regret périr un monde , qui ne lui avoit jamais paru qu'un amas de fu- mée , & qu'elle ii avoit jamais aimé : fes yeux fe ferment avec plaifir à tous ces vains fpe£lacles qu'onre la terre ; qu'elle avoit toujours regardés comme une déco- ration d'un moment, & dont elh n'avoit jpas laifle de craindre les dangereufes illu- îîns : elle foent fans inquiétude ; que dis- ,je ? avec plaiiir , ce corps m.ortel qui avoit été la matière de toutes fes tentations , 6c la fource fatale de toutes fes ïclhleiTts , fe. revêtir de l'im^ mortalité : elle ne regrette- rien fur la terre , elle ne laiile rien , 6C çil'Qii fon cœur s'envole comme fon ame;; elle ne fe plaint pas mêmiC d'être enlevée' au milieu de fa courfe , & de finir fes jours en un âge en cor floriiTant ; au contraire , elle remercie fon Libérateur d'avoir abrégé fes peines avec fes an nées ,de n'avoir exigé d'elle que la moTtië de fa dette pour le prix.de_fQaitêmite , & d'avoir, ejanfomaié

33^ Jeudi de la IV. Semaine. dans peu fou facrifice , de peur qu'un plus long féjour dans un monde corrompu , ne pervertît Ton cœur. Ses violences , fes auf- térités , qui avoient tant coûté à la foiblelTe de fa chair , font alors la plus douce de fes penfées ; elle voit que tout s'évanouit , hors ce qu'elle a fait pour Dieu ; que tout l'a- bandonne , fes biens, [es proches, fes amis, fes dignités, hormis fes œuvres; 6c elle eft tranfportée de joie de n'avoir pas mis fa coniiance dans la faveur des Princes , dans les enfans des hommes , dans les vaines efpérances de la fortune , dans tout ce qui va périr ; mais dans le Seigneur tout feul qui demeure éternelle- ment , 5c dans le fein duquel elle va trou- ver la paix 5c la félicité que les créatures ne donnent point. Ainfi tranquille fur le pafTé , méprifant le préfent , tranfportée de toucher enfin à cet avenir , le feul objet de fes défîrs , voyant déjà le fein d'Abra- ham ouvert pour la recevoir , ÔC le Fils de l'HommaC afiis à la droite du Père , tenant en fes mains la couronne d'immortalité , elle s'endort dans le Seigneur ; elle efl por- tée par les Efprits bienheureux dans la de- meure des Saints , & s'en retourne dans le lieu d'où elle étoit fortie. PuifTlez-vous , mes Frères , voir ainfi terminer votre COUI', fe; c'çil ce que je vous fouhaite-

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SERMON

POUR LE VENDREDI

CE LA QUATRIEME SEMAINE

DE CARÊME.

Homélie fur t Evangile de La^are^

Veni , & vide.

Venci^ voy?^. Joan. n: 54;

L n'efl point de pécheur invé- téré qui eût la force de fe fouf- frir dans l'horreur de fon état^ , s'il pouvoit fe voir au naturel ÔC fe connoître. Une ame qui a vieilli dans le crime ntii fupportable à elle-même, que parce que la même paf- fion qui fait tous fes malheurs , les lui ca,- che ; &C que fon défordre efl en méme- tems 5c le glaive cruel qui fait la plaie , ÔC le bandeau fatal qui le dérobe aux yeux du malade.

Voilà pourquoi TEglife , pour décou-^;- Qriu^^i Imi ifl Ff '

338 Vend,. DE la IV. Semaine.

vrir le pécheur à lui-même durant ce tems de pénitence , nous repréfente prefque tous les jours , fous de nouvelles images , l'état déplorable d'une ame , qui croupit depuis long-téms dans fon péché : tantôt fous la figure d'un paralytique de trente-huit ans ; c'eft pour nous marquer Tinfenfibilité ÔC la paix funefte qui fuit toujours l'habileté du crime : tantôt fous le fymbole d'un prodi- gue réduit à vivre avec les plus vils ani- maux ; 6C fous ces traits , elle veut nous faire fentir fon aviliffement ÔC fa honte : tantôt fous rimagc d'un aveugle ; gv c'eft pour nous peindre l'horreur ÔC la pro- fondeur de fes ténèbres : tantôt enfin fous la parabole d'un efprit fourd &. muet; 6C c'eft pour nons figurer plus vivement i'af- ferviilement l'habitude criminelle re- tient toutes les puiiTances d'une amiC in- fortunée.

Aujourd'hui , comme pour raffembler tous ces traits différens fous luie feule image encore plus terrible 5c plus tou- chante, l'Eglife nous propofe Lazaredans 1^' tombeau ; mort depuis quatre jours, exhalant déjà l'infeélion 5c la puanteur ," les pieds & les mains liés , le vifage cou- Vert d'un voile lugubre , 5c n'excitant plus que l'horreur de ceux-même que la ten- ctreffe 5c le fang lui avoient le plus étroite-^ ment unis pendant fa vie. -.:

Venez donc , &. voyez , vous , mon cher Auditeur , qui vivez depuis tant d'an- nées fous le joug honteux du défordre^

Homélie sur Lazarei 3?^

8C qui n'êtes point touché du malheur de votre état. Fènl , & vide. Accourez à ce tombeau que la voix de Jefus-Chrift va ouvrir aujourd'hui à vos yeux ; Sc venez voir dans ce fpe£lacle d'infe£i:ion ÔC de pourriture, rimage naturelle de votre ame; J^eni , & vide. Vous courez à des fpefta- cles profanes, pour y voir vos pafllons re- préfentées fous des couleurs agréables ôC trompeufes : venez les voir ici exprimées au naturel : venez voir dans ce cadavre tnfeâ: 5c puant , ce que vous êtes aux yeux de Dieu, Sc combien votre état eft digne de vos larmes : Vcni , & vide.

Mais de peur qu'en expofant ici feule- ment toute rhorreur de l'état d'une ame qui vit dans le defordre , je la trouble ÔC la décourage , fans lui tendre la main, ôC lui aider à fortir de cet abîme-; pour ne rien omettre de riiiiloire de notre Evangi- le, je la partagerai en trois réflexions ; vous verrez dans la première , combien eft affreux &C déplorable l'état d'une ame qui vit dans l'habitude du defordre : je vous montrerai dans la féconde , par quels moyens elle en peut fortir j 5c dans la troi- fiéme , quels font les motifs qui détermi- nent Jefus-Chrift à opérer le miracle de fa réfurreélion ÔC de fa délivrance. O moa Dieu ! faites entendre aujourd'hui votre voix puilTante à ces âmes infortunées qui repofent dans les ténèbres ÔC dans les om- bres de la mort : ordonnez encore une fois à fes offemens arides de fe ranimer .

Fi z

340 Vend, de la IV. Semaine.

Se de recouvrer la lumière §C la vie de là^

grâce qu'ils ont perdiie. Ave ^ Maria,

'^^^'^^^'J E remarque d'abord trois clrconilances principales dans le fpe<B:acle déplorable qu'oifre à nos yeux Lazare mort Sc qïïÏc^ veli. Premièrement , devenu déjà un amas de vers 5c de pourriture , il répand l'in- fe6lion & la puanteur: Jamfœtet; 6c voilà la profonde corruption d'une ame dans le J)éché d'habitude. Secondement, un voile lugubre couvre fes yeux Sc fon vifage ; £t faciès ejusfudario eraî ligata\ &C voilà l'aveuglement funefte d'une ame dans le 4)éché d'habitude. Enfin, iîparoît dans le ./tombeau les mains &. les pieds liés : Liga,* tus pedes & manus infinis ; ^ voilà la trifte ferviîude d'une ame dans le péché d'habituds. Or, c'eft cette corruption pro- fonde , ce funefte aveuglement , cette trifte fervitude figurés par le fpeélacle de La- zare , mort 6c enfeveli , qui forment pré- tifément toute l'horreur &. toute la miierg d'une ame morte depuis long-tems aux yeux de Dieu.

En premier lieu , il n'e/l pas d'image )lus naturelle d'une ame qui cr<fupitdans le défordre , que celle d'un cadavre déjà en proie aux vers 6c à la pourriture. Aufîi les Livres faints nous rcpréfentent par-tout l'état du péché fous l'idée d'une mort af- freufe ; &. il femble que l'Efprit de Dieu n'a trouvé rien de plus propre que cette trille image , pour nous fi;ire entrevoir dif

ri

Homélie SUR La z ARE. 341

moins toute la difformité d'une ame en qui le péché habite.

Or, la mort produit deux effets fur le corps elle s'attache ; elle le prive de la vie ; elle altère enfuite tous Tes traits , 6C corrompt tous Ces m.embres. Elle le piive de la vie; 6>C c'cft par-là que lepéché com- mence à défigurer la beauté de Tame. Car, mes Frères , Dieu eft la vie de nos âmes, Ja lumière de nos efprits , le mouvement, pour ainiî dire, de nos cœurs. Notre juftice, notre fageife , notre vérité , ne font que l'union d'un Dieu julle , fage , véritable avec notre ame : toutes nos vertu ne font que les différentes influences de fon Efprit qui habite en nous : c'efl lui. qui excite nos honz défîrs , qui forme nosfaintes penfée?, qui produit nos lumières pures , qui opère nos volontés julles ; de forte que toute la vie fpiritueile 5c furnaturelle de notre ame^ n'eil que la vie de Dieu en nous , comme parle l'Apôtre.

Or , par un feul péché cette vie cefTe ,' cette lumière s'éteint , cet Efprit fe retire, tous ces mouvemens (ont fufpendus. Ainfî l'ame fans Dieu efl une ame fans vie , fans mouvement , fans luiniére , fans vérité , fans juftice , fans charité : ce n^d phis qu'un cahos , un cadavre : fa vie n'efl plus çju'une vie imaginaire ÔC fantafîique : 5C femblable à ces cadavres , qu'un efprit étranger anime , elle paroît vivre 6c agir , mais elle demeure dans la mort: Fiyens , ./^J""* mortua ^.

34^ Vend, de la IV. SemaTxVE.

Voilà le premier degré de mort , que tout péché qui répare une ame de Dieu introduiten elle : mais l'habitude du péché^ cfuieft comme une mort invétérée, va plus loin. Aufii Lazare non-feulement n'*a plus de vie dans le tombeau ; mais comme il y ed depuis quatre jours , la corruption de Ion cadavre commence à répandre Tinfec- tion : Jam Jœtet , quaîriduanus ejl enim* Car quoique le premier péché , qui nous fait perdre la grâce , nous laiiTe aux yeux de Dieu , fans vie 5c fans mouvement ; on peut dire néanmoins qu'il nous refte encore certaines femences de viefpirituelle , cer- tames imprefîions de TEfprit- Saint , cer- taines facilités àrecouvrer la grâce perdue^ La foi n&â. pas encore éteinte ; les fenti- d|nens de vertu , pas encore effacés ;la fen- ijbiiité aux vérités du fcilut , pas encore endurcie : c'eft un cadavre , à la vérité ; mais qui depuis peu expiré , conferve en- core }^ ne fais quelles impreiTions de cha- leur qui femblent partir d'un refte dévie* Mais à mefure que Tame demeure dans ]a mort y ÔC pcrfévérée dans le crime , la ^race fe retire ; tout s'éteint en elle , tout «'altère , tout fe corrompt > 6c fa corrup* tion devient univerfelie : Jant fatet > quar H^iduanus ejl enim.

Je dis univerfelie : oui , mes Frères , tout change y tout fe corrompt dans une ame par la continuité du défordre : les dons de la nature , la douceur , la droi- ture i rhiimauité , la pudeur , les taleuSk

H OM E L I g s U R L A 2 A R E. 543 même de refprit ; les bienfaits de<a grâce, les fentimens de Religion , les remords de la confcience , les terreurs de la foi , la foi elle-même ; la corruption entre dans tout, altère tout, 6c change en pourriture

' & en fpeftacle d horreur , 5c les dons du Ciel , & les bienfaits de la terre : rien ne demeure dans Ta première iituation : les traits les plus beaux font ceux qui devien- nent les plus hideux ÔC les plus méconnoif- fables ; les agrémens de l'efprit deviennent raflaifonnement des pafTions 5c de la dé- bauche ; les fentimens de religion fe chan- gent en libertinage \ la fiipériorité à^s lu- mières , en orgueil 6c en inie affreufe phi- lofophie ; la noblelTe des fentimens n'eft plus qu'une ambition fans borne 5c fans mefure; la bonté 5c la tendrelTe du cœur , qu'un abandonnem.ent à des amours im- purs ÔC profanes ; les principes de gloire ÔC d'honneur , qui avoient paffé en nous avec le fang de nos ancêtres , qu'une of- tentation de vanité , & la foiirce de nos haines 5c de nos vengeances ; notre rang, notre élévation , Toccafion de nos envies, .de nos baffes jaloufies ; enfin nos biews ôc notre profpérité ,rinftrumentfuiicftedc

,tous nos crimes: Jamjœtet , quainduanus fjl enim.

Mais la corruption ne fe borne pas aU pécheur tout feul : un cadavre ne fauroit être iong-tems caché fans qu'une odeur de mort fe répande à Tentour : on ne peut îiroupir Iong-tems dans le défordre , fans

Ff4

344 ^^ENTD. BE LA IV. ^tMXlW: que l'odeur d'une mauva ife vie fe faiTe fefi-^ tir. On a beau cacher fous des mefures pénibles Tignominie d'une conduite défor- donnée ; on a beau blanchir le fépulcre plein depourriture Sc d'infe<fl:ion , la puan- teur le répand ; le crime fe trahit tôt ou tard lui-même : une fumée noire 5c em- pesée foit toujours de ce feu profane qu'on cachoit avec tant de foin. Une vie déréglée ,ft manifef^e par mille endroits : le public défabufé ouvre enfin îes'yeux ; 6c plus on eft découvert , ÔC plus on fe découvre : on s'accoutume à fon ignominie ; on fe lafTe de la gêne 5c de la contrainte : le crime qui coûte encore des attentions ÔC des mefuref^ paraît trop acheté : on fe démafque ; on fe- coue ce rcfte de joiig ÔC de pudeur, qui nous faifoit encore craindre les yeux dç^ hommes 5 on veut jouir du défordre, fans précaution ôC fans embarras : ÔC alors des domeftiques , des amis , des proches ; la Cour , la Ville , la Prorince , tout fe fent de rinfeftion de nos déréglemens ÔC de nos exemples. Notre rang , notre élévation ne fervent plus qu'à rendre plus éclatant ÔC plus immortel , le fcandale de nos déré- glemens : en mille lieux nos excès fervent de modèle. Le fpedtaele de nos mœurs ralïïire peut-être en fecretdes confcience^ que le crime troubloit encore : peut-être même on nous cite ; on fe fert de notre exemple pour féduire l'innocence ÔC vain- cre une pudeur encore craintive ; ÔC juff qu'après notre mort, le bruit de nos diiTçh

lutions fouillera encore la mémoire des hommes ; embellira peut- être deshiftoires lafcives ; 6c long-tems après nous, ÔC dans les âges qui nous fuivront , le fouvenir de nos crimes fera encore des coupables.

Enfin , mais je n'olerois le dire ici ; la corruption que Thabitude du crime met dans tout l'intérieur du pécheur eft (i unî- verfelle , qu'elle infecte ion corps n:ême , la débauche lailTe fur fa chair des traces honteufes de (qs défordres : l'infcftion de fon ame fe répand fouvent jufqlies fur un corps qu'il a fait fervir à 1" ignominie. Il dit par avance à la pourriture, comme Job: f^ous êtes mon F ère \& aux ^-ers , ceftvous ^^^ qui mavei formé ; ^ la corruption de fon corps eft une image afFreufe de celle de fon am.e : Jam fœtet , quatriduanus efi cnlm.

Grand Dieu ! puis-je donc me flâter que vous voudriez encore jetter fur moi quelques regards de miféricorde ? ne fre- in irez- vous pas encore à la vue de ces amas de crimes 6^ de pourriture , que mon amq offre à vos yeux , comme vous frémille^ aujourd'hui fur le tombeau de Lazare? ah/ détournez , Seigneur , vos yeux faints terribles de ma profonde milere ; mais fai- tes que je ne les en détourne plus moi-mê- me , ÔC que je ne me regarde plus qu'avec toute l'horreur que mon état mérite : 6tez le bandeau qui me cache moi-mê- me à moi-même ; mes maux feront k demi guéris , dès que je pourrai les voir^ & les connoître.

JO0 1%

>4<^ V£VD. DE LA IV. SEMAmE/

Et voilà la féconde circonftance de l'étaî déplorable de Lazare ; un voile lugubre couvroit fon vifage : Etfacks ejiis /iidario trat ligata : c'eft ravêuglement profond qui forme le fécond caracftère de l'habitude criminelle.

Pavoue que tout péché eft une erreur qui nous fait prendre le faux bien pour le bien véritable : c'eftun faux jugement qui nous fait chercher dans la créature le re- pos, la grandeur, Tindépendance, que nous ne pouvons trouver qu'en Dieu feul : c'eÛ un nuage qui dérobe à nos yeux l'ordre , la vérité , la juftice , & fubftitue à leur place de vains phantômes. Cependant une première chiite n'éteint pas tout-à-fait nos lumières : elle n'eft pas toujours fuivie d'une nuit profonde. A la vérité , TEfprit de Dieu , fource de toute lumière , fe re- tire , ÔC n'habite plus en nous ; mais il Teôe encore dans Tame des traces de clar^- : ainfi lorfque le foleil ne fait que fe dé- rober à notre hémifphere , il demeure en- core dans les airs certaines imprefîions de fa lumière , qui forment encore comme un jour imparfait , ce n'eft qu'à mefure qu'il fe retire , qu'arrive enfin la nuit profonde. De même à mefure que le péché dégénère en habitude , la lumière de Dieu fe retire , les ténèbres croifTent & augmentent , & arrive enfin la nuit profonde & l'aveuglement en^ tJer : Etfacies ejusfudarioerat ligata*

Et alors tout devient une occafîon d'er- reur àl'ame criminelle j tout change de face

Homélie sur Lazard. 54"^ h fes yeux ; les pafTions les plus honteufe's ne font plus que des foibleiles : les attache^ mens les plus criminels , des fiiupathics que nous avons portées en naifîant , bi. dont nous trouvons la deftinée dans nos cœurs ; les excès de la table , les plaifirs innocens de la fociéîé ; les vengeances , un jufle ref- feiitiment ; les difcours de licence & de li- bertinage y des faillies agréables 6c applau- dies ; les inëdifances-les plus affreufes , un langage ufité, & dont il n ya quelesefprits foibles qui puilTent fe faire un fcrupule ; les loix de i'Eglife , àQs ufages furrannés ; le devoir du tems pafcal , une bienféance qu'on donne à la coiiîunie 5c non à la Reli* gion ; la févérité des jugemens dt Dieu , des déclamations outrées , qui font tort à fa bonté 6c à f a clémence ; la mort dans le péché , fuite inévitable d'une vie crimi- nelle , des prédirions il entre plus de zèle que de vérité , ^ démenties par la confiance qui nous promet un retour avant jce dernier moment ; enfin , le Ciel, la ter- re , Tenfer , toutes les créatures , la Reli- gion , le monde , les crimes , les vertus » les biens &: les maux , les chofes préfentes & les futures > tout change de face auK yeux d'une ame qui vit dans Thabitude du crime > tout fe montre à elle fous de faulTes apparences ; toute fa vie n'efi: plus qu'un preftige Scuneméprife continuelle. Hélas I il vous pouviez déchirer le voile fatal qut couvre vos yeux comme ceux de Lazare ^ ÔC vous voir comme lui enfeveli dans les

'34^, Veivd. m la IV. Semaîk^e:

ténèbres , tout couvert de pourriture , & répandant au loin Pinfeclion 6c une odeur de mort ! mais maintenant tout cela eft ca- tac. i^.ché à vos yeux, dit Jefus-Chrift : Nunc auîem hœc abfcondita [uni ah oculis tuis ; vous ne voyez de vous-même que les em- belliffemens 5c les dehors pompeux du tombeau funefte vous croupifTez ; votre rang , votre naiiTance , vos takns , vos di- gnités , vos titres ; c'eft-à-dire, les tro- phées &: les ornemens que la Vanité^des hommes y a élevés : mais ôtez la pferre qui couvre ce lieu d'horreur ; regardez de- dans ; ne jugez pas de vous par ces dehors pompeux qui ne font qu'embellir votre ca- davre fi^oyezce que vous êtes aux yeux de Dieu ; Se /i la corruption 6c l'aveuglement profond de votre amc ne vous touche pas aiTez , que fa fervitudedu moins vous ri- veille ^ vous rappelle à vous-même.

Dernière circonftance de l'état de Lazarç mort 8c enfeveli ; il avoit les mains ÔC les pieds liés : Ligatus pèches & maniis in(îi^ lis ; 8c voilà l'image de la trifte fervitude d'une ame , depuis long-tems affujettie au péché.

Oui , mes Frères , le m. onde a beau dé-^ erierla vie chrétienne comme unevied'af- fujettilTement 5c de fervitude ; le régne de la juftice efl: un régne de liberté; Tame fi- dèle 6c foumife à Dieu devient maîtreffe de toutes les créatures ; le Jufte eft au- deiïïis de tout, parce qu'il eft détaché de tout j il eft maître du monde , parce qu'il

ftléprife le monde ; il ne dépend ni de Tes maîtres , parce qif il ne les lert que pour •^Dieii ; ni de fes amis , parce qu'il ne les aime que dans Tordre de la charité 5c delà juftice , ni de fes inférieurs, parce qu'il n'en exige aucune complaifance injufte ; ni de fa fortune , parce qu'il la craint ; ni des jugemens des hommes, parce qu'il ne craint que ceux de Dieu , ni des ëvéne- inens , parce qu'il les regarde tous danj l'ordre delaProvidence; ni de fes pallions mêmes , parce que la charité qui eft en lui en efl la régie 6c la mefure. Le Juite feui . jouit donc proprement d'une parfaite li- berté : fupërieur au monde , à lui-même, à toutes les créatures , à tous les événemens, il commence dès cette vie à régner avec Jefus-Chrift ; tout lui eu fournis , ÔC il n'ell lui-même foumis qu'à Dieu feul.

Mais le pécheur qui paroit vivre fans joug 5C fans régie , eft pourtant un vil efclave : il dépend de tout , de fon corps , de fes penchans , de fes caprices , de fes

Î rallions , de fes biens , de la fortune , de !es maîtres , de fes fujets , de fes am.is,de fes ennemis , de fes protecteurs , de fes envieux , ce toutes les créatures qui l'en- vironnent ; autant des Dieux aufquels , ou l'amour , ou la crainte l'affujettit ; autant d'idoles qui multiplient fervitude , tandis qu'il fe croit plus libre en fecoi.a.it Tobéif- lance qu'il doit à Dieu feul : Qu.^ ejl ido- ç^i ^^ loritm fervltus ; il multiplie fes maîtres , ae, en refufaiu de fe foumettre à celui feul qui

350 Vend, be la IV. Semaine,

a"end libre ceux qui le fervent , 6c qui fait même de fes ferviteurs les maîtres du mon- de , ÔC tout ce que le monde enferme.

Je fais que la paiïîon,dans les commen- cemens , ménage encore , pour ainfi dire , îa liberté du cœur : elle nous laifTe croire quelque-tems que nous fommes maîtres de nos penchans ÔC de notre deftinée : elle nous amufe d'un vain efpoir de rompre , quand il nous plaira , nos chaînes : elle lâ- che le frein par lequel elle nous tient , de peur que nous nous appercevions trop tôt de notre fervitude : mais quand une fois elle fe fent maîtreiTe ^ 6c qu'elle ne craint plus nos retours 5c nos inconftances ; ah! c'eft alors qu'elle nous fait fentir tout le poids, ôC toute l'amertume de notre fer- vitude : Ligatus pedes & manus injîhis.

Servitude honteufe par l'aifujettilTement de l'ame déréglée aux fens ; fa raifon , fa fierté , fa gloire , ^q% réflexions , tout cède au charme impérieux qui l'entraîne : hon^ teufe par l'indignité des démarches que force de îa paition obtient d'elle ; le rang, le fexe , le devoir , tout eft oublié ; on dé- vore les rebuts les plus outrageans ; on fait les avances les plus humiliantes ; on laiffe entrevoir les emportemens les plus indi- gnes ôc les plus méprifables : honteufes par les devoirs les plus importans , ôc les in- térêts les plus férieux de la fortune facrifiés à la paflion injufte : honteufe par l'aviliffe- ment &C le mépris public qu'attire toujours uue vie déréglée : hojoteufe enfin par leî

Homélie sur Lazare. S5T

mœurs dëfordonnées continuées quelque- fois jufques dans une vieillelle avancée ; Tâge augmente la fragilité ; la railon aiîbi- blie par les anciens défordres, n'offre plus de réiiftance ; le corps ufé par fes dérégle- mens , s'y laiffe comme aller de lui-même , 6c fupplée par les égaremens d'une im.agi- nation corrompue , ce qui manque à la vivacité de fes plaillrs : Ligatus jicdis Ô* manus inflitis.

Je ne parle pas des obftacles qui traver- fent toujours la pallion ; des intérêts ÔCdes devoirs , qui la combattent ; des mefures & des ménagemens , qui la gênent ; d«s contretemps, qui la découvrent; des iitua- tions 5c des dégoûts , qui Tempoifonnent. On voudroit rompre fes chaînes , &: on retombei l'inilant fous leur propre poids ; ÔC dans le crime même,'infenfible au plaiiir devenu dégoûtanj^j-aa. ne fent plus que la dure fervitude qui l'a rendu néceilaire : Ligatus pedes ^ manus inftitis.

Vous vous plaignez quelquefois des ri- gueurs de la vertu , mon cher Auditeur ; vous craignez la vie chrétienne, comme une vie d'aiîujettilTement 5c de triftelfe : inais qu'y trouveriez-vous de fi trifte , que ce que vous éprouvez dans le défordre ? Ah ! li vous oliez vous plaindre de l'amer- tume 5c de la tyrannie da vos palfions ; vous ofiez avouer les troubles, les dégoûts , les fureurs , les agitations de votre ame ; f\ vous étiez de bonne-foi fur ce qui fe palTe de tiilîe daas votre cœur , il n eft point de

3^1 Vend, de la ÎV. Semaine.'

deftinée qui ne vous parut préférable à la x^otre : mais vous diilimulezles inquiétudes du crime que vous fentez : 5c vous exagé- rez les rigueurs delà vertu que vous n'avez jamais connue. Mais pour tendre la main à votre foiblelTe , continuons l'hiftoirc de notre Evangile , 5c voyons dans la réfur- reâion de Lazare , quels font les moyens que la bonté de Dieu vous offre pour for- tir de cet état déplorable.

II. T

fMTXE- JLjA force de la vertu de Dieu , dit l'A- pôtre , ne paroit pas moins dans la conver- fîon des pécheurs , que dans la réfurreâ:ion des morts ; 6c la même vertu furéminente, qui opéra fur Jesus-Christ pour le déli- vrer du tombeau , doit opérer fur l'ame de- puis long-tems morte dans le péché , pour la rappeller à la vie de la grâce. J'y trouve feulement cette différence , que la voix toute-puiifante de Dieu n'éprouve aucune Téfîftance dans le cadavre qu'il ranime ôC qu'il rappelle à la vie , au lieu que l'ame morte & corrompue ,pour ainfi dire, par la vieillelfe du crime , nefemble conferver encore un refte de force ÔC de mouvement, que pour s'oppofer à cette voix de vertu qui ^ fe fait entendre dans l'abîme elle eft en- * fevelie , 5c qui veut lui rendre la vie ôc la lumière. Cependant quelque difficile que foit la converfion d'une ame de ce caraftère, 6c quelques rares qu'en foientles exemples, l'Efprit de Dieu pour nous apprendre à ne» iamais défefpérer de \^ jj^çxkçfxde divine,

Iqrfquç

Ho M E LIE s U R L AZAR E. 353

lorfqiie nous voulons fîncérementfortir du crime , nous en propofe aujourd'hui les moyens dans la réfurre^ftion de Lazare.

Le premier , c'eft la confiance en Jefus- Chrill. Si vous avic^ été ici , dit une des fœurs de Lazare au Sauveur, mon j'rere nz fer oit pas mort \ mais je fais quo. tout ce que vous dcmand'zre-^ à Dieu , Dieu vous Vac^ cordera* Je fuis moi- même la refumcliort & la vie , lui répond Jefus-Chrift ; le cro* yci'Vcus ? Oui , Seigneur , dit- elle ,j^aitou^ jours cru que vous étier le Chrifl , Fils du Dieu vivant. C'eft par commence le mi- racle de la réfiirreftion de Lazare , par une confiance entière que Jefus-Chrift eft af- fez puiiïant pour le délivrer la mort ^ de la corruption.

Car, m.es Frères , Fillu/ion dont le dé- mon fe fert tous les jour^ , pour rendre inutiles nos défirs de converfion , ÔC en ar- rêter les démarches ; c'eft de nous jetter dans la défiance ôc dans le découragement ; il retrace vivement à notre imagination les horreurs d'une vie entière de crime : il nous dit en fecret ce que \qs fœurs de La- zare difent à Jeilis-Chrift ; mais dans ua fens bien différent ; qu'il auroit fallu s'y prendre plutôt ; qu'on ne revient pas de i\ loin ; qu'il n'eft plus tems d'elTayer d'ua changement ; ÔL que la vieiîlelTe & linfec- tion de nos playes ne paroit plus lailTer de reflburce : Jam fcerec , quatriduanus efl enim. Et là-deffus on s'c^bandonne à la pa« reffe &C à l'indolence \ Si aj)rès ^voir iiiii^ Carêm , Tom^ IIL Q |

554 VenDv i>e la IV. SsîvrAiNE; I3 jiiftice de Dieu par nos égaremens '|^ nous outrageous fa miféricorde par l'excès de notre défiance.

J'avoue , mes Frères , qu'il' en coûte à Uine ame depuis long-tems morte dans le; péché ,. pour revenir à Dieu ; qu'il eft difïï- cile , aprè;s tant d'années de défordre , de; faire un coeur nouveau & de nouvelles^ inclinations ; & qu'il eft même à propos que les obftacles ,. les peines, les diffi- <tUltés ,, qui accompagnent toujours la con- verfion des âmes de ce caraôère , falTent fentir aux grands pécheurs combien il eft terrible d'avoir été pr^fque une vie. entière éloigné de Dieu.,

Mais je dis , que dès qu'une ame tou*^ <;hée de fes crimes ,. veut fincérement re- venir à lui , fes playes , quelle qu'en puilTe^ être l'infeftion 5c la vieillelTe , ne doivent glus allanner fa confiance: je dis que (es misères doivent augmenter fa componc- tion , mais non pasfon découragement; je dis^ que la première démarche de fa péni- tejicedoit êtr€ d'adorer Jefus-Chrift corn- U r€/urreâion.& la vie. ;. une confiance^ fëc.rette ,_ que. nos miféres font toujours^: moindres que fes miféricordes ; une per- fuafion intime ^que le fang de lefus-Ghrift çftipluspuiflant pour laver nos fouillures ^ que. notre corruption ne fauroit l'être pour, ejî. contraâerr :: je dis que. moins l'ame crîA minell'e trouve cn«lléde5.reifourcespQui> lai wtU'.plusellè doit en attendre, de celUi: 5111; {Êgjkîtià.éiifiknl*^ de, la gac^

Homélie sur Lazare. 35s

fur le néant de la nature ; ôC que plus elle forme d'oppofition au bien , plus elle oiFre en un fens de difpofition à la puilTance ÔC à la miféricorde divine , qui veut que tout bien paroilFe venir d'en haut , 5c que rhom» me ne s'attribue rien à lui-même.

Et en effet , mon cher Auditeur , quelle que puilTe être l'horreur de vos crimes paffés y le Seigneur n'eft pas bien éloigné de vous faire grâce , dès qu'il vous infpire le défîr ÔC la réfoiution de la demander. II eft écrit dans Thiftoire des Juges , que le père de Samfon , effrayé de l'apparition de TAnge du Seigneur qui après lui avoir annoncé la naiifance d'un fils , & ordonné d'offrir un facrifice , avoit , comme un feu dévorant , confiimé Thoflie & le bûcher , & difparu enfuite a Ces yeux ; qu'effrayé dis-je , de ce (peâacle , il crut qu'il alloit être lui-même frappé de mort avec fa fem- me , parce qu'iU avaient vu le Seigneur : Avorte morumur ^quia, yidimus Dominum, ^^^'^^* Mais fon épaufe lainte &. éclairée, con- ^2*^^* damna fa défiance. Si le Seigneur , lui ré- pondit-elle, vouloit nous perdre , il n'aii- roit pas fait defceadre le feu du ciel fur no- tre facrifice ; il ne Feut pas reçu de nos mains j Une nous eut pas découvert fesfe- crets & fes merveilles , Sc ce que nau5 avions ignoré jurqii'ici i Si Domïrms nés ^^/^ vdht cccidcre ^ de manlbus nojlrls holo- )^►23> . çaiifium & tibamenta ncn fufcepijffet me . cfiendiffet Twbis hiX.c omnia r t^Çi^ ^n ^Ui^

35^ Vend, de la IV. Semalve.

Et voilà ce que je vous réponds aujour- d'hui. Vous croyez votre mort 6c votre perte inévitable ; l'état de votre confcience vous décourage ; en vain des étincelles de ^race 6c de lumière tom.bent dans votre cœur , vous touchent , vous follicitent , ■&'font toutes prêtes à confumerle facri- fice de vos pafTions ; vous vous perfuadez que c'eftfait de vous fans reffource. Mais fi le Seigneur vouloit vous abandonner 5C vous perdre , il ne feroit pas defcendre le feu du ciel fur votre cœur : il n'allumeroît pas en vous de faints défirs 6c des fentimens . de pénitence : Si Vominus nos vellet ocçi'- dere , de manibus nojlrïs holocaiiflum &il^ hamenta non fufcepijfet '. s'il vouloit vous laiiîer mourir dans raveuglement de vos paiîions y û ne vous montreroit pas \qs vé- rités du falut ; il ne vous les mettroit pas dans un jour qui vous éclaii^e &C qui vous trouble : il n'ouvriroît pas vas yeux fur les malheurs à venir que vous vous préparez : Nec ojlendiffet nobis kœc omniéi , mque ea çuœ Jum Ventura dixiffet. D'ailleurs , que favez-vous Ç\ Jefus-Chrift n'a pas permis que vous tombaiïiez dans cet état déplora* bîe , pour faire du prodige de votre con- verlion » un attrait pour la converfion de vos frères l que favez-vous fi fa miféricorde n'a pas ménagé à vos paflions l'éclat qui les a rendu publiques, ann que mille pécheurs témoins de vos égaremens , ne défefpé- '^Tent pas de leur retour ^ ÔC foient animas par le fpeûacie de votre pértitence ï que

Homélie sur Lazare. 557 favez-vous vos crimes ôc vos fcandales mêmes ne font pas entrés dans les defleins de la bonté du Seigneur fur vos frères , SC fi votre état qui paroît défcfpéré , comme celui de Lazare , eft bien moins un préjugé de mort pour vous , qu'une occafion de manifeiier la gloire de Dieu ? înfirmitas hcec non ejl ad morîem , fcd^ro gloria Dei.

Lorfque fa grâce ramené un pécheur or- dinaire , le fruit de fa conversion fe borne à lui feul ; mais quand elle va choifir un pé- cheur d'éclat ,un Lazare depuis long-tems mort 5c corrompu ; ah ! les vues de fa mi- féricorde font alors plus étendues : elle pré- pare en un feul changement , mille change- mens à venir : elles le forme mille élus eu un feul ; 6c les crimes d'un pécheur de- viennent la fémence de mille juftes : Infir- mitas hœc non ejî ad mortem yfed pro gld" rïa Dei. Vous perdez courage en fentant l'extrémité de vos miféres , mais peut-être c'eft cette extrémité elle-même qui vous approche plus du moment heureux de vo- tre converfîon , 6<: que la bonté de Dieu vous a réfervé pour être un monument pu- blic de l'excès de fes miféricordes envers les plus grands pécheurs. Croyei feulement comme le dit Jefus-Chrift aux lœurs de Lazare , 6C 'yous verre^ la gloire de Dieu l vous verrez vos proches , vos am.is , vos fujets , \qs complices de vos égaremens devenir les imitateurs de votre pénitence: vous verrez lés âmes les plus déplorées 4^upirer après k bçjah^ui de voîrc iion-

35^ Vlkd. de la IV". Semalve, velle vie ; tc le monde lui-même forcé de rendre gloire à Dieu , 5c en rappellant vos excès palTés , admirer le prodige de votre deftinée préfente : Quoniamji credideris ^ videbis gloriam Dtï^ Prenez dans vos mi- féres mèn'ie de nouveaux motifs de con- fiance r béniiTez- par avance la fagefTe mifé- ricordieufe de celui qui faura tirer de vos payions wn nouvel avantage pour fa gloire: tout coopère au fakit des fiens , 5c il ne permet de grands excès que pour opérer cle grandes miféricordcs. Dieu veut tou- jours le falut de fa créature ; 6c des que nous voulons retourner à lui , nous ne de- vons pas craindre que fa juilice nous rebute^ mais que notre volonté ne foit pas fincère» Et la preuve la plus décifive de notre iîncérité y c'eft Téloignement des occa- .lîons y qui mettent un obftacle invincible à Botre rcfurre£lion &: à notre délivrance : obftacles figurés par la pierre qui fermoit l'entrée du tombeau de Lazare, ÔC que Je- fus-Chrift commence par ordonner qu'on ©te , avant d'opérer le miracle de la réfur- re£lion ^ Tolliu lapidu^m ; ôtez la pierre» Second, moyen marqué dans notre Evaa*

Ea efïet y on voit tous les jours A^s pé-

^cîieurs laiTés du défordre y qui voudroieut .revenir à Dieu : mais qui ne peuvent fe ré- foudre à fortirdu milieu; de ces objets y de ces lieux , de ces (îtuations , de ces écueiis qui les ont éloignés d^ lui : ils fe perfuadent

Homélie si/r Lazare. 559 nîr le cours d'une vie déforcioniiée ; enua mot , reiTufciter avant qiie d'ôter la pierre: ris font même quelques efforts : ils s'adref- fent à des hommes de Dieu ; ils prennent des mefures de changement ; mais de ces; mefuresqiH n'éloignant pas les périls j.n'a- vancent point leur sûreté ; & toute leur vie fe pafTetriûement à détefler leurs chaî- nes , & à ne pouvoir parvenir à les rom*- pre.

D'où vient cela ,. mes Frères ?'c'eft que les pallions ne commencent à s'affoiblir y queparl'éloignementdes objets quilesont allumées , c'eil une erreur deeroirequele cœur puilTe changer , tandis que tout ce^ qui l'environne eil encore à notre égard le même.. Vous voulez devenir chafte; êc vous vivez au milieu des périls y des liai» fons , des familiarités ^ des pluilirs , qvit ont mille fois corrompu votre ame : vous voudriez commencer à faire quelques réfle- xions férieufes fur votre éternité , ÔC à mettre quelque intervalle entre la vie 6c la mort ; & vous n'en voulez point mettre- cntrela mort 5c les dilTipations qui vous empêchent de penfer à votre falut ; 6C vous attendez que le goiit d'une vie chrétienne: vous vienne au milieu des agitations ,. des» plàifîrs , des inutilités ,. des efpéranceshu- maines , dont vous ne voulez rien rabat- tre : vous voulez que votre cœur fe faffede nouvelles inclinations au milieu detoutce qui nourrit & fortifie les anciennes j, St qiie.la,lamgede.ia fûiôè. de. la. gf^ce.>ie5

360 VekO. 13E LA IV. SeMATKE/ rallume au milieu des vents 5c des tenî-^ pêtes : elle qui dans le fecret même du Sanc- tuaire , s'éteint fouvent , faute d^iuile 6C de nourriture , 6c fait aux âmes tiédes 6C retirées , un danger de la sûreté même de leur retraite.

Vous venez nous dire après cela que vous ne manquez pas de bonne volonté ; mais que le m.oment n'ell pas encore venu, Et comment peut-il venir au milieu de tout ce qui l'éloigné ? mais quelle eft cette bon- ne volonté renfermée au-dedans de vous , qui n'a jamais de fuite , qui ne conduit ja- mais à rien de réel , 6c n'a aucune démar- che férieufe de changement ? c'eft-à-dire, vous voudriez changer, fans qu'il vous en coûtât rien ; vous voudriez vous fauver , comme vous vous êtes perdus ; vous vou- driez que les mêmes mœurs , qui ont éloi- gné votre cœur de Dieu , l'en rapprochaf- lent; ÔC que ce qui a été jufqu'ici l'occa- fion de votre perte, devint lui-même la voie 6cla facilité de votre falut. Comjmen- cez par éloigner les occafions qui ont été tant de fois , ÔC qui fon encore tous les jours recueil de votre innocence ; ôtez la pierre , qui ferme l'entrée de la grâce à votre am.e : Tollite lapidem : après cela vous aurez droit de demander à Dieu qu'il achève en vous fon ouvrage. Alors feparé de tous les objets qui nourrilToient en vous ' des paiTions injuftes , vous pourrez lui di- re : C'ell à vous maintenant , ô mon Dieu ! i changer inou ç^m ; je vqus ai facrifié

Homélie sur Lazare, -^ôi tous les attachemens qui pouvoient le re- tenir encore ; j'ai éloigné de moi tous les ecueils , ma foiblelle auroit pu encore faire naufrage : j'ai changé tous les dehors qui dépendoient de moi : c'eft à vous , Seigneur , qui feui pouvez changer les- cœurs , à faire maintenant le refte , à bri- fer les liens invifibles , à furmonter les obf- tacles intérieurs , à triompher de ma cor-; ruption toute entière : j'ai ôté la pierre fa- tale , qui m'empêchoit d'entendre votre voix ; faites-la retentir à préfent jufques dans l'abîme je fuis encore enfeveli : or- donnez-moi de fortir de ce tom^beau fatal , de ce lieu d'infeftion ôc de pourriture ; mais ordonnez-le moi avec cette parole puiiTante , qui fe fait entendre aux morts , & qui efl pour eux une parole de réfurrec- tion & de vie : confiez-moi à vos Difci- pies , pour me délier de ces liens qui tien- nent toutes les puilTances de mon ame cap-^ tives ; 6c que le miniftère de votre Eglife mette le dernier fçeau à ma réfurreètion ^ à ma délivrance.

Et voilà , mes Frères , le dernier moyen propofé dans notre Evangile. Dès que la pierre fut ôtée , le Sauveur dit à haute voiX ; Laiare fortei dehors. Lazare fort , encore les pieds ÔC les mains liés ; 6c Jefus- Chrifl le remet à fes Difcipies pour le dé- lier : Solvite &Jimu abire.

Remarquez ici , mes Frères , que Jefiis- Chriit n'ordonne aux Difcipies de délier Lazare , qu'après qu'U s'e/l montré tQUt

Cjirèmç. TvmsIII^ H h

361 Vend, de la TV. Semaine. entier hors du tombeau. Il faut fe mani- fefter à rZglife , dit S. Bernard , avant de recevoir par Ion miniilère le bienfait; de no- tre ddiivrance. Laiare , forte[ dehors \ c'eft-à-dire j continue ce Père , jufques à quand demeurerez-vous caché 6c enfeveli au- dedans de votre confcience ? jufques à quand cèlerez- vous votre iniquité dans vo- ^^^' tre fein ? Qiioufque confcienti£& tuœ. caligo te dctinet.

Vous n'ignorez pas fans doute , mes Frères , que la rémiffion de nos crimes ne nous eit accordée que par le canal 5c le miniiière de TEglife , 6c qu'il faut venir découvrir 6c préfenter nos liens à la piété des Minières , qui feuls ont l'autorité de lier 5C de délier fur la terre ; ce n'eft pas fur quoi vous avez befoin d'être inftruits. Mais je dis qu'afîn que la converlîon foit fo- îide 5c durable , il faut fe m.ontrer tout en- tier hors du tombeau comme Lazare. Il ne Vagit pas ici d'une confeiîion ordinaire: un pécheur invétéré doit remonter jufqu'àfon enfance ; jufqu'à la première naiflance de fes pafiions ; jufqu'aux commencemens de fa vie , qui ont été ceux de fes crimes. Il ne faut plus lailTer de doutes 6c d'obfcu- rités dans la confcience, laifTer dans les té- nèbres les premières mœurs , fous pré- texte qu'elles ont été déjà révélées au Prê- tre : il faut une manifeilation univerfelle ; ne compter pour rien tout ce qu'on a fait jufqu'ici ; les Sacremens reçus, 6c les con- fefTions faites dans la vie mondaine & déré-

Homélie sur Lazare. 363 glée , les mettre même au nombre de nos crimes ; regarder la confcience comme un cahos , jufqu'ici on n'a pas porté la lu- mière , ÔC fur laquelle toutes nos fauïïes pénitences palTée n'ont fait que répandre de nouvelles ténèbres.

Car , hélas , mes Frères ! une ame qui revient à Dieu après les égaremens du monde ÔC des pallions , doit préfumer qu'ayant vécu julques-là dans desaiFe£lions éc des habitudes criminelles , tous les Sa» cremens reçus en cet état ont été pour elle des profanations 6c des crimes.

Premièrement , parce que n'ayant ja» mais eu de douleur véritable de fcs fau- tes , ni par conféquent de volonté lincère de s'en corriger , les remèdes de l'Eglife , loin de la purifier , ont achevé de la fouil- ler ,6c de rendre fes maux plus incurables. Secondement , parce qu'elle ne s'ell: ja- mais connue elle-même; ôC qu'ainfieile n'a pu fe faire connoître au tribunal. Car 3 hélas , mes Frères ! le monde au miliea duquel cette ame a toujours vécu , ôC elle a toujours penfé 6c jugé de tout com- me le monde ; le monde , dis-je , ne trou- vant de fenfé 5c de raifonnable , que fes maximes ôC fes façons de penfer ; le monde connoît-il afTez la fainteté de lEvangile , les obligations de la foi , retendue des devoirs , pour entrer dans le détail des tranfgre liions que la foi condamne ?

Troifiémement enfin , parce que , quand même elle aviroit connu toutes fes miférei»

Hh i

364 Vend, de la IV. Seimainê; n'en ayant jamais eu de douleur iincèfô J elle n'a pii les faire connoître ; car il n'y â que la douleur qui fâche s'expliquer comme il faut , 6c repréfenter au naturel les maux qu'elle fent & qu'elle abhorre : il faut avoir le cœur touché pour favoir fe faire enten- dre fur les plaies 6c les mileres du cœur même. Un pécheur touché d'une paiîioii profane , en parle plus vivement , plus élo- quemment : rien ne lui échappe des maux infenfés &. déplorables qu'il endure ; il en- tre dans tous les replis de fon cœur , fes jaloufies , fes craintes , fes efpérances. Comme il n'y a que l'efprit de l'homme , dit l'Apôtre , qui fâche ce qui fe paffe dans l'homme , il n'y a que le cœur aufli qui puiiïe favoir ce qui fe palTe dans le cœur. La douleur donne des yeux pour tout voir, êc des paroles pour tout dire ; elle a un langage que rien ne fauroit imiter : ainfî une ame mondaine , ôc encore liée par le cœur à tous fes défordres , a beau venir s'ac- cufer , elle ne fauroit fe faire connoitre : fans avoir un deffein formel de diilimuler fes plaies , elle ne les montre jamais dans toute leur horreur , parce qu'elle ne les fent pas , 6c n'en eft pas frappée elle-même : fes paroles fe fentent toujours de l'infenlibilité de fon cœur ; 6c il efl impoilible qu'elle montre dans toute leur laideur des diffor- mités qu'elle ne connoît pas , 6c qu'elle aime encore : elle doit donc regarder tout ^'^ tems de fa viepalTée , comme un tems de Témb ^^^ ^ d'aveuglement , elle ne

H O M E L I E s U R L A Z A R E. 365 s'eft jamais vue qu'avec des yeux de chair 6c de fang ; jamais jugée que par des juge- mens depailion 6c d'amour propre; jamais accufée qu'avec un langage d'erreur b^ d'impénitence ; jam.ais montrée que dans un jour faux ÔC imparfait. Ce n'efl donc pas aiïez d'ôter la pierre du tombeau ; il faut que cette amiC criminelle en forte elle- même ; qu'elle fe montre , pour ainfi dire , au grand jour ; qu'elle manifefte toute fa vie ; 5c que depuis le premier agejufqu'au jour heureux de fa délivrance, rien ne puifle échapper aux yeux des Miniftres prêts à la délier.

Mais cette démarche , dites -vous , à des difficultés qui peuvent jetter le trouble, l'embarras , le découragement dans la confcience , 5c fufpendre la réfolution d'un changement de vie. Quoi , mes Frères , vous entrez dans des difculîions fi pénibles & fi infinies , pour éclaircir vos affaires tem- porelles ; 6c pour établir l'ordre ÔC la sû- reté dans votre confcience , Sc pour ne laiffer plus rien de douteux dans l'affaire de votre éternité , vous vous plaindriez dès qu'il doit vous en coûter quelques foins 5c quelques recherches? Vous dites fi fouvent vous-mêmes quand il s'agit d'ujie démar- che décifive pour la ruine 6c pour la confer- vation de votre fortune , qu'il ne faut rien rifquer , rien négliger ; qu'il faut tout voir foi-même , tout éclaircir , tout approfon- dir , 5c n'avoir rien à fe reprocher ; 5c cette niaxime fi raifonnable fur des intérêts paf-

Hh 3

^66 Vend, de la IV. Semaine. fagers 5C frivoles , le feroit moins fur le grand 6c fur l'unique intérêt du falut ?

Ah , mes Frères ! que nou^ avons peu de foi ! Et qu'avons-nous de plus important en cette vie , que le foin de m>ettre en état ce compte redoutable , que nous devons rendre au Juge éternel , èc au Scrutateur de nos cœurs 6c de nos penfées ? c'eft-à- dire , le foin de régler notre confcience , d'en diiîiper les ténèbres , d'en purifier les fouillures , d'en éclaircir les intérêts éter- nels , d'en affurer les efpérances , nous af- furer nous-mêmes, autant que la condition préfente le permet , de fon état 5c de fes di{|;>ofîtions ; ôc n'aller*pas paroître devant Dieu comme des infenfés , inconnus à nous- mêmes , incertains de ce que nous ^fem- mes , êc de ce que nous devons être pour toujours. Tels font les moyens de conver- fîon , marqués dans le miracle de laréfur- reélion de Lazare : achevons l'hiftoire de notre Evangile ; ÔC voyons quels font les motifs qui déterminent Jefus-Chrift à l'opérer.

JL Our entrer d'abord dans notre fujet ,' III- ^ ôv ne pas perdre de vue la fuite de l'Evan- gile ; le premier motif que le Sauveur pa- roît fe propofer dans la réfurre£lion de La- zare; c'eft de confoler les larmes , &: de récompenfer les prières 5c la piété de ^qs deux fœurs. Seigneur y lui difent- elles > celui que vous aimei ejl malade : 6C voilà , mes Frères , le premier motif qui déter-

Partie.

Homélie sur Lazare. 397 mine fouvent Jefiis-Chrift à opérer la converfion d'un grand pécheur ; les larmes 6c les prières des âmes juftes qui la dem.an- dent.

Oui , mes Frères , foit que le Seigneur veuille par-là rendre la vertu plus refpec- table aux pécheurs , en ne leur accordant des grâces que par Tentremife des âmes juftes ;' foit qu'il ait delTein de lier plus étroi- tement fes membres ; 6c de les confommer dans l'unité 5c dans la charité, en rendant les miniftères des uns, utiles 5c nécelTaires aux autres ; il eft certain que c'eft dans les prières des gens de bien , que la conver- fion des plus grands pécheurs trouve tous les jours fa foui ce. Comme tout fe fait pour les Juftes dans l'Eglife , dit l'Apôtre, on peut dire aufli que tout fe fait par eux ; 6c comme les pécheurs n'y font fouiferts , que pour exercer leur vertu , ou ranimer leur vigilance , ils n'y font rappelles auiÏÏ de leurs égaremens , que pour confoler leur foi , éc récompenfer leurs gémilTe- mens ÔC leurs prières.

C'eft donc un commencement de juftice pour les plus grands pécheurs , que d'ai- mer les âmes juftes ; c'eft un préjugé de vertu , que de la refpe£ler dans ceux qui la pratiquent : c'eft une efpérance de conver- fion , que de rechercher la fociété des gens de bien , eftimer leur confiance , ÔC les intéreffer à notre falut ; 5C quand m.ême notre cœur gémiroit encore fous des liens injuftes , 6c que l'amour du monde 5c des

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3^8 Vend, de la IV. Sema^e. plaifirs nous éloigneroit encore de Dîeu^ dès que nous commençons à aimer {qs fer- viteurs , nous faifons comme le premier pas dans fon fervice. Il femble que notre cœur fe lafTe déjà de fes paffions , dès que nous nous plaifons avec ceux qui les con- damnent; éc que le goût de la vertu n'eft pas loin , dès que nous pouvons goûter ceux que la vertu feule rend aimables.

D'ailleurs ^ les Juftes inftruits par nous- mêmes de nos foibleiles , les ont fans ceile prëfentes devant le Seigneur : ils gémiffent devant lui fur les chaînes qui nous lient en- core au monde 6c à fes amufemens: ils lui offrent quelques foibles défirs de vertu , que nous leur confions quelquefois , pouj? obliger fa bonté à nous en accorder de plus vifs & de plus efficaces : ils portent jufqu'aux pieds de fon Trône quelques^ commencemens de bien qu'ils ont apperçu en nous , pour nous en obtenir de fa miié- ricorde la perfedion & la plénitude. Plus, touchés de nos malheurs que de leurs be- foins , ils s'oublient, faintement eux-mê- mes , pour fauver leurs frères qui périf- fent à leurs yeux : eux feuls nous aiment pour nous-mêmes , parce qu'eux. feuls n'ai- ment en nous que notre faiut : le monde peut nous donner des créatures , des adu- lateurs , des compagnons de plaifir , de fociété , de débauche ; mais la vertu toute feule nous donne des amis.

Et c'eft ici > vous qui m'écoutez , gui autrefois , comme peut-être Marie ,

Homélie $uR Lazare. 3^^ étiez efclaves du monde & des pafTions , & qui depuis , touchées de la grâce , ne bougez plus comme elle des pieds du Sau- veur ; c'eft ici vous devez vous fou- venir que déformais un des plus importans points de votre nouvelle vie , eft de de- mander continuellement à Jefus-Chrifl , comme la fœur de Lazare , la réfurreûion de vos frères ; la converiion de ces amcs infortunées , qui ont été les complices de vos pallions criminelles , 6c qui encore fous la puiiTance de la mort 6c du péché , traî- nent triftement leurs chaînes dans les voies du monde 5c de l'égarem^ent. Vous devez dire fans CQÏÏe à Jefus-Chrift dans Ta- mertume de votre cceur comme la fœur de Lazare : Seigneur , celui qui vous ai- me^ ejî malade s ^^^ âmes pour qui j'ai été unécueil, 5c qui vous ont moins oiTenfé que moi , font cependant encore dans les ténèbres de la mort , & dans la corruption du péché ; & je jouis d'une délivrance dont , j'étois plus indigne qu'elles ! Ah , Sei- gneur ! le plaifir que j'ai d'être à vous ne fera jamais parfait , tandis que je verrai mes frères périr triftement à mes yeux: je ne jouirai qu'à demi du fruit de vos mifé- ricordes , tandis que vous les refuferez à des âmes pour qui j'ai été moi-même une occafion funefle de chiite : & je ne croirai jamais que vous m'ayez pardonné mes crimes , tandis que je les verrai encore lub/if}er dans les pécheurs , que mes exem^ pies ôc mes paffions ont éloignés de vous

370 Vend, de la IV. Semaine/

JJomine , ccce qiiem amas infirmatur.

Ce n'eft pas , mes Frères , que vous de- viez Çi fort compter fur les prières des gens de bien , que vous attendiez d'elles feules le changement de votre cœur ôc le don de la pénitence. Car c'eft-ià une illufion afTez ordinaire parmi les perfonnes , furtout les plus élevées dans le monde : on croit qu'en refpe£lant la vertu ; qu'en favorifant les gens de bien ; qu'en les intérefTant à folli- citer auprès de Dieu notre converfion , nos chaînes tomberont d'elles-mênies , fans qu'il nous en coûte aucun effort pour noua en dégager : on fe railure fur ce refte de foi 6c de religion , -qui nous rend la vertu dans les autres encore chère ÔC refpeâ:a- ble : on fe fait bon gré de n*en être pas en- core venu à ce point de libertinage £^ d'impiété , commun dans le monde , qui fait de la vertu des cenfures , êc des déri- fîons publiques. Mais hélas , mes Frères , il ne îervit de rien au Roi de Jehu d'avoir rendu des honneurs publics au faint homme Jonadab : fes vices fubfifloient toujours avec le refpeâ: qu'il eut pour la vertu de l'homme de Dieu, Il fut inutile à Hérode d'honorer la piété de Jean-Baptifte , ôC d'aimer même la fainte liberté de fes dif- cours : la déférence qu'il eût pour le pré- curfeur, lui lailTa toujours tout l'emporte- ment de fa paffion criminuelle. Les hon- neurs que nous rendons à la vertu attirent des fecours à notre foibleife ; mais ils ne juftifient pas nos égaremens \ les prières

Homélie sur Lazare. 371 des gens de bien rendent le Seigneur plus attentif à nos befoins ; mais non pas plus indulgent pour nos crimes : elles nous ob- tiennent la viéloire des paffions que nous commençons à détefter ; mais non pas de celles que nous aimons , 6C dans lefquelles nous voulons continuer de vivre : en un mot , elles aident nos bons défirs ; mais elles n'autorifent pas notre impénitence.

Le miracle de la réfurre£i:ion de Lazare apprend donc aux âmes juftes à folliciter la converfion de leurs frères ; mais la con- verfion 6c la délivrance de leurs frères , fert encore à ranimer leur tiédeur 6c leur lâciieté. Second motif que fe propofe Je- fus-Chrift : il veut réveiller par la nou- veauté de ce prodige , la foi de fes Difci-. pies encore foible ÔC languilTante : Gaudeo propter vos ut credatis»

Et tel êft le fruit que JefusChrift fe propofe tous les jours des miracles de la grâce : il opère à vos yeux des conver- fions foudaines & furprenantes , vous qui marchez depuis long-tems dans fes voies , pour confondre par la ferveur & par le zèle de ces âmes depuis peu relTufcitées , votre tiédeur 5c votre indolence. Oui , mes Frères , rien n'efi: plus propre à nous couvrir de confufion , & à nous faire trem- bler fur les infidélités que nous mêlons à une pieté tiède ÔC languilTante , que de voir une ame enfevelie , il n'y a qu'un mo- ment , dans la corruption de la mort 5c dit péché-, & dont les égaremens a voient peut-

%-]! Vend, de la IV. Semaine. être fervi de matière à la vanité de notre zèle , &C à la malignité de nos cenfiires ; de la voir , dis-je , un inllant après vivi- fiée par la grâce , libre de fes chaînes , marcher à pas de géant dans la voie de Dieu ; plus avide de mortification ; qu'elle ne Tavoit été des plailirs ; plus féparée en- core du monde 6c de fes amufemens , qu'elle n'y avoit paru attachée ; fe difputer les délaïïemens les plus innocens ; ne met- tre prefque point de bornes à la vivacilé ^ aux transports de fa pénitence, 6c faire tous les jours de nouveaux progrès dans la piété ; tandis que nous , après bien des années de vertu , hélas ! nous languillons encore dans les commencemicns de cette fainte carrière ; tandis que nous , après tant de grâces reçues , après tant de véri- tés connues , après tant de Sacremens fré- quentés , hélas 1 nous tenons encore au monde ÔC à nous-mêmes par mille liens injuftes t nous en fommes encore aux pre- miers élemens de la foi 5c de la vie chré- tienne , ÔC plus éloignés encore que nous ne l'étions au commencement de ce zèle 6c de cette ferveur qui fait tout le prix ÔC toute la sûreté d'une piété fidèle.

Mes Frères , la prédidion terrible de Jefus-Chrift s'accomplit tous les jours à nos yeux. Des publicains â>C des pécheurs ; des perfonnes d'une conduite fcandaleufe , même félon le monde , ôc auiîi éloignées du Royaume de Dieu , que l'Orient l'eft de l'Occident , fe çonvertiffent , font pé-

Homélie SUR Laz AU e! 575 Iiîtence , furprennent le mondeparle fpec- tacle d'une vie retirée , mortifiée , 6c re- poferont dans le fein d'Abraham 5c de Ja» cob ; 6c peut-être que nous , qu'on re- garde comme les enfans du Royaume ; M peut-être que nous , dont les mœurs n'of- ' irent rien aux yeux du monde que de ré* gulier 6c de louable ; peut être que nous, qu'on propofe comme des modèles de conduite ÔC de vertu ! peut-être que nous , que monde canonife , & qui nous glo- rifions du nom 6c des apparences de la piété, hélas ! peut-être nous ferons rejet- tés ÔC confondus, avec les infidèles , pour avoir toujours opéré notre falut avec né- gligence, & confervé un cœur encore tout mondain au milieu des œuvres de la piété inême : Fllii auîem re^ni ejicientur in /^-A^û^M. Si ncèras exteriores. ^ ^' ^

Ainfi , mes Frères , vous que ce dif- cours regarde , ne jugez pas de vous-mê- mes , en vous comparant en fecret à ces âmes défordonnées , que le monde 6c les pafiions entraînent. On peut être plus jufte que le monde , ÔC ne l'être pas encore affez pour Jefus-Chrifi: : car le monde e/l corrompu ; l'Evangile y eft fi ignoré ; la Foi fi éteinte ; les régies 6c les vérités fi af- foiblies , que ce qui eft vertu par rapport à lui , peut être encore une grande iniquité devant Dieu.

Comparez-vous plutôt à ces faints Pé- iiitens , qui édifièrent autrefois l'Eglife par ïe prodige de leurs auftérités , 6c dont la

374 Vekd. de la IV. Semaine. vie nous paroît encore aujourd'hui fi in- croyable ; à ces Martyrs généreux qui li- vroient leurs corps pour la vérité , &. qui au milieu des plus cruels tourmens , étoieiit tranfportés de joie à la vue des promeffes éternelles ; à ces Fidèles des premiers tems, qui mouroient tous les jours pour Jefus- Chrift y ôC qui dans les perfécutions , 6c dans la perte de leurs biens , de leurs en- fans , de leur patrie , croyoient tout pofle- der , parce qu'ils navoient pas perdu la foi & refpérance d'une vie meilleure : voilà les modèles fur lefquels vous devez mefurer votre vertu pour la trouver encore défec- tueufe ôC toute mondaine. Si vous ne leur reflemblez pas , envain ne reflemblez-vous pas au monde , vous périrez comme lui ; il ne fuffit pas de ne point imiter les cri- mes des mondains , il faut encore avoir les vertus des Juftes.

Enfin , non-feulement la bonté de Jefus- Chrift dans ce miracle veut préparer à fes Difciples 5c aux Juifs fidèles , un nouveau motif de croire en lui; mais fa juftice y ménage encore aux Juifs incrédules une nouvelle occalion d'endurciffement 6c d'in- crédulité : dernière circonfîance de notre Evangile. Ils prennent des mefures pour le perdre : ils veulent faire mourir Lazare lui-même , pour n'avoir plus au milieu d'eux un témoin fi éclatant de la puilTance de Jefus-Chrift. Ils avoient accordé des larmes à fa mort : & Judœos gui vénérant cum eaplorames: à peine eft-il reflucité.

Homélie sur Lazare. J75

Îu'll ne leur paroît plus digne que de leur ureur ÔC de leur vengeance. Et voilà , nies Frères , le feul fruit que la plupart d'entre-vous retirez d'ordinaire des mira- cles de la grâce ; c'eft- à-dire , de la con- ver/îon , 6c de la réfurreftion fpirituelle des grands pécheurs. Avant que la miféricor- de^ de J-efus-Chrift eut jette fur une ame criminelle des regards de grâce 6c de fa- lut ; & tandis que livrée à tout l'emporte- ment des pafîîons, elle étoit non-feulement morte dans fon péché, mais répandoit par- tout Tinfeâion bi. la mauvaife odeur de fes déréglemens 6C de fes fcandales , vous pa- roiiliez touchés de fes égarement & de fpn ignominie ; vous déploriez le malheur de fa deftinée ; vous mêliez vos larmes 6c vos regrets , aux regrets ôc aux larmes de fes amis ôc de fes proches : Et Judceos gui yenerans cum ea plorantes ; & le dérange- ment public de fa conduite trouvoit en vous une douleur ôc une compaffîon d'hu- manité ; mais à peine la grâce de Jefus- Chrift l'a rappellée à la vie ; à peine fortie du tombeau ôc de l'abime de corruption elle étoit enfevelie , rend-elle gloire à fon Libérateur par les faintes ardeurs d'une piété tendre 6c fîncère , que vous deve- nez les cenfeurs de fa piété même : vous aviez paru touchés de l'excès de {qs vices , êc vous faites des dérifîons publiques de l'excès prétendu de la vertu : vous aviez blâmé fon ardeur pour les plaifirs, 6c vous condamnez fou amour pour Dieu. Accgr-

§7^ Vend, de la IV. Semaine.' idez-vous donc avec vous-mêmes ; ÔC felteé ^race , ou au Jiifte ou au pécheur.

Oui , mes Frères , fi le bonheur d'un© ame qui à vos yeux revient de fes égare- mens , ne vous fait point d'envie; fi le re- tour iincère d'un pécheur , qui peut-être autrefois étoit de vos plailîrs ôC de vos ex- cès , vous iaiffe toute votre indifférence pour le falut , ah ! du moins n infultez pas au bonheur de fa deftinée ; du moins ne înéprifez pas en lui le don de Dieu ; ne trouvez pas dans les miracles mêmes de la grâce , fi capables de vous ouvrir les yeiix , un nouveau motif d'aveuglement 6c d'incrédulité ; 6c ne changez pas les bien- faits de Dieu fur vos frères , en un juge- ment terrible de juftice contre vous.

Vous êtes furpris quelquefois , mes Frè- res, en lifant l'hiftoire de notre Evangile, que la dureté ÔC l'aveuglement des Juifs pût réfifter aux prodiges les plus éclatans de Jefus-Chrift : vous ne comprenez pas comment la réfurreftion des morts, lagué- rifon des aveugles-nés , 6c tant d'autres merveilles opérés à leurs yeux , ne les forçoient pas à reconnoitre la vérité de fon miniftère , ÔC la fainteté de fa doctrine: vous dites qu'il n'en faudroit pas tant pour vous convaincre qu'un feul de ces miracles fulîi- roit , 5c que vous vous rendriez à l'inftant.

Mais , mes Frères , vous vous condam- nez par votre propre bouche ; ( car fans réfuter ici ce vain difcours par ces preuves hautes ÔC fublimes que la Religion fournît

contfç

Homélie SUR Lazare. 377 fcontre l'impiété , 6c que nous avons em- ployées ailleurs ; ) de bonne foi , n'eft-ce pas un miracle plus étonnant 5c plus diffi- cile , qu'une am,e livrée au crime 6c aux paiîîons les plus honteufes , née avec des penchans de volupté , de fierté , de ven- geance , d'ambition , Sc plus éloignée que perfonne , par le caraftère de fon cœur , du Royaume de Dieu , 6c de toutes les maximes de la piété chrétienne ; que cette ame renonce tout d'un coup à fes plaifîrs, rompe les attachemens les plus vifs , ré- prime les pafTions les plus violentes , étei» gne , change les inclinations les plus enra- cinées , oublie les injures , les foins du corps , de la fortune ; ne trouve plus de goût qu'à la prière , à la retraite , à la pra- tique des devoirs les plus trilles 5c les plus dégoiitans , 6c offre aux yeux du public un changement , une réfurreâ:ion fi palpable, le fpeâ:acle d'une vie fi différente de la pre- mière , que le monde , que le libertinage lui-même foit forcé de rendre gloire à la vérité de fon changement , 5c qu'on ne la Teconnoiffe plus elle-même ; n'ell-ce pas > dis- je, un miracle plus étonnant §C plus difficile ?

Or , la miférîcorde de Jefus-Chrifl n'opére-t'elle pas tous les jours de ce pro-* àïges à vos yeux ? fa parole f^ynte, quoi- que dans des bouches foibles 6c languiilan- tes ,, ne reifufGite-t'elle pas encore tous ks jours d;es Lazares ? Vous les voyez ; voitô les connoiffez ; vous en paroiffez furpris ^

}7^ VexN^d. de la IV. Semaine. & cependant en êtes-vous touchés ? ces merveilles que le doigt de Dieu fait éclater avec tant de majefté, vous rappellent-elles à la vérité 5c à la lumière ? ces change- mens mille fois plus furprenans que la ré- furreâ:ion des morts , vous convainquent- ils ? vous attirent-ils à Jefus-Chrift ? vous rendent- ils la foi que vous avez perdue ?

Hélas ! femblables aux Juifs , tout vo» tre foin eft d'en combattre ou d'en affoi- blir la vérité. Vous difputez à la grâce la gloire de ces prodiges : vous en cherchez les motifs dans des caufes toutes humai- nes : vous les regardez comme des prefti- ges 5c des impcftures : vous attribuez aux. artifices de l'homme les plus éclatantes opérations de rEfprit- Saint : vous voulez qu'une nouvelle vie ne foit qu'un nouveau piège qu'on tend à la crédulité publique , Se une voie nouvelle pour mieux arriver à fes fins. Ainfi les œuvres de la toute-puif- fance de Jefus-Chrifl: , vous endurcifTent ; ainiî les prodiges mêmes de fa grâce con- ibmment votre aveuglement ; ainfi vous faites tout fervir à votre perte ; Jefus- Chrift eil pour vous une pierre de chiite 6c dQ:fcandale^ il auroit être une fourcQ de vie 5c de falut. Les exemples des. pécheurs vous fouillent 6c vous corrom- pent ; leur pénitence vaus révolte 6c vous endurcit.

Grand Dieu ! fbuiîrez donc que pour Enir enfin les égaremens d^une vie toute ciimiaelle ^ j'élève aujourd'hui ma vclii

Homélie sur Lazare. 379 vers vous , du fond de rabîme je lan- guis depuis tant d'années : les chaînas im- pures dont je fuis lié , m'attachent par tant de nœuds à la profondeur du gouffre je. traîne mes triftes jours , que malgré tous mes bons défirs , je demeure toujours immobile , ÔC ne faurois prefque plus faire d'effort pour me dégager , 5c retourner ù vous , ô mon Dieu ! que j'ai abandonné. Mais , Seigneur , du fond de ce gouffre oii vous me voyez lié 6c enfeveli , comme uii autre Lazare , j'ai encore du m.oins la voix du cœur libre pour porter jufqu'au pied de votre Trône mes regrets , mes foupirs 6C mes larmes : D^ ^rcfundis cUmuvi *id pj: j^^^, te y Domine. î- '^/^î?

La voix d'un pécheur qui revient à vous. Seigneur , efi: toujours pour vous une voix agréable : c'eft cette voix de Jacob qui réveille toute votre tendreffe , lors même qu'elle ne vous préfente que des mains d'Efaii, 6c toutes pleines encore defang & de crimes ; Domine exai/di vocem meam.

Ah \ vous avez affez jufqu'ici , Seigneur, détourné vos oreilles faintes de mes dif- cours de licence 8C de blafphéme : rendez- les aujourd'hui attenti\'es aux plus triilesi expreffions de ma douleur; ôc que la nou- veauté du langage. que je vous tiens , a. mon Dieu ! attire à ma prière une attention; plus favorable-: Fiant aiires tiice intendantes; in vocem â:prec\itionis mcœ>

Je ne viens pas ici^, grand Dieu, excu- kx. dev3U!^; vQiis: mes défojdres , en vaiifc

Hz.

3^0 Vend, de la IV. Semaine.' alléguant les occafions qui m'ont féduit ? les exemples qui m'ont entraîné , le mal- heur de mes engagemens ^ & le caradlère de mon cœur ôc de ma foiblefTe : cachez- vous , Seigneur les horreurs de ma vie paflee : le feul moyen de les excufer , c'eil de ne vouloir pas les regarder 6c les con- noître ; hélas ! il je n'en puis foutenir moi- même k feul fpeâacle; mes crimes fuyent ÔC craignent mes propres yeux , 6c s'il faut que j'en détourne la vue pour ménager mes terreurs 6c ma foibleiïes ; comment pour- roient-ils ^ Seigneur , foutenir la fainteté de vos regards , 11 vous les examinez avec - cet oeil de févérité , qui trouve des taches dans la vie la plus pure ÔC la plus louable ? Si iniquitates obfervaveris y Domine 'y Do-^. mine , quix fufiinebit ?

Mais vous n'êtes pas , Seigneur , un Dieu femblable à l'homme , à qui il en coûte, toujours de pardonner 6c d'oublier les ou^ îrages d'un ennemi : la bonté 5c la miféri» corde font nées dans votre fein éternel ; la, clémence elè le premier caraé^ère de votre Etrefuprême; & vous n'avez point d'enne- mis , que ceux qui ne veulent pas mettre: leur confiance dans les richeiles abondant,es de VQsmiféricordes: Quia apiid Dominunz miferieoriia ^ ^ cojiiofa a£ud mm re* demptio.

Otii , Seigneur ! à quelque heure qu'une- 9îne criminelle revienne à vous \ dès le^ matift de l'a vie » ou fur le déclin de Tage ;, a^^rès les égar^men3t dQS grçmiéres moeurs^

Homélie sur Lazare. 3R1

bu après une vie entière de difTolution & de licence , vous voulez , ô mon Dieu ! qu'on efpére encore en vous ; & vous nous alTurez que le plus haut point de nos cri- mes , n'eft encore que le premier degré de vos miféricordes : A cujlodiâ matutinà uf- que ai noctemfperet ifra'él in Domino»

Mais auiîî » grand Dieu ! vous exaucez mes défirs ; fi vous me rendez une fois la vie 6c la lumière que j'ai perdue ; û vous brifez ces chaînes de la mort qui me lient encore ; fi vous me tendez la main , pour me retirer de l'abîme je fuis plongé, ah ! je ne cefierai , Seigneur, de publier vos miféricordes éternelles .-j'oublierai le mon- de entier , pour ne plus m'occuper que des merveilles de votre grâce fur mon ame: je rendrai gloire tous les m.omens de ma vie au Dieu qui m'aura délivré : ma bouche fermée pour jamais à la vanité , ne pourra plus fuffire aux tranfports de mon amour oC de m^a reconnoifiance; 5c votre créature^ qui gémit encore feus l'empire du monde Se du péché ^ rendue à fon Seigneur vérita- ble , bénira fon Libérateur dans les fiécks des fiécles.

38i Vend de la IV. Semaine. AVIS.

ON s^appercevra , fans doute , en llfant le Sermon fuivant , que les vérités qu'il renferme ont déjà été traitées dans les deu:^ difcours que ton trouve le Jeudi de lu troi- Jiéme Semaine de Carême , intitulés , run ; De rincertitude de la juftice dans la tié- deur ; & Vautre : De la certitude d'une chiite dans la tiédeur. Comme la matière eft extrêmement importante , ô* mérite d'ê- tre traitée avec foin 3 elle s'étendit fort entre les mains du P. Majfdlon , lorfqu*il voulut la remanier , qiiil lui fut impojfible de tout renfermer dans un feul difcours : il prit donc le parti d'en faire d'eux \ & de traiter Jéparement les deux vérités qu'il avoit d'abord réunies.

Peut-être ne fera- 1 il pas inutile pour les perfcnnes qui fe deftinent à la Chaire ^ quel- les voyent comment ce grand homme f avoit prefemer les mêmes jujets fous différens points de vue , é* donner un nouveau -jour & une nouvelle force à des vérités fur hf- quelles on avroit cru qu^il n'y avoit plus rien à dire. Nous ne faifons point VAnalyfe, de ce Sermon : celles qui ont été faites des deux Sermons y Sur la tiédeur^ peuymk [ervir pour cdui-ci.

SECOND

SERMON

POUR LE VENDREDI DE LA QUATRIEME SEMAINE

DE CAREME.

Sur les fautes légères,

înfir mitas haec non eil ad mortent.

Cttu maladis m va ^oint à la mort- Joan. II. 4,

^g^^l- E que le Sauveur dit aujourd'hui de la maladie de Lazare , nous ^^m le difons fouvent des maux de gj notre ame , m.es chers Audi- teurs : cependant fous prétexte quek plupart de nos foiblefTe:? ne font pas du nombre- de celles qui conduifent à la mort ^ 5c qii'cUes na touchent pas au fonds de la grâce 6< de la juilice qui eil en nous ^ nous les regardons comme légères

584 Vend, de la IV. Semaine.

ÔC prefqiie de nulle conféquence dans la vie Chrétienne. Cette erreur li dangereufe eft pourtant commune au Jufte , 6c au pécheur ; au mondain , 6c au Solitaire ; au Prêtre appliqué à l'Autel faint , 6c à l'homme engagé dans le tumulte du iié- cle ; à la Vierge confacrée au Seigneur , Se à la femme chrétienne ; partagée en- tre Jefus-Chrift & les foins du mariage. Jugez de l'importance de cette matière., par fon étendue : tout le monde prefque regarde des mêmes yeux ces infidélités journalières 6c habituelles , que le poids de la corruption femble rendre inévita- ble à la piété la plus attentive : on fe les permet fans fcrupule ; on s'en reçon- noît coupable fans componction : on s'en accufe fans amendement ; on vit fans nulle- précaution pour les éviter; ôc de-là cette indolence 5c cette molIelTe dans les voiea du falut j qui damnent tant de perfon- nés , nées d'ailleurs avec des principes de vertu ÔC des fentimens heureux poair le Ciel.

Cependant , m.es Frères , la fidélité à nos moindres obligations eft la pratique la plus elTentieile à la piété chrétienne : elle feule fait les JuHes ; à elle feule les pro- méfies de la perfévérance font faites ; à, elle feule les Saints qui nous ont précédés doivent la couronne d'immortalité dont ils jouifleat. Il nQR point- de piété véritable fans cette exaâitude ; 8c l'état oii l'on.fe feoxae 4 QbiexYçr l'êffentiel de h Loi ^. ea

fe

Faute? légère^. 5^5 (e permettant toutes les tranfgrefîions qui ne font pas renfermées dans le précepte , eft un état chimérique dans les principes delà Religion ; un état perfonne n'a pu encore atteindre ; 6c dont aucun Saint ne nous a lailfé le modèle.

En effet , ce qui nous abufe ici , c'eft que nous n'enviiageons les infidélités dont je parle que par rapport à la^Loi dont elles ne violent pas les points principaux, ÔC de ce côté-là , elles nous paroilTent lé* gères : mais cette régie de nos jugemens eft très-défeâueufe , puifque la malice de nos œuvres ne fe prend pas feulement du côté de la Loi qu'elles blelfent , mais en- core du côté du cœur qui les produit , 6c des fuites elles nous conduifent. Or, voilà les deux endroits par je prétends vous faire confidérer aujourd'hui les infi- délités légères , & cet état de tiédeur 6C de mollelfe dont je parle ; 6c vous con- viendrez que ridée de légèreté qu'on leur attache , eft une idée fort injufte. Premié' rement , nous examinerons la corruption du principe d'où elles partent d'ordinaire ; ÔC du moins elles vous paroîtr ont fort fouil- lées : première réflexion. Secondement : nous ensuivrons les effets ; ôc vous ne pourrez vous empêcher de convenir que ou moins elles vous feront tôt ou tardru- îieftes : dernière réflexion. Ainfi , foit que i^ous les confidériez dans leur principe , ou dans leurs fuites , vous ne les regarde- rez plus comme lég'éres , 5C vous treai-

ï.

Ï'aetie

^86 Veno. de la IV. Semaine." blerez fur un état fi peu sûr pour le faîuti Développons ces deux importantes vé- rités. Ave^ Maria.

OI les hommes avoient feulement de la majefté de Dieu , l'idée que la foi devroit leur en donner , il feroit inutile de venir ici juftifier fa Loi , ÔC prouver que tout ce qui rofîenfe,nepeut être léger. La fainteté 6c Texcellence de fa nature , oppofée à la profondeur de notre néant , donne aux ou- trages que nous lui faifons , quelques légers qu'ils nous paroiflent , une énormité qui nous efl inconnue , mais toujours qui croit à proportion de notre baifeife , ôc de la grandeur de l'Etre que nous ofFenfons. Àufl] , mes Frères , lorfqu'un Royaume frappe de playes , des murmurateurs en- gloutis , des téméraires dévorés par le feu du Ciel , 5c mille punitions foudaines 6t éclatantes , fervoient comme d'appareil auprès d'un peuple charnel à la majefté du Dieu d'Abraham : fa Loi paroiiToit terrible 6c vénérable dans fes plus légères circonf- tances. Un peudeboisfecrettementamaiTé pour fecourir fa propre indigence, étoit im violement du Sabbat, 6c une prévarica- tion digne de m^ort : une jaloufie naiifante , im feul murmure étoit puni de lèpre dans la fœur même du condufteur d'Iiraèl , ÔC vous rendoit anathême au relie du peuple ; une fimpîe défiance dans les plus cruelles perplexités , vous fermoit l'entrée de la terre de Caiiaan , ôi iie laiffoit à Moif©

Fautes légères. 3S7 iitiême que la trifte confolation de mourir après l'avoir faluée de loin : enfin un léger butin réfervé des dépouilles de Jéricho , li- vroit Tarméedu Seigneur en proie aux na- tions , 6c vous rendoit coupable d'un crime qui ne pouvoit plus être expié que dans votre fang.

Et certes , mes Frères , fi nous ne con- fidérions que la grandeur de l'Etre fuprê- me 3 ce qui lui déplaît, ce qui ToiFenfe , pourroit-il jamais paroitre léger ? fi Dieu n'écoutoit que le foin de fa gloire , ÔC ce qu'exige fon infinie majefté , outragée par la créature , toutes les lois que méprifant fes Commandemens , nous lui défobéi'f- fons , même dans les chofes les moins con- fidérables ; que n'aurions-nous pas à crain- dre ? Ce n'eft pas que je veuille ici con- fondre les fautes vénielles avec les fautes mortelles ; la différence eft bien grande ; les premières ne nous privent pas de l'a- mour de Dieu , quoiqu'elles raffoibliifent; les autres bannilfent la charité de notre cœur : les 'premières ne font que contrifier l'Efprit -Saint dans nos âmes ; les autres l'y éteignent tout-à-faiî î mais néanmoins , toute infidélité , quelque légère qu'elle puiffe être , eft en un fens très-véritable, une préférence injufte que nous faifons de la vile créature au Créateur : en violant la Loi de Dieu dans les points les moins -f- fentiels , il eft vrai de dire en un fens , q :e nous préférons le plaifir injufte , qui nous revien; de cette légère tranfgreffion , à la

A^ Vend, la IV. Semaine. Loi de Dieu , à Dieu lui-même qui iioiï^ la défend : or , la préférence de la créa- ture à Dieu , dans quelque circonftance que ce foit , quelque petite qu'elle foit , n'eft-elle pas un outrage que nous lui fai- fons ? 5c un outrage fait à un Etre fi grand , C faint , û digne de nos hommages , pour- ra-t'il jamais être regardé comme une bagatelle , fur-tout fi nous faifons atten- tion que nous fommes dans rimpolîibilité de trouver dans notre propre fonds , de quoi expier une feule de ces fautes , 6c qu'elles ne peuvent être lavées que dans le fang du Fils de Dieu ?

Mais ce n'eft pas à ces confidérations que je prétends m'arrêter aujourd'hui : je ne veux point prendre hors de vous-même le danger de cet état qui vous paroit fi siir ; 6c pour ne laiiler ici aucune évafion à Terreur que je combats , je veux les confidérer , ces fautes , dans la difpofition même de votre cœur d'où elles partent ; ôc voici toutes les réflexions qui m'ont paru déci- Cves fur cette vérité fi imponante : je vais vous les propofer fimiplement 5c fans art ; écoutez-les attentivement, je vous prie.

Premièrement , dès - que vous ne vous difputez plus ces infidélités légères , 2< que vous vous faites comme un état de la Îîmr4e exîenfion du crime , c'eft-à-dire , de la tiédeur ÔC de la négligence ; dès-lors vous renoncez au déiir de votre pérfec* tion ; vous n'êtes plus contrifté desfoiblef- fes & des chûtes qui vous retardent fur vo«

Fautes légères. 389 tre route ; vous ne vous propofez plus d'a- vancer pour atteindre à ce point Dieu v^ous demande , 6c vers lequel fa grâce ne ceffe de vous pouffer en fecret. Cependant il vous eft ordonné d'être parfait , parce que le Père célefte , que vous fervez , eft parfait. Je dis ordonné ; car quoique le degré de perfeâion ne foit pas renfermé dans le précepte , tendre à la perfection , travailler à la perfection , eft néanmoins un commandement 6c un devoir indifpenfk- ble à tout Chrétien. Donc dès-là que vouâ vous bornez à ce que vous jugez Teffentiel de la Loi ; que vous vous permettez toutes les tranfgreirions légères qui ne donnent pas la mort à l'ame , vous ne fon^Qi plus à devenir parfait : vous laiffez-là cet ouvrage auquel Jefus-Chrift vous a ordonné de travailler. Or , je vous le demande : cette difpofition toute feule , qui n"'eft autre cho- fe qu'un mépris formel, une tranfgrefii^n certaine de ce grand commandement oui vous oblige d'être parfaits , c'eft-à-dire , de travailler à le devenir ; eft-elle une preuve que votre ame foit vivante aux yeux de Dieu ?& ne doit-elle pas au moins vous infpirer des doutes far votre état ?

Secondement , cette attention toute feule que vous apportez à examiner fi une offenfe eft vénielle , ou fi elle va plus loin ; à difputer au Seigneur tout ce que vous pouvez lui refuferfans crime; à n'étudier la Loi que pour connoître jufqu'à quel point il vous eft permis de la violer ; cette

Kkj

590 Vend. »e la IV. Semaine.'

feufe attention , dis- je , ne peut partir que d'un fond d'amour propre ; d'un fond la foi 5c la charité font au moins bien lan- guilLintes ; d'un fond ennemi de la Croix de Jefus-Chrift ; d'un fond 1 Efprit de Dieu ne paroît pas régner ; car il n'eft que les enfans prodigues qui chicanent ainfi avec le Père cëlefte , qui veuillent lifer de leurs droits à la rigueur , 6c prendre tout ce qui leur appartient ; il n'eft que les vierges folles qui attendent ainii l'extrémité pour obéir à lEpoux.

Troifiémement eu effet , cette difpofi- tion qui fait qu'on le permet tout ce qu'on ne croit pas digne d'une peine éternelle , eft la difpofition d'un efclave 5c d'un mer- cenaire : c'eft-à-dire , que fi l'on pouvoit fe promettre une pareille indulgence pour îa tranfgrelîion des points -eiTentiels de la Loi , on les violeroit avec autant de faci- lité , qu'on viole les moindres ; c'eft-à- dire , que lorfqu'on eft fidèle au comman- dement , ce n'eil pas la juilice que l'on ai- me , c'eft la peine que Ton craint ; cen'eft pas le Seigneur qu'on .fe propofe , c'efl ibi-même ; car tandis que fa gloire feule y çil intéreilée , 6c qu'il ne doit nous revenir aucun dommage de nos infidélités , ah ! nous ne craignons plus de lui déplaire : nous excufonsméme ces fautes en difant qu'elles ne donnent pas la mort à Tame ; c'efl-à- dire , qu'elles ne font que déplaire à Dieu , fans nous mériter une peine éternelle : ce Ç[ui le regarde ne nous touche pas ; fon hon-

Fautes légères. 591

neiir n'entre pour rien dans le difcernement que nous faifons des aâions permifes 5C défendues : c'eft notre pur intérêt qui régie là-defTus notre fidélité. Gr , je vous de- mande : eft-celàlafîtuation d'une ame qui aime encore ? ÔC comment appeller une difpofition fi injurieufe à Dieu?peut-on ne pas craindre qu'elle ne foit criminelle ? La charité que vous croyez pourtant avoir , cherche-t'elle ainfi les propres intérêts ? Ah ! quand on aime véritablement , tout ce qui déplaît à ce qu'on aime , nous tou- che : on ne s'avife pas de péfer jufqu'à quel degré on peut lui déplaire fans mériter fes châtimens , pour prendre là-deflus fes mefiires , ôc l'offenfer dès-lors qu'il n'y aura plus de fupplice à craindre : cette fup- putation part d'un cœur qui n'aime point du tout. Vous voudriez favoir fi ce jeu , ce fpeftacle , cette liberté , ce difcours qui nuit à la réputation de votre frère , ces plaifirs , ce luxe , cette omifiion , cette inutilité de vie efi: une ofTenfe vénielle ou mortelle. Vous (avez qu'elle déplaît au Seigneur; car ce point n'eftpas douteux ; 6c cela ne vous fuffit pas pour vous l'inter- dire ? & vous voudriez favoir encorefi elle lui déplaît jufqu'à mériter une peine éter- nelle ? ÔC tout votre foin eft d'éclaircir fi c'eft un crime digne de Tenfer? Eh ! vous voyez bien , mon cher Auditeur , que cette recherche n'aboutit phis qu'à vous-même; que votre difpofition va à ne compter pour rien le péché , en tant qu'il eft oiîenfé de

Kk4

592 Vekd. de la IV. Semaine.

Dieu, &C qu'il lui déplaît; (motif elTentiel cependant qui doit vous le rendre haïfla- ble ; ) que vous ne fervez pas le Seigneur dans la fîncérité & dans la juftice ; que vo- tre piété n'eft qu'un naturel timide , qui n'oie s'expofer aux menaces terribles de la foi ; que vous reflemblez à ce ferviteur in- £déle , qui avoit caché fon talent , parce que le maître étoit auftère , mais qui hors de-là l'eût diiTipé en folles dépenfes ; 6C que dans la préparation du cœur à laquelle feule le Seigneur regarde , vous êtes peut- être un enfant de mort ÔC un tranfgreiïeuf déclaré de la Loi.

En quatrième lieu , cet état de relâche- ment 8c d'infidélité , fans avoir mêmiC égard fiisx diipontions qui vous y ont conduit i cet état en lui-même eiï un état fort dou- teux , dont nul Do6teurne voudroit vous garantir la sûreté ; 6c qui du moins eft plu» voifm du crime, que de la vertu. En effet, qui peut vous aiTiirer que dans ces recher- ches fecrettes 5c éternelles de vous-mê- me ; dans cette moileifc des mœurs qui fait tout le fond de votre vie ; dans cette atten- tion à vous ménager tout ce qui flâte vo3 fens : à éloigner tout ce qui vous gêne , même aux dépens de vos moindres obliga- tions , l'amour propre n'y eft pas entré juf- qu à ce point fatal qui fufîît pour le faire dominer dans un cœur 5c en bannir la chari- té F Qui pourroit vous dire fi dans ces pen- fées votre efprit oifeux a rappelle mil- le fois des objets ou des événemens péril-

Fautes légères. 39*5 leiix à la pudeur , votre lenteur à les com- battre n'a pas été criminelle ; ÔC fi les ef- forts que vous avez faits enfuite n'ont pas été un artifice de l'amour propre , qui a voulu vous déguifer à vous-même votre crime , 6c vous calmer fur la complaifance que vous leur aviez déjà accordée ? Qui oferoit décider, il dans ces aigreurs 6C dans-ces refrcidilfemensfecretsfur lefquels vous ne vous gênez que foiblement, ÔC fou vent par bienféance plus que par piété, vous vous en êtes toujours tenu à ce pas gliflant , au-delà duquel le trouve la haine ôC la mort de l'ame ? Qui fait fi dans la fen- fibiliîé qui accompagne d'ordinaire vos af- flictions , vos contre-tems ôc vos peines , ce que vous appeliez fentimens inévitables à la nature , ne font pas un dérèglement de votre cœur , un affûibliflement criminel de la foi , 6c une révolte contre la Providen- ce ? fi dans tous ces foins , l'on vous voit defceiidre pour ménager les intérêts de votre fortune , pour relever les grâces d'une vaine beauté , il n'y entre pas autant de vivacité qu'il en faut pour former le cri- me, ou de l'avarice, ou de Tambition, ou de la volupté? fi dans l'ufage de vos lens, 6c dans cette délicatelle qui ne fe refufe rien , 6c qui ne cherche qu'à réveiller le goût par de nouveaux artifices , le plaifir que vous goûtez au-delà de la nécefiité n'elî pas le vice d'intempérance ?

Grand Dieu ! qui a bien compris les progrès ôc les diminutions iufenfibles de

§94 Vjlnd. de la IV. Semaine. votre grâce dans les âmes ? qui a bien dif. cerné ces bornes fatales qui feparent dans un cœur la vie de la mort , & la lumière des ténèbres ? comme difoit le faint hom- me Job. Un peu plus , ou un peu moins de complaifance , un mouvem.ent du cœur plus délibéré , ou plus prom^pt ; un aâ:e de la volonté plus achevé , ou plus im- parfait ; une omiHion il entre plus ou moins de mépris ; une penfée arrivée feu- lement jufques au degré qui précède le crime , ou poufTée un peu au-delà ; ah ! ce font des abîmes fur lefquels Thomme peu inftruit ne peut que trembler , 6c dont vous réfervez la manifeftation au jour ter- rible de vos vengeances. Cependant , mon cher Auditeur , vous êtes tranquille dans iin état il n'eft pas une feule de vos ac- tions , qui à votre insii , ne puiHe être un crime devant Dieu.

Ah ! c'eft pour cela que les plus grands Saints , aufquels la confcience ne reprocha rien ; qui châtient leurs corps ÔC le rédui- fent en fervitude ; ces hommes toujours attentifs fur eux-mêmes ; toujours en garde contre le péché ; qui s'abftiennent même des œuvres les plus permifes de peur de fcandalifer leurs frères ; qui opèrent leur falut dans une crainte &C un tremblement continuel , ne favent cependant s'ils font dignes d'amour ou de haine , s'ils portent encore au fond de leur cœur le tréfor in- vifible de la charité ou s'ils l'ont perdu. Et vous , mon cher Auditeur , dans des

Fautes légères. 39; mœurs toutes fenfuelles ; vous qui vous permettez tous les jours , de propos déli> béré , des infidélités fur la malice defquel- les vous ignorez le jugement que Dieu porte ; vous qui ne prenez aucun foin de conferver le tréfor de la grâce , ÔC qui vi- viez content au milieu des périls , il eft prefque impoflible de ne pas la perdre ; vous qui éprouvez tous les jours ces mo- mens douteux despafTions , ou malgré tou- te votre indulgence pour vous - même , vous avez tant de peine à démêler fi le confentement n'a pas fuivi le plaifir , 6c fi vous vous en êtes tenu à ce degré péril- leux qui fépare l'offenfe vénielle de la mor- telle : vous dont toutes les aérions font prefque douteufes ; qui êtes toujours à vous demander fi vous n'avez pas été trop loin ; qui portez des embarras 6c des re- grets fur la confcience , que vous n'éclair- ciffez jamais à fond : vous qui flottez éter- nellement entre le crime 6c les pures fau- tes , & qui tout au plus pouvez dire , comme David , que vous n'êtes jamais fé- pare que d'un petit degré de la mort : Uno 2. Rc^ tantiim gradu , morfque dividimur : vous ^i' malgré tant de juftes fujets de crainte , vous croiriez conferver encore la charité , 6c vous vous calmeriez fur vos infidélités vifibles ÔC journalières, par une prétendue habitude invifible de juftice dont vous ne voyez au- dehors que des marques équivo- ques. Jugez vous-même fi votre confiance eft bien fondée : je ne veux ici que vous

396 Vend, de la IV. Semaine. 1. Cor.feul pour arbitre : Vos ij.Ji judicate quod

Cinquièmement , quoiqu'il foit vrai que tous les péchés ne font pas des péchés à la mort , comme dit S. Jean , 6c que la mo- rale chrétienne reconnoifle des fautes qui ne font que contrifter rEfprit-faint , 6C d'autres qui le bannilTeut tout-à-fait de l'â- me ; néanm.oins les régies qu elle nous four- nit pour les diftinguer , ne fauroient être ni sûres , niuniverfelles, du moment qu'on les applique : il s'y trouve toujours , par rapport à nous , des circonftances qui leur font changer de nature. C'eft donc la dif- pofition du cœur , qui décide de la mefure êC de la qualité de nos fautes : fouvent ce qui n'eft que fragilité ou furprife dans le Jufte , eft malice 5c corruption dans le pé- cheur. En voulez-vous des exemples ? Saùl , malgré les ordres du Seigneur , épar- gne le Roi d'Amalec , ÔC ce qu'il y a de plus précieux dans les dépouilles de ce prince infidèle : la faute ne paroît pas con- fidérable ; mais comme elle part d'un fond d'orgueil , de révolte ôc de vaine com- plailance en fa viâ:oire , cette démarche commence fa réprobation , 5c l'eTprit de Dieu fe retire de lui Jo fué , au contraire, épargne les Gabaonites que le Seigneur lui avoit ordonné d'exterminer; il ne va pas le confulter devant l'Arche avant de faire alliance avec ces impofleurs : mais com- me cette infidélité eft plutôt une furprife qu'une défcbéillance , 5c que cette faute

F A U T E § L E G E R E f* ;0

^artd*un cœur encore fournis, religieux , fidèle ; elle eft légère aux yeux de Dieu , 6C le pardon fuit de près l'ofFenfe.

Or, mon cher Auditeur , fi ce principe eft inconteftable , furquoî vous fondez- vous , lorfque vous regardez vos infidéli- tés comme des fautes légères ? connoilTez- vous toute la corruption de votre cœur , d*oii elles partent ? Dieu la connoît , lui qui en eft le Scrutateur 5c le Juge , ôcdont les yeux (ont bien diiïerens de ceux de l'homme. Mais s'il eft permis de juger avant le tcms , dites-nous fi ce fond d'in- <iolence 6c de langueur habituelle qui eft en vous ; de perfévérance volontaire dans un état qui déplaît à Dieu ; de mépris dé- libéré des devoirs que vous ne croyez pas efi*entiels ; d'attention à ne rien faire pour le Seigneur , que lorfqu'il ouvre l'enfer fous vos pieds : dites-nous fi tout cela doit former à fes yeux un état fort digne d'un Chrétien ; 6c il les fautes qui partent d'un principe Ci corrompu , peuvent être devant lui fort légères bt dignes d'indulgence ? Mon Dieu ! que vous no lis découvrirez de chofes nouvelles , lorfque vous viendrez juger les juftices ÔC manifefter les fecrets des cœurs !

Sixièmement , ce qui doit encore plus vous faire trembler fur votre état de tié- deur 5c d'indolence , c'eft que je ne vois rien en vous qui puilfe même vous faire préfumer que vous confervez encore cette grâce fanâiifiaute fux laquelle vous compte^

^9^ Vend, de la IV. Semaine;

tant , parce que vous vous abftenez des cri- mes groiïîers : car lorfque la charité eft encore dans le cœur , elle fe manifefte toujours par quelques fîgnes ; c'eft un ar- bre dont la racine efl cachie dans Famé , mais qu'on peut connoître par fes fruits. Or , en premier lieu , le caractère de la charité , c'eft de grofîîr nos fautes à nos propres yeux , dit S. Bernard : elle aug- mente ; elle exagère tout : Sed aggravât y fcd exaggerat univerfa ; elle nous fait re- garder comme des crimes , des avions qui devant Dieu ne font que de pures foiblef- fes : ce font- de ces pieufes erreurs de la grâce qui ont leur fource dans les lu- mières mêmes de la foi ; c'eft ainfi que les Juftes fe regardent comme des pécheurs indignes des miféricordes du Seigneur , 6C fe mettent dans leur efprit , au - delTous de tous leurs frères. Et cependant , mon cher Auditeur , c'eft cette prétendue cha- rité que vous croyez conferver encore au milieu de votre tiédeur 5c de toutes vos in- fidélités , qui vous les fait paroître légères; c'eftparce que vous croyez qu'au fond vous aimez encore le Seigneur , ÔC ne voudriez pas l'ofFenfer dans les points eflentiels , que ces fautes journalières vous trouvent li peu fenfible ; que vous dites de vous - même qu'à la vérité vous n'êtes pas un Saint , mais qu'auiîi vous n'êtes pas bien mauvais,, c'eft votre charité elle-même qui vous raffure, qui diminue vos fautes à vos yeux,, qui vous calme , qui vous endort. Eh ! àx^

Fautes légères.' ^ç^ tes-moi, je vous prie , fi ce n'eft pas-là une contradiction ? fi la charité fe dément ainfî elle-même, &C fi vous diivez beaucoup compter fur un amour qui refifemble il fort à la haine ?

D'ailleurs, la charité eft humble , timide, défiante , fans cefie agitée par ces pieufes perplexités qui la lailîent dans le doute fur fon état; toujours allarmée par ces déli- catefies de la grâce , qui la font trembler fur chaque a&on ; qui lui font de l'incer- titude où elles la jettent , une efpèce de martyre d'amour qui la purifie : elie opère fon falut avec crainte & tremblement : cette voie a été dans tous les tems la voie des Juftes. Or , la charité fur laquelle vous comptez , eft tranquille , indolente , préfomptueufe : c'eft elle qui calme vos frayeurs ; qui bannit de votre cœur toutes ces allarmes toujours inféparables de la piété; qui vous établit dans un état de paix ÔC de confiance ; qui vous fait dire , comme à cet Evêque de l'Apocalypfe : Je fuis riche ; je ii aihQfoin de perfonne. Ah , mon cher Auditeur ! la charité eft-elle fi différente d'elle-même ? il faut que l'une des deux foit faulfe , ou celle que vous croyez avoir , ou celle dont les Jufi:es dans tous les fiécles , ont été jufques-icî favorifés. Or, je vous demande , décidez vous-même fur laquelle des deux ce terri- ble foupçon doit tomber.

En^n , la charité opère par-tout elle jçft ; elle ne peut être oileufe , difent lef

iyoo Vend, de la IV. Semainï:

Saints ; c'efî: un feu célefte dont rien peut empêcher Vaùivité : il peut être , à la vérité, quelquefois couvert, ÔC comme rallenti par la multitude de nos foibleil'es ; mais tandis qu'il n'eft pas encore éteint, sh ! il en fort toujours quelques étincelles , des vœux , des foupirs , des efforts , des œuvres : les Sacremens la renouvellent ; Iqs Myftèreslaints la raniment; les prières la réveillent ; les leâiures pieufes , les mf- truftions de falut , les fpe£i:acles de reli- gion, les faintes infpirations , tout la ral- lume , lorfqu'elle n'eft pas encore éteinte. Il eft écrit , au fécond Livre des Macha- bées , que le feu facré que les Juifs a voient caché pendant la captivité dans les entrail- les de la terre , fe trouva au retour couvert d'une moufTe épaifle , 6c parut comme éteint aux enfans des Prêtres qui le retrou- vèrent fous lacc-nduitedeNéhémias. Mais comme ce n'étoit que la furface feule qui étoit couverte , &*qu'au-dedans ce feu fa- cré confervoit encore toute fa vertu ; à peine Teut-on expofé aux rayons du fo- leil, à peine le ciel eut-il lancé defTus quelques traits de lumière, qu'on le vit fe rallumer à Tinftant , ôC offrir aux yeux le fpeâacle prefque d'un grand incendie : ÈéMach. IJiqii^ tempus affuit qub fol reful/it , accen- ** *^' fus ejl ignis magnus j ita ut omnes mira- rçntur. Ah ! voilà , mon cher Auditeur , l'i- mage de la tiédeur d'une ame véritable- ment jufte ; voilà ce qui devroit vous arri- ver | fi la multitude de vos iafidélités , Ci la

longueur

Fautes légères. 4^1

longueur de votre captivité , 6c la durée de vos chaînes n'avoit fait que couvrir & ral- lentir en vous le feu facré de la charité fans réteindre ; voilà, dis-je, ce qui de- vroit vous arriver lorfque vous approchez des Sacremens ; lorfque vous venez enten- dre la parole de falut ; lorfque Jefus- Chrift , le Soleil de juftice , lance fur vous quelques traits céleftes de fa grâce. On de- vroit alors voir tout votre cœur fe rallu- mer ; votre ferveur fe renouveller : votre charité vous embrafer : vous devriez alors être tout de feu dans la pratique de vos obligations : ^ccenfus eft ignis magnus y ita ut omnes mirarentur. Et-cependantrien ne vous ranime ; les Sacremens que vous fréquentez , vous laiflent toute votre tié- deur ; la parole de TEvangile que vous en« tendez , tombe fur votre cœur , comme fur une terre aride elle produit quelques vains défirs , & eft en même-tems étouffée ; les mouvemens de falut que la grâce opère au dedans de vous , n'ont jamais de fuites pour le renouvellem.ent de vos mœurs , ÔC expirent prefque en naiffant ; vous traî- nez partout la même indolence 5c la même langueur : vous fortez du pied des autels aulîi froid que vous y êtes venu : on ne voit point en vous ces renouvellemens de zèle &C de ferveur (i familiers aux Juftes , 6c dont ils prennent les motifs dans leurs propres chutes : ce que vous étiez hier , vous Têtes aujourd'hui; mêmes infidehtés & mêmes foibleffes , vous n'avancez pas Carême i Tome IlL Ll

^02,. VêKD, de la IV. Semaikï:!

d'un feiil degré dans la voie du falut , 8C tout le feu du ciel ne fauroit rallumer cette prétendue charité, cachée au fond de vo- tre cœur , fur laquelle vous vous raiTurez. Ah , mon cher Auditeur ! que je crains , qu'elle ne foit éteinte , 6c que vous ne foyez mort aux yeux du Seigneur. Je ne veux point ici troubler votre confcience : mais je vous dis que votre état n'eft point sûr : je vous dis feulement que fi l'on en juge par les régks de la foi , il eft plus vraifemblable que vous êtes dans la dif- grace 6c dans la haine de Dieu.

Hélas ! peut-être le Guide fpirituel de votre confcience , à qui vous ne venez re- dire fans cefi'e que de légères infirmités, ÔC qui ne fauroit voir la corruption du cœur d'où elles pjrtent ; peut- être que perfuadé que vous dormez , que vous vous relâ- chez feulement , il fe contente d'animer votre vigilance , 5c de réveiller votre fer- veur ; il penfe de vous ce que les Difciples ^^^'''^^' difent aujourd'hui de Lazare : Sidormity fahus ern\ qu'au fond , ce fommeil , ces chûtes légères , cette tiédeur , ne vous conduiront pas à la mort, & ne vous ex- cluront pas du falut. Mais Jefus-Chrifi: qui vous voit tel que vous êtes ; Jefus-Chrift qui ne juge pas comme l'homme ; Jefus- Chrift déclare que vous êtes mort déjà de- îllâ, P^''^^ long-tems à (qs yeux : Tune JefilscH- f>t4* ^i-t eîs manifejiè : Laiarus mortuus cjl» Cette vérité vous furprend , mes Frères^ mais je ferais bien plus ilirpris fi le contrai^

Fautes légères. '405, re arrlvoit : car fi vous voulez faire atten- tion en fécond lieu , aux fuites que traînent infailliblement après foi la tiédeur ôc l'ha- bitude dans les fautes légères , vous con- viendrez que quand même il feroit dou- teux , vous confervez encore la charité, ou il vous l'avez perdue , il eft certain que vous ne fauriez la conferverlong-tems en cet état : dernière réflexion.

CIL Elui qui méprife les petites chofes , dit^^^-^^s* i'Efprit faint , tombera peu à peu dans les grandes ; c'eft une des plus inconteftables maximes de la Religion : méprifer les pe- tits devoirs ; c'eft-à-dire , les vdoler de propos délibéré : en faire un plan 6c un état de conduite ; ( car vous y manquiez quelquefois, feulement par fragilité, ou par furprife , c'eft la deftinée de tous les Juftes , &: ce difcours ne vous regarderoit pas ; ) mais les méprifer dans le lens que je viens de l'expliquer ; dans ce fens qui convient à toutes les âmes tiédes ÔC in«^ fidèles , c'eft une voie qui aboutit toujours au crime. Renouveliez votre attention ; 6C voici les motifs fur lefquels je fonde la vérité de cette maxime.

Premièrement, cette voie aboutit tôt ou tard au crim.e ; parce que Dieu fe retire de l'ame tiède 6c infidèle. En effet, mes Fre= res , l'innocence même des plus juftes a befoin d'un fecours continuel de la grâce. Si le Seigneur cciTe un moment de veiller fax eux , d'être attçmif aux dangers qui Is^

LU

404 Vend, de la ÎV. Semaiî^. environnent , de les garder comme la pru* nelle de fon œil , de les couvrir de fon bouclier, ils deviennent la proïe du lioa rugiiTant, qui tourne fans cefle autour d'eux pour les dévorer.

La fidélité du Jufte eft donc le fruit des fecours journaliers de la grâce ; mais elle en eft auflî le principe ; c'eft la grâce qui opère la fidélité du Jufle ; mais c'efl la fidé- lité du Jufte qui attire la grâce dans fon ame. Si vous cefTez de correfpondre ; elle s'arrête : fi vous n'offrez plus de vaiffeau vuide pour la recevoir; cette huile célefle ne coale plus : fi vous manquez de faire valoir le talent ; on vous l'ôte .- fi vous négligez de cultiver l'arbre ; il féche peu à peu , 6c on le maudit : fi vous vous re- froidiifez , Dieu fe refroidit à fon tour : vous vous bornez à fon égard à ces de- voirs indifpenfables que vous ne fauriez lui refufer fans encourir des peines éter- nelles ; il fe borne auffi pour vous à ces fecours généraux avec lelquels vous n'irez pas loin , avec lefquels vous ne ferez ja- mais fidèle dans la tentation : il fe retire de vous à proportion que vous vous reti- Tez de lui ; 6c votre fidélité à le fervir efl la mefure de celle qu'il apporte à vous protéger.

Eh ! dequoi vous plaindriez-vous, ame infidèle , lorfqu'il en ufe de la forte ? en- trez en jugement avec votre Seigneur , ôC voyez fi fa conduite n'eft pas j^ufte. Vous tt'êtes ^lus attemivç à lui plaire^ il ne reiS

Fautes légères. 405 plus à vous favorifer : vous négligez mille occafion vous pouviez lui donner des marques de votre fidélité ; il lailTe pafTer toutes celles il pourroit vous' en don- ner de fa bienveillance ; vous chicanez avec votre Dieu , fi j'ofe parler ainfi ; vous lui difputez tout ce que vous ne croyez pas lui devoir ; toute votre attention eftde prefcrire des bornes au droit qu'il a fur votre cœur ; vous lui dites , comme il di- foit lui-même à ce ferviteur ; Prenez ce qui vous appartient : n'êtes-vous pas convenu du prix avec moi ? ne m'en demandez pas davantage : Toile quoi tuum efl : nonne ex Matt^}^ denarlo conveni/ii mecum 1 rien de tendre ,io.i3./4# rien de fervent ne vous échappe ; vous fupputez tout ce que vous lui donnez , comme fi vous craignez d'aller trop loin ; & il fuppute à fon tour avec vous , 6c il eft attentif à vous refufer ces grâces fpé- ciales qu'il v^ous accordoit auparavant. Trouve-t'on mauvais qu'un Souverain , dansladiflribution de fes faveurs, partage mieux ceux de fes fuiets qui s'appliquent avec plus de foin ÔC de vigilance à le fer- vir ? Eh ! que ferviroit donc la fidélité du Jufle , s'il ne devoit avoir aucun avantage fur le pécheur? quel feroit le centuple pro- mis dès cette vie au ferviteur vigilant, le Maître ne le dilîinguoit pas dans le par- tage de fes grâces , du ferviteur inutile ? Vous êtes trop jufte , Seigneur ; ÔC vos jugemens font trop équitables. Or , que coucUixe de-là , mes Frères ? i^

■406 Vend, de la IV. Semaine. voici : Que cet état d'infidélité habituelle éloignant de i'ame toutes les grâces de pro- teâ:ion ; tout ce que vous vous permettez de léger o^ontre quelque précepte , vous prive des fecours deftinés pour en faciliter i'accomplilTement , lorfque la circonftance du précepte arrive. Vous n'avez pris au- cun foin d'éviter ces entretiens , ces liber- tés , ces regards , ces leftures qui pou- voient vous conduire à la perte de la pu- deur ; parce que vous n'y voyiez rien de criminel , 6c ne croyiez pas qu'on put vous les interdire : vous avez éloigné de vous les grâces attachées à la coniervation de cette vertu ;&C dans une occafion effentielle il s'agira de la conferver , ou de la per- dre tout-à-fait , comme vous n'aurez plus à oppofer au danger que votre propre foi- blelTe , vous périrez. Car quelle autre def- tinée pourriez-vous vous promettre ? Les Jiiftes dans ces occafions périlleufes , en- vironnés des fecours d'en haut , fuccom- bent quelquefois ; du moins ils ont de la peine à fortir vainqueurs, & flottent long- tems entre la- victoire 6c la défaite : jugez fi vous devez vous promettre un heureux fuccès , vous qui n'apportez à ce combat que vos propres forces ; c'efl - à - dire _, mille acheminemensiecrets au crime dans lequel l'ennemi s'efforce de vous entraî- ner ; ÔC fi le Seigneur ne combattant plus pour vous ^ vous pouvez manquer de de- venir fa proie.

Secondement ^ cette voie de tiédeur 5|

Fautes légères. 407 3Mnfidélité aboutit tôt ou tard au crime : parce que non-feulement ces fautes légères nous privent des fecours a£luels nécefîaires àla confervation de la juftice ; mais par une fuite infaillible, elles rallentilTent encore la charité qui eft au-dedans de vous ; elles minent peu à peu cette habitude de fain- teté , 5c font enfin écrouler tout l'édifice chrétien : ce font des ronces multipliées , qui peu à peu couvrent enfin tout le champ éc étouffent la bonne fémence.

On vous a dit que ces fautes , quelle que foitleur quantité, ne peuvent jamais d'elles mêmes monter à ce point fatal qui fait le crime , 6c éteint tout-à-fait la grâce. Mais que veut- on dire par-là ? qu'elles n'épui- fent pas toute la vigueur de l'ame ; qu'elles n'affoibliflent pas toutes fes puiiTances fpi- rituelles , qu'elles ne rallentifient pas fa foi ; qu'elle n'attiédilTent pas fon efpéran- ce ; qu'elles n'introduiient pas jufques dans le fond de fon être des fe m en ces de cor- ruptions , qui dans leur tems produiront des fruits de mort ; qu'elles ne font pas au cœur de ces playes dangereufes , qui atti- rent de leur côté les attaques de Satan ,6C lui montrent le chemin delà viéloire ;6C enfin , qu'elles ne refiemblent pas à ces fyptômes fréquens qui tôt ou tard finif- fent par la mort ? Que veut-on dire par-là > que 11 charité femblable à un feu facré ne $'ufepas, 5c ne fe confommepaselle-mê- ine , lorsqu'on ne prend aucun foin de la nourrir & de Tentreteûir f que toutes cg^

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40S Vend. déXa IV. SexMAine. infidélités faifant croître l'homme de péché en nous , il ne s'enfuit pas nécdllairement que Jefus-Chrift y diminue ? qu'elles ne contriftent pas l"Efprit-faint dans notre cœur ; qu'elles ne lui ôtent pas tout ce qui pouvoit lui rendre la demeure de notre ame agréable ; qu'elles ne changent pas notre maifon intérieure , il avoit cru trouver fes délices, en un trifteexil , il n'eft plus qu'à regret il pouiTe fans cefle des gémilTemens ineffables fur les mal- heurs qui nous menacent ; il me femble plus refter que pour méditer une retraite; ÔC tout le convie à s'en retourner dans le fein de Dieu , 8c à céder fa place aux efprits impurs qui s'en font déjà rendu les maîtres ? Prétend-on donner atteinte aux plus incontestables vérités de la Religion , en établiiTant cette régie de doârine? Non certes , mes Frères ; car en Jefus-Chrift il n'y a pas oui 6c non : il n'eft que l'iniqui- té &C le menfonge qui fe détruifent ÔC fe eontredifent eux-mêmes.

Troifiémement, cet état d'infidélité ÔC de tiédeur conduit tôt ou tard à la mort, parce qu'il fait prendre tous les jours de nouvelles forces àla concupifcence : car à mefure que vous favorifez l'amour pro- pre , en ne lui refufant aucun des adoucif- femensque vous pouvez lui permettre fans crime , vous l'accoutumez peu à peu ne pouvoir plus fe palier de tout ce qui le flâie, vous fortifiez toutes les inclinations cor- rompues de vptie ame y vous mettez ea

Fautes légères. 405 vous de nouveaux obilacles à l'occomplif- fement de tous les préceptes ; vous vous rendez la Loi de Dieu plus pénible , non- feulement parce qu'il ftut l'accomplir 6c porterie joug fans cette ondion quil'adou- cit , 6c qui n'eft la récomipenfe que de la fidélité ; mais encore parce que vous avez îailTé croître tous les penchans qui s'op- pofent en vous à la Loi de Dieu : de forte qu'accomplir le précepte dans la circonf- tance la Loi vous y oblige , eft pour vous une montagne qu'il faut franchir ; une eau rapide qu'il faut remonter malgré la PSî^.te^qui vous entraine ; un lion furieux qu'il faut apprivoifer tout-à-coup îorfque fa proi'e eft préfente ; en un mot , une en- treprife à laquelle toutes vos inclinations ie refufent ÔC oppofent de nouvelles difficul- tés. Ainfî tou.t ce que vous vous êtes per- mis de malignités enveloppées, de traits mordans , de cenfures , de railleries , de légers mépri'j , de fiers refroidiiTemens concre votre frère , par les fuites d'une an- tipathie naturelle que vous n'avez jamais pris loin de reprimer , s'il vient à vous faire un aifront éclatant , vous rendront la loi du pardon impolfible. Ainli cette vivacité fir votre gloire , ces empreïïcmens à être di^:ingucdu côté de l'eltimc , ces feins à ménager là-deiTus les jugemens des hom- mes , l'emporteront fur la vérité 5c fur la juftice dans une occafion oii vous ne pour- rez plus fauver votre réputation lans noir- cir celle de votre prochùin, Ain fi cet ufage Carême ^ Tome iil. Mm

4îo Vend, de la IV. Semaine. de menfoiige 5c de duplicité, dans les pointa indifFérens; dès que vous ferez inlérefTé à n être pas fîncére , ne vous laifTera pas pres- que la liberté de vous déclarer pour la vé- rité , ôc de lui facrifier inême vos intérêts. Ainfi ces complaifances douteufes que vous avez pour cette perfonne , ces commence- mens^de pafilon que vous négligez , vous mettront hors d^état de réliiler iorfqu'il s'a- gira d'aller plus loin : la corruption forti- liée par toute la fuite de vos démarches paiTces , l'emportera fur vos réflexions ; vous n'en ferez plus maître ; votre cœur fe refufera à votre iierté , à votre gloire , à vous-même. Car , mes Frères , on ri'eft pas long-tems fidèle , dès qu'il en coûte tant pour Têtre.

Au lieu que celui qui travaille fans ceïïb à affciblir les niouvemens de la cupidité , foUiTre moins quand il faut la foumettre à ia Loi : il tî^ouve un cœur dqcilv' , oC une volonté déjà préparée par un long exer- cice de violence : tant de viftoires légères dans des combats il ne s'agilToit que de ia gloire , lui facilitent celles qu'il rem- porte , lorfqu'il s'agit du falut : tous ces pe- tits peuples , qu'il avoit domptés fur ion chemin , Tavoient fi fort accoutumé à vain- cre , quk fa feule approche , Jéricho tom- be fans qu il lui en coûte ni peine > ni dan- ger ;*& uoiir le ciir.? fans figure , une lon- gue pratique d'abnégntion dans les plus légères occaiions Ta il fauitem.ent familia- riié avec k violeiice chrétienne , que dai'*s

Fautes légères. 411

îa cîrconftance du précepte , ah ! il lui en coLiteroit prefque plus pour être infidèle ; il faudroit plus prendre fur lui-mêiBe , que pour accomplir la loi.

Quatrièmement, non-feulement le pré- cepte devient plus difficile à Tame tiède 6c infidèle ; m.ais encore le crime s'appla- nit , 5c elle n'y trouve pas plus de difficul- té, qu'aune fimple infidélité : nouvelle rai- fon qui prouve toujours que l'état ne tar- de pas de conduire au péché qui tue î'ame. En effet , le cœur par ces ofFenfes légères multipliées, arrivant enfin comme par au- tant de démarches infenfibles jufqu'à ces bornes pèrilleufes qui ne féparentplus que . d'un point la vie ÔC la mort , franchit ce dernier pas fans prefques'en appercevoir : comme il lui reftoit peu de chemin à faire, 6c qu'il n'a pas eu befoin , pour ainfî dire , d'un nouvel effort , il croit n'avoir pas été plus loin que les autres fois : il avoit mis au-dedans de lui cIqs difpofitions fi voifi- nes du crim.e , qu'il enfante le péché fans douleur , fans peine , fans aucun mouve- ment marqué, fansconnoître lui-même le fruit de mort qu'il produit. Et voilà ce qui rend , mes Frères , l'état dont je parle , encore plus terrible , c'cfl que d'ordinai- re , on y meurt à la grâce fans le favoir ; on devient ennemi de Dieu , qu'on vit encore avec lui comme un ami & un enfant >; on efl dans le commerce des chofes faintes , & on a perdu cette foi qui les rend utiles ; pn fe lave fans ceiTe dans le bain de la pé»

Mmi

412. Vend, de la IV. Semalve. nitence , ôc on s'y falit de plus en plus : on fe prëfente encore à la table du Père cé- lefte ; on ufe encore de tous les privilèges des Jufces , & on n'élu plus qu'un témé- raire profanateur , 5c il nous a depuis long- tems rejettes de fa bouche comme une boiiïbn tiède & dégoûtante. Grand Dieu ! aufîi , que de faux juftes feront fiirpris , lorfque vous viendrez manifefter les fe- crets des cœurs &. les confeils des conf- ciences î que de brebis étrangers qui vi- voient en sûreté dans votre bercail , ÔC qui fe nourrilToient de vos pâturages , fe- ront rangées parmi les boucs ! 6c que les îénébres qui nous cachent ici-bas l'état de notre ame , devroient bien allarmer notre foi ÔC ranimer notre vigilance ! que nous devons craindre de n'être femblables àl'in. fortuné Aman , lequel n'étant point infor- mé de fa difgrace , vint hardiment fe pré- fenter à la table du Prince , & voulut ufer de tous les droits d'un favori , lui dont le fupplice éîoit déjà conclu !

En cinquième lieu , mes Frères , pour achever de vous convaincre , que cet état, l'on ne fe propofe que de ne pas tranf- -greifer mortellement les préceptes , con- duit infailliblement au crime : remarquez s'il vous plaît , que la nature du cœur hu- main efl telle qu'il refte toujours au-def- fous de ce qu'il fe propofe ; parce que l'ef- prit qui promet eft prompt , ôC que la chair qui exécute eft foible. Le Jufte prend fou effort pour arriver à la plus haute perfec-

Fautes légères. 413

tîon , 8c il demeure dans un degré infé- rieur ; nous-mêmes mille fois dans des momens de zèk' &C de ferveur , nous avons pris des réfolutions vives de retraite , de détachement , de péiiitence ; 6c Texécu- tion a toujours diminué heaucoup l'ardeur des projets : il faut beaucoup entrepren- dre pour exécuter peu ; fe promettre à foi-même des grandes chofes pour en ve- nir aux m.édiocres, & vifer bien haut pour - atteindre du moins au milieu. Or , vous ne vous propofez que d'éviter les crimes , vous vifez préciiement à ce point au-def- fous duquel eft la mort & la prévarica- tion : vous refierez au-deflbus ; vous ne viendrez jamais àboutd'obferver les com- mandemens : il falloit vous propofer quel- que chofe de plus élevé pour en venir-là. L'expérience là-dellus eftdéciiive, 6c la raifon n'en eft pas difficile ; c'eft que nos réfolutions dans la préparation du cœur 6c dans la pratique, nerereffemblentpas ; tandis qu'elles font encore dans la prépa- ration du cœur , qui fe les propofe , rien ne les contredit, rien ne les arrête ; elles ne trouvent point d'obflacles à combat- tre , point de difficultés à furmonter , ÔC , elles ne perdent rien de leur ferveur êC de leur perfeftion ;" mais àès qu'il s'a-

fit d'exécuter , & qu'elles paroilfent au ehors , ah ! les inclinations de la chair les rallent! lient : les ennemis de notre falut les traverfent : les hommies , ou les ébranlent par leur féduciion , ou les font échoue^

Mm 3

414 Vend, de la IV. Semaine. par leur malice ; en un mot, elles perdent toujours fur le chemin la moitié de leur force, & Ton cil heureux quand il en échap- pe encore quelque choie , £c qu'à travers tous ces périls, on peut du moins fauver quelques débris du naufrage.

Or, concluez delà, mon cher Audi- teur, ce que vous devez vous promettre , vous qui ne vous propofez que de ne pas tranigrefler ouvertement les préceptes, 6C qui ne voulez pas monter plus hai:t , vous n'arriverez jamais à ce point ; vous iuc- comberez dans toutes les occaiions ; vous vous trouverez toujours fort au-deifous de vos projets. Afpirez à la fidélité , à la fer- veur , à la vigilance , à la perfedion de votre état : Jefus-Chrilt ne vous a point laillé d'autres moyens pour acconiplir les commandemens ; Sc vouloir les obTerver fans cela , cqH entreprendre d'aller à la fin , fans paifer par la voie qui feule peut y conduire.

Mais à quoi bon tant de raifons ? Qu'op- poferez - vous à l'expérience de tous les fiécles , à la vôtre même , mon cher Au- diteur ? faut-il tant de preuves : vos propres m.alheurs vous ont li triftement inflruit ? Souvenez - vous d'où vou.s êtes tombé , comm.e ledifoit autrefois l'Efprit de Dieu à cet Evêque de l'Apocalipfe : 'j>^^r 9 r Memor cflo unde excideris ; remontez à la première origuie de vos deiordres , vous la trouverez dans les infidélités les plus, légères ; u;.i fentiment de plaiiir néglige m-

Fautes légères. 419 ment rejette ; une occafion de péril trop fréquentée-: une liberté douteufetrop fou- vent prife ; des pratiques de piété omifes : la fource en eil prefque imperceptible ; le fleiive qui en eft forîi , a inondé toute la terre de votre cœur : ce fut d'abord ce petit nuage qu^ vit Elie , 6C qui depuis a couvert tout le ciel de votre ame : ce fut cette pierre légère que Daniel vit deicen- dre de la montagne ; 6c qui devenue en- .fuite une malTe énorme, a renverfé Scbri- rimage de Dieu en vous ; c'étoit un pe- tit grain de fénévé , qui depuis a cru com- me un grand arbre , & poulie tant de fruits de mort : ce fut un peu de levain, qui de- puis a aigri toute la pâte : Mcmor efio unde excideris.

Vous n'auriez jamais cru en venir oii vous en êtes : vous regardiez tout ce qu'on difoit là-dcfTus, dans la chaire chrétienne, comme des prédictions qui ne dévoient pas tomber flir vous : vous auriez répondu d * vous-mémiC pour de certaines actions fur lefquelles aujourd'hui vous ne Tentez pref- que plus de remords : Mcmor ejlo undj ex- cideris» Souvenez - vous d'où vous êtes tombé : levez la tête, 5c confidérez la pro- fondeur de cet abîme : ce font des infidéli- tés légères qui vous y ont conduit, comme par degrés ; des démarches infeniibles qui vous ont mené û loin : ibuvenez-vous d'où vous êtes tombé, encoreunefois; ÔC n'ap- peliez puis léger ce qui a pu vous cou? duire au fond du précipice.

Mrn 4

4i5 Vend, de la IV. Semalve.

C'eft l'artifice du démon , mon cher Au- ciiteur ; il ne propofe jamais le crime du premier coup. Voyez comme il s'y prend quand il veut tenter le Sauveur du mon- de : il commence par lui propofer de chan- ger les pierres en pain ; c'eft-à-dire , de relâcher un peu de l'auilérité de fon jeû- ne : de Te jetterduhautdu Temple ; c'eft-à- dire ^de s'expofcr témérairement au péril fur une fauile confiance en la proteâ:ioii du Seigneur ; avant que d'ofer lui propo- fer de le proilerner devant lui ÔC de l'ado- rer. Ce feroit elFaroucher fa proie ; il ccn- noit trop les routes par il peut entrer dans le cœur humain ; il fait qu'il faut raf- furerpeu à peu la confcience timide con- tre l'horreur de l'iniquité , 5c ne propofer d'abord que des fins honnêtes , 6c certai- nes bornes dans le plaifîr : il n'attaque pas d'abord en lion ; c'eft un ferpent : il ne vous mène pas droit au vice j il vous y con- duit par des détours.

Grand Dieu ! vous qui vîtes dans leur naiilance iesdéréglemensdes pécheurs qui m'écoutent , ÔC qui depuis en avez remar- qué tous les progrès , vous favez que la honte de cette fille chrétienne n'a commen- cé quQ par de légères complaifances 5c de vains projets d'une honnête amitié ; que les infidélités de cette perfo-nne engagée dans im lien honorable, n'étoient d'abord que de petits emprelTemens pour plaire , ÔC •iine iecreîte joye d'y avoir réulTi : vous fa- vez qu'une démangeaifon de tout favoir ^

Fautes légères. 41^' 5c de décider fur tout ; des lefturesper- nicieufes à la foi , pas allez redoutées ; ôc une fecrette envae de fe diftiiiguer du côté de TeTprit , ont conduit peu à peu cet incrédule au libertinage 6C à l'irréligion : vous favez que cet homme n'eft dans le fond de la débauche ôc de TendurcilTe- lîient , que pour avoir étouffé d'abord mille remords fur certaines aâions dou- teufes , 6c s'être fait de fauffes maximes pour fe calmer : vous favez enfin , que cet- te ame infidèle , après une converfion d'é- clat , n'a rendu fa première foi vaine , ÔC n'efl revenue à fon vomiffement , que pour avoir mêlé quelques adouciiTemens à fa ferveur , manqué aux précautions qu'elle s'étoit prefcrites , 6c moins craint des oc- caiions dont votre Efprit l'avoieat tout-à* coup éloignée.

Non , mon cher Auditeur , les crimes ne font jamais les coups d'eflaidu cœur* David fut indifcret & oifeux avant que d'être adultère : Salomon fe laiffa amollir par les délices de la Royauté , avant que de paroître f.ir les hauts lieux au milieu des femmes étrangères : Judas aima l'ar- gent avant que de mettre à prix fon Maî- tre : Pierre préfuma avant que de le re- noncer : Magdelaine , fîms doute , voulut plaire avant que d'être la Péchereffe de Jé- rufalem : 5c pour ne pas fortir de notre Evangile , Lazare fuclanguiilant avant que d'exhaler i'infcclion ÔC la puanteur dans le tombeau. Le vice a fes progrès : comme

4tS Vend, de la IV. SemaiK^e; la vertu : comme le jour inftruit ie jour^ ainf] dit le Prohéte , la nuit donne de f'unefles leçons à la nuit ; 6c il n'y a pas loin entre les infidélités qui furpendent la grâce , qui fortifient les pjffions , qui nous rendent inutiles tous les fecours de la pié- té , 5c celles qui nous la font tout-à-fait perdre. Or, encore une fois , tout ce qui peut conduire au péché 5c à la mort ; que dis-je ? tout ce qui y mène infailliblement peut-il paffcr peur léger dans TeTprit d'un Chrétien encore touché du foin de fon £îlut ?

Mais après tout , mon cher Auditeur , quand mcme on vous accorderoit que ces infidélités font légères ; qu'auriez - vous avancé pour votre juflification ? Ah ! c'ciî: pour cela même que vous êtes moins par- donnable , lorfque vous vous les permet- tez de propos délibéré : plus elles font lé- gères , moins il doit vous en coûter pour les éviter. Ah I Ton vous demandoit des aâions héroïques, il faudroit prendre fur vous-mêmes , ôc vaincre ou périr : que pouvez-vous donc alléguer ici pour vous défendre de la fidélité à vos plus légères obligations ? ne vous condamnez-vous pas vous - même par votre propre bouche ? Lorfque Naaman , indigné de ce que le Prophète ne lui ordonnoit pour guérir de fa lèpre , que d'à s'aller baigner dans les eaux du Jourdain , fe retiroit plein de mé- pris pourFhomme de Dieu , comme fa guérifon n'eût pu être le fruit d'un remè-

Fautes légères. 4f^ de fi facile ; ceux de fa fuite le firent re- venir de fon courroux , en lui difant : Mais, Seigneur , fi l'homme de Dieu vous avoit ordonné des ehofes difficiles , vous auriez lui obiir; 5c pourquoi i'.ifule- riez-vous de vous foumettre à fes ordres , parce qu'il n'exige de vous peur votre gué- rifon, qu'une démarche autTi aifée que celle i

de vous aller baigner dans les eaux du Jourdain ? Et Ji rem grandcm dixijjet tibi ^' ^^ Propheta , cerîé faeere d: hueras , çuanto^' ^' mil gis gui a nunc dixit tibi : Lavare , mundaberis» Vous avez abandonné votre patrie , vos Dieux , vo: eiifaiis : vous vous êtes expofé aux pérIK- d'un long voyage ; vous en avez foutcau tou:e? les incommo- dités pour retrouver la f?:nîé que vous avez perdue ; ôc pourquoi après tant de dé- marches pénibles refuferiez vous de tenter un expédient aufîi aifé qus celui que vous propofe le Prophète ?

Et voilà , mon cher Auditeur , qu9 je vous dis en finiiTant ce difcours. Vous avez abandonné le miOnde 5c les idoles que vous adoriez autrefois : vous êtes re- venu de fi loin dans la voie de Dieu ÔC dans le goût de la piété : vous avez rom* pu tous les engagemens des pafïïons les plus criminelles : vous avez loutenu \q^ peines , les dégoûts , les travaux , , les violences d'une converfion d'éclat ; il ne vous refce plus qu'un pas à faire ; on ne vous demande plus qu'une légère atten- tion fur vous-même. Si les premiers facrl'

410 V£\D. DE LA IV. Semaine. fices de vos pallions criminelles n'étoienî pas encore faits , ÔC qu'on les exigeât de vous , vous ne balanceriez point , vous les feriez quoiqu'il dût vous en coûter : Et fi rem grandem tibl dixijfet Propheta , certé facere debucras. Et maintenant qu'on ne vous demande que des facriiices légers , que de /impies purifications , qu'on ne vous demande prefque que les mêmes cho- fes que vous faites, mjais pratiquées avec plus de ferveur , plus de foi , plus de vi- gilance ; êtes-vous excufable de vous en difpenfer ? Quanto magjs quia dixit tibl : Lavare & mundahcris. Pourquoi rendriez- vous tous vos premiers efforts inutiles par ces légères infidélités ? pourquoi auriez- vous renoncé au monde 5c aux plaifirs criminels , pour trouv*?r dans la piété le même écuèil que vous aviez cru éviter en fortant à^s \^4.2z de l'iniquité ? 6c ne fe- riez-vous pas à plaindre , après avoir fa- crifié à Dieu le principal , de vous perdre pour lui difputer encore mille petits fa- crifices moins pénibles au cœur 6c à la nature : Quantd magls quia dlxlt tibl : Lavare , & mundaberls. Achevez , Sei- gneur , en nous ce que votre grâce y a commencé ; triomphez de notre langueur 5c de nos foibleffes , après avoir triomphé de nos crimes: donnez-nous un cœur fer- vent 5c fidèle , puifqiie vous nous avez ôté un cœur criminel 5c diflolu ; infpirez- nous ZQtXQ bonne volonté qui fait \qs Juf- tÊS,puifque vous avez éteint en nous cet»

Fautes légères. 421

te volonté rébelle qui fait les grands pé- cheurs ; ne laifTez pas votre ouvrage im- parfait ; 6c rendez-nous dignes de la ré- compenfe ÔC de la vie immortelle qui n'eft promife qu'à ceux qui auront été fidèles dans les petites chofes comme dans les grandes.

Alnjl foit-'iL

ANALYSES

DES SERMONS

contenus cî^ns ce Volume.

LE JEUDI DE LA 211. SEMAINE- I. SeRxM. S::r la Tiédeur.

LA tiédeur rend notre juflice incertaine. ï. Perce quelle cceint en nous le dcfir de L? perfeâion, IL Parce quelle nous met hors d'état de difccrner les crimes a avec les Jimples offmjes. IIÎ. Pai.ce quelle ne laijjc plus dans Vame aucun carauère de la charité habiruelle^

I. Vérité. Tout Chrétien eft obligé de tendre à la i^erfecxion de for état. Je- fus-Chrîfl Tordonne : So^^ez parfaits , nous dit- il , parce que le Père célelle que vous fervez , eft parfait. St. Paul regarde ce point comme le feul eflentiel: oubliant tout ce qui eil derrière lui , fans celle il avance vers ce qui lui refte de chemin à ^aire. C'eft en cela que coiififte la vie de la

Analyfes des Sermons, 4^3 Fôî ; elle n'eft qu'un défir non interrompu que le régne de Dieu s'accompHife dans notre cœur , qu'un laint emprelTement de former en nous la reiTemblance parfaite de Jefus-Chrid , qu'un ;5émiiTement excité par le fentiment de nos miféres 5c de no- tre corruption , qu'un combat journalier de Tefprit contre la chair. Or ccdéfir delà perfeâion ne fubfîde plus dans uneamequi fe borne à l'effentiel de la Loi , qui fe fait lui pian de fa négligence , qui regarde comme des œuvres de lurcroît celles qu'elle pourroit faire de plus.

En vain regardez- vous la perfeftion Chré- tienne comme le partage des Cloîtres & des Solitudes. Les moyens qu'employent les amcs retirées du monde pour y parvenir , ne font que de confeii , je l'avoue ; m.ais la fin à laquelle elles tendent eit de précep- te , c'cftla fin générale de tous les états.

îL Vérité. Tous les péchés ne font pas mortels ; mais il y a mille îranfgref- fîons dou^j?ufe3 p::rrapport?.îix circonllan- ces , ÔC fur lesquelles il eft difHcile de faire l'applicanon à^s régies établies , pour dif- cerner le crime d'avec la fimple oifenfe. C'eft par la d.r -aiition du cœur toute feule qu'on peut décide;* ia malice de ces for- tes de îautes. Saiii -'pargne le Roi des Ama- îécites , 5c il eft rcpro>.ivé de Dieu ; Jofué épargne les Gabaonites , 6^ Dieu lui par- tiotîae : c'eft que l'innd élite de l'un vient d'un fond d'orgueil , d'un cœur relâché dans les voiç§ dg Dieu j 6C que celle de l'au-

Si2.4 Analyfes des Sermons, tre efl une précipitation , une furprife , SC part d'un cœur encore fournis 6c religieux. Or connoilTez-vous toute la corruption du vôtre ! Paul ne fe flâte pas de connoître le fien ; il ne fait s'il eft cligne d'amour ou de haine : David ell dans la même incerti- tude ; il prie Dieu de le purifier de fes infi- délités cachées; ôc vous croyez connoître l'état de votre confcience, vous dont pref que toutes les aftions font douteufes,vous qui êtes toujours à vous demander à vous- même fi vous n'avez pas été trop loin ; 6c vous vous calmez fur des infidélités vili- bles ÔC habituelles par une prétendue ha- bitude invifible de juftice , dont vous ne voyez aucune marque au-dehors. Ah ! vous ne favez pas que vous êtes pauvre , mifé- rable , aveugle : h'efcis quia tu es mifir ,

Une ame tiède efi: moins capable que toute autre de juger de fon état ; la tiédeur épaifîît fes ténèbres , elle calme {<^z remords; les guides les plus expérimentés font dans rembarras , elle y eft toujours elle-même, & fent en foi quelque chofe de plus cou- pable que les infidélités dont elle s'accufe. Il fuffit d'en faire le détail pour montrer combien il eft en effet difficile de décider il elles ne font pas de vrais crimes.

IIÎ. Vérité. La charité habituelle a trois caractères incompatibles avec l'état •de tiédeur, i^. La charité nous fait aimer Dieu ôc fa loi par-delfus toutes chofes.Ce çaraftèrepeut-il fubfifler ^vec l'attention

'Alnayfes ies Sermons. 425

à étudier (es droits contre Dieu même, à ne faire que ce à quoi on fe croit étroite- ment obligé , à n'éviter que ce qui eft vifi- blement cligne des peines éternelles ? Agir ain(i,c'eil: fe conduire en enfant prodigue; c'eft fe comporter en efchive: c'eft n'aimer véritablement que fa propre fatisfadion ^ que fes intérêts , que foi- même.

z°. Un autre caractère de la charité, efl d'être timorée : elle rend Ta me plus clair- voyante , elle l'entretient dans un faint tremblement , dans depieufes perplexités, dans une défiance continiielle ; au contraire la prétendue charité des amestiédes eft ce qui les ralTure ; peut-elle être (i oppofée à elle-même , 6c produire des effets il dif* férens ?

3^. Enfin lâchante cft vive 8c agiiïante* C'eft un feu qui peut quelquefois être cou* vert ; mais il en fort toujours des étincelles, êC enfin il fe rallume. Rien en ranimant celle des âmes tiedes , qu'il ef^ à craindre qu'elle nefoit réellement éteinteîcependant elles dem.eurent tranquilles dans cet état elles s'y fixent ilms fcrupule ; elles fe cro- yent tout au plus endormies : peut-être par un jugement terrible de Dieu , leur guide penfe-t'il de même , tandis que Jesus- Christ les déclare mortes , comme au- trefois Lazare. Ah ! c'eft la tranquillité mê- me de cet état qui en fait tout le danger .y. 6c peut- être aufli tout le crime. Com.prenez qu'une vie toute naturelle n'efi: point la vie de la grâce , ÔC qu'iuie vie de. pareffe eil iu$

Carèmç , Tom^ IIL N n

41^ ^^natyfes des Sermon fl

état de tiiort. Au commeneement de votre converiion vous avez fait les plus grands efforts , les plus pénibles facrinces ; pour- quoi les rendriez- vous inutiles , en rerufant d'en faire de moins coniidérables ? Si rem grandem dixijfet tibi Propheta y certé fa~ ' ^ere dzbueras , quanio m^agis quia nunc dixiî tibi :. Lavare & mundaberis*

lE JEUDI DE LA IIL SEMAINE^ II. Serm. Sur la Tiédeur.

LA tiédeur annonce une chute certaine -^ I. Farce que les grâces fféciulcs nécef- Jaiies pour per/évércr duns la vertu , m font plus données dans cet état» II. Parcs que les pajpons qui nous entraînent au vice y s y fortifient. IIl. 'carceque tous Us fe cour S extérieurs de la p\eie y deviennent inutiles.

I. Partie. VinmcLUce même des plus jujles a befoin du lueurs continuel de- la

frace, C'eit elle f^'.ile qui opère leur fidé- ité ; mais c'eil aufll leur fidélité feule qui mérite la confervation de la grâce. Il faut que Dieu donn? des marques plus conti- nuelles de prote-iiion à ceux qui lui en don- nent de continuelles d'amour : il eit juilc 3U contraire qu'il paye rindifîerence deî 3mes tiédcs par la lienne ; ainfi la peine in féparable de la tiédeur eft laprivatiojii.dej grâces, de pro.teâ:io,n..

Analyfes des Sermons, 427

Cette privation a deux conféqiiences ter- ribles pour ces âmes infortunées. Premiè- rement , elles demeurent vuides de Dieu ^ 6c comj-ne abandonnées à leur propre foi- bleile , ayant quelques refîburces prifes dans la nature., mais qui ne fauroient aller loin ; ayant des fecours généraux aveclef- quels on peut perfévérer, mais n'ayant plus ces grâces fpéciales , avec lefquelles oa perférére infailliblemient. Secondement,!© joug de Jeu; s - Ch ri it devient accablant pour elles ; Ton calice amer ; les devoirs gefans ; la retraite ennuyeufe ; les prières Fatigantes ; les mortifications inflipporta- blés ; la vie , un dégoût perpétuel ; leur état , \m étaflle violence 2>C de neutralité qui ne peut être durable , parce qu'il faut^ fur tout à certains cœurs , un objet déclarer ce n'efl pas Dieu qui les intéreffe refera bientôt le monde.

Il eft vrai qu'il y 3 des âmes qui paroif^ fent fe maintenir dans une efpèce d'équili- bre 6c d'inienfibilité ; mais il eft vrai aufîî que CQt état ne défend que des crimes qui coûtent 6c qui embarraffent ;. il lailTe fub* fifter les pa fiions & les foiblelfes fecrettes y, qui formient toujours uae corruption aux- yeiix de Dieu.

Il eft vrai encore que Fonction qui adou- cit la pratique des devoirs , manque fou- vent aux âmes les plus faintes ; mais entre elles ^ les âmes tiédes il y a trois diiïeren- ces. Premiérem.ent, l'ame fîdéie fe trouve Xiialgré fes dégoûts plus heureufe qu elle:

42-8 ^ jn^ndyfes ics Scrmont. n'étoit avant fa converfion , au lien c{tte i'ame tiède commence à regarder le crime comme la refToiirce de fes ennuis. Seconde- ment , Tame iîdéle eft foutenue au milieu de Tes aridités par le calme d'une confcience qui ne lui reproche point de crimes ; au lieu que Tame tiède porte une confcience iaquiette, 5c que n'ayant plus defoutien y cet état d'agitation finit par lapaixfunefte du péché. Troifiémem.ent, les dégoûts de Tame fidèle font des épreuves , ceux de i'ame tiède font des punitions. L'une trouve en Dieu un père tendre qui fupplèe par une protedion puiiîante aux douceur qu'ail lui refufe; l'autre éprouve la févérité d'un Juge qui , à la fouftraftion des adoucilTemens ,. va faire fuccèder un arrêt de mort.

Il eft vrai enfin que tout excès , même dans la piété , ne vient pas de TEfprit de Dieu ; mais il n'eft pas moins vrai qu'on ne perfévére qu'en fe donnant à Dieu fans ré- ferve ; que les âmes qui veulent accommo- der la piété avec les maximes du monde ^ qiii fe relâchent de leur première ferveur > fontfjr le point de retomber dans le crime; Se que c'elifur ces indices que les gens miê-' me du monde, prophétifent la rechute des^ perfonnes qui s'étoient converties»

II. Partie. Nous j) cuvons nffoibllr nos paffions , mais elles ne meurent gu^avec nous.' cejl en les comSattant çuon les ap- vaife ; en les ménageant , on Us rend in- domptables y la tiédeur netf.nt rien autre 4J10JS quun^. indulgcnse. habituelle €B%sr^

^Andyfcs des Sermortf. 429

tes paJ[Lons , les fortifie donc continuelle^ ment. De cette nouvelle force qu'elles ac- quièrent, s'enfuivent trois effets également funeiles. Preiniéreirient , dans les occafîons eiTentielles , le devoir trouve en nous des difficultés infurmontables ; il en trouve bien quelquefois dans les aines les plus ferven- tes & qui mortifient le plus leurs penchans; comment des cœurs à demi féduits feroient- ils à répreuve de ces difficultés ? Seconde- ment , le crime s'applanit ôc n'excite pas en nous plus de répugnance qu'une fimple faute ; nous nous fommes fi fort approchés du crime que nous franchiffons le dernier pas fans le favoir ; une apparence de vie nous ralTure , & nous nous endormons tran- quillement dans la mort. Troifiémement ,/ notre cœur demeurant toujours au-deflbus de ce qu'il fepropofe, nous tombons dans le crime y parce que nous n^avons réfolu précifément que de l'éviter ; les Jufles mê- mes doivent beaucoup entreprendre pour exécuter peu : à combien plus forte raifort y font obligées les âmes tiédes , que le poix de leurs infidélités fait tomber tou- jours fort loin du lieu ou elles avoient cru arriver ? En vain voudrions- nous nous ex» cufer , en difant que nous fommes foibles y c'eft précifément parce que nous lefom- ines , que nous devons être plus circonf- peéls & plus fervens».

III. Partie. Les fe cours extérieurs de la Religion font inutiles aux âmes tiédes* Premiéremeiu , les Sacremens font pour

'43^ Analyfes des Sermons,

eîies des remèdes iifés , dangereux par la tiédeur avec l::qiielle elles en approchent, 6c par la confiance qu'ils leurs infpirent : n'opérant plus en elles un accroiilcmentde vie, ils Y opèrent la mort. Secondement, la prière n'eft plus pour elles qu'une occu- patL3n oiieufe , elles ne trouvent aucun goût, d'où elles ne tirent aucun fruit: rien ne les fouticnt, ni ne les détend, ni les ranime ; tout les dégoûte , tout les fatigue, tout les accable ; dans cet état un foufFie lesrenverfe,^ pour les voir tomber, iln'eil pas même nécelFaire de les voir attaquées. Au refte , l'expérience parle , les rai- fonnemens font inutiles. Souvenez- vous d'où vous, êtes tombés , pécheurs : remon- tez à la fource de vos défojdres : cette fource étoit imperceptible; ilenertforti un torrent qui vous inonde : la tiédeur vous a conduit infeniîbkmcnt dans Tabiine vous êtes. Le démon ne propofe pas le cri- me du premier coup ; il attaque en ferpent avant que d'attaquer en lion. Les crimes ne font pas le coup d'elfai du cœur ; la chute de David fut préparée par roifi-eté &C par l'indiCcrétion ; celle de Salomon par une vie molle ; c-:\[q de Judas , par l'amour de l'argent ; celle de Pierre , par la préfomp- îion. Levez-vous donc, âmes lâches : le Seigneur eit le Dieu des forts : il ne recom- penie que le courage oC le travail ; fou Royaume n'efl pas la chair 5c le fang , vm^- la force ôc la vertu de Dieu.

Analyfss as Sermons» ^fî

VENDREDI DE LA IIL SEMAINE, La Samaritaine,

^Emhldblcs CL la femme de Samarle , nou^ ij oppqfons à la grâce de Jcfiis-ChriJI îrolS' exciifcs. I. Celle de Cétat. II. Celle de lu difficulté. lîL Celle de la var:e:é des opi^ nions CJ> des doârines fur la régie des mœurs,

I. Partie. Lorfqu'^on nous propofe le modèle d'une vie chrétieiine, nous répon- dons qu'une vie Ç\ réglée elt inaiiable avec notre état , 5c que le monde a fes ufages comme le cloître. Mais , r°. La Religion ne diilingue que deux fortes de devoirs ^ dont les uns font particuliers à chaque état; les autres fans diftinCi-ions d'état , font com- muns à touscrjx qui ont é'ri^baptifésrEtes- vous moins' Chrétiens que les Solitaires ?" avez- vous une autre efpérance ; un autre Evaiigile , un autre Chei , une autre patrie, d'autres obligations eilentielles ,. ou au moins des exceptions ÔC des difpenfes ac- cordées par J. ? fes maximes font les devoirs du monde , puifque c'eii par elles que le monde fera jugé.

2°. Cette diftincftion de ceux qui font du ïv.onàQ , d'avec ceux qui n'en font pas , ne provient que de la corruption dts mœurs. Elle étoit inconnue aux premiers iîdéies ; ils avoient tous renoncé au monde; être Chi^r-

43 i ^Analyfes ies Sermons* ^

tien 5 êC n'être plus du monde , c étoîtpouf eux la même chafe ; vous êtes du monde ^ dites-vous , c'eft votre crime, 6c vous en faites votre excufe.

3°. De quoi prétendez- vous être difpenfëî en difant que vous êtes du monde ? De la pénitence ? oui , (i vous y vivez plusfainte- ment. De la prière? oui,fi vous y avez moins befoin du feccurs de la grâce. De la re- traite ? oui , le commerce du monde vous porte à Dieu. De la vigilance , des efforts? oui , fi les pallions font moins vives dans le monde , les obftacles plus rares y les de* voirs plus faciles à remplir.

4°. La foi doit être plus ferme dans le monde que dans le cloître , la charité plus enracinée^ la vigilance plus foutenue,.la prière plus fervente , la réfiftance plus fi- dèle ; les pratiques du cloître ne font que des moyens particuliers prefcritspourfairô obferver plus sûrement des devoirs com* miins à tous les états : avec moins de fe- cours 5C plus d'obftacles , vous avez les mêmes obligations à remplir ; des vertus y {'ans la pratiq-je defquelles vous êtes per- dus , font plus difficiles à pratiquer dans îe monde que dans le cloître. Les auftérités que vous reléguez dans le cloître, y font donc'^oins néceilaires que dans le m.onde: cependant les Solitaires trouvent encore dans leurs azilcs des fujets de crainte, des combats , des agitations ; 5c vous au mi- lieu des périls j vous feriez difpenfés de veiller l

5°.

'Analyfes des Sermons, 433

.Enfin, comparez votre vie paiTée avec celle des Solitaires , les fatistaâ:ions que vous devez à Dieu avec -celles qu'ils lui doivent ; 6c vous verrez fi les géminemens, les privations , les auftérités font leur par- tage plutôt que le votre. Si la femme de notre Evangile fût née à Jérufalem , cet avantage auroiî pu lui faire un m.otif de fécurité : vous pourriez en avoir un, fi vous viviez dans la iblitude : vous êtes du mon- de , comme elle étoit de Samarie; comme elle , vous nous oppofez un état qui vous éloigne du falut.

II. Partie. On diffère fa converfion : parce qu'on feflâte que c'eft une démarche facile ; lorfqu'il s'agit enfin de fe convertir, on fe rebute par la difficulté de l'entreprife. Le moyen , dit-on de fonder les abîmes d'une confcience ï\ long-tems fouillée , de refondre un caraftère fragile ÔC oppofé à la piété , de mener une vie chrétienne , dont le détail eft effrayant.

i^.Mais, l'état déplorable de votre conf- cience devroit lui- même vous porter à l'en- treprife qui vous fait peur. Eft-ce donc la connoillance de vos maux qui vous éloigne du remède? eil-ce le fentiment de votre efclavage qui vous fait refufer votre li- berté ? fcuffrez-vous moins en cachant vos plaies? C'eft votre foularement qu'on vous propofe , en vous invitant à les découvrir au Miniitre de Jefus-Chrifl ; vous avez toutàattendre de fa charité ; dès que vous aurez ouvert votre cœur , la paix y renaî- Carême > Tom^ ILL O 5

434 Analyfes des Sermons.

trera; toute la difficulté que je trouve îcî ^

eil: de vivre dans la fltuation vous êtes.

2°. Vous défefpérez de pouvoir réfor- mer votre caractère. Mais quand cette ré- forme vous couteroit plus qu'à un autre , ii'avez-vous point plus de crime à expier ? d'ailleurs Féternité ne mérite-t'elle pas que vous vous faffiez les violences que vous vous faites tous les jours pour le monde ? N'êtes-vous pas obligé fans ceiïe de fur- monter vos penchans, de gêner votre tem- pérament , de facrifîer vos inclinations , de vaincre vos palhons , ou de les contrefaire ? Ces contraintes vous ont difpofé plus que vous ne croyez à celks^xie TEvangile. De plus, cette reforme eft peut-être moins dif- ficile maintenant ; l'expérience vous a défa- bufé ; la bienféance exige de vous des «nœurs plus férieufes \ mille contretems vous orft dégoûté du monde , 6c vous ont appris qu'il vous goûtoit moins. Au milieu de {qs anuifemens vous ne trouvez plus qu'inquiétude 6c qu'ennui ; tout cela vous prépare à l'oublier ; à le méprifer. Enfin la converfion eil-elle l'ouvrage de l'homme ? ce qu'il ne peut feul , ne le peut-il pas aidé de Dieu ? Les cœurs les plus corrompus font quelquefois ceux ou la grâce opère de plus grandes chofes ; elle change les incli- nations j elle forme un cœur nouveau , elle (cft plus forte que la nature.

3°. Les rigueurs d'une vie chrétienne vous épouvantent , il ne vous femble pas que des hommes puiiTeat accomplir exac-.

y^nalyfcs des Sermons, Aie

femant l'Evangile. C'eft une excufe inju- neufe à Dieu ; l'Evangile étant fa Loi , eft néceiTairement une Loi fage , conforme à nos befoins , proportionnée à notre foi- blelTe, utile à nos miféres: Dieu en la don- nant n'a point chercîié (on intérêt, mais le nôtre ; & rien en effet de il propre que cette Loi à nous rendre heureux : mais tz\ cft l'artifice du démon , dit Saint Auguftin; if ayant pu anéantir l'Evangile en rendant leius-Chrill méprifable , i\ a efiayé de l'anéantir, en faifant paifer cette Lo'i pour impraticable : Lex illa divlna , imffabilis ; fed quis lllam emvlet ? D'ailleurs cette ex- cufe eft injufte dans la bouche de ceux qui l'allèguent ; ils fe plaignent de rimpofTib^ lité de la vie chrétienne , 6c ils n'en ont ja- mais fait l'épreuve : qu'ils prononcent fur les peines 6^ les dégoûts de la vie du mon- de , leur jugement eft recevable ; n'ayant point elTayé de la vertu ,ils ne doivent pas décider de ce qu'ils ne connoiflent point. Rebutés com.me les Ifraêlites , ils difent que la terre oii on veut les faire entrer eft couverte de m.onflres 5c de géans : Terni dévorât habltores fuos. Témoins du con- traire , nous leur difons , comme Jofué 6c Caleb , que cette terre q£i excellente : Terra quam clrcuïyimus vaidè bona ejl. Oui , {\ vous connoilîîez le don de Dieu , les confolations qu'on éprouve à fon fer- vice , la tranquillité qu'on y goûte , les fa- cilités que la grâce y ménage à notre foi- bleUe , vous ae différeriez pas un inflaiiS;

43^ Analyfes des Sermons*

votre conver/ion : vous ne craignez la ver- tu, que parce que vous ne la connoillez pas.

lîl. Partie. La dernière excu(e qu'op- pofe le pécheur , c'eft la variété des opi- nions fur le règlement des mœurs ; de cette variété il conclut que l'Evangile ne renfermant rien de trop aifuré , il peut vivre tranquille dans fes égaremens.

Mais 1°. il n'y a que des âmes timorées qui puiiTent fe plaindre que cette variété d'opinions les jette dans la perplexité : ne croyant jamais marcher par un chemin af- fez sûr, elles ont des doutes fur lefquels il n'eft pas toujours facile de prononcer , 5c elles peuvent trouver dans le Sanctuaire ici une indulgence qui les ralfure, ailleurs une févérité qui les allarme. Mais le dérè- glement de la Samaritaine étoit clair pour elle; il n'y avoit ni à Jérufalcm , ni à Ga- rizim aucune loi qui pût Tautorifer : de même , pécheurs, il n'y a point de variété de fentiinens par rapport à vos pallions honteufe : par-tout on vous condamne ; par>tout on vous dit que les fornicateurs , les adultères , les impudiques , les adora- teurs d'idoles n'entreront point dans le Royaum.e de Dieu. Cette uniformité d'o- pinions ne vous ramené point à la vérité. Comm.encez donc par renoncer à des dé- fordres qui n'ont pour eux aucun fuffrage, pas même le votre : adorez Dieu en efprit ÔC en vérité ; alors ne cherchant que Dieu par-tout , par-tout vous le trouverez ; alors vous gémirez devt^nt le Seigneur de la va-

Analyfes des Sermons. 437

riété des décifions , 6c vous lui demande- rez qu'il manifeile fa vérité.

2^. On n'allègue cette frivole excufe , que parce qu'on ne veut point fe conver- tir. A l'exemple des Samaritains , on ne fait ce qu'on adore : on veut retenir com- me eux le fond de la Religion ; mais com- me eux on y veut mêler des ufages pro- fanes 6c favorables aux pallions : la conf- cience ne ratifiant point ce mélange , on n'eft pas d'accord avec foi- même : pour fe calmer, on fuppofc que les Miniftres eux- mêmes ne font pas d'accord entr'eux ; on fonde fa fécurité fur leurs dilfenfions pré- tendues , ÔC parce qu'on craint la vérité , on eft bien aife qu'elle foit obfcurcie.

Telle étoit la difpofition de la Scimari- taine. Sollicitée au-dedans 6c au-dehors , elle vouloir encore différer fa converfion : Quand le Meiîîe fera venu , dit-elle , il nous annoncera toutes chofes; c'eft moi- même , lui répond Jefus-Chrift, 5c vous JaiiTez perdre l'heureux moment je vous parle , vous périffez fans reffource. Jefus- Chrift nous dit la même chofe : Voici le don de Dieu ; ne différez plus une conver- fion que vous avez attendue en vain de l'âge , du loilîr, de la rupture de vos enga- gemens : voici le moment favorable , re- gardez le , ou comme le comble de mes miféricordes fur votre ame , ou comme le terme fatal de ma bonté 6C de ma patience,

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43^ Analyjts des Sermons,

LE IF. BIM. DE CARÊME,

Sur [Aumône,

DIVISION. I. Le devoir de [Aumône établi contre les vaines excufes de la, cupidité, II. Le devoir de f Aumône Jauvé des défauts même de la charité,

I. Partie. Un peu d'attention à la fa- fagefle de la Providence , aux loix de la Na- ture , à celles de la Religion , fufîît pour perfuader le monde que Taumône eft un devoir. Mais on allègue différens pré' textes pour s'en difpenfer : on n'eil pas aflez riche ; les tems font malheureux ; il y a trop de pauvres à fecourir.

Première Èxcufe, Sans avoir un revenu infini , on a , dit-on , une infinité de dé- penfes à faire. Mais s'il eft vrai d'une part que les bornes du néceffaire ne font pas également étroites dans tous les états : de l'autre : il eft inconteftable que le fuperflii des riches appartient aux pauvres. Ce prin- cipe fiippolé , je fais quatre queftions. Je demande premièrement , û c'eft à la cupi- dité à régler le néceffaire ? Si c'étoit à elle^ plus on auroit de pafTions à fatisfaire , moins on feroit obligé d'être charitable; c'eft donc à la foi à le régler ; or la foi ad- juge aux pauvres ce qui ne tend qu'à nour- rir la vie des fens , qu'à flâter les paiiions, qu'à autorifer les pompes &C les abus du

'yinalyfes des Sermcns'» 439

monde. Je demande fecôndement , fi pour être riche on en eft moins Chrétien ? Non , fans doute , ou bien il faut dire que ce n'eft qu'aux pauvres que Jefus-Chrifî: a défendu le fafte 5c les plaifirs. L'Evangiîe interdit aux riches tous les avantages qu'ils peuvent , félon le monde , retirer de leur profpérité. Ce n'eft pas pour vous que vous êtes nés opulens , mais pour la veuve êC l'orphelin : vos biens font des dépôts mis en vos mains pour leur être confervés plus sûrement ; vous iij(êtes que les minières de la Providence envers eux ; fans cela votre élévation ne feroit pas l'ouvrage de Dieu. Je demande troifiémement, ce que peuvent retrancher au befoiiis prétendus des riches, les modiques largeiTes qu'on leur demande? Dieu n'exige pas qu'ils vendent leurs biens, leurs Palais ; mais il exige que la dépenfe qu'ils feront ne les mette point hors d'état de couvrir la nudité de fes ferviteurs ; que -de leurs tables délicates il tombe quelques miettes pour les Lazare ; que leur goût pour les peintures ne leur faffe pas oublier les images vivantes de Jefus-Chrift ; que tandis que le jeu eil un gouffre va fon- dre tout leur bien , ils n'en allèguent pas la médiocrité , lorfqu'il s'agit de foulager leurs frères. Je demande quatrièmement^ pourquoi c'eft ici la feule circonllance ils fe plaignent de la m.odicité de leurs re- venus , eux , qui en toute autre occafion veulent paffer pqur riches ? Ah ! ils difent qu'ils font pauvres , ÔC eux feuls ne ve«-

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44^ '^nalyfes des Sermons

lent pas voir qu'ils font comblés de bîensj

Seconde Excufe. Les tems font malheu- reux , dites-vous. Mais , premièrement , c'eft précifément pour cela que vous devez vous attendrir envers les indigens : fi vous vous refîentez de ces malheurs combien n'en doivent-ils pas foufFrir? Secondement, ce malheur des tems eil la peine de votre dureté envers les pauvres ; c'ell donc par des aumônes, S>C non par de vaines priè- res , qu'il faut appaifer la colère de Dieu : les pauvres ont les clefs du Ciel : leurs vœux règlent les tems*ôc les faifons : ce n'ell que par rapport à eux que Dieu vous punit ou vous favorife. Troifiémement , vos palTionsfouffrent-elles de la mifére pu- blique? Si elle vous oblige à quelque re- tranchement, retranchez du moins vos cri- jnes, avant que de retrancher vos devoirs* Dieu , en frappant de ftérilité les Provinces, veut ôter aux Grands les occalions des excès : regardez vous comme des criminels publics : portez feuls l'amertume des fléaux qui ne font deftinés qu'à vous punir. Si les divers abui que vous faites de vos richeïTes vont toujours leur train , malgré ces fléaux, fi l'indigence feule en fouifre , Dieu , en les faifant pleuvoir fur la terre , n'auroit donc voulu frapper que des malheureux ?

Troi/iémc Excufe- H y a , dit- on , trop de pauvres à fecourir. Mais, premièrement, d'où vient cette multitude d'indigens que nos pères n'ont point vue dans les plus grandes calamités ? N'ef^ce pas d'un luxe

^Analyfes des Sermons"*^ 44Î ^u! engloutit tout? Il n'y avait point d'indl- gens parmi les premiers Chrétiens ; pour* quoi y en a-t'il tant parmi nous ? C'eft que leurs pauvres mêmes étoient charitables , & que nos riches font cruels : c'eft qu'ils étoient tous modeftes 5c fobres , 6c que nous fommes faftueux &C intempérans : c'eft qu'ils n'avoient d'ambition que pour le Ciel ; Sc que nous n'en avons que pour la terre : c'efl que leurs retranchemens fal- foient la richelTe du pauvre , 5c que nos profufîons font fa mifere. Si chacun met- toit à part une certaine portion de fes biens pour la fubllftance des indigens , on verroit renaître l'égalité ,1a fainteté même des pre- miers Fidèles : tout changeroit de face ; ôC \qs ennemis de la foi feroient encore forcés de reconnoître la divinité de notre Reli- gion. SecondementjC'eft précifément parce que le nombre des pauvres eft grand, que le devoir de l'aumône eft plus indifpenfa- ble : la miféricorde doit croître avec les miféres : elle doit interdire , comme fuper- flues, des dépenfes qui hors delà feroient peut-être néceffaires : ni l'humanité , ni la raifon, ni la Religion ne vous permettent point d'être feuls heureux. Alors les excès de charité font pour vous une loi de juftice; alors vosprofunons méritent d'être punies même par les loix des hommes ; peut-être cependant favez- vous mettre à profit ÔC ap- prétier la néceflité des pauvres. Dieu les vengera , iis feront vos accufateurs : ÔC dé- pouillés pour jamais de vos biens, il ne vous

44^ Analyfes ies Sermons. ^ .

reftera pour partage que la inalédîfiîcm prononcée contre les riches impitoyables r î^udus eram , &c* ite in ignem , Ô-c.

IL Partie. Il y a quatre régies à ob- ferver en accomplilTant le devoir de Tau- mône : la charité doit être fecrette , uiii- verfelle , douce 5c vigilante.

i*'. Jefus-Chriiî: multipliant les pains dans un lieu écarté , afin de n'avoir pour témoins de fa miféricorde que ceux qui en doivent reflentir les effets , nous apprend que notre charité doit être fecrette ; fans cette condition nos aumônes font perdues pour réternité. On voit peu de gens qui publient leurs œuvres fur ies toits ; mais on en voit beaucoup qui n'ont des yeux que pour les miféres d'éclat : il y en a qui prennent des mefures pour cacher leurs largeffes , m.ais qui ne font pas fâchés qu'une indifcrétion les trahiffe : on n'eft pas plus humble dans fes libéralités envers les Temples du Seigneur ; fur les murs fa» crés , des infcriptions immortalifent l'or» gueil des bienfaiteurs ; à l'autel , le Prêtre eft revêtu des marques de leur vanité. Sa» lomon dans le Temple de Jérufalem ne fît graver que le nom du Seigneur : les plus riches d'entre les premiersFidéles voyoient avec plaifir leurs noms confondus avec ceux de leurs frères qui avoient fait moins de largelTes. La charité eft cette bonne- odeur de Jefus-Chrift qui s'évanouit dès qu'on la découvre : il eft bon que nos frè- res voyent nos œuvres y mais il ne faut pas

Analyfes des Sermons, 'J^^

que nous les voyions nous-même : feni- blables à ces fleuves qui ont prefque tou- jours coulé fous la terre, les anmônes fe= crettes arrivent bien plus pures dans le feiii de Dieu.

2^. Jefus-Chrift ne rejcttant perfonne de cette multitude qui s'offre à lui , nous apprend que notre charité doit être univer- felle : il condamne ces libéralités de goût 6c de caprice, qui ne femblent ouvrir no- tre cœur à certaines mîféres, que pour le fermer à toutes \^ autres ; qui ont leurs jours fixes , leurs lieux, leurs perfonnes la vraie charité n'eft pas fi méthodique .• il condamne cet examen que nous faifons des befoins qu'on nous expofe; la vraie cha- rité i\Q{x point fi (crupuleufe ; c'eft Jefus- Chriil qui reçoit l'aum.ône donnée même à un impofteur , ôc la récompenfe eft at- tachée à l'intention de celui qui la donne.

3°. Jefi.is-Chrifi: attendri à la vue d'un peuple errant ôc dépourvu , nous apprend que notre charité doit être douce. Vous- accompagnez fouvent vos aumônes de tant de dureté , que le refus feroit moins ac- cablent , vous reprochez ?.ux pauvres leurs forces , ÔC vous ne faites aucun ufage des vôtres ; leur parefie , ÔC vous vivez dans une molleiTe indigne ; leur vie inu- tile, 5c la vôtre eft criminelle. La pitié qui compatit à leurs maux , les confoîe autant que la charité qui les foulage. Au théâtre , les malheurs d'un Héros fabu- leux vous attendriffent \ Jefus-Chriil fouf-

^/\4 ^nalyfès des Sermons,

frant dans un de fes membres eft-il nidigne

de vGtre pitié ?

4^. Jefus-Chriil découvrant le premier les befoins du peuple , nous apprend que notre charité doit être vigilante. Cette vi- gilance eft une fuite du précepte de Tau- mône. Les riches font les palpeurs des pauvres félon le corps ; 6c ils font coupa- bles devant Dieu des fuites qu'aiirôit pré- venu un fecours offert à propos. On n'exi- ge pas que vous découvriez tous les befoins fecrets d'une Ville ; mais on exige que dans votre quartier vous ne foyez pas en- vironnés à votre infçû de mille malheu- reux , qui font blefles de votre pompe 5c de votre profpérité ; que dans vos terres vous connoiffiez les perfonnes que Tépui- fément ÔC les infirmités , le fexe & Tâge mettent ou hors d'état de gagner leur vie , ou en danger de perdre leur innocence.

Voilà les régies de l'aumône chrétienne; en voici les fruits. Premièrement , elle eft une fource de bénédiélions , même tem- porelle : c'eft une ufure fainte , elle inté- relTeffe Dieu dans notre fortune. Seconde- ment , elle nous caufe la joie la plus pure que nos biens puiiTent nous procurer : quel plaifir de faire des heureux ! quelle con- îblation de penfer que des âmes affligées lèvent les mains au Ciel pour nous ? f roi- fîémement , elle aide à expier les crimes de l'abondance , à nous ouvrir les portes du Ciel : la grâce fe réferve de grands droits fur une ame la charité n'a pas

Analyfes des Sermons, 44^

encore perdu les fîens : la converfion d'un bon cœur n'eft jamais défefpérée. Aimez donc , fecourez , refpeâ:ez les pauvres , afin qu'au grand jour Jeius-Chrifl vous dife : Vernie h bénît de mon Père , ^C'

LE LUNDI DE LA IV, SEMAINE

Sur lit Mèdïfance»

DIVISION. Rien de plus frivole que les prétextes qui juJiLJîent à nos yeux la médlfance. Elle ne peut être excujée : I. Ni pur la légèreté des défauts que nous cenfuroiis ; II. Ni par la notoriété publia que s III. Ni par le ^éle de la vérité & de la gloire de Dieu»

I. Partie. En vain prétendez - vous excufer vos médifances par la légèreté des défauts que vous cenfurez ; les motifs ea font toujours mauvais , les circonftances criminelles , les fuites irréparables.

i^. Tout votre but, dites- vous , eft de vous réjouir fur des défauts qui ne désho- norent pas. Joie cruelle , qui attrifte vo- tre frère ! plaifir pervers , qui naît d'un vice ! Une parole oifeufe qÙ. interdite; dé- couvrir la honte de Tes proches eil un cri- ine ; un terme de mépris eft , félon Jefus- Chriil , digne d'une punition éternelle, 5C vous feriez innocent ! La charité fe ré- jouit-elle du mai? un Chrétien peut-il s'é-

it4^ y^naîyjes àcs Sermons,

fayer aux dépens d'un membre de Jefus* ]hrift ? n'y a-t'il pas mille fujets édifians de converiation , dignes de la joye des Fidèles ? approfondirez le fecret de votre cœur?n'eft-ce point d'une jaloufiefecrette que nailTent vos cenfures? elles tombent toujours fur la même perfonne , & tout autre vous trouve indulgent. Ne voulez- vous point flâter un Grand à qui votre frère ne plaît pas ? ne facrifiez-vous point fa réputation à votre fortune? Non , di- tes-vous ; je médis quelquefois , c'eft pure indifcrétion. Je le veux : ce vice Ç\ indigne d'un Chrétien , peut-il en juftifier un autre ? votre frère fouifret'il moins de vptre indifcrétion , qu'il ne fouifriroit de votre malice ? fa réputation en ell-elle moins flétrie ? n'eft-ce pas un crime d'être capable d'indifcretion en ce point? Quelle attention fcrupuleufe n'avez-vous pas fur ce qui intérefle votre honneur ! en ayant peu pour ce qui touche votre frère , l'ai- mez-vous comme vous-même ?

2^. Le monde aujourd'hui appelle légè- res des médifances qui ne le font point. Je fuppofe que les vôtres le foienten eftet, & je dis qu'elles font toujours criminelles dans leurs circonftances. Premièrement , votre frère n'a que des défauts légers ; il en efl donc plus digne de votre indulgen- ce , de votre refpeâ ; 6c vous le décriez / quelle dureté , quelle injuftice ! Seconde- ment , auriez-vous la même idée des dé- fauts-que vous cenfurez , fi oa vous les

Analyfes ies Sermons. 447

^eprochoit à vous-même ? Alors vous grot ^riez tout ; tout vous paroîtroit elTentieU Faut-il que tout foit léger contre votre fre* re , ÔC que contre vous tout foit digne de vengeance? Troifiémement, en cenfurant des défauts même légers , n'y ajoutez- vous rien du votre ? ne donnez-vous point à penfer , par des conjeâures malignes , par certains gefles , par certaines expref- îions , même par un certain filence ? Qua- trièmement , la perfonne que vous atta- quez n'ell-elle point d'un fexe tout bruit eft un déshonneur public , n'être pas loué eft prefque un affront ? Cinquième- ment , n'eft-ce point à vos maîtres que s'en prennent vos cenfures , à ceux que Dieu a établis fur vos têtes , 6c que fa loi vous ordonne de refpeâer l Sixiém.ement, ne cenfurez-vous point les Oints du Sei- gneur , aufquels ils vous défend de tou- cher ? Leur converfatioa peut n'être pas toujours fainte : mais, outre que c'eft ordi- nairement pour punir le dérèglement des peuples , que Dieu permet qu'il forte du Sanftuaire même une odeur de mort ; 5C que dès-lors les infidélités des Prêtres doi- vent plutôt être le fujet de vos larmes que c^lui de vos cenfures ; quand miême le Miniftre mériteroiî quelques mépris , pou- yez-vous , fans facrilège , ne pas refpefter fon miniftère ? Septièmement , enfin n'at- taquez-vous point des perfbnnes qui font une profefTion publique de piété ? Vous au- tgrifez don^î^^ceux qui vous écx)Utent à peu-

iWS ^ Andyfes des Sermons, 1er qu'il y a eu peu de vrais gens de bîefl. fur la terre , ÔC vous confirmez les préju- gés du monde contre la vertu ? Les Juftes peuvent chanceler quelquefois -,' mais ils font les ferviteurs de Dieu , qui prend fur lui les plus légers mépris dont on ofe les déshonorer : il vengea Elifée , Elie , Da- vid , de déridons qui fembloient pardon- nables : toucher à ceux qui le fervent , c'efl toucher à la prunelle de fon œil.

3°. Enfin lesmédifances même que vous appeliez légères , font criminelles par rap- port à leurs fuites toujours irréparables. Tous les crimes peuvent être expiés par les vertus contraires ; nul remède , nulle vertu ne peut réparer celui de la détrac- tion. Vous n'avez révélé qu'à un feul les vices de votre frère ; mais ce confident en aura bien-tôt d'autres qui inftruiront les premiers venus de ce qu'ils auront appris ; chacun , en le racontant , y ajoutera de nouvelles circonftances : ainfi une fource prefque imperceptible , mais groflle dans fa courfe par mille ruiiTeaux étrangers , deviendra un torrent qui inondera la cour, la Ville , & la Province j en un mot votre frère fur qui vous n'avez voulu que plai- fanter , fera décrié formellement , flétri éternellement. En vain , pour vous oppo- fer au déchaînemen^ptlblic , chanterez- vous fes louanges , vous ferez feul , &. vos éloges venus trop tard , ne lui attiteront que des fatyres : vous médifez par la bou- che de vos citoyens j vous êtes coupables

du

AncLÏyfes des Sermons. 449

du crime de ceux qui les écoutent : quelle pénitence pourra expier de tels maux ? vo- tre mort même n'y remédiera pas ; le fcandale vous fuivra , & des Auteurs li- cencieux réterniferont.

II. P A R T I E. La médifance , lors mê- me qu'elle roule fur des fautes publiques , efl criminelles : parce qu'alors même elle hlcïÏQ rhumilité , la charité , la juilice.

i^. L'humilité , en nous repréfentant vi- vement nos fautes , nous ôte le loilir de remarquer celles de nos frères : elle nous fait bénir Dieu de ce qu'étant tombés peut- être dans les mêmes égaremens , nous n'avons pas été déshonorés comme eux : elle nous fait craindre qu'il n'ait épargné notre confulîon en ce monde , que pour la rendre plus amére 6c plus durable en l'au- tre. Que celui d'entre vous gui ejl fans pé- chè j, difoit Jesus- ChrIST , yme contre cette jemme la première pierre : je vous dis aujourd'hui la même cnofe cette perfonne vient de perdre fa réputation, 5c vous vous glorifiez encore de la vôtre : vous êtes plus heureufe qu'elle; êtes vous plus innocente? Dieu , peut être , va révéler votre honte: vous vous armez du glaive de la langue ; vous ferez percée du même glaive ; 6c quand vous feriez exempte des vices que vous blâmez , Dieu vous y livrera. En ef- fet , la honte ell la punition de l'orgueil r Pierre y le plus ardent à dételier la perfidie de Judas^ tombe lui-même dans l'infidélitéa. Rien ne nous attire taSt l'abeoidon DieUj.

4?^ Analyfss des Sermons*

que le plaifîr malin avec lequel nous rele- vons les fautes de nos frères.

2*^. La charité ne nous permet pas plus que l'humilité de cenfurer des fautes mê- me publiques. Elle n agit point en vain: or, quoi de plus inutile que de divulguer ce qui eft déjà public ? Quel eft votre objet ? De blâmer votre frère ? mais , percé de mille traits , il eft afTez puni : il mérite déformais toute votre pitié. De plaindre fon infor- tune? mais lacompafîion r'ouvre-t'elle les plaies d'un malheureux ? De juflifier vos foupçons précédens? mais vous venez donc triompher de fa chute, & vous glorifier de la malignité de vos jugemens ? Ah ! vous çtes vous-même dans une occafion de pé- ché dont le public murmure déjà : c'eft ici pli il faudroit exercer votre art des conjec- tures. D'ailleurs, la charité gémit des fcan- dales , de l'avantage qu'en tirent les im- pies 6c les libertins , de l'occaiion qu'ils donnent aux âmes foibles de tomber dans les miêmes défordres ; vous devez donc par votre filence contribuer à les afloupir. Quand tout le monde en parleroit , con- clure que vous pouvez en parler à votre K>ur ^ c'e/i barbarie : rhiunanité feule- nous apprend qu'il eft beau de fe déclarer pour les malheureux.

3°. Enfin, en cenfurant des fautes mêmes publiques , vous violez ks ioix mêmes de l'équité. Car premièrement , mettez vou^. â la place de votre, frerercroiriez-vous que

Analyfes Je s Sermon^-, 45^

droit que vous prenez contre lui ? Secon- dement , que favez vous ï\ le premier au- teur de ces difcours publics n'eft point un impofteur ? Un ennemi , un concurrent^ un envieux peuvent avoir calomnié votre frère : le public a peut-être recueilli avec malice une fimple indifcrétion , 6v réalifé une pure conjefture.Sufanne d été décriée; n'étoit-elle pas innocente? Jesus-Ciirist l'a été; excuferiez-vous ceux quiparloient de lui comme d'un féduâ:eur ? vous vous expofez donc à la calomnie envers votr^ frère, Troifiémement , que favez- vous li fon repentir n'a pas déjà expié fa faute de- vant Dieu ? en ce cas , quelle infuftice dg faire revivre des fautes que le Seigneur a oubliées i Quatrièmement , en favoit con^ fufément que la conduite de votre frero n'étoit pas exemte de reproche \ pourquoi venez -vous éclaircir les faits , expliquer tout le myftère , étouffer un refte d'hon- neur qu'il confervoit encore ? Cinquième"^ ment, peut-être par un rau^, par une naif» fance qui donnent de l'autorité fur les ef-^ prits , confirmiez vous des bruits qu'on ne tenoitque de certaines perfonnes fans aveu: votre iilençe fèul eût pu arrêter la diffama-* tion publique , ÔC votre cenfiire l'autorife» Ah ! Dieu lui-même diflimule les péchési des hommes ; diiîimulons les à notre tour ^ Je ne prévenons point le tems de fçs vea- geances»

IIÏ. Partie. Enfin la médifançe fe COUVîQ ^uel^u^oil du voile de la piété. Si

(4Si Andyfes Jès Sermons. Ton cenfure les pécheurs , c'eft par zèle^ dit-on ; c'eft par haine pour le vice. C'efl une illufîon ; la piété , dont la charité eu. l'ame , ne nous difpenfe point de la charité. Voici donc les régies que prefcrit l'Evaa- gile fur le véritable zèle. Premièrement , le vrai zèle gémit des fcandales qui dèsho.- jiorent l'Eglife , mais il n'en gémit que de- vant Dieu ; il lui en parle fouvent dans fes prières, mais il les oublie devant les hom- mes. Secondement, la piété ne nous donne point d'empire fur nos frères ; s'ils tom- bent , ou s^ils demeurent fermes , c'eft l'af- faire du Seigneur ; nos plaintes fur leurs défordres partent d'un fonds d'orgueil, de malignité, de légèreté ,. d'inquiétude ; elles déshonorent la piété y juftifient les dif- cours des impies contre l'homime de bien. Troifiémement , le zèle réglé cherche le falut 5c non la diffamation du pécheur ; il fe rend aimable pour fe rendre utile ; il eft plus touché du malheur de fon frère qu'ai- gri de fes fautes ; il voudroit pouvoir fe les cacher à foi- même ,. §C il fent bien que les^ cenfurer^ c'eft augmenter îe fcandale.Qua- triemement , ce zèle eenfeur eft inutile à celui qu'il attaque puifqu'il eft abfent , il lui eft nuidble puifqu'il ne fert qu'à raigri.r . en blellant fa. réputation ; il eft nuifible à ceux qui vous écoutent,. ÔC leur apprend à ne plus mettre îa médifance au rang d^s vices. Le vrai zèîe eft humbte ,. fîmple ^ miféricordieux , déli-cat §C timoré ; une langue c^ui a çonfellé JeXus-Chrift ^e dQk

yinatyfès des S er titans. ^ *45f plus être inquiète , dangereufe , plaine de fiel 6c d'amertume contre fes frères : Lin- gua Chrifium conjcjja non fit maledica > non turbulenta ; non convitiis ^er/lrepms au-' diatur. S. Cyprien.

lE MJRDl DE LA IV, SEMAINE.

Des doutes fur la Religion,

DI V I s I O iV. La plupart de ceux gui fi difent Incrédules , m le fini pas en effet. I. Cefi le dérèglement qui propofe les doutes , fans> ofir les croire. II. èefi V Ignorance qui les adopte y (ans les com- prendre* III. Cefii la vanité qui s en fait honneur , funs pouvoir s\n faire une ref- fource.

I. Partie. Trois réflexions montrent que les doutes des prétendus incrédules font des doutes de dérèglement. Premiè- rement , c'eit le déréglem.ent qui a formé leurs doutes , 8c non pas leurs doutes îe dérèglement. Secondement , c'eft à leurs paHions qu'ils tieixnent , 6c non à leurs doutes. TroifiemiCment , ils n'attaquent que les vérités incommodes aux parfioiis. 1°. On n*a encore viï perfonne commen- cer par des doutes fiir la foi ; 5c les dou- tes , tomiber dans la débauche : on fe livre d'abord au piaitîr ; enfuite on croit qu'il ;Bit impoffibÎQ de fe ïmQ violexiçe i enfin ^

454 ^Andyfcs^ des Sermons.

on conclud que cette violence eft inutile*' Que penfoit on avant que d'avoir renoncé à la pudeur ? alors , le cœur n'étant point gâté , la foi paroifToit refpe£lable , la rai- ion étoit foumife , on ne fe formoit pas même des difficultés : dès que les mœurs on changé , on a eu des doutes : ce n'eft donc pas la force de la raifon qui les a en- fantés , c'eft la corruption du cœur , c'eft même une lâcheté de courage : on ne peut foutenir les terreurs de la Religion y on ta-* che de s'étourdir en les traitant de frayeur? puériles : on cache fa peur fous une often- tation de bravoure. D'ailleurs , quelbefoin n'ont pas les pafîions du fécours des dou- tes ? combattues au-dedans ÔC au-dehors> elles font trop foibles , il faut les foutenir; elles font trop chères ; il faut les juftifîer ; les vérités de la Religion les troublent , il faut tâcher de fe pcrfuader qu'on ne les croit pas, ç'eft-à-dire , que le grand effort du dérèglement efl de nous conduire au dé- fîr de l'incrédulité. Si donc l'infenfé dit qu'il n'y a point de Dieu y c'eft dans fon cœur qu'il le dit : ce langage en efl le défît : il voudroit qu'il n'y eût point de vengeur du vice : il l'anéantit donc par fes fouhaits ; mais ils font aufTi ftériles qu'ils font impies: l'idée d'une puifTanceinfînieSc d'une juflioe redoutable , demeure toujours au fond d^ fon être ^ êc ramené fes remords. Les caî- meroit-iî en fe difant qu'il efl trop livré à. la débauche pour e;î foitir ? c'eft bien plu» aét fait d^ft dire;, ^ue a'y ayaatrieiî agr^â

Anaîyfes des Sermons* 455 la vie , il eft inutile de mieux vivre : cette idée le délivre de toute contrainte , l'en» tretient dans l'indolence , l'empêche de s'approfondir lui-même : elle émoulle au moins la feniibilité d^ fa confcience ; 6c ea faifant qu'il fe prend pour ce qu'il n'eft pas , elle fait qu'il vit comme s'il étoit ce qu'il vaudroit être : trop diiTolu pour con- fentir à mener une vie chrétienne , trop foible pour braver un vengeur qu'il recoii- coitroit fans répugnance , il fe tient dans une efpéce de neutralité contre la foi 6^ l'irréligion > 5c vit fans vouloir favoir ce qu'il cil en effets

2°. Une féconde raifon qui n'eft qu'une, fuite de la première , c'eiî que les préten- dus incrédules , s'ils ne changent pas ac- tuellement de vie ,. tiennent à leurs paf- fions ; & non à leurs doutes. Font-ils quel- que retour fur eux-mêmes ? leur em.barras n'eft plus de favoir comment ils pourront croire des chofes qui révoltent leur raifon^ mais de favoir comment ils pourront me- ner une vie contre laquelle leurs inclina- tions font révoltées. D'ailleurs il vivent pour la plupart dans les variations conti- nuelles fur leur incrédulité mêmie : en cer- tains momens ils font touchés des vérités de la Religion > en d'autres ils s'en moc» quent : tantôt ils cherchent des Serviteurs, de Dieu ^ pau? s'inftruire , tantôt ils les traitent avec dérifion-». D'où vient, cette vi-- çiiîiîud;e? c'eft que leurs paflîofts n'étant pas t9u|Qurs. égaleineîit vive.s j, lç;urs dfiu.te qvÀ

^45^ . Analyfks des Sermons, en naiflent doivent changer comme elleî î fi leur incrédulité prétendue venoit d'incer- titudes réelles fur la Religion , ces incer- titudes fubfillant , l'incrédulité feroit tou- jours la même. De plus , répondez aux dif- ficultés d'un prétendu iucrédule , réduifez- le à ne pouvoir répliquer : il ne fe rend pas encore : fon air myftèrieux 6c décidé vous fait gémir de fon entêtement ; gémiiTez plutôt de fa mauvaife foi : qu'au iortir de , une maladie mortelle le frappe ; vous le trouverez convaincu , confus , repentant, tremblant , &. demandant , non pas des preuves , mais des confolations. Son efprit vient-il donc d'être éclairci ? non : ^qs paf- fions vont s'éteindre, fes doutes s'éteigneiît avec elles : appeliez en avec Tertullien à ce pécheur mourant , il avouera qu'il en avoit impofé au public par une faulfe of- tentation d'impiété.

2°. Enfin , ce qui achevé de prouver que les doutes ne viennent que du dérègle- ment , ce qu'ils n'ont pour objet fixe que les vérités incommodes aux paflions. Si la Religion ne propofoit que des myf- tères j que des vérités fpéculatives ; ies ia- crédules feroient rares ; elle propofe des maximes qui gênent , des vérités qui me- nacent ; c'eft fur celles-là qu'on a des dou- tes , ou c'eil à caufe d'elles qu'on fe vanîe d'en avoir fur les autres. E^vain croiriez- vous que c'eft par amour p^ur la vérité , que l'incrédule ne fe rendp<Sintà des myf- tèxçs (|^ue la raifgn rejette ; ces vérités se

l'iutérelTal

^ndyfes des Sermons. 457

ï'întéreflent point ; ce qui rintérefle eft de vivre au gré de fes déiirs , & de n'avoir rien à craindre après cette vie : palTez-lui ce pojnt ; il conviendra de tout. Aufll les maîtres de l'impiété fe font attachés à prouver que tout mouroit avec le corps ; que les peines éternelles étoient des fables; & ce n'a été que pour en venir , qu'ils ont attaqué les autres points de la foi ; voilà pourquoi les impies dans la SagefTe & les Sadducéens dans l'Evangile n'atta- quent que la réfurreclion des morts ÔC l'immortalité de l'ame : voilà le point décifif : on ne fecoue le joug de la foi , que pour fecouer celui des devoirs ; la Reli- gion n'auroit point d'ennemis, fi elle n'é- tait pas ennemie du vice.

II. .Partie. C'e/I l^ ignorance oui adopte les doutes fans les comprendre* Les préten- dus incrédules blâment ce qu'ils n'ont point examiné ; ils blafphêment ce qu'ils ignorent ; ils haïllent la Religion , 5c cette haine ell la feule fcience qui forme leurs doute : Malunt ncfcire , quia jam oderunc, 'En effet , pour combattre des vérités re- çues dans tous les fiécles par les plus grands hommes, par les génies les plus élevés , il faudroit des raifons bien décifives , des lu- mières bien rares 6c bien nouvelles. Ce^ pendant approfondirez ces efprits forts; ils n'ont pour toute fcience que des doutes lifés &C vulgaires : ils ne favent qu'un cer- tain jargon de libertinagerils n'ont ni fonds |ii principes , ni fuite : ce font des hoin-;

Carême» Tonu lll* Q q

45^ AnalyfiS des Sermons,

mes légers , fuperficiels , en qui peut-être la débauche a éteint toute pénétration : ce font des hommes frivoles , diillpés , igno- rans qui ne favent que répéter ce qu'ils ont entendu : échos de l'incrédulité , fans être incrédules , ils favent ce qu'il faut dire pour douter; mais ils n'en favent pas affez poar douter eux-mêmes : ils ne doutent pas pour s'éclaircir ; ils n'achéteroient pas fi cher le plaifir de fe dire incrédules; ils en feroient même incapables : ne les appeliez ni Sociniens , ni Déifies , ni Athées ; ce feroit encore les honorer : ils ne font rien : du moins ils ne favent eux- mêmes ce qu'ils font.

Et ce qui efl bien remarquable , c'eft qu'eux qui nous traitent d'efprits crédules, de nous rendre à la plus grande autorité qui ait paru fur la terre; déférent à l'auto- rité d'un libertin , qui , dans un moment de débauche , a dit qu'il n'y avoit point de Dieu , quoique peut-être il ne le crût pas lui-même. Ils décèlent affez leur igno- rance , lorfqu'ils cherchent des impies vé- ritables 6c intrépides dans l'incrédulité : Spinofa le fut ; ôC il ne chercha perfonae qui l'affermît dans l'irréligion : ceux qui s'emprelTerent de le confulter , attefterent par cet empreffement même leur peu de fermeté & leurs remords;ils firent voir que leur incrédulité prétendue n'étoit en effet qu'un défir formel de devenir impies.

III. Partie. Cefl la vanité qui fi fait honneur de$ doutes fans pouvoir s\n fain

Analyfis des Sermons^ 4^9

une reffource. Les prétendus incrédules font de faux braves qui fe donnent pour ce qu'ils ne font pas , 6c qui à force de dire qu'ils ne croyent rien , croyent ne rien croire, ôC en ont meilleure opinion d'eux- xnêmes : Premièrement , parce que cette profefîion d'incrédulité fuppofe une fupé- riorité d'efprit, au lieu que les paiTions ne fuppofent que du dérèglement. Seconde- ment , parce qu'aujourd'hui ceux qui fe piquent d'un peu plus de connoilTances que les autres , fe permettant des doutes far la Religion , ÔC certains prétendus grands hommes , qui nous ont précédés , ayant fait profeflion de ne pas croire, on s'ima- gine partager la réputation des uns 6c àQ% autres en adoptant leur langage , 6c fe faire honneur en les prenant pour modèles. Troifiémement, parce que ceux avec qui on eft lié paç la débauche , parailTant ne pas croire , il feroit honteux de paroître croire , 6c d'être dilTolu comme eux .• être débauché , & admettre un Enfer , c'eft être débauché en Novice , c'eft fe fentir encore de l'enfance 6c du Collège : la débauche eft de bon air; quand on a pu perfuader aux autres qu'on s'eft mis au-deffus de ces foibleifes vulgaires ; on fe moque de ceux qui paroifTent encore craindre, & on iu- fulte à leur fimplicité : Adhuc permams in Jimplicitate tua*

Mais quelle reffource trouve-t'on dans ces doutes dont on fe fait honneur?aucune : limpie brave Dieu tout haut, Se il le craiut

4^0 'Analyfes des Sermons» ^

en fecret : c'efl: un impofieur , qui ne peiltl s'en impofer à lui-même ; im furieux , qui fait taire la pudeur , parce qu'il ne peut faire taire fa confcience ; un homme ivre & emporté , qui facrifie tout à la déplora- ble vanité de paroître incrédule.. Ah ! com- prenons ce qu'une telle profelîion cache de tout ce qu'il y a de plus bas &. de plus honteux félon le monde même , i. de dé- règlement, 2. de balTeffe, 3. de mauvaife foi6cd'impoihire,4. d'oftentation ÔC d'in- digne vanité , 5. de témérité , 6. d'extra- vagance , 7. enfin , de fuperftition : je dis de fuperiiition , puifque nous avons vu ces prétendus efprits forts , confulter les devins, donner dans des crédulités puéri- les , attendre d'un oracle impofteur leur élévation & leur fortune , 5c ne croyant point en Dieu , croire ridiculement aux démons. Souvenons-nous que ces homm.es pervers font prefquc fans reilource pour le falut : s'ils étoient abfolument aveu- gles , leur péché feroit moindre ; mainte- nant ils voyent , & leur crime eft un blaf- phême contre le Saint-Efprit , qui de-^ meure à jamais fur leurs têtes.

^Analyfes des Sermons. 4^X

LE MERCREDI DE LA IV^ SEM^

De Vlnju{îice du monde enyers Us Gens de bien*

DIVISION. I. Le monde attaque les in^ tentions des gens de bien , quand il na rien à dire contre leurs œuvres y & cejl une témérité. IL // exagère leurs foiblcffeS Cλ leur fait des crimes des'imperfeâicm les plus légères» , & c*ejl une inhumanité, III. Il tourne même en ridicule leur ferveur & leur 7èlc , C^ cejl une impiété,

I. Partie. Injujlice de témérité qui foupçonne toujours les intentions des gens de bien. Le monde femble refpefter la ver- tu en idée ; mais il méprife toujours ceux qui en font profelTion : or le premier ob- jet fur lequel tombent d'ordinaire les dif- cours du monde contre les gens de bien , c'eft fur la droiture de leurs intentions , fur lefquelles on fe retranche , parce que d'ordinaire leurs aftions donnent peu de prife à la malignité 6c à la cenfure : or il y a dans cette témérité trois carac):ères odieux qui en font fentir tout le ridicule & toute l'injuftice.

I °. C'eft une témérité d'indifcrétion : car à Dieu feul efl réfervé le jugement des in- tentions 5c des penfées ; en jugeant donc des intentions de votre frère, vous décidez de ce que vous ne pouvez connoitre. Mais

Qq 3

'4^2 ^ Analyfes des SermOftS. ce qui rend ici votre témérité plus înjuftej plus noire, plus cruelle, c'eft la nature de vos foupçons : car vous ne vous contentez pas de foLipçonner les gens de bien de quel- qu'une de ces foiblelles inféparables de la condition humaine ; vous attaquez leur probité 5C la droiture de leur cœur; vous les foupçonnez de noirceur, de diflimula- tion , d'hyprocrifie ; en un mot , de fe jouer de Dieu 6c des hommes , 6c cela , liir les feules apparences de la vertu. Ain* , v^is portez d'une homme de bien uil jugement que vous n'ofericz pas porter , après le crime le plus éclatant , d'un cri- minel convaincu : faut-il donc que la vertu foit le feul crime qui ne mérite point d'in-» dulgence de votre part ?

L'hypocrifie, j'en conviens , eft digne de Texécration de Dieu ÔC des hommes : maisF je foutiensquecesfonpçons téméraires qui confondent toujours l'homme de bien avec l'hypocrite ; fournillent des armes 21ÎX impies , &. leur aident à croire qu'il n'y a plus de Juftes fur la terre ; que ies Saints mêmes qui ont autrefois édifié l'E- glife , n'ont donné aux hommes que le lpe6^acle d'une fauile vertu ; 5c que l'E- vangile n'a jamais formé que des Phari- iiens ÔC des hypocrites : cela doit faire comprendre tout le crime de ces dérifions infenfées : on croit rire de la faulTe vertu , 6c on fait blafphémer contre la Religion. Ajoutez que par-là tout devient douteux & incertain dans la fociété : car fi ceux

Analyfes des Sermons. 465

qu*on appelle gens de bien ne font félon vous que des impofteurs & des hypocri- tes , nous ne comptons pas davantage fur la probité des pécheurs ÔC des mondains ; il n'y a donc plus ni bonne-foi , ni droi- ture , ni fidélité parmi les hommes.

2*^. C'eft une témérité de corruption : en effet , ce fonds de malignité qui voit le cri- me à travers même les apparences de la vertu , Se qui attribue à des œuvres fain- tes des intentions criminelles, ne peut par- tir que d'une ame noire ê«C corrompue, comme les pafîions vous ont gâté le cœur, à vous que ce difcours regarde , que vous êtes capable de toute duplicité & de toute baffelfe , vous foupçonnez aifément vos frères d'être ce que vous êtes. Un boa cœur , un cœur droit , fîmple 6c fincère , ne peut prefque comprendre qu'il y ait de;s împofteurs fur la terre , parce qu'il trouve dans fon propre fonds l'apologie de tous les autres hommes : auiîi qu'on examine ceux qui forment ces foupçons affreux ÔC téméraires contre les gens de bien , on trouvera j^ue ce font d'ordinaire des hom- mes déréglés ÔC corrompus , qui tâchent de fe perfuader qu'il n'y a plus de vertu , véritable , afin que le vice plus commua leur paroilfe plus excufable.

Mais , dites-vous , on a vu tant d'hypo- crites qu'on regardoit comme des Saints , qui , cependant n'étoient que des hommes pervers 6c corrompus , on ne peut le nier. Mais que voulez-vous conclure de-là ? que

Qq4

4^4 ^Analyfes ies S er nions,

tous les gens de bien leur reflemblent ? & ou en feroit le genre humain , Ç\ vous rai- fonniez ainfi fur le refte des hommes : on a vii tant d'époufes infidèles , tant de Ma-

fiftrats iniques , 6Cc. dont la pudeur 6c la délité font bannies du mariage , 6c la juf- tiee ÔC l'intégrité de tous les Tribunaux ? Quoi de plus injufte & de plus infenfé,que de faire à tous un crime de la faute de quelques-uns ? La fource de cette in juftice^ c'eft que nous haïilons tous les hommes qui ne nous reflemblent pas ; & nous fommes ravis de pouvoir condamner la vertu,parce que la vertu elle-même nous condamne.

Mais on y a été fi fouvent trompé, dites- vous. Je le veux ; mais je vous réponds , quand même vous vous tromperiez en ne voulant pas foupçonner vos frères , que vous arriveroit-il de fi trifte ÔC de fi hon- teux de votre crédulité ? vous auriez jugé félon les régies de la charité , de la pru- dence , de la juftice : 5c qu'y auroit-il dans cette méprife qui dût tant vous allarmer ? il eft fi beau de fe tromper par un motif d'humanité 6c d'indulgence !

Et d'ailleurs , d'où vous vient ce zèle & ce déchaînement contre l'abus que l'hypo- crite fait de la vertu véritable ? que vous importe que le Seigneur foit fervi avec un cœur double ou fincère , vous qui ne le fervez ÔC qui ne le connoiifez même pas ? Ah ! ce n'eft pas Thypocrifie qui vous blelTe^ c'efi: la piété qui vous déplaît ; fi vos cen- fures partoient d'un fond de Religion 6c

'^Analyfis des Sernlonf* 4^5

He zèle véritable , vous ne rappelleriez qu'avec douleur Thiftoire de ces impof- teurs , qui ont piï quelquefois réuftir à tromper le monde , & vous fouhaiteriez que ces triftes événemens fuïïent effacés de la mémoire des hommes î

3°. C'eft une témérité de contradiôion. Le monde accufe les gens de bien d'aller à leurs fins , d'avoir leurs vues dans les allions les plus faintes , ÔC de ne jouer que le perfonnage de la vertu : mais fied-t'il à ceux, fur-tout, qui vivent à la Cour de faire ce reproche aux gens de bien , eux dont toute la vie eft une feinte éternelle ? Quand ils n'auront rien à fe reprocher là- deflus , on écoutera alors la témérité de leurs cenfures.

D'ailleurs , les gens du monde fe récrient il fort , lorfqu'on eft trop attentif à des dé- marches qui font félon eux indifférentes , & qu'on les interprête malignement ; mais les Juftes donnent-ils plus de lieu à la té- mérité des foupçons que le monde forme contre eux? Les gens du monde exigent qu'on juge leurs intentions pures , lorfque leurs œuvres ne le font pas ; 6c ils croyent avoir droit de nous perfuader que les in- tentions des gens de bien ne font pas inno- centes , lorfque toutes leurs aâiions le paroiifent : quelle contradiftion 1

II. Partie. Le monde exagère l'es fol* hUjJes des gens de bien , & leur fait un crime des imperfeâlons les ^lus légères , & c*ejh une inhumanités

4^(5 Analyfa des Sermons»

i^. Une inhumanité par rapport à lafoî- blelTe de Thomme : car c'eft une illufion de croire qu'il y ait parmi les hommes des vertus parfaites ; ce n'eii: pas la condi- tion de cette vie mortelle : chacun pref- que porte dans la piété , fes défauts , fes humeurs , 6c fes propres foiblelTes : la grâ- ce corrige la nature , mais ne la détruit pas : ce n'eft que dans le Ciel que nous ferons parfaitement délivrés de toutes nos miféres. Tout ce qu'on peut donc exiger de la foible/îe humaine , c'eft que TelTen- tiel foit réglé, 6c qu'on travaille fans celTe à régler le refte , & dans le fonds portant comme nous faifons , au dedans de nous une contradiôion éternelle à la Loi de Dieu , foibles pour le bien , toujours prêts pour le mal , doit-il paroître étrange que des hommes environnés , paîtris de mifé- rcs , en laiflent encore paroître quelques- unes ! ôc fi le monde avoit de l'équité, ne trouveroit-il pas les gens de bien plus di- gnes d'admiration d'avoir encore quelques vertus , que dignes de cenfure pour con- ferrer encore quelques vices ?

D'ailleurs , Dieu a fes raifons , en laif- fant encore aux gens de bien certaines foi- bleiles fenfibles : il veut par-là les tenir dans l'humilité , ranimer leur vigilance , exciter en eux un défir continuel de la patrie céiefte, empêcher que les pécheurs ne fe découragent par le fpe£^acle d'une vertu trop parfaite,ménager aux Juftes une matière continuelle de prière ôc de péni-

Analyfts êes Sermons, ^dy

tence , prévenir les honneurs excefîifs que le monde pourroit rendre à leur vertu , elle étoit ^\ pure 6c fi éclatante ; peut-être enfin , Dieu veut par-là achever d'endurcir ÔC d'aveugler les ennemis de la pitté.

2®- Une inhumanité par rapport à la dif- ficulté toute feule de la vertu. Vous pa- roît-il aifé , mondains , de vivre feloa Dieu , ÔC de marcher dans les voies étroi- tes du Salut, que vous deviez être {\ im- pitoyables envers les Juftes , dès qu'ils s'en écartent un feul moment ? Que ne nous- dites-vous pas vous-mêmes tous les jours fur les difficultés d'une vie chrétienne , lorfque nous vous en propofons les régies faintes ? cependant, par une barbarie étran- ge , la plus légère imperfection dans \t^ gens de bien , anéantit dans notre efprit toutes leurs qualités les plus eftimables ; 6C loin de faire grâce à leurs foiblefles en fa- veur de leurs vertus , c'eft leur vertu elle même qui vous rend plus cruels ÔC plus inexorables envers leurs foiblefles.

Mais en quoi l'injuftice du monde en- vers les gens de bien eft plus cruelle, c'eft que ce font vos cenfures , mondains , ÔCla corruption de vos mœurs , qui deviennent tous les jours le piège le plus dangereux de leur innocence : comment voulez-voua que la piété des plus juftes fe conferve toujours pure au milieu des moeurs d'au- jourd'hui ? vous êtes les fédu£leurs des gens de bien ; ÔC vous trouvez mauvais qu'ils fe UiiTent fédiûre ?

4^8 ^Analyfes des Sermons i

3 °. IJwQ inhiimanitépar rapport aux ma- ximes du monde même. Je vous en fais juges : vous dites tous les jours qu'un tel avec fa dévotion ne laifTe pas d'aller à fes fins ; qu'un autre eft fort ei^é^e à faire fa cour; que celle-ci a une vertu fort com- mode ; que celle-là eft toute paîtrie d'hu- meur , &. infupportable dans ion domefti- que, ÔCc. 6c là'delTus vous décidez fière- ment qu'une dévotion mêlée de tant de défauts ne fauroit jamais en faire des Saints ; cependant , lorfque nous venons vous annoncer ici nous-mêmes que la vie mondaine , oifcufe , fenfuelle , 6c prefque toute profane que vous menez ^ ne fauroit être une voie de Salut , vous nous foute- nez que vous n'y voyez point de mal , & que vous ne croyez pas qu'il en faille da- vantage pour fe fauver : mais de quei côté efl ici l'inhum.anité & l'injuftice ? vous damnez les gens de bien, parce qu'ils ajoutent à leur piété quelques défauts qui vous reilemblent ; 6c vous vo-us croyez dans la voie du Salut , vous qui n'avez que . ces défauts fans la piété qui les purifie»

Ce n'efi: pas affez : les gens de bien quit- tent-ils tout pour fe donner entièrement à Dieu ? vous dites qu'ils pouffent les chofes trop loin. Tâchent-ils d'accorder avec la piété les devoirs de leur état , 6c les inté- rêts innocens de leur fortune ? vous dites alors qu'ils font faits comme les autres hommes , ÔC que vous feriez bientôt ua grand faint, s'il n'en falloit pas davantage;

accordez - vous donc avec vous - même.

Mais ce qu'il y a de plus déplorable danslafévérité avec laquelle vous condam* nez les gens de bien, c'eft que un pécheu? célèbre ÔC fcandaleux , après bien des dé- lais 6c des répugnances , prononce enfin feulement le nom d'un Dieu qu'il n'a ja- mais connu, ÔC qu'il a toujours blafphêmé; il ne vous en faut pas davantage , vous le rangez parmi les Saints, ÔC vous dites qu'il a fait une mort chrétienne : vous fauvez donc l'impie fur les fignes les plus frivoles &. les plus équivoques de la piété : ÔC vous damnez le Jufte fur les marques les plus légères de l'humanité 6c de la foibleile , fans fonger qu'il eft même de votre intérêt de ménager les imperfeftions des gens de bien ; puifqu'eux feuls vous épargnent , adoucilTent vos défauts , excufentvos fau- tes ; je n'en dis pas aiïez , eux feuls font vos amis véritables , eux feuls font touches de vos maux , & occupés de votre falut.

III. Partie, he monde tourne en ridicule la ferveur & le ^èle des gens de bien , Ô* cejl une impiété. Oui une impiété : car en effet , les gens du monde font de la Re- ligion , un jeu 6c une fcéne comique, fans penfer que par ces dérifions , 6c ces cenfu- res , 1°. Ils perfécutent la vertu , ÔC fe la rendent inutile à eux-mêmes : car Dieu pour les punir les prive fouvent de l'exem- ple des gens de bien , qui étoit un moyen de falut que fa bonté leur avoit préparé : OU bien accoutumés à décrier la vertu, ÔC

<47Q Analyfes des Sermons^

à la tourner en ridicule , fi jamais lafles cîif inonde ils veulent revenir à Dieu , le ref- peâ humain les arrête , ils n'ofent plus changer ni de mœurs ni de langage.

2^. Par ces dérifîons vous déshonorez la vertu, 6c vous la rendez inutile aux autres, qui n'ofent fe déclarer pour la piété , par- ce qu'ils craignent de s'expofer à vos rail- leries profanes , 6c n'oppofent en fecret que ce feul obftacle à la voix de Dieu qui les appelle : ainfi , par-là vous anéantiifez le fruit de TEvangile , 6c rendez notre miniflère inutile.

3°. Par vos cenfures vous tentez la ver* tu , & la rendez infoutenable à elle-mê- me : car vos dérifions deviennent l'écueil de la piété même des Juftes ; vous ébran- lez leur foi , vous découragez leur zèle , vous fufpendez leurs bons défirs ; ôc par- vous privez TEglife de l'édification de leurs exemples ; les foiblefi'es du fecours , qu'ils y trouveroient ; ÔC les pécheurs , de la confufion qui leur en reviendroit:n'eft^ ce pas le comble de l'impiété ?

Jînalyfes des Sermons» 4ft

LE JEUDI DE LA IV. SEMAINE.

De la Mort.

DlviSIOiV. I. La mort ejl incertaine: VOUS êtes donc téméraire , de ne pas vous en occuper , & de vous y laijjcr furprendre. II. La mort ejl certaine , vous êtes donc in^ fenfé d^en craindre le fouvenir , & vous ns devei jamais la perdre de vue.

I. Partie. La mort ejî incertaine : pen* fil'y donc , puifque vous ne fave^ à quelle heure elle arrivera. Cependant c'eft fon incertitude même qui fait que nous n'y penfons pas : or , je dis que c'efl-là de tou- tes les difpofîtions la pljs téméraire & la moins fenfée. En effet , un malheur qui peut arriver chaque jour , eil-il plus à mé- prifer qu'un autre qui ne vous ménaceroit qu'au bout d'un certain nombre d'années ? Quoi ! parce que le péril eft toujours pré- fent , l'attention feroit moins nécelTaire ? ce devroit être tout le contraire. AufTi , le grand motif dont Jefus-Chrift s'eft fervi pour nous exhorter à veiller fans celle , c'eft l'incertitude du dernier jour. Il n'eft point en eiFet de motif plus preilant que celui-là: car fi la mort vue de loin, mais à un point sûr ôc marqué , nous efFrayeroit nous détacheroit dn monde , nous occu- peroit fans ceflje; fon incertitude , fi nous

^ft j^natyjh des Sermons'! étions fages , devroit faire fur nous des îm» prefîîons infiniment plus fortes. Remar- quez en effet que cette incertitude eft ac- compagnée de toutes les circonftances les plus capables d'allarmer , ou du moins , d*occuper un homme fage.

i°.La furprife de ce dernier jour que vous avez. à craindre, n'eft pas un accident rare ; c'eft un malheur familier : il n'eft pas de. jour qui ne vous en fournilTe des exemples , puifque prefque tous les hom- mes font furpris de la mort.

2^. Si cette incertitude ne rouloit que fur rheure , fur le lieu , ou fur le genre de vo- tre mort ; elle ne paroîtroit pas Ci affreu- fe ; mais ce qu'il y a ici de terrible , c'efl qu'il eft incertain , fi vous mourrez dans le Seigneur ou dans votre péché : la mort feule vous découvrira ce fecret ; 6c dans cette incertitude vous êtes tranquille ?

3°. Dans toutes les autres incertitudes , ou le nombre de ceux qui partagent avec nous les mêmes périls peut nous raffurer, ou des reflburces dont nous pouvons nous flâter , nous laifi^ent plus tranquilles , ou enfin , tout au pis , la furprife n'efl qu'une înftruâ:ion pour l'avenir. Mais dans l'incer- titude terrible de la mort , rien de cela ne s'y trouve ; ôc fur-tout la furprife eft fans retour, parce que nous ne mourons qu'une fois ; &: cependant nous ne fommes point allarmés !

Mais , fur quoi donc pouvez-vous jufti- fier cet oubli in comprénenfîble dans lequel

vous

Analyjïs des Sermon fi 47?

vous vivez de votre dernier jour ? Sur la jeunelTe ? mais la mort refpecte-t'elle les âges non plus que les rangs ? fur la force du tempérament ? mais qu'eft-ce que la fanté la mieux établie ? une étincelle qu'un fouffle éteint. Après tout , prolongez vos jours au-delà même de vos efpérances ; ce qui doit finir peut-il vous paroitre lon-g.

Tirons les conféquences naturelles de rincertitude delà m.ort : la première , c'efl que la mort étant incertaine ^ c'eft une fo- lie de s'attacher à ce qui doit pailer en ua înftant ; la féconde , c'eft que nous devons donc mourir chaque jour , Sc ne nous per- mettre aucune aéîion dans laquelle nous ne vauluiîions point être furpris;^ la troi- lième , c'eft que nous ne devons pas dif- férer notre pénitence. Voilà les réflexions fages Se naturelles doit nous conduire l'incertitude de notre dernière heure.

II. Partie. La mon ejl certaim-pen- fi^-y donc , parce quelle doit arriver* Rien ne nous effraye tant que ce qui nous rap- pelle lefo-uvenir de la mort; aufli eft-ce ce que nous fuyons avec le plus de foin. Mais fi ces frayeurs étoient pardonnables à des Payens , on doit être furpris que la mort foit terrible à des Chrétiens , 6c que la terreur de cette image leur ferve même de: prétexte pour l'éloigner de leur penfée.

Car, i*^. Je veux que vous ayezraifon de: craindre la mort: mais puifqu'elle efl cer- taine^ je ne comprends pas que parce qu'eî- ie.vou5 p^roît terrtblej^vauâae^ deviez ga$

474 Analyfes ies Sermons. vous en occuper 5c la prévenir ; an con» traire, plus le malheur dont vous êtes me* iiacé elt affreux , plus vous devez ne pas le perdre de vue , & prendre fans ccffe des mefures pour n'en être pas furpris. 2°. Si en éloignant cette penfée , vous pouviez au0i éloigner la mort,vos frayeurs auroient du moins une excufe : mais pen- fez-y , n'y penfez pas , la mort avance tou- jours. Que gagnez-vous donc en détour- nant votre e^rit de cette penfée ? vous vous rendez la furprife inévitable.

3^. Quand cette penfée feroit fur vous des impreffions de frayeur 5c de trifteffe^ feroit l'inconvénient ? vous n'êtes pas fur la terre pour ne vous y occuper que d'images douces ÔC riantes.

Mais , dites-vous , fi on penfoit tout de bon à la mort , on en perdroit la raifon. Mais tant d'ames fidèles qui mêlent cette penfée à toutes leurs a£^ions , en ont-elles perdu la raifon ? Vous en perdriez cette raifon fauife , mondaine , orguelUeufe , charnelle , qui vaus féduit ; mais vous y acquerriez la véritable fagelîe y puifque cette penfée vous apprendroit à regarder le monde comme un exil , les plaifirs com- me une ivreile , le péché comme le plus grand des maux , les honneurs 5c la for- tune comme des fonges , le falut comme la grap.de ÔC unique affaire.

Mais ^ ajoutez-vous ^ cette penfée , i on rapprofoiidilToit > feroit capable de faire tout quittera & de jettei daû& des iHoki-^,

Analyfès des Sermons'* 475 tîons violentes & extrêmes. C'eft-à-dire , elle feroit capable de vous détacher- du monde , de vos vices , de vos paillons , pour vous faire mener une vie chrétienne leule digne de la raifon : voilà ce qu^on appelle des réfolutions violentes ôc extrê- mes. D'ailleurs , ne craignez rien ; quand vous iriez d'abord trop loin , les premiers tranfports fe rallentiront bientôt : prenez feulement des m.euires contre la tiédeur ÔC le relâchement : voilà, indolent 6c fenfuel comime vous êtes , le ieid écueil que vous avez à craindre. Outre cela , quelle iilu> fion ? de peur de faire trop pour Dieu , on ne fait rien du tout; tandis qu'on ne trouve jamais rien de trop pour le monde.

4°. C'eii: à vous une ingratitude crimi- nelle envers Dieu , d'éloigner la penfée de la mort , feulement parce qu'elle vous trouble 5c vous allarme : cette imprefîîon de crainte ÔC de terreur , eft une grâce iinguliére dont Dieu vous favorife , tandis qu'il la refufe à tant d'autres : c'eft par la penfée de la mort qu'il veut vous ramener à lui j c'eit à ce remède que votre falut pa- roit attaché. Tremblez plutôt que votre cœur ne fe raffure contre ces frayeurs fa- lutaires , 6c que Dieu ne retire de vous ce moyen de falut : ainiî , mettez à profit pour le règlement de vos mœurs cette fenfibili- , tandis que Dieu vous la lailTe encore, 5^. Remontez à la fource de ces frayeurs cxcefTives, qui vous rendent l'image ôC la ' penfée de la mort fi terrible ; vous la UOU'

Rr 2.

476 y^naly/es des Sermons-»,

verez furtout dans les embarras d'une cont cience criminelle. Ce n'eft pas la mort^. que vous craignez , c'eft la juftice de Dieu. qui vous attend au-delà : purifiez donc vo- tre confcience , alors vous verrez arriver ce dernier moment avec moins de crainte & de faififTement. En effet , qu'a la mort d'effrayant pour une ame jufte ? elle ne lui ôte que des chofes dont l'ufage eft envi- ronné de plaifirs fouvent criminels , ôC quelle ne pouvoit conferver long-tems ,. éc elle lui rend des biens immuables , SC. des plaifirs éternels, quelle goûtera fans crainte 5c fans remords. Auiîi la mort eft, îe point de viie ÔC la feule confolation qui foutient la fidélité des Juftes : arrivés à. cet heureux moment , ils voyent fans re- gret périr un monde qui ne leur avoit jamais paru qu'un amas de fumée ,&: qu'ils n'avoient jamiais aimé.

LE FEND. DE LA IF. SEMAINE..

Homélie, fur V Evangile de Laiare..

DIVISION. Trois. Réflexions renferme- ront toute Œijloire de notre Evangde^ I. Combien ufl affreux & déplorable l et at^ d'une ame qui vit dans Vkabitude du dèj or- dre. II. ?ar quels moyens elle en peut for tir.. III. Quels font les motifs qui déterminent^ JesuS-ChRIST k opérer h rruracle de j^ réfurreâiQn 6 i^ A délinansi^^

'yfnatyfes des Sermons. 477

I. Réflexion. Combien ejl affreux & déplorable fétat dune ami qui vit dans r habitude du défordre»

1°. Lazare devenu déjà un amas de vers & de pourriture , répand rinfe(^ion 5c la puanteur : Jam fœtet ; &. voilà la profonde corruption d'une ame dans le péché d'ha- bitude. Car il n'eft pas d'image plus natu- relle d'une ame qui croupit dans ledéfor- dre , que celle d\in cadavre déjà en proie aux vers ÔC à la pourriture. Or la mort produit deux effets fur le corps ou elle s'attache : elle le prive de la vie; elle ahére enfuite tous fes traits , 8c corrompt toiis fes membres. Elle le prive de la vie ; &: c'eft par- que le péché commence à défigurer la beauté de l'ame : car Dieu eft la vie de nos âmes , la lumière de nos efprits , le mouvement, pour ainfi dire, de nos cœurs;, cr, par un feul péché , cette vie , ceffe j. cette lumière s'éteint , cet efprit fe retire, tous ces mouvemens font fufpendus-.

Ainfi l'ame fans Dieu , eft une ame fans vie : mais l'habitude du péché , qui eft une mort invétérée ,. va. plus loin. Lazare ré- pend rinfeftion dans le tombeau ,. parce qu'il y eft depuis quatre jours : Jam fœtet ^. quatriduanus eft enim. Le premier péché en nous faifant perdre la grâce , nous lailTe à la vérité fans vie aux yeux de Dieu ; on peut dire néanmoins qu'il nous refte encore certaines femences de vie fpirituelle , cer- toines facilités à recouvrer la grâce perduer aaaiî àmefur.e ^iierame gerJÈvére- daos îg.

47? Analyfcs des Sermonf,

crime , tout s'éteint, tout fe corrompt Qti elle , la corruption devient univerfelle ÔC change en un fpedacle d'horreur ÔC les dons de la grâce , &C les dons de la nature.

Mais comme un cadavre ne fauroit être long-tems caché , fans qu'une odeur de mort fe répande à l'entour , on ne peut croupir long-tems dans le défordre fans que l'odeur d'une mauvaife vie ne fe faile bientôt fentir : ainfi la corruption ne fe borne pas au pécheur tout feul : or fes ex- cès venant à être connus , fervent de mo- dèle en mille lieux , & le fpe£i:acle de fes mœurs ralTure peut-être en fecret , des confciences que le crime troubloit encore, Nous ajoutons, il nous l'olions , que la corruption que l'habitude du crime met dans tout l'intérieur du pécheur efl fi uni' verfellc, qu'elle infede fon corps même.

2"^. Un voile lugubre couvre les yeux ÔC le vifage de Lazare : Et faciès ejus fudario erat ligata ; Sc voilà l'aveuglement funefte d'une ame dans le péché d'habitude. J'a- voue que tout péché eft une erreur qui nous fuit prendre les faux biens pour le bien véri- table ; cependant une première chiite n'é- teint pas tout-à-fait nos lumières : mais à mefure que le péché dégénère en habitude^ la lumière de Dieu fe retire , les ténèbres croilTent, Sc arrive enfin la nuit profonde , &. l'aveuglement entier; alors tout devient une Qccafion d'erreur à l'ame criminelle , parce que tout change de face à fes yeux^

j*^. Lazare paroit dans le lambeau ^ les

Analyfes êes Sermons. 479

mains & les pieds liés : Ligatus peies & manus injlltis ; & voilà la trifte fervitude d'une ame dans le péché d'habitude. Le inonde a beau décrier la vie chrétienne comme une vie d'affujettiffement 6c de fervitude , le régne de la juftice eft un régne de liberté ; parce quel'ame fidèle ôC foumife à Dieu devient indépendante , SC même maîtrefle de toutes les créatures : le pécheur , au contraire , quoiqu'il paroiÏÏe vivre fans joug ÔC fans régie , n'ell pour*, tant qu'un vil efclave, dépendant de tout, de fon corps , de fes paillons , de fes biens, de (^s amis , de fes ennemis>&Cc. D'abord, la paiTion ménage encore , pour ainfi dire, la liberté du cœur ; mais dès qu'une fois elle fe fent maîtreiTe, combien nous fait- elle fentir tout le poids 6c toute l'amertume de notre fervitude : fervitude honteufe par rafTujettiiTement de l'ame déréglée aux fens , par l'indignité des démarches que la force de la pallion obtient d'elle ; par le facrifice des devoirs les plus importans à la palTion injufte ; par l'avililTement &. le mépris public qu'attire toujours une vie déréglée , ÔCc.

On fe plaint quelquefois des rigueurs de la vertu , ÔC l'ont craint la vie chré- tienne comme une vie d'alfujettillement ôC de triflelTe ; mais on conviendrait qu'il ne s'y trouve rien de fi trifte que ce que l'on éprouve dans le dcfordre , d l'an ofoit fe plaindre de l'am rtumQ SC dek tyrannie de fës pâiliQn^

4^0 y^naïyfes des Sermons.

II. Réflexion. Far quels moyens Camt peuc fortir de l'habitude au defordre.

Le premier moyen , c'ell la confiance en Jes us-Christ. Si vous avu{ été ici , dit une des Sœurs de Lazare au Sauveur, mon frère ru fer oit pas rrtort ; mais Je Jais que tout ce que vous demander s^ à Dieu , Dieu ^^ous ^accordera» AuiTi rillufîion dont le démon fe fert tous les jours , pour rendre inutiles nos déilrs de converiion , c'eft de Dous jetter dans la déiîan-ce 6c le découra- gement : 8c là-delTus on s'al>andanne à la. pareile 6c à l'indolence ; 5c après avoir ir- rité la JLîftic^ de Dieu par nos égaremens, nous outrageons fa miféricorde par l'excès de notre défiance. Ce n'eft pas que je pré- tende qu'il n'en coûte à une ame depuis long-tem-s morte dans le péchi, pour re- venir à Dieu : mais je dis que fcs miféres doivent augmenter fa compond^ion , 6C non pas fon découragement; ÔC que la pre- mière démarche de fa pénitence doit être d'adorer Jefiîs-Chrill: comme la rèfurrec tion & la vie , avec une confiance le- erette que nos miféres font toujours moin^ dres que fes miiericordes. En effet , queliie- que puiiTc être l'horreur de vos crimes paf- fés , il eft à croire que le Seigneur n'eil pas éloigné de vous faire grâce, dès qu'il vous infpire le défir ÔC la rt^folution de la de- mander : c'eftdonc à tort que l'état de vo- tre confcience vous décourage, 6c que vous^ V0U5 perfuadez qaec'eft fait de vous fans îeilource. Je vous répouàs coisme îa-inejre:

Analyses des SermonS' 45^

de Samfon à fon mari : Si le Seigneur voij. loit vous perdre , il ne feroit pas defcen- dre le feu du ciel fur votre cœur : s'il vou- loit vous laiffer mourir dans l'aveuglement de vos paffious , il ne vous montreroit pas les vérités du falut : il ne vous les mettroit pas dans un jour qui vous éclaire 6c qui vous trouble. Dieu veut toujours le falut de fa créature ; dès que nous voulons retourner a lui , ne nous défions que de notre volonté. D'ailleurs , 8c ceci doit bien nous ralTu- rer; que favez-vous fi Jefus-Chrift n'a pas permis que vous tombaflîez dans cet état déplorable , pour faire du prodige de votre converiion un attrait pour la con ver- lion de vos frères , & pour manifefter fa gloire.

Second Moyen. L'éloignement des occa-' «ions qui mettent un obftacle invincible à notre refurredion & à notre délivrance ; obftacles figures par la pierre qui fermoit 1 entrée du tombeau de Lazare.. & que Je- fus - Chnft commande qu'^n Ôte avant de le reTufciter : ToIHh UpO..^.

Et voila pourquoi i^^ deVécheurspaf- fent tnftement leur vie à âétefler leurs Chaînes . 8c a ne pouvoir parvenir à lés romore ; c eft qu en prenant des mefureî de diangement , ds ne prenn^^ pas de ces tnefures qui éloignent les pénis par l'éloi- gnement des occafions : c'etf une erreur de croire que le cœur puiffe cAanger , tandis que tout ce qui l'environne eleii'core à °°2 '^"■'^i' '"^'""- C'eft donc une pu?

4Sz Analyfes des Sermons»

re illufîon de venir nous dire que vous ne manquez pas de bonne volonté , mais que le moment n'eft pas encore venu. Com- ment peut-il venir au milieu de tout ce qui l'éloigné ? &. quelle eft cette bonne volon- té renfermée au-dedans de vous qui ne conduit jamais à rien de réel , 5c à aucune démarche férieufe de changement ? c'eft- à dire , que vous voudriez changer fans qu'il vous en coûtât rien. Conf.mencez par éloigner toutes ces occafîons fatales à vo- tre innocence ; ôtez la pierre qui ferme à la grâce l'entrée de votre cœur ; après cela vous aurez droit de demander à Dieu qu'il achevé en vous fon ouvrage.

Troifièmc & dernier Moyen. Le mmilte. re de l'Egiife qui délie nos liens ; moyen marqué dans l'Evangile par ces paroles que le Sauveur addreffe à fes Apôtres : Solvite &Jinïu abire \ déliez-le , & le lail- fez aller.

Il n'eft pas queftion ici de vous appren- dre que la rémiffion de nos crimes ne nous eft accordée que par le miniftère de 1 fc.- glife : vous ne l'ignorez pas. Ce que je dis, c'eft que comme Jefus - Chrift n ordon- na à fes Difciples de délier Lazare qu a- près qu'il fut forti entièrement du tom- beau , de même le pécheur d'habitude ne doit efpérer £^'être c}éli^ qu'en te^montrant tout entic>r hors du tombeau de les delor- dres : iiliut une manifeftation universelle qui remonte iufqu'aux commencemens de fa vie , £ans compter fur les SacremenJ

^ Analyfes des Sermons, 4Î3

qu il a reçus 5c qu'il doit mettre au nom- bre de {qs crimes : Premièrement parce que n'ayant pas eu de douleur véritable «e fes fautes, les remèdes de rEglife , loin ae le purifier , ont achevé de le fouiller. Secondement , parce que ne s'étant pas connu , il n'a pu fe faire connoître. Troi- sièmement , parce que quand même il fe jeroit connu , comme il n'y a que la dou- leur qui fâche s'expliquer comme il faut , jamais il ne s'eft fait connoître , s'iTn'a ja- mais eu de douleur véritable. Et c'eil en vain qu'il allégueroit les difficultés d'une telle démarche pour s'en difpen fer: les dif- ficultés nous rebutent-elles jamais , iorf- qu'il s'agit d'èclaircir nos affaires ?

III. Re FLEXION. Quels font les mo^ tifs qui déterminent Jefus-Chrijî à opérer le miracle de fa réfurrcâion & de fa dé^ livrance.

Le premier Motif que le Seigneur paroît Xe.propofer dans la réfurrection dp Laza- re , e'eft de.confoler les larmôs .'k de ré- compenfer les prières ÔC la piété de fes deux fœurs : & voilà auffi le premier ma- tif qui détermine Jbuvent Jefus - Chrifè à opérer la converWn d'un grand pécheur; les larmes 5c les prières des âmes Jude^ qui la demandent. Comme tout fe fait pour les Juftes dans l'Eglife , dit l'Apôtre , on peut dire aufîi que tout fe fait par eux : c'elt donc une efpèrance de couveriion pour les plus grands pécheurs que de re. chercher la fociété des gens de bien , elH<

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4^4 Analyjes des Sermons*

mer leur confiance, & les intérefler à leur falut. Il femble que notre cœur fe lafle déjà de fes paflîons , dès que nous nous plaifons avec ceux qui les condamnent. Et vous qui autrefois, comme peut-être Ma- rie , étiez efclaves du monde , 6c qui depuis touchés de la grâce, ne bougez plus com- me elle des pieds du Sauveur , que défor- mais un àQs plus importans devoirs de vo- tre nouvelle vie , foit de demander conti- nuellement à Jefus - Chrift la réfurrec- tion de vos Frères , ftc de lui dire, comme elle : Seigneur , celui que vous aimei ejl malade, mais que les pécheurs , d'un autre côté , ne comptent pas {[ fort fur les priè- res des gens de bien , qu'ils attendent d'el- les feules le changement de leur cœur , ôC le don de la pénitence ; ce feroit une pure îllufion : les prières des gens de bien ren- dent le Seigneur plus attentif à nos befoins mais non pas plus indulgent pour nos cri- mes.

Le fécond motif. C*eft de ranimer la tié- deur & la lâcheté des Juiles , comme Je- fus-Chrift en relTufcitant Lazare , voulut réveiller la foi de fes Difciples encore foi- ble & languilfante. (^udeo propter 'Vos , leur dit-il , ut credati^ En effet , il opère des converfions foudaines ÔC furprenantes aux yeux de ceux qui marchent depuis long- tems dans fes voies , pour confondre par la ferveur 5c par le zèle de ces âmes de- puis peu reffufcitées , leur tiédeur ôc leur indolence.

Analyfcs des Sermons* 4^5

Troifième motif La juftice divine y mé- nage pour certains pécheurs , comme pour ces Juifs incrédules qui furent témoins de la réfurreftion de Lazare , une nouvelle occafion d'endurciffement & d'incrédulité. Et c'eft-là en effet le feul fruit que la plu- part des gens du monde retirent d'ordinaire de la converfion , 6C de la réfurreftion fpi- rituelle des grands pécheurs ; ils ne font que s'endurcir davantage dans le mal. Avant que la miféricorde de Jefus-Chrift eût jette fur une ame criminelle des re- gards de la grâce 6c de falut,ils paroilfoient touchés de fes égaremens ôc de fon igno- minie ; mais à peine la grâce de Jefus- Chrift l'a rappellée à la vie ; ils devien- nent les cenfeurs de fa piété même , ÔC ils trouvent dans les miracles même de la grâ- ce fi capables d'ouvrir les yeux , un nou- veau motif d'aveuglement ÔC d'incrédulité.

Fin des Analyfes*

De l'Imprimerie de C. F. Simon , Fils . împrimeu de la Reine , & de Mgr, l'Archevêque. 1769,

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