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17
D E
.• MASSÏLLON,
É V E Q U E
DE CLERMONT ,
Ci-devant Prêtre de l'Oratoire,
Vun des Quarante de V Académie Françoife.
ORAISONS FUNEBRES
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PROFESSIONS RELIGIEUSES.
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A FARlSj Rue S. Jac^ues^
La Veuve Estienne & Fils , à la Vertu» Chez ^ ET
Jea}^ Hérissant , à S. Paul Se à S. Hilaire.
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M. DCC LXIX.
Avec Approbatioîi & Frlvllc^c du Rqù
g:^M^s^êm^^i^mms^sxissÊHÊ
Af^ERTISSEMENT-
L eft rare qu'un même homme fâ- che aller au cœur , le touche , le remue à fon gré par la force de fou éloquence , & qu'il réuffifle égale- ment bien 5 lorfqu'il fera queflion de faire un éloge. C'eft une réflexion que fait Ciceron, en parlant des Ora- teurs. Ces deux talens font auffi diP» férens dans le but qu'ils fe propofent^ que dans les qualités qu'ils exigent,. L'un veut plaire à l'elprit par des traits brillans & ingénieux, l'amu- fer par des defcriptions agréables ,. flatter l'oreille par l'harmonie & la pureté du ftyle : il eft prefque plus occupé de la manière d'exprimer les chofes , & de h tournure qu'il doit leur donner , que des chofes elles-mêmes. L'autre ne penfe qu'à intéreiïer le cœur ^ & à le faire en- trer dans fes fentimens ; s'il ne né* glige pas les ornements qui naiffeot du fond du fujet ^ il écarte avec (om
iv A KERTISSEMENT.
tout ce qui ne feroit qu*une vaine parure dans le clifcours. Chacun de ces talens demande donc un carac- tère d'efprit qui lui foit afîbrti. Voilà pourquoi il n'efipas ordinaire de les trouver réunis dans la même per- Ibnne.
Ce fut cependant par des Orai- fons funèbres que le P. MaffiUon fî touchant , fi intereHant dans fes Sermons , commença à fe faire un nom dans le Monde parmi les Ora- teurs. Il était extrêmement jeune , lorfqu*il fit celle de Flenri de Vil- lars , Archevêque de Vienne ; & peu de temps après , celle de Ca- mille de Neuville de Viileroy , Ar- chevêque de Lyon ; & néanmoins quels applaudiliëmens ces deux pie- ces ne reçurent- elles pas ? Dès-lors fes Supérieurs le dellinerent à la Chaire. Ils avoient été indécis jus- qu'à ce m^oment fur le genre d'é- tude auquel ils dévoient le fixer ; parce qu'il avoit paru jufqu'alors égale ment propre à tout : Belles-
AVERTISSEMENT. ^ t Lettres , Philofophie , Théologie , tout paroiflbit être fon talent, dès qu'il s'y appliquoit. Mais le fuccès étonnant qu'il eut , dès qu'il fe mon- tra dans la Chaire , fit juger qu'il devoit s'y confacrer uniquement : on eut bien de la peine à furmon- ter fa répugnance ; enfin il fe ren- dit , & ne (bngea plus qu'à répon- dre aux vues de fes Supérieurs.
La première Oraifon funèbre qu'il conipofa , après les deux dont nous venons de parler , fut celle du Prince de Conty , fort applaudie , lorfqu'elle fut prononcée , fort cri- tiquée enfaite , lorfque rimpreflîon l'eut rendue publique. Il en a de- puis compofé trois autres qui n'a- voient point encore vu le jour, celle du grand Dauphin , celle du feu Roi , & celle de Madame. ÎI y a dans celle de Louis XIV. une no- bleiïe d'expreiïion , qui égale en quelque forte la grandeur du fujet qu'il traitoit.
Nous aurions bien fouhaité ne
vj AVERTISSEMENT. faire entrer dans ce Volume, que des Oraifons funèbres; d'autant plus que c*efi: ainiî qu'on a imprimé fé- parëment de leurs autres ouvrages^ celles de MM. Boflliet & Fléchier , & de quelques autres ce'lebres Pré- dicateurs. Mais il eût fallu pour cela changer le caraûere & en employer de plus gros : autrement ce Volume n'eût point été proportionné aux Volumes précédens. Cet inconvé- nient nous a déterminés à joindre aux Oraifons funèbres quatre Dis- cours pour des Profeflîons Reli- gieufes. Nous fuppîions que le ti- tre de ces Difcours n'empêche per- fonne de les lire. Ce ne font pas feulement les Religieufes que le F» MafTiUon y inftruit : c'eft pour les gens du monde , qu'il parle *, & rien n'eft plus fort & plus plein de reli- gion , que ce qu'il y dit, pour leur faire connoître la f linteté & l'excel- lence de l'état d'un Chrétien , & combien on fe trom.pe dans l'idée qu'on s'en forme communément*
m»»j!i.mjm»JMjUàL4i-:'j>i.-^Jit^m.-iiaLA^ji
TABLE
DES PIECES CONTENUES
dans ce Volume.
Raifort funèbre de M, de Villars , Ar-^ chevêque de Vienne y Pag. i
Oraifon funèbre de M. de Villeroy y Arche^ vêque de Lyon , 42,
Oraifon funèbre de Françoïs-Louls de Bour- bon 5 Prince de Conty , 8S
Oraifon funèbre de Monfeigneur Louis , Dau- phin , 139
Oraifon funèbre de Louis le Grand , Roi de France , i8î
Oraifon funèbre de Madame j Ducheffe d'Orléans , 219
J. Sermon pour une Profcffion Religieufe ,
2(5l
IL Sermon , fur le même fujct , 310
IIL Sermon , fur le même fujet j 355
IV. Sermon , fur le même fujet ^ 392
'mÊiwi'V"ii'P'''* tiiM*'»»*!
APPROBATION.
J'Ai lu par ordre de Monfeigneur le Chancelier /ex Orai/ons funèbres & les Sermons pour des Profef- Jions Religieufes , prononcés par M. Massillon , Jivêque de (ylermonr. Les verais des Grands dont le célèbre Orateur fait l'élone , & les devoirs qu'ils ont eu à remplir , font la matière des premiers Dif- cours contenus dans ce volume .• il loue dans Louis le Grand un Koi qui a également confacré ion règne à la gloire de la Religion , Se à celle de la Monar- chie : il loue dans les autres les monumens qu'ils ont hiilfés de leur foi , & de leur amour pour les Peuples : & dans les Sermons pour les Profefiions Religieulès , il expolë les dangers du Monde Se les avantages de la vie Religieule pour le lalur , les obli- gations des perfonnes engagées à Dieu par des vœux Iblemnels , Se les facilités qu'elles y trouvent pour les remphr. Quels heureux fruits ne doii-on pas at- tendre de la Icdlure de ces différens difcours , dans leiquels on n'adrnire pas moins les grâces à\int no- ble éloquence , que les attraits d'une piété rendre Se fbutenue. A Paris , ce 25 Juin 1745.
MILLET, Docieur en ThéohrJe , de ta l^dculîé de Paris , & Cenjcur JtioyaL
ORAISON
FUNEBRE
DE MESSiRE
V
ARCHEVEQUE DE VIENNE.-
Ambirlavit pes meus iter reftiim à juventutc meâ ; .... zelatus liim bonum , & venter meus conturbatus eli ; proptereà bonam polFidabo pol- ie lîîonem.
/'ai marché dans la droiture depuis ma jeunefTe ; j'ai eu du ^ele pour le bien ; & mes entrailles ont été émues fur les miferes de mon peuple ; 6* je po'uéde- rai un héritage éternel Au Chap. 51 de l'Ecclé- fialtique , V. 20. U luiv.
"^ T o î s-j E dcPcioé 5 MefTieurs , à rendre ce dernier devoir à la mémoire de notre pieux Prélat? Et le Ciel n'avoit~il donc per- mis que je vinlTe être le té- moin de fa vie ^ que pour me ménager j Oraifon funcbre. A
t ORAISOt^ FUNEBRE
ce femble , de loin un fîtrifte & un lî lugu- bre miniftere ? Contraint tant de fois par fa modeftie à fupprimer fes louanges dans la chaire évangélique , falloit-il que je ne fuife autorifé à les publier que par fa mort ? Il eft donc vrai que le premier hommage public que fa vertu devoit avoir de moi , ieroit un éloge funèbre.
C'eft ainfi , ô mon Dieu ! que du haut de votre fageffe , vous réglez nos deftinées : C'efl ainfi que confondant nos confeils , fur- prenant nos defirs & anéantilfant nos ejfpé- rances , vous affermiflez notre foi : c'eft ainfi que diverfîfîant vos voies , vous ini^ truifez notre vigilance.
Celui-ci , dit Job , confumé de langueur 6c d'infirmités , voit de loin l'appareil de fon facrifîce, exhale chaque jour une por- tion de fon ame , & fe îent mourir mille fois avant que d'avoir pu mourir une feule : l'autre encore plein de force & de fanté , efl frappé foudain ; fon ame toute entière , pour ainfi dire , devient la proie de la mort ; & entre les horreurs du tombeau ô< les délices ainiQ fanté parfaite , ne met prefque que le dernier foupir d'intervalle.
Heureufe l'ame qui pendant fes jours les plus fereins ^ a su prendre des mefures con- tre la furprife des vents & de l'orage ! heu- reufe celle qui ayant toujours marché dans la droiture , a eu du zèle pour le bien , & dont les entrailles ont été émues fur les miferes publiques ! Ah ! qu'une lente in- lirmité lui annonce de loin le jour du Sei-r
DE M. DE VlLLARS. 1^^
mciir 5 ou qu'un coup imprévu vienne k rinllant lui ouvrir les portes éternelles ; fa mort peut être diiîcrente ; mais Ton im- mortalité fera toujours la m.ême.
Ne cherchons point aujourd'hui d'autre confolation , Chrétiens : vous ne verrez pas dans cet éloge de ces événemens éclata-ns , où l'Orateur peu inftruit de fon miniHere , vient dans ce lieu faint étaler avec art la fi- gure d'un monde profane ; & ju{c(!ies ilir le tombeau fatal , donne du corps & de la réalité au fantôme que le fiecle adore.
Je n'ai à vous entretenir ici , Meffieurs y ni de ces négociations importantes , qui , arrachant le Pontife du fanéluaire , le ren- gagent dans le tumulte du ilecle , & fous le fpécieux prétexte du bien public l'autorifent à violer fes devoirs particuliers : ni de ces intrigues pénibles , où l'on voit les Inter- prètes des fecrets du Ciel devenir les dépo- îiîaires des myfteres des Cours , les fenti- nelles de Jérufalem ne veiller prefque plus qu'à la défenfe de Jérico , & les Docteurs des Tribus d'irraèl fe glorifier d'être les Légifiateurs des nations.
L'iiiiloire de notre pieux Prélat n'efî mê- lée qu'avec celle de fon Diocefe : fes jours ne font marqués que par les fonârions de fon minifïere : fes emplois fe trouvent tous renfermés dans fes devoirs ; & pour favoir ce qu'il a fait j il fafrit de favoir ce qu'il a dû faire.
Nous tirerons donc du Sanôuaire même ies crnemens facrés , qui vont fervir d'ap-
Ai
4 Oraison f u ne bké
pareil aux funérailles de l'Oint du Seigneur ; nous ne prendrons que fur l'autel les fleurs que nous allons jetter fur le tombeau du Prince des Prêtres. Le fiecle qui n'eut ja- mais de part à fes aérions , n'en aura point auflî à fes louanges. Nous fortirons de l'E- gypte pour rendre les devoirs fuprêmes à cet autre Jacob : mais les pompes de Pha- raon ne viendront plus comme autrefois jufques dans une terre fainte , honorer les cendres & la mémoire des Patriarches.
Ce n'efl pas que j'ignore là-deifus les Vaines penfées des mondains. Admirateurs infenfés de cette viciiîitude de fantômes , fur quoi roule tout le fiecle préfent , il leur faut des fpeftacles pour les frapper , de vafces projets , des entreprifes éclatantes , des emplois tumultueux. On a toujours chez eux des vertus obfcures , quand on n'a pas des vices glorieux ; &: ce n'efi: giie- res qu'aux grands défauts , qu'ils favent accorder le nom de grand mérite.
L'innocence des mœurs , la bonne foi , l'afFabilité , la clémence , l'application à fes devoirs , la miféricorde , ont je ne fais quoi de tranquille & d'uni , qui ne donne rien aux fpeâateurs. Les merveilles de la foi n'ont pas les mêmes privilèges que les il- îulions des fens. Ce qui fert de fpeâ:acie à Dieu & aux Anges , paroît à peine digne de l'attention des hommes. On diroit que pour mourir avec honneur , il faut avoir su être autre chofe qu'homme de bien. La iblemnité des éloges veut prefque être fou-*
DE M. DE V ILLARS. 5
tenue pas le fafte du héros qu'on loue ; 8c il femble que l'Orateur n'a jamais plus be- foin d'art , que lorfqu'il n'a qu'à louer la vérité & la jullice.
Telle efl la prudence du flecîe , je le fais : inais viens-je ici pour donner du poids aux coutumes d'Egypte , durant la folemnité même de l'immolation de l'Agneau ? viens- je par un difcours profane , fufpendre l'at- tention des Minières gravement afTemblés autour de l'autel & appliqués au facrifice j ou aider leur recueillement avec la parole évangélique ? viens-je m_êler aux chants lugubres de la triile Sion les cantiques de Eabylone ? viens-je en un mot . honorer mon miniftere , édifier votre piété . ou ref- pe6ler vos erreurs , & dégrader Thonneur du Sacerdoce ! Ah ! ce n'efl pas ici un de ces préludes artificieux , où l'Orateur fem- ble acheter le droit d'être tout profane , en promettant d'abord qu'il ne dira rien que de faint , & où l'on ne voit de chré- tien j que des précautions pour ne l'être pas. Rien de ce qui va s'éteindre au tom- beau 5 ne brillera dans cet Eloge funèbre.
Ce ne fera pas même une hiftoire incon- nue. Ce que vous avez vu , entendu , & touché prefque de vos mains , ce fera ce que nous annoncerons. Je parle d'un Paf- teur qui n'a jamais perdu fon troupeau de vue. L'intégrité de fes mœurs , l'applica- tion aux fonâ:ions de fon miniflere , la pro- fufion de fes tréfors , qui vont faire le fujet de cet Éloge , ont mille fois fervi de ma*
As
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PAKTIE
6 OrAI s 0 N FUNEBRE
tiere aux vôtres; & s'il étoit permis au peu- ple afFiigé qui m'écoute , de le dire ici à ma place , il diroit comme moi , que fa vie h.t toujours réglée par la Loi : Ambu- iavit ves meus itcr rectum à juventuie meâ ; que ion autorité fut toujours utile à l'E- glife : Zclaîiis funi bonum ; & que Ces ri- ciiefTes furent toujours prodiguées aux pau- vres : Et venter meus conturbatus eft, Re- préfenîons-le donc comme un homme jufte & irréprochable , comme un Pontife iîdéle ^ &: comme^un père charitable.
C'ell l'Éloge que je confacre à la mé- moire de Messîre Henri de Villjrs , Archefeque et Comte de Vienne ^ Pri- 3IAT DES Primats, Efprit faint , mettez •<ians m.a bouche cette parole efficace ^ ce glaive à deux tranchans , qui en faifant le difcernement des penfées du Jufte , aille faire de douloureufes féparations dans le cœur du pécheur , & qui n'élevé ce pieux & lugubre monument à la Religion , que fur les débris de l'idole du monde.
'Innocence des mœurs , je le fais , n'cft: pas toujours le fruit de la piété des An- cêtres , ni des fecoms de l'éducation. Il y a des enfans de colère , des cœurs û pro- fondément gâtés , qu'on les voit déjà m.é- diter l'iniquité parmi les leçons de vertus qu'ils reçoivent de leurs pères , & qui ne trouvant autour d'eux que des objets faints^ favent s'en former de criminels de leur pro- pre fonds*
deM. deVillars, 7 Je fais que la fagelTe vient d'en haut & Sap, i* defcend du Père des lumières , qu'elle ne ^^* fe recueille pas fur la terre comme la fuc- ceiïion d'un père foible & mortel ; & que la piété eft le don d'un Efprit qui fouffle où il veut 5 & non pas le fruit d'une chair qui ne fert de rien.
Cependant il faut avouer que Tordre de notre naiiîance donne prefque le premier branle à celui de nos deftinées ; qu'avec le fang qui 'nous fait ce que nous fommes , nos pères font d'ordinaire pafTer jufqu^à nous les impre/ïïons de ce qu'ils ont été ;, & que dans les femences de vie que nous tenons d'eux , nous trouvons des afcendans fecrets qui nous font vivre comme eux. Lorfque la racine efl fainte , dit l'Apôtre , j^ ^^* lei branches le font auiïi ; & il ell mal-aifé que d'une maffe pure & brillante y on ne tire que des portions viles & tleîries. N'en cherchons pas des exemples hors de Fhif- toire de l'homme juile que nous loiions. Sorti d'une famille où la probité ^ l'hon- neur 5 & je ne fais quelle élévation d'ame , coulent avec le fang , où la fageile fembîe avoir fait une éternelle alliance avec le nom , où l'éclat &: la vertu paroiiTent pref- que de la m.ême date , où les exemples qui la règlent font aulU anciens que les titres qui l'embellifTent ; forti , dis-je , d'une fa- mille où le Dieu d'Ifraël avoit depuis long- temps établi fa demeure , il en recueillit toutes les bénédictions.
Un Père ^ doat la mémoire ne mourra
A4
8 Oraison funv:bke
jamais , lui fit prifer les voies du Seigneur par fes inftruâricns , & les lui montra par fes exem.ples. Effrayé de la déplorable va- nité des perfonnes de fon rang , qui croi- roient dégrader leurs ancêtres , s'ils s'ap- pliquoient eux-mêm.es à leur former une poltérité digne d'eux ; qui regardent com- me des foins roturiers le foin de l'éduca- tion , fans quoi fe fouille & s'épaiflit la no~ bleflè du fang ; confient à des mains étran- gères le foin de cultiver des vertus do- m.efliqnes ; mettent à prix la deflinée de leurs enfans ; & pour fe trop fouvenir de leurs grandeurs , laiiTent après eux des fucceffeurs qui ne s'en fouviennent pas affez : effrayé , dis-je , de ce défordre , il l'évita ; &: le Seigneur bénifîant fes foins , il ébaucha , fans le favoir , à la France , un Miniflre fage & illuflre dans les Cours étrangères , diftingué dans la nôtre , né pour ménager l'efprit des Rois & la for- tune des Royaumes , habile à ramener à l'utilité de la Patrie & à la gloire de fon Prince , les humeurs & les intérêts divers des Peuples voifins ; & le pieux Prélat qui fait le trifle fujet de cette cérémonie , dont la vie brille d'autant plus aux yeux de la foi , qu'elle efî: toute enfevelie dans l'obfcurité des fonctions du Sacerdoce.
Auffi les amufem_ens de fon enfance ne furent que des effais de vertus. Incapable encore de connoître la créature , il levoit déjà fes mains pures vers le Créateur. Il apprit à confacrer fon cœur au Seigneur
DE M. D E V ILL ARS, 9-
dans un âge où à peine a-t-on un cœur pour foi-même ; & la piété qui toujours eft le fruit tardif de la grâce , n'attendit pas jufques ici la raifon.
Qu'attendez-vous , Mcflieurs , de ces^ heureufes prémices ? Le Ciel qui brille le matin , n'annonceroit-il , félon la parole évangélique , que des brouillards & des tempêtes ? Le temple qu'une main habile a élevé avec tant de lenteur & de précau^ tion 5 ne faudra-t-il que trois jours pour W détruire ? & à peine forti des mains de Samuel , fuffira-t-il à cet autre Oint du Seigneur , comme à Saiil, de s'être trouvé une fois parmi les fureurs & les vains îranfports ées Prophètes du fiecîe , pour devenir furieux & prophétifer avec eux l De fi belles eipérances ne donneroient-elles qu'un fort commun , qu'une jeiuieiTe em- portée qui compte les crimes parmi les bienféances de l'âge , & qui ne lailTe gue- res qu'aux paillons le foin de régler fes plailirs , qu'une maturité ambitieufe qui ne connoît point d'autre honneur que le fecret de s'en attirer , qu'une vicilleire endurcie ^ qui dans le débris d'un corps ufé & à demi mort 9 nourrit des pafTions encore tou- tes vivantes , qui au lieu de foupirer fur les iniquités qu'elle s'eil permife , ne fou- pire qu'après le fouvenir des plaifirs qu'elle ne peut plus fe permettre ; & qui de fa vie pailée , ne regrette rien , flnon qu'elle foit palfée ?
Ah 1 il je n'avois que ces myfteres d'inl-
10 Oraison funèbre quité à vous annoncer au milieu des myf^ I. Eeg. teres faints ; ii , comme autrefois Samuel ^* ^°' envers Saùl , il falloit honorer l'Oint du Seigneur devant le peuple , plutôt pour épargner à fon rang la honte de fes foi- hleiles , quQ pour édifier notre piété par le fouvenir de fes vertus , je me ferois contenté d'accorder en fecret des larmes à une mort qui me fut fenfible , fans donner ici à fa mémoire des éloges qui ne lui feroient pas glorieux. Loin de ve- nir interrompre le facrifice terrible , pour faire revivre le fouvenir de fes avions , moi-même je l'aurois offert au Très-Haut , pour obtenir que le fouvenir en fut ef- facé du Livre éternel ; & toute chère que me fera toujours fa mém.oire 5 j'au- rois fatisfait à ma reconnoiffance 5 fans manquer à mon miniilere.
Mais la Religion défend-elle de fonder un cœur qu'elle occupa tout entier ? Grâ- ces au Seigneur , je ne craindrai point de Texpofer à vos yeux ; & je n'aurai pas be- foin pour vous le faire eilimer , de vous le faire méconnoître ; & pour fauver la gloire de cet autre David de la honte d'une cbfcure m.ort , il ne faudra pas corn- 3. Aeg. j^^g Michol le dérober aux yeux , & ne fubilituer que fon fantôme à fa place»
Quelle fut fa retenue en un âge , où pour être vertueux & régulier , il fuffit prefque d'empêcher que le vice ne nuife j. & favoir bien choifir fes débauches !
Quel fond de candeur 3 d'affabilité y de
Ï)E M. DE VîLLARS. Il
modération ^ dans un rang où mille inté- rêts fecrets enveloppent le cœur ; où le poids des affaires & les bienféances de la dignité , altèrent Tliumeur , ou la décon- certent ; & où Ton efl d'autant plus vif flir les injures , qu'on fe voit toujours invefli d'hommages !
Quelle noble {implicite dans un flecle où l'art des rafinemens a paiTé jufqu'au peu- ple ; où tout efl confondu , &: par fa mi- lere & par fa vanité ; & où à peine tran- quilles poflefTeurs d'une portion de l'héri- tage de nos pères , frappés de calamités inouies dans leur temps , nous inventons^ des plaifirs qui leur furent encore plus' inouis î
Vous qui vîtes couler fes premiers jours ^ fages Vieillards d'Ifraël , qui témoins de- là première gloire de ce Temple , vener honorer ici fes ruines de vos larmes , fans pouvoir être confolés par l'efpérance àiuii nouveau , rien de profane en fouilla-t-il jamais la fainteté ? Fallut- il excufer les égaremens de fon cœur fur la fatalité de l'âge ? envelopper des défordres prcfens dans l'efpoir d'une régularité à venir? cher- cher dans quelque trait de bon naturel des préfages douteux de vertus ? attendre du dégoût fcul de l'iniquité le gciit du àon célefte ; & de la violence du mal en faire prefque le feu! préfage de guérifon ?
Son ame fat un lieu de paix dans un temps. où toutes les paiïîons frémiilent à l'entour ;. ^ comme ces trois jeunes Princea Juifs 3,
Il Oraison funèbre Dan» I. Il vécut parmi les délices des Babyloniens ^' fans toucher aux viandes , 8c fans s'enivrer
du vin de Babyloné.
L'ufage & les réflexions qui enveloppent l'ame , & font qu'elle ne fe montre plus que par règle , & chanpent en art le com^- merce de la fociété , aidèrent la droiture Se la candeur de la fîenne.
Il n'étoit pas de ces hommes enfoncés & impénétrables , fur le cœur de qui un voile fatal efl toujours tiré ; qui s'attirent en fe cachant le refpeft des peuples ; que l'on ne révère tant que parce qu'on ne les a jamais vus ; & qui , comme ces antres qu'une vaine religion confacra jadis , n'ont rien de vénérable que leur obfcurité. Dé*- guifemens artificieux de la prudence du iîecle ! vaine fcience des enfans d'Adam ! coupable trafic de menfonge & de vérité ! Je n'aurai pas befoin aujourd'hui pour m'accommioder à mon fujet , de vous don- ner ici des titres fpécieux , &: qui ne font dûs qu'à la fagelTe de la Croix , & à la fimplicîté chrétienne.
Je loue un hommiC julle & droit , fim- ple dans le mal , & prudent pour le bien ; lin homme dont ce fiecle malin n'étoit pas digne ; une de ces amies faites pour le fie- cle de nos pères , où la bonne foi étort encore une vertu , où une noble ingénuité tenoit lieu d'art & de finefTe, où dans les plaifirs innocens d'une douée focicté , le pli;s loyal étoit toujours le plus habile ; où l'art des précautions étoit inutile , parce
DE M. DE VlLLÂRS, TJ
que l'art de fe contrefaire n'étoit pas en- core inventé , & où toute la fcience du monde fe réduifoit à ignorer les loix & les ufages du nôtre.
Ici 5 je fens que mon difcours s'anime : je me repréfente notre Prélat avec cet air toujours affable & ferein , toujours accef^ fible 5 toujours accueillant , mettant , pour ainfi dire , fa perfonne & fa dignité à tou- tes les heures , ne retenant de fon rang que le privilège de pouvoir être impor- tuné : je me le repréfente , & pourrois-je le dire fans réveiller votre douleur ! je me le repréfente au milieu de vos familles, enveloppé dans une aimable obfcurité , goûtant avec vous les douceurs d'une vie privée , familiarifant l'Epifcopat avec \qs Fidèles , & ne fefaifantpas une vaine bien- féance de fe rendre invifible , & de jouir tout feul d'une dignité qui n'a été établie que pour les autres.
Falloit-il , pour pénétrer jufques à lui , acheter par des lenteurs éternelles une au- dience d'un moment 5 & par mille pénibles formalités des refus encore plus pénibles ? Quelle barrière y eut-il jamais entre lui & nous , que celle du refpeél- & de la difcré- tion ? Le vîmes-nous jamais affecter ces momens facrés de folitude inventés pour ménager le rang , ou pour honorer la pa^ relTe ? Sa maifon reiTembloit-elle à ces mai- fons d'orgueil & de fafte , où ceux que les affaires y attirent^ penfent prefque plus au:^ moyens d'abor.der leur juge 5 qu'à M
T4 Oraison funèbre expofer leur droit & leur jullice ; ou dans un fdence profond & avec un refpeâ: qui approche du culte , on attend que la divi- nité fe montre ; où mille malheureux fouf- frent moins de leur mifere que de leur en- Joan. nui ; & où comme autrefois dans la pifcine î* 4» ^Q Jérufalem , après avoir attendu long- temps 5 cet autre Ange du Seigneur paroît enlin , & guérit à peine un malade ?
La contagion des dignités & de la gran- deur y ne lui forma pas cet œil fuperbe , & ce cœur infatiable d'honneur dont parle jy.ioo. ^^ Prophète. Content de mériter nos hom- î» mages , il ne sût pas les exiger ; difons plus ,
il ne sût pas les fouffrir : on auroit dit que ces refpeâiueufes déférences qui délalTent Il agréablement des foins de l'autorité , fai- ibient la plus pénible fatigue de la fîenne. Bien éloigné de ces petites délicatefîes qu'on remarque en la plupart des Grands y auprès de qui un fimple oubli eft un crime qu'à peine mille foins & de longues afîi- duités peuvent expier ; vaines idoles qu'on ne peut aborder qu'en rampant , qu'on ne peut fervir qu'avec folemnité , qu'on ne peut toucher qu'avec religion ; & qui , comme l'Arche d'Ifraèl , vous frapperoient de mort , fi pour trop penfer même à les fecourir , vous n'aviez pas alTez penfé à les refpeéier.
Mais quelque chofe de plus grand & de plus digne de la Religion , s'offre ici à moi. On peut 5 il eft vrai 5 fe refufer aux hom- mages par oileiitatioii ? 6c pour en paroître
DE M. DE FiLLARS. 1^
plus digne : la modération , je le fais alTez , fouvent n'eft que le fçeau de Forgueil : la \^nité qui fe montre n'eft ni la plus habile y ni la plus à craindre ; & celui qui s'emprefle pour fe faire honorer ^ ne fait pas encore l'art d'être" vain.
Mais n'être touché ni des honneurs , ni des outrages ; s'être rendu familier ce point difficile de la loi , le pardon des offenfes ; ne diftinguer même fes ennemis que par les grâces qu'on leur accorde ; être armé de la verge pour punir les murmures , & ne s'en fervir , commxC Moyiè , que pour ti- rer l'eau même des pierres en faveur des murmurateurs , c'efl ce que la vanité ne fauroit bien contrefaire , ni la religion alfez louer. Oui , Meilleurs , nul de nous ne l'ignore ; on auroit dit que le feul fecret pour fe le rendre favorable , étoit de l'a- voir oiFenfé. Les traits les plus piquans n'al- loient 5 ce femble , jufques dans fon cœur, cfue pour y ménager une place à ceux qui les avoient lancés; & comme ce lion myf- térieux , dont il eft parlé dans l'hilloire de Samfon , il fuffifoit prefque de l'avoir dé- chiré , pour trouver dans fa bouche le miel de la douceur & la rofée des grâces. Puif- fiez-vous en ce jour de douleur être du moins touchés de cet exemple , vous qui croyez que ne pas perdre vos ennemis, c'efi leur pardonner ; & qui bornez la loi qui vous ordonne d'aimer , à ne haïr qu'a- vec mefure î Paffons à l'ufage qu'il a fait de fon autorité , & repréfentons-le comme un Pontife iîdelle»
l6 Or AI s on FUNEBRE
p"rt. T1
X^Ieu ne nous a pas donné , difoit au- trefois faint Paul , parlant pour tout le corps de l'Epiicopat , un efprit de foiblefTe , mais 2. Titiu un efprit de force & d'amour : Scd Spiri- ^* ^' tum virtiLtis & diUcïionis,.
Qu'eft-ce en effet , mes Frères , qu'un Evêque fî peu foigneux de faire revivre la grâce de l'impofîtion , s'il a éteint cet ef- prit; ou fî ayant franchi par une ambitieufe En Jud ^^^^"fioî^ 5 cette haie facrée qui fépare le J^. 12. ' Sanâ:uaire , il ne l'a jamais reçu ? Hélas ! Luc, 7. faut-il le dire ici ? c'efl un arbre deux fois. ^^' mort & déraciné ^ & qui occupe le plus bel endroit d'une terre facrée : c'eft un rofeau que le vent agite , & fur qui cependant , comme fur une colonne fainte , repofe tout l'édifice de la maifon du Seigneur : c'eft une nuée deftinée , comme autrefois , à faire paroître la gloire du Seigneur dans le Temple , & qui nous la dérobe par fa noirceur : c'eft un aftre errant ^ qui deftiné à nous garder parmi les obfcurités des fens & de la foi , ne peut cependant que nous 4. Reg, écarter de la route : c'eft un ferpent d'ai- iS, 4, j-ajj-i élevé pour guérir nos bleflbres , & qui placé dans le Temple , nous devient une occaiion d'idolâtrie & de mort , & pour tout recueillir en un mot , c'eft un t,TheJf, myftere d'iniquité inconnu prefque à ces ^« 7« fîecles heureux qui nous ont précédés j dont la foi allarmée relpeâ:e encor la pro- fondeur 5 & qui ne fera révélée que dans
fon temps^
ï) je: m. de V illars. ry Né 5 pour ainfî dire , dans le fein de l'Epifcopat 5 & trouvant à côté de fes an- cêtres une il longue fucceflîon de fages Pontifes , notre pieux Prélat en recueillit tout l'efprit avec le nom. Déjà depuis plus d'un fîecle , étoient aflîs fur le trône facré de ce faint Temple des Prélats de fonfang : la fouveraine iacrifîcature étoit prefque devenu l'héritage de fa Tribu ; & par un privilège nouveau au facerdoce de Mel- chifedech , elle étoit tranfmife félon les loix d'une fuccefTion charnelle , fans s'y tranfmettre félon les loix de la chair & du fang. Mais que ne puis-je paiîér rapide- ment fur cet endroit de mon difcours ! Nos pères élevés à refpeâ:er ce nom ^ nous avoient élevés au même refpeâ: ; nos vieillards voiilns prefque de cqs temps heu- reux 5 où commencèrent à gouverner TE- glife les Pontifes de cette Maifon , en ra- contoient avec allégreffe au milieu de leur famille , Fhiftoire à leurs neveux , & les marquoient chacun par leur propre carac- tère : nous-m.êmes accoutumés à vivre fous de fi paifibles loix 5 promettions à ceux qui viendroient après nous, le même avantage. Trop cruelle Italie ! pourqu.oi vites-vous couper le fil d'une fi longue fuite de Ponti)- fes ? & pourquoi en nous ôtant par une mort prématurée l'efpoir d un fucceifeur , ^ nous otâtes'vous la feule reifource qui nous reftoit , dans la perte que nous venons de faire ?
Mais liélas ! fuis-je delliné à r'ouvriï
ïî 0 B Al s OK FUNEBRE
aujourd'hui toutes les plaies de la famille ! & faut il pour vous rappeller la glorieufe fucceflion des Prélats qu'elle vous a four-, nis 5 vous faire fouvcnir à fes yeux que vous n'en devez plus attendre ? Epargnons à rilluftre Fille qui m'écoute , le fouvenir encore trop cher d'un Frère dont la mort lui caufa tant de larmes ; & pour la con- foler fur le trifte accident qui nous aflem- fole ici y ne faifons pas revenir fes malheurs pâlies.
L'Épifcopat ell un miniftere de force & de fermeté. Il faut que , retranché dans le droit facré du facerdoce , l'Evêque foit hors d'atteinte aux traits de l'ambi- tion , aux furprifes de la bienféance , à la rapidité de l'ufage ; qu'il rapproche l'inno- cence de nos mœurs , des loix & de la dif- cipliiie de nos Pères ; qu'il fâche ramener les abus à leur origine ; & que comme •^^f' 3« l'Arche d'Ifraël au milieu du Jourdain , il ^^* faife remonter les eaux vers leur fource , & ne s'y laiffe pas entraîner foi-même.
Ne croyez pas , Meilleurs , que fur ces traits primitifs de l'Épifcopat , je vienne ici pour faire honneur à mon fujet , vous former à loifir un de ces portraits origi- naux , où tout fe fent de la plus pure an- tiquité 5 & que l'on ne trouve ù. beaux y que parce qu'ils ne reffemblent à perfonne. Malheur à moi, G. je faifois d'une cérémo- nie de religion un vain jeu d'éloquence , & il par des louanges excefllves , aidant les Fidèles à fe perfuadcr qu'on leur forfait
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la vérité dans la chaire évangélique 5 je les accoutiimois à en rabattre.
J'aime mieux vous faire foiivenir que dans un iiecle , où la charité eil refroidie y où les devoirs de rÉpifcopat font ou ré- duits par Tufage 5 ou bornés par la puiir fance fécuJiere , ou adoucis par le dérègle^ ment des Fidèles ^ c'eit prefque faire le bieïl que de le fouhaiter ; & que fi le Prélat que je loue n'a pu remonter jufques à la fource 5 & ramiCner ces premiers âges de rEpifcopat , il ne s'efl du moins pas lailTé aller aux foibleifes & aux reîâchemens du nôtre.
Appelle à l'Agence dans ces temps pé- rilleux, oùFautorité du gouvernement mal affermie , ne laiffoit efpérer aux droits de l'Eglife qu'une foible protection , il ne fît paroître ni moins de zèle , ni moins de fermeté. Je le dirai ici à la gloire éternelle de la piété du grand Turenne , nom. il ho- norable à la France , fi cher à nos trou- pes , Il redoutable encore aux ennemis : je ne craindrai pas de rappeller quel fut pour Terreur de fes ancêtres , un attache- ment fi glorieux à la vérité qu'il embrafHî depuis. Ce grand homme , encore dans le parti de Fhéréfie , entreprit de lui bâtir un Temple dans une de fes Terres ; & com- me un autre Michas 5 il voulut avoir auprès judîc. de la maifon de fes Pères fes Dieux , fon 17. s» Lévite , & tout l'appareil fuperftitieux de fon culte. Il n'y avoit point alors de Roi en Ifraëi ; comme le dit l'Ecriture ^ du temps
*îLo Oraison fun^prï:.
de ce Juif , Se chacun étoit à foi-même fa
loi & fon juge.
Qu'attendez - vous ici du miniftere de notre Agent ? une criminelle complaifance toujours prête à fe faire des amis , non pas des richeffes d'iniquité , félon le mot de l'Evangile , mais des plus facrées dé- pouilles du Sanéluaire ? une timide difli- mulation , qui honore fa lâcheté de tout le mérite de la prudence ? une foible re- fiilance , qui paroit d'abord , mais ieule- ment pour pouvoir fe dire à foi-même qu'elle a paru? En vain mille intérêts fecrets folîicitent l'agrcm.ent de l'Agent ; il s'op- pofe au nom du Clergé , trop zélé facri- ficateur du Temple de Sion , pour foufFrir que fous fon miniflere , les hauts lieux fe 4. Reg. multiplient dans Ifraël. Heureux d'avoir a8. 22. vu depuis pendant les jours de fon facer« doce 5 la piété d'un autre Exéchias s'em* ployer à les détruire , ôter du milieu de Juda les Dieux Etrangers , & obliger les peuples à venir tous adorer à Jerufalem ! Mais ce n'eil là qu'un premier elfai de fa droiture.
Sacrés Prélats de nos Gaules 5 combien de fois le vîtes-vous dans vos aiTem.blées ignorer l'art nouveau de fe taire ; redon- ner à lEpifcopat fa première liberté ; n'en- vifager fa fortune qu'à travers fon devoir ; être le Gamaliel de l'allémblée des Princes des Prêtres , & favoir opiner dans des con- jonctures 5 oùil ne falloit favoir que confen- tir ? Que ne puis-je ici publier fur les toits
Î)E M, DE ViLLARS. li
ce qui s'eft pafTé dans le fecret ! Vous Terriez des inftances éludées , des efpé- rances méprifées , les intérêts de la chair & du fang oubliés ; l'autorité fouveraine ramenée aux intentions du Souverain , & une droiture inflexible dans un fiecle où toute la fermeté femble fe réduire à ne pas fe ménager foi-même des occafîons de lâ- cheté. Mais ce font là de ces traits qu'on ne peut montrer qu'en éloignement ; de ces merveilles déclinées à l'obfcurité , & qui nous révélant des maux fecrets , doi- vent 5 comme les figures d'or àes plaies des Philiftins , demeurer cachées dans l'Arche. Avec quelle confiance les vîmes- nous négliger un repos fi cher à l'Epifco- pat , pour rendre à fon autorité fes pre- mières bornes , y rejoindre les titres fa- crés & inaliénables , que l'ignorance ou la fuperftition des fîecles palîés en avoit déta- chés ; foutenir contre une puifiante & cé^ lebre Abbaye ^ les plus anciens droits du facerdoce ; arracher des mains étrangères les dépouilles de fon Epifcopat ; rétablir le premier Pafleur , chef des Paf}:eurs fubal- ternes ; rejetter un traité pernicieux , 8c ne vouloir pas vendre une paix qui laifToit la divifion dans le Sanctuaire ; en un mot , ne pas fouffrir comme Saîomon , que le corps de Jefas-Chrift fut divifé entre deux Eglifes 5 & faire déclarer la feule & véri- table mère , celle qui ne vouloit point de partage !
Les égards , la bienféance même du
ni ÛRAî SÔli PV I^ESÏtÊ
fang & de l'amitié , lui furprirent-elles ja^ mais de ces grâces qui minent la force des îoix , &: s'élèvent fur leurs débris , déffé- chent peu-à-peu cette fève précieufe qui anime encor le tronc , achèvent d'épuifer ces efprits primitifs d'ordre & de régula- rité qui 5 à travers tant de fîecles , ne font arrivés jufques à nous , que foibles & pref- ■ que défaillans , donnent par une officieufe cruauté le dernier coup à la difcipline mou- c. Reg» rante ; & , comme cet Amalécite échappé ^* ^^' de la déroute de Saiil , font rendre le der- nier foupir à la puiffance & à la majeflé d'Ifraè'l j fous prétexte d'avoir égard à fes maux ? Ah ! il ne rellerra jamais tant les bornes de fon autorité , que lorfqu'il fallut l'employer pour ceux qui lui étoient chers : fa main retenoit les grâces que le cœur avoit trop de penchant d'accorder ; & on auroit dit que le droit de tout obtenir de lui , étoit un titre pour en être prefque tou- jours refufé. Donnez , Seigneur , à vos Mi- iiiftres cet efprit de force & de circonfpec- tion : ne fouiTrez pas que votre héritage devienne la proie des nations , & l'op- probre de ceux qui vous haïffent.
Ce fond de droiture & d'intégrité pre- noii fa fource dans l'amour qu'il eut tou- jours pour l'Eglife. Quelles mefures ne prit-il pas pour la remettre à Jefus-Chrilt pure & belle , & lui faire perdre les ta- ches & les rides , que l'ignorance des fie- cles paffés & la licence du nôtre y avoient laiflees \ Quelles étoieut les ruiiies de ce
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Temple , lorfque nous y vîmes entrer no- tre nouveau Pontife ! Ah ! ici s'oifrent à moi des fpeâ:acles bien divers. Je vois la Fille de Sion enveloppée de fa honte & de fon ignominie , fouffrant que l'ennemi porte une main téméraire fur tout ce qu'elle a de plus précieux , & devenue prefque toute femblable aux Filles de Tyr : je la vois fortir comme Faurore du fein de ces ténèbres , rentrer peu-à-peu dans fon éclat, & reprendre le foin de fa gloire : je la vois fous des images fi différentes , & je me trouve également embarraflé , & par ce que je dois dire & par ce que je dois taire.
Oui , MefTieurs , vous le favez , les mal- heurs du temps & les diifenfions civiles , la licQncQ & le crédit de l'erreur avoient prefque éteint la foi dans nos Gaules , & confondu les droits & la difcipline de nos Eglifes. Celle-ci , moins heureufe que la •terre de Gefien , ne fut pas à couvert des Exod, plaies communes ; l'Ange exterminateur y 5' i6- paffa. Les traces de fa colère divine furent long-temps empreintes fur nous , & malgré tout ce qu'avoient fait fes prédéceifeurs , îe Prélat que nous pleurons , y trouva en- core beaucoup à faire.
La première marque d'amour qu'il don- ^^ jia à la nouvelle Jérufalem , à cette Epoufe 2/. 1, "" defcendue du Ciel , fut de ne la jamais per- dre de vue. Oracles éternels des Livres fainîs 5 loix vénérables de nos Pères , vœux fi ardens & fi anciens de toute l'E- glife fur la réfideace des Paileurs , il vous
fc4 GrAI son P un EBRE
connut , il vous refpe6i:a. En vain les fef- vices d'un illuftre frère , le mérite & le crédit d'un Neveu , qui vole fi rapidement â la gloire & aux honneurs , lui lailTent en- trevoir des efpérances toujours fatales à l'honneur du Sacerdoce : en vain le Monar- que lui-même fi jaloux d'ailleurs de ce devoir de l'Epifcopat , lui reproche qu'on le voit rarement à la Cour : cette pompe de l'Egypte ne l'éblouit pas ; & ce fage €enefe vieillard , comme autrefois ce vieillard Ja- 47, 10. coi) préfenté à Pharaon , & fi honora- blement accueilli , ne rougit pas de fe dé- clarer Paileur devant ce Prince , pour être moins de temps à fa Cour , & avoir le droit de fe retirer plutôt dans la terre de Geilen. Exemple trop beau pour un fiecle où l'Epifcopat ne fert prefque plus que de décoration aux Palais des Rois , où les Cours femblent être devenues des Dio* cefes communs ; où les fentinelles de Je- rufalem & les trompettes du Temple , ne voient & ne parlent plus qu'avec des yeux & des bouches étrangères ; & où l'on voit fouvent les Princes de la Tribu de Lévi , indignes dépofitaires de l'Arche ^ l'impofer comme les Philifiins fur des épau- les viles 5 & la laiffer errer à l'aventure.
L'ignorance &le dérèglement des Clercs défiguroient la beauté de l'Eglife : c'étoit une noire vapeur , qui du Sanâuaire alloit fè répandre dans le refte du Temple , & en ternifibit l'or & l'éclat. Quels furent fes ibiiis pour la difïiper ! Vous l'apprendrez
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t la poftérité , Edifice facré , qui hors des murs de cette Ville , renfermez les four- ces précieufes où fe puifent à loifir la doc- trine & la vérité ; qui de votre fein voyez couler les efpnts de facerdoce & d'ApoA tolat 5 répandus dans nos villes & dans nos campagnes ; qui fûtes le pieux fruit , & le plus cher objet de fes empreflemens ; vous l'apprendrez à la poftérité ; & en fai- fant palTer jufques à nos neveux l'amour qu'il eut pour TEglife , vous ferez pafTer jafques à eux le tendre refpeâ: & la re- connoiiTance que vous confervez pour fa mémoire.
Aufîî inflruit du précepte de l'Apôtre , ^ j^- avec quelle circonfpeâiion impofa-t-il les j.'n. mains , & donna-t-il des difJ3enfateurs à l'héritage de Jefus-Chrift ? Que ne le pou- vez-vous dire à ma place , fage Coopéra- teur de {on Epifcopat ! Déchargé fur vos foins de cette partie pénible de fon mi- niilere , il écouta , je le fais , vos avis ref- pedueux avec bonté , les fjivit avec reli- gion , les prévint même avec fagelTe , & comme Samuel dans la maifon d'Ifaï , il i. Reg, ne fît attention ni aux droits de la naif- ^^' 7* fance , ni aux vaines diftinârions de la chair ^ quand il fallut répandre l'Onâion fainte , & donner des Princes à Ifraël.
Moi-même , & je dois le dire ici , duf- fai-je reveiller ma douleur , en rappeilant le doux fouvenir de fes entretiens & de {qs hontes : oui , moi-même , je l'ai vu avec cet air de candeur &: de lincérité ^
Qraifon fundrc B
. ^6 Oraison fv n^é br e
qui peignoit far fon vifage les fentimehS de fon cœur ; je l'ai vu gémir fur la fu- iiefte négligence de ces Prélats , qui fans difcernement & à toutes les heures du jour , reçoivent des ouvriers , & les font pafTer du marché même à la vigne , revê- tant promptement d'un habit d'innocence & de dignité d'autres enfans prodigues , qui d'ordinaire n'apportent pour toutes difpofitions à un état faint & pénible , que . l'impuiiîance de fournir plus long-temps à leurs crimes , ou l'efpoir d'un fort plus heu- reux dans la maifon du Père de famille.
S'il s'applique à éloigner du San(!i^uaire ces vafes de honte &: de rebut , avec quelle diflinéiion & quel emprellemxent y plaça-t-il les vafes d'honneur & d'élite ! Pr. 100. ^^^ yeux 5 comm.e ceux du Prophète , 4. * étoient ouverts pour aller diicerner les dif- penfateurs fidèles jufques dans les terres 'étrangères , oc les faire alleoir avec lui. Vils & odieux au fîccle par un deftin iné- vitable à la piété , lui furent-ils jamais moins chers ? En proie aux traits des mé- chans & aiix calom.nies des hommes , ne leur fit-il pas comme un facré rem.part de toute fon autorité ? Sur les traces de FE- vêque de nos âmes , Jcfus-Chrifl: ne fut-il pas juflifier le zeîe de fes Difciples contre lès reproches des Pharifiens ; & rendre , o Reg, comme le Pontife Achimélech , le glaive ?!♦ 9« facré à ceux qui n'étoient perfécutés que pour s'en être fervi peut-être trop glorieu- iemcnt contre les PhiiiftinsJ
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Ah ! fi je pouvais ici vous repréfenter cette tendreffe , pour les PaPceurs vigiîans , changée en indignation contre les înlideles ! fi je pouvois raconter là-delTus & fes en- trepriies & fes defirs 5 & le louer égale- ment fur ce qu'il a fait , & fur ce qu'il au- roit voulu faire ! Mais qu'un voile éternel couvre ces myfl:eres de honte & d'igno- minie ; ne touchons point aux Oints du Sei- gneur ; refpe^lons ce qu'ils avililTent ; & que leurs vices nous foient en quelque forte auffi facrés que leurs perfonnes.
Puiife feulement la révolution fatale des temps , à qui tout cède, refpe61:er auiîî ini jour les traces encore vives de fon amour pour i'Eglife ! PuifTent les fLCcles à venir datter de fon Epifcopat la renaiiîance de la foi , de la dcclrine , de la piété ; ôc dire de lui : il retrancha des abus , ou au- torifés par la licence , ou confacrés par la faperftition : il rétablit des loix , ou négli- gées par le relâchem.ent 5 ou éteintes par la coutume : il rendit au culte extérieur la bienféance & la m^ajeflé , la dignité aux Miniilres , & l'honneur au miniftere : fous lui furent diilribuées avec précaution les grâces dts Sacremens , & reçues avec fruit : fous lui s'élevèrent dans nos Villes ces afyles publics , ou contre rindig.ence ou contre le crime : fous lui une nou- velle lumière commença de luire à ceux qui étoient alTis dans les ténèbres & dans l'ombre de la mort : des terres prefqiis inconnues ouirenî la parole de vie ; on fit
Bi
28 Oraison funèbre dans nos Campagnes des courfes Apoflo- liques ; les pauvres furent évangélifés ; & au fond de leurs demeures champêtres , vivant au gré d'un inftinâ: brutal , & à peine encore hommes , ils connurent enfin le Dieu de leurs pères , & l'efpérance commune des chrétiens. Tel fut l'ufage qu'il fit de fon autorité ; il ne refle plus qu'à vous le repréfenter comme un père tendre & charitable.
PARTIE %^^sî^^ autre Religion que celle des Chrétiens * avoit jamais oui parler d'une vertu qui ibuffre de tous les maux d'au- trui , qui n'efl pas faftueufe , & qui atten- tive aux calamités étrangères , s'oublie vo- ï. Cor, lontiers foi-même ? Omnia fuffert 9 non ejî
'^ 7* ambitiofa , non quœrit qiiœ fua fiinî : c'efl le caraâ:ere de la charité ; difons mieux , c'eft celui du charitable Prélat que je loue.
Perfuadé que les Fadeurs ne font que les dépofitaires des biens , comme de la foi de l'Eglife 5 avec quelle religion les dif- penfa-t-il î Que feroit-ce en effet , Mef- fieurs 5 que de détourner à des ufages pro- fanes les richeiîés du Sanâ:uaire ? Ce fe- roit changer en germe de péché le fruit fa- cré de la pénitence de nos pères ; trou- ver dans les vœux innocens des premiers Fidèles de quoi former peut-être avec fuc- cès des vœux criminels ; infulter la pau- vreté évangélique avec le patrimoine des pauvres ; en un mot , faire fervir Dieu à
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riniquité. Les mains au Très-Haut ^ vous le favez , avoient formé à notre charitable Prélat un de ces cœurs tendres & miféri- cordieux , qui foufFrent de toute leur proi^ périté à la vue des infortunes d'autrui. Et ce n'étoit pas ici une de ces fenlîbilités de caprice , qui n'ouvrent le cœur à certains maux que pour les fermer à tous les autres ; qui veulent choifir les miferes , & qui en nous rendant trop prudemment charitables nous rendent pieufemient cruels. Sa cha- rité fut univerfelle ; & il ne mit jamais d'au- tre différence entre les malheureux , cme celle que mettoient entr'eux leur mifere même.
Quel tendre fpeâiacle s'ouvre encore à mes yeux ! Ici la veuve couverte de deuil & d'amertume fous un toit pauvre & dé- pourvu , jette en foupirant de triftes regards fur des enfans que la faim prelfe ; & hors d'efpoir de tout fecours , elle va , comme celle d'Elie , foulager leur indigence de ce qui lui refte , & mourir enfuite avec eux , quand par un nouveau prodige , elle voit tout-à-coup fa fubftance multipliée , & fes trilles jours confolés. Ici des Vierges con- facrées au Seigneur , lèvent au fond de leur retraite , des mains pures au Ciel , & of- frent pour lui une innocence qu'elles ne doivent qu'à fes largeffes. Le Citoyen , qui fous des dehors encore fpécieux , cache une profonde mifere , privé du confident charitable de fa honte & de fes befoins , cherche les ténèbres pour leur confier fou
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50 Oraison f u n e n r e afflidion ; & comme Jofepli , il s'éloigne pour verfer des larmes , de ceux qui trom- pés encore par les apprirences , s'adreffeiit à lui pour avoir du pain , de peiir de ne pziifer pour leur frère.
Mais dans quel détail immenfe vais-je m'engager ! Ici , des vafes de honte , des vi(Slimes de la lubricité publique trouvent un afyle , & doivent à Tes libéralités , ou le defîr de la vertu , ou du moins l'impuif- fance du crime : vous le favez , Minières pieux qui veillez fur une oeuvre fi fainte. Ici s'élèvent ou fubliflent par fes foins , ces lieux facrés , deflinés ou à recevoir la men- dicité errante , ou à foulager la mifere af- fligée : ici 5 un rayon de lumière perce riiorreur des cachots , & va faire fentir à cet infortuné qu'il y a encore de l'humanité fur la terre : ici , des ouvriers Apolloli- ques faintement occupés à parcourir nos campagnes , & à diftribuer aux petits le. lait de la doctrine , répandent en Ion nom ^'C la rofée du ciel , & les bénédiâ:ions de la terre ; & par uji innocent artifice , en foulageant les miferes du corps , fe frayent un chemin jufqu'à celles du cœur : ici , par les foins de cet autre Jacob , les grains de l'Egypte viennent confoler la flérilité de la terre de Canaan ; & fa charité toujours in- génieufe y va chercher jufques chez un peuple étranger , des refTources à la cala- mité de fcn peuple.
Entrailles cruelles , qui mettez à profit les miferes publiques j qui appréciez les
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larmes & l'indigence de votre frère , & qui ne lui tendez la main que pour achever officieufement de le dépouiller, écoutez Joh.ii ce que dit l'Efpritfaint : Quand vous ferez raffafié , vous vous fentirez déchiré ; votre félicité fera elle-mcme votre fupplice , & le Seigneur fera pleuvoir fur vous la ven- geance & la fureur.
Mais que ne puis-je recueillir ici les fruits infinis de fa miféricorde , & dans les calamités qui nous affligent , ou reveiller votre langueur , ou édifier votre zèle par rhiftoire de- fes largefTes ! que ne puis-je rappeller fes tendres follicitudes furies be- foins de fon peuple ! J'ai vu mille fois {qs entrailles s'ouvrir au récit des miferes pu- bliques : une fainte triflefi'e fe répandoit fur fon vifage ; des paroles de douleur & de charité , fortoient de fa bouche ; & tou- ché de pitié , comme Jefus-Chrid: , fur une multitude affamée , on le voyoit , com.me lui , lever les yeux au ciel , & multiplier prefque (qs tréfors afin ck la ralTafîer.
Je ne vous dirai donc pas qu'il fut l'ceil de l'aveugle , & le pied du boiteux ; qu'il jetta fjr l'orphelin des regards précieux, & qu'il confola le cœur de la veuve ; que comme cet homme inflruit dans le royau- m.e des cieux , il tira de fon tréfor l'ancien & le nouveau ; qu'il fortoit toujours de fa perfonne ime, vertu bienfaifante qui foula- geoit toutes les mifères ; qu'il coula tou- jours de fon Palais , comme d'un autre
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32 Oraison f u n e rrIe lieu d'innocence , une foiirce facrée qi'î alloit inonder la terre ; que la honte fut toujours moins ingénieufe à lui cacher les malheureux , que fa charité à les décou- vrir ; & qu'on eût dit que de tendres pref- fentimens venoient lui annoncer les befoins le plus fecrets.
Car ne vous repréfentez pas ici un de ces zélés faflueux , qui n'aiment , pour ainfi dire , à placer leur argent que fur le public ; qui révèlent avec art la honte de leurs frères , moins pour leur attirer du fecours 9 que pour pouvoir dire qu'ils les ont fecourus ; qui fous prétexte d'édifier les fpeftateurs , fe donnent eux-mêmics pieujfement en ipeélacle ; qui n'ont des yeux que pour les miferes d'éclat ; & qui comme les foibles Difciples fur la mer , lorfque Jefus-Chrift fe préfente à eux MrdîJu pendant les ténèbres , s'écrient que c'eft 14. 26. un fantôme , & ne veulent pas le recon- noître. GEil invifible du Père célefte , vous fûtes le feul témoin des fecrettes efFufions de fa charité. Que d'oeuvres de lumière n'a- t-il pasenfevelies dans de pieufes ténèbres ! Ne crut-il pas , ô m^on Dieu ! que fes œu- vres faintes flétries prefque par les regards étrangers , n'étoient plus fi dignes des vô- tres ; & qu'afin qu'elles allafi!ent effacer fes iniquités de votre fouvenir , il falloit qu'elles fufiént elles-mêmes effacées du fouvenir des hom.mes ? Il n'eut jamais de confident là-defiûs ; la charité s'étoit dreffée dans fon cœur une manière de fanduaire 5 où le
D F. M, DE ViLLARS. 3;
Porkife feul avoit droit d'entrer ; & fa mort même n'a pas pu , comme celle de Jefus-Chrift , déchirer le voile cfui déro- boit à nos yeux ces pieux myfteres.
Ah ! fî je pouvois du moins pénétrer dans le fecrct des familles , là je trouve- rois linnocence prête à enfoncer & pré- fervée du naufrage ; ici l'iniquité devenue plus rare , parce qu'elle n'étoit plus fî né- celTaire. Mais que vais-je faire , MefTieurs l ah ! je ne refpeâe pas allez ces facrées té- nèbres : il me femble que Tes chères cen- dres en foufFrent ; il me femble que ces os arides fe raniment en m'écoutant ; que ce vifage où étoit peint autrefois la douceur y fe couvre d'une modefte indignation ; & que du fond de ce trille mauiolée : Epar- gne 5 me dit-il , cette inquiétude au repos de mon tombeau ; & ne viens pas fouiller jufques dans mes cendres pour y découvrir les ardeurs fecrettes de mon amour deili* nées à l'obfcurité , jufqu'au jour de la nia- nifeftation de Jeflis-Chrill.
Et ne croyez pas , MefTieurs , que com- me tant d'autres , il n'employoit au foula- gemenî des malheureux que les relies inu- tiles de fon luxe ou de fes plaifirs , &: que fes aumônes ne fulTent que les dé- bris de fes palTions. Il fut honorer le Sei- gneur de fa fubftance ; la frugalité de fa table , la modeftie de fon train , fî recom- mandée aux Prélats parles loix de i'Eglife, furent les fonds doù il tira les tréfors des pauvres 5, ôc fa diminution , pour parler
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avec l'Apôtre , fut la richefie des peuples.
Quelle /implicite dans fon Palais 1 elle nous rappeiioit ces temps heureux où l'E- pifcopat entouré de fa feule dignité , favoit encore s'attirer le refpe£t des Fidelles ; où le fafte n'étoit pas devenu une bienféance à un miniilere d'humilité ; où l'éminence du cara£lere éîoit une raifon de modération , & non pas un prétexte de luxe ; où toute la gloire de la fille du Roi étoit encore au-dedans ; & où le Peuple de Dieu n'a- voit pour Pontifes que des Aarons re- vêtus de juilice & de fainteté. Quel déta- chem.ent de la chair & du fang ! Etoit-il de ces Paileurs cruels qui nourriifent l'am- bition & la vanité de leurs proches , du fang & de la fubftance des pauvres ; qui font fervir les tréfors du Sanctuaire à des décorations profanes ; qui érigent des idc~ les des débris de l'autel ; & par un renver- ièment honteux , enrichirent l'Egypte des. dépouilîes mêmes du Tabernacle ? Ah ! il employa ces pieufes richeffes à couvrir la nudité , & non pas à parer la vanité ; à raf- fafier la faim , & non pas à flatter la vo- lupté ; à étancher la foif , & non pas à irriter la cupidité ; & le feul vice qu'on lui peut reprocher îà-delTus , c'eil peut-être d'avoir poulfé trop loin cette vertu.
Prêtre éternel ! Prince des Palpeurs l divin Apôtre de noire foi & de notre coniéfTion ! Jcfus-Chrifl ! que me reite-t-il ici qu'à vous demander pour cette Eglife affligée un Pontife comme lui ., innocent ,
DE M, DE ViLLARS. ^^
féparé des pécheurs , attentif à offrir des dons & des facrifices pour les péchés, ap^ pliqué à tout ce qui regarde votre culte , plus élevé cme les cieux , & qui fâche com- patir aux infirmités de fon peuple ? Ah ! permettriez-vous qu'une Eglife dont la nailTance a été celle du Chriftianifm.e dans les Gaules « élevée prefque fur le fondement des Apôtres & des premiers Prophètes ,. gouvernée par une il glcrieufe fuccejflicii de faints Paileurs , & tant de fois illullrée de tout leur fang ; û pure dans fes loix , fî- vénérable dans fon culte , ii ilKillre par fcs. droits , devînt l'héritage d'un difpenfateur infidelle; & qu'une fi chère portion de votre troupeau fut la proie d'un loup ravilTant ï Pieux Prélat ! fi dans le fein d'Abraham y. ( car 5 ô mon Dieu ! fans fonder ici la pro- fondeur de ^'os confeils . auriez-vous pu fermer votre fein éternel à celui qui vous; ouvrit toujours le fien en la perfonne de vos ferviteurs affligés ? ) ii , dis-je dans le fein d'Abraham , ame charitable , vous; jouiffez déjà du fruit immortel de tant d'œuvrcs de vie ; fî vous m_oilibnnez les bénédiâiîons que vous avez femées ici- bas , iettez fur les tendres gémilîemxîjs de cette trille Sion , quelques regards favo» râbles : foyez toujours fon époux invinci- ble ; que les liens facrés qui vous ont uni avec elle , ne périfîént jamais ; choiiilfez- lui vous-roêm.e dans les tréfors éternels ur^ Pontife iidelle , & que les foins de fa gloire aillent encore vous toucher &: troubkx
B6
7,6 Oraison funèbre piefque votre repos jufques dans le feln cîe la félicité.
Mais po rqiîoi vous le repréfenter jculf^ faut de Fimmortalité 5 avant que de vous l'avoir repréfenté dans le fein même de la mort ? Prétendc-je amufer votre affliétion? rappelions , puifqu'il le faut , ce trifte fpec- tacîe. L'innocence de fes m.œurs , la fidé- lité aux devoirs de fon miniiîere , la pro- fufion de fes tréfors ; cette piété tendre & confiante , cette foi vive & fimp^e ; le fa- crifice redoutable qu'il offrit fi fouvent , & toujours avec tant de recueillement & de frayeur ; le bain facré de la pénitence , où il venoit régulièrement avec tant de dou- leur & d'humilité , laver les fouillures de fon ame ; ces mcmens précieux qu'il déro- hoit 5 ou à fes occupations ^ ou à fon re- pos - pour fe nourrir des vérités du falut par des le£lures édifiantes ; en un mot , le fouvenir de fa vie doit nous rajffurer fur le fouvenir de fa mort.
Oui ^ Mefiieurs , la main du Seigneur s'étendit fur lui ^ & le frappa ; mais il légèrement , qu'à peine parut-il qu'elle l'eut touché. C'étoit , ce me femble , pour tremper notre douleur ; le coup fut pref- que tout invifible ; l'hilloire du fonge de Daniel s'accomplit une féconde fois , & nous vîmes une pierre légère détachée des montagnes éternelles , venir heurter foible- ment contre une des jam.bes de cette ftatue précieufe , dont la flrL^ure fembîoit nous promettre une fi longue durée 5 6c h réduire
Dr M. DE ViLLARS. 37
d'abord en poudre. La légèreté du mal , l'heureux tempérament du malade , les conjectures de l'art , tout endormit notre frayeur. Un Neveu , que le choix glorieux du Prince & les befoins de l'Etat avoient fait pafîer du Rhin en Italie , féduit par les mêmes apparences 5 le laifTe dans le lit de fa douleur 5 &:part pour la Cour, où le rap- pelloit la reconnoiffance & le devoir. Mais les trilles circonfcances de cet adieu , les tendres embralTemens du Vieillard affligé y furent comme les lugubres précautions d'u- ne tendrefle mourante , & d'une fëparatioii plus cruelle. Bientôt après en effet , le jour du Seigneur arrivé , un mortel alToupiffe- m^ent vint nous annoncer le fommeil de la mort : des préfages de trépas couvrirent Ton vifage 5 fon arrêt y parut écrit , & l'affreufe mort 5 jufques-là cachée dans fon fein , fè laiffa prefque voir à découvert.
A ce bruit fatal ^ une frayeur univer- felle fe répand : les Prêtres du Seigneur montent à fautel ; on cherche dans le fa- crifice de la mort de Jefus-Chrift une four- ce de vie pour le Pontife miourant ; la vic- time adorable eft expofée à la douleur pu- blique ; les Citoyens en foule remplifîent nos Temples , & environnent les autels : les pauvres au milieu de nos places pu- bliques 5 les m^ains levées au ciel , rede- mandent par leurs gémiffemens le Père qu'ils font fur le point de perdre : des Vierges facrées gémiffent tout bas dan>s le Sanduaire ; 6c trilles témoins de la dou-
38 Or a I son FUNEBRE
leur & de la foumifîion chrétienne d'une AbbeiTe à qui de tendres nœuds rendent cette réparation fî cruelle , elles répandent leurs cœurs aux pieds des Autels , mêlent leurs foupirs & leurs vœux , les font mon- ter jufqu'aux pieds du trône de l'Agneau qu'elles doivent ini jour fuivre ; & par ce tendre fpeâ:acle , vont prefque arracher des mains de l'Eternel , le glaive fatal qui doit trancher des jours 11 précieux. Mais les fléaux , comme les dons de Dieu , font fans repentir , & fon heure , ou plutôt la nôtre , étoit venue. On a donc recours aux derniers remèdes de l'Eglife ; & à leur afpeâ: , l'afToupifTement ceffe : fa foi fe reveille ; fes yeux s'ouvrent pour voir fon Sauveur ; il demande non-feulement à manger fa Chair , mais encore à boire fon Sang ; & veut fur le point de fa mort j Maîth, comme fon Maître , s'enivrer de ce vin 26. zr;.* précieux , dont il ne devoit plus boire que dans le Royaume du Père célelle.
Cependant le mal gagne : une famille
défolée fond en larmes autour du lit : un
ami fage & fidelle , tâche en vain de s'at-
\ tirer encore la dernière confolation de
.quelques paroles m.ourantes , & l'exhorte
de difpofer à fa maifon terreilre. Un frein
éternel avoit déjà été mis fur fa langue ,
& on ne tîroit plus de lui qu'une réponfe
-de mort. Mais encore 5 les pauvres que
vous avez tant aim.és , lui dit-il , vont-ils
donc tout perdre avec vous ? Votre palais
retentit de leurs plaintes ; quelles relTources
DE M. DE ViLLARS. 39,
voulez-vous leur laiiler après votre mort ? Que vois-je ici , mes Frères ! Ah ! la cha- rité ne meurt jamais. A ces mots cette aine mifcricordieufe fe reveille toute eirâere pour faire un dernier eHort : fes yeux que la mor^^M^t déjà fermés , fe r'ouvrent peur jedHpkcore , ce femible , quelques regards Tsm)ràhlcs fur les malheureux : fes mains défaiJianies j depuis fi long-temps accoutumées à de faintes prcfuiicns , vont ferrer tendrement les mains de cet illuftre ami , comme pour fe plaindre qu'elles n'étoient plus propres à ces charitables of- fices. Une vie étrangère paroît animer ce corps mourant ; il fe tourmente , il s'a- gite ; mille fois il s'eiTaye de redire fes anciens & pieux deffeins ; mais ces paroles de charité qu'il formée dans le cœur , vien- nent expirer fur fa langue froide & im- mobile , & fe changent en profonds fou- pirs. Que fe paflbit-il alors dans cette ame , ô mon Dieu ? quelles faintes in- quiétudes ! quels tendres gémiffemens ! quels nouveaux tranfports ! quels biûlans cïefirs ! Ce feu facré n'acheva-t-il pas de confum.er les refies de fes foibleffes ? & ne parut-elle pas fans tâche à vos yeux , lorf- que détachée de fa demeure terreflre par les efforts mêm.es & les agitations de la charité , elle alla fe préfenter devant votre Tribunal redoutable ?
Que vous dirai -je ici 5 mes Frères l qu'ainfî difparoît tout-à-coup la figure du monde j qu'ainfî s'évanouit l'enchantement
40 O R A I s O'N FUNEBRE
des fens ; qii'ainfî vient fe brifer au tom- beau le fantôme qui nous joue ; que les plus beaux jours de la vie ne font que des portions de notre mort ; que la fleur de l'âge fe flétrit ; que les plus vives pafTions s'éteignent ; que les plaifîrs jj||j||| lafTent par leur vuide , ou nous éc^PPent par leurs excès ; que la gloire n'eft qu'un nom qui fe fait cependant acheter de tout notre repos ; que la pompe & l'éclat ne font que des décorations de théâtre ; que les honneurs ne font que des titres pour nos tombeaux ; que les plus belles efpérances ne font que de douces erreurs ; que les mouvemens les plus éclatans font comme les agitations de ces feux nocturnes qui paroiiTent & fe replongent à l'inflant dans d'éternelles ténèbres ; en un mot , qu'il n'eft rien de folide dans cette vie , que les mefures que Ton prend pour l'autre : vous dirai-je tout cela ? Mais qui ne le dit en ces jours de deuil & d'amertume ? qui fut jamais plus fécond fur les abus du monde j que le monde même ? Au milieu des plai- firs on nous voit difcourir fur leur fragilité r nous infultons le monde en l'adorant. Aufîî quel fruit recueillons-nous de ces ilériles réflexions ? quelques projets éloignés de changement , qui ne font que nous calmer fur nos défordres préfens ; & contens d'a- voir connu nos plaies , nous en fommes ,, ce femble , plus tranquillement malades. Reprenez donc les chants lugubres que j'ai interrompus , triile Sion 5 6c gémife^
DE M, DE VîLLARS, 41
fur les cendres de TEpoux facré qui vous a été enlevé : remontez à Fautel , Prêtres du Seigneur ; & fi un reile de fragilité 9 fî quelques négligences dans les devoirs in- finis d'un pénible miniflere, arrêtoient en- core le Prince des Prêtres que nous pieu* rons , dans CQt endroit myllérieux du Tem- ple où achevoient de fe purifier les Mi- nières , ah ! difpo/èz l'appareil du facri- fîce ; mettez entre les mains de ce pieux Pontife le fang de l'Agneau , afin qu'il puifle entrer dans le Sanctuaire éternel , & fe préfenter avec confiance devant la face du Roi de gloire.
A'mfi foit-iL
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ORAISON
FUNEBRE
DE MESSIRE
DE VILLEROYy
ARCHEVEQUE DE LYON.
Sacerdos magnus .... qui pr^valuit amplificare civitatem , qui adepnis eft gîoriam in conver/arione gentis , & ingreffum domus & atrii amplificavir.
Cejl ici un Pontife illuftre qui a fu aug- menter le bonheur & la puijfance de la Ville ^ qui s'ejl acquis de la gloire au milieu de fa Nation , & qui a été honoré par les fonctions defon minijtere dans la maifon du Seigneur ^ & dans Venceinte du Temple, Au Chap. 50. de rEccléfiaftique , vch. 5.
.ÎNSI pour confoîer Ifraël de la mort du Grand Prêtre Simon , un Auteur inf- piré d'en haut immortalifoit jadis , par aQS louanges nobles & divines , la mé- moire de ce Pontife , & cherchoit dans le fouvenir de ies vertus , une trifte reflburce
DE M. DE V ILLEROY. 45 à la douleur de fa perte. D'abord le pla- çant parmi ces hommes pleins de gloire , qui rendent les peuples heureux par la fo- lidité de leur fagefië , qui ont été riches en grands talens , & dont le nom vivra dans la fuccefîion de tous les Hecles , il va puifer dans la nature mille images vives & brillantes , & célèbre avec cet air de ma- jefté , où l'eiprit humain ne peut atteindre , les plus glorieufes circonflances de fon hif tpire. Ici j dans des temps de trouble & de confuHon , on le voit , âinfi que l'étoile du matin au milieu des nuages 5 briller 5 fui- vre toujours fa courfe , & montrer même de loin les fentiers de la juilice & de l'o- béiffance , à ceux qui , attirés par de faufîes lueurs , s'étoient jettes dans les voies glif- fautes & ténébreufes de la rébellion & de l'injuftice.
Egalement attentif à régler les différends xlu peuple & des principaux d'Ifrael , c'eft un trait de feu vif & perçant , qui va juf- r ques dans le cœur faire en un inftant le difcernement délicat de la pafîîon & de l'équité.
Enfin fe répandant lui-miême tout entier fur les befoins publics ; ufant , pour le falut & la sûreté de Juda , jufques aux relies m.ourans d'une vie innrm.e & défaillante, c'eft un doux parfum, qui pendant les jours de l'été exhale au loin fon odeur bienfai- fante , s'évapore & s'éteint à force cle fc communiquer. De -là 5 l'Auteur facré rappellant des
44 Oraison funèbre fpe6lacles plus faints & plus augufles , le repréfente au milieu des enfans d'Aaroii appliqué aux fonâ:ions redoutables du Sa- cerdoce 5 préfentant au Seigneur une obla- tion pure devant toute l'affemblée d'Ifraël , étendant fa main pour offrir le fang de la vigne 5 foutenant la maifon du Seigneur, & affermiffant les fondemens du Temple ; en un mot , ayant foin de fon peuple , le délivrant de la perdition , & faifant couler fur lui 5 par des canaux purs & fîdelles , les grâces des Sacremens , & les eaux facrées de la doâ:rine.
Quand vous diâ:iez à cet homme inipiré des expreflîons fi divines ; oferai-je le de- mander ici , Efprit-Saint , quelles furent vos vues ? Prétendites-vous raconter ou prédire ? Confoliez-vous la Synagogue fur la mort du fameux Pontife ; ou promet- tiez - vous à l'Eglife la vie de messire Camille de Neuville de Villerov j Archevêque et Comte de Lyon , Com-
MANDEUR DES OrDRES DU Roi , dont
nous venons aujourd'hui pleurer la per- te ?
En effet , Meilleurs , avoit-on jamais vu dans le miême homme , tant d'attachement aux intérêts du Prince , & tant d'attention à l'utilité des particuliers ; tant d'appli- cation aux befoins de l'Etat , & tant de vigilance fur le détail des familles ; tant d'égards pour la Nobleffe , & tant de bonté pour le peuple ; tant de refped: pour les droits de la royauté 3 & tant de zèle
DE M. DEVllLEROr. 45
pour ceux du Sacerdoce ; tant de part aux les chofes du fîécle , & tant de goût pour les chofes du Ciel ; tant de grandeur , avec tant de modération ; tant de périls , avec tant d'innocence.
Vous le favez , illuflres Citoyens de cette ville affligée ; & le magnifique appareil de cette trifte cérémonie , où il femble que l'excès de votre douleur ne trouve plus d'adouciflement que dans un excès de re- çonnoilîance , fait affez connoître que vous croyez devoir à la conduite 5 & à la piété de ce grand homme ^. les richeifes de la terre & celles du Ciel , puifque vous les jettez avec tant de profufion fur le pom- peux tombeau que vous lui avez élevé dans ce temple.
Ah ! que ne pouvez-vous donc parler ici à ma place , vous qui chargés des af- faires publiques , trouviez dans une feule de fes réponfes ces expédiens heureux , qui ne font d'ordinaire le fruit que des lon- gues réflexions & des cruelles perplexités î vous 5 qui l'établiffant arbitre de vos diffé- rends particuliers , l'entendiez avec con- fiance décider fur les intérêts de votre honneur ou de votre fortune : toujours contens de fes arrêts , lors même que vous étiez mécontens de votre fort ! vous , qui malheureux ûms avoir la trille confolation d'ofer vous plaindre , alliez verfer dans fon fein votre honte & votre mifere , & le trouvant toujours également difcret & (^aritable , en fortiez raffurés fur voirç
4^ Oraison funèbre: honneur, &: foulages de votre indigence! vous enfin , Minières du Seigneur , zélés éonndens de fon amour pour l'Eglife , qui afiemblés autour de lui , comme îes Ef» Heb, I. prits célelles autour du trône de l'Ancien ^^' des jours , en étiez fi fouvent envoyés pour aller exercer votre miniftere en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du falut; que ne pouvez-vous parler ici à ma place ! Mais ce lugubre fiience , cette profonde confïernation , cet air de triileife & d'éton- nement répandu fur vos vifâges , n'en di- fent-ils pas affez ? faut-il donc que j'en fois en ce jour le trille interprète , &: que je vienne juHifier par un éloge public , ime douleur & des larmes publiques ?
Souffrez plutôt que je prenne dans une cérémonie de mort de quoi confondre tou- tes les illuHons de la vie , & que je vous redife avec cette noble {implicite qui lied Calât, fi bien aux vérités du falut : Au refte , mes ^i Cor ^^^^^^ 9 ^^ 1^^^ rhomme aura femé il k re- 7. ?i. cueillera; ufc^ de ce monde comme rien Mmh. ujanî pas ; ccfl une figure qui pajfe ; cejl 7.2^.27. j^^2 mai/on bâtie fur le fable mouvant , qui . fera dew,ain h jouet des vents & de Vorage, Je fais quelle eft toujours dans ces tou- chantes cérémonies la prefcription de la vanité contre la piété chrétienne : je fais que loin de laiifer périr la mémoire de l'impie , - comme un fon qui fe diiïipe dans les airs , on lui rend les mômes honneurs qu'à celle du Jufce : je fais qu'une bouche facrée , qui ne doit plus s'ouvrir que pour annoncer
DE M, DE ViLLEROr. 47 |
avec le Prophète les merveilles du Sei- gneur 5 y vient fouvent raconter les ouvra- ges de l'homme : je fais que du plus humi- liant objet que nous propofe la foi , on en fait un fpe(S^acle de faile Se de vaine gloire ; qu'on vient recueillir même fur de viles cendres , des efprits de grandeur & d'élé- vation ; qu'on mêle à la penfée du tom- beau , à qui la grâce doit tant de conquê- tes 5 le fouvenir de mille événemens pro- fanes , qui peut-être ont valu à l'Enfer un riche butin ; & que le démon femble enfin avoir trouvé le îecret de triompher , com- me Jesus-Christ 5 de la mort même : je le fais. Mais je fais aufîi , Seigneur 5 que Pf, cr. vous perdez les lèvres trompeufes , & la 4» langue qui parle avec orgueil : je fais ce que je dois à la parole évangelique que j'annonce , à la majefté du Temple où ré- fide la gloire du Dieu très-haut ; à la fainte horreur du Sanâruaire , où le Pontife éter- nel eih toujours vivant afin d'intercéder pour nous ; à l'appareil du facrifice terri- ble que je fufpens ; à la préfence du Pon- tife facré qui va vous l'offrir, & dont je dois refpe£i:er le recueillement ; à la piété • des Fidelles qui m'écoutent ; & fur-tout à la mémoire du grand Prélat à qui je viens rendre ce devoir de religion. Je le fais ; & vous ne permettrez pas , Seigneur , que je trahiffe lâchement là-delîlis les plus vives lumières de votre grâce.
Donnons donc à une cérémonie fi chré- tienne 5 un air 5c un tour de Chrétien : ne
4^ VrA I SON FUNÈBRE
louons ni des vices glorieux , ni des vertus que la foi met au nombre des vices : laif^ fons-là cet art profane , qui félon les be- foins j éloigne , approche , faifît avec af. feâation , ou laifie échapper avec adreffe des faits douteux & délicats : en un mot , fané^ifîons dans cet Eloge funèbre les qua- lités que le iîecle admire par celles que la Religion doit louer. Mêlons faintement le monde avecJESus -Christ , & découvrons dans notre illuftre Archevêque de grands talens & de grandes vertus ; confîdérons-le comme un grand homme né pour le bien de l'Etat , & comme un grand Evêque éta- bli pour Futilité de l'Eglife. Il fut mena ^ ger les intérêts du Prince & les intérêts du peuple ; c'eft Tufage qu'il fit de fes talens : il fut veiller fur lai-même en fe rendant utile à l'Eglife ; c'efl à quoi fe réduifirent fes vertus. C'eil-à-dire , il fut un Pontife illuftre , qui a fu augmenter le bonheur 6c la puiiTance de la Ville , qui s'eft acquis de la gloire au milieu de fa Nation , & qu i a été honoré par les fonâ:ions de fon mi» niftere, dans la maifon du Seigneur & dans l'enceinte du temple. C'eft *out ce que je me propofe dans cet Eloge.
I.
PAPxTlE
Quoi fe réduifent ces vaftes talens qui nous élèvent ft flatteufement furie refte des hommes , & qui font comme un caraiftere de fouveraineté naturelle , imprimé des mains de Dieu fur certaines âmes, fî la grâce de Jesus-Christ toujours attentive
V E M, DE V ILLEROY. 49
A ramener au Père des lumières tous les dons qui font fortis de (on fein 5 n'enfsit elle-même la dePcination , & n'en règle Tufagje , n'en redreflc les vues , n'en corr rige les diilipaticns , n'en marque les rou- tes , nen fané^iiie les écueils ? Car ^ Mef- ûeurs 5 je le répète , n'attendez pas ici un Eloge payen , mais une inllruction chré- tienne. Je me fouviens que je loue un Oint du Seigneur , & non pas un Héros ■du fiecle. Èh ! le monde eil allez ingé- nieux à fe féduire , fans que nous lui ai- dions encore nous-miêmes ^ Miniii:res du Seif^neur , dans un lieu delliné à le dé- tromper.
Quel rang occupent-elles donc dans hi miorale des Chrétiens , ces qualités écla- tantes ,lorf^ue la foi n'en régie pas i'ufagc ? Ce font des dons de Dieu qui nous éloi- gnent de lui ; des relîburces de falut q:.il facilitent notre perte ; des lumières éten- dues qui nous aveuglent fur Iqs objets que la foi nous met comme fous l'œil ; des* diilincSLlons de la nature qui nous confon- dent dans la multitude des méchans ; des penchans d'immortalité que nous ufons après des ombres qui periilent ; des fe- mencesde vérité que nous étounons par les follicitudes du fiecle ; des attentes de graec que la cupidité remplit ; des amufemens Érillans qui nous font perdre de vue notre unique aitaire ; un art de fe damner avec un peu plus de contrainte & de i/3lemnitéY de fleurs enfin , qui le matin brillent , 6c
Ordijbn JiLncbrc, ' C,
50 Vrai s 0 7^ funèbre féchent le foir fur le tombeau : terme fa- tal , où tout aboutit , abyme éternel , où tout va fe perdre ; écueil inévitable où après plus ou moins d'agitations , vient enfin fe brifer le fantôme qui nous joue ^ que nous croyons fi folide. Mais éloi- gnons pour un moment ces triftes idées ; & cherchons dans Thiftoire de notre Prélat , des motifs folides d'une confolation chré- tienne.
Je dis dans fon hiftoire , MefTieurs ; car n'attendez pas que j'en forte pour remonter jufqu'à celle de {qs Ancêtres. A quoi bon entaifer ici de noms antiques; réunii'des titres pompeux ; rafi^embler des alliances augnfles ; rapprocher une longue fuite de fiecles partes ; & dans une cérémonie def- tinée à nous faire ouvrir les yeux fur le néant des grandeurs préfentes , donner une manière de réalité à celles qui ne font plus ? Je le pourrois ; & la gloire de Fillufire mai- fon de Villeroy embelliroit , fans doute , cet endroit de mon dîfcours : mais je parle d'un Pontife établi félon l'ordre de Mel- ^hifédech ; & vous favez que les Eivres faints , où nous lifons l'éloge de ce Roi de Salem 5 affectent de ne pas faire entrer dans les louanges d'un Prêtre du Très-Haut, la gloire des ancêtres , ni la vanité des gé- néalogies.
La Capitale de l'univers , Rome fut le lieu que la Providence choifi.t , peur don- ner à fon peuple Messire CAMILLE DE Neuville. Il femble que cette
s E M, DE V ILLEROr, ^ 5 ï? ^I^rande ame, qui devoit un jour réiinii- tlaiis fa perfoniie, la fcience de régir les^, peuples, & celle de les fanéèilier , foutenir ie Trône d'une main & l'Autel de Fautre^ difpenier ks niyfccres de l'Etat &c ceux de î'Egîife , ne pouvoit devoir fa nailfance qu'à cette Ville fi célèbre 5 où l'autorité de l'empire & du facerdoce fe trouve réunie dans la même perfonne.
Auflî l'éducation , qui d'ordinaire dans les autres hommes embellit ou cultive un fond encore brut ou ingrat , ne fit que dé- velopper les richelîes du lieu. On lui trouva de la maturité dans un âge où à peine eft-il permis d'avoir de la raifbn ; & dans les amufemens même de fon enfance , on dé • couvrit prefque les ébauches de (es gran- des qualités : femblable à ce grain évangé- Matth. iique , qui dans fa myflérieufe petiîeffe , ^^ 5i« laiiToit entrevoir ces efpérances d'accroiffe- '"* ment qui dévoient l'élever far les plus hau- tes plantes , & dont les branches- facrées dévoient même un jour fervir d'afyle aux Pf- 57» oifeaux du Ciel. ^*
Au lieu que les méchans ^ dit le Pro- phète 5 fe détournent de la droite voie dks le fein de leur mère , il rendit fes paiïîons dociles à la raifon , en un temps où les éga- rem.ens du cœur entrent , pour ainfi dire , dans les bienféanccs de l'âge ; & comme EccL ce pieux Roi d'Ifraël , il ie joua dans fa 47. >• jeuneiîe avec les lions , ain(i qu'on fe joue avec les agneaux les plus doux & les plus traitables.
Cl
5^ OrAISOIJ FUNEBRE
Dans les éloges qu'on entreprend, de la plupart des hommes extraordinaires , on cit obligé de tirer le rideau fur les premiè- res années de leur vie : on laifTe dans un iage oubli un temps où ils fe font oubliés eux-mêm.es : on ne leur donne ni enfance ni jcunelTe : on ne com.mence leur îiiRo'ire , que par où Ton peut commencer leur élo- ge : & l'on voit l'Orateur habile produire, tout-à-coup (on héros fur le théâtre du monde , à-peu-près comme Dieu y pro- duifîî Adam ; je veux dire dans la perfec- tion de l'âge & àe la raifon.
En effet , qu'eil-ce que la jeuneiTe des perfonnes d'un certain rang ? C'cll une fai- ion périlleufe , où les paffions ne font pas encore gênées par les bienféancesi de la grandeur 5 & où elles font facilitées par fon autorité : c'efi une conjoncènre fatale , où le vice n'a rien de difficile ni de hon- teux; où le plaiilr eil autorifë par l'ufage; l'afage foutenu par des exemples qui tien- zient lieu de loi ; les exemples facilités par la piîilTance ; & la puilîance mife en œuvre par les eraportemens de l'âge , par toute la vivacité du ccéiir. Seigneur, à qui feul appartient la force & fe fageile , votre grâce a-t-elle des attraits ailez puifians , votre confeil éternel des relTources allez lieureufes , pour préferver une am.e an mi-, lieu de tant de périls ? Vous le pouvez , Seigneur ; mais qu'il eil rare que vous iifîez de cette puiffance î
Tel fut le privilège -de notre Archevê-
DE M. DE V ILLEROY. 5^5
que. Mais fur quoi arrêtai-] e votre atte n- tion ? lî femble que j'ai à louer des talens ordinaires ; que je ne m'apperçois pas que ce qui ailleurs ieroit un objet important d'éloge 5 n'ell ici qu'un amufement.
Expoions tout-à-coup ce grand homme à la tèto. de la Province , veillant aux inté- rêts & à la gloire du Prince : prélîdant à la fortune &: au repos des peuples; toujours occupé 5 & toujours au-delliîs de fes oc- cupations ; fe faifant un vrai foulagement de fon devoir , & fe faifant un devoir du foulagement de Ton peuple; fî pénétrant , qu'il ne lui faiîoit pour décider , que le temps qu'il faut pour entendre ; fi éclairé , que fes décidons parciiloienî toujours dic- tées par la fageife m.ême ; sûr de l'avenir ^ attentif au préfent , habile à prendre des mefures fur le pafié ; d'im: efprit vif^ fa* cile 5 infînuant; d'un jugement valle , éle- vé 5 fécond ; d'un cœur droit , noble , bienfaifant ; toujours aii-deiliis de fes di- gnités & de fa grandeur ,, toujours à por- tée de la mifere St de l'infortune; ami^iin- cere , maître généreux ^ père com.mun.
Ici 5 qu'une piété craintive & peu inf- truite 5 ne défavoue pas en fecret les louan- ges (^dQ je lui donne. Je refpe£te votre pieufe délicateilé ^ âmes zéiées qui m'en- tendez. Je fais avec l'Apôtre , que tout Pontife n'en choifit d'entre les hommes , "^ que pour s'appliquer à ce qui regarde le culte de Dieu ; qu'il ne faut pas introduire dans le repos facré du Sanduairc , le tii-
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multe des occupations féculieres , que ceiHt Pf. -2. ^J^'^ 7 comme dit le Prophète , vont placer leur bouche jiifques dans le Ciel , ne doi- vent plus laiffer ramper lei:r langue lur la terre ; & qu'eniin le monde entier n'eil pas digne d'occuper des miains deftinées à of- frir des dons &: des facrifïces. Vérités faJn- tes i vous ne m'êtes pas étangeres ; £c je ne viens pas ici détruire ce qu'un emploi facré m'oblige d'édifier tous les jours ail- leurs.
Pvlais FEglife eft-elle donc lî peu inté- leïï^éc à la proi|5érité des Princes 5 à la sû- reté des Etats , à la tranquillité des peu- ples , à l'obfervance des lois ;, qu'elle eu regarde le foin ccm.me un foin profane? La royauté n*eil-el]e pas le fl^utien du fa cerdcccl & travailler à raggrandifîcment û\in Roi très-Chrétien , n en-ce pas pré- parer des triomphes à Jesus-Christ ? Le Pontife de la loi , fouvent au fortir du Tri- bunal 5 d'où il venoit de prononcer fur la> fortune & fur les biens des enfans d'Ifraèl ^ ne montoit~il pas à l'Autel , pour leur at- tirer des biens invilibles & une fortune plus durable ? Samuel n'étoit-il pas égale-» ment l'interprète des droits du Roi & des volontés du Seigneur envers le peuple ? Saints Evêques des premiers temps 5 ne jouifiiez-vous pas de cette double autorité ? & l'application à terminer les différends des Fidelles , ne faifoit-elle pas une portioa coniîdérable du votre charge paftorale ? Pourquoi doue , lorfque foiis un Prince-
DE M. DE ViLLEROr. 5^
qui fait entrer l'Eglife en commerce de fes victoires , & en partage avec elle le fruit y il fe trouve certaines am.es en qui la Pro- vidence a verfé ces dons rares & excellens , iiécelTaires pour ménager les intérêts des Rois & la conduite des Roj^aumes ; pour- quoi y dis-je 5 ne pourroient-elles pas {q partager entre les foins du facerdoce & ceux de la royauté ? Or , Meflieurs , ces dons rares & excellens ^ où parurent-ils jamais arec plus d'éclat , que dans le Pré- lat dont nous pleurons la perte ?
Je ne vous dirai pas ici qu'il avoît reçu du Ciel un de ces génies heureux j qui trouvent dans leur propre fonds 5 ce que l'étude & l'expérience ne fauroient gueres remplacer quand on ne l'a pas ; qu'il étoit né infouit fur l'art périlleux de gouverner les peuples ; que de tous les mylleres de la fageiîe des hommes , il n'ignora que ceux qu'il n'eût pas voulu fT^ivre j & que comme cet habile condud^eur du peuple ^^^ Juif, il fçut dès fa jeunefîe tous les fecrets zz. de la fcience des Egyptiens. Je n'ajouterai pas que les affaires n'eurent jamais rien d'obfcur qu'il n'éclaircît , rien de douteux qu'il^ne décidât , rien de difficile qu'il n'ap- planît 5 rien de délicat qu'il ne ménageât , rien de périlleux qu'il ne franchît , rien de pénible qu'il ne dévorât ; que les plus vai^ tes l'étoient moins que fon efprit ; & que partagé entre mille foins , il fut toujours tout entier à chacun. Ce n'eft pas là une imagination qui fe joue , & qui fubftitue h
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5^ Oraison funèbre ?
la véritable* idée des cliofes , im fantôme de fa façon j il ii'ell perfonne ici qui d'a- bord n'ait reconnu que le portrait que je viens dé faire , c'ell lui : cependant ce n'eil pas à quoi je m'arrête.
Perfuadé que les talens les plus diitin- gucs {ont inutiles ou dangereux, lorfque k devoir n'en .règle pas fufage , quel fut Ûon attachement pour la perfonne du Mo- narque ! Que ne puis-je rappeller ici ces temps fâcheux , où la minorité du Prince , ram.bition des Grands 5 les intérêts des Miniflres , & je ne fais quelle fureur de ré- volte ck de changement qui faillî en cer- tains, ilecles Teiprit des peuples , firent éprouver tour-à-tour à la France toutes la calamités des dilTcnlions domeftiques ! Que ne puis-je rapprocher fur-tout ce mom.ent fatal 5 où la capitale du Royaiimè à la tête de la révolte , la Bourgogne 8t la Guienne déjà féduiîes 5 le Dauphiné pi et à les fiiivre , & n'attendant pjus que l'exem- ple de cette Province ; notre illuflre Dé- funt follicitc de toutes parts , décida pref- que par fa fermiCté ^ de la fortune du Mo- naraue & de celle de la Monarchie ! . Mais faut-il poiir vous repréfenter le , calme & la tranquillité dont la Province •fut redevable à fes foins , mêler dans une ■cérémonie inftituée pou.r honorer le paifi- hle fommeil des Juiles , les images affreu- fes de la guerre & de la rébellion répan- dues par-tout? Faut-il pour vous expo fer tout le mérite de fa fidélité , faite revivre
DE M. DE Vil LE KO F. S7
Iç fouvcnir de taiiîLcle chûtes déplorables , qui penfereut tramer après foi celles de tout i'Etat ? Faut-il , pour le louer flir des efpéraiices mépriCées , fur des . offres re- jetîées 5 infulter aux cendres de ceux qui le follicitereut de fe déclarer contre ^ fon devoir, & faire d'un Eior^e particulier^, une inveârive publique ? Ah ! que plutôt cette gloire defcende avec lui dans le tom- beau ! Je trouve bien dans les Livres faints qu'on d'oit propofer les vertus du Jufle mort, pour condamner, les vices des pé- cheurs qui vivent ; mais non pas pour flé- trir la mémoire de ceux qui ne font plus. Dans ces fatales révolutions , c'ell: une conjoné^ure bien délicate de fe trouver pourvu de toutes les qualités qui rendent habile au gouvernement. On ePi tenté d'eii- trcr , fans aveu , dans les affaires publiques ; on aime encore mieux fe rendre nécelTaire à raflemblce des ntéchans c, que d'êiTe inu- tile au parti des gens de bien. Sous pré- texte de chercher à fon mérite des moyens; de paroître , on procure à fon ambition des ocçafions de crime 8c de deshonneur ; & fouvcnt on. abandonne fon devoir fans^ autre intérêt, que cehii de n'avoir pu le remplir avec allez d'éclat & de dignité. Des talens aufii vafces que ceux de notre Prélat , ne dévoient gueres fe borner aux foins d'une Province ; mais voyant d'un œil tranquille l'abondance & la gloire des in- j-uiles , fortir de leur iniquité mêm.e , il fut toujours content de fa fortune , narce que^
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^ap. 41
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5S Or A T s on funèbre
la Cour le fut toujours de fes fervice?;-
De fes fervices , Mefïieurs ! ne donnons point ici dans les excès d'une mauvaife éloquence : parlons fans art ; nous ne rlC- quons rien. Quelle fuite glorieufe & conf^ tante de foins & de fatigues foutenues pen- dant plus de cinquante ans pour les. inté- rêts de fon Prince ! Vigilant . rien n'échap- poit à la force de fon efprit : intrépide , rien n'ébranloit la fermeté de fon cœur : infatiguable, rien ne pouvoitabattr'elafoi- bîciîé de fon corps. Combien de fois par des avis donnés à propos j a-î-il ou cor- rigé des abus défeipérés ou prévenu des malheurs inévitables , ou procuré des biens- qu'on n'ofoit fe promettre ! Tandis que dans les autres Provinces l'héréfîe attend des coups pour expirer , & qu'il faut tailler ces pierres fpirituelles pour les faire entrer dans l'édifice facré de l'Eglife y notre fage Prélat employe-t-il pour les ramener d'au- tre force que celle de fes raifons ? & com~ me Salomon , ne le voit-on pas bâtir un Temple à la Vérité , fans employer le fer , lîi fans donner un coup de marteau ? Com- bien de fois l'a-t-on vu pendant les défor- dres de l'Etat , reipedèé même des rebel- les , aller à travers leurs armées, porter aux pieds du trône le tribut de fa eonllance & de fa fidélité ?
Vous le favez , Meilleurs , injures de l'air , incomimodités des faifons y infirmités de Fage , vivacité des douleurs , danger des maux préfeiîSj crainte des maux à ve-
DE M. DE VtLLEKOY. ^^
nîr , ce n'étoient plus pour lui des obka- cles. Ecoutez , âmes toutes livrées à vos icns , & pour qui la feule abfeuce du pîai- fîr efl un vrai fuppîice ; du lit même de fa douleur il en fit un nouveau tribunal , d'où on le vit avec im efprit tranquille & fe- rein , rés^ler les befciins de la Province 8c les intérêts de la Cour : & bien difîerent de ces Dieux dont parle le Prophète y qui avoient des yeux & ne voyoîent pas , des pieds 6c ne marchoient pas , des mains- &: ne s'en fervoient pas , ah ! il avoit perdis par fes longues & continuelles fatigues y Tufage des yeux , & H voyoit encore tout y des pieds , & il voloit par tout où l'ap- pelloit^ le fervice du Prince ; d^s mains , hc il donnoit le branle&le mouvement ù tout. Quelles étoient là-deflus vos juftes: frayeurs & vos refpcftueufes remontran- ces , vous que d'heureux eugagemens at- tachoient depuis long-temps à ia perfonne & à fon fervice ? Redites tout ce que vo- tre amour pour lui & pour la Provmce vous faiibit alors dire de plus tendre 5c de plus touchant , tout ce que fon zeîe pour le Prince lui faifoit répondre de plus fermée & de plus généreux.
Mais ne le vimes-nous pas ces jours- paf- fés au bruit d'une émeute populaire , re- cueillir les refies précieux de fon ame dé- faillante , ramaffer , fi je l'ofe dire , les dé- bris d'un corps tout ufé ; trouver dans îat vivacité de fon zèle de cnioi ranimer fes; forces mourantes ; s'arracher comme Mal-
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6o Or Al SON FUNEBRE
fç à la tranquillité de fa montagne , & ve- nir rétablir la paix parmi le peuple , en y rétabliiîant comme lui l'abondance ? Oui , Mciïicurs 5 aux premières nouvelles du tii- ipulte ^ les foins de la fanté ii ckers à la vieilleife , ne Farretent plus ; il part , il voie . il paroît , tout fe calme : quel eft cet licmme à qui les vents & la mer font gloire d'obéir ? Mais où m'emporte tout- ^ coup l'ordre de m.a matière ? Ah ! je touche prefque au moment fatal qui nous l'enleva ; & en vcuis rappellant une a£lion glorieufe . je ne m.'apperçois pas que c'efi: la dernière de fa vie ^ & peut-être la caufe fiûiefie ce fa miCrt. Ne hâtons pas un {i trifie fpe61acle.
La France a vu fur la fcene prefque dans tous les liecles , de ces hommacs ca- pables , nés peur ménager les intérêts des Princes , & faire mouvoir les reilbrts in- iinis d'un Etat : mais hélas ! fouvent char-» gés de la haine comme des affaires publi- ques 5 on les a regardés pendant leur vie plutôt comjm.e des inft-rumens de la colère du Seigneur , Cjne ccm^me des Miniilrca de la puifTance du Prince , & ils font mjorts avec la tùRe ccnfclation d'avoir eu allez de mérite pour déplaire à tout un Rcyau- me« C'cfi que le mêm.e zèle qui nous at- tache au Prince ,^ nous endurcit fouvent envers le public : c'ed que le miême crédit qui nous rend néceflaires au refie des hom~ m.es 5 nous rend quci.auefois le relie des iiommes méprifable. Mais j'en attelle ici 1^ ;
DE M. DE V ILLEROr^ 6l
foi publique : reconnoiiîez-vous là-dedans^ le père commun que nous pleurons ? Ne- celîaire à tous , ne fut-il pas toujours à la portée de tous ? cette muraille funelle de fcparation , qu^in ufage peu chrétien met entre les Grands & le peuple , ne l'avoit-il pas détruite ? falioit-il , pour pénétrer juf- qu a lui y .acheter la faveur d'un domeili- que , ou .mériter par de longues & en- nuyeufes afTiduités , le m.om.ent fovorable pf,j^^ du inaître ? le nom des pauvres n'étoit-il 14. pas honorable à fes yeux ? & en étoit-ii de icn cabinet comm.e du Sah£l:uaire du temple de Jérufalem , où l'on ne pouvoit entrer qu'avec des ornemens pompeux & une parure magnifique ? portoit-il fur fon front ces marques odieufes de puiifance y qui femblent reprocher au relie des hom- mes leur mifere ou leur dépendance ? n'a- voit-il pas réconcilié la grandeur avec l'af- fabilité ? & en£n , en l'abordant , s'appef- çut-cn jamais qu'il eût de l'autorité j que lorsqu'il accorda des grâces ?
Quelle leçon peur vous . homme vain ! qui à pehie échappé de parmi le peuple où vous avcient lailTé vos ancêtres , &: devenu, par une dignité le défenfeur de fes droits , aiTedez de ne jamais détourner fur lui vos regards , comme fî vous craignez de n'y retrouver le fouvenir de votre première baileffe ! Ah ! le tombeau confouàm vos <!endres avec celles de ces am.es v'ûes ; & le Seigneur fera, fécher la racine de votre orgueilleufe pollsrité , & entrera deiTus une
^2 Oraison funèbre
race qui connoîtra la juftice & fera la mî-
iericorde.
Combien de fois avions-nous admiré err lui ces lumières vaftes & sûres y qui trou- vent toujours le point fatal des grands évé- nemens , & cette facilité populaire qui fe délaiTe fur le détail des familles , rallie des intérêts domeiliques , & ne fait fe refu- fer à des befoins obfcurs ^ m s'y prêter avec ces airs d'inquiétude &: de fierté ^ plus accablans que le refus même ? Ses mains , comme celles de la femme forte , après s'être occupées à des fondions écla- tantes 5 ne favoient-elles pas fe détourner fur les plus obfcures ? Et fî j'ofois le dire dans un difcours chrétien , ne nous rappel- loit-il pas le fouvenir de ces Romains tant vantés y qui après avoir été à la tête des affaires publiques , & ménagé le deftin de Rome 5 de retour chez eux enveloppés de toute leur gloire , favoient auprès d'un foyer fimple & champêtre , prononcer fur les démêlés de leurs cliens , &: fe renfer- mer dans les bornes de cette magiftrature- domedique y comme s'ils euilënt toujours ignoré les foné^ions éclatantes de l'autre*.
Le détail infini du commerce de cette grande ville j eut-il jamais rien de fi bas , où on ne le vit defcendre avec plailîr , y maintenant par fon autorité , la paix & la bonne-foi qui en font comme les nerfs l N'en régloit-il pas fouvent les vafi:es ref- forts par la prudence de {es confeils , &: par l'étendue de fes lumières ? Ce nouveau
DE M, DE V ILLEROY, 6j
Tribunal qui rend cette Ville comme l'ar- bitre du commerce de tout le Royaume , qui dans fon établiffement fut li fort tra- verfé 5 &: oii des Provinces les plus éloi- gnées , on vient attendre la décriion de tou- tes les affaires où nos citoyens font inté- reffés ; n'eft-il pas un monument bien ten- dre & de fon crédit auprès du Prince , & de fon am.our pour le Peuple ? Nous avions à la vérité , fes premiers foins ; mais \qs avions-nous tout entiers ? &. par l'application qu'il eut toujours à counoître & à régler les plus petits intérêts de la Province , n*auroit-on pas dit qu'il étoit le Magiftrat particulier de chaque ville de fon Gouver- nement.
Ici , Mefîieurs ^ vous ajoutez à ce que je ne dis pas ; vous fuppîéez à ce que je ne dis que foibîem.ent ; vous rappeliez mille circonftances , ou que je pafî'e ou que j'i- gnore. Cliacun de vous le retraçant le fou- 'venir de quelque bienfait particulier, m'ojP fre en fecret de quoi grofllr cet endroit de fon Eloge. Ah ! que n*e(l:-il permi-s à votre douleur & à votre reconnoiffance de s'ex- pliquer ici elles-mêmics ! Vous diriez , mais en term.es mJlie fois plus touchans & plus énergiques que moi , qu'il avoit dé- livré le pauvre de la tyrannie du puifTant ; que les Magiftrats liibaltenies ne lui étoient p^ chers qu'autant qu'ils l'éloienî eux-mêmes * ^ au public ; que fa plus délicieufe félicité , étoit de contribuer de fes feins à la félicité publique ; qu'il étoit plus jaloux du rang
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64 Oraison funèbre _ qu'il avoit dans nos cœurs , que de celui qu'il tenoit dans le Royaume ; qu'il ne connoifToit vos noms , 'vos familles , votre fortune , que par les fervices qu'il vous avoit rendus ; que plus d'une fois- dépofi- taire des vœux & des intérêts publics , il les avoit portés au pied du Trône avec une reipeélueufe ferm.eté , & fans ces timides ménagemens , injurieux au Prince dont ils expofent la gloire , injuiles envers le public dont ils facrifient les droits , exemple rare & digne lui feul d'un éloge entier ! en un mot , qu'il étoit le père , le foutien & le proteâeur de la Province ; l'efpérance , la joie & les délices de votre ville.
Mais puis-je vous confondre ici , vous qu'il diilingua toujours avec tant de bonté ^ Noblelie illuRre , & qu'il honora de fa plus- étroite familiarité ? Avec- quelle confiance l'établifliez-vous arbitre de vos diiférends ! Que d'anim.ofïtés étouffées dans leur naif- fance par fa fagell'e ! que de querelles in- vétérées & fî fouvent immiorîelles parmi les Gentilshommes , n'a-t-il pas éteintes par fon autorité î que^ de prétentions in- jufres , que de droits douteux n'a-t-il pas éclaircis par fa pénétration ! Mais quel ami plus Hncere & plus généreux! vous le fa- vez , Chapitre ilîuilre de la plus noble Eglife de France. La grandeur 5 je le fais , ne manque gueres d'adulateurs ; mais les Grands manquent fouvent d'amis : commiC ils n'aim.ent que leur fortune , ce n'efî: au/îi que leur fortune que l'on aime en eux: l'a-
deM.de, V îllero r.'- 6^ initié 5-^ cette tendre reilbiirce de tous les chagrins de la vie , dit le Sage , ce doux Eccî.6» lien de la fociété 5 cet unique plaifir du 1 <5. cœur 5 eu. un lien gênant , un plaifir fans charme pour eux : auffi , commfe ils ne vi- .*vent que pour eux-mêmes , on ne les aime que pour foi. Ici , étoit-'€« la perfonne ou la dignité , qui lui attiroit vos hommages ? vous fit-il attendre un fervice , quand voua l'eûtes demandé ? vous le fit-il demander ^ quand il l'eut prévu l fouiÎTiî-il vos juftes rem.ercîmens , quand il l'eut rendu .? plai- fir délicat cependant 5 & qui femble être la plus innocente récomperîTe du bien- fait.
Mais peut-être n'étclt-celà qu'une vertu de parade i peut-être qu'officieux aux yeux tîu Public 5 il* fe dédommagea de cette contrainte dans le fecret de fon domeftique. Répondez pour mioi 5 Maifon défolée de ce grand homm.e ; je reveille ici votre dou- leur , je m'en apperçois. Fut-il jamais de maître plus tendre & plus généreux ? Ne fufîifoit-il pas d'avoir eu l'honneur d'être à lui , pour n'avoir plus befcin d'être à perfonne ? Sûr de votre attachement , ne veillcit-il pas avec plus de foin ftir votre fortune 5 que fur votre fidélité ? Etoit-il de ces hommes vains & bizarres , qui croient faire grâce de permettre qu'on foit au nombre de leurs efclaves , & qui veulent que les fervices m.êm.es qu'on leur rend ^ tiennent lieu de récompenfe ? Enfin 5 exi- gea-t-il vos hommages comme un tyran 5
66 Oraison funèbre
Ou s'il mérita votre tendrelTe comme un
vrai père ?
Que ne puis-ja ici de fes a£lrons paiTer à fes principes ! Jamais ame ne fît de plus grandes chofes par de plus grands motifs : on auroit dit que tout ce qu'il faifolt de louable , perdoit fon prix du moment qu'il étoit loué : c'étoit dégrader le mérite de fes allions , que de l'en faire appercevoir ; & en l'abordant pour le rendre attentif à nos bonnes qualités , il falloit prefque ou- blier les iiennes.
Sacrés difpenfateurs de la parole évan- gélique , combien de fois en vous ouvrant la bouche pour annoncer toute vérité , vous la ferma-t-il fur celles qui le regardoient ?
Et nous-mêm.es aujourd'hui ^ ne fom- mes-nous pas obligés de trahir par cet Eloge public j non-ieukment fes plus chers fentimens , mais encore ces dernières in- tentions des mourans , qui font comme d'au- tres relies précieux , aufquels il n'eil pas permis de toucher , & qu'une efpece de religion civile a rendu prefque auiTi facrées pour les hommes , que les cendres mêmes Se les dépouilles de leurs tombeaux ? Mais il falloit 5 ame généreufe & modefte 5 que vous eulîiez la gloire de refufer les louan- ges 5 & qu'une juile reconnoilTance eut la liberté de vous les donner.
Ah ! fî après la diilblution de ce corps terreftre , vous pouvez encore être fenfî- bk à la gloire de la terre , ame bienfai- fante & généreufe ! jette z fur ces citoyens
DE M. DE VîLLEROr, 6j.
affligés quelques-uns de ces regards que vous fixiez autrefois fi utilement fur eux ^ & venez recueillir fur les larmes qu'ils mê- lent à vos cendres , fur les triflcs regrets dont ils honorent vos obfeques , la plus douce récompenfe de vos fatigues 5 &. le plus fincere tribut de leur reconnoif- fance. Venez voir le plus grand Roi du monde y non plus vous donnant des mar- ques honorables d'eflime & de confiance 5 & vous recevant avec tant de diil:inâ:ion au milieu à<^s Grands de fa Cour 5 mais ne pouvant vous refufer des marques de dou- leur au milieu dés joies & des acclamations de fes vi(^oires j & paroifTant tout occupé de votre perte , tandis ^^i^ l'Europe ne fefi que de ÎQ.S conquêtes.
ri faudroit ici finir fon Eloge : les re* grets de Louis le Grand laiilent-ils quel- que chofe à dire ? Il faudroit même ne pas vous faire fouvenir de cette glorieufe Lettre que toute la France a vue , ^ di- gne de palfer dans nos annales , & d-'être confervée à la pofi:ériîé 5 où l'on voit cette main royale occupée à laiffer à nos neveux mi Eloge digne du grand Camille & de toute fon illiîflfe Maifon. Je ne puis qu'af- foiblir une circonllaiice {\ honorable à fa niémoire : ce que j'en pourrois dire , ne diroit pas ce que j'en penfe : les paroles des Rois ont je ne fais quoi d'énergique qu'un difcours entier ne peut remplacer, Louis Le Grand y fait des vœux pour la durée d«s jours de notre Prélat. Il femble
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68 Oraison f unêibrë Heh, 11» que Comme autrefois le vieillard Jacob ^ aux approches de la mort ^ fentiî revenir fes forces en voyant le bâton de comman- dement entre les mains de Jofeph ; de même notre glorieux Vieillard devoit rap- peller les iiennes , en voyant fon illuflre Neveu honoré du bâton de Maréchal de France. Ce grand Prince l'y exhorte de venir fe montrer encore une fois à fa Cour^ & l'afîlîre que pcrfonne , fans exception^ ne Vy verra avec plus de plaifir que lui. Ré-- gnez y Prince ^ feul digne d'être fervi ^ puifque feul vous favez fi bien honorer ceux qui vous fervent. G^ell tout ce que je puis dire.
JVIais puis-je ne pas ajouter que ce grand Prince s'y félicite lui-même d'avoir rendu juiHce au mérite de notre illuftre Gouver- neur ? Ce ferJ mot ne vous rappelle-t-il pas fa grandeur d'ame, cette élévation d'eA prit 5 ces manières dignes encore d'une plus haute fortune , Si mille allions glo- rieufes que nul" de vous n'ignore, & que la parole de paix dont je fuis le Miniilre , me défend de redire ici ? Puis-je ne pas ajouter qu'il y honore d'un glorieux fon- venir & d'une éternelle reconnoiiîance , la mémoire de ce fage & vaillant Maré- chal 5 qui jetta dans fon ame royale les premières femences de valeur & de fa~ geiîé 5 & qui le premier fut ébaucher Louis le Grand ? Quelle gloire pour cette célèbre Maifon !
L'opprobre de Jefus-Chrifc a eu cepen-
D E M, DE VlLLEROY, 6C) •dant plus de charmes pour votre cœur , que toute cette pompe de l'Egypte * , iU luHre Fille qui m'écoutez. Auiîi en vous entretenant de la gloire de votre Famille , je n'ai pas voulu afîbiblir votre foi , mais aider votre reconnoilTance , & vous expo- pofer plutôt les périls dont la grâce vous a délivrée , que vous faire eitimer de faux, biens & de vains honneurs , que vous avez fi généreufem.ent méprifés.
PaiTons à notre dernière Partie. Je vous ai montré comment fes talens le rendirent nécelîaire au Prince & utile au ' peuple : montrons qu'il fut fldeile à Jefus-Chrifl & utile à FEglife par fes vertus chrétiennes oL épiibopales.
IL
PARTIE
2. 17.
J-L ell glorieux , je l'avoue , à un Pontife facré 5 d'avoir été , ce femble , formé des mains du Très-FIaut , pour ménager les intérêts des Rois & la fortune des Royau- mes : c'efl fans doute un endroit éclatant j & l'on peut en faire honneur à fa mémoire. Mais il en honorant le Prince , il n'a pas ^ {f^* craint le Seigneur ; fi en veillant f.ir les memi- bres de l'Etat , il a eu les yeux fermés fur les m.em.bres de Jeliis-Chriil: , en vain aura- t-il amafFé à gr,ands fraix une fragile gloire devant les homm.es , il n'en a point de {o- lide devant Dieu : Hahct gloriam , fed non, p apiul Dciim, Que l'hommiC nous confîdére , 4. 2.' difoit autrefois faint Paul^ com^me les Mi- i- Cor,
xom»
Madame de Vilkroy , Carmélite,
*+•
1.
7Q Oraison f ui^ e nn e. îiiftres de Jefus-Chrift , & comme les d'iC- penfateurs des Mylleres de Dieu. Or , MefTieurs , comment difpenfer fidèlement des myfteres terribles , Ci Ton ne connoît toute leur grandeur & toute fa mifere ? & quelle foi vive &: pleine ne faut-il pas pour cela ? Comment les difpenfer fainte- ment , fi ces lumières divines n.e font pas la règle confiante de nos mœurs ? quelle pureté ! De plus , pour être affocié au mi- niflerc de Jefus-Chrid , il faut être ingé- nieux à découvrir les befoins des Fidelles ', quelle vigilance ! Toujours il faut être prêt à les foulager ; quelle charité !
En effet , qu'eft-ce que l'honneur de l'Epifcopat , fi l'on s'en tient à ce que la chair Se le fang nous révèlent là-delîus , & fi l'on en juge par la corruption & le re- lâchement de ces derniers temps ? C'eft un polie éminent qu'il efi permis de fouhaiter, auquel il eft glorieux d'atteindre, & dont il ell doux de jouir : c'cft un titre pom- peux 5 mais vuide ; qui retient tous les honneurs du facerdoce , 8c qui en didri- bue aux autres les fatigues comme des fa- veurs ; c'eft une autorité tranquille y qui à l'ombre du fade qui fenvironne , décide du travail de ceux qui portent le poids du jour & de la chaleur. Mais fi l'on confiilte le Père des lumières ^ ^ifi nous remon- tons à ces fiecles de ferv^eur & de pureté , c'étoit un poids redoutable & faint , qu'on ne defiroiî jamais fans témérité , dont on fié. pouvoir fe charger foi-mêrne fans pro-
DE M, DE V ILLERÙ'f, ft
fanation , fous lequel on devoit gémir avec crainte & tremblement : c'étoitune fervitu- de pénible , qui nous étabiifTant fur tous , nous rendoit redevables à tous ; un mi- niftere d'amour 8c d'humilité qui établif- foit le Pafteur dépositaire &: des miféri- cordes du Seigneur , & des miferes du peuple. Siècles fi honorables à la foi , fainte antiquité fi connue en nos jours & fi peu imitée , temps heureux où êtes-vous ?
Je ne vous dirai pas , Meffieurs , que notre grand Archevêque , à l'exemple de Jefus-Chrift 5 ne s'étoit pas lui-même éta- Hàr,^* bli Pontife ; que les defirs du Prince pré- '** vinrent fes defirs , & que l'honneur du fa- cerdoce lui fut oftert avant qu'il s'y fût offert lui-même. Mais oferai-je le dire ^ & croira-t-on que la foi fur fon déclin foit encore capable de ces eiforts du premier âge ? il endura plus de follicitations' pour fe réfoudre à fubir ce fardeau facré , que les autres n'en emploient pour l'obtenir : il mit à s'en défendre prefque tout le temps qu'on met à le demander : en un mot , il fut être Evêque , après l'avoir refufé.
Perfuadé que vous reprouvez fouvent , />/. j^, ô mon Dieu î les confeils des Princes , com- lo. bien de fois répandant {on cceur aux pieds de vos autels , vous conjura-t-il , comme autrefois Moyfe , d'envoyer pour conduire Exod. ce peuple nombreux , celui que vous aviez 4. n- marqué dans vos confeils éternels ? com- ^f î°* bien de fois m.ettant entre vos mains le fort ^^* d^ fon ame & ceUii de fa dignité , vous
72. Û R A I s 0 N F U 1^ E ERE
pria-t-il de le délivrer , ou des foiblefTes de l'une 5 on du fardeau terrible de l'autre ? Ali ! c'efl qu'éclairé de vos lumières , il apperçut peut-être dans fon cœur quelques reftes de ces defirs du fiecle , qu'une fainte difcipline a bannis du Sanâiuaire , & qui bleiîent , fans doute , Texcellence & la gra- vité du Sacerdoce chrétien. Vous ne vou- lûtes pas cependant qu'un autre reçut foii Epifcopat ; vous l'oignîtes -de VOnSdon fainte , & vous relâchâtes , ce femble , un peu de la févérité de vos loix en faveur de celui- qui devoit un jour les faire obferver avec tant de foin & de bénédiction.
Et ce n'efl pas ici , MefTieurs , un Eloge de bienfé'ânce. A Dieu ne plaife que je dégrade ainfî mon miniilere , & que je vienne infulter la vérité jufques fur les au- tels 011 on l'adore ! Vous le favez , vous qui eûtes la trille confolation de recueillir fes derniers foupirs : hélas ! fuis-je deftiné à vous rappeller fons ceiTe un fouvenir fi amer { vous vîtes fon ame mourante cher- cher à fe raiîlirer fur les devoirs immenfes du miniftere dont elle étoit far le point d'aller rendre compte par le fouvenir des frayeurs qu'elle avoit éprouvées en l'accep- tant ; & n'ej[|5érer une place dans le fein ^ d'Abraham , que parce qu'elle l'avoit tou- jours refofëe dans le Sanéluaire.
Mais qu'aurez-vous alors à répondre au. \ tribunal de Jefus-Chrifl , vous doiiî la dé- marche la plus innocente ^ en entrant dans • l'héritage du Seigneur , a été de le de/i-
•rcr;
DE M, DE V ILLEROY. 73
rer ; qui ne devez qu'à des bafTeiTes pro- fanes une élévation toute fainte ; qui n'êtes monté qu'en rampant fiir le trône facerdo- tal ? vous qu'on ne voit aflis dans le Sanc- tuaire du Dieu vivant , que pour avoir été long-temps debout dans les anti-chambres des Grands , & qui n'auriez jamais été pla-- ces fur la tête des hommes , pour parler /y. c$, avec David , fi vous n'aviez été mille fois 12» lâchement à leurs pieds ?
Les mêmes lumières qui lui firent entre- voir l'éminence du minillere ^ lui découvri- rent aulll jufqu'où devoit aller la pureté du Miniftre. Il comprit que c'efi: un ipe6!:a- cle monilrueux de voir les mains fouillées du Pontife 5 tantôt levées au Ciel pour en tirer ces précieufes rofées qui parfument les confciences ; tantôt étendues fur des têtes facrées , verfer jufques dans les âmes des caractères auguftes & ineffaçables àz puiifance 5 & les marquer du fçeau du Sei- gneur ; tantôt trempées dans le fang de l'Agneau, panni le bruit facré des canti-" gués &: la fumée des encenfemens , pré- lenter avec folemnite au Dieu faint le fa- crifice redoutable ; tantôt lancer fur des pécheurs rebelles des foudres dont lui-mê- me devroit être frappé ; tantôt offrir à des pécheurs hnmiliés , des tréfors dont il efi: lui-même indigne : de vpir une bouche impure , tantôt offrir pendant les mylleres terribles 5 le baifer faint à des Miniâ:res purs & irrépréhenfibîes ; tantôt prononcer les paroles myfiiqucs , 6c créer fiîr les au> ^ Oraifon funèbre, D*
74 OrAISOI^ FUNEBRE
tels le pain facré qui nourrit les Anges , le vin délicieux qui produit les Vierges ; tan- tôt fanâ:ifier les temples de Sion , & y faire defcendre la gloire du Seigneur par d'au- guftes dédicaces ; tantôt y confacrer à Je- sus-Christ des Vierges innocentes ; tan- tôt y raconter fes juftices & les merveilles de ion alliance.
Aufîî avec quel honneur & avec quelle
fainteté , pofTéda-t-il toujours le vafe de fon
i.TheJT* corps 5 pour parler avec l'Apôtre? N'a-
4. 4. voit-il pas 5 ce femble , atteint à ce point
^' ^p' de pudicité facerdotale , comme l'appelle
^adTid', "" ^^^^ 9 ^"^ ^^^^ ^^^^ ^^ vertu la plus péni- . bie à la nature , nous devient la plus natu- relle 5 & qui accoutume , pour aînfî dire , le cœur à être invulnérable de fon propre fonds ?
Le vit-on jamais , je ne dis pas avilir la majefté du facerdoce jufqu'à l'indignité & aux foiblefTes d'une pafîîon , mais l'abailîer jufqu'à l'inutilité & aux amufemens des converfations ? Et ce n'étoit point ici un de ces mérites que donne la vieillefle , une de ces régularités tardives , qui font les af- fortimens de l'âge plutôt que les ornemens du cœur ; qui parent les débris du corps , au lieu de réparer ceux de l'ame ; où il en- tre plus de bienféance que de grâce , & qui n'ont prefque de la vertu , que la feule im- puilîance d'être encore vices. Il ne fit que recueillir dans l'hyver ce qu'il avoit femé pendant les jours de l'été : fes paflîons ne parurent éteintes fur la fin , que parce qu'il
VE M. DE ViLLEROr, J^ en avoit amorti les ardeurs naiirantes ; & dans une carrière de plus de quatre-vingt ans 5 on ne s'eft jamais apperçu que fon cœur fût fenfible , que par l'horreur qu'il eut pour le vice.
Qui ne fait cependant quelles font là- delTus les compiaifances & les adoucifî'e- mens de Tufage ? Hélas ! cette foibleffe a prefque perdu fon nom & fa honte parmi nous : c'eft une lèpre qui n'éloigne plus même du San6t:uaire. Des yeux chrétiens s'accoutument en£n à voir fans horreur un feu profane s'élever du même autel où re- pofe le feu facré ; & le même cœur qui vient de foupirer en fecret devant l'idole , préfenter publiquement au Dieu faint les îbupirs & les fupplications de toute l'alfem- hlée des Fidelles.
Saintes & pieufes ordonnances , où il pourvoit avec tant de foin à la pudeur des Minières de Jesus-Christ ; où il renou- velle les plus anciennes loix de l'Eglife fur l'âge des perfonnes d'un autre fexe dont ils peuvent recevoir des fecours ; de peur que les mêmes foins qu'on prend pour la vie de leur corps ne foient des foins meurtriers pour leurs âmes : vous êtes les fruits pré- cieux de l'amour qu'il eut pour cette vertu facerdotale.
Ah ! fî les Livres faints ne me défen- doient de révéler la honte de ceux qui montent à l'autel ^ je vous le repréfenterois. ici par la févérité falutaire des peines cano- niques 5 foudroyant les Minières fcanda-
Dz
7^ Oraison funèbre îeux 5 & mettant des vafes d'honneur à la place de ces vafes de honte & d'ignominie : là 5 par des remontrances paternelles , ten- dant la main à ceux que la feule infirmité de la chair avoit précipités dans l'abyme , & arrachant des larmes de douleur des mê- mes yeux à qui la paflion en avoit peut-être arraché mille fois de criminelles ; fouvent enfin découvrant par de pieux artifices de charité , la puanteur de ces fépulchres blan^ chis , dont les crimes ne repofent , ce fem.- ble 5 qu'à l'ombre de la vertu , & faifant répandre une odeur de vie à ceux qui n'a- voient répandu jufques-là qu'une odeur fu- ncde de m.ort.
Sages & zélés coopérateurs de fon Epif- copat , interrompez ici les louanges que je lui donne , fi elles font excefllves : -aiiais plutôt ajoutez , que l'amour qu'il eut pour cette vertu fut plus fort que la mort ; qu'il s'étendit jufqu'aux foins de fa fepulture ; que m.algré l'exemple du Sauveur , il ne voulut pas que les femmes de Jerufaiem xendilTent les dernier devoirs à fon corps ; Se qu'il fut jaloux de la pudeur dans un temps même où l'on ne peut plus en avoir le mérite. Acî. 20. Mais fuffit-il à un Evêque d'avoir été at- tentif à foi-même ? ne faut-il pas pour ac- complir toute juflice , qu'il ait encore veillé ilir le troupeau de Jesus-Christ ?
Or rapcllez , Meilleurs , le trille état où fetroiîvoit ce vafle Diocefe ; cette Egîife il vénérable qui va prendre fa fource juf-
18.
DE M. DE V ILLEROY, 77
ques dans les temps apoftoliqiies ; qui la première de nos Gaules , reçut de l'Orient \qs richeiles de l'Evangile ; qui vit arriver & recueillit avec allégreiTe les Pothins & les Irenées , ces hommes divins teints encore du fangdeJESUS-CHRlST fraîchement épan- ché , & qui avec la foi alloient répandre par-tout des efprits de fouffirance & de mart^'re : cette Eglife , qui formée par leurs travaux , fortifiée par leur do£lrine , mérita enfin d'être illuftrée de tout leur fang , & qui encore aujourd'hui , pour avoir été la première éclairée des lumières de la foi , en a les premiers honneurs dans le Royaume : rappeliez , dis-jc , le trlRe état où elle fe trouvoit , quand notre iilui^ tre Archevêque fut appelle à fa conduite.
Hélas ! tout l'éclat de cette fille de Sion Thon, étoit obfcurci ; fcs Prophètes ^ ou n'avoient plus de vifions , ou n'en avoient que de faufles ; fes folemnités & fes fabbats n'é- ibid, z, toient prefque plus que des difîblutions fu- ^* . . perftitieufes ; les pierres du San£tuaire fe .^ traînoient indignement dans les places pu- bliques ; la langue de ceux qui dévoient diflribuer le lait de la doctrine s'étoit at- tachée à leur palais ; l'or & l'argent étoiçnt prefque les feuls canaux par où l'eau des Sacremens couloit jufques à nous ; & Lyon , cette cité fainte , que la dignité de fon trône met à la tête de tant de Provinces , gémilToit dans une manière de trifte veu- vage , & étoit prefque devenue la tribu- taire de Garizin : Princeps Provinciarum l^id» u facla ejl fub tributo, ^*
. 6. Ibid. î.
14.
j% Oraison t u n ë è rè
Parlons fans figure. Le Prêtre admis fan» précaution aux fonctions du facerdoce , s'en acquittoit avec indignité : le Fidelle pendant fa vie , dans un oubli profond de nos mylleres & de la loi de Dieu , mouroit tranquillement fur la bonne foi de l'igno- rance & des déréglemens du Miniftre ; &: riiéréfîe , qui 5 comme l'armée des Affy- riens , n'attaque Jérufalem qu'à la faveur des ténèbres , profitoit de celles-ci pour renverfer fes murs , & venir lui enlever de vrais adorateurs jufques dans l'enceinte du San6l:uaire.
Depuis long-temps même cette Eglife n'avoit pas vu fes Pontifes aller , com.m.e des nuées faintes , répandre des rofées fa- lutaires fur les diverfes contrées de fa dé~ pendance : les Vieillards , qui jadis au fond de leurs campagnes avoient eu la confola- •tion de les voir , le racontoient à leurs ne- veux comme une aventure fînguliere ; & fi l'on veut me paiîer ce mot , l'apparition & la courfe annuelle de ces aftres faints y étoit devenue un phénomène prefque aufîî rare & aufli furprenant que les comètes. A Dieu ne plaifè cependant que je vienne ici flétrir leur mémoire pour honorer celle du Prélat que nous pleurons ! Je refpe£^e trop les cendres facrées de ces grands hom- mes : je fais qu'ils ont eu le malheur de vivre en des temps fâcheux ; que ces défor- dres étoient plutôt les vices de leur fîecle , que de leur perfonne ; 6c que s'ik n'ont pas mieux fait , c'eft qu'il n'étoit gueres alors permis de mieux faire»
DE M. DE ViLLEROr. J()
Telles étoient les ruines de la maifon du Seigneur , quand nous y vîmes entrer no- tre nouveau Pontife. Quels furent alors nos acclamations & nos tendres réjouif- fances ! Temple majeflueux , oii l'Oiiâion fainte fut répandue uir fon chef facré , vous vîtes pendant les joyeufes folemnités de cette augufte cérémonie , nos mains en foule levées au Ciel 5 porter le doux par- fum de nos prières ôc de notre reconnoiA fance , jufqu'aux pieds du trône de l'A- gneau ; le remercier d'avoir donné pour Évêque à cette Ville , celui que le Prince lui avoit déjà donné pour Gouverneur ; & le prier de faire revivre les jours & les bé- nédictions derEpifcopatd'Ambroife , puis- qu'il en faifoit revivre l'hifloire & prefque toutes les circonftances.
En cet endroit , Meffieurs , je me fens comme transporté dans ce premier âge de fon miniftere : j'y vois ce valle Diocefe , comme un cahos informe & ténébreux , fe développer peu-à-peu : chaque jour offre à mes yeux de nouveaux rpeâ:acles.
Ici s'élèvent fuccefîîvement des Maifons de retraite , des fources publiques de l'ei^ prit Eccléfîaftique , des Ecoles du Sacer- doce & d'Apoftolat 5 de pieux Séminaires fî nécefîaires alors & fî rares dans le Royau- me , où loin du commerce du fîecle , & fous les yeux des direâ:eurs graves & con- fommés , on fauve de bonne heure l'inno- cence des Clercs de îa contagion du mon- de j où Ton purifie des cœurs qui doivent
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So Oraison funèbre un jour offrir à Dieu les vœux des hommes & où dans les femences de dcélrine 8t de vérité qu'on jette dans une feule ame , on ' voit croître l'eipoir confolant de la con- quête de mille autres.
Là j par les foins d'un Miniftre favant & infatiguable , les Payeurs affem.blés confè- rent enfemble fur ce qui regarde le Royau- me du Ciel; fe ccm^miuniquent leurs doutes & leurs lumiieres ;puîfent dans les plus pu- res règles des mœurs 5 de quoi régler sûre- ment les confciences ; oppofent la loi de Dieu aux interprétations des hommes ; ap- prenent à fuir également , & ce zèle amer & intraitable , qui , fans nul égard , achevé de briferunrofeau déjà cafTé , & d éteindre une lamipe encore fumante ; & qui par les difficultés extrêm.es , dont il inveflit l'ob* fervance de la loi , fournit prefque aux pé- cheurs de noiivelles raifons peur la violer ; & cette molle complaifance , qui , en vou- lant applanir les voies du Seigneur , creufe des précipices aux Fidelle?.
Ici s'établiifent d'utiles Retraites , où les Pafteurs accourus de toutes parts , répa- rent dans le hlence 5 dans la prière , les difîipations inévitables dans leur miniftere. Là , fortis de ce nouveau Cénacle , j'en vois des troupes facrées qui vont faire dans nos champs des courfes Apoftoliques , & qui renouvellent les prodiges comme les tra- vaux des premiers Difciples. En cet en- droit , on jette les fondemens d'un édifice fa,cré 5 où les pauvres font évangélifés , où
DE M. DE V ILLEROY, 8r
les petits trouvent le pain qui nourrit î'ame, qu'ils avoient demandé jufques-là aufli inu- tilement que celui qui nourrit le corps. Dans un autre , de nouvelles Com.munautés de l'un & de l'autre fexe , attirent de nou- velles bénédiâiions.
Mais je ne m'apperçois pas que c'eft ici une hiiloire plutôt qu'un éloge. Vous re- préfenterai-je notre Pontife infatiguabîe , préfidant à tant de pieux établiffemens ? Tantôt il parcourt ce vafte Diocefe , & montre enfin un Evêque aux peuples de la campagne ; tantôt , de fon Palais Epifco- pal 5 il fait mouvoir les relTorts infinis qui pourvoient aux befoins fpirituels de cette grande ville : tantôt jaloux des droits vé- nérables de fon Siège j on le voit réfclu de ne point monter à une des premières di- gnités de l'Etat 5 plutôt que de dégrader fon Eglife du rang & de 1^ dignité de pre- mière Eglife de France.
Vous le repréfenterai-je . tantôt foute- nant les fatigues des plus nombreufes Or- dinations ? Hélas! nous le vîmes il y a peu de temps , malgré la caducité de fou âge & la vivacité des maux , recueillir ce qui lui reiloit de forces , pour donner encore à . l'Eglife des Miniftres , & lui laiiler , pour ainfi dire , des enfans de fa douleur ; tantôt enfin , à la tête d'une alTemblée de Prêtres prudens , félon l'avis du Sage , prendre avec eux de faintes micfures pour étendre le Royaume de Jesus-Christ ; demander leur avis avec bonté , l'écouter avec eftime*
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îl ÛRAlSOt^ FUIJÊBRE
le fuivre avec religion ; foutenir par fon autorité ce qu'on y délibère par fa fas^^efle. Oui 5 Meflieurs , Te/prit le plus élevé de fon fiecle , le plus vaile , le plus droit , le plus riche de fon fonds , ne peut fe raffurer fur fes propres lumières , & ne croit pas que dans un miniftere où les fautes iont irréparables , les précautions puiffent être exceÏÏives.
Sacrés Miniftres de Jesus-Christ , qui formiez cette fage & favante alTembîée , puifTe le Padeur que la Providence defline à la conduite de cette illuftre Eglife , avoir lâ même déférence pour vos falutaires avis î puifiént vos anciennes & faintes fa- tigues , vous en attirer de nouvelles !
Ah ' s'il ne falioit pas ici me renfermer dans les bornes d'un dif:ours ordinaire , je vous mettrois comme fous l'oeil ce que je n'ai montré qu'en éloignement : les Clercs attentifs à leur miniftcre , les peuples ins- truits par leur doélrine , fecourus par leur zèle , édifiés par leur exemple , tout ce grand Diocefe , où régnoient avec tant de licence ^les abus & les déréglemens de ces derniers fiecles , renouvelle & rapproché prefque de la difcipline des premiers temps.
Père des miféricordes & Dieu de toute confolation ! n'avons-nous pas après cela un juile fujetd'efpérer que vous n'exclurez pas du fellin éternel celui dont vous vous êtes fervi pour y faire entrer tant d'aveu- gles & tant de boiteux ? Ah ! il me femble que devant votre Tribunal redoutable, où
DE M. DE ViLLERar. Ëz
il attend la décifion de fon éternité : Il eft vrai 5 Seigneur 5 vous dit-il , peut-être ne trouverez-vous pas mes œuvres pleines. Cendre & poufliere , je n'entreprends pas de me juftifier à vos yeux. Vous êtes un Dieu jaloux , & peut-être que les follicî- tudes du fiecle ont un peu trop partagé mon cœur enye la créature & vous. Vous m'aviez donne un rang d'homieur dans le repos du Sanâiuaire , oC peut-être y avois- je introduit un refte de tumulte & d'amu- fement encore un peu féculier : mais jettes les yeux fur cette vafte Eglife que je laifTe fi affligée de ma perte. Non ^ je confcns de n'avoir auprès de vous que ce mérite pp ^j» feul. : Apud te laus mea in Ecclcjïâ magna, 26* Je vous offre les fueurs & les peines de tant de Minières que j'ai formés ; les iiip- plications encore toutes ferventes ; les pré- cieufes larmes de componction , de tant de pécheurs à qui ils font tous les jours goûter le don célefle & les vertus du fiecle à venir; les fcandales & les profanations de tant de difpenfateurs inlîdelles que j'ai corrigés : la piété de tant de Chrétiens que leur exem- ple auroit entraînés dans l'abyme. Je pré- fente au trône de votre miséricorde , les fruits précieux de tant d'établiflemens de piété que j'ai procurés ; les pieux exercices de tant de maifons faintes que j'ai confa- crées ; &: fur-tout les vœux & l'affliélion des filles du Carmel , où mon corps attend la glorieufe immortalité. Ah î quand l'o^ deur de ieurfacrifice montera jufqu'àvous y
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S4 Oraison fu n e bre fouvenez-vous , Seigneur , que j'en ai al- lumé moi-même les premiers feux & pré- paré prefque tout Tappareil.
Mais oubliai-je , Meilleurs , qu'il a rafla- fié la faim , étanché la foif , couvert la nu- dité des m^embres de Jesus-Christ? quel plus juile fujet de confiance ! Faut-il que je fois réduit à pafTer fî rapidemient fur un des plus beaux endroits de fa vie ? Publiez- le donc à loifîr , vous dont il foulagea l'indigence ; & cette mêmiC voix dont fi fouvent vous vous êtes fervis pour lui ex- pofer vos befoins , fervez-vous-en défor- mais pour raconter fes large/Tes.
A combien de familles de Gentilshom- mes prefque chancelantes , n'a-t-il pas ten- du des mains charitables ? com^bien déjeu- nes perfonnes de l'autre fexe doivent à fes foins leur éducation , leur établiflement , & peut-être leur innocence ? Ces familles infortunées , qui font comme les afyles fe- crets de l'indigence & de la mifere ; com- bien de fois l'ont-elles été de fes dons & de fes richelîes ? La pauvreté honteufe fut-elle jamiais fî ingénieufe à fe cacher , que fa charité à la découvrir ? la pauvreté publi- que fut-elle jam.ais fi emprelTée à fe pro- duire , qu'il le fut lui-m.ême à la prévenir ? Enfin le revenu de fon Archevêché n'étoit-iî pas devenu le revenu anunel d^s pauvres de fon Diocefe ? & ne crut-il pas qu'il falloit cacherhonorabiement dans leur fcïn* com- me dans un f^^nftuaire v'rant , les tréfors facrés qu'il retiroit du Sandluaire même ?
DE M» DE V ILLFROr. 2$
Tel fut le grand homme & le charitable Prélat à qui vous rendez aujourd'hui ces triftes & pompeux devoirs , illuilres & affligés Citoyens ! Les leçons que fournit une longue vieilleiTe fur la vanité des gran- deurs humaines ; ces fréquentes atteintes de mort qui ne Fapprochoient , ce fembîe, des portes du tombeau , que pour lui faire voir de plus près la fragilité d'un monde qui nous enchante ; une attention plus fé- rieufe à la loi de Dieu , dont il fe faifoit lire tous les jours les vérités les plus tou- chantes & les plus eilentielles ; fa foi & fa religion , qui fe fortifloient par rafToiblilîe^ ment defon corps terreftre , préparèrent fa grande am.e à voir enfin approcher fans crainte le jour liu Seigneur. Il le vit , & il renferma toutes fes frayeurs dans le fein de la miféricorde divine ; & autant éloigné de cette fauffe fé eu rite dont le fîecle fe fait honneur , que de ces foibles inquiétudes qui deshonorent la foi ; allarmé à la vue de fon Juge 5 raffuré par la préfcnce de fou Sauveur , tout couvert du fang de l'Agneau que TEgiife venoit de lui appliquer par {es facremicns , accom.pagné des larmes de la Ville & de la Province , des foupirs & des gémifTemens des pauvres , de l'élévation des mains de rant de Minières , honoré des regrets finceres de fon Prince . il alla fe préfenter avec confiance devant le tribmiai de Jesus-Christ , & laiffa dans une feule, mort 5 un fujet commun de deuil & de trif- teffe ;^ comme le dit faint Ambroife à Toc»
Î6 Oraison funèbre ' S. Am- c^Cion de fon frère: Privatumfunus ^fed br. orau H^tus vublicis univcrfomm fletibus elï con-
fun . in-'^ ^ j J j
ob» fra- J^cratus.
tris. N'attendez pas que je recueille îbi ce qui
me refle de force pour exciter votre foi ; & qu'à l'afpeâ: même de la mort & de fes dé- pouilles , je vous faffe fouvenir de la trifte néceiUté de mourir ; n'attendez pas que fous un tombeau où fe trouve enfeveli tout ce que la gloire a de plus éclatant , ce que les dignités ont de plus pompeux , ce que le mérite a de plus folide ^ ce que la faveur a de plus éblouiflant , ce que la naiffatice & les biens ont de plus flatteur , je vienne vous avertir que la gloire n'eft qu'u;i nom ; les dignités des dili:in£lions vaines ; la fa- veur un vrai amufement ; la réputation un fon qui bat l'air & qui palTe ; la nailfance un fantôme que lesIiomm.es font convenue de refpecxer ; en un mot , que tout ce que nous voyons pafTera ^ & que les feules beautés invifibles ne pafieront point. Ah ! i'aime mieux laifTer à un fpecLacle fi InC- trudHf & fi touchant, le foin de vous défa- bufer lui-miêm.e , & ne point affoiblir par des réflexions la force fecrette qu'ont fiir les cœurs ces fom^bres & religieufes céré-» monies.
Montez donc à l'autel , faint Miniftre de Jesus-Christ ; achevez d'arrofer ces chè- res cendres du fang de l'Agneau ; m.arquez- en ce tombeau facré , afin que l'Ange ex- terminateur n'y touche point au jour terri- ble des vengeances. Ah ! puifTe cet Agneau
DE M, DE V ÎLLEROY. %J falnt , cette viélime adorable que vous al- lez offrir 5 être pour cet illullre Défunt , comme autrefois pour les enfans d'Ifraël , un paffage heureux des ténèbres de l'E- gypte 5 de ces lieux obfcurs où achèvent de fe purifier les âmes des Fidelles , à la terre dits yivans & au féjour de l'immor- talité.
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ORAISON
FUNEBRE
DE FRANÇOIS- LOUIS DE BOURBON ,
PRINCE DE CONTI.
Habebo claritatem ad tiirbas , & hoiio- rem apiid fciiiôres , juvenis. Acutus inveiiiar in judicio , in coiifpectu poteiitiinn admira- bilis ero , & habebo iminortalitatem.
Je me rendrai illuftre j) ar miles -peuples ^ & je me ferai refpecîer des fages & des vieillards j même dès majeunejje. Les Prêtres 6' les Fuif- fans admireront retendue de mes lumières & la pénétration de mon jugement , & je jouirai de rimmortalité, Sap. 8. lo. ii. 13.
p
MONSEIGNEUR,
U I s Q u E rEfprit de Dieu , fource de toute vérité , loue lui-même dans un Prince de Juda , ces talens rares & éclatans , qui forment Iqs grands hommes . pourquoi
vien-
Oraasonfuneere^&c, 89 viendrois-je ici , Mefîîeurs , vous tenir un autre langage ?
Pourquoi , pouffant trop loin , ou le de- voir de mon miniRere , ou le néant de tou- tes le grandeurs humaines , que cette cé- rémonie funèbre nous met devant les yeux^ emprunterois-je le langage de la piété , pour vous dire que la gloire de armes ell un vain bruit ; que les vertus civiles , qui font toute la douceur £^ toute 1" harmonie de la fociété 5 ne font que des noms ; que les vaftes connoiFances & l'élévation du gé- nie , font de fauifes lueurs qui n'ont rien de plus réel que la méprife qui les admire ; & qu'enfin les plus grands hommes ne font que néant.
Laiffons aux dons de l'Auteur de la na- ture tout leur prix & tout leur ufage : ref- pe6lons ces grands fpedlacles , dont fapuif- îance décore de temps en tem.ps l'univers , en y inontrant des hommes extraordinaires ; & ne confondons pas l'abus que l'orgueil fait toujours des dons de Dieu , avec la gloire attachée à l'ufage légitime que l'homme en devroit faire.
Il efl vrai que la gloire des pécheurs neÛ J^' ^^' qu'un ver , qui en brillant au dehors , les ronge & les dévore en fecret par l'injullice de leurs defirs , & fait de leur grandeur irièrCiQ leur fupplice.
Mais les pécheurs ne font pas l'ouvrage de Dieu : ce qu'ils ont de grand vient de lui : il met en eux ces dons éminens , pour le bonheur des peuples , pour la sûreté
po Oraison fu n e b r r des Etats , pour la defenfe des autels , pour l'honneur de l'humanité , & pour les rap- pelier eux-mêmes par ces traits d'éléva- tion , dont il les avoit ennoblis , de la baf^ {effs des chofes préfentes , à la grandeur des éternelles.
Coupables dès qu'ils font fervir les dons de Dieu à l'injuilice , & qu'ils trouvent dans ces reffources de falut , les plus iné- vitables occalîons de leur perte.
Ainlî , Meiïieurs , fi le Trés-HAUT,
TRES - PUISSANT , . TRES - EXCELLENT
Prince , François — Louis de Bour- bon , Prince de Conty , que toute la France pleure j que les Etrangers re- | greîtent , que nos Ennemis mêmes , ou- bliant les pertes qu'ils durent autrefois à fa valeur , honorent de leur douleur & de leurs éloges : 11 ce Prince n'avoit été qu'un grand homme félon le monde , & qu'il fut mort plein de gloire devant les hommes y mais vuide de foi & de charité devant Dieu , hélas ! que viendrai-je faire ici ? & quelle part la Religion pouroit-elle avoir à fon Eloge ?
Mais grâces à vos miferîcordes éternel* les 5 ô mon Dieu ! vous avez vu fes voies , /• 47. yQyg Pavez rappelle lorfqu'il étoit éloigné. Sa valeur au milieu des périls n'a plus été qu'une force chrétienne dans fes infirmités» Ce fonds de raifon , de m.odération 5 de bonté 5 de vérité , d'équité , de tout ce qui peut faire d'un homme les délices des au- tres hommes , a fourni à votre grâce les ;^
DE M» LE Prince de Contf. 91 préparations de tout ce qui devoit le ren- dre agréable à vos yeux. Ses lumières qui lui avoient toujours montré de loin le falut & la vérité , l'en ont enfin rapproché ; & vous avez fait fuccéder les confolatious aux ^^i<^» larmes de ceux qui le pleurent.
Confacrons donc y fans fcrupule , à l'hon- neur de la Religion , un Eloge où la Reli- gion paroîtra toujours honorée ; & qu'une voix dévouée à la vérité ne fe refufe point à des louanges qui ne feront que le triom- phe de la vérité même*
Heureux , MefTieurs ; non , fi cet Eloge remplit votre attente & toute la dignité de mon fujet ; eh ! qu'importe à la gloire de ce Prince , qu'un foible difcours qui ne pafi'era point à la pofi:érité , foit au-defix)us de fes grandes qualités ? Qui de vous ne les porte gravées dans fon cœur ? Vous les raconterez à ceux qui vous fuccéderont : nos hifiioires & celles de nos voifins , mais plus encore l'amour des peuples en confer- vera le fouvenir aux âges les plus reculés ; & fa mémoire toute feule fera toujours fon Eloge.
Mais heureux d'avoir à parler ici devant un Prince augufte , qui fait revivre avec le nom , l'efprit & la valeur du grand Condé ; que l'amitié , encore plus que le Sang , îioit au Prince que nous louons ; & qui par fa douleur toute feule , va juftifier nos louan- ges.
Heureux encore fi ces pieux devoirs que nous lui rendons font pour vous une inf*
92. ORAlSOh^ FUNEBRE
truâion , & non pas un fimple fpeéiacîe. Vous l'avez admiré comme un des pre- miers hommes de fou (lecle pour la guerre; Habcho clariîatcm ad turbas ; comme un des plus accomplis dans la vie civile : Ji,t honorcm apiid Jeniores j juvenis : com^me uif des plus éclairés par la fînguîarité des connoiiîances , & la fupériorité des lumiè- res : Acutus inveniar in judicio : comme un Héros , comme un Sage , comme un elprit fupérieur & univerfel, RafTemblons tous ces caraâ:eres , de valeur , de fagefîe , de lumière ; & cherchons à la douleur de fa perte , une confolaîion dans le récit des ' merveilles de fa vie , & dans le fouvcnir des miféricordes du Seigneur au lit de fa mort.
I. \^ U un Prince du fang de nos Rois ait PARTIE çu cle la valeur , c'eil un privilège de la naifTance , plutôt qu'un mérite dont on doive faire honneur à la vertu.
Le courage & l'intrépidité font parmi eux des biens héréditaires , ainfî que les' fceptres & les couronnes ; & comime on ne les loue pas d'être nés Princes , on ne doit pas les louer d'être nés vaillans.
Oui , MefTieurs , que le Prince de CoNTY n'eût rien ici déplus perfonnel, que de n'avoir pas dégénéré du courage de £es auguftes ancêtres , leur hiiloire toute feule auroit em.beili fon Eloge , & il eût * fallu chercher dans la gloire de fon Sang , le plus noble de l'univers , les diftinâ:ions qui auroient manqué à fa perfoiine.
DE M, LE PrIKCE de CoNTV. 9:5
Mais plus grand encore par l'élévation de fon ame y que par celle de fa naiïïance j quel puifTant génie pour la guerre fa pre- mière jeuneffe même ne montra-t-elle pas en lui !
Quel goût pour tout ce que cet art a de plus pénible , dans un âge qui n'a de goût qiae pour le plaifir ! quelle intrépidité dans les périls ! mais quelles vues ! quelles ref- fources ! quelle fupériorité dans fon intré- pidité & dans fon courage !
Né avec toutes les grâces que la nature partage aux antres hommes , la vivacité de l'efprit , la douceur des manières , les charmes de la converfation , les agrémens de la perfonne , les prééminences du rang; il entra dans le monde avec tout ce qu'il faut pour y plaire & pour y périr.
Dieu , qui fembloit lui ouvrir toutes les voies des paillons 5 lui fermoit en même tcmjps celles des fecours & des remèdes.
Le Prince fon père , dont la pénitence édifiait l'Egiife , &. honoroit la Religion , une mort prématurée le lui ravit avant prefque qu'il put le connoître ; &,s'il ne perdit pas avec lui des infiruâ:ions , qu'il a pu retrouver dans fes ouvrages , les mo- iiumens éternels de fes lumières & de fa piété , il perdit du moins des exemples qui ailurent le fuccès des inflruâ:ions.
G profondes difuoiîtions de votre provi- dence , ô mon Dieu ! peu d'années s'écou- lent , & meurt encore la pieufe Princeife qui l'enfantoit tous les jours à Jésus-
94 O R A I s 0 }^ FUNEBRE
Chrit. Dieu qui couronne fes vertus ^ ne paroît pas exaucer fes defirs. Mais laifTons croître les deux Princes fes enfans : les mo^ mens de la grâce viendront ; le deffein de Dieu s'accomplira ; les larmes d'une Mère fainte ne couleront pas en vain , & la race des Julles ne périra pas.
Les grands talens qui diUinguent les hom- mes dans leur état fe manifeftent d'abord par le goût qui les y porte. David encore enfant cherchoit parmi les lions & les ours 5 une matière à fa valeur , & fe déro- boit volontiers au repos de la vie champê- tre 5 pour aller s'inftruire auprès de {qs frè- res , au milieu des armées d'Ifraël.
Le goût du Prince de Conty pour la guerre , fut le premier penchant que la na- ture montra en lui ; & ce n'étoit pas ce goût qui dans les autres eft d'ordinaire une ardeur de l'âge , plus qu'une preuve du
talent.
Guidé par la force de fon génie , il fe fit d'abord de l'art militaire une étude , & non pas un amufement ; il comprit tout ce qu'il falloit d'étendue , d'élévation , de fang froid , de vivacité , de profondeur , de rei- fources , de connoiffances pour y exceller ; &: cnit qu'un Prince ne devoit compter pour rien de combattre , s'il ne fe rendoit digne de commander.
A la ieéi'ure des Anciens , & fur-tout des Commentaires de Céfar , dont il traduiiit les plus beaux endroits , il ajouta la recher- che èi la converfation des hommes les plus
DE M. LE Prince de CojsTY, 95 confommés dans la fcience de la guerre. Il les écoute , il les étudie ; il en fait les amis , pour être plus à portée d'en faire £qs maî- tres ; il fe rend propres les talens difFérens qui les diflinguent entr'eux ; perfuadé que fi la naifTance peut donner les grandes dif^ pofîtions 5 c'eft l'application toute feule qui fait les grands hommes.
A la fleur de l'âge , né pour plaire , l'ob- jet des regards & des fouhaits de toute la Cour , au milieu de tout ce frivole 5 il a des vues vafles & férieufes : il penfe déjà qu'un Prince n'eit aimable qu'autant qu'il eft grand j & que les traits qui le rendront immortel , doivent être plus gravés dans la beauté de Tes actions , que dans les charmes de fa perfonne.
Vous commenciez dès-lors , ô mon Dieu ! l'ouvrage de vos miféricordes ; & en lui formant ce caractère fage & folide , vous le prépariez à fe défabufer enfin de ce qui n'eft que folie & vanité.
La France jouifToit alors d'une paix, que nos viâioires & la modération du Roi , ve- noient de donner prefque à toute l'Europe. La feule Hongrie étoit encore le théâtre de la guerre. Les Turcs , fiers de leurs con- quêtes pallées 5 manaçoient le nom Chré- tien. Le Prince fon frère y vole. Sur des pas fi chers , marche celui que nous pleu- rons : fes réflexions cèdent à fa tendreife ; la complaifance i'}^ mené , & la gloire l'y attend.
Un charme fecret attaché à fa perfonns
9^ Oraison funèbre
lui gagne d'abord tous les cœurs. Dans un pays fi oppofé à nos mœurs 5 fi ennemi du nom François ; au milieu de la rudeiTe Germanique , il trouve les mêmes applau- dilTemens qu'à Verfailles ; ck fes charmes tout feuls vainquent déjà la fierté d'une na- tion 5 fur laquelle fa valeur doit remporter un jour bien d'autres viâioires.
Oublions pour un moment tout ce qu'il fait de glorieux durant cette Campagne : voyons-le attaché au Prince Charles de Lorraine , Général des troupes de l'Em- pire; ce grand homme dont la France , équitable même envers fes ennemis 5 ref- pe£i:era toujours la mémoire.
Quel goût dans ce célèbre Général pour notre jeune Héros ! quelle furprife de lui trouver à fon âge ce que les années ne don- nent pas aux hommes ordinaires ! quelle joie même de voir couler li glorieufement en lui le Sang de France ! ce Sang qu'il aima toujours , quoique les m.alheurs & les enchaînemens de fa vie lui euiient for- mé d'autres deflinées.
A fes pas s'attache le Prince de C O N T Y. A l'a^lion , dans les confeils , dans les entreprifes , dans les fentimens du cœur 5 dans le cours ordinaire de la vie , il ne perd pas de vue ce grand modèle ; Se l'ufage qu'il fait de fon féjour pan^ni nos ennemis , c'efl: de s'inîiruire dans l'art de vaincre. Nouveau Moifs , il n'étudie en Egypte les fecrets de la f:ience des Egyp- tiens 5 que pour devenir bientôt après en
les
DE M, LE Prince de CoNvr. çf les quittant , un des conduâieurs du peu-f pie qui doit brifer kur orgueil , & humilier* leur Empire.
Mais il étoit réfervé à une main encore plus habile , d'achever ce grand ouvrage. De retour de Hongrie , le Prince de C O N T Y va eiTiiyer à Chantilli les larmes qu'il venoit de répandre fur le tombeau du Prince fon frère.
Là , dans un glorieux loiflr , le grand Condé jouilfoit du fruit de fa réputation 8c de fes viâroires ; & ayant jufques-là vécu pour la poflérité , il vivoit eniîn pour lui- même. ^
Le Prince de Conty étoit là à la fource des bons confeils & des grands exemples. Il ne lui falloit que Fhiiloire du Héros .qu'il a devant les yeux. Que d'inf- tances cendres &' refpeèlueufes ! que d'ai- mables artifices , pour la tirer de fa propre bouche ! Mais la véritable gloire efl tou- jours fimpie & modefte ; &: Condé ne peut fe réfoudre à raconter fes aélions , parce- qu'il fent bien que c'eft raconter fes louanges.
Quel nouveau genre de combat , Mef- fîeurs ! La vieilleffe toujours prête à conter fes exploits paffés , fe refufe ici à des inf- truâiions domelliqucs & nécefîaires ; & le premier âge ^ qui ne fe prête jamais qu'à re- gret au férieux des leçons & des préceptes , y court ici comme aux plaifirs^ & les folli- cite comme des grâces. C'eftace les grande hommes le font dans tous les âges. Oraifon funcbrc, £
9? Oraison funèbre
Enfin fa tendrelTe pour ce cher Neveu adoucit la févérité de Ta modeflie. Condé manifefle fon ame toute entière : il ouvre à ce jeune Prince les tréfors de fagefTe , de précaution , de prévoyance , d'aftivité , de hardielTe , de retenue , qui l'avoient rendu le premier de tous les hommes dans l'art de combattre & de vaincre. Vrai & fîmple j il mêle au récit de fes glorieufes a£^ions l'aveu de fes fautes , & montre dans le cours de fa vie , de grandes règles à fuivre , & de grands écueils à éviter.
Quels jour| heureux pour le Prince DE CoNTY ! fes yeux , {es oreilles , fon ame toute entière peut à peine fuffire à tout ce qu'il voit & à tout ce qu'il entend. A peine forti de ces doux entretiens , il court rédiger par écrit les merveilles qu'il a ouies , & fe remplir en les écrivant , du génie qui les a produites.
Quel hiftorten digne du grand Condé , fî ces mémoires que nous -avons encore écrits de fa propre main avec tant de no- blefTe âc de précifion , étoient enfin mis au jour ! rien ne manqueroit plus à la gloire dé ce grand homme.
Un è beau naturel & de fi grandes efpé- rances dans ce Neveu fi chéri , tiroient des yeux du Prince de Condé , des larmes de joie , d'admiration & de tendrefîe : il fe voyoit revivre en lui : il y retrouvoit toutes fes rares qualités ( ofons-le dire après lui ) fans y retrouver fes défauts. La nature même avoit tracé jufques dans la relfem-
DE M. LE Prince de CoNTr. 99 Llance de leur vifage , celle de leur amc. Il achevé , il embellit en le formant , fa propre image ; & comme ce premier chef du peuple de Dieu , il meurt content , en fe voyant remplacé par cet autre Jofaé , à qui il laifTe fon efprit , fcs maximes , Tes préceptes , & une partie de fa gloire. Et Uumi7 ■aabis ci prœcepta cunciis vldentibus , & zo» partcm glprlœ tuœ.
Mais que les confeils du Seigneur font éloignés de nos penfées ! Il préparoit une gloire plus durable au Prînce de Conty : il vouioit le fanâ:ifîer par de longues infir- mités , & nous montrer feulement fes ta- lens éclatans & fa valeur héroïque.
Oui , Mefîîeurs , les leçons du Prince de Condé , aidées d'un naturel fi rare, que pouvoient-elles former que la valeur même ? C'efl-à-dire , une valeur noble dans les fentimens , tranquille dans les périls , sûre dans les confeils , fupérieure dans les vues & dans les relTources. Remarquez tous ces caraâ:eres.
* Avec quelle dignité avoit-il déjà fou- tenu en Allemagne le rang dû à fa naif- fance ! & parmi cette foule de Souverains fi jaloux de leurs droits , quel refpeâ: n'a voit- il pas fait rendre aux Princes du fang de France , qui ne fouffrent au-deillis d'eux ■que les couronnes ?
Ailleurs la circonfi:ance n'auroit peut- être rien de remarquable. Mais à peine forti de l'enfance , loin de fa patrie , ac- compagné de fa feule dignité , au milieu
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100 Or Aï s 0-^ FUNEBRE
criine nation fîere & jaloiife , entre les mains de ceux fur qui il prétend les pré- féances , ne pas fouffrir même que l'on contelle fon droit ! L'expreflion du Pro- phète paroîî préparée pour mon fujet. C'eft penfer en Prince , en un âge où les autres hommes ne penfent pas , & mériter par la grandeur des fentimens , le prééminences -P/. J2» déjà dues à la naiiîance. Princeps ea quœ cligna fiint principe , cogitabit , o* ipje fiipcr Duces Jîabit,
La même grandeur d'ame l'accompa- gnoit dans les périls. Et ici , Meflieurs , que pourrois-je dire qui ne foit au-delîbus de ce que vous avez vu la plupart ? S'eft-il trouvé dans une feule aàtion où il ne fe foit attiré les yeux de toute Tarmée ; & où , fans avoir eu l'honneur du commandem.ent , il n'ait eu prefque lui feul l'honneur de la viéloire?
Rappeliez fes premières Campagnes ; on croyoit revoir le grand Condé dans fa vive & vaillante jeuneilb. .
A Courtray , où pour la première fc% il montra un nouveau Héros aux ennemis ^ à nos troupes.
A Luxembourg , où à la tête des Gre- nadiers 5 il monte à l'alTaut d'un Baftion l'épée à la main , & où bleffé d'un éclat de grenade , & échappé à m.ille autres coups , il fait craindre que la viâ:oire ne nous coûte une vie fi chère.
A Novigrade , où une efcarmouche en- gagée trop témérairement avec les Turcs ,
DE M, LE Prince de Coî^tv, ioi change de face à Tarrivée du Prince qui y vole ; & plufîeurs Officiers d'un grand nom 5 doivent à fa valeur & aux périls qu'il court en cette occafîon , la vie & la liberté , qu'une audace indifcrette leur avoit fait mériter de perdre.^
A Nenhaufel , où après avoir repouffé les Infidelles jufques fur le bord du fofîé , revenu tout couvert de poufliere & de gloire 5 il court encore avec l'Eledleur de Bavière , rétablir un ouvrage où les aflié- gés avoient mis le feu ; & par l'amitié que l'âge & les grandes qualités forment entre eux , il fait naître dès-lors dans le cœur de ce Prince ces premières difpofitions d'atta- chement pour la France , qui ont depuis paru ; & où ^ fî cet Allié généreux & ii- delle n'a pas eu pour lui les fuccès , il a eu du moins l'honneur de la conilance , de la bonne foi 5 l'eftime de la Nation , Tamour des troupes , & l'aiTeâion du Roi 5 qui toute feule vaut des fuccès , ou qui raffure du. moins contre les pertes.
Enfin à Gran , où à la tête du premier Régiment de l'Empire , il arrête la pre- mière fureur du Turc y le pouffe , le ren- verfe , lui arrache la victoire qu'il croyoit déjà tenir , affronte mille fois la mort qui paroît le refpeâ:er plus qu'il ne paroît la craindre ; porte par-tout la terreur du Sang de France toujows fatal aux Infidelles; fait déjà redouter aux Allemands , dans le bras qui les défend , celui qui va bientôt les vaincre ; & montre de loin aux vœux , des
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3'
102 Oraison funèbre Polcnois, témcins & admirateurs de Ces allions , le Héros digne d'être un jour placé fur leur Trône.
A ces traits , le reconnoifTez-vous y Mef- fiQUTs ? ce ne font pourtant encore que les premiers eiîais de fon courage. Ce nou- veau David croifîant va paroître de jour ^ en jour an defTus de fa valeur même : Da- ' vidprojïcijcens y & femper Je ipfo robuftior. Vous ne l'avez pas oublié , Meilleurs , & le fouvenir de ces deux mémiorables journées , où le Prince de Conty parut û grand , ell encore trop récent ; & trop glorieux à la France , à la mém.oire du Maicclial de Luxembourg , à l'iiiftoire de ce régne ; trop honorable fur-tout au vail- lant Prince qui nous honore ici de fa pré- fence , & qui en a partagé avec tant de dif- tin6i:icn la gloire & les dangers ; trop rap- proché miême tous les jours , par la diffé- rence des évcnemens , pour être effacé de *votre efprit , puifqull ne le fera j,amais de nos annales.
Que n'ai-je plus d'ufage dans Tart de d'écrire des vicftoires & des batailles ! ou plutôt 5 pourquoi ce Temple & ces autels m'av«rtiffent-ils que mon miniflere ne doit mettre ici dans ma bouche que des paroles de paix & de réconciliation ?
Vous l'auriez vu à Steinquerque rappel- lant la viâ:oire qui d'aboTd nous échappe ; rétablifTant par-tout ce que la première lùr- prife nous a déjà fait perdre d'avantages ; prenant lui-même des mains d'un de nos.
DE M. LE PrIIJCE DE CoNTF. 10^ Officiers blefTés , le drapeau qu'il eft hors d'état de porter ; raflemblant autour de lui ceux que fa préfence rafîure , ou que le danger de fa perfonne attire ; les exhortant, comme un autre Maccabée , de ne pas flétrir par une fuite honteufe , la gloire du nom François jufques-là accoutumé à vain- cre 5 & de mourir plutôt que de devoir la vie à une lâche retraite : courant porter au milieu des ennemis avec l'étendard de la France , le fignal de la viâ:oire ; au centre , à la droite , à la gauche , il efl par-tout où la viâioire eft encore douteufe , & la vivS^oire fe déclare dès qu'il paroît : éclai- rant le Maréchal de Luxembourg même , par la jufteile defes confciis & parla péné- tration de fes vues ; enfin l'ame de ce grand Général dans cette fameufe journée j com- me ce Général le fut lui-même de toute l'armée»
Tel Se encore plus grand paroît-il peu de temps après à Nervinde. L'ennemi re- tranché dans fon camp , comme dans un fort 5 mille foudres qui portent la mort par-tout , en défendent l'approche : nos troupes déjà plufieurs fois repoulTées , le foidat découragé , le Général accoutumé à une victoire prompte , étonnné de la voir balancer fi long-temps aujourd'hui , court au Prince de Ëonty : Grand Prince , lui dit-il 5 tout va manquer , & il n'y a que votre préfence qui puijje faire tomber les difficultés. CoNTY paroît ; avec lui la con- fiance revient aux troupes j la valeur de la
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104 Oraison f u k e brk nation reprend le de/Tus , ou le fuit , rien ne réfifte ; les retranchemens font forcés en plufîeurs endroits ; ils ouvrent à CoNTY autant de voies à la vicStoire ; il charge jufqu'à iîx fois à la tête de fix Corps diffé- rens. L'ennemi qui n'a plus de rempart que fa propre valeur, s'ébranle. Tout cou- vert de fang & de feu , CONTY perce dans leurs rangs. La victoire qu'il tient déjà , un coup de fabre qu'il reçoit fur la tête eft fur le point de la lui ravir ; & le téméî^ire qui porte le coup , ed puni à l'inllant de fon audace , & percé de la main du Prince , il expire à fes pieds. Enfin foldat , Général , à mefure que lebefoin du fervice le demande , iQS confeik commencent la vicioire , & fa valeur l'achevé.
Je dis fes confeils , Mefîieurs ; & le Ma^ réchal de Luxembourg n'en trouvoit pas de plus julles & de plus folides : le Prince DE CoNTY étoit fbn oracle.
Ce grand Général en qui la nature avoit formé un fi beau génie pour la guerre , fi pénétrant dans {es vues , fi prompt à pren- dre fon parti , fi fécond en refiources , fi heureux dans fes entreprifes & qui avoit ajouté à la gloire des Montmorency fes ancêtres , le bonheur qui fembloit avoir m^.nqué à la plupart d'entr'eux ; ce grand iiomme difoit tous les jours que le Prince DE CoNTY lui apprenoit fon métier. S'of- froit-il des difficultés ? c'étoit avec le Prince qu'il cherchoit des expédiens. Formoit-il des projets ? c'étoit le Prince , ou qui le
DE M. LE Prince de CoNTr, 105 rafîuroit dans Tes vues , ou qui lui facilitoit Texécution. Entreprenoit-il ? c'étoit fur le Prince qu'il fe repofoit du fuccès. Enfin le génie du pRiNCE DE CoNTY étoit comme le guide du génie de ce fameux Général ; & l'ayant fous fes ordres , il fe foum.ettoit, pour ainfi dire 5 lui même à fes confeils.
Et de-là 5 combien de fois lui avoit-on oui dire , quil devoit au PrIxVCE de CoNTY le principal honneur de fes vic- toires. Par cet aveu il honoroit le Prince , & il ne s'ôtoit pas à lui-même un honneur que fes grandes aébions lui avoient acquis ; èc que fa modeflie lui aifuroit.
En dis-je trop , Meilleurs ? ou plutôt dis-je tout ? Et que de traits chacun de vous n'ajoute-t-il pas à fon Eloge ?
Quel homme jufqu'à lui , n'ayant pu montrer , pour ainfi dire , que àes efpé- rances , a jamais eu à la guerre ce haut degré de réputation , qu'une longue faite de commandemens & de viéloires avoient enfin acquis aux Coudés & aux Turennes , s'eil jamais affuré à ce point la confiance des troupes , le dévouem.ent des Officiers , rafFeâ:ion des peuples , les fuffrages de la Cour , le reipeâ: des Princes , qui fem- bloient oublier leur rang pour déférer à fon m.érite ; l'admiration des plus grands Capitaines de fon fiecle , l'eilime de nos ennemis , les applaudiilemens de toute l'Europe , où fon nom étoit au/fi célèbre que parmi nous ? Quelle fupériorité de mérite , pour forcer l'approbation pubii-
Es
L_.
ic6 Oraison funèbre f{ue , de donner à des efpérances feules , ces louanges unanimes qu'elle ne donne pas toujours aux fuccès !
AufTi 5 Meilleurs 5 ces efpérances étoient fondées fur la fupériorité de fes talens : la fagefie 5 la grandeur des vues , l'éminence des lumières. Ce fameux Romain lui mê- me , dont \qs Commentaires ont immor- talifé les exploits & la capacité , n'écrivoit pas mieux fur la guerre. Quelle élévation ! quelle netteté ! quelle intelligence dans ces mémoires qu'on a trouvé après fa mort y les fruits de fon loifîr & d'une fanté infir- me 5 & où ce grand Prince fe délaffoit fouvent à mettre par écrit fes vues fur les événemens qui fe paiToient tous les jours en Europe.
Et dans ces révolutions où le bonheur a paru fe déclarer quelquefois contre la juf- tice de nos armes ; & où par les confeils impénétrables de vos jugemens , ô mon Dieu ! la viâ:oire jufques-là attachée à la fageffe & aux grandes deftinées du Roi , a femblé fe refufer même à fa piété : dans ces révolutions, où Tambour du Prince de CoNTY , pour le Roi & pour l'Etat , mon- troit en lui une douleur fi noble & fi fin- €ere , vous lui faifiez entrevoir de loin 5 ô mon Dieu ! la fragilité des chofes humai- nes : vous ménagiez à fa raifon des réfle- xions qui dévoient être un jour mûries par la grâce ;^ vous lui rapprochiez ce moment qui finira toutes les viciiTitudes ; qui égalera tous les hommes ; où nos œuvres feront
VE M. LE PRmCE DE CoKTr. 10/ plus comptées que nos fucces ; où les évé- iiemens les plus glorieux , rappelles à leurs motifs , ne feront plus que de fauffes ver- tus 5 ou de grand crimes ; où l'on ne met- tra au nombre de nos victoires , que celles que nous aurons remportées fur nous- mêmes.
Tel étoit le Prince de Conty : un des- premiers hommes de fon fiecle pour la guerre : Habebo daritatcm ad tiirbas : vous i'allez voir comme un des plus accomplis dans la vie civile : Et honorem apud fenio- res juvenis. Vous avez admiré en lui le Héros 5 admirez encore le Sage.
■■§ ,jEs grands hommes , qui ne doivent ce paoI-^ titre qu a certames actions d éclat , n ont quelquefois de grand , que le fpedtacle.
Dans ces occafîons rares , les yeux du public & la gloire du fuccès , prêtent à î'ame une force & une grandeur étrangère ; l'orgueil emprunte les fentimens de la ver- tu : l'homme fe furmonte , & ne fe montre pas tel qu'il eft.
Combien de Conquérans 5 fameux dans, l'hiftoire , à la tête des armées j ou dans^ un jour d'action , paroiflent au-defTus des Héros ; & dans le détail des m.œurs & de la focieté , à peine étoient-iis des hommes?:
C'eft que dans les occafîons d'éclat ^ l'homme ei{ comme fur le théâtre ; il re- préfente ; mais dans le cours ordinaire des^, adions de la vie , il efl , pour ainiî dire ,. lendu à ]i;i-même j c'eû lui qu'on voit ^ il
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ic8 OrAISO}^ FUNEBRE
quitte le perfonnage j & ne montre plus que fa perfonne
Auiîi lorfque TAuteur facré loue ces hommes illuftres , qui ont été riches en vertus , & qui fe font acquis parmi leur peuple une gloire qui paiTera d'âge en âge , il comprend tout leur éloge dans ces deux traits : Ils ont maintenu & embelli au de- hors , l'ordre & la beauté de la fociété y par la douceur de toutes les vertus civiles : EccL Pulchritudinis Jludium habentcs ; & ils ont 44' ^* été au dedans comme les génies pacifiques Jbid, ^ tutelaires de leurs propres maifons : Pacificantes in domibus fuis.
Oui , Meflieurs , que le Prince de CoNTY ait été un grand homme de guer- re 5 c'eft une gloire qu'il a partagée avec tant d'hommes fameux , que la France a Cu dans tous les fiecles.
Mais une louange qui lui efl propre , c'eft que la vie paifible & privée ; Fécueil des réputations les plus brillantes , a laifTé voir en lui encore plus de vertus eftim.a- bles : c'efl: qu'en le voyant tous les jours , nous l'avons toujours vu plus grand.
Bon fujet , bon ami , vrai , affable , humain ^ modefte , fage ; & dans toutes les (îtuations , toujours égal à lui-même.
Quel étoitfon refpe6^ & fon attachement pour le Roi ! Combien de fois favons- nous entendu déplorer le malheur de tant de Princes qui avoient fait fervir leur naif- fance à leur amibition ; qui loin de porter aux pieds du Souverain j les v(eux & les
DE M. LE PrUWE de CoNTV. ÎOÇ
refpefts des peuples , portoient au milieu des peuples le mépris du refpe6i: dû au Sou- verain ; loin d'être les liens du Prince & des fujets , en étoient le mur de féparation ; armoient contre leur patrie le nom qui de- puis tant de fiecles la protège , & n'étoient les premiers fujets , que pour être les pre- miers rebelles !
Le Prince de Conxy difoit fouvent que la nailTance n'approche les Princes de plus près du trône , que pour les lier plus inféparablement au Souverain ; qu'il leur efl plus glorieux d'obéir à leur propre Sang , que de commander à des étrangers ; que la dérobéiflance dans le commun des fujets efl un crime contre l'Etat , mais qu'elle eft dans les Princes un outrage qu'ils fe font à eux-mêmes ; que les Princes ne font nés que pour le bonheur de leur pa- trie : que l'Etat ayant toujours été l'héri- tage de leurs Ancêtres , ils doivent en maintenir la tranquillité comme celle de leur propre famille ; & que les premiers regards du trône tombant fur eux , ils doi- vent les premiers bailTer les yeux devant fon éclat, & donner les premiers exemples da foumiiîion au relie du peuple.
Tels étoient les fentiments du pRiNCE DE CoNTY ; telle fa conduite toujours égale 5 jamais démentie. Toutes fes voies ont été belles , & tous fes fentiers pacifi- ques : Vi^ cjus vlœ pulchrœ ,. & omnes fc- Pf^ov» mitœ illius pacificœ. Et nous n'avons pas ^' ^^* befoin ici de recourir aux ména^emens de
îio Oraison funèbre
l'art ; & en louant une partie de fa vie , de
tirer le rideau fur l'autre.
En cela fon inclination fecondoit fon de- voir. Les vertus du Roi l'attachoient à fa perfonne y autant que la ro5^auté le foumet- toit à fes ordres. Il obéiflbit « mais en ai- mant 5 en admirant , en étudiant un mo- dèle 5 plutôt qu'en fe foumettant à un Mai tre. Et arrivé à la rade de Dantzik , déjà près du trône j &: fur le point d'y monter , la qualité de Sujet lui eft encore plus chère y que le titre de Roi qu'on doit lui donner. Il met encore , avec fon cœur , la Cou- ronne qu'il croit tenir , aux pieds de Louis : Bien malheureux , lui écrit-il , que Véloi- gnement rnempêche d'être guide par vos ordres j & éclairé par vos lumières. Son état de Sujet peut changer ; fes fentimens de refpeâ: & de foumifTion feront toujours les mêmes.
Et de là j fon attachement tendre & ref- peclueux pour Monseigneur , attache- ment que l'enfance avoit vu naître , 5c qui avoit toujours crû avec lui. Malgré l'amâtié & la confiance dont ce grand Prince i'ho- iioroit ; malgré la familiarité formée de- puis le premier âge ; malgré cette liberté facile & aimable , qui fait les délices de fa Cour 5 quelles manières toujours pleines de refpeâ: , &: d'une noble attention , dans le Prince de Conty ! On apprenoit en le voyant à refpeûer fes Maîtres ; & fon rang ne paroifToit lui donner plus d'accès & de liberté , que pour montrer plus d'égards êc plus de retenue aux autres..
Z4*
DE M. LE Prince de Contf. iir
Autant qu'il refpeâioit fes Maîtres , au- tant exigeoit-il peu de contrainte & de ref^ peâ: de fes amis. Vous ne l'oublierez ja- mais , vous qu'il honora autrefois de fa confiance : eh 1 que ne pouvez-vous le dire ici à ma place î Mais tout ce que ce cher fou- venir vous rappelle dans ce moment ; mais les triiles regrets que je vous vois mêler ici à fon Eloge , & que le reQ)e£i: du lieu avoit jufqu'ici fufpendus , ne le difent-iîs pas alTez ! & pourront-ils , fans m'interrom- pre 5 me permettre à moi-même de le faire entendre ?
N'étoit-iî pas , cet homme aimable pour la focieté , dont parle l'Ecriture , & cet ç-^^^^* ami plus cher mille fois qu un frère ?
Les Princes connoiflent peu d'ordinaire le plaifirs de l'amitié : leur élévation , ou les rend trop inaccefTibîes aux autres hommes , ou leur rend les autres hommes trop mé- prifables. Ils confondent le refpe^l qu'on doit au rang , avec l'amitié qui n'ell due qu'à la perfonne : ils font plus jaloux de s'attirer des hommages , que de gagner des cœurs ; ou s'ils favent fe faire aimer, ils n'aiment jamais beaucoup eux-mêmes,.
Dans cette image , Melîieurs , que trou- verez-vous qui reiremble au Prince de CONTY ? Quel ami fut jamais plus tendre y plus facile , plus fidelle , plus digne d'être aimé ! l'amitié ne l'égaloit-elle pas à vous ? & la fupériorité qui lui donnoit le rang & le mérite 5 Fapperceviez-vous que dans le foin aimable qu'il avoit de l'oublier l
ii'2 'Oraison funèbre
Quelle douceur dans les mœurs ! quelle sûreté dans la tendrelTe ! quelle vérité dans les fentimens ! quelle fidélité dans lefecret ! quels charmes dans le commerce ! quel goût dans le choix de fes amis ! quelle at- tention à les conferver jufqu'à la fin ! Et la mort même , la mort dans l'inftant qu'elle vous Fa ravi , a-t-elle pu vous ravir fon cœur ? N'avez-vous pas été les dépositaires de fes fecrets , & de fes derniers foupirs ? N'a-t-il pas verfé dans votre fein les der- niers regrets de fon ame ? Sa confiance & fon amitié n'ont- elles pas été plus fortes que la mort ? Et fi votre douleur vous per- mettoit ici d'être fenfibles à quelque autre chofe qu'à fa perte , ne le feriez-vous pas à ce que la poftérité dira toujours de lui , comme de cet homme merveilleux dont Eccl, P^rle l'Ecriture : Heureux ceux qui vous '48. II. ont vu 5 qui ont vécu avec vous , & que votre amitié a comblés d'honneur & de gloire ! Beati qui te vidcrunt , & in ami- citiâ tua decorati funt !
Mais il n'étoit pas de ceux qui doux Se faciles avec un petit nombre d'amis , ne montrent que l'orgueil du rang , ou les bizarreries de Thumeyr , au refle des hom- mes ; qui renfermant tout ce qu'ils ont d'eftimable dans \\i\ commerce privé, gar- dent leurs défauts pour le public.
L'affe£lion des Grands & du Peuple en répondici pour moi. Les larmes de fes amis font confondues avec les larmes publiques ; & fî le deuil général n'a pas lailfé à leur
ï>E M. LE Prince de Contv, ii^ amitié le trifte plaifîr de fe diflingiierpar la douleur de fa mort ; elle leur a du moins hïifTé la confblation de n'être pas les feuls à la pleurer.
En quel homme fe font jamais trouvé raifemblées à un plus haut point , toutes les vertus qui nous lient aux autres hom- mes ?
Souverainement vrai , il n'aim.oit que la vérité dans les autres : nul intérêt n'étoit jamais entré dans fa grande ame , en con- currence avec la vérité : elle lui paroilFoit le premier devoir de l'homme , &: le titre le plus glorieux du Prince. Il laiflbit aux âmes vulgaires , les déguifemens & les fi- neffes utiles , ou pour nous parer d'une gloire qui ne nous appartient pas 5 ou pour cacher nos défauts véritables : toutes fes paroles étoient diètées par la vérité même : il ne trouvoit de beau dans les hommes que la vérité : il ne cherchoit point fes amûs parmi fes flatteurs ; fonrang même lui étoit fouvent àcharge par les ménagemens qu'on s'impofoit devant lui , & on lui a fouvent oui dire , que dans fes voyages , lorfque la bienféance lui avoitpu permettre d'être in- connu , il n'avoit pas trouvé de plaifir plus doux que d'entendre parler les hommes naturellement , & fe montrer tels qu'ils font : plaifir aflez inconnu aux Grands qui , ne voient jamais des hommes que la fur- face 5 6c qui n'en aiment fouvent que le faux.
Et ne vous repréfentez pas ici 9 Mef^
114 Oraison funèbre fleurs , cet amour farouche & outré de la- vérité 5 qui dégénère en humeur cinique , & qui efl: plutôt une haine bizarre des hom- mes , que de leurs défauts.
Aufîî affable que vrai , la vérité ne mon- troit pas en lui cet abord aufïere , & cen- feur 5 qui rend fouvent le fage odieux , fans rendre la fageiîe aimable.
Vit-on jamais dans un rang fî élevé , & avec tant de fupériorité de génie j tant de bonté & d'affabilité ? Vous le favez , Mef^ fîeurs ; & vous vous le repréfentez encore ici 5 vivant parmi nous , m.ontrant à tous cet air fîmple & noble de douceur y qui attiroit tous les cœurs après lui ; ne rete- Dant de fon rang que ce qu'il en falloit pour rendre encore plus aimable Faffabilité qui l'en faifoit defcendre ; & rafllirant fî fort 5 ou le reipect , ou la timidité j par un trait inféparable de fa perfonne , qu'au ibrtir de fon entretien , on goûtoit tou- jours à la fois 5 & le plaifîr d'être charmé de lui , & le plailîr de n'être pas mécon- tent de foi-même.
Par-là 5 il laiffoit à l'augiifle éclat de fa naiffance , la dignité qui la fait reipeâier , & en ôtoit l'humeur & la fierté , qui n'a- joutent rien à la grandeur , & qui ôtent beaucoup aux Grands.
Et ce n'étoit pas même en lui une dou- ceur empruntée , où la politeife & les ma- nières ont plus de part que le fentiment ; un fîmple ufage plutôt qu'une vertu : c'était, lin fond d'humauité.
DE M, LE Prince de Contt, 115
^^ valeur , rélévation forment prefque toujours un caractère d'infenfibiîité : la gloire des armes eH toujours teinte de lang ; & lorîque le rang laillë le refte des hommes fî loin de nous , il eft rare que le cœur nous en rapproche.
Un Héros & un Prince humain ; voilà 9 Meffieurs , ce que le Prince de Conty allioit enfemble. Il difoit ibuvent que quand même la Religion n'obligeroit pas de re- garder les hommes comme nos frères , il lufîit d'être né homme pour être touché du malheur de fcs fem.blables.
Et de-là , à la prife de Neuhaufel , où 1 a place em.portée d'afTaut , fembloit auto- rifer le carnage & la fureur du foldat ; combien de vi£limes innocentes arrache- t-il d^entre les bras de la mort ? combien arrête-t-il de ces aéèions barbares 5 que ne demande plus la vi(5toire , mais qu'inipire la feule cruauté ? apprenant aux Allemands à mêler la valeur , qui leur efl commune avec nous y à l'humanité qui nous eft propre.
De-là 5 le lendemain du combat de Stein- querque , il vient fur le champ de bataille , encore tout couvert de morts & de mou- rans ; fait tranfporter tous les bleffés , fans dilHriâ:ion de François & d'ennemi ; affure à une infinité de malheureux , la vie ou le falut ; & force les ennemis mêmes de bé- nir , dans le Héros qui a Ûi les vaincre , le Libérateur qui les fauve.
Et dès lors 5 vous accordiez , Seigneur 5.
Il6 OrAÎSON FUl^EnRE
aux larmes de tant crinfortiinés qu'il fau- voit 5 les grâces & les miféricordes qui lui préparoient le falut à lui-même.
En cela , Mellieurs ^ ne croyez pas qu'il cherchât des applaudiffemens & des élo- ges ; il ne faifoit que fe prêter aux mouve- mens & à la bonté de fon cœur.
Jamais Prince ne fut plus éloigné de Toftentation & de la fauile gloire. Simple , modefte , ennemi des louanges 5 attentif à les mériter ; l'admiration de tous , toujours le même à fes propres yeux ; ignorant preA que feul , comme Moïfe , la gloire & la lumière qui brille autour de lui : nous l'a- vons vu donner à peine à fon rang l'éclat extérieur que l'ufage y attache ; vivant parmi nous comme un citoyen ; accom- pagné de cette dignité toute feule qui fuit par-tout les grands homm.es : n'emprun- tant rien de l'appareil & du dehors 5 de- vant tout à lui-même ; plus grand lorfqu'il paroît tout feul , que tant d'autres ne le font j enflés de tout le fafle & de toute la pompe qui les environne.
Sa modeftie prenoit fa fource dans la modération naturelle de fon ame. On l'a vu en garde contre lui-même , fe refufer aux goûts les plus innocens ; à la curioiité même des peintures , où fes infirmités au- roient pu trouver un délalTement ; & aux inftances que lui fait là-defîus la PrincefTe fon époufe , toujours attentive à foulager l'ennui de fes maux , que répond-il ? Quen fc livrant à un goût , on s'accoutume à Je
DE M. LE PRÎhXE DE CoNTr. llf livrer à tous les autres ; & quil faut fa- voir 5 ou ne pas tout defirer , ou je pajfer fouvent de ce quon defire.
Ecoutez y vous à qui rien ne fufïït 5 & dont les goûts bizarres & faftueux 5 ne fer- vent qu'à rappeller tous les jours la baf- feffQ de votre naiflance , l'injuilice de vos tréfors , & les miferes publiques qui en font en même temps , & le fruit & la fource !
Et 5 caraâere admirable , MefTieurs î dans toutes ces vertus , quelle égalité ! Ses grandes qualités ne fe bornoient pas com- me dans beaucoup d'autres , à quelques ac- tions louables , mais rares , qui échappent du milieu d'une foule de vices , qui perdent tout leur mérite par le contrafte , & qui font plutôt des faillies que des vertus.
Toujours fupérieur aux événemens , s'il n'avoit pas toujours la gloire du fuccès , il avoit du moins la gloire de paroître tou- jours plus grand que fa fortune. Les Cou- ronnes manquées le laiffent aufli tranquille que l'avoient trouvé les Couronnes oifer- tes. Content de n'avoir rien à fe reprocher fur les m.efures que la fageife fournit , il ne croyoit pas devoir fe reprocher les fuc- cès dont la Providence toute feule décide. Sur le point décifîf même des plus grandes affaires ; au milieu des agitations que l'ef- prit douteux de l'événement , & les vues différentes qui s'offrent , font naître dans l'ame : on auroit cru à le voir que tout étoit décidé , & fa tranquillité ne perd rien par fincertitude des événemens y toujours
îi8 Oraison ru}^EBRE. plus difficile à foutenir que Févénement même.
Oui 5 MefTieurs , ce cara6lere de raifon f accompagnoit par-tout. Quelle habileté à ménager les eiprits ! quelle dextérité à fe concilier les intérêts les plus contraires ! quelle connoifTance profonde des hommes ! quelles vues fur tout ce qui peut alTurer le bonheur des peuples & des Etats ! quel fonds de modération fur les points même où la vivacité paroît le plus à fa place ! quelle fageffe dans l'enjouemxent même de la converfation la plus libre î
Mais ne feroit-ce point ici de ces images que l'Orateur ne peint que d'après lui-mê- me ; qui expriment ce que le Héros auroit dû être ; mais qui ne repréièntent point ce qu'il a été ; ^ plus propres à rappeller fes défauts 5 qu'à îervir a fon éloge ?
Vous m'interrompez ici , Meilleurs ; 8c je fens que ma précaution vous offenfe. Du milieu de cette affemblé aucîufte , une voix publique , form.ée par l'amour & par la douleur , s'élève contre m.oi , ck m.e reproche des louanges trop au-delTous de mon fujet , tandis que je parois craindre d'en donner d'exceffives.
Et que manqueroit-il en effet à fon Elo- ^e , s'il eût été alors auffi agréable aux yeux de Dieu , qu'il étoit grand devant les hommes ?
Et quand je dis , devant les hommes , Meiïieurs , ne penfez pas , que fe ména- geant 5 comme tant d'autres , l'eitime du
VE M. LE Prince de Contv, i r^ public 5 par les dehors de la modération & de Ja lageiTe , il vînt fe démentir dans l'enceinte des devoirs domeftiques ; que lalTé de fou tenir en public le perfonnage de grand homme , il vînt porter parmi les fîens le chagrin de la contrainte , & s'y délafîer , par des vices , des apparences de la vertu ?
S'il eut le premier cara£î:ere de ces hom- mes illuftres , loués dans les livres faints , <jui avoient été chacun dans leur (îecle , Tornement de la fociété : Pulchritudinis jludium hahentcs ? il ne leur reffembla pas moins par le fécond , qui les avoit rendus comme les génies pacifiques & tutélaires de leurs propres Maifons : Pacifuantcs in domibus fuis.
Bon mari , bon père , bon maître ; mais que de plaies vais-je r'ouvrir à la fois ! Et la Princefle défolée , qu'un lien facré lui avoit unie , que le cœur lui unira tou- jours 5 ne fent-elle pas ailez la violence du coup ? & faut-il rappeller toute fa dou- leur , en lui rappellant tout ce qu'elle a perdu ? Ainli nous échappent , ô mon Dieu ! les objets les plus chers : ainfi finifient les iiaifons les plus tendres : ainfi tout ce qui nous promettoit le plus de bonheur , fe tourne en amertume ; & hors l'eipérance de la foi , ne nous laiiTe plus qu'un cher fouvenir , qui en paroiiTajit foulager notre douleur , en perpétue le deuil & la triftefie.
Le Prince de Conty, MefTieurs , pou- Yoit dire de lui 5 comme le Roi David ,
Ï2.0 Oraison funèbre Pf' oo. Quil avolt eu en partage un bon cœur ^ Z4 ^ 4. Qii^il marchoit au milieu de fa Maifon dans la paix & dans Vinnocence,
Quels égards pour la Princeilefonépoufe dont la conduite & les vertus ont toujours honoré le rang ! Les plus petites attentions qui fembloient devoir échapper à la fupé- riorité de fon génie , n'échappoient pas à la bonté de (on cœur. Quelle tendrefle pour les Princes fes enfans ! Formant lui- même dans leur cœur ces premiers fenti- mens d'honneur & d'élévation fî dignes de leur naifîance : devenant , pour ainii dire , enfant avec eux , pour leur apprendre à devenir un jour fages , grands , équitables , humains , m.odérés : en un mot , tout ce qu'il étoit liîi-m.ême. Vivant comme un homme privé au milieu de fon augufte fa- mille ; refpeâiant les liens de la Religion & de la nature , les doux titres de père & de mari; & ne connoilîant pas cet ufage infenfé , qui fait que la plupart des Grands iemblent être nés feuls fur la terre , croient que tout ce qui renverfe la première infti- tution de la nature , eft un privilège de la grandeur , &: regardent tout ce qui lie 9 comme un joug qui les déshonore.
Qu'il faut être né Grand pour foutenir jufques dans ces devoirs obfcurs & domef- tiqucs , où l'homme fe relâche toujours , & où l'humeur prend fi aifément la place de la vertu , un caradere toujours égal de grandeur & de fagelîe.
Vous me prévenez ici , Maifon affligée
de
DE M. LE Prince de Comr. m de ce Prince , & je pourrois en attefter votre douleur : quel Maître le fut jamais moins , ou plutôt mérita mieux que lui de l'être ?
Les Grands croient que tout eft fait pour eux , & que les autres hommes ne font nés que pour porter le poids , ou de leur orgueil , ou de leurs caprices. Le Prince de Conty n'exerçoit fon autorité que fur lui-même. Quel fond de bonté & de douceur envers les Tiens 1 n'exigeant prefque rien pour lui ; ne comptant point leurs fautes dès qu'il en fouftroit tout feul ; aimant mieux quelquefois fouffrir de leur peu d'habileté , que de contriiler leur ten- dreffe ; jamais d'hum^eur , jamais un de ce.? momens de vivacité qui ait pu marquer que fa grande ame étoit fortie de fon ai- fiette naturelle : poulîant même fi loin la bonté 9 que rafîeélion toute feule des fiens prévenoiî l'abus qu'ils en auroient pu faire : paroifîant leur ami plutôt que leur maître ; les quittant de ces devoirs rigoureux qu'on donne à l'ufage bien plus qu'au befoin : les regardant comme les compagnons de fa fortune , & non pas comme les jouets ou les m.iniftres de (qs humeurs ou de (qs paf- fîons ; & faifant voir 5 chofe rare ! que \qs Grands peuvent trouver des amis j même parmi ceux qui les fervent.
Voilà cet homme fage , Famour des peuples , le modèle des Princes , la joie des fiens , l'admiration de tous. Achevez , Seigneur , en lui votre ouvrage : couronnez
Oraifon fuiubre, F
12,2 Oraison funèbre vos dons : ranimez ces vertus humaines ^ ces os arides , par un fouffle de vie : faites fuccéder à la beauté de ces feuilles ftériles , des fruits d'immortalité : conduifez ce jour de l'homme jufques au jour parfait de la grâce : formez de tous ces tréfors de l'Egypte j un tabernacle à votre gloire : ne perdez pas la fageiTe du Sage ; mais don- nez-lui la foi des humbles & des petits.
Il fut donc un des hommes les plus ac- complis dans la vie civile : Et honorcm apud fenlores juvenis. Ajoutons le dernier trait. Il fut encore un des plus éclairés par la fingularité des connoiiTances & la fupé- riorité des lumières : Acutus invcniar in judiclo : in confpecîu potentium admirabilis ero , & habebo immortalitatem ; non-feule- ment un Héros & un Sage , mais encore un efprit fupéricur & univerfel.
III.
PARTIE -^~- ^ A fcience &c la lumière dans un Prince ,
eft prefque toujours Fécueil de fa gloire ou de fa religion.
Selon le monde -, elle l'engage d'ordi- naire en des recherches vaines & frivoles , étrangères aux devoirs & à l'élévation de fon état j qui peuvent éclairer l'homme , mais qui n'inftruifent pas le Prince.
Devant Dieu , elle l'enfle , elle l'égaré , & n'éclaire fouvent fa raifon qu'aux dépens de fa foi.
Or admirez ^ MeiTieurs , dans les con- noifiances rares du Prince de Conty , deux avantages , marqués d'abord dans
DE M. LE Prince de Contf. 123 mon texte , &: fort oppofés à ces deux écueils.
Le bruit de fa fcience 5c de fes lumières lui attirent des extrémités de la terre , non pas une Reine étrangère , mais les vœux d'un Royaume entier. Les Grands &: les Puifîans de Pologne , frappés des mer- veilles que la renommée répand de lui en tous lieux , lui offrent à l'envi une Cou- ronne , qui a toujours été le prix de la va- leur 8t du mérite : In confpcciu potentlum admirahilis cro.
Et à ce premier fruit de ces lumières ^ ajoutez-en un autre ; c'efl le gage de la couronne d'immortalité par fon retour à Dieu au lit de la mort : Et habcbo immor- talitatem.
Oui , Meflîeurs , quelle étendue de con- noifîances dans le Prince de Conty î On eût dit qu'il étoit de toutes fortes de profefTions : Guerre , Belles-Lettres , Hif- toire 5 Politique , Jurifprudence , Phyli- que , Théologie même ; il fembloit qull ne fe fût appliqué qu'à chacune de ces fciences ^ félon les différens hommes qu'il entretencit ; & en l'entendant , on s'écrloit encore , comme autrefois fur ce Prince le plus fage & le plus éclairé de TOrienî :
)) Quelle abondance de lumière & d'éru- w dition dans votre jeunefle ! La {cicnce & » la fageffe coulent de votre bouche ccm- » me les eaux d'un fleuve majeilueux : hs » lumières de votre ame ont fondé tous les x> fecrets de la terre j & dans cette gloire
F2-
124 Oraison funèbre » pacifique , vous avez été les délices des » peuples 5 comme la gloire des armes » vous en avoit rendu l'admiration & le 47. i< '^ ^o^^ic^i • Q^(^rnadmodum eruditus es in lo] 17,' juvcntutc tua ! & impletus es y quafi flu- mcn , fapientiâ ; & urram retexit anima tua. ... & dilecîus es in pace tua.
Et dans ces le(5î:ures immenfes , remar- quez deux abus évités. Point de goût pour ces Livres frivoles , qui ne font que le dé- lalTement de l'oi/iveté , & qui corrompent le cœur fans inftruire la raifon.
Un grand goût pour les Livres fainîs ; beaucoup de refpeâ pour les vérités de la foi.
Dans le temps même 5 ô mon Dieu ! qu'il ne goûtoit pas encore combien vous êtes doux 5 il avouoiî que vous êtes le Saint &i le Véritable : fa raifon refpeâ:oit les bor- nes de la foi 5 tandis qu'il en oublioit les devoirs : fa bouche rendoit hommage à la vérité de vos Myileres , lors même que fon cœur étoit encore loin de vous : il ne trou- voit dans fes grandes lumières que les mo- tifs'de fa fonmiffion ; & s'il n'aimoit pas encore la vérité qui délivre , du moins il avoit toujours offert un refpedl religieux à la vérité qui foumet & qui captive.
Dois-je le dire ici , Meilleurs ? dans un fîeck 5 où la Religion efl devenue le jouet, ou de la débauche , ou d'une faulîb fcience; dans un fiecle , où l'impiété eil comme la première preuve du bel efprit ; dans un îiecie ; où croire encore en Dieu , ell prei-
DE M. II'' niie la honte, ol;
dans uni-
lecroiW''/-:
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efldocteuî^ ■
étélesfiit'^- ■ trelafaedcDiCû.
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^ion,Ce!;::i:i;enjeB'c i}HJei'e(.t.:.niljoi| pelé les efpriii, iifii m k jii /«ra m fdi. Sacunoiiteoenf ^ue II raifon i;clinMJ Hioinnie iie (oiaol de qiiece(\\ieD',c.cnaiQi rae;quele point t :âhhi: cj'od no joug, les frccialijK certitudes (piecamblii
dogmes itï'cpiettij'oi •&^eplusiiiît]]i|jl)]{ -
la Religion; îi«iH onper(llafoi,i«| ^ îeclaircilTe. , Sentj'meiisdontce* Ns départi.
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jômonDieulqull cwèifii V0U5 êtes :'ii«e; le Saint & Moftfdpeàoit les bor- nai ai a O'iblioit les
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DE M. LE Priijce de Conty, 125 que la honte , ou de la raifon , ou du cou- rage : dans un fiecle , où pour n'être pas confondu avec le vulgaire , il faut fe don- ner l'afFreufe diftiné^ion de l'incrédulité : dans un fîecle enfin , où tant d'hommes fu- perficiels blafphêment ce qu'ils ignorent; le croient plus habiles à mefure qu'ils font plus téméraires ; apprennent à douter de la Religion avant de la connoître ; s'érigent en doAeurs de l'impiété avant que d'avoir été les difciples de la foi ; & s'élèvent con- tre la fcience de Dieu , fans avoir même celle des hommes.
Au milieu de ces abus , la foi du Prince DE Conty , fi fupérieure en lumières & en connoiffances , honore la vérité de la Reli- gion. Ce grand génie n'efl plus qu'un hum- ble fîdelle devant la majefté de celui qui pefe les efprits , Se qui regarde les firuta- If. 40^ tours de fis ficrets comme s'ils rCétoient 2 5* j)as. Sa curiofité ne va qu'à fe convaincre ^ que la raifon ne fauroit aller à tout ; que l'homme ne connoît des voies de Dieu , que ce que Dieu en a voulu révéler à l'hom- me ; que le point fixe de nos lumières , c'efl la foi ; qu'on retrouve en fecouant le joug , les mêmes abymes &: les mêmes in- certitudes que dans la foumifTion ; que les dogmes de Fimpiété n'ont rien de plus clair & de plus intelligible , que les myileres de la Religion ; Se qu'en refufant de croire , on perd la foi , fans que la raifon y gagne & s'éclairciiîc.
Sentimens dont ce grand Prince ne s'eft jamais départi. F 3
I
124 ORAISOh' FUNEBRE
)) pacifique , vous avez été les délices des )) peuples , comme la gloire des armes » vous en avoit rendu l'admiration & le 47. 15. ^^ ^0"^icîi • Q^^rnadmodum eruditus es in lo] 17/ juventutc tua ! & impletus es ^ quafi flu- men , fapientiâ ; & terram retexit anima tua, ... & dilecius es in pacc tua.
Et dans ces leâ:ures immenfes , remar- quez deux abus évités. Point de goût pour ces Livres frivoles , qui ne font que le dé- lalîement de l'oifiveté , & qui corrompent le cœur fans inftruire la raifon.
Un grand goût pour les Livres faints ; beaucoup de refpeâ: pour les vérités de la foi.
Dans le temps même , ô mon Dieu ! qu'il ne goûtoit pas encore combien vous êtes doux 5 il avouoit que vous êtes le Saint Si le Véritable : fa raifon refpeéloit les bor- 1 lies de la foi , tandis qu'il en oublioit les devoirs : fa bouche rendoit hommage à la vérité de vos Myfteres , lors même que fon cœur étoit encore loin de vous : il ne trou- voit dans fes grandes lumières que les mo- tifs Me fa foutniffion ; & s'il n'aimoit pas encore la vérité qui délivre , du moins il avoit toujours oiTert un refpeâ: religieux à la vérité qui foumet & qui captive.
Dois-je le dire ici 5 Meilleurs? dans un fîecle 5 où la Religion efl devenue le jouet , ou de la débauche , ou d'une faulîé fcience; dans un fiecle , où l'impiété eft comme la première preuve du bel efprit ; dans un iiecle 5 où croire encore en Dieu , efl prel-
ûE M, LE Prince de Contf. 125 que la honte , ou de la raifon , ou du cou- rage : dans un fiecle , où pour n'être pas confondu avec le vulgaire , il faut fe don- ner l'affreufe diftiné^ion de rincrédulité : dans un fîecle enfin , où tant d'hommes fu- perficiels blafphêment ce qu'ils ignorent; le croient plus habiles à mefure qu'ils font plus téméraires ; apprennent à douter de la Religion avant de la connoître ; s'érigent en doAeurs de l'impiété avant que d'avoir été les difciples de la foi ; & s'élèvent con- tre la fcience de Dieu , fans avoir même celle des hommes.
Au milieu de ces abus , la foi du Prince DE CoNTY 5 fi fupérieure en lumières & en connoiflances , honore la vérité de la Reli- gion. Ce grand génie n'efî: plus qu'un hum- ble fidelle devant la majefté de celui qui pefe les eiprits, & qui regarde les fcruta- Jf, 40* tcurs de fis ficrets comme s'ils n' étaient 2 5* j^as. Sa curiofité ne va qu'à fe convaincre y que la raifon ne fauroit aller à tout ; que l'homme ne connoît des voies de Dieu , que ce que Dieu en a voulu révéler à l'hom- me ; que le point fixe de nos lumières , c'efi: la foi ; qu'on retrouve en fecouant le joug , les mêmes abymes & les mêmes in- certitudes que dans la foumijfTion ; que les dogmes de l'impiété n'ont rien de plus clair & de plus intelligible , que les myfteres de la Religion ; & qu'en refufant de croire , on perd la foi , fans que la raifon y gagne & s'éclaircifî'c.
Sentimens dont ce grand Prince ne s'eft jamais départi. F 3
126 OrAISOISI FUNEBRE
Mais à tant de valeur , tant de fageJfîe , tant de religion , tant de lumières , que manquoit-il , Mefîieurs ? qu'une Couronne. Content du rang que lui donnoit fa naif- fance , le Prince de Conty ne l'avoit ja- mais defirée. La gloire de tenir par le S^g au premier Trône du monde ; le zèle qui le lioit au Roi encore plus que le Sang ; le plaifïr de vivre fous fes yeux 5 & d'obéir à fes ordres ; c'eft là que êxé par fon cœur , il avoit toujours borné fon ambition : &c comme cette Princeiïe dans l'Ecriture , qui préféroit à la royauté la condition des fer- viteurs de Salomon , il trouvoit encore plus glorieux d'être des premiers fujets de Louis 5 que Roi d'une Nation étrangère : ^^ Beati fervi tui , qui Jïant coram te femper ! 10. 8. Mais enfin ! la Pologne Tenvie à la Fran- ce. Son Trône vacant par la mort d'un Roi qui avoit été la terreur des Infidelles , re- demande un Prince du fang de nos Rois. La grande réputation du Prince de Conty eft la feule intrigue qui lui gagne d'abord tous les fuffrages.
Il falloit à une Nation guerrière , un Prince belliqueux ; à une Nation libre , un Prince fage & modéré ; à une Nation zélée pour la foi , un Prince éclaire & re- ligieux 5 qui sût en même temps reipeâ:er la foi & la défendre ; à une Nation qui fe donne elle-même fes Rois , un Prince , que reilim.e générale eût appelle à la royauté ; que l'amour eût fait régner, & qui eût re~ gardé fes fujets comme fes bienfaiteurs ;
I.
DE M. LE Pri^ice de CoNTr. 117 enfin à une Nation prefque toujours divifée par des fonâ:ions domefliques , un Prince d'un génie fupérieur , habile dans Fart de connoître les hommes & de les gouverner; qni sût ménager les efprits , concilier les intérêts , & réunir à la défenfe de la Patrie , les pafîîons elles-mêmes qui la déchirent.
Peuple heureux ! fî Dieu , qui difpofe des Rois & des Royaumes , ne l'eût refufé dans fa colère à tes premiers vœux ; ou plutôt , fî toi-même , tu n'eulîes conjuré contre ton propre bonheur , tes jours cou- leroient dans la paix , dans l'abondance & dans la gloire : tes loix feroient encore ta force & ton foutien : fur tes autels ne s'of- friroient que des facrifices de joie & d'ac- tions de 'grâces : les malheurs des régnes précédens feroient oubliés : tes nouvelles conquêtes iroient encore plus loin que tes pertes paffées , &: ta valeur ne feroit re- doutable qu'à tes voiiins.
Mais une faétion ennemie des loix , de la Religion &: de la liberté , s'élève : des fuf- frages féditieux traverfent une éleâ:ion lé- gitime ; les droits les plus facrés font vio- lés ; les loix cèdent à la force ; un vil inté- rêt prévaut fur la gloire de la Nation , fur le bonheur de la Patrie , fur les intérêts mêmes de la foi. Un nouveau Jéroboam divife les Tributs , s'afîîed fur un Trône iifurpé ; & fbus les apparences du culte faint 5 il porte au milieu de l'héritage du Seigneur , un culte profane. Le Roi que Dieu avoit choifî , eft rejette : il ne fait
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128 Oraison f v n m b r e que le montrer dans fon indignation à la Pologne : il en retire avec lui fa proteélion & Tes miféricordes ; & le même malheur qui l'éloigné de cette terre ingrate , ell pour elle le fignai & la fource de tous fes malheurs.
Quelfpe£laclede défolation & d'horreur ofFre-t-elle à toute l'Europe ! L'efprit de difcorde & de fureur fouffle la guerre & la diilenfîon parmi les Citoyens : la valeur de ïa Nation fe tourne contre elle-même : l'idole qu'elle avoit élevée fur le Trône en efl renverfée : fa Couronne devient le jouet des peuples & des Rois : fes villes la proie J^rem* de f^g alliés & de fes ennemis. E//e donne la ^/^ ' ^' main aux Ajfy riens : le Mofcovite appelle court venger , fur ceux mêmes qiii l'appel- lent, fes anciennes pertes; un peuple qu'elle Ibid.f, avoit toujours regardé comme ybn efclave , ^' devient fon tyran. Ses autels font renverfés ;
{qs Prêtres arrachés du Sanâuaire , & me- nés en fervitude ; {qs Vierges deshonorées ; Thren*fes Princes , comme des brebis timides , ^' ^* marchent fans force & fans valeur devant celui qui les pourfuit ; fes campagnes inon- dées de fang , refufent la nourriture à fon Ibid.'ff, peuple ; au-dehors le glaive , la mort au- ^o» dedans. Le Seigneur qui les frappe ne fe laife point : il répand d'une main une coupe de venin & de mortalité, & tient élevé de l'autre le glaive de la guerre & de la vengeance : tous les fléaux de fa co- lère tom.bent à la fois fur cette terre infor- tunée : toutes fes voies pleurent y & ne font
DE M. Le Prince de Contv. 129
plus qu'une trifte folitude ; & au milieu de tant de calamités , la fureur de fes Citoyens n'eft pas encore alTouvie. La main qui les frappe & qui les terrafle , ne les défarme point : ils achèvent de venger fur eux-mê- mes la juftice de Dieu : la ruine de la Pa- trie ne peut être la fin de leurs difTenfîons & de leurs querelles ; & accablés de tant de pertes 5 ils veulent encore périr de leurs propres mains.
Grand Dieu ! frappez-vous donc pour perdre , & non pas pour corriger ? ne vous îbuviendrez-vous pas d'Abraham & de Ja- cob ? n'oublierez-vous pas enfin les péchés des enfans en faveur de la piété de leurs pères ? les Hedwiges & les Cafimirs , tant de faints Rois qui ont portés cette Cou- ronne 5 & qui ont vengé la gloire de votre Nom 5 ne feront-ils pas tomber de vos Thren, mains le glaive de la vengeance? Avei- 5» 44» vous mis devant vous jufques à la fin un nuage d'indignation , afin que les prières 6* les gémijjemens de cette Eglifc déjolée , ne montent pas jufques à votre Trône ? & fes malheurs ne vous toucheront-ils pas en- core plus que fes crimes ?
Voyez 5 peuple & confidérez les maux que le Seigneur a faits parmi vous. Vous p/^ g ave-( rejette fon Roi & Jon Chrifî : vous 19» avez éloigné celui que vous aviez appelle ; & le Seigneur vous a rejette ; & vos Rois font devenus en même temps , &c votre pu- nition & votre crime.
Mais quoi , Meflieurs î les jugemens de
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130 OkAISO}^ FUNEBRE
Dieu fe déclarent. Il ne voiiloit donner atf Prince de Conty que la gloire de la royauté , & d'une couronne terreflre , & le préparer à une couronne immortelle. Jcrem* Car enfin , que le Héros ^ dit le Pro- 9'i5' phete 5 ne fe glorifie pas de fa valeur ; que Le Sage ne mette pas une vaine confiance dans fa fdgefje ; que celui qui efl riche en efprit & en connoiffance y ne s'élève pas des richeffes de fa fcience & de fa lumière, Ta- lens éclatans que Dieu donne , & qui pref- que toujours éloignent de Dieu ; fources de perdition , Ci Dieu qui en efl Fauteur y n'en eft la En , & n'en règle l'ufage ; fi vous connoître & vous aimer, ô mon Dieu ! ne donne le prix à tout le refle.
Nous touchons enfin au moment 011 le Prince de Conty goûta ces grandes véri- tés. Moment heureux pour lui ! terrible pour la France , qui le pleure ; pour les îiens , qui femblent le rappel.'er par leurs cris du fond de ce tombeau ; pour une PrincelTe défolée , qui le redemande ; pour fes amis , qui le perdent , ( fl on doit (iomp^ ter pour perdu celui que Dieu a fauve. ) Et que me refle-t-il ici , après que fes ta- lens glorieux l'ont conduit prefque fur le Trône , que de vous montrer l'ufage qu'il en a fait pour le Ciel ?
De longues infirmités lui miontroient de loin le jour du Seigneur , & nous prépa- roient à fa perte. Mais les reifources de Fâge 5 le fuccès des remèdes 5 ou plutôt nos defîrs 5 raHuroient nos frayeurs. Vaines
DE M, LE Prince de Contf. 131 efpérances des hommes ! Les momens de Dieu ne font jamais les nôtres : le coup eft frappé ; la mort que nous croyons encore loin 5 paroît à la porte , & la lumière d'Ifraèl eft fur le point de s'éteindre
Quelle confcernation répandue dans le public avec cette trifte nouvelle ! Perfonne ne s'en fie au bruit commun : on veut voir de fes yeux & entendre de fes oreilles ; tout vient en foule s'en inftruire , & tout le pu- blie par fa douleur ; le peuple lui-même y qui d'ordinaire ne fenî que fes propres per- tes , eft fenfible à celle qui nous menace» Que d'offrandes portées aux pieds des au- tels 5 pour demander le retour d'une fanté fî précieufe ! Chacun croit aller donner en fecret cette pieufe confolation à fa dou- leur ; & il trouve dans le Temple fes lar- mes & {qs oblations , mêlées avec 1(ï?s lar- mes & les oblations publiques.
Vous parûtes , grand Dieu ! vous laiffer fléchir à nos vœux. Le mort s'éloigna ; nos craintes fe changèrent en efÎ3érances. Mais- vos ordres ne changent point : cette lueur paffagere qui nous montroit la vie , tourne- tout d'un coup vers le tombeau : vos de£~ feins éternels s'accompliiTent 5 & le coup fufpendu ne trompe notre efpoir , que pour nous faire encore mieux fentir la douleur de fa perte.
Qu'attendez-vous ici ; Meilleurs , de ce Héros , de ce Sage , de ce grand efprit?' Une pénitence où fe trouvoit tous fes ca- raûeres ; confiante , fage , éclairée : les
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1^2 Or Al S 0}^ FUy^EBRE
mêmes voies qui l'avoient conduit à la gloire , le conduifent au falut.
Il eft vrai , ce Héros ne regarde pas la mort d'un œil fier & tranquille. Car , ô mon Dieu ! le vafe de terre , peut-il en- core s'enorgueillir fous la main toute-puif- faute qui va tomber fur lui & le brifer? Et qu'eil-ce que l'intrépidité de l'hom.me à la mort ? qu'une lâcheté de défefpoir , qui n'ayant pas la force de porter la crainte de vos jugemens , trouve plus aifé de les méprifer ; & n'ofant efpérer le falut , fe fait un honneur aft'reux de fe perdre ?
Le Prince de Conty laiffe paroître comme le Roi Ezéchias , quand on vient lui annoncer de la part de Dieu , Vous mourrei , ces fentimens de trouble & de crainte , que tout homme doit à la nature & à la vérité ; & tout Chrétien à la foi des jugemens à venir. Il ne veut ni impo- fer aux autres , ni s'en impofer à foi-mê- me , ni fe prêter une fauffe vertu 5 ni fe déguifer fes propres miferes.
Mais attendez. La foi opère la crainte ; & la crainte opère l'amour , la réfignation & le falut. Dieu prend la place de l'homme dans fon cœur : & qu'on eft grand quand on l'eft avec Dieu !
Dès ce moment , fon œil fixé dans l'é- ternité ne le perd pas de vue. Le monde s'évanouit. Ce monde , qui aux yeux des paiîîoiis efl: tout , n'eft plus rien aux 5^eux de la foi. Nul regret à la vie 5 hors fufage peu chrétien qu'il en a pu faire : nul retour
DE M. LE Prince de Coyirr, 133 vers l'Egypte , hors le fouvenir des miféri- cordes du Seigneur qui l'ont délivré de fon joug. Environné de Miniftres faints , il marche" comme le Tabernacle d'Ifraè'l , ^ d'un pas majeflueux vers la terre de pro- mefîe ; & la manne facrée & le pain des Anges qu'il a reçu , ( mais avec quelle élé- vation de foi ! quelle tendreffe de piété ! ) il le porte au-dedans de lui , & y trouve toute fa confolation & toute fa force.
Au milieu des douleurs les plus aiguës , le corps exténué , & qui dépérit à chaque inftant par la violence des m.aux & des re* medes , il refufe même à fes fouffrances ces plaintes innocentes qui femblent le foulager. Et ce n'eft pas ici une confiance de Philofophie ; une oftentation , plutôt qu'une vertu : il ne donne rien aux fpe£î:a- teurs , vous l'avez vu ; tout eft pour Dieu ; toujours dans le vrai ; effrayé quand il faut ; confiant quand Dieu le demande : c'efî: la force de la foi ; c'eit la patience des Saints ; c'eft l'humiliation de la péni- tence. Et c'eft ainfi , ô mon Dieu ' que ceux qui efpérent en vous , changent de valeur & de force ; Qui efperant in Domino If. 40. mutahunt fortitudinem. 5i»
Voilà le Héros que form.e la grâce : voici le fage. Il appelle au fecours de fa foiblefîe , la dernière force du Chrétien ; la grâce de rOn(?don fainte. On n'a pas hefoin de ces timides ménagemens , qui femblent ne propofer au m.ourant les remè- des de la foi , que comme le défelpoir de
T34 Oraison funèbre fes maux ; & de peur de lui rapprocher les horreurs de la mort 5 n'ofent lui montrer les fecours de l'immortalité 5 & les fources d'une vie meilleure. Le fang de l'Agneau , qui coule par ces canaux facrés , loin de l'efFrayer , fait fa plus ferme eipérance ; il plonge avec une foi vive y les plaies de fon cœur dans ce bain vivifiant. Vous le Pf, iio, laverci Seigneur , & vous renouvellcrei ^» fa jeunejfe comme celle de Vaigle,
Les devoirs de la piété remplis , il n'ou^ blie pas ceux de l'amitié , de la reconnoii^ fance & de la nature. Il donne à fes amis les dernières marques de fa confiance & de fa tendrefTe : il parle en père à des domef- tiques , qu'il a toujours aimés comme fes enfans : il charge un Prince pieux & illuf- tre , de porter aux pieds du Roi les fenti- mens de refpeft , 'd'attachement , de fidé- lité dans lefquels il a toujours vécu : enfin le Prince fon fils efl: appelle.
» Mon fils , lui diî-^il , je voudrois vous » avoir donné de meilleurs exemples ; & )) i'efpére que fi Dieu m'avoit confervé la •» vie , je vous en aurois donné. Scuve- )) nez-vous toujours qu'il faut fervir Dieu , » lui être fidelle &: au Roi ; & vivre en » honnête homme & en bon Chrétien , » pour attirer les bcnédîâ:ions du Ciel.
PuilTent ces dernières ioftruélions ne s'ef- facer jamais de votre cœur , Prince 5 la feule efpérance de votre auguile nom , &: former en vous avec les qualités héroïques d'un père 5 dont la vie a illuftré notre fie»
DE M, LE Prince de Comr. 135 de , les fentimens & les vertus qui ont fanÔilié fa mort !
Enfin tous les foins , toutes les créatures s'éloignent : il demeure feul avec Dieu. Et c'efl ici où toutes fes lumières fe réuniffent ; où fa grande ame fe dégage de plus en plus des fens ; où la majefté du Dieu , qui efl: proche &: qui paroît , l'éclairé 5 le remplit , l'élevé au-deilùs d'elle-même.
La voie des juftes ejl comme une lumière Prov> qui va toujours croijfant jufqu\iu jour par- 4* 18. fait de Véternité. Ce n'eft plus la foi qui fouffre avec réfignation ; c'eft l'amour qui aime à fouftrir. ce Seigneur , dit-il fans celfe au milieu de fes douleurs , w appéfantiifez )) votre main , redoublez vos coups , bfi- » fez-moi , brûlez , coupez , détruifez ce » corps de péché ; je le livre à votre juf- » tice ; réfervez vos miféricordes pour )) mon ame : perdez-moi dans le temps , & )) me fauvez dans l'éternité.
Ce n'eft plus la terreur des jugemens de Dieu qui le faifit & qui le trouble ; ceU l'excès de fa charité pour les hommes qui le calme & qui le confole. Et lorfque le Minière fage & éclairé , qui étudie les opé- rations de la grâce dans fon ame , lui re- nouvelle ce fentiment par les paroles de l'Apôtre : Dieu qui efl riche en miféricorde , Ephef, pouffe par l'am.our extrême dont il nous a ^•4'S'^» aimés lorfque nous étions morts par nos péchés j nous a rendus la vie en Jesus- Christ , reffufcités avec lui^ & fait affeoir dans le Ciel : fa bouche mourante peut à
17,6 OrAï SO }^ FUN E ERE
peine fiifïîre au tranfport de fa foi & de fa religion : Voilà , s'écrie-t-il , k fondement de toutes nos cfpérances.
Un moment après , profondément tou- ché de l'oubli de Dieu , dans lequel vivent prefque tous les hommes , &: fe tournant vers le Miniftre facré : « Si l'on pouvoit » comprendre , ajoute-t-il , l'état où l'on » fe trouve dans ces derniers momens , on » verroit bien qu'il n'y a de reflburce pour » l'homme que dans la Religion.
A ces mots , la langue fe refufe à la foi qui l'anime ; les forces manquent ; la pa- role celTe ; mais fon cœur parle toujours à Dieu ; mais fon ame plus pure & plus li- bre , à mefure que le corps terreftre qui l'appéfantit fe diifoud , l'invoque , l'appelle , le fupplie 5 l'adore , le loue , le poifede déjà 5 & ne meurt que pour aller vivre éternellement avec lui. Grand Dieu ! fera- t-elle fruftrée de fon defir ? Vous refufe- rez-vous à la brebis qui revient , vous qui courez après celle qui s'égare ? Tant de dons & de lumières , dont vous aviez orné cette grande ame , n'iront-elles pas fe réu- nir à leur fource ? tant de larmes verfées fur ces chères cendres , n'acheveront-elles pas de les purifier ? Les gémifî'emens de fa îbi & de fa pénitence , feront-ils m.ontés en vain devant votre Trône ? Le fang de l'Agneau qui crie vers vous , Se qui coule fur l'autel par les mains d'un Pontife fî- delle 5 * ne fe fera-t-il pas entendre ? ne
* M, de la Barchére j Archevêque de Narbonne,.
DE M, LE Prince de Contv. 137 vous folliciterez-voiis pas vous-même en fa faveur. Vous le fauverez , grand Dieu ! vos promelles s'accompliront 5 & fon ef- pérance ne fera pas confondue.
Ecoutez 5 Grands , & inflruifez-vous. Tout ce que le monde a le plus admiré ^ les vi61:oires , les talens , le nom 5 la fagefTe , les lumiieres ; qu'on le trouve vain & fri- vole au lit de la mort ! que la vie la plus glorieufe devant les hommes 5 la plus rem- plie de grands événemens , paroît alors vuide fans Dieu , & digne d'un éternel ou- bli ! qu'on découvre de folie dans la {^gQ^Te qui ne nous a pas conduit au falut î qu'on méprife les lumières & les connoifTances qui n'ont pas donné la fcience des Saints ! Dieu paroît tout alors , & l'homme fans Dieu ne paroît plus rien : il ne tient à l'é- ternité que par lui , par la foi , parla grâce. Le rang , les conquêtes , la réputation ^ les talens , les titres ne lient qu'au temps j à un nuage qui fe diiîipe ; au fleuve qui court rapidement fe perdre dans l'abyme éternel. Son nom peut pafTer dans les hiftoires : on peut graver fes allions fur le marbre & fur l'airain. Les noms de ceux qui vous oublient , 6 mon Dieu ! ne font écrits que fur la poujjïe- re : un foufRe léger va les eftacer : Rece- J^renu dentés à te in terra fcribentur, '7* ^^'
L'immortalité n'eft que pour le Jufte : les noms feuls écrits dans le Livre de vie , ne périront pas. Tout ce qui ne tient qu'au monde pafiéra avec le monde ; vous feul , ô mon Dieu ! demeurerez toujours. Heu-
ï3^ Oraiso^j funesrê
reux donc l'homme qui ne s'attache qu'à vous feul ; qui n'aime que ce qu'il doit toujours aimer ; qui ne veut jouir que de ce qu'il peut toujours poiléder ; qui ne s'appuye que fur ce qui ne peut manquer :
iy. 25. ^"^ ^'^ P^^ ^^Ç^ fo^ û^^ ^^ ^^^^ j ^^^i 1^^ S. vit pas au hazard ; & qui des jours de fa
vie mortelle , fe forme infeniîblement le
jour de l'éternité.
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FUNEBRE
DE MONSEIGNEUR LOUIS, DAUPHIN.
Prononcée dans la fainte Chapelle de Paris,
Erunt accepta opéra mea .... & ero dignus fediiim patris mei.
Je plairai à votre peuple par la douceur de ma conduite ; & je ferai digne du Trône de mon Père, Sap. 9. 12.
Jl\. I n s I jugeoient les Grands & le peu- ple : ainfi efpéroient-ils de TRÉS-HAUT , tres- puissant et tres - excellent Prince , Monseigneur Louis , Dau- phin. Nos jugemeiis étoient juftes : ce n'étoit ni l'intérêt , ni l'adulation , ni la crainte : c'eft l'amour qui les avoit formés. Nos efpérances étoient bien fondées : le préfent nous répondoit de l'avenir \ &: tout
140 Oraison punebrê ce que nous avons vu d'humain & de bien- faifant dans fa vie privée , nous faifoit par avance l'hiftoire de fon règne.
Mais 5 ô Dieu ! vous nous l'aviez donné , & vous nous l'avez ôté r vous l'aviez ac- cordé à nos vœux : vous le refufez à nos crimes : vous l'aviez formé pour le bon- heur de la France ; vous le retirez pour Joh. 50. nous punir. Vous emportci comme un tour- ^^' hillon ce qui nous était fi cher : fa vie a paffe comme un nuage ; & fa mort confond nos jugemens 5 renverfe nos espérances ; mais changera-t-elle notre cœur ?
Quels fléaux réfervés dans les tréfors de fa colère , pour inftruire & châtier les hommes , Dieu peut-il donc encore faire Jerem, tomber fur fon peuple ? Nous attendions ^pr\n'n ^^ P^^x : le Roi facrifioit fa gloire , fes in- 7, terets , la tendrelie a nos denrs : il etoit
pacifique avec ceux qui haïjjoient la paix ; elle s'éloigne encore de nous ; & voilà en- core la fureur & la guerre. Nos champs ont gémi dans une longue llérilité : la ma- ladie & la mort ont répandu le deuil dans nos villes : nous avons vu tomber les cè- dres même du Liban. Trois Princes du Sang royal , * dans l'intervalle prefque d'une année , ont été enlevés à la France , qui les pleure encore ; à leurs auguiles en- fans 5 à leurs époufes défoiées ; & en ren- dant des devoirs lugubres & religieux à leur mémoire , nous vous avons annoncé les jugemens du Seigneur & la vanité des
* M* le Prince , M. k Prince de Conty^ MM Duc i
DE M, LE D AU P H ÎN, I4Ï
chofes humaines. Enfin le Fils & l'héritier lui-même vient d'être frappé. Les châti- mens de Dieu vont en augmentant comme nos crimes. Mes Frères , quand arrêterons- nous donc Ton bras levé fur nous ?
Le peuple infidelle s'enorgueillit au mi- lieu de fes fuccès : * il chante des chants de joie & de vi(R:oire : & la France , la por- tion la plus pure de l'Eglife ; la région de la vérité & de la lumière ; une Nation choifie , dont le Roi , félon le cœur de Dieu 5 a ôté tous les hauts lieux & tous les autels étrangers : la France gémit , fon Prince hii eil: enlevé , &:le Seigneur femble avoir oublié fes anciennes miféricordes.
Qu'avons-nous donc fait ? & comment cette défoîation ell-elle arrivée en Ifraël ? Nous avons abandonné le Seigneur , & il nous a afRigés. Nous ne fomjiies pas re- tournés à lui dans notre afflidion , ^^ le Prindfe a été ôté du milieu du peuple. Dieu nous frappera-t-il donc toujours en vain ? Ses coups portent à faux , iî en nous affli- geant , ils ne nous corrigent pas. Et que nous prépare-t-il , fi ce dernier malheur efi: encore pour nous une leçon inutile ?
Viendrons-nous toujours dans ces pom- pes lugubres , avec le langage de la dou- leur , n'.attendre , comme ces enfans de l'Evangile , de ceux qui nous écoutent , que des larmxes qui ne font qu'un jeu & un amufem^nt puérile ? Tournerons-nous en ipeélacle nos propres malheurs ? & la le- * Bataille d'Hociet,
142 0 RAISON FUNEBfiE
çôn la plus terrible de la foi , ne fera-t-ellé
jamais pour nous qu'une vaine cérémonie ?
A la vue de ce tombeau , où toute la grandeur humaine eft devenue cendre & poufliere , nos jugemens & nos efpérances fur les chofes d'ici-bas , font-elles encore les mêmes ?
La mort nous enlevé un Prince doux & bienfaifant ; nous le jugions digne du trône des Rois fes ancêtres; nous en efpérions des jours tranquilles & fortunés : voilà le fujet de nos larmes. La mort confond nos juge- mens j nos efpérances , & ne change point notre coeur : voilà le fujet de nos inftruc- tions.
Rendons-nous utile notre douleur : mê- lons les réflexions de la foi avec les larmes de la nature & de la tendreffe ; & en of- frant les prières de l'Eglife , & le facrilice d'expiation , pour ces cendres chères & auguftes 5 détrompons-nous de FeniÊur de lïos jugemens & de la vanité de nos efpé- rances. C'eft-à-dire , jugeons enfin que tout ce qui paiîe n'eil rien , & ne trouvons di- gne de notre efpérance que ce qui ne pa(^ point.
PARTIE JLjEs hommes parlent tous les jours fur le néant des chofes humaines ^ le langage de la foi & de la vérité ; & ils n'en fuivent pas moins les voies de la vanité & du men- fonge. Nous difons fans cefle que le monda n'eil rien ; & nous ne vivons que pour le .mgnde. Sages feulement dans les difcours ;
DE M, LE DaUPHIî^. 143
infénfés dans les œuvres. Philofoplies dans l'inutilité des converfations ; peuple dans tout le cours de notre conduite. Toujours éloquens à décrier le monde , toujours plus vifs à Taimer. Nous fléchilîbns le ge- nou avec la multitude , devant l'idole que nous venions de fouler aux pieds ; & à nos mépris fuccedent bientôt de nouveaux hommes.
Ce qui paroît grand aux yeux du mon- de 5 eft toujours grand pour nous : ce qu'il appelle bonheur , efl la feule félicité où notre cœur afpire ; ce qu'il vante , efl la feule gloire qui nous touche. Ouvrons en- fin les yeux ; & que cette cérémonie de religion & de trifleile , confonde la vanité de nos jugemens , & nous rappelle de l'er- reur des fens aux lumières de la foi.
Tout ce que le monde a de plus grand paroiflbit ralTemblé dans le Prince que nous pleurons. Une naifîance qui elîace l'éclat de toutes les généalogies de l'uni- vers : un nom au-deffus de tous les autres noms : un fang qui prend fa première fource dans le trône , & qui coule fans interruption depuis tant de fiecles , & par tant de Souverains : une Maifon auguile qui a vu naître toutes les autres ; qui a donné naiffance à nos hiiloires ; qui compte parmi fes titres domeiliques , tous les mo- numens qui nous reftenî des re^^ues les plus éloignés ; & qui feule demeurée depuis le commencement , au milieu du débris de tant de Maifons fouveraines qui ont péri. ,
Î44 Oraison funèbre femble être , comme celle de Noé , la feule dépositaire de toute la gloire des fic- elés palTés 5 & de la première alliance que Eccl, le Seigneur fît avec nos pères : Tcjlamenta 44. 19» Jliculi pofitafunt apud illum.
Tel étoit Louis , Dauphin ; l'enfant de tant de Rois , l'héritier de la gloire de tant de fîecles ; ajoutez encore , le iils de Louis le Grand.
Les Pyrénées venoient de voir finir, par un Traité glorieux , une guerre encore plus Pf' 71* glorieufe a la Nation : les montagnes avaient ^* reçu la paix pour le peuple,
L'Efpagae fe confoloit de fes pertes , en donnant à Louis une PrincefTe pieufe, qui venoit partager avec lui fon trône & fes victoires. La France fortie des troubles inféparables d'une longue minorité , voyoit croître , avec le Roi , fes efpérances & fa gloire. Nos troupes aguerries par nos pro- pres diifenfions : de grands Généraux for- més 5 & en combattant môme contre la patrie , devenus des chefs confomirsés pour la défendre ; les finances rétablies par les foins d'un Miniflre habile ; la licence chan- gée en règle ; les anciennes maximies prei^ que oubliées , rappellées à leur premier efprit ; fes arts déchus dans la foibieiie du gouvernement , reprenant avec lui leur éclat & leur vigueur ? les Lettres que nos troubles & nos malheurs avoient comme bannies , rétablies en honneur pour publier nos vi61:oires ; ces hommes uniques « dont les ouvrages feront de tous les temps, & qui
jufques-
DE M. LE DAVpnîi:, T4^ Jurqiies-là n'avoient paru que fucceflive- ment de fiecle en fiecle , ou de régne en régne parmi nous , devenus communs , Ôc fe preilant , pour ainfi dire , de naître toils à la fois fous un régne déjà fî glorieux; l'Etat , comme le Roi , dans une jeunelîe vive &: floriiTante.
Au milieu de tant de profpérités , le Dauphin ell donné à la France ; l'objet des vœux publics , le gage du bonheur des peuples , Felpérance de la Monarchie , le lien de la fucceffion royale , l'Enfant de la gloire & de la magnificence.
Nos fuccès croiiîént avec lui : fes jours ne font plus comptés que par les viâioires d'un Père triomphant : chaque faifon vient mettre aux pieds de fon berceau royal des trophées & des dépouilles : les merveilles fe multiplient ; l'abondance embellit le de- dans du Royaume , tandis que la valeur en recule les frontières : la pompe des Maifons Royales répond à la grandeur du Roi : de -fuperbes édifices fortent en un infiant, com- me par enchantement , du fein de la terre ; l'ouvrage de plufieurs fiecles devient l'ou- vrage de quelques mois : la ftérilité des lieux fe tourne en ornement : & le Roi de retour de {es Campagnes , après avoir vaincu fes ennemis , vient fe délalfer chez lui à vaincre encore la nature. Ce font les bienfaits de Dieu que nous rappelions ; & fi nous les eufiions toujours regardés comme tels, peut-être en jouirions-nous encore.
Cepend^ant fortoit de l'enfance l'héritier Oraifon funcbre, Q
14^ Oraison funèbre de tant de grandeur : un naturel heureux commençoit à fe montrer : les qualités hé • roïques du Roi , la piété de la Reine , for- moient déjà ce mélange de douceur & de majefté , qui fît toujours fon caractère , &: ces belles efpérances , qui n'attendoient plus que le fecours des maîtres.
Mais quel foin que celui d'être chargé de former la jeuneife des Souverains ; de jetter dans ces âmes deftinées au trône , les premières femences du bonheur des peu- ples & des Empires ; de régler de bonne heure des pafîions , qui n'auront plus d'au- tre frein que l'autorité ; de prévenir des vices 5 ou d'infpirer des vertus , qui doi- vent être^ pour ainfi dire , les vices & les vertus publiques ; de leur montrer la four- ce de leur grandeur dans l'humanité ; de les accoutumer à laiffer auprès d'eux à la vérité , l'accès que l'adulation ufurpe tou- jours fur elle ; de leur faire fentir qu'ils font Grands , & de leur apprendre à l'ou- blier ; de leur élever les fentimens- , en leur adoucilfant le cœur ; de les porter à la gloire par la modération ; de tourner à la piété des penchans , à qui tout va préparer le poifon du vice ; en un mot , d'en former des maîtres & des pères , de grands Rois 6c des Rois chrétiens ? Quel ouvrage ! inais quels hommes la fageffe du Roi ne çhoifit-elle pas pour les conduire ?
L'un , (*) d'une vertu haute & auftere ; d\ine probité au-deillis de nos mœurs >
* M. k Duc ds Mojitaufier.
DE M. LE DAUPHIS, T47
d'une vérité à 1 cpicuve de la Cour; Phi- lofopJîc fans oftentation ; Chrétien fan? foibleiTe ; courtifan fans paffîon ; l'arbitre du bon goût & de la rigidité des bienféan- ccs ; Fenncmi du faux; l'ami & le protec- teur du mérite ; le zélateur de la gloire de la Nation ; le cenfeur de la licence publi- que ; enfin un de ces hommes , qui fem- blent être comme les reftes des anciennes mœurs , & qui feuls ne font pas de notre fiecle.
L'autre , ( * ) d'un génie va/te & heu- reux ; d'une candeur qui caraâ:érife tou- jours les grandes âmes & les efprits du: premier ordre ; l'ornement de l'Epifcopat ,. L^ & dont le Clergé de France • fe fera hon- I' neur dans tous les fiecles ; un Evêque au milieu de la Cour ; l'homme de tous les talens & de toutes les fciences ; le Do6^eur de toutes les Eglifes ; la terreur de toutes* les feâ:es ; le Père du dix-feptieme fiecle ,. & à qui il n'a manqué que d'être né dan& les premiers temps , pour avoir été la lu- mière des Conciles , l'ame des Pères af- femblés , diâ:é de Canons , & préfidé à Nicée & à Ephéfe.
Deux hommes uniques chacun dans leur caraâ:ere , & qu'on auroit crû ne pouvoir plus être remplacés après leur mort , lî ceux qui leur ont fuccédé (**) dans l'édu- cation du Prince qui doit régner, ne nou$"
(*) M. Bofuet, Evêque de Meaiix, (•^'*) M. le Duc de Beauvilliers, M. de Tendon , ArcheyêquQ de Cambray,
148 Oraison funèbre avoient appris que Ici France ne fait guere^ de pertes irréparables.
Voilà ce qui nous avoit paru fi grand. Les termes manquoient à leloquence pour publier tant de merveilles : Famour multi- plioit les éloges : la politeiTe du fiecle les rendoit dignes de palîerà la dernière pofté- rité : les Etrangers venoient des Mes les plus éloignées , mêler ici avec nous , leur admiration & leurs hommages. Et que fais-je j û pour avoir étalé avec trop de 4. Reg» complaifance à leurs yeux 5 nos tréfors & 20. ij. notre magnificence , comme le Roi des Juifs aux Envoyés de Babylone , & trop vanté notre gloire , Dieu n'a pas permis qu'elle nous fût enfin , comme à eux , pour un peu de temps ôtée ?
Mais du moins la trille cérémonie qui nous aiîemble , dilîipe le fantôme de grandeur qui nous abufoit. Tout" ce qui doit paiîer ne peut être grand : ce n'eil qu'une décoration de théâtre : la mort finit la fcene & la repréfentation : chacun dé- pouille la pompe du perfonnage , & la fic- tion des titres ; & le Souverain , commue l'efclave , efl rendu à Ton néant Se à fa première balfelfe. Les dons de la grâce tout feuls ne périifent point avec nous : la mort leur aÔiire une éternelle immuta- bilité ; & dans ce moment , où toute la grandeur du monde fe, précipite dans le tombeau , s'évanouit & n'eft plus ; une vertu obfcure qui nous lioit à Dieu , fort éclatante de nos cendres j &: mené le Julie ,
DE M. LE Dauphin, 149 Comme en triomphe , dans le fein de Téter- ' nité. Ceux qui vous craignent , ô mon Dieu ! feront feuls grands , parce qu'ils le font devant vous 5 &: qu'ils le feront tou- jours : Qui autem timent te , magni erunt Judith, apud te per omnia* Fauffe idée de gran- 'S* 1^» deur ! vous ne vous foutenez que jufqu'à la mort ; & vous avez pourtant toujours été , & vous ferez jufqu'à la fin , rilluiioii la plus féduifante de toute la vie humaine.
Peut-être le bonheur qui l'environiië au- ra-t-il quelque chofe de plus réel. Ecou- tons 5 mes Frères , & détrompons-nous* Si le monde pouvoit faire des heureux , le Prince , pour qui nous prions, devoit l'être. La tendrelle du Roi pour lui croilloit avec ^, le fuccès de fon éducation : on voyoit ce Monarque 11 glorieux ^ en partager lui-mê- me les foins avec les grands hommes à qui elle étoit confiée. C'étoit David de retour de fes victoires , qui faifoit venir devant lui fon fils Salomon , pour Fiiifiruire des de- voirs de la Royauté , & des maximes de la vertu & de la fageite. Les Héros peuvent être des pères tendres , &: rougir des fen- timens de la nature & de Fhumianité , com- me d'une foibleflé ; c'eftfe prêter une fauiîe grandeur , & montrer en même tem*ps qu'on n'a pas la grandeur véritable.
Les années du Prince s'avancent , 8c la tendreilé du Roi fe change en amitié : ce Fils fi cher devient un ami fidelîe. Monsei- gneur efi: aiTocié aux fecrets du gouverne' ment , 6c au myilere des Confeils ; de ces
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î5o Oraison funèbre Confeils impénétrables 5 dont la fagefie Si le fecret faifoient alors la force & la sûreté cîe la Monarchie , la terreur & l'admiration de toute l'Europe, Le Roi décharge dans fon fein le poids de ies penfées^ & les fou-' ^cis mêmes de la profpérité & de la gloire : la confiance prend la place de l'autorité pa- ternelle : l'amitié augmente chaque jour par l'ufage de la confiance ; & Monseï- <}NEUR devient le collègue de l'Empire y plutôt que l'héritier de la Couronne.
A tant de bonheur y que manquoit-il que d'alî'urer la fuccefîion dans la Maifon Royale ; & donner , par un mariage au- gufte 5 des Princes à la France & de nou- veaux appuis au trône ? Une Maifon , de •tout temps alliée à la Couronne, nous four- nit une Princeife féconde & fpirituelle» Mais la Bavière ne fe donnoit encore qu'à demi ; elle nous préparoit de plus grands dons. Ces deux Princes (i) croilîbient pour nous. Vous les rendez , ô mon Dieu ! à leurs peuples 5 qui les demandent : le temps efl venu ; & peut-être les conduifez-vous ^ par ces voies de dépouillement & d'oppref- îion , à de plus grandes & de plus hautes deftinées.
Quels furent nos chants de joie 5 quand de ce mariage facré , nous vîmes naître le premier Prince (2) que nous admirons au- jourd'hui ? Nous lifions dans l'avenir : nous voyions de loin une jeunefie fainte , une re-
( T ) Les Elecîeurs de Bavière & de Cologne retirés en France, (2) Le Duc de Bourgogne,
DE M. LE Dauphin. 151 ligîon éclairée , un cœur tendre pour Dieu & pour les peuples , un efprit pour les grandes chofes ; la piété d'un David ; la fa- gefle & l'élévation d'un Salomon ; la clé- mence & l'humanité d'un Jofîas ; des lu- mières & des vertus. Et que nous fommes heureux de lui rendre cet hommage dans ce temple (i) ancien & augufte , le momn ment éternel de la piété de faint Louis , dont il nous rappelle iî parfaitement tous les jours l'hiftoire & les exemples.
Quel don pour la France ! mais les dons de Dieu n'étoient pas encore épuifés. La fécondité continue dans la Maifon royale : Monseigneur devient le père de deux au- tres Princes; (2) & ici s'ouvrent encore à nous de plus grands événemens.
L'Eipagne , de tout temps jaloufe de no- tre gloire 5 &: qui autrefois avoit voulu nous donner des Maîtres , en vient cher- cher un parmi nous. Les prévoyances hu- maines échouent : les mefures d'une Maifon rivale fe tournent contre elle : les deiTeins de Dieu s'accompliflent : la Caftille devient le patrimoine d'un Fils de France : les an- ciennes jaloufies ceffent : les deux Nations fe réuniffent. Semblables à deux vaillans rivaux , lefquels après avoir long-temps combattu , 8c tout tenté pour fe renverfer fur la poufîiere 5 tirent des épreuves mêmes de valeur qu'ils ont faites l'un contre l'au- tre 5 le lien d'eflime & d'amitié qui les
II] La Sainte Chapelle de Paris,
iz } Le Duc d^ Anjou & le Duc deBerry,
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152 OrAIS^ÛN FUNEBRE
unit ; & qui emploient les mêmes arme'^ dont ils avoient voulu fe percer , à fe prê- ter une défenfe commune.
Mais que vois-je ici ! L'enfer fe déchaî- ne ; les temps de paix font abrégés ; les jours mauvais recommencent ; le bonheur de la France arme tous les peuples contre elle ; les deux Couronnes réunies dans la même Maifon , répandent la difcorde & la iiireur dans toute l'Europe. Les Rois des environs , allarmés des merveilles que le Seigneur vient d'opérer en faveur d'Ifraèl ^ s'entre^difent , comme autrefois les Rois de , Canaan : Ce peuple va dévorer tous les peuples , & engloutir tous les pa'is d'alen- Num. ^^^^ * ^^^^^^^ hi<^ populus omncs qui in . 4. nojlris finihus commorantur. Ils ne voient pas que notre entrée efl pacifique , & que nous ne voulons que nous mettre en poilëf- iîon de la terre que le Seigneur a promife à nos pères. - Cependant une guerre cruelle s'allume : les Nations conjurées fondent fur nous : Dieu femble même abandonner fon peuple : il fcmible oublier que l'union des dzii-s. Monarchies ell fon ouvrage. Nous aurions attribué nos fuccés à notre puif- fance : il nous affoiblit; mais c'eft peur de- venir lui feul notre bouclier & notre vic- toire. Les intérêts & les paflions humaines ne prévaudront pas contre les deifeins de Dieu. Le fang de Blanche de Caftille de- meurera fur le Trône : le Sceptre ne fera point ôté de la maifon de Juda : Dieu qu i fait les Rois , faura les protéger. Nos prof-
DE M. LE Dauphin. 15^ pérîtes & rorgueil qui les accompagne , Favoient peut-être éloigné de nous ; il faut que nos malheurs le rapprochent.
Déjà le jour arrive : Dieu fort du nuage où il s'étoit caché; & je le vois qui recom- mence à fe montrer à nous. Les fuccés font rendus au bon droit :i'Aragon nous venge du Brabant : le Chef de la ligue eft frappé y & il n'ell: plus. * Ne chantons pas des chants d'allégreife fur fon tombeau y nous qui pleurons une perte femblable. Le deuil de nos ennemis ne fera jamais pour nous un jour de fête & de victoire. La Religion ne fait pas fe réjouir de la mort d'un Souverain Fidelle. Si la France perd un ennemi , FE- glife perd toujours un Céfar. Nous fouhai- tons feulement des jours plus heureux pour les peuples : nous demandons la paix plu- tôt que la viâ:oire.
Defcendez donc , fille du Ciel ! don du Très-Haut I Que les deux Princes , que FEglife vient de perdre , réunis dans le fciii de Dieu , & ayant dépouillé avec le corps terreftre , les intérêts & les animolités de la terre vous obtiennent à leurs peuples [ Qu'ils foient devant Die^i les Minières & les négociateurs d'une paix , qui n'a pu être jufqu'ici Fouvrage des hommes î Que le traité foit conclu dans les tabernacles éter- nels en préfence des Anges tutelaires des
Nations , & apporté par eux fur la terre l
Que la mort des deux Princes ^ qui finit tout
* Mort Je VEmpereur Jofeph , arrivée en vmiiQ temps que celle de Monseigneur.
GS
'•%*
154 Oraison funèbre pour eux , fînifle auiïi nos diflenfions & nos troubles ? Que la colère de Dieu accepte CCS deux illuftres Viâimes ? Que leurs cen- . dxes facrées mêlées enfemble foient répan- dues fur les deux peuples en fîgne d'allian- ce ; & qu'un malheur commun devienne la fource d'une joie commune -! Mais ces vœux ont échappé à la vivacité de nos dé- fus ; & les defirs ne confultent pas toujours Tordre des temps. Ne hâtons pas le trifte fpe6^acle de la mort du Prince que nous pleurons & rentrons dans notre fujet.
Que paroifToit-il manquer au bonheur d'un père tendre comme Monseigneur , fi le bonheur étoit donné iiir la terre ? L'a- mitié du Roi 5 & Fam.our des peuples , les plus grandes elpérances du Prince fon £ls y que la loi du Royaume & l'ordre de la naif- fance , mais plus encore ; qu'une prédiîec- îion finguliere de Dieu fur la France , nous- defline : le Prince fon fécond fils fur le trône d'Efpagne , & maître de la plus vafte Monarchie de l'Europe ; fon autorité af- fermie contre l'es efforts d'un concurrent , par un Succeffcur * que Dieu donne à fa Couronne , &: par la fidélité inouie de fes peuples.
Prince heureux devant les hommes \ Mais qu'eft aux yeux de la foi le bonheur humain ? que dure-t-il ? & dans fa courte durée , com.bien traîne t-il avec lui de xiol & d'amertume ? Quel privilège ont ici les Princes au-delîus du peuple ? tout ce qui
,* Naijfance du Prince des Allurks^
DE M. LE DaiTPHIN. 155
les environne les rend-il heureux ? hélas ? tout ce qui eft hors de nous , ne fauroît jamais faire un bonheur pour nous. Les: plaiiîrs occupent les dehors ; le dedans eft. toujours vuide. Tout paroît joie pour les Grands , Se tout fe tourne en ennui pour eux. Plus les plaifîrs fe multiplient , plus ils s'ufent. Ce n'eft pas être heureux , que de n'avoir plus rien à délirer , e'eft perdre le plaifir de l'erreur ; & le plaifîr n'eft que dans l'erreur , qui l'attend & qui le defîre. La grandeur elle-même eft un poids qui laiïe. Les chagrins montent fur le trône , & vont s'aiTeoir à côté du Souverain : la félicité les rend plus amers. Le monde étale des proipérités ; le monde n^ fait point d'heureux. Les Grands nous montrent le bonheur 5 & ils ne l'ont pas. Quel eft donc l'homme heureux fur la terre ? c'eft l'homme qui craint le Seigneur ; c'eft le Jufte qui n'eft pas de ce monde ; c'eft un cœur qui ne tient qu'à Dieu ; & à qui la mort ri^ôte rien que l'embarras du corps: terreftre qui l'éloignoit de Dieu*
Tournez-vous encore d'un autre côté ^ dit le Sage ; la gloire même des hommes ,. cette idole à qui le monde a de tout temps dreifé des autels , n'eft encore que vanité»
Elle ne manque point , cette gloire , au Prince que nous regrettons. Une trêve iong-temps defirée alors de nos ennemis 5, venoit de défarmer toute l'Europe. Le Roi au milieu de fes fuccès , avoit préféré le bonheur des peuples à des viâ:oires , qui
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1^6 Oraison fui^ebre font toujours le prix dufang & le péril des âmes : quand du fond de la Hollande fort un nouveau vafe * de la colère du Sei- gneur 5 deiliné de Dieu pour détrôner les plus faints Rois , & être Tinflrument de fes vengeances fur les Royaumes & fur les peu- ples : un Prince profond dans {qs vues ; habile à former des ligues & à réunir les efprits ; plus heureux à exciter les guerres qu'à combattre ; plus à vcraindre encore dans le fecret du cabinet , qu'à la tête des armées : un ennemi que la haine du nom François avoit rendu capable d'imaginer de grandes chofes & de les exécuter ; un de ces génies qui femiblent être nés pour moujoir à leur gré les peuples & les Sou- verains ; un grand homme y s'il n'avoit ja- mais voulu être Roi.
Il parcourt en fecret toutes les Cours d'Allem.agne : il réunit toute l'Europe en faveur de fon ufurpation. Le Roi demeure feul défenfeur des droits facrés de la Royau- té ; la caufé de tous les Souverains proté- gée 5 arme tous les Souverains contre lui. L'orage eft prêt à fondre fur nous ; le Roi le prévient ; déjà Monseigneur , à la tête d'une armée triomphante , marche \ers le Rhir. C'étoit alors la deftinée de la Fran- ce 5 de prévenii' par nos conquêtes les me- fures & les projets mêmes des ennemis, Philisbourg , le rempart de l'Allemagne , efi: le prix des premières armes du Fils de Louis. Le Rhin encore eifrayé du fameux
* le Prince dVrangs^
DE M. LE Dauphin. 157 paiTage du Roi , reconnoîi dans le Fils , la gloire & la valeur rapide du Père. Man- heiii, FraiiKendai, & tant d'autres places, fuivent la deftinée de Philisbourg. Le jeune Prince ne trouve rien qui l'arrête : il fou- tient par fon intrépidité , le courage des troupes accoutumées à vaincre : il leur rend tout pofTîble par Ton humanité &: par fes largelîés : il ne connoît pas le péril : il veut tout voir de fes yeux , & tout animer par fes ordres ; & nous en ferions ici honneur à fa mémoire , H la valeur étoit un éloge pour les defcendans de Charlemagne &: de Saint Louis.
Vous ne l'avez 'pas oublié. Nos fuccès firent éclater par-tout la guerre déjà rallu- mée dans les cœurs : le feu qui couvoit , s'embrafe & fe répand par-tout. La Flan- dre étoit alors le théâtre de notre gloire. Le Maréchal de Luxembourg nous confo- loit tous les jours , par des victoires réité- rées 5 de la perte des Condés & des Tu- rennes. Monseigneur y vole : l'armée fous fes ordres déconcerte , par une mar- che inouie , les dell'eins des ennemis : nos troupes comme celles que vit le ferviteur du Prophète , fe trouvent par un foudain 4. Reg<, enchantement , de Vignamont fur les bords i» 17» de l'Efcaut.' Notre préfence glace les al- liés ; & fi leurs ruiès les dérobent au com.- bat, elles ne dérobent pas à Monseigneur la gloire de l'avoir cherché. C'eil avoir vaincu l'ennemi , que de lui avoir fait craindre de combattre contre nous»
158 Oraison funèbre
Mais laifîbns au monde à louer ces faits : c'eft à nous à vous inftruire. Les fuccès éclatans font parmi nous les grands hom- mes ; mais les grands hommes font bien petits au tribunal redoutable , fi leurs fuccès font tout leur mérite. Au fond , il n'eft de gloire réelle que celle qui nous fuit devant Dieu. Hélas ! que font les Héros au lit de la mort , ii toutes leurs vertus fe bornent à leurs viéloires ? Leur vie eft pleine de grands événemens qui pafferont dans nos hiftoîres, & vuide de ces œuvres qui feules feront écrites dans le Livre de vie. Ils ont vécu pour la poftérité; ont-ils vécu pour l'Eternité. Ils ont rempli la terre du bruit de leur nom ; & le Seigneur ne les connoît pas 5 parce qu'il ne connoît que ceux qui ^'^îni' lui appartiennent. Ils ont remporté des ^' victoires ; m.ais Dieu ne compte que les vi£loires de la foi ,' &: celles que le Jufte remporte fur lui-mêm.e. On a vanté leurs fuccès & leur valeur héroïque ; & fouvent leurs fuccès ont été des crimes ; & peut- être i'injuitice feule en a fait des Héros. On leur a drcfié des flatues & des monumens fuperbes : mais ce ne font là que les monu- mens de la vanité ; ils périront avec elle- Vous les hriferei , 6 mon Dieu ! dans votre Cité éternelle , &: la relfemiblance feule de Jesus-Christ crucifié ornera les portiques p. de la fainte Jérufalem : In civitate tua ima- lo. * ginem ipforum ad nihilum rédiges. En un mot 5 ils ont été les hommes du fiecle pré- ient ; feront -ils les hommes du fiecle à ve-
DE M. LE Dauphin. 159 îiîr ? L'hiftoire des Conquérans iera effa- cée : l'hiiloire des JuRes écrite en caractè- res immortels 5 fubiiHera dans l'Eternité, Les paillons , qui forment les guerres & les Héros , feront détruites avec le monde j les vertus qui font les Saints 5 ne périront jamais.
Cherchons la gloire qui vient de Dieu , mes Frères. Ne nous refufons pas à la pa- trie : la Religion n'autorife pas la pareife y mais elle ne couronne que les vertus. Com- battons les ennemis de TEtat ; mais fouve- nons-nous que la foi nous montre des enne- mis encore plus à craindre. Regardons le monde , avec toute fa gToire , comme nous le verrons à la mort , & comme l'a vu fans doute dans ce moment , le Prince que nous pleurons. Etudions fur ce tombeau la ter- reur de la puifTance & de la majeflé de Dieu 5 & le néant de toutes les chofes hu- maines ; &: que la mort d'un Prince , que la nailfance avoit fait fi grand , & que fon ca. raétere de bonté avoit rendu fi aimable ^ après avoir corrigé l'erreur de nos juge- mens , confonde encore la vanité de nos, efpérances.
O I le monde n'attachoit les hommes que partis par le bonheur de leur condition préfente ; comme il ne fait point d'heureux, il ne feroit point d'adorateurs : l'avenir qu'il nous miOntre toujours , eft fa grande ref- fource & fa féduâion la plus inévitable : il nous lie par fes efpérances , ne pouvant
ï6o Oraison funèbre nous fatisfaire par fes dons ; & l'erreur de {es promeffes nous endort toujours fur le néant de tous fes bienfaits. Achevons de nous inllruire. Ephef. Les fruits de la lumière , dit l'Apôtre , S» 9* font la bonté ^ la jujlice , la vérité ; & ces fruits lumineux ne brillèrent dans le Prince que nous regrettons , que pour nous dé- tromper aujourd'hui de la vanité de nos efpérances , en juflifiant l'excès de notre douleur & de nos regrets.
Le plus grand éloge d'un Prince , c'efl d'être bon ; & les feules louanges que le cœur donne , font celles que la bonté s'at- tire. La valeur toute feule ne fait que la gloire du Souverain ; la bonté fait le bon- heur de fes peuples : les viâ:oires ne lui va- lent que des hommages ; la bonté lui gagne les cœurs : c'ell: pour lui qu'il eft conqué- rant ; c'eft pour nous qu'il eft bon : & la gloire des armes ne va pas loin , dit l'efprit de Dieu , fî l'amour des peuples ne la rend immortelle.
Ici le deuil de la France fe renouvelle : ^la plaie fe r'ouvre : l'image de Monsei- gneur reparoît : les larmes publiques re- -~ commencent; & il eil mal-aifé de.rappel- 1er tout ce que nous avons perdu , fans ai- grir & renouveiler toute la douleur de no- tre perte. La bonté n'étoit pas feulement une de fes vertus : c'étoit fon fonds ; c'étoit JoK 51. lui-même. Elle étoit née avec lui^ commic 52: parle Job 5 G* fortie avec lui du fcin de fa mere^
DE M, LE Dauphin. i6i Une bonté tonjours accefllble. Il faut étudier les momens favorables pour abor- der les Grands ; & le choix des temps & des occafions j eft la grande fcience du courtifan. Ici ^ tons les temps étoient les mêmes ; &: Thabileté du courtifan ne trou- voit pas plus d'accès & d'afFabilité , que la jfimplicité du peuple ou l'ignorance du ci- toyen. On ne fentoit point en l'approchant ce^ inquiétudes fecrettes que forme le fuc- cès douteux de l'accueil : la bonté fe mon- troit d'abord avant la majefté : on cher- choit le maître dans la douceur du parti- culier ; ou plutôt à fa douceur , on fentoit d'abord qu'il étoit digne d'être le maître : le cœur lui donnoit à l'inftant des titres de fouveraineté plus glorieux que ceux que donne la nailTance. C'eii l'amour qui fait les Rois : la naiiTance ne donne que les couronnes : c'cft l'amour qui forme les fujets.
Une bonté fenfible à l'amour des peuples pour lui. Les Princes ne favent pas toujours goûter le plaifîr d'être aimés : ils n'eftim.ent pas affez les hommes pour être touchés de leur amitié : ils ne connoilîent pas alTez le prix des cœurs ; & le long ufage des adu- lations les rend infenfibles à la véritable tendreife.
Monseigneur aimoitles peuples ; & il aimoit d'en être aimé. Quelle joie ! quand venant fe montrer au nriilieu de cette ville régnante , il voyoit tous les cœurs voler apiès lui 5 la tendreife publique fe ranimer^
î6l VrAISON FUNEBRE
le peuple oublier {es miferes , & ne plus fentir que leplaifir de voir un fi bon Maître ! Rappeliez ce moment terrible , où le Seigneur menaça , pour la première fois , la vie de ce bon Prince. Hélas ! il nous montroit de loin notre malheur. L'amour oie tout. Le peuple , oui le peuple le plus bas & le plus obfcur , court aux pieds du Trône ; & les portes augufics de la gloire & de la majefté , s'ouvrent à l'amour : c'eft im titre qui donne toujours le droit d'abor- der un bon Prince. Monseigneur fe laifîe voir : * cette foule obfcure approche du lit de fa douleur : il ne paroît rendu à la vie que pour fe rendre à K)n peuple : il reipeâ:e dans ces démonftrations populaires , l'a- mour de la Nation : il croit qu'un Prince y quelque grand qu'il puillè être , eft tou- jours honoré d'être aimé ; & elîuie en fe montrant , d-^s larmes , toujours plus fin- ceres dans le peuple , parce qu'il ne fait pas emprunter la douleur , & qu'il ne re- grette que ce qu'il aime.
Prince digne d'une Nation , dont le ca- raâiere perpétuel a toujours été d'aimer fes maîtres ; qui compte unfeulde leurs regards comme un bienfait ; & qui dans le temps même de fes miferes les plus triftes , n'a qu'à lever les yeux vers le Souverain , pour ne plus fentir la douleur de fes plaies , &: oublier à Tinflant fes malheurs & fes peines.
Les Halles de Paris députent Jix des principales Ha- ranger es , qui viennent à Verfailles féliciter Monsei- gneur fur fa convalefcence , & il veut quelles s'ap" prOiçi^nt de fon lit*
DE M. LE Dauphin. î6^ Une bonté fage & éclairée. La bonté des Princes autorife fouvent la malice des délateurs. Les meilleurs Rois y difoit au- ^M^^' trefois Aiîliérus , jugeant des autres par ^ eux-mêmes , font moins en garde contre les artifices des médians.
Les Cours fur-tout font pleines de déla- tion & de mauvais offices : c'eftlà où toutes les pafiions fe réunifTent , ce femble , pour s'entrechoquer & fe détruire : les haines & les amitiés y changent fans ceiTe avec les intérêts : il n y a de confiant & de perpé- tuel 5 que le deiir de fe nuire. Les liens même du fang fe dénouent , s'ils ne font reiferrés par des intérêts communs. Vami , Jerem* comme parle Jérémie , marche frauduleu- 9. 4. fcment fur fon ami , & U fiera fupplante le fiere. Il femble qu'on foit convenu que la bonne foi ne feroit pas une vertu , & que l'amitié ne feroit plus qu'une bienféance : l'art de tendre des pièges n'y deshonore que par le mauvais fuccès : enfin la vertu elle-même fouvent fauffe , y devient plus à craindre que le vice. La Religion y fournit fouvent les apparences qui cachent les em- bûches qu'on nous tend : l'on y donne quel- quefois les dehors à la piété , pour réferver plus sûrement le cœur à l'amertume de la jaloufie 5 & au defir infatiable de la fortune ; & comme dans ce temple de Babylone , dont il eft parlé dans Daniel , en public tout n paroît pour la divinité ; en fecret & par j^, ^ des voies fouterraines 5 on reprend tout pour foi-même.
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104 OrAISOI^ FUNEBRE
Monseigneur étoit bon ; mais il faîloît l'être pour avoir accès auprès de lui. Ses oreilles étoient fermées à la malignité des délations &: des impclliires : le détraâ:eur fecret ne trouvoiten lui qu'un fîlence d'indi- gnation &: de févérité. La langue empoi- fonnée , loin de lui fouffler le venin , s'in- fe6loit toute feule elle-même : la malice retomboit toujours fur l'homme méchant. On fe perdoit en voulant perdre l'innocent : on fe préparoit à foi-même la peine & l'ignominie qu'on lui avoit deiîinée. Il ban- nifToit de fon cœur ces ennemis publics de la fociété , qu'il faudroit bannir du milieu des hommes , convaincu , comme il le di • foit fouvent , que les m.échans ne décrient pas leurs femblables , & que l'impollure ne s'en prend jamais qu'à la vertu.
Enfin une bonté univerfelle. Bon pour fes amis : capable d'attachement & de ten-' dreife ; aimant toujours ce qu'il avoit une fois aimé ; ne connoilfant pas ces inégalités toujours attachées à l'amitié des Princes ; & n'ufant pas du privilège des Grands , qui eft de n'aimer rien , . ou de n'aimer pas long-temps. Bon père : partageant avec les Princes fes enfans , la douceur & l'inno cejice de fes plaifirs ; ne leur montrant fon autorité que dans fa tendrefîe : fenfible à leur gloire , plus fenfible encore , ce fem- ble 5 à leur amitié ; aimant à vivre au mi- lieu d'eux ; & ne leur faifant fenîir d'autre contrainte , que celle que donne la joie de vivre avec ce qu'on aime.
DE M, LE Dauphin» i6^ Bon maître : jamais de ces momens d'humeur fî ordinaires à ceux que rien n'o- blige à fe contraindre : plus on le voyoit de près , plus on fentoit qu'il étoit bon : ce ii'étoit plus un maître , c'étoit un ami ; en- trant dans tous les befoins des jfiens ; croyant qu'un Prince n'efi: jamais plus grand que lorfque c'efl la bonté qui l'abaifie ; voulant que tout le monde fût heureux avec lui ; perfuadé que les Princes ne font nés que pour le bonheur des autres hommes ; & ne comptant pas que ce fût être heureux que de l'être feul.
Grand Dieu ! quelles efpérances nous montriez-vous ? L'amour des peuples ne rend pas immortel , puifque fa courfe a été fi rapide & fî précipitée ; mais la mort des bons Princes eit toujours le châtiment le plus rigoureux , dont vous punifîiez la ma- lice des hommes.
Ainli fommes-nous féduits par nos efpé- rances 5 mes Frères. La Nation efpéroit tout d'un fi bon Prince : plufieurs de ceux qui m'écoutent , fondoient fur fa bonté & fur {un amitié des vues sûres &: particu- lières d'élévation & de fortune. Chacun fe forme dans l'avenir un fantôme qui l'é- blouit : le bonheur fe montre toujours à nous de loin : la mort de nos maîtres , ce grand fpe6lacle , où le monde & toute fi gloire fond à nos yeux , leur mort change feulement nos vues , fans changer notre cœur : chacun tente la fortune par de nou- velles voies ; nous formons de nouveaux
^6 Oraison funèbre projets: nous nous faifons un nouveau plan de Cour & de mefures : nous nous confo- lons de nos pertes par de nouvelles préten- tions : nos projets échouent fans celFe , &: nos efpérances revivent de nos projets mê- me renverfés ; au milieu du débris de tout ce qui nous environne , nous nous fauvons encore dans l'avenir. Tout nous défabufe du monde , & rien ne nous rappelle à Dieu. Efpérance d'élévation qui nous fé- duit ; efpérance de durée.
C'étoit la bénédiâ:ion promife à la piété filiale ; & la juftice renfermée dansl'accom- pliffement de ce devoir , ne fut pas moins le caractère confiant de Monseignnur que
Ephef, ^'^ b^i^té : In omni bonitate & jiijlitiâ.
5. 7. Mais devons-nous faire ici un mérite à la~
mémoire de ce Prince , de fa foumiffion tendre & refpeâ:ueuj(e pour le Roi? Quand la nature toute feule ne nous apprendroit pas à honorer nos pères ; quand l'amour que nous leur devons ne couleroit pas dans nos veines avec le fang que nous avons re- çu d'eux ; quand ce refped: ne feroit pas né avec nous , & formé , pour ainfî dire , avec notre cœur ; quel père , quel Roi , eft ici offert à la tendreffe & à la piété fi- liale de Monseigneur ! un Roi 5 la gloire & le modèle de tous les Rois ; un père , le plus tendre & le meilleur de tous les pères. Mais les droits de la nature font quel- quefois plus foibles dans le cœur des en- fans des Grands , que dans celui des au- tres hommes : ils regardent les fentimcns
DE M. LE Dauphin. i6j eu fang & de la nature , comme le partage du peuple : l'ambition prend chez eux la place de la t^ndrefle : leurs pères devien- nent fouvent leurs rivaux. Les hiftoires des fîecles pafTés & du nôtre , feront toujours fouillées de ces trilles exemples ; & David, ce père fi tendre , ce Roi fi grand & fi glo- rieux 5 ne lailTa pas de trouver un Abfalon.
Le relpeâ: perpétuel & lîncere de Mon- seigneur pour le Roi , n'a peut-être point d'exemple , non-feulement dans l'hilloire des Princes , mais encore dans celle des hommes d'une deflinée plus ordinaire. Plus l'âge l'approchoit du trône , plus fa fou- million fembloit croître. Parvenu à des années qu'on regarde prefque comme la vieilleiTe des Rois, on ne l'a jamais vu fe laffer un inftant d'être fujet. Content de voir couler fes plus beaux jours aux pieds du trône , jamais fes defirs ne montèrent plus haut ; & né pour régner , il n'a jamais penfé qu'il dût vivre que pour obéir.
Réglant toujours fes volontés fur celles du Roi ; les prévenant dès qu'il avoit pu les coiinoître ; formant fes goûts & fes defirs fur les fiens , refpe61:ant fes vues & fes def- tinations ; & par-là , de peur de les gêner , réfervé même à demander des grâces ; ap- prenant aux fujets le refpeâ: qu'ils doivent aux choix 6c aux deffeins de leurs maîtres ; à ne pas entrer témérairement dans le Sanc- tuaire des confeils & des fecrets de la Royauté ; à ne pas s'élever au-dedans d'eux- mêmes un tribunal d'iudépendance 8c dg
î6S O RAI SO }^ FUN E BRE
vanité , devant lequel ils ofent citer les Roîs de la terre ; & à ne toucher aux myfleres du trône , comme à ceux de l'autel , qu'avec une efpece de religion & de filence.
Les vues du Roi fur Monseigneur lui paroifToient toujours le feul parti qu'il eût à prendare : volant à la tête des arm.ées dès que {es ordres l'appelioient ; reprenant à Meudon , avec la même foumilTion , la douceur 5c l'innocence d'une vie privée , dès que le bien de l'Etat le demandoit. Toujours entre les mains du Roi , & tou- jours charmé d'y être.
Les hommes n'admirent d'ordinaire que les grands événements : la vie des Princes leur paroît vuide & obfcure , & ne les frappe plus dès qu'ils n'y trouvent pas de • ces a£i:ions d'éclat , qui embelliill^nt les hiiloires , & auxquelles fouvent ils n'ont prêté que leur nom. Il nous faut du fpec- Gen. ij. tacle pour attirer nos regards. Rendons ^' notre nom immortel , difoient ces enfans de..
Noé 5 en laiflant à nos neveux un monu - ment éternel de notre vanité. Ce font pref- que toujours les paflions qui immortalifent les hommes dans fefprit des autres hom- mes : les vices éclatans palfent à la pofté- rité : une vertu toujours renfermée dans les bornes de fon état , eil à peine connue de fon fiecle. Un Prince qui a toujours pré- féré le devoir à l'éclat , paroît n'avoir point ^ vécu : il ne fournit rien à la vanité des élo- ges 5 dès qu'il n'a pas eu de ces delTeins ambitieux qui troublent la paix des Etats ;
qui
DE M, LE Dauphin, i6ç qui renverfent l'ordre des iiiccenions & de la nature ; qui portent par-tout la inifere , riiorreur , la confulîon , & qui ne mènent à la gloire que par le crime. Il eîl beau de remporter des viâioires 5 & de conquérir des Provinces ; & fans doute que les occa- fions feules en manquèrent à Monsei- gneur. Mais qu'il eft grand , dit Saint Ambroife , de n'avoir jamais été que ce qu'on devoit être ! Grande eft allquem Intra S.Am- Jh tranquillum efïl & fibi convenire. hrof. ce
Non 5 mes Jhreres , la façon de penier de la plupart des hom.mcs eft là-àoiïus digne d'étonnement : il femble que nous n'aurons plus rien à dire , dès que nous n'aurons plus à louer que des vertus utiles au bon- heur des peuples , & à la tranquillité des Empires ; & qu'il nous faut pour le fu'ccès- de ces difcours , ou des crimes éclatans à pallier , ou des talens pernicieux au genre Jiumain à honorer de pompeux éloges. Hommes frivoles ! vous méritez d'avoir de tels maîtres dès que vous êtes capables de les admirer.
Le talent le plus cher à Monseigneur , fut un refpe^l: & une foumiffion confiante -, & à l'épreuve de tout pou.r le Roi. Et lie croyez pas que cette foumiiTion lui coûtât. Ce n'étoit pas ici feulement une vertu de raifon : il ne donnoit rien aux égards & à la bienféance ; il ne. fuivoit que les mjouve- mxcns de fon cœtir.' Occupé fai\s ceife da tout ce qui pouvoir plaire au Roi ; comblé de joie dès qu'il avoit su fe m.énager Foc-
Oraifon Jimcbrc» • H
170 Oraison funèbre calioîi de lui plaire ; transporté lorfqu'il avoit l'honneur de le recevoir à Meudon ; plein d'inquiétudes aimables , & entrant dans tous les détails , afin que le plaifir du Roi fut égal au iien , & paroillant plutôt un Courtifan empreffé , qu'un Héritier de la Couronne.
L'efpérance du Trône , 11 douce & li ca- pable d'étouHér les fentimens mêmes de la nature , ne s'offrit jamais à lui que comme une image affreufe. Le téméraire qui eut oie la lui faire entrevoir feulement de loin , eût trouvé à l'inftant , comme ceux qui crurent faire leur cour à David en lui ap- prenant qu'il étoit Roi , la peine de fa té- mérité & de fon infolence. Jamais on ne l'a entendu former de ces projets à venir il ordinaires aux hommes , & fi inévitables à l'imagination , qui fuppofafTent même ' qu'il pût régner un jour. Il a toujours penfé comme s'il devoit toujours obéir ; & Il Ja nature fembloit lui promettre des jours au-delà des jours du Roi , fa ten- dreiCe les abrégeoit ; & on lui a fouvent oui dire : Que Ja plus douce efoérance étoit de compter que le Roi lui furvivroiî , & ^'ii ne pourvoit pas furvivre lui-mcrae à la douleur de fa perte,
Aufil nous vîmes fes allarmes fînceres , durant ces jours d'affîiâion , où toute la France parut menacée avec la fanté de ce Monarque. On auroit cru à fa douleur profond'e , qu'il alioit perdre avec lui fa fortune Se £q^ efpéraiices. -La Royauté ne
VE M. L£ Dauphin, xjt lui paroiilbit plus que les derniers des mal- heurs pour lui -, dès qu'il eût fallu l'acheter par la perte d'un fi grand Roi &: d'un fi bon père : content d'obéir pourvu que le Roi
rcgiiat.
La longue durée des jours devoit , ce femble , être la récompenfe d'une piété fi tendre ; & fes jours ont été abrégés ; ù pf, ^g. il a cherché en vain le rejlc de fes années, !o. Nous nous le promettions pour nos neveux, & il n'eil plus même pour nous.
Quel fonds peut-on faire fur la vie ? c'cil ce que nous avons dit. Qui peut compter fur le lendemxain ? ce font les rétlexions que nous avons mêlées avec nos larmes. Et ce- pendant nous vivons comme fi tout ceci ne devoit jamais finir. La mort nous pa- roît toujours comme l'horifon qui borne notre vue , s'éloignant de nous à mefiire que nous en approchons , ne la voyant ja- mais qii'au plus loin , ne croyant jamais pouvoir y atteindre : chacun fe promet une efpece d'immortalité fur la terre. Tout tombe à nos côtés : Dieu frappe autour de nous nos proches j nos amis , nos maîtres ; & au milieu de tant de têtes & de fortunes abattues , nous demeurons ferm.es, comme fi le coup devoit toujours porter à côté de nous , ou que nous enfilons jette icî-bas des racines éternelles. Nous comptons îou- jours^y être à temps pour le falut ; & le temps du falut efi aujourd'hui , & nous mourrons avec le feul delir de mieux vivre. Dernière ei^-'érance qui nous féduit, La
H 2
172- O R AI s 0 N F U N E B RE
Religion du Prince 5 pour qui nous prions y a prévenu cette furprife. Bon pour les peu- ples 5 ref}3eâ:ueux à Tégard du Roi , il n'a pas été moins religieux envers Dieu ; & la vérité avoit fait en lui une fainte alliance avec la bonté & la juftice : In omni boni- tatc , & jujlitlâ 5 & veritate.
Ce n'ell pas que je veuille envelopper ici fous l'artifice infîpide des louanges 5 les foi- hlefies de fes premières années. Ne louons en lui que les dons de Dieu , &: déplorons les fragilités de l'homme : n'excufons pas ce qu'il a condamné : & dans le temps que l'Eglife offre ici la vifbime de propitiation , que fes chants lugubres demandent au Seigneur qu'il le purifie des infirmités at- tachées à la nature 5 ne craignons pas de parler comme elle prie , & d'avouer qu'il en a été capable.
Hélas ! qu'efc-ce que la jeuneiTe des Prin- ces ? & les inclinations les plus heureufes 6c les plus louables , que peuvent- elles con- tre tout ce qui les environne ? Moins expo- fés qu'eux , fommes-nous plus lidelles? Nos chûtes fe cachent fous robfcurité de notre deftinée : mais qu'offriroit notre vie aux yeux du public , Il elle étoit en fpec[:acle comme la leur ? Ah ! c'eil un malheur de leur rang ; que fouvent , avec plus d'inno- cence que nous , ils ne fauroient jouir comme nous de l'impunité d'un feul de leurs vices.
S'il y a eu quelque dérangement dans les premières aiiuévS d.e_ ce Prince j. l'âge y eut
DE M. LE VAUPHin. 173
plus de part que le cœur : l'occadoii put le trouver foible ; elle' ne le rendit jamais vi- cieux ; & le relie de {es jours paBcs depuis dans la règle , montrent allez que Fcgarc- ment n'avoit été qu'un oubli , & qu'en fe rendant au devoir , il s'étoit rendu à lui- même.
Oui , Monseigneur pouvoit dire com- me Salomon , qu'il avoit eu en partage Sap. 2» une atre bonne 5 8c un cœur tourné à la '^* vertu : d'une droiture & d'une vérité digne de l'éducation qu'il avoit reçue de ce Cour- tifan Chrétien , qui pafia pour riiomme le plus vrai de Ton jfïecle. Religieux obferva- teur de la bonne foi , des fentimens d'hon- neur & de probité , plus sûrs quelquefois pour la vertu , que les ardeurs les plus vi- ves du zèle. Un fecret à l'épreuve de la fa- miliarité même la plus privée : ck en un mot 5 un de ces hommes, dont chac-un au- Toit voulu fe faire un ami , lî le refpefi: eût permis de fe faire un ami de fon Maître.
Plus Monseigneur étoit vrai , plus i! étoit ennemi du faux. Quel mépris pour les adulateurs , la honte des Cours , 8€ recueil des meilleurs Princes î regardant les faufTes louanges comme un aveu public de la mauvaife foi de celui qui les donne , & de la vanité de celui qui les reçoit ; croyant que les éloges donnés aux vertus que nous n'avons pas , devinnent pour la poflérité des cenfures qui ne fervent qu'à immorta- lifer nos défauts véritables ; & perfiiadé qu'un bon Prince cfl toujours aftez loué d'être aimé. H 3
174 Oraison funèbre
Mais jufqu'ici il n'a paru vertueux que devant les hommes. Vous Fallez voir ver- tueux devant Dieu , jufte & charitable. Et de quoi n'eft pas capable la bonté naturelle , quand elle eft aidée d'un fonds de religion , èc que la nature donne 5 pour ainfi dire , les m.ains à la grâce ?
Maifon déferte & défolée , qui devenue fans habitans , comme parle un Prophète , pleurez votre folitude 5 * ot la gloire de vos anciens jours ! vous n'oublierez jamais Iqs pieufes largeffes de ce bon Prince : vos pauvres pleureront avec vous : la veuve & l'orphelin viendront vous redemander leur confolateur & leur père : ils mouilleront de leurs larmes les lieux heureux qu'il ha- bita ; & leurs clameurs , en vous renouvel** îant fans cefTe le fouvenir de fa perte, vous renouvelleront aufli l'efpérance confolante qu'il n'eil perdu que pour le temps.
Ses L-^.rgcilés faintes n'autorifolent pas l'oubli de fcs devoirs religieux ; 8c il ne croyoit pas , com.me la-plupart des Grands , que touti'Evangile fe borne pour eux à la miifcricorde. 1 eut le monde a connu fon relpe£l: confervé depuis l'enfance pour les ioix de FEglife. Les jours qu'elle cOxifacre à l'abilinence , à peine connus des Grands , furent toujours pour lui des jours facrés. On l'a vu fe refufer même le morceau pris par oubli ; & comme Jonathas , fe croire prefque digne de mort , pour avoir par ignorance , goûté un peu de miel contre le vœu du peuple faint.
* Meudon,
DE M. LE DaUTHIN. I75
Et ce n'étoit pas ici une obfervance fcru- piileiife 5 où il entre fouvent plus de foi- blefTc que de foi ; c'étoit un cœur reli- gieux ; c'étoit un fonds de piété iincere : tout ce qui appartenoit à la Religion , lui paroifToit grand : &: c*eft ce fonds de reli- gion 9 qu'il oppofa toujours aux difcours de l'impiété. Car qu'il eft rare que les Grands , fur-tout dans le premier âge , ne foient pas environnés de ces hommes au- dacieux , qui difent : Quel ejl notre Dieu : & qui trop foibles pour le fervir , croient paroître forts , en faifant femblant de ne le pas connoître : ces hommes , qui ne fa- vent de la fcience de la foi , que les blaf- phêmes qui l'attaquent ; qui ont appris à être incrédule.s avant que d'apprendre à croire ; qui ne font impies que par oilen- tation ; &: qui fouvent infpirent aux autres i'incrédidité à laquelle ils n'ont pu. encore parvenir eux-mêmes.
La langue de l'impie fécha toujours de- vant lui de honte & de confuiion. Il n'ufa de {on autorité , que lorfqu'il vit l'autorité de la foi attaquée : fa douceur n'étoit plus qu'un courroux majeflucux & digne d'un defcendant de Clovis : c'étoit la force & la févérité , qui fortoit du doux & du clé- ment.' Et qu'il étoit beau de voir l'Héritier de la Couronne défendre , en défendant la Religion , le plus beau privilège qui illuflre le trône de fes Pères ; ne pouvoir iouffrir que l'impie ôîât à la Maifon de France le plus ancien patrimoine dont elle fe glorifie;
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176 Oraison FUNKfiRè j <3C qu'il regardât le titre de la foi & de pre-
j mier Roi Chrétien ^ dont les Rois fes ancê-
tres fe font toujours honorés , comme un ' titre vain & une erreur populaire !
Leçon immortelle pour les Souverains , qui doivent fe fou venir que la Religion af- I fiire leur autorité ; que l'incrédule j qui a
f fecoué le joug de la foi , fe défaccoutume
bientôt du joug de l'obéiffance ; que ceux qui ne connoiflent point de Dieu , ne ref- ]:je6lent pas plus les liom.mes ; & que les impies font toujours mauvais fujets.
Ainfî la piété fincere de ce Prince hono- roit la Religion. Mais enfin , ô mon Dieu ? la France n'en étoit pas digne ; vous ne le formiez que pour vous feul : il n'a régné que fur les cœurs , & fon autre régne ne ,devoit pas être de ce monde.
L'ordre part de§ confeils éternels : l'Ange d'en-haut 5 Miniftre des defTeins & des ven- geances du Seigneur , vient marquer la maifon du premier né : la plaie , qui af-' flige le peuple , entre jufques dans la mai- fon du Prince , & le bien-aimé efl frappé. 'Qtîelle confternation répandue dans le pu- blic avec cette trifle nouvelle ! Le peuple elt tremblant ; la ville pleure ; les temples faints font les dépolitaires de la douleur & de la crainte publique ; toutes les mains font levées au Ciel ; la Cour change en , deuil fa majefté & fa gloire. Un bon Prince efl l'héritage de chaque particulier , & clxa- cun craint , parce que chacun doit perdre. Le Roi touché du péril de Monsei-
DE M. LE Dauphin. 177 GNEUR n'en connoît plus pour lui-merne: il oublie qu'il fe doit à fon peuple , & ie livre à fa tendreUe : il expofe , avec fa per- fonne facréc 5 le falut <le l'Etat 5 & ajoute au poifon de la douleur , dont fon cœur tendre & paternel efi: déjà flétri , celui de l'air mortel qu'il refpire. Un fî bon fils étoit digne , fans doute , que le malheur de tous les pères reçut fes derniers foupirs : il avoit toujours vécu entre fes mains , il falloit qu'il mourût de même.
Hélas 1 tout couvert de fa douleur 5 & de la plaie qui infecte tous fes membres , quelles font fes craintes & fes inquiétudes l 11 craint pour le Roi : une vie fi précieufe expofée devient la plus vive de fes peines. Je mourrois de douleur ^ dit-il jjï le Roi au fortir d'ici avoit feulement mal à la tête.
Quel fpeé^acle de tendreffe s'offre ici à la poftérité ! La douleur aiin père , tou- jours grand dans fës afFiidlions comme * dans fes profpérités , ne compte pour rien le danger ; & le danger du père devient l'unique douleur du fils mourant. Quelle leçon domeflique dans les fiecles à venir, pour les defcendans de cette augufle Mai- Ion ! Et les Iiifloires doivent- elles moins immortalifer ces exemples touchans d'hu- manité 5 que les victoires & les conquêtes ; lefquelles n'ont fouvent attiré de la gloire aux hommes 5 qu'aux dépens de 1 humanité même ?,
Les deux Princes fes nls , déjà accablés des inquiétudes de la crainte 5 portent cn^
17^ Oraison funèbre
core l'accablement de la féparation. Meu- don 5 qui renferme tout ce qu'ils ont de plus cher au monde , leur devient un lieu interdit. Une PrincèfTe augiifte , * le lien & la joie de la Maifon Royale, & qui donne il heureufem.ent pour l'Etat des Hé- ritiers à la Couronne qu'elle doit porter , demande , ccmmic une grâce , qu'il lui foit permis d'aller partager le péril. Mais la France fe refufc à leur tendreffe ; nous de- vions allez perdre , & il ne ialloit pas tout rifquer.
Cependant tout flattoit encore nos efpc- rances. Une douce fécurité fembîe tou- jours précéder les grands malheurs : plus on doit perdre , plus on efpére. Les appa- rences du mal ne fembloient annoncer qu'un danger ordinaire : les conje<5iures de l'art 5 que raffeftion & l'habileté rendoient également éclairées , étoient favorables à nos defîrs : le coup de foudre qui alloit éclater , fe cachoit encore fous l'éclat trom- peur de la nuée. Dieu nous laiiToit encore jouir de notre erreur : hélas ! nous fommes y. toîîjours à fes yeux les jouets de nos vaines elperances : la parole de mort tîoii jor- îie de fa bouche j & elle ne dcvoit pas re- tourner à lui vuide.
Déjà des préfages douteux nous l'annon- cent : le mal furmonte les remèdes : le Prince paroit menacé de plus près : fournis à Dieu j il adore la main qui le frappe : nulle impatience au mJlieu de fes douleurs :
* Adélaïde ds Savçis , Duçhejf^ dç Bourgogne.
II.
DE M. LE DâUPHÎK. 179
la violence du mal toute feule nous apprend qu'il ibuflre : on n'en tire pas mêriie les plaintes nécelTaires au fecours de l'art. Il ne fe plaint qu'à Dieu feul , & ce n eit pas de fes douleurs : il ne fent que le regret de {çs fautes : il en trouve l'expiation dans fa patience &.dans fes defirs. Une révolution îbudaine l'accable : elle répand déjà un nuage- fur fes yeux , & arrête fur fa langue Jes paroles de pénitence & de réconcilia- tion : il tend , par des fignes de douleur & de repentir j les mains à l'Eglife : cette Eglife dont il avoit toujours refpeâé les loix , qui venoit de le nourrir depuis peu de ce Pain myftérieux qui fait les délices des Rois , & de laquelle la nailîance le def- tinoit à être le protecteur. Sa langue déjà immobile fe délie enfin pour demander les grâces des Sacremens ; ces grâces dont il avoit toujours ufé avec tant de religion , & aufquelles les derniers myfleres de la Pâques l'avoient vu participer , avec des fentimens de foi & de piété plus vifs & plus touclians que jamais , comme s'il eût preifenti que cette Pâques devoit être la veille & l'appareil de fa mort ; qu'il ne boiroit plus de ce breuvage myftérieux, qu'il ne le bût nouveau dans le Royaume du Père célefte.
Mais éhRn la foi fupplée au miniftere des hommes. Le feu du Ciel tout feul peut al- lum.er , quand il le faut , le facrifice , & fmc- tiiîer la vi£lime : [es defirs fervens devien- nent eux-m.êmes la grâce qu'il demande :
H6
l8o OliAlSOh' FUt^EERE ^8i.C, il ne lui en a manqué que la coniblation : il en a eu Teifet & la vertu ; & nous en avons l'efpérance.
Grand Dieu ! une ame fî bonne & fi re- ligieufe n'auroit-elle pas trouvé ouvert le fein de vos miféricordes éternelles ? un Prince fî fort, félon le cœur des hommes , ne fercit-il pas félon votre cœur ? Rece- vez 5 Seigneur , le facrifice de nos larmes &: de nos prières : regardez du haut du Ciel fur ces offrandes faintes : que le fang de la Vidime 5 qui coule fur l'autel , ne coule pas en vain pour lui : confolez la piété d'un Roi & la douleur d'un père , qui ne demande plus que fon fils vive , pourvu qu'il vive devant vous : que ce temple au- gufle parle lui-même en faveur du fang de Pf. 71» laint Louis ! Donnei vo're juflice au fils du ^' Roi^ fifes juflices fe trouvent défeâ:ueufes î
placez-le devant vous parmi fes faints Rois fes ancêtres , qui occupèrent le trône que fa nailTance lui deflinoit : que le livre éter- nel le fafle rentrer dans la fuccefîion des Charlemagne & des faint Louis 5 dont il fera exclu dans nos hifloires ; & rendez- lui dans le Ciel la Couronne que vous n'a- vez pas voulu permettre qu'il portât fur la terre.
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ORAISON
FUNEBRE
DE LOUIS LE GRAND .
ROI DE FRANCE.
Prononcés dans la fainte Chapelle de Paris,
Ecce magnus effe^lriîs fum, & prsecelîît omnes fapientiâ , qui fuerunt ante me in Je- rufalem .... Se agnovi qiiodin his qiioque effet labor , &: aitîi6î:io fpiritûs.
Je fuis devenu grand : jaifurpajfé en gloi- re ù en fagejfe tous ceux qui m'ont précédé dans Jérufalem ; & yai reconnu quen cela même il ny avoiî que vanité , & affliction d'efprit,EccleL i. i6. 17.
DIeu feul efl grand , mes Frères , 8ç dans ces derniers momens fur-tout , où il préiide à la mort des P^ois de la terre : plus leur gloire & leur puilîance ont éclaté , plus j en s'évanouiilant alors , elles rendent
i?2 Oraison funèbre hommage à fa grandeur fuprêm.e : Dieu paroît tout ce qu'il eft; & l'homme n'eft plus rien de tout ce qu'il croyoit être.
Heureux le Prince dont le cœur ne s'eiî: point élevé au milieu de fes profpérités & de fa gloire ; qui , femblable à Salomon , li'a pas attendu que toute fa grandeur ex- pirât avec lui au lit de la mort , pour avouer qu'elle n'étoit que vanité & afflic- tion d'efprit ; & qui s'eft humilié fous la main de Dieu , dans le temps miême c^ue l'adulation fembloit le mettre au-delfus de l'homme !
Oui 5 mes Frères , la grandeur & les viftoires du Roi que nous pleurons , ont été autrefois afTez publiées : la m.agnifî- cence des éloges a égalé celle des événe- mens : les hommes ont tout dit , il y a long- temps , en parlant de fa gloire. Que nous relle-t-il ici , que d'en parler pour, notre inllruâ:ion ?
Ce Roi 5 la terreur de fes voifins ^ l'éton- nement de l'univers , le père des Rois ; plus grand que tous fes Ancêtres , plus ma- gnifique que Salomon dans toute fa gloire, a reconnu com.me lui , que tout étoit vanité. Le monde a été ébloui de l'éclat qui Ten- vironnoit : fes ennemis ont envié fa puif- fance : les Etrangers font venus des Mes les plus éloignées bailTer les yeux devant la gloire de fa majefté : fes fujets lui ont prefque dreifé des autels ; & le preftige , qui fe formoit autour de lui , n'a pu le féduire luirinême.
ï)E Louis LE Grand. 185 Vous l'aviez rempli 5 ô mon Dieu! de la crainte de votre nom : vous l'aviez écrit fur le livre éternel , dans la fuccefTion des faints Rois qui dévoient gouverner vos peu- ples : vous l'aviez revêtu de grandeur & de m.agnificence. Mais ce n'étoit pas afTez ; il falloit encore qu'il fût marqué du caraôere propre de vos Elus : vous avez récompenfé la foi par des tribulations & par des dil^ grâces. L'ufage chrétien des profpérités peut nous donner droit au royaume des Cieux ; mais il n'y a que raffliâ:ion & la violence qui nous l'afTure.
Voyons-nous des miêmes yeux , mes Frères , la viciiTitude des chofes humaines ? Sans remonter aux fiecles de nos pères y quelles leçons n*a-t-il pas données au nôtre ? Nous avons vu toute la race ro- yale prefque éteinte : les Princes , l'efpé- rance & l'appui du trône , m.oilîbnnés à la fleur de leur âge : l'époux & l'époufe au- gufle 5 au milieu de. leurs plus beaux jours , enfermés dans le mêm.e cercueil , &: les cendres de l'enfant fuivre trillem.ent & augmenter l'appareil lugubre de leurs fu- nérailles : le Roi qui avoit paflë d une mi- norité orageufe , au régne le plus glorieux dont il foit parlé dans nos hiHoires , retom- ber de cette gloire dans des iriallieurs , pres- que fupérieurs à fes anciennes prospérités ; fe relever encore plus grand de toutes ces perles , & ilirvivre à tant d'événemens di- vers pour rendre gloire à Dieu , & s'affer- mir dans la foi des biens immuables.
î84 Oraison! FUNEBRE
Ces grands objets pafTent devant nos yeux comme des fcenes fabuleufes : le cœur fe prête pour un moment au fpeâ:a- cle ; rattendriiiement finit avec la repré- fentation : & il femble que Dieu n'opère ici-bas tant de révolutions , que pour fe jouer dans l'univers , & nous amufer plu- tôt que nous inllruire.
Ajoutons donc les paroles de la foi à cette trille cérémonie , qui fans cela nous prêcheroit en vain : racontons , non les merveilles d'un régne que les hommes ont déjà tant exalté ; mais les merveilles de Dieu fur le Roi qui nous eft ôté. Rappel- ions ici fes vertus plutôt que fes viâoires : montrons-le plus grand encore au lit de la mort 5 qu'il ne l'étoit autrefois fur fon trône, dans les jours de fa gloire. N'ôtons les louanges à la vanité , que pour les rendre à la -grâce ; & quoiqu'il ait été grand , & par l'éclat inoui de fon régne & les fen- timens héroïques de fa piété , deux réfle- xions fjr lefquelles va rouler ce devoir de Religion que nous rendons à la mémoire de TRÉS-HAUT 5 TRÉS-PUISSANT ET TRÉS- F.XCELLENT PrîNCE LoUIS XIV. DU NOM ,
Roi de France et de Navarre : ne par- lons de la gloire & de la grandeur de fon régne , que pour en montrer les écueiîs & le néant qu'il a connu ; & de fa piété , que pour en propofer &: immortalifer les exem- ples.
DE Louis le Grai^v,. 1S5
Ont ce qui fait la grandeur des Pvois !• fur la terre , en fait auiTi le danger. Les ^^^'^^^ fuccès éclatans dans la guerre , la magni- ficence dans la paix , l'élévation des fenti^ mens 5 & la majefté dans la perfonne : voilà ton* ce que la vanité peut faire fouhaitey aux Souverains ; & voilà aulTi tout ce que la foi doit leur faire craindre.
Le Roi 5 pour qui nous prions , paiîa , pour ainfi dire , du berceau fur le trône : il ne jouit point des avantages de la vie privée , toujours utile ali Souverain 5 parce qu'elle lui apprend à connoître les hom- mes 5 & que les hommes lui apprennent à fe connoître lui-même.
Mais Dieu qui veille à l'enfance des Rois 5 & qui en formant leurs premières inclinations , fembîe former les deilinées publiques , verfa de bonne heure dans ion ame ces grandes qualités qui fuppléent aux inflruâions, & quel'inftruCiion toute feule ne donne pas toujours.
Les troubles d'une longue minorité étant calmés par les foins d'une Régente ver- tueufe & d'un Mini/Ire habile , Louis au fortir de ces nuages , commence à fe mon- trer à fes peuples. La jeunefie , toujours plus aim.able , ce femble . dans les Princes ; cet air grand & augufte , qui tout feul annonçoit le Souverain ; la tendreffe per- pétuelle de la nation pour (es Rois , tout le rendit maître des cœurs ; & c'eft alors qu'un Prince eil: véritablement Roi , quand
iS6 • Oraison funèbre l'amour des peuples ^ fi j'ofe parler ainfi ^ le proclame.
La France reprenoit alors cet état fie- riffant qu'un nouveau régne femble tou- jours promettre aux Empires. Les dilTen- fions civiles l'avoient plus aguerrie & pur- gée de mauvais citoyens , qu'épuifée. Les Grands réunis aux pieds du trône 5 ne peu- foient plus qu'à le foutenir. Les guerres étrangères , & qui n'étoient encore que de Nation à Nation , occupoient la valeur de {es fujets 5 fans accabler fes peuples. Heu- reufe , fi elle n'eiit pas connu depuis toute fa puilfance ; & fi en ignorant combien il lui étoit aifé de conquérir , elle n'eût pas fenti dans la fuite tout ce qu elle pouvoit perdre !
Le miariage de l'îii faute d'Efpagne avec Louise, venoit de fufpendre les anciennes jaloufies 5 que le volfiiiage , Ja valeur , la puiiTance formoienî entre les deux Nations. Les P3Tenées qui les avoient vuqs tant de fois fe diijxîter la victoire , les virent m.e- ner en triomphe fur les mêmes lieux , les gages augufies de la paix. Le lit nuptial fut 5 pour ainfi dire , drelTé fur le chamip fameux de tant de batailles. On y célé- broiî 5 fans le favoir ^ la naiflance future d un Souverain , que ce miariage devoit un jour donner à rErpagne. Mais ce grand jour 5 qui enfanta depuis la réunion des deux Empires , ne put encore réunir les cœurs.
La Régente ne furvécut pas long-temps
DE Louis le Grand. lîy k la joie d'une cérémonie 5 qui fut le fruit de fa fagefTe , l'objet fixe de Tes defirs , 3c qui couronna fa glorieufe adminiftration* Le grand Miniftre qui l'avoit aidée à fou- tenir le poids des ail^iires 5 & qui avoit fu fauver la France 5 malgré la France conju- rée contre lui 5 avoit vu peu auparavant expirer avec lui une autorité , que la France ne foufFfit jamais fans jaloufie entre les mains d'un étranger j mais que les orages avoient aîTermùe.
Louis fe trouva feul , jeune 5 paifî}3le , abfolu 5 puiffant , à la tête d'une Nation belliqueufe ; maître du cœur de fes uijets &: du plus floriffanî royaume du monde ; avide de gloire ; environné de vieux Chefs 5 dont les exploits pafTés fembloient lui re- procher le repos où il les laiiToit encore. Qu'il ell difficile , quand on peut tout , de fe défier qu'on peut aufli trop entreprendre !
Les fuccès jullifient bientôt nos entre- prifes, La Flandre efl d'abord revendiquée comme le patrimoine de 'Th'^refe; & tan- dis que les Manifeftes écl aire i/lent notre droit 5 nos vi(9:oires le décident.
La Hollande , ce boulevard , que nous avions élevé nous-miêmes contre rËfpagne, tombe fous nos coups : fes villes devant lefquelles l'intrépidité Efpagnolle avoit tant de fois échoué , n'ont plus de mur à l'é- preuve de la bravoure Françoife ; & Louis eft fur le point de renverfer en une Cam- pagne , l'ouvrage lent & pénible de la valeur &: de la politique d'un fiecil entier.
ï88 OrAÎSON FUNEBRE
Déjà le feu de la guerre s'allume daii3 toute l'Europe : le nombre de nos vi£loires augmente celui de nos ennemis ; & plus nos ennemis augm.entent , plus nos vic- toires fe multiplient. L'Efcaut , le Rhin , le Pô , le Tlier , n'oppofent qu'une foiblô digue à la rapidité de nos conquêtes. Toute l'Europe fe ligue , & fes forces réunies ne fervent qu'à montrer la fiipériorité des nô- tres : leç mauvais fuccès irritent nos enne- mis 5 fans les défarmer : leur^-- défaites , qui doivent finir la guerre 5 réternifent : tant de fang déjà répandu ^ nourrit les haines , loin de les éteindre : les traités de paix ne font que comme l'appareil d'une nouvelle guerre. Munfœr 5 Nimegues , Rifvic , où toute ja fageiTe de l'Europe affemblée pro- mettoit de fi beaux jours , -ne forment que des éclairs qui annoncent de nouveaux ora- ges : les fituations changent ^ & nos prof^ pérités continuent. La Monarchie n'avoit pas encore vu des jours fî brillans : elle s'étoit relevée autrefois de fes malheurs : elle a penfé. périr & s'écrouler fous le poids de fa propre gloire.
La terre toute feule ne fembioit pas m.ê- me fuffire à nos triomphes. La mer encore gémilToit fous le nombre & fous la gran- deur énorme de nos Navires. Nos Flottes , qui fuffifoient à peine fous les derniers ré- gnes pour mettre nos côtes à couvert de l'infulte des Pirates , portoient parrtout au loin la terreur & la victoire. Les ennemis ufques dans leurs Ports , avoient
DE Louis le Grand. 1S9 paru céder à l'étendard de la France , l'em^ pire des deux mers. La Sicile, la Manche, les Ifles du Nouveau-Monde , avoient vu leurs ondes rougies par les défaites les plus fanglantes ; & l'Afrique même , encore fiere d'avoir vu autrefois échouer fur fes côtes 5 la valeur de St. Louis &: toute la puilfance de Charles-Quint , ne trouvant plus d'afyle fous fes remparts foudroyés , avoit été obligée de venir s'humilier , & d'en chercher un aux pieds du trône de Louis.
Nous nous élevions de tant de profpéri- tés, & nous ne favions pas que l'orgueil des Empires eft toujours le premier fîgnal de leur décadence.
Telle fut la grandeur de Louis dans la guerre. Jamais la France n'avoit mis fur pied des armées û formidables : jamais l'art militaire , c'efl-à-dire , l'art funelle d'apprendre aux hommes à s'exterminer les uns les autres , n'avoit été. pouiTé iî loin : jamais tant de Généraux fameux ; & pour ne parler que de ces'premiers temps, iniCondé, dont le premier coup d'œildéci- doit toujours de la viâoîre ; un Turenne , qui plus tardif en apparence n'en étoit que plus sûr du fuccès : un Crequi j plus- grand le jour de fa défaite , qne dans les jours de fes triomphes ; un Luxembourg , qui^fem.- bloitfe jouer de la vi(^oire; & tant d'autres venus depuis , que nos annales mettront un jour parmi les Guefclins 8c les Dunois da notre fieçle.
îpo Oraison funèbre
Mais liélas ! trifte fouvenir de nos vic- toires 5 que nous rappellez-vous ? Monii- mens luperbes élevés au milieu de nos pla«^ ces publiques , pour en immortalifer la mémoire , que rappellerez-vous à nos ne- veux , lorfqu'ils vous demanderont , com- me autrefois les Ifraè'Iites ^ ce que figni- fient vos mafîes pompcufes Se énormes ? ^Jof. 4. Quando in-Urrogavcrinî vos fdil vejîri ^ diccntcs : Quul fibi volunt ifti lapicks ? Vous leur rappelleriez un fîeclc entier d'hor- reur 'cz de carnage : l'élite de la Noblefie Françoife précipitée dans le tombeau ; tant de Maifons anciennes éteintes ; tant de mères point coniolées , qui pleurent encore fur leurs enfans ; nos campagnes dcfertes , & au lieu des tréibrs qu'elles renferment dans leur fein , n'ofFraiit plus que des ron- ces au petit nombre des Laboureurs forcés de les négliger : nos villes défolées ; nos peuples épuifés ; les arts à la fin fans ému- lation ; le commerce languiiTant : vous leur rappellerez nos pertes , plutôt que nos conquêtes : Quando intcrrogaverint vos filii veJlri , diccntcs : QLnd Jïbi volunt ifti lapides ? Vous leur rappelleriez tant de lieux fainîs profanés ; tant de diiTolutions capables d'attirer la colère du Ciel fur les plus juiles entreprifes ; le feu , le fang , le blafphême 5 l'abomination , & toutes les horreurs qu'enfante la guerre : vous leur rappellerez nos crimes 5 plutôt que nos vic- toires : Quando intcrrogavcrint vos.fthi rcjlri y dicsnus : quldjïbi volunt ifti lapides ?
DE Louis le Grand, ici O fléau de Dieu ! ô guerre! cefierez- vous enfin de. ravager l'héritage de Jesus- Christ ? O glaive du Seigneur , levé de- puis long-temps fur les peuples & fur les Nations , ne vous repoferez-vous pas en- core ? O mucro Domini ! ufquequo non Jerem* quiefces ? Vos vengeances , ô mon Dieu ! 47* 6» ne font-elles pas encore accomplies ? N'au- riez-vous encore donné qu'une fauffe paix à la terre? L'innocence de i'auguRe Enfant que vous venez d'établir fur la Nation , ne cléfarme-t-elle pas votre bras , plus que nos iniquités ne l'irritent ? Regardez-le du haut du Ciel , & n'exercez plus fur nous des châtimens qui n'ont fervi jufqu'ici qu'à multiplier nos crimes : O mucro Domini l ufquequo non qukfcc s ? Ingrcdere in vagi- nam tuam , rcfrigemre , & file.
Un fi long cours de profpérités inouies , qui devoit un jour nous coûter fi cher , éleva bientôt le Royaume à un point de gloire & de magnificence ^ où les fiecles paflés nel'avoientpas encore vu. La France devint comme le fpeCtaclc pompeux de toute l'Europe. Que de Maifons royales s'élevèrent , demeure fuperbe de Louis , où toutes les merveilles de î'Ade & àc l'Italie raifemblées , fembioieiiî venir ren- dre hommage à fa grandeur. Paris , com- . me .-Rome triomphante , s'embeliifibit des déppuiiies des natioris. La Cour , à rexeni- ple du Souverain , plus brillante & plus magnifique que jamais , fe piqiia d'-efiaccr l'éclat des Cours étrangères. La ville jTiml-
ICI Oraison funèbre tatrice éternelle de la Gour : en copia le falle. Les Provinces à l'envi marchèrent de loin fur les traces de la ville. La fimplicité des anciennes mœurs changea ; il ne relia plus de veftiges de la modeilie de nos pè- res 9 que dans leurs vieux & refpeâ:ables portraits , qui en ornant les murs de nos Palais , nous en reprochoient tout bas la magnificence. Le luxe 5 toujours le précur- feur de l'indigence , en corrompant les mœurs , tarit la fource de nos biens : la mifere même , qu'il avoit enfantée , ne pût le modérer : la perpétuelle inconfiance des ornemens fut un des attributs de la nation : la bizarrerie devint un goût : nos voifins m-êm.es , à qui notre fafte nous rendoit iî odieux , ne laillèrent pas d'en venir cher- cher chez nous le modèle ; & après les avoir épuifésparnos victoires ^ nous sûmes encore les corrompre par nos exemples.
Cependant chaque jour embelliiîbit le régne de Louis. La navigation plus fîorii- fante que fous tous les régnes précédens , étendit notre commerce dans tputes les parties du monde connu. Des hommes ha- biles furent envoyés vers les côtes les plus éloignées de l'un & de l'autre hémifphere, pour prendre des points fixes & en perfec- tionner les connoiilances. Un édifice' célè- bre * s'éleva hors de nos murs , où en ob- fervanî le cours des aflres & toute la ma- gnificence des çieûx , ori marque au Pilote des routes certaines fur la vafle étendue de
* L'O&ervatoire^
rOcéan j
DE Louis le Grand, 195
rOcéan ; & on apprend au Phiîofophe à s'humilier fous la majef^é immenfe de l'Au- teur de l'univers. Nos flottes , aidées de ces fecours , nous apportoient tous les ans y comme celles de Salomon , les richelTes du nouveau monde. Hélas ! ces nations infu- laires & fimples , nous envoyoient leur or & leur argent & nous leur portions peut- être en échange , au lieu de la foi , nos déréglemens & nos vices.
Le commerce 5 fi étendu au dehors , fut facilité au dedans par des ouvrages dignes de la grandeur des Romains. Des rivières y malgré les terres & les collines qui les fépa- roient , virent réunir leurs eaux, & porter aux pieds des murs de la Capitale , le tri- but & les richelTes diverfes de chaque Pro- vince. Les deux mers , qui entourent & qui enrichilTent ce vafle Royaume 5 fe don- nèrent 5 pour ainfî dire^, la main ; & un canal miraculeux , par la hardieâé & les travaux incompréhenfîbles de Fentreprife , rapprocha ce que la nature avoitféparé par des efpaces immenfes.
Il étoit réfervé à Louis d'achever ce que les fiecles précédens de la Monarchie n'au- roient même ofé fouhaiter : c'étoit le régne des prodiges : nos pères ne les avoient pas mêmxe imaginés , & nos neveux n'en ver- ront jamais de femblabllss ; mais plus heu- reux que nous , ils verront peut-être le régne de la paix , de la frugalité &i de l'inno- cence. Qu'ils n'arrivent jamais au comble frivole de notre gloire, plutôt que de Tache* Graifon funsbre* I
'Î94 Oraison funèbre
ter au prix des vices & des malheurs , où
elle nous a précipités !
Il eft vrai que les foins de Louis , pour augmenter l'éclat & le bon ordre du Ro- yaume ^ ne fe propofoient point de bornes. La ville régnante , Tabord de toutes les Nations, & qui rafîemble le choix, comme le rebut de nos Provinces , vit ce nombre prodigieux d'habitans fi différensde miœurs, d'intérêts , de païs , vivre comme, im feui homme. La Police y ôta au crim.e la sûreté que la confufion & la multitude lui avoient jufques-là donnée. Au milieu de ce cahos régnèrent l'ordre & la paix ; & dans ce concours innombrable d'hommes fî incon- nus les uns aux autres , nul prefque ne fut inconnu à la vigilance du Magiflrat.
Le Royaume entier changea de'facs comme la Capitale : la JuHice eut des loix iixes ; <k le bon droit ne dépendit plus, ou du caprice du Juge , ou du crédit de la Partie ; des réglemens utiles , Se qui de- viendront la Jurii|3rudence de tous les ré- gnes à venir , furent publiés ; l'étude du Droit François & du Droit Public , fe ra- nima : des Sénateurs célèbres , & dont les noms formeront un jour la tradition des grands hom.mes , qui em.belliront l'hifloire de la Magiilrature , ornèrent nos Tribu- naux : l'éloquence , & la fcience des loix 6c des maximes , brillèrent dans le Bar- reau ; & la Tribune du Sénat principal devint auiTi célèbre par la majefté des plai- doyers publics , que l'avoit été fous les
PE t.ouis LE Grand. 195 ïfortenfes &: Tous les Ciceroiis , celle de Konie.
A quel point de perfeâiion les fciences Se les arts ne furent-ils pas portés ? Vous en ferez les monumens éternels 9 Ecoles fameufes rafiemblées autour du Trône , 6c qui en afTurez plus l'éclat & la majeilé y que les foixante Vaillans qui environnoienî le trpne de Salomon 1 l'émulation y forma le goût : les récompenfes augmentèrent ?. l'émulation : le mérite qui ie mulîiplioit , inultiplia fès récompenfes.
Quels hommes 5 £c quels ouvrages, vois- je fortir à la fois de ces affemblées favan- tes ? des Phidias , des Appelles , des Pla- tons , des Sophocles , des Piautes 5 des DémOilhenes j des Horaces ; des hommes & des ouvrages , au goût defquels le goût des âges futurs de la Monarchie fe rappel- lera toujours? Je vois revivre le Hecle d'Au- guile , & les temps les plus polis & les plus cultivés de la Grèce. Il falloit que tout fût marqué au coin de l'immortalité fous le régne de Louis ; & que les épo- ques des Lettres y fufTent auHî célèbres que celles des viâioires.
La France a retenti long-temps de ces pompeux éloges ; & nous nous fom.mes comme railafiés là-delTus de nos propres louanges. Mais le dirai-je ici , en ajoutant à la fcience , nous avons ajouté au travail Si à la malice : les arts en flattant la curio- iîté 5 ont enfanté la moîleife : le théâtre plus floriflant , mais toujours le trille fruit
li
iç6 Oraison funèbre de l'abondance , de l'oifîveté & de la cor- ruption 5 on a donné du ridicule au vice , fans corriger les mœurs ; ou a corrompu les mœurs , en rendant le vice plus aima- ble : la poéfîe , en nous rappellant tout le fel & tous les agrémens des Anciens , nous en a rappelle les réductions & la licence : la philofophie a paru perdre du côté de la fîmpiicité de la foi , ce qu'elle acquéroit de plus fur les connoiffuices de la nature : l'éloquence , toujours flatteufe dans les Mo- narchies 5 s'eft affadie par des adulations dangereufes aux meilleurs Princes : enfin la fcience même de la Religion , plus exaéle & plus approfondie , & ci'oii dévoient naî- tre la paix& la vérité, a dégénéré en vaines fubtilités 5 & éternifé les difputes. O fiecle Ofée. fi vanté ! votre ignominie s'ejî donc inulti- ^* 7- p/i-ic- avec votre gloire. Mais la gloire ap- partenoit à Louis , & l'abus qu'on en a fait j a été notre feul ouvrage. Ainfi écla- toit au loin la grandeur & la réputation de la France 5 tandis qu'au dedans , elle s'af- foiblifîbit par fes propres avantages.
Je ne rappelle ici qu'une partie des mer- veilles dont vous avez été témoins. Tout ce qui fait la grandeur des Empires , fe trouvoit réuni autour de Louis. Des Mi- niftres fages & habiles , refiburce des peu- ples & des Rois : nos frontières reculées , &: qui fembloient éloigner de nous la guerre pour toujours : des forterefles inacceflibles ^levées de toutes parts , & qui paroiffoient plus deilinécs à menacer les Etats voiiins >
DE Louis le Gra^^d. 197 qu'à mettre nos Etats à couvert : rEfpagiie forcée de nous céder , par un aâe folem- nel 5 la préféance qu'elle nous avoit jiiC- ques-là difputée : Rome même défavouer par un monument public , le droit des gens violé , & l'outrage fait à une Couronne , de qui elle tient fa fplendeur & la vaile éten- due de fon patrimoine : enfin le Souverain lui-même d'une République HorifTante , def- cendre de fon Trône , d'où fesprédécelFeurs n'étoient pas encore defcendus , quitter fes citoyens & fa patrie , & venir 'mettre les marques faftueufes de fa dignité aux pieds de Louis , pour fléchir fa clémence.
Grands événemens qui nous attiroient la jaloufie bien plus que l'admiration de l'Europe ! & des événemens , qui font tant de jaloux peuvent bien embellir l'hiftoire d'un régne , mais ils n'alfurent jamais le bonheur d'un Etat.
Que manquoit-ildans ces temps heureux à la gloire de Louis ? Arbitre de la paix &: de la guerre ; maître de l'Europe ; for- mant prefque avec la même autorité les décidions des Cours Etrangères , que celles de {es propres Confeils ; trouvant dans l'amonr de fes fujeîs des relTources , qui en tarilfant leurs biens , ne pouvoient épuifer leur zèle ; confervant fur les Princes iffus de fon fang, fîgnalés par mille vi£l:oi- res j un pouvoir aufli abfolu que fur le refte de fes fujets ; voyant autour de fon trône les enfans de fes enfans ; le Père d'une nombreufe poftérité ; le Patriarche , pour
ic)2 'Oraison funêére - aînfi dire , de la famille Royale , & élc^^fît tout à la fois , fous fes yeux , les fuccef- feiirs de trois régnes fiiivans. Jamais la fiiccefiicn Royale n'avoit paru plus affer- mie. Nous voyions croître aux pieds du trcne , les Rois de nos enfans & de nos, îieveux. Hélas ! à peine en relle-t-il un pour nous - mêmes ; & il n'efl demeuré qu'une étincelle dans Ifraël. Mais ne hâ- tons pas ces triftes images , que la coni- tance de Louis doit nous ramener dans là fuite de ce difcours.
Que ces jours de deuil paroifTolent loin de nous en ce jour brillant , où nous àon- nions des Rois à nos voifins ; & où l'Erpa" gne rrrême 5 qui avoit ébranlé tant de fois l'Empire François , & qui depuis û long- temps ufurpoit une de nos Couronnes 5 vînt mettre toutes les fiennes fur la tête d'un des petits-fils de LoUîS !
Ce fut ce grand jour qu'il parut comme im nouveau Cliarkmagne , établilTant fes Enfans Souverains dans FEurope ; voyant fbn Trône environné de Rois fortis de foii Sang ; réuniffant encore une fois , fous la race augufie des Francs, les peuples & les Nations ; faifant mouvoir du fond de ion Palais 5 les refforts de tant de Royaum>es : & devenu le centre &: le lien de deux vaf- tes Monarchies , dont les intérêts avoient femblé jufques-ià auiTi incompatibles que les humeurs.
Jour mémorable ! il efi: vrai , vous ne ferez écrit fiïr nos faites qu'avec le fang de
DE Louis le Grand. 159 tant de François que vous avez fait verfer : les malheurs que vous prépariez , nous ont rendu cette gloire îrifte & amere : vos dons éclatans , en flattant notre vanité , ont hu- milié , & penfé renverfer notre puillance» L'Efpagne ennemie n'avoit pu nous nuire : FEfpagne alliée nous a accablés : nos dif-- grâces feront éternellement gravées autour de la Couronne qu'elle a mife fur la tête d'un de nos Princes. Mais fi la Cailiile a vu notre joie modérée par nos pertes , elle ne verra jamais notre eftime pour fa valeur & fa fidélité , & notre réconnoiilance pour fon choix , affoiblie.
J'avdue , mes Frères , que la gloire des événemens , qui embellit un régne , efl fou- vent étrangère au Souverain : les Rois ne font grands que par les vertus qui leur font propres : leurs fucccs les plus éclatans peu- vent jae couvrir que des qualités fort obf- cures 5 &: prouver qu'ils Ibnt bien fervis , plutôt que dignes de commander.
Mais ici nous ne craignons pas de dé- pouiller Louis de tout cet éclat qui l'envi- ronnoit , & de vous le montrer lui-même. Quelle fage/Te ! & quel ufage des affaires 1 l'Europe redoutoit la fupériorité de fes con- feils , autant que celle de fes armes : fes Minières étudioient fous lui l'art de gou- verner : fa longue expérience mûriffoit leur jeuneile , & aiiiiroit leurs lumières : les né-^ gociations conduites par l'habileté , réuffif- foient toujours par le fecret. Quel bonheur la réputation feule du gouvernement ns$
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200 Oraison p u k e b é£ promettoit-elie pas à la France 5 fî nous euflîons su nous contenter de la gloire de la fagelTe ? Tous les Rois voiiins , qui en naif- fant avoient ti^ouvé Louis déjà vieilli fur le trône, fefuflent regardés commeles enfans & les pupiles d'un fi grand Roi : il n'eût pas été leur vainqueur ; mais il étoit affei grand pour méprifcr les triomphes , * & il eût été leur tuteur & leur père.
De ce fond de fageife fortoit la majel^é répandue fur fa perfonne : la vie la plus privée ne le vit jamais un moment oublier la gravité & les bienféances de la dignité Royale : jamais Roi ne fut mieux foutenir que lui le caractère majellueux de la fou-, veraineté. Quelle grandeur 5 quand les Mi- nières des Rois venoient aux pieds de fon trône ! quelle précifion dans fes paroles ! quelle majefLé dans {es réponfes ! Nous les recueillions comme les maximes de la fa- geiîè : jaloux que fon fîlence nous dérobât îrop fouvent des tréfors qui étoient à nous ; & s'il m'eft permis de le dire , qu'il ména- geât trop fes paroles à des fujets qui lui prodiguoient leur fang & leur tendrefîe.
Cependant , vous le favez , cette ma- jefté n'avoit rien de farouche : un abord charmant , quand il vouloit fe lailfer ap- procher ; un art d'affaifonner les grâces, qui touchoit plus que les grâces mêmes ; une politelfe de difcours qui trouvoit tou- jours à placer ce qu'on aimoit le plus à
* Jam defar tantus erat , ut pojfet triiimphos con- temnsre» Flor.
De Louis le Grand, loi entendre. Nous en fortions transportés , & nous regrettons des momens que fa fo- litude & Tes occupations rendoient tous les jours plus rares. Nation fidelle nous ai- mons de tout temps à voir nos Rois , & les Rois gagnent toujours à fe montrer à une Nation qui les aime.
Et quel Roi y auroit plus gagné que Louis ? Vous pouvez le dire ici à ma place , anciens & illuftres flijets occupés autour de fa perfonne. Au milieu de vous ce n'étoit plus ce grand Roi , la terreur de TEurope y & dont nos yeux pouvoient à peine foute- nir la majeflé ; c'étoit un maître humain, facile 5 bienfaifant , affable : Téclat qui Tenvironnoit , le déroboit à nos regards ; nous ne voyons que fa gloire , & vous voyez toutes fes vertus.
Un fond d'honneur , de droiture , de probité , de vérité , qualités fî eiTentielîes aux Rois - & fi rares pourtant même parmi les autres hommes : un ami iîdelle ; un époux 5 malgré les foiblelTes qui partagè- rent fon cœur , toujours refpeÔueux pour la vertu de Therefe ; condamnant , pour ainfi dire , par fes égards pour elle , l'injuT- tice de fes engagemens j & renouant par l'eilime 5 un lien affoibli par les paiTions ; un père tendre , plus grand dans cette hif- toire domeflique , qui ne paffera peut-être point à nos neveux , que dans les événe- mens éclatans de fon règne, que les hiftoi- res publiques ccnferveront à la poltérîté*
Mais ces vertus humaines , que font-
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elles devant Dieu , quand la piété ne les a pas fanâ:ifîées ? hélas ! le vain fujet fouvent des louanges des hommes & des vengean- ces du Seigneur. Mais cette gloire fi célé- brée, & qui a fait tant de jaloux ou de flatteurs ; à quoi mene-t-elle pour l'éternité, il l'on ne Fa pas rendue à celui à qui feul la gloire efi: due ? à un jugement plus rigou- reux 5 & par l'ambition qui toujours y con- duit 5 & par l'orgueil qu'elle infpire. Def- tinée terrible , & toujours à craindre pour les plus grands Rois fur-tout , vous n'aug- menterez pas le dueil de nos prières ; & vous ne troublerez pas la paix des offrandes faintes qui repofent fur fautel , &: qui vont foliiciter pour LouîS , le Père des iniféricordes.
Il connoît le néant de la gloire hum.aine : lEt agncvit qiiod in his quoque effet labcr , & affiiclio fpiritûs ; & il fut encore plus grand par une foi humble & par une piété iîncere , que par l'éclat de fa puilfance 6e de fes viftoires.
p^iiTiE -2— ^'Onâ:ion faint® répandue fur les Rois confacre leur caraâiere , & ne fanétifie pas- toujours leur perfonne : l'étendue de leurs devoirs répond à celle de leur puilTance ; le fceptre efi: plutôt le titre de leurs foins & de leur fervitude . que de leur autorité : ils ne font Rois , que pour être les pères & les Palleurs des peuples : ils ne font pas nés pour eux feuls ; & les vertus privées , qui aifurent le falut du fujet toutes feules y
DE Louis le Grand, 205 fe toiirneroient en vices pour le Souverain. . C'eft à la fublimité de ces idées primi- tives 5 que l'Ecriture rappelle Féloge d'un des plus faints Rois de Juda. Il conferva fon cœur fidelîe à Dieu : Gubernavit ad EcdL Dominum cor ipjîus; c'eft le devoir elTentiel 49- 1- 4^ de l'homme. Il renverfa les abominations de l'impiété & tous les momens de l'er- reur : Tulit abomiimtiones impietatis ; c'cil le zèle du Souverain. Il affermit la piété dans les jours de péché & de malice , en l'honorant de fes faveurs & de fa coniiance : In diebus pcccaîorum corroboravit pletû.- tem ; &: c'efl l'exemple que doit à {qs fu • jets celui qui en eft le Pafteur & le père.
Louis porta en naiflant un fonds de reli- gion & de crainte de Dieu , que les éga- remens mêmes de Tâge né purent jamais; effacer. Le Sang de faint Louis & de tant de Rois chrétiens 5 qui couloit dans fes vei- nes ; le fouvenir encore tout récent d'un Père jufte ; les exemples d'une Mère pieu- fe ; les inftruélions du Prélat irrépréheniî- h\e 5 qui préfidoit à fon éducation ; d'heu- reufes inclinations , encore plus sûres que- les initruâions & les exemples ; tout pa- roilîoit le defliner à la vertu comme an trône.
Mais hélas ! qu*eft-ce que la jeunelTe des Rois ? une faifon périlieufe 5 où les paf- fions commencent à jouir delà même auto- rité que le Souverain , & à m.onter avec lui fur le trône. Et que pouvoit attendre: Louis fur-tout dans ce premiier âge ï
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rhomme le mieux fait de fa Cour ; tout brillant d'agrémens & de gloire ; maître de tout vouloir 5 & ne voulant rien en vain; voyant naître tous les jours fous fespas des plaifirs nouveaux 5 qui attendoient à peine fes defîrs ; ne rencontrant autour de lui que des regards toujours trop inflruits à plaire ^ 6c qui paroilToient tous réunis & conjurés pour plaire à lui feul ; environné d'apolo- giftes des pafîions , qui Touffloient encore le feu de la volupté , & qui cherchoient à effacer fes premières im^prefTions de vertu , en donnant des titres d'honneur à la licence; au milieu d'une Cour polie , où la molleife & le plaifir ont trouvé de tout temps le fe- cret de s'allier , & même d'aller de pair , avec la valeur & le courage; & enfin dans lin fiecle , où le fexe peu content d'oublier fa propre pudeur , femble même défier ce qui peut en refter encore dans ceux à qui il veut plaire.
Et cependant ^e l'exemple du Prince j quel déluge de maux dans le peuple ! Ses mœurs forment bientôt les mœurs publi- ques : l'imitation toujours sûre de plaire &: d'attirer des grâces 5 reconcilie l'ambition avec la volupté ; les plaifirs , d'ordinaire gênés par les vues de la fortune , en facili- tent les avenues 5 & en deviennent la plus sûre route : des Ecrivains profanes ven- dent leur plume à l'iniquité , & chantent des pa fiions que le refpeâ: tout feul auroit dû enfevelir dans un éternel fiîerice : de nouveaux fpeftacles s'élèvent pour en faire
DE Louis le Grand, 205 des leçons publiques ; tout devient la paf- fîon du Souverain.
O Rois des peuples , dit l'Efprit de Dieu î Sap, 6, vous qui afîis fur votre trône , voyez avec ^' .^' ^* tant de complaiiance a vos pieds la multi- tude des Nations ! c'eil à vous que j'adreiTe ces paroles : Ad vos , o Reges , funt hi fer- mones mei. Souvenez-vous que la puilîance vous a été donnée d'en-haut ; que Tufage en doit être faint , comme l'origine en eft fainte ; qu'un jugement très-dur eft préparé à ceux qui font établis pour commander aux autres 5 & qu'à l'étendue de l'autorité l'abondance du châtim.ent eR prefque tou- jours réfervée.
Mais ici les miféricordes éternelles pré- parées à Louis commencent à fe manifef^ ter. Dieu le prépare de loin à la vertu en arm-ant les premiers traits de ibn autorité contre les vices. L'ufage barbare des duels , ancien refle de la férocité de nos premiers Conquérans , que la religion & la politeffe qu'elle met dans les mœurs, n'avoit pu de- puis modérer ; que tant de Rois avoient vainement condamné 5 & qui avoit coûté tant de fang à la Nation , fut aboli ; & Louis confacra le commencement de fou régne , par une acftion qui alFure le repos & ^ la tranquillité de tous les régnes à venir.
Oui 5 mes Frères , dans le temps que Louis paroilToit encore loin du Seigneur , le Seigneur étoit déjà près de lui : les paf^ fions mêmes qui blefTent fon cœur, refpec- jent fa foi. Quelle horreur pour ce genre ,
io6 Or Al s on fu }je b re
d'Hommes , qui ne goûtent qu'à demi le plaifir 5 s'il n'eil aflaifonné d'impiété , Se qui paroifîent ne fe fouvenir de Dieu , que pour le mettre dans leurs affreufes débau- ches ! L'impie étoit profcrit , dès-là qù'ii étoit connu : la nailTance & les fervices , loin d'afTurer l'impunité à l'irréligion , en rendoient le châtiment plus éclatant : les agrémens mêmes de l'eiprit j féduâ:ion dont on a tant de peine à fe défendre , n'en avoient plus pour lui y dès qu'il y voyoit luire une étincelle d'incrédulité. Il ne con- noifîbit point de mérite dans l'homme qui ne connoît point de Dieu ; & l'impie , qui dit anathêm.e au Ciel , devenoit à l'inftant pour lui , l'anathême de la terre.
Ainfî fe préparoit l'ouvrage de la fanâ:i~ fication de Louis. Mais fortons de ces temps de ténèbres , li inévitables aux Rois^ & û ordinaires aux autres hommes ; périf- fent & foient à jamais effacés de notre fou- venir ^ ces jours qu'il a effacés par fes larmes & par fa piété 5 & que le Seigneur a fans doute oubliés ! Les premières années de la jeuneiîb des Souverains , comme les com- mencemens de leur naillancejfereiîem.blent c^« ^ prefaue toutes : Nemo enim ex rc^ihus ha- j, huit aiiud nativiîatis initium. Mais 11 Louis
les a fuivis dans ces premières voies des paffions ; où font les Rois qui aient marché depuis avec autant de grandeur & de fidé- lité que lui , dans les voies de la grâce ? où font même ceux de fes fujets , qui vi- voient fous fes yeux 3 & que leur rang ap-
DE Louis le Grand. 207 procîioit du trône ? Hélas ! imitateurs la plupart 5 pour ne pas dire coupables adu- lateurs de fes foibleifes , ils ont peut-être iini par cenfurer fa vertu.
Et quelle vertu ? uniforme , tendre , conf; tante. On ne vit point en lui de ce inéga- lités de piété fî inféparables de l'inconflance des hommes , que l'uniformité toute feule laiTe ; que l'ennui du vice attire fouvent tout feul à la nouveauté de la vertu ; pour qui l'ufage de la vertu redevient bientôt un nouvel attrait favorable au vice ; &: qui eu repalTant fans celTe du vice à la vertu , cherchent plus à foulager leur inconllance , qu'à fixer leur infidélité.
Dès la première démarche que LoUîS eût fait dans la voie de Dieu ^ il y marcha toujours d'un pas égal & majeilueux. Un jour inflruifoit l'autre jour ; & une nuit donnoit des leçons femblables à l'autre nuit. L'hiftoire de fa piété eft l'hidoire d'une de {es journées ; & hors les événemens inat- tendus 5 qui montroient en lui de nouvelles vertus , la vertu du premier jour fut celle du relie de fa vie.
Soins immenfes du gouvernement , dont il portoit prefque tout feul le poids j vous n'interrompîtes jamais l'exaclitude de fes devoirs religieux : jamais la vie de la Cour , toujours inégale , parce qu'elle ell oifeufe ^ ne dérangea la respectable uniforme de fa conduite ; & dans un lieu , où le caprice & le loifir font fi ii;génieux à varier les jours bc les momens, Louis feul étoit le point
î.o8 Oraison funèbre fixe où tous les jours & tous les inomens ie trouvoient les mêmes : vertu rare , dans les Princes fur-tout que rien ne contraint , & en qui l'inconflance de l'imagination efl fans ceiTe réveillée par 'le choix & la mul- tiplicité des reflources.
La piété & la bonne foi des difpofîtions répondoit à l'exa^iiitude des devoirs. Quelle profonde religion aux pieds des autels ! Avec quel refpeâ: venoit-il courber de- vant la gloire du San(R:uaire , cette tête qui portoit pour ainfî dire l'univers ; & que l'âge 5 la majefté , les viâ:oires rendoient encore moins augulle que la piété ! Quelle terreur en approchant des Myfteres faints & de cette Viande célefle , qui fait les déli- ces des Rois ! Quelle attention à la parole de vie ! & malgré les dégoûts & Iqs cenfu- res d'une Cour éclairée & difficile , quel refpe£tpour la fainte liberté du MiniÔere & pour les défauts même du Miniftre ! Il nous en a dit aJfe:(pour nous corriger , répondoit- il à ceux de fa Cour qui paroifîoient mécon- tens de l'inllrudlion. Quelle tendreiîe de confcience ! quelle horreur pour les plus légères trangrcjfiions ! Tout le bien qui lui fut montré , il l'aima ; & s'il n'accomplit pas toute juftice , c'eft qu'elle ne lui fut pas toute connue. C'efl la deftinée des meilleurs Rois : c'eft le malheur du rang , plutôt que le vice de la perfonne.
Mais l'épreuve la moins équivoque d'une vertu folide , c'efl: l'adverlité. Et quels coups 5 ô mon Dieu ! ne prépariez-vous pas-
DE Louis le Grand, loc) à fa confiance ! Ce grand Roi , que la vic- toire avoit fuivi dès le berceau , & qui comptoit fes profpéritésparles jours de fon régne : ce Roi , dont les entreprifes toutes feules annonçoient toujours le fuccès ; & qui jufques là n'ayant jamais trouvé d'obf- îacle , n'avoit eu qu'à le défier de fes pro- pres defîrs ; ce Roi dont tant d'éloges & de trophées publics avoient immortalifé les conquêtes , & qui n'avoit jamais eu à crain- dre quelesécueils qui naifTent du fein même de la louange & de la gloire : ce Roi ^ fî long-temps maître des événemens, les avoit par une révolution fubite , tous tournés contre lui. Les ennemis prennent notre pla- ce : ils n'ont qu'à fe montrer , la victoire fe montre avec eux : leurs propres fuccès les étonnent : la valeur de nos troupes a femblé palTer dans leur camp : le nombre prodi- gieux de nos armées en facilite la déroute : la diverfité des lieux ne fait que diverfifier nos malheurs : tant de champs fameux de nos victoires font furpris de fervir de théâ- tre à nos défaites : le peuple efl confterné ; la Capitale efl menacée ; la mJfere & la mortalité femblent fe joindre aux ennemis; tous les maux paroiilënt réunis fur nous : &: Dieu qui nous en préparoit les reffour- ces 5 ne nous les miontroit pas encore ; De- nain & Landreci étoient encore cachés dans les confeils éternels. Cependant notre cau- fe étoit jufte ; mais l'avoit-elle toujours été ? & que fais-je , fi nos dernières défaites n'expioient pas l'équité douteufe , ou l'or-
îiè Oraison FvnEnn^
gueil Inévitable de nos anciennes vi£loires?
Louis le reconnut ; il le dit : J'avois au- trefois entrepris la guerre légèrement , & Dieu avoit femhlé me favori (cr : je la fais pour foutenir les droits légitimes de mon petit-fils à la Couronne d'Efpagne , & il mahandonne : il me préparoit cette puni- tion que j'ai mJrité. Il s'humilia fous la main qui s'appcfantilToit fur lui : fa foi ôta même àfes malheurs la nouvelle amertume que le long ufage des profpërités leur don- ne toujours : fa grande ame ne parut point émue : au milieu de la trifteÏÏe & de l'abat- tement de la Cour; la férénité feule de fon auguHe front ralTuroit les frayeurs publi« ques. Il regarda les châtimens du Ciel , comme la peine de l'abus qu'il avoit fait de fes faveurs palTées : il répara par la plé- nitude de fa foumiiîion , ce qui pouvoit avoir manqué autrefois à fa reconnoilTan- ce. Il s'étoiî peut-être attribué la gloire des événemens ; Dieu la lui ôte pour lui donner celle de la foumiiîion & de la confiance.
Mais le temps des épreuves n'efl: pas en- core fini. Vous l'avez frappé dans fon peu- ple ; ô mon Dieu ! comme David ; vous le frappez encore comme lui dans fes enfans: il vous avoit facrifîé fa gloire , & vous vou- lez encore le facrifice de f i tendreffe.
Que vois-je ici ! & quel fpeélacle atten- driiTant même pour nos neveux , quand ils ea liront l'hilloire ! Dieu répand la défolation èi. la mort fur toute la Maifon royale. Que de têtes auguftes frappées ! •
tfE Louis LE Grand, m que d'appuis du trône renverfés ! Le juge- ment commence par le premier né : fa bonté nous pramettoit des jours heureux; &naus répandîmes ici nos prières ?x: nos larmes fur fes cendres chères & auguftes. Mais ilnou^ reftoiî encore da quoi nous confoler. Elles ii'étoient pas encore eiTuïées nos larmes ; &: une Princclîe aimable (i) qui délafibit Louis des {ohis de la Royauté , eft enle- vée dans la plus belle faifoii de fon âge Rirîi charmes de la vie y à Tefpérance d'une Cou- ronne , & à la tendrefTe des peuples^ qu'elle commençoit à regarder & à aimer comme fes fujets. Vos vengeances , ô mon Dieu î fe préparent encore de nouvelles vi6times : fes derniers foupirs foufflent la douleur & la mort dans le cœur de fon royal Epoux, (z) Les cendres du jeune Prince fe hâ* tent de s'unir à celles de fon époufe : il ne ]ui furvit que les momens rapides qu'il faut pour fentir qu'il l'a perdue ; & nous perdons avec lui les eipérances de fagefîe & de pié- té j qui dévoient faire revivre le régne des meilleurs Rois , &: les anciens jours de paix &: d'innocence.
Arrêtez , grand Dieu ! montrerez vous encore votre colère &: votre puiil'ance con- tre l'enfant qui vient de naître ? voulez- vous tarir la fource de 4a race royale ? & le fang de Charlemagne & de faint Louis ^ qui ont tantcom.battu pour la gloire de vo- tre nom, efl-il devenu pour vous comme le
(i) Mort d'Adélaïde de Savoie, (2) Mort du Duc de Bourgogne»
111 Oraison fvne]SKE fang d'Achab ; & de tant de Rois impies dont vous exterminiez toute la poftérité. ' Le glaive efl encore levé , mes Frères : Dieu ellfourd à nos larriies « à la tendreffe & à la piété de Louis. Cette fleur naif- fante , oc dont les premiers jours étoient fî brillans , eft moilTonnée , (i) & fi la cruelle mort fe contente de menacer celui qui eft encore attaché à la mammelle , (2) ce refte précieux que Dieu vouloit nous fau- ver de tant de pertes , ce n'eft que pour fi- nir cette trifte & fanglante fcene , par nous enlever le feul des trois Princes (^) qui nous reftoit encore , pour préfider à ion en- fance 5 & le conduire ou l'affermir fur le trône.
Au milieu des débris lugubres de fon au- gufte Maifon , Louis demeure ferme dans la foi. Dieu foufHe fa nombreufe poftérité ; & en un inftant elle eft effacée comme les caraâeres tracés fur le fable. De tous les Princes qui Fenvironnoient , & qui for- moient com.me la gloire &: les rayons de fa Couronne , il ne refte qu'une foible étin- celle fur le point même alors de s'éteindre. Mais le fonds de fa foi ne peut être épuifé par fes malheurs : il eipére comme Abra« liam 5 que le feul enfant de la promefle ne périra point : il adore celui qui difpofe des fceptres & des couronnes ; & voit peut-être dans ces pertes domeftiqucs j la miféricor-
( ) Mort du Duc de Bretagne , frère aîné de Louis KV. arrivée encore peu de jours après.
(i) Le Roi Louis XV. fut alors à V extrémité. il) Mort du Duc de Berry ^ oncle du Roi Louis XF*
DE Louis le Grand, ii^
de qui expie & qui achevé d*effacer du Livre des juftices du Seigneur , fes an- ciennes pallions étrangères.
Louis conferva donc à Dieu un cœur fîdelle : Gubernavit ad Dominum cor ipfius ; &: c'eft là le devoir elTentiel de Thomme. Mais jufqu'pù ne porta-t-il point fon zele pour l'Eglife 5 cette vertu des Souverains , qui n'ont reçu le glaive & la puilTance , que pour être les appuis des autels & les dé- lenfeurs de fa dodrine ? Tulit abomina-- tioncs impietatis.
Ici les événemens parlent pour moi ; & les plaintes féditieufes de rhérélîe chafTée du Royaume, qui ont fî long-temps retenti dans toute l'Europe ; & les clameurs des faux Prophètes difperfés , qui fonnoient par- tout 5 à l'exemple de leurs pères , le li- gnai de la guerre & de la vengeance contre Louis , ont fait avant nous l'éloge de fon zele.
Spécieufe raifon d'Etat, en vain vous op- posâtes à Louis les vues timides de la fa- gefie humaine : le corps de la Monarchie affoibli par l'évafion de tant de citoyens ; le cours du commerce rallenti ou parla pri- vation de leur induftrie , ou par le tranfport furtif de leurs richeiles ; les nations voifi- iies , prote6i:rices de l'héréfie, prêtes à s'ar- mer pour la défendre. Les périls fortifient fon zele ; l'œuvre de Dieu ne craint point les hommes ; il croit m.ême affermir fon trône en renverfant celui de l'erreur : les Temples profanes font détruits j les Chai^
2.T4 Oraison fu n eeke res de fédiiâ:ioii abattues ; les Prophètes de menfonge arrachés des troupeaux qu'ils féduifoient ; les affemblées étrangères réu- nies à l'ailemblée des Fidelles. Le mur de réparation eft ôté ; nos frères viennent re. trouver aux pieds de nos autels , avec les tombeaux de leurs ancêtres , les titres do- melliques de la foi dont ils avoient dégé-* néré : le temps, la grâce, Finllruc^ion achè- vent peu-à-peu un changement, dont la for- ce n'obtient jamais que les apparences ; Sc l'erreur , qui née en France fembloity avoir jette des racines éternelles ; & cette zizanie qui tant de fois avoit penfé étouffer parmi nous le bon grain ; & l'héréfie , depuis fi long-temps redoutable au trône, par la force de Tes Places , par la foiblelTe des régnes précédens forcés à la tolérer , par un déluge de fang François qu'elle avoit fait verfer , par le nombre de fes Partifans , &: par la îcience orgueilleufe de fes DoÔeurs , par l'appui de tant de Nations , & même par l'ancien fouvenir & l'injuftice de cette jour- née fanglante , qui devroit être effacée de nos annales , que la piété & l'humanité dé- favoueront toujours , & qui en voulant l'é- crafer fous un de nos derniers Rois , rani- ma fa force & fa fureur , & fît , il je j'ofe dire , de fon fang , la femence de nouveaux difciples ; l'héréfie à l'abri de tant de renj- parts , tombe au premier coup que Louis lui porte ; difparoît , & eft réduite , ou à fe cacher dans les ténèbres , d'où elle étoit Sortie j ou à palTer les ineis ^ 6c à .porter
DE Louis le Grai^d, 21^ mec {qs faux Dieux , fa rage & foii amer- tume dans les contrées étrangères.
Heureufe fi la foumifiion eût précédé les châtimens ; fi au lieu de céder à l'autorité , elle n'eût cédé au'à la vérité ; & fi fes Sec- tateurs contens la plupart d'obéir en appa- rence au Souverain y n'eufi^ent tiré d'autre avantage du zèle de Louis , que de laifier à leurs enfans & à leurs neveux , le bonheur d'obéir aujourd'hui à i'Eglife! Mais enfin la France , à la gloire éternelle de Louis , efi purgée de ce fcandale ; la contagion ne fe perpétue plus dans les familles ; il n'y a plus parmi nous qu'un bercail & un Pafi- teur ; & fi la crainte fit alors des hypocri- tes 9 rinfi:ruâ:ion a fait depuis j de ceux qui font venus après eux , de véritables Fidelies.
Aufii fous quelque couleur que l'erreur cherchât à reparoître , elle reveilloit égale- ment le zèle & la piété de LoUiS. Vaines idées de perfe61:ion , qui fous prétexte d'éle- ver l'homme jufqu'à Dieu , le lailHez tout entier à lui-mêm,e , Sclui faifiez de la pure- té fublime de fa vertu , la sûreté de fon li- bertinage î nouveau fyfiême d'oraifcn , R inconnu à lafimplicitédelafoi 5 & qui met- tent facquiefcement odieux & le fanatilme <ie vos prières à la place des devoirs &: des -violences de l'Evangile ! doctrine impie & ridicule j qui cherchiez à perfi-iader eii fe- • cret 5 que la piété ; qui feiÛQ nous obtient la grâce de furmonter les tentations , nous donne elle-même le droit d'y fi.îCComber JÇ^J^ crime ! LoyiS euthorieur de vos blaf-
tlô OrAISO'S! FUNEBRE
pliêmes ; il arma le zèle de l'Eglife contre les pièges myftérieux que vous tendiez à la piété ; & le grand Evoque 5(1) qui pour démêler vos illu/îons , s'en étoit prefque laifTé éblouir ; plus féduit par fon amour ^ pour la prière y que par les faufîes maximes qui en abufoient , fe joignit à la voix unani- me des Pafleurs contre lui-même , laifTa un exemple à l'Epifcopat , qui fauveroit à l'E- glife bien des fcandales s'il étoit imité ; & changea par la candeur & la promptitude de fa foumiffion , les éclairs & les foudres de l'Eglife qui le mecaçç^ient 5 en une pluie abondante de grâces & de bénédiâions ^/•i?4« pour lui : Fulgura in pluviam ficlt, ^* Mais rhomm.e ennemi veille toujours pour
femer des fcandales dans le champ du Sei- gneur. La vérité a triomphé de Théréfie & du fanatifm^e ; mais la paix que nous atten- Je^enu ^^^-^^ ^^'^^ point encore venue : Expcclavi- 8. 1$. JTiiis paccm & non erat bomim. Les myfteres delà grâce 5 où l'orgueil de l'efprit humain a fi fouvent échoué , échauffent de nou- veau les efprits : les Paileurs de l'Eglife ^ qui toujours unis entr'eux , ne devroient jamais prendre les armes que contre les ennemis du dehors , fe divifent , comme s'ils avoient des intérêts & des efpérances différentes : les eiprits s'aigriffent , les dif- putes s'animent ; ce n'eft par-tout que trou- ble & que confufîon. Grand Dieu ! à quoi aboutiront ces diffenfions funeiles ? Un lîe- cle ejîtier de conteftations ne devroit-il pas <i^ M. dç FeneloU) Archevêque de Cambrai,
en
DE Louis LE Grand. 217 en avoir enfin rallenti la fureur ? les trou- pes des Philiftins nous environnent ; au lieu de nous réunir pour repouiîer les infidelles , c'eft nous-mêmes qui leur fourniffons des prétextes fpécieux d'infulter aux armées du Dieu vivant. Mais laifTons une matière dont le feul récit ne peut qu'affliger les enfans de l'Eglife qui ont quelque amour pour cette mère commune des Fidelles : il fuffit à mon fujet de dire que LouiS n'eut rien tant à cœur , que de voir la concorde & l'union régner parmi les Pafteurs ; la foi maintenue dans la pureté; les Fidelîes point ' partagés entre Paul , Apollon ou Céplias : mais uniquement attachés à Je/ùs-Chrifl & àfon Egliiè; & que c'étoit là conPcamment le but de toutes fes démarches. Dieu ne lui a pas donné la confolation avant de mourir, de voir finir nos trilles diffenfions : mais avec quelle douleur les voyoit-il fe perpé- tuer dans ion Royaume 1 Les malheurs de l'Etat Je trouvoient confiant : les troubles de la Religion fîétrilToient fon cœur , & ef- façoient l'augufle férénité de fon vifage; & dans le lit même de fa douleur & de fa mort , comme un autre Théodofe mourant , les m-aux de l'Eglife l'occupoient plus , le touchoient plus , que les horreurs de la mort dont il étoit environné : Qui càm jam S.Am- corporc folvcretîir ^ magis de Jlatn Ecckfia- ^''^^' 1^ riiTTi^^ qiiàm de fuis peruulis angchatur. n^b.T!-]
^ Tout ce qui pouvoit avancer les inté- rêts de la Religion , devenoit un intérêt d'Etat pour lui. Avec quelle magnificence Oraijon funçbre. K
2ï8 Oraison funèbre oiivroit-il fon Royaume & {qs tréfors , à un Roi ( * ) & à une Reine pieufe , qui , pour avoir voulu faire remonter la foi fur le Trône de leurs Ancêtres, en avoient été eux-mêmes chafTés ? Une Nation vaillante , mais auffi orageufe que la mer qui l'envi- ronne j & accoutumée à donner de fem- blables fpeâ:acies à l'Europe , s'ébranle , s'agite 5 fe foule ve , & jette hors de fon fein ces facrés dépôts. Louis feul de tous les Som-erains , que cet outrage intérelToit tous 5 court au-devant d'eux ; les eliiiye du naufrage , offre un afyle à la Religion & à la Royauté fugitives ; s'arme pour venger la majellé des Rois & la fainteté de la foi, foulées aux pieds en leurs perfonnes ; attire fur {es Etats les fureurs d'une liçjue redou* table , & les calamités d'une longue guerre qui n'a penfé finir qu'avec la Monarchie ; & s'il n'a pas eu la gloire de leur rendre leur Couronne , il a eu le mérite d'expofer la fîenne.
Mais fî fon zeîe pour la défenfe de la foi fembloit croître & fe ranimer avec fon grand âge ; rappellez-vous quels furent fes foins pour le rétabliffement de la piété en ces jours de péché & de malice : Corrohora- vlt pietatem in diehus peccatorum ; & c'eft l'exemple que doit le Palleur 5c le père de fes fujets.
Vous le favez , mes Frères ; la fource de la régularité & de la pureté des mœurs
(*) Le Roi Jacques lî^&la Reine fa femme , chajfés d'Angleterre & réfugiés en France,
DE Louis le Grai^d. iî^ publiques , ell toujours dans ie zèle & dans la fainteté des Evêques y établis pour être la forme du troupeau j pour le fanélifier & pour le conduire : aux ibins Si aux exem- ples des premiers Paileurs , cil prefque toujours -attaché le falut ou la perte des Fidelles. Pénétré de cette vérité , quelles furent les attentions de LouîS à choifir des Minières irrépréhenfibles ! quelles pré- cautions ! quelle délicateiïe de confcience 1 Les témoignages les plus sûrs , les plus publics 5 pouvoient à peine fufrîre pour le railurer dans fes. choix. Plus effrayé que iiatîé de ce droit brillant attaché à fa Cou- ronne 9 il le regarda comme l'écueil des Rois 5 &i le fardeau le plus pénible &: la plus dangereux de la Royauté. Les brigues j la faveur , la chair & le fang , n'étoient pas un droit auprès de lui ^ pour poiFéder les places de l'Eglife , qui eR le Royaume de Jefus-Chrifî:. Les fervices mêmes , la nailTance , la longue fuite d'ancêtres ne lui paroiiToient pas une vocation fuffifatite au Sacerdoce de Melchifedec , qui n'avoit point de généalogie. Il étoit vivement perfuadé que l'Epifcopat n'étoit pas luie faveur tem- porelle 5 deJlinée à gratifier les familles ; mais un don celelle deiliné à honorer l'E- glife 5 en lui donnant des MiniUres capables d'honorer leur minifleres : & l'exaclitude de fa Religion & de fon zèle là-deilus , alla peut-être quelquefois plus loin mêmie que celle des règles.
Il vouloit que la puilTance de fon règne
2,10 Oraison funèbre ne fervit qu'à établir le regrre de Dieu fur les peuples. Quelle joie quand il voyoit quelqli'un de fa Cour revenir des égare- mens des paflions , & mener une vie con- forme à la fageffe & à la piété de la {ienne ! c'étoit pour lui comme une nouvelle con- quête ajoutée à fes anciennes viâoires. La vertu n'étoit plus un titre de dérifion à la Cour : c'étoit elle qui remplifToit les pre- mières places; elle qui étoit comblée d'hon- neur ; elle enfin qui frayoit l'accès au trône & à la confiance du Souverain.
Jours fortunés ! vous deviez ramener parmi nous le règne de la piété & de Fin- nocence ; &: cependant jamais la malice n'a plus abondé ; & les faveurs royales , accordées à la vertu , n'en ont peut-être rendu que les apparences eflimables. Siè- cle pervers ! tout coopère donc à ta perte ! Si le Prince oublie Dieu , il affermit & per- pétue les vices : s'il favorife les Juiles , il "multiplie les hypocrites.
Mais enfin , Louis contraignit les œu- vres de ténèbres à fe cacher , & à ne plus infuiier à la lumière : le défordre ne fut plus un bon air ; & s'il n'en arrêta pas le cours 5 il en ôta du moins l'oftentation & le fcandale.
La licence d'un théâtre étranger , où , à la honte des mœurs publiques & de la po- litelie de la Nation , les plus grofllercs obf- çéniîés aiîémbloienî les Grands & le peu- ple ; où le vice parloit un langage dont no- tre langue même rougit ; bc où le fexe lui-
DE Louis le Grand, iit même venoit publiquement applaudir à des indécences qui étoient comme des infultes folemnelles faites à fa pudeur, cette licence fut profcrite ; & les débris de cette fcene impure élevèrent à la piété de Louis un monument plus immortel , que les murs renverfés de tant de villes conquifes , n'en avoient élevé à fa gloire.
En renverfant les écoles du vice , quels afyles n'érigea-t-il point à la piété ? Vous l'apprendrez à nos neveux , Edifice augui^ te j (i) où la valeur réfugiée confacre aux pieds des autels , les rèftes tronqués & lan- guilTans d'une vie tant de fois expofée pour l'Etat ! Vous l'apprendrez encore , Maifon fainte , (2) où la naiiTance & la pauvreté dotées 5 fauvent également l'innocence du fexe des périls , & fa nobleiTe de la honte & de l'indigence !
Que d'établiffemens pieux vois-je s'éle- ver fous fon règne , au milieu de la Capi- tale & dans les Provinces ! Le règne de Dieu croît & s'étend avec celui de Louis, Les jeunes Minières du Sand^uaire repren- nent dans des Maifons faintes , que chaque Pafteur élevé à l'envi , ce premier efprit de fcience , de ferveur , de difcipline , û dé- chu du temps de nos pères. Les forêts mê- mes fe repeuplent de Solitaires ; & com.me au temps des Maccabées ; plufieurs defcen- dent dans le défert 5(3) pour y chercher le jugement & la jùftice ; parce que les
( ■ ) V Hôtel des Invalides,
il) Mai/on de Su Cyr, (3) ia Trappe & Sept -Fonts,
K3
222 Oraison funèbre maux & la corruption avoient inondé , Sc que Dieu n'étoit plus connu au milieu clos i.Mfic. villes : Tune defcendcrunt mulîi quœrcrJcs 2* ^^* jiuUcïum & jujlitiani in defcrtum , quoniam ^ ' inundaveriintfuper eos mala. Des ouvrages infinis remiplis de dodlrine & de lumière , paroiiTent pour aider à la piété des FidelJes» Nos neveux ; qui en remontant , retrouve - ront dans ce fiecle les premiers monumens de la fcience & de la piété renouveilées , béniront le règne de Louis , recevront la grâce que nous avons rejettée , & puiferont dans ces feccurs , dûs à fes foins & tranf- mis d'âge en âge , les régies des mœurs , la juftice & le falut que nous n'avons pu trouver même dans fes exemples.
Qu etoit-il réfervé à une piété fî iidelle à Dieu 5 fî zélée pour TEglife , fi utile aux peuples ; qu'une Couronne de juftice , en- core plus éclatante ^ue celle qu'il avoit re- çue de fes Ancêtres , & une mort encore plus glorieufe à la grâce & plus héroïque que /a vie ?
Non 5 mes Frères , la fource du vérita- ble héroifine & de l'élévation des fenîi- mens , eft dans la foi : le monde n'a jamais fait que de faux héros ; &: la mort qai nous montre toujours tels que nous fomm-cs y découvre enjfin en eux , ou une foibleiTe de timidité qui les deshonore , ou une often- tation de fermeté , encore plus foible & plus méprifable que leur frayeur , parce qu'elle efl plus fauffe. Louis meurt en Roi , en Héros , en
T>E Louis le Grand, ht,'
Saint. Un foudain dépériliement ébranle d'abord les fondemens 5 ce fembîe , inal- térables d'une fanté , que l'âge , les afflic- tions & les foins laborieux d'un long règne avoient jufques-là refpeâ:ée. Il avoit vécu au-delà de l'âge des Rois; & QViÇt nous pro- mettoit encore une vie au-delà du cours ordinaire de celle des autres hommes : il avoit vu naître nos pères , & il femble que nous comptions que c'étoit à nos neveux -à le voir mourir. Tout ce qui nous flatte , nous paroît toujours devoir être éternel.
Mais Dieu , dont le règne feul ne finit point 5 & qui avoit déjà empreint au dedans de lui les çara£î:eres inefTaçables de la mort Iqs cachoit encore aux lumûeres de l'art & aux vaines efpérances d'une Cour , que l'ex- cellence du tempérament ralTuroit encore. Mais enfin le fecret de Dieu fe déclare : la mort cachée au dedans , laiiTe voir au dehors des fîgnes toujours trop infaillibles qui l'annoncent : on ne peut plus la mécon- noître ; fa lenteur augmente encore les hor- reurs de l'appareil. Louis feul la voit d'un œil tranquille au milieu des fanglots de fes anciens &fidelles ferviteurs, de la conf- ternation des Princes & des Grands , des larmiCs de toute fa Cour , Louis trouve dans la foi une paix, une fermeté , une gran- deur d'ame , que le monde n'a pas encore donné. Pourquoi pleurez-vous , dit-il à un des iiens , que les larmes abondantes d'une douleur moins circonlpeâ:e lui font remar- quer ; aviei-vous cru que les Rois étoient immortels? K4
124 Oraison funeekè
Ce ?vîonarque environné de tant de gloi- re 5 & qui voyoit autour de lui tant d'ob- jets fi capables de reveiller , ou fes defirs , ou fa tendreiTe , ne jette pas même un œîl de regret fur la vie : il ne lui refte pas même ces incertitudes 5 qui montrent encore la vie au mourant , & qui mêlent du moins aux trilles faifilîemens de la crainte , les douceurs de refpérance. Il fait que fon heure eft venue & qu'il n'y a plus de ref- fource ; & il conferve dans' le lit de fa dou- leur , cette majefté , cette férénité , qu'on lui avoit vu autrefois aux jours de [es prof- pérités fur fon trône : il règle les affaires de l'Etat , qui ne le regardent déjà plus j avec le même foin & la même tranquillité, que s'il commençoit feulement à régner; & la vue sûre & prochaine de la mort ne lui donne pas ce dégoût , & cette horreur de penfer à ce qu'on va quitter j qui eft plutôt un défefpoir fecret de le perdre , qu'une marque que l'on ne l'aime plus. Les Sa- cremens des mourans n'ont pas autour de lui cet air fombre & lugubre , qui d'ordi- naire les accompagne ; ce font des myfteres de paix & de magnificence. Et ce n'eft pas ici un de ces momens rapides & uniques , où la vertu fe rappelle toute entière , & trouve dans la courte durée de l'effroi du fpeâ:acle , la reffource de fa fermeté : les jours vuides , & les nuits laborieufes fe prolongent , & l'intrépidité de fa vertu femble croître & s'affermir fur les débris de fon corps terreftre. Qu'on eft grand , quand 011 l'eft par la foi !
DE Louis le Grand. ii<y La vue fixe & affurée de la mort , feu- tenue durant plulieurs jours , fans foiblcile , mais avec religion ; fans philofopliie , m.ais avec une majeflueufe fermeté ; ne vou- lant exciter , ni l'attendriflement , ni l'ad- miration des fpedateurs ; ne cherchant y ni à les intéreifer à fa perte par fes regrets , ni à s'attirer leurs éloges par fa conilance-; plus grand mille fois que s'il eût affe£lé de le paroître. Accourez à ce fpe£lacle , cen- feurs frivoles & éternels de fa vertu , & qui aviez traité peut-être fa piété de fcir- bleffe ; & voyez fi la vanité toute feule ne fe feroit pas honneur de tout ce que la gracei opère de grand en Louis dans ces derniers m.omens ? Mais la vanité n'a jamais eu que, le mafque de la grandeur : c'eil la grâce , qui en a la vérité.
Il afiémble autour de fon lit , comme un autre David mourant , chargé d'années , de vi^loires & de vertus , les Princes de fou auguite Sang & les Grands de l'Etat. Avec quelle dignité foutient-il le fpeâ:acle de leur défolation & de leurs larmes ? Il leur rap- pelle comme David , leurs anciens fer- vices : il leur recom.mande l'union, la bonne intelligence , fi rare fous un Prince enfant y les intérêts de la Monarchie dont ils font Pornement Se le plus ferme foutien r il leur demande pour fon fils Salom^on & pour la foiblciTe de fon âge , le m.ême zeie , la même fidélité qui les avoit toujours fi fort diftinguës fous fon règne. Jamais il n'a paru plus véritablem^enî Koi ; c'efi qu'il Fd-
ii6 Oraison funèbre toit déjà dans le ciel ; & que le régne du Julie eil encore plus grand & plus glorieux que celui des P^ois de la terre.
Enfin le jeune Salomon , l'augufte En- fant 5 efl appelle. Louis offre au Dieu de fes Ancêtres ce refte précieux de fa Mai- fon royale ; cet Enfant fauve du débris qui lui rappelle la perte encore récente de tant de Princes , & que fes prières & fa piété ont fans doute confervc à la France. Il de- mande pour lui à Dieu 5 comme David pour fon fils Salomon , un cœur fidelle à fa loi , tendre pour fes peuples , zélé pour fes au- tels & pour la gloire de fon nom : Salo- moni quoque fdio meo da cor perfcclum , ut cujlodiat mandata tua. Il lui laifle pour dernières inliruélions ^ ccmime un héritage encore plus cher que fa Couronne , les maximes de la piété & de la fageiîe. Mon fils j lui dit-il 5 vous allei être un grand Roi ; T. Par. mais fouvenei-vous que tout votre bonheur 25» 19. dépendra d'être fournis à Dieu ^ & du foin que vous aurei de foulager vos peuples^ Evitci la guerre ; ne fuive^ pas là-dejfus mes exemples ; foyei un Prince pacifique : craignci Dieu , & foulage^ vos fujets. îî levé les mains au ciel , comme les Patriar- ches au lit de la mort , & répand fur cet enfant , avec fes vœux & {es bénédictions , des larmes qui échappent à fa tendrelTe , ou à la joie qu'il a d'aller pofîeder le PvO- yaumic de l'éternité qui lui efl préparé.
Retournez donc dans le fein de Dieu d'où vous étiez fortie , am^e héroïque &
1
DE LoVîS LE Grand, iiy chrétienne ! votre cœur ell déjà où efl votre tréfor. Brifez ces foibles liens de votre mor- talité , qui prolongent vos defirs & qui re- tardent votre efpérance : le jour de notre deuil 5 eft le jour de votre gloire & de vos triomphes Que les Anges tutelaires de la France viennent au-devant de vous , pour vous conduire avec pompe fur le trône qui vous eft deftiné dans le ciel à côté des faints Rois vos ancêtres , de Charlem.agne & de faint Louis. Allez rejoindre Tlierefe y Louis 5 Adélaïde , qui vous attendent , & ef- fuïer auprès d'eux , dans le féjour de Tim- mortalité , les larmes que vous avez répan- dues fur leurs cendres : & ft , comm.e nous l'efpérons , la fainteté & la droiture de vos intentions a fuppléé devant Dieu ce qui peut avoir manqué . durant le cours d'un ii long règne , au mérite de vos œuvres & à l'inté- grité de vos juftices , veillez du haut de fa demeure célefte fur un Royaume que vous laifTez dans l'afFiicTion , fur un Floi enfant qui n'a pas eu le loifir de croître & de mû- rir fous vos yeux & fous vos exemples ; 8z obtenez la £.n des malheurs qui nous acca- blent 5 & des crimes qui femblent fe mul- tiplier avec nos malheurs.
Et vous , grand Dieu , jettez du haut du ciel des yeux de miféricorde iiir cette Mo- narchie défolée 5 où la gloire de votre nom eft plus connue que parmi les autres Na- tions ; où la foi eft aufti ancienne que la Couronne ; & où elle a toujours été au/îî pure fur le trône , que le Sang même de
2iS Oraison: fui^ebre^Scc. nos Rois qui l'ont occupé. Défendez-nous des troubles & des diiîënlîons auxquelles vous livrez prefque toujours l'enfance des Rois : laifTez-nous du moins la conlblation de pleurer paifiblement nos malheurs & nos perles. Etendez les aîles de votre pro- tection fur l'enfant précieux que vous avez mis à la tête de votre peuple ; cet augufte Rejetton de tant de Rois ; cette ViSime inoncente échappée toute feule aux traits de votre colère & à l'extinâiion de toute la Race royale. Donnez-lui un cœur do- cile à des inftru6lions qui vont être foute- nues de grands exemples : que la piété , la clémence , l'humanité & tant d'autres vertus 5 qui vont préfider à fon éducation y fe répandent fur tout le cours de fon règne. Soyez fon Dieu & fon Père , pour lui ap- prendre à être le père de fes fujets ; & conduifez-nous tous enfemble à la bien- heureufe immortalité.
Alnjï foit-lL
FUNEBRE
DE MADAME ,
DUCHESSE D'ORLÉANS.
Surrexerunt fîlii ejiis , & beatiilimam prœdicaverunt ; vir ejiis , & laiidavit eam 5 & laudent eam in portis opéra ejus.
Ses enfans Vont appclléchlcnheureufc : fon époux Va comblée de louanges ; & fis actions ont fait fi^n éloge dans toutes les affcm- blées publiques, Prov. 31. 28. 31.
Prés ces éloges publics & domef^ tiques 5 que nous relleroit~il à dire fur les louanges de trés-haute , trés-
PUISSANTE ET TRES-EXCELLENTE PRIN- CESSE , MADAME 5 Duchesse d'Orléans, fî nous ne venions ici que pour la louer plu- tôt que pour vous iuilruire.
Nous venons rendre de triftes & pieux devoirs à fa mémoire : la Religion les con-
1-^0 OrAISOIJ FUNEBRE
facre ; la piété les jiiftifîe ; & la douleur publique les exige. Mais en vous rappel- lant fes vertus , qui feules peuvent nous confoler de fa perte , que prétendons-nous que vous rappeller à ce moment fatal Se peut - être proche , où dégradés devant Dieu 5 de votre rang & de vos titres , ce que vous aurez fait pour le falut , fera feul notre confolation & votre éloge.
Eh ! quelle autre image pourrions-nous vous oifrir au milieu de cette cérémonie lugubre ; & dans ce Temple (i) augufle fur-tout 5 où font expofées de toutes parts les triftes dépouilles de la grandeur hu- maine ; où les Sceptres & les Couronnes brifées , rappellent à peine le fouvenir de ceux qui les ont portées ; où toute la ma- gnificence des Souverains eft renfermée dans celle de leurs tombeaux ; où les cen- dres de tant de Princes que nos yeux ont vus 5 & qui faifoient nos plus douces ef- pérances , fument encore ; & où le grand -Roi lui-même, que nous avons tant pleu- ré 5 n'eft plus que poufîiere ?
Quel ipeclacle pour les yeux mêmes de la chair ! Madame depuis long-temps ne le perdoit plus de vue : elle ne parut furvivre à toutes les pertes de la Maifon royale y que pour attendre la m.ort avec plus de courage , & s'y difpofer avec plus de foi : elle vit de plus près le néant de tout , & ne crut digne d'elle , que ce qui étoit di- gne de rim.mortalité.
( I ) VEglife de Saint Denis , ou font la Tom" beaux de nos Rolu
DE Madame. 231
Ne craignons donc pas de mêler aux prières de FEglife , & à la folemnité des laiîits Myfteres , des louanges honorables à FEglife , dont le vice feiil doit rou- gir. Nous les devons à Famour des peu- ples 5 qui les publient ; au deuil de toute la Nation , qui la regrette ; à la douleur amere d'un augufte Fils , (i) qui la pleu- re ; aux larmes d'une Maifon défolée 5 dont elle fut toujours la mère plutôt que la maî- treife : nous nous les devons ^-à nous-mê- mes ; & de tous ceux qui m'écoutent , en efl-il peut-être un feul que la bonté de cette Princeilb n'ait honoré de quelque marque particulière de bienveillance ; & qui dans la perte publique , comme le difoit faint Ambroife d'un Empereur 5 ne pleure encore une perte qui lui efl perfonnelle ? Gmncs ^"^^''* enim tanquam parenîem puhlicum ohlijfe domejîico fletu doloris illacrymant .^ fuaqiic omnes fiinera dolent,
Epoufe fideile , mère tendre , m^aîtreife douce & bienfaifante , Princeiîe chrétien- ne ; c'efl à-dire , devoirs domeftiques & publics 5 toujours remplis durant le cours d'une longue vie avec décence , avec no- bleffe 5 avec humanité 5 avec religion. Vous la reconnoiffez à ces traits fimples & peu recherchés ; ils fjffifent à la vérité , & fon cara<51:ere eu. fon éloge. C'ell par vous feul, ô mon Dieu ! que fon éloge peut devenir notre inftru6i:ion.
(i ) Philippe Duc d'Orkans , Régent de France*
232. ORAI SON FUI^EBRE
L
A Cour étoit à peine confoléc de la mort d'Henriette d'Angleterre * quand l'Al- lemagne la remplaça à la France par la Princelîb que nous pleurons. Née des an- ciens Souverains du Rhin , elle vint fe met- tre à côté du trône , où fa naiflance auroit pu la placer ; & les Couronnes étrangères lui parurent moins brillantes , que l'hon- neur de toucher de près , par un mariage augufle à celle de Louis.
De quelle gloire & de quelle magnifi- cence fe vit-eile environnée dans ces jours fortunés de la Monarchie ? Un Souverain maître de l'Europe; plus glorieux que tous fcs PrédécelTeurs ; plus grand par l'amour de fes peuples , que par le nombre de fes conquêtes : un époux aimable , & qui , aux charmes de la jeunefle , ajoutoit l'honneur des victoires &c des triomphes : une Cour , où nos guerres avoient formé tant de Hé- ros ; où les largefîes du Prince attiroient tous les jours les plus grands talens ; où de nouveaux plaillrs fe fuccédoient fans cefTe ; où les monumens les plus fuperbes de la m.agiiificence excitoient la curiofité , 8c peut-être la jaloufie de toutes les Na- tions ; & où l'excès feuî de nos profpérités pou voit nous préparer de loin des difgraces.
Rappelions ^faiis crainte j ces temps heu- reux. Ils furent effacés , je le fais , par des jours de tribulaîion & d'amertume j qui leur fuccéderent. Mais le Seigneur vouîoit
* Première femme de Monfieur , frère unique du Roi Louis le Grand»
DE MaDAME4 253
ïious châtier ; il ne vouloit pas nous dé- truire. Le nuage depuis long-temps fe dif- fipe ; la lumière reparoît ; un nouveau fo- leil fe levé fur nos têtes ; * une Régence paifible & gîorieufe lui a préparé les voies. C'eft le deftin de la France ; ou plutôt 9 c'eft de tout temps la conduite de Dieu fur une Nation qu'il chérit. Nos malheurs ont toujours été les précurfeurs infaillibles de notre élévation ol de notre gloire.
Madame fe montra à la France dans ces temps plus heureux du dernier regne.La li«- cence eu. d'ordinaire inféparable des prof- pérités : les bienfaits de Dieu nous amol- lifTent! nous tournons contre lui fes propres dons ; & les jours de {es faveurs font pref- que toujours les jours de nos crimes. frAu milieu de tant d'écueils , où l'exemple dé- cide toujours des devoirs , la Princeife , Êour qui nous prions , demeura fidelle ; & >ieu qui venoit de la retirer du fein de l'héréfie qu'elle avoit fuccée avec le lait , conferva le nouvel ouvrage de fa grâce. Livrée à l'erreur par fa nailfance & par fon éducation , un trait d'éleci:ion finguliere avoit été la difcerner comme une autre Ruth j dans une terre étrangère , pour l'ap- peller à l'héritage du Seigneur , & l'aflb- cier à fon peuple. Vos miféricordes , o mon Dieu ! font fîdelles , & vous les miulti- pliez fur vos Elus : les lumières de la foi , en difîipant les ténèbres de l'efprit , ne per-
* Louis XF venoit d'être facré , & alloitêtre déclaré majeur»
Î34 Oraison f une but: Cent pas toujours les nuages que l'âge & les paflions forment auÉpur du cœur : do- ciles aux vérités de la do&rine fainte , nous n'en fommes pas moins rebelles aux de- voirs qu'elle nous impofe. Hélas ! les mœurs ne difcernentprefc|ue plus le peuple de Dieu des incirconcis ; le Seigneur n'eft pas plus fervi dans la Judée , que dans Sam.arie ; & la face de la terre partagée par tant de doc- trines di-verfes , ne montre prefque par-tout que des hommes qui fe reifemblent.
La fidélité de MADAME à fes devoirs , honora fon retour à la foi. Entrée dans la voie de la vérité 5 elle y marcha d'un pas noble & confiant ; & de peur que l'erreur jaloufe ne diiputât à la grâce la gloire de fon« changement , elle le ratifia tous les jours par fa conduite.
Les liens facrés du mariage , qui ve- noient de l'attacher au Prince fon époux , lui attachèrent en même temps toute fa ten- dreiTe : fon cœur & fon devoir ne fe fépa- rerent jamais. La Cour même qui ne par- donne jamais à fes maîtres , & qui outre toujours à leur égard & l'adulation & la cenfure^ en parla comme nous : il faut que la vertu foit bien pure 5 quand le courtifan la refpeâ:e.
Vous ne tardâtes pas , ô mon Dieu ! de répandre fur cette union fainte les béné- di(f^ions promifes à la poilérité de faint Louis ! Un Prince 5 l'appui du trône ; Phi- lippe , * le tuteur du Koi & de l'Etat ; le * Le Duc d'Orléans , Récent de France,
DE MADAME. ^3$
protecteur éclairé des droits du Sacerdoce 8c de l'Empire ; le premier exemple d'une minorité pacifique : le modèle des Princes bienfaifans , fut le premier fruit de vos promeiTes. Vous prévoyiez nos malheurs & nos pertes 5 & vous nous prépariez une refTource. Une nouvelle fécondité honora encore les chaftes amours de cet augufle hymenée. La France en vit naître avec joie uuQ PrincelTe , * qui régnoit déjà fur tous les cœurs , & que nous ne devions pas poi^ féder. Heureux les peuples qui la voient ! Au milieu du calme & des plailîrs innocens d'une Courpaifible &c chrétienne , elle fait depuis long-temps les délices de fesfujets ^ &: le lien de la Aîonarchie avec une Maifon féconde en Héros , & à qui la Maifon de France feule peut difputer la gloire des fîe- cles & l'antiquité de l'origine.
Lesfentimens de la Nation perdent fou- vent leurs droits dans le cœur des Princes : élevés au-defîiis de nous , il leur paroît trop vulgaire de penfer & de fentir comme nous : nés les m.aîtres des hommes , ils ne veulent pas même leur relTembler par Thu- rnanité ; & deftinés parleur naiffance à être les pères des peuples , ils fe font quelque- fois une honte de ce titre aimable à l'égard même de leurs enfans. FauiTe grandeur que Madame ne connut point : elle crut que les devoirs & les fentimens de la Nation , étoient les plus nobles , parce qu'ils étoient les plus anciens ; que la limplicité des pre-
* La Duchejjs de Lorraine»
tf6 Vraisotj fui^ebrî: mieres mœurs avoit plus de dignité Se de véritable élévation , que tout le fafte de nos ufages ; Se la PrincefTe la plus majeA tueufe que la France ait vue , fut en mê- ine temps la mère la plus tendre.
Dois-je en attefler ici les larmes du Prince affligé qui m'écoute , & ne point ménager fa douleur ? Mais ces chères cen- dres parleroient à ma place ; & c'eft le con- fôler , que de rappeller un fouvenirméme qui l'afflige.
Quelle ^endreiTereffembla jamais à celle de Madame pour ce Prince augufte ! fes yeux pouvoient à peine fuffire à le voir, & fon cœur à l'aimer. Quelle joie j quand elle vit briller dans Ton enfance prefque ^ les eipcraiices de ces grands talens , & de cette fupérioriîé de lumières , que la va- riété & rimmenfité des connoilîances cul- tivèrent depuis ; que les victoires ennobli- rent 5 & qu'une Régence mémorable éter- nifera dans nos annales ! Elle le vit 5 fans l'avoir déliré , comme la mère des enfans de Zébédée , affls par le droit de fa naif- fance à la première place du Royaume ; dépositaire du Sceptre : maître de nos def- tiiiécs & de celles de l'Etat ; & plus tou- chée de fa gloire que de fon élévation , elle vit alors avec des larmes de tendreiTe , dans le cœur de tous les François , les mêmes fentim.ens d'amour que ceux qu'elle avoit pour fon fils ; &: toute la Nation l'adopter , îî je l'ofe dire , comme fon enfant , dans le temps qu'elle le choififfoit pour fon maître.
De Madame, i^j
Mais nous pouvons l'ajouter ici ; fon falut rintéreflbit encore plus que fa grandeur. Comme une autre Monique , elle l'enfan- toit tous les jours par fes prières & par fes larmes : elle n'offroit jamais à Dieu le fa • orifice de fon cœur & de {es lèvres , fans lui demander qu'il jettât enfin àcs regards de miféricordes fur ce cher enfant. Et que que refloit-il en effet à defirer pour lui , que la gloire des Saints ?
Une PrinceiTe vertueufe l'avoit déjà ren- du père d'une nombreufe famille : elle voyoit les enfans de fes enfans : un jeune Prince (i) dontles deftinées raflurent l'Etat & affermirent le Trône : des Princeifes (z) régner dans les plus brillantes Cours de l'Europe .'FEfpagnenous (3) envoyer & recevoir de nous , les gages précieux d'une union éternelle ; le feu qui avoit paru s'al- lumer 5 éteint par des alliances facrées : le Sang royal réuni à fa fource ; &: par l'habi- leté d'un Miniflre , pour qui les difficultés mêmes femblent devenir des reiîources , le fruit du nos vi6i:oires & de nos pertes , con- fervé à l'Etat ; 8c une Couronne qui nous avoit tant coûté , & que la valeur du Prince , que nous confolons , avoit afîurée au petit-fils de Louis le Grand , mife fur la tête de la Princelfe fa fille. C'eft ainfi , ô mon Dieu ! que les profondeurs de votre
(i) Le Duc de Chartres.
il) La Princeffe de Modene , la Reine d'Efpa^ne^ femme de Louis /. mort depuis.
[?] V Infante d'Efpagne dejîinée à être Reine ds France ^ 6* retournée depuis à Madrid,
2-3^ Oraison funèbre fageiîe difpofe les événemens ; & qu'en paroiHant ébranler les Empires que vous protégez , vous ne voulez qu'en affermir le trône , & en accroître la domination & la puiiTance.
Peuples déjà fi rapprochés par la valeur & par les guerres mêmes qui vous avoient toujours divifés j & aujourd'hui fi unis par le Sang même de nos Maîtres ; puliliez- vous tranfmettre , avec la fijccefiion de vos Rois , cette alliance fainte aux races fu- tures î que les deux peuples ne forment^ jamais qu'un peuple ! que les campagnes ne voient jamais nos étendards oppofés y &:les lys déployés contre les lys ! que cette alliance refferrée par tant de nouveaux liens , devienne la loi fondamentale des deux Monarchies ! que Tame de Louis le Grand , qui en a été le principe , en foit le nœud éternel -! & puifTent les deux Na- tions 5 pour fe foutenir , fe prêter jufqu'à ' la fin des âges les mêmes arm.es qu'elles avoient employées pour fe détruire.
Mais faifons-nous honneur ici à MADAME d'une tendrefie maternelle , où la nature a, ce femble , plus de part que la vertu ? Oui, mes Frères , & nous devons cette confola- tion à la douleur du Prince qui la pleure. Un cœur qui aime ce qu'il doit aimer , efi: toujours digne d'éloge ; & ce ii'efl que par vertu , qu'on fatisfait aux devoirs de la na- ture. Mais d'ailleurs , Madame aima les Princes fes enfans , en mère, en Princeffe, eu Chrétienne. Ce n étoitpas ici une de ces
D E M A D A M E. 239
fenfibilités vulgaires que les foiblefTes dés- honorent 5 &: où à force de donner tout à la tendrelfe , on ne donne rien à la raifon & au devoir. Quelles leçons de grandeur , de dignité , de bienféance , de fageiïe , fu- rent les fruits de Ton amour maternel! mais quels exemples encore plus puiifans que les leçons ! Vous en conferverez un tendre & éternel fouvenir , famille défoiée ; & vous honorerez fa mémoire en imitant fes ver- tus. Et vous pieufe Adélaïde , * qui ca- chée dès vos plus jeunes ans dans le fecret du Sanâ:uaire , avez préféré l'opprobre de Jesus-Christ à tout ce que le fiecle peut laiiler efpérer de plus éclatant , vous ne ceilerez de demander aux pieds des autels , que vos vœux & les nôtres , fur les defli- nées de votre auguile Maifon , s'accomi- pliflent.
Rien en effet n'eil plus rare pour les Grands , que les vertus domelliques : la vie privée efl prefque toujours le point de vue le moins favorable à leur gloire. Au dehors , le rang j les hommages , les re^ gards publics qui les environnent , les gar- dent 5 pour ainii dire , contre eux-mêmes : toujours en fpeâ:acle • ils repréfentent ; ils ne le montrent pas tels qu'ils font. Dans l'enceinte de leur Palais , renfermés avec leurs humeurs & leurs caprices , au milieu d'un petit nombre de témoins domediques & accoutumés , le perfonnage ceiTe , & l'homme prend fa place & fe développe.
Loulfs-Adclaïde d'Orléans, Abhejfs ds Chslks»
2-40 Oraison funèbre
Ici nous pouvons tirer le voile , & entrer fans crainte dans ce fecret domeflique , où la plupart des Grands cefTent d'être ce qu'ils paroiftent. Ce qu'il y a eu de privé & d'in- térieur dans la vie de Madame , eft aufli grand & refpeftable , que ce qui en a paru aux yeux du public.
Dites-le ici à ma place , témoins affligés & fidelles 5 de l'humanité , de la douceur y & de l'égalité d'une fî bonne Maîtrefle ' Aviez-vous à foufFrir de fon rang ou de Tes caprices ? votre zèle n'étoit-il compté pour rien ? vous croyoit- elle trop honorés de lui facrifîer vos foins & vos peines ? vous re- gardoit-eile comme des viâ:imes vouées à la bizarrerie & à l'hum.eur d'un maître ? fentiez-vous votre dépendance que par fes égards & fes attentions à vous l'adoucir ? en fatisfaifant à vos fervices , pouviez- vous fatisfaire à toute votre tendreile pour elle ? votre cœur n'alloit-il pas toujours plus loin que votre devoir ? Et quel chagrin avez- vous jamais fenti en la fervant , que la crainte de la perdre & la douleur de l'avoir perdue ? l'abondance de vos larmes répond pour vous ; & plus vivement que mes foi- bles exprelîîons , elle fait fon éloge & le vôtre.
Oui 5 mes Frères , au milieu de fa nom- breufe maifon. Madame n'étoitplus une maîtreife ; c'étoit une m.ere affable & bien- faifante : dépouillée de fa grandeur , fans l'être jam.ais de fa dignité , elle defcendoit avec bonté dâiis le détail des peines & des
befoins
^^ Madame.
i.aire,oudue '".r ''''^°" ^'^ '!'o=-di- ce &n;bJe,d>;e:^.f "''""; ^ '^ «'«t, PM né fex,;;blp 'nn ,?''"-^ ' P°-^^ "'^-r^
^ enceinte de [a "n.Jr ,
vous le favez foVLS-' "1^°-^^'^ P^'' . ion crédit fut to io^! '^*"'" ^■enfalfante
teftrice afFurpe • iV^' f" ^"^ "ne pro-
U mikxe ikuk , devenr- i ^^^^'=' ' °" J'o^t droit de l'appTol"";' s1 î*' '^"' ''°"-
Jes plus sûrs , cfuel d"„;i ^ " ^""''=5 &: Pius^univerfeJ ! "" ^ J^'^ais dû être
L'autorité d? !-> d - -f-e fouhaitatle'pSll"^!"^ V"' P'^""^ ?,'«.Par ]a pollèffion où .e , ° ^°" ^'^ ' "Iloir le mettre de fo 1° V """'-'eaii raiir.
^- , Pn-nceffe fidro^,/ Ji' '-" que vos d - faveurs du Prince ib,; t^' 7^'"' ' ^^-^ ?a«^ les titres de nos Is f a^ '"'l ^"ites ''^.en perpétueront I.'ï^ ! "^^'«^ ^'^aifon. ,
»'0" a été le jour'dè res l°" ?^™''"fc- Jai-ge/îès. P^"*°t epujfée que fes
tei-Êts des perfoiinefl.c I '^'"^ ^ aux in- (^';'^ro« Vuncïre! ^'"' ^"difîërentes ,
i4i Oraison funèbre fut fî tendre & fî fidelle pour fes amis. L'a" mitié eft le feul plaifir prefque que la plu- part d^s Grands font gloire de s'interdire. Prévenus que les hommes leur doivent tout , ils croient ne leur rien devoir eux- mêmes 5 & que c'eft aflei payer leurs em- prelîemens , que de les fouffrir. L'amitié plus fincere , & de-là moins rampante & moins emprefTée que l'adulation , leur pa- roît un hommage fec & aride : leur atta- chement même & leur confiance , n'efi: qu'un goût paffager qui les gêne & les en- nuyé bientôt , & dont ils fe débarrall'ent comme d'une contrainte. Ainfî vivant feuîs , dès qu'ils vivent fans amis au milieu de la multitude qui les environne , leurs vices font des adulateurs ; leurs bienfaits , des ingrats ; leurs vertus miêmes , des cenfures injuftes. Madame eut pour fes amis, cette confiance & cette fidélité , dont on cherche depuis long - temps des exemples même parmi les hommes du commun. Un ami lui parut toujours le bien le plus précieux de la terre , & qui honore même les Princes & les Rois. Tous les autres biens , nous les devons , ou à la fortune , ou à la naif- fance : celui-là nous le devons qu'à nous- jnêmes.
Tel fut le cara£lere de Madame dans fa vie privée ; caraâ:ere connu , refpe6i:é , non-feulement de la Nation , mais de toute l'Europe : une époufe fidelle, unem^ere ten- dre , lîne amie confiante , une maîtreife douce & bienfaifante.- Nos voifins l'ont
DE Madame. 243
toujours caraélérifée par ces traits comme iious : c'étoit Féjoge public que toutes les Cours ont toujours fait d'elle ; &: il ces traits paroiiTent vulgaires ^ ce ne fera ja- mais qu'à ces hommes frivoles , qui ne voient rien de grand dans les devoirs ; qui croient que les vertus domeftiques ne font faites que pour le peuple ; que les Princes ne font dignes de nos éloges , que lorfque leur falle & leur fierté les rend indignes as nôtre amour ; qu'un cœur tendre & com- patiiiant , déshonore le rang & la naif- fance ; que l'humanité dégrade l'homme ; 8i qu'il faut être né dur i^ bizarre , pour être né Grand. Quel fléau pour le genre humain 5 fi celui qui donne Iqs Princes à la terre puniilbit l'erreur de ces images , en nous donnant des maîtres qui leur fuf- fent femblables î
Et qu'y a-t-il de plus honorable à la grandeur que l'humanité ? Les Princes ne font puilTans que pour être bons : ils doi- vent , fî je l'ofe dire , leur pui{fance& leur grandeur à nos befoins ; & s'il n'y avoit pas des foibles & des malheureux , le Ciel n'auroit pas donné des maîtres à la terre.
C'ed par-là que Madame remplit toute la deRinée de fon rang : comblée des louan- ges de fon époux ; appellée bienheureufe par fes enfans , & par ceux qui attachés à fon fervicG , l'avoient toujours aim.ée com- me leur mère : Surrexerunt filii ejus , & beatifjîmam prœdicavenint ; vir ejus , & laudavit eam ', (j domcftici ejus vejlitl fiint
L2.
244 Oraison funèbre dupliclhus. Il nous refte encore la voix des peuples à écouter. Son hilloire publique pourroit fournir des traits plus brillans que fa vie privée : mais elle n'offrira pas de plus grandes vertus ; & fi la fidélité d'une épou- fe , la tendreiîe d'une rnere , la bonté d'une maîtreiTe ont fait fon éloge domellique , la majcité , la bienféance , la piété folide & toujours foutenne d'une Princefîe , fon amour pour le Roi & pour l'Etat , vont remettre devant nos yeux un fpeâracle qui a long-temps honoré notre fiecle , &: qui a toujours fait fon éloge public : Et lawdcnt ecim in pords opéra ejus»
il. J
PARTIE X^Es Princes ont plus de devoirs à rem- plir que le refte des hommes : plus ils font Grands , plus ils doivent de grands exem- ples : ils font en fpe£\:3.clQ aux regards -, comme aux hommages de la multitude. Les premières obligations de leur rang font le zèle pour l'Etat , dont ils font les pre- miers fujets 5 & dont ils peuvent devenir les maîtres ; la bienféance dans les mœurs publiques , dont ils font toujours les mo- dèles : la fidélité aux devoirs de la Reli- gion 5 que leurs Ancêtres placèrent fur le Trône.
A ces traits , nous croyons voir revivre la Princelîe que nous avons perdue. Les mêmes liens qui l'attachèrent au Prince fon époux « l'attachèrent à la France : elle pa- ,rut avoir époufé la Nation. Le fmg Ger- inauiqiie , qui couloit dans fes veines , re.
DE Madame, 245
trouva pour le fang François , les penchans &: les afFe6i:ions de la même origine ; & defcendiie de ces anciens Conqiiérans, qui des bords du Rhin , vinrent fonder dans les Gaules une Monarchie , qui a vu depuis commencer toutes celles de l'Europe , elle parut, en arrivant parmi nous 5 s'être ren- due à ia Patrie , plutôt qu'en être fortie. Notre culte étoit devenu fon culte , & no- tre peuple fut le fien ; nos Dieux furent fcs dieux ; nos ufages , fes ufages ; notre gloire ou nos malheurs , fes malheurs ou fa gloire; & oubliant fes premières deflinces , elle n'en connut plus d'autres que celles de la Monarchie. Liée par le fang , ou par des commerces d'amitié oC de bienfiance , à la plupart des Souverains de l'Europe , elle ne le fut jamais « par le cœur , qu'à la Na- tion ; & au milieu des guerres qui les avoient armés contre nous , fes liaifons avec les Cours étrangères, ne furent jamais que des témoignages éclatans de fon amour pour la France. 5Jos hiftoires lui en feront honneur ; & parmi les PrincelTes étrangè- res , que les liens du m.ariage unirent au Sang de nos Rois , & qui vécurent au milieu de nous , elles lui oppoferont des exemples qui l'honoreront encore davantage.
Louis le Grand connut fon zèle , & le paya d'une amitié & d'une confiance , qui ne finirent qu'avec lui. Nul de vous ne l'ignore , quelle fut la conftance de l'efcime & de la tendrefTe de ce grand Roi pour Madame. Les Cours font orageufes ; les
'L3
24^ Oraison funèbre intérêts y décident toujours des affections ; & comme les intérêts y changent fans celle , les affections n'y connoiffenîprefquepas de durée : tout y forme des nuages ; les jours ne s'y reffemblent jamais; les mêmes flots y qui vous élèvent , vous ouvrent le gouffre à Finffant ; & la vicillitude éternelle des événemens eft comme le feul événement & le feul point qu'on y voit de fixe.
Madame n'éprouva point ces révolu- tions. Une noble franchifë , fi ignorée dans les Cours &• qui lied li bien aux Grands , la rendit toujours refpe£bable au Roi : il trouvoit en elle 5 ce que les Rois ne trou- vent guère ailleurs , la vérité. Plus éloi- gnée encore par l'élévation de fon carac- tère 5 que par celle de fa naiffance , d'une baffe adulation , elle n'employa jamais pour plaire que fa droiture & fa candeur. Les foupleffes èc les artifices de la diffimu- lation 5 qui font toute la fcience & tout le mérite des Cours 5 lui parurent toujours le fort des âmes vulgaires. C'efî: fe niépri- fer foi-même , que de n'ofer paroître ce qu'on eff. L'art de fe contrefaire & de fe cacher , n'eft fouvent que l'aveu tacite de nos vices ; & elle crut qu'on n'étoit grand y qu'autant qu'on étoit vrai.
AuffiLouis, plus touché du fimpîe & du naturel , que du falle des hommages , venoit fe délaffer des adulations auprès de Madame. C'étoit là que fa Cour prenoit une nouvelle face : le faux en étoit banni : la vérité y prélidoit , & reprenoit fes droits ;
D E M A D A M E. I4J
la confiance & la noble {implicite environ- noient le trône , & la tendrelîe en faifoit le plus fuperbe hommage.
Ce Prince , qui avoit élevé plus haut que tous fes Ancêtres , la gloire de la Monar- chie , & qui vit un fi long cours de pros- pérités finir par des difgraces , vit aulTi l'amour & le courage de Madame , croître avec nos malheurs. Quelles larmes ne donna-t-elle point alors à nos pertes ! La vie même de fon cher fils tant de fois expo- fée , ne l'occupoit pas plus vivement que le danger de l'Etat. Les plaies de la Na- tion étoient aufii douloureufes pour elle ^ que celles dont ce Prince belliqueux fortoit fouvent couvert des combats ; ^ fa gloire même ne pouvoit la confoler de nos dif- graces.
Rappellerai-] e ici ces jours de deuil tant de fois déjà rappelles, où toute la Famille Royale prefque éteinte ; où le Trône envi- ronné de tant d'appuis , demeuré feul en un inftant ; où tant de têtes que la Cou- ronne attendoit , abattues , il ne nous ref- toit de toutes nos efpérances , que la cadu- cité cVun grand Roi que nous allions per- dre , & l'enfance d'un Succeifeur que nous craignions de ne pouvoir conferver. Louis inébranlable , au milieu des débris de fa Maifon 5 ne vit dans ces lugubres funérail- les 5 que l'appareil & le préparatif des fien- nés ; il avoit affez vécu pour fa gloire ; mais il n'avoit pas encore vécu afiez pour nous. Cependant ce règne long Se glorieux
24^ Oraison fun e ère devoit avoir k deflin des chofes humaines ; ies jours , comme les nôtres , étoient comptés ; le terme fatal arriva ; les déf- ie ins du Ciel fur fa grande ame étoient ac- complis ; & la France perdit un Roi , qui fera toujours encore plus grand dans nos cœurs , que dans nos annales. Mais MA- DAME perdoit un ami ; & s'ils font rares fur la terre , ils le font encore plus fur le trône. Sa douleur égala fa perte , & lui ca- clia même des efpérances flatteufes qu'aU- Toïî pu entrevoir un cœur moins touché. La Cour , que Louis feul rempliiîbit de fa gloire & de fa majeilé , ne lui parut plus qu'une folitude afFreufe : elle crut vivre dans une terre déferte & abandonnée ; & ce Monarque ii glorieux , qui laiffoit en mourant un fi grand vuide fur la terre , en laiffa un dans fon cœur que rien depuis ne pût jamais remplacer.
Son zcle feul pour nos Rois furvécut à Louis ; & s'attendrifîant fur le bas âge du Prince que tant de morts venoient d'élever iur le trône , en le reconnoiiî'ant pour fon maître , elle l'aimia comme fon enfant. De quels yeux voyoit-elle croître tous les jours civec lui fes heureufes inclinations ^ nos efpérances ! avec quels tranfports de ten- clrelle y voyoit-elle fe développer chaque jour les traits , la majeflé , les manières , tout le grand du caraâ:ere de. fon augufte Bifaïeul ! avec quelle circonfpe£iion ref- peâueufe approchoit-elle de ce trône naif- faut ! L'enfance des Souverains , qui rend
DE Madame. 249
toujours autour d'eux les bienféauces du relpeâ: & des hommages moins attentives , redoubloit la bieiiréance & l'attention de foii refpe(fl: &: de fes hommages ; & fi une Nation fi tendre , fi fidelle , fî refpedîueule envers fes Rois , avoit eu befoin là-defTus de ces grands exemples , elle nous avoit appris à aimer nos maîtres • elles nous ap- prenoit alors à les refpeârer.
C'étoit la louange publique que la France donnoit à Madame. Et ce zèle pour nos Rois 5 qui fait ici fon éloge , n'a-t-il pas lui- même hâté notre deuil ? Ses yeux qui voyoient déjà de loin la terre des vivans 5 avant de fe fermer à la lumière , voulurent voir le Roi , dans fa fplendeur & dans toute la gloire de fon Sacre : ''^ Regem In jr, ^5, décore fiio videbiinî ociili ejiis ^ cernent ter- 17. ram de longe. Ses forces parurent fe rani- mer ; fon courage n'écouta point nos fra- yeurs. Munie des faints Mylleres & de cette Viande qui fait la force des voyageurs , nous la vîmes partir en triomphe pour la cérémonie augufte , com.me lî elle ailoit elle-mênie prendre poileliion de l'Empire y ou 5 pour mieux dire , de l'imm^ortalité. Elle vit , avec des yeux déjà miourans y. rOndion fainte couler fur l'Enfant de tant de Rois : cette Ondion qui eil le titre le plus ancien & le plus vénérable de la foi de nos Monarques , & des prérogatives de la Monarchie : cette Onâion qui confacra les
* Vnyai^e de Madame à Rheims, pour voir le Sa- cre de Louis XF. Elle y alla malade , <S* maumt pm de jours après fon retour..
250 OrAISO-^ FUNEBRE
Clovis^lesCliariemagnes 5 les faints Louis, & quia donné tant de Saints & tant de Hé- ros au trône des François. Elle porta aux pieds des autels, avec fe5 derniers vœux , les vœux de toute la Nation , pour le falut & la gloire d'un Prince , que le Dieu de fes pères venoit de marquer du caraâ:ere facré de la Ro^'auté. Elle parut , comme le faint Vieillard de Jérufalem , û refpe6i:a- ble par fes années & par fa piété , n'avoir plus de regret à la vie , depuis que fes yeux avaient vu cet Enfant précieux , qui de- voit être la gloire & l'efpérance de (on peuple 5 faire dans le Temple , au Maître des Rois , le premier hommage public de fa fouveraineté.
Jour trop heureux , que vous nous pré- pariez de larmes ! elles couleront long- tem.ps pour vous fur-tout , Princeiîe affligée, * que la préfence d'une Mère fî chérie avoit attirée d une Cour étrangère , à cette fu- perbe folemnité ! Vous couriez recevoir fes tendres embraffemens , hélas ! & vous ve- niez recevoir fes derniers foupirs : vous re- doubliez pour elle vos foins , vos emprcf- femens , vos tendreiles , hélas ! & vous lui rendiez vos derniers devoirs. Ainfî , ô mon Dieu ! vous micnez toujours à l'auliâiion par des jours de férénité & d'aliegréffe.
Mais cachons-nous encore pour un mo- ment ce trifte fpedacle. L'amour de Ma- dame pour le Roi & pour l'Etat , prenoit fa fource dans un cœur , pour qui les de.
* La Duchefjl de Lerrains; fils de Madame.
DE Madame, 25^1
voirs étoiçnt devenus des penchans : plus fon rang l'approchoit de la Majeflé royjle , plus elle fat attentive à n'en pas laifier avi- lir la dignité : elle le rendit plus reipeâia- ble , en le refpeéxant toujours elle-même. Quelle bicnféance & quelle majeft;5. dans les mœurs publiques ! Les Grands regar- dent fouvent leur naifl'ance comme une prérogative , qui en autorife les aviliffe- mens j & fe font de nos hommages mêmes un titre d'indécence. Perfuadés qu'ils ne doivent rien au reile des hommes 5 ils croient aufTi ne fe devoir rien à eux-mêmes. La France a-t-elîe jamais vu de PrincelTe foutenir avec plus de décence èc de dignité^ l'élévation de fon rang ? Les mœurs avoient beau changer ; en vain le iiecle ne ccn- noiifoit plus l'ancienne gravité de nos pè- res ; en vain la licence avoit pris la place des règles & des bienféances ; en vain la modeflie & la pudeur 5 n'étoient plus pour le fexe que des ufages furannés ; en vain îa Cour elle-même , loin de s'oppofer à ces nouvelles mœurs , en fournifibit fou- vent le modèle : MADAME fe reilembla tou- jours à elle-même. Nous l'avons vue 5 feule prefque , conferver aux règnes à venir , la bienféance & la tradition des premiers ufa- ges , que l'amour de la pareile & de la commodité , abolillbient peu-à-peu ; faire palTer aux âges fuivans , ce qui nous refte de grand & d'honorable des anciennes Cours ; & fauver Funiformité à une Na- tion 5 que lalafîitude feule des changemciis pourra fixer un jour.
Z^l O p. A 1 s 0 N FUNEBRE
Majefhieufe , fans fade , elle ne regarda pas la fierté comme inie bienféance de Ton rang : la majeiLé qui Fenvironnoit , étoit r.ffable &i accefTible : en lui offrant nos liommages 5 nous ne pouvions lui refufer îios cr^iir? : on ne trouvoit point autour d'elle cette barrière d'orgueil , de filence , on de dédain , qui fait fouvenî toute la iiiajcf'c des Grands ; on n'y voyoit pas une Cour tremblante , n'ofer prefque lever les regards^ jurques au maître , & craindre de manquer au refpc£l" dans l'excès même de fes homm.ages. L'adulation en étoit encore plus bannie que la crainte : aifurce de nos coeurs , elle ne cherchoit pas nos louanges: vraie , franche , naturelle , la fadeur des éloges lui étoit à charge : le langage des Cours qu'elle n'avoit jamais parlé , elle ne l'écouta aufii jamais qu'avec dégoût. Ce- pendant jamsais de ces momens fâcheux , où il eit fi dangereux d'aborder nos miai- très : une douce affabilité nous rafluroit toujours contre fon rang : tous les mo- m.ens étaient ceux que nous aurions choifis nous-m.cmes : en fortant d'auprès d'elle , chacun fe trcuvcit m.nrf]ué par quelque trait lingulier de bonté ; & nous ne com.ptions les devoirs que nous lui rendions , que par les mjarques de bienveillance que nous en avions reçues. Qu'il efl rare de favoir ê re Grand • & de ne pas faire fcuBrir de notre rrrandeur ceux qui nous apurochent !
Enfant augufîe * que FEfpague vient de
* l^'Infante d'Efpagne encore alors à Ferfailks»
DE Madame. 253
nous rendre , élevée au milieu de nous pour régner un jour fur nous , & dellinée à partager avec le jeune Louis le trône de vos Ancêtres , pourquoi vos jeunes ans ont-ils été fî-tôt privés d'un fi grand exem- ple ? PuiiTiez-vous l'avoir allez connue pour l'imiter ! que ces vertus douces & bien- faifantes briilent en vous , autant que la couronne qui vous attend ! Tout ce que la France peut defirer 5 c'ell une maitrefie qui lui reffcmble.
Mais , mes Frères 5 ce qui nous rend ai- mables devant les hommes , ne nous rend pas toujours agréables aux yeux de Dieu. Les vertus humaines peuvent nous attirer, des éloges humains ; les liecles peuvent louer des ci&dons qui honorent les fiecles , & gui s'effaceront avec eux ; la. piété feule furvit aux fiecles & aux temps 5 & va écrire nos louanges 5 ou plutôt les louanges de la grâce , dans les Livres éternels. Ce fe- roit peu d'avoir mis le monde dans les in- térêts de notre sloire : hélas ! la gloire aue le miOnde donne n'a pas plus de durée ni plus de réalité que lui : la vie la pins écla- tante fans la foi ^ n'efl qu'un fonge & un fantômie ; & on n'a pas vécu . quand on n'a pas vécu pour Dieu.. Vérités faintes , que le monde ne connoît pas 5 une foi vive vous avoit gravées dans le cceiir de notre pieufe PrinceiTe !
Quels exemples de piété n'a-teîle pas donnés à la France , & d'une piété qui por- toit tous Iqs traits de fon caraélere : fiinple
2,$4 Oraison funèbre
& foiimife 5 exa6ie & régulière , noble Se
héroïque.
Les préjugés de Terreur qui avoientpréfîdé à fon éducation , ne paroifToient plus en elle 5 que par une docilité plus religicufe aux myileres de la foi. Ses lumières fe bor- noient à fes devoirs : elle refpe^loit le nuage qui couvre toujours le Sanéèuaire. Les faintes ténèbres de la Religion fixoient elles-mêmes fa foi , & afFermiffoient fa foumifiion : elle croyoit qu'il étoit infenfé à riionmie de vouloir connoître ce que Dieu a voulu nous cacher. Il y a trop à hasarder , difoiî-elîe fouvent ; & ccjl une folie de vouloir chercher dans le doute une sûreté que la Religion feule permet, Jam.ais de ces oHentations , û indécentes au fexe fur-tout 5 de ces étalages vulgaires d'incré- dulité « qui croit tout ûvoir quand elle doute de tout : oui ne fe glorifie du nau- frage de la foi j que peur fe calmer fou- vent fur celui de la grandeur ; & qui ne connoît pas même aiîez ce qu'il faut croire pour en douter.
Défabufée des erreurs étrangères , elle pe voyoit qu'avec une vive douleur ^ les triiles dilTcnfions , qui dans ces jours de trouble & de confusion , fe font élevées dans le fein miêmie de TEglife : elle adref- foit au Ciel les vœux les plus ardens , afin qu'il bénit les foins que le Prince fon fils prcnoit de les calmer. Mais inilruite qu'il ell nécelTaire qu'il y ait des fcandales , les troubles de TEglife affligèrent fon cœur ,
DE Madame, 2^5
fans ébranler jamais fa foi & fa foumiflion : jamais de retour fur ce qu'elle avoit quitté, parce qu'elle l'avait quitté volontairement : jamais de doute fur le parti qu'elle avoit pris 5 parce qu'elle l'avoit pris avec lumière & par conviâîon. L'Eglife , quoique bat- tue de flots 5 agitée par les tempêtes , n'en étoit pas moins à fes yeux la colonne & la baze de la vérité , & l'Arche fainte dans laquelle feule fe trouve la paix & le falut. Vous avez mafqué 5 ô mon Dieu ! des bornes aux maux de cette Eglife , l'objet éternel de votre amour ; de cette Epoufe chérie 5 que vous avez acquife au prix de tout le Sang de votre Fils. C'ell de ces temps de trouble &: d'obfcurité , que fort toujours le calme & la ium.iere : toujours dans votre colère • vous vous fouvenez de faire miféricorde. Quand viendront des ours paifîbles & fereins , fuccéder à ces jours malheureux ? PuifTent nos fcupirs Se nos larm^es les hâter ! puifllons-nous en être les heureux tém.oins ; & ne tranfmettre à nos neveux , que Thiftoire déplorable de nos diffenfions !
Piété de Madame , fimple & foumife ; mais exaâte & régulière. La foi veut des œuvres ; &: l'on croit en vain 5 quand on vit mal. Avec ^quelle profonde religion apprcchoit-elle régulièrement des faints Myileres ? abymée devant la majefté de Dieu , toutes les grandeurs de la terre ne lui paroifibient plus qu'un atome & un néant. Les Livres faints étoient fa confolaîion de
1^6 Oraison funèbre tous les jours : elle y fentoit ce touchant , ce fublime , ce divin , qui ne peut être l'ouvrage de Fefprit de iliomme. Ces vé- rités fainîes dans nos bouches , ne lui pa- roiiîoient pas moins dignes de fon amour & de fes emprelîem.ens ; & nous la voyions avec joie dans nos temples , au milieu de la multitude des Fidelles , venir foutenir par la m.ajcflé de fa préfence , &: la dignité de notre miniflere , & le refpeâ: dû à la parole dont nous fommes les Miniilres.
Ses fentim.ens ne dementoient pas ces œuvres publiques. Vous le favez , Vierges faintes , * pieufcs dépofitaires des plus fe- crets mouvemens de fon cœur ! que de prières ferventes , que de pratiques de piété , que d'entretiens édifians vos murs i'acrés ont cachés au puiblic ! L'aufiérité de votre retraite déjà û adoucie par la fer- veur 5 ne ré:cit-eîle pas encore par ces grands exemples ? permettoit - elle feule- ment à votre tendreile des vœux pour la prolongation de fes jours ? Borne:( vos vœux à mon falut , vous difoit-eile fouvent : il importe peu de vivre ; mais il importe de s\iffurer de V éternité.
Elle fe raffuroit en effet tous les jours par le mérite de fes œuvres. Les pauvres foulages avec profufion ; les fqrviteurs de Dieu honorés de fa familiarité & de fa confiance ; les ofienfes oubliées , & ca- chées aux pieds de la Croix ; une conf-
* Les Eeligieufes Carmélites de la rue de Crénelle % ou Madame fe retiroit fouvent^
DE Madame, 2^7
tance chrétienne & une tranquillité même héroïque dans la durée de {qs maux ; une humilité que Félévation de {on caraftere &: de fon cœur rehauffoit encore ; une at- tention fcrupuleiife fur tous les devoirs de la Religion , où tout lui paroilToit grand ; un fainte avidité pour le froment des élus ; une confiance fans referve pour le Miniitre qui la conduifoi'- dans les voies du Ciel ; un goût pour le bien , un dégoût pour tout ce qui ne mené pas à Dieu : c'efl l'hiiloire nue & fîmple de fa vie ; &c tout ce que l'art pourroit y ajouter deshonoreroit fon éloge.
Ne nous abufons pas , mes Frères : ainfî vécut cette pieufe PrincefTe ; & ce ne font que les mêmes routes qui peuvent nous conduire à la paix , au cahne , au courage ^ qui accompagnèrent fa mort. On ne la voit approcher avec confiance , que lorf- qu'on l'a attendue avec frayeur. Dieu , qui fe préparoit fa viâ:ime pour l'autel éternel , la purifioit depuis long-temps par l'épreuve des infirmités & des fouffrances. Nous voyions de loin approcher notre deuil : les remèdes prolongeoient fes jours , & ne calmoient pas nos craintes : fon courage fembloit donner une nouvelle force aux remèdes , & ne donnoit pas une nouvelle sûreté à nos efpérances ; le Ciel touché des vœux & des larmes d'une Maifon dé- folée 5 femibloit fufpendre quelquefois le cours de {es maux ; mais ne fufpendoit pas l'ordre des delTeins éternels , & le cours
258 Oraison funebkê deiliné aux jours de fa vie mortelle. Nous avions beau la ralTurer par nos fouhaits 9 l'Eternité s'ouvroit de jour en jour à fes yeux : plus le Seigneur fembloit différer , plus elle le voyoit près ; elle le liâtoit même par (es deiîrs : en cela ieul peu at- tentive à nos vœux , elle craignoit d'avoir trop vécu 5 & fouhaitoit de ne plus vi- vre. Je ne crois pas que de vivre plus long- temps me rende meilleure : c'étoit fon lan- gage ordinaire. Nous nons flattons tous par des elpérances de coin erfîon : elle nous apprenoit que le temps qu'on deiline au repentir , ne fait qu'accumuler de nouveaux crimes ; & qu'un vain efpoir de changer j eft plutôt un écueil qu'une relTource de falut.
Enfin, fourd à nos gémiilemens 5 le Ciel fe rend à fes deiîrs. De retour du voyage où fà tendreiî'e avoit eu plus de part que la pom.pe du fpeâacle , l'accablement aug- mente : nos frayeurs redoublent ; nos es- pérances s'évanouifTent : la mort , qu'elle portoit depuis long-temips dans fon fein , fe montre à découvert & fe déclare. Et de quels yeux Ma DAME la voit-elle approcher ? Faut-il recourir , pour lui annoncer le jour du Seigneur , à ces précautions étudiées , qui ne le montrent qu'en le cachant ? C'ell: elle qui le publie , qui l'annonce à des fpeâ:ateurs défolés , & qui voudroient fe le cacher à eux-mêmes. A-t-on befoin ^ pour la calmer fur les frayeurs de la mort , de lui montrer defauiTes efpérances de vie ?
DE Madame, 259
Au milieu du trouble , de la confternation ^ des cris , des fanglots , qui environnent le lit de fa mort : Nous nous retrouverons dans le Ciel , dit-elle , avec une férénité que fes maux & fes foufFrances ne peuvent altérer. Elle confole notre douleur : elle fourit à nos clameurs : c'eil le jour de fon triomphe , & elle ne veut pas qu'on le deshonore par des larmes. Les larmes mê- mes du Prince fon fils , ce fils , l'objet le plus cher de fa tendrefle ; ce fils , qu'elle voit à fes pieds , accablé 5 pénétré d'une profonde douleur ; 6c pour qui elle avoit îbllicitéfi long-temps aux pieds des autels , les miféricordes éternelles ; les larmes de ce cher fils touchent fon cœur maternel , mais n'ébranlent point fa foi. Ses vœux m>ourans le préfentent encore au Dieu qui vient au devant d'elle : en le comblant de fes bénédiâions , elle ne lui fouhaite pas , comme autrefois un Patriarche au lit de la mort 5 à fon fils ; Que les peuples lui obéif- fent , que les Tribus Vadorent comme leur Chef ^ qu'il foit le maître de fes Frères , que les cnfans de fa mère fe projîernent de- vant lui. Elle l'avoit vu jouir prefque de toutes ces vaines prospérités : fes defirs font plus hauts & plus dignes de la foi : elle ne lui fouhaite que le don de Dieu , & ne compte pour rien de fe féparer de lui dans le temps , pourvu qu'elle ne le perde pas dans l'éternité. Serve:( Dieu & le Roi , lui dit-elle , & ne m'oublki jamais.
Non , vous ne ferez jamais effacée de
Gen, 17» 29»
i6o Oraison fvkebre^Scc. fon fouvenir , Princeiïe fî digne de fes re- grets & de fa tendreffe ! la grandeur de fa perte ne nous répond que trop de la durée de fa douleur : nous mêlerons toujours nos larmes aux iiennes. Et lî les vœux dQS Jufles mourans font toujours exaucés , grand Dieu ! PuifTent ceux de la PrinceiGTe qui expire , être écoutés ! Puilfent les der- niers defirs de fa fui & de fa tendrelfe pour fon fîis y être montés avec elle aux piedâ de votre trône : attirer fur lui les regards de votre mifcricorde ; le rendre auill agréable à vos yeux , qu'il ell grand de- vant les hommes ; & écrire fon nom dans le Livre de l'immortalité , en caractères auffi glorieux qu'il le fera dans nos hif- toires.
Pour nous, mes Frères, n'attendons pas à la dernière heure : ceux qui attendent toujours ne changent jamais. Comptons avec nous-mêmes avant que Dieu compte avec nous. Vivons comme nous voudrions alors avoir vécu. Ailiirons-nous ce que nous efpérons. Ne faifons pas du falut un vain projet ; mais faifons de tous nos pro- jets la voie de notre falut. Et quelque éclatante qu'ait été notre vie , fouvenons> nous que nous n'y trouverons de réel , que ce que nous aurons fait pour réternité.
Ain/î foit-iL
lé
^ ^ %^ '^ -i^ '^ ^ PREMIER
SERMON
Pour une Profession Religieuse,
Mifît de fummo , & accepit me , & af- fumpfit me de aquis m^iltis ;,...& eduxit me in latiîudinem 5 quoniam voluit me.
Le Seigneur a tendu fa main du haut du Ciel ; il ma choifi ; & m'a retiré du milieu des grandes eaux ; & il m'a conduit dans uti lieu fpacieux ^ ajjlwé 5 parce quil m'a aimé, Pf. ij, 17. 20.
C^'EsT ainfî qu'un Roi félon le cœur J de Dieu , délivré de tous fes ennemisj échappé de tous les périls qui avoienî tant de fois menacé fa vie , tranquille en£n fur im trône où la m.ain du Seigneur l'avoit placé 5 & jouiilanî au m.ilieu de Jérufalem du fruit de fes viâoires paifées, de l'amour de fes peuples , de Tellime de fes fij ets , & de toutes les douceurs d'un règne heu- reux & florilTant ; c'eil: ainfi que rappellanî tant de bienfaits à leur fource , & fentant croître fa reconnoilTance avec fa proipcri-
^6l I. S ETIM 0 1^
té 5 il repaflbit fans ceiTe dans fon eiprit Ici merveilles du Seigneur , & ne fe lafToit point de publier les miféricordes dont il Favoit prévenu dès le fein de fa mère.
Il m'a tendu la main du haut du Ciel , fe difoittous les jours à lui-même ce Prince religieux ; il m'a clioifi fur tous mes frères ; il m'a préféré à tous ceux de ma Tribu ; il a rejette la poftérité de Saiil ; il a dédai- gné les Grands Si les Puiffans ; & il m'efl venu chercher dans ma plus tendre jeu- iieiTe 5 moi qui n'offrois encore à fes yeux que la (implicite de mon cœur , & l'obf- curité de mes premières années : Mifu ck fiunmo , & accepit me.
Comment pourrois-je allez publier la magnificence de fes grâces , continuoit ce Roi fidelle ? Il ne s'eft pas contenté du jetter fur moi les regards d'une éleé^ion éternelle ; fa main toute puifTante m'a déli- vré de tous les périls qui m'environnoient ; de Vinfolsnce de Goliath , des perfécutions de Saiil , àss embûches des PhililHns , de la perfidie d'Abfalom ^ & des pièges mê- mes de ma prospérité & de ma gloire : Et ajjumpfit me de aquis midtis.
Enfin pour couronner fes miféricordes , il m'a conduit dans la fainte Jérufalem ; & par un pur effet de fa bonne volonté , il a établi pour toujours ma demeure dans ce lieu de paix , de sûreté & d'abondance : Et edaxit me in latitudincm , quoniam vo- iult me.
Voilà 5 ma chère Sœur , rhifloire des
POUR UNE Prôpesswk ReLïô, i6i miféricordes du Seigneur fur votre ame , & les trois points <ie vue par où vous devez envifager , le relie de vos jours , le bien- fait (ignalé qui vous confacre aujourd'hui à Jesus-Christ. Sans ceffe déformais rani- mant aux pieds des Autels votre recon- noiffance , par le fouvenir des miféricordes de Dieu fur vous , vous devez vous dire à vous-même comme David :
Il m'a tendu la main du haut du Ciel ; il a daigné me choifir feule dans la maifon de mon père ; il m'a préférée à tant d'ames qu'il laiffe périr dans le monde , fans jetter uir elles ce regard puiffant de miféricorde qui m'en a retirée : Mijït de fummo ^ & accepit me,
Aufl] ce n'a pas été affez pour fon amour , de me choifir dans fes confeils éternels ; combien d'ames appellées font infidelles à l'attrait de leur vocation ? Il a brifé tous les liens qui auroient pu me retenir encore fous l'empire de ce monde corrompu , & m'a aidé à me fauver d'un lieu où les nau- frages font fî communs , & où le falut ell fi rare. Et ajjlimpfit me de aqids mulîis.
Que lui rendrai-je pour tant de bienfaits ? il a comblé tous fes dons en me conduifant dans le lieu faint ; il m'a ouvert les portes de la fainte Sion , & m'a placée au milieu des Vierges fidelles qui le fervent ; & ce qui enchérit encore le prix de fes faveurs , c'eft qu'il n'en a trouvé les motifs que dans les richelTes de fa miféricorde & de fa bonne volonté pour moi : Et çduxit
T.
P/^.KTIE
ft64 I. 5* E R 3Î 0 N
7116 in latltudimm , quoniam volait me*
Et voilà 5 ma chère Sœur , les trois con- folations de la vie religieufe que vous allez embrairer. Première confolatioii tirée du choix que Dieu fait d'une ame c^i la prend pour fon partage : Mifit de fiimmo ^ £f ac- cepit me. Seconde confolation prife des périls infinis & de la corruption générale du monde , d'où il la retire : Et ajjiimpfit me de aquis multis. Enfin dernière confo- lation produite parles sûretés Se les avanta- ges de la Religion 5 où il l'appelle: Etediixit me in latkudinem quonhim voluit me. Une confolation d'éle6rion ; une confolation de préfervation ; une confolation de çonfécra- tion. Implorons ^ &c. Ave Maria,
\ premier choix que Dieu fait d'une ame qu'il veut rendre à jamais heureufe avec lui , eft cette bonne volonté éternelle par laquelle , comme dit l'Apôtre , avant que nous fufTions nés , & fans aucun égard à ce que nous devions un jour être , fa mi- féricorde nous a marqués du fçeau du fa- lut ; nous a féparés de cette maffe de per- dition , où depuis le premier péché , toute chair étoiî enveloppée , & nous a élus avant la nailTance des liecles , afin que nous fufTions purs & irréprélienlibles à fes yeux ; ck que devenus citoyens de la célefle Jéru- falem , nous pufîions rendre avec tous les Saints , des louanges éternelles à la gloire de fa grâce.
Mais outre cette cleftion invifîble , dont
nulle
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TOUR UNE Profession relig. i6^ îîulle créature n'eft jamais ici-bas alTuréc , &i qui renferme le myilere profond des confeils éternels de Dieu fur nous ; il ell des éleé^ions vifibles & extérieures , qu'on peut regarder comme les moyens & les préjugés confolans de la première. Or telle eft 5 ma chère Sœur , la vie Religieufe , où la miféricorde de Jesus-Christ vous appelle.
Ainfi îorfque MoiTe , fur le point d'en- trer dans cette terre heureufe que le Sei- gneur avoit promife à fes pères , voulut confoler & fontenir les Ifraèlites contre toutes les difficultés qu'offroit cette en- treprife , il fe contenta de leur rappeller toutes les circonflances du choix que Dieu avoit fait d'eux au milieu de TEgypte , pour les conduire à la terre des promeffes. Souvenez-vous 5 leur difoit-il , que Dieu vous a choiiîs fur tous les autres peuples de la terre 5 quoiqu'ils fufTent pl-is nom- P<^iit' breux & plus puiffans que vous : Te eleglî 7* ^' Dominus de cunclls populis qui funt fupcr tcrram ; & voilà les préférences de cette élection. Il vous a fait fortir de l'Egypte ,- continuoit-il , malgré tous les efforts de Pharaon , oC en opérant en votre faveur des fignes & des prodiges : Eduxltquc vos l^^^' ^'' in manufortl de manu Pharaonis; envoil^ les moyens. Enfin il vous aimera & vous protégera ; il bénira vos terres & vos troupeaux ; il éloignera de vous tous les malheurs & toutes les plaies dont il avoit frappé l'Egypte , & vous ne pourrez plus Oraifon funèbre. M
'3fj6 h Sermon
douter que le Seigneur , grand & mlférî- cordieux , ne vous conduife , puifqu'il éta- Ibid, blira fa demeure au milieu de vous : Dlli-
j ' zjf ' ë^^ ^^ ^^ muldplicabit aufcret à te
omncm languorem , & infirmitates Mgyptl pcjfjïmas. Non timehis , quia Dominus Deus tiiiis in medio tiii ejl ; en voilà les fecours & les sûretés.
Or fur le point où vous ètQS , ma cliere Sœur 5 de fortir de l'Egypte pour entrer dans ce lieu des promefles , foulTrez que pour foutenir votre foi contre toutes les difficultés que vous pourriez trouver un jour dans la fuite de cette fainte entreprife , je vous tienne ici le même langage.
Souvenez-vous que le Seigneur vous a choifie au milieu d'une infinité d'ames qu'il abandonne ; Te elegit Dominus de cuncils populis qui funî fupQV terrain ; voilà la préférence de ce choix.
Préférence de pure bonté. Lorfque les lîommes nous préfèrent dans la diilribu- tion de leurs grâces , c'eîl qu'ils nous trou- vent 5 ou plus utiles à leurs deffeins ^ ou plus dignes de leurs bienfaits : ils prennent en nous les motifs de leur préférence. Mais Je Seigneur dans fes choix ne confulte que fes miféricordes ; nous fommes tous à fes yeux également indignes de fes premiers fcienfaits , & nous n'y apportons point d'autre mérite , que celui de fon choix & de fon amour.
Non , ma chère Sœur , ce ne font , ni ces incliuations heureufes que vous avez
TOUR UNE PîlOFESSlON ReLIG: i6j portées en naiiïant; ni ce premier âge palTé avec tant d'innocence dans le fecret du Sanéluaire ; ni cet éloignement naturel du monde , qu'on a toujours remarqué eu vous, qui ont attiré la grâce de préférence qui vous confacre aujourd'hui à Jesus- Christ : ce font là les fuites heureufes , & non les caufes de votre éledlion. Hélas ! combien d'ames dans le monde nées avec les mêmes inclinations que vous ; élevées comme vous dans l'innocence & dans le fecret d'un faint afyle ; ornées de toutes ces vertus naturelles , qui fembîent deili- ner de bonne heure un cœur à la piété ; touchées d'abord , comme vous , de la beauté de la maifon du Seigneur ; fouhai- tant dans un premier âge , de renoncer au ÇiQ,z\ç. , & de s'enfevelir avec Jesus-Chp.ist dans Tobfcurité de ces retraites facrées , ont fenti peu-à-peu ce delir s'affoiblir ; ces premières vues changer ; le monde , vu de plus près , devenir plus aimable ; & fe- duites par leur propre cœur , ont éioufïë ces premiers attraits de grâce & de vo- cation , pour fiiivre les vaines lueurs de fortune & de plaifir , ^\\q. le fiecie fai- foit briller à leurs yeux ! Qui vous a dif- cernée , ma chère Sœur , de ces âmes infidelles dont le monde ed li plein? Vous dites fans doute ici dans le fecret de votre cœur : C'efl: votre miféricorde toute feule , ô mon Dieu ! qui m'a prévenue de fes bénédi6i:ions : vous m'avez choifîe , parce que vous l'avez voulii : ce font là les fecrets
Mi
268 L S E R M 0 N
adorables de votre amour , qu'il n'eft pas permis à la créature de fonder , & qui doi- vent faire le fujet éternel de mes louanges & de mes aérions de grâces.
Préférence confolante encore par la fîngularité. Car, ma chère Sœur, jet^ tez les yeux , comme dit le Prophète , ^^^^^ fur toutes les Nations de la terre : Rcf- f. II. * pi^if^ nationcs hominum : confidérez ce qui fe palfe dans l'univers. Que de peu- ples encore enfevelis dans les ténèbres ! que de nations barbares & à peine con- nues 5 qui vivent encore fans Dieu dans ce monde ! que de terres & de contrées , où la lumière de l'Evangile n'a pas en- core paru ! que de Royaumes & de Pro- vinces féparées de funité , livrées à un efprit d'erreur & de menfonge ; & qui connoiffant Jésus - Christ , ne l'adorent pas comme il faut ! & dans l'enceinte même de la véritable Eglife , que d'im- pies ! que d'incrédules ! que de pécheurs voluptueux ! que d'ames mondaines & corrompues, qui adorant Jesus-Christ, l'outragent & le deshonorent ! Comparez , fi vous le pouvez , le petit nom.bre d'ames juftes & fidelles , qui au milieu de nous vivent de la foi, à cette n'iuitiîude effroya- bles d'infîdcllcs , d'errans , de pécheurs , de mondains de tous les païs & de toutes les .nations , qui fuivent les voies de la perdi- tion & de colère ; c'e.ft un atome au mi- lieu d'un espace immenfe. Et cependant , ma. cliere Sœur , c'eil parmi un petit nom-
POUR um Profession Relig. i6g bre même , que le Seigneur vous a choi- iie : Te elegit Dominus de cuncîis populi.^ qui funt fuper terram. Il vous a encore dif- tinguée d'elles par un bienfait fingulier ; il vous a élue m-ême parmi fes Elus, comme dit l'Epoufe ; il ne s'eft pas contenté de vous faire croître dans fon champ , com- me un froment pur au milieu de l'ivraie ; il vous a coupée avant la moifibn , pour ainfî dire ; il vous a dérobée aux embû- ches de l'homme ennemi ; il vous a mife de bonne heure à couvert dans fes greniers , c'eft-à-dire , dans le fecret de fon Sanc- tuaire : Te elegit Dominus de cuncîis popu- lis qui funt fuper terram. Que de grâces dans une feule grâce ! que de bienfaits raf- femblés dans le bienfait feul de votre vo- cation 1 Séparée de toutes ces nations in- nombrables qui ne le connoilTent pas en- core ; féparée de tant de peuples , qui le connoiifant, fuivent des voies d'erreur, 8c ne l'adorent pas comme il faut ; difcernée de tant de fîdelles mondains , qui en l'ado- rant , violent fa loi fainte ; privilégiée en- core par - dejfïus ce petit nombre d'ames , juftes 5 qui au milieu des périls du monde , le fervent ; mais font obligées de fe parta- ger entre le monde & lui : fentez-vous, ma chère Sœur , tout le prix de cette préfé- rence ? voyez - vous de ce point de vue toute la grandeur de ce bienfait? & frap- pée de ce nouveau myftere de grâce , qui fe développe à vos yeux , ne vous écriez- vous pas avec un faint Roi , dont je vous
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270 L Sermon
ai déjà appliqué les paroles : Venez ^ vous qui craignez le Seigneur , & qui vous con- tentez peut-être d'admirer ici en fecreî le courage de mon facrifîce , & les vains avantages d'un grand nom & d'une fortune éclatante , aufquels je renonce ; admirez plutôt les bienfaits & les miféricordes de Dieu {lir mon ame ; & voyez par combien de faveurs fîgnalées il me choifît & me préfère aujourd'hui , pour m.e confacrer toute entière en fon nom &. à fa gloire ? jy. 65. Venitè , auditc ^ kj narraho , omnes qui tl- i<5» mctis Dcum , quanta fccit animœ mzœ.
Mais il des préférences qui renfermçntvo- tre éleâiion , nous venons aux moyens dont le Seigneur s'eft fervi pour vous y con- duire , que de nouveaux fujets de confola- tion , ma chère Sœur , vont s'offrir à votre ame ! C'eft le fécond motif dont Moïfe fe fervoit pour foutenir les Ifraëlites contre les difficultés que leur offroit l'entrée dans la terre de promefTe. Le Seigneur, leur difoit-iî 5 vous a fait forîir de l'Egypte mal- gré tous les efforts de Pharaon , & en opé- rant en votre faveur des fîgnes & des prodi- ges : Eduxltque vos in manuforti , de ma- nu Pharaonis, Oui , ma chère Sœur , quels prodiges le bras du Seigneur n'a-t-il pas opérés , & quels moyens fa fageffe n'a-t-il pas employés , pour vous retirer du mon- de 5 & vous conduire dans ce lieu faint ? Que de fecrettes invitations ! que de fol- licitations réitérées ! que de nuages difîi- pés ! que de dégoûts vaincus ! Ce n'eft pas
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alTez ; que d'obftacles écartés ! que de fa- . cilités ménagées ! que d'événemens inatten- dus ! que de révolutions Se de cliangemens , pour vous frayer le chemin où il vouloit vous conduire ! Il bouleverfe tout ; il frap- pe de mort les premiers nés ; remplit les Palais de Pharaon & des Grands de l'E- gypte j de deuil & de trifteffe , pour amol- lir leur cœur , 6c afin qu'ils ne s'oppofent plus à la fortie de fon peuple de l'Egypte , c'eft à dire , au deffein d'une ame choifie y de fortir du monde , & de fe retirer dans le lieu faint. Ainfî , ma chère Sœur , dès le fein de votre mère toutes les opérations de la grâce fur votre ame étoient comme au- tant de démarches qui vous avançoient vers la maifon du Seigneur. Dès-lors tout ce qui vous arrivoit, avoit quelque rapport fecret avec le facrifîce que vous allez faire. La fageiTe de Dieu faifoit tout fervir dès-lors à la dellinée qu'elle vous préparoit; l'ordre de votre naiffance , la piété de vos proches , les foins de votre éducation , les événe- mens domeftiques , l'élévation ou la déca- dence de ceux qui vous appartenoient ; la faveur ou le refroidiifement des Princes de la terre; tout cela ménagé par une Provi- dence attentive 5 vous frayoit déjà les voies à cette fainte retraite. De forte que le Sei- gneur ne vous a jamais perdu de vue ; & que vous pouvez lui dire avec le Prophète : C'eft vous 5 Seigneur , qui avez préparé toutes mes voies ; & qui dès le fein de ma mère y avez mis votre main fur m.oi 5 com-
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^71 J^. Sermon
me fur une viâime qui vous appartenolt
déjà 5 & que vous vous réferviez toute en-
Ff. î ?8. ^^^^^ • ^" formajli me , & pofuijli fuper me
f, 15. manum îuam ; fufcepijli me de utero matris
meœ.
Telles font, mes Frères , les grandes mi- féricoMes du Seigneur fur les fiens. Vous- même qui m'écoutez , mon cher Auditeur ; vous que la grâce a rappelle de l'égare- ment clu monde & des pafîions , à une vie régulière & chrétienne ; ce qui diminue peut-être en vous le fentiment de ce bien- fait ineftimable de Dieu , c'efl que vous n'entrez pas aifez dans les routes adorables & fecrettes 5 par lefquelles fa fagelTe vous a conduit au moment heureux qui a changé votre cœur : vous n'étudiez pas affez quel- les ont été les voies de la grâce fur votre ame ; vous ne voyez qu'à demi & comime fuperiîciellement , tout le myftere des mi- féricordes de Dieu fur vous. Mais fî vos yeux pouvoicnt s'ouvrir ; mais û vous pou- viez parcourir toute l'hilloire fecrette de fes grâces & de fa providence fur votre ïime , ah ! vous verriez que tous les événemens de votre vie pafTce fe rapportoient tous de loin à ce momiCntunique qui vous a con- verti au Seigneur; vous verriez que ces affligions , ces contre-temps , que vous re- gardiez comme l'ouvrage de la malignité de l'injuftice des hommes 5 n'étoient que des difpofitions éloignées que le Seigneur vous miénageoit , pour vous préparer à fa grâce : vous verriez que ces étabîiilemens ,
POUR U1<!E PfOFÉSSIÔI^ nELIG. ly^ ces aliances 5 ces fituations qui vous pa^ roilToieiit , ou les fuites du liazard ^ ou les fruits de vos ménagemens & de vos mefu- res 5 n'étoient que des facilités que la bonté de Dien afiembloit de loin , pour vous frayer les voies à un changement de vie : vous verriez que ces égaremens même de pafTion 5 ces focietés de crime & de dé- bauche , qui auroient dû fermer pour tou- jours à la grâce l'entrée de votre cœur , par les fecrets adorables de la miféricorde do celui qui fait tirer le bien du mal , avan- çoient votre converfîon , & dévoient avoir leur utilité pour votre falut. Que dirai-je l vous verriez que votre naifî'ance ^ votre fortune 5 vos dignités , vos biens 5 vos talens , entroient tous pour quelque cliofe dans ce myllere de grâce & de miféricor- de , qui commençoit dès-lors à fe former ; que tout vous conduifoit au moment for- tuné de votre pénitence ; que tout ce que vous faifiez fervir à vos paiTions , la bonté de Dieu le faifoit fervir à votre repentir Vous verriez que tous le momens de votre vie criminelle , étoient , pour ainii dire y des mx'm>ens de miféricorde ; que le Sei- gneur délioit peu-à-peu les chaînes qui dé- voient enfin tomber tout d un coup : que tantôt il éloignoit un obftacle par une perte; tantôt il affoibliffoit une paiTion par une i perfidie ; tantôt il refroidiffoit un defirpar . un contre-temps ; tantôt il infpîroit un àé~ -f goût par la durée m^êm^e de l'habitude cri- minelle j tantôt il ménageoit des réflexions
M s
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par un bon exemple ; tantôt il réveilloit la confcience par la fin foudaine de compli- ces de vos crimes ; tantôt il romipoit une fociété de plaifir par des diffenfions & des concurrences ; enfin que fa miféricorde commen^it de fon ^ôté l'ouvrage de votre falut 5 le même moment que vous com- menciez du vôtre celui de votre perte.
Oui 5 mes Frères , nous ne voyons ici- bas qu'avec des yeux humains , toute la fuite de notre deftinée. Nous ne jugeons des événemens , qui ont compofé le cours de notre vie , que par les occaiions fortuites qui les ont produits : nous ne nous connoiiTons que par les rapports extérieurs que nous avons avec les créatures qui nous environ- nent : nous ne nous conlldérons pas com- me faifant une portion de cette cité invifi- ble 5 que le fouverain Arcîiiteâ:e forme de- puis la naiffance des lîccles , qui eft la £n de tous les delfeins de Dieu , & à la forma- tion de laquelle il fait fervir par une fageiî'e adorable & profonde , toutes les diverfes révolutions & tout l'arangement de ce monde vifible. Mais un jour quand l'ordre de la Providence fur nos deilinées nous fera manifefté , ah ! nous verrons que l'ordre de notre naiffance , la fuite de nos ancêtres , les diverfes fortunes de nos aïeux , leur profpérité ou leur décadence , que tout cela ne fe rapportoit peut-être c|u'a nous feuls ? que peut-être au milieu de tant de révolutions , la miféricorde de Dieu n'étoit occupée que de nous feuls j ne vouloit
FOUR UNE Profession Reltg, 275 que fe former un Elu : qu'elle raiTemblmt de loin tous les événemens qui pouvoicnt nous placer dans les circonflances , où fa grâce quoiqu'indépendante des temps & des lieux 5 devoit changer notre cœlir ; & que peut-être dans ce long enchaînement des temps & des fiecles , qui ont compofé l'hif- toire de nos ancêtres , nous fommes entrés tous feuls dans les vues éternelles de Dieu ; nous avons été la fin de tous fes deifeins fur nos pères ; & que toutes les circonf^ tances extérieures de leur vie n'ont été peut- être que les moyens fecrets de notre élec- tion. Grand Dieu ! que les voies de votre miféricorde font profondes & adorables! vous les cachez aux iiifenfés & aux mon- dains : ils vous font agir comme Thomme ^ & ne découvrent pas votre fagelTe invifible dans la conduite de l'univers , & dans vos deifeins de grâces fur les Jufles. Mais que les âmes qui font à vous , trouvent de confolation à méditer ces merveilles fe- crettes de votre puiffance , & les confeils éternels de vos miféricordes fur elles ! Ni- ^f* 9^^ mis profunclœ facîœ funt cGgitationes tuœ, ^* Vir infipiens non cognofceî , G* Jlultus non intdliget hœc.
Voiià, ma chère Sœur, les moyens dont le Seigneur fe fert pour affurer le choix: qu'il fait d'une ame : il faut y ajouter les fecours & la proteâ;ion qu'il promet, & qui font toujours les fuites ordinaires de cette éleârion. Il vous aimera , dîfoit Moïfe auK Ifraèlites , &: il vous protégera : il éloi--
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gnera de vous tous les malheurs & toutes les plaies , dont il avoit frappé l'Egypte , ^ vous ne pourrez plus douter que le Sei- gneur , grand & miféricordieux , ne vous conduife , puifqu'il établira fa demeure au Veut. 7. rnilieu de vous : Dillget te , ac multipli- ij. i5« cahit, Auferet dte omnem languorem j & in- ^^' firmitatcs JEgypti pejjïmas. Non timebis quia Dominus Dais tiius in mcdio {ai ejl,
Noiivelle ccnfoîation pour vous , ma chère Sœur. En eftet , c'ell une vérité du falut 5 que les fecours particuliers de la grâce fuivent d'ordinaire le choix qu'elle fait de nous ; & que la m.ême miféiicorde qui nous appelle à un état de vie , nous pré- pare en même temps les grâces propres & Spéciales , pour en remplir les devoirs , pour en foutenir les difficultés , pour en éviter les périls , pour en furmonter les obftacles. Je vous ai choifis , difoit Jesus- Christ à fes Difciples , & c'efl alTez : que votre cœur ne fe trouble & ne fe décou- rage point des difficultés & des perfécu- tions que je vous prédis , & qui vous at- tendent : je vous foutiendrai dans cette carrière pénible où vous allez entrer ; vous y recueillerez même des fruits durables & jQcin. abondans : Ego clegi vos ut eatis , & fruc- 15. 19* tum afferatis.
Tel ed: l'avantage d'une ame 9 ma chère Sœur 5 qui entre dans une voie que la main même du Seigneur lui a frayée : elle ne doit plus fe regarder elle- même , ni s'arrêter à la difproportion qu'elle trouve entre fa foi-
POUR UNE Profession Relig, lyj blefTe & les difficultés de la voie où Dieu l'appelle : elle ne doit plus s'allarmer , ni de la répugnance de fes penchans , ni de la médiocrité de fes forces , ni de Finilabi- lité de fon goût , ni des obftacles qu'elle prévoit dans la fainte carrière où la grâce la fait entrer. C'efl vous-même qui l'y conduirez 5 ô mon Dieu ! & c'efl alTez : elle peut vous dire avec le Prophète : Le P/2.5» Seigneur ejl mon guide ; rien ne me man- ^* 4» quera. Quand je devrais marcher au milieu des ombres de la mort , je ne craindrois point , parce quil ejl avec moi.
Mais il s'en faut bien , ma chère Sœur 5 que les âmes m^ondaines puilTent fe flatter de cette efpérance ; entrées la plupart dans des engagemiens de place , de mariage , d'affaires , de dignité , fans vocation du Ciel 5 & fans avoir confulté les deiîeins de Dieu fur elles j il les livre à leur propre foi- bleffe ; il ne les foutient pas dans les voies que lui-même ne leur a point choifies : il laiiîe élever les vents & les orages fur une mer , où les Jonas inlidelles fè font em- barqués contre fon ordre ; & voilà pour^ quoi nous voyons tous les jours tant d'ames dans le monde , qui remplies d'ailleurs de bons defirs 5 fe plaignent fans celle de leur foibleffe : des âmes qui , nées avec d'heu- reufes inclinations , ne trouvent en elles au- cune force pour rompre les chaînes qui les lient à leur propre miifere ; àes âmes pour qui tout devient un écueil ; que les pre- mières occafioiis eiiîraîiient 5 & en qui les
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plus fennes réfolutioiis ne vont jamais plus loin que jufqu'au premier péril. Ah ! c'e^ qu'appellées peut-être à fuivre l'Epoux dans -le fecret du Sanctuaire , & s'étant frayées d'autres routes , le Seigneur les laiiTe errer au gré de leurs pallions dans un mondç , où fa main ne les a pas placées : c'eft que n'ayant pas eu le Seigneur pour guide dans des périls où elles fe font témérairement engagées , elles ne l'ont pas aufli pour fou- tien : c'eft que leur deftinée étant l'ouvrage de leurs pafîions , elle en eft aufîi l'attrait &: le principe -, c'eft en un mot , que n'ayant compté Dieu pour rien dans le choix qu'el- les ont fait 5 Dieu ne les compte plus pour rien elles-mêmes.
Que d'amiCs de ce caracftere dans le monde ! & après cela nous les entendons s'excufer fur les dangers de leur état ; fe plaindre prefque de Dieu même ; nous dire qu'elles fe trouvent dans des occaflons iné- vitables , où la vertu la plus auftere ne fau- roit fe foutenir ; qu'elles fe voient tous les jours expofées à des périls , où les Saints eux-mêmes auroient fuccombé ; qu'elles font placées dans des Situations funeiles , où l'innocence ne peut être achetée qu'au prix de la réputation 5 & où il faut faire éclater leurs crimes pour les finir. Mais elles ne difent pas que ces occafions , ce font leurs pafîions 5 &: non l'ordre de Dieu , qui les leur a ménagées ; elles ne difent pas que ces périls 5 c'eft leur imprudence , & non la voix du Ciel j qui les y a engagées. Quelle
POUR UNE Profession Relig. 279 îîijuftice <le vouloir rendre la Religion ref- ponfable du précipice qu'on s'eft foi-même creufé , &: de regarder comme des tranf- greffions innocentes , celles que notre té- mérité nous a rendu comme inévitables î Nous accufons tous les jours la Religion, mes Frères , de nous prefcrire des devoirs impraticables en certaines Situations : mais un jour nous apprendrons que les grâces n'ont été fi rares pour nous , les périls fi inévitables , & notre foiblelTe fi extrême , que parce que nous n'étions pas à la place que la fageffe de Dieu nous avoit marquée dès le commencement ; femblables à des membres qui font hors de leur fituation na- turelle 5 & qui ne recevant plus cette vertu fecrette qui fe répand fur tout le. corps 5 languifîent fans force & prefque fans mou- vement, & fe trouvent inhabiles à tous les autres minifi:eres.
Pour vous , ma chère Sœur, que la main du Seigneur conduit dans le lieu faint , vous pouvez avec confiance vous répondre de fa protection & de (es grâces. Ain fi ne crai- gnez pas les peines & les difficultés que la vie Reiigieufe femble d'abord offrir à la na- ture : fes aufiéritésfe changeront pour vous en de douces confolations ; fes devoirs les plus pénibles foutiendront votre foi , loin de l'abattre ; fes afiiijettiffemens confoleront votre cœur , loin de le révolter ; fes facri- fices répandront la 'joie fur toutes vos dé- marches , loin d'y mêler une triftefi^e dan- gereufe : vous ferez furprife vous-même de
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votre force & de votre courage ; de vous trouver le goût changé fur mille chofes , qui autrefois vous paroifloient incompati- bles avec vos penchans; de fentir de l'attrait pour des pratiques , iur îefquelles vous ne croyiez jamais pouvoir vous vaincre , & que vous regardiez comme les tentations les plus dangereufes de l'état que vous^m- bralfez. Ce n'eft pas , ma chère Sœur , que l'éleâiion de Dieu vous afllire tellement de fa proteâ:ion , que perfuadée que le fe- cours du Ciel ne fauroit plus vous man- quer , vous deviez vous livrer fur cette alTurance , à une forte de fécurité , qui ôtant toute crainte , vous jetteroit d'abord dans le relâchement , & aboutiroit enfin à quel- que cliiite déplorable. L'effet propre de la grâce , ell de nous rendre fidelîes à nos de- voirs ; mais cqH enfuite la fidélité à nos de- voirs qui nous attire & nous mérite de nou- velles grâces. Ne laiiTez donc point affoi- blir en vous , ma chère Sœur , cette pre- mière ferveur de l'efprit : car fî vous venez à vous relâcher , en vain éîiez-vous appel- lée aux noces de l'Epoux ; vous ferez re- jettée comme les vierges imprudentes : leur vocation étoit certaine 5 mais leur infidélité la rendit inutile.
C'efl donc cette certitude, que vous êtes à la place où Dieu vous veut , qui me pa- roît la plus continuelle & la plus fenfîble confolation de votre état. Enefïét, lefup- piice continuel d'un grand nombre d'ames mondaines 5 c eii: de vivre incertaines de leur
POUR 17NE PROFESSSION ReLIC. z2î condition. Comme elles fe font engagées la plupart dans leur état , fans précaution ^ fans confeil , fans prières , elles ^nt raifon de douter , fi c'eft la grâce ou la cupidité, le Seigneur ou le monde qui les y a placées. Sans celîb on fe dit à foi-même , qu'on eft malheureux dans fa fituation , parce que peut-être Dieu ne nous y vouloit pas ; qu'on n'y fauroit faire fon falut ^ que parce que peut-être ce n'eil pas le Seigneur qui nous y a placé : on rappelle mille delîrs de re- traite 5 qu'on avoit formés dans un âge tendre , qui avoient été comme les prémi- ces de notre foi , Sl la première voix que le Seigneur avoit fait entendre dans notre cœur, encore innocent ; & Ton croit que ; <c'eft la voie qu'il nous montroiî de loin , & la feule que nous aurions dû fuivre. Il n'eft pas un feul chagrin dans notre état , qui ne reveille ces trifles idées : fans ceffe on fe re- dit à foi-même : Je ne fuis pas à la place où Dieu me demandoit : j'aurois fait mon falut dans un autre état : je n'y aurois pas trouvé les contre temps , les répugnances, les em- barras , qui m'e;'npêchent de penfer à l'E- ternité, Et là diffus , on s'abbat , on fe dé- vore foi-même , on renonce prefque à l'ef- pérance de fon falut , & l'on fait de cet état affreux de découragement & de défefpoir , ou le fupplice continuel de fon propre cœur, ou peut-être un motif impie de tran- quillité & d'indolence dans fes crimes.
Et voilà , mes Frères , quel eft quelque- fois le trifte état d'une Vierge infortunée ,
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que les intérêts de votre cupidité 5 & ndlî le choix du Seigneur ont conduite dans le lieu faint. Accablée fous le poids des chaînes qu'elle-même ne s'eft point impo- fées ; trouvant des occafions de chute dans les mêmes devoirs , qui pour les autres font des motifs de vertus 5 changeant les fecours de la piété , dont elle eft environnée , en des attraits de vice ; nourriffant la corrup- tion de fon cœur, de tout ce qui devoit en foutenir la foi ; ne retirant point d'autre fruit de tous ces fpe6t:acles de religion, qui s'of- frent fans celle à fes yeux , que de nouveaux fujets de dégoût de la Religion même ; fe faifant une tentation de la tranquilité de fa retraite ; & de l'éloignement même du monde , un nouvel attrait qui le lui fait pa- roître plus aimable ; elle fe dit fans cefi'e à elle-même , qu'une vertu moins néceffaire & moins contrainte , ne lui eût pas paru fî odicufe ; qu'il ell terrible de porter un joug auquel on ne s'eft pas foi-même con- damné ; & que Dieu eft trop jufte , pour exiger qu'on foit fidelle aux devoirs d'un état que des paffions étrangères nous ont choilî. Et de-là , ô mon Dieu ! que de re- tours affreux fur moi-même! que de regards d'envie & de complaifance fur un monde , auquel on n'a renoncé que malgré foi! quelle triftelfe répandue fur toutes les pratiques faintesdefon état ! quelles imprécations fe- crettes peut-être contre les auteurs de fon infortune ! quelles réflexions ameres fur rimpofîibilité prétendue de falut dans la il-
POUR m:E PRorESSioN Rêlig. 2^3 tuatlon forcée & involontaire où l'on fe trouve.
Et ici 5 mes Frères ^ n'aurois-je pas rai* fon de vous dire en gémiffant : Sacrifiez à la bonne heure au monde ces enfans infor- tunés que vous y deftinez : infpirez-leur de bonne heure l'ambition 5 l'orgueil , le fafle^ la vengeance , l'amour des pîaifîrs , & tou-- tes les payions qui peuvent flatter votre va»- nité 5 & les faire réuflîr dans ce lieu de àé- pravation & de dérèglement ; ce font la les enfans de perdition & de colère , que Dieu accorde à la corruption de votre cœur ^ mais du moins fauvez ceux que vous lui def- tinez pour le fervir dans ces faints afyles ; ne foyez pas les meurtriers barbares des enfans même que vous confacrez h lal^eli- giou ; ne facrifiez pas ceux qui deviennent inutiles à vospaflîons , & qui feuls auraient pu obtenir du Seigneur que vous ne périP fiez pas vous-même ; & ne perdez pas tout ou par le plaifîr du monde , ou par les con- traintes & les amertumes du Sanctuaire.
Ce ne font pas là , ma chère Sœur , les voies qui vous ont conduite à l'autel : les mains qui vous offrent au Seigneur , font les mains de la foi & de la piété : la chair & le fang n'ont ici de part que par le mé- pris que vous en faites : le feu du ciel tout feul allume votre facrifice : vous ne tenez de vos parens que la piété , qui vous fait renoncer à tous les grands avantages que vous pouviez attendre d'eux ; 6c s'ils ont quelque part à la démarche que vous allez
Il
2^4 ^- Sermon
faire , c'efi: que leurs exemples vous ont ap* pris de bonne heure à craindre le Seigneur; & que le Seigneur vous a enfuite appris lui-même à renoncer à tout pour lui plaire. AiiiTi quelle confolation pour vous lerefte de vos jours , lorfque rappellant devant Dieu les deiTeins de fa miféricorde fur votre ame , vous pourrez lui dire avec le Pro- phète : C'eft vous-miêm.e , Seigneur , qui m'avez conduite par la miain , &c placée dans le lieu faint : j'ai du moins la confola- tion de pouvoir mx dire à moi-même, que je fuis dans la voie que votre bonté medef- tinoit avant la naiilance des fiecles , & que je n'y courrai point en vain : Tenuijli marium dextenim mcam ; & in. voluntau tua dcdu- xijîi me. Qu'on ed bien payé , ô mon Dieu ! de laiHcr faire votre volonté toute feule, & de ne pas niêler les erreurs de nos paflions avec les confeils éternels de vos miféricor- des fur nos dellinées ! Nous ne réufTilfons jamais qu'à nous rendre nous-mêmes mal- heureux : nous ne favons que nous former des chaînes accablantes ; & com.me nous ignorons tout ce qui nous convient , tout ce que nous croyons faire pour nous affurer ici bas une vaine félicité , fe trouve tou- jours la fource de nos malheurs & de nos peines. Première confolation de la vie Re- ligieufe , tirée du choix que Dieu fait d'une am.e qu'il y appelle. Mi^/zt Je /ii/nmo, & ac- cepit me, La féconde fe prend du côté de la dépravation générale du mionde , d'où il la retire ; Et affumpjit me de aquis multis, .
TOUR UNE PtlOFESSÎON ReLIG. 28^
II.
PARTIE
'E fut fans doute une grande confola- tion pour les enfans d'Ifraël , lorfqu'échap- pés de la Mer rouge , & tournant les yeux vers ces abymes d'eau , d'où le Seigneur venoit de les délivrer , ils virent, du lieu de sûreté où ilsétoient enfin arrivés , les Egyp- tiens triftement aux prifes avec les flots , & finiiTant tous leurs vains efforts par un déplo- rable naufrage. Ce fut alors que leur cœur ne pouvant plus fuffireauxtranfports de leur joie & de leur reconnoiffance : Qui eftfem- blable à vous , Seigneur , s'écrierent-ils ? Que vous êtes terrible dans vos vengean- ces ! & que les merveilles de votre puilTance & de votre miféricorde , font dignes de nos actions de grâces & de nos hommages ! Quis Jïmilis îiii infortibus Domine î rnagni- ficus in fanclltau , terribilis atque lauda- '^' ^^ blUs,
Voilà , ma chère Sœur, le point de vue où vous devez vous placer aujourd'hui. Echappée aux périls & aux orages du fîe- cle 5 arrivée au port du falut , vous n'avez plus, pour fouîenir tout le prix du bienfait ineilimable qui vous en a délivrée , qu'à tourner la tête , voir un inftant le monde , d'où vous venez de fortir , tel qu'il eft ; cette mer orageufe , ce gouffre immcnfe qui engloutit prefque tous les enfans d'A- dam ; & quelles font les tempêtes & les naufrages d'où la main miféricordieufe du Seigneur vient de vous retirer. Sans doute un premier âge paiîé loin des périls dans la
Exod,
ZÎ6 1. S E RM 0 -SI
lûreté d'unfaint afyle , vous a caché jufqu'icî toute la dépravation d'un monde corrompu: vous ne le connoilTez que par les préjugés lieureux qu'une fainte éducation vous a don- nés centre lui. Mais fouffrez qu'avant que vous tiriez un voile éternelentre lui & vous, je vous le montre tel qu'il efl , & que je vous le fafle connoîtredans un difcours j où je ne devrois ce femble , vous exhorter qu'à l'oublier. Hélas ! je ne rifquerai rien en vous le rap]5rochant , pourvu qu'il pa- roiffe tel qu'il eil , il n'eft pas afTez aimable pour fe faire regretter : ceux mêmes qui le voient de plus près , font ceux qui en (entent plus vivement le vuide & la m.ifere : il n'a de beau que la furface 8c le premier coup d'œil ; & femblable à ces cadavres , quiiii efprit étranger & impofteur anime , ce fait paroître ^revêtus d'éclat & d'agré- mens, il n'y a qu'à les approcher pour faire évanouir le preilige , & en voir toute l'hor- reur & toute la difTonPiité.
Qii'efl-ce donc , ma chère Sœur , que ce monde miférable , duquel la miféricorde de Jcfas-Chriil va vous féparer à jamais ? Ce monde , c'eil une région de ténèbres ; une voie toute feméed'écueiîs & de précipices ; c'eîl le lieu des tourmens & des triires in- quiétudes. Dans ces trois traits , vous en voyez l'affreufe image.
Une région de ténèbres : hélas! ma chère Sœur ! la vérité n'y trouve , ou que des aveugles qui ne la connoilTent pas , ou que d^ ennemis qui la combattent. Je ne parle
POUR UNE Profession Relig, 2S7 p^s même de ces âmes défefpérées , qui ne pouvant plus porter le poids de leurs cri- mes 5 le feconent enfin avec la foi , & cher- chent dans l'incrédulité , cette paix afFreufe qu'elles n'avoient pu trouver dans le crime même : je ne parle pas de ces âmes flottan- tes & incertaines fur la Religion , qui vou- droient bien que la foi fût une fable , pour jouir plus pailiblement de leurs paflions , mais qui n'ofent encore fe le perfuader ; qui fe défient de la vérité de {es promefTes , mais qui craignent encore tout bas la terreur de Tes menaces ; qui doutent de tout , Scqui n'ofent franchir le pas fur rien ; qui flottent entre leurs pafîions & leurs doutes , & qui femblentfonhaiter 5 ou d'avoir une foi plus vive pour finir leurs égaremens , ou de n'en avoir point du tout pour s'y livrer fans re- mords & fans fcrupule. Je laiffe tous ces di- vers genres d'aveuglement H répandus ce- pendant dans le monde , & qui attaquent le fondement de la foi Se de la doârrine fainte : je ne parle que des erreurs qui en altèrent les relies & les maximes.
Nous les annonçons tous les jours , ma chère Sœur , ces maximes faintes : depuis les premiers âges de l'Eglife , les Chaires chrétiennes ne les ont pas publiées avec plus de force , plus d'exaâitude , plus de lumiè- re ; & cependant il n'en eft aucune fur la- quelle le monde ne répande encore des adoucilîemens , de faulTes couleurs qui les déiigurent , ou des nuages qui les cachent. La pénitence fans laquelle l'homme pé-
iS8 1. Sermoij
clieur ne doit rien prétendre au falut, on îa regarde comme le partage des Cloîtres Se des déferts : la retraite , finécelTaire à la fra- gilité du cœur humain , elle n'y paroît plus qu'une iîngularité , ou d'humeur , ou de vertu 5 qui ne fauroit fervir d'exemple : la prière , cette refTource unique de toutes nos miferes , on en laiiïe l'ufage aux âmes oiieufes & inutiles : les aiîîiâ:ions, que les Saints ont toujours reçu comme des grâ- ces , on les craint comme des mialheurs : les profpcriîés , que les Juiles ont toujours craint comme des malheurs , on lesfouhaite comme des grâces : l'ambition démefurée, il oppofée à l'efprit &: au fonds de la Re- ligion 5 n'eft plus qu'un fentiment noble &c légitinie de ce qu'on eft & de ce qu'on doit prétendre : la haine qui attaque la Reli- gion dans le cœur , & qni anéantit tout l'E- vangile 9 on en fait un jufte refTentiment , ou une bienféance de fon rang , qui ne per- met pas d'aller fe reconcilier avec fon frè- re : la vie fomptueufe & magnifique , fi fouvent frappée d'anathême dans les Li- vres faints, n'eil qu'un ufage noble de nos ^ biens , & une loi qu'impofe la condition & la naifiance : les plaifirs les plus dan gereuxj on les appelle des délaflemens néceffaires ; les pafTions les plus honteufes , des foiblef- jfes inévitables ; les médifances les plus cruelles , des vérités publiques &c inno- centes : que dirai-je ? la vertu même , la piété véritable , y a perdu fon nom : ce n'efi plus un don de Dieu & le feul parti
néceiiàire
POUR UNE Profession Relig, 289 iréceiTaire ; c'ell une bizarrerie d'hnmcur, un goûi: de Singularité j une puiillaiiimité d'efpnî ; que fàis-je ? un parti bon à quel- que choie y quand on n'cfl plus foi-même bon à rien. O Dieu ! efc-ce donc là le lan- gage d'un peuple éclairé des lumières de TEvangile , ou les difcours de ces nations barbares & infîdelles, à qui vous n'avez pas encore daigné révéler la fcience du falut &: les vérités éternelles ?
Et ce qu'il y a ici de plus déplorable , c'cil que ce ne font pas là les erreurs de quelques particuliers ; ce font hs erreurs de prefque tous les hommes ; ceU la doc- trine du monde entier; ce font des maxi- mes univerfellem^ent reçues , approuvées , autorilees , & contre Icfquelles il n'efl plus temps de vouloir s'élever. Nous feuls dans ces Chaires Chrétiennes , ofons parler un langage diilerent : un petit nombre de' Jus- tes tiennent encore pour nous au milieu du monde , & ofent encore parler comm.e nous. Mais ce n'efl-là qu'une foible voix abforbée , pour ainfi dire , par le bruit for- midable de la multitude. Ce qui domine , ce qu'on entend 5 ce qui règle tout le monde . ce qui décide de tout , ce qui eft I le grand refibrî des Royaumes , des Empi- i les 5 des famnlles , ce font les erreurs que [ je viens d'cxpofer. C'eft une tradition cî'a- î veuglement qui s'ell perpétiiée depuis le [ coînmencemient dans le monde , & qui a 1; paile des pères aux cnfans. Les Grands , j, îe peuple 5 les favans j les ignorans , les \ Oraijon fwicbrc, N
29^ J« Sermon
fages 5 les infenfés , les jeunes 5 les vleil^ Jards 5 fe conduifent par-tout fur ces fauiTes règles : ceux même à qui la lumière de la vérité luit encore en feeret , croient fe tromper, en voyant que l'exemple com- mun dément l'évidence fecrette de leur confcience ; & regardent leurs doutes com- me de vains fcrupules que l'erreur publi- que calme & dilTîpe à l'inflant.
Ainfi m.archent , fans le favoir , tous les hommes prefque dans les ténèbres : ainlî ils courent avec une profonde fécurité vers le précipice éternel qui doit enfin terminer Jenr courfe : ainfi auriez-vous vécu , ma chère Sœur , fi la miféricorde de Jesus- Christ ne vous avoit retirée de cette ré- gion de ténèbres , pour vous faire palîer à un Royaume de lumière. Vous auriez re- gardé comme des vérités , les erreurs re- çues de la multitude : vous auriez fuivi les voies que tout le monde regarde comm.e sûres : vous feriez devenue même la pro- te(51:rice des maximes que l'ufage de tous les temps & de tous les pais a confacrées : vous vous feriez révoltée contre la vérité qui les condam.ne : vous auriez écouté y comme le monde écoute aujourd'hui , les règles de la foi que nous leur oppofons y comme des difcours dont il faut rabattre , ^ où le zèle va toujours plus loin que la vérité. Car qu'il eil difficile de démêler la iumJere a travers ce nuage unîverfeî d'ufa- ges , de fauiTes maximes , de préjugés , d'erreurs 5 répandu ilir le monde entier !
POUR UNE Profession Relig, 291 qu'il efl difiicile de difcerner la voie de la vérité , étroite , écartée , imperceptible , prefque inconnue , & où fî peu de gens entrent , au milieu de tant de faud'es voies , larges 5 Ipacieufes j battues , autorifees j &C que tous les hommes prefque lliivent !
Vous le voyez vous-mêm.e , ma chère Sœur , il le nombre des âmes fîdelles ^ èc qui marchent dans la voie de la vérité , efl fort grand dans le monde. Il en ed encore fans doute ; car le Seigneur a les fiens d'îns tous les états ; mais ce font quelques étoiles rares , comme dit l'Apôtre , qui percent par hazard les nuages , & qu'on peut compter aifément au milieu d'une nuit obfcure & ténébreufe : Sicut luminaria in phlllp, mundo. Et encore dans ce petit nom^bre ^ 2. 15» combien d'ames miolles & indo]entes qi!i ne paroiiïent vertueufes , que parce que le monde , à qui on les compare -, eiï extrê- mement corrompu ! combien d'ames irn- mortifiées & impénitentes , qui après les égaremens des premières mœurs , bornent toute leur pénitence à. la fQule ceifation de leurs crimes ; Se ne s'attirent les éloges dûs à la vertu , que parce que le monde n'a plus à blâmer en elles les mêmes vices l combien d'autres , qui après avoir fini les paillons d'éclat , confervent encore toutes I2S autres , font entrer toutes leurs foi- b le lie s dans leur vertu , & OiTrent aux yeux de Dieu un cœur encore vain 5 jaloux, am- bitieux 5 vindicatif , tandis que le monde ics canoiiife ! Car le monde , toujours
Ni
z<)i L Sermon
plein de contradiâioiis , & jamais d'accord avec lai-même , tantôt dégrade la vertu véritable & la confond avec le vice; tantôt il fe hâte d'exalter le vice à peine éteint , ^ de lui rendre les mêmes honneurs qu'à la vertu confommée.
Que les miféricordes du Seigneur fur vous 5 ma chère Sœur , font dignes d'une reconnoiffance , qui ne doit plus finir qu'avec votre vie ! Voyez , comme di- foit autrefois un Prophète à la fainte Sion ; & je puis vous le dire ici avec plus de juftice : voyez , tandis que des ténèbres épaifles couvrent toute la terre ; qu'une nuit obfcure eft répandue fur tous les peuples ; que le menfonge & Terreur ont pris la place de la vérité parmi les »-. , hommes : Ecce tencbrœ operienî Wram , 2, o* eau go populos : voyez comme la lu-
mière du Seigneur s'efl levée far vous feule ; comme il vous a conduite dans un lieu où tout vous montrera la vérité ; ces murs facrés , ces autels faints , ces Vierges fîdelles , ce voile religieux lui- même , qui va vous cacher le monde & fa vanité ; tout vous montrera ici vos devoirs ; tout dilTipera les nuages légers qui pourroient s'élever du fond de votre cœur. Une nuée refplendifîante vous pré- cédera , comme autrefois les ïfraëlites dans le défert , pour vous marquer les routes que vous devez fuivre ; & tandis que le monde, frappé d'aveuglement, ne difceraera pas même les vérités les plus
POUR UNE Profession Relig, 293 communes & les plus palpables du falut y la lumière du Ciel fe lèvera ici fur vous j & vous montrera la perfection mêmje des devoirs , & des fecrets inconnus aux Sages du fiecle : Super îc autem orictur Dominus , lhid> & gloria ejus in te videhitur.
Rien n'eft donc plus confolant , pour une ame que la miféricorde du Seigneur a réparée du monde , que ce premier coup dœil , qui lui en découvre les erreurs 5c les fauftes maximies. Mais quand même on pourroit fe flatter d'y avoir toujours fuivi la voie de la vérité , au milieu de tant de voies fauffes & dangereufes qui la font perdre de vue ; comment auroit-on pu fe promettre 5 en fécond lieu , d'y conferver l'innocence au milieu de fa dépravation Se de fes dangers innombra-bles î Et quand je parle de fes dangers , ma chère Sœur , n'attendez pas que j'en falle ici un juile dénombrement. Hélas ! tout y eft danger: dangers dans la naiiîance ; elle e(l une efpece d'engagement à toutes les paflîons : dangers dans l'élévation ; elle vous fait une loi de tout ce que l'Evangile condamne : dangers dans les foins publics ; il faut prendre fur foi les pafîions des Grands & la mifere des peuples ; allier les m.aximes de la Religion avec celles de la prudence de la chair , Se opter entre fa confcience & fa fortune : dangers dans l'ufage des grands biens ; vous avez fans celle à vous défendre , ou des profufions qu'infpire la vanité « ou de la dureté que produit l'avarice : dangers dans
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294 I* Sermon
les exemples ; le vice perd foii îiofreur par l'autorité de ceux qui nous le montrent j 6^ nous iommes raifurés en trouvant dans les foibleiles d'autrui , une excufe à nos foibleiies propres : dangers dans les entre- tiens ; on veut plaire , & Ton ne plaît que par les paflions , ou qu'on reçoit, ou qu'on infpire : dangers dans les amitiés ; le venin s'infinue par la conformité des humeurs & par les douceurs de la fociété ; on ne peut ie paffer de délalTement , 6c le monde nen fournit que de funeftes à l'innocence : dan- gers dans les concurrences : on veut s'éle- ver 5 & il eft mal-aifé d'aimer ceux qui nous fupplantent & qu'on nous préfère ; dès que les intérêts font divifés , les cœurs auiîi ne tardent pas de l'être : dangers dans le mariage ; la durée du lien refroidit pref- que toujours celle de la tendreffe ; il eft rare que la conformité des humeurs rati- fie un nœud , que la conformité feule des intérêts forme prefque toujours ; une fo- ciété fainte devient une tentation domef- tique ; & dès que le devoir devient \\\\ joug 5 le cœur s'eft bientôt formé d'autres chaînes : dangers dans l'état de liberté ; les paflions qui n'ont point de frein , s'é- chappent miaîgré nous-mêmes , & Téloi- gnement d'un lien facré n'eft fouvent que l'amour d'une fervitude plus univerfelle : dangers dans la probité mondaine ; dès que le monde efl: content de nous , on fe perfuade aufil que le Seigneur doit l'être : on confond la réputation de la vertu 5 avec
POUR UNE Profession Relîg, 29$ îa vertu même ; & parce qu'on n'a pas de ces vices que le monde condamne , on croit avoir toutes les vertus que FEvangiie exige : enfin dangers dans la piété même ; comme elle eft rare dans le monde , les louanges qu'elle s'attire en corrompent fou- vent le principe : on avoit d'abord cherché Dieu dans la vertu , on s'y cherche bientôt foi-même.
Voilà le monde , ma chère Sœur. Si vous échappez d'un péril , vous venez bientôt échouer à un autre : il Texemple vous trouve inébranlable , l'amitié vous féduit : fi l'intérêt ne vous touche pas , la gloire & la réputation vous entraînent : fî vous vous défendez des grands excès , des paflîons plus douces ck plus Jange- reufes ne vous trouvent pas infenfibie : fi l'inclination vous éloigne du dérègle- ment & de la débauche , la complaifance vous y jette : fî vous êtes libre d'ambi- tion pour vous-mêmie 5 vous la fentez revivre pour vos enfans : fî vous êtes fî- delle à ne pas chercher les occafîons , vous ne fauriez répondre de celles qui vous cherchent.
Et ne croyez pas , ma chère Sœur , que tous ces dangers eulTent été moindres pour vous que pour un autre. Des exem- ples domefîiques de vertu , & la piété comme héréditaire à votre fang , y au- roient peut-être quelque-temps défendu vo- tre innocence. Mais que les exemples tou- chent peu dans cette première faifon de la
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vie 5 qu'on deftiiie à l'oiibli de Dieu ! ofl les regarde comme des bienféances de Tâge ; & on renvoie à des temps plus mûrs , des vertus qu'on croit que le temps tout feul a formées dans ceux qu'on nous propofe pour \,. ^ modèles. Ainiî environnée de profpérité
cc d'abondance ; trouvant plus d'occafîon de chiite qu'une autre par les avantages de la nailTance , par le rang 8t le crédit de vos proches , par Fefpérance d'un grand ctabliirement , que de pièges n'auriez-vous point trouvé fous vos pas ! Vous auriez iuivi cette route de tous les flecles , dont parle Job , que les âmes mondaines ont Joh, toujours fuivie : Semitam fœculoriim , quarn 21* 15» calcavcYunt viri iniqiii ; c'eft-à-dire , vous auriez formé peut-être mille bons delirs ; mais votre foibleffe î'auroit toujours em- porté fur toutes vos réfolutions. Vous au- riez envié le bonheur des âmes qui fervent Dieu 5 & qui font à lui fans réferve; m.ais rentraînée à l'inllanî par le torrent fatal des exemples , la vertu n'auroit jamais en que vos foibîes dejfirs, & le monde toujours votre cœur & vos affections véritables : vous auriez peut-être quelquefois foupiré en fecret fur les périls infinis & inévitables de votre état ; mais ces périls feroient de- venus eux-m.êmes une raifon fecrette , qui vous auroit juilifié à vos yeux vos propres foiblefTcs.
Et qu'entendons- nous tous les jours , ma chère Sœur , que des prétextes de la part des mondains , fur les obftacles infinis que
POUR UNE Profession Relig, 297 le monde met à leur faliit ? Ils fe plai^iiient qu'il eft comme impoiTible de s'y fauver : ils forment mille bons delirs ; mais ils pré- tendent que c'eft en vain qu'on les form.e ; & qu'il n'efl pas en eux de les m.ettre à exécution au milieu des périls & des em- barras où ils vivent ; ils font même quel- ques efforts ; mais à peine ie font-ils fur- montés fur un point , qu'une nouvelle dif- ficulté les iaffe & les abbat ! ils voudroient être au fond des déferts ; mais ils n'ont pas la force de fe faire un déferî du mondâP lui-même : nous leur difons qu'il eil aifé de rompre à tout quand on le veut ; & ib foutiennent qu'en le voulant , ils n'en fau- roient être les maîtres.
Ce n'efl pas qu'en convenant des périls innombrables du monde , & de la difficulté d'y faire fon falut , je veuille ici juftifier vos vaines excufes , mes Frères. Il eft dif- ficile de vivre chrétiennement dans le monde ; cela efl vrai : mais com.bien d'âmes- fidelles la grâce y forme &y conferve-t-elle tous les jours à vos yeux ? Le plus sûr y. dites-vous , feroit de tout quitter , & de s'aller cacher au fond d'une retraite. Ah ! je l'avoue avec vous : que n'avez -vous été du petit nombre de ces am.es heureu- fes , que le Seigneur a de bonne heure féparées de la corruption du fiecle , & con- duites dans le fecret du Sanâiuaire ! que ne vous r.-r-il d'abord tendu , comm>e à elles j cette m.ain miféricordieufe , qui les a retirées du milieu de périls , pour les
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faire entrer clans le lien de la paix & de la sûreté ; que ne vous a-t-il fermé dès le commencement tontes les voies de l'élé- vation & de la vanité , pour vous ouvrir celles de l'humilité , du dépouillement & <lu filence ! Vos mœurs auroient été inno- centes 5 hélas ! & tous vos jours ont été ■de nouveaux crimes ! vos premières an- nées euifent été les prémices pures d'une vie fainte ; hélas ! & vous n'ofez tourner les yeux derrière vous j de peur d'y voir les horreurs & le tréfor d'iniquité que vous y avez accumulé ! vos inclinations fe- Toient' encore celles qu'une heureufe édu- cation vous avoit donnés ; hélas ! & le monde a co-rompu en vous les dons de la grâce & de la nature ; & il ne vous refte plus de ces premières efpérances de vertu, que le regret inutile de les voir tout-à-fait éteintes ! votre mort finiroit des jours pleins des œuvres précieufes , & une vie digne de l'immortalité ; hélas ! & elle ne lailTera qu'un grand vuide « des pafTions infi- nies 5 des agitations fans nom^bre , des chagrins amers ^ des plaifirs fouvent dégoû- îans , toujours triftes par le reproche fe- cret de la confcience ; & une vie digne d'une mort éternelle « fi elle n'eil puriiiée par de dignes fuits de pénitence , avant que vous alliez en rendre com.pte au Tri- bunal redoutable du fouverain Juge.
Mais il ne faut pas que les deiirs d'un état devenu impofTible , vous calm.ent fur les dangers de votre état préfent. C'étoit
POUR UNE Profession Relig. ic)ç l'erreur de cet ami de faint Augiiitiii , le- quel encore payen , auroit bien voulu l'imi- ter dans fa converfion & dans fa retraite : mais engagé dans le mariage , il regardoit ce lien facré comme incompatible avec la foi & la fainteté du Baptême ; & auroit fou- haité pouvoir le rompre pour entrer dans TEglife de Jesus-Christ. Il ne vouloit être Chrétien , dit faint Auguftin , que d'une manière dont il étoit impoflible qu'il le fût : Nolcbat ejfe Chrijllanus , nifi eo ^^ ^^^^ modo quo non poterat. On voudroit tout quitter il l'on fe donnoit à Dieu : on vou- droit fe retirer du monde , & fe cacher pour toujours aux yeux de l'univers : on ne croit pas le falut poifibie autrement : on nour- rit fon imagination de ces projets chimé- riques , qui ne fauroient jamais s'exécu- ter ; & parce que l'état où la Providence nous a placés , ne nous permet plus de tout quitter -, & de nous aller jetter au fond d'une folitude , on ne fe donne point à Dieu : on ne fait pas ce qu'on doit faire , parce qu'on voudoit faire ce qu'on ne peut pas ; & on ne veut être Chrétien qu'aux feules conditions auxquelles il eil impoiîî- hle qu'on le foit : Nolebat ejfc Chrijlianus , nifi eo modo quo non poterat, C'eft-à-dire qu'on ne le veut pas ; car il ne s'agit point de foupirer après une fituation qui ne fau- roit plus nous convenir ; mais de trouver des moyens de fanâificaîion dans les péi"ils mêmes qui font attachés à la nôtre. • Pour vous 5 ma chère Sœur', la deiliiiée
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300 I, Sermon
des âmes mondaines ne vous paroît pas fans doute digne d'envie : mais que fera-ce, il au récit des erreurs & des dangers du monde , nous ajoutons ici celui de fes fou- cis 5 de fes peines & de {qs chagrins dévo- rans ?
Oui 5 ma chère Soeur, on croiroit d'abord que la joie & les plaifirs font le partage de ce m.onde réprouvé; & que n'ayant pas de fon côté le bonheur de l'innocence & de la vertu , il a du moins les douceurs & les réjouiiîances du vice. Mais il s'en faut bien. Hélas ! Cl l'on pouvoit y être heureux du moins en oubliant Dieu , & en ne refufant rien aux paffions infenfées , ce feroit tou- jours fans doute une yvreile & une frénéfe digne de pitié , d'acheter , par un infiant rapide de plaifîr , des peines & des hor- reurs éternelles ; mais du moins on ne perdroit pas tout ; on auroit du moins quelques m^om^ens de bon ; du moins on jouiroit du préfent : mais ce préfent même, cet inftant rapide ed refufé au pécheur. L'Etre fouverain & miféricordieux , qui nous a faits pour lui , ne veut pas que nous puiiîons être un inilant même heureux fans lui : il fe fert de nos pafTions pour nous pu- nir de nos paffions mêmes. Toutes les créatures que nous voulons faire fervir à nos plailirs , il en fait en fecret les inftru- riiens de nos peines : tous nos defîrs les. plus flatteurs , & que nous ne formons que Dour foulager notre cœur , en deviennent les tyrans à le fupplice : tous nos projeta i
POUR UNE Profession Relig, 3:01 les plus fpécieux 5 que riinaginatioii n'en- fauîe & n'embellit que pour endormir nos peines, les réveillent & les aigriilent : tous les plaifirs les plus vifs , & qui auroient dû, ce lëmble , fatisfaire notre cœur , n'y por- tent que la fatiété , & en augmentent le dégoût 5 le vuide & l'inquiétude. Dieu y pour nous faire fentir que l'ordre eft le feuî bonheur de l'homme , permet que tout ce qui le trouble nous fend malheureux. En vain nous formons-nous un plan de félicité dans le crime , notre cœur dément bien- tôt cette efpérance , & il ne nous relie rien de plus réel de cette vaine idée de bonheur , que Î2 chagrin de nous l'être en vain formée-: en vain , par une vaine phi- lofophie 5 détachons-nous des paillons tout ce qu'elles ont d'extrême & de fatiguant y pour nous ménager des plaifirs modérés & tranquilles \ les plaifirs réglés par la raifon ne font pas loin de l'ennui ; & ceux qu'elle ne conduit plus , ne font plus que des fureurs & des gouffres ; & d'ailleurs tout ce qui fouille notre ame , quelque modéré qu'il foit aux yeux des hommes , eik tout ce qu'il y a de plus extrême Se de plus malheureux pour notre repos. Vciis r(:vc:( voulu , 6 mon Dieu , Ê* il S.Aug\ étoiî jujie que vous le voulujjïei ainfi , gue toute ame cUfordonnéc Jût à elle- même fonfupplicc.
Non , ma chère Sœur , Jefus-Chriil n'a pas laiiTé fa paix au monde ; il ne l'a lai/fée qu'à fes difciples : ainu en le lui facriiîant
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aujourd'hui , vous ne lui facrifiez rien de trop aimable ; & ce qui fait le prix & le mérite de votre facrifice ^ eft bien plutôt le plaifir faint avec lequel vous le confom- mez 5 que les plaifirs frivoles auxquels vous renoncez. Hélas ! fi vous connoiiliez le fond & l'intérieur de ce monde miférabie; fi vous pouviez entrer dans le détail fecret de jfes foucis & de fes noires inquiétudes ; if vous pouviez percer cette première écorce , qui n'offre aux yeux que joie , que plailirs , que pompe & magnificence , que vous le trouveriez différent de ce qu'il paroît ! Vous n'y verriez que des m,al- lieureux : le père divifé d*avec l'enfant ; l'époux d'avec i'époufe ; le frère dreffer des embûches au frère ; l'ami fe défier de fon ami ; le fecret des familles ne cacher aux yeux du public , que des antipathies, des jaloufîes 5 des murmures , des diffen- fîons éternelles ; les amitiés troublées par les foupçons , par les intérêts , par les ca- prices ; les liaifons les plus étroites refroi- dies par rinconflance ; les engagem.ens les plus tendres finir par la haine & par la per- fidie-; les liens les^^us facrés devenus des fupplices par Fincompatibilité ; les fortunes les plus brillantes perdre tout leur agrément par les affujettiflemens qu'elles exigent ; les places les plus honorables ne faire fentir que le chagrin de ne pouvoir monter plus haut : chacun s'y plaint de fa deflinée ; les plus élevés n'y font pas les plus heureux, ils montent ^ dit le Prophète y par leur
* POUR UNE Profession Relic. 303 rang & par leur fortune 5 jufques au delîus des nuées ; on les perd de vue , iî haut ils font placés : ils paroiflent au deiliis du refte des hommes par les hommages qu'on leur rend, par l'éclat qui les environne , par les grâces qu'ils diilribuent , par les adulations éternelles dent la proipérité & la puilTance font toujours accompagnées : Àfcendunt PA 106 ufque ad cœlos. Et par le ver fecret & dé- ^^* vorant de leur confcience corrompue ; & par la fatiété niêm.e des plaifirs ; & par la gêne des afiiiiettiffemiens & des bienféan- ces ; & par la bizarrerie de leurs defirs ; Se par Tamertume de leurs jaloufies ; & par les bafleffes qu'ils emplo ient pour pisire an maître ; & par les dégoûts qu'ils en eiliiïer.î ^ ils font plus bas que le peuple & plus malheureux que lui : Dcfcendunt ïbid» ufque ad abyjjos, O ûlle de Sion ! réjouif- fez-vous , dit le Seigneur ; publiez les mer- veilles de ma m.iféricorde , parce que je viens pour vous polTéder , pour vous déli- vrer de la tyrannie d'un m.onde , qui ne fait que d^s malheureux ; pour faire ma de- meure au milieu de votre Cû|^;, & y éta- blir une paix & une fér^^t éternelle : Quia ecce ego venio , & habita^Hitmedlo tuî. Zack,
Regardez maintenant 5 ma chère Sœur ; 2. u» voilà le monde avec toutes fes erreurs y £es périls & fes inquiétudes. C'eft une ter- re 5 dont on vante les fruits & la beauté , & où il femble que coulent le lait & le miel ; mais c'eft une terre qui dévore fes habitans par Jes paillons infinies qui l'agi-
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tent y & où les plus grands pîaifîrs font toujours la fource des inquiétudes les plus Nunu dévorantes : Terra cUvcrat habitatore^ Jlios. ^' ^^* Regardez encore une fois ; je ne vous le montre pas en éloignement , comme le tentateur le miOntra autrefois à Jesus- Ckrist : de loin il en impofe ; on ne voit que la gloire , les plaifus &■ la pompe qui l'environnent ; ce point de vue lui eft fa- vorable : je vous le rapproche ; je vous le m.ets feus Fceil. Voyez fl vous le trou- vez digne d'être regretté ; fi fur le point de l'abandonner vous verferez fur lui des larmes de joie ou de triftefTe : voyez fî cette grande a£lion que vous allez faire j & que le m^onde appelle un facriiice hé- roïque , un renoncement gériéreux , n'eil pas au fond une fage préférence de la paix au trouble ; de la joie aux chagrins dévorans, de la liberté à la ferviti^de ; d'une douce, ê^ fainîe fociété , à l'ennui , à la fauiTeté & à la perfidie des fociétés mondaines.
Et que ne pouvez - vous , ma chère Sœur 5 confulter le m^onde lui-mxme ! In- terrogez \(J[É||roches que cette cérémonie ailembJy^^Hwieu faint • & ils vous répon- Deut, dront: IW^^^a majores tuos , G* diccnt tihi. Peut-être une terdreiTe naturelle les attrifte & les attendrit ici fur votre facrifîce : mais au fond 5 ils envient votre dçflînée; ils fou- pirent en fecret fur ]a muU'tiide & la pé- îanteur des liens qui les attachent au mon- de ; &: fentent , après avoir efluTc loùg- temps des plailu's ? de vanités &. des efpé-
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POUR UNE Profession Relic, 30^ rances humaines , qu'il n'ell: rien de plus heureux ici bas que la crainte du Seigneur & i'obfervance de fa Loi fainte : Inter^ roga majores tuos & diccnt tihi. Ils ac- cordent peut-être des larmes à ce fpe61:acîe de Religion : votre foi , votre innocence ^ votre joie fainte : le courage avec lequel vous allez dire au monde un adieu éter- nel , tout cela tire peut-être de leurs yeux des marques d'un amour tendre & fenfi- ble ; miais que fais-je s'ils ne pleurent pas bien moins fur vous que fiir eux-mêm.es ? que fai-je il dans ce moment , les vues de ia foi plus vives , ne reveillent pas en eux mille defirs de féparation & de retraite , & ne les font pas gémiir de TimpuifTance où ils fe trouvent de confacrer à Jefus- Chrill les relies d'une vie 5 que le monde & les paillons ont peut- être jufqu'ici toute occupée ? Interroga majores tuos , & di- cent tibi. Que fais-je fi vous voyant mourir à tout 5 ils ne fe rappellent pas à ce terrible moment où tout mourra pour eux ; & où féparés par la juflice de Dieu à^s mêmes objets dont fa miféricorde aujourd'hui vous fépare , ils verront c{i\q par votre fa- crifice , vous n'avez fait que prévenir d'un inilant le dépouillem.ent de toutes les créatu- res , inévitable à la mort , &: vous épargner le crime d'en avoir joui , & le chagrin de les perdre : Intcrroga majores tuos & di- cent tihi. Que dirai-je encore , ma chère Sœur j puifqu'il faut parler ici pour la der- nière fois 5 de tout ce que vous êtes de
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grand feîon le monde , afin que Vous Vou bliez à jamais ? Que ne ponvez-vous con fiîlter vos iilufrres ancêtres, ii célèbres dans nos iiifcoires par les fervices rendus à l'Etat^ par les premières dignités de la Couronne perpétuées dans leurs defcendans , êc par tant de monum^ens de leur gloire élevés au m.ilieu de nous ! que ne pouvez-vous les confulter ! & du fond de ces pompeux m.aufolées , où toute leur grandeur n'ell plus qu'un peu de pouilicre , ils vous ré- pondroient que la gloire du monde n'eit rien : que la naifTance n'eft qu'un orgueil qui fe tranfmet avec le fang ; que les titres ^ les dignités ne nous accompagnent pas devant Dieu 5 & ne demeurent écrites que fur nos cendres & fur la vanité de nos tombeaux : qu'il n'y a d'éternel & de du- rable 5 que ce que nous avons fait pour le Ciel ; qu'il ne iert de rien à l'hom.me de gagner le monde entier , s'il vient à perdre Ion ame : înterroga majores tuos 5 & dicent tihi,
Heureufe , m.a chère Sœur : ( puifque les bornes d'un difcours ne me permiCttent pas de vous expofer ici tout ce que je m'étois propofé 5 & d'ajouter aux deux autres motifs de confolaîion , tirés du côté de Dieu qui vous choifit j & du côté du m.on- de d'où il vous retire , le dernier tiré de la folitude fainte où il vous met à couvert des périls 5 ) heureufe de renoncer pour toujours à un monde 5 qui ne paye que d'ingratitude i'efclavage âe £qs adorateurs.
POUR t7>7E Profession J^elig, 307 Se qui jufqii'ici n'a fait que des malheu- reux & des mccontens ! fieureufe encore plus de ne Favoir jamais connu , & de mettre de bonne heure entre vous & lui un mur de féparation éternelle ! heureufe de facrifier tout ce qu'il ne vous étoit pas permis d'aimer ! heureufe de diminuer vos peines j en diminuant vos attachemens ! heureufe de m.ourir à tout , avant que tout meure pour vous ! heureufe enfin de mettre à profit le temps court & rapide de la vie préfente , pour vous alfurer une meilleure : condition pendant les années éternelles !
Que nous relle-t-il préfentement , ma chère Sœur , finon de faire pour vous les mêmes fouhaits que les Prêtres & les Ci- toyens de Bethulie firent pour Judith, lorf- qu'elle parut au milieu de l'alîemblée fain- te 5 fur le point d'aller exécuter le grand deffein que Dieu lui avoit infpiré. Que le Dieu de vos pères qui vous a protégée de- puis votre enfance , répande abondam- ment fur vous les fecours de fa grâce : qu'il JbénifTe la pureré de vos intentions ; qu'il foutienne par fa force toute-puillante 5 la grandeur de votre entreprife ; & qu'il ne perm.ette pas que vous fuccombiez dans un defieiu généreux , où vous ne vous propo- fez que de lui plaire : Deiis patrum nojtro- Judith mm deî tibl gratiam 5 & omne confiiium 10. 8. tui œrdis fuâ virtute corroboret. Que la fainte Jérufaiem ; que cette maifon de bé- nédidlion , qui vous ouvre aujourd'hui fes portes ; qui a cultivé en vous depuis ua
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âge tendre , les dons de la grâce & de ïa piété 5 & qui recueille , en vous affociant aujourd'hui à ces Vierges fidelles , le fruit de fcs ioins & de Çqs peines ; qu'elle puiffe à jamais fe glorifier en vous : que vous fo- yez pour elle jufqu'à la fin un fujet de joie, de confolation - de gloire ; non par l'éclat de votre nom & de votre naillance , mais
Ihid» par celui de vos vertus religieufes : Vt glo- rietur fuper te Jcrufakm, Qu'elle foit éga- lement édiiiée & illuiirée , par lafainteté de vos exemples , & par la ferveur &: la perfection de toutes vos voies qu'elle pinife mettre un jour votre nom au nombre de ces Vierges illullres , de ces faintes Me' res , de ces preinieres Fondatrices , dont la m.érnoire vit encore dans ce lieu faint ; Si dont les nom.s déjà écrits dans le Ciel , fe confervcront jufqu'aux derniers âges dans les annales facrées de ce fervent inftitut : Et fit nomen tuiim in numéro fandorum & iiiflorum.
Dites donc , ma chère Sœur, furie point de facrifier le monde 5 & d'abattre à vos J pieds cet autre Holopherne : dites , com- me cette Héroïne d'Ifraël , flir le point de lui donner le dernier coup : Frappez-le , Seigneur 5 par les paroles qui vou^ fortir .de ma bouche , afin qu'il ne. revive jamaiS' dans un cœur que je vous ai confacrc tout r ,• T entier : Ht vercutles cum ex lahiis carita-
9.13. US meœ. Donnez-moi cette toi vive oC, généreufe ; cette infenubilité chrétienne y;^ cette élévation de cœur & de piété , donti
VGUR UNE Profession Relig. 309 j'ai befoin pour méprifer jufqu'à la fin fcs vanités & fa gloire : pourvoir toujours d'un œil indifférent fes plaifirs & fa vaine féli- cité 5 pour ne regretter de tout l'éclat qui l'environne y que le malheur & l'aveugle- ment de ceux qui s'en laiiîént éblouir ; & ne jamais introduire dans le lieu faint {on elprit & fes maximes ! Da mihl in animo Judith* conjlantiam y ut contemnam illum. Quelle 9» M» gloire pour vous , Seigneur ! quel monu- ment éternel de la ouiffance de votre bras! quel opprobre & quelle confiifion pour les âmes mondaines , quand elles verront que vous ne vous fervez que de la foibleffe de mon fexe , d'une Fille de Sion , foible & timide , pour fouler aux pieds fa gloire & £es plaifirs ; & qu'il neix pas fi difficile à vaincre qu'ils le publient pour excufer la honte de leurs attachemens & de leur fer- vitude ! Erit enim hoc memoriale nominis tui , cum manus fxminœ (Ujccerit eiim.
Recevez , grand Dieu , le facrifîce de cette hoirie innocente , comme vous re- çûtes autrefois celui d'Abel ; & que ce grand exemple de foi & de religion , ap- prenne à ceux qui m.'écoutenî , que c'efl tout gagner que de tout perdre pour s'af» furer un bonheur éternel.
Ibid,
Alnjl foit-il.
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SECOND
SERMON
Pour une Profession Religieuse.
Quam dilefta tabernacula tua , Domine virtutiim ! concupifcit ^ & déficit anima mea in atria Domini.
SeLgn.cur des armées ^ que vos tabernacles font aimables ! mon amz dejlre ardemment d'être dans la maifon du Seigneur ; & elle ejî prcfijue dans la défaillance , par l'ardeur de ce defir. Pf. 83. i. 2.
Voilà 5 ma chère Sœur, à quoi fe bor- noient tous les dejfirs d'un faint Roi , que le Seigneur avoit comblé de gloire , de profpérité& d'abondance. Ce n'étoit ni l'é- clat du Trône où la main du Seigneur l'a- voit placé , ni le nombre de fes viâ:oires 5 ni la magnificence de (on règne , qui le ton- choient d'une joie vive & continuelle. L'Arche fainte , le tabernacle du Dieu vi- vant 5 d'où il le voyoit éloigné parla révolte de fon fils ; la confoiation d'aller dans ce lieu faint j fc décharger , pour ainfi dire^ aux
POUR UNE Profession Relic, ^it pieds des autels du poids de la Royauté ; d'y répandre fon ame devant le Seigneur ; d'y chanter en fa préfence des cantiques d'action de grâces ; d'y méîer fes larmes au fang des vicStimes ; d'y célébrer au milieu des enfans d'Aaron , la mémoire des bien- faits dont le Seigneur avoit autrefois fa- vorifé fon peuple ; d'y méditer les merveil- les de fa loi & les promeilés faites à fes pères : voilà tout ce qui lui paroiiToit digne d'être regretté dans l'élévation & lapuiiTance dont un fAs rebelle venoit de le dépouiller. Et voilà , ma chère Sœur , les fainîes dif- politionsque la grâce met dans votre cœur. Ce ne font ni les avanta^^es au milieu deC- quels la Providence vous a fait naître , ni un nom refpedl'é dans le monde -, ni tout ce qu'il fembloit vous promettre de plus flat- teur & de plus féduifant , qui ont fu tou- cher votre cœur. La maifon du Seigneur ; les fiintes confolations d'une retraite reli-» gieufe ; la joie de venir vous cacher dans le fecret du tabernacle ; & dans ce Temple nouveau (*) , où vous allez être la première Viélime qui s'offre fur l'autel ; & auquel votre facrifîce va fervir comme de confé- cration Se de dédicace folemnelle : voilà ce qui vous a paru plus digne de vos fou-* haits , que toute la gloire du monde & la , vanité de Ces promelfes : Concupifcit , & 1 déficit anima mea in atria Domini,
(*) Ce fut la première cérémonie qui fe fit dans î(t, nouvelle Eslifc dç la Vijliaîion ds Chaiiht»
512, IL Sermon
Heureux , ô mon Dieu ! lui avez-vous dit niilie fois avec le Prophète 5 heureux ceux qui habitent dans votre niaifon ; & qui à l'abri des périls & des fedudions du monde , ne' font nuit & jour occupés qu'à chanter vos louanges & publier vos mifé- P/. 8 j. ricordes éternelles ! Beau qui habitant in 5* domo tua , Domine î Le monde n'éblouit
que ceux qui le voient de loin , & qui n'en connoiiîcnt pas le vuide & l'amer- tume. Heureufe Famé , ô mon Dieu ! qui a pu enfin fecouer le joug de toutes les ef- pérances humaines , & qui voyant que tout efl vanité & affli6lion d'e&rit dans cette vallée de larmes , forme en fon cœxiT la réfolution génércufe de s'attacher à vous ieul ; & de monter de degré ci\ degré , jufqu'à cet état fublime de dépouiJlement entier; jufqu'à cette perfection religieufe , d'où les vrais biens fe faifant voir de plus près , le monde & toute (^ gloire ne pa^ Ihid t, ^o^^^^"^t pî^^s qu'un vain atome ! Beatus cu- 5. 7. jm cjl auxilium ahs te : afcenjïoncs in corde fuo. difpofuit 5 in vallo lacrymarum in loco quem pofuit !
Ce n'eft pas , ma chère Sœur 5 que la maifon du Seigneur , où vous entrez au- jourd'hui avec tant de foi , n'ait fes tenta- tions comime fcs confolations & fes avan- tages, îi y a des pièges fur le Tha])or , félon l'exprcirion d'un Prophète , comme Ofée 5. Jans les plaines de Samarie : Rete expan- fum fuper Thahor, Le lieu faint peut avoir fes.défolations 6i fes périls comme le fîecJe.
Ce
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POUR UNE Profession Relic. 313. Ce ne feroit donc pas allez de vous entre- tenir ici feulement des avantages de ia vie Reiigieiife , il faut encore vous en expofer les tentations. Il eil important qu'à lentrée de cette fainte carrière , où les reffources & les confolations s'offrent en foule , 011 vous montre aufll de loin quelques écueiîs , que vous pourriez y trouver fur vos pas. Il faut 5 il ell: vrai , encourager votre foi , en vous étalant toutes les confolations que Jesus-Christ vous prépare dans cette retraite fainte ; &c nos foibiss difcours ne vous expoferonî jamais qu'à demi l'abon- dance de fes dons & les richelîes de fa mi- ■ féricorde : mais d'un autre côté ^ H n'eft pas moins elTcnîiel d'armer d'abord votre vigilance , en vous découvrant les pièges qui pourroient s'y rencontrer. Et voilà tout ce que je me propofe dans cette inf- tru£lion de vous expofer les tentations & \qs confolations de la vie Religieufe ; c'elt- à-dire 5 de vous prémunir contre fes tenta- tions , pour vous mieux difpofer à en goû-, ter tontes les confolations. Implorons ^ &c. Ave Maria.
.'è AOn Fils , dit le Sage , lorfque vous en- partie trez dans le fervice de Dieu ^ préparez votre ame à la tentation ; & fouvenez-vous que les voies mêmes de la {^gvÂïo. & de la ver- ya 5 cachent des écueils d'autant plus dan- gereux , qu'on s y croit plus en sûreté ^ <k qu'on y marche fans précaution & fans àQÎenÇQ : Fili 5 accedens ad fcrvltiitcm 2 Oraifon funèbre, O
EccL I.
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^14 JL Sermon
Vci 7 prœpara animam tuam ad tentatlonem. Cet avis d'autant plus efTentiel pour les âmes qui fe confacreiit à Jesus-Cîirist dans la vie Religieufe , qu'on fe perfuade que tout e(ï fait 5 quand on a une fois re- iioncé au monde , & embralfé un état faint ; & que les difficultés de cette première dé- marche furmontées , on n'en doit plus at- tendre dans le refte de la carrière.
Cependant , ma chère Sœur , la vie Religieufe elle-même , où la grâce aujour- d'hui vous appelle , cet état divin , & qui nous fait être par avance fur la terre ce que les Anges de Dieu font dans le Ciel ; cet état a fes écueîls Sr fes tentations , où viennent tous les jours échouer plufienrs vierges inlîdeiles.
Tous les Ifraëlites, dit l'Apôtre , étoicnt fortis du milieu des abominations de l'E- gypte ; ils avoient tous fuivi la nuée lu- mineufe qui les conduifoit dans le déferî. Cependant , continue l'Apôtre , malgré cette première démarche , qui fembîoit les mettre en sûreté , il s'en faut bien qu'ils ne ï. Cor, fuilent tous agréables à Dieu : Sed non in J^o» s» plurlhus corum bcneplaciîiim ejl Dec, D'où vient cela ? c'eft que cette première fer- veur pafîée 5 ils commencèrent à regarder derrière eux , & à jetter des regards de complaiiance fur l'Egypte , qu'ils venoient d'abandonner avec tant de joie 1 & c'eftce que j'appelle la tentation du temps. C'eft en fécond lien , que lafies des fatigues du déCert > Se ennuyés même du pain célelle ,
poun UNE Profession Relic. 315 dont le Seigneur les nourriiîbit , ils com- mencèrent à fe dégoûter ; <k leurs dégoûts furent bientôt iuivis de murmure : & voi- là la tentation du dégoût. C'eft enfin que fe lailFant entraîner aux exemples de quel- ques - uns d'entr'eux , ils négligèrent de venir porter leurs vœux & leurs prières devant le Tabernacle faint ; & ne furent plus occupés que de danfes & de feftins autour du veau d'or ; & c'eft ici la tenta- tion des exemples. Or ce n'étoit là , dit l'Apôtre, qu'une figure poumons inftruire: Hœc aiitem in ûmra facla funt nollri. Et , ^^^^'^ voilà en effet, ma chère Sceur , les trois ^* * tentations à craindre dans ce défert reli- gieux où vous êtes entrée , en fortant du monde , & de toute la corruption de l'E- gypte.
En premier lieu la tentation du temps. Oui 9 ma chère Sœur , les commencemens font d'ordinaire fervens & fidelles : on jette les premiers fondemens de l'édifice iaint avec un zèle & une vivacité , qui fem.ble ne devoir plus fe démentir : on fe difpute les adouciilbmens les plus permis : on a horreur des infidélités les plus légères : on marche à pas de géant dans les voies du Seigneur ; rien ne coûte ; rien n'arrête : on dévore toutes les amertumes de l'obéif- fance : on ne f^nt point l'afîujettiifement des règles : on vole par-tout où le devoir 'èc rcxem.plc nous appelle : on ajoute mê- me aux œuvres prefcrites , ces œuvres de furcroît : enfin rien ne paroît de trop
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7,i6 IL Seumo^
au zèle & à la ferveur qui commence.
Mais 5 ces premières années paiTées dans ïa ferveur , on croit être en droit de fe re- pofer : on laifTe à celles qui commencent ,' cette exa61:iîude trop rigoureufe : on -re- garde tous les adoucifTemens & les infi- délités 5 comme le privilège du temps & des années : on fe rabat à un genre de vie plus à portée des fens & de l'amour pro- pre : on fe permet tranquillement des omif- fions , dont on fe faifoit autrefois un gî-and fcrupule : enfin on fe perfuade que le temps de la ferveur ell pafTé , & qu'il ne con- vient qu'à des commençantes d'obferver les règles 6c les faints ufages dans toute leur perfection &: leur étendue. Première tentation.
Or pour vous armer contre un écueil , où la grâce de la vocation vient fouvent échouer & faire un triile naufrage , fou- venez-vous , ma chère Sœiir v que l'efprit de la vie Religlcufe que vous embraffez , eft le même pour tous les âges ; que les règles fages & pieufes , que votre fiint Fondateur 5 dont la folemnité concourt lî lieureufement aujourd'hui à votre confécra- tion 5 & fembîe vous promettre d'avance la grâce de fou ei^^rit , l'abondance de fa cha- rité , & la grandeur de fa foi; que les rè- gles faintes , dis-je , que votre bienheureux ^ere a laiiîees à cet inftitut fervent , font les mêmes pour tous les temps ; toujours claies pour toutes les Epoufes de Jesus- ChRIST ici alTemblée^ i toujours uniformes^
POUR UNE Professsion Txelic. 317 & pour celles qui cominencent & pour celles qui portent déjà depuis long-temps le joug du Seigneur , & qu'ainfi dans un âge plus avancé 5 comme dans uiiQ première jeunelle ; dans les ferveurs du noviciat , comme dans la fuite de votre carrière , puifque" la fainteté de votre état fera tou- jours égale 5 votre fidélité doit toujours être la même ; votre zèle jamais fe dé- mentir; vos difpcfitions delfoi , d'amour , de facrifice , toujours perfévérer; & qu'en un mot 5 le dernier jour , qui finira cette carrière lieureufe , doit reffembler ^ du côté de la ferveur & du zèle , au premier , qui aujourd'hui vous l'ouvre & la com- mence.
Mais que dis-je , ma chère Sœur , ce ne feroit pas même allez que le dernier jour relîémblât au premier. Plus vous avancerez dans la Profefilon Religieufe , plus vous devez croître dans la grâce de votre état , dans le defîr de votre perfec- tion, dans l'amour de vos devoirs 8c de vos règles : plus vous avancerez , plus celles qui commencent auront les yeux fur vous , fe régleront fur votre conduite , ex- 'piiqueront l'étendue de leurs devoirs par votre fidélité ou par votre négligence ; plus vos foibleffes ou vos vertus devien- dront leurs vertus ou leurs foibleiTes ; & qu'ainfi plus le Seigneur demandera de vous de fidélité dans vos devoirs 6c de per- feâ:ion dans vos exemples. Qui n'avance j^as dans les voies de Dieu 5 recule ; -aufii
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:^i8 II. Sermon
Yefynt faint maudit ceux qui font l'œuvre du Seigneur négligemment. Mais s'il étoit un temps où il fiit permis de le fervir avec une forte de tiédeur & de pareiTe , il fem- ble que ce devroit être plutôt dans le com- mencement de la carrière ^ où la grâce en- core foible 5 toutes les vertus religieufes , encore , pour ainfî dire , dans leur naii^ fance , femblent rendre le relâchement moins criminel , & les imperfections plus pardonnables ; au lieu que dans la fuite , la grâce ayant dû croître en nous , l'efprit de notre vocation fe fortifie , la tiédeur de- vient un crime ; les inobfervances , une ^ inanierë d'apoftalîe , qui ne fauroit plus trouver d'excufe que dans un cœur ingrat & infîdelle.
Celui qui commence , dit Jefus-Chrift ; & qui après cela fe relâche & regarde der- rière lui n'eft pas propre au Royaume de Liic»()» Dieu : Non eft aptus Regno Dei, Cette pa- *^» rôle eft terrible , ma chère Sœur ; il n'eft point propre au Royaume de Dieu ; c'eft-à- - dire , c'eft une ame foible & parefieufe ^ qui ne doit rien prétendre au falut deftiné à ceux qui ont perfévéré jufqu'à la fin ; une ame infru£i:ueufe & ftérile , laquelle après avoir poulie d'abord des feuilles fpécieufes , en demeure là , ne donne point de fruit , & ne doit point attendre d'autre fort que celui de l'arbre infortuné de l'Evangile : Non cjl ap- tus Regno Dei. Hélas , m-d chère Sœur ! fi , félon l'Apôtre , tous ceux mêmes qui cou- rent n'arrivent pas au but ; fi parmi les âmes
POUR UNE Profession Relig, 319 mêmes qui paroilTent les plus ferventes & les plus fidelles , il s'en trouve encore qui fe- ront un jour rejettées des noces de l'Epoux , parce qu'un orgueil fecret aura corrompu toutes leurs voies & infeâ:é toutes leurs œuvres , quelle deftinée pourroient fe pro- mettre celles , qui après les premières dé- marches 5 fe repofent lâchement 5 & croient être quittes du refte de la carrière !
Non 5 ma chère Sœur , il n'en e il pas de la milice de Jefus-Chrifc ^ comme de celle des Princes de la terre : dans celle- ci , après un certain temps de travail & de fervice , on acquiert le droit de chercher dans le repos , le délalTement 5 & comme la récompenfe de fes fatigues pafTées : mais dans la milice de Jefus-Chrifl, c'eft en être déferteur que de ceifer un moment de com- battre. Tout le temps de la vie préfente eft une milice continuelle , dit Job , eft le temps des peines & des combats ; le repos ne nous eft montré qu'au bout de la car- jriere ; plus même nos années avancent , plus nous touchons de près à ce terme heu- reux ; hélas ! plus nos defirs pour le Ciel doivent s'emfîammer , plus la vue de la pa- trie , à laquelle nous touchons , doit nous transporter ; plus toutes les créatures , qui vont bientôt nous manquer , doivent nous paroître indignes de nos attachemens , plus notre rédemption , qui approche , doit ra- nimer notre am.our , exciter notre foi , ré- veiller notre efpérance ; plus nous devons lever la tête avec une fainte joie , dit Jefus-
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^2.0 1 L S E RM 0 N
Chrili ; c'ell-à-dire , avoir Tceil déjà fixé
' dans le Ciel , perdre de vue la terre , &
n'attendre plus que le moment qui va nous
Luc. réunir Jefus-Chrifl : Rôfpicitc , & levate ca-
22. 28. pij-^ vcjira ; quoniûm appropinquat redemp-
tio vcflra.
Et certes , ma chère Sœur j voudriez- vous 5 en vous relâchant après quelques an- nées de ferveur, perdre tout le fruit de vo- tre fidélité paflée ? voudriez-vous difTiper ce que vous auriez fi heureufement amaifé , & vous laifîer ravir la gloire de mille vi£l:oires que vous auriez remportées fur l'ennemi ? Ah ! c'eft alors que vous devrez être plus fur vos gardes ; & que vous étant enrichie des biens Spirituels , le Démon fera plus d'eiForts pour vous les enlever: il vous laif- fera plus paihble dans ces commencem.ens : femblable à un Pirate qui laifTe pafler tran- quillement les Navires , qui partent pour fournir une longue carrière , & aller cher- cher au loin des marchandifes précieufes j et ne les attaque qu'au retour , & prefque fur la fin de leur courfe , parce qu'il les trouve alors chargés de richelfes qu'il s'ef- force de leur ravir , & de leur rendre inu- tiles les travaux & les périls au prix def- quels ils les avoient acquifes.
Mais après tout , ma chère Sœur , croi- riez-vous en avoir allez fait pour Jefus- Chriil:, quand vous aurez confacré quel- ques années de zèle à fon fervice ? La vie j cetindant rapide, efl-elle trop longue pour remercier le Seigneur de la grâce ineili-
POUR vtJE Profession Relic, 321 niable qu'il nous a faite , en nous féparant du monde & de fa corruption ? L'éternité elle-même ne fufiira pas aux Saints , pour rendre grâces à celui qui les aura retirés de la voie de la perdition & de la colère : &: une vierge infideile , après les premiè- res années de zèle & de ferveur , croiroit être en droit de fe repofer , comm.e û le temps des combats étoit fini , & qu'elle n'eût plus 5 ou d'ennemis à craindre , ou d'ac- tions de grâces à rendre au Seigneur mi- féricordieux , qui l'a mife à couvert de la dépravation générale dans le fecret de fon San£luaire ? que dis-je ! & elle regarde- roit même cette exaâitude rigoureufe , dont elle avoit d'abord fait profeÏÏion , comme des excès puériles du premier âge^ & qu'une raifon plus mûre doit modérer ! C'eil- à-dire , que ce feroit comme û elle difoit à Dieu : Seigneur , tandis que je fui- vois encore les mouvemens d'un âge peu avancé , & les foibl^s lumières d'une rai- fon peu formée , je vous fervois avec fer-- veur ; je me difputois tout ; je jne faifois un fcrupule de tout , je faifois conliller la piété à ne donner, rien à ma propre faîis- fadlion ; à rem.plir jufques aux moindres devoirs , avec une exactitude où il entroit plus de petiîefTe que de vertu ; à fuivre tout ce qui me paroiiToit le plus parfait dans vos voies , & Te plus conforme à ïef- prit de ma vocation. Mais à mefure qu'un ' âgé plus mûr a mûri la raifon ; & que ces premiers tranfports ont pafTé , j'ai coin-
Os
32-1 IL Sermon
pris qu'on poiivoit vous fervir à moins • que vous ne demandiez pas des emprciTe- mens fî vifs , &. une fidélité fi fcrupuleule ; que vous étiez un Maître aifé à contenter , & qui fe payoit de tout ; que c'étoit bien afi'ez de ne pas rompre avec vous par des tranfgreiîions manifeiles , & qu'on pou- voit être à vous fans *fe faire une guerre n importune à foi-même. Si ce n'eft pas- là le langage que la bouche d'une Vierge tient à Dieu , c'eil du moins réellement le langage de fon cœur , & l'outrage qu'elle ajoute à fes infidélités , & au dégoût où elle efi: tombée de fon état.
Et voilà , ma chère Sœur , ce que j'ai appelle la féconde tentation de la vie Reli- gieufe : la tentation du dégoût.
Comme nous fommes pleins d'amour propre, il nous arrive prefque toujours de nous rechercher nous-mêmes dans la ver- tu ; c'eft-à-dire ^ de confulter plus un cer- tain goût fenfibîe , qui nous rappelle à Dieu , que la jufiice de fa loi & les véri- tés de la vie éternelle. Les commence- mens fur-tout de la vie chrétienne & reli- gieufe 5 font toujours accompagnés d'un certain attendriffement de cœiir , qui nous en adoucit d'abord tous les exercices : la nouveauté , le tempérament quelquefois , la grâce même alors ^lus vive . tout cela fait fur le cœur certames impreffions fen- fibles 5 qui nous fouîiennent dans la prati- que des devoirs & des régies faintes tout s'applanit alors : tout paroît aifé. Or-
POUR UNE Profession Relig. ^ij on fe perfiiade aifément que les fuites ré- pondront à de {i heureux commencemens ;. que les devoirs auront toujours pour nous le même attrait , & que rien n'alToiblira ce goût fenfible , qui nous rend d'abord (i heureux , & fî pénétrés de notre bonheur dans la voie de Dieu.
Cependant ce premier goût s'ufe d'or^ dinaire ; cet attrait paffe ; rien d'humain , ni de fenfible , ne foutient plus dans la pra- tique des règles faintes : on en fent le poids; & les confolations qui l'adouciffoient^font refufées. Les penchans d'abord fî dociles y fe foulevent contre le joug ; notre cœur d'abord touché , ne trouve plus rien pres- que dans le détail des devoirs 5 qui le pi- que Sl l'intéreffe : les mortifications coû- tent ; les obfervances deviennent pénibles ; la prière , loin de confoler , gêne Se cap- tive ; les Myfleres faints n'excitent plus que médiocrement la ferveur ; enfin on marche encore à la vérité ; mais chaque pas efl un nouvel effort ; mais on marche fans goût 6c fans confolation ; & de-là vient qu'on ie décourage ; on fe traîne dans la voie fain- te ; on cherche dans les relâchemens de l'amour propre , les confolations fenfibles qui manquent à la vertu ; & Ton fe dé- dommage avec foi-même , pour ainfî dire des dégoûts qu'on éprouve avec Dieu,
Or pour prévenir une tentation fî ordi- naire dans ces retraites Religieufes 5 écou- tez 5 ma chère Sœur , les avis fuivans , èl ne les oubliez pas.
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324 IL, Sermon
Le premier avis eft que la foiirce de nos dégoûts dans les voies de Dieu , eft d'ordinaire dans nos infidélités. Ce n'eft que lorfque nous commençons à m.êler des adouciilémens aux devoirs 5 que les devoirs comimencent -à devenir triftes &c pénibles : on fe figure qu'en fe permettant mille relâchemens , on rendra le joug plus fupportable ; & on le rend plus ennuyeux & plus pefant. Aufli c'efî: dans les mai- fons Religieufes où la première ferveur régne encore 5 où Ton vit dans une entière réparation du monde , où l'efprit de filen- ce 5 de prière , de dépouillement, de mor- tification , n'efl point aft'oibli ; c'eil dans ces maifons heureules , qu'on voit une joie (ainte répandue fur les vifages ; toutes les Epoufcs de Jefus-Chrift porter fon joug avec un goût& une allé greffe qui furprend; & qu'on les voit furprifes elles-m.êmes de ce que le monde eft étonné de les trouver fi contentes & fi heureufes dans cet état de retraite , de privation & d'auftérité : au lieu que les dégoûts & les murmures ne régnent que dans ces maifons infortunées , où le premier efprit eft tombé , où la régularité primitive ne s'obferve plus., où tontes les obfervances Religieufes font altérées , & oiî l'on ne connoit plus les anciennes rè- gles 5 que par les adouciflemens qui les ont anéanties ; c'eft là où fe trouveiit en^grand nombre des vierges infidelles, mécontentes Sl m-alheureufes dans leur état , portant
ce refte de joug avec une trifteiîé & un
POUR UNE Profession Relig. 32^ répugnance qui les accable. Plus elles con- lervent de liaifon & de conformité avec le monde , plus la Religion leur paroît triite & ailieufe ; & les adouciliemens même* que l'ufage a introduits parmi elles , dé- viennent la fource funelte de leurs dégoûts & de leurs peines.
Non 5 ma chère Sœur , telle efl: toujours la deflinée d'une Vierge tiède & infidelle : loin d'adoucir les obfervances de la vie Religieufe , en ne les atcoropHifant qu'à demi , elle fe les rend plus infupportables : plus elle fe relâche , plus les dégoûts aug- m.entent; parce que plus l'amour, qui rend tout léger , s'affoiblit : tout lui pefe dans le fervice de Jésus- Christ , parce que les grâces abondantes , qui font la récom.penfe de la ferveur , n'y font plus données. La prière n'étant plus pour QÏle un f^lnt com- merce de tendreiié & de confiance avec le Seigneur 5 n'efl: plus qu'une contrainte qui la fatigue : la retraite , ne lui faifant plus goûter la préfence de fon Dieu , & le bon- heur de jouir de lui à l'écart , loin de la vue des homim.es , n'efl: plus qu'une trifte folitude , cil elle eft à charge à elle-même : les exercices journaliers ne font plus qu'un train de vie accoutumé , qui ne lui font plus fentir que le dégoût de faire toujours la mêmie chofe ; tout le détail de la vie Re- ligieufe n'eft qu'une fuite d'occupations dé- goûtantes 5 qui ne font que diverflier fon ennui. Le monde , qui ne lui oiFroiî autre- fois que des mif^^res & des chagrins , qui
'^i6 IL Sermon,
lui ad-oiiciilbient les peines de fon état , ne lui offre plus que dés joies fpécieufes , qui lui rendent les peines de fon état plus in- foutenables. Privée des plaifirs frivoles des mondains , elle participe à leurs^ ennuis & à leurs inquiétudes : elle trouve dans le lieu faint toutes les amertumes dont le monde abreuve fes partifans ; & c'eft à elle que le Seigneur fait ce reproche dans fon Prophète , ,en la perfonne de Jérufalem infîdelle : Vous avez marché dans la voie de Samarie votre fœur ; vous avez imité dans le lieu faint , les manières , les reîâchemens, le culte tiède &: imparfait d'un m.onde que j'ai réprouvp , vous que j'avois choifie & Etech, prévenue de tant de grâces : In via forons 2j»5i. tuœ Samariœ amhiilajli : Aufii voici ce que dit le Seigneur : Vous participerez au ca- lice de Samarie , puifque vous participez encore à fon efprit & à fes infidélités; à ce calice d'ennui & de trifleffe : je chaa- . gérai les confolations que je vous prépa- rois dans ce lieu que j'ai choifî , en des dé- goûts & des amertumes fecrettes : ma Maifon ne fera plus pour vous qu'une mai- {on de deuil & de contrainte : vos jours , qui dévoient être des jours de paix, de confolation & de lumière , feront des jours de trouble , d'inquiétude & de ténèbres; vos voies , qui dévoient être fî douces & fi tranquilles « feront femées de ronces Se d'épines ; & Samarie au milieu de fes abo- minations, ne fera pas plus malheureufe que V eus le ferez dans une maifon de paix
POUR UNE Profession relig. 327 & d'innocence : Repleberis calice mccroris ^^^ 35» & trijiitiœ , calice fororis tuœ Samariœ ; ^^' Ù bibcs illum , & epotabis ufque ad fœces.
Ainfî 5 ma chère Sœur , fi vous éprou- vez jamais ces dégoûts dans la voie lainte où vous entrez j examinez-vous d'abord vous-mêm.e : voyez s'il n'y a pas dans vo- tre cœur quelque principe fecret d'infidé- lité qui infeâ:e tout le détail de vos exer- cices 5 & qui éloigne Dieu de vous : voyez fi vos dégoûts ne font pas la punition de vos relâchemens ; ^1 vous n'avez pas dégé- néré de votre première ferveur ; fi vous ne tenez pas trop à vous-même ; fi vous ne nourriifez pas des antipathies fecrettes & des prédileôio'âs trop humaines : fi vous ne refufez pas à la grâce mille facrifices fe- crets qu'elle vous infpire ; fi vous n'accor- dez pas trop à riiumeur 5 à l'indolence , à mille attachera ens légers , qui vous occu- pent tout entière. Rappellez-vcus à votre cœur ; remontez à l'origine de vos dé- goûts ; & fans doute , loin de la retrou- ver dans les devoirs 5 vous la trouverez en vous-même.
Ce n'efl pas , ma chère Sœur , Se ceiï ici un fécond avis ; ce n'efi: pas que les dé- goûts ne fe trouvent quelquefois dans la vie même la plus fervente & la plus fidelle ; & qu'en vous confacrant aujourd'hui à Je- SUS-CkrîST 5 vous ne deviez vous attendre à des amertumes dans fon fervice. Ce font des épreuves dont il fe fert pour purifier jiiotre cœur 5 ôc pour perfectionner toutes
3i8 IL Sermon
nos démarches. Au commencement de ïa carrière , il nous foutient par des confo- tions fenlibles ; c'eft un lait dont il nourrit notre foibleiîe : comme nous fommes en- core des enfans de la grâce & peu affermis dans la foi , il faut qu'il nous mené par des fentiers doux & faciles. Mais à mefure que nous avançons , il nous traite comme des hommes forts : il ne nous nourrit plus que du pain de la Vérité , qui eil la nourriture des parfaits , & un pain fou vent de tribula- tion & d'amertume : il nous ne lailTe plus d'autre reflource que la foi , que les épines de la Croix , que les rigueurs & la fainte triftelTe de fa doctrine : il ell pour nous un Epoux de fang , comme Moïfe à l'égard Exod, de Séphora : Sponfus fangumum tu mihi es, • 2S« Quand il a fallu nous arracher de la terre de Madian , & nous faire oublier notre peuple & la m.aifon de notre père , ah ! il ^ a eu pour nous des manières tendres ^& confolantes , qui nous ont engagé à re- noncer à tout pour le fuivre : mais dès que nous avons eu marché quelque temips avec lui 5 & qu'il nous a vu avancés dans la voie , il a pris le glaive douloureux ; il n'a plus eu d'égard à ces confolations humaines qui nous fcutenoient , & a lailTé notre cœur dans une efpece d'abattement & de fé- cherelTe : Sponfiis fangidnuin tu mihi es. Mais 5 ma cheré Sœur ^ ce qui doit alors vous confoler , c'efl que le Seigneur ne demande pas de nous le goût , mais la fi- délité ; c'eil que la vie Religieufe efi une
TOUR UNE PrOFESSIOK ReLIC, 329 vie de mort & de facriiice 5 &: que cet état de peine & de triftelFe , paroît l'était le plus naturel d'une ame qui a pris la Croix de Jesus-Christ pour fon patage ; c'eft que moins le Seigneur paroît nous foutenir par des attraits fenfibles , plus il nous foutient , en afFermiiîant notre foi Se augmentant notre courage ; c'efl: qu'il ne permet pas que ce temps de nuage & d'obA curcifTement dure , &. que les lumières & les confolations plus abondantes lui fiicce- dent toujours : c'eft enfin que s'il le pro- longe quelquefois , c'ell qu'il eft jaloux de tout notre cœur , & qu'il ne veut plus qu'il tienne à ces appuis fenfibles ; c'efl qu'il veut que nous le fervions uniquem.ent pour lui ; & que nous n'ayons point d'autre dé- dommagement dans la. fidélité que nous lui devons 5 que le plaifir de lui être fidelles.
Mais une réflexion encore plus confo- lante , ma chère Sœur j c'efl que les dé- goûts que vous éprouverez quelquefois dans la vie Religieufe , font bien différens de ceux que vous auriez trouvés dans le monde ; je dis dans le monde , au milieu de ce cahos ^ qui paroît le centre des plai- firs ^ & des félicités humaines ; hélas ! Se cependant c'efl la patrie des malheureux : ceux qui l'habitent font des cœurs rongés , dévorés ou par leurs propres iniquités , ou par Iqs objets mêmes de leurs pafTions qui les environnent ; chacun y cherche la paix & le bonheur ; 5<: nul ne peut le trou-
330 n. Sermon
ver ni an- dehors ni an-dedans de Ini-mé- me ; les reflburces des chagrins y devien- nent des chagrins nouveaux ; les plailirs lalTent : les paflîons fatiguent ; les richelFes inquiètent ; les honneurs gênent ", les fo- ciétés ennuient ; le crime porte fon poifon avec lui dans le cœur ; les événemens tromî>ent toujours notre attente ; & au mi- lieu d'une vie fi trille , il vuide , fi agitée , nulle refîburce au-dedans ; la foi éteinte ; Dieu retiré ; & un cœur toujours en proie à lui-même. O mon Dieu î que les rigueurs qu'offrent aux fens ces retraites facrées , paroifTent douces & fouhaitables , rappro- chées des inquiétudes cruelles des pé- cheurs ! & que votre grâce change aifé- ment ce qui paroît de plus trifi:e & de plus rebutant dans votre maifon , en un joug doux &: agréable , qui va faire toute la P/. 29. JQjg g^ ^Q^^ |g bonheur de ma vie : Con-
vertijli plancium meum in gaudiiim mihi ^ & circumdcdijli me lœtitlâ. Seconde ten- tation de la vie Religieufe : la tentation du dégoût.
Enfin la dernière efl celle que j'ai appel- le lée la tentation des exemples ; & c'eft en- core un des plus dangereux écueiJs de la vie Religieufe. Oui , ma chère Sœur 5 quelque fainte que foit la maifon où la Pro- vidence aujourd'hui vous attache ; quoique Dieu y foit fervi avec tant de bénédiction , Sl qu'elle conferve encore le premier eC- prit de zele , de charité , de fidélité qu'elle reçut des mains de fou bienheureux Fon-
POUR UNE Profession Relig. 33 i dateur ; néanmoins parmi tant de Vierges fidelles & ferventes , il eft difficile qu'il ne s'en trouve encore quelqu'une qui fe traîne dans la voie de Dieu ; en qui la foi pa- roiifeplus foible, la piété plus languiifante, la grâce de la vocation plus douteufe , les difpoiîtions plus terreflres ; en un mot , toute la conduite plus humaine.
Or rien n'eft plus à craindre que la ten- tation de cet exemple. Car 5 ma chère Sœur , il c'étoient des exemples d'un dé- règlement ouvert & déclaré 5 jufques ici inouis dans cette Maifon fainte 5 on feroit en garde ; & ils ne trouveroient en vous que l'indignation & l'horreur qu'ils méri^ tent ; mais ce font des exemples qui s'of- frent à nous fous une couleur fpécieufe d'innocence ; qui ne nous préfentent que des adouciffemens légers & prefque né- celfaires à la foibleife humaine ; qui s'infî- nuent même à la faveur de nos penchans ; qui pour toute apologie , n'ont befoin que d'une feule de nos Sœurs , qui ofe nous les montrer ; & qui trouvant au-dedans de nous une fccrette conformité qui les autorife , paroiifent plus innocens , parce que c'eft notre cœur même qui les juftifîe. D'ailleurs comme ces Vierges infidelles font celles d'ordinaire , dont la fociété eft plus douce & plus commode , le cara(5^ere plus liant 5 les manières plus prévenantes ; on a d'autant plus de peine à fe défendre de leur exemple , que leur fociété nous ga- gne ôc nous attire : on forme des liaifons
332. IL Sermon
fatales à la régularité : les pencliahs qiu nous iiniiTent , forment bientôt des mœurs femblables; & le relâchement ne tarde pas de nous paroître innocent pour nous , dès qu'il nous a paru innocent dans les autres-. Combien d'Epoufes de Jesus-Christ , d'abord fideiles & ferventes , ont vu échouer contre cet écueil leur première fidé- lité , & toute l'édification que promettoient à ces faints afyles , la ferveur & l'exacte régularité de leur commencement !
Mais quel remède , ma chère Sœur ^ contre une contagion il a craindre 5 mêmie dans le lieu faint ? C'eil premièrement , de ie dire à foi-même que Dieu permet ces exemples de relâchement dans Iqs mai- fons mêm.e les plus ferventes ^ pour éprou- ver les âmes qui lui font fideiles : ilfaut qu'il y ait des tentations dans les voies de Dieu ; & fi tout ce qui neus environne foutenoit la piété 5 nous aurions bien le mérite de la fidélité ; mais nous n'aurions pas celui de la force & de la réfifiance. C'eft en fécond lieu 5 de rappeller fouvent l'exemple de ces premières Mères , de ces pieufes Fonda- trices 5 qui vous ont frayé les premières voies de ce fervent ïnftitut ; qui répandi- rent dans FEglife une fi grande odeur de fainteté ; dont la piété étoit fi tendre , fi fimple & en même temps fi fublime 5 & qui forcèrent le monde même à les reipeâ:er &: à admirer le don de Dieu en elles : c'efi: de jetter quelquefois les yeux fur leurs portraits qu'étaient de toutes parts les murs
POUR L'?vE Profession Relic, 333 ^e ces Maifbns faintes ; & où elles fem- bJent encore vivantes , pour nous repro- cjier nos infidélités , & nous infpirer le même eiprit dont elles furent animées ; 8z par l'extrême différence que vous trouve- rez entr'elles & vous , vous exciter du moins à marcher de loin fur leurs traces. C'eft en troifiëme lieu , finis chercher des exemples dans les temps qui nous ont pré- cédés , de vous propofer fans cefTo celui des Vierges ferventes , qui marchent ici à vos yeux avec tant de fidélité dans la voie du Seigneur : c'efl de ne point per- dre de vue celles de vos Sœurs , qui tra- vaillent avec plus de courage pour atteindre à la perfection de leur état : c'eil d'étudier leur conduite , aimer leur fociété-, recher- cher leur confiance. Les exem.ples doi- vent faire d'autant plus d'iraprellion fur vous , qu'ils font ici plus communs ; & que. de quelque côté que vous regardiez 5 vous les trouvez par-tout fous vos 3^eux. Mais encore plus que tout cela , c'eil en dernier lieu , de jetter vos regards fur cette grande & pieufe Reine , '^ dont la préfence ho- nore ici votre facrifice ; qui renfenrée dans l'enceinte de ces murs facrés , vient puifer tous les jours aux pieds des autels les feules confolations capables de foutenir une ame fTdelle ; anime par fon exemple les Vierges faintes au milieu defqueîles elle vit ; les devance m^ême dans les voies de la grâce , &dans la pratique des faintes ^ Lj. Reine d'Angleterre» . -
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IL Sermon
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obfervances ; leur montre plutôt fes ver- tus 5 que fa grandeur & {qs titres ; & vous apprend que plus on ell élevé , plus on voit de près le néant de toutes les chofes humaines.
Ainfî j ^la chère Sœur , fouffrez que je fînifTe cette première Partie de mon dif- cours , en vous adrellant les mêmes paroles que jfaint Cyprien adrefibit autrefois aux faints Confeilëurs de la foi , lefquels après s'être généreufement expofés pour Jes us- Christ dans le temps de la perfécution , commençoient durant la paix à fe relâcher de cette première fer\'eur qui les avoit fait renoncer à tout & courir au martyre. Souffrez , dis-je , que je vous adrelTe les mêmes paroles , puifque la démarche que vous allez faire eft une confeiïîon publique &: généreufe de lafoi de Jesus-Christ ,& un martyre de foi & de pénitence auquel vous courez. Il eft inutile , leur difoit ce grand Evêque , & je vous le dis ici de même , il eft inutile d'avoir renoncé à tout pour confeilér une fois publiquement Jesus- Christ , fi en mourant tous les jours ait monde & à vous-même , votre vie n'eft pas une confeïïion continuelle de fon nom , & commue un martyre perpétuel de foi & d'abnégation. Vous devez après de fi beaux commencemens , ne trouver plus rien qui vous attache , & qui vous emipê- che d'avancer : Danda opéra eft , ut pojî hccc initia , ad incrementa qiioquz vzniatur. Il faut que la grâce ^ qui vous a fait faire 5
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POUR UNE Profession Relig. 335 avec tant de générofîté , cette première dé- marche 5 aille toujours en croiffant : Et confummetur in vobis qiiod jam rudimentis fdicibus ejfc cœpijîis. Il eft beau d'avoir acquis un titre faint & glorieux de Confef- feur , d'Epoufe de Jesus-Christ, en renon- çant à tout pour lui ; mais ce n'eft rien , fi la fuite de votre vie ne foutient pas la fain- teté & Texcellence de ce titre fublimc : Pariim eft adipifii allquid poîuiffè ; plus ejî quod adeptus es poffe fervare.
Mais c'eft afTez , ma chère Sœur , vous prévenir contre les tentations de l'état faint que vous embrafiez. Vous portez dans la grâce d'une vocation finguîiere , & dans la ferveur avec laquelle vous y répondez , toutes les précautions & tous les remèdes marqués dans ce difcours. On ne vous a montré les pièges , que pour animer votre charité envers celles de vos Sœurs , qui pourroients'ylaifierfurprendre. Ilefl temps de tirer le voile qui cache toutes les beautés & toutes les richejTes du Sanéluaire où vous voulez aller entrer ; de vous y promettre , & d'expofer à vos yeux tout ce que vous y attendez ; & de vous entretenir des avan- tages & des confolations de la vie Reli- gieufe , où la miféricorde de Jesus-Christ vous appelle.
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'A terre où vous allez entrer, doit être votre poireillon éternelle , difoit autrefois le Seigneur à fon peuple , eft bien diiîcrente de TEgypre , d'où vous venez de
II.
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obiervances ; leur montre plutôt Tes ver» tus , que fa grandeur & fes titres ; & vous apprend que phis on ell élevé , plus on voit de près le néant de toutes les chofes humaines.
Ainfî 5 ^la chère Sœur , foufFrez que je finifTe cette première Partie de mon dis- cours , en vous adreffant les mêmes paroles que faint Cyprien adrefibit autrefois aux faints Confeilëurs de la foi , lefquels après s'être généreufement expofés pour Jesus- Christ dans le temps de la perfécution , commençoient durant la paix à fe relâcher de cette première ferveur qui les avoit fait renoncer à tout & courir au martyre. Souffrez , dis-je , que je vous adreiTe les mêmes paroles , puifque la démarche que vous allez faire eft une confeiïîon publique &: généreufe de la foi de Jesus-Christ , & un martyre de foi &c de pénitence auquel vous courez. Il eft inutile , leur difoit ce grand Evêque , & je vous le dis ici de même , il eft inutile d'avoir renoncé à tout pour confeiîér une fois publiquement Jesus- Chrîst , fi en mourant tous les jours au monde & à vous-même , votre vie neH. pas une confeïïion continuelle de fon nom , & comm.e un martyre perpétuel de foi & d'abnégation. Vous devez après de fi beaux commencemens , ne trouver plus rien qui vous attache , & qui vousempê- Cypr, che d'avancer : Danda opéra eft , ut pojî •^f* ^V ^'^'^ initia , ad incrementa quoqiiz vzniatur, ^ il faut que la grâce j qui vous a tait laire 5
POUR UNE Profession Relig. 335 avec tant de générofité , cette première clé- marche 5 aille toujours en croilîant : Et confummetur in vobis qiiod jam nidimentis fdicibus ejfc cœpijîis. Il eft beau d'avoir acquis un titre faint & glorieux de Confef- feurjd'Epoufe de Jesus-ChrisTj en renon- çant à tout pour lui ; mais ce n'eft rien , fî la fuite de votre vie ne foutient pas la fain- teté & l'excellence de ce titre fublimc : Parîim eji adipifci aliqidd poîuijfc ; plus ejî quod adeptus es poffc fcrvare.
Mais c'eft aiTez , ma chère Sœur , vous prévenir contre les tentations de l'état faint que vous embralTez. Vous portez dans la grâce d'une vocation finguîiere , & dans la ferveur avec laquelle vous y répondez , toutes les précautions & tous les remèdes marqués dans ce difcours. On ne vous a montré les pièges , que pour animer votre charité envers celles de vos Sœurs , qui pourroientsylaiflerfurprendre. Ilell temps de tirer le voile qui cache toutes les beautés & toutes les richelTes du San6luaire où vous voulez aller entrer ; de vous y promettre , & d'expofer à vos yeux tout ce que vous y attendez ; &: de vous entretenir des avan- tages & des confolations de la vie Reli- gieufe , où la miféricorde de Jesus-Christ vous appelle.
ijA terre où vous allez entrer, oC qui partie doit être votre poii'eillon éternelle , difoit autrefois le Seigneur à fou peuple , eft bien diitérente de l'Egypte , d'où vous venez de
Il
;^35 IL Sermo n
Deuter. fortir : Terra quam ingredcris pojjidendam ^ ^^' ^°* non eff. ficut terra ^gypti de qiui cxijîi. Cette terre Iieureufeell: environnée de mantagnes & de forêts : Montuofa & campcjlris : le Sei- gneur l'habite & la vifite fans cefTe ; & fes yeux ne fe détournent pas de deffus elle de- puis le commencement de l'année jufqu'à îhid.f, la fin : Quam Domlnus Dcus tims fempcr ^^* invijït , Cf oculi illiiis in eâ fiint , à prin- cipio anni ufque ad fincm cjus : enfin elle n'attend & ne reçoit que du Ciel les rofées & les pluies qui l'enrichifTent & la ren- Ibid.f, dent féconde : De cœlo expeclans pluvicis. Et voilà 5 ma chère Sœur , ce que je puis vous dire aujourd hui de la terre heureufe où le Seigneur vous a choifi votre demeu- re 5 & les trois avantages de la vie Pveli- gieufe. Il n'en ell pas d'elle comme de l'Egypte, c'eft-à-dirc , du m.onde miférable & corrompu , d'où vous fortez. Le monde , femblable à l'Egypte, efl comme une plai- ne infortunée , où de toutes parts , on eil en proie aux traits enflammés de Satan ; c'eiî le lieu des tentations & des chutes : icic'ed une terre environnée de montagnes & de forets , inaccefTible à l'ennemi, 8i:qui n'offre de tous côtés que des remparts im- pénétrables à fes féduâ:ions ou à {es atta- Ihd. çpgg . Mofitiiofa & campcjlris ; c'eil-à-dire que lestentationsy font moindres; premier avantage. En fécond lieu , le Seigneur la vifrtefanscefle ; fes yeux ne s'en détournent jamais , & il y cil: toujours préfcnt pour protéger les. araes qui le fervent rQt^izm Do-.
minus
POUR UNE Profession Relig. 337 Kimus Dciis tumfcmper invifit: c'efl-à-dire, que les fecoiirs y font plus grands ; fécond avantage. , Enfin elle ne reçoit & n'attend que du Ciel les rofées & les pluies , qui tem- pèrent fa fécherefîe : elle en reçoit même abondamment ; & tandis que TEgypte ncH arrofée que par les eauxbourbeufes du Nil, les eaux du Ciel font ici toute la douceur êc toute la richelîe de cette terre heureufe : de cœlo cxpccîans pluvîas ; c'eft-â-dire, que les confolations y font plus pures Si plus abondantes ; dernier avantage.
Je dis donc en premier lieu , que les ten- tations y font moindres ; parce que les trois grands écueils de l'innocence des hommes , les trois grandes plaies qui infeôent pref- que le monde entier , n'exercent ici qu'à demi leur malignité & leur empire.
Es premièrement 5 le dépouillement re- ligieux y met à couvert de la tentation des richeiTes : premier écueii de la vie humaine. Et quand je dis la tentation des richeiTes , ma chère Sœur , que de tentations renfer- mées dans celle-là feule ! c'eft-à-dire en premiier lieu , cette complaifance crimi- nelle 5 qui fait qu'ony metfon repos , facon- folation, fa confiance & toute fa refTource ; qui fait que l'on goûte , comme l'infenfé de l'Evangile , le plaifir de jouir & de ne dé~ pendre de perfonne ; qui fait que le cœur s'attache & fe fixe à la terre ; qu'on la re- garde comme fa patrie Si fon héritage; que Tor & l'argent deviennent nos idoles , com- me dit l'Apôtre , Se notre feule divinité^
Oraifon funcbrc, P
?38 ÎLSeîimôè
qu'on' ne defîre plus les biens étemels ; qui fait en un mot, qu'on n'eft plus pour aiiilî ^ire , Chrétien ; qu'on a perdu la foi , j'en- tends la foi vive & opérante par la charité, ^ qu'on n'a plus de part aux promefTes, Où font les riches du fiecle , ma chère Sœur 5 à couvert de cette malédiâ:ion ? Jefus-Chrift femble les y envelopper tous. Qu'il eft difficile en effet que notre cœur fie foit pas où eft notre tréfor ! A l'attache- ïnent aux biens de la terre , ajoutez l'ufage injufle qu'on en fait : nouvelle tentation. Où font ceux qui en ufent félon les règles de la foi ; qui ne les font pas fervir à la fenfuali- té , au luxe , à l'orgueil , au crime ; & qui ne croient pas qu'ils ne nous font donnés , que pour ménager à nos fens tout ce que la vie chrétienne devroit nous interdire ? Je ne parle pas même des voies illicites par où on les acquiert. Hélas ! ma chère Sœur , où font ceux qui ont les mains pures & in- nocentes ? où font ceux , qui ayant fuccédé aux grands biens de leurs pères , n'ont pa^ jecueiUi une iuccelîion d'injuilice & d'ini- quité? où font ceux qui ne doivent , ni à des moyens douteux , ni à une induilrie fuf- peâe , ni à des ufages équivoques , ni à des emplois odieux , ni a des fervices injuftes , l'accroilTement de leur fortune ? Com.bien peu de profpérités innocentes ! que de maximes dangereufes ne fe forme-t-on pas. pour fe difpenfer , ou d'approfondir fes in- juflices 5 ou de les réparer ! que de règles 4e bieiiféance &: d ufage , pour ne pas fe
PûUR USE Professwk Relîc. 339 dépouiller de ce qu'on poflede injufle- menî ? que de prétextes pour ne pas payer des dettes qu'on accumule , & ne pas fe retrancher fur mille profulions , ou inutiles ^ ou criminelks ; tandis qu'on refufe à des- créanciers malheureux leur pain Se leur propre fubftance ! A tout cela , ma chère Sœur , ajoutez encore les loucis infépara- blés des richelTes , les accidens imprévus ^ les fortunes menacées ou renverfées , les affaires en décadence , les embarras à dé- mêler 5 les révolutions à foutenir , les foins mêmes pour conferver ce qu'on poifede y toujours plus pénibles que les foins mêmes qu'on a employés pour l'acquérir ; autant de tentations &: de pièges répandus fur les voies des enfans d'Adam.
Quel bonheur , ma chère Sœur, que ce- lui d'une Epoufe de Jesus-Çhrîst , qui en fe dépouillant de tout, ôte à l'enoemi tou- tes les prifes qu'il pouvoit avoir fur elle ! quel bonheur de ne pofieder y pour tout tréfor que Jesus-Christ y & de renoncer à des biens inutiles pour la paix du cœur y & dont l'iîfage , qui paroît le plus inno- cent 5 eft rarement exempt de péché ! quel bonheur de n'être riche que des biens de la grâce , que perfonne ne peut nous ravir y oc qui feuls nous accompagneront dans le Ciel ! quel bonheur de ne pas voir multi- plier nos befoins , nos foucis , notre dépen- dance , en voyant multiplier nos richeifes ,, & de nous débarraifer de bonne heure d'un poids qui entraîne prefque toujours aveq
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540 IL Sermon
lui dans le précipice ! enfin , quel bonheur de ne polTéder rien qui nous attache , d'être riche en ne defirant rien , & de polFéder tout en fe contentant de Dieu feul ! O mon Dieu ! mon unique héritage fera déformais Ta 128. ^'o^fovance de votre loi fainte : Portio ^. 57, mea 5 Domine , dixl cuftodire legem tuam. Trop heureufe , Seigneur , que vous vou- liez bien vous donner à moi , à la place d'un monde miférable & frivole , que je vous facrifie l Les infenfés regarderont peut-être comme une folie le choix que je fais aujourd'hui : ils viendront m'étaler les vains avantages que le monde fembloit me promettre. Mais , ô mon Dieu ! que ces difcours puériles , que ces fables font peu propres à toucher une ame pénétrée du bonheur qu'elle a de vous polféder , 8c de l'efpérance des biens ineftimables que vous préparez à ceux qui font toutes leurs déli- Ibid» ^^^ ^^^ votre loi fainte ! Narravemnt mihi 3f". 85, iniqui fabulaîiones , fed non ut lex tua.
Mais non- feulement le dépouillement re- ligieux vous met à couvert de la tentation des richeffes , & de tous les périls attachés â leur pofTeflion & à leur ufage; le facrifice jque vous allez faire à Jesus-ChRIST de vo- tre corps en le confacrant à une continence perpétuelle , vous rend fupérieure à la ten- tation de la chair : fécond écueil où le mon- de entier femble s'empreiTer & fe glorifier de faire naufrage. Je dis le monde entier : oui 5 ma chère Sœur 5 je n'entends pas feu- lement parler de ces paflions d'igaoniinie ,
POUR ^^-E pROTESsiov Relic. 341 dont on a tant de peine à fe défendre dans le monde ; dont les premières mœurs ne fontprefque jamais exemptes; qui fouillent fouvent tout le cours de la vie ; & que la juftice de Dieu permet quelquefois qu'on poulTe jufqu'à une vieilleffe honteufe &: dé- bordée : j'entends les dedrs de plaire , fi naturels , contre lefquels on n'elî point en garde , dont on fait gloire m.ême , & qui forment comme le crime continuel des commerces & des converfations mondai- nes ; ces defirs qui fe glilTent jufques dans les démarches les plus innocentes ; qui fouillent tant d'ames à leur infçu 5 & celle mêmes qu'une exa6î:e régularité rend d'ail- leurs irrépréhenlibles devant les homimes. J'entends encore les alTemblées , les plaidrs publics 5 où i'ufage & la bieiiféance nous forcent de nous trouver , & d'où l'inno- cence ne fort jamais entière: tant de pièges pour les yeux ; tant de fcandales pour la, pudeur ; tant de difcours de licence & de libertinages pour les oreilles. Et cependant voilà la vie du monde la plus innocente : au lieu que dans les afyles faints , tout infpire la pudeur , tout foutient l'innocen- ce ; tout ce qu'on voit , tout ce qu'on en- tend 5 ne porte que l'amour de la vertu 8c l'horreur du vice dans le cœur. Que dirai ^ je ? j'entends enfin les liaifons dangereufes que la fociété rend inévitables : ces liaifons qu'on forme fans le croire & fans le vou- loir ; aufquelles on fe livre fans fcrupuîe , parce que les commencemeiis en font tou-
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34^ II' Sermon
jour innocens ; mais qui venues à un cer- tain point 5 deviennent des paliïions , des engagemens honteux 5 des liens indiflblu- bles , dont on ne peut plus fe dcprendre ; & cependant c'eft la deftinée de celles même qui vivent avec plus de réferve , Se <5ui ne cherchent pas comme tant d'autres avec empreiTement , les occafions de plai- re & de périr. Mais dans ces lieux faints, on ne forme des liaifons que pour s'ani- mer à la vertu : c'eft l'uniformité feule des règles , des devoirs , des exercices de piété 5 qui nous lie ; & tout ce qui nous lie, nous inftruit, nous foutient, nous per- feâionne. En un mot , j'entends les périls mêmes du mariage ; les abus qu'on en fait; les dégoûts & les antipathies qui le fuivent ; les paffions fouvent qu'il allume & qu'il re- veille j loin de les calmer & de les étein- dre : tel eft le malheur du monde : les re- medes même de ce vice en deviennent les aiguillons. Hélas ! combien peu d'unions chaftes & fidelles ! que de divorces fcan- ■daleux ! que de mariages infortunés, ou par les débauches d'un époux emporté , ou par les entêtemens & les pafîions étrangères d'une époufe mondaine & dérangée ! O m.on Dieu ! tendez-moi donc cette main de aniféricorde , pour m'aider à fortir d'une région fouillée , où régnent la mort , la corruption & le péché ; & conduifez - moi dans un lien de paix & d'innocence , où je puiiTe bénir à jamais votre faint nom , & publier les merveilles de votre grâce fur
POUR vvE Profession Relic. 343 mon ame : Educ de cujiodiâ animam mcam pf, 14^ ad confitendum nomini tuo.
Que d'inquiétudes î que de périls ! que de tentations vous épargnez -vous donc , ma chère Sœur , par le iacriflce de votre corps que vous faites à Jesus-Christ , en le prenant aujourd'hui pour votre Epoux ! Mais le facrifice de votre efprit & de votre volonté que vous allez lui faire , par le vœu folemnel d'obéifTance , ne vous fauve pas moins de chûtes & d'embarras , qui fuivent toujours l'ufage capricieux de notre liberté. Car , ma chère Sœur , ce que le m.onde nous fait tant valoir comme fa fou- veraine félicité ; cette liberté , cette indé- pendance qu'il nous vante tant , c^^ pré- cifément la fource de cet ennui qui empoi- fonne tous (qs plaifîrs : c'eil: là le fupplice continuel des âmes mondaines 5 de vivre fans règle & au hazard ; de ne confulter que le goût & les inégalités de l'imagina- tion; d'être incapables de fuite & d'unifor- mité ; de mener une vie qui ne fe reffemble jamais à elle-même; où chaque jour amené de nouveaux goûts & de nouvelles occu- pations ; où prefque jamais rien n'eft à fa place ; où l'on fè porte foi-même par-tout , & où par-tout on eft à charge à foi-même; ime vie incertaine , inégale , oifeufe dans fon agitation; une vie qu'on nomme libre , mais d'une liberté qui nous pefe ^ qui nous embarralFe , dont nous ne favons fouvent quel ufage faire , où l'on elfaie de tout. Se où l'on s'ennuye de tout. Non , ma cherç
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Sœur, les hommes font trop légers , trop inconilans , trop foibles , pour fe conduire tout feuls : il leur a fallu des loix pour les fixer dans la fociété ; il leur en faudroit pour les fixer avec eux-mêmes.
Mais dans la vie Religieufe , tout efl ré- glé : on n'efl point ici livré à foi-même : chaque moment a fon emploi marqué ; chaque heure fon œuvre prefcrite ; chaque journée fon ufage déterminé. L'inconftance naturelle eu ici Rxée par l'uniformité des règles : on ne donne rien à la bizarrerie du goût 5 qui nous laiffe toujours inquiets 8c pleins de nouveaux defirs : on donne tout à la foi 5 à l'ordre , à l'obéilfance qui nous laiffe toujours tranquilles &: contens. La tentation de l'ennui , de l'inutilité , de cette inaérion éternelle , où l'on vit dans le mon- de 5 n'efl point ici à craindre : tous les jours font pleins ; tous les momens occupés : toute la vie arrangée : on n'y vit point au hazard , & fous la conduite fi incertaine 8c toujours dangereufe de foi-même : on y vit fous la main des règles , pour ainfî dire , toujours sûres , toujours égales ; que dis- je ? fous la main de Dieu même qui fe charge de nous , dès que nous nous fom.- mcs dépouillés de nous-mêmes ; on n'y traîne pas fon ennui de lieu en lieu , on y porte par tout la joie , parce qu'on porte par-tout l'ordre de Dieu qui nous y amené: & quand même le goût fe refuferoit quel- quefois à la règle , l'ordre de Dieu nous y foutient ; 8c nous paye à Tinilant par une
POUR Uh'E pROFESSIOSt ReLIQ. ^4^ joie & une confolation fecrette de la ié- gere violence que nous venons de nous hiire. O fille de Sion ! s'écrie un Pro- phète j hâtez-vous donc de fuir de Baby- lone : dérobez-vous aux ennuis de cette trifte captivité ; & venez refpirer dans le lieu faint cet air d'innocence & de li- berté 5 dont le monde n'a que le nom , & dont vous aurez ici le plaifir &: l'ufage : O Sion , fugc 5 quœ habitas apud filiam Zac^ Bahylonis ! 2. 7»
Mais 5 ma chère Sœur , quoique les tentations foient moindres dans la vie Religieufe , les fecours en fécond lieu , y font cependant plus grands. Je dis les fecours : les fecours de la retraite. Hé- las ! ma chère Sœur , quand il n'y au- roit ici que ce feul avantage d'y être à couvert des périls dont le monde ell: plein ; de n'y être plus à portée de {es prétentions , expofée à fes agitations & à fes vicifîitudes 5 afîujettie à £e.s ufages & à bicnféances , de n'y voir que de loin {qs dégoûts , {es chagrins & fes ca- prices ; de ne tenir plus à lui par àes ménagemens quelquefois juiles , mais tou- jours funeftes à la piété : quand il n'y auroit que ce feul avantage ; hélas ! les miféricordes du Seigneur fur vous ne fe- roient-elles pas dignes d'une reconnoiC- fance éternelle ?
Le fecours des exercices religieux , qui m.orîifient les pafîions , qui r.églent les fèns,, qui nourriffent la ferveur , qui anéantiieat
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peu-à-peiî l'amour propre , qui perfe61:îon- iient toutes les vertus. Dans le monde , toutes les occupations font des périls , ou des crimes : tous les devoirs font des écueils ; toutes les bienféances font des inutilités ou des pièges. Ici , ma chère Sœur 5 toutes les occupations font des vertus 5 ou des fecours qui y conduifent : tous les pas tendent vers le Ciel ; les œu- vres mêmes les plus indifférentes ont leur mérite par l'obéilTance qui les règle : tout foutient au dehors 5 & Ton n'y peut trou- ver d'écueil que dans foi-même.
Le fecours des exem.pîes. Quel bon» îieur de vivre parmi des vierges fîdelîes ^ qui nous infpirent l'amour du devoir , qui nous le rendent aimable ; qui nous fou- tiennent dans nos dicoiTagemetiS ; qui nous animent dans nos dégoûts ; 8c qui portant le joug avec nous , en adoucilTent la pefanteur ! Dans le monde , il faut fans ceffe fe défendre de tout ce qui nous envi- ronne. Ici tout ce qui eil autour de nous y nous inRruit ; quelque vite que nous mar- chions dans la voie de Dieu , nous en voyons toujours qui nous devancent ; &: dans ces momens de dégoût , où les for- ces femblent nous mianquer j nous fom- nies comme portés par le mouvem.ent unanime de nos Sœurs , qui fourniffent la fhêmie carrière.
Les fecours de la charité , des atten- tions ^ des prévenances de nos Sœurs. Quelle douceur d'avoir à paffer le relie
POUR utiE Pp.ofession Reljq, ^4y- de fes jours , au milieu des perfonnes qui nous aiment , qui veulent que notre fa- lut ; qui font touchées de nos mallieurs , fenfibles à nos affligions , attentives à nos. befoins , fecourables dans nos foibleiïes ; toujours prêtes à nous ouvrir leur cœur , ou à recevoir les effudons du nôtre , 8c de nous faire trouver dans la fîncérité de. leur tendrelTe & de leur charité , toute la relTource & la plus grande confolation ds notre vie ! Il s'en faut bien , ma cher© Sœur , qu'on ne puiiîe fe flatter d'un feirir blable bonheur dans le monde : hélas ! on y vit au milieu de {qs ennemis ; ceux mê- mes que l'amitié nous lie , ne tiennent d'ordinaire à nous que par des liens d'in- térêt j de bienféance , ou de caprice : on s'y plaint fans ceffe qu'il n y a point d'ami véritable , parce que ce n'eft pas la charité & la vérité qui lie les cœurs. Ici tous les cœurs font à nous parce qu'ils font tous au mêm.e maître que nous : c'eft le même intérêt qui nons lie , la même efpérance qui nous unit ; & nous trouvons dans cha- cune de nos Sœurs 5 tout ce qu'elles trou- vent à leur tour en nous-mêmes.
Le fecours des avis & des fages con- feils , qui nous redrelTent fans nous aigrir ; qui nous guérifTent fans nous faire une nou- velle plaie ; qui préviennent nos fautes , ou qui en deviennent auflî-tôt le remède. Dans le monde , on ne trouve , ou que des flatteurs qui nourrifTent nos foibîeiTes ^ ou que des ceiifeurs qui les exagèrent. Ici
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la même charité qui nous montre nos fau- tes 5 y compatit & les cache ; & fi nous n'avons par le bonheur de vivre exempts de défauts 5 nous avons du moins la confola-^ tlon de vivre exempts d'erreurs , & de ne pas ignorer ce que nous fommes.
Que dirai-je enfin ? le fecours des prie- les & des gémiffemens de ^os Sœurs j qui s'intéreffent pour nous auprès de Dieu , qui attirent fur nous fes miféricordes , qui lui offrent leur ferveur , leur vigilance ,. leurs aufîérités , pour remplacer nos m.o- mens d'infidélité & de parefTe ; qui joi- gnant leurs vœiîx & leurs foupirs aux nô- tres 5 donnent une nouvelle vertu & un nouveau mérite à nos prières.
A tous ces fecours extérieurs 5 ajou- tez 5 ma chère Sœur 5 les grâces intérieu- res que le Seigneur verfe ici avec abon- dance félon fa promefie : & qui non-feu- lement adouciffent fon joug & les ri- gueurs apparentes de ces fainîes folitudes , mais qui nous les rendent aim^ables, & en font toute la douceur & toute la confola- tion de notre vie-.
Que de fecours , ma chère Sœur , la miféricorde de Jesus-Christ vous pré- pare dans ce faint afyle ! que de fcutiens pour votre foibleffe ! que de sûreté pour f innocence de votre âge ! que de remparts contre vous-mên:e ! que de facilités pour tous vos devoirs 1 que de remèdes pour tous vos m/aux ! que de reffources pour tous les événemens de votre vie ! Et tan-
rovR UNE Profession Relic. 349 dis que tant d'ames dans le monde vivent an milieu des écueils & des précipices , fans défiance , fans fecours , en proie à tout ce qui les environne ; expofées au- dehors à tous les ennemis de leur falut ; vuides au-dedans de ces dons finguliers de foi 8* de grâce , qui rendent tous les «fforts de Satan & tous fes pièges inuti- les ; que les mifériccrdes du Seigneur fur vous 5 ma cherc Sœur , font uniques &: admirables ! lui , comme dit le Prophète y qui délivre votre ame de mille morts que le monde vous préparoit : Qui redimiî de ^•^'^?^' intcntu animam tiiam ; lui qui vous com- ble & vous couronne de (es dons & de {es grâces : Qiii coronat te in mifericordiâ & mifcraîionihus ; lui qui vient au-devant même de vos deiirs , qui vous accorde toutes les demiandes de votre cœur , en vous ouvrant ces portes facrées , & qui fembîe prodiguer en votre faveur fes biens & tous les tréfors de fes richelTes : Qui replet in bonis defiderium tiium : lui enliii qui renouvellera ici fans celTe votre forCe , & qui prolongera jufqu'à la vieilîefle la plus avancée , toute la ferveur & toute la fainte vivacité de votre premier âge : Reno- vahitur ut aquilœ juventus îua.
Revêtez-vous donc , ma chère Sœur , avec un cœur pénétré de reconnoîifance j de ce voile religieux qui va vous mettre déform.ais à couvert des fédudions du monde & des attaques de l'ennemi r re- gardez les vêtemens faerés dont la Reli»
3^o IL Sermon
gion vous revêt aujourd'hui , 6c qui vont fuccéder aux dépouilles du liecle ; regar- dez-les comme les figues éclatans de votre délivrance , & les témoignages éternels de la bonté de Dieu pour vous , & li Ton vous demande un jour , comme autrefois aux Juifs j ce que figniiient ces miarques extérieures de confécration & de facrifice Veuîer, dont vous allez être revêtue : Quid fihi 6. 20. yolujit tcjlimonia hœc 1 répondez hardi- ment comme eux : Nous étions efclaves' en Egypte ^ & nous gémiflbns fous le joug de Pharaon ; &: le Seigneur a opéré un prodige éclatant en notre faveur pour nous en délivrer ^ & nous conduire dans une terre fainte , où nous célébrons fans cefle le fouvenir de {ç,s merveilles , &: la lhid,f, gloi^^ ^c ^'^^ Nom : Servi eramus Pharao- 21. nis in JEgypto , & eduxit nos Dominus in manu forti.
Et voilà 5 ma chère Sœur , les confb- lations que la miféricorde de Dieu rafiem- ble dans la vie Reîigieiife ; dernier avan- tage dont je devois vous entretenir : mais il faut finir. Oui , ma chère Sœur , que ne puis-je vous expofer toutes les dou* çeuis que vous allez goûter dans la retraite fainte 5 où la grâce aujourd'hui vous ap- pelle ! cette paix du cœur que le monde ne connoît pas , & que le monde ne fau- roit donner ; cette joie qui fort du fond d'une confcience pure : ce calme heureux dont jouit une arne morte à tout ce qui ?giîe les enfans d'Adam ; ne goûtant que
TOUR u^E Profession Relig, 351 Dieu feul , ne defirant que Dieu feul , & ne s'étant réfervée que Dieu feul. Quel repos , ma chère Sœur ! quelle innocence de vie î les pafîions tranquilles , les pen- chans réglés ; tous les defîrs éteints , hors celui d aller jouir de Jesus-Christ; l'ima- gination pure , les goûts innocens , i'efprit ibumis & paiiible • l'ame toute entière dans la paix & dans la joie du Seigneur.
Tels font les trois avantages de la vie Religieufe ^ 6^^ l'acccmpliffement des pro- mefîes que le Seigneur dans fon Prophète fait à cette portion pure de fon troupeau , à ces époi>îfes fidellcs & ferventes , à ce peuple nouveau & choifi. Il habitera dans un féjour de paix lEtfedcbit inpidchri- If,itl tiiaine pacis ; premier avantage ; les ten^ 'S» îations y font moindres. Il habitera fous des tentes de sûreté & de confiance : Et in tabernaculis fiduciœ ; fécond avantage ; les fecours y font plus grands. Enfin il ha- bitera au milieu des richelTes &: des dou- ceurs de l'abondance : Et in reqiiie opu- lenîâ ; dernier avantage ; les confoiations y font plus abondantes.
Que pourrois-je vous dire ici à vous , mes Frères , qui avez le malheur de vivre dans le m^onde ? ( car ces cérémonies Re- ligieufes ne doivent pas être pour vous un iimple ipe(ftacle j mais une inilruâiion ; ) que pourrois-je vous dire ici ? de fortir du monde , où l'ordre de Dieu & les devoirs de votre état vous retiennent ? non , mes Frères j niais de tacher de vous faire des
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périls mêmes , des embarras & des amer- tumes du monde , une voie de falut : vous y trouverez , je l'avoue , plus de difficul- tés ; mais tout eil poffibîe à la grâce. Vous enviez le calme & riieiireufe tranquillité , où vivent ces Epoufes de Jesus-Christ : vous la comparez aux agitations éternel- les 5 aux craintes , aux chagrins , aux per- plexités , à ce tumulte d'afeires , de pa£- iîons 5 de devoirs , de bienféances , qui ne vous lai/Tent pas un moment tranquil- les. Mais 5 mes Frères , ce n'eft pas la re- traite précifément qui donne la paix du cœur , c'efl l'innocence de la vie ; ce font des mœurs conformes à la loi de Dieu : vivez bien , & vous ferez heureux. Vous ne trouvez point le repos , parce que vous le cherchez où il n'eft pas ; dans la faveur , dans l'élévation, dans les plaiiirs . fouvent même dans le crime : tout cela trouble , lalTe , ronge , remplit le cœur de poifon & d'amertumie ; vous le favez : cherchez- le en Dieu feul , & vous le trouverez : lui feul eu un Dieu de paix Si de confola- tion. Le crime n'a point fait jufqu'ici d'heu- reux ; ne vous y prom^ettez pas une devi- née pîus favorable que celle de tous les pécheurs qui ont marché avant vous dans Jes voies trilles & ameres de l'iniquité. Notre cœur n'efl fait que pour la vertu & pour l'innocence : tout ce qui le tire de- là , le tire de fa fituation naturelle & pri- mitive 5 & le rend malheureux. Quel bcn- Jieur pour nous ^ mes Freies y de ne pou-
POUR TNE Profession Relïg, ^f^ voir abandonner Dieu fans qu'il nous en coûte 5 fans que notre cœur fe révolte contre nous-mêmes ! Et ne fommes-nous pas bien criminels , d'acheter au prix de tout notre repos , notre infortune éter- nelle ?
Grand Dieu ! que tardai -je donc en effet de vous rendre un cœur , convaincu tous les jours par fon inquiétude dans le crime , qu'il n'efl fait que pour vous ? pourquoi m'obftinai-je à chercher dans les créatures cette paix &: cette félicité chimérique que je n'ai pu y trouver juf- qu'ici ? pourquoi foutenir plus long-temps des dégoûts & des rem.ords affreux , qui empoifonnent toute la douceur de ma vie ; moi qui n'ai qu'à revenir à vous , ô mon Dieu ! pour voir commencer mon bon- heur & finir ma mifere ? Des Vierges (im- pies 5c innocentes raviffent le Ciel à m.es yeux 5 & fans balancer , renoncent à tout dès l'entrée même de la vie , pour s'affu- rer vos promeffes éternelles ; & depuis tant d'années que je gémis fous le joug du monde & des paflions , 5c moi déjà bien avancé dans ma carrière , je n'ai pas la force de me dégager des chaînes fatales qui m'accablent , & vous confacrer les relies d'une vie infortunée , que le monde & les pafîîons ont jufques ici toute occu» pée 1 O mon Dieu 1 laiffez-vous toucher à mes malheurs 5c à m.a foibleffe : répandez toujours des amertumes fur mes paflions iafenfées , ôc ne vous laffez pas de me
354 ^^' SeiimO}^^ &c.
pourfulvre & de me rendre malheureux ^ jufqu'à ce que je me fois lafTé moi-même de vous fuir 5 & d'aimer mon infortune : afin que revenu à vous , ô mon Dieu ! je puilTe enfin pofTéder mon cœur dans la paix & dans la joie 5 & attendre cette paix éternelle que vous avez préparée à ceux qui vous aiment.
Alnfi foit-lL
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TROISIEME
SERMON
Pour une Profession Religieuse,
Hsec eft voluntas Dei , fanftifîcatio veftra.
La volonté de Dieu ejl que vous foyc^ faints, I. Tlieir. 4. 3.
LA fainteté eiï la vocation générale de tous les Fidelles : il faut être faint pour être chrétien ; & la vie éternelle que nous attendons tous y n'eft promife qu'à la fain- tçté à laquelle nous fommes tous appelles.
Il n'elî là-defîlis aucune exception : le libre & lefclave , le puiiïant & le pauvre , la Vierge confacrée au Seigneur & la fem- me partagée entre Jesus-Chrtst & les fol- licitudes du fiecle , tous ont la même efpé- rance &: la même vocation : la règle eft ici commune ; & nul ne peut prétendre au falut 5 s'il n'eft faint.
Il ne s'agit donc , ma chère Sœur , que d'examiner en quoi confifte cette fainteté y fans laquelle nous ne jouirons jamais de Dieu 5 Se ce que la fainteté de la vie Keli-
^ 5<^ 1 L 5" £ R M 0 N
gieufe , que vous embralTez ^ ajoute à la
fainteté de la vie chrétienne.
La fainteté de l'homme confifte à ren- trer dans l'ordre & dans la beauté de fa première iiiftitution , & à réparer autant qu'il ell pcfFible , tous les dommages que le péché avoit d'abord fait en lui , à l'ou- vrage de Dieu ; car afin que l'homme foit faint 5 il faut pour ainfi dire , qu^il rede- vienne tel que le Seigneur i'avoit d'abord fait : cr le péché , quia fait décheoir l'hom- me de fa fainteté , a été en lui la fource de trois défordres , que faint Jean appelle trois concupifcences.
Premièrement , il a révolté la chair Se les fens contre l'efprit : Famé , fupérieure au corps & maîtreffe de fes mouvemens , eu efl devenue comme l'efclave : de forte que nous ne faifons pas toujours le bien que nous voulons , mais fouvent même , comme dit l'Apôtre , nous faifons le mal que nous ne voudrions pas ; <k. c'eft ce que faint Jean appelle la concupifcence de la chair.
Secondement en chafTant Dieu de no- tre cœur qui le rempliifoit tout entier , le péché y a laiiîé un vuide affreux & une in-' digence extrême ; de forte que l'homme depuis 5 pour remiplacer ce vuide , a ap- pelle toutes les créatures dausfon cœur ; en a fait {es divinités &: fes idoles ; s'efl atta- ché fucceffivement à tous les faux biens qui étoient autour de lui & qui l'éblouif- foient , & a cru foulager ainfi la privation
POUR USE Profession Kelig, i^j
an bien foiiverain & l'indigence intérieure où le péché Favoit d'abord laiilé ; & voilà ce que le même Apôtre appelle la concu- pifcence des yeux.
Enfin fa propre mifere a rendu l'homme vain & orgueilleux : plus il a fenti fa baf- fefTe 5 fa corruption & fon impuilTance , plus , pour s'étourdir fur un fentiment fi humiliant , il a afîeâé au dehors de force , de grandeur , d'indépendance ; plus il a voulu exhaulîer fa baiTeffe par tout ce qui étoit hors de lui ; au défaut de l'innocence , qui faifoit fa véritable & fa première gran- deur 5 il a appelle à fon fecours les titres , les dignités , la gloire , la naiifance : de tous ces biens qui font hors de lui , il s'eil formé une grandeur imaginaire qu'il a prife pour lui-même ; &: comme les téne- JDres font toujours la jufie peine de l'or-
fueil 5 il a voulu être admiré & applaudi ; c a cru que l'homme pouvoit être grand par d'autres titres , que par ceux que la main de Dieu avoit gravés dans fon ame ; troifieme défordre , que faint Jean appelle l'orgueil de la vie.
La fainteté de Ihomme confifte donc à remédier à ces trois défordres ; parce que plus nousles réparons, plus nous nous rap- prochons de ce premier état de juflice 6c d'innocence, où nous avions été créés. Les Philofophcs , qui n'avoient pas connu ces trois plaies , n'avoient garde d'en prefcrire les remèdes aux hommes ; & leurs pré- ceptes n'étoient que comme des vêtemcns
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pompeux & inutiles , qui couvrent un ma* îade tout gangrené. Jefus-Chrift tout feul , le fouverain Médecin des âmes , pouvoit les guérir: fa dodlrine feule nous en montre les remèdes fpécifiques ; & comme les trois vœux de notre Baptême iie font qu'un pré- cis de fes préceptes & de toute fa dodrine, ils renferment auiîî tous les remèdes , qui feuls peuvent guérir les trois défordres , du péché 5 & rétablir les hommes dans leur premier état de fainteté ôc de juftice.
Car premièrement , en renonçant à la chair , premier vœu de notre Baptême , nous nous engageons à ne plus fuivre fes defirs 5 qu'autant qu'ils feront conformes à la loi de Dieu , & à la tenir fans ceife fou- mife à l'eiprit ; & voilà dans le premier en- gagement de notre Baptême , le remède qui répare le premier défordre du péché. Secondement , quand nous renonçons au monde St à fes pom.pes , fécond vœu de notre Baptême 5 nous promettons que le inonde & tout ce qu'il renferme , ne par- tagera plus notre cœur avec Dieu ; & qus nous nierons de tous les biens qui nous en^ vironnent 5 com.me des étrangers-qui palfent & qui n'y mettent pas leur af^ëÔion ; fe^ cond remède du fécond défordre du péchç dans la féconde promelTe de notre Baptême. Enfin y en difant anathême à Satan , qui eft le premier modèle de l'orgueil & de l'indépendance , dernier vœu de notre Bap- tême y nous nous reconnoiifons pécheurs ^ iiuféjables : nous coiifeffons à la ^çe
POUR UNE PROFEWÔN ReLIC. 35^ clés autels , que loin d'être femblables aux Dieux 5 comme cet ennemi du genre hu- main l'avoit promis à nos premiers pères , nous fommes mêmes déchus de l'exel- l.ence de la nature humaine , & que nous avons befoin d'un Libérateur qui nous dé- livre de tous nos maux : par cet aveu nous nous foumettons à Jefus-Chrill , comme à notre réparateur Se à notre maître ; &: nous promettons de ne plus chercher notre grandeur & notre délivrance 5 que dans f humble aveu de nos miferes ; troifieme défordre du péché réparé par le troifieme engagement de notre Baptême.
Voilà , ma chère Sœur , dans ces trois vœux , tous les engagem-cns de la vie chré- tienne y & l'unique voie de fanéiification marquée à tous les hommes. La vie Re- ligieufe , que vous embralTez 5 n'ajoute de nouveau à ces trois obligations eilentielles à tous les chrétiens , que des m.oyens qui en facilitent robfervance. AufTi les faints Inflituteurs ont renfermé tous les engage^ mens de votre état , dans les trois vœux de Religion , qui répondent aux trois vœux de votre Baptême ; qui n'en font pour ainfî dire , qu'un renouvellement , & une nou- velle profelîion , & qui renferment feule- ment de nouvelles facilités pour s'en ac- quitter. Car premièrement , en confacrant votre corps à Jefus-Chriil par l'engage- ment d une virginité perpétuelle , ils ont voulu vous faciliter l'obfervance de la pre- ^liere obligation ds votre Baptême 5 par lar
L.
^6o ÎIL Sermon
quelle vous avez renoncé à la chair &î à fes œuvres. Secondement , la pauvreté & le dépouillement Religieux , n'eii: prefcrit que pour vous aider à renoncer facilement au monde & à fes pompes ; féconde pro- niefle de votre Baptême. Enfin le facrifice de la foumiffion &. de l'obéilTance , n'efl exigé que pour anéantir l'orgueil dans fa fource 5 & détruire tout ce que ce vice lailToit encore de commun entre vous & Satan qui en eft le père ; troifieme enga- gement de votre Baptême.
Or comme fouvent les perfonnes du monde croient que les devoirs de leur état font bien moins rigoureux , & plus aifés à remplir que ceux de Fetat Reli- gieux ; & que dans la Religion fouvent on le croit en sûreté dans une vie de tiédeur êc de relâchement 5 parce qu'on fe compare en fecret aux perfonnes du monde , Se qu'on fe trouve encore plus de régularité , plus de privations , plus d'auftérité qu'en elles ; il eft bon , pour inftriiire les uns & les autres , de marquer ici ce que les en- gagemens de la vie Religieufe ont de com- mun avec ceux de la vie chrétienne : ce qu'ils y ajoutent de plus ; & s'il eft vrai ^ commue on le prétend dans le monde , qu'il en coûte bien moins pour y faire fou falut , qu'il y a moins de devoirs pénibles à remplir que dans la vie Religieufe. Quel- ques réflexions fur les trois engagemens fo- lemnels que vous allez contrarier ^ ma chère Sœur , vont nous développer cette importante vérité. P^î
POUR t/Nr Profession Reliq, i6i
Ar le premier engagement de la vie Refl. Religieufe ,' ma chère Sœur , qui eft un en- gagement de continence perpétuelle , vous prenez Jesus-Christ pour votre Epoux : vous lui confacrez votre corps , vos fens , votre imagination : vous renoncez à tout lien qui pourroit vous partager entre lui 8c la créature : vous vous engagez à ne ja- mais chercher d'autre frein & d'autre re- mède à la fcibleife de la chair , que dans la mortification & dans la prière : vous re» noncez à tout ce qui peut fortifier l'empire des fens : de forte que cet engagement renferme deux devoirs. Le premier , c'ell rentière foumifîion de la chair à l'efprit ; devoir qui vous eft commun avec tous \qs Fidelks. Le fécond ; les moyens pour par- venir à cette foumifîion , dont le principal vous eft particulier & propre de votre état & les autres regardent également tous les Chrétiens.
Je dis premièrement , la foumîfîîon de la chair à l'efprit ; devoir qui vous eft com- mun avec tous les Fidelles. Oui , ma chère Sœur , la pureté que la fainteté de la voca- tion chrétienne exige de tous les Fidelles ^ ne fe borne pas à leur interdire certains défordres grolfiers & honteux , que Saint Paul défendoit même autrefois aux Chré- tiens de nommer. Elle va bien plus loin : comme tout Chrétien a renoncé à la chair dans fon Baptême ; & que par-là il eft de- venu faint , fpirituel , membre de Jefus-
Oraifon funèbre, Q
3^2 111, Sermon
Chrift 5 Se temple de rEfprit faint , il faut , pour remplir cette haute obligation , qu'il fe regarde comme un homme célelle ! con- facré par Tonôion de la divinité qui réfide en lui 5 & par l'union étroite & fpirituelle , qui de fa chair ne fait plus qu'une même chair avec celle de Jefus-Chrift. Il ne doit ïlonc plus vivre que félon Fefprit : non-feu- lement il ne doit plus faire fervir les m.em- hrcs de Jefus-Chrift à l'ignominie : non- feulement il eft obligé d'éviter les pjrofana- *ioiis publiques du temple de Dieu en lin : Snon-feulement tout ce qui fouille fa chair «fl un facrilege & un outrage fait au corps de Jefus-Chrift ; mais tout ce qui flatte en- core fes fens , tous les plaifîrs fenfuels qu'il jecherche & qu'il fe permet, tous les goûts •^ tous les delirs de la chair qu'il écoute irop j tous les plaiiirs même légitimes , où al ne cherche que la fatisfaâ:ion des fens , ibuillent & profanent fa confécration : car 51 n'eft plus redevable à la chair , pour vivre ifelon la chair : il faut qu'il facrifie à tout jnoment fes fens 5 fes penchans , fon imagi- nation à la foi , & que tout foit foumis en lui à la loi de Dieu. Voilà le premier devoir que la fainîeté de votre Baptême vous rend .comjmui avec tous les Fidelles : la parfaite ibumiflion de la chair à l'efprit.
Mais pour y parvenir , les Saints Fon- rlateurs vous ont prefcrit deux moyens : Le premier , qui eft propre de l'Etat Reli- gieux 5 eft la confécration entière de votre içprps ù Jçfus-Cbift 5 par le vœu de conti-
POUR UNE PrOVESSION ReLIG. 3^3
snence perpétuelle. Le fécond , la mortifi- cation & la prière ; moyen prefcrit & né- cefTaire à tous les Chrétiens , comme à vous 5 pour airoiblir Tempire de la chair , ^ la tenir afTuiettie à refprit.
Quand je dis que le premier moyen ell l'entière confécration de votre corps à Jefus-Chrift , qui efl propre de FEtat Reli- gieux 5 ce n'eft pas, ma chère Sœur , com- me je l'ai déjà remarqué , que le corps de tout Chrétien ne foit le temple de Dieu , confecré par l'onétion de l'ETprit-Saint ré- pandue fur nous dans le Baptême, & féparé de tout ufage profane par le fceau ineffaça- ble qui nous a marqués du {îgne du falut, Auiïi FEpJife regarde les corps àes Fidel- îes 5 après leur mort, comme des refies faints & précieux; comm.e des temples en- core animés par l'efprit inviiible qui rélide en eux 5 5c qui efl le gage de leur immxor- taiité : elle les place dans un lieu faint , elle les environne de lumière ; elle leur rend des honneurs publics , & fait brûler devant eux des parfums précieux , & la fumjée des cncenfemens. De-là vient que le Chrétien cil obligé de refpecler fon propre corps , r& de le pofféder avec-honneur ; que le lien iVième d'un Sacrement honorable établi pour la confommiation des Elus , efl un lien de pudeur & de iainteté : que l'union mu- tuelle 5 qui le rend indifîbluble , efl une union pure & fainte , pufqu'elle efl l'image de ruiîion de Jefus-Chrifl avec fon Eglif^î ; ik: que le Chrétien , qui deshonore fou
3^4 IlL Sermon
propre corps , eft , comme nous l'avons
dit 5 un profanateur & un facrilege.
A cette obligation générale , ma chère Sœur 5 vous ajoutez l'engagement particu- lier de la fainte virginité , qui confacre vo- tre corps 5 vos feus , votre cœur à Jefus- ChriH 5 d'une manière encore plus ^éciale; c'efl-à-dire , que pour tenir la chair fou- mife à l'eïprit , comme vous l'avez pronu's dans votre Baptême , les faints Fondaceurs ont cru qu'il étoit plus sûr & plus facile de lui interdire tous les plaifirs , que d'en ré- gler l'ufage. Aufîî ne croyez pas que le re- noncement à la fociété fainte du mariage , renferme tous les devoirs de la continence univerfelle que vous allez promettre à Je- fus-Chriit : tout doit être pur & chafle dans une Vierge confâcrée à la chafteté Reli- gieufe : vos yeux ne doivent plus s'ouvrir que pour le Ciel ; votre bouche que pour chanter des cantiques céleftes ; vos oreil- les 5 que pour entendre les m.erveilles du Seigneur & les vérités de la vie éternelle ; votre imagination ne doit plus vous retra- cer que des images pures & faintes , & les fjieâ:acles du fîecle à venir ; votre efprit ne doit plus s'occuper que de l'efpérance des biens futurs & des miféricordes du Sei- gneur fur votre àme. Voilà , ma chère Sœur 5 toute l'étendue de l'engagement de la fainte virginité que vous allez contracter. Les objets du monde & de la vanité , quel- cfue innocens qu'ils puifîent être , bleffent déformais ^a pureté de vos regards , les
POUR UNE Profession Relic, ^6^ difcours mondains que vous vous permet- trez 5 quand ils ne feroient qu oifeux & inu- tiles , fouillent la fainteté de vos lèvres : les récits des affaires &: des amufemens du fie- cle que vous écouterez , deshonorent la pudeur & l'innocence de vos oreilles ,: les ibins fur votre propre corps , s'il y entre la plus légère complaifance , ou la recherche la plus imperceptible de vous-même , vio- lent I^ pureté de la confécration : l'attache- ment charnel à vos proches , ou les liaifons trop humaines avec vos Sœurs , profanent la fainteté de votre cœur. L'époufe fidelle dans le monde eft occupée des foins de plaire à fon époux : on lui fouffre ce par- tage que le devoir & la tranquillité d'un lien facré rendent nécelfaire. Mais FEpoufe de Jefus-Chrift ne doit plus plaire qu'à lui feul ; tout ce qui partage fon cœur , la rend înfidelle : tous les foins qui ne tendent pas à s'attirer la tendrejfîb de cet Epoux célefte , & à lui donner des marques de la nôtre , bleffent fa jaloufîe , & donnent atteinte à la fidélité que nous lui avons jurée ; en un mot , ma chère Sœur tout ce qui n'eft pas faint 5 éternel , célefte , vous fouille , vous dégrade, vous avilit.
Telle eft l'excellence de la fainte virgi- nité qui va vous confacrer à Jefus-Chrift ; & voilà pourquoi les premiers Inftituteurs de la vie Religieufe ont joint à ce premier engagement les jeûnes , les veilles , les macérations 5 la prière. Ils ont regardé la mortification & l'oraifon , comme des de-
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voirs iiîfëparabies de la fainte virginité : ils ont compris qu'il étoit imporfible de con~ ferver le corps pur au Seigneur 5 fi la mor- tification n'en réprimoit les révoltes ; fi la prière n'en purifioit les defirs. L'état de la fainte virginité efl donc un état de miOrtifî- cation perpétuelle ; de prière tendre & fer- vente ;de vigilance infatiguable fur les fens: ce n'eft que par ces facrifices journaliers , que vous pouvez affurer la pofî'eflion de votre corps à l'Epoux célefte : l'immorti- £cation , le relâchement , la recherche des commodités 5 des fuperfluités & des aifes font comme des tranfgrefïions eifentielles de ce premier vœu de chafleté ; parce qu'ils en violent l'étendue , & que tôt ou tard ils en attaquent le fonds.
Et voilà 5 ma chère Sœur ^ l'avantage que vous avez fur les perfonnes engagées dans le monde. Comme vous , elles font obligées de conferver leur corps pur au Seigneur : de faire un pa6^e avec leurs yeux 5 pour ne pas même penfer à des objets défendus , dont ils font fans ceffe environ- nés ; de s'interdire tous les defirs qui pour- roient fouiller lame , quoique tout ce qu'ils voient, & tout ce qu'ils entendent , les reveille & les allume dans leur cœur. Mais pour en venir là 5 ils font obligés . comme vous & encore plus que vous , de fe miOr- tifier fans celle ; de veiller continuellement fur les fédu(5i:ions des fens ; de ne point ceiler de prier & de gémir , pour appeller le Seigneur au fecours de leur foiblelfe , &
POUR VNE PRoTESSJO'S! ReLICI 367 afin qu'ils ne les laiiTe pas à eux-mêmes au milieu des tentations & des périls innom- brables qu'ils trouvent par-tout fur leurs pas. Mais ces devoirs fî elîentieîs à cette vertu 5 qui nous confervent purs & fans ta- che 5 & fans lefquels nous ne faurions ré- pondre un moment de la fragilité de nos penchans ; ces devoirs 5 dis-je , deviennent comme impraticables au milieu du monde. Hélas ! ma chère Sœur ; la prière n'y eft inême , pour les plus réguliers 5 qu'un m.o- ment de bienféance & d'ennui , accordé le matin & le foir à ce faint exercice ; & loin de le regarder comme un devoir , à peine en connoît-on le nom & l'ufage ; & je n'eu fuis pas furpris. Le moyen en effet , d'ap- porter à la prière cet efprit tranquille & re- cueilli qu'elle demiande , lorfquè toute la vie eil une difîipation continuelle , que les affaires inquiètent , que les bienféances occupent 5 que lesplaifirs difiipent , que les inutilités amufent 5 que tout cela enfemble forme un tumulte , une agitation au dedans de nous , un éloignement éternel de foi- même 5 incompatible avec fefprit de la prière ! Le moyen d'y apporter un cœur fenfible à la voix de Dieu , & capable de goûter les vérités du falut : un cœur que Inille paffions rempliifent , que mille atta- chejnens humains partagent , que mille defirs terreftres appéfantiffent , que des ef- pérances y des projets , des jaloufies , des haines , de faulfes joies 9 des chagrins amers , des pertes , des bonheurs frivoles ^
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3^8 IIL Sermon
occupent tout entier ; un cœur à qui il ne refte de goût , de mouvement , de fenfibi- lité 5 que pour les chofes d'ici bas ? La prière fuppofe un efprit tranquille & re- cueilli 5 un cœur pur & libre ; &. pour prier utilement , il faut vivre ou defirer de vivre faintement.
La mortification n'y eft pas moins in- connue & impraticable que la prière. Hé- Jas ! ma chcre Sœur , comment fe morti- fier au milieu d'un monde , où Ton donne prefque tout aux fens ; où la fenfu alité des tables , la magnificence des édifices ^ Foi- fiveté & le danger des plaifirs publics , le îuxe , la molleiîe , la recherche de tout ce qui peut flatter & nourrir l'amour pro- pre 5 les amufemens éternels font devenus des ufages & des bienféances , dont la fa- gefie &: la régularité même n'oferoit fe difpenfer ? Cependant fans la mortification , le corps ne peut être foumis à l'efprit : fans cette foumifTion , la prière n'efl pas pofîible ; & fans la prière , il n'efl point ce vertu sûre & qui foit de durée. Aufîi ma chère Sœur , que de naufrages la pu- deur y fait-elle tous les jours ? la bienféance même n'efl plus un frein à l'indignité & à îa fureur d'un vice honteux 9 & Tufage a prefque rendu innocent , &: efl fur le point de rendre même honorable , ce que la dé- pravation a rendu commun.
Mais dans ces afyles faints , ma chère Sœur 5 la prière & la mortification devien- nent comme le fond 6c l'occupation nécef-
POUR UNE Profession Relic. 3^9 faire de votre état ; & il en coûteroit plus de s y refufer , que de s'y livrer avec une confiante fidélité. Ces deux devoirs fî en* nuyeux & fi impraticables au milieu du monde , font ici toute la confiDlation d'une Vierge fidelle. Tout y facilite la prière , parce que tout infpire le recueillement ; VeC- prit éloigné des objets de la vanité , n'en porte pas les dangereufes impreiîions juf^ qu'aux pieds de l'autel : le cœur , féparé de toutes les créatures , fe trouve libre devant le Seigneur , & en état de goûter combien il efi: doux : les fens réglés , & recueillis par les fpedlacles Religieux qui les occu- pent ici fans ceffe , n'ont plus de peine à fe recueillir dans le temps de la prière , & à fe taire refpeâ:ueufement devant la majefté du Très-Haut. Tout y conduit à la morti* fication , tout l'infpire , tout la rend comme néceiTaire : les faints ufages établis , les exer- cices Religieux , l'aufterité de la vie com- mune , les privations volontaires qu'on y ajoute ; tout mortifie ici la nature , tout conduit à la violence & au renoncement ^ & tout l'adoucit ; & Timmortification de- viendroit une fingularité plus difficile à fou- tenir , par le mépris & la confufion où elle nous lailTeroit , que les auftérités elles-mê- mes. Ainfi , ma chère Sœur , le feul privi- lège que les perfonnes du monde ont ici par-delTus vous , c'eil qu'ayant au fond les mêmes obligations que vous j elles n'ont par les mêmes facilités pour les remplir : ç'eft que le falut coûte bien plus dans le
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370 IIL Sermok
monde , que dans la Religion : c'eft que dans ces afyles faints , il y a plus de fecours dans le monde^plus de périls & plus d'obf^- tacles 5 & cependant prefque par-tout les mêmes devoirs à remplir.
Que vous rendrons-nous donc , ô mon Dieu 5 pour-le bienfait inellimable qui nous Pf'SS' ^ confacrées à votre fervice ? Quœ reddam laudatlones tihi ? Vous avez adouci notre joug , en nous impofant le vôtre , que le monde toujours dans l'erreur , regarde comme un joug accablant &infupportable; vous avez abrégé nos combats , en nous aA fociant à cette milice célefte 5 où il femble que nous nous déclarons une guerre cruelle à nous-mêmes ; vous avez foulage nos pei- nes en augmentant nos privations , & tari la fcurce de nos inquiétudes 5 en nous déli- vrant de tous les altachemens qui les cau- fent.
II.
HEFLr j[\ UîTi 5 ma cliere Sœur , le fécond en- gagement de la vie Religieufe eft un en- gagement de pauvreté & de dépouille- ment univerfel. Comme toutes les ctéatu» jes & tous les biens périfîables , font deve- nus des peines pour rhomime , qui ne fau- roit prefque plus jouir des bienfaits de l'Au- teur de la nature fans en abufer ; les faints Fondateurs ont cru qu'il étoiî plus sûr & plus facile de -s'en dépouiller tout-à-fait , que de fe contenir dans les bornes d'un ufa- ge faint & légitime. Us ont donc ordonné à celui qui vouloiî être difciple de Jefus-
PGUR UNE ProFESSIO'N RlLIG. ^fî Chrift 5 & le fiiivre dans les voies de la per- feélion Religieufe , de renoncer à tout 5 de peur que la polTeflion la plus permife des biens de la terre , ou n'attachât trop fon cœur 5 ou ne partageât trop fes foins ^ ou ne rallentît fon ardeur &c fon progrès dan? cette fainte carrière.
Cet engagement de pauvreté Religieufe renferme donc trois devoirs elTentiels : pre- mièrement , un détachement de cœur de toutes les chofes de la terre : fecondement , une privation aâ:uelle de toutes les fuperr fniités 5 enfin une foumifTion & une dépen- dance entière des Supérieurs dans l'ufage même des chofes plus nécefTaires.
A l'égard du détachement de cœur de toutes les chofes de la terre ; ma chère Sœur , c'eftune obligation qui vous eft com.- mune avec tous les Fidelles , puifque c'eft luie fuite du fécond vœu de votre Baptême, par lequel vous avez renoncé au monde & à fes pom.pes. Quand vous n'auriez pas em- bralTé un état de pauvreté 5 & que vous au- riez vécu dans le monde au milieu de l'opu- lence que la nailTance fembloit vous devi- ner 5 vous auriez toujours vécu au milieu des biens qui ne vous appartenoient pas , auxquels il vous étoit défendu de vous atta- cher 5 & dont il ne vous étoit permis d'u-# fer qu'en paiTant , & pour la gloire du grand Maître qui vous les avoit confiés.
Nous fommes tous ici-bas des étrangers, ma chère Sœur : voilà pourquoi entrant dans le monde 5 nous commençons par y
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372 IlL Sermou
jenoncer dans notre Baptême ; c*eft-à-dire, nous confefîbns publiquement à la face des autels , que ce n'eft pas ici notre patrie ; c[ue nous n'y prétendons rien que nous ne penfons pas à y établir une demeure perma- nente ; que nous ne voulons que palTer par fes faux biens ; que nous les regardons com- me les embarras & les périls de notre voya- ge ; que nous fommes citoyens du ciel , hé- ritiers de Dieu & des biens éternels ; & que tout ce qui eft aii-defibus de cette es- pérance 5 n'eft pas digne de nous.
Le Chrétien doit donc vivre détaché de tout ce qui Fenvironne : dès qu'il s'y atta- che 5 il cefie d'être étranger fur la terre ; il en fait fa patrie ; il renonce au titre fubli- me de citoyen du ciel , & n'a plus de droit au Royaume 5 qui n'eft promis qu'aux pau- vres de cœur , c'eft-à-dire , à ceux qui ont vécu comme ne poiTédant rien fur la terre.
J'avoue 5 ma chère Sœur , que ce déta- chement du cœur eft bien rare dans le mon- de où l'on tient fi vivement à ce que l'on pof- iede 5 où l'on fouhaite toujours ce qu'on n'a pas ; où l'on envie fans ceiTe ce qu'on ne peut avoir ; où l'on s'agite fi fort pour par- venir à ce qu'on n'aura jamais ; où les per- tes font il feniibles , parce que les attache- mens font toujours extrêmes ; où les defîrs croilTent toujours , parce que le monde en- tier eft trop au-deffous de nous pour pou- voir les fatisfaire ; où l'on n'eftime heureux que ceux qui font chargés de plus de liens , éi qui tiemieut à plus d'embarras que les
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POUR UNE Profession Relw. 373 autres ; où l'on n'a joie & de chagrin , que par rapport aux chofes d'ici-bas ; enfin où l'on ne vit que comme fi nous n'étions faits que pour ce que nous voyons , &: que la terre dût être notre patrie éternelle. J'a- voue 5 dis-je , que ce détachement efi: rare & prefque inconnu dans le monde ; mais c'efi que les véritables Chrétiens n'y font pas en grand nombre; & qu'à peine le Fils de l'Homme , quand il paroîtra , trouvera- t-il un refte de foi fur la terre.
Et c'eft en quoi , ma chère Sœur , l'op- probre de Jefus-Chrifl que vous embraf- fez 5 doit vous paroitre préférable à toutes les Couronnes de la terre : ce détachement fî indifpenfable pour le falut , & fi difficile dans le monde , devient comme naturel dans la Religion. Et certes , ma chère Sœur, il eft aifé de fe détacher de tout , quand on s'efi: dépouillé de tout ; de ne tenir à rien fur la terre 5 quand on n'y pofFede rien ; d'y vivre comme étranger , quand tout ce qui nous environne n'eft point à nous; & d'être pauvre de cœur , quand on eft pauvre réel- lement & en effet.
Ce n'eft pas que la mifere du cœur hu- main eft telle , que fou vent après avoir re- noncé d'une manière héroïque aux grands biens & aux grandes efpérances du mon- de 5 on s'attache dans la retraite aux chofes les plus frivoles &: les plus légères. Sou- vent 5 ma chère Sœur , une ame que toute la gloire du monde n'avoit pu toucher , Se qui n'avoit trouvé dans tous les établifte-
372. IlL Sermon
renoncer dans notre Baptême ; c'eft-à-dire, nous confefîbns publiquement à la face des autels , que ce n'eft pas ici notre patrie ; que nous n'y prétendons rien que nous ne penfons pas à y établir une demeure perma- nente ; que nous ne voulons que palTer par fes faux biens ; que nous les regardons com- me les embarras & les périls de notre voya- ge ; que nous fommes citoyens du ciel , hé- ritiers de Dieu & des biens éternels ; & que tout ce qui eft au-deflbus de cette es- pérance 5 n'eft pas digne de nous.
Le Chrétien doit donc vivre détaché de tout ce qui l'environne : dès qu'il s'y atta- che j il cefie d'être étranger fur la terre ; il en fait fa patrie ; il renonce au titre fubli- me de citoyen du ciel , & n'a plus de droit au Royaume 5 qui n'eft promis qu'aux pau- vres de cœur , c'eft-à-dire , à ceux qui ont vécu comme ne poftedant rien fur la terre.
J'avoue 5 ma chère Sœur , que ce déta- chement du cœur eft bien rare dans le mon- de où l'on tient fî vivement à ce que l'onpof- fede 5 où l'on fouhaite toujours ce qu'on n'a pas ; où l'on envie fans cefTe ce qu'on ne peut avoir ; où l'on s'agite iî fort pour par- venir à ce qu'on n'aura jamais ; où les per- tes font fî fenfibles , parce que les attache- niens font toujours extrêmes ; où les defîrs croifîent toujours , parce que le monde en- tier eft trop au-deiïbus de nous pour pou- voir les fatisfaire ; où l'on n'eftime heureux que ceux qui font chargés de plus de liens , il qui tiennent à plus d'embarras que les
POUR um Profession Relw. 373 autres ; où l'on n'a joie & de chagrin , que par rapport aux chofes d'ici-bas ; enfin où l'on ne vit que comme fi nous n'étions faits que pour ce que nous voyons , & que la terre dût être notre patrie éternelle. J'a- voue 5 dis-je 5 que ce détachement eft rare & prefque inconnu dans le monde ; mais c'efi que les véritables Chrétiens n'y font pas en grand nombre; & qu'à peine le Fils de l'Homme , quand il paroîtra , trouvera- t-il un refte de foi fur la terre.
Et c'efi: en quoi , ma chère Sœur , l'op- probre de Jefus-Chrifi: que vous embraf- lez 5 doit vous paroître préférable à toutes les Couronnes de la terre : ce détachement fî indifpenfable pour le falut , & fi difficile dans le monde , devient comme naturel dans la Religion. Et certes , ma chère Sœur, il eft aifé de fe détacher de tout , quand on s'efi: dépouillé de tout ; de ne tenir à rien fur la terre , quand on n'y pofi^ede rien ; d'y vivre comme étranger , quand tout ce qui nous environne n'efi: point à nous; & d'être pauvre de cœur , quand on efi: pauvre réel- lement & en effet.
Ce n'efi: pas que la mifere du cœur hu- main e{}: telle , que fouvent après avoir re- noncé d'une manière héroïque aux grands biens & aux grandes efpérances du mon- de 5 on s'attache dans la retraite aux chofes les pkis frivoles & les plus légères. Sou- vent 5 ma chère Sœur , une ame que toute la gloire du monde n'avoit pu toucher , & qui n'avoit trouvé dans tous les établifiTe.
374 a^* Sermon
mens les plus brillans . &: dans toute la magnificence qui l'y aîtendoit rien de digne de fon cœur , trouve dans la retraite mille liens vains &: puériles qui l'attachent. Sem- blable à Rachel , après avoir généreufement abandonné la maifon de fes proches ; après avoir renoncé à tout , à fa famùile; à {qs pré- tentions 5 à tous les liens de la chair & du fang 5 pourfuivre fon époux Jacob, figure de l'Epoux célefte , dans une terre fainte , & la demeure du peuple de Dieu; on def- lionore la grandeur & la magnanimité de ce facrifice , en fe refervant de vaines Idoles ; en portant les Dieux de Laban , c'eft-à-dire , les pallions du monde , & mille attachemens humains jufques dans le taber- nacle myftérieux de Jacob, figure du Sanc- tuaire véritable , & de ces retraites Reli- gieufes , où une ame qui a renoncé au mon- de 5 vient habiter avec Jefus-Chrill l'Epoux des Vierges chaftes & fidelles.
Il femble que le cœur après avoir tout facrifié , s'ennuie de fa liberté, & qu'il ne puiffe être heureux fans fe former à lui- même quelques chaînes : il femble qu'é- loigné des objets qui forment les grands attachemens & qui remuent les pafîions violentes , ilfe faife une grande pafiion des objets petits & frivoles qui l'environnent ; & que ne trouvant plus, pour ainfi dire , où fe prendre , il fe prenne à tout ; il fem- ble même que les attachemens deviennent plus violens , occupent le cœur plus fé- ^rieufemenî , plus vivement , à mefure qu'on
POUR UNE PbOFESSION ReLIG. 375 ell éloigné des grandes tentations 5 & que les objets qui nous refient font bas & in- dignes de notre cœur. Ainfi on tient à tout quoiqu'on foitféparé de tout; on n'eft point pauvre de cœur , & on ell encore attaché à la terre , quoiqu'on ait renoncé à tout ce qu'elle pouvoit avoir de grand & d'aimable. Car ce qui fait devant Dieu le crime de nos attachemens, n'efc pas la grandeur & l'éclat des objets aufquels nous tenons , c'ell la vi- vacité de la paiTion qui nous y attache : plus même ces objets (ont vils & méprifables j plus l'attachem-ent efi infenfé & criminel , parce que moins la pafîion a d'excufe 5 8c que la préférence que nous leur donnons fur la fiinteté de notre état , & fur les pro- melles que nous y avons faites au Seigneur, ell injuite.
Tel eit recueil à craindre dans le dé- pouillement Religieux. Souvent encore , détachés de tout pour nous - mêmes , nous tenons encore à tout pour nos proches ; nous devenons , pour ainh* dire j riches de leurs richelTes 5 fiers de leur élévation , glo- rieux de leur gloire , heureux de leur prof- périté ; leurs malheurs nous accablent, leurs difgraces nous humilient ; nous faifons des vœux infenfés pour leur avancement ; nous fentons plus vivement qu'eux les événemens qui les élèvent ou qui les abaifîent ; & après avoir refufé de partager avec eux leur gran- deur & leurs richelTes ; en embralTant un état de pauvreté & de dépouillement, nous partageons avec eux leurs paiîions & leurs crimes.
37^ ^n. s ERMOT^
Voilà le premier devoir de la pauvreté Religieufe , qui vous eft commun avec tous les Fidelles : conferver le cœur détaché de tout ce qui nous environne ; nous dire fans cefTe à nous-mêmes , que notre cœur n'eft fait que pour aimer fon Dieu , fon tien unique & fouverain , & que tout amour de la créature le deshonore & le ^dégrade ; qu'il eft infenfé de s'attacher à ce qui va nous échapper en un inftant , & qui ne peut nous rendre heureux pour Vinf- tant même qu'on le pofTede ; plus infenfé encore de lui facriiîer ce qui doit demeu* rer éternellement : que nos attachemens , outre qu'ils fouillent notre cœur , font en- core la fource de tous nos malheurs & de toutes nos peines ; que nous fommes tou- jours punis de nos pafîions par les objets mêmes qui les caufent ; & que pour vivre heureux même ici-bas , il faut ne tenir à rien qu'on puiffe nous ravir malgré nous- mêmes.
Le fécond devoir de la pauvreté Reli- gieufe 5 c'eft le retranchement actuel de toutes les fuperfluités ; c'eft-à-dire, de tout ce qu'on appelle dans le monde , les aifes & les commodités de la vie. Mais ne croyez pas , ma chère Sœur , que cette obligation vous foit propre : elle eft enco- re une fuite des engagemens du Baptême ^ & dès-là indilpenfable à tout Fidelle. Les créatures ne font pas faites pour fournir à de vains plaifîrs , puifque l'Evangile les in- terdit tous au Chrétien j &: qu'il y a ré-
TOUR U'SIE pROFESSIOyi ReLIC. p7 nonce lui-même dans fon Baptême. Bien plus 5 comme pécheurs , nous avons perdu le droit d'ufer des créatures , & de les faire fervir même à nos befoins , loin de les employer à nos plaifîrs. Comme nous en avons abufé ; la peine naturelle de l'a- bus que nous avons fait , étoit de nous en interdire tout ufage ; & comme le pé- cheur abufe de tout , tout devroit lui être à l'mftant refufé , & la mort devenir la pei- ne fubite & inféparable du péché. Nous devenons donc indignes d'ufer des créatu- res 5 dès que nous avons été aifez ingrats que de les faire fervir contre le Seigneur même à qui elles appartiennent : c'eft donc une grâce qu'il nous fait , de nous en per- mettre encore l'ufage : mais nous devons nous fouvenir que nous en ufons comme pécheurs ; que nous n'y avons plus aucun droit : que iî les ufages même les plus né- ceifaires nous font interdits , à plus forte raifbn les fuperfluités & les délices ; que ce feroit une injuftice de faire fervir les créatures aux plaifîrs d'un pécheur qui en a abufé 5 & qui ne doit plus vivre que pour fouffrir , & expier cet abus ; que fî on lui en permet encore l'ufage , c'eft à condition qu'elles deviendront la matière de fa pénitence , comme elles ont été la fource de tous £qs crimes ; & que par les privations continuelles & douloureufes , dont il fe punira , il expiera l'abus injufte qu'il avoir été capable d'en faire. Voilà le fpnds de la vie chrétienne , &: les grandes
37^ -^n. Sermon
maximes que TEvangile propofe à tous îeâ
Fidelies.
Aiuh fclon ces règles capitales de la foi , on doit vivre pauvre au milieu même de l'opulence ; fe retrancher tout ce qui ne tend qu'à flatter lesfens ; s'interdire tout ce qui n'eft inventé que pour nourrir l'orgueil 6c l'amour propre , tout ce qui fert d'ai^ guillon aux pallions ^ & s'en tenir là-defTus à tout ce que la nécefTité 5 la charité & une rigoureufe bienféance nous oblige encore de nous permettre. Tout l'avan- tage que les perfonnes du monde ont donc ici au-deffus de vous y ma chère Sœur 5 c'efl: que fans renoncer à leurs grands biens , elles ne peuvent pourtant les faire fervir à leurs plaifirs ; c'ell qu'à portée de fe ménager toutes les fuper- fîuités , elles font obligées de fe les inter- dire ; c'eft que fans fe ieparer de tout ce qui flatte les fcns 5 elhs doivent les mor- tifier fans ceffe ; fans fe dépouiller de tout j vivre dans le dépouillement ; c'efc en un mot 5 qu'elles ont plus d'embarras que vous , & n'en ont pas pour cela plus de privilège.
Il efl vrai qu'une Epoufe de Jefiis-Chrift , qui a joint à cette obligation com.mune y une pronielfe particulière de vivre dans le dépouillement Religieux 5 doit fe difputer avec bien plus de rigueur les plus légères fuperfiuités : non-feulemient tout ce qui flatte encore les fens & les pafiions lui eft interdit , mais même ce qui amufe encore.
povn um PROFESsid-fi Uelig, ^f^
pour aiiifî dire , Tarxiour propre : non-feu- lement tout ce qui fent les pompes du monde eft criminel pour elle , mais même tout ce qui n'eft pas marqué par un carac- tère particulier de pauvreté & de péni- tence. Ce n'efl pas alFez que ce qui l'en- vironne n'aagmiente pas fes paillons , il faut qu'il les combatte & qu'il les afFoiblilTe : Ce n'eft pas alTez d'éviter les profufîons de la vanité , il faut y joindre les pri- vations d'une humble pauvreté : ce n'efl pas alî'ez de n'avoir plus rien de commun avec le luxe des perlbnnes du monde , il faut n'avoir rien même de particulier qui nous diilingue de la mcdeilie & de la fim- piicité de nos Sœurs^ ; rien qui paroiiTe nous élever au-deifus d'elles ] rien quî puiiTe les faire fouvenir des vains avantages du nom , de la naiffance , de la fortune , auxquels nous avons renoncé en nous con- facrant à Jefus-Chrifl ; rien qui puilTe bief* fer l'uniformité Religieufe qui les a égalées à nous ; rien enfin qui tende à introduire les diftinârions du fiecle dans un lieu qui n'eft établi que pour les effacer & lès anéantir.
Dieu feul , dit le Prophète , doit être grand dans la maifon du Sion : Dominus in p. ., Sion magnus. Toute grandeur de la terre 51»' tout édat humain efl ici éteint &: éciipfé ; tous les noms & tous les titres 5 que l'or- gueil des hommes a inventés , font ici ef- facés par le titre glorieux d'Epoufe de Je- fus-Chrift : tout doit paroître ici petit de-
5^0 IILSermùts!
vaut la majeflé du Très-Haut , qui remplit ce lieu faint de fa gloire & de fa préfence. Et comme après le dernier jour , Dieu feul régnera dans l'univers 5 & que le monde entier étant détruit y tous les fceptres & toutes les couronnes brifées , tous les Ro- yaumes & tous les Empires retombés dans le néant ; & en un mot , toute puiflance & toute domination iinie , Dieu feul , dit l'Ecriture , remplira de fa majeflé les nou- veaux cieux & la nouvelle terre ; Dieu feul paroîtra grand , parce que fa gloire feule s'élèvera fur les débris de toutes les gran- deurs humaines. On peut dire que ces Mai- fons religieufes font d'avance ce ciel nou- veau 5c cette nouvelle terre purifiés par un feu célefte ; où toute grandeur eft anéantie ; oij tous les noms & tous les titres font con- fondus ; où le monde avec toute fa gloire , eft déjà détruit ; où Dieu feul eft grand , parce que Dieu feul y règne & y eft adoré : Dominus in Sion magnus.
Voilà 5 ma chère Sœur , à quoi vous en* gage le dépouillement auquel vous allez vous foumettre ; & vous voyez que ce qu'il exige de plus de vous que des per- fonnes du monde , eft plutôt une facilité pour remplir l'engagement contraire là- aeftus dans votre Baptême , qu'une nou- velle rigueur que vous y ajoutez.
Enfin le dernier devoir de ce dépouil- lement Religieux , eft la foumiftîon & la dépendance entière des Supérieurs , dans l'ufage même des cliofes les plus nécef-
POUR UNE Profession Relig, 3^1 faires ; c'eft-à-dire , regarder tout ce qu'on nous lailTe comme n'étant point à nous ; n'en ufer qr_ félon l'ordre & la volonté de ceux qui lous gouvernent ; le voir changer , augmenter , diminuer avec la même indifférence ; ne nous approprier de tout ce qui nous fert , que la difpofî- tion d'en être privé , dès que l'ordre le demandera ; & n'avoir à foi que le faint plaifîr d'être libre & dépouillé de tout.
Ne vous figurez pas cependant , ma chère Sœur , qu'en ceci même votre con- dition/ foit plus dure que celle des per- fonnes du monde. A la vérité , la foi n'e> ge pas d'eux , qu'ils dépendent des hommes dans l'ufage de leurs biens , & qu'ils n'en ufent , ou ne s'abUiennent que félon les ordres & la' volonté d'autrui. Mais fans vous faire remarquer qu'il e(ï mille Situa- tions dans le monde , & pour celles de votre fexe fur-tout , où l'on ne peut dif- pofer de rien ; où tout ce qui eft à nous , eil comme s'il ne l'étoit point ; où l'on dé- pend de la volonté , & louvent du caprice d'autrui dans l'ufage même des chofes les plus néceifaires ; où les grands biens qu'on a portés à un mari, ne fervent fouvent qu'à augmenter fes profufîons infenfées envers les objets criminels de fes paillons , & fa dureté à notre'égard ; enfin où l'on n'acheté par des richeifes immenfes , que le droit de ne pouvoir plus s'en fervir , & de les voir engloutir , fans pfer prefque fe plain- dre : fans ra'arrêter à cette réflexion , ma
^îi tîL Sermon
<:Iiere Sœur , & en vous permettant d'ima- giner une iituation où Ton ne dépend de perfonne dans l'ufage des biens que nous avons reçus de nos ancêtres , nous dépen- dons toujours des maximes de la foi qui doivent régler cet ufage : nous dépendons fans celle de Dieu , qui peut nous enlever ces biens à chaque inftant , qui peut d'un fouffle renverfer notre fortune ; & par mille événemens imprévus , changer notre opulence en une extrême mifere. Nous devons donc toujours être prêts , comme Job , de trouver bon tout ce qu'il plaira au fouverain Maître d'en ordonner : nous devons en ufer comme pouvant en être dépouillés l'inflant qui fuit ; nous regarder toujours comme des efclave^ , à qui le maître peut redemander les biens qu'il leur a confiés , fans qu'ils puiiTent y trouver à redire ; ne les pofféder que comme ne les polFédant point : nous fouvenir qu'étant eiv très nuds dans ce monde 5 comme dit l'A- pôtre 5 nous n'y poiTédons rien qui foit à nous ; & que devant en fortir dans la mê- me nudité & dans la même indigence 5 tout ce que nous aurions voulu nous ap-^ proprier n'auroit été 5 pour ainfi dire , qu'un vol fait au père de fam.iile ; un vol que nous aurions été forcés de reftituer à la mort , qui nous ravira tout ; & de montrer ainii à tous les hommes , que nous avions été des ufurpateurs ; que ces grands biens , dont nous nous étions parés avec tant d'of- tentation , ne nous appartenoient pas ; 6î
POUR UNE Profession Relw. 383 fine nous n'avions à nous que le droit d'en ufer & de les faire valoir an profit oc pour la gloire du Maître fouverain qui nous en avoit confié Fadminiftration.
Ainfî 5 ma chère Sœur , la pauvreté Re- ligieufe ne diminue pas vos droits fur les biens & fur les plailirs de la terre 5 puifque le Chrétien n'y a point de droit : elle di- minue feulement vos embarras & vos in- quiétudes : elle ne vous dépouille de rien , puifque rien n'eft à vous ; elle vous met feulement hors d'état de vous attacher à ce qui ne vous appartenoit pas : elle ne retranche pas même les proiuiîons & les fuperfluités , puifque l'Evangile les interdit à tout Fidelle : elle ne retranche que les occalfons qui auroient pu vous porter à les rechercher r en un mot , elle n'éloigne que les périls ; & loin de vous im-pof(:;r uu nouveau joug , elle vous met dans une li- berté parfaite.
Je fais que le monde ne regarde pas des mêmes yeux cet état de pauvreté Reli-
fieufe 5 & qu'on fe croit plus libre oC plus eureux , quand on peut jouir à fon gré des biens que l'on poilede. Mais quel eil: ce bonheur , ma chère Sceur ? que font la plupart des hommes 5 que les efclaves in- fortunés de leurs biens & de leur fortune ? Ils ne les polTedeat pas ; ils en font poiTe- dés : que de craintes ! que de deGrs ! que de jaloufies ! que de baflelles ! que de foins pour les conferver ! que de précautions de peur de les perdre ! que despaiTions à con*
V!I
384 m. Sermon
tenter î que d'accidens à craindre î que de contre-temps à fouffrir ! que de courtes joies ! que de chagrins durables ! quels chagrins amers fuivent le dérangement des profufions & des excès ! de quels foucis honteux & dévorans efl punie & toujours accompagnée l'avarice ! quels deiirs infa- tiables d'amalTer fans ceffe ! quel dégoût cependant , & quelle fatiété même dans la poireiîîon ! A combien de maîtres & de tyrans , s'écrie faint Ambroife , fe livre celui qui ne veut pas prendre le Seigneur pour fon feul Maître & pour fon unique
S^Am- héritage ! Quam multos dominos habct ,
hr. qui unum refiigerit /
Heiireufes donc les âmes , ô mon Dieu ! que vous avez appellées à un état de dé- pouillement entier ? fans inquiétude ; fans fouci pour le lendemain ; fans toutes les trilles précautions pour l'avenir ; fans em- barras pour le préfent ; débarraffées de tout ce qui agite & qui tourmente les en- fans du jfîecle , leur unique foin eft de vous plaire : toujours dans l'abondance , parce qu'elles n'ont befoin de rien : toujours tranquilles , parce qu'elles ne défirent rien ; leur vie eft une fcte continuelle , un calme que rien ne peut altérer , une joie pure & innocente : Et jujli epulentur & exultent in
- ^' confpecîu Dei, Au lieu que les enfans du fiecle , toujours dans l'abondance & jamais raffafiés ; toujours dans les plaifirs , & ja- mais heureux palfent leur trifte vie à defi- rer , à s'agiter , à changer fans ceiTe de
fituation
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POUR UNE PnOFESSSION ReLIC. 3R5: -iîtuatioii & de mefare. Loin de fe faire une félicité de ce qu'ils ont , ils fe font un f^jp- plice de ce qu'ils défirent ; chaque inftant les jette dans de nouveaux mouvemens ; ils ne connoiilent le repos que pour le fuir ; & toute leur vie eH une agitation éter- nelle que rien ne peut fixer , & qui ne leur lailTe pas plus de conMaiice ici-bas , qu'à la poufliere qui devient le jouet des vents ûiY la terre : Non fie impii , non fie , fcd tanquam pidvis quem projlclt vcnîus à fii- cic îcrrœ,
\,Elïeroit à vous parler ici , ma chère Sœur , du trcilîeme engagement de l'état faint que vous embralTez ; c'eft l'obéiffance Reiigieu.fe. Le monde qui ne connoîî pas la vertu de la foi & Fefprit de la vie chré- tienne 5 ^.-egarde cet engagement comme un joug affreux 5 infiipportable à la raifon , & incompatible avec le repos & la dou- ceur de la vie. Il efl vrai qu'il paroit d'a- bord fort trifie , & fort dur à la nature , de fe faire toujours une loi des volontés d'au- trui ; d'être forcé de facrifier fans ce.(ie (es propres lumières , aux lumières & fouvent aux caprices de ceux qui nous gouvernent ; de ne fe fervir de fa raifon que pour l'aveu- gler, & la foumettre à des ordres qui nous paroiflisnt bizarres & injuiles ; de n'avoir à foi 5 ni fentimicnt , ni volonté propre ; cC m.algré la bonne opinion que nous avons de notre propre fens . que nous préferons touioijîs en fecret à celui des autres ; nial-
Oraijbfifiincbre. R
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Kefl,
3^4 II L Sermon
tenter î que d'accidens à craindre ! que de contre-temps à fouffrir ! que de courtes joies ! que de chagrins durables ! quels chagrins amers fuivent le dérangement des profufions & des excès ! de quels foucis honteux & dévorans efl punie & toujours accompagnée l'avarice ! quels delîrs infa- tiables d'amaiTer fans celte ! quel dégoût cependant , & quelle fatiété même dans la pofTeflîon ! A combien de maîtres & de tyrans , s'écrie faint Ambroife , fe livre celui qui ne veut pas prendre le Seigneur pour fon feul Maître & pour Ton unique S^Am- héritage ! Quam multos dominos habct , ^r, qui unum refugerit /
Heureufes donc les âmes , ô mon Dieu ! que vous avez appellées à un état de dé- pouillement entier ? fans inquiétude ; fans fouci pour le lendemain ; fans toutes les triftes précautions pour l'avenir ; fans em- barras pour le préfent ; débarralfées de tout ce qui agite & qui tourmente les en- fans du fîecle , leur unique foin eft de vous plaire : toujours dans l'abondance , parce qu'elles n'ont befoin de rien : toujours tranquilles , parce qu'elles ne défirent rien ; leur vie eft une fcte continuelle , un calme que rien ne peut altérer , une joie pure & ^ innocente : Et jujli cpulentur & exultent in
/ -^ ^* cojifpecîu Dei, Au lieu que les enfans du ' fiecle 5 toujours dans l'abondance & jamais
; rafiafiés ; toujours dans les plaifirs , & j'a-
l mais heureux paiîent leur trille vie à defi-
rer , à s'agiter , à changer fans celTe de
fituation
POUR TNE PnOFESSSION ReLW. 3^^ iituation & de raefare. Loin de fe fliire une félicite de ce qu'ils ont , ils fe font un uip- plice de ce qu'ils défirent ; chaque initant les jette dans de nouveaux mouvemens ; ils ne connoiilent le repos que pour le fuir ; & toute leur vie ell: une agitation éter- nelle qae rien ne peut fixer , & qui ne leur lailTe pas plus de conflilaiice ici-bas , qu'à la poufliere qui devient le jouet des vents fur la terre : A^on fie impii , non fie , fid ^j' ^* tanquam pulvis quem projlcit ventus à fii- cic terrœ.
.Efteroit à vous parler ici 5 ma chère Sœur , du trcifieme engagement de l'état faint que vous embrafTez ; c'efl l'obéiffance Reiigieufe. Le monde qui ne connoiî pas la vertu de la foi t-i refprit de la vie chré- tienne , regarde cet engagement comme un joug affreux , infiipportable à la raifon , 2>c incompatible avec le repos & la dou- ceur de la vie. Il ell vrai qu'il paroit d'a- bord fort trifte , & fort dur à la nature « de fe faire toujours une loi des volontés d'au- trui ; d'être forcé de facrifier fans ceiie fes propres lumières , aux lumières & fouvent aux caprices de ceux qui nous gouvernent ; de ne fe fervir de fa raifon que pour l'aveu- gler, & la foumettre à des ordres qui nous paroiiïent bizarres & irquiies ; de n'avoir a foi , ni fentimicnt , ni volonté propre ; 6c m.algré la bonne opinion que nous avons de notre propre fens • que nous préferons toujours en fecret à celui des autres ; nial- Oraijoa funèbre. R
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Kefl.
3S(5 IIL S E Rîdo N
gré les défauts & les lumières bornées j que l'orgueil nous découvre toujours en teux de qui nous dépendons ; malgré m.ê- mela vivacité des goûts & des inclinations, qui nous dominent 5 & qui mettent en nous mille répugnances pour les cliofes ordon- nées : mialgré tout cela , n'agir que com- me û l'on ne voyoit rien j fi l'on ne fentoit rien , &i comme un inllrument aveugle & infenfîble, qui n'auroit d'autre mouvement que la volonté de celui qui l'emploie & qui le dirige. J'avoue , ma cîiere Sœur , que cette fiîuation paroît révolter d'abord tous les pcncîians les plus raifonnables de la na- ture ; & ôtcr aux hommes la feule conio- lation innocente , que les fituations les plus trilles leur laiifent encore , qui eft l'indé- pendance 5 & la liberté de difpofer de leurs lierions ^i d'eux-miémes.
Mais 5 ma chère Sœur , ce n'ell là qu'un langage dont le monde fe fait honneur : car trouvez-moi dans le m^onde un état d'indépendance entière ; imaginez 5 fi vous le pouvez ^ une /ituation , où libre de tout joug , de toute fervitude , de tout égard , de toute fubordination , de tout ménage- ment 5 on n'ait à répondre qu'à foi-même , de foi-môme. Quels font les alTuiettilTe- mens du mariage ? & cette liberté iî van- tée 5 qu'ell-elle qu'une fervitude qui nous lie aux volontés ck fouvent aux caprices ami époux fouvent injuilc , jaloux , bizar- re , qui change une fociéîé iainte en une afii-eufe captivité l Quelle cft. la fervitude-
POUR UNE Profession Relîg. 387 «de la Cour , de la fortune , des places , ÛQs emplois ? quel eft ce fantôme de li- berté 5 qui fait dépendre les perfounes du monde de tant de maîtres ; qui les airajet- tit à tout 5 à leurs fupérieurs , à leurs fujetSy à leurs am.is ^ à leurs ennemis , à leurs en- vieux 5 à leurs partifans , à tout ce qui \qs environne ? qu'eiî-ce qu'une amc livrée au monde & à la fortune , que l'efclave ds l'Univers entier ; que le jouet éternel àes pallions & ô.es bizarreries d'autrui , parce qu'elle Teit des'îicnnes propres ? Qu'ed-ce que la vie da monde & de la Cour gIIq- m.ême , qu'une fervitude éternelle , où nul ne vit pour foi ; où il faut finis ceife facri- iier les pîaifîrs à la fortune ; le, repos 5 au devoir ; les aifes & les commodités j aux bienféances ; nos propres goûts 5 aux goûts d'aiiîrui ; nos lumières , aux préventions de ceux de qui nous dépendons ; & enfin notre confcience fouvent à leurs paillons injures ?
Et voilà j, ma chère Sœur , ce qu'il y a ici de trifte pour les perfonnes du monde ; c'efr que leurs affujettiflémens qui font tout leur malheur , font fouvent auiîi tous leurs crimes. Ils trouvent en même temps dans leur fervitude , Fécueil de leur repos & de leur iaîut : ils font à leurs maîtres des facrificcs continuels de leur liberté ^ à^s facrinces qui leur coûtent cher , o: qui cependaîit les rendent plus coupableso Leur complalilince eil pénible ^ e^ elle eft cri- minelle : au lieu que dans ces aivles iaints.
Ri
3^? IIL Sermon
eile coûte moins au eœur , & a toujours un nouveau mérite : les facrifices de la pro- pre volonté y font moins pénibles , parce qu'outre que la grâce les adoucit , on eil sûr qu'on ne facrilie fa volonté , qu'à la volonté de Dieu , dont les Supérieurs ne font que les interprètes & les organes ; & cependant ces facrifices nous font toujours comptés pour de nouvelles vertus : en un mot 5 on ne perd ici qu'une liberté d'hu- meur & de caprice , dont on eu. fouvent foi-m.emie embarrafle ; on y conferve celle du cœur , qui eft la fource des vrais plai- fîrs & l'image de la liberté éternelle : dans le monde on perd toutes les deux , 8^ on a le malheur de ne pouvoir ^ ni vivre pour fon plaifir , ni vivre du moins pour fou falut.
Mais une autre réflexion avec laquelle je finis , ma chère Sœur : quand môme vous auriez pu vous flatter de trouver dans le monde une fituation d'indépendance & de liberté entière ; fituation après laquelle depuis long-temps les hom.mes foupirent , & qu'ils n'ont pu encore trouver ; quand môm.e ^ dis-je , vous auriez été aifez heu- reufe que de l'avoir enfin rencontrée , il ne vous auroitpas été pennis pour cela de fuivre aveuglément vos goûts & vos ca- prices ; il ne vous eût pas été permis de vivre d'hum.eur , de tempérament , & de ne prendre que ce qui vous plaît pour la règle de ce que vous devez faire. Tout Chrétien a une règle éternelle & fitpé-
PûVR UNE Profession Relig. 3R9 Heure , qu'il doit coiifuîter fans celle far chaque aâ:ion : tout ce qu'il fait doit fe trouver à la place & dans l'ordre , où la règle ^ c'eft à-dire , la loi de Dieu veut qu'il fe trouve : par conféquent dans tout ce qu'il fait , il ne lui eft pas permis de ne chercher qu'à fe fatisfaire lui-même ; au- trement il fe mettroit lui-mcme à la place de Dieu , pour lequel &par l'ordre duquel il doit toujours agir. Tout ce qui ii'a que l'humeur , que le caprice , que l'amour de nous-miémes pour principe , ii'eft plus dans Tordre , n'ell plus une aâiion ô.u Chré- tien : car toutes les allions du Chrétien & dignes de la vie éternelle , doivent , dit l'Apôtre 5 avoir pour principe la charité : or l'hum.eur, l'am.our propre & la charité ^ ne peuvent être le principe de la même action 5 puifque l'une nous fait toujours agir pour Dieu 5 & l'autre peur nous- mêmes.
Que fait donc , ma chcre Sœur , l'obéif- fancc Religieufe ? Elle nous manifeile, par l'organe de nos Supérieurs , cette règle éternelle que nous aurions été obligés de confditcr fans ceffe dans nos démarches : elle nous épargne l'embarras de chercher fur chaque adiion , quelle efl la volonté de Dieu 5 félon laquelle le Chrétien doit agir dans tous les temps & dans tous les lieux : elle abrège les incertitudes & les perplexi- tés qui auroient toujours fuivi nos détermi- nations propres ; elle va au devant des mé- prifes qui auroieuî pu nous faire prendre
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390 m. Se RM os
de mauvais partis : en un mot 5 elle 110115 décharge de nous-mêmes , pour ainfi dire^ pour nous mettre entre les mains & fous la conduite de Dieu. Ainfî les perfonnes du monde ne fe croient plus libres , que parce qu'elles ne connoifient pas le fonds de la Keîigion & les devoirs de la vie chrétienne ; elles ne com.ptent être maîtrefTes de leurs adions . que parce qu'elles croient n'en être comptables à pcrfonne : elles ne font tant valoir cet avantage , que parce qu'elles ignorent que toutes nos av£lions font diri- gées par une règle févere , dont nous ne de- vons jamais nous départir ; que la liberté de la foi eft une fainte fervitude ; que nous iommes efclaves de la juilice & fournis à la loi de Dieu ; que nous ne {c-nimes point à nous 5 comme parle FApôtre 5 mais à celui qui nous a rachetés d'un grand prix ; que toutes nos aétions lui appartiennent , puis- qu'il en doit être la fin & le principe ; qu'ainlî il n'eft pas plus permis à l'homme du monde d'ufer de fa liberté félon fon hu- meur & fon caprice , qu'au Solitaire qui s'en eft dépouillé entre les mains de fcs fu- périeurs ; que l'un & l'autre doit toujours agir conformément à la règle ; & que toute la diiTérence que j'y trouve , c'eft qu'il eik encore facile à l'un de la violer , au lieu que l'autre s'eft mis dans l'heureufe né- ceflité de la ûûvre.
Non 5 Seigneur , le monde a beau nous faire valoir fes avantages fur ces afyles faints : funeftes avantages 5 qui deviennen t
TOUR UNE Profession Relic. 791 îa fource de tous fes crimes , & qui le ren- dent l'objet éternel de votre indignation ! trif]:es avantages , empoifonnés par tant de chagrins , & qui lui deviennent à cJiarge à lui-même ! il fe fait honneur d'un fan- tôme & d'une apparence de bonheur , dont il [eut lui-même le vuide , & où jufques ici il n'a pu trouver le fecret de devenir heu- reux. Mais votre calice , 6 mon Dieu ! n'of- fre de Tamertume qu'à l'iliulion des fens : le cœur y boit à longs traits les confola- tions de la paix & de la juflice. Que les chaînes qui nous attachent à vous , Sei- gneur 5 font douces & aimables ! que l'on gagne en perdant tout 5 en renonçant à tout pour vous ! Acceptez donc , ô mon Dieu ! le facrifice que je vous fais acjourd'lrji de moi-même : ne regardez pas les imperfec- tions de riiollie qui s'offre ; ne regardez que le plaifir & rcmpreffemcnt avec lequeî elle court s'immoler aux pieds de vos au- tels : c'clt à vous-même à la rendre digne de vous ; c'ell votre grâce qui me conduit en ce lieu faint ; c'eft à elle à m'y foutenir; & après m'avoir mife au nombre de vos Epoufes fur la terre , me recevoir parmi celles qui doivent être admifes aux noces éteriieiies de l'Agneau.
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QUATRIEME
PO Î7R UNE Pp^OFESSîON RELIGIEUSE,
Spoiifabo te niilii in fempitermîm 5 &
fponfabo te milii in jufliitiâ & judicio , Se
in irûfericordiâ . & fponfabo te miiii in fîde ; & fcies ^ quia ego Domiiius,
ment 5 de nilférkordc 5 & p^r
fidélité ; & vous fdurei que je fuis le Sei- gneur. Ofée 5 z. 19. 20.
^TsT ce qui fe paiTe entre Jesus- Chrîst & une ame que les pallions avoienî entraînée , lorfque revenue de fes ëgaremens 5 elle s'unit à lui par les liens de la foi & de la judice , & ne veut plus vivre que pour réparer par une conll:antc fidélité les tranfgreffions de fa vie paiîee. On peut dire qu'alors elle renouvelle avec le Sei- gneur l'alliance autrefois jurée dans fon
I
POUR UNE Profession Reljg. 293 Baptême : fans renoncera tout, elle le preiid pour fon partage : fans fe cacher dans un la lut afyle , £c fe dérober à la vue des hom- mes , elle ne vit plus que pour lui feul : fans fe dépouiller des biens périiTables , elle les mcprife , Si ne connoît plus d'autre bien , que celui de le polTéder : fans fe fépa- rer d'un époux terreilre , elle ne perd pli- s. de vue l'Epoux immortel qu'elle a dans le ciel : enfin lans changer d'état , elle change de cœur ; elle .éloigne d'elle tout ce qui pourroit encore rompre le nouvel engage- ment qu'elle contrarie avec fon Seigneur. Cependant , ma chère Sœur y quelque puilTante que foit la grâce dans une ame encore engagée dans le monde ; quelque fervens que foient fes defîrs ; quelque iin- ccre que paroifle fa pénitence & fon retour a Dieu 5 il eft vrai de dire que l'alliance qu'elle fait avec lui au milieu du monde , par une converfion véritable , cH toujours faivie de mille imperfeâiions que la vie du monde rend inévitables. Les foUicitudes temporelles ; les devoirs & les bienféances, qui fe multiplient à proportion du rang &C de la naiffance ; les égards que le mionde exige • & qui ne nous laiiTent pas toujours les maîtres de diipofer de nous-mêmes ; les ufages dont la piété la plus auflere-n'o- feroit fe difpenfer ; les liens de la chair & du fang auxquels il faut encore tenir ; les foins pour fe concilier Tam-itié de ceux qui difpenfent les grâces ; les prévoyances pour ménager à des eiifans des établifTemens di-
RS
394 -^ f^' S'ermon
gncsdeleur nalirance ; les contre-temps qiiî dérangent toutes nos mefiires ^ tout cela partage îc cœur malgré nous-mêmes , oc- cupe nos affedions ^ s'empare de nos pen- fées 5 rallentit notre foi , émouife notre î^oût pour les chofes du Ciel , rend la pra- tique de la prière & des autres œuvres de ialut 5 plus ieche & plus languiiTante ; ré- pand mille nuages fur notre efprit , laifTe encore an niondc trop de crédit fur notre cœur 5 & fait que la piéié fert plutôt à nous faire déplorer en fecret les embarras qui î'aHbibliffent , qu'à nous hiire goûter les confolaîions qui raccompagnent.
C'efc donc à vous proprement , ma chère Sœur , que s'adrefTent aujourd'hui ces pa- roles de mon texte : c'efc avec vous que le Seigneur va fc:irc une alliance fainte &: éternelle . & telle que fon am^our peut la délirer. Ce n'eit pas allez pour lui de vous polTéder à demi comme il polTede encore tant d'ames qui le fervent au milieu du monde ; il vous veut tout à lui ", il eft jaloux de tout votre cœur , & ne peut foulTrir que les afTeâ-ions même les plus légitimes y puiiTent le partager encore. Keureufe fi après avoir furmiOnté tous les obflacies qui s'oppofoient à votre facrifîce : fi après avoir réfifté à toutes les follicitations qui nous avoient prefque fait craindre pour votre perfévérance ; fi après vous être arrachée d'un monde qui a mis tout en œuvre pour vous retenir 5 vous ne commencez pas à moins eftimerun bonheur que perfonne iip
POUR UNE pROrESSION ReLIG. :>c)^ VOUS difpuîera plus ! heureufe fi les fuites ne rallenîiflent rien de la fer\'eur de ces commencements ; èc fi après avoir fui le monde, lorfqu'il couroit après vous , vous ne le regrettez pas lorfqu'il vous aura tout- à-fait oubliée !
Mais 5 non 5 ma cherc Sœur , nous avons de vous de meilleures elpérances 5 & de» preifentimens plus heureux pour votre fa- lut : Confidimus meliora & viciniora falutï, jj^i^ Ce n'eil pas ici un parti pris dans un âge 6, (^ encore tendre 9 où une longue éducation dans ces faints afyles décide toujours pref- que de nos choix ; & où le monde encore inconnu n'offre encore rien aufli qui puiile nous féduire ; c'eilune fainte réfolution formée ^ foutenue long-temps au milieu du monde même ^ & d'un monde où tout vous rioit 5 où tous les fuiFrages étoient pour vous 5 où vous n'aviez que trop de ces ta,- lens dangereux qu'il faut pour lui plaire , où vous étiez devenue la feule confolation d'une mère défolée ; en un mot , où tout fembloit devoir vous attacher & où ce- pendant , quoique mille obflacles aient re- tardé le deffein où vous étiez de le quitter , rien n'a été capable de vous en détourner« Ainfî 5 ma chère Sœur, les applaudillemens d'un monde profane, auquel le cœur efl ii feniible , fi généreufement m.éprifés ; le fcul lien même qui vous attachoit encore au monde , en vous attachant à une mère tendre ce chrétienne , fi généreufement rompu : ce lien que vous reipeéterez tou-
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jours 5 &: dont le foiïveiîirpliis vif fans dou- te 5 fur le^oint d'en rompre les nœuds peur jamais , arrache peut-être encore à votre cœur des relies de regret & de tendrelTe , les routes fingolieres , par où la Providence vous a conduite en ce lieu faint : le foin ipécial qu'elle a paru prendre jufqiies ici de votre deitinée ; tout cela , ma clicre Sœur, nous radure fur les faites : les difficultés que le monde a fcnijées à votre cntreprife , nous répondent qu'elle ne peut être que l'ou.vrage de Dieu. Oui . Seigneur , vous ne rejetterez pas une vié^imae que votre îiiain elle-même a conduite à travers tant d'obîlacles au pied de rautel. Abandon- nez à la bonne heure , ces vierges impru- dentes , qui ne fc donnent à vous qu'à re- rret ; éi auxauelles l'orgueil tout feirl , & !e chagrin de iie pouvoir trouver dans le monde d'établiU-èirent qui foutienne la va- j ité de leur nom & de leur naiffance , ou- vre les portes de ce lieu faint : ne jcttez que (Iqs regards d'indignation & de m.épris fur ces facrificcs forcés qu'on offre au miOnde |)]utôt qu.'à vcus-n.ême . & où l'on ne vous tienne que ce qu'il a rejette. Mais pour cette Vierge fidelle , qui entre de bonne loi dans vos voies ; qui méprife avec une fainte fierté , tout ce que le m.onde lui of- fioit de chaiFiies ; qui renonce à tout pour vous fuivre ; qui vous confie le dépôt de fa foi & de fon innocence ^ & vous prend pour fa portion & fon fcul héritage : vous êtes .Seigneur 5 fideile dans vosproraeilés:
POUR UNE Profeshon Rflig. 397 vous la garderez comme îa prunelle de vo^ tre œii , & la mettrez à l'abri fous les ailes de votre grâce.
En ePi^et , ma cliere Sœur , il ne faut qu'examiner les caraftcres de l'alliance que vous allez contrader avec Jesus-Christ , pour conclure que de tous les préjugés de ikliit 5 il n'en efl pas de plus certain , ni de plus confolant pour vous.
17 ... I:
J.— iN premier lieu , le Seigneur va vous Refè. rendre fon Epoufe par une alliance de jufti- ce : Sponfabo te in jijjîiîiâ ^ premier carac- tère. C'eil-à-dire 5 qu'il étoit jufte que vous lui donnafîîez cette marque de votre amour; que votre reconnoilTance envers lui ne pouvoit s'acquitter à mioins 5 & qu'un fa- criiice mioins entier n'eût pas répondu à ce qu'il étoit en droit d'attendre de vous. Oui 5 ma cliere Sœur , la mefure de ce que nous devons à Dieu eu ce que nous )
avons reçu de lui : il n'exiî?,e pas également ■
de toutes les amies , parce qu'il ne leur donne pas à toutes également. Plus il fe comniunique à nous . plus il veut que nous foyions à Jui : plus il met dans notre cœur de deflrs de perfection & de fiàélhé , plus il veut que nous avancions, & que nous lui foyions fidelles : plus il nous pouffe, plus il faut mxarcher : en un mot , fes dons doivent régler nos efforts & notre zèle.
Or, rappeliez en ce momicnt 5 mia chère Sœur ; toutes les grâces dont il vous a.
39^ IV, Sermon
jLîfques ici comblée; des feiitimens de falut infpirés dans une première jeLuieffe ; tant de périls éloignés ; tant d'obflacles ? qui fembloient rendre la démarche que vous faites aujourd'hui impofïïble , furmontés ; tous les talens qui paroilToient devoir vous deRiner au monde & à la vanité , réfervés pour lui feul ; tant de fuggeflions pour vous dégoûter de l'état que vous embralTez , méprifées ; tant de pièges qu'une tendrelTe trop humaine vous tendoit chaque jour ^ heureufement évités ; ks larmes mêmes ^ les menaces de ceux qui avoicnt autorité fur vous 5 également inutiles : le monde entier conjuré pour vous perdre 5 ou par les embûches qu'il allembloit autour de vous y ou par les ientimens qu'il reveilloit dans votre coeur , & que vous ne pouviez refufer au fang & ià la nature ; le monde entier , dls-je , conjuré pour vous perdre , terralTé &: fouie aux pieds. Rappeliez 5 ma chère Sœur , toute la fuite des miféricordes du Seigneur fur vous , & que le fouvenir de cet enchaînement de grâces ne s'efface jamais de votre cœur.
Dans ces jours qui ont précédé ce jour heureux , lorfque laffée , ce fembîc , de vous [outcnlr toute feule contre toutes les attaques que le monde ^ que la nature, que votre propre cœur vous livroit ^ vous pa- roifîiez fur le point de fuccomber , & de vous y rendre : dans ces moniens tant de fois éprouvés , où votre piété fembioit <s'aifoiblir , votre fermeté s'ébranler y votre
POUR UNE Profession Relig. 399 foi s'obfcurcir ; & où le monde vous pa- roilTant plus aimable , la retraite Religieufe fembloitne vous offrir pîiis que des dégoûts &: des horreurs fecrettes ; que ie pafîbit-il alors dans votre cœur ? Jesus-Christ n'y éîoit-il pas lui-même pour vous fortifier ? D'où vous venoient ces infpirations fou- daines , ces retours de foi Se de religion , quelle étoit la vois fecrette qui vous par- îoit alors au fond du cœur ? N'éîoit-ce pas l'Epoux céleile ^ qui vous difoit tout bas : Infenfée , tout ce que tu vois , & que le monde te fait ejfpérer 5 pafTera ; mais les biens que je te promets, ne paîTeront point : que te ferviroit îe gain du monde entier , fî tu venois à perdre ton ame ? attache ton cœur 5 fi tu es fage , à ce qui ne peut t^échapper , & qui doit dem.eurer toujours : les créatures qui fembîent te promettre des plaifirs fi doux & une félicité fi riante , ne cherchent qu'à te fëduire : elles font toutes vaines , inconfiantes , faufies , perfides : elles ne te préparent que des dégoûts & des amertumes cruelles : le monde eft plein de malheureux ; & s'il s'y trouve quelque confolation , elle n'efi que pour les âmes qui m'y font fidelles.
Lorfqu'il vous parloit de la forte 5 ma chère Sœur , votre cœur , comme celui des Difcipîes d'Emmaiis , ne redevenoit-iî pas tout de feu pour lui ? ne fentiez-vous pas votre foi s'affermir , votre langueur îe ranim.er , vos irréfolutions fe fixer 5 vos ténèbres fe diffiper 5 Se la féraiité fuccéder
400 IV, S ER M C iV
îi l'orage ? Quelles étoient les fuites de cesr temps de tentation , finon une réfolution plus vive, plus décidée , plus inébranlable de vous confacrer à Jésus -Christ : Je ne fais que raconter ici Fhiftoire des mifé- ricordes du Seigneur fur votre ame , que vous nous avez confiée avec un attendriife- ment de reconnoiii'ance , afin qu'elle fût publiée fur les toits.
Voyez en effet , s'il en ufe de même en- vers tant d'autres que le torrent entraîne : il ne les trouble pas dans leurs voies infen- fées ; il ne daigne pas difputer leur cœur au monde qui le pcifede tout entier ; il les lailîe jouir paifiblement du fruit de leurs infidélités ; il femble leur en ménager lui- mên:e les occafions ; & par des jugemens fecrets & terribles 5 éloigner ou rendre inutile tout ce qui pourrcit les ram^ener aux voies de la vérité. Qu'avez-vous fait , ma chère Sœur , qui ait pu vous attirer ces égards & ces préférences ? où en feriez- voi's 5 s'il fe fût contenté de vous folliciter foiblement: de vous infpirer quelques de- firs de vous confacrer à lui , fans vous les faire exécuter, comme il en infpire tous les jours à tant d'ames en qui le m.onde étoufle ces commencemens de grâce , <k. qui de- jTneurent infideLlcs à leur vocation ? où en ferlez-vous s il eût borné toutes les opéra- tions de fa grâce à votre égard, à ces demi- volontés dont le monde eft plein , à ces réHexioîis flériles dîr les abus des pîaifirs , de la fortune , &: de toutes les chofes pré*
Pour ut^e Profession Helig, 46'î fentes qui ne converîiilent pcrfonne ; à ces projets éloignés de converfion qu'on ne forme tous les jours ^ que pour fe dire à foi-même qu'on n'ell pas encore endurci y qu'enfin on changera, & fe calmer en at- tendant 5 fur fes défordres ? Il le pouvoir ; & vous n'avez rien à fes yeux de plus que tant d'autres qu'il traite de la forte. Mais il vous a prévenue de fes bénédiâ:ions ; il vous a toujours environnée de fon bouclier. Plus le monde a fait d'efforts pour vous fédiîire , plus il a été attentif à vous pro- téger : il a toujours fur vous un œil ja- loux; appliquer! étudier les affoiblillémens de votre cœur , & prompt à vous les re- procher. Ah ! tant de foins ne dévoient pas aboutir à vous laiffcr expcfée au milieu des périls au monde corrompu : il travailloit à le former une époufe , à orner la viélime qu'il deftinoit à (es autels. En vous don- nant aujourd'hui à lui , vous ne faites donc que lui offrir fon propre ouvrage ; vous lui préfentez le fruit de fes foins ; vous pa- rez l'autel de fes propres dons ; vous lui rendez ce que vous en avez reçu ; vous vous acquittez envers votre Bienfaiteur : vous ne pouviez , fans injuftice & fans in- gratitude 5 mioins faire pour lui. îi avoit déjà fur vous , par fes bienfaits , tous les droits que vous allez lui donner par ce nouvel engagem. ent ; & la fainte alliance que vous faites aujourd'hui avec lui , eft une alliance de reconnoifiance & de juflice : Sponfabo te in jujlitlâ»
^02, IF. Sermon
Kefl* xVAAîs quand la juilice & la reconnoil^ fance n'exigeroient pas de vcus le facrifîce c[ue vous allez faire , la prudence chré- tienne ne vous permettroit pas do balan- cer ; & cette alliance fainte n'en feroit pas moins une alliance de jugement & de jQi- gefTe : Sponfabo te in judicîo ; fécond ca- ra 6l:ere.
Pefez en elTet , ma chère Sœur, fur quoi roule ce que vous allez facrifier , & de quel prix eu. ce que Jesus-ChPvIST vous prépare. D'un côté 5 une fiimée dont un ini?:ant décide; des plaiîirs qui durent peu , qui lafient dans leur courte durée 5 &. qui doivent être punis étcrneUcmenî 5 des ja- loiifies. dQs chagrins, des pa.fnons cnie tout allume 5 & que rien ne fktisfaiî ; des dé- goûts qu'il faut dévorer 5 & dont on n'o* îercit rriéme fe plaindre ; des remords fe- crets que rien ne calme ; desafruiettifTe- miCns & des ennuis m.ortels dont il faut m.ême ie faire un emprelTement Se un mé- rite ; des bizarreries 5 des rebuts de la part des Grands , qu'il faut elTuyer & diiîimu* jer ; un oubli cependant & un éloignement de Dieu inévitable ; m.ille périls dont l'in- nocence ne fort jamais entière ; des adou- ciiTem.ens dangereux fur les règles Se fur îcs devoirs ; des agitations éternelles , où il n'entre xiQn de plus foYide , quo» d'en s connojtre le néant ; une vie toute d'inu- tilités 5 de mouvemens , d'erreurs , de de- firs 5 de craintes 5 d'efpérances ; & enfin ,
FOUR UNE PROFESSÎO'KI ReLIG. 4^3 une mort accompagnée fauvcnt d'un re- pentir inutile , fouvent d'un calme funefle ; toujours terrible pour le falut , puilqu'elJe £nit toujours une vie , ou inutile , on cri- minelle ; voilà ce que vous facrifiez en re- nonçant au monde.
Mais de l'autre côté , que vous prépare Jefus-Chrift pour remplacer ce facriiice ? L'innocence & la paix du cœur , que le monde ne connoît pas ; la joie de la bonne confcience , qui eil la feule fource des vrais plaifîrs ; des devoirs 5 où l'on eft tou- jours payé- comptant de la peine , par la coîifoîaîiou qui en facilite l'accompHlfe- ment; une fociétc fainte dont la charité eil le lien , dont la paix fait toute la douceur; où Ton n'envie rien 5 parce que tout ell à nous comme à nos Sœurs ; où l'on ne fe défie de rien , parce qu'on n'a chacun que les mem.es biens à efpérer , & les mômes m^aux à craindre ; où la diverfîté des in- térêts ne divife pas les cœurs , parce que c'ell le même intérêt qui nous lie ; où tous les chagrins qui em.poifonnent la vie hu- maine 5 font inconnus , parce que les paf- fions qui les caufent en font bannies ; où nous trouvons des reiTources à toutes nos peines ^ des précautions contre toutes nos foibleiîes , des appuis dans tous nos découragemens , des attraits pour tous nos devoirs 5 une vie tranquille , inno- cente 5 pleine de bonnes œuvres ; où les aftions les plus indifférentes deviennent des vertus , & nous font comptées pour
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le Ciel ; Se enfin une mort femblabîe li celie des Juiles , pleine de confolation ^ fans regret à ce qu'on laiffe dans le monde , parce que n'y pollëdant plus rien , on n'y îaifle rien ; fans inquiétude de confcience far les affaires dont on s'étoit mêlé , parce que le falut avoit été l'unique affaire qui nous avoit occupés ; fans remords fur des îoiens mal acquis , parce que nous avions renonces à ceux-mêmes que nous pouvions légitimement poUeder ; fans fcrupule far les places où l'ambition nous avoit élevés 5 qui n'étoient pas peut-être celles que Dieu nous avoit deilinées , parce que nous mou- rons dans une fituation , où la grâce feule pouvoit nous placer ; en un mot , une mort douce , painble ^ & d'un préfage confolanî pour l'ctcrnitc , piilfque le mon- de n'ayant pas élé notre patrie , nous de- vons , félon les pronielles , la trouver dans le Ciel : voilà ce que Jesus-ChrïST vous prépare.
Or fur le point de vous déclarer aux pieds de f Autel , ne fentez-vous pas plus que jamais , ma chère Sœur , la fageffe de votre choix ? Examinez , vous dit encore Jesus-CkPvIST pour la dernière fois ; jettez les yeux fdr tout ce qui vous environne ; & voyez fi le monde « avec tout ce qu'il pouvoit vous promettre de plus pom- peux 5 peut être comparé à l'innocence & à la sûreté de l'afyle faint où je vous ap- pelle ; je vous permets d'en faire le paral- lèle dans votre cœur : voilà la montatzne
rouR uh'E Professio}^ Relig. 405 fainte où je me communique à i'ame com- me un ami à fon am.i , & la plaine où une foule infenfée adore le veau d'or -, le re- pos du Sané^uaire , & le tumulte du lieclc : choififfez 5 il eft encore temps ; votre fort ell encore entre vos mains : il faut vous attendre à des croix & à des am^ertumes dans m.on fervice : ma grâce vous adou- cira mon joug 5 il eil vrai; vous le trou- verez léger , & {on poids même vous con- folera ; m.ais en certains momens , pour éprouver votre fidélité , je paroîtrai vous laiilér à vous-même : je ne fufpendrai pas mes fecours , miais je fufpendrai mes con- folations : je ferai toujours avec vous ; mais je ne me ferai pas toujours fentir h votre cœur : je laiilerai à nion calice toute ioa amertume , & il ne vous offrira , comme le calice de mon Père ne m'offrit à moi- même 5 qu'un dégoût & une répugnance fecrette : je vous avertis , &c vous de- vez vous préparer à ces temps d'épreuve : je ne veux pas furprendre votre confente- ment , ni me prévaloir des premiers tranf- ports d'un zèle , qui fonvem mené plus loin qu'on ne voudroit : je ne prétends pas amufer la victime pour la divertir de la penfée du glaive &i du bûcher; ni vous mener à l'Autel les yeux fermés , pour épargner à votre folbleile la vue de l'ap- pareil & des rigueurs du facrifîce : je de- mande une offrande raifonnable & éclai- rée : je veux bien que l'amour feul foit le feu qui l'allume ; mais je veux un amour
40^ iV' S E R M O 1^
fage & prudent , & où la précipitation
n'ôte rien au mérite du choix & de la
préférence : en un mot , je ne veux vous
rendre mon Epoufe , que par une alliance
de jugement & de fagelie : Sponfabo u in,
jiidîcio.
Mais ce n'efl pas, ma cliere Sœur, ce qui va manquer à votre facrifice. Les épreuves qui l'ont précédé , les obflacles qui ïont re- tardé , les contradictions que vous avez eu à elTuyer durant li long-temps du côté du monde , du fang & de la nature ; la perfé- vérance inébranlable qui vous les a fait far- monter : tout cela ne laiffe rien à craindre fur l'imprudence 8c fur la précipitation de votre choix. Le monde n'a exigé que trop de temps pour les réflexions & les épreu- ves ; & vous étiez mûre pour la vie Reli- gieufe dès le premier jour que la grâce vous infpira la réfolution de vous y confacrer. Ainfî profternée ici aux pieds de l'Autel , votre amour ne fe plaint plus que des reîar- demens que les intérêts & les raiions hu- maines avoient apportées à votre facrifice. Vous dites à Jesus-CiîRIST dans l'impa- tience de vous confacrer enfin à lui pour toujours : Eh ! qu'abandonnerai-je , Sei- gneur , pour vous 5 qui ait pu demander tant de délais & tant d'épreuves ? La liberté que je vais perdre n'eil au fonds qu'une vé- ritable fervitude dont je m'aiFranchis : je ne ferai libre à mes yeux , que lorfque je ferai attachée à vous feul par des liens indiiTolu- bles : ah i jinques ici le m.onde me paroit
POUR UNE Profession Relig, 407 ©voir encore quelque droit fur mon cœur : il me femble que je tiens encore à lui par tous les endroits qui .ne nie lient pas à vous fans retour : ce reile de liberté me blelTe , & me paroît indigne a un cœur qui vous a choifi depuis long-temps pour fon unique partage : funeRe liberté dont je ne pourrois me fervir que pour devenir refclave du monde & des pallions inlenfées ! aim.ables chaînes aui vont m'attacher à mon Libéra- teur par des liens éternels , oc me m.etîre dans la liberté des enfans i Ainfi, Seigneur, le monde que je vous facrifre , vaut-il la peine d'être tant regretté ? Si je me {cns troublée fur le point du facriflce, c'eft de confufion & de regret , de ne pouvoir rien vous offrir qui réponde à la faveur iigîiaîée que vous m'allez accv:?rd3r. Jefoiihaiierois , Seigneur , que le monde , avec toute fa gloire , fût plus folide ; que fes efpérances furent plus réelles , fes plailirs plus dura- bles 5 fes biens plus vrais , fes proinefTes plus iînceres : ah ! c'eil alors que je voudrois le mettre à vos pieds avec complaifance , & vous faire hardiment un trophée de fes dé- pouilles : m.ais tel qu'il eft, il n'eft pas aifez aimable pour m'en faire honneur auprès de vous. Ce qui m.e confole , c'eil qiîe vous li- fez dans mon cceur : ce n'efl pas parce que le monde ne fauroit faire des heureux , que je vous le ficrifïe , c'eft parce qu'il eH votre ennemi ; 6c que l'aimer , c'eil vous haïr & vous perdre : trompeur ou folide, favorable ou iugrat ^ ndelle ou perfide, iii.em'auroit
4o8 IV, Sermon
jamais pîû : avec plus d'attraits récîs 5 il aii- roit peut-être mieux paré moniacrifice ; mais il ne l'auroit pas retardé d'un feul moment.
III. Il/T c'eft pour cda , ma chère Sœur , que Refl. l'alliance que vous allez faire avec Jesus- Christ 5 eft en troifieme lieu, une alliance de miféricorde i.S'pon/iZPo te in mifericordiu ; troi/ienie cara6i:ere. Cefl-à-dire , qu'il ne regarde pas au peu que vous lui offrez , &C qu'il vous donne plus qu'il ne reçoit devons. Je fais que vous lui donnez beaucoup félon le langage & les idées frivoles du monde , un grand nom , les talens que le m.onde efi:ime , de grandes efpérances , les titres de vos Ancêtres. Mais 5 ma chère Sœur , ffu and vous mettriez aujourd'hui aux pieds de Jesus-Christ des Sceptres & des Cou- ronnes 5 les Royaumes du monde & toute leur gloire , ne feriez-vous pas trop récom- pcnfée de pouvoir être , en échange 5 la der- nière dans fa maifon ? Ainfi plus vous lui fa- crificz., plus vous lui devez ; plus le m.onde fembloit vous offrir d'attraits . plus il a fallu de grâce pour vous en dégoûter : plus vous paioifiiez née pour la vanité , 8c avec tous les talens propres à vous perdre , plus il a fallu que le Seigneur préfervât de bonne- heure votre cœur, pour vous fauver , oC vous établir folidement dans la vérité.
Voilà pourquoi il n'eft pas de vanité moins pardonnable dans ces afyles faints, que celles de ces Vierges infenfées. qui rap- pellant avec complaifance le fouvenir du
nom
POUR UNE Profession Relic. 409 nom de leurs Ancêtres ; & du rang que la iiaiilance leur aaroit donné dans le monde ^ & groiriffant dans leur efprit le mérite de leur facriiice , prétendent s'attirer dans le lieu de l'humilité , des honneurs & des d'S- tin6tions 5 par cela mêm^e qu'elles y ont re- noncé ; traitent avec une forte de hauteur & de mépris y celles qui nées dans des cir- conflances plus obfcures Se plus ordinai- res 5 n'ont eu à offrir au Seigneur , comme la Veuve de l'Evangiie , qu'une foi vive , un cœur déiintéreifé 5 & toute la médio- crité de leur fortune ; comme il plus on avoit eu d'engagemens pour aimer le mon- de 5 plus la grâce n'avoit pas dû être puii^ fnite pour nous en retirer ; com.me fi un fouvenir qui devroit exciter notre recon- uDiiTancc , pouvoit aider à notre vanité , & que nous vouluffions trouver des titres de gloire & d'orgueil, dans les périls mêmes dont le Seigneur nous a délivrés par fli grande miféricorde.
C'eil donc Ici , ma chère Sœur , une al- li:înce toutd de miféricorde pour vous : c'eiï uns dillinclion dont la bonté de Dieu vous a tavoîifees depuis le commencement des fiecles. Il prévoyoit que, née avec tant d'a- vantages, vous ne lui feriez pas plus fidelle dans le monde , avec la mefure de grâces qu'il vous dellinoit, que tant d'autres qui y périffent : il lifoit dans le caradlere de votre cœur & de vos penchans , que vous n'y feriez pas à l'épreuve des périls qui y font ufréquens ; & comme il vous a aif;.iéc d'un
Oraifon funèbre, S
410 IV. Sermon
amour éternel, il vous a attirée à lui « feîon l'exprefTioîi d'un Prophète , par une abon /ere/7i.^3nce de miféricordc : Lied aîtraxl te mi- ji» ?• jlrans. Il pouvoit fans doute , vous laiflcr errer quelque temps dans le monde au gré Aqs pafTîons infenfées , & vous rappeller enfuite à lui par le dégoût qui les fuit tou- jours ; mais il a mieux aimé Iqs prémices de votre cœur. Ces temples qui ont fervi à Baal , ces cœurs qui ont été au monde , peuvent bien , à la vérité , lui être confa- crés : mais il y relie toujours je ne fais quel- le odeur & quelles flctrilTures , qui bleifent fa délicatefie ; & il n'y defcend pas avec tant de complaifance , que dans les cœurs înnocens &: dans les temples de Sion , qui n'ont jamais fervi qu'à lui feul.
Eefl. -^-^ ^^ s'agit donc plus 5 ma cîiere Sœur , que de répondre par une fidélité inviolable , à toutes les miféricordes de l'Epoux céîef- te : Sponfaho te in fuie , & c'eft ici le der- nier caraélere de cette fainte alliance. Oui ^ ma chère Sœur , vous ne ferez heureufe , dans le parti c\uq vous prenez , qu'autant que vous ferez èdelle : il ne faut ph^s vous promettre d'autre confolation , que dans la pratique exacte de vos devoirs. Le monde ,. qui iufques ici vous a ri , vous aura bientôt oubliées : vous allez tirer un voile éternel entre \w & vous ; n'attendez plus rien de ce côté- là ; vous allez déformais lui être in- tiifTérenîe , parce que vous allez lui devenir iiîiuilc : vous n'avez pas voulu de lui quand
TOUR UNE Profession Rflic, 411 ilparoiiToiî courir après vous , quel malheur fi votre cœur aîioit retourner vers lui ; lorf- qu'il ne voudra plus de vous , & qu'un en- gement éternel vous en aura pour tou- jours réparée ! vous ne le retrouveriez plus îe môme : il eft mocqueur , il efl: méprifant , il efl cruel mêm^e envers celles qui après l'a- voir abandonné, & embrafîe un état faint, regardent derrière elles ? lui tendent encore les mains , & jettent encore fiir lui des re- gards de coîiipiaifance : il infulte à leur hi^ confiance & à leur retour ; il leur fait lui- même une loi de le haïr : plus même leur facrifice avoit été éclatant , plus il donne du ridicule à la légèreté honteufe qui fem- ble le défavouer, & il fe venge de leur mé- pris paiTé par des dérifions piquantes.
Et alors , ma chère Sœur , quelles font les amertumes d'une vierge infidelle que le monde a féduite , & qui voit fes penchans mondains renfermés pour toujours dans le lieu faint ! Elle traîne par-tout {es dégoûts & fon inquiétude : les rigueurs d'une fainte difcipîine deviennent pour elle un fardeau qu'elle ne peut plus porter : elle ne trouve plus dans le fecret du Sanâuaire d'autres pîaifir que dans les fantômes qu'âne imagina- tion déréglée lui retrace : la prière n'eil plus pour elle qu'une contrainte , ou un tumulte d'images profanes &: mondaines , qui s'of- frent en fouie à fon cfprit ; les louanges du. Seigneur 5 une occupation oifeufe & defa- gréahle ; les exemples de fes Sœurs , un fpeâacle qui la fatigue «, p:;rce au'il lui re-
S 2
4iî IV. Sermon
proche tout bas fes infidélités : les devoir^ les plus légers de l'obéilTance la révoltent ; les pratiques les plus aifées de la régularité la gênent ; les mortifications les plus dou- ces l'accablent : ce qui confole les autres Epoufes de Jefus-Chriit , fait tout fon fup- pîice ; & comme fon dérangement lui attire tôt ou tard des murmures & des remontran- ces 5 de la part de celles qui font établies pour veiller fur fa conduite , elle nourrit des antipathies & des reilentimens , qu'illui faut dévorer toute feule ; que la préfence & les occafîons reveillent & aigriilént à tout mo- ment ; &: que la retraite rend fouvent plus vives, plus ameres & plus irrémédiables , que celles que les enfans du fîecle nourrif- fent les uns envers les autres.
Or 5 m.a chère Sœur î eft-il d'état plus mal- heureux fur la terre ? Sentir des penchans infortunés qui nous rentraînent fans cefle vers le monde & vers les plaifîrs , & fe retrouver fans celfe environné des horreurs de la pénitence &: de la retraite : iaiiter fans celfe échapper le cœur hors de ces barriè- res facrces , & ne le rappelîer que pour lui faire mieux fentir toute la rigueur de fa pri- fon & de fes chaînes : ne vivre que pour fouffrir fous un extérieur pénitent , & fouf- frir fans confolation & fans miériîe : vous fuir fans celle , ô mon Dieu ! & vous re- trouver toujours fur [es pas : courir avec une folle avidité , après un monde qui nous fuit 5 & cju'on ne voit que de loin ; & fe fai- re une félicité de defirer ce qui rend mal-
POUR UNE Profession Relic, 41^ Heureux ceux ~ mêmes qui le poiredent ! Mais que prétendez - vous , ame inlidclle ? ( fi parmi tant de Vierges ferventes qui m'é- coutent, ii s'en trouvoit quelqu'une de ce cara(!:lere. ) Renouveliez aux pieds de Je- fiis-Cliriii , tous les faints engagemens de Talliance que vous avez conîra£i:ée avec lui y & chcrchez-y les confolations & les feuls plainrs Iblides & véritables , qu'il vous y préparoiî : tous les autres ne font pas dignes du cœur ; ils vous font doublement inter- dits : perdez-en le defîr; puifqu'auffi bien il en faut perdre l'efpérance. Que vous êtes à plaindre ; & que votre état laille peu de relîburce à efpérer ! Lorfqu'une ame mon- daine s'égare ; elle trouve le reir.ede dans le mal miême : le dégoût fuit hlen-tàt les plainrs ; le nionde , vu de près 5 ne fe fou- tient pas long-temps contre Jni-niême ^ mais en éloignemenî il en impcfe ; c'efc-là fo?i point de vue le plus fcdùifaiit ; c'cfl une fi- gure 5 qui ne brille & ne trompe que de loin ; ridée qu'on fe forme de lui , eil tou- jours infiniment plus aimable que lui - mê- me ; & on l'aime long-temps , quand on peut l'aimer fans le voir & fans le connottre.
Mais d'un autre côté , ma chère Sœur , rien ne peut être comparé aux confolations que Jefus-Chrifi: prépare à votre fidélité. Le monde que vous avez toujours m.épri- fé , parce que vous l'avez connu , ne vous offrira jamais rien qui puillé venir troubler ici l'heureufe tranquillité de votre retraite. Si vous jcttez encore quelques regards fur
4t4 ^Ï^' s e r m 0 y:
lui ; ce feront des regards de compaiïToft & de douleur : vous gémirez aux pieds du Sanctuaire , de l'aveuglement & de la dei^ îinée déplorable de tant d'ames qui y péril- fent tous les jours , & de celles fur-tout que les liens de la chair & du fang doivent vous rendre plus chères 5 & dont le faiut doit vous intéreifer davantage : vous y dé- plorerez l'égarement & la folie de prefque tous les hommes ; & vous les verrez , avec v.ne fainte triltefTe 5 courir comme des infen- £23 5 après une fumiée qui s'évanouit , & né- gliger les feuls biens véritables , & qui feuls peuvent leur aifurer un bonheur éternel. Tantôt pénétrée du zèle de la gloire du Sei- gneur 5 û publiquement outragée par les fcandales & la licence des pécheurs , vous lui direz avec le Prophète : Qu'attendez- vous y Seigneur ^ votre patience femble au- torifer les crimes : il efl temps que vous ven- giez votre gloire oficnfée , & votre faint TiOm blafphêmé : pour peu que vous difTc- riez encore , votre loi fainte va être anéan- Pf. 118, tie : Tcmpus faciendi , Domine : dijjîpavc- J26. runî kgcm îuairu Tantôt touchée du mal- heur de ceux de vos frères , qui malgré tous leurs bons defirs ^ fe laifTent entraîner au torrent du monde & des pafTions , & dont la foiblelTé eft le plus grand crime : O mon Dieu ! lui direz-vous avec Job , fouvenez- vous que vous nous avez formés d'une Boue fragile : fortifiez les cœurs foibles , oc ôtez , ou aux fedudions &: aux plaifirs du monde , le funelle afcendant qu'ils ont
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POUR VNE Profession Rflic, 415 fur eux 5 ou à eux-mêmes la foiblellc , qui malgré eux , les en rend toujours les jouets & les efclaves. Tantôt enfin dépoiltaire âes plus fecrets fentimens de ceux-niêmes qui paffent pour les heureux du llecle , & qui viendront vous confier leurs chagrins , 8c fe confoler auprès de vous de leurs peines, des perfidies & des injuilices du monde i vous vous applaudirez au fortir de là de votre choix ; vous irez renouveller mille fois aux pieds de l'autel votre facrifice ; vous y remercierez , avec des tranfports d'amour & de joie 5 Jefus-Chrifl de vous avoir con- duite au port 5 & retirée d'un lieu où les apparences font fi trompeufes , les chagrins fi réels 5 les plaifirs fi tri/les, & la perte du falut cependant fi inévitable. Aïnil tous les jours plus attentive à reilcrrcr les liens heu- reux qui vous attachent à Jcfiis-Chriit, tantôt vous lui facrifierez un dcfir naiilaiit j tantôt une impatience qui déjà s'élevoit ; tantôt une animofité qui commençoit à ai- grir & troubler votre cœur ; tantôt une fatisfaâ:ion humaine que vous aurez trop fouhaitée ; tantôt une répugnance & un cha- grin que vous aurez trop craint ; & vous étoufferez les pafîions , avant même qu'elles aient eu le loifir de fe former & de naître. 11 vous tarde , fans doute , de l'éprouver, ma chère Sœur , & il eft temps. Une joie fainte fe répand déjà fur votre vifage : vous ne pâlifi'ez point àl'afpeâ: du bûcher, com- me ces vi61:imes infortunées , que la crainte ou l'intérêt feul 5 traînent à l'autel. Le fa-
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malgré eus , les « K«û w^ & les cfdaTK. Tarot dé- plus iecrets iasèsogSÊ&àt \- paiient poiii ks iwa«DX 4; ^'ielld^ont vous corfw k«r> - conioler auprès de ya» Ae .: perfidies & âes iajBÈioes c . . vous aDTjIaucI:^ as bm: ^
i. A. .
choix ; TOUS ira iCKWv. aux pieds de lauid tcv : remercierez • srocàe* ;,.. & de joie . le&s-Cknîi é: duite au pon , & iwsee . apparences foEîfitnKr fi réels , les pki&s fir-^^: lalut cependar.t ^ '':V-:*- jours pli-s atrc: . reux qui vous ?rrrr*g5t tantôt vous lui (?» '^xvti . tantôt une inçaâcBDc (fàx uv^-i tantôt une STiînwfaé «jn cxxniner. grir & troubler voac ancr ; ta fatisfaclion huzizine qac rou^ fouhaitée ; tantôt nue : grin que vous aurez l. étoufferez les paffioas, av aient pu leJmïÎT ck it fcr-
4^6 IV. Sermon
crifîce que vous allez faire avec tant de coiï* rage 5 touche déjà peut-être les fpeâateiirs : vous feule paroiffez ici ferme & tranquille ; & comme Jefus - Chrifl , fur le point de confommer fon ouvrage , vous dites aux témoins qui vous environnent, & que cette Luc. cérémonie attendrit : Ne pleure^ pas fur 25» îS. jjioi ; pleure^ plutôt fur vous-même : c'ed ici le plus beau jour de ma vie , l'accomplilTe- ment de tous mes fouhaits , & le plus haut point de mes efpéranccs : eh ! qu'y a-t-iî dans mon fort qui ne doive vous paroître digne d'envie ? je vais entrer danâ îe port, & je vous laifTe encore à la merci des fiors, Se fur ic point à tout moment d'un triile naufrage : je vais appaifer mon jiigc ; tra- vailler, tandis qu'il eil: tem.ps, à me le ren- dre favorable , & le conjurer de ne pas me rejetter éternellement de fa face ; & vous allez enrichir le tréfor de colère pour le jour terrible de fes vengeances : je vais mourir au monde , il eft vrai ; mais à un monde qui ne fait que des malheureux : à un monde qui eft déjà condamné ; à un monde qui va périr demain , & dont je n'aurcis pu jouir que pendant la courte durée d'une vie ra- pide : Ne pleur Cl donc pas fur moi : plcurci plutôt fur vous-miînes.
Quelle injuflice en effet , ô mon Dieu ! &. quel aveuglement déplorable , de plain- dre une ame qui fe donne entièrement à vous 5 & que vous mettez ici à couvert des pièges infinis , répandus fur toutes les voies des enfans des hommes : je mets à
POUR UNE Profession Relig, 417 vos pieds les dépouilles du monde , èc vous allez me revêtir d'un vêtemient de falut & de juflice : je me fépare du com- merce & de la fociété de ceux qui ne vous connoiiTent pas : & vous m'allez donner une place parmi vos Epoufes iidelles & fer- ventes : j'abandonne le lieu des peines Sc des tentations ; & vous m/allez introduire dans le lieu des confolations & des grâces. Monde profane , je ne vous ai jamais vu avec plailir , & je vous quitte fans regret : je lailTe encore , il efl vrai , au milieu de vous des gages qui me feront toujours cliers 5 & dont je ne me fépare qu'avec peine ; mais ne faut-il pas qu'il y ait de la douleur & du fang dans mon facrifîce ? ah ! Il je n'avois eu qu'à renoncer à vos pom- pes & à vos plaifirs frivoles , il m'en au- rcit trop peu coûté ; & ce n'eût pas été donner à Jefus-Chrill une grande marque d'amour , que de lui facrifier ce que je n'aimois pas. Que vous rendrai-je donc , ô^ mion Dieu ! pour toutes les faveurs dont vous m'avez com.blée ? je boirai votre ca- lice ; j'invoquerai votre faint nom : & je vous rendrai mes vœux en préfence de tout ce peuple , dans l'enceinte de votre maifon , pour faire avec vous une alliance éternelle , parce que vous êtes le Seigneur & le Roi de l'immortalité.
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ANALYSES
DES SERMONS
Contenus dans ce Volume^
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L SERMON
POUR UNE PrOFESSIOxN RELIGIEUSE,
1^^ I V I S I o N. Trois confolatlons de la J vie rdlgicufe» î. Une confolation d'é- lection, IL Vm confolation de prcferva^ non, ÎIL Une confolation de conjtcration»
L P A R T I E. Une confolation d'ekclion. Outre cette élection invifible par laquelle la miféricorcle de Dieu nous a marqués du fçeau du falut, & nous aféparés delà inafTe de perdition , il efl des élections vifibles qu'on peut regarder comme les moyens &c les préjugés coufolans de la première. Or telle ell la vie reîigicufe en eft'et , dans les âmes que Dieu appelle à cet état.
i". On y voit une préférence marquée au milieu d'une infinité d'iimes que Dieu
' Analyfes des Scrmom. 419
abandonne : Premièrement , préférence de pure bonté. Car , au lieu que les homm.es ne nous préfèrent dans la diilribution de leurs grâces , que parce qu'ils nous trou- vent ou plus utiles à leurs deffeins , ou plus dignes de leurs bienfaits ; Dieu , dans fes choix , ne confulte que fa miféricorde , parce que nous en fommes tous également indi- gnes. Ainfi les heureufes inclinations 5 le premier âge palTé dans l'innocence , l'éloi? gnement naturel du monde , font les fuites heureufes , & non les caufes de votre élec- tion. Car combien d'autres , avec les mê- mes fecours , n'ont pas perfévéré dans le deifein qu'elles avoient de s'enfeveîir avec; Jefjs-Chriil dans ces faintes retraites ? Se- condement 5 préférence confolanîe par fa finguîarité. Confiderez ce qui fe pafTe dans l'univers : comparez , fî vous le pouvez , le petit nombre d'ames jufîes & fidelles, qui au milieu de nous vivent de la foi 5 à cette multitude eifroyable d'infidelles . d'errans , de pécheïirs , de mondains , de tous les pays 5 & de toutes les nations 5 qui fuivent les voies de la perdition & de la colère : ced un atome au milieu d'un efpace im- inenfe ; & cependant c'eft parmi ce petit nombre même que le Seigneur vous a choi- fie : il vous a élue m.ême parmi {es élus. Que iie grâces renfermées dans une feule grâce : il vous a féparée de tant de peuples qui ne le connoiiient pas , ou qui le connoif- faut ne l'adorent pas comme il faut , de tant de Fidelles qui en l'adorant violent {qt
S6
420 Analyfcs des Sermons.
Loi fainte : il vous a privilégiée encore par dellus ce petit noirbre d'ames iitiles , qui au milieu des périls du monde le fervent , iriLiis font oblij^ées de fe partager entre le nioiide oc lui : ientez-voiis tout le prix de cette préférence ?
2". Nouveau fujet de confoîation dans votre éieétion : les moyens dont Dieu s'cH fervi pour vous y conduire. Quels prodi- ges le bras du Seigneur n'a-t-il pas opérés , Se quels moyens fa fageflé n'a-t-eîle pas em- ployés pour vous retirer du monde ! que de fecrettes invitations ! que de nuages difîi- pés ! que de dégoûts vaincus ! que d'obf- tacles écartés ! que de facilités ménagées \ que d'événements inattendus 1 que dé révo- lutions & de changements pour vous frayer le chemin' cù il vculoit vous conduire ! de forte que le Seigneur ne vous a jamais perdue de \aie , 8c que vous pouvez lui dire avec le Prophète : c'eil vous , Sei- gneur 5 qui avez préparé toutes mes voies , & jqui dès le îcin de ma mère avez mis vo- tre main fur moi. Telles font les grandes miféricordes du Seigneur fur les fiens.
3". Autre fujet de confolat;ondans vo- tre éleéiiion : les fecours & la protcélion que Dieu promet , Se qui font toujours les iuites de cette éleâiion. C'eil une vérité du falut que les fecours particuliers de la grâce /iiivent d'ordinaire le choix qu'elle fait de r^ous. Tel ell l'avantage d'une ame qui en- tre dcLiis une voie que la m.ain m.ême du Seigneur lui a frayée : elle ne doit plus fe
Analyfcs des Sermons, 42 1
regarder elic-meme , ni s'arrêter à la dif- proportion qu'elle trouve entre fa folblelfe , & les difTiCultés de la voie où Dieu l'ap- pelle , c'ell Dieu même qui Fy conduit, êc c'ejpc aîiez ; elle peut dire avec le Prophète : Le Seigneur efl mon guide ; rien ne me man- quera. Au lieu que les âmes mondaines en- trées la pluDart dans l'état où elles fe trou- vent 5 fans vocation du Ciel , font livrées à leur propre foibleife , & Dieu ne les fou- tient point dans des voies que lui-même lie leur a point clioifies De-là vient que nous voyons tous les jours tantd'ames dans 3e monde , qui remplies d'ailleurs de bons àz£\ïs j & nées avec d'heureufes inclina- tions 5 fe plaignent fans ceffe de leur foi- blefie ; des âmes pour qui tout eft un écueil, & en qui les plus fermes réfolutions ne vont jamais plus loin que jufqu'au premier péril : c'eft que le Seigneur les laiile errer au gré de leurs pafTions dans un monde , où fa main ne les a pas placées. Pour vous que la main du Seigneur conduit dans le lieu faint , vous pouvez avec con^ance vous répondre de fa protedion & de fes grâces, ^^e craignez donc pas les peines & les difficultés que la vie religieufe femble d'abord oflrir à la nature : d^s auftérités fe changeront pour vous en de douces confo- lations ; {es devoirs les plus pénibles fou- tiendront votre foi , loin de l'ab battre ; & vous ferez vous-miêm,e furprife de votre force & de votre courage. Mais ne comp- tez pas tellement fur la grâce de votre éleç-
'422 Analyfcs des Sermons.
tion 5 que vous laifliez affoiblir en vous cette première ferveur de i'efprit : fi vous vous relâchez , en vain étiez-vous appellée aux noces de l'Epoux , vous ferez rejettée , comme les Vierges imprudentes , quoique leur vocation fut certaine.
IL Partie. Confolation de préfcrvatlon. En effet , vous quittez le monde ; mais qu'eft-ce que ce mionde miférable duquel la miféricorde de Jésus- Christ va vous fé- parer à jamais ? Premièrement , c'eft une région de ténèbres ; fecondement , une voie toute femée d'écueils & de précipices ; troifîémement , c'eft le Heu des tourmens & des trilles inquiétudes.
i^. Une région de ténèbres -, la vérité n*y trouve ou que des aveugles qui ne la connoiilent pas ou que des ennemis qui la combattent ; & fans parler de tous les di- vers genres d'aveuglemens fi répandus dans le monde , qui atttaquent le fondement de la Foi & de la Doâ:rine fainte , arrêtons- nous aux erreurs qui en altèrent les règles Sl les maximes. On annonce tous les jours ces maximics faintes avec autant de force , d'exaâitude & de lumière , que dans les premiers âges de FEglife : cependant il n'en eft aucune fur lacTuelle le monde ne répan- de encore des adouciffemens , de faufies couleurs qui les défigurent, ou des nuages qui les cachent : & ce ne font pas là les er- reurs de quelques particuliers , ce font les erreurs de prefque tous les homm.es , ceU la do^lrine du monde entier 5 contre la-
Analyfes des Sermons. 423
quelle il n'eft plus temps de s'élever. C efl ainfî que tous les hommes prcfque mar- chent , fans le favoir , dans les ténèbres ; & c'efl ainiî que vous auriez vécu , ifî la miféricorde de Jefus-Chriil: ne vous avoit retirée de cette région de ténèbres , pour vous faire pafTer à un royaume de lumière ^ vous auriez regardé comme des vérités , les erreurs reçues de la multitude ; vous auriez fiîivi les voies que tout le monde regarde comme sûres. Les miféricordes du Sei- gneur fur vous font donc dignes d'une re- connoiffance qui ne doit plus finir qu'avec votre vie. Voyez , tandis que des ténèbres épaiffes couvrent toute la terre , comme la lumière du Seigneur s'eil levée fur vous feule , comme il vous* a conduite dans un lieu 011 tout vous montrera la vérité. Rien en effet n'eft plus confolant pour une ame que la miféricorde du Seigneur a féparée du monde , que ce premier coup d'œil qui lui en découvre les erreurs & les fauflés maximes.
2^. Le monde ed une voie toute femée d'écueils & de précipices. Tout eil danger dans le monde : danger dans la naiffance j dans l'élévation , dans les foins publics , dansl'ufage des grands biens, dans les entre- tiens j dans les amitiés , dans le mariage , dans l'état de liberté , &c. voilà le monde : fî vous échappez d'un péril , vous venez bien- tôt échouer à un autre ; & ne croyez pas que tous ces dangers euilent été moindres pour vous que pour un autre. Quand même dos
42-4 Analyfes des Sermons.
exemples domeftiques^ de vertu aiiroieiit quelque temps défendu votre innocence ; ah ! que les exemples touchent peu dans cette première faifon de la vie qu'on def- tine à l'oubli de Dieu ! Vous auriez peut- être envié le bonheur des âmes qui fervent Dieu 5 & qui font à lui fans réferve ; mais rentraînée à i'inftant par le torrent fatal des exemples , la vertu n'auroit jamais eu que vos foibles defîrs ^ & le monde toujours votre cœur & vos affecPcicns véritables. Ce ii'efl pas qu'en convenant des périls inom- brabîes du m.onde , &. de la difficulté d'y faire fon falut 5 je veuille juftiiier les vaines excufes des mondains. Il eft difficile , di- fent-iis 5 de vivre chrétiennement dans le monde : cela ell vrai. Mais combien d'ames fîdelles la grâce y fonne & y conferve-t-elle tous les jours à vos yeux ! Le plus sûr, dites-vous , feroit de tout quitter , & de s'aller cacher au fond d'une retraite. Ah ! je l'avoue avec vous ; mais il ne faut pas que les defirs d'un état devenu impoffibîe , vous calmient fur les dangers de votre état préfent : c'eil. une illufion de ne pas faire ce qu'on doit , parce qu'on voudroit faire ce qu'on ne peut pas.
^^. Le monde eft le lieu des tourmens & des trifles inquiétudes. On croiroit d'a- bord que la joie & les plailir font le par- tage de ce monde reprouvé ; mjais il s'en faut bien. Hélas ! fi l'on pouvoit y être heureux du m.oins en oubliant Dieu , & en rie refufaiit rien aux paillons iiifenfées ; £1
Analyfes des Sermons. 42^
on n'évitoit pas les fupplices éternels defti- nés aux pécheurs j du. moins on jouiroit du préfent ; mais ce préfent même , cet inf^ tant rapide , eft refnfé au pécheur. Dieu qui nous a faits pour lui , ne veut pas que nous puifTions être un inftant même heu* reuxfans lui : il fe fert de nos paillons pour nous punir de nos paiTions m^ême. En vaiu ïîous formons-nous un plan de félicité dans le crime , notre cœur démient bientôt cette efpérance ; & il ne nous refte rien de plus réel de cette vaine idée de bonheur , que le chagrin de nous l'être envain formée, Jefijs-Chriit n'a pas laiffé fa paix au mon- de 5 il ne Fa I aillée qu'à fes difciples : ainiî en le lui facrihant aujourd'hui , vous ne lui facrilicz rien- de trop aimable ; & ce qui fait le prix & le m.érite.de votre facrifice , efl bien plutôt le plaifir faint avec lequel vous le confomm^ez , que les plaiurs frivo- les auxquels vous renoncez. Oui , fi vous connoifTiez le fond ScTintérieur de ce mon- de miférable , vous n'y verriez que des malheureux. Voilà le monde avec toutes fes erreurs , fes périls & fes inquiétudes. Réjouiflez-vous donc de ce que Dieu vous a délivrée de la tyrannie de ce monde pour faire fa demeure au milieu de votre cœur 6>c y établir une paix &L une férénité éter:- nelle.
4l6 Analyfcs chs Sermons*
IL s E R xM O N
POUR UNE PROFESSION
Religieuse,
JvîSlON. L Les tentations. IL Les con- ^folations de la vie Rdigieufi,
I. Partie. Les tentations de la vie ReligieufeAl y a trois tentations à craindre dans cet état : premièrement , la tentatioii du temps ; fccondernent . la tentation du dégoût ; ftroiliémement ^ la tentation des exemples.
i^. La tentation du temps. Les commen- cemens font d'ordinaire fcrvens & fldeiles : mais ces premières années pailées dans la ferveur 5 on croit être en droit de fe repo- fcr : première tentation. Or pour vous ar- mer contre un écueil où la grâce de la vo-' cation vient fouvent échouer , fouvenez- vous que l'efprit de la vie reîigicufe que vous embraffez , eft le même pour tous les âges ; que les règles faintes de cet Infcitut font les mêmes pour tous les temps ; & qu'ainfi dans un âge plus avancé , comme dans une première jcuneife • puifque la fainteté de votre état fera toujours égale , votre fidélité doit toujours être la même. Ce ne feroit pas même alTez : plus vous avancerez dans la profefTion religieufe y plus vous devez croître dans la grâce de
Analyfcs des Sermons, Aiy
votre état. Qui n'avance pas dans les voieà de Dieu, recule. P-Zlais s'il étoit un temps où il fût permis de fervir Dieu avec une forte de tiédeur 5 il femble que ce devroiî êtrie dans le commencement de la carrière , où la grâce efl encore foible ; au lieu que dans la fuite 5 la grâce ayant dû croître en nous^ & l'efprit de notre vocation fe fortifier 5 la tiédeur devient un crime. Car il n'en efl pas de la milice de Jesus-Christ , comme de celle des Princes de la terre : dans celle ci après un certain temps de travail & de fer- vice 5 on acquiert le droit de chercher dans le repos le délaffement & comme la récom- penfe de fes fatigues paiTées ; mais dans la milice de Jésus Christ , c'eil en être dé- ferteur que de ceffer un moment de com- battre ; & fe relâcher après quelques an- fées de ferveur , c'eil perdre tout le fruit de fa fidélité pa(lee.
2°. La tentation du dégoût. Les commen- cemens fur-tout de la vie chrétienne & reli- gicufe font toujours accompagnés d'un cer- tain attendriiTement de cœur qui nous en adoucit d'abord tous les exercices. Alors tout s'applanit , tout devient aifé : mais ce premier goût s'ufe d'ordinaire ; alors nos penchans d'abord {1 dociles le foulevent con- tre le joug: de-là vient qu'on fe décourage, & qu'on ne fait plus que fe tramer dans la voie fiinte. Pour prévenir m\Q tentation fî ordinaire dans ces retraites religieufes y écoutez les avis fuivans : le premier ell que la fource de nos dégoûts dans les voies de
42-3 Analyfes des Sermons,
Dieu 5 efl d'ordinaire dans nos infidélités t ce n'eîl que lorfqiie nous commençons à mêler à.es adoiiciliemens aux devoirs , que les devoirs con.mencent à devenir trilles & pénibles. Ainfi G. vous éprouvez jamais ces dégoûts dans la voie fainte où vous entrei^ examinez-vous d'abord vous-même ; & voyez s'ilnya pas dans votre cœur quelque principe fccreî d'infidélité 5 qui infeÔe tout ie détail de vos exercices , & qui éloigne Dieu de vous. Un fécond avis , c'ell que les dégoûts peuvent fe trouver quelquefois dans la vie la plus fervente & la plus f délie : & en vous confacrant aujourd'hui à Jesus- CfîRlST 5 vous devez vous attendre à des am.erîumes dans fon fervice. Au commen- cem.ent ce la carrière , il nous fouticnt par des confolations fer.iibles ; c'efl un lait dont il nvourrit notre folblcffe : n:ais à niefurc que nous avançons , il nous traite comme dQS hommes forts ; il ne nous nourrit plus que du pain de la vérité , qui cftla nourri- ture des parfaits ; & un pain fouvent de tri- bulation & d'amertume. Mais ce qui doit alors vous confoler , c'efl que le Seigneur ne demande pas de nous ie goût , m^ais la fidélité ; c'efl que la vie religieufe efl une vie de mxort & de facrificc ^ & que cet état de peine & de triitefîe paroît l'état le plus naturel d'une ame qui a pris la croix de Jesus-Christ pour fon partage.
3^. La tentation des exemples. C'efl en- core un des plus dangereux écueils de la vie religieufe. C)ui 5 quicique la maifon où vous
Analyfes des Sermons. ^if catrez conferve encore le premier efprit de zèle , de cliarité &de fidélité , qu'elle reçut des mains de fon bienheureux Fondateur , néanmoins parmi tant de Vierges fidelles & ferventes , il eft difficile qu'il ne s'en trouve quelqu'une en qui la foi paroifie plus foi- ble , la piété plus languiltante ; en un mot toute la conduite ulus humaine ; or nen n'en: plus à craindre que la tentation de cet exemple. Sic'étoient des exemples d'un dé- règlement ouvert ck déclaré , ils ne trouve- roientenvousque Findignation & l'horreur qu'ils méritent ; mais ce font des exemples qui s'offrent à nous fous une couleur fpé- cieufe d'innocence , qui ne nous préfentent que des adonciiremens légers & prefque nécelTaires à la tbibleilé humaine. Le re- mède contre une contagion il à craindre inême dans le lieu faint , c'efl pi-cîiiiérem.ent de fe dire à foi-même , que Dieu permet les exemples de relâchement dans les Mai- fons mêmes les plus ferventes ^ pour éprou- ver les âmes qui lui font fidelles : feconde- nient , c'cik de rappelîcr fouvent l'exemple de ces pieufes Fondatrices qui vous ont fraïé les premiefes voies de ce fervent înliitut : troifiémement, fans chercher des exemples dans les temps qui nous oîit précédés , c'êil de vous propofer fans ccffe celui des Vier- ges ferventes , qni marchent ici à vos yeux avec tant de fidélité dans la voie du Sei- gneur : c'ell d'étudier leur conduite 5 ai- *mer leur fociété , rechercher leur confiance. IL Partie. Les confolations de la
4^0 Analyfis des Sermons.
vie Relnneiife, Elles confiRent dans trois
avantages : Premièrement , les tentations
y font moindres ; fecondement , les fecours
y font plus grands ; troifiémement , les
confolations y font plus pures & plus
abondantes.
i^. Les tentations y font moindres ; parce que les trois grands écueils de l'innocence des hommes , n'exercent ici qu'à demi leur malignité & leur empire. La première ten- tation de la vie humaine , ce font les ri- diefîes : or le dépouillem.ent religieux y met à couvert de cette tentation ; c'eft-à- dire , de l'attachement aux richeiies , de l'ufage injufte qu'on en fait , & àes foucis inféparables , foit de î'acquifition , foit de la confcrvation des richelIès. Le facrifice que vous allez faire à jESUS-CHRiST de votre corps , en le confacrant à une conti- nence perpétuelle , vous rend fupérieure à la tentation de la chair , qui eft la féconde tentation de la vie humaine ; car au lieu que le monde entier femble s'emprefier & fe glorifier de faire naufrage contre cet écueil 5 dans ces afyles faints tout infpire la pudeur , tout fouîient l'innocence. Lp troi- fîeme écueil de la vie humiaine , c'elH'ufage capricieux de notre liberté : or le facrifice de votre efprit & de votre volonté que vous allez faire à JESUS Christ , vous met à cou* vert de cette tentation , & des chûtes & des embarras qu'elle entraîne. Car au lieu que • dans le monde cette liberté que les hom- mes font tantvaloir cymm-cleurfouveraine
Analyfcs des Sermons, 431
félicité 5 cd pourtant la foiirce de cet ennui qui enipoifonne tous leurs plaifirs , & la caiife du peu d'ordre qui fe trouve dans leur vie ; au contraire dans la vie religieufe tout efi réglé ; chaque moment a fon emploi marqué : la tentation de l'ennui , de l'inu- tilité où Ton vit dans le monde , n'y eft pointa craindre : on n'y vit point au hazard & fous la conduite (i incertaine & toujours dangereufe de foi-même ; on y vit fous la main des règles , pour ainfi dire 5 tou- jours sûres & toujours égales.
2". Les fecours y font plus grands. Pre- mièrement , le fecours de la retraite qui vous meta couvert des périls dont le monde eft plein : fecondement , le fecours dî^s exercices religieux , qui miOrtifîent les imC- iions j qui règlent les fens , qui nourriifent la ferveur , qui anéantiifent peu-à-peu l'a- mour propre, qui perfectionnent toutes les vertus. Troifiémemicnt 5 le fecours des exem- ples ; quel bonheur de vivre parmi des Vier- ges fîdelies 5 qui nous infpirent l'amour du devoir , & nous foutiennent dans nos dé- couragemens ! Quatrièmement , le fecours de la charité , des attentions & des préve- nances de nos Sœurs ; quelle douceur d'a- voir à palTer fa vie au milieu des perfonnes qui nous aiment , qui ne veulent que notre falut , qui font touchées de nos malheurs ; fenflbles à nos affliârions , attentives à nos befoiiis 5 fecourables à nos foiblejfles ! &c. Cinquièmement 5 le fecours des avis & dQs fages confeils , qui nous redreilent fans
^,^1 Analyfes des Sermons,
nous aigrir , qui préviennent nos fautes , ou en font aufTi-tôt le remède. Sixièmement, le fecours des prières & des [^émiilemens de nos Soeurs , qui s'inîéreiFent pour nous auprès de Dieu , attirent fur nous fes mifé- ricordes. Septièmement , les grâces inté- rieures que le Seigneur verfe ici avec abon- dance , &: qui non-feulement adoucilTent fon joug , mais nous le rendent aimable. 3^. Les confolations plus pures & plus abondantes. On y goûte cette paix du cœur que le monde ne connoît pas , & qu'il ne fauroit donner ; cette joie qui fort du fond d'une confcience pure ; ce calme heureux dont jouit une amc morte à tout ce qui agite les enfans d'Adam ; ne goûtant que Dieu feiil , & ne délirant que Dieu feul 5 8c ne s'étant refervée que Dieu feul.
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III. SERMON
FOVR UNE PROFESSION
Religieuse,
I V I s I ON. Trois réfiexlom fur les trois vœux de Vétat Religieux , dans Icfqudles on examine ce que ces vœux ont de commun avec la vie chrétienne , & c$ quds y ajoutenî de plus,
L RÉFLEXION, (lir le vœu de vir- gjiûi perpétuelle. Ce vœu vous engage à
deu24
Analyfis des Sermons, • 4:5 3 . (âenx devoirs : le premier , c'eft Fentiere fonmiffion de la chair à refprit ; devoir qui vous eil commun avec tous Iqs Fidelles ; le fécond , les moyens pour parveliir à cette foumilîion , dont le principal vous eil parti- culier & propre de votre état , & les autre» regardent également tous les Chrétiens.
Premier devoir ; l'entière foumillion de la chair à l'eiprit : devoir qui vous eft com- mun avec tous les Fidelles. Car la pureté que la fainteté de la vocation chrétienne exige de tous les Fidelles , ne fe borne pas à leur interdire certains défordres groiliers & honteux; elle va bien plus loin. Comme tout Chrétien a renoncé à la chair daus fou Baptême , & que par-là il ed devenu faint, fpirituel, membre de jESUS-CîiPasT , tem- ple du Saint - Efprit , il faut pour remplir cette haute obligation , qu'il fe regards comme un homme céiefte^ confacré par l'onclion de la divinité qui rédde en luL Dês-lors pour un Chrétien , non-feulement tout ce qiîi fouille la chair eH un facrilege , mais tous les plaifirs même légitimes , où il ne cherche qiîe la fatisfaâiion des feas, fouillent & profanent fa confccration. Or , pour parvenir à cette parfaite foumilTion de la chair à Tefprit , les faints Fondateurs
Jésus -Christ 5 laquelle ne confifte pas feulement dans le renonccmein à la iociété fainte du mariage : tout doit être pur oç Graijbn funcbrce A
434 Analyfes des Sermons,
chade dans une Vierge confacrée à la chaf- teté Religieiife ; tout ce qui n'eft pas faint y éternel , célefte , la fouille , la dégrade , l'avilit : telle eft l'excellence de la fainte virginité qui va vous confacrer à Jesus- Christ. Pour faciliter la pratique de ce premier moyen , les premiers Inflituteurs y en ont joint un fécond ; favoir , les jeû- nes 5 les veilles , les macérations , la prière, parce qu'ils ont compris qu'il étoit impofTi- ble de conferver le corps pur au Seigneur, fî la mortification n'en réprimoit les révol- tes , & fi la prière n'en purifioit les defirs. Or 5 voilà l'avantage que vous avez dans Votre état fur les perfonnes engagées dans le monde : comme vous , elles font obligées de conferver leur corps pur au Seigneur ,& de s'interdire tous les defirs qui pourroient fouiller Famé : mais pour en venir là , ils font obligés comme vous , & encore plus que vous , de fe mortifier fans ceffe , de veiller , de ne point celler de prier & de gémir pour appeller le Seigneur au fecours de leur foiblefie. Mais ces devoirs fi QÛ'en- tiels à cette vertu , qui vous conferve pure -& fans tache , deviennent com.me im.prati- cabîes au milieu du monde : la prière n'y efi: même pour les plus réguliers , qu'un moment de bienféance & d'ennui , accordé le matin & le fbir à ce faint exercice : la mortification n'y efi: pas moins inconnue 8t impraticable que la prière ; en effet , com- ment fe m.ortificr au milieu d'un monde oii l'on donne tout am^ feiis l Mais dans ces
Analyjes des fermons, 43 5
pfyles faiiits , la prière & la mortification îdeviennent comme le fonds '& l'occupation iiécefTaire de votre état , & il en coùteroit plus de s'y refiifer , que de s'y livrer avec une confiante fidélité : tout y facilite la prière , parce que tout y infpire le recueil- lement : tout y conduit à la mortification ; les faints ufages établis 5 les exercices Reli* gieux , l'auflérité de la vie commune , &c. Ainfî le feul privilège que les perfonnes du monde ont icipar-defTus vous , c'efl qu'a- yant au fonds les mêmes obligations que vous , elles n'ont pas les mêmes facilités pour les remplir.
1 1. Reflexion , fur le vœu de pnu^ vreté. Comme nous ne faurions prefque plus jouir des bienfaits de l'Auteur de la nature fans en abufer, les faints Fondateur» ont cru qu'il étoit plus sûr & plus facile de s'en dépouiller tout-à-fait , que de fe con- tenir dans les bornes d'un ufage faint & lé- gitime. Or 5 cet engagement de pauvreté Religieufe renferme trois devoirs eifentiels; premiéremicnt 5 un détachement de cœur de toutes les chofes de la terre ; feconde- ment , nne privation aftuelle de toutes les fuperiluités; troiiiémemient , une foumifTion & une dépendance entière des fupérieurs , dans i'ufage miême des chofes les plus né- celTaires.
Le premùer devoir , quî confifle dans le détachement de cœur de toutes les chofes tle la terre , efl une obligation qui vous efl commune avec tous les Fidelles , puiique
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43^ Analyfes des Sermons,
c'eft une fuite du fécond vœu de votre Bap- tême . par lequel vous avez renoncé au monde & à fes pompes. Tout Chrétien doit vivre détaché de tout ce qui l'environne ici- bas ; parce que tout Chrétien doit fe re- garder comme étranger fur la terre ; mais rien de plus rare que ce détachement de cœur dans le monde , où Ton ne vit que comme (i nous n'étions faits que pour ce que nous voyons , ^ que la terre dût être notre patrie éternelle. Or , c'eft en quoi l'opprobre de Jésus -Christ 5 que vous- embraffez 5 doit vous paroître préférable à toutes les Couronnes de la terre ; ce déta- chement fi indifpenfable pour le falut , & fi difficile dans le m.onde , devient comme naturel dans la Religion ; parce qu'il cfl sifé de fe détaclier de tout , quand on s'efi: dépouillé de toiit ; de ne tenir à rien iur la terre , quand on n'y pofTede rien ; & d'être pauvre de cœur , quand on efl pauvre réellem.ent oC en effet.
Le fcccnd devoir de la pauvreté Reli- gieufe 5 c'eil le retranchement a£l:uel de tontes les ftiperfiuités; c'eil à-dire , de tout ce qu'en appelle dans le monde les aifes &: les commodités de la vie : devoir indifpen- fable à tout FideJle , puifqu'il eft encore une fuite des engagemens du Baptême. Les créatures ne font pas faites pour fournir de vains piaifirs au Chrétien 5 puifque l'Evan- gile les lui interdit tous , Se qu'il y a re- noncé lui-mêm.e dans fon Baptêm.e. Bien plus 5 comme pécheurs ^ nous avons perdu
Analyfcs des Sermons, 437
le droit d'iifer des créatures , & de les faire fervir à nos befoiiis , & ce ii'e fl: que par grâce que Dieu nous en accorde Fufage. Selon ces règles capitales de la foi , on doit vivre pauvre au milieu de Topulence & fe reîraViclier tout ce qui ne tend qu'à .flatter les feus 5 tout ce qui fert d'é^^iiHon aux paillons. L'avantage que les perfonnes du monde ont donc ici au-deiTus de vous , c'eil (VJ.Q fans renoncer à leurs grands biens 5 elles ne peuvent pourtant les faire fervir à leurs plaiars ; c'elt qu'à portée de fe ménager tou- tes les fuperfîuités , elles font obligées de fe les interdire ; c'eil: en un mot qu'elles ont plus d'embarras que vous , & n'en ont pas pour cela plus de privilège. Une Epoufe de Jef-is-Chriil:, à la vérité , qui a joint à cette obligation commune , une promciïc parti- culière de vivre dans le dépouillement Reli- gieux, doit fe difputer avec pltis de rigueur les plus légères fiiperfluitéc ; & non-ieiile- iv.tiit éviter les profulîons de la vanité 5 mais y joindre \e^ privations d'une humble pau- vreté. Mais vous voyez que ce que voira engagement exige de plus de. vous, que àcs perfonnes du monde , ed plutôt une facili- té pour remplir le vœu de votre Baptême , qu'une nouvelle rigueur que vous y ajoutez. Le îroiiieme devoir de ce dépouillement Religieux , eft la foumiiïîon , & la dépen- dance entière des Supérieurs dans l'ufage même des chofes les plus nécefTaires; c'eft- à-dire , regarder tout ce qu'on nous lailTe comme n'étant point à nous , n'en ufer que
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félon Tordre &: la volonté de ceux qui noui gouvernent , & n'avoir à foi que le faint plaifir d'être libre & dépouillé de tout. Ne vous figurez pas cependant qu'en ceci mê- me votre condition foit plus dure que jcelle des perfonnes du monde. A la vérité , la foi n'exige pas d'eux qu'ils dépendent des hom- mes dans l'ufage de leurs biens ; mais ils dépendent toujours des maximes de la foi qui doivent régler cet ufage ; ils dépendent fans cqÇ[q de Dieu qui peut leur enlever ces biens à chaque inftant : ils doivent donc fe regarder toujours comme des efclaves à qui le maître peut redemiander les biens qu'il leur a confiés , fans qu'ils puilî'ent y trouver à redire ; en ufer comme pouvant en être dépouillés l'inftant qui fût; ne les pofféder que comme ne les polTédant point; fonger en un îiiot , que tout ce qui leur appartient , c'eil le droit de faire valoir leurs biens au profit & pour la gloire du Maître fouverain qui leur en a confié i'adminillraîion. La pauvreté Religieufe ne diminue donc pas vos droits f ir les biens & fur les plaifirs de la terre , puifque le Chrétien n'y a point de droit , elle diminue feulement vos em- barras & vos inquiétudes : & loin de vous im.pofer un nouveau joug , elle vous met . dans une liberté parfaite.
ÏIÎ. Reflexion, fur le vœu d'ohéif- fance. Le monde qui ne connoîtpas la vertu de la foi& l'efprit de la vie chrétienne , re- garde cet engagement comme un joug af- freux &: insupportable à la raifon : il eft
Analyfes des Sermons. 439
vrai qu'il paroît d'abord fort triile &: fort dur à la nature , d'être forcé de facrifîer fans celfe fes propres lumières , auxlumie- res& fouvent aux caprices de ceux qui nous gouvernent ; cette iituation paroît révolter d'abord tous les penchans les plus raifon- nables de la nature ; & ôter aux hommes la feule confolation que les maux leur laif- fent , qui eft l'indépendance ôc la liberté de difpofer de leurs aérions & d'eux-mêmes. Mais ce n'elï là qu'un langage dont le m.on-^ de fe fait honneur; car trouver dans le mon- de un état d'indépendance entière , celan'eft pas poflible. La vie du monde n'ell qu'une îervitude éternelle; mais ce qu'il y a de trif- te pour les perfonncs du monde , c'eit que leurs afTujeîîilTemens , qui font tous leurs malheurs , font fouvent a'jili tous leurs cri- mes : leur complaifance cil: Dcnible * &: elle eii criminelle ; au lieu aiie dans ces cif-yics faints 5 elle coûte moins au cœlt; parce qu'on ejft sûr qu'on ne facrifîc fa volonté ^ qu'à la volonté de Dieu , dont les fupé- rieurs ne font que les interprètes j & gIIq a toujours ini nouveau mérite. ' D'ailleurs , quand vous auriez pu vous flatter de trouver dans le m.onde une fitua- tion d'indépendance & de liberté entière , il ne vous auroit pas été permis pour cela de fuivre aveuglément vos goûts & vos capri- ces. Tout Chrétien a une règle éternelle <k. fupérieure , qu'il doit confulter fans celle fur chaque adion ; par ccnféquent dans tout ce qu'il fait y il ne lui ell pas permis de ne
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440 Analyfes des Sermons.
chercher qu'à feiaîisfaire lui-même; autre- ment il ie mettroit lui-même à la place de Dieu 5 aiiteur de l'ordre qu'il doit fuivre. Qlc fait donc l'obéillance Religieufe ? elle noLS manitefle par l'organe de nos Supé- rieurs 5 cette règle éternelle que nous au- licns été obligés de confulter fans cqRq dans nos démiarches ; en un mot , elle nous décharge de nous-mêmes , pour ainli dire , peur nous mettre entre les mains & fous la conduite de Dieu. Ainii les perfonnes du monde ne fe croient plus libies , que parce qu'elles ne connoifiént pas le fonds de la Keligion, & les devoirs de la vie chrétiennne: elles ne font tant valoir leur liberté & leur indépendance , que parce qu'elles ignorent qu'il n'efl pas plus permiis à Flionimie du monde d'ufcr de fa liberté , félon fon hu- meur & fon caprice , qu'au fclitaire qui s'en eft dépouillé entre les mains de lès Supérieurs.
IV. SERMON POUR UNE PROFESSION Religieuse.
PROPOSITION. Les caractères de Vah .^ liance quune Vierge daétienne con- tracte avec Jejus - Clirijl , en emhrajfant Vétat Rdigieiix , prouvent que de tous les
Analyfes des Sermons, 44Ï
préjugés dcfuliit , il nen ejî pas de plus cer- tain & de plus confolant pour elle,
I. Reflexion. Premier cara(fl:ere dé cette alliance ; une alliance de jujlice : Spon- fabo te in jujUtla ; c'eft-à-dire y qu'il étoit jufte que vous donnalliez à Dieu cette mar- que de votre amour , & que votre recon- noillance envers lui ne pouvoit s'acquitter à moins : car la mefure àc ce que nous de- vons à Dieu , eil ce que nous avons reçu de lui ; plus il fe communique à nous , plus il veut que nous foyons à lui. Or rappeliez en ce moment toutes les grâces dont il vous a jufques ici comblée : des fentimens de falut inipirés dans une première jeunelTe; tant de périls éloignés ; tantd'obflacles qui fembloient rendre la démarche que vous faites aujourd'hui ^ impoffible , iurmontés : rappeliez en un mot 5 toute la iliite des miféricordes du Seigneur fur vous , dans ces jours qui ont précédé ce jour heureux , loiTquc laÛée , ce femble 5 de vous foute- nir toute feule contre toutes les attaques que le monde 5 que la nature , que votre pro- pre cœur vous livroit , vous paroiffiez fur le point de fuccomber &: de vous y rendre ; que fe palfoit-il alors dans votre ame ? quelle étoit la voix fecrette qui vous parloit alors au fond du cœui" ? n'étoit - ce pas TEpoux célefte qui vous parloit tous bas , pour vous faire entendre que vous auriez grand tort de prêter l'oreille aux difcours du monde , & à fes folliciîations ; qu'il eft plein de malheureux 5 & que s'il s'y trouve quel-
44^ Analyfes des Sermons,
que confolatioii , elle n'eft que pour îe* âmes qui font fideîles à leur Dieu ? &: alors ne fentiez-vous pas votre foi fé raffermir ^ votre langueur fe ranimer , vos irréfolutions fe fixer , vos ténèbres fe difliper , & la fé- rénité fuccéder à Forage ? Voilà fliiftoire àQS miféricordes du Seigneur fur votre ame. Voyez s'il en ufe de même envers tant d'au- tres que le torrent entraîne : il ne daigne pas difputer leur cœur au monde qui le poffede tout entier. Qu'avez-vcus fait qui ait pu vous attirer ces regards & ces préfé- rences ? où en feriez-vous , s'il eût borné toutes les opérations de la grâce à votre égard, à ces demi- volontés dont le monde cil plein 5 ê>r à ces réflexions ftériles fur \qs abus des plaiflrs • de la fortune 5 & de tou- tes les chofes prcfentes qui ne convertiffent perfciîiie ? l\ le pouvoit ; & vous n'avez rien à Îgs yeux de plus que tant d'autres qu'il traite de la forte; miais il vous a préve- nue de (es bénédi'frions ; plus le monde a fait d'efl-bits pour vous féduire , plus il a été attentif à vous protéger. Kn vorjs don- nant aujourd'hui à lui , vous ne faites donc que lui offrir fon propre ouvrage ; & la fainte alliance que vous faites aujourd'hui , avec lui , ejft une alliance de reconnoiifance & de jultice : Sponfaho te in jujlitlâ.
IL Reflexion. Second caradere de cette alliance ; une alliance de jugement G* de fageffe : Sponfabo te in judicio. Péfez en effet , fur quoi roule ce que vous allez fa- criiSer j b(- de quel prix eft ce que Jésus-
Analyfis des Sermons, 443
Christ vous prépare. D'un côté , une fu- mée dont un infiant décide ; des plaifirs qui durent peu , & qui doivent être punis éter- nellement ; en un mot , le monde avec Tes dégoûts 5 fes remords , fes périls , &c. Et enfin , une mort accompagnée fouvent d'un repentir inutile , fouvent d'un calme funeA te , toujours terrible pour le falut. Mais de l'autre côté 5 que vous prépare Jésus- Christ pour remplacer ce facrifîce ? l'in- nocence & la paix du cœur , que le monde ne connoît pas ; la joie d'une bonne conf^ cience , où nous trouvons des reiïburces à toutes nos peines , des précautions contre tontes nos foibleiles , des appuis dans tous nos découragemens , des attraits pour tous nos devoirs , une vie tranquille pleine de bonnes csiivres ; & enfin y une mort fem- blabîe à celle des JiiPœs, &c pleine de con- folation. Or fur le point de vous déclarer aux pieds de l'Autel , ne fentez-vous pas plus que jamais la fagcffe de votre choix ? Examinez pour la dernière fois : & voyez fî le monde avec tout ce qu'il pou voit vous promettre de plus pom.peux , peut être com- paré à l'innocence & à la sûreté de l'afyle faint 5 où Jésus -Christ vous appelle, quoiqu'il faille vous attendre à des amertu- mes & à des croix à fon fervice. L'alliance que vous contractiez avec ce divin Epoux eft donc une alliance de jugement & de fageife : Sponfabo te in jiidicio.
III. Reflexion. Troifieme cara6lere de cette alliance j uns alliance de miféri-
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que confolation , elle n'eft que pour Ici oui font fidclles à leur Dieu ? h alors
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votre langueur fe ranimer , vos irréfolutions fe fixer^, vos ténèbres fe difliper , & la fé- rcnitc fucccdcr à l'orage ? Voilà l'hifloire -'-■ -"iléricordesdu Seigneur fur votre ame. - -' s il en ufc (le même envers tant d'au- tres que le torrent entraîne : il ne daigne pas difputer leur cœur au monde qui le 'c tout entier. Qu'avez-vcus fait qui . vous attirer ces regards & ces préfé- . . > ? où en fericz-vous , s'il eût borné toutes les opérations de la grâce à votre égard , à ces demi-volontés dont le monde ■' ' ■ . 6^ à CCS réflexions ftériles fur les ... ... ... . p'aifir.*; • de la fortune , & de tou- tes les choics prcfentcs qui ne convertilTent pcrfoiuic ? Il le pouvoit ; & vous n'avez rien h fes yeux de plus que tant d'autres qu'il traite de la forte; mais il vousa préve- ui:c do {es bcnédi«ftions ; plus le monde, fait d'e/Tbrts pour vous fcdiijj ctc attentif à vous nant aujourd'hui^ que lui offri^ iiiinte alli^ avec luii
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Analyfes des Sermons. 42
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4-U Anclrfcs des Sermons,
corde : Sporzjsbo te in mifèricordlS ; c'efl- à-diie 5 que Jefus - Chrilt ne regarderas au peu que vous lui otî'rez , & qu'il vous donne plus qui! ne reçoit de vous. Car enfin , je veux ci:e vous lui donniez beau- coup ; mais quand vous mertriez aux pieds de Jeius-Chriit non-feulement votre nom , vos talens . vos eipérances , mais des fcep- tres & des couronnes , ne fêriez-vous pas trop recompenfée de pouvoir être en échan- ge , la dernière drns fa maifou ? Ainiî plus vous lui facrinez , plus vous lui de- vez ; plus le m.onde ferr.bloit vous ofTrîr d'attraits, p-us vous parciîuez née avec tout ce qu'il faut pour vous y perdre , & plus il a fallu de grâce pour vous dégoûter du mon- de , & vcîis établir fciidement dans la vérité. C*eil donc ici une alliance toute de mifériccîde pour vous. Dieu prévoyoit QuVivec la mefure de grâce qu'il vous deC- tinoit , vous vous perdriez dans le monde ; & comme il vous a aimée d'un amcjr éter- nel 5 il vous a rittlrce à lui , avant m.éme que vous eu (liez erré quelque îem.ps au gré de vos paiuous , par une abondance de miféricorJe.
IV. Réflexion. Q-.Trr:en:e cariciere de cette alliance ; u-, _.....'::-' inviolable à répondre à toutes Us mijéricordes de VE- poux c-ilejlz : Sponfaho te infidc. En effet, vous ne ferez heureufe dans le parti que vous prenez , qu'autant que vous ferez fi- délie : il ne faut plus vous promiettre d'autre confblation que dans la pratique exacte de
Analyfes des Sermons. 445
vos devoirs : le monde défcrinais voiis fera lui-mérr,e une loi de le haïr : il infulte à rinconftance de celles qui après l'avoir abandonné , jettent encore fur lui des re- gards de complaifance. D'ailleurs , quelles font les amertumes d'une Vierge infidelle que le monde a féduite , & qui voit fes penchans m-ondains renfermiés pour tou- jours dans le lieu faint ? Hélas ! elle traîne par-tout fes dégoûts & fes inquiétudes ; & il n'eft pas d'état fur la terre plus m.alheu- reux que le fien. Mais d'un autre côté , rien ne peut être comparé aux confolations que Jesus-Christ prépare à votre fidélit^h Si vous jettez encore quelques regards fur le monde . ce feront des regards de com.paf" lion ûC de douleur ; & renouvellant mille fois aux pieds de l'autel votre facrince , vous y remercierez, avec des tranfports d'am.our oc de joie , jESUS-CHPaST de vous avoir conduite au port , & retirée d'un lieu où les apparences font n tromipeufes , les chagrins il réels , les plaifîrs fi trifles , S^ la perte du falut cependant H inévitable.
Fin des Analyfis,
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Le Privilège eft à la fin du Ygliime de l'Avent.
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Qe rimpri;rerie de C. F. SiMOX , Fils , Imprimeur de la Keiae & de Mgr, l' Arche véc^ue.
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