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»
SERMONS
D E
M. MASSILLON,
PETIT-CAREME
SERMONS
D E
M. MASS'ILLON.
É V Ê Q U E DE CLERMONT,
Ci dcvamî Prùrs de VOrâtoirc,
L'un des Quarante de l'Académie Françoise.
PETIT-CAREME
A PARIS, RUE S, JACQUES ,
r La Veuve Estienne & Fils , à la Vertu' Chez-^ E T
C Jean Hérissant à S. Paul & à S, Hilaire»
^t'd c~crTrx I X.
Avec Approbation G" Privikgc du Roî,
PRÉFACE,
E s Sermons du P. Maflîllon j ont été prêches vingt ans de fuite , à Paris ou à la Cour , avec un fuccès toujours égal. C'eft le préjugé le moins équivoque & le plus déciiif , en faveur de ce genre d'ouvrages. Un talent médiocre a quelquefois lav ogue ; & tant qu'il ne fera pas effacé par un talent fupérieur , on le verra s'attirer , 6c fe conferver même pour un temps , l'eftime & les applaudilfemens du Public. Mais , réunir en fa faveur , & fixer conftamment les fuffrages d'une multitude libre & indépen- dante , toujours prête à fe retirer dès qu'on ceffe de l'attacher Ôc de
a iij
V) PRÉFACE.
lui plaire , c'eft ce qui n'eft donné qu'aux génies du premier ordre. Il n'appartient qu'aux Bofïuets , aux Bourdaloues 5 & à ceux qui leur refleriiblent 9 d'exercer un euipire perpétuel fur les efprits & fur les coeurs.
Nous pouvons donc nous difpen- 1er de faire ici Féloge des Sermons
du P. MaffiUon. Q^'^j^"^^^^'^^^^" nous à l'approbation conitante & unanime de toute la France / D'ail- leurs ^ le Public s'appercevra bien- tôt que les Sermons que nous lui présentons', font dans le vrai goût de la Chaire : c'eft au cœur que parle le P. Maffillon , c'eft le cœur qu'il aiFefte & qu'il intérefle : or quiconque a le fecret d'aller au cœur 5 foit qu'on l'écoute , foit qu'on le life , eft fur de plaire , éc de plaire toujours.
Ce pathétique qui fait la princi- pale force de l'éloquence , & le caractère propre de notre Orateur ,
PREFACE. vîj
manquoit prefqu'entiérement à la Chaire , lorfque le miniftere de la parole lui fut confié. On en avoit heureufement banni tous ces traits entaflës d^une érudition déplacée ^ aflemblage bizarre du facré & du prophane , propre à impofer au vulgaire ignorant , plus propre encore à révolter rhomme fenfé. Mais le commun des Prédicateurs îgnoroit l'art d'intérefler par le fen- timent , quoique de -là dépende tous les fuccès du difcours ; & combien d'autres défauts n'avoit-on pas encore à leur reprocher/ Auflî, lorfque le P. Maflîllon arriva de la Province , le R. P. de la Tour , Général de l'Oratoire , lui deman- dant ce qu'il penfoit des Prédica* teurs les plus fuivis : Je leur trouve ^ répondit-il, bien de refpriî & des talens : mais fi je prêche , je ne prê- cherai pas comme eux. Il tint parole, il prêcha , & s'ouvrit une route toute nouvelle.
a iv
vîij PREFACE.
Qu'on ne le foupçonne pas néan- moins d'avoir confondu le P. Bour- daloue avec les autres Orateurs de fon temps. Pouvoit-il ne pas applau- dir à ce grand homme , duquel il eft vrai de dire , comme Quintilien le difoit de Ciceron : Quil faut juger du progrès que Von a fait dans V éloquence , par le goût que l'on trouve à la lecîure dejes Ouvrages,. Trop connoiflèur pour s'y me'pren- dre 5 à peine eut-il entendu le P. Bourdaloue , qu'il l'admira ; & s'il ne le prit pas en tout pour fon modèle , c'eft que fon talent le por- toic vers un autre genre d'éloquence. Or il étoit fortement perfuadë que pour réuffir en quelque genre que ce foit , Ton doit étudier fon talent, & le fuivre ; en un mot , travailler de génie; que s'attacher fervilement à .copier la manière d'un autre , quelque parfait qu'il foit , à moins que fa manière ne fe trouve aflbrtie aux difpofitions que la nature a
PREFACE. ]x
mlfes en nous , c'eft s'expofer à ne jamais rien faire qui ait un certain feu , & ce tour original qui fait le me'rite des bons Ouvrages.
Pour la plupart des autres Pre'di- cateurs , outre ce défaut d'onftion & de fentiment que le P. Maffillon trouvoit à rédire^ans leurs Ser- mons , il reprochoit à plufieurs d'entrer dans un trop grand détail fur les conditions , & fur les mœurs extérieures , moyen infaillible pour ennuyer les trois quarts de fon Auditoire , toujours compofé de perfonnes qui différent toutes entre elles , ou par l'âge , ou par l'état , ou par la condition. Tandis que vous inftruifez le Magiftrat fur les devoirs de fa charge , devez- vous vous flatter d'attirer l'attention de tout ce qui n'exerce point les fonc- tions de la Magiftrature/ & tous ceux qui ne font point engagés dans le conuîierce , feront- ils curieux d'entendre des vérités qui n'atta-
K PRÉFACE.
quent que les fraudes & l'avarice des Négocians ? Non fans doute : l'intérêt que nous avons à ce que l'on nous dit , peut feul nous y rendre attentifs. Cela étant, toutes les vérités que le Prédicateur an- nonce , & que nous ne pouvons pas nous appliquer perfonnellement, ne nous intéreiTant point , ce n'eii plus qu'avec ennui & avec dégoût , que nous les écoutons ; & nous fojjpirons après la fin d'un discours qui ne s'adreife point à nous.
Le Prédicateur doit donc être fobre & réfervé dans la peinture des mœurs extérieures & des con- ditions , s'il defire être écouté attentivement. Veut - il attacher tout fon Auditoire F qu'il attaque les paflions qui font les mêmes dans tous les hommes , malgré la diffé- rence des objets vers lefquels elles fe portent. En peignant d'après nature les mouvemens, les rufes, îa foupleffe des paffions ^ rien de ce
P RÉ F A^C F. xf
que Ton dit ne peut être étranger pour aucun de ceux qui écoutent.
Enfin le Père Maflîllon n'approu- voit pas que Ton s'arrêtât fi long- temps à établir des vérités que perfonne n'ignore , des maximes générales , dont tout le monde convient : il vouloit que l'en s'ap- pliquât principalement à découvrir ces malheureux prétextes que l'a- mour propre trop ingénieux ne manque jamais de fuggérer pour Tecouer le joug de la loi ; (k qu'après les avoir découverts , l'on en fît fentir avTC force toute Tillufion.
Il fe fit donc une manière de com- pofer qu'il ne dut qu'à lui-même ; & fans autre guide que fon propre génie , & ce talent original qu'il avoit reçu de la nature , il fut fe garantir des défauts qu'il avoit cru remarquer dans les autres. Chez lui, rien d'inutile & de fuperflu. Dès la première phrafe , fuppofànt les principes , ou les établiflànt ea
a vj
3dj PREFACE.
deux mots , il cherche les raifons fur lefquelles chacun en particulier , fans contefter l'exiftence de la loi , ni la nécefiité de lui obéir , fe met dans le cas de la difpenfe ; il cher- che ces raifons dans le cœur de ceux qui récoutent , dans l'attache à "ces paflions 5 dont les intérêts nous font malheureufement plus chers que notre falut, paflions auxquelles nous voudrions bien ne pas renoncer , fans être forcés cependant de nous regarder comme infradteurs de la loi. C'eft-là qu'il découvre la fource întariiTable de tous ces frivoles pré- textes , & de ces tempéramens que rhomme imagine pour allier Dieu & le monde , Jefus-Chrifl & Bélial. Nous fommes tentés d'accorder à nos paflions tout ce qu'elles défi- rent 5 mais nous voudrions en mê- me-temps nous mettre à l'abri des remords qui viennent empoifonner nos plaifirs : car pour peu qu'il refte de intiment de Religion dans une
P R E F A C E,. xiij
ame , le remord, eft infëparable du vice ; & pour calmer les allarmies d'une confcience qui n'eft pas en- core endurcie , il faut lui perfuader qu'elle n'eft pas coupable. Que fai- fons-nous donc /nous avons recours à mille fubtilite's, à desfubterfuges, à des exceptions , à des modifica- tions , qui laiffent fubiîfter le pré- cepte en lui-même , anéantiffent totalement pour chacun de nous en particulier l'obligation de l'accom- plir. Ainiî la confcience eft raiTure'e contre les erreurs de la loi ; elle apprend à ne plus redouter fes menaces. Que craindroit - elle en effet ? la loi ne punit que les pré- varicateurs ; or , où la loi cefle d'obliger , il n'y a point de pré- varication.
Que fait le P. Maffillon / afin de diffiper ces ténèbres , qui pour être volontaires n'en font pas moins épaifles , il vous m.et votre propre coeur fous les yeux , félon Texpref-
xjv PREFACE.
lion du Prophète : il vous force de vous y voir tel que vous êtes , & tout autre que vous ne croyez être, c'eft-à-dire le jouet déplorable de mille pàfEons qui obfcurciffent les lumières de^ votre efprit , &C cor- rompent la droiture de votre coeur: il vous force de reconnoître que ce n'eft pas de ce fond de lumière & de droiture naturelle que Dieu a mis en vous , encore moins des lumières de l'Evangile , que vous tirez les raifons par lefquelles vous prétendez être difpenfé de la loi , que le langage que vous tenez eft le langage des pallions , & qu elles feules vous infpirent. Ceflez donc d'être vicieux , & vous ceiTerez bientôt d'alléguer ces prétextes comme des raifons décilîves. Et c'eft ici fur - tout que triomphe l'éloquence du P. MaffiUon, Lorf- qu'après avoir démafqué les rufes éc les artifices de l'amour propre , il en montre dans tout leur jour
PREFACE. XV
la mifere & la fauffeté ; avec quelle force & quelle véhémence ne les combat-il pas /
C'efl un torrent impétueux qui renverfe tout ce qu'il rencontre ; c'eft , pour ainfi dire , un déluge de raifons toutes convainquantes , toutes intéreffantes , qui à Fappuî les unes des autres , viennent coup fur coup confondre & accabler le pécheur. Cependant le pécheur ac- cablé & confondu , n ayant rien à répliquer, voit avec étonnement que le Prédicateur loin d'être épuifé , a mille traits encore dont il pour- roit le percer. Et ce qui forme le caraftere diftinûif de l'éloquence du P. MaffiUon , c'eft que tous fes traits portent droit au cœur : c'eft de ce côté- là qu'il dirige toujours fes coups ; ce qui eft limpîement raifon & preuve dans les autres , prend dans fa bouche la teinture du fentiment : non - feulement il convainc , mais il touche , il remue^
Kvj PREFACE.
il attendrit; il ne fe contente pas de vous prouver que le parti de la ver- tu eil le plus raifonnable & le plus digne deThomme , dans fes difcours la vertu vous paroît fouveraine- ment aimable ; vous n'y trouvez que des douceurs & des confola- tions ; vous voudriez déjà être en poffeffion d'un bien fans lequel vous n'imaginez plus de bonheur. H ne fe borne pas à faire fentir rinjuftice & la déraifon diu vice , il le fait trouver difforme , haïflkble ; vous ne pouvez plus vous fouffrir fous l'empire de ce cruel tyran ; vous ne l'envifagez plus que comme l'ennemi juré de votre félicité : entrant dans une fainte indignation contre vous - même , vous vous trouvez fi aveugle , fi injufte , fi malheureux, que vous ne voyez d'autre reffource que de vous jctter entre les bras de la vertu.
Des Sermons compofés dans ce goût ne pouvoient manquer d'être
PREFACE. xvij
pcoutésavec une extrême attention. Chacun fe reconnoît dans ces ta- bleaux vifs & naturels , où le Pré- dicateur peint le cœur humain , & montre les relTorts qui le font mouvoir : chacun s'imagine que c'eft à lui que le difcours s'adreife , que rOrateur n'en veut qu'à lui : de-là l'effet prodigieux de fes inC» trudions. Après l'avoir entendu , on ne s'arrétoit point à faire Tëloge oula critique du Sermon; l'Auditeur fe retiroit dans un morne iilence, l'air penfif , les yeux baiffe's , le re- cueillement fur le vifage , empor- tant l'éguillon que l'Orateur chré- tien lui avoit l'aifle dans le cœur. Ces fuffrages muets , valent bien les plus grands applaudiflemens ; ceux ci flattent le Miniftre , &lui prouvent qu'il a fu plaire ; ceux-là le confolent & l'alTurent qu'il a touche'. Auffi , lorfque le P. Maf- iillon eut prêché fon premier Avent à Verfailles, Louis XI V^, lui dit ces
Xvîij PREFACE.
paroles remarquables : Mon père y jai entendu plu/leurs grands Orateurs dans ma chapelle , fen ai été jort content : pour vaus ^ toutes les fois que je vous ai entendu , fai été très^ mécontent de moi-même. Eloge par- fait , qui honore également le gpût & la piété du Monarque & le talent du Prédicateur.
Le ftyle du P. MaflîUon, quoique noble & di^ne de la majelié de la Chaire , n'en eft pas moins limple & à la portée du peuple, La viva- cité de fon imagination ne prête à fes expreffions , que ce qu'il faut d'agrément pour fatisfaire l'hom- me d'efp rit, fans que la multitude foit réduite à admirer ce qu'elle n'entend pas.
Ennemi de tout ce qui relient Faffeftation dans le ftyle , il l'étoit encore plus de ces penfées qui n'ont d'autre mérite que le brillant , qui ne font qu'amufer l'elprit & le détourner de l'attention qu'il doit
PREFACE. xjx
aux vérités importantes qu'on lui annonce. Le P. Mafîîlion n'offre par-tout que des idées grandes & fublimes qui éievent Famé , qui montrent la Religion fous ce ca- raûere de nobleffe & de majefté qui lui eft propre , & qu'elle fem- ble perdre quelquefois , parcequ'on l'a confiée à des mains , qui loin de renibeilir , ne peuvent que la défigurer.
On croira fans doute que des difcours fi éloquens, dans lefquels il y a d'autant plus d'art qu'il n'y paroit rien que de naturel , étoient le fruit d'un travail long & pénible, & que cette belle & noble fimpli- cité, qui ferefufe fou vent aux eiforts mêmes des plus grands hommes , n'eft pas venue fe préfenter à lui , fans qu'il l'ait long - temps recher- chée : point du tout. Ces Sermons ont été compofés avec une facilité qui tient du prodige ; pas un feuî- qui ait coûté plus de dix à douze
XX PREFACE.
jours. Combien de gens , même du métier , trouveroient que ce temps fuffiroit à peine pour en former & pour en bien digérer le plan / En 1704, il parut pour la féconde fois à la Cour. Louis XIV après lui avoir témoigné dans les termes_les plus gracieux fon extrême fatisfac- tion , ajouta , Et je veux , mon père , vous entendre déformais tous les deux ans. Sur le champ le Père MaffiUon forma le deifein de ne venir à Ver- failles qu'avec des Sermons nou- veaux. Il eft ficheux qu'un tel pro- jet n'ait point eu de fuite. A n'en juger que par cette abondance , cette richeife , cette variété qui rè- gne dans tout ce qui eft forti de fa plnme , on fent qu'il étoit parfaite- ment en état de l'exécuter.
En 1718, déjà nommé à l'Eveché de Cleroiont , il fut chargé de prê- cher le Carême devant le Roi, qui entroit alors> dans cet âge , où la raifon commence à fe développer.
PREFACE. 5rxî Il crut qu en cette occalion il de- voit prêcher pour le Prince lui- même , & pour rinftruire des de- voirs de la Royauté. Mais pour cela il falloit des Sermons tous difFérens de ceux qu'il avoit prêche's juf- qu alors , lefquels , & pour le fond des chofes & pour la manière , ne pouvoient convenir à un jeune Prince de neuf ans. Il inventa donc, pour ainfi dire , un nouveau genre d'éloquence ; le ftyle , Finflrudiion ,' tout fut proportionné à l'âge du jeune Monarque. Dans le ftyie, il y répandit plus de vivacité , plus d'agrémens , plus de fleurs , & mê- me quelque chofe d'académique. Les inftrudions, dépouillées de la fécherefle du raifonnement , furent des maximes fur les devoirs des Princes, exprimées en peu de mots^ mais préfentées de manière à faire une vive imprefîîon fur l'efprit ÔC fur le cœur. Ce ftyle & cette façoa d'inftruire étoient quelque chofe d^
xxij PREFACE. tout nouveau pour le P. MaffîHon ; cependant fîx fernaines fuffirent pour compofer ces dix Sermons fi idmii es , îî vantés , qui renferment m abrège' tout ce qui peut former m Prince chéri de Dieu & des .lommes , & qui furent fouvent in- terrompus , ou par les applaudiffe- mens , pu par les larmes de fon augufte auditoire.
A l'égard de Faction , cette partie fî efîentielle à l'Orateur , ce ne fut pas d'abord par cet endroit qu'il fe fit admirer. Le goût du temps n'étoit pas le fien. Il ne pouvoit fouiFrir qu'au lieu de cet air naturel qui porte avec foi la conviftion , Ton prît un certain air emprunté , & un ton de Déclamateur , qui faifant regarder les Miniftres de Jefus- Chrift comme des gens qui ne montent en chaire que pour jouer un perfonnage , ôte prefque toute la force & toute croyance à leurs ^difcours. Il falloit donc s'attendre
PREFACE, xxiiî que l'Auditeur , gâté par ce goûc de déclamation prefque générale- ment répandu , fe révolteroit d'a- bord contre la manière de dire du P. Maflîllon , dans laquelle aucune des règles qu'on s'étoit faites , ne paroiflbit obfervée. Mais comme il faifoit néanmoins une impreflîon extraordinaire fur les efprits, onfe rendit bien-tôt à l'expérience : on ne s'embarrafla plus de ces préten- dues règles que l'Orateur paroiflbit négliger ; & le public s'élevant au deflus des préjugés , conclut avec raifon qu'il falloit fans doute que fà manière de dire fût bonne, & qu'elle fut même la meilleure , puifque nul autre Prédicateur ne faifoit à beaucoup près , une imprellîon aufïï vive.
Au relie il feroit fort difficile de faire comprendre à ceux qui ne l'ont point entendu , ce que c'étoit que fon aftion. Elle lui étoit telle- ment propre qu'on peut aflurer
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»ij PREFACE.
• : nouveau pour le P. MaffiHon ; cependant iix fem3ines fuffirent pour compofer ces dix Sermons fi .dmnés , fi vantés , qui renferment m abrégé tout ce qui peut former m Prince chéri de Dieu & des :onnies , & qui furent fouvent in- terrompus , ou par les applaudifle- mens , pu par les larmes de fon augufte auditoire.
A regard de Taûion , cette partie fi eflentielle à l'Orateur , ce ne fut pas d'abord par cet endroit qu'il fe fit admirer. Le goût du temps n'étoit pas le iien. Il ne pouvoit fouifrir qu'au lieu de cet air naturel qui porte avec foi la conviûion , Ton prît un certain air emprunte ^' "" ton de Déclai regarder les Chrift co) monteni un pej la ^i
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PREFACE, xxiij que l'Auditeur, gâté par cegoûc de déclamation prefque générale- ment répandu , fe révolteroit d'a- bord contre la manière de dire du P. Maflillon , dans laquelle aucune des règles qu'on s'étoit faites , ne paroiflbit obfervée. Mais comme il faifoit néanmoins une imprefEon extraordinaire furies efprits, onfe rendit bien-tôt à l'expérience : on ne s'embarrafla plus de ces préten- dues règles que l'Orateur paroiflbit négliger ; & le public s'élevant au deflus des préjugés , conclut avec raifon qu'il falloit fans doute que fa manière de dire fût bonne, & qu'elle fût même la meilleure , puifque nul autre Prédicateu|yM^i|bit à beaucoup prè^^^^^^^^^Bon auflîvive. ^^^^^^^^^
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xxjv PREFACE. que comme il n'eut point de mo- dèle à fuivre, il n'a point formé d'ëleve qui l'ait imité.
On le voyoit arriver dans la chaire comme un homme qni vient de méditer profondément un fujet. Dès qu'il paroît, fon air recueilli & pénétré annonce déjà la grandeur & l'importance des vérités dont il va vous entretenir. Il n'a pas ouvert la bouche , ÔC l'auditoire eft faifi. Il parle enfin , mais ce n'eft pas comme un Ora- teur qui vient débiter avec art un difcours dont il a chargé fa mé- moire. Tout coule de fource. II parle de l'abondance du cœur, ne pouvant contenir au dedant de lui les vérités dont il eft plein. Un feu intérieur le dévore , il faut qu'il lui ouvre une ilTue , & qu'il le laif. fe éclater au- dehors. Aufli rien en lui qui ne foit animé , tout parle » tout perfuade , tout remue , tout tattendrit, tout porte dans famé la
conviftioiî
PREFACE, xx^
convidtion & le fentiment ; ÔC cela n'étoit point du tout un effet de Fart dans le P. MailiUon. C'e'toit un talent naturel, qui lui faifoit expri- mer & dire les chofes avec force & vivacité , parcequ il les fentoits de même.
11 faifoit donc proprement con- fifler tout le mérite de Taftion , à paroitre bien pénétré lui-même des vérités dont il vouloit con- vaincre fes Auditeurs. Jamais per- fonne n'a porté ce talent plus loin que le Père MaffiUon : c'eft le té- moignage que le Public en a ren- du , & réloge qu'en ont fait toutes les perfonnes de goût. Seroit-il per- mis de rapporter à ce fujet un trait remarquable par fa fingularité , ôc qui nous échappe ? L'Afteur le plus parfiit qu'ait eu le Théâtre François voulut l'entendre : il fut frappé du vrai qu'il trouva dans fa manière de prononcer , & dit à un autre Afteur qui l'avoit ac-
b
Kxvj PREFACE.
compagne ; Mon ami , voilà un Orateur , & nous , nous ne fommes que des Comédiens,
11 n'eft pas befoin d'avertir le Pu- blic que c eft ici la première édi- tion des Sermons du P. Maffillon. II eft vrai qu'on imprima fous fon nom , il y a près de quarante ans , quatre ou cinq petits volumes ; mais plus de la moitié des Sermons que renferme ce Recueil , font de diiférens Prédicateurs , dont quel- ques - uns même ont revendiqué publiquement ce qui leur appar- tenoit , entr'autres , feu M. Poncet de la Rivière Evêque d'Angers. L'Edition du P. Bretonneau vient d'en réclamer trois qu'il a , dit- il , trouvés dans le Manufcrit de ce Prédicateur , & que nous ne trou- vons point en effet dans celui du P, Maffillon. Pour les autres dont les Auteurs ne nous font point connus , en attendanr que quel- qu'un veuille les adopter , ils ne
PREFACE, xxviî
jouiront pas fans doute plus long- temps de la réputation que leur donnoit une origine Hippofëe.
A regard d'une vingtaine de Ser- mons que l'on pourroit appeller avec un peu plus de fondement, Sermons du P. Maflllion , qu'on prenne la peine de les confronter avec l'Ori- ginal que nous donnons aujourd'hui ^ la diffe'rence eft palpable ; iî l'on y trouve quelques traits de reflem- blance , c'eft celle qui peut fe trou- ver entre un fquelette , & Un corps vivant plein de fuc & d'embon- point ; entre un original de Mi- chel Ange , & la copie de ce même tableau f iite par quelque apprentif fans talent.
On retrouve dans ces pièces in- formes des lambeaux du P. Maffil- Ion , & même dans quelques- une$ d'afles longs morceaux de fes véri- tables Sermons. Mais quelle com- paraifon entre un mauvais aflbrti- ment de lambeaux coufus enfemble
b ij
sacviij PREFACE. par un copifte qui d'ordinaire, pôuf ne rien dire de pis , n'eft pas un homme de métier , & un diicours tel qu'il fort des mains d'un il grand maître.
D'ailleurs, notre Edition contient près de cent Sermons , dont plu- lieurs même n'ont jamais été pro- noncés. Oa y trouve un Avent, & un Carême complet , fans compter le Petit - Carême qu'il compofa pour le Roi en 171 8. Nous don- nons au-ffi plufieurs Oraifons funè- bres, plufieurs Difcours & Panégy- riques qui n'ont jamais vu le jour , les Conférences Eccléfiaftiques qu'il fit dans le Séminaire S. Ma- gloire en arrivant à Paris , celles qu'il a fcites à fes Curés pendant fon Epifcopat ; les Difcours qu'il prononçoit à la tête des Synodes qu'il aflembloit tous les ans : nous donnons enfin un Ouvrage auquel il a confacré pendant quelques an- nées toutes les heures de loifir que
P R E F A C E. xxjH fui laiflbient les fondions Epifco- pales. Ce font des Paraphrafes fur une Partie des Pfeaumes. Ce qu'on peut dire de ces différentes pièces , c eft qu elles font toutes frappées- au coin de FAuteur. Le rrjême goût: règne par-tout. Toujours même- élévation & même nobleïTe , foit dans le ftyle , foit dans les penféesi: toujours ce pathétique qui enlevé ^ toujours ces peintures du cœur huinain fi vraies & fi ititérefïantes;,, La Cour fe fouvient encore des^ applaudiflemens qu'elle donna au Petit-Caréme. Les conférences Ec- cléfiaftiques commencèrent à lui faire la réputation : fes Sermons I^ portèrent à ce haut degré dans le* quel elle s'eft foutenue jufqu'à ïw fin : fes Oraifons Synodales ont plus d'une fois attendri les Curés jufques aux larmes : & nous ne craignons point d'affurrr que le Public regrettera qu'il n'ait pas-; a^heyé ce qu'il avoit commencié
îtxx PREFACE.
fur les Pfeaumes ; il n eft peut-être point d'Ouvrage où foient mieux développe's les mouvemens d'un cœur qui gémit fur fes ëgaremens ;pai3rés , & qui défabufë du monde & des faux biens , reconnoît enfin^ que n'ayant été créé que pour Dieu 5 il ne peut trouver qu'en I3ieu -fa cônfolation & fon bonheur.
Voici donc un Recueil exaft &
lidele des Ouvrages du P. Maflil-
îon 5 tels qu'il avoit pris la peine
de les revoir , de les corriger & de
les copier une féconde fois de fa
.propre main. Que nous refte-t-il à
defirer , linon que le cœur s'ouvrjî
aux faintes vérités fi dignement
établies dans ces Difcours , & qu'ils
.opèrent fur ceux qui les liront ,
les mêmes effets de grâce & de
, converfîon qu'ont fouvent reffenti
ceux qui les entendoient f
jju«n
A VER TI S S E ME NT.
LEs Sermons que nous mettons ici à la tête de tous les autres , font ne'anmoins les derniers qu'ait compofé le P. Maffillon,. Mais nous avons cru devoir leur accorder ce rang d'honneur , tant à caufe de l'approbation authentique dont notre augufte Monarque (^) a bien voulu les honorer , & que pour fatisfaire à la curioiîté du Public, qui paroît les attendre avec un empreffement plus marqué. Ceux* ci d'ailleurs ont cet avantage , qjii^ non -feulement ils ont ëtë prêches devant le Roi , com.me la plupart des autres favoient été devant Louis XIV, mais ils ont été prêches uniquement pour le Roi , & pour fa Cour.
Nous pourrions ajouter à cela
C*} Ces Sermons ont été prélentés manufciiîs, au Roi.
'AVERTISSEMENT,
l'importance des matières qui font traitées dans ces Sermons. Ils for- ment pour les Princes & pour les Grands , comme un corps de mo- rale, où les devoirs de leur e'tat font un détail également noble & inté- reffant.
A la fuite de ces Sermons , nous avons mis un Difcours Sur les vices & les Vertus des Grands. La reffem- blance du fujet nous y eût déter- minés , quand nous n'y aurions pas été obligés , pour rapprocher un peu ce Volume de la grofleur de ceux qui le fuivent. Les mêmes raifons ont fait placer à la fin le Dif:ours Sur la Bénédiclion des Drapeaux du Régiment de Catinaty.
SERMON S
-Contenus dans ce Volume.
Ourla Fête de la Purification
de la Sainte Vierge , Des exem^
pies des Grands ^ page i.
Pour le I. Dimanche de Carême,
Sur les tentations des Grands ^27^.
Pour le IL Dimanche de Carême ,
Sur le refpectque les Grands doivent
à la Religion , 5 i .
Pour le IIÏ. Dimanche de Carême ,
Sur le malheur des Grands qui
abandonnent Dieu , 81.
Pour le IV. Dimanche de Carême ,
Sur riiumanité des Grands envers
le Peuple ^ 106.
Pour le jour de l'Incarnation , Sur
les caraSeres de la Grandeur de
Jefus-Chrift , 131.
Pour le Dimanche de la paffion,. Sur
la fauj]eté de la gloire humaine^ i 5^»
Pour le Dimanche des Rameaux ; Sur les écueils de la piété des Grands , 179*
Pour le Vendredi Saint , Sur les obfiacies que la vérité trouve dans le cœur des Grands^ 210.
Pour le jour de Pâque , Sur le triomphe de la Religion , 237.
Sermon jur les vices & les vertus des Grands , 26 3,
Difcours prononcé à une Bénédiciion des Drapeaux du Régiment de Ca-^ tinat <y 309
AVIS DE L'AUTEUR.
CEs Sermons ne font que des En* tretiens particuliers , faits pour tinjlruclion du Roi avant fa Majo^ rite , & pour les perfonnes de la Cour qui compofoient Jeules l'auditoire de la Chapelle du Château des Thuille- ries , quand ces Difcours y furent prononcés.
SERMON
SERMON
POUR LA FETE DE LA
PURIFICATION DE LA SAINTE VIERGE.
Dss exemples des Grands,
Ecce pofîtus eft hic in ruinam & in refur- reûionem multorum in Ifrael.
Celui que vous yoye^ , ejl établi pour la ruine & pour la réfurreciion de plujîeurs en JfiaëU Luc. 2. 34.
SIRE,
Elle eft la dcftinée des Rois 5c des Princes de la
C^F
jfe^ > :^ d'être établis pour
fc ;s;^^i||^ perte comme pour le falut du re/le de? hommes ; 5c quand le Ciel les donne au monde , on peut Petit Carême, A
2 La Purification. dire que ce font des bienfaits , ou des châtimens publics que fa miféricorde ou fa juflice prépare aux peuples.
Oui , Sire , en ce jour heureux où vous fûtes donné à la France , ôc où porté dans le Temple faint , le Pontife vous marqua fur les Autels , du figne facré de la Foi , il fut vrai de dire de vous : Cet Enfant augufle vient de naître pour la perte comme pour le falut de plufieufs.
Jefus-Chrifl: lui-même , prenant pof- feOlon aujourd'hui dans le Temple de fa nouvelle royauté , n'eft pas exempt de cette loi. Il eft vrai que fes exem- ples , fes miracles , & fa do£i:rine qui vont affurer le falut à tant de brebis d'Ifraël , ne deviendront une occa(îon de chute 6c de fcandale pour le refte des Juifs , que par Tincrédulité qui les rendra plus inexcufables ; 6c qu'ainfî le même Evangile qui fera le falut 8c la rédemption des uns , fera la ruine bi la condamnation des autres.
Heureux les Princes &: les Grands , (î leur fainteté toute fev^le étoit , pour les hommes corrompus , une occafion de cenfure & de fcandale ; 6c fi leurs exemples , comme ceux de Jefus- Chrift , ne devenoient l'écueil & la
Exemples des Grands. ^ condamnation du vice , qu*en le ren- dant plus ioexcufable , en devenant l'appui 6c le modèle de la vertu !
Ainfi , mes Frères , vous que la Pro^ vidence a élevés au-deifus des autres hommes , & vous fur-tout , Sire ^ vous que la main de Dieu , protectri- ce de cette Monarchie , a comme re- tiré du milieu des ruines ôc des débris de la Maifon Royale, pour vous placer fur nos têtes : vous , qu'il a rallumé comme une étincelle précieufe dans le fein même des ombres de la mort ^ où il venoit d'éteindre toute votre au- gufte race , 6c où vous étiez fur le point de vous éteindre vous-même : oui , Sire , je Je répète ; voilà les deftinées que le Ciel vous prépare : vous êtes établi pour la perte comme pour le faîut de pîufieurs : Pofitus in ridnam & in refurrecîionem multorum in îfraeL
Les exemples des Princes 8c des Grands roulent fur cette alternative inévitable : ils ne fauroient ni fe perdre, ni fe fauver tout feuls. Vérité capitale qui va faire le fujet de ce Difcours.
A
^- V^i
La Purification. Sire ,
îARTiE. \^Omme le premier penchant des peuples eft d'imiter les Rois , le pre- mier devoir des Rois , eft de donner de faints exemples aux peuples. Les hommes ordinaires ne femblent naître que pour eux feuls : leurs vices ou leurs vertus font obfcures comme leur deC- tinée : confondus dans la foule , s'ils tombent, ou s'ils demeurent fermes , c'eft également à l'infu du public ; leur perte ou leur falut fe borne à leur perfonne : ou du moins leur exemple peut bien féduire £<: détourner quel- quefois de la vertu , mais il ne fauroit impofer ÔC aurorifer le vice.
Les Princes Sc les Grands au con- traire ne femblent nés que pour les autres. Le même rang qui les donne en fpe£lacle , les propofë pour mo- dèles ; leurs mœurs forment bientôt les mœurs publiques ; on fuppofe que ceux qui méritent nos hommages , ne font pas indignes de notre imitation ; la foule n'a point d'autre loi, que \qs exemples de ceux qui commandent : leur vie fe reproduit , pour ainfi dire, dans le public ; ôc fî leurs vices trou- vent des cenfeurs , c'eft d'ordinaire
Exemples des Grands. 5 parmi ceux- mêmes qui les imitent.
Aufli la même grandeur qui favorife les pafTions , les contraint 6c les gêne ; & com.me dit un Ancien , plus l'élé- ^^f ^^ vation femble nous donner de licence ^'J^^^? par l'autorité , plus elle nous en ote ^^i^i^^ par les bienféances. licentia
Mais d'où viennent ces fuites inévi- eft. Sal- tables que les exemples des Grands ont *"j^* toujours parmi les peuples : le voici \ du côté des peuples , c'eft la vanité 6c l'envie de plaire ; du côté des Grands , c'eft l'étendue ôc la perpétuité.
Je dis la vanité du côté des peuples. Oui 5 mes Frères , le monde , toujours inexplicable , a de tout temps attaché également de la honte & aux vices 5c à la vertu. Il donne du ridicule à l'hom- me jufie ; il perce de mille traitsThom- me diiïblu : les pafîions &. les œuvres faintes fourniflent la même matière k fes dérifions 6c à Tes cenfures ; 6c par une bizarrerie , que fes caprices feuls peuvent juftiiier , il a trouvé le fecret de rendre en même temps , 5c le vice méprifable, ÔC la vertu ridicule. Or, les exemples de diiïblntion dans les Grands , en autorifant le vice , en an- nobliflent la honte 6c l'ignominie, 5c lui ôtent ce qu'il a de méprifable aux
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6 L A P U R I F I C A T I O N .
yeux du public ; leurs pafiions devien- nent bientôt dans les autres, de nou- veaux titres d'honneurs , ôc la vanité feule peut leur former des imitateurs.
Notre nation fur^tout , ou plus vai- ne y OU plus frivole , comme on l'en accu Te ; ou pour parler plus équitable- ment 5c lui faire plus d'honneur , plus attachée à fes Maîtres ÔC plus fefpec- sueufe envers les Grands , fe fait une gloire de copier leurs mœurs, comme un devoir d'aimer leur perfonne : on eft flatté d'une reiTemblance , qui nous rapprochant de leur conduite , fembîe nous rapprocher de leur rang. Tout devient honorable , diaprés de grands modèles •, 6c fouvent Fomentation tou- te feule nous jette dans des excès aux- quels rincllnation fe refufe. La Ville croiroit dégénérer, en ne copiant pas les mœurs de la Cour •; le Citoyea obfcur , en imitant la licence des Grand? , croit mettre à fes pafTions le fceau de la grandeur 5c de la nobleiïe; 6c le défordre dont le goût lui-même fe laife bientôt , la vanité toute feule le perpétue.
Mais, Sire , d'un autre côté, tout reprend fa place dans un Etat où les Grands 5 Scie Prince fur- tout 5 adorent
Exemples des Grands. 7 k Seigneur. La piété eft en honneur , dès qu'elle a de grands exemples pour elle. Les Juftes ne craignent plus ce ridicule que le monde jette fur la ver- tu , 5c qui efl l'écueil de tant d'ames foibles. On craint Dieu fans craindre les hommes. La venu n'eft pins étran- gère à la Cour ; le délordre lui-même n'y va plus la tête levée ; il eii: réduit à fe cacher , ou à fe couvrir des appa- rences de la fagefle. La licence ne pa- roît pius revêtue de l'autorité publi- que ; ôc fi le vice n'y perd rien , le fcandale du mioins diminue. En un mot 5 les devoirs de la Religion en- trent dans Tordre public ; ils devien- nent une bienféance que le monde lui-même nous impofe : le culte peut encore être méprifé en fecretpar l'im- pie ; mais il eft vengé du moins par la majeflé & la décence publique. Le Temple faint peur encore voir aux pieds de Tes autels, des pécheurs & des incrédules ; mais il n'y voit plus de profanateurs. Le zele de votre augufle Bifaïeul avoir par des Icix féveres puni fouvent 5 6c toujours flétri de Ton in- dignation ÔC de fa difgrace , ce fcan- dale dans fon Royaume : il peut fe trouver encore des hommes corrom-,
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s La PuRrFic ATiaN. pus qui refufent à Dieu leur cœur; mais ils n'oferoient lui refufer leurs hommages : en un mot , il peut être encore aifé de Ce perdre ; mais du m.oins il n'eil pas honteux de fe fauver.
Or , quand Texemple des Grands ne ferviroit qu'à autorifer la vertu ; qu'à la rendre refpeâiable fur la terre j qu'à luiôter ce ridicule impie ôc infea- fé que le monde lui donne ; qu'à met- tre les Juflcs à couvert de la tentation desdérifions 6c des cenfures; qu'à éta- blir qu'il n'eft pas honteux à l'homme de fervir le Dieu qui l'a fait naître ÔC qui le conferve ; que le culte qu'on lui lend efl le devoir le plus glorieux 8c le plus honorable à la créature , 6c que le titre du ferviteur du Très Haut, ell mille fois plus grand &: plus réel , que tous les titres vains 8c pompeujc qui entourent le diadème des Souve- rains : quand l'exemple des Grands n'auroit que cet avantage, quel hon- neur pour la Religion , ÔC quelle abondance de bénédi(Stions pour un Empire 1
Sire , heureux le peuple qui trou- ve Tes modèles dans Tes maîtres ; qui peut imiter ceux qu'il eil obligé de ref-
Exemples des Grm:ds, 9 fed:er ; qui apprend dans leurs exem- ples à obéir à leurs ioix ; & qui n'eft pas contraint de détourner les regards de ceux à qui il doit des hommages !
Mais quand les exemples des Grands ne trouveroient pas dans la vanité feule des peuples , u^ne imitation tou- jours fûre ; l'intérêt ÔC l'envie de leur plaire y leur donneroit autant d'iml-^ tateurs de leurs aâiions , que leur au^ toriré forme de prétendans à leurs grâces.
Le jeune Roi Roboam oublie îe$^ confeils d'un père le plus fage des Rois ; une jeuneffe inconjfîdérée eft: bientôt appeilée aux premières pla- ces, 5c partage fes faveurs, en imitant: fes défordresv
Les Grands veulent être applaudis >; &: comme l'imitation ell de tous les- applaudiiTemens le: plus Hattetir ôc le- moins équivoque y on eiï fur de leur pîaire , dès qu'on s'étudie à leur reiTem^ bler :. ils font ravis de trouver dans^: leurs imitareurs-^ rapoiogia de leuras vices, êî ils cherchent avec complaifan- ce dans tout ce qui les environne ^ de: q-uoife ratîurer contre eux-mêmes,.
Ainfi l'ambition , dontles voies fors e taujouis longues 5c pénibles -5 eft char^i
lo La Purifica t ro n, mée de fe frayer un chemin plus court &: plus agréable : le pk^'fir, d'ordinaire irréconciliable avec la fortune , en de- vient i'artifan & le miniflre 'y les par- lions déjà (i favorifées par nos pen- chans , trouvent encore dans refpoir de la récompenfe , un nouvel attrait qui les anime ; tous les motifs fe réu- niHent contre la vertu. Et s'il eft il mal aifé de fe défendre du vice qui plaît ; qu'il eft difficile de ne pas s'y livrer , lorfque de plus il nous honore ! Tel eft , Sire , le malheur des Grands que des paiTions injuftes en- traînent. Leur exemple corrompt tous ceux que leur autorité leur foumet : ïls répandent leurs mœurs , en diftri- buant leurs grâces ; tout ce qui dépend d'eux, veut vivre comme eux. Sike,. n'eftimez dans les hommes que Famour du devoir; êCvos bienfaits ne tomberont que fur le mérite : con- daninez dans les autres , ce que vous ne fauriez vous juftifîer à vous- même ; ks imitateurs des paftions des Grands infultent à leurs vices 5 en les imitant* Quel mialheur ! quand le Souverain ^ peu content de fe livrer au défordre^ femble le confacrer par les grâces dont |i rkonore dans ceux qui en hai ou
Exemples des Grands, iï les imitateurs , ou les honteux minif- tres / quel opprobre pour un Empire ! quelle indécence pour la majefté du Gouvernement ! quel découragement pour une nation , &: pour les fujets habiles 6c vertueux ^ à qui le vice en- levé leurs eraces deilinées à leurs talens ÔC à leurs fervices ! quel décri & quel avilillement pour le Prince dans l'opi- nion des Cours étrangères / & delà quel déluge de maux dans le peuple ! Les places occupées par des hommes corrompus ; les payions toujours pu- nies par le m.épris , devenues la voie des honneurs & de la gloire ; l'autorité établie pour maintenir l'ordre & la pudeur des loix , méritée par les excès qui les violent; les mœurs corrompues dans leur fource ; les allres qui dé- voient marquer nos routes , changés en des feux errans qui nous égarent, les bienféances même publiques , dont le vice eft toujours jaloux , renvoyées comme les ufages furannés , à Tanti- que gravité de nos pères : le défor- dre débarraiïe de la gêne même des ménagemens ; la modération dans ie vice , devenue prefque auffi ridicule que la vertu. Mais 5 Sire ^ fî îa juRice gc ta
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ti La Purification.
piété dans les Grands prennent lapîgt- ce des paHions 5c de la licence , quelle fource de bénédidions pour les peu- ples ! C'eft la vertu qui diftribue les grâces ; c'eil elle qui les reçoit : les honneurs vont chercher l'homme fage qui les mérite 5c qui les fuit , 6c fuient l'homme vendu à l'iniquité j qui court après : les fonctions publi- ques ne font confiées qu'à ceux qui fe dévouent au bien public : le crédit 6c l'intrigue ne mènent à rien ; le mérite ÔC les fervices n'ont befoin que d'eux- mêmes : le goût même du Souverain ne décide pas de feslargefTes ; rien ne lui paroît digne de récompenfe danS' fes fujets , que les talens utiles à fa. patrie : les faveurs annoncent tou- jours le mérite , ou le fuivent de près i. iin'y ademéconrens dans l'Ftat, que les hommes oifeux & inutiles. La parefîe 5c la médiocrité murmurent toutes feules contre la fagefle 6c l'équité des choix; les talens fe déve- loppent par les rccompenfes qui lés- attendent : chacun cherche à fe ren»- d're utile au public ; §c toute l'habilé- té de.i'am.bidon fe réduit à fe rendre; digne des places auxquelles on afpireo.. Eiï. un. motj les peuples font foulages g,
Exemples des Grands, rjt les foibles foutenus , les vicieux laiÉ fés dans la boue , les Juiles honorés 9- Dieu bénit , dans les Grands qui tien- nent ici-bas fa place : &C fi l'envie de leur plaire peut former des hypocri- tes , outre que le raafque tombe tôt ou tard , ôc que l'hypocrifie fe trahit toujours par quelque endroit elle- même , c'eil du moins un hommage que le vice rend à la vertu , en s'ho- norant même de Tes apparences.
Voilà du côté des peuples , les fui- tes que la vanité 6<: Fenvie de plaire attachent toujours aux exemples dès- Grands : de leur côté , c'efl: retendue Se la perpétuité qui en font comme le lignai ou du défordre , ou de la vertu parmi les hommiCs..
J E dis rétendue , une étendue d'au- n, torité. Que de miniflres de leurs paf Partie^^- lions, n'enveloppent-ils pas dans leur condamnation &: dans leur deftinée? Si un amour outré de la gloire les enivre, tout leur fouffle la défolation 5c la guerre ; 6c alors , Sire , que de. peuples facrifiés à l'idole de leur or- gueil ! que de lang répandu , qui crie- vengeance contre leur tête / que de calamités publiques j dont ils foût les
î4 La Purification,
fetils auteurs ! que de voix plaintives s'élèvent au Ciel contre des hommes nés pour le malheur des autres hom- mes ! que de crimes naiffent d'un feul crime! Leurs larmes pourroient-elîes jamais laver les campagnes teintes du fang de tant d'innocens ; ÔC leur re- pentir tout feul peut- il défarmer la colère du Ciel , tandis qu'il laifTe en- core après lui tant de troubles £v de malheurs fur la terre?
Sire , regardez toujours la guerre comme le plus grand fléau dont Dieu puilFe affliger un Empire ; cherchez à défarmer vos ennemis , plutôt qu'à les vaincre ; Dieu ne vous a confié le glai- ve, que pour la fûreré de vos peuples, 6c non pour le mialheur de vos voifîns, L'Empire fur lequel le Ciel vous a éta- bli 5 eil afiez vafte ; foyez plus jaloux d'en foulager les miferes , que d'en étendre les limites ; mettez plutôt vo- tre gloire à réparer les m.alheurs des guerres paffées , qu'à en entreprendre de nouvelles ; rendez votre règne im- mortel par la félicité de vos peuples , plus que parle nombre de vos conquê- tes ; ne médirez pas fur votre puif^ fance , la iuflîce de vos entreprifes; ÔC n'oubliez jamais que dans les guerres
Exemple's des Grands 15 les plus juiles , les vi6î:oires traînent toujours après elles autant de calami- tés pour un Etat , que les plus fanglan- tes défaites.
Mais il l'amour du plaidr l'emporte dans les Souverains fur la gloire ; hé- las ! tout fert à leurs paiTions ; tout s'empreiTe pour en être les minidres y tout en facilite le fuccès ; tout en ré- veille les defirs ; tout proie des armes à la volupté. Des fu:ets indignes la favorifent; les adulateurs lui donnent des titres d'honneurs ; des Auteurs profanes la chantent &: l'embellilTent; les arts s*épuifent pour en diverfifier les plaifirs ; tous les talens defdnés par l'Auteur de la nature à fervir à l'or- dre êi à la décoration de la fociété ^ lie fervent plus qu'à celle du vice ;. tout devient les minières , 6c par-la les complices de leurs pafTions injufles» SiFvE , qu'on eil à plaindre dans la grandeur ! Les.pafrions , qui s'ufenr parle temps, s'y perpétuent par les reC- fburces; les dégoûts, toujours infépa- rabies du défordre, y font réveillés par la diverfité des plaifirs ; le tumulte feul , 5c l'agitation qui environne le' Trône , en bannit les réflexions , ôc ne lailTe jamais un inftant le Souverain
î5 L A P U R I F I C A T I O N.
avec lui-même. Les Nathans#us- mê- mes , les Prophètes du Seigneur fe tai- fent & s'afFoibliiTenten l'approchant i tout lui met fans celle fous rœil fa gloire ; tout lui parle de fa puifTance ; &: perfonne n'ofe lui montrer même de loin Tes foibleiTes.
A rétendue de l'autorité , ajoutées encore une étendue d'éclat ; ce n'eft pas à leur nation feule que fe bornent l'imprefllon 5c Teffet contagieux de kurs exemples. les Grands font en fpeélacle à tout l'unive-rs ; leurs ac^ tions palTent de bouche en bouche , ds province en province , de nation en nation : rien n'eft privé dans leur vie ; tout appartient au public : l'Etranger, dans les Cours les plus éloignées , a les yeux fur eux, comme le Citoyen : ils vont fe faire des imitateurs jufques dans les lieux où leur puifTance lecr forme des ennemis : le monde entier fe fent de leurs vertus, ou de leurs vices : ils font, fi je i'ofe dire, citoyens de l'univers ; au milieu de tous les peur pies, fe paiTent des événemens qui prennent leur fource dans leurs exeiB*- pics : ils îoaî chargés devant Dieu da la ju 'lice, ou des iniquités des nations; & leurs vices j ou leurs vertus ont-des?
Exemples des Grands, 17 bornes encores plus étendues que celles de leur Empire.
La France fur- tout , qui depuis long- temps fixe tous les regards de l'Europe, eft encore plus en rpe6i:acle qu'aucune autre nation. Les étrangers y vien- nent en foule étudier nos mœurs , 6c les porter enfuite dans les contrées les plus éloignées : nous y voyons même les enfans des Souverains, s'éloigner 'des plaifirs 6c de la magnificence de leur Cour; venir ici comme des hom- mes privés , fubftiîuer à la langue 6c aux manières de leur nation , la poli- tefle de la nôtre ; 6c comme le Trô- ne a toujours leurs premiers regards 5 fe former fur la fageife dl la m^odéra- tion , ou fur l'orgueil 5c les excès du Prince qui le remplit. Sire, montrez» leur un Souverain qu'ils puiflent imi- ter : que vos vertus 6c la fageiïe de vo- tre Gouvernement les frappent encore plus que votre puifFarxe : qu'ils Coknt encore plus furpris de la juftice de vo- tre règne , que de la miagnificence de votre Cour. Ne leur montrez pas vos riche ffes , comme ce Roi de Juda, aux Etrangers venus de Babylone ; mon- trez-leur votre amour pour vos fujets ^ Se leur amour pour vous, qui eft le vé»
i8 La Purification.
ritable tréfor des Souverains. Soyez le modèle des bons Pvois ; 6c en faifant l'admiration des Etrangers, vous ferez le bonheur de vos peuples.
Mais ce n*eft pas feulement aux hommes deîeuriiecle, que les Princes Se les Grands font redevables : leurs evemples ont un caraélere de perpétui- té quiintéreile tous les ikcles à venir.
Les vices . ou les vertus des homm.es du commiun m^eurent d'ordinaire avec eux : leur mémoire périt avec leur per- fonne : le jour de la manifeftation , tout feul révélera leurs a£tion5 aux yeux de Tunivers ; mais en attendant, leurs œuvres font enfevelies , &C repo- fent fous 1 obfcuriîé du même tom- beau , que leurs cendres.
Mais les Princes 6c les Grands, Sirf, font de tous les fieclcs ; leur vie , liée avec les événemens publics , pafleavec eux d'âge en âge ; leurs pafllons , ou confervées dans des monumens pu- blics , ou immortalifées dans nos HiC- toires , ou chantées par une Poéfie lafcive , iront encore préparer des piè- ges à la dernière poftérité : le monde eft encore plein d'écrits pernicieux qui ont tranfmis jufqu'à nous les défordres des Cours précédentes. Les diflblutions
Exemples des Grands. 19 des Grands ne meurent point , leurs exemples prêcheront encore le vice^ou la vertu à nos plus reculés neveux ; ôc rhiftoire de leurs mœurs aura la même durée 5 que celle de leur ilecle.
Que d'engagemens heureux. Sire, leur état feul ne forme- t-il pas aux Grands ÔC aux Rois pour la piéré 6c pour la jufiice ! S'ils y trouvent plus d'attraits pour le vice , que de puif- fans motifs n'y trouvent ■ ils pas aufîî pour la vertu ! Quelle noble retenue ne doit pas accompagner des aérions qui feront écrites en caraûeres ineffaça- bles dans le livreMe la pofterité! quelle gloire mieux placée, que de ne point fe livrer à des vices ÔC à des pafTions , dont le fouvenir fouillera l'hiftoire de tous les temps, 5c les hommes de tous les (iecles 1 quelle émulation plus loua- ble , que de laiifer des exemples qui deviendront les titres les plus précieux de la Monarchie , & les monumens publics de la jullice &. de la vertu ! en- fin , quoi de plus grand que d'être né pour le bonheur même des (iecles à venir ; de compter que nos exemples feuls form.eront une fuccefTion de ver- tu ôc de crainte du Seigneur parmi les hommes ^ 5c que de nos cendres mê-
20 La Purification. mes il en renaîtra d'âge en âge , des Princes qui nous feront femblables !
Telle eft , Sire , la deftinée des bons Rois ; & tel fut votre augulle Bifaïeul , ce grand Roi que nous vous propofe- rons toujours pour modèle. Hélas / il le fera de tous les Rois à venir. N'ou- bliez jamais ces derniers momens , où cet héroïque Vieillard, comme aujour- d'hui Siméon , vous tenant entre fes bras j vous baignant de fes larmes pa- ternelles 5 ôc offrant au Dieu de fes pè- res , ce relie précieux de fa race roya- le , quitta la vie avec joie , puifque fes yeux voyoient l'Enfant miraculeux , que Dieu réfervoit encore pour être le faluî de la nation , ÔC la gloire d'IfraëL Sire , ne perdez jamais de vue ce grand fpeâ:acle : ce père des Rois mourant , 6c voyant revivre en vous feul l'efpérance de toute fa poftérité éteinte ; recon:)miandant votre enfance 41a tendre & refpeclacle Dépofitai- re (0 û^ votre première éducation , laquelle en formant vos premières in- clinations, & pour ainfi dire , vo« pre- mières paroles, fut fur le point de re- cueillir vos derniers foupirs ; confiant
(i) Madame la DucheJJh de Vantadour,
Exemples des Grands, it le facré dépôt de votre Perfonne au pieux Prince (i) qui vous infpire des fentimens dignes de votre Sang , à l'il- luftre Maréchal ( 2, ) , qui a reçu comme une vertu héréditaire, la fcience d'éle- ver les Rois; ÔC qui , devenu un des premiers fujets de l'Etat , vous ap- prendra à devenir le plus grand Roi de votre fîecle; au Prélat fidèle (^) qui, après avoir gouverné fagement TEgli- fe , lui formera en vous fon plus zélé Proteé^eur ; enfin , à toute la nation ; dont vous êtes en même temps , ÔC le précieux pupile , ôc le père.
Puiiîîez vous 5 Sire , n'effacer jamais de votre fouvenir les maximes de fagef- fe que ce grand Prince vous Idïilà dans ces derniers momens , comme un héri- tage plus précieux que fa Couronne. Il vous exhorta à foulager vos peu- ples : foyez-en le père , & vous en fe« rez doublement la maître.
Il vous infpira l'horreur de la guer- re , 8c vous exhorta de ne pas fuivre là-deflus fon exemple : foyez un Prin- ce pacifique ; les conquêtes les plus
Çi) Le Duc du Maine,
(z) Le Maréchal de Fille roy.
(^) Vancisn £véqus de Frejus,
22 La Purification.
glorieufes font celles qui nous gagnent les cœurs.
li vous avertit de craindre le Seigneur: marchez devant lui, dans l'innocence; vous^ne régnerez heureufement, qu'au- tant que vous régnerez faintement.
Sire , que les dernières paroles de ce grand Roi , de ce Patriarche de vo- tre Famille Royale, foient comme cel- le? du Patriarche Jacob mourant , les prédiâ:ions de ce qui doit arriver ua jour à fa race ; ôc puifTent fes dernières inftru6tions devenir la prophétie de votre Règne. Ainfifoit-iL
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S E R M O N
POUR
LE PREMIER DIMANCHE
DE CAREME.
Sur Us tentations des G-^ids,
Jeilis dnâiu eft in de(èrnim à Spiriru , ut tentarenir à diabolo.
Jejus fjt conduit par rEfjprîî dans U iéfirt : ^ir^' y être tenté par le diable^ Matth. 4. i •
O I R E ,
LE s lignes éclatans qui avoient accompagnés la naiJacce 5c les commencemens de la vie de J. C. ce perir.etroient pas au démon digoo- rer que le Très-Hau: ce le defrinàt^ à de grandes chofes.
Plus il entrevoit les premières lueurs de la grandeur future • plus il fe hâte
14 ï. D I M. D E C A R E M E.
de lui drelTer des pièges. Sa defcen- dance des Rois de Juda ; fon droit à la Couronne defes Ancêtres ; les Pro- phéties qui annonçoient que dans les derniers temps , Dieu fufciteroit de îa race de David, le Prince de la paix, ôc le Libérateur de fon peuple : tout ce qui annonce la grandeur de Jefus- Chrift, arme la malice du tentateur contre fon innocence.
Les Grands, Sire, font les premiers objets de fa fureur. Plus expofés que les autres hommes à fes féduftions 5C à fes pièges, il commence de bonne heure à leur en préparer ; 6c comme leur chute lui répond de celle de tous ceux prefque qui dépendent d'eux , il ralTemble tous fes traits pour le perdre, ^^tjh» Change^ ces pierres en pain , dit- il à
*^' ^* Jefus-Chrift: il Tattaque d'abord par le plaifir ; ôc c'eft le premier piège qu'il dreffe à leur innocence.
Ibid.f» Puifque VOUS êtes Fils deDieu^ ajou- te-t-il , il enverra fes Anges pour vous garder : il coqtinue par l'adulation ; ÔC c'eft lin trait encore plus dangereux dont il empoifonne leur ame.
£hid, f. Enfin, je vous donnerai les Royaumes
^' du monde , & toute leur gloire : il finit
par l'ambition ; 6c c'eft la dernière ôc
U
Tentations des Grands. 25 ia plus fùre reiTource qu'il emploie , pour triompher de leur foiblcfTe.
Ainfi, le plaifir commence à leur corrompre le cœur ; l'adulation l'affer- mit dans l'égarement , 6c lui ferme toutes les voles de la vérité ; Tambi- ûon confomme l'aveuglement , ôC achevé de creufer le précipice. Expo- fons ces vérités importantes , après avoir imploré , &c. Ave , Maria, SIRE,
E premier écueil de notre inno- j^ ce , c'eft le plaifîr. Les autres paffions Paktîht, plus tardives ne fe développent , ÔC ne mûriffent, pourainfi dire, qu'avec îa raifon : celle ci la prévient , ôc nous nous trouvons corrompus, avant pref- que d'avoir pu connoîrrc ce que nous fommes. Ce penchant infortuné , qui fouille tout le cours de la vie de? lum- mes , prend toujours fa fource dans les premières mœurs : c'eft le premier trait empoifonné qui bleiTerame : c'eft lui qui efface fa première beauté ; ÔC c'eft de lui que coulent en fuite tous fes autres vices.
Mais ce premier écueil de la vie humaine devient comme Fécueil pri- vilégié de la vie des Grands. Dans les
Petit Carinie, B
%6 ï. D I M. D E C A R E M E.
autres hommes , cette paflîon déplo- rable n'exerce jamais qu'à demi Ton empire : les obilacles la traverfent , la crainte des difcours publics la retient ; l'amour de la fortune la partage.
Dans les Princes ôc dans les Grands , ou elle ne trouve point d'obftacle , ou les obilacles eux- mêmes facilement Lcartés, l'enflâment 5c l'irritent. Hélas! quels obilacles a jamais trou^^é làdef- fus la volonté de ceux oui tiennent en leurs mains la fortune publique ? Les occafions préviennent prefque leurs deiirs t leurs regards j Ci j'ofe parler ainfi , trouventpar tout des crimes qui les attendent .: l'indécence du fiecle , 6c l'avililTement des Cours , honore même d'éloges publics, les attraits qui réufTiiTent à les féduire : on rend des hommages indignes à l'effronterie la plus honteufe : un bonheur (î honteux eft regardé avec envie, au lieu de l'être avec exécration ; ÔC l'adulation pu- blique couvre l'infamie du crime pu- blic. Non : Sire , les Princes , dès qu'ils fe livrent au vice , ne connoif- fent plus d'autre frein que leur volon- té ; 6c leurs paOïons ne trouvent pas plus de réfiilance , que leurs ordres.
David veut jouir de fon crime t
Tentations des Grands. 17 Télite de Ton armée eil bientôt facri- fiée , 8c par-là périt le feu! témoin in- commode à fon incontinence. Rien ne coûte , & rien ne s'oppofe aux payons des Grands : ainfi la facilité des paf^ fions en devient un nouvel attrait i devant eux, toutes les voies du crime s'applanifTent , & tout ce qui plaît, efi: bientôt poffible.
La crainte du Public eft un autre frein pour la licence du commun des hommes. Quelque corrompues que foient nos mœurs, le vice n'a pas en- core perdu parmi nous toute fa honte , il refle encore une forte de pudeur publique qui nous force à le cachet* ; 6cle monde lui même, qui fem.ble s'en faire honneur , lui attache pourtant encore une efpece de flétriiTure 6c d'opprobre : il favofife les pafîions ; Se impofe pourtant des bienféances qui les gêne : il fait des leçons publi- ques du vice 6c de la volupté ; 5c il exige pourtant le feciet , & une forte de ménagement de ceux qui s'y li- vrent.
Mais les Princes 8c les Grands ont fecoué ce joug : ils ne font pas afîezde cas des hommes , pour redouter leurs cenfures. Les hommages publics qu'on
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2.^ î. D I M. DE Carême. leur rend , les rallurent fur le mépris fecret qu'on a pour eux : ils ne crai- gnent pas un Public qui les crainr , Si qui les reCpeB:e ; 6c à la hoite du (le- cle , ils Te flattent avec raifon , qu'on a pour leurs paffions les mêmes égards que p3ur leur perfonne. La diftance qu'il y a d'eux au peuple , le leur mon- tre dans un point de vue Ci éloigné , qu'ils le regardent comme s'il n'étoit pas : ils méprifent des traits partis de il loin , 8c qui ne fauroient venir juf- qu'à eux ; ÔCprefque toujours , deve- nus les feuls objets de la cenfure publi- que , ils font les feuls q;ii l'ignorent, ^ Ainfi plus on ed grand , Sire , plus M on eil redevable au Public. L'éiéva- ^ tion qui bleife déjà l'orgueil de ceux qui nous font fournis , les rend des cenfeùrs plus féveres ôc plus éclairés de nos vices : il femble qu'ils veulent regagner par les cenfures, ce qu'ils perdent par la foumifTion ; ils fe ven- gent de la fervitude par la liberté des difcours. Non , SiRE , les Grands fe crpient tout permis , 8>C on ne par- donne rien aux Grands ; ils vivent comme s'ils n'avoient point de fpe^^a- teurs j 5c cependant ils font tout feuls comme le fpeciacle éternel durefte de îa terre.
Tentations des Grands. i$ Enfin 5 l'ambition 6c l'amour de la fortune dans les autres hommes , par^ tage l'amour du plaifîr. Les foins qu'elle exige , font autant de momens déro- bés à la volupté ; le diiiir de parvenir fufpend du mo^ns des pnfnons , qui de tout temps en onc été i^obllacle : on ne fauroit allier les mouvcmens fages & mefurés de l'ambition , a-ec le loHir, l'oifiveté , ÔC prefque toujours le dé- rangement 5c les extravagances du vice. En un mot , la débauche a tou- jours été recueil inévitable de l'éléva- tion ; 6c jufques ici les plaifirs ont ar- rêté bien des efpérances de fortune, ôC l'ont rarement avancée.
Mais les Princes 6c les Grands qui n'ont plus rien à defirer du côté de la fortune , n'y trouvent rien auiTi qui gê- ne leurs plaifirs. La naiffance leur a tout donné ; ils n'ont plus qu^à jouir , pour ainfî dire , d'eux mêmes : leurs ancêtres ont travaillé pour eux ; le plailir devient l'unique foin qui les occupe : i's Ce repofent de leur éléva^ tiofl fur leurs titres ; tout le refte eft pour les palTions.
AuHi les enfans des hommes illuf- très font d'ordinaire les fucceffeurs-^ du rang 6c des honneurs de leurs pé--
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30 L D I M. D E C A REM Eo
tes , ÔC ne le font pas de leur gloire & de leurs vertus. L'élévation dotrr la naiflance les met en poiïeffîon , les empêche toute feule de s'ein rendre dignes : héritiers d'un grand nom , il leur paroît inutile de s'en faire un à eux mêmes : ils goûtent les fruits d'une gloire dont ils n'ont pas goûté Famertume : le fang ÔC les travaux de leurs ancêtres deviennent le titre de leur moUefle Se de leur oifiveté : la nature a tout fait pour eux ; elle ne laiiTe plus rien à faire au mérite : ôc fouvent répoque glorieufe de l'éléva- tion d'une race , devient un moment après elle même , fous un indigne héritier , le (ignal de fa décadence ÔC de fon opprobre. Les exemples là-def- fusfont de toutes les nations ÔC de tous les (iecles.
Salo-non avoit porté la gloire de fon nom jufqu'aux extrémités de la terre : l'éclat ÔC la magnificence de fon règne avoit furpaffé celle de tous les Rois d'Orient: un fils infenfé devient le jouet: de fes propres fujets , ÔC voit dix Tri- bus fe choifir un nouveau maître. Les enfans de la gloire ôc de la magnificen- ce font rarement les enfans de la fagef fe ôcde la vertu jôC il eft prefque plus.
TtNTATÏONS DES GRANDE. ^ï rare de foutenir la gloire ÔC les hon- neurs auxquels on fuccede, que de les acquérir foi- même.
L
E plaifir eft donc le premier écueil H. des Grands , & c'eft par là que le ten- Partie; tateur commence à les féduire ; il con- tinue par Tadulaîion. Le plaifir cor- ro upt le cœur par le vice ; l'adulation achevé de ie fermer à la verm : les at- traits qui environnent le Trône fo.uf- flent de toutes parts la volupté; l'adu- lation la juftifie : le défordre laifTe toujours au fond de l'ame le ver dé- vorant; mais leflatreur traite le remord de foibleffe , enhardit la timidité du crime , & lui ôte la feule reflburce qui poiïvoit le ramener à la pudeur de Tordre 6c de la raifon.
Si RE , quel fléau pour les Grands ,- que ces hommes nés pour applaudir à leurs paflions , ou pour drefler des pièges à leur innocence ! quel malheur pour les peuples , quand les Princes 5c les Puiffans fe livrent à ces ennemis de leur gloire , parce qu'ils le font de la fageife & de la vérité ! Les fléaux des guerres & des flérilités font des' fléaux paiTagers, 6c des temps plus heu- reux ramènent bientôt la paix ôC-
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3.1 T. D I M. DE Carême. l'abondance : les peuples en font ??fïli- gés ; mais la fagefle du Gouvernement leur laiffe efpérer des îeiTources. Le âéau de l'adulation ne permet plus d'en attendre; c'efl une calamité pour l'Etat, qui en promet tcujourF de nou- velles : ropurcfllon des peuples , dé- guifée au Souverain , ne leur annonce que des charges plus onéreufes : les gémiflemens les plus touchans que forme la miïere publique , paiFent bientôt pour des murmures : les re- montrances les plus jufles 6c les plus refpeélueufes , l'aduîation lr:s traveflit en une témérité puniflable ; & Tim- pofTibilité d'obéir n'a plus d'ijutre nom que la rébellion Sc la mauvaife volon- Ffit,^,XQ qui refufe. Que le Seigneur , difoit autrefois un faint Roi , confonde ces langues trompeufes & ces lèvres fauf- fes,qui cherchent à nous perdre j parce qu'elles ne s'étudient qu'à nous plaire.
S I R E , défiez- vous de ceux qui 9 pour autorifer les profufions immen- fes des Rois , leur grofTiifen: fans eefîe l'opulence de leurs peuples. Vous fuccédez à une Monarchie flo- rillante , il eil vrai , m.ais que les per- tes paiTées orit accablée. Le zelè d^
Tentations des Grands. 33 vos Sujets eftinépuifable ; mais ne me- furez pas là-delîus les droits que vous' avez fur eux ; leurs forces ne répon- dront de long-temps à leur zèle : les' lîécefTités de l'Etat les ont épuifés ;;^ iàiflezrîes refpirer de leur accable-- ment : vous augmenterez vos refibur- ces , en augmentant leur tendreïfe» Ecoutez les confeils des Sages & de^ Vieilljards auxquels votre enfance eff confiée , & qui préfiderent auK con- feils de votre augude Bifaïeul ; ôC fouvenez vous de ce jeune Roi de- Jljda, dont je vous ai déjà cité rexem^"' plé 5 qui pour avoir préféré les avi^ d*une jeunelTe incoîTfidérée , à la fa* gefle 5c à la maturité de ceux aux con- ièils defquels Salomon Ton père étoîê^^ redevable de la gloire ôc de la prof^ périté de fon règne , & qui lui con> feilloient d'affermir les commerrce- iriens du fien par le fouiagement de Ter peuples , vit un nouveau Royaume fé^ former des débris de celui de Juda; Ôk- pour avoir voulu esiiger deTes fujets- au- delà de ce qu'ils lui dévoient, il per. • dit leur amour & leur fidélité qui lui' ètoiem ('lîc; Lescon'eilsc/gréables font- raremcnt^escon/cils aiï'e^è ; d^ ce qiTi " flotte- les- Soiiverairrs , fait d'oîdinalfs^' Iq. malheur d€ s Sujets,- B> y^
j4 !• D'iîvî. DE Gare ME,
Oui, Sire ^ par Tadulation^les vices- des Grands fe fortifient ; leurs vertus mêmes fe corrompent. Leurs vices fe fortifient : 5c quelle reflburce peut- il refier à des paiîions qui ne trouvent au- tour d'elles que des éloges ?Hélas!com-- ment pourrions-nous haïr& corriger ceux de nos défauts que l'on loue, puif- que ceux même qu'on cenfure trouvent encore au- dedans de nous , non feu- lement des penchans , mais des rai- fons même qui les défendent ? Nous nous faifons à nous- mêmes l'apologie de nos vices : l'illufion peut- elle fe diffiper , lorfque tout ce qui nous en- vironne nous les donne pour des ver^ tus ?
Leurs vertus mêrnes fe corrom- pent : c'eft l'expérience de tous les îiccles 5 difoit AfTuérus ; les îuggeftions flatteufes des méchsns ont toujours perverti les inclinations louables des meilleurs Princes ; & les plus ancien- nes hiftoires nous en fourniffent des- ^^R- T<ç exemples i Et ex veterihus probatur j^. hijtoriis. . . o . quomodo maUs quorum-"
dam fuggejîionibus , Regum fluclia de- p»mventur. C'étoit un Roi infidèle qui faifoit cet aveu public à fes fujers : les œnfeils.fpécieux ôc iniques. d'un flat*.
Tentations des GkA>JDs. 35 feur alloient fouiller toute la gloire de Ton Empire : la fidélité du feul Mar- dochée arrêta le bras prêt à tomber fiir les innocens. Un feul fujet fidèle dé- cide fouvent de la félicité d'un règne 6c de la gloire du Souverain ; ôc il ne faut aufli qu'un feul adulateur , pour flétrir toute la gloire du Prince , & faire tout le malheur d'un Empire.
En effet , l'adulation enfante l'or- gueil, & l'orgueil eft toujours l'écueil' fatal de toutes les vertus. L'adulateur, en prêtant aux Grands les qualités louables qui leur manquent , leur fait perdre celles mêm.es que la nature leur avoit données ; il change en fources de vice , des pcnchans qui étoienî en eux des efpérances de vertu. Le cou- rage dégénère enpréfomptidn; la ma- jefté qu'infpire la naiffance , qui fied- fi bien au Souverain, n'efl plus qu'une vaine fierté , qui l'avilit Sc le dégra- de ; l'amour de la gloire , qui coule en eux avec le fang des R.ois leurs an- cêtres , devient une vanité iafenfée ^- qui voudroit voir l'univers entier à^ leurs pieds; qui cherche à combartre 5- feulement pour avoir rhonneur fri- vole de vaincre; 6c qui, loiifde domp-^ îer leurs ennemis -5 leu? esï fait de noa-^
xS T. Dl M. DE C A REM E. leur rend , les rairurent fur le mépris fecret qu'on a pour eux : ils ne crai- gnent pas un Public qui les craint , 6c qui les rerpe<fte ; 6c à la honte du fie- cle , ils Te flattent avec rai fon , qu'on a pour leurs paiïîons les mêmes égards que pDur leur perfonne. La diftance qu'il y a d'eux au peuple , le leur mon- tre dans un point de vue fi éloigné , qu'ils le regardent comme s'il n'étoit pas : ils méprifent des traits partis de il loin , 6c qui ne fauroient venir ]uC- qu'à eux ; êcprefque toujours , deve- nus les feuls objets de la cenfure publi- que , ils font les feuls qui l'ignorenr, Ainfi plus on efl grand , Sire , plus on eft redevable au Public. L'éléva- tion qui bielle déjà l'orgueil de ceux qui nous font fournis , les rend des cenfeiirs plus féveres 5c plus éclairés de nos vices : il femble qu'ils veulent regagner par les cenfures, ce qu'ils perdent par la fourniiïîon ; ils fe ven- gent de la fervitude par la liberté des difcours. Non , SîRE , les Grands fe crpient tout permis , 6c on ne par- donne rien aux Grands ; ils vivent comme s'ils n'avoient point de fpe6^a' leurs 5 5c cependant ils font tout feuls comme le ipedacle éternel du relie de la terre.
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plif devient : OMpe.'/Vert. tioflfurbs ;:•' peur les palTio:. MleseEf,;:
Tentations des Grands, i^ Enfin 5 l'ambition 6c l'amour de là fortune dans les autres hommes , par^ tage l'amour du plaifîr. Les foins qu'elle exige , font autant de momens déro- bés à la volupté ; le deiir de parvenir fufpend du moins des pnflîons , qui de tout temps en onc été robitacle : on ne fauroit allier les mouvr mens fages & mefurés de l'ambition , a'ec le loifir, l'oifiveté , ÔC prefque toujours le dé- rangement 5c les extravagances du vice. En un mot , la débauche a tou- jours été recueil inévitable de l'éléva- tion ; Se jufques ici les plaifirs ont ar- rêté bien des efpérances de fortune, ÔC Tont rarement avancée.
Mais les Princes ôc les Grands qui n'ont plus rien à defirer du côté de la fortune 5 n'y trouvent rien auili qui gê- ne leurs plaifirs. La naiifance leur a tout donné ; ils n'ont plus qu'*à jouir , pour ainfî dire , d'eux mêmes : leurs ancêtres ont travaillé pour eux ; le plai(îr devient l'unique foin qui les occupe : i's Ce repofent de leur éléva^ tion fur leurs titres ; tout le refie eft pour les paflîons.
Aufli les enfans des hommes illuf- très font d'ordinaire les fucceffeurs du rang 6c des honneurs de leurs pé-
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30 r. DiM. DE Carême, res , 8>C ne le font pas de leur gloire Sc de leurs vertus. L'élévation dotir la îiaiiTance les met en polTeflîon , les empêche toute feule de s'eh rendre dignes : héritiers d'un grand nom , il leur paroît inutile de s'en faire un à eux mêmes : ils goûtent les fruits d'une gloire dont ils n'ont pas goûté l'amertume : le fang ÔC les travaux de leurs ancêtres deviennent le titre de leur moUefle Se de leur oifiveté : la nature a tout fait pour eux ; elle ne laiiTe plus rien à faire au mérite : ÔC fouvent l'époque gîorieufe de l'éléva- tion d'une race , devient un moment après elle même , fous un indigne héritier , le (îgnal de fa décadence ÔC de fon opprobre. Les exemples là-deP fus font de toutes les nations ÔC de tous les lie des.
Salomon avoit porté la gloire de fon nom jufqu'aux extrémités de la terre :; l'éclat ÔC la magnificence de fon règne avoit furpaffé celle de tous les Rois d'Orient: un fils infenfé devient !e jouet de fes propres fujets, ÔC voit dix Tri- bus fe choifir un nouveau maître. Les enfans de la gloire ôc de la magnificen- ce font rarement les enfans de la fagef- fe ôcde la vertu i, ôC il eft prefque plus
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rare de foute nir la gloire ÔC les hon- neurs auxquels on fuccede, que de les acquérir foi- même.
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E pîaifir eft donc le premier écueil II des Grands , & c'eft par là que le ten- Partie; tateur commence à les féduire ; il con- tinue par l'adulation. Le plaifir cor- rompt le cœur par le vice ; l'adulation achevé de le fermer à la verm : les at-. traits qui environnent le Trône fo.uf- flent de toutes parts la volupté; l'adu- lation la juftifie : le défordre laiiTe toujours au fond de l'ame le ver dé- vorant; mais le flatreur traite le remord de foiblefle , enhardit la timidité du crime, & lui ôte la feule refTource qui pouvoir le ramener à la pudeur de l'ordre 6c de la raifon.
SiRE , quel fléau pour les Grands ,- que ces hommes nés pour applaudir à leurs paflions, ou pour dreffer des pièges à leur innocence ! quel malheur pour les peuples , quand les Princes ôc les Puiflans fe livrent à ces ennemis de leur gloire , parce qu'ils le font de là fagefTe & de la vérité ! Les fléaux- des guerres & des ilérilités font des^ fléaux paflagers, ôc des temps plus heu- reux ramènent bientôt la paix ô€-
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3.2 T. D I M. DE Carême. l'abondance : les peuples en font affli- gés ; mais la fagefle du Gouvernement leur laifle efpérer des reflburces. Le âéau de Tadulation ne perinet plus d'en attendre; c'efl une calamité pour FEtat, qui en promet toujours de nou- velles : l'opprcnicn des peuples , dé- guifée au Souverain , ne leur annonce que des charges plus onéreufes : les gémiffemens les plus touchans que forme la mifere publique , païFent bientôt pour des murmures : les re- montrances les plus jufles & les plus lefpeélueufes 5 l'adulation ks traveflit en une témérité puniflable ; 5c Tim- pofTibilité d'obéir n'a plus d'cjutre nom que la rébellion 6c la mauvaife voîon- ly^ir.^.té qui refufe. Que le Seigneur , difoit autrefois un faint Roi , confonde ces langues trompeufes 6c ces lèvres fauf» fes,qui cherchent à nous perdre j parce qu'elles ne s'étudient qu'à nous plaire.
Sire, défiez- vous de ceux qui 5 pour autorifer les profufîons immen- fes des Rois , leur grofTiirent fans cefîe l'opulence de leurs peuples. Vous fuccédez à une Monarchie flo- rillante , il e(l vrai , mais que les per- tes pafTées ont accablée. Le zelè d^
TENTAT!'
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confiée ,K{ (à de loirc , foui'ecez V0U5 de ce Jli(la,(lootjc' pie, f peur 3 • dWirf '' iîh defijue.'s i^ redevable ie',: périié de fer • ièàî ùiim / niensdtifapc/lffcv:
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Tentations des Grands. 33- vos Sujets eft inépuifable ; mais ne me- furez pas là-defîus les droits que vous' avez fur eux ; leurs forces ne répon- dront de long-temps à leur zèle : les* nécefTités de TEtat les ont épuifés ;• làiiTeir^cs refpirer de leur accable- ment : vous augmenterez vos reffour- ces 5 en augmentant leur tendrefTe.- Ecoutez les confeils des Sages & de^' Vieillards auxquels votre enfance eff confiée , & qui prédderent auK con- feils de votre auguile Bifaïeul ; &C fouvenez vous de ce jeune Roi de' Juda , dont je vous ai déjà cité l'exem-' plë , qui pour avoir préféré les avié d*une jeuneffe incoîrfidérée , à la fa- geiTe & à la maturité de ceux aux con- ièils defquelis Salomon Ton père étoÎÊ^^^ redevable de la gloire 6c de la prof^ périté de fon règne , & qui lui con> feilloient d'afFermir les commeîTce- inens du fien par le foulagement de Teâ peuples , vit un nouveau Royaume fé- former des débris de celui de Juda ; Sk. poura\oir voulu e5(igef de fes (ijjecs- au- delà de ce qu'ils lui dévoient, il pen dit leur arr.our ôc leur fîdéliré qui lui" étoiem âua Les con'éiJsLgréables font- rarement:des conseils ytileS; 3? ce qiTi " fîstteies Soiweraiirs , fait à'oràm^ih.' lô- maille ur d€s Suj€ ts,- B> ?:.
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54 L D^IM. DE G ARE ME..
Oui, Sire , par Tadulation^les vices- des Grands fe fortifient ; leurs venus mêmes Te corrompent. Leurs vices fe fortifient : ÔC quelle refTource peut- il relier à des pafîions qui ne trouvent au- tour d'elles que des éloges ? Hélaslcom- ment pourrions-nous haïrôc corriger* ceux de nos défauts que Ton loue, puif- que ceux même qu'on cenfure trouvent encore au- dedans de nous , non feu- lement des penchans , mais des rai- fons même qui les défendent ? Nous nous faifons à nous- mêmes l'apologie de nos vices ; Tillufion peut- elle fe difTîper , lorfque tout ce qui nous en- vironne nous les donne pour des ver^ tus ?
Leurs vertus mêmes fe corrom- pent : c'efl l'expérience de tous les ficelés , difoit Afîuérus ; les iuggeftions- flatteufes des méchsns ont toujours perverti les inclinations louables des meilleurs Princes ; bi les plus ancien- nes hiftoires nous en fournifTent des- ^jjr. j 5^ exemples i Et ex veteribus probatur jj, hijîoriis, . . <. . quomodo malis quorum"'
dam fuggejîionibus , Regum ftuclia de- praventur.Cétoitun Roi infidèle qui faifoit cet aveu public à fes fujers : les wnkïls. fpécièux §C iniques d'un fias-.
leur alloien: - les innocec.^
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Tentations des Grands. 35 leur alloient fouiller toute la gloire de Ton Empire : la fidélité du feul Mar- dochée arrêta le bras prêt à tomber fiir les innocens. Un feul fujet fidèle dé- cide fouvent de la félicité d'un règne 6c de la gloire du Souverain ; ôc il ne faut aufTî qu'un feul adulateur , pour Hétrir toute la gloire du Prince , 6c faire tout le malheur d'un Empire.
Ein effet , l'adulation enfante l'or- gueil, & l'orgueil eft toujours l'écucii^ fatal de toutes les vertus. L'adulateur, en prêtant aux Grands les qualités louables qui leur manquent , leur fait perdre celles mêmes que la nature leur avoit données ; if change en fources de vice 5-des pcnchans qui étoient eo eux des efpérances de vertu. Le cou- rage dégénère enpréfomptidn; la ma- jeflé qu'infpire la naiffance , qui fied fî bien au Souverain, n'eft plus qu'une vaine fierté , qui l'avilit 6c le dégra- de ; l'amour de la gloire , qui coule en eux avec le fang des R.ois leurs an- cêtres , devient une vanité iafenfée 5- qui voudroit voir l'univeTs entier à' leurs pieds; qui cherche à combattre 'j- feulement pour avoir l'honneur fri^ vole de vaincre; 6c qui, loin'de dompf-^ îer leurs ennemis -5 leuï eiï fait de noa-^
3/J I. D IM. DE Carême. veaux , 5c arme contre eux leur^; voifms & leurs alliés .-riiumanité (i aimable dans Télévaiion , 5c qui eft comme le premier fenriment qu'on verfe dès Tenfance , dans l'ame des Rois , fe bornant à des larsefies ou- trées, 6c à une familiamé fans réferve pour un petit nombre de favoris , ne leur laifle plus qu'une dure infenfibi- lité pour les miferes publiques : les devoirs mêmes de la Religion dont ils font les premiers Proteôeurs , ÔC qui avoient fait la plus ferieufe occupa- tion de leur premier âge , ne leur pa- roiflent plus bientôt que les amufe- mens puériles de Tenfance. Non , Sire , les Princes naiifent d'ordinaire vertueux , & avec des inclinatiorrs dignes de leirr fang : la nailFance nous les donne tels qu'ils devroient être, l'adulation toute feule les fait tels q:u'ils font.
Gâtés par les louanges, on n'ofè- roit plus leur parler le langage de la vérité : eux feuls ignorent dans leur Etat 5 ce qu'eux feuls devroient con- noître : ils envoient des Miniflres pour^ êîre infoîmés de ce qui fe pafîe de- pjùs" fécret dans les Cours ôc dans léss ïïbyjâumess lès- pjus: éloignés ; & pcT^-
Tentations des Grands. 37 - ibnne n'oferoit leur apprendre ce qui fe paffe dans leur propre Royaume : les difcours flatteurs affiegent leur Trône , s'emparent de toutes les ave- nues , 6c ne laiffent plus d'accès à la^ vérité. Ainfi le Souverain eft feul étranger au milieu de Tes peuples ; il croit manier les reflbrts les plus fecrets de l'Empire , 6f il en ignore les évé- nemens les plus publics : on lui cache fes pertes ; on lui grofTitfes avantages: on lui diminue les miferes publiques : on le joue à force de le refpeéler : il ne voit plus rien tel qu'il eft , tout lui paroît tel qu'il le fouhaite.
Telles font les trilles fuites de l'adu- lation. Cependant , Sire , c'eft là le vice le plus comni»un des Cours , ÔC recueil des meilleurs Princes. A peine le jeune Roi Joas eut- il perdu le fidelè - Pontife Joïada , ce fage tuteur de fou' enfance, & le feul homme par qui la- vérité alloit encore jufqu'aux pieds de fon Trône ; que féduit par les flatte- ries des Courtifans , âh l'Ecriture , il fe livra à leurs mauvais confeils , Sc à fes propres foiblelTes : Ddinitus obfe- 2. P^ra/'/, quiis eonim ^ acquicvlt cis. 24,17...
C'eft l'adulation qui fait d'un bon Prince , un Prixice né pour k malheiji:
'
^8 I. D I M. D E C A R E M Ë.
de fon peuple : c'eft elle qui fait d\i fceptre un joug acablant ; ÔC qui à force de louer les foibleffes des Rois j rend leurs vertus mêmes inépuifables.
Oui 5 SiRE 5 quiconque flatte Tes maîtres , les trahit : la perfidie qui les trompe , efl aufli criminelle que celle qui les détrône : la vérité eft le premier hommage qu'on leur doit; il n'y a pas loin de la mauvaife foi du flatteur à celle du rébelle : on ne tient plus à Thonneur 6c au devoir , dès qu'on ne tient plus à la vérité qui feule honore l'homme , &qui efl la bafe de tous les devoirs. La même infamie qui punit la perfidie & la révolte , devroit être deflinée à l'adulation : la fureté pu- blique doit fuppléer aux loix qui ont omis de la compter parmi les grands crimes auxquels^ elles décernent des fupplices ; car il eil aufîî criminel d'attenter à la bonne- foi des Princes , qu'à leur per Tonne facrée ; de manquer à leur égard de vérité, que de m.anquer de fidélité ; puifque l'ennemi qui veut nous perdre , eft encore moins à crain- dre, que l'adulateur qui ne cherche qu'à nous plaire.
Mais l'adulation îa plus dangereuse eft dans iâ bouche de ceux qui, p.ar
Tentations des Grands. 3^ la faînteté de leur caraâ:ere,font éta- blis les Miniflres de la vérité. Allez , dit le Seigneur à l'eTprit de menfon- ge : entrez dans la bouche des Pro- phètes du Roi Achab : vous réuiïirez : vous le tromperez ; ÔC fa fédu^lion eft inévitable : Decipies & prœvakbiSi i.Kegj Hélas ! fî l'adulation a tant de char- ^**^^- mes 5 lors même que les vices & les diflolutions du flatteur en afFoibliiïent l'autorité, 6c la rendent fufpeâie ; quelle féduélionne forme-t-elle point, lorfqu'elle ell confacrée par les appa- rences mêmes de la vertu ? Quel avi- liflement pour nous , (î nous faifons du miniftere même de la vérité , un miniftere d'adulation ÔC de menfon- ge ; fi dans ces Chaires mêmes defti- nées à inllruire ÔC à corriger les Grands , nous leur donnons des fauffes louanges qui achèvent de les féduire ; fi le feul canal par où la vérité peut encore aller jufqju'à eux , n'y porte qu'une lueur trompeufe qui leur aide à fe méconnoître ; fi nous empruntons lé langage flatteur 6c rampant des Cours j en venant leur annoncer la parole généreufe ^ fijblime du Sei- gneur ; ôc fi 5 loin d'être ici les maîtres- Scle5 docteurs des Rois ^ nous ne foin=5-
Jp î. D I M. D E C A R E M Ë.
mes que Jes vils efcîaves de la vanité dL de la fortune/ Mais quel mslhcur pour les Grands, de trouver d'indi- gnes ApologiAes de leurs vices, parmi'' ceux qui en auroient dû être les Cen- feurs ; d'entendre autour de leur Trô- ne, les Minières 8c les Interprètes de^ la Religion , parler comme le Courti- fan; & trouver àçs adulateurs , où ils* auroient dû trouver des Ambroifes V O vous, Sire , que Dieu a ét?blr pour commander aux homnies , n'ai- mez dans les hommes que la vérité ;■ elle feule les rend aimable^. Fermer Foreille aux difcours qui voué ilattentr le flatteur hait votre pcrforne ; il n'aU me que vos faveurs. Ecowtez les Icman- ges qui nous prêtent de faufies vertus f comme des reproches publics de nos vices véritcbles. Scu\enez - vous que l'amour des peuples eftrclcge le moins fufpcéî du Souverain. Les bons & les mauvais Princes oYit etc égslemeit- loués pendant leur vie : il femble mê- me que les bafies flatteries ont été eit- core plus pro- louées à ces dernierro- La haine publique le cache d'ordinaire fous l'adulation : Sire, rendez- vous-^ digne d'être Icué j^5c vous mép^niciez^^ les: louanges*^
L
Tentatioî^s des Grands. 4r
'Adulation ferme donc le cœur à la nr> vérité , maïs l'ambition eft bientôt leP^i^TîE, trifte fruit de l'aveuglement où jette i'adulation , 8c achevé de creufer le précipice : c'eil le dernier piège que le démon rend aujourd huià JefusChriftr Je vous donnerai les Royaumes du mon- de , & toute leur gloire.
Oui , Sire , c'eft l'adulation qui mené toujours les Grands à la gloire infenfée 5c mal-entendue de l'ambi- tion : 6c ce defîr infenfé de gloire , oa ne menetil point un cœur qui s'y livre ?
Cette pafTion infortunée rend d'a- bord malheureux l'ambitieux qu'elle poffede ; elle l'avilit enfuite , &: le dé* grade ; enfin , elle le conduit à une faufle gloire , par des moyens injuftes , qui lui font perdre la gloire véritable. Tels font les cara(fi:ercs honteux de Tambition ; de ce vice dont le monde honore Tes Héros, Sc dont ils s'hono- rent fi fort eux- mêmes.
Ce n'eft pas que je prétende autorî- fer dans les Grands, non plus que dans le refle des hommes, une vie molle ÔC obfcure , des fentîmens bas & timides ; §c fous prétexte deblâmer rambltion ^
4î I. D I M. D E C A R E M E.
confacrer Toiliveté ôc l'indolence. Je fais qu'il y a une noble émulation qui mené à la gloire par le devoir : la lîailFance nous l'infpire , ôC la Religion l'autorife : c'eft elle qui donne aux Empires des Citoyens illufires ,.- des MiniUres fage? 5claborieux,de vaillans Généraux j des Auteurs célèbres , des Princes dignes des louanges de la poC- térité. La piété véritable n'eft pas une protcfllon de puriilanimité ÔC de pa- re/Te : !a Religion n'abat &. n'amollit Tpomt ie cœur ; elle Tannoblit 6C l'éle- vé ; elle feule fait former de gnmds hommes : on efl toujours petit , qivmd on n'eil grand que par la varjté. Ainiî, la moilefle 5c Toifîveté bleflent égale- ment les règles de la piété , & les de- voirs de la vie civile ; & le citoyen inutile n'eu: pas moins profcriî par l'Evangile , que par la fociété.
Mais Tambicion , ce defir infitiable de s'élever au-defTus, & fur les ruines mêmes des autres ; ce ver qui pique îe cœur , 6c ne le lailTe jamais tranquille; cette paflîon , qui eft le grand reîTort des intrigues, & de toutes les agita- tions des Cours ; qui forme les révolu- tions des Etats , 6c qui donne tous les jours à l'univers de nouveaux fpcda-
Tentations des Grands. 43 des : cette pafTion , qui ofe tout , 6c à laquelle rien ne coûte , efl un vice encore plus pernicieux aux Empires ,. que la parefle même.
Déjà il rend malheureux celui qui en eft poiTédé : l'ambitieux ne joui: de rien ; ni de fa gloire , il la trouve obf- cure ; ni de Tes places , il veut monter plus haut ; ni de fa profpérité , il feche & dépérit au milieu de fon abondance; ni des hommages qu'on lui rend , ils ibnt empoifonnés par ceux qu'il eft obligé de rendre lui même ; ni de fa faveur , elle devient amere , dès qu'il faut la partager avec Tes concurrens ; ni de fon repos , il eft malheureux ^ à mefure qu'il eft obligé d'être plus tran- quille: c'eft un Aman, l'objet fouvent des defirs 5c de l'envie publique , ôC qu'un feul honneur refufé à fon ex- ceftîve autorité , rend infupportable à lui-même.
L'ambition le rend donc malheu- reux ; mais de plus , elle l'avilit ÔC le dégrade. Que de bafTjTas pour parve- nir / ilfautparoître , non pas tel qu'on eft, mais tel qu'on nous fouhaite. Baf- fefte d'adulation ; on encenfe & on adore l'idole qu'on méprife : bafTefte de lâcheté ; il faut favoir efluyer des:
44 î. D î M. D E C A R E M E.
dégoûts 5 dévorer des rébuts , 6c les re- cevoirprefquecomme des grâces : bciC- fefTe de difîimulation ; point de ferti- mens à foi : êc ne penfer que d'après les autres : baife iTe de dérèglement ; devenir les complices , 5c peut-être les miniftres des partions de ceux de qui nous dépendons , ÔC entrer en part de Iturs défordres , pour participer plus fûrement à leurs grâces : enfin , balfefTe même d'hypocrifie ; emprunter quel- quefois les apparences de la piété ; jouer rhomme de bien pour parvenir ^ 6c faire fervir à rambition , la Reli- gion même qui la condamne. Ce n'efV point là une peinture imaginée ; ce font les mœurs des Cours, 6c Thiftoire de la plupart de ceux qui y vivent.
Qu'on nou.s dife après cela , que c'eft le vice des grandes âmes : c'elt le ca- raâere d'un cœur lâche 8c rampant; c'eft le trait le plus marqué d'une ame vile. Le devoir tour feul peut nous me* ner à la gloire : celle qu'on doit aux baifeires 5c aux intrigues de l'ambition, porte toujours avec elle un cara6l:ere de honte qui nous déshonore : elle ne prom-ct les Royauines du monde , ÔC toute leur gloire, qu'à ceux qui fe prof^ cernent devant l'iniquité , 5c qui fe.
Tentations des Grands. 4s
dégradent honreiireai3nt eux mêmes : Si ca UnSy a loriveris me. On reproche Matth» toujours vos bairelTes à votre élévation; 4- 9- vos places rappellent fans celle les aviliiremens qui les ont méritées ; ^ les titres de vos honneurs 5c de vos di- gnités, deviennent eux-mêmes hs traits publics de votre ignominie. Mais dans l'eTprit de Tambideux, le fuccès couvre la honte des moyens. Il veut parvenir ; & tout ce qui le mené là , efi: la feule gloire qu'il cherche : il regarde ces vertus Romaines qui ne veulenr rien devoir qu'à la probité , à rhonneui" Sc aux fer vices^ comme des venus de ro- man Se de théâtre , ôc croit que l'élé- vation des fentimens pouvoit faire au- trefois les héros de la gloire ; maii? que c'eft la bafTefle & l'avililTcment qui font aujourd'hui ceux de la fortune.
Au/îî l'injuftice de cette paflion en e(ï un dernier trait encore plus odieux que fes inquiétudes ôc fa honte. Oui , mes Frères , un ambitieux ne connoît de loi que celle qui le favorife Le crim3 qui l'élevé , e(ï pour lui corn ne une vertu quirannoblu. A ni infidèle; l'amitié n'ell plus rien pour lui dès qu'elle intérefle fa fortune : mauvais citoyen; la vérité ne lai parolt eiluna-
46 1. D I M. DE C A R E M E.
ble , qu'autant qu'elle lui efl utile : le mérite , qui entre en concurrence avec lui , efr un ennemi auquel il ne pardon- ne point: l'intérêt public cède toujours à Ton intérêt propre : il éloigne des fujets capables , éc fe fubilitue à leur place : il facrifie à Tes jaloufîes le falut de TEtat ; 8c il verroit avec moins de regret les affaires publiques périr entre fes mains , que fauvées par les foins 5>C par les lumières d'un autre.
Telle eft l'ambition dans la plupart des hommes ; inquiette , honteufe , injufte. Mais , Sire , fi ce poifon ga- gne & infede le cœur du Prince ; fi le Souverain, oubliant qu'il eft le pro- teâ:eur de la tranquillité publique , préfère fa propre gloire à l'amour ôc au falut de fes peuples ; s'il aime mieux conquérir des Provinces , que régner fur les cœurs ; s'il lui paroît plus glorieux d'être le deftruâ-eur de fes voidns , que le père de fon peuple ; fi le deuil 5c la défolation de Ces fujets, eft ie feul chant de joie qui accompa- gne fes viâ:oires ; s*il fait fervir à lui feul une puiftance qui ne lui eft donnée que pour rendre heureux ceux qu'il gouverne ; en un mot ; s'il n'eft Roi que pour le malheur des hommes ; ôC
Tentations des Grands. 47 que comme ce Roi de Babylone , ii ne veuille élever la ftatue impie , l'idole de fa grandeur , que fur les larmes ôc les débris des peuples 6c des nations i grand Dieu ! quel fléau pour la terre ! quel préfent faites-vous aux hommes dans votre colère , en leur donnant un tel maître !
Sa gloire, Sire , fera toujours fouil- lée de fang. Quelque infenfé chantera peut-être fes vi6loires ; ivals les Pro- vinces 5 les villes , les campagnes en pleureront : on lui drelTera des monu- mens fuperbes , pour immonalifer fes conquêtes ; mais les cendres encore fumî^ntes de taut de villes autrefois floriifimtes ; mais la défolation de tant de campagnes dépouillées de leur an- cienne beauté; mais les ruines de tant de murs , fous lefqueîles des citoyens paifibles ont été enfevelis ; mais tant de calamités qui fubfîfleront après lui, feront des monumens lugubres , qui immortaliferont fa vanité 5c fa folie. Il aura palfé comme un torrent pour ravager la terre , & non comme un fleuve majellueuxpour y porter la joie 6c l'abondance : fon nom fera écrit dans les annales de la poftérité parmi les conquérans , mais ii ne le fera pas
4? î. D I M. D E C A R E M E. parmi les bons Rois ; 5c l'on ne rap- pellera i'hifloire de Ton rejne , que pour rappeller le fouvenir des maux qu'il a faits aux hommes. Ainfi Ton orgueil {a) , dit l'Efpritde Dieu , fera monté jufqu'au Ciel: fa têt3 aura tou- ché d3ns les nuées : fes fuccès auront égalé {es defirs ; & tout cet amas de gloire ne fera plus à la fin qu'un mon- ceau de boue qui ne laifTera après elle que l'infeâion 8c l'opprobre.
Grand Dieu ! vous qui êtes le Pro- îe6teur de l'enfance des Rois , 5c (ur- îout des Rois pupilles , éloignez tous ces pièges de l'enfant précieux que vous nous avez laifle dans votre mifé- ricorde. Il peut vous dire , comme autrefois un Roi félon votre cœur : Pf> 1^. Monpcre G* nia merc m'ont abandonné, ^^' A peine avois-je les yeux ouverts à la lumière, qu'une mort prématurée les ferma en même temps à Adélaïde qui m'avoit porté dans fon fein , & dont les traits aimables &C majeftueux font encore peints fur mon vifage ; 6c au Prince pieux de qui je tiens la vie , ÔC dont les fentimens religieux feront
(a) Si afcenderit iifque ad Cœlum fuperbia ejus , & caput ejiis nubes tetigerit .• quaii i^erquilinium in fine perdetur. Job, 20. 6. 7.
toujours
Tentations des Grands. 49
toujours gravés dans mon cœur : Pater meus & mater mea dcreliquerunt mé* Mais vous , Seigneur ! qui êtes le Père des Rois, ÔC le Dieu de mes pères ; vous m'avez pris fous votre protec- tion , ôc mis à couvert fous l'ombre de vos aîles ÔC de votre bonté paternelle : Dominus autem affumpjît me, Xbidp
Grand Dieu ! gardez donc Ton in- nocence comme un tréfor encore plus eftimable que fa Couronne : faites- la croître avec fon âge : prenez fon cœur entre vos mains , 5c que le feu impur de la volupté ne profane ja* mais un fanâ:uaire que vous vous êtes réfervé depuis tant de fiecles : Cujîodl pr ^^^ innocentiam. 27.
Voyez ces femences de droiture 6c de vérité , que vous avez jettées dans fon ame ; cet efprit de juftice 5c d'équi- té qui fe développe de jour en jour , ÔC qui paroît être né avec lui ; cette averdon naifTanre pour les artifices 5c les faufles louages du flatteur ; 6c ne permettez pasque Tadulation corrom- pe jamais ces préfages heureux de notre félicité future: Et vfJ<; aquitatem, j^'^^
Qu'il règne pour notre bonheur , 8C il régnera pour fa gloire. Que fon unique ambition foit de rendre fes
F^tit Carême, C
Ibid.
50 î. DiM. DE Carême. flijets heureux ; que fon titre le plus chéri fcit celui de Roi bienfaifant 5c pacifique : il ne fera grand qu'autant qu'il fera cher à fon peuple. Qu'il Toit le modela de tous les bons Rois ; 6C que ce Prince pacifique puiffe laiiTer encore après lui des Princes qui lui reiFemblent : Quoniam funt rdiquîa, homini pacifico, R.ecevez ces vœux , ô mon Dieu / &C qu'ils foient pour nous leis gages de la tranquillité de la vie préfente , 6c lefpérance de la future ! Ainji foit- il.
Se -^ J^ ^ -al.
SERMON
POUR LE SECOND DIMANCHE
DE CAREME.
Sur le refpcci que les Grands doivent à la Religion,
Et ecce apparueriintillis Moyfes & Elias cum Jefu loquentes.
En même-temps Us virent paraître Moyfe & Elie , qui s'entretenoientavec J, Matth. 17. 3*
IRE,
C"^ E font les deux plus grands hom- ^ mes qui euirent encore paru fur la terre , qui viennent aujourd'hui fur la ^nonragne Sainte , rendre ho m r?'; âge * à la gloire ôc à la grandeur de Jeibs- i^Chrift.
■ C ij
'it I I. D I M. D E C A R E M E.
Moïfe , ce Dieu de Pharaon , ce Légiflateur des peuples , ce Vainqueur des Rois , ce Maître de la nature , ÔC plus grand encore par le titre de fervi- teur fidèle de la maifon du Seigneur,
Elie , cet homme miraculeux; la terreur des Princes impies ; qui pou- voit faire defcendre le feu du Ciel, ou s'y élever lui même fur un char de gloire ôc de lumière ; 6c plus célèbre encore par le zèle Saint qui le dévo- roit , que par toutes les merveilles qui accompagnèrent fa vie.
Cependant l'un 5c l'autre n'avoient été grands , que parce qu'ils avoient éré les images de Jefus Chrift. Ils vien- .nent donc adorer celui qu'ils avoient figuré , 5c rendre à ce divin original la puidance §C la gloire qui appartien- nent à lui feul 5 5c dont ils n'avoient été eux-mêmes que comme les précur- feurs ^ les dépofitaires.
Telle eft, Sire, la deftinée des Princes êc des Grands de la terre. IIs' ' ne font grands , que parce qu'ils font! les images de la gloire du Seigneur , êc les dépofitaires de fa puiffance. Ils^ doivent donc foutenir les intérêts de Dieu , dont ils repréfentent la ma- jeflé ; & refpeaer la Religion , qui
Sur le Respect , &c. 53 ftule les rend eux-mêmes refpeétables.
Je dis refpeâier : elle exige d'eux un refpec^ de fidélité , figuré par MoiTe , qui leur en fafTe obferver les maximes^ éc un refpe£t de zèle, repré fente dans Elle , qui les rende Protecteurs de fa doctrine & de fa vérité.
Fidèles dans robfervance de fes maximes ; 7élés dans la défenfe de fa doctrine 6c de fa vérité. Ave , Maria»
JL^
SIRE,
Tre né Grand , ôc vivre en Chré- tien , n'ont rien d'incompatible , ni j^ dans les fonctions de l'autorité , ni PrtiB| dans les devoirs de la Religion. Ce feroit dégrader l'Evangile , ÔC adop- ter les anciens blafphêmes de fes en- nemis, de le regarder comme la Reli- gion du peuple , ÔC une feCle de gens obfcurs.
11 eft vrai que les Céfars , 5c les Puif- fans félon le fiecle , ne crurent pas d'abord en JefusChrift, Mais ce n'efi: pas que fadoâirine réprouvât leur état; elle ne réprouvoit que leurs vices ; il falloit même montrer au monde que la puifTance de Dieu n'avoit pas befoin de celle des hommes ; que le
C iij
54 ÎI. DîM. DE Ca R EME»
crédit & Tautorité du fiecie éioit inu- tile à une doâ:rine dcfcendue du Ciel ; qu'elle fe ruffilbit à elle-même pour s'établir dans Tunivers ; qtie toutes les PuiiTances du fiecie , en fe déclarant contre elle ÔC en la perfécutant j dé- voient l'affermir ; oc que fi elle n'eut pas eu d'abord les Grands pour enne- mis , elle eut manqué du principal caractère qui les rendit eniuice fes Diiciples.
La loi de l'Evangile efl donc la loi de tous les Etats. Plus mô.ne la nalA fance nous élevé au delTus des autres hommes , plus la Religion nous four- nit des motifs de fidélité envers Dieu.. Je dis des motifs y de reconnoilTance & de juftice.
Oui , mes Frères , ce n'eflpas le ha- fard qui vous a fait naître Grands 5c PuifTans. Dieu , dès le commence- ment des fiecles , vous avez defliné cette gloire temporelle ^ marqués du fceau de fa grandeur , & féparés de la foule , par l'éclat des titres , ôc des diilinâilons humaines. Que lui aviez- vous fjit , pour être ainfi préférés nu refle àcs hommes , ÔC à tant d'infor- tunés . flir tout , qui ne Ce nourrillent que d'uii paia de larmes ôc d'amer-
Sur le Respect , 8cc. 55 tume ? Ne font ils pas comme vous l'ouvrage de fes mains &: rachetés du même prix ? n'êtes-vous pas fortis de la même boue ? n'êtes vous pas peut- être chargés de plus de crimes ? le fang dont vous êtes iflus, quoique plus illuf- tre aux yeux des hommes , ne coule- t- il pas de la même fourceempoifon- née 5 qui a infedé tout le genre hu- main ? Vous avez reçu de la nature un nom plus glorieux ; mais en avez- vous reçu une ame d'une autre efpe- ce , & deflinée à un autre Royaume éternel, que celle des hommes les plus vulgaires ? Qu'avez • vous au - deffus d'eux devant celui qui ne connoît de titres 6c de diftinâ:ions dans fes créa- tures , que les dons de fa grâce ? Ce- pendant Dieu , leur père comme le vôtre , les livre au travail, à la peine , à la mifere 5c à l'afHiciîon ; 5c il ne ré- ferve pour vous , que la joie , le repos, l'éclat ÔC l'opulence : ils naliFent pour. fouiFrir ^ pour porter le poids du jour 6c de la chaleur , pour fournir de leurs peines & de leurs fueurs à vos plaifirs &'à vos proRifions ; pour traîner , fi j'ofe parier ainfî , comixe de vils ani- maux le char de votre grandeur 8c de votre indolence. Cette diftance énor-
C vi
'5^ IL DiM. DE Carême. me que Dieu laifle entre eux ôc vous a-t-elle jamais été feulement l'objet de vos réflexions , loin de l'être de votre reconnoiflance ? Vous vous êtes trou- vés en naiiFant en pofTefllon de tous ces avantages ; 5c fans remonter au fouverain difpenfateur des chofes hu- maines , vous avez cru qu'ils vous étoient dûs , parce que vous en aviez toujours joui. Hélas ! vous exigez de vos créatures une reconnoiffance fi vive 5 fi marquée , il fou tenue , un aifujett^fTemenc fi déclaré de ceux qui vous font redevables de quelques fa- veurs; ils ne faurolent fans crime ou- blier un inftant ce qu'ils vous doivent j vos bienfaits vous donnent fur eux un droit qui vous les afTujettit pour tou- jcurs : mefurez là defllis ce que vous devez au Seigneur, le bienfaiteur de vos pères Sc de toute votre race. Quoi ! vos faveurs vous font des efclaves , 8c les bienfaits de Dieu ne lui feroient que des ingrats & des rebelles ?
Ainfi , mes Frères , plus vous avei reçu de lui , plus il attend de vous. Mais hélas 1 cette loi de reconnoiffan- ce , que tout ce qui vous environne vous annonce , & qui devroit être y pourainû dire y écrite fur les portes de
Sur le Respect , &c. 57 fur les murs de vos palais , fur vos terres ôt Tur vos titres , fur Téciat de vos di- gnités 6c de vos vêtemens , n'eft point même écrite dans votre cœur ! Dieu répandra fes propres dons , mes Frè- res, puifque loin de lui en rendre la gloire qui lui eft due , vous les tournez contre lui- même : ils ne paieront point à votre poftérité ; il tranfportera cette gloire à une race plus fidèle : vos dcC- cendans expieront peut - être dans la peine ôc dans la calamité le crime d© votre ingratitude ; & les débris de vo- tre élévation feront comme un mo« Bument éternel , où le doigt de Dieiî écrira jufqu'à la fin Tufage injuile que vous en avez fait«^
Que dis je ! il multipliera peut-être fes dons ; il vous accablera de nou- veaux bienfaits ; il vous élèvera encore plus haut que vos ancêtres : mais il^ vous favorifera dans fa cokre ; fes> bienfaits feront des châtimens ; votre profpérité confommera votre aveugle- ment 6c votre orgueil; ce nouvel éclat ne fera qu'un nouvel attrait pour vof^^ paillons ; Sc raccroiflement de votre fortune verra croître dans le même de- gré vos dilTolutions , votre irréligiou^, iSi voire impénitencet-
5? ir. DiM. DE Carejvte.
C'eft donc une erreur , mes Frère? ^"v de regarder la naiffance & le rang comme un privilège qui diminue 6c adoucit à votre égard vos devoirs en- vers Dieu , 6c les règles féveres de TEvangile. Au contraire , il exigera plus de ceux a qui il aura plus donné y, fes bienfaits deviendront la mefure de vos devoirs , &C comme il vous a diftin- gué des autres hommes par des lar- geiTes plus abondantes , il demande que vous vous en diftinguiez auiïl par tme plus grande fidélité. Mais outre la xeconnoiffance qui vous y engage 5 plus tout allume les pafltons dans votre état, plus vous avez befoin de vigi- lance pour vous défendre- 11 faut aux Grands de grcndes vertus ; la prorpé- rité eft comme une perfécution conti- nuelle contre la Foi ; 2>C (I vous n'avez pas touxe la force & le courage des Samrs , vous aurez bientôt plus de vices & de foibklîes que le refle des hommes.
Maïs d'ailleurs, fur quoi prétendez- vous que Dieu doit fe relâcher en vo- tre faveur, & exiger moins de • ous que- du commun des Fidèles ? Avez- vous ir!oin< de plailirs à fxpier ? votre in- «locence eii-elie le une ^ui vous doaa^
Sur le Respect, Sec. sf yroit à fon indulgence ? vous ètes- vous moins livrés aux delirs de la chair , pour vous croire plus di fpenfés des violences qui la mortifient ÔC la punif- fent ? Votre élévation a multiplié vos crimes ; 6C elle adouciroit votre péni- tence ? vos excès vous diUinguent en- core plus du peuple que votre rang j êc vous prétendriez trouver là - delfus dans la Religion des exceptions qui- vous ftjfTent favorables ?
Quelle idée de la divinité avons- nous, mes Frères? quel Dieu de chaif & de fang nous formons nous? Quoi! dans ce jour terrible où Dieu feul fer^ grand ; où le Roi 5c l'efclave feront Gonfondas , où les œuvres feules fe- ront pefées , Dieu n'cxerceroit que des jugemens favorables envers cer hommes que nous a ppeiloos grands ? ces hommes qu'il avoir comblés â^ biens , qui avoieur été les heureux de la terre , qui s'étoient fait lei bas une injufte félicité, 5c c^ui oubliant pref- que tous l'auteur de leur profi^cnté n*avoient vécu^ que pont eux- mêmes ? êc il s'armeroit alors de route fa févé- rite contre le pauvre qu'il avoir tou- jours-affligé ? ôc il rérerveroit toute la tigmiiï de fes jugemens , pour des ia*
G si--
6o IL DiM. DE Carem^f. fortunés qui n'avoient palTé que des jours de deuil , & des nuits laborieufes fur la terre ; & qui fouvent l'avoient béni dans leur affliâ:ion , 6c invoqué dan« leur délaiflement & leur amer- tume ? Vous êtes jufte ! Seigneur, 6C- Yos jugemens feront équitables.
Mais , SiRE 5 quand ces motifs de juftice ôC de reconnoiffance n'enga- geroient pas les Grands à la fidélité, qu'ils doivent par tant de litres à Dieu ;, que de nrotifs n'en trouvent-ils pas encore en eux mêmes ?
N'eft-ce pas en effet la fageffe 8c la crainte de [>feu toute feule , qui peut, îendre les Princes & les Grands plus^ aimables aux peuples ? C'eil par elle ,, ëifoit autrefois un jeune Roi , que je deviendrai illuftre parmi les na- tions ; que les vieillards refpeâ:eront: ma jeuneife ; que les Princes qui font autour de mon trône bailleront par fefpeâ: les yeux devant moi ; que les Rois voifins ^ quelques redoutables qu'ils foient y me craindront ; que je ferai aimé dans la paix & redouté dans %>.^8.ia guerre; Per hanc timchunt me Reget '*J- ^5' horrendi : in miiltitudine viJ&bor bonus' & in belio fords^ G'eft par elle que: mon regrie feia ag^réabk à votie peu?;
Sur le respect , 8cc. 61 pie 5 6 mon Dieu ! que je le gouver- nerai juftement , ÔC que je ferai digne du trône de mes pères : Per hanc ^^P» ^ difponam populum tuum jujîèy & era^^* dignus fediam patris meL
Non , Sire , ce ne fera ni la force de vos armées , ni l'étendue de votre Empire , ni la magnificence de votre: Cour , qui vous rendront cher à vos peuples ; ce feront les vertus qui font les bons Rois , la juftice , l'humanité ^ la crainte de Dieu. Vous êtes um grand Roi par votre naiifance ; mais vous ne pouvez être un Roi cher à vos peuples que par vos vertus : les paf- fions qui vous éloignent de Dieu , nous; rendent toujours injuftes & odieux aux hommes ; les peuples fouiïrent toujours des vices du Souverain : tout €e qui outre l'autoriré, rafFoibiit & la. dégrade ; les Princes dominés par îes^ paflîons font toujours des maîtres in- commodes 5c bizarres ; le Gouverne- ment n'a plus de règle , quand le maître lui même n'en a point : ce n'eft plus la fjgeiTe , 6c l'intérêt public^ qui préfi- dent aux Confeiis, c'eft l'intérêt des paiTions , le caprice ÔC le e;oût forment les décifions , que devoit diéler ramous lic^oidie j, 5c le plaiiir devient le grand
Sap. 7. 14*
6z ï I. D I M. D E C A R E M E<r
leiTort de toute la prudence de l'Em- pire. Oui 5 Sire , la fageife ôc la piété du Souverain toute feule peut faire le bonhaur des Sujets , êc le Hoi qui craint Dieu ^ eft toujours cher à fon peuple.
Mais (i la crainte de Dieu rend' dans les Princes êc le? Grands l'auto- rité aimable, c'eft elle encore, Sire, qui la rend glorieufe. Tous les biens éc tous les fuccès , difoit encore un fage Roi , me font venus avec elle ; & c'eil par elle , que l'honneur 5c la gloire m'ont toujours accompagné : Et in- numcrahilis honejlas per manum illius^ Dieu ne prend pas fous fa proteâion ceux qui ne vivent pas fous ces or- dres.
Je (ais que l'impie profpere quel- quefois , qu'il paroît élevé comme le cèdre du ï.iban , 6c qu'il femble inful^ ter le Ciel par une gloire orgueilleule, qu'il ne croit tenir que de lui même- Mrfis attendez : fon élévation va lui creufer elle même fon précipice : la m 3 in du Seigneur l'arrachera bientôt de d^îTus la terre. La fin de l'impie ef^ prefque toujo irs Bm honneur ; tôt ou^ tard il f lut enfin que, cet édifice d'or- gueil 5c d'injuHice b'écroule : la hont»;
Sur le Respect , 8cc. 6j &: les malheurs vont fuccéder ici bas- à la gloire de fes fuccès : on le verra peut ê^re traîner une vieilleiTe rrifte & déshonorée ; il finira par l'ignoini- lïie ; Dieu aura Ton toar ^ 6c la gloire de l'homme injuile ne defcendra pas avec lui dans le tombeau.
Repafîêz fur les flecles qui nous ont précédé , comme difoit autrefois un Prince Juif à Tes enfans : Cogltate ge- ^^ Micc^ ncrationes Jïngulas; 6c vous verrez que <>. 6u le Seigneur a toujours foufîîé fur les races orgueilleufes , &. en a fait fécher la racine ; que la prorpérité des impies a'a jamais pafle à leurs defcendans ; que les Trônes eux- mêmes, &lesfuc- cefîîons Royales ont manqué fous des Princes fainéans 5c efféminés ; & que 1 hiftoîre des crimes & des excès des Grands, eft en même temps l'hiftoire de leurs malheurs 6c de leur déca- dence.
Mais enfin , Sire, en q,uoi les Prin- ces 5c les Grands font moins excufa- blés lorfqu'lls abandonnent Dieu 9 c'eil que d'ordinaire ils naiiTent avec: dfls inclinations plus nobles 6c plus^ ifôureufe pour la vertu, que le peuple»
J'étois encore enfant, difoit le Roi Salomon : mais je me trouvois déjà les-
64 1 1. D I M. D E C A R E M Ê,
lumières d'un âge avancé , ÔC je ferî» tois que je devois à ma naiffanee une ame bonne ôc des fentimens plus éle- Sap 8. vés que ceux d^s autres hommes ; Puer autcm eram ingeniofus , ù fonitusfunt animam bonam.
Le fang, l'éducation ^ l'hiftoire des ancêtres, jette dans le cœur des Grands & des Princes , des femences , 8C comme une tradition naturelle de vertu. Le peuple livré en naifTant à un naturel brute ôc inculte , ne trouve en lui pour les devoirs fublimes de la Foi , que la pefanteur & la balTelFe d'une nature laidée à elle-même : les bienféances inféparables du rang, ÔC qui font comme la première école de la vertu , ne gênent pas Tes paffions :• l'éducation fortifie le vice de la naif^ fance ; les obj'ets vils qui l'environ- nent, lui abattent le cœur & les fen» timens : il ne fent rien au defTus de ce qu'il eft ; né dans les fens & dans la boue, il s'élève difficilement au deffus' de lui même. Il y a dans les maximes de r Evangile une nobleffe 5c une élé- vation , où les cœurs vils & ram^jans^ ne fauroient atteindre : la Religion y, qui fait les grandes âmes, ne paroisr feice que poux elles i ôc il faut être
Sur le Respect , Sec. 6$ grand , ou le devenir , pour être Chré- tien.
Je n'ignore pas que la grâce fupplée à la nature ; que la chair ôc le fang ne donnent aucun droit au royaume de Dieu , que les premiers Héros de la Foi fortirent d'entre le peuple; que les vafës de boue entre les mains de l'ou- vrier fouverain, deviennent bientôt des vafes de gloire 6c de magnificence ; ÔC que tout Chrétien eft né grand , parce- qu'il eft né pour le Ciel.
Mais une haute naifTance nous pré- pare 5 pour ain(i dire , aux fentimens nobles 6c héroïques qu'exige la Foi : un fang plus pur s'élève plus aifément ^ il en doit moins coûter de vaincre les paiïions à ceux qui font nés pour rem- porter des vi61oires : le menfonge 8c la duplicité entrent plus difficilement dans un cœur à qui la vérité ne fauroit nuire , ÔC qui n'a rien à craindre ni à efpérer des hommes : l'efpérance d'une fortune éclatante ne peut corrompre la probité de ceux qui ne voient plus de fortune au deiTus de la leur , 5c qui tiennent en leurs mains la fortune êc la deftinée publique : le refpeâ: hu- main n'intimide ÔC n'arrête pas la vertu des Grands , eux que tout le monde
66 IL DïM. DE Carême. fait gloire d'imiter , Sc dont les mœurs deviennent toujours la loi de la mul- titude : la balfelTe de la débauche ÔC de la dilToIun'on trouve rpoins d'accès dans,une ame que fa naidance defline à de grandes chofes : la règle & les devoirs font moins étrangers à ceux qui font établis pour maintenir l'or- dre &: la régie parmi les peuples: s'ils font entourés de plus de pièges , ils trouvent en eux plus de freins ÔC plus de reifources : la nature toute feule a environné leur ame d'une garde d'hon- neur 6c de gloire : enfin , les premiers penchans dans les Grands font pour îa vertu ; 5c ils dégénèrent dès qu'ils les tournent au vice. Ils doivent donc à la Religion un refpeâ: de fidélité qui leur en fafTe obferver les maximes ; mais ils lui doivent encore un refpeâ: de zèle qui les rende défenfeurs de fa do6irine 5c de fa vérité,
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Paktie. *^ ^ Religion eft la fin de tous les deifeins de Dieu fur la terre ; tout ce qu'il a fait ici bas , il ne l'a fait que pour elle ; tout doit fervir à l'agran- diiTement de ce Royaume de Jefus- Chrift. Les vertus , & les vices ; le& Grands , ÔC le peuple > k$ bons & ie&
Sur le Respect , 5cc. 6j mauvais fuccès ; l'abondance , ou les calamités publiques ; l'élévation, ou la décadence des Empires; tout enfin 9 dans l'ordre des confeils éternels , doit coopérer à la formation 6c à l'accroif fément de cette fainte Jérufalem. Les Tyrans l'ont purifiée par les perfécu- tions ; les Fidèles la perpétuent par la charité ; les incrédules & les liber- tins l'éprouvent H. l'aifermiOent par les fcandales : les Jufles font les témoins de fa ^oï\ les Payeurs , ks dépofitai- res de fa doârrine ; les Princes U. les puiiTans 5 les proteâeurs de fa vérité.
Ce n'eil pas affez pour eux d'obéir à {es îoix ; c'ell: le devoir de tout Fidèle. La majeflé de fon culte , la fainteté de fes maximes , le dépôt de fa vérité doi- vent trouver une fûre proreâ:ion dans leur autorité 6c dans leur zèle.
Je dis la ma^efîé de fon culte. Rien , Sire , n'honore plus la Religion , que de voir les Grands 6c les Princes con- fondus aux pieds des Autels avec le refle des Fidèles , dans les devoirs communs 6c extérieurs de la Foi. C'eft à eux à oppofer leurs hommages pu blics 5c refpeé^ueux dans le Temple Saint , aux irrévérences 6c aux profana- tions publiques ; ÔC à venir montrer à
é8 II. D I M. DE Carême. la multitude , combien il eft indécent à de fujets de paroître fans pudeur ôc fans contrainte aux pieds du Sanc- tuaire 5 devant lequel les Princes 6c les Rois eux-mêmes s'anéantiiTent : ils doivent cet exemple aux peuples , ôc ce refpec^ à la majefté du culte fainr. Hélas ! ils regardent comme une bien- féance de leur rang , d'autorifer par leur préfence les plaifirs publics , ôc ils croiroient fouvent fe dégrader en paroiiTant à la tête des cantiques de joie , &C des folemnités faintes de la Religion ! Ils fe font un intérêt d'Etat de donner du crédit par leur exemple aux amufemensdu théâtre 5c aux vains fpe£tacles du fiecle ; TEglife eft- elle donc moins intéreffée , que leurs exem- ples en donnent aux fpeâ:acles facrés &. religieux de la Foi ?
Les plailirs publics n'ont pas befoin de prote£^ion. Hélas ! la corruption des hommes leur répond aflez de la perpétuité de leur crédit &: de leur durée : ÔC s'ils font néceffaires aux Etats , l'autorité n'a que faire de s'en mêler; de tous les befoins publics , c'eft celui qui court moins de rifque.
Mais les devoirs de la Religion , qui ae trouvent xka pour eux dans nos
SaR LE Respect , 8Cc. 6fp
cœurs , il faut que de grands exemples les foutiennent : le culte achevé de s'avilir , dès que les Princes ôc les Grands le négligent. Dieu ne paroît plus fi grand , fi j'ofe parler ainfi , dès qu'on ne compte que le peuple parmi fes adorateurs : fa parole n'eft plus écoutée , on perd tous les jours fon autorité , dès qu'elle n'eft plus deflinée qu*à être le pain des pauvres & des petits. Les devoirs publics de la piété font abandonnés ; tout tombe ÔC lan- guit , û la Religion du Prince 6c des Grands ne le foutient 8c ne le ranime. C''eft ici où l'intérêt du culce fe trouve mêlé avec celui de l'Etat ; où il im- porte au Souverain de maintenir ÔC les dehors auguftes de la Religion , ôC l'unité de fa do6lrine , qui foutien- nent eux-mêmes le Trône ; ÔC d'accou- tumer fes fujets à rendre à Dieu & à l'Eglife le refpeét & la foumifîîon qui leur font dûs , de peur qu'ils ne les lui refufent enfuite à lui-même. Les trou- bles de l'Fglife ne font jamais loin de ceux de l'Etat : on ne refpeâe guère le joug des Puilfances , quand on eft parvenu à fecouer le joug de la Foi, Et l'hérefie a beau fe laver de cet op- probre ; elle a par- tout allumé le feu.
fo IL DiM. DE Carême. de la fédition ; elie eft née dans îa révolte : en ébranlant les fondemens de la Foi , elle a ébranlé les Trônes 6c les Empires ; &. par-toiu , en formant des fecStateurs , elle a formé des ré- belles. Elle a beau dire que les perfe- cutions des Princes lui mirent en main les armes d'une jufle défenfe ; i'Eglife n'oppofa jamais aux perfécutions que la patience 5c la fermeté : fa foi fut le feul glaive avec lequel elle vainquit les Tyrans : ce ne fut pas en répandant le fangde/es ennemis , qu'elle multi- plia fes difcipîes ; le fang de Tes mar- tyrs tout feul fut la femence de Tes Fi- dèles. Ses premiers Doâ:eurs ne furent pas envoyés dans Tunivers comme des lions pour porter par-tout le meurtre & le carnage, mais comme des agneaux pour être eux mêmes égorgés ; ils prouvèrent , non en combEttant , mais en mourant pour la Foi , la vérité de leur mifTion : on devoir les traîner de- vant les Rois pour y être jugés comme , des criminels , & non pour y patokre les a/mes à la main , Se les forcer de leur être favorables : ils refpedoient le fceutre dans des mains même } ro- fancs 8c idolâtres ; & ils auroient cru déshonorer & détruire l'œuvie de
Sur le Respect, Sec, yt Dieu en recourant pour l'établir à des refTources humaines.
Les Princes afFermiffent donc leur autorité en aifemniirint l'autorité de la Religion. AufTi c'eft à eux que le culte doit fa première magnificence : ce fut fous les plu? grands Rois de la race de David , que le Te ii 'edu Seigneur vit revivre fa gloire 8c fa maieflé. Les Cé- fars , fous l'Evangile tirèrent l't.glife de l'obfcurité où les perfécurions l'a- voient laifTée : les Charlcmagnes , les fainr Louis, relevèrent l'éclat de leur règne en relevant celui du culte ; Se les monumens publics de leur piété , que les temps n'ont pu détruire , 6c que nous refpe£lons encore parmi nous , font plus d'honneur à leur mémoire , que fts ftatues & les infcriptions qui en immortalifant les victoires ÔC les conquêtes, n'immorralifent d'ordinaire que la vanité des Princes & le mal- heur des fa jets.
Mais les mêmes motifs qui obligent les Grands à foutenir la majeflé & la décence exiérieure du culte , les ren- dent en même temps proteâ:eurs de la fainteté de fes maximes : il fnut qu'ils apprennent au peuple à refpeâ:er la pieté en refpeftant eux-mêmes ceux
7^ lî* î^iM» i^E Carême. qui la pratiquent ; c'eft une prote£lio» publique qu'ils doivent à la vertu.
Oui , SiKE , les gens de bien font la feule fource du bonheur ÔC de la prof^ périté des Empires. C'ed pour eux feuls que Dieu accorde aux peuples l'abondance & la tranquillité : s'il fe fut trouvé dix JuPres dans Sodôme y Je feu du ciel ne feroit jamais tombé fur cette ville criminelle. L'Etat péri- roit ; le Trône feroit renverfé , nos villes abîmées, 6c réduites en cendres , ÔC nous aurions le même fort que So- dôme 6c Gomorrhe , fi Dieu ne voyoit encore au milieu de nous des fervi- îeurs fidèles ; s'il ne nous laiffoit en- core une femence fainte ; fi l'innocence peut-être de l'Enfant augufte ÔC pré- cieux j la feule femence qui nous refte du fang de nos Rois , n'arrêtoit les foudres que la diiTolution publique de nos mœurs auroit dû déjà attirer fur Sîom* p. nos têtes : Nljî Dominus reliquiffet noi $>• bis femen ^ ficut Sodomafacii eJfemuSj
(yjîcut Gomorrha fimiksfuiffcmus. Les Princes , SiRE , font donc intéreffés à protéger la vertu , puifqus les Em- pires &. les Monarchies , & le monde entier ne fubfiftera , que tant qu'il y aura de la vertu fur la terre.
Mai?
Sur le Respect ; 5cc. yj Mais ce n'eft pas , Sire , pour un iimple refpeâ: , que les Princes doivent honorer les gens de bien : c'ell: par la confiance ; ils ne trouveront d'amis 'fidèles , que ceux qui font fidèles à Dieu : c'efl: par les emplois publics ; l'autorité n'eft fûre ÔC bien placée qu'entre les mains de ceux qui la crai- ;gnent : c'eft par des préférences ; les grands talens font quelquefois les plus dangereux , fi la crainte de Dieu ne fait les rendre utiles : c'efi: par l'accès auprès de leur perfonne ; la familia- rité n'a rien à craindre de ceux qm 4-erpe<51:erGient même nos rebuts & nos mauvais traitemens : c'efi enfin pair les grâces ; nos bienfaits ne fauroient faire des ingrats , de ceux que le de- ' voir tout feul ôc la confcience nous attachent.
Quel bonheur, SiRE , pour un fie- <:le 5 pour un Empire , pour les peu- ples , lorfque Dieu leur donne dans ' fa miféricorde des Princes favorables à la piété ! Par eux , croifient 6c s'ani- I ment les talens utiles à l'Eglife : par i eux , fe forment ôc font protégés des ouvriers fidèles, deftinés à répandre la 'fciencedu falut , à arracher les fcanda- I les du Royaume de Jefus-Chrifl , Scà I Petit Carême, D
74 II' DiM. DE Carême, ranimer la Foi par des ouvrages pleins de l'efprit qui les a diûés : par eux 9 s'élèvent au milieu de nous des maifons fâintes 5 des établiflennens pieux oii l'innocence eïï préfervée , où le vice fauve du naufrage,trouve un port heu- reux : par eux enfin , nos neveux trou- veront encore cesreflburces publiques de falut , monumens heureux ! qui perpétuent la piété dans les Empires, qui alTurent aux Princes la reconnoif- fance des âges à venir , qui mettent la pollérité dans leurs intérêts , ÔC qui les rendent les héros de tous les fiecîes. . Non , Sire , la gloire des monu- mens que l'orgueil 6c l'adulation ont élevés , fera, ou enfevelie dans l'oubli parles temps, ou effacée par les cenfu- res 8c les jugemens plus équitables de la poftérité. Les races futures difpute- ront à la plupart des Souverains les titres 6c les honneurs que leur lîecle leur aura déférés ; mais la gloire des 'fecours publics accordés à la piété , 6c qui fub lifteront après eux , ne leur fera pas difputée : 6c quelque grand qu'ait été le Roi que nous pleurons encore , de tous les monumens élevés (î juge- ment pour immortalifer la gloire de ;fon règne , les deux édifices pieux ÔC
Sur le Respect , ^c. j% auguftes, où la valeur d'un côté, 6c la nobleffe du fexe de l'autre , trouve- ront jufqu'à la fin,des relTources fûres ÔC publiques , font les titres qui lui répondent le plus des éloges & des a(àions de grâces de la poftérité.
Tel eft le zeîe de protection que les Princes & les Grands doivent à la fainteté des maximes de la Religion, Mais ils le doivent encore au dépôt fa- cré de fa doctrine 6c de fa vérité ; 6c notre fiecle fur- tout , où l'irréligion 'fait tant de progrès , doit encore plus réveiller là- delTus leur attention ÔC leur se le.
J'avoue que les impies ont été de tous les fiecles ; que chaque âge ÔC chaque nation ont vu des efprîts noirs ÔC fuperbes 5 dire non feulement dans leur cœur & en fecret , mais ofer blafphêmer tout haut qu'il n'y a point de Dieu , Scque dès le temps même de Salomon , où le fouvenir des merveil- les du Seigneur en Egypte ÔC dans le défert étoit encore fî récent , ils pro- pofoient déjà contre tout culte rendu au Très-Haut , ces doutes impies qui font devenus le langage vulgaire de l'incrédulité.
Mais s'il a paru autrefois des im-
Dij
y6 ï I. D I M. D E C A R E M E,
pies , le monde lui-même les a regar- dés avec horreur ; 6c ces ennemis de Dieu n'ont paru fur la terre , que pour être comme le rebut 5c Tanathême de tous les hommes.
Aujourd'hui , hélas ! l'impiété ek prefque devenue un air de dillin6bion 8c de gloire : c'efi: un titre qui hono- re ; 5c fouvent on fe le donne à foi- même par une affreufe oftentation , tandis que la confcience n'ofe encore fecouer le joug, ôc nous le refufe. Au- jourd'hui c'efl un mérite qui donne accès auprès des Grands ; qui relevé , pour ainfi dire, la baiTelIe du nom ôC de la naifTance ; qui donne à des hom- mes obfcurs , auprès des Princes , du peuple, un privilège de familiarité, dont nos mœurs mêmes, toutes cor- rompues qu'elles font , rougiffent ; ÔC l'impiété , qui devroit avilir l'éclat mê^^ me de la naifTance 5c de la gloire , dé- core 5c annoblit l'obfcuritéôc la rotu- re. Ce font les Grands qui ont donné du crédita l'impie ; c'eftà euxà le dé- grader 8c à le confondre.
Quelle honte pour la Religion, mes Frères ! Les plus grands hommes du Paganifme ne parloient qu'avec reC- pe<à des fuperftitions de l'Idolâtrie ,
Sur le Respect , 6cc. 77 idont ils connoiiroient la puérilité ÔC l'extravagance : ils penfoient avec les fages ; 5c ils n'ofoient parler que com- me le peuple. Ils n'auroientofé, avec toute leur réputation 6c leurs lumiè- res , infulter tout haut un culte fi in- fenfé , mais que la majefté des loix de l'Empire ôcranciennetérendoient ref- pedable: ôc Socrate lui-mêmiej l'hon- neur de I2 Grèce , ce premier Phiio- fophe du rr:onde , fî eflimé de tous les iiecles , &; qui devoir être fi cher au fien 5 perd la vie par un arrêt public d'Athènes , pour avoir parlé avec moins de circonfpe^lion de ces Dieux bizarres , auxquels fes citoyens dé- voient moins de refpeâ: & d'honneur qu'à lui-même.
Et parmi nous , le Dieu du Ciel 6c delà terre eft infulté hautement , fans que le zèle public fe réveille ! & fous TEmpire même de la Foi , des hom- mes vils ôc ignorans font des déridons publiques d'une doâ:rine defcendue du Ciel , 6c on applaudit à l'impiété ! 5c dans un Royaume où le titre de^ Chrétien honore nos Rois , l'incrédu- lité impunie devient miême un titre- d'honneur pour des fujets! Les vaines- idoles auroient donc eu le miniilere-
Diij.
IL DiM. DE Carême.
public pour vengeur contre les Savans 6c les fages ; 6c le feul Dieu véritable ne l'auroit pas contre les libertins ôc les infenfés ! ,
Vengez l'honneur de la Religion , vous 5 mes Frères , dont les illuflres ancêtres en ont été les premiers dépo- (îtalres , 6c dont vous devez être par conféquent les premiers défenfeurs .' éloignez l'impie d'auprès de vous f n*ayez jamais pour amis les ennemis de Dieu. Il y a tant de dignité pour les Grands , à ne pas fouffrir qu'on in- | fuite 6c qu'on avilifle devant eux la foi de leurs pères ! Ce doit être pour vous, manquer de refpeâ: à votre rang, que d'en manquer en votre préfence à la Religion que vous profeffez : c'eft un langage indécent qui blefle les égards ÔC les attentions qui vous font dues : on vous méprife j en méprîfant devant vous le Dieu que vous adorez» N'écoutez donc qu'avec une indigna- tion qui ferme la bouche à l'incrédule, lés difcours de l'incrédulité : comme c'eft la vanité feule qui fait les impies, ils feront rares , dès qu'ils feront mé- prife s.
Ayez vous-même un noble & reli- gieux lefpeâ pour Iqs vérités de la
Sur le Respect , 8cc. 79 Religion. La véritable élévation de Fefprit , c'eft de pouvoir fentir toute la majefté & toute la lublimité de la Foi 5 les grandes lumières nous con- duifent elles-mêmes à la foumiflîon ; Fincfédulité efl le- vice des efprits foi- bles ôc bornés : c'eil tout igorer . que de vouloir tout connoître. Les eontra- dirions &C les abîmes de l'impiété font ; encore plus incompréhenfibles que les M3'fleres de la Foi ; 8c il y a encore moins de refTource pour la rai Ton à^ fecouer tout joug, qu'à obéir ôc à fe; foumettre.
Que votre refpeâ: ÔC votre zèle pour" îa religion de vos pères , cultivent 6c fafTent croître celui du jeune Prince 9 auprès duquel vos noms ôc vos digni^ tés vous attachent 5 &; dont l'éduça- îioneîl, pour ainfi dire, confiée à tous; ceux qui ont Thonneur de rapprocher de plus près : qu'il retrouve en vous les premiers témoins de la Foi , que fes ancêtres placèrent fur le Trône : que le zelepour la défenfe de TEglife j, qui coule en lui avec le fang , foit en-' core réveillé Si animé par vos exem- ples : que les erreurs ôc les prof3nes> nouveautés foient les premiers enne- mis qu'il fe propofe de combattre j 5é:
D iy
ÎQ II. DiM. DE Carême.. qu'il foir encore plus jalouK qu'on ne touche point aux anciennes bornes de la Foi , qu'à celles de la Monarchie. Que la tranquillité de Ton règne , 6 mon Dieu ! devienne celle de rÉglife:: que les troubles qui l'agitent, foient calmés , avant qu'il puiffe les^^connoî- tre : que la concorde 5c l'union réta- blies parmi nous , préviennent la févé- rite de Tes loix, ôc ne laifTent plus rien à faire à Ton zèle : que fon règne Toit le legne de la paix 5cde la vérité : que le lion ôc l'agneau vivent enfemble pai- iîblement fous fon Empire ; ôC que cet; Enfant miraculeux , comme dit Ifaïe, les mené encore , & les voye réunis: II. <5. dans les mêmes pâturages: Et puerp^r- vulus minahlt eos. Que le camp des In- fidèles &. des i'hiliftins ne fe réjouifle. plus de nos diffentions; 5c que s'ils en- tendent encore des clameurs autour de l'Arche , ce ne foient plus celles qui; annoncent fes périls , êï des malheurs; nouveaux, mais fes triomphes &. fai gloire. Ainfî foit ■ iL
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■9'^'^S^1^Ï93^P-
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S E R M O
POUR tE TROISIEME DIMANCHE'
DE CAREME.
^r le malheur des Grands qui ahark^'- donnent Dieu,
Cùm immSfcus fpiritus exierit de homî» ne , ambulat per loca inaquola , guéerens re-* quism, & non jnveniîa »
Lorfqiie Vtfpriî immonde efl font d'un hows me , il s^en va pnr cf^j- //g«:ii: arides , cherchant du repçs , (&• // n'en trouve points Luc. ii. 24«r
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Et efprit inquiet 8c immonde,' qui fort, ôc rentre dans l'homme d*où il eft forti ; qui changé fans celTs de lieu ; qui effaie de-toutes les fitua- tioiis 5 ê^ ne pçut fe plaire ^ & fe j&xe?
ti m; DîM, DE Carême. dans aucune; qui court toujours pour^ découvrir des fentiers agréables ôc dé- licieux , &. qui ne marche jamais que par des lieux triftes ôC arides ; qui cher- che le repos, 6c ne le trouve pas; c'eft l'imagede l'humeur & du caraftere des Grands de la terre; toujours plus in^ quiets , plus agités & plus malheureux que le (impie peuple , dès que livrés à leurs pafTions Se à eux-mêmes , ils ont abandonné Dieu,
C'éft la figure naturelle de cet état d'élévation 6c de profpérité , fi envié d*u monde , &: fi peu digne d'envie félon Dieu. Le bonheur , Sire , n'eft pas af aché à l'éclat du r^g & des ti- tres 'y il n'efl attaché qu'^i'innocence de la vie : ce n'eft pas ce qui nous élevé au-defTus des autres hommes j qui nous rend heureux , c'efl ce qui nous réconcilie avec Dieu. Vous por- tez la plus belle Couronne de l'uni- vers ; mais fi la piété ne vous aide à la foutenir 5 elle va devenir le fardeau même qui vous accablera. En un mot, point de bonheur où il n'y a point de arepos ; 5c point de repos où Dieu n'efl • point. .
Ainfi l'élévation toute feulé ne fait" ppsleJ^ODliéur des Grands, fi elle n'eili
Malheur des GkANm^Scc. S5 accompagnée de la vertu , & de la crainte du Seigneur : au contraire plus on ell grand, plus on vit malheureux, ft Ton ne vit point avec Dieu.
Vérité importante qui va faire le fujet de ce Difcours. Implorons, ôCCo ^ Ave , Maria,
SIRE,.
Sirhomme n*étoit fait que pour la ^ terre , plus il y occuperoit de place 3 . 5c plus il feroiî heureux.
Mais l'homme eft né pour le Ciel i ' M porte écrits dans Ton cœur, les titreg- auguftes 6c ineffaçables de fon origi- ne ; il peut Tes avilir , mais il ne peut les effacer. L'univers entier feroit fa-; polTeifion 6c fon parta^^e , qu'il fenti» roit toujours qu'il fe dégrade ^ âc ne - fe fatisfait pas en s'y fixant i tous les ; objets qui l'attachent ici- bas ^ l'arra- chent, pour ainfi dire , du fein de Dieu , fon origine & fon repos éter- nel ^ 5c laifTent une plaie de remords^ ^ d'inquiétude dans fon ame ^ qu'ils- ne fauroient plus fermer eux-mêmes? . il fent toujours la douleur fecrette de.' là rupture 6c de la féparatioa ; 5t tout • ce qui altère fon union avec Dieu , k jend irréconciliable avec Itii- même- .
^4 IIÎ. DiM. DE Carême»
Cependant nous nous promettons toujours iei-bas une injufte félicité. Nous courons tous dans cette terre aride, comme refprit de notre Evan- gile , , après un bonheur & un repos que nous ne faurions trouver. A peine détrompés par la poflefTion d'un objet, , du bonheur qui fembloit nous y at- tendre , un nouveau- defir nous jette dans la mêm» illufion ; Se palfant Tans celTe de j'eTpérance du bonheur au dé» - gpût, 8c du dégoût à refpérance, tout ce. qui nous fait fentir notre méprife ^, dévient lui même l'attrait qui la per- pétue..
Il fembîe d'abord que cette erreur r ne devroit être à craindre que pour le peuple. La baiTefle de fa fortune laif- fant toujours un efpace immenfe au- défibs de lui , il feroit moins étonnant qu'il fe figurât une félicité imaginaire dans les fituations élevées , où il ne peut atteindre; Sc. qu'il crût , car tel eft l'homme , que tout ce qu'il ne peut asoir 5 c'eft cela même qui eJft le bon- li£ur qu'il cherche.
Mais l'éclat durang, dés tiires 8C: dëela naiflance , dKîipe bientôt cette • ifaiée iriulion. On a beau monter, 6C:. .êto/pprté 'futies^aîles de la fortunes
Malheur des Grands, 6cc. 85' aii-deiras de tous les autres , la félicité fe trouve toujours placée plus haut que nous mêmes : plus on s'élève , plus elle femble s'éloigner de nous. Les chagrins 6c les noirs fbucis montent^. 6c vont s'afleorr même avec le Souve- rain fur le Trône : le diadème qui orne le front augulle des Rois , n'eft fouvent armé que de pointes ÔC d'épi- nes qui le déchirent ; 5c les Grands j loin d'être les plus heureux , ne font que les trides témoins qu'on ne peut Têtre fans la vertu fur la terre.
Ileil vrai même que l'élévation nous rend plus malheureux , fi elle ne nous rend pas plus fidèles à Dieu. Les paf- fions y font plus violentes ; l'ennui plus < à charge ; la bizarrerie plus inévita- ble : c*eft à dire , le vuide de tout ce qui n'efl pas Dieu , plus fenfîble &- plus affreux..
E s pafTions plus violentes. Oui , ^-'^ Sire , les paflîons font tous nos mal-^^^^^^v heurs ; & tout ce qui les flatte 8c les irrite,augmente nos peines. Un Grand voluptueux eil plus malheureux §c pius à plaindre que le dernier ÔC le ' plus vil d'entre le peuple : tout lui aide à afïbuvir fon injufte paûîon > ôc towit
ÏÏ6 ni. DiM. DE Carême* ce qui l'afTouvit, la réveille : fesdefîrs croiffent avec fes crimes ; plus il fe • livre à Tes penchans , plus il en de- vient le jouet 6c Tefclave : fa profpé" rite rallume fans cefle le feu honteux qui le dévore , & le fait renaître de : fes propres cendres : les fens deve- nus fes maîtres , deviennent fes tyrans t îï fe raflaiie de plaifirs , ÔC fa fatiété fait elle-même fon fupplice ; & les plaifirs enfantent eux-mêmes, dit TEfprit de Dieu , le ver qui le ronge Johi 24.ôcqui le dévore : Et dulcedo illiusver' (^®* mis. Ainfi fes inquiétudes naiiTent de fon abondance : fes defirs toujours fatisfaits , ne lui lailfant plus rien à defirer , le laiffent triftement avec lui-même : l'excès de fes plaifirs en augmente de jour en jour le vuide; ÔC plus il en goûte , plus ils deviennent trilles ÔC amers. ,
Son rang même , fes bienféances j fes devoirs , tout empoifonne fa paf- iion criminelle. Son rang ; plus il efl élevé 5 plus il en coûte pour la dérober aux regards Si à la cenfure publique 3 ^s bienféances; plus il en efl jaloux ^ plus les allarmes qu'une indifcrétioo jne trahiffe fes précautions & fes me- fisresj font cruelles i fes devoirs: parc^.
I
Malheur DES Grands 5 Stc, qu*il les faut toujours prendre fur fes plaifirs.
Non , Sire , lé Trône où vous êtes alTis , a autour de lui encore plus de remparts qui le défendent contre la volupté , que d'attraits qui l'y enga- gent : fi tout dreflê des pièges à la jçunefle des Rofs ,. tout leur tend le& mains aufli pour leur aider à les éviter» Donnez-vous à vos peuples à qui vous vous devez ; le poifon de la volupté ne trouvera gueres de moment pour in- feâ:er votre cœur : elle n'habite ÔC ne fe plaît qu'avec ToiAveté & l'indolen-^ ce. Que les foins de la Royauté en de- viennent pour vous les plus chers plai- firs ; ce n'efl pas régner , de ne vivre que pour foi- même. Les Rois ne font que les conducteurs des peuples : ib ont à la vérité ce nom & ce droit par- la naiflance ; mais ils ne le mérirenî que par les foins & l'application. Auffî les règnes oiliVs forment un vuide obfcur dans nos annalef^elles n'ont pas daigné même compter les années de îavie des Rois fainéans ; il fembîe que n'ayant pas régné eux-mêmes , ils n'ont pas vécu : c'eft un chaos qu'on a de la fçine à écîaircir encore aujourd'hui ; loin de décorer nos hifloires , ils ne
?B III. DiM. DE Carême.
font tfae les obfcurcir & les embarraf^ fer ; & ils font plus connus par les grands hommes qui ont vécu fous leur règne , que par eux-mêmes.
Je ne parle pas ici de toutes les au- tres paflions 5 qui plus violentes dans l'élévation , font fur le cœur des Grands des plaies plus douîoureufes 6c plus profondes. L'ambition y efl: plus démefurée. Hélas ! le citoyen obfcur vit content dans la médiocrité de fa dediaée : héritier de la fortune de fes pères , il fe borne à leur nom 5c à leur état ; il regarde fans envie , ce qu'il ne pourroit fouhaiter fans extravagance ; tous fes defîrs font renfermés dans ce qu'il pofiede ; 6c s'il forme quelque- fois des projets d'élévation, ce font de ces chimères agréables qui amufent le loifir d'un efprit oifeux ^ mais non pas des inquiétudes qui le dévorent.
Au Grand , rien ne fuffit , parce " qu'il peut prétendre à tout : fes defjrs croifTent avec fa fortune ; tout ce qui '■ QÛ plus élevé que lui , le fait paroître petit à fes yeux ; il eft moins flatté de îaifler tant d*hommes derrière lui, que • rongé d'en avoir encore qui le préce- éent; il ne croit rien avoir , s'il n'^ ^ tout ; fon ame eft toujours aride és^
Malheur des Grands , Sec. S5 altérée ; 6c il ne jouit de rien 5 fi ce n'eft de fes malheurs ÔC de fes inquié- tudes.
Ce n'eft pas tout. De l'ambition ^ nailTent les jaloufies dévorantes ; ÔC cette pafîlon fi balTe & fi lâche , eft pourtant le vice & le malheur des Grands. Jaloux de la réputation d'au- trui j la gloire qui ne leur appartient pas f eft pour eux comme une tache qui les flétrit ÔC qui les déshonore : jaloux des grâces qui tombent à côté, d'eux 5 il fembie qu'on leur arrache celles qui fe répandent fur les autres : jaloux de la faveur , on eft digne de leur haine & de leur mépris , dès qu'on l'eft de l'amitié ÔC de la confiance du Maître: jaloux même des fuccès glo^ rieux à l'Etat , la joie publique eft fou- vent pour eux un chagrin fecret ÔC domeftique ; les viéloires remportées par leurs rivaux fur les ennemis , leur font plus ameres qu'à nos ennemis mêmes ; leur maifon , comme celle d'Aman , eft une maifon de deuil ÔC de triftelfe , tandis que Mardochée triomphe , ôc reçoit au milieu de la capitale les acclamations publiques;. 6c peu contens d'être fenfibles à la gloire des événemens j ils cherchent à
^o in. Dim: de Carême, fe confoler en s'efforçant de les obfcurcir par la malignité des ré- flexions 5c des cenfures. Enfin , cette injufte pafTiOD tourne toute en amer- tume ; & on trouve le fecret de n'être jamais heureux , foit par Tes propres maux , foit par les biens qui arrivent aux autres.
Enfin, parcourez toutes les pafTions; c*eft fur les cœurs des Grands qui/ vivent dans l'oubli de Dieu , qu'elles exercent un empire plus trifte & plus tyrannique. leurs difgraces font plus accablantes ; plus l'orgueil efl excef- iîf 5 plus l'humiliation efl amere : leur haine plus violente , comme une faulTe gloire, les rend plus vains; le mépris aufTi les trouve plus furieux & plus inexorables : leurs craintes plus excefîives ; ext^mpts de maux réels , ils s'en forment même de chimériques, 6c la feuille que le vent agite , eft' comme la montagne qui va s'écrouler fur eux : leu?s infirmités plus affli- geantes ; plus on tient à la vie , plus tout ce qui la menace , nous allarme. Accoutumés à tout ce que lés fens offrent de plus doux 5c de plus riant , la plus légère douleur déconcerte tou- teJeur félicité , ÔC leur eft infoutena-
Malheur des Grands , êcc. ^r ble : ils ne favent ufer fagement , ni de la maladie 5 ni de la fanté ; ni des biens^ - ni des maux inféparables de la condi- tion humaine : les plaifirs abrègent leurs jours ; 6c les chagrins qui fuivent toujours les plaifirs , précipitent le^ refte de leurs années. La fanté déjà ruinée par l'intempérance , fuccombe fous la multiplicité des remèdes : l'ex- cès des attentions achevé ce que n'avoit pu faire l'excès des plaifirs ; ÔC s'ils fe font défendus les excès , la mol- lelTe 6c l'oifiveté feules déviennent pour eux une efpece de maladie 6c de langueur qui épuifent toutes les pré- cautions de l'art , 6c que les précau- tions ufent 6c épuifent elles-mêmes. Enfin leurs affujettifTemens plus trif- tes : élevés à vivre d'humeur 6c de caprice , tout ce qui les gêne 6c les contraint, les accable :loin delà Cour^. ils croient vivre dans un trifle exil ; fous lés yeux du Maître , ils fe plai- gnent fans cefTe de raifujettifTement des devoirs 6c de la contrainte des bienféances : ils ne peuvent porter ni la tranquillité d'une condition privée , ni la dignité d'une vie publique : le repos leur efl aufli infupportable que î'agi^tation, ou plutôt ils font partout
■fi lîl. DiM. DE Carême, à charge à eux-mêmes. Tout eft un joug pefant , à quiconque veut vivre fans joug 6c fans règle.
Non , mes Frères , un Grand dans le crime , eft plus malheureux qu*un autre pécheur : la profpérité l'endur- cit y pour alnfi dire , au plaifir , 6c ne lui la^fle de fenfibilité que pour la pei- ne. Vous l'avez voulu , ô mon Dieu ! que l'élévation qu'on regarde comme une reffource pour les Grands qui vivent dans l'oubli de vos ccmmande- mens , foit elle-même leur ennui 6c leur fupplice^
II. J E dis leur ennui ; 6c c'eft une
RÉFtEx. féconde léflexion que me-fourniî le malheur de.^ Grands qui ont abardon- né Dieu : non feulement les pafîîons font plus violentes dans cet étF.t fi heu- reux aux yeux du monde , mais l'ennui y devient plus infupporcable.
Oui , mes Frères ^ l'ennui qui paroit devoir être le partage du peuple , ne s'eft; pourtant ^ ce femble ^ réfugié que che2 les Grands ; c'eft comme leur om- bre qui les fait par- tout. Les piaifirs prefque tous épuifés pour eux, ne leur oâffent plus qu'une trifte uniformité qui endort ou qui lafle ; ils ont beau
Malheur des Grands , 8cc. 93 les diverfîfier , ils diveriifient leur en- nui. En vain ils le font honneur de paroître à la tête de toutes les réjouif- fances publiques : c'efl une vivacité d'oilentation ; le cœur n'y prend pref' que plus de part : le long ufage des plaifîrs les leur a rendus inutiles : ce font des reiTources ufées , qui fe nui- fent chaque jour à elles- mênies. Sem- blables à un malade à qui une longue langueur a rendu tous les mets infipi- des , ils eiîaient de tout, 8c rien ne les pique 6c ne les réveille ; 5c un dv4goût affreux , dit Job , fuccede à l'iniiant à une vaine efpérance de plaifir , dont leur ame s'étoit d'abord flattée ; Et Job, ir| fpes illorum abominano animœ, ^^*
Toute leur vie n'efl qu'une précau- tion pénible contre l'ennui ; & toute leur vie n'efl: qu'un ennui pénible elle- même : ils l'avancent même , en fè hâtant de multiplier les plai/îrs : tout efl déjà ufé pour eux à l'entrée même de la vie ; ÔC leurs premières années éprouvent déjà les dégoûts Sc l'iniî- pidité que la lalTitude 5c le long ufage de tout femblent attacher à la vieillefle.
îl faut au Julie moins de pîaifirs , êC Tes jours font plus heureux ôC plus
Il î. D I M. D E C A R E M E»
tranquilles. Tout eil délalTement pour un cœur innocent. Les plaifirs doux 6c permis qu'offre la nature , fades Bc ennuyeux pour l'homme diflblu . con- fervent tout leur agrément pour l'hom- me de bien. Il n'y a même que les plai(îrs innocens qui laifTent une joie pure dans l'ame : tout ce qui la fouille, l'attrifte, ôcla noircit. Les faintes fami- liarités & les jeux chaftes 6c pudiques d'Ifaac 6c de Rebecca dans la Cour du Roi de Gerare , fuffifoient à ces âmes pures ÔC fidelles : c'étoit un plaifir affez vif pour David , de chanter fur laiyre les louaftges du Seigneur , ou de dan- fer avec le refte de fon peuple autour de l'Arche fainte : les feftins d'hofpi- talité faifoient les fêtes les plus agréa- bles des premiers Patriarches , ÔC la brebis la plus grafle fuffifoit pour les délices de ces tables innocentes.
Il faut moins de joie au-dehors à celui qui la porte déjà dans le cœur ; elle fe répand delà fur les objets les plus indifferens. Mais fi vous ne por- tez pas au- dedans la fource de la joie véritable , c'eft-à-dire la paix de la confcience , ôc l'innocence du cœur, en vain vous la cherchez au- dehors : yalTemblez tous les amufemens autour
Mâlkeur des Grands , ê<c. 95 de vous -, il s'y répandra toujours da fond de votre ame une amertume qui les empoifonnera : rafinez fur tous les plaifirs , fubtilifez-IeSj mettezles dans le creufet ; de toutes ces transforma- tions , il n'en fortira 6c réfultera jamais que l'ennui.
Grand Dieu / ce qui nous éloigne de vous , eft cela même qui devroit nous rappeller à vous. Plus la profpérité multiplie nos plaifirs , plus elle nous en détrompe ; ÔC les Grands font moins excufables ÔC plus malheureux de ne pass'aitacheràvous,ômonDieu ! par- ce qu'ils Tentent mieux 5c plus fouvent le vuide de tout ce qui n'eft pas vous.
C/T non feulement ils font plus mal- ni, heureux par l'ennui qui les pourfuit Reflex-; par- tout , mais encore par la bizarre- rie ÔC le fond d'humeur ÔC de caprice qui en font inféparables. Lorfqu'il fera raflafié , dit Job , fon efprit paroîtra trille ÔC agité ; l'inégalité de fon hu- meur imitera l'inconilaiice des flots de la mer ; 6c les penfées les plus noi- res 5c les plus fombres viendront fon- dre dans fon ame : Cumfatiatusfueritj Job, iq; arclahitur y œfluahit ^ & omnis dolor^^' drruetfuper cum.
■i)6 II I. D I M. DE Carême.'
Telle eftjSiRE, la deflinée des Princes 5c des Grands qui vivent dans l'oubli de Dieu , 8c qui n'ufent de leur profpérité que pour la félicité de leurs fens. Ennuyés bientôt de tout , tout leur eft à charge -, 6c ils font à charge à eux-mêmes. Leurs projets fe détruifent les uns les autres ; 5c il n'en refaite jamais qu'une incertitude unî- verfeile que le caprice forme , 6c que lui feul peut fixer. Leurs ordres ne font jamais un moment après les inter- prêtes fûrs de leur volonté : on déplaît en obéiflant : il faut les deviner , 6C cependant ils font une énigme inex- plicable à eux-mêmes. Toutes leurs démarches , dit 1 Efprit faint , font vagues , incertaines , incompréhenfî- prov.7.bles : Vagifiintgreffusejus^ & inve/ti- ^. gabiles. On a beau s'attacher à les fui-
vre ; on les perd de vue à chaque inftant : ils changent de fentier ; on s'égare avec eux , ÔC on les manque encore : ils fe laiTeat des hommages qu'on leur rend , Sc ils font piqués de ceux qu'on leur refufe : les ferviteurs les plus (ideles les importunent par leur fincérité , 6c ne réufTifTent pas mieux à plaire par leur complaifance. Maîtres bizarres 5c incommodes , tout
ce
Malheur des Grands, Scc. 97
ce qui les environne , porte le poids de leurs caprices &C de leur humeur , ôC ils ne peuvent les porter eux-mêmes : ils ne femblent nés que pour leur mal- heur 5 & pour le malheur de ceux qui les fervent.
Voyez Saûl au milieu de Tes pros- pérités 5c de fa gloire. Quel homme auroit dû paffer des jours plus agréa-; blés 6c plus heureux ? D'une fortune obfcure 5c privée il s'etoit vu élever fur le Trône : fon règne avoit com- mencé par des vi<^oires : un fils digne de lui fuccéder , fembloit afTurer la Couronne à fa race : toutes les Tribus foumifes fourniffoient à fa magnifi- cence 6c à fes plaifirs , 6c lui obéif- foient comme un feul homme : que lui manquoit - il pour être heureux , fî Ton pouvoit l'être fans Dieu ?
Il perd la crainte du Seigneur ^ 5c avec elle , il perd fon repos & tout le bonheur de fa vie. Livré à un efprit mauvais , ÔC aux vapeurs noires ôl bi- zarres qui lagitent , on ne le connoît plus, 6c il ne fe connoît plus lui-mê- me. La harpe d'unberger , loind'amu- fer fa triftefle , redouble fa fureur. Ses louanges & fes viftoires chantées par les filles de Juda , font pour lui corn* Pmt CaHms. E
^B lïî, DlM. DE C A REMÊ, me des cenfures 6c des opprobres : lî fe dérobe aux hommages publics , 6C ii ne peut fe dérober à lui - même» David lui déplaît , en paroiffant aux pieds de fon Trône , &s*en éloignant j il eft encore plus fur de déplaire : tou- ché de fa fidélité , il fait fon éloge : 6c fe reconnoît moins juile ÔC moins in- nocent que lui ; ÔC le lendemain il lui drede des embûches pour s'en alTurer & lui faire perdre la vie. La tendrefle de fon propre fils l'ennuie & lui de- vient fufpe£^e. Tous les Courtifan^ cherchent , étudient ce qui pourroit adoucir fan humeur fombre 8c bizar- re ; foins inutiles ! lui-même ne le fait pas. Il a négligé Samuel , pendant la vie de ce Prophète , & il s'avife de le rappeller du tombeau 6c de le conful- ter après fa mort : il ne croit plus en Dieu , & il eft afTez crédule pour aller interroger les démons. Il eft impie , 6c il eft fuperftitieux ; deftin y pour le dire ici en paftant , afTez ordinaire au3C incrédules. Ils traitent d'impofteurs les Samuels , les Prophètes autrefois envoyés de Dieu : ils regardent com- me une force d'efprit de méprifer ces Interprètes refpeé^ables des confeils éternels y 5c de fe mocquer des pré-
, jiautlacoaot*" pouvoir d'euÉ^
d'aller conÈ!''"^
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TfÔDe ; niaij lui-inéine , ç ' Mm. èlafageiîe. broù/'lioiDiKpi tetie'.Saçu" ■
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Malheur des Grands, 8cc. 9^ diâ:ions que les événemens ont tou- tes juftifiées : ils refufent au Très- Haut la connoiflance de l'avenir , ôc le pouvoir d'en favorifer Tes ferviteurs fidèles ; & ils ont la foiblefle populaire d'aller confulter une Pythonifle.
Oui , mes Frères , le malheureux état des Grands dans le crime, eft une preuve éclatante , qu'un Dieu préfîde aux chofes humaines. Si les hommes ennemis de Dieu 5 pouvoient être heu-; reux , ils le feroient du moins fur le Trône ; mais quiconque , dit un Roi lui-même , quiconque, fût- il maître de l'univers , s'éloigne de la règle ôC de la fagefle , il s'éloigne du feul bon-j heur où l'homme puifle afpirer fur la terre : Sapientlam enim ù difciplinam qui ahjicit , infellx ejî.
Plus même vous êtes élevé , plus vous êtes malheureux : comme rien ne vous contraint , rien auflî ne vous fixe ; moins vous dépendez des autres , plus vous êtes livré à vous-même : vos ca- prices naiffent de votre indépendan- ce ; vous retournez fur vous votre autorité : vos partions ayant eflayé de tout , 8)C tout ufé , il ne vous refte plus qu'à vous dévorer vous-même : vos bizarreries deviennent l'unique reA
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fource de votre ennui 6c de votre fa- tiété ; ns pouvant plus varier les plai- flrs déjà tous épuifés , vous ne fauriez plus trouver de variété que dans les inégalités éternelles de votre humeur; & vous vous en prenez fans cefle à vous , du vuide que tout ce qui vous environne laifle audedans de vous-, même.
Et ce n*eft pas ici une de ces vaines images que le difcours embellit , ÔC où Ton fupplée par les ornemens à la reflemblance. Approchez des Grands; jettez les yeux vous-même fur une de ces perfonnes qui ont vieilli dans les pafîîons j 5c que le long ufage des plai- iîrs ont rendu également inhabiles , ÔC au vice , 5c à la vertu. Quel nuage éternel fur l'humeur ! quel fond de chagrin &de caprice! Rien ne plaît, parce qu'on ne fauroit plus foi-même fe plaire : on fe venge fur tout ce qui nous environne , des chagrins fecrets qui nous déchirent ; il femble qu'on fait un crime au refte des hommes de l'impuiflance où l'on eft d'être encore aufTi criminel qu'eux : on leur repro- che en fecret tout ce qu'on ne peut plus fe permettre à foi- même ; & l'on mctl iiumeur à la place des plailîrs.
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Malheur des Grands, &c. ioi Non , mes Frères , tournez- vous de tous les côtés , les Grands féparés de Dieu, ne font plus que les trilles jouets de leurs payons , de leurs caprices j des événemens , 6c de toutes les cho- fes humaines. Eux feuls Tentent le malheur d'une ame livrée à elle-mê- me , en qui toutes les reifources des fens êc des plaifirs ne iaiffent qu'un vuide affreux; &. à qui le monde en- tier , avec tout cet amas de gloire 6C de fumée qui l'environne , devient inutile , fi Dieu n'eft point avec elle : ils font comme les témoins illuflres de rinuiffifance des créatures , & de la néceffué d'un Dieu 5c d'une Reli- gion fiir la terre. Eux feuls prouvent au refte des hommes , qu'il ne faut attendre de bonheur ici-bas que dans la vertu 6c dans l'innocence ; que tout ce qui augmente nos pafîions , multi-, plie nos peines ; que les heureux du monde n'en font, pourainfî dire, que les premiers martyrs, 6c que Dieu feu! peut fuifire à un cœur qui n'eil fait que pour lui feul.
Dieu de mes pères , difoit autrefois un jeune Roi , 6c qui dès l'enfance comme vous , Sire , étoit monté fur le Trône j Dieu de mes pères y vous
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^104 lïL DiM. DE Carême. Bifaïeul : réparez Tes pertes par l'ac- croilTement de vos grâces & de vos bienfaits : vous feul , grand Dieu l tenez-lui lien de tout ce qui lui man- que : regardez avec des yeux paternels cet EnBnt aogufle que vous avez , pour ainfi dire , laifle feul fur la terre , & dont vous êtes par conféquent le premier auteur ôc le père : que fon enfance , qui le rend d cher à la na- tion , réveille les entrailles de votre jniféricorde &C de votre tendrelTe : en- vironnez fa jcuneiTe des fecours fin- guîiers de votre proîeâ:ion : la foi- bleffe de fon âge , ôc les grâces qui brillent déjà dans (es premières années, nous arrachent tous les jours des lar- mes de crainte 6c de tendreife ; raffu- rez nos frayeurs , en éloignant de lui tous les périls qui pourroient menacer fa vie 5 èi récompenfez notre tendrei' fe , en le rendant lui-même tendre S(. humain pour fes peuples : rendez- le heureux en lui confervant votre crainte qui feule fait le bonheur des peuples éc des Rois : aflurez la félické de foa règne par la bonté de fon cœur & par l'innocence de fa vie : que vatre loi fainte foit écrite au fond de fon ame & autour de fon diadème , pour lui
radoucit 1« 2.
4^
V
X de vos 'î 54 Dieu (
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Malheur DES Grands, 8rc. 105
en adoucir le poids : qu'il ne fente les foucis de la Royauté, que par fa fenfî- bilité aux miferes publiques ; & que fa piété , plus encore que fa puiflance ôc fesvi(^oires, fafle tout fon bonheii|_ & le nôtre. Ainfifi>it-iU
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10(5
SERMON
POUR LE QUATRIEME DIMANCHE
DE CAREME.
Sut Vhumanité des Grands envers le Peuple,
Ciim fublevafTet oculos Jefus ,& vîdifTeti quia multitudo maxima venir ad eum.
Jefus ayant levé les yeux^Sf voyant une gran- de foule dépeuple quivenoità lui, Jean } 6, 5,
O I RE ,
CE n*eft pas la toute- pu î (Tan ce de Jefus-Chrift & la merveille des pains multipliés par fa feule parole , qui doivent aujourd'hui nous toucher «5c nous furprendre. Celui par qui tout étoit fait , pouvoit tout fans doute fur
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jjceftrapPj
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Humanité DES Grands, &c. 107 des créatures qui font fon ouvrage ; & ce qui frappe le plus les fens dani ce prodige , n'eft pas ce que je choifis aujourd'hui pour nous confoler ôC nous inftruire.
C'eft fon humanité envers les peu* pies. Il voit une multitude errante , & affamée aux pieds de la montagne , & fes entrailles fe troublent ; 6c fa pitié fe réveille ; 5c il ne peut refufer aux befoins de ces infortunés , non feule- ment fon fecours, mais encore facom- pafTion 6c fa tendreHe : Vidit turham ^^"& multam , & mifertus ejl eis. '^* ^^^
Par tout il laifle échapper des traitj d'humanité pour les peuples. A la vue des malheurs qui menacent Jérufalem ^ il foulage fa douleur par fa pitié ôc par fes larmes.
Quand deux Difciples veulent faire defcendre le feu du Ciel fur une ville de Samarie , fon humanité s'intéreiTe pour ce peuple contre leur zele*, & il leur reproche d'ignorer encore Tefprit de douceur & de charité , dont ils vont être les miniftres.
Si les Apôtres éloignent rudement une foule d'enfans qui s'empreflent autour de lui , fa bonté s'oâTenfe ça^oa veuille l'empêcher 4'être acceïîible y §
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fioS IV. DiM. DE Car EMET, plus un rerpe£): mal entendu éloigne de lui les foibîes ôc les petits , plus fa clé- mence ôc fon affabilité s'en, rap- prochent.
Grande leçon d'humanité envers les peuples y que Jefus Chrift donne au- îpurd'hui aux Princes 6c aux Grands^ Is ne font grands que pour les autres Bommes ; 6c ils ne jouifTentproprement de, leur grandeur ,. qu'autant qu'ils la 3!endent utile aux autres hommes.
Ce ft-à dire l'hurp^anité envers les peu- ples, eft le premier devoir des Grands ;. 2t l'humanité envers les peuples , eiî: l'ufageleplus délicieux. de lagrandeur*.
SIRE^
1^ X Oute puîflance vient de Dieu ; 8c jS>!4aTîE. t^o^^ ce qui vient de Dieu , n'eft; établi: que pour l'utilité des hommes. Les Grands feroient inutiles fur la terre,, s'il ne s'y trouvoit des pauvres ôc des malheureux. Ils ne doivent leur éleva* non qu'aux befoins publics ; 6c loini qpe les peuples foient faits pour eux ,, Es ne font eux-mêmes tout ce qu'ils fent j que pour les peuples.
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Humanité des Grande, &c. ro^ cée fur la terre , que pour fervir aux plai(îrs d'un petit nombre d'heureux qui l'habitent, 6c qui fouvent ne con- noiflent pas le Dieu qui les comble de bienfaits i
Si Dieu en élevé quelques- uns , c'eft donc pour être l'appui ôc la relFource des autres. Il fe décharge fur eux du foin des foibles ôc des petits : c'eftpar- là qu'ils entrent dans Tordre des con- feils de la Sageffe éternelle. Tout ce qu'il y a de réel dans leur grandeur ^ c'eft Tufage qu'ils en doivent faire pour ceux qui fouffrent ; c'eft le feuî trait de diftinàion que Dieu ait mis en eux : ils ne font que les miniftres de fa bonté & de fa providence ; & ils perdent le droit ôc le titre qui les fait Grands ^ dès qu'ils ne veulent l'être que pour eux-mêmes.
L'humanité envers les peuples eit donc le premier devoir des Grands ; & l'humanité renferme raiTabilité , la protection , & les largelTes.
Je dis l'atFabilité. Oui , Sire , on peut dire que la fierté, qui d'ordinaire eft: le vice des Grandsjne devroit être que comme la trifte reifource de la îoture ÔC de l'obfcurité. Il paroîtroit ■kkn glus gardoûJiaWe. à. ceux gui siaifj
^S lïï, DlM. DE CaREMÉ, me des cenfures §C des opprobres : iî fe dérobe aux hommages publics , 6C si ne peut fe dérober à lui - même* David lui déplaît, en paroiflant aux pieds de Ton Trône , 6cs*en éloignant, il eft encore plus fur de déplaire : tou- ché de fa fidélité , il fait fon éloge : 6C fe reconnoît moins julle ÔC moins in- nocent que lui ; 6c le lendemain il lui dreiTe des embûches pour s'en affurer & lui faire perdre la vie. La tendrelTe de fon propre fils l'ennuie ÔC lui de-: vient fufpe61:e. Tous les Courtifan^ cherchent , étudient ce qui pourroit adoucir fo-n humeur fombre & bizar- re ; foins inutiles ! lui-même ne le fait pas. Il a négligé Samuel , pendant la vie de ce Prophète , & iî s'avife de le rappelier du tombeau 6c de le conful- ter après fa mort : il ne croit plus en Dieu , ôc il eft aflez crédule pour aller interroger les démons. Il eft impie , 6c il eft fuperftitieux ; deftin > pour le dire ici en paflant , aflez ordinaire aux incrédules. Ils traitent d'impofteurs les Samuels , les Prophètes autrefois envoyés de Dieu : ils regardent com- me une force d'efprit de méprifer ces Interprêtes refpeàables des confeils éternels , ôc de fe mocquer des pré-
Malheur dhs Grands, 8cc. 99 dirions que les événemens ont tou- tes juftifiées : ils refufent au Très- Haut la connoiflance de l'avenir , & le pouvoir d'en favorifer fes ferviteurs Hdeles ; 6c ils ont la foiblefTe populaire d'aller confulter une Pythonifle.
Oui 5 mes Frères , le malheureux état des Grands dans le crime, eft une preuve éclatante , qu'un Dieu préfide aux chofes humaines. Si les hommes ennemis de Dieu, pouvoient être heu» reux , ils le feroient du moins fur le Trône ; mais quiconque , dit un Roi lui-même , quiconque, fût- il maître de l'univers , s'éloigne de la règle ÔC de la fagefle , il s'éloigne du feul bon-j heur où l'homme puifle afpirer fur la terre : Sapientiam cnim & difciplinam qui abjicit , infellx eft»
Plus même vous êtes élevé , plus vous êtes malheureux : comme rien ne vous contraint , rien auflî ne vous fixe ; moins vous dépendez des autres , plus vous êtes livré à vous-même : vos ca- prices naiflent de votre indépendan- ce ; vous retournez fur vous votre autorité : vos partions ayant eflayé de tout , 6c tout ufé , il ne vous refte plus qu'à vous dévorer vous-même : vos bizarreries deviennent l'unique ref-
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ÎOO ï IL D î M. DE C A R E M E.
fource de votre ennui 6c de votre fa- tiété ; n3 pouvant plus varier les plai- flrs déjà tous épuifés , vous ne fauriez plus trouver de variété que dans les inégalités éternelles de votre humeur; & vous vous en prenez fans cefle à vous 5 du vuide que tout ce qui vous environne laifle audedans de vous-, même.
Et ce n'eftpas ici une de ces vaines images que le difcours embellit , ÔC où l'on fupplée par les ornemens à la reffemblance. Approchez des Grands; jettez les yeux vous-même fur une de ces perfonnes qui ont vieilli dans les paflîons , ÔC que le long ufage des plai- firs ont rendu également inhabiles , 6c au vice , 5c à la vertu. Quel nuage éternel fur l'humeur ! quel fond de chagrin 6cde caprice! Rien ne plaît, parce qu'on ne fauroit plus foi-même fe plaire : on fe venge fur tout ce qui nous environne , des chagrins fecrets qui nous déchirent ; il femble qu'on fait un crime au refte des hommes de l'impuiflance où Ton eft d'être encore auHi criminel qu'eux : on leur repro- che en fecret tout ce qu'on ne peut plus fe permettre à foi- même ; 5c l'on tncCl iiumeur à la place des plaiiirs.
Malheur des Grands, &c. ioi Non , mes Frères , tournez- vous de tous les côtés , les Grands féparés de Dieu, ne font plus que les triiles jouets de leurs pallions , de leurs caprices 9 des événemens , & de toutes les cho- fes humaines. Eux feuîs Tentent le malheur d'une ame livrée à elle-mê- me , en qui toutes les reifources des fens 6c des plaifirs ne laiflent qu'un vuide affreux; &. à qui le monde en- tier , avec tout cet amas de gloire 6C de fumée qui l'environne , devient inutile , fi Dieu n'eft point avec elle: ils font comme les témoins illuflres de rinuîfiîiance des créatures , & de la néceffité d'un Dieu &: d'une Reli- gion f.ir la terre. Eux feuls prouvent au rede des homm.es , qu'il ne faut attendre de bonheur ici-bas que dans la vertu 6c dans l'innocence ; que tout ce qui augmente nos pafîîons , multi- plie nos peines ; que les heureux du mot^de n'en font, pourainfî dire, que les premiers martyrs, 6c que Dieu feu! peut fufïire à un cœur qui n'ell fait que pour lui feuL
Dieu de mes pères , difoit autrefois un jeune Roi , 6c qui dès l'enfance comme vous , Sire , étoit monté fur le Trône 5 Dieu de mes pères j vous
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ioz IIÎ. DiM. DE Carême. m'avez établi Prince fur votre peuple 6c Juge des enfans d'ifraël : au fortir prefque du berceau , vous m'avez pla- cé fur le Trône ; 6c en un âge où l'on ignore encore l'art de fe conduire foi- même , vous m'avez choifi pour être
gap,^,'j,condu^euï d'un grand peuple : Dèus patrum meorum , tu eligijli meRegem populo tuo. Vous m'avez environné de gloire , de profpérité 6c d'abon- dance ; mais la magnificence de vos dons fera elle-même la fource de mes malheurs 5c de mes peines , fi vous n'y ajoutez l'amour de vos commande- mens 6c la fagefle. Envoyez-la- m^oi du haut des Cieux , où elle ailifte fans celle à vos côtés : c'ell elle qui préfide aux bons confeils, ÔC qui donnera à ma jeunelTe toute la prudence des Vieillards , 5c toute la majeflé des Rois mes ancêtres ; elle feule m'adou- cira les "foucis de l'autorité êc le poids
Ibid, f. de ma Couronne : Ut me eu m fit & nu-
•. cum laboret ; elle feule me fera palier
des jours heureux , 5c me foutiendra dans les ennuis & les penfées inquiet- tes que la Royauté traîne après elle :
I^p3 «.Et erit allocutio cogitationis j & tœdii mei. Je ne trouverai de repos au mi- lieu même de la magnificence de mes
Malheur des Grands, Sec. 103 Palais 5 6c parmi les hommages qu'on m'y rendra , qu'avec elle : Intrans in jn^^f^ domum mcam , conqulefcam cum illâ, ^(j. Les plaiiirs finilFent par l'amertume , le Trône lui-même, grand Dieu ! (i vous n'y êtes aiïîs avec le Souverain , €(t le iiege des noirs foucis. Mais votre crainte 6^ la fageiîe ne laiflent point de regret après elles : on ne s'ennuie point de les polTéder *, 6c la joie même ÔC la paix ne fe trouvent jamais qu'avec elles : Nec en'im hahct amaritudlneni ji^i^, £onvcrfatio illius , ncc tœdium^fcd l^ti- îiam & gaudium»
Heureux donc le Prince , ô mon Dieu ! qui ne croit commencer à ré- gner , que lorfqu'il commence à vous craindre ; qui ne fe propole d'aller à la gloire que par la vertu ; 5c qui regarde comme un malheur de commander aux autres , s'il ne vous eflpas fournis lui-même !
Donnez donc , grand Dieu ! votre fagefle ÔC votre jugement au Roi , ÔC votre juflice à cet Entant de tant de Rois. Vous qui êtes le fecours du pu- pr ^j, pille , rendez- lui par l'abondance de j, ' vos bénédiftions, ce que vous lui avess ôté , en le privant des exemples d'un père pieux, 6c des leçons d'gn augufte
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104 lïl' Dr M. DE Carême. Bifaïeul : réparez Tes pertes par Tac- croifTement de vos grâces ôc de vos bienfaits : vous feul , grand Dieu 1 teoez-lui lien de tout ce qui lui man- que : regardez avec des yeux paternels cet En ont augufte que vous avez , pour ainfî dire , iaifle feul fur la terre , ^ dont vous êtes par conféquent le premier auteur 6c le père : que fon enfance , qui le rend û cher à la na- tion 5 réveille les entrailles de votre miféricorde & de votre tendrelTe : en- vironnez fa jcuneife des fecours fin- guîiers de votre proteéèion : la foi- hleUe de fon âge , ôc les grâces qui brillent déjà dans fes premières années, nous arrachent tous les jours des lar- mes de crainte 6c de tendrelTe ; raiTu- rez nos frayeurs , en éloignant de lui tous les périls qui pourroient menacer fa vie , ^ récompenfez notre tendre!^ fe 5 en le rendant lui-même tendre êc humain pour fes peuples : rendez- le heureux en lui confervant votre crainte qui feule fait îe bonheur des peuples éc des Rois : aflurez la félicfté de fon règne par la bonté de fon cœur & par l'innocence de fa vie : que votre loi fainte foit écrite au fond de fon ame Se autour de fon diadème , pour lui
Malheur DES Grands, 8rc. 105 en adoucir le poids : qu'il ne fente les foucis de la Royauté, que par fa fenfî- bilité aux miferes publiques ; & que fa piété , plus encore que fa puiflance ôc fesvi(àoires, fafletoutfon bonheiï| & le nôtre. AinfiJ^it-iU
I0<5
SERMON
POUR LE QUATRIEME DIMANCHE
DE CAREME.
Sut Vhumanité des Grands envers le Peuple,
Cùm fublevafTet oculos Jefus ,& vîdifleti quia multitudo maxima venir ad eum.
Jefus ayant levé les yeiix^Sf voyant une gran- de foule de peuple qui venoit à lui, Jean } 6, j.
S
I RE ,
CE n*eft pas la toute- pu î (Tan ce de Jefus-Chrift & la merveille des pains multipliés par fa feule parole ^ qui doivent aujourd'hui nous toucher ôc nous furprendre. Celui par qui tout éiQÏt fait 9 pouvoit tout fans doute fur
Humanité DES Grands, Sec. 107 des créatures qui font fon ouvrage ; & ce qui frappe le plus les fens dans ce prodige , n'eft pas ce que je choifis aujourd'hui pour nous confoler ôC nous inftruire.
C'eft fon humanité envers les peu* pies. Il voit une multitude errante , ÔC affamée aux pieds de la montagne 9 & fes entrailles fe troublent ; 6c fa pitié fe réveille ; 6c il ne peut refufer aux befoins de ces infortunés , non feule- ment fon fecours, mais encore facom- palTion & fa tendreffe : Vidit turbam ^^«& multam , & mifertus ejl eis, '^* ^^^
Par tout il laiffe échapper des traîtj d'humanité pour les peuples. A la vue des malheurs qui menacent Jérufalem ^ il foulage fa douleur par fa pitié ôc par fes larmes.
Quand deux Difciples veulent faire defcendre le feu du Ciel fur une ville de Samarie , fon humanité s'iniérefle pour ce peuple contre leur zèle-, & il leur reproche d*ignorer encore Tefprit de douceur 6c de chariié , dont ils vont être les miniftres.
Si les Apôtres éloignent rudement une foule d'enfans qui s'empreffent autour de lui , fa bonté s'oiFenfe çiï'on veuille l'empê«her 4'être acceifible j S
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iro^ IV^. DlM. DE Car EMET, plus un teCpeâ: mal entendu éloigne de lui les foibles ôc les petits , plus fa clé- mence ÔC fon alFabiiité s'en, rap- prochent.
Grande leçon d'humanité envers les peuples y que Je fus Chrift donne au- jourd'hui aux Princes ôc aux Grands, Is ne font grands que pour les autres Hommes ; Se ils ne jouiffentproprement de. leur grandeur ,. qu'autant qu'ils la amendent utile aux autres hommes.
Ce ft-à dire l'huryxani té envers les pei pies, eft le premier devoir des Grands ;. ^l'humanité envers les peuples , ell: Tufageleplus délicieux, de la grandeur.,.
SIRE^
^ X Oute puiflance vient de Dieu ; & i'.AaTîE. tout ce qui vient de Dieu , n'eft; établi; que pour l'utilité des hommes. Les Grands feroient inutiles fur la terre,, s'il ne s'y trouvoit des pauvres ÔC des malheureux. Ils ne doivent leur éléva- tion qu'aux befoins publics ; 6c loim ^e les peuples foient faits pour eux 9, iis ne font eux-mêmes tout ce qu'ils ffint y que pour les peuples.
Quelle afFreufe Providence , iî toute
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Humanité des Grande, Stc. ro^ cée fur la terre, que pour fervir aux plaifirs d'un petit nombre d'heureux qui l'habitent, & qui fouvent ne con- noiflent pas le Dieu qui les comble de bienfaits !:
Si Dieu en élevé quelques- uns , c'eft donc pour être l'appui & la relFource des autres. Il fe décharge fur eux du foin des foibles ôc des petits : c'eftpar- là qu'ils entrent dans l'ordre des con- feils de la Sageffe éternelle. Tout ce qu'il y a de réel dans leur grandeur y c'eft Tufage qu'ils en doivent faire pour ceux qui foufFrent ; c'eft le feul trait de diftinàion que Dieu ait mis en eux :; ils ne font que les miniftres de fa bonté & de fa providence ; ÔC ils perdent le droit ôc le titre qui les fait Grands ^ dès qu'ils ne veulent l'être que pour eux-mêmes.
L'humanité envers les peuples eÛ: donc le premier devoir des Grands ; & rhumanité renferme l'atTabilité , la prote6tion , 8c les largelfes.
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peut dire que la fierté, qui d'ordinaire
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ItO IV. DlM. DE C A EME. fent , pour aiof *re, dans boue de i'cnflcr , de fe hauiler , ôc . tâcheî de le même par l'enflure fecrte de l'or- gueil , de niveau avec ceu i deffous defquels ils fe trouvent fi ,ft par la naiiTance. Rien ne révoir plus les hommes d'une nailTance )rcure fie vulgaire, que la diftance énone que Je hazard a mife entr'eux& 1 Grands; ils peuvent toujours Ce flatt- de cette vaine perfualîon , que la nairc a été injuiie de les faire naître ns robf- curité , tandis qu'elle a réi /é l'éclat du fang & des titres pour ta. d'autres dont le nom fait tout le mcte : plus ils Ce trouvent bas, moins il. e croient à leur place. Au{Ti l'infolenc i la hau- teur deviennent fouvent le rtage de la plus vile populace ; & is d'une fois les anciens règnes de Monar- chie l'ont vue Ce fouleve* vouloir fecouer le joug des Nob & des Grands, & conjurer leur ex rôionÔC leur ruine entière.
Les Grands au contraire olacésfi haut par la nature , ne faur ^nt plus trouver de gloire qu'en s'ab. fanr. Ils n'ont plus de diftindlion à f donner du coté du rang & de la r fance ; ilsnep€uv€£ts*eûd<?ûfl€f qu «axTa^
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110 IV. DiM. DE Carême, fent , pour aini rfire , dans la boue , de s'enfler , de fe hauffer , ôc de tâcher de fe mettre par l'enflure fecrette de l'or- gueil , de niveau avec ceux au de flous defquels ils fe trouvent fi fort par la naiflance. Rien ne révolte plus les hommes d'une naiflance obfcure ôc vulgaire, que la diftance énorme que le hazard a mife entr'eux & les Grands ; ils peuvent toujours fe flatter de cette vaine perfuafion , que la nature a été injufte de les faire naître dans l'obA curité , tandis qu'elle a réfervé l'éclat du fang 6c des titres pour tant d'autres dont le nom fait tout le mérite : plus ils fe trouvent bas , moins ils fe croient à leur place. Aufli l'infolence & la hau- teur deviennent fouvent le partage de la plus vile populace ; & plus d'une fois les anciens règnes de la Monar- chie l'ont vue fe foulever , vouloir fecouer le joug des Nobles ÔC des Grands , 5c conjurer leur extinâion ÔC leur ruine entière.
Les Grands au contraire , placés fi haut par la nature , ne fauroient plus trouver de gloire qu'en s'abaiflant. Ils n'ont plus de diftinâ:ion à fe donner du côté du rang & de la naiifance ; ils ne peuvent $*eo dgaocr que parTaQ
HuMÂNîT^ DES Grands , &c. iir
fabilité ; 6c s'il eft encore un orgueil qui puilFe leur être permis , c'eft celui de Ce rendre humains ÔC accefïïbles.
Il eft vrai même que l'affabilité eft comme le caraélere inféparable ÔC la plus fûre marque de la grandeur. Les defcendans de ces races illuftres 6c an- ciennes, auxquels perfonne ne difpute la fiipériorité du nom 6c l'antiquité de Torigine , ne portent point fur leur front l'orgueil de leur naiflance : ils vous -la laifleroient ignorer , (î elle pouvoit être ignorée : les monumens publics en parlent , fans qu'ils en parlent eux mêmes. On ne fent leur élévation , que par une noble {implici- te : ils fe rendent encore plus reipec- tables , en ne fouiFrant qu'avec peine le refpe£^ qui leur eft dû ; & parmi tant de titres qui les diftinguent, la poli- tefle & Taffabilité font la feule diftinc- tion qu'ils affectent. Ceux au contraire qui fe parent d'une antiquité douteu- fe 5 & à qui l'on difpute tout bas Vccht & les prééminences de leurs ancêtres, craignent toujours qu'on n*ignore la grandeur de leur race , l'ont fans cefle dans la bouche , croient en alTurer la vérité par une affe£lation d'orgueil ÔC de hauteur , mettent la fierté à la plac«
IÎ2 ÎV. DiM. DE Carême. des litres ; ôc en exigeant au-delà de ce qui leur eu dû , ils font qu'on leur con telle mênnie ce qu'on devroit leur rendre.
En effet , on eft moins touché de foa élévation , quand on eft né pour être Grand. Quiconque eft ébloui de ce de- gré éminent où la naiflance ÔC la for- tune Font placé , c'eft-à-dire , qu'il n'étoit pas fait pour monter fi haut : les plus hautes places font toujours au-deftbus des grandes âmes ; rien ne les enfle 6c ne les éblouit , parce que rien n'eft plus haut qu'elles.
La fierté prend donc fa fource dans la médiocrité , ou n'eft plus qu'une ru- fe qui la cache : c'eft une preuve cer- taine , qu'on perdroit en fe montrant de trop près. On couvre de la fierté,des défauts 6c des foibleftes , que la fierté trahit ÔC manifefte elle même : on fait de l'orgueil , le fupplément , fi j'ofe parler ai nfi , du mérite *, ôc on ne fait pas que le mérite n'a rien qui lui reflemble moins que l'orgueil.
Aufli les plus grands hommes, SiRE,' 5c les plus grands Rois ont toujours été les plus affables. Une fjmple fem-r me , Thécuite, venoit expofer fîmpîe-; ii^ûtàDaYidfes chagrins dameûigues?
Humanité des Grands, 5rc. 113 5c fi l'éclat du Trône étoit tempéré par l'atFabilité du Souverain , l'affabilité du Souverain relevoit l'éclat ôc la ma- jeflé du Trône.
Nos Rois , Sire , ne perdent rien à fe rendre acceffibles : l'amour des peuples leur répond du refpefl: qui leur eft dû. Le Trône n'eil élevé que pour être 1 afyle de ceux qui viennent implorer votre juTcice ou votre clé- mence : plus vous en rendez l'accès facile à vos fujets , plus vous en aug- mentez l'éclat 5c la majeflé. Et n'efl- il pas juile que la nation de l'univers , qui aime le plus Tes m.aîtres , ait auffî plus de droit de les approcher ? Mon- trez , Sire , à vos peuples tout ce que le Ciel a mis en vous de dons ôc de talens aimables ; laiffez-leur voir de près le bonheur qu'ils attendent de votre règne ; les charmes &C la majeflé de votre Perfonne , la bonté & la droi- ture de votre cœur, affureront toujours plus les hommages qui font dus à votre rang , que votre autorité 5c votre puiffance.
Ces Princes invifibles & efféminés, ces Aftuérus devant lefquels c'étoit un crime digne de mort , pour Efther même , d'ofer paroître fans ordre j ôC
ÎI4 IV. DiM. DE Carême. dont la feule préfence gfaçoit le fang dans les veines des fupplians , n'é- toient plus, vus de près , que de foi- blés idoles , fans ame , fans vie , fans courage , fans vertu ; livrés dans le fond de leurs Palais à de vils efcîayes ; féparés de tout commerce , comme s'ils n'avoient pas été dignes de ie montrer aux hommes , ou que des hommes faits comme eux n'euflent pas été dignes de les voir : l'obfcurité 5c la folitude en faifoient toute la lîiajeflé.
Il y a dans l'affabilité une forte de confiance en foi-même , qui iled bien aux Grands ; qui fait qu'on ne craint point de s'avilir en s'abailD^nt, ôc qui eil comme une efpece de valeur êC de courage pacifique : c'efl être foi- ble 6c timide , que d'être inacceiTible 6c fier.
D'ailleurs , Sire , en quoi les Prin- ces 6c les Grands qui n'offrent jamais aux peuples qu'un front févere & dé- daigneux , font plus inexcufables ; c'efl: qu'il leur en coûte û peu de fe conci- lier les cœurs : il ne faut pour cela ni effort , ni étude ; une feule parole , un fourire gracieux, un feul regard fuffit. Le peuple leur compte tout : leur rang
Humanité des Grands , 5Cc. 1 1 5 donne du prix à tout. La feule férénité du vifage du Roi , dit l'Ecriture , eft la vie 5c la félicité des peuples ; & fon air doux 6c humain eft pour les cœurs de fds fujets, ce que la rofée du foir eft pour les terres feches 6c arides : înrrov,i6» hilaritate vultûs Régis , vita ; & ck- ^S* mcntia ejus quaji imbcrferotinus.
Et peut-on laiiTer aliéner des cœurs qu'on peut gagner à fi bas prix ? N'eft- ce pas s'avilir foi-même, que de dépri- fer à ce point toute l'humanité ? 6c mérite- 1- on le nom de Grand, quand on ne fait pas même fentir ce que valent les hommes ?
La nature n*a-t-elle pas déjà impofé une aflez grande peine aux peuples 5c aux malheureux , de les avoir fait naî- tre dans k dépendance , &c comme dans l'efclavage ? N'eft- ce pas allez que la baiïeiTe^ou le m.alheur de leur condi- tion leur fafte un devoir , 6c comme une loi , de ramper ÔC de rendre des hommages ? faut- il encore leur aggra- ver le joug par le mépris , ôc par une fierté qui en eft fi digne elle-même ? Ne fuffit-il pas que leur dépendance foit une peine ? faut- il encore les en faire rougir comme d'un crime ? & û quelqu'un de voit être honteux de fon
îi6 IV. DîM. DE Carême. état, feroii-ce ie pauvre qui le fouffre, ou le Grand qui en abufe ?
Il efl vrai que fouvent , c'eft Thu- meur toute feule , plutôt que l'orgiieil , qui efface du front des Grands cette férénité qui les rend accefiibles êc affa- bles : c'efr une inégalité de caprice , plus que de fierté. Occupas de leurs plaifirs , & laiies des hommages , ils ne les reçoivent plus qu'avec dégoût ; il femble que l'affabilité leur devienne un devoir importun , & qiii leur efr à charge. A force d'être honorés • ils font fatigués des honneurs qu'on leur rend ; 6c ils fe dérobent fouvent aux homma- ges publics , pour fe dérober à la fati- gue d'y paroître fenfibles. Mais qu'il faut être né dur pour fe faire même une peine de paroître humain! N'eft-cepas une barbarie , non feuJement de n'être pas touché , mais de recevoir même avec ennui les marques d'amour & de refpe<^ que nous donnent ceux qui nous font fournis ? n'efl-ce pas déclarer tout haut qu'on ne mérite pas l'affec- tion des peuples , quand on en rebute les plus tendres témoignages ? peut on alléguer là-deffus les momens d'hu- meur ÔC de chagrin que les foins de la grandeur ÔC de l'autorité traînent
HaMANixé DES Grands, 5cc. 115^ après foi ? l'humeur eft-elle donc le privilège des Grands , pour être l'ex- cufe de leurs vices ?
Hélas ! s'il pouvoit être quelquefois permis d'être fombre , bizarre , cha- grin , à charge aux autres 5c à foi-mê- me y ce devroit être à ces infortunés que la faim, la mifere, les calamités, les nécefîîtés domelliques , 8c tous les plus noirs foucis environnent : ils fe- roient bien plus dignes d'excufe , fi , portant déjà le deuil , l'amertume , le défefpoir fouvent dans le cœur , ils en laiflbient échapper quelques traits au- dehors. Mais que les Grands , que les heureux du monde à qui tout rit , ÔC que les joies 6c les plaifîrs accompa- gnent par - tout , prétendent tirer de leur félicité même un privilège qui ex- cufe leurs chagrins bizarres ÔC leurs caprices ? qu'il leur Toit plus permis d'être fâcheux , inquiets , inaborda- bles , parce qu'ils font plus heureux ? qu'ils regardent comme un droit ac- quis à la profpérité , d'accabier encore du poids de leur humeur, des malheu- reux qui gémilTent déjà fous le joug de leur autorité 6c de leur puiffance ? grand Dieu ! feroit-ce donc là le privi- lège des Grands , ou la punition du
îlS ÏV. DlM. DE Cajieme. mauvais ufage qu'ils font de la gran- deur? car il eft vrai que les caprices êc les noirs chagrins femblent être le par*, îage des Grands , ÔC l'innocence de la joie & de la férénité n'eft que pour le peuple.
Mais raffabilité qui prend fa fource dans i*hunriaàité , n'eft pas une de ces vertus fuperficielles qui ne réfident que fur le vifage ; c'eft un fentiment qui naît de la tendreffe 6c de la bonté du cœur. L'affabilité ne feroitplus qu'une infulte 6c une dérifion pour les . mal- heureux, Cl en leur montrant un vifa- ge doux 5c ouvert , elle leur fermoit nos entrailles ; ÔC ne nous rendoit plus acceffibles à leurs plaintes , que pour nous rendre plus fenfibles à leurs peines.
Les malheureux 6c les opprimés n*ont droit de les approcher , que pour trouver auprès d'eux la proteàion qui leur manque. Oui , mes Frères , les lolx qui ont pourvu à la défenfe des foibles , ne fuffifent pas pour les met- tre à couvert de rinjuftice & de l'op- preffion : la mifere ofe rarement ré- clamer les loix établies pour la proté- ger ; 6c le crédit fouvent leur impofe. filence.
Humanité des Grands, 8cc. lîf C'eft donc aux Grands à remettre îe peuple fous ia proteâ:ion des loix : la veuve , l'orphelin , tous ceux qu'on foule ÔC qu'on opprime , ont un droit acquis à leur crédit 6c à leur puiffance ; elle ne leur eft donnée que pour eux : c'eft à eux d porter aux pieds du Trône les plaintes ôc les gémiffemens de l'op- primé : ils font comme le canal de communication ^ ÔC le lien des peuples avec le Souverain , puifque le Souve- rain n'eft lui-même que le père 6C le pafteur des peuples. Ainfi , ce font les peuples tous feuls qui donnent aux Grands le droit qu'ils ont d'approcher du Trône ; & c'eft pour les peuples tous feuls, que le Trône lui-même eft élevé. En un mot , ôc les Grands , 6C le Prince , ne font , pour ainfi dire ^ que les hommes du peuple.
Mais fi , loin d'être les protecteurs de fa foiblefte , les Grands 6c les Mi- niftres des Rois en font eux-mêmes les opprefteurs ; s'ils ne font plus que comme ces tuteurs barbares qui dé- pouillent eux-mêmes leurs pupilles : Grand Dieu ! les clameurs du pauvre 6c *de l'opprimé monteront devant vous : vous maudirez ces races cruel - ies ; vous lancerez vos foudres fur lêê
's 20 I V. D I M. D E C A R E M EV Géants; vous renverferez tout cet édi- fice d'orgueil, d'injuflice 6cde profpé- rité , qui s'étoit élevé fur les débris de tant de malheureuic ; 5c leur profpérité fera enfevelie fous fes ruines.
AufTi la profpérité des Grands 6c des Minières des Souverains , qui ont été les oppreiTeurs âss peuples, n'a jamais porté que la honte, l'ignominie , 6cla malédiction à leurs defcendans. On a vu fortir de cette tige d'iniquité des rejettons honteux qui ont été l'op- probre de leur nom 6c de leur iîecle. Le Seigneur a foufîlé fur l'amas de leurs richefTes injufles, 6c l'a difîîpé comme delà poufTiere; ÔC s'il laiiTe encore traî- ner fur la terre des reftes infortunés de leur race , c'eft pour les faire fervir de monument éternel à fes vengeances , & perpétuer la peine d'un crime qui perpétue prefque toujours avec lui l'af- fliâion 6c la mifere publique dans les Empires.
La proteSion des foibles eft donc le feul ufage légitime du crédit & de l'autorité ; mais les fecours 6c les lar- geffes qu'ils doivent trouver dans notre abondance , forment le dernier carac- tère de l'humanité.
Oui j mes Frères , fi c'eft Dieu feul
qui
Humanité des Grands , êcc. iii qui vous a fait naître ce que vous êtes ^ quel a pu être fon deflein , en répan- dant avec tant de profufion fur vous les biens de la terre ? A t-il voulu vous faciliter le luxe , les psiTions , 6c bs plaifirs qu'il condamne ? font ce des préfens qu'il vous ait faits dans fa colè- re ? Si cela eft ; fi c'eft pour vous feuls ^ qu'il vous a fait naître dans la profpé- rité Se dans l'opulence ; jouifTez en , à la bonne heure ; faites vous , fi vous le pouvez y une injuile félicité fur la terre ; vivez comme fi tout étoit fait pour vous ; multipliez vos plaifirs ; hâtez vous de jouir; le temps efl court, n'attendez plus rien au delà que la mort ê< le Jugement : vous avez reçu ici- bas 70- re récompenfe.
Mais , fi dans les defieins de Dieu> vos biens doivent être les refiburces ÔC les fac lires de votre falut , il ne laiffe donc des pauvres 5<^ des malheureux fur la terre qje pour vous : vous leur tenez donc ici b':s la place de Dieu même : VQUS êtes , pour ainfi dire , leur provi- dence vifible : ils ont droit de vous ré- clamer, & de vous cxpcf r leurs be- foins : vos biens font leurs biens , & vos largeffes le feul patrimoine que Die» leur ait affigné fur la terre. P&tit Carcms» F
111 IV. DiM. DE Carême;
p Et qu'y- a- 1- il dans votre état de plus
digne d'envie que le pouvoir de faire des heureux ? Si l'humanité envers les peuples, eft le premier devoir des Grands , n'eft elle pas aufîi Tufage le plus délicieux de la grandeur ?
Quand toute la Religion ne feroît pas elle-même un motif univerfel de charité envers nos frères ; & que no- tre humanité à leur égard , ne feroit payée que par le plaifir de faire des heureux , & de foulager ceux qui fouf- frent ; en faudroit-il davantage pour . un bon cœur ? quiconque n'eft pas fenfible à un plaifir fi vrai , fi touchant , fi digne du cœur , il n'eft pas né Grand, il ne mérite pas même d'être homme. Qu'on eft digne de mépris , dit faint, Ambroife , quand on peut faire des heureux , 5c qu'on ne le veut pas ! S,Amhr,Jnfelix cujus in potejîate ejl tantorum in Nab. animas à morte defcendere , & non ejl ^' voluntas.
Il femble même que c*eft une malé- diction attachée à la grandeur. Les perfonnes nées dans une fortune obfcure 6c privée , n'envient dans les Grands que le pouvoir de faire des grâces , ôc de contribuer à la félicité
Humanité des Grands, 8cc. 1x5 d'autrui : on fent qu'à leur place on feroit trop heureux de répandre la joie & rallégrelTe dans les cœurs , en y répandant des bienfaits ; 6c de s'af- furer pour toujours leur amour ÔC leur reconnoilFance. Si dans une condition médiocre on forme quelquefois de ces defirs chimériques de parvenir à de grandes places , le premier ufage qu'on fe propofe de cette nouvelle éléva- tion , c'eft d'être bienfaifant , 6c d'en faire part à tous ceux qui nous envi- ronnent : c'eft la première leçon de la nature , 6c le premier fentiment que les hommes du commun trouvent en eux. Ce n'eft que dans les Grands feuls, qu'il eft éteint : il femble que la gran- deur leur donne un autre cœur , plus dur & plus infenfible que celui du ref- te des hommes ; que plus on eft à portée de foulager des malheureux f moins on eft touché de leurs miferes ; que plus on eft le maître de s'attirer Tamour ÔC la bienveillance des hom- mes , moins on en fait cas ; ÔC qu'il fuffit de pouvoir tout , pour n'être touché de rien.
Mais quel ufage plus doux 6c plus flatteur , mes Frères , pourriez- vous faire de votre élévation 6c de votre
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114 IV. DiM. DE Carême. opulence ? Vous auirer des homma^ ges ? mais l'orgueil lui même s'enlalfe. Commander aux hommes ÔC leur don- ner des loix ? mais ce font là les foins de l'autorité , ce n'en eft pa^ !e plnifir. Voir autour de vous multiplier 3 l'in- fini vos ferviteurs 6c vos efcl^ves 1 mai? ce font des témoins qui vous em- barraflent ÔC vous gênent , plutôt qu'une pompe qui vous décore. Habi- ter des Palais fomptueux ? mais vous vous édifiez , dit Job , des folitudes ^ où les foucis 6c les noirs chagrins vien- nent bientôt habiter avec vous. Y ra{^ fembler tous les plaifirs ? ils peuvent remplir ces vaftes édifices , mais ils h'iC- feront toujours votre cœur vuide. Trou- ver tous les jours dans votre opulence de nouvelles reflburces à vos caprices ? la variété des refTources tarit bientôt : tout eft bientôt épuifé ; il faut revenir fur fes pas , 6c recommencer fans cet fe ce que l'ennui rend infipide , 6c ce que Toifiveté a rendu néceffaire. Em- ployez tant qu'il vous plaira vos biens 6c votre autorité à tous les ufages que l'orgueil ÔC les plaifirs peuvent inven- ter , vous ferez raflafîié , mais vous ne ferez pas fatisfait : ils vous montre- ront la joie , mais ils ne la laifleront pas dans votre cœur.
HumanitjS des Grands, 8cc. 115 Employez les à faire des heureux ; à rendre la vie plus douce &. plus fup- portable à des infortunés, que l'excès de la mifere a peut être réduits mille fois à fouhaiter, comme Job, que le jour qui les vit naître , eu; été lui- mê- me la nuit éternelle de leur tombeau : vous fentirez alors le pîaifir d'être né Gr?nd ; vous goûterez la véritable douceur de votre état : c'eftle feul pri- vilège qui le rend digne d'envie. Tou- te cette vaine montre qui vous envi- ronne , eft pour les autres : ce pîaifir eft pour vous feul : tout le refte a fes amertumes ; ce pîaifir feul les adou- cit toutes. La joie de faire du bien efl tout autrement douce 6c touchante que la joie de le recevoir: revenez-y encore ; c'efl un plaifîr qui ne s'ufe point : plus on le goûte , plus on fe rend digne de le goûter. On s'accou- tume à fa prorpérité propre ,' & on y devient infenfible , mais on fent tou- jours la joie d être l'auteur de la prof- périté d'auîfui : chaque bienfait porte avec lui ce tribut doux & fecret dans notre ame : le long ufage qui endurcit le cœur à tous les j l^firs , le rend ici tous les jours plus fenfible.
Et qu'a la majefté du Trône elle-
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'si^îV. DiM. DE Carême. même , Sire , de plus délicieux , que le pouvoir de faire des grâces ? Que feroit la puiiTance des Roisjs'ils fe con- damnoient à en jouir tout feuls? une trifte folitude, l'horreur de fes fujets eft îe fupplice du Souverain. C'ell Fufa- ge dft l'autorité , qui en fait le plus doux plaiiir ; ôc le plus doux ufage de l'autorité , c'eft la clémence & la libéralité , qui la rendent aimable.
Nouvelle raifon : outre le plaifîr de faire du bien , qui nous paye comp- tant de notre ptaifir ; montrez de la douceur ôC de 1 humanité dans l'ufage de votre puiilance , dit rEfprii de Dieu , 5c c*eft la gloire la plus fûre 5c la plus durable où les Grands puiiTent Ecclî, j. atteindre : In manfuetudine opéra tua ^^' perjîce , £f fuper hominum gloriam dl» Lige ris.
Non , Sire ; ce n'efl pas le rang , les titres , la puilfance, qui rendent les Souverains aimables : ce n'eft pas mê- me les talens glorieux que le monde admire ; la valeur , la fupériorité du génie , l'art de manier les efprits &. de gouverner les peuples : ces grands ta- lens ne les rendent aimables à leurs fu- jets , qu'autant qu'ils les rendent hu- mains ÔC bienfaifans. Vous ne feres
Humanité des Grands, 8cc. 117 grand , qu'autant que vous leur ferez cher: l'amour des peuples a toujours été la gloire la plus réelle 6c la moins équivoque des Souverains ; ÔC les peuples n'aiment guère dans les Sou- verains que les vertus qui rendent leur règne heureux.
Et en effet , eft- il pour les Princes une gloire plus pure & plus touchante que celle de régner fur les cœurs ? La gloire des conquêtes eft toujours fouillée de fang ; c'eft le carnage ÔC la mort qui nous y conduit ; 6<. il faut faire des malheureux pour fe raflurer : l'appareil qui l'environne eft funefte & lugubre ; &; fou vent le conquérant luLmême , s'il eft humain , eft forcé de verfer des larmes fur ks propres vi£^oires.
Mais la gloire , Sire , d'être cher à fon peuple , 6c de le rendre heureux , n'eft environnée que de la joie ÔC de l'abondaRce. 11 ne faut point élever de ftatues & de colomnes fuperbes pour l'immortalifer : elle s'élève dans le cœur de chaque fujet un monument plus durable que l'airain & le bronze , parce que l'amour, dont il eft l'ouvra- ge , eft plus fort que la mort : le titre de conquérant n'eft écrit que fur le
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ii8 IV. DiM. DE Carême. marbre ; le titre de père du peuple eft gravé dans les cœurs.
Et quelle félicité pour le Souverain , de regarder fon Royaume comme fa famille , fes fujets comme fes enfans , de compter que leurs cœurs font en- core plus à lui que leurs biens ÔC leurs perfonnes ; & devoir, pour ainfi dire, ratifier chaque jour le premier choix de la nation qui éleva fes ancêtres fur le Trône ! La gloire des conquêtes ÔC des triomphes a t elle rien qui égale ce plailir ? Mais de plus , Sire , fi la gloire des conquérans vous touche j commencez par gagner les cœurs de vos fujets .'Cette conquête vous répond de celle de l'univers. Un Roi cher à une nation valeureufe comme !a vôtre , n'a plus rien à craindre que l'excès de fes profpérités & de Ces viôoires.
Ecoutez cette muhitude que Jefus- Chrift r?iraflie aujourd'hui dans le dé- fert : ils veulent l'érablir Roi fur eux. 'Joan» 6. Ut râpèrent eum ^ & facerent eum Re- *5« gem. Ils lui dreflent déjà un Trône dans leur cœur , ne pouvant le faire remonter encore fur celui de David & des Rois de Juda (es ancêtre? : ils ne reconnoiffent fon droit à la Royau- té y que par fon humanité* Ah ! fi les
Humanité* des Grands, 5cc. 119 hommes fe donnoienr des maîtres, ce ne feroit ni les plus nobles , ni les plus v^iilans , qu'ils choifiroient; ce feroit les plus tendres , les plus humains j des maîtres qui fuflent en même-temps leurs pères.
Heureufe la nation , grand Dieu , à qui vous deftinez dans votre miféri- corde un Souverain de ce caradere. D'heureux préfages femblent nous le promettre ; la clémence & la maje/lé peintes fur le front de cet augufle En- fant nous annoncent déjà la félicité de ros peuples ; fes inclinations douces & bienfaifantes rafllirent &: font croître tous les jours nos efpérances. Cultivez donc, ô mon Dieu , ces pre- miers gages de notre bonheur. Ren- dez-le aufîî tendre pour fes peuples, que le Prince pieux auquel il doit la naiffance, ÔC que vous n*avez fait que montrer à la terre : il ne vouioit ré- gner , vous le favez , que pour nous rendre heureux ; nos miferes étoient fes miferes ; nos affliâ:ions étoient les fiennes ; ÔC fon cœur ne faifoit qu'un cœur avec le nôtre. Que la clémence & la miféricorde croiiTent donc avec l'âge dans cet enfant précieux , & cou- lent en lui avec le fang d'un père û
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130 I V. D I M. D E C A R E M E.
humain , ÔC fi miféricordieux : que la douceur & la majefté de fon front foit toujours un image de celle de fon ame : que Ton peuple lui fb it au fli cher qu'il eft lui même cher à fon peuple: qu'il prenne dans la tendreffe de la nation pour lui , la règle 8c la mefure de l'amour qu'il doit avoir pour elle : par-là il fera aufli grand que fon Bi- faïeul ; plus glorieux que tous fes an- cêtres ; ÔC fon humanité fera la fburce de notre félicité fur la terre, ÔC de foa bonheur dans le Ciel. AinJlfoitiL
SERMON
POUR LE JOUR D E
L' INCARNATION,
Sur les car acier es de la grandeur ds Jefus - Chrijî»
Hic erit magnuî.
Il fera grand, Luc. i. 33*
Si
RE ,
QUAND les hommes auguî-en?: d'un jeune Prince y qu'il fèr^^ grands , cette idée ne réveille en eux: que des victoires & des profpérités^ temporelîes , ils n'établiflênt fa gran* deur future que for des malheurs pq^ bîics, & les mêmes (ignés qui annoiî* cent réclatde fa gloire , font comme
F ^i
"îgz L'Incarnation.
des préfages finiftres , qui ne promet- tent que des calamités au refte de la terre.
Mais ce n'eft pas à ces marques vai- nes 6c lugubres de grandeur , que l'Ange annonce aujourd'hui à Marie , que Jefus Chrift fera grand ; le lan- gage du Ciel Ôcde la vérité ne reflem- ble pas à l'erreur & à la vanité des adulations humaines; &. Dieu ne parle point comme l'homme.
Jefus- Chrift fera grand , parcequ'il tue» I. fera le Saint & le Fils de Dieu : Sanc- 35' tum y vocabitur Filins Del ; parcequ'il
Matîh, fauvera fon peuple : Ipfe enim falvum I. ïi, faciet populumfiium ; parceque fon re- lue. I. gne ne finira point : Et regni ejas non 13- crit finis. Tels font les caraâ:eres de fa grandeur : une grandeur de fainteté ; une grandeur de miféricotde ; une grandeur de perpétuité ôc de durée.
Et voilà les cara6î:eres de la véritable grandeur. Ce n'eft pas 5 Sire, dans l'élévation de la nailfance, dans l'éclat des titres & des vidoires , dans l'éten- due de la puiflance ôc de l'autorité , , que les Princes ôc les Grands doivent
la chercher: ils ne feront grands , com- me Jefus Chrift , qu'autant qu'ils fe- ront faints 9 qu'ils feront utiles aux
GrandeurdeJ. C. 133 jpeu^es , 8c que leur vie & leur régne deviendra un modèle qui fe perpétue- ra dans tous les fiecles ; c'eft- à-dire , qu'ils auront comme Jefus Chrift une grandeur de fainteré , une grandeur de miféricorde , une grandeur de per- pétuité ôc.de durée. SIRE,
X-»'Origine éternelle de Jefus- Chrift, p^j^^jjr, fon titre de Fils de Dieu , qui eft le titre eflentiei de fa fainteté , î'eft aufti de fa grandeur &: de fon éminence. Il n'eft pas appelle grand , parcequ'il compte des Rois 6c des Patriarches parmi fes ancêtres , bi que le fang le plus augufte de l'univers coule dans fes veines ? Il eft grand , parcequ'il eft le Saint 5c le Fils du Très haut : toute fa grandeur a fa fource dans le fein de Dieu , d'où il eft forri ; & le grand myf^ teres de Ces voies éternelles , qui fe manifefte aujourd'hui , vapuifertout fon éclat dans fa naiftance divine.
Nous n'avons de grand que ce qui nous vient de Dieu. Oui , mes Frères , que les grands fe vantent d'avoir com- me Jefus- Chrift des Princes 5c des Rois parmi leurs ancêtres : s'ils n'ont point d'autre gloire que celle de leur$
134 L'Incarnation, aïeuls ; (î toute leur grandeur efl daa^ leur nom ; d leurs titres font leurs uni- ques vertus ; s'il faut rappeller les fié- cles pafles , pour les trouver dignes de nos hommages ; leur naiiTance les avi- lit ÔC les déshonore , même félon le monde : on oppofe fans ceffe leur nom à leur perfonne : îe fouvenir de leurs aïeuls devient leur opprobre : les Hif- toires où font écrites les grandes ac- tions de leurs pères , ne font plus que des témoins qui dépofent contr'eux : on cherche ces glorieux ancêtres dans leurs indignes fucceffeurs : on rede- mande à leurs noms les vertus qui ont autrefois honoré la patrie ; & cet amas de gloire , dont ils ont hérité , n'eft plus qu*un poids de honte , qui les flé- trit & qui les accable.
Cependant , la plupart portent fur leur front l'orgueil de leur origine. Ils comptent les degrés de leur grandeur par des fîécles qui ne font plus , par des dignités qu'ils ne poéfldent plus , par des actions qu'ils n*ont point fai- tes , par des aïeuls dont il ne refte qu'une vile pouflfiere j par des monu» mens que les temps ont effacés ; & fe croient au-deffus des autres hommes ^ parcequ'ii leur relie plus de àébtif
Grandeur DE L C. 135
domeftiques de la rcipidité des temps, & qu'ils peuvent produire plus de ti- tres que les autres hommes de la vani- té des chofes humaines.
Sans doute une haute nailTance ed une prérogative illuftre , à laquelle le confentement des nations a attaché de tout temps des diftin étions d'hon- neur 6c d'hommage. Mais ce n'eft qu'un titre , ce n'eft pas une vertu ; c'eft un engagement à la gloire , ce n'eft pas elle qui la donne : c'eft une leçon domeftique , 6c un motif hono^ rable de grandeur ; mais ce n'eft pas ce qui nous fait grands : c'eft une fuo- ceflîon d'honneur 5c de mérite ; mais elle manque 6c s'éteint en nous , dès que nous héritoiîs du nom fans hériter des vertus qui l'ont rendu illuftre :: nous commençons , pour ainfi dire ^ une nouvelle race ; nous devenons des hommes nouveaux ; la noblefle n'eft plus que pour notre nom , ôc la roture pour notre perfonne.
Mais fi devant le monde même la iiaiff*ance fans la vertu n'eft plus qu'un; vain titre, qui nous reproche fans cefle notre oifîveté ÔC notre baflefte ; ^'eft-elle devant Dieu , qui ne voit de grand Se de réel en nous j que les douf
î3^ L'Incarnation.
de fa grâce 6c de fon efprit qu*il y a
mis lui-même.
C'eft donc notre naiflance félon la Foi , qui fait le plus glorieux de tous nos titres. Nous ne fommes grands , que parce que nous fommes , comme Jefus-Chrilt, enfans de Dieu , 5c que nous foutenons la nobielfe 5c l'excel- lence d'une il haute origine. C'eft elle qui élevé le Chrcrien au delTus des Rois &. des Princes de la terre : c*eft par elle que nous entrons aujourd'hui dans tous les droits de Jefus Chrift ; que touteft à nous ; que tout l'Univers n'eft pas pour nous ; que les Patriarches , 6c tous les Elus des liecles pîifles font nos ancê- tres , que nous devenons héritiers d'un Royaume éternel, que nous jugerons les Anges 6c les hommes , ÔC que nous verrrons un jour à nos pieds toutes les Nations 5c les puilTances du fîecle.
Telle eft, Sire, la prérogative des enfans de Dieu. Aufîî nos Rois ont mis le titre de Chrétien à la tête de tous les titres qui entourent 6c annobliflent leur Couronne ; ôc le plus faint de vos Prédécefleurs n'alloit pas chercher la fource ÔC l'origine de fa grandeur dans le nombre des Villes & des Provinces foumifes à fou Empire , mais dans le.
Grandeur de J. C. 137 lieu feul où il avoit été mis par le Bap- tême au nombre des enf^ns de Dieu.
Mais ,.SiRE 5 ce n'eft pas aflez, dit faint Jean , d'en porter le nom , il faut l'être en efFet: Ut filii Dei nominemur j, Ep» ^• & Jïmus, Si les enfans des Rois dégé- Joan.iM nérant de leur augufte naifrance,n'a- voient que des inclinations bafTes 6c vulgaires , s'ils fe propofoient la for- tune du vil artifan , comme l'objet le plus digne de leur cœur,ÔC feul capable de remplir leurs grandes deflinées ; H perdant de vue le Trône où ils doi- vent un jour être élevés^ , ils ne con- noiffoient rien de plus grand que de ramper dans la boue , ^ d'être confon- dus par les fentimcns ôc leurs occu- pations avec la plus vile populace ; quel opprobre pour leur nom & pour leur nation qui attendroit de tels maî- tres ?
Tels , & encore plus coupables , SiRE , font les enfans de Dieu , quand ils fe dégradent jusqu'à vivre comme les enfans du lîecle. La grâce de votre baptême vous a élevé encore pins haut que la gloire de votre naiflance, quoi- qu'elle foit la plus augufte de l'uni- vers : par celle ci , vous n'êtes qu'un Roi temporel j l'autre vous rend héri-
138 L'ÎNTCA RN A TI O N. tier d'un Royaume éternel : la pre- mière ne vous fait que l'enfant des Rois ; par l'autre vous êtes devenu l'enfant de Dieu. Tous les jours nous voyons croîire & fe développer dans Votre Majefté , des fentimens 5c des inclinations dignes delà naiffance que fous avez eue des Rois vos ancêtres ; mais ce ne feroit rien , fi vous n'en montriez encore , qui répondiflent à la grandeur de la naiîTance que vous tenez de Dieu , lequel vous a mis par le baptême au nombre de Tes enfans. Or, partout ce qu'exige une naiffan- ce Royale , jugez , vSire , de ce qv^e doit exiger une naiflance toute divine. Si les- enfans des Rois doivent êt?e au-defTus des autres hommes ; fi la moindre baf- fefle les déshonora ; fi le plus léger dé- faut de courage eil une tâche qui flé- trit tout l'éclat de leur naiffance ; fi oilt leur fait un crime d'une fimple inéga- lité d'humeur ; s'il faut qu'ils foient plus vaillans , plus fages , plus circon^ pe<fts , plus doux , plus affables , p!us humains , plus grands que le refte des hommes ; fi le monde exige tant des enfans de îa terre , qu'elVce que Dieu ne doit pas demander des enfans du Ciel ? quelle innocence ? quelle pureté
Grandeur DE J. C. 139 de defirs ? quelle élévation de fenti- mens ? quelle fupériorité au deflus des fens ôcdes paflîons ? quel mépris pour tout ce qui n'eftpas éternel? Qu'il faut être grand pour fbutenir Féminence d'une Cl haute origine / Premier carac- tère de la grandeur de Jefus-Chrift , une grandeur de fainteté : Hic crit magnuSy & Fillus Altlffïmi vocabitur.
Ais en fécond lieu , il fera grand, ^î» parce qu'il fauvera Ton peuple : Ipfe ^^^^^^* enim falvum faciet populum fuum; fé- cond caraé^ere de fa grandeur , une grandeur de miféricorde.
Il ne defcend fur la terre que pour combler les horrtm^s de fes bienfaits-. Nous étions fous la fervitude & fous la malédié^ion ; 5c il vient rompre nos chaînes , & nous mettre en liberté : nous étions ennemis de Dieu.,&C étran- gers à fes promeiTes; 5c il vient nous réconcilier avec lui , 5c nous rendre citoyens des Saints , ôc enfans d'une nouvelle alliance : nous vivions fans loi , fang joug , fans Dieu dans ce mon- de; 6c il vient être notre loi , notre vé- rité, notre juftice, ÔC répandre l'abon- dance de fes dons & de fes grâces fur tout l'univers. En un mot , il vient re-
140 L' Incarnation.
nouveller toute la nature; fân(PJfiercc qui étoit fouillé ; fonifier ce qui étoit foible ; iauver ce qui étoit perdu ; réu- nir ce qui étoit di/iré. Qj elle gran- deur! car il n'y a ritn f<e fi grand que de pouvoir étie utile à tous les hom- mes.
Et telle eft la grandeur où les Prin- ^ ces ô( les Souverains 5 &. tout ce qui M porte le nom de Grand fur In terre, doit fl afpirer : ils ne peuvent être grands qu*cn fe rendant utiles aux peuples , & leur portant, comme Jefus Chrifl, la lihcrté , la paix &: l'abondance.
Je dis la liberté, non celle qui fa- vorife les paflîons &c la licence : c'eft un nouveau joug 8c une itrviiude hon- teufe, que ce tunelle libertinage ; 6c la règle des mœurs eft le premier prin- cipe de la félicité ÔC l'affermifTement des Empires. Ce n'eft pas celle encore^ ou qui s'élève contre l'autorité légiti- me , ou qui veut partager avec le Sou- verain celle qui rcfide en lui feul ; ÔC fou? prétexte de la modérer , l'anéan- tir &: l'éteindre. Il n'y a de bonheur pour les peuples que dans l'ordre 6c dans la foumifTion : pour peu qu'ils s'écartent du point fixe de l'obéiiTan- ce , le Gouvernement n'a plus de ré-
Grandeur de J. C. i4t
gîe : chacun veut erre à lui-même fa loi ; la confulion , les troubles , les dif^ fendons , les attentats , l'impunité naif- fjnt bientôt de Tindépendancc ; ÔC les Souverains ne fauroient rendre leurs fajets heureux , quJ^n les tenant fou- rnis à l'aiKorité , & leur rendant en même temps l'affujetthrement doux ÔC air^^ible.
Lv> liberté, Sîre , que les Princes doivent à leurs peuples , c'efl la liber- té des loix. Vous ères le maître de la vie & de la fc^rtune de vt)s fuiets ; mais vous ne pouvez en d fpoH-r que félon \e< loix : vous ne connoilT.z que Dieu feu'e au delTas de vous, il ell v>'ai; mais les loix doii'ent avoir plus d'autorité que vous-même : vous ne commandez pas à des efclaves ; vou^ co nmandez à une nation libre 6c belliqueufe , aufîî jaloufe de fa liberté que de fa fidélité p & dont la foumiflîon efl d'autant plus fûre , qu'elle eft fondée fur l'amour qu'elle a pour fes maîtres. Ses Rois peuvent tout fur elle , parceque fa tendrelfe 8c fa fidélité ne mettent point de bornes à fon obéiflance; mais il faut que fes Rois en mettent eux mêmes à leur autorité , & que plus fon amour «3 connoît point d'autre loi qu'uû©.
Î42. L'ÏNCARNATIOPf. foumiflion aveugle , plus fes Roîf n'exigent de fa foumiflion que ce que les loix leur permettent d'en exiger : autrement ils ne font plus les pères 6C les proteâeursde leurs peuples, ils en font les ennemis 5c les opprefleurs ; ils ne régnent pas fur leurs fujets , ils les fubjuguent.
La puiffance de votre augufte Bi- faïeul fur la nation a paflie celle de tous les Rois vos ancêtres : un règne long ÔC glorieux l'avoit affermie : fa haute fageiTe^la foutenoit ; ÔC l'amour de fes fujets n'y mettoit prefque plus de bornes: cependant il a fu plus d'une fois la faire céder aux loix; les prendre pour arbitres entre lui 6c fes fujets, 6c foumettre noblement fes intérêts à leurs décifions.
Ce n'efl: donc pas îe Souverain, c'eft la loi , Sire , qui doit régner fur les peuples. Vous n'en êtes que leminiftre & le premier dépofitaire : c'eft elle qui doit régler l'ufage de l'autoritéjôc c'eft par elle que l'autorité n'efl plus un joug pour les fujets , mais une règle qui les conduit ; un fecours qui les protège ; une vigilance paternelle , qui ne s'af- fire leur fou miflîof^, que parce qu'elle s'afTure leur tendreffe. Les hommes
I
Grandeur de J. C. 143 croient être libres , quand ils ne font gouvernés que par les loix : leur fou- mifTijn fait alors tout leur bonheur , parcequ'elle fait toute leur tranquillité &. toute leur confiance. Les paflions j les volontés in juftes, les defîrs exceffifs & ambitieux que les Princes mêlent à l'ufage de l'autorité , loin de l'étendre, ratîbibliffent : ils deviennent moins puiifans dès qu'ils veulent l'être plus que les loix : ils perdent en croyant gagner: tout ce qui rend lautorité in- jufte Î>C odieufe , l'énervé & la dimi- nue : la fource de leur puiffance efl: dans le cœur de leurs fujets ; & quel- que abfolus qu'ils paroiflent, on peut dire qu'ils perdent leur véritable pouvoir , dès qu'ils perdent l'amour de ceux qui les fervent.
J'ai dit encore la paix 6c l'abondan- ce , qui font toujours les fruits heu- reux de la liberté dont nous venons de parler : 6c voilà les biens que Jefus- Chrift vient apporter fur la terre ; il n'eft grand, que parcequ'ileftle bien- faiteur de tous les hommes.
Oui , SîRE 5 il faut être utile aux hommes, pour être grand dans l'opi- nion des hommes. C'eft la reconnoif^ fance , qui les porta autrefois à fe faire
144 L* Incarnation. des Dieux mêmes de leurs bienfaiteurs î ils adorèrent la terre qui les nourrie- foit ; le foleil qui les édairoit ; des Princes bienfaifans ; un Jupiter Roi de Crète, un Ofirls Roi d*Egypte, qui avoient donné des loix fages à leurs fujets , qui avoient été les pères de leurs peuples, 6c les avoient rendus heureux pendant leur règne : Tamour & le reO >cl qu'infpire la reconnoif- fance fut fi vif , qu'il dégénéra même en culte.
I! faut mettre les hommes dans les intérêts de notre gloire , fi nous vou-î Ions qu'el'e foit immortelle ; & nous ne pouvons les y mettre que par nos bienfaits Les grands talens & les lî- tre<? , qui nous élèvent au deiTus d'eux, &: qui ne font rien à leur bonheur , lefî ébîouiilent fans les toucher , 6C de^'iennenr plutôt l'objet de l*envie , que de raiïe£fcion 8c de TeHime publi- que. Les louanges que nous donnons aux autres , fe rapportent toujours par q-^eîque endroit à nous-mêmes : c'eft Tin érêt ou la vanité qui en fort Ie« fources fecrertes ; car tous les hommes font vains , ôc n'agiflent prefque que peureux, 6C d'ordinaire ils n'aiment pas à donner en pure perte des louanH
Grandeur de J. C. 145 ges qui les humilient 9 ôc qui font comme des aveux publics de la /upé- riorité qu'on a fur eux : mais la recon-: noiflance l'emporte fur la vanité ; ôc l'orgueil fouiïre fans peine que nos bienfaiteurs foienten même-temps nos fupérieurs 6c nos maîtres.
Non , Sire , un Prince qui n'a eu que des vertus militaires , n'eft pas alTuré d'être grand dans la poftérité. Il n'a travaillé que pour lui : il n*a rien fait pour fes peuples : ÔC ce font les peuples qui atTurent toujours la gloire ÔC la grandeur du Souverain. II pourra pafler pour un grand Conqué- rant ; mais on ne le regardera jamais comme un grand Roi : il aura gagné des batailles ; mais il n'aura pas ga- gné le cxur de fes fujets : il aura con- quis des Provinces étrangères ; mais il aura épuifé les (îennes : en un mot , il aura conduit habilement des ar-, mées ; mais il aura mal gouverné fes j
fujets.
Mais, Sire , un Prince qui n'a cher- ché fa gloire que dans le bonheur de fes fujets ; qui a préféré la pa'X ÔC la tranquillité qui feule peut les rendre heureux , à des vié^oires qui n'euffenc été que pour lui feui , & qui n'au-
Pètit Carêms. G
14-6 L'Incarnation. roient abouti qu'à flatter fa vanité : un Prince qui ne s'eft regardé que comme l'homme de Tes peuples ; qui a cru que fes tréfors les plus précieux éioientles cœurs de Ces fujers : un Prince qui par la fagefle de fes loix ôc de fes exem- ples a banni lesdéfordres de fon Etat, corrigé les abus , confervé la bien- féance des mœurs publiques , main- tenu chacun à fa place ; réprimé le luxe ÔC la licence , toujours plus fu- nefles aux Empires que les guerres 8c les calamités les plus triftes , rendu au culte ÔC à la Religion de fes pères l'autorité , l'éclat, la majefté, l'unifor- mité qui en perpétuent le refpe6t par- mi les peuples ; maintenu le facré dé- pôt de la Foi contre toutes les entre- prifes des efprits indociles & inquiets ; qui a regardé fes fujets comme fes en- fans , fon Royaume comme fa famille, & qui n'a ufé de fa puifTance que pour la félicité de ceux qui la lui avoient confiée : un Prince de ce cara6tere fera toujours grand , parce qu'il l'eft dans le cœur des peuples. Les pères raconte- ront à leurs enfans le bonheur qu'ils eurent de vivre fous un fi bon maître; ceux-ci le rediront à leurs neveux; ÔC dans chaque famille, ce fouvenir con-
Grandeur de J. C. 147 fervé d'âge en âge deviendra comme un monument domeftique élevé dars l'enceinte des murs paternels, qui per- pétuera la mémoire d'un iî bon Roi dans tous les fiécles.
Non , Sire , ce ne font pas les fta^ tues ôC les infcriptions , qui immorta- iifent les Princes ; elles deviennent tôt ou tard le trifte jouet des temps 6c de la viciiTitude des chofes humaines. En vain Rome & la Grèce avoient autrefois multiplié à l'infini les images de leurs Rois 6c de leurs Céfars , ôc épuifé toute la fcience de l'art pour les rendre plus précieufes aux fîécles fuivans ; de tous ces monumens fu- perbes à peine un feul eft venu jufqu'à nous. Ce qui n'eft écrit que fur le marbre ÔC fur l'airain, efl bientôt efFa- cé ; ce qui eu écrit dans les cœurs y demeure toujours.
A
Ufli le dernier caraôere de la m» grandeur de Jefus-Chrift , c'eft la du- P-^^*^^^* rée 6c la perpétuité de fon règne : Et regnlejus non erlt finis. îi étoit hier, il eft aujourd'hui , & il fera dans tous les fiécles : fes bienfaits perpétueront fa royauté 8c fa puiflance : les hommes de tous les temps le reconnoîtront y
Gij
14S L'Incarnation. l'adoreront comme leur Chef, leur Libérateur , leur Pontife toujours vi- vant, 6c quis'oiFre toujours pour nous à fon Père : il fera même le Prince de l'éternité : il régnera fur tous les Elus dans le Ciel ; 6c l'Egîife triomphante ne fera pas moins fon royaume 6c fon héritage , que celle qui combat fur la terre. C efl ici une grandeur de perpé- tuité 6c de durée.
En effet , la gloire qui doit finir avec nous eft toujours faufle. Elle étoit donnée à nos titres plus qu'à nos ver- tus : c'étoit un faux éclat qui environ- noit nos places , mais qui ne fortoit pas de nous-mêmes : nous étions fans cefle entourés d'admirateurs , & vui- des au- dedans des qualités qu'on ad- mire : cette gloire étoit le fruit de Terreur 8c de l'adulation ; & il n'eft pas étonnant de la voir finir avec elles. Telle eil la gloire de la plupart des Princes 8c des Grands : on honore leurs cendres encore fumantes , d'un refle d'éloge : on ajoute encore cette vaine décoration à celle de leur pom- pe funèbre ; mais tout s'éclipfe ôc s'é- vanouit le lendemain : on a honte des louanges qu'on leur a données ; c'eft un langage furanné 6c infipide qu'on
Grandeur de J. C. 149 n'oferoit plus parler : on en voit prcf- que rougir les monumens publics où elles font encore écrites, ôc où elles ne femblent fubfifler que pour rappel- 1er publiquement le fouvenir qui les défavoue. Ainfi les adulations ne fur- vivent jamais à leurs héros ; & les élo- ges mercenaires , loin d'immortalifer la gloire des Princes , n'immortaîifent que la balTeffe , l'intérêt , âc la lâcheté de ceux qui ont été capables de les donner.
Pour connoître la grandeur vérita- ble des Souverains & des Grands , il faut la chercher dans les fiecles qui font venus après eux : plus même ils s'éloignent de nous 5 plus leur gloire croît ôc s'affermit , lorfqu'elle a pris fa fource dans l'amour des peuples.. On difpute encore aujourd'hui à un de vos plus vaillans Prédécelfeurs 5 les éloges magnifiques que fon liecle lui donna à Tenvi ; 6c malgré la gloire de Marignan , on doute fi la valeur doit le faire compter parmi les grands Rois qui ont occupé votre Trône ; ÔC avec moins de ces talens brillans qui font les Héros , 8c plus de ces vertus pacifiques qui font les bons Rois , fon Pfédéceffeur fera toujours grand dans
G iij
î5o L'Incarnation. nos Hidoires, parce qu'il fera toujours cher à la nation dont il fut le père- On îie compte pour rien les éloges donnés aux Souverains pendant leur règne ^ s'ils ne font répétés fous les règnes fui- vans : c'efl ià que la poflérité toujours équitable , ou les dégrade d'une gloire dont ils n'étoient redevables qu'à leur puiifance , 6c à leur rang , ou leur con- ferve un rang, qu'ils durent à leur ver- tu bien plus qu'à leur puiffance. 11 faut Sire , que la vie d'un grand Roi puifle être propofée comme une règle à Ces fucceffeurs : 5c que fon r'^gne devienne le modèle de tous les règnes à venir : c'efl par là qu'il fera , fi je l'ofe dire ^ éternel , comme le règne de Jefus- Chrift : Et ngni ejus non erit finis.
Le règne de David fut toujous le modèle des bons Rois de Juda , 5c fa durée égala celle du Trône de Jéru- falem. Ce ne furent pas fes victoires toutes feules , qui le rendirent le mo- dèle des Rois fes fuccelTeurs : Saiil en avoir remporté comme lui fur les Phi- liftins ôc fur les Amalécites. Ce fut fa piété envers Dieu ; fon amour pour fon peuple ; fon zèle pour la loi ôc pour la Religion de fes pères : fa foumifïioa à Dieu dans les difgraces ; fa modéra-
Grandeur de J. C 151' tion dans la vi£^oire 6c dans la profpé- rité ; Ton refped^ pour les Prophètes , qui venoient de la part de Dieu l'aver- tir de Tes devoirs , & lui ouvrir les yeux fur Tes foibleiTes ; les larmes publiques de pénitence ôC de piété dont il baigna fon Trône , pour expier le fcandale de fa chute ; les richefles immenfes qu'il amaffa pour élever un Temple au Dieu de Ces pères , fa confiance dans le grand Prêtre ÔC dans les Miniftres du culte faint ; le foin qu'il prit d'inf- pirer à Ton fils Salomon les maximes de la vertu ÔC de la fageffe ; 6c enfin le bon ordre , 6c la juftice des loix qu'il établit dans tout Ifraël. .
Voilà , SiRE , la grandeur que Vo- tre Majefté doit Ce propofer. Régnez de manière que votre règne puifTe être éternel ; que non feulement il vous allure la royauté immortelle desEnfans de Dieu , mais encore que dans tous les âges qui fuivront , on vous propofe aux Princes vos fuccefTeurs comme le modèle des bons Rois.
Ce ne fera pas feulement en rem- portant des viâ:oires , que vous de- viendrez un grand Roi : ce fera votre amour pour vos peuples , votre fidélité ^nvers Dieu , votre zèle pour la Reli-
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'i5i L' Incarnation. gion de vos Pères , vorre attention à rendre vos fujets heureux , qui feront de votre règne k plus bel endroit de nos Hiftoires , ôc le modèle de tous les règnes à venir.
Ainrlez vos peuples , SiRE ; & que ces mêmes paroles fi fouvent portées à vos oreilles , trouvent toujours un accès favorable dans votre cœur. Soyez tendre , humain, affable, touché de leurs miferes , compatifTant à leurs befoins , & vous ferez un grand Roi ; 2^ la durée de votre règne égalera celle de la Monarchie. Dieu vous a établi fur une nation qui aime fes Princes , ^ qui par cela feul mérite d'en être aimée. Dans un Royaume où les peu- ples naiflent , pour ainfi dire , bons fujets , il faut que les Souverains en naiffant , naiflent de bons maîtres. Vous voyez déjà tous les cœurs voler après vous. Sire , l'amour ne peut fe payer que par l'amour ; Ôc vous ne fe- riez pas digne de la tendrefle de vos fujets , fi vous leur refufiez la vôtre.
Il n'y a point d'autre gloire pour les Rois : leur grandeur eft toute dans l'a- mour de leurs peuples : ce font eux qui perpétuent de iiecle en fiecle la mémoire des bons Princes. Et quelle
Grandeur d e J. C. i 5 3
gîoireen effet pour un Roi, de régner encore après fa mort fur les cœurs de fes fujets ! d'être fur que dans tous ies temps à venir , les peuples , ou regret- teront de n'avoir pas vécu fous Ton rè- gne , ou fe féliciteront d'avoir un Roi qui lui reffennble! Quelle gloire. SiRE, de faire dire de foi dans toute la fuite des (îecles, comme la Reine de Saba le difoit de Salomon : Heureux ceux qui le virent & qui vécurent fous la douceur de Ces loix &de fon Empire/ heureux Tâge qui montra à la terre un fi bon maître! heureufes les villes 6c les campagnes , qui virent revivre fous fon règne l'abondance, la paix, la joie , la juftice , l'innocence des âges les plus fortunés! heureufe la nation que le Ciel favorifera un jour d'un Prince qui lui foit femblable.
Grand Dieu ! c'eft vous feul qui donnez les bons Rois aux peuples ; ôC c'eft le plus grand don que vous puif- lîez faire à la terrô.Vous tenez encore entre vos mains l'Enfant augufte que vous deftinez à la Monarchie : fon âge, (bn innocence le laifient encore l'ou- vrage commencé de vos miféricordes: il n'eft pas encore forti de defibus la maia qui le forme ôc qui l'achevé,
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r54 L" r N' cr A- K n A t rO' Pî'<r Grand Dieu ! il eft encore temps, for^ mez le pour le bonheur des peuples à qui vous l'avez réfervé ; ÔC que cette prière (i fouvent ici renouvellée , ne lafTe pas votre bonté , puifqu'elle inté* refle (i fort le falut & la félicité d'une nation que vous avez toujours pro» îégée.
C'eft fous les bons Rois que votre culte s'affermit ; que la Foi triomphe des erreurs ; que TafFreufe incrédulité eft bannie ou obligée de fe cacher ;^ que les nouvelles do^irines font prof- ©rites ; que les efprits rebelles ne trou- vent de proteâ:ion & de fureté , que dans l'obélifance ÔC dans l'unité ; que 'yos Minières , pai(ibles dans l'exerGi- ce de leurs fonâions , ÔC veillant fans^ teiïe à la confervation du dépôt j- voient l'autorité de l'Empire donner lies mains à celles du Sacerdoce ; & que 'SOUS les cœurs , déjà réunis aux pieds du Trône, portent la même union ÔC lia même concorde aux pieds des au- îjels. Ajoutez donc en lui de jour en îpur, ô mon Dieu, de ces traita heu- î5eux qui promettent de bons Rois à Ibiîïs peuples : que l'ouvrage de vos miféricordes croiife , 5c fe développe ks jpuxs. en lui avec fes années*
Grandeur de J. C. 155 Nous ne vous demandons pas qu'il de- vienne le vainqueur de l'Europe, nous vous demandons qu'il foit le père de fon peuple. C'eft la puifTance de votre bras , qui nous l'a confervé ; en frap- pant autour de fon berceau tout le refte de fa famille royale ; que ce foit elle qui nous le forme , ÔC qui nous^ le prépare : il eft , comme Moïfe , l'en- fant fauve des funérailles de toute fa race ; qu'il foit comme lui , le fauveur êc le libérateur de fon peuple, & que ce premier prodige , qui l'a retiré d\M fein de la mort , foit pour nous le pré^ fage afTuré de ceux que vous nous fai- tes efpérer fous fon Emi^lte^Alnfifoit^iî^
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156
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SERMON
POUR LE DIMAN CHE DE LA PASSION.
V
Sm la faujfeté de la gloire humaine»
Si ego glorifico meiprum , gloria hieanihîî eft.
Si je me glorifie moi-même , ma gloire n^ejî rien, Joan. 8. 54.
Si
RE,
Sî la gloire du monde fans la crain- te du Dieu étoit quelque chofe de réel , quel homme jufques-là avoit paru fur la terre , qui eût plus de lieu de Te glorifier lui-même que Jefus- Chrift ?
Outre la gloire de defcendre d'une race royale , 5c de compter les David ^ les Salomon parmi k$ ancêtres ;
Sur la Gloire Humaine. 157 avec quel éclat n'avoit- il pas paru dans le monde ?
Suivez- le dans tout le cours de fa vie : toute la nature lui obéit : les eauK s^afFermifTent fous Tes pieds : les morts entendent fa voix ; les démons , frap- pés de fa puifiance , vont fe cacher loin de lui: les Cieux s'ouvrent fui la tête 5 cC annoncent eux-mêmes aux hommes fa gloire &: fa magnificence: la boue entre fes mains rend la lumiè- re aux aveugles ; tous les lieux par où il paiTe , ne font marqués que par fes prodiges: il lit dans les cœurs : il voit l'avenir comme le préfent: il entraîne après lui les villes & les peuples : per- fonne avant lui n'avoit parié comme il parle ; ÔC charmées de fon éloquence célefte, les femmes de Juda appellent heureufe les entrailles qui l'ont porté.
Quel homme s'étoit jamais montré fur la terre environné de tant de gloi- re ? ôc cependant il nous apprend que s'il fe l'attribue à lui-même , & que fa gloire ne foie qu'une gloire humaine , fa gloire n'efl plus rien : Si ego glorifico meipfiim , gloria mea nihil eft.
La probité mondaine , les grands talens , les fuc.ès éclatans ne font donc plus rien , dès qu'ils ne font cp^
158 D I M. D E L A P A s s I O N.
vertus de l'homme ; ôc il n'y a point de gloire véritable fans la crainte de Dieu : c'eft ce qui va faire le fujet de ce difcours.
SIRE,
^' Il y a long- temps que les hommes y * toujours vains y font leur idole de la gloire. Ils la perdent la plupatt en la cherchant; & croient l'avoir trouvée, quand on donne à leur vanité les louan- ges qui ne font dues qu'à la vertu.^
Il n'eft point de Prince ni de Grande malgré la baflefle &. le dérèglement de fes mœurs & de fes penchans , à qui de vaines adulations ne promettent la gloire 6( l'immiortalité ; ÔC qui ne compte fur les fufFrages delapoftériié, où fon nom même nepafTera peut-être pas, &c où du moins il ne fera conniLi que par fes vices. Il eft vrai que le mon- de qui avoit élevé ces idoles de boue y les renverfe lui même le lendemain-, & qu'il fe venge à loifif dans les âges fuivans par la liberté de fes cenfures y de la contrainte ÔC de l'injullice de fes^ éloges.
Il n'attend pas même fi tard : les ap* plaudiffemens publics qu'on donne â^ îa plupart des Grands pendant le^r
Sur la gloire Humaine, i vie , font prefque toujours à l'inftant démentis par les jugemens & les dis- cours fecrets : leurs louanges ne font que réveiller l'idée de leurs défauts ; éc à peine fortis de la bouche même de celui qui les publie , elles vont , s'il m'eft permis de parler ainfi . expirer dans fon cœur qui les défavoue.
Mais fila gloire humaine efl: prefque toujours dégradée devant le Tribunal même du monde , auroit-elle quelque chofe de plus réel aux yeux de Dieu y devant qui il n'y a de véritables grands que ceux qui le craignent ? Qui autem -judît^^ timent te , magni crunt apud te penC- ip»- omnia*
Et pour mettre cette vérité dans un point de vue qui nous la montre toute entière ; remarquez , je vous prie , mes Frères , que les hommes ont de tout temps établi la gloire dans l'honneur 5c la probité , dans l'éminence ôcla dif- tinâ:ion des talens , ÔC enfin dans les fiiccès éclatans.
Or , fans la crainte de Dieu toute probité humaine eft ou faufle , ou du moins elle n'eil pas fûre ; les plus grands talens deviennent dangereux- ou à celui qui s'en glorifie, ou à ceux auprès defi^uels il en fait ufage j ÔC en^
i6o DiM. DE LA Passion.
fin , les fuccès les plus éclatans , ou prennent leur fource dans le crime , ou ne font fouvent que des crimes éclatans eux-mêmes : 5"/ ego glorifico mcipfum , glorla mca nihil ejl.
Je dis , premièrement , que la pro- bité humaine fans la crainte de Dieu eîl prefque toujours faufle , ou du iDoins qu'elle n'eft jamais fûre.
Je fais que le monde fe vante d'un phantôme d'honneur ôc de probité in- dépendant de la Religion. II croit qu'on peut être fidèle aux hommes , fans être fidèle à Dieu ; être orné de toutes les vertus que demande la So- ciété 5 fans avoir celles qu'exige TEvan- gile ; & en un mot, être honnête hom- me j fans être Chrétien.
On pourroit iaiffer au monde cette foible confoiation ; ne pas lui difputer une gloire aufîî vaine & auffi frivole qui lui-même ; & puifqu'il renonce aux vertu? des Saints , lui paffer du moins celles des hommes. C'eft Tat- taquer par fon endroit fenfible ôC dans fon dernier retranchement , de vou- loir lui ôter le feul nom de bien qui luirefte , & qui ie confole de la perte de tous les autres; Se de le dépoiTéder d'un honneur ôc d'une probité qu'il
Sur la Gloire Humaine. i6i croit n'appartenir qu'à lui feul , & qu'il difpute fouvent aux Juftes.
Ne le troublons donc pas dans une polTeiTion fi paifible ôc en même- temps fi injufte. Convenons qu'au milieu de- là dépravation ÔC de la décadence des mœurs publiques , le monde a encore fauve du débris des reftes d'honneur & de droiture ; que malgré les vices 6c les pafllons qui les dominent 5 pa- roiffent encore fous fes étendards des hommes fidèles à l'amitié , zélés pour la patrie , rigides amateurs de la vé- rité 5 efclaves religieux de leur parole, vengeurs de l'injuftice , proteâ:eurs de la foibîeffe ; en un mot, partifans du plaifir 5 & néanmoins fedateurs de la vertu.
Voilà les juftes du monde , ces hé- ros d'honneur & de probité qu'il fait tant valoir ; qu'il oppofe même tous les jours avec une efpece d'infulte ôc d'oftentation aux véritables Juflcs de l'Evangile. Il les dégrade pour élever fon idole ; il fe vante que l'honneur 6c la véritable probité ne réfide que chez lui : il nous laifle l'obfcurité , lespeti- teffes, les travers , ÔC tout le faux de la vertu ; ÔC s'en arroge à lui- même l'hé- roïfme Se la gloire. Mais qu'il feroit
j6i D I M. DE LA Passion.
aifé de venger l'honneur de Dieu con- tre le culte vain ôc pompeux que le monde rend à fon idole l il n'y auroit qu'à foufflsr fur cet édifice d orgueil 6c de vanité , à peine en retrouveriez- vous les foibles vefliges.
Ces hommes vertueux dont le mon- de fe fait tant d'honneur, n'ont au fond fouvent pour eux que Terreur publi- ques. Amib fidèles, je le veux; mais c'eft le goût , la vanité ou l'intérêt , qui les lie i ÔC dans leurs amis , ils n'aiment qu*eux mêmes : bons citoyens , il efl vrai ; mais la gloire 6c les honneurs qui nous reviennent en fervant la Patrie , font i*unique lien ÔC le feul devoir qui les attache : amateurs de la vérité, je l'avoue ; mais ce n'eft pas elle qu'ils cherchent , c'eft le crédit & la confian- ce qu'elle leur acquiert parmi les hom- mes : obfervateurs de leur parole, mais deû un orgueil qui trouveroit de la lâcheté ÔC de l'inconflance à fe dédire ^ ce n'eft pas une vertu qui fe fait une religion de Tes promefTes : vengeurs de l'injullice ; mais en la puniiTanc dans les autres , ils ne veulent que publier qu'ils n'en font pas capables eux-mê- mes : proteâ:eufs de la foibleffe ; mais ils veulent avoir des panégyrilles de
Sur la Gloire Humaine. i6^ leur générofité; ÔC les éloges des oppri- més font ce que leur offre de plus tou- chant leur oppreffion & leur mifere. En un mot, dit FEcriture , on les ap- pelle miféricordieux, ils ont toutes les vertus pour le public; mais n'étant pas fidèles à Dieu , ils n'en ont pas une feule pour eux- mêmes : Multi homines Pro-^* mlferîcordcs vocantiir ; virum autem *°* fidcUm quis invenlet ?
Mais quand la probité du monde ne feroit pas prefque toujours fauffe, il faudroit convenir du moins qu'elle n'eft jamais fûre. La Religion toute feule allure la vertu , parce que les motifs qu'elle nous fournit font par- tout les mêmes. La honte ÔC l'opprobre en feroient le prix devant les hommes ^ qu'elle n'en paroîtroit que plus belle & plus glorieufe à l'homme de bien : Ca vie même feroit en péril , qu'il ne vou- droit pas la racheter aux dépens de fa vertu : le fecret êc l'impunité ne font pas pour lui des attraits pour le vice ^ puifque Dieu eft le feul témoin qu'il craint, 6c le reproche de fa confcien- ce la feule peine qui l'afflige : la gloire même 6c les acclamations publiques le foiliciteroient à une entreprife am- bitieufe 6c injuile , qu'il préféréroit le
'154 I^iM. DE LA Passion. devoir 5c la règle qui le condamnent , aux applaudilTemens de l'univers qui l'approuve. Enfin changez tant qu'il vous plaira les fituations d'un véritable Jufte : le monde peut varier à Ton égard ; les fuffrages publics qui Télé- vent aujourd'hui , peuvent demain le dégrader & l'abattre ; fa fortune peut changer : mais fa vertu ne changera point avec fa fortune-
Il ne s'agit pas ici de nous alléguer des exemples où la piété la plus eftimée s*efl démentie plus d'une fois : outre que le monde efl plein de faux jufles , & que tous ceux qui en portent le nom aux yeux des homm.es , n'en ont pas le mérite devant Dieu ; ça été de tout temps l'injufticedu monde , d'attribuer à la vertu les foiblefTes de l'homme. Le Jufte peut tomber : mais la vertu feule peut le défendre , ou le relever de fes chûtes : elle feule marche fûre- ment , parce que les principes fur lef- quels elle s'appuye font toujours ks mêmes : les occafîons ne l'autorifent pas contre le devoir > parce que les oc- cafions ne changent jamais rien aux relies : la lumière 6c les regards pu- blics font pour elle comme ia folirude &. les ténebi'ts : en un mot ^ elk ne
Sur la Gloire Humaine. i6'^ compte les hommes pour rien , parce que Dieu feul qui la voit , doit être fon Juge.
Trouvez , fi vous îe pouvez , la mê- me fûreré dans les vertus humaines. Nées le plus fouvent dans l'orgueil ÔC dans l'amour de la gloire, elles y trou- vent un moment après leur tombeau : formées par les regards publics, elles vont s'éteindre le lendemain , comme ces feux paffagers , dans le fecret 5C dans les ténèbres : appuyées fur les cir- condances , fur les occafions , fur les jugemens des hommes , elles tombent fans cefTe avec ces appuis fragiles : les triftes fruits de l'amour propre , elles font toujours fous l'inconftancede fon empire : enfin le foibîe ouvrage de l'hotiime, elles ne font, comme lui, à l'épreuve de rien.
Qu'il s'offre à ce vertueux du fiecle une occafion fûre de décréditer un em- nemi , ou de fupplanter un concur- rent ; pourvu qu'il conferve la réputa- tion 6c la gloire de la modération , il fera peu touché d'en avoir le mérite : que fa vengeance n'intéreffe point fon honneur , elle ne fera plus indigne de fa vertu : placez le dans une fituation où il puiffe accorder fa pafîion avec
i66 D I M. DE LA Passion*
reflime publique , il ne s'embarralîera pas de l'accorder avec Ton devoir : en un mot , qu'il paffe toujours pour hon:i- me de bien , c'eft la même chofe pour lui que de l'être.
Tout Ifraël paroît applaudir d'abord à la révolte d'Abfalom : Achitophel , cet homme (i fage & fi vertueux dans l'eilime publique , 6c dont les confeils étoient regardés comme les confeils de Dieu, préfère pourtant le parti du cri- me 5 où il îTouve les fufFrages publics & Tefpérance de fon élévation, à celui de la juftice qui ne lui offre plus que le devoir.
Non , mes Frères , rien n'ell fur dans les vertus humaines, fî la vertu de Dieu ne les foutient ÔC ne les fixe. Soyez bienfdifant , jufle , généreux , fincere : vous pouvez être utile au public; mais vous devenez inutile à vous-même : vous faites des œuvres louables aux yeux des hommes; mais en ferez- vous jamais une véritable vertu ? Tout eft faux ôc vuide dans un cœur que D'eu ne remplit point , c'eft un Roi lui mê- me qui parle ; SCconnoitre votre jufti- ce 8c votre vertu, ô mon Dieu ! c'eft la feule racine qui porte des fruits d'im- mortalité^, ÔC la fource de la véritable
Sur la Gloire Humaine. i6y
^o\te:Vani autem funt omnes hqmi- ^^P* H> ncs in quitus non fubejl fcientia Dd, C'efl: donc en vain qu'on met la véri- table gloire dans l'honneur ÔC la pro- bité mondaine : on n'ell: grand que par le cœur ; ôC le cœur vuide de Dieu n'a plus que le faux ÔC les bairefles de l'homme.
M
Ais peut-être que les vertus civi ^^* les toutes feules font trop obfcures , ÔC que la diftin6bion ôc la Supériorité des grands talens nous donnera plus de droit à la gloire.
Hélas 1 Sire , que font les grands talens , que de grands vices , (î les ayant reçus de Dieu , nous ne les em- ployons que pour nous-mêmes ? que deviennent-ils entre nos mains ? fou- vent l'inftrument des malheurs pu- blics ; toujours la fource de notre con- damnation 6c de notre perte.
Qu'eft-ce qu'un Souverain né avec une valeur bouillante , ôc dont les éclairs brillent déjà de toutes parts dès fes plus jeunes ans , fi la, crainte de Dieu ne le conduit & ne le modère ? un aftre nouveau & malfaifant , qui n'annonce que des calamités à la terre. Plus il croîtra dans cette fcience fu-,
l6? DlM. DE LA PaSSTON.
nèfle , plus les miferes publiques croî- tront avec lui : Tes entreprifes les plus téméraires n'offriront qu'une foible digue à l'impétuofîté de fa courfe : il croira effacer par l'éclat de Tes vi£loires leur témérité ou leur injuflice : Tefpé- rance du fuccès fera le feul titre qui juilifîera l'équité de Tes armes : tout ce qui lui paroitra glorieux , deviendra légitime : il regarderais momens d'un repos fage ôc majeilueux, comme une oifiveté honteufe ÔC des momens qu'on dérobe à fa gloire : fes voifins devien- dront Tes ennemis , dès qu'ils pourront devenir fa conquête ; fes peuples eux- mêmes fourniront de leurs larmes ôC de leur fang la trifle matière de fes triomphes : il épuifera 5c renverfera fes propres Etats pour en conquérir de nouveaux ; il armera contre lui les peuples ôc les nations ; il troublera la paix de l'univers ; il Ce rendra célèbre en faifanc de millions de malheureux. Quel fléau pour le genre humain ! ôC s'il y a un peuple fur la terre capable de lui donner des éloges , il n'y a qu'à lui fouhaiter un tel me îcre.
Repaffez fur tous les grands talens qui rendent les hommes illuHres ; s'ils font donnés aux impies , c'eft toujours
pour
Sur la Gloire Humaine. j6^ pour le malheur de leur nation & de leur fiecle. Les vaftesconnoiiTances em- poifonnées par l'orgueil , ont enfanté ces chefs &^ces dodeurs célèbres de menronge,qui dans tous les âges ont le- vé l'étendard du fchifmeôc de l'erreur, 6c formé dans le fein même du Chriilia- nifme les Ce^es qui le déchirent.
Ces beaux efprits (i vantés , ÔC qui par des talens heureux ont rapproché leur fiecle du goût ôc de la politefle des anciens ; dès que leur cœur s'eft cor- rompu , ils n'ont laiffé au monde que des ouvrages lafcifs ÔC pernicieux , ou le poifon préparé par des mains habi- les, infeâe tous les jours les mœurs publiques , ôc où les fîecles qui nous fuivront . viendront encore puifer la licence 5c la corruption du nôtre.
Tournez- vous d'un autre côté.'com- ment ont paru fur la terre ces génies fupérieurs, mais ambitieux 8c inquiets, nés pour faire mouvoir les reflbns des Etats ÔC des Empires , ÔC ébranler l'u- nivers entier ? Les peuples & les Rois font devenus le jouet de leur ambition ÔC de leurs intrigues : les dilTenfions civiles ÔC les malheurs domeftiques ont été les théâtres lugubres y où ont^brilié leurs grands talens. Petit Carême. H
170 DîM, DE LA Pass lO ^?.
Ua feiîl hoTiine obfcur avec ces avantages éminens di la nature, mais fgns confcience ôc fans probité , a pu s'élever les fiecles pafîés fur les débris de fa patrie, changer la face entière d'une nation voifme 5c belliqueufe , fî jaloufe de fes loix ÔC de fa liberté ; fe faire rendre des honin:iages que fes ci- toyens difputent même à leurs Rois ; renverfer le Trône, 6c donnera l'uni- vers le fpeè^acle d'un Souverain , dont la couronne ne put mettre la tête fa- crée à couvert de l'Arrêt inoui qui le condamna à la perdre. / Efprits vaftes , mais inquiets & tur- bulens ; capables de tout foutenir hors le repos ; qui tournent fans celle au- tour du pivot même qui les fixe ÔC qui les attache; &. qui femblabîes à Sam- fon , fans être animés de fon efprit , aimentencore mieux ébranler l'édifice ôcêtre écrafé fous fes ruines , que de ne pas s'agiter 8c fiire ufage de leurs talens 6c de leur force. Malheur au fie- cle qui produit de ces hommes rares ÔC merveilleux ! chaque nation a eu là- deiTus fes leçons 5c fes exemples do- meftiques.
Mais enfin , (î ce n*efl pas un mal- keur pour leur fiecle , c'eft du moins
Sur la Gloire Humaine, 171 un malheur pour eux-mêmes : fembla- bles à un navire fans gouvernail, que des vents favorables pouiTent à plei-i nés voiles ; plus notre courfe efl rapi- de , plus le naufrage efl: inévitable. Rien n'efl fi dangereux pour foi , que les grands talens , dont la Foi ne règle p:is l'ufage. Les vaines louanges qu'at- tirent ces qualités brillantes , corrom- pent le cœur j ôc plus on étoit né avec de grandes qualités , plus la corrup- tion efl profonde 5c défefpérée. Dieu abandonne l'orgueîl à lui-même : ces hommes fi vantés expient fouvent dans la honte d'une chute éclatante l'injuf- tice des âpplaudifiemens publics ; leurs vices déshonorent leurs talens. Ces vafles génies, nés pour foutenir l'Etat, ne foit plus , dit Job , que de foibles rofeaux , qui ne peuvent fe foutenir eux • mêmes. On a vu plus d'une fois les pierres mêmes les plus brillantes du fan^tuaire s'avilir , éc fe traîner in- dignement dans la boue ; 8<: les plus grands talens font fouvent livrés aux plu? grandes foibleffes : Qai ducit fa- . , , ^ ccrdotes inglorlos ^ & opîimates fup- ig^ '^'' plantât.
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172. DîM. DE LA Passion.
Ijl L- /E s fuccès écîatans , 5c les grands Partie, cvénemens ^^^^î ics fuivent , ne méri- tent pas plus de louanges dans les en- nemis de Dieu , 6c ne leur donnent pas plus de droit à la gloire , que leurs talens.
Je fais que le monde y attache de la gloire; ôc que d'ordinaire chez- lui , ce ne font pas les vertus, mais les fuccès, qui font les grands hommes. Les Pro- vinces conquifes, les batailles gagnée?, les négociations difficiles terminées , le Trône chancelant affermi ; voilà ce que publient les titres 6c les infcrip- tions', & à quoi le monde confacre des éloges & des monumens publics , pour en immortalifer la mémoire.
Je ne veux pas qu'on abatte ces marques de la reconnoiflance publi- que : tout ce qui efl utile aux hommes, eft digne , en un fens , de la recon- noilTance des hommes. Comme l'ému- lation donne les fujets illuftres aux Empires , il faut que les récompenfes excitent l'émulation , & que les fuc- cès voient toujours marcheraprès eux les récompenfes.,
Le gouvernement politique ne fon- de pas les cœurs ; il ne pefe que les
Sur la Gloire Humaine. 17^ aérions. H eli même en ce genre des erreurs nécelîaires à Tordre public : tout ce qui i'embellit , doit être gîc- rieux ; & les mœurs ou les motifs qui ne déshonorent que la perfonne , ne doivent pas tenir des fuccès qui ont honoré la patrie.
Mais,s'il eft permis au monde d'exal- ter la gloiîe de Tes héros, il n'eft pas défendu à la vérité de ne pas parler comme le monde : hélas ! il en eft fi peu qu'il ne dégrade lui même. Ceux que la diftance desternps 5c des lieux éloigne de Tes regards , font les feuls à couvert de fes traits : ceux qui vi- vent fous fes yeux , n'échappent guè- re à fa cenfure; 8c il celTe de les ad- mirer 5 dès qu'il a le loifir de les con- noître : ôc en cela ne Faccufons point de malignité Se d'injuflice ; il faut l'en croire , puifqu'il parle contre lui- même.
Et en effet , percez jufques dans les motifs des actions les plus éclatantes & des plus grands événemens : tout en eft brillant au dehors, vous voyez le héros : entrez plus avant , cherchez l'homme lui-même : c'eft là que vous ne trouverez plus , dit le Sage , que Sap. 15, de la cendre ôc de la boue : Cinis ejl iq.
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174 C)IM. DE LA PaSSIONT, cnimcor ejus i & terra fupcrvacua^fpcs illius.
L'ambition , la jaloufie, la témérité, le hafard , la crainte fcuvent ÔC le dé- fefpoir ont donné les plus grands fpec- tacles ôc les événemens les pliis bril- lans à la terre. David ne devoit peiu- être les viâ:oires & la fidélité de Joab , qu'à fa jaloufie contre Abner. Ce font fcuvent les plus vils reilbrts , qui nous font marcher vers la gloire ; ÔC pref- que toujours les voies qui nous y ont conduits , nous en dégradent elles» mêmes.
Auflî, écoutez ceux qui ont appro- ché autrefois de ces hommes que la gloire des fuccès avoir rendu céle- .bres : fouvent i^s ne leur trouvoient de grand que le nom ; Ihom.me défa- vouoit le héros: leur réputation rou- glifoit de la bafTefle de leurs mœurs 6c de leurs penchans : la familiarité tra- hilToit la gloire de leurs fuccès : il falloii rappellerl'époque de leurs gran- des avions pour fe perfuader que c'é- toit eux qui les avoient faites. Ainfi ces décorations fi magnifiques, qui nouscblouiirent,^ quiembelllifent nos hiîloires , cachent fouvent les perfon- nages les plus vris 6c les plus vulgaires.
Sur la Gloire Humaine. 17$ Non , Sire , il n'y a de grand dans les hommes que ce qui vient de Dieu. La droiture du cœur , la vérité , l'in- nocence 6c la règle des mœurs , l'em- pire Cuv les pafTions , vciià la véritable grandeur, Bc la feule gloire réelle que perfonne ne peut nous difputer : tout ce que les homm.es ne trouvent que dans eux mêmes , eft fali, pour ainiï dire j par la même bouc dont ils font formés. Le fige tout feul dit ul grand Roi , eft en polT^ilion de ia vériiable gloire ; celle du pécheur n'efl: qu'un opprobre 5c une ignominie: Gioricm Prov,^» fapientcs pojjïdebunî j Jïulîorum exalta- 35» tio îgnominia»
La Pveligion , la piété envers Dieu, la fidélité à tous les devoirs qu'il nous impofe à l'égard des autres & de nous- mêmes , une confcience pure & à l'é- preuve de tout ; un cœur qui m.arche droit dans ia jufiice & dans la vérité ; fupérieur à tous les obiiacles qui pour* rolent l'arrêter ; infenfible à tous les attraits rolTembiés autour de lui pour le corrompre , élevé au deiîus de tout ce qui fe palTe , 5c fournis à Dieu feul; voilà la véritable gloire , ôc la baze de tout ce qui fait les grands hommes. Si vous frappez ce fondement, tout l'édi-
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1^6 D I M. DE LA Passion. fîce s'écroule ; toutes les vertus tom- bent ; & il ne r^fte plus rien parce- qu'il ne refle que nous-nnêmcs.
SiRE , votre règne feroit plein de merveilles ; vous porteriez la gloire de votre nom jufqu'aux extrêmitez de la terre; vos jours ne feroient mar- quez que par vos triomphes ; vous ajouteriez de nouvelles couronnes à celles des Rois vos ancêtres , ]*uni- vers entier retentiroit de vos louan- ges : fi Dieu n'éroit point avec vous ; il l'orgueil plutôt que la juilice & la piété étoit l'ame de vos entrcprifes vous ne feriez point un grand Roi vos profpérités feroient des crimes vos triomphes , des malheurs publics vous feriez l'efFroi &. la terreur de vos voifins ; mais vous ne feriez pas le père de votre peuple : vos pafTions feroient vos feules vertus : & malgré les éloges que l'adularion , la compa- gne imim.ortelle des Rois , vous auroit donnez ; aux yeux de Dieu y ôc peut- être même de la poflérité , elles ne paroîtroient plus que de véritables vices.
Ce n'efl donc pas cette gloire hu- maine j grand Dieu ! que nous vous demandons pour cet Enfant auguile :
Sur la Gloire Humaine. 177 elle paroît déjà peinte fur la majefté de fon front ; elle coule même dans fes veines avec le fang des Rois fes ancêtres ; 5c vous l'avez fait naître grand aux yeux des hommes , dès que vous l'avez fait naître du fang des Hé* ros : c'eft la gloire qui vient de vous» Rehauffez les dons de la nature, dont vous l'avez annobli par l'éclat imm.or- tel de la piété. Ajoutez à tontes les qualitez aimables qui le rendent déjà les délices de fon peuple , toutes cel- les qui peuvent le rendre agréable k vos yeux. LailTez à fa naiffance ôc à la valeur de la nation le foin de cette gloire qui vient du monde ; nous ne vous demandons , grand Dieu ! que de veiller au foin de fa confervation 5c de fon falut. L'hifloire de fes ancê- îres eft un titre qui no^is répond de l'éclat ôC des propérités de fon règne ;: mais vous feul pouvez répondre de î'innocence ôc. de la fainteté de fa vie;^ La gloire du monde efl comme i'héri- sage qu'il a reçu de fes pères félon la chair ; mais vous , grand Dieu ! qui- ètes fon père félon la foi , donnez^lul là fagelTe qui eft la gloire & Fliérirag^ de vos en fan s.
Que foa cœut fok toujours emm
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17» 1^1 M. DE LA Passion. '
vos mains , & fon cœur fera encore plus grand que Tes fuccès & fes triom- phes : qu'il vous craigne, grand Dieu! fes ennemis le craindront ; fes peuples l'aimeront ; il deviendra à l'univers un fpedacle digne de l'admiration de tous les fiecles , ôc comme nous n'au- rons plus rien à craindre pour fa gloi- re*, nous n'aurons plus rien aufîî à fou- haiterpournotre bonheur. AinJifoitiL
179
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SERMON
POUR LE DIMANCHE DES RAMEAUX.
Sur les écueils Ac la piété des Grands.
Ecce R€X tuus venit tibi manfuetiis.
Voici votre Roi qui vient à mous , plein de douceur. Matth. 21.5.
O I RE ,
PAa-tout ailleurs Jefus-Chrift fem- ble n'exercer qu'avec une forte de ménagement , les foné^ions éclatan- tes de Ton nniniftere. Il Ce dérobe aux emprefTémens d'un peuple qui veut rélever fur le Trône ; il choifit le fommetfolitaire d'une montagne écar- tée pour manifefter fa gloire à trois Difciples ; les dénions eux mêmes qui veulent la publier, font forcés par fes ordres de la cacher 6c de la taire,
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%^.o DîM. DÈS Rameaux.
Aujourd'hui il paroît en Roi , Sc comme un Roi qui vient prendre pof- feflîon de fon Empire : il foulFre des hommages publics ; il difpofe en maî- tre de l'appareil innocent de fon triom- ^îath. ph^ • ^i^i^^ 9 <2"^'^ Dominus his opus |aE»4.> habet. Il entre dans le Temple ; bi pat deschâtimens éclatans il rend à ce lieu facré la majefté que Findécence d'un trafic honteux lui avoit ôtée. Ce n'efl plus cet homme qui fe dérobe aux re- gards publics; c'eft le fils de David qui (danne des loix, qui exerce un autorité iiiprême , ÔC qui veut avoir tout Jéru- falem pour témoin de fon zèle 6c de fa puiffance.
Il eft donc ici le modèle de la piété àcs Grandf. Les vertus privées ne leur fuSiient pas ; il leur faut encore les vertus publiques : ce iêroit peu de les avoir iufques ici exhortés à la piété j feilentiei eft de leur montrer qu'elle €ft la piété de leurétat.Quoique TEvaa- giîe propofe à tous la même doÔrine ^ Mine propofe pas à tous les mêmes ré- gies : les devoirs changent avec Tétat t iplus il eft élevé ^ plus ils fe multiplient; plus nos places nous rendent redeva- bles au public 5 plus elles exigent dès î^tm PubliquÊS ; 6c, nouâ devenQiis
ECUEILS DE LA PlETE'jgCC. l^î
mauvais, fi nous ne fommes bons que pour nous-mêmes.
Or la piété des Grands a trois écueils à craindre , qui peuvent changer ea wes toutes leurs vertus.
Premièrement, une piété oifive & renfermée en elle-même, quiieséloi^ gne des foins & des devoirs publics.
Secondement , une piété foible y. timide, fcrupuleufe , qui jette l'indé- cifion dans leurs entreprifes & dans toute leur conduite.
Enfin , une piété crédule 6c bornéej. facile à recevoir l'imprefllon du préju- gé , incapable de revenir quand une fois elle l'a reçue.
C'eft- à- dire , qu'il faut à la piété des Grands la vigilance publique , qui fait agir ; le courage Se l'élévation , qui font décider & entreprendre ; enfin , ou les lumières qui empêchent ; d'être furpris , ou une noble docilité qui fe fait une gloire de revenir j dès qu'elle a fenti qu'on Ta furprife,^
L
SIRE^
A piété véritable efi: Tordre de là e ibciétéo-Elle laifle chacun à fa place;fait Partis^ sb l'état où Dieu: nous a placé j^ rimi-
lîi DiM. DES Rameaux* que voie de notre falut ; ne met pas une perfeâ:ion chimérique dans des œuvres que Dieu ne demande pas de nous ; ne fort pas de l'ordre de fes de- voirs pour s*en faire d'étrangers ; 6c regarde comme des vices, les vertus qui ne font pas de notre état.
Tout ce qui trouble l'harmonie pu- blique eft un excès de ThommCjôC non un zèle & une perfection de la vertu: la Religion défavoue les œuvres les plus faintes qu'on fubftitue aux de- voirs ; &. l'on n*eft rien devant Dieu , quand on n'eft pas ce que Ton doit être.
Il y a donc une piété, pour ainfidire, propre à chaque état. L'homme public n'eft point vertueux s'il n'a que les ver- tus de Ihomme privé; le Prince s'égare 6c fe perd par la même voie qui auroil fauve le fujet ; 6c le Souverain en lui peut devenir très criminel , tandis que rhomme eft irréprochable.
Auiîî k premier écueil de la piété des Grands eft de les retirer des foins publics 5c de les renfermer en eux- mêmes. Comme l'indolence &c IVmour du lepos eft le vice ordinaire des Grands , il devient errore plus dange- reux & plus incorngible , quand ils le couvient du prétexte de la vertu. La
ECUEILS DE LA PIETE% 5CC. 1S3 gloire peut réveiller quelquefois dans les Grands rafToupiffement de la paref- fe ; mais celui qui a pour principe une
S>iété mal-entendue,eften garde contre a gloire même,ÔC ne laiflfe plus de ref- fource. Un refte d'honneur 5c de ref- pe£t pour le public 2>C pour la place qu'on occupe, rompt fou vent les char- mes d'une oifiveté honteufe , 6c rend aux peuples le Souverain qui fe doit à eux ; mais quand ce repos indigne eft occupé par des exercices pieux , il de- vient à Tes yeux honorable : on peut rougir d'un vice ; mais on Ce fait hon- neur de ce qu'on croit une vertu.
Mais, Si RE 5 un Grand , un Prince n'eft pas né pour lui feul ; il fe doit à fes fujets : les peuples en l'élevant , lui ont confié la puifTance Sc l'autorité, ÔC fe font réfervés en échange Ces foins , fon temps,fa vigilance. Ce n'eft pas une idole qu'ils ont voulu Ce faire pour l'a. dorer; c'eft un furveillant qu'ils ont mis à leur tête pour les protéger ôc pour les défendre : ce n'eft pas de ces divinités inutiles qui ont des yeux & ne voient point, une langue & ne parlent point, des mains & n'agiifent point', ce font de ces Dieux qui les pré- cèdent, comme parle rEcriture, pour
1^4 I^iM. DES Rameaux; les conduire & les défendre : ce font les peuples qui , par Tordre de Dieu , les ont faits tout ce qu'ils font j c'eft à eux à n'être ce qu'ils font que pour les peuples. Oui, Sire , c'eft le choix de îa nation qui mit d'abord le fceptre entre les mains de vos ancêtres : c'eft elle qui les éleva fur le bouclier milir taire ôf les proclama Souverains. Le Royaume devint enfuite l'héritage de leurs fucceffeurs ; mais ils le durent originairement au confentement libre des fujets r leur naiiTance feule les mit enfuite en polTefTion du Trône ; mais ce furent les fuffrages publics qui atta- chèrent d'abord ce droit & cette pré- rogative à leur naiifance : en un mot , comme la première fource de leur au- torité vient de nous, les Rois n'en doi^ vent faire ufage que pour nous. Les Hatteurs , Sire, vous rediront fans ceffe , que vous êtes le maître 6c que vous n'êtes comptableàperfonne de vos a£bions : il eft vrai que perfonne n'ell en droit de vous en demander comp- te ; mais vous vous le devez à vous- même , ô( (î je Tofe dire , vous It dever à la France qui vous attend , & à toute FEurope qui vous regarde : vous êtes k lîiaitre de vos fujets 3. mais vous n'en^
ECUEILS DE LA PlEXé , 8CC. 185
aurez que le titre , fi vous n'en avez pas ies vertus : tout vous eft permis : mais cette licence eft l'écueil de l'auto- rité , loin d'en être le privilège : vous pouvez négliger les foins de la Royauté^ mais comme ces Rois fainéans û désho- norés dans nos Hiftoires , vous n'aurez plus qu'un vain nom de Roi , dès que vous n'en remplirez pas les fcknâiions auguftes.
Quel feroit donc ce phantôme de piété qui feroit une vertu aux Grands & au Souverain de craindre 5c d'évi- ter la diiTipation des foins publics; de ne vacquer qu'à des pratiques religieu- fes , comme des hommes privés ÔC qui n'ont à répondre que d'eux-mê- mes ; de fe renfermer au milieu d'un petit nombre de confidens de leurs pieufes illufions , 8c de fuir prefque la vue du refte de la terre ? Sire , un Prince établi pour gouverner les hom- mes , doit connoître les hommes : le choix des fujets eft la première fource du bonheur public; 6c pour les choifîr, il faut les connoître. Nul n'eft à fa pla- ce dans un Etat où le Prince ne juge pas par lui- même : le mérite eft négli- gé , parce qu'il eft , ou trop modefte pour s'emprelFer, ou trop noble pour
1Î6 DiM. DES Rameaux.
devoir Ton élévation à des foliicita- tions ÔC à des baiTeffes : l'intrigue fup- plante les plus grands talens ;[de5 hom- mes fouples 5c bornés s'élèvent aux premières places, 6c les meilleurs fu- jers demeurent inutiles. Souvent un David feul capable de fauver l'Etat , n'employé fa valeur dans l'oi/iveté des champs , que contre des animauK (au- vages ; tandis que des Chefs timides , effrayés de la feule préfence de Goliath, font à la tête des armées du Seigneur. Souvent un Mardochée , dont la fidé- lité eil même écrite dans les monu- mens publics , qui par fa vigilance , a découvert autrefois des complots fu- neftes au Souveraine à l'empire, feul en état par fa probité 5c par fon expé- rience de donner de bons confeils ôc d'être appelle aux premières places , rampe à la porte du Palais ; tandis qu'un orgueilleux Amian ei\ à la rêre de tour, &abufede fon autorité 5c de la con- fiance du maître.
Ainfi les fon£lions effentielles aux Grands ne font pas la prière ^ la re- traite. Elles doivent les préparer aux foins publics , 5c non les en détourner; ils doivent Ce fan^lifier en contribuant au fcdut §c à la félicité de leurs peu»
ECUEîLS DE LA PlETÉ , &C. 1
pies ; les grâces de leur état font des grâces de travail , de foins , de vigilan- ce : quiconque leur promet , dit l'E- vangile , qu'ils trouveront Jefus- Chrifl dans le défert , ou dans le fecret de leur Palais , efl un faux Prophète : Ecce Mouh* in defcrto , eccc in penctralibiis ynolitc H* ^^' credere. Ils y feront feuis 6c livrés à eux- mêmes. Dieu n'eft point avec nous dans les fituations qu'il ne demande ' pas de nous ; & le calme où nous nous croyons le plus en fureté, fila main du Seigneur ne nous y conduit ôc ne nous y foutient , devient lui-même le gouf- fre qui nous voit périr fans reiTource. Une piété oifive &. retirée ne fan£^ifie pas le Souverain , elle l'avilit ôc le dé- grade.
Et quoi ! Sire : tandis que celui que fon rang ÔC fa nailfance établiiTent dé- poiîtaire de l'autorité publique, ferea- fermeroit dans l'enceinte d'un petit nombre de devoirs pieux 8c fecrets; les foins publics feroieni abandonnés ; les affaires demeureroient ; les fubalternes abuferoient de leur autorité ; les loix céderoient la place à l'injuilice ÔC à la violence ; les peuples feroient comme des brebis fans pafteur ; tout l'Etat dans la confufion 5c dans le défordre l
i88 DiM. DES Rameaux.
& Dieu , auteur de l'ordre public, regarderoit avec des yeux de complai- fance une piéié oifive qui le renver- fe ? K les peuples , expoiés à la merci des flots 5 n'auroient pas droit de dire à ce pilote endormi ÔC infidtle , avec plus de raifon que les difciples fur la mer ne le difoient à Jefus Chrift : Seigneur , il vous eft donc indifférent que nous périfTions ; ÔC notre perte ou notre falut, n'eft plus une affaire qui Mare. 4. vous intéreffe ? Magijîer , non ad te 3^* pertinet , quia perimus ? La Religion autoriferoit donc des abus que la rai- fon elle même condamne.
Mais la Religion elle-même n'efl- elle pas nécelFairement liée à l'ordre public ? elle tombe ou s'affoiblit avec lui. Les mœurs fouffrent toujours de la foibîefle des loix : la confunon du gouvernement ell aufTi funefle à la piété des peiïples qu'au bonheur des Empires : le bon ordre de la fociéré eft la première bafe des vertus chrétien- nes ; l'obfervance des Ipï'x. de l'Etat doit préparer les voies ^ celle de l'E- vangile. L'Egîife ne doit compter fur rien dans un Empire où Je gouverne- ment n'a rien de fixe. Auflî les Etats où la multitude gouverne , ôc ceux ou
ECUEILS DE LA PIETÉ, 8CC. îSp
elle partage la puiiîance avec le Sou- verain , fans cefle expofés à des révo- lutions j fe départent aufil facilement des loix que du culte de leurs pères; les foulévemens y font aufîi impunis que les erreurs ; 6c c'efl là où l'héréfie a toujours trouvé fon premier afyle ; elle fe fortifie au milieu de la confu- iioa des loix 6c de la foibleffe de l'au- torité : elle doit toujours fa naiflance ou fon progrés aux troubles & aux dif- feafions publiques : les ragnes les plus foibles ôc les plus agités onr toujours éiè parmi nous , comme par-toiit ail- leurs , les règnes funeftes de (on ac- croifTement ôc de fa puilfance; ôc dès que l'harmonie civile fe dément, tou- te la Religion elle même chancelle.
AufTi les plus faints Rois de Juda , Sire , mêloient les devoirs de la piété avec ceux de la Royauté. Le pieux Jofaphat au fortir du Temple , où il venoit tous les jours offrir fes vœux: Se fes facrifices au Dieu de fes pères , envoyoit , dit l'Ecriture , dans toutes les villes de Juda des hommes habiles ôc des Prêtres éclairés , pour rétablir l'autorité des loix 5c la pureté du culte que les malheurs des règnes précédens avoient fort altérées.
îpo DîM. DES Rameaux.
David lui-même , malgré ces pieux cantiques qui faifoient Ton occupation 6c Tes plus chères délices , ÔC qui inf- truiront jufqu'à la fin les peuples ÔC les Rois 5 paroi (Toit fans celle à la tête de fes armées 5cdes affaires publiques; fes yeux étoient ouverts fous tous les befoins de l'Etat ; Sc ne pouvant fuf- fire feul à tout , il alloit chercher juf^ qu'aux extrémités de la Judée des hommes fidèles pour les faire alTeoir à fes côtés ôc partager avec eux les Pf. 100. foins qui environnent le Trône : Oculi meicid fidèles terrœ^ utfcdcantmccum. Les plus pieuk Kob vos prédécef- feurs , ont toujours été les plus appli- qués à leurs peuples. Celui fur- tout que l*Eglife honore d'un culte public, defcendoit même dans le détail des différends de fes fujets ; 5c comme il en étoit le père , il ne dédaignoit pas d'en être l'arbitre. Jaloux des droits de fa Couronne , il vouloir la tranf- mettre à fes fuccelTeurs avec le même éclat 8c les mêmes prérogatives, qu'il l'avoir reçue de fes pères : il croyoit que l'innoceace de la vie feule ne fuf- fit pas au Souverain ; qu'il doit vivre en Roi , pour vivre en Saint ,• 6c qu'il «e fauroit être l'homme de Dieu , s*il
ECUEÎLS DE LA PIETÉ , êCC 19! n*eft pas l'homme de Tes peuples.
Il eft: vrai 5 Sire , que la piété dans les Grands va quelquefois dans un autre excès. Eiie les jette dans une multitude de foias & de détails inuti- les ; ils Ce croient obligé de tout voir de leurs yeux , & de tout toucher de leurs mains : les plus grandes affaires les trouvent fouvent infenfibîes , tan- dis que les plus petits objets réveillent leur attention ôc leur zeie : ils ont les foilicitudes de l'homme privé; ils n'ont pas celles de l'homme public : ils peu- vent avoir la piété du fujet; ils n'ont pas celle du Prince. Ce n'eftpas à eux cependant à abandonner le gouvernail pour vaquer à des fondions obfcures , quin'inrérefTentpas la fureté publique ; leurs mains font premièrement defti- nées à manier ces relTorts principaux des Etats, qui font mouvoir toute la machine ; & tout doit être grand dans la piété des Grands.
Mil. Ais fi l'ina^f^ion en eft le premier parties écueil , l'incertitude 8c Tindécifion , que traîne d'ordinaire après foi une confcience timide 5c fcrupuleufe, ne paroîlTent pas moins à craindre. Ce n'eil pas que je prétende autori-,
Î92. DiM. DES Rameaux. fer ici cette fagelle profane , qui fait toujours marcher les intérêts de l'Etat avant ceux de l'Evangile ; ni cette er- reur commune , qui ne croit pas l'exac- titude des règles de l'Evangile compa- tible avec les maximes du Gouverne- ment ÔC les intérêts de l'Etat.
Dieu , qui eft auteur des Empires , ne l'eft il pas des loix qui les gouver- nent 1 A-t-il établi des PuilTances qui ne puiffent fe Soutenir que par le cri- me 1 & les Rois feroient-ils Ton ouvra- ge , sMs ne pouvoient régner , fans que la fraude 5c l'injuftice fuHent les com- pagnes inféparables de leur règne ? N'efl: ce pas la jullice ôc le jugement, qui foutiennent les Trônes ? la loi de Dieu ne doir-elle pas être écrite fur le front du Souverain , comme la pre- mière loi de l'Empire ? Et s'il falloit toujours la violer , pour maintenir la tranquilité des focietés humaines , ou la loi de Dieu feroit faulTe, ou les focietés humaines ne feroient pas l'ou-' vrage de Dieu.
Quelle erreur , mes Frères, de (e perfuader que ceux qui font en place,, ne doivent pas regarder de fi près à la rigidité des règles faintes ! que les Empires 5c les Monarchies ne fe mè- nent
ECUEILS DE LA ^lET^ , 8CC. T95
nent point par des maximef; de Reli- gion -, que la loi de Dieu eft îa règle du particulier, mais que ies Etats ont une règle fupérieure à la loi de Dieu même ; que tout tomberoit dans îa lan- gueur ÔC dans l'inaction , (î les maxi- mes du Chriftianifme conduifoientles aiFaires publiques , 6c qu'il n'eft pas pofTible d'être en même- temps, 8C l'homme de l'Etat 6c l'homme de Dieu!
Quoi ! mes Frères , la juftice , la vérité , la bonne foi feroient funeiles au gouvernement des Etats & des Empires ? la Religion , qui fait tout le bonheur ÔC toute la fureté des peuples & des Rois, en deviendroitelle même recueil ? un bras de chair foutiendroit plus fûrement ies Royaumes , que la main de Dieu qui les a élevés ? les peuples ne pourroient devoir l'abon- dance ôc la tranquillité qu'à la fraude ôC à la mau'/aife foi de ceux qui les gouvernent ? 6c les Miniftres des Rois ne pourroient acheter que par la perte de leur falut , le falut de la patrie ? Quel outrage pour la Religion 6c pour tant de bons Rois , qui n'ont régné heareufement que par elle /
J^avoue, SiaE , que iorfque ieSouJ verain eft ambitieux , 6c médite des
Petit Carêmç. l
194 DîM. DES Rameaux. entreprifes injuftes , l'artifice Sc îâ lîiauvaife foi , deviennent comme iné- vitables à Tes Miniflres , ou pour ca-; cher Tes mauvais delFeins, ou pour co- lorer Tes injuftices. Mnis que le Prince foit jufte 5c craignant Dieu, la juftice & la vérité fumront alors pour foute- fiir un Trône qu'elles-mêmes ont éle- vé : l'habileté de fes Minières ne fera plu? que dans leur équité 5c dans leur droiture : on ne donnera plus à ia fraude & à la difîîmulation les noms pompeux d'art de régner , 5c de fcien- ce des affaires. En un mot , donnez- nioi des Davids , Si des Pharaons amis du peuple de Dieu ; Se ils pourront avoir des Nathans 5c des Joiephs pour leurs MiniUres. S.Aug, C'efl donc déshonorer la Religion 5 de av. (jit faint Auguftin , de croire qu'elle ' ne doit pas être confîjltée dans le gou- vernement des Républiques 6c des Empires. Mais c'eft lui faire un égal outrage de prendre dans une piéré mal- entendue des motifs d'indécifion 6c d'incertitude ,^ qui entrevoient par- tout les apparences du mal , & qui op- pofent fans cefle un phantôme de Re-; ligion aux entreprifes les plus juftes 5 & aux maximes les plus capitales.
EcuEiLS DE LA Pieté, Sec. 19$ C'eft à la fageffe humaine 6c cor- rompue à être incertaine 8c timide : toujours enveloppée fous des faufles apparences, elle doit toujours crain- dre qu'un coup d'oeil plus heureux ne la perce enfin ÔC ne la démafque. Mais la fagelTe qui vient du ciel , nous rend plus décidés ôC plus tranquilles : on marche avec bien plus de fécurité, quand on ne veut marcher que dans la lumière : l'homme" vertueux tout feul a droit d'aller la tête levée, 5c de défier la prudence timide 6c incertaine de l'homme trompeur : une fainte fierté fied bien à la vérité.
AufTi , c'ell fe faire une faufle idée de iâ piété, de fe la figurer toujours timide , foible , indécife , Tcrupuleufe, bornée , fe faifant un crime de Tes de- voirs , 6c une vertu de fcs foibleiTes ; obligée d'agir, 8c n'oTant entrepren- dre; toujours fufpendue entre les in- térêts publics 5c Tes pieu Tes frayeurs ; & ne faifant ufage de la Religion , que pour mettre le trouble & la confusion, où elle auroit dû mettre l'ordre & la règle. Ce font-là les défauts que les hommes mêlent fou vent à la piété ; mais ce ne font pas ceux de la piété même : c'ell le caractère d'un efprit
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îc)6 DiM. DES Rameaux.
foibie 5C borné ; mais ce n'efî pas une fuite de l'élévation ôc de la fagclTe de la Religion : en un mot , c'eft l'excès de la vertu ; mais la vertu finit tou- jours où l'excès commence.
Non , Sire ^ la piété véritable élevé l^efprit , annoblit le cœur , affermit le courage. On efl né pour de grandes chofes 5 quand on a la force de Ce vaincre foi- même : l'homme de bien efl capable de tout , dès qu'il a pu fe mettre par la Foi au deïTus de tout : c'efl le hafard qui fait les Héros ; c'eft une valeur de tous les jours qui fait le Jufle : les paiïîons peuvent nous placer bien haut ; mais il n'y a que la vertu qui nous élevé au - defTus de nous- mêmes.
Quel règne , Sire , plus glorieux en • Ifrsël que celui de Sa!omon,tandis qu'il demeura fidèle à la loi de (es pe^s ? quel gouvernement plus fage 6c plus abfoiu ? tous les rsfinemens de poli- tique ont ils jamais pouffé (i loin l'art de régner ÔC de conduire les peuples ? Quelle gloire ôC quelle magnificence environnoit fon Trône ? la piété en avililfoit elle la majellé ? Quel Prince vit jamais (es fujets plus foumis ; fes voifins s'ellimer plus heureux de fon
ECUEILS DE LA PIETÉ , 8CC. 197
alliance ; ÔC des Souverains à la tête des Empires plus vaiies hi pluspuiiTans que le iien , avoir pour fa perfonne des égards 6c des déférences qu'ils ne dévoient pas à fa Couronne ? Les Sages ÔQS autres nations ne fe regardoient- ils pas comme des infenfés devant lui ? ne venoit-on pas des contrées les plus éloignées admirer Tordre ÔC l'harmonie qui lui faifoit gouverner tous fes fujets comme un feul homme ? N'eft-ce pas dans les préceptes divins qu'il nous a laiflss 5 que les Princes apprennent en- core tous les jours à régner ? 5c la piété feroit elle recueil du gouvernement , puifque c'efl elle feule qui lui valut la fageiTe ?
Heureux, s'il ne fut pas forti de fes premières voies , & (1 les égaremens de fa vieillefTe n'euffent pas flétri la gloire de fon règne , êc altéré le bon- heur de fes fujets ? Ils ne commencè- rent à éprouver des charges exceflives, & ne celTererit d'être heureux, que lorf- qu'il cefla lui-même d'être fidèle à Dieu •, &: que corrompu parles femmes étrangères , il ne mit plus de bornes à {es profufions 5c à TopprefTion de {e$ peuples 5 6c prépara à fon fiis le foule- vement qui fépara dix Tribus du
lii;
198 DiM. DÈS Rameaux. Royaume de David & leur donna un nouveau Maître.
Hélas ! les iiommes pour excufer leurs vices cherchent à décrier la ver« tu : comme elle efl incommode aux pafTions , ils voudroient fe perfuader qu'elle eft funefte à la conduite des Etats 6c des Empires, 5c lui oppofer l'intérêt public , pour fe cacher à foi- même l'intérêt perfonnel qui feul en nous s'oppofe à elle. La crainte du Sei- gneur eft la feule fource de la vérita- ble fagefle ; & ce qui met l'ordre dans l'homme , peut feul le mettre dans les Etats. in. Tî «^^^^^^'.X-!; Nfin 5 rindécifion 5c l'incertitude fconduifent fouvent au préjugé Se à la furprife , & c'eft le dernier écneil de la piété des Grands.
Oui , mes Frères , la piété a fcs er- reurs comme le vice. Plus on aime la vérité , plus tout ce qui fe couvre de fes apparences peut nous fédnire : la vertu fimple 8c ilncere . juge des autres par elle-même : c'eft prefque toujours notre propre obliquité , qui nous inf- truit à la défiance ; on eft m.oins en gar- de contre la fraude & rartifice, quand on n'a jamais fait ufage que de la droi-
ECUEILS DE LA PlEXé , &C. I99
tiire ÔC de la fimplicité ; & les Juftes font plus expofez à être furprls, parce- qu*ils ignorent eux-mêmes l'art de fur- prendre.
Mais c'efl dans les Grands fur- tout, Sire , que la pleié doit craindre les pré- jugés 6c la furprife. Outre que les fuites en font plus dangereu Tes, c'eftque nés, difoit autrefois AiTuerus • plus droits &: plus finceres , ils font d'autant plus fufceptibles de préjugés, qu'ils aiment moins la peine del'eKamen 5c Temibar- ras xle la défiance , & qu'ils trouvent plus court 5c plus aifé de juger fur ce qu'on leur dit , que de l'approfondir éc de s'en convaincre : Dumaurcs prin- jrjih, 16^^ cipumjïmplicesj & exfiia natura alios 6, ajîimantes , calUdâ fraude dccipiunt.
Et de combien de fortes de préju- gés la piété dans les Grands ne peut- elle pas les rendre capables? Préjugée de crédulité. C'eft la piété elle-même qui ouvre fouvent leurs oreilles à la malignité de la calomnie ; & plus ib aiment la venu , plus aifément on leur rend fufpeâis de difiblution&de vice , ceux qu'une baife jaloufie a intérêt de perdre. Mais tout zèle , qui cherche à nuire, doit leur être fufpeéît:. La vérita- ble piété y ou ne croit pas facilement le
I iv
zoo DiM. DES Rameaux. mal 5 ou loin de le publier , le cache dii moins & Texcufe : elle ne cherche pas à rendre fon frère odieux à Tes maî- tres ; elle ne cherche qu'à le réconcilier avec Dieu : les délations fecrettes fe propofent plus le renverfement de la fortune d'autrui, que le règlement de Tes mœurs ; & d'ordinaire le délateur découvre plus Tes propres vices , que les vices de Ton frère.
Préjugés de confiance. L'hypocrite prend fouvent auprès d'eux la place de l'homme de bien : ils donnent aux ap- parences de la piété l'accès 5 les places , la confiance , qui n'étoient dueç qu'à la piété elle-même : ils chargent de foins publics ceux qui par leurs lumiè- res bornées n'étoient nés que pour va- quer aux fonâ:ions les plus obfcures : des mœurs réglées tiennent lieu auprès d'eux des plus grands talens ôc des fer- vices lespîus importans ; 6c ils décrient la vertu par les faveurs mêmes dont ils l'honorent.
Enfin 5 préjugés de zèle. C'eft ici où les Princes les plus pieux ont trouvé fouvent dans leur zeîe même l'écueil de leurpiété: les Conftantinsjes Théo- dofes onr vu autrefois leur amour pour TEglife fe tourner contre l'Eglife mê-
ECUEÎLS DE LA PIETÉ , êCC. 201
me 5 5c favorifer l'erreur par un zèle de la vérité. Les Princes , Sire , ne doivent toucher à la Religion que pour la protéger ôc pour la défendre : leur zèle n'eft utile à 1 Eglife, que lorfqu'il eft demandé par les Palleurs : les foili- citations des dépofitaires de la doélri- nés font les feules qui doivent avoir du crédit auprès d'eux , lorfqu'il s'agit de la âo&inne elle-même ; toute autre voix que la voix unanime des Pailcurs doit leur être fufpe£te. C'efî ici où ils ne doivent fe réserver que Ihonneur de la proteâion , 6c leur laifTer celui de la décifion & du Jugement. Les El\ êques font leurs fujets ; mais ils font leurs pères félon la Foi : leur nailTance les foumet à Tautorité du liône : mais fur les myileres de la Foi , Tautorité du Trône fait^gloire de fe foumettre à celle de î'Eglife. Les Princes n'en font que les premiers en fans ; 5c nos Rois ont toujours regardé le titre de (es fils <tînés j commue le plus beau titre de leur Couronne : ils n'ont point d'auirc droit que de faire exécuter fes décrets ; 5c ens'y foum.ettapt les prem.iers, donner l'exemple de la foumiffion aux autres Fidèles. Dès qu'ils ont voulu aller plus loin jôc ufurper fur la doibrine un drok
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loi DiM. DES Rameaux. réfervé au Sacerdoce , ils ont aigri îei maux de l'Eglife loin d'y renr/édier : leurs tempéramens ont été de nouvel- les plaies Se ont enfanté de nouveaux excès : toutes les conciliations inventées pour calmer les efprirs rebelles & les ramener à l'unité , les ont autorifés dans ieur réparation 6c leur révolte , bC leur autorité a toujours perpémé les erreurs , quand elle a \culuTe mêler toute feule de les rapprocher de la véri- té. Ils peuvent environner l'Arche ti la garder comme David ; mais ce n'eft pas à eux à y porter les mains : le Trône eft élevé pour être l'appui 5t l'aTyle de la do£^rine faitue ; mais il ne doit jam^'ais en être la règle , ni le Tribunal d'où partent fes décifions.
Hclas ! fi les paiîîons 5c les intérêts humainî^n'environnoient pas le Trône, fans doure la piété des Souverains fe- roit la plus fûre relTource de i Egiife ; mais fouvent , ou l'on fait agir leur re- ligion'contre leurs propres ir!té»*êts, ou Ton fe fert du vain prétexte de leurs intérêts , pour les faire agir contre la Religion même.
Les préjugés font donc prefque iné- vitEbles à la piété des Grands ; mais c'ell i'obilination dans le préjugé, qui
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ECUEILS DE LA PIETÉ, 5CC. 20^
rend le mal plus incurable. Il ne lui eft pas honteux d'avoir pu être furpris : hélas ! comment pouproient-ils s'en dé- fendre? Tout ce qui les environne pres- que s'érudie à les tromper; eil-il éton- nant que rattention fe relâche quel- quefois , ôc qu'ils puiik.'nt Ce laifTer féduire ? L'artifice eft plus habile 6ç plus perfévérant que la défiance ; Il prend toutes les formes, 6c met à pro- fit tous pes momens ; & quand tous ceux prefque qui nous approchent , ont intérêt que nous nous trompions, nos précautions elles-mêmes les aident fouvent à nous conduire au piège.
Mais , SiRÇ , s'il n'eft pas honteux aux Princes d'être furpris , malheur inévitable à l'autorité fuprême , il leur eft glorieux d'avouer qu'ils ont pu l'être ; rien n'eft plus grand dans le Souverain , que de vouloir être dé- trompé , &C d'avoir la force de con- venir foi-mémede fa méprife. Aftuérus ne crut point déroger à la majefté de l'Empire , en déclarant , même par un Edit public , que fa bonne- foi a voit été Turprife par les artifices d'Aman. C'eft ,_un mauvais orgueil de croire qu'on ne peut avoir tort ; c'qft une foibleffe de nVfef reculer, quand on fent qu'ch
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104 DiM. DES Rameaux. nous a fait faire. une faufle démarche ; les variations qui nous ramènent au vrai , aftermiffent l'autorité , loin de raiFoiblir : ce n'efi: pas fe démentir , que de revenir de fa méprife. Ce n'eft pas montrer aux peuples Tinconftance du Gouvernement ; c'eft leur en étaler l'équité ÔC la droiture. Les peuples fa- vent aflez 8c voient aiTez fouvent , que les Souverains peuvent fe trom- per ; mais ils voient rarement qu'ils fâchent fe défabufer 5c convenir de leur méprife : il ne faut pas craindre qu'ils refpeâent moins la puiffance , qui avoue fon tort 5c qui fe condamne elle même; leur refpetk ne s'afFoiblit qu'envers celle , ou qui ne le connoît pas , ou qui le juflifie ; & dans leur efi^rit rien ne déshonore l'autorité que la foible^fe qui fe laiffe furprendre , 6c la mauvaife gloire qui croiroit s'avilir en convenant de fon erreur ÔC de fa furprife.
SîRE, fermez l'oreille aux mauvais , confeils & aux infinuations dangereu- fes de l'adulation : mais comme elles fe couvrent du voile du bien public, ^ que tôt ou tard elles trouvent accès ÊLîprès du Trône ; fi l'inattention vous h$ a fait fuivre , que l'intérêi feul de
ECUEILS DE LA PIETÉ , &C. 10$ votre gloire , quand vous ferez dé- trompé , vous le fafTe à l'inftant défa- vouer. Il eft encore plus glorieux d'a- vouer fa furprife , que de n'avoir pas été furpris : rien n'ed plus beau dans le Souverain , qui ne dépend de per- fonne , que de vouloir toujours dépen- dre de ia vérité. On craindra de vous împofer , quand l'impofture & l'adula- tion démafquées n'auront plus à atten- dre que votre défaveu & votre colère. C'eft l'orgueil des Rois tout feul , qui autorife Ôc enhardit les adulations 6c les mauvais confeils : 6c s'il eft vrai , que ce font d'ordinaire les adulateurs qui font les mauvais Rois , il eft enco- re plus vrai que ce font les mauvais Rois , qui forment ÔC multiplient les adulateurs.
C'eft en évitant ces écueils , que îa piété des Grands deviendra refpeéta- ble ; qu'ils lui rendron- la gloire & la dignité que les dérifions du monde ou les foibleiTes de la fauffe vertu lui ont prefque ôtée; ôc qu'on n'entendra plus fe perpétuer parmi les bom mes ce blaf- phême (i injurieux à la Religion : Que les Princes pieux font les moinspiopres à gouverner ; 5c qie la pieté peut en faire de grands Saints, mais qu'elle
'ro6 DiM. DES Rameaux. n'en faira jamais de Grands Roîs.
Puiflent ces difcours licencieux , Sire , ne jamais bleffer l'innocence de vos oreilles ! mais Ci l'adulation ofe les porter un jour jufques aux pieds de votre Trône , qu'il en forte des éclairs & des foudres , pour confondre ces ennemis de la Religion & de votre véritable gloire. Ecoutez ces adula- tions impies , comme des blafphêmes contre la majeilé des Rois ; comme des outrages faits à vos plus glorieux ancê- tres ; aux Charlemagnes, aux S Louis, à votre auguile Bifaïeul. C'ed par une piété tendre &C fincere , qu'ils devin- rent des grands Rois ; leur zeie pour la Religion les a encore plus illuflrésque leurs vî(^oires ; les louanges que TE- glife leur donnera à jamais , dureront autant que lEglife elle-même ; leurs grandes aérions , ou auroientété enfé- velies dans la révolution des temps, ou n'euilent eu qu'un éclat vulgaire , fila piété ne les eût immortalifées.
Soyez , Sire , comme eux le défen- feur de la gloire de Dieu , ôc il ne per- mettra pas que la vôtre s'efface jamais de la mémoire des hommes. Juilifiez ^ en vous pronofant ces grands modèles , que la j^htè ne déshonore point les
ECUEILS DE LA PIETÉ , 5CC. 207 Rois ; que les paiïîons toutes feules aviliflent le Trône & dégradent le Sou- verain ; qu'on n'eft pas digne de régner, quand on ne règne pas fur foi- même , ÔC que pour être dans les âges fuivans aufTi grand qu'eux aux yeux des hom- mes 5 il faut avoir été comme eux fidè- le à Dieu.
Grand Dieu ! plus le Trône eft en- vironné de pièges , plus les Rois ont befoin que vous les environniez de votre proteâion , 5c des fecours de votre grande miféricorde : mais plus une tend» e jeunelTe ÔC une enfance dé- laiffée à elle-même Se à tous les périls de la royauté , expofe cet Enfant au- gufte , plus il doit devenir robjet de vos foins ^ de votre tendreile pater- nelle.
Armez de bonne heure l'innocence de fon cœur contre les dériiions qui aviliiTent la piété , ôc contre les écueiis de la piété même : donnez lui ces ver- tus , qui fanâ:ifient Thomm^e 5c qui font en môme temips le grand Roi. Fai- tes qu'il refpefle ceiiX qui vous fer- vent; ^"l qu'il ferve lui même le Dieu de fes pères avec cette majeflé , qui feule peut rendre les Rois refpe£ta-
io§ DiM. DES Rameaux.
Jettez les yeux fur lui du haut du ciel , grand Dieu ! ÔC voyez ici à vos pieds cet enfant augufte 5c précieux 5 la feule reifource de la Monarchie , l'Enfant de l'Europe , le gage facré de la paix des peuples Se des nations : les entrailles de votre miféricorde n'en font elles pas émues ? regardez-le 5 grand Dieu ! avec les yeux & la ten- dreffe de toute la nation.
Ecoutez la prerrieîe voix de fon cœur innocent , qui vous dit ici , com- me autrefois un Saint. Roi : Dieu de mes pères , regardez moi : laiflez- vous toucher de piété à la vue des périls que mon âge ai. mon rang me prépa- rent , & qui vont m'entourer de toutes Pf, 8j. parts au fortir de Tenfance : Refpice in ^^* me ù mifererc mei: foyez vous-même le défenfeur de mon Trône 5c de ma jeuntlfe : confervez FEmpire à TEnfant de tant de Rois, ôc qui neconnoît pas de titre plus glorieux que d'être le pre- mier-né de Vos Enfans : Dd imperium pucro tuo.
Mais que la confervation d'une Couronne terreflre , grand Dieu ! ne foit pas le feul de vos bienfaits. Sau- vez le Eils d'Adélaïde, à^s^ Blanches, des Clotildes j ôC de tant de pieufes
ECUEILS DE LA PlETli , 5CC. lOp Princeffes , qui me portent encore de- vant vous dans leur fein 5 comme l'en- fant de leur amour ÔC de leurs plus chères efpérances : Etfalvumfacfilium ancillœ tuez : & puifque Tinnocence attire toujours fur elle vos regards les plus propices ôc les plus tendres ; con- fervez-la mol 5 grand Dieu ! auffi long- temps que ma couronne : afin qu'après avoir régné par vous heureufemenr fur la terre,]^^ puiiFe régner avec vous éter- nellement dans le Ciel AinfiJoit-iL
,«T .éh. --j-js.
iro
SERMON
POUR LE VENDREDI SAINT.
Sur les ohjlacles que la vérité trouve dans le cœur des Grands»
Aftiterunt Reges terrs , & Principes con- venerunt in unum , adversùs Dominum , 8c adversùs Chriilum ejus.
Les Rois de la terre fe font pré fentes , & les Princes fe font aJJ'emblés contre le Seigneur & contre fon Chrijl. Pf. 2. 2.
O IRE,
TOUTES les PuifTances de la terre femblent fe réunir aujourd'hui , pour condamner Jefus Chrilt à la mort; ÔC la mort de Jefus-Chrift n'eft qu'une condamnation éclatanfe des pafîions des Grands Se des Fuiffans de la terre. C'efl un Pontife éternel qui s*oiFre lui-même pour fon peuple comme la
Sur les Obstacles , Sec. m feule vi6lime capable d'expier Ces ini- quités , ^ d'appaifer la colère de Dieu: c'eft un iMiniftre 6c un Envoyé de fon perejqui rend témoignage par fon fang à la vérité , de fa miiTion 5cde fon Mi- niilerej c'eft un Roi qui entre en pof- fefTion par fa mort de TEmpire de l'uni- vers : il réunit en fa per Tonne tous les titres glorieux dont l'orgueil des hom- mes fe pare.
Cependant ce Pontife eft livré au- jourd'hui par la jaloufie de? Grands- Prêtres ; ce Miniilre §C cet Envoyé du Ciel oppofe envain fon innocence à l'ambition & à la lâcheté d'un Miniflre de Céfar: ce Roi , à qui toutes les na- tions ont été données comme fon héri- tage 5 devient le jouet de l'indifférence 6c de la vaine curiofiré d'un Roi ufur* pateur de la Judée. Il falloir que tout ce qui porte le nom de Grand fur la terrcja jaloufie des Pontifes, la lâche- té de Pilate , &. l'indifférence d'Héro- de , en condamnant Jefus-Chriil: , fif- fent éclater fa glandeur& fapuiflance: Ajîitcrunî Regcs terrce , &c.
De toutes les inftruâ:ions que nous offre aujourd'hui le fpeâ:acle de la Croix, il n'en ell pas ici de plus con- venable : 6c puifque nous ne faurions
tïi Vendredi Saint, en expofer à votre piété toutes les cir- confiances . contentons nous de vous y montrer les obftacles que la vérité trouve dans le cœur des Grands de la terre ; c'eft à dire , Jelus-Chrift con- damné à la fïïort par les pafTions des Grandsjôc les pafllons des Grands con- damnées par la mort de Jefus Chrifl.
SIRE,
I. A-jA vérité , toujours odieufe aux Partie. Qj^nds , trouve encore aujourd'hui fur la terre les mêmes ennemis qui l'at- tachèrent autrefois avec Jefus-Chrift fur la Croix : la jaloufie la perfécute ; un lâche intérêt la facrifie ; FindifFé- rence la méprife & la tourne même en ri fée.
Mais de toutes les pafîîons que les hommes oppofent à la vérité , la jalou- fie eft la plusdangereufe, parce qu'elle eft la plus incurable, C'eft un vice qui mené à tout, parce qu'on fe le déguife toujours à ^3i-même, c'eft l'ennemi éternel du mérite 6c de la vertu ; tout ce que les hommes admirent , l'en- flamme &: l'irrite; il ne pardonne qu'au vice 5c à robfcurité ; 6c il faut être in- digne des regards publics pour méri- ter fes égards 6c fon indulgence.
Sur les Obstacles , &c. 213 Si les prodiges de Jeuîs • Chrift avoient moins éclaté dans la Judée., les Princes des Prêtres îriOins éblouis de fa gloire , ne lui eulîeni pas diîputé fon innocence ; 6c ieur zèle jaloux ne Pauroit pas trouvé digne de mort, s'il ne l'eut été des louanges Ôc des accla- mations publiques : Quid facinius y quia hic homo înulîa fignaficit 1
Telle ed l'imprefTion de haine & de Joan, ir; jaîoufie que la grande renommée de 47* Jefus-Chrin: fait fur le cœur des Pon- tifes 5c des Prêtres, des dépofitaires de la Loi ôc de la Religion. Hélas ! faut-il que le San.£luaire lui-même de- viennent prefque toujours l'afyie d'une paillon (î méprifable ; que les dons éclatans de l'Efprit de paixSc de chari- té mettent l'amertume ôc la divifion parmi fes Miaiftres ; que la moilTon fi abondante 8c qui manque d'ouvriers, excite des fentimens de jaîoufie parmi le petit nombre de ceux qui travaillent; que les Anges deftinés au miniilere en puilTent arracher les fcandales du Royaume de Jefus-Chrill: , fans y en mettre fouvent un nouveau ; que dès la naiffince de l'Evangile cette trifte zizanie fe foit gliiTée parmi fes plus faints ouvriers j éc que l'Eglife fouvent
114 Vendredi Saint. foie prefque aiiiiî affligée par le faux zèle qui la défend , que par Terreur même qui l'attaque ? pourvu que Jefus- CliriJi foit annoncé , la gloire n'eft- elle pas commune à tous ceux qui l'ai- ment ? ne partageons- nous pas Ces triomphes , dès que nous ne corfibat- tons que pour lui ? ÔC tous les fuccès qui agrandiffeoî" fon Royaume , ne deviennent ils pas les nôtres? C'eftlui feul qui donne l'ace roi (Te ment ; 8c nos foib'es travaux ne font plus comptés pour rien , dès que nous les comptons nous-mêmes pour quelque chofe.
Tous les traits les plus odieux fem- blent Ce réunir dans un cœur où domi- ne la palTîon injuilede l'envie. Cepen- dant, c'eft le vice ÔC comme la conta- gion uni/erfelle des Cours , ôc fouvent la première fource de la décadence des Empires. Il n'ed point de badefTe que cette paHRon , ou ne confacre , ou ne juftifie: elle éteint même les fentimens les plus nobles de Té du cation Se de la naiiTance ; Se dès que ce poifon a ga- gné le cœur, on trouve des âmes de boue , où la nature avoit d'abord pla- cé des âmes grandes ^Cbien nées.
La mauvaife foi n'eflplus comptée pour rien. Ces Grands Prêtres cher-.
$VK LES Obstacles , Scc. 21^ chent eux-mêmes de faux témoignages contte Jefus-Chrift : eux qui dévoient profcrire ces hommes infâmes qui font Un trafic honteux de la vérité & de l'innocence des autres hommes ; ils fe les affocient , &C favorifent le crime quifavorife leur pafîîon.
C'eft ainfi que ce vice ne rougit point de Ce faire des appuis honteux & mé- prifables. Les hommes les plus décriés Se les plus perdus , on les adopte , dès qu'ils veulent bien adopter Ôc fervir l'amertume fecrette qui nous dévore ; ils nous deviennent chers , dès qu'ils peuvent devenir les vils indrumens de notre pafîîon ; 8c ce qui devoir les ren- dre encore plus hideux à no. yeux , eiTaceen un inftant toutes leurs tâches. Le monde ne manque jamais de ces hommes vendus à l'iniquité , dont l'u- nique emploi efl de noircir auprès des Grands ceux qui ont le malheur de leur déplaire, ou quiplaifen: trop pour être de leur goût ; ôc ces hommes cor- rompus 8>C qu'on devroit bannir de la fociété, ne manquent jamais de trou- ver des Grands qui les écoutent &quî les protègent. On érige en mérite le zèle qu'ils étalent pour nos intérêts ; &: on leur fait une vertu d'un minifterc
iï6 Vendredi Saint.
infâme, dont on rougit tout bas foî- même : Doeg ridumcen devient cher à Saùl 5 dès qu'il devient le minillre de fa jaloulie5c de fa haine contre David.4
Mais de quoi n'eil pas capable un cœur que la ialoude noircit 5c enveni- me? non feulement on applaudit à rim- podure; mais on ne craint pas de s'en rendre coupable foi- même. Ces Pon- tifes, témoins des prodiges ôc de la fainteté de Jeuis-Chrift, ce pouvant ignorer qu'il eil Fils de David & def- cendu des Rois de Juda ; ayant oui de fa propre bouche, qu'il falloit rendre à Dieu ce qui ell à Dieu , 6c à Céfar ce qui ed à Céfar , le font pourtant paifer pour un féditieux, un ennemi de Céfar 5c qui veut en ufiirper la fouveraine puiilance ; un impie qui veut renverfer la loi, ôc le temple de fes pères; enfin, pour un homme de néant , né dans la boue Scdans la plus vile populace.
Cette paiTion amere efr comme une phrénéfie , qui change tous les objets à nos yeux: rien ne nous paroît plus fous fa forme naturelle. David a beau rem- porter des viâ:oires fur les Philiflins , ôc alTurer la couronne à fon maître : aux yeux de Saiil , ce n'eft plus qu'un ambitieux qui veut monter lui-même
fur
Sur les Obstacles 5 5cc. 117 fur le Trône. En vain Jérémie juilific la vérité de fes prédi6bions par les événe- mens ôc par la fainteté de fa vie ; les Prêtres jaloux de fa réputation , pu- blient que c'eft un impoileur 6c un traî- tre qui annonce les malheurs & la rui- ne entière de Jérufalem , plus pour dé- courager fes citoyens & favorifer l'en-; nemi, que pour prévenir la deftru(âion entière de fa Patrie*
Tout s'empoifonne entre les mains de cette funefte pafîîonrla piété la plus avé- rée n'eft plus qu'une hypocrifie mieux conduite ; la valeur la plus éclatante, un^ pure oftentation , ou un bonheur qui tient lieu de mérite ; la réputation la mieux établie , une erreur publique, où il entre plus de prévention que de vérité ; les talens les plus utiles à l'Etat, une ambition démefurée , qui ne ca- che qu'un grand fonds de tiiédiocrité 6c d'inTuffifance ; le zèle pour la patrie, un art de fe faire valoir 6c de fe rendre nécelTaire ; les faccès mêmes les plus glorieux , un aiTembiagede circonstan- ces heureufes , qu'on doit à la b'zarfe- îie du hafard plus qu'à la CsgQiTe des mefures ; la naiiTance la plus illufrre , un grand nom fur lequel on efl enté Se qu'on ne tient pas de ks ancêtres. Petit Carême. K
2i8 Vendredi Saint.
Enfin la langue du jaloux flétrit tout ce qu'elle touche ; & ce langage (î hon- teux eft pourtant le langage commua des Cours. C'eft lui qui lie les foclétés 6c les commerces : chacun fe cache la plaie fecrette de Ton cœur ; 6c chacun fêla communique : on a honte du nom du vice ; 6c l'on fe fait honneur du vice même.
Enfin il emprunte même les appa- rences du zcle ôc de l'amour du bien public : les intérêts de la nation & la confervation du temple ÔC de la loi , paroifTent confacrer la jaloufie des Pontifes contre Jefus-Chrift.
Le zèle du bien public devient tous les jours comme la décoration Sc l'apo- logie de ce vice. Il femble qu'on ne craint que pour l'Etat ; Sc on n'envie que les places de ceux qui gouvernent ; on blâme le choix du maître , comme tombant fur des fujets incapables; mais ce n'eft pas l'intérêt public qui nous pique, c'eft la jaloufie 6c le chagrin de n'avoir pas été nous-mêmes! choifîs : les places où nous alpirons , ne font jamais félon nous données au mérite ; la faveur du maître 6c le bien de l'Etat, ne nous paroilTent jamais aller enfem- ble : on fe donne pour amateur de la
Sur les Obstacles, 8cc. iif patrie ; 6c on n'en aime que les hon- îiears ÔCles prééminences. Aman trou- ve la puliTance 5c la religion des Juifs dangereufe à l'Empire ; mais ce n'eft pas l'Etat qu'il a deiîein de fauver ; c'efl: Mardochée qu'il veut perdre. Les courtifans de Darius accufent Daniel d'avoir violé la loi des Perfes : mais ce n'eil pas de la majefté de la loi , dont ils font jaloux : c'eft la gloire ôclafa-» veur de Daniel qu'ils haïiTent.
Tout eil plein dans les cours de ces zeles^de jaloufie. On étale le titre de bon citoyen , & on cache deflbus celui de jaloux: on a fans cefTe l'Etat dans la bouche, & la jalouiie dans le cœur : on paroît contriftc quand les événemens font malheureux , bc ne répondent pas aux vues 8c aux mefures de ceux qui font en place ; &: l'on s'applaudit plus du blâme qui en retombe fu r eux, qu'on n'efl touché des maux qui en peuvent revenir à la patrie.
Et voilà un des plus triftes effets de cette paffion infortunée. Ces Pontifes demandent que le fan g du Jufte folt fur eux 6c fur leurs enfans. La défola- tion du Temple Se de la Cité fainte, la ceiTation des facrifices, la difperfion de Juda 3 la perte de tout ne leur paroît
Kij
HîH
IL
120 Vendredi Saint.
rien , pourvu que l'innocent pérFe.
Et coTibien de fois a t-on vu >es
hon^mes publics facrificr l'Etat à 1 irs
J3loufies particulières , faire échuer
des entreprifes glorieufes à la pâte ,
de peur que la gloire n'en rcjaillifur
leurs rivaux; ménager des événerrns
capables de rcnverfer l'Empire pur
enfèvelir leurs concurrens fous Tes jî-
nes; 6c rifquer de tout perdre pour tire
périr un feu! homme ? Les Hilic^es
des cours 5c des Empires fonr remises
de ces traits honteux ; & chaque ficle
prefque en a vu de triftes exem^es.
Mais îe véritable zele du bien pnlic
ne cherche qu'à Ce rendre utile ; C à
rhomme vertueux 6c qui aime l'Eia les
fervices tiennent lieu de recompefe.
Première paillon dans les Ponti:s,
c:: îivre aujourd'hui Jefus-Chrifl la
] : : mais en fécond lieu , c'e/ua
lâche intérêt dans Pilate qui le cn-
damr.e.
Vy L'urne? Frères, la paflTion, le Teu des Grardi , c'ell la fortune. Ils :u- 1er: plaire à Céfar , ôc c'eft le :ul devoir q-jî les oco^pe. Tout ce ;ui fivuniê icur élévation , s'accorde u- joun avec leur confcience. La pr^i-
Sur les Obstacles , Stc ixf t qui Duiroît à leur foroHie , K qxs iur feroir perdre la faveur du xdsîzk , :d\ plus pour eux que la verra de» lis. Mais dès là qu'on cr^ct plas ht tf^race de Céfar . que le repiodïe de 1 confcience , G Ton n'a pas encore icrifié l'honneur & la probité , ce reft pas le cœjr & la volonté , c^eS bccailoQ ^ qji a manqjé ai2z phis rands crimes.
En eiîet , il ^àtOit d'abord dans le craâere de Pilate des refres de droi- tre 6c de probité : ia coofcences'é- 1^'e en faveur de Tinno^nt ; il (ctî- le In'-même plaider fâ caufe ; il L*ots ] délivrer , & il foahaite pourradt a'on le délivre : premier degré de 1 mbitioQ ; la lâcheté. On aime Je de- vir ôc Féquité , lorfqu'il eîi unie oa prieux de le déclarerpoiireUe; qu'on put compter fur les fjJrsges publi-zs; ae notre fermeté va nous doccer ea ieé^acle au monde , & que ncra? deve- Dns plus grands aux yeux des honi- les par la défenfe hérôiqje de la vé- ré , que nous ce raurior.s été psr la clfimulation 5c la foupleiTe. Sous cerchons la gloire & ks zpphudlUe' rens dans le devoir ; & prefq-je low yars c'eft la vanité , qui donce des de- fafeurs à la vérité. K iij
^^o Vendredi Saint. lien , pourvu que l'innocent périfTe.
Et combien de fois a t-on vu des hommes publics facrificr l'Etat à leurs jaloufies particulières , faire échouer des entreprifes glorieufes à la patrie , de peur que la gloire n'en rejaillît fur leurs rivaux; ménager des événemens capables de rcnverfer l'Empire pour enfévelir leurs concurrens fous fes rui- nes; ÔC rifquer de tout perdre pour faire périr un feul homme ? Les Hidoires des cours ôc des Empires fonrremphes de ces traits honteux; Se chaque fîecîe prefque en a vu de trifies exemples. Mais le véritable zele du bien public ne cherche qu'à fe rendre utile ; 8c à l'hommevertueux&quiaimerEiatJes fervices tiennent lieu de recompenfe.
Première paiTiondans les Pontifes, qui livre aujourd'hui Jefus-Chrift; la jaloufie : mais en fécond lieu , c'efl un lâche intérêt dans Pilate qui le con- damne.
II, V^Uijmes Frères, la pafTion, le Dieu PARTIE, des Grands , c'efl: la fortune. Ils veu- lent plaire à Céfar , & c'eft le feul devoir qui les occupe. Tout ce qui favorife ieur élévation , s'accorde tou- jours avec leur confcience. La probi-
Sur les Obstacles, Scc. 2.2./ té qui nuiroit à leur fortune , & qui leur feroir perdre la faveur du maître , n'ell plus pour eux que la vertu des for?. Mais dès- là qu'on craint plus la difrrrace de Céfar; que le reproche de fa confcience , fî Ton n'a pas encore facrifîé Thonneur & la probité , ce n'eft pas le cœur & la volonté , c'eft Toccafion , qui a manqué aux plus grands crimes.
En effet , il paroît d'abord dans ïe caraâiere de Pilate des reftes de droi- ture 5c de probité : fa confcience s'é- lève en faveur de l'innocent ; il fem- ble lui-même plaider fa caufe ; il n'ofe le délivrer , 8c il fouhaite pourtant qu'on le délivre : premier degré de l'ambition ; la lâcheté. On aime le de- voir ôc réquité , lorfqu'il eft utile ou glorieux de fe déclarer pour elle; qu'on peut compter fur les fulfrages publics ;- que notre fermeté va nous donner en 45e£lacle au monde , ôc que nous deve- nons plus grands aux yeux des hom- mes par la défenfe héroïque de la vé- rité , que nous ne l'aurions été par fa: difîîmulation 5c la foupleife. Nous- cherchons la gloire 5c les applaudifle- mens dans le devoir ; 6c prefque tou- jours c'efl: la vanité , qui donne des de- fenfeurs à la vérité. K iij;
12,2 Vendredi Saint.
A la lâcheté fuccede la crainte. Os menace Pilate de Tindignation de Cé- Joan, ^^^ '" ^^ hune dimittis , non es amicus ig, IX. Cœfaris ; à cette raifon tous les droits les plus facrés s'évanouillënt , 5c ne font plus comptés pour rien. On n'eil pas digne de Iburenir la jullice & la vérité , quand on peut aimer quelque chofe plus qu'elle : une démarche op- pofée à l'honneur ÔC à la confcience ^ eft bien plus à craindre pour une ame noble que la colère de Céfar. Mais d'ailleurs , Sire , c'eft fervir la gloire du Prince , que de ne pas fervir à fes panions. Il eil be^au d'ofer s'expofer àfon indignation , plutôt que de man- quer à la fidélité qu'on lui a jurée ; ôc fi les Princes , comm.e vous , peuxent compter fur un ami fidèle . il faut qu'ils le cherchent parmi ceux qui les ont alFez aimés pour aïoir eu le cou- rage d'ofer quelquefois leur déplaire: plus ceux qui leur applaudiffent fans Qt^Qy font nomibreux , plus l'homm.e vertueux , qui ne fe joint point aux adulations publiques , doit leur être refpei^able. Mais cet héroïfme de fi» délité efc rare dans les Cours : à peine fe trouva-t-il un Daniel dans l'Empire parmi tous les Satrapes y (^ui ne coa-
Sur les Obstacles , &c. 123 Hoiffoient point d*autre loi que la vo- lonté du Prince. Telle efl la deftinée des Souverains ; la même puiiTance qui multiplie autour d'eux , les adula- teurs , y rend auiTi les amis plus rares-
Aufll la craiî^te de déplaire à Céfar conduit Pilace au dernier degré de la lâche. é : il abandonne ÔC livre Jefus- Chriil:. Les cris de ce peuple furieux ne peuvent être calmés que parle fang du Jufte : s'exporer à leur violence, ce feroit allumer le feu de la fédition ; il vaut encore mieux que l'innocent pé- rilFe , que fi toute la nation alloit Ce révolter contre Céfar ; & il faut ache- ter le bien public par un crime.
Et voilà toujours le grand prétexte de l'abus que ceux qui font en place font de l'autorité ; il n'eft point d*in- juilice que le bien public ne jufîilîe t il femble que le bonheur 5c la fureté publique ne puiffent fubfifier que par des crimes; que l'ordre Sc la tranquil- lité des Empires ne foient jamais dûs qu'à rinjuftice 5c à l'iniquité; & qu'il faille renoncer à la vertu pour fe dé- vouer à la patrie.
Non, Sire, je l'ai déjà dit ailleurs ^ & on ne fauroit trop le redire ; la loi de Dieu eft toute la force & toute is
Kiv
224 Vendredi Saint. sûreté des loix humaines : tout ce qnl attire la colère du Ciel fur les Etats , Ke fauroit faire le bonheur des peu- ples : l'ordre &L l'utilité publique ne peuvent être le fruit du crin:ie : on fert mal la patrie quand on la fert aux dépens des règles faintes : c'eft fapper les fondemcns de l'édifice , pour Tem- bellir &: l'élever plus haut ; c'eft en af- foiblillant Tes principaux appuis , y ajouter des vains ornemens qui hâtent fa ruine. Les Empires ne peuvent fe foutenir que par l'équité des mêmes loix qui les ont formés ; &: l'injuflice a bien pu détrôner des Souverains , mais elle n'a jamais affermi les trôner» Les Minières qui ont outré la puiiTan- ce des Rois , l'ont toujours affoiblie i ils n'ont élevé leur maître que fur la ruine de leurs Etats ; & leur zèle n'a été utile aux Céfars, qu'autant qu'il a refpeâ:é les loix de l'Empire^
C'eft donc la jaloufie dans les Prin- ces des Prêtres , qui perfécute aujour- d'hui Jefus Chrift ; un vil intérêt dans Pilate , qui le livre ; & enfin une in- différence criminelle dans Hérode , qui en fait un fujet de mépris 6c de rifée.
Hélas / quelle autre déftinée pout^
?UR Les obstacles, 5cc. iif Voit fe promettre la doftrine de TÊ- vangile , en fe foumetrant à une Cour fuperbe 6c voluptueufe ? la doftrine fainte n'offre rien , qui ne combatte Torgueil 6c la volupté ; & il n'y a de' grand pour ceux qui hcbitent les Pa- lais des Rois, que le plaidr ôc la gloirg»* Si vous n'y paroiiTez pas fous ces éten- dards , ou l'on vous prend pour un cen- feur 5c un ennemi , ou ils vous mépri* fent comme un homme d'une autre* gfpece 5c un nouveau venu qui vienr porter au milieu d'eux un langage-' inoui 5c des manières étrangères.
Nous- m.êmes , dans ces chaires chré- tiennes , qui feules leur parlent encore le langage de la vérité ; nous mêmesy. nous venons fouvent ici affoiblir ce^ langage divin ; refpeéler ce que nous^ devrions combattre ; adoucir par des^ idées humaines î-a févérité dès regles^^ faintes ;■ autorifer prefque leur^ pré- jugés , avant d'ofer combattre leur^- palTions ; ÔC fous prétexte de ne pas îes«= révolter contre la vérité , la leur reû*- dre prefque mécotinoiU'able,.
Hérode , inftruit des- merveille^f qu'on publioit de Jeius- Chrifl , s'at teDd^ à lui voir ©pérer de^ prodiges ,~^ dansa c€itè attente , ii le. voit arriver à âa
t:i6 Teindre Dr S^aint.. Cour avec joie : ce n'eft pas la vente qui l'intérefTe , e'eft une vaine curiofi- té qu*il veut fa tis faire , & faire fervir Jefus-Chrlftde fpedacle à Ton loifir oC à fon oifiveté. Gar c'eft de tout temps ^ que la plupart des Princes 6c des tjrands ont fait de la Religion un fpec- tacle- : les myfleres les plus augufles 5c les plus terribles , égayés par tous les attraits d'une harmonie recherchée y deviennent pour eux comme des ré- jDuiflances profanes qui les amufentf ils ne cherchent que le plaifir des fens jufques dans les devoirs d'un culte: qui n'eft établi que pour les combat- tre ::il faut que la R.eligion , pour leur ■ plaire , emprunte les joies 6c tour Tap- pareil du fiecle ,• 6c qu'un Tpedacle digne des Anges , ait encore befoin ée décoration pour être un fpe(^acle digne d'eux.
Hérode fait à Jefus - Chrifl: des Musi îT.^"^^^®'^'^ vaines 8c frivoles : întcrrc- ^ gabat eum multis fermonibus : de ces^
queftions , où l'orgueil &: l'irréligion ont plus de part que l'amour de la- vérité ; qu'on propofe plutôt pour fe feire une gloire de fes doutes , que pat- un delir fincere de les éciaircir ; de lîSEâ queiliûos qui n'aboutiiîent à. tieni
r Sur les obstacles, êcc. 227
'qu'à nous afFermir dans l'incrédulité , qui n'ont de férieux que raveugle* ment d'où elles prennent leur fource ; de ces quefltons où Ton difcourt des vérités éternelles du fahit , comme de ces vérités douteufes ÔC peu intéref- fantes que Dieu a livrées à l'oifiveté &: à la difpute des hommes ; où l'orï traite ce qui doit décider du bonheur ou du malheur éternel , comme un problême indifférent dont les deux; côtés ont leur vraifemblance , & ou l'on peut opter : de ces queftions en^ fin, qui font plutôt des déridons fecvet^ tes de la Foi, que les recherches ref^ pe£lueuresd'un véritable Fidèle»
Et voilà le feul ufage que la pfuj- part des Grands font de Jefus Chriâ^. des queftions éternelles fur la Reli- gion : Interrogahat eum multis fermonB^ bus : faifant de Jefus Chrift ôc de Cà dofbrine un fujet oifeux &: frivole d'entretien &C de conteftation , au lïem d'en faire l'objet de leur efpérance ^ de leur culte ; s'informant de la vérif- ié d'un avenir , ÔC de cette autre pa^ trie qui nous attend après le trépas^ 5) avec moins d'intérêt , qu'ils n'écoure-- ïoient les relations d'une terre inconi- nue ôc peut-être fabuîéufe , où nul
^l^ Vendredi Saint. mortel n'a pu encore aborder ; parlant ' des faits miraculeux qui établifient la certitude bL la divinité de la Religion de leurs pères , avec la même incerti- tude qu'ils parleroient d'un point peu important d'hiRoire qu'on n'a pas en- core éclairci ; êc par la manière peu férieufe dont ils veulent s'inftruire de^ la Foi 5 montrant qu'ils l'ont toutà- fait perdue.
Auffi Jefus-Chrift n'oppofe qu'un lîlence profond à la vanité des quef- îjons d'Hérode. On ne mérite les ré- ponfes de la vérité y que lorfque c'eft Ife defir de h connoître qui Tinterro» ge ; 2^ c'eft' dans le cœur de ceux q^ui parlent ÔC dirputent plus fur la Reli- gion , qu'elle eil d'ordinaire plus effa- cée. Oui, mes Frères, on a déjà trouvé la vérité quand on la cherche de bonne fui : il ne faut pour la trouver , ni creu- fèr dans les abîmes, ni s'élever au def- £is des airs ; il ne faut que l'écouter au- dedans de nous-mêmes. Un cœur innocent 6i docile entend d'aj^ord fa^ voix ; les doutes 6c les^ recherches que forment l'orgueil , loin de la rappro- cher de nous ,, ferment les yeux à. fat lumière : elle aveugle les Sages & les; fiigas orgueiiieiix dé fes myfteres,, ôC
Sur les Obstacles, Scc. ti^^ ne fe communique qu'à ceux qui font gloire d'en être les Difciples. ta fou- mifTion eft la fource des lumières : plus on veut raifonner , plus on s'égare : plus on doute , plus Dieu permet que les doutes augmentent : la raifon une fois fortie de la règle , ne trouve plus tien qui Tarrête ; plus elle avance , plus- elle fe creufe de précipices. Auiïî l'hé- réfie, d'abord timide dans fa naifTancCy va toujours croiiTant , & ne garde plus de m.efures dans Tes progrès : elle n'en vouloit d'abord parmi nous qu'aux abus> prétendus du culte ; elle a depuis atta- qué le culte lui-même : eilefe plaignoit que nous dégradions Je fus- Chrift de fa qualité de m.édiateur ; elle a enfanté des Difciples qui l'ont dégradé de fa divinité & de fa naiffance éternelle :: elle vouloit réformer la Religion ; elle^ a fini par les approuver toutes , ou^ pour mieux dire, par n*en plus avoir &: n'en plus connoître aucune relie pré- rendoit s'en tenir àla lettre aux livres; faints ; ôc cette lettre a été pour elle une lettre de mon ; & Ces faux-Pro- phêtes y ont puifé un fanatifme ÔC des- vifions fur l'avenir, que révénement: a démenties 5c dont elle a rougi elle- même.. Non, mes Frères ^ la Foi eiiie
^t^o Vendredi Saint^ feul point qui peut fixer Tefprit liir- main , fi vouspaffez au delà , vousfl'a- vez plus de route aflurée; vous entrez dans une terre ténébreufe & couverte des ombres de la mort; vous n'y voyez plus que des phantômes, les triftes en- fans des ténèbres ; 6c comme la raifon n'a plus de frein j Terreur auffi n'a plus de bornes.
En effet les queftions d'Hérode le
vconduifent à faire de Jefus Chrift un
Mhîd, y. ^yjgj ^g fijC^g . ^pj-^ylt: autem illum He-
rodes ; & toute fa Cour fuit fon exem- ple : Cum exercitu fuo, La vertu la plus pure, dès qu'elle déplaît au Souverain,, eft bientôt digne de l'oubli 6c du mé- pris même du courtifan : c'eft le goût . du Prince , qui décide prefque tou- jours pour eux de la vérité ôc du mé- rite : leur Religion eft toute, pour ainfî dire , fur le vifage du maître: c'eft là leur loi 8c leur Evangile ; & ils n*ont rien de plus fixe dans leur culte que les caprices 6c les pafTions de l'idole qu'ib- adorent. p» Auftî l'attention, Sire, la. plus-
eflentielle que les Rois doivent à I^^ place où Dieu les a fait afteoir, c'eft de' rendre la Religion refpeâ:able , en ne ik permettant jamais la plus légère dé>-
Sur les Obstacles , Scc. t^-w rîfîon qui puille en blefler la majeflé; Les plus jeunes années de votre au- gurteBifaïeul , ne le virent jamais s'é- carter de cette règle : ce fut pour lui la; règle de tous les temps Se de tous les lieux. Son refpeA pour la Religion de £es pères , impofa toujours devant lui un fjlence éternel à l'impiété: fon lan- gage fut toujours le langage du pre- mier Roi Chrétien, c'eft à dire, le lan- gage refpeé^able de la Foi. L'irréligion étoit le feul crime auquel il ne pardon- noit point : tout étoit férieux pour lui fîir cet article : nulle joie , nulplaiiîr n'autorifa jamais devant lui la moindre dérifion qui pût intérefler le culte de {es ancêtres : religieux jufqu'au milieu des réjouiifances d'une Cour jeune 6c florifTante, la Foi ne foufFrit jamais des plaifirs ÔC des difTipations inévitables à la jeunefTe des Rois. Sur ce point ,. Sire, tout devient capital dans la bou- che d'un Souverain : une fimple légè- reté va autorifer la licence de l'impiété ou faire de nouveaux impies : on croit plaire en enchérifTant^ ôc les railleries du maître deviennent bientôt des blaf^ phêmes dans la bouche du courtifan,^ Telles font les paflions que les Grands oppofent à la vérité , 6c qui
xjî Vendredi Sa pn t^
eondamnent Jefus- Chrift à la morC Que ne puis je achever , ÔC vous mon- trer les psflîons de? Grands condam- nées par la mort de Jefus-Chrift !
Hélas / en eft-il une feule que fa croix ne confonde ? Il ne meurt que pour rendre témoignage à la vérité ; il en ell le premier Martyr : ôc les Grands craignent la vérité ; &. il eft rare qu'elle ait accès auprès de leur Trône. Il n'eu Roi quepour être la viâimede fon peu- ple ; 6c les peuples font d'ordinaire la viâiime de l'ambition des Princes 5c des Rois. Les marques de fon autorité, fon fceptre , fa couronne , font les inf- trumens de fes fouifrances ; & l'uni- que ufage que les Grands font de leiir autorité . c'eil de la faire fervir à leurs plaifirs injuftes. Au milieu de fes pei- nes ôc de fes douleurs il n'efl: occupé que de nos intérêts ; 6c les Qxzxxàs au milieu de leurs plaifirs ne daignervt pas même s'occuper des peines & des fouifrances de leurs frères. Il fouffre à notre place ; & les Grands croient que tout doit fouifrir pour eux. Il vient Je tous les Peuples ne faire qu'un peuple, réconcilier toutes les nations , éteindre-* routes les guerres; & c'eftla vanité des^ Grands 5 qui les. allume & qiii les. éiei»-
Sur les Obstacles , 5cc. 23:^ nife fur la terre. Que dirai- je ? Il n'eft Pvoi que parce qu'il eft Sauveur •; fes bienfaits forment tous fes titres ; fes qualités gîorieufes ne font que les dif- férens ot^ces de fon amour pour nous; tout ce qu'il eiï de plus grand,!! ne Teft que pour les hommes ; il efl tout à nos ufages : ôc les Grands ne comptent le refte des hommes pour rien , & ne croient être nés que pour eux-mêmes.
Voilà, Sire , le grand modèle des Rois. Du haut de fa croix il inftruit les Grands 6c les Princes de la terre : Re- gardez , leur dit il, Ôcfaires félon ce modèle : j'ai quitté mon Royaume, Ô£ je fuis defcendu de ma gloire pour fau- ver mes fujets ; vous n'êres Rois que pour eux , ÔC leur bonheur doit être Tunique objet de tous les foins atta- chés à votre couronne. Oui , Sire j c'eft un Roi qui donne fa vie pour fon peuple ; ÔC il ne vous demande que votre amourpour le vôtre: c'eftun Roi- qui ne va conquérir le monde que pour r.acquérir à Dieu ; ne combattez que pour lui , 5c vous ferez toujours fur de la vi(^oire : c'eft un Roi qui fait de la croix fon Trône , 8c le lieu de fes dou- leurs 8>C de fes foufFrances ; regardez le vôtre comme un lieu de foins ôc de tra^
134 Vendredi Saint. Tail , &: non comme le (îege de la vo- lupté ÔC de la molleffe : c'eftun Roi qui ne veut régner que fur les cœurs : Tu- fage le plus glorieux de votre-autorité, c'eft celui qui vous afilirera l'amour de vos peuples : c'eft un Roi qui vient ap- porter la pnis , la vérité , la juftice aux hommes, ôc qui ne veut que les ren- dre hf ureux : Sire , régnez pour norre bonheur, &L vous régnerez pour le vôtre.
O mon Sauveur 1 c'eft aujourd'hui que vous commencez à régner vous- même fur toutes les nations ; vos der- niers foupirs font comme les prémices facrées de votre règne : & c'eil par la croix que vous allez conquérir Tuni- vers : grand Dieu ! que ce ibit elie qui affermifle ie règne de 1 enfantprécieux que vous voyez ici à vos pieds : que la Religion en confacre les prémices , & en couronne la durée: ce font Tes glo- rieux ancêtres qui Font placée parmi nous fur le Trône ; que ce foit elle qui y foutienne l'Enfant augufie qui ne peut vous offrir encore que fon inno- cence, la foi de Tes pères, les malheurs qui ont entouré fon berceau royal , ÔC la tendreffe la plus vive de fes fujets.
Confervez l'Enfant de tant de Saints
Sur les Obstacles, 8cc. 235 Se de tant de Proteâ:eurs de la Foi fain- te. Ils expofereiît autrefois leur vie ÔC leur couronne pour aller recouvrer votre héritage ; confervez le (len à cet Enfant précieux : afin qu'il puilîe un jour défendre ÔC protéger l'Eglife, que le père vous donne aujourd'hui com- me rhériiage que vous avez acquis par votre fang. Ils revinrent chargés des dépouilles facrées de la croix ; que ce dépôt faint dont ils enrichirent cette Ylllc régnante , que ce gage précieux de l'A piété de Tes pères , ibllicite au- jourd'hui fur-îout vos grâces en fa fa- veur: n*abandonnez pas l'héritier de tant de Princes , qui ont été les pre- miers défenfeurs de votre nom ôc de votre gloire. Les coups de votre colère l*ont épargné au milieu des débris de fon augurte famille ; iailfez- nous , grand Dieu , jouir de votre bienfait que nous avons acheté fi cher : que ce reile heureux de tant de têtes auguftes que nous avons vu tomber à la fois , répare nos pertes Se elfuye nos larmes: comblez-le lui feul de toutes les grâces que vous aviez réfervées dans vos tré- fors éternels à tant de Princes qui dé- voient régnera fa place , 6C auxquels fa- couronne étoit deftinée : réunilTez en
zi6 Vendredi Saint.^ lui tout ce que vous deviez partager fur les autres ; Scque Ton règne ralTem- bîe toutes les bénédidlions, & tous \^s genres de bonheur , que nous nous promettions fép'dïément fous les rè- gnes des Princes qu'une mort préma- turée nous a enlevés , 6c auxquels vous n'avez refufé fans doute fur la terre une couronne que la naifTance leur deilinoit , que pour leur en préparer dans le Ciel une éternelle. ^/n/ij où- i/»
'■K^
137
SERMON
POUR LE JOUR
DE PASQUES-
Sur le triomphe de la Religion,
■ Expolians principatus & poteftates , tra- duxir Lonfidenter , pdlàm triumphaiis illos ia
fcmcripio.
Jefiis-Chrifl ayant défarmé les Principautés & les Puiffances , il les a menées hautement en triomphe à la face de tout le monde , après les avoir vaincues en fa propre perfonne. Col.
2* 15.
O IRE ,
LEs vains triomphes des Conqiié- rans n'étoîent qu'un fpeâ:acle d'or- gueil , de larmes , de défefpoir 6c de mort : c'étoit le triomphe lugubre des pailions humaines; & ils ne laiflbient après eux que les triftes marques de l'ambition des vainqueurs 6c de la fervitude des vaincus.
X38 Le Jour de Pasques.
Le triomphe de Jeftis-Chrift eil au- jourd'hui pour les nations mêmes qui deviennent fa conquête , un triomphe de paix, de liberté & de gloire.
Il triomphe de Tes ennemis ; mais pour les délivrer ÔC les aflbcier à fa puilFance , il triom|5he du péché; mais en effaçant. 6c attachant à la croix cet écrit fatal de notre condamnation , il en fait couler fur nous une fource de fainteté 6c de grâce : il triomphe de la mort , mais pour nous afTurer l'im- mortalité.
Telle eft la gloire de la Religion : elle n'offre d'abord que les opprobres
& les fouffrances de la croix : mais
»
c'eft un triomphe glorieux 8c le plus grand fpeciracle que l'homme puiiTe donner à la terre. Rien ici bas n'eft plus grand que la vertu : tous les au- tres genres de gloire , on les doit au hafard , ou à l'adulation ÔC à l'erreur publique; celle-ci on ne la doit qu'à Dieu 5c à foi- même. On en fait une honte aux Princes 6c aux Pullfans; 6C cependant c'eft par elle feule qu'ils peuvent être Grands , puifque c'eil par elle feule qu'ils peuvent triompher de leurs ennemis , de leurs paflions 9 5c de ia mort même.
Triomphe de la Religion, i^f Expofons ces vérités fi honorables à la Foi ; ÔC confacrons à la gloire de la Religion l'inftruâiion de ce der- nier jour , qui eft le grand jour des triomphes de Jefus-Chrift.
L
SIRE,
'A gloire des Princes 8c des Grands I. a trois écueils à craindre fur la terre : Paî^tie*; la maligaité de l'envie, ou les inconf- tances de la fortune qui robfcurciflenf, les pafîîo is qui la déshonorent ; enfin, la mort mêiie qui l'enfévelit , & qui change en cenfures les vaines adula- tions qui l'avoient exaltée.
La Religion feule les rnet à couvert de ces écueils inévitables , ÔC où toute la gloire humaine vient d'ordinaire échouer : elle les élevé au delTus des événemens ÔC de Tenvie: elle leur af- fujettit leurs pafTions ; enfin elle leur alTure après leur mort la gloire que la malignité leur avoit peut-être refufée pendant leur vie. C'eft ce qui fait au- jourd'hui le triomphe de Jefus Chriiî , ôc c'eil ce modèle glorieux que nous propofons aux Grands de la terre.
Toute la gloire de fa fainteté §C de fes prodiges n'avoit pu le fauver des
240 Le Jour de Pasques. traits de l'envie ; ÔC fon innocence avoir paru fuccomber aux PuifTances des ténèbres qui Tavoient opprimée. Mais fa rérurre(5lion attache à (on char de triomphe ces Principautés ôc ces PuilTances mêmes : fa gloire fort triom- phante du fein de fes opprobres : fa croix devient le fignal éclatant de fa vi6^oire : la Judée feule l'avoit rejet- te ; ÔC l'univers entier l'adore.
Oui j mes Frères , quelle que puif- fe être la gloire des Grands fur la terre , elle a toujours à craindre , pre- mièrement , la malignité de l'envie qui cherche à Tobfcurcir. Hélas / c'eft à la Cour fur tout , où cette vérité n'a pas befoin de preuve. Quelle eft la vie la plus brillante où l'on ne trouve des tâches ? où font les vi6i:oires qui n'aient une de leurs faces peu gio* rieufe au vainqueur ? quels font les fuccè? 5 où les uns ne prêtent au ha- fard les mômes événemens , dont les autres font honneur aux talons 6c à la fageife ? quelles font les a6i:îons héroï- ques qu'on ne dégrade en y cherchant des motifs lâches 8c rampans ? en un mot , où font les Héros , dont îa ma- lignité , ôc peut-être la vérité ne fafîe des hommes ?
Tant
Triomphe DE la Religîôk. 14% Tant que vous n'aurez que cette gloire où le monde afpire , le monde vous la difputera : ajoutes-y la gloire de la vertu ; le monde la craint ôc I5 fuit , mais le monde pourtant la ref^
P Non , Sire, un Prince qui craint Dieu ôc qui gouverne fagement Tes peuples-, n'a plus rien à craindre des hommes. Sa gloire toute feule auroit — pu faire des envieux; fa piété rendra wF fa gloire même refpeâabie: fes entre- prifes auf oient trouvé des cenfeurs ; fa piété fera l'apologie de fa condui- te : fes profpérités auroient excité la jaloufie ou la défiance de fes voifîns ; il en deviendra par fa piété Tafyle ôC Tarbitre : fes démarches ne feront ja- mais fufpeâ:es , parce qu'elles feront toujours annoncées par la juflice : on ne fera pas en garde contre fon ambi- tion , parce que fon ambition fera tou- jours réglée par fes droits ; il n'attirera point fur fes Etats le fléau de la guer- re , parce qu'il regardera comme un crime de la porter fan? raifon dans les Etats étranger? : il réconciliera les peuples ÔC les Rois , loin de les divifer pour les alfoibîîr 6c élever fa puiiTance fur leurs divifions ÔC fur leur foiblefTe : Petit Carême, L
i4î Le jour de Pasques. fa modération fera !e plus sûr rampart de fon empire : il n'aura pas befoia de garde qui veille à la porte de fon Palais; les cœurs de Tes fujets entou- reront Ton Trône & brilleront autour, à la place des glaives qui le défendent : fon autorité lui fera inutile pour fe faire obéir ; les ord*-es les plus fûre- ment accomplis font ceux que l'amour exécute ; 6c la fourniHion fera fans murmure , parce qu'elle fera fans con- trainte- : toute fa puiffance l'auroit rendu à peine maître de fes peuples ; par la vertu il deviendra l'arbitre mê- me des Souverains. Tel étoit , SiRt , un de vos plus faints PrédéceiTeurs à qui l'Eglife rend des honneurs publics , ÔC qu'elle regarde comme le protecteur de votre Monarchie. Les Rois fes voi- fîns loin d'envier fa puiflance, avoient recours à fa fagefTe : ils s'en remet- toient à lui de leurs différends & de leurs intérêts : fans être leur vainqueur, il étoit leur Juge & leur arbitre ; 6c la vertu toute feule lui donnoit fur toute l'Europe un Empire bien plus fur 6c plus glorieux , que n'auroient pu lui donner fes vi(î^oires. La puifTance ne nous fait que de fujets 6c des efcla- ves : la vertu toute feule nous rend maître des hommes*
Triomphe de la Religion. 145 Mais 11 elle nous met au de (Tu s de î'envie ; c'eft elle encore qui nous rend fupéfieurs aux événemens. Oui , Sire , les plus grandes profpérités ont toujours ici bas des retours à craindre: Dieu qui ne veut pas que notre cœur s'attache où notre tréfor & notre boa- heur ne fe trouvent point , fait quel- quefois du plus haut point de notre élévation le premier degré de notre décadence : la gloire des hommes montée à fon plus grand éclat , s*atti* re , pour ainfi dire , à elle-même des nuages : Thiftoire des Etats & des Em- pires n'efl elle-même que l'hiftoire de la fragilité ÔC de l'inconftance des cho- fes humaines : les bons bL les mauvais fuccès femblent s'être partagé la durée des ans 8c des fiécles ; ^ nous venons de voir le règne le plus longSc le plus glorieux de b Monarchie , finir par des revers 5c par des difgraces.
Mais fur les débris de cette gloire humaine , votre pieux & augufle Bi- -faïeul fut s'en élever une plus folide 6C plus immortelle. Tout fembla fondre & s'éclipfer auîour-de lui : mais c'eft alors que nous le vîmes à découvert lui même, plus grand parla (implicite de fa foi ÔC par la confiance de fa piété ,
Lij
244 Le jour de Pasques. que par Téclat de Tes conquêtes : fes profpérités nous a voient caché fa vé- ritable gloire : nous n'avions vu que fes fjccès , nous vîmes alors toutes fes vertus : il falloit que fes malheurs égalaiT^nt fes profpérités ; qu'il vît tomber autour de lui tous les Princes les appuis de fon Trône ; que votre vie îîiênae fût menacée , cette vie fi chère à la nation , ôc le feul gage de fes mi- féricordes , que Dieu laiiTe encore à fon peuple : il falloit qu'il demeurât tout feul avec fa vertu , pour paroître tout ce qu'il étoit : fes fuccès inouis lui avoient valu le nom de Grand ; fes fentimens héroïques ÔC chrétiens dans î'adverfiré , lui en ontalfuré pour tous les âges à venir le nom ôC le mérite.
Non , mes Frères , il n'eft que la Re- ligion qui puiffe nous mettre au-deflus des événemens ; tous les autres motifs nous lailTent toujours en^re les mains de notre foibleffe : la raifon , la Philo- fophie promettoit la confiance à fon Sage ; mais elle ne la donnoit pas : la fermeté de l'orgueil n'étoit que la dernière relîburce*du découragememt; Se l'on cherchoit une vaine confola-; tion , en faifant femblant de méprifei* des maux qu*on n'étoit pas capable dq
Triomphe de la Religion. 245 vaincre. La plaie qui blefle le cœur , ne peut trouver Ton remède que dans , le cœur même ; or ia Religion toute feule porte fon remède dans le cœur* Les vains préceptes de la Phiiofophie nous prêchoient une infenfibilité ri- dicule , comme s'ils avoient pu étein- dre les Tentimens naturels, fans étein- dre la nature elle même. La Foi nous laiîfe fenfibles ; mais elle nous rend fournis , 6c cette fenfibilité fait elle- même tout îe mérite de notre foumif fîon : notre fainte phiiofophie neù. pas inteofîble aux peines \ mais elle eft fupéfieure à la douleur- C'étoiîôier aux hommes la gloire de la fermeté dans les Souffrances , que de leur en ôter le fentiment;5clarageire payenne ne vou- loir les rendre infenfibles, que parce- qu'elle ne pouvoir les rendre foumis 5c patiens : elle apprenoit à l'orgueil à cacher 6v. non à furmonrer les fenfî- bilités ôc Tes foiblefies : elle formoit des héros de théâtre , dont les grands fentimens n'étoient que pour les Spec- tateurs, ÔC afpiîoiî plus à la gloire de paroître confiant, qu'à la vertu même de la confiance.
Mais la Foi nous laiiïe tout le mérite de la fermeté , &: ne veut pas même
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24.6 Le jour de Pasques. en avoir l'honneur devant les hom- mes. Eile facrifie à Dieu feul les fenti- mens de la nature ; 6c ne veut pour témoin de fou facrifice que celui feul qui peut en être le rémunérateur : elle feule donne de la réalité à toutes les autres vertus 5 parce qu'elle feule en bannit l'orgueil qui les corrompt , ou qui n'en fait que des phantômes.
Ainfi 5 qu'on vante l'élévation ô( la ilipériorité de vos lumières ; qu'une haute fageffe vous fafle regarder com- me l'ornement ôc le prodige de votre fîécle : fi cette gloire n'eft qu'au de- hors ; fi la Religion , qui feule élevé le cœur , n'eft pas la première bafe ; k premier échec de Tadverfité renver- fera tout cet édifice de phik>lbphie 5c de faufle fageffe , tous ces appuis de chair s'écrouleront fous votre mipin ; ils deviendront inutiles à votre hiaî- heur : on cherchera vos grandes qua- lités dans votre découragement ; 5c votre gloire ne fera plus qu'un poids ajouté à votre afïliàion qui vous la rendra plus infupportable. Le nionde £e vante de faire des heureux ; mais la Religion toute feule peut nous rendre- grands au milieu de nos malheurs mêmes»
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Triomphe de la Religion. 24^ 1 Remier triomphe de Jefus- Chrifî: ; *' ,
PARTIE»
il triomphe de la malignité de l'erif; vie 8c de tous les opprobres qu'elle îui avoient attirés de la part de {es en- nemis. Mais il triomphe encore du pé- ché : il etpmene captif ce premier au- teur de la captivité de tous les hommes: il nous rétablit dans tous les droits glorieux dont nous étions déchus , 5c nous rend par la grâce la fupériorité fur nos paiîîons , que nous avions per- due avec rinnocence.
Second avantage de la Religfon : elle nous élevé au-delTus de nos paf- iions 5 6c c'ell: le plus haut degré de gloire où l'homme puiiTe ici-bas at- teindre. Oui , mes Frères : en vain le monde infulte tous les jours à la piété par des dériflons infenfées ; en vain , pour cacher la honte des paflions , il fait prefque à l'homme de bien une honte de la vertu ; en vain il la repré- fente , aux Grands fur tout , comme une foiblefTe , & comme Técueil de leur gloire ; en vain il autorife leurs paffions, par les grands exemples qui les ont précédés , ôc par l'hiftoire des Souverains qui ont allié la licence des mœurs avec un règne glorieux 6C Té- _
L iv
t4.6 Le jour de Pasque^, en avoir l'honneur devant les hom» mes. Elle facrifie à Dieu feul les fenti» mens de la nature ; ôc ne veut pour témoin de fou facrifice que celui feul qui peut en erre le rémunérateur : elle feuîe donne de la réalité à toutes les autres vertus j parce qu'elle feule en bannit Porgueil qui les corrompt , ou qui n'en fait que des phantômes.
Ainfî 5 qu'on vante Télévation & la iupériorité de vos lumières ; qu'une haute fageffe vous faiîe regarder com- me l'ornement 5c le prodige de votre îîécle : fi cette gloire n'eft qu'au de- hors ; fi la Religion , qui feule élevé le cœur , n'efl: pas la première bafe ; le premier échec de fadverfité renver- fera tout cet édifice de philoiophie 6c de fauffe fageffe , tous ces appuis de chair s'écrouleront fous votre m^in ; ils deviendront inutiles à votre tmU heur : on cherchera vos grandes qua- lités dans votre découragement ; 5c votre gloire ne fera plus qu'un poids ajouté à votre affliâion qui vous la rendra plus infupportable. Le monde £d vante de faire des heureux ; mais la Religion toute feule peut nous rendre grands au milieu de nos m.allieurs mêmeSa
Triomphe de la Religion. xA^i 1 Remier triomphe de Je fus- Chrift ; *• ,
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il triomphe de la malignité de l'en- vie 8c de tous les opprobres qu'elle lui avoient attirés de la part de fes en- nemis. Mais il triomphe encore du pé- ché : il eqnmene captif ce premier au- teur de la captivité de tous les hommes: il nous rétablit dans tous les droits glorieux dont nous étions déchus , 6C nous rend par la grâce la fupériorité fur nos pallions , que nous avions per- due avec l'innocence.
Second avantage de la Religfon : elle nous éleva au-delTus de nos paf- lîons , 6c c'eil le plus haut degré de gloire où l'homme puiiTe ici-bas at- teindre. Oui , mes Frères : en vain le monde infulte tous les jours à la piété par des dérifions infenfées ; en vain , pour cacher la honte des paillons , il fait prefque à l'homme de bien une honte de la vertu ; en vain il la repré- fente , aux Grands fur tout , comme une foiblede , & com^ne l'écueil de leur gloire ; en vain il autorife leurs paHîons, par \ç^% grands exemples qui les ont précédés , ôc par l'hiftoire des Souverains qui ont allié la licence des mœurs avec u*n règne glorieux 6C l'é-
L iv
24^ Le jour de Pasques. clat des vi(^oires ôc des conquêtes % leurs vices venus jufqu'à nous , 5c rap- pelles d'âge en âge , formeront jufqu'à la fin le trait honteux , qui efFace l'é- clat de leurs grandes aérions , ôc qui déshonore leur hilloire.
Plus même ils font élevés , plus le dérèglement des mœurs les dégrade j & leur ignominie , dit TEfprit de Dieu, 2. Macc» ^^^'^^ ^ proportion de leur gloire. Outre i* 24, que leur rang , en les plaçant au deffus de nos têtes , expofe leurs vices com- me leur perfonne aux yeux du public. Quelle honte lorfque ceux qui font établis pour régler les pafTions de la multitude , deviennent eux- mêmes les vils jouets de leurs pafTîons propres ; êc que la force , l'autorité , la pudeur des loix fe trouvent confiée à ceux qui ne connoifTent de loi , que le mépris - public de toute biénféance & leur propre foiblelfe ! Ils dévoient régler les mœurs publiques ; ôc il les corrom- pent : ilsétoient donnés de Dieu pour être les proteâieurs de la vertu ; & ils deviennent les appuis 5c les modèles du vice.
Toute la gloire humaine ne fauroit jamais effacer l'opprobre que leur laifle ie défordre des mœurs , ôc l'emporte-
Triomphe de la Religion. 249 ment des pafTions ; les vi6loires ies plus éclatantes ne couvrent pas la hon- te de leurs vices : on loue les actions y Se l'on méprife la perfonne : c'eft de tout temps , qu'on a vu la réputation^ la plus brillante échouer contre les mœurs du héros ; ôc Tes lauriers flétris par fes foiblelTes. Le monde qui fem- ble méprifer la vertu , n'eftime 6c ne rerpe8:e portant qu'elle : il élevé de^ nionun:îens fuperbes aux grandes se» lions des conquérans ; il fait reîentif la terre du bruit de leurs louanges;, une poéfie pompeufe les chante 6(. les immortalife ; chaque Achille a fori Homère ; l'éloquence s'épuife pou? leur donner du luftre r l'appareil def éloges eft donné à l'ufage & à la van** té ; l'admiration fecrette & les louan- ges réelles &C finceres , on ne les dor.» ne qu'à la vertu 5c à la vérité.
Et en effet ^ le bonheur ou la ténic'* îité ont pu faire des héros ; mais la vertu toute feule peut former de grands hommes, il en cotite biea- moins dé remporter des viclt^'res que* de fe vaincre foi-même : il ell biem plus aifé de conquérir des provii^cca^^ êc de dompter des peuples- , que de dompter une paiBoa .la ir orale» mime
250 Le jour de Pasques; des Payens en efl convenue. Du moinâ^ les combats où préGde la fermeté , la grandeur du courage, la fcience mili- taire , font de ces allions rares , que Ton peut compter aifément dans le cours d'une longue vie ; ÔC quand il ne faut être grand que certains mo- mens , la nature ramaife toutes fes forces , ôc l'orgueil pour un peu de temps pe^ut fupplécr à la vertu. Mais les combats de la Foi font de? combats de tous les jours : on a affaire à des enne- mis qui renaillent de leur propre dé- faite : fi vous vous laffez un inftant 9. vous périlîez : la viâoire même a fes dangers; l'orgueil , loin de vous aider, devieotle plus dangereux ennemi que ^ous ayez à combattre : tout ce qui vous environne fournit des armes con* pre vous ; votre cœur lui-même vous drelTe des embûches ; il faut fans céfle recommencer le combat. En un mot, on peut être quelquefois plus fort ou plus heureux que fes ennemis ; mais qu'il eft grand d'être toujours plus fort ^pe foi même !
Telle eft portant la gloire de la Religion. La Philofophie découvroit la honte des paiFions ; mais elle n'ap- ^fêHQir £>a§ à les vaiflcre ^ ôc ces pré-
Triomphe de la Religion. 251 ceptes pompeux étoient plutôt l'éloge de la vertu , que le remède du vice.
Il étoitmême néceflaire à la gloire & au triomphe de la Religion que les plus grands génies , ÔC toute la force de la rai Ton humaine fe fut épuifée pour rendre les hommes vertueux. Si les Socrates 6c les Platons n'avoient pas été les Do£^eurs du monde avant Jefus Chrift , ÔCn'euflent pas entrepris en vain dérégler les mœurs, 6c de cor- riger les hommes par la force feule de la raifon ; l'homme auroit pu faire hon^ neur de fa vertu à la fupériorité de fô raifon 5 ou à la beauté de la vertu mê- me : mais ces prédicateurs de la fagefle ne firent point de Sages ; & il failoit que les vains elTais de la philofophie prcparalfent de nouveaux triomphes^ ia grâce.
C'eft elle enfin qui a montré à fe terre le véritable Sage , que tout le faite Se tout l'appareil de la raifon hu^ maine nous annonçoit depuis fi long- temps. Elle n'a pas borné toute fa gloire- corn me la Philofophie à effayer à'ew former à peine un dans chaque fiecle parmi les hommes : elle en a peuple les villes, les Empires, les défères ; ^ Fimlverî entiersa été pour elle un autre
252 Le jour de Pasques Licée , où au milieu des places publi- ques elle a prêché la fagelTe à tous les ^ o hommes. Ce n'eft pas feulement par- jt. ^^ / mi les peuples les plus polis, qu'elle a choifi fes Sages ; le Grec ÔC le Barbare , le Romain 6c le Scythe ont été égale- ment appelles à fa divine philofophie : ce n'eft pas aux Savans tous feuls ,; qu'elle a réfervé la connoiffance fubli- me de Tes my itères; le fimple a prophé- iifé comme le r3ge;ôclesigrj or ans eux- mêmes font devenus fes douleurs ê>C fes apôtres. Il falloir que ia véritable lageliê pût devenir la fageffe de tous ks hommes. •
Que dirai je ? Sa doélrine étoit in- ênfée en apparence ; & lès Philcfo- phes foumirent leur raifon orgueilleu» le à cette fainte folie : elle n'annon- i|oit que des croix ÔC des fouffrances ; èc les Céfars- devinrent fes difciples : «lie feule vint apprendre aux hom- mes , que la chafleté , 1 humilité , la nem.pérance pouvoient être afîlfes fur lie Trône ; ^ que ie liège ûts paflîons Bc des piaiiirs pouvoir devenir le Sege de la vertu 6c de l'innocence* Quelle gloire pour la Religion !
Mais ^ Sire , iî la piété des Grands; .t^ gjioneuie; à k Religion 5. c'eH Is
Triomphe de la Religion. 1^3
Religion toute feuie qui fait la gloire véritable des Grands. De tous leurs titres , le plus honorable c'eft la vertu- Un Prince maître de Tes pafîîons ; ap- prenant fur lui - même à commander aux autres ; ne voulant goûter de l'au- torité , que les foins 6c les peines que le devoir y attache ; plus touché de Tes fautes que des vaines louanges qui les^ lui déguifent en vertus ; regardant comme l'unique privilège de Ton rang , l'exemple qu'il eft obligé de donner aux peuples ; n'ayant point d'autre frein ni d'autre règle que Tes defirs , ÔC faifant pourtant à tous fes delirs un f;ein de la règle même ; voyant autour de lui tous les hommes prêts à fervir à fes pafîîons , ôC ne fe croyant fait lui-- même que pour fervir à leus befoins ; pouvant abufer de tout, ÔC fe refufant même ce qu'il auroiteu droitde fe per- mettre : en un mot , entouré de tous les attraits du vice , ÔC ne leur mon^ trant jamais que la vertu ; un Prince de ce caraôere efl le plus grand fpec- tacle que la Foi puiÏÏe donner à la ter- re : une feule de fes journées eompre plus d'actions glorieufes que la longue carrière d'un conquérant; l'un a été la héros d'un jour ^ l'autre l'eû de iQixm: la vie»
2 54 Ï-E JOUR DE PaSQUES.
n. C'J
'Eft ainfi que Jefus Chrift trîom- Partie* ^^^ aujourd'hui du péché ; mais il triomphe encore de la mort ; il nous ouvre les portes de T'im mortalité , que le péché nous avoit fermées ; ÔC le fein même de Ton tombeau enfante tous les hommes à la vie éternelle.
C'eft le dernier trait qui achevé le triomphe de la Pvcligion. L'impiété ne donnoità l'homme que la même fin , qu'à la bête : tout devoit mourir avec fon corps ; &: cet être fi noble , feul capable d'aimer 6c de eonnoître , n'é- toit pourtant qu'un vil afTemblage de boue que le hafard avoit formé , 6c que le hafard feul alloit difToudre pour toujours.
La fuperfiiiion payenne lui promet- toit au -delà du tombean une félicité oifeufe , où les vains phantômes des fens doivent faire tout le bonheur d^un homme qui ne peut être heureux que parla vérité.
La Religion nous ouvre des efpéran- ces plus nobles 6c plus fublimes : elle rend à l'homme rimm.ortalité , que l'impiété de la Philofophie avoit voulu lui ravir, Se fubftitue lapoffeiîloo éter- adie du bien fouverain à ces champf
Triomphe de la Religion. 25$
fabuleux & à ces idées puériles de bonheur que la fuperftition avoir ima- ginées.
Mais cette immortalité quieft la plus douce efpérance de la Foi , n'efl pro- mife qu'à la Foi même : Tes promefles font la récompenfede fes maxirnes; ÔC pour ne mourir jamais même devant les hommes , il faut avoir vécu félon; Dieu.
Oui, mes Frères, cette immortalité y même de renommée , que la vanité promet ici- bas dans le fouvenir des hommes , les Grands ne peuvent la mériter que par la vertu.
La mort eil prefque toujours l'écueiï êC le terme fatal de leur gloire : les vai- nes louanges , dont on les avoit abufés pendant leur vie , defcendetit prefque aufîî- tôt avec eux dans l'oubli du tom- beau : ils ne furvivent pas long-temps à eux mêmes ; ou s'il en refte quelque fouvenir parmi les hommes, ils en font plus redevables à la malignité des cen- fures , qu'à la vanité des éloges : leurs louanges n'ont eu que la même durée que leurs bienfaits : ils ne font plus- rien , dès qu'ils ne peuvent plus rien^ Leurs adulateurs même deviennent: iemscenfeurs'î (.car l'adulation dégéne^
z$6 Le jour de Pasques. re toujours en ingratitude; ) de nouvel- les efpérances forment un nouveau lan- gage ; on élevé fur les débris de^a gloi- re du mort la gloire du vivant ; on em- beiiit de fes dépouilles 5c de fes vertus celui qui prend. fa place. Les Grands font proprement le jouet des paillons des hommes; leur gloire n'a point de confiftance alTurée , Sc elle augmente ou diminue avec les intérêts de ceux qui les louent.
Combien de Princes vantés pendant leur vie , n'ont pas même laiffé leur nom à la poflérité ; ôc que font les hif- Eoires des Etats Sc^des Empires qu'un petit relie de noms & d'aélions , échap- pé de cette foule innombrable qui de- puis la nailTance des llecles e£t demeu- rée dans l'oubli !
Qu'ils vivent félon Dieu , 6c leur nom ne périra jamais de la mémoire des hommes. Les princes religieux fon2 écrits en caraâ:eres ineffaçables dans ies annales de l'univers. Les viâ:oire3 &. les conquêtes font de tous les liecles & de tous les règnes , ÔC elles s'effacenr, pour aînfi dire , ies unes les autres davis Bos hifVoires : mais les grandes avions de piété plus rares, y confervent tou- jours tout leur éclata Un Prince pieui*:
Triomphe de la Religion. 157 fe démêle toujours de la foule des au- tres Princes dans la pollérité : fa tête ÔC fon nom s'élève au- deiTus de toute cette multitude , comme celle de Saul s'élevoitau-deffusde toute la multitu- de des Tribus: fa gloire va même croif- fant en s'éloignant , & plus les fiecies fe corrompent , plus il devient un grand fpeélacle pai^a vertu.
Oui , SiRE , on a prefque oublié les noms de ces premiers conquérans, qui jetterent dans les Gaules les premiers fondemens de votre Monarchie, ils font plus connus par les Fables Se par les Romans , que par l'Hiffoire ; 6C Ton difpute même s'il faut les mettre au nombre de vos auguftes Prédécef- feurs : ils font demeurés comme enfé- velis dans les fondemens de l'Empire qu'ils ont élevé , ôc leur valeur qui a perpétué la conquête du Royaume à leurs defcendans, n'a pu y perpétuer leur mémoire.
Mais le premier Prince qui a fart affeoir avec lui la Religion fur le Trône des François , a immortalifé tous fes titres par celui de Chrétien : la France a confervé chèrement la mémoire du Grand Clovis: ta Foi eft devenue, pour sinfi dire , la première U la plus fûre
^5^ Le Jour de Pasques. époque de rHifîoire de la Monarchie; & nous ne commençons à connoître vos ancêtres , que depuis qu'ils ont commencé eux-mêmes à connoître Jefus-Chrift.
Les fainrs Rois dont les noms font écrits dans nos annales , feront toujours ks titres les plus précieux de la Monar- chie, 5c les modèles iilufires que cha- que fiecle propofera à leurs fucctlTeurs,
C'eft fur la vie, Sire , de ces pieux Princes vos ancêi;res, qu'on a déjà fixé vos premiers regards : on vous anime tous les jours à la vertu par ces grands exemples. Soutenez-vous des Charle- magnes & des Saint Louis qui ajoutè- rent à l'éclat de la Couronne que vous portez; l'éciat immortel delà juftice 6c de la pitié ; c*eil ce que répètent tous les jours à Votre Majefté de fages inf- truétions : ne remontez pas même û haut , vous touchez à des exemples d'autant plus intérelTans , qu'ils doi- vent vous être plus chers ; 6c la piété coule de plus près dans vos veines avec le fangd'un Père pieux & d'un augufte Bifaïeul.
Vous ères , Sire , le feul héritier de leur Trône ipuiiïiez- vous l'être de leurs vertus l puifTent ces grands mo-.
Triomphe de la Religion. 259 deles revivre en vous par l'imitation ^ plus encore que par le nom ! puifTiez- vous devenir vous- même le modèle des Rois vos fuccelîeurs /
Déjà , (i notre tendreffe ne nousfé- duit pas ; fi une enfance cultivée par tant de foins ÔC par des mains fi habi- les , ÔC où l'excellence de la nature femble prévenir tous les jours celle de l'éducation , ne nous fait pas de nos defirs de vaines prédissions ; déjà s'ou- vrent à nous de fi douces efi^érances : déjà nous voyons briller de loin les premières lueurs de notre profpérité future : déjà la majeflé de vos ancê- tres peinte fur votre front , nous an- nonce vos grandes deftinées. Puiffiez- vous donc , Sire, 5c ce fouhait les renferme tous ; puifiiez - vous être un jour aufli grand que vous nous êtes cher !
Grand Dieu ! fi ce n'étoient là que mes vœux 6c mes prières , les derniè- res fans doute que mon miniftere ^ attaché déformais par les jugemens fecrets de votre Providence au foin d'une de vos Eglifes , noe permettra de vous oiFrir dans ce lieu augufte ; fi ce n'étoient là que mes vœux ôC mes prières \ & qui fuis - je pour efpérei
i6o Le Jour de Pasques. qu'elles pufTent monter jufqu'à votre Trône ? Mais ce font les vœux de tant de faints Rois qui ont gouverné la Mo- narchie , & qui mettant leurs couron- nes devant l'Autel éternel aux pieds de TAgneau, vous demandent pour cet Enfant augufte la couronne de juftice qu'ils ont eux- mêmes méritée.
Ce font les vœux du Prince pieux fur tout qui lui donna la nailTance; 6c qui profterné dans le Ciel , comme nous refpérons , devant la face de vo- tre gloire , ne cefie de vous demander que cet unique héritier de fa couron- ne le devienne aufil des Grâces ^ des mifcricordes dont vous l'aviez prévenu lui mê ne.
Ce ioni les vœux de tous ceux qui m'écouient , ÔCquiou chHft;ésdu foin de ion enfance , ou arrachés de plus près à fa perfonne facrée , répandent ici leur cœur en votre préfence ; afia que cet Enfant précieux , qui e{\ ccm- me Tenfant de nos foupirs & de nos larmes , non feulement ne périiTe pas, mais devienne lui-même le falut de fon peuple.
Que dirai je encore ? ce {bnt,ô moa Dieu .' les vœux que toute la nation ¥Ous oifre aujourd'hui par ma bouche
Triomphe de la Religion. i6i cette nation que vous avez protégée dès le commencement , 8c qui malgré fes crimes eft encore la portion la plus florilTante de votre Eglife.
Pourrez- vous , grand Dieu ! fermer à tant de vœux les entrailles de votre miféricorde ! Dieu des vertus , tour- nez-vous donc vers nous : Dcus virtu- Pf-l^^. tiim^ convertere : Regardez du haut du iS* ^^' Ciel , 5c voyez , non les diffblutions publiques ÔC fecrettes , mais les mai- heurs de ce premier Royaume chré- tien , de cette vigne (î chérie que vo- tre main elle même a plantée, 6c qlii a été arrofée du fang de tant de Mar- tyrs ! Rcfpice de cœlo ^ & vldc^ & vifîta vineam ijlam quam plantavit dextera tua. Jettez fur elle vos anciens regards de miféricorde : ÔC fi nos crimes vous forcent encore de détourner de nous votre face ; que l'innocence du moins de cetaugufle Enfant que vous avez établi fur nous , vous rappelle & vous rende à votre peuple : Et fuper filium hominis , quem confirmadl tibl.
Vous nous avez affez affligés , grand Dieu ! effuyez enfin les larmes que tant de fléaux que vous avez verfé fur nous dans vorre colère , nous font répandre. Faites fuccéder des jours de
î,5i Le Jour de Pasques. joie 6c de iriféricorde à ces jours de deuil ,5c de courroux ÔC de vengeancco Que vos faveurs abondent où vos châ- timens avoîent abondé : ôc que cet Enfant fi cher foit pour nous un don qui répare toutes nos pertes.
Faites en , grand Dieu , un Roi fé- lon votre cœur , c'efl à dire , le père de fon peuple ; le protecteur de votre Eglife ; le modèle des mœurs publi- ques ; le paciiicatenr, plutôt que le vainqueur des nations ; l'arbitre , plus qu* la terreur , de fes voifîns : 6c que l'Europe entière envie plus notre bon- heur ôc foit plus touchée de fes ver- tus qu'elle ne foit jaloufe de fes vic- toires §C de fes conquêtes.
Exaucez des vœux (i tendres 8c (î jufte , ô mon Dieu ! & que ces faveurs temporelles foient pour nous un gage de celles que vous nous préparez dans reternité, Ainfi foit-iL
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SERMON
SUR
LES VICES ET LES VERTUS
DES GRAN DS.
Oftencîit ei omnia régna mundi, & gîoriam eorum ; & dixit ei : Hase omnia tibi dabo , fi cadens adoraveris me.
Le démon montra à Jefus-Chrijî touf les Royaumes du monde , & toute la pompe & la gloire qui les environnent ; & il lui dit : Je vous donnerai toutes ces chofes , Jî en vous proilernant devant moi vous m'adorei^ Matth. 4. 8. 9.
O I RE ,
LEs profpérités humaines ont tou- jours été un des pièges les plus dangereux , dont le démon s'eft fervi pour perdre les hommes. Il fait que l'amour delà gloire ÔC de l'élévation nous eftii naturel, que rien ne nous coûte pour y parvenir , 6c que l'ufage en ell (î féduifant , que rien n*eft plus rare que la piété environnée de gran- deur ÔC de puiflance.
x64 Vices et Vertus.
Cependant, mes Frères , c'eft Dieu feul qui élevé les Grands & les Puif- fans ; qui vous place au delTus des au- tres , afin que vous foyez les pères des peuples , les confolateurs des affligés j les afyles des foibles, les fentimens de l'Eglife , les protecteurs de la venu , les modèles de tous les Fidèles.
Souffrez donc , mes Frères , qu'en- trant dans i'efprit de notre Evangile , je vous expoie ici les périls ÔC les avantages de votre état ; & qu'avant que d'entrer dans le détail des devoirs delà vie chrétienne, dont je dois vous entretenir durant ces jours de falut , je vous marque à l'entrée prefque de cette carrière les obflacles 5c les faci- lités que vous offre pour les accomplir, l'élévation où la Providence vous a fait naître.
îl y a de grandes tentations atta- chées à votre état , .je l'avoue ; mais auff il s'y trouve dô grandes reffour- ces : on y naît , ce femble , avec plus de paHlons que le refle des hommes ; mais aufîî on peut y pratiquer plus de vertus: les vices y ont plus de fuite; mais auilî la piété y devient plus utile: en un mot , on y eft bien plus coupa- ble que le peuple , quand on y oublie
Dieu ;
Des Grands. i6$ Dieu ; mais auflîl on y a bien plus de mérite , quand on lui eft fidèle.
Mon deflein donc aujourd'hui , efl de vous repréfenter les grands biens ou les grands maux qui accompagnent toujours vos vertus ou vos vices ; eft de vous faire fentir ce que peut pour le bien ou pour le mal l'élévation où vous êtes né ; eft enfin , de vous ren- dre le défordre odieux en vous déve- loppant les fuites inexplicables que vos paflions traînent après elles , &Ia piété aimable par les utilités incom- préhenfibles qui fuivent toujours vos bons exemples. Ge ne feroit pas aflez de vous marquer les périls de votre état , il faut aufîî vous en découvrir les avantages. La chaire chrétienne invec- tive d'ordinaire contre les grandeurs ÔC la gloire du (îecle ; mais il feroit inutile de vous parler fans cefTe de vos maux, fî l'on ne vous en préfentoiten même-temps les remèdes. C'eft ces deux vérités que je me propofe de réu- nir dans ce Difcours , en vous expo- fant quelles font les fuites infinies des vices des Grands 5c des PuifTans , 6c quelles font les utilités ineftimables de leurs vertus. Ave y Maria,
Petit Carême, M
i66 Vices et Vertus
ï» V^ N jugement très- févere ell réfervé Fartie. ^ QQu^-^ qyj font élevés , dit FEfprit de Dieu : on fera miféricorde aux pau- vres 6c aux petits ; mais le Seigneur déploiera toute la puifTance de fonbras pour châtier les Grands & les Puif- ^a;?. 6,7. Tans : Exiguo conccditur mifericordia ; patentes autcm patenter tormenta pa- tientur.
Ce n'eft pas , mes Frères , que le Seigneur rejette les Grands & les Puiflans , comme dit l'Ecriture , puif- qu'il eft puiffant lui-même ; ou que le rang 6c Télévation foient auprès de lui des titres odieux qui éloignent Tes grâces , 6c faffent prefque tout feuls notre crime. Il n'y a point en lui d'ac- ception de perfonne : il eft le Sei- gneur des cèdres du Liban , comme de l'hyfTope qui croît dans les plus profondes vallées : il fait lever fon foleil fur les plus hautes montagnes , comme fur les lieux les plus bas ÔC les plus obfcurs : il a formé les aftres du ciel comme les vers qui rampent fur ^ la terre : les Grands font même les images plus naturelles de fa grandeur 8c de fa gloire , les miniftres de' fon autorité , les canaux de fes libéralités
DES Grands. 2^7 3c de fa magnificence. Et je ne viens pas ici 5 mes Frères , félon le langa- ge ordinaire, prononcer des anathêmes contre les grandeurs humaines 6c vous faire un crime de votre état , puifque votre état vient de Dieu , 6c qu'il ne s*agit pas tant d'en exagérer les périls , que de vous montrer les moyens in- finis de falut attachés a l'élévation où la Providence vous a fait naître.
Mais je dis , mes Frères , que les péchés des Grands ôc des PuilTans ont deux caractères d'éaormité qui les ren- dent infiniment plus puniflables de- vant Dieu, que les péchés du commun des Fidèles : premièrement , le fcan- dale ; fecondement , l'ingratitude.
Le fcandale. Il n'eil point de crime, mes Frères , auquel l'Evangile laifTe moins d'efpérance de pardon , qu'à celui d'être un fujet de chute à nos frères ; Malheur à V homme qui fcari' ^ Matth dciUfe j dit Jefus-Chrift ,\iHai/erozf 8, (j, plus avantageux d'être précipité au fond de la mer ^que de devenir une occajion de perte & de fcandale au plus petit d'entre mes Difciples, Premièrement , parce- que vous perdez une ame qui de voit jouir éternellement de Dieu. Secon- dement , parce que vous faites périr
Mij
1^8 Vices et Vertus votre frère pour lequel Jefus-Chriâ étoit mort. Troifîémement , parce que vous devenez le miniftre des defleins du démon poui* la perte des âmes. Quatrièmement , parce que vous êtes cet homme de péché , cet antechrift dont parle l'Apôtre : car Jefus-Chrifl a fauve l'homme ôc vous le perdez ; Jefus-Chrift a formé de véritables ado- rateurs à fon Père, 8c vous les lui ôtez; Jefus-Chrift nous a acquis par fon fang , & vous lui raviffez fa conquête ; Jefus-Chrift eftle médecin des âmes , & vous en êtes le corrupteur ; il eft leur voie , 6c vous êtes leur piège ; il eft lepafteur qui vient chercher les bre- bis qui périftent , ôc vous êtes le loup dévorant qui tuez 6c perdez les ouail- les que fon Père lui avoit données. Cinquièmement , enfin , parce que tous les autres péchés meurent , pour ainfi dire , avec le pécheur : mais les fruits de fes fcandales feront immor- tels ; ils furvivront à fes cendres ; ils fubfifteront après lui , & fes crimes ne defcendront pas avec lui dans le tom- beau de fes pères.
Achan fut puni avec tant de rigueur pour avoir pris feulement une règle d'or parmi des dépouilles que le Sei-
Des Grands. i6p gneur s'étoit confacrées : mon Dieu ! quelle fera donc la punition de celui qui ravit à Jefus-Chrid une ame qui étoit fa dépouille précieufe , rachetée non avec de l'or ôc de l'argent , mais de tout le fang divin de l'Agneau fans tâche ? Le Veau d'or fut réduit en poufTiere pour avoir fait prévariquer îfraël : grand Dieu ! 8ctout l'éclat qui environne les Grands 6c les PuiiTans j les mettroit- il à couvert de votre co- lère 5 dès qu'ils ne font élevés que pour être à votre peuple une occafion de chute ÔC d'idolâtrie ? Le ferpent d'ai- rain lui-même, ce moLument facré des miféricordes du Seigneur fur Juda , fut brifé pour avoir été une occafion de fcandale aux Tribus : mon Dieu ! & le pécheur déjà fi odieuK par fes propres crimes , fera t il épargné, iorf- qu'il devient us piège 5c une pierre d'achoppement à fes frères ?
Or , mes Frères , voilà le premier cara£tere qui accompagne toujours vos péchés , vous que le rang & la naiffance élèvent fur le commun des Fidèles : le fcandale. Les âmes vul- gaires 8c obfcures ne vivent que pour elles feules. Confondues dans la foule, Se cachées aux yeux des hommes par
M iij
170 Vices et Vertus îa bafTefle de leur deftinée , Dieu feuî eft le témoin fecret de leurs voies 5c le fpeftateur invifible de leurs chûtes ; fi elles tombent , ou délies demeurent fermes , c'eft pour le Seigneur tout feul qui les voit 6c qui les juge : le inonde qui ignore même leurs noms , n'eft pas plus inftruit de leurs exem- ples : leur vie n'a point de fuite : ils peuvent faire des chûtes , mais ils tombent tout feuls ; & s'ils ne fe fau- vent pas , leur perte du moins fe. bor- ne à eux 6c ne devient pas celle de leurs frères.
Mais les perfonnes nées dans l'élé- vation , deviennent comme un fpec- tacîe public fur lequels tous le? regards font attachés : ce font ces maifons bâ- ties fur la montagne , qui ne fauroient fe cacher Si que leur fituation toute feule découvre ; ces flambeaux luifans qui traînent par tout avec eux l'éclat qui les trahit & qui les montre. C'eft le malheur de la grandeur &. des digni- tés ; vous ne vivez pluspour vous feul; à votre perte ou à votre falut eft atta- - ché la perte ou le falut de tous ceux qui vous environnent ; vos mœurs for- ment les mœurs publiques ; vos exem- ples font ieè règles de la multitude ;
Des Grands. iji vos a£^ions ont îe même éclat que vos titres : il ne vous eft plus permis de vous égarer à rinfçu du public ; 5c le fcanda- le eft toujours le trille privilège que votre rang ajoute à vos fautes.
Je dis le fcandale , premièrement, d'imitation. Les hommes imitent tou- jours le mal avec plaifîr, mais fur- tout lorfque de grands exemples le leur propofent : ils trouvent alors une forte de vanité dans leurs égaremens, parce- que c'eftpar- là qu'ils vous reffemblent: le peuple regarde comme un bon air de marcher fur vos traces : la ville croit fe faire honneur en prenant tout le mauvais de la Cour : vos mœurs for- ment un poifon qui gagne les peu- ples & les Provinces ; qui infecte tout les états ; qui change les mœurs publi- ques ; qui donne à la licence un air de nobleiTe 6c de bon goût , & qui fjbf- titue à la fimplicité de nos pères ÔC à l'innocence des mœurs anciennes , la nouveauté de vos plaifirs, de votre luxe , de vos profufîons, 5c de vos in-? décences profanes. Ainfi c'eft de vous que partent jufques dans les peuples les modes immodeftes , la vanité des pa- rures , les artifices qui déshonorent un vifage où la pudeur toute feule devroiî
M iv
372- Vices et Vertus être peinte , la fureur des jeux , la fa- cilité des mœurs , la licence des entre- tiens 5 la liberté des pafTions 6c toute la corruption de nos (iecles.
Et d'où croyez vous , mes Frères , que vienne cette licence effrénée qui règne parmi les peuples ? Ceux qui vi- vent loin de vous dans les Provinces les plus reculées , confervent encore du moins quelque refte de l'ancienne {implicite 6c de la première innocen- ce : ils vivent dans une heureufe igno- rance de la plupart des abus dont votre exemple a fait des loix. Mais plus les pays fe rapprochent de vous , plus les mœurs changent, plus l'innocence s'al- tère 5 plus les abus font communs; 6c le plus grand crime des peuples , c'eft la fcience de vos mœurs &C de vos ufa- ges. Dès que les Chefs des Tribus furent entrés dans les tentes des Filles de Madian , tout Juda prévariqua , & il s'en trouva peu qui fe confer- vaflent purs de l'iniquité commune. Grand Dieu ! que le compte des Ri- ches 6c des PuiiTans fera un jour terri- ble , puifqu'outre leurs pallions in- finies , ils fe trouveront encore coupa- bles devant vous des défordres pu- blics , de la dépravation des mœurs ^
Des Grands. 273 Ide la corruption de leur fiecle:, 6c que les péchés des peuples deviendront leurs crimes propres.
Secondement , un fcandale de com- plaifance.On cherche à vous plaiie en vous imitant; vos inférieurs , vos créa- tures y vos efclaves fe font de la relfem- blance de tos mœurs une voie pour arriver à votre bienveillance ; ils co- pient vos vices , parce que vous les leur comptez comme des vertus ; ils entrent dans vos goûts , pour entrer dans votre confiance ; ils s'étudient à Tenvi , ou de vous fuivre ou de vous dirpaffer , parce que vous n'aime? en eux que ce qui vous refTemble. Hélas ! mes Frères , combien d'ames foibles nées avec des principes de vertus , ÔC qui loin de vous n'auroient trouvé en elles que des difî;olitions favorables au falur , ont trouvé dans l'obligation où leur fortune les mettoit de vous imi- ter , le piège de leur innocence !
Troifiémement , un fcandale d';m- punké. Vous ne fauriez pkîs repren-; dre dans ceux qui dépendent de vous , les abus & les excès que vous vous per- mettez vous même: vous êces obligé de leur fouffrir ce que vous ne voulez pas vous interdire : il faut fcmer U$
M Y
274 Vices et Vertus yeux à des défordres que vous autorî- fez par vos mœurs ; oc de peur de vous condamner vous-même , faire grâce à ceux qui vous reffemblent. Une femme mondaine & toute occupée de plaire j répand fur tout fon domeflique un air de licence ôc de mondanité; fa maifon devient un écueil d'où l'innocence ne fort jamais entière ; chacun imite au- dedans les pafTions qu'elle fait éclater au dehors ; & il faut qu'elle diflimule ces déréglemens , parce que fes mœurs ne lailfent plus rien à faire à fes cenfu- îes. Vous le favez,mes Freresj&la di- gnité de la charité chrétienne ne me dé- fend pas de le dire ici ; quel défordre dans ces maifons deftinées H. ouvertes à un jeu éternel , parmi ce peuple de domediques que la vanité a multiplié à l'infini ? Que vos plainrs coûtent cher à ces infortunés , qui loin de vos yeux n*ayant plus de frein qui les retienne , & cherchant à occuper une oiiiveté ou vos amufemens les îaifTent, fentent autorifer par vos exemples les inclina- tions déréglées qui leur viennent de la bafleiîe de leur éducation 8c d'un fang vil ÔC méprifabie ! O mon Dieu ! fi ce- lui qui néglige le foin des fiens eft de- vant vous pire qu'un infidèle : quel eH
Des Grands, 175 donc le crime de celui qui les fcanda- life , & qui leur fait trouver la mort 6cla condamnation où ils auroient dû trouver des fecours de falut ôc l'afyle de leur innocence ?
Quatrièmement, un fcandale d'of- fice ô(. de nécefîîré. Combien d'infor- tunés périment pour fervirà vos plaifirs & à vos paflions injulles ? les arts dan- gereux ne fubfiftent que pour vous : les théâtres ne font élevés que pour fournir à vos délalTemens criminels; les harmonies profanes ne retentilTent de toutes parts ôc ne corrompent tanî de cœurs , que pour flatter la corrup- tion du vôtre ; les ouvrages funeftes à l'innocence ne palTent à la dernière poftérité qu'à la faveur de vos noms 6c de votre prote6lion. C'eft vous feuls , mes Frères , qui donnez à la terre, des Poètes lafcifs, des Auteurs pernicieux, des Ecrivains profanes : c'ed pour vous plaire , que ces corrupteurs des mœurs publiques perfectionnent leurs talens, & cherchent dans un fuccès qui n'a pour but que la perte des âmes , leur élévation & leur fortune : c'eil vous feuls qui les protégez , qui les récom- penfez , qui les produifez , qui îeui^ ôiez même en les honorant de votre
M Vf
%f6 Vices et Vertus familiarité, ce cara£^ere de honte & d'infamie , que les loix de l'Eglife ôC de l'Etat leur avoient lailfé , & qui les flétrilToit aux yeux des hommes.
Ainfi , c*eft par vous que les peuples participent à ces défordres ; que ce poifon infecte les villes ÔC les provin- ces ; que ces plaifirs publics devien- nent la fource des miferes ôt de la li- cence publique ; que tant de viâ:imes infortunées renoncent à la pudeur pour fervir a vos plaifirsj&C cherchant à foulager la médiocrité de leur fortune par Tufage des talens que vos partions toutes feules ont rendu utiles & re- commandab'es, viennent fur des théâ- tres criminels chanter des paiTions pour flatter les vôtres; périr pour vous plai- re; perdre leur innocence en la faifant perdre à ceux qui les écoutent; devenir des écueils publicî? bc le fc^ndale de la Religion ; porter même le malheur ÔC ladliFenfion dans vos familles : H vous punir , femm.e du monde , de l'appui & du crédit que vous leur donnez par votre préfence 5c par vos applaudiffe- mens , er. devenant robiricfanir.el de la paiïion 5c de la mauvcîi;e conduite de vos>enfans , 2>C piirtageant ptut-être avec vous même le cœur de votre mari,
Des Grands. 177 8c ruinant fans reflburce fes affaires ÔC fa fortune.
Cinquièmement , un fcandale de durée. C'eft peu , mes Frères , que la corruption de nos fiecles foit prefque le feul ouvrage des Grands &. des PuiA fans ; les (îecles à venir vous devront peut-être encore une partie de leur li- cence & de leurs défordres. Ces poé- iies profanes qui n'ont vu le jour qu'à votre occaiion , corrompront encore des mœurs dans les âges qui nous fui- vront : ces Auteurs dangereux que vous honorez de votre proteârion, pafFeront entre les mains de nos neveux ; ÔC vos crimes fe multiplieront avec le venin dangereux qu'ils portent avec eux , & qui fe communiquera d âge en âge. Vos pafTions mêmes immortalifées dans les hiftoires, après avoir été un fcanda- le pour votre (îecle , le deviendront encore aux fiecles fuivans : la leâ:ure de vos égaremens confervés à la pofté- ritéjfe fera encore des imitateurs après votre mortion ira encore chercher des leçons de crime dans le récit de vos avantures ; &C vos défor.dres ne mour- ront point avec vous. Les voluptés de Salomon fournirent encore des blaf- phêmcs &. des déniions aux impies
lyî Vices etVer tus
& des motifs de fécurité au libertina- ge : l'emportement de la femme de Putiphar s'efl confervé jufqu'à nous , 6c Ton rang a immortalifé fa foiblefTe, Telle efl la deflinée des vices ÔC des paflions des Grands &. des Puiffans : ils ne vivent pas pour leur fiecle feul ; ils vivent pour les {îecîes à venir , & la durée de leur fcandale n'a point d'au- tres bornes que celle de leur nom.
Vous le favez vous - mêmes , mes Frères , encore aujourd'hui , ne lit-on pas tous les jours avec un nouveau pé- ril ces mémoires fcandaleux faits dans le fiecle de nos pères , qui ont confervé jufqu'à nous les défordres des Cours précédentes &. immortalifé les paf- fions des principales perfonnes qui les compofoient ? les déréglemens d'un peuple obfcur 8c du refte des hommes qui vivoient alors, font demeurés en- févelis dans l'oubli ; leurs paflions ont fini avec eux; leurs vices obfcurs com- me leurs noms ont échappé à Thiftoire 6c ils font à notre égard comme s'ils n'avoient jamais étéiôc toutce qui nous refle de ces âges pa(rés,ce font les éga-; remens de ceux que leur rang 5c leur naiiTance diilinguoient dans leur fié- cle ; ce font leurs pafTions qui en infpi- îent tous ks jours de nouvelles par la
Des Grands. 179 naïveté du ftyle & par la licence des Auteurs qui nous les ont confervées ; 6c l'unique privilège de leur condition^ c'eft que les vices des petits ont fini avec leur vie , au lieu que ceux des Grands 5c des PuiiTans renaiifent y pour ainiî dire , de leurs cendres, paf^ fent d*âge en âge , font gravés dans les monumens publics , 6c ne s'effacent plus de la mémoire des hommes. Quels crimes, grand Dieu! qui font le fcan- dale de tous les (iecles;récueil de tous les états, ÔC qui ferviront jufqu'à la fio d'attrait au vice , de prétexte au pé- cheur, & de modèle au dérèglement 6c à la licence !
Enfin , un fcandale de fédu^lion» Vos exemples , en honorant le vice , rendent la vertu méprifpble : la vie chrétienne devient un ridicule dont on a honre devant vous : Textérleur de la piété eit un mauvais air dont on fe cache en votre préfence , comme à\m travers qui déshonore. Combien d'a- mes touchées de Dieu ne refirent à fa grâce 6c à fon efprit , que de peur de perdre auprès de vous ce depTé de con- fiance qu'une longue fociété de plaifir leur a donnée! combien d'ames dégoû* tées du monde n'oient fe déclarer ê<
îSo Vl C E s E T Ve R TUS
revenir à Dieu , pour ne pas s'expofer à vos dérifîons infenfées , imitent en- core vos mœurs & vos plaifirs dont la grâce les a détrompées , 6c donnent à la complaifance & à des égards in]uf- tes pour votre rang mille démarches dont leur propre goût & leur nouvelle foi les éloigne !
Je ne parle pas, mes Frères, des pré- jugés contre la vertu , que vous perpé- tuez dans le monde; de ces difcours déplorables contre les gens de bien , que votre autorité confirme *, qui de vous palFent jufqu^au peuple, ôC main- tiennent dans tous les états ces vieilles préventions contre la piété & ces déri- fîons éternelles des Juftes , qui oient à la vertu toute fa dignité , ôl confir- ment les pécheurs dans le vice.
Et delà 5 mes Frères , que de Juftes féduits ! que de foibles entraînez / que d'ames chancelantes retenues dans le défordre ! que d'impies & de libertins ralTurez ! quel obftacle devenez vous au fruit de notre miniftere ! que de cœurs préparés n'oppofent à la force de la vr:»ité que iïous annonçons , que les longs enga-^^-mens qui les lient à vos mœurs Ôc à vosplailîrs , & ne trou-
DES Grands. 281
vent que vous feuls en eux qui fervent comme de mur ÔC de bouclier à la grâ- ce ! Mon Dieu , quel fléau pour un fie- cle 5 qnel malheur pour les peuples , qu'un Grand félon le monde qui ne vous craint pas , qui ne vous connoît pas , & qui méprife vos loix ÔC vos or- donnances éternelles! C'eft unpréfent que vous faites aux hommes dans votre colère , ÔC la plus terrible marque de votre indignation fur les villes ôC fur les Royaumes.
Oui , mes Frères , voilà ce que vous êtes, quand vous n'êtes pas à Dieu. • Voilà le premier caractère de vos fau- tes, le fcandale. Votre defrinée décide d'ordinaire de celle des peuples : les défordres des petits font toujours la fuite de vos défordres ; 6c les péchés de Jacob , dit le Prophète , c'eft- à- dire , du peuple 6c des Tributs , ne viennent que de Samarie , le fiege des Grands ÔC des Puîlfans : Q^od fcdus j^i^j^ j, Jacob ? non ne Sainaria ? t^
Mais quand le fcandale inféparable des péchés des Grands 6c des Puiflans, n'y ajouteroit pas un nouveau degré d'énormité qui leureftpropre : l'ingra- titude qui en fait le fécond caraâere ,
i2i Vices et Vertus fufîïroit pour attirer fur eux cet aban- don de Dieu , qui ferme pour toujours ùs entrailles à la bonté & à la miferi- corde.
Je dis l'ingratitude, mes Frères: car Dieu vous a préférés à tant de malheu- reux qui gémifTent dans l'obfcurité 5c darîf l'indigence; il vous a élevés , il vous a fait naître au milieu de l'éclat & de l'abondance; il vous a choifis fur tout le peuple pour vouf combler de bienfaits ; il a raffemblé fur vous feuls les biens , les honneurs , les titres , les diflin(B:ions , & tous les avantages de la terre : il femble que fa Providence ne veille que pour vous feuls , tandis que tant d'infortunés mangent un pain de tribulation ti. d'amertum,e ; la terre ne femble produire que pour vous feuls; le foleil, ne fe lever &: ne fe cou- cher que pour vous, feuls : le refle des hommes même ne paroifl'ent nés que pour vous 5 6c pour fervir à votre gran- deur ôc à vos ufages : il femble que le Seigneur n'eft occupé que de vous feuls , tandis qu'il oublie tant d'amies obfcures dont les jours font des jours de douleur 5c de mifere , & pour lef^ quelles il femble qu'il n'y a point de Dieu fur la terre : ÔC cependant vous
Des Grands. iSf tournez contre Dieu tout ce que vous avez reçu de lui ; votre abondance fert à vos partions , votre élévation facilite vos plaifirs, & fes bienfaits deviennent vos crimes.
Oui 5 mes Frères , tandis que mille malheureux, fur lefquels fa main s'ap- péfantit avec tant de rigueur ; tandis qu'une populace obfcure , pour qui la vie n'a rien que de dur 6c de trifle , l'invoque , le bénit, levé les mains vers lui dans la {implicite de fon cœur , le regarde comme fon Fere , & lui donne des miarqnes d'une piété (impie &. d'u- ne religion fîncere : vous, mes Frères , qu'il accable de bienfaits : vous, pour qui le monde tout entier femble fait , vous ne le connoiiTez pas ; vous ne daignez pas lever les yeux vers lui y vous ne penfez pas feulement s'il y a un Dieu au-deflus de vous qui fe mêle des chofes de la terre ; vous lui rendez pour adtion de grâces des outrages y & la Religion n'eft que pour le peuple.
Hélas ! mes Frères , vous trouvez fi noir 5c fi indigne , lorfquc ceux dont l'élévation étoit votre ouvrage , vous oublient , vous méconnoiflent , fe dé- clarent contre vous, &.n'ufentdu cré- dit dont ils vous font redevables , que
2S4 Vices et vertus
pour vous éloigner 6c pour vous dé- truire. Mais , mes Frères , ils ne font que vous rendre ce que vous faites envers Dieu. Votre élévation n'eftelle pas fon ouvrage ? n'eft ce pas fa main toute feule qui a féparé vos ancêtres de la foule , 6c qui les a placés à la tête des peuples ? n'eft ce pas la difpofition feule de la Providence , qui vous a fait naître d'un fang illuftre , ôc qui vous a fait trouver tout d'un coup en nailTant 6c fans qu'il vous en coûtât rien , ce qu'une vie entière de foins 6c de peines n'auroit pas pu même vous faire atten- dre ? Qu'aviez vous à fes yeux plus que tant d'infortunés qu'il laifle dans la mifere ? Ah ! s'il n'avoit eu égard qu'aux qualités naturelles de l'ame, à la droi- ture, à la pudeur , à Tinnocence , à la modeftie ; combien d'ames obfcures nées avec toutes ces vertus , auroient dû vous être préférées ÔC occuper la place où vous êtes ? s'il n'eut confulté que l'ufage que vous deviez faire un jour de fes bienfaits ; combien de hibI- heureux dans la même fîtuation où vous vous^'trouvez , auroient été l'exemple des peuples , les proteéîeurs de la vertu , & glorifié le Seigneur dans leur abon- dance , eux qui dans leur indigence
Des Grands. iSj
tnême l'invoquent ôc le beniflent ; au lieu que vous le faites blafphêmer , Sc que votre exemple devient une réduc- tion pour fon peuple ?
Et cependant il vous choifît, 6c il les rejette ; il les humilie , & il vous élevé ; il eft pour eux un maître dur ÔC févere, 6c pour vous un père libéral ÔC magnifique. Que pouvoir- il faire da- vantage pour vous engager à le fervir & à lui être fidèles ? qu'y a- 1- il de plus puiffant que les bienfaits pour attirer les cœurs , ÔCpour s'alTurer des hom- mages? C'eft de vous feul , Seigneur, difoit David au milieu de fa profpé- rité , que vient la magnificence qui m^environne , la gloire de mon nom , la puiiTance où je fuis élevé ; ftc il eft jufle, ô mon Dieu , de vous glorifier, dans vos dons , de mefurer ce que je vous dois fur ce que vous avez fait pour moi , ÔC de faire fervir mon élé- vation Se tout ce que je fuis à votre gloire: Tunejl^ Domine , magnificen- i.Parah tia , & vntentia^ & gloria. . . Nunc^')' iï- igitar^ Deus nojhr , confitemur tibi , & ''* laiidamus nomsn tnum inclytum.
Et cependant , mes frères , plus il a fait pour vous , plus vous vous élevez contre lui. Ce fonf les Riches ÔC les
2^6 Vices et vertus PdifTans , qui vivent fans autre Dieu dans ce monde que leurs pîaifirs in- juftes. C'eft vous feuls qui lui difputez ies plus légers hommages ; qui vous croyez dirpenfés de tout ce que fa loi a de pénible 6c de févere ; qui ne cro- yez être nés que pour jouir de vous-mê- mes , pour faire fervir fes bienfaits à vos partions , 8c qui laiflez au fîmple peuple le foin de le fervir, de lui ren- dre grâces , & d'obferver avec religion les ordonnances de fa loi fainte.
Aind fouvent , mes Frères , le peu- ple l'adore , ôc vous l'outragez ; le peuple l'appaife , ÔC vous l'irritez ; le peuple l'invoque, 6c vous l'oubliez; le peuple le fert avec un bon zele , ÔC vous méprifez fes ferviteurs ; le peuple levé fans ceiTe les mains vers lui , 6C vous doutez même s'ilexifte, vous qui feuls reifentez les effets de fa libéralité ôc de fa puiflance : fes châtimens lui forment des adorateurs , & fes bien- faits ne lui valent que des dérifions 6c des outrages.
Je dis fes bienfaits , mes Frères : car il ne les a pas même tous bornés à votre égard aux biens extérieurs de la fortune. Il vous a fait naître encore avec des difpofitions plus favorables à;
Des Grands. 287 la vertu que le fîmple peuple ; un cœur plus noble & plus élevé ; des inclinations plus heureufes ; des fenti- mens plus dignes de la grandeur de la Foi ; plus de lumière , plus d'éléva- tion , plus de connoilTance , plus d'inA tru£lion , plus de goût pour les bon- nes chofes. Vous avez reçu delà nature ces inclinations fortunées qui fe com- muniquent avec le fang , des pafîions plus douces , des mœurs plus culti- vées 5 des bienféances plus voifines de la vertu ; cette politefTe qui adoucit l'humeur; cette dignité qui retient les faillies du tempérament; cette huma» nité qui rend plus fen(ible aux impref- fions de la grâce. De combien de bien- faits abufez-vous donc , mes Frères y quand vous ne vivez pas félon Dieu ? Quel monftre d'ingratitude qu'un Grand , qu'un homme comblé d'hon- neur Se de profpérité , ÔC qui ne levé jamais les yeux au ciel pour adorer la main qui les lui difpenfe.
Et d'où croyez-vous aufii , mes FreJ res , que viennent les calamités publi- ques , les fléaux qui affligent les villes ôC les Provinces ? Ce n'eft que pour punir l'ufage injufte que vous faites de l'abondance 5 que Dieu frappe quel-
iSS Vices et Vertus quefois de ftérilité les terres 6c les campagnes. Sa jurtice indignée que vous employez contre lui fes -propres bienfaits , les fouftrait à vos partions ; répand Ton indignation fur la terre ; permet les guerres 5c les diflenfions ; renverfe vos fortunes ; éteint vos fa- milles ; fait fécher la racine de vo- tre poftérité ; fait pafler à des mains étrangères vos titres 6c vos polTeflions , ÔC vous rend les exemples éclatans de Tinconftance des chofes humaines , ôc les monumens anticipés de fa colère contre les cœurs ingrats 6c infenfibles aux foins paternels de fa Providence. Voilà , mes Frères , les deux carac- tères inféparables de vos péchés ; le fcandale, ôc l'ingratitude : voilà ce que vous êtes , quand vous n'êtes pas fidè- les à Dieu : voilà à qui peut-être vous n*avez pas fait attention. Vous ne fau- riez erre médiocrement coupables , dès que vous l'êtes. Les paiTions font les mêmes dans le peuple 6c parmi les Puiffans ; mais il s*en faut bien que le crime ne foit égal , 8c fouvent un feul de vos crimes entraîne plus de mal- heurs, 8>C a devant Dieu des fuites plus étendues ôc plus terribles , qu'une vie entière d'iniquité dans une ame obf-
cure;
Des Grands. i cure 6c vulgaire. Mais auilî , mes Frè- res , vos vertus ont le même avanta- ge ÔC la mêm^ deftinée , & c'efl ce qui me refle à vous dire dans la dernière partie de ce Difcours.
s,
'I le fcandale 6c l'ingratitude font les i j^ fuites inféparables des vices 6c des partie^ ^' paffions des perfonnes élevées ; leurs vertus aufîi ont deux caractères parti- culiers qui les rendent infiniment plus agréables à Dieu que celles du com- mun des Fidèles : premièrement , l'exemple ; fecondement , l'autorité. Et voilà , mes Frères , une vérité bien con- folante pour vous que la Providence a fait naîrre dans l'élévation , ÔC bien ca- pable de vous animer à fervir Dieu , de vous rendre la vertu aimable. Car ce feroit vous tromper que de regar- der l'état où vous êtes nés , comme un obilacle au falut 6c aux devoirs que la Religion nous impofe. J'avoue que les écueils y font plus dangereux que dans une deilinée plus obfcure , les tenta- tions plus vives ôC plus fréquentes ; 6c en vous marquant les avantages que vous pouvez trouver dans l'élévation par rapport au falut, je ne prétends pas en diffimuler les périls que Jefus- Pctit Carême* N
iço Vices ET Vertus
Chrift nous a marqués lui-même dans rEvPngîîe.
Je veux feulement établir cette vér rite , que vous pouvez faire plus pour Dieu que le fimple peuple ; qu'il re- vient à la Religion infiniment plus d'avantages de la piété d'une feule perfonne élevée , que de celle prefque d'un peuple entier de Fidèles : & que vous êtes d'autant plus coupables quand vous oubliez Dieu , qu'il lire- roit plus de gloire de votre fidélité , Se que vos venus ont des fuites plus étendues pour l'utilité de l'Eglife ÔC pour l'édification des Fidèles.
La première , c'ell l'exemple. Une ame d'entre le peuple qui craint Dieu, ne le glorifie que dans fon cœur : c'eft un enfant de lumière qui marche j pour ainfi dire , dans les ténèbres : elle lui rend des hommages; mais elle ne lui en attire point : renfermée dans l'obfcurité de fa fortune , elle ne vit que fous les yeux de Dieu feul : elle fouhaiie que fon nom foit glorifié , ôC lui rend par fes defrs la gloire qu'elle ne peut lui rendre par fes exemples : fes vertus font utiles à fon falut ; mais elles font comme perdues pour le falut de fes frères : elle eft ici bas comme ce
Des Grands. 291
tréfor caché dans la terre , que le champ de Jefus-Chrift porte à Ton infçu , & dont il ne fait aucun ufage* Mais pour vous , mes Frères , qui vivez expofés aux regards publics, 6C à la vue de tous les peuples , vos exemples de vertu .deviennent auflî éclatans que vos noms : vous répandez la bonne odeur de Jefus-Chrift , par- tout où celle de votre rang &: de vos titres efl: répandue : vous faites glori- fier le nom du Seigneur , par-tout ou le vôtre fe fait connoître : la même élévation qui apprend à tous les hom- mes que vous êtes fur la terre , leur apprend auffi ce que vous faites pour le Ciel : les avantages de la nature dé- couvrent par- tout en vous les merveil- les de la grâce : les peuples , les villes , les Provinces , qui entendent fans cefle répéter vos noms , fenten^t ré- veiller avec eux l'idée de vertu que vos exemples y ont attachée. Vous honorez la piété dans TeTprit du public : vous la prêchez à ceux que vous ne connoif^ fez pas : vous devenez , dit le Pro-; phête , comme un (îgnal de vertu éle- vé au milieu des peuples : tout un Royaume a les yeux fur vous , 5c parle de vos exemples ; ÔC jufques dans leg
Nij
^9^ Vices et Vertus Cours étrangères votre piété devienî un événement auffi connu que votre nailTance. Le bruit de la fageffe de Salomon étoit répandu dans toutes les Cours de l'Orient , dit l'Ecriture ; ôc celle d'Ethan l'Ezrahite, d'Heman ÔC de Calcol , les principaux des enfans de Mahol , n'étoit pas moins connue à Jérufaiem , malgré la diftance des lieux qui les faifoit vivre iî loin de la Paledine.
Or dans cet éclat , quel attrait de vertu pour les peuples ! Premièrement, les grands modèles touchent bien plus; 6c la piété devient comme un bon air pour îe peuple , dès que l'exemple des Grands l'autorife. Secondement , l'i- dée de foiblefle que les hommes atta- chent à la vertu , tombe dès qu'elle eft annoblie de vos noms , pour ainfi dire , ôC qu'on peut lui faire honneur de vos exemples. Troifiémement , la modeftie êc la frugalité n'ont plus rien de honteux pour le rede des hommes , dès qu'ils voient en vous qu'on peut être grand 6c modefte ; 6c que la fuite du luxe & de la profufion , non feu- lement ne fait point de honte aux pe- tits , mais donne même une nouvelle dignité à l'élévation ôc à la nailTance,
Des Grands* 2,91 Quatrièmement , combien d'ameâ foibies rougiroient de la vertu , que votre exemple raflure ^ qui ne crai- gnent plus de marcher après vous , OC qui trouvent même beau de fuivre vos traces ! Cinquièmement, combien d'a^- mes trop fenfibles encore aux intérêts de la terre , craindroient que la piété ne fût un obflacle à leur élévation , ôC trouveroient peut-être dans cette ten- tation recueil de tous leurs deiirs de pénitence , fi elles n'apprenoient en vous voyant , que la piété eft utile à tout ^ ÔC qu'en attirant les grâces du Ciel elie n'éloigne pas celles de la ter- re / Sixièmement , vos inférieurs , vos créatures 5 vos efclaves , tous ceux qui dépendent de vous , trouvent la vertu bien plus aimable depuis qu'elle efl devenue un moyen sûr de vous plaire 9 & que le même progrès qu'ils font dans la piété , ils le font dans votre confiance & dans votre eftime.
Enfin , mes Frères , quel honneur pour la Religion , lorfqu'elle peut mon- trer en vos perfonnes qu'elle fait en- core fe former des Juftes qui mépri- fent les honneurs , les dignités , les richeffes ; qui vivent au milieu des profpéfités fans en être éblouis j qui
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font élevés aux premières places , fans perdre de vue les biens éternels ; qui poffedent tout comme ne pofledant rien ; qui font plus grands que le mon- de entier , & regardent comme de la boue tous les avantages de la terre , dès qu'ils deviennent un obfiacle aux promefTes que la Foi leur montre dans le Ciel 1 Quelle confufion pour les im- pies de fentir , en vous voyant mar- cher dans les voies du falut au milieu de toutes les profpérités humaines, que la vertu n'eft pas un pis- aller ; qu'en vain ils tâchent de fe perfuader qu'on n'a recours à Dieu , que lorfque le monde nous manque ; puifque comblés des faveurs du m.onde ^ vous ne laiiTez pas d'aimer l'opprobre de JefusChrifl ! Quelle confolation mê- me pour notre miniftere , de pouvoir nous fervir de vos exemples dans ces Chaires chrétiennes , pour confondre les pécheurs d'une deflinée plus obf- cure ; de pouvoir leur citer vos vertus pour les faire rougir de leurs vices ; de pouvoir leur faire honte de toutes les vaines excufes qu'ils nous oppofent , en leur alléguant votre fidélité à la loi de Dieu ; en leur montrant que les périls qui les environnent j ne font
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Des Grands. 195
pas plus grands que les \ôtres ; que les objets des pafîîons au milieu def- quels ils vivent , font moins fédui- fans ; que le monde ne leur offre pas plus de charmes ÔC plus d'illufîon qu'il vous en offre ; que û la grâce peut fe former des cœurs fidèles jufques dans les Palais des Rois , elle peut s'en for- mer à plus forte raifon dans le tumul- te des villes 6c fous le toit du ci- toyen & du Magiftrat ; 6c qu'ainfî on trouve le falut par- tout , & que notre état ne devient un prétexte favorable à nos pafîîons , que lorfque la corrup- tion de notre cœur eft la véritable rai- fon qui les autorife.
Oui 5 mes Frères , je le répète , vous donnez , quand vous fervez Dieu j une nouvelle force à notre miniflere ; plus de poids aux vérités que nous annonçons aux peuples ; plus de con- fiance à notre zèle ; plus de dignité à la parole de Jefus Chrill ; plus de cré- dit à nos cenfures ; plus de confola- tion à nos travaux ; & en jettant les yeux fur vous , le monde trouve la décifîon des vérités qu'il nous avoit contedees. Que de biens, mes Frères, reviennent donc à l'Eglife de vos exemples ! Vous donnez du crédit à
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îa piété ; vous honorez la Religion dans l'efprit des peuples; vous animez les Juftes de tous les états ; vous con- folez les ferviteurs de Dieu ; vous répandez dans tout un Royaume une odeur de vie qui confond le vice ôc qui autorife la vertu ; vous maintenez les règles de l'Evangile contre les maximes du monde : on vous cite d^s les villes 5c dans les Provinces les plus éloignées pour encourager les foibles & agrandir le Royaume de Jefus- Chrirt : les pères apprennent vos noms à leurs enfans peur les animer à la vertu ; ôc fans le favoir , vous devenez le modèle âes peuples , l'entretien des petits, rédification des familles , l'e- xemple de tous les états 5c de tous les ordres. A peine les principaux des Tribus daf^ le dé/ert 6c les femmes ks p'u/difiinguées eurent apporté à MoiTe leurs orrt^mens les plus pré- eieux pour la conftruftion du taberna- cle , que tout le peuple , entr?îné par leur exemple , vint en foule oiïrir fes dons 8c (es préfens ; & qu'il fallut que MoiTe mit des bornes à leurs pieux empreflemens , 6c modérât l'excès de leurs largelles. Ah/ mes Frères, que de biensenca-:
DES GÇLANDS. I97
re une fois, vos feuls exemples peu- vent faire parmi les peuples ! les plai- fîrs publics décriés , dès que vous ne les autorifez plus par votre préfence ; les modes indécentes profcrites , dès- que vous les négligez ; les ufages dan- gereux furgnnés , dès que vous les^ abandonnez ; la fource de prefque tous- les défordres tarie , dès que vous viver félon Dieu, Et de- là que d'ames pré- fervées ! que de malheurs prévenus £ que des crimes arrêtés ! que de mau^ empêchés ! Quel gain pour la Reli-» gion qu'une feule perfonne élevée ^ qui vit félon la foi ! Quel préfent î>ieuJ fait à là terre , à un Royaume, à uw peuple , quand il lui donne des Grands^ S>C des PuifTans qui vivent dans fa; crainte ! 6c quand l'intérêt feul de vo* tre ame , mes Frères , ne fuffiroir pa^ pour vous rendre la vertu aimable^ l'intérêt de tant d'ames , à qui vous êtes? tine occaiîîon de falut en vivant feloiï Dieu , ne devroit>il pas préférer fa^ crainte & Famour de la loi à tous l'es? vains plaifirs de la terre ? Efl-il de plaifir plus doux pour un bon cœur^ qiïg de devenir une fource de faluî 5C de- bénédiction pour fes Frères- ' Et: ce qu'il y a ici d'heureux g©û^
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29^ Vices et vertus vous , mes frères , c'eft que vous ne vivez pas feulement pour votre fiecle ; je l'ai déjà dit , vos exemples palferont î afques aux fîecles fuivans. Les vertus des fimples fidèles périiTent, pour ainfi dire , avec eux; mais vos vertus feront confervées dans nos hiftoires avec vos_ noms. Vous deviendrez un modèle de piété pour nos neveux , comme vous l'avez été pour les peuples qui ont vécu avec vous ; vos rangs 6c vos emplois vous liant aux principaux événemens qui fe paflent dans notre fiecle , vous feront pafier avec eux jufques aux fîe- cles à venir. Les Cours qui fuccéderont à la nôtre , trouveront encore Thiftoire de vos mœurs & de vos fainrs exemples mêlée avec l'hiftoire publique de nos jours : vous donnerez encore du crédit à la piété dans les âges qui nous fuivront; le fouvenir de vos vertus confervé dans nos annales, y fervira encore d'inilruc- tions à vos defcendans qui les liront : & l'on pour! a dire un jour de vous , comme de ces homme^^ célèbres 6c pleins de gloire 6c de juftice , dont parie l'Ecriture , que votre piété n'a pas fini avec vous ; que le fouvenir de vos ver- tus paiTera d'âge en âge ; que les peuples lacoûteront juiqu'à la fin votre fageife
DES Grands. 299 & vos exemples ; que l'Eglife publiera vos louanges ;6c que les biens que vous avez faits , & l'odeur de votre vie Ce confèrvera toujours au milieu de nous, avec les defcendans qui naîtront de la gloire de votre fang , 6c qui fuccéde- ront à vos noms & à vos titres : Quorum Eccli 44, pietaus non defuerunt ; cumfeminc eo- *^* ^^« rum permanent bona.
Mais , ce n'eft pas tout , mes Frères : l'exemple rend vos vertus un bien pu- blic, 6c c'éft là leur premier caraâ:ere; mais l'autorité qui en eft le fécond ^ achevé ÔC foutient les biens infinis que vos exemples ont commencé. Et quand je dis l'auto^iKé , mes Frères , que ne puis- je développer ici tout ce que cette idée me découvre d'immenfe dans les fuites fécondes de ia piété des Grands & des PuiiTuis !
Premièrement , la pf )re£lion de la vertu. La vertu timide eil: fouvent op- primée , parce qu elle manque ou de hardiefie pour fe montrer , ou de pro- tection pour (e défendre : la vertu obf- cure eff fouveïi; méprifee , parce que rien ne h relevé ouxyeux des fens, 6c que le monde eu rad de pouvoir fsire un crime à la piété , de robrciuité de ceux qui la pratiquent. Mais dès que
Nvj
^OO TiCES ET VERTXrs
VOUS en prenez vous-même le parti ^ mes Frères , ah ! la vertu ne manque plus de proteâion : vous devenez les interprètes des gens de bien auprès du Prince , déjà fi favorable lui même àla^ piété , 5c les canaux par lefquels ils trouvent tous les jours accès auprès du Trône; vous mettez en place des hom- mes juftes qui deviennent des exem- ples publics ; vous produifez des fervi- reurs de Dieu , des hommes pleins de ibmiere , de fcience 5c de vertu , qui- feroient demeurés dans la poufîîere y Se qui à la faveur de votre nom §C de votre appui paroifTent dans le public;*, mettent en œuvres leurs talens ; enri»- ehilfent quelquefois TEglife d'ouvra- ges faints ôc chrétiens ; contribuent à i!édificationdes Fidèles, à rînllruâ:iotti des peuples, à la confomrnstion des fàints ; apprennent les règles de la ver- , fu à ceux qui les ignorent , les appren-; diront à nos neveux , ôC feront palTer dans tous les fiecles fui^ans , avec les monumens pieux de leur zeîe , les fruits immortels de la protection dont, ^ous aves honoré la vertu, ta de votre; amour pour les Juftes.-
Que dirai je ,. mes Frères ? Vous fouir
Des Grands. jor
entreprifes faintes; ÔC votre proteâion l'es anime , ÔC leur fait furmonter tous les obftacles dont le démon traverfe toujours les œuvres qui doivent glori- fier Dieu 8c contribuer au falut des^ âmes. Que d'étabîiflemens utiles au- jourd'hui ÔC qui fontHine fource de bénédidion dans l'Eglife, n'ont dû au- trefois leur naifTance qu'au crédit d'u- ne feule perfonne élevée , à qui Dieu avoir mis dans le cœur de protéger une œuvre dont il devoir tirer un jour tant de gloire ! q^ue de pieux de (feins ÔC avantageux à TEglife exécutés , au- roient échoué fi l'autorité d'un Jufte en place ÔC élevé dans l'Eglife , n'eut ap- plani toutes les voies qui fembloient en rendre l'exécution impofTible ! Que de faiiits Miniilres de Jeius Chrift fou- tenus dans leurs fonctions ^ auroienî cédé aux coniradidtions 6c privé par leur retraite les peuples de leurs inf- trué^ions ÔC de leurs exemples, fî leur vertu n'eut trouvé dans la piété des Grands ÔC des Puiffans une protection q[ui afluroit la paix à leur troupeau j, ^ l'autorité à leur miniftere !
Que dirai- je encore , mes Frères ?' Vous rendez par vos exemples la vertu ïgrgedable à ceux quing l'aiment pas;-.
501 Vices et vertus & ce n'eft plus une honte d'être Chré- tien , dés que par là on vous reffemble. Vous ôtez à l'impiété cet air de confian- ce & d'oftentation, avec lequel elle ofe tous les jours paroître ; & le libertina- ge n'ert plus un bon air , dès que votre conduite l'improuve. Vous maintenez parmi les peuples la Religion de nos pères; vous confervez la Foi auxlfiecles qui nous fuivronî; & fouvent il ne faut qu'un Grand dans un Royaume, ferme dans la Foi, pour arrêter le progrès de l'erreur & des nouveautés , & confer- ver à tout un Etat la Foi de fes ancêtres. La feule Efther conferva le peuple & la loi de Dieu dans un grand Empire; le feul Mathathias tint bon contre les autels étrangers, 8c empêcha les (upeiC- titions de prévaloir au milieu de Juda ; 5c la France ne doit les lumières de l'Evangile & la connoifTance de Jefus- Chrift , qu'à la piété d*une fainte Piin- cefle, qui conquit à la Foi, avec le cœur d'un époux infidèle , un Royaume qui depuis en a toujours été le plus ^erme appui & la portion la plus pure 6c la plus floriirante. Oh ! mes Frères , que vous êtes gîands quand vous êtes à Jefus-Chrift , & que votre naiiTance 6C votre élévation paroiffent avec bien
DES Grands. 303 plus d'éclat ôc de dignité, dans les fruits immenfes de votre piété , que dans le farte de vos pafTîons , 6c tout le vain attirail des magnificences humaines.
Secondement , les récompenfes de îa vertu. Vous la mettez en honneur en lui donnant dans le choix^s pla- ces quidépendent de vous , les préfé- rences qui lui font dues, ôC ne confiant les emplois qu'à ceux dont la piété mé- rite la confiance publique ; en ne comp- tant fur la fidélité des fabalternes , qu'autant qu'ils font fidèles à Dieu, 6c recherchant principalement dans les hommes la droiture de la confcience 5c l'innocence des mœurs , fans quoi tous les autres talens ne forment plus qu^un mérite équivoque , qui devient ou nuifible ou inutile.
Et de là, mes Frères, quel nouveau bien pour le public ! quel bonheur pour un Royaume , où les gens de bien oc- cupent les premières places , où les emplois font les récompenles de la vertu, où les affaires publiques ne font confiées qu'à ceux qui cherchent plus les intérêts publics que leurs intérêts propres , 6c qui ne comptent pour rien le gain du monde entierj^s'ils venoient à perdre leur ame !
304 Vices et Vertus
Qiiel avantage pour les peuples y lorfqa'ils trouvent leur père dans leurs Juges ; les protecteurs de leurs foiblef', fes dans les arbitres de leur deflinée ; les confolateurs de leurs peines , dans les interprètes de leurs intérêts ! Que d'abus prévenus / que des larmes ef- fuyées/que d'injuflices évitées ! quelle paix dans les familles ! quelle confola- ' tion pour les malheureux ! Quel hon- neur même pour la vertu , lorfque les peuples font ravis de la voir en place y & que le monde lui-même, tout mon- de qu'il efl , eft pourtant bien aife d'a- voir des gens de bien pour défenfeurs^ ÔC pour Juges ! Quel attrait pour la ver- tu 5 lorfî^u'on voit qu'elle eil devenue le chemin à^s grâces , & qu'outre les promeiles du iiecle à venir qWq a en- core pour elle les recompenfes de la T 77mr terre : PromlJJionem habens vitœ quos 4» ^«^ ^nuicejïy ù futur œ.
Et ne dîtes pas , mes Frères , qu'çn récompenfant la vertu on ne corrige^ pis les pécheurs , & qu'on multiplie feulement les hypocritesi Je fais juP qu'où l'amour de l'élévation peut pouf^ ier les hommes, 6c quels abus ils font capables de faire de la Religion pour ariivex à leurs fins ô mais du moins ^.
Des Grands. 305 vous obligez le vice de fe cacher ; du moins vous lui ôtez l'éclat 6c la fécu- rite qui le répand ÔC le communique ; vous confervez du moins l'extérieur de la Religion parmi les peuples ; vous multipliez du moins les exemples de la piété parmi les Fidèles; & s'il n'y a pas moins de dérèglement , les fcan- danles du moins font plus rares.
Enfin , les fainies largeffes de la ver- tu. Mais je fens que mon fujet m'en- traîne, 6c il eft temps de finir. Oui^mes Frères , que de nouveaux biens encore pour les peuples dans i'ufage chrétien &: charitable de vos richefles ! Vous mettez Tinnocence à couvert , vous préparez des afyles de pénitence aux crimes r vous rendez la vertu aimable aux malheureux par les reffources qu'ils trouvent dans la vôtre: vous affurez aux maris la fidélité de leurs époufes ; aux pères le falut de leurs enfans ; aux ï^af- teurs la fureté de leurs brebis; la paix aux familles , la confolation aux affli- gés , l'innocence à la veuve délaiffée , un fecours à l'orphelin , le bon ordre au public 5 à tous l'appui de leur vertu, ou le remède de leurs vices.
Et ici , mes Frères , comprenez û vous pouvez les fruits imraenfes de
^ù6 Vices et Vertus ' votre vertu , & les avantages inexpli- cables qu'en retire l'Eglife. Que de fcandales évités I que de crin-ies préve- nus ! que de maux publics arrêtés /que de foibles confervés ! que de Juftes af- fermis! que de pécheurs rappelles! que d'ames retirées du précipice/ Que vous contribuez , mes Frères , quand vous fervez Dieu , à la gloire de l'Eglife , à ragrandifTementdu royaume deJefus- Chrift , à l'honneur de la Religion , à la confommation des Saints , au falut de tous les Fidèles ! Qu'il fe trouvera un jour d'Elus dans le Ciel de toute langue 6c toute tribu , qui mettront à vos pieds leur couronne d'immorta- lité 5 comme pour confefler publique- ment qu'ils vous en font redevables I Quelle confolation pour vous de pou- voir vous dire à vous même, qu'en fer- vant Dieu vous lui attirez des fervi- teurs , &: que votre piété devient une fource de bénédictions pour les peu- ples ! Non 5 mes Frères , s'il y a quel- que chofede flatteur dans l'élévation , ah ! ce n'eft pas les vaines diftin6^ions que i'ufage y attache ;c'eft d'y pouvoir devenir en fervant Dieu , la foarce de biens publics , le foutien de la Reli- gion , la confolation de l'Eglife , ÔC les
Des Grands. 307
principaux inftrumens dont Dieu fe fert pourTaccompHirement de Tes def- feins de miféricorde fur les hommes. Que vous perdez donc , mes Frères, en ne vivant pas félon Dieu ! que l'E- glife perd en vous perdant ! que nous perdons nous - mêmes iorfque vous nous manquez/ de combien d'ayanta- ges priyez-yous les Fidèles ! quelles confolations yous ôtez-yous à yous- mêmes ! quelle joie dans le Ciel pour la converfion d'un feul pécheur élevé dans le fiecle ! Que vous êtes coupa- bles , mes Frères , quand vous ne vivez pas félon Dieu î Vous ne pouyez ni vous perdre , ni vous fauver tout feuls* Vous refTemblez ou à ce dragon de l'A- pocalypfe , qui en tombant du Ciel où il étoii élevé , entraîne par fa chute la plupart des étoiles dans l'abîme ; ou à ce ferpent myfterieux , dont parle Je- fus Chrifl , qui étant élevé fur la terre attire heureufement tout après luL Vous êtes établis pour la perte ou pour le falut de plufieurs, des plaies ou des reflburces publiques. Puiiïîez-vous , mes Frères , connoître vos véritables intérêts ; fentir ce que vous êtes dans les defleins de Dieu , ce que vous pou- fez pour fa gloire , ce qu'il attend de
3o8 Vices et Vertus , êcc. vous ; ce qu'en attend TEglife , ce que nous en attendons nous mêmes ! Ah I vous avez une fi grande idée de votre rang 8c de vos places par rapport au monde !
Mais , mes Frères , permettez- moi de vous le dire : vous n'en connoiflez pas encore toute la grandeur; vous ne voyez qu'à demi ce que vous êtes; vous êtes encore bien plus grands par rap- port à la piété ; ÔC les privilèges de votre vertu font bien plus brillans ÔC plus finguliers que ceux de vos titres, Puifliez-vous, mes Frères, remplir tou-i te votre deiHnée ! Et vous , ô mon Dieu ! touchez durant ces jours de falut, par la force de la vérité que vous métrez dans nos bouches , les Grands & les PuilTaDs;artirez à vous des cœurs, dont la conquête vous afiure celle du re(ïe des Fidèles; ayez pitié de vos peu- ples, en ianc^ifiant ceux que votre Pro- vidence a mis à leur tête;rauvez Ifraël, en fauvant ceux qui le régiiTent ; don- nez à votre Eglife de grands exemples qui perpétuent la vertu d âge en âge , & qui aident jufqu'à Ja fin à former cette alTemblée immortelle de Juftes , qui vous beniia dans tous les fiecles»^ AinJïfoit'iL
DISCOURS
PRONONCE'
A I £/A^£ BÉNÉDICTION
Des Drapeaux du Régiment de Catinat.
Pofuenint figna fua , figna ;& noncogno- Verunt fîcut in exitii iuper fumraum.
Ils ont mis leurs Drapeaux dans le Temple comme unpréfage de leur vicioire ; fi* ils n'ont pas connu quelle éîoit la fin de cette pieufe fo- lemnité. Pf. 75. 4. ç.
CE n'efl pas pour vous rappeller ici des idées de feu 6c de fang , 5c par le fouvenir de vos viftoires paffées vous animer à de nouvelles , que je viens dans le San6iuaire de la paix mêler un difcours Evangélique à une cérémonie fainte. La parole dont j'ai Thonneur d'être le Miniftre , eft une parole de réconciliation & de vie , defliiiée à réunir les Grecs ÔC les
310 Pour la bénédiction Barbares ; à faire habiter enfemble ^ félon l'exprefîîon d'un Prophète , les lions 5 les aigles &: les agneaux ; à raf- fembler fous un même chef toute lan- gue 5 toute tribu , 6c toute nation : à calmer les pafTions des Princes & des peuples , confondre leurs intérêts , anéantir leurs jaloufies , borner leur ambition , infpirer les mêmes defirs à ceux qui doivent avoir la même espé- rance ; 6c fi elle propofe quelquefois des guerres ÔC des combats, ce font des guerres qui fe terminent toutes dans le cœur , &c des combats de la grâce.
D'ailleurs, je me fouviens que je parle fous l'autel même de l'Agneau , qui elt venu pacifier le Ciel & la ter- re : dans un Temple confacré au Chef d'une Légion fainte qui fut pré- férer le culte de Jefus - Chrift à celui des ftatues de TEmpereur , 6c laifler fièrement les Aigles de l'Empire pour fuivre l'étendard de la Croix*; &. enfin, que je parle à une troupe illuftre qui ne connoît les périls que pour les af- fronter , que mille aérions diftinguent plus que le nom|du fameux Général qu'elle a l'honneur d'avoir à fa tête, 6C le mérite de celui qui la commande ; ia qui attend plutôt de moi des leçons
Des Drapeaux, 8cc. 3 1 1 de piété que de valeur , 6c des avis pour faire la guerre faintement , que des exhortations pour la bien faire.
Souffrez donc. Meilleurs, que laif- fant là le corps , pourainfî dire, & les dehors de cette cérémonie , je vous en développe l'efprit ; que fans approfon- dir ce qu'elle a d'antique tl de curieux, je m'arrête à ce qu'elle peur avoir d'u- tile ; &que loin de vous entretenir de la gloire des armes & du cas que tous les peuples en ont toujours fait, je vous parle des périls de cet état 8c des moyens d'y acquérir une gloire im- mortelle & folide.
Pourquoi croyez vous en effet que les nations les plus barbares aient tou- tes eu une efpece de religion militai- re , 8c que le culte fe foit toujours trouvé mêlé parmi les armes ? Pour- quoi croyez • vous que les Romains fuffent fi jaloux de mettre leurs aigles & leurs Dieux à la tête de leurs Lé- gions .5c que les autres peuples afFec- tafTent de prendre ce qu'il y avoir de plus facré dans leurs fuperftitions y ÔC en traçafTent les figures & les fym- boles fur leurs étendards ? finon pour empêcher que le tumulte &. l'agita-- tion des guerres ne fît oublier ce qu'oa
fïi Pour la BéNéoicTioN doit aux Dieux qui y pré(ident , St afin qu'à force de les avoir fans celFe devant les yeux , on fût comme dans une heureufe impuilfance de les per- dre de vue. Pourquoi croyez - vous que les Ifraélites dans leurs marches & dans leurs combats fuflent toujours précédés du Serpent d'airain ; que Condantin devenu la conquête de la Croix 5 fit élever ce fignal de toutes les nations au milieu de fes armées ; que nos Rois , dans leurs entreprifes contre les infidèles , allaflent recevoir rétendard facré aux pieds des autels ; ÔC qu'enfin encore aujourd'hui l'Eglife confacre par des prières de paix & de charité ces fignes déplorables de la guerre 8(. de la dilTenfion ? (înon pour vous faire fouvenir que la guerre mê- me eft une manière de culte religieux; que c'eft le Dieu des armées , qui pré- fide aux viâoires ÔC aux batailles ; que les Conquéraos ne font bien fouvent entre Ces mains que des inftrumens de colère dont il fe fert pour châtier les péchés des peuples ; qu'il n'eft point de véritable valeur que celle qui prend fa fource dans la Religion 6c dans la piété ; 6c qu'après tout , les guerres ÔC ks révolutions des Etats , ne font que
des
Des Drapeaux, 8cc. ^15 des jeux aux yeux de Dieujôc un chan- gement de fcene dans l'univers ; que lui feul ne change point , ôc feuî a de quoi fixer les agitations & les defîrs infatiables du cœur humain.
lleft vrai, MefTieurs , que la piété fî pénible , même dans les Cloîtres où tout l'infpire , fi rare dans le fîecle où les devoirs communs de la ReliH gion la foutiennent , trouve dans les difilpations & la licence des armes des obllacles 6c des écueils , où les plus belles efpérances de l'éducation, les plus heureux préfages du naturel , les plus tendres précautions de la grâ- ce viennent tous les jours triflement échouer.
C*eft là qu*on voit quelquefois le peuple de Dieu fous les yeux même d'un Jofué , iïim Général fage & re- ligieux, donner dans tous les excès 6C les crimes des nations. C'efî- là que des Chrétiens mettent tous les jours leur gloire dans leur confuiion , & fe font un mérite de leur ignominie. C*ell là que l'impiété eft un bon air , la Foi une foibleiTe , la Religion un fonge , les vérités du falut le partage des âmes oifeufes , les terreurs de l'éter- nité une vaine frayeur, ôclafainteté Petit Carême* O
5T4 Pour la Bénédiction de nos myfteres fouvent l'airaifonne- ment des débauches. C'eft là que le Dieu que nous adorons n'eft nommé que pour erre infulré ; que le crime eft unebienféance, la volupté un mé- rite 5 la fureur une diftinàion. C'eft là que ceux que la politelTe , le rang ou l'intérêt même , fous un Prince qui ne compte pour rien la valeur lorf- qu'elle eft toute feule , éloignent de ces excès , bornent toute leur régula- rité à l'ambition, la gloire & la ven- geance ; & ne fe relâchent , ce femble, fur les autres p^ifiions ^ que pour être plus vifs fur celle ci.| C'eft là que les plus fages font ceux qui ne font occu- pés que de leur fortune & de leur avan- cement ; qui facrifient tout , bien , repos , confcience à leur gloire ; qui infenfibles fur la félicité des Saints ÔC fur les biens folides de l'éternité , ne font occupés qu'à faifir un phantôme qui leur échappe avant qu'ils le tien- nent , 5c à fe ménager des établifle- mensqui font fondés fur le fable, 6c dans une cité qui n'eft pas permanen- te. C'eft là 5 en un mot, que Dieu n'eft: pas plus connu qu'au milieu des peu-^ pies infidèles , ôc que la plus haute vertu n'eft pas de n'avoir point de paf-,
Des Drapeaux , 8cc. 515 lions , mais de n'en avoir que de no- bles 6c de brillantes.
Sont-ce là , ô mon Dieu , des hom- mes armés pour votre querelle &: pour la défenfe de vos autels ? vous qui ne voulez pas que le pécheur raconte vos juftices 6c devienne le protefteur de votre alliance , pourriez- vous confier à des bras facrileges le foin de rétablir votre culte 5c la majefté de vos Tem- ples ? Et qu'importe que vous foyez déshonoré par les crimes des Fidèles, ou par l'infidélité de vos ennemis ? qu'importe que votre royaume s'a- grandiiTe , (î vous ne devez pas régner fur les cœurs ? qu'importe que les diC- perfions d'Ifraël fe ralFemblent , û les Tribus reliées à Jérufalem furpaifent mêmes les profanations des fujets de Jéroboam.
Ceux qui vivent dans la tranquillité des villes 6c loin des dangers de la guerre , peuvent fe calmer fur les dé- fordres de leur vie par l'efpoir d'une vieilleiTe plus régulière 8c d'une mort chrétienne. Et en effet , Mefîîeurs, le loidr que l'âge ou une lente infirmité laiiTent aux réflexions; le long ufage des plaifirs , 5t le dégoût ou les défa- grémens qui les fuivent ; l'expérience
Oij
^i6 Pour la Bénédiction du monde Sc de fes inutilités , dont un bon efprit même fe iaffe 6c revient tôt ou tard ; les perfidies &. les fuper- cheries du commerce , qui routes feu- les font capables de dégoûter uneame bien faite 5c lui faire prendre le parti de la retraite ôc de la piété , tout cela aide les opérations de la grâce dans le cœur des mondains ; leur fait faire tous les jours milles projets éloignés de \ converfion ; les arrache peu à peu à leurs foibîefTes , 6c quelquefois fait que fatigués du monde ils fe donnent à Jefus Chrift.
Je fais que cette efpérance des pé- cheurs périt fouvent ; que fe flatter d'une converfion tardive , c'eft inful- ter à la grâce & à la juftice d'un Dieu vengeur; que renvoyer à des années de langueur 5c d'infirmité l'affaire du falut, c'eft la manquer ; qu'on ne re- cueille pendant l'hiver que ce qu'on a femé durant les jours de l'été ; que notre Dieu n'eft pas un Dieu de tous les jours ; que négligé , il néglife à fon tour ; & que la vertu qui vient fi tard , n'eft d'ordinaire qu'une impuifTance du vice , une régularité de l'âge plutôt que du cœur , & une bienféance qu'on doit au monde autant qu'à Jefus-
DES Drapeaux, 5Cc. 317 Chrift. Cependant la religion ne veut pas qu'on défefpere ,• & plus d'une fois j ô mon Dieu , vous avez appelle des ouvriers à îa onzième heure du jour, 6c guéri des paralytiques de tren- te ans , peut être pour prévenir par ces prodiges le défefpoir des vrais péni- tens , ÔC peut être au/Ti pouramufer la faulfe confiance des pécheurs.
Mais pour vous , Meflîeurs , qui au milieu des périls & des fureurs de la guerre pouvez tous les jours dire comme David, que vous n'êtes fé- parés que d*un feul degré de la mort : Vno tantum gradii , ego morfque divi- j^ ^ j dimur ; vous qui ne devez compter 20* 3, fur la vie , que comme fur un tréfor que vous tenez expofé fur un grand chemin ; qui touchez tous les momens à l'éternité , & qui ne tenez au monde ôc à fes piainrs , que par le plus foible de tous les liens : ah ! qu'eft ce qui peut vous ralTurer lorfque vous vous livrez à des pafTions d'ignominie ? ÔC de quel efpoir pouvez vous vous amu- fer vous même ? eft-ce ces momens- que vous accordez à la Religion furie point d'un combat , qui flattent votre efpérance ? ell ce la prière & les béné- didions d'un Miniftre ? Mais vous qui
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3i8 Pour la Bénédiction êtes de bonne foi , quelle eft alors , je vous prie , la fituation de votre cœur ? Vous eft-il jamais arrivé de re- payer en pareille occafîou dans ramer- tume de votre cœur routes les années de votre vie ? Avez vous jamais penfé dans ces circonftances à offrir au Sei- gneur un cœur contrit & humilié , ÔC à invoquer fes miféricordes fur les miferes de votre ame ? La gloire , le devoir, le péril, vous ne voyez que cela. Les retours furiaconfeience font alors moins de faifon que jamais ; on éloigne même ces penfées comme dan- gereufes à la valeur ; on redouble les pîaifirs , &. les excès pour faire diver- fîon , & s'empêcher foi-même de s'en occuper ; & l'on pafle , hélas ! prcfque toujours du crime ÔC de la débauche à la mort. Horrible dellinée , ô mon Dieu ! 5c fi commune cependant aux perfonnes à qui je parle ! Vous le fa- vez , mes Frères , ÔC mille fois dans la fureur des combats vous avez vu dif- paroître en un inftant les compagnons de vos excès ; vous les avez vus ne met- tre prefque qu'un intervalle entre une impiété ÔC le dernier foupir , 6c un coup fatal venir les enlever à vos cô- tésjdans le temps même peut-être qu'ils
Des Drapeaux , Sec. 319 faifoient encore avec vous des projets de crime.
Et pourquoi leur infortune ne vous ébranieroit elle pas ? pourquoi ne vous inftruiiiez vous pas dans le mal- heur de leur furpiiie /Efl-ce parce que ces exemples font tropfréquens , que vouî> n'en êtes plus frappé ? c'eft-à-dire, que vous vous rafiurez à mefure que le péril augmente. Pourquoi ne vous laifleriez vous pas toucher à la bonté & à la longanimité de votre Dieu , qui ne vous a fauves de tant de périls 6c confervés jufqu'à préfent , que pour vous ménager plus de loifir de vous convertir à lui ? pourquoi changeriez- vous fes deffcin? de miféricorde en des deifeins de colère ; 5( employeriez- vous des jours qu'il n'a prolongés que pour votre fa lut , à prolonger le cours de vos iniquités ?
Eh / f\ dans cette a£lion où vous ne dûtes votre délivrance qu'à un prodi- ge , 6c dont vous- même crûtes ne ja- mais fortir , le glaive de la mort vous eut frappé : quelle eut été, mon Frère , votre deftinée? quelle ame auriez- vous préfentée au tribunal de Jefus- Chrift ? quel monflre d'ordures , de blafphêraes , de vengeances ! N'êtes-
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'320 Pour la BéNfoicTiON vous pas effrayé de vous repréfenter alors fous le foudre d'un Dieu vengeur, , tremblant devant fa face , ÔC les abîmes éternels ouverts à vos pieds. Sa main toute puiffante vous délivra ; il vous couvrit de Ton bouclier ; fon Ange dé- tourna lui même les coups , qui en dé- cidant de votre vie auroient décidé de votre éternité : & quel ufage en avez- vous fait depuis ? quelle recon- noiflance envers votre I ibérateur? quel hommage lui avez vous fait d'un corps que vous terez doublement de lui ? Vous l'avez fait fervir à l'iniquité ; 6c d'un membre de Jefus Chrill vous en avez fait un inflrument de honte ôc d'infamie. Ah ! vous avez bien fu mettre le danger que vous courûtes alors à profit pouryotre fortune ; ma?s avez vous fu le mettre à profit pour votre falut ? vous l'avez fait valoir au- près du Prince ; m.ais en a-t'ii été quei^ tions auprès de Dieu ? vous en êtes monté d'un degré dans le Service ; 6c vous voilà toujours le même dans la milice de Jefs-Chrifl. Craignez, crai- gnez , que ce moment fatal ne revien- ne ; que le Seigneur ne vous livre en- fin à votre propre deftinée ; qu'il ne vous traite comme l'impie Achab ; ôc
DES Drapeaux, 8cc. ^xt qu'un coup parti de fa main invifi- ble, n'aille à la première occafion ter- miner enfin vos iniquités ôc commen- cer fes vengeances.
Que votre fort eft à plaindre , MeC- fieurs ! La voie des armes , où les enga- gemens de lanaiflance ôc le fervice du Prince vous appellent , eft à la vérité brillante aux yeux desfens; c'eft le feuî chemin de la gloire ; c'eft le feul pofte digne d'un homme qui porte un nom : mais en matière defalur, de toutes les- voies c'eft la plus terrible. Voilà les périls ; voici les moyens de les éviter.
Car enfin , le bras de Dieu n'eft pas? racourci ; le fa lut n'eft nulle part im- poftîble ; le torrent n'entraîne que ceuje qui veulent bien s'y prêter; le Seigneur a fes Elus par- tout ; 6c les mêmes darï- gers qui font des écueils pour les ré- prouvés , deviennent des occaflons de mérite aux Juftes.
Et pour entrer ici dans un détail qui vous le fafle fentir : quels font , dites- moi , dans votre état les écueils que l^ grâce ne puifte vous faire éviter ? quefe font les maux qui n'aient en même- temps leurs remèdes ?
Je fais que Fambiiion eft comme kiév ^itable à un. homiiic de guerre y ^p^
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^11 Pour la Be'ne'diction l'Evangile qui fait un vice de cette paf- lîon , ne fauroit prévaloir contre Tufa- ge qui l'a érigée en vertu ; & qu'en fait de mérite militaire , qui ne fent pas ces t^ nobles mouvemens qui nous font afpi-
I rer aux grands poftes, ne fent pas aujSi
^' ceux qui nous font ofer de grandes
aâ:ions. Mais outre que le defir de voir vos fervices récompenfés , s'il eft mo- déré , (i feui il n'abforbe pas le cœur tout entier , s'il ne vous porte pas à vous frayer des routes d'iniquité pour parvenirà vosfins, & établir votrefor- tune fur les ruines de celle d'autrui ; outre 5 dis- je , que ce defir environné de toutes ces précautions, n'a rien dont la morale chrétienne puiffe être bief' fée ; qu'a t- il , en vous offrant les efpé- rances humaines , de fi féduifant, qu'il puiffe l'emporter furi'efpoir des Chré- tiens ôc les promeiTes de la Foi ? Des poftes 5 des honneurs , des diftinâiions , un Rom dans l'univers ? Mais quelle foule de concurrens faut- il percer pour en venir là ? que de circonliancos faut- il aiTortir , qui ne Ce trouvent prefque jamais enfembie ? Et d'ailleurs , eft ce le mérite qui décide toujours de la for- tune 1 Le Prince efï éclairé , je le fais , mais peut!il tout voir de ks yeux 1
DES Drapeaux , 8cc. 315 Combien de vertus obfcures 6c négli- gées ? combien de fervicei-oubliés ou diflimulés ? ^ d^autre part , combien de favoris de la fortune , fortis touVà- coup du néant , vont de plein pied failir les premiers poftes ? ôc delà , quel- le fource de défagrémens & de dé- goûts ! on fe voit paiFer fur le corps par des fubalternes, gens qu'on a vu naître dans le Service , ÔC qui n'en favent pas encore aflez même pour obéir; tandis qu'on fe fent foi- même furie panchant de l'âge , 5c qu'on ne rapporte de fes longs fervices qu'un corps ufé , des affaires domeftiques défefpéréeç , ÔC la gloire d'avoir toujours fait la guerre à fes frais. Eh ! qu'entend- on autre chofe parmi vous , que des réflexions fur l'abus des prétentions & des «Tpé- rances ? vou «nême qui m'écourez j quelle eft là defTus votre fituation ? Et cependant on facrifie l'éternité à des chimères; on fe flatte toujours qu'on fera du nombre des heureux ; &: on ne s'apperçoit pas que la Providence ne femble laifTer au hafard ôc au caprice des hommes le partage des pofles 6C des emplois , que pour nous faire re- garder avec des yeux chrétiens Ics^tres 5c ks honneurs \ ÔC nous faire rapporter
Ovj
524 Pour la Bénédîction^ au Roi du ciel , aux yeux de qui rîeni n'échappe, ôc qui nous tiendra compte de nos plus petits foins , des fervices que nous rendons aux Rois de la terre ,, qui fouvent ou ne peuvent les voir,, ou ne fauroient les récompenfer.
Mais quand même votre bonheur îépondroit à vos efpérances ; quand même les douces erreurs ôc les fonges fur lefquels votre efprit s'endort , dé- ^iendroient un jour des réalhés; quand même par un de ces coups du hafard qui entre toujours pour beaucoup dans la fortune des armes, vous vous verriez élevé à des poftes auxquels vousn'ofe- ïiez même afpirer , 5c que vous n'au- inez plus rien à fouhaiter du côté des prétentions humaines : que font les fé* licites d'ici" bas, bi quelle eft leur fragi> Ité ôcleur rapide durée? Que nous ref^ te-t il de ces grands noms qui ont au- trefois joué un rôle /] brillant dans Tuni- ^erslils ont paru un feul inftant, ôc d'iC- faru pour toujours aux yeux des hom- imes. On fait ce qu'ils ont été pendant ce petit intervalle qu'a duré leur éclat;: •mais qui fait ce qu'ils font dans la ré?- gion éternelle des morts! Les chimères de la gloire & de l'immortalité ne font laé^aiicati fecours i le Dieu vengeur.
DE5 DRAPEAUX 5 &C- ^1$ qui du haut de fon tribunal pefe leurs aâ:ions & difcerne leur mérite , n'en juge pas fur ce que nous difons 6c fur ce que nous penfons d'eux ici-bas ; & tous ces grands traits qui font tant d'honneur à leur mémoire & qui enrt- chilfent nos annales , font peut-être les principaux chefs de leur condam- nation , & les traits les plus honteux de leur ame aux yeux de Dieu.
Helas! MefTieurs, que font les hom- mes fur la terre ? des perfonnages de théâtre : tout y roule fur le faux ; ce n'eft par tout que repréfentations ; ôC tout ce qu'on y voit de plus pompeux ôc de mieux établi , n'eft l'afFaire que d'une fcene: qui ne le dit tous les jours dans le fiecle ; Une fatale révolutionj une rapidité que rien n'arrête , en- traîne tout dans les abîmes de l'éter- nité ; les fîecles , les générations , les Empires , tout va fe perdre dans ce gouffre ; tout y entre ôc rien n'en fort: nos ancêtres nous en ont frayé le che- min , ÔC nous allons le frayer dans ua moment à ceux qui viennent après nous ; ainfî les âges fe renouvellent ; ainlî la figure du monde change fans eelTe ; ainfî les morts 8c les vivans fe fuceedent ôc fe remplacent continua^
5i<5 Pour la B^NéDicxiON lement: rien ne demeure, tout s'ufe,' tout s'éteint. Dieu feul eft toujours le même 5 ôcfes années ne finiflentpoint: le torrent des âges 6c des (iécles coule devant Tes yeux ; 6c il voit avec un air de vengeance & de fureur de foibles mortels , dans le tems même qu'ils font entraînés par le cours fatal , l'infuîter en palTant , profiter de ce feul moment pour déshonorer fon nom , ôc tomber au fortir de là entre les mains éternel- les de fa colère ÔC de fa juflice.
Eh / faifons après cela des projets de fortune ôc d'élévation :ncu?rilfons no* tre cœur de mille efpérances flatreufes: prenons à grands frais des mefures in- finies pour nous ménager un inllant de bonheur ; ÔC ne faifons jamais une feu- le démarche pour atteindre à une féli- cité qui ne finit point. C'eft une fureur dont on ne croiroit pas l'homme capa- ble 5 fi l'expérience de tous les jours n'y étoit.
Et d'ailleurs cet inftant même de bonheur ell-il tranquille ? Les foup- çons, les jaloufies, les crai'ntes , les agi- tations éternelles & inévitables aux grands emplois , le fort journalier des armes , la faveur des concurrens , la fatigue des ménagemens ôc des intri-
DES Drapeaux , Sec, 317 gués , les caprices de ceux de qui ors dépend , ^ tant de revers à effuyer , le vuide même des profpérités temporel- les qui de loin piquent ÔC attirent le cœur , mais qui touchées de près , ne peuvent ni le fixer ni ie fatisfaire ; eft- il de félicité que tout cela ne trouble & n'altère , 5c ceux que vous regardez comme les heureux du fiecle , font- ils toujours tels à leurs propres yeux ? O Seigneur , à qui feul appartient la gloi- re ÔC la grandeur , Thornme ne corn- prendra-t-il jamais qu'il n'eil point pour lui de feliciœ durable & tran- quille hors de vous ? que tout ce qui plaît ici bas peur amufer le cœur, mais ne fauroit le Satisfaire; que la gloire ôc les plaifirs ne piquent prefque que dans le moment qui les précède ; que les in- quiétudes ÔC les dégoûts qui les fui- vent, font des voix fecrettes qui nous appellent à vous ; bi que quand mêrre on pourroit fe promettre une fortune paifible , ce ne feroit qu'une vapeur dont un in^jant décide , ôC qu'on voit naître , s'épaiflîr , monter , s'étendre , s'évanouir dans un moment.
Et ce qu'il y a ici de plus déplorable pour vous , Meflieurs , c'eft que dans une vie rude ÔC pénible , dans des em-
3i8 Pour la BÉNÉoiCTioisr
plois dont les devoirs paflent quelque- fois la rigueur ÔC les travaux des Cloî- tres les plus aufieres; vous fouffrez tou- jours en vain pour l'autre vie & irès- fouvent pour celle- ci. Ah ! du moins le Solitaire dans fa retraite , obligé de mortifier fa chair & de la foumettre à Fefprit , eft foutenu par l'efpoir d'une récompenfe afTurée , & par l'onâiion fecrette de la grâce qui adoucit le joug du Seigneur. Mais vous au lit de la mort , oferez-vous préfenter à Jefus- Chrift vos fatigues ôc les défagrémens journaliers de votre emploi ? oferez- vous le foîliciter d'une récompenfe ? & qu'a-t il dû mettre fur fon com.pte dans toutes les violences que vous vous êtes faites ? Cependant les plus beaux jours de votre vie, vous les avez facrifîés à votre profeflion ; dix ans de fervice ont plus ufé votre corps qu'une vie entière de pénitence : eh ! mon Frère, un feul jour de ces fouftrances confacré au Seigneur, vous auroit peut- être valu un bonheur éternel; une feule aâ:ion pénible à la nature & offerte à Jefus-Chrift, vous auroit peut-être af- faré l'héritage des Saints ; & vous en avez tant fait en vain pour le monde !' Ak l la moielTe Se l'inutilité daiîïr
DES Drapeaux, &c. zi^
neront ceux qui habitent les villes ; mais pour vous , Meflleurs , ce fera le méchant ufage que vous faites de vos peines 5c de vos fatigues. Eh ! quoi , vous prenez fur votre repos , fur vos plaifirs, furvosbefoins mêmes, quand il s'agit de votre devoir : eh ! voilà le plus difficile fait , ce qui vous refle à faire pour le falut ne coûte plus rien : foutenez ces travaux avec une foi chré- tienne ; offrez-les au Dieu jufte comme Je prix de vos iniquités ; & puifqu'il faut les fouffrir, ne les fouffrez pas fans mérite : fi le Prince vous manque, Dieu du moins ne vous manquera pas ; c'eft une reffource que vous vous aflu- rez dans la mauvaife fortune : vos fer- vices ne feront , comme cela , jamais perdus; ÔC les fruits de la guerre feront pour vous des fruits de paix ôC d'éter- nité. Mais encore une fois vous fouf- frez tout ce qu'il faut fouffrir pour le falut ; 6c vous ne favez pas vous en faire honneur auprès du Père célefle.
C'eft ainli . Seigneur , que votre loi fe juftilie devant les hommes; que vous paroiffez vous - même jufte dans vos jugemens ; 6c qu'au jour terrible de vos vengeances vous vous fervirez de la vie rude ÔC iaborieufe d'un hom •
33© Pour la be*ne'diction me de guerre pour confondre la lâche- té du mondain & Tes excufes fur la dif- ficulté de vos préceptes ; ÔC que d'au- tre part l'amour du mondain pour les plailiîs condamnera le peu d'ufage que rhomme de guerre a fait de fes fouffrances. Voilà donc , Meflleurs , comme l'ambition peut devenir elle- même une reflburce de grâce.
Mais cet.e réputation de valeur (i effentieîle à votre état, comment Ta- jufter , me direz vous , avec la dou- ceur 6c l'humilité chrétienne ? Mais qu'eftceque la valeur. Meilleurs l Eft-ce une fierté de tempérament , un caprice de cœur , une fougue qui ne foit que dans k fang, une avidité mal- entendue de gloire , un emporterr.ent de mauvais goût, une petltelTe d'efprit qui fe fait des dangers de gaieté de cœur , feulement pour avoir la gloire d'en être ^brti ? Quel fiecle fut jamais plus corrigé là - delTus que le nôtre ? Quel eft le goût des honnêtes gens fur ce qui fait la véritable valeur ? la fagef- fe , la circonfpeélion , la maturité n'y entrent elles pour rien? Quel a été le cara£i:ere des grands hommes que vous avez vu dans ce fiecle à la tête de nos armées , ôc dont les noms vous font
DES Drapeaux, 5ce. 331 encore (î chers ? Les Turennes , les Condés , les Crequys , par quelle voie font-ils montés à ce dernier point de gloire 6c de réputation au delà duquel il eft défendu de prétendre ? Le fage ÔC le vaillant-Général à qui cette Pro- vince doit fa fureté , 6c le relie du Royaume fa paix 6c fon abondance , lui dont vous recevez les ordres de plus près comme de votre propre chef, 6c fur le nom ÔC les étendards de qui vous avez l'honneur de combattre , s'eft il frayé un chemin à l'élévation où le choix du Prince 6c le bonheur de l'Etat l'ont placé , p3r une valeur in- difcrette ? ôc la fageffe qui eft comme née avec lui, a t-elle jamais rien gâté, ou à fon mérite , ou à fa fortue ?
Mais c'eft que nous nous faifons des faufTes idées des chofes. La valeur, lorfqu'elle n'eil pas à fa plsce , n'eft plus une vertu : & cette noble ardeur qui au milieu des combats eft généro- fité 6c grandeur d'ame , n'eft plus hors de là q^ue rufticité , jeunefte de cœur, ou défaut d'efprit. Mais quelle idée , me direz - vous encore , a t on dans les Troupes , d'un homme qui pafte pour avoir quelque commerce avec la dévotion ? Lh quoi , Seigneur / il y
^3^ Pour la BéNÉDicxioN auroit donc de la gloire à fervir les Rois de la terre ; ÔC ce feroit bafTefie 6c lâcheté que de vous être fidèle ? & qu'y avoit-il autrefois dans les armées des Empereurs Payens de plus intrépi- de dans les périls que \qs foldats Chré- tiens ? cependant, Mefîieurs, c'étoient des gens qui au milieu de la licence des Troupes avoient leurs heures mar- quées pour la prière , paflbient quel- quefois les nuits à bénir tous enfemble le Seigneur, 5c qui au fortir d'une ac- tion favoient fort bien courir à l'é- chafaut 5c y répandre fans murmure leur fang pour la défenfe de la Foi.
Il efl: vrai qu'on ne doit pas exiger de vous cette piété craintive 6c ten- dre , ni toute l'atrention &i la ferveur des perfonnes retirées , qui libres de tout engagement avec le monde , ne s'occupent que du foin des chofes du Seigneur. Mais cette droiture d'ame , ce noble refpeâ: pour votre Dieu , ce fond blide de Foi 5c de Religion, cet- te exactitude de fi bon goût aux de- voirs effeniiels du Chriftianifme , cette probité inaltérable bi fî chère à l'efti- me des honnêtes gens , cette fupério- rité d'efprit 6( de cœur , qui fait mé- prifer la licence &: les excès comme
DES Drapeaux, Scc. 333 peu dignes même de la raiibn ; qui peut vous difpenfer de l'avoir , & au jugement de qui eft • il honteux d'ea être accufé ?
Croyez moi , Meneurs , la Reli- gion rafTure l'ame, bien loinderamoî- lir : on craint bien moins la mort, quand on eft tranquille fur les fuites. Une confcience que rien n'allarrrie, voit le péril de fang froid , 6c l'afFroote courageufemenr , dès que le devoir l'y appelle. Non , rien n'approche de la fainte fierté d'un cœur qui com.bat fous les yeux de Dieu , 6c qui en ven- geant la querelle du Prince honore le Seigneur, & refpecfbe fa puifTance dans celle de fon Souverain.
Et en effet , la piété eft déjà elle- même une grandeur d'ame : rien ne me paroît (î héroïque , ni fi digne du cœur , que cet empire qu'a l'homme de bien fur toutes Tes paiïîons. Quoi de plus grand que de le voir tenir , pour ainfi dire, fans cefte fon ame en- tre fes mains , régler fes démarches , mefurer fes mouvemens , ne fe per- mettre rien d'indigne du cœur, maî- tre de fes fens , les ramener au joug de la loi , arrêter la pente d'une nature toujours rapide vers le mal , étouffer
334 Pour la BÉNéoiCTîOîi mille defirs qui flattent , mille efpé- rances qui amufent ; tenir contre les féduâiions du commerce , & la force des exemples ; & toujours maître de 1 foi- même , ne fouffrir à fon cœur au- cune baiïefle capable de déshonorer un héritier du Ciel ! Ah ! il faut n'être pas né médiocre pour cela : la grâce a fes héros qui ne doivent rien à ceux que les (iecles paffés ont admiré ; 6c apurement celui qui fait vaincre fes ennemis domeftiques, ÔC qui dès long- temps s'eft aguerri à meprifer tout ce que les fens offrent de plus cher , ne craindra pas les ennemis de l'Etat, 8c aura bien moins de peine à expofer avec intrépidité fa propre vie.
Et d'ailleurs , Meffieurs , parut- on jamais plus détrompé que Ton eft dans ce fiecle , de cette vieille erreur qui faifoir confiiier le courage à meprifer fa religion ÔC fon Dieu ? C'eft - là au- jourd'hui le partage des malheureux: les devoirs du Chriftianifme entrent dans ie$ bienféances du monde poli ; 8c l'on donne au moins les dehors de la Religion à l'ufage.
Enfin 5 les Moyfes , les Jofués , les Davids, les Ezéchias, ont été de grands hommes de guerre &. des grands Saints,
DES Drapeaux, 8cc 335 des Héros du (îecle 5c de la Religion : les fiecles chrétiens ont eu leurs Conf- tantins Ô£ leurs Théodofes , terrible» à la tête de leurs armées , humbles 6C religieux aux pieds des Autels. Nous vi /ons fous un Prince qui n'ayant plus rien à fouhaiter du côté de la gloire , a cru que la piété devoit en être com- me le dernier trait ; qui tous les jours va humilier fous le joug de Jefus Chrift, une tête chargée des marques de fa grandeur 6c de Tes victoires ; 6c qui dans le temps que tout retentit de Ton nom ÔC du bruit de Tes conquêtes , fait répandre fon ame devant le Seigneur, ÔC gémir en fecret fur le malheur des peuples & les trilles fuites d'une guerre fî glorieufe pour lui aux yeux de l'uni- vers.
Répandez donc , ô Dieu des ar- mées , fous un Prince (î religieux , des efprits de foi &C de piété fur ces guer- riers armés pour fa querelle. Beniilez vous même ces étendards facrés ; laif- fez y des traces de fainteté , qui au milieu des combats aillent aider la foi des mourans 6c réveiller l'ardeur de ceux qui combattent ; faites-en des (î gnes afTurés de la vidoire : couvrez , couvrez de votre aîle cette Troupe il-
3 3*^ Pour la BéNÉDiCTiON luflre qui vous les offre dans ce Tem- ple ; détourneîz avec votre main tous les traits de l'ennemi ; fervez lui de bouclier dans les divers événemens de la guerre ; environnez la de votre for- ce; mettez à fa tête cet Ange redouta- ble dont vous vous fervites autrefois pour exterminer les AlTyriens ; faites- la toujours précéder de la viô:oire 6c de la mort ; répandez fur Tes ennemis des efprits de terreur & de vertige ; 6c faites ièntir fa valeur aux nations jaloufes de notre gloire.
Mais non , Seigneur , pacifiez plu- tôt les Empires ôC les Royaumes ; appaifez les efprits des Princes ÔC des peuples ; lai ffez- vous toucher au pi« toyabîe fpeâ:acîe que les guerres of- frent à vos yeux. Que les cris & les plaintes des peuples montent jufqu'à vous : que la défolation des villes 6c des Provinces aille attendrir votre clé- mence : que le péril ôc la perte de tant d'ames défarment votre bras depuis fî long-temps levé fur nous : que taut de profanations que les armes traînent toujours après foi , vous faffent en- fin jetter des yeux de pitié fur votre Eglife. Ecoutez les gemiffemens àes Juftes 5 qui touchés des calamités d'If-
raël.
Des Drapeaux 5 8cc. 337 ra'él vous difent tous les jours avec le Prophète : Seigneur , nous avons at- tendu la paix ; ÔC ce bien n'eil pas en- core venu ; nous croyions toucher au temps de confolation , & voilà encore des troubles.
Ce font nos iniquités , Chrétiens ^ fouffrez que je vous le dife enfinilTant, qui ont attiré fur nous ces fléaux du Ciel. Les guerres , les maladies , les autres calamités dont nous fommes frappés , font des marques fûres de la colère de Dîéu fur nos déréglemens : En vain nous gemiffons fur les malheurs du. temps ôc fur l'accablement de nos familles ; eh ! gémiflbns fur nous- mê- mes , appaifons le Seigneur par le changement de nos mœurs; rétablif^ fons la paix de Jefus Chrift dans nos cœurs; calmons nos paflîons & nos en- nemis domeiliques : ÔC nous verrons bientôt l'Europe calmée , les ennemis de la France appaifés, la paix rétablie par tout , & un repos éternel fuccéder à celui d'ici-bas. Ainfifoit-iL
Petit Carême*
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