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L. G n - o u , V J n 'c ,

SERMONS

DU PERE

BOURDALOUE,

DE LA Compagnie de Jésus,

POUR LES DIMANCHES.

TOME PREMIER.

No U L L E É D I T l O iT.

A LYON,

Chez PIERRE BRUYSET PONTHUS,

à l'entrée de la rue S. Dominique , près du Cloître des RR. PP. Jacobins.

M. DCC. LXIX.

Avec Privilège du Rou

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AVERTISSE AI EN T.

JE ne prétends point , en fini/Tant toute rEditioH des Sermons du Père Bourda- loLie , reiKire un compte exad des foins c[u'elle a du me coûter : j'en lai/Te le jugement aux perfonnes intelligences. Du 4:eile , je n'ai pas cru pouYoir mieux em- ployer mon temps , que de le conlacrer ^infi à la gloire de Dieu , en confa- :crantà l'ucdité publique & à l'édificatioa des âmes.

Comme la grande réputation du Père -Bourdaloue lui attiroit de continuel- les occupations au-dehors , il n'avoit -guère eu le loifir de retoucher lui-même Xes Sermons , & d'y mettre la dernière -main. C'eft à quoi j'ai tâché de fuppléer ; ^ par une a/îiduicé a4Îi.-z confiante au travail , je fuis ainfî parvenu a faire pa- roître^ un cours de S^ermons pour toute l'année : Avent , Carême , Myfteres de Notre Seigneur & de la Vierge \ Panégy^ Jriques des Saints , Vetures & Prcfenions , -Dominicale. Dans cette Dominicale on Jie trouvera point les Sermons des Di- •manches de l'Avent , du Carême , de la Pentecôte & de la Trinité , parce qu'ils font en leur place dans les volumes qui précédent.

Il ne falloit rien perdre d'un homme qui penfoit fi folidement fur hs matie- |:es de la religion , & qui les traitoit avec taiic.de force & tant de dignité. C'eft u*

AVERTISSEMENT.

des plus excellents modèles , pour ne pas dire le plus excellent, que pui/Tent Te propofer ceux qui afpirent à l'éloquence de chaire. Mais en voulant fe former fur un beau modèle , il y a d'ailleurs des écueils à craindre j & le Père Bour" daloue a beaucoup perfedionné le goût de la prédication , il n'efl pas moins vrai qu'il a gâté beaucoup de Prédicateurs.

En quelque art que ce foit , ce n'eft pas une petite fcience de découvrir au jufle 5 & de prendre dans ceux qui y ont excellé , ce qui nous convient , fans s'at- tacher à ce qui ne nous convient pas. Pour n'avoir pas lu faire ce difcernement , des ^prédicateurs qui n'avoient ni la vivacité & l'imagination , ni le nom & l'autorité , ni les qualités extérieures & la voix dut' Père Bourdaloue , ont mal réulfi à vou- loir imiter , ou fon flile diffus & périodi- que 3 ou les façons de parler , dont plu- iîeurs lui étoient particulières, ou cette ra- pidité dans la prononciation qui l'empor" toit de temps en temps , & qui entrainoic avec lui Tes Auditeurs. Ce que nous ad- mirons dans un orateur , &c ce qui ell: le fujet de nos applaudillements , n'eft pas toujours ou ne doit pas être le fujet de notre imitation :-il faut fe connoître au- paravant foi-méme & fes dirpofitions na- turelles : car tout doit être proportionné ; Ôc c'eft cette proportion , cette conve- nance , qui donne aux chofes leur mérite, ôc qui en fait le plus bel agrément.

AVERTISSEMENT Il n'y a point , après tout , de Prédicat teiir, à qui la ledure des Sermons à\i Père Bourdaloue ne puifTe être très-utile , pour peu cju'on en fâche ufer avec con- noiiFance & avec précaution. S'il y a diverfité de talents , & s'il efl bon que chacun fe renferme dans le tien propre , il y a au/fi des règles communes & des- préceptes qui s'étendent à tous les ta- lents & à tous les genres de l'éloquence" chrétienne. Par exemple , bien choifir la matière d'un difcours , & la tirer na- turellement de l'Evangile i l'envifa^er moins par ce qu elle peut avoir de nou- veau , de fingalier, de brillant , que par ce qu'elle a de vrai , d'inflruclif , de touchant , & qui eft plus à la portée de tout le monde; la divifer, & en faire tellement le partage , que les points j fans fe confondre , aient toutefois entre eux alTez de rapport pour fe réduire à une première vérité Se à une propofi- tion générale ;' ne rien avancer dont on ne produife les preuves ; & non de ces preuves abftraites & fubtiles , plus aca- démiques , pour ainfî dire , qu'évangéli- ques y mais des preuves fenfîbles , pri- fes' du fonds de la religion & des maxi- mes les plus certaines de la Théologie : entrer d'abord dans fon fajet , & ne s'en écarter jamais , foir par de longs & d'i- nutiles préludes , foit par des réflexions hors d'oeuvre & d'ennuyeufes digreffions j éclaircir les doutes ^ prévenir les ob-

â iij

jiVERTISSEMENT.

je(5iions , les qucflions c|ui peuvent naî- tre , fe les faire à foi- même , & y répon- <ire. De- pa/Ter aux mœurs , &c dans un fidèle tableau les repréfenter telles qu'elles font , évitant l'un & l'autre excès , d'uiv dctcil trop populaire & trop familier, & d'une peinture trop vague Se trop fuperfî- cielle. Expofer tout avec méthode , avec erdre , & ne fe pas contenter d'un amas informe de penfécs , qu'on enta/Tc f^^lon qu'elles fe préfentent , & fans nulle liaifon que le hazard qui les place indiffcremment les unes auprès des autres. Enfin , en venir a. des concluions pratiques , qui fuivenc des vérités qu^on a expliquées , & qui en comprennent tout le nuit : voilà à quoi tout Prédicateur doit s'étudier , & ce qu'il apprendra du Père Bourdaloue.

Il n'eft point précifément- nécelfaire de s'exprimer comme cet habile Maître , d'avoir fon feu , fon action , fon éléva- tion : ce font des dons que le Ciel départ à qui il lui plaît j 8c fans ces dons , on peut , avec d'autres qualités , annoncer utilement la parole de Dieu, Mais de quelque manière qu'on l'annonce , il eft toujours nécelfaire de faire un bon choix du fujet qu'on entreprend de traiter i de. l'accommoder, comme le Père Bourda-. loue , à l'Evangile , & de ne vouloir pas que l'Evangile , par des applications for- cées , s'y accommode ; d'y chercher à inftruire & à toucher , plutôt qu'à pa- loître 5c a briller i d'eu bien diUrlbuei

toutes les parties , d'en bien appuyet toutes les propofitions , ôc ^^ les établir fur les folides fondements de la foi & de la raifon. Il eft toujours d'une égale necel^ fité de ne fe point éloigner de ion deliein , & de ne le pas perdre un moment de vue s de fatisfaire aux difficultés qu'on peut op- pofer , & de les réfoudre : après avoir de- Yeloppc les principes & la doarme , de. defcendre à la morale ; & par des induc^ tions fortes , mais fages , de peindre les vices fans noter les perfonnes , m faire connoître les vicieux ; de donner a chaque chofe le rang, l'étendue, tout le jour Q'i'ei'e demande i de n'aiteCler nen aans les exprelfions , &- de ne rien outrer aans les décifions i de lier le difcours &.Qe condu re par degrés l'Auditeur a de falu- taires conféquences & aux faintes refo- lutions mi'il doit remporter pour la re- formation de fa vie. Tout cela , encore une fois , eft de tous les carac1:eres de Pré- dicateurs : & en vain pour difculper un " Prédicateur , qui voudroit s'aftranchir de ces redes , & pour l'autorifer , diroit-on, ce qu'en effet on dit en quelques rencon- tres , qu'il prêche de talent ; dés que ces conditions eflentielles lui manqueroient , ce talent prétendu ne feroit qu'un iaux talent. Des Auditeurs peu pénétrants , Se qui ne jugent que par les yeux en pour^ roient être éblouis j mais les efpnts d u* certain goût ne s'y tromperoient pas. Ouoi qu'il e;i foie , le Perc Bourdaloue ^' â iiij

A V :E R T I s s I M E N T,

«it dans un point éminent toutes ces pef- fedions de la vraie éloquence , & c'eft ce qu'on doit fur-tout obferver dans Tes Sermons ; mais l'erreur eft de ne les lire que pour en extraire des pafTages , des divifîons , des figures, des termes, que fbuvent on applique mal & à qui l'on ©te , en les déplaçant , toute leur grâce. Au lieu donc d'ctre difciple & imitateur du Père Bourdaloue , on n'en eft que aiauvais copifte & que plagiaire.

Cependant , s'il ne fert pas toujours à former de parfaits Prédicateurs , il fervira- par fes enfeignemenrs , pleins de vérité 8c de piété , à édifier les fidèles & à former de parfaits clirétiens. On peut s'égarer en îe prenant pour modèle dans le miniftere de la prédication , mais on ne s'égarera jamais en le prenant pour guide dans le- cKemin du falut. C'eft ce que tant de perfonnes ont éprouvé , & ce qu'elles éprouvent tous les jours. Il a plu à Dieu de donner aux Sermons de ce célèbre Prédicateur une bénédiclion toute nou- velle après fa mort^ Se je puis dire, en lui appliquant l'expreffion de l'Ecriture , que tout mort qu'il eft , il ne ctÛ^c point de prêcher aufîi efiîcacement & auiîi uti- lement fur le papier , qu'il prêckoit autre- fois dans la chaire.

Je préparc encore un recueil , non plus de Sermons , mais d'Exhortations de d'Inf- trui^ioas ckiéciennes du même Auteur.

approbation de Mr.V Abbé Tourne ly ^ Vocîeur er Profejfeur roynl in Théologie , de U AUifon ty Société de Sorbonne , Chanoine de /<« Saintt Chapelle de Paris.

J

'Ai lu, par ordre de Monfeigneur le Chance- lier , les Sermons pour les Dimanches de l'an- mée , prêches par le R. P. Bcurdaloue de la c on^ pagnie de Jésus , dans lefquels je n'ai rien trou- vé que de très-conforme à la pureté de la foi & Éle la reorale chrétienne. A Paris , œ 3 avril 17 1 5. T o u R N E L y.

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Verwijfton du R. p. Provincial.

JE foufligné , Provincial de la Compagnie de Jésus, dans la Province de France , per- mets au Père François Bretonneau de la même Compagnie , de faire imprimer un Livre qu'il â revu , & qui a pour titre : Sermor:s dn Père 'Bourdaloue de la Compagnie de Jésus , pour les- jyimancbes , lequel Livre a été vu & approuvé par trois Théologiens de notre Compagnie. En foi de quoi j'ai figtié la préfente PermilTion. A Paris, ce 16 avril 171^.

^ IsAÀG Martineàu.

PRIVILEGE DV ROI,

LOUIS, PAR LA GRACE DiEU , Roi DE Franêe et de Navarre : A nos amés & féaux Confeillers , les Gens tenant nos Cours de Parlement , Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel , Grand Confeil , Prévôt de PariS;> Baillifsj Sénéchaux, leurs Lieutenants civils, Se ^autres nos JulHciers c^u il appartiendra , Salut. Not e bien-amé Jean-Baptifte Coignard fils , l'un de nos Imprimeurs ordinaires & de notre Académie Françoife, Libraire à Paris, nous a fait- expofer qu'il eil fur le point d'entreprendre i'iin- preiTion d une colle6lion des Hiiloriens de Fran- ce , depuis l'origine de la nation : & comme cet Ouvrage , autant utile à la Republique des Let- tres , que glorieux à notre Royaume , engagera l'Expofant dans des dépenfes con/idérables , il nous a tres-humblement fait fupplier de vouloir bien , pour l'aider à fupporter les frais d'une grande entreprife , lui accorder nos Lettres de Privilège , tant pour l'impreflion dudit Livre , que pour la réimpreiîion de plufieurs autres donc les Privilèges font expirés ou prêts a expirer ; of- frant pour cet effet de les imprimer , ou faire réimprimer en bon papier & beaux caractères , fuivant la feuille imprimée & attachée pour mo- dèle fous le contrefcel des Préfentes. A ces cau- fcs , voulant favorablement traiter led. Coignard, & encourager par fon exemple les autres Libraires & imprimeurs à entreprendre des édi- - tions utiles pour l'honneur de la France & le progrés des Scieivces , nous lui avons permis

Î5^ accordé, permettons & accordons par cef Préfentes d'imprimer ladite O//^^-?^^^ desHiftoj ytem de Vr^me , depuis Vortgine de U Nation -, ^ de faire réimprimer les Livres intitules , Mont- faucon Vdœogr^phU Gru^ , CT Ongenis Hexf.- pla : le Chemin royd de U Croix , Us Oeuvres uh P. Vez.ron , U Bibliothèque hiftorique de U France du P. le Lonz. ^s .iBes des Mytyrs de Dom \Ruinart,les Livres d'ZgUfe h l'ufage de l Ordre de S-^int Vrar^çois , Us Retraites , Reflexions ^_ Heures du ?.' Croifet jéfuite . le D^atonn^trc des Cas de confrie?7CC , par les fieur. de Lamet Cr F,om:igc^:i , la Science de U Chaire , ou Du- jio?7np/ire moral. Us Difcours moraux en for ?ne ■de Trônes, avec les I.'oges des Sa:nts, l'H^fiotre fibréré: de U France Par Chapons , înjhrutions ECj- cUfiafliques ^ Bénéficiales du fieur Gioert , Injtt^ ^mion au Droit François, par Dargou , le parfait Maréchal de SoUyfel . Theolo.ia ^etrocorenfis , Hifioire Romaine d^E^hard , (f H:ftotre Grecque de Stanian , Vr^nes de Joly , Education des Fuies , par U (l^ur de Fenelon , Hifloire Eccejiaftique , tmr fervir de continuation à celU de Fleur y . avec V Abrégé de ladite Htfloire -, Sermons ae Bmraa- 1 loue ar-de la Rue, Homère traduit par Dacter , les Romans de la Rofe er des Amadis Eléments 1 de l'Hilloire par de Valemont , Traduction des j Oeuvres d'Horace par Tarteron , Defcrtpnon de ?0ris par Brice , U Jardinier folitatre -Traite des ! Saiz-nées de Silva , l'Economie ammaU par HeL- vetius , ^ V Architecture de Daviler , en tels Vo- lumes , forme , marge , caraderes con|omte. ment ou féparément , & autant de fois que boa huremblera, &de les vendre Se -e rendre débiter par tout notre Rojaume pendant le t^^ups

de vhtgt Hnnêes entières (f conficuttves , a comp-' ter de la date des Vréfentes , ^ de l'expiration' des précédents Privilèges: faifons défenfes à tou- te forte de perfoiines , de quelcjuc qualité & condition qu'elles foient , d'en introduire d'im- preflîon étrangère dans aucun lieu de notre obéi/Tance: coiiinieauiTi à tous Imprimeurs, Li- braires & autres , d'imprimer ou faire imprimer, vendre , faire vendre , débiter ni contrefaire \ç{^- dits Livres ci-deiTus fpécifiés , en tout ni en par- tie , ni d'en faire aucuns extraits , foas quelque |)rctexteque ce foir, d'augmentation, correcTcion , changement de titre , même de tradudlion en Langue Latine , Langue Grecque , & en quel- gu'autre forte de Langues que ce puiife être , en général ou en particulier , ou autrement , fans îa permiiîion exprelfe &: par écrit dudit Expo- fant, ou de ceux qui auront droit de lui , à peine ée confifcation des Exemplaires contrefaits , de dix mille livres d'amende, contre chacun des" contrevenants , dont un tiers a Nous , un tiers à l'Horel-Dieu de Paris , l'autre tiers audit Expo- fant , & de tous dépens , dommages & intéréts^ A la charge que ces Préfenres feront enregif- trées tout au long fur le Régiftre de la Commu- nauté des Libraires & Imprimeurs de Paris , dans- trois mois de la date a icelles -, que l'imprelTion de ces Livres fera faite dans notre Royaume -Se non ailleurs , & que l'Impétrant fe conformera en tout aux Régleàients de la Librairie , &: no- tamment à celui du lo avril 172,5 , & qu'avant que de les expofer en vente , les Manufcrits ou Imprimés qui auront fervi de copie à l'impref- fîon defdits Livres , feront remis dans le même ctat QU les Approbations y auront été données >

es mains de notre très- cher & féal Chevalies Garde des Sceaux de France, le iîeur Chauveliiii & qu'il en fera enfuire remis deux exemplaires de chacun dans notre Bibliothèque, un dans celle de notre Château du Louvre , & un dans celle de notredit très-cher $c féal Chevalier Gar- |de des Sceaux de France le fîeur Chauvelin ; le jtout à peine de nullité des Préfentes : du con- tenu defquelles , vous mandons & enjoignons de faire jouir l'Expofant ou fes ayants caufe , 1 pleinement & paihblement , fans foufFrir qu'il leur foie fait aucun trouble ou empêchement, Voulons que la copie defdites préfenres , qui fera j imprimée tout au long au commencement ou ï la fin defdits Livres , foit tenue pour duemenC fîgnifiée , & qu'aux copies collationnées par "un de nos amés & féaux Confeillers-Secretai- es , foi foit ajoutée comme à l'original. Goru.- îiandons au premier notre Huifïier ou Sergent ie faire pour l'exécution d'icellcs tous Aéles re- juis & néceiTaires , fans demander autre pcrmil^ ion , & nonobstant clameur de Haro , Chartre Normande , &' Lettres à ce contraires : Car tel jîrt: notre plaiiîr. Donné à Paris le cinquième joue lu mois de Mars , l'an de grâce 1733 , & de îotre règne le 1 8. Signé , par le Roi en fon Coiv- eil , S A I N S O N j avec grille & paraphe.

Régijlré fur le Kégiftre VI IL de U chambre loyale ^ Syndicale des Libraires ^Imprimeurs de *aris , N°. j 3 8. fol. 5 3 1 3 conformément aux an- iens Règlements, confirmés par celui du x8 'Mk^ 'jrier 1723. ^ Pari s, le ^ Juin 1733.

Signé , G. MARTIN , Syndiu

1

J'ai fait part du prcfcnt Pdv'ilege à MefTieurs i les Preres Bruyset , Libraires à Lyon , i-oar les Livres fuivaius kuUmcntJes Retraites, Reflexions er Heures du ?ere Croiftt jéjuite , pour en jouir par lefd. Sieurs aux conditions portées par 1 Acte de vente du fonds de Librairie de Madame la veuve Boudet de Lyon. Fait à Pans , le 9 O^o-l bie 1733. COIGNARD,///.

Régiflré fur le Régiftre VllL de U Chamhrt royale des Libraires (ST Imprimeurs de Pans , pagi 6 07 , conformément aux Règlements , er notam- ment k l'Arrêt du Confeil du 13 ^oût 170^. A F^ris , U 9 Octobre 1733.

G. MARTIN , Syndic,

Je fottfTigné , tant en mon nom , que commç affocié de MelTieurs Gabriel Martin & Guerir l'ainé , reconnois avoir fait part à Mrs. Bruyset frères , Libraires en fociété de la Ville de Lyon du Privilège ci-delllis, par moiokenu le 5 Mar dernier , feulement pour les Livres fuivants , fa voir , Les Sermons er Retraites du P. Bourdaloue les Sermons du P. de U Rue , Traité de lEconomu finimde , er les Panégyriqms de Flechier , le tou relativement au traité fait cejourd'hui entn fious. A Paris , le 19 Novembre 173 3-

COIGNARD , fils.

Régiftréfur le Regifire VllL de laCommunmt des Libraires ^ Imprimeurs de Paris , N°. (T;, ï conformément aux Règlements , tSi' n&tamment < celui du 10 Avril 1703. A Paris, le z8 No vembre 173 J. ^. MARTIN , Syndic,

SERMONS

CONTENUS DANS CE FOLUME.

POuR le premier Diman- che après l'Epiphanie : Sur

^ le devoir des Feres ^p^r rap- port à^U vocMiQ^ de leurs en^ fmts. ^ Page 3

Pour le fécond Dimanche après l'Epiphanie \fur l'état du Maria^ge. î^

Pour le troifieme Dimanche après l'Epiphanie : Sur U Foi. ^ ^ 93

Pour le quatrième Dimanche après l'Epiphanie : Sur les ^ffli£tions desjujles & la prof périt e des pécheurs o 1 3 3

Pour le cinquième Dimanche après l'Epiphanie : Sur U So- ciété des Jujles avec les pé^ çheurs, ^ 8 1,

Pour le fîxieme Dîmanche

après l'Epiphanie : Sur Is

fainteté d^ U force de U Loi

chrétienne, 22^

Pour le Dimanche de la Sep- tuagéflmc : Sur l'Oifivetém

Pour le Dimanche de la Se- xagéfime : Sur la parole de Dieu. 3 1 3

Pour le Dimanche de la Qiûn- quagéfime : Sur le fc and aie de la, Croix & des humilia-' lions de Jefus-Chrijl. ^6z

SERMON

SERMONS

POUR LES

DIMANCHES,

DEPUIS L'EPIPHANIE

JUSQU'AU CARÊME.

\S ^/4> ^./'-i-'Ks;

s E R M O N

POUR

LE PREMIER DIMANCHE

APRÈS L'EPIPHANIE.

Sur U devoir des Pères , par rapport à la vocation de leurs Enfants.

Et dlxit mater ad illiim : Fili , quld fecifîi nobis- fîc ? Ecce pater tuus & ego dolentes qusere- bamus te. Et ait ad illos : Quid efl: quôd me «juaerebatis ? nefciebatis quia in his quae patris mei funt oportet me efTe ? Et ipfi non intellexe- runt verbum quod locutiis eft ad eos.

'La mère de Jefus - Chrijî lui dit : Mon fils , pourquoi en ave^ - vous ufé de la forte avec nous ? Votre père & moi nous vous cherchions avec beaucoup d'inquie'tude. Il leur répondit : Pourquoi me cherchis^-vous ? ne fave^-vous pas qu'il faut que je m\mploie aux chojes qui regar- dent mon père ? Et ils ne comprirent pas cc qu'il leur dit. En S. Luc , ch. 2.

i, ç i'EST laréponfe que l'enfant Jefus ^_^J fit à Marie , lorfqu'après l'avoir cherché pendant trois jours, elle le trouva ^lans le temple de Jérufàlem. Réponfe Domin^ tom, /. A ij

4 Sur le devoir des Pères

qui pourroit nous furprendre , & qui peut-être nous paroitroit trop fcvere &: trop forte , (i nous ne favions pas qu'elle fut toute myftérieufe : car le Fils de Dieu , dit faint Aaibroife, reprit fa mère en cette occafion , parce qu'elle fembloit vouloir dirpofer defaperfonne , & s'attribuer un foin qui n'étoit pas da fon refTprt. Ainfi l'a penfé ce faint Doc-! leur; mais comme cette opinion , Chré- tiens , n'eft pas tout-à-fait conforme à la haute idée que nous avons tous de i'irrépréhenfible fainteté de la Mère de Dieu , adouciffons la penfée de faint Ambroife , & contentons-nous de dire que, dans l'exemple de Marie, le Sauveur du monde voulut donner aux pères & aux mères une excellente leçon de la con- duite qu'ils doivent tenir à Tégard de leurs enfants , fur-tout en ce qui regarde le choix de l'état oii Dieu les appelle. Ce fujet , mes chers Auditeurs , eft d'une ccnféquence infinie ; & , tout borné quHI paroît , vous le trouverez néanmoins, dans l'importante morale que je prétends en tirer, fi général & fi étendu , que de toute cette ademblée il y en aura peu à qui il ne puifTe convenir ÔC qu'il ne puifTe édifier. Il eft bon de defcendre quelquefois aux conditions particulières des hommes , pour y appliquer les règles univerfelles de la loi de Dieu : or , c'eft ce que je fais aujourd'hui. Car en expli- quant aux pères 6c aux mercs ce qu'ils.

ENVERS LEURS EnFANTS; 5

doivent à leurs enfants , & aux enfanté ce qu'ils doivent à leurs pères Si à leurs mères dans une des plus grandes affaires de la vie , qui e/l celle de la vocation & de rétat , je ferai comprendre à tous ceux qui m'écoutent ce que c'eft que vocation , quelles maximes on doit fuivre fur la vocation , ce qu'il faut craindre dans ce qui s'appelle vocation 3 ce qu'il y faut éviter & ce qu'il y faut recher- cher. Nous avons befoin ^ pour cela 3 des lumières du Saint-Efprit : deman- dons-les par Tinterceffion de fa divine Èpoufe. Ave Maria*.

N'Efi-il pas étrange. Chrétiens , que ?v'îarie & Jofeph, com.me le remar- que faint Luc dans les paroles même de mon texte, ne compriiTent pas le myflere 6c n'entendlflent pas le Fils de Dieu , quand , pour leur rendre raifon de ce qu'il avoit fait dans le Temple, il leur dit que fon devoir i'obligeoit de va- quer aux chofes dont fon père l'avoit chargé ? Que Jofeph n'ait pas tout-à- fait pénétré le fens de cette réponfe , j'en fuis moins furpris ; car, tout éclairé qu'il pouvoit être par les fréquentes & intimes communications qu'il eut avec Jefus-Chrift , il n'étoit pas néceflaire qu'il connût tous les myfteres de l'incar- nation divine ; mais ce qui doit nous étonner, c'eft que Marie, après avoir reçu la plénitude de toutes les grsces &

A iij

6 Sur le devoir des Pères

de toutes les lumières céleftes , aprèa avoir conçu dans fon fein le Verbe incarné , ait paru ignorer un des points les plus eiTentiels de la mifîîon de cet Homme-Dieu 6c de fon avènement fur la terre. Ne nous arrêtons point , mes chers Auditeurs , à éclaircir cette diffi- culté , & lailTons aux interprètes le foin de la réfoudre: voici ce qui doit encore plus nous toucher, & ce qui demande , s'il vous plait, une attention toute parti- culière. En effet, fi Marie & Jofeph ne comprirent pas ce que leur difoit le Sau- veur des hommes touchant les emplois il étoit appelle par Ton Père , n'eft-il pas vrai que la plupart des pères & des mères , dans le chriftianifrne , n'ont jamais bien compris leurs obligations les plus indifpenfables, par rapport à la dif- pofition de leurs en-fants , & en matière d'état & de vocation ? Il eft donc d'une extrême importance qu'on les leur explique, & voilà ce que j'entreprends dans ce difcours. Prenez garde , je vous prie , je ne veux point entrer dans l'inté- rieur de vos familles ; je ne viens point vous donner des règles pour les gouver- ner enfages mondains ; vous me diriez , ^ avec raifon, que celan'eft pas de mon minirtere : mais s'il y a quelque chofe, dans le gouvernement de vos familles , h religion & la confciencefoient inté- reffécs , n'eft-ce pss à moi de vous ea iiidruire ? Or je prétends qu'il y a deux

ENVERS LEURS EnFAKTS. f

cliofes que vous ne favez point afTez , 6: qu'il vous eft néanmois , non-feule- ment utile, mais d'une abfolue néceffité de bien apprendre. Ecoutez-les : Je dis qu'il ne vous appartient pas de difpofer de vos entants , en ce qui regarde leur vocation & le choix qu'ils ont à faire d'un état ; & j'AJouie toutefois que vous êtes refponfables à Dieu du choix que font vos enfants , & de l'état qu'ils enibraflent. Il femble d'abord que ces deux propofitions fe contredifent , mais la faite vous fera voir qu'elles s'accor- dent parfaitement entr'elles. Dieu ne veut pas que , de vous-mêmes &. de votre pleine autorité , vous déterminiez à vos enfants l'état ils doivent s'en- gager ; c'eft la première partie. Et Dieu cependant vous demandera compte de l'état vos enfants s'engagent ; c'eil: la féconde : toutes deux feront le par- tage de cet entretien 6c le fujet de votre attention.

IL n'appartient qu'à Dieu de difpofer I, abfolument de la vocation des hommes, Part, & il n'appartient qu'aux hommes de déterminer, chacun avec Dieu , ce qui regarde le choix de leur état & de leur vocation : ce principe ell: un des plus inconteftables de la morale chrétienne. D'où je conclus qu'un père , dans le chrif- tianifme , ne peut fe rendre maître de la

A iv

8 Sur le devoir des Perss

vocation de fes enfants , fans commettre deux injuftices évidentes; la première, contre le droit de Dieu ; la féconde , au préjudice de fes enfants même ; l'une ÔC l'autre fujettes aux conféquences les plus funeftesj en matière de falut. Voilà le point que je dois maintenant développer, ÔL en voici les preuves»

Je dis qu'il n'appartient qu'à Dieu de décider de la vocation des hommes : pourquoi ? parce qu'il eft le premier père de tous les hommes , & parce qu'il n'y a que fa providence qui puiffe bien s'acquitter d'une fonftion aufTi impor- tante que celle-là : ce font deux grandes raifons qu'en apporte le Do^^eur Ange- liquefaint Thomas. Si je fuis père, difoit Dieu , par le Prophète Malachie , JVfû/trcA.eft l'honneur qui m'efl ? Si pater ego ^' '• Jr fum , uhï ejl honor meus ? C'eft-à-dire , pour appliquer à mon fujet ce reproche que faifoit le Seigneur à fon peuple , ft je fuis père , par préférence à tous les autres pères , eft le refpe-Sl que l'on me rend en cette qualité ? eft la marque de ma paternité fouveraine , Ci les autres pères me la difputent , & fi je ne difpofe plus de ceux à qui j'ai donné l'être , pour les placer dans le rang & dans la condition de vie qu'il me plaira ? Vous entreprenez, ô hommes ! de le faire ; qui vous en a donné le pouvoir ? Dans une famille dont je ne vous ai

ENVERS truRs Enfants. 9

confié que la fiinple adminlftration , vous agifiez en maître, & vous ordonnez de tout félon votre gré : vous deftinez l'un pour l'Eglife , & l'autre pour le monde ; celle-cipour une telle alliance, & celle- pour la religion ; & il faut , dites- vous , que cela foit , parce que les mefures en font prifes : mais avec quelle îuftice parlez- vous ainfi ? Je n'ai donc plus que le nom de père , puifque vous vous en attribuez toute h puiiïance : c'ell donc en vain que vous me témoignez quelquefois que ces enfants font plus à moi qu'ils ne font à vous : car , s'ils font à moi plus qu'à vous , ce n'eft pas à vous , mais à moi d'avoir la princi- pale 6c effentielle dire^Sion de leurs perfonnes.

Ajoutez à cela , Chrétiens , la réfle- xion de faint Grégoire Pape , que non- feulement Dieu ei\ le premier père de tous les hommes , mais qu'il eil le feul que les hommes reconnoilTent, félon l'ef- prit , & par conféquent que c'elt à lui , & non point à d'autres , d'exercer fur les efprits & fur les volontés des hommes cette fupériorité de conduite , ou plutôt d'empire , qui fait l'engagement de la vocation. Quand la mère des Machibées vit fes enfants , entre les mains des bour- reaux , fouffrir avec tant de confiance, elle leur dit une belle parole , que nous lifons dans l'écriture : Ah ! mes chers enfants, s'écria-t-elle , ce n'eft pas moi

A Y

10 Sur le devoir des Pères

qui vous ai donné une ame fi héroïque i cet efprit fi généreux qui vous anime n'a point été formé de ma fubflance , c'efl du louverain Auteur du monde que z. Ma- Yous l'avez reçu : Neque cnïm e^o fpirl- chao, c. ii^^^ f^ anïmam donavï vohïs : je fuis ^' votre mère , félon la chair ; mais la plus noble partie de vous-mêmes , qui eft l'efprit , efl: immédiatement l'ouvrage de Dieu. Ainfi leur parla cette fainte femme. Or , de , chrétienne compagnie , il s'enfuit que Dieu feul efl en droit de déterminer aux hommes leurs voca- tions & leurs états : pourquoi ? parce que c'eft proprement en cela que confifte ce domaine qu'il a fur les efprits. Un père, fur la terre , peut difpofer de l'éduca- tion de fes enfants , il peut difpofer de leurs biens & de lenrs partages ; mais de leurs perfonnes , c'cfl-à-dire , ce ce qui porte avec foi engagement d'état , il n'y a que vous , o mon Dieu ! dlfoit le plus fage des homm.es , Salom.on , il n'y a que vous qui en foyez l'arbitre , Sep. c. c'eft un droit qui vous eft réfervé : Tu '■^' autem cum ma^nâ revcrenliâ difponis nos: exprefïion admirable, qui renferme un fen- timent encore plus digrxe d'être remarqué, cum ma^nâ rcvcrentia ; car c'eft comme s'il difoit ; Vous n'avez pas voulu , Sei- gneui- , que cette difpofition de nos per- sonnes fût entre les mains de nos pères tetTiporeis. ni qu'ils enfuiTentles maîtres; "VOUS avez bien prévu qu'ils n'en wfç?

ENVERS LEURS EnFANTS. Il

roient jamais avec les égards ni avec le refpecl que nos perfonfres méritent : & en effet , mon Dieu, nous voyons qu'autant de fois qu'ils s'ingèrent dans cette fonction , c'eft toujours avec des motifs indignes delà grandeur du fujet ôc de la chofe dont il s'agit ; car il s'agit de pourvoir des âmes chrétiennes , & de les établir dans la voie qui les doit con- duire au falut ; & eux n'y procèdent que par des vues baffes Si charnelles , que par de vils intérêts , que par je ne fais quelles maximes du monde cor- rompu & réprouvé , fe fouciant peu que cet enfant foit dans la condition qui lui eil propre, pourvu qu'il foit dans celle qui leur plaît , dans celle qui fe trouve plus conforme à leurs fins Se à leur ambition ,' ayant égard à tout , hors à la perfonne dont ils difpofent ; & , par un défordre très-criminel & très-commun , accom- iTiodant le choix de l'état, non pas aux qualités de celui qu'ils y engagent, mais aux defirs de celui qui l'y engage : or n'eft-ce pas bleiTer le rcfpeci du à vos créatures , & fur-tout à des créa- tures raifonnables ? Mais vous. Sei- gneur, qui êtes le Dieu des vertus , Tu Ibld^ autent dominator virtuels , vous nous traitez bien plus honorablement; car, difpofant de nous , vous ne confidérez que nous-mêmes ; & , à voir comment en ufe votre providence , on diroi: en quçlquô forte qu'elle nous refpede :

A vj

la Sua LE DEVOIR DES PeRFS

cum magna reverentiâ difponïs nos.

Concluons donc, Chrétiens , que c'efl de Dieu feulement que doit dépendre 6c que doit venir notre deftinée, par rapport aux différentes profefîions de la vie. Et pourquoi penfez-vous , demande faint Bernard , que tout ce qu'il y a d'états dans le monde qui partagent la fociété deshomm.es foient autant de vocations , 6c portent en eiTet le nom de vocations ? Car nous difcns qu'un tel a vocation pour le fiecle , &. un tel pour le cloître ; un tel pour la robe , & un tel pour l'épée : que veut dire cela, finon que chacun eft appelle à un certain état, que Dieu lui a marqué dans le confeil de fa fageffe ? Pourquoi les Pères de i'Eglife, dans leur morale, ont- ils regardé coRime une offenie fi grieve , d'embraffer un état fans la vocation de Dieu , fi ce ri'eft parce que tout autre que celui oîi Dieu veut nous placer , n'eft pas fortable pour nous , & que nous fommes hors du rang nous devons être , quand ce n'eft pas Dieu qui nous y a conduits } Sur quoi je reprends & je raifonne : fi tous les états du monde font des voca- tions du Ciel , s'il y a une grâce attachée a tous ces états , pour nous y attirer, félon l'ordre de Dieu ; s'il eft d'un danger extrême pour lefalutde prendre un état fans cette grâce, ce n'eft donc pas à un père d'y porter fes enfants , beaucoup moins de ks y engager -, Ôi ce feroit le

ENVERS LEURS ENfANTS. 13

dernier abus , de leur faire pour cela vio- lence 6l de les forcer ; car enfin un père dans fa famille n'eft pas le difiributeur des vocations ; cette grâce n'efi point entre fes mains , pour la donner à qui il veut ni comme il veut : il ne dépend point de lui que cetce fille foit appellée à rétat religieux ou à celui du mariage ; & la deflination qu'il en fait eil un attentat contre le fouverain domaine de Dieu ; pourquoi ? parce que toute vocation étant une grâce , il n'y a que Dieu qui la puiîTe communiquer ; & de prétendre en difpofar à l'égard d'un autre, c'eft faire injure à la grâce m.êm.e , ÔC s'arroger un droit qui n'eft propre que de la divinité.

En effet , Chrétiens , pour bien appli- quer les hommes à un emploi , & pour leur affigner furement la condition qui leur eft convenable , il ne faut pas m.oins qu'une fagelTe &.une providence infinie: or cette fageffe , cette providence fi éten- due , Dieu ne Ta pas donnée aux pères pour leurs enfants ; il n'a donc pas conféquemment donner aux pères le pou- voir de décider du fort de leurs enfants ; & comme il a feul pour cela toutes les connoiffances néceffaifes , j'ofe dire qu'il eût manqué dans fa conduite , s'il eût confié ce foin à tout autre qu'à lui- même. Vous m,e demandez pourquoi un père ne peut fe croire aflez éclairé ni affez fage pour ordonner de la voca-

ï4 Sur le devoir des Feres tion d'un entant. Ecoutez une des plus, grandes vérités de la morale chrétienne, c'eft que rien n'a tant de rapport au falut que la vocation à un état , & que fouvent c'efl à l'état qu'eft attachée toute l'affaire du falut : comment cela } Parce que l'état eO: la voie par oii Dieu veut nous conduire au falut ; parce que les moyens du ialut , que Dieu a rélbîu <de nous donner, ne nous ont été dei-' tinés que conformément à l'état ; parce que 5 hors de Tétat, la providence de Dieu n'eft plus engagée à nous foutenir par ces grâces fpéciales qui aîTûrent le falut , ÔL fans Icfqueiles il eft d'une extrême <iifHculté de parvenir à cet heureux terme ; & , ce qu"il faut bien remarquer comme une conféquence de ces prin- cipes 3 c'eft que ce qui contribue davan- tage à notre faîut, ce n'elt point préci- fément la fainteté de Fétst ; mais la con- TCnance de l'état avec les deiTeins & les vues de Dieu, qui nous l'a marqué , 6c qui nous y fait entrer. Pt'iiîle fe font fauves dans la religion , & celui - ci devoit s'y perdre; mille fe font perdus dans le monde , & celui-là devoir s'y fauver. O altitudo ! O abyme de la fcience de Dieu 1 Mais revenons. Que faudroit-il donc à un père , afin qu'il eut droit de difpofer de la vocation de fes enf?nts ? Je n'exagérerai rien , mes chers Auditeurs ; vous favez la profelTion J^ue je ùis dire la vérité telle que je

ENVERS LEURS EnFANTS.' IJ

la conçois , fans jamais aller au-delà. Que taudroit-il , dis-je , à un père , pour prefcrire à un enfant la vocation qu'il doit fuivre ? 11 faudroit qu'il connût les voies de Ion falut , qu'il entrât dans le fecret de la prédeftination , qu'il fût l'ordre des grâces qui lui font préparées, les tentations dont il fera attaqué , les occafions de ruine il fe trouvera engagé ; qu'il pénétrât dans le futur, pour voir les événements qui pourront chan- ger les chofes préfentes ; qu'il lût jufques dans le cœur de cet enfant , pour y dé- couvrir certaines dif[3ofiîion5 cachées qui ne fe produifent point encore au dehors : car c'eft fur la connoiiTance de tout cela qu'eft fondé le droit d'affigner aux hom- mes des vocations; 6: quand Dieu appelle quelqu'un , il y emploie la connoifTance de tout cela. Mais eft le père , fur la terre , qui ait la moindre de ces connoif- fances ? Et n'eft-ce donc pas dans un père une témérité infoutenable , de vouloir fe rendre m.aitre des vocations & des états dans fa famille ? n'efl-ce pas , ou s'attri- buer k fageiie même de Dieu , ce qui efr ur. crime, ou entreprendre avec la fageffe deThomme ce qui demande une fqgedc fupérieure & divine ? entreprlfe qu'on ne peut autrement traiter que de folie.

Ceci efl général , mais venons au détail : je foutiens que cette conduite eft également injurieufe à Dieu, fçu qu'ua

l5 S'JR tE DEVOIR r>ES PeRËS

père difpofe de Tes entants pour une voca- tion fainte d'elle-même , foit qu'il en difpofe pour le monde. Appli(^uez-vous à ceci: votre deffein, dites-vt)us , eft d'étciblir un enfant dans l'EgHfe , de le pourvoir de bénéfices ^ & même de l'en-» gager , s'il eft befoin , dans les ordres faciès : je dis s'il eft befoin ; car , hors du befoin , on n'auroit garde d'y penfer ; & vous entendez bien quel eft ce befoin, A peine eft-il , cet enfant, que l'Eglife eft fon partage ; & l'on peut dire de lui, quoique dans un fens bien oppofé , ce qui eit écrit d'Ifaïe , que dès le ventre de ffi mère il eft deftiné à l'Autel ; non par une vocation divine , comme le Pro- phète, mais par une vocation humaine: If'C'49'Ab utero vocavït me. En vérité j mes chers Auditeurs ^ eft-ce agir en Chré- tiens ? eft-ce traiter avec Dieu comme on doit traiter avec un Maître &. un Souverain ? Quoi 1 il faudra que Dieu en paffe par votre choix , & qu'il foit réduit , pour ainfi parler , à recevoir cet enfant aux plus faintes fondions de l'Eglife, parce que cela vous accommode, & que vous y trouvez votre compte i^ Que diriez-vous , c'eft la penfée de faint Bafile ; que diriez-vous d'un homme qui voudroit vous obliger à prendre chez vous tels officiers & tels domeftiques qu'il lui plairoit ? n'auroit-ii pas bonne grâce de vous en faire la propofition ? Et vous , par une préfomption encore

ENVERS LEURS EnFANTS. If

plus hardie , vous remplirez la maifon de Dieu de qui vous femblera bon ? vous en diftribuerez les places & les dignités à votre gré ?

Voiîâ néanmois ce qui fe paflTe tous les jours dans le chriftianifme ; ce n'efl plus feulement la pratique de quelques pères , c'eft une coutum.e dans toutes les familles , c'eft une efpeee de loi ; loi di6lée par l'efprit du monde, c'efl-à-dire, par un efprit ou ambitieux ou intéreffé; îoi reconnue univerfellement dans le monde, &c contre laquelle il efl à peine permis aux miniftres de l'Eglife & aux prédicateurs de s'élever ; loi même communément tolérée par ceux qui devroient s'employer avec plus de zèle à l'abolir , par les direi^eurs des âmes les plus réformés en apparence & les plus rigides , par les douleurs les plus féveres dans leur morale, & qui affectent plus de l'être ou de le paroitre ; enfin , loi aveuglément fuivie par les enfants , qui n'en connoiffent pas encore les per- nicieufes conféquences , qui n'ont pas encore aflez de réfolution , pour s'op- pofer aux volontés paternelles ; qui fe trouvent dans une malheureufe néceffité d'entrer dans la voie qu'on leur ouvre, & d'y marcher. Ce cadet n'a pas l'avan- tage de l'aîneffe ; fans examiner fi Dieu le dcm.ande ni s'il l'accepte , on le lui donne : cet aîné n'a pas été en naiflant affez idvorifé de la nature , &. manque

'i8 Sur le devoir des Pères

de certaines qualités pour foutenir la gloire de fon nom ; fans égard aux vues . de Dieu fur lui , on penfe , pour ainfi dire , à le dégrader ; on le rabâilTe au rang ^u cadet , on lui fubftitue celui-ci ; & pour cela on extorque un confen- tement forcé ; on y fait fervir Tartihce & la violence, les careffes & les menaces. L'établilTement de cette fille coûîeroit ; fans autre motif , c'efl afTez pour la dévouer à la religion : mais elle n'eft pas appeîlée à ce genre de vie ; il faut bien qu'elle le foit , puifqu'il n'y a point d'autre parti pour elle : mais Dieu ne la Teut pas dans cet état ; il faut fuppofer qu'ill'y veut , &. faire comme s il l'y vou- ' loit : mais elle n'a nulle m.arque de voca- tion ; c'en eu une allez grande que la con- jondure préfente des aftV.ires èk la nécef- iité : m..is elle avoue elle-même qu'elle n'a pas cet:e grâce d'attraits; cette grâce lui viendra avec le temps , & lorfqu'elle fera dans un lieu propre à la recevoir. Cependant on condoiit cette vidime dans le teir.ple , les pieds & les mains liés , je veux dire , dans la difpofirion d'une volonté contrainte ;]a bouche muette , par la crainte & le refped d'un père qu'elle a toujours honoré : au milieu d'une cérémonie brillante pour les fpeftateurs qui y aifiilient , mais funèbre pour la per- fonne qui en eft le fujet , on la préfente au Prêtre , & l'on en fait un facritice qui, bien-loin de gloritier Dieu &de lui

ENVERS LEURS EnFANTS. 19

plaire , devient exécrable à Tes yeux , Sc provoque fa vengeance.

Ah ! Chrétiens , quelle abomination ! & iaut-il s'étonner , après ce!a. Ci des familles entières font frappées de la malé- diftion divine ? Non , non , difoit Sal- vien , par une fainte ironie , nous ne fom- mes plus au temps d'Abraham , les facrinces des entants par les pères étoient des avions rares ; rien maintenant de plus commun que les imitateurs de ce grand Patriarche ; on le iurpafTe même tous les jours ; car, au lieu d'attendre , comm.elui, l'ordre du Ciel, on le pré- vient : on immole un enflint à Dieu , 6i on l'immole fans peine , même avec joie ; &L on Timmole , fans que Dieu le commande , ni miêmie qu'il l'agrée ; & on l'immole , lors mêm^e que Dieu le défend, & qu'il ne cefTe point de dire: Ac exUndjs manum fuper puerum. Ainfi Gcnef^ parloit l'éloquent Evéque de Marfeille , c -a*» dans l'ardeur de fon zèle : mais bientôt, corrigeant fipenfée: Je me trompe, mes treres , reprenoit-il ; ces pères meur- triers ne font rien moins que les imita- teurs d'Abraham ; car ce faim homme voulut facrifier fon fils à Dieu ; mais ils ne facrifient leurs entants qu'à leur propre fortune & qu'à leur avare cupidité. Voilà pourquoi Dieu combla Abraham d'éloges & de récompenfes , parce que fon facrifice étoit une preuve de ion obéiflance ôc de fa piété ; 6c voilà pour-

âo Sur le devoir des Pères

quoi Dieu n'a pour les autres que des reproches & des châtiments , parce qu'il fe tient jugement offenfè de leurs entra- pril'es criminelles.

Et ne me dites point , mes chers Auditeurs , que fans cette voie fi ordi- naire d'obliger vos enfants à embraffer Tétat de l'Eglife ou celui de la reli- gion , vous êtes dans l'impuiffance de les établir. Abus : ce n'eft point à moi d'entrer avec vous en difcuiîion de vos aîtaires domeiliques , ni d'examiner ce que vous pouvez & ce que vous ne pou- vez pas ; mais c'eft à moi de vous dire ce que la loi de Dieu vous ordonne, & ce

?[u'elle vous détend. Or , que i'impuif^ ance vous prétendez être foit vraie ou qu'elle foit fauHe , jamais il ne fera permis à un père de difpofer de fes enfants, pourlavocation; jamais, de leur chercher un patrimoine dans l'Eglife ; jamais, de regarder la religion comme une décharge de fa famàlle ; &, s'il le fait , il irrite Dieu. Qu'il les laiffe dans un état moins opulent ; ils en feront moins expofés à fe perdre , &. n'en devienf^ront que plus hdeles à leurs devoirs : qu'il les abandonne à la provi- dence ; Dieu eft leur père , il en aura foin. C'eft ce que je pourrois vous répondre; mais je ne vous dis rien de tout cela, Se voici à quoi je m'en tiens : car , quoi qu'il puide arriver dans la fuite, j'en reviens toujours à mon principe.

ENVERS LEURS EnFANTS. tt

qu'il faut ctre chrétien , & obéir à Dieu ; que Dieu ne veut pas que la vocation de vos enf;ants dépende de vous, & que vous ne devez point là-deffus vous ingérer dans une fondion qui ne tut ni ne fera jamais de votre reffort. Voilà ce que je vous déclare , & c'eft afiTez.

Vous médirez: mais ne fera-t-il pas du moins permis à un père de dilpofer de Tes enfants pour le monde ? Et moi, je vous réponds : pourquoi lui feroit-il plus permis d'en difoofer pour le monde que pour l'Eglife ? eft-ce que les états du monde relèvent moins du fouverain domaine de Dieu & de fa providence, que ceux de l'Eglife ? eft-ce qu'il ne faut \isLS une grâce de vocation pour l'état du mariage, auiTi-bien que pour celui de la religion ? eft-ce que les conditions du fiecle n'ont pas autant de liaifon que les autres avec le falut ? Dès que ce font des états de vie , c'eft à Dieu de nous y appeiler ; & s'il yen avoit la voca- tion parût plus néceffaire, je puis bien dire que ce feroient ceux qui engagent à vivre dans le monde , parce que ce font fans contredit les plus expofés , parce que les dangers y font beaucoup plus communs , les tentations beaucoup plus flibtiîes & plus violentes , & qu'on y a plus de befoin d'être conduit par la fageft'e & la grâce du Seigneur. Mais arrêtons-nous précifément au droit de Dieu, Vous voulez, mon cher Auditeur,

^1 Sur le devoir des Pères

poufler cet aîné dans le monde ; il faut qu'il y paroiîTe , qu'il s'y avance, qu'il y Toit le fcutien de fa maifon : mais que favez-vous fi Dieu ne fe Teil: pas réfervé ? Et fi vous le faviez , oferiez- vous lui difputer la préférence ? Ne le fâchant pas , pouvez-vous m.oins faire que de le confulter là-deiTus , que de lui demander quel efl fon bon plaifir , que de le prier qu'il vous découvre fa divine volonté , que d'employer tous les moyens ordinaires pour la connoitre , & de vous y foumettre dès le moment qu'elle vous lera notifiée ? Mais que faites - vous ? Vous favez que Dieu veut cet enfant dans la profeiTion religieufe , & vous vous obilinez à le vouloir dans le monde : vous voilà donc , pour ainfi parler , aux prifes avec Dieu. Il s'agit de favoir qui des deux en doit être le maître : car Dieu l'appelle à lui , & vous voulez l'avoir pour vous-même : ou c'eft Dieu qui entreprend fur vos droits , ou c'efl vous qui entreprenez fur les droits de Dieu. Or , dites-moi , homme vil & foible , quels font vos droits , au préju- dice de votre Dieu , ÔC fur quoi ils font fondés jmiais en même temps apprenez à rendre aux droits inviolables d'un Dieu créateur , le jufte hommage qui lui efl dû.

Il y a dans faint Ambroife un trait bien remarquable : c'eft au premier livre des Vierges, oii ce Père décrit le combat

ENVERS LEURS EnFANTS; I5

d'une jeune Chrétienne , non pas contre les perfécuteurs de la foi , .mais contre la chair & le fang , contre Tes proches. Elle fe trouvoit Ibllicitée , d'une part, à s'engager dans une alliance qu'on lui propofoit ; & , de l'autre , inlpirée de prendre au pied des autels le voile facré. Que faites vous , difoit cette généreufe fille à toute une parenté qui la preffoit ; 1 pourquoi perdre vos foins à me cher- cher un parti dans le monde ? je fuis déjà pourvue: Quid in exquirendis nupîiis Amhrofi foUïcïtatis anirnum ? jam provifjs habeo. Vous m'offrez un époux, & j'en ai choifi un autre : donnez-m'en un aufTi riche, auffi puiffànt &auffi grand que le mien, alors je verrai quelle réponfe j'aurai à vous faire ; mais vous ne me préfentez rien de fembiable : car fi celui dont vous me parlez eft un homme , & celui dont j'ai fait choix, un Dieu ; vouloir me l'enlever , ou m'enlever à lui , ce n'eft pas établir ma fortune , c'eft envier mon }3onheur : Non prcvidctis miki , fed invi- Idem, detis. Paroles, reprend faint Ambroife, qui touchèrent tous les aflil'iants: cha- cun verfoit des larmes , en voyant une vertu fi ferme & fi rare dans une jeune perfonne ; 6c comme quelqu'un fe fut avancé de lui dire que fi fon père eût vécu , il n'eût jamais confenti à la réfo- lution qu'elle avoit formée : Ah 1 répli- qua-t elle , c'eft pour cela peut-être que ]e Seigneur l'a retiré ', c'eil afin qu'il

I

'î4 Sur le devoir des Pères

ne fervît pas d'obftable aux ordres du - Ciel , & aux defieins de la providence fur moi.

Non, non, Chrétiens, queîqu'intérêt qu'ait un père de voir un enfant établi félon le monde , il ne peut , fans une efpece d'infidélité, fe plaindre de Dieu, quand Dieu l'appelle à une vie plus fainte ; & traverler cette vocation , ou par artifice, ou par de longues & d'in- jurmontables réfiftances, c'eft ce que je ^ puis appeller une rébellion contre Dieu ÔC contre fa grâce. Pourquoi tant de foupirs & tant de pleurs , écrivoit faint Jérôme à une Dame romaine, lui repro- chant fon peu de confiance Sc fon peu de foi , dans la perte qu'elle avoir faite d'une fille qui lui étoit chère , & que le ciel lui avoit ravie ? Vous vous affligez, vous vous défolez ; mais écoutez Jefus- Chrifl même qui vous parle , ou qui peut bien au moins vous parler de la forte: Eh quoi 1 Paule , vous vous laifTez em- porter contre moi , parce que votre fille efl préfentement toute à moi ; & par des larmes criminelles , que vous répandez fans mefure & fans foumiffion , vous ofTenfez le divin époux qui pofTede le fujet de votre douleur & de vos regrets : Hicron. Irafceris , Paula, quia filia tua mta fatla ej} , & rcbellïbus laaymis facis injuriant pojjîdenti. Beau reproche , mes chers Auditeurs , qui ne convient que trop à tant é^ peies chiédens t Et ne penlez pas

que

ENVERS LEURS EnFANTS; 5f

que ce foit une bonne raifon à y oppofer, de me répondre que ce fils eft le leul qui. vous refte d'une ancienne & grande famille , &que fans lui elle va s'éteindre ; comme fi Dieu étoit obligé de s'accom- moder à vos idées mondaines ; comme fi la confervation de votre famille étoit quelque chofe de grand , lorfqu'ii s'agit des volontés de Dieu ; comme fi, tôt ou tard , toutes les familles ne dévoient pas finir, & que la vôtre pût" avoir une fin plus honorable que par l'exécution des ordres du Seigneur votre Dieu.

Voilà , Chrétiens , ce qui regarde Tintérêt de Dieu. Que feroit-ce, fi je m'étendois fur celui de vos enfants , & fur rinjuftice que vous leur faites , quand vous difpofez d'eux, au préjudice de leur liberté , & com.munément au préjudice de leur falut ? Car , hélas ! le feui droit qu'Us aient indépendamment de vous, ^eft de difpofer d'eux-mêmes, avec Dieu, fur ce qui concerne leur ame Ôcleur éter- nité : 6c ce droit unique , vous le leur otez j ou vous les empêchez de s'en fervir. Droit , au refte , le plus jufie , puifqu'il eft autorifé par toutes les loix, approuvé par toutes les coutumes , appuyé de toutes les raifons , tiré de tous les principes de la nature, fondé fur toutes les maximes de la religion, & par conféquent inviolable. Prenez garde ^ceci, s'il vous plaît. Oui , toutes les

Domin, Tome Ip B

26 Sur le devoir des Pères loix l'autorifent : les unes favorifant, par toutes fortes de voies , la liberté âes enfants, je dis une liberté raifonnable ; les autres réprimant , par les plus grieves cenfures , les fauffes prétentions des pères 6c des mères qui voudroient attenter à cette liberté, & en troubler l'ufage: celles- ci permettant aux enfants de difpofer d'eux-nr.êmes p'our l'état religieux, dsns un âge du refte ils ne peuvent dif- pofer de rien ; ce qu'on ne peut con- damner, remarque le do61eToftat , fans préférer fon jugement à celui de toute î'Eglife , qui l'a ordonné de la forte ; celles-là ratifiant la profeiTion folemnelle du vœu de la religion , faite à l'infçu même des parents , qui par nul moyen ne la peuvent invalider : enfin , ce qui efk effentiel , n'y ayant jamais eu de loi , nieccléfiaftique , ni civile, qui ait obligé un enfant d'en paffer par le choix & la volonté de fon père, en fait d'état ; & s'en trouvant au contraire plufieurs qui déclarent de nulle valeur & de nulle force toutes les paroles données , tous les engagements contraftés par des enfants , s'il paroît qu'il y ait eu de la contrainte, &. qu'elle ait été au-delà des bornes d'une obéiflancerefpectu^ufe. Pourquoi tout cela , Chrétiens , au détri- ment , ce femble , de l'autorité pater- nelle, & au hafard des réfolutions indif- ' crettes que peuvent prendre de jeunes perfonnes ? 11 étoit néceffaire que cela

ENVERS LEURS EnFANTS. 27

fut ainfi : des raifons fubilantieîles 6c fondamentales le demandoient , & voici celle à quoi je m'arrête : C'eft qu'il eft du droit naturel & du droit divin , que celui-là choififTe lui-même Ton état, qui en doit porter les charges & accom- plir les obligations : ce principe eft inconteftable. Car fi dans la fuite de ma vie il y a des peines à fupporter , je fuis bien-aife que le choix libre 6i exprès que j'en ai fait, en me les rendant volon- taires , ferve à me les adoucir ; & s'il s'élève dans mon cceur quelques répu- gnances & quelques murmures contre les devoirs de mon état , je veux avoir de quoi en quelque forte les appaifer, par la penfée que c'eft moi-même qui- m'y fuis fournis , moi-mêm.e qui m'/ fuis déterminé , moi-même qui ai con- fenti à tout ce que j'aurois de plus rigou- reux & de plus pénible à éprouver. Or tout le contraire arrive , quand des enfants fe trouvent forcés de prendre un état pour lequel ils ne fe fentent ni inclination ni vocation : & lorfque vous les engagez, par exemple, à la profef- fion reiigieufe, vous ne vous obligez pas pour eux à en fubir le joug & la dépen- dance, à en pratiquer les auftérités , à en digérer les amertumes & les dégoûts : vous les conduifez jufques dans le fanc- tuaire , & vous leur impofez tout le fardeau, fans en rien retenir pour vous. Quand vous fanes accepter à cette iille

Bij

2% Sur le devoir des Pères

une alliance dont elle a de l'éloignement, vous ne lui garantiffez pas les humeurs de ce mari bizarre & chagrin , qui la tiendra peut-être dans l'efclavage ; vous ne l'acquittez pas des foins infinis que demandera l'éducation d'une famille , & qui feront pour elle autant d'obligations indifpenfables. C'eft donc une iniquité de vouloir ainfi difpofer d'elle : car , fi elle doit être Hée , n'eft-il pas jufte que vous lui îaiffiezau moins le pouvoir de choifir elle-même fa chaîne ?

Mais ce qu'il y a là-deflus de plus important , c'efl: ce que j'ai dit , & ce que je me trouve obligé de reprendre, pour, vous le propofer dans un nouveau jour,' & pour l'appliquer encore au point que je traite , favoir que il s'agit de vocation , il s'agit du falut éternel. Or, dès qu'il s'agit du falut , point d'auto- rité du père fur le fils , parce que tout y eft perfonnel. Nous paroîtrons tous devant le tribunal de Dieu , dit S. Paul ,' pour y répondre de notre vie : il faut donc que nous en ayons tous la difpo- fition libre , conclut S. Jean Chryfof- tome ; car nous devons difpofer des chofes dont nous fommes refponfables. Vous ne ferez pas jugé pour moi , & par, conféquent il ne vous appartient pas de difpofer de moi ; & fi vous le voulez , fi vous entreprenez de me faire entrer dans un état mon falut foit moins en aiTurance , je puis vous dirç alo;^

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ce que le faint Empereur Valentlnien dit à l'Ambaffadeur de Rome , qui , de la part du Sénat , lui parloit de rétablir les temples des faux Dieux : Que Rome, qui eft ma mère , me demande tout autre choie , je lui dois mes fervices , mais je les dois encore plus à l'auteur de mon falut : Sed rnagis debeo falutis auc- yalent, tori. C'eft pour, cela que les pères de ^"^P* l'Eglife 5 après avoir employé toute la force de leurs raifonnements & toute leur éloquence à periuader aux enfants une humble & fidelle foumiiîion envers leurs parents , ont été néanmoins les premiers à les décharger de toute obéiffance , dès qu'il étoit queftion d'un état auquel on voulût les attacher , ou dont on pré- tendît les détourner, au péril de leur falut. Quelle réponfe vous ferai-je, écrivoit faint Bernard à un homme du monde qui fe fentoit appelle à la vie religieufe , 6c que fa mère tâchoit de retenir dans le monde ? que vous dirai-je ? que vous abandonniez votre mère ? mais cela paroît contraire à la piété : que vous dem.euriez avec elle ? mais il n'eft pas jufte qu'une molle complaifance vous fade perdre votre ame : que vous foyez tout enfemble , & à J. C. & au monde? mais , félon l'Evangile , on ne peut être à deux maîtres. Ce que veut votre mère eft oppofé à votre falut , ai par une fuite néceffaire , au fien même. Prenez donc maintenant votre parti , 6c choifiiTez ,

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ou de fatisfaire feulement à fa volonté , ou de pourvoir au falut de tous les deux : mais il vous l'aimez , quittez-la pour Tamour d'elle-même, de peur que vous retenant auprès d'elle &. vous faifant quitter Jefus-Chrift, elle ne fe perde avec vous & pour vous : car comment ne fe perdroit-elle pas, en vous faifant perdre la vie de l'ame , après vous avoir donné la vie du cops ? Et tout ceci , ajoute le même Père , je vous le dis , pour condefcendre à votre foibleffe ; car l'oracle y eft exprès , & ce devroit être afTez de vous en rappeller le fouvenir, que , quoiqu'il y ait de Timpiété à méprifer fa mère , il y a de la piété à la méprifer peur Jefus-Chrift.

Ah ! Chrétiens , profitez de ces grandes înftruélions. Dans la conduite de vos familles , refpe6^ez toujours les droits de Dieu , 6c jamais ne donnez la moindre atteinte à ceux de vos enfants ; laiffez-Ieur la même liberté que vous avez fouhaitée , & dont peut-être vous avez été fi jaloux ; faites pour eux ce que vous avez voulu qu'on fit pour vous ; & fi vous avez fur cela reçu quelque injuftice, ne vous en vengez pas fur des âmes innocentes qui n'y ont eu nulle part , & qui d'ailleurs vous doivent être fi chères ; ayez égard à leur falut qui s'y trouve intérelTé , & ne foyez pas afTez cruels pour le facritier à vos vues humaines ; ne vous expofez pasvous-mêmes à être un jour l'objet

ENVERS LEURS EnFANTS.

de leur malédié^ion , après^avoir été la fource de leur malheur ; car leur malé- di6tion leroit efficace , & attireroit fur vous celle de Dieu. Si vous ne pouvez leur donner d'amples héritages, & s'ils n'ont pas de grands biens à pofféder , ne leur ôtez pas au moins , Ci je l'ofe dire , la poffellion d'eux-mêmes : Dieu ne vous oblige point à les faire riches , mais il vous ordonne de les iaifler libres. quoi, me répondrez-vous , fi des enfants jnconfidérés & emportés par le feu de l'âge font un mauvais choix, faudra-t-il que des pères & des mères les abandon- nent à leur propre conduite, & qu'ils ferment les yeux à tout ? Je ne dis pas cela, mes chers Auditeurs , &. ce n'eft point ma penfée , comme je dois bieniôt vous le faire voir. Si cet enfant choifit mal , vous pouvez le redreiTer par de fages avis ; s'il ne les écoute pas , vous pouvez y ajouter le commande- ment ; & s'il refufe d'obéir , vous y pou- vez employer toute la force de l'autorité paternelle : car tout cela n'eft point dif- pofer de fa perfonne ni de fa vocation , mais au contraire c'efl le mettre en état d'en mieux difpofer lui-même. J'appelle difpofer de la vocation d'un enfant, lui marquer préclfément Tétat que vous vou- lez qu'il embralTe, fans examiner s'il eft ou s'il n'eft pas félon fon gré : j'appelle difpofer de la vocation d'un enfant , le

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détourner d'un choix raifonnable qu'il a fait avec Dieu , Si former d'infurmon- tables difficultés pour en arrêter l'exé- cution : j'appelle difpofer de la vocation d'un entant, abuier de fa crédulité ^ pour le féduire par de faudes promeiTes , pour lui faire voir de prétendus avantages qu'on imagine, & pour le mener infen- fiblement au terme Ton voudroit le conduire : j'appelle difpofer de la voca- tion d'un enfant , laifier de longues années une fille fans l'établir , n'avoir pour elle que des manières dures & rebu- tantes , exercer par mille mauvais traite- ments toute fa patience, jufqu'à ce qu'elle fe foit enfin dégoûtée du monde , & quo d'elle-même elle ait pris le parti de la retraite: voilà, dis-je, ce que j'appelle difpofer de la vocation des enfants , Sc voilà ce que Dieu défend. Que lui répondrez-vous un jour , quand il vous reprochera de vous être oppofé à fes deffeins , dans la conduite d'une maifon qu'il vous avoit confiée ? quand il vous demandera compte , non point du fang, mais de l'ame de cet enfant qu'il vouloic fauver , à qui il avoit préparé pour cela toutes les voies , & que vous en avez éloigné , que vous avez égaré , que vous avez perdu ? Que répondrez-vous à vos enfants même ? car ils s'élèveront contre vous, & ils deviendront vos accufateurs , coiiime vous àurez été leurs tentateurs ôt

ENVEHS LEURS EnFÀNTS. 35

leurs corrupteurs. Non pas, encore une fois, que vous ne puiffiez les diriger dans le choix qu'ils ont à faire , que vous ne puifTiez les confeiller , les exhorter , ufer de tous les moyens que Dieu vous a mis en main , pour les prèferver des écueils une jeunefle volage & fans réflexiori fe laiffe entraîner. Je dis plus , & je pré- tends même que non-feulement vous le pouvez, mais que vous le devez; & c'eil fur quoi j'établis l'autre propofition que j'ai avancée,; favoir , que s'il ne vous efl pas permis de déterminer vos enfants à un état , vous êtes néanmoins refpon- fables à Dieu de l'état auquel ils fe déter- minent. Encore quelques moments de votre attention pour cette féconde Partie.

C'Eft un principe reçu dans toute la II. morale j que nous devons, autant Part. qu'il dépend de nous , garantir les chofes nousfommes obligés de nous intéreder & de prendre part ; & qu'à proportion de la part que nous y avons & de l'in- térêt qui nous y engage , nous en deve- nons plus ou moins refponfables. Cette maxime efl évidente , & j'en tire la preuve de ma féconde propofition. Car , quoi- qu'il ne foit pas au pouvoir des pères de déterminer à leurs enfants le choix d'une vocation 6c d'un état , ils ne laiffent pas néanmoins d'intervenir à ce choix, d'y participer , d'y avoir un droit de direction

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& de furveillance , non-feulement eit qualité de pères , mais beaucoup plus en qualité de pères chrétiens ; d'où il faut conclure qu'ils doivent donc répondre de ce choix , & que Dieu peut fans injul- tice leur en faire rendre compte. Quel- ques quellions , que je vais réfoudre d'ëbord , lerviront à éclaircir ce point.

On demande en général , fi dans cer- tains états, fur-tout dans ceux qui ne font pas de la perfeftion évangélique , un enfant efr maître de contrarier un engagement 6i de fe lier, fans l'aveu & ia participation de fes parents : il ne le peut , Chrétiens , mais il eft de fon devoir, & d'un devoir rigoureux, de les coniulter, d'écouter leurs remontrances, d'y déférer autant que la raifon le pref- cfit. Car , difent les Théologiens , l'hon- neur dû aux pères & aux mères eft un co.mmandement exprès de Dieu : or , de n'avoir nul égard à leurs fentiments , de ne fe point mettre en peine d'en être jnftruits , d'agir fjr cela dans une pleine indépendance , & de n'en vouloir croire que foi- même, ce feroit un mépris for- mel de leur autorité ; & ce mépris , dans une matière auflî importante que l'eft le choix de l'état, doit être regardé comme une grieve tranfgrelBon de la loi divine. On demande en particulier, fi dans un certain âge déjà avancé , un entant peut , fans que le père en foit informé, & fans

ENVERS LEURS EnFANTS. 35

Tfequérlr Ton confentement , conclure un mariage la pafTion le porte ; s'il le peut, dis-je, en fureté de confcience ? Non , répondent les Dodeurs ; 6t s'il le fait, le père eft en droit de le punir félon les ioix , & de le priver de fon héri- tage : peine cenfée jurte , & qui par con- féquent fuppofe une oftenle. On demande fi le père , voyant fon fils embraffer un parti, qu'il juge félon Dieu lui être per- nicieux , peut fe taire fur cela , ëc par fon filence y coopérer en quelque forte , 6c Tautorifer ? Ce feroit , fuivant la déci- fion de tous les maîtres de la morale , un crime dans lui ; 6c fi là-delTus il difîi- mule , s'il n'y fait pas toutes les oppofi- tions nécellaires , il fe rend prévaricateur. De-là il s'enfuit donc que les pères , fans difpofer de leurs enfants , ont néanmoins part à leur choix , en plufieurs manières ; par exhortation, par confeil , par tolé- rance , par confentement , par droit d'op- pofition 6c de punition. Et voilà , Chré- tiens , le fondement de la vérité que je vous prêche. Car fi Dieu ne vous avoit pas engagés à lui garantir le choix que font vos enfants , pourquoi feriez-vous criminels , lorfque vous manquez à em- ployer , ou la vole de l'autorité , ou celle du confeil 6c de l'inftruttion , pour les aider à bien choifir? Pourquoi feroit-ce dans vous une tolérance condaminable , quand vous les abandonnez à eux-mêmes ,

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& que vous les laiilez choifir impuné- ment &L inconfidérénnent ce que vous favez ne leur pas convenir & leur devoir être nuifible ? Pourquoi pourriez-vous vous oppofer à leur choix , traverfer leur choix , les punir de leur choix , s'il eft contre votre gré , & qu'à votre égard ils ne fe foient pas acquittés des foumil- fions ordinaires ? Dieu fans doute ne vous a donné ce pouvoir qu'à raifon des charges qui y font attachées ; & de tous ces devoirs qu'il aimporés à vos enfants, réfulte en vous une obligation naturelle de répondre d'eux & de leur état. Si donc il arrive qu'ils s'égarent , ou parce que vous n'avez pas pris foin de les éclairer , ou parce que vous n'avez pas eu la force de leur réfifter , ou parce qu'une làchs tolérance vous a fait même féconder leurs defirs infenfés , Dieu n'a-t-il pas droit de s'en prendre à vous , & de vous dire : Kendez-moi compte, non-feulement da vous-même , mais de ce fils , mais de cette fille , auprès de qui vous deviez être , en qualité de père , mon miniflre-, pour leur fervir de guide & de conduc- teur. Et certes , Chrétiens , qui ne fait pas qu'un père eft refponfable à Die;i tde l'éducation de fes enfants ? Or dans l'éducation des enfants, qu'y a-t-il plus eiïentiel que la condition ils doi- vent entrer , ôc la forme de vie ^ iaquelie ils om à délibeier :

ENVERS LEURS Enfants.' ^7

Développons encorececi 5 & mettons- le dans un nouveau jour , pour la rendre plus inftructif & plus pratique» Le choix d'un état, dit S. Bonaventure^ peut être mauvais en trois manières : ou par lui-même , parce que l'état eft con- traire au falut , du moins très- dangereux; ou parce que celui qui embraiTe l'état eil incapable de le loutenir ; ou parce que tout honnête qu'eft l'état que l'on choifit, tout propre qu'on eft à en remplir les fondions , on n'y entre pas néanmoins," fi je puis ainfi m'exprimer , par la porta de l'honneur, ni par des voies droites. Prenez-garde : je dis d'abord, choix d'un état mauvais par lui-même , ou du m^oins très-dangereux : j'en donne un exemple, c'eft celui de laint xMatthieu. Qu'étoit-ce quecet Apôtre, avant qu'il eût étéappellé & converti par Jefus-Chrift ? c'étoit un publicain ; & il faut bien dire que cet emploi, qui confifloit»à lever certains deniers publics , s'exerroit alors commu- nément contre la confcience , puifque Jefus-Chrift dans l'Evangile , parlant du royaume des eieux , mettoit les publi- cains au même rang que les femmes per* dues : Publicani meretrices. C'eft la remarque de S. Jérôme : à quoi S. Gré- goire en ajoute une autre. Car les Apô- tres après leur converfion reprirent leur première forme de vie &: retournèrent à leur pêche : il n'y eut que S. MaLtliiç\|

3S Sur le devoip. des Pères

qui abfolument & pour toujours abatî- donna la recette. D'où vient cette diffé- rence , demande S. Grégoire, finon parce que l'errploi de S. Pierre & des autres Apôtres éroit innocent , & que celui de S. Matthieu l'engageoit au moins dans un péril certain ôt très-prélent ? Si donc il y avoit de femblables profeiTions dans le monde, je m'explique; s'il y avoit, ce que je n'examine point & ce que j'aurois peine à penfer ; fi , dis- je , il y avoit de ces états , feîon l'eftime com- mune , il tut moralement impoffible de fe conferver & d'être Chrétien , un père qui craint Dieu , pourroit-il permettre qu'un tils s'y jetât en aveugle , & qu'il y demeurât r Ah ! mes chers Auditeurs , bien-loin de l'approuver , de Tautorifer , de le tolérer , il teroit tous fes efforts pour lui en inipirer de l'horreur & pour l'en éloigner ; il lui diroit comme le faint homme Tobie : Prenons confiance , mon fils , nous ferons toujours affez riches fi nous avons la crainte du Seigneur ; préfé- rons-la à tous les tréfors de la terre, & ne confentons jamais pour des biens tem- porels , à perdre ni même à rifquer des To^-.c.-f. biens éternels : Satïs multa bona habe- iimus , fi timuerimus Dcum. C'eft ainii qu'il lui parleroit , ou qu'il lui dp;vroit parler. M ùs s'il fe laiffoit dominer & conduire pas l'intérêt ; fi dans la vue d'une fortune temporelle ôc d'un gain

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afTuré , prompt , abondant , il agréoit le choix que tait Ion fiîs d'une profelnon au moins dangereufe félon Dieu ; s'il étolt le premier à lui en p.ocurer l'en- trée, à le t'jvorifer , aie féconder dans fes pourfuites , à lui chercher pour cela des interceiTeurs ^ âzb patrons , qui peut douter que par il ne fe chargent de toutes les fuites funeftes qu'il y auroit à craindre ; que par le père ne fe rendit coupable de tous les défordres du fils; que la damnation de ce jeune homme ne lui dût être imputée , & que ce ne fût un des principaux articles fur quoi il auroit à fe julVifier. devant le tribunal de Dieu ? N'en difons pas là-defTus davan- tage : c'eft à vous. Chrétiens, à faire Tap- pllcation de cette morale , & à voir dans l'ufage du (iecle préfent quelles confe- quences vous en devez tirer. Avançons. Outre que le choix d'un état peut être mauvais dans la fubftance , ill'eft encore plus fouvent par rapport au fujet, c'eiV à-dire, parce que celui qui fait ce choix eft indigne de l'état qu'il choifit, n'a pas pour cet état toutes les qualités requifes, & fe trouve abfolument incapable d'en accomplir les devoirs. De cette cor- ruption générale que nous voyons dans le monde &C dans toutes les conditions du monde, de tant d'abus qui fe font introduits &L qui régnent dans l'Eglife ; de ce dérèglement prefque univerfe]

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dans l'adminiftration des charges, & fîjf- tout dans la dilpenfation de la juftice ; de prefque tous les maux dont la fociété des hommes eft troublée : mais de la même auffi pour les pères un fond d'obli- gation qui doit les faire trembler , une matière infinie de péchés , une fource inépuilable de fcrupules , un des comptes les plus terribles qu'ils aient à rendre. Car fi nous remontons au principe, & que nous examinions bien ce qui cdufe un tel renverfement dans tous les états delà vie, & d'où viennenttous ces défor- dres que nous déplorons aiTez, mais que nous ne corrigeons pas , nous reconnoî- trons qu'ils doivent être communément attribués aux pères qui , fans égard à l'in- capacité de leurs enfants , les ont eux- mêmes placés dans des rangs , & leur ont confié des miniileres dont les fonc- tions étoient au-deiïus de leurs forces & de leurs talents. En effet , fi ce père n'eût point traité de cette charge dont il a pourvu fon fils , ce fils ne feroic rien aujourd'hui de ce qu'il eu ; &i n'étant point ce qu'il eft , il n'abuferoit pas d'une puif- fance qu'il a reçue fans la pouvoir exer- cer ; il ne feroit pas fervir l'autorité dont il eft revêtu , aux vexations , aux vio- lences , aux injuftices que le public reffent & qui le font fouffrir. 11 a donc été pof- fible au père de prévenir & d'arrêter de iifâcheufes conféquences. Inftruit des dif-

ENVERS LEURS EnFANTS.

pofitions de ce jeune homme , il pouvoit^ au lieu de l'élever fi haut ou de l'aider à y parvenir , lui refufer pour cela fes foins & Ton fecours ; non-feulement il le pou- voit , mais il le devoit : & qui s'étonnera, que Dieu là-defTus entre en jugement avec lui , &. qu'il lui en faffe porter la peine ?

Voilà néanmoins, mes chers Auditeurs-, l'abus de notre fiecle. Le zèle des pères pour leurs enfants ne va pas à les voi? capables d'être employés_,mais il leur fuffit qu'ils foient employés : il faut pour cet aîné tel office ; cela fe fuppofe comme urî principe. Y a-t- il de quoi en faire les frais? c'eft ce qu'on examine avec toute l'atten- tion néceiTaire : cette avance une fois faite, reftera-t-il affez de fonds pour toutes les autres dépenfes ? c'eft ce que l'on fuppute très-exaâement : mais d'ailleurs cet enfant que l'on veut ainfi pouffer^ eft-il propre à remplir la place qu'on lui defline ? la chofe ne femet pas en délibé- ration : s'il en a le mérite , à la bonne heure ; s'il ne l'a pas , fa charge lui en tiendra lieu. Mais on fait bien qu'il ne l'a pas en effet , & l'on ne peut efpérer qu'il l'acquière jamais ; on le fait , & en agit toujours comme fi on ne le favoJt pas. Car font maintenant les pères qui refiemblent à cet Empereur de Rome, lequel exclut àuthentiquement fon fils de l'Empire, parce qu'il n'y trouvoit pas^

^2 Sur le devoir des Pères

les difpofitions requîtes pour en fou- tenir le poids ? ce jeune homme eft de telle famille , telle dignité eil hérédi- taire ; dès-là Ton fort eit décidé , il faut que le fils fuccede au père. Et de cette maxime que s'enfuit-il ? vous en êtes tous les jours témoins : c'eft qu'un enfant à qui l'on n'auroit pas voulu confier la moins importante affaire d'une maifon particulière , a toutefois dans fes mains les affaires de toute une province ôc les intérêts publics. 11 peut prononcer comme il lui plait , ordonner félon qu'il lui plaît, exécuter tout ce qu'il lui plaît ; on en fouffre , on en gémit , le bon droit eff vendu , . toute la juffice ren- verfée ; c'eft ce qui importe peu à un père, pourvu qu'il n'en reffente point le dommage , & que ce fils loit établi. Car voilà comment raifonnent aujour- d'hui la plupart des pères , ignorant leurs obligations , ou négligeant d'y fatis- faire , fe perfuadant que tout eff fait dès qu'un enfant fe trouve placé , s'ima- ginant que c'eft en cela que confiée la grandeur du monde , & du refte fe flattant qu'il y a une providence géné- rale , pour fuppléer à tout ce qui pour- roit manquer de leur part. Oui , Chré- tiens , il y en a une , n'en doutez point ; mais c'ell une providence rigoureufe, pour punir tous ces manquements dans vos perfonnes , avant que d'y fuppléer

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dans l'ordre de l'umvers. H y en a une , mais c'eft une providence de juitice , & non de miséricorde , pour vous demander raifon de tous les maux que vous pouviez arrêter dans leur fource, & que vous avez permis, que vous avez cauies, que vous avez perpétués. H eit vrai , l'écriture nous dit dans un fens qu'au tribunal de Dieu chacun répondra pour foi & rien davantage , que le tar- deau de l'un ne fera pas le fardeau de l'autre, & que chacun portera le fien ; mais il n'ell pas moins vrai que la même écriture dans un autre fens nous avertit que Dieu fera retomber fur le père l'iniquité du fils , que le jugement du père ne fera point féparé de celui du fils , que le fils fera condamné par le père, &le perepar lefiis. Deux oracles partis Tun & l'autre de la vérité même , par conféquent l'un & l'autre mtail- libles ; deux oracles oppofés , ce femble, l'un à l'autre , Si qui néanmoms ne fe contredifent en aucune iorte ; mais oracles que vous ne concilierez jamais qu'en reconnoiffant à quoi vous engage la quolité de pères , & quel crime vous commettez quand un amour aveugle pour des enfants ou quelqu'autre vue que ce puiiTe être , vous fait coopérer à leur choix , malgré leur inlufhfance qui vous eft connue , & la diipropor- tion qui fe rencontré entre leur toibielle

44 Sur le devoir des Pères

& les miniftercs qu'ils prétendentexercer. Mais il le choix enfin neù. mauvais ni en lui-même ni à l'égard du fujet , eft-ce aflez ? Non , Chrétiens : car j'ajoute qu'il peut être mauvais par rap- port aux moyens , & que c'eft encore ce qui doit exciter toute votre vigilance. Je le veux : cet état par lui-même n'"a rien qui blelTe , ni les règles de l'hon- neur ni les droits de la conlcicnce ; on y peut être en chrétien & vivre en chré- tien. Je vais plus loin, & je conviens même avec vous de tout le mérite de cet enfant : mais fût- il doué de mille qualités , le mérite n'eft pas toujours la porte par l'on trouve accès & par oîi l'on s'introduit, foit dans rEgliie^foit dans le monde. Il y a déplus d'autres moyens, auxquels on eft fouvent obligé d'avoir recours ; & parmi ces moyens il y en a de légitimes qui font permis , & d'in- jufles que la loi détend : or dans le choix des uns ôi des autres , laifTer les moyens permis , parce qu'ils ne fuffiient pas, parce quils ne font pas affez prompts , parce qu'on ne les a pas ; & prendre des voies criminelles qui , tout indirectes qu'elles font 5 conduifent néanmoins au terme ôc plus fùrement & plus vite : voilà une des plus ordinaires Si. des plus grandes iniquités du fiecle. De vous en taire voir rinjuilice, dedéplorer avec vous la trifle décadence nous femmes là-deiTus

ENVERS LEURS EnFANTS. 4'{

tombés en ces derniers temps , & de regretter l'ancienne probité des premiers âges , ce n'eft point précilement mon fujet. Mais ce qui me regarde & ce que je ne dois pas omettre, ce qui demande toute i'ardeur de mon zèle & toute la force de la parole évangélique , c'eft que des pères ouvrent eux-mêmes à leurs enfants de telles routes pour s'éta- blir & pour s'avancer. Car voilà de quoi nous avons fans cède de trifles exemples. On veut que ce fils par- vienne à certain degré dans le monde , Sc pour cela quelles intrigues n'imagine-t-on pas ? quelles cabales ne forme-t-on pas ^ à quels excès ne fe porte-t-on pas contre des concurrents qui fe préfentent 6c qui font ombrage ? On jette les yeux, fur certain parti pour cette fille ; 6c afin de mieux engager celui-ci , le dirai-je ? quelles libertés ne donne-t- on pas à celle- ? quelles entrevues ne lui permet-on pas ? à quel péril ne l'expofe-t-on pas ? Ce font, dites-vous,les moyens de réufiir, & tout demeure fans cela : mais font- ce des moyens que Dieu approuve ^ font-ce des moyens que l'Evangile auto- rife ? font-ce des moyens que l'équité même naturelle infpire , & avec lefquels elle puiffe concourir? Par conféquent, font-ce des moyens qu'un père puiffe fuggérer à fes enfants , un père puilTs prctçr U main à fes enfants , doçt uii

4^ Sur le devoir des Pères

père puiffe donner l'exemple à les enfants ? Si donc il fe laiffe aveugler par fa palîion, julqu'à les voir tranquillement & fans nulle réfiftance de fa part , fuivre de pareilles voies , jufqu'à les leur tracer lui-même & à les y conduire , en participant aux crimes de Tes enfants , ne doit-il pas s'attendre à être compris dans l'arrêt que Dieu prononcera contre eux , & y a-t-il une excufe légitime qui l'en puiffe préferver ?

Ah 1 m.es chers Auditeurs, ne fera-ce pas allez d'être chargés de nous-mêmes 6c d'avoir à répondre de nous-mêmes ? ne fera-ce pas même encore trop pour notre foibleffe ? Mais à l'égard des pères & des mères , iln'eft pas polTible que le jugement de Dieu fe réduifelà, éi par une trifte nécefîité & un engage- ment inévitable , il faut qu'il paffe plus loin. Car un père ne peut répondre de iui-même, fans répondre de fes enfant, puifqu'il n'aura été bon père félon Dieu , ou père criminel , qu'autant qu'il aura rempli fes devoirs dans la conduite de fa famille , & en particulier dans celle de fes enfants , ou qu'il les aura négli- gés. Dieu donne l'autorité aux pères : c'eft afin qu'ils l'emploient , &. pour les juger félon l'ufage qu'ils en auront fait. Dieu leur donne des grâces particu- lières & propres de leur état : c'eft afin qu'ils s'en fervent , 6c non pas pour

ENVERS LEURS EnFANTS. 47

qu'elles demeurent inutiles dans leurs rr^ains. Tout ce que j'ai dit au refte du choix de vos entants & du compte que vous en rendrez à Dieu , ne doit point s'entendre de telle forte , qu'il ne vous loit pas permis de les avancer dans des emplois convenables , ou de l'Eglife , ou du monde, quand Dieu les y appellera. Car bien-loin de vous en taire un crime , je prétends au contraire que c'eft une de vos obligations ; & jamais je n'ap- prouverai l'indifférence , pour ne pas dire la dureté de ces pères &. de ces mè- res, qui tout occupés d'eux-mêmes, Sc ne voulant fe delTaifir de rien , laident languir de jeunes perfonnes lans établif- fement , Se leur font manquer les occa- fions les plus favorables. Mais mon def-' fein eft d'exciter en vous un faint zèle de la perfeftion de vos enfans , dont Dieu vous a commis le foin , & qu'il foumet à votre difcipline ; de vous faire tra- vailler , tandis qu'ils font encore fous la main paternelle , à les inftruire , à les former, à les rendre capables, intelligents, dignes des places félon leur nailTance ils peuvent afpirer. Or il n'y a point pour cela de plus puifTant motif que de vous dire à vous-mêmes : ou il faut que mes enfants foient exclus de tout , & qu'ils mènent un vie obfcure & fans emploi , ou il faut que je mapplique à les drelTer, afin qu'ils puiffent devenir quelque chofe ,

54^ Sur le devoir des Pères

êc faire quelque chofe dans la vie ; ou û je veux les poulTer Tans nulle difpofition de leur part 6c malgré leur incapacité, il faut que je me damne avec eux. Qu'ils foient exclus de tout , ce feroit pour eux une honte, & un reproche pour moi : que je me damne avec eux , ce feroit une extrême folie & le fouverain malheur. La conféquence eft donc que je n'oublie rien , mais que j'ufe de toute mon adrelTe & de tout mon pouvoir de père , pour leur faire acquérir les qualités & de l'ef- prit & du cœur dont ils pourront dans ïa fuite avoir befoin , félon les états la Providence les a deflinés. Car d'efpérer que Dieu , en les appellant , fafle par lui- même tout le re{le=.& qu'il leur donne des connoiffances infufes , c'efl compter fur un miracle , & renverfer l'ordre que fa fageiïe a établi dans le gouvernement du monde. Et de prétendre que Dieu ne m'impute pas tout ce qui leur manquera ôi. qu'ils pourroient recevoir de moi , c'eft ignorer un de mes premiers devoirs , & me tromper moi-même. Voilà , Chrétiens, ce qu'il faut bien méditer. Il n'y a rien qui ne foit d'une conféquence infinie , &: qui ne doive vous faire trembler , fi vous le négligez : mais j'ajoute auin qu'il n'y a rien qui ne foit d'un mérite très- relevé , & qui ne doive vous confoler , fi vous vous y rendez fidèles Ôc fi vous J-.obfervez.

L^

ENVERS LEURS EnFANTS. 4f

La qualité de pères vous impofe de grandes obligations , mais en même temps elle vous donne lieu d'amalTer de grands tréfors pour le ciel. Car qui ne lait pas ce que coûte la conduite 6c l'éducation des enfants , combien d'hu- meurs il faut fupporter , combien d'écarts il faut pardonner . combien de foiblefles il faut ménager , combien de précautions il faut prendre pour les iaftruire fans les fatiguer , pour les tenir fous la règle fans les rebuter , pour leur faire d'utiles répréhenfions ihns-Ies révolter ? Or rieii_ de tout cela n'eft perdu devant Dieu , 6c c'eft en cela même que doit confiiler devant Dieu votre principale liberté. Vos enfants profiteront de vos foins , ou ils n'en profiteront pas. S'ils n'en pro- fitent pas , il eft vrai, ce fera une peine pour vous & une peine fenfible ; mais du refte vous en ferez quittes auprès de Dieu & auprès d'eux. S'ils en pro- fitent & que Dieu , comme vous pou- vez l'efpérer , béniffe votre vigilance & votre zèle , quelle confclation pour vous en ce monde de voir votre famille dans l'ordre , &. fur-tout quel bonheur un jour de vous retrouver tous enfemble dans U gloire que je vous fouhaite, Ôcc»

V^JA

^pomin^ Tom, L ,C.

0 SERMON

POUR

££ SECOND DIMANCHE

APRÈS L'EPIPHANIE.

^wr VÉtat du Mariage^

Nuptiae faé^s funt in Cana Galilss ; & erat mater Jefu ibi : vocatus eft autem & Jefus, & difcipuli ejus ad nuptias.

Il y eut des noces à Cana en Galilée , & la mère de Jefus i'jy trouva. Jefus fut aufjx invité aux noces avec fes Difciples, En faint Jean , chap. 2.

NO N - feulement il y fut invité , Chrétiens , mais il y aiTifta ; & en y affiiUnt , il les approuva , il \qs honora , il les fani'tifia , il en bannit les défordres , & déjà il prit des mefures pour jes confacrer cjans l'Eglife par l'info titution d'un facrement. Ce ne fu; don^

Sur l'êtaT du MaPvIage. 51

point en vain , ni fans delTein , qu'il y voulut être appelle : Vocatus efl autem Jefus : car c'eft de , difent les Pères , que vient la fainteté du mariage ; & fi l'on n'y appelle Jefus-Chrid, il n'y a plus rien dans cet état que de profane , ni rien qui le relevé. Mais je dis plus , ôcje prétends qu'il ne fufïit pas que Jefus- Chrift y foit appelle par les hommes , fi l'on n'y eft d'abord appelle par Jefus- Chrifl même : c'eft-à dire , mes chers Auditeurs , que la grâce de la vocation par Dieu vous Tanitifie pour entrer dans l'état du mariage , doit précéder la prière, & eft comme l'invitation par vous voulez engager Dieu à s'intéreiTer dans la fainte alliance que vous contrac- tez, & à la bénir : prière inutile, fans cette vocation divine. Mais fi c'eft Dieu qui vous appelle , & qu'enfuite vous appelliez Dieu , voilà le modèle parlait 6i la véritable idée d'un mariage chré- tien. C'eft auffi l'importante matière dont j'entreprends aujourd'hui de vous entre- tenir ; & parce que je n'ignore pas à quels écueils mon (ujet m'expofe , j'ai recours à Dieu Je m'adrefle à lui comme le Prophète , & je lui demande qu'il mette une garde à ma bouche, & qu'il ne biffe pas prononcer à ma langue une parole dont la malignité du (iecle puiffe abuler. Implorons encore le fecours &. Tinter- ceiïïon de Marie , en lui difant : Avi

Cij

^i Sur. L^ÉTAT

S Ai NT Au^uflln parlant du inarîage' dans un exctéllent traité , & rapportant tous les avantages & tous les biens dont Dieu a pourvu cet état , les réduit à trois principaux : à l'éducation des en- fants , qui en eft la fin , à la foi mutuelle 6l conjugale , qui en eft le nœud , ôc à la qualité de ce facrement , qui en fait comme l'efTence dans la loi de grâce : Âugii/:. Bonum habcnt nuptïcz & hoc tripartitum , proies , fides , facramentum. Ce font fes paroles, répétées en divers endroits des ouvrages de ce Père. Et en effet , c'eft r.n bien pour les hommes, que Dieu par î'inftitution d'un facrem.ent ait établi des alliances entr'eux , &. qu'il ait élevé ces alliances à un ordre furnaturel, par une grâce dont ils font eux-mémiCs les miniftres. De plus ce n'ell pas un avan- tage peu eftlmable pour une perfonne engagée dans le mariage , de penfer qu'une autre perfonne lur la terre lui efl obligée de fa foi, & que ne lui étant rien dans l'ordre de la nature , ni feloa la proximité du fang, elle ne laifle pas de lui devoir tout : amour , refpecl , com.plaifance j fidélités Enfin je prétends que c'eft un honneur aux pères 6c aux mères , que Dieu les ait choifis pour lui élever dans le mariage des enfants , c'efl- à-dire , des lerviteurs dont il foit glo'» rlfiç , ôd des fujçts qui amplifient (on Eglife. Voilà donc trois grandes préroga^

DU Mariage. 55

tives du mariage ; c'eft un facrement, c'eit le lien d'une mutuelle fociété , c'eft une propagation légitime des enfants de Dieu : tout cela eft vrai , Chrétiens ; mais ne penfez pas que ce foient des biens tellement gratuits , qu'ils ne ibient accompagnés d'aucune charge ; car voici l'idée que vous^^vous en devez tor- mer , & que je vous prie de comprendre, parce que j'en vais faire le partage de ce difcours. De ces trois fortes de biens rcfultent par nécefîité des devoirs de ccnfcicnce ce des obligations indifpen- fables à rem.pHr dans le m.ariage , ce fera la première Partie : des peines très-diffi- ciles & très-iàchcufes à fupporter dans le mariage , ce fera la féconde ; & des dangers extrêmes, par rapport au faluc, à éviter dans le m^ariage , ce fera la troi- fiemie. Or je foutiens qu'on ne peut ni fatisfaire à ces obligations , ni fupporter ces peines, ni fe préferver de ces dan- gers fans la grâce 6î. la vocation de Dieu ; d'où je conclus qu'il n'y a donc point d'état parmi les hommes cette voca- tion divine foiî plus nécedaire. C'eft tou.t le fujet de l'attention favorable que je vous demande.

ON n'en peut douter. Chrétiens : à I. confidérer le marisge dans toute fon PaRT. étendue, &fur-to<it félon les trois qualités que )'ai marquées , comme facrement , comme lien d'une m.utuelle fociété, iSc par

C iij

54 Sur l'État

rapport aTéducation des enfants dont îî cft une propagation légitime : cet état porte avec loi des obligations qu'il vous eft d'une importance extrême de bien connoître , & que je vais , pour faîistaire au devoir de mon minillere , vous expliquer.

C'eft fans contredit un bien pour le chriilianifme , & pour vous en particu- lier qui êtes appelles par la Providence pour vivre dans le monde , que le fils de Dieu ait confacré le mariage par fon inftitution , que non-feulement le mariage ne foit point un état criminel, comm.e l'ont voulu faire pafTer quelques héréciques , ni une fociété purement civile, comme il Feft parmi les païens, ni une fimple cérém.onie de religion , comme il l'étoit dans l'ancienne loi , mais un facrement qui confère la grâce de Jefus-Chrift , établi pour fandllfier les âmes , pour repréfenter un de nos plus grands myfteres , qui eft l'incarna- tion du Verbe , & pour en appliquer les mérites à ceux qui le reçoivent di^ne- Zphej. ment. Sacramentum hoc magnum. Oui , ^' S' mes Frères , difoit faint Paul , ce facre- ment eft grand, & je vous le dis , afin que vous fâchiez l'avantage que poflede en ceci notre religion par-deilus toutes les autres. Car il n'eft grand que par le rapport qu'il a avec Jefus-Chrift notre divin Sauveur : il n'eft grand que dans l'EgUfe , qui eft l'époufe de Jefus-Chrift s

DU Mariage. 5c

U n'eft grand qu« pour les fidèles qui font les membres du corps myftique de Jefus - Chrirt , c'eft - à - dire qu'il n'eft grand que pour vous. Ego autem dico vo- Uld* bis in Chrifto & in E^-leJîa Tout cela eft de la foi ; mais de que s'enluit-il ? des obligations , à quoi l'on fait bien peu de rKîf'exion dans le monde , & que le ma- riage néanmoins nous impofe. Car puif- que c'eft un facre.-nent de la loi de grâ- ce , il n'eft donc permis de s'y engager qu'avec une intention pure 6c fainte ; il n'eft donc permis de le recevoir qu'avec une ccnfcience nette & exempte de pé- ché ; il n'eft donc permis d'en ufer que dans la vue de Dieu , & pour une fia digne de Dieu : &. quiconque manque à ces devoirs , commet une offenfe qui tient de la nature du facrilege , parce qu'il profane un icicrement. Préfuppofé le principe de la foi , il n'y a rien en toutes ces conféquences qui ne foit évi- dent & inconteftable.

Mais encore une fois , on ne penfe guère à ces conféquences dans le monde : & d'oii vient qu'on n'y penfe pas, qu'on oublie dans ce facrement les règles de piété que l'on garde & que l'on croit devoir garder en recevant les autres ? Vous êtes les premiers , & fouvent même les plus zélés à condamner un homme qui entreroit dans l'Eglife & dans les facrés ordres par des vues ou d'intérêt OU d'ambition. Vous ne voudriez pas C iv

56 Su p. l' État

approcher du Sacremont de nos autek . fans vous être auparavant puriïîés dans les eaux de la pénitence , & vous croiriez vous rendre coupables en vous prélenrant su tribunai de la pénitence pour une autre hn que d'honorer Dieu & de vous léconciiier avec Dieu. Quand on vous parle de ce Simon le magicien , qui vic- jnanda aux Apôtres ie facrement de Con- firmation par un motii de vaine gloire^ & quand on vous dit que Judas parut à la table de Jefus - Chriit , & qu'il y communia dans une dirpofition criminel- le 5 vous réprouvez l'attentat de l'un & de l'autre. Or le mariage eil-il moins refpeftable & moins vénérable en quali- té de facrement ? Le Sauveur du monde l'a-t-il m.oins inftitué que les autres facre- ments ? a-t-ii moins de vertu pour don- ner la grâce que les autres facrements ? contient-il des myi^eres moins rele\ es que les autres facrements ? Tout ce qui fe dit des autres facrements pour les exal- ter & nous les faire honorer, ne con- vient-il pas également à celui-ci ? &: par conféquent ne demande-t-il pas par pro- portion , des difpofitions auiii parfaites, un motif aulîi chrétien , une pureté de cœur aulIi entière , un ufage aufli hon- nête Si. auiTi faint ?

Nous fçavons tout cela dans la fpécu- lation , mais dans la pratique voici la différence qu'on m»et entre ce facrement ^ les autres. Pour ceux - , on s'y

' D U M A R I A G E . Y!?'

J5répare , on y cherche Dieu , on y prend des fentiments de religion , & en cela l'on agit chrétiennement : m?.is eft - il queftian du facrement dent je parle , vous diriez que c'eft dans la vie une chofe indifférente &L toute pro- fane , à laquelle ni Dieu ni la religion n'ont point de part. On fait un ma- riage par des confidérations purement humaines, fans en avoir le moindre re- mords ; on le célèbre au pied de l'autel dans un état a^lael de péché ; & quoi- que ce foit inconteftablement une pro- fanation facriiege , à peine en a-t-on quelque fcrupuie', parce que la plupart meT.e ignorent ce point de conicience. Or fur cela-, mes chers Auditeurs , cou?.-' ment peut-on fe iuftiher devant Dieu ? Car fi vous voulez que je vous en dé- clare ma penfée, voilà un des défordres les plus elTeatiels qui régnent aujour- d'hui dans le chriftianiime : on n'y re- garde plus , ce femble , le mariage com.- me une chofe facrée, mais com.me une affaire temporelle , & comme une pure négociation. Qui eft - ce qui cen-ulte Dieu pour embraffer cet état ? qui eft- ce qui confidere cet étc-.t comme un état de fainteté Dieu l'appelle ? qui eft- ce qui choifit cet état dans les vues de fa prédeftination éternelle & de fon falut } Le dirai -je? les païens même étcient fur ce point plus reîia^ieux , du moins plus f^ges ôc plus fenfés. Si le mariage

Ç y

5S Sur r É t â f

parmi eux n'étoit pas un iacrement, ce îi*éroit pas non plus , comme il l'eft de- venu parmi nous , un trafic mercenaire , l'on fe donne l'un à l'autre , non par «ne inclination raifonnable , non par une eftime honnête , ni félon le mérite de la perfonne, mais félon fes revenus Ôc fes héritages , mais au prix de l'argent èi. de l'or. Car tel eft le nœud de prefque toutes les alliances ; c'eft l'argent qui les forme : d'où vient enfuite ce dérègle- ment fi commun , qu'après un mariage contradé fans attachement , on fait ail- leurs de criminels attachemens fans ma- riage. Quoi qu'il en foit, ce que nous ne pouvons aiTez déplorer , Chrétiens, c'eft que le mariage renfermant dans fon effence deux qualités , celle de contrat & celle de facrem^ent , on n'a d'attention que fur la première , qui eft d'un ordre inférieur , & qu'on néglige abfolument l'autre , qui néanmoins efi toute furnatu- relle & toute divine. En qualité de con- trat , on y obferve toutes ks régies de 3a prudence : combien de traités , com- lien de conférences Se d'aiferabiées^ com- bien d'articles & de conditions , com- bien de précautions & de mefures ? Mais pour la qualité de facrement, ni réfle- xions., ni préparatifs : on croit que tout fe réduit à quelques cérémonies extérieu- res de l'Eglife , dont on s'acquitte fans recueillement & fans efprit de religion. Or èft;il pofîible qu'un fièrement airi^

DU Mariage.' ^5

profané , vous attire de la part de Dieu les fecours de grâces qu'il y a attachés; 6i fi vous manquez de ces fecours, com- ment accomplirez-vous les obligations de votre état ?

Je dis les obligations que vous impofe le mariage , non-feulement pris comme facrement, mais de plus confidéré comme lien d'une fociété mutuelle. Car voici je prétends que font néceffaires les grâ- ces de Dieu les plus puiffantes & les plus abondantes. Vous Falîez comprendre. Il ne s'agit point feulement ici d'une fociété apparente , mais d'une fociété de CŒur ; enforte que vous pratiquiez à la lettre ce précepte de l'Apôtre ; l'^iri , diligite uxores veflras , fie ut é*- ^/^fft Chriftus diUxit EccUfiam ; Vous , maris ^^' ^* aimez celles que Dieu vous a données pour époufes ; & vous , femmes, ceux que la Providence vous a deiKnés pour époux. La règle que vous devez en cela garder , eft de vous aimer l'un l'autre , comme Jefus-Chrift a aimé fon Eglife : Sicut & Chriftus diUxh Ecclefîam. Voi- là, dis-je , votre modèle. Aimez-vous d'un amour refpedueux, d'un amour fi- dèle , d'un amour officieux & condefcen- dant, d'un amour confiant & durable, d'un amour chrétien. Tout cela, ce fonc autant de devoirs renfermés dans cette foi conjugale que vous vous êtes promi- le de part & d'autre , & qui vous a ^is. PiepiÇz garde : je dis d'un amour

60 S U R L* É T A t

refpe(9:ueux , parce qu'une familiarité fans refpef^ porte infenfibiement & prel- qu'infuiilîblemenî au mépris. Je dis d'un amour fidèle, jufqu'à quitter pour un époux ou pour un époufe , père &i mère , puifque c'eft en termes formels la loi de Dieu ; mais à plus forte raifon jufqu'à rompre tout autre nœud qui pourroit attacher le cœur , & à fe dé- prendre de tout autre objet qui pour- roit le partager. Je dis d'un amour ofFi- cieux & condefcendant , qui prévienne les befoins ou qui les foulage , qui cc>iii'- patiiTe aux infirmités, qui lie les efprits 6c qui maintienne entre les volontés un parfait accord. Je dis d'un amour coni- tant &L durable, pour réfifier aux fâcheu- fes humeurs cjui le pourroient troubler, aux foupçons & aux jaloufies , aux ani- rnofités & aux aigreurs. Enfin je dis d'un amour chrétien , car c'eit ici que je puis appliquer, 6i que fe doit vérifier h parole de Saint Paul , que la lemnrie chrétienr^e 6i vertueufe efi la fanftifica- tion de fpn mari. C'eft ce qu'ont été xes iiluftres Frincefîes qui ont fanftifié les empires en convertiffant & en fanc- tifiant les Princes dont elles étoient tout enfemble ô: les époufes &i les Apô- tres : c'eft ce que vous devez être, Mefdames , faifant dans vos iamiiles ce que celles-là ont fait fi glorieufement Se avec tant de mérite dan* les royaumes ; «lliiiiant que ic plus, iolide témoignage

D U M A R I A 6 E. ^Z

que vous puiîTiez donner à un époux , d'un véritable amour, ei\ de le retirer du vice 6l de le porter à Dieu ; em- ployant à cela toute votre étude, y rap- portant tous vos vœux , tous vos confeils, tous vos foins , & vous animant à perle- vérer dans ce faint exercice par le beau mot de Saint Jérôme à Laeta. Elle étoit fille d'un père idolâtre , mais que fou époufe avoit enfin réHuit par fa vigilance & p?.r fa patience à embrailer la toi. Or il talloit bien , dit Saint Jérôme, que cela fût alnfi ; un aulli grand zèle que celui de votre mère pour le falut de fon mari , ne devoit point avoir d'autre eiTet. Et pour moi , ajoute ce Saint D-octeur , dans fon ftyle élevé & fissuré , je penfe que ce Jupiter mêm.e qu'adoroient les païens , eût cru en Jefus - Chrift , s'il eût vécu dans une fi fainte alliance : E^o puto , etïam ipfam Jovern ,fi h-ibuiffet Hleron^ lalem cognaCionem , poiuijje in Chnjîum cndere. **S^

M^is par un renverfement que nous ne déplorerons jamais allez , mes chers Auditeurs , & dont peut-être vous éprou- vez vous - mêmes les fuites funeftes , qu'arrive-t-il ? vous ne pouvez l'ignorer , pLiifque vous le voyez tous les jours. Cette fociéié qui devoit faire Tunion & le bonheur des familles , & en erre le plus ferme apijui ; cette fociété que dé- voient conferver .mutuellemenî entr'eux le mari «^ femme comuie un des bit:n$

^2 Sur l'É t a t

de leur état les plus Cilimables , à quoi ie trouve-t-elle lans ceffe expofée ? aux ruptures , aux averfions , aux divifîons , aux éclats quelquefois les plus icanda- leux ; & cela pourquoi ? parce que ni l'un ni l'autre ne veut contribuer à l'entre- tenir. Une femme eft entêtée , efl: capri- cieufe , eft idolâtre de fa perfonne , aime le jeu , la dépenfe , les vains ajufle- ments, les compagnies & les divcrtifle- ments du monde ; un mari eft im.pé- rieux , efl jaloux & chagrin , eft em- porté & colère, aime fon pUifir & la débauche. Et parce qu'ils ne voudroient pas fe faire la moindre violence , l'une pour revenir de {qs entétemens , pour régler fes caprices , pour mettre des bor- nes à fon jeu , à fes diiîipations , à Tes vanités , à fon attachement au monde : l'autre pour abaiffer fes hauteurs , pour adoucir fes chagrins, pour fe défaire de fes foupçons injuftes 6c de fes inquiétu- des outrées 6^ mal fondées, pour modé- rer fes emportements & pour fe retirer de fes débauches ; de viennent les contrariétés , les plaintes réciproques & les murmures, les reproches aigres & amiers : on conçoit du dégoût l'un pour l'autre , & fouvent enfin , pour prévenir de plus grands défordres , on fe trouve réduit à fe féparer l'un de l'autre. Divor- ces & féparations, que la loi des hom- mes autorife , mais qui ne font pas pour cçla toujours jullifi^s d^yamPlcu-

DU M A R I A G i; êf

& félon la loi de Dieu : divorces & ré- parations fi ordinaires aujourd'hui dans le monde, & que nous pouvons regarder comme la honte de notre fiecle , fur-touî parmi des Chrétiens: divorces ëcféparar tions, d'où fuit prefqu'immanquablement la ruine des maifons les mieux établies , & nous voyons s'accomplir à la lettre cette parole de Jefus-Chrid , que tout Royaume divifé fera défolé : divorces & féparatiofls vivent quelquefois fans fcrupule les perfonnes d'ailleurs les plus adonnées aux exercices de la piété, ne fe fouvenant pas que le premier de- voir d'une piété folide eft à leur égarcî & autant qu'il peut dépendre de leurs, foins , de demeurer dans une fociéîé que- Dieu lui - même a form.ée ou a du former.

Et pourquoi Ta-t-il formée ? je l'ai dit, après Saint Auguftin : pour une pro- pagation légitime, & pour l'éducation des enfants. Troifieme & dernier fond des plus importantes & des plus efTen- tielies obligations du mariage. Car ce n'eft point affez de leur avoir donné la naiffjnce, à ces enfants,& de les avoir mis au monde , il faut les nourrir ; ce n'ef^ point affez de les nourrir , il faut les pourvoir ; ce n'eft point encore affez de les pourvoir feîon le monde, il faut les inftruire & les élever félon le Chriftia- nifi-ne. De fournir à leur fubfillance Si. à l'entretien d'une vie qu'ils oni reçue dQ

Z4 Sur l' É t a t

vous, c'eft ce que vous diâ:3 la nature ,, &. â quoi il eCi peu néceffaire de vous porter. De penfer à leur établifiement temporel, c'eft outre la nature , ce qu2 vous infpire fouvent votre ambition, ÔC fur quoi vous n'êtes que trop ardents & que trop zélés ; de travailler même à les perfeclionner , à cultiver certains talents qui peuvent les diilinguer & les avancer dans le monde , c'elt un loin que vous ne négligez pas abiolument, éc de quoi plufieurs s'acquittent avec toute la vigilance convenable. Non pas qu'il n'y ait de ces pères & de ces mères infenlibles & durs , qui tout occupis d'eux - m.êmes , fem.blent méconnoître leurs enfants , ôc les lailTent manquer des lecours les plus néceiTaires , tandis qu'ils ne rerufent rien à leurs propres perfon- nes , de tout ce qui peut contenter leur mondanité ou leur fenfualité ; non pas qu'il n'y en ait à qui la vue de leurs enfjnts devient tellement infupporrable, cu'ils les tiennent de longues années hors de la mailbn patern-elle , les ban- niflant en quelque manière de leur pré- fence, parce qu'ils leur bleiTen' les yeux, & les abandonnant à des m.ains étran- gères peur les conduire ; non pas qu'il n'y en ait , ainfi que ]e le dii'ois dans le dilcours précédent , qui ne voulant ja- mais le défaifir de rien pour leurs en- fants , 6c pour leur procurer des établif- ISemcmj fortabies à leur condition , k^

DU Mariage. 65-

voicnt tranquillemtnt & impitoyable- ment languir auprès d'eux jufques dans un âge avancé ; &: les réduiient à la trifte néceîTité de pafier leurs jours fans rang , fans nom , fans état ; non pas qu'il n'y en ait qui dans un oubli entier de leurs enfants , ou par une molîe & aveugle cjndefcendance , ne leur donnent micme nulle éducation pour le monde , leur perm.ettant de vivre à leur gré , & l'es livrant , pour ainfi dire , à eux-mêmes & à tous leUi-5 défauts naturels. Quel chimip , fi je voulois m'étendre là-deffus & fur bien d'autres défordres que je priïe , parce qu'après tout ils font moins importants & moins fréquents ? Mais le plus eOentiel & le plus com^mun , c'eft. d'élever des eniants en mondains ^ fans les élever en Chrétiens ; c'eft de veiller à tout ce qui regarde leur fortune , ôê de n'avoir nulle vigilance fur ce qui concerne leur falut ', c'eft de leur infpirer des fentiments conformes aux maximes & aux principes du fiecle , &i d'être peu en peine qu'ils en aient de coniorrnes aux principes oL aux ma- ximes de l'Evangiie ; c'eft de ne leur pardonner rien dès qu'il s'agit du boa air du monde, des bonnes manières dq monde , de la fcience du m.onde , &: de leur pardonner tout dès qu'il ne s'agit que de l'innocence des miOeurs Ôc de la piété. De quoi néanmoins un père & une ïi'iêre auront- ils plus p«irticuiiére>T»en!; à

66 Sur l*État

repondre devant Dieu, fi ce n'ed de h fan6lification de leurs enfants ? Con^me c'eft-là fans contredit la première de toutes les affaires , ou plutôt comme c'ed l'unique affaire , c'eil à celle -ià qu'ils doivent être fpécialement attentifs dans rinftrudion des enfants dont ils font chargés ; & par conféquent c'eff à eux de porter leurs enfants à Dieu, 6c de les entretenir dans la crainte de Dieu ; à eux de corriger les inclinations vicieu- fes de leurs enfants , & de les tourner de bonne heure à la vertu; à eux a'é- îoigner leurs enfants &L de les préferver de tout ce qui peut corroir.pre leur cœur , domef^iques déréglés , fociétés dangereu- fes , difcours libertins , fpeitacles profa- nes , livres empeAés contagieux ; à eux de procurer à leurs enfants de faintes inftrudiuns , de leur donner eux-mêmes d'utiles confeils, fur-tout de leur donner de falutaires exer.^.ples . s'étudiûnt à ne rien dire ik à ne rien faire en leur préien- ce qui puiiTe être un fujet de fcandale pour ces âmes fcibles & fufceptibleï de toutes les impreffions : ceci me meneroit trop loin , Si pour m.énager le tem.ps qui m'eft prefcrit, jehilTe un plus long détail. Revenons donc. Telles font , mes chers Auditeurs , les obligations propres de i'érat du mariage ; elles ont leurs difficultés & de grandes difficultés, j'en conviens : mais de même qu'ai - je voulu conclure ? que Ton ne doit pcJAt

DU Mariage. 6^7

entrer dans cet état farxS la vocation divine. Car pour remplir toutes ces obli- gations , il faut une aiîiftance Ipéciale du ciel : & ce lecours , Dieu ne le donne qu'à ceux qu'il appelle. Secours nécef- faire, non- (eulement pour acccomplir les obligations du mariage , mais pour en fupporter les peines dont j'ai à vous parler dans la féconde Partie.

IL y a des peines dans l'état du ma- IL riage , & la preuve en eft d'autant PaRT^ plus fenfible , Chrétiens , que vous en avez une expérience plus ordinaire. Pour vous les repréfenter , je n'ai qu'à fuivre toujours les mêmes idées , en confidé- rant le mariage fous les mêmes rapports. Ceci demande , s'il vous plait , une atten- tion toute nouvelle.

Je l'ai dit, & je le répète ; que le mariage foit un facrem.ent , c'eil ce qui fait fon excellence & fa plus belle pré- rogative dans la loi de grâce , mais c'efè cela m.ême aufTi qui en tait la fervitude : pourquoi ? parce que c'eft cette qualité de facrement qui le rend indifToluble & par conféquent qui en fait un joug , une fujé- tion , comme un efclavage Thomme renonce à fa liberté. Si le fils de Dieu avoit laiffé le mariage dans l'ordre purement naturel , ce ne feroit qu'une fimple convention , plus rigoureufe à la vérité que toutes les autres dans fon enga- gement ; mais après tout qui pourroit

'6^ Sur l*État

fe rompre dans les néceffités extrêmes. Et en effet, nous voyons que parmi les païens, les loix & la jurirprudence ont paru le plus conformes à la raifon îiumaine , la dllTolution des mariages étoit autorifée ; ils les caiToient iorfque des iujets importants le demandoient ainfi , & ils renonçoient aux alliances qu'ils avoient contraftées , dès qu'elles leur devenoient préjudiciables. Dieu même dans l'ancienne loi permettoit aux Juifs de répudier leurs fem.mes ; & quoi- qu'il ne leur donnât ce pouvoir que pour condefcendre à la dureté de leurs cœurs , c'éioit néanmoins un pouvoir légitime dont il leur étoit libre d'uTer. Mais dans l'Eglife chrétienne, c'eft-à-dire depuis que Jefus-Chrifl a fait du mariage un ûcremient , & qu'il lui en a donné la vertu , ce facrement porte avec foi un caradere d'im.mutabilité. EiVil une fois reconnu valide , c'ed pour toujours ; quand il s'agiroit de la confervation de la vie , quand des royaumes entiers devroient périr, quand l'Eglife univeiielle feroit menacée de fa ruine , & que toutes les puiiTances s'armeroient contre elle, ce m.aiiage fubfiftera , ce mariage durera jufqu'à la mort , qui feule en peut être le terme. Voilà ce que la foi même nous enfeigne.

Or c'efl: , Chrétiens , ce que j'appelle

une fervltude , Si ce qui l'eft en effet :

'cài je vous demande j un étaf qui vous

DTJ Mariage: 6$

afTujettit , fans favoir prefque à qui vous vous donnez , & qui vous Ôie toute liberté de changer , n'eil - ce pas en quelque forte l'état d'un efclave ? Or le mariage fait tout cela. Il vous engsge à un autre que vous , & c'eft ce qu'il y a de plus eflentiel; à un autre, dis-je, qui n'avoit nul pouvoir fur vous , mais de qui vous dépendez maintenant , & qui s'eft acquis un droit inaliénable fur votre peribnne. Par le facerdoce je ne me fuis engagé qu'à Dieu & à moi- même ; à Dieu mon fouverain maître , à qui i'appartenois déjà ; à moi-même , qui dois naturellement me régir & me con- duire : mais par le mariage vous tranf- férez ce domaine que vous avez fur vous- même , à un certain étranger ; & ce qu'il y a de plus difficile &: de plus héroïque dans la profeiiion reîigieufe , devient la première obligation de votre état. Encore dans la religion , je ne me trouve pas engagé à telle perfcnne en parti- culier; ce n'^ft précisément & pour tou- jours , ni à celui-ci, ni à Â^ui-là, mais tantôt à l'un & tantôt a l'autre , ce qui doit infiniment adoucir le joug* Au lieu que dans le mariage , votre enga- gement efl perpétuel pour celui-là & pour celle-ci. Si la perfonne vous agrée , & qu'elle foit félon votre cœur , c'elt un bien pour vous : mais fi ce mari ne pl-aïc pas à cette femme , fi cette femme ne revient pas à ce mari , ils n'en font pa^

ifô Sur l'État

inoins liés enfemble , & quel fuppllce qu'une femblable union 1

A quoi j'ajoute , mes Frères , une ïîouvelle différence , mais bien remar- quable entre nos deux conditions. C'eil que pour Tétat religieux il y a un novi- ciat & un temps d'épreuve , & qu'il n'y en a point pour le mariage. De tous les états de la vie , dit faint Jérôme , le snariage eft celui qui devroit le plus être de notre choix , & c'eft celui qui l'eft le moins. Vous vous engagez , 6c vous ne favez à qui ; car vous ne connoiflez jamais l'efprit , le naturel , les qualités du fujet avec qui vous faites une alliance fl étroite , qu'après votre parole donnée , &lorfqu'il n'eftplUs temps delà repren- dre. Maintenant que ce jeune homme vous recherche , il n'a que des complai- fances pour vous , il n'a que des appa- rences de douceur, de modération, de vertu : mais dès que le nœud fer-i formé , vous apprendrezbientôt ce qu'il eft ; vous verrez luccéder à cette douceur feinte, des emp5j|tements & des colères, à cette jTiodération affe^lée des brufqueries ôc des violences, à cette vertu hypocrite des débauches 6c des excès. Maintenant que cette jeune perfonne eft fans étiblif- femiCnt , 6c que vous lui paroiiTez un parti convenable , elle fait fe compofer ^ fe contrefaire : mais quand une fois . elle n'aura plus tant de ménagements à prendre , ni tant d'intérêt à vous plaire.

DU Mariage,' 7^

vous en éprouverez bientôt les caprices, les bizarreries , les entêtements, les hau- teurs. Quoi que vous faiTiez & de quel- que diligence que vous ufiez , il en faut courir le hafard. Ce qui faifoit dire à Salomon , que pour les biens & richelTes, c'eft de nos parents que nous les rece- vons ; mais qu'une femme fage 6c ver- tueufe , il n'y a que Dieu qui la donne : Divitiœ dantur à pcircntibus y à Domino Prov'i autem uxor prudens» ty.

Concevez donc bien , mes chers Auditeurs , ce que c'eft qu'un tel enga- gement ou qu'une telle f-îrvitude pour toute la vie & fans retour. Il n'y a point de vœu fi folemnel dont l'Eglife ne puliTe difpenfer : mais à l'égard du mariage , elle a , pour ainfi dire , les mains liées , & fon pouvoir ne s'étend point jufques- là. Engagement qui parut aux Apôtres même d'une telle conféquence , que pour cela feul ils conclurent qu'il étoit donc bien plus à propos de demeurer dans le célibat : Si ita efl caufa hominis Matthi cum uxore , non expedit nubere. Et que f. 'p» leur répondit là-deiTus le fils de Dieu ? condiimna-t-il ce fentimentfi peu favo- rable au mariage ? Il l'approuva, il le confirma, il les télicita d'avoir compris ce que tant d'autres ne comprenoient pas : Non omnes capiunt vcrbum iflud. Ihliçmi Pourquoi cela , parce qu'il favoit com- bien en effet ce fac rement feroit un fUÙS %dçâw pour la plupart çç^^t qu|

yi Sur l'État

le dévoient recevoir. Ce que je vous dii au refte , Chrétiens , n'eft point tant pour vous en donner de Thorreur , que pour vous faire fentir à quel point raffif- tance divine vous eft néceilaire dans le mariage , 6c de quelle importance il eu de ne s'y pas engager fans le gré de Dieu. Ah 1 combien en a-t-on vu & com- bien en voit-on de nos jours fuccomber fous ce joug pelant , ou ne le traîner qu'avec peine , Si en déplorant mille fois leur infortune ? combien de malheureux cans le monde & dans toutes les con- tlitions du monde , paroilTent contents ?.u dehors y mais gémiUent en fecret de l'efclavage ils fe trouvent réduits ? D'autant plus à plaindre, fi j'ofe parler de la Ibrte , qu'ils ont moins de droit eux-mêmes de fe plaindre. Car qui les a chargés de ces fers dont la pefanteur les accable ? Eft-ce Dieu , qu'ils n'ont pas confuhé ? n'eft-ce pas eux-mêmes ? Et comment iroient-ils au pied de l'autel , pour fe confoier avec le Seigneur, lui dire : Soutenez-moi , mon Dieu , ou brifez ma chaîne, ou du moins aidez-moi L la porter. Qu'auroit-il de fa part à leur faire entendre t Ce n'eft point moi qui l'ai formé , ce Hen ; je n'ai point été votre confeil , rien ne m'engage à ilevenir votre appui, ni à foulager votre douleur.

. Ce qui la redouble & ce qui la doit rendre encore plus viv e, ç'çll cette fociété

dont

D V M A R 1 A G E, '7%

dont le mariage eft le nœud. Car quoique la fociété prife en elle-même ait toujours été regardée comme un bien , toutefois par l'extrême difficulté de trouver des efprits qui s'accordent enfemble & qui fe conviennent mutuel-» lement Tun à l'autre , on peut dire que la folitude lui eft communément préte- rable. Nous avons de la peine à nous fouffrir nous-mêmes : un autre nous fera-t-il plus aifé à fupporter i Je ne parle point de mille affaires chagrinantes qu'attire la ibciété & la communauté des mariages ; ce ne font que les accidents àe votre état, mais des accidents après tout [i ordinaires , que les mariages ir.ême des Princes &L des Rois n'en font pas exempts. Je m'arrête à la feule diverfité d'humeurs qui fe rencontre fouvent entre une femme & un mari. Quelle croix & quelle épreuve ! quel fujet ds mortidcation & de patience 1 un mari Cage & modefte avec une femme volage & diilîpée , une femme régulière 6c vertueufe avec un mari libertin & impie : de tant de mariages qui fe contractent tous les jours, com.bien en voit-on fe trouve la fympathie des cœurs ? 6c s'il y a de l'antipathie , eit-il un plus cruel martyre ? Du moins fi l'on favoit par fe fanéiifier , Ci Ton portoit fa croix en Chrétien , & que d'une trifte néceflité on fe fit une vertu & un mérite ; mais ,ÇÊ qu'il y a de bien déplorable , c'eft que pominy TQmçIp D

'74 Sur l*État

ces peines domeftiques ne fervent eiî'-^ core qu'à vous éloigner davantage de Dieu éc qu*à vous rendre plus criminels devant Dieu. On cherche à fe dédom-? fnager au dehors ; on trouve ailleurs Tes inclinations, & à quels délordres ne fe laifTe-t-on pas entraîner ? Du refte , quelles animofités &c quelles averfions ne nourrit-on pas dans l'ame ? en quelles plaintes & en quels murmures , en quelles défolatiotis & en quels défefpoirs les années s'écoulent-elles ? On demeure dans ces dirpofitions jufqu'à la mort , & comme difoit faint Bernard , on ne fait que pafler d'un enfer à un autre enfer , d'un enfer de péché & de crime à un enfer de peine Si de châtiment , de l'enfer du mariage au véritable enfer, des démons.

Ce font là, dites-vous , des extrémités; il eft vrai : mais extrémités , tant qu'il vous plaira , rien n'eft plus commun dans l'état du mariage ; & n'eft-ce pas cela même qui nous en doit mieux faire connoitre la pefanteur , qu'on y foit fi fouvent réduit à pareilles extrémités ? Si cet état étoit pour vous de l'ordre de Dieu, fi vous ne l'aviez pas choifi vous- même , ou que vous ne l'eufllez pris que par la vocation de Dieu , que dans les vues de Dieu, que fous la conduite de Dieu , fa grâce vous l'adouciroit , & fa providence ne vous raanqueroit pas au béCoin : il vous auroitadreflée, comme

Dtr Mariage. 7^

Refeecca , à i'époux qui vous étoit deftiné éc qui vous convenoit : il donneroit à vos paroles une efficace , & à vos foins une bénédiction toute particulière , pour rendre ce mari plus traitable , pour fixer fes légèretés , pour arrêter fes emportements , pour le tirer de fes débauches , pour calmer fes inquiétudes & dilîiper fes jaloufies : du moins dans, les ennuis & les dégoiàts , dans les rebuts & les mépris , dans les contra- diélions & les chagrins vous vous trouvez expofée , il vous revêtiroit d'une force divine pour les fupporter, & par fon onclion intérieure il fauroit bien , lors même que tout feroit en trouble au dehors , vous faire goûter dans le fond de l'ame les douceurs d'une fainte paix. Mais parce que de vous-même &C en aveugle , vous vous êtes, pour ainfi parler , jetée dans les fers , il vous en iaifie porter tout le poids; c'eft- à-dire, & vous ne le favez que trop(, qu'il vous laiffe porter tous les caprices d'un mari bizarre , toutes les hiuteurs d'un rnari impétueux , toutes les brufqueries d'un mari violent, toutes les épargnes d'un mari avare , toutes les diffipations d'un mari prodigue , tous les dédains d'un mari peu affectionné & indifférent, toutes les folles & chimériques imagi- nations d'un mari jaloux : il permet que vous-même , au lieu de chercher dans ^oue patience Ôcçndefages ménagement^

D ï)

«76 Sur l'État

le remède aux maux qui vous affligent î vous les augmentiez i que vous-même vous deveniez une femme vame , une femme indifcrette, une femme mondame & diffipée , une femme obftmee 6C opiniâtre ; que vous-même vous ayiez vos variations & vos inconftances , vos aiereurs & vos fiertés , vos vivacités & vos colères ; que lun & l'autre vous ne ferviez qu'à exciter le ieu de la difcorde & qu'à rendre votre condition plus malheureufe.

Encore fi l'on en étoit quitte a ce prix : mais une troifieme fource de peines dans le mariage , & j'ofe dire une fource prefqu'inépuifable , c'eft Féducation des enfants. Un enfant fage, dit Salomon , fait la joie de fon père , & celui au contraire qui a l'efprit mal tourne , eit un fujet de douleuf & de trifleffe pour Proy. fa mère : FiUus fapUns Utificat patnm ; '*'<>' films verb Jlultus , mapia efl matns fua. - Mais fans altérer en aucune forte la parole du S. Efprit, je puis ajouter dans un autre fens , que des enfants a élever, foit qu'ils foleat réglés ou qu ils ne le foient pas , font communément pour des pères & pour des mères un lourd fardeau ^ une croix bien pefante. 3e ne parle point des foins que demande une première enfance fu]ette a mille foibleffes auxquelles il faut condefcendre, àmille befoins auxquels il faut tourmr , a wille accidents fur lefquels il taut veiller.

DU Mariage. 77

Suppofons-les dans un âge plus avancé , & dans ce temps ils commencent proprement à fe faire connoître , ou par leurs bonnes , ou par leurs mau- vaifes qualités. Que ce foient, ii VOU$ le voulez , des enfants bien nés , & qui donnent pour l'avenir les plus heu- leufes efpérances ; que ce foient de bons fujets , fur qui dans la fuite on puiffe compter , j'y confens : mais eft-on pour cela en état de les pourvoir & de les avancer ? eft-on pour cela certain de ne les pas perdre & de les conferver ? Quel amer déboire, par exemple, & quelle défolation de fe voir chargé d'une nom- breufe tamille , & de manquer des moyens nécelTdires pour l'établir ; d'avoir des enfcints capables de tout, & de ne pou- voir les pouffer à rien , d'être obligé de les lailTer dans une oifiveté forcée ils paflent triftement leurs jours , & dans «ne obfcurité leur naiffance , leur lîom , leur mérite perfonnel demeurent enfevelis ? quel regret , quel acca- blement , lorfqu'un accident imprévu , qu'une mort inopinée vient tout à coup à enlever des enfants qu'on aimoit & lur qui l'on faifoit fonds , à qui l'on avoit d'amples héritages , de grands titres à tranfmettre , & qui dévoient être le foutien d'une maifon , laquelle tombe avec eux , ou va bientôt après eux tomber ! Or vous le favez , fi ce iont dans le monde des événements

P iij

j2 Sur l'État

rares , dont on ne puiffe tirer nulle con- féquence, & vous n'ignorez pas ce qu'une expérience fi commune vous a là-deiTus appris & vous apprend tous les jours.

Mais ce que vous favez encore mieux, parce qu'il eft encore plus commun , c*eft ce qu'il en coûte à des pères & à des mères pour élever des entants indo- ciles , pour redreffer des entants mal nés , pour foutenir des enfants fans génie & fans talent , pour gngner des enfants ingrats & fans naturel, pour ram.ener à leur devoir des enfants égarés 6c aban- donnés à leurs paiTions , des enfants déré- glés & débauchés, prodigues & diinpa- teurs. N'eft-ce pas de quoi les familles font remplies ? & qu'y a-t-il de plus ordi- naire ? Je dis des enfants indociles , des enfants toujours prêts à fe révolter contra les fages remontrances qu'on leur fait ÔC les falutaires enfeignements qu'on leur donne : des enfants mal nés , que toutes leurs inclinations tournent au vice , 6c a qui on ne peut infpirer nul fentiment de chrifiianifme ni même d'honneur ; des enfants fans génie , qu'on vou- droit former , afin de les avancer , mais auprès de qui tous les foins qu'on prend deviennent inutiles , par le peu de difpofition qu'on y trouve ; des enfants ingrats , qui ne fentent rien de ce qu'on fait pour eux , & dont on ne reçoit point d'autre reconnoifl'ance que mille déplai- iirs, d'amant plus piquants 3 qu'on avcit

DU Maria g e. 79

moins lieu de les attendre ; des enfants volages & inconfidérés , qu'une aveugle précipitation engage en de continuelles 6c iacheufes affaires ; déréglés & dé- bauchés, que la pafTion porte à des dé- fordres qui les décrient dans le monde ^ 6c dont l'infamie rejaillit fur ceux à qui ils appartiennent ; prodigues & diffipa- teurs , qui pour fournir à des dépenfes exceffives , e.ir.pruntent de toutes parts &i à toutes conditions , fans être en peine de l'avenir & fans en prévoir les funefhes fuiies. Qu'eR-il befoin que je m'étende fur cela davantage , & que vous dirai- je dont vous ne foyez mieux inftruits que moi ? N'eft - ce pas , pères 6c îneres , ce qui vous fait tant gémir ? n'efl-ce pas ce qui vous plonge en de fi profondes mélancolies , ou ce qui vous jette en de fi violents tranfports ? n'eft-ce pas ce qui vous déchire le cœur^ & ce qui vous fait dire en tant d'occafions ce que difoit cette mère de Jacob & d'Efali : Si fie mïhï futurum erat , quïd Geief, mceffe fuit conciperc? Si ce font les f. -J* fruits du mariage, ne vaudroit-il pas mieux pour moi n'y avoir jamais pen- ? Heureux l'état , libre & dégagé de tout autre foin, l'on n'eft chargé que de foi-même ! Vous le dites , mon cher Auditeur , & ce n'eft pas fans fujet ; mais voici ce qui eft encore plus vrai , 6c ce qu'il faudroit encore plutôt vous dire & vous reprocher devant Dieu ; auç

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9a Sur L* État

vous ne deviez donc pas vous détermi- ner û vite à un choix dont les confé- quences étoient tant à craindre ; que vous deviez piendre avec Dieu de jufîes fnefures , le confulter immédiatement lui-même par la prière , & confulter fes Minières , qu'il a établis pour être les interprètes de fes volontés ; que TOUS deviez pefer mûrement les chofes, lîon félon les fauffes maximes du mon- de , mais dans la balance de l'Evangile , & au poids du San6^uaire ; que vous ne deviez rien omettre enfin avant que cl'embrafTer Tétat du mariage , pour bien connoître & fes obligations & (es peines , & en dernier lieu fes dangers, dont j*ai à vous entretenir dans la ttoi* fieme Partie.

jTT 'T^Outes les conditions de la vîe ont Part leurs dangers , je dis leurs dangers

'par rapport au falut ; non-feulement dan- gers communs , mais dangers particuliers & propres de chaque état. La folitude même n'en eft pas exempte , & les anachorètes ont eu à combattre pour mettre à couvert leur innocence , & pour fe détendre des attaques ils ont été expofés. Encore n'y ont-ils pas toujours réuffi ; &. combien de fois l'Eglife a- t-elle vu fes plus brillantes lumières s'é- teindre, & pleuré la chute de ceux qu'elle fe propofoit de mettre un jour au rang «e fes Saints ? Mais du reile , félon le

D U M A R l A G e; 8l;

fentiment univerfel des Pères & des Maîtx-es de la morale , s'il y a par-tout des dangers , on peut dire qu'un des états les plus dangereux , c'eft le ma- riage. En voici la preuve : parce que dans le mariage il faut concilier âes chofes dont l'accord eft très - difficile , qui ne fe trouvent prefque jamais en- femble , qui dans l'eftime commune des hommes paroiffent incompatibles , & fans^ lefquelles néanmoins il n'eft pas poiTible d'être fauve. Car il s'agir d'ac- corder la licence conjugale avec la con- tinence & la chafleté , une véritable 6c intime amitié pour la. créature avec une fidélité inviolable pour le Créateur, un foin exaft & vigilant des affaires temporelles , avec un détachement d'ef- prit & un dégagement intérieur des .tiens de la terre. Tout cela, fur quoi fondé ?^ toujours furies mêmes qualités du mariage , qui fervent de fond à tout ce difcours.

^ Prenez garde en effet , Chrétiens ; s il y a quelque chofe qui rend l'incon- tmence des mariages plus criminelle de- vant Dieu , c'eft la dignité du Sacrement ; & cependant rien de plus fujet que le mariage aux excès d'une paffion fans rè- gle & fans retenue. Qu'eft-ce qui porte plus fortement une femme Sl qui l'o- blige même à prendre avec plus de zèle ^ tous les intérêts d'un mari , & à cher- cher les moyens de lui plaire ? n'eft-ce

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Si S U R L' É T A T

par cette étroite fociété qu'il doit y avoir entre l'un & l'autre ? Mais n'eft-ce pas aufïï d'ailleurs ce méire zèle pour un époux, cette même attache qui la me: dans un péril évident d'abandonner en mille rencontres les intérêts de Dieu , & de déplaire à Dieu ? Enfin , il t'aut qu'un père & une m.ere aient de la vigi- lance & du foin pour établir leur m.ai- fon , & fans cela ils ne latisfont pas ?n devoir de leur conicience , puiiqu'i's font les tuteurs de leurs enfants , C<. qu'après leur avoir donné la vie , ils leur doivent encore l'entretien & l'édu- cation. Or dites-moi fi cette vigilance , fi ce foin d'établir une famille , de placer àes entants^ de leur laifler un liérit:,ge qui leur convienne Ôc qui puiiïe les ma'-n- îenir dans la condition ils font nés, n'eft pas la plus dangereufe de toutes les tentations ; fi ce n'eft pas le prétexte le plus fpécieux & le plus fubtil pour au- îorifer en apparence toutes les injufîices que fuggere une avare cupidité , &: pr.r conféquent fi ce n'eft pas une occafion continuelle Se toujours préfente de fe perdre ? Reprenons: & vous ,mies chers Auditeurs, que votre étatexpofe à tart de périls , ouvrez au moins les yetîc pour les appercevoir & pour apprendre à vous en préferver.

Le premier , c'eft Tincontinence des mariages : le m.'en tiens à cette parole , & ce n'eft méiTie qu'avec peine' que 5*3

DU Mariage. B%

l'ai k'iiïée échapper. Saint Jérôme écri- vant à une Vierge , & l'initriiifant des devoirs du célibat elle faifoit pro- feffion de vivre , ne craignoit point de s'exprimer en certains termes dont elle pouvoit être bleuée : pourquoi ? C'eft , lui difoit ce faint Dodeur , que j'aime mieux me mettre au hafard de vous parler avec un peu miolns de ré- ferve , que de vous cacher des vérités qui concernent votre lalut : MjIo vsrc- HUron\ eundiâ periclïtari , <juàm veritate. Peut- être avoit-il raifon de s'expliquer delà forte dans une lettre : mais ici, Chré- tiens , dans cette chaire évangélique , je dois fans altérer la vérité ufer de la fage précaution que demande la dignité de mon miniftere. Vous favez ce que la Loi chrétienne vous ordonne - &1 ce ' qu'elle vous défend ; ou fi vous ne le favez pas , tout ce que je puis vous dire , c'eft qu'il vous efl: d'une extrême importance de vous en inftruire , puif- qu'il y va de votre falut ; c'eft "que le mariage eft un état de chafteté Ôc de continence, aufli - bien que le- célibat'', quelque différence qu'il y ait d'ailleurs entre l'un & Tautre ; c'eiï qu'il y a dans le mariage des lois établies de Dieu, & qu'il n'eft pas permis de tranfgreffer* c'eft que tous lès défordres qui s'y' c^Dm- mettent, bien-loin d'être excUfés & ëii quelque-manière juftiiiés par le Sacré"-» cient , tirant ik^'inêmQ iine malice

D vj

^4 Sur l'État

<Scunecîifforrriité toute particulière ; c'eii .^ue vous avez fur cela une confcience ^uil faut écouter & qui vous jugera Rêvant Dieu ; enfin , félon la penfée de ^aint Jérôme , c'eft que de trois efpeces <le chafteté , favoir celle de la virginité, celle de la viduité & celle du mariage, ia chafteté conjugale , quoique la plus imparfaite , eft néanmoins la plus diffi- cile : pourquoi ? parce qu'il eft bien

^' UA^'^^ ' ^'^ ^^ ^^^"^ Doaeur, de sabttenir entièrement, que de fe mo- dérer , Si de renoncer abfolument à la chair, qui eft votre ennemi domefti- que , que de lui prefcrire des bornes Se ce ia réprimer : la virginité, ajoute le même Père , en fe confervant , triomphe prefque fans combats ; à peine connoît- eile le danger , parce qu'elle le fuit Se qu elle s'en tient éloignée : on peut dire par proportion le même de l'état de viduité : mais il en va tout autrement à i égard de la chafteté conjugale ; entre «Ile & l'impureté il n'y a qu'un pas à faire , mais ce pas conduit au crime & jufqu'à la damnation.

A ce premier danger un autre encore le trouve joint , c'eft celui de la fociété anutuelle. Comprenez-le : car l'effet de cette focieté doit être une union des cœurs fi parfaite , que pour un époux l'on foit diipofé à fe détacher de tout , à quitter tout , à ficrifier tout , mais avec f «ttç exception fi çlélkate ôc ii rare , qu«

DU Mariage. 9f

Tamour conjugal ne l'emporte pas fur l'amour de Dieu ; que l'époux & l'époufe foient tellement attachés l'un à l'autre , qu'en même temps ils foient l'un 6c l'autre encore plus étroitement atta- chés à Dieu ; qu'une femme difpofée 3 fuivre toutes les inclinations raifonna- bles d'un mari, ait d'ailleurs la force de lui réfifter quand il s'agit de fuivre fes pallions , de participer à fes défordres, de prêter l'oreille à fes difcours médi- fants ou impies , d'entrer dans fes ref- fentiments , de féconder fes vengeances, Ainfi j que cet époux ait reçu une in- jure , qu'il ait été offenfé ÔC outragé , il vous eft permis d'en être touchée , de partager avec lui fa peine, de lui pro- curer toute la fatisfadion convenable : vous le pouvez , & même vous le de- vez. Mais d'aller au delà , de prendre fes animofités &. fes haines , de Tau- torifer dans fes emportements & fes violences , de condefcendre à tout ce que lui infpire un cœur aigri & animé , ce n'eft point agir en femme chrétienne ; ce n'eft point une vraie fidélité , & Jefus - Chrid: , en inftituant le mariage dans fon Eglife , n'a point prétendu qu'il fervît à fe faire un crime, propre du crime d'autrui. De même que ce mari ou ambitieux ou intéreffé forme d'in- -juftes defteins , & qu'il veuille contre le droit &. la bonne foi vous engager dans fes emreprifes , c'eft .là qu'avec uaj^

^6 SuRL^'ÉTAt

fainte afTurance, il faut tenir ferme & s'oppofer à l'iniquité. Mais je lui dois obéir : point d'obéilTance qui lui foit due au préjudice de la loi de Dieu : mais il s'éloignera de moi ; fa difgrace alors vaudra mieux pour vous que fon eftime : mais la paix en fera troublée ; vous aurez la paix de la confcience , & elle vous fuffira : mais il cherchera toutes les occafions de me chagriner ; vous profi- terez de vos chagrins pour pratiquer la patience , & Dieu du refte vous confo- lera : mais le moyen enfin de fe foute- nir toujours dans cette fermeté inébran- lable & de ne fe démentir jamais ? cela n'eft pas aifé , j'en conviens, mais c'eft pour cela même que je vous l'ai propofé comme un des plus grands dangers de votre état.

Et voilà ce que vouloit dire S. Pauî , écrivant aux Corinthiens , lorfqu'^il fai- foit confifler le bonheur des Vierges à n'être point partagées entre Dieu & le •monde ^ à n'erre point chargées de l'obli- gation & du loin de plaire aux hommes , mais feulement à Jefus-Chrift , l'époux ' Cor ^^ Is^i'S âmes : Et mulier innupta & virgo ç\ j^ ' cogitât quœ.Dominifunî: Au lieu, ajou- toit-il , qu'une femme eft toujours en peine comment eUe fe maintiendra tout à la fois & dans la grâce de fon mari & dans celle de fon- Dieu , fe trou- vant obligée , autant qîiM lui' eft pof^ 'iii>ie co.nteftter l'ar^ ik 'l'autr-e , ^i ne

D U M A R I A G E. ^f

fâchant néanmoins en mille rencontres comment y réufTir , ni par les accor- der ; tellement qu'il faut par une trifte r.éceffité qu'elle renonce l'un pour l'au- tre, qu'elle abandonne l'un pour s'atta- cher inviolablement à l'autre ; & c'efl ce qui la trouble, ce qui divile fon cœur, ce qui lui remplit l'efprit de penfées, de vues , d'affeôions toutes contraires , ce qui la tient en de continuelles perplexi- tés , & quelquefois dans les plus cruelles incertitudes : Qu^ autem nuvta eji , cogi- Uldi t.zt quczfunt mundi , quomodb phceat viro ; d'autant plus dangereufement expofée, que la préfence d'un mari avec qui elle vit , & l'intérêt de le ménager , font plus . d'im.prefîîcn fur elle. Si peut-être à cer- tains moments la réfolution eft plus forte & la grâce plus abondante , elle écoute la confcience & fe maintient dans le devoir , qu'il efl à craindre que cette confcience toujours combattue par l'occafion ne vienne enfin à fe relâcher avec le temps & à céder 1 n'eft-ce pas ainfi qu'une molle complaifance a perdu tant de femmes & tous les jours en perd tant d'autres? Elles étoient deleur fond & par leur penchant douces , patientes , équitables , droites , régulières ; mais un homm.e' infatiable & avare, colère &C vindicatif, fenfuel & voluptueux, les a rendues complices de fes frnudes & de fes averfions , de fes excès &. de fes plus. ''>'^ «t hontetifes cupidiiés. " - '*

88 Sur l' ÉTAT

Que dlral-je , ou que ne me refte-t-Vi point à dire d'un dernier danger que porte avec Toi le foin d'une famille & l'éducation des enfants ? Il eft certain , 6c je vous l'ai déjà fait affez entendre, que 1 éducation de vos enfants vous en- gage par devoir & par état à vaquer aux affaires temporelles ; mais il n'eft pas moins vrai que cet engagement eft un écueil il eft rare de ne point échouer ; & qui ne voit pas l'extrême difGculté qu'il y a de concilier enfemble le foin des biens de la terre 6c le dé- tachement de ces mêmes biens ? Selon l'Evangile , fi vous négligez de pour- voir vos enfants d'une manière con- forme à leur condition , vous vous rendez coupables devant Dieu ; & fi d'ailleurs, afin de pourvoir vos enfants, vous vous laiffez emporter au defir & à l'amour des richeffes , il n'y a point de falut pour vous. Dans le mariage , H ne vous eft pas permis comme aux autres d'abandonner toutes chofes pour fuivre Jefus - Chrift : ce n'eft point votre perfeftion ; il faut que vous poffé- diez, que vous conferviez , & même que vous travailliez raifonnablement à acquérir : mais en pofTédant , en con- fervant , en acquérant , il faut préfer- ver votre cœur de toute affe<^ion ter- reftre. Ainfi vous le dit Saint Paul ; i. Cor. écoutez-le : Hoc itaque dko , fratres , *♦ rdiquum eft , ut ^ ^uï hahint uxons ^

DU Mariage. S9

tanquam non habentes fint ; & qui emunt ^ tanquam non pojfidentes ; & qui utuntur hoc mundei\ tanquam non utantur. Voilà, mes frères , diloit ce grand Apôtre, ce que j'ai à vous intimer de la part de Dieu : favoir que parmi vous ceux qui font engagés dans le mariage , aient l'efprit & le cœur auffi libres que s'ils étoient pleinement maîtres d'eux - mê- mes ; que ceux qui vendent & qui achètent , le faffent comme s'ils ne poflédoient rien ; & que ceux qui ont la difpoiition des biens de ce monde , en ufent comme s'ils ne leur apparte- noient pas : pourquoi cela ? parce que la figure de ce monde pafle , pourfui- Toit le Doé^eur des Gentils : Prœterit m^^ Mnitn figura hujus mundi. Et moi , j'ufe ajouter , en vous appliquant cette mo- rale , parce que le foin que vous pou- vez & que vous devez avoir des b jns de ce miOnde , ne vous difpenfe en aucune forte de robligatlon d'y renoncer de cœur & de vojonté. Jefus Chrift en a fait une loi générale pour tous les hommes, & cetre loi , dit Saint Chryfoftom.e , ne pouvant s'entendre d'un renoncement réel 6c effedif , il faut par néceiïîté l'in- terpréter du renoncement de Tefprit , Qui non renuntuit omnibus. C'eft-à-dire, Luc Chrétiens, que quand le Sauveur des c '^ hommes prononçoit cet oracle , il parloit pour vous aufTi- bien que pour moi : avec jcette différence néanmoins , qu'en vou*.,

fry Sur l' État

faifant ce commandement , il vous obîî- geoit à quelque chofe de plus difficile que moi : car il vouloit que ce déta- chement intérieur ne vous ôtât rien de toute la vigilance néceiTaire pour la confervation de vos biens & pour l'en- tretien de vos familles : or de joindre l'un & l'autre enfemble , c'eft ce que j'appelle la vertu héroïque de votre état, ^t comment en effet , me direz-vous , atteindre à ce point de pauvreté évangé- iique? A cela je vous réponds ce que répondoit Jefus-Chrift lui-rnême fur un fujet à peu près femblable : la chofe eft impoffible aux hommes , mais elle ne l'eft pas à Dieu ; el'.e eft impoiTible à ceux qui s'ingerant d'euXnnêtT.es ôc fans la grâce de la vocati-on dans le mariage , ou qui l'ayant , cette grâce , n'en font pas l'ufage qu'ils doivent ; mais à ceux qui y font fidelles tout devient poffible. Abraham vécut dans le même état que vous , il eut une maifon à foutenir com- nie vous , il pofféda de plus grands biens que vous , & jamais ces biens périiTa- bles n'excitèrent le moindre defir dans fon cœur , 6c n'y allumèrent le feu de la convoitife.

Quoi qu'il en foit , vous connoilTez , ines chers Auditeurs , les obligations du mariage , vous en favez les peines , vous n'en ignorez pas les dangers , & par conféquent vous voyez combien il vous importe d'y cire écUirés , conduits,

DU Mariage. ^t

fecourus de Dieu ; c'eft-à-dire , combien il vous importe de n'y entrer que par le choix de Dieu , & d'y attirer fur vous la grâce de Dieu. Mais (i cen'efl pas par cette vocation divine que je lai em- biafTé, n'y a-t-il plus de reffource pour moi , &. que terai-je ? Vous ferez ce que fait le pécheur pénitent : en fe con- vertiflant à Dieu , il répare par la grâce de' la pénitence ce qu'il a perdu en fe dépouillant delà grâce d'innocence ; de même vous réparerez après le mariage le mal que vous avez commis en vous engageant ^ans le mariage ; ôc puifque vous n'avez pas eu les premières grâces de cet état , vous aurez recours à Dieu , pour obtenir les fécondes : car Dieu a de fécondes grâces pour fuppléer au défaut des premières ; & c'eft dans ces fécondes grâces que vous devez mettre votre confiance : cependant parc$ qu'elles font plus rares & moins abon- dantes quand elles n'ont pas été précé- dées des autres, ce qui vous refte, c'eft de veiller avec plus d'attention fur vous- mêmes , de vous appliquer avec plus de zèle à tous les devoirs d'un état Dieu veut maintenant que vous perfévé- riez , de concevoir un repentir plus vif & plus amer de l'égarement vous êtes tombés par votre faute, de redoubler fur cela vos vœux , & de crier plus fortement vers le Seigneur : Ah 1 mon Dieu , lui direz-vous, comme le fiere de JàCob

)2 Sur l*Êtat du Mariage.

à Ifaac , après avoir perdu fon droit d'aînefTe , n'avez-vous pas plus d'une bénédidion , & le tréfor de vos grâces Cenef, n'eft-il pas infini ? Num unam tantHLin ♦• *7* benediHionem habes , pater ? 11 eft vrai , Seigneur , je me fuis écarté de ma route , en m'écartant de celle que vous m'aviez marquée ; car c'étoit proprement ma route, c'étoit mon chemin : mais m'a vez- vous pour cela rejeté , & votre provi- dence manque-t-ellc de moyens pour réparer la perte que j'ai faite r Jetez , rr^on Dieu , jetez encore un regard favorable fur rnoi , &L ne m'abandonnez pas à moi-même , lorfque je veux défor- mais m'abandonner pleinement à votre Jhidcm, conduite : Mihi quoque objetro ut bene" dicis. Il vous écoutera , mon cher Audi- teur , & par un retour de fa miféri- corde, il prendra pour vous de nouvelles vues de prédeftination , &: vous fera arriver au falut éternel , que je vouê fouhaite, &c.

9f

SERMON

POUR LE TROISIEME DIMANCHE

APRÈS L'EPIPHANIE.

Sur la Foi,

Et dlxit Jefus Centurioni : Vade , & ficut credidifti fiât tibi.

/«/m* i\t au Centurion : AUe-^ , Cf qu'il vous foii fait félon que vous ave\cru. En S. Matthieu | chap. 8.

N'Est- IL pas furprenant que le Sau-»^ veur du monde, au lieu d'attribuer les miracles de fa toute-puiflfance à fa toute-puifbnce même & à la vertu fou- veraine de Dieu , les ait communément attribués dans l'Evangile à la foi des ho'mmes ? Puiflant en œuvres & en paroles , il délivroit les poiTédés , il gue- rilToit les malades , reflufcitoit les morts; niais quoiqu'il pût bien au moins itA

f4 SurlaFot.

réferver la gloire , tandis qu'il en laKToMt aux autres l'avantage , il la donne encore toute entière à la toi ; comme fi la foi feule eût opéré par lui ce que lui feul il opéroit pour la foi. Allez, di:-il, dans notre Evangile, & qu'd vous foit fait félon votre foi : f^jde , & ficut credidifti fiât tibi. C'eft la réponfe qu'il fait à ce Centurion quilui vient demander laguérifon defon fervitear frappé d'une mortelle paralyfie , & c'eft la réponfe qu'il a faite en tant d'autres occafions 6i fur tant d'autres fujets : par-tout admi- rant la foi , lui qui ne devoit rien , ce femble , admirer; par-tout exaltant, la foi, par-tout publiant la force &. l'efficace de la foi, par-tout faifant entendre qu'il ne pouvoit rien refufer à la foi : Vude , 6* Jicut credïdïfti fiât tïbi. C'eft de même «que les hérétiques des derniers fiecles ont prétendu tirer cette faufle confé- quence , que tout l'ouvrage & toute l'affaire du falut de l'homme roulent uni- quement jur la foi : erreur que l'Eglife a frappée d'anathême , & qui va direc- tement à détruire dans le chriftianifme la pratique & la néce(ruc des bonnes oeuvres. Mais moi , mes chers Auditeurs , fans donner dans une telle extrémité, je tire de mon Evangile un fujet beau- coup plus folide,&quifertde fondement à toute la morale chrétienne : &: m'atta- chant à ces paroles du fils de Dieu : Qu'il ^ows foit fait comme vous avez cru ^

Sur Foi. ff

'Sicutcredidifîifiattibi, je veux vous parler des vrai* effets de la foi par rapport au falut. C'eft dans Marie que cette vertu a fait éclater tout fon pouvoir, puifque c'eft par la foi que Marie conçut le Verbe divin. Adreffons-nous à elle, ÔC. difons-lui : Ave Maria.

DE quelque manière que je prétende ici m'expliquer , Chrétiens , mon deffein n'eft pas de chercher des tempéra- ments , pour concilier l'opinion des héré- tiques de notre fiecle avec la do6^rine de l'Eglife , touchant l'eaicace & la vertu de la toi , puifque faint Augudin m'ap- prend qu'entre l'erreur & la vérité il n'y a point d'autre parti que la confef- fion de l'une & l'abjuration de l'autre. L'opinion , difons mieux , Terreur des hérétiques de notre fiecle , eft que la foi feule nous juftitie devant Dieu ; que nos bonnes oeuvres , quelque parfaites qu'elles foient , ne contribuent en rien au falut ; que la vie éternelle ne nous eil point donnée par titre de récompenfe , mais par forme de fimple héritage ; héritage que nous pouvons mériter , & dont nous prenons polTefîion fans y avoir acquis aucun droit. Tel eft le langage de l'héréfie ; mais voici celui de la foi même. Car il eft de la foi , que la foi feule ne fuffit pas pour nous fauver ; il eft de la foi , que nos bonnes œuvres doivent faire une partie d^

^ Sur la Foi;

notre juftlfication ; il eft de la foi qu'efî vertu de ces bonnes œuvres nous acqué- rons un droit légitime à la gloire que Dieu nous prépare, & que cette gloire , par un effet merveilleux de la grâce de Jefus-Chrift , eft tout à la fois , comme s'exprime faint Auguftin , & le don de Dieu , & le mérite de l'homme.

Cependant , Chrétiens^ fans m'en- gager dans une controverfe qui ne convient ni au temps ni à rafTemblée je parle , j'avance deux propofi- tions non-feulement orthodoxes , mais inconteftables , & qui vont partager ce difcours : favoir que c'eft la toi qui nous fauve , première propofition ; ÔC que fouvent aufîi c'eft la toi qui nous condamne , féconde propofition. Elles femblent l'une 6c l'autre contradic- toires : mais la contradi6Kon apparente qu'elles renferment me donnera lieu de vous développer les plus beaux prin- cipes & les plus grandes maximes de la Théologie fur cette importante matière. Le jufte fauve par la foi , & le pécheur condamné par la foi. Le jufte fauve par la foi , parce que c'eft fur-tout de la foi que vient notre juftjfication : vous le verrez dans la première partie. Le pécheur condamné par la foi , parce que la foi fans les œuvres devient contre iui un titre de réprobation : je vous le ferai voir dans la féconde partie. Com- mençons.

Ceft

Sur LA For. 97 '

C'EST la foi qui nous fauve : cette I^ vérité nous eft trop expreiTément Part; marquée dans l'Ecriture pour en pouvoir douter ; mais le point efl: de favcir comment & en quel fens il efl vrai que la foi nous fauve. Sur quoi je dis que la foi nous fauve 3 en deux manières , & comme perfection de nos bonnes ceuvres , & comme principe de nos bonnes œuvres ; comme perfe6lion de nos bonnes œuvres , parce que c'efl fur- tout de la foi que vient aux bonnes oeuvres que nous pratiquons leur efficace & leur prix ; comm.e principe de nos bonnes œuvres , parce que c'eft de la foi . que nous vient à nous-mêmes cette fainte ardeur qui nous porte à les pratiquer. La fuite vous fera entendre ces deux penfées. Appliquez-vous à l'une & à l'autre.

De quelque forte que les Théologiens expliquent le myftere de la juftification des hommes , il eit toujours vrai , com.me i'Ecriture nous Tenfeigne , que c'eft de la foi que nos allions tirent leur prix & leur efficace devant Dieu , & par confé- quent que la foi eft comme la perfeclion de nos vertus & de toutes nos bonnes ceuvres. Je ne puis être fauve ni pré- tendre aux récompenfes de Dieu , que par le mérite des bonnes œuvres , vérité tondante ; mais je dois auffi reconnoitre que mes bonnes œuvres ne peuvent avoir ^de mérite devant Dieu que par la foi^

^8 SurlaFoi.

c'efl la foi qui doit leur imprimer ce fceau de la vie éternelie que S. Paul Rom. appelle excellemment ^Signaculumjujîitice ^' ^' fidei. Et de même , dit S. Chryibftome , qu'une pièce de mcnnoie qui n'auroit pas la marque du Prince , quelc^ue précieufe qu'elle fût d'ailleurs , ne feroit cenfée de nulle valeur 6c de nul ufage dans le commerce : ainfi quoi que je faffe d'honnête , de louable & même de grand & d'héroïque , fi je ne le fais dans l'efprit de la foi , & fi tout cela ne porte le caradere de la foi , je ne m'en dois rien promettre pour le falut. Voilà , Chrétiens, ce qui de tout temps a pafTé pour inconteftabie dans notre religion, & ce que nous devons établir pour règle de toute notre conduite ; voilà ce que l'Apôtre prêchoit aux Juifs avec tant de zèle; voilà ce que S. Auguftinprouvoit aux Pélagiens avec tant de force & tant de folidité ; voilà ce que les Pères de l'Eglife remontroientfans ceffe aux hérétiques de leur fiecle,& voilà ce que les Prédicateurs de l'Evangile doivent encore aujourd'hui 6c plus que jamais faire comprendre à leurs Auditeurs, que fans la foi, je dis fans une foi pure , fmcere, huçnble, obéiilante, tout ce que nous faifons nous eft inutile par rapport à l'éternité bienheureufe.

Prenez garde, Chrétiens, Scfuivez- moi. Les Juifs fe confioient dans les œuvres de la loi de Moïfe , c'eft-à-dire, dans les facrifices <jui leur étoiept ordonnés ;.

SurlaFoi. 99

€< pourvu qu'ils robfervafTent fîdéle- ir,ent & inviolablement cette loi , ils s'aiTuroient que toutes les promeiTes faite« à Abraham dévoient s'accomplir dans eux. Vous vous trompez, mes Frères, leur dilbit S. Paul : ce n'ed point U pratique de votre loi qui vous fauvera, c'eft la foi de Jefus-Chrift. Vous avez beau immoler des vi6limes , vous avez beau vous purifier, vous avez beau faire profeffion d'un culte exaiSl & religieux; fi toutes ces obfervances & toutes ces cérémonies ne font fanâifiées par la foi , vous ne faites rien : c'efi: par la foi que vous avez été juftifiés , & c'eft la foi qui doit vous donner accès auprès de. Dieu : Jujlificati ex fide, Ainfi leur Ro^n. parloit cet homme apoftolique. Les <=> ;* 'Pélagiens faifoient fond fur leurs bonnes ceuvres naturelles, & fe perfuadoientque Dieu y avoit égard dans la diftribution de fes grâces , 6c que la raifon pourquoi il appelloit les uns & n'appeiioit pas- les autres , pourquoi il choififtoit les uns préférablement aux autres, étoit que les uns fe difpofoient avec plus de foin qui les autres , par les bonnes œuvres de la nature , à recevoir cette grâce de vocation & de choix. Et il faut avouer avec S. Profper , que cette erreur avoit quelque chofe de fpécieux : mais c'étoic une erreur, & S. Auguftin fut fufcité de Dieu pour la combattre & la détruire. JÈfpn, mes Frères, reprenoit ceDodeuç

P r O p : Ç ;^J o f

ïoo Sur la F ô r;

incomparable , il n'en va pas de la fortes ces bonnes oeuvres naturelles fur quoi vous vous appuyez , n'ont aucun effet pour le falut ; ce n'efl point ce qui engage Dieu à nous accorder fa grâce , & jamais il ne nous en tiendra compte dans l'étçrnité : c'eft à la foi qu'il a attaché tout le mérite de notre vie , & fans la foi rien ne nous peut conduire à lui. Enfin les hérétiques prefque de tous les fiecles ont tiré avantage de leurs bonnes œuvres ; & par une aveugle préfomption , fe font flattés de vivre dans leur fecle plus faintement que les Catholiques , d'être plus réformés qu'eux, plus aufteres qu'eux, plus adonnés aux exercices de la charité &L de la pénitence qu'eux ; & à n'en juger que par l'extérieur , peut-être ont-ils eu quel- quefois fujet de le prétendre. Mais parce que leur foi n'étoit pas faine , les Pcre\ leur répondoient toujours que c'étoit en vain qu'ils fe glorifioient ; qiie toutes ces oeuvres de piété, quoiqu'édatantes, lî'étoient que des œuvres mortes , leurs vertus que des phantômes , Ôc que de fécondes qu'elles euflent été avec la foi, elles devenoient fans la foi des arbres flérlles : qu'il n'y avoit que le champ de l'Eglife l'on pût efpérer de cueillir de bons fruits '. que quiconque femoit ailleurs que dans ce champ , perdoit de diffipoit ( car je ne me fers ici que de leurs exprefTions) : que c'était

Sur la Foi. ioï

dans cette Egllfe univerfelle , & par conféquent dépofitaire unique de la vraie , foi , que Dieu , félon le témoignage de David, voufoit être loué : Apud te laus Pf,2.t. mea in EccLe/ïâ ma§nâ : que hors de il n'y avoit ni louanges ni prières qu'il écoutât , & que quànd un homme dont la foi fe trouvoit corrompue, ofoit paroitre devant les autels pour s'acquitter d'un devoir de religion , c'étoit à lui particulièrement qu'il adreffoit ces ter- ribles paroles : Quare lu enarras juflitus Pf, 4^* meas , & afjumïs tejlamentum meum per es tuurn ? Pourquoi t'ingères- tu à fanc- tifier mon nom ? & pourquoi n'ayant pss la foi de mes ferviteurs , entreprends- tu de me rendre des fervices que je ne puis agréer ? Que les bonnes œuvres féparées de la foi , bien - loin d'être aux fedateurs de l'héréfie un fonds de îHérite , feroient plutôt devant Dieu un fujet de confufion , puifque Dieu non- fculement ne leur fauroit nul gré d'avoir fait le bien qu'ils faifoient en ne croyant" pas ce qu'ils dévoient croire, mais qu'il les jugeroit même avec plus de rigueur, pour n'avoir pas cru ce qu'ils dévoient croire en faifant le bien qu'ils faifoient : Ac per hoc , folo Dd meoque judicio , ces ^^g» paroles font remarquables , non folùm mïnîis laudaniï funt , quli fe continent chm non credant ; fed etiam multb m agis vitupcrandi , qui.: non credunt , chm fe. çpntuuantt £n uft mot , que dans le Chiil-

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302 Sur la Foi.

tranifine ce n'étoit point abfolument par la iubftance des œuvres , mais par la qualité de la foi que Dieu faifoit le difcer-

llU^m. nement des juftes : Deus quippe nofter & fapiens judex jujios ah injuftis , non operum , fed ipfius fidei Ic^e difcernit. Tout cela eft de laint Auguflin -; d'où il concluoit qu'un Chrétien , qui dans fa condition pratiqueroir tout ce qu'il y a de plus faint & de plus parfait , mais qui n'auroit pas l'intégrité de la foi , avec toute fa perfe61ion & fa prétendue fainteté , f3roit éternellement l'objet ds

Ibidem, la réprobation divine, Per quam dïfcrc iionem fit , m h&mo injuriarum patient tïjjîmus , deemofynarum larpjjimus , fi non reclam fidem in Deum kabet , cum fuis ïfiis laudabilibus moribus , ex hâc vita damnandus ahfcedat.

Tel étoit , mes chers Auditeurs , le langage de ces grands hommes que Dieu jK)us a donnés pour maîtres , &L voilà la fource de l'affreux défordre font tom- bés tant d'efprits fuperbes & féduits par le démon de l'infidélité. Ah î Chrétiens , qui le pourroit com.prendre & s'en for- mer une jufte idée ? qui pourroit dire combien , par exemple, l'héréfie feule de Calvin a détruit de m.érites , a ruiné de bonnes œuvres , a corrompu de vertus , a fait périr devant Dieu de fruits admi- rables que la grâce devoit produire , ÔC que la vraie foi auroit vivifiés ? Car enfin , reconnoiiTons-le ici , quand ce ne feroiî

Sur la Foi. îôj

^ue pour adorer la profondeur impéné- trable des jugements de Dieu; avouons- le de bonne foi , & par le témoignage que nous rendrons à une vérité qui ne nous intérefle en rien , convainquons- iious fenfiblement & efficacement d'une autre il s'agit du tout pour nous. Dans cesfe£tes malheureufes que l'héréfie 6c le fchifme fufcitoient , il y a eu du bien au moins apparent : aujiiilieu de cette ivraie, l'ennemi même qui l'avoit femée affec- toit de faire paroitre de bon grain ; on y voyoit des hommes modefles , chari- tables , abdinents : mais notre religiott nous oblige à croire que parce qu'ils ne portoient pas fur le front ce figne du Dieu vivant, c eft-à-dire, le figne de la' foi 5 quelques merveilles qu'ils fiiTent , Dieu leur difoit toujours : Je ne vous connois point. Ils priaient , mais leurs prières étoient réprouvées ; ilsjeûnoient, mais Dieu méprifoit leurs jeiines : & s'ils ^^ufFent penfé à s'en plaindre & à lui ert demander raifon , s'ils euffent dit, comme les Juifs : Quare jejunavimus , & non afpc- Ifah xifli ; huTTiiliavimus animas no/iras , & ^' 5^» nefcijli? ! Seigneur, pourquoi avons- nous jeûné , fans que vous ayiez jeté les yeux fuf nous ; & pourquoi nous fom- mes-nous humiliés en votre préfence , fans que vous l'ayiez fu , ou que vous ayiez paru le favoir ? Dieu toujours jui^e 6l toujours fur de la juftice de fon pro- cédé, leur eût fait cette réponfe , pleins

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104 Sur la Foi;

de raifon & d'indignation tout enfemble ï £cce in die jejunii vefiri invenitur voluntaS' vefira : C'eft que malgré vos abftinences & vos jeûnes , j'ai découvert votre orgueil, votre opiniâtreté , votre rébel- lion , une volonté & une dirpofition de cœur toute oppofée à cette obéifTance de TeTprit qu'exigeoit la foi de mon Eglife :

Ihidem. Ecce in die jejunii veflri invenitur voluntas vcjlra : réponfe quilesauroit confondus. Et en effet , quand au moment de la tBort ils dévoient être jugés de Dieu , ils venoient à lui produire leurs bonne* ceuvres , mais leurs bonnes œuvres faites dans l'héréfie , Dieu , tout porté qu'il ' cft à réccmpenfer , fe vcyoit comme forcé de les rejeter & de leur prononcer par la bouche d'un autre Prophète ,

Aggc.t.tnûe & redoutable arrêt : Seminaftis mulium intuliflisparum ; il eft vrai , vous avez beaucoup femé , mais le comble de votre mifere eft que vous n'avez ihid. rien à recueillir : Refpexiflis ad amplius , & ecce fi^inn eft minus ; vous avez cru gagner bien plus que vos frères qui fji- voient avec fimphcité la route commune de la foi , mais en pourfuivant un gaia chimérique , vous avez perdu le gain rée! Ibld, & folide que vous pouviez faire : Intu~ lijiisin domuniy & exfuffluvi illud ; vous avez fait un amas & un tréfor , mais c'étoit un amas de poufliere que le vent a emporté & diflipé. Et pourquoi tout cela, ajoute le Seigneur ? Quant ob iaufam.

Sur la Foi. lOf

'(fixît Dominus exercituum ? Ecoutez-en , Ib'Jeém Chrétiens , la raifcn : Çliûn domus mea Ihïicm, ■defcrta eji , & vos feftinajîis unufquifque. in domum fuam : C'eft que vous avez abandonné ma maifon qui eftrE^life , 6c <jue vous vous êtes retires chacun dans Yos maîfons particulières ; c'eft que vous vous êtes fait des églifes à votre mode , que vous vous êtes laiffés aller à des nouveautés , que vous avez écouté des maîtres & des Do<£^eurs que je n'auto- riibis pas , & que par une iiifidélJLté tizarre &i capricieufe vous avez préféré . leurs fentiments & leur conduite à la règle univerfelle que j'avois établie. Voilà , difoit Dieu par fon Prophète ,• voilà le ver qui a gâté toutes vo© œuvres. Or , Chrétiens , ce que Dieu difoit alors , nous pouvons bien encore le dire maintenant & nous l'appliquer à nous- mêmes. Car quoiqu'il n'y ali point d'héré- tiques déclarés , parmi les Catholiques mêmes , ou plutôt parmi ceux qui en portent le nom , vous favez combien il y en a dont la foi nous doit être au moins très-fufpecie, parce que ce n'eft p^s une foi pure & entière, ils n'ont pas, ce femble quitté l'Eglife : mais on peut être extérieurement dans TEglife , 6c n'avoir pas la foi de l'Eglife : on peut être dans la communion du corps de l'Eglife, & n'être pas dans la commu- nion de fon efprit. Ce font des gens qui

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10^ Sur la Foi.

vivent bien ; vous le dites , & la charité nrengage à le croire , malgré bien des exemples qui pourroient me rendre cette bonne vie équivoque & affez douteufe. Mais enfin qu'ils foient des anges . fi vous Je voulez, par leurs n'oeurs, qu'ils foient des martyrs ; û cependant ils n'ont pas la pureté de la toi , l'humilité de la foi , la fmcérité de la foi , la plénitude de la foi, je répondrai avec S. Paul, que dans leur vie prétendue angélique , il leur eft Behr, impoffible de plaire à Dieu : Sine fide c. u, impojfibile ejî placera Deo. Et j'ajouterai avec S. Cyprien, que ce n'eft point leur fang que Dieu demande, mais leur foi: Cypnan.^on quccrit in vobis fanguinem , fedjidem. Si nous fommes bien perfuadés , mes chers Auditeurs, de cette importante vérité , quelle eftime ferons-nous du don précieux de la foi ? Avec quel foin la conferverons-nous? Nous ne craindrons pas feulem.ent de la perdre, mais de lui donner la moindre atteinte , & pour ufer de l'expreffion de faint Arabroife , d'en altérer , en quelque forte que ce foit , la -virginité. Car ce Père confidéroit la foi comme une vierge que la plus légère tache flétrit ; & c'étoit ainfi qu'il s'expri- moit, en pariant de S. Paul & des pre- miers Chrétiens dont ce grand Apôtre Amhr. avoit la conduite : Timckat ne vïrgïni- îatem fidei amittercnt : U craignoit que J,$5 Fidel^§ ne perdiffcnt la virgirûté de

Sur LA Foi. 107

leur foi. Dans toutes les conteflations qui peuvent naître , au lieu de tant rai- fonner & de tant examiner , au lieu de fuivre ou nos préjugés ou nos intérêts , nous ne prendrons point d'autre parti que celui d'une obéiffance fiKale & d'un attachement partait à l'Eglife , c'eft- à-dire , celui qui arrête toutes les dif- putes & toutes les divifions , celui que les Pères nous ont toujours & par-deilus tout recommandé , celui qui nous pré- fervera de toutes les illuiipns & de tous les égarements, celui que Dieu bénit, il eft obligé lui-même de nous conduire , & il feroit plutôt des miracles que de nouslaiiler dans l'erreur. Nous ferons, fouvent à Dieu la même prie?-e que faifoient les Apôtres à Jefus - Chritl: : j4daugenobisjidcm: Seigneur, augmentez ^^c, ma foi, purifiez ma foi , affermiUez ma ^* '7* ior; car je fais , mon Dieu , que c'eil la foi qui nous fauve , non-feulement parce que c'eft elle qui donne le prix à toutes les bonnes œuvres que nous pratiquons, 6c qu'elle en eft comme la perfeilion , mais encore parce que c'eft elle que nous engage à les pratiquer, & qu'elle en eft le principe. Voici , Chrériens , ma penfée ; tâchez de la comprendre.

En effet, ce font deux chofes diffé- rentes que d'agir & de bien agir ; ainfi , que la toi foir une condition néceflaire pour perte^Uonner nos œuvres toutes les

Evj

loS Sur la Foi.

fois que nous ngiffons , il ne s'enfuit pa* précirément de qu'elle ait une vertu ipéciale pour nous porter à agir. Je ne puis faire des œuvres de falut Sans la toi, c'eftla première proportion que je viens d'établir ; mais cette propofition n'eft pas la même que celle-ci. Dès que j'ai la foi , je me fens animé , excité à faire toutes les œuvres du falut ; & rien n'eft plus propre à nous infpirer là-defTus cette a6livité & ce zèle que nous admirons dans les Saints, & en quoi confiée la ferveur chrétienne : or c'eft encore de cette autre manière que la foi nous fauve. Car imaginez'vous , mes Frères ( c'efl îa comparsifon de S. Bernard , & cette comparaifon eft très-naturelle ) y imagi- ïiez-vous la foi dans un ]u{\e , comme le premier mobile dans l'ucivers. Ce ciel que nous appelions premier mobile, quoiqu'inf?niment au-deffous de tous les autres cieux, ne lailTe pas de leur impri- mer fon mouvement & fon adion , & qu'au m.ême temps qu'il roule fur .nos têtes, tous les autres cieux roulent comme lui & avec lui. Si ce premier mobile s'arrêtcit , tout ce qu'il y a de globes célefles s'arrcteroient ; mais pirce que fon mouvement efl: continuel , celui des globes inférieurs n'efl: jamais inter- rompu. Il en eft de même de la foi. La foi dans une ame chrétienne & dans toutes les opérations de la grâce , eil

Sur la Foi. 109

premier mobile ; c'eft une vertu fupé« rieure à toutes les autres , enforte que toutes les autres lui font lubordonnées , & n'aglilent par rapport au falut qu'au- tant qu'elles font mues par celle - ci : tout ce que je fais pour Dieu, je ne le fais qu'en conféquence de ce que j'ai la foi & qu'à proportion de ce que j'ai de foi. Si j'ai beaucoup de foi , je fuis dès- ^ lors déterminé à faire beaucoup pour Dieu ; fi j'ai peu de foi , je deTiCure dans la langueur, &. je tais peu pour Dieu ; fi je n'ai point du tout de foi, il eft infaillible que je ne ferai du tout rien pour Dieu. Notre feule expérience nous rend cette théologie fenfiûie ; mais Saint Paul en- chérit encore , 6i va plus avant ; car non-feulement il veut que la foi foit la caufe mouvante qui ùfîe agir en nous toutes les vertus , mais il veut que ce foit elle-même qui produife en nous les a61es de toutes les vertus, & que toutes les vertus furiiaturelles 6c divines ne foient proprement que les inftruments de la foi. Vérité que le grand Apôtre faifoit entendre aux Galates en des ter- mes fi décitifs , quand il leur difoit que la foi opère par la charité : fides quœ. per GaZ^r^ charitdtern operatur, Pefez bien ces paro-*^* /* les , Chrétiens : il ne dit pas que c'eft la charité qui opère par la foi , mais il dit que c'eil la ioi qui opère par la cha- rité, qui aime par la charité, qui pardonne pur I4 ^h^riié , qui âflifce par charité »

lïO Su Pv L A F O I.

comme fi la charité n'avoit point tbnèlion qui lui tïit propre , & que tout ce qu'elle fait ou qu'elle entreprend , fût l'ouvrage de la foi. Or fi c'eit la toi qui opère quand nous aimons Dieu Si le prochain , ( deux devoirs efTeniiels toute la loi eft renfernnée ) qui doute que ce ne Toit la foi qui nous laiive ÔC qui nous jui^iîie ?

même que le même Saint Paul , par une fuite de raifonnements qui mé- rite toutes nos réflexions , ne Gifoit point difficulté d'attribuer uniquement à la foi les effets les plus merveilleux &. les plus héroïques de toutes les autres vertus ; ne reconnolffant m.ême, pour airii dire , dans le Ciiriftianifme qu'une feule vertu qui eft la foi , & confondant avec la foi tontes les vertus chrétiennes , com- me il psroit c^e Samt Auguftin -es comprencic toutes dans la charité. Mais la Théologie de Saint Paul eft ici bien plus expreiTe que celle de Saint Au- guftin ; car écoutez comment il parle dans fon excellente épitre auxHéjireu», Pour exciter notre zèle , il nous pro- pofe l'exem.ple des Patriarches de l'an- cien Teftament ; & rapportant à un feul point leur éloge , il nous dit que tout ce qu'ils ont fait de grand , ils l'ont fait par la fol : que «'eft par la foi qu'Abel présenta à Dieti plus d'hofties que Gain: fjshr. ^'^^ plurlmam hjftiam Ahel qiiùm Cain , f. Il, «iuilii Dco* Que c'oft par la- foi que

Sur la Foï. ïn

Abraham fe rèfolut à immoler lui-même fon fils : Fide obtulit J'oraham IfdJC , Ihld» cutn tentaretur : que c'ell: par la foi que Moyfe quitta l'Eeypte , & renonça au trône de Pharaon^: Fide Moyfes^ reliquit Ihld, jEgyvtum ; ainfi des autres. Mais quoi , reprend Saint Chryfortome , ne tut-ce pas l'ardente charité de Moyfe pourrie peuple Juif, qui lui fit abandonner l'E- gypte ? ne fut - ce pas la piété d' Abel & fa religion qui le rendit fi libéral en- vers Dieu , &*qui lui fit offrir tant de viaimes ? ne fut-ce pas l'obéiffance d'Abraham qui le fournit à Dieu , & qui lui fit former la généreufe rélolution de facrifier fon unique 6c fon biea- aimé? Ah! répond ce ûint Doreur, tout cela fe faifoit par la foi. H eft vrai qu'Abraham obéit à Dieu , ôc que ce fut une abéiffance plus qu'humaine ; mais c'étoit la foi qui obéUToit en lui , c'étoit la foi qui étouffoit dans fon coeur tous les fentiments de la nature , c'étoit la foi qui le rendoit faintement cruel con- tre fon propre fang : comment cela ? parce qu'il efl certain qu'Abraham ne confentit à la mort d'Ifaac , & ne fe dif- pofa à exécuter Tordre du Ciel qu'en vertu de ce qu'il crut , félon le langage de l'Écriture , contre toute créance, ÔC qu'il elpéra contre l'efpérance même : Contra fpem in fpem credidit. Ceft pour- Rom, quoi l'Ecriture ajoute : Credidit , & repu- c 4* tatum e(l lili ad jufiïtuni? Abr*.ham crut;, Iklik

ÎÎ2 S U R L A F O I.

& il fut juftifii devant Dieu. Elle ne ^k pas , il crut & de il obéit, il fortit de ia maifon , il alla fur la montagne , il dé- pouilla Ifaac, il leva le bras & il fut eniiiite iuftifié : mais elle die fimplement , il crut & il fut juftiiié , imitant en quel- que manière les Philofophes , qui fans s'arrêter à de longs laifonnements , joi- gnent la dernière conféquence avec le premier principe. Crcdid'u & reputatum ejl illi ad juflitidm ; il crut & il fut juftihé , parce qu'en effet tout le refte qui contri- bua à la juflification d'Abraham, fe trou- ve contenu dans ce feul mot , Credidit , comme dans fa fource & dans fa caufe.

C'eft pour cela même auffi que le Concile de Trente voulant nous donner une idée exa6ie de la foi , s'eft fervi de trois paroles bien remarquables , lorf- qu':l nous déclare que la loi eft le com- mencement , le fondement & la racine Conc. de notre juftification , Fides eft initium , Trid. fundamentum & radix tôt lus juflificatio' nis noflrcz. Prenez garde à ces trois diffé- rentes expreiîions , qui font tellement liées enfemble oi ont un tel rapport, que l'une néanmoins fignifie toujours plus que l'autre , puifque le fondement dit plus que le commencement , &: la racine plus encore que le fondement ; car le com- mencement eft ce qui tient le premier rang dans l'ordre des chofes : miais outre que le fondement eft la première parue par commence icdifice , c'elt

SurlaFoi. iij*

ce qui foutient & qui porte toute la iTiafle de l'édifice 4 or porter , foutenir eft plus que commencer. De même, outre que la racine eft la première partie de l'arbre , outre qu'elle foutient tout le poids de l'arbre, c'eft elle qui produit toutes les branches, toutes tes fleurs, tous les fruits de Tarbre : or produire eft plus que foutenir ; & voilà les trois caraderes de la foi. Elle eft la première de toutes nos vertus : ce n'eft pas affez , elle fert d'appui & debafe à toutes nos vertus ; cela ne fuffit point encore , elle produit dans nous-mêmes toutes nos vertus; c'eft-à-dire, Chrétiens, que fi je fuis jufte, non-feulement je commen- ce par la foi , non-feulement je me fou-, tiens par la foi , mais je n'agis &: je ne vis que par la foi, fuivant cet oracle de l'Ecriture : Ju(lus autem meus ex fide Hehrl vïvît , mon jufte vit de la foi. Ah ! la c. jo. belle qualité, m.es chers Auditeurs, que d'être le jufte de Dieu ! combieo en voit- on aujourd'hui qu'on peut appeîler les juftes des hommes , tandis qu'ils font devant Dieu des criminels & des pé- cheurs ? Mais mon jufte , dit le Sei- gneur , n'a point d'autre vie en qualité de jufte , que la vie de la foi , c'eft à cela que je le reconnois : Juflus autem meus ex fide vivit.

Et en effet , quand je vis en jufte , toute ma vie eft nécelTairenent une vie de foi y je ne délibère , je n'agis , je iie{

ÎI4 Sur L A fo r,

crains, je n*efpere , je ne recherche &je ne fuis que par le iriouvement de la foi : c'eft la foi qui me faif aimer mes enne- mis, car fans la foi je les haïrols ; c'efl la foi qui me fait haïr les plcifirs du iHonde , car fans la foi je les aimerois ; c'eftjafoiqui me fait oublier une injure, car fans la foi je me vengerois ; c'efl la foi qui me fait bénir Dieu dans les fouf- frances, qui me fait eflimer la pauvreté, qui me fait choifir une vie auflere , car fans la foi j'en aurois horreur. La foi donc eille principe de tout bien , & c'efl elle qui me vivifie , elle qui me fauve. Jujîus autcm meus ex fide vivït.

Mais fi cela efl , pourquoi dans le Chriflianifme même & jufques dans le centre de la foi , de cette foi fi répandue lur la terre , y a-t-il néanmoins aujour- d'hui tant de Chrétiens qui le damnent, & fi peu qui parviennent au falut ? Voilà, mes Frères , & il en faut convenir , voilà une 4e ces grandes difRcultés qui ont fait l'étonnement des Pères de TEglife, & fur^quoi il femble que Saint Auguflin lui-même ait héhté avec toutes les lu- mières de fon efprih Difficulté que je pourrois éluder d'abord , en conteflant le principe , favoir que la foi foit aufîi répandue dans le monde qu'il nous plaît de le fuppofcr : Non , non , dirols-je, cela ne m'efl point évident ; & pour Thon- neur de la foi même , j'aime mieux dou- ter qu'elle fgit maintenant fi commune ,

r

Su R LA F O I. ïlf

que de reconnoître qu'étant fi commi^ ne, elle produife fi peu de fruits. Dé- trompons-nous, ajouterois-je : la pré- dication de l'Evangile eit répandue dans tout le monde ; triais plût au Ciel qu'il en fût de même de la foi. Car il y a bien de la différence entre la prédica- tion de l'Evangile & la foi : l'une eft une grâce extérieure & indépendante de nous, mais l'autre eft une vertu inflife que noiîs devons conferver & cultiver- dans nous. Cette prédication de l'E- vangile, cette grâce extérieure , par une difpofiiion favorable de la Providence, eft très-commune , mais Je n'ai que trop lieu de craindre que la foi ne foit très- rare. Jefus-Chrift demandoit à fes Dif-- cipies , fi lorfqu'il viendroit , il trouve- roit encore de la foi fur la terre , ne croyant pas , dit Saint Chryfoftome , qu'il y en dût avoir alors , ou prévoyant qu'il y en auroit peu : Vcrumtamen films £„^, homïnis veniens , putas , invcniet fidem in c. i$% terra ? Or n'eft-ce pas dans notre fiecle que cette parole du Sauveur du monde commence plus que jamais à fe vérifier ? Quand même le fils de Dieu n'auroit point parlé de la forte, la vie des Chré- tiens ne feroit-elle pas plus que futfi- fante pour me faire douter de leur toi ; & du peu de ccnnoiilance que j'ai du ■^ monde , n'aurois-ie pas droit de conclu- * re , ou au moins de foupçonner , c[u'uii levain d'infidéiité , mais d'une infidélité

ïï6 Sur la Foi.

fecrette & déguifée , y caufe une cor- Tuption fi générale ? Car enfia , pourfui- vrois-je avec Saint Bernard , il eft diffi- cile que la plupart des homiries agiffent tout autrement qu'ils ne croient , & qu'il y ait dans leur conduite une con- tradi6tion auffi monftrueufe que celle de vivre comme ils vivent & d'avoir la foi. A peine cela fe comprend- il ^ & dans ce prétendu {yiïème il y a je ne fais quoi de fi violent , qu'il eu comme ïmpofTïble qu'on le puille long - temps foutenir. Quand donc je vois un Chré- tien auffi emporté , auffi Tenfuel , auffi ambitieux qu'un païen & même au-delà d'un païen ; au lieu de dire , comme on dit communément , cet homme dé- ment la toi , je dirois prefque , cet hom- me n'a plus abfolument de toi , parce que s'il en avoit , je ne conçois pas qu'il pût la démentir û univerTellement & fi conftamment, &L que croyant d'une fa- çon, il agit toujours de l'autre. Quand je vois une femme du monde tranquille dans fes défordres , libertine dans fes converfations , fcandaleufe dans fes com- merces & d-ans fes intrigues ; au lieu de dire, félon le langage ordinaire, cette femme a une foi foible & languiflante , une foi ftérile & infru6lueufe , je de- manderois & je dirois , cette femme a- t-elle encore une étincelle de foi ? parce que je fuis perfuadé qu'il n'en faudroit pas davantage pour lui donner horreur

s u R L A F o I. iiy

îde fon état , & pour l'en fa're for tir. Ainfi raifonnerois-je , & ce feroit pour l'intérêt même & pour l'honneur de la foi. Car il lui feroit en quelque forte plus honorable que le commun des hommes tût réputé pour impie & pour être fans foi , que de paffer pour en avoir une qui ne réfifte à rien , qui ne furmonte rien , qui n'opère rien ; que dis-je , qui laiffe tomber dans les plus honteux dérèglements Si. dans les der- nières abominations. Et il ne faudroit point m.e répondre que ces pécheurs mêm.es qui d'une part fe livrent à leurs paillons les plus déréglées , proteflent hautement d'ailleurs qu'ils ont la foi : je fais , repliquerois - je , qu'ils le protef^ tent ; mais la queftion eft de favoir Ci l'on doit s'en tenir à ces prcteilations , & s'il n'eft pas plus jude de les réduire à la preuve que demandoit l'Apôtre Saint Jacques : Oflende mihi fidem tuam fine j^^^t^ operibus. Chrétiens , qui peut-être vous ^^ ^, gloriiiez de ce que vous n'êtes p^s , vou- lez-vous me faire connoître votre foi ? ju(Htiez-la , par où? par vos. œuvres : car tandis que vous détruirez dans la pratique ce que vous profelTez de bou- " che , tandis que je ne verrai point d'œu- vres , je me détierai toujours de vos paroles. Et n'eiVce pas , mes chers Auditeurs , que nous réduit l'iniquité du fiecle ? à ne pouvoir plus s'aiïurer de la foi des Chrétiens , à ne pouvoir plus dire

!i8 s u p. L A F O 1,

s'ils en ont , ou s'ils n'en ont pas , &c a tiQ (avoir plus ce qu'ils font ? N'eft-ce pas l'état déplorable de ce qui s'ap- pelle parmi nous le monde ? Entrez dans les cours des Princes , defcendez dans les cabanes des pauvres ; alTiftez, s'il fe peut, aux confeils fecrets des politiques de la terre ; parcourez les cercles & les afTem- blées ; arrêtez- vous dans les temples & dans les lieux faints , par-tout vous de- manderez s'il y a de la foi , parce que par-tout vous ne trouverez que fcandale & débordement de mœurs : Putas , in- Xenïct fidem in terra. ?

Mais n'infiflons pas fur ce point da- %'antage : peut-être le libertinage pour- roit-il s'en prévaloir , & y trouveroit-il un prétexte pour s'autorifer. Car un des prétextes du libertinage , eft de préten- dre que l'on ne croit point , & que l'on n'a point de foi , & cela , pour avoir droit d'imputer les défordres de fa vie au défaut de perfuafion qui paroît une excufe honnête , -au lieu de les impu- ter à la corruption du cœur. Reconnoif- fons donc que de ce grand nombre de Chrétiens qui fe perdent dans le monde, il y en a en effet plufieurs qui ont encore la foi : accordons-leur tout ce que nous pouvons leur accorder , favoir , que leur foi fabiifte ; donnons-leur cette confo- lation , qu'ils la puiffent conlerver par- mi les excès d'une vie criminelle. L'E- glife ne leur difpute pas cet avantage.

SurlaFoî. 119

elle a même voulu leur en maintenir la poilefTion par une décifion expreffe , en déclarant dans le Concile de Trente qu'une vie impure &. corrompue ne va pas toujours jufqu'à la deftru6tion de la foi. Avouons-le avec elle : on peut être chrétien, & mauvais chrétien; on peut avoir la foi , & agir contre la foi ; mais alors la foi nous fauve-t-elle ? bien loin de nous fauver , je dis que par un effet tout contraire elle nous condamne , 6c c'eft k féconde Partie.

IL ne faut pas s'étonner , Chrétiens , IL que ce foitla même foi qui nous fauve PARt* 6i qui nous condamne devant Dieu ; elle ne fait en cela que ce que fait Jefus-Chrift" même , lequel étant l'auteur de notre falut, devient tous les jours par l'abus que nous faifons de fes mérites & de fa grâce , l'auteur de notre perte éternelle & de notre réprobation. Ainfi la foi qui ne nous a été donnée que pour nous juf- îifîer , ne laide pas de fervir à nous condamner , félon les différentes m.anie- res dent nous nous comportons à fon égard, & les divers traitements qu'elle reçoit de nous. Mais encore pourquoi nous condamne-t-eile ? comment nous condamne-t-elîe } Deux chofes qui me reftent à éclaircir, & qui demandent une attention toute nouvelle.

Je dis que la foi nous condamne Içrfque nous ne vivons pas félon fes

ïîo Sur la Foi;

maximes , parce que vivant alors dans le défordre , nous la retenons captive dans l'injuftice , fuivant l'expreffion de Saint Paul ; que nous lui enlevons le plus beau fruit de fa fécondité , qui font les bonnes œuvres , comme parlent Saint Hilaire & Saint Ambroife , 6c que dans le ienti- nient de l'Apôtre Saint Jacques , nous la faifons enlin mourir elle - même au milieu de nous. Or ne font-ce pas autant d'outrages que nous lui faifons, & qu'elle doit veager , pour ainfi dire , en nous condamnant ? Prenez garde : nous la retenons captive dans l'injukice ; ce font les propres paroles du Maître des Rom» nations : Qui veritatem Dei in injuflitia, '• detinent; ils tiennent , dit-il , comme dans les fers la vérité de Dieu. Or la vérité de Dieu n'eft en nous que par la foi ; & tandis que nous menons une vie corrom- pue , il elt évident que nous faifons vio- lence à cette foi , que nous la tenons dans la fujétion & dans l'efclavage ; comment cela ? parce que nous ne lui donnons pas la liberté d'agir en nous comme elle voudroit & comme elle de- Vrqit. Dans la naiffance du ChriiHanif- me, remarque Saint Bernard, lorfqu'il y avoit des perfécutions , la foi étoit libre*, pendant que les fidelles étoient captifs. Maintenant que les perfécutions ont ceffé, les fidelles jouifient d'une li- berté dont ils abufent , & la foi eft com- pie enchaînée. Quel fujet pour nous de

confufion

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Sur la Foi. 12^

confufion & de condamnation ? Jufques dans les prifons & dans les cachots les martyrs publioient la foi qu'ils avoient dans le cœur , & malgré les tyrans ils confeffoient hautement Jefus-Chrift. Il efl bien étrange , lorfque l'Eglife eft dans une profonde paix , que la foi des Chré- tiens n'ait plus la même liberté, & que cette liberté lui foit ôcée par des Chré-»- tiens même, qui deviennent fes pro- pres perfécuteurs ; & qui lui font plu» cruels que les infidèles , puifqu'ils la mettent dans une captivité les inii- deles n'ont pu la réduire : Qui veri" tatcm Dci in injufdtïâ dctincnt. Remar- quez cette parole , in injujiitiâ: car falnt Paul ne dit pas feulement que nous tenons notre foi captive , mais que nous la tenons captive dans l'injudice, qui eft pour elle la plus honteufe & la plus odieufe fervitude. En effet, cette foi eil toute fainte , & nous la faifons demeurer dans des âmes toutes criminelles ; elle efl toute pure & toute chafte , & nous la faifons habiter dans des âmes volup- tueules & toutes fenfuelles : Q^ui veri- tateni Dci in injuftltiâ dctinent. Que fait donc la toi ? Ah 1 mes chers Auditeurs , permettez - moi d'ufer de cette figure , notre foi .linfi traitée par nous-mêmes, ainfi déshonorée & piofanée , s'élere contre nous ; elle demande a Dieu juf^ice, elle crie à fon tribun.il , & ne doutons pomt que Dieu ne l'écoute, Pomin, Jçnu h F

1Î2 Sur la Fou

&. qu'à notre ruine il ne prenne Ce^ intérêts.

D'autant plus coupables envers ella & "plus condamnables , que par les dérèglements de notre vie nous lui faifons perdre fes plus beaux fruits & fa plus heureufe fécondité. Car , comme nous l'avons déjà vu , la foi efl la fource de toutes les vertus , & unefource féconde qui produit fans celle de nou- veaux fruits de grâce , ou qui les peut^ produire. En voulez- vous la preuve, fenfible } Sans parier de ces faints Patriarches de l'ancienne loi & de leurs ceuvres merveilleufes que TApotre nous a fi bien marquées dans fon épître aux Hébreux , rappeliez en votre çfprit tout ce qu'ont fait dans la loi nouvelle tant de martyrs de l'un & de l'autre fexe , tant de foiitaires Ôi. de pénitents , tout ce que font encore tant de religieux dans le cloître, & tant d'ames vertueufes jul- qu'au milieu du monde : remettez-vous le fouvenir de tout ce que vous avez; entendu dire de leurs longues oraifons, de leurs fangîantes macérations , de leurs veilles Si de leurs travaux , de leurs abftinences Si de leurs jeûnes , de la ferveur de leur zèle & de la conftance infatigable avec laquelle ils ont pratiqué jufqu'au dernier fouf ir de leur vie toute la perfeclion de l'Evangile. Voilà les fruits de la toi : voilà ce que la foi peut opé- rer en noui-n;^.T.es 6c par nous-mêmes.

Sur Foi. 115

Car a rardeur des fidèles s'eft ralentie , la vertu de là^oi ne s'eft point altérée ; elle a toujours les mêmes vérités à nous propofer, Ôc dans ces mêmes vérités les riêmes motifs pour nous exciter. Mais nous , Chrétiens , vivant félon TeTprit du fiecle & félon la chair, nous étouffons ces fruits dès leur naiilance ; nous avons la foi , mais toute agiiTante qu'elle eft^ elle ne nous rend pas plus vigilants , pas plus exacts dans l'obfervance de nos devoirs , pas plus adonnés aux oeuvres de la piété ; c'eft une foi olfive 6i. flérile , parce que nous en arrêtons toute l'adion.

Nous allons même plus loin , nous la faifons mourir , félon la penfée &C ' l'exprefïion de i'x4pôtre faint Jacques ; car ce qui vivifie la foi , ce qui en efl comme l'efprit, ce font les bonnes œuvres. De même donc que le corps efl mort , dès-là qu'il eii féparé de i'ame qui lui donnoit la vie ; ainfi la foi doit être ceniee morte, dès-là qu'elle n'eH plus accompagnée des œuvres qui i'animoient: Sicut enim corpus fine fpiritu mortuum Jac.c.t. cft : ita & fides fine opcrïbus ntortuj.^' 26, ejl. Et à prendre la chofe dans un fens plus réel encore & fans figure , on peut dire que rien ne conduit pljs directe- ment ni plus pro:;)ptement à l'infidélité 'Se au libertinage de créance , que le libertinage des mœurs : or après avoir i'X homicide de votre ici , que devez-

F.j

î 24 s u R L A F o r:

vous attendre autre cliofe qu'un juge- rnent févere Ôi rigoureux ! Oui , mon cher Auditeur , penlez bien à ces deux paroles , homicides de votre foi : voilà le grand crime dont on vous demandera compte un jour , & dont il faudra porter la peine ; c'efl alors que cette foi morte dans votre cœur , ou par l'inutilité , ou même par le défordre de votre vie , commencera tout-à-coup à revivre , qu'elle reffufcitera , qu'elle fe produira devant Dieu pour votre conviction & pour votre condamnation.

Je dis pour votre convi61ion ; car voulez - vous favoir , non pas préci- fèment pourquoi , mais commuent elle vous condamnera ? il eft aifé de vous le faire comprendre ; ce fera en vous con- vainquant de trois cKofes ; favoir , que vous pouviez vivre en chrétien , que vous deviez vivre en chrétien , & que vous n'avez vécu rien moins qu'en chrétien. Trois convictions qui vous fermeront la bouche , 6c qui malgré vous , vous feront foufcrire vous-même à l'arrêt de votre éternelle réprobation. Elle vous convaincra que vous pouviez vivre en chrétien , parce que rien ne vous manquoit pour cela , ni lumières ni fecours : ni lumières , puifqu'elle vous fervoit elle - même de maitre , puifqu'elle vous avoir révélé toutes fes vérités pour vous éclairer , puifqu'elle yous les faifoit entendre fans ceffe au fond

Sur la Foi; 125

<^e votre cœur , tantôt pour vous exciter par l'efpérance 3 tantôt pour vous retenir par la crainte , tantôt pour vous engager par un faint amour , tantôt pour vous attirer par un folide intérêt , toujours pour vous inftruire & pour vous tou- cher : ni fecours , pulique dans le Chrif- tiafiirme voas aviez toutes les fources de la grâce ; tant de facrements pour vous purifier, pour vous fortifier, pour vous réconcilier , pour vous nourrir & vous faire croitre ; tant de miniflres du Sei- gneur déporuaires de la loi de Dieu pour vous Tenleigner, difpenfateurs des tréfors de Dieu pour vous les diftribuer , rem- plis de l'elprit de Dieu pour vous le com- muniquer , revêtus de toute la puilTance de Dien pour vous fan61ifier ; tant de bons confeils, d'exhortations pathétiques & véhémentes, de falutaires exemples; enfin tant de moyens dont le détail leroit infini, & dont l'ufagevous auroit imman- quablement fauve. Or d'avoir connu &C d'avoir pu , voilà pourquoi le mauvais ferviteur fera jugé avec plus de févérlté , fera plus rigoureufement condamné, fera plus grièvement puni.

Encore plus digne des châtiments de Dieu , parce que la foi vous convaincra ïîon-feulement que vous pouviez vivre en chrétien, mais que vous le deviez : car votre parole y étoit engagée , vous Faviez ainîi promis à la face des autels, & fur les facrés fonts ^e baptême ;

F iij

iiG Sur LA Foi.

%'ous aviez folemneHeinent renoncé au démon & à toutes Tes œuvres, renoncé au monde & a toutes fes pompes, renonce a la chair & à tous fes defirs fentuels ; on l'avoir dit pour vous , & dès cjuc vous vous trouvâtes en état de le ratifier, vous l'aviez dit vous -mène. Or ce n'efl point en vain qu'on pron^et à Dieu , & de tous les eng?.gem.ents il n'en efl: point de plus inviolables que ceux que l'on contra61e avec un tel maître. Dès-là donc que vous vous étiez fournis à la fui , vous vous étiez fournis à la loi; c'efl-à-dire, dès- que vous aviez été honoré du caraftere de chrétien , & que vous aviez comanencé à porter le nom de chrétien , vous étiez conféquem- ment & indifpenfablement obligé à tous les devoirs du chrétien ; vous en étiez refponfable à votre foi & à Dieu même. Et en effet, pour développer encore mieux îa chofe & la confidérer plus à fond , de toutes les contradiétions n'eft-ce pas une des plus grolneres, de ne pas agir comme Ton croit, ou de ne pas croire comme l'on agit ? tt de toutes les infidélités , n'eft-ce pas une des plus criminelles & des plus monftrueufes , d'avoir renoncé en préfence de Dieu , à l'enfer & à toutes les œuvres de ténèbres , qui font tant de péchés profciits par la loi , & de les commettre impunément , volontaire- ment, habituellement? d'avoir renoncé AUX vaines pompes du monde, ôc d'en

Sur LA Foi. 117

être adorateurs , de les defirer unique- ment, d'y afpirer inceiTamment, de les rechercher fans relâche , & de ne tra- vailler que pour cela, & qu'en vue de cela , d'avoir renoncé à la chair , & de ne vivre que félon la chair , de n'écouter que fes paillons ^ & de fuivre aveuglé- ment toutes fes cupidités t

Voilà néanmoins de quoi la foi vous convaincra , & c'eft le dernier témoi- gnage qu'elle rendra contre vous ; je x'eux dire que pouvant vivre en chré-- tien , que devant vivre en chrétien , vous n'avez vécu rien moins qu'en chrétien ; car c'eft alors que développant tous fes principes & toutes fes maximes , elle les Comparera avec votre vie , ou que déve- loppant toute votre vie , elle la compa- rera avec fes maximes & fes principes. Or quelle oppofition entre i'un &. Tautre ? Une foi qui n'enfeigne à l'homme que le mépris des biens terreftres & périf- fables , & une vie toute employée à les acquérir, à les conferver, à les accu- muler par tous les moyens , juftes ou iniulles qu'infpire une avarice infatiable ; une toi qui n'apprend à l'homme qu'à s'humiiier , qu'à s'abailTer , qu'à fuir les honneurs mondains Se les faulTes gran-.* deurs du fiecle , &: une vie toute occupée de foins , de projets , d'intrigues , fou- vent très-criminelles pour l'avancement d'une fortune humaine ; une foi qui ne prêche. à l'homme que mortification,

Fiv

fSld s U R L A F O I.

que pénitence , que détachement defoî- ïTiéine : & une vie paffée dans les jeux , dans les fpe^lacles , dans les aiïembiées & les parties de plaifirs, dans les plus honteufes voluptés ; une foi de pratique 6c d'a6tion , & une vie dénuée de toutes les œuvres chrétiennes. Eft-ce donc ainfi qu'on efl chrétien ou qu'on vit en chré- tien r eft-ce en ne taifant rien- de tout ce que la foi ordonne , & en faifant tout ce qu'elle défend r Tels font les reproches que vous devez attendre de votre foi ; 6l à des reproches ii bien fondés & fans nulle excufe , que doit-il luccéder autre chofe qu'un jugement fans iTiifericorde ?

Concluons , mes chers Auditeurs , par cette penfee avec laquelle je vous ren- voie , & que vous ne pouvez trop mé- diter : Il faut , ou que ma foi me fauve , eu que ma toi me condamne. Entre ces deux extrémités point de milieu : fi ma foi n'eft pas le principe de ma juftification , elle fera imm.anquable- ment le fujet de, ma réprobation. 11 ne tient qu'à moi qu'elle foit pour moi un m.oyen de falut, parce qu'il ne tient qu'à moi d'en faire un ufage tel que je dois &i tel que Dieu le demande : mais fi par ma faute ce n'efl pas un moyen de fclut pour moi , ou que je me rende ce moyen de falut inutile par l'abus que j'en ferai , il ne dépend plus alors de moi que ce ne foit pas contre moi un moyen de

i

Sur ia Fot.' ii^

«damnation , parce que c'eil un talent que Dieu m'a mis dans les mains pour lui en rendre compte & pour en retirer tout le fruit qu'il en attendoit. Ce feroit donc bien me tromper moi-même , de regar- der la foi que j'ai reçue comme une de ces chofes indifférentes qui ne peuvent nuire lorfqu'elles ne fervent pas. Si ma foi ne me fait pas le plus grand de tous les biens , elle me fera le plus grand de tous les maux : c'eft à moi de prendre mon parti entre l'un & l'autre ; mais je n'ai que l'un ou l'autre à choiiir. Que dis-je , & y a-t-il là-deiTus à délibérer } y a-t-il à héfiter un moment, dès qu'il eft queilion de fe garantir d'une éterniré nialheureufe , & de fe procurer une Souveraine félicité.

Ah ! Chrétiens , penfons fouvent aux accufations que formera contre nous 8c aux reproches que nous fera cette foi, quind nous comparoitrons avec elle devant le tribunal de Dieu. C'eft à quoi nous ne faifons guère de réflexion maintenant ; mais quand la figure du inonde fe fera évanouie , & que nous nous retrouverons feuls avec cette foi en la préfence de Dieu , que lui répondrons- nous ? Voilà , mon cher Auditeur , à quoi nous devons nous préparertous les jours de notre vie. H vous en coûtera quelque fujétion, quelques violences, quelques efforts ; mais il vaut bien mieux fe con- trjundre pour quelque temps , que de

* Fv

130 Sur la "Foi.

^'expofer à un malheur qui ne doit jamais finir. Car, ie le répète , & je ne piMs allez vous le faire entendre , s'il arrive que vous vous perdiez , ce fera dans votre foi même que vous trouverez votre plus cruel tourment. Vous n'aurez plus cette foi furnaturelle & divine qui efl un des dons de Dieu les plus précieux, c'ert une grâce dont Dieu vous dépouillera ; mais vous aurez encore le fouvenir de cette foi , mais vous aurez encore le caraftere de cette foi , mais vous aurez encore toutes les connoif- fances que vous donnoit cette foi , & c'eil cela même qui fera votre fupplice. Vous aurez, dis-je, le fouvenir de cette loi qui vous enfeignoit de fi folides vérités que vous avez méprifées , qui vous don- noit de (i fiintes règles de conduite que vous n'avez pas fuivies , qui vous pro- mettoit de fi grandes réco-.ripenfes que vous n'avez pas pris foin de mériter, & ce fouvenir fera plus cuifant pour vous que tout le feu de l'enfer. Vous porterez. encore tout le caraâere de cette foi , c'efl- à-dire, le caratlere du baptême, & ce cara<Stere fera le figne à quoi les démons, jniniftres de la juftice de Dieu , vous difcerneront entre les réprouvés , pour exercer fur vous avec plus de fureur toute leur rage. Vous aurez encore tou'es les connoiitances que vous donnoît cette foij-ôc ces connoillances fuppléeront au d^aut de cette loi^ enforte que vou*

s L R L A F O I. 131

croirez toujours Dieu comme les démons le croient , & que vous tremblerez comme eux , que vous vous défefpéuerez comme eux, que votre créance fera pour vous , comme pour eux , le fujet de votre confufion éternelle.

Mais il feroit donc plus à fouhaiter de n'avoir jamais eu la toi ? oui , mes Frères , il leroit plus avantageux de ne Tavoir jamais eue, que de l'avoir pro- fanée par une vie criminelle ; mais cela même ne fera plus en votre pouvoir ; car malgré vous il fera éternellement vrai que vous aurez été chrétiens , & il faudra éternellement porter la peine de ne l'avoir été que de nom & dans la fpé- culation , fans l'être de mœurs & dans l'adion. Pour prévenir ce reproche ÔC l'aôreux châtiment dont nous fommes menacés , quelle réfclution avons-nous à prendre ? point d'autre que de con- ferver la foi & de vivre félon la foi. Cette foi nous dit des chofes qui répugnent à nos fens , mais il s'y taut foumettre : elle nous dit que le monde eft notre plus dangereux ennemi , fuyons-le : elle nous dit de nous haïr nous-mêmes & de nous renoncer nous-mêmes, travaillons à acquérir ce faint renoncement, & prati- quons-le autant qu'il ed néceilaire : elle nous dit de mortifier la chair par l'efprit & d'en réprimer les dcfus , combattons- les généreufement & conftamm.ent : elle cous dit d'être humbles jufques dans k

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i^i Sur LA Foi.'

grandeur, d'être pauvres jufques dans Tabondance , d'être pénitents jufqu'aa milieu desaifes & des commodités ; en- treprenons tour cela & venons à bout de tout cela. Nous aurons dans les fecours de la grâce & dans les motifs de notre foi de quoi nous animer, de quoi nous fortifier, de quoi nous rendre tout facile. Demandons-les avec confiance ces fe- cours , & Dieu ne nous les refufera pas. Ayons'les continuellement devant les 5^eux , ces motifs , & ils nous foutien- dront; alors nous mériterons d'entendre un jour de la bouche de Jefus-Chrifl ce qu'il dit au Centenier de notre Evan- gile : Sicut credidijîi fiât tibi ; qu'il vous loit fait comme vous avez cru. Vous avez fait valoir le talent que je vous avois confié, vous avez rendu votre foi fertile en bonnes œuvres & agiffante ; venez en recevoir larécompenfe. Vous avez mar- ché par le chemin qu'elle vous traçoit , -vous l'avez fuivi & vous y avez perfé- févéré ; venez prendre porfeiTion de mon Royaume célefie, qui eil le terme elle vous appelloit , & vous jouirea; d'une félicité éternelle , &ç.

133 JL ju 4.4.4. 4.-f4.4-4.4» 4.4. ^»-

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SERMON

POUR

LE QUATRIEME DIMANCHE

APRÈS L'EPIPHANIE.

Sur les Afflictions des Juftes & la. Projhérité des Pécheurs.

Afcendente Jefu in naviculam , fecuti funt eum difcipu'i ei'Js : & ecce motus magnus faèius eft in mari , ita ut ravicuîa operiretur âuc- tibus. Ipfe verô dormiebat ; & fufcitaverunt eum diicipuli ejuî , dicentes : Domine , lalva r.os , périmas. Et dicit eis : Quid timidi eftis, modicae fidei ?

J,:fus étant entré dans une harque , fis dlfciples le fuivirent , Se aujf-tôt il s^éleva fur la mer une grande tempête ; enfcrte que la barque étoit couverte de flots. Lui cependant dormoit , & fes dlfciples le réveillereru , en lui difant : Seigneur , fauve-^ - nous , nous allons périr, Jefus leur répondit : Pourquoi crni^ne\vous , hommes de peu de foi ? En Saint Matth. ch. S.

VOiLA, Chrétiens, une image bierî naturelle de ce qui fe paiTe tous les jours ù nos yeux & parmi nous. Il femble que le Saint-£.iprit en nous I4 traçant

134 Sur LES AFFLTCT. DES Justes dans cet;,E vpngile , ait expreilément vou» lu nous reprélenter un des plus grands rayileres de la conduite de Dieu lur les hommes , & en faire le fujet de notre initru6i:ion. Les Difciples de Je- fus-Cnriil: , c'eil-à-dire les juftes & les élus de Dieu , vivent dans le monde, que nous pouvons confidérer comme une mer orageufe , & s'y trouvent em- barqués par les ordres même de la providence ; Dieu eil: avec eiix & ne les quitte jamiis ; il les fuird ns toutes leurs voies , il les éclaire & les lou- tient : mais du rede , à en juger par les apparences , on diroit en mille ren- contres qu'il s*en éloigne , qu'il les ou- blie , qu'il les abandonne^ qu'il eft à Jeur égard comme endormi : Ipfe vero dormiebat. 11 permet qu'ils K/ienr alTail- lis & battus des plus violentî» orages , tju'ils foienr expofés aux plus rudes ten- tations , qu'ils foient affligés & prf:fqae accablés des miferes de certe vie. Or qui croiroit alors qa!il y a une Provi- dence qui prend foin, de leurs perfonnes , ou qui ne croiroit pas au moins que cette providence eft enfevelie dans un profond fommeil, & qu'elle ignore leurs befoins , fur - tout lorfqu'on voit les impies profpérer fur la terre, vivre dans Je calme , tenir les premiers rangs , jouir de l'abondance , être en polTelîion de -tout ce qui s'appelle fortune & bonheur "•fctiUTîain ? C'eft en vue de ce partage il

ET LA PROSP. DES PÉCHEURS. Î35

Tu r prenant & fi peu conforme à nos idées , que David s'écrioit »Sc difoit à Dieu: Exurge ^ quurc obdormis , Domi- Pf, ^j^ ne? levez- vous. Seigneur, 6c pourquoi denieurez-vous dans certc efpece d'af- foupiflement ? Et c'efl ainfi que nous lui dilbns encore nous-mêmes comme les Apôtres : Domine ^ falva nos , pcrimits ; Seigneur j ou êtes-vous ? nous pé- riiïbns & vous nous délaifTez ; tous les maux viennent nous accueillir , & il fem- ble que vous y foyez infenfible. Mais à cela , Chrétiens , point d'autre ré- ponie de la part de Dieu que celle de Jefus-Chrifl: à les Difciples effrayés 6c confternés : Q^uid timidi eflis , modiceB fidei ? eft votre foi ? eft la con- fimce que vous devez avoir en votre Dieu? que craignez- vous quand je fuis avec vous? Myftere delà providence, dont je veux aujourd'hui , mes chers Auditeurs, vous entretenir, & dont il Qi\ d'une importance extrême que vous foyez inftruits. Ce n'eit point précifé- ment aux pécheurs que j'ai à parler ; c'eft aux âmes iidelles , c'eft aux prédeftinés du Seigneur , c'eft à ceux qui font état de le fervir , & qui tout attachés qu'ils font à fon fervice. voient fouvent tom- ber fur eux tous les fléaux du Ciel , tan- dis que les mondains palfent leurs jours dans le plaifir & dans la joie. Je vais là- dedus les rafTurer & les confoler aprè^ c^ue nous aurons demandé le fecours du.

'136 Sur les afflict. dïs Justes Saint-Erprit par i'interceiîion de Marie; j4ve Maria.

C'EsT de tout temps que la foi des Chrétiens a été troublée^ & leur con- fiance en Dieu ébranlée , de voir les mé- chants dans la profpérité & dans le repos, pendant que les juftes font dans Tadver- îité & dans le travail. Ce partage , à ce qu'il paroit , fi injufte , a toujours été , pour ainfi dire , le fcandale de la Providence. Car de les pécheurs ont pris fujer de triompher infolemment dans la vie ; & de les plus gens de bien fe font relâchés dans le chemin de la vertu : de même les plus grands Saints en font venus prefque jufqu'à for- mer des doutes au préjudice de leur toi. ?/. yjz. Ecoutez-en parler David : Mei autem pcne moti funt pedes , penè effufi funt greffus mei. Pour moi , difoit-il, je le c on te (Te , j'ai fenti ma foi chanceler; & quelque folide que fût le fondement de mon efpérance , je me fuis vu fur le point de fuccomber : 6i pourquoi? parce qu'il s'eft élevé dans mon pœur un mouvement de zèle & d'indigna- tion , à la vue des pécheurs qui goûtent la paix , qui réuffiffent dans leurs de(' feins , qui établiiTent leurs maifons , à qui 7^;j, rien ne manque dans la vie : Quia ^e- lavi fuper iniijuos , pacem peccatorum vi- dcns. En eiTet, ai-je dit, com.ment eft-il pofTible que Dieu fâche ce qui fe p-fTç

ET LA PR05P. DES PÉCHEURS. I37'

îcl-bas , Si comment puis- je croire qu'il V prenne garde ? Quomodo fcit Deus , Ihiài & cft fcientia m excelfo ? Les libertins ôc les impies font les plus heureux , les plus honorés , les plus riches : Ecce ipjî Ihià* ^ pcccatores & abundantes in ftzculo obti- nucrunt dïvitias. D'où j'ai prefque con- clu , ajoute le même Prophète , qu'il m'étoit donc inutrle de conferver mon cœur dans l'innocence, & d'avoir les mains nettes de toute injuftice : Et dixi, Ibidt ersp fine causa juflijîcavi cor meum , 6* Livi inter innocentes manus meas. Ainfi par- îoit le plus faint Roi du peuple de Dieu , & c'étoit le reproche que taifoient les païens aux fidèles. Quel Dieu iervez- vous , leur difoient ces idolâtres ? ou- eft fa juftice envers vous & ia bon- té ? il vous voit pauvres & languif- fants , & il ne prend nul foin de vous ; eft-ce qu'il ne le peut, ou qu'il ne la veut pns t fi c'eft impuiilance , il n'eft pas Dieu , & auiîl peu l'eft-il , fi c'eft infenfibilité. Vous vous promettez l'im- mortalité dans un autre monde que ce- lui-ci; mais qu'elle apparence qu'ua Dieu que vous vous figurez aflez puif- fant & aflez bon pour vous reflufci- ter nprès la mort , ne vous fecourût pas dans la vie ? Cependant vous re- noncez à tous les plailirs , vous ne ve- nez point à nos fpetlacles , vous fouf- frez la faim & la foif , vous endurez les plus rigoureux tourments ; d'où il arriva

13S' Sur les afflict. des Justes

que vous ne jouifTez ni de la vie pré- lente vous êtes, ni de cette vie fu- ture & imaginaire que vous attendez'. A cela les Pères faifoient diverses répohfes : la plupart nioient la fuppolition , pour établir une vérité toute oppofee ; car ils foutenoient que jamais les jufles ne font malheureux fur la terre, & que jamais les impies n'y goûtent un véritable bon- heur. Intslli^at homo , difoit Saint Au- Au^^fi. giftin , nunquam Deus permittit malos ejfe felices. Que l'homme s'applique à bien comprendre ceci : jamais Dieu ne perm.et que les méchants Toient heu- reux ; ils paffent néanmoins pour l'être, ajoutoit ce faint Docteur , mais on ne les croit heureux que parce qu'on ignore

j. en quoi confifte la vraie félicité : Lîeo' jhdus felix puîatur . quia quid fit fdici' tus ignoratur. Et il n'en faut point juger par de certains dehors. Tel , dit Saint Ambroife , me paroît avoir la joie dans le cœur , dont le cœur eft déchiré de mille chagrins ; il eft à fon aife félon mon eilime , mais d^ms fon idée & en

Ambr, q^q^ \\ gf^ miférable : Meo affeclu beatus efl y & fuo , mifer. C'eft ainfi, dis - je, que les Pères s'en expliquoient. Mais , Chrétiens, je prends la chofe tout au- trement ; ne difputons point aux impies & aux pécheurs la polteiTion des joies humaines , & convenons que les jufles font aulfi malheureux dans le temps ({ue les mondains le penfent. Cela pofé>

ET LA PROSP. DES PÉCHEURS. T]^

je prétends que nous femmes toujours coupables , fi nous nous défions de la n!vine providence qui l'a ordonné de la forte ; & pour vous en convaincre , j'avance deux proporiticns qui renfer- ment tout ce qu'on peut dire de plus foiide fur cette matière ôc qui partage- ront ce difcours. Je foutiens d'abord que dans cette conduite de Dieu il n'y a rien qui doive ni qui puiffe ébranler notre foi ; c'eft la première Propofition & la première Partie. Je dis plus , & je foutiens même que cette conduite de Dieu a de quoi établir & confirmer notre foi ; c'efl la féconde Propofition & la féconde Partie. Développons l'une & l'autre , & ne croyez pas que je" veuille là-deffus m'arrêter à de vaines fubtilités ; j'ai des preuves à produire également fenfibles & touchantes. Com- mençons.

SAiNT Auguftin dit un beau mot, T. que les fecrecs de Dieu doivent nous Part. imprimer du refpe(S: , doivent nous ren- dre attentifs aies confidérer, doivent nous exciter à en faire la recherche , autant que l'humilité de la foi nous le permet; mais qu'ils ne doivent jam.ais trouver d'oppofuion dans nos efprits , & qu'il ne nous appartient pas d'en vouloir juger ni d'entreprendre de les contredire: Secretum Dei intentas nos hibere débet , Augvjf, non advcrfos. Voilà, mes chers Auditeurs,

t4o Sur les afflict. des Justes

une maxime bien chrétienne & bien importante ; car un des plus grands déiordres de notre efprit , eft de fe révolter d'abord contre tout ce qui ps- roît contraire à nos lumières & à nos vues ; & c'eft de ce principe que pro- cèdent toutes les erreurs nous tom- bons à l'égard de Dieu : or écoutez comment je me fers de la maxime du faint Doéieur , pour établir ma pre- mière propofition touchant ce partage (i inégal des biens & des maux de cette vie , qui fait que les juftes ibuft'rent , pendant que les impies profperent. Je prétends qu'il n*y a rien en cela qui doive troubler notre foi ; & en effet , quand je ne verrcis nulje raifcn de cette conduite de Dieu , quand ce feroit un abyme je ne découvrirois rien , & que mon efprit s'y perdroit, m^a foi n'en devroit point être altérée , Si tout ce que j'aurois à faire , ce feroit de m.'écrier avec Saint Paul , ô altiîudo ! & de reconnoî- tre que c'eft un fecret de la Providence que je dois adorer , & non pas péné- trer. Ainfi quand je ne conçois pas l'au- gufte &. incompréhenfible myO.ere d'un Dieu en trois perfonnes , je ne crois pcîs dès- lors avoir droit de le révoquer en doute ; je ne crois pas pouvoir con- clure : il n'y a donc point de Dieu, il n'y a donc point de fouverain Être ; mais je conclus que ce fouverain Être efl: au deffus de toute intelligence humaine ,

ET LA PROSP. DES PeCHEURS.-^ I41"

ôi je n'en demeure pas moins inviola- blement attaché à ma créance. Pourquoi ne ferois-je pas ici le même ? & quand il s'agit d'un point qui regarde la pro- vidence de Dieu Si. (a conduite dans le gouvernement du monde , pourquoi ea voudrois-je douter, & pourquoi me troublerois-je , parce que je ne le com- prends pas ?

Car enfin , j'ai d'ailleurs mille preu- ves qui me convainquent qu'il y a une Providence dans l'Univers , & que tout ce qui arrive fur la terre eft de Tordre <Je Dieu. Je n'ai qu'à ouvrir les yeux , je n'ai qu'à contempler le Ciel , je n'ai qu'à coniidérer toutes les créatures; ii n'y en a pas une qui ne me rende té-- moignage de cette vérité , & qui n'en foit pour moi une démonftration. Les païens & les barbares l'ont reconnue, & je ferois plus infidèle que les infidèles même fi je refufois de m'y foumettre : cependant contre tous ces témoignages il fe forme une difficulté dans mon ef- prit. S'il y a une Providence , me dis je à moi-même, comment fouffre-t-elle que les juftes foient opprimés , 6c les im- pies exaltés ? Voilà ce qui me tait peine. Or je vous demande , Chrétiens , eft-ii raifonnable que pour cette feule diffi- culté , je me départe d'un principe de foi auiîi infaillible ôc aufTi folidement établi que l'eft celui d'une Providence j &: que parce qu'il y a ua certain poin^

14^ Sur les afflict. des Justes

eu la conduit? de cette Providence fur les hommes me paroît obfcure , je la tienne pour douteufe , & j'ofe même abfolument la rejeter ? N'eil-il pas plus jufte que j'oppofe à la difficulté qui m'embarraffe toutes les maximes de ma foi & toutes lès lumières de ma raifon ; ÔL que n'ayant pas allez de vue pour approfondir le myileie de cette Provi- dence fi rigoureufe , ce femble , à l'é- gard des jurtes , & libérale envers les pécheurs , je me réferve à le connoitre un jour dans fa fource , c'eil-à-dire dans Dieu même ?

Et c'eft suffi que le Prophète royal en revenoit, après avoir contefl'é devant Dieu qu'il n'entendoit rien à ce procédé , 6c qu'un traitement fi peu conforme aux mérites des uns & à l'iniquité des au- tres , paffoit toutes fes connoiffances & confondcit toutes fes idées. J'efpere bien, difoit-il , Seigneur , que vous me découvrirez - delTus l'ordre de vos jugements , & que vous me ferez voir , comme dans un miroir , les raifons fe- crettes que vous avez eues de difpofer ainfi les chofes ; alors je faurai pour- quoi vous avez permis que ce jufle fût vexé ÔC perfécuté, & que le crédit de cet im.pie l'emportât fur l'innocence & la vertu ; que cet homme de bien n'eût aucun fuccès dans fes entreprifes , & que ce mondain fans foi & fans conf- cichce rculsit dans tous fes deiïeins^

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■ET LA PROSP. DES pECHIURS. 141^

que cette femme pieufe & remplie d'hon-. neur paûàt fes jours dans l'amertume, 6c dans de mortels déplaifirs , & que cette autre idolâtre du monde , & li- vrée à fes pallions menât une vie douce & commode. Vous nous apprendrez , o mon Dieu , quels étoient les reilorts de tout cela ; ûc par un feul ra/on de lar lumière que vous répandrez dans nos- efprits , vous diuiperez tous les nuages, & vous ferez évanouir tous les douies qui nailTent maintenant malgré nous contre votre adorable Providence. Je me figurois , qu'à force de réflexions &. de confidérations , je pourrois dès cette vie démêler cet embarras , & fon- der les impénétrables confeils de votre fageffe : Exiflimabam ut cognojcerem pf, j hoc: mais je me trompois bien, 6c je me fuis bien apperçu que je m'arrêtois à d'inutiles recnerches : Labor eft ante Ihld, me. D'où j'ai conclu qu'il falloir atten- dre que je fuffe entré dans votre fanc- tuaire, & que je vifTe fe dévoient terminer les efpérances des -uns & des autres : Donec ïntrém in fantlur.rlum Dd lbld% & intelligam in novijjimis eorum. Voilà comment raifonnoit ce faint Roi , & c'étoit l'efprit de Dieu qui lui infpiroit ce fentimenc.

Mais là-deflus , mes chers Auditeurs , nous n'en fommes pas encore après tout réduits à fimple foumliPion & à la feule obéiilaaçe de I4 foi , nous avons

iî44 Sur tES AFFLICT. DES JuSTES

fur ce myftere de quoi contenter notre efprit , autant & peut-être plus que iur aucun autre ; & c'eft par nous deve- nons tout- à- fait inexcufables , quand nous nous troublons & que nous tom- bons dans la défiance , parce que nous voyons les juftes affligés , &. que les pécheurs ont toutes les commodités & toutes les douceurs de la vie; car nous trouvons nous - mêmes des raifons qui nous juftifient parfaitement la conduite de Dieu , & qui nous perfuadent que Dieu a fait fagement d'en ufer de la forte. Or fi moi avec un efprit pleia d'erreurs & de ténèbres , je découvre néanmoins des raifons pour cela , ne dois-je pas être convaincu que Dieu en a de plus folides encore &L de plus re- levées que je ne vois pas ; &. ces raifons de Dieu que je ne vois pas , nxiis que je conje6lure des miennes , ne doivent- elles pas calmer mon cœur & le ralfu- rer ? Tout ce qui me refle donc, c'efl de fuivre le confeil de Saint Auguftin Se de m'appliquernon pas à connoitre plei- nem.ent , mais du moins à entrevoir le iecret de Dieu , afin que ce que j'en puis appercevoir m'apprenne à juger de ce qui échappe à ma vue , & que l'un ÔC l'autre aftermiffe ma confiance. Sccre- tum Dei intentas nos habere débet , non adverfos.

Mais qu'eft-ce en effet que j'en ap- perçois de ce fecret de Dieu, 6c quelles

font

ET LA PROSP. DES PÉCHEURS. 14^

font les raifons que je puis imaginer <i'un partage qui fembie choquer la railbn même? Vous mêle demandez. Chrétiens , ôcfans une longue difcufîion , voici celles qui fe préfentent d'abord à Bioi : Que Dieu veut éprouver fes élus , & leur donner occafion de lui marquer par leur confiance leur fidélité ; que Dieu, félon la comparaifon du Prophète Roi, veut les purifier par le feu de la tribulation , comme l'on épure l'or dans lu creufet ; que Dieu veut aflurer leur falut j & les mettre à couvert du danger inévitable qui fe rencontre dans les profpérités du fiecle ; que Dieu par une aimable violence , dit faint Bernard , veut les forcer , en quelque forte , de fe tenir unis à lui , en leur rendant tout le r^fte amer , & ne leur cftVant par-tout ailleurs que des objets qui leur infpirent du dégoût ; que Dieu veut leur fournir une continuelle matière de combats , afin que ce foit en même temps pour eux une continuelle matière de triom- phe , & par conféquent de mérite ; que tout juftes qu'ils font^ ils ne laiiTentpas d'être redevables à Dieu par bien des endroits, puifque le plus jufte, comme parle Salomon , tombe jufqu'à fept fois par jour ; mais que Dieu d'ailleurs veut les punir en père & non en juge , & pour cela qu'il les châtie en ce monde , félon fa miféricorde , afin de ne les pas punir en l'autre félon fajuflice. A s'en tenir là.

146 Sur les afflic. des Justes

mes chers Auditeurs , & fans vouloir pénétrer plus avant dans les defieins de Dieu , n'eit-ce pas affez pour Ibutenir la foi du jufte , & une feule de ces raifons ne fuflit-elle pas pour lui fervir ^e défenfe &. le fortifier contre les plus rudes attaques? que Dieu donc ordonne félon qu'il lui plaît, qu'il détruife & qu'il renverfe, qu'il abaiile & qu'il humilie, qu'il frappe à fon gré , jamais le jufle n'aura que des bénédictions à lui rendre ; & s'il penfoit à fe plaindre , ce feroit Ken alors que Dieu pourroit lui faire le même reproche que fit le Sauveur du monde à S. Pierre : Modicce. fidei , quare dubitâili ? Homme aveugle , laiiTez agir votre Dieu , il vous aime , & il fait ce qui vous con- vient ; s'il vous traite maintenant avec ri- gueur, ce n'eft: qu'une rigueur apparen- te ; & tout fenfibles que peuvent être les coups que fon bras vous porte , c'eft ion amour qui le conduit.

Penfées touchantes & puiflants mo* tifs d'une confolation toute chrétienne 1 Dans ce vi;Ûe & nombreux audi- toire , il eft impoffibie qu'il ne fe rencontre bien de ces âmes chéries de Dieu , & que Dieu toutefois aban- donne aux tr. verfes & aux difgraces du monde. Or c'eft à moi de leur faire goûter ces vérités : c'eftà moi , mes chers Auditeurs , de vous relever par de l'abattement vous jette peut-être réut de pauvreté , l'état d'humiliation ,,

ÎT LA PROSP. DES PÉCHEURS. 147»

rétat de fouffrances qui vous accable & qui vous rend la vie ii ennuyeufe & fi pénible : c'eft à moi , comme prédica- teur évangélique , de vous faire trouver tout Tappui néceffaire dans votre fol. Car je ne fuis point feulement ici pour vous reprocher vos infidélités , ni pour vous remplir d'une terreur falutaire dds jugements éternels : je l'ai fait félon les occurrences, je le fais encore, <Sc je ne puis aflez bénir le Ciel de l'attention que vous donnez à mes paroles , ou plutôt à la parole de Dieu que je vous annonce. Mais l'autre partie de mon devoir eft de vous confoler dans vos peines ; & puifque je tiens la place de Jefus-Chrift , qui vous parle par ma bouche , & dont je fuis l'ambafladeur & Je miniftre , Pro Chriflo Ugatione fun- 2. C»ii gimur ^ c'eû à moi de vous dire aujour- ^' h d'hui ce que ce divin Sauveur difoit au peuple : Venite ad me , omncs qui labqratis Matth^ & onerati eflis , 6* ego rejîciam vos ; c, i r, venez, âmes triftes & affligées ; venez , vous qui gémiiTez fous le poid-s de la mifere humaine & dans la douleur , venez à moi. Le monde n'a pour vous que des mépris & des rebuts , & vous en éprouvez tous les jours l'injuilice; les plus déréglés & les plus vicieux y font la loi aux plus juftes , & c'ef^ ce qui vous flétrit le cœur 6c qui vous rem- plit d'amertume. Mais encore une fois; yftinez ; U Un» rien changer à votr^

148 Sur les afflic. des Justes

condition , je Fadoucirai : Venite , & ego rcfiâam vos. Je ne fuis qu'un homme foible comme vous , & plus toible que vous ; mais avec la grâce de mon Dieu , avec l'on^lion de la parole ôc les ma- ximes de fon Evangile , j'ai de quoi vous rendre inébranlables au milieu des plus violentes fecouffes ; j'ai de quoi réveiller toute votre foi , & de quoi ranimer toute votre efpérance ; de quoi vous apprendre ^ ne rien defirer de tout ce que le monde a de plus flatteur , & de quoi vous faire connoitre le précieux avantage d'un état, Dieu veille avec d'autant plus de foin fur vous & d'autant plus d'amour , qu'il femble moins ménager vos intérêts 6c moins vous aimer.

Car pour reprendre avec ordre & pour mieux développer ce que je n'ai fait encore que parcourir , & ce qui demande toutes vos réflexions , puifque ce doit être pour vous comme un tréfor & un fonds inépuifable de patience , je dis que n Dieu traite le jufte avec une févé-. rite apparente , que s'il l'afflige , c'ell pour réprouver. Ainfi s'en expliquet-il en mille endroits de l'Ecriture , il déclare en termes formels que c'eft un des offices de fa Providence , & que par cette raifon il laiHe tomber fes fléaux fur ceux qui le fervent , encore plus que fur les autres : de forte que l'affli^iion dans le texte facré eft appellée com- ç&unément épreuve ou . tenta.tiori ^ <Sc

ET LA PROSP. DES PÉCHEURS. I4€i

que fuivant le même langage , ce que ie Saint-Efprit appelle temation n'eft autre chofe que raitlitlion. C'étoit la belle & folide réponfe que faifoit un des plus zélés défenfeurs de la loi chrétienne aux idolâtres & aux infi- dèles , lorfqu'ils lui reprochoient Tex- trême abandon l'on voycit le peuple fïdele , & qu'ils prétendoient de tirer une conféquence , ou contre le pouvoir , ou contre la miféricorde du Dieu que nous adorons. Vous vous trompez, leur difoit-il : notre Dieu ne manque ni de moyens ni de bonté pour nous fecourir : D^us ille nojîer , quem colimus , necnon Minute poteft fubvenire t nec defpic'u. Mais que ^^^«f» iV.it-il ? il nous examine chacun en parti- culier ; & à quoi fe réduit cet examen ? à nous priver des biens de la vie, ôt à nous tenir dans l'adverfité : Sed in ad- Idem» vcrfes unumquemque explorât. Ces paroles font remarquables : Dieu fonde le cœur de l'homme , il l'interroge , par oii ? par les fouffrances & les affli(Slions ; f^ïtam hominïs fcifcitatur. Comme fi Dieu difoit au jufte : déclarez - vous , 6c faites -moi voir ce que vous êtes ; je ne l'ai point encore bien fu jufqu'à préfeiit , & je veux l'apprendre de vous- même. Tandis que vous avez été heu- reux fur la terre , 6t que vous y goûtiez le calme 6c la paix , vous me l'avez dit , il eft vrai , que vous vouliez être à moi ; mais on ne pouvoit guère compter,

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^50 Sur les affltc. des Justes alors fur votre témoignage. Dans cet état de profpériîé, vous ne vous con- J3c:i'îiez pas encore aflez bien , & vous Eepauvlez jugerîurementà qui des deux vous étiez , ou à moi ou à vous-même : mais maintenant qu'un revers a troublé toute la douceur de votre vie , main- tenant que vous êtes dans l'infirmité » dans le befoin, & que tous les maux font venus , ce femble , vous ailailiir , eft en cette fituation que vous pouvez me donner des affurances de votre foi j & que je puis faire tond fur votre parole. Si donc je vohs vois perfévérer dans mon fervice , fi je vous entends au pied de mon autel me faire toujours^ les mêmes proteftations d'un attachement inviolable , je vous écouterai & je vous croirai ; car un ^n^CCT ûinfi éprouvé ne doit plus être fufpe£l. A cela que pouvons-nous répondre, chrétiens Auditeurs ? Si Dieu ne met pas l'impie à de pareilles épreuves , de quel fen- timent , à la vue de fon prétendu bonheur , devons-nous être touchés ? efl ce d'une envie , ou n'eft-ce pas plutôt d'une horreur fecrette, puiiaue fi Dieu l'épargne, c'eft que Dieu ne le juge plus digne de lui , c'eft que Dieu ne s'inté- relîeplus, en quelque forte, à le former pour lui , c'eft que Dieu le regarde comme un faux métal que l'ouvrier abandonne, au lieu qu'il jette l'or dans la fournaife ;, & qu'il le fait paffer par le

it LA PROsp. DES Pécheurs. îçt

feu. Delà cette fainte prière que David faifoit à Dieu : Proba me , Domine , & Pf^ ^f, tenta me : Ah ! Seigneur , éprouvez- moi , & ne me refufez pas la confolation 6c l'ineilimable avantage de pouvoir vous montrer qui je fuis , & quelles font pour vous les véritables difpofitions de mon cœur ; mais parce que je ne puis mieux vous les faire connoitre qu'en fouffrant , frappez, brûlez & me confumez, s'il le faut , de miferes & de peines ; je confens à tout : [/re renés meos»

Nous devons y confentir nous-mêmes^ tnes Frères ^ d'autant plus aifément ^ qu'un autre deffein de Dieu fur le jufte affligé, eft de le purifier de toutes les affections de la terre. En effet , fi les profperités temporelles étoient attachées à la vertu , nous ne fervirions Dieu que dans cette vue , & par conféquent nous ne l'aimerions pas pour lui-même. C'eft ce que faint Auguftin a fi bien cbfervé , & fur quoi il raifonne fi foli- dément & avec fa fubtilité ordinaire. Quand vous voyez, dit- il, les ennemis de Dieu & les libertins dans l'état d'une riche fortune , vous y êtes fenfn blés, ôcvous vous dites à vous-mêmes : Il y a fi long-temps que je fers Dieu, que j'accomplis fes commandements 6c que je m'acquitte de tous les exercices de la religion ; cependant mon fort eft toujours le même , mes affaires n'en ont pas une meilleure iiTue, & il femblsf ^ G iv

252 Sur les afflic. des Justfs

au contraire que Dieu prenne à t?.chs de les arrêter & de les renverfer ? Ceux- ci vivent dans le crime , fans règle , ùri3 retenue, fans piété, & avec cela ils ne laiffent pas de jouir d'une fanté florif- fante , d'accumuler biens fur biens ^ d'être honorés & diftingués : Mais , reprend ce faint Dofteur , c'étoit donc Augiiji. ce que vous cherchiez ? Talia crga quœrebas ? c'étoit donc peur la fanté du corps ,. pour les biens du inonde , pour les honneurs du fie de que vous vou- liez pliire à Dieu t Or voilà juilement pourquoi il étoit convenable que Dieu vous en privât , afin que vous appridiez à l'aimer, non pour ce qu'il donne aux hommes , mais pour ce qu'il eft en lui- même. Car fouvenez-vous , ajoute le même Père , que fi vous êtes jufte ,. vous vivez dans l'état de la grâce ÔC dans l'ordre de la grâce ; comme donc cette grâce efl toute gratuite de la part de Dieu , elle vous engage à aimier Dieu

'Uim. d'un amour gratuit ; Si ideo grat'um tïbi dédit Deus , quïa gratis dédit , gratis ama ; & vous ne devez point l'aimer pour une autre récompenfe que lui-même, puifqu'il veut être lui - même toute

>Idcm» votre récompenfe : NoU ad prcemium diligere Deum , qui ipfe eft prœmium tuum. Les biens de la terre rendroient votre amour mercenaire ; 6c fi vous- vous plaignez quand Dieu vous les refufe ou qu'il vous les enlevé , vous.

ET LA PROSP. DES PÉCHEURS. 153

faites voir par que ces biens vous font plus chers que Dieu même, Se par conféquent que vous ne méritez pas de le porteder.

Biens tellement contagieux , qu'ils peuvent pervertir les plus juftes , & que fouvent ils les ont précipités dans l'abyme le plus affreux &. dans une corruption entière. Les exemples n'en ont été que trop éclatants & que trop fréquents : mais par un trait encore tout nouveau de providence & de miféricorde à l'égard de fes élus , comment Dieu les garantit-il de ce danger r par une pauvreté qui leur fert de préfervatif contre la contagion des richeiles tem- porelles y par une obfcurité qui leur tient lieu de fauve-garde contre la con- tagion de grandeurs périffables , par une langueur & une maladie qui les met à couvert de la contiigion des plaifirs feniuels & des flatteufes illufions de la chair. Le jufte , il eft vrai , peut maintenan ne pas voir à quoi il fe trouvoit expoTé , lui , dis-je , en pa»-ti- culier plus que bien d'autres, (i Dieu n'eût ule pour lui d'une telle précaution : mais ce qu'il ne voit pas à préfent , il le verra à la fin des fiecles & au grand îour de la révélation ; car c'eft que Dieu l'attend , c'ei^ que Dieu fe réferve à lui mettre devant les yeux toutes les injuftices l'eût emporté une avdre &: ^l^tiable convoitife , tous les projets

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1^4 SuîlLE5 AFFLIC. DES JUSCES criminels , & toures les intrigues oîi l'eût engagé une ambition démefurée fans bornes ; tous les excès, toutes les habitudes & les abominations l'eût plonzé une paffion aveugle & uiie brutale volupté, fi le frein de l'afflidlion ne l'eût retenu , & Ci les difgracss de la vie ji'eufTent empêché le feu de s'allumer ^dans fon cœur : 6c par une fuite imman- quable , c'eft qu'éclairé d'une lumière- divine , & découvrant les falutaires & favorables fecrets de la fagelTe éternelle qui Ta conduit , il bénira Dieu mille fois de ce qui fembloit devoir exciter centre Dieu tous fes murmures ; il regardera comme un coup de prédefti- 3iat'?on de la part de Dieu , comme une grâce de Dieu , & une des grâces les plus précieufes , ce que le monde regardoit comme un délaillsment total & comme une efpece de réprobation.

Cependant, parce qu'il ne fuffit pas <3e s'éloigner du monde & de l'occafion <îu péché, fi ce n'eft afin de s'attacher à Dieu ; je vais plus loin , & peu à peu «développant le bienfait du Seigneur & tout ce que je puas découvrir des def- ieins de fa Providence , j'ajoute & je prétends qu'il ne fait fouffrir fes élus , que pour les attirer à lui ^ que pour les mettre dans une heureufe neceifité de recourir à lui, de fe confier en lui, de i\è fe tourner que vers lui. Car il y a , félon S, Bernard , quatre fortes de pré-

Et LA PROSP. DES PÉCHEURS. I^Ç

ceflinés. Les uns emportent le royaume du Ciel par violence , & ce font les pauvres volontaircL- , qui d'eux-mêmes quittent tout & renoncent à tout. Les autres trafiquent en quelque manière pour l'acheter , & ce Ibnt ces riches qui, comme parle l'Eviingile , fe font, par leurs aumônes , des interceffeurs auprès de Dieu , & des amis qui les doivent un jour recevoir dans les taber- nacles éternels. D'autres , pour ainfi dire , femblent vouloir le dérober , ôc qui font-ils ? ce font ces humbles de cœur , qui fuient la lum.iere , non par un refpeâ: humain . mais par un faint defir de l'abiediion, <Sc qui dans une vie retirée cachent aux yeux des hommes' toutes les bonnes œuvres qu'ils prati- quent. Enfin pluficurs n'y entrent que parce qu'ils y font forcés; & voilà ces îjuftes qui ne fe font déterminés à cher- cher Diej , que pi^rce que Dieu n'a pas permis qu'ils trouvallént rien ailleurs qui les orréiàt. Si le monde eût été à leur égard ce qu'il eft à l'égard de tant de mondains ; c'eft- à-dire , fi le monde les eût flattés , les eût idolâtrés , n'eût eu pour eux que des diftin6tions, que des refpe61s , que des agréments , ah I Sei- gneur , auroient-ils jamais penlé à vous ^ Comme ce peuple charnel que vous aviez formé avec tant de foin, & engraiffé du ^'uc de la terre, ils auroient oublié leur , créateur & leur bienfai^leur , ils ne fe

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15^ Sur les xvtnc. des Justes

feroient plus fouvenus que vous étiez leur Dieu , & tout leur encens eût monté vers d'autres autels que les vôtres :: Veuter. Incrdjfatus , impin^uatus , àïlatrùus , *, 55. dereliquit DiumfuQoremfuum. Mais parce. que vous avez appef<anti l'ur eux votre bras , parce qu'en leur faveur vous avez rempli le monde d épines qui les ont piqués , de chagrins qui les ont<lélbIésy d'accidents bi de malheurs qui les ont obligés à difparoître &. à ne plus ibrtir de leur retraite , en leur donnant la mort, vous leur avez donné la vie, & les perdant en apparence , vous les avez fauves. Ils n'ont- point trouvé d'autre reffource que vous , & c'elt pour cela qu'ils font venus à vous : ils fe font jetés dans votre fein comme dans leur afyle , & vous les y avez reçus ; vous les y tenez.en affurance, & vous les y con- T[, 77. fervez. Cùm occiderct eos reverttbantur , diluculb venubant ad eum^.

Ce n'eit pas qu'ils n'aient toujours bien des combats à foutenir ; & c'efl aufli ce que Dieu prétend : pourquoi ? parce que ce font ces combats , répond faint Anibroife , qui font leur mérite. Sans combat . point de vi6loire à rem- porter, & fans victoire , point de cou- ronne à efpérer. Vous vous étonnez , continue ce Fere , que Dieu exerce ainfi fes plus fidelos ferviteurs , & qu'il iailTe au contraire les plus grands pé* çbçurs dans une paix profonde : vou^.

voulez favoir la raifon de cette diffé- rence ; elle eft effentielle & très-naturel- le : c'eft que Dieu ne couronne que les vainqueurs & qu'il veut couronner fes élus ; d'où il s'enfuit par une conféquence néceffaire , qu'il doit donc leur fournir des fujets de trion^phe. Mais la cou- ronne n'étant point réfervée aux pé- cheurs , il les îaiffe par une conduite toute oppolée , fans leur donner ni à combattre , ni à vaincre. Il en ufe com- me les Princes de la terre , ou plutôt les Princes de la terre en ufent eux-mê- mes comme lui , & nous n'en fomme& point furpris : nous ne croyons pas qu'ils abandonnent ceux qu'ils deihnent à cer- taines dignités , quand pour les mettre en état de s'avancer , ils les chargent de tant de foins , ou qu'ils les expofent à tant de périls ; ce n'efl dans l'eûifiie du monde ni indifférence ni rigueur pour eux y c'eft faveur & grâce.

Que dirai - ;e encore ? &. fuppofor>5 même que ce foit à l'év^ard des juffes , rigueur de la part de I.>!eu ; ne fera- ce pas toujoars une rigueur puernelle & toute niiféricoruleuie ? Voici ma penfée. Il n'eft point d'homve de bien , quel- que jude qa'i! puiiTe être , qui n'ait fes chutes à réparer 6<. fes iF-ridéhtés à ex- pier. Le plus innocent 6c le plus jufte , félon l'idée que nous «n devons avoir dans la vie p; éfenie , n'eft pas celui qui n'a jainais péché , & qui ne pecke jamais ^

ï^S Sur LES ArFLîCT. DES Justes

©il eft-il mamtenant , §c le trouve- t-on ? mais celui qui a moins péclié , & qui pèche moins ; celui qui a plus légére- raent péché, & qui pèche encore plus rarement ; celui qui s'eft relevé , 6c qui fe relevé plus promptement de Ion pé- ché. Quel qu'il {bit , il eft comptable à Dieu de bien de dettes , & il faut indifpenfablement qu'il les acquitte. Mais quand les acquittera-t-il ? Si c'efl après la mort , quel jugement aura t- il à fubir , & quel châtiment ! Il vaut donc mieux pour lui que ce foit pen- dant la vie , Si par les peines de la vie» Or voilà le temps en effet que Dieu choifit , voilà le moyen qu'il emploie pour le châtier. C^eft ce que Saint Jé- rôme écrivoiî à i'uluftre Paule, & c'é- icit ainfi qu'il la conloloit dans les pertes qu'elle avoit faites , 6c dans la fenfible cloulear qu'elles lui caufoient. Pourquoi tant de larmes, lui remontroit - , Se tant de regrets ? ChoififTez , & tenez- Tous-en , pci:r vous foutenir , à l'une de ces ceux réflexions : Ou par le , bon témoignage ce vôtre confcience , &: fans, bieffer les fentiments de d'humilité chré- tienne , vous vous confidérez comme jude ; 6c alors votre confolation doit , être que Dieu perfectionne votre ver- tu , qu'il la met en oeuvre , & lui fait fans ceiTe acquérÎT de nouveaux degrés : ou le fouvenir de vos chutes & la con- nxiiil^nce de vos foiblefles vous porte à

ET LA PîlOSP. DES p£CHEURS, I^f

vcus regarder comme criminelle ; & dans cette vue vous devez , pour Ibn- lager votre peine , & pour vous la ren- dre non- feulement fupportable , mais aimable , penler que Dieu vous corrige , 6c qu'il vous donne de quoi le latis- £aire à peu de trais : Eli^e : autfancfa Hlerofu es , & probaris ; aut peccatrix , & emcp." daris. Mais que ne corrige-t-il ce liber- tin ? Ah ! mon cher Auditeur , conten- tez-vous que votre Dieu vous aime , ôc De l'obligez point à vous rendre compte de la terrible juftice qu'il exerce fur les autres. Je vous l'ai déjà dit tant de fois , & je ne puis trop vous le faire entendre ; Dieu fe venge d^'autant plus rigoureufement , qu'il diffère plus fes vengeances ; & malheur à ces riches du fiecle , à ces puiffans du fiecle , à ces fuperbes Ôi. à ces orgueilleux du fiecle , qu'il engraifle comme des victimes pour le jour de fa colère î C'eft l'expreilion de Tertullien : Quafi vidimu ad fuppU- TertuH, cium fr^gïnaraur.

Arrêtons-nous là, & pour conclufion de cette pre^r/iere partie , rsifonnons , s'il vous plaît y un moment enfemble. Yoilà donc , par cela feul que je viens de vous préfeater, la Providence juf- tifiée fur le partage qu'elle fait des profpérités & des adverfités temporel- les entre les juftes & les pécheurs. Car. ce^te juilsfication doit fe réduire à deux j^oints : l'un , cjne Dieu des cette vie^

i6q Suîi les ArFLic. des Justes

prenne foin de fes élus ; l'autre , que dès cette vie même il Te tourne con- tre les pécheurs , & qu il kilTe sgir contre eux la juftice. Or éprouver fes élus , purifier fes élus , préferver les élus , le les attacher d'un nœud plus éuoit , leur faire amafter mérites fur mérites pour les faire monter à un plus haut point de gloire , Ôc lever par de légères faiisfuiSlions le feul obftacle qui pourroit retarder leur bonheur , ne font-ce pas les foins falutaires d'une miféricorde également fîge & bien- faifinte ? Mais par une règle toute contraire , livrer les pécheurs à eux- mêmes & à leurs pafficHis ; ne point troubler un repos mortel ils de- meurent tranquillement endormis ; ne répandre jamais l'amertume fur de fauf- fes douceurs qui les corrompent ; les laiffer dans une élévation qui les enile , dans un éclat qui les éblouit , dans une abondance qi.i leur infpire la mollelTe, dans une vie volup:ueu;e qui les entre- tient en toutes for-^es de défordres , dans un oubli du filut & dans un état d'impénitence qui les conduit à une mort réprouvée, ne font-ce pas les coups redout::hIes d'une juftice d'autant plus à craindre qu'elle le tait moins connoitre ? Ce qui nous trompe , c'eit que nous ne jugeons des choies que par rapport au temps nous fom.m.es 5c e\»i paiTe , mais que Dieu en juge par

ET LA PROSP. DES PÉCHEURS. l6l"

rapport à l'éternité nous nous trou- verons un jour & qui ne paffera jamais. Or de ces deux règles quelle ed la meilleure & la plus avantageuie ? J'en conviens , dit Saint Auguiiin : félon la première , le pécheur a droit , ce fem- ble , d'iniulier au jui^e &: de lui deman- der , eft votre Dieu ? Ubi eft Deus P/. ^i, tuus? mais félon l'autre, qui des deux efl fans contredit la plus droite & l'uni- que même qu'il y ait à fuivre , le jufle peut bien répondre aux infultes du pé- cheur : mon heu^e n'efl pas encore venue , ni la vôtre ; attendons , l'une & l'autre viendra, & c'eft alors que je vous demanderai , font ces Dieux que vous adoriez & en qui vous met- tiez toute votre confiance ? eft cette félicité dont le goiàt vous enchantoit & dont vous étiez idolâtre r que ne la rappeliez - vous , pour vous retirer de l'éternelle mifere vous êtes tombé ? Deutsr, Ubi funt eorum , in qu'eus habebant S^« fiduciam ?

Ainfi , mon cher Auditeur , ce qui vous refte , c'eft d'entrer dans les vues de votre Dieu qui vous afflige , & de féconder par votre patience fes deffeins ; 6c le regret le plus vit qui doit préfen- tement vous toucher, c'eft peut-être de n'avoir point encore profité d'un ta- lent que vous pouviez faire valoir au centuple , c'eft d'avoir trop écouté les fentimeats d'une défiance toute naturelle.

ï6i Sur les afflict. des Justes

& de les avoir fait éclater par des plaintes fi injurieures à la providence du Maître qui velile fur vous ; c'eft d'a- Toir tro»p prêté Toreilie aux difeours fédu£leurs du monde touchant votre infortune & le malheur apparent de votre condition ; c'eft d'avoir trop cherché à exciter la compaiiion des hommes , ponr en recevoir de vains foulagenients, lorfque vous deviez vous regarder comme un fujet digne d'envie , & ne m.ettre votre appui que dans la foi ; c'eft de n'avoir pas allez compris la vérité de ces grandes m.aximes de l'Evangile ; que bienheureux font les pauvres , parce que le Royaume célefle leur appartient ; que bienheureux font ceux qui foultrent periécution fur la terre & qui pleurent , parce qu'ils fe- ront éternellement confolés dans le Ciel. Mais , Seigneur , me voici déformais inftruit , & j'en fais plus qu'il ne faut pour éclaircir tous mes doutes & pour arrêter toutes les inquiétudes de mon efprit. De tant de raifons , une feule devoir fuffire , & même tans tant de rai- fons, n'étolt-ce pas alTez de favoir que quoi qu'il m'arrive, c'eft vous qui l'avez voulu ? Ordonnez , mon Dieu , comme il vous plaira , & faites de moi tout ce qu'il vous plaira. Que l'impie à fou gré domine le jufte , qu'il le foule fous les pieds , & que je fois le plus maltraité de tous , je ne m'écrierai point comme

ET LA PROSP. DES PeCHÎURS. 1^$ ces Apôtres éperdus : Domïm , falvj. nos , perimus : aidez - nous , Seigneur, nous voilà fur le point de périr ; mais me repofant fur votre infinie fageffe 6c votre louveraine milericorde , je vous dirai avec un de vos plus fidèles Pro- phètes : In te ^ Domine , fperavi , non Pf- 5< confundar : C'eft en vous , mon Dieu , que j'efpere ; mon elpérance ne fera point trompée, car je fuis certain que tout ira bien pour moi tant que je me confierai en vous , & que dans cette conduite de votre Providence qui paroît fi lurprenante aux hommes , il n'y a rien , non-feulement qui doive ébranler leur foi , mais qui ne la doive confirmer. Cefl la féconde Partie.

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UI, Chrériens, s'il y a im motif n. ^ capable de me confirmer dans la foi Parx. & d'affermir mon efpérance , c'eft devoir que les impies s'élèvent & qu'ils prof- perent dans le monde , pendant que les juftes font dans l'abaiiTement & dans l'adverfité. Cette propofitlon vous pa- loit d'abord un paradoxe ; mais vais l'examiner avec vous , & bientôt vous en découvrirez avec moi finconteftable Ycrité ; nous la trouverons fondée fur les principes les plus fohdes & même les plus évidents de la raifon naturelle, de l'expérience, de la religion. Appli- quez-vous à ceci : j'ofe dire que c'eft le point eftentiel d'où dépend toute la

1^4 Sur lis aeflic. des Justis morale chrétienne. En eft'et , de voit les calamités des Juftes fur la terre , & h profpérité des pécheurs ( ce qui nous fenible un défordre ) c'eiî un des argu- ments les plus forts &. les plus lenfibles pour nous convaincre qu'il y a une autre vie que celle-ci, & que nos âmes ne meurent point avec nos corps ; qu'il y a une récompenfe , une gloire , un îalut à efpérer après la mort, que toutes nos prétentions ne font point bornées à la condition préfente nous lommes , & que Dieu nous réferve à quelque chofe de meilleur & de plus grand : voilà le principe de la railbn. Je dis plus ; c'eft ce qui nous montre que Jefus - Chrift notre Maître , en qui nous nous con- fions , eft fidèle dans fa parole , que (es prédirions font vraies , qu'il ne nous a point trompés , & que nous pouvons compter avec affurance fur ces promef- fes , puifqu'elles ont déjà leur accom- plilTement : voilà le principe de l'expé- rience. Enfin , c'eft ce qui fe juftifie , parce que rien nei\ plus conforme à l'or- dre établi de Dieu dans la prédeftinatiori des hommes , que les foufFrances des jufles & les avantages temporels des pé- cheurs : voilà le principe de la religion. Or je vous demande i\ ce ne font pas trois ccnfidérations bien puiflantes pour foutenir notre confiance. Je fuis qu'il y a une vie future je fuis ap- pelle , une vie bienheureufe qui m'eft

ET LA PROSP. DES PÉCHEURS. l6<^

deftinée , & ma ralfon me le tait con- noître. Je fiis que tout ce que le Fils de Dieu a prédit devoir arriver , foit aux jufles , foit aux pécheurs, çiï certain; par conféquent je puis faire fond fur tout ce qu'il m'a promis , & j'en ai déjà la preuve dans ma propre expérience. Je fais &L je reconnois vifiblement que la pxédeftination des hommes , de la ma- nière que Dieu Ta conçue 6c Ta con- cevoir , que tout ce qu'il a réglé & or- donné fur cela , commence à s'exécuter. Dès qu'on eft inftruit de ces trois chofes, y a-t il une foi fi foible & fi chancelante , qui ne fe fortiîie , qui ne fe rév<iille, qui lie fe ranime toute entière : or voilà , je le répète , ce qui s'enfuit évidemment de l'état de peine & d'afflidion nous voyons les juftes, tandis que les pécheurs vivent dans l'opulence & dans le plaifir. Reprenons , & mettons dans leur jour ces trois penfées.

Il n'y a point de libertin , foit de moeurs , foit de créance , qui ne cefsât de l'être s'il étoit perfuadé qu'il y a une autre vie : ce qui fait fon libertina- ge , c'eft qu'il ne croit pas, ou qu'il ne croit qu'à demi , qu'il y ait quelque chofe de réel 6c de vrai en tout ee qu'on lui dit de cette vie future nous afpirons comme au terme de notre courfe & à^ l'objet de notre efpérance. Quoi qu'il en puîlle penfer (car n'eft point à lut prçfçn^^ment .quet je m'a^i'effe ^ ni pouç

i6G Sur. LES AFFLicT. DES Justes lui que je parle) mol qai crois un Dieu ,

créateur de l'univers , voici , pour me raffurer 6c pour entretenir toujours dans mon cœur les fentiments d'une toi vive & d'une ferme confiance , comment je me lers de cette étrange diverfité de conditions fe trouvent les gens de bien & les impies. Je dis en moi-mê- me : le parti de la vertu eft communé- ment opprimé dans le monde : celui du vice y eft dominant & triomphant ; on y voit des juftes dépouillés de tout & mi- férables , des amis de Dieu perfécutés , des Saints méprilés & abandonnés. Que dois-je conclure de ? qu'il y a donc pour le juûe après la vie préfente , d'au- tres biens à efpérer que ces biens vifiblcs & périiTables qui lui font refufés. C'ell ce que les Pères de l'Eglife ont toujours conclu , & c'eft la grande preuve qu'ils ont toujours employée contre ces héré^ tiques, qui prévenus de la cQnnoiflance de Dieu , vouloient néanmoins douter de l'immortalité de nos âmes. Lifez fur cette matière l'excellent traité de Guil- laume de Paris , ou plutôt écoutez -en le précis que je fais en peu de paroles. Apres bien d'autres raifonnements tirés de la nature de Thomme , il en revient toujours à celui- ci, comme au plus pref- fant Se au plus convaincant. Vous con- venez avec moi , dit-il , de l'exiftence d'un premier Être ; vous reconnoidez ïin Djeu ; mais répomdezrmoi, ce Dieu

ÏT LA PROSP. DES PÉCHEURS. l6j

aime - t - il ceux qui le fervent & qui tâchent à lui plaire ? S'il ne les aime pas &. qu'il ne s'intérefie point pour eux , oU eft la fagefl'e &i fa bonté ? s'il les aime , quand le fait- ilparoitre ? Ce n'eft pas dans cette vie , puifqu'il les y laiffe dans rafRi£lion ; ce n'eft pas d'ans l'autre vie , puifque vous prétendez qu'il n'y en a point. Cherchez , ajoute ce faint Evê- que , ayez recours à toutes les fubtilités que votre efprit peut imaginer ; vous ne fatisferez jamais à cette difficulté, qu'en avouant Tame immortelle , & conieflant avec moi qu'après la mort il y a un état de vie Dieu doit récompenfer chacun félon fes mérites. Car ce Dieu devant être , comme Dieu , pariait dans toutes fes qualités, il doit avoir une par- faite juftice : or une juftice parfaite doit néceflairement porter à un jugement par- lait. Ce jugement parfait ne s'accom^plit pas en ce monde , puifque les plus im- pies y font quelquefois les plus heureux ; ïi taut donc qu'il s'accompliffe en l'au- tre , ôc par conféquent qu'il y ait un autre fiecle à venir, , qui eft celui que nous attendons. Sans cela , pourfuit le même Père , on pourroit dire que les juftes feroient des infenfés , & que les impies feroient les vrais fages : pour- quoi ? parce que les impies chercheroient les véritables &. folides biens , en s'atta- çhant à la vie préfçnte, au lieu quç iç^

î68 Sur les afflic. des Justes

judes fouifiiroient beaucoup , & fe con- fumeroient de travaux , dans l'attente d'un bien imaginaire. Voyez-vous, Chré- tiens , comment ce favant Eveque tiroit des adverfités des julies une raifon in- vincible pour établir la foi d'une vie & d'une béatitude éternelle 1

C'eft auffi ce que prétendoit Saint Auguflin dans l'exporition du Pfeaume quatre-vingt-onzième , lorfque parlant à un chrétien troublé de la vue de fe$ miferes & du renverfement qui paroît dans la conduite du monde , il allègue cette même raifon pour lui infpirer une force à l'épreuve des événements les plus fâcheux. Voulez-vous avoir , dit- il , toute la longanimité des Saints, confidérez l'éternité de Dieu ; alors les plus triftes accidents , bien - loin de vous abattre , feront pour vous autant de motifs d'une foi & d'une efpérance plus conftante que jamais. Car quand vous vous troublez , parce que la vertu eft maltraitée fur la terre , & que le vice y eft honoré , vous raifonnez fur un faux principe , & vous êtes dans l'erreur. Vous n'avez égard qu'à ce petit nombre de jours dont votre vie eft compolée , comme fi dans ce peu de jours tous les deffeins de Dieu dévoient s*accomplir fur les hommes ; 4^$' Aiundïs ad aies tuos paucos , & diebus m'is paucU yisimpkri omnia i c'eft-à-dire,

que

tT Lk PROSP. DES PiCREURS. l6^

que vous voudriez voir dès maintenant tous les juftes couronnés & récomp.en- fés , & les inipies frappés de tous les fléaux de la juftice divine ; que vous voudriez que Dieu ne différât point , & que Tua & l'autre s'exécutât dans la biiéveté de vos ^nnécs. Mais cei\ ce que vous ne devez pas demander. Dieu fera l'un 6i l'autre en fon temps, quoi- qu'il ne le faffe pas deins le vôre. Le temps de Dieu c'eft l'écernité , &. vôtre c'eft cette vie mortelle : votre temps eft court , mais le temps de Dieu eft infini. Or Dieu n'eft pas obligé de faire toutes chofes dans votre temps ; c'eft aflez qu'il les fafle duRs le fien : Implebit Deus in tempore juo. Et c*eft .Z^.tî?, pourquoi je vous dis que (i vous voulez vous affermir dans votre foi & fou'enir votre efpérance , vous n'avez qu'à vous remettre fans ceffe dans l'efprit l'éter- nité de Dieu. Comment cela ? parce que témoin de l'injuftice apparente avec laquelle Dieu feaibîe traiter les hommes fur la terre , fe moniranc rigoureux pour fes amis & fi favorable à fes ennemis , vous tirerez cette con- féquence, qu'il prépare donc aux uns & aux autres une éternité, il leur ren- dra toute la juftice qui leur eft due , puifqu'il h leur rend fi peu dans le temps. Tout ceci eft de ùim Auguf- tin , & ce font fes propres paroles que îe rapporte.

Do min, Tom. h H

170 Sur les afflic. des Justes

C'eft cette même vue d'une éter- nité qui a rendu les Saints invincibles dans les plus violentes tentations. Quand eft-ce que Job parloir de la vie tuture Ôi. immortelle avec une certitude plus abfolue &i une foi plus vive ? Ce fut lorfqu'il fe trouva fans biens , fans mai- fons , fans famille, privé de tout fecours Job. & réduit fur le fumier. Scio qubd ^' '^* Redemptor meus vivit. Oui , je fais , dlfoit-il, que mon Rédempteur eft vivant , & que moi-même je vivrai éternellement avec lui. Je n'en ai pas feulem.ent une révélation obfcure , mais une efpece d'évidence : Scîo, Et d'où l'apprenoit - il , demande faint Gré- goire Pape ? de fes fouflrances mêmes 6c de toutes les calamités dont il étoit affligé. Quand eft-ce que David eut une connoiffance plus claire & plus dif- tinde des biens éternels , & qu'il s'en expliqua comime s'il eût eu devant les /y. ;r(;.'yeux le Ciel ouvert: Credo videre hor.a Donini in terra viventïum ? Ce fut dans le tem.ps que Salil le perfécutoit avec plus de fureur. Ah 1 s'écrioit-il, je crois déjà voir la gloire que Dieu deftine à fes élus , 6(. il me femble qu'elle fe découvre à moi avec tout fcrj éclat. Mais, divin Prophète , comment la voyez-Vous ? les sfflidions, les maux vous afiiegent de toutes parts, & vous p.rétendez appercevoir au milieu de tout cela les biens du Seigneur ? Mais c'eft

£T LA PROSP. DES PÉCHEURS, ift

€n cela même, répond faint Jean Chry» foiiome , c'eft dans les maux dont il ^toit alTiégé , qu'il trouvoit des gage» certains qui l'afluroient pour une autre vie , de la pofTeffion des biens du Sei- gneur. Car fa raifon feule lui diftoit au fond de l'ame , que les maux qu'il avoit à fouffrir de la part de Saiil étant contre toute juftice, il étoit de la pro- vidence de Dieu qu'il y eût dans l'ave- nir un autre état fon innocence fût reconnue & fa patience gloritiée ; & voilà ce qu'il entendoit & ce qu'il "vouloit faire entendre , quand il difoit : Credo vidae bona Domïni in tcrrâ viven-^^ •iium.

Nous avons encore , Chrétiens , quelque choie de plus , ce font les prédi6lions de Jefus-Chiift, dont notre propre expérience nous fait voirl'accom- ^)iiri'ement dans les foufFrances des juftes & dans la profpérité des pécheurs. Ceci n'eft pas moins digne de vos réflexions. Si le Fils de Dieu avoit dit dans l'Evan- gile, que ceux qui s'attacheroient à le fuivre &. qui marcheroient après lui , fêroient exempts en ce monde de toute peine , à couvert de toute difgrace , comblés de richefles , toujours dans le plaifir , Se qu'il n'y auroit de chagrins & de traverfes que pour les impies ; alors , je l'avoue , notre foi pourroic s'aftoiblir à la vue de l'homme de bien dans l'iadieencç , l'humiliation , la

îf 2 Sur les afflîc. des Justes

douleur , & du libertin dans la fortune y l'autorité , l'élévation. Il me feroit difficile de réfifter aux fentiments de défiance qui naîtroient dans mon cœur : pourquoi ? parce que je me croirois trompé par Jefus-Chrifl même, & que j'éprouverois tout le contraire de ce qu'il m'auroit promis. Mais quand je confulte les facrés oracles fortis de la bouche de ce Dieu Sauveur , & que je les vois accomplis de point en point dans la conduite de la Pro- vidence ; quand j'entends ce Sauveur adorable dire clairement & fans équi- voque à fes Difciples : Le monde fe réjouira , & vous ferez dans la triftefle;

Jean. Mundus gaudebit , vos autem contrijîabi- '^' min\: quand 1 entends leur déclarer dans les termes les plus exprès , qu'ils feront en butte aux perfécutions des hommes ; leur faire le détail des croix qu'ils auront à porter , des mauvais traitements qu'ils auront à effuyer ; leur marquer - deflus toutes les circonf- tances , 6c conclure en les avertiflant que s'il leur annonce par avance toutes ces chofes , c'eft afin qu'ils n'enfoient point furpris ni fcandalifés iorfqu'elles arri-

îiid, veront , Hcec locutus fum vobis , ut noin fcandull^emini , ÔC afin qu'ils fe fou- viennent qu'il les leur avoir prédites ;

U'id. Ut cîim -vcncrït hora , ^orum reminifca" mini, quia ego dixi vobis : quand, dis-je, ççut cela fe préfente à mo^ efprit, 6c

ETLA PROSP. t>ES?ÉCHEUÎlS. I/J

que tout cela s'exécute à mes yeux , que j'en fuis inftruit par moi - même , & que j'en ai les exemples les plus fen- . fibles & les plus préfents^ eft-il poffible que ma confiance ne redouble pas , &C qu'elle ne tire pas de un accroiffe- ment tout nouveau ? Si je voyois tous les pécheurs dans l'infortune , ôc tous les jufles dans le bonheur humain , c'eft ce qui m'étonneroit , psrce que: je ne verrois pas la parole de Jefus- Chrift vérifiée. Mais tandis que les gens de bien foufFriront , & que les im-» pies auront tous les avantages du fiecle , je ne craindrai rien , je me confolerai , je me foutiendrai dans mon efpérance. Car voici comment je pourrai raifon- ner. Le mêm.e fils de Dieu qui a dit aux jufies , vous ferez dans l'afRidion , leur a dit aufii , votre triiîeffe fe chan- gera en joie : Trijlitia vefira vcrtetur in Uld» gaudium : Le même qui leur a prédit leurs peines & leurs adverfités , s'eft engagé à leur donner fon royaume , & dans ce royaume céiefte une féli- cité parfaite. Or il n'eft pas moins infaillible dans l'un que dans l'autre , pas moins vrai quand il annonce le bien que lorfqu'il annonce le mal , pnifqu'il eft toujours la vérité éternelle. Comme donc l'événement a juftifié 6c juïlifi^ fans ceiïe ce qu'il a prévu des aiBi6lions de fes élus , il en fera de même de la gloire qu'il leur fait efpérer. De

Hiij

174 Sur les afflic. des Justits je prends le fentirr.ent du grand Apô- tre , & je dis avec lui : je foufFre , mais je fouffre fans me plaindre , & je n'eii fuis point déconcerté ni inquiet ; car je f^is en qui je me coniîe & fur la parole de qui je me repofe ; je le fais , & je fais certain , non-feulement qu'il peut faire pour moi tout ce qu'il m^a promis , mais qu'il le veut & qu'il le fera , puifqu'il me Ta promis , & a tous ceux qui fe difpofent dans le filence & la foumiilion au jour bienheureux oil il viendra reconnoître fes prédeftinés &: remplir leur attente.

Ert-ce tout ? non , mes chers Audi- teurs ; mais je finis par un point qui me paroit , & qui doit vous paroitre comme à moi le plus eiïentiel. Car dans cette affemblée je m'adrefle à celui de tous que Dieu connoît le plus ]Uile , & que Dieu toutefois a moins pourvu de fes dons temporels : qu'il m'écoute & qu'il me comprenne y c'eft à lui que je parle. 11 eft vrai , mon cher Frère , & je ne puis l'ignorer , votre fort parmi les hommes ei\ trifte & fâcheux ; mais par-là, fi je puis m/ex- primer de la forte , à quel fceau vous trouvez-vous marqué ? à celui que doi- vent porter les élus , à celui qui les diftingue comme élus , en un mot , à celui du fils unique de Dieu , le chef & .l'exemplaire des élus. Tellement , que vous entrez uinh dans Tordre do

£t la frosp. des Pécheurs. 175

votre prédeftination, & que Dieu com^ mence à exécuter le décret qu'il en a formé. Je m'explique , &l je vais mieux vous faire entendre ce myftere de ulut. On vous Ta dit cent fois après l'Apôtre , & c'eft un principe de notre toi, que Jefus - Chrift étant le modèle des pré- deftinés , il faut , pour être glorifié comme lui , avoir une fainte reiTem- biance avec lui. Car , félon l'excellente 6l fublirae théologie du Dofteur des nations , tel eft l'indlfpenfable condi- tion que Dieu demande pour taire part de fa gloire à fes élus , & c'eft ainfi qu'il les a choifis : Quos prczfcïvit & prcz- îi:>m, deflinavit conformes fieri inuginis fiUi ^- /• fui. Or il q£x. évident que Jeius-Chrifl a vécu fur la terre dans le même état ou Dieu permet que le jufte foit réduit , qu'il a marché dans la même voie , qu'il a été expofé aux marnes rebuts 3 aux mêmes mépris , aux mêmes con- tradictions. O profondeur des confeils de la divine fagefle ! Tibère régnoit ea Souverain fur le trône , & le fils de Dieu obéiîToit à fes ordres. Pihte étoit revêtu de h fuprême cutori;é , & le fils de Dieu cGir.paroilloit devant lui. Voilà comment Dieu opéroit par Jefus- Chriil le falut des hommes , 6i voilà , mon cher Auditeur, comment il opère ou comment il confomme le vôtre par vous-même. Il vous imprime les Curac- ti:e5 de fon fils , il grave dans vous fes

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176 Sur les affiic. des Justes

traits & fon image. Sans cela tout fe- roit à craindre pour vous : mais avec ceia que ne pouvez- vous point elpérer, puifque c'eft l'exécution des favorables deiïeins d-e Dieu fur votre perfonne ? Q_uos prœfclvit & pradejiinavit conformes fitri imaginis fiiù fui.

Vous me dites : L'on a vu & l'on voit encore des gens de bien, riches & opu- lents y honorés & diftingués dans le monde. J'^en conviens : mais fur cela je réponds trois chofes. En effet , s'il n'y avoit de juftes & d'élus que les pauvres & les petits , que ceux qui par l'obfcurité de leur condition , ou par le défordre de leurs affaires occupent les derniers rangs , les aurres états feroient clone exclus du royaume de Dieu , ce feroient donc par eux-mêmes des états réprouvés , il y faudroit donc néceffaire- ment renoncer. Or il étoit néanmoins de la Providence d'établir dans la fo- ciété des hommes ces états , & il efî toujours de la même Providence de les y maintenir : d'oii il s'enfuit que Dieu n'a donc pas y attacher une damna- tion inévitable , & qu'au contraire il devoit y fai. e paroître des exemples de fainteté , afin de ne pas jeter dans un dél'efpcir abfolu tous ceux qui s'y trou- veroient engagés. Je vais plus loin , ÔC j'ajoute , que fi les Sdints fe font vus quelquefois dans l'état d'une prof- périté humaine , c'eft ce qui les iaifoit

ET LA PROSÏ». DES PÉCHEURS. I77

Crembler, que c*eft ce qui les entretenoit dans une défiance continuelle d'eux-mê- taes , que c'eft ce qui les humilioit, ce qui les confondoit devant Dieu: pour- quoi ? parce que ne reconnoiflant point dans leur profpérité l'imcîge de Jefus- Chrift fouffrant , ils craignoient que Dieu ne les eût rejetés , &. de ne ré- gner jamais avec Jefus-Chrift glorieux & triomphant. De-là pour fuppléer à ce qui leur manquoit , & pour acqué- rir cette conformité néceffaire , que faifoient-ils ? obfervez-le bien , c'eft ce que j'ai en dernier lieu à répondre. Ils ne quittoient pas pour cela leur condi- tion , parce qu'ils s'y croyoient appelles & qu'ils vouloient obéir à Dieu ; mais fous les dehors fpécieux d'une condi- tion aifée & commode , ils confervolent toute l'abnégation chrétienne , & por- toient fur leur corps toute la mortifi- cation de leur Sauveur. Sans renoncer à leur état, ni à certain extérieur de leur état , ils renonçoient à Tes douceurs , & fur-tout ils Te renonçoient eux-mémies. Au milieu de l'abondance ils favoient bien reiîentir les incommodités de la pauvreté ; au milieu des honneurs , ils trouvoient bien des moyens pour fe contenir dans les fentiments & s'exer- cer dans les a6les d'une profonde hu- milité ; au milieu des divertiilements mondains , quelquefois ils fembloient ^voir part , ils n'oublioient pas les

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178 Sur LES AFFLic. DES Justes

devoirs de la pénitence, & même fouvenc la pratiquolent - ih dans toute fon auftérité : tout cela afin d'être du nombre de ceux dont l'Apôtre a dit : Quus prœfcivit & pnzdefiinav'u conformes fieri imaginis fiL'ù fui.

Vous me direz encore qu'on a^vu des pécheurs & qu'on en voit dans les mêmes adverlîtés que les juftes , ÔCauiii affligés qu'eux. Il eft vrai : mais fans examiner toutes ies ràifons pourquoi Dieu ne veut pas ni ne doit pas vouloir que le vice profpere toujours , je me contenterai d'une réponfe que j'ai à vous faire , & qui fervira de preuve à l'im- portante vcrité que je vous prêche. C'eft que pour ces pécheurs fujets comme les jufles aux revers & aux difgraces de la Tie, une des plus précieules & des plus fenfibles marques , félon la doclrine de tous les Pères , que Dieu ne les a pas entièrement abandonnés , ce font leurs fouffrances même & leurs peines ; que le plus gr^nd de tous les malheurs pour eux , ce feroit d'être ménagés , d'être flattés , de n'être jarF.ais traversés dans le crime; que la dernière refiource qui leur reile pour rentrer dans la voie du falut & pour être reçus dans le fein de la miféricordej eft que Dieu préfent les châtie , qu'en las châtiant il les corrige, qu'ei) les corrigeant il les ré- forme , & que ce renouvellement & cette déformation de m.geurs retrace diias eu:ï.

ET LA PROSP. D£S PeCHEURS. I79

Timage de fonfîls qu'ils y avoient eita- cée : de forte qu'il en faut toujours revenir à la parole du Maître des Gentils : Quos prczfcivit & pnzdcjlinavic conformes fitri ima^inis filii jui.

Plaife au Ciel , mes chers Auditeurs , que vous ayez bien compris ce myftere de grâce 6t de fan£tiiication que j'avois à développer ; que dans les coups dont Dieu vous frappe , vous reconnoilnez l'amour qui TintérelTe pour vous ; que le jufte ranime fon eipé tance , & qu'il fe foutienne par fa patience ; que le pécheur ébloui du vain éclat qui l'envi- ronne , & enivré d'une trorrjpeufe féli- cité qui les féduit , fe détrompe enfin des idées qu'il en avoit conçues , & que déformais il en détache fon cœur pour l'attacher à des biens plus folides. Vous cependant , ô mon D eu ! ne changez, rien à l'ordre des chofes que votre Pro- vidence a réglées : agiliez félon vos vues , 6c non félon les nôtres. Vos vues font infinies, ôc les nôtres font bornées ; vos vues font toutes pures , & les nôtres font toutes terreftres ; vos vues ne tendent qu'à nous fauver , & les nôtres ne tendent qu'à nous perdre. Si la nature fe révolte , fi les fens murmu- rent , ah 1 Seigneur , n'accordez ni à la nature Indocile, ni aux fens aveugles & charnels ce qu'ils demandent. "Ne nous livrez pas à nos defirs, & ne nous écoutei pas , comme vous écoutiez

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i8o Sur les afplîc. des Justes , &c;

autrefois dans votre colère le peuple Juif. Mùia fuivez toujours vos adorables àeC-^ feins, & quoiqu'il nous en doive coûter^ €xécurez-les pour votre gloire ièi pour notre bonheur éternel 5 &:c, '

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SERMON

POUR LE CINQUIEME DIMANCHE

APRÈS L'EPIPHANIE.

Sur la Société des Juflcs avec les Pécheurs,

Cùm domirent homines , venit inimicus homo^ & fuperfeminavit ziiania in medio tritici.

Tandis que les gens dormoîent , l'ennemi vint 3 & fema de Vivroie parmi h bon grain, Ea Saint Matth. ch. 13.

C'EsT dans le champ du Père de famille que cette ivroie eft femée parmi le bon grain, & c'eft dans TEglife de Dieu que les pécheurs vivent au milieu des juftes , & que les uns 6i les autres font confondus enfemble. Ce fut durant la nuit & lorfque les gens étoient endormis , que l'ennemi vint défoler le champ , & c'eft pendant cette vie mor* lelle, qui eft pour nous t^n^P^ ^^

i5^ Sur la société des Justes ténèbres & comme une nuit obfcure , que rennemi commun des hommes fait fes ravages & entretient dans le fein de l'Eglife ce trifte mélange des impies &c des réprouvés avec les élus. Il ne vient pas tandis que nous veillons , tandis que nous avons les yeux ouverts & que nous fommes attenti:fs fur nous-mêmes : mais il prend les moments les traits flatteurs du plaifir nous charment , les faufTes douceurs du monde nous endorment , ©ù nos paffions nous fermant les yeux , nous empêchent de Tappercevoir 6c de remarquer le dommage qu'il nous caufe , Cùm dormirent homines. Voilà com.ment cet efprit féducieur s'infinue , comment il introduit le péché dans les âmes & une multitude prefque infinie de pé- cheurs dans fe chriiVianifme : Venit ini" rnicus homo , fuperfem'inavit ^ii^ania. Dieu d'un coup de fon bras tout-puif- fant , pourroit dans un jour les exter- miner tous ; mais il attend la faifon de la récolte, c'eft-à-dire jufqu'à la tin des fiecles & de Ton jugement dernier , lorf- qu'il enverra fes moiffonneurs pour fé- parer Mvraie d'avec le bon gain : par- lons fans figure , lorfqu'il enverra les Anges exécuteurs de fes volontés &:mi- lîiftres de fa juflice , pour faire le difcer- nement des ]uf\es & des pécheurs , pour mettre à h droite les juftes prédeilinés, & à'ia gauche les pécheurs réprouvés , pour làffenibler les uns dans fon Royaume, ^

AVEC LES PÉCHEURS. iSj

pour précipiter les autres dans le feu éternel : Coliipte :^i7^ima , & aliigite Marh. ea in fafciculos ad cornburcndum : trui- c. ;^, cum autem congregate in hornum meum. Ce temps n*eft pas encore venu , Chré- tiens , & jufqu'à cette fépr.ration nous vivons au milieu des impies , & les im- pies vivent au m.ilieu du rr.onde. Il eft donc d'une conféquence extrême que vous fâchiez quelle conduire vous devez tenir à leur égard , & quelle fociété vous pouvez avoir avec eux. Mais afin de vous en inftruire plus folidement , j'ai befoin des lumières du Saint- Efprit, & je les demande par rintercelTion de Mûrie. Ave M.iria,

DE vouloir pénétrer dans les fecrets de Dieu pour favoir à quelle fin Dieu fouftre les impies au milieu des élus, ce feroit , 'dit Saint Auguftin , vouloir découvrir un myftere qui eil au deffus de nos connoifTances, & que nous devons adorer fans entreprendre de l'examiner. Dieu permet que les impies fubfiflent , & c'eft ce que l'expérience nous fait voir ; il permet qu'ils fubfiflent parmi les bons & les prédeftinés , c'eft de quoi nous ne pouvons douter. De connoitre les raifons pour lefquelles il le veut i-infi, c'eft encore une fois ce qui n'eft pas de notre compétence ; mais d'apprendre comment nous devons nous comporter avec les impies §c les libertins , c'eft ce

'1Î4 Sur la société des Justes qui nous touche & ce qui demande tou« tes nos réflexions. Or de qui l'appren- drons-nous? de Dieu nïême , qui en tout , mars particulièrement en ceci , veut être notre exemplaiie & le modèle de notre conduite. Dieu , Chrétiens , qui eft la fainteté même , demeure avec les pécheurs ; mais je remarque fur cela deux chofes qui doivent être pour nous deux importantes leçons : car il ne de- meure avec les pécheurs que par la né- ceflité de Ton être , c'efl la première ; & en demeurant avec les pécheurs , il lait tout à la tcis & en tirer fa gloire,, Ôc pro- curer leur fdlut , c'efl la féconde. Sur quoi j'établis deux obligations qui nous regardent, &: qui vont faire le partage de ce difcours. Dieu n'eft avec les pé- cheurs que par la néceffité de fon être, & nous ne devons demeurer avec eux que par la nécelîité de notre état : ce fera la première Partie. Dieu tire fa gloire des pécheurs , & travaille en même temps à leur falut ; c'eft ainfi que nous devons rendre notre commer- ce avec eux égaleirent profitable & pour nous & pour eux-mêmes : ce fera la féconde Partie l^ans la première je vous montrerai l'obligation générale ae fuir le commerce des pécheurs ; & nous verrons dans la féconde quel profit il en faut retirer lorfque nous y fommes néceflairement engagés. En deux mots , le mélange des juiles ^ des pécheur*

AVEC LES PÊCHEURS. 185

eft communément dangereux pour les juftes ; mais il peut être quelquefois utile aux uns & aux autres. Autant qu'il eft dangereux pour les jufles , ils doivent l'éviter : & autant qu'il peut être utile aux juftes & aux pécheurs , les juftes doivent en profiter. Voilà tout le fujet de votre attention.

A Entendre parler TEcrlture , on di- î. roit , Chrétiens , que Dieu par une PaRT» efpece de contradi<5lion eft tout à la fois avec les impies & qu'il n'y eft pas , qu'il s'éloigne d'eux & qu'il ne s'en éloigne pas , qu'il les prive de fa préfence ôc qu'il ne les en prive pas. Car voyez comment îl s'exprime différemment , félon la dif- férence des caraderes qu'il prend & qu^il veut foutenir à leur égard. C'eft moi , dit-il , qui remplis le ciel & la terre ; &C quoi que faffe le pécheur , il ne peut m'éviter ni fe dérober à mes yeux. Voilà Dieu préfent au pécheur, pour l'obfer- ver & pour Kéclairer. Mais il dit ailleurs : Je me repens d'avoir créé l'homme, & je fais pour toujours divorce avec lui, parce qu'il eft tout charnel. Voilà Dieu féparé du pécheur , pour fe venger &c pour le punir. irai -je, Seigneur, diloit David, & fuirai - je de de- vant votre face } Si je defcends dans les enfers , je vous y trouve , & vous y «tes en perfonne , exerçant les rigueurs

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186 Sur la société des Justes

de votre juftice : Dieu donc , conclut faint Jérôme, habite même avec les ré* prouvés. Mais j'entends Saiil au contrai- re invoquant Sarr.uel, & lui témoignant fa douleur, ou pour mieux dire^ Ton défefpoir ^ de ce que Dieu s'eft retiré de f'R^g- lui , Coardor nimis ^ Ji quidem pugnant Pkïiijliim advershm me , & JDeus rcccj/ït à me : il ne faut donc plus chercher Dieu dans la compagnie d'un réprouvé. Comment accorder tout cela ? En voici le fecret , qui confifte , répond le Doc- teur angélique S. Thomas , en ce que Dieu qui eft le Saint des Saints, n'eft avec les pécheurs & les impies que par la néceiTité de Ton être, Se qu'il n'y eft point par un choix d'affe6lion & d'incli- nation. Je m'explique.

Il eft avec les pécheurs par la nécef- fité de fon être , parce que toutes fes perfe6tions divines l'y engagent : fa fa- gefle , par laquelle il gouverne & main- tient dans l'ordre toutes les créatures , jufqu'aux plus révoltés pécheurs ; fa bonté, dont il répand les effets fur tou- tes les créatures , fans en excepter les pécheurs ; fa toute - puiiTance qui fait agir toutes les créatures , Si. conféquem- ment les pécheurs. Tous ces devoirs du Créateur , qui lient Dieu , pour ainfi dire , à la créature , font des devoirs gé- néraux auxquels tous les hommes ont part , les mcchans auffi - bien que les bons 3 &. c'eil: par kraifon de ces devoirs

AVEC LES Pécheurs. 1^7

que Dieu efl inféparable des impies. Âlais , comme j'ai dit, ce font des de- voirs de néceiTité , dont Dieu , iup- polé le bienfait de la création , ne peut pas fe dirpenfer lui-même. Car fi vous confultez les inclinations de fon cœur , ah ! Chrétiens , les chofes fe- paffent bien autrement. A peine l'homme eft- il tombé dans le défordre du péché , que Dieu rompt avec lui toutes les alliances , & par conféquent tous les commerces dont fa gracé avoit été le lien. De forte qu'il n'eft plus avec le pécheur , en aucune de ces manières qui marquent le penchant & le difcer- nement de fon amour; c'eft-à-dire, qu'il n'eft plus avec le pécheur, ni par l'effet d'une protection fpéciale , com- me il étoit avec fon peuple dans le défert , ni par la com.munication de fes- dons , comme il eft avec tous les juf- tes , ni par l'union intime 6i myil:é- rieufe de ion adorable Sacrement, com- me il eft fmguliérement avec l'ame chrétienne qui le reçoit. A l'égard du pécheur tout cela ceife , &. c'eft ce qui fait dire au Saint- Efprit que Dieu n'eft plus avec les pécheurs , &l qui fait ajou- ter aux Théologiens , que h , par une fuppofition iinpolFible , Dieu pouvoit fe dépouiller de fon immenfité , il de- meureroit encore préfent à un grand nombre de fujets à qui fa grâce l'atta- che y mais qu'il celTeroit d'être avec les

îS8 Sur la société des Justes

pécheurs , parce qu'il n'auroit plus cette îiéceffité d'être par-tout , & d'agir par- tout : d'où S. ChryCoftome conclut , & la penfée de ce Père mérite d'être re- ïnarquée , que l'immenfité qui eft un des plus nobles attributs de Dieu , ne laiffe pas dans un fens d'être à Dieu comme un attribut onéreux , puifqu'elle l'affujettit à ne pouvoir entièrement fe féparer de ce qui eft Tobjet de fon aver- fion & de fon indignation.

Admirable idée , Chrétiens , de la conduite que nous devons obferver avec les libertins du fiecle. Qu'eft-ce que Dieu exige de nous ? que nous en ufions avec eux comme il en ufe lui- même : pouvons-nous nous propofer un plus faint modèle ? 11 veut donc pre- mièrement que nous les fupportions à fon exemple ; & il le veut avec raifon, dit Saint Auguftin , puifqu'on nous a bien fupportés quand nous étions nous- mêmes dans l'égarement & la corrup- tion du vice. Voilà pourquoi , reprend ce faint Dodleur , nous ne devons jamais oublier ce que nous avons été, afin de conferver toujours pour les autres une compaflion tendre 6c charitable dans Auguji, l'état ils font. Cum tolerant'uî vivem^ dum nobïs ejl inter malcs , quia ciim mali ejfemus , cum toUrantiâ vixerunt boni inter nos. Mais prenez-garde, s'il vous plaît, à ce terme , cum toUrantiâ ; car Saint Auguflin ne dit pas que la fociété des

AVEC LES PÉCHEVRS. iS^

méchants nous doit être un fujet de com- plaifance , mais un exercice de patience ; c'eft-à-dire , que nous devons la fouf- frir , &c non pas l'aimer, parce que c'efl ainfique nous nous conformons à notre règle qui eft Dieu.

Oui , je l'avoue , il y a des liaifons & des engagements avec les impies , que la loi divine non - feulement ne nous commande pas , mais qu'elle ne »ous permet pas de rompre , puifqu'elle nous en tait même des devoirs , ÔC c'eft ce que j'appelle la nécelTité de no- tre état , qui répond à la nécelfité de l'être & de la providence de Dieu. Autrement , dit Saint Paul , il faudroit fortir hors du monde , fi tout com- m«rce avec les pécheurs y étoit géné- ralement interdit : Alioquin debiuratis de j^ ^^^< hoc inundo exiffe. Par exemple , un père c, j. doit-il fe féparer de fes enfants , parce qu'il les voit dans le défordre ; une femme de fon mari , parce qu'il mené une vie licentieufe ; un inférieur de fon fupérieur , parce que c'eft un homme fcandaleux ? Non , fans doute , la loi du devoir , de la dépendance Se de la fujéîion le défend ; & on peut dire alors que le mélange des méchants avec les bons eft autorifé de Dieu , puifque Dieu eft l'auteur de ces conditions qui engagent néceffairement à cette fociété. Tout cela eft vrai, mais hors de là, je yeux dire hors des termes de; 1|

t^ô Sur la société des Justes

néceffité , & de la juftice , quand lef chofcs font dans la liberté de notre choix , chercher les impies & entretenir avec eux des habitudes volontaires , des amitiés nnondaines & profanes , des fa- miliarités dont le prétexte eft le feul plaifir , & que nulle raifon ne jurtifie , Je dis que c'eft aller dire^lement contre les ordres de Dieu , & je le dis après le grand Apôtre. Car voilà comment il le déclaroit aux Chrétiens de TheiTa- *c.The(r. ^-onique : Denuntiamus vobis , ut Jubtra-- (, j. katis vos ab omni fratre ambulants inor' dinatè ; Nous vous ordonnons , leur di- foit-il , au nom du Seigneur , de vous retirer de tous ceux d'entre vos frères qui tiennent une conduite déréglée , ôc de garder ce précepte comme Tun des plus importants 6c des plus elTentiels de la loi de Dieu. De vient que David s'en faifoit un point de confcience & de pr 2r. ï"elig''on. Non jedi cum concilio vanitatis ^ & cum iniqua gerentibus non introibo ; odivi Ecclefiam malignantium. Ma ma- xime a toujours été de n'avoir point d'union avec des partifans du vice, & de ne me point mêler avec ceux qui font gloire de commettre l'iniquité : d'ai- tner leurs perfonnes , parce que la cha- rité me le commande , mc^is de haïr leurs affemblées » de fuir leurs intrigues , d'abhorrer leurs converfations , parce «ju'une charité plus haute , qui eft celle ^ue je dois à Dieu & que je me dois

AVEC LES PÉCHEURS. 19!

a moi - ir.ême , m'empêche d'y avoir part.

Voilà , dis-je , mes chers Auditeurs , ce que nous di6le la prudence chré- tienne, 6c à quoi elle nous oblige in- difpenfablement , d'éviter, autant que notre condition le peut permettre, les fociétés mauvaifes & corrompues. Et voyez aufîî comme Dieu nous en a inf- piré l'horreur , foit par rapport aux païens & aux idolâtres , foit par rapport aux hérétiques & aux Tchilmatiques , foit à l'égard même des catholiques libertins & prévaricateurs. Vous êtes mon peu- ple , difcit-il aux enfants d'Ifra-ël , en les introduifant dans la terre de Ca- naan , vous êtes mon peuple , & je vous ai choifis parmi tous les peuples de la terre , afin que vous me foyez fpécialement dévoués : mais c'eft pour cela m.ême qu^'il ne vous fera pas per- mis de traiter avec les peuples infidè- les , que vous n'entrerez point dans leurs alliances , & que nul mariage entre eux & vous ne pourra être con- traire légitimement. Pourquoi cela, de- mande Saint Auguftin ? ce commerce avec les étrangers ne pourroit-il pas être avantageux & néceffaire aux Ifraé- lites pour leur établilTement ? Peut-être la politique du monde en auroit - elle ainfi jugé ; mais Dieu dont les vues faintes & adorables font infiniment éle- vées au delTus de celles des hommes,

191 Sur la société des Justes

voulut que la politique du monde cédât à l'intérêt de la Religion. Non, leur fignifia-î-il , quelque avantage que vous puiffiez vous en promettre , vous ne rechercherez point ces nations , & vous Exod. vous en tiendrez toujours éloignés: Cave

*• 34' ne unquam cum hubitatoribus terrce. illius jungas amiciùas, C'eft ce que portoit expreffément la loi, & vous verrez. Chrétiens , fi cette détenfe étoit inutile & fans fondement. Fuyez, nous dit-il ailleurs par la bouche de Saint Paul , fuyez l'hérétique , fi vous voulez con-

Tif.f.j.ferver la pureté de votre foi : HczretL" cum homincm devita. Donnez-vous bien de garde , non - feulement d'entretenir des intelligences dans le parti de l'er- reur, non- feulement d'en époufer les intérêts , mais d'y avoir même de fim- ples liaifons , hors celles que la piété chrétienne & le devoir de votre condi- tion peuvent juftifier. Et fi ce font des orthodoxes , qui malgré leurs moeurs diflblues , ne laiflent pas de vivre avec nous dans la communion d'une même créance , Dieu nous en a-t-il interdit la fociété.^ Ecoutez encore l'Apôtre- Je vous en ai déjà avertis , écrivoit aux Corin- thiens ce Maître des nations , ôcje vous ai marqué dans une de mes lettres , de n'avoir jamais nul engagement , ni avec les impudiques & les voluptueux , ni avec les médifants & les calomniateurs , ni avec quelque autre que ce foit de

ceux

AVEC LES PÉCHEURS. 195

ceux qui peuvent vous corrompre &.ê.tre pour vous un fcandale. Quancl ce feroit votre tVere par inclination 6c par liaifon d'amitié , fi c'eft un homme de mau- vaife vie , J€ ne veux pas que vous ayez eniemble la moindre communica- tion , ni que vous puiiTiez manger avec lui: Si is qui [rater nomiiidtur ^ efl forni- '• Cor, cator', aui m^îladicus , aut rapax ^ cum ^' ^* ejufmoui nec cibum fumer e.

Dieu veut, dit excellemment Guil- laume de Paris , "& cette p en fée efl belle ; Dieu veut qu'en nous féparant des impies, nous fallions dès-à-préfent ce qu'il fera un jour lui-même, & que nous prévenions ainfi la rélu/rection générale & le jugement dernier. Quand- \q Fils viendra juger le monde , les réprouvés , il eft vrai , relTuiciteront en même tem.ps que les juites ; mais ils ne reil'ufciteront pas néanmoins avec le« j-uftes , parce qu'au moment même de la rérarre6lion les juiles feront féparés des réprouvés par ce difcernement ter- rible dont a parlé David & dont les Anges feront les exécuteurs. Ideb non Pf, r. refursicnt implï in judicio , neque pecca- tores in concilia jufiorum. Qael efl donc le delTein de Dieu , pourfuit Guillaume de Paris ? c'eii que les bons vivent en ce monde, à l'égard des m.échants , dans le même ordre ou ils doivent relfuf- citer ôc être jugés; c'e(l-à-dire , qu'ils 1k difcernent eux-mêmes , pour ainfi

Domin. Tom, A I

194 Sur LA SOCIÉTÉ DES Justes parler , d'avec les pécheurs , & que àk^ cette vie ils commencent à prendre leur rang, afin que Dieu ne Ibit preique pas obligé d'y employer Tes Anges , ni de laire d'autre choix de Tes élus.

Aufîi eft-ce en cela que confiée la perfe'ftion & la gloire des juftes fur la terre , & telle eit l'idée que l'Ecriture nous en donne. Car quand Dieu com- mande à Jofué de faire mourir Acham , qui étoit un homme fcandaleux , au milieu de fon peuple , il ne s'en explique point à lui autrement que par ces pa- Jofuc. rôles : Surge, faiiclifica populum ; je veux '• 7' que demain tu fanélifies mon peuple- Et que ferai-je pour cela , Seigneur , réplique Jofué ? tu extermineras Acham , qiiiell un facrilege. Tandis qu'il demeu- rera parmi les tribus , je n'y puis de- ireurer m.oi-même ; mais retranche cette ame criminelle , & alors tout le peu- ple fera fandifié. Vous diriez , Chré- tiens , que la féparation des méchants eft comme un facrement d'expiation pour les bons. En effet, il ne faudroit rien davantage pour fanftifier des familles , des Communautés , des Ordres tout entiers. Otez d'une maifon un domef- tique vicieux qui l'infe^le , vous en ferez une maifon de piété. Otez d'une Com.munauté un efprit brouillon qui la divife , vous en ferez une aflemblée de Saints. Otez de la Cour d'un Prince quelques athées qui y dominent, vous

AVEC LES Pécheurs. 195

tm ferez une Cour chrétienne. Il y a tel homme dans Faris qui a perdu plus d'ames que jamais un démon n'en per- vertira ; & vous connoilTez certaines femmes , dont la fociété tait plus de libertins que les plus contagieufes le- çons de ceux qui autretois ont terni école de libertinage. Orez donc un petit nombre de ces hommes & de ces tem- ines , oL vous rétablirez prefque par- tout le culte de Dieu. Or ce retranchement ne feroit pas impofïïble , fi les intérêts de Dieu étoient auûi refpcdlés que ceux des hommes. N'avez-vous jamais pris garde , Chrétiens , à une chofe allez particulière que nous marque l'Evan- gélifte S. Jean , en parlant de la dernière cène que Jelus-Chrift fit avec les Apôtres la veille de fa mort? Au même temps que Judas fortit pour aller exécuter fon déteftable deffein , le Sauveur du monde entra dans une efpeced'extafe, & s'écria: Nunc clarificatus efl filius homïnis ; c'eft Joan^ maintenant que le fils de i'homm.e eil ^' 'S* glorifié. D'où lui venoit cette gloire , demande S. Auguftin ? Ce n'étoit pas de la vifion bienheureufe de Dieu, car il la pofTéda dès l'inflant même de fa conception ; ce n'étoit pas de la réfur- reélion de fon corps , car il n'étoit pas encore refîufcité ; mais elle lui vint de îa fortie de ce traître , qui avoit été jufques-là préfent avec les autres diici- jples, ÔL c'eft la raifon qu'en apporte

1 ^i

Î96 Sur la société des JusTEâ

texte facré : Ckm ergo exijfct , dixit Je fus : nunc cLirificatus ejî Filius hominis. Tan- dis que Judas étoit dans fa compagnie, c'étoit en quelque forte comme une tache pour lui ; mais quand il s'en vit féparé , quoique cette ieparation dût être bientôt fuivie de tous les opprobres de îa croix , il ne laiffa pas de s'en faire une gloire : Nunc danficatus eft Films homims. Or fi la gloire du Fils de Dieu ne pouvoit être complette tandis qu'il foufffiroit un réprouvé auprès de lui , jugez , mes chers Auditeurs , fi vous pou- vez être faints & juftes devant Dieu, lorfque vous vivez avec les pécheurs , & que vous vous tenez volontairement au niilieu d'eux.

Voilà pourquoi l'Eglife , dit S. Tho- mas, excommunie certains pécheurs : par cette cenfure elle partage le bon & le mauvais grain , pour retenir l'un & pour rejeter l'autre ; en quoi elle nous apprend notre devoir , & nous donne à connoître ce que nous fommes obligés de faire nous-mêmes. Vous ne vouiez pas vous féparer des im.pies , elle les fépare de vous : car ne penfez pas qu'elle pré- tende feulement les punir , en les privant ^u bien de la fociété commune. 11 y a <leux chofes dans l'excommunication ; une peine pour le coupable , & une loi pour l'innocent. L'Eglife condamne le pécheur à n'avoir plus de communication avec les fidèles , voilà la peine j & en

AVEC LES PÉCHEURS. I97

même temps elle ordonne aux fidèles de n'avoir plus de commerce avec le pécheur^ voilà la loi. S'enfuit-il de qu'il n'y ait que ces pécheurs frappés des anathêmes de l'Eglife dont la com- pagnie nous foit détendue ? Non > Chré- tiens , tout ce qui n'ed pas formelle- ment défendu par l'Eghfe , n'eft pas pour cela permis ; il y a des loix fupé- rieures &: plus générales auxquelles nous devons obéir. L'Eglife en vertu de fes cenfures ne nous interdit que la fociété des fcandaleux qui lui font rebelles : mais fans lui être rebelle , c'eft affez qu'ils foient fcandaleux, pour nous faire con- clure indépendamment des délenfes de l'Eglife, que nous fommes dans l'étroite obligation de les éviter. Ce ne foroiî: pas même bien raifonner, parce que l'Eglife a révoqué les peines portées contre ceux qui fréquentent les impies excommuniés , de prétendre dès - lors qu'elle approuve une telle fréquentation & de telles habitudes. Je m/explique , & obfervez ceci, s'il vous plaît; il eft bon que vous en foyez inftruits. Dans la rigueur du droit ancien , les fidèles ne pouvoient jamais traiter avec un homme retranché de la communion de l'Eglife , fans encourir la même cenfure. C'étoit la loi univerfelle ; mais par des raifons importantes, vérifiées dans les Conciles , l'EgUfe a relâché de cette

liij

198 Sur tA Société des Justes

févériîé , & ne nous défend plus que le commerce de ceux qu'elle a publi- quement & nommément excommuniés. Ëit-ce à dire que nous pouvons donc converfer indifféremment avec toutes fortes d'hérétiques , avec toutes fortes de gens corrompus & dangereux , fous prétexte que l'Eglife ne les a point en- core notés & flétris l Abus , mon cher Auditeur. L'Eglife peut bien révoquer ies loix, elle peut bien changer fes cou- tumes , mais fans préjudice de la loi de Dieu, qui efl irrévocable & invariable. Or la loi de Dieu eft que , hors les en- gagements néceffaires de ma condition, je m'éloigne de toutes les compagnies l'innocence de mon ame peut être €n péril : fi je les cherche de moi- même & par un choix libre , il efl vrai, les foudres de TEglife ne tomberont pas pour cela fur moi , parce que l'Eglife veut 'bien ufer à mon égard de cette indulgence ; mais toute fon indulgence ne peut faire que par-là je ne devienne coupable d'un mépris formel de Dieu , que par- je ne devienne le fcandale lie mes frères, que par- je ne de- vienne ennemi de moi-même en me per- dant moi-même. Trois grands défordres renfermés dans un même péché. Appli- quez vous.

Oui, mon cher Auditeur, lier avec 4e§ hbertins ôc des impies que vous-

AVEC LÉS PÉCHEURS. I99

connoîiTez pour impies & pour libertins, c'eil méprifer Dieu : & qa'appellez-vous •en effet mépris de Dieu , fi ce n'eft pas ée s'unir avec Tes ennemis ? & qui font les ennemis de Dieu , fi ce ne font pas les pécheurs, fur-tout certains pécheurs déclarés? Que penferoit-on d'un fils lié d'affe6lion 6c de cœur avec les perfé- cuteurs de fon père , avec ceux qui attenteroient aux droits &C à l'honneur de fon père , avec ceux qui feroientune guerre ouverte à fon père ? N'en auriez- vous pas horreur, comme d'un monftrcï dans la nature ? Or voilà ce que vous faites en vivant avec fes impies : tant qu'ils font dans le défordre de leur pé- ché 3 il y a entre Dieu & eux une hiiine irréconciliable. Confultez les livres facrés & lifez le reproche qu'eut à foutenir Jofaphat, Roi de Juda , & Prince du refle très-religieux : il s'étoit allié avec l'impie Achab , Roi d'ifraël ; il n'avoit pas manqué de raifon d'état pour l'en- gager à cette alliance , & tout fon con- leilyavoit paffé ; mais fon confeil étoit en cela réprouvé de Dieu. Prince , lui dit Jehu , avec toute la liberté d'un Prophète , vous êtes prévaricateur , vous avez donné fecours à un Roi criminel, ôc vous avez reçu dans votre amitié ceux qui ont conjuré contre votre Dieu & le mien ; vous méritez la mort. Impio ^^^' prahes auxilïum , his qui oderunt c, ly

1 iv

Pa-

:2co Sur la société des Justfs

Dominum amicitiâ jungeris ; idcircb iram mereharis. Les bonnes œuvres de Jora- phat & fa bonne foi Texcuferent ; mais TOUS , Chrétiens , que pouvez- vous allé- giier ? Outre l'injure que vous faites à Dieu , comment pouvez-vous juftifier le fcandale que vous caufez dans l'Egiife & parmi le peuple de Dieu ? Car n'eft- ce pas un fcandale de vous voir tou» les jours dans les fociétés d'une ville ou d'un q>uarîîer les plus fufpe61es ; de vous voir dans des aflemblées d'où toute la pudeur femble bannie , oii fe tiennent les difcours les plus libres , fe débitent les maximes les plus perni- cieufes , oii-fouvent nulles règles de bien- féance & de modeliie ne font obfervées ; de vcws voir avec des erprits fans reli-' gion, avec des régimes fans réputation , dans des lieux règne la licence , ÔC le répand la plus m.orteîle contagion ? Qu'en peut-on penfer? qu'en peut-on dire ? & même qu'en a-t-on déjà penfé, & qu'en a-t-on dit ?

Et ne me répondez point que vous favez bien vous conferver , & quoi qu'en dife le monde , que vous avez pour vous le témoignage de votre conf- cience qui vous futfit. Ah 1 mon cher Frère , écoutez ce qu'écrivoit là-deiTus faint Jérôme à une Dame Romaine : Il faut , difoit ce Père , quand vous parlez ainû , que vous foyez bien peu veifé-e

AVEC LES Pécheurs. 201 dans les devoirs de la vie chrétienne ; & ne lavez- vous pas qu'en matière de conduite , vous devez rendre corcpîe ù Dieu non -feulement de ce que vous faites , mais de ce que l'on dit de vous ; que ce n eft point allez de fatisfaire à votre propre confcience , mais que vous êtes encore obligée de latisfaire à celle d'autrui ; que lamt Paul, qui étoit plus éclairé que vous , avoit égard aux hom- mes, aulTi bien qu'a Dieu, pour récrier f^^converfation ? ne croyant pas qu'elle pût être innocente quand les hommes pourroient prendre fujet de s'en offen- ler , & fâchant que c'eft fe rendre coupable devant Djeu , que de ne fe mettre point en patine de le paroître devant les hommes. Ainfi parloit faint Jérôme ; & concluant par l'exemple du même Apôtre, qui refuluit de mander, des viandes d'ailleurs per.nifes , parce qu'il craignolt de fcandalifer les fidèles r ah ! reprend ce faint Docteur , les com- pagnies des homti^es ne font pas plus néceffaires que les aliments ; 5: pour- quoi n'éviterons - nous pas ces liaifons fcandaleufes qui bleOent la pureté de notre Chriflianifme , qui donnent Heu à mille foupçons , & qui fervent de ma- tière à la médifance publique , puisque faint Paul s'abilenoit d'une viande oc en avoitmême horreur, dès qu'elle pouvoit donner quelque fcandalc au moindre d^s Chrétiens ? I y

Î02 Sur la société des Justes

Mais laiffons le fcandale , & n^infif- tons maintenant , mon cher Auditeur , que lur c^ qui nous regarde nous-mê- mes. Eft-ii poffible que dans ce com- merce familier avec des impudiques Se des libertins , vous ayez toujours un cœur pur & chafte } peut-on raifonnablement eipérer que dans un air tout corrompu , vous ne vous reffentiez jamais de fa cor- ruption ? Et ne feroit-ce pas au moins pour vous la préfomption la plus aveugle & la plus criminelle de vous y croire exempt d'un danger qui fouvent vous eft , félon Dieu , auifi détendu que le mal même? Sicelaétoit, jamais les Prophètes & les Apôtres n'auroient été plus con- firmés en grâce que vous , & vous auriez cet avantage fur eux,, qu^ils ont fui la fociété des impies , parce qu'ils la ju- geoient dangereufe pour eux-mêmes , ainfi que le témoigne faint Jérôme , du Prophète Ezéchiel , qui dans cette vue fe fépara de tout le refte du peuple , & fe retL-a à l'écart ; au lieu que vous y ciemeurezvoiontairementôcfans crainte, comme fi vous aviez un préfervatif ànfaillibls centre le péché. Priais fi cela 3i'eft pas, quelle eft votre témérité de hazavder plus que n'ont fait ces hommes de Dieu 6c ces Saints du premier ordre , de vous expoferà des occalions pour lef- quelles ils ne fe font pas crus ailez forts , de vivre enafTarance oii ils ont tremblé ?.

AVEC LES Pécheurs. 105

Pourquoi Dieu faifoit-il aux Hébreux des défenfes (i rigoureufes de fe mêler &c de négocier avec les étrangers ? c'elt que dans ces négociations & ces alliances il prévoyoit leur chine & leur ruine pref- que inévitable. Et en effet, eurent-ils jamais commerce avec une nation dont ils ne priffent enfin les fuperftitions & les impiétés ? Commixtifunt intergmtes, & Pf. loj» didicerunt opéra eorum. Pourquoi l'Eglife dès fa naiflance ne vouloit-elle pas aue dans le Chriftianifme on contractât aucun mariage avec les infidèles ? car voilà com- ment S. Jérôme entend ces paroles de S. Paul : Nolite jus,um ducere cum infide- s. Cor^ libus : C'eft qu'elle confidéroit le danc^er de tels engagements mettroientla toi' des Chrétiens. Et pourquoi Jelus-Chrifl lui a-t-il donné un pouvoir qui femble renverfer tout le droit humain r Ren- dez-vous , s'il vous plaît, attentifs; ceci vous furprendra *. mais je n'avance rien qui ne foit fondé fur l'Ecriture & fur les facrés Canons. Pourquoi, dis-je, Jefus- Chrift a-t-il doané pouvoir à fon Eglife de rendre nul, du moins quant à fes principales obligations , le plus authen- tique de tous les contrats qui fe célè- brent parmi les hommes , lin mariage légitime , un mariage folemnellement ratifié entre deux païens , dont l'un vient à recevoir le baptême , & l'autre perfiile daas ion idolâtrie , û ce n'eft psrce que

104 Sur LA SOCIÉTÉ DES Justes

dans ce mélange de religions celle da vrai Dieu ne Te trouveroit pas en fureté ? TirtulL Quis enïm nefcit , dit TertuUien , oblitc rari quotidU fidem commercio infideli ? Qui doute que la loi ne s'efface peu à peu par la fréquente communication d'un elprit infidèle ? C'eft ce que ce Dodeur fizélé pour l'ctroite dlfcipîine de l'Eglife reprélentoit , quelque temps avant fa mort , à fa propre femme , afin de la détourner, félon fes maximes, d'un fécond mariage ; du moins afin de lui faire en- tendre l'obligation oîi elle étoit de ne s'allier jamais avec un païen ; & moi me fervant de la même penfée, & l'appli- quant à mon falut , je dis : (^uis nefdt ? Qui doute que la piété de l'^m-e la plus religieufe ne s'alrere par les exemples d'un ami qui vit dans le déréglem^en: &L qu'onafjns cefTe devant les yeux? onefi dépontaire de fes fentiments , on l'entend, parler, on le voit agir, 6t infenfible.- ment on s'accoutume à penfer comme lui, à parler comme lui, à agir comme lui : ce n'eft pas d'abord fans quelque répugnance & que^ques combats ; mais enfin ce qui frf'foit horreur commence a ne plus déplaire, ôc enfuite pKtit tout- à-fait & entraîne : Q^uïs nefcit ? Qui doute que la retenue & la fcgefi'e d'une jeune perfcnne , que fa veitu la pliis affermie ne vienne avec le temps à chanceler , & ue reçoive de paillante^.

AVSC LES PÉCHEURS. 20f atteintes par ces entrevues particulières &. ces privautés Ion cœur s'épanche avec un mondain ou une n^ondaine qui lui infpirent leurs damnables principes, &i qui dans l'eipace de quelques mois détruifent tout le Iruit d'une fainte édu- cation 6c le travail de pluueurs années } De cette maxime ii univerfellement reconnue, confirmée par tant de preuves, & û commune : Dites-moi qui vous fré- quentez , &. je vous dirai qui vous êtes» Quoi qu'il en foii j m.on cher Audi- teur , l'Eglife n'a rien épargné pour em- pêcher que le commerce ues impies ne iùt préjudiciable à fes enfants ; & da votre part que faites-vous pour fécon- der fes foins ? Peut-être penfez-vous que la focicté de cet homme plongé dans la débauche 6c adonné à fon plùifir , eit moins à craindre pour vous que celle d'un iniî Joie ; & je prétends au contraire que mille idolâtres conjurés pour vous pervertir & pour vous perdre, ne feront pas la même impreflïon fur vous qu'un libertin avec qui vous êtes uni de con- noiiTance & de compagnie. Job fe con- fer -/a au milieu des fauifes divhiités 6c de ceux qui les adoroient ; mais Loth eût fuccombé dans Sodome Ù. parmi fes concitoyens Je vais plus loin , ik je fou- tiens même que tous les efforts des dé-~ mons contre vous ne feroient pas une tentation fi dêtngereufe que la préfence

a©6 Sur LA SOCIÉTÉ DES Justes

& la vue de ce pécheur fcandaleux : maïs je vous entends , & par vos mœurs je juge de votre penl'ée. Vous ne craignez pas ces partifans du vice , parce que vous en êtes peut-être déjà suffi infe6lé qu'eux; (Si ils ne peuvent plus vous nuire, parce que vous en avez reçu tout le dommage dont vous étiez menacé : il falloit bien que l'oracle du Seigneur le vérifiât ainfi ; car il fe feroit trompé , u vivant & converfant avec des âmes ré- prouvées vous vous étiez maintenus dans l'innocence.

Ah 1 Chrétiens , nous nous étonnons de voir aujourd'hui le fiecle fi corrom- pu ; nous ne com.prenons pas d'où vient tant de diflolution dans la jeunefle ; nous rougiiïons pour tant de personnes du iexe qui ne rougiffent de rien , nous fommes furpris d'entendre les défordres des ma- riages qui éclatent tous les jours , nous apprenons avec indignation combien l'im- piété règne dans les cours des Princes; le dirai-je ? nous voyons avec horreur le vice le gliffer jufques dans le fane- tuaire , &: s'attacher aux miniftres des auiels. En voici la fource la plus ordi- naire : ce font les fociétés & les con- veri'ations du monde profane. Voilà ce qui fert d'amorce à la cupidité , ce qui allume la paffion , ce qui tait former les intrigues , ce qui tait rér.ffir les plus abominables entreprifes : voilà ce (^ui

AVEC, LES Pécheurs. 207

renverfe les forts, ce qui infatué les fages, ce qui corrompt les vierges. Réglez les fociétés 6c les converfations des hom- mes , Si dans peu vous réiormerez tous les états. Vous , père , éloignez ce jeune homme de tel autre qu'il recherche avec trop d'ailïduité, & vous le verrez tou- jours marcher dans le bon chemin. Vous, mère , ne recevez plus ou ne rendez plus certaines vihtes , & cette fille qui vous y accompagne deviendra un modèle de vertu. Vous, Chrétien, qui que vous puilTiez être , rompez avec cet ami , & i'ofe prefque vous répondre de votre fa- îut. Mais quoi , dites-vous , abandonner un ami ! oui , H faut le quitter , & fût-ce votre œil , il faudroit l'arracher. Pour-' quoi entretenir un ami contre vous-mê- me , & quel compte devez-vous faire d'une amitié qui aboutit à votre réproba- tion ? Le Fils de Dieu ne vous a~t-il pas- expreflement enfeigné que quiconque n'auroit pas en haine fes propres parents,, fon îrere &L fa fœur , fon père même & fa mère, ne feroit pas digne de lui ; c'efl- à-dir« , que quiconque ne feroit pas dif- pofé à fe féparer de fes proches , fût-ce un fi ère ou une fœur, fût-ce un père ou une mère , dès qu'il en pourroit crain- dre quelque fcandale , fe rendroit dès- lors coupable aux yeux de Dieu & n'en- treroit jamais dans (on Royaume ? Or fi Je dois en ufer ainfi envers les auteurs de Kia vie , quand ce font des obftacieS'

2o8 Sur la société des Justes à mon falut , ces faux amis , complices mes iniquités , ont-ils droit de fe plain- dre , lorl'que pour me fauver de l'abyme ils me conduifent , je me détache d'eux & je les renonce ? Et s'ils en rai- fonnent , s'ils en raillent , s'ils me frap- pent de leurs mépris, dois-ie plutôt les écouter que Dieu même. Non, non, rien ne me doit être cher au préjudice de mon ame ; & dès qu'il s'agit d'un aufîi grand intérêt que celui-là , Dieu & moi , voilà ce qui me fuffit ; tout le refte m.e devient indifférent.

Cependant , Chrétiens , il y a des fociétés des engagements néceiTaires nous retiennent : & comme D:eu, fup- pofé la nécelTué de fon être qui l'oblige à demeurer avec les pécheurs , fait en tirer fa g'oire & emploie à leur conver- fion la préfence de fa divinité, ainfi de- vons nous proliier aux impies qui vivent avec nous, & profi:er des impies avec qui noui; vivons par la néceffité de notre état. Autre obligation qui va faire le fujet de la féconde Partie.

II. f^^ 'Eft une vérité certaine , Chrétiens : PaRT.V.^ quoique le péché dans le fond de fon être foit eUeniiellement une injure faits à la m.ajefté de Dieu , il ne lailTe pas néanmoins de fervir à fa grandeur. Dieu ne le fouffriroit pas , remarque Saint Chryfoftome , s'il n'étoit capable d'j contribuer par fa malice mên.e j & il

AVEC LES PÉCHEURS. 209! anéantiroit plutôt tous les pécheurs du monde , que d'en voir un feul dont il ne pût tirer quelque tribut de gloire. De ce que l'homme pèche , dit excellem- ment Saint Auguftin , il fe nuit à foi- même, mais il n'arrête pas Teftet de la , bonté divine : Çluod facit malus , fibi Augufli noczt ; non bonitati Dei contradicit. Car Dieu qui eft un admirable onvrier , fe fert avantageufement des dét'a*ts de ion ouvrage , & il ne les permet que parce qu'il fait bien s'en prévaloir ; lilo utique là'.m> peccatore bcnè uiitur , qui nec eum ejje per- mitteret fi ïllo non poffct. C'efl en cela , pourfuit ce faint Docteur , qui dé- veloppe ce point avec toute la folidité poffible ; c'efl en cek qu'éclate lafageile du Créateur , & qu'elle parclt même l'emporter fur la toute-puiilance ; parce que l'effet de la toute-puiiTance efl: de créer les biens , ^ celui de la fagede de trouver le bien dans les maux en les rap- portant à Dieu. Or ce rapport du mal au fouverain bien , eft quelque chofe en Dieu de plus merveilleux que la proJu^i;lion des êtres créés qui lui eft comme naturelle. Dieu , ajoute le mê- me Père, prend, ce femble , plaifir à faire tout le contraire des impies dans l'ufage des chofes : car comme leur ini- quité confifle à abufer de fes créatures, qui font bonnes ; auiTi fa julKce fe fait voir à bien uler de leurs volontés , qui /ontrnauvâifes: Quiaficut illoruin inuruitas Idem*

aïo Sur la société des Justes

eft maie uti bonis operïbus ejus , Jïc illîus jujiitia eft benè uti malis openbus eorum» Etrange cppofition de Dieu & du pé- cheur ! Dieu même , dit encore Saint Auguftin , quoiqu'il foit la pureté origi- naire & primitive , nei\ pas pur à l'égard des impies , parce qu'en le blafphémant 6l en l'outrageant ils en font tous les

^dem, jours la matière de l'impureté : hnmundis ne Deus quidem ipfe mundus eft , queni quotidiè blafphémant ; au lieu que le pé- ché qui eit l'impureté Tubllianticlle , fe purifie , pour ainfi dire , à l'égard de Dieu, parce qu'il devient le fuiet de fa gloire. Toutes ces penfées font belles 6c dignes de leur auteur.

Mais il n'en demeure pas là. Peur en venir à la preuve & pour vérifier dans le détail ces propofitions générales , voyez, cont;nue-t-il , mes Frères , comment en eftet tout ce qu'il y a fur la terre d'im- pies , de fcandaleux , de réprouvés , con- court admirablement & malgré les in- tentions des hommes , à glorifier Dieu, Confidérez d'abord tous ceux qui fe trou- vent privés de la lumière de l'Evangile , & deiKtués du don de la foi : jetez les yeux fur les païens idolâtres , fur les hérétiques obiiinés , fur les fchifmati- ques rebelles &: fur les Juifs endurcis. Dieu ne les emploie-t-il pas tous à l'exé-

j^em. cution de fes plus grands deffeins? Nonne utitur gentibus ? Obfervez ces paroles , Chrétiens ; elles font tirées du livre

AVEC LES PÉCHEURS. 21 î

de la vraie religion : Nonne utitur genti- bus ad materi.im operationis fucz , hœreti' cis ad probationem dotlrïncc fuœ. , fchifma- ticis ad docaimntum (labilïtatis fucz , /z/- dœis ad comparationem pulchritudlnis fucz? Ne fe fert-il pas des infidèles pour opérer les merveilles de fa grâce & pour les faire connoitre ? un monde converti par douze pécheurs, qu'y a-t-il de plus grand & de plus fort pour établir la vé- rité de notre religion ? Ne fe fert-il pas des hérétiques pour réclaircidernent de fa jdo6lrine 6c pour nous confirmer dans la vraie créari'ce ? jamais la foi n'a été mieux développée que lorfqu'elle-a été combattue , & rien n'a plus donné lieu à découvrir la vérité que l'erreur. Ne fe fert-il p3s des fchifmatiques comme d'une preuve fenhble de la perpétuité Ôc de l'inébranlable fermeté de fon Eglife \ malgré la divifion de fes membres, elle fe maintient toujours dans l'intégrité d'un corps parfiit, tandis que nous voyons périr & fe conlumer les faftions qui fe font élevées contre notre ciief. Et les Juifs , ces reftes déplorables du peuple de Dieu , malkeureufe poftérité d'une nation bien-aimée , ne femblent-ils pas demeurer fur la terre pour fervir de té- moins à Jefus-Chrill , autorifant fa per- fonne par leurs écritures , vérifiant ies myfteres par leurs prophéties , & rele- vant fon Evangile par la comparaifon de la loi ? C'efl un mauvais grain femé daas

ai2 Sur LA SOCIÉTÉ DES Justes

le champ de Dieu , mais admirez en combien de manières il eÙ. utile à la gloire de Dieu.

Je dis le même de tous les impies en général : Dieu en fait faire mill« ufages pour la manifeftation de fes di- vins attributs & pour le bien commun des hommes : ce font des fléaux de fa juftice pour punir les pécheurs , & ce font les inftruments de fa miféricorde pour éprouver les Saints. Quand Jéru- falem fut f^ccagée fous l'empire de Tite, c'étoit Dieu qui fe fer voit de l'ambition des Romains pour exercer fes vengean- ces fur les Juifs : l'ambition des R.o- mains étoit criminelle , mais les châti- ments & les vengeances de Dieuétoient juftes. Que faifoient les tyrans & les perfécureurs du nom chrétien ? en vou- lant détruire les fidèles ils les multi- plioient , ils donnoient des confedeurs à Jefus-Chrift , ils remplitToient l'Eglife de martyrs , ils peuploient le Ciel de prédeftinés.

Mais avançons. Il eft donc vrai que Dieu profite ainfi des pécheurs pour l'augment^ition de fa gloire & pour notre falut ; il eft vrai que les moyens ne lui manquent jamais , pour fe dé- dommager de l'injure qu'il reçoit de la malice des hommes & du péché , & qu'il la répare par le péché même & par la malics de ceux qui l'ont com- mis. Or voilà encore le modèle que

AVEC LES PÉCHEURS. Sïj

"nous devons fuivre , (i la nécefïïté de notre état nous engage dans ie com- merce des impies : du moins , à l'exem- ple de Dieu , devons - nous en tirer avantage pour nous - mêmes. Nous le pourrons toujours , quand nous ne les aurons pas recherchés , & que nous n'aurons pas les éviter. Car de mê- me , dit Saint Ambroife , que Dieu trou- ve dans les pécheurs de quoi rehaulTer l'éclat de fes infinies perfections ; nous y trouvons de quoi acquérir & prati- quer les plus éminentes vertus. En effet , quoi que faffe le pécheur avec qui je vis , fi j'ai l'efprit de Dieu , c'eft une leçon pour moi Ôc une occafioa de me fanétifier. S'il me perfécute , il me fournit une matière de patience ; s'il fe déclare mon ennemi, il purifie ma charité ; s'il me fait fouffrir , c'eft un fujet de mortification. S'élève - t - il au- ^eilus de moi par orgueil ? il m'apprend à me tenir dans la modeftie. Se laiiïe- t-il emporter à la colère ? il met en œuvre ma douceur. Tombe - t - il dans des péchés honteux ? il excite ma com- paluon & mon zcle. Je dis plus , & c'eft après Saint Grégoire Pape que je le dis : Jamais dans les règles ordinaires un jufte ne feroit parfait ni ne pourroit le devenir, fi Dieu par la difpofition de fa providence ne l'obligeoit quelquefois à vivre avec les pécheurs : pourquoi ce- la ? parce que c'eft dans cette fociété

âi4 Sur LA socîÉTi DES Justes & dans ce mélange des bons & des méchants , qu'il doit être dégagé des Gngor. impertedions humaines. Ipfa quippe ma- lorum foc'utas ^ pur^atio bonorum eft. Et comment , demande ce Père , s'exer- ceroit-il dans les grandes vertus , s'il n'y avoit des pécheurs dans le monde ? En quoi pratiqueroit- il cette charité héroïque dont le Fils de Dieu nous a donné l'exemple , & dont il nous a fait un commandement, s'il n'y avoit des ofFenies & des injuftices , des médiian- ces & des calomnies à pardonner ? feroit le mérite de la perfévérance , s'il n'y avoit des contradi6lions à efluyer, des railleries à fupporter , des attaques de la part des libertins à foutenir Ck à repoufler ?

Rien de plus confiant , Chrétiens Auditeurs : li nous étions auffi zélés que nous le devons être pour notre falut , & fi nous voulions faire plus de progrès dans les voies de la piété & de la perfeftion évangélique , un des plus puilTants moyens pour nous porter à Dieu , feroit la préfence & la vue de tant de pécheurs que nous avons fans cefle auprès de nous. Quel fond y trouverions-nous d'une reconnoillan- ce parfaite envers Dieu , puifque c'eft par un bienfait fpécial de fa grâce que nous avons été préfervés des défordres -dont nous fom.mes témoins & dont nous ' gémiflbns ? Quel motif d'une humilité

AVEC LES PÉCHEURS. 21^

profonde & d'une continuelle attention fur nous-mêmes, puifque à chaque mo- ment nous y pouvons nous-mêmes tom- ber; d'une charité refpeèiueufe à l'égard du prochain, puifqu'il eft, jufques dans fon iniquité, l'exécuteur des arrêts de Dieu , le minière de Dieu , pour nous châtier & nous corriger ; d'une péni- tence falutaire & d'une pleine foumif- fion , puifque plus nous fommes traver- fés , plus nous pouvons fatistaire à la juftice divine & nous acquitter ? Mais qu'arrive - t - il ? c'eft que nous ren- verfons tout l'ordre des chofes , & que de ces moyens de falut nous faifons les fujets de notre perte. Le deffein de la Providence efi: que le commerce des pé- cheurs no'js fanftifie , quand une nécef- fité indifpenfable nous- y attache , & c'eft ce qui nous pervertit. Dieu en tire fa gloire , ôc nous , notre ruine : il en devient plus faint de cette famteté exté- rieure & accidentelle que nous lui fou- haitons tous les jours , ÔL nous en deve- nons plus criminels.

Permettez - moi , Chrétiens , d'ou- vrir ici mon cœur , & de vous faire part de mes plus fecrets fentiments. Je ^émis quand au tribunal de la pénitence î'entends un homme du monde fe plain- dre de fa condition , comme s'il pré- tendoit juftifier les égarements de fa vie pnr l'étroite obligation il fe trouve de demeurer au milieu du ûecle corrompu.

âi6 Sur LA SOCIETE DES Justes

êc d'y entretenir des liaifons qu'il ne peut rompre : quand j'entends une fem- me déplorer la trifte lituation elle fe voit , &c me dire que tout le dérè- glement .de fon ame vient d'être engagée par devoir à un mari fans religion , ians frein dans fes pafTions , fans retenue dans fes débauches. Quai-je là-deffus à leur répondre? je les plains moi-même, i>on pas de leur état prétendu malheu- reux , puifque cei\ l'état il a plu à Dieu de les appeller , mais du m.auvais lîiage qu'ils font de leur état contre les defleins de Dieu qui les y a placés. Je plains cette femme , non pas de ce qu'elle fouffre , mais de la manière dont elle fouffre , ne fe fouvenant pas ou ne fâchant pas que* ce mari vicieux efl un moyen choifi dans le confeil de la fageffe éternelle pour l'éi^rouver & pour la fauver. Or i\ cela eft , comme la plus folide théologie l'en feigne , n'eft- elle pas en effet bien à plaindre de fouffrir toutes les incommodités d'une fociété pénible & facheufe , Si de n'en avoir pas le mérite : de conver- tir le remède en poiibn , 6c les grâces de Dieu en de perpétuelles occafions de péché?

Mais (i j'étois dans un autre état, je travaillerois fans peine à mon falut. Vous le dites, mon cher Auditeur , & 0101 je vous dis qu'en cela vous vous trompez : car vous ne pourriez travailler

à

AVEC LES PÉCt^EÛRS. Zl'f à votr2 falut fans EHeu. Or Dieu ne veut pas que vous y travailliez ailleurs Tii autrement , voilà la voie qu'il vous a marquée. Mais il efl impoirible, ajoutez-voi« , de réfifler à tant de mauvais exemples , & de le garantir de leur contagion. Erreur, Chréciens ; il cil: impoiTible , quand c'efl contre les ordres de Dieu que vous vous jetez dans le péril, quand c'efl de vous-mê- rnes 6c contre les obligations de votre état; mais dès que c'eil pour les inté- rêts de Dieu, par la vocation de Dieu , ielon les vues de Dieu ; dès que c'eft lelon les règles de la prudence évan- gehque & avec les f«ges précautions qu elle demrmde , ce qui feroit conta- ' gieux pour d'autres , ne l'ei^ plus pour vous , & ce qui les précipiieroit dans un abyine de corruption ; peut vous élever a h plus fublime fainteté : car il eft alors de la providence du Seigneur de vous aider, de vous éclairer de vous fortifier , & c'eft à quoi il ne manque pas. Or avec le fecours de l^ieu , avec l^s lumières & la force que la grâce répand dans une air.e chré- tienne , fi vous tenez ferme au mi^eu des pécheurs , fi vous réiiftez à leurs Sollicitations , fi vous ne vous iaiffez ébranler ni par leurs promelTes , ni par leurs menaces , ni par leurs flatte- ries , m par leurs rebuts ; fi malgré le .torrem de l'exemple qui entraîne dej^

îî8 Sur LA SOCIÉTÉ DES Justes

millions d'autres , vous derr.eurez invîoi lablement attaché aux règles du devoir 6c à robfervaiion de la loi , dans les combats que vous avez pour cela à livrer , & par les efforts qu'il vous en Goûte , quelles richefies n'amaffez-vous pas devant Dieu , & quels progrès ne faites - vous pas dans les voies de la iafiice ? Le comble de l'iniquité pour l'impie , félon le témoignage du Pro- phète , c'ed d'être pécheur parmi les

IfaÏA juftes : In terra Sandorum iniqua gejjit ;

f. z6. il* a comrr.is le péché dans la terre des Saints. Voilà ce qui redouble fa malice , & ce qui le rend indigne de voir jamais la gloire de Dieu & d'être reçu dans

•idem, le féjour des Bienheureux : Non videbit gluriam Domini, Ainfi parloit Ifiïe ; 6c delà, par une conîéquence non moins vraie , je conclus que le comble de la fainteté pour le jufte , eft d'être jufte parmi les pécheurs. Moïfe dans la cour «i'un Prince infidèle , eut toujours , fuivant la belle expreffion de faint Paul , Tinvifible préfent à l'efprit , comme s'il l'eût vu des yeux du corps. Saint Louis fur le trône , ferma les yeux à tout l'éclat des pompes humaines ; ÔC dans la licence des armes ôc le tumulte de la guerre il n'oublia jamais Dieu , & ne fe départit jamais de l'obéillance due à ce premier Maître. Cet homme J;é d'intérêt avec ^es gens fans foi , i^fi% équité , avares 6c ufurpateurs , a

AVEC LES PÉCHEURS. il<>

tonfervé fes mains nettes de toute injuftice , &.- n'a jamais voulu entrer dans leurs criminelles entreprifes. Cette femme dans une famille Dieu eil: à peine connu , ne s'eft jamjais relâchée de fes faintes pratiques ; & fans égard à tous les difcours qu'on lui a fait en- tendre , à tous les chagrins qu'elle a eu à dévorer , aux mépris qu'on lui a mar- qués, elle n'a jamjais rien perdu de fon zèle , ni rien retranché de fes pieufes obfervances. Voilà ce qui les diflingue tous auprès de Dieu ; voilà ce qui donne à leur fidélité un caradlere propre ôi. un prix 'particulier : voilà pourquoi ils recevront cet éloge fi glorieux de la bouche de Jefus - Chrifl , & pour- ■quoi il leur dira ce qu'd dit à fes Apôtres : Fes ejlis qui permdnjlfiïi mecum Luc, in tentdtionibus. Tandis que les autres ^* ^^ in'ont abandonné , qu'ils ont trahi ma caufe , qu'ils ont outragé mon nom , <ju'ils ont violé ma loi , c'eft vous , fidèles ferviteurs , que j'ai trouvé confiants à me fuivre. De demeurer avec moi , quand il n'y a rien à foutïrir pour moi , quand rien ne porte à s'éloi- gner de moi , quand tout confpire à m'attacher les cœurs & à les attirer à moi , c'eft l'effet d'une vertu com- mune : mais de demeurer avec moi dans ia tentation ; d'y demeurer , lorfqu'il faut rem.porter pour cela des viîloirqs , &de iréquentes vit^oites ; d'y demeurer

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jao Sur ia société des Justes

tnalgré les Icandales publics , malgré le^ contradiâiions & les traverfes , rialgré la coutume & tous les refpecls humains , c'eft que je reconnois une loi vive , un attachement folide , un amour pur, une perfévérance héroïque; & c'eft auiîî à quoi je rélerve toutes nnes récom- peufes : Fos ejlis qui permanfifîis mecum in tentationïbus.

L'auriez- vous cru , Chrétiens , que les pécheurs duffent procurer aux juiles de fi grands avantages pour le falut ? mais apprenez encore comment les juûes doivent de leur part contribuek* au falut des pécheurs. L'Ecriture , chez le Prophète Daniel , nous repréfente une conteftation bien fmguliere entre deux Anges. Ce n'eft pas , comme l'a penfe l'Abbé Ruppert^ entre un Ange bienheureux & un des efprits réprouvés ; mais ielon l'interprétation de tous les Pères , après iaim Jérôme , entre deux -faints Anges , jouiffant l'un & l'autre de la même gloire , & affiliant auprès du trône de Dieu. Le premier ( c'eft l'Ange tutélaire de la Judée ) demande que les Hébreux fortenc au plutôt de la Perfe , parce qu'ils font en danger de fe corrompre par le commerce des Babyloniens idolâtres ; mais l'Ange protecteur de Babylono prie au con- traire que les Juifs y demeurent , & qu-'ils ne quittent point la Perfe , parce Gu'ils peuvent par leur converfatioa U,

AVEC LES PÉCHEURS. 22 î,

leurs exemples édiner les peuples & ies convertir à la religion du vrai Dieu. En effet , déjà trois Rois de ce grand empire avolent renoncé au culte des idoles , pour adorer le Dieu dllVaël , ainfi qu'il elljapporté au livre d'Efdras. Or que fignlnoit le combat de ces deux Anges ? Deux volontés en Dieu , ré- pond faint Grégoire Pape , mais qui n'étant que conditionnelles , s'accor- dent parfaitement enfemble , toutes oppolees qu'elles paroiilent. L'une , qui oblige les juiles à fuir la compagnie des pécheurs ; & c'eft ce que nous tsit en- tendre la prière de cet Ange qui iblli- citoit en faveur des Juifs: l'autre qui ordonne aux juftes de coopérer au falut des pécheurs , lorfqu'ils fe trouvent parmi eux , & que quelque engagement raiionnable les y arrête; & c'ert ea cette vue que l'Ange de Perfe agiffoit pour les Babyloniens. Car voilà , chré- tiens Auditeurs , la grande règle que nous devons fuivre : Dieu ne veut pas que fa préfence ni la nôtre foient inu- tiles aux impies , mais il prétend que nous travaillions à leur converfion. On ne peut douter qu'il n'y donne fes foins : & comme il ne peut céder d'être avec les pécheurs , il ne celle auiTi ja- mais de s'employer à la réform.ation de leur vie : il les y invite par fes promelTes , il les y engage par fes bienflits , il les y poulfe par fes menaces , il l2s y force

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222 Sur LA SOCIÉTÉ DES JuStES

par fes châtiments ; fa fagefle , fa bonté, fa iufrice , toutes fes perfeftions divines y font occupées ; & ce qui doit vous furprendre , c'ell que connoiffint par avance la damnation future & im- manquable de plufieurs , il s'applique néanmoins à ceux-là avec la même alîiduité que s'il ne prévoyoit pas leur malheur. Admirable conduite qui nous fert d'exemple , & qui nous repréfente une des obligations du chririianifme les plus effentielles , & toutefois la moins connue.

Car comme nous devons , Chrétiens, profiter des pécheurs pour nous-mê- mes , nous devons aufli nous-mêmes , félon qu'il dépend de nous , & autant qu'il dépend de nous, profiter aux pé- cheurs. Devoir général , & devoir par- ticulier. Prenez garde : devoir général , qui regarde fans diftintlion tous les hommes , & que nous impofe la loi de la charité. 11 n'y a point d'homme , dit le Saint -Efprit , que Dieu n'ait Eccïcf. chargé du falut de fon prochain : Uni-' *. '7' cuicj'iie mandavu de proximo fuo : com- ment cela ? parce qu'il n'y a point d'homme à qui Dieu n'ait ordonné d'exercer la charité envers fon prochain , félon les néceffités & les occafions. De cette obligation rigoureufe de fou- lager le pauvre dans fa mifere. Or fi la charité nous oblige de compatir aux miferes temporelles du pauvre, con:ibiea

AVEC LES PÉCHEURS. Î2^

doit-elle nous engager encore plus fortement à compatir aux n'-iTeres fpiri- tuelles du pécheur? Si dans des befoins il ne s'agit que du corps Ôc d'une vie mortelle , nous ne pouvons néan- moins manquer à notre frère & l'aban- donner, fans perdre la charité de Dieu en perdant la charité du prochain ; pouvons-nous conferver l'une & l'autre & fatistaire à Tune & à l'autre , en laiflant , par notre faute , périr des âmes rachetées du fang de Jefus - Chriil ; en leur refufant des fecours qu'il ne tient qu'à nous de leur procurer, & qui pourroient les garantir d'une mort 6i d'une damnation éternelle ; en négli- geant de leur donner des confeiis , des avis , des inftruâlions , des exemples , qui les retireroient de leurs égarements , & les remettroient dans les voies d'une bienhsureul'e immortalité ? Car entre ces pécheurs , remarque faint Auguftin, il y en a que Dieu a prédeftinés peur être un jour au nombre de fes amis & de les Sainrs. Nous ne les connoif- ibns pas , & ils ne fe connoiiTent pas eux-mêmes , parce que ces deux cités du ciel Ôc de l'enter , des réprouvés & des élus , font maintenant dans un mélange qui nous empêche de les diftinguer ; mais c'eft par cette raifon que notre charité doit être univerfelle , 6c que nos foins doivent s'étendre à tous 5 alin d'accomplir les defîeins de

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2Î4 ^^'^ l^A SOCIÉTÉ DES JuSTES

Dieu, & que ceux en qui il veut opérer par notre miniftere les n'ierveilles de fa grâce , ne demeurent pas fans affif- tance & dépourvus des moyens de falut qu'il leur avoit piéparés. C'efl pourquoi les Apôtres exhortoîcnt tant les fidèles à édifier par leur conduits les idolâtres &c les païens ; c'efl pour- quoi,faint Pierre reccmmandoit fi ex- preffément eux gens de bien de fe comporter toujours de telle manière que les pécheurs, témoins de leur vie^ fe fenîiÎTent animés à les imiter & à ;. Petr, fer vit & glorifier Dieu : Ut ex bonis fap. 2, operibus vos confia crantes , glorificenC Deimi. Mais quelle eft la fauffe maxim.e dont on fe kiiTe là-deffus prévenir ? c'ell: qu'on le perfuade eh être quitte pour penfer à foi. On dit, comme Caïn, lorf- que Dieu lui demanda compte d'Abel : Ccnef. Num cuftos fratris mei fum ego ? Suis=- ^' 4' je le gardien de mon frère ? eft - ce à moi de veiller fur celui - ci ou fur celle - ? de quelle autorité fuis - je revêtu ? & qu'ai- je autre chofe à faire que de bien vivre , & de ne point examiner du refte comment chacun vit ? Il eft vrai qu'il y a des règles de pru- dence à obferver , & qu'il n'eft pas toujours à propos de vouloir, comms les ferviteurs de ce maître de l'Evan- gile , arracher l'ivraie dès qu'on l'ap- psrçoit , 6c de fuivre les mouvements iiiipémeux d'un zèle précipité , qui n'?»

AVEC LES PÉCHEURS. SiÇ

égard ni aux temps , ni aux conje^lures: mais cette prudence louable , lorfqu'elle eft bien employée , ne dégénère que trop fouvent dans une fauffe fageiTe , dans une timidité lâche , dans un refpe^l tout humain , dans une indifférence pareOfeufe , dans une criniinelle préva- rication.

Devoir particulier , & fpécialement propre de certains états. Car dites- îTiOi , à qui eft-ce de corriger un enfant vicieux & emporté par le feu de fes paffions , û ce nQii à un père fage ÔC Vigilant ? de corriger une tilIe attachée au monde & malheureusement enga- gée dans les intrigues du monde, fi ce n'eft à une mère loigneule & régulière ? de corriger des domeftiques lujets aux blafphêmes Se adonnés à la débauche, fi ce n'efl à un maître dont ils dépen- dent, & qui a le pouvoir en main pour réprirr.er leur libertinage ? A qui eft-ce de réformer les abus qui s'introduifent jufques dans rEglife de Dieu 6c parmi le peuple chrétien , d ce ne'à à un miniftre de Jefus-Chrift ? de purger une ville des défordres qui y régnent , (i ce n'eft au magiftrat ? de régler & de fanftitier une cour, fi ce n'eft au prince } Mais ou voyons-nous ce zèle , Se com- ment l'aurions - nous pour les autres , puifque fouvent nous ne l'avons pas pour nous-mêmes ? ce qu'il y a de plus ftrange , §c çç qui doit p^us nous

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tiiS Sur la société des Justes

confondre, c'eCl qu'en toute autre chofe 6c fur tout autre iujet que celui dont je parle , ce zèle de la corredion du prochain ne nous manque pas. il ne îaut que la moindre oct^^fion pour l'ex- citer jufqu'à la violence. Que ce jeune homme ne prenne pas une certiiine éducation lelon refprit Si les m^^nieres <5u fiecle ; que ceue jeune perfonne ne îoit pas allez atten[:ve fur l'a démarche, fon air , les ajullements ; qu'il y ait eu le plus léger oubli 6t quelque déran- gement dans le Tervice de ce domef- tique , c'eft sfTez pour taire écljter en reproches les plus aigres 6i. les plus pi- quants : mais dès qu'il n'y va que de l'intérêt de leur falut , on n'en eii point ému, & à peine y dai^ne-t-on quelque- fois penfer.

Devoir encore plus particulier pour les libertins eux-mêmes 6c pour les pécheurs, lorfqu'ils ont eu le bonheur ^^ ide fe reconnoître & de rentrer dans une "vie nouvelle & péniteate. Car de quoi ils doivent toujours conierver le Icu- venir, c'ell: de l'injure qu'ils ont laite à Dieu en le déshonorant par leur péché j> & du tort qu'ils ont caufé au prochain en ie fcandalilant. Double vue qui alm- moit tout le zèle de David ; 6c qu'y a-t-il , mon cher Auditeur , de plus efficace & de plus puiiiant pour réveiller le -votre & pour l'aniraer ? Si j'avois enlevé à uji homme le bien qu'il policdaic

AVEC LES PÉCHEURS. 227

Se qui lui apparrenoit , je me condam- nerois moi-même à réparer le dom- mage qu'il auroit reçu. Si je lui avois ravi l'honneur , nea ne me dirpenferoit de lui en faire la fatisf-ièlion conve- nable. J'ai bleffé la majeité de mon Dieu , je l'ai offenfé , que dois - je donc épargner dél'orauis pour rétablir fa gloire 6: pour la lui rendre toute entière ? J'ai par mes exemples en- traîné mon frère djns le plus grand de tous les malheurs , qui ert le péché ; je lui ai fait perdre le plus précieux de tous les biens, qui éîoit l'mnocence de fon ame 6c la pureté de ù confcience ; que ne dois -je donc pùs me- te en œuvre pour le retirer de l'abyme je l'ai conduit, & pour guérir les plaies*^, de fon cœur ? Qae fi mes foins ne peu- vent plus être utiles à tels & tels , que j*ai égarés , & s'ils ne font plus en état d'en profiter , quel motif pour com- penfer au moins la perte de ceux-là par la conquête d'autant d'autres que Tocca- fion m'en peut préfenter ? Or en voici le moyen exprimé dans ces paroles du Prophète royal ^ il nous donne à connoître ce qu'il taifoit lui-même , & ce que nous devons faire comme lui: Docebo iniquos vias tuas , 6* impiimaJ te pf, j%, convertentur. Non , Seigneur , s'écrioit ce Roi pénitent , ce n'eft point affez que je revienne à vous , je veux encore y raaienîr avec moi les pécheurs ; je leur

K vj '

ii2 SuRLA SOCIETE DES Justes, &c;

enleignerai vos voies , ôc je tâcherai de les gagner , foit par mes paroles , foit par ma bonne vie. Je ne vous ai jfesleulement déshonoré par moi-même, ô mon Dieu 1 mais par tous ceux que mon exemple a engagés ou confirmés clans leur iniquité. Ce ne fera donc point feulement par moi-même, mais par leur infiruftion , mais par leur correction , mais par leur converfion que je tra- vaillerai à vous glorifier. Pour cela , Seigneur , il y aura des précautions à prendre, des m.oments à étudier, des obftacles à vaincre ; mais de tout ce cju'il pourra y avoir de difficultés , rien ne me rebutera , ni rien ne railentira moa ardeur , parce que je fais que c'efl une ïéparation que je vous dois , Si pour la gloire que je vous ai ravie , & pour tant d'ames que j'ai perverties : Docibo inïquos 9fias tuas , & impii ad te ccnvcrtcntur» Entrez , Chrétiens , dans ce fentim.ent L'ivraie alors fe changera pour vous en bon grain; le commerce que vous aurez avec les pécheurs , en leur profitant , vous profitera à vous-mêmes, vous fau- verez vos frères , & vous vous fauverez avec eux ; vous amafferez des tréfors de grâce pour cette vie , & vous mériterez le b§nheur éternel de l'autre, que je TOUS fouhaite, &c.

SERMON

POUR

jL£ SIXIEME DIMANCHE

APRÈS L'EPIPHANIE.

5;/; /^ fainîcté & la force de la Loi chrétunne»

Simiîe efl: regautn Cceloritm grano iînapîs , quod accipiens homo feniinavit in agro fuo ; quod minimum quidem eft omnibus feminibus ; cùm autem creveric , majiis eft omniba$ olcribus , & fit arbor.

Le royaume des Clsux ejî femhlable à un grain de jcnevé , qu'un homme prend & fcme dans jon champ, C'cjî le plus petit grain de toutes lis fcmences ; mais lorfcue ce grain a poujjé ^ il s"" élevé au-dejj'us de toutes les autres plantes^ & il devient arbn. En S. Matth. ch. i^.

c

E royaume des Cieux , dans le lan- gage de i'Ecrituie , & félon la pen- fée des Pères & des Interprètes , qu'eiî- 4ce autre choie , Chrétie^is , t^ue rE^jA^'

430 Sur la sainteté

gile ? Et en effet , c'eft par cette divine ioi que Dieu règne en nous, & c'eft en- core cette loi qui nous difpofe à régner un jour nous-mêmes avec Dieu dans le ciel. Doublement donc royauiTie des cieux , foit parce qu'elle établit dans nos cœurs un empire tout célefte, qui ei^ Teaipire de Dieu , foit parce qu'elle nous donne droit à un royaume tout célefte , qui eil: l'héritage des enfants de Dieu. Or ce royaume des cieux , cette loi év.ingélique , dit le Sauveur du iiionde , eft iemblable à un grain de lene- , & cela comment ? en deux manières, que le même fils de Dieu nous a expref- fément marquées dans les paroles de mon texte ; favoir , par fa peciteiTe & par fon étendue : par fa peiitefle dans ion origine , ()uod minimum quidem ejl omnihus jeminibus ; & par fon étendue dans fes accroiffements & fes progrès , Cuin autem crevdrit ^ majus ejî omnibus olcribus. C'eiV à-dire , fuivant l'appli- cation que fait S. Jérôme de cette para- bole à la loi chrétienne, que comme entre toutes les graines une des plus pe- tites avant qu'on l'ait femée eft le fenevé ; ainu de toutes les religions du monde il il n'y en a point eu , à la confidérer dans fa nailTance , de plus obicure que la ioi de Jelus Chrift , ni en appa:en.-e de plus foible. Mais , ajoute auiîi ce faint Docteur, pour achever la comparaifon, <ie méaie (jue le graia de fençvé 3 ^M

ET LAFORCE DE LA^LOI CHR. 23 I

quon l'a jeté dans la terre , y prend racine , croi; eniuice , le fortifie , poulTe des bfanciies , produit des feuilles , porte des fruits , monte enfin jufqu à la hauteur d'un arbre , 6l fert de retraite aux oifélux du ciel , Et fit arbor , it.i ut vu lucres cœli habitent in : de inêiiie d-t on vu l'Evangile prêché par Jelus-Chrii^ dans la Judée , pdTer de , par le miniilere des Apôtres , aux nations , ranger tous les peuples fous fa domination lp:rituelle , abolir le culte des taux dieux , & devenir de l'un à l'autre pôle la lui dominante. Loi per- pétuelle , qu'une heureufe fucceffion des iiecles , m-^lgré toutes les révolu- tions humaines , a confervé jufqu'à nous , ai. que la même tradition doit maintenir juiqu'à la fin des temps : loi que nous avons reçue , mes chers Auditeurs , que nous profelTons , font renîermées nos plus grandes eipé- rances , & qui feule eft la règle que nous devons nous propofer dans tout le plan de notre vie. il eft donc impor- tant , afin de nous attacher toujours d-avanta^e à cette loi , que nous en connounons les glorieufes prérogatives , & c'eit de quoi j'entreprends aujour- d'iiuî de vous entretenir. De les vouloir parcourir toutes ," ce feroit une matière infinie , Ôc bien au-delà des bornes qui meiont prefcrites. Arrêtons-nous à notre parabole j nous y touverons égaletr.eui

^3^ Sur la sainteté de quoi relever Thonneur de l'Evangiis 6c de quoi fervir à notre inftruâion , après que nous nous ferons adreffés à la Vierge qui nous a donné le divin iégiilareur dont nous fuivons la doftrine, & à qui la toi nous tient fournis. Ave

IL n'y a que Dieu qui puiffe par lui- même fanciiiier les âmes & les con- vertir , parce qu'il n'y a que Dieu qui foit faint par lui-même & le principe <ie toute fainteté , comme il n'y a que lui qui tienne en fes mains les coeurs des hommes , & qui leur donne telle impreiîîon qu'il lui plaît, par les fecrettes ooérations de fa grâce. Deux caractères qu'il a communiqués à la loi évangéli- que , & qui fans autre preuve nous lont fuinlamment entendre que c'eft une loi divine. Deux avantages qu'exprime par- faitement ia pariibole de ce petit grain qu'un homm.e a femé dc.ns fon chanip , & nous remarquons tout à la fois une double qualité , ]e veux dire , une qualité fainte &c une qualité forte tout enfem.ble. L'iine , qui nous figure la fainie:é incorruptible de la loi chré- tienne dr.ns les règles de conduite qu'elle nous trace , & dans la perfection elle nous appelle ; l'autre , qui nous re- préfente la force viclorieufe & toute- puiffante de cette rr.ême loi d^ns ia converfion du mondç çoti^r^ & dans Iç*.

ET LA FORCE DE LA Loi C iïR. Î3$

progrès inconcevables qu'elle y a faits > malgré toGs les obilacles qui en de-* voient arrêter le cours. Enfin deux pré- rogatives toutes fingulieres de l'Evangile de Jeius-Chriii , eomprifes en deux pa- roles du Prophète royal , lorfqu'ii nous dit que la loi du Seigneur efl: pure & fans tache, Lex Doinini ïmmdcuLita ; & que P[> t$; par une vertu qui lui efl particulière ôc qu'elle exerce fur les âmes , elle les attire à Dieu , & les convertit , Convertens animas. Sainteté do la loi chrétienne,' force de la loi chréiienne ; voilà tout le fond & tout le partage de ce diicours. Sainteté qui fait de la loi chrétienne une loi parfaite & irréprochable ; c'ed ce que je vous montrerai dans la première partie. Force qui furpade toute la na- ture , & qui a fait faire à îa loi chrétienne, dès fcn premier établiiïement , les plus nierveilieufes conquêtes ; ce fera le fujet de la féconde partie. Dans l'une nous jugerons de cette loi évangélique , par ce qu'elle eft en elle-même ; & dans l'autre , par ce qu'elle peut & ce qu'elle a fait. De l'une Ùc de l'autre je conclurai que c'eli donc une loi toute célede, qu'elle vient de Dieu , & que Dieu feul en ell l'Auteur : Lex Domini immaculata , convertens animas. Vous le conclurez vous - mêm.es avec moi , mes chers Auditeurs , fi vous m'écoutez avec un efprit droit &. d^fimérefTé, ^ fi vous ffi«

^34 Sur la sainteté

donnez toute Tattention que je vous demande.

I. /^Ui 5 Chrétiens ^ c'efl: une loi fainte JPart. V^ que la loi de Jefus-Chrirt ; & pour en être perluadés , coniidérez-la dans toutes fes parties : examinez-la dans foi* Auteur , dans fes maximes , dans fes confeiis , dans fes fedateurs , dans fes n"iyfteres , 6l en tout cela ne la tenez pour véritable qu'autant qu'elle vous paroitra fainte. Car la fainteté ne peut avoir pour fondement que la vérité, & la vérité eft toujours le principe de la fainteté. L'iiluflre témoignage , Chré- tiens , en faveur de notre religion l Angnjî. Ciim ad aliquid pervenitur quod ejl contra bonos mores ^ c'eil S. Auguilin qui p?rle, non ejî mr^^num vcram fedam à fùLjâ dïfcernere. Lorfque dans une fecle on découvre des defordres en matière de mœurs, il n'efl pas difficile de montrer qu'elle part d'un faux principe : mais la préfomption eft toute entière qu'elle vient de Dieu , quand on n'y voit qu'm- nocence & que pureté de vie. Prenons donc cette règle pour reconnoitre au- jourd'hui la venté de la loi chrétienne, 6t jugeons-en d'abord par la fainteté de fon Auteur.

C'ed Jefus^Chrift , ce Meifie envoyé de Dieu , qui fans p.irler de i'ondion de fa. divinité, a pailé pour le plus jufte 6c

ET LA fORCEDELA Loi CHR. 23^

le plus faint des hommes ; dont la vie a été il pure , qu'il voulut bien la foumettre à la critique de Tes plus cruels ennemis ; Quis ex vobis arguet me depeccato ? contre Jcan^ qui toute la Synagogue conjurée ne put c jamais produire deux témoignages con- formes ; Et non erant convenicntia teflimo- Marc, «ij; qui reçut une déclaration auihentique C' '4' de fon innocence , de la bouche même du Juge qui porta l'arrêt de fa condam- nation : Nullim in eo invenio caufam : Joan. enfin , dont les vertus plus qu'humaines c. iS, ont été publiées par ceux qui étoient les plus intéreffés à en ternir la gloire : Verè filius Dei erat ijîe. Voilà celui qui Matth, nous a donné la loi que nous profeiïons. <^* ^<J* Les autres loix qui partagent aujour- d'hui le monde ont eu pour auteurs des impies transfigurés en prophètes , des dieux , comme le paganifme , plus corrompus que les hommes même qui les adoroient ; un Mahomet, fouillé de toutes fortes d'impuretés , comme U fecie qui porte fon nom ; & pour ne pas oublier les hérétiques , qui par leurs héréiies ont altéré la pureté de la loi, des apoflats de profelfion ; un Luther, infime par fes inceftes , qui même en faifoit trophée, &. qui s'eil vanté de ce que fes plus zélés partifans avoient honte de ne pouvoir défivouer pour lui. Voilà celui que Calvin appelloit l'Apôtre de l'Allemagne : & que ne pourrois - je point dire de Calvin lui-même t

136 Sur la sainteté

A Dieu ne plaife , Chrétiens , que j'en veuille à leur "perfonne ni à leur mémoire : ii c'étoient des particuliers qui euilent été emportés par le torrent de l'héréiie , je fais les règles de dif- crétion OC de bienféance que j'aurois à garder. Mais puiiqu'on a prétendu que c'étoient des hommes que Dieu avoit remplis de fon efprit pour les employer à la rétbrmation de l'Eglile , eiicore eft-il jufte que nous les connolllions ; les Pères en ayant toujours ainfi ufé quand il aétéqueilion des héréfiarques. Or eft-il croyable que Dieu , pour réfor- mer Ion Eglife , ait ehoifi des hommes de ce caractère ?

Mais partons outre , & pour tirer d'un ù grand fujet toute l'édification & tout le fruit que Dieu prétend que nous en tirions , voyons quelles font les maxi- mes de la loi que nous avons reçue de Jefus-Chrift. Il eft vrai que les ennemis de ce divin Sauveur firent tous leurs efforts pour le décrier comme un homm« qui pervertilToit le peuple , & dont îa doâiiine alloit corrompre les mœurs ^ mais il eil vrai auifi que ce fut la plus grofliere & la plus vaine de toutes les ca- lomnies. J'ai prêché publiquement, dit-il à Caïphe qui l'inteirogeoit fur ce point, &L je n'ai jamais dogmatifé en fecret : adreiTez-vous à ceux qui m'ont en- tendu , ils favent ce que j'ai dit. Nous ie i^yçfts , ÇJarékie;iJ , puifqu'il ngus a

ET LA FORCE DE LA Loi CHR. l'^f

fû\t les dépolltaires de Tes fameux ora- cles , & que nous avons encore entrç ies mains les précieux monuments de fa loi : trois chapitres de faint Matthieu en font le précis & l'abrégé ; il n'y a qu'à les comparer avec tout ce que la morale païenne a jamais produit, pourvoir la didérence ienfible de l'efprit de Dieu & de celui de l'homme. Que la loi chré- tienng ed admirable ! difoit autrefois Laitance : c'eft elle qui a éclairci toutes les loix de la nature , qui a mis la der- nière perfeflion à toutes les loix divines , qui autorife toutes les loix humaines _, Sc qui a détruit fans exception toutes les loix du vice &. du péché ; quatre chefs qui font pour elle autant d'éloges , & qui mériteroient autant de difrours. C'eft elle qui a éclairci les loix de la nature , les interprétant félon toute leur pureté , & renverfant toutes les erreurs dont l'ignorance ou le libertin?^e des hom- mes les avoient obfcurcies. On a dit à vos pères ( c'eft ainfi que Jefus-Chrift inftruiibit les Juifs ) , on a dit à vos pères : vous ne ferez point hom.icides ; & moi je vous annonce que quiconque dira à (on frère une parole ou de colère ou de mépris , fera condamné au juge- ment de Dieu. Vos pères ont cru que la haine d'un ennemi 6c la vengeance étoient permifes , ÔC moi je vous les défends. On leur a fait entendre que le parjure çtoit un crime , 6c moi je

ft^B Sur la sainteté

veux que toutes fortes de jurements vou$ ibient interdits. Etoient-ce de nouveaux préceptes qu'établifToit le (ils de Dieu ? Non , dit laint Auguftin ; car de tout temps , jurer fans néceflité avoit blelTé le refpeft qui eft à Dieu ; fe faire rai- fon de fes propres injures avoit toujours été contre la raifon ; jamais il n'avoit été permis de defirer un plaifir qu'il n'eft pas permis de fe procurer. Mais ces loix que Dieu avoit gravées dans le cœur de Ihomme avec des caractères de lumière, comme parle le Prophète royal , s'y étoient infenfiblement effacées , & la loi chrétienne eft venue les renouveller. Ceft elle qui a mis la dernière pertec- tion à toutes les loix divines , changeant la circoncifion de la chair en celle de l'efprit, taifant fuccéder les effets de la pénitence aux cérémonies de la péni- tence ; fandifiant le Sacerdoce par la continence , pour le rendre plus digne des autels ; érigeant le mariage en facre- lïient , afin qu'il ne pût être violé que par une efuete de facrilege ; le réduilant à cette févérité de difcipline , c'eft-à- dire , à cette unité & à cette indiffolu- bilité à laquelle il étcit réduit dans fa première inftitution , 6t en retranchant tout ce que Dieu dans la loi ancienne avoit accordé à la dureté du cœur des Juifs. C'ell cette même loi de Jefus- Chrift qui a autorifé toutes le loix hu- itaines i puifqu'outre l'obligation civile

ET tA FORCE DE LA LOî CHU. 139

& politique de les garder , elle y en ajoute une de conlcience qui eft invio- lable & qui fublille toujours ; puifqu'elle fait refpeder les fupérieurs légitimes , non pas en qualité d'hommes , mais comme les lieutenants 6c les minières de Dieu ; puifqu'elle maintient leur autorité , non-leulem.ent quand ils l'ont chrétiens & fidèles , mais quand ils feroient païens & idolâtres ; non-feule- ment , dit faim Pierre , qucind ils font vertueux & parfaits , mais quand ils feroient remplis même de vices ; non- feulement quand ils font doux & favo- rables , mais quand ils feroient emportés & fâcheux ; puifque hors ce qui eft politivement 6c évidemmiCnt contre Dieu 5 elle veut qu'ils foient obéis comme Dieu même , ne féparant point ces deux préceptes, Regem honorificaîe , i.Peèr^ Dcumîimete ; craignez Dieu ^ & honorez C' les puiflances ; &. nous avertiflant fans celle que l'un eft effentiellem-ent fondé fur l'autre. Enfin c'eft e'ie qui a détruit généralement toutes les loix du péché , dont le nombre étant infini, fa gloire particulière eft qu'il n'y en a pas une qu'elle ne réprouve ôc qu'elle ne con- damne ; frappant d'anathême l'injulKce, en quelque fujet qu'elle paroine ; ne refpeclant en cela ni rang ni qualité ; ïYayant égard ni à coutum.e ni à poP.ef- fion ; ne s'accommodant ni à foibleffe ni à intérêt ^ ne cédant pas même à la

ft4o Sur la sainteté

plus predante de toutes les néceffités ,

€ertull. qui feroit celle de mourir : Ne mo^ riendi quidcm neccjjitati difclplina nojîra connivet.

Les religions païennes ont-elles pu fe gloriner du même avantage r Vous le lavez ^ Chrétiens , & vous ne poa- vez ignorer que le cara6lere par elles ie font diftinguées , a été de to- lérer & de permettre tous les crimes ; ron-feulement de les permettre & de les tolérer , mais de les approuver , nais de les canoniier, mais, il j'ofe me fervir de ce terme , de les divinifer ; n'ayant reconnu , dit excellemment laint Auguftin , des dieux vicieux & lafciis , que dans cette vue , afin que quand leurs adorateurs fe trouveroient excités au mal , ils coniidéraiTent plutôt ce

"iiugufi. que leur Jupiter auroit fait, que ce que Caton leur avoit enfeigné : Ut magis intuerentiir qiiid ficijfet Jupiter , quJrn quïd cenfulffct Cato. Choie dont les païens eux-mêmes avoient horreur, ne pouvant ioufFrir , c'eil la remarque d'Arnobe , quelque déterminés qu'ils fuilent à être méchants , qu'on le tût par proteiTion de religion; &. la plupart au moins de ceux qui paiToient pour fages , ayant mieux aimé vivre fans religion, que d'en reconnoître une pour bonne qui ne les obligeât pas à être ni ailleurs. Il en efl de même des héréfies :

car

ÏT FORCE DE LA LoiCAti. 14^

car Dieu , dit faint Epiphane , a tcujcurs permis que les erreurs dans la foi aient été fuivies de la corruption & de la dépravation des maximes qui regar- doient la conduite des mœurs , atia que .cela même fervît à les diftinguer. L'héréfie du fiecle pafTé femble avoir été en cela plus circonfpede & plus prudente , puirqu'elle affefta d'abord le nom de réibrme : mais fi elle en afîeda le nom , peut-être ne lui taifons- lîous point de tort, en difant que c'eft ""6 de celles qui en négligèrent plus la vérité, & peut-être pourrions-nous, fans lui faire infulte & fans lui rien iqiputer que fes propres maximes , la détromper par elle-même & la convain- cre. Car nous n'aurions qu'à lui oppo- fer le langage de Tes premiers pafteurs, pour lui montrer Tillufion de la vaine réforme qu'elle s'eft attribuée ; & elle ne défavoueroit pas que ces faux mi- nières prêchant aux peuples , ne leur fiflent fouvent ces leçons : Prenez garde, ires Frères , leur dilbient-ils ; on vous a tait entendre que c'étoic par les bonnes ceuvres qu'il filloit fe fauver; on vous a trompés , elles font inutiles pour le falut. On vous a dit que le jufle devoit veiller continuellement fur foi-m.ême, pour ne pas décheoir de Ja grâce : abus ; quand on a une fois la grâce, quelque crime que l'on comm.ette, on ne la perd jamais. On vous a fait accroire que vous

^4* SUK lA SAINTETÉ

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ïemis. On vous a ?^f^XZ&^ i "«« beaucoup àfairepour gagnée >-^Jg,^

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pouvoir, t^^^s ^^ 8^ nous vous

ilonnez votre P^oteffion , & "o

fe£ÏÏa^.Sefe.o^-W^^^^^^^ fecôuer-le Hardiment . S. «"o «

ts^Iaisl-EgUreleco—de^J.^^^

^t^KVcolfo-iercerMaisn.ui pour lier vos v ^ mère: oui,

Lt obéir comme a no»e-«^^.^„„„

^,ar cérémonie & f",f°X ' ,e une W '"^Cll dis'' -i de créance 6C

ET LA FORCE DE LA Loi CH?v. 245 croirois coupable d'y rien ajouter. Or dites-moi , mes chers Audiceurs , û la vérité Se la pureté de la loi chrétienne pouvoient s'accommoder de tout cela } Non , fans doute ; & û nous voulons encore mieux connoitre cette loi lainte , voyons jufqu'où elle a porté la perte6lion de Tes confeils. Qu'eft-ce que cette pau- vreté évangélique qu'elle nous propofe, & qui non-feulement nous dégage de toute affection aux biens de la terre, inais nous dépouille de toute poffeiri on ^ Si vous voulez être parfaits , dit le fils de Dieu à ce jeune hommo de TEvan» gile , allez , vendez tout ce que vous avez, donnez- en le prix aux pauvres , & vous ferez en état de me fuivre , & de par- venir à la plus haute fainteté de ma loi, Qu'eft-ce que ce renoncement volon- taire à tous les piaifirs des fens , que cette mortification èc cet amour de la croix ïîui nous rend en quelque façon ennemis de nous-mêmes , jufqu'à nous refufer à nous-mêmes toutes les douceurs & tous les foulagements de la vie, jufqu'à nous perfécuter nous-mêmes fans relâche , jufqu'à nous faire mourir nous-mêmes, «ion point de cette mort naturelle que Dieu n'a pas fait dépendre de nous , mais d'une mort intérieure & fpirituelle ? Qu'eft-ce que cette humilité héroïque qui nous fait fuir l'éclat & les honneurs du fiecle, avec autant de foin & autant d'ardeur , que le monde nous les fai:

Lij

244 Sur sainteté

rechercher , qui nous fait aimer l'abjeC"^ tion, l'oblcur.'té, les mépris, les outra-? ges ; qui remplilToit de joie les Apôtres, loiiquê dans les priions , que dans les places publiques , qu'en préfence des inagiftrats , on les couvroit d'ignommie & d'opprobres ? Qu'eft-ce que cette abnégation entière de ce que nous avons de plus cher , qui eft notre volonté pro- pre & notre liberté ; tellement que nous ne fommes plus maîtres de nos defirs , plus maîtres de nos réfolutions , mais clans une dépendance totale , & fous le joug de l'obéilTance la plus univerfelle & la plus étroite ? Quels miracles^ de vertus l & une vie , ainfi fanaifiée , n'eft-ce pas , félon la belle parole de S. Ambroife , un évident témoignage de 'Amhr. la divinité ? Tejiimonium dïvïnitatis vita. Chrifllini, ,

Voilà, mes chers x^udlteurs , ce qu on appelle la morale chrétienne , les infidèles , fuivant le rapport de famt Auguftin , n'avoient rien davantage a reprendre, fmon qu'elle étoit trop famte Aupifi, & trop parfaite. VidemuriisChriftianisrcs humanas paulb plus quàm oportet defercre. Reproche mille fois plus avantageux & plus glorieux pour elle que tous les eloees qu'ils lui euffent pu donner. Mais cette loi fi droite dans fes maximes &: fes préceptes , fi pure & fi relevée dans fes- confeils , fi ûinte dans fon auteur, ['efl-elie autant à proportion dans les

ET LA FORCE DE LA Loi CHR. 14f feâateurs ? Ah î Chrétiens , inftruifez- vous ici de ce que vous devez être, ou plutôt confondez-vous de ce que vous n'êtes pas. Être Chrétien , c'eil être faint. Il n'y a qu'à lire dans faint Luc quelle étoit la vie des premiers fidèles ; lorfqu'ils ne faifoient encore qu'une efpece de communauté à Jéruialem : il n'y a qu'à voir chez i ertullien queîlôs éîoient leurs afTemblées , quand ils commencèrent à fe multiplier dans le inonde : il n'y a qu'à confidérer leurs mœurs & leurs pratiques dans l'excel- lent ouvrage que faint Auguftin en a compofé. Diriez-vous que ce tuffent des hommes mortels , 6i non pas de purs elpriîs 6c des Anges dont il trace le caraftere ? Il n'y a qu'à entendre ce qu'Eufebe témoigne , que les idolâtres eux-mêmes fe trouvoient obligés teconnoitre qu'il n'y avoit de véritable fainteté que parmi les Chrétiens. Té- moignage, ajoute-t-il, qu'ils leur ren- dirent , fur-tout après avoir éprouvé leur charité dans une pefre qui rava- gea toute l'armée Romaine fous l'Em- pereur Valérien , & ils virent les fidèles s'employer au foulagem.ent cie. leurs propres ennemis, avec autant de zèle que s'ils eufTent écé leurs frères, ou félon la chair , ou félon la foi. Quel efprit les animoit alors ? Etoit-ce un efprit particulier à quelques-uns d'entre f ux ? l^on : mais ç^içk l'efprit univeriul

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^4^ Sur la sa i K-t été

de la loi chrétienne. Ils étoient tels paT engagement de religion ; & c'eft ce qui convertit ce brave & généreux foldat, qui fut enfuite Tornement du déiert , l'iliuftre Pacôni-e , & ce qui attiroit tous les jours un nombre prefquç infini de dignes fujets à l'Evangile, lorfqu'ils fai- foient attention aux fruits merveilleux de fainteté que produifoit le chriftianiime. Tant il eft vrai , comme Tertullien le difoit en traitant la même matière que moi , qu'on peut juger d'une créance par la conduite de ceux qui la profeiTent : Tertidl. De gen£re converfationis qUiilitas fidci œfti- mari potefl ; & qu'un des grands motifs en faveur d'une doctrine , ell la vie irré- Idem, prochabîe de ceux qui la fuivent : Doc» trincEJudex difciplina: c'eft- à-dire , quand- ia vie & Id créance font conformes, & que l'une eîï la resle de l'autre. Car ceut ete mal raiionner, remarque lamt Auguftin y que de conclure à l'avantage du paganifme , par la raifon que queU ques figes païens vivent dans l'exercice- éi l'habitude des vertus morales , puif— qu'en les pratiquant ils ne fe conformoient en aucune forte à leur religion, oc ce ne feroit pas une moindre injuflice, de- fe prévenir contre la religion de Jefus- Chrifl , fous prétexte qu'il y a des Chré- tiens dont la vie eft déréglée ; puifqu'en cela ce n'eft point félon les principes de leur foi, ni comme Lhréiiens, qu'ils agident. Nous ne déiayouons pas , dit

ET LA FORCE DE LA Loi CHR. 24f

Salvien , qu'il n'y en ait parmi nous ds très-libertins & très-corrompus : mais nous prétendons que la foi chrétienne n'eft point i'efponiable de leur liberti- nage & de leur corruption : car elle eit la première à les accufer comme des pré- varicateurs , la première & la plus zélée à les condamner & à les rejeter.

Mais au contraire quand je vois dans le corps de l'Egliie tant de vertus & tant de fainteté ; quand je remonte à ces heureux temps la loi évangéll- que étoit encore dans toute fa vigueur, & que je vois quelles am.es alors elle a formées, quels îentiments elle leur inf- piroit, de quelle ferveur elle les animoit, à quelle perfeélion elle les élevoit : quand de fiecles en fiecles depuis Jefus-Chrift , je defcens jufqu'à nous , & que je vois cette multitude inombrabîe de parfaits Chrétiens , c'eft - à - dire , d'hommes irrépréhenfibles qui ont fandifié les dé- ferts 5 fandlifîé les cloîtres , fan6lihé les cours des Princes , fandtifié le monde & tous les états du monde : quand tout perverti qu*eft le fiecle nous vivons, je vois les mêmes exemples en tous ceux qui veulent fe rendre fidèles à la même loi ( car il y en a ; ôc pour peu qu'il y en ait , c'eft allez pour nous faire connoitre l'efprit de la loi qui les gou- verne ) : quand je vois dans les prélatures de l'Eglife , des Fadeurs vraiment apof- toliques i dans le facerdoce , de dign^

L iY

248 Sur la sainteté

ininiftres du Dieu vivant ; dans le céWhzt, des vierges confacrées à U pureté ; dans le mariage , des pères & des mères pieux & qui inipirent la piéré à leurs familles; dans toutes les profelnons des âmes ré- gulières , zélées , chaiitables, patientes, déiintérotlées , ennemies de tout défor- dre , de toute injuflice , difpofées à tout entreprendre pour l'honneur de Dieu , à tout faire pour le fer vice du prochain , à tout fouffrir oL à tout pardonner pour le bien de la paix ; tenant en toutes chofes une conduite fage , droite, équitable, parce qu'elles fe conduifent dans toutes chofes par les vues de la foi : quand jef vois tant de florifTants ordres , & leur difcipiine d'autant plus exade & plus févere , leurs obfervances d'autant plus rigoureufes & plus faintes , qu'elles ap-' prochent plus de la fainteté de l'Evangile: quand, dis-je, j'ai tout cela devant les yeux, n'ai je pas droit de faire le même raifonnement que Tertullien, 6>c d'en tirer îa même conféquence : Dégénère conve?' fationis qualitas fidei cz(lunarL potejl : doc- trince. Judex difciplina ? car une loi toute fanftifiante ne doit-elle pas être elle- nême toute fainte ?

11 faut néanmoins avouer , Chré- tiens , que cette loi d'une perfeélion fi fublime dans fa morale , efl: en même temps d'une créance bien difficile dans fes myderes. Une Trinité, un Homme- Dieu , c^nt autres arùdes de notre foi ,

IT LA FORCE DE LA Loi CHR. 249

ceft l'efprit fe perd, & ce qui de- mande la foumiffion la plus aveugle. Mais prenez garde à la belle réflexion de Guillaume de Paris , qui convient admi- rablement à mon {'ujet. Si notre raifon eft droite, dit ce grand Evêque, & fi elle cherche véritablement le bien , elle ne laiiïe pas de trouver dans tous ces rnyfieres un avantage ineftimable. C'eft qu'autant qu'ils lont relevés au - deiTus d'elle, autant font-ils capables de l'éle- ver à Dieu : c'eft qu'ils ont cela de pro- pre & de merveilleux, qu'en captivant nos elpriis fous l'obéiiTance de la foi, ils perteciionnent nos cœurs par les devoirs de fainteté qu'ils nous impoient ; c'efl que s'ils font obfcurs dans leurs prin- cipes , du moins dans leurs conféquences font-ils remplis des plus pures lumières de la grâce. En effet , fi je crois l'in- carnation divine , quoique je ne la corn* prenne pas , ne m'eil - il pas enluite évident que le falut efl donc de toutes les affaires la plus importante , puifque par fon importance même il a pu faire descendre du ciel un Dieu & Fattirer far la terre; que je ne dois donc rien épargner pour ce falut , après qu'un Dieu qui n'y ctoit pas intéreiTé comme moi, s'eil toutefois fi peu épargné lui-mérne poui* me l'aiTurer ; qu'il n'eff pas jufte qu^ ce falut ait tant coûté à un Dieu qui par fon infinie miféricorde a bien voulu s'en charger, &. qu'il ne me coûtât rien ,

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250 Sur la SAïNTETi

à moi , que ce grand ouvrage regarde perfonneilement ; que ie meilleur , ÔC même le feul m.odele que je mie puiffe propofer en y travaillant , c'eft ce Sau- veur qui m'en a enleigné les moyens , 6i qui n/"en a tracé U voie , encore plus par fes exemples que par fes paroles ;. par conféquent que je dois le fuivre en tout, Timiter en tout, exprimer en moi toutes fes vertus : qu'indépendamment de mon intérêt, la feule reconnoilTance fuffiroit pour m'attacher à un Dieu qui m'a aimé jufqu'à prendre fur lui toutes mes miferes , & que par la feule raifoii- de lui marquer mon amour , je devrois- me rendre fidèle à fes ordres , me fou- mettre à toutes fes volontés, accomplir îâ loi dans toute fon étendue , Se dans toute fa perfe6^ion ? Remarquez- vous y Chrétiens , quelles leçon> nous fait uri. feul myftere ? que fera- ce de tous les autres pris enfemble ? & faint Pierre dans^ fa féconde épître n'avoit-il pas bien fujet de dire que nos myfteres ne font point de ces fables étudiées & inventées par- des efprits profanes , tels qu'étoient les. 3. ?etr. myfieres de la gentili é , Non enim doc* ^' ^* tas falul.is fecuti ; mais que ce font des myfteres pratiques qui nous portent à la- fandlification de nos rr;œurs , à la fuite- du péché , à TaccomplilTement de toutes îiiftice ?

Ainfi concluons avec le Prophète : Lexr J)ammi imma£ulaia i la loi du Seigneiir

ET LA FORCE DE LA LOî CHR. 2f I

efl pure & fans tache. C'eft une loi fainte : & de quelle fainteté ? fuivez ceci. D'une fainteté folide , qui attaque le vic2 jufques djns fes principes les plus éloi- gnés, &c qui établit la veitu fur des fon- de.-nents ftables ^ inébranlables. D'une fainteté agilTante , qui ne s'en tient ni aux fentiments ni aux paroles , mais qui demande des œuvres. D'une fainteté univerfelle, qui ne laiffe pas échapper un point de la loi , parce qu'il ne faut , félon la loi , que la tranfgrefiion d'un feul point , pour nous rendre criminels & dignes d'une éternelle réprobation. D'une fainteté fage , qui n'exige rien que d'équitable, que de raifonnable, que de pratiquable. D'une fainteté coura- geufe, que les difficultés n'arrêtent point, que les contradicVions n'ébranlent point, que les plus grands facrifices n'étonnent point. D'i^ne fainteté patiente, qui dans les douleurs les plus fenfibies , dans les injures les plus piquantes, dans les acci- dents les plus fâcheux, dans les difgra- ces & les adverfités de la vie , fe foutienc contre les murmures des fsns , contre les faillies de la colère, contre les em- portennents de la vengeance , contre raffli6lion du cœur & l'abatrement de l'efprit. D'une fainteté religieufe envers Dieu , foumife à Dieu , zélée pour la gloire de Dieu ; douce & affable à l'égard du prochain , prévenante &. bienf^ifante ^ t>?uiours auenÛYe fur elle-même , ôc

»52 Sur la saintets

févere pour elle-même, dégagée de toutes les vLiesce la chair: au-deilus de tout intérêt, de toute fortune ; au-deilus de toute ambition de toute réputation , de toute ccnfidérc tion humaine ; indé- pendante des caprices & deshum.eurs, des aridiés &l des féchereiles ., des ennuis & des dégoûts, fixe & immobile dans le devoir , parce que c'eft le devoir, ôcinvi^riablement adonnée au bien, parce que c'eft le bien , & qu'on le doit en tout chercher. Telle eft , dis-je, mes Frères , la iainteté du chriilianirme , par la grâce du Seigneur nous fommes nés , nous avons éié élevés. Tels en font les car?.6^ere5 ; & fi cette pein- ture vous éblouit, croyez néanmoins; car il eft vrai, que bisn loin d'y ajouter un feul trait , il y en a mille que je fuis obligé de fupprimer ^ pour ne pas lalîer votre attention.

Or j'avoue , Chrétiens , que de tous les m.oîifs qui nous font reconnoître la vérité de notre religion , il n'y en a point qui me touche plus que celui-ci. S. Auguftin dfoit que plufieurs chofes le retenoient dans TEglife de Dieu : du^uji. Multa me in Ecclefiâ juftij/imè ret'ment^ Le confentement des nations à recevoir la foi y l'autorité des miracles , l'anti- quité de la tradition , cette fuccefiioiî d'Evêques depuis S. Pierri, le nom de Catholique qu*a toujours porté l'Eglife jarmi tant de (çhifineâ éc. d'hàékes,^

ET LA FORCE DE LA Loi CHR. 2fJ

tout cela le fortlnoit puiiTamment dan^ la créance qu'il avoit embraiïee ; 6c ce n'éîoit pas certes un eTprit frivole , qui fe laiiTât prendre à de légères apparences^ & qui le rendit fans avoir tait aupara- vant un férieux examen. Mais )'d]oute que la fainteté de la loi de Jefus-Chriil: a encore quelque chofe de plus parti- culier qui me gagne le cœur. Car je dis aveci'ÀbbéRuppert : Puifqu'il faut pro- ieller une religion, en puis-je choifir une plus fûre que celle que je trouve U bien établie fur le fondement des vertus , fi faintement ordonnée par l'exercice des- bonnes œuvres , Il parfaitement dégagée de toutes les impuretés du vice ? Une loi comme celle-là eil fans doute l'ouvrage de Dieu , U le démon ne peut rien fug- gérer de femblabîe. Car il a beau fe déguifer, remarque Caffien danslatroi- fieme de fes Conférences ; cet efprit de ténèbres contrefait bien q elquefois la puiilance &L la force de Dieu par des miracles apparents, la fageffe de Dieu par de faufies révélations , la juftice de Dieu par les maux qu'il a caufés dans le monde, & par les effets de fa mali- gnité ; mais il ne peu.' contrefaire la fain- teté & la pureté des mœurs , ou du moins il ne le peut conft mment. Voilà. le trsit ininiitable pour lu; dans la loi de Jefus- Chrid ; voilà par elle a toujour.& été reconnue.

Ç'eit Yous-Kicrae ^ ô mon Dieu 1. quî.

2^4 Sur la sainteté

nous l'avez donnée , c'eft votre fils un^ que qui nous l'a enfeignée , & c'eft avec une obéiiTance fidelle que nous nous foumettons à ce divin légilîateur , puif^ que vous l'autorifez. 11 nous propofe une loi fi pure & fi exempte de repro- che , que nous ne pouvons la rejeter. Toute parfaite qu'elle eft, nous aurions- tort de nous en plaindre : car elle ne le peut être aflez pour honorer un Dieu auiîî grand que vous , aufïi faint que vous , auili parfait qae vous. Ce qui BOUS confond. Seigneur, c'eft que re- connoiffant tant de f^inteté dans cette- loi, nous en voyons fi peu dans nous- mêmes : de quoi nous rougilTons , c'eft d'y être fournis félon l'efprit, & de la profeder fi mal dans la pratique ; c'eft de n'ofer prefque nous dire Tes fe61ateurs & fes difciples , de peur d'en être dé- irentis par nos attions. Ses maximes nous paroilTent terribles , parce qu'elles condamnent toute notre vie; & en effet nous n'ignorons pas que c'eft félon cette loi que nous ferons jugés , qu'il ne nous eft plus poilible déformais de la récufer , & qu'il ne fera jamais vrai de dire de nous ce que S. Paul difoit des infidèles: Rom. Q_uicumque enim fine lege pecaverunt , fine lege per'ibunt. Ce n'eft plus , comme eux , fans loi que nous péchons ; nous en avons une , & te même Sauveur qui- nous l'a apportée du citl dans la pié- Ritude des temps , 6c qui pour cela efi-

#,;j.

ITLAFORCE DELaLoICHÎI. 2ff

venu parmi nous & s'eft abaiffé juiqu'às nous, reviendra à la fin des fiecles dans tout l'appareil de la juftice Si dans tout l'éclat de fa majefté pour nous en denrian- der compte. Voilà, mon Dieu^ ce qui nous rend cette loi d'autant plus redou* table , qu'elle eft plus fainte. Mais quel- que ^redoutable qu'elle foit pour nous ^ nous ne laiiTons pas de conclure qu'elle eft digne de vous , & nous le con- cluons par la raifon même qui nous la fait craindre. Car étant pleins d'iniquité comme nous le fommes , il faut , pour être fainte , qu'elle nous foit dire6le- ment oppofée; & dès qu'elle s'accom- moderoit avec nous , ce ne feroit plus qu'une loi de défordre & de corruption» Si là-de(ru& nous fommes trompés , a mon Dieu î permettez-moi de vous le dire après un de vos plus zélés ferviteurs, ce feroit vous qui nous auriez jetés dans- Terreur ; vous feriez refponfable de nos égarements , & c'eft à vous que. nous aurions droit de nous en prendre i». parce que dès-là qu'une religion eft toute fainte , e'ie porte le caraûere de votre divinité. Oui , je le dis , mon Dieu , quand ma créance ne feroit pas auffi conftam- ment vraie qu'elle l'eft , j'aurois tou- jours de quoi me confoler fur ce qu'elle eft fainte , & je me flatierois toujours^ d'avoir pris le parti de la vérité en pre-- lianî celui de la fainteté. Je me repofe- ïois toujours fiu: ce que votre-providence,.

2^6 Sur la sainteté

à qui il appartient de me conduire , m'auroit rien faic paroître de meilleur ; & fur ce que toutes les autres voies conduifant au libertinage, celle feule que j'ai fuivie , me reiiendroit dans le devoir &L me porteroit à la pratique de toutes les vertus. Non-feulement je ne craindrois pas que votre juftice me punît pour avoir embrafTé une proteifion Ct fainte, mais j'efpérerois que s'il y a des récompenfes à attendre , elles feroienr pour moi , parce qu'il n'y a que l'inno" cence du cœur & l'exercice de la vertu qui puiiTent nous approcher de vous , Ô£ qui doivent être couronnés de votre gloire. Or je les trouve parfaitement dans la re tgion de mon Sauveur. Goû- tons, Chrétiens , cet avantage, & en- trons dans le fentiment de S. Pierre : Matth, Etïamfi oportuerlt me mori , non te /ze- i^. 2C» gabo. Non , Seigneur , fallût-il endurer la mort , je n'abandonnerai jamais votre loi. Car c'efl: là, 6c nulle part ailleurs, qu'eit mon repos , ma perfection , ma félicité. Hors de , mon efprit fe- roit toujours flottant , ma vie toujours déréglée ; je n'aurois point de fin qui terminât mes efpérances , ni rien de follde pour arrêter mes defirs. C'eft donc à la fainte loi de Jefas-Chrifc que je dois & que je veux inviolablement m'at- tacher. J'y reconnois l'œuvre de Dieu non-feulen:ent par fa fjinteté : Lex Do*- mini mmumUia ; mais par la forcç

ET LA FORCE DE LA LOI CHR. 2^f

furnaturelle & toute divine , qu'elle a fait voir dans Ion établiiïement & dans la converfion du monde, Convertens ani- mas. Nouvelle attention , s'il vous plaît, à cette féconde partie.

LE plus fage des hommes , Salomon , îï- eftima autrefois que trois chofes ParI'^ dans le monde étoient d'une recherche très-difficile ; mais qu'il y en uvoit une qua- trième abfolurr.ent im.pénétrable à l'efprit humain , favoir la route d'un vaitieau voguant fur la mer ; Tria funt d'ifficïlïa ProvM mihi, & quartum penitùs igrwro , viani ^" ^o»- navis in mari. Vous ferez étonnés , Chrétiens , de l'interprétation que donne faint Ambroife à ce paildge : mais ali- tant qu'elle lui eft parci<:uliere , autant eft-elle ingénieufe & folide. Ce vaiffeau, dit-il, c'eft l'Egiife, dont la barque de faint Pierre a été la figure ; &. la route de ce vaiffeau voguant fur la mer , c'eft le chemin qu'a tenu l'Eglife pour s'éta- blir au milieu des orages Se des perfé- cutions. En effet , ajoute ce faint Doc- teur , je ne vois rien qui me furprenne davantage ; & quand je confidere toutes les circonffances , tous les principes , tous les moyens , tous les obftacles, tous los fuccès de cet établiffement, je découvre d'une manière fi fenfible la force & la vertu de Dieu, que je ne puis m'empéclier delà publier &l de m'écrier : Et quartum finitus ignoro y. vuini navis iîi marir

25S Sur la sainteté

Tous les Pères ont été éloquents fur ce point , & ils ont employé leurs plus belles lumières pour nous en donner quelques idées ; mais du reûe ils ont re- connu que cette matière étoit au-deffus d'eux. Ne lailTons pas néanmoins de re- cueillir quelques-uns de leurs raifonne- ments ; & pour entrer d*abord dans un fi grand fujet , de quoi s'agiffoit-iî , mes chers Auditeurs , quand Jefus-Chrift à l'âge de trente ans , après une vie obf- cure ôc cachée , voulut enfin fe manitef- ter au monde , & 7 vint prêcner une lot toute nouvelle? Que prétendoit-il ? la chofe étonnante Illnes'agiffoit pas moins que de faire un monde tout nouveau ; que d^abolir des luperfiitions plus ancien- nes que la mémoire des homm.es , à qui les peuples tenoient tout leur bonheur attaché, qu'ils confervoient comme l'hé- ritage de leurs pères, pour lefquelles ils combattoient avec plus d'ardeur que pour leur propre vie , dont ils failbient les fondements de leurs Républiques Ô£ de leurs Etats. Il falloit les fc;ire renon- cer à des erreurs que l'ufage prefque de tous les fiecles avoient autorifées , qui fe trouvoient appuyées de l'exemple de toutes les nations, qui favorifoient tous les intérêts de la nature , & dont la polTeiTion ne pouvoit être troublée fans troubler prefque l'univers. Voilà ce qu'il falloir ruiner. Mais qu'étoit-il queftion cf établir l une ÏQÏ a^ilerç & incomiiiode;.

ÏT LA FORCE UE LA LOl CriR. IÇg

«ne foi aveugle , une religion contraire 3 toutes les inclinations de la chair. Quelle entreprife , & que falloit-il pour en venir à bout? il falloit s'expofer à avoir toutes les puiffances de la terre pour ennemies ^ la fageffe des politiques , l'autorité des Souverains , la cruauté des tyrans , le zeie des idolâtres, l'impiété des athées.

Si donc , demande là-deilus S. Auguf^ tin, Jefus-Chrift avant que de faire I3 première démarche , & d'en venir à l^'exé- eution de cette grande affaire , en eût communiqué avec un des phiiofophes de ce temps-là, homme de fens & de con- fcil , & qu'il fe fût ouvert à lui de cette forte : Je veux , malgré toutes ces con- îradi61ions , introduire madoârine dans . le monde, je veux qu'elle y foit reçue ^ qu'elîeyfleuriiTe, qu'elle y règne, qu'elle fe répande par-tout ; &L parce que Rome cfl la maîtrelle de l'univers , c'eft par- ticulièrement que je me fuis propofé de rétablir ; c'eft cette fameufe ÔL fuperbe ville que je choifis dès-à-préfent pour ea faire le centre de ma religion , & du fiege qu'elle eft de TEmpire, le fiege principal de mon Eglife. Toutes fortes de divinités y habitent comme dans leur domicile & dans leur temple, je prétends les en chaffer & y dominer feul : qu'eût répondu à ce langage , & qu'eût penfé de ce projet un fage du fiecle ? Mais d le même Jefus-Chriflli^eût ajouté, c[ua

ù.6o Sur sainteté

pour accomplir tout cela, il ne vouloiî ufer d'aucun des moyens que la prudence" humaine a coutume de fournir pour ces grands 6c importants defieins ; qu'il ne faifoit aucun fonds , ni fur le crédit , ni fur les richefies , ni fur la doârine , ni fur l'éloquence ; & que pour tout fecours , il deftinoit à la publication de fa loi douze pauvres pêcheurs , fans lettres , fans fcience, fans appui: encore und fois , dit faint Auguflin , ce Philofophe n'eût-il pas traité cette entreprife de chi- mère Sl de folie ? Voilà cependant ce qui s'eft fait , Chrétiens , & c'eil la mer- veille que nous voyons. C'eft ce qu'ont admiré tous les grands hommes du monde, lorfqu'ils fe font appliqués à le confidére? bien attentivement Si fans préoccupation, C'efl ce qui faifoit dire à Pic de la Mirande que c'étoit une infigne folie Pic de ne pas croire à l'Evangile : Magna Mlrand.ïnfania eji Evangclio non credcre : 6c c'efl encore par la même railbn que S. Auguf- tin avec une fubtiiité admirable réfutoic certains hérétiques qui doutoient de la réfurre6lion des morts. Le fils de Dieu ^ leur difoit-il , a prédit que les corps dévoient reffufciter ; cela vous paroîc incroyable : mais en même temps il a prédit une autre chofe qui femble encore moins croyable , qui ell que ce myflere incroyable de la réf'urre^tion feroit cru par tout monde. De ces deux chgfe?

ET LA FORCE DE LA LOï CHR. iGt ïîscroyables félonies apparences, celle qui devoit être la moins crue , eft déjà arrivée ; car on croit par toute la terre que les hommes reffulciteront un jour : pourquoi donc , concluoit-il , ne croiriez- vous pas Tautre que vous jugez être moins incroyable que celle-là, favoir, la réfurre6lion même ?

Il n'y a que la loi de JefusChrift qui fe foit établie , par des principes toute la raifon de l'homme fe perd , & oîi il faut néceffairement avoir recours à une vertu fupéri.eure. C'eft elle feule , dit faint Jérôme , qui s'eft maintenue dans les perfécutions : Sol.i in perficutionibus Hicronl petit Ecclsjïa ; elle feule pour qui le fang de fes fe6tateurs a été , félon le mot de Tertullien , comme une femence fé- conde : Sanguis martyrum femen Chrijlia- TertuîU norum. Dieu nous avoit lui mêm.e repré- fenté ce miracle de la propagation du çhriftianifme, dans les Hébreux efclaves , dont l'Ecriture a marqué que plus les Egyptiens s'efforçoient de les opprimer afin d'éteindre leur race , & plus ils croif- foient en force & en nombre , fans faire autre chofeque de fouffrir : Quanta oppri- Exod» mebant eos , tanto ma§is multiplicabantur & crefcebant. Quel fouvenir , Chrétiens , je me rappelle, & quelle *fcene , pour ainfi parler , s'ouvre devant mes yeux ! Je vois tout l'univers conjuré contre Jefus-Ckrifl 6c contre fa loi , l'enfer lui

£^2 Sur la sainteté

fufcite de toutes parts des ennemis pour ia détruire, les Empereurs donnent des ëdits,les magiftrats prononcent des arrêts, les bourreaux drelTent des échafauds ÔC des bûchers ; & que fera, pour rélifter à de Cl violents efforts , & pourfoutenir de fi affreufes tempêtes , une petite troupe de gens livrés comme des viftimes au pouvoir de leurs perfécuteurs ? Ah î Seigneur, s'ils ne peuvent rien faire par eux-mêmes , vous ferez tout pour eux ; & c'efl que vous emploierez cette force divine qui ne paroit jamais avec plus d'éclat que dans notre intirm;té. Si votre îoi étoit moins violemment attaquée, ou û elle avoitde plus puiiTants défenfeurs , il y auroit moins lieu de croire que vous en avez été le foutien , & de conclure que vous en êtes l'auteur. 11 faut que tous les grands de la terre confpirent contre elle ; il faut que ceux qui la dé- fendent , bien-loin de prendre le glaive pour frapper , n'aient pas mêm.e , feloiî Tordre que vous avez porté , un bâton à la main ; il faut enfin que deftituée de toute affiftance de la part des hommes, sbandonnée en quelque forte à elle-même & à toute fa foibleffe , elle triomphe néanmoins , Si qu'elle fafle tout plier fous fon obéiffance : il le faut , afin que tous les peuples connoifTent que c'eft votre ioi, & qu'ils l'embraflent. Or qui peut en effet ne le pas reconnoître à ce prodigieux

-ET tAFORCE DE LaLoI CHR. l6^

événement ? Tout fe déchaîne contre les prédicateurs de la foi & contre leurs dif- cjples ; on les lie , on les charge de chaî- nes , on les enferme dans des cachots , on les attache à des croix , on les étend fur des roues , on les fait périr par la faim & par la foif , par le fer & par le feu , par tous les tourments ; & toutefois la loi qu'ils profeffent fubfifte , fe ré- pand , fait tous les jours de nouvelles conquêtes , paffe jufqu'aux extrémités du monde, entraîne tout, foumettout, fe fait recevoir & refpeéfer par-tout : Quantb opprimebant eos , tantb magis multiplicabantur & crefcebant. Que dis- je ? de fes ennemis même elle fait fes propres fujets : ceux qui la pourfuivoient avec plus d'ardeur pour l'anéantir , de- viennent les plus zélés à maintenir fes intérêts , à fe déclarer pour elle , & à lui obéir: elle gagne jufqu'aux bourreaux, jufqu'aux tyrans , jufqu'aux têtes cou- ronnées : Tantb magis multiplicabantur & crefcebant.

De quoi parlons -nous , mes chers Auditeurs ? Éfl-ce des fuccès de l'Eglife naiffante , lorfqu'elle étoit encore dans f^ force & dans toute la vigueur de fon premier efprit ? Faut-il remonter fi haut, & ne fommes-nous pas encore aujour- d'hui témoins de ce miracle ? Tous les autres ont ceflé , parce que la foi, dit S, Grégoire, a pris d'aflez fortes racines ;►

sl64 Sur la sainteté

pour n'avoir plus befoin de ces fecoufs extraordinaires ; mais la Providence a voulu conferver le miracle de la propa- gation de l'Evangile , parce qu'il devoit €tre le caradere de la vraie religion. î^ous le voyons; & comme S. Jérôme fe conjouiflbit autrefois avec une Dame B-omaine de ce que le Serapis d'Egypte étoit devenu Chrétien , de ce que les froids de la Scythie brûloient des ar- deurs de la foi , de ce que les Kuns avoient appris à chanter les louanges de ^icron. Dieu : Hunni pjalterium canere norunt ; ainfi pour peu que l'efprit de notre re- ligion nous anime , & que nous y pre- nions autant d'intérêt que le devoir & le zèle nous y engagent, nous pouvons bénir le Ciel de ce que dans ces derniers temps l'Eglile a fait peut-être de plus grands progrès , qi\elle n'en ht jamais depuis fa fondation ; de ce qu'elle s'eft rendue maîtreiTe de tout un nouveau monde ; de ce que les barbares du fep- tentrion quittant leurs (uperftitions bru- tales , ont reçu fa fainte police ; de ce que les peuples les mieux civilifés de l'orient & les plus attachés à leurs loix , s'offrent tous les jours en foule pour fe foumettre aux fiennes ; de ce que les idolâtres font venus des régions les plus éloignées , reconnoître jufques dans Rome fa monarchie univerfelle ; de ce i^^ue le plus grand einpire de l'univers ,

contre

ET.Lk :FORCE D.E LA Loî CHR. 2^^ centre Tes maximes tbndamentales , lui a enfin ouvert Tes portes ; de ce que fans cefie on y voit naître des églifes florif- ûntes en vertus & en mérites.

Et comment tout cela le iait-il ? Ceft ie prodige , Chrétiens , que l'on vous a c-ent lois repréfenté, que vous avez cent fois ackrilré , & dont la fagelTe hut»aine doit nécefTairement convenir , par les moyens en apparence les plus foibles^ par des moyens qui non-feulement fem- bient n avoir nulle proportion avec les iuccès que nous adm.irons , mais qui y paroillent tout oppofés ; par les mêmes moyens que Jefus-Chrift a employés, & qu'il nous a laiffés en héritage ; je veux dire , par les croix , les fouffrances , les . afrronts, les emprifonnements , la mort, par tout ce qu^ont enduré & ce qu'endu- rent actuellement tant d'kommes apoA tohques. Av^c de telles armes ils ont furmonté toute la réfiflance de l'enfer , ils ont triomphé de l'idolâtrie , détruit les temples des faux dieux , dompté l'orgueil des nations, converti des millions d'in- fidèles : ou plutôt eft-ce à eux qu'on doit attribuer de pareils changem.ents ? n'eft-ce pas à la loi même qu'ils annon- cent ? & d'où lui peut venir" cette force que de Dieu ? '

Ceil: fur cela que le Prophète éclairé den haut & infpiré de Dieu , s'adref- foit à l'Eglife fous le nom de Jérufa- lem , & qu'il la félicitoit en des termes

iGS Sur la sainteté

IfaU fi magnifiques : Sur^e illuminare , Jerufa^

f. <}0' km , quia glorlz Dominifuper te orta ejl ^ levez-vous , & montrez-vous à toute la terre , heureufe Jérufalem , car le Sei- gneur vous a couronnée de la gloire, & revêtue de fa force toute-puiffante.

Ihid. Leva in circuitu oculos tuos , & vide : jetez les yeux autour de vous , & voyez ^tous les peuples affemblés auprès de vous & humiliés devant vous ; ils font venus de toutes les parties du monde pour fe foumettre à votre empire : en voilà de l'orient , &i en voilà de l'occident ; en voilà du feptentrion , &. en voilà du midi : il n'y a point de région fi éloi- gnée , point de contrée qui ne recon-

Ihid. noiile votre fuprêm.e domination : Cmnes ifli cor.gregati funt , venerunt tibi. Ah l glorieufe m.ere , ce ne font point feule- ment des fujets qui viennent vous rendre hcm.mage , ce font vos enfants , ce font les" fruits de votre fécondité mira- culeufe ; ouvrez votre fein pour les rece- la :'^. voir : Filii tui de lon^è renient , & filiûS tua de latcre /urgent. Quelle multitude l quelle affluence 1 que de triomphes & que de conquêtes 1 que de conlolations pour votre cœur 1 JouifTez de vos fuccès , Se glorifiez le fouverain m.aître dont la grâce viclorieufe s'eft fait fentir au-delà des mers , & a opéré en votre faveur Jb'id. toutes ces merveilles : Tune videbis & af- flues , & mirabitur & dilafùbitur cor tuum , duandb converfa fucrit ad te multitudof-

ET LA FORCE DZ LA Lci CKR. 267 maris ^ fonhudo gentium venerit tibi.

Je le répète, mes chers Auditeurs, il n'y a que la religion de Jefus-Chrift qui porte avec loi ce caraiSiere de vérité. Car qui ne fait pas comment les héréfies fe font répandues dans le monde , que c'a prefque toujours été par violence, par le fer & par le feu , fecouant le jos^ d'une obéiiînnce légitime , & portant de toutes parts la défolation ? Qui fait pas comment fe font établies \qs religions païennes , que ça été par la licence des mœurs qu'elles Vomentoient, accordant tout à la nature corrompue, 6c confacrant jufques aux plus honteux defordres ? En voulez-vous la preuve > obferyez ceci : c'eft que Jes fedes cle philofophes qui s'élevèrent contre les yices^ & qui fe propoferent de les cor- riger , échouèrent toutes dans un fem- blable deffein : elles ont fait un peu de brui; ,^& rien déplus : pourquoi t parce que d'un côté ces fages du fiecle ne s'accommodoient pas aux inclinations vi- cieufes & naturelles des hommes, & que de laurre ils n'avoient rien au-delîus de Thomme. C'eft pour cela , dit le Cardi- nal Pierre Damien , que toute leur furH- ûnce s'eft évanouie en préfcnce de Jefus- Chrift , dont la fagelTe a été comme la verge d'Aaron , qui a dévoré toutes celles des magiciens d'Egyote. Ces grands génies , ajoute S. Auguftin , qui iwïQïii les maîtres de la philofophie , (i-tôc

Mij

268 Sur la sainteté

qu'ils fe font approchés de Jefus-ChrîCl ; ont cliiparu. Ariiiote a dit ceci , Pyiha- goras a dit cela , Zenon a été de ce lenti- ment : mais mettons-les en parallèle avec l'Komme-Dieu , comparez leur autorité ^vec celle de l'Evangile, & cette com- paraifon les efFacera tous. Tandis que vous les confidérez feuls , ce qu'ils difent vous paroît quelque, chofe : mais lors- que vous leur oppoferez la dodtrine évan- gélique , vous ne trouverez plus que vanité dans leur morale. Auiîi , difoit S. Jérôme , qui e^-ce qui lit aujourd'hui les livres de ces philoi'ophes ? A peine voyons-nous les plus oinfs s'y arrêter ; au lieu que la dci^rine de Jefus-Chrifl eft préchée par tout le monde , & que tout le monde parle de la loi que de flîeron. pauvres pêcheurs ont publiée : Rufti^ canos verà pïfcatores miferos totus orbis loquhur ^ univerfus mundiis fonat.

Quelle conclufion , Chrétiens ! car il eft temps de finir ; & mon fujet me con- duiroit trop loin, fi j'entreprenois de le développer dans toute Ton étendue. Mais en finifiant , je ne dois pas omettre quel- ques conféquences que je vous prie de ne pas perdre , & qui feront autant d'inf- truclions pour vous & pour moi. Je les réduis à quatre , & je les comprends en quatre mots : reconnoidance , étonne- m^nt, réflexion, réfolution. Appliquez- vous. Reconnoidance : & envers qui ? Pouyous-nous Tignorer , Seigneur.'' 6c,

ET LA FORCE DE LA Loi CHR. i Ci^

feroit - ce pas la plus monftrueura ingratitude , i\ jamais nous venions à méconnoitre le plus grand de vos bien- faits ? Soyez-en donc éternellement béni , ô mon Dieu î c'eft vous , & vous ^eu^ qui avez formé cette Eglife , nous devions trouver le falut ; vous qui l'avez enrichie de vos dons ; vous qui l'avez animée de votre efprit , vous qui lui avez révèle vos vérités , vous qui lui avez confié votre loi : tout cela pour nous retirer des ombres de la mort , oîi le monde étoit enfevcli , & pour nous conduire à la vie bienheureufe , il vous a plu , par une bonté ineftimable , de nous appeller. Grâce générale : mais ce que nous regardons encore comme une grâce beaucoup plus particulière &: plus précieufe, c'efl vous-même, mon Dieu , qui dans ce chriftianiime nous avons eu le bonheur de naître , nous avez choifis , nous avez fpécialement éclairés, nous avez enfeigné vos voies, nous avez pourvus des fecours les plus abondants pour y marcher. Sans ce choix de votre part &. fans cette pré- dile6tion toute gratuite , que ferions- nous devenus , & en quelles ténèbres ferions-nous plongés ? Nul autre que vous , Seigneur, n'a pu faire de nous ce dilcernement favorable, qui nous diftin- gue de tant de nations infidelles : & pré- venus du fentiment de notre indignité, nous ne nous tenons redevables d'un tel

Miij

270 Sur la sainteté

avantage qu'à votre infinie miiericorde» Etonnement : de quoi ? Ne le voyez- vous pas , nnes chers Auditeurs r & n'eft- il pss en effît bien étonnant que la foi ,

^dès la naiiTance du chriftianilrne , ait converti le monde entier , & que main- tenant avec la même vertu , elle ne nous

_ convertiiTe pas ? c'eft-à-dire, qu'elle ait fait paiTer le monde entier de l'idolâtrie au culte du vrni Dieu, 6l que jufques dans le fein de l'Eglife , elle ne ramené pas tant de pécheurs à Dieu , elle ne les iL^is pas revenir de l'état du péché au iervice de Dieu, elle ne les rende pas pénitents devant Dieu, & plus fidèles, plus zélés dans robfervation de la loi de Dieu. Voilà fur quoi Dieu veut que nous ibyons nous-mêmes nos prédica- teurs , 6l que nous nous parlions à nous- mêmes. N'eft-il pas étonnant qu'une loi il efficace pour tant d'autres , le foit fi peu pour moi r Car quel changement , quel retour, quelle réformation dévie a-t-elle opérés dans toute ma conduite? ÔC quand j'aurois le malheur d'être dans les ténèbres du paganlfme, ferois- je plus mondain , plus voluptueux que je le fuis ? me porterons- je dans un plus honteux excès , & vivrois-je dans un plus grand dérèglement de mœurs ? ÎS'eft-il pas étonnant qu'une loi qui a humihé les mionarques & les potentats du fiecie , qui leur a infj:iié le mépris de toutes les pompes humaines ^ n'ait pAS^

ET LA FORCE DE LA Loi CHR. lyt

encore modéré cette ambition démefuréé qui me conlume , ni effricé de mon cœur ces vaines idées de gloire, de fortune, d'agrandiiTement , qui m'occupent fans relâche , & à quoi je facrifie fifouvent ma tonfcience & mon falut f N'eft - il paâ étonnant qu'une loi qui a fait embraiier ia pauvreté évangélique à tant de riches , & qui par un rencncement parfait aux: biens temporels, les a dépouillés de tout ce qu'ils poiTédoient , n'ait pas encor« éteint jufqu'à préfent cette ardente cupi- dité qui me brûle , & ce defir infatiable^ d'amaiTer , d'accumuler, d'avoir? Que dirai-je de plus ? & celTerois-je de trouver des reproches à me faire , fi j'en voulois parcourir tous les fujets ? N'eft-il pas étonnant qu'une loi qui a donné à tant de généreux Chrétiens aiïez d'affurance & de fermeté pour fe déclarer en pré- fence des magiftrats & pour parcître devant leurs tribunaux, ne m'ait point encore affranchi de l'efclavage oii me tient une honte lâche & criminelle , lorf- qu'il laut faire une profeiîion ouverte d'être à Dieu , & m'élever au-deffus des difcours du monde ? 11 s'aglfToit pour ceux-là , en fe faifant connoitre , de perdre la vie , & ce danger ne les arrê- toit pas : il n'eft queftion pour moi que de quelques paroles que j'aurai ^ elTuyer, & je demeure. N'eft-il pas étonnant qu'une loi qui a foutenu tant de martyrs dans les ennuis de l'exil , dans les rigueurs

M iv

^7* Sur la sainteté

de la captivité , dans Thorreur des plus" cruels fupplices , ne m'ait pas encore formé à fupporter quelques adverfités avec patience , ne m'ait pas encore appris à pratiquer quelques exercices de la pé- nitence , ne m'ait pas encore fait obferver les devoirs de ma religion avec plus de fidélité & plus de confiance ? Voilà, dis- je , ce qui nous doit jeter dans l'éton- nement , & n'eft-il pas bien fondé ? Ah î Chrétiens, que pouvcns-nous là- defTus nous dire à nous-mêmes pour notre juftification , & que dirons-nous à Dieu ? mais ce n'eu pas towt.

Réflexion. Que nous fert-il de pro- fefler une loi dont la vertu eft toute-puif- fante , loriqu'à notre égard elle le trouve inutile & fans effet ? De quel avantage eft-il pour nous que cette loi ait triomphé de toutes les puiflances du fiecle & de l'enfer , ù elle ne triomphe pas de nos foiblefTes ? Ces miracles, ces prodiges, ces converfions , qu'efl-ce que tout cela, que notre confufion, que notre convic- tion 5 que notre ccndam.nation ? Hé! mes chers Auditeurs, ne comprendrons- nous jamais de fi importantes vérités ? La loi chrétienne a le pouvoir de nous convertir & de nous fan-51ifier , c'efk un point de foi : (i donc elle ne le fait pas , ce n'eft point à elle que nous pouvons l'imputer , puifqu'elle a fait quelque chofe de plus grand. Non - feulement la lai chrétienne peut nous convertir Se nou^

ET LA FORCE DE LA Loi CHR. 273 fancèlfier, mais il eft néceflTaire qu'elle nous convertifle en effet & nous fan6liiie. Je dis doublement nécelTaire : en premier lieu , parce que nous ne pouvons être vraiment convertis & fanftitiés que par elle ; en fécond lieu , parce que fans con- verfion & fans la fanaification de notre vie, nous ne pouvons être fauves; enûn, h loi chrétienne ne nous convertira Se ne nous fanftifîera jamais, tandis qu'une autre loi nous gouvernera, parce qu*é- tant une loi divine , elle veut être feuls 6c abfolue dans les fujets qui la recon- noilTent & qu'elle conduit : par confc- quent , nous aurons beau prétendre ac- corder cette loi de Dieu avec les lo'ix. du monde , fon efprit avec l'efprit dîi monde , fes maximes avec les maximes du monde; c'eft un myftere que les Saints n ont jamais compris , c'eft un fecret que l'Evangile ne nous enfeigne point , c'cft une illufion qui perd une infinité de demi- Chrétiens , & qui nous perdra. Non , nous n avons qu'un maître à écouter, qui e(l Jefus-Chrift. Si nous en écoutons d'autres avec lui ; fi nous voulons , aorès avoir fenti les mouvements de fa grâce dans le fond du cœur, après avoir en- tendu fa doftrine par la bouche des pré- dicateurs, après avoir reçu fes confeils par la voix des dire^eurs, prêter encore 1 oreille au monde , qui veut avoir parc a toutes nos a^^ons , & qui voudroit ïneme régler jufqu'à nos plus faintcs

M V

274 Sur la sainteté, Sec, pratiques & à nos dévotions , dès-là nous détruirons d'une main ce que nous bùtif- fbns de i' centre, & nous faifons un partage que Dieu réprouve.

Réfolntion. Puifque la loi chrétienne a tant d'efficace & tant de force , laif- fons-ls défornr.ais iigir , & n'arrêtons plus fa vertu ; fecondons-la par une pleine correfpondance , & déterminons-nous à vivre comme elle nous le prefcrit, bien- tôt nous éprouverons ce qu'elle peut , & nous verrons elle nous conduira. Quels progrès n'aurions-nous point faits julqii'à préfent, fi nous l'avions luivie ? 6l ne nous auroit-elle pas élevés ? Ce qui nous paroit impolTible, parce que nous le mefurons par nos propres forces , nous l'aurions généreufement entrepris &. heureufementexécuté. parce qu'elle nous auroit foutenus. Ceft , mon Dieu , ce que vous me faites aujourd'hui connoitre, et ce qui m'iiifpire la réfolution que je forme de m'abandonner fans retour à Totre loi : qu'elle ordonne ^ j'obéirai ; qu'elle m'intime vos volontés , je les accomplirai ; qu'elle me trace la voie , Yy marcherai : elle eft étroite , il ePc vrai , cette voie , elle eft femce d'épines ; mais par la force de la loi que j'aurai ■«:)Our euide & pour foutien, je lurmon- terai toutes les difficuhés : les épines dès cette vie fe changeront en {leurs ; ou da moins après les travaux de cette vie, î'arriverai au bienheureux terme du repus, cternel, Ainû foit il»

^71

SERMON

POUR DIMANCHE

DE LA SEPTUAGÉSIME.

vSv^r rOiJzveté,

Circa undeclmam vsrô diel , invenît alios ftantes , & dixit ûUs : Quid hîc ftatis totâ die otiofî ?

£f<:;2r fortl vers Voniicme heure du jour, il en trouva encore d'autres qui étaient y & il leur dit: Comment demsurei-vous ici tout le jour fans rien faire ? En laint Matthieu , chap. 20.

ESt-ce un reproche, eft-ce une invitation que le père de famlile fait à ces ouvriers de notre Evangile ? c'eft l'un ôc l'autre, il leur reproche leur oili- veté, & il les invite au travail . Quidflatis totâ die ûtïofi ? pourquoi vous tenez-vous fans rien faire ? voilà le reproche. Ite & vos in vineam meam , allez- vous-en travailler en ma vigne ; voilà l'invitation,

M v)

î7(> Sur l'Otsiveté Maù dans le fens littéral , à qui eû-ct que cette invitation &' ce Voch* 5 adreffent ? a moi-même qu. vous parle, mes chers Auditeurs , & à vot,s qu m écoutez : car félon la remarque des in- erpretes , les paraboles , telles\u'eft ceî- ie-c, , n ont jamais d'autre fens littéral c-ue

faite , & ,1 eft vrai que Jefus-Chrift en

prononcantcesp.roles.de mon texte: y«/</ àicfians ,01 J die otiofi ? a voulu

ijouslesrendrepropres.puifqu'autTement lUes auron dites fans aucune fin , ce qui répugne à fa fageff,. Ne cherchom do'r" Fomt d autre matière de ce difcours. Le Ws de Dieu nous parle en maître , écou- ons-.e avec refpea : il nous reproche ie defordi-e de notre oifiveté , reccn- «oiffons-le.&no.s en corrigeons il ^ous mviteau travail, ne refufons pas les conditions avantageufes qu'il nous offre, & regardons cefujetcommeundes plus importants q,,e j'^ie eu lieu jufqu'ici de traiter. L'oifiveté ne paffepai dan. le ^

i eft devant D,eu ; & c'eft de quoi j'entre- prends de vous convaincre aujourd'hui

du CieJ & falue Marie , en lui difant : ^v^

QUere cette juSicerigoureufe que des >^ tlieologiens appellentcommutative «f qu ils nereconnojflent point en Dieu à J égard des hommes , parce cjue Dieu n^

Sur l' Oisiveté. 277

doit rien aux hommes , ni ne peut rien leur devoir , il y a trois autres elpeces de juftice dont Dieu eft capable par rapport à nous , & qui bien-loin de préjudicier à fa grandeur , font autant de perfections de fon être : juflice vindica- tive , juftice légale, & iuftice diil:ributive. Juftice vindicative , qui punit le péché j juftice légale , qui n'eft point diflinguée de fa providence, à qui il appartient ds gouverner les états du monde ; enfin . juftice didributive, qui partage les récom- penfes félon les mérites. Je ne dis rien de cette troifieme juftice , pour ne pas embradertrop de matiete , & je m'arrête aux deux autres , qui impofent à l'homme une cbiig.^tion indifpenfible de travailler; car la jullice de Dieu vindicative répare le péché de Thcmme par le travail , & c'eft par le travail que la juftice légale , qui eft en Dieu , entretient tous les états & toutes les conditions da monde. L'oifiveté donc , qui s'oppoie direciement à cette double judice, eil un defordre : voilà tout mon deilein. Je prétends que deux chofes nous obligent au travail , & condamnent notre oifiveté comme un des plus grands obflacîes du falut ; le péché , & notre condition particulière. Nous nailTons tous dans le péché , & nous vivons tous dans une certaine condition ; d'où je conclus que nous fommes tous fujets au travail , ÔC

a?^ Sur l'Oisiveté.

en qualité de pécheurs , c'eft le premier point ; & en qualité d'hommes attachés par état à une condition de vie, c'eft le fécond point. L un & l'autre vous décou- yrira des vérités que vous avez peut-être Ignorées jufqu'àprérent, & dont la con- nohiance vous eu. aMolument néceffaire. Cyommençons.

Fa\. V^ "'^^ ^'"' ?'' clavantage , Chrétiens, rART.i pour conclure que l'oifiveté efl un defordre qui nous rend criminels devant UiQu , que de confidérer ce que nous iommes & quel eft le principe de notre origme. Nous Tommes pécheurs , & , comme dit l'Ecriture, nous avons tous eteconçus d^ns l'iniquité: il eiî donc vrai que nous avons tous contrafté en naiilant une obligation particulière qui nous affuiettit au travail. Cette confé- quence eit évidente dans les reaies delà foi : pourquoi cela ? parce que la foi nous apprend que Dieu a ordonné le ^r^T'^r '\^'^on^«^e, comme une oeine de fa derol.einance& de fa rébellion. Peine difent les Théologiens , qui par rapport a nous , eft en même temps fatisfaaoire &prerervative:ratisfaaoire, pour expier le pèche commis ; . & préfervative , pour nous empêcher de le commettre: fa- tisîaaoïre , parce que nous avons été prévaricateur^-; & préfervative , afin que' Pous cefîions de Tétre ^ fatisfa^oi/e ,

Sur l'Oisiveté. 279

fvour être un moyen de réparation envers la juftice de Dieu ; & préfervative , pour fervir de remède à notre folblelle. Tu as violé mon commandement , dit Dieu au premier homme , & moi je te condamne à porter le joug d'une vie fer- vile & laborieufe : la terre ne produira plus pour toi qu'à force de travail : au lieu qu'elle te fournilToit d'elle-même des fruits délicieux, tu ne mangeras qu'ua pain de douleur; c'eii- à-dire ^ un pain que tes fueurs auront détrempé avant qu'il puiiTe être employé à ta nourriture : In Genejà fiidore vultus tui vefcerUpane tuo. Voilà , c. j, chrétienne compagnie , la première loi que Dieu a établie dans le monde, du moment que l'homme a été pécheur j ÔC c'eft cette loi qui a fait un crime de notre oifiveté.

je vous prie d'admirer en pafTant la différence que faint Auguftin a re- marquée entre trois fortes de travaux ; celui de Dieu dans la nature , celui d'Adam dans l'état de la grâce & de l'innocence , & celui de tous les horsmes dans la corruption du péché : ceci eft digne de votre attention. Dieu , dit faint Augudin, agit inceiTamment , 6c en lui-même , & hors de lui-même ; P^ter meus ufquc modo operatur. Adam Jcan^ s'occupoit dans le paradis terreflre , c, /, puilque nous lifons qu'il y fut mis pour le culiiver de fes mains : Pofuit eum Gentf^ ir. pavùdîfo , ut opcrartrur^ Et l'hoiAime c, 2:,

i8ô Sur l'Oisiveth.

p-écheur, dès les premières années de Ca vie , fe trouve réduit à efTuyer mille //. 8j. fatigues : Pauper fum & in labaribus â juventuîe ineâ. Voilà trois efpeces de travaux , mais dont les qualités font bien contraires ; car prenez garde , s'il vous plaît : de ce que Dieu agit dans l'uni- vers , ce n'eft point par un engagement de néceiTité , mais par un mcuvsir.ent de fa bonté, pour fe communiquer &. pour donner l'être aux créatures : de ce qu'A- dam cultivoit le paradis terreftre , ce n'étoit point par punition, mais par choix, pour occuper Ton efprit en exerçant fon corps. Mais îorfque l'homme, félon l'ex- prefîion du Roi Prophète , el^ aujour- d'hui dans le travail , e'eil: par un ordre ngoureux qu'il eA obligé de fubir , Ôc dont il ne kii efi: pas permis defe dif- penfer. Uadion de Dieu dans la nature , eft une preuve de fa puidance ; l'cccu- parion d'Adam dans le paradis terreûre, étoit une marque de fa vertu : mais l'af^ fujettiflement du pécheur à iwn travail réglé , eft , pour parler avec l'Apôtre, le paiement & la folde de fon péché : RoîT. Stipendium peccaîi. D'où il arrive par une *• ^' fuite d'eftets proportionnés à cetre diver- sité de principes , qu'au lieu que Dieu en produifant & créant le monde , fe fait honneur de Ion ouvrage, qu Adam trou- voit dans le fien de la douceur & du plai-fir , l'homme pécheur fe fent humi- lié &. mortifié de fon travail : Ôc tout cela.

Sur l'Oisivête. i^t

conclut ce grand Dofleur , parce que Dieu dans la création a travaillé en Sou-' verain & en maître ; qu'Adam dans ie paradis Dieu le plaça , travaillovt en ferviteur & en affranchi ; mais qu* l'homme dans l'état de fa dilgrace ne travaille plus qu'en criminel & en efclave. C'eft l'excelleme idée de faint AnguftiUy pour nous développer la vérité que je vous prêche , & pour nous faire com- prendre l'importance de ce devoir.

Mais revenons. Il s'agit donc de favoir fi lorfque Dieu prononça cette maiéd!«5î:ion contre le premier homme ,. In fudorc vultils tui vefccris pans ^ tu ne vivras déformais que du fruit- de tes peines ; fi , dis-je , par ces paro-Ies Dieu prétendit faire une loi générale qui comprît toute la poftérité d'Adam , ou s'il en excepta certaines conditions Ô£ certains états du monde; s'il ufa d^ grâce envers les uns, pendant qu'il pro- cédoit rigoureufement contre les autres ; s'il dedina les grands & les riches; à la douceur du repos , & les pauvres à la mifere & à la fervitude ; s'il dit à ceux- ci , vous arroferez la terre de vos fueurs , & à ceux-là, vous n'en goûterez que les délices f Je vous demande. Chrétiens , Dieu fit-il alors cette diftin^tion ? Ah \ mes Frères , répond faint Chryfoftome, il n'y penfa Jamais : & fa jurtice , qui ed iiivapabie iz faire entre les tiommo*

â82 Sur l'Oisiveti;.

d'autre difcernement que celui de rinno" cence & du péché , fut bien éloignée d'avoir quelque égard à la naiflarce 6c à la fortune , pour régler fur cela leur deirmée Ôc leur fort. Non , Cliréiiens , Dieu ne donna aux riches nul privilège pour les décharger de cétre obligation ; comme le péché étoit commun à tous, il voulut que tous pirticipaHent à cette inalédifiion ; & c'efl ce que le Saint- Efpritnous dit clairement dans le chapitre Ècclef. quarantième de l'Eccléiiaftique : Occu- ^. /fo. patio magna creata eft omnibus hominibus : cette loi de travail a été faite pour tous les hommes ; & cette loi , ajoute le texte facré . efl un joug pefant &. humiliant ibld. pour les enfants d'Adam : Et jugurn. grave fiipcr filios Adcc. Mais pour quels enfants d'Adam ? ne perdez pas ceci : A refidente fnpcr fedem gloriofam ^ ufque ad humiliatum in ttrrâ & in cinere ; depuis celui qui eft affis fur le trône, jufqu'à celui qui rampe dans lapouffiere : fbid. Et ah eo qui portât coronam , ujquc ad eum qui operitur Uno crudo ; & depuis ceux qui portent la couronne &. la pourpre, jufquà ceux que leur pauvreté réduit à être le plus grofTiérerrent vêtiis. Voilà l'étendue de l'arrêt, ou fi vous voulez, de l'anathêmeque Dieu fulmina, en con- féquence duquel il n'y a point d'hommei chrétien qui ne doive fe réfoudre à confoiïimer fa vie dans le travail. Fût-il

Sur l'Oisiveté. 283

Pr'nce ou Monarque , il efl: pécheur ; donc ii doit ie foumettre à la peine que h Créateur de l'univers lui a impofée. Etc'eftpour cela, dit Tertullien, cette réflexion efl belle y qu'immédiatement après que l'homme eut péché. Dieu lui fil un habit de peau : Fecit quoqiie Do" GencJ: munis Adx tunicas pelliceas. Pourquoi «. cet habit ? pour lui fignifier qu'en pé- chant il s'étoit dégradé lui-même , & qu'il étoit déchu de la liberté des enfants ce Dieu , dans un efclavage honteux &: pénible. Car l'habit de peau, pourfuit Tertullien , étoit affetté à ceux que Ton eondamnoit à travailler aux mines , ôc Dieu le donna à Adam , afin qu'il confidérât plus fa vie que comme un continuel travail.

Voilà, dis-je, mes chers Auditeurs y ie parti que doit prendre tout Chréiien , travailler en efclave de Dieu , c'eft- à-dire, non point par caprice & pai* humeur, comme cephilofophe dont parle Minutius Félix, qui n'avoir point d'autre règle de fes occupations Si de fon repos que le génie ou la paflion quile domlnoit: Qui ad nutum ajjident'ts fibï dcVînonis , Minuit vel decimabiît negotia , vel appetebat ; Fclix, c'étoit Socrates. Car le Chrétien agifTant par un principe tout contraire, prend le travail par efprit de pénitence ai dans la vue de fatisfoire à Dieu , parce qu'il fait bien qae c'eft la première peine de ion ^éché. Que iaifoni-nous donc quand

iS4 Sur l'OisIvete.

au préjudice de ce devoir nous nous abandonnons à une vie lâche & oifive ? le voulez-vous favoir ? Nous ncrus ré- voltons contre Dieu , nous tâchons de fecouer le joug que fa juftice & fa pro- vidence nous ont donné à porter ; nous faifons comme ces orgueilleux dont le Prophète royal exprime fi bien le carac- tère 5 qusnd il dit que quoiqu'ils foieilt engagés dans toutes les in;uftices & tous les crimes des hommes , ils ne veulent pas pour cela avoir part aux travaux des hommes ; & qu'étant les plus hardis à s'émanciper de TobéifTance qu'ils doivent à Dieu, ils ne laifl'ent pas d'être les plus fiers & les plus indociles , quand il eft queftion de fe foitmettre aux châtiments ff, yz. de Dieu : în labore hominum non [unt , & cum hominibus non fij^cll-nbuntur ; ideo tenuit eos fuperbia. Car "remarquez, je vous prie , une choie bien finguliere dans la conduite de Dieu : cet alTujet- tiflement au travail eft tellement la petne de notre péché, qu'il faut , pour' appaifer Dieu que nous foyons nous- mêmes les exécuteurs de cette peine. Dans la juftice des hommes il n'en efl pas ainfi : on n'oblige jamais un criminel d'exécuter lui-même fon arrêt ; pourvu qu'il le fubifTe , il ert cenfé être dans l'ordre & dans la difpofition qu'on exige de lui : mais Dieu qui a un domaine fupé- -J-ieur & abfolu fur nous , pour une répara- tion plus êxade & plus entière du péché,

Sur l'Oisiveté. i8$

veut qua nous nous chargions volontai-» retnent de la commiinon de le punir, &C que nous lui fervions de miniCtres pour accomplir dans nous-mêmes & contre nous-mêms , Tes jugements les plus fé- veres ; & c'eft ce qui fe fait par la péni- tence , dont S. Grégoire Pape ne craint pas de dire que l'afliduité au travail e(ï îa plus indifpenfable & la plus raifon- nable partie.

Qu'eft-ce donc encore une fois que les défordres d'une vie oifive ? C'eft, répond S. Ambroife , à le bien prendre, une féconde révolte de la créature contre jfon Dieu. La première a été la trani- grefîion 6i le violement de la loi , & la féconde eft la fuite du travail. Par la première, l'homme a dit : Non fcrvUm ^ Jer,^^ non, je n'obéirai pas ; & par la féconde, il ajoute : Non, je ne fubirai pas la peine de ma défobéiffance. En fuccombant à fon appétit déréglé , il a méprifé Dieu comme Souverain ; & en padant fa vie dans l'olfiveté, il le méprife comme Juge. Auriez- vous cru , mes chers Auditeurs, que ce péché allât jufques-là ? Voilà cependant ce que l'on peut bienappeller aujourd'hui le péché du monde , puif- que c'eft le péché d'un nombre infini de perfonnes , qui ne font fur la terre (voyez fi j'en conçois une idée juue), qui ne font , à ce qu'il paroit , fur la ferre, que pour y recevoir les tributs ^u travail d'autrui 5 fans jamais payer du

'n.^6 Sur l* O i s ï v e t ^.

ieur ; qui n'ont point d'autre emploi danj leur condition , que de jouir des commo- dités , des ailes & des douceurs de la vie ; dont le plus grand foin & la plus impor- tante aftaire eft de couler le temps ; qui fe divertiilent toujours , ou plutôt qui, à force da fe divertir, ne fe divertiflent plus ; puifque , félon la maxime de Calfio- dore, le divertiffement fuppofeune appli- cation honnête , ce que ceux-ci ne con- ïioiffent point ; enfin , de qui l'on peut dire, In labore homïnum non funt , parce qu'il femble , à les voir , que la loi ne foit pas pour eux, & qu'ils ne foient pas compris dans la maffe commune du genre humain.

Ne parlons point feulement en géné- ral, mais pour l'édification de vos mœurs, 6c pour vous rendre ce difcours utile, entrons dans le détail. Un hommxC du inonde, tel qu'à la confufion de notre fiecle , nous en voyons tous les jours ; un homme du monde, dont par une habi- tude pitoyable , la fphere ed bornée au plaifir ou à l'ennui, qui paffe fa vie à de frivoles amufements , à s'informer de ce qui fe dit , à contrôler ce qui fe fait , à courir après les fpe6tacles , à fe réjouir dans les compagnies , à fe vanter de ce qu'il n'efl pas , à railler fans cefle , fans jamais rien faire ni rien dire de férieux ; un Chrétien réduit à n'avoir point de plus ordinaire ni de plus confiante occu- pation quele jeu ; c'eft-à-dire, qui n'ufe

Sur. l'Oisiveté. i^f

plus du jeu comme d'un relâchement d'eiprit dont il avoit befoin pour le dif- traire , mais comme d'un emploi auquel il s'attache , & qui eft le charme de Ion oifiveté ; un Chrétien déconcerté & «mbarrafîé de lui-même quand il ne joua pas , qui ne fait ce qu'il fera ni ce qu'il deviendra, quand une aflemblée ou une partie" de jeu lui manque ; & , s'il m'efl permis de m'expliquer ainii , qui ne joue pas pour vivre , mais qui ne vit que pour jouer : une femme proteffant la religion de Jefus-Chrift , toute appliquée à l'ex- térieur de fa perfonne , qui n'a point d'autre exercice que de confulter un mi- roir, que d'étudier les nouvelles miodes, que de parer fon corps ; qui négligeant fes propres devoirs , eft toujours prête à s'ingérer dans les affaires d'autrui ; ne fâchant rien & parlant de tout , ne s'inf- truifant pas il le le faut , & faifant la fufHfante il ne le faut pas ; qui croit qu'elle accomplit toute juftice , quand elle va inutilement de vifite en vifite , qu'elle en reçoit aujourd'hui , qu'elle en rend demain ; qui fe fait un devoir prérendu d'entretenir par de vaines lettres mille com.mercesfuperflus, & mêmefufpcélsôt dangereux, & qui à l'heure de la mort ne peut rendre à Dieu d'autre compte de fes allions que celui-ci : j'ai vu le monde, j'ai pratiqué le monde ? Encore une fois , fin homme , une femme peuvent - ils (q

é.88 Sur l' O i s i v e t e.

perfuader que tout cela foit conforme à cet ordre de )uftice que Dieu a établi fur nous en qualité de pécheurs ? Cette ccnti- îvuité de jeu , cette vie de plainr , eft-il rien de plus cpperé aux idées que Jefus- Chrift nous donne de notre condition l Quand il n'y auroit point de chriflia- îiifme , l'homme , en jugeant de tout cela félon laraifon , le pourroit-il approuver ? & fi au tribunal de fa raifon feule il eu ©bligé de le condanmer, quel jugement croyez-vous que Dieu en portera lui- même ? On demande fi le falut y peut être 'v^éritablement intérellé r Et qui en doute. Chrétiens ? feroit-il intéreffé , s'il ne i'eft pas dans la profanation de la chofe du monde la plus précieufe , qui eu le temps , & le temps de la pénitence ? Or quelle plus grande profanation en peut- cn concevoir , que la manière dont vivent aujourd'hui ceux de qui je parle ? Si en conféquence de ces pTin<:ipes, une parole cifeufe doit être condamnée , que fera-ce d'une vie toute entière Dieu ne trou- vera rien que d'inutile ? Mais le monde îi'en juge pas de la forte , &C ce défordre de l'oiiiveté que je combats , n'y eft pas compté pour une chofe dont on doive fe faire un fcrupule devant Dieu. 11 efl: vrai , Chrétiens , & je ne le fais que trop : mais il importe peu ce que le monde en penfe & en juge, quand le fils de Dieu îjous a appris ce que nous en devons

juger.

Sur vO i s i v et é. 2S9 -ger ; il y a bien d'autres articles qui ne palTent pour rien dans le monde , & dont la dilcufllon ne fera pas moins terri- ble au jugement de Dieu. Je fçais mê- me qu'il y a des âmes aflez aveugles , qui prétendent accorder cette vie oifive avec la dévotion & la piété , & je fçais auffi que Dieu, dont le difcernement efl: infaillible fçaura bien confondre cette fauile dévotion , en lui oppofaQt les règles de la folide & de la vraie.

Mais je fais riche , dites-vous , & pour- quoi m'obliger au travail lorfque j'ai du bien plus que fufnfamment pour vivre ? Pourquoi , mon cher Auditeur r parce que tous les biens du monde ne peuvent vous fouftraire à la malédiélion du péché , parce que dans le partage favorable qui vous eft échu des biens de cette vie par ks ordres de la Providence, Dieu a tou- jours fuppofé l'exécution des arrêts de fa juftice ; parce que Dieu en vous donnant ces biens , n'a jamais eu intention de déroger à (es droits^ & lorfque vous di- tes, j'ai du bien, donc je ne dois point t-ravailler, vous raifonnez auffi mai que fi vous difiez , donc je ne dois point mourir : car l'obligation du travail & ia «éceffité de la mort tiennent le même rang dans les divins décrets. Ne fçavez-^ vous pas ce qui fut répondu à ce riche de TEvangile ? il avoit beaucoup travaillé pour fe mettre dans l'abondance de tou- tes chofes , & fe voyant enfin comblé de

Pomin, Tom^ A N '

aço Sur l* O i s î v e t é,

richeiïes , repofons-nous maintenant ^ diroit-il , me ¥oilà à mon aile pour bien

XuC des années : Anima , habes multa bona

€, iz, pofita in. annos plurimos , requkfce. Mais comment Dieu le traita-t-il ? d'infenfé , Stultc , lui faifant entendre que pour l'homme fur la terre ii n'y avoir que deux partis à prendre , ou le travail , ou la mort, & que puisqu'il renonçoit au premier, il falloit fe réfoudre au fécond ,

Ihîi, & mourir dès la nuit prochaine : Hâc no^e animam tuam répètent à te.

Mais je fuis d'une qualité & dans une élévation le travail ne me convient pas. Quelle conféquence ! Parce que vous êtQs grand félon le monde , en êtes-vous fr.oins pécheur , & l'éclat de votre digni- té eiFace-t-il la tache de votre origine ? cette dignité eft-elle au deiTus des Ponti- fes QL des Souverains ? Or écoutez com- ment Saint Bernard parloit autrefois à un grand Pape, l'inftruifant fur cette matiè- re : Saint Père , lui difoit-il avec un zèle Tefpe6tueux , je vous conjure de confi- dérer fouvent qui vous êtesj & de voir non pas ce que vous avez été fait , mais

Bern, ce que vous êtes : Non quod fa^us , fed quod natus es ; vous avez été fait Eve- que, mais vous êtes pécheur; lequel des deux vous doit toucher davantage } n'eft-ce pas ce que vous êtes parla con- dition de votre naifTance ? ôtez-moi donc cet appareil de majefté qui vous envi- ronne j détournez les yeux de cett^

S.UR L'OîSîVETt. 19?

.pourpre qui couvre votre barCeiTe , & qui ne guérit pas vos plaies: Toile velamen Idim» foliorum cdantium ignominiam tuam , non, plagascurantium ; contemplez- vous vous- même , & penfez que vous ères forti nud du fein de votre mère ; car Ci vous éloignez de votre vue tous ces feux brillants de gloire qui cblouiiTent les hommes, que trouverez- vous dans vous-même, fmon un homme pauvre &c mjférable , fouffrant de ce qu'il eft homme , parce qu'il eu. en même temps pécheur , ôc pleurant de ce qu'il vient au monde , parce qu'il y vient com.me un rebelle réduit dans une cure fervitude ? G:currct td-i homo pau~ Idsm^ per & mifcrabïlis s doUns qubd homo fit ^ plorans qubd natus fit : enFin un homme ïié pour le travail, & non pour Thon- reur : Homo denique natus ad lahorem , non ad hononm. Voilà , Saint Père , ce que vous êtes, ce que vous etQs , dis-je, jpar delTus tous , Hoc ej! ccrtè quod ma- Jdan^ ximti es ; car tout le refte n'eft qu'accef- tbire, & il faut que l'accefToire fe con- forme au principal. C'eft donc , Chré- tiens , fur ce principal , je veux dire fur la qualité de pécheur , qu'ed fondée pour les grands comme pour les autres , Tin- dilpenfable obligation d'une vie agiilante ôc hborieufe.

Mais une telle vie eft ennuyeufe : He •quoi, mon cher Auditeur, eft-ce donc ia une raifon que vous puifiiez alléguer centre un devoir auftieilcntiel que celui-

N ij

19^ Sur l'Oisiveté.

ci ? Si je traitois la chofe en philofophei; je pourrois vous répondre qu'un travail convenable , & par l'habitude vous prendrez goût , vous prél'ervera plutôt de l'ennui qu'il ne vous y fera tomber. Mais je parie en prédicateur chrétien ; & fuppolant cet ennui que vous craignez , je vous dis que ce fera une pénitence pour vous, & que cette pénitence vous doit être d'autant plus chère que vous n'en faites point d'autres dans votre état. Vous vous envuierez pour Dieu, pour (à- tisfaire à Dieu ^ pour réparer tous les plaiiirs criminels que vous avez recher- chés contre la loi de Dieu : précieux ennui , puifque Dieu l'agréera , & qua Dieu même , en l'agréant, fçaura bien d'ailleurs vous en dédommager ! Cepen- dant , Chrétiens , admirez encore la bonté cle notre Dieu , qui éclate jufques dans la punition de l'homme. Cet engagement au travail que je vous ai repréfenté com^ meunefatisfa6tion du péché, en eft, félon la théologie de tous les Pères , le préfer- vatif & le remède. Quelle miféricorde de Dieu fur nous , de nous faire trouver dans les châtiments de fa juftice notre avantage 6c notre sûreté 1 Oui , mes Frères, le grand préfervatif contre le dé- règlement denos pallions & les défordres du péché , c'eft Tapplication à un travail confiant Se aflîdu,^. en vain m'efforce» rois- je de vous perfuader cette vérité, pwifqu'eile eft évidente par çUe-roême^

Sur l'Oisiveté. t^^

Quand le Saint-Efprit ne l'auroit pas dit ^ l'expérience feule ne le juditierûit que trop ; que roifiveté eft la maîtreffe tous les crimes , & que c'eit elle qui les enîe gne aux hommes , qui leur en tait des leçons , qui leur en luggere les dei- feins , qui leur ouvre l'eCprit pour en inventer les moyens ? tout cela renfer- mé dans ce beau mot de TEccléfiaftique : Multam enim malïtiam docuit otiojitas, j^rcUt En effet , dit S. Auguftin , paraphra- c. j j* fane ce pafTage , dans l'excellent fermon qu'il adreffe aux Religieux de {o'^ï ordre , pour leur infpire: l'amour du travail ôc pour leur faire appréhender les confé- quences tuneftes de la vie oifive , prenez- y garde, mes Frères, Si pour en être. convaincus , parcourez les exemples tou- chants que l'Ecriture nous en fournir. De qui ell-ce que les Ifraélites, fi atta- chés d'ailleurs à leur loi , ôc h zélés pour la vraie religion, apprirent à être idolâ- tres ? L'auroit-on cru n S. Paul ne le difoit en propres termes, que ce fut une fuite malheureufe de cette oiliveté, qui les porta à s'abandonner à des fêtes pro- fanes & à des jeux excefiifs , pendant que leur légiflateur Moïfe étoit en con^ férence avec Dieu , i'f^ir populus man- t,c^r^ ducare & bibere , & furrexsrunt ludere^ c. /ot Demandez au Prophète comment Sodo- irie dévint fi fçavante dans les abomina- lions jufqu'alors inconnues & Inouie^ ,

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294 Sur l'Oisiveté.

ne vous répondia-t-il pas que l'oinveté de cette ville réprouvée fut la fource de foniniquitér Mais dites-moi^ ajoute Sain^ Auguftin^ tandis que David fut occupé aux exercices de la guerre, fentoit-il les attaques de la concupifcence & de la ehair ? & quand eit-ce qu'il conçut dans Ion cœur les adultères & les homicides i ce fut-ce pas , félon le texte facré, lorf- qu'il refla oifif dans Jérufalem , dans un temps oii les autres marchoient en cam- pagne ? Qui caufa la ruine de Samfon } pracédolt-elle d'un autre principe que de la vie languiiTante & efféminée il de- meura pour complaire à une étrangère ^ & ce héros du peuple de Dieu put-iî jamais être furpris pendant qu'il étoit aux prifes avec fes ennemis ? Salomon le plus lage des Princes , fuccomba-t--il dans les- premières années de fon règne , tandis qu'il travailloit avec un zèle intatigable, èc qu'il appliquoit tous Tes foins à bâtir le temple ? fuccomba-t-il , dis-je , à cette aveugle paffion qui i'infatua dans la fuite , •jufqu'à lui faire adorer les dieux de fes concubines ? & ne commença- t-il pas au contraire à fe laiffer corrompre par fa .volupté , du moment qu'il eut mis tin a fon entreprife , & qu il fe vit dans un profond repos ? Ah ! mes Frères , con- clut S. Auguftin , nous n'avons pas une vertu plus'affurée ni plus foiide que ces grands homm.es ; nous ne fomrnes_ ni plus faims que Dùvid, ni pîas étlairés.

Sur l'Oisiveté. 295

^ue Salcmon , ni plus forts queSamfon^ éi. pour vivre dans la retraite , nous n'avons pas moins à craindre les défor- dres de l'oifiveté. C'eft ainfi qu'il s'en expliquolt aux Solitaires de fa règle.

Mais à propos de Solitaires , ( cette réflexion eft du faint Evêque de Genève, François de Sales , ) pourquoi penfez- vous , Chrétiens , que dans ces monaf- teres d'Egypte les hommes vivoient comme des Anges ^ & le don de con- templation étoit une des grâces les plus ordinaires, on maintenoit cependant le travail des mains avec une difcipline Ct exacte ^ comm.e nous l'apprenons de Caf* fien & de Saint Jérôme ? Eft-ce que le travail des mains étoit attaché à la pro- feiiion de ces hommes de Dieu ? ce feroit la dégrader que d'en juger de la forte : leur étoit-il néceiTaire pour leur fubfif- tance ? non, la charité des fidèles, qui étoit encore dans fa ferveur , y avoit abondamment fuppléé. Pourquoi donc travailloient-ils ? ils le faifoient , répond Saint Jérôme , non pour les befoins du corps , mais pour le falut de l'ame : Non HUrori propter corporis nscejjitatem , fed propter animczfalutem ; parce qu'ils fçavoient que quelque perfection qu'ils euilent acquife il leur étoit impoffible de contempler fans ceffe les chofes divines , & parce qu'ils étoient d'ailleurs perfuadés que de de- meurer un moment fans contemplation ou fans a^ion , c'eût été s'expofer à la

i9^ Sur l'Oisiveté.

tentation. Voilà pourquoi, dit Caffierr.^ la grande maxime reçue parmi eux étcir qu'un folitaire occupé devoit être toiY- jours le plus innocent , parce qu'il n'étcit tenté que d'un feul démon ; au lieu qu'un folicaire pareffeux & fans emploi , fe trou- voit fouvent , comm.e ce miférable de l'Evangile , polTédé d'une légion entière : €affian. Operatorem monachum damone uno pulfa" ri f otiofum fpiritibus innumiris devajîcir'u Sur quoi , mes chers Auditeurs , vous ^evez , ce me femble , raifonner ainfi avec Yous-mêmes: Ces hommes (i détachés de la terre , ôt fi élevés au delTus des loi- bîeffes de la nature , croyoient qu^un tra- vafl réglé leur étoit néceflaire pour per- févérer dans Tetat de la grâce, & moi qui fuis un pécheur, rempli de miferes, vivant dans la diffipation & roifiveté , je m'affurerai de monfalut ? quel orgueil & quelle préfomption 1 C'étoieat des Chrétiens parfaits , d'une converfation toute célefte, qui avoient pour triompher des vices , des fecours infinis que je n'ai pas ; car la folitude leur fervoit de re- tranchement , la religion leur donnoit des armes, le jeûne ks fortifioit, Tauf- térité les rendoit terribles aux puifiTances de l'enfer , & néanmoins ils fe regar- doient déjà comme vaincus dès qu'ils venoient à fe relâcher dans leurs obfer- vances laborieufes , tant ils étoienr sûrs que l'oifiveté étoit infailliblement fuivie d'une multitude innombrable de péchés^

Sur l'Oisiveté. 29/

Que dois-je efpérer, moi qui n'ai aucuri de ces avantages , moi qui vis au niilieii du monde comme dans un pays décou- vert à toutes les attaques du démon , moi qui veille fur mes fens ? que puis -je me promettre, fi avec tout cela j'ouvre en- core à mon ennemi la plus large porte du péché , qui eft l'oiuveté volontaire ? N'eft-ce pas agir de concert avec lui, & lui livrer mon ame ?

Voilà , mes Frères , difoit Saint Am- broite , ce qui énerve aujourd'hui dans- nous la force & la vigueur de l'efprit chrétien : au milieu ^des perl'écutions le Chriftianifme s'eft foutenu , & il n'eft pas Croyable combien les travaux & les fati- gues qu'il a eu alors à eiTuyer, ont con- tribué à fon accroiiTement & à Ton aiter- miffement ; mais maintenant , ajoutoit ce grand Evêque , c'eft la paix qui nous cor- rompt , c'ell la douceur du repos qui rend notre foi languiffante, c'eft le relâche- ment d'une vie inutile qui caufe tous nos /*cand?.les , & il arrive par un effet aulii furprenant que déplorable , que ceux qui n'ont pu êcre domptés par la violence des fupplices , le font honteufement par Je défordre de roihveté : Nunc tentant Amhr* otia , quos bdla non fregcrunt. Paroles , Chrétiens , qui conviendroient encore bien mieux à notre fiecle qu'à celui de Saint Ambroife ; car diibns la vérité, ?'ii y a de luinoceace dans le monde >

fit^S Sur l'Oisiveté.

eu efl elle, finon dans les conditions Sc dans les états ou la loi du travail eft in- v'olablsnientcbfervée ? Parmi les grands, les nobles j les riches , c'eiVà-dire panr.i ceux dont la vie n'eft qu'amufements 6.C que mollelle', ne cherchez point la vraie piété Ôc ne vous attendez point à \^ trou- ver la pureté des mœurs ; ce n'eil plus qu'elle habite, dit le Patriarche Job; Joh. Non invenitur m terra fuaviter viveniium, £. z§. eil-ce donc qu'elle peut fe rencon- trer ? dans les cabanes d'une pauvre.;^ fainéante , qui n'a point d'autre occup;i- tion que la mendicii^ ? non , Chrétiens , roifiveté perd auiîi-bien ceux-là que les riches, & ce genre de pauvres , qi:5 Jefus-Chrift ne reccnnoît point, eft cgi- ieraent fujet au libertinage. Oli eft-ce donc enf.n que rinnocence eft réduite l je vous l'ai dit ; à ces médiocres états de vie qui rubfiilent par le travail ; à ces conditions moins éclatantes , m:..is plus ailurées pour le falut, de marchônds en- gages dans les foins d'un légitime négo- ce , d'artifans qui mefurent les jours p:^r l'ouvrage de leurs maiias , de ferviteurs qui accom.plifTent à la lettre ce précepte <livin , vous mangerez félon que vous tra- vaillerez, In laboribvs cumedes ; c'eft-là encore une fois qu'ed l'innocence, parce €jue c'ei^-là qu'il n'y a point d'oifiveté.

Concluons, mes chers Auditeurs, cette :preruiere partie p;ir l'impo-rt^nt ayis que

Sur l' O I s I V £ te. 299

6-onnoit Saint Jérôme à un de Tes difci- ples ; Facïîo femver aliq-'uid opcris , ut U HîsroJh Deus aujL Diabolus inveniat occupatum ; faites toujours quelque Giiore,ann que Dieu ou le démon vous trouve toujours occupé. Si le démon vous voit occupé , il n'entreprendra point de vous tenter^ & fi Dieu vous trouve appliqué au tra- vail , il n'aura point de quoi vous punir. Sans cela vous vous rendez criminel , parce que vous manquez à un devoir que vous inipoie non- feulement la qualité de pécheur, mais encore la qualité d'homme attaché dans le monde à une condition particulière ,comîr;e vous l'allez voir dans la féconde Partie.

C'EsT une vérité inconteil:rri)ie»Chré- ÎI» tiens, que toute condition dans le Part. irionde eft fujette à certains devoirs , dont î'accompliiTement demande du travail eC de la peine ; & c'eft une autre vérité qui, pour être peu reconnue, n'en ed pas moins folidcment établie , que plus une condition eft relevée dans le monde, plus elle a de ces engagen?jents, auxquels il eft impofiïble de latisfaire fans une application conftante 6c afîidue. Com- prenez , s'il vous plaît , cette morale , ciui vous paroîtra , de la manière que je vous la ferai concevoir , très- con- forme à la fainteté & à la fageffe du J^hriiliaTiira'ie, Je foutiens que toute

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$oô Sur l'Oisiveté;

condition dans le monde eft fujeîte à iTas devoirs pénibles , & le Dofteur angéli- que Saint Thomas en apporte la raiibn , parce qu'il n'y en a aucune , dit-il » dont la perfection ne Ibit attachée à une règle qui ne peut changer ; à une conduite égale qu'il faut obferver ; à tdes adions faites dans l'ordre dont il îi'eft pas permis de fe difpenfer. Or tout ce qui porte ce caractère eft un travail

Î)our l'homme , & les mêmes cliofes qui ui feroient d'ailleurs agréables, le fati- Iguent , du moment qu'on lui en fait tine loi a &. qu'elles lui tiennent lieu de devoir.

Voyez , ajouta Samt Thomas , la preuve de cette maxime dans une in- duction particulière. Si vous confidérez la différence des âges, com.me les vieil- lards dans la fociété civile font ordinal* yement chargés du poids des affaires pour en avoir la dire£lion , c'efl rux jeunes gens un partage naturel d'en fou- îenir l'exécution ; commue il appartient a ceux-là de conduire & de gouverner, ^'obligation de ceux-ci efl de fe former & de s'iniiruire ; & Saint Augufiin avoit de h peine à conclure lequel des deux ctoit d'un plus fâcheux affuiettiffement, 5i vous avez égard à la diverfité des iexes 5 comm.e l'adminiflration de la ]uf- tice & des offices militaires efl du reffort de^ l'homme, les foins domefiiques par

Sur l* Oisiveté. 301

une difpofition de Dieu font réfervés pour Id femme , & fi vous méprilez cet emploi , c'eit que vous n'en connoii- fez ni Timportance ni h difficulté ; car Salomon qui étoit plus éclairé que nous , & le Sainî-Efprit même qui n'ufe point d'exagération , cherchoit pour l'exercer dignement , une femnie forte , Mulie~ Prov:, rem forttm quïs inveniet ? & la louoit c.j:* de railiduité avec laquelle elle s'en étoit acquittée , comme d'une chofe héro'i- flue : Manum fuam mijit ad fortia , 6* im^ digiti ejus apprchenderunt fufum. Si vous vous arrêtez aux diftin6lions de Va naif- fance & de la fortune , comme les petits par nécelTité doivent s'employer pour les grands , les grands par juftice &. par charité doivent s'employer pour les petits ; comme les riches font en poiTef- fion de jouir du travail des pauvres ^ les pauvres font en droit de profiter du travail des riches. Voilà donc pour tous les états du monde une loi univerfelle & néanmoins pro-portionnée à la nature d'un chacun \ car de tous ceux que je viens de m.arquer , chacun a fes enga- gements particuliers ; les Rois font obli- .gésà une efpece de travail, 6c non pas à un autre ; l'occupation d'un Juge efl différente de celle d'un artifan ; mai la loi de s'occuper &. de travailler , eft commune à tous , & il n'y en a pas ua feul que le devoir de fa condition n'y a(rujetîiire.

50î Sur l'Oisiveté.

Je dis plus : car ie prétends qu'à mefure qu'une condition eft p!us élevée , elle eik plus ûijette à ces devoirs qu'on ne peut accomplir fans une aéiiona(îidue& conf- iante ; ôc c'eft ici qu'il faut encore une fois que vous vous détrompiez des fauf- fes idées que vous ^vei. des chofes , Si. d'une erreur pernicieufe le monde vous apeut-êire jufques à préfent entre- tenus ; car la grande erreur du monde e(x de croire que l'élévation , le rang, la dignité font autant de droits acquis pour le repos , & pour la douceur de la vie. Mais la foi nous dit tout le contraire, & la raifon eft que plus une condition eft élevée , plus elle a de grandes obligat'or.s à remplir: tellemient qu'il en va dans l'ordre politique ÔC dans la religion , ccm.me dans l'ordre de la nature ; plus les caufes font univerfeilts, plus ont- elles d'aélion^ ôc en doivent-elles avoir pour le bien des caufes particul ères qui leur font fubor- données. Ainfi voyons- nous les cieux Sc les aftres , qui font lur nos têtes , dans un mouvement perpétuel , fans s'arrêter une fois j 6i fans ceiler de répandre leurs influences. Qu'eft- ce qu'une dignité , j'en- tends fur-tout dans les principes du chrif- tianifme , finon une fpécieufe fervitude, dit Saint Bafile de Seleucie , l::quelie obli- ge un homme, fous peine delà dam.na- tion , ce slntéreffer pour tout un peuple, comme tout un peuple (ii\ obligé de s'in- téicfler ^our lui l il eft JnÊniKiÇfiJ

Sur l'Oisiveté. 5^^

plus onéreux à un feul de travailler pour tous , qu'à tous de travailler pour un fcul.

Dieu l'a ainfi ordonné , Chrétiens ^ pour deux raiions qui font admirable-- ment paroitre le loin qu'il a de notre faku. La première eft , ielon la remar- que de Saint Bernard , afin que les di- gnités & les conditions honorables , qui lont des expreffions de ù gloire , ne de- vinaient pas les iujets de notre vanité , car Cl je luis fage & fi je r^ifonne b^en ^ la grandeur Ôc l'élévation démon état, au lieu de flatter mon orgueil , fera pour moi un fonds d'humilité & de crainte, dans la penfée que plus je fais grand, plus j'ai d'obligation devant Dieu dont je ne puis m'acquitter que par mon tra- vail. Ah ! s'écrie Saint Bernard , écrivant au mcm.e Pontife dont j'ai dé;à parié, ne vous laiiTez pas enfler de la pompe qui vous environne , puifque le travail qu'an vous a irnpcfé eft encore plus grand que votre dignité: vous êtes fucceiïeur des Prophcics & des Apôtres, & j'ar de ta vénération pour votre qualité : mais que s'enfuit- il de-là ? que vous de- vez donc vivre comme les Prophètes & les Apôtres. Or écoutez comment Dieu parloit à fon Prophète : Je t'ai établi, lui difoit-il , pour arracher & pour dé- truire , pour planter & pour édifier , &c qu'y a-t-il en tout cela qui refiente le faite ? Imaginez- vgus . pouifuic le jiujît.s

304 Sûr l'Oisiveté;

Père , que vous êtes aufîï grand que Jéremie : mais apprenez donc en mêrrie temps, que vous occupez la place vous êtes, non pour vous élever ^ mais vour travailler. De plus, ajoute encore ce faint Docteur, les Apôtres vos pré- décefTeurs , à quoi ont-ils été deftinés ? il recueillir une moiffon cultivée par leurs foins , qL arrofée de leur fueurs. Main- tenez-vous dans l'héritage qu'ils vous ont tranfmis , car vous êtes en effet leur héritier ; mais pour faire voir que vous Têtes , il faut que vous fuccédiez à leur £ern. vigilance & à leurs fatigues : Sed ut pro^ bes hœredem , vigilare debes ad curam» Car û vous vous relâchez dans les déli- ces & les vanités du fiecle, ce n'eft point le partage qui vous eu. échu par le teftament de ces hommes apoftoliques ; mais quel eft-il ? le travail & les fouf- frances : In lahùrïbus plurirnis , in car ce- ribus abundantihs. Comment donc pen- ferez-vous à vous glorifier lorfque vous n'avez pas même le ioifir de vous repo- fer ? 6c le moyen d'être oifif 6c tran- quille , quand on efl chargé de toutes les Eglifes du monde ?

La féconde raifon qui fuit de la pre- mière , c'eft pour empêcher que les gran. des fortunes & les états de la vie plus relevés ne ferviiTentà exciter rambitioii des hommes ôc à l'entretenir ; car c'eJÎ jjien notre faute , Chrétiens , quand nous ibmmes après teJ^ ii paÛioDnés pour k^

Sur. l'Oisiveté. 305:

grandeurs & les dignités , foit du fiecle, lûicderEglife, puilque les charges qu'el- les portent avec elles , devroient plutôt nous les faire appréhender. 11 eft donc indubitable que plus un état eft diftingué félon le monde , plus il eft onéreux dc pénible félon Dieu.

Mais que faut- il conclure de- ? deux chofes que j'ai déjà prooofées , & ou j'en veux revenir : fçavoir ^ qu'il n'y a point d'état & de profeiîion i'oifiveté ne foit un crinîe , 6c qu'elle i'eft encore

Élus dans les états fupérieurs aux autres. )ites-moi un genre de vie l'hom- me puiiTe être oifif fans manquer aux devoirs eftentiels de fa confcience ; Si pour ne point fortir des exemples que je Tiens de marquer , fi ce jeune homme de quahté paile fes preiTvieres années dans les divertiiTements & les plaifirs , com- ment acquerra-t-il les connoiftances qui font le fondement néceft^ire fur lequel il doit bâtir tout ce qu'il fera un jour ^ N'ayant pas ces connoiffances , comment fera-t-il capable d'exercer Ids emplois on le deftinera ? 6c s'engageant dans ces emplois avec une incapacité abfo- lue , comment pourra- t-il s'y fauver ? Quoi donc, Dieu lui donnera- t-il une fcience infufe au moment qu'il entrera en poffeftion de cette dignité ? Commen- cera-t-il à s'inftruire , lorfqu'il fera quefr tion de juger & de décider ? Fera- t-il l'apprentiffage de foa ignorance aux

3o6 Sur l'Oisiveté.

dépens d'îiutrui ? Jurîifiera-t-iî fcs fautes è'^ les erreurs par Foiriveté de fa jeunefle ? Dira-t-il qu'il eu excufable parce qu'il a prodigué Ion temps , qui lui devoir être d'autant plus piécieux qu'il ne pouvoit plus être repiié ? Cependant , Chré- tiens , rien de plus commun ; car fi le monde eft aujourd'hui plein de fujets indignes & incapables de ce qu'ils font, il nen fâut point chercher d'autre prin- cipe; la vie pareffeufeÔc inutile des jeunes gens eii la caufe principale de ce défor- dre , Si ce défcrdre la fource funefte de leur réprobation. Ah ! mes chers Audi- teurs, n'eft-il paâ honteux de voir la févénté de difcipliné avec laquelle les païens éicvoient leurs enfants dans tous les exercices laborieux ciue leur âge pou- voir fouteair, ( u nous en croyons les hiiloriens profanes , cette rigueur alloit à l'excès,) 6c de canfidérer d'ailleurs la molle condefcsndance d'un père chré- tien à fouftrir les fiens dans une oifiveté licentieufe ? N'accufons point abfolument tous les pères chrétiens ; il y en a là-def- fus de plus raifonnables , & plût à Dieu qu'ils le fufient dans les vues de leur re- ligion 1 Les Princes & les grands du inonde tiennent leurs enfants fujets» par- ce qu'ils font confiner leur gloire à les perfectionner félon le monde ; les pau- vres & les petits ont foin de les mettre en œuvre pour en tirer des fervices : mais vous , Chiéiiens , que Dieu pour la

Sur l' Oisiveté. 30^^

plupart a placés entre ces deux extrémi- tés , permettez- moi de vous le dire ,- TOUS n'avez fouvent fur cela nul zèle. Si' vous remarquez dans vos mailons uit domeftique oillf , vous fçaver bien relever du défordre de la parclTe ; mais qu'un enfant ne s'applique à rien , qu'il fe relâche dans fes exercices , qu'il né- glige Tes devoirs , c'eft à quoi vous n'êtes gueres attentifs. Lequel des deux eft îe plus coupable , ou le fils dans ion oifive- té, ou le père dans Ton indulgence? je ne dis pas coupable devant les hom- mes , mais coupable devant Dieu : c'etV un point qu'il injporte peu maintenant de réfoudre. Ce qu'il y a de certain,^ c'ell que l'un & l'autre elî criminel & fans excur3.

Difons le même des autres exemples-» Je ferois infini fi j'entreprenois de les parcourir tous : fi je vouiois vous met- tre devant les yeux tout ce que l'igno- rance d'un Juge peut produire de maux dans i'adminiltraîion de la juftice ; tout ce que la négligence d'un Prêtre chargé de la diredion des âmes , peu^ cauler de défordres dans les fonctions de ion miniftere ; défordres d'autant plus grands en toutes les conditions , que l'état eft plus éminent. Car il ne faut pas feule- iTient traiter alors de crime l'oifiveté, c'sft comm^ un renverfement général de la lociété des hommes ; & pour le com- prendre, nous n'avons qu'à nous feivir

jo8 Sur l'Oisiveté.

de la comparairon de faint Chryfoflome ', cile eft tout-à-t'aic natureiie. Car s'il arri- voit , dit c€ Père, qu'une étoile de la dernière grandeur interron",pit Ton cours , & qu'elle perdit toute fa vertu , ce fe- roit un détaut dans le monde , qui né^n- inoins n'y teroit pas une grande altéra- tion. Mois fi le foleii venoit à s'obTcur- cir tout-à-coup , & que toute fon a6^icn fût fufpendue , quel trouble & quelle confufion dans l'univers ? 11 en eft de même des états de la vie. Que dans une condition çiédiocre un homme ou- blie & néglige Tes devoirs, le préjudice qu'en reçoit le public ne s'étend pas toujours fort loin , & fouvent cet hom- ïT.e ne fait tort qu'à lui-même : mais qu'un grand, m.ais qu'un Prince , mais qu'un Roi , fi vous le voulez , aban- donne la conduite des affaires , c'eft comme l'éclipfe du premier aftre , qui fait fouffrir toute la nature. Il me fem- ble que cette vérité n'a pas befoin d'autre preuve.

Cependant pour conclufion de ce dif- cours , vous voulez fçavoir encore plus précifément , mes chers Auditeurs , quel eft ce péché de l'oifiveté que je combats, & en quoi confifte fa malice : je n'ai plus que deux mots à vous dire , mais qui demandent toutes vos réflexions. Qu'eft- ce donc que de fe relâcher dans fa pro- feflion , & d'y vivre fans le travail qui lui eftpropre : Ah ! Chrétvsns^, concevez;

Sur l*Oisiveté. 309

le une fois , le voici : c'eft pervertir l'ordre des chofes , c'eft être infidèle k la providence , c'eft déshonorer Ton état, 6l par" une fuite néceiïaire, mais bien terrible, c'eft engager fa confcience ÔC s'espofer à une éternelle réprobation. Prenez g^.rde : je dis que c'eft pervertir l'ordre des chofes ; pourquoi ? parce que dans l'ordre des chofes le repos n'eft pas pour lui-même, mais pOur le tra- vail , & que c'eft de la nature du travail & de fa qualité que dépend la mefure du repos. 11 faut , difoit Cafnodore , ce grand miniftre d'état , que la répu- blique profite même de nos divertifle- ments , & que nous ne cherchions ce qui eft agréable, que pour accomplir ce qui eft laborieux. Su etiam pro repuhlicà , Ca£io4{ chin ludere vidcmur ; nam ideb voluptuo^ fa quccrimus , ut ferla compleamus. Mais vous, vous aimez le repos m.ême , & yous ne cherchez dans le plaifir que le plaifir. Je dis que c'eft être infidèle à la providence : car Dieu en vous appellant à cet état, a fait comme un paéle avec vous ; il vous a dit : Prenez cette con- dition , mais prenez-la avec toutes Tes charges : il y a des profits & des hon- neurs ; mais il y aufîi des travaux & des foins : je veux que vous en ayez l'utile 6c l'honorable ; mais je veux en même temps que vous en portiez la peine & le fardeau. Et c'eft pour cela , remar- <^ue l'Abbé Rupert , que Diçu c[ui eft

5 îo Sur l' O i s i v e t é,

infiniment jufte , a proportionné les don»' ceurs de la vie aux devoirs onéreux de chaque état ; il a attaché à la Pvoyautç ^'indépendance , la magnificence ^ les plus grands honneurs , parce qu'il y a du refte attaché les plus grands travaux. Mais que faites -vcus, Chrétiens ? vous féparez ces douceurs du travail qui y doit être joint , & dont elles ne font que le foula- gement ; vous cherchez les unes dans votre condition , & pour l'autre vous le fuyez &: vous vous en dirpenlez. Je dis que c'eft déshonorer votre état , parce que c'eft Texpoler au mépris , à la cen- fure , à la haine , à îenvie publique. Car qj'y a-t-il de plus méprifable qu'un grand du monde , qu'un rriiniirre des Autels , qu'un magiftrat dont les jour- nées ôc route la vie le confument en de frivoles arriufements , lorfqu'elles pour- roient être employées aux foins les plus importants ? Le bel exemple que celui du faint Empereur Valentinien le jeune \ écoutez -le , Chrétiens, tel que Saint Ambroife le rapporte dans l'éloge funè- bre de ce Prince. Entre mille autres qua- lités qui le diftinguerent , il eut fur-tout ce zèle, de ne pas avilir fon rang par une oifiveté qui n'ed que trop ordinaire à la Cour, 6i il n'oublia rien pour fatis- faire fon peuple fur quelques bruits qui s'étoient répandus contre fa perfonne. On difoit qu'il fe plaifoit trop aux jeux •6c aux exercices du virque ; il y renonça

Sur l' O I s î V e t e. 311

tellement , qu'il ne voulut pas ir.eme les permettre dans ies fctcs les plus folem- neiles; Feretstur cïrcenfibus dcUdari ; fie Âmlr^ illud abflulk , ut ne fulemnlbiis quidem Pnncipum nataiibus pu-iaverit ceUbrandos^ Quelques-uns trouvoient qu'il dcnnoit. trop de temps à la chade ; il fit tuer clans un jour toutes les bêtes rélervées pour fes divertifTements : Credehjnt ali- Utnit aui Tiimiàm vsnabulis occupari ; omnes feras uno momenio jujjlt interfici, Vorr.Qis ie refte qui fuit , & qui devroit couvrir ^e confaîion je ne fçais combien de gens fortis la pouiiiere ils étoient nés , & placés dans des poftes honorables , oii Hs ne voudroicn: pas perdre un moment l3e leur repos pour toutes les affaires du monde , fi ce n'eft que leur intérêt s'y trouve mêlé.

Quoi qu'il en Toit de tout autre inté- rêt, je dis que celui de la confcience & é\x falut y ei\ engagé. Car renverfer ainfi Tordre des choies , aller ainu contre les vues de la Providence y manquer ainfi aux obligations de fon état , tout cela peut-il s'accorder avec la conicience & avec ie falut ? Pourquoi y êtes- vous dans cet état , fi vous n'en voulez pas remplir les devoirs ? & pourquoi êtes-vous dans la vie, fi vous n'y faites rien ? Qu'eft- ce aux yeux même du monde qu'un homme inutile ? à quoi parvient- il ? & fi dans le monde même on ne peut par- >'ep.ir à jisn &n§ travail , efpérom-nous

311 Sur l' O i s i v e t f .

obtenir plus aifément les récompenfes du Ciel ? Quand au moment de h mort nous ferons obligés de dire à Dieu , Seigneur , je n'ai rien fait ; que nous répondra-t-ii , fmon , je n'ai rien à vous donner ? Souvenons-nous fans cefTe du ferviteurpareffeux de l'Evangile 3 & n'ou- blions jamais l'arrêt que fon maître prononça contre lui en le faifant jeter , pieds & mains liés , dans une obfcure prifon. Car voilà comment nous avons à craindre d'être précipités dans les ténè- bres de l'enfer , parce que de n'avoir rien fait , lorfqu'on pou voit & qu'on devoir agir, c'eft un grand mal. Delà, mes chers Auditeurs , que chacun de nous étudiant ù condition & l'état ou il eft appelle , s'applique férieufement &C régulièrement à un exercice honnête qui lui puiffe convenir , à un travail affidu , fur-tout à un travail chrétien. Ne dites point que vous ne fçavez à quoi vous occuper ; vous l'aurez bientôt appris, dès qtie vous voudrez de bonne foi vous tirer de l'oiriveté criminelle vous de- meurez endormis. Et c'eft par votre vigilance & par vos œuvres que vous mériterez de recevoir le falaire que le Père de famille donne aux ouvriers qui ont travaillé dans fa vigne : ou , peur parler fans figure , c'eft par-là que vous mériterez d'avoir un jour part à cette gloire immortelle que Dieu vous a promife, ôc que je vous fouhaite , &c.

SERMON.

5n

SERMON

POUR

ije: dimanche DE LA SEXAGÉSIMEo

vS'.vr /i2 Parole de Dieu,

"Semcn eH; verbum Dai.

is boi .grain , c*e_/? ^d parole de Dieu. En faint Luc , chap. 8.

PUISQUE Jems-Chrift , lafagefTe & la vérité éternelle, a lui-même pris foin de -nous expliq^aer la parabole de notre EvcUigi'e , il ne nous eu point permis , mes Frères , d'y donner un autre fens , & lîous n'en pouvons iaire une plus julte rii nn^plus tbiide application. 11 eft léu- lement queftion de {"avoir -fi voas êtes de •cette terre le bon gr-jin de la parole de Dieu , -ayant jette de tbrtes racines ,

terme en {on temps , croit & s'élève , L par une heureuie fécondité rend une abondante récolte : c'eft- à-dire , pour Domin, Tom, /, O

314 Sur la Parole de Dieu."

nous en tenir toujours à la penfée & à l'interprétation de notre adorable Maître , qu'il s'agit de {"avoir fi vous êtes de ces cœurs vraiment chrétiens, de ces cœurs droits , de ces cœurs parfaits , qui faintement difpofés à écouter la di- vine parole , la retiennent, la méditent, s'en font une nourriture ordinaire ; & par une perfévérance invariable dans les voies de la piété, par un exercice conf- iant de toutes les œuvres d'une vie agif- fante & fervente , lui laiflent déployer toute fa vertu , & rapporter tous les fruits de fainteté qu'elle peut produire. Car voilà en termes formels comment le Sauveur du monde nous les a marqués : Luc. Quod autem in bonam terram , hifunt gui ^' ^' ïn corde bono & optïmo audientes , verbum retinent , & frutîum afferunt in patientia. Depuis tant d'années, mes chers Audi- teurs , que dans cette chaire on vous parle au nom du Seigneur , quels mi- racles fa parole n'auroit-elle pas opérés pour l'édification de vos âmes , fi elle y eût trouvé de femblables difpoutions ? Mais de quoi nous ne pouvons affez gémir , c'efl de la trifte décadence où.efl tombé le miniftere évangélique , 8c il tombe encore tous les jours. Car quoi- qu'il y ait plus de prédicateurs que ja- mais pour l'exercer, quels fuccès voyons» nous de leurs prédications ? quels abus ont-ils corrigés , quels fcandales ont-^ ils retranchés ? quelles victoires vous^

Sur la Parole de Dieu. 31c

ont-ils fait remporter fur l'enfer , fur le îTonde , fur vous - mêmes , & à quel degré de perfei!;^ion vous ont-ils élevés ? Ert-ce que votre grâce, ô mon Dieu, r/accompagne plus votre parole ? Ed- ce que vous nous laiiTez , félon l'ex- preffion de votre Apôtre , planter ÔC arrofer ; mais qu'il ne vous plait plus de donner, comme autrefois, i'accroif- fement ? Deus incrementum dédit. ^Ne /, Cor. îious en prenons point à Dieu , Chré- c j, tiens, ni à fa providence : ne remontons point fi haut pour aller jufqu'à la fource d'un mal qui ne vient que de vous, ÔC qui ne doit être imputé qu'à vous, ruiiîîez-vous , après en avoir connu le principe que je vais vous découvrir, y appliquer le remède ! C'eft pourquoi je demande le fecours du Ciel par Tinter- cefîion de Marie. Ave Maria.

C 'Est une belle penfée de S. Bernard & qui renferme pour nous un grand fonds de moralité , que trois principes ont concouru à nous donner, quoique diverfement , la divine parole ; favoir , la Vierge , l'Eglife & la Grâce. La Vierge nous l'a donnée revêtue d'une chair femblable à la nôtre , pour nous la faire voir : l'Eglife nous la donne fous des fons qui frappent nos oreilles , & par le miniflere de la voix , pour nous la faire entendre ; enfin la grâce

Oij

3i6 Sur la Parole de Dieu;

par rinfufion du Saint-Eiprit , nous Tin^ finue dans le cœur, pour nous en fair^ Bern. p^'^'^'^^r : Verkum Maria vcflitum carne , Ecdefia vejlitum fcrmone , gratia tradit amplexandum Spirïtûs SutïHï infufione. Marie ne l'avoit pas reçue dans fon fein y elle n'auroit pu nous h donner vifible & palpable. Si l'Eglife ne la taii'oit pas retentir aux oreilles du corps , nou^ ne pourrions l'entendre fennblement , ni la recevoir de la bouche des prédi- cateurs ; & fi par l'aôrion de la grâce elle ne pénétroit jufques dans nos anr.es , elle îî'y feroit nulle împrefTion , &. n y pro- duiroit aucun fruit. Mais , ajoute le xnême Saint Bernard , cette parole indi- viribie & une en elle-même, fe com- munique à chacun félon la diverfité des fujets & leu»-s différentes difpolitions ; de forte qu'elle nous devient ou utile ou inutile, à proportion qu'elle trouve nos cœurs bien ou m.al préparés. D3 vous voyez , Chrétiens , de quelle importance il eft pour vous d'apprendre à la bien recevoir , & de ccnnoitre ce qui en arrête tous les jours les falutaires effets. Mais parce que vous pourriez être peu touché de cette flqrilité de la divine parole fi vous en ignoriez les terribles conféquenccs , il faut en m^me temps vouj. faire voir à qv.ci vous vous expofeï en ne profitant pas d'un don fi précieux ^ ^ voici deux propcfuions que j'avance.

Sur la Parole de Dieu. 31^

La parole de Dieu vous eft inutile , parce que vous ne la recevez pas comme parole de Dieu ; c'eft la preaiiere partie. Et dès que par votre faute , cette faince pa- role vous eft inutile , elle devient le iujet de votre condamnation devant Dieu ; c'eft la féconde partie. En deux mots , j'ai a vous montrer pourquoi vous profitez fi peu de la parole que nous vous prê- chons ; & comment dès lors cette parole de falut , par le plus funefte renverfe- ir.ent , doit fervir de matière à votre réprobation : voilà tout mon deffein.

POuR entrer dans la preuve de la L première propofition que j'ai avan- PaRT^ cée j il faut , s'il vous plait , que nous établiftions d'abord ce principe fonda- mental; favoir, que Dieu vous parle par la bouche des prédicateurs , que c'eil la parole de Dieu qu'ils vous annoncent , & que dès qu'ils, ont une million légi- time de l'Eglife , vous ne devez plus les écouter comme des hommes, mais qu'ils font à votre égard les organes & les in- terprètes de Dieu même 5c de fon Saint- Efprit. Ainfi le Sauveur du monde le faifoit-il entendre à fes Apôtres , lorf- qu'il leur difoit : Quand vous prêchez mon Evangile , ce n'eft point vous pro- prement qui parlez , mais c'eft l'efprit de votre Père célefte qui s'explique par vous ; Non eflis vos qui loquimini , fed ^^tth fpiritus Patris veftri qui loquitur in vobis, g, ,0. *

O iij

3iS Sur la Parole de Dieu.

Les Apôtres étoient envoyés pour cela, & c'eft pour cela même que nous avons été choilis : c'eft , dis-je ^ par l'ordre XTîême de Dieu & de fon Eglile que nous montons, mes chers Auditeurs, dans la chaire de vérité , pour vous inuruire. Sans cette miffion de Dieu & de Jefus- Chrift Ton Fils unique &L l'homme-Dieu, vous ne feriez plus obligés de recevoir nos inftru6^ions , ni d'écouter nos pré- dications comme la parole de Dieu , parce qu'elles ne leroient plus alors , pour m'exprimer de la forte , marquées du fceau de Dieu.

Et voilà ( fouffrez , mes Frères , que J'en fade ici la remarque ; c'eft le lieu de la faire , & il eft important que vous la fafTiez avec moi , vous que l'erreur a tenus fi long-temps féparés de nous , mais que la grâce d'en haut, par le plus heureux retour , ramené tous les jours dans le fein de la vraie Eglife , notre commune & feule mère,) voilà Tune des plus edenti^îlles différences qui fe rencontrent entre nous & les minières de cette Eglife proteftanteoîi vous eûtes le malheur de naître. Ils avoient tout le refle , fi vous voulez ; mais cette milhon leur manquoit : c'étoient des hommes fçavans 6i éloquens , tant qu'il vous plaira ; mais ils n'avoient pas ce carac- tère d'hommes envoyés de Dieu , & l'on Rom. pouvoit toujours dire d'eux : Quomodà '*. 10. pradkabunt i nïji mittantur ? ^ommeat

Sur la Parole de Dieu. 319

prêchent-ils , puilqu'ils n'ont point été députés pour cela ? Car qui les envoyoit? étoit-ce l'Egl-ie Romaine, ou étoit-ce une autre Eglife ? étoit-ce Dieu immé- diatement , ou de leur autorité particu- lière & d'eux-mêmes s'étoient-ils confli- tués pour enfeigner ? Vous fçavez, mes Frères , l'embarras cette difficulté les jetolt ; & ceux d'entre vous qui furent de meilleure foi & plus intelligents dans jeur religion , n'ont pu difconvenir que c'étoit un des articles qui leur caufoit le plus de trouble , un des points ils fentoient plus le foible de leur créance, un des chefs fur quoi ils avoient plus de peine à fe fatisfaire.

Votre confeirion de foi portoit que ces réformateurs avoient été fufcités ^ & pr'.r conféquent envoyés d'une façon ex- traordinaire ; mais vous aviez trop de lumière & trop de fens, pour ne pas voir que cela fe difoit fans preuve. Car vou5 n'ignoriez pss que Luther & Calvin n'é- toient venus , ni comme Moïfe dans l'ancienne loi, ni comme Jefus - Chrift dans la nouvelle, ou comme les Apôtres, guériffant les malades , rendant la vue aux aveugles nés , relTufcitant les morts de quatre jours, confirmant leur Apofto- ht par des fignes vifibles , éclatants , in- conteftables , & qu'ainfi cette miffion extraordinaire dont ils fe flattoient, ne pouvoit leur convenir. Après avoir re- connu, parce que vous étiez forcés de le

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^lo Sur la Parole DiEtr;-

reconnoître,que, félon la parole deDieui nul ne fe doit ingérer dans le gouverne- ment de rEglile , mais qu'il y faut être appelle par une voie canonique, vous y înettiez cette exception , autant qu'il ejl pojffibie. Claufe que vous ajoutiez, con^me porte expreiTén^ent Tarticle. Or en difant ce que nous ajoutons ^ pouviez- vous avoir oublié qu^ par un autre article il vous étoit défendu de rien, ajouter à la paroie de Dieu , & que vous tombiez , félon- vos principes même , dans une contra- diction inicutenable ?

Vous apportiez, pour motif Si en mê- me temps pour preuve de cette miiiioa extraordinaire, qu'il avoit Ikllu relever l'Eglile défolée & tombée en ruine : m.ais' inftruits comme vous l'étiez, & commie vous l'êtes par la parole, mêm»e de Dieu,, des prom.elfes que Jefus-Chrift a faites à fon Eglife, vous fçaviez allez qu'elle ne pouvoit jamais manquer, parce qu'elle eft la colonne de la vérité , & que les portes de l'enfer ne peuvent prévaloir contr'elle. Ainfi le fondement fur lequel vous vouliez en quelque forte établir la miiTion extraordinaire de vos prétendus prophètes, étoit encore plus ruineux que leur miffion même.

Preffés de cet argument fi follde &C fi convaincant , vous aviez quelquefois'^— recours à la miiTion ordinaire ^ Se voua prérendiez que les auteurs de la réforme tavoient reçue de l'Eglife , comme

Sur la Parole de Dieu. 31Î

nous , dans leur ordination ; car dans U diverfité des fentimens qui vous parta- geoient fur ce fujet , on en venoit là. Mais par , mes Frères , vous confelTiez donc malgré vous-mêmes & fans y penfer, que cette Eglife Romaine étoit alors la vraie Eglife , puifqu'il n'y a que la vraie Eglile qui puitle envoyer les hom- tr.es en qualité de payeurs & de miniftres de l'Evangile : par vous reconnoiffiez donc que les auteurs de la réforme s'é- toient. féparés de la vraie Eglife , & par enliu vous conveniez donc de l'obli, gation ils étoient d'y renirer.

Or qu'a fait Dieu , mes Frères , ea vous y réuniffant ? Adorez le confeil de fa providence , & voyez l'avantage qui vous en revient ; il vous a tirés de la confufion & du trouble , il étoit invpofiîbleque vos confciences,pour peu qu'elles fulient droiîes & timorées , ne le troublaflent fur cela : il vous a infpiré ÔC fait prendre la réfolution de renoncer au fchifme : au lieu de p:>fteurs fans auto- rité, il vous en a donnés dont la mif- fion eft certaine , eft fenfible , infailli- ble. C'eft en cette qualité , mes Frères,. que je parois aujourd'hui devant vous: je ne fuis ni Elie, ni Prophète ; je fuis un pécheur comme vous : mais quoi-^ que pécheur , je ne laiffe pas d'être le ninirtre légitime de la paroJe de Dieu ; c'el^ un honneur pour moi de vous l'an- noncer , Se un honneur dont je fçais faire

Oy

322 Sur la Parole de Dieu*

toute Teftime qu'il mérite : mais suffi eft- ce un honneur que ]e ne me fuis point attribué, je ne me fuis point ingéré, que je n'ai ni ambitionné ni recherché, un honneur j'ai la confolation d'à- Hehr. voir été légitimement appelle : Nec quif- <:. J. quant fumit fibï honorem , fed qui voca- îur à Deo. Je ne fuis point en peine de juftiner ma million ; en voici la Iburce immédiate : celui que Dieu vous a donné pour Evêque & pour pafteur de vos âmes , c'eft de lui que je tiens mon pouvoir ; c'eft lui qui m'autoriie & qui m'envoie , comme il eft envoyé lui- rnême de plus haut. Ma fubordination à fon égard Ôê l'obéiffance que je lui rends, eft le titre de mon miniftere: je ne pré- tends point être extraordinairement fuf-» cité pour iniiruire ceux dont je dois être inftruit , ni pour donner la loi à ceux de qui je dois la recevoir ;, je prétends en prêchant aux autres , être moi " même dans la loumiïTion due à l'Eplife 6»- à fes pafteurs. S'il m'arrivoit de mêler mes erreurs particulières avec les vérités que je vous annonce, je pré- tends être redreiTé par eux , & )e vous donne cette marque de ma mifTion , parce que fans cela vous ne devriez pas m'é- couter, & que je ne ferois plus un mi- nière de Jefus-Chrift , mais un réduc- teur dont vous devriez vous préferver. Ma miflion même eft fi claire & ft au- thentic^ue , que l'Egliie proteftame ne me

Sur la Parole de Dieu. 323

la ctifpute pas : car elle la reconnok fi bien , que quoique dans fes principes , le baptême , pour être valide , doive être conféré par un minii^re légitime ,(i dans une rencontre j'étois em.ployé à conférer ce Sacrement, elle le ratiHeroit (Se n'en contellerolt pas la validité.'

Or voilà , mes Frères , l'avantage dont je viens vous féliciter. Vous avez , ÔL dans ma perfonne, tout indigne que je fuis, & dans ceux qui font revêtus du même caractère que je porte, autant de vrais miniitres pour vous difpenfer les myfteres de Dieu : Sic nos exiftimet homo /^ ^^^ ut minijiros Ckrifli & difpenjatores myfr c. 4. teriorurn Dei, AdrelTez-vous à eux , & vous éprouverez leur charité ; confiez- ' leur vos âmes , &L Dieu par leur zèle vous fanélitiera : ils ne foupirent qu'a- près votre réunion : ne les privez pas de la joie qu'ils auront en la voyant entière & complette. Je fuis ici comme le précurfeur Jean-Baptifte , la voix de celui qui crie : Parme viam Domini : t. ^ préparez le chemm au beigneur ; ouvrez- c. 5. lui vos cœurs pour recevoir fa parole; car puifque c'elt de fa part & en fon nom cjue je vous parle , c'eft fa parole que je vous apporte.

Oui , Chrétiens Auditeurs , c'eft la parole de Dieu ; & de Saint Chryfof- tome tire trois grandes conféquences toutes praiit^jes &. pleines d'mftruilion pour vous, PreRUv: ^ient , dit ce faint

Ovj

344 Sur la Parole de ETieu-,

Dofteur, il s'enfuit de ce principe, que r.ous devons donc écouter les prédica- teurs de l'Evangile comme Dieu même , parce que Dieu parlant en Dieu , veut être écouté en Dieu , & puifqu'il parle par l'organe & le miniftere des hommes , il veut être écouté comme tel en leurs Deuter. perfonnes. Audi Ifra'ét ,à\{o\i-''A à fon peu- tf. C, pie , & ûbferva ut facïas qucs. prczcepit tibi Dominus : Ecoute, Iffaël , vaicl un com- mandem^ent que je te fais, moi qui fuis ton Seigneur & ton Dieu. Cependant ^ remarquent les Interprètes , ce n'étort pas Dieu lui-miême qut parloir , c'étoit un Ange qui formoit ces paroles dans un corps emprunté ; mais il les pronon- çoit de la part de Dieu, 6l voilà pourquoi, il vouloit être entendu avec le même ref- pe6t que Dieu. Secondement , pourfuît Saint Chryfoilome , il faut encore inférer de que fi je reçois la parole de Diea comme psrole des hommes , je ne fatisfars^ pas au précepte pofitif que ma religion în'impofe, d'écouter la parole de Dieu-, parce qu'en vertu de ce commandement ii nV a point d'homme, quelque autorité, qu'il ait d'ailleurs , dent je fois oblig-é «d'entendre la parole ; c'efl ^^niquement à celle de Dieu que je dois cette dé- férence. Si donc au lieu d'écouter Dieu qui me parle dans la prédicaticîi de l'Evangile , j^ m'arrête feulement à l'homme qui n'efl que fori-miniftre , je 31'accomplis, pasrifï-JT ûevoir elïentiei ,

Sur la Parole de Dieu. 5?^

qni m'engage comme Chrétien par une îîécemté indiipenfable , à entendre la parole de Dieu, puilque je fais nbftrac- tion de Dieu , 6c que je n'ai plus d'égard à fa parole.

Muis la troifietne & dernière consé- quence à laquelle nous devons particu- lièrement nous arrêter, ert que Dieu nous parlant par fes prédicateurs , & que les prédicateurs étant , pour ufer des termes 2e l'Ecriture, la bouche ce Dieu, Q_ujfi es mtum cris ; ks entendre comnne hommes fimpiement , c'eft Te rendre inutile la pa- role qu'ils prêchent , &: renoncer à tous les fruits de grâce que cette parole ell ca- pable de produire : pourquoi cela , Chr^ tens "i la preuve en eft évidente , & je îa fonde fur deux principes indubitables. Le premier efi: , que cette force toute- puif- lante de la parole de Dieu , fi hautem.enc louée par le Saint-Efpiit , ne lui convient pas en îani qu'elle procède de l'homme ^ mais en tant qu'elle efb de Dieu : de mê- me, obferve Saint Hi'aire , que le Verbe incréé n'a point de vertu, divine, qu'en tant qu'il la reçoit de Dieu iun Père ai qu'il procède de lui; Omnia milii tr.idita Mattrî^ junt à Paire meo ; rien de plus toibîe que c. ; j. la parole des prédicateurs , piife feîon le rapport qu'elle a feulement à leurs per- fonnes. Elle n'a point de corps, dit Saifit Bernard, point de fuhftance ni de Ibll- dite ; elle frappe l'cir , & rien davantage-: Aénm v-çrb^ruty undi 6" Virbum di^tiir, JBcrny

^i6 Sur la Parole de Dieu.

Ah ! mes Frères , continue-t-11 , ne jugez point par-là de la parole de Dieu , & ne la méprifez pas jufqu'à la contondre avec Idem, la parole de Thomme : Nemo vejlrâm , Fratres ^fic accipiat ^ imb fie defpiciat Ver- bum Dei. Car cette même parole qui n'eft rien entant qu'elle part de ma bou- che , h vous la confidérez entant qu'elle vient de Dieu , a les qualités les plus .agifTantes. C'eft un t'eu qui dévore, & qui confume tout : ISumquïd vcrhj, mea quafi ignis ? C'ell un marteau à qui les pierres les plus dures ne peuvent réhfler : 'Jercm. Et quafi malUus conter ens petram. C'efi: ^. ^3- un glaive à deux tranchants , qui fépare l'ame d'elle-même toute indivinble qu'elle Hehr. eft : Penctrabilior omni gladio ancipiti , f. 4. pertingens îifque ad divifionem ammcE. Mais elle n'a toutes ces propriétés que comme parole de Dieu , & autant qu'elle tire de lui fon origine.

L'autre principe non moins certain , c'eft que la parole^ de Dieu , ainfi que je l'ai déjà oblervé , n'opère en nous que félon la manière dont elle y eft reçue : femblable en ceci aux caufes naturelles , qui ne produifent leurs effets qu'à pro- portion qu'elles font appliquées à leur fujet. Vous recevez la parole de Dieu comme venant de Dieu , elle opérera dans vous coinme parole de Dieu ; mais vous l'entendez comme une production de.i'efpric de l'homme, elle n'agira en yous que comme parole de l'homme ',

Sur la Parole de Dieu. 317

& parce qu'il n'eft rien de plus inutile au falut que la parole de l'homme , voilà pourquoi , en l'écoutant de la forte , nous lui taifons perdre à notre égard tonte fa vertu Sl nous la rendons fi ftérile. C'eil: ce qui arriva aux Juifs : Jefus-Chrifl: leur annonçoit des vérités toutes divines , il leur expliquoit les plus hauts myfteres & leur enfeignoit les voies du falut ; il avoit été envoyé pour cela ; c'étoit le Medie , c'étoit le Fils unique de Dieu : mais corn* ment le regardoi'ent-ils ? Cet homme , difoient-ils, n'eft-il pas le Fils d'un arti- fan? Nonne hic e(l Filius fabri? N'eft-ce Matth^ pas le Fils de Jofeph, ôc ne connoifibns- c z^-, nous pas fon père & fa mère r Nonne hk Joan^ & Filius Jofeph , cujus novimus patrem' & matrem r" Or parce qu'ils ne s'élevoient point au deffus de ce qui paroilToit en lui d'humain ; parce qu'ils ne le confi- déroient qu'en qualité d'homme , de vient que la parole de Dieu , fortant même de la bouche d'un Dieu , ne faifoit nulle impreffion fur eux , & que leurs cœurs demeuroient toujours endurcis. Mais quand au contraire , après la deC- cente du Saint-Efprit fur les Apôtres, ils commencèrent à prendre des idées plus fublimes , & que les envifageant comme députés de Dieu, ils fe rendirent atten- tas à leurs prédications , Saint Luc nous apprend quels fruits merveilleux ôc abondants produifit tout à coup la pa- role de Dieu, prêches même par des

3iB Sur la Parole de Dieu:

hommes & les plus fimples d'entre les hommes. Saint Pierre au milieu de Jéru- falem convertit dans un leul dilcours jufques à trois mille de (es auditeurs : le irême prince des Apôtres dans un autre dilcours en gagna à Jefus-Chrirt juiques à cinq mille. Les Egllfes de toutes parts fe formèrent , TEvangile fe répandit , la foi paffa jufqu'aux extrémités de la terre: tout cela , par ? par la parole de Diea enrendue comme parole de Dieu.

Vous reconnoiiTez donc , mes Frères, pourquoi la plupart des Crirétiens profi- tent h peu de la lainte parole que nous leur annonçons. N'eft-il pas évident qi-e le principe d'un mal fi déplorable & fi pernicieux dans le Chriftianifme , eft qu'on ne la reçoit plus , cette parole , qr.e comm.e parole des hommes , fans penler qu'elle part de plus haut & de Dieu même ? Voulez-vous que je vous en con- vainque par les dirlérentes intentions des Auditeurs qui l'écoutent .'' venons au dé- tail. Car on nous écoute , il efl vrai ; ©n afTjile à nos prédications , & fur cela-, mes Frères, je vous rends aifément tout^ la juftice qui vous ell due : mais du rede on vient nous entendre , comment ? pouvons-nous l'ignorer, & pouvons noirs voir fans une am.ere douleur de pareilles profanations dans la mailon de Dieu & en la préfence de Jefus-Chrift } On vient, dis-je, nous entendre, mais par coutume 6c par une eipece de paiTe-temps,,

Sur la Parole de Dieu. 31^ mais fouvent par un efprit de malignité & de cenfure , mais par une curioiué vaine & toute humaine : ni vue de Dieu ^ îii préparation de l'ame , ni defir de s'é- difier ÔL de recueillir les fruits de faluc qu'une Ci fainte parole doit produire. Expliquons-nous , & iuivez-moi.

Ceft par coutume & par une efpece de paiTe-temps qu'on vient nous entendre. Demandez à la plupart de ceux qui fs rendent les plus ailidus à nos ailemblées ÔL à nos inftru£lîons publiques , ce qui les y amené : s'ils lont de bonne toi , ils- Yous répondront qu'ils n'ont communia- ment en cela nulle autre vue que de fuivre une certaine habitude qui les con- duit. Il y a pour les gens du iiecle des paiTe temps , & fi j'ofe le dire , d^s amu- iements de toutes les fortes : parlons plus jufte, &. difons que les gens du fiecle fe font des paffe-teaips & des amufements de toutes les manières, &L que par l'abus le plus contraire à reTprit chrétien, ils en cherchent jufques dans les plus faints exercices de la religion. Je ne parle pas des impies & des libertins , je ne parle pas de ces mondains tout occupés des plaifirs & des engagements du monde ; la parole de Dieu n'eil pour eux ni paCTe- temps, niamulement .puisqu'ils font pro- fellion de n'y alTifter jamais. Je parle du commun des Chrétiens qui confervent toujours dans le cœur un fonds de piété, mais d'une piété lâche & indifFéL*ente»

330 Sur la Parole de Dieu.

A ces Fêtes folemnelles que nous célé- brons , & à ces jours que i'Eglife a fpé- ciaiement confucrés au culte de Dieu ^ ils veulent bien s'interdire tout foin & toute affaire profane. Mais du refte que feront- ils alors , & que pourront-ils fubft'.tuer à ces occupations qu'ils font obligés &: en effet réfolus d'interrompre? De quoi rempliront-ils ce temps qu'ils refufent nux fondions d'une charge , à la conduite d'un négoce , aux trcivaux ordinaires & aux ufages de la vie ? De le perdre au jeu, &de ne l'employer qu'en de Vaines converfations & en des diver- tiffemens mondains , c'eft ce que plufieurs fe reprocheroient devant Dieu, & ce que leur confcience auroit peine à foutenir. Que leur faut- il donc , Se à quoi ont- ils recours ? à nos cérémonies religieuf^s , à nos pieufes affemblées , & en particu- lier à nos prédications : les heures s'y écoulent, & cela leur fufEt.

De nulle difpofition intérieure pour recueillir cette manne divine que les minières du Seigneur leur diftribuent , & qui doit être la nourriture de leurs âmes & leur entretien. Le Saint- Efprit ne veut pas que nous nons prétentions à l'autel du Dieu vivant pour le prier , fans nous y être préparés ; & l'on le préfente à la chaire de Jefus-Chrift pour l'écou- ter , fans être rentré en foi- même ni s'^être éprouvé foi-même : comme fi la chaire Dieu nous fait annoncer fes

Sur la Parole de Dieu. 331

ordres , ne nous devoit pas être , fé- lon la belle remarque de Saint Atha- nafe , auffi vénérable que l'autel il nous difpenfe (qs grâces ; & comme fi la parole que nous lui adreflbns dans i'oraifon , étoit plus refpe^lable pour nous que celle qu'il nous adrelTe lui- même en nous inftruifant , ou qu'on nous adreOe en fon nom. De même nulle réflexion de l'efprit , nulle atten- tion à des vérités qu'on ne peut trop méditer ni trop pénétrer. Le prédica- teur après s'être co^^fumé de veilles & d'études , pour fe les rendre plus pré- fentes & fe les bien imiprimer , épuife encore fes forces à les développer telles qu'il les a conçues , & à les propofer dans tout leur jour : mais l'auditeur, ca plongé dans une lente parcLle qui l'affou- pit , ou diiTipé par de volages idées qui tour à tour fe fuccedent &. qui l'égarent , n'entend rien , pour ainfi parler , de tout ce qu'il entend , n'en prend rien ou n'en conferve rien.

Or fi l'on regardoit la parole de Dieu, comme parole de Dieu > on y apporteroit tout un autre efprit & tout un autre cœur : je veux dire qu'on y apporteroit un faint recueillement de l'ame , un humble fentiment de fa propre bafTefle & de la grandeur fouveraine du maître dont on va recevoir les falutaires leçons , une intention aftuelle d'en profiter oL de les pratiquer , qu'on y apporteroit la

j3î Sur la i^arole de DiEtrV

docilité des enfans , pour apprendre Tes devoirs ik pour les connoitre ; une iou- miiïion , une fidélité prête à tout en- treprendre i un plein abandon de foi-* même à tous les mouvemens qu'il pl?.i* roit à Dieu d'inipirer , & à toutes les grâces dont il voudroit nous éclairer Si nous toucher. Cette feuîe penfce , Dieu tnVippeile , & par la bouche de Ion mi- îiiftre c'eft lui-rr.ême qui me va donner fes divins eni'eignements, lui-même qui me va révéler les myfteres , qui me va découvrir fes voies , qui nie va déclarer fes volontés , qui va m'expliquer fon Evangile & Tes facrés oracles ; ce feul fouvenir ^ mes Frères , exciteroit tout Votre zèle & réveillerolt toute votra ardeur. On vous verroit au pied de cetta chaire , au{!î refpe^tueux &l auffi appli- qués que il £)ieu avec tout l'éclat de fa majefté paroiffoit à vos yeux, & qu'il fe montrât à vous dans fon temple comme à Moïle ûir la montagne. Bien loin d'ê- tre obligés de précipiter , pour ainiï dire, nos d;-fcours & de les reilerrer, nous pourrions fans lalTer votre p-ctience , leur donner la plus longue étendue ; & fi vous aviez à vous pbindre , ce ne feroit que de notre brièveté. Avides du pré- cieux aliment que votre Dieu vous a deftiné,& de cette pâture fpirituelle dont nous fommes les œconomes , nous au- rions peine à vous ralTafier; pas une parole ne vous échapperoit , U pas une qui

Sur la. Parole de Dier. 333

jàemeurât fans fruit. Vous trouveriez en tious des guides, des maîtres , des pères ; des guides pour vous conduire à Uieu , des maîtres pour vous élever dafis U connoift'ance de Dieu , des pères pour vous former félon Dieu ; au lieu que nous ne fommes plus pour vous, cgmmç s'exprimoit le grand Apôtre , cjue des cymbales retentiffantes. Pourquoi cela ^ Ah ! mes cheis Auditeurs, je ne puis trop vous le redire , parce que vous ne recon- noiilez point Dieu dans nos perfonnes , quoique nous tenions la place de Dieu ; parce que vous ne nous comptez que pour tles hommes femblables à vous , quoi- que nous ayons, quelque foibles & quel- que imparfaits que nous foyons d'aiU leurs, cet avantage au defTus de vous , d'être les ambafladeurs de Dieu ; parce que jugeant ainfi de nous par des vues toutes humaine^ , fans en juger par les vues de la foi, vous ne mettez prefque rmlie différence entre nos plus folides entretiens & ces vuides converfations ou ii coutume dans le monde vous engage^ 6c qui ne vous font de nul profit ni de rml mérite devant Dieu.

Miis le défordre va encore plus loin,' & fi les uns font coupables parce qu'ils viennent entendre ind-ifféremiment la parole de Dieu 6c fans nulle intention directe 6i exprelïe , les autres le font en- rore plus , parce qu'ils la viennent en- ^endrç niali^nçcnent U pour ea faiiç

334 Sur la Parole de Dieu.

fujet de leur cenfure. Car combien j

a-t-il de ces Auditeurs qui , par une vaine préfomption , s'érigent en juges de l'é- loquence chrétienne, ne fe rendent at- tentifs à tout ce que nous leur difons , que pour critiquer la manière dont nous le concevons j dont nous l'arrangeons, dont nous le propofons , dont nous l'ex- primons , dont nous le débitons ? Et de comment fortent-ils des prédications ils ont afliflé , & comment en parlent- ils? comme des philofophes &des païens. S'ils ont des éloges à donner au prédica- teur évangélique , c'eft fur la fublimité de les penfées , c'eft fur la nouveauté de fes tours , c'eft fur la politefTe & la fleur ce Ton kngage , c'eft fur la grâce ou le feu de fon adtion. Mais parce qu'on efl toujours beaucoup plus enclin à repren- <lre, & qu'on n'approuve qu'avec peine, c'eft fur tous ces points & fur bien d'au- tres de même nature , qu'on ne pardon- ne rien , & qu'on porte les jugements les plus féveres. Combien de ces audi- teurs frivoles & mondains , toujours pf êts à fe divertir & à railler ? Qu'ils entendent de notre bouche une de ces paroles que le libertinage a profanées & corrompues par de faufles interpré- tations , voilà à quoi la légèreté de leur efprit s'attachera , voilà ce qui les dé- tournera des plus férieufes matières , voilà ce qu'ils remporteront avec eux, §L ce qui leur fervira de fonds pour les

Sur la Parole de Dieu. 335

plus fubtiles ou les plus grofiîeres phi- îanteries. Etrange renverfement î Chré- tiens , & en fommes - nous réduits par la perverfité du fiecle ? Ne nous fera- t-il donc plus permis d'uler des plus innocentes 6c mêuie des plus lainres exprefîions ? Sera-ce un crime pour nous de nous énoncer comme les Pères de l'Eglife , comme les Apôtres , & en par- ticulier comme Saint Paul? Le monde eft-il donc devenu par Tes vains Si ridi- cules raffinements , plus délicat, plus hcnnéte, plus pur que ne l'a été iufqu'à préfent la^ fage fimplicité des fidelles ? Difons mieux, faudra-t-il que nous faf- fions céder la liberté de la chaire au goût dépravé du monde &. à fon fens réprou- vé ? Non, mes Frères , non ; nous par- lerons commie i'efprit de Dieu nous i'inf- pirera ; & fi le monde en tire un fcandale dont nous ne fommes point les auteurs , fans abandonner des termies confacrés , nous nous contenterons pour notre con- folation , d'oppofer au mépris du monde ce que notre divin Maitre nous a dit ; Celui qui vous méprife, me méprife ; Qui vos fpernit , me fpernit. Car c'eft en r effet s'attaquer à Dieu mêm.e & l'outra- ^^ ^*^^ ger que de s'attaquer à fa parole & d'en Faire un fi criminel abus.

Tous néanmoins ne le font p?.s ; à Dieu ne pl^ife : mais un dernier défor- dre plus commun , c'efl d'entendre la parole de, Dieu par une pure curiofité.

33^ Sur la Parole de Dieu.

Qu'un miniftre de l'Evangile ait queU 4iue avantage qui le diftingue & qui lui ^it acquii» un certain nom , on le veut connoiîre par foi-même , &. peu en peina d'en profiter, on veut en pouvoir par- ier. Maigre la droiture de fes inten- tions , dont Dieu témoin, il fert de /peclacle à toute une multitude compo- ié'2 , de qui ? eft-ce de Chrétiens qui 'viennent s'édifier ? je ne prétends pa* C[u'il n'y en ait point de ce caractère , &C je ne terai pas , contre les règles de la .charité 6l de la juilice , à un fi nombreux auditoire , cette injure : mais. du rede je ne craindrai point de Te dire , ÔC fans me borner à la curiofité trop natu^ lelle des uns , je marquerai en même temps les motifs encore plus criminels que bien d'autres y joignent. Car je ne fe puis ignorer, mes Frères, & figno- rez-vous vous-mêmes ? quoi ? que pour Quelques arnes pieufes qui cherchent à s'inftiuire dans une prédication, cent aucres s'y trouvent , parce qu'ils y doi- vent rencontrer tels ou telles, & que c'eft la, à certain jours & à certain temps , comme le rendez- vous public : qu'ils s'y trouvent , p.rce qu'ils peuvent y paroître &i y briller , y vo.ir 6c s'y taire voir : comme fi c'étoit une de ces affem- blées la vanité du monde étale £vec plus d'éclat ôc avec plus d'art toutes fçs pOK.pes & tout fon luxe : qu'ils s'y -Couvent comnae àiirie ax^ion de théâtre i

Sur la Parole de Dieîj. 537

fe ne m'explique pas davantage , & je craindrois en vous révélant tous ces myf- teres d'iniquité , d'entrer dans un détail plus propre à vous fcandaliler qu'à vous corriger. Or n'eft-il pas évident que le principe de tant de fcandales , c'eft que dans la parole de Dieu & dans l'atten- tion qu'on y donne , on ne fe propofe rien moins que cette divine parole r

Mais, me direz-vous, il ne nous eft pas détendu de nous attacher à un pré- dicateur plutôt qu'à l'autre , & de dif- tinguer entre les minières de la parole de Dieu ceux qui ont le don de I3 mieux annoncer. Non, mes Frères , cela ne vous eft point sbfolument défendu, pojirvu que vous preniez dans le <ens qu'il doit être pris , ce que vous appel- iez mieux annoncer la parole de Dieu^ Car qu'eft-ce que ce mieux , & que doi;. I il être par^rapport à vous f Si ce mieux I ne va qu'à vous flatter agréablement . l'oreille fans vous toucher le cœur ; s'il I ne va qu'à vous récréer vainement l'ef- ; prit de peintures vives , de tours nou- I veaux & ingénieux , d'expreiliôns po- lies^ & arrangées avec étude ; s'il ne va qu^ vous repaître inutilement 6>: peut- ctr^ trop humainement les yeux, parie ne fçais quelle grâce & q-ut:;lle repréfeii- tation qui leur plaile ; fi , dis-je , c'eft- qu'il fe réduit , quoi qu'il en puiile être de^ce mieux confidéré en lui-même, je Do min. Tom. /, P

33^ Sur la Parole de Dieu.

prétends qu'à votre égard ce n'eft nul-* lerrent ce qui vous convient , parce que ce n'eft point ce qui vous conduit à l'uni- que fin que vous devez avoir en vue , qui eft votre converfion bc votre fanfti- fication. Mais quand ce mieux confiftera à vous convaincre folidement des vérités éternelles , & à vous les repréfenter dans toute leur force , à vous faire connoître vos devoirs vous y afFeéiionner , à vous faire fentir l'importance , la nécef- fité du falut , & à vous mètre dans une difpofition efficace & prochaine d'y tra- vailler : quand ce mieux confiftera à vous infpirer la crainte de Dieu, Ihorreur du péché, l'amour de la vertu ; à vous en tracer de grandes images , & à vous en imprimer tortem.ent dans l'ame les fenti- ments : quand ce mieux confiftera à vous retirer de vos défordres , vous dé- tacher du monde Si de vos habitudes vicieufes, à vous exciter aux larmes la pénitence ; de forte que ce foient , fé- lon le beau mot de Saint Jérôme , vos gé- nfiiffements & non vos applaudift"emients , qui faftient l'éloge du prédicateur , &c que vous vous en retourniez vous frappant la poitrine & formant de faintes réfolu- tions pour l'avenir , Percutientes peàlora ^"^' fua. revertebantur ; alors je reconncltrai "' ^^' que c'eft-là le mieux que vous devez préférer à tout le refte ; bien-loin de condamner votre choix, je l'approuverai^

Sur la Parole de Dieu. 339

je le louerai , je vous y confirmerai , par- ce que tout cela ne peut venir que de la parole de Dieu difpenfée ÔC reçue comme parole de Dieu. Mais cette pure parole de Dieu vous paroît trop auftere ôc vous en craignez les conféquences : il vous faut donc quelque choie d'hu- main qui l'adouciffe & qui l'accommo- de à votre goût. Or voilà pourquoi elle vous devient inutile : car c'eft à cet hu- main que vous vous en tenez ; & com-^ me rien d'humain ne peut opérer les œu- vres de la grâce qui font d'un ordre infi- niment fupérieur, c'eft pour cela que tout ce que vous entendez de la bouche des prédicateurs , vous profite fi peu , ou ne vous profite point du tout. Cependant vous vous flattez vous-mêmes , 6l parce que vous ne manquez pas peut-être une prédication , vous vous faites de cette afliduité un prétendu mérite. Mais vous vous trompez, mon cher Auditeur, ÔC votre erreur efi: d'autant plus pernicieufe que la parole de Dieu ne fervant pas par votre faute à votre falut , elle doit fer- vir par un jufte jugement à votre con- damnation : vous l'ailez voir dans la féconde Partie.

A^Uand l'Ecriture fait mention de la !!• V^ parole de Dieu & de Tes merveilleux Part, effets , elle nous la repréfente comme une parole toute fainte & toute fandlifiante , f^mjxiQ une parole de vie & d'une vie

Pi;

340 Sur la Parole de Dieu. éternelle : Seigneur , s'écrioit le Prophète royal , ranimez-moi Sc reffufcitez-moi par

jp/. M 5. votre parole: Vivificamt fccnndum ver-* biim tuum. Car c'eft , ô mon Dieu, re- prenoît le faint Roi , c'eft dans la vertu de cette adorable piroîe que j'ai mis îbïd. toute ma confrance : Q^uia. in verba tua. fuperfperavi. irons-nous , Seigneur, ' diloit Saint Pierre au Fils de Dieu , & à quel autre nous adrelFerons-nous qu'à vous-même , puifque vous avez les paro-

Joan. C. les de la vie éternelle : Domine , ad quetn ibimus ? verba vitcz cztcrnœ. habes. Et le Sauveur lui-même n'a t-il pas dit que tou- Jbid. tes fes paroles éîoiemefprit & vie ? rerba quœ locutus fum vobis , fpirhus & vita Junt, 11 eft donc certain que le vrai ca- ratSlere de la parole de Dieu eil de nous conduire dans les voies de la juftice &C de la fainteté^ de nous portera Dieu 6c de nous faire heureufement parvenir au terme nous fommes appelles de Dieu. Mais fi cela eft , comment fe vérifie d'ailleurs l'autre propofition que j'ai avan- cée , que la parole de Dieu doit fervir à notre condam.nation , dès qu'elle ne fert pas à notre judification ? la réponfe eft facile & prompte ; & c'eft de Tes avan- tages m3m.e attachés à la parole de Dieu prife en foi , que je tire l'inconteftible preuve de la trifte vérité que j'ai mainte- nant à vous expliquer. Car fe rendre inu-* tile une parole fi efficace en elle-même, c'eft un péché ; &. de plus , par ce péché-

' Sur la Parole de Dieu. 342 particulier , c'eil s oter toute excufe dans . tous les autres péchés. Vous compren- drez mieux ces deux penfées par l'éciair- cilTen-sent que je leur vais donner.

En effet, tout le moyen de falut que Dieu nous fournit, en juftiiiant à notre égard fa providence , nous impofe en iTiéme temps l'obligation de mettre en teuvre ce fecours & d'en profiter ; autant '^ que nous fommes obligés de travailler au falut de notre ame, autant le fom- ir.es-nous d'ufer pour cela des moyens que nous avons en nrain , puifqu'il y a une dépendance & une connexion nécef- iaire entre l'un & l'autre. De vient ce reproche fi jufte & û bien fondé , que Dieu fera aux pécheurs , comme il efl ecnt dans la Sageile , Vocavi' & renui/Iis ; p^^^ ) ai fait toutes les avances convenables c. /. * pour vous attirer à moi, & vous avez " Tieghgé d'y répondre : voilà pourquoi je nie tournerai contre vous , & je vous frapperai des plus rudes coups de ma, juliice. De vient cette terrible menace de Jefus-Chrift , lorfque voyant Jéru- lalem& parlant à cette ville i'nfidelle , il lui difoit : Quoties volui , O noluifli? Matth, Combien de fois ai-je voulu diifiper les '- ^i« teneDres de ton incrédulité & vaincre ton obitmation ? Ôi combien de f '-s par ton opiniâtre réfiftance as-tu fait évanouir nies plus favorables deffeins & arrêté tous mes efforts ? C'eff pourquoi tu feras livrée a lennçmi,,& ruinée de fond en

Piij

34Î Sur LA Parole DE Dieu.

comble. De vient ce funefte arrêt prononcé dans l'Evangile contre le fervi- teur psrefleux : Méchant lerviteur, je" ■vous avois confié ce talent , & je m'atten- dois que vous le feriez valoir ;mais vous n'en avez rien retiré. Allez dans une ofcfcure prifon & dans des ombres éter- nelles recevoir le châtiment de votre in- frudiueufe 6c ftérile oifiveté. De tout ceci & de mille autres témoignages , nous devons conclure avec Saint Auguftin , que les grâces de Dieu ne font donc pas feulement pour nous des dons de Dieu ni des bienfaits de fa miféricorde, mais de grandes charges devant Dieu, Augujl, Pondus oneris , Sl la matière aufTi-bien que la m^efure de fes vengeances, quand par une réfifiance exprelle ^ ou du m.oins par une négligence volontaire de notre part , elles n'opèrent rien en nous ôc qu'elles y demeurent fans fruit.

Sur-tout, fi ce ne font de ces grâces plus ordinaires, de ces prem.ieres grâces, <5c pour m'exprimer de la forte , de ces grâces fondam.entales que Dieu emploie dans l'ouvrage du falut de l'homme ; Ci ce font de ces moyens que la fageffe a fpécialement choilis pour y réuilir,ÔC qu'elle y a plus direftement & plus for- mellem.ent deftinés. Car laiHer de tels moyens fans en faire nul ufage , c'eft renverfer toutes le vues de Dieu, c'eft déconcerter tout l'ordre de fa prédeftina- tion éternelle , c'eft ou renoncer à la fia

Sur LA Parole DE Dieu. 343 qu'il nous a marquée , ou. prétendre changer les voies par il avoit réiola de nous y conduire. Or voilà , Chré- tiens , le péché que vous commettez quand vous vous rendez inutile la parole de Dieu. C'eft un moyen de falut , puif- que c'eft par la prédication de TEvangile, ainfi que nous Tenfeigne l'Apôtre , qu'il a plu à Dieu de fauver le monde ; Placuit ^ ^^^^ Dco per Jlulnnam praidicationis filvos fa- c, /," ccre credenies. A la tête de tous li»s autres moyens que fa divine Providence lui fuggéroit , il a mis celui-là , parce que c'étoit en effet le plus propre & le plus néceffaire. Car comment les hommes croiront-ils en Jefus-Chrift , ajoutoit le même Dofteur des nations, & comment par la foi en Jelus-Chrifl: & par l'obfer- vation de fa loi , feront-ils fauves, s'ils n'en entendent point parler ? & com- ment pourront-ils en entendre parler s'il n'y a des prédicateurs fufcités & en- voyés pour les infrruire ? C'efi à quoi Dieu a voulu pourvoir par le miniftere de fa parole. 11 a pris foin qu'elle (ut publiée dans le monde ; mais pourquoi ? pour réformer le monde. Elle vous eil annoncée , Chrétiens Auditeurs , & c'eft au nom de Dieu qu'a6luellement je vous l'annonce moi-même : mais à quelle fin ? quelle que puilfe être mon intention , dont Dieu ei\ le juge, èc dont j'ai à lui rendre compte, voici toujours quel eft Is deflein du maître qui me députe vers

Piv

544 Sur la Parole de DrEtr.

vous & de qui je ne fuis que le fo4b'!e ergane : c'eft afin que recevant la pa- role dans votre cœur, comme dans une bonne terre, elle s'y enracine , elle y fructifie & y rapporte au centuple ; c'ell afin qu'elle vous guérifle de vos erreurs , qu'elle vous relevé de vos chûtes, qu'elle vous fordfie dans vos foiiîlelTes , qu'elle- vous foutienne dans vos tentations, qu'elle vous dirige dans toutes vos voies, 6i qu'elle vous mené juiqu'au Royaume célel^e , qui eft le terme vous"'devez afpner. Car voilà comtr.ent Dieu dans fon conleil louverain l'a arrêté : Placu-ii Deo.

Si donc parce que vous manquez, cm «î'aiTiduité pour entendre cette fainte pa- role , ou de préparation pour la bien entendre, vous vivez toujours dans les mêines illufions , toujours dans les mêmes «dérèglements , toujours dans les mêmes diftra^tions & les m.êm.es mondanités ; fi la parole de Dieu ne fer-t, ni à vous retirer de vos engagements criminels, ni à vous réveiller de votre afioupiiTement 6: de vos langueurs , ni à vous donner une connoilTance plus exacte de vos obli- gations, ni à vous inlpirer plus de zèle 6c plus de ferveur dans les pratiques du Chridianifme, cette inutilité ne procé- dant de nul autre que de vous , vous en croyez- vous quittes pour la perte que vous avez faite , 6l vous tenez- vous exeiopt de péché & d'un péché crès-grief,.

Sur la Parole de Dieu. 345

quand vous diPnpez un fi riche tréfor , &C que vous troublez toute Tceconomie de votre (Aut }

Quel fut le péché des Juifs } je vous l'ai dit , de ne s'être pas fournis à la pa- role du Fils de Dieu , que fon Père avoit établi leur légilLteiir & leur douleur. Or fans être corome lui venu du ciel, nous foma-ies les difpenfateurs de la mê- me parole ; & par conféquent lorfqae nous voyons qu'elle vous profite ii peu, nous avons droit de vous adrelTer la iTiême menace que Jefus-Chrift faifoit à ce peuple incrédule , lorfqu'il lui difoit : La lumière a paru dans le monde , elle' s'eft prcfentée à vcms ^ & vous ne l'avez' pas apperçue , parce que vous avez ter- rr.é les yeux pour ne la p:is appercevoir^ Mais prenez-y garde , ik ne vous y trom- pez pas : quiconque refufe de fuivre cette lumière , quiconque e\\ fourd à ma pa- role , ou demeure infenfibleà fes traies en l'écoutant , celui-là dès -lors, quel qu'il foit , a un juge , mais un juge févere pour le juger ; & quel eft-il ce juge qui doit le juger avec tant de rigueur, 6i le condamner fans rémiiîicn ? c'eft ma pa- role même , envers qui il devient préva- ricateur &c pécheur Qui nonaccipitverba j^^^ mea , habet qm judicet eum : Sermo qaem f, ^^^ lacutus Jum , ilU judluibit. Car , com- me ajoutoit ce divin Sauveur , &C com- me nous pouvons l'ajouter après lui ,

U.

34<> Sur la Parole de Dieit,

même fon6^ion que lui : ma do6lrîne n'eft pas proprement ma doftrine , & les vérités que je vous prêche, font toutes émanées du Père célefte qui m'en a fait Ibid. part pour vous les communiquer : Qu^ ego loquor ,ficut dixitmihi Puter ^fic loquor» Je m'acquitte là-deffus de ma miffion ^ & j'exécute l'ordre qui m'a été donné : je n'y épargne rien , & je ne refufeà perlonne mes foins &: mes enfeignements. Du reile c'eft à vous de les recueillir, à vous de vous les appliquer , à vous de les conferver dans votre cœur & de les faire enfuite pafTer dans vos mains par una pratique fidelle & confiante. En confé- quence de cet important miniftere qui m'a été confié & que j'ai accepté pour vous , je vous fuis redevable de mon tra- vail , c'eft-à-dire de mies veilles , de miCs fatigues , de mes avertiffements , de mes inftru^iions , de tout ce qu'il m'en coûte pour accomplir l'œuvre dont je me trou- ve chargé en votre faveur. Mais aufli ea conféquence de tout cela , vous m'êtes redevables de tout le bien qui en doit réufTir , à la gloire du Seigneur & à votre propre avantage ; ou plutôt vous en êtes redevable à celui qui m'a envoyé, & qui vous le dem<^ndera félon toute la fevérité de fa juftice: Q^ui non accipu vcrba mea , h.^tet qui judictt eum.

Cependant , Chrétiens , de tous les péchés dont nous avons à nous préferver, en eil-il un que l'on craigne moins & fur

Sur la Parole de Dieu. 347 lequel on entre moins en fcrupule ? On ne le fait fur ce point nul reproche de- vant DieUj on ne s'en accufe pas une fois au tribunal de la pénitence ; des gens font profeiTion de n'entendre jamais les prédicateurs de l'Evangile, & ils s'en déclarent ouvertement ; d'autres les en- tendent affez régulièrement , à ce qu'il paroit , mais comme s'ils ne les enten- doient pas , & fans autre effet que de les avoir entendus. Demandez- leur s'ils fe croient refponfables à Dieu de fa parole ainfi abandonnée ou dillîpée après l'avoir reçue : demandez , dis-je , à cette femme mondaine fi elle compte comme un pé- ché de vouloir jamais m.énager quelques moments pour écouter la parole de Dieu. & pour y affifter avec le commun des fidèles , tandis qu'elle perd les heures qui y font deflinées , & qu'elle les emploie , à quoi ? le matin dans un repos lent & plein de molleffe , & le foir dans un loin frivole de fes ajuftements & de fes parures : demandez à cet homme du fiecle s'il traite de péché le peu de ré- flexion qu'il fait à la parole de Dieu, lors même qu'il l'entend ou qu'il eft préfent pour l'entendre , & le peu de Iruit qu'il en remporte , lui qui fe rend fi attencif à des affaires humaines , & qui fçait fi bien raifonner fur tout ce qui con- cerne fes intérêts temporels & l'avance- ment de fa fortune : demandez-leur en- core ua§ fois fi là-deffus ils s'effiment

P Vj

34^ Sur la Parole de Dieu' coupables , & s'ils jugent que la coil- icience y pun.e ctre quelqueiols enga- ge , ils feront furpris d'une telle propo* luion, ils trouveront étrange que vous entrepremez de leurimpofer une obliga- tion qui.'s n'ont jamais connue & dont lis ne fçauroient convenir. , Q^e feroir-ce ù je leur faifois cette étonnante comparaifon de Saint AuPuf- tin, lequel n'a pas cru éxaeérer fde n^ttr^en parallèle un Chréiiln qui ré- liire a la parole de Jefus-CKiift , & qui de ia forte anéantit toute la vertu de cet^e r.iviae paroU par rapport à lui , avec les JM-ns qui verferent le fang de ce Sauver:^ ^- attachèrent a une croix Ton facré corpc il eft vrai , dit c;e faint Doreur , vor& ïie portez pas conin^e. eux fur fa cha-r innocente des mains facrile^es , p^rc- ciue vous ne le. voyez pas fenfiblenienr comme eux : mais quand ie fuis térno-i de i outrage que vous, faites à fa parole, toute adorable qu'elle eft , en la orofa! f^ant , en la déshonorant par une via ♦oute contraire aux grands nwfteres qu ebe vous révèle & aux excellentes le- vons qu'elle vous trace , que puis-je con- clure autre chofe, finon que vous fenea di.pofe vous-rT.ênic à le crucifier , s'il fe «icntroit encore à. vous con:nie il fe fit •voira cette nat-on, ingrate & déicide i^ ^:^:-xi, quu vidcrum Uliiijlum., crudfixe^ mr>: : numquia er^o qui vcrbo rtf^fïïs , car-. 3C7? crucifi^cns Jl yiJ.m ? Ajnfi parl(^i^

Sur la Parole de Dieu. 349 Saint Auguflin. Mais je ne vais pas Ct Icin , Chrétiens Auditeurs : je veux leii- lement vous faire coir.prendre qu'il n'eil pas û indiilerent que vous le' penfiez. peut-être » de profiter ou de ne protîter pas de h parcle de Dieu : que ce n'èft pas. un de ces articles fur quoi vous pôu> vez pafïer ruperficieliement dans la re- cherche de vous- mêmes, ni un point que vous deviez mettre au nombre des fautes légères & f.îns ccnhiquence : qu'il y a de

quoi vous infpirer une june crainte /parce, qu'il y a de quoi vous rendre aux yeux: de D;eu très-criminels : que comme le- FjIs de Dieu dans ion Evangile a béatifie ceux qui entendent la divine parole &c qui la rr.ettent en pratique , il iemble par une règle toute contraire avoir réprouvé ceux qui ne l'entendent point, ou qui n'Qn tirent nulle utilité pour la réforma» t]on Se la conduite de leur vie. Mais on ne pèche, me direz- vous, que parfinfrac-. tion de la loi ; & quelle loi nous ordonne, d entendre les prédicateurs & de faire de leurs prédications Tufage que loa BOUS demande ? Ah , mes Frères , qu'il n y niî point fur cela dxins i'Egilfe de loi- particulière , i^en conviendrai , û vous. k voulez ; mais n'y a- t- il pas une loi. générale qui vous ordonne de prendre les moyens dont Dieu a fait choix Se ciont il s'eft fervi dans tous les temps pour l'ouvrage de votre falut ? Comment pouvez -vous vous perfaùder qu^il «ii:

3p Sur la Parole de Dirxr;

établi le miniftere évangélique , qu'il y ait attaché des grâces fpéciales , qu'il y ait conlacré des hommes uniquement occupés de ce pénible emploi , qu'il leur en ait fait un devoir, une vocation, un état fi laborieux , fans vous faire pareil- lement & conféquemment à vous-mê- mes un devoir non -feulement de les révérer comme vos maîtres , mais de les fuivre comme vos condudeurs , & de marcher dans les routes qu'ils vous montrent ?

Ce n'eft pas tout. Mais fi c'eft un cri- me devant Dieu de ne profiter pas de fa parole , je prétends encore que ce feul péché vous rend inexcufables dans tous les autres péchés que vous commettrez. Car à quoi fe réduifent toutes vos excu- fes ? ou à l'ignorance , ou à la foiblefie : à l'ignorance , quand vous dites en tant d'occafions & fur tant de matières impor- tantes , je ne le fçavois pas , je n'y pen- fois pas , je ne me le figurois pas : à la îoibleffe , quand vous ajoutez en tant d'autres rencontres & fur tant d'autre* fujets , je ne le pouvois , c'étoit trop pour moi, le fardeau étoit trop pefant & l'entreprife trop difficile. Voilà vos difcours ordinaires & les prétextes dont vous voulez couvrir les défordres de votre conduite. Mais voici ce que Dieu aura de fa part à y répondre , 6i. com- ment il fe fervira , pour vous condam- ner 5 du don même qu'il vous aura fait

Sur la Parole df Dieu. 351

de fa parole pour vous fanc^ifîer. Car il eft vrai, vous ne fçaviez pas ceci , vous ne penfiez pas à cela , vous ne vous étiez jamais mis dans l'efprit ni Tun ni l'au- tre, & vous ne l'aviez jamais compris. Mais parmi le peuple fidèle vous avez vécu , il y avoit des miniftres dont la principale fon6lion étoit de vous ou- vrir les yeux , de vous révéler ce que vous ignoriez, de vous en retracer le fouvenir,de vous en expliquer lesTai- fbns , de vous en faire voir les confé- quences: ils étoient infpirés pour vous, ils étoient éclairés des lumières d'en haut, afin de vous les communiquer : il ne tenoit donc qu'à vous d'être inftruit. Or avoir pu l'être, & ne l'avoir point été, parce que vous avez négligé de l'être, c'eft ce qui doit porter contre vous un témoignage irréprochable , ôc vous atti- rer ce jufte reproche qui fera la convic- tion lenfible de votre malice : Noluït in- pr^i^ telligcre , ut benè ageret. Il eft vrai , la loi jj, étoit difficile ; & pour la garder , vous aviez bien des obftacles à vaincre ; il vous falloir un courage & une réfolution qui vous manquoient. Mais vous deviez donc pour cela mê:r.e avoir recours à la parole de votre Dieu. Elle eût excité votre cœur froid & languiiTant , elle l'eût enflammé & embrafé. Votre foi étoit afToupie, & elle l'eût réveillée ; votre efpérance étoit chancelante , & elle l'eût fortifiée ; vo- tre charité étoit éteinte , ôc elle l'eût

^5$i Sur la Parole de Dieu.

ralîumée. Alors rien ne vous eût étonné ni arrêté ; & ce que vous aviez cru ne pas pouvoir , fans changer de nature, vous eût paru non- icuîement poffibleôc pratiquable , œais doux & facile : car telle eft la force & Tondion de la grâce que porte avec foi cette Linte parole. Or pourquoi ne vous aidiez-vous pas de ce fecours , & êtes-vous recevables à dire, j'étois foible, lorfque vous avez eu de quoi vous foutenir,& qu'il n'a dépendu que de vous d'en éprouver toute la vertu ?

D'autant moins excnfables , Chré- tiens , que la parole de Dieu qCi pour vous un moyen plus puiilant , un moyen, plus piéfent, un moyen plus gratuit ÔC d'une préférence plus m.arquée : trois circonilances qui doivent former contre vous autant de preuves toutes nouvel- les. Car de tous les moyens de falur & ce fanéfîfication , le plus piiifTant, ou du moins un des plus pu'uTants , c'eû fans contredit la parole de Dieu : elle a con- verti le monde entier, c'ei^-a-diro , qu'elle a converti les. royaumes. 6c les empires,, qu'elle a retiré les peuples les plus ido- lâtres des épaides ténèbres de leur infi- délité , qu'elle les a fait fortir de l'aby- me le ..'ius profond des vices , qu'elle les a engagés à la pratique ces plus hé- roïques vertus , qu'elle a produit dans i(^ Chriftiinifnie ces ordres fi célèbres. d.e péaitenits , de fulitaires , de reli^eux^

Sur la Parole de Dieu. 555

£t c^e feroit-ce fi je vous raccmîois tant d'autres etFets miraculeux & plus par-icuTiers dont elle a été le principe ? Vous en feriez étonnés : à la vue de tant de merveilles , vous vous écrieriez comme le l'ige : Omnipolens ferma tuus ; Sap. <;^ Seigneur , qu'y a-t-il de fi diîîiciie dans iS, Tordre de û grâce, auiîî b-ien que dans Tordre de la nature , qui ne cède à la toute-puilTance de votre parole & qu'elle ne furmonte ? Vous le diriez, mon chei: Auditeur; &moi fans en dcirieurer là, je vous dirois ce que peut-être vous crain^ «Iriez d'ajouter à votre confuiion , & pour votre initruction ; m.ais ce qiii n'eft que' trop réel «Se que trop vrai . bL ce que je ne pourrois diiiimuîer fans une lâche . prévarication. Car il eft bien étrange, reprendrois-je dans une furprife encore plus julte que la vôtre , qu'une parole qui a pu opérer de fi prodigieux charrgemenfs dans des âmes plus éloignées de Dieu que vous ne l'êtes , qui a pu toucher tanrt de pécheurs & en faire autant de faints^ ne vous ait pas fait renoncer jufques à préfent à un feul péché , ni pratiquer une feuîe vertu. quoi l je vois dans toutes les parties de l'univers Tes fuperftitions abolies , les abus réi-brmés , i'Evangile établi, & fa plus haute perfection foute- nue par une éminente fainteté ; voilà ô'ux-.e part ce que j'ai devant les yeux , <X en quoi je ne puis aiTez r.dmiirer le triom- phe de la divine parole , ^ui feule par ie

354 Sur la Parole de Dieu.

miniftere des hommes apofloliques a remporté de fi éclatantes vi6toires 6c fait de 11 belles & de (i heureuies con- quêtes. Mais voici d^'ailleurs ce que je puis encore moins comprendre, c'eftque cette parole n'ait, ce femble^ nul pouvoir fur vous 5 que vous foyez infenfibles à tou- tes Tes imprefîions ; qu'elle n'ait jufques à prêtent ni guéri les erreurs de votre ef- prit, ni amolli la dureté de votre cœur ; que malgré toutes les vérités qu'elle vous annonce, & qui ont ûiiti pour réduire fous le joug de la loi de Dieu tous les peuples de la terre , vous demeuriez tou- jours dans le même endurciffement 6l la même obftlnation , toujours efclaves des mêmes paillons & plongés dans liis jnêmes défordres. Ce neÛ pas à la pa- role de Dieu qu'il faut s'en prendre : car puifqu'elle eft toujours & par-tout la même , elle peut toujours & par -tout agir avec la même efficace. Ce n'eft pas aux m.iniflres qui la difpenfent : car pour ufer de cette comparaifon , de même que la valeur du facrifice de nos autels cft indépendante du mérite & de la l'ai n- teté du Prêtre qui conlacre le corps Sc le lang de Jefus-Chnft, ainfi la parole de Jefus-Chriil ne dépend ni des bonnes ni des mauvailes dirpofitions de Tes mi- niftres. Si ce ne font pas des Apôtres par leurs qualités perfonnelles & par le caradere de leur vie , ils le font par -la vocation de Dieu, ils le font par la

Sur la Parole de Dieu. 355

commiiTion qu'ils ont reçue de Dieu , & c'eft aflez. Que refte-t-il donc , Chré- tiens , finon de chercher dans vous- mêmes Je principe malheureux, qui par rapport à vous énerve toute la vertu de la parole du Seigneur ; Ôc de conclure qu'autant qu'elle étoit capable de vous relever de vos chûtes & de cet abyme de corruption vous vivez , autant étes-vous inexcufables de vous y être laiflés entraîner , & d'y vivre fans faire nul effort pour en fortir ?

Car vous a-t-elie manqué cette parole de grâce , & fi c'eft de tous les moyens de converfion & de fandification un des plus puilTants , n'eft-ce pas encore le plus préfënt ? Combien de prédicateurs pour la publier ? faut-il entreprendre de longs voyages pour les chercher ? faut-il pafler au delà des mers pour les trouver ? ils font au milieu de vous, 6c bien-loin qu'il foit néceffaire de leur faire de fortes inftances pour les enga- ger à vous parler, peut-être ne mon- trent-ils que trop d'empreffement & d'ardeur pour vous eng iger vous-mêmes à les écouter : Oui , mes Frères , vous le voyez ; les temples du Dieu vivant vous fonr ouverts , & fans cefTe ils retentiflent des divines leçons que , l'efprit de votre Pere céîelle nous met dans la bouche, &. dont il veut que vous faifiez la règle de votre vie. Ni riches , ni pauvres , ni grands , ni petits , ni jeunes , ni âgés ^

S')^ Sur la Parole de Dieu.

perfonne n'eft exclu de ces entretien3 publics & fdîutaires, nous vous ex- pliquons la loi que vous devez ob fer ver, nous vous découvrons le (hennin qui vous devez prendre & celui que vous devez éviter, nous vous propolons- tout ce que la do^rine évangéiique nous fournit de plus convaincant pour vous perfuad^er & de plus fort pour vous cra- gner. Nous nous proportionnons à toiis les étits , à tous les elprits , à toutes les dirpofiticns , afin que chacun trouve dans nos difcours ce qui lui conviem. Or plus le remède eu à votre ulage & près de vous , plus il vous eu aiie de l'employer à la guérifon des infirir.ités- Ipintuelles de vos âmes ; &: fi vous êtes toujours fujets aux mêmes roalaBies , vous n'en êtes que plus condamnables: plus la grâce eft abondante & fréquen- te, plus elle vous met en état de com- battre Imiquiîé &i de la détruire dans vous ; & i\ le vice conferve toujours dans vos coeurs le même empire , s'il y eil tou- jours dominant, ce n'eft que pour vous attirer un plus rigoureux jugement.

Je dis jugement plus rigoureux pour vous, mes chers Auditeurs, parce que le don que Dieu vous fait de fa parole eita votre égard un don plus gratuit ÔC d'une prétérence plus marquée. Ainfi le Sauveur eu monde le donnoit-îlà enten- dre aux Juifs, quand il leur d-foit avec -un ferment a foiemnel : .^m^n dko rouis.

Sur la Parole de Dieu. 3^7

".îklllus ait terrez. Sodomorum in die Matih^ /..ji/. Prenez-y garde, & concevez-le^. 'O. h'-^'^n ; car c'eft moi-même qui vous Tan- '-e , & c'eft avec une aiTurânce en- j qi-.e je vous Tannonce , & dans une connoilTance certaine de ce qui vous doit arriver: Amen , dico vobis. Au tribunal fouverain vous comparoîtrez un jour devant vorre Dieu & votre juge , vous f:"ez plus l'évérement traicés que ceux- rèmes de Sodome , ce peuple Ti cor- rcn^pu & fi abominable. Quoi donc , de- rjîndent les interprètes , ne pss profiter cj id parole de Dieu, eit-ce un plus grand cr-me que celui de cette ville proftituée 6v abandonnée à de fi honteux dérègle- rrents ? Les Pères s'expliquent diîrérem- rvv^ni- fiir cette queûion : mais quoi qu'ils e:-! d-.lcnt , l'oracle de Jefus-Cbrili eft tel que je le rapporte , & en voici , félon l'interprétation de Saint Grégoire Pape , le fens le plus naturel. C'efl que les ha- bitants de Sodome ayjnt péché contre Dieu avec moins de lumière , ils feront ii<:,és avec moins de rigueur : car c'é- tcien: des hommes dominés par leurs bn.îtales pafiions , & peu culiivés par la divine parole qu'ils avoient à peine quel- quefois entendue. 11 eft vrai que Loth leur avoit fait quelques menaces de la :c!ere du Ciel ; mais ils ne fçavoient pas qu'il leur parlât de la part de Dieu , 6c iième ne pouvoient-ils croire que ce :uilent de férieux avis qu'il hur donno^t i

358 Sur la Parole de Dieu.

Gen, Vifus efl eis quafi ludens loqui. Au lieu G. -«p. que vous , mes chers Auditeurs , dans le fein de TEglife , & par une diûindion refufée à tant de nations infidelles , vous avez eu mille prédicateurs pour vous former & pour vous infpirer tous les principes d'une éducation chrétienne. D'où il s'enfuit que vous êtes par- plus criminels dans vos défordres , & que vous devez pour cela vous attendre à de plus rudes coups de la main de Dieu & à de plus terribles châtiments de fa juftice. Prévenons -les , mes Frères , ôc ne changeons pas les bénédidions dont le Ciel nous comble avec tant de profufion & avec un difcernement fi favorable , en autant de malédiftions. Ne tenons pas nos oreilles fermées à la parole de notre Dieu : mais fur-tout ouvrons - lui nos cœurs ( car c'efl fur-tout au cœur que f Dieu parle) & préparons-les pour en , faire une bonne terre , o\x cette précieufe ; femence rapporte au centuple. Ce cen- ( tuple de faintes œuvres que nous prati-î querons en ce monde, & de mérites que-; nous amaflerons , nous produira dans l'autre un centuple de félicité &. de gloire. Voilà le fujet de mes vœux pour vous , & de mes vœux les plus ardents : voilà ce que je dois me propofer dans l'exer- cice de mon miniilere , &: à quoi vous devez contribuer : voilà ce que Saint Auguftin fouhaitoit lui - même à fes Audi.teurs , 6c ce qu'il atteodoit d'eux

Sur la Parole de Dieu. 359 comme le fruit de fon travail. Je finis par le lentiment de ce Père , & j'en fais une concluuon bien juile 6l bien natu- relle de tout ce difcours. Vous êtes Chré- tiens , difoit ce faint Dofteur à une foule de peuple qu'il voyou alTemblée autour de lui, 6c comme Chrétiens vous venez entendre la parole de Jefus - Chrift , votre légillateur 6c votre maître : c'eft en fon nom que je vous la prêche , & je fuis le difpenfateur de cette parole de vérité. Mais que faites -vous en l'écou- tant ? vous donnez au prédicateur de vains éloges , & ce n'eft point ce qu'il demande. Pratiquez ce qu'il enfeigne , 6c il confent que vous ne penfiez plus à la m iniere dont il le traite ai dont il l'en- . feigne : Laudas îra6lantem , quczro fj-cien- Augufii tem. Ainfi , mes Frères , il y a encore maintenant de ces prédicateurs de l'E- vangile dont l'éloquence vous plaît, & que vous favorifez d'une attention par- ticulière. Soit de leur part , & toujours avec la grâce d'en haut , mérite réel ; foit de votre part heureux préjugé & je ne fçais quelle opinion ; foit de la part de Dieu ailiftance fpéciale & fecrette difpo- fition : quoi que ce foit qui vous attire , vous paroiffez en foule à leurs prédica- tions , vous exaltez leurs talents , vous admirez la force de leurs raifonnements , vous vous laiffez éblouir à l'éclat brillant de leurs penfées , de leurs exprelTions , de leurs traits ; c'eft matière de vos

3^0 Sur la Parole de Dieu.

entretiens ; & à force de les vanter , vous les rendez célèbres &. leur faites un nom dans le monde. Mais fur cela que doivent- ils vous dire ? Laudas tr^iâtan^ tetn , qu(Ero fac'unitm. , Chrétiens Auditeurs , donnez faute la gloire à Dieu, car c'eil à lui feul que la gloire eft due, & tout notre miniftere ne tend qu'à le glorifier ; mais pour nous & pour notre confolation , l'unique chofe que nous y avons en vue, ou que nous y devons avoir, c'ell que l.i fainte morale & les règles de conduite que nous vous tra- çons, foient exaéfement & conftamment fui vies. Quand on nous dira que le mon- ^e parle de nous , pour peu que nous ayons de force dans l'efprit & defolidité dans Tame , nous regarderons cette in-^ voie réputation comme une récomp^nr^ tien lés[ere de nos veilles & de nos fueurs : nous la craindrons même , & autant qu'il nous eft poiBbîe , nous la fuirons , parce qu'elle pourroit , en nous flattant, nous expofer encore plus que Saint Paul, au funelle péril de nous damner nous- mêmes , tandis que nous travaillons au falut des autres. Mais qu*on nous dife que par iine bénédiction divine répandue fur notre zèle. Dieu dans une ville ell fervî , &: le prochain édifié : qu'on nous dife que ce libertin a ouvert les yeux , ôc renoncé à fon impiété ; que ce mon- dain a quitté les voies corrompues il m»choit , 6c dégdgé fon cœur de fes

çriminçls

Sur la Parole de Di^u. 36* criminels attachements ; que ce pécheur invétéré & û long -temps rebelle à U grâce, y efl enfin devenu fenfible , & qu'il s'elt retiré de Tes honteufes débauches ; que cette femme idolâtre d'elle-même, & toute occupée des vanités du fiecle , a pris la parti d'une retraite chrétienne ; que CCS perfonnes divifées entr'elles fe font revues & réconciliées de bonne toi : qu'on nous dife tout cela , & qu'on nous produire encore d'autres fembîables eftets de la parole qui nous a été con- fiée , c'eft de quoi nous nous réjouirons avec les Anges du Ciel , & par nous nous tiendrons abondarximent payés de nos peines : Laiidjs trad^mtem y quczro jdckntcm. Nous avons pour cela belbln , . ô îr:on Dieu , de i'afhftance de votre efprit , & c'eft pour cela même que nous l'implorons. Répandez-le, Seigneur, & fur les prédicateurs de l'Evangile, & fur les auditeurs. Donnez aux prédicateurs un zèle ardent, un zèle pur 6i défmté- relTé ; mais donnez en même temps aux auditeurs une docilité humble , fouple & agitante. Ainfi par le m.iniftere de votre parole nous nous lauverons , les prédi- Cf-teurs en l'annonçant , & les auditeurs en la recevant. Après nous avoir fanai- fiés fur ia terre, elle nous fera parvenir au terme de la bienheureuie éternité , Oous conduife, 6ic,

Domin, Tom, /,

362 Sur le Scan, de la Croix JE. 4. .v 4* .'• 4. ^ ►> + ♦•« 4. •!►

^ 4. *j. .j. .j» ^, .^* ^ .j» 4. .^, ,.♦

S .E i^ M O 7f

POUR LE DIMANCHE

DE LA

quinquagésime/

Sur le Scandale dz la Croix & des Humiliations de Jzfus - Chrijî,

AfTumpnt JeAis duodeclm , 5c ait illis ; Ecce afcendimus Jerofoîymam , & confummabun-» tur omnia quae fcripta funt per Prophetas de Filio hominis. Tradetur enim gentibus , Sc lîiudetur , & flagellabitur , & co.nfpuetur ; 6c poftquàrn flagcllaverint , occident eum. Et jpfi nlhil horum iritellexerunt , & erat verbum. iftud abfconditum ab eis.

Jefus prit avec lui Ces doui& Apôtres , & leur dit : Voici que nous allons à Jérufalem , 6* tout ce que les Prophètes ont e'crit du Fils d& Vhomme , s*accomplira. Car il fera livré aux gentils-, moqué , flagellé., couvert de crachats ^ (y ifires qu'on Vaura fla.gellé , on le mettrJ. à mort. Mais les Apôtres n'entendirent rien à tout cela , & c'était une chofe cachée pour eux* En Saint Luc, ch. iS.

OïLA , Chrétiens , ce qui a foulevé

tant d'efprlts , ce qui a même révol-

\ ' toute terre, 6c de quoi le mond^

v:

/

ET DES Humiliât, de J. C. 363

entier s'eft fcandalifé : Jefus-ChriQ cou- vert d'ignominies Se d'opprobres , Jefus- Chrift ibuffrant & mourant fur une croix. Scandale de la croix , (ont compris tous les autres. Car qui dit un Dieu crucifié , dit un Dieu anéanti, un Dieu méprifé , un Dieu perfécuté. Et parce que tout cela eit venu de Ton choix , dire tout cela , c'ed dire un Dieu quia aimé les mépris, les abaidements , les perfécutions , les foufiVances. Et com- me le choix de Dieu fait le prix & la va- leur des chofes , dire un Dieu qui a aimé tout cela, c'eft dire un Dieu qui nous a rendu tout cela recommandable , qui l'a efiimé , qui l'a confeillé, qui l'a éta- bli pour fondement de la perfecHon des homm.es , & qui par conféquent nous a impofé une obligation indifpenfdbîe d'eftimer tout cela nous-mêmes 6l de le refpecler , puifqu'il eft bien jufte que la créature conforme fes fentiments à ceux de fon fouveram nuteur &c de fon Dieu, C'eft toutefois , es chers Auditeurs , de ces humiliatioiis & de cerre croix que les hommes fe (ont iaiffé rebuter; jufques que les Apôtres même, éle- vés à l'école du Fils de Dieu , n'enten- dirent rien à ce qu'il leur difoit des ou- trages qu'il devoit bien-tôt recevoir, à Jérufilem , &. de la mort qu'il y alloit foutFrir : Et ipfi nihïl horam ïnidi.xtirunt ; & erat verbum ijîud abjconditum ah eis» Ne tombons- nous pas tous les jours dans

364 Sur LE Scan. DE LA Croix

le même fcandale ? Qu'on nous propoft* un Dieu tout-puiffant & brillant dans l'éclat de fa gloire , notre efprit reçoit aifément les grandes idées qu'on nous en donne : mais qu'on nous iaffe voir ce même Dieu dans robfcurité & dans les douleurs d'un fupplice également rigou- reux & honteux , c'eft à quoi notre cœur lent une réfiftance naturelle , Si. de cette réfîftance dont on ne fuit que trop le rrouvernent , naît jufques au milieu du Chriflianifaie, le libertinage. Il efl donc. Chrétiens , du devoir de mon miniftere que je travaille , ou à vous préferver à vous retirer d'un icandale qui fe répand fans celle & qui int"e6le les âmes de fon venin : il eft important d'exciter votre foi , de ia foutenir , & de vous mettre dans les mains des armes pour la défendre : il s'agit des points fondamentaux de notre religion , puifqu'elle eft fondée fur la croix & fur les humiliations de Jefus Chrift. La conféquence infinie de mon fujet deman- de toute la force de mon zèle & toute la réflexion de vos efprits , après que nous aurons imploré le fecours du Ciel par l'interceffion de Marie, en lui difant , Ave Maria,

OUi l'eut cru , que Jefus-Chrif^ pré- deftiné de Dieu comme le Rédern- pteur du monde, dût être un (caudale pour le monde même ? Il n'eft néan- jnoins que trop vrai , Chrétiens , Ôc c'ei^

?.T DES Humiliât, de J. C. 365

le défordre que ]'a\ prélentement à com- battre. Or pour vous expliquer d'abord mon deflein , j'avance deux propofitioni qui vont partager ce difcours & qui vous feront voir tout enferable le crime Si le malheur de ce fcandale que nous tirons des humiliations d'un Dieu Sauveur 6c de fa croix. Car je pré:ends qu'à confi- dérer ce fcandale dans Ton objet &. par rapport à Dieu , il n'eft rien de plus cri- minel ni de plus injurieux ; & j'ajoutS qu'à le regarder dans les fuites & par rapporta l'homme, il n'efî rien de plus funeile ni de plus pernicieux. Deux véri- tés, mes chers Auditeurs, que j'entre- prends de traiter aujourd'hui, & dont il ne me fera pas diiiicile de vous ccnvain-- cre ; deux vérités capables de faire fur vos cœurs les plus fortes impreiîîons. Pour peu que vous compreniez ce que c'efi que Dieu & ce qui lui eft , vous comprendrez aifément quelle eft i'injuf- tice de l'horame , qui par une témérité in- foutenable veut entrer dans les confeils de la fageffe divine , & qui trouvant dans les humiliations & dans la croix de fon Sauveur le plus puiiTant motif pour s'at- tacher inviolablem.ent à lui, s'en tait au contraire une raifon de fe féparer ce lui & de l'abandonner. Ce n'eit pas affcz; mais pour peu que vous foyez encore fenfibles à votre plus folide intérêt , qui eft celui de votre falut , vous le ferez au ëanger affreux vous expofe le fcandale

Qiij

^66 Sur le Scan, de la Croix

que j'attaque , & vous apprendrez à vous en garantir : je fcais que je parle dans un Auditoire chrétien ; mais dans l'Au- ditoire le plus chrétien il y en a dont la foi eft foible & chancelante, il y en a qui aiment à raifonner fur ces points de religion, & dont tous les raifonnerrients ri'ont d'autre effet que de les jeter dans le trouble ; il y en a rr.ême qui , Chré- tiens en apparence , font incrédules &C libertins dans le cœur. Or vous voyez coîribien catte matière leur convient à tous. Ainfi je reprends , ÔC je dis en deux mets : E^ieu offenlé par le fcandale de l'homme touchant les humiliations & la croix de Jefus-Chrift, c'eft la première partie. L'homme perdu par ce même fcandale des humiliations & de la croix de Jefus - Chrift , c'eft la leconde partie. Appliquez- vous , s'il vous plaît , à l'une & à l'autre. Ce lujet convient d'autant plus au temps je parle , que c'efl: un tenips de plaifir ; le monde femble jnlulter à l'Evangile , & le libertinage traite avec plus de mépris les m.yûeres de Dieu , pour être en droit de rejetter l'étroite & fainte m.orale dont ces di- vins myfteres font les folldes fondements. Commençons.

j TE l'ai dit , & c'eft ma première pro- Pap't pûfiîton , dont vous connoîrrez aifc- " ment h vérité : fe fcandalifer de la reli- gion chrétienne, & s'en rebuter parce

rr DES Humiliât, de J. C. 367

qu'elle eft fondée !ur les humili-^tions de U croix 6^ fur les abdifleii.ents de Jefus- Chrift , c'eft le fcandale le plus inju- rieux à Dieu : pourquoi ? parce cine ce fcandale choque direden^ent lu grandeur ce Dieu , parce qu'il blefle la bonté de Dieu , parce q 'il fait outr?.ge à la fcgelTe cie Dieu. \'oilà les trois preuves aux- quelles je m'arrête , 6c que j'ai prélente- r»eiît à développer.

Parlant en genér.'-l , Chrétiens, c'eft attaquer Dieu d^ns la fouverameté de fon é're, que de prétendre en quoi que ce foit , cenfurer fj conduite ôc fa provi- dence. Qu£.nd Dieu auroit fait des cho- fes dont r;oîre rcifcn femb'.eroir rfien- fée , dès-ià que la foi fe préfente avec tous fes n^.otifs pour nous déclarer que cela eft , ce feroit à nous de condamner notre raifon ccmrrie aveug'e & ténné- raire , & non pas à notre ri-ifon de trou- ver à redire aux œuvres de Dieu. Hé, ires Frères , difoit Saint Auguftin ^ don- nons pour le moins à Dieu cet avantage, qu'il puiHe faire quelque chofe que nous

- jne puiiiions pas comprendre : Dcmus Angujî* Deum aliquid pojje , quod nos fateamur inveftigare non pojfe. Ce n'eft pas trop demander pour lui , & cependant c'eft ce

que nous lui refufons tous les jours. Car

- nous cenfurons tout ce que Dieu fait, qui n'eft pas conforme à notre fens ; 6t toute la raifon que nous avons de le cen- furer, c'eft que nous ne le comprenons

Q iv

56S Sur le Scan, de la Croi:*

pas : Et ipfi nïhil horum intdUxcriinf» Mais fi cela eft vrai généralement de tous les ouvrages de Dieu, beaucoup) plus l'eft-il du grand ouvrage de la ré- demption divine ; de cet ouvrage ce Diea par excellence , félon la parole du prophè- te ; de cet ouvrage , qui eit l'abrégé de toutes fes merveilles , qui eft la fin de îous Tes confeils, qui eft le chef-d'œuvre de fa grâce ; de cet ouvrage , dans fes abaiilements & fes plus profondes humi- liations , il a fait éclater toute fa gloire ; de cet ouvrage enfin dont il n'a pas feu- lement été l'auteur , mais dont il fut lui- mêm.e fur la croix le fujet & la princi- pale partie. Car n'eft-il pas indigne que l'homme entreprenne de raifonner à fon gré fur un femblable myftere , & qu'en fe choquant de ce myftere il fe choque & fe fcandalife de Dieu même ?

Tel eft néanmoins, mes chers Audi- teurs , le défordre nous tombons , & qui m.e paroît à peu- près le m-ême que les Pères de l'Eglife reprochoient aux païens. Sçavez-vous en quoi confiftoit le défordre des païens de Rome à l'égard de leur religion ? Tertullien l'a remarqué dans fon Apologétique , & le voici : C'eft, dit- il , que les Romains par un orguei^I infupportable , au lieu de fe foumettre à leurs Dieux , fe faifoient les juges & les cenfeurs de leurs Dieux ; on délibé- roit en plein Sénat s'il falloit admettre un Diey dans le Capitole ou non ^ &

I

£T LES Humiliât. DE J. C. 'i6<^

feloa les goûts & les avis différents , ce Dieu étoit exclus , ou étoit reçu : s'il agréoit aux juges qui en dévoient déci- der , il paffoit au nombre des Dieux ; mais fi cette approbation juridique venoit à lui manquer, on le rejettoit avec mé- pris. De forte , ajoute Tertullien , que fi ces prétendus Dieux ne plaifoient pas auxhommes , ce n'écoient plus des Dieux : Nij^ hjmïni Deiis placuerit , Deus non srit, Tenull, N'ed-ce pas le dernier aveuglement de l'elprit humain ?

Or, Chrétiens , permettez-moi de le dire ici , cet aveuglement règne encore aujourd'hui dans le monde ; & ce qu'il y a de bien déplorable, c'eft qu'il ne règne plus parmi les Païens , mais au milieu' du Chriftianifme. On voit dans le Chrif- tianifme des hommes à qui leur Dieu, fi je puis ainfi parler , ne î)lait pas ; ils ns trouvent pas bon qu'il fe foit fait ce qu'il eft, ni qu'il ait été ce qu'il a voulu être; s'il s'eft fait homme, cela les révolte: en qualité d'homme il a voulu s'anéantir & fouffrir ; mais ils le voudroient dans l'éclat & d^ns la grandeur, & s'ils pou- voient le réformer, ils en feroient tout un autre Dieu. Car voilà l'idée, ou plu- tôt la préfomption de tout ce qu'on appelé efprits forts du monde, c'eft à-dire, des libertins du monde , des fenfuels du mon- de , des ambitieux du monde, ÔC même des femmes du monde. Combien en y oyons-nous, jufqu'entre les perfonne^

37Û Sur LE Scan. DE LA Croix

du fexe , corrompues par la rnolîeiTe des fens 6c- emportées par la vanité de leur efprit , en venir ? En vérité , mes Frères, conclut Sainï Hilatre, s'adrefùnt s ces faux i'ages , il ùut que nous ayons porté notre orgueil au dernier excès ; Sc s'il nous étoit permis , je penTe que nous irions jufques dans le ciel corriger le rr.ouven-,ent des aftres, que nous don- nerions un autre cours au folell , &i qu'il n'y auroit rien dans la nature que nous Hilar. îi'entrepriffions de changer : Si liceret , & corpora & manus in ccelum levaremus, Ainfi s'expliquoit ce grand Eveque. Mais ce qui n'eft pas pofiibîe à nos corps , parce que leur poids les tient attachés à la terre , notre elprit le fait. Car il s'élève non-feulement jufques dans le ciel , mais ftu delTus du ciel; & non content d'at- tenter fur les œuvres du Seigneur , il attente fur le Seigneur même , en rai- fonnai'it fur fes mylleres, & en s'oflen- fant de i'état humble ôc obfcur il s'eft réduit pour nous.

Je dois après tout convenir , Chrériens , que Marcion fur cela, l'im des hérciiar- cues les plus déclarés contre les abaif- lements du Fils de Dieu , répliquoit une chofe affez apparente & aflez fpécieufe. Car fi je niC fcandalife des humiliations & des foufFrances d'un Homme-Dieu , cefi , difoit-il , pour riniéttt méire &: pour l'honneur de Dieu , dont je ne pais îupporter que la majefté fe loit ainfi

ET DES Humiliât, de J. C. 371

avilie "jufques à la croix; &: mon fcan- chle n^ peut être criminel , puifqu'il ne part que d'un b©n zèle. Zèle trompeur & taux , lui répondoit TeriuUien. Hé, quoi, Dieu vous a-t-il fait le tuteur de fa di- vinité ? Ne fe paiTcra-t-il pas bien de votre zèle &: de i'intéré: que vous pre- nez à fa gloire r Non , non , pourfuivoit cet arden: défenfeur de la patiion & des anéantiiîemenis ^'c^be de Dieu , ce n'eil point à vcus^ Marcion , d'entrer en de tels raifonnements ; mais c'eA à vous de reconnoitre votre Dieu dans tous îes états il a voulu fe taire voir ; dans la crèche comme fur le Thabor , & dans les opprobres de fa mort comme fur le tTone de fa gloire. Car il eft r.uîTi par- faitement Dieu dans l'un que dans l'au^ tre ; par conféquent auffi grand dans l'un que dans l'autre : & c'eft une erreur de prétendre , ainfi que vous le dites , qu'en fouftrant il eût celTc d'être Dieu, puis- que Dieu ne court jamais le moindre rifque de déchoir en quelque manière de grandeur , & de dégénérer de fon état : Ncc potes duere , /l pjjjus cjjct , Dtus effe Xertull. ^^fi(fjet ; D<o cnïm nullum efi pcriculum flatus fui. Or je vous dis le même , Chré- tiens ; ce n'eft pointa vous de philofo- pher fur les abalflements & la croix de votre Sauveur ., c'eft à vous o'adorer votre Sauveur jufques dans fes abaifle- n.ents & fur fa croix , parce qu'en erlet fes abaiffenients même fcm adorables ,

37^ Sur le Scan, de la Croix & que bien-lcin que la croix ait avili fa pericnne divine , elle a tiré de la perfon- ne divine de quoi devenir elle-mên.e digne de tous nos refpe^ls. C'eft à vous » dis- je , de lui rendre ce culte , & de faire hommage à la révélation que nous en avons reçue. Car , conime difoit Saint Ambroile, écrivant à l'Empereur Valen- îinien , à qui eft-ce que je croirai dans les chofe^. qui regardent mon Dieu , finon . T^ à mon Dieu ? Cui enim masis de Deo , quàm Deo credam ? Mon Dieu m.e die qu'il eft enfant , je l'adorerai enfant y mon Dieu m'apprend qu'il a fouffert fur la croix , je l'adorerai fur la croix , & quoi- qu'il me paroilTe moins Dieu ilir la croix que dans le Ciel , fa croix ne me fera pas moins vénérable que le Ciel. Au con- traire , je prendrai plus de pl;jifir à l'ado- rer crucifié qu'à l'adorer glorifié , parce qu'en i'adori*.nt crucifié je lui ferai un plus grand facrifice de ma raifon que îorfque je l'adore à la droite du Père 6c dans les fpiendeurs des Saints.

Voilà comment doit parier un chré- tien : & fi nous ne parlons pas de la forte , je dis que c'efi: un fcandale qui ofFenfe directement b grandeur de Dieu ; mais j'ajoute qu'il bleile encore bieii plus fa miféricorde : autre outrage que j'y découvre , & dont l'injuftice fe fait d'abord fentir par elle-mêm.e. Car n'eft- îl pas étonnant que nous nous fcanda- lificns des propres bienfaits de noue

ET DES Humiliât, de J- C. 375

Dieu , & que ce foit fon Infinie Si in- compréiienfible bonté pour nous qui nous révolre contre lui? Qu'eft-ce qui nous rebute dans la religion que nous profeffons ou que nous devons profef- 1er ? cela nTiême Dieu nous a fait pa- roître plus lenriblement fon amour. En effet , tous ces mylf ères d'un Dieu fait homn^e , d'un Dieu humilié , d'un Dieu perfécuté, d'un Dieu mourant, fe rap- portent à cette grande parole de l'Evan- gile : Sic Deus dilexn mundum , c'efl aind que Dieu a aimé le monde. Si l'homme étoit tant (oit peu raifonnable^, trouvant ces myfieres fi avantageux pour lui & fi pleins de charité , il embralTeroit avec joie tout ce qui lui en perfuade la" vérité ; & comme la foi lui en fournit des témoignages convaincants, il goûte» roit cette foi, & n'auroit point de plus douce confolation que de s'établir foli- dement dans cette foi. Mais que fait- il ?" tout le contraire. Par une préoccupation extravagante de fon libertinage , il s'élève contre cette toi , & fans examiner férieu- fement fi ce qu'elle lui propofe eft vrai Gu ne fert pas , il fe fcandalife d'abord & ne veut rien entendre. Au lieu dé- dire 5 voilà de grandes chofes dont je fuis redevable à mon Dieu , il dit : Il n'efï pas croyable que Dieu fe foit tant inté- relTé pour moi ; & au Heu de vivre en- fuite dans la jufle correfpondance d'ua jjuliQur réciproque 6c dans une fidélii4

374 Sur LE Scan. DE LA Croix

refpeftueufe envers Jelus-Chrift Ton ré- dempteur, il vit dans une infenfibilité de cœur 5 & dans une monftrueufe in- gratitude à l'égard de tout ce qui con- cerne fa rédemption : pourquoi cela ? parce que le moyen dont Jefus-Chriil s'eil fervi pour le ûuver ne lui revient pas , & qu'il n'entre pas dans (on fens. Défordre que déplorolî Saint Grégoire Pape dans ces belles paroles de l'homélie Cregor. fixieir.e fur les Evangiles : Inde komo ad- verfiLs Sûlvdtorcm jcandalum fumpfit , undt ei m,2g}s deb'Uor ejfe debuit. Ah I mes Frères , quel rcnverferiient. L'homme a pris fujet de Tcandale contre fon Dieu de la mêrrve chofe qui devoit l'attacher in- violablement à (on D!eu. Car il qÇi évi- dent que s'il y eut jamais rien qui tût ca- pable de m'attaciier fortement à Dieu , de m'inipirer du zèle pour Dieu , de me faire tout entreprendre & tout fouffrir pour Dieu , c'éioiî cette penfée , Dieu eft mort pour moi , il s'eft anéanti pour moi. Voyez les fruits merveilleux de grâce que cette penfée a produit dans les Saints, les miracles de vertu , les converfions héroïques , les renoncements au monde, leè ferveurs de pénitence , les difpofi- tiohs généreufes au martyre. Qui faifoit tout cela ? la vue d'un Dieu-homme & d'un Dieu facrifié pour le falut de l'hom- me. Voilà ce qui gagnoit leurs cœurs, ce qui les raviiT^it , ce qui les tranfportoit ; &. il fe trouve, Chrétiens, que c'eft ce

ET DES Humiliât, de J. C. 37^

qui caufe notre fcandale , & que notre fcarNJale nous entretient dans une vie lâche 5 impure , déréglée , c'eft-à-dire dans une vie nous ne faifons rien pour Dieu, & nous nous tenonsconf- tamment éloignés de Dieu. Or en fau- droît-il davanrage pour détruire en nous ce fcandale, & posr nous jurtifierà nous- mêmes la loi qui lui eft oppofée , que de penier : c'eft cette foi qui me ùnCiïûe , 6l c'eft ce fcandale qui me pervertit; c'eft la foi de la mort d'un Dieu qui m'engage à la pratique de toutes les ver- tus , & c'eft le fcandale de la mort d'un Dieu qui me plonge dr.ns. U corruption du péché? Cela ieui ne devroit-il pas. réprimer tous les fcandales de notre efprit en m.atiere de religion ?

Hé, mon Frère , encore une fois, s'écrioit Tertullien , je vous conjure de ne vous pas fcandaiifer de ce qui a été la caufe effentielle de votre bonheur. Voi- ci , Chrétiens , des fentiments & des ex- prefTions propres de ce grand génie. Scan- dalifez- vous , fi vous le voulez , de tout le refte ; mais épargnez au moins la per- fonne de votre Sauveur ; épargnez fa croix , puifqu'elle vous a donné h vie ; épargnez-la , puifqu'elle eft l'efpérance de tout le monde. Parce ^ obfecro , parce TcnulU huic fpeitotius orbis. Si c'étoit les Anges qui s'en ofienfafl"ent & qui s'en fcanda- lifafTent , cela feroit en quelque forte plus fupportaoie ; Jefus-Chiift n a pai foufiert

37^ Sur le Scan, de la Croix

pour eux; mais que ce foit vous pour qui ce Sauveur eft venu & pour qui il a voulu raourir , c'efl un fcandale qui doit foulever contre vous toutes les créatu- res. Et ne ine dites point, pourfuivoit Tertullien , que l'humilité de la croix étoit indigne de Dieu ; car elle a été utile à votre falut ; or dès qu'elle a été utile à votre falut , elle a commencé à être digne de Dieu , puifqu'il n'y a rien qui foit plus digne de Dieu que le falut de

liêfn, l'homme : Nihil tam dignum Deo cjuâm hominîs falus. Ne me dites point que la mort eft un opprobre dont un Dieu ne devoit pas être fufceptible ; car ce que vous appeliez l'opprobre de mon Dieu, c'eft ce qui a été la guérifon de m^es maux & le facrement de ma réconciliation :

idem. Totum Dei mci dedecus facramentum fuit mccz falutis. Or il faudroit que je fufle bien méconnoiffant & bien infenfible, fi je venois à concevoir du mépris pour cet opprobre fi falutaire , & par conféquent fi tefpedtable & fi aimable pour moi. Ce- pendant il y a des hommes ainfi faits ; toute la bonté de Dieu ne fuffit pas pour les toucher , fi fa fageffe , félon leurs idées , ne s'y trouve jointe ; ils ne fe con- tentent pas que Dieu les ait aim.és , ils veulent qu'il les ait aim.és fagem.ent, je dis fagement , félon leurs vues ; & s'il les a aimés d'une autre manière, ils font déterminés à fe fcandalifer de fon amour fiiême. Or fuiyîuit leurs vues 6c leurs.

ET DES Humiliât, de J. C. 377

idées , tout ce myflere d'humiliation Sc d'anéantilTement lur quoi le Chriftianif- me eîi établi, leur paroît une tolie. Et moi je prétends enhn que c'eft le myftere de la lageiTe même de Dieu, & que par un dernier caractère , le icandale qu'Us en tirent eft d'autant plus outrageux à Dieu , qu'il va contre tous les ordres & les plus admirables confeiîs de cette di- vine fdgeffe.

Car à quoi fe réduit le fcandale des prétendus efprits forts du monde, fur le fujet de Jefus^Chrifl & delà rédemption de l'homme r Ils ne peuvent fe perfuader qu'un Dieu fe foit abaiilé 6c humilié de la forte : mais je foutiens moi qu'il n'y avoit rien de plus convenable à fon office de Sauveur ; pourquoi ? parce qu'il n'étoit fur la terre qu'aiin de fatis faire à Dieu pour les hommes. Or la fatisfaftion d'une offenfe porte avec foi l'humiliation & l'abailTement de celui qui fatisfaiî : cela n'eft-il pas dans l'ordre naturel? Ils ne goûtent pss que le Fils de Dieu ait publié dans fa religion des maximes fi rigou< reufes , la haine de foi-m.ême , l'abnéga- tion de foi-même , la févérité envers foi- même : m.ais devoit-il en publier d'au- tres , dit Saint Jérôme , établiffant une religion d'hommes qui dévoient fe recon- noitre pécheurs &L criminels ? Car qu'y a-t-il de plus fortable au péché que la pénicence , & qu'y a-t-il de plus confor- me à la pénitence que la rigueur pouï

378 Sur LE Scan. DE LA Croix

foi- même & l'auftérité ? La raifon feule n'autori'e-t-elle pas cette conduite ? Us s'étonnent que Jelus Chnft ait ccnonifé la pauvreté comme une béatitude, qu'il ait propofé la croix aux hommes comme un attrait pour le luivie , qu'i! ait reJevé l'amour du mépris ^i\ defius de tous les honneurs du hecle ; & moi j'admire la profondeur delcnconfeil en tout cela; car que pouvoir il Lue de mieux , puif- qu'il croit queftion de Tuver le monde en le réformant , que de combattre pour le réformer, la cupidité du monde, la fenfualité du monde, Toi gued du morde? Mais qu'éroit-il besoin que ce méde- cin des am.es prît lui-mcme les remèdes r-écelTaires pour guérir nos mjaladies ? qu'étoit-il befoin qu'il fouffrit &L qu'il s'anéantît ? Il le falloit , Chrétiens , afin qjje fon exemple nous portât à ufer nous- mêmes de ces remèdes ; fans cela, fans cet exem.ple qui les adoucit , aurions nous pu en fouîenir l'amertume ? S'il avoit pris pour lui les douceurs , &. qu'il ne nous eiJt 1 dfTé que h croix, qu'aurions-nous penie de ce partage ? Dans le deiTein il étoit de donner du crédit à la pau- vreté Se à l'humilité dont le monde avoit tant d'horreur , de quelle invention plus efficace pouvoir-il fefervir, que de les confacrer dans fa perfonne , Lim , com- me dit excelîem.ment Saint Ar.gufîin , que l'humilité de l'hom.me, qui elt foible par elle-même , trouvât dans l'humilité de

ET DES Humiliât, de J. C. 379

Dieu de quoi s'appuyer & de quoi fe défendre contre les attaques de l'orgueil. Uc falukerrïma humiUtas kumana , con- Aupfi* tra injultantem fibi fuperLiam , divinœ. humilitatïs patrocinio fulciretur. Mais après tcut cela , me direz- vous , il y en a bien peu encore qui goûtent ces maxi- mes. 11 ne s'agit pas s'il y en a peu ou beaucoup ; il s'agit du dedein qu'a eu Jefus-Chrifl en les propofant au monde. S'il y en a peu qui les eoûtent , en peut dire aufTi qu'il y a peu d'élus & de pré- dellinés ^ éc qu'il n'eft point néceffaire qu'il y en ait plus des uns que des autres, puiiGue pour nire rubfifler les décrets de Dieu , il luiiit qu'il y ait autant de feciateurs de ces maximes qu'il doit y avoir d'hommes choifis Ôc deitinés pour le ciel.

Quoi qu'il en foît , reprend Saint Au- gurtin, telle eft la conduite qu'a tenue le Fils de Dieu : il a fuit de fa croix un moyen pour corriger nos mœurs dépra- vées & corrompues ; & parce que ce moyen étoit iaoui & que le monde s'en fcandalifoit , il l'a fouîeijL à toice de mi- racles ; par l'autorité de Tes miracles, il s'eft acquis la foi des peuples ; par cette foi des peuples , il a formé une Eglife norr.breufe ; par la propagation de cette Eglife , il a eu le témoignage de la tradi- tion & de l'antiquité ; & par enfin il a tortillé fa religion , mais enforte que ni le pagunifme , ni les héréfies ne rébranUilent

3§o Sur LE Scan. DELA Ciîoix

idem, jamais : MiracuUs conciliavit au6îorïtà^ tem^ audoritate meruit fidem , fide enutri- vit muliitudinem , multitudine obtïnuit vètuflatcm , vetuflate roboravit rdigionem, C'ell dans le livre de l'utilité de la foi que parle ainfi. ce faint Dofteur. Mais fçavez-vous , mes chers Auditeurs, pour- quoi nous nous fcandalifons de la croix de notre Dieu ? c'eft jufleraent parce qu'elle eft un ren-.ede contre nos delor- dres ; voilà ce qui nous blelTe : car nous ne voulions point de ce remède ; nous nous trouvions bien de nos maladies , & bien-loin d'en fcuhaiter la guérifon , nous ne cherchions qu'à les entretenir & quà les accroître : le Fiîs de Dieu eft venu nous dire qu'il en falloit fortir , & c'eft -ce qui nous a déplu ; s'il nous avoit dit toute autre chofe , nous l'aurions écouté ; s'il nous avoit propofé les fables du pa- ganifme , nous les aurions reçues : mais parce qu'il nous a révélé des myfteres qui tendent tous à la réformation de no- tre vie ôc à la deftrudlion de nos paflions, voilà pourquoi nous nous fommes révol- tés : femblables à ces phrcnétiques , qui fe tournent avec fureur contre ceux-mê- mes que la charité emploie auprès d'eux pour les Iculager. C'ed ainfi , continue Saint Auguftin, que notre Dieu, tout adorable qu'il eft , eft devenu un fujet de contradi61ion pour les luperbes , parce qu'en s'humiliant il a prétendu rabatre leur -orgueil. Comme fi c'étoitpeuà i'homiii«

<ET DES Humiliât. DE J. C. 381

jd'etre malade , s'il n'y ajoutoit encore jde fe glorifier dans Ton propre mal , 6c de trouver mauvais qu'on entreprenne d* Yen délivrer. Que ]e parle à un grand du monde d'un Dieu entant , d'un Dieu cou- ché dans une crèche, cela le trouble; non pas à caufe de la difficulté qui paroit dans ce myflere , car ibuvenr il ne penie pas à cette difficulté , & peut-être ne l'a- î-il jamais examinée ; mais parce que ce myilere coidamne tous les projets de ion ambition, & tous les deffeins injuiles & criminels qu'il a conçus d'agrandir fa fortune à quelque prix que ce foit. Que je miette devant les yeux à une iemme du iTJonde un Dieu fouffrant 6c couvert de plaies ; Ton cœur fe foulevera ; non pas pour rimpoffibil'té qu'elle y voit , car elle n'y en voit point , mais parce qu'ua Dieu dans cet état e'it un reproche fenfi- ble de fes délicateiles , de ion am^our pro- pre, du foin qu'elle prend de fon corps* Et pour preuve de ce que je dis , que ]$ propofe à Tun & à l'autre le m3'ftere d'un Dieu en trois perTonnes, qui ed encore bien plus incompréhenfible que celui d'un Dieu humilié, ni l'un ni l'autre ne s'en ofFenfera ; pourquoi ? parce que le myf- tere d'un Dieu en trois perfonnes ne porte point de conlequence immédiatement contraire à l'ambition de l'un , ni au luxe & aux m.ondanités de l'autre.

Ne cherchons donc point la véritable feurce de nos fçandales ailleurs que dài)S

3S2 Sur LE Scan. DE LA Croix

nous-mêmes , que dans nos vices , dans nos inclinations criminelles , dans nos dérèglements. Et c'eft par-là que nous devrions encore juger de la qualité de ce fcandale , puifqu'il ne prcK:ede que de notre iniquité , 6l qu'il ne Te forme dans nous qu'à proportion que nos mœurs fe pervertirent. Ah ! Seigneur , je ne m'é- tonne plus que le monde ait tant com- battu votre loi , & tant contredit votre adorable perfonne : le monde étant au point de libertinage il , il falloit par une fuite infaillible qu'il vous traitât de la forte , & je ferois furpris s'il ne fe fcandalifoit pas de vos maximes en fui- vant des principes tout oppofés. Ce fcan- dale , Seigneur , n'eft qu'une marque de fa. corruption & de votre fàinteté . ù vous étiez moins faint , ou s'il étoit moins vicieux , il ne fe fcanduliferoit pas de vous ; mais fuppofé votre fàinteté & fes défordres , fon fcandale eu. nécelTaire. Ainfi vous voyez, mes chers Auditeurs, combien le fcandale des hun.iliations ÔC de la croix de Jefus-Chrift eft injurieux à Dieu ; & je vais vous montrer qu'il n'eft pas moins pernicieux à l'homme, fur- tout à l'homme chrétien : c'eil la féconde Partie.

II. A Prendre les chofes dans Tordre de

Part. -^^ ''• l'rovidence Se félon la conduite

ordinaire de Dieu, loir pour la difpolition,

- foit pour raccompUffeinent (5c l'exécutioa

ET DES Humiliât, de J. C. 383 du falut de Thomme , on peut dire, & il eil vrai, que ce qui a fait prefque tous les réprouvés , c'a été le fcand-ile des hu- iTiiIiations 6l de la croix du Fils de Dieu -, voilà , fi nous en croyons S. Chrylofto- me , l'origine de l'apolUfie même des Anges» il dit qu'au moment que Dieu créa ces efprits céieftes , il leur propola le grand myftere de la rédemption & du falut, qui fe dévoie un jour accomplir dans la perfonne de fon Fils , & qu'il les obligea d'adorer ce Pvédem^pter : Et ado- rent eum om.ies _AngeU Dd. Que les uns s'y foumirent refpeclueufement , & quQ ce furent les anges prédeftinés ; mais que les autres par orgueil s'en fcandaliferent, & qu'en punition de leur délbhéiiTance Dieu les précipita dans l'abyme éternel. Voilà, (elon la penfée de tous les Pères, la Iburce funefte de la réprobation des Juifs. Les Juifs attendoient un Meffie riche , puiffant , magnifique , envoyé de Dieu , pour rétablir par fes conquêtes le Roy lume d'ifraël , & dont ils fe promet- toient toute forte de profpérités : mais quand ils virent Jefus-Chrift dans une difette extrême de toutes chofes , tbible, petit, inconnu, condamné à la mort ÔC à la mort de la croix , ils le mépriferent, & ce fcandale les fit tomber dans l'mfidé- lité -, leur infidel'té les jeta dans i'endur-? ci(Tement,leurendurcifrement irrita Dieu qui les abandonna , & les effets de cet Abandon de D.eu furent h deiliudioa

5S4 SuRLE Scan. DELA Cp.oîx

jde leur ville , la profanation de leur rem- pie , la ruine de toute leurnation. Voilà, ïiifoit Saint Jérôme, & l'expérience nous 2'apprend , ce qui rend les Païens indoci- les & rebelles à la lumière de l'Evangile, quand nous leur annonçons notre fainte loi: s'ils pouvoient vaincre ce fcandale f3'un Dieu crucihé, ils feroient fidèles comme nous ; mais parce que leur raifoa ^ù. préoccupée , ils demeurent malheu- jreufément dans les ténèbres de l'idolâtrie ^ dans l'efclavage de l'enfer.

Mais laiffons les Juifs ôi. les Païens; parlons de nous-mêmes. Voilà, mes frères, la'ientation la plus fubtile dont un Chrétien du fiecle ait à fe défendre , jôc dont il fe défend communément le moins ; voilà ce qui l'expofe à un danger plus évident de fe perdre : pourquo? j'en donne trois grandes raifons que je vous prie de méditer 6t dépraver bien avant dans vos cœurs. Parce que ce fcandale ides humiliations & de la croix d'un Dieu jeft eflentiellement oppofé à la profenioa de foi que doit faire tout homme chré- tien ; c'ed la première : parce que ce fcan- dale eft un obftacle continuel à tous les devoirs & à toutes les pr.ui<^ues de la religion d'un Chrétien ; c'eft la féconde : parce que ce fcandale eft le principe gé- néral, mais immanquable , de tous les défordres particuliers de la vie d'un Chré- tien ; c'eft la troifieme. Que n'ai je, ô mon Dieu , le zèle de votre Apôtre ,

pour

$T DES HtJMÏLIAT. DE J. C. ^î^

fîour traiter auiîi dignement & aulli for- tement que lui ces importantes ventes ; Je dis que cette tentation ou ce fcan- dale eft effentieilennent oppofé à la pro- feffion de foi que doit faire tout homme chrétien , & en voici la preuve qui efl fdns repHque : c'ed que la foi d'un Chré- tien & la profeiTion qu'il eiî fait , doit aller jufqu'à fe gloritier des humiliations & des foufFrances de Jefus-Chrift. Ce n'eft pas affez pour moi que je le croie ; il faut que je dife comme Saint Paul , 8t que je dife fmcérement : y4b/ît mlhi glo- Citst, riari , nifi in cruce Domini nojlri Jefu e, é, Chrifli. Sans cela il n'y a point de falut pour moi. Car Dieu , dit Saint Auguf- tm , a attaché mon falut à la croix de ion Fils : non pas à la croix méprifée , reje^- tée , envifagée avec horrçur , mais à \^ croix refpettée avec toute la foumifîion de la foi , & embraffée avec toute l'ar- deur d'une fainte piété & d'une fervente charité. En effet, ajoute ce faint Dofteur, il eft bien jufte , puifque c'eft la croix qui iTiQ doit fauver , qu'il m'en coûte au moins d'cfpérer en elle 6c de m'en glo- rifier. Or le moyen que je me glorifie de la croix , fi j'en fuis intérieurement fcandalifé ? &L quand je dis la croix du Sauveur, je n'entends pas feulement cette croix extérieure & m?.térielle qui fut VïnÇ- trument de fon fupplice & dont nous voyons la repréfentation fur nos Autels ,- parce qu'il fe peut faire que , par une Domïn, Ton, L R

386 Sur le Scan'oe la Croix

habitude de religion & une certaine cou<^ tume, nous honorions celle- là, uns eri recevoir nulle atteinte de fcandale. Mais l'entends cette croix intérieure dont le Fils de Dieu fut ..ffùgé dans le fond de fon ame , & à laquelle nous participons tous les jours par les injures , par les advenues, par les difgraces de la vie, par la perte de nos biens ,par le mépris ce nos perfonnes , par les perfécutions qu*cn nous fufcite. Car dans le langage ce i'Eyangile & celui de Saint Paul, c'eft précifément tout cela que (ignine la croix ; & fi notre profelTion de foi ei\ pleine & entière , il faut par une indif- penfable nécellité , qu'elle s'étende juf- qu'à l'ci^ime &. à l'annour, je ne dis pas i'amour fenfible & affe6lueux , mais l'a- mour folide &L raifonnable tout cela. Or encore une fois , Chrétiens , com- ment accorder l'amour Si l'eftinp.e de tout cela avec le fcandale que je combats ?

De vient , mes chers Auditeurs , que quand je vois les Chrétiens fe profterner devant la figure de la croix , fans juger témérairement , je fuis perfuadé que la plupart ne font cette aôion que par une cérémonie pure; & Dieu veuille que ce foit fans iiypocrifie 1 Car au même temps qu'ils adorent la croix en figure , ils ont pour la croix en elle-même un éîoigne- ment & un mépris caché , qui détruit ce culte d'adoration & qui l'anéantit. En effet ,radoration de ia croix n'eil un at5l$

HT DES Humiliât, de J. C. 3S7

ûe religion & une profeliîon de notre foi , qu'autant qu'elle eft accompagnée d'une vénération intérieure ; & ce que Saint Auguftin difoit fi magnifiquement à l'avantdge de la croix , qu'elle a eu la force de s'élever (Vj lieu infâme des fupplices jufques fur le front des Empe- reurs , A lucis fupplïc'orum ad frontcs Augnfl, imperatorîim,nQÙ. qu'une exprefiîon pom- peufe & rien de plus , fi du front des Empereurs la croix eft imprimée, elle ne paffe jufque dans le cœur des fidelîes. ■Or il eft impofnble que rimpreffion s'en fade dans notre cœur, tandis que l'hor- reur des fouiTiances & des humiliations y régnera , puifqû'il n'y a rien de plus incompatible avec le refpect & l'amour de la croix,, que cc:te impofitiGn aux véritables croix que Dieu nous envoie : d'où je conclus que c'eft un fcandale qui va jufqu'à la de0.ru6lion de notre foi.

De même ( & c'efl la féconde vé- .rite , qui n'efl qu'une fuite de la pre- nûere , & qui lui donnera un nouveau jour ) de fcandale qui , expofé de la manière que vous veaez de le concevoir, eft un continuel obftacle à tous les de<- -voirs & à toutes les obliganous d'ua Chrétien : ceci me paroît encore incon- •teftable. Car toutes les pratiques de la vie chrétienne, félon le plan que nous en a tracé l'Evangile, tendent à la haine de foi -même, au crucifiement de la dcliair, à rsnéantiffenient de l'orgueil -

Rij

508 Sur le Scan, de la Croix

au retranchement des plaifirs, au renon- cement à rintérêt , & fans cela nous ne pouvons fatisfaire même en rigueur aux préceptes de la religion: Or voilà ce qui fe trouve combattu par le fcandale de la croix du Fils de Dieu. Ainfi , faut-il étouffer le reffentiment d'une injure reçue & en facrifier la vengeance à Dieu ? ce fcandale de la croix s'empare de notre efprit , &c nous perfuade que ce devoir de la charité eil dans la pratique du inonde une folie qui ne peut fe foute-? nir ; qu'il eu jufle de défendre fes droits, qu'il faut maintenir fon rang , que l'hon- neur eft un bien inaliénable dont chacun fe doit répondre à foi mêm.e , & qu'on n'y peut renoncer fans fe perdre. Si j'honorois fincérement la patience de mon Sauveur dans les perfécutions & fur la croix , je rsifonnerois tout autrement ; je recevrois les injures fans émotion , je les oublierois fans peine, je les pardon- nerois avec plaifir , je rendrois le bien pour le mal , je me tiendrois heureux de céder aux autres : pourquoi ? parce que je ferois prévenu de cette penfée que tout cela m'eft honorable depuis l'exemple de mon Dieu. Mais quand le fcandale de l'exemple de mon Dieu vient à agir fur moi , dès-là je fuis fen- fjble à i'offenfe , je fuis inflexible au pardon , je prends un cœur dur & im- pitoyable pour mes ennemis , je ne puis le< aimer, je puis les voir , parce

ET DES Humiliât, de J. C. 3S9

ique je n'ai plus rien qui me porte à me réunir avec eux ni qui me facilite ce retour.

De même , eft-ilqueftion de furmon- ter un reipeél humain lequel nous em- pêche de rendre à Dieu le culte qui lui ell: ? ce fcandale de la croix éc des humiliations de la croix ne manque pas de nous luggérer mille prétextes qui nous arrêtent , 6c de nous dicter intérieure- ment qu'il faut vivre dans le monde comme vit le monde, qu'il faut accom- moder fa religion à fa condition ; qu'il faut éviter toute diftinaion 6l route ùn- gularité ; que Dieu Tçait les intentions du cœur , mais qu'il ne demande pas qu'on falle parler de foi ni qu'on devienne un fujet de rifée. Si je ne me fcandalifois pas de Jefus-Chrift, je ne me fcandali- îerois pas de fes opprobres & de fes abaiflements ; & ne me Icandalifant pas de fes abaiflements , je ne me fcanda- liferois pas des miens , je les fouffrirois tranquillement , &: même avec joie. Et qui me pourroit troubler lorfque je me dirois à moi-même : on me raillera, on fe formalifera de me voir pratiquer ce: exercice de piété , de me voir aililler régulièrement au facrifice de nos Autels , de me voir approcher de la fainte table ; mais fi l'on me raille , j'en bénirai Dieu , & je me terai un mérite & une gloire d'elTuyer pour lui quelques railleries , après qu'il a été couvert pour moi ds

R iij

590 Sur le Scan, de CrojiC f onfufion. Voilà ce que je dirois , 5c- c'eA ainfi que je me conduirols dans tou- tes les rencontres & à regard de toutes^ les obligations du Chriftianifme. Mais au contraire parce que je me fais de Jefus- Chrifl & de fa croix un fcandale , dès- je ne veux rien foufFrir , dès-là je me rends aux moindres attaques qu'il y a à ibutenir, dès-là je rougis de mon devoir & je laifle toute ma fidélité fe démentir. 11 n'y a point d'excès je ne fois dans la malheureufe difpofition de m'aban- donnera ni de défordres je ne puiile tomber.

Car ce fcandale , me^ cbers Auditeurs ,, dont je vous repréfente ici les fuites fu- jiefles, eft en eflet le principe univerfel de tous les défordres particuliers qui ré- gnent dans le Chriflianilme : troifieme &: dernière vérité. S'il y a des Chrétiens întérefTés , c'efl parce qu'il y a des Chré- tiens fcandalifés de la pauvreté de Jefus- Chrifl : s'il y a des Chrétiens ambitieux,. c'efl parce qu'il y a des Chrétiens fcan- dalifés de l'humilité de Jefus - Chrill : s'il y a des Chrétiens fenfuels & volup- tueux , c'ef^ parce qu'il y a des Chré- tiens fcandalifés de la vie auflere & de la mortification de Jefus-Chrift ; ainfî des autres. Otons ce fcandale & ban- nidons - le du Chrif^ianifme , nous en. bannirons tous les vices , & nous y don- nejons eatiéc à toutes les vertus. Je fçaii

ET DES Humiliât, de J. C. 391

^ù*un Chrétien peut quelquefois & en certaines occafions fe livrer à une paf- fion d'intérêt , d'ambition , de plailir , & néanmoins honorer dans la perfonne du Sauveur les vertus oppofées : ce n'eil alors qu'un mouvement imprévu & qu*un3 faillie paffagere. Mais qu'un Chrétien perféveie dans le défordre de cette palTion, & qu'il s'en faffe une ha- bitude , fans être fcandalifé des maximes ôc des exemples de Jefus-Chrift ; c'eft- à-dire , qu'il foit fenfuel par état , fans erre fcandalifé de la croix de Jefus-Chrift; qu'il foit fuperbe & mondain par pro- feliion , fans être fcandalifé des abaif- fements de Jefus-Chrift , c'eft ce qui n'arrive point : il faut pour cela qu'il y ait un principe habituel dans ce Chrétien, qui pervertiiTe fa foi & qui corrompe fes mœurs, & ce principe ne peut être que le fcandale dont j'ai parlé.

Concluons donc avec le Fils de Dieu, bienheureux celui pour qui l'auteur de fon falut ne fera point un fujet de fcan- dale : (Se par une règle toute contraire, malheur à quiconque fe fcandalifera de la vie & des afticwis de fon Sauveur. Car ce fcandale que nous nous formons contre notre Dieu , ne lui peut nuire , ÔC n'eft pernicieux qu'à nous-mêmes. Il eft trop indépendant , ce Dieu de gloi- re , Se trop élevé , pour recevoir de nos fcandales quelque dommage. Scandali- fons-nous tant que nous le voudrojis ,

R iv

392 Sur ie Scan, be la Croix àe fa do£irine & de fa religion , fa doc» trine malgré nous fubfiftera & fa reli- gion triomphera. Elle a triomphé du fcandale des Juifs & de celui des nations idolâtres ; elle a triomphé du fcandale des fages félon la chair & de celui des fimples, du fcandale des fçavants & de celui des ignorans , du fcandale des Rois & de celui des peuples , du fcandale da t®ute la tetre ; lui fera-t-il plus difficile de triompher du nôtre } Si donc ce fcan- dale eft tunefte , il n-e le peut être que pour nous , & il ne l'eft pour nous que parce qu'il nous attire celui ^le Dieu. Car voici, mon cher Auditeur, comn-ent la chofefepafTe.Un fcandale en fait naître un autre : nous nous fcandalifons de no- tre Dieu , notre Dieu fe fcandalife de nous ; avec cette différence edentielle , <jue notre fcandale eft injufte , & que celui de notre Dieu eft plein d'équité. Car nous ne trouvons rien en lui qui puifte juftement nous rebuter ; & quand nous venons à nous fcandaîifer de lui , quels fujets ne trouve-t-il point en nous qui doivent allumer toute fa colère & l'irriter ? Or ce fcandale de Dieu envers nous , eft le plus grand de tous les mal- heurs , parce que c'eft le caraiStere de réprobation le plus pofitit ik le plus marqué.

Sur cela , mon Dieu , je m^adreffe à vous , Si permettez-moi de vous taire ici tinepiierç au nom de toutes les peifonnc^

Èi

ET DES RUMILI/LT. DE J. C. 3f J

qui m'écoutent. Ceft une grâce bien commune que je vous deminde ; mais fi vous nous l'accordez , j'efpere tout pour cet Auditoire chrétien. Ne nous abandonnez j^^mais , Seigneur , jufqu'à ce poinf , que nous nous fcandalifions de ce que vous avez fait pour nous & des divins enleignements que vous nous avez donnés. Nous fçavons que le libertinage du fiecle nous porte là, & que (i vous ne nous en préferviez, il nous condui- roitinfenfiblement dans cette efpece d'in- fidélité. Mais , mon Dieu , c*ell pour cela même que nous implorons le fe- cours de votre grâce : imprimez dans nos efprits une haute eftime de vos hu- miliations & de vos fouffrances , telle que l'avoit Saint Paul , lorfqu'il en par- loir dans des termes Ci magninques , ik. qu'il en faifoit toute û gl-oire C'étoit vous , Seigneur , qui agiiiiez immédia- tement dans le cœur de cet Apôtre pour y produire ces grands fentinients. Il étoit, fi j'ofe m'exprimer de la forte, le per- fécuteur de votre humilité & de votre croix ; mais dans un moment il en de- vint l'adorateur & le prédicateur. Faites- nous part & accordez nous quelque por- tion de cet efprit apoftolique , afin que nous honorions jufqu'à vos ignorivinies. Ah ! que fera ce Seigneur , de votre magificence èc de votre fplendeur dans le célefte féjour, puifque vos opprobres même fur la terre ont été li glorieux ^

R V

354 Sur le Scan, de la Croix que fera- ce de nous , divin Sauveur;, quand vous ferez un jour éclater fur nous votre gloire , puiftiue dès mainte- nant nous devons nous glorifier de vos. Jmhr. abailTemens ? Si approbrium tuum fr^lorin I t[i , Domine. Jefu , ijuid erit gloria ^tua ?

Belles paroles de Scint Ambroife, mes chers Auditeurs ! Ce font les fentiments je vous laide ^ il ne faut qu'être Chrétien pour les avoir, &. il faut les avoir pour être Chrétien :. plus vous entrerez dans ces fentiments , plus vous- parttciperez à la grâce & à l'efprit du, Chriftianinr.e ; & à mefure que ces fen- timents s'affoibliront en vous ^. la grâce; du. Chrifiianifme s y afioiblira. Laiiions ,, mes Frères , laiflbns les mondains courir après le monde & toutes les vanités- du- monde : mais attachons-nous à la per- sonne de notre aimable, Rédemp-eur ;, marquons -lui plus que jamais , en ces- jours que le monde profane, notre fidé- ihé.. 1.1 n'y a de falut que par lui ,. toute: . ROtrs efpérance eft fondée fur lui , Se Dieu nous regarde comme des anathe- mes , fi nous nous féparons de lui. Atta- chons-nous à fa morale, attachons-nous- à fes exemples, attachons-nous à fa re-- ^ ligicn ; ayons en horreur tout ce qui nous- en peut détourner ; ne foyons pas de ces. efprits inquiets qui donnent à tout ; 6c que rion n'arrête. Servons Dieu avec, confiance. 6c avec fermeté , & pour l'acquérir cette fainte fermeté ,. établif-

ET DES Humiliât, de J. C. 39^

fons-nous fur la Pierre qui eft Jefus- Chrift : ne nous faifons point de cette pierre une pierre de fcandale , mais fai- lons-en le principe & le fondement de notre perfection. C'eft ainfi que nous parviendrons au comble de la béatitude, nous conduife , 6i.c^

K Y)

39^

TABLE

DES SERMONS,

^ F £ C

L'abrégé de chaque Sermon»

Sermon pour le preir.ifr Diman- che après TEpiphanie , fur le devoir des Pères par rapport à la vocation de leurs enfants.

SU JE T. La Mtre de Jefus- Chrifi lui dît : Mon Fils , pourquoi en ave:^-\'0us jifé de la forie avec ncus ? Votre pcre d* moi , nous vous cherchions ûvcc beaucoup d'inquiétude. Il leur répondit , pourquoi me cherchiez - vous ? ne fç-arci - vous pas quil faut que je m'emploie aux chojcs qui regardent mon Père ? Et Us ne comprirent fés ce qu'il leur dit. Le Sauveu* du tnon- <iç , duui cette réponle qu'il fi; à Maris ,

DES Sermons. 397

apprend aux pères & aux mères com- irent ils doivent fe conduire à l'égard de leurs enfants , lur-tout en ce qui concerne le choix de l'état Dieu les appelle, p. 3. 4. 5-

Division. 11 n'appartient pas aux pères de difpofer de leurs enfants en ce qui regarde leur vocation & le choix qu'ils ont à faire d'un état : i. Partie, Les pères néanmoins font refponfables à Dieu du choix que font leurs enfants & de l'état qu'ils embraffent : 2. Partie* p. 5. 6. 7.

I. Partie. U n'appartient pas aux pères de difpofer de leurs enfants en ce qui regarde l«ur vocation & le choix qu'ils ont à faire d'un état. Un père qui veut fe rendre maître de la vocation de fes enfants, commet deux injuftices, l'une envers Dieu , l'autre envers fes enfants, p. 7. 8.

I. Injuftice envers Dieu , parce qu'il n'appartient qu'à Dieu de décider de la vocation des hommes : pourquoi ? deux raifons : c'eft qu'il eft le premier père de tous les hommes , & c'efl qu'il n'y a que fa Providence qui puiffe bien s'ac- quitter d'une foné^ion auffi importante que celle de marquer aux hommes leur vocation. 11 eft le premier père , & c'elt la qualité qu'il prend dans l'Ecriture. Il eft même , remarque Saint Grégoire > le feul père que nous reconnciiTions félon l'efprit ^ 5c par coiiféq^ucai le feul qui ik

398 Tab^le Et ASRiGE

droit d'exercer fur les efprits 6c les vo*- lontés des hommes cette fupériorité de conduite qui fait l'engagement de la Tocation. Audi tous les maîtres de la morale chrétienne ont-ils toujours re- gardé comme une offenfe grieve d'em- brafTer un état fans la vocation de Dieu , &. c'eft à cette vocation que fa grâce eft attachée. De plus , il n'y a que Dieu qui puiiTe bien appliquer les hommes à un. emploi , & leur alligner la condition qui leur convent, parce qu'il n'y a que lui. qui puiffe connoître les voies de leur falut & de leur prédeftination éternelle.. C'eft donc une témérité infoutenable dans un père , de difpofer d'un enfant ^ foit pour TEglife , foit pour le monde , & il ne le peut faire fanS' bleffer les droits de Dieu. N'eft-ce pas néanmoins- ce qu'on fait tous les jours ? pag. jufqii'à 25.

2. Injuffcice envers les enfmts , parce qu'il eft du droit naturel & du droit divin que celui-là choifiiTe lui-même Ton- état, qui en doit porter les charges & accomplir les obligations. il s'a-» git de vocation , il s'agit de falut. Or dès qu'il s'asiit du falut , point d'auto- rité du père fur le nls , parce que tout y eft perfonnel. Un père , comme on le dira dans la fuite, peut bien redreffer le choix d'un enfant , par de fages avis ÔC- ir^ême par la force de l'autorité pater-- 21 elle j fi cet enfa-n^t choifu raal -y mais

UEs Sermons. ^99^

«lu refte il ne peut dirpofer abfolument de ù perfonne. Quels reproches rece- vront un jour - deiTus de la part de leurs enfarrs tant de pères 6c de mères ! pag. 25. jufiu'à 33. ^ ^,,

II. PaPvTie. Les pères Ion reiponrabIe&= à Dieu du choix que font leurs enfants ,; & de l'état qu'ils embraflent. Car ils doi^ vent intervenir à ce choix comme direc- teurs & comme iurveillants, puifque Diea^ leur a donné ce droit de direclion ôc de- furveillance^ Ainfi unenfant ne peut con- tracler un. engagement , un mariage fans- l'aveu & la participation de fon père; 6c. il le fils veut prendre un parti qui fe'on: Dieu lui Toit pernicieux , le père eft non-' feulement en pouvoir, mais dans l'obli- gation de. s'y oppcfer. p. 53. 34. 35. 36.^

Afin de mieux entendre ce point, iL faut remarquer que. le choix d'un état peut être mauvais en trois manières : ou par lui-même ^ ou par l'incipacité' du fujet qui s'y engage , ou par les voieS:' qu'il prend pour y entrer, p. 37.

I. Choix d'un état mauvais par lui- même. , parce que- l'état eft contraire au falut , ou. du moins très-dangereux pour le falut. 11 eft évident qu'un père doit faire- tous Tes efforts pour en dé- tourner un enfant , & fi psr de vues- d'intérêt il efl le premier à Ty porter ,. il fe rend coupable devant Dieu , & il' répondra à Dieu de la perte de- fon B^«> B' 3 7' 3 S. m-

'400 Table et Abrégé

2. Choix mauvais par l'incapacité du fujet , parce qu'il n'a pas les qualités requifes pour l'état qu'il embrdTe. Un père qui connoît cette indignité , eit criminel de mettre Ton fils dans une place, dont il ne pourra remplir les devoirs. Toutefois rien n'eft plus ordinaire aux pères que d'établir ainfi leurs enfants , & de tant de défordres. p. 39. juf-^ qu'à 43.

3. Choix mauvais par rapport aux moyens d'entrer dans un état , Se aux voies qu'on prend pour cela. Il y a des moyens Injurtes , 6i ne font-ce pas fou- vent ceux dont un père fe lert pour avancer un fils qu'il ai.ne ? Abus qu'on ne peut trop condamner, & qui fera tout enfemble la réprobation des pères ÔC des enfans. p. 44. 45. 46.

Ce n'eft pas qu'il ne foit permis aux pères & aux mères de procurer à leurs enfants des emplois convenables. M^is leur premier foin doit être de les per- feclionner & de les rendre dignes des emplois qu'ils leur procurent. Cette édu- cation des enfants leur coûtera bien des foins & bien des peines : mais ce fera aufli pour eux an grand fonds de mériies auprès de Dieu. p. 46. ju/qu'â 49.

ï>Es Sermons. 401

Sermon pour le iecond Dimanche après i'Èpiphanie , fur l'état du Mariage. Pag, So,

SUjet. // y eut des noces à Cana en. GdïUe ; & la mère de Jefus s'y trcu- va, Jefus fut auffi invité aux noces avec fes difcipUs, 11 n'y a rien dans l'état du mariage que de protane , fi l'on n'y appelle Dieu & fi ce n'eft Dieu qui y appelle, p. 50. 51.

Division. Il ya dans le mariage des devoirs de confcience >Sc des obli- gations à remplir, des peines très-diriici- \qs &c très-fâcheufis à Tupporter, 6l des" dangers extrêir.es par rapoort au falut , à éviter. Or fans la grâce & la vocation divine on ne peut , ni Tatisfaire à ces obligations, i. Partie; ni fupporter ces peines , 2. Partie ; ni Te prélerver de ce§ dangers, 3. Partie, p. 52. 53.

1. Partie. 11 y a dans l'état du ma- riage des devoirs de confcience ôi. des obligations indifpenfables à remplir ; & l'on ne peut y latistaire Hins la grâce & la vocation divine. Nous devons confi- dérer le mariage , dit Saint Auguftin , comme facrement , comme lien d'une fociété mutuelle , 6c par rapport à l'édu- catfon des enfants dont il eft une légitime propagation. Or fous ces trois qualités

402 Table et Abrégé

il a des oblgations très-étroites & toutes' différentes, p. 53. 54.

1. Obligations du mariage confidéré comme facren-^ent. Dès que c'eft un facrement , il n'eft permis de s'y engager qu'iîvec une intenticiî pure & fainte , ilr n'eft permis de le recevoir qu'avec une confciencé nette &i exem^n.e de pct.hé . il n'eil permis d'en uî'er que dans îa vue de Dieu & pour une fm d-gne de Dieu. Mais qui penfe à ces obliga- tions ? qui en eft inftruit ? On a quelque égard à h fainteié des autres facrements^ mais on traite celui-ci comme une affaire temporelle , comme une négociation , comme un trafic mercenaire, pag. 54. jufqu'à <y<),

2. Obligations du mariage confidéré comme lien d'une lociété mutuelle. Il demande un am.our relpeétu-eux , un amour fidelle j un- amour officieux Se condefcendant , un' am.our confiant & durable , un amour chrétien. Mais par un renverfenrient bien déplorable , cette fociété que devroient conferver entre eux le mari & la femme , comme un des biens les plus cdimables de leur état , eft tous les jours expofée aux rup- tures , aux averfions ^ aux éclats &. aux divorces les plus fcandaleux. pag. 59,

jujqu'â 63. ^

3. Obligations du mariage conlidere par rapport à l'éducation des enfants , dont il eft une propagation légitime. Il

DES Sermons. 46 f

faut les nourrir , ces enfans, il faut les pourvoir & les établir, fur-tout il faut les inftruire & les élever dans le Chrif- tianifçne. On penfe ccmmuncment affez à leur fubfiftance & à leur établi{Temçnt ielon le monde , mais on ne s'applique' guère à leur éducation félon Dieui/ Voilà pourquoi dans cet état du ma- riage l'on a tant hefoin de la grâce ,- 6c pourquoi l'on n'y doit point en-=» trer fans vocation, pag. 6), 64. 65» 66. 67.

K. Partie. Il y a dans l'état du ma- îiage des peines à fupporter, &. l'on ne' peut bien fupporter ces peines fans l'af- iiflancc du Ciel & le fecours de la grâce. Pour les connoître , nous n'avons qu'à regarder le mariage fous les mêmes rap-^ ports, pag. 6j. 68.

1. Peines du- mariage confidéré com- me facrement. Cette qualité de facre- ment le rend indiiloluble , & cet enga- gemenr perpétuel en fait une efpece de fervitude. Dans le facerdoce on eil: en- gagé pour toujours , mais l'on n'eft engagé qu'à Dieu & à foi-miême : au- lieu que dans le mariage on eft encore engagé à un autre qu'à Dieu & qu'à foi- même. Dans l'état religieux il y a uW noviciat Si un temps d'épreuve ; mais il n'y en a point dans le mai'iage. p. 68» jù/qu'à 72.

2. Peines du mariage confédéré com- me lien, d'une fociéié oiuxtteiie. Quelle

h

404 Table et Abrég*

croix quand deux perfonnes obligées de vivre enfemble viennent à ne le pas accorder ! & pour bien s'accorder, que ne doit-on pas fouffrir l'un de l'autre « ôc quelles condefcendjnces ne faut^il pas avoir ? p. 72. jufquà 76.

3. Peines du maric-ge confidérées par rapport à l'éducution des entants , dont il eft une propagation légirime. Souvent l'on n'eft pas en pouvoir de les entrete- nir , ni de les avancer , quelque bien nés qu'ils loient : & plus Ibuvent en- core, quelque pouvoir qu'on ait de les établir & de les pouffer , ce font des cntanrs , ou incapables 6C fans génie 9 ou indociles &. déréglés. Si l'on avoit recours à Dieu, il délivreroit de ces peines , ou il les adouciroit. pag. 75. juj^uj 80.

iii. Partie. Il y a dans Tétat du mariage des dangers à éviter, 6c c'eft un dernier motif pour ne pas s'engager dans cet état fans y être appelle de Dieu : trois dangers par rapport à la confcience. Ca»- il faut accorder cnlem- ble trois choies les plus difficiles à con- cilier , fçavoir , la licence conjugale avec la continence &c la chafteté ; une véritable & intime amitié pour la créa- ture avec une fidélité inviolable pour le Créateur ; un foin exa6l Se vigilant des affcires temporelles avec un déta- chement d'efprit & un dégagement in- tarieur des biens de la terre : tout cela

DES Sermons. 405

fon^c fur les mêmes qualités du m^rU- ge. p. 80. 81.

1. Danger du mariage confidéré com- me facrement, l'incontmence , d'autant plus criminelle , que le facrement eft plus faint. Car il y a une chafteté pro- pre du mariage , & la dignité du fa- crement donne aux fautes qu'on y com- met une malice particulière. Or com- bien e{i-il à craindre qu'on ne fe laide emp-orter à la paiTion fans égard aux règles qui lui font prefcrites ? p. 81. 82. 83. 8^.

2. Danger du miariage confidéré com- me lien d'une fociété m.utuelle. Cette fociété demande l'union des cœurs, mais fans préjudice de ce qu'on doit à Dieu & au prochain. Or combien de fois arri- Te-t-il qu'une femme oublie ce qu'elle doit à Dieu & ce qu'elle doit au pro-? chain , pour entrer dans les fentiments d'un mari qu'elle aime , pour fecondçr fes vengeances , pour fe conformer à tous fes defirs ? p. $4. jufquà 88.

3. Danger du mariage confidéré par rapport à l'éducation des enfants. Dans Tobligation de les pourvoir il faut s'em- ployer à la conduite des affaires & à i'adminiftration des biens ; il faut ména- ger , conferver , amaffer. Or eft-il aifé de garder en cela le jufte tempérament & le détach**ir.ent de cœur qui notis font ordonnés ? Il eft donc d'une extrême iinportance de n'entrer dans le mariagf

4o6 Table et ÂBRioé

que par le choix de Dieu , & dV ottiref fur foi les lumières & les bénédiilions de Dieu. p. S8. jufquà 92.

Germon pour le troifieme Diman- che après rEpiphaaie , fur la Foi, Pag. c)j,

SUjet. Jefus dit au Centurion : Alle:^ , & qu'il vous foit fûk fdon que va/s avec cru. Rien de plus puiiTant auprès de Dieu que la foi -, elle obtient tout : & rien qui mérite plus nos réH exions que les vrais effets de la foi par rapport ?.ii falut. p. 93. 94. 95.

Division. La foi nous fâuve, i. Partie» La foi nous condamne , 2. Partie. Pag, 95. 06.

L Partie. La foi nous fauve , .comme perfection de nos bonnes œu- vres , & comme principe de nos boa» Ties œuvres , p. 97.

I. La foi nous fauve comme perfec- tion de nos bonnes œuvres , parce que c'eft fiir - tout de la foi que vient aux bonnes œuvres que nous pratiquons leur efHcace & leur prix. Ainfi renfeignenc exprefTérr^ent S^:int Paul 6c Saint Auguf^- tin ; l'un contre les Jui-js, qr.i fe conhoient dans les œuvies de îa loi de Moïfe ; &i l'autre contre les Pélagiens qui fai- foient fond fur leurs bonnes œuvres

i

CES Sermons, j^q^

riaturelles. Et c'eft encore ce que tou^ les Pères ont prouvé contre tous ces hérétiques qui tiroient avantage de leurs oeuvres , & à qui ces falnrs Do£teurs fallbient voir que hors de rEglile & fans la vraie foi il n'y avoiî point d'oeuvre? méritoires & par conféquent de falut. De que de bonnes œuvres perdues , & de même quelle eiiirne devons-nous ^iire du àon précieux de la foi ? p. 97, jufqu'à 108.

2. La foi nous fauve comme principe de nos bonnes œuvres , parce que c'eil de la foi que nous vient cette ardeur qui nous porte à les pratiquer. Car la foi, félon TApôtre , eft la caule mouvante qui fait agir toutes les vertus. Il va encore plus loin^ iSi. félon ce mêmie Apôtre , c'efl la foi qui produit en nous les aéles même ^e toutes les vertus. C'eil pour cela que ie Concile de Trente appelle la foi ie commencement , le fondement & la ra- cine de notre juilihcarion. Mais fi ceîaeft, pourquoi donc y a-î-il tant de Chrétiens qui fe damnent ? On pourroit répondre que e'eii: qu'il y a jurques dans le Chrif- îianifme très-peu de Chrétiens qui aient vraiment la toi. Chrétiens de nom , fans l'être en evïet. Mais fuppofjnt qu'ils aient la foi , la réponfe eft qu'on peut avoir 1-2 foi & agir contre l'es lumières & les maximes de la foi. Or h foi alors bien- loin de nous fauyer , nous condamne.

4o8 Table et Abrégî

II. Partie. La foi nous condamne. Mais pourquoi 6c comment nous con- damne-t-elle ? p. 119. 120.

1. Pourquoi la foi nous condamne- t-elle ? Parce que nous ne vivons pas félon fes maximes , & que vivant alors dans les défordres , i.nous la retenons captive dans l'injurtice , félon i'exprefiion de Saint Paul ; 2. nous lui enlevons le plus beau fruit de fa fécondité , qui font les bonnes œuvres ; dans le fentiment de l'Apôtre Saint Jacques , nous la fai- fons enfin mourir elle-même au milieu de nous. p. 120. jufquà 124.

2. Comment la toi au jugement de Dieu nous condamnera-t-elle ? En nous convainquant de trois chofes : i. que flous pouvions vivre en chrétiens ; 2. que nous devions vivre en chrétiens ; 3. que nous n'avons vécu rien moins qu'en chrétiens, p. 124. jvfquà 128.

Conclufion. 11 faut , ou que la foi nous fauve , ou qu'elle nous condamne. Entre ces deux extrémités point de milieu: c'eft à nous de choifir l'un ou l'autre ;' mais y a-t-il là-defTus à délibérer ? Pen^ fons fouvent aux accufations que la toi formera contre nous Voilà ce que nous devons prévenir, & à quoi nous devons nous préparer tous les jours de notre yiet p. 118. juf^uâ 132,

Sermof

DES Sermons.

409

Sermon pour le quatrième Diman- che après l'Epiphanie , fur les afflictions des Juftes Se la prof- périté des Pécheurs. Pag. /jj.

SU J E T. Jefus étant entré dans une barque , fes difciples le fiùvirent , & aujfi'tôt il s'éleva fur la, mer une grande tempête , enforte que la barque étoït coU' verte de flots. Lui cependant dormoit , fes difcipUs le réveillèrent , en lui difant: Seigneur , fauve^-nous , nous allons périr, Jefus leur répondit : Pourquoi craignez- vous , hommes de peu de foi? Voilà une image bien naturelle de ce qui fe pafTe tous les jours à l'égard des juites. Tandis que les pécheurs font dans la profpérité , les juftes fouvent font accablés d'afflidions & de miferes. Or il faut là-deffus les raflurer & les confoler. p. 133. 136»

Division. Dans les afflidions deà juftes & la profpérité des pécheurs il n y a rien qui doive ni qui puifTe ébranler notre foi , i . Partie. Il y a même de quoi établir & confirmer notre foi, 2. Partie. p. 136. 139.

I. Partie. Dans les affligions des iuftes & la profpérité des pécheurs il n'y a rien qui doive ni qui puifle ébranler notre foi. C'eft affez que nous fçachion^ç

Domin, Tom, L S

410 Table et Abrégé

que Dieu a ainfi réglé les chofes poup nous y fouinettre & n'en point prendre de fcandale. Or nous avons mille preu- ves qui nous montrent que rien n'arrive que par la conduite de la Providence.

Cette conduite de Dieu n'eft pas néan- moins fi obfcure & û cachée , que nous îi'enpuiffions découvrir quelques raifons qui luffifent pour la juftice, &. les voici,

1. Dieu veut éprouver Tes élus , &C leur donner occafion de lui marquer par leur conllance , leur fidélité. C'étoit la réponfe que faifoit aux infidèles un des plus zélés défenieurs de la loi chrétienne. Dieu nous examine , difoit-il , il fonde le cœur de l'homme , par ? par les îiffii6lions. Si Dieu ne wei pas l'impie à de pareilles épreuves , c'eft qu'il ne le juge pas digne 'de lui. p. 144. juf^u'à 151,

2. Dieu veut purifier les élus de tou- tes les affections de la terre. Si les prof- périîés temporelles étoient attachées à la vertu , la plupart ne ferviroient Dieu que dans cette vue , & par conféquent ne l'aim.eroient pas pour lui - même» p. 151. 153.

3. Dieu veut affurer le falut de les élus , & les mettre à couvert du danger inévitable qui fe rencontre dans les proi^ pérités du liecle ; car il n'eft rien de plus contagieux que les biens de cette vie , ÔC c'eft pour cela que Dieu en prive Iss jufles, p. 153, 154,

DES Sermons. 411

4. Dieu, par une aimable violence, Teut forcer Tes élus de fe tenir unis à lui , en leur rendant tout le refte amer , ôc ne leur offrant par-tout ailleurs que des objets qui leur infpirent du dégoût. Si le iP-onde eût été à leur égard ce qu'il eft à regard de tant de mondains , ils n'au- roient jamais penfé à Dieu. p. 154. 155.

5. Dieu veut fournir à fes élus une matière continuelle de combats , afin que ce foit pour eux une continuelle matière . de triomphe ^ de mérite ; fans combat point de vidoire, & fans vidoire point de couronne, p. 156. 157.

6. Dieu veut punir fes élus en ce mon- de , afin de ne les point punir en l'autre. Il n'y a point d'homme fi jufte à qui il n'échappe des fautes dont il eft redeva- ble à la juftice de Dieu , & Dieu dès maintenant le châtie en père miféricor- dieux , pour ne le point châtier après la mort en juge févere. p. 157. 159.

Voilà donc la providence juftifiée fur le partage des profpérités & des adver- fités temporelles entre les juftes & les pécheurs ; car comme Dieu prend foin de fes élus par les adverfités qu'il leur envoie, au contraire il fe tourne contre les pécheurs par les profpériiés miême , dont il les laide jouir ÔC qui les perdent, p. 159. jufqu'à 163.

11. Partie. Il y a même dans les affligions des juftes & la profpérité des pécheurs de quoi établir notre foi : Car

Sij

412 Table et Abrégé ce partage nous montre trois chofes ^ fçavoir qu'il y a une autre vie que celle- ci , que Jefus-Chrift eft fidèle dans les promefifes qu'il nous a faites , & que Dieu nous fauve félon l'ordre deprédeilination qu'il a marqué pour tous les hommes. p. 163. 165.

1. Qu'il y a une autre vie que celle- ci & d'autres biens à efpérer ; fans cela , comme remarque Guillaume de Paris , feroit à l'égard des élus , la fageffe & la bonté de Dieu ? Sans cela , pourfuit le même Père, on pourroit dire que les juftes feroient des infenfés , & que les impies feroient les vrais fages. Ne vous troublez point, mon Frère, conclut Saint Auguftin : l'impie a fon temps qui efl bien court , mais vous aurez le vôtre qui fera éternel. C'eft ce qui confoloit le faint homme Job & le Roi Prophète. p. 165. jufquà 171.

2. Que Jefus - Chrift eft fidèle dans les promeffes qu'il nous a faites , & vrai dans fes prédirions. Il a dit à fes difci- ples & dans leurs perfonnes à tous les juftès : Le monde fi réjouira , & vous fere^ dans la triflejfe. Nous voyons cette pa- role accomplie , & c'eft une preuve que l'autre s'accomplira : Votre trijlejfe fer^ changée en joie. p. 171. 174"

3. Que Dieu nous fauve félon l'ordre de prédeftination qu'il a marqué. Car il a réfolu que nous ne ferions fauves quç par une faime conformité avec Jefus-

» E s S E R M O N !5. 4x3

Chrift Ton Fils. Ainfi nous le témoigne expreffément l'Apôtre, p. 174. 176.

Il efl vrai néanmoins qu'il y a des gens de bien d-ins la prorpériré ; mais il le Lut de la forte , afin que Tétat de la prorpériîé temporelle ne (bit pas abfolu- ment exclu du Royaume de Dieu. De plus , û les Saints fe font vus dans une profpérité humaine , c'eft ce qui les fai- foit trembler. Enfin , fans quitter leur condition , ils fçavoient bien fous les dehors d'une condition aifée & commo- de , garder toutes les pratiques de l'ab- nég.uiàn chrétienne, p. 176. 178,

11 eft encore vrai qu'on a vu & qu'on voit des pécheurs dans les mêmes ad- verli'.éi que les juftes. Mais fans exami- ner toutes les raifons que Dien a de ne vouloir pis que le vice toujours profpe- re , c'eft affez d'avertir ces pécheurs que leurs affliét'ons font pour eux des grâces de Dieu &les grâces les plus précieufes s'il en veulent profiter, p. 178. 180.

Sermon pour le cinquième Diman- che après l'Epiphanie , fîar la Société des Juûes avec les Pé- cheurs. Fa^. 18 u

SUjet. Tandis que les gens dormaient l'ennemi vint , & fema de r ivraie parmi le bon grain. Les pécheurs font dans

S iij

414 Table et Abrégé

cette vie parmi les juftes comme l'ivraîâ parmi le bon grain , & il eft important que les juftes ibient inftruits de la ma- Tiiere dont ils doivent fe comporter ÔC qu'ils fçachent quelle fociété ils peuvent avoir avec les pécheurs, p. i8i. 183.

Division. Nous devons demeurer avec les pécheurs comme Dieu y demeu- re. Or Dieu n'eft avec les pécheurs que par la néceffiîé de Ion être , & no^us ne devons demeurer avec eux que par la nécelîiîé de notre état, i. Partie. Dieu tire fa gloire des pécheurs & travaille en même - temps à leur falut : & c'eft ainfi que nous devons rendre notre com- merce avec les pécheurs également pro- fitable pour nous & pour eux-mêmes, 2., Partie, p. 183. 185.

I. Partie. Dieu n'efl avec les pé- cheurs que par la néceffité de Ton etre^ & nous ne devons demeurer avec eux que par la néceffité de notre état. A en- tendre parler l'Ecriture , on diroit que Dieu n'eft pas avec les pécheurs Se qu'il y eft : il n'y eft pas comme ami par une proteftion Tpécialeôc par la communi- cation de Tes dons ; mais il y eft comme Dieu créateur, qui doit veiller au gou- vernement du monde & conduire toutes les créatures ; il y eft par Ion immenfité divine dont il ne peut fe dépouiller , ÔC qui le rend par-tout préfent. Admirable idée de la conduite que nous devons obférver à l'égard des libertins du HqqIq »

DES Sermons. 415

vivant avec eux autant que nous y fom- mes obligés ; car il y a certaines liaifons cu'il ne nous eft pas permis de rompre : mais du refte,dès que nulle néceiîité ne nous retient auprès d'eux, féparons-nous- e.n & fuyons-les. Ainfi l'ordonnoit Saint Paul aux Chrétiens de Thedalonique ^ 6c ainfi le pratiquoit David ; ainli Dieu lui- même le commandoit en termes formels aux enfants d'Ifraël , leur détendant tout commerce avec les nations infidelles. Nous devons donc faire dès maintenant ce qui fe fera à la réfurre^lion générale , les élus feront féparés des réprouvés ; & c'eft en cela que confifte par avance la gloire & la perfe^flion des juftes fjr la terre ; exemple d'Acham & de Judas. Voilà pourquoi l'Eglife excommunie cer- tains pécheurs ; fi elle ne lance pas fes foudres fur les autres , ce n'eft pas qu'elle nous permette de les fréquenter : & indé- pendamment des anathêmes de TEglife, nous ne pouvons lier avec les impies , I. fans devenir coupables d'un mépris exprès de Dieu , 2. fans devenir le fcan- dale de nos frères, 3. fans devenir en- nemis de nous-mêmes, en nous perdant nous-mêmes, p. 183. jufquà 199.

1. C'eft méprifer Dieu , puifque c'efl s'unir avec fes ennemis. Exemple de Jofaphat. p. 199. 200»

2. Ceft fcandalifer le prochain : car que peut-on penfer d'an homme ou d'une femme qu'on voit toujours en certaines^

S IV

'4i6 Table et Abrégé compagnies & avec des gens décriés- ?

p. aOO. 202.

3. C'eft fe perdre foi-même , ou s*ex- pofer à fe perdre : car qui ne fçait pas combi-en les mauvaifes compagnies font dangereufes. Exemple des Juifs : défen* fe de TEglife : paffage de Tertullien. Si nous examinons bien quel eft le principe de la corruption du fiecle , nous n'en trouverons point de plus commun que les fociétés & les converfations du monde profane, p. 202. jufquà 208.

II. Partie. Dieu tire fa gloire des pécheurs & travaille en même-temps à leur falut , & c'eft ainfi que nous devons rendre notre commerce avec les pécheurs également profitable pour nous & pour eux-mêrnes.

I. Que Dieu tire fa gloire des pé- cheurs ; c'eft ce que prouve S. Auguf- îin en faifant voir comment Dieu s'eft fervi des infidelles pour opérer les mer- veilles de fa grâce , des hérétiques pour éclaircir les vérités de la religion , des fchifmatiques pour établir la perpétuité ^e fon Eglife , & des Juifs pour rendre témoignage à Jefus-Chrift. 11 s'eft fervi des Romains pour exercer fes vengean- ces fur Jérufalem, & des tyrans pour avoir des martyrs fur la terre & des Saints dans le ciel. Quand donc nous nous trou- vons nécedairement engagés avec les pé- cheurs , nous devons de même en pro- fiter pour notre fani^ification & notr«-

r

DES Sermons. ^4^7

perfe^lion. Car quelles occafions ne nous fournlffent-ils pas de pratiquer la patien- ce , la charité , l'iiumilité , les plus émi- nentes vertus ? Mais nous renverfons là- deffus tous les defleins de la Providence. Une femme vivant avec un mari emporté ÔL vicieux , pourroit par fa douceur & fa foumiffion acquérir des mérites fans nombre ; mais elle perd tout par fes mur- mures & fes révoltes. Ainfi des autres. Et il ne faut point dire que dans un autre état on travailleroit mieux à fe fandlifîer : on ne le peut mieux faire que dans Tétat qui nous eft marqué de Dieu , parce que c'eft pour cet état qu'il nous a préparé les fecours de fa grâce , &L que c'eft dans cet état que nous lui donnerons de plus folides témoignages de notre fidé- lité, p. 208. jufquà 220.

2. Dieu tirant fa gloire des pécheurs,' penfe en m.ême-temps à leur falut. 11 les appelle à lui, il les invite à la péniten- ce 3 il leur en procure les moyens. Voilà comment nous devons, en profitant des pécheurs pour nous - mêmes , profiter nous-mêmes aux pécheurs. Devoir gé- néral : la charité nous oblige tous com- me chrétiens de nous aider les uns les autres par de falutaires confeils, de fa- ges remontrances , de bons exemples. Devoir particulier & fpécialement pro- pre de certains états , c'eft à un père de corriger un fils entraîné par le feu de fes gaiîions, à unç ciçrç ^ corriger une fille,

S y

4i8 Tablé et Abrégé

à un maître de corriger un domeftiqus: devoir encore plus particulier pour les pécheurs eux-mêmes lorfqu'ils ont eu le bonheur de le reconnoitre. Ils doivent tâcher de gagner autant d'ames à Dieu par leur zèle, qu'ils en ont perdu par leurs fcandaies. p. 220. jufquà 228.

Sermon pour le fixieme Dimanche après l'Epiphanie , fur la fain- teté & la force de la Loi chré- tienne. Pag. Z2C).

SUjet. Le Royaume des deux efl fem- hiahle à un grain de Jenevé , qu'un homme prend & fcme dans fon champ. Ccjî le plus petit grain de toutes les jemences ; mais lorfque ce grain a poujfé , il s'élève eu dejfus de toutes les autres plantes , & il devient arbre. Voilà , félon S. Jérôme & tous les interprètes, la figure de la foi chrétienne. Rien de plus petit dans fon commencem.ent, & rien de plus éten- du dans fon progrès, p. 229. 232.

Division. Samteté de la loi chré- tienne , 1. Partie. Force de la loi chré- tienne , 1, Partie. Donc loi chrétienne , loi toute divine, p. 232. 234.

1. Partie. Sainteté de la loi chré- tienne dans Ion Auteur , dans fes maxi- mes, dans fes confeils, dans fes fe<^ateurs, dans fes n^yfteres. p. 234.

DES Sermons. 41^

t. Dans fon Auteur, c'eft Jefus-Chrlil, U fainteté même. Quels auteurs ont eu les autres lolx , & qu'étolt-ce par exem- ple , qu'un Mahomet ? Quels auteurs ont eu les héréfies , Si. qu'étolt-ce qu'un Luther, un Calvin? p. 234, 236.

2. Dans Tes maximes Quoi de plus pur &. de plus fublime ? c'ei^ cette loi îainte, dit Ladance , qui a éclalrci toutes les loix de la nature , qui a mis la der- nière perfe6lion à toutes les loix divines , qui a autorifé toutes les loix humaines, & qui a détruit fans exception toutes les loix du vice & du péché Au contraire les loix païennes ont toléré les crimes. Se à quelle licence les héréfies ont - telles porté? p. 236. juCqu'à 243.

3. Dans fes confeils. Qu'eft-ce que cette pauvreté évangélique qu'elle nous propofe ? Qu'eft-ce que ce renoncement volontaire à tous les plaifirs des fens ? p. 243, 245.

4. Dans fes feélateurs. Il n'y a qu'à lire dans S. Luc quelle étoit la vie des premiers fidèles ; il n'y a qu'à confulter toutes les hiftoires faintes ; il n'y a qu'à confidérer tous les états du Chrifrianif* me , l'on a vu & l'on voit encore tant de Saints. Ce n'efl pas qu'il n'y ait des Chrétiens très- corrompus ; mais U religion chrétienne n'efl point refponfa- ble de leur libertinage & de leur corrup- tion : car elle eft la première à les .condamner, p/ 24^. jufqu'à 248.

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?iô Table et Abrégé

Dans fes myfteres. A quelle pureté de mœurs ne nous engagent -ils poinî dès que nous nous foumettons à les croire ? A quelle perte6lion ne nous élevent-ils point? p. 248. 250.

La loi chrétienne eft donc une loi fainte , & de quelle lainteté ? d'une fain- teté folide , aglffante , univerfelle , fage , patiente, religieufe envers Dieu, chari- table envers le prochain , févere pour elle-même. De concluons deux cho- ies : que la fainteté de cette loi eft un tdes motifs les plus puilîants pour nous y attacher , & que la fainteté de cette ynême loi eft notre confufion & notre condamnation fi nous ne travaillons pas a nous fanc>ifier. p. 250. jufquà 257»

11. Partie. Force de la loi chré- tienne. Cette force toute divine a paru dans rétabllirement &. la propagation du Chriftianifme. De quoi s'agifToit- il quand Jefus-Chrift vint prêcher au monde une loi nouvelle ? 11 étoit queftion d'abolir toutes les fuperftitions du paganifme , 6c <d'établir une loi auftere & mortifiante , une loi contraire à toutes les inclinations de la nature. Que falloit-il pour en venir à bout ? 11 falloit furmonter la puiffance des Souverains, la fagefTe des politiques , la cruauté des tyrans , le zèle des ido- lâtres, l'impiété des athées. Si Jefus- Chrift , dit S. Auguftin , en eût conféré i^vec un des philofophes de ce temps-là, l^e philofophe a'eut il pas tf aité çet^a

b E s Sermons; 41Ï

cmreprife de chlraere &c de folie ? Voilà néanmoins ce qui s'eft fait , & c'eft la nierveille que nous voyons, pag. 257. jufquâ 261.

i\ n'y a que la loi chrétienne qui fe foit établie par des principes toute la rai- ^on de l'homme fe perd , 6c parmi les plus violentes perfécutions. Mais il le ialloit ainfi , afin que les peuples con- Tjuffent que c'étoit la loi de Dieu & l'œuvre de Dieu. p. ^6i,jufquà 265.

Nous voyons encore de nos jours ce même prodige fe renouveller parmi les nations étrangères & les infideîles , & fur cela nous pouvons bien teliciter l'Eglife comme la félicitoit le Prophète fous le nom de Jérufalem. Toutes les religions païennes fe font établies par la licence des mœurs , & les héréfies par la vio- lence , par le fer & le feu. La religion chrétienne n'a point eu d'autres armes ni d'autres moyens cjue la parole de Dieu, l'innocence de la vie Oc la patience, pacr. ^65. jufqu'à 268.

De quatre conféquences comprifes en quatre mots ; reconnoilTance , éton- nement, réflexion, réfolution. p. 268.

1. ReconnoilTance envers Dieu , qui nous a choifis 6c fait naître dans la loi chrétienne, p. 268. 270.

2. Etonnement de ce qu'une loi fi puiflame 6c fi agiflante opère fi peu dans nous. p. 270. 272.

3. Réflexion, Que nous fert de pro-:

42.Î Table et Abrêgs fsffer une loi dont la vertu eft toute- puillante , lorfqu'à notre égard toute cette vertu fe trouve inuùle ôc fans effet ? p. 272. 274. .

4. Réfolution de vivre déformais en chrétiens , & de laiiler agir en nous toute \a vertu de la loi que nous avons einbraflee. p. 274.

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Sermon pour le Dimanche de la Septuagéfime , fur rOinveté. Pag, 2/3.

Ujet. Etant forti vers la onzième ' heure du jour , il en trouva encore d'autres qui étaient , & il leur dit : Comment demeurai - vous ici tout le jour fans rien faire ? L'oiGveté ne paffe dans le monde que pour un péché léger , mais c'eil devant Dieu un péché très -grief. p. 275. 276. ^ ^

Division. Nous fommes tous obliges au travail , & en quafité de pécheurs ,

1. Partie ; &: en qualité d'hommes atta- chés par état à une condition de vie ^

2. Partie, p. 276. 278.

I. Partie. Nous fommes tous obligés au travail en qualité de pécheurs , car le travail eft la peine du péché. Peine fatif- fa^toire , & peine préiervative. p. 278.

■I, Peine fatisfa6loire. Dieu impofa k

^

T) E s Serions; ^2 J

travail au premier homme , comme le châtiment de Ton péché ; & cette loi s'eft étendue à toute la poftérité d'Adam , fans nulle exception d'états , parce que nous fommes tous pécheurs. Quand donc nous menons une vie oiiive , nous tombons dans une féconde révolte contre Dieu ; la première a été notre péché , & la féconde el^ la fuite du travail qui en doit être la punition. Voilà néanmoins quelle eft la vie du monde. On pafiTe les années à perdre la chofe la plus pré- cieufe , qui eft le temps , ôc le temps de la pénitence. Je fuis riche, dit- on , & qu'ai-je à taire de travailler ? mais quoi- que riche , vous êtes pécheur. Je fuis d'une qualité & dans un rang le travail ne me convient pas : il vous convient par-tout 3 puifque par-tout vous êtes pé- cheur. Le travail e(i ennuyeux : prenez cet ennui par pénitence, p. 2S1. jufyu'à 292,

2. Peine préfervative. De combien de péchés l'oiliveté eft-elle la fource ? c'eft le travail qui nous en prél'erve. Exemple des Juifs , de David, de Salomon. C'efl: pour cela que les Pères du défert en- joignoient (1 tortem.ent le travail aux folitaires ; & c'efl de nîême que la vraie p'été & l'innocence des m.œurs ne fe rencontrent prelque plus que dans ces conditions médiocres qui fubfiftent par le travail, p. 292. ju/qu'â 199.

I î. Partie. Nous fommes tous obligés au travail ea qualité d'hommes

4*4 Table et Abrégé attachés par état à une condition de vîe i car toute condition eft fujette à certains devoirs dont l'accompliffement demande du travail & de la peine ; 6c plus une condition eft relevée dans le monde , plus elle a de ces engagements auxquels il eft impolîible de fatisfaire fans une application conftante & afïïdue. Cela fe voit affez par l'indu^lion qu'on peut faire de tous les états de la vie. p. 2.99. jujcfuà 303.

Dieu l'aalnfi ordonné pour deux rai- fons , fur-tout à l'égard des conditions plus relevées ; i. afin que les dignités & les conditions honorables , ne deviniTent pas les fujets de notre vanité ; 2. afin qu'elles ne fervifl'ent pas à exciter notre ambition, p. 303. 305.

Concluons donc deux chofes , qu'il n'y a point d'état l'oifiveté ne foit un crime , & qu'elle Teft encore plus dans les états fupérieurs aux autres. Y a-t-il en effet un état l'on puifte être oifif fans manquer aux devoirs de conf- cience les plus eiTentiels , & comm.e les états fupérieurs ont des devoirs plus im- portants, n'en eft-on pas d'autant plus criminels , lorfque l'oifiveté les tait né- gliger ? C'eft pervertir l'ordre des cho- fes , c'eft être infidèle à la Providence, c'eft déshonorer fon état , & par une fuite nécefl'dire c'eft fe damner. Exem- ple de l'Empereur Valeiitinien, p. 305. jufquà 312,

BÊs Sermons; '45-^

Sermon pour le Dimanche de lu Sexagéfime , fur la parole de Dieu. Fag. j/j*

SUjet. Le bon grain , c'efi la parole de Dieu. Somines-nous de cette bon- ne terre le bon grain de la parole de Dieu fructifie ? Si cette divine parole efl fiftérile, il ne faut point s'en prendre à Dieu , mais aux mauvalfes difpofitions de ceux à qui on l'annonce, pag. 313.

Division. La parole de Dieu nous eft inutile, parce qu'on ne la reçoit pas comme parole de Dieu ^ i. Partie. Et dès que par notre taute cette fainte pa- role nous eft inutile ^ elle devient le fujet de notre condamnation devant Dieu , 2. Partie, p. 315. 317.

I. Partie. La parole de Dieu nous e{l fouvent inutile, parce qu'on ne la reçoit pas comme parole de Dieu. Il faut d'abord pofer ce principe , que Dieu parle par la bouche de fes prédicateurs. Point de con- troverfe en faveur des nouveaux con- vertis, p. "^ij. jufquâ 323.

Puifque c'eft la parole de Dieu qu'an- noncent les prédicateurs , fuivent de trois grandes conféquences ; i. que nous devons donc écouter les prédicateurs de l'Evangile comme Dieu même j 2, que

426 Table et Abrégé

fi je reçois la parole de Dieu comme parole des hommes , je ne fatisfais pas au précepte pofitif que ma religion m'im- pofe, d'écouter la pêTole de Dieu. 3. Que d'entendre cette parole de Dieu comme parole de rhoinme , c'eft la rendre inu- tile , & voilà de quoi prélentement il s'agit. La preuve en eft fondée fur deux principes indubitables ; le premier eft que la force toute-puiffante de la parole de Dieu ne lui convient pas en tant qu'elle procède de l'homme, mais en tant qu'elle €ll de Dieu ; le fécond , c'eft que la parole de Dieu n'opère en nous que félon la minière dont elle* y eft reçue. Vous ne la recevez que comme parole de î'homme, elle n'agira que comime parole de l'homme : or rien de plus foible que la parole de l'homme. Exemple des Juifs & des Apôtres. Ne nous étonnons donc point de ce que la parole de Dieu nous profite fi peu : c'eft qu'on ne l'entend que comme parole des hommes ; c'eft- à-dire qu'on l'entend, i. par coutume & par une efpece de paffe-temps ^ 2. par un efprit de malignité & de cenfare , 3. par une curiofité vaine &. toute humaine. p. T^i-^.jujquà 339.

II. PaPvTie. Dès que par notre faute la parole de Dieu nous eft inutile , elle devient le fujet de notre condamnation devant Dieu ; car fe rendre inutile une parole fi efficace en elle-même , i. c'eft un péché , 2. c'eft s'oter , par ce péché

ïDEs Sermons. 427

particulier , toute excufe dans tous les autres péchés, p. 339. 341.

1 . C'eft un péché , parce que la parole de Dieu eft un moyen de faîut 6i un des premiers moyens. Or puifqu'il nous eft ordonné de travailler à notre falut , manquer par fa faute un tel moyen , c'eft incontedablement un péché. Quel fut le péché des Juifs ? de ne s'être pas fournis à la parole de Dieu ; cependant de tous les péchés en eft-il un que l'on connoiffe moins ? On ne s'en fait nul fcrupule ; mais il y a néanm.oins de quoi nous faire trembler, p. J41. jufqu à 350*

2. C'eft s'ôter , par ce péché parti- culier, toute excufe dans tous les autres péchés : car à quoi fe léduifent toutes nos excufes ^ eu à l'ignorance , ou à la foiblefîe : or la parole de Dieu eft un moyen pour nous inftruire & pour nous fortifier. Nous ne pouvons donc plus dire ce qu'on dit néanmoins fur tant de fujets , je ne le fçavois pas , ou je ne le pouvois pas. La parole de Dieu étoit un moyen pour le fçavoir & pour le pouvoir : & c'étoit le moyen le plus puif- fant , le plus préfent , le plus gratuit 8c d'une préférence plus marquée, p. 350. jufquà 361.

■41Î Table et ÂBRiGi

Sermon pour le Dimanche de k Quinquagéfime , fur le fcandale de la Croix & des humiliations de Jefus-Chrifl. Pag. 362.

SUjet. Je fus prit avec lui ps Jou^é Apôtres , & leur dit : Voici que nous ûlions à Jérufahm , 6^ tout ce que Us Pro- fhetes ont écrit du Fds de l'Homme ^s'ac- complira ; car il fera livré aux Gentils ^ moqué t flagellé , couvert de crachats. Et après qu'on l'aura fl.igellé , on le mettra à mort ; mais Ls Afôtres n'entendirent rien à tout cela , & c'étoit une chofe cachée four eux. Les Apôtres n'y entendirent rien; & cette croix , ces humili. tions d'un Dieu Sauveur , c'eft ce qui rebute & ce qui fcandalile , jufques au milieu du Chriftianifcne , tant de libertins, p, 362. 364.

Division. Dieu offenfé par le fcan- dale de l'homme touchant les humilia- tions & la croix de Jefus-Chrift , i. Partie. L'homme perdu par ce même fcandale des humiliations & de la croix d€ Jefus- Chrift, a. Partie, p. 364. 365. 366.

L Partie. Dieu ofFenfé par le fcan- dale de l'homme touchant les humilia- tions & la croix de Jefus - Chrift. Ce fcandale bleffe direftement la grandeur , lâbonté, la fagefie de Dieu. p. 366. 367.

BEs Sermons; 415

T. Ce fcandale blefle la grandeur de Dieu. Car c'eft attaquer Dieu dans la fouveraineté de Ton être , que de pré- tendre , en quoi que ce foit , cenfurer fa conduite & (a providence. Mais , difoit l'héréliarque Marcion , fi je me fcanda- life des humiliations & des foufFrances d'un Homme-Dieu, c'eft pour l'intérêt rnême & l'honneur de Dieu , dont je ne puis fupporter que la majeflé foit ainfi avilie. Zèle trompeur ôcfaux , lui répon- doit Tertuliien. C'eilàvous, fans rai- sonner , de reconnoître votre Dieu dans tous les états il a voulu fe faire voir ; car dans tous les états il eft également Dieu. p. 367. jufquà 373.

2. Ce fcandale blelTe la bonté de Dieu; Nous nous rebutons des myfteres d'ua ' Dieu humilié & crucifié, c'eft - à - dire que nous nous rebutons & que nous nous fcandalifons de cela même Dieu nous a fait paroître plus fenfiblement fon amour#

P- 373- >A^'^ 377-

5. Ce fcandale fait outrage à la fa- gefife de Dieu. Le myftere de la croix, félon les prétendus efprits forts du fiecle, eft une folie : mais c'eft le plus excel- lent ouvrage de la fagelTe divine. Car rien n'étoit plus convenable à TofFice de Sauveur , que venoit exercer le Fils de Dieu. 11 devoit fatisfaire à Dieu : or la fatisfa^lion d'une offenfe porte avec fai .l'humiliation & la peine ; il devoit nous (engager ngus-mçmes à la p.énitei\çe , U

430 Table et Abrège

pouvoit-il mieux nous y engager que par fon exemple ? Mais cette pénitence ne nous plaît pas , & voilà pourquoi nous nous révoltons contre des myfteres qui nous en font voir la néceilité. pag, 377. jufquà 382.

H. Partie. L'homme perdu par ce fcandale des humiliations & de la croix de Jefus-Chrift : pourquoi ? parce que ce fcandale eu effentiellement oppo- à la profeffion de foi que doit taire tout homme chrétien ; parce que ce fcaiv dale eft un obftacle continuel à tous les devoirs & à toutes les pratiques la religion d'un chrétien ; & parce que ce fcandale eft le principe général , mais immanquable, de tous les défordres par- ticuliers de la vie d'un chrétien, p. 382,

385.

I. Ce fcandale eft efl'entiellement op- pofé à la profeiîion de foi que doit faire tout homme chrétien ; car il doit croire ie myilere de la croix , & faire une pro- feiîion publique de cette foi en Jefus- Chrift humilié 6c cruciné ; & par la croix du Sauveur il ne faut pas feulement enten- dre cette croix extérieure il eft mort, ïTiais la croix intérieure dont il fut aitiigé dans fon ame. Si notre profefTion de foi eil pleine ôi entière, nous devons , comme S. Paul, faire gloire de participer à cette croix intérieure par les fouffrances de la vie ; mais c'eft de quoi nous avons le ;plus d'horreur, p. 385. 387,

DES Sermons. 431

î. Ce fcandale eft un obftacle conti- nuel à tous les devoirs & à toutes les •pratiques de la religion d'un chrétien. Toutes les pratiques de la vie chrétien- ne tendent à la haine de foi- même, au crucifiement de la chair , à l'anéantifTe- ment de l'orgueil, au retranchement des plaifirs , au renoncement à l'intérêt : or voilà ce qui le trouve combattu par le fcandale des humiliations «Se de la croix du Fils de Dieu. p. 3B7. 390.

3. Ce fcandale eft le principe général de tous les défordres particuliers de la vie d'un Chrétien ; s'il y a des Chré- tiens intérelTés , c'eft qu'il y a des Chré-; tiens fcandalilés de la pauvreté de Jefus- Chriil ; s'il y a des Chrétiens ambitieux, c'eft qu'il y a des Chrétiens fcandalifés des abaiilements de Jefus- Chriil. Ainfà des autres. Heureux donc celui pour qui l'auteur de fon falut n'eft point un fujet de fcandale. Un fcandale en attire un autre :fi nous nous fcandalifons de notre Dieu , il fe fcandalifera de nous. Prier^ à Dieu, p. 390, JL'fqu'à 395,

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