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SOLDAT DE PIE IX

PAR

C. E; ROULEAU

ancien sous officier aux zouaves pontificaux

AlMk DIEU ET VA TON CHEMIN.

Prix : 75 Contins, relié.

50 " broché.

QUEBEC ! DE L'IMPRIMERIE DE L. J. DEMERS A FRÈR Editeurs du " Canadc

. 1881

INTRODUCTION.

On me dira peut-être : " Voilà encore un livre sur Rome ; il y en a pourtant assez." J'avoue qu'un nombre incalculable d'écrivains, maniant la plume p]us facilement que moi, ont parlé de Rome ; mais je suis le conseil du très regretté et très illustre évêque de Poitiers, Mgr. Pie, qui écrivait un jour à un de ses amis : " Ce qu'on dit avec raison de la Mère de Dieu : De Maria numquam satis, on peut le dire de la cité de Rome : De Rovî a num- quam satis. " Rome n'est pas encore connue, et elle ne le sera jamais. C'est un trésor que les savants mômes ne peuvent épuiser. Rome renferme l'histoire de l'Eglise catholique, de toutes les nations, de tous les grands hommes, de tous les saints et de tous les martyrs. Rome enfin, c'est la plus grande merveille du monde entier.

IV

En 186S, je volai, avec quelques-uns de mes compatriotes, à la défense du Saint-Siège que menaçaient les hordes garibaldiennes. J'ai passé plus de deux ans à l'ombre du drapeau pontifical, et, pendant mon séjour sur ce sol arrosé de sang chrétien, j'ai profité de mes heures de loisir pour m'instruire sur tout ce que je voyais. Lorsque la caserne était consignée pour parler militaire- ment— je prenais mon agenda et mon crayon, et je visitais les lieux qui pouvaient me rappeler quelques souvenirs religieux et historiques. J'ai eu l'avantage de parcourir presque tous les Etats de l'Eglise, lorsque j'étais obligé de changer de garnison ; de sorte que j'ai pu me faire une bonne provision de notes.

Depuis mon retour au pays, ces souvenirs, que j'avais recueillis avec soin, dormaient paisiblement dans les rayons poudreux de ma bibliothèque, et leur sommeil se serait prolongé indéfiniment sans les sollicitations pressantes de quelques-uns de mes amis, qui me disaient : " Publie donc une relation détaillée de ton voyage. ' Je me suis décidé enfin, et je vous présente aujourd'hui, ami lecteur, ce petit livre intitulé : " Souvenirs de voyage d'un soldat de Pie IX.

J'éprouve cependant un bien vif regret en livrant au public ce premier essai de ma plume si

peu exercée : c'est de ne pouvoir raconter, comme elle le mérite, cette glorieuse croisade des zouaves pontificaux canadiens, croisade due au zèle infati- gable et à l'inépuisable charité de l'épiscopat et du clergé du Canada.

Tout le monde a encore présent à la mémoire le danger que courut Rome en 1867. L'ermite de l'île de Caprera était sorti de son repaire et pro- menait le fer et le feu dans les Etats de l'Eglise ; il poussa ses conquêtes jusqu'aux portes de la Ville éternelle. L'illustre vieillard du Vatican, Pie IX, de regrettée mémoire, fut effrayé des progrès rapides de la révolution. Le Pontife-roi éleva la voix, et le monde catholique répondit à ces accents douloureux en envoyant des milliers de bras pour défendre le Saint-Siège. La France, la Belgique, l'Espagne, la Hollande, l'Autriche, la Prusse, la Pologne, l'Irlande, l'Angleterre, les Etats-Unis, les îles de Bourbon, de Malte et d.e Sardajgne, l'Italie même s'empressèrent de grossir les rangs de la petite armée pontificale.

M. A. B. Testard de Montigny, aujourd'hui reçorder à Montréal, M. le chevalier A. LaRocquc, le glorieux blessé de Mentana, et M. Ilugh Murray représentaient alors dignement le Canada à Rome. Mais cette force morale ne suffisait pas, il fallait la

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force physique. L'Eglise attendait plus de la part du pays illustré par les vertus des Laval, des Duplessis et des Saint- Valier. Nos Seigneurs les évéqucs, profondément attristés des malheurs qui mena- çaient la capitale de l'univers catholique, s'adres- sèrent à la jeunesse canadienne et la prièrent de sauver la barque de Pierre. La parole éloquente de l'épiscopat produisit l'effet désiré, et, au mois de février 1868, cent trente-cinq jeunes gens quit- taient le Canada, traversaient l'Atlantique, la France et la Méditerranée, et allaient s'enrôler sous le drapeau de l'immortel Pie IX. Partout on accourait en foule sur leur passage, pour contem- pler et admirer ces croisés des temps modernes. Partout on exaltait leur dévouement, leur foi ardente et leur profond attachement à l'Eglise catholique. Les peuples étonnés se demandaient d'où partaient ces preux jeunes hommes, au regard fier et courageux, au port noble et militaire. Un cri général retentit alors dans tout l'ancien monde, dans la France d'abord : " Ce sont des Canadiens, des descendants de Champlain et de Montcalm. Ce sont des enfants qui vont donner l'exemple de foi à leur mère, la fille aînée de l'Eglise."

Depuis cette époque, ce cri n'a cessé de vibrer aux oreilles de notre vraie mère-patrie, qui, ayant arraché le bandeau que Voltaire et les autres

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cjnsdcmfariiiœ avaient placé sur son front, a tourné les yeux vers nous et cherche à découvrir quelques vestiges de son ancienne, colonie en Amérique. L'idée que j'émets ici a été confirmée par l'hono- rable M. A. P. Caron, ministre de la milice, qui disait dans sa réponse à une adresse que les zouaves de Québec lui ont présentée en 1880, a l'occasion de sa promotion :

" Le mouvement de nos zouaves, leur passage u à travers la France, leur séjour en Italie ont u contribué dans une grande mesure à attirer les " regards de l'Europe sur nous, sur notre pays, et " vous avez ainsi rendu au Canada un service qu'il " ne peut oublier."

Avant ce beau mouvement des zouaves, le Canada était tellement négligé et tellement ignoré que la plupart des Européens ne connaissaient même pas notre langage. Quelques-uns croyaient que nous parlions l'anglais, d'autres l'iroquois, le huron, le montagnais ou le micmac, en général un jargon sauvage à nous seul connu. Nos mœurs, notre religion et nos coutumes devaient être celles des Indiens : vivre de chasse et de pèche, coucher sous la tente et dans les forêts, adorer le soleil ou le grand Manitou, scalper les prisonniers ou les faire brûler à petit feu, etc.. etc. Nous étions donc bien mal jugés à l'étranger. Aussi, quelle ne fut

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pas la surprise des Français, surtout, d'entendre parler, par les zouaves canadiens, la véritable langue du siècle de. Louis XIV, de les voir adorer le même Dieu qu'eux, vivre et dormir comme eux ! Ils restèrent ni plus ni moins épatés, comme dirait le zouave pontifical.

On croira peut-être que j'exagère. Je vais citer un simple trait pour dissiper tout doute :

A l'arrivée à Rome du premier contingent des zouaves canadiens, une partie de l'armée pontifi- cale, commandée par le baron de Charette, courut à sa rencontre, à la gare des Tcrmini. Dès que l'intrépide Taillefer eût mis pied à terre, il s'appro- cha de notre lieutenant-colonel, qui lui adressa la parole en anglais. M. Taillefer lui répondit en français. Le baron en fût si étonné et en même temps si content, qu'il garda le silence pendant quelques minutes ; il ajouta enfin : " Comment, j'ai le bonheur de presser la main à des compatriotes ! Les Canadiens sont donc de vrais Français ! C'est splcndide ! "

Nous venons de constater que le mouvement des zouaves a eu pour résultat matériel de faire connaître et apprécier davantage notre chère patrie. Mais ce n'est pas tout le bien que cette chevaleresque croisade a produit à l'étranger. Les zouaves -je ne crains pas de l'affirmer ont prouvé

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que la religion catholique avait au Canada des enfants dévoués ; ils ont prouvé que, malgré la conquête des Anglais, notre pays a su conserver intacte la foi de ses pères ; ils ont prouvé que le sang des saint Louis coule encore dans les veines des Canadiens-français. Voici ce que m'écrivait, l'été dernier, M. l'abbé Gingras, auteur avantageu- sement connu du public, en parlant de la croisade des zouaves canadiens : . -

" Cette expédition h Rome n'est-elle pas l'une " des plus belles pages de nos annales canadiennes ? " Cette expédition touchante, capable d'électriser "tout lecteur catholique, il faut travailler à la " populariser autant que possible. La papauté, au " sommet de son calvaire, en est à cette heure de " mélancolique indifférence, que le Christ a connue " sur la croix : la foule se retire ! Le peuple cana- " dien est l'un des rares disciples restés au pied de " la croix pour consoler la papauté dans son aban- " don. Il faut donc traiter avec respect tout ce " qui est de nature à retremper davantage la pro- " fonde et filiale sympathie qui attache le Canada " à l'immortel chef de l'Eglise

" L'expédition des zouaves canadiens a été un " snpcrbe clan de dévouement catJiolique : eh bien, " une nation qui, à l'instar de la nôtre, n'a pas " encore -tant s'en faut retiré sa main de celle

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"duJChrist, ne doit jamais cesser de brûler un peu " d'enthousiasme pour cette expédition de nos " croisés qui brillera toujours , aux yeux de V histoire, " comme l'une des plus belles perles de notre couronne u nationale.''

Je termine. Mes réflexions pourraient être taxées de partialité. Mais en disant adieu au lecteur, je ne puis m'empêcher de lui faire la remarque suivante :

Ce livre n'est pas une œuvre de littérature, et je n'ai pas la prétention de me placer au rang de ces hommes privilégiés qui sont appelés à illustrer leur pays par leurs écrits. Par conséquent, soyez indulgent, et, s'il s'est glissé quelques erreurs, comme vous pourrez vous en convaincre en lisant la page suivante, vous vous direz : Le but de l'auteur étant de nous faire aimer Rome et la Papauté, nous lui pardonnons bien volontiers.

Charles E. Rouleau.

Québec, 26 octobre iSSi.

P. 4, 2ième ligne, au lieu de "fallait mieux," lisez : ''valait mieux."

P. 46, 7ème ligne, au lieu de "mises en défaut j" lisez : " prises en défaut."

P. 80, 22ème ligne, et p. 184, 6ème ligne, au lieu de " Madona," lisez : " Madonna."

P. 93, 3ème ligne, au lieu de "Je viens de nommer," lisez : "Je veux parler de."

P. 98, nème ligne, au lieu de "applaudir l'héroïsme," lisez: "applaudir à l'héroïsme."

P. 101, 7eme ligne, au lieu de "alla se nicher," lisez: "se retira. "

P. 110, 23ème ligne, au lieu de "Port» inferi adversus eam non prœvalebunt, " lisez: "non prœvalebunt adversus eam."

P. 160, 3eme ligne, au lieu de "où le corps de J. C. est exposé," lisez : " l'Hostie sainte est exposée."

P. 184, 2cme ligne, au lieu de "qui gladio ferit, etc.," lisez: "omnes enim qui acceperint gladium, gladio peribunt."

P. 189, I5eme ligne, au lieu de "Quam bonum, etc.," lisez : " Ecce quam bonum, etc., etc."

P. 193, 2lème ligne, au lieu de "sans savoir qu'il se tiouvait," lisez : " sans savoir quelle se trouvait." -•

P. 194, dernière ligne, au lieu de " foudroyée par la foudre," lisez : " terrassée par la foudre."

SOUVENIRS DE VOYAGE

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SOLDAT DE PIE IX

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CHAPITRE I.

DÉPART ET TRAVERSÉE.

Nous sommes au 24 avril 1868. Le printemps remplit la nature de ses plus suaves parfums. Notre globe terrestre semble prendre une nouvelle vie. Tout le monde porte sur la figure l'empreinte de la plus vive allégresse. Un seul mortel apparaît avec un regard sombre et préoccupé. On le voit debout sur le pont du steamer, le St-Georgey les yeux fixés sur le séminaire et les tours de la cathédrale de Québec. Il essuie de temps en temps une larme fugitive qui lui sillonne la joue. Le souvenir de ses parents et de ses amis, qu'il va quitter hélas ! peut-être pour toujours, lui ronge

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le cœur ; la sainte vocation, qu'il avait embrassée et qu'il abandonne tout à coup, est pour lui un bien cruel bourreau. Quelquefois vous le voyez dans l'attitude d'un homme qui est sur le point d'entreprendre une action éclatante, mais qui déploie une grande hésitation à l'accomplir. Quel- quefois vous le voyez se composant un extérieur fier et sérieux et tenant le monologue suivant : "Adieu mes parents ! adieu mes amis ! adieu mes braves compatriotes ! je pars pour Rome, je vole au secours de l'immortel Pie IX. La religion m'ap- pelle, le sacrifice est fait."

Il dit, et le sifflet du traversier annonce le départ ; encore quelques secondes, et l'auteur de ces lignes aura quitté la vieille cité de Champlain. Je vous l'avoue franchement, cher lecteur, c'est à cette heure solennelle que j'ai parfaitement com- pris qu'il n'y a rien de plus fort que l'amour de la famille et celui de la patrie. Il m'a fallu montrer un courage presque surhumain pour supporter autant d'émotions à la fois, et pour ne pas fondre en pleurs comme une autre Madeleine, lorsque le bateau s'est éloigné du quai du Grand-Tronc.

A huit heures du même soir, je pars de Lévis en compagnie d'un brave défenseur de la papauté, M. Charles Paquet dit Lavallée, qui occupe aujourd'hui un poste dans la gendarmerie

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pontificale pour me rendre à Portland, Etats- Unis. Le voyage entre ces deux villes est passa- blement ennuyeux et monotone, puisqu'il se fait pendant la nuit. Mon ami et moi, nous chantons des cantiques dédiés à la Mère de Dieu, pour attirer sur nous les bénédictions du Ciel, afin de faire une heureuse traversée sur l'océan ; c'est ce qui a porté un correspondant à publier dans Y Union des Cantons de V Est, du 25 avril 1868, les quelques remarques qui suivent :

CORRESPONDANCE.

M. le Rédacteur,

11 En revenant vendredi dernier d'un petit voyage de plaisir, j'ai rencontré, dans les chars, deux jeunes gens qui m'ont intrigué beaucoup. Ils étaient paisibles et joyeux comme on l'est d'or- dinaire en pensant revoir bientôt des amis d'en- fance. Ce qui me surprenait surtout, c'était de les entendre fredonner doucement un cantique à Marie, l'étoile du Navigateur.

" Rien de surprenant, c'étaient deux zouaves qui allaient offrir au Saint-Père le secours de leurs bras pour repousser les ennemis de son Siège.

" Que Dieu vous protège, braves enfants de l'Église, et que la Vierge Immaculée vous accom- pagne jusqu'aux pieds du Vicaire de Jésus-Christ.

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" Leurs noms sont, MM. Charles Paquet et Charles Rouleau, du diocèse de Québec.

" Un Voyageur."

A la même date de cette correspondance, mais à deux heures et demie de relevée, je fais mon entrée triomphale dans Portland, et une demi-heure plus tard, je suis sur le Belgian, steamer de la ligne Allan, en destination de Liverpool. Je n'ai donc pas eu le temps de visiter cette ville améri- caine. J'en ai une idée bien vague ; une vue d'en- semble m'est restée gravée dans la mémoire, et voilà tout.

Le vingt-six, le temps est on ne peut plus splendide. L'océan atlantique est aussi calme que notre majestueux St-Laurent dans les plus beaux jours *de l'été. Je me promène sur le pont du bâti- ment pendant que les ministres luthériens nous en avons trois à bord— pérorent dans le salon devant quelques auditeurs delà même secte* et s'évertuent à leur faire comprendre qu'avec la bible seule on peut escalader le ciel. Quant à moi, je me disais qu'il \Jatyait mieux voguer dans la barque de Pierre, si nous voulons arriver au vrai port de l'Eternité. Mes protestants bons garçons du reste ont consacré une grande partie de l'avant-midi du dimanche à la lecture de leur

bible. Le dimanche à bord d'un steamer ! Quelle triste journée! C'est alors que vous regrettez le clo- cher de votre village. C'est alors que vous pensez au vénérable curé qui vous a ouvert la porte du ciel par la grâce du baptême, qui vous a conduit pour la première fois à la Sainte-Table, qui vous visite, vous console, vous bénit et vous pardonne. Mille réflexions de ce genre me traversèrent l'esprit. Je pensais encore aux fêtes religieuses qui se célè- brent au Canada avec tant de pompe, aux chants sacrés qui font retentir la voûte de nos églises, aux accords harmonieux de l'orgue qui réjouis- sent l'âme, et aux tintements des cloches qui nous invitent à élever nos cœurs vers la Divinité. Je me transportais, par la pensée, dans la cathé- drale de Québec, et je me disais : aujourd'hui, à pareille heure, mes anciens confrères sont agenouillés au pied de la statue de la sainte Vierge, et adressent les prières les plus ferventes à Celle qui guide le voyageur à travers les écueils. Comme vous le savez, nous étions dans le mois dédié à Marie. Cette pensée me consola.

Vers le soir, le vent*a#gmente ; à de légères ondulations ont succédé des flots irrités qui pren- nent tour à tour la forme d'une colline ou d'un vallon. Mais n'allez pas croire que nous sommes en danger, et que notre agile bâtiment craint de

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fendre les ondes verdoyantes ; non, sa marche, toujours majestueuse, devient de plus en plus rapide, car le vent, d'est qu'il était, s'est porté à l'ouest et, tout en blanchissant la crête des vagues, frappe avec force les voiles du Belgian.

Malgré l'irritation des flots, je suis ferme et inébranlable contre le mal de mer, je crois faire le voyage sans payer le tribut exigé par les minis- tres de Neptune. Sur l'océan, on a beau crier : pas de taxe ; il faut délier très souvent les cor- dons de sa bourse et déposer son obole sans mur- murer, heureux encore si l'on peut s'acquitter du cruel impôt, pendant une couple de jours.

Les quatre jours suivants, le temps se tient toujours clair et beau. Mais le vent souffle avec violence. La farouche aquilon a ébranlé l'océan jusque dans ses fondements, et lui a donné une teinte d'une blancheur éclatante. Les vagues augmentent en élévation ; ce ne sont plus de simples collines, mais bien d'énormes montagnes. Le vingt-neuf au soir, il tombe une pluie abon- dante accompagnée de grêle ; nous sommes sur les bancs de Terreneuve. Nous rencontrons une goélette que je prends en pitié. Nous la voyons descendre dans l'onde courroucée comme si elle ne devait plus reparaître, mais un instant après elle surgit du gouffre avec** agilité et majesté et

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continue de s'avancer hardiment. Pendant ces der- niers jours nous avons vu plusieurs navires en route pour Québec et Montréal. Je crois que la politesse est mieux observée sur mer que sur terre, car tous les navires qui sont passés dans notre rayon visuel, nous ont salués avec une grande galanterie, tout en nous faisant connaître le lieu de leur départ et de leur destination.

J'ai maintenant une excellente idée de ce que nous appelons océan. Le mugissement des vagues qui moutonnent et le sifflement du vent dans les cordages me font penser à ces paroles de Chateau- briand : " J'ai l'immensité sur ma tête, j'ai l'im- mensité sous mes pieds. "

Le premier de mai, mon aimable compagnon et moi nous commençons le mois de Marie dans notre cabine. Que de pensées, que de souvenirs assiègent notre esprit ! Nous sommes sur l'océan, ballotés par les flots, et peut-être sur le bord de la tombe ! Chassons les sombres idées, et portons notre pensée sur nos parents et nos amis qui prient Marie, Stella Maris, pour les deux voyageurs éloignés de plus de 1,500 milles de leur patrie.

A midi, j'ai entendu une conversation qui m'a profondément attristé. Un prédicateur allemand, qui revenait d'une mission dans l'Arkansas, dis- cutait avec un Anglais, qui ne paraissait pas

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l'approuver en tous points. Après avoir traité dif- férentes questions philosophiques, mes deux dis- coureurs en sont venus aux hommes mêmes, aux philosophes, et le sujet est tombé sur Voltaire. Je prêtais une oreille très attentive. L'Allemand était un admirateur enthousiaste de Voltaire ; il ne tarissait pas en éloges. On l'entendait dire sou- vent : " Voltaire is a very smart fellow. " " Quel charmant prédicateur, dis-je, en me tournant vers mon ami Paquet ! Je suis sûr que s'il continue longtemps à parcourir le même sentier boueux, il finira ses jours comme le monstre qu'il adore en mangeant le fruit de ses inventions."

Rien d'intéressant à noter pour les 2, 3, 4 et 5 ; notre steamer"est continuellement ballotté par des vagues énormes ; nous pouvons à peine nous tenir sur le pont. Néanmoins, je ne puis m'empêcher de dire que l'océan est magnifique et qu'il proclame la toute-puissance du Créateur.

Le 6, le temps est nuageux, mais sans pluie. Le vent, soufflant du sud, nous est assez favo- rable. Vers quatre heures P. M., le vent tombe complètement, et le ciel devient clair et serein. Tout à coup, à notre droite, nous apercevons la terre, " l'Irlande ! " nous sommes-nous écriés. Oui, c'est l'Irlande que nous avons près de nous ; elle mérite bien le nom de Verte-Erin, avec son

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riche manteau de verdure que le soleil darde de ses rayons ardents. Nous avons longé les côtes de l'Ile de saint Patrice pendant l'espace de 20 à 30 lieues, et, dans toute cette étendue, je n'ai eu qu'à admirer les plus riants aspects.

Les Anglais qui se trouvaient à bord semblaient différer de sentiments avec moi en portant leurs regards sur l'Irlande. Quelques-uns d'entre eux s'exclamaient : " That's the land of the Fenians !" Et si vous aviez vu la moue qu'ils faisaient en prononçant ces paroles de mépris !

Après avoir fait escale pendant quelque temps à Moville, nous continuons notre course rapide. Le 7 au matin, je vois dans le lointain l'Ecosse que dore le soleil levant. Un grand nombre de navires sillonnent la mer d'Irlande.

Bientôt, l'île of M an s'offre à nos regards. Ici je me crois au Canada. La première montagne, qui s'élève à l'ouest de cette île, ressemble beau- coup au cap sur lequel est bâtie la citadelle de Québec. Les autres chaînes présentent l'aspect des montagnes qui bordent la rive nord du St.- Laurent en arrière de la baie St.-Paul.

A 7 heures P. M., l'Angleterre nous apparaît ; mais nous devons attendre deux heures avant d'entrer dans le port de Liverpool. Nous avons devant nous un banc de sable que nous ne pour-

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rons franchir qu'avec la haute marée. Véritable supplice de Tantale ! Etre si près de la fière Albion et ne pas pouvoir y mettre le pied. Tout de même il faut bien se résigner à son sort.

Enfin, à io heures, nous entrons dans le port tant désiré. Bien que les ténèbres couvrent depuis longtemps la surface du globe, il nous est donné cependant de jouir d'un spectacle vraiment féeri- que. Nous sommes dans la rivière Mersey, et sur chaque rive s'étend une longue traînée lumineuse formée par des milliers de becs de gaz, et qui se perd dans le lointain. Figurez-vous être devant la citadelle de Québec, au milieu de notre beau St- Laurent, par une soirée d'été, et les yeux tournés vers l'île d'Orléans. A votre droite, vous avez la Pointe-Lévis, à votre gauche, Québec et la côte de Beaupré. Figurez-vous de plus une illumination générale des différents édifices qui parsèment cette immense étendue, et vous aurez une idée du pano- rama qui se déroule devant moi.

. A 10 heures et quinze minutes, je foule du pied le sol du Royaume-Uni de la Grande-Bre- tagne et d'Irlande.

Comme vous avez pu le constater, la traversée qui s'est effectuée dans l'espace de douze jours et demi a été très heureuse. La distance qui nous sépare maintenant de Portland est de 2,892 milles.

CHAPITRE II. .

PASSAGE EN ANGLETERRE ET EN FRANCE.

Liverpool est un des plus beaux ports de l'Eu- rope. Quand on contemple cette forêt de mâts sur la rivière Mersey, on se convainc aisément que cette ville fait un commerce très étendu. On y voit des navires de toutes les nations du monde. Dans les rues, vous ne coudoyez que des gens d'affaires qui vont et viennent. C'est un trans- bordement continuel de marchandises.

Le lendemain matin, c'est-à-dire le 8 de mai, je descends dans l'immense capitale d'Albion.

Je ne fais que traverser Londres et jeter un coup d'ceil rapide sur le dôme de Saint-Paul, que les Anglais comparent, dans leur orgueil, à celui de la splendide basilique de Saint-Pierre de Rome. Je pars immédiatement pour New-Haven, petit port de mer qui se trouve sur le bord de la Manche.

Pendant le trajet de Liverpool à ce dernier port, j'ai admiré l'exquise politesse que les con- ducteurs des convois de chemins de fer montrent

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à l'ég?.rd des passagers. Les champs, couverts d'une riche moisson, m'ont paru être cultivés avec \ un soin très intelligent. On voit que la science et l'ordre président aux travaux agricoles. Tout y est d'une beauté ravissante.

New-Haven est une ville peu considérable, et les édifices sont d'une apparence assez médiocre ; ce qui en fait l'importance, c'est son port. On y admire un grand nombre de bâtiments à vapeur et à voile qui trouvent un refuge très sûr dans ce havre. Mais en somme, résider en cette ville est on ne peut plus ennuyeux. On n'entend que le piétinement et le hennissement des chevaux qui traînent d'énormes wagons remplis de charbon de terre, que l'on expédie à des contrées éloignées, et le chant monotone ou les cris nasillards des nautonniers, qui s'empressent de terminer le char- gement de leurs navires.

Malgré le peu d'agrément qu'offre ce port, je suis forcé de demeurer toute une journée dans le grand hôtel appelé London and Paris ; aussi lorsque le sifflet du steamer, qui doit m'emporter au delà de la Manche, annonce le départ, je ne me fais pas prier pour me rendre dans ma cabine. Il était alors onze heures du soir ; c'est, comme vous le voyez, l'heure Morphée invite les heu- reux mortels à prendre un peu de repos. Je me

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jetai donc dans ses bras avec. joie. Lorsque je m'éveillai, le soleil inondait déjà de sa lumière jaunâtre la surface de la plaine liquide, et les côtes de ta France se montraient à l'horizon. La Manche était très calme et sillonnée en tous sens par de petites barques de pêcheurs. Mon cœur battait avec violence en voyant pour la première fois le beau pays des Cartier, des Champlain, des Laval, des Montcalm, etc.

Et qui pourrait retracer toutes les émotions que j'éprouvai en débarquant à Dieppe, en foulant le sol de l'ancien continent, de cette France tant vantée dans l'histoire ? J'y voyais passer tour à tour la barbarie et la civilisation ; la barbarie avec ses Goths, ses Huns et ses Normands ; la civilisa- tion avec ses Clovis, ses Charlemagne et ses saint Louis. Que de combats livrés sur la terre que j'ai le bonheur de contempler ! Que de sang versé pour satisfaire l'ambition d'un tyran ou d'un empereur aveuglé par ses nombreuses victoires et que l'orgueil seul conduit sur le champ ,de bataille !

A peine débarqué à Dieppe, je saute dans un train qui part pour Rouen, et je traverse, dans toute son étendue, la célèbre vallée de la Nor- mandie. Quel est le peintre qui pourrait retracer toutes les beautés et tous les charmes que renfer-

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me cette vallée grandiose ? Ici, la Seine, bordée d'arbres magnifiques, coule dans la campagne fleurie en faisant de gracieux détours ; là, un riant bocage invite le voyageur fatigué à prendre un peu de repos. Plus loin, un château fortifié, dont les tours s'élèvent jusqu'aux nues, nous transporte à cette époque qu'on appelle le Moyen-Age. Plus loin encore, de beaux villages aux toits de chaume, qui conservent la simplicité du bon vieux temps. " O patrie de mes ancêtres, tu m'es chère à plusieurs titres. Tu me rappelles de bien doux souvenirs. C'est de ton sein que sont partis la plupart de ces vaillants guerriers qui se sont illustrés sur les bords de la rivière Monongahéla, à Carillon, et sur les plaines d'Abraham ; c'est d'ici que s'est envolé cet essaim de missionnaires qui n'ont pas hésité à s'enfoncer dans nos forêts pour évangéliser les peuples, et à répandre leur sang pour le triomphe de la croix, déjà arrosée du sang du Christ."

Mais trêve aux impressions et entrons dans Rouen, l'orgueil des Normands. Nous sommes reçus par M. l'abbé Boullard, aumônier de l'Hôtel- Dieu. Une lettre de recommandation de Mgr l'ar- chevêque de Québec nous a valu cet honneur. Je ne saurais exprimer ici toutes les bontés et les amabilités de notre respectable hôte, car il y a des

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choses qu'on éprouve, mais qu'on ne peut redire. Les deux jours que nous avons passés sous le toit de cet homme, éminent par la science et la vertu, ont été de vrais jours de fête. Promenades, visites et festins, tout a été employé par lui pour faire disparaître les fatigues de notre long et péni- ble voyage. Il a voulu lui-même nous servir de guide pour nous faire visiter la ville et ses nombreux monuments, entre autres la cathédrale, l'église de St-Ouen, et la place fut brûlée Jeanne d'Arc. Tous les monuments anciens et nouveaux satisfont pleinement la curiosité des touristes. En un mot, Rouen m'a plu. Mais, ce que je regrette de dire à la honte de notre ancienne mère-patrie, c'est que la loi divine concernant les dimanches et les fêtes n'y est pas observée par une certaine partie de la population. Pendant que je me rendais de l'Hôtel- Dieu à la cathédrale, je devais entendre la messe célébrée par le cardinal de Bonnechose car c'était grande fê£e ce jour-là je rencontrai plusieurs centaine* d'ouvriers qui se dirigeaient vers le lieu de leur travail. J'en fis la remarque à monsieur Boullard qui m'accompagnait, et il me répondit en essuyant une larme : " C'est comme ça tous les dimanches. On ne va pas à la messe. Il y aura encore de grands malheurs en France." Je pris ces paroles comme une prophétie, et je

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vois qu'elle a commencé à s'accomplir et qu'elle finira bientôt par se réaliser complètement.

Je ne puis dire adieu à la quatrième ville de France, suivant la géographie, sans vous parler de la charmante petite église de Notre-Dame-de- Bonsecours. Cette église, bâtie récemment grâce à la générosité de quelques braves citoyens, se trouve à deux milles et à l'est de la ville, si je ne me trompe pas. C'est un lieu de pèlerinage très fréquente N.-D.-de-Bonsecours est un véritable bijou. Tout, à l'intérieur, est d'or, d'argent et de pierres les plus précieuses. En entrant dans ce saint sanctuaire, la vue est pour ainsi dire éblouie par l'éclat qui y règne. On se croirait transporté au séjour de la divine Beauté ! ■' Voyageur, qui que vous soyez, si vous avez le bonheur d'entrer à Rouen, n'oubliez pas d'aller faire une courte prière dans ce pieux asile du pécheur, et vous verrez que vous en reviendrez le cœur tout soulagé."

Le il de mai, nous fûmes obligés de nous séparer de ce saint prêtre, de celui qui nous avait donné une si gracieuse hospitalité. Lorsque nous lui fîmes nos adieux, de grosses larmes coulèrent de notre paupière. Pouvait-il en être autrement, nous qui, étant deux étrangers, deux inconnus, étions l'objet de tant de faveurs ? " O aimable Monsieur Boullard, vous n'êtes plus dans cette

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vallée de larmes, mais je porte votre nom gravé dans mon cœur, et le souvenir de vos bontés ne s'effacera jamais de ma mémoire. Du haut du ciel, daignez jeter un regard sur votre petit abbé et votre grande barbe, noms que vous vous plaisiez à nous donner lorsque nous étions auprès de vous. Que par votre intercession, nous puissions un jour aller vous rejoindre dans le royaume des Bienheureux. "

Le même jour nous traversons Paris au pas gymnastique. J'ai le temps tout simplement de jeter les yeux sur le Louvre, les Tuileries, le Palais impérial, la colonne Vendôme, l'Arc -de-1'Etoile, Notre-Dame, etc. Toutes ces richesses artistiques passent devant moi comme un fantôme.

Le 12, je suis installé dans l'hôtel du Vatican, à Marseille. Plusieurs villes ont frappé mes regards depuis mon départ de la capitale de France, telles que Fontainebleau, Dijon, Lyon et Avignon. Ces deux dernières villes me rappelaient, l'une de bien doux, l'autre de bien tristes souvenirs. Lyon m'apparaissait avec son magnifique pèlerinage de Notre-Dame-de-Fourvières et semblait répéter à mon cœur ces consolantes paroles : " C'est lâ- haut que sont montés, il y a deux mois, 1 3 5 courageux jeunes gens, partis de la même patrie que toi." J'aurais bien voulu jouir du même bon- heur, mais le temps, cet insigne larron, ne me l'a

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pas permis. Avignon vint ensuite me tirer de la rêverie dans laquelle j'étais plongé, mais le lan- gage qu'elle me tint était empreint d'une pro- fonde tristesse : " Voici, me dit-elle, la résidence des papes pendant le grand schisme qui a désolé trop longtemps l'Église catholique, notre sainte mère," et au même instant plusieurs pages de l'histoire ecclésiastique se présentèrent à mon esprit.

Marseille est la troisième ville du royaume de France. Outre sa vaste étendue et les grandes richesses qu'elle renferme, elle possède un beau port de mer, toujours couvert de navires marchands. C'est une ville le commerce se fait sur une grande échelle. Les rues sont très larges et entre- tenues avec une grande propreté. La Cannebière (la plus grande rue) fait l'orgueil des Marseillais. " Si Paris, disent-ils, avait une Cannebière, ça serait un petit Marseille." Sapristi ! ces fiers Marseillais sont par trop aveuglés sur l'importance de leur Cannebière !

Les édifices de Marseille sont d'une beauté remarquable. Les églises méritent une visite toute spéciale.

Je suis allé, le i 3 au matin, entendre une messe basse à l'église de la Trinité. Je l'avoue franche- ment, je n'ai pas eu la ferveur d'un saint François

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de Salles. Mais il faut être sincère ; toute autre personne, dont l'oreille est familière avec la pro- nonciation latine, aurait pu en faire autant que moi. C'était un vieux prêtre français qui célébrait l'office divin ; or, voici comment il prononçait le latin à voix haute et distincte ; je cite certains passages isolés : " Per Jeson Christon Domiîion nostron, sœcula sœculoron, surson corda!' Si ce n'eût été la sainteté du lieu je me trouvais, j'aurais ri à gorge déployée.

Après la messe, mon ami Paquet et moi, nous dirigeons nos pas vers la colline s'élève la superbe église de Notre-Dame de la Garde. C'est encore un autre bijou. Notre-Dame de la Garde est d'une grande richesse, et elle occupe une posi- tion qui nous permet de jouir d'un spectacle ravis- sant. Cette église, dont l'intérieur est tout en marbre, domine la ville et le port. C'est du haut de ce cap que Marie protège le marin que la tem- pête menace d'engloutir dans les flots de la Médi- terranée. Les nombreux ex-voto, suspendus aux murs de cette chapelle, sont une preuve vivante des innombrables miracles opérés par l'Étoile des mers. Tous les pans de l'édifice en sont littérale- ment couverts, et même la place n'a pas suffi, car on en voit plusieurs centaines dans la crypte. Celle-ci a été entièrement pratiquée dans le roc.

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La main-d'œuvre a nécessiter de grandes dé- penses.

Deux heures s'étaient déjà écoulées depuis mon entrée dans ce sanctuaire, et il me semblait que je venais d'y pénétrer. Dans l'intervalle, j'eus le bonheur incomparable d'entendre la sainte messe. Je déployai alors une plus grande dévotion que le matin. <>

A huit heures du soir, nous étions à bord d'un des steamers des Messageries Impériales, le Saintonge, qui partait le même jour pour l'Italie. Le temps était très beau et la Méditerranée fort paisible. Une demi-heure plus tard, le steamer s'élançait à toute vitesse sur les flots et nous emportait loin de la France.

CHAPITRE III.

SUR LA MÉDITERRANÉE ET ARRIVÉE A ROME.

Le 14, le temps et le vent continuent de favo- riser notre marche sur la Méditerranée. Je passe la journée sur le pont du bâtiment, et pendant que je prends mes ébats sous les rayons bienfaisants du soleil, je fais connaissance de deux anciens zouaves de l'armée pontificale, qui vont se ranger de nouveau sous l'étendard du Pontife-Roi. Leurs noms sont : MM. de Lauzon et de Nolhac. Le premier se dit être un des descendants de M. de Lauzon qui gouverna le Canada depuis 165 1 jusqu'à 1656. En pareille compagnie, le temps passe vite. Nous causons pendant plusieurs heures des affaires de l'Italie en général, et de la bataille de Mentana en particulier. Ces deux braves avaient pris part à ce combat ; ils pouvaient par consé- quent me donner des renseignements précis sur ce beau fait d'armes.

Cependant, la conversation n'absorbe pas toutes mes heures de loisir. Il faut aussi que je laisse

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agir la vue, qui est suffisamment exigeante en pareille circonstance. D'un côté, s'élèvent les côtes de la Toscane et l'île d'Elbe ; de l'autre, l'île de Corse et plusieurs autres îlots dont j'ignore les noms. La Corse et l'île d'Elbe ! que de souvenirs classiques vous rappelez à ma mémoire ! La pre- mière voit naître cet homme qui, du grade de petit caporal, est monté, par son génie et son audace, sur le trône d'un vaste empire, sur le trône de la fille aînée de l'Eglise, cet homme que la Providence avait choisi pour châtier les peuples, cet homme enfin qui fit trembler l'Europe. La seconde est le témoin muet de la chute du même conquérant, de ce grand Napoléon qui eut la témérité de mettre la main sur le Pape. Les Napoléon sont morts dans l'exil et loin de la France ; la papauté vit encore et, du Vatican, elle gouverne le monde. Tous les conquérants et les persécuteurs de l'Eglise passeront, mais le Pape restera. Le sort du héros d'Austerlitz et de Wagram devrait faire réfléchir tous ceux qui s'attaquent à l'Eglise catholique ; que ceux-ci comprennent donc que tous leurs efforts n'aboutissent qu'au triomphe de l'épouse du Christ. En passant près du lieu du premier exil de Napoléon, on ne peut s'empêcher de s'écrier : " sic transit gloria mundi" Le I 5, à cinq heures du matin, nous arrivons à Civita-Vecchia, la ville la plus fortifiée des Etats-

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Pontificaux. Comme son nom l'indique, c'est une vieille ville, et à part ses fortifications, son bagne et son beau port, elle n'offre que peu d'intérêt. Nous y passons néanmoins une grande partie de la journée, le train du matin partait comme nous - mettions le pied dans la gare. Fâcheuse décep- tion ! Mais prenons patience, la vie est remplie de contrariétés.

A trois heures P. M., le convoi nous emporte vers la Ville sainte. Nous approchons donc du terme de notre voyage. Il me semble que je respire maintenant un air plus pur. Le silence de la campagne romaine répand dans l'âme un baume des plus délicieux. Nous sommes dans une grande plaine bornée, d'un côté, par la mer, et de l'autre, par de hautes montagnes. Le Tibre se joue dans cette campagne en décrivant mille sinuosités. Des troupeaux de buffles et de mulets errent dans ces solitudes. Quelques trattorie, disséminées, ça et là, indiquent seules que ce pays est habité.

Bientôt nous découvrons la superbe coupole de Saint- Pierre et le fort St-Ange. La basilique de St-Paul s'offre ensuite à nos regards. Enfin nous entrons dans la gare des Termini, nous sommes dans la capitale du monde chrétien, dans la ville des Pontifes, le centre de l'unité catholique. Ah ! quelle joie ineffable j'éprouvai en ce moment

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suprême ! Toutes mes fatigues et toutes mes peines s'évanouirent à l'instant.

A sept heures P. M., nous avons le bonheur de presser la main de notre cher et digne aumônier, M. l'abbé Moreau, que Mgr de Montréal avait choisi pour conduire à Rome le premier détache- ment des zouaves canadiens. Vu l'heure avancée de la soirée, nous remettons au lendemain notre entrevue avec nos aimables castors, nom par lequel le lt-colonel de Charette distinguait souvent nos compatriotes des autres nations, et nous descen- dons à l'hgtel de la Minerve, un bon souper et un bon lit nous attendaient.

Le matin suivant, aussitôt que le jour com- mence à poindre, nous volons vers la basilique de St-Pierre, où, agenouillés près de la confession, nous remercions la Vierge Immaculée et son divin Fils de nous avoir accordé un aussi heureux voyage.

En revenant de notre excursion matinale, nous passons par le mont Janicule, se trouvaient casernes nos amis. Mais encore un désappointe- ment : les Canadiens étaient à faire l'exercice. Néanmoins notre ennui ne fut pas de longue durée ; car bientôt nous voyons apparaître dans la magnifique allée d'arbres qui bordent la caserne, une compagnie de zouaves commandée par le

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capitaine de Kermoal. Gauche, droite, emboîtez, conservez le pas, halte, à droite alignement, face à droite, rompez vos rangs ! Ce sont les Canadiens qui arrivent.

Quelques-uns de nos compatriotes nous ont déjà reconnus ; car, malgré la rigueur de la disci- pline, ils n'avaient pu s'empêcher de tourner la tête vers nous. L'apparition de deux pékins à la porte de la caserne les intriguait. Les rangs une fois rompus, nous nous voyons, en un instant, entourés de nos amis et de tous les zouaves cana- diens, empressés d'accueillir de nouveaux compa- gnons d'armes.

Vous raconter la scène qui se passa alors est au-dessus de mes forces, et ne saurait, du reste, trouver place dans un simple récit de voyage. L'un s'informe de son vieux père. " Quand je suis parti du Canada, dit-il, il n'était pas bien portant. Com- ment va-t-il maintenant ? Dieu lui a-t-il rendu la santé?" L'autre demande des nouvelles de sa bonne maman : lui a-t-elle écrit ? lui envoie-t-elle quel- ques baïoqnes pour prendre un petit café au lait de temps en temps ? Un troisième veut savoir si sa petite sœur Clara, le Benjamin de la famille, est mariée. Un quatrième, qui n'a ni père, ni mère, ni frère, ni sœur, nous interroge sur monsieur le curé de la paroisse. Un cinquième nous souffle

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cette parole dans le tuyau de l'oreille : " Je désire vous voir en particulier." Nous étions heureux d'avoir une raison quelconque de nous éloi- gner du groupe qui nous entourait ; car nos poches, qui étaient remplies de lettres et de commissions, étaient vides, et, sans cet incident, nous aurions été obligés de nous procurer une machine à réponses pour satisfaire tout le monde.

Ami lecteur, si vous vous êtes absenté quelque temps de votre patrie, vous devez savoir que le moindre détail, concernant la famille et le pays, réjouit le cœur et lui donne de la force et de l'éner- gie. La plus petite nouvelle intéresse et prend alors une importance majeure. On veut tout connaître, et l'on craint toujours d'oublier quelque chose. Je fis donc, dans cette première rencontre avec mes chers zouzous, tout ce que je pus pour satisfaire leur curiosité. Si j'ai un reproche à m'adresser, c'est de n'avoir pas fait assez honneur au déjeûner que nous présentèrent nos camarades. Qu'on me par- donne ce péché mignon, je n'avais pas le goût pré- paré au macaroni et aux haricots des Romains.

Le 18 mai, nous sommes les plus heureux des mortels. Nous avons signé notre engagement comme zouaves pour deux années, et nous portons la livrée des défenseurs de la papauté. Pie IX sera désormais notre roi. Nous aurons certainement à

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supporter beaucoup de privations ; mais comme l'exprime si bien le zouave, ce sera pour la bonne cause, la cause de l'Eglise catholique. Nous som- mes casernes sur le Janicule avec tous les autres Canadiens.

CHAPITRE IV.

UNE JOURNÉE DE ZOUAVE UN ÉPISODE.

Depuis mon retour au Canada, on m'a posé bien souvent la question suivante : " Quelles étaient vos occupations journalières, lorsque vous viviez à l'ombre du drapeau jaune ? " La réponse est celle-ci : Nos occupations étaient nombreuses et variées. Généralement, le réveil sonnait à cinq heures. Ici, tout se fait au moyen de sonneries ; le clairon est notre principal commandant. Le cuisinier-en-chef et son assistant parcourent alors les différentes chambrées pour faire la distribution du café noir ; chaque zouave en reçoit un demi- litre environ, et c'est tout son déjeûner. Néan- moins, ce café a la propriété de décoller la paupière et de faire circuler le sang dans les veines.

Dix minutes après le réveil, le sergent-major fait l'appel des soldats de sa compagnie à la porte de la caserne, et l'officier de semaine passe ensuite dans les rangs pour faire l'inspection. Cette revue est le cauchemar du zouave ; car c'est alors que les punitions abondent. La moindre tache sur sa tenue et un peu de poussière sur sa giberne ou ses

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souliers suffisent pour faire donner au soldat deux

jours de consigne ou quatre corvées à l'œil. Deux

jours de consigne signifient que celui qui a mérité

cette punition est obligé de rester à la caserne

pendant ce laps de temps, et de répondre à l'appel

du caporal de garde toutes les fois que celui-ci

juge à propos de rassembler les consignés. Si un

consigné se paie la fantaisie d'aller faire une

promenade dans la ville et qu'il soit vu par un

sous-officier, qui en fasse rapport au commandant

de la compagnie, le délinquant sera, pour cette

nouvelle faute, mis au clou, c'est-à-dire à la salle

de police. Les corvées à l'œil n'empêchent pas

de sortir, mais elles ont l'inconvénient d'exposer

le coupable à faire des travaux peu enviables,

tels que les corvées de quartier. Cette dernière

besogne est ordinairement le partage des soldats

punis de salle de police et de consigne.

L'inspection une fois terminée, nous partons pour l'exercice, soit de peloton, soit de compagnie, soit enfin de bataillon. Cet exercice dure presque toujours trois heures. C'est passablement long et fatigant ; mais les heures s'écoulent bien vite quand on manœuvre. Et puis, les recrues nous donnent parfois beaucoup d'agrément, surtout les Bretons qui, comme vous le savez, ont la tête dure. Les instructeurs consacrent des semaines

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entières à leur faire apprendre tête droite, tête g-aucfie, et encore ils n'y réussissent pas toujours. En France, les sergents qui sont chargés des recrues bretonnes emploient, m'a-t-on dit, un moyen mécanique très ingénieux pour faire exé- cuter ces premières notions de l'école du soldat. Au lieu de commander tête droite ou tête gauche, ils placent à la droite de la recrue une botte de foin et à sa gauche, une botte de paille, et après avoir pris ces précautions, les instructeurs crient : Foin, quand il s'agit de regarder à droite, et paille pour la direction opposée. De cette manière on parvient à faire quelques progrès. Cette méthode ne laisse pas que d'être très comique ; on doit se croire dans un gras pâturage.

Après l'exercice, nous retournons à la caserne pour recevoir les ordres du jour, qui nous sont communiqués par les sergents-fourriers. Nous savons alors ce que nous aurons à faire le reste de la journée. Quant à la 3 me compagnie de dépôt, son programme variait rarement: nous étions certains que tous les jours, de onze heures à midi, il y avait inspection des tentes par le capi- taine de Kermoal, et malheur à ceux qu'il trouvait en défaut !

Vers neuf heures, et toujours au son du clairon, nous courons à la cuisine chercher nos gamelles

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remplies de soupe. Cette soupe est faite au pain avec quelques brins de légumes, et une apparence de morceau de bœuf. Voilà pour notre dîner. Pour des Canadiens, c'est-à-dire des hommes habitués à vivre sous un climat froid, ce n'est pas assez ; passe pour des Italiens, qui font un bon repas avec une demi-livre de pain et un verre de vin. Aussi, dans nos premiers mois de service, plusieurs d'entre nous eurent-ils à souffrir de la faim ; mais nous supportions tout avec résigna- tion, en répétant à chaque contrariété qui nous arrivait : " C'est pour la bonne cause."

Depuis midi jusqu'au rata, c'est-à-dire jusqu'à trois heures, nous étions maîtres de notre temps, excepté durant les chaleurs tropicales de l'été, pen- dant lesquelles personne ne pouvait sortir de la caserne. Les troupes étaient consignées de midi à quatre heures. Les Romains avaient la coutume de dire qu'on ne voyait alors, dans les rues de Rome, que les chiens et les étrangers. Nous employions le plus souvent ces moments de loisir à nettoyer nos armes et nos accoutrements ; nous aimions à être propres, car c'est à la propreté qu'on reconnaît un bon soldat.

Le rata ou repas de l'après-midi, qui remplace le souper, consiste en légumes, tels que haricots, pommes de terre, etc. ; le tout humecté d'une

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sauce à l'eau claire. Le beurre et la graisse bril- laient souvent par leur absence. Il faut bien que le caporal d'ordinaire fasse un peu de fotirbi> s'il veut prendre une cuite ou deux par semaine.

Après cette légère collation, nous allons encore faire l'exercice jusqu'à six heures. C'est le dernier article enregistré sur la liste du service journalier, et je crois que cette liste est suffisamment remplie. Il n'y a aucune porte pour donner accès à la paresse.

La retraite sonne à 9^ heures, et une demi- heure plus tard, a lieu l'extinction des lumières, ce qui veut dire : Couchez-vous, fermez les yeux et dormez.

Tel est le thème sur lequel roulait notre musique au 3ème dépôt ; il y avait parfois quelques petites variations, mais elles étaient si peu originales qu'il ne vaut guère la peine de les mentionner.

Lorsque je servais comme zouave pontifical, j'ai été témoin de différents épisodes qui m'ont agréablement amusé. Je vais vous en raconter un, que je prends au hasard :

Nous étions encore au Janicule. Les jours et les nuits se passaient comme je viens de le décrire. Donc, de dix heures du soir à cinq heures du matin, tous les zouaves se livraient au sommeil, excepté les sentinelles préposées à notre garde.

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Celles-ci avaient reçu l'ordre formel de faire feu sur tout individu qui, ne répondant pas au troi- sième cri de "qui vive" ! continuerait de s'avancer. Par une belle nuit du printemps, toute la caserne est mise en émoi par la détonation d'une arme à feu ; chacun prend sa carabine et se dirige à la course vers la porte. C'est une alerte générale. On s'informe auprès de la sentinelle et on lui demande d'où vient la détonation qui a jeté l'alarme dans la compagnie. La sentinelle, toute tremblante de peur, répond comme suit : "Je me promenais lentement en portant les yeux de tous côtés, lorsqu'un bruit inusité se fait entendre dans les broussailles. Je m'arrête, et je prête l'oreille ; le bruit continue. Bientôt, j'aperçois un homme tout de blanc habillé. Je crie : "qui vive"! pas de ré- ponse. Je répète ma question, même silence ; et mon individu se tient debout à quelques pas devant moi. Je pousse pour la troisième fois le cri de "qui vive" ! et l'écho seul répond à ma voix. J'arme alors ma carabine et fais feu sur cet entêté. Regardez dans cette direction, ajouta le jeune soldat, en désignant l'endroit avec sa carabine ; vous voyez un objet blanc, n'est-ce pas ? Eh bien ! c'est mon homme, à qui j'ai flanqué une balle dans la tête." Tout le monde de courir alors à l'endroit indiqué ; mais devinez ce que l'on voit ?... Une

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borne en bois fraîchement peinte et transpercée d'une balle. Vous pouvez voir d'ici la binette que fait la sentinelle, quand elle se trouve en face de sa victime.

Dans les chapitres qui vont suivre, je parlerai d'abord des différentes villes que j'ai visitées, lors- que j'étais en garnison en dehors de Rome, et en dernier lieu de Rome ancienne, de Rome pendant les persécutions et de Rome actuelle. J'ai en* qu'il était préférable de suivre cette marche, afin d'évi- ter la confusion. Du reste, il me semble qu'il est tout naturel de jeter un regard sur ce qui entoure un édifice, avant de pénétrer dans l'intérieur.

CHAPITRE V.

Velletri Brigandage en Italie.

Le 1 8 juin, nous étions en garnison à Velletri, ville importante des anciens Volsques, et située à 36 milles environ au sud de Rome. Cette ville, entourée d'une riche campagne, est bâtie sur une colline élevée qui présente l'aspect d'une immense coupole. La population était à cette époque de 8,000 âmes.

Velletri, capitale de la province du même nom, a joué un grand rôle dans l'histoire ,de l'empire romain ; car, outre l'honneur d'avoir été la patrie d'Auguste, plusieurs empereurs, entre autres Tibère, Nerva, Caligula et Othon firent de cette ville leur séjour favori, et l'enrichirent de plusieurs villas

superbes. Bien qu'elle ait suivi le mouvement de

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décadence de ce vaste empire, l'ancienne Veliternœ a encore ses beautés et ses charmes. On y admire plusieurs monuments religieux et profanes, qui frappent l'attention du voyageur. Les principaux sont : la colonne du pape Urbain VIII, sur la place du marché ; le palais Lancelotti, se trouve un magnifique escalier en marbre ; l'église Ste-

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Marie DelV Orto, qui renferme plusieurs bons tableaux. Les fontaines publiques sont d'une con- struction solide, mais le temps les a un peu vieil- lies. A quelque pas de distance de la ville, on voit encore l'endroit fut trouvée la Pal las Veli- tema, l'une des plus belles statues du musée de Paris.

Velletri, grâce à son site, présente un coup d'œil enchanteur. Le touriste, placé sur la partie la plus élevée de la colline, embrasse d'un seul regard :

Au nord, la petite ville de Civîta-Lavigna, les montagnes du Latium et les marais Pontins, les- quels forment une vaste plaine de huit lieues de longueur sur une largeur de trois lieues. Ces marais sont compris entre le pays des anciens Rutules et celui des Volsques. Lorsque les Romains étaient à l'apogée de leur grandeur, on comptait 23 villes ou villages dans les marais Pohtins ; aujourd'hui on n'y rencontre que quelques petits villages isolés. ,

A l'occident, les marais Pontins, le cap Circé, célèbre dans la fable par la métamorphose des compagnons d'Ulysse ; la ville de Cisterna, les chrétiens, partis de Rome, vinrent à la rencontre de l'apôtre saint Paul.

Au sud, les petites villes de Sermonetta et de Cori, l'ancienne Cora. Cette dernière est renom-

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mée pour ses temples d'Hercule, de Castor et Pollux ; Varea du premier est occupée par le baptistère d'une église catholique, dont j'oublie le nom. Cori passe pour être la patrie de Ponce- Pilate. Si cette tradition n'est pas vraie, je m* en lave les mains ; ce sont les paysans de l'endroit qui me l'ont transmise. A gauche de ces deux villes, s'élève le village de Rocca-Massina, construit sur une montagne à une grande élévation au-dessus du niveau de la mer. Au pied de la même mon- tagne, et dans la vallée qui s'étend de Velletri à Rocca, se trouve le joli village de Juliano.

A l'orient, les hautes montagnes de la Sabine, dont le sommet est couvert d'une neige éternelle. Dans la même direction, la vue tombe sur la ville de Valmontone, qui domine un petit vallon. En vous dirigeant de Valmontone à Rome, vous ren- contrez, à une courte distance de la première ville, le champ de bataille sur lequel Fabius Ambustus défit les Herniques, l'an de Rome 393. Le terrain n'est guère propre pour la cavalerie ; car c'est une plaine de peu détendue et resserrée entre des montagnes. Aussi, l'histoire nous apprend-elle que la cavalerie romaine avait été obligée de mettre pied à terre et de combattre à la tête de l'infan- terie.

Non loin de là, on voit le lac Santa Prasseda,

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autrefois appelé lac Régille. A ce lac se rattache le nom du dictateur Aulus Posthumius qui, trois ans après le combat dont je viens de parler, rougit les eaux de cet étang du sang des Latins, inhu- mainement massacrés.

Comme vous pouvez le constater, la perspective, dont nous jouissons à Velletri, ne laisse rien à désirer de mieux.

Pendant que nous étions en garnison dans cette ville, nous avons fait connaissance avec une classe d'hommes sans foi, sans honneur et sans religion, des hommes qu'on désigne sous le nom de bri- gands, mais à qui on pourrait décerner le titre de garibaldiens. Ces deux qualificatifs sont synonymes. Il ne tiendrait qu'à citer le vandalisme qu'ont exercé les chemises rouges, au mois d'octobre 1867, dans la principale église de Monte-Rotondo pour prouver que les amis de Garibaldi sont de vérita- bles brigands. Personne n'a de doute sur ce point.

Le brigandage en Italie est une véritable plaie et s'y pratique sur une grande échelle. De tous temps, les souverains ont travaillé à faire dispa- raître ce fléau, mais ils ont toujours échoué dans leurs courageuses entreprises, et il n'y a rien de surprenant, si l'on fait attention à la conformation de ce pays qui, par ses nombreuses chaînes de montagnes, offre un refuge assuré aux brigands.

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Les brigands, qui se tiennent cachés dans les montagnes avoisinant Velletri, sont assez nom- breux. Ces voleurs de grands chemins n'ont pas de demeure fixe. Un soir, ils s'installeront dans une grotte profonde, et, un autre jour, ils seront à plusieurs milles de distance dans une autre habi- tation caverneuse. Ils ont acquis une connaissance parfaite de toutes les montagnes ; crevasses, grottes, cavités souterraines, défilés, tout leur est familier. Voilà pourquoi il est aussi difficile de saisir les brigands que les cerfs dans nos forêts. Vous vous élancez à leur poursuite lorsque vous les voyez à quelques arpents devant vous, et, tout à coup, ils disparaissent comme par enchantement. Vous avez beau fouiller partout pour découvrir les traces de leur passage, vous ne rencontrez aucun vestige, aucun indice qui puisse vous guider. Admettons que vous trouviez l'entrée de leurs nombreux repaires. Admettons que vous pénétriez dans leurs antres ténébreux ; vous n'en serez pas plus avan- cés pour cela. Pendant que vous serez occupés à sonder tous les coins, toutes les sinuosités et toutes les fissures de cet édifice pierreux, le gibier pren- dra son essor par une issue secrète, qui sera parfois placée sur le flanc opposé de la montagne.

Dans le cas l'on parviendrait à connaître la retraite habituelle de ces êtres inhumains, il n'y

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aurait qu'un moyen de mettre la main dessus : il s'agirait tout simplement de faire cerner la mon- tagne qu'ils occupent, et, une fois le cercle formé par plusieurs compagnies de zouaves ou d'autres militaires, de gravir lentement la montagne en rétrécissant la circonférence.

L'exécution d'une pareille entreprise offre en- core peu de succès. En effet, je suppose que quel- qu'un vienne vous dire aujourd'hui : "Les brigands sont sur une telle montagne ; je les ai vus ce matin." Aussitôt, un bataillon part pour emporter la montagne d'assaut. Mais, quand il arrive au but désiré, il n'y a plus de gibier dans le fourré ; le brigand a vu s'opérer le mouvement militaire, ou bien, certain ami fidèle, vivant au milieu même des habitants de la campagne, est venu pendant l'intervalle donner l'éveil aux montagnards ; et, ceux-ci ont levé le pied légèrement, ils sont allés se percher sur une autre montagne. Voilà ce qui arrive généralement. Maintes et maintes fois nous en avons fait l'expérience, et presque toujours nos démarches ont été sans résultat. Si nous avons pu en arrêter quelques-uns, c'est qu'ils ont été surpris au milieu de leurs festins ou de leurs bac- chanales, ou qu'ils ont été trahis par leurs com- pagnons ruraux. J'appelle de ce nom les paysans que la crainte d'être immolés à la fureur des bri-

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gands rend muets, quand on veut avoir des infor- mations sur les faits et gestes de ces barbares des temps modernes. La plupart des paysans et des bergers d'Italie, résidant près des montagnes, sont de petits brigands ; on peut dire qu'ils font cause commune avec les grands brigands.

En général, la population qui habite la frontière méridionale de la province de Velletri est d'un caractère très remuant et manie avec art le cou- teau et le poignard. Le carbonarisme a déjà fait des ravages incalculables dans ce coin de l'Italie.

CHAPITRE VI.

CHASSE AUX BRIGANDS. EXÉCUTION.

La cinquième compagnie du 1er bataillon du régiment des zouaves pontificaux était en garnison à Velletri bien longtemps avant nous, trois mois, je crois,et faisait presque tous les jours des patrouil- les dans la campagne et sur les montagnes pour mettre fin aux courses dévastatrices des brigands. Il arriva qu'à deux reprises différentes, cette com- pagnie parvint à arrêter ou, pour être plus con- forme à la vérité, à tuer quelques-uns de ces mons- tres à forme humaine. Pendant une expédition, les zouaves tuèrent trois brigands et en blessèrent un, qui prit la fuite dans l'épaisseur des bois et disparut sans donner scn adresse. Pendant une patrouille, deux brigands tombèrent sous les balles des défenseurs du Pape.

Je vais vous donner ici quelques détails con- cernant cette première expédition.

Ayant appris par des paysans que certains bri- gands habitaient une forêt depuis quelques jours, les zouaves pontificaux, au nombre de quarante, parti- rent aussitôt pour les chasser de cet endroit. Deux

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gendarmes les accompagnaient, l'un à pied et l'autre à cheval. Pendant les patrouilles, nous étions toujours escortés par quelques-uns de ces braves Romains faisant partie de la gendarmerie ponti- ficale. Les gendarmes appartenaient à l'élite de la société ; et leur bravoure et leur fidélité au Saint- Siège n'ont jamais été mises en défaut.

Après deux jours de marche à travers la forêt même, qu'ils fouillèrent dans tous les sens, les zouaves ne trouvèrent, ni ne rencontrèrent les brigands précités. Et par surcroît de malheurs, une pluie abondante ne cessa de tomber sur ces nobles jeunes gens, qui supportaient sans murmu- rer toutes leurs privations et leurs fatigues. La faim même commençait à se faire sentir chez un bon nombre d'entre eux, qui n'avaient pas emma- gasiné dans leurs sacs une quantité suffisante de vivres. Que faire en pareille situation ? Va-t-on abandonner la chasse ? se demandèrent les zouaves. Les uns se montraient encore disposés à continuer leur poursuite, mais plusieurs inclinaient à la retraite.

Pendant qu'ils s'entretenaient ainsi sur le parti qu'ils devaient prendre, un' léger bruit se fait entendre sur la lisière de la forêt. D'un bond, tous les zouaves ont gagné le lieu d'où est parti le bruit ; mais quel désappointement ! ils se trouvent

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face à face avec un pauvre berger qui agite tran- quillement sa houlette, pendant que son troupeau broute l'herbe tendre des champs. Tous alors de rire en voyant ce brigand d'un new style, comme dirait l'Anglais. Je n'ai pas besoin d'ajouter que le berger en fut quitte pour un tribut assez considé- rable qu'il paya à la peur. Mais l'air enjoué des soldats pontificaux le ramena bientôt à son état normal. Après avoir échangé quelques paroles avec le vieux paysan, les zouaves résolurent de retourner sur leurs pas et de se déployer en tirail- leurs sur toute la lisière de la forêt.

On pourrait bien se demander pourquoi ce chan- gement si subit survenu dans tous les esprits, et pourquoi cet empressement à obéir au commande- ment de " peloton en tirailleurs " . Le mot de l'éni- gme est facile à trouver. Pendant leur conversation avec le berger, les zouaves prirent des informations sur le lieu devaient se trouver les brigands ; et le bon vieillard, qui les avait vus de ses propres yeux, il y avait deux jours, leur dit que les brigands devaient passer parvtel chemin le lendemain matin C'est moi, ajouta-t-il, qui leur ai recommandé de suivre cette voie pour échapper à votre poursuite. Ils m'avaient demandé auparavant si je vous avais vus. Sur ma réponse affirmative, ils ont voulu savoir quelle direction vous, prendriez. Alors je

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leur ai indiqué une direction toute contraire à celle que vous suiviez, pensant par les faire tomber dans le piège. Mais je me suis trompé dans mon attente. Demain, cependant, j'espère que mes vœux seront exaucés, et voici pour quelle raison : En s'éloignant de moi, ils ont répété deux fois les paroles suivantes : •' Au revoir, dans deux jours nous viendrons te voir en passant par le chemin que tu nous as montré. Mais, sois bien averti : si tu nous trahis ou si tu dévoiles le lieu de notre retraite, ta vie sera la rançon de ton infâme con- duite." Ils dirent, et puis ils disparurent dans l'épaisseur des bois.

Il était huit heures du soir lorsque les zouaves reprirent leur faction ; chacun se plaça au pied d'un arbre pour se garantir de la pluie qui ne diminuait pas, et attendit en silence. La nuit fut assez belle néanmoins ; car, vers minuit, les nuages se dissipèrent et la lune se montra à travers le feuillage, mollement agité par une légère brise du midi. Le beau temps ranima le courage des zouaves, mais aussi, il leur emporta un doux sommeil vers les trois ou quatre heures du matin. C'était la pre- mière fois que, depuis leur départ, ils prenaient un peu de repos. Il faut l'avouer, l'heure n'était pas bien choisie pour se livrer au sommeil ; mais les forces de ces preux jeunes gens étaient complète-

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ment épuisées par les marches et les veilles. Ainsi, point de reproches.

Cependant les heures s'écoulent rapidement/ et personne ne se présente. Il est un adage populaire qui dit : " Vous ne perdez rien pour attendre. Or, c'est ce que rirent les chasseurs de brigands. Ils attendirent jusqu'à sept heures, toujours sommeil- lant légèrement, un œil fermé et l'autre ouvert, et assis au pied des arbres avec leurs carabines sur les genoux. Enfin les espérances vont être exaucées. Voilà qu'une détonation se fait entendre. Aussi prompts que l'éclair, les zouaves se lèvent et épaulent leurs carabines. " Qu'y a-t-il ? crie-t-on de toutes parts ? " " Cinq brigands, répond un gen- darme. Les voilà à dix pas de nous. Le chef est à cheval"

Un zouave du nom de Marchand, qui se trou- vait à cinq pas du chef, ajuste ce dernier et presse la détente, mais le fusil rate. De son côté, le chef des brigands met le zouave en joue et fait feu. Et le coup ne part pas non plus. Marchand fait une volte-face et se cache derrière un arbre pour armer de nouveau. Le chef épaule une autre carabine les brigands en ont toujours deux, mais au mo ment il tirait la détente, une balle lancée par un caporal, connu sous le nom de Petit Jean,

vient l'atteindre au cœur et le renverse à terre 3

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baigné dans son sang. Au même instant, deux autres brigands succombent sous une grêle de balles. Un quatrième est encore blessé par Petit Jean, mais il trouve son salut dans la fuite. Le cinquième était disparu au commencement de la mêlée. Il n'est pas nécessaire de vous faire con- naître la conclusion : que les zouaves étaient con- tents de leur chasse. Si, tous les jours, nous pou- vions obtenir un semblable résultat, nous ne compterions pour rien les fatigues et les privations que nous avons à supporter.

Lorsque nos camarades furent de retour à Velletri, avec le gibier qu'ils avaient tué, nous prîmes les trois cadavres et nous les exposâmes sur la plus grande place de la ville, afin de jeter la terreur dans le cœur de la population ; car les brigands ont des affiliés dans toutes les villes et à Velletri plus qu'ailleurs. Un seul fait nous prouve la vérité de cette dernière proposition ; le voici : Quelques jours avant la bataille de Mentana, onze \ | cents hommes sont sortis de cette ville pour aller s'enrôler sous l'étendard de Garibaldi.

Cette exposition humaine a eu les plus beaux résultats ; car, depuis cette époque, on n'a plus en- tendu parler de vols, de pillages, de meurtres, etc.

Le 1 8 juillet, nous avons assisté à un bien triste spectacle : deux brigands, qui étaient retenus

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prisonniers à Velletri, furent fusillés à quelques arpents de la ville. Ils méritaient bien ce terrible châtiment, car l'histoire de leur vie fait horreur. Le plus âgé des deux a poussé le crime jusqu'à ses dernières limites ; il a eu la barbarie même de massacrer celle qui lui avait donné le jour. Et puis, dire que ces deux monstres ont attendu jusqu'à la dernière minute pour se convertir ! C'est horrible.

Quand on met un soldat à mort pour désertion, en temps de guerre ou pour un autre délit grave, on le fusille debout et en pleine poitrine, pour lui donner une dernière marque d'honneur et faire entendre qu'on le considère encore comme appar- tenant à la société humaine. Mais les brigands n'ont point cette faveur. On les met à genoux et le dos tourné à l'escouade chargée de faire feu sur eux. Ce ne sont plus des hommes, mais bien de véritables monstres, pour ne pas dire démons.

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CHAPITRE VII.

CAMP D'ANNIBAL VISITE DE PIE IX.

Le 28 juillet, nous recevons l'ordre d'évacuer Velletri et de nous transporter à Rome. Je ne saurais vous exprimer toute ma joie ; car j'allais avoir le bonheur de visiter les monuments religieux et profanes de la ville des Papes. Mais vaine illu- sion ! A peine avons-nous établi nos quartiers aux Termini, c'est-à-dire aux fameux thermes de Dioclétien à Rome, que le clairon sonne " sac au dos." Nous partons pour Rocca-di-Papa ou Camp d'Annibal en suivant la route de Grotta-Fer- rata. La distance que nous avons à parcourir est de vingt-quatre milles environ. C'est passablement long pour de jeunes soldats qui n'ont encore fait aucune marche forcée. Néanmoins, nous sommes décidés de mourir plutôt que de rester en chemin. Nous ne voulons pas qu'on dise que les Canadiens sont des carottears. Nous marchons donc avec courage jusqu'à la première étape, tout en faisant chorus aux chansons de Sans-allumette sobriquet donné à un de nos camarades parce qu'il n'avait

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jamais d'allumettes qui avait un répertoire inépuisable de refrains appropriés au pas militaire.

Rendus à Grotta-Ferrata, petite ville située à dix-huit milles environ de Rome, nous faisons une halte de trois heures pour prendre "la soupe et le café" ; et nos forces une fois ravivées, nous nous remettons en marche. Il ne nous reste que deux lieues à faire, mais c'est la vraie voie douloureuse que nous suivons. On monte, monte et monte toujours. On se croirait en route pour le ciel.

Enfin, après dix heures de marche, nous foulons le terrain Annibal vint établir son camp quel- ques jours avant la bataille du lac de Trasimène, bataille dans laquelle les Romains, commandés par Flaminus Caïus, furent taillés en pièces, l'an 217 avant Jésus-Christ. C'est pour cela que cet endroit est généralement connu sous le nom de Camp <T Annibal. L'illustre capitaine africain avait certainement étudié la topographie de l'Italie, car il n'y avait pas de lieu plus propre au campe- ment d'une grande armée.

Après avoir déposé nos sacs par terre et u formé les faisceaux, " nous dressons nos tentes avec soin, car, ici, nous éprouvons, pendant le jour, une chaleur suffocante, et, pendant la nuit, un froid piquant se fait sentir.

Il est difficile de se former une juste idée des

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souffrances que nous avons endurées pendant que nous étions campés près de Rocca-di-Papa. Nous dormions sur la dure, quelques brins de fougère nous séparant de la terre humide, et nous cou- chions tout habillés. A quatre heures et demie du matin, nous étions sur pied faisant l'exercice de bataillon qui durait jusqu'à huit ou neuf heures. A midi, M appel de propreté " avec sac au dos, au front de bandière. Appel de propreté ! au milieu d'une poussière qui vous aveugle et qui vous cou- vre des pieds à la tête. Véritable dérision ! Mais c'est le métier du soldat. Nous évitions cependant les punitions à chaque fois, parce que nous étions assez prudents pour cirer nos souliers avec nos mouchoirs, en prenant nos rangs.

Dans l'après-midi, nous serions heureux d'aller faire une courte promenade sous les arbres qui s'élèvent en arrière de notre camp, pour donner un oeu de repos à notre corps tout courbé par l'effort qu'il est obligé de faire pour vivre sous la tente ; mais voici une corvée qui nous attend. Messieurs les sergents veulent élever une tente superbe, et pour cela, il leur faut du genêt et de la fougère : " Vite ! s'écrient-ils, six hommes de corvée. Allez à la montagne que vous voyez là-bas, et emportez ce que nous vous demandons." Pauvre soldat ! marche ! la salle de police t'attend, si tu n'obéis

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pas. Telle a toujours été notre occupation pendant les trente-six jours que nous avons passés au Camp d'Annibal. Dès que les sergents eurent ter- miné leur habitation princière, le sergent-major» M. Cormier, voulut aussi se loger comme un petit seigneur. Le commandant, le capitaine, le lieute- nant et le sous-lieutenant se mirent ensuite de la partie ; de sorte que les corvées ne cessèrent de pleuvoir. Nous n'avions pas une seule minute de loisir. Je l'avoue en toute sincérité, je trouvai alors la vie de camp tellement dure que si la cause que je défendais n'eût pas été aussi sainte, j'aurais renoncé sur le champ à la carrière militaire. Mais l'amour de la religion me retenait, et il me sem- blait entendre une voix me crier du ciel : " Cou- rage, mes enfants, votre dévouement sauvera l'Église."

Malgré nos rudes labeurs, nous paraissions tou- jours heureux et joyeux. Heureux, parcequ'il nous était donné de souffrir un peu à l'exemple de notre divin Sauveur. Joyeux, parceque nous savions que les fatigues que nous endurions nous seraient d'un grand secours quand nous aurions à combat- tre les ennemis de la Papauté. Par cette vie active et rude, les corps se brisaient à la douleur, et ni la faim, ni la soif, ni la chaleur, ni le froid ne pour- ront nous arrêter plus tard au milieu des combats.

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Voici comment nous supportions nos peines, et nous n'avons pas eu à nous repentir ensuite de la rigueur des leçons militaires que nous avions reçues au camp.

Le 10 août fut pour nous un jour de fête, que je n'oublierai jamais. Il arrive quelquefois, qu'un jeune homme, livré à ses propres forces, tombe peu à peu dans une sombre mélancolie ; cette mélancolie étant due tantôt à un revers de fortune et tantôt à la perte d'un être chéri. Si, dans cet état, il fait rencontre d'un ami qui lui veut du bien, cette tristesse se dissipera bientôt sous le feu des conseils et des paroles de soulagement que lui donnera cette personne charitable. Tel fut pour nous l'effet de la visite de l'immortel Pie IX au Camp d'Annibal. Nous étions pour la plupart dans un état d'abrutissement complet. Nous n'éprouvions que par intervalle ces sentiments ten- dres' et affectueux que l'on ressent si souvent au foyer paternel. Le découragement s'était emparé de nos cœurs. Notre intelligence se voilait d'épais nuages, et notre esprit agissait dans une sphère très restreinte. Sans nous en apercevoir, il y avait eu métamorphose. Pouvait-il en être autrement, lorsque nos yeux ne rencontraient que des toiles de tentes, des carabines et des gibernes ? Il était donc temps d'aller puiser à la source de toutes

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consolations ; c'est ce que nous fîmes en assistant à la messe, chantée par Sa Sainteté elle-même, au milieu de notre camp.

Quelle belle cérémonie ! Quelle pompe ! Figu- rez-vous huit mille hommes sous les armes, rangés en ordre de bataille, la tête haute et fière, l'œil vif et pénétrant, gardant un silence solennel, et tous tournés vers Un magnifique autel préparé pour la circonstance l'autel est à l'orient. Voyez apparaître à la gauche de ces courageux guerriers, dans la direction de Rocca-di-Papa, l'auguste Pie IX, le Vicaire de Jésus-Christ, escorté de trois cardinaux, d'un grand nombre de prélats, c de la garde-noble, d'un nombreux piquet de zouaves, de l'état-major du régiment et de plusieurs princes qui regardent comme une insigne faveur le privilège d'accompagner l'Evêque de Rome. Aussitôt que le Pape commence à gravir les Monts-Algides, une bruyante salve d'artillerie salue le père com- mun des fidèles ; le corps de musique des zouaves et celui des chasseurs indigènes font entendre leurs accords harmonieux et ne cessent de jouer que lorsque le Saint-Père est arrivé à la chapdle mili- taire. Pendant qu'il traverse les rangs de ses nombreux enfants et qu'il les bénit affectueuse- ment, ceux-ci se tiennent " genou-terre " dans l'attitude d'un homme qui a commis des fautes,

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mais qui en reconnaît l'énormité et en demande pardon avec la ferme confiance d'être exaucé. Dès que le Pape eût mis pied à terre, il se revêtit de ses ornements pontificaux et commença le divin sacrifice. Quelle majesté dans sa personne ! quelle sainteté brille sur son auguste visage ! Quelle tendre affection dans le regard ! Ce n'est plus un simple mortel, mais un ange sous la '-- forme humaine. Durant tout l'office, je restai les yeux fixés sur Pie IX, et cette vue m'apporta au cœur un charme indéfinissable.

Après la messe, le Saint- Père se rendit sur un balcon construit par " la compagnie du génie," fit son action de grâces et monta ensuite sur un magnifique trône qui se trouvait au milieu du balcon. L'heure solennelle était arrivée. Pie IX venait de prier pour ses chers zouaves, mais ce n'était pas assez : il devait répandre sur eux les bénédictions célestes. Nous l'entendîmes alors réciter d'une voix forte et vibrante le Benedicat vos Omnipolens Deus, etc. Que cette bénédiction donnée par notre Pontife-roi nous a fait du bien ! En relevant nos fronts courbés dans la poussière, nous étions complètement changés ; nous étions redevenus les vrais enfants de Lamoricière.

Il était alors deux heures de l'après-midi. Le Pape monta dans son riche carosse, visita le camp

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en passant au, front, prit un peu de nourriture à la pension des officiers, et se dirigea enfin vers Rome. La fête était terminée. Je puis bien répé- ter ici ces paroles de l'Ecriture sainte : " Pleni dies. " Oui, c'était réellement pour nous un jour plein, plein de bonheur, plein de bénédictions, et plein de consolations.

CHAPITRE VIII.

COMBAT SIMULÉ ALBANO ARICIA CASTEL-

GANDOLFO MARINO ROCCA-PRIORA.

Pendant la nuit du 20 d'août, tout le camp était plongé dans le plus grand silence ; nous dormions d'un profond sommeil ; nous n'entendions que le cri de la sentinelle : " Qui vive " ! lorsque tout à coup les clairons sonnent la " générale." Et, tout le monde de mettre sac au dos et de courir aux armes. Les officiers arrivent armés de pied en cap, et se placent à la tête de leur compagnie. Le colonel donne le commandement de se mettre en route. Le tambour bat, et nous partons. Voilà le camp vide ; la garde seule reste. Que signifie donc cette évolution militaire au milieu des ténè- bres ? portez-vous vos pas ? me demanderez- vous. Nous partons pour la guerre ; les Garibal- diens sont tout près de nous ; ils se sont emparés de trois villes, savoir : Albano, Castel-Gandolfo et Marino. La distance entre la première ville et Rocca-di-Papa n'est que de deux lieues et demie, et c'est la plus éloignée. Ces ennemis de la Papauté se dirigent sur Rome. Un courrier est venu nous

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avertir de leurs mouvements. Il nous faut donc voler à leur rencontre et leur faire mordre la poussière.

Mais n'ayez pas peur, lecteur ; il n'y aura pas effusion de sang. Nous voulons tout simplement simuler un combat, afin d'apprendre à fond l'art militaire, et de nous accoutumer à philosopher sur l'odeur de la poudre. Les prétendus Garibaldiens, dont je viens de parler, ne sont autre chose que dix compagnies de zouaves qui, parties quelques heures avant nous, sont allées occuper les trois villes citées plus haut.

Arrivés à quelques pas de Marino, nous sommes accueillis par une décharge de mousqueterie. Nous ripostons à l'ennemi par un feu des mieux nourris, et après une heure de combat, nous nous rendons maîtres de la ville. Les Garibaldiens abandonnent leurs premiers retranchements et se replient sur Castel-Gandolfo. Nous les poursui- vons au pas de course, et nous les forçons encore de fuir devant nous. Chassées de ce poste, les chemises rouges vont se réfugier dans Albano, ils occupent les meilleures positions. C'est alors que commence réellement le combat ; car jusqu'à présent, nous n'avons fait que quelques petites escarmouches. .

Nous étions encore à deux milles de la ville,

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lorsque l'artillerie de l'ennemi commença à faire entendre sa grande voix. Nous avancions toujours quand même, mais en leur donnant des réponses bien significatives. Nous nous dispersons en tirailleurs, après avoir reçu l'ordre de cerner la ville afin de couper la retraite aux fuyards.

Nous touchons enfin aux murs, nous sommes reçus par une salve effrayante ; les coups de fusils étaient si nombreux que le bruit ressemblait au roulement du tonnerre. Pendant quelques instants, il y eut hésitation ; nous avançons et nous retrai- tons tour à tour ; la victoire paraissait indécise. Mais faisant un effort suprême, nous nous élan- çons en avant, baïonnette au canon, massacrant et culbutant tous ceux qui opposaient quelque résistance, et, du même élan, nous pénétrons dans la ville au milieu des applaudissements d'une foule innombrable de citoyens. Les Garibaldiens, échelonnés sur les murs de la ville, n'eurent pas le temps de se rallie r ; ils furent tous forcés de déposer les armes et de se livrer aux mains du vainqueur. A neuf heures, la guerre était fin ie, et le drapeau pontifical flottait de nouveau sur la ville d'Albano.

Après le combat, notre premier soin fut d'assou- vir la faim qui nous dévorait. Nos courses de collines en collines avaient vivement excité l'ap-

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petit. Notre repas terminé, la consigne fut levée, et une permission générale fut accordée, a tous ceux qui n'étaient pas de service, d'aller bon leur semblerait, pourvu qu'ils fussent de retour à quatre heures P. M. ; c'était l'heure fixée pour notre départ. Bien que je fusse très fatigué, je profitai de l'occasion pour visiter en gros les villes d'Albano, d'Aricia, de Castel-Gandolfo et de Marino.

La ville d'Albano, située à 7 lieues au sud-est de Rome, est assise aux pieds des Monts-Algides montagnes du Latium ou mieux au pied du Mont-Cavo, sur les ruines d'Albe-la-Longue qui fut, dit-on, fondée par Ascagne, fils d'Knée, et détruite par Tullus Hostilius. Les rues de cette ville sont larges et propres ; les édifices paraissent très riches et sont, pour la plus grande partie, d'une construction moderne. Aussi, pendant la saison des chaleurs tropicales, un grand nombre de familles romaines viennent-elles fixer leur séjour en cette ville. On y admire plusieurs villas splendides appartenant à des princes ou à des ducs. Albano rappelle un souvenir bien cher aux catholiques. Saint Bonaventure a embaumé ces lieux du par- fum de ses vertus. Ce grand . saint avait été nommé à 1 evêché suburbicaire.

A deux milles d'Albano, on rencontre la

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moderne Aricia, qui est perchée sur le sommet d'un rocher. Cette ville a été fondée 200 ans avant la guerre de Troie par Archiloque de Sicile. C'est qu'est née Atia, mère d'Auguste. Si je ne me trompe pas, Horace n'aimait pas trop Aricia, à cause des oignons qu'elle produisait en grande abondance.

Castel-Gandolfo s'élève aussi sur les ruines d'Albe-la-Longue ; car Albe renfermait tout le terrain occupé aujourd'hui par Albano et Castel- Gandolfo. Cette dernière se trouve au nord-ouest, et à un mille environ de la première. C'est encore une ville moderne et d'une assez belle apparence.

A l'est de Castel-Gandolfo, et à une courte distance, on voit un joli petit lac qui est enchâssé entre des rochers escarpés et couronnés d'arbres touffus. Ce lac est, dit-on, le cratère d'un ancien volcan. Je n'ai pas de peine à le croire, car le terrain avoisinant est un terrain volcanique et à mille formes diverses, tel qu'on le remarque ordi- nairement dans les environs d'un volcan. Ce lac a la forme d'une ellipse dont le grand axe mesure environ 2 milles et demi, et le petit axe, quinze à dix-huit arpents. La direction du grand axe est du nord au sud. Généralement on le désigne sous le nom de lac d'Albano, pour la raison bien simple qu'il s'étend au-delà de cette ville, et que le

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foyer de l'ellipse se trouve vis-à-vis d'Albano même.

Marino est à un mille et demi au nord-est de Castel-Gandolfo. Cette ville présente le même aspect que sa voisine. Je ne connais aucun fait historique qui se rapporte à Marino. Une petite réminiscence pourtant à signaler :

Lorsque j'étais élève de rhétorique, il me semble avoir lu dans Horace qu'il aimait beaucoup le vin de Marino et qu'il en avait dans sa cave une assez grande quantité, âgé de cinquante ans au moins. Mais je ne puis affirmer si c'est la même ville ; on peut toujours le croire en attendant qu'on nous prouve le contraire.

Laissons Horace avec son dieu Bacchus, et retournons à Albano le clairon nous appelle. Les rangs se forment ; le capitaine donne le mot du commandement " peloton en avant, marche," et nous marchons. L'ami C. G. Bertrand chante " Par derrière chez ma tante," etc., et quand il est fatigué, le zouave Pépin entonne sa chanson favorite " Houp, houp sur la rivière. " Le' temps passe vite. La gaîté la plus franche règne parmi nous ; nous n'éprouvons aucune fatigue, et nous entrons dans notre camp aussi frais et dispos que le matin. À six heures, nous étions nonchalamment éten- dus sous nos tentes, fumant une tendre pipe démo- cratique et sociale, comme dirait Sans-Allumette.

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Un autre jour, nous avons fait une " petite guerre " à Rocca-Priora, l'ancienne Corbion, située à l'est et à deux heures de marche du Camp d'Annibal. Pour parler le langage militaire, cette ville est une sale ville. Les habitants m'ont paru extrêmement pauvres. Mais rendons à César ce qui appartient à César : Rocca-Priora occupe une position des plus splendides. Comme un nid d'oiseau, elle est bâtie sur le sommet d'une haute montagne. Placé sur un vaste plateau qui se trouve au septentrion de Rocca, j'ai, vu et compté dix-neuf villes ou villages sans changer de place. Ce n'est pas mal comme vous voyez. A part son site, je ne connais rien en cette ville qui puisse intéresser.

CHAPITRE IX.

FÊTE AU CAMP ROCCA-DI-PAPA DÉPART DU CAMP DISPERSION DES CANADIENS.

Quelques jours avant notre départ du camp, nos officiers supérieurs eurent l'obligeance de nous donner une petite fête, que je pourrais appeler fête militaire, afin de nous faire oublier les péni- bles impressions que nous causait la vue du camp. Le lt-colonel de Charette et le commandant du 3ème bataillon, Mr de Troussure, les organi- sateurs des jeux, obtinrent un plein succès, et surent nous divertir et nous faire rire à gorge déployée cinq .heures durant.

Voici un résumé ou mieux un programme de la fête : i ° Exercices de cavalerie ; 2 ° Courses au clocher ; le lieutenant de Franquinet gagne le premier prix ; 3 ° Courses à pied ; deux Irlandais sont couronnés ; 40 Course au cochon graissé, le mât de cocagne et différents autres amusements ; Comédie jouée par les chasseurs indigènes ; Figures géométriques illuminées.

Le dernier article du programme demande des explications ; je m'empresse de les donner. Quinze

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jours auparavant, notre bouillant lt-colonel de Charette avait dessiné des figures géométriques au front du 3ème dépôt, sur un plan bien hori- zontal, qui se trouvait dans une dépression de terrain. Le lieu avait été parfaitement choisi pour permettre aux spectateurs de tout voir. Ces figures représentaient une étoile, la croix de Pie IX,la croix deMentana,et "Vive Pie IX!" en gros caractères. Pendant plusieurs jours, les quatre compagnies de dépôt, dans les rangs desquelles se trouvaient encore tous les Canadiens, firent l'exer- cice sur ces lignes droites et ces lignes courbes, et apprirent à former au mot du commandement la figure voulue. C'est le baron de Charette qui commandait en personne ces différentes manœu- vres. Il me semble encore le voir arriver le matin, monté sur son cheval gris et nous lancer un regard moqueur, en nous disant : " Ah, les' Castors,' que vous êtes laids aujourd'hui ! " J'avoue que le qualificatif convenait à merveille à plusieurs d'entre nous.

Le soir de la fête, immédiatement après la représentation de la comédie, le clairon sonna l'appel des dépôts. Tous les zouaves, désignés à prendre part à ce nouveau spectacle, coururent aux armes et placèrent des lanternes vénitiennes à l'extrémité de leurs carabines, qu'ils tenaient au

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" port d'armes." Il était huit heures quand nous arrivâmes sur le terrain. Les ombres descendues des montagnes s'allongeaient dans la vallée et produisaient une obscurité complète. Je ne saurais vous peindre fidèlement la scène grandiose et sublime qui se déroula alors aux regards des milliers de spectateurs accourus de la ville de Rome même, et parmi lesquels on comptait des prélats distingués, des nobles et des princes, entre autres les princes Borghese et Rospigliosi. Figurez-vous des centaines de lanternes ambulantes, au milieu de ténèbres épaisses, allant et venant en tous sens, et représentant les figures que je vous ai nommées plus haut. Je dis lanternes ambulantes ; il était impossible de distinguer un seul des zouaves qui portaient ces lanternes ; orî ne voyait que des flots de lumière de diverses » couleurs, se dessinant sur un fond obscur, et pro- duisant un effet vraiment magique. Un tonnerre d'applaudissements éclata lorsque nous représen- tâmes "Vive Pie IX!" Des vivats prolongés se firent entendre, etvles échos se répercutèrent dans les montagnes environnantes. " Sacrebleu ! s'écria un noble français, qui se tenait à quelques pas de moi, je n'ai jamais rien vu de semblable." Je n'osai le contredire, car il disait la vérité.

Le lendemain fut un jour de congé pour nous.

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Je profitai de ces heures de loisir pour étudier Rocca-di-Papa et ses environs.

Rocca-di-Papa est située au sud-est et à dix- huit milles environ de Rome. Cette ville est bâtie sur le flanc d'un rocher ; c'est de que lui vient le nom de Rocca, qui veut dire roclie. Rocca-di-Papa signifie donc Roche du Pape. Elle est élevée de plusieurs mille pieds au-dessus du niveau de la mer, et présente, grâce à cette élévation, un point de vue remarquable. Monté sur le sommet du rocher, nous voyons, dans le lointain, Rome et la Méditerrannée, et, à une courte distance, Marino, Castel-Gandolfo, Albano et les flots argentés des lacs d'Albano et de Némi.

Au sud-ouest de Rocca s'élève cavalièrement le Mont-Cavo, (3,130 pieds de haut,) sur lequel les Passionnistes ont construit leur nid. Ce nid est un magnifique monastère entouré de tous côtés d'un riant bocage. On ne saurait trouver de lieu plus propre au recueillement et à la prière. Séparés du tumulte du monde, ces religieux semblent quitter la terre et s'envoler vers les régions célestes, en répétant, dans leurs louanges au Créateur, ces paroles du psalmiste : " Qui me donnera des ailes comme à la colombe ! " Ce pieux sanctuaire est bâti sur les ruines d'un temple païen, de Jupiter Latialis. Dans le jardin avoisinant le couvent, on

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voit encore un morceau du parquet en mosaïque, parfaitement conservé. Lorsque je suis allé me promener dans ce délicieux jardin, j'ai détaché du parquet une petite pierre que j'ai glissée furti- vement dans mon gousset. J'avais grandement peur que ce vol sacrilège m'attirât la colère des dieux, et que Jupiter me lançât sa foudre sur ma nuque. Tout de même, je suis revenu sain et sauf.

Au sud de Rocca-di-Papa on rencontre l'endroit généralement connu sous le nom de Camp d'Anni- bal. C'est un vaste plateau entouré de toutes parts de hautes montagnes. Les zouaves sont campés sur ce plateau. Le camp, adossé au pied du Mont- Cavo, s'étend sur une longue ligne droite, (du nord au sud) de Rocca jusqu'à la montagne qui fait face à cette ville. Cette dernière montagne est très élevée ; de son sommet, il paraît que l'on jouit d'un superbe panorama. Quelques-uns de mes compagnons d'armes ont eu le courage d'en faire l'ascension, et ils m'ont affirmé que, lorsque le ciel est serein et clair, on distingue le Vésuve et le golfe de Naples. Mais, Joannes dubitat.

Dans la principale église de Rocca, sous le maître-autel, repose le corps de saint Eutrope, lecteur de l'église de Constantinople et mort mar- tyr en l'année 404, en proclamant publiquement la divine vérité et en prenant la défense de saint 4

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Jean-Chrysostôme, chassé pour, la seconde fois de son siège patriarchal.

Le cinq septembre ouvre une nouvelle ère pour nous : nous levons le camp. Vous devez vous imaginer que nous ne nous faisons pas prier pour plier nos tentes, préparer nos sacs et nous mettre en route. Notre départ est salué par un immense feu de joie ; l'incendie balaye tous nos édifices de fougère et de genêt qui nous avaient coûté une si grande somme de labeurs. Nous partons sans regarder en arrière, et en chantant gaîment :

"En avant, marchons, zouaves du Pape, à l'avant-garde. "

A notre arrivée à Rome, nous sommes casernes de nouveau au Janicule. Bien que nous soyons obligés de dormir sur la paille, nous trouvons nos lits plus moelleux que la dure du Camp d'Annibal ; et, ce qui est une importante amélioration à notre sort, c'est que nous sommes débarassés de cette petite vermine qui nous caressait les flancs lorsque nous étions sous la tente. Nous avions fait usage de lessive avant de prendre notre nouveau loge- ment.

L'heure de la dispersion des Canadiens est enfin sonnée. Le huit septembre, jour de la Nativité de la sainte Vierge, tout le 3ème dépôt est versé en compagnies ; par conséquent, les Canadiens se

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trouvent alors jetés par escouade de huit à dix, dans les différentes compagnies du régiment. La séparation fut touchante, mais sans sanglots. Le capitaine de Kermoal pressa affectueusement la main à chacun de nous, et nous rejoignîmes nos compagnies respectives.

Je voulais alors faire une étude de Rome chré- tienne et de Rome païenne, mais vaine illusion ! je passe à la 6ème compagnie du 3ème bataillon qui est actuellement à Tivoli. Je transporte donc mes pénates dans cette ville, au quatrième étage du collège Borromeo, dirigé par les révérends pères Jésuites. C'est dans ce riche couvent que j'ai écrit la courte description de Tivoli que je vous donnerai dans le prochain chapitre.

CHAPITRE X.

TIVOLI ET SES SOUVENIRS.

Tivoli, l'ancienne Tibur d'Horace, est située à i 8 milles à l'est de Rome, et mérite d'être étudiée sous le rapport du site et sous le rapport de l'an- tiquité.

Envisagé sous le premier rapport, Tivoli ne laisse rien à désirer de mieux. Placée à la ren- contre de trois montagnes, elle est assise sur le flanc d'une de ces montagnes et envoloppée d'im- menses bosquets d'oliviers ; elle regarde :

Au nord, Monticelli, petite ville élevée sur les ruines de Curniculum ; Santo Angelo, bâtie sur l'emplacement de Canina ; Monte-Rotondo qui nous rappelle le brigandage exercé par les ven- dales de i 867 ; et enfin, Mentana, l'armée pon- tificale défit, dans le mois d'octobre 1867, les >^ chemises rouges commandées par Garibaldi, connu plus communément sous le nom de général Montre- ton- do s ;

A l'orient, les trois montagnes auxquelles je viens de faire allusion ;

Au sud, Palestrina, autrefois Praeneste ; Fras-

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cati, Rocca-Priora, anciennement Corbion, et Albano ;

A l'occident, la campagne romaine et Rome, la Ville sainte, la Ville éternelle, la Ville des mar- tyrs. Une riche vallée sépare Rome de Tivoli. Lorsque la voûte céleste est sans nuage, la Ville des Papes apparaît dans toute sa splendeur. Si, au contraire, une trop grande quantité de vapeur remplit l'atmosphère, Rome disparaît ; mais la coupole de Saint-Pierre ne fuit jamais le regard. C'est le phare lumineux qui guide le voyageur sur la mer orageuse du monde et lui fait éviter les écueils qui sont semés sur son passage.

Sous le rapport de l'antiquité, Tivoli me semble digne de figurer après Rome, à cause des nom- breux souvenirs qu'elle renferme. Il serait trop long de décrire chacun de ses monuments en par- ticulier, je me contenterai d'en faire l'énumération :

Nous remarquons les ruines d'un grand nombre de temples consacrés aux dieux païens, tels que ceux de Vesta, de la Sybille, d'Hercule ; les grottes de Neptune et de la Sirène ; plusieurs villas délabrées ou l'emplacement qu'elles ont occupé : nous voulons dire les villas de l'empereur Adrien ; de Caïus Marius, homme de grand mérite et con- temporain de Cicéron ; de M. Scipion ; de Lépide, célèbre triumvir; de Virgile, le cygne de Mantoue ;

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de Quintilius Varus, qui a tant fait souffrir Auguste ; il vous en souvient : " Varus, qu'as-tu fait de mes légions ? " ; de Cassius, qui, de concert avec Crassus, a soutenu la guerre contre les Parthes ; de Brutus, qui suivit d'abord le parti de Pompée et se soumit ensuite à César ; de l'em- pereur Trajan ; de Salluste, célèbre historien ; de Catulus, consul qui défit les Cimbres conjointe- ment avec Marius ; du poète Horace, qui a tant détesté l'ail et tant aimé le vin ; de Pison, qui a été consul sous Auguste, gouverneur de Syrie sous Tibère, et fit mourir Germanicus ; de Mécène, le favori d'Auguste, et qui ne pouvait s'endormir qu'au bruit des cascatelles ; de Plaute, poète comique ; de Zénobie, reine de Palmyre ; de Sifax, roi de Numédie, qui fut vaincu par Scipion, dans la seconde guerre punique ; de Plancus, consul, l'an 712 de Rome, et 42 avant Jésus- Christ, et de plusieurs autres. Une aussi grande multitude de villas, habitées par les hommes les plus célèbres de Rome païenne parlent beaucoup en faveur de Tivoli et sont une preuve vivante de son ancienne gloire. Aujourd'hui encore, les familles nobles de Rome chrétienne ne dédaignent pas le séjour de la patrie d'Horace.

Les églises de Tivoli méritent une mention toute spéciale, et j'invite le lecteur à pénétrer avec moi dans ces pieux asiles de la sainteté,

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Les principales églises sont celles de Saint- Laurent, de Saint-Sylvestre, de Saint-Biaise, de Saint-Pierre, de Saint-André, de Sainte- Sympho- rose, appelée aujourd'hui Chiesa del Gesu, de Saint- Vincent, de Sainte-Marie Majeure et de Saint-Jean l'Evangéliste.

L'église du Gesu est celle que j'aime le plus. Tout plaît dans ce temple. La richesse qu'on y a déployée et les magnifiques tableaux qui ornent la nef sont tous d'un prix élevé et attribués à des artistes les plus renommés. Ces peintures appor- tent dans l'âme, je ne sais quoi de suave, et l'invite à détourner ses désirs de cette vallée de larmes et à les tendre vers la suprême Beauté.

La basilique de Saint-Laurent occupe l'empla- cement du temple d'Hercule. Cette coïncidence nous met en mémoire la victoire du catholicisme sur le paganisme. En posant le pied dans cette basilique, on aperçoit à droite une belle statue de l'Immaculée-Conception, due au génie du Bernin. Elle est en grande vénération à Tivoli, et c'est avec raison. En 1656, la Madona a préservé les Tiburtins de la peste qui sévissait partout et cau- sait de cruels ravages.

L'église de Saint-Vincent est construite sur la grotte de sainte Symphorose. Dans cette église se trouve un beau tableau représentant le martyre

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de cette sainte et de ses sept fils ; et puis, vers le milieu de la nef, à droite, un escalier conduit à une cellule souterraine. C'est dans cette grotte que s'est cachée la sainte femme avec ses sept enfants pour se dérober à la persécution de l'em- pereur Adrien. Mais, comme vous le savez déjà, sa retraite a été ensuite découverte, et l'héroïque mère est morte martyre ainsi que tous ses enfants. L'église de Saint Pierre, bâtie sous le pontificat de saint Simplicius, s'élève sur les ruines de la villa de Metellus Scipion et appartient à la Con- fratemita délia Carita. C'est une des plus anciennes églises de Tivoli.

L'église de Saint-Biaise, située au milieu de la place de la Reine et desservie par cinq Dominicains, remplace le temple de Junon. Elle a été détruite et rebâtie plusieurs fois, de sorte qu'elle porte encore les traces des tristes phases qu'elle a eu à traverser.

En arrière de la place de Trevi, on rencontre l'église de Saint-André, qui fut fondée par S. Sil- via-Anicia-Probina, mère de Grégoire le Grand, sur les ruines du temple de Diane.

L'église de S.iint-Jeaft l'Evangeliste est près de la porte du même nom. En 1729, elle est deve- nue la propriété des religieux nommés Eratc Bene- Fratelli, qui l'ont réparée et lui ont donné l'appa-

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rence qu'elle conserve de nos jours. Les peintures de cette église sont les plus remarquables de Tivoli. Les fresques de la tribune sont attribuées à Pinturrichio ; celles de la nef et du sanctuaire et le tableau de saint Marc l'Evangeliste, à Sal- viati. Le maître-autel est dominé par la statue de saint Jean, due au ciseau de Vincent Léoni, qui est regardé comme le restaurateur de l'église de Saint-Biaise.

Enfin, jetons un coup d'œil rapide sur les ruines de la villa d'Horace. Qu'y voit-on ? Une petite église dédiée à saint Antoine de Padoue. Encore l'erreur qui cède le pas à la vérité. Le site ne pou- vait être mieux choisi. Véritablement, comme dirait un ancien représentant du peuple canadien, Horace aimait la belle nature. C'est l'endroit le plus délicieux qu'on puisse voir. Nous sommes en dehors et à douze arpents de la ville, en face des cascatelles, Sur le flanc d'une montagne et au milieu d'un bosquet touffu d'oliviers. Tel est le lieu le poète latin se livrait à ses débauches et à ses plaisirs éphémères. Le poète n'est plus ; mais un grand saint lui a succédé, et sa main pro- tectrice s'élèvera sur les Tiburtins jusqu'à la con- sommation des siècles.

CHAPITRE XI.

CASCADES DE TIVOLI ET LA VILLA D'ESTE.

Avant de nous éloigner de Tivoli, allons visiter les cascades et la villa d'Esté. Commençons par les premières.

Sans être comparables à celles de Niagara et de Montmorency, les cascades de Tivoli reçoivent néanmoins la visite de plusieurs personnages impor- tants, voire des rois et des reines, des princes et des princesses. En parcourant la longue liste des illustres touristes dont le nom est gravé sur un marbre, placé à l'entrée des tunnels qui tra- versent le mont Catillo, j'ai remarqué, à ma grande surprise, le nom du prince de Galles, notre futur roi. Ces cascades ont un cachet de beauté qui les fait aimer. La nature, dans le voisinage, a pris mille formes diverses sous la main de l'Artiste universel, et offre un spectacle enchanteur.

On distingue deux cascades, l'ancienne et la nouvelle. Le lit de l'ancienne est presque desséché, et cela date de 1835. Avant cette époque, c'était l'unique cascade. L'eau y coulait par conséquent en très grande abondance, surtout à l'époque des

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pluies torrentielles. En 1826, le torrent se grossit à un tel point que l'onde s'élança hors de ses digues, inonda la ville les cascades touchent à la ville et emporta dans sa course furibonde plusieurs beaux édifices, qui furent complètement démolis. Ce désastre répandit la terreur dans toute la ville. On commença alors à penser aux remèdes qu'il fallait apporter au mal. Léon IX fit donc construire de nouvelles digues pour mettre un frein au torrent dévastateur. Mais ces murs paru- rent encore insuffisants. Neptune ne voulait pas conclure la paix à si bon marché. Grégoire XVI mit la main à l'œuvre, et le dieu s'avoua vaincu. Pour obtenir son but plus sûrement, le pape Grégoire résolut de détourner le cours de l'Anio, en faisant percer le mont Catillo ; ce qui présen- tait de sérieuses difficultés. Cependant Grégoire le voulait, et la chose se fit ; car pour ce grand pape vouloir et faire étaient synonymes. On pra- tiqua deux tunnels à travers le mont. Les eaux y pénétrèrent, pour la première fois, le 7 octobre 1835, en présence de Sa Sainteté Grégoire XVI, de la reine des Deux-Siciles, de plusieurs cardi- naux, etc., et formèrent ce que nous appelons maintenant la nouvelle ou la grande cascade. On peut parcourir les deux tunnels à pied d'un bout à l'autre; car dans chacun d'eux se trouve une

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plateforme ou galerie sur laquelle le promeneur se balade à son aise.

En revenant des cascades, entrons dans la villa d'Esté, qui apparaît à notre gauche. Après l'avoir examinée avec soin, nous aurons une idée plus ou moins juste des nombreuses résidences princières qui entourent Rome.

La villa d'Esté a été construite en i 5 5 1 par les soins du cardinal Hypolite d'Esté, qui, dit-on, dé- pensa en cette occasion un million de scudi (le scudo vaut 5 francs 7^ sous). Comme vous le voyez, c'est une somme assez ronde, mais je dois ajouter que l'argent a su produire le beau. Le palais, qui sert de résidence aux cardinaux de cette illustre famille, n'offre rien de remarquable. Passons outre et volons dans le jardin qui l'avoisine ; nous serons contents de notre petite visite.

Bien des fois, il m'a été donné de voir des jar- dins, mais je n'ai jamais vu autant de beautés réunies dans un même lieu. L'œil ne se lasse jamais de contempler ; à chaque pas que l'on fait, on aperçoit une multitude de petits êtres qui flat- tent la vue Ici, ce sont des statues que le paga- nisme a fait naître ; là, de splendides sculptures exécutées par le génie chrétien ; plus loin, des myriades de jets d'eau sous différentes formes, et puis, un nombre prodigieux de gracieuses fontaines.

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Mon épithète gracieuse doit vous surprendre. Je veux seulement dire que le dieu ou la déese, qui est préposée à la garde de telle ou de telle fontaine, a un extérieur gracieux. Enfin pour compléter le tableau, ce jardin renferme des arbres de toute sorte qui croissent à une hauteur prodigieuse, tels que le cyprès, le platane, le cèdre du Liban, etc. Rien n'y manque. L'intelligence a présidé à l'œu- vre.

Nous avons maintenant une vue d'ensemble ; mais examinons encore plus en détails. En un mot, faisons le tour du jardin. A l'orient, on remar- que la fontaine nommée en langue italienne de rOvato, que Michel -Ange Buonarotti décore du titre pompeux de reine des fontaines. Quatre frag- ments de rocher surperposés forment le mont Elicon. Sur la crête du mont repose le cheval ailé ou Pégase ; à la base surgit l'eau écumante qui représente l'Hyppocrème. Les rochers ont une légère cavité sur le flanc ; c'est dans ce creux qu'est assise la statue de la Sibella Albunea, de dix-sept palmes de haut, et qui caresse, de sa main droite, la jeune Tivoli. A chaque côté de la Sybille se dressent deux autres divinités, à gauche, l'Anio, et à droite, Hercule, qui sont mollement étendues sur la verdure et semblent, à vrai dire, prendre peu d'intérêt à l'humanité souffrante ; du pied de

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ces dernières statues jaillissent deux torrents qui versent d'abord leurs eaux agitées dans une im- mense coupe, et de dans un riche réservoir de forme ovale. Une foule de petites créatures (sta- tues) figurant les Naïades, sont placées en face du grand réservoir, sur une seule ligne et en demi- circonférence, et forment un tout complet avec le reste du dessin. Mais un peu d'ombre, dit-on, dans un tableau ne nuit pas à sti beauté ; tel est le cas pour la fontaine que nous étudions. Des platanes séculaires répandent à l'entour un ombrage tou- jours frais ; leur cime altière semble percer la nue et regarde avec dédain le joli bocage de lauriers qui enveloppent l'Elicon.

De la fontaine de YOvato, je pénètre dans l'allée des cent fontaines, qui traverse le jardin dans toute son étendue, de l'est à l'ouest. Cette allée doit son nom aux cent jets d'eau qui la bordent. A l'extré- mité de cette voie, j'aperçois la Girandola. La première chose qui frappe ma curiosité, c'est une petite colline sillonnée en mille endroits par les flots argentés de l'onde bondissante, de l'onde qui tombe, se relève, rebondit et retombe dans un vaste bassin. On dirait, à première vue, que l'eau est portée de main en main, comme la langue italienne l'exprime si poétiquement : " Acqua sollevavasi di mano in mano" Le torrent, en frap-

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pant les pointes aïgues du rocher, produit un grand bruit, sourd et saccadé, semblable au mugissement du lion delà forêt. Cette circonstance a'.fait donner à la fontaine, la dénomination de Fontaine de Dragon. C'est le cardinal Luigi qui a fait construire cette superbe fontaine à l'occasion du séjour de Grégoire XVI dans le palais même du cardinal. Trois jours ont suffi pour créer ce merveilleux ornement de la ville d'Esté, et Grégoire a pu contempler un nouveau chef-d'œuvre avant de retourner au Vatican. Si jamais les armes de la maison Buon- compagni vous tombent sous les yeux, vous y verrez figurer les dragons. Alors, vous vous rappe- lerez la courte description que je fais aujourd'hui de la fontaine des dragons, et vous aurez la solu- tion du problème.

A la droite de la fontaine des dragons, le regard se fixe permettez-moi l'expression sur un amas de beautés, auquel on décerne le nom de Romctta, petite Rome. C'est une représentation, en petit, des principaux monuments de l'antique Rome. La plus grande partie, il est vrai, est dépouillée de ses somptueux ornements et a été détériorée par le temps ou par l'eau. Au milieu des ruines éparses, on distingue encore, d'une manière assez confuse, le capitole, le panthéon, le mausolée d'Au- guste, le môle d'Adrien, etc. Sur une vaste terrasse

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s'élève la statue de Rome, entourée de trophées ; à côté, la louve allaite Romulus et Rémus, et en face, se dresse le pont triomphal. Nous avons devant nos regards plusieurs pages de l'histoire romaine. Nous voyons grandir Romulus et Rémus ; nous assistons à leur querelle, à leur séparation, au meurtre de Rémus par son frère, à la fondation de Rome, à l'enlèvement des Sabines, à la mort du premier roi des Romains, etc. Comme au mont Elicon, de grands arbres ceignent d'une couronne verdoyante la tête de Rometta. De la terrasse que nous occupons, la vue embrasse tout le jardin* C'est donc un panorama grandiose qui se déroule devant nous.

La villa d'Esté possède plusieurs autres monu- ments et plusieurs autres chefs-d'œuvres, mais il serait trop long de les faire connaître ici. J'ouvre donc la porte du jardin, et je gagne la caserne, au pas accéléré, afin de ne pas ennuyer davantage le lecteur.

CHAPITRE XII.

SUBIACO ET SAINT BENOIT.

Subiaco vient du mot latin Sablaqucum, ainsi nommé parce que autrefois on voyait un peu au- dessus de cette ville trois petits lacs aujourd'hui desséchés. Sublaqueum a été changé en Subiaco.

Subiaco, ville de la Sabine est située à cinquante milles au sud-est de Rome ; elle renferme 6,000 âmes, et offre, comme le dit Robello, un grand intérêt aux artistes par son délicieux paysage, aux industriels, par ses nombreuses usines, et aux philosophes, par les souvenirs de saint Benoît. Son site est charmant. Entourée de montagnes qui portent leurs cimes grisâtres jusqu'aux nues, et bâtie sur une colline de forme pyramidale, elle regarde de tous côtés un vallon profond, la nature se plait à étaler ses trésors. Bocages ver- doyants, jardins ^émaillés de mille fleurs, prome- nades délicieuses, rien n'y manque. Les édifices, d'une apparence assez médiocre, sont groupés au tour du mamelon, formant ainsi une espèce d'am- phithéâtre. Le palais épiscopal est, comme un nid d'oiseau, perché sur le sommet et domine toute

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la ville. A la première vue on le prendrait pour un château-fort capable de soutenir un long siège. Les églises sont au nombre de huit ; la cathé- drale seule peut attirer notre attention. Les rues, comme celles des autres villes des Etats de l'Eglise, sont étroites et d'un aspect qui demande beaucoup d'améliorations sous le rapport de la propreté. Nous avons une faible idée de la topographie du Subiaco ; passons maintenant aux souvenirs que renferme cette ville :

Le premier souvenir qui frappe le regard du voyageur est celui de Néron, ce démon sous la forme humaine. L'aurait-on cru ? Tout de même, ce n'est que trop vrai. Enchanté du magnifique paysage dont je viens de parler, Néron avait fait construire des bains artificiels et une somptueuse villa à un mille de la ville, sur les rives de l'impé- tueux Anio. Il ne pouvait se fixer en un endroit plus favorable , pour ses orgies nocturnes, et pour satisfaire les passions de son cœur gangrené. Il existe encore aujourd'hui quelques ruines dissé- minées ça et des édifices élevés par cet empe- reur capables tout au plus de nous donner une juste idée de la magnificence que déployaient les anciens Romains dans la construction de leurs palais.

Le second souvenir qu'on rencontre est l'anti-

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pode du premier. Ce souvenir est cher aux habi- tants de la ville de Subiaco, cher à toute l'Italie, cher enfin à l'Eglise catholique. Je viens de nommer saint Benoît, de la famille d;Anicia, ce jeune praticien qui, fuyant les honneurs et les dé- lices du monde, vint se réfugier dans une grotte, les rayons d'un soleil bienfaisant ne pénétraient jamais. Le paganisme avait souillé cette contrée de sa bave immonde. Le christianisme, quatre siècles plus tard, chasse pour toujours ce monstre infernal, et plante la croix à l'endroit même ce dernier avait établi sa demeure. Benoît fut l'instru- ment dont se servit la Providence pour remporter cette victoire à jamais mémorable, qui produisit dans l'univers des fruits si abondants. Ce grand saint, ne voulant pas laisser son œuvre incomplète, forma un ordre qui fut chargé de continuer ce qu'il avait commencé, c'est-à-dire travailler au salut des âmes. L'ordre des Bénédictins s'augmenta avec rapidité, et fonda un vaste monastère sur la grotte même dans laquelle saint Benoît passa trois longues années sans voir aucun être humain. C'est ce monastère, commencé par saint Benoît et para- chevé par l'abbé Humbert, que nous allons étu- dier ; mais, auparavant, suivons avec attention le joli sentier qui conduit au Sagro Spcco, afin d'ad- mirer les monuments qui se présentent à l'admi- ration pendant cette excursion aérienne.

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Le premier monument que le chrétien s'empresse de visiter, c'est une chapelle circulaire, élevée en l'honneur de saint Maur, disciple de saint Benoît. On rapporte le fait suivant dans la vie de ce der- nier : " Un jour, le jeune Placide, fils d'un sénateur romain, alla puiser de l'eau dans un petit lac, aujourd'hui desséché, et à peu de distance de la villa de Néron. Pendant que le jeune homme était penché sur le bord de l'eau, le poids de l'amphore l'entraîna, et Placide tomba dans l'abîme. Il allait périr, lorsque saint Benoît ordonna à saint Maur de voler au secours de Placide. Maure obéit ; il marche sur les eaux comme autrefois Notre Seigneur sur le lac de Génézareth, et retire du gouffre l'enfant qui n'a plus qu'un souffle de vie." Pour perpétuer la mémoire de ce miracle éclatant, les habitants de Subiaco élevèrent cette chapelle que nous avons devant nous. Plus loin s'élève le couvent de sainte Scholastique, sœur de saint Benoît. Ce monastère a été construit au VI siècle. On y a réuni une ioule d'objets de l'antiquité provenant de la villa de Néron. Ce sont des reli- gieux cloîtrés qui l'habitent aujourd'hui.

L'église qui touche au couvent est d'une grande beauté. L'âme se sent à l'aise en pénétrant dans ce temple et respire librement les parfums des vertus qui y sont pratiquées. Dans la crypte, on

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admire deux grottes profondes, habitées autrefois par deux saints : Pierre et Honorât. Le corps du vénérable Bède repose dans ce lieu. Son nom est gravé sur un marbre avec l'inscription suivante : " O vénérable Bede ! Illustrions doctor of the english nation vouchsafe to obtain, the retum of that people to the truc ehureh and peace and ivelfare for myself who corne t hit her in pilgrimage to tJiy shrine. "

A deux pas du couvent de sainte Scholastique, il existe une chapelle visitée par une foule innom- brable de pèlerins. En gravissant cette montagne, saint Benoît rencontra le moine Romain, plus tard saint Romain, qui le dépouilla de ses habits et le revêtit d'une peau de bête. Cette chapelle est pour rappeler aux pèlerins cette circonstance de la vie de saint Benoît.

Nous traversons ensuite un petit bois odori- férant, connu sous le nom de bois sacre. Ce riant bocage a été sanctifié par la présence de saint Benoît, de cet homme de diamant, comme l'appelle le pape Zacharie. Le touriste, fatigué de cette /pénible ascension, s'arrête volontiers un instant ' sous cet épais feuillage pour reprendre haleine, respirer l'air pur et ranimer ses forces chance- lantes.

Nous arrivons enfin au monastère de saint Benoît, au célèbre Sagro Speeo, placé sur des

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rochers à pic, menacé par des masses énormes de pierres qui le dominent, et suspendu sur le bord d'un précipice. Ce couvent est adossé à la mon- tagne, à la paroi qui, comme le peint si bien de Montalembert, fait face au midi et domine en surplombant le cours bondissant de l'Anio sépa- rant, en cet endroit, la Sabine du pays habité jadis par les Eques et les Herniques. Le sanc- tuaire du Sagro Speco compte sept étages et quatorze autels.

Au second étage se trouve la grotte sainte. Une statue d'une beauté et d'une expression merveil- leuses représente le patriarche à genoux et les yeux tournés vers le ciel. A côté de la statue, on remarque un panier et une clochette. L'ermite Romain seul connaissait le refuge du saint qu'il nourrissait du reste de ses jeûnes. Mais il ne pou- vait pas parvenir jusqu'à lui, il lui glissait chaque jour un morceau de pain, au moyen d'un panier attaché à l'extrémité d'une corde ; et au panier était fixée une clochette qui, par ses tintements réitérés, avertissait l'anachorète de l'arrivée de son frugal repas. Vous devez comprendre facilement l'énigme du panier et de la clochette que renferme la grotte sainte. Ces souvenirs ne sont qu'une imi- tation, mais c'est un fac-similé qui parle éloquem- ment au cœur du chrétien. Les Bénédictins con-

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servent les originaux dans une chapelle avec un soin tout religieux. On voit aussi le lit sur lequel saint Benoît, succombant à l'épuisement, prenait quelques heures de repos. Sa couche n'était pas aussi molle que celle des rois fainéants de la Gaule. Une simple pierre, et encore était-elle passable- ment raboteuse, voilà le lit du grand saint de Subiaco.

Au septième et dernier étage, existe une autre grotte, dans laquelle saint Benoît composa la règle de son ordre, sous l'autel qui la décore ; le saint a laissé l'empreinte de ses pieds parfaitement gravés dans le roc. Cette grotte et la première que nous avons visitée sont fobjet d'une tendre dévotion. Les fidèles y accourent de toutes les parties du monde. L'évêque de Montréal, Mgr Bourget, est venu lui-même, le jour de la fête de saint Benoît, célébrer le divin sacrifice de la messe dans le Sagro Speco. Sa Grandeur était accompagnée de MM. les abbés Gravel, Godin et de notre digne aumônier, qui tousvont eu le même bonheur que notre vénéré prélat canadien.

L'histoire rapporte que, lorsque saint Benoît vivait dans son obscure retraite, il fut violemment tenté par le démon de l'inpureté. Pour éteindre le feu qui le dévorait, le moine se roula, le corps nu, sur des épines qui croissaient auprès de sa

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grotte. Les épines se changèrent en roses. Les bons Bénédictins donnent toute leur attention à ces rosiers miraculeux, dont les feuilles portent au centre la figure d'un serpent ; ils se font un plaisir de procurer à chaque visiteur ce qu'on appelle polvere prodigiosa délie rose di santo Benetto. Le révérend Père Bruno, qui était alors mon directeur spirituel, a bien voulu me faire cadeau de cette poudre prodigieuse toutes les fois que je suis allé prier au Sagro Speco.

Nous venons d'applaudir l'héroïsme de saint Benoît, triomphateur de la volupté, en faisant un miracle. Transportons-nous maintenant sur un autre théâtre, la sainteté de Benoît brille con- tinuellement. En arrière du monastère, se dresse un énorme rocher taillé perpendiculairement, et dominant l'illustre retraite des Bénédictins. C'est sur ce rocher que vivait saint Romain, et c'est aussi de ce haut rocher qu'il remplissait le rôle de pannetier à l'égard de saint Benoît. Un jour, un fragment considérable de ce rocher se détache et descend avec une vitesse incroyable. De son poids il allait écraser le couvent et les moines qui l'habi- taient, lorsque tout à coup il s'arrête, restant adossé à la montagne, sans aucun appui pour le soutenir ; il ne touche à la montagne que par la base, la partie supérieure est inclinée vers le monastère et

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séparée de la montagne par une distance de plu- sieurs pieds. Quelle est donc la puissance qui l'a retenu, et qui le retient encore suspendu pour ainsi dire dans l'espace? Saint Benoît, ni plus ni moins ; le miracle est visible. Il ne suffit que d'ouvrir les yeux pour s'en convaincre. En mémoire de ce miracle vivant, opéré en faveur de leur ordre, les Bénédictins ont élevé, au pied du rocher, une statue à leur bien-aimé fondateur. Cette statue a les regards dirigés vers la pierre menaçante ; la main droite est levée comme pour commander au rocher de s'arrêter.

Sur le piédestal qui la supporte, on lit l'inscrip- tion suivante : "Ferma o rupe ? non danneggiare i figli mieir Pour éviter de l'embarras, au lecteur, je me permettrai d'en donner la traduction : " Arrête-toi, ô rocher ! ne fais pas de mal à mes enfants."

Il n'y a pas que Subiaco qui nous parle de saint Benoît. Il existe encore plusieurs autres villes qui publient sans cesser les vertus du patriarche des moines d'Occident.

Affile, petite ville située à quatre milles au sud de Subiaco, conserve le crible en terre brisé et rendu à son premier état par l'entremise de saint Benoît.

Royate, à 5 milles d'Affilé, bâtie au milieu des

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montagnes dont le sommet est couvert de neiges éternelles, possède le rocher sur lequel saint Benoît passa la nuit lorsqu'il se rendit à Subiaco. Ce rocher porte l'empreinte du corps du grand Benoît > et, une chapelle, riche en ornements, couvre l'en- droit où ce miracle s'est opéré.

Vicovaro, placée sur la voie qui conduit de Subiaco à Tivoli, et à six milles environ de cette dernière, nous montre saint Benoît préservé provi- dentiellement d'un grand péril. Les religieux d'un monastère de cette ville l'avaient appelé pour le mettre à la tête de leur institution. Mais, ne pou- vant supporter la sévérité de sa règle, ils résolu- rent de le faire mourir. Ils lui apportèrent donc une coupe remplie de poison. Benoît, inspiré du Ciel, fit le signe de la croix sur la coupe qui se cassa et tomba par terre. Le rocher lui-même sur lequel le vase tomba, vola en éclats. On peut voir encore les traces de cet autre miracle. Les reli- gieux, effrayés et repentants, se précipitèrent aux genoux du saint qui leur pardonna de grand cœur. Mais Benoît ne voulut pas demeurer plus long- temps dans cette ville, il retourna s'ensevelir dans sa sombre caverne, bien décidé de ne plus appa- raître aux regards des humains. Cependant, la renommée de sa haute sagesse se répandit avec une telle rapidité dans toute l'Italie, qu'un grand

toi

nombre de personnes vinrent se réfugier auprès de lui pour vivre de sa vie de sacrifices et de jeûnes. Bientôt il surgit douze monastères dans ces parages sauvages, autour du Sagro Speco. Après avoir nommé des supérieurs aux douze monastères qu'il avait fondés, saint Benoît quitta Subiaco, en 520, et alla se nicher sur le mont Cassin, il termina sa brillante carrière, en l'année 543.

Ce sont les connaissances que j'ai pu acquérir sur Subiaco et le sanctuaire de saint Benoît, lorsque j'ai eu le bonheur d'être en garnison dans cette ville. Je dis bonheur, et je ne crois pas me trom- per ; car n'est-ce pas un bonheur que de contem- pler "cette caverne et ce buisson d'épines, dit l'auteur des Moines d'Occident, d'où sont issues les légions de moines et de saints dont le dévouement a valu à l'Eglise ses conquêtes les plus vastes et ses gloires les plus pures."

CHAPITRE XIII.

BOLSENE MONTEFIASCONE VlTERBE. *

En quittant Subiaco, ma compagnie il ne faut . pas croire que j'étais capitaine pour parler ainsi se dirigea sur Rome, elle séjourna pendant onze mois. Dans cet intervalle, j'ai eu la consolation d'assister à l'imposante cérémonie des noces d'or de Pie IX, et à l'ouverture du concile du Vatican. Ces deux faits glorieux dans la vie du successeur de Grégoire XVI méritent un chapitre séparé. J'y reviendrai donc plus tard. En attendant j'invite le lecteur à me suivre dans la province de Viterbe, afin de jeter un coup d'œil sur quelques villes. Après avoir fait cette course, nous aurons parcouru presque tous les Etats de l'Eglise. J'ai eu occa- sion de visiter Civita Castellana, Soriano, Orvieto, Montefiascone, Bolsene et Viterbe. Pour abréger mon récit, je me contenterai de dire un mot de ces trois dernières villes.

Je commence par Bolsene, qui se trouve au nord et à cinq jours de marche de Rome, pour un zouave voyageant avec le sac au dos et la cara- bine en bandoulière.

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Bolsene, l'ancienne Vulsinii, renferme une popu- lation de 1,000 âmes tout au plus. C'est une des douze lucumonies eu capitales des Etrusques. A quelques pas de cette ville, s'étend un joli lac du même nom, si vanté par le Dante. Vous n'avez pas oublié sans doute les anguilles qu£ ce poète a chanté avec tant de grâce.

Bolsene est célèbre par les longues luttes qu'elle a eu à soutenir sous la monarchie romaine, mais surtout par le miracle éclatant qui s'y est opéré au treizième siècle. Voici comment un écrivain français raconte ce fait :

"Vers le milieu du XIII siècle, le pape Urbain IV se trouvait avec tout le sacré collège à Orvieto, voisine de Bolsene. Dans cette ville, un prêtre, en célébrant le saint sacrifice à l'église, encore existante, de sainte Catherine, laisse tomber, par mégarde, quelques gouttes du précieux sang sur le corporal. Afin de faire disparaître les traces de l'accident, il plie et replie le linge sacré de ma- nière à étancher le sang adorable.

Le corporal est ensuite rouvert ; et il se trouve que le sang a pénétré tous les plis, et imprimé partout la figure de la sainte hostie parfaitement dessinée, en couleur de sang. Sur l'ordre du sou- verain pontife, le linge miraculeux est transporté solennellement à Orvieto, et on le garde encore

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aujourd'hui avec un profond respect dans la cathé- drale. Le reliquaire qui renferme est un chef- d'œuvre d'orfèvrerie, orné de peintures en émail, et la cathédrale, bâtie en mémoire du prodige, est un des plus splendides et des plus anciens monu - ments de l'art en Italie ; elle date de 1290. Ce miracle fut un des motifs qui, en 1262, détermi- nèrent le même pontife à instituer la solennité de la Fête-Dieu. Bolsene montre encore dans une humble église l'endroit le sang coula, et qui a été couvert d'une grille."

Montefiascone est située à huit ou neuf milles de Viterbe sur une colline à pente douce. C'est la ville aux vins par excellence. Les Italiens de cette province ne jurent que par les vins de Mon- tefiascone. L'eau leur en vient à la bouche quand on leur en parle. Voici un trait qui établit claire- ment la renommée des vins de cette ville.

Il y a quelques années, un riche Allemand voyageait en Italie. A son retour de Rome, il passa par Montefiascone. Avant de descendre de voiture, il commanda à son domestique d'aller s'informer s'il y avait du bon vin dans cette ville. Si le domestique réussissait dans sa mission, il devait répondre : Est. Le domestique était chargé de voir aussi si le vin était de qualité supérieure, et, dans le cas affirmatif, de répondre Est. En

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troisième lieu, le serviteur devait s'enquérir si le vin était excellent, et de répondre encore Est. Le fidèle domestique s'empresse d'obéir aux ordres de soa maître. Bientôt il revient tout joyeux et s'écrie : Est, Est, Est. L'Allemand, au comble du bonheur, saute de voiture, entre dans une trattoria et boit tant de vin qu'il en meurt sur le champ. Sur sa tombe qui a été déposée dans l'église de

saint Flavien, on lit l'inscription suivante :

«

Est, Est, Est

Et propter nimium est,

Johannes de Fuger,

Dominus meus,

Mortuus est ,

Cette mort fait honneur aux vins de Montefias- cône, mais non à celui qui en a été la victime.

Viterbe, la ville aux belles fontaines, comme on la désigne ordinairement, est assise au pied du mont Cimino, l'ancien Cyminus. Sa population est de 20,000 âmes. Cette ville entourée de hautes murailles, était, en 1869, sous la garde des troupes françaises. Là, sont réunis une foule d'objets d'art qui étonnent les étrangers. Non loin de Viterbe, on rencontre le petit village de Canino, devenu célèbre par la retraite^de Lucien Bonaparte, et par la découverte de vases et de statues étrusques.

Les habitants de Viterbe ont une grande dévo- tion pour le bienheureux Crispino et pour sainte

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Rose. Lorsque l'Eglise célèbre la fête de ces deux saints, le peuple accourt en foule se prosterner devant les précieuses reliques du frère capucin et de la jeune vierge. Crispino, ou Crispin, est un frère de l'ordre des capucins qui a rempli l'humble fonction de quêteur du couvent, pendant quarante ans, et dont le corps miraculeusement préservé de la corruption, repose dans le campo santo du cou- vent de la Conception, à Rome. Rose est une jeune fille, morte à dix-huit ans en odeur de sain- teté, au treizième siècle.

J'invite les personnes qui ont eu la force de m'accompagner dans mes marches forcées, de venir avec moi dans quatre autres villes, et nous irons ensuite nous reposer à l'ombre du drapeau ponti- fical qui flotte sur le fort Saint- Ange.

CHAPITRE XIV.

MENTANA MONTE-ROTONDO FRASCATI

OSTIE.

Mentana, placée à 1 5 milles au nord-est de Nomentum, fondée par Latinus Sylvius ; c'est une des plus anciennes colonies d'Albe, dans la Sabine. Sous l'empire romain, cette ville a joué un rôle assez important, et ses vins étaient très recherchés. Au Moyen-Age, Nomentum prit le nom de Civitas Nomentana, et plus tard on a retranché la pre- mière syllabe de l'adjectif Nomentaua, ce qui a fait Mentana.

La population de Mentana est d'environ 900 à 1.000 âmes. Les rues en sont étroites et tor- tueuses. Les édifices pour la plupart très anciens, n'attirent que médiocrement la curiosité. Le séjour de cette ville est monotone, pour ne pas dire plus.

Mentana a légué au domaine de l'histoire plu- sieurs faits qu'il ne faut pourtant pas oublier. C'est que l'illustre Charlemagne eut une entrevue avec le pape Léon III, lorsqu'il se rendait à Rome, en 800, pour recevoir la couronne impériale. Cette bourgade est encore la patrie de Crescence, de ce

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patrice romain qui, au Xe siècle, tenta de rétablir la république et fut pris et mis à mort d'une manière barbare, par Othon III, en 996, après avoir défendu le fort Saint-Ange avec un courage héroïque.

Les étrangers qui visitent Rome se font un devoir de venir à Mentana, fouler le champ de bataille l'armée pontificale remporta, au mois d'octobre 1867, une brillante victoire sur l'ermite de Caprera, le porte-étendard des révolutionnaires ou des sociétés secrètes, le général Garibaldi, enfin. A l'approche de cet implacable ennemi de la Papauté et de la royauté, Rome trembla. Les habitants consternés se préparaient à prendre la fuite. Un deuil universel enveloppait la Ville éter- nelle. La crainte avait glacé le sang dans les veines des plus intrépides. Les églises regorgeaient de fidèles, qui imploraient la protection du Tout- Puissant. Partout, à chaque coin de rue, on enten- dait des gémissements et des sanglots. Tout sem- blait désespéré. Encore quelques heures, et Rome sera au pouvoir de la révolution.

Mais il est écrit : Portas inferi adversus eam non prevalebnnt. L'auguste vieillard du Vatican avait prié pour l'Eglise, et sa prière était exaucée. Pie IX bénit sa vaillante armée et lui donne l'ordre de marcher au combat. L'armée vole à Mentana,

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taille en pièces les bataillons garibaldiens et rentre dans Rome, couverte de lauriers et de blessures. L'Eglise catholique avait ajouté une nouvelle page glorieuse à son histoire, et le Canada avait arrosé de son sang le sol de l'Italie, dans la personne de M. Alfred LaRocque, décoré aujourd'hui de la croix de Pie IX. Honneur à ce brave chevalier ! Honneur aux Canadiens-français !

Le combat avait duré cinq heures environ. Garibaldi avait fui au milieu de la mêlée, laissant ses 'déguenillés à leur triste sort.

Le très regretté colonel Allet et le baron de Charette commandaient le régiment des Zouaves ; c'est tout dire.

On rapporte un trait de bravoure dont notre cher papa nom que les zouaves donnaient géné- ralement au colonel Allet a été le héros. Pendant la bataille, le colonel se tenait au front et un peu à côté de son armée, et examinait les péripéties du combat, tout en fumant tranquillement un cigare, lorsqu'il aperçut un Garibaldien qui le met- tait en joue. Sans laisser percer la moindre émo- tion, papa Allet le regarde viser. Le Garibaldien fait feu, et .... le colonel reste sur son cheval sans attraper la moindre égratignure. Alors se tournant vers les Zouaves, Allet dit en riant : " Oh, qu'il est bête ! il me vise, il tire et il ne me tue pas. "

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" Donne-moi ta carabine," ajoute-t-il, en s'adres- sant à un zouave. Notre colonel épaule, vise le Garibaldien, fait feu, et le soldat à la chemise rouge tombe raide mort." Tiens, dit-il en remettant l'arme qu'il avait empruntée, c'est comme ça qu'on vise dans l'armée pontificale." Un tel sang-froid et un tel courage se passent de commentaires.

De ce célèbre champ de bataille, arrosé du sang de plusieurs martyrs de la foi catholique, dirigeons nos pas vers le nord. A deux milles au plus, nous apercevrons Monte-Rotondo, ville assez impor- tante de la Sabine, ayant une population de 2,300 habitants. Cette ville occupe une belle position. Placée au milieu de la campagne romaine et en- tourée de vignobles et d'oliviers, elle est exempte de la malaria, qui exerce de si grands ravages au midi de Rome, surtout aux environs des Marais - Pontins.

Monte-Rotondo a aussi ses jardins, ses villas et ses promenades. Dans la principale église, on remarque un excellent tableau de la patronne de la ville, sainte Madeleine, attribué à C. Maretta. J'ai si grande hâte de voir Pie IX, que j'abrège ma relation.

Pourtant encore une explication : Vous vous souvenez que j'ai donné plus haut le titre de Mon- tre-ton-dos au général Garibaldi. Voici l'origine de

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ce mirabolant surnom : Garibaldi se voyant battu à plate couture à la bataille de Mentana, sauta sur son cheval et prit le galop vers Monte-Rotondo, en disant à ses officiers qu'il les rejoindrait en cette dernière ville. Garibaldi fit tellement jouer les éperons que sa monture prît le mors aux dents, et ne s'arrêtât que lorsqu'elle eut franchi la frontière du Piémont. Les officiers garibaldiens retournèrent à Monte-Rotondo, suivant l'ordre de leur chef, mais le héros avait décampé, comme on vient de le voir. Les vainqueurs et les vaincus, en appre" nant cette nouvelle, s'écrièrent : " Le général mon- tre-ton-dos est parti." C'est Monte-Rotondo changé en montre-ton-dos.

Notre course à travers les États de l'Eglise a épuisé nos forces.

Allons nous reposer un peu sous les grands

arbres qui bordent la voie romaine, près de Fras-

cati. Une fois que nous aurons renouvelé l'air de

nos poumons, entrons dans le Cacouna des Etats

de l'Eglise, dans" la belle ville de Frascati, va se

réfugier l'aristocratie romaine pendant les grandes

chaleurs de l'été. Le séjour de cette ville n'est pas

à dédaigner.

» Frascati, bâtie sur le versant d'une montagne,

est à deux heures de marche de Rome. On y

jouit, grâce à sa position, d'une température tou-

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jours fraîche. A l'entour de la ville, sont dissémi- nées, ça et là, les riches villas d'Aldobrandini, des Conti, des Borghese, des Taverna et de plusieurs autres, que le touriste peut visiter dans les heures de loisir. Sur le sommet de la montagne, on voit les ruines de Tusculum, la patrie de Caton la résidence favorite de Ciceron. Cette dernière ville a été détruite en 1191 par les Romains et les Tiburtins.

Frascati a eu l'honneur de posséder dans son enceinte l'illustre cardinal Micara, le grand redres- seur des vices de la haute société. Un jour, c'était en l'année 1824, ce savant évêque il n'était pas encore cardinal fut appelé à prêcher à Rome, devant un brillant auditoire, composé en grande partie de la noblesse romaine. Le pape Léon XII était présent. L'évêque Micara fit une sortie viru- lente contre les maux de l'époque, et il flagella en particulier les vices les plus connus de la noblesse. Plusieurs assistants furent offensés et portèrent plainte au Pape, en lui demandant de punir le coupable. Le Pape se rendit aux vœux des indi- gnés et promit d'infliger au prédicateur un châti- ment exemplaire. Quelques jours s'écoulèrent, et personne n'entendit parler de la punition. Après un certain laps de temps, la noblesse outragée obtint une audience du Pape et lui demanda s'il

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avait châtié l'évêque Micara. " Certainement, répondit Léon XII, je l'ai fait cardinal. " Les indi- gnés restèrent la bouche béante et s'en retour- nèrent tout penauds, comme un chien qui vient d'être battu.

Il me reste encore à vous dire un mot de la petite ville d'Ostie, de cet ancien port de mer de l'Italie, tant vanté dans l'histoire romaine.

Ostie est située à quinze milles de Rome, près de l'embouchure du Tibre. Elle se divise en deux parties distinctes : l'ancienne ville et la moderne. Cette dernière, construite par le cardinal delU Rovere, ne renferme rien d'intéressant.

L'ancienne ville comptait, au temps de sa splen- deur, 80,000 habitants. Elle a presque entière- ment disparu pendant les invasions des barbares. Mais dans ces dernières années, le glorieux Pie IX a fait faire des fouilles qui ont amené des décou- vertes importantes. Une place publique, un forum, un temple, un théâtre, des statues, des rues en- tières ont surgi du milieu des décombres.

Ostie a vu mourir une grande sainte, la mère de saint Augustin. J'extrais le passage suivant de Rome chrétienne, par Mgr Gerbet.

" C'était au printemps de l'an 387 que quelques voyageurs arrivèrent au port de mer d'Ostie, près de l'embouchure du Tibre, pour y attendre un vais-

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seau qui pût les mener à la côte d'Afrique, d'où ils allaient à Tagaste. Ces voyageurs étaient Augustin, qui devint ensuite le saint évêque d'Hyp- pone, Monique, sa mère, son frère Alypius, son fils Adéodat et ses deux amis Evode et Philippe. Pendant leur séjour à Ostie, Monique tomba malade. Une fièvre survint et le quinzième jour elle expira. Peu d'instants avant sa mort, elle entendit de son lit Alypius exprimant à Augustin son affliction de ce que sa mère mourrait sur une terre étrangère et allait être ensevelie parmi les étrangers. Elle l'arrêta par un regard mécontent et leur dit : "Mettez ce corps en un lieu quelconque et ne vous en embarrassez pas. Mais il y a une chose que je vous demande c'est que partout vous serez vous vous souveniez de moi à l'autel du Seigneur."

Sainte Monique mourut à l'âge de 56 ans ; c'est saint Augustin lui-même qui lui ferma les yeux. Son corps fut d'abord déposé dans l'église d'Ostie, et puis transporté dans l'église de Saint-Augustin, à Rome, il repose encore aujourd'hui.

CHAPITRE XV.

RCWE ANCIENNE.

Nous voilà enfin dans Rome, dans cette Ville sainte que j'ai parcourue et fouillée en tous sens. J'avais d'abord conçu le dessein de donner des détails très minutieux sur toutes les églises, tous les monuments religieux et profanes que l'on voit dans cette grande ville, mais, après avoir refléchi qu'une foule d'auteurs ont parlé de Rome bien mieux que je ne pourrais le faire, j'ai adopté une autre méthode. J'ai divisé mon étude en trois parties, savoir : Rome ancienne, Rome pendant les persécutions et Rome actuelle. Cette étude aura l'avantage de nous faire rappeler notre histoire, si toutefois nous l'avons oubliée. Je com- mence par Rome ancienne, qui nécessairement se confond avec l'eifipire romain lui-même.

Rome fut fondée par Romulus 430 ans après la prise de Troie, et 755 ans avant Jésus-Christ. Après avoir construit une forteresse, le premier roi des Romains s'assura l'alliance des Sabins et créa une milice qui devint très puissante plus tard.

Numa, dont le caractère n'était pas aussi féroce

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que son prédécesseur, adoucit les mœurs du peu- ple romain et institua la religion des dieux païens.

Tullus Hostilius assiste au combat de Horaces et des Curiaces, et fait la conquête d'Albe.

Ancus Martius étend les limites de son petit empire jusqu'à Ostie.

Tarquin l'Ancien s'empare de la Toscane et embellit Rome d'ouvrages considérables.

Servius Tullius agrandit Rome et nourrit l'espoir d'établir une république, mais il ne peut réaliser ses projets ; il meurt par le conseil de sa fille Tullia et par le commandement de son gendre Lucius Tarquin.

Tarquin monte sur le trône. Son despotisme et sa tyrannie lui mérite le titre de superbe. Son troisième fils, Sextus, s'empare de Gabbies, ville voisine de Rome. C'est sous son règne que le grand cirque, commencé par Tarquin l'Ancien fut terminé. Ce roi éleva une citadelle et lui donna le nom de Capitole, parce qu'eu creusant les fon- dations on trouva une tête sur laquelle se lisait l'inscription To/us, et comme les augures préten- daient que Rome serait un jour la capitale du monde, on ajouta le mot caput qui signifie tête ou capitale— à Tolus, et on appela la montagne en latin eapitolium. Tarquin soumet les peuples du Latium à sa domination, mais ayant attenté à.

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l'honneur de Lucrèce, il s'attire la colère du peuple romain qui, excité par Brutus, dont le père et le frère avait été assassinés par Tarquin, chasse le tyran de Rome et proclame la république.

Le pouvoir passe ensuite aux mains des patri- ciens. On voit régner d'abord Brutus et Tarquin Callatin, époux de Lucrèce, qui prennent le nom de consuls. A ceux-ci succède le consul P. Valérius.

Les Tarquins chassés trouvent un défenseur dans la personne de Porsena, roi des Clusiens, peuple de l'Etrurie. Porsena s'avance avec une armée considérable sur Rome qui n'est sauvée que par la valeur d'Horatius Coclès. Le roi étrusque est obligé de se retirer devant la bravou re de Scévola.

La république est successivement gouvernée par les tribuns, les decemvirs et les tribuns militaires. Sous les tribuns, Cariolan ayant été chassé de Rome, soulève les Volsques qu'il dirige vers sa patrie. Rome tremble et ne doit son salut qu'à la mère de Cariolan, Veturie qui arrête l'inflexible guerrier par ces paroles : " Arrête, en repoussant son fils qui veut l'embrasser, avant de recevoir tes embrassements, je veux savoir si je parle à l'en- nemi de Rome ou au hls de Veturie ; si je suis la mère de Cariolan ou sa captive. " Cariolan cède au sentiment de la nature et se retire en disant :

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" 0 ma mère, vous sauvez Rome, mais vous perdez votre fils. n

Pendant que les Romains combattent les peuples du centre de l'Italie, les Gaulois s'emparent du nord de la péninsule, traversent l'Apennin et pous- sent leurs conquêtes jusqu'à Clusium. Cette ville implore le secours des Romains. Les trois Fabius sont chargés de négocier cette affaire, mais par leur caractère violent et hautain ils irritent les Gaulois qui marchent sur Rome. La future capi- tale du monde catholique est prise et saccagée par les barbares, et tous les habitants sont passés au fil de l'épée. L'armée romaine s'était réfu- giée auparavant dans la citadelle du capitole. Pendant une nuit, les Gaulois vont y entrer, lorsque Manlius, éveillé par le cri des oies, accourt sur les remparts et combat seul pendant quelque temps contre les assaillants. Camille rappelé de son exil, se met à la tête de l'armée et chasse les Gaulois qui avaient été les maîtres de Rome pen- dant sept mois. L'illustre vainqueur des peuples de la Gaule fait reconstruire la ville de nouveau et le peuple lui décerne le titre de second fondateur de Rome.

Les Romains, débarrassés des Gaulois, soumet- tent les Samnites, après une guerre de douze ans. Les Tarentins, les Latins, les Etruriens et tous les

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anciens peuples subissent le même sort. Les Romains sont maîtres de l'Italie après 84 ans de luttes.

Les Mamertins, en Sicile, se voyant menacés dans leur indépendance par les Carthaginois, implo- rent l'assistance des Romains, leurs alliés. Ceux-ci forment une flotte ; le consul Duilius en prend le commandement et défait Annibal. Les Romains} enhardis par cette première victoire navale, se dirigent sur Carthage ; cette république de mar- chands se croit perdue. Le lacédomonien Xan- tippe vole au secours de Carthage et le consul romain Attilius Regulus est vaincu et fait prison- nier. Les Romains abandonnent alors la mer aux Carthaginois. Mais convaincus que commander sur mer était le seul moyen d'abattre la puissance des Carthaginois, les citoyens arment une seconde flotte. Le consul Lutatius Catulus marche contre la flotte Carthaginoise qu'il défait complètement près de Lylibbée et met fin à la première guerre punique, qui avait^duré vingt-trois ans (264-241). Les Carthaginois sont chassés de la Sicile et de toute l'Italie. La Sardaigne tombe aussi au pou- voir des Romains.

Après avoir conclu un traité de paix avec les Carthaginois, les Romains attaquent les Gaulois,

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passent le et étendent leurs conquêtes jusqu'à Milan.

Les Carthaginois, de leur côté, s'emparent de Sagonte, l'alliée des Romains en Espagne ; ce qui était une violation du droit des gens. Les Romains demandent satisfaction et envoient en ambas- sade Fabius qui, voyant que la discussion se pro- longeait sans succès, dit aux Carthaginois en relevant le pan de son manteau : " Je vous apporte la paix ou la guerre, choisissez. " Les Carthaginois répondent avec fierté : " Choisissez vous-même." Fabius reprend : " Je vous donne la guerre. " Alors commence la seconde guerre puni- que.

Les Carthaginois sont d'abord victorieux et les Romains perdent presque toute l'Italie. La répu- blique semble périr en Espagne sous les deux Scipion. Mais trois hommes remarquables surgis- sent au moment Rome est sur le point de périr : Fabius Maximus, Marcellus et le jeune Scipion^ Les Carthaginois sont forcés de quitter l'Espagne, et Carthage tremble à son tour. Annibal, victo- rieux pendant 16 ans, ne peut défendre sa patrie, qui tombe au pouvoir de Scipion, après la bataille de Zama. Le numide Massanissa est nommé gou- verneur de cette contrée.

La Macédoine et la Grèce subissent le joug des

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Romains qui ne marchent alors que de victoire en victoire.

Les Carthaginois se plaignent des empiétements du roi Massanissa. Caton est chargé d'étudier les griefs de ce peuple, mais au lieu de s'occuper des démêlés du Numide avec Carthage, il admire la puissance et la richesse de cette fière rivale des Romains, et, à son retour, il ne cesse de répéter le célèbre "Delenda est Carthago, il faut détruire Car- thage." Alors la troisième guerre punique est résolue. Scipion Emilien vole en Afrique ; Carthage est prise et brûlée. Les habitants sont transportés en Italie et dispersés dans les différentes provinces de l'empire. Les Etats de Carthage forment la province d'Afrique.

La Gaule cisalpine est déclarée province romaine.

Le consul Marius défait les Teutons et les Cimbres.

Pompée chasse les pirates depuis la Phénicie jusqu'aux colonnes d'Hercule et s'empare de l'Arménie. La Syrie, la Bythinie, la Paphlagonie et le Pont deviennent provinces romaines.

Les Belges sont mis en pièces â la bataille de Bibrax sur les bords de l'Aisne, et la Belgique tombe sous la domination des Romains.

Jules César, après avoir conquis les Gaules,

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parcourt en vainqueur l'Asie, l'Afriqueet l'Espagne ; il rêvait la conquête du monde, lorsqu'il expira sous le poignard de Brutus et de Cassius.

A cette époque, l'empire romain était borné à l'est par le Rhin, le Danube, le Pont-Euxin et l'Euphrate ; au sud, par les déserts de l'Arabie, l'Ethiopie et les sables de la Lybie ; à l'ouest et au nord par l'Océan Atlantique.

Ce vaste empire, dit un historien, était divisé en vingt-huit provinces, dont Auguste se partagea l'administration avec le Sénat. Il abandonna au Sénat celles qui étaient entièrement soumises. Elles étaient au nombre de treize, dont sept en Europe : la Sicile, la Sardaigne et la Corse, la Gaule narbonnaise, la Bétique en Espagne, la Macédoine, l'Achaïe en Grèce, et l'île de Crète ; trois en Asie ; l'Asie proconsulaire ou l'ancien royaume de Pergame, Bythunie avec la Paphla- gonie et le Pont, et l'île de Chypre ; trois en Afrique : la Numédie, l'Afrique propre ou l'ancien territoire de Carthage, et la Cyrénaïque.

Auguste se réserva les provinces dont la sou- mission n'était pas complète, afin d'avoir sous sa main les légions et d'en disposer à son gré. Ces provinces étaient au nombre de quinze, dont dix en Europe : la Gaule celtique ou lyonnaise, la Lusitanie, la Rhétie, la Belgique, la Tarraconaise,

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la Pannomie, la Mésie, la Dalmatie et l'Illyrie ; quatre en Asie : la Cilicie, la Galatie, la Syrie, la Phénicie, et une en Afrique : l'Egypte.

Rome passe aux mains de Marc-Antoine, de Lépide et du jeune César Octavien, petit-neveu de Jules César, triumvirat qui s'est rendu si triste- ment célèbre dans l'histoire. Lépide est abandonné ; Antoine et César se tournent l'un contre l'autre. Antoine, abandonné à son tour par ses amis et Cléopâtre, la cause de sa mort, se perce de son épée.

Rome tend les bras à César, qui reste, sous le nom d'Auguste et sous le titre d'empereur, seul maître de tout l'empire.

Victorieux sur mer et sur terre, Auguste César ferme le temple de Janus. La paix règne sur toute la terre ; et la Vierge de Nazareth donne naissance au Sauveur des hommes.

Nous sommes donc rendus à l'époque de tran- sition de l'ère païenne à l'ère chrétienne. Deux études s'offrent naturellement à notre esprit ; celle de Rome païenne et celle de Rome chrétienne- Commençons d'abord par l'étude de Rome d'Au- guste, et pour rebâtir cette brillante ville, nous aurons recours à Mgr Gaume, qui a lui-même puisé ses renseignements dans Senèque, Aristide

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et autres historiens. Voici comment s'exprime le regretté prélat français :

" Resplendissante de marbre, de dorures et de tous les chefs-d 'œuvres de la civilisation matérielle la plus avancée, la reine de la force était assise sur sept collines. Le Palatin, berceau de Romulus, et demeure des Césars ; le Capitule, régnait Jupi- ter ; YAventin, couronné par son temple de Diane ; le Coelius, avec ses tours et son marché aux pois- sons, si fréquenté par les Apicius ; YEsquilin, au sommet multiple, et son camp prétorien ; le Quiri- nal, et ses temples de Quirinus et du salut ; le Vimi- nus, jadis couvert de buissons épais et plus tard de palais magnifiques. Rome, qui avait franchi le Tibre dont le lit profond Tenceint comme un fer à cheval, s'étendait encore sur le Vatican et le Janicule. Elle se divisait en quatorze régions ou quartiers, dont voici les noms célèbres dans l'histoire : Porta Capena ; Coelimontium ; /sis et Serapis ; Moneta ; Temphim pacis ; Via lata ; Esquillina Cum turre et colle Veniinali ; Alta semita ; Forum Romanum ; Circus Flaminius ; Palatium ; Circus maximus ; Piscina publica ; A ventinus ; Trans Tiberim.

Dans sa vaste enceinte elle renfermait quarante- six mille six cent deux îles, ou groupes de maisons, séparées par des rues ; deux mille cent dix-sept palais de la plus inconcevable magnificence ; quatre

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cent vingt-quatre places ou carrefours ; quatre cent soixante-dix temples d'idoles ; quarante-cinq palais consacrés à la débauche ; huit cent cinquante -six établissements de bains ; treize cent cinquante-deux lacs ou réservoirs d'eau ; trente-deux bois sacrés ; deux grands amphitéâtres, dont l'un contenait quatre-vingt-sept mille spectateurs assis, et vingt mille sur les terrasses ; deux grands cirques, le Flaminius et le Maximus ; ce dernier avait cent cinquante mille places au sentiment de ceux qui en mettent le moins, et quatre cent quatre-vingt trois mille selon ceux qui en mettent le plus ; cinq naumachies l'on donnait des batailles navales ; vingt-trois chevaux gigantesques en marbre ; qua- tre-vingt en bronze doré ; quatre-vingt-quatre en ivoire ; trente-six arcs de triomphe en marbre ornés des sculptures les plus délicates ; dix-neuf bibliothèques ; quarante-huit obélisques ; onze forum ; dix basiliques, et un peuple innombrable de statues en marbre, en bronze et même en or. Quatorze aqueducs amenaient à Rome les eaux ou pour mieux dire les rivières des montagnes voi- sines ; vingt-quatre voies pavées de larges dalles et bordées de mausolées superbes sortaient des vingt-quatre portes de la cité, et conduisaient de la capitale du monde dans les provinces.

Ainsi se présentait à nos yeux éblouis la ville

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des Césars. Toutefois, nous n'avions vu que moitié du spectacle. Au-delà du Pomœrium, ou boulevard circulaire, au-delà des remparts qui pro- tégeaient la ville et dont la circonscription formait proprement la cité, urôs, se déroulait une nouvelle ville, civitas, prolongement immense de la première. Ce que sont de nos jours les faubourgs Paris à la ville primitive, cette * Rome extra muros l'était à la Rome entourée des ramparts et du Pomaerium, Ses innombrables édifices couvraient la plaine cir- culaire, aujourd'hui déserte, qui, dans un diamètre de dix lieues, s'étend d'Otricoli à Ostie, d'Albano et de Tivoli vers Civita-Vecchia. Voilà ce qu'il faut savoir pour comprendre les auteurs contem- porains qui nous ont parlé de l'étendue et de la population de l'ancienne métropole de l'univers."

"Rome, dit Aristide de Smyrne, est la ville des villes, la ville du monde entier. Un jour ne suf- firait pas, que dis-je ? tous les jours d'une année seraient trop peu pour compter toutes les villes bâties dans cette ville divine." " Au-delà des murailles de la ville tous les lieux sont habités, ajoute un autre historien ; en sorte que le spec- tateur qui veut connaître l'étendue de Rome se trouve toujours induit en erreur ; car il manque de signe pour connaître la ville commence et elle finit. Cela vient de ce que les faubourgs sont telle-

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ment unis à la cité qu'ils présentent aux regards l'image d'une ville qui se prolonge à l'infini."

" La ville, continue Aristide, descend jusqu'à la mer, se trouve le marché universel et la distri- bution de toutes les productions du globe ; telle est la grandeur de Rome, et le spectateur, en quelque lieu qu'il se place, peut toujours se croire au centre."

Telle était donc Rome païenne aux jours de sa splendeur. Par delà ses murs et ses collines elle projetait, comme autant de villes, ses. immenses faubourgs jusqu'à Tibur, Otriculum, Aricia, et même plus loin. D'après ces témoignages, Rome et ses faubourgs auraient couvert une étendue de dix lieues de diamètre. Un fait rapporté dans la vie de Constantin établit, à sa manière, la réalité de ses effrayantes proportions. Ce prince, venant à Rome, était arrivé à Otricoli. Déjà il avait par- couru une partie de ce faubourg, lorsque, se tour- nant vers le Perse Hormisdas, architecte célèbre, qui n'avait jamais vu l'Italie, il lui demanda ce qu'il pensait de Rome. Frappé de la magnificence et de la continuité des édifices : " Je crois, répondit l'étranger, que nous en avons déjà parcouru la moitié. " Or, il était encore à plus de quatre lieues de la cité proprement dite.

A défaut de toutes ces preuves, le seul aspect

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de la campagne romaine démontrerait la prodi- gieuse étendue de l'ancienne ville impériale. Le sol excavé, tourmenté, accidenté de milles manières, les innombrables débris de monuments répandus à la surface sont comme autant de voix qui s'élè- vent de tous les points de la plaine et qui disent : Rome fut ici.

Prolongeant nos regards avides sur cette fabu- leuse cité, nous voyons briller au pied du Capitole, le fameux milliaire d'or. De partaient les voies nombreuses qui servaient de communication inces- sante entre la Reine du monde, et tous les peuples devenus ses vassaux.

Sur ses larges dalles, il nous semblait voir galo- per les tabellaires portant les volontés de César en Orient, en Occident, dans les Gaules, dans la Ger- manie et jusqu'au fond des Espagnes, avec ordre aux nations tremblantes de se prosterner devant les caprices souverains d'un Néron ou d'un Cali- gula. Se présentaient ensuite, couvrant toutes les avenues, les innombrables étrangers, au langage*, aux mœurs, aux costumes si différents que la curiosité, le plaisir, l'ambition, les affaires amenaient chaque jour, par milliers, dans une ville qui était moins la ville des Romains que la ville de l'uni- vers. Parmi ces voies romaines, chefs-d 'œuvres de construction et de solidité, nous apparaissait, en

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première ligne, la voie Appienne, à qui sa magnifi- cence avait valu le titre de reine des voies, regina viarum. Passant à Albano, Aricia, les Trois-Loges, le forum d'Appius, Sinuesse, Terracine, Fondi> Formium, Minturne, Capoue, Noie, Naples, Nocera, Salerne, elle conduisait jusqu'à Brindes et aux frontières orientales de l'Italie.

La voie Latine se dirigeait vers les Abruzzes, Agnani, Ferentino, Frosïnone, Aquin, Arpinum, situées au pied du mont Cassin, et arrivait jusqu'à Bénévent.

La voie Salaria allait au pays des Sabins.

La voie Emilienne rattachait à Rome toute l'Italie septentrionale, en passant par Césène, Bologne, Modène, Reggio, Parme, Plaisance, Milan, Bergame, Brescia, Vérone, Vicence, Padoue et Aquilée.

La voie Flaminienne prenait sa direction par Octricoli, Narni, Spolette, Pesaro, et finissait à Rimini, station de la flotte romaine.

La voie Aurélienne sortait par l'Occident tra- versait la Ligurie et arrivait jusqu'à Arles, d'où ses embranchements rayonnaient dans toutes les Gaules.

Au midi, la voie d'Ostie conduisait à la ville de ce nom, port de Rome et entrepôt de l'univers.

A ces voies de premier ordre, qui étaient comme

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les grands artères de la Reine du monde, s'en rat- tachaient beaucoup d'autres dont les longues sinuosités allaient chercher tous les lieux d'une moindre importance pour y porter le mouvement qui partait du cœur. Presque aussi connues que les premières dans l'histoire profane, la plupart sont glorieusement célèbres dans les fastes de nos martyrs. Il suffit de nommer la voie Cassienne, la voie Nomantane, la voie Tiburtine, la voie Prenes- iine, la voie Lavinienney la voie Ai'deatine, la voie Valérienne> et enfin la fameuse voie Triomphale.

Sur ces chemins magnifiques, dans ces palais somptueux, sous ces portiques innombrables, sur ces forums immenses, au milieu de tous ces monu- ments du luxe, de la puissance, de la richesse, en un mot de la civilisation matérielle la plus prodi- gieuse qui fût jamais, se remuaient cinq millions d'habitants.

Si l'on réfléchit, i ° au nombre de groupes de maisons, insulae> et des palais renfermés dans l'en- ceinte des murailles ; à l'immense étendue des faubourgs; 30 à ces multitudes d'étrangers, ou plutôt de nations, comme dit Aristide, qui affluaient à Rome ; 40 au nombre prodigieux d'esclaves qui surpassait de beaucoup celui des maîtres ; 50 à ce petit peuple de Rome, dont une partie seulement (trois cent mille) vivait du trésor ; aux cohor-

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tes prétoriennes, à la garnison, à ce nombre effrayant de gladiateurs, etc., qui chaque jour com- battaient aux cirques ou dans les amphithéâtres, on ne trouvera rien d'exagéré dans le chiffre indi- qué plus haut. "

Voilà Rome ancienne ou Rome païenne sous les Césars. Rome était alors réellement la reine de la force et régnait sur les corps, comme Rome d'aujourd'hui est la reine de l'amour et de la vérité et règne sur les âmes.

(

CHAPITRE XVI.

ROME PENDANT LES PERSÉCUTIONS.

Pendant que le plus puissant empereur com- mande à l'univers, un enfant naît d'une Vierge, nommée Marie, dans une étable à Bethléem, en Judée. Cet enfant prend le nom de Sauveur du Monde. Les ang< s entonnent du haut des cieux : " Gloria in excelsis Deo. " Une étoile annonce sa naissance aux rois mages, qui accourtnt de l'Orient pour l'adorer et lui faire des présents.

Le roi Hérode veut mettre l'enfant Jésus à mort, mais le Ciel déjoue le noir complot du mons- tre. Joseph, le charpentier, prend l'enfant et' s'en fuit en Egypte. Averti par un ange que le danger est passé, Marie et Joseph reviennent en Judée, à Nazareth.

Après trente ans d'une vie obscure, Jésus com- mence à prêcher. Le bruit de ses vertus et de ses miracles se répand bientôt dans la Judée. Le peuple accourt l'entendre et le suit de ville en ville, de bourgade en bourgade. Jésus-Christ jette les fondements de l'Eglise catholique et choisit

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dou*e apôtres. Simon Pierre est reconnu comme le prince des apôtres.

La doctrine de l'Homme-Dieu scandalise les Pontifes et les Pharisiens qui le font arrêter et conduire devant Pilate. Ce dernier déclare Jésus innocent ; mais les Juifs veulent la mort du Sauveur, et Pilate se rend à leurs vœux en leur livrant le Fils du Très-Haut. La populace préfère le voleur Barrabas au juste de la Judée, Jésus monte sur le Golgotha et expire sur un infâme gibet, en s'écriant : U Tout est consommé. "

Après la mort de Jésus, les apôtres se réunissent et nomment un successeur au traître Judas. Pen- dant qu'ils sofit assemblés, le Saint-Esprit descend sur eux en langues de feu et les remplit de ses grâces. Les douze apôtres, armés du glaive de la parole, se séparent et vont combattre les combats du Seigneur. C'est en l'an 36 que les apôtres se partagent la conquête de l'univers. Saint Jacques le majeur, frère de saint Jean, et saint Jacques le mineur, proche parent de Jésus-Christ, reçoivent tous deux la palme du martyre à Jérusalem. Saint André passe chez les Scythes et est martyrisé à Patras, en Achaïe. Saint Philippe subit la mort à Hiéraple, en Phrygie. Saint Thomas évangélise les Indes, il est percé d'une lance au pied d'une croix. Saint Barthélemi accomplit son martyre

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dans la ville des Albanes, dans la grande Arménie,

f

Saint Mathieu va prêcher en Ethiopie et est con- sumé par le feu. Saint Jude, apôtre de l'Arabie, est tué à coups de flèches. Saint Mathias, qui annonça la bonne nouvelle en Egypte et en Abys- sinie, est lapidé. Barnabe, compagnon de saint Paul, meurt de la même mort. Saint Simon, sur- nommé le zélé, est crucifié comme son maître. Saint Jean est plongé dans une chaudière d'huile bouillante, près de la Porte Latine, à Rome.

Saint Pierre et saint Paul, qui avaient converti le monde entier, sont, le premier, crucifié la tête en bas, et le second, décapité, dans l'immense ville des Césars que nous avons étudiée dans le cha- pitre précédent.

A la venue du Messie, Rome était la reine de la force et le trône régnaient les dieux inven- tés par le paganisme. Ce grand fleuve d'immora- lités, de débauches et d'idolâtrie s'était débordé et avait couvert les autres pays de son venin empoisonné. Rome était alors le cœur du paga- 'nisme, comme elle est aujourd'hui le centre de l'unité catholique. Quand il s'agit de détruire un monstre, il faut le frapper au cœur si l'on veut obtenir son but plus sûrement. C'est ce que firent Pierre et Paul. Pendant que les autres envoyés du Christ affaiblissaient l'hydre par des coups redou-

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blés, les deux apôtres Pierre et Paul le dardèrent au cœur et lui firent mordre la poussière. Rome païenne devint Rome chrétienne, ou plutôt Rome souterraine ; car la transition de l'erreur à la vérité ne se fit pas d'une manière aussi brusque. Il fallut trois cents ans de luttes et de persécutions à l'Eglise catholique pour remporter une victoire complète et renverser les autels des faux dieux, il fallut l'apparition du laborum pour que Constantin le Grand se décidât à faire sortir les chrétiens des catacombes, et à dresser des autels au Divin Crucifié, il fallut trois cents ans pour que cette parole du Sauveur du monde " Tu es Pctrus et super liane petram œdificabo ecelesiam meam "fut parfaitement accomplie.

Parcourons d'un pas rapide les trois siècles que nous venons de mentionner.

Après la mort d'Auguste, on vit passer succes- sivement sur le trône de l'empire romain, Tibère et Caligula ; le premier se distingua par sa tyran- nie, et le second, par ses folies. Vint ensuite Néron, le célèbre empereur comédien. Les premières années de son règne furent marquées par des traits de générosité et de modération ; mais il se signala bientôt par des actes de cruauté inouïe ; il fit mourir Britannicus, Octavie sa femme, et Agrip- pine sa mère, et poussa la barbarie jusqu'à incen-

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dier Rome. Néron rejeta le crime sur les chrétiens et ordonna contre eux la persécution la plus cruelle, saint Pierre et saint Paul terminèrent alors leur apostolat. Le nombre des martyrs fut innom- brable, suivant le témoignage de Tacite lui-même. "Une multitude immense, multitudo ingens, dit cet historien, fut condamnée, non parce que les chré- tiens étaient reconnus coupables de l'incendie de Rome, mais parce que leur religion les rendait odieux au genre humain. Aux souffrances, Néron ajoutait la moquerie et la dérision. Quelques-uns furent enveloppés de peaux de bêtes et exposés à des chiens pour être dévorés ; d'autres crucifiés ; et plusieurs revêtus de tuniques enduites de matières inflammables auxquelles on meftait le feu à la tombée du jour pour servir de flambeaux pendant la nuit."

Pendant le règne de Galba, d'Otfcon, de Vitellius, de Vespasien et de Titus, les chrétiens jouirent d'un peu de repos. ~Les persécutions recommen- cèrent sous Domitien qui fit périr le consul Flavius Clémens et sa femme, parce qu'ils étaient chrétiens. Une foule d'autres Romains subirent le même sort. C'est sous ce cruel tyran que l'apôtre saint Jean fut plongé dans l'huile bouillante.

Trajan, son successeur, avait de grandes qualités et de grands défauts, c'est sous son règne qu'eut

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lieu la troisième persécution. Se trouvant un jour à Antioche, Trajan jugea saint Ignace, évêque de cette ville, et le condamna à être dévoré par les bêtes. L'histoire rapporte que le nombre des martyrs fut immense.

Rome respira quelques instants sous les empe- reurs Adrien et Antonin-le -Pieux, Marc-Aurèle ordonna la quatrième persécution. La plus illustre victime de cette persécution fut saint Polycarpe, évêque de Smyrne, en Asie. Quoique d'un âge très avancé, le saint évêque monta lui-même sur le bûché qu'on lui avait dressé, et attendit que les flammes vinsent le dévorer. On inventa à cette époque les tourments les plus atroces.

L'empereur Sévère mérita le nom qu'il portait. Le sang chrétien coula en abondance sous ce tyran, surtout à Lyon dix-huit mille chrétiens périrent, sans compter les femmes et les enfants. Saint Irénée fut du nombre. Saint Grégoire de Tours dit que les rues de Lyon étaient inondées de sang : Tanta multitude christianoriuu jugulata est, ut perplateas flumina currerent de sanguine çhristiano.

Le Goth Maximien, qui régna de 235 à 238, persécuta principalement les évêques, les prêtres, les diacres, les lecteurs et les exorcistes. Saint Pontien et saint Anthère tombèrent sous les coups du barbare.

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Dèce signala son avènement au trône par un édit sanglant contre les chrétiens. Ses ordres furent exécutés avec une rigueur extrême. Le pape saint Fabien, saint Alexandre, évêque de Jérusalem, et saint Babylas, évêque d'Antioche, périrent dans cette affreuse persécution.

Valérien avait formé le projet d'anéantir la religion chrétienne ; il fit un nombre incalculable de victimes parmi lesquelles on remarque saint Laurent, diacre de l'église romaine, et saint Cyprien, évêque de Carthage.

La neuvième persécution eut lieu sous le règne d'Aurélien qui succéda à Claude II le Gothique.

C'est alors que saint Dénis, évêque de Paris, le prêtre Rustique et le diacre Eleuthère eurent la tête tranchée sur la montagne qui fut appelée ensuite Montmartre, mons martyrumy la montagne des martyrs.

Nous sommes enfin rendu à l'ère des martyrs, à la dixième et dernière persécution qui fut ordon- née par Dioclétien et dura dix ans. Voici ce que dit Lactance sur cette persécution : u On empri- sonnait les prêtres et tous les ministres de la reli- gion ; puis, sans les entendre, sans même les interroger, on les traînait à la mort. Les chrétiens, sans distinction d'âge ni de sexe étaient condam- nés aux flammes ; et comme ils étaient en grand

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nombre, on ne les livrait plus au supplice, on les entassait sur des bûchers. Les esclaves étaient jetés à la mer avec des pierres au cou ; la persé- cution n'épargnait personne. "

Enfin le labarum apparaît et la religion catho- lique monte sur le trône avec Constantin Ier.

Que devint Rome pendant ces longues années de souffrances et de tourments ? C'est la question qui se présente naturellement à l'esprit quand on parcourt cette voie douloureuse. Rome pour les catholiques, Rome et l'Eglise ne font qu'une seule et même chose était descendue dans les catacombes ou cimetières. Les chrétiens, pour échapper aux persécutions, s'étaient bâti une ville souterraine qui avait ses rues, ses chapelles, ses places et ses autels. L'étendue de Rome souter- raine était aussi vas<-e que Rome païenne.

Les catacombes, qui signifient lieu près des tom- beaux ou encore fosse profonde, excavation et souterrain, d'après l'étymologie du mot grec Catacombi, se trouvaient aux environs des grandes voies. On comptait cinquante catacombes ou cimetières ; quelques auteurs en portent le nombre jusqu'à soixante. Voici les principales, avec le nom des rues près desquelles elles ont été creu- sées :

Voie appienne Catacombes de saint Calixte, de

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saint Zéphirin, de saint Protextat, de saint Sotère, des saints Eusèbe et Marcelle.

Voie Latine Catacombes d'Apronien, des saints Gordien et Epimaque, des saints Simplicien et Servilien et de saint Tertullien.

Voie Lavicane Catacombes des saints Tiburce, Marcellin et Pierre, de sainte Hélène, des saints Claude et Nicostrate, de saint Catulus et de saint Zotique.

Voie Tiburtine Catacombes de saint Laurent et de sainte Cyriaque.

Voie Nomentane Catacombes ad Nymphas, cîe saint Nicomède, de saint Alexandre, des saints Primus et Félicien, de saint Restitut, de sainte Agnès.

Voie Triomphale Cimetière de saint Pierre ou la catacombe Vaticane.

Voie Aurélienne Catacombes de saint Calipode, de saint Jules, des saints Procès et Martinien et de sainte Agathe.

Voie de Porto Catacombes de saint Félix, de saint Pontien, de Généreuse ad Sextum Philippi, du pape saint Jules.

Voie d'Ostie Catacombes de saint Paul et de sainte Lucine, de saint Timothée, des saints Félix, Adaucte et Commodilla, de saint Cyriaque et de saint Zenon ad Aquas Salvias.

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Voie Ardéatine Catacombes de sainte Pétro- nille, de sainte Flavie Domitille, des saints Nérée et Achillée, de saint Damase et des saints Marc et Marcellin, de sainte Balbine et de saint Marc, pape.

Voie Salaria Nuova Catacombes de sainte Priscille, de saint Sylvestre, de sainte Félicité et de saint Alexandre, des saints Chrysante et Darie, de Novella, d'Ostriono, de sainte Hilarie et saint Tharson.

Voie Salaria Vecchia Catacombes de saint Hermès.

Voie Flaminienne Catacombes de saint Valen- tin ou de saint Jules et de saint Théodorat.

J'ai visité les catacombes de saint Sébastien, de saint Calixte, de sainte Agnès, de saint Pancrace et les Grottes Vaticanes. Pour vous donner une idée de l'ancienne demeure des chrétiens, je vous ferai une courte description de la catacombe Vaticane, qui fut le berceau du christianisme, à Rome.

La catacombe Vaticane, appelée aujourd'hui Grottes Vaticanes, remonte à saint Pierre. Tout porte à croire que cette catacombe servit de demeure aux chrétiens pendant la persécution qui eut lieu sous Néron en l'an 66 ; car elle se trou- vait près du cirque et de la naumachie construite

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par ce monstre. C'est que l'apôtre Pierre s'est réfugié avec ses nombreux prosélytes pour éviter l'orage, qu'il prêchait, baptisait et encourageait les fidèles à supporter les tourments les plus atroces.

Lorsque la persécution ordonnée par le farouche empereur éclata, il y avait cinq ans que saint Pierre habitait Rome. Le nombre des conversions opé_ rées par l'apôtre était déjà incalculable, de sorte que la multitude de chrétiens qui furent alors mis à mort fut immense, suivant l'opinion des histo- riens de cette époque. On présume naturellement que les martyrs furent inhumés dans ce cimetière, vu la proximité du lieu des supplices. Aussi visite-t-on avec le plus grand respect et la plus profonde vénération cette célèbre catacombe qui reçut les prémices du sang chrétien. Les Grottes Vaticanes ont été arrosées du sang des martyrs, comme le Calvaire avait été teint du sang d'un Dieu. Les Grottes Vaticanes et le Golgotha ! que vous êtes chers au-cœur du catholique !

Outre les martyrs des premiers âges, les Grottes Vaticanes renferment une foule de personnages illustres qui ont manifesté le désir de reposer, après leur mort, auprès du chef de l'Eglise du Christ. Des papes, des rois, des reines, des princes, des empereurs ont été inhumés dans ce lieu sacré.

Parmi les papes on remarque : les saints Lin,

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Anaclet, Évariste, Sixte Ier, Télesphore, Hygin, Pie, Eleuthère, Victor, Fabien, Jean Ier, Léon Ier, Grégoire le Grand, Boniface IV, Paul Ier, Léon III, Nicolas Ier, etc., etc.

Parmi les rois, les empereurs et les reines : Honorius, Valentinien, Othon II, Conrad, roi des *Merciens ; Ofîa, roi des Saxons ; Ina, roi des An- glais ; la princesse Eldiburge, son épouse ; la prin- cesse Marie, fille de Stilicon et épouse de l'em- pereur Honorius ; l'impératrice Charlotte, reine de Chypre, etc., etc.

Parmi les personnages illustres : Junius, Bassus, préfet de Rome, de l'ancienne famille Juma ; Probus, préfet du prétoire ; les consuls Olybrius et Probinus, etc., etc.

La réunion de tant de tombeaux dans cette catacombe en a changé le plan primitif, et lors- qu'on a remplacé la basilique constantinienne par l'église actuelle on a faire' disparaître des cryptes, des oratoires et des galeries. Les Grottes ont donc pris la forme qu'on voit aujourd'hui, c'est-à-dire celle d'une croix latine ; elles forment ce qu'on appelle l'église souterraine de saint Pierre.

Malgré ces modifications considérables, les Grottes Vaticanes conservent encore plusieurs sou- venirs de l'antiquité, entre autres des inscriptions,

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des urnes antiques, des mosaïques et des tombeaux. Sur l'autel, qui touche à la châsse reposent les corps de saint Pierre et de saint Paul, on vénère deux portraits très anciens des deux apôtres, peints sur argent.

La grande façade pour abréger, je ne parlerai que de celle-ci représente deux rangées de bas- reliefs. La rangée supérieure renferme cinq tableaux : Tableau du sacrifice d'Isaac ; Reniement de saint Pierre ; 30 Jésus au milieu des docteurs de la loi ; 40 Jésus devant les tribunaux à Jérusalem ; 50 Pilate incertain.

On voit aussi cinq tableaux dans la rangée inférieure : Job sur son fumier ; Chute de nos premiers parents ; 3 Jésus entrant à Jérusalem, cinq jours avant sa mort ; Daniel dans la fosse aux lions ; 50 Scène du jardin des Oliviers quand Jésus est livré par Judas.

En 1607, on trouva sous une colonne un poly- andrum de marbre et de porphyre qui portait l'inscription suivante :

Loc. M. OOLVIII inc.

Locus Martyrum CCL VIII in Christo, sépul- ture de 2 5 8 martyrs en Jésus-Christ. Les archives du Vatican en comptent 10,000.

On conserve dans le trésor du Vatican une pré- cieuse relique du temps des persécutions ; c'est

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un linceuil qui servait à envelopper les corps des martyrs quand on les rapportait de la boucherie. Cette précieuse relique est exposée à la vénération des fidèles depuis l'Ascension jusqu'au premier du mois d'août.

Un autre instrument attire encore l'attention du catholique, qui frémit d'horreur en le contemplant ; je veux parler de la fidicula employée par les bourreaux pour labourer les côtes et les membres des martyrs. Cet instrument n'est rien moins que de longues tenailles garnies de plusieurs ongles ou crochets. C'est horrible à voir.

Les souverains pontifes reconnaissent aux Grottes Vaticanes une sainteté telle que l'entrée en est interdite aux femmes sous peine d'excom- munication, excepté le lundi de la Pentecôte ; c'est le seul jour les femmes peuvent visiter cette catacombe.

Nous venons de parcourir une époque vraiment triste pour le chrétien ; mais rappelons-nous la prophétie du Fils de Dieu : " Vous souffrirez à cause de moi," et nous ne serons point surpris que Rome ait eu à supporter autant de persécu- tions.

CHAPITRE XVII.

RO&E ACTUELLE.

Nous avons étudié Rome pendant les per- sécutions. Nous avons vogué sur la mer orageuse dont les flots ont menacé la barque de Pierre pen- dant plus de trois cents ans. Que de combats, que de luttes, ont été alors livrés, et que de pièges ont été tendus à la Rome des Pontifes! Mais laissons ces souvenirs si déchirants pour le cœur d'un vrai catholique, et franchissons d'un seul bond l'espace qui s'étend de cette époque à nos jours.

Nous allons donc nous occuper de Rome actuelle, de la Ville sainte, de la Ville des Papes. Je ne vous parlerai pas, par conséquent, des nou- velles souffrances qu'elle a eu à endurer de la part des impies, des béritiques et de ses propres en- fants pendant les quinze derniers siècles. Je ne vous parlerai pas non plus des triomphes éclatants qu'elle a toujours remportés sur ses ennemis ; ni des nombreux pontifes qui ont illustré, de leurs vertus et de leur science, la chaire du prince des apôtres, de celui dont les abondantes larmes de repentir avaient creusé de profonds sillons sur

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les joues ; ni des martyrs qui ont arrosé la terre de leur sang pour la défense de la foi ; ni des milliers de saints et d'anachorètes qui ont étonné le monde entier par leur vie de mortification continuelle. Des historiens éclairés et véridiques vous ont appris tous ces faits merveilleux bien longtemps avant moi.

Aujourd'hui, je veux tout simplement vous pré- senter Rome telle qu'elle était en 1870, avant la spoliation du royaume temporel des Papes par le roi galant-homme, Victor Emmanuel. Ce nom signifie, si je ne me trompe pas, vainqueur-sauveur. Je le traduirai par les mots vainqueur-voleur. Pour avoir une juste idée de Rome actuelle, il faut cher- cher la différence ou bien établir un parallèle entre celle-ci et Rome ancienne. La tâche est difficile ; mais avec de la persévérance, nous y parviendrons, car omnia vincit labor improbus. Essayons donc, et voyons quelle différence existe entre ces deux cités, la cité du bien et la cité du mal, sous le rapport matériel et sous le rapport religieux.

Commençons par le côté matériel. Du temps des Césars, Rome comptait quatorze régions (regioni.)

Rome actuelle est divisée de la même manière.

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Rome ancienne était entourée de murailles élevées par l'empereur Aurélien.

Ces mêmes murailles existent encore aujour- d'hui.

Sous la dynastie des Césars, un grand nombre de faubourgs s'élevaient en dehors des murs et s'étendaient à une distance considérable. Dans l'intérieur de la ville, les habitations touchaient aux murs. %

Sous la glorieuse domination des Papes, ces immenses faubourgs ont disparu et ont été rem- placés par une riche campagne, au milieu de laquelle le regard ne rencontre plus que quelques ruines disséminées çà et là. En dedans de l'an- tique muraille, un espace considérable reste vacant ou plutôt est occupé par des vignobles, des jardins, des ruines gigantesques, des terrains sans culture sur lesquels on voit paître des troupeaux de chèvres, de brebis et de bœufs.

Nous venons de constater une différence à l'avantage de Rome ancienne. A quelle raison devons-nous attribuer cette différence ? Quelle est la cause de la disparition d'un si grand nombre d'édifices ? Le problème n'est pas difficile à résoudre. Cette décadence est due aux nombreuses invasions des barbares. Il ne faut pas l'oublier, Rome a été saccagée et pillée quatre fois par ces

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cruels ennemis de la civilisation qui mettaient tout à feu et à sang, et qui détruisaient tout ce qu'ils rencontraient sur leur passage. Par conséquent, des milliers d'habitations ont été démolies et enfouies sous les vastes décombres qui recouvraient partout le sol dans ces jours de détresse. Pie IX a fait faire des fouilles dans plusieurs endroits, et l'on a découvert de somptueux palais presque intacts, et qui étaient disparus depuis plusieurs siècles.

Les Romains, effrayés des ravages que commet- taient les Goths, les Visigoths et les Vend aies, se sont éloignés de Rome et sont allés se réfugier sur de hautes montagnes, ils ont construit des forteresses pour se protéger contre les coups des barbares. Si jamais, vous visitez les Etats de l'Eglise, vous remarquerez que presque toutes les villes dominent le sommet des montagnes. Vous vous direz alors : " Les Souvenirs de voyage d'un soldat de Pie IX " nous ont expliqué la cause d'un tel fait.

Les Césars avaient élevé une foule de monu- ments religieux et profanes.

Les Papes ont conservé avec un grand soin ces reliques profanes. Quant aux monuments cons- truits en l'honneur des dieux, Rome chrétienne les a convertis en temples dédiés au vrai Dieu, comme nous le verrons bientôt

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Envisageons maintenant les deux Rome sous le rapport de ïa religion.

Rome ancienne avait couvert les sept collines de temples païens.

Sous le règne des Papes, ces temples ont été remplacés par des églises consacrées au Très-Haut. Parcourez avec moi les rues de Rome et vous verrez quels merveilleux changements ont été opérés.

Sur le Capitole, le temple de Jupiter a fait place à l'église de l'Ara-Cœli.

Au milieu des ruines du palais des Césars qui s'élevait majestueusement sur le Palatin, nous apercevons les églises de Sainte-Marie Libératrice, de Saint-Théodore et de Saint-Bonaventure.

Le Cœlius offre à nos regards la splendide basi- lique de Saint-Jean de Latran, les églises des Ouatre-Couronnés et des Saints Jean et Paul.

Le temple de Diane, élevé sur l'Aventin, est remplacé par les églises de Sainte-Sabine, de Saint- Alexis et de Sainte-Prisque.

Le Quirinal nous présente les églises des Saints Dominique et Sixte, de Saint-Sylvestre et de Sainte-Marie de la Victoire.

Le Viminal est dominé par la riche église de Sainte-Marie des Anges, construite au milieu même

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des thermes de Dioclétien, ce célèbre persécuteur des chrétiens.

Sur l'Esquilin, on voit briller les églises de Sainte-Marie Majeure, de Saint-Pierre es Liens et de Saint-Martin des Mbnts.

Nous comptons dans Rome actuelle huit basi- liques constantiniennes : Saint-Jean de Latran ; Sainte-Croix en Jérusalem ; Saint-Pierre au Vati- can ; Saint-Paul hors des murs ; Saint-Laurent hors des murs ; Saints Marcellin et Pierre sur la voie Lavicane ; les Saints- Apôtres au centre de Rome, et Sainte- Agnès hors des murs.

Le nombre des églises ordinaires dépasse trois cent cinquante. J'omets les chapelles.

Et que dire des institutions de charité, des séminaires, des collèges, et des écoles primaires ! Rome possède cent quarante-deux institutions de charité et trois cent soixante-quatorze écoles pri- maires. Quant aux séminaires et aux collèges, ils sont très nombreux ; je me contenterai de nom- mer les magnifiques établissements de la Propa- gande, du collège Romain, du collège Anglais, du collège Germanique, et du séminaire Français.

En présence de tant de merveilles, que le catholicisme peut seul créer, l'homme doit néces- sairement s'écrier : " O Religion du divin Crucifié, que tu es puissante ! Tu as foulé au pied Rome

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païenne, et tu as élevé Rome chrétienne sur les ruines de l'orgueilleuse Babylone ; tu as mis à sa place la Rome des Papes, la Rome des martyrs, la Rome des saints.

Rome ancienne régnait sur les corps et faisait la guerre aux barbares.

Rome actuelle s'empare de l'âme et combat le vice et l'erreur partout elle les découvre. Rome païenne dominait par les armes. La Rome des Papes fait la guerre par le glaive de la parole de vérité, et quand elle parle, des millions de sujets obéissent à ses décrets.

L'armée des Césars était innombrable et aguerrie.

Celle des Pontifes remplit la terre, et personne ne peut résister aux doux liens qu'elle impose, à l'aide de l'exemple et de la prédication. Dans tous les siècles, Rome actuelle a eu des prélats et des prêtres éminents qui ont pénétré jusque dans les contrées les plus lointaines et les plus barbares pour enseigner les^nations et les faire entrer dans le giron de l'Eglise catholique.

César était le seul chef dans Rome ancienne.

Pie IX est le seul roi dans Rome actuelle.

César commandait au seul empire romain.

Pie IX, comme vicaire de Jésus-Christ, com- mande à l'univers entier.

Les Césars sont passés.

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Les Papes existeront jusqu'à la consommation des siècles.

" Telle apparaît Rome, a dit un savant, lors- qu'on la regarde avec un œil simple et droit, sans haine et sans rancune. Elle est ce qu'elle a tou- jours été, source de vie surnaturelle, de vie politi- que et sociale, foyer d'où s'échappent, sans discon- tinuer, la lumière des intelligences et l'énergie des cœurs.

En la répudiant, ou en voulant changer ses destinées, les dynasties, comme les peuples, se con- damneraient à la décadence, au dépérissement. En se rattachant à elle, " leur jeunesse sera renou- velée comme celle de l'aigle," et ils peuvent sans crainte attendre l'avenir."

CHAPITRE XVIII.

LE PEUPLE ROMAIN SA FOI, SA CHARITÉ ET SES DIVERTISSEMENTS.

Dans les Etats de l'Eglise, le peuple renferme trois classes, comme dans les autres pays en géné- ral : l'aristocratie, la bourgeoisie et le bas peuple. Mais la distinction entre la bourgeoisie et l'aristo- cratie n'est pas parfaitement tranchée, de sorte qu'à la première vue, il n'existe que deux caté- gories de citoyens : les riches et les pauvres. Vous voyez ici un prince, un noble, tout galonné d'or, assis sur les coussins moelleux d'un carosse que traînent 'quatre chevaux superbes, au pas tran- quille et lent comme les bœufs des rois fainéants. Là, c'est un paysan pauvrement vêtu, qui, la fau- cille à la main ou 'la faux sur l'épaule, se dirige vers les champs dorés, ou encore, un berger qui, armé de la houlette, conduit un troupeau de chèvres ou de brebis dans les gras pâturages. Il n'y a pas non plus, chez le peuple romain, cette classe d'in- dividus qui tient le milieu entre le riche et le pauvre, cette classe, par conséquent, qui n'est ni riche ni pauvre, comme sont la plupart de nos

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cultivateurs canadiens. Dans les Etats de l'Eglise on est tout l'un ou tout l'autre. Voilà comment je divise la population romaine, et je ne crois pas me tromper, car cette distinction est le fruit des obser- vations que j'ai faites pendant mes deux années de séjour au milieu du peuple de ce pays.

Mais quand je parle de la classe pauvre, il ne faut pas faire de pauvre un synonyme de mendiant ; ça serait une grande erreur. Il n'y a peut-être pas de pays la mendicité soit plus inconnue que dans le domaine du Pape ; et, le fait s'explique facile- ment : la vie est à très bon marché. Du reste, un peuple fuyant les vices qui dégradent la société, tels que l'assassinat, le suicide, le duel, le vol, l'ivrognerie et l'usure, est toujours préservé de la hideuse plaie du paupérisme. Vous entendez dire quelquefois qu'un meurtre a été commis dans Rome, mais si vous faites des recherches sérieuses^ vous découvrez que ce crime est l'œuvre des révo- lutionnaires. Le suicide est inconnu ; s'il en arrive des exemples, ce sont des étrangers qui en sont les auteurs. Le duel, tant condamné par Dieu et par les hommes, n'existe pas. Les Romains ne sont pas voleurs, et ils ne prêtent pas à intérêt, en dehors du commerce, du gain cessant ou du dommage émergeant ; ils suivent les principes de la charité et de l'équité naturelle, Quant à

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l'ivrognerie, ce fléau, qui fait tant de ravages parmi les peuples modernes, n'a pas encore pris racine sur le sol romain. Il est rare de voir un romain ivre dans les rues, et quand la chose se présente c'est un véritable phénomène. L'ivrogne est bafoué, sifflé et conspué ; les enfants l'accablent de quo- libets et courent après lui comme une bête sauvage que le chasseur poursuit dans la forêt. M. Ampère a dit : " Les Romains boivent, mais on ne les voit jamais ivres dans les rues."

Les Romains ont pratiqué et pratiquent encore de grandes vertus. Nous nous contenterons de parler de leur foi et de leur charité.

Le peuple romain a une foi vive et ardente ;^ mais c'est une foi expansive et non intérieure comme dans nos villes et nos campagnes cana- diennes. J'ai surtout remarqué ce caractère dis- tinctif de la foi des Romains dans les processions religieuses. Vous les voyez à la suite d'une madone ou d'une image de saint, prier, chanter, rire et pleurer tour à tour. Vous les entendez crier à tue-tête, en montrant l'image du doigt : " Marie, exauce notre prière. Si tu le veux, tu peux nous accorder ce que nous demandons. Il faut que tu accèdes à notre demande, ou bien nous ne te prierons plus. "

La foi du peuple romain brille encore dans

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l'adoration du Saint-Sacrement ou pendant les exercices des Quarante- Heures qui durent toute l'année à Rome. Les églises, le corps de Jésus- Christ est exposé, sont continuellement remplies de pieux adorateurs. Et quelle pompe on déploie dans les cérémonies ! Et quelle richesse dans les décorations ! Il n'y a qu'à Rome l'on puisse contempler des scènes aussi sublimes de la piété religieuse.

Les Romains portent une tendre dévotion aux âmes du purgatoire, et en voici une preuve non équivoque : Depuis quelques années, les inhuma- tions se font dans le cimetière St-Laurent, près de la porte Tiburtine. Chaque semaine, dans la nuit du mardi au mercredi, il se forme un torrent de fidèles venant de toutes les directions et se portant vers le Campo Santo. Pendant le trajet, les Romains récitent le chapelet ou chantent l'office des morts. Arrivés dans la basilique de Saint-Laurent, ils se prosternent devant le Tout-Puissant et prient pour le repos des âmes des défunts. Après avoir entendu les trois messes qui s'y célèbrent depuis minuit jusqu'à l'aurore, la procession se forme de nou- veau et se remet en marche. Chacun retourne à ses occupations ; la nuit a été consacrée à la prière, et l'on est heureux.

Et que dirai-je mainterîant du célèbre oratoire

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du Caravita, situé sur le Corso, vis-à-vis palais Sciarra? A l'heure de Y Ave Maria une foule immense encombre le temple. Un Père jésuite fait d'abord un sermon sur un dogme ou sur l'histoire de l'Eglise, et puis vient la bénédiction solennelle du Saint-Sacrement. Tous les mardis et les vendredis on distribue des disciplines aux membres de la Confrérie, et chacun s'administre le nombre de coups qu'il juge à propos. Auparavant les lumières sont éteintes, afin que personne ne soit témoin des mortifications que s'inflige son voisin. Au milieu de l'obscurité, un religieux exhorte les pécheurs à la pénitence et à la contri- tion. Dès qu'il cesse de parler, on se frappe le corps à coups redoublés ; et les coups continuent pendant tout le chant des litanies et du cantique Nunc dimittis, jusqu'aux mots Lumen ad revela- tionem ; alors les flambeaux se rallument et tout le monde reprend son attitude pieuse et réservée. Ces pratiques de dévotion ont toujours produit une profonde impression sur mon esprit. J'admire beaucoup cette Confrérie, fondée en 1 7 1 1 par le Père Caravita, de la compagnie de Jésus, pour la conversion des pécheurs.

La veille des fêtes et pendant le carême, les membres de la Confrérie du Caravita, enveloppés dans des sacs grossiers, accompagnent les jésuites

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qui vont prêcher sur les places publiques. Les esprits forts se moquent de ces sacs, mais ils ont tort, car souvent, sous cette enveloppe de bure, on rencontre des prélats illustres, des princes et des nobles qui s'affublent de cet uniforme pour cacher leurs vertus.

~^ La révolution, les sociétés secrètes et les Mazzi- niens trois mots qui ne renferment qu'une idée ont travaillé de toute leur force à ébranler la foi du peuple romain ; mais tous les efforts des suppôts de Satan ont échoué dans leur entreprise démoralisatrice, et Rome peut encore répéter, comme au temps du rhéteur du forum : " Nous pouvons le céder aux Gaulois par la force, aux Carthaginois par la ruse, aux Grecs par l'habileté, mais aucun peuple ne l'emporte sur nous par la piété et la religion. "

Cette vérité ne peut être révoquée en doute, et " comment, s'écrie un auteur que nous avons déjà cité, n'en serait-il pas ainsi dans une ville, 350 églises offrent le spectacle continuel des céré- monies si touchantes du Christianisme ; plus de quatre mille prêtres renouvellent chaque jour, dans le sacrifice mystique de la messe, le sacrifice -sanglant de la croix ; l'instruction dogmatique et morale est prodiguée sans cesse. Il faut bien que les prières, les mortifications, les œuvres de

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charité de tant d'âmes dévouées à Dieu produisent leurs fruits ; que tant d'indulgences, tant de béné- dictions, s'échappant sans discontinuer du sein de l'Eglise pour se répandre dans le monde, montrent à la source même leur divine fécondité. Le sang des martyrs, dit Tertullien, enfante des chrétiens. donc le sang a-t-il coulé avec plus d'abondance qu'à Rome ? Toutes les maisons et presque tous les monuments sont bâtis sur des ossements de martyrs, et jusqu'à la poussière qu'on foule, tout enseigne la foi en Jésus-Christ et l'imprime dans les âmes. Un Père de l'Eglise a appelé l'homme " un abrégé du monde ", on pourrait appeler Rome " un abrégé de l'Eglise : ubi Petrnsy ibi Ecclesia. "

Le peuple romain est donc un peuple de foi ; mais la foi ne peut exister sans l'amour, c'est-à- dire la charité. C'est la logique qui nous le dit. Rome, la Ville sainte, est réellement le foyer de la charité, et cette vertu si précieuse devant Dieu, se manifeste de plusieurs manières.

La charité des Romains se manifeste d'abord dans la famille. Il est beau de voir l'union, l'estime, l'amour, qui régnent dans les familles romaines. Le fils chérit le père ; la fille vénère la mère, et le frère se constitue le protecteur de la sœur. Dans l'Allemagne, l'Angleterre, l'Irlande, même au Ca-

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nada, on s'éloigne joyeusement de la patrie pour aller chercher fortune sur une terre étrangère, bien souvent l'exilé ne rencontre que déboires et contrariétés. Le Romain n'est pas atteint du mal de l'émigration ; il est casanier ; il vit et meurt dans sa famille, entouré de tous les êtres qui lui sont chers. Pourvu qu'il soit à l'ombre du dôme de Saint-Pierre, il est heureux et ne manque de rien.

La charité du peuple romain apparaît dans toute sa splendeur dans les nombreuses confréries établies pour le soulagement des pauvres, la conversion des pécheurs, la dotation des filles d'ouvriers et des orphelines ; en un mot la charité romaine brille dans tout ce qui est souffrant et malheureux. On compte environ quatre-vingts confréries dont la mission est de consoler l'humanité souffrante. Qui n'a pas entendu parler de la Confrérie de la Mort, chargée de donner la sépulture aux cadavres trouvés dans la campagne pendant les grandes chaleurs de l'été ou dans le Tibre qui cause parfois des désastres épouvantables, quand ce fleuve franchit ses digues ? Qui ne connaît pas la Confrérie de Saint-Jean-Décapité, instituée pour consoler les condamnés à mort, pour les assister à leur dernier moment, et pour prier pour le repos de leur âme ? Et que dire des hospices de Saint-Michel, de Sainte-Marie des Anges, du Tata-Giovanni, de

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Sainte-Marie de la Consolation, des hôpitaux du Saint-Esprit, de Saint-Jacques, de Saint- Gallican, de l'asile Barberini et de plusieurs autres? En résumé, Rome est le siège de la charité, comme la charité est la vie de Rome.

Nous venons d'étudier le peuple romain sous le rapport religieux, et nous avons remarqué que c'est un peuple de foi et de charité. Pour se con vaincre de la vérité de cette proposition, il ne suffit que d'ouvrir les yeux.

Si nous parcourons maintenant Rome pour étudier les mœurs et les usages du peuple romain, nous constaterons l'absence des maisons de jeu, des tripots et d'autres divertissements qui font bien souvent la honte et le déshonneur d'une nation, qui sont la source d'une foule de crimes, le suicide et le duel entre autres, et qui jettent des milliers de familles sur le pavé. Ces jeux cri- minels sont défendus par l'Eglise, et le peuple romain obéit à ^Eglise. Pour lui, le jeu n'est qu'un divertissement innocent, un délassement de l'esprit, et non pas une cause de désœuvrement, de démoralisation, de ruine et de damnation. Jouer c'est se recréer, c'est donner de la force à l'intel- ligence ; jouer, c'est refroidir le cerveau enflammé par des efforts continuels ; jouer enfin, c'est se reposer dans le Seigneur. Voilà comment le

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Romain joue. Il joue pour mieux travailler ; il joue pour mieux prier.

Les principaux jeux ou divertissements des Romains sont la morra, la chatte aveugle et le carnaval.

La morra est un jeu très en vogue dans les Etats romains. Tout le monde se livre à ce jeu innocent ; on joue à la morra dans la prairie, on joue sur la place publique, on joue au café, on joue au bouchon, on joue partout, excepté dans le temple du Très-Haut.

La morra se joue à deux ; mais ' on peut se remplacer comme à la poule. Les deux joueurs se placent en face l'un de l'autre ; la main gauche levée et la main droite fermée en avant ; les joueurs prennent presque la même position qu'à l'escrime. Au signal convenu, les mains droites des joueurs s'élèvent et puis s'abaissent simultanément ; cha- cun étend un, deux, trois ou quatre doigts à volonté et prononce un nombre. Si le nombre donné par un des joueurs répond au nombre des doigts éten- dus, ce joueur est déclaré vainqueur. Mais si les deux joueurs devinent en même temps, ou si ni l'un ni l'autre ne devinent, on recommence. Pour gagner la partie, il faut deviner cinq fois. La main gauche sert à compter le nombre de fois qu'un joueur a gagné. Comme on le voit, ce jeu suppose

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un grand fonds de sincérité et de bonne foi dans la parole donnée, car il est facile d'étendre un ou deux doigts de plus, une fois que la main est abaissée, et de tromper ainsi son adversaire. Mais le joueur à la morra ne trompe jamais. Certains auteurs prétendent que les joueurs à la morra posent à terre, avant de commencer, un poignard dont ils se servent lorsqu'on manque aux règles du jeu. J'ai vu jouer à la morra presque tous les jours, et jamais mes yeux n'ont rencontré le poi- gnard en question. Je puis affirmer qu'on ne recourt pas aujourd'hui à ces mesures de rigueur pour empêcher la supercherie. La bonne foi est la seule arme employée dans ces circonstances.

La chatte aveugle est un jeu destiné spéciale- ment à l'enfance ; elle se joue au clair de la lune, pendant la belle saison de l'été. La place du Peuple, située à l'extrémité nord du Corso, est le théâtre les acteurs se réunissent. Le lieu du rendez-vous est fixé au pied de l'obélisque qui s'élève au centre de cette place.

Après avoir bandé les yeux à un jeune homme, on le fait tourner cinq ou six fois sur lui-même et ensuite on lui dit de se diriger droit dans le Corso, Remarquez que trois grandes rues viennent abou- tir à la place du Peuple, et que le joueur ne rece- vra le prix de la course que s'il entre directement

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dans le Corso. La chatte aveugle c'est ainsi qu'on nomme le lutteur part ; mais au lieu de prendre la direction voulue, elle se cogne contre un mur, contre l'obélisque lui-même, contre la fon- taine de Neptune, contre celle de Rome ou contre un groupe de femmes qui l'accablent d'épigrammes. Vingt, trente autres lutteurs se présentent ; et ils subissent le même sort. Il est rare que la chatte aveugle enfile le Corso du premier coup. Toute- fois si le joueur réussit à prendre la vraie direc- tion, on l'applaudit, on le porte en triomphe et on lui décerne le prix au vainqueur, c'est-à-dire une bonne salade au chou-fleur et une pinte de vin de première qualité. C'est ainsi que se joue la chatte aveugle ; on rit, on badine, on s'amuse et on retourne joyeux et content au foyer paternel.

Le divertissement dans lequel la gaieté du peuple romain éclate avec plus d'intensité est sans contredit le carnaval. Un étranger, qui n'au- rait jamais vu ce spectacle, ou qui n'en aurait jamais entendu parler, prendrait les Romains pour des fous ou au moins pour un peuple de grands enfants. Les fêtes du carnaval durent huit jours, et pendant tout ce temps, les magasins, les boutiques et les ateliers sont fermés l'après-midi ; les affaires sont en général suspendues. Les Romains encom- brent le Corso ; les autres rues sont désertes.

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Grands et petits, riches et pauvres accourent prendre part aux réjouissances publiques et se livrent à toute la joie dont leur cœur est capable, avant d'entrer dans la rigoureuse période de la pénitence, le carême. Quelques-uns ont prétendu que le carnaval était une imitation des fêtes célé- brées en l'honneur de Janus, du temps des païens. Il peut y avoir du vrai dans cette opinion. Maïs l'étymologie du mot carnaval, cami vale, me porte à croire que les Romains veulent tout simplement se réjouir, «se recréer avant de jeûner. N'est-ce pas ce qui arrive au Canada, le lundi et le mardi gras ? N'entendons-nous pas dire alors : " Amu- sons-nous, profitons du temps. Demain ou après- demain, danses, banquets, promenades, tout sera fini ; nous serons dans le carême. " Les Romains ne peuvent-ils pas faire comme nous ? Ils le peu- vent, mais ils ne le font pas : ils jouent, ils rient, mais leurs plaisirs ne sont pas coupables.

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L'ouverture du carnaval est annoncée par la cloche du Capitôle, qui ne sonne que dans cette circonstance, et à la mort du Pape. Il est alors midi. Le Sénateur romain, (maire) monté dans un riche carosse et entouré de laquais en grande livrée, descend la roche tarpéïenne, parcourt le Corso depuis la place de Venise jusqu'à celle du Peuple, et retourne, par la même voie, à son 8

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palais situé à l'endroit Manlius fut éveillé par le cri des oies. La fête est commencée. La foule se précipite dans le Corso ; les balcons se couvrent de curieux. Les Romains chantent, dansent, gam- badent, sautent, grimacent et lancent des confetti à droite, à gauche, en avant, en arrière, dans les voitures, sur les galeries, dans les fenêtres, sur les draperies, sur les banderoles, sur le mendiant et sur le prince, personne n'est épargné.

Les confetti, qui sont des espèces de bonbons en farine, de la grosseur d'une noisette, et qui se brisent en tombant, vous arrivent sur la tête comme une pluie torrentielle. Vous pouvez vous protéger la figure contre les projectiles en faisant usage d'un masque en fil de fer, mais votre habit ! Il n'est pas besoin de vous dire qu'il ressemble bien- tôt à celui d'un meunier. Tout de même, c'est un curieux spectacle que de voir ce flux et reflux d'êtues humains tachetés, étoiles, tigrés et damas- sés. La population, qui se presse sur le Corso, présente l'aspect d'une forêt de vignes couverte de neige.

Vous venez de voir un coin du tableau. Mille autres scènes se déroulent devant vos regards-— quand vous pouvez regarder au milieu de la grêle des confetti. Ici, c'est un géant de douze pieds de hauteur qui s'avance majestueusement en

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vous dardant un coup d'œil de travers ; là, les discipes de Vulcain, dont les lourds marteaux frappent l'enclume en cadence ; â quelques pas plus loin, apparaît une bande de brigands qui, le poignard à la main, foulent aux pieds un prince, à qui ils réclament une énorme rançon pour le rachat de sa liberté. A un autre endroit, c'est Roland dont 1 epée transperce vingt barbares à la fois. Les représentations changent à chaque ins- tant, et l'œil ne se lasse jamais d'admirer.

Les zouaves canadiens n'ont pas voulu le céder aux Romains en fait de folies ; ils ont figuré avec honneur dans les deux carnavals qu'ils ont passés à Rome. La dernière année, plusieurs de nos com- patriotes ont parcouru le Corso dans un magni- fique canot d'écorce, placé sur un chariot que traî- naient quatre chevaux superbement harnachés. Les zouaves portaient le costume du guerrier indien, de l'Iroquois, si je me le rappelle bien- Leur apparition sur la scène a frappé la popula- tion romaine d'étonnement. Aussi, ont-ils été cou- verts d'applaudissements et de confetti.

La comédie se continue jusqu'au premier coup de canon tiré du fort St.- Ange. Alors, les équipa- ges de toutes sortes commencent à évacuer le Corso, et au deuxième coup de canon, la rue ne renferme plus personne. La foule forme la haie

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de chaque côté du Corso, et un détachement de dragons parcourent la rue dans toute son étendue, afin de veiller à ce qu'aucun des spectateurs ne se tienne au milieu. Pourquoi toutes ces précautions ? Que va-t-il donc arriver ? C'est l'heure fixée pour la course des barberi, ou chevaux. Le point de départ est à l'obélisque de la place du Peuple. Longtemps avant la course, les chevaux sont réunis à cet endroit. Couverts de molettes en fer et de feuilles de papier, les sept coursiers hennis- sent, piaffent, carocollent et menacent de rompre leurs freins. Au son de la trompette guerrière, les barberi enfilent le Corso en brûlant le pavé ; ils ne courent pas, ils volent. Arrivés à la place de Venise, des barbereschi, ou palefreniers, arrêtent les coursiers au moyen de deux toiles, qu'ils tendent à une certaine distance l'une de l'autre.

Le Sénat lui-même couronne le cheval vain- queur, et le maître de ce dernier reçoit le prix de la victoire le prix est ordinairement de 250 lires avec un oriflamme d'honneur. Un corps de musique accompagne le propriétaire jusqu'à son domicile ; et, du haut de son balcon, le vainqueur jette de l'argent au peuple qui l'applaudit, comme autrefois les illustres conquérants lorsqu'ils mon- taient au Capitole.

Le dernier jour, à la course des barberi succède

le jeu des maccoli, ou flambeaux. Une fois ce diver- tissement terminé, les Romains peuvent répéter avec Perrette : " Adieu, veau, vache, cochon, cou- vée," car c'est le dernier jeu du carnaval. Les ac- teurs que nous avons déjà vus figurer, reparaissent sur le Corso avec les mêmes décorations ; mais ils portent de plus à la main des maccoli ou des bouts de chandelles. Chaque Romain se présente avec un maccolo allumé ; on voit aussi des mac- coli dans toutes les fenêtres. On dirait que le Corso est en feu. Mais cet aspect change souvent, car chacun s'efforce d'éteindre le maccolo de son voisin, en criant : " Mort au maccolo " ! Pour éteindre les flambeaux, on se sert de mouchoirs, de chapeaux, d'évantails, de confetti, de toutes sortes d'éteignoirs enfin. Les piétons sautent dans les voitures, les cavaliers grimpent sur les balcons ; c'est une guerre générale. Les maccoli disparaissent, se rallument pour s'éteindre encore. C'est un spectacle, vraiment féerique.

Un troisième coup de canon retentit, et les lumières et la foule s'évanouissent comme par en- chantement ; le carnaval est terminé. Les Romains secouent la poussière qui les couvre, et rentrent au logis.

Un tel peuple peut- il être malheureux ? Nous demandons aux libres-penseurs de répondre.

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CHAPITRE XIX.

LA REINE DU PEUPLE ROMAIN.

Le peuple romain n'a pas seulement un Pon- tife-roi, il a aussi une reine ; mais c'est une reine d'une beauté incomparable, une reine que vous voyez partout, une reine qui s'abaisse et s'élève, une reine qui prend tous les noms, une reine enfin qui possède des trésors infinis. Cette reine, c'est l'épouse du charpentier nommé Joseph ; c'est cette femme qui écrasa la tête du serpent ; c'est la Vierge-Immaculée de Nazareth ; c'est la mère de l'Homme-Dieu. Jamais reine sur la terre ne fut plus aimée que celle de Rome. Jamais reine sur le globe terrestre ne porta de plus riches joyaux que celle de la Ville sainte.

Vous ne sauriez trouver une nation qui témoigne une plus grande dévotion à la sainte Vierge que le peuple romain, Cette dévotion à Marie est si générale, que, bien souvent, elle semble éclipser le culte au Créateur de l'univers. On invoque l'Immaculée-Conception à toutes les heures de la journée, et dans toutes les circonstances de la vie.

Le matin, le Romain se jette aux genoux de

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Marie ; s'il entreprend un voyage, il court dans un sanctuaire dédié à Marie ; s'il est malade, il élève les yeux vers Marie ; s'il est exposé à un danger, il conjure Marie de le couvrir de sa main protectrice ; le soir, il sort des oratoires et par- court les rues de la ville, en récitant son chapelet et en chantant, devant les statues de sa reine, ce refrain populaire :

Eviva Maria !

Maria viva E chi la creô !

" Vive Marie et celui qui la créa " ! Dans toutes ses actions, le Romain s'écrie : " Vive Marie et son divin fils " !

Une reine d'une beauté incomparable. Nigra sum, sed formosa. " Je suis noire, mais je suis belle." Oui, la reine du peuple romain est belle, et sa beauté ne se flétrit jamais comme celle des autres créatures. Née immaculée, elle a donné naissance à la divine Beauté, qui lui communiqua tous ses charmes.

Une reine qtte vous voyez partout. -Il est impos- sible de faire un pas dans Rome sans rencontrer la reine du peuple romain, sans jeter la vue sur l'image de la Madone. Vous la voyez à chaque coin de rues, sur la façade des églises et sur tous les monuments. Vous la trouvez dans toutes les

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chapelles, dans tous les magasins, dans tous les ateliers, dans tous les édifices publics et dans tous les hôtels. Partout la Madone parle et sourit aux pécheurs. Partout la Madone tend ses bras vers les affligés.

Une reine qui s'abaisse et s'élève. La Madone repose tantôt sur un modeste piédestal, que le pauvre ouvrier lui a construit dans son humble demeure. Tantôt, elle çlomine le chapiteau d'une colonne élevée.

Une reine qui prend tous les noms. Si vous vous promenez dans Rome, vous remarquez la madone des Miracles, la madone du Soleil, la madone de la Consolation, la madone des Douleurs, la madone du bon Conseil, la madone des Grâces, la madone del partoy la madone de la Fièvre, la madone de la Délivrance etc. La plupart de ces madones ont pour origine des faits prodigieux.

Une reine qui possède des trésors infinis. La vie d'un homme ne 'suffirait pas pour décrire tous les bienfaits obtenus, tous les miracles opérés et tous les malheurs évités par l'intercession de la reine du peuple romain. On compte plus de 1400 ma- dones à l'extérieur des maisons et dans les rues ; et, à chacune de ces madones se rattachent des guérisons miraculeuses ou des conversions écla- tantes. Ici, c'est un aveugle qui recouvre la vue ;

là, c'est un boiteux qui marche droit. Plus loin, Marie touche le cœur d'un brigand qui vient dépo- ser son poignard au pied de la Madone. Plus loin encore, c'est un soldat qui évite miraculeusement une balle ennemie, ou bien un navire sauvé d'un naufrage inévitable au milieu d'une tempête. La protection de la sainte Vierge brille dans tout et partout.

Que de prodiges, que de miracles je pourrais citer pour démontrer que la Madone n'oublie pas le peuple romain quand il a recours à elle ! Je me contenterai de raconter deux faits que les pères de famille s,e font un devoir d'apprendre à leurs enfants, réunis le soir autour du foyer. J'emprunte le premier d'un savant abbé français :

" Lorsqu'on descend la rue de la Scrofa, vers la place du Peuple, et qu'après le couvent des Augustins, on tourne la tête à gauche, on aperçoit, sur le pinacle d'une tour, une statuette de l'Imma- culée-Conception. La nuit, cette statuette est éclairée pagine lampe ; on dirait un météore qui lui sert d'escabeau : Luna sub pedibus ejus.

Or, au siècle dernier, les propriétaires de ce reste de tour féodale possédaient, pour leur diver- tissement, un gros singe. Selon l'instinct naturel à son espèce, l'animal imitateur contrefaisait les faits et gestes de la maison, en y ajoutant un air gro-

tesque qui entretenait la gaieté. Un jour, à force de voir bercer et dorloter un enfant qui venait de naître, il lui prit fantaisie d'en faire autant. Il saisit le moment l'enfant, dormant dans son berceau, avait été laissé seul. Il s'approche douce- ment, le fait sauter entre ses bras velus, l'em- brasse, le presse contre sa poitrine, simule en un mot tous les mouvements d'une nourrice qui veut calmer son nourrison. Non content de son exploit, et toujours chargé de son précieux fardeau, il gravit tous les étages jusqu'au sommet de la tour ; d'un bond, il est sur le parapet, et se promène de long en large, dans la même attitude et avec les mêmes gestes qu'il recommence cent fois.

La pauvre mère, accourant au berceau, trouve l'enfant disparu. Des cris du dehors l'avertissent de l'horrible malheur qui la menace. Le singe, grimaçant sur son tétreau, à cent pieds au-dessus de la rue, risquait à chaque seconde de laisser tomber le maillot, ou même de le jeter capricieu- sement comme un jouet. " Sainte Vierge, s'écria la mère désespérée, rendez-moi mon enfant."

Tremblante et suffoquée, elle vole sur la tour. En la voyant, le singe saute à ses pieds et y dépose le petit trésor. Ce jour-là même fut érigée, sur la rampe aérienne, la statue qu'on y voit encore, et la postérité fidèle continue à payer à la Madone protectrice la dette des aïeux."

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Je traduis la seconde légende du P. Carocci, jésuite, qui la racontait, il y a un siècle et demi, à une caravane de pèlerins.

" C'était au mois de janvier i 546, sous le pon- tificat de Paul III, d'heureuse et chère mémoire pour notre ordre. ."

Deux jeunes gens s'étaient proposé de jouer devant la Madone qui ornait une muraille du quar- tier de la Regola, et, certes, à un jeu qui n'était guère propre à la divertir. Car, je vous assure, qu'il n'y a pas grande joie à voir jouer à certains jeux, dont celui-ci était un, et dans lesquels celui qui gagne a coutume de perdre, sinon la fortune, au moins la réputation, le temps, lame, Dieu, les hommes et quelquefois sa propre vie. C'aura été, selon moi, quelqu'un de ces jeux de cartes, qui provoquent tant ^incartades, ou bien d'osselets & êtres morts, qui font tant gémir les vivants.

L'ardeur des combattants était grande, surtout celle du perdant, qui avait la rage de se relever ; mais quoiqu'il fût dans le quartier de la Règle {Regola), il ne voulait pas observer la règle du jeu. Il arriva donc entre eux un conflit, soit pour une renonce, soit pour une carte usurpée ou regardée furtivement, ou cachée ou changée. Bref, le sang réchauffé par la perte ou par l'application de l'esprit, fit qu'on en vînt promptement aux paroles

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arriéres, aux injures, et comme la fureur fournit des armes, furor arma ministrat, on finit par les coups.

Le vainqueur se contenait plus que son adver- saire. Probablement aussi, doué d'une nature plus pacifique, afin de prévenir toute extrémité, il demanda le premier pardon et céda à son rival. Mais celui-ci, au lieu de se calmer, ne vit qu'une raillerie, et s'emportant de ce qu'on ne lui avait pas donné raison plus vite, il s'écria : " Pourquoi donc me le nier jusqu'à présent, ô infâme menteur ! tu me prenais sans doute pour un imbécile ? Sache que je ne le suis pas ; je te le prouverai, tricheur indigne ! " Et en disant ces mots, il s'élance comme un tigre sur son adversaire. A ce mouvement, celui-ci se redresse avec violence ; il recule d'un pas, et, portant la main sur un poignard, il lui imprime une secousse si vigoureuse qu'il le ren- verse.— "Ah! tu ne veux pas de paix, lui dit-il, eh bien ! tu auras la guerre. Tu prétends jouer ta vie, je te la gagnerai aussi bien ; perds-la, torcéné meurs ; car tu ne mérites pas de voir la lumière." Et il était sur le point de fendre en deux cette, tête moins d'un homme que d'un ours en furie. " Ah ! s'écria Farrogant, devenu timide, et jetant les yeux vers la Madone sous laquelle ils se trou- vaient, " ah ! pour l'amour de cette mère, la vie ! la vie ! "

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Le jeune homme, outragé, regarda aussi la Madone ; et, en la voyant en quelque sorte demander la paix par un sourire, sa fureur se calma ; le fer lui tomba des mains. " Ouï, je te la donne, la vie, au nom de cette arche de paix que tu invoques ; c'est cette clémente Mère qui t'accorde la vie que je t'ai offerte déjà." Et, l'em- brassant avec tendresse, il le relève du sol il était prêt à l'immoler.

Quelle devait être, mes frères, la reconnaissance de ce malheureux, non-seulement envers son rival, qui lui permettait de vivre, mais encore envers la Madone qui avait intercédé pour lui ! Vous pensez qu'il s'agenouillera pour rendre des actions de grâce et pour émettre le vœu de ne jamais plus jouer.

Hélas ! vous le savez déjà, et le souvenir en glace d'horreur encore. Pendant qu'il était généreuse- ment relevé par ce jeune et doux chrétien, par ce nouveau Gualbert, voici que, pour ne lui être point débiteur d'un si grand bienfait, il tire inopinément Un stylet de sa poche, se précipite sur son bien- faiteur désarmé et tranquille, lui traverse le cœur d'un seul coup et l'étend à ses pieds.

O Mère sainte ! quelle ingratitude ! quelle cruauté ! quelle barbarie ! Vous frissonnez, mes frères ! Quoique dépeinte seulement sur la muraille,

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la Madone ne put se contenir à ce spectable épou- vantable, et elle pleura amèrement ; les larmes coulèrent de ses yeux le long du mur comme un ruisseau.

Un prêtre espagnol, attiré sans doute par a sainte Vierge, après avoir absous le moribond, comme il faut le croire, lui dit, pendant qu'il ren- dait le dernier soupir : " Enfant, invoquez cette tendre mère que vous regardez avec tant d'amour." Comme il parlait encore, la Vierge pleura derechef à sa vue, et le moribond pleura comme elle. Le prêtre ne pouvait plus maîtriser son émotion. Il s'approcha de l'image miraculeuse, et avec son mouchoir il recuillit les larmes de la Mère des Douleurs. La populace du quartier accourut, et en voyant ce tableau d'un jeune homme baigné de son sang et de Marie baignée de ses larmes, elle s'écriait en sanglotant : Miracle ! miracle ! Le pourra- t-on croire ? On était près du Ghetto ; tous les juifs s'attendrirent, mais aucun ne se convertit.

L'événement fut bientôt divulgué, soit par quel- ques commères prudemment restées chez elles, mais que la curiosité avait attirées aux fenêtres au premier bruit de l'altercation, soit par le meurtrier lui-même, dont on n'a plus parlé et dont on ne sait rien. Mon opinion est qu'il a mal finir, car les menaces de Dieu sont trop formelles :

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"Celui qui frappe de l'épée, par l'épée doit périr." Qui gladio ferit, gladio périt. (S. Matth.)

L'image de la Madone fut artistement taillée et enlevée de la muraille, On ne tarda pas à la transporter dans l'église voisine, qui changea son nom de Saint-Sauveur en celui délia Madona del Pianto, afin de transmettre de siècle en siècle le souvenir de cette noire atrocité."

En disant adieu à la reine du peuple romain, répétons, avec le pécheur repentant, cette belle prière :

Amabile madré e amante Vogli piestosa il ciglio A chi non è tuo figlio Ma figlio tuo sarà.

" Aimable et aimante mère ! daigne tourner tes regards vers celui qui n'est pas encore ton fils, mais qui veut le devenir ! "

CHAPITRE XX.

NOCES D'OR DE PIE IX.— CONCILE DU VATICAN.

Le 1 1 avril 1869 ! époque à jamais mémorable dans les annales de l'Eglise romaine. Le Pontife- roi, l'immortel Pie IX, célèbre à la confession des Apôtres Pierre et Paul, le cinquantième anni- versaire de son élévation au sacerdoce, entouré de cardinaux, de prélats, de plusieurs membres de sa famille, entre autres Louis Mastaï Ferretti, fils du comte Gabriel, retenu à Sinagaglia par la vieillesse, de tous les représentants des cours étrangères, et de 70,000 à 80,000 pèlerins venus de toutes les parties du monde. Jamais fêtes ne furent aussi pompeuses et aussi universelles, parce que jamais Pape n'avait été entouré de tant d'amour et de vénération, parce que jamais Pape n'avait vu un règne aussi glorieux et aussi rempli de persécu- tions et d'amertumes.

Les fêtes des noces d'or de Pie IX, qui coïnci- daient avez le retour de l'illustre exilé de Gaëte et de sa préservation miraculeuse, lors de l'accident de l'église de Sainte-Agnès hors les murs, com- mencèrent le 10 avril et durèrent trois jours.

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Pour décrire toute la magnificence et la pompe déployées dans ce jubilé, il faudrait une plume plus exercée que la mienne. Je vous dirai seule- ment que nous étions transportés au troisième ciel, comme saint Paul, et que parfois nous nous écriions: " Qu'il fait bon d'être ici, bâtissons- nous des tentes." Pie IX lui-même ne put contenir les flots de joie et de bonheur qui inondaient son cœur, et laissa échapper ces paroles devant quelques pèlerins prosternés à ses pieds : " Mon Dieu, ayez pitié de moi, c'est trop de bonheur! J'ai peur que bientôt, quand je paraîtrai devant votre justice, vous ne me disiez : Tu as été récompensé sur la terre. Non pas à moi, mais à vous, ô mon Dieu, à vous seul l'amour des chrétiens. " L'archevêque de Cologne, Mgr. Melchers, a peint la fête d'un seul trait : " Jamais Pape, a-t-il dit, ne s'est vu en relations à la fois si intimes et si universelles avec le cœur de l'humanité. "

La journée du 10 avril fut consacrée à la lec- ture des adresses présentées par les différentes associations catholiques de la terre. En jetant les yeux sur ces adresses, couvertes de plusieurs mil- lions de signatures, le Pape dit à ceux qui l'en- touraient : " Voici la véritable expression du suf- frage universel catholique." Après la présentation des adresses, Pie IX passa dans la salle étaient

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exposés les nombreux cadeaux qui furent faits au Saint-Siège dans cette circonstance. Ces offrandes représentaient la somme de six millions de francs. La réunion de tant de richesses dans le Vatican arracha à Pie IX l'exclamation suivante : " Enfin, moi aussi, j'ai mon exposition universelle ; elle est le produit, non de l'industrie, mais de l'amour de mes enfants." Aussi, quelle belle exposition ! Oh ! que l'amour du chrétien est fécond en œuvres de tous genres !

Dans l'après-midi. Pie IX, accompagné de sa cour, alla faire une visite à la petite église de Sainte -Anne de Falegnami, le il avril 1819, Jean-Marie Mastaï Ferretti disait sa première messe, à l'âge de 27 ans. Retracez dans votre esprit les profondes émotions qu'à éprouver le grand Pontife romain en jetant un regard scruta- teur sur la période écoulée depuis son enrôlement dans les rangs des lévites, et les douces larmes qu'il aura versées en présence de cet autel il avait offert à la Divinité, pour la première fois, le corps adorable de l'Homme-Dieu. Pie IX, agenouillé sur le marbre, avait en cette circons- tance plutôt l'apparence d'un ange que d'un homme.

Le soir, la coupole de Saint-Pierre fut illuminé. J'avais déjà contemplé cette scène grandiose ;

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mais c'est un spectacle toujours nouveau. J'étais placé, à cette heure, sur le Mont-Pincio, non loin de l'église de la Trinité-des- Monts. La coupole me parut comme un immense globe suspendu dans les airs. L'obscurité qui recouvrait la ville augmentait encore l'éclat de la lumière. La basi- lique de Saint-Pierre était alors la véritable image de la "Jérusalem céleste qui éclaire des rayons de sa gloire les ténèbres et les combats de Sion." Le onze, de bonne heure le matin, la vaste basilique de Saint-Pierre était tellement remplie de fidèles qu'un abbé français, placé près de moi, me souffla ces mots à l'oreille : " Mon bon zouave, j'étouffe. Je ne puis plus y tenir, on m'écrase ; vraiment, je suis réduit à ma plus simple expres- sion." Je lui portai secours et je réussis à élargir le cercle qui l'enveloppait en faisant jouer les coudes et le pommeau de mon sabre ; tactique que nous avions l'habitude de suivre, lorsque nous étions trop à l'étroit. Monsieur l'abbé X"'5"*'" me remercia cordialement et m'invita à prendre le dîner avec lui à l'hôtel de la Minerve. La politesse exigeait que je déclinasse cet honneur ; mais la faim -et quelque diable aussi me poussait, et j'acceptai l'invitation. Qu'on me pardonne cette petite gour- mandise ; j'avais jusqu'alors mangé de tant de haricots et de salade !

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A sept heures et trois quarts, Pie IX, porté sur la sedia gestatoria, fit son entrée dans l'église des apôtres Pierre et Paul, passa au milieu des zouaves pontificaux qui formaient la haie de chaque côté de la grande nef, depuis la grande porte en bronze jusqu'à la confession, et monta à l'autel pour y célé- brer le saint sacrifice de la messe. L'office divin terminé, le Pape se tourne vers le peuple : tout genou fléchit, toute tête s'incline. Le Pontife élève les bras, et de sa voix puissante, il chante ces con- solantes paroles : " Benedicat vos omnipotens Deus " etc, Pie IX rentre au Vatican, suivi de sa cour et escorté de la garde noble, de la garde palatine et de la garde suisse ; et la foule s'écoule silencieuse, en répétant avec le psalmiste : " Quant bonum, quàm jucundum habit are fratr es in unnm ! "

La journée se termina par un magnifique feu d'artifice ou girandola, devant l'église de San Piedro in Montorio, non loin de l'endroit saint Pierre fut crucifiera tête en bas. La girandola, à Rome, surpasse tous les feux d'artifice de l'univers ; car il n'y a que les Romains qui possèdent le secret de créer des merveilles.

Le 12, Rome célèbre le double anniversaire du retour de Pie IX de Gaète et sa préservation mi- raculeuse à l'église de Sainte-Agnès : deux faits qui font époque dans la glorieuse vie de Jean- Marie Mastaï Ferrettï.

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En 1848, la révolution, qui menaçait déjà de saper l'ordre social par sa base, se déchaîna sur Rome. Le 1 5 novembre, le comte de Rossi, le vaillant défenseur de la Bapauté, expire sous le poignard des adeptes du carbonarisme. Le lende- main, une foule furieuse, inspirée par Mazzini, assiège le palais du Ouirinal, Pie IX s'était réfugié pour échapper au glaive des assassins. L'orage grandit ; on essaie d'incendier le Quirinal. Les balles pleuvent ; l'une d'elles tombe dans la chambre le Pape priait pour ses bourreaux, et blesse mortellement Sa Grandeur Mgr Palma. Le Souverain-Pontife se croit à sa dernière heure, lorsqu'une femme chrétienne, la comtesse de Spaur, forme avec son mari, le duc d'Harcourt, le projet de sauver le roi de Rome. L'héroïne met son pro- jet à exécution, et le 24 au soir, Pie IX, déguisé, monte dans le carrosse de M. d'Harcourt qui le transporte à Gaëte, dans le royaume de Naples, il est reçu à bras ouverts par le roi Ferdinand II.

Dans son exil, le Saint-Père ne cesse de pro- tester contre les spoliations de la révolution. Il lance l'excommunication contre les membres de la Jeime Italie et contre les révolutionnaires en général, qui saccageaient Rome, pillaient les églises et chassaient les religieux de leurs monastères. L'iniquité s'était débordée sur la Ville sainte,

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comme un torrent dévastateur. Mazzïni poussa même l'impiété et le cynisme jusqu'à singer le Pape, en montant dans la loge de Saint- Pierre, le Pontife romain donne la bénédiction urbietorbi. L'Europe s'émeut enfin de tant d'audace et de sacrilèges. L'Espagne offre de délivrer Rome du joug des vandales de 48 ; mais la France, la fille ainée de l'Eglise encore catholique à cette époque revendique cet honneur et vole assiéger Rome, Le 29 juin 1849, le général Oudinot s'empare de l'ancienne ville des Césars, et le colonel Niel est chargé de porter les clefs de Rome à Pie IX, qui se trouvait alors à Portici.

Le grand Pape, ivre de joie, reprend le chemin de Rome, dans laquelle il fait son entrée triom- phale le 12 avril 1850. Son retour fut salué par des salves d'artillerie, par le son de toutes les cloches de la ville et par les cris de "Vive Pie IX ! Vive notre Saint-Père!" Le peuple romain était au comble de son bonheur. Les révolutionnaires ayant été chassés, l'Eglise continua de gouverner le monde catholiqueet à répandre partout les bienfaits de son ardente charité. ,

Voici comment les historiens romains rapportent le fait de la préservation de Pie IX à l'église de Sainte-Agnès. Un jour, le 12 avril 1855, le Très Saint-Père alla célébrer l'office divin à cette basi-

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lique ; et une foule innombrable remplissait le temple de Dieu. Après la messe, le Pape se rendit dans la salle du chapitre pour prendre le déjeûner avec les nombreux invités, et passa ensuite dans la chambre voisine pour admettre au baisement des pieds les élèves de la Propagande. Pie IX était à peine assis, que la poutre principale de l'édifice se rompit, et le plancher s'effondra. Le Pape et sa suite dispa- rurent au milieu d'un nuage de poussière et furent précipités dans l'étage inférieur. Après quelques instants d'un lugubre silence, on vit sortir, du milieu des décombres, Pie IX qui n'avait reçu aucune égratignure. Personne de l'assistance ne fut blessé grièvement. Le Pape entra aussitôt dans l'église, il- entonna un Te Deum en l'honneur de sainte Agnès, à qui il attribua sa préservation miraculeuse.

Entre parenthèse, je vous dirai que la basilique de Sainte- Agnès est située sur la voie Nomentane, à une courte distance des murs de Rome. Cette église, qui a été complètement restaurée par Pie IX, est très ancienne ; elle a été bâtie en 324 par Constantin, à la prière de sa fille Constance, guérie miraculeusement par l'intercession de la jeune vierge martyre, sainte Agnès.

Pendant l'après-midi du troisième jour du tri- duum, le Souverain-Pontife Visita la magnifique

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basilique dont je viens de parler, pour remercier Dieu de lui avoir sauvé la vie, dix ans auparavant. A son retour, il parcourut le Corso dans toute sa longueur. La population entière se porta sur son passage pour implorer sa bénédiction et l'acclamer. On entendait de toutes parts : " Viva Pio nono ! Viva il santissimo Padre " / On vfendra nous dire ensuite que Pie IX n'était pas aimé de son peuple. Il n'y a que les ennemis de la Papauté qui puis- sent proférer cet impudent mensonge, fabriquer cette monstrueuse calomnie. J'ai vécu au milieu du peuple romain, et le peuple romain aimait Pie IX, comme il aime encore Léon XIII.

Nous touchons à la fin du jubilé. Trois jours viennent de s'écouler, mais ce sont des jours pleins, pleni dies. Il nous manque encore le bouquet des noces d'or de Pie IX, et ce bouquet nous l'avons eu. Le soir, il y eut illumination générale de la ville de Rome. Ce fut un spectacle féerique. Une personne qui serait tombée tout à coup dans Rome, sans savoir qu'il -se trouvait dans la capitale du monde catholique, aurait cru assister à un vaste incendie. J'étais tenté de m'écrier avec saint François-Xavier : "C'est trop, Seigneur, c'est trop" !

Maintenant, franchissons d'un seul pas l'espace de six mois, et nous arriverons au grand événe- ment annoncé en l'année 1867 : au concile du 9

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Vatican que Pie IX convoqua par une bulle publiée le 29 juin 1868. Tous les évêques de la catho- licité furent invités à prendre part aux délibéra- tions de ce concile œcuménique, et tous il faut excepter ceux qui étaient retenus par la vieillesse ou la maladie#*se rendirent à l'appel de leur chef.

Le 8 décembre 1869, le jour de la fête de l'Immaculée-Conception, à cinq heures du matin, toutes les troupes pontificales furent appelées aux armes et échelonnées sur la place de Saint-Pierre Nous étions près de l'obélisque de Néron, la cara- bine aux bras depuis deux heures, exposés à une pluie torrentielle, lorsque le colonel Allet nous donna l'ordre de marcher de l'avant. Cet ordre arrivait à temps : nous étions mouillés jusqu'aux os et transis de froid, nous grelottions comme si nos membres eussent été mis en mouvement par des ressorts invisibles. Nous entrons dans l'im- mense basilique constantinienne, et nous formons la haie comme aux grandes fêtes des noces d'or de Pie IX. Les zouaves étaient les enfants gâtés du Saint-Père, car dans toutes les circonstances solennelles, les officiers supérieurs nous assignaient invariablement la place d'honneur. Après quelques moments d'attente, notre bon papa commande le genou-terre. Toute l'assistance tombe à genoux, comme foudroyée par la foudre, à la vue de l'au-

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guste vieiHard du Vatican et des sept cent soixante- onze têtes mitrées qui le précèdent. Quelle majes- tueuse procession nous voyons alors défiler ! Quelle grandeur et quelle vertu ! Nous avons devant nous tout ce que l'Eglise renferme de plus saint. Nous avons devant nous les prélats les plus illustres que le Catholicisme ait jamais donnés à la terre. Nous avons devant nous les plus courageux athlètes qui aient jamais figuré sur la grande arène catholique. Nous avons devant nous enfin les plus nobles défenseurs du droit et de la Papauté.

Les cérémonies de l'ouverture du concile se prolongèrent jusqu'à deux heures de l'après-midi. Nous retournâmes à nos casernes complètement épuisés de fatigue, Etre debout depuis cinq heures du matin jusqu'à deux heures de l'après-midi, sans bouger un seul instant et n'ayant pris pour toute nourriture qu'un litre de café noir ! C'est presque incroyable. Pourtant c'est la vérité, et encore le temps nous a paru court, tant le cœur avait éprouvé de douces jouissances.

Le concile commença immédiatement ses grands travaux, et, le 24 avril 1870, la vénérable assemblée votait la constitution De fide, que le Pape promul- gua le deuxième dimanche après Pâques. Cette constitution, renfermant quatre articles principaux, condamne le rationalisme, le panthéisme, l'indé-

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pendance de la raison et trace les devoirs de eelle- ci vis-à-vis de la foi.

Les Pères du concile s'occupèrent ensuite de l'infaillibilité du Pape parlant ex cathedra, et, le i 3 juin, on fit l'appel nominal. 601 prélats donnèrent leurs votes ; 451 votèrent placet y 88 non placet et 62 placet jîtxta modum. L'infaillibilité, que tous les catholiques reconnaissaient depuis longtemps dans laperson ne du Pape, fut donc décrétée. Ce nou- veau dogme, mais ancien pour l'Eglise catholique, fut promulgué le 1 8 juillet 1 870, au milieu des céré- monies et des fêtes les plus imposantes. Les Pères du concile recueillirent de nouveau les suffrages, et il n'y eut cette fois que deux évêques qui répon- dirent 71011 : Mgr Louis Riccio, évêque de Cassazzo dans le royaume de Naples, et Mgr Edouard Fjtz- gerald, évêque de Little-Rock, aux Etats-Unis. Mais ces deux prélats se soumirent aussitôt après, la promulgation du dogme.

Un fait assez remarquable, c'est que, le jour le dogme de l'infaillibilité fut proclamé, une tem- pête accompagnée de tonnerre et d'éclairs se déchaîna sur Rome. Les protestants s'empressè- rent de relever cette coïncidence et de dire que les Pères du concile avaient attiré sur eux la colère divine. Son Eminence le cardinal Manning répliqua avec finesse que c'était plutôt une répéti-

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tion de la scène qui se passa sur le mont Sinaï, lorsque Dieu donna sa loi aux hommes. La com- paraison est frappante et pleine d'à-propos.

L'orage qui commençait alors à gronder sur le sol de l'Italie décida Pie IX à suspendre les déli- bérations du concile du Vatican, et l'assemblée s'ajourna sine die, je pourrais dire sine anno ; car l'histoire nous rapporte que les travaux de plu- sieurs conciles ont été interrompus pendant un grand nombre d'années. Espérons néanmoins que l'illustre prisonnier du Vatican triomphera bientôt de ses ennemis, et qu'il mettra la dernière main au plus grand événement du XIXe siècle. *

CHAPITRE XXI.

LA RETRAITE DE VITERBE LE 20

SEPTEMBRE 1870.

Montalembert écrivait au lendemain de l'inva- sion des Romagnes, en 1860 :

" La pièce s'est jouée en trois actes : la diffa- mation, l'occupation, la votation ; chaque acte a eu ses acteurs : les écrivains, les fantassins, les électeurs ; c'est un procédé désormais connu.

" On dénonce un souverain. Son gouvernement est imparfait, intolérable ; ses sujets sont mécon- tents, opprimés, exaspérés. Il ne se soutient plus que par les armes étrangères ; il manque de force morale, de force matérielle, il est perdu. Voilà le souverain diffamé, et si la dénonciation tombe de haut, tous les matins deux mille journalistes en répètent à deux millions de lecteurs l'écho reten- tissant.

" Tout d'un coup on affirme que ce souverain si faible est menaçant, qu'il songe à attaquer, qu'il groupe quelques soldats ; il faisait pitié, il fait peur. . . Prenons nos précautions, violons ses fron-

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tières ! C'est le second acte : on envahit les terri- toires.

"Puis, maître du pays, on consulte les sujets. Etes-vous heureux ? Non.— Voulez-vous le deve- nir?— Oui. Le malheur, c'est Pie IX ; le bonheur, ce sera Victor-Emmanuel. Vive Victor-Emmanuel ! La pièce est jouée, la toile tombe ; on s'endort Romain, on se réveille Piémontais, mais toujours contribuable, et, de plus, conscrit."

C'est la même comédie qui se joua en 1870. Le comte Ponza di San-Martino se chargea de jouer le premier acte en portant au Pape la lettre qu'on va lire ; c'est un monument d'hypocrisie :

"Très Saint-Père, "Avec une affection de fils, avec une foi de catholique, avec une loyauté de roi, avec un sen- timent d'Italien, je m'adresse encore, comme j'eus à le faire autrefois, au cœur de Votre Sainteté.

"Un orage plein de périls menace l'Europe. A la faveur de la guerre qui désole le centre du continent, le parti de la révolution cosmopolite augmente de hardiesse et d'audace, et prépare, spécialement en Italie et dans les provinces gou- vernées par Votre Sainteté, les derniers coups contre la monarchie et la Papauté.

u Je sais, Très Saint- Père, que la grandeur de Votre âme ne le céderait jamais à la grandeur des

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événements, mais moi, roi catholique et roi italien, et, comme tel, gardien et garant, par la disposition de la divine Providence et par la volonté de la nation, des destinées de tous les Italiens, je sens le devoir de prendre, en face de l'Europe et de la catholicité, la responsabilité du maintien de l'ordre dans la Péninsule et de la responsabilité du Saint- Siège.

"Or, Très Saint-Père, l'état d'esprit des popula- tions gouvernées par Votre Sainteté, et la présence parmi elles de troupes étrangères venues de lieux divers avec des intentions diverses, sont un foyer d'agitation et de périls évidents pour tous. Le hasard ou l'effervescence des passions peut con- duire à des violences et à une effusion de sang

qu'il est de mon devoir et du Votre, Très Saint- Père, d'éviter et d'empêcher.

"Je vois l'inéluctable nécessité, pour la sécurité de l'Italie et du Saint-Siège, que mes troupes, déjà préposées à la garde des frontières, s'avancent et occupent les positions qui seront indispensables à la sécurité c!e Votre Sainteté et au maintien de l'ordre.

" Votre Sainteté ne voudra pas voir un acte d'hostilité dans cette mesure de précaution. Mon gouvernement et mes forces se restreindront abso- lument à une action conservatrice et tutélaire des

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droits facilement conciliables des populations ro- maines avec l'inviolabilité du Souverain-Pontife, et de son autorité spirituelle avec l'indépendance du Saint-Siège.

" Si Votre Sainteté, comme je n'en doute pas, et comme Son caractère sacré et la bonté de Son âme me donnent le droit de l'espérer, est inspirée d'un désir égal au mien d'éviter tout conflit et d'échapper au péril d'une violence, Elle pourra prendre avec le comte Ponza di San-Martino, qui lui l'émettra cette lettre et qui est muni des ins- tructions opportunes par mon gouvernement, les accords qui paraîtront mieux devoir conduire au but désiré.

." Que Votre Sainteté me permette d'espérer encore que le moment actuel, aussi solennel pour l'Italie que pour l'Eglise et la Papauté, rendra effi- cace l'esprit de bienveillance qui n'a jamais su s'éteindre dans Votre cœur, envers cette terre qui est aussi Votre patrie, et les sentiments de conci- liation que je me suis toujours étudié avec une persévérance infatigable à traduire en actes, afin que, tout en satisfaisant aux aspirations nationales, le Chef de la catholicité, entouré du dévouement des populations italiennes, conservât sur les rives du Tibre un siège glorieux et indépendant de toute souveraineté humaine.

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" Votre Sainteté, en délivrant Rome des troupes étrangères, en l'enlevant au péril continuel d'être le champ de bataille des esprits subversifs, aura accompli une œuvre merveilleuse, rendu la paix à l'Eglise, et montré à l'Europe épouvantée par les horreurs de la guerre, comment on peut gagner de grandes batailles et remporter des victoires immor- telles par un acte de justice et par un seul mot d'affection.

"Je prie Votre Sainteté de vouloir bien m'ac- corder Sa bénédiction apostolique, et je renouvelle à Votre Sainteté l'expression des sentiments de mon profond respect.

Florence, 8 septembre 1870.

" De Votre Sainteté, " Le très humble, très obéissant et très dévoué fils,

" Victor-Emmanuel. La diffamation est consommée par un roi. Mais la diffamation est repoussée par un autre roi. Pie IX répondit à Ponza, après avoir pris connais- sance de ces impudents mensonges et de ces pré- tendues expressions de dévouement à l'Eglise : " A quoi bon cet effort d'hypocrisie inutile ? Ne valait-il pas mieux me dire tout simplement qu'on voulait me dépouiller de mon royaume ? "

Ponza ayant commenté la lettre de Victor-

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Emmanuel dans un sens favorable, le Pape lui répliqua : "Mais enfin, vous parlez toujours des aspirations des Romains! Eh bien! vous pouvez voir de vos propres yeux combien ils sont tran- quilles?" Le comte Ponza se trouvait donc en présence d'un démenti formel. Lorsque Pie IX congédia le commissaire général des Etats romains* Il lui dit: "Je puis bien céder à la violence, mais adhérer à l'injustice... jamais! "

Le comte Ponza di San-Martino était arrivé à Rome le 9 septembre ; il s'en éloignait le 1 1 avec la lettre suivante, que Pie IX adressait à Victor- Emmanuel, le roi galant-homme :

"Au roi Victor -Emmanuel.

"Sire,

"Le comte Ponza di San-Martino m'a remis une lettre que Votre Majesté m'a adressée ; mais elle n'est pas digne d'un fils affectueux qui se fait gloire de professer la foi catholique et se pique d'une royale loyauté. Je n'entre pas dans les détails de la lettre elle-même, pour ne pas renouveler la douleur que sa première lecture m'a causée. Je bénis Dieu, qui a permis à Votre Majesté de com- bler d'amertume la dernière partie de ma vie. Du reste, je ne puis admettre certaines demandes, ni me conformer à certains principes contenus dans cette lettre. J'invoque Dieu de nouveau, et je

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remets entre ses mains ma cause qui est entière- ment la sienne. Je le prie d'accorder de nom- breuses grâces à Votre Majesté, de la délivrer des périls et de lui dispenser les miséricordes dont Elle a besoin.

"Du Vatican, le ï i septembre 1870.

"Pio PP. IX."

C'est ainsi que parle le roi diffamé, et c'est ainsi que se termine le premier acte de la pièce. Pas- sons maintenant au second, c'est-à-dire à l'occupa- tion.

Le même jour que le comte Ponza di San- Martino quittait Rome, les troupes piémontaises franchissaient la frontière romaine et s'emparaient de Bagnorea et de Montefiascone que les zouaves avaient évacuées quelques instants auparavant. L'invasion était commencée, et cela sans raison aucune et sans déclaration de guerre. Ce n'est pas le mot invasion qu'il faut employer, mais bien l'expression vol de territoire. Victor-Emmanuel représente ici le lion de la fable. "Je m'appelle lion, se dit-il, par conséquent je prends le royaume du Pape." Et le nouveau Judas envoie le lieutenant- général Raffaele Cadorna exécuter ses ordres barbares.

Cadorna entre alors dans les Etats de l'Eglise avec cinq divisions et une réserve, formant trois

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corps d'armée. Les forces piémontaises se repar- tissent comme suit : quatre-vingts bataillons d'in- fanterie, dix-sept bataillons de bersaglieri, cent quatorze pièces, vingt-sept escadrons, quatre com- pagnies de génie, cinq compagnies de train et une compagnie de pontonniers. L'effectif de l'armée d'invasion s'élevait à quatre-vingt-un mille quatre cent soixante-dix-huit hommes.

Cadorna, ayant trois divisions sous son com- mandement, s'avançait du côté des Légations et de la Sabine. Bixio, à sa droite avec la 2me divi- sion, menaçait les frontières du côté de la Toscane, et Angioletti, à la gauche, quittait le royaume de Naples avec le troisième corps d'armée. Avant même de prévenir le Pape, l'armée piémontaise avait pris ses positions sur la frontière, car, le sept septembre, Bixio avait son quartier-général à Orvieto; Cosenz, à Rietti ; Mazé de la Roche, à Terni ; Ferrero, à Narni ; et Angioletti, à Cassino.

Pendant que ces différents corps d'armée s'avan- çaient sur Rome, une flotte de douze navires de guerre se dirigeait vers le port de Civita-Vecchia. Cette flotte, commandée par le contre-amiral Del Caretto se composait des vaisseaux suivants :

Roma, vaisseau de 1er rang. Re di Portogallo, "

Messina, frégate de 2e rang,

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Ajicona, frégate de 2e rang.

Terribile, corvette,

Castelfidardo, frégate de 2e rang.

Principe di Carignano, "

San Martino, "

Affondatoré,

Deux frégates non cuirassées : Italia et Duca di Genova, avec l'aviso Vedetta, croisaient près des côtes.

Telle était la position de l'armée piémontaise au commencement de l'invasion. Rome était donc cernée de toutes parts

Maintenant, quels moyens ou quelles ressources Pie IX, le roi envahi, avait-il à sa disposition pour défendre son territoire de cinquante lieues de lon- gueur sur quinze de largeur. en moyenne, formant onze mille sept cent quatre-vingt-dix kilomètres carrés en superficie ? Treize mille six cent quatre- vingt-quatre hommes de troupes, chiffre officiel, et encore disséminés dans les cinq provinces romaines, savoir : ~

Velletri, Frosinone, Viterbe, Civita-Vecchia et Comarca. Plusieurs bataillons se trouvaient à Rome dans le moment pour protéger le Saint-Père. Défendre cinq provinces avec une poignée d'hom- mes contre trois corps d'armée, c'eut été une folie et un sacrifice inutile de vies. Aussi, le général

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Kanzler, pro-ministre des armes, donna-t-il l'ordre d'abandonner les provinces à l'approche de l'en- nemi et de converger vers Rome, tout en laissant aux commandants la latitude de faire une " hono- rable résistance." Ces ordres furent ponctuelle- ment exécutés, comme nous le verrons dans le cours de ce récit.

Je me bornerai à relater ici la célèbre retraite de la province de Viterbe, dans laquelle les zouaves, commandés par le baron de Charette, ont joué un si grand rôle. Je puis garantir de l'exac- titude des faits, car je les ai entendu raconter par plusieurs zouaves qui faisaient partie de cette expédition ; et j'ai consulté aussi l'histoire de l'in- vasion des Etats de l'Eglise par le Comte de Beaufoit, témoin oculaire du vol commis par Victor-Emmauuel.

Bixio, l'ancien lieutenant de Garibaldi, s'empare d'abord de Bagnorea, le i i de septembre, comme nous l'avons dit précédemment. Cette ville n'était défendue que par vingt zouaves, commandés par le lieutenant de Kervyn. Ce dernier, averti à trois heures, par un courrier de Capraccîa, que l'ennemi s'avance, prend alors le parti de se replier sur Monte - fiascone ; mais trompé par les faux rapports d'un officier de zouaves qui avait été lui-même mal ren- seigné, il retarde le départ, et, surpris parles Pié-

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montais, il est fait prisonnier avec son détachement. Les zouaves déposent leurs armes en pleurant et sont cowduits prisonniers au camp de Bixio. On les promena ensuite à travers l'Italie, dit M. de Beaufort, en butte aux mauvais traitements de leurs vainqueurs et aux insultes d'une lâche po- pulace.

Les Italiens marchent tout de suite sur Montefias- cone qu'ilscroientsurprendre ; mais le commandant de Saisy, avec ses deux compagnies de zouaves, ayant reçu la veille l'ordre de se replier sur Viterbe au dernier moment et sans engager d'action, quitte cette ville à dix heures du soir au moment l'armée piémontaise pénètre dans Montefiascone par une porte opposés, et arrive à Viterbe la même nuit, sans avoir été inquiété dans sa retraite. Du reste, M. de Saisy avait pris ses mesures pour pro- téger sa petite colonne en la flanquant de tirail- leurs. L'arrivée de ces deux compagnies de zouaves à Viterbe fut saluée .par les cris de " Vive Pie IX ! "

Bixio passe la nuit à Montefiascone. Une partie de son armée entre dans la ville, et l'autre partie campe dans la plaine.

Le lendemain, Bixio lève le camp; mais au lieu de marcher sur Viterbe, et pour couper la retraite à de Charette, il prend un ehemin à droite, vers Marta, et se dirige vers Civita-Vecchla

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par la route de Toscanella et de Corneto, en laissant un bataillon derrière lui.

Le baron de Charette, qui avait été mis au fait de la démarche du comte de Ponza di San- Martino, avait averti tous les avant-postes de se tenir prêts à se replier en cas d'attaque ; et tous les détachements avaient obéi à ses ordres. Les deux mille hommes, échelonnés dans la province de Viterbe, étaient donc alors réunis sous le com- mandement du brave lieutenant-colonel. Mais quel parti prendre dans cette situation périlleuse ? Combattre ou retraiter, pas d'autre issue. De Charette, après avoir mûrement réfléchi, se décide à la retraite tout en se préparant à faire une " honorable résistance ", suivant les instructions émanées du ministère de la guerre. Pour exécuter cette entreprise hardie, de Charette n'avait plus le choix des routes. Cadorna devait nécessairement bloquer la route la plus directe, celle de Ronci- glione et de Monterosi. Il ne restait donc que celle de Civita-Vecchîa par Vetralla ; c'était par- courir la base d'un triangle dont Rome occupait le sommet. Mais il fallait bien passer par pour ne pas tomber entre les mains de l'ennemi et priver ainsi Rome de l'élite de ses troupes.

Ce parti pris, de Charette se prépare à la retraite. Mais pour ne pas paraître fuir devant

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l'ennemi et lui laisser le champ libre, il prend donc la résolution de se fortifier à Viterbe, et d'y attendre les Piémontais. Le 1 2, à sept heures du matin, les barricades et les autres travaux de forti- fication sont terminés. En un mot, la ville est mise en état de défense. De Charette, placé dans l'obser- vatoire établi dans la tour de la caserne, examine les mouvements de l'ennemi qui était campe sur les hauteurs de Montefiascone et à Bagnoli, à droite de Montefiascone et à six milles environ de Viterbe. Vers dix heures et demie, le brave com- mandant des zouaves voit une colonne piémontaise lever le camp et se diriger vers Toscanella et Car- canello dans le but évident de couper la route de Corneto, et une autre colonne se porter sur Viterbe. En même temps des paysans arrivent à Viterbe et préviennent de Charette que deux colonnes du corps de Cadorna s'avancent du côté d'Orte et de Soriano. Quelques minutes s'étaient à peine écoulées, quejes zouaves aperçoivent distinctement l'ennemi sur la route de Ronciglione.

Il n'y avait plus à retarder le départ, sans être complètement investi. De Charette assemble alors un conseil de guerre, et il est résolu d'évacuer Viterbe. Des ordres sont alors donnés aux officiers, et les troupes pontificales abandonnent Viterbe ai se retirent à un mille et demi de cette ville, an

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casino Polidori. Les habitants saluent leur départ par les cris de " Coraggio, zuavi ! Comggio, figli / Courage, zouaves ! courage, enfants ! " Encore un démenti à la lettre de Victor-Emmanuel. Cette décision avait été prise pour donner le temps aux autres détachements de se réunir à la colonne principale. Toute la petite armée pontificale se trouvait au casino Polidori, à l'exception de quel- ques vedettes et de douze hommes de garde au poste de la Place, qui avaient été faits prisonniers, parce que l'ordre de la retraite avait été mal compris.

De Charette donne alors le commandement de marche en avant ; il était temps : l'une des colonnes ennemies était arrivée à la Mercia ; celle qui venait de Soriano n'était plus qu'à un mille de la porte Romaine et à quelques cents mètres de la porte Florentine. Les pontificaux prennent la route de Vetralla, ils arrivent à six heures du soir. Deux heures avant d'atteindre Vetralla, des cavaliers piémontais ont rejoint la troupe pontificale ; mais ils sont obligés de rebrousser chemin en voyant l'attitude menaçante des zouaves. De Cha- rette trouve en cette ville les gendarmes de Ronci- glione, de Sutri, de Capranica-di-Sutri, de San- Giovanni-di-Bieda, etc. On passe la nuit à Vetralla, sans être molesté par l'ennemi. Deux compagnies

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de zouaves gardaient la route de Viterbe, et des piquets assez nombreux couvraient la route de Sutri.

Le 1 3, à 6 heures du matin, la petite troupe pontificale sort de Vetralla pour se diriger vers Monte-Romano. Il faisait une chaleur excessive. A six milles avant d'arriver à Monte-Romano, on rencontre un chemin à gauche près de Cinella, qui conduit à l'Allumiera, et, de à Civita-Vec- chia. Cette route paraît la plus sûre ; mais de Charette préfère suivre la voie de Monte-Romano, comme étant la meilleure et la plus directe. A dix heures, l'armée fait son entrée à Monte- Romano au milieu des vivats de la population. On accorde quelques heures de repos aux soldats avant de commencer la célèbre retraite de Veterbe proprement dite. Les hommes tombent de fatigue ; une soif dévorante les brûle ; et pour- tant ils sont encore pleins de courage. De temps 4 autre on les entend s'écrier : " Vive Pie IX ! ! " Après avoir repris un peu de force, il faut se remettre en marche ; mais la route qui conduit de cette ville à Corneto est déjà occupée par les Piémontais.

"Essayer, dit M. de Beaufort, de forcer le pas- sage eût été téméraire, vu l'infériorité numérique des troupes romaines et la forte position de Bixio

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à Corneto. Si l'on était forcé de combattre pour s'ouvrir la route, mieux valait le faire le plus près possible de Civita-Vecchia, l'on trouverait des soutiens et un asile ; il fallait donc gagner Civita-Vecchia le plus tôt possible ; pour cela on n'avait qu'une route longue, difficile, passant près de l'ennemi à travers des montagnes escarpées, inconnues, et c'était pendant la nuit qu'on devait la suivre. Pour préparer les hommes à cette fatigue, on leur accorde quelques heures de repos. Charette en profite pour compléter ses renseigne- ments et en faire part aux officiers de son détache- ment, dans un conseil de guerre, il décide la marche sur Civita-Vecchia. Il se procure aussi un guide, et accepte à ce titre un guardiano qui s'offre et servit bien.

"Le temps presse cependant. La troupe s'étant un peu reposée, M. de Charette adresse quelques mots à ses soldats, et, sans même avoir le temps d'achever le repas commencé, par une accablante chaleur, et aux cris de " Vive Fie IX ! " on com- mence, vers trois heures et demie, cette retraite de douze heures, qui ne devait finir qu'à Civita- Vecchia, et qui serait admirée comme elle le mérite si, exécutée en un autre temps, elle eût trouvé un historien digne d'elle.

" A quelque distance de Monte-Romano, il fal-

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lait quitter la grande route pour se jeter à gauche dans la traverse. Le chemin que l'on prit, mauvais dès l'abord, était cependant praticable. Au bout de quelques milles, il cesse complètement ; c'est à gué, et de l'eau jusqu'au dessus du genou, qu'on passe le petit fleuve du Mignone ; puis, on se trouve en pleine montagne, dans des sentiers bons seulement pour des bêtes de somme. C'est pour- tant le seul chemin possible pour la colonne ; il faut y faire passer l'artillerie ; et avec le jour qui baisse augmentent les difficultés. Tantôt descen- dant au fond des ravins escarpés, tantôt gravissant des pentes abruptes, tantôt par de brusques détours contournant des saillies de rochers, gênés par l'inégalité même d'un sol raboteux, hérissé de pierres aux arêtes vives, on triomphe de tous les obstacles. On avance, même la marche sem- ble impossible ; quand les deux canons et la mitrailleuse ne peuvent passer, on leur attache de cordes et on les hisse à force de bras. Deux fois ainsi, l'on doit monter séparément les caissons et les pièces ; ailleurs il faut aux six chevaux d'atte- lage joindre une vingtaine de soldats. Pour les bagages, il en est de même, et parfois on doit les transporter et enlever en quelque sorte les chariots. Un ou deux se brisent, qu'on abandonne ; les autres passent, ainsi que les canons, grâce -aux

IL

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efforts soutenus de la troupe. Les hommes tom- bent de fatigue, mais aucun ne se plaint ; et le courage leur donne une force nouvelle, maintenu per le bon esprit de tous, et l'énergie que savent inspirer le lieutenant-colonel de Charette et le lieutenant d'artillerie Maldura.

" On avait encore à courir un autre risque : une fois, dans la nuit, on aperçut du sommet d'une hauteur les feux de nombreux bivouacs ennemis entre Corneto et Civita-Vecchia. Ils étaient encore éloignés ; mais la route s'en approchait. A force d'efforts, on avait, en continuant cette marche nocturne, gagné Allumiera et rejoint la route allant de Bracciano à Civita-Vecchia ; mais bientôt on vit qu'en la suivant on tomberait au milieu des Italiens ; on était même si près d'eux qu'il n'était pas certain qu'on pût éviter leur rencontre. On fait une halte un instant ; Charette donne à voix basse ses instructions aux officiers pour le cas d'une attaque, et échange avec eux une poignée de main d'adieu ; puis, quittant de nouveau la route frayée que suivent seuls les bagages et leur garde, on se jette à travers les champs, traînant encore les canons sur un sol parsemé de rochers jetés en désordre, et marchant ainsi en ligne droite et le plus vite possible dans la direction de Civita- Vecchia.

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" Tant d'efforts furent récompensés, et l'ennemi ne s'aperçut pas de la proximité des pontificaux. Bixio se promettait bien cependant de leur couper le passage. Il avait occupé par ses troupes la route de Corneto à Monte-Romano et le pont du Mignone, il les attendait au passage. Ce qu'il n'avait pas prévu, c'est que des chemins imprati- cables les déroberaient à son atteinte.

" Vers deux heures du matin, la petite troupe romaine entendit un bruit lointain : c'était celui de la mer, on approchait de Civita-Vecchia. Tout n'était pas sauvé encore, et des fusées que l'on vit alors s'élever au-dessus de la ville, dans le ciel encore sombre, et dont le sens était connue, don- nèrent bien quelques inquiétudes ; mais celles-ci ne furent pas confirmées. La marche se poursuivit heureusement ; à trois heures, l'avant - garde atteignit les portes de la ville, et le reste de la colonne arriva à trois heures et demie dans Civita- Vecchia ; elle était~en sûretée ....

" Pendant que les troupes de la province de Viterbe effectuaient avec tant de bonheur une retraite si périlleuse, le général Bixio, que nous avons laissé à Corneto avec sa division, y atten- dait toujours la colonne pontificale. Il y demeura jusqu'au soir du 14. Ce jour-là cependant, il avait poussé sa cavalerie et les bersaglieri jusqu'en vue 10

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de Civita-Vecchia, et ayant enfin appris que ceux qu'il attendait lui avaient échappé, il ne songea plus qu'à s'emparer de Civita-Vecchia. La flotte italienne étant venue dans la journée sous Corneto, au Porto-Clementino, Bixio alla, vers deux heures et demie, à bord du vaisseau-amiral Roma, se con- certer avec l'amiral del Carretto pour le siège de la place, et se portant enfin lui-même en avant, le 15, il établissait son quartier-général à Torre- Orlando, devant Civita-Vecchia. . . .

" Vers le même temps, (au moment Bixio eut un entretien avec le contre-amiral del Carretto) le lieutenant-colonel de Charette partait avec ses troupes. Les zouaves de la garnison de Civita- Vecchia avaient un moment espéré voir leurs camarades demeurer avec eux ; mais, comme il s'y attendait, et en réponse à un télégramme envoyé par lui, le commandant des troupes de Viterbe avait reçu à huit heures et demie une dépêche qui le rappelait à Rome avec son déta- chement. Il laissa seulement à Civita-Vecchia la compagnie venue de Valentano (2e du IV) et, à sa place, emmena avec lui la première compagnie de dépôt de zouaves. Le train qu'il prit était le train ordinaire de Civita-Vecchia à Rome. Entre la première de ces deux villes et une station voi- sine, il y eut un instant de sérieuse crainte. Le

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chemin de fer côtoyait de très près le rivage, et Ton vit â une faible portée de terre une frégate ennemie embossée, et qui semblait prête à prendre en écharpe'le train à son passage. Le danger était réel et grand ; mais on n'en eut que la crainte ; la présence de voyageurs civils dans le convoi et la certitude de tirer sur eux en même temps que sur les troupes, arrêtèrent-elles la frégate italienne ? Celle-ci ignora-t-elle que nos soldats étaient dans le train, crut-elle qu'ils allaient suivre dans un train spécial, ou bien n'eut-elle pas d'ordres ? Quoiqu'il en soit, le convoi poursuivit sa marche, et fut bientôt hors de portée ; on arriva ainsi jus- qu'aux environs de Rome. Au pont du Tibre, le train s'arrêta ; le triste souvenir de la caserne Serristori et de tentatives analogues faisait craindre que des mains coupables n'eussent essayé de miner le pont pour le faire sauter au moment du pas- sage des troupes. Celles-ci descendirent du train qui poursuivit sans elles, et, suivant la rive droite, elles entrèrent dans Rome par la porte Portèse. L'anxiété sur leur sort n'avait pas été moindre à Rome qu'à Civita-Vecchia ; la joie de les revoir y fut égale. Le pro-ministre des armes les atten- dait lui-même à la porte, avec sa famille ; et ce fut au milieu des vivats et d'acclamations pous- sés par les troupes rangées près des murailles, et

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par le peuple répandu dans les rues, que nos sol- dats de Viterbe firent leur entrée dans la capitale, bientôt ils durent se rendre aux postes de combat qu'on leur avait assignés.

Les jours suivants furent consacrés aux prépa- ratifs de défense et d'attaque. Presque toute l'armée pontificale avait pu retraiter sur Rome ; quelques détachements isolés, mais peu nombreux, avaient été faits prisonniers.

Les soldats pontificaux étaient échelonnés au- tour de Rome, en dedans des murs.

Le 20 septembre, l'armée piémontaise envelop- pait la Ville éternelle dans un cercle de feu. Le général Cadorna avait placé les XIe et XIL divi- sions et la réserve au nord -est de la ville, en face des portes Pia et Salara ; Ferrero se trouvait à l'est, près de la porte Majeure ; Angioletti devait attaquer le sud vers la porte Latine, et Rixio Bixio était chargé de la partie qui fait face au Transtévère.

A cinq heures et dix minutes, le premier coup de canon est tiré par l'ennemi, et un boulet vient frapper le mur à droite de la porte Pia. C'est le signal du, combat. Bientôt, la fusillade devient générale. Les Italiens sont moi.ssonnés par la mort, tandis que les Pontificaux n'éprouvent que des pertes insignifiantes. Malgré le courage des assié-

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gés, l'armée ennemie pratique une brèche dans le mur qui avoisine la porte Pia. Le général Kanzler envoie un rapport au Saint-Père. Ce dernier, pour éviter une plus grande effusion de sang, arbore le drapeau blanc à dix heures et dix minutes. L'armée pontificale obéit au successeur de Pierre ; elle cesse le combat et se dirige vers la cité Léonine. Rome capitule et tombe au pouvoir du Piémont. Je ne vous parlerai pas des scènes dégoûtantes, et indignes d'un peuple civilisé, qui ont eu lieu après la capitulation. Je me contenterai de dire que les Italiens ont manqué à toutes les lois de

l'honneur et qu'ils se sont conduits comme les barbares du temps d'Attila. -<

Nos pertes, dans cette journée tout à fait glorieuse pour les soldats du Pape, s'élevèrent à seize tués et cinquante-huit blessés ; celles de l'ennemi dépassèrent mille, tués ou blessés. Un écrivain allemand a dit: "La perte de l'ennemi devant Rome, le 20, monte environ à deux mille hommes tués ou blessés. Je sais ce que je dis et pourquoi je le dis ; je sais aussi combien le Piémont a donné dans ses journaux des pertes menson- gèrement petites ; mon calcul s'appuie sur le dire des soldats ennemis." Je crois néanmoins que ce calcul est un peu exagéré.

Jetons un regard en arrière, et voyons ce que

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fait le Pape pendant que les Italiens bombardent Rome.

A sept heures et demie, Notre Saint- Père célèbre le sacrifice divin suivant sa coutume ; il entend ensuite une seconde messe et reste en prières jus- que vers neuf heures. L'illustre Pontife passe alors dans sa bibliothèque particulière, étaient réunis les membres du corps diplomatique, au nombre de dix-sept. Pie IX dit quelques mots aux ambassa- deurs, mais sa voix est entre-coupée par des san- glots. Nous nous faisons un devoir de citer quel- ques-unes de ses admirables paroles :

" Le corps diplomatique s'est, une autre fois, " réuni autour de moi dans une circonstance " pareille ; c'était au Quirinal ....

u J'ai écrit au roi ; je ne sais s'il a reçu ma " lettre ; je l'avais envoyée cependant sous l'adresse " de son ministre des affaires étrangères. Je pense " qu'elle lui sera parvenue, mais je n'en sais rien.

" Bixio, le fameux Bixio, est avec l'armée " italienne. Aujourd'hui il est général. Bixio, du " temps il était républicain, avait formé le " projet de jeter dans le Tibre, quand il entrerait " dans Rome, le Pape et les cardinaux .... Il est " là, à la porte San-Pancrazio ; ce côté-là est le " plus exposé. Il y a des maisons qui souffriront, " entre autres celle de Torlonia. Les souvenirs du

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" Tasse courent beaucoup de risques avec les libé- " rateurs de l'Italie ; mais ces gens-là s'en inquiètent peu ....

" Hier, j'ai été à la maison fut condamné " Jésus-Christ ; j'ai monté la Sacla-Santa, et c'était " avec beaucoup de peine, et j'avais un soutien ; " enfin j'y suis parvenu. C'est cet escalier qu'il a " monté pour être condamné. En le montant, je " me disais : peut-être demain moi aussi je serai " condamné par les catholiques d'Italie, jilii matris " tneœ pugiiaverunt contra me. Il me faut beau- " coup de force, et Dieu me la donne ! Deo grattas !

" Les élèves du séminaire américain m'ont demandé de prendre les armes, mais je les ai " remerciés, et je leur ai dit de se joindre à ceux " qui soignent les blessés.

" Voici maintenant que Rome est enveloppée " et que l'on commence à manquer de beaucoup " de choses. . . .

" Hier, en revenant de la Scala-Santa, j'ai vu 4< tous les drapeaux que l'on a mis dans Rome pour " se protéger. Il y en a des anglais, des améri- " cains, des allemands, même des turcs. Le prince " Doria en a mis un anglais, je ne sais pourquoi.

" Quand je suis revenu de Gaète, ajouta triste - " ment le Pontife, j'ai vu aussi sur mon passage " beaucoup de drapeaux qui avaient été mis en

224—

u mon honneur. Aujourd'hui, c'est différent ; ce " n'est pas pour moi qu'on les a mis.

" Ce n'est pas la fine fleur de la société qui " accompagne les Italiens quand ils attaquent le " Père des catholiques ; c'est une miniature de ce " que faisaient les jeunes Romains qui se rendirent " au camp des Césars quand il passa le Rubicon. " Le Rubicon est passé .... Fiat voluntas tua in " cœlo et in terra .... Poi viene il codice dei fatti " compiuti"

Après avoir fait arborer le drapeau de la paix, Sa Sainteté dit au corps diplomatique :

" Je viens de donner l'ordre de capituler. On ne " pourrait plus se défendre sans répandre beaucoup " de sang, ce que je ne veux pas. Je ne vous parle " pas de moi ; ce n'est pas pour moi que je pleure, " mais sur ces pauvres enfants qui sont venus me " défendre comme leur Père. Vous vous occuperez " chacun de ceux de votre pays. Il y en a de toutes " les nations. . . . Pensez aussi, je vous prie, aux " Anglais et aux Canadiens, dont personne ne " représente les intérêts ici .... "

" Je vous les recommande, je vous les recom- " mande tous, pour que vous les préserviez des " mauvais traitements dont d'autres (en 1860) eurent tant à souffrir, il y a quelques années.

" Je délie mes soldats du serment de fidélité

I

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!" qu'ils ont fait, afin de leur laisser leur liberté." Le PonHfe-Roi congédia ensuite les membres du corps diplomatique ; il pleurait comme un enfant.

La capitulation dont vient de parler Pie IX, se lit comme suit :

Capitulation pour la reddition de la place de Ro?ne, stipulée entre le commandant général de S. M. le roi d'Italie et le commandant général des troupes pontificales, respectivement représentés par les soussignés.

Villa Albani, 20 septembre 1870.

I. La ville de Rome (sauf la partie qui est limitée au sud par les bastions de San-Spirito, et comprend le mont Vatican et le château Saint- Ange, et constitue la cité Léonine) son armement eomplet, drapeaux, armes, magasins de poudre, tous les objets, appartenant au gouvernement, seront remis aux troupes de S. M. le roi d'Italie.

II. Toute la garnison de la place sortira avec les honneurs de la guerre, emportant ses drapeaux, armes et bagages. Les honneurs militaires une fois rendus, elle déposera les drapeaux, les armes,

à l'exception des officiers qui garderont leur épée, leurs chevaux et tout ce qu'il leur appartient. Les troupes étrangères sortiront les premières ; les

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autres suivront selon leur ordre de bataille, la gauche en tête. La sortie de la garnison aura lieu demain matin, à 7 heures.

III. Toutes les troupes étrangères seront licen- ciées et les soldats renvoyés immédiatement dans leurs foyers par les soins du gouvernement italien, qui les dirigera dès demain par le chemin de fer vers la frontière de leur pays. Le gouvernement a la faculté de prendre ou non en considération les droits de pension que ces troupes pourraient avoir stipulés avec le gouvernement pontifical.

IV. Les troupes indigènes seront constituées en dépôt sans armes, avec les allocations qu'elles ont actuellement. Le gouvernement du roi se réserve de statuer sur leur position future.

V. Elles seront envoyées à Civita - Vecchia dans la journée de demain.

VI. Les deux parties nommeront une com- mission composée d'un officier d'artillerie, d'un officier du génie et d'un fonctionnaire d'intendance, pour la remise dont il est question à l'article 1er.

Pour la place de Rome : Le chef d'état-major : RlVALTA.

Pour V armée italienne : Le chef d'état-major : D. PRIMERANO.

22Ï

Le lieutenant-général commandant le IVe corps d'armée : Cadorna.

Vu, ratifié et approuvé :

Le général commandant les armes de Rome. Kanzler.

Le lendemain, 2 1 septembre, jour si tristement mémorable, le général Kanzler annonce le licen- ciement de l'armée romaine dans les termes sui- vants :

" Officiers, sous-officiers et soldats !

" Le moment fatal est venu, nous devons nous séparer et abandonner par la force ce service du Saint-Siège, qui, plus que tout au monde, nous tient tant à cœur !

" Rome est tombée ! mais, grâce à votre cou- rage, à votre fidélité, à votre admirable union, elle est tombée avec honneur.

" Quelques-uns d'entre vous se plaindront sans doute de ce que la défense n'ait pas été plus pro- longée ; mais une lettre de Sa Sainteté éclaicira tout. Ce témoignage de l'auguste Pontife sera la consolation de tous, et la plus belle récompense que nous puissions obtenir dans les circonstances actuelles. Je dois également vous faire connaître que séparée, par la violence, de son armée, Sa Sainteté a daigné vous délier de tous vos serments militaires.

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" Adieu, mes chers compagnons d'armes ! N'ou- bliez pas votre chef, qui conservera de vous tous un grand et impérissable souvenir.

" Rome, 21 septembre 1870,

" Le général pro-ministre des armes,

" Kanzler."

Le colonel Allet adresse aussi quelques paroles d'adieu à ses chers enfants, et l'heure de la sépa- ration est enfin arrivée. Mais il se passe alors une scène que tous ceux qui en ont été les témoins, n'oublieront jamais. Tous les soldats pontificaux auraient désiré voir encore une fois leur Père bien- aimé, et cette faveur allait leur être refusée, puis- que l'ordre de se mettre en marche était donné, lorsque tout à coup une fenêtre du Vatican s'ouvre, et l'on voit apparaître le véritable Roi de Rome. Levant les bras vers le ciel, Pie IX commence la bénédiction solennelle " Benedictio Dei omnipo- tentisr Le cri de " Vive Pie IX"! s'échappe de toutes les poitrines ; .les uns lancent leurs képis en l'air, d'autres présentent les armes.

Des balcons des résidences qui entourent la place St-Pierre, des milliers de personnes répètent " Vive Notre Saint-Père ! Vive le Pape ! Vive Pie IX,notre roi !" C'en est trop pour le cœur du Sou- verain-Pontife. Succombant à l'émotion qui le suf-

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foque, il tombe évanoui dans les bras de ceux qui l'environnent. La fenêtre se ferme, et les soldats pontificaux prennent la route de leur pays, en versant d'abondantes larmes sur le sort de l'auguste prisonnier du Vatican.

Le second acte étant terminé, la toile tombe.

Nous sommes donc rendu au troisième et der- nier acte, la votation ou le plébiscite. Quelques lignes suffiront pour démontrer la monstruosité des procédés employés en cette circonstance.

Le 2 octobre avait été choisi pour accomplir cet acte de bouffonnerie. Affiches mensongères, menaces, bulletins forgés ; tout a été employé par les partisans de la Révolution pour obtenir un vote unanime et faire comprendre aux autres nations que le peuple romain acceptait avec joie le joug de Victor-Emmanuel, roi d'Italie. Le Capitole de Manlius était l'endroit avait été déposée l'immense urne destinée à recueillir les bulletins. Dans les'autres quartiers de la ville, on avait établi des bureaux spéciaux pour faciliter la votation.

* Notre Saint-Père avait conseillé aux catholiques de ne pas prendre part au plébiscite.

A six heures etdemiedu soir, la votation était ter- minée, et le dépouillement des bulletins fit connaître que Victor-Emmanuel était aimé par tout le peuple

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romain. Véritable comédie s'il en fut jamais, car sur les 167,548 électeurs inscrits, il n'y eut que 135,271 votants; et, parmi ceux-ci, la plupart avaient été importés des autres parties de l'Italie et recrutés parmi la canaille qui, tout en n'ayant pas droit de vote, déposait dans l'urne cinq ou six bulletins.

Tel est le résultat du plébiscite de 1870. Les révolutionnaires peuvent s'en réjouir, mais les catholiques le regardent comme une moquerie.

Le drame est maintenant joué. Victor-Emma- nuel s'empare définitivement des Etats de l'Eglise et s'installe au Quirinal, â Rome. Pie IX, le roi légitime, est dépouillé de sa couronne et retenu prisonnier dans le Vatican.

CHAPITRE XXII,

LES ZOUAVES PONTIFICAUX CANADIENS.

On dit généralement qu'on n'est pas bon juge dans sa propre cause. Je suis de cet avis, et voilà pourquoi je ne donnerai aucune appréciation tou- chant les zouaves canadiens, j'aurais bien droit de réfuter les calomnies qui ont été inventées sur notre compte par des révolutionnaires qui nous traitaient de mercenaires, et même par quelques- uns de nos compatriotes, par des Canadiens- français heureusement, ils sont très rares. Mais je laisserai parler des personnes qu'on ne pourra pas taxer de partialité. Je citerai d'abord des extraits de trois lettres que Mgr. Bourget, alors évêque de Montréal, écrivait à l'adminis- trateur de son diocèse, aux mois de mars et d'avril 1869, lorsque Sa Grandeur se trouvait à Rome :

"M. l'administrateur,

" Nous sommes à Rome depuis le 1 3 février, comme vous l'avez déjà appris par nos lettres précédentes ; et je puis vous l'assurer, nous n'avons pas perdu notre temps, quoi qu'ici il ne soit pas possible de travailler comme à Montréal.

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Le temps passe vite tout de même, et à la fin, l'on se trouve peu avancé en besogne, quand on a fini sa journée.

Je puis toutefois vous parler, avec connaissance de cause, de nos chers zouaves canadiens qui, en Canada, sont l'objet de tant de préoccupations, parce qu'ils remplissent à Rome une mission qui, plus que jamais, me paraît providentielle, par les résultats qui peuvent s'ensuivre pour le Saint- Siège, comme pour eux-mêmes et pour notre patrie.

Je viens donc vous en dire quelque chose aujour- d'hui, et je puis vous assurer que je parle d'après ce que j'ai vu de mes yeux et entendu de mes oreilles. Car depuis cinq semaines que nous som- mes arrivés dans cette ville, nous avons eu, mes compagnons de voyage et moi, de continuels rapports avec ces bons enfants. Nous nous sommes vus presque tous les jours, soit à leur cercle, soit dans nos chambres. Nous avons assisté fréquem- ment à leurs réunions du soir, et bien souvent nous les avons * rencontrés le jour. Nous avons pris plaisir à leur faire raconter toutes les aventures de leur vie de soldats, et nons avons pu apprécier, à leur juste valeur, les bons sentiments qui les animent. Nous nous sommes associés de bon cœur à leurs jouissances de familles, quand on leur a

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distribué les lettres et les cadeaux dont nous étions si heureusement les porteurs.

En vous adressant la présente, c'est à tous ceux qui s'intéressent à ces jeunes compatriotes que j'écris, à leurs parents surtout qui ont si généreu- sement sacrifié leurs enfants pour la défense du Père commun, et au comité des zouaves si vive- ment intéressé à ce que ces enfants du sol fassent, par leur bonne conduite, honneur à leur patrie. £/ Au reste, en leur donnant les détails contenus dans la présente, je ne fais qu'accomplir un devoir bien légitime, car, en élevant la voix, pour les inviter à se mettre à contribution pour une œuvre qui, dès son début, paraissait hérissée de difficultés, j'assumais évidemment une très grande responsa- bilité aux yeux de la religion et de la patrie. Aussi, était-ce pour moi, comme c'est encore au- jourd'hui, un sujet de préoccupations bien natu- relles. Je soulage donc mon cœur d'un lourd fardeau, en leur donnant des renseignements qui seront pour tous de bonnes et joyeuses nouvelles. Je ne serai d'ailleurs que l'écho de beaucoup de voix qui ont déjà proclamé, dans tout le Canada et dans beaucoup d'autres pays, ce que j'ai à dire ici.

i ° Leur bonne conduite. Il n'y a là-dessus qu'une voix, et tous ceux que j'ai vus jusqu'ici ont été unanimes à me faire l'éloge des zouaves

J

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canadiens. On admire l'esprit de foi, de piété, de religion, d'obéissance qui les anime. On les trouve bons, honnêtes et bien élevés. Leur tenue, leur propreté, leur dextérité ont quelque chose qui les distingue.

Cette bonne conduite les met en honneur par- tout et leur mérite l'estime dont ils jouissent généralement. A l'audience qu'il nous donna quel- ques jours après notre arrivée à Rome, le Saint- Père nous parla de nos zouaves en termes bien flatteurs et qui exprimaient l'affection qu'il leur portait. Lorsque je voulus, au nom de leurs parejnts et du pays tout entier, le remercier des bontés et des faveurs dont il comblait ces jeunes Canadiens, il répondit agréablement que les " faveurs étaient pour lui." S'adressant à M. Moreau, il lui dit : "Ayez bien soin de vos soldats," puis se reprenant à l'instant, "de nos soldats ; car ce "sont mes soldats," ajouta-t-il d'une manière fort aimable. Il se fit un plaisir de nous dire comment, dans la belle promenade qu'il leur avait fait faire dans son jardin, il les avait fait arroser, disant avec un sourire aimable : "Je les ai baptisés, vos Canadiens." Or, comme chez ce grand pontife tout est signifi- catif, il est à espérer que cette innocente récréation porte son fruit, en excitant ces jeunes soldats du Pape à toujours mener une vie pure et chaste, et a

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répandre ainsi, dans la Ville sainte, la bonne odeur des vertus pariarehales que nous ont léguées nos pères.

Le lendemain de notre arrivée à Rome ( 1 3 février), nous nous présentâmes chez le cardinal Antonelli qui, comme tout le monde le sait, a la tête remplie de tant de choses qui intéressent le monde entier. Cette fois, il ne nous parla guère que de nos zouaves. A l'entendre, non-seulement ils étaient bons, mais les meilleurs de tous. Il nous rapporta qu'à l'époque de la promotion de M- Taillefer au grade de sous-lieutenant, on l'avait fait passer avant un prince qui avait plus de ser- vice et dont la conduite était très satisfaisante, car cette promotion a été en même temps une récom- pense des mérites personnels du nouveau gradé, et la reconnaissance de la bonne conduite du corps des Canadiens.

Le général Kanzler, le colonel Allet, le colonel d'Argy, le lieutenant-colonel de Charette et plu- sieurs autres officiers de l'armée pontificale, que j'ai vus tour à tour, n'ont eu que des éloges à faire de nos compatriotes ; et tous m'ont témoigné leur désir de grossir leurs bataillons respectifs de nou- velles recrues faites au Canada. On voudrait les enrôler dans l'artillerie, dans la légion, dans le corps des carabiniers, mais les officiers zouaves

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prétendent avoir droit d'enregistrer dans leur corps tous ceux qui seront de nouveau envoyés, comme renfort à l'armée pontificale, qui en a grand besoin comme tout le monde en convient.

Leur piété. Elle est vraiment édifiante, je dois le dire pour la consolation de tous, mais prin- cipalement des mères chrétiennes et religieuses, comme sont celles qui ont sacrifié si généreuse- ment leurs enfants, pour le service de la religion et la défense de Son Auguste Chef. On se rappelle avec quel entrain ils firent, l'an dernier, le mois de Marie qui leur a obtenu tant de grâces, qui les a soutenus au milieu de leurs dangers, de leurs peines et de leurs travaux. On se prépare à le faire cette année avec encore plus de solennité et de piété. Il en sera de même de la Saint-Jean- Baptiste qui fut si belle à Rome, l'année dernière, pour ces vrais enfants du Canada, et qui le sera encore plus cette année, il faut l'espérer. Un excel- lent livre, "Notre-Dame des soldats," dont j'ai donné à chacun un exemplaire, nourrira, je l'es- père, la vraie dévotion à Marie, qu'ils ont sucée au sein de leurs mères, et la " Neuvaine à Saint Jean-Baptiste, " dont j'ai tout exprès apporté avec moi quelques exemplaires, nous servira à célébrer en Canadiens pieux et religieux, notre grande et belle fête nationale.

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L'an dernier, comme c'est toujours l'usage dans l'armée pontificale, ils se préparèrent à faire leurs pâques, par une retraite de trois jours. Ils en ont fait autant cette année, et je me suis fait un bonheur de leur donner moi-même les exercices de cette retraite, afin de leur parler en père et de leur rappeler les enseignements qu'ils reçurent, d'abord, dans leurs familles, puis dans leurs paroisses. Ils se sont montrés très assidus et m'ont paru pénétrés des saintes vérités de la foi qui, à Rome plus qu'ailleurs, sont plus saisissantes et font de plus vives impressions. Son Em. le cardinal Barnabo s'est fait comme un honneur de venir couronner, à Sainte-Brigitte, cette belle retraite, en y venant dire la messe et leur donner la sainte communion.

Le révérend préfet leur a adressé, au moment de la communion, une assez longue allocution, qui les a fort impressionnés, parce qu'en effet elle était bien émouvante et tout à fait paternelle. Car le Canada relevant de la S. Congrégation de la Pro- pagande, l'Eminenf" cardinal, qui en est le préfet, paraissait bien ému en présence des enfants de ce pays lointain, à qui il se préparait à distribuer le pain des forts, afin qu'ils fussent des vaillants sol- dats au service du Christ et de sa divine religion.

On m'a assuré que dans le corps cks zouaves canadiens, il en est de très pieux et qui ne secon-

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tentent pas de faire leurs pâques, mais qui ont apporté à Rome la bonne habitude qu'ils avaient en Canada de communier souvent. C'est ce qu'ils font en allant recevoir la sainte communion, tantôt dans une église et tantôt dans une autre, tantôt pour leurs pères et tantôt pour leurs mères et autres parents et amis qui portent les noms des saints auxquels sont dédiées les églises qu'ils aiment pour cela à fréquenter, afin de s'exciter de plus en plus à la ferveur. Il en doit être ainsi à en juger par la piété et le recueillement qu'ils font paraître, chaque fois que nous les réunissons dans l'église de Sainte-Brigitte, qu'ils ont adoptée pour leurs exercices de piété ;

3. Leur piété filiale. Rien de plus touchant chez nos zouaves, que leur affection tendre et filiale pour leurs pères et mères et pour toute la famille. Le jour de notre arrivée, il faisait beau de les voir se jeter à genoux, lorsque je leur annonçai que je leur apportais les bénéditionsde la nouvelle année qu'ils n'avaient pu recevoir à la maison paternelle. Ce fut un moment saisissant pour nous, et je ne puis encore y penser, sans me sentir ému jusqu'aux larmes. En leur donnant cette bénédic- tion, je ne faisais en effet que remplir la commis- sion dont m'avaient chargé les pères et les mères que j'avaisvus avant mon départ.

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Lorsqu'on leur adresse la parole, on est toujours sûr de captiver leur attention, quand on les ramène à leurs premières années, quand on leur rappelle les jouissances de la famille, dans la maison pater- nelle, quand on leur fait voir que c'est en union avec tous les proches que l'on fait tel exercice, par exemple, le mois de Saint-Joseph qui se fait à Rome dans beaucoup d'églises. Enfin il ne faut pas parler longtemps, ni frapper bien fort, pour arriver à leur cœur, quand il s'agit de leurs bons parents

Leur dévouement pour N. S. P. le Pape. Par principe de foi, ils sont sincèrement dévoués, affectionnés, dévots même envers le Père commun des fidèles. On n'en saurait douter, quand on fait attention aux sacrifices qu'ils ont faire, pour lui prouver leur attachement filial. Il leur a fallu en effet s'arracher à la tendresse de leurs parents, renoncer aux douceurs de la patrie, tourner le dos à un avenir plus ou moins flatteur, affronter les dangers d'un climat qu'ont à redouter les étrangers, embrasser un genre de vie qui a ses souffrances et ses ennuis, s'assujétir à un régime qui impose de grandes privations à quiconque n'y est pas accoutumé, faire de longues et pénibles marches, sac au dos et l'arme au bras, au risque de s'écor- eher les pieds en traversant les marais et de

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n'avoir la nuit, pour abris, que de misérables étables ou écuries, exposés à toutes les vents. A ces souffrances physiques viennent se joindre les peines morales, les ennuis de la caserne, les misères de caractères, les brusqueries militaires, les punitions sévères, surtout quand elles ne sont pas méritées, auxquelles il faut cependant se sou- mettre sans réplique, l'assujétissement journalier aux règles d'une discipline rigoureuse. Tout cela, et bien d'autres choses encore, froisse et irrite d'ordinaire des jeunes gens qui ont eu toutes leurs aises dans la maison paternelle

Lorsqu'ils (les zouaves canadiens) ont à souffrir quelque mauvais traitement, qu'il leur faut faire une marche forcée, que la gamelle ne peut suffire à satisfaire leur appétit dévorant, on les entend dire : C'est pour la bonne cause ; c'est pour le Pape que nous souffrons ; et les voilà contents, gais et joyeux. On nous V avait dit ; nous lavons bien voulu ; 71 ou s 71 avons donc pas à 7ious plaindre. Au com77ie7ice77tent cette vie nous paraissait bie7i dure ; maintenant nous y so77imes faits, et rien 7ie 7ious coûte. Nous 7iavo)is plus qu'une chose à dési7~er, c'est de verser notre sa7ig pour le Pape. Nous espérons bie7i que, pour V amour de 7iotre bo7i Père, nous nous battrons avant que 7iotre engagement soit fÎ7ii ; et que nous laissero7is da7is le ci7netière de Sai7it-

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Laurent, avant de repartir ; quelques-uns des nôtres, et que nous ?wns eu retournerons dans notre cher

Canada avec de glorieuses blessures

••••••••••••••••••••••••••••••••••••««a

5 ° Leur union fraternelle. C'est quelque chose de merveilleux que cette union qui règne entre tous les zouaves canadiens, qui servent dans l'ar- mée pontificale. Leurs compagnons d'armes en sont singulièrement frappés, et ils sont à se de- mander si, en Canada, il y a un genre de vie spécial, propre à produire une telle intimité entre tous les membres de la nation. Les officiers, qui s'aperçoivent des bons effets qui résultent de cette union fraternelle, la favorisent autant qu'il est en leur pouvoir, en ne les dispersant pas trop dans les différentes compagnies.

D'un autre côté, leur union fraternelle

tes fait respecter, et l'on ne se permettra pas de les insulter ou maltraiter dans l'intime conviction l'on est qu'ils trouveront toujours moyen de se faire rendre justice, parce que, disent leurs com- pagnons d'armes, qui touche à l'un touche à tous

les autres

Ce qui les unit si tendrement et si fortement, c'est qu'il n'y a chez eux qu'un même esprit, pour ne se regarder tous que comme Canadiens. Ils sont en

effet tous Canadiens, et rien que Canadiens. Aussi il

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point de distinction entre ceux de Ouébec,de Trois- Rivières, de Saint- Hyacinthe et ceux de Montréal.

Leur amour de la patrie. "Jamais, ne cessent de répéter nos zouaves, jamais nous n'avons tant aimé le cher Canada que depuis que nous l'avons quitté, et que nous avons appris à l'apprécier, en ta comparant aux autres pays que l'on nous avait tant vantées."

Cet amour du pays se manifeste dans tous leurs

discours ; et ils en parlent avec tant d'émotion

qu'ils inspirent aux autres la haute idée qu'ils en

ont conçue dans leur première enfance, et qui ne

fait que s'accroître depuis qu'ils en sont éloignés.

Les officiers qui les entendent à tout propos parler

sur ce ton du Canada, en conçoivent le désir d'y

faire un voyage, pour voir de leurs yeux tout ce

que les zouaves leur racontent de leurs pays. //

faut, dit-on dans l'armée pontificale, que le Canada

soit un bien beau pays pour satiacJier ainsi ses enfants.

Cet attachement à la patrie se manifeste aussi par les chants patriotiques et religieux qu'ils ont toujours à la bouche. Les lieux ils se réunissent, les routes qu'ils suivent, les provinces qu'ils tra versent pour se rendre au camp ou en garnison, retentissent de ces chants joyeux et animés

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Leur honneur national.— Celui qui, par prin- cipe d'honneur, ne fait rien aux yeux des hommes qui puisse le compromettre, est appelé un homme d'honneur. S'il ne fait rien qui puisse faire mépriser sa nation, il aura en partage riionneur national ; mais la religion seule peut inspirer le vrai senti- ment d'honneur ; et il ne saurait se trouver que dans la pratique constante des devoirs qu'elle impose à l'homme du monde, comme à l'homme de la religion. Autrement il tombera bientôt dans de pitoyables écarts, qui attireront à lui et à sa nation, le blâme et le mépris.

Or ce sentiment d'honneur national est très vif dans le cœur des zouaves canadiens

L'honneur national est, chez nos zouaves, un sentiment noble qui les entretient dans le devoir, et une voix sainte, mais éloquente, qui les avertit de tout ce qu'ils ont à éviter, pour ne pas se com- promettre. Aussi, vont-ils leur droit chemin, bien résolus de tout pvrdre sauf V honneur "

Oue vont dire nos détracteurs ?

Continuons.

" Ils (les zouaves canadiens) ne vont pas à Rome, " disait le Tablet en i S68, lorsque le premier " détachement se rendait dans la Ville sainte, " attirés par l'appât du gain, mais pour offrir " généreusement leurs services au chef de l'Église

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" dans la tiibulation et le besoin ; pour grossi* les " rangs de cette petite, mais vaillante armée, qui " s'est recrutée dans toutes les parties de la catho- " licite pour venir former un rempart vivant autour " du Vénérable Pontife "

L'honorable juge Routhier s'exprimait ainsi dans le magnifique discours qu'il a prononcé à l'ouver- ture du congrès catholique tenu à Québec, en 1 8 8 o :

" La France avait un autre devoir découlant de son alliance : c'était de défendre l'Eglise dans le danger ; et vous savez que lorsqu'elle y a manqué, elle a toujours senti le contre-coup des malheurs de l'Eglise. Il est possible que Dieu nous destine à ce rôle dans l'avenir comme notre ancienne mère-patrie, et c'est un des événements les plus glorieux de notre histoire d'avoir pu déjà figurer à coté de la France dans les armées de l'Eglise.

** Il y a dix ans que le pontife de Rome a vu ce spectacle magnifique : la mère et la fille unies dans le même amour et le même dévouement, traversant les mers pour la défense de la même cause et devenant toutes deux sentinelles du Vati- can ! La mère enseignant à sa fille le dur métier des armes qu'elle a pratiqué pendant tant de siècles, et la fille rappelant à sa mère la foi ardente de ses jeunes années !

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" Ce souvenir vous fait tressaillir et produit sans doute un gonflement d'orgueil dans vos poitrines. C'est un bonheur pour moi de vous le rappeler en ce moment j'aperçois réunis nos excellents zouaves. Honneur à eux ! puisqu'on offrant géné- reusement leur vie à l'Eglise de Dieu, ils ont ratifié et sanctionné de nouveau le pacte sacré qui nous unit à elle ! "

M. Michel Barsotti, secrétaire du comité supé- rieur des congres en Toscane, rédacteur en chef du journal, // Fidèle, et chevalier de l'ordre de saint Grégoire le Grand, disait dans sa lettre datée de Luca, 20 mai 1880, en réponse à l'invitation que le Cercle catholique de Québec lui avait faite d'assister au congrès, que nous avons mentionné plus haut :

" La Toscane, le monde catholique tout entier, n'ont pas oublié que le Canada a envoyé en 1868 et en 1 869 quatre cents de ses enfants a la défense de la Sainte-Eglise, et de notre regretté Saint- Père, l'aimable Pie IX.

" Et moi qui ai été témoin de la piété tout à fait singulière, et du courage héroïque de ces bravt3 zouaves, je m'unis de tout cœur aux catholiques canadiens rassemblés.

Le président du Cercle Sainte-Catherine de Rici,

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à Prato, en Toscane, ne fait qu'une simple allusion à nos zouaves, mais elle dit beaucoup. Lisez-::

•' Beaucoup de catholiques canadiens furent de dignes soldats du glorieux Pie IX.

Dans une lettre collective des catholiques de Modène et de Parmes, adressée au Président du Cercle catholique de notre ville, on trouve cette chaleureuse exclamation :

" O Canadiens ! avec quelle joie et quelle recon- naissance nous nous rappelons vos dignes représen- tants qui, aux jours de nos plus grands désastres, étaient accourus à Rome pour y défendre, avec intrépidité et au prix même de leur vie, ces droits imprescriptibles et cette liberté sainte ! "

Nous pourrions citer une foule d'autres témoi- gnages flatteurs, mais nous nous arrêtons ; les vrais catholiques ont su apprécier, comme il le méritait, le mouvement des zouaves canadiens.

CHAPITRE XXIII.

LES OFFICIERS DES ZOUAVES PONTIFICAUX.

Je ne vous dirai qu'un mot de nos officiers supérieurs. Vous les connaissez tous ; leur répu- tation de soldats catholiques et dévoués au Saint- Siège a déjà rempli l'univers. J'ai puisé certains renseignements dans " Nos Croisés." J'ai l'espoir que notre digne aumônier me pardonnera de bon cœur ce petit vol.

Le général Kanzler. Herman Kanzler, général de l'armée pontificale, est dans le duché de Bade. Sa famille ne portait aucun titre de noblesse ; Kanzler, par ses précieuses qualités, a su s'élever à la vraie noblesse : celle de l'honneur suivant les principes de l'Église. Il a passé plusieurs années au service "du Saint-Siège, et pendant tout cet intervalle, il s'est distingué par un jugement supérieur, une bravoure hors ligne et un sang-froid raisonné.

En 1866', Kanzler a été élevé au poste impor- tant de général et de pro-ministre des armes à la place de Monseigneur de Mérode. Cette nomi- nation fut mal accueillie ; mais le nouveau général

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est parvenu à fermer la bouche à ses ennemis par sa conduite honorable et son exquise politesse envers tous ses subalternes.

Il serait trop long d'énumérer ici toutes les batailles dans lesquelles le général Kanzler s'est couvert de gloire. Les nombreuses décorations, qu'il porte sur sa poitrine, le prouvent d'une manière éloquente.

Le général Kanzler possède de grands talents militaires. Il sut le prouver en maintes circons- tances. En 1867, à la bataille de Neroîa, il donne l'ordre au colonel d'Argy, de la légion d'Antibes, de prendre avec lui deux compagnies, de se rendre immédiatement à la ville que je viens de nommer, de battre les insurgés et de rentrer aussitôt dans Rome. Cet ordre fut ponctuellement exécuté, et le succès fut complet.

Le général Kanzler estimait beaucoup les zouaves canadiens, et il le prouva en faisant tous ses efforts pour augmenter le nombre de nos com- patriotes dans les rangs de l'armée pontificale. Il visita deux fois notre Cercle, en compagnie de Madame Kanzler. Cette dernière est issue d'une famille romaine, mais elle est française par le cœur. Elle portait un grand intérêt aux soldats du Pape, ne cessait de visiter les blessés et de leur prodiguer les soins les plus tendres.

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En général, Herman Kanzler est le vrai modèle du soldat. Après la prise de Rome, en 1870, notre général, qui affectionnait sincèrement le Pape, aima mieux rester au Vatican que de retourner dans sa famille. Il est encore auprès de Léon XIII.

Dr Courten. M. de Courten, général de brigade, est suisse de naissance. Ses qualités principales sont une grande bravoure, une prudence consommée et une courtoisie sans borne.

Tous ceux qui ont lu l'histoire de France, se rappellent sans doute que, sous le règne de Louis XV, il existait un régiment de Suisses appelé de Courten. On comptait dans ce régiment trente- cinq de Courten, dont vingt-deux étaient officiers.

Un jour, Louis XV passait ce régiment en revue. Il fut telbmjnt frappé du port noble et de l'allure martiale de ces soldats, qu'il ne pût s'empêcher de dire en riant au colonel : " Nous irions loin avec ces gaillards-là " !

Le colonel de Courten lui répondit : " Sire, peut-être plus loin que nous ne voudrions. "

Le père de Courten c'est ainsi qu'on désignait généralement le colonel de ce régiment était décoré de la croix de Saint-Louis ; il comptait trente-deux ans de service ; il avait fait dix-sept campagnes et avait reçu quatorze blessures.

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Notre général de brigade, M. de Courten, descend de cette illustre famille ; c'est tout dire.

Colonel Ai/et. Tout le régiment des zouaves pontificaux avaient décerné à notre colonel le titre de papa ; et certes ! il le méritait bien ; car jamais père n'aima plus ses enfants. Plusieurs fois, on lui avait offert le grade de général de brigade ; mais il avait toujours décliné cet honneur en disant : " Je demande qu'on me laisse à la tête de mon régiment ; il y a beaucoup de généraux, mais il y a peu de colonels des zouaves pontificaux. "

Le colonel Allet était courtois, brave, et se fai- sait remarquer surtout par un grand sang-froid ; je vous ai donné une preuve de cette dernière qualité en faisant le récit de la bataille de Men- tana.

Allet a passé plus de vingt ans à défendre le Saint-Siège, et pendant tout ce laps de temps, il n'a cessé d'entretenir les meilleurs rapports avec ses inférieurs. Hors du service militaire, il se faisait un plaisir de causer avec le simple soldat.

Notre colonel était un parfait chrétien. Il savait braver le respect humain. Daus toutes les retraites qui se faisaient, chaque année, à l'occa- sion de la communion pascale, on le voyait prendre place le premier à la Sainte-Table.

Notre papa n'aimait pas à sortir dans le grand

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monde. Quand les convenances le forçaient à figurer dans la haute société, il ne le faisait qu'à contre-cœur ; et alors, lui si brave, il paraissait timide et gardait presque toujours le silence.

Un jour, on lui demanda, dans un salon, de vouloir bien raconter la bataille de Mentana, les zouaves s'étaient immortalisés. Il se fit prier pendant longtemps, car il était humble. Mais à la fin, il céda aux instances réitérées. " Oh mon Dieu ! dit-ilr c'est bien simple et bien court : la colonne défilait par la voie Nomcutanj, j'étais en arrière avec l'état-major ; à cinq ou six kilomètres de Men- tana, on entendit commencer la fusillade, et en quelques minutes le feu devint des mieux nourris ; je piquai de l'éperon pour voir en étaient les zouaves ; déjà ils étaient tous lancés, éparpillés par les vignes et jouant de la baïonnette comme de bons enfants. " " Et puis ? " Et puis . . . mon Dieu ! ils sont revenus le soir se ranger autour de leur drapeau, et ils avaient remporté la victoire.

Tel est l'homme que les zouaves avaient à leur tête.

Après l'invasion des Etats de l'Eglise, le colonel Allet est retourné à son château en Suisse, il est mort subitement quelques années plus tard.

Athanase de Charctte.- Le baron de Charette était lieutenant-colonel du régiment des zouaves. C'est le type d^ parfait gentilhomme.

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Quant à sa bravoure, elle est devenue proverbiale. On disait dans le régiment : " Brave comme de Charette." Dans tous les combats auxquels il a assisté, il s'est conduit comme un véritable lion. Quand il s'apercevait que les zouaves semblaient perdre courage ils ne l'ont jamais perdu il s'écriait : "En avant, les zouaves, ou je me fais tuer sans vous."

Le baron de Charette est le neveu du célèbre général qui fut fusillé pendant la guerre de Vendée. Il a cinq frères, et tous ont servi dans l'armée du Saint-Père ; ce sont : MM. Urbain, Ferdinand, Alain, Louis et Armand. Ce dernier, filleul et héritier de feue la duchesse de Narbonne-Pelet, est quatre fois millionnaire. Il servait dans ma compagnie comme simple soldat.

Le lieutenant colonel de Charette, âgé à cette époque d'environ quarante ans, était veuf de Dlle Antoinette Fitzjames, sœur du duc de Fitzjames et de la duchesse Salviati-Borghèse. Aujourd'hui, le baron de Charette est général dans l'armée française. C'est un royaliste pur sang.

Je donne ci-après les noms de tous les officiers des zouaves pontificaux. Le public pourra se convaincre, à la simple lecture, si l'armée du Pape était composée de mercenaires.

RÉGIMENT DES ZOUAVES.

Officiers supérieurs :

Général Kanzler ; Colonel Allet ;

Lieutenant-colonel Baron de Charette.

Premier Bataillon.

M. de Lambii.lv, chef de bataillon.

M. de Fumel, capitaine-adjudant-major.

iM Compagnie: Capitaine de Moncuit ; lieutenant Du-

jardin ; sous-lieutenant Brùlly. 2me (Compagnie : Capitaine de K.ersabiec ; lieutenant

de la Bégassière ; sous-lieutenants Vanderstratten

et Lafon. 3me Compagnie : Capitaine de Coiïessin ; lieutenant

Vandekerkhove ; sous-lieutenant Bonvallet. 4 uw Compagnie :— Capitaine Desclée; lieutenant Mau-

duit ; sous-lieutenant de Scarcey. $*** Compagnie : Capitaine Gouttepagnon ; lieutenant

LeDieu ; sous-lieutenant de Romer. 6^ Compagnie : Capitaine Joubert ; lieutenant de la

Bégassière (Paul) ; sous-lieutenant Desmiers,

Deuxième Bataillon.

M. de Troussure, chef de bataillon.

M. de Ferron, capitaine-adjudant-major.

iie Compagnie : Capitaine de Saint-Marcq ; lieutenant du Plessis ; sous-lieutenant Vetch.

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2mé> Compagnie : Capitaine Belon ; lieutenant Niel ;

sous-lieutenants du Reau et Bergeron. 3rae Compagnie : Capitaine Jolys ; lieutenant Capelli ;

sous-lieutenant Renaud. 4UU- Compagnie : Capitaine Berger ; lieutenant Rahé des

Ordons ; sous-lieutenant Bouquet des Chaux. 5rae Compagnie : Capitaine Hoyde ; lieutenant de Mont-

cabrier ; sous-lieutenant de Quattre-Barbes. 6QitJ Compagnie : Capitaine Gastebois ; lieutenant De

rely ; sous-lieutenant de la Borde.

Troisième Bataillon.

M. d'Albiousse, chef de bataillon.

M. Lallemand, capitaine-adjudant-major.

i1'*" Compagnie : Capitaine Thomalé ; lieutenant Fran- quinet ; sous-lieutenant Saint-Garnier.

2me Compagnie :— Capitaine Jacquemont ; lieutenant Guérin ; sous-lieutenants du Bois Chevallier et de Pascal.

3me Compagnie : Capitaine du Reau ; lieutenant Mou- ton ; sous-lieutenant Taillefer.

4me Compagnie : Capitaine du Bourg ; lieutenant Bron doit ; sous-lieutenant de Montbel.

5 mfi Compagnie : Capitaine Thalman ; lieutenant de Bellevue ; sous-lieutenant de Villèle.

6me Compagnie :— Capitaine de Fabry ; lieutenant Burdo; sous-lieutenant Tarabinî.

Quatrième Bataillon.

M. de Saisv, chef de bataillon.

M. de Vyart, capitaine-adjudant-major.

irt Compagnie : Capitaine le Gonidec ; lieutenant Klegge ; sous-lieutenant Benoit.

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2œe Compagnie : Capitaine de Kermoal ; lieutenant de

Vurck ; sous-lieutenant Arts. 3me Compagnie : Capitaine d'Arcy ; lieutenant de Li-

mayrac ; sous-lieutenant Murray. 4me Compagnie : Capitaine de la Messalière ; lieutenant

de Coray ; sous-lieutenant Burdo. 5me Compagnie : Capitaine de Résimond ; lieutenant

Harscouet ; sous-lieutenant Se villa. 6me Compagnie : Capitaine de Mirabal ; lieutenant de

Morin ; sous-lieutenant de Bourbon Chalut.

DÉPOTS.

M. de Nervaux, major d'administration, commandant les dépôts.

i e*" Dépôt : Capitaine de Curzon ; lieutenant Looymans ;

sous-lieutenant de Kervyn. 2ra« Dépôt : Capitaine Martini ; lieutenant Hamelon ;

sous-lieutenant Lajard. 3me Dépôt : Capitaine de Lanswerde ; lieutenant Beck ;

sous-lieutenant Wills. 4me Dépôt : Capitaine de la Tocnaye ; lieutenant du

Ribert ; sous-lieutenant Tortora.

Peloton des subsistants : M. Halgand, sous-lieutenant. Compagnie hors-rang : Capitaine Hefner. Sous-lieutenant et officier d'armement : M. Rutten. Sous-lieutenant, service actif : M. Boelen.

CHAPITRE XXIV.

PIE IX.

Il me reste encore à vous parler de Pie IX, de ce grand et illustre Pape, de ce pieux et saint Pontife, de ce Vicaire de Jésus-Christ, désigne sous le nom de Crux de cruce. La tâche est certaine- ment au-dessus de mes forces ; mais je croirais mon travail incomplet, si je taisais les actions de ce regretté Souverain. Je craindrais de passer pour un ingrat, si je ne vous entretenais pas un instant du Père commun des fidèles ou de mon Pape, comme disait un jour un soldat français en portant au Pontife-roi une lettre d'un camarade de la Crimée, qui faisait recommander une messe pour la conservation de l'armée française en Orient. Je dis ingrat, car Pie IX nous aimait tant, nous? les zouaves canadiens ! Je vous demande donc encore un peu d'indulgence.

Je diviserai ce chapitre en deux parties distinctes : les grandes souffrances de Pie IX, et les grandes œuvres accomplies par ce Pape. Je serai très court; bien souvent, je ne donnerai qu'un tableau analy- tique ; car pour chanter les combats et les gloires

258

de cet immortel Pontife, il nous faudrait écrire plusieurs volumes. Du reste, vous connaissez tous parfaitement les principaux faits du règne de Pie IX.

Les grandes souffrances de Pie IX.- Bientôt après son avènement au trône pontifical le 16 juin 1846 -Pic IX est oblige de com- battre les révolutionnaires inspirés et dirigés par Mazzini. A cette époque, ces suppôts de Satan sont, pour ainsi dire, maîtres de l'Italie. Déjà, on entend crier dans les rues de Rome : "A bas les Jésuites! Vive l'Italie " ! Le cabinet pontifical n'est entièrement composé que de laïques, à l'exception d'un seul ministre, Son Eminence le cardinal Ciacchi, préposé aux affaires ecclésias- tiques. Par surcroit de malheurs, la milice civique, seul appui du Pape, laisse insulter les prêtres et les^religieux par la populace. Les Jésuites sont même forcés de se disperser, au grand chagrin de Pie IX. C'est le prélude de la longue série des maux qu'il devra en.durer plus tard.

L'Autriche tente, en 1848, de s'emparer des Etats de l'Eglise ; mais les sages explications de Notre Saint-Père désarment l'ennemi. L'armée autrichienne évacue Ferrare, dont elle s'était emparée, et se retire.

La même année, les révolutionnaires, dans la

259

personne de Constantin!*, assassinent le comte Pellegrino Rossi, premier ministre du cabinet pon»; tifical. Pie IX est assiégé dans son palais du Quirinal ; les affidés de la Jeune Italie veulent le mettre à mort ; une balle vient même tomber dans l'appartement il se trouve. Une dame fran- çaise, la comtesse de Spaur, donne au Pape les moyens de fuir, et Notre Saint-Père va se réfugier à Gaéte, il passe deux longues années dans l'attente de jours meilleurs.

Le général Oudinot ayant délivré Rome du joug des révolutionnaires, Pie IX retourne dans la Ville éternelle, il fait son entrée triomphale, le i 2 avril 1850.

Le 4 février 1859, une nouvelle blessure est portée au cœur cle Pie IX par l'apparition d'une brochure ayant pour titre : Napoléon III et V Italie. Dans cette brochure, on répétait toutes les accu- sations qu'on avait déjà formulées contre le pou- voir temporel des Papes. Et dire que cet opuscule avait été inspiré par Napoléon III, l'empereur des Français, lui, chargé de protéger le Saint-Siège contre ses ennemis temporels ! C'est presque incroyable ; mais pourtant, c'est le cas. Napoléon était l'instrument de la franc-maçonnerie. Pri^ dans les griffes de ce vautour, il devait agir, mais sourdement.

260

Le trop célèbre Victor-Emmanuel annexe, en 1859, les Romagnes au royaume du Piémont, tout en protestant de sa fidélité et de son dévouement au Saint-Siège. L'hypocrite ! il se conduit comme un enfant qui, pour prouver son amour et son affection à son père, lui enlève une partie de ses biens. La France, la fille aînée de l'Eglise, tou- jours gouvernée par Napoléon, laisse commettre ce vol sans faire aucune protestation.

Le Judas du Piémont n'est pas encore satisfait. Les Romagnes n'ont pas suffi pour étancher sa soif brûlante. Le 18 septembre 1860, le roi galant-homme pénètre dans les Etats de l'Eglise, remporte la facile victoire 46,000 hommes contre 5,600 de Castelfidardo, et s'empare des Mar- ches et de l'Ombrie, tout en protestant encore de sa fidélité et de son dévouement au Saint-Siège. Il avait auparavant demandé la bénédiction du Souverain-Pontife. N'est-ce pas la conduite qu'a tenue Judas, lorsqu'après avoir vendu son maître, il vient lui donner un baiser dans le Jardin des Oliviers ?

Cette violation du droit des nations est suivie de désordres épouvantables. Les révolutionnaires, que Victor-Emmanuel est impuissant à retenir, chassent les religieux, pillent les couvents et pro- fanent les églises.

261

Pie IX voit avec chagrin les persécutions qu en- dure la malheureuse Pologne de la part de la Russie. En i 863, oubliant ses propres souffrances, il écrit au czar, et, seul, il proteste en faveur de la catholique Pologne, indignement maltraitée. Aujourd'hui, le sang des martyrs retombe sur la tête du Cosaque qui n'a plus de refuge assuré.

En 1867, Garibaldi, le brigand de l'île de Caprera, à la tête d'une bande de canailles, qu'il avait recrutées dans le royaume d'Italie à la con- n a issance d u roi eat/iolique}\7\ctor- Emm anuel- -entre dans les Etats de l'Eglise, prend et saccage Acqua- pedente, Ischia, Bagnorea, Valentano, Canino et Subiaco. Le forban marche ensuite sur Rome. Les zouaves pontificaux, sous le commandement du général Kanzler, rencontrent les chemises rouges à Mentana.et les taillent en pièces. Garibaldi retourne dans son île, après avoir lâchement abandonné ceux qu'il conduisait.

Nous sommes enfin arrivés à la dernière scène de la douloureuse passion de Pie IX. Je veux parler de la prise de Rome, en 1870, par Victor- Emmanuel. C'est encore ce Judas qui transperce d'un nouveau glaive le cœur de Notre Saint-Père ; un roi catholique, que Pie IX avait si souvent bénit, ose porter une fciain sacrilège sur le domaine temporel de la Papauté !

262

Victor- Emmanuel s'empare donc des Etats de l'Eglise et prend le titre de roi d'Italie. Pie IX, le véritable roi de Rome, se renferme dans le palais du Vatican ; il est prisonnier. Qui pourrait redire toutes les souffrances que ce grand Pape a endu- rées depuis le 20 septembre 1870 jusqu'à sa mort, arrivée le 7 février 1878 ? Dieu seul connaît les abondantes larmes qu'il a versées.

Détournons nos regards de ce triste tableau, et passons au second point.

Les grandes œuvres de Pie IX. -Dans cette seconde partie, nous suivrons la même marche que dans la première : c'est-à-dire que nous rappelle- rons en quelques mots les principaux travaux exécutés par le Pontife-Roi pendant son règne, qui a été une suite non interrompue d'oeuvres grandes et merveilleuses.

En 1850, Pie IX rétablit la hiérarchie ecclé- siastique en Angleterre. MgrWiseman est nommé premier archevêque de Westminster, avec douze évêques sufifragants. Trois ans plus tard, le Pape rétablit aussi la hiérarchie en Hollande, et installe un archevêque à Utrecht, avec quatre sièges suf- fragants : Harlem, Bois-le-Duc, Bréda et Rure- monde.

En 185 1, Pie IX élève safrit Hilaire au rang des docteurs de l'Eglise universelle.

263

Le Pape organise, la même année, le collège des protonotaires apostoliques, et modifie les statuts de l'ordre de Malte et de Saint-Jean de Jérusalem. La Congrégation des Petites sœurs des Pauvres reçoit l'approbation du Saint-Siège. Cette institu- tion, qui a rendu tant de services à l'humanité, a été fondée à Saint-Servan, en 1840, par de pauvres filles.

Il existait depuis quelque temps, dans l'Indous- tan, un schisme que l'on appelait sc/risme de Goa. Cette scission, dans le sein de l'Eglise, avait été produite par les prétentions de la cour du Portu- gal. Pie IX met fin à ce schisme.

De nouveaux sièges épiscopaux s'élèvent dans la communauté des Arméniens catholiques.

Les îles de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion ont chacune le bonheur de pos- séder un. évêque.

En 1854, Pie IX proclame le dogme de l'Im. maculée-Conception. La terre entière est dans l'allégresse, mais l'enfer devient furieux. C'est le premier coup porté par le Souverain-Pontife aux erreurs modernes, mais aussi c'est le principe des haines suscitées par le démon contre le pouvoir spirituel du Vicaire de Jésus-Christ.

Sa Sainteté condamne, en 1855, les premières

264

tentatives sacrilèges de Victor-Emmanuel qui s'em- parait des biens des couvents.

Deux ans plus tard, le Pape parcourt ses Etats, il est reçu partout en triomphe. A Pérouse, il fonde une institution agricole pour les enfants pauvres. Immola possédait un monastère connu sous le nom de Bon-Pasteur. Pie IX le trouve trop petit pour le nombre des religieux qui l'habitent ; il le fait agrandir. Sinagaglia, ville natale de Jean- Marie Mastaï Ferretti, est aussi comblée de faveurs signalées ; elle voit, s'élever aux frais de Pie IX, un hospice pour les malades et les orphelins, Ancône est redevable à ce Souverain-Pontife du splendide observatoire qu'elle possède. Toutes les villes qu'il a visitées, ont ressenti les bienfaits de sa charité sans borne.

Au mois d'octobre 1858, Pie IX proclame et affirme hautement la sainteté et l'inviolabilité du caractère reçu au saint baptême, à l'occasion d'un enfant juif baptisé par une servante. Nous voulons parler de la célèbre affaire Mortara. Vous vous rappelez sans doute toutes les accusations et toutes les calomnies que les journaux de cette époque formulèrent contre la Papauté, parce que le Souve- rain-Pontife avait placé cet enfant dans un couvent. Il n'y avait pourtant pas sujet à jeter de si hauts cris. Ecoutons Louis Veuillot, parlant de cette

265

question : " Conformément à la loi de l'Eglise, et à la loi de l'Etat pontifical, un enfant juif avait été retiré de la maison paternelle, parce que, baptisé en péril de mort, il appartenait à Jésus-Christ. L'enfant, recueilli à Rome, était élevé aux frais du Saint-Père, séparé de sa famille, mais non séquestré, et ses parents le pouvaient voir autant qu'ils le voulaient. " Le cas est bien simple, n'est ce pas ? En 1862, trois cents prélats se réunissent à Rome pour assister à l'imposante cérémonie de la canonisation des martyrs japonais. Ces derniers avaient versé leur sang, en 17 15, pour la confes- sion de la Foi.

Pie IX publie le Syllabus, en 1868, et cette longue liste, dit un auteur français, des erreurs contemporaines qui ne tendaient à rien moins qu'à détruire la raison et la foi, condamnées et anathématisées par le Souverain-Pontife, excita au plus haut point les clameurs de l'enfer.

La même année, le Pape crée aux Etats-Unis, huit diocèses et quatre vicariats apostoliques.

Le plus grand événement du règne de Pie IX est, sans contredit, le concile du Vatican, fut proclamé le dogme de l'infaillibilité. Je vous ai donné d'assez longs détails sur ce saint concile dans un chapitre précédent.

Nous venons de voir passer devant nos regards 12

266

un grand nombre d'œuvres accomplies par notre Saint-Père pour le bien de l'Eglise catholique ; mais ce n'est pas tout, Pie IX s'est encore dis- tingué par l'encouragement qu'il a donné aux arts et aux sciences.

La basilique de Saint-Paul est terminée. Saint- Laurent, Sainte-Marie du Transtévère, Sainte- Agnès, et soixante-quinze églises, dans les Etats du Pape, sont restaurées ou ornées avec une richesse inouïe.

Le chevalier de Rossi, sur l'ordre du Pape, explore les catacombes.

Le baron Visconti fait des fouilles considérables dans Xemporiitm d'Auguste et de Néron, et décou- vre les marbres les plus précieux et les plus riches qui avaient été apportés de toutes les parties du monde. Ces marbres servent aujourd'hui à l'orne- mentation des temples chrétiens. J'ai eu occasion de visiter souvent cet immense emporium, et je puis dire que j'ai été surpris, à chaque fois, de voir autant de richesses entassées dans cet endroit.

Pie IX multiplie les écoles et les institutions de charité ; il encourage les études qu'il place sur un pied élevé ; il fonde un institut agricole à la Vigna Pia.

Et que dire maintenant du dessèchement des Marais-Pontins, de la création des chemins de fer,

Wl

des travaux de Civita-Vecchia, des fouilles d'Ostie retrouvée, du port de Ravenne agrandi, etc ?

Nous n'en finirions pas si nous voulions passer en revue toutes les entreprises que l'illustre Pontife a exécutées pendant son règne. Je résumerai sa vie en citant cette parole -de l'Ecriture-Sainte : Transiit bene facicndo.

ÂPPi'NDICE.

NOMS DES ZOU/VES PONTIFICAUX CANADIENS.

AVANT LE PREMIER DETACHEMENT.

M. Testard de Montigny, B. A., Saint Jérôme, engagé en janvier J861.

M. Murray lïugh, Québec, engagé en juillet 1861.

M. LaKocque Alfred, chevalier, Montréal, engagé en février 1867.

MM. Prendergast Alfred, Nicolet ; Désilets Gédéon, Saint-Grégoire ; Hénault Gaspard, Berihier (en haut), engagés en janvier 1868.

MM. Têtu Alphonse, Québec ; Cour*, eau Napoléon, Québec, engages en février 1868.

M. Drolet Gustave, chevalier, Montréal, engagé en mars 1868.

PREMIER DÉTACUEMEN »'.

Aumôniers. Hcv. Messieurs Edmond Moreau, de l'éve- ché de Montréal, et Eucher Lussier, vicaire à Bouclïerville.

Allard Hector, Québec. Arseneau Thomas, Baie des Chaleurs. Auger Unésime, Montréal. D'Auray Télesphore, Coteau-du-Lac. Barnard Jacques, Drummondville.

2W

Bastien Alfred, Montréal.

Beauchesne Jos. Ulric, Bécancour.

Beaudoin Moïse, Montréal.

Bédard J.-Bte., Saint-Remi.

Bégin Théodule, Lévis.

Bellefeuille (de) Chs Henri, Saint-Eustache.

Bernier Roniuald, Lévis.

Bertrand Georges, Québec.

•Brissette Eugène, Sainte-Elizabeth.

Blackburn Jean, Château- Richer.

Bourget Achille, Lévis.

Bourget Alphonse, Lévis.

Bourget Marcel, Saint- Joseph de Lévis.

Brunet Léonidas, Montréal.

Brunelle Edouard, Batiscan.

Brunelle Elie, Pointe-Lévis.

Campbell Emery, Malmaison.

Caron Charles, Lennoxville.

Champagne Joseph, Montréal.

Chalut Joseph, Sault-aux-Récollet.

Charbonneau Georges, Saint- Vincent de Paul.

C'herrier Benjamin, Saint-Hyacinthe.

Chouinard Pierre, Lévis.

Cloutier Elzéar, Sainte-Julie de Somerset.

Comte Pascal, Montréal.

Connolly Félix, Dan vil le.

Cormier Moïse, Bécancour.

Courval Charles, Terrebonne.

Coutlée Cyprien, Saint-rolycarpe.

Couture Alphonse, Sainte-Thérèse.

Décade Léon, Notre-Dame de Grâces.

Demers Louis Daniel, Montréal.

DeCazes Charles, Sherbrooke.

Desjardins Henri, Terrebonne.

Dufresne David, Saint-Barthélemi.

Dupras Pierre, Montréal.

271 -

Dupras Stanislas, Saint-Laurent.

Dupuis Barthélemi, Saint-Constant.

Dusseault Epiphane, Trois-Ivivières.

D'Estimauville Arthur, Montréal.

Forget Lucien, Sainte-Marie de Monnoir.

Fcrget desPatis Adolphe, Terrebonne.

Forget desPatis Alphonse, Terrebonne.

Fortin Augustin, Islet.

Francœur Alfred, Sorel.

Fléchette Edmond, Arthabaska.

(lad bois Alphonse, Saint-Césaire.

Garneau Elzéar, Québec.

Gaumont Alfred, Sainte-Julie do Somerset.

(iendron F.X., Saint-Théodore d'Acton.

Gervais Gualbert, Montréal.

Gosselin Louis, Saint-Laurent, lie d'Orléahs.

Gouin Moïse, Baie du-Febvre.

Groleau Athanase, Montréal.

Hempel Casimir, Montréal.

Hughes Georges, Saint-Maurice.

Hurtubise Edwin, Montréal.

Jauron Napoléon, Ely.

Labelle Toussaint, Montréal.

I-achapelle Se vérin, Saint-Rémi,

Lacroix Alexandre, Saint-Charles.

Lamarre Basile, Longueuil.

Lamarche Adolphe, Montréal.

Langlais Charles, Kamouraska.

Kangevin Théophile, Saint-Isidore.

Laporte Jérémie Denis, Sorel.

Lavigne Théophile, Montréal.

Larivière Joseph, Saint Alexandre.

1 eblanc Louis Jos., Montréal.

Leblanc Edouard, Montréal.

Lebel Charles, Paspébiac.

Leclaire Etienne, Saint-Hyacinthe.

272

Leolair Damien, Sainte-Thérèse.

L'Etoile Joseph, Sherbrooke.

Lefort Jérémie, L'Assomption.

Legris Joseph, Saint-François de Sales.

Lemieux Edouard, Chicoutimi.

L'Heureux Thomas, Saint-Hyacinthe.

Lupien Adélard, Bécancour.

Marchand Alfred, Saint-Jean d'iberville.

Meunier Laurent, Saint Jean d'iberville.

Marion Placide, Sainle-Scholastique.

Martineau Herman, Sainte-Anne de Lapocatière.

Massicotte Alphée, Sa;nte-Géneviève de Batiscan

McKenzie Jacques Jos., Col., Terrebonne.

Moreau CJlric, Montréal.

Morissette, Jean-Bte., Québec.

Morissette Théophile, Québec.

Munro Henri, Montréal.

Murray Guillaume, Québec.

Normandin Thomas, Bouchervilie.

Olivier Louis, Saint-Nicolas.

O'Meara Alfred, Québec.

Papillon Siméon, Ottawa.

Papillon Rémi, Sainte-Anne de la l'era le.

Paquet Louis, Saint-Henri de Lauzon.

Paré Is. Gédéon, Lotbinière.

Paré Pierre, L'Ange-Gardien.

Paré Stanislas Alph., Lachine.

Patenaude François, Saint-Rémi.

Pelletier Evariste, Nicolet.

Péloquin Adélard, Saint-J ude.

Perrault Gilbert, Montréal.

Perrin Emery, Sainte-Scholaa tique.

Pépin Emile, Saint-Césaire.

Prévost Léandre, Montréal.

Eaymond Noé, Saint-Hyacinthe,

Renaud Alphonse, Saint- Rémi.

273

Rheault Luc, Saint Grégoire.

\ ieher Euclide, Montréal.

hosselin Etienne, Lavaltrie.

Rousseau Oscar, Nicolet.

Roy Cyrille, Lévis.

Roy J.-Bte., Saint- Félix de Kin!jsey.

Roy F. X., Somerset.

Schiller Charles, Montréal.

Sénécal Alfred, Saint-Césaire.

Sincennes Félix, Montréal.

St. -Germain Napoléon, Saint-Eustache.

Surprenant Alphonse, Saint-Constant.

Taillefer Joseph, Sainte-Martine.

Taschereau Charles, Sainte-Marie de la Beauce.

Têtu Jean, Trois Pis tôles.

Toussaint F. X., Québec.

Tmdelle Charles, Québec.

Vallée Charles, Québec.

Varin Eugène, Terrebonne.

Verreault Jules, Lévis.

Villeneuve Gilbert, Lachenaie.

Vohl Cyprien, Québec.

AVANT LE SECOND DKTACHF.MF.XT.

Pâijuet Charles, Québec.

Rouleau Charles, Sainte Anne de Lapocatière.

SECOND DÉTACHEMENT.

Aumônier. Rév. M. J. Michaud, de l'ordre de Saint- Viateur.

Baby Alfred, Joliette.

Beaublen Napoléon, Yamachiche.

2*74

Brisebois Ephrem, South-Durham.

Cassegrain Arthur, Saint-Césaire.

Coté F.-X., Sainte Geneviève de Batiscan.

Daigneault Alphonse, Saint-Hubert. #

Desnoyers Charles Henri, Montréal.

Durocher J. B., Saint- Aimé.

Gélinas Ben. Pierre, Saint- Aimé.

Hébert Ernest, Laprairie.

Hudon de Beaulieu Nap., Yamachiche.

Lachapelle Elzéar, Epiphanie.

Lebel Florian, Kamouraska.

Loranger Adélard, Yamachiche.

Panneton Georges, Joliette.

Pelland Joseph, Saint-Norbert.

Plamondon Anastase, Saint-Césaire.

Poulin Elzéar, Ile d'Orléans,

Séguin Auguste, Montréal.

Tassé Emmanuel, Ottawa.

Thérien Hilaire, Montréal.

Vincent Joseph, Ottawa.

TROISIEME DÉTACHEMENT.

Aumônier. Rév. M. J. C. Routbier, attaché à l'Ecole- Normale Jacques-Cartier.

Bazinet Lous, Saint- Vincent de Paul. Bélanger Maurice, Rigaud. Bigonèse Alex., Chambly. Branchaud Eusèbe, Huntingdon. Brousseau Alex., Belœll. Pruneau Zacharie, Saint-Hughes. Chaurette Alfred, Nicolet. Comtois Zéphirin, Saint-Hughes. Décarie Georges, Notre-Dame de Grâces. Desjardins Sifroy, Terrebonne.

2Ï5

Dumais Taul, Kamouraska.

Dusseault Louis, Trois-Rivières.

Faucher Henri, Montréal.

Fauteux Théodore, Montréal.

Gadbois André, Saint-Hilaire.

Garceau Louis, Trois Rivières.

Germain Germain, Saint-Vincent de Paul.

Gérin Lajoie Denis, Nicolet.

Giasson Honoré, L'Islet,

Jodoin Eucher, Boucherville.

Lionais Georges, Montréal.

Marion Auguste, Joliette.

Melançon Oscar, Joliette.

Michaud Thomas, Kamouraska.

Tréfontaine Fulgence, Belœil.

Ricard Damase, Montréal.

Thomas Sidney, Berthier.

Violetti Ferdinand, Montréal.

QUATRIEME DÉTACHEMENT.

Aumôniers. Revs. MM. P. H. Suzor, curé de Saint-Chris- tophe et P. Roy, curé de Saint-Norbert d'Arthabaaka.

Alary Jos., Sainte-Anne des Plaines.

Allard Tan. Zotique, Chateauguay.

Boileau F. X., Sainte-Thérèse.

Bélanger Georges, Montréal.

Boudy Agapit, Lavaltrie.

Blanchard Louis, Saint-Hyacinthe.

Benoit Jos., Saint- André d'Acton.

Benoit Stanislas, SaintCyprien.

Bellemarre Ferdinand, Rivière-du-Loup (en haut.)

Cloutier Emery, Saint-Norbert.

Collin Charles, Longueuil.

Champagne Arthur, Berthier.

216

Champagne Aristide, Lanoraie,

Cabana Nap., Sherbrooke.

Dostaler Raymond, Berthier.

Désormeau Eusèbe, Saint-Martin.

Drolet J. B., Saint-Paulin.

Duguay Norbert, Nicolet.

Deniers Godfroy, Sainte-Geneviève.

Dostaler Alfred, Saint-Narcisse.

De Tilly Ernest Noël, Arthabaska.

Favreau Ferdinand, Montréal.

Féron Maxime, Saint-Léon.

Francœur Joseph, Sorel.

Fournier, Saint Thomas de Monlmagny.

Gagnier Calixte, L' Anse-à-Gilles.

Gagnier Jos., Rimouski.

Gaudet Ludger, Saint-Christophe d' Arthabaska.

Girard J. B., Saint- Aimé.

Hardy Elzéar, Québec.

Irvine Guillaume, Ile- Verte.

Lavallée Aristide, Saint-Aimé.

Lamontagne Charles, Rivière-du-Loup (en haut).

Lavigne Ernest, Montréal.

Lefebvre Arthur, Saint- Vincent de Paul.

Mazurette Napoléon, Saint-Vincent de Paul.

Munro Charles Nap., Montréal.

Martin Adéodat, Montréal.

McGowan Jos., Saint-Roch de l'Achigan.

Martin Alp., Rimouski.

Martineau Alp., Ottawa.

Paré Ulric, Saint- Vincent de Paul.

Prince J. E. C, Nicolet.

Prince Louis Jos., Saint-Pierre de Durham.

Pouliot Louis, Rimouski.

Pennée Arthur, Québec.

St.-Laurent Aimé, Rimouski.

Watters Edmond, Saint-Augustin.

211

CINQUIÈME DÉTACHEMENT.

Aumônier Rév. Monsieur Edmond Moreau, chan. «le Montréal.

Archambault Mathias, Epiphanie.

Archambault Napoléon, Montréal.

Auge Denis, Rivière-du-Loup (en haut.)

Allard Prime, Montréal.

Bélanger Joseph, Québec.

Bleau Philias, Ilochelaga.

Blondin Adolphe, Baie du-Febvre.

Boisclair Alfred, Saint-Zéphirin.

Bourgeois Gaspard, Saint-Grégoire.

Bouchard Camille, Baie Saint-Paul.

Eédard Alph , Notre-Dame du Mont-Carmel.

Bussière Joseph, Québec.

Bourrât Gustave, Rivière du-Loup (en haut.)

Bélec Louis, Montréal.

Beaucaire Alfred, Montréal.

Barré George, Lachine.

Chevrefils Amable, Saint Guillaume.

Cantin Napoléon, Sainte Anne d la Pérade.

Collette Ed., Saint-Ours.

Chagnon Edmond, Chambly.

Côté Joseph, Montréal.

Chagnon Antoine, Saint-Hyacinthe.

Cornellier Louis, Sainte Blizabeth.

Dumontier F. X., Québec

Dumond Arsène, Saint-Jacques de l'Achigan.

Desjardins Michel, Terrebonne.

Dubé Alp., Trois-Pistoles.

Day Emmanuel, Montréal.

DeChamplain Bruno, Québec.

Danis Alfred, Montréal.

2*78

Dumont Joseph, Saint-André, Kamouraska,

Duguay Hylas, Baie-du-Febvre.

Elie Joseph| Baie-du-Febvre.

Fortier Herménégilde, Vaudreuil.

Fortier Aldéric, Vaudreuil.

Fortier L. IL, Québec.

Fitzpatnck Arthur, Montréal.

Faucher dit Château vert Joseph, Québec,

Forget Joseph, Sainte-Marie de Monnoir.

Fitzpatrick Cypiien, Montréal.

Garon Louis, Ilimouski.

Garneau Henri, Sainte- Anne de la Pérade.

Guay Alphonse, Saint-Liboire.

Guilbault Charles, L'Assomption.

Gilbert Joseph, Montréal.

Gariépy Louis, Montréal.

Gagnïer Alexis, Sainte-Martine.

Gagnier F.-X., Sain te -Martine.

Godin Honoré, Sainte-Anne de la Pérade.

Hébert Philippe, Québec.

Lefebvre F. X., Laprairie.

Laporte J.-B., Lavaltrie.

Lepage Jean, Rimouski.

Lassiseraye Arthur, Trois-Rivières.

Leniay J. B., Saint-Henri des Tanneries.

Leclerc Joseph, Saint-Guillaume.

Lemire Elie, Baie-du-Febvre.

Laflamme Philibert, Saint-Hughes.

Lavoie Eustache, Ile aux-Grues.

Lavoie Eucher, Ile-aux-Grues.

Lachance F. X., Ile-aux Grues.

Lemieux Gilbert, Ile-aux-Grues.

Lincourt Honoré, lle-du-Pads.

McDonald Joseph, Nicolet.

Melançcn Moïse, Saint-Jacques de l'Achigan.

Masson Jos. Edouard, Terrebonne.

2^79

Martel Alexandre, Montréal.

Martin Alfred, Rimouski.

Moreau Joseph, Saint-Thomas de Pierreville.

Murray John, Québec.

Marion Israël, Joliette.

Pineau Josué, Rimouski.

Parent Edouard, Rimouski.

Pouliot Louis H., Rivière-du-Loup (en bas.)

Provencher Damase, Nicolet.

Rousseau Louis, Saint-Hughes.

Rouleau Napoléon, Montréal.

Renaud Napoléon, Montréal.

Roy Jean, vis.

Ringuet Henri, Rimouski.

Roy Cléophas, Québec.

Rivard F. X., Sainte-Geneviève de Batiscan.

Smith Jos., Saint-Germain de Rimouski.

Sauvageau Théodore, Montréal.

St- Arnaud Henri, Sainte-Geneviève de Batiscan,

Slevan John, Baie Saint-Paul.

Sauvé Alexis, Sainte-Anne du bout de l'Ile.

Seers Alp., Sainte-Dorothée.

Souvigny Louis, Sainte-Martine.

Thivierge Cyrille, Montréal.

Têtu Emile, Rivière-Ouelle.

Valois Georges, Sainte-Scholastiqie.

SIXIÈME DETACHEMENT.

Aumônier Rev. Monsieur Jules Piohé, vicaire à Terre^ bonne.

Allard Joseph, Saint-Jean-Baptiste de Rouville. Brosseau Joseph, Saint-Sébastien d'iberville. Boyer Siméon, Montréal.

280

Benoit Lucien, Montréal.

Bergeron Narcisse, La Présentation,

Blanchet Philias, Saint-Jude.

Charretier Février, Saint-Hyacinthe.

Desjardins Jos., Saint-Jérôme.

Duhamel Alphonse, Sainte-Rosalie.

Desjardins Alexis, Sainte-Thérèse.

Desnoyers Dontague, Saint-Hyacinthe.

Desaulniers Nap., Trois-Rivières.

Forget Adélard, Sainte-Marie de Monnoir.

Gervais Télesphore, Trois-Rivicres.

Gervais Eugène, Trois-Rivières.

Gervais Louis, Saint-Hyacinthe.

Grenier Narcisse, Trois -Rivières,

Guillet Henri, Sainte-Mario de Mon noir.

Goulet Arthur, Saint-Hilaire.

Jannard Mathias, Montréal.

Lapointe Onésime, Slierbrooke.

Létourneau Auguste, Saint-Sébastien.

L'Heureux Théodore, Saint-Hyacinthe.

Loranger Enoch, Sainte-Anne de la Pérade.

Lecomte Joseph, Saint-Sébastien.

Martel Odilon, Saint-Médard de Warwick.

Marchesseau Zotique, Saint-Hyacinthe.

Panneton Jos., Trois-Rivières.

Prévost Emile, Saint- Vincent de Paul.

Paré Pierre, L'Ange-Gardien.

Reed Joachim, Coaticooke.

Roy Cyrille, Pointe-Lévis.

St-Michel F.-X., Saint- Jérôme.

Sauvé Hormisda?, Saint-Raphaël, Ile Bizar 1.

Sauvageau Cléophas, Saint-Hyacinthe.

Trudelle Victor, Québec.

Tessier Philippe, Sainte-Anne de la Pérade.

281

SEPTIEME DETACHEMENT.

Aumônier. Rev. M. E. Moreau, Chanoine de Montréal,

Alexandre Walter, Nicolet.

Aubin Moïse, Montréal.

Auger Xiste, Saint-Darnase.

Archambault Herménégilde, Ottawa.

Brassard J.-Bap., Saint-Michel des Saints.

Béliveau Olivier, Saint-Grégiire.

Bélanger Charles, Saint-Jean Dorchester.

Bouchard Pierre, Saint- Valentin.

Beauchemin Charles, Varennes.

Beauchemin Oct. Louis, Arthabaska.

Brault Ignace, Montréal.

Bourque Achille, Saint-Grégoire.

Bernier Komuald, Lévis.

Beaudry C, Saint J.-B. do Kouville.

Bélinge Aristide, Sainte-Scholastique.

Bertrand Jules, Montréal.

Belcourt Calixte, Nicolet.

Beauchemin Louis, Sainte-Monique.

Bédard Alfred, Québec.

Bégin Isaie, Québec.

Comeau Elise, Saint-Léonard.

Casaubon Vital, lle-du-Pads.

Chagnon J. B., Saint-Pic.

Cossette Anselme, Saint-Prosper.

Cantin Jos., Québec.

Cosset Octave, Champlain.

Champagne Ambroise, Sainte-Monique.

Chabot Sabin, Saint Simon.

Clavel Charles, Québec.

DeFoy Georges, Montréal.

Desnoyers Arthur, Saint-Pie.

282

Duchainie Kodolphe, Watton.

D5silets Avila, Joliette.

Décoteau Michel, Stanstead.

Dubois Ernest, Arthabaska.

Dufresne Raphaël, Saint-Pie.

Desparts Elie, Saint-Pie.

Des rochers Hormis., Chateauguay.

DeFoy Philij^e, Saint-Christophe.

Dusseault Louis, Québec.

Doricn Nap., Charlesbour^'.

Ernest Pierre, Québec.

Fiset Léon, Québec.

Fauteux Félix Jos., Montréal.

Kilion Jos., Sainte-Thérèse.

Forget Jean, Terrebonne.

Fortier Alp , Québec.

Kréchette Vid., Québec.

Fortier Clovis, Québec.

Gélinas Jo»., Saint-Boniface.

Gauthier Théoph., Saint-Pie.

Gobeille Arthur, Saintrie.

Garon J. B., Lîimouski.

Gendron Stanislas, Watton.

Gélinas Adrien, Yaniachiclic.

Gill L. JL, Pierreville.

Gascon Jos. Adalbert, Terrebotine.

Gauvreau Ilormisdas, Kivière-du-Loup (en haut).

Girard louis, Sainte-Monique.

Guillot Jules, Québec.

Hébert Arthur, Bécancour.

Houle Alfred, SaintProsper.

Jodoin Eucher, Saint-Bruno.

Jauron Frederick, Ely.

Lafleur J. B., Saint Pie.

Leduc Denis, Montréal.

Létouineau Louis, Sainte Famille.

288

Laurin Nap., Saint-Jean Dorchester.

Lapierre Etienne, Montréal.

Lottinville Horace, Saint-Stanislas.

Levasseur Aimé, Bécancour.

Larue Thomas, Saint-Simon.

Latulipe F., Québec.

Levasseur Ov. F., Saint-Aimé.

Malo Auguste, Montréal.

Marcotte Oscar, Lanoraie.

Maillet F. X., Saint-Jean d'iberville.

Malette Ant., Chateauguay.

Moisan Pierre, Québec»

Martin G., Trois-Rivières.

Milette Edmond, Trois-Rivière*.

Michaud O., Québec.

Ménard Moïse, Saint-Li boire.

Mercier Gédéon, Epiphanie.

O'Flaherty John, Québec.

Ouellette Joseph, Sainte Anne de Lapocatière.

Provencher Télesphore, Nicole t.

Poulin Denis, Rimouski.

Tinard J. B., Sainte-Monique.

Pleau Ulric, Epiphanie.

Perreault Eusèbe, Montréal.

Pouliot Adolphe, Saint-Christophe,

Proulx Jos., Baie-du-Febvre.

Pelletier Oct., Baie-du-Febvre.

Pelletier Didier, Baie-du-Kebvre.

Poirier Georges, Saint-Célestin.

Poirier Damase, Saint Célestin.

Lévêque Paul, Sainte-Elizabelh.

Provost Albert, Chateauguay.

Proteau Cyprien, Québec.

Proulx Gel., Québec.

Poirier Benjamin, Lévis.

Kuel M., Lévis.

. 284

Roussel Isaac, Québec.

Rivard Alph., Bécancour.

Renaud Victor, Québec.

Sir Arnaud François, Saintdvénii.

Scallon Ed. Jos., Joliette.

St-Amand T., Québec.

Sauvé Jules, Saint-Thimotliée.

Taché Chs., Ottawa.

Trudclle Alex., Trois Riviér< s.

Thibault Alfred, Québec.

Vézina Ed., Québec.

PARTIS i 0 MENT EN DEHORS DE! DÉTACHEMÉ

ET Al'kî: LE DEPART DU l'KEMI EU.

Bourgeois Benjamin, Saint-Grégoire. McDonald Ed., Nicolet. Renaud Alfred, Montréal. Dupré Evariste, Contrecœur. Beauchamp Edouard, Montréal, Valois Louis, Maskinongé^ Lefebvre Louis, Québec. Bécot Etienne, Québec. Murray Alphonse, Québec. ralàrdy François-Xavier, Verchèri De Salaberry Maurice, Montréal. Piclié Alphonse, Montréal, (iuy Joseph, Montréal. Franeœur Joseph, Montréal. Drouin Alphonso P., Sainte Famille.

. , •.', | i ^NAUIt S i LKUit SERVÏ<

\ ROME.

Joseph Leblanc, Arthur tt'EsUipaa ville, Chartes Nap Munro, ce dés en I

285 -

Charles Tarohereau, Sifroi Besjardins, Agapit Bondy, décèdes en 1869.

Jérémie Le fort, François-Xavier Palardy, Ferdinand Violetti, décédés en 1870.

Ferdinand Violetti est mort à Viterbe, la veille do l'éva- cuation de cette ville par les Zouave poniifiVn x et a ét£ enterré dans la cathédrale, près du tombeau du Cardinal Bédini ; les autres ont tous été irhuuiés d ma le rimetièie de .Saint-Laurent, à Romo.

TABLE DES MATIERES.

Pages.

I.— Départ et traversée .. 1

If. Passage en Angleterre et en France Il

III. Sur la Méditerranée et arrivée à Rouie. 21 IV. Une journée de zouave Un épisode...... 29

V. Velletri Brigandage en Italie 37

VI. Chasse aux brigands Exécution 45

VIL— Camp d'Annibal— Visite de rie IX 53

VI IL— Combat simulé Albano Aricia Castel-

Candolfo Marino Rocca-Priora Cl

IX.— Fête au camp Rocca-di-Papa-- Départ du

camp— Dispersion des Canadiens 09

X. Tivoli et ses souvenirs 77

XL— Cascades de Tivoli et la villa d'Esté 83

XII. Subiaco et saint Benoît 91

XIII. Bolsene Montefiascone Viterbe 103

XIV. Mentana Monte-Rotondo Frascati

Ostio 109

XV. Rome ancienne 117

XVI. Rome pendant les persécutions 135

XV1L— Rome actuelle , 149

XVIII. Le peuple romain— 8a foi, sa charité et

ses divertissements 157

XIX. La Reine du peuple romain 175

XX. Noces d'or de Pie IX— Concile du Vatican. 185

XXL— La retraite de Viterbe— Le 20 sept. 1870. 199

XXII. Les zouaves pontificaux canadiens 231

XXIII. Les officiers des zouaves pontificaux 247

XXIV.— Pie IX 257

Appendice , 269

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